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Full text of "La France en Orient au XIVe siècle;"

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LA 

FRANCE  EN  ORIENT 

AU  XIV^  SIÈCLE 
EXPÉDITIONS  DU  MARÉCHAL  BOUCICAUT 


l-AK 

J.    DELAVILLE    LE   ROULX 

ARCHIVISTE    PALÉOGRAPHE 

A^Cle»    MEMBRE    DE    L'ACOLB    FRANÇAISE    DE    ROME 

UOCTEUn    ÉS-LETTRES 


PARIS 
ERNEST  THORIN,  ÉDITEUR 

-IimAIRK    DKS   ÉCOLES   FRANÇAISES    D'ATHÈSES   ET   DE   ROME 

nu   r.ol.LkUK    DR    l-'ItANCE    ET   DE   I.'fiCOLB    nOBHALE   SUPÉRIEURE 

7,    RUE   DE   HÉDICI8,    7 

188ti 


/fJf. 


BIBLIOTHÈQUE 

DBS 

ÉCOLES  FRANÇAISES  D'ATHÈNES  ET  DE  ROME 


FASCICULE  QUARANTE-QUATRIEME 

LA    FRANCE    KN    ORIENT    AU    XIV'    SIÈCLE 
Par  J.  Deiatilt.e  Le  Houlx 


I. 


A  MA  MÈRE 


145715 


TABLE  DES  MATIÈRES 


iNTROmCTIOX 1 

LIVRF  I.  —  PROJETS  ET  TENTATIVES  (1290-1350). 

Soi'ncKS  du  livre  i Il 

CiiAPïTRK     I.  Chute  de  Saint  Jean  d'Acre.  —  Efforts  et  projets 

de  Nicolas  iv Ï3 

—  îi.  Raymond  Lull  et  Marino  Sanudo 27 

—  III.  Expédition  de  Charles  de  Valois 40 

—  IV.  Projets  de  PliiHppe  le  lîel 48 

—  V.  Routes  d'Arménie  et  de  Constantinople.  —  Golfe 

Persique 64 

—  VI.  Philippe  le  Long  et  Charles  le  Bel 78 

—  vu.  Philippe  de  Valois.  —  Directorium  de  Brochard.  86 

—  viM.  Ligue  générale.  —  Humbert  de  Viennois 103 

LIVRE  IL  —  TENTATIVES  (1350-1396). 

Sources  du  livre  h 113 

Chapitre     i.  Croisade  de  Pierre  i,  roi  de  Chypre 119 

—  II.  Croisade  d'Amédée  vi 141 

—  m.  Boucicaut  et  le  comte  d'Eu  en  Palestine  (1388-89)  159 

—  IV.  Expédition  de  Barbarie  (1390) 166 

—  V.  Philippe  de  Mézières.  —  Son  influence 201 

LIVRE  IIL  —  MCOPOLIS  (1396). 

Sources  du  livre  m 211 

Chapitre     i.  Progrès  des  Turcs.  —  Chevauchée  du  comte  d'Eu. 

—  Ambassade  du  roi  Sigismond  en  France 221 

—  II.  Préparatifs  de  départ  de  l'armée  franco-bourgui- 

gnonne. —  Autres  alliés  de  Sigismond 233 

—  m.  Marche  de  l'armée  franco-bourguignonne.  —  Con- 

centration et  mouvement  oITensif  des  croisés. 

—  Siège  de  NicopoUs , 246 

—  IV.  Etat  et  force  des  deux  armées 263 

—  V,  Bataille  de  Nicopolis 270 


Pagei. 

Chapitre  vi.  Sort  des  prisonniers.  —  Retour  de  Sigisraond  en 

Hongrie.  —  Nouvelles  de  la  défaite  en  France.  282 

—  VII.  Coup  d'oeil  sur  la  campagne 293 

—  VIII.  Délivrance  et  retour  des  prisonniers 300 

—  IX.  Paiement  de  la  rançon 321 

LIVRE  IV.  -  CONSTANTINOPLE  (1397-1402). 

Sources  du  livre  iv 327 

Chapitre     i.  Effet  moral  produit  en  Europe  par  la  victoire  des 

Turcs 329 

—  II.  Campagne  des  Turcs  en  1397. —Manuel  demande 

du  secours  en  Occident 349 

—  III.  Expédition  de  Boucicaut 359 

—  IV.  Campagne  de  Boucicaut  à  Constantin  ople 369 

—  V.  Retour  de  Boucicaut.  —  Voyage  de  Manuel  en  Oc- 

cident       376 

—  VI.  Rapports  de  Tamerlan  avec  les  chrétiens.   —  Ba- 

taille d'Ancyre 384 

LIVRE  V.  -  MODOX  (1403-1408), 

Sources  du  livre  v 399 

Chapitre     i.  Boucicaut,  gouverneur  de  Gènes.  —  Difficultés 

avec  le  roi  de  Chypre 403 

—  11.  Premières  difficultés  entre  Gènes  et  Venise 412 

—  m.  Départ  du  maréchal  de  Gènes.  —  L'Escandelour. 

—  Paix  avec  le  roi  de  Chypre  {avril-juillet  1403).      421 

—  IV.  Campagne   de    Boucicaut   en    Syrie  (fin  juillet- 

août  1403) 436 

—  V.  Bataille  de  Modon.  —  Retour  du  maréchal  à  Gênes 

(octobre  1403) 447 

—  VI.  Négociations.  —  Accord  du  22  mars  1404 458 

—  VII.  Elargissement  des  prisonniers 470 

—  vrii.  Exécution  du  traité.  —  Cartel  de  Boucicaut.  — 

Rappel  de  l'ambassadeur  vénitien 475 

—  IX.  Fin  des  négociations.  —  Paix  du  28  juin  1406. . . .      482 

—  X.  Arbitrage  du  9  août  1408 498 

—  XI.  Derniers  projets  et  expéditions  de  Boucicaut  (1407- 

1408) 505 

Conclusion ■. 514 


INTRODUCTION 


Ou  s'est,  depuis  de  loiif^ues  anuées,  habilut^  à  arrêter; 
à  Ifl  prist^  de  Saint  Jean  d'Acre  (l'2'Jl)  Thistoire  des  croi- 
Rîides,  e4  à  considérer  cet  événement  comme  la  ruine 
définitive  des  i^talilissements  latins  en  Terre  Sainte.  Rien 
n'est  plus  arbitraire  qu'une  pareille  limite,  née  de  la  lassi- 
tude dos  historiens,  et  en  contradiction  avec  les  faits,  La 
nouvelle  école  historique,  qui  s'est  donné  la  tûche  de  re- 
nouveler l'étude  des  croisades',  réagit  contre  cette  ten- 
dance, et  le  présent  travail  est  né  du  même  sentiment.  Le 
mouvement,  en  eliet,  qui  entrain;»,  durant  deux  siècles, 
rOccident  aux  Lieux  Saints,  était  tn>p  considérable  pour 
cesser  brusquement  par  la  catastrophe  de  Saint  Jean 
d*Acrc  ;  la  chute  de  cette  pince,  depuis  loiigtcnijts  prévue 
par  les  esprits  clairvoyants,  ne  découragea  pas  les  espé- 
rances des  Chrétiens  de  relever  un  jour  le  royaume  de 
Jérusalem,  car  st  la  Syrie  paraissait  définitivement  perdue, 
il  restait  encore  on  Orient  doux  royaumes  chrétiens,  celui 
de  Chypre  et  celui  d'Arménie,  assez  puissants  Tun  et  l'autre 
pour  fournir  de  solides  points  d'appui  aux  futures  reven- 
dications des  Latins. 


I.  A  la  \Hc  de  <^e  mouvement  liistorifiue  s'est  plar(^e  \û  Son<*té  de 
l'iPrittit  tnlin  qui,  depuis  bU  fundatiuri  |tK75)^  muh  l'impulsiua  tWier- 
f^qiie  dr  M.  le  conito  Hiaiit,  a  pruu]»)'*  touK  les  t^rutlit»  qui  font  do 
rhifctuire  des  TruLsados  l'ohjet  di*  [cnra  i^tudt'îi.  Les  résultuls  consi- 
di'^rnhles  ohlennii  depuis  dix  ans  sont  ic  présa^rc  d'une  rénovation 
complète  des  idros  f|ui  ont  eu  jusqu'à  présent  eours  en  ces  matières. 

I 


INTROOlICTlôN. 

Le  xiv'  sitNcIo,  Umi  entier,  se  pr(5occupr  de  la  question 
d'Orient,  et  la  France  est  la  première  i\  se  passionner  ptMU' 
une  intervention,  de  joui'  en  jour  plus  difTEicile  à  réaliser  ; 
les  projets  d'expédition,  cependant,  sp  succèdent  sans  in- 
terruption: souvent  nnM]ie  ils  sont  suivis  d'effet,  et  les  che- 
vauchées «le  Pierre  di'  Liisignan.  d'Amédée  de  Savoie,  du 
duc  de  Bourbon  et  du  niaréfhal  lîoucicaut,  —  pour  ne  citer 
que  les  plus  importantes.  —  protestent  contre  une  opinion 
jusqu'à  présent  admise  sans  résen^e. 

Avant  de  mettre  en  lumière  ces  projets  et  ces  ten- 
tatives, —  objet  de  notre  travail,  —  il  importe  d^étudier 
les  sources  auxquelles  nous  avons  puisé,  et  d'en  indiquer 
ici  en  quelques  mots  la  valeur  et  l'étendue. 


1. 

On  peut  grouper  en  trois  grandes  classes  les  docu- 
ments que  nous  avons  employés  :  la  première  comprend 
des  mémoires  qui,  sous  une  forme  ^éuéruleuient  cnncisL-, 
contiennent  l'opinion  persoimelle  de  leurs  auteurs  sur  In 
conduite  A.  tenir  en  Terre  Sainte;  dans  cette  catégorie 
rentrent  tous  les  j)roj(Hs  de  croisade  émis  au  xiv"  sièclt*. 
Dans  une  seconde  division  se  placent  les.  pièce^t  diplf*- 
tnnhijues  et  les  teuvres  qu'elles  ont  inspirées  ;  dans  une 
troisième,  les  témoignages  des  chroniqueurs.  Dans  quelle 
mesure  chacune  de  ces  trois  classes  de  documents  a-t-elle 
été  utilisée  ?  Quelle  créance  avons-nous  accordée  à  telle 
chronique^  Par  quels  mnliCs  avons-nous  rejcUé  le  U'rnui- 
gnage  de  telle  autre?  Quel  parti  avons-nous  tiré  d'un  do- 
cument d'archives  l  Quelle  importance  avons-nous  attri- 
buée A  tel  projet  d'intervention  en  Orient  l  Autant  de 
questions  sur  lesquelles  il  a  semblé  utile  de  fournir  au 
lecteur  quelques  explications. 

ruEMiÈRK  CLASSE.  ï'UojRTS  ffp  AVIS.  —  11  v  a  pou  de 
choses  à  dire  de  cette  catégorie  de  documents.  Les  projets 


INTROprCTIOX. 


(le  croisade,  les  avis  donnés  par  ceux  que  leur  expérience 
ou  leur  situation  mettait  en  mesure  d'éclairer  TOccident  sur 
rélat  de  la  Palestine  étaient  avant  tout  une  œuvre  per- 
sonnelle; la  tache  de  la  critique  se  réduit  donc  A  appré- 
cier [e  degré  d'intérêt  ou  de  confiance  que  méritr^nt  les 
vues  et  les  conseils,  dont  les  auteurs  de  ces  mémoires  se 
sont  faits  les  interprètes.  Généralement  présentés  aux 
souverains  pontifes  ou  aux  princes  qui  songeaient  à  se 
croiser,  ces  projets  n'ont  pas  été  connus  en  dehoï's  du 
cercle  resireint  auquel  ils  s'ndressaient  ;  sauf  quelques 
exceptions,  ils  ne  nous  sont  parvenus  que  par  un  ou  deux 
manuscrits,  et  jusqu'A  présent  très  peu  d'entre  eux  ont 
été  publiés. 

Cet  ensemble  de  textes,  cependant,  offre  un  sujet  d'é- 
tudes intéressantes  et  de  révélations  des  plus  curieuses. 
Cest  à  l'aide  de  ces  documents  qu'on  peut  se  faire  une 
idée  exacte  des  connaissances  et  des  préjugés  des  hommea 
du  XIV'  siècle,  eu  ce  qui  concerne  la  question  d'Orient  ; 
fréographie,  forces  militaires  des  royaumes  clinUiens  du 
Levant,  état  de  la  puissance  musulmane,  moyens  de  re- 
conquérir la  Terre  Sainte,  tout  y  est  passé  en  revue.  S*il 
est  quelques  projets  dans  lesquels  les  illusions  et  les  élans' 
d'un  enthousiasme  trop  naïf  font  tort  aux  conseils  de  la 
raison  et  de  la  prudence,  la  plupart  d'entre  eux  sont  em- 
preints <run  caractère  pratique,  souvent  môme  d*une  pro- 
fondeur de  vues  qu'on  ne  s'attendait  pas  A  rencontrer  à 
cette  époque.  Ils  émanent,  pour  la  plupart,  de  person- 
nages considérables,  en  mesure  de  fournir  les  rcnseigne- 
nïcids  les  plus  précis  et  les  avis  les  plus  utiles. 

Les  emprunts  que  nous  avons  faits  A  ces  textes,  encore 
pou  explorés,  sont  nombreux.  11  n'entrait  pas  dans  le  plan 
de  notre  travail  de  consjicror  aux  auleui*s  et  aux  ma- 
Duscrits  de  ces  ménjoires  une  étude  approfondie.  Aussi  nous 
flûnuues-nous  borné  à  les  résumer,  en  signalant  brièvement 
I'imp(trtJince  particulière  de  chacun  de  ces  témoignages. 


DEUXIÈME    CIASSE.     DOCI'MRNTS     I)'AriCHIVKS.    —   CVlIX-l'i 

ont  été  un  de  nos  principaux  élénifuis  d'inrormaiioii. 
Leur  caractère  ofticiRl  nous  panin tissait  une  authenticil^' 
incontestable,  et,  dans  une  certaine  mesure,  une  sincérité 
absolue.  Sur  ço  dernior  point,  cepondant,  quelques  iv- 
serves  sont  nécessaires;  dans  TiMiiploi  des  pièces  dipio- 
inaliqnes,  nous  n*avons  pas  jionln  \U'  vue  fjuo  l'intérêt 
politique  ou  des  appréciations  parfois  passionnées  avaient 
pu  se  fairp  jour,  et  volonlaireiuent  on  !nèine  de  bonne  foi, 
I  dénaturer,  atténuer  ou  grossir  certains  événements.  C'est 
I  le  cas  pour  les  correspondances  diplomaliques  vénitiennes; 
l  plus  d'une  fois,  nous  avons  eu  roccasion  de  rectifier, 
^^d  l'aide  de  sources  d'autre  provenance,  des  assertions 
^■trop  absolues  et  qui  eussent  faussi*  la  vérité  liislin-ique. 
^^Sous  ces  réserves,  les  pièces  d'archives  nous  ont,  été  du 
plus  utile  secours,  et  leur  étude  nous  a  jieruiis  de  mettre 
en  lumière  nombre  de  faits  dont  les  chroniques  seules 
ne  nous  eussent  pas  |UM"Uiis  d'exposer  le  compU't  <\ô- 
velopperaent  '. 

TROISIÈME  CITASSE.  CHRONIQUES.  —  A  c<5té  des  deux  pre- 
mières classes  de  textes  se  placent  h»s  chroniques.  Nous 
les  avons  largement  mises  î\  contribution,  mais  sans  per- 
dre de  vue  que  leurs  témoigna^î^es  devaient  être  accueillis 
avec  prudence,  contrôlés  avec  critiiiue,  et  comparés  entre 


* 


I.  Nous  avons  aUnbm'*  aux  recueils  diplomatiques,  impiîmt's  ou 
manusfTits,  formi^s  de  pi(>res  (rapoïiivf*s,  la  in<^iin'  valcMir  qu'à  ces 
pièces  elles-nièmes  ;  si,  dans  certains  eJi»,  la  niaiiiérc  ilnnt  It's  docii- 
meiils  Haut  piiblii'*ii  ou  transcrits  n'est  pas  e\Rinpte  tle  tuiit  repruclie, 
ees  roIlei^tioiiK  en  revanche  ai'^iiièrent  souvent,  par  la  perte  des  do- 
funienl-s  pritnitifK.  le  caract/Te  et  l'îniportanre  des  originaux  :  à  vp 
litre  nous  les  avons  mises  au  im^tue  ranij:  que  reux-rî,  et  leur  avons 
accordé,  sauf  le  cas  d'inHdt^iilé  reconnue,  une  é^ale  uutoritO'.  \uu« 
prendrons  pour  exemple  les  Prpumt  tif  thinlttiri'  de  [ionnjQifne^  do 
U.  Plancher.  t*elles-ei,  tirées  des  Archives  do  la  chambre  des  comptes 
de  Uùurjfognc,  sont  souvent  directement  citées  par  nous,  sur  la  même 
ligne  que  les  documents  d'archives,  quoiqu'elles  no  soient,  à  propre- 
ment parier,  qu'une  source  de  seconde  main.  Il  va  sans  dire  (|uc 
t'originBl,  quand  il  subsiste,  a  été  consulté  et  collalionnè  nvet*  lu  copi**. 


INTROW;CTION, 


5 


eux  par  l'historien  soucieux  d'atteindre  ;\  la  vérité.  Là» 
plus  qu'eu  aucune  autre  espèce  de  documents,  la  sûreté 
des  informations,  la  conscience  ou  la  partialité  des  chro- 
niqueurs appellent  un  examen  spécial  ;  il  laut  séparer 
soigneusement  les  récits  inspirés  par  Tun  ou  par  l'autre 
des  partis  en  jeu,  tenii*  compte  de  la  passion,  de  Tigno- 
rance  ou  de  la  légèreté  des  écrivains,  placer  chacun  d'eux 
dans  le  milieu  où  il  a  vécu,  remonter  aux  sources  orales 
ou  écrites  auxquelles  il  a  puisé  pour  porter  un  jugement 
i-aisonué.  Tâche  délicatf»,  dont  les  résultats  u'oiîrent  rien 
d'absolu,  puisque  souvent  un  témoignage  suspect  peut 
revêtir  sur  tm  point  s|>écial,  par  suite  de  circonstances 
particulières  d'iniormaliou  ou  d'exactitude,  un  caractère 
d'iuithenticité  iuconlestable  '. 

11  nous  a  paru  utile  de  signaler  au  lecteur  pourquoi  nous 
avons  admis,  rejeté  ou  accueilli  avec  réserve  les  récits  des 
principaux  chroniqueurs.  Il  fallait  également  lui  donner  un 
court  résumé  des  sources  d'archives  et  des  mémoires  aux- 
quels nous  avons  puisé.  Aussi,  pour  ne  pas  ralentir  l'exposé 
des  événementH,  avnns-nous  groupé,  en  tête  de  chacune  des 
parties  de  notre  travail,  les  notions  indispensables  à  celui 
qui  le  lii*a  pour  appi'écier  sur  quelles  bases  reposent  les 
faits  que  nous  lui  avons  présentés. 


U. 


Si  nous  avons  protesté  contre  ropinion  qui  limitait  à 
la  prise   d\\cro   l'IiLstoii'e  des  croisades,   si  nous  avons 


I.  Nous  tliintions  pour  ext'iiijtln  le  n^rit  de  la  cniisaile  de  Nicopolis 
par  U"  Uclù/iniT  rfr  Satnt-Ih'niii.  ciiijiciinlr  aux  Mtiivi'nirs  d'un  ti^moin 
(K'ulain-  :  dt*  iiu'iih."  fdui  'lit--  ri'xpi'dititiii  tir  ttarbarii*,  dun»  la  Chfv 
HtifUf  (tu  fion  dur  h»tfit  ttf  /tuurbua.  uflro  di-s  gtu'aiitie&  qui  ne  se 
ri?trouvcal  [Hi:*  [mrluut  d:uis  cette  utiivrr. 


6  INTRODUCTION. 

lîherché  à  montrer  les  eiforts  des  Latins  pour  reconquérir 
un  royaume  qu'ils  avaient  été  impuissants  à  défendre,  — 
efforts  qui  ne  cessent  de  se  maniiester,  pendant  plus  d'un 
siècle,  avec  la  persistance  et  la  persévérance  les  plus  re- 
^^tmar(|uablos,  —  nous  devons  reconnaître  que  cette  catas- 
trophe lui  pour  TEurope  chrétienne  le  point  de  dépari 
d'une  politique  très  diflërente  de  celle  qu'elle  avait  jus- 
qu'alors poursuivie  dans  1(^  Levant.  Elle  iniprinia  au  mou- 
vement à  Toccasion  duquel  les  croisades  étaient  néps  un 
caractère  nouveau,  dont  les  manifestations  ne  furent  ni 
moins  glorieuses,  ni  moins  intéressantes  à  étudier,  bien 
qu'elles  aient  été  dirigées  vers  un  autre  objectif. 

Il  est  superflu  de  rappeler  que  l'enthousiasme  relig:ieux, 
'qui  arma  l'Occident  au  xii"  siècle  et  l'entraîna  vers  les 
Lieux  Saints,  se  ralentit  au  siècle  suivant.  La  prise  de 
Jérusalem  par  Saladin  (1187)  marque  ïissez  bien  le  mo- 
ment où  la  foi  cessa  d'être  la  pensée  dominante  et  exclu- 
sive des  croisés,  ei  où  elle  s'unit  h  d'autres  sentiments 
pour  inspirer  de  nouvelles  expéditions  contre  les  Musul- 
mans. Les  Latins  établis  en  Palestine  avaient  jeté  les  bases 
d'une  domination  réguUère,  à  Tinslar  des  états  féodaux 
de  l'Occident,  et  avaient  agi  en  vain<|iieurs  dtîsireux  de 
conserver  leurs  conquêtes.  L'importance  commerciale  et 
territoriale  de  la  colonie  qu'ils  avaient  fondée  sous  le  nom 
de  royaume  de  Jérusalem  s'aftirmait  de  jour  en  jour  ; 
aussi  au  sentiment  religieux  se  joignit  bientôt  nn  intéivt 
plus  matériel,  la  défense  du  nouveau  royaume  et  l'exten- 
sion du  commerce  européen  en  Asie  Mineure.  Inspirée 
par  les  Génois,  c'est-à-dire  par  un  peuple  à  la  fois  com- 
merçant cl  colonisateur,  la  croisade  de  riiilip[»e  .Auguste 
et  de  Richard  Cœur  de  Lion  ne  p<ïui*suivii  pas  d'autre  luit; 
qui'lques  aiuii'cK  plus  ttird.  le  changement  de  direction  de 
la  quatrième  croisade  (l'20'i)  indique  u»  revirement  plus 
marqué  dans  Tesprit  puldic.  On  n'est  plus  au  temps  île 
Pierre  l'Ermite,  dont  les  bandes  innombrables,  impatientes 


INTRODUCTION. 

d'arriver  au  Saint  Sépulcre,  no  se  seraient  pas  laissé  sé- 
duire par  l'appât  de  la  conquête  de  Coustantinople. 

Cette  transformatiou  s'accentue  encore  pendant  lei 
xm"  siècle.  Nous  ne  prétendons  pas,  comme  certains  au- 
teurs', que  Tentliousiasme  religieux  s'éteignit  complète- 
ment, pt>ur  faire  place  à  d'autres  mobiles.  Sans  Tétincelle 
de  la  foi,  les  croisades  eusseut-elles  été  possibles  I  Saint 
Louis  n'était-il  pas,  sous  le  ivipport  chrétien,  Tégal  et 
même  le  supérieur  de  Pierre  l'Ermite  l  Mais  l6  sentiment 
de  la  foi  n'était  plus  le  seul  dont  se  préoccupaient  les 
derniers  croisés.  Indépendamment  de  ce  symptôme  nou- 
veau, on  remarque  que  les  expéditions  du  xiii*-  .siècle  diÔè-^ 
rent  dos  précédentes  par  la  direction  qui  leur  est  donnée. 
Ce  n'est  plus  la  Syrie  qu'il  s'agit  d'envahir,  c'est  l'Egypte. 
Le  centre  de  la  puissance  musulmane  s'est,  en  eflet,  dé- 
placé; et  les  armées  d'André  de  Uongrie  (1219)  et  de 
Saint  Louis  (I2'i8-r>'i)  se  dirigent  vers  le  Nil.  C'est  là 
qu'est  désormais  la  clef  de  la  Palestine,  c'est  h\  qu'il  faut 
vaincre  les  Sarrasins  pour  arriver  aux  Lieux  Saints,  pen- 
dant que  les  Mongols  et  les  Pei-ses  attaquent  l'ennemi 
commun  au  nord  et  à  l'est.  On  voit  ainsi  germer  une  idée 
politique  que  le  siècle  suivant  développera  et  qui  marque 
des  visées  dili'ércntes  de  celles  qui  avaient  jusqu'alors 
animé  les  champions  de  la  foi. 

C'est  celte  idée  nouvelle  dont  il  nous  h  paru  intéressant 
rU'  suivre  les  progrès;  |ir4'ci)nisée  dans  les  projets  d<!  croi- 
!«t(le,  modiliée  par  1rs  ciicnustancrs  «wtérieures,  elle  do- 
mine tout  le  xiv*  siècle  ;  elle  in8[»ire  les  revendications 
années  dont  riiistorien  est  le  témoin,  elle  en  explique  le 
bni.  l'insuflisaiice  e(  l'échec. 


I.  Vohaii'r.  ilo  liiiijrnrî-,  lleller,  lltMikcn.  l'U*.,  ri  rtremiutîtit  i*rul/ 
h'utftif'ifÇU'hicfite  fin'  /\irn::fiiff,  Ilrrliii,  iaH3t. 


LIVRE  PREMIER 
PROJETS  ET  TENTATIVES 

1^90-1350. 


LIVRK  PRRMIIÎR 


PROJETS  ET   TENTATIVES 


I --290-1350. 


Cette  période  est  pres<iu«  excluBÎvement  remplie  par  des  projeta  île 
fpoisade;  les  tentatives  sont  l'exception,  et  la  ronséquence  de  ee  fait 
est  la  prédominance  de  ceux-ci  sur  les  ducuments  d'autre  nalnre. 
Sauf  les  mémoires  émanés  du  graiid-maitpe  du  Temple  *,  de  Du- 
bois', de  .Nogaret\  du  roi  Henri  rr  de  Chypre*,  du  dominirain 
ltrocard\  et  les  œuvres  de  Maririu  Sanudo^  tous  les  pmjets  «juc 
nous  avons  étudiés  sont  inédits.  1^  plupart  d'entre  eux  mériteraient 
une  publication  intégrale.  —  Les  pièces  d'arcliives  n'ont  été  utilisées 
(|ue  pour  les  tentatives  dont  la  première  moitié  du  xiv"  siècle  a  été 
l'objet.  Kxcejité  les  actes  ronrernant  les  préparatifs  de  Pliitipfiti  \\ 
de  Valuis  lArdi.  nat.,  séries  J  et  P).  elles  unt  presque  toutes  été 
publiées  dans  des  histoires  (générales  ou  des  dissertations  porticu- 


1.   Uahuer  V  Un  pu  paru  m  Ariniuni'iitiuni  il'aris,  tt>93l,  ir,  t8i. 

ï.  Ualuze,  iftrm,  m,  1*t6.  —  Mongars,  Grsia  fh-ï  per  Frnncut  (Ha- 
novre, liîll»,  n,  nui. 

:i.  li.  lUiutarir,  Soticcu  et  extrait»  dt  itocitmenli  inédit»  relatif»  à 
l'hi»tuire  de  l'rance  fum  Philippe  le  liai  {Paris,  1861),  p.  HT. 

V  Mas  l.îilrÎH.  Ilintuire  de  ilhijpre  (Paris.  I852-(>I),  H,  118. 

'i.  UeilïonherK.  à  la  suite  du  Kheftiiier  au  i'.yyue,  dans  Mnnmiientj^ 
pour  servir  à  riiisloire  des  provinces  de  Namur,  de  Ibilnaiil  et  de 
l.uxumliourg,  tv,  227-:ïri. 

ti,  Ikuigars,  Gesla  Ueiper  /'Vaiico*,  t.  li. 


Î2  SOURCES   DU   LIVRE   PREMIER. 

Hères ^  —  Les  chroniqueurs  n'ont  presque  rien  fourni;  à  peine 
avons-nous  l'occasion  de  citer  quelques  passages  de  Froissart',  et, 
pour  l'expédition  de  Charles  de  Valois  de  recourir  à  la  chronique 
catalane  de  Hamon  Muntaner  (1265-1336);  celle-iM  est  un  monument 
de  premier  ordre  pour  l'histoire  des  aventures  de  la  Compagnie 
Catalane  dans  le  Levant  ;  écrite  par  un  témoin  oculaire  et  un  acteur 
des  faits  racontés,  elle  offre  de  sérieuses  garanties  d'exactitude, 
malgré  la  partialité  à  laquelle  aurait  pu  céder  Muntaner,  adversaire 
du  prétendant  français'. 


1.  Les  histoires  de  Chypre,  de  Dauphiné,  les  travaux  de  Iloutai-ic 
sur  Philippe  le  Bel,  les  recherches  de  Buchon  sur  les  établissements 
francs  de  Morée,  d'Abel  Hémusat  sur  les  relations  de  l'Occident  avec 
les  Mongols,  l'introduction  de  Charrière  aux  Négociations  de  la  France 
dans  le  Levant,  etc.  ;  le  lecteur  trouvera  à  leur  lieu  l'indication  des 
monographies  auxquelles  nous  avons  eu  recours. 

2.  Le  lecteur  trouvera,  en  tète  du  livre  n,  quelques  détails  sur  la 
valeur  historique  des  Chroniques  de  Froissart. 

3.  La  première  édition  est  de  !558,  a  Valence,  la  seconde  de  1567, 
à  Barcelone.  File  été  traduite  en  castillan,  en  15115,  par  D.  Miguel 
Moncade,  et  partiellement  par  le  comte  de  Moncade  au  xvu»  siècle; 
elle  a  été  éditée  par  Buchon,  en  français,  dans  le  Panthéon  liltèraire 
(1"  série,  t.  v  et  vi). 


Ui  chute  (le  Saint  Jean  d'Acre,  quoique  pn*vue,  out  iliius 
tout  rOccidonl  un  rrioiitissiMiH'jit  rrmsiiIrruMe  et  y  causa 
une  éiuoliou  profonde.  L'eiilli"Usiasnie.  il  est  vnd,  îles  piv- 
iniers  temps  s'était  bien  lofroidi  à  la  fin  du  xin"  siècle  ; 
seuU,  les  papes,  les  poètes,  les  fennnes  et  le  peuple  gar- 
daient la  tradition  de  l'ancien  zêlo'.  Déjà,  lors  de  la  se- 
conde croisade  do  Saint  Louis  (1*270),  les  barons  fi'an(;ais 
avaient  hésité  à  aecoiup;tj;ner  le  ri)i.  et  niaiiifeslé  une  véri- 
tJible  répugnance  à  s'engager  dans  tui  voya^'e  d'ouïri^nier. 
Ct;[K'ndanl,  â  Tannonco  dn  la  catastri>plie,  l'opinion  |)iih]ique 
senilda  sortir  de  snn  engourdisseruenl,  ei  nuhlier  li's  pré- 
occupations du  nnuiienl,  pour  ne  plus  songer  qu'à  ruITmii- 
ehissemenl  des  Lieux  Saints. 

Ce  mouvement,  tout  spontané,  était  eu  eontradictidU  avec 
r«spnt  de  la  siM'iélé  féo<lal(*  et  piditique;  cette  dei'uière 
était  hostile  à  de  nouvelles  expéditions.  Le  clergé,  en  effet, 
â  cliaf|UO  croisade,  payait  un  décime  sm*  ses  biens  et  se 
pinignait  vivement  de  cet  impôt;  la  noblesse,  c'est-à-dire 
l'élément  qui  avec  le  clergé  avait  entre  les  mains  la  puis- 
sance et  l'activité,  se  souciait  peu  de  faire  les  frais  et  de 
supporter  les  fatigues  de  ces  buntains  voyages.  Si  quel- 
i|ae«  <  avontuiiers  de  la  féodalité  »  consentaient  encore  a 


I.  Saint  >lart!  Clïrardin,  Le*  Origines  de  ta  ffUf»tion  tf  Orient 
do»  Deu\-Mumles.  I.  u,  p.  43|. 


14 


KFFORTS    DÏI    PAPE    NICOLAS    ÏV 


s'einban|uei'  pour  l'Orient,  c'est  que  l'ambition  de  conquérir 
de»  royaumes  et  des  principautés^  et  non  plus  la  foi,  soutenait 
leur  courage.  Le  mauvais  succès,  en  outre,  des  cifûsades  au 
xiir  siècle,  auguicuta  leur  discrédit:  Dieu  ne  semblait-il  pas 
abandonner  les  champions  de  sa  cause?  Fallait^il  s'armer 
malgré  lui  pour  la  défendre?  Celte  considération  suffit  pour 
décourager  les  plus  intrépides.  Le  zèle,  un  instant  réveillé, 
ne  tarda  pas  à  faire  place  à  l'inMOUcianco  et  à  la  lassitude  : 
el,  malgi-é  l'appel  du  Saint-Siège,  aucun  effort  no  fut  tenté 
pour  scM.*ourir  les  cbirtiens  de  TeiTo  Sainte  avant  qu'ils  fus- 
sent réduits  aux  dernières  extrémités. 

Nicolas  IV,  cepeu<lant,  ne  s'était  pas  épargué  pour  tirer 
l'Occident  de  son  apathie;  quand  la  ju'isr  d'Aon*  fut  con- 
nue, ce  fut  contre  lui,  contre  sa  coupable  insouciance  el 
celle  de  la  cour  pontificale,  un  cri  d'indignation  universel, 
cri  aussi  injuste  qu'irréfléchi,  né  de  la  vivacité  de  l'iui- 
pressinu  puhliipie.  Pouvait-on  rendi'e  le  pontife  responsable 
d'un  événeuient  qu'il  avait  de  tout  son  pouvoir  cherché  à 
conjurer  ?  Edimard  d'Angleterre  ne  l'avait-il  pas  bercé  de 
promesses  trompeuses?  Les  autres  souverains  d'Occident, 
aussi  bien  que  les  princes  et  les  chevaliers,  n'étaient-ils  pas 
restés  sourds  aux  appels  réitérés  de  la  papauté?  N'avaient- 
ils  pas  refusé  de  sacrifier  leiu's  bîj'us  cf  leurs  vies  pour  re- 
conquérir un  royaume  que  U;s  partis  se  disputaient,  sans  souci 
de  l'ennemi  du  dehors  qui  profitait  de  ces  rivalités  pour 
ruiner  la  puissance  des  Latins  eu  Orient  '. 

L'évacuation  de  laTeire  Sainte  consterna  la  cour  de  Rome, 
et  la  lettre  pontificale  qui  fit  connaître  au  roi  de  France 
Philippe  le  Bel  (23  août  1201  j  lu  double  perte  de  Saint  Jejui 
d'Acre  el  de  Tyr.  osl  empreinte  de  la  plus  profonde  tris- 
tesse. Nicolas  s'adressa  en  môme  temps  aux  évêquos  de 
France  pour  les  adjurer  d'appeler  aux  armes  les  barons,  l(»s 
chevaliers  et  le  peuple.  Mais,  de  même  que  le  roi,  le  clergé 
resta  sourd  aux  exiiortations  du  pape.  Réuni  en  synode,  il 
m^  répondit  que  la  prédication  d'une  nouvelle  croisade  res- 
terait sans  efft^t,  tant  qur  les  princes  chrétiens  se  combat- 
ti'uient  mutuellement,  tant  que  les  Grecs,  pîu*  leur  schisme 
©t  leur  secrète  haine  contre  les  Lnlins,  les  Aragonais  et  les 


1,  W'ilken,  Geschichte  der  Kreussiige,  vn,  77S-7. 


RIVALITES    ET   INDIFFERENCE   DE   l'oCCIDKÎïT.  15 

Siciliens  par  leurs  quorelle»,  troubleraieul  ia  paix  dp  la  chn^- 
lienté.  Il  fallait  avant  tout,  disait-il,  que  le  souverain  ponlifo 
ramenât  l'union  o(  la  ronconl<^  parmi  los  iléfiMiscurs  du  Christ 
avant  de  los  convior  â  une  nouvelle  t^xpédition  ;  c'était  uuo 
condition  absolue  de  succès.  Los  dernières  années  du  royaume 
de  Jérusalem  avaient  élé  attristées  pur  des  cotiipéfitions  pro- 
fondément regrettables;  à  côté  de  la  rivalité  permanente  des 
républiques  maritimes,  Chaides  i  d'Anjou  avait  fait  valoir, 
comme  cessionnaire  des  ilroits  de  Marie  d'Anlioche,  niêee  do 
Hugues  uif  des  prétentions  au  trône  de  Jéru:saîeut,  que  la 
révolte  des  Siciliens,  secrètement  ourdie  à  Constantinople 
pju*  les  intrigues  do  Palèologue,  lit  nvtjrter  uiomentauénienf  ; 
on  venait  enfin  (l'assister  à  la  guerre  d'Aragon,  qui  S4'  ratta- 
cliait  intimement  aux  agissements  et  aux  massacres  dont  la 
Sicile  avait  été  le  théâtre.  Ces  divers  événements  avaient  . 
armé  les  nations  chrétiennes  les  unes  contre  les  autres,  alors 
que  l'union  était  la  condition  élémentaire  et  indispensable  de 
toute  action  efficace  en  Orient.  Il  fallait  donc  apaiser  à  tout  - 
prix  les  querelles  pendantes  avant  de  songer  à  soulever  de 
nouveau  l'Enrope  à  lu  voix  do  riîglise. 

Le  pape  ne  fut  pas  plus  liï'ureux  en  s*adi*essant  aux  Gé- 
nois et  aux  Vénitiens:  là  encore  les  rivalités  commerciales 
entre  les  deux  réfjubliques  s'o[qji)saient  â  h'ur  intervention 
rians  le  Levant.  Demander,  comme  il  le  fit,  à  ces  puissances 
d'oublier  leurs  différends  pour  envr>yer  leurs  flot  les  sur  les 
côtes  de  Syrie,  les  supplier  de  renoncer  à  tout  commerce 
avec  le  sultan  d'Egypte,  ou  tout  au  moins  de  ne  plus  lui 
fournir  d'armes  ni  dapprovisionnements  de  guerre,  leur  pro- 
poser la  médiation  aposhpliqu*-  jimir  mettre  nu  terme  â  leurs 
compétitions,  c'était  aller  au  devant  d'un  échec  diplomatique, 
Venise  et  Gènes,  supputant  les  avantages  que  leur  procu- 
rerait le  maintien  de  ItMU's  relations  avec  les  Musuluiatis, 
n'hésilèn^nt  pas  à  les  préférer  à  ceux  qui  leur  étaient  offerts 
par  le  pape.  Eu  Allemagne,  le  synode  des  évèque»,  réuni  par 
les  soins  de  l'archevêque  de  Salzbourg,  légat  apostolique,  se 
borna  â  exhorti-r  l'empereur  Rodolphe  à  prenrlre  la  croix  et 
â  renouveler  le  vœu  dïjâ  émis  au  concile  île  Lyon  (l?7î).  do 
réunir  les  ordres  dn  Temple  et  de  l'Hôpital,  dont  la  jalousie 
avait  causé,  disait-on,  en  grande  partie  la  chute  de  Saint 
Jean  d'Acre.  L'empereur  grec  Andronie,  les  rtiis  d'.\rménie 
et  de  Géorgie  furent  également  sollicités  d'arracher  la  Terre 


IG 


EFFORTS   DU    PAPE   NICOLAS   IV 


I 


Sainte  des  maius  des  infidèles  ;  mais  partout  la  voix  du  pon- 
tife resta  sans  écho  '. 

Nicolas,  cependant,  avait  dnnné  l'exemple.  Il  avait  équipé 
et  envoyé  â  Chypre  nne  flotte  de  vingt,  vaisseaux  qui  ili^vaii'iit 
se  joindre  aux  (luinzc  voiles  du  roi  Henri  ii,  et  teuter  iiiir 
expédition  contre  les  côtes  d'Asie  Mineure'  et  cunlre 
Ah'Xîuidrie.  Mais  l'occasion  de  nuire  aux  Sarrasins  ne  se 
présenta  pas  et  cette  escailre  n'eut  aucun  rôle  à  joucT.  Kn 
présence  de  l'indifférenct^  des  princes  diréliens,  il  fallut  égal<^ 
ment  renoncer  à  utiliser  le  bon  vouloir  du  Khan  des  Mongols, 
dmit  l'auibassaileur  était  en  Occident  au  monieiit  nù  tomba 
Saint  Jean  d'Acre,  porteur  des  propnsitioiis  les  plus  avanta- 
geuses ;  il  offrait,  au  nom  d'Arguitii,  s<ui  souverain,  d'alta- 
i[U«'r  le  Soudan  ilEgypIe  de  concert  avec  une  armée  chré- 
lieuue.  Ou  décUua  celte  alliance,  faute  de  pouvoir  l'assembler 
les  troupes  que  le  monarque  mongol  se  déclarait  prêt  à  ap- 
puyer. Nicolas  mourut  avril  l!?0?)  le  cœur  plein  de  tristesse, 
suus  avoir  décidé  la  chrétienté  à  reconquérir  la  Syrie". 

De  toutes  parts  il  s'était  entouré  de  conseils  ;  il  avait 
snllicilé  l'avis  de  quiconque  pouvait  l'èchurer  sur  les  choses 
de  l'Orient,  n'épiirgnanl  rien  pour  connailn^  la  vraie  situa- 
tion de  la  Syrie  et  les  moyens  de  l'arracher  an  joug  mu- 
sulman. Il  n'est  pas  sans  intérèl  do  refaire  l'enquête  à 
laquelle  s  était  livi'ê  le  poulife  et  d'en  exposer  eu  quebpies 
niot-s  les  conclusions. 

Le  preminr  témoin  entendu  fui  li'  roi  de  Sieile,  Charles  n, 
qui  tenait  de  son  père  Charles  d'Anjou  des  prétentions  à  la 
couronne  de  Jérusalem  *. 

A  son  sens  «  passage  général  serait  folie  »;  le  sou<lun, 
vainqueur  des  CJiréliens  et  des  Tartaies,   maiire  de  l'Asie 


1.  Wilken,  loc.  fit.,  p.  777-9. 

2.  I/Kseandelour  (Caxlrum  Quandelor]  était  Tubjeclif  dp  rettc  dé- 
monstration. Ka  pusitioii  d<?  ceUe  ville  a  t^té  diverB«mcrit  déterminée 
par  les  géographes  ;  les  uns  l'ont  ideiititiéc  avec  Alexandretie  [hkau- 
tii^roùn),  les  autres  avet^  l'antique  Side.  M.  île  Mau  I.alrie  la  place  à 
cinq  uu  si\  lieues  plus  â  l'eKl,  à  l'cmplaecnient  de  la  villo  actuelle 
d'Alaïa  (Cornccuium  de  Strabon»,  entre  Anamourel  Satalie.  (/>e*  Beh' 
tionâ...  df  l'Asie  Mineure  avec  l'ilâ  de  Chypre,  dans  Uibl.  de  rKc.  dntt 
Chartes,  2»  st^pie,  t.  i,  p.  aiS.I 

3.  Wilken,  loc.  ri/.,  p.  TT'J-ftO. 

4.  Uibl.  nat.,  franc.  BU^l),  f.  18»  v«-19U. 


A 


AVIS  Dr  nOî  CHA.RKES  If. 


Miutïui'e,  iHail  Irop  i»ui.s:ianl  poui-  que  los  CUrétiens  pussent 
ronipler  sur  le  succès  d'une  nouvellt?  croisado.  Les  Sarra- 
sins, disait-il.  so  gardorout  il'iDquiéter  le  débai-quemeat, 
laissant  au  olinmt  et  au  temps  le  soin  iraffaiblir  les  forces 
des  croisés.  Interprète  des  conseils  de  la  plus  vuliraire  pru- 
dence, Charles  ii  estimait  (ju'une  guerre  couuiKH'ciale,  di- 
rigée contre  TEgYpte,  était  le  luoTen  le  jdus  sûr  de  ruiner 
la  puissance  nuisnlniane.  Ce  pays,  m  effel,  était  1V'n(i4>pôf 
iMi  rOcc-idenl  s'approvisionnait  tics  denrées  df*  Inricnl  ; 
c'était  la  que  «  li  mauvais  crestiens  »  apportaient  le  fer  et 
le  bois  nécessaires  aux  Sarrasins,  et  se  livraient  i  la  traite 
des  Mameluck-s  amenés  des  rivos  de  la  mer  Noire  pour  re- 
cputor  les  liriuées  du  sultan,  dont  ils  devenaient  ensuite  l'élé- 
nient  le  plus  r(>dnulalj!e.  C'était  par  conséquent  TK^ypte 
qu'il  fallait  ruiner.  C'étaient  aussi  les  côtes  de  la  Médi- 
terranée, trop  étendues  pour  être  erticacenieut  défendues, 
qu'il  fallait  inquiéter  par  des  incursions  répétées.  Pour  obte- 
nir ce  lésullal,  une  flotte  de  cinquante  galénis  et  de  cin- 
quante vaisseaux  de  transpiu't,  avec  un  corps  do  débarque- 
ment de  quinze  cents  hommes,  semblait  suffisante;  mais  il 
était  indispensable  d'assiu-er  d'une  fat-ou  permanente  ce  <lé- 
ploiomont  uiilîtaire.  L'originalité  des  vues  du  roi  de  Sicile 
apparaît  dans  le  modo  de  recrutement  de  cette  force  raa- 
litirae.  Le  roi  de  Chypre,  les  Templiers  et  les  Hospitaliers 
pouvaient  f<itu*nir  chacun  dix  vaisseaux  ;  le  reste  des  navire» 
elles  gens  d'ai'mes  devaient  élre  levés  par  le  Saint-Siège;  mais 
il  impurtail  avant  tout  de  maintenir  au  complet  l'effectif  des 
uns  comme  di's  autres,  et  c'est  pour  atteindre  ce  but  que 
Charles  II  proposait  la  réunion  de  tou;^  los  ordres  militaires 
ou  religieux  :  le  Temple,  THi'ipital,  les  Teutoniques,  Cala- 
ti'ava.  Roucevaux.  Saint  Antoine,  la  Trinité,  les  chevalierK 
d'Altopasso,  les  Prémonirés,  Grauimont'.  etc.,  en  une  seule 


n 


I.  De  ces  ordros  les  plus  connus  sont  les  urdro»  de  Terre  Sainte, 
l'Hûpital,  le  Temple  e!  les  Teuioniqucs;  l'hùpital  de  Roncevaux.au 
rovftumc  de  .Navarre.  Tut  b;'iii  en  113L  pour  les  pèlerins  allant  à  Saint 
Jacques  do  Compostelle,  oonuDo  Altopasso  fui  créi^  en  Italie  pour 
l'usage  dos  pùlerins  venant  au  \'olto  Santo  de  Lucquciî.  <Jalatrava  fut 
institué  en  1158,  en  Espagne,  pour  combattre  les  Maures  ;  Saint  An- 
toine, en  Dauphiné,  pour  lutter  contre  la  maladie  du  Feu  saint  Antoine 
(10031.  Les  Trinitaircï*.  les  Prémontrés,  Grammont,  fonrlt^s  aux  xi«  et 
xn*  siècles,  étaient  des  onlres  plus  spiVialoment  religieux. 

2 


4 


18 


EFFORTS  Dr  PAPE  NICOLAS   IV. 


«  religion  »  obéissaut  à  un  clief  d'imt?  autorité  in<lisciité(% 
fils  fie  roi  ou  au  inoius  de  haut  lignage,  auquel  serait  promis 
le  trône  de  Jérusalem. 

L*idéo  de  la  réunion  des  Tenipliors  et  des  Hospitalier.s 
n'était  pas  nimvelh»  ;  éniiso  par  Saint  Louis,  flic  avait  été 
Roulevée  au  concile  do  Lyon  (l?7i}  par  lo  pape  Grégoiro  x, 
eî)  présence  dés  représeutanls  des  deux  ordres;  mais,  sur  la 
n^niarquo  que  les  rois  d'Kspagno  no  consonliraient  pas  à  la 
l'iisiou  parce  qu'ils  avaient  lr(tis  ordn^s  uiilil aires  dans 
knu-s  royaumes,  elle  fut  abaadouuée,  ijous  Nicolas  iv  le 
projet  fui  repris,  mais  on  ne  Fétendit  pas,  c^unnie  le  de- 
mandait Charles  n.  à  tnus  les  ordres  mililaims  et  reli- 
gieux'. La  question  s'élargissait  daus  le  pnget  du  mi  d«» 
Sicile.  L'ordre  nouveau  devait  iKn'cevoir  les  dîmes  levées 
dans  luute  la  chrétienté,  el  les  aumônes  dues  à  la  générosité 
des  fidèles;  il  convenait  de  lui  assurer  les  ressources  linau- 
cières  les  plus  étendues.  Il  n'était  pas  de  privilège  que 
ne  dussent  lui  acconler  li's  papi's  et  les  s<MiVfraius  d'Eu- 
rope; tous  les  chevaux  et  arniiuvs  des  prélats,  bannis  el 
ch(*valiers,  devaient,  après  la  mort  de  ceux-ci,  faire  retour  au 
^■and-maitre.  On  voit,  par  là,  avec  quelle  amplem*  de  vues  la 
o(Uisiitnliou  dti  l'ordre  nouveau  élail  conçue;  mais  le  itrojct, 
malgi-é  sa  haute  portée  politique,  était  trop  large  pour  étiv 
appliqué,  Elîiit-il  possihlo  de  grouper  eu  un  seul  faisceau  des 
personnalités  peu  faites  pour  oublier  des  rancunes  déjà  an- 
ciennes et  pour  faire  taire,  en  faveur  du  but  commun,  leurs 
sentiments  individuels  ?  Pouvait-on  se  flatter  do  réunir  deux 
mille  frères  chevaliers  et  deux  cents  frères  sergents,  nt  d'as- 


1.  Ces  détails  nous  sont  parvenus  par  le  mi^moire  que  Jacques  rie 

Molay,  grand-raaitre  du  Temple,  fit  parvenir  au  pape  L'li?ment  v  sur 

cotte  question,  et  dans  lequel  il  résume  les  tentative»  antérieures  de 

fusion.   Voici  ce  qu'il  dit  de  Nicolas  iv  :   «   Item,  tempore  iXirolai 

•  papse  IV,  propter  perditionem  terr»  sanctje  quiiR  lune  fuit,  quia 

itum^  clainabaut  furtiter  et  alii  populi  eo  quod  succursus  sufK- 

ciens  ad  defensionem  ipsius  terrte  non  fuerat  missus  per  euni.  ad 

excusatioiiem  quodam  modo  sui,  et  ut  appareret  se  velle  roiiiediuni 

apponere  ciroa  nej^cHria  terra;  sanctie.  rcfricavit   seu    reassumpsil 

1  verba  uniuiiis  predîctse,  el  tandem  iiihil  fecil.  ■  Uuniface  vm  reprit 

U  question  sans  plus  de  succès  que  Nicolas  iv.  Noua  aurons  plus  ba^^ 

Iwcasion  de  revenir  sur  le  mémoire  de  Jacques  de  Molay.  (Ualuze, 

Vita  pap.  Avinion.,  u,  182-5.) 


ÎIBMOIRE  DK   FIDENCE   DE  PaDOUE- 


19 


*iurer  le  rocrulouiout  de  cette  nouvelle  milice' ?  Cette  force 

militaire,  conconti'ée  à  CbvpiP,  ^  Acro  ou  à  Tripoli,  suffirait- 
»'llt*  iiK'nie  pouj*  couquérû*  la  Paieslinf  ?  Autaul  de  questions 
dont  la  sfdulion  pai'aissait  entourée  irincertiludes. 

A  côté  des  vues  de  Charles  II  se  placent  celles  d'un  frère 
mineur,  Fideiice  de  Padttue.  De  tons  li.*s  avis  dont  s'entoiu'a 
Nieitlas  !V,  c'est  assurément  le  plus  dèvelojipé  et  le  plus 
niinutienspinent  motivé.  Un  sait  le  tôIp  i|ue  l'ordre  des  Krères 
Mineurs  joua  en  Terre  Sainte  j»u  xiii"  siècle;  on  eonnait  l'ar- 
ileur  qu'il  déplova  dans  sa  propagande  pfuir  convertir  les 
inHdèles  ;  on  conçoit  dès  lors  l'autorilé  qm^  revètail  l'opinion 
d'un  des  frères  de  celle  observance.  Le  mémoire  dont  nous 
nous  proposons  de  résumer  les  principaux  trails  avait  été 
ilomandé  â  Fideuce  de  Pîidnuc  par  (îréifftiri'  x  an  cniieilt*  de 
L^Voii  ;I271^,  et  c'est  punr  répondje  au  désir  du  pape  qu'il 
fut  composé.  Des  (rirconstancos  que  nous  ignorons  retar- 
dèrent rachêvenu»nt  de  l'nuvriigc  jnsiju'nn  |>onîifîc;it  de  Ni- 
colas IV  et  jusqu'aux  d<'rnién's  aiuiéos  di^  la  floriMii!i(ion  latine 
en  S}TioV 

}a^  mémoire  du  frère  franeiseain  so  divise  en  deux  parties; 
la  première  est  consacrée  à  l'Iiisloire  de  la  TeiTe  Siiinte,  la 
seconde  nux  moyens  de  la  reconquérir.  Cette  dernière  seule 
nous  intéresse  :  il  n'en  était  pas  de  même  :\  l'époque  où 
l'ouvrage  fut  écrit  :  rOccident  Cfuiuaissait  si  mal  les  faits 
qui  s'étaient  accomplis  en  Orient  depuis  deux  siècles,  qu'un 
l'êcït  dign<'  <le  foi  des  évém'merits,  une  description  des 
|M.*nples  qui  habitaient  la  Svric,  des  détails  sur  les  mwurs 
des  Sarrasins  et  sur  celles  des  Chrétiens  de  Palestine, 
étaient  non  seulement  fort  bien  aeoueillis  des  contemporains. 


1,  •  Item,  conseille  li  dis  roys  que  le  maistres  de  celé  religion  eiist 
«  II*  frères  chevaliers  de  su  religion   en  sa  compaiiie  au  covent  et 

•  u*  frere«  beryena  d'annes;  et  ronsellloit  que  chaisoiin  fraJre  chevalier 
«  uit  nu  bestfis,  set  ajis»Avuir  i  cheval  et  nue  mulare  vi  n  bons  mncins 

•  d'armes; ptconsoloi!  quecha-srim  frere  rlieval lirait  ii  eHnilersprosel 

•  vi(^>n)setde  ligriagft  si  se  i^woit  trover;  et  que  ces  ii  escuiers  eussent 

•  armeotes  tjoiies  et  Mufticiens  poreauH  armer  sur  ces  n  rotirin.s;  et  que 
t  II  CACuier  Fussent  lel  que,  se  il  nvcnoil  que  leur  maistre  monist,  que 
«  l'om  iieiist  faire  frère  de  I  iiridesn...  »  (Bil)i.  nat.,  franc  fiOW,  f.  187 
v"-H.)  —  I.e  costume  des  chevaliers  est  miniitieusenienl  <iét:rit. 

2.  Ilibi,  nat.,  latin  '2'i>,  f.  8r»-rJ6.  —  Nous  ne  savons  rien  de  la  vie 
de  Fidence  de  Paduue  ;  il  faut  supposer  qu'il  accompagnait  les  am- 
bassadeurs tarlares  et  uifci^  au  concile  do  Lyon. 


EFFORTS  hV   PAPK  NICOLAS   iV. 

niai:4  encore  absolument  indispensables  à  rintelligencc*  des 
vues  de  l'autour.  Le  caraclèri?  de  cette  partie  de  l'œuvr*»  de 
Fideuce  est  plus  moral  qu'historique  ;  les  faits  y  figurent 
moins  poui'  l'instruction  ilu  IcrUMir  quo  pour  son  édification  ; 
les  mœurs  des  vainqueurs  et  des  vaincus  sont  dêcntes  avec 
grand  soin,  et  ronseignernonl  umnil  qui  en  découle  ne  manque 
jamais  d'être  mis  en  relief. 

Ce  caractère  subsiste  dans  le  cimimencenient  de  la  seconde 
partie;  parmi  les  conseils  généraux  druuïrs  aux  chrétiens 
jx air  rentrer  en  possession  de  la  Svrie,  l'exercice  des  vertus 
morales  (charité,  chasteté,  humilité,  piété,  sobriété,  etc.) 
occupe  hi  première  place.  A  côté  de  la  pi'atique  de  ces  vertus, 
aussi  nécessaires  au  chef  qu'aux  soldats,  l'auteur  veut  que 
la  discipline,  la  positiim  A  donner  au  camp,  les  dispnsi1i<>ns 
de  défense,  les  reconnaissances  et  un  armement  approprié  à 
l'ennemi  que  les  Chrétiens  auront  â  C(unbaltre,  soient  l'objet 
des  soins  les  phis  attentifs.  Rn  présence  d'adversaires  aussi 
redoutables  et  anssi  n-nubreux  que  les  .Sarrasins,  aucune  pré- 
caution n'est  supertlue.  Ceux-ci  peuvent  mettre  en  ligne 
qnaraiète  mille  cavaliers'.  L'Hvmée  chrétienne,  pour  ne  pas 
h'nr  être  inférieure,  se  conqujscra  donc  de  tivnfe  mille  ou  au 
moins  do  vingt  mille  chevaux,  sans  compter  une  infanterie 
considérable. 

Après  ces  considérations  préliminaires,  l'auteur  entre  dan» 
le  détail  du  plan  de  campagne  qu'il  propose  ;  à  côté  de  Taf" 
mée  dont  il  a  réclamé  la  fin*ma(i'iti,  il  demande  la  consti- 
tuliou  d'une  flotte,  dont  l'elVectif  sera  de  cinquante  ou,  au 
minimum,  de  trente  galères,  et  il  lui  assigne  dans  les  opé- 
rations militaii'es  un  rôle  prépondérant.  Elle  aura  comme 
ports  d'attache  les  mouillages  très  sCirs  de  la  côt<^  d'Asie  : 
Chypre,  Acre,  l'ile  de  T(>rtose  et  Uhodes.  Grâce  à  sa  pré- 
sence, la  marine  peu  développée  des  Musulmans  deviendra 
inutile;  la  mer  sera  purgée  des  pii-ates  qui  l'infestaient;  ce 
sera  pour  les  Chrétiens  de  Terre  Sainte  une  double  crainte 
de  moins,  et  en  même  temps  les  Sarrasins  de  Syrie  no  ro- 


1.  Lauteur  de  la  Devise  des  chemins  de  Babiloine évaluait  à  quatre- 
vingt  mille  hommes  les  combattaiit-j  que  pouvaient  fournir  les  Tnr- 
comans.  à  quarante  mille  lelTeetif  des  soldats  Kurdes  de  Syrie,  et  à  neuf 
mille  t'inq  cents  celui  des  traupcs  réglées  do  la  Syrie.  iCh.  Schefer, 
Etude  sur  ta  Devise  det  chemin»  de.  Babiloiw,  dans  jVrchives  de 
rOrienl  latin,  n,  92-a.) 


RLOCU»  €OMMKRCUL  PE  L  EGTPTE- 


i-f-vroiu  plus  ies  secours  que  TEgyplG  leur  envovail  par  mer. 
An  poiiu  (le  vue  oominercial,  l'utilité  d'uu  i;iHji]i»iemeut  de 
fnrcos  iHJiritimGs  est  ineonlostablc  ;  en  arrêtant  les  im- 
porlalions  irOccitlenl.  on  empêchera  non  seulenieiif  la  per- 
reption  par  h*  soiitlan  dos  droits  dont  les  marrliandises 
étaient  frappées  à  l«nir  enlrée  on  Egypte,  drtdis  évalués  à 
rintpiante  mille  Hnrins  par  au*,  mais  encore  l'arrivée  de 
denrées  dnul  les  Musulmans  ont  besoin,  pîU'ce  que  leur  pays 
iieies  leur  fiiarnit  pas.  Comme  L'ousêtpience  de  la  suppres- 
.sion  du  eommerce  européen,  les  droits  d'exportalioji  ne 
seront  [dus  p<Tçus,  au  g-rand  préjudice  du  trésor  du  Soudan; 
les  prnduils  éi^ypliena  n'aunnil  plus  de  débouchés  ;  ce  sera 
la  ruine  île  l'Kfîypt^*.  Nous  avons  déjà  signalé  l'apparition, 
aux  dernières  années  du  xin"  siècle,  des  idées  ècoaomi([ues 
dans  la  (pirstion  des  croisîwles;  c'est  mi  facteur  nouveau. 
dont  l'Occident  comnu'nce  k  comprendre  lu  force  et  dont  il 
préconise  l'emploi.  Fideuce,  le  premier,  se  fit  l'interprète 
de  ce  sentiment  eji  r'éclamanl  le  blocus  commercial  de 
l'Egypte. 

Les  avantaj^es  que  la  flotte  pourra  retulre,  au  cours  des 
opérations  militaires,  nVcbap[)ent  pas  à  la  clalnoyance  de 
l'auteur  du  mémoire.  Les  côtes  i^nriemies  sont  facilen  à 
dévaster  et  à  ruiner  ;  en  cas  de  péril,  les  croisés,  trop  vive- 
ment pressés  sur  (<»rro,  (rnnv(*ron1  un  refuge  sur  les 
vaiss<»aux,  et,  considération  capitale,  la  présence  iU*  la 
rtotte  aux  bouchi^s  du  Nil  empêchera  le  soudan,  dans  la 
crainti*  d'un  dcbanjurmeni,  de  dé^'aniir  l'Egypte  et  immobi- 
lisera un»'  pari  il'  de  sou  année.  Li'  centr*»  de  la  puissance 
musulmane  était  alors  sur  le  Nil,  tandis  que  la  8}Tie 
uVtaiT  détV'udue  fpu' par  des  garnistuis  relativement  faibles; 
enipêrher  l'Egypte  de  secourir  la  Syiie  menacée  était  donc 
une  ntano'inTe  stratégique  îles  plus  heureuses. 

Si  la  floite  doit  jotier  un  rôle  important,  celui  de  l'armée 
n'est  pas  moins  considéralde^  ri  l;i  route  que  cette  dernière 
de\ra  suivre  niériti»  \u  plus  sérieuse  aUenlion.  Prendra-t- 
clle  la  voie  th»  terre  par  t'onslaniinople,  le  Bosphore  el 
l'Asie   Mineure  ?  S'embaniuera-l-<dle    à  Venise  ou  à  Gênes 


• 


I.  O  ehiirpo  cht  donn<^  par  le  itrand-mairrc  de  l'IIôpital  et  l'évôquo 
lie  Monde  (Ilibl.  uat..  b-ann.  GO'i'».  et  Kibl.  S.  r.cnovièvc  K  I,  28;  — 
Dibl.  nat..  latin  TUO),  dont  jos  pnjiots  seront  étndit^s  plus  loin. 


à  deslinatiou  de  la  Syrie^  ou  bien,  rnt'ttaiit  on  pratique  un 
système  mixte,  traver»era-l-elle  l'Adriatique  do  Brindisi 
à  Durazzo  sur  des  vaisseaux  de  transport,  pour  gagner  en- 
suite ronst.inlinople  par  tnrro  ?  L'aiilonr  êraHe  de  suite 
la  preinièro  route  ;  si  elle  facilite  le  transport  des  chevaux, 
elle  nécessitera  le  consentement  de  tous  les  souverains  H«nl 
l'armée  traversera  les  t^tuts,  et  une  discipline  rigttureuse, 
difRciio  à  obtenir  d'une  grande  masse  li'honimes  baltitués  à 
tout  piller  sur  leur  passage.  La  troisième  voie  olTre  les 
mêmes  inconvénients,  mais  â  un  moindre  degré  ;  quant  à 
la  seconde,  c'est  assnrôuieut  la  nieill<?iire,  et  elle  n'a  contre 
elle  que  ta  difficulté  de  rt^unir  assez  de  bâtiments  pour  em- 
barquer une  armée  considérable. 

Le  principe  de  l:i  rouie  maritime  une  fois  admis,  il  reste 
à  déterminer  le  lieu  de  débarquemeul  ;  cette  question  avait 
donné  Utni,  parmi  les  contemporains  de  l'auteur,  âdes  opinions 
trèsdifféronles;  on  comprend  que  snr  un  développement  déplus 
de  cent  quatre-viu^'ls  lieues  de  cotes,  depuis  la  petHe  Arnu^uie 
jusqu'aux  bouches  du  Nil,  on  ait  pu  proposer  plusieurs  points 
stratégiques.  Fidenc<*  de  Padoue  les  étudie  successivenienl. 
discute  les  avantag-es  et  les  inconvénients  de  chacun  d'eux 
avant  de  tjonner  son  avis  personnel.  L'Kgypte  est  la  clef  do 
la  puissance  musulmane  ;  une  victoire  des  clirétiens  sur  le 
Nil  porterait  aux  Sarrasins  un  ntup  nmrlcd,  el  la  prise  de 
l'ile  de  Rasid  '  .iflamerait  tout  U*  pays  dont  elle  est  le  gre- 
nier. Mais  fant-il  leuter  un  débarquement  quand  la  présence 
de  la  flotie  suffi!  à  paralyseriez  efforts  des  Kt.'"yplî''n<.  i-ourir 
les  hasards  d'un  ravitailJemenl  ditïicile.  d'uii  climat  mal- 
nain,  et  attaquer  un  {uniple  plus  redoul;ible  chez  lui  iju'il  ne 
le  sérail  en  Syrie,  à  \u\o  aussi  x'ande  distance  des  secours 
promis  par  l'Arménie  et  It^s  Tarlaivs?  Arre  é|;ii(  tMicorc  au 
pouvoir  des  chi^Mieus  nu  moment  où  Fidence  de  Padoue 
composa  ^ou  traité,  el  cette  rirronstam-e  pouvait  ("uiliter 
un  débarquemeul  sur  ce  point.  Mais  (;ette  (•on>ideriili>>n, 
inipurtaule  s'il  s'était  agi  d'un  simple  renfort  â  conduire 
PI»  Terre  Sainte.  t')mbait  d'ello-inétne.  puisque  les  Latins 
devaient  lever  un  armée  assez  forte  pour  n'avoir  pas  à  crain- 

1.  I/auteur  désigne  pri>h!d)lcmt<nt  ici  l'île  forniêf  par  la  lu-juiehe  du 
Nil  de  UoœttO  {Rechitl,   ItrssHi)  et   une  ries  branrhev  serundairrh  du 


EHARgVEMKXT. 

dre  f|uo  rennemi  U's  empô<-Iiiîî  de  prendre  terre.  Tripoli  avait 
tle  ïit>ml»reux  pariisaiis  ;  nn  vantail  la  sécnriU*  de  son  port', 
la  richesse  et  la  salubrité  du  pays,  l'appui  qu'où  pourrait, 
trouver  auprès  des  populations  eatholir(UPs  qui  occupaient  les 
environs  do  la  ville,  et  les  avantages  pour  vaincre  le  sondau 
d'une  position  resserrée  enln»  la  mer  et  le  Liban,  ne  pcrniettant 
pîis  à  l'ennemi  de  développer  facilement  tle  grandes  forces. 
Ces  raisons,  bonnes  en  elles-niémes,  étaient-elles  suflisantes 
p«MU'  débart|uer  à  Tripoli  une  armée  ayant  pour  objectif  non 
seulement  la  connuéto  du  liltoral,  mais  celle  de  riniérieur  du 
pays  et  de  Jérusalem?  Dans  ce  cas,  les  objections  émises  à 
l'occasion  de  l'Egypte  et  d'Acre  ne  se  reproduisaient-elles 
pas  pour  Tripoli  ?  A  l'ile  de  Tortosc  '  les  chrétiens  étaient  assu- 
rés de  tn>uver  un  bon  porl,  très  spacieux,  voisin  do  la  terre 
ferme,  piv.s  d'une  vaste  plaine  propice  au  campement  des 
troupes,  dans  uu  pays  en  grande  partie  chrétien;  mais  ces 
avantages  étaient  compensés  par  de  sérieuses  difficultés;  il 
devenait  difficile  à  l'armée  de  pairner  l'intérieur  ;  le  voisinage 
deMargatet  du  Crac,  anciennes  furteresses  des  Hospitaliers, 
tombées  aux  mains  des  SaiTasins,  était  iirt  obslaclo  aux 
mouvements  des  cnusés.  La  po^ilittii  des  pnrts  «le  S'uidiu  *  el 
dcH  P;ds,  prés  de  l'Aïas  *  en  Arménie,  au  conlraire.  ne  ]u*é- 
Apntait  pas  les  mêmes  inconvénients  ;  il  n'y  avait  à  reprocher 
au  premier  (pi'une  protVmdpur  de  bassin  insuffisante  aux 
gros  vaisseaux,  au  secon<K  t^ue  la  chaleur  du  climat  et  le 
manque  d'eau  dans  les  villes  du  littoral. 

Kidence  se  déiermiuo  pour  ces  deux  points.  Les  gros 
navires  .se  ilirigemui  vers  le  port  des  Pals,  les  petit-* 
vers    Snudiu.    Cette    dispersion    des    forces     chrétiennes, 


I  »  Triprtiih...  t>onum  habet  portuu».  ■  (K.  (V.  Hcy,  Pf'riples  dr  S*/n'e 
ft  fiWntu'nir,  dans  Arch.  de  l'itrienl  latin,  ii,  336.) 

2.  Aujourd'hui  iic  de  Houad.  (.'est  un  tnuuillage  encore  fréquenté 
de  nos  jours  et  très  sûr.  —  V.  lîpy,  f'riples...^  p.  ruij. 

:(,  Sotdinum,  /torttu  S.  Simconis,  St'ieucie.  Il  est  aujourd'hui  combW. 
C*e»t  un  bassin  elliptirpie,  orcusé  de  main  d'homnio,  communiquant 
avec  1b  mer  par  un  cnnal  maintenant  oluitriu^  par  les  sables  :  il  est 
bordé  de  quais  et  mosure  six  cent  cinquante  mùtreâ  de  long  sur  plus 
de  quatre  cents  mètrt's  de  iîu'ge.  flîpy.  Pêriplcx...,  p.  333.) 

'*.  Portiix  /'atomm,  »ur  le  ^njlfu  d'Alexandretlo,  à  moitié  chemin 
entre  l'Aïa»  et  romlwuclmrp  du  Sohiuiin,  :i  dix  milles  de  chacun  do 
ces  points,  :i  l'O.  S.  U.  du  premier  ot  au  S.  i:.  du  st^c»)ud.  (Desimoni, 
Actes  passés  à  CAîas,  duiit;  Arcli.  de  l'Orietit  latin,  i,  4:i6.) 


EFFORTS   nr   PAPE   NICOLAS   IV. 


iienl! 


inoonveni 


déplorable  en  principe,  n'aura  pas  iri 
naires.  Les  «leiix  ports  sont  sitiirs  sur 
en  face  l'un  de  l'autre,  le  port  des  Pals  sur  la  rive  arménienne, 
Sondiu  sur  le  liltural  d'Arilinolie  ;  deux  routes,  Vnuo.  par 
terre,  l'autre  plus  l'cmrte  par  le  golfe  (lîO  milles),  mettent  eu 
communication  facile  le  port  des  Pals  avec  la  Montagne 
Noire,  objectif  des  croisés.  Celle-ci,  qui  s'élevait  nun  li^n  do 
Soudin,  était  un  chaînon  de  l'Aumiis,  courant  du  nord-est 
au  sud-ouest,  elle  n'était  séparée  de  la  3ner  que  par  une 
plaine,  et  s'étendait  du  col  de  Bejt-lan  au  Raz  el  Kanzir. 
Elle  était  couverte  de  forets  et  arrosée  de  sources  abondantes  ; 
de  nombreuses  abbayes  y  étaient  établies  '.  C'est  au  pied  de 
ce  massif  boisé  que  l'armée  chrétienne  devait  se  concentrer, 
prèle  à  entrer  en  Arménie  ou  à  marcher  sur  Antioche  selon 
les  circonstances.  Mais  toutes  les  préférences  de  Fidence  de 
Padoue  sont  pour  Antioche  ;  c'est  une  position  saine,  le  cli- 
mat est  tempéré,  la  ville  est  belle,  riche,  bien  arrosée,  elle 
n'a  pas  â  redouter  la  pi-oximitê  des  Sarrasins  qui  ne  la  défen- 
dront pas  ;  elle  est  cependant  facile  à  fortifier,  et  les  croisés 
ne  manqueront  pas  de  s'y  établir  solidement.  Là,  ils  pourront 
attendre  sans  crainte  l'an'ivée  des  rt^iforls  des  Tartares  et 
des  Géorgiens,  prendre  Toffensive  quand  les  forces  coa- 
lisées seront  réuniiM.  marcher  jusqu'à  TRuphrate.  et,  maîtres 
(lu  fleuve,  descendre  au  sud  par  Alep  et  Damas  jusqu'à 
Jérusalem,  tandis  <[ue  les  Musulmans  d'Kgypte  seront  tenus 
en  respect  par  la  flotte. 

Tel  est,  datis  ses  grandes  lignes,  le  plan  dr  Fidence  de 
Padoue  ;  le  mémoire  se  termine  par  quelques  conseils  sur  les 
moyens  de  conserver  les  Lieux  Saints,  si  la  cndsade  rvussit: 
entretenir  une  armée  permannute,  de  foret-  suffisante,  en 
Palestine,  garder  la  mer  avi*c  une  flotte  d'environ  diï  galères, 
fortifier  les  falaises  du  littoral  à  JaiTa.  à  la  Montjnie',  qui  com- 
mande Jérusalem,  et  sur  quelques  autres  |ioints,  doimcr  aux 
Chréliensde  Syrii*  un  <'lnd'  autorisé  et  rospecté,  *'t  b'ur  prêcher 


!.  Uey,  Prriptrs...  p.  :Wa. 

2.  Les  croisés  avaient  donni^  le  nom  de  }(ona  Ooudii  (Munt  (ïanli?; 
(iiui-s  le  manuscrit  de  Kulent'e  dn  P;itloiie)  ;i  lu  moritaijno  <iiii  dominr 
Jérusalem,  et  d'où,  on  venant  de  Jafîa,  <»n  di't'onvre  d'abui-d  lu  villi» 
sainte.  Cette  circonstarico  explique  1  urît^tuo  du  nom  de  Moatjoie. 


DIFFICULTES   D  UNE   NOUVELLE  CROISADE. 


25 


la  jiratiqup  de  la  sagesse  H  du  riiumilité  '.  —  Sans  discuter 
les  allégalioiis  do  rautoui-  fit  la  justesse  do  ses  vues,  il  nous 
est  pennis  de  porter  un  jugonietit  sur  l'œuvre  du  frère  mineur 
de  Païlouo,  et  d'y  reconnaître  l'expérience  d'un  homme  qui  a 
longtemps  v(*cu  dans  le  Levant,  et  tiui,  à  la  connaissanc*^  des 
lieux  et  des  rhoses,  joint  un  grranrl  désir  d'instruire  TOeci- 
dent  de  la  véritable  situation  de  la  Palystine,  et  de  donner  au 
souverain  pontife,  avec  la  plus  exaele  inipartialité,  le  meil- 
leur conseil  pour  la  eroisade  qu'il  inrdilt*. 

Malgré  les  efforts  de  Nicolas  n ,  uialgré  un  concours  de 
circonstances  qui  rendait  sinon  certain,  du  moins  possible,  le 
succès  des  armes  chrétiennes  eu  Terre  Sainte,  la  croisade 
m-ée  par  le  pontife  n'eut  pas  lieu.  Les  progrès,  cependant, 
de  la  civilisation  et  de  la  puissance  publique  permettaient 
aux  princes  chrétiens  de  s'occuper,  avec  plus  d'efficaciié 
qu'ils  ne  l'avaient  fait  préfédemtni'iit,  des  intérêts  d(!  l'Orient  ; 
l'affermissement  du  pouvoir  royal  en  France,  Tauguienta- 
lion  des  ressources  militairrs  dont  il  riisposait  et  l'affaiblis- 
ï«enieut  progi'ossif  (ie  la  féodalité,  créaient  à  la  ronronne 
une  situation  dont  elle  pouvait  prufitin*  pour  jeter  les  yeux 
sur  la  Terre  Sainti^.  L'Angleterre  avait  réduit  les  Gallois  et 
les  Kcossais  ;  l'Aragou,  par  ta  iiossession  des  Baléares  l't  de 
la  Sardaigne,  as^surait  la  liberté  de  la  Médilerranée  contre 
de  nouvelles  tentatives  musulmanes  :  l'Allemagne  elle-même 
re?<scntait  les  premiers  effets  du  travail  de  centralisation 
commencé  depuis  longtemps  déjà  dans  son  sein,  et  la  maistm 
de  Hapsiiourg  aftirutail  déjà  sa  suprémali<\  I^e  Saint-Siège, 
dégagé  des  einitarras  de  la  ijuendle  des  investitures,  aif«'r- 
missait  son  iidlueiiee.  Mais  si  Tiitirorilé  souveraine  en  Eui*ope  ^ 
dispiisait  d'une  action  plus  étendue  qu'aux  siècles  précédents 
à  mettre  au  service  de  la  foi,  la  croisade  n'en  était  pas  moins 
dt^venue  impossible.  Nous  avons  dît  plus  haut  que  l'iilée  de 
la  croisade,  n'étant  plus  soutemie  piir  l'enthousiasme  reli- 
gieux, avait  donné  tous  ses  résultats.  En  outre,  la  nécessiU^ 
de  frapiier  les  Sarrasins  en  Rgypte  s'était  imposée  ;\  totis  les 
esprits  ;  pour  atteindre  les  bords  du  Nil  une  marine  marchande 
et  miliiaiiT  était  indispensable  ;  les  puissances  chréiieiuies  con- 
tinentales ne  la  possédaient  pas  ;  il  lem-  fallait  recourir  ai 


I.  KiUiMU'i'  n'stnnc  res  'pialilés  par  I»*<  iIoun  mots  :  êapienter  A«- 
mélif,  qu'il  applique  uti  rhvï  de  l'expédition  projt'Iée. 


28  EFFORTS   DU  PAPE  NICOLAS  IV. 

communes  de  la  Méditerranée,  qui  seules  avaient  les  moyens 
de  transporter  les  croisés  outre  mer,  mais  dont  les  intérêts 
commerciaux  étaient  directement  opposés  à  ces  entreprises, 
puisqu'elles  ruinaient  tout  trafic  avec  l'Orient.  L'usage  des 
i^  objets  et  des  denrées  importés  du  Levant  avait  pris  un  tel 
développement  en  Occident,  qu'il  devenait  le  principal  obs- 
tacle à  de  nouvelles  croisades  ;  on  ne  pouvait  songer  à  Ten- 
traver  ;  on  ne  pouvait  également  rien  tenter  en  Terre  Sainte 
sans  l'interrompre.  Etait-il  surprenant  que  dans  ces  conditions 
Nicolas  IV  ne  réussit  pas  à  armer  l'Europe  pour  reconquérir 
la  Palestine  *  ? 


1.  Mas  Latrie,  Histoire  de  Chypre,  i,  502-4. 


La  perto  do  la  T<'Ito  Sainlo.  vivomont  n^ssontie  on  Ceci- 
dont,  donua  naissance,  pendant  les  premières  années  du 
XIV*  siècle,  à  des  projets  de  lonte  nature,  ayant  tous  pour 
but  la  conquêt**  de  la  Syrie.  Chacun  voulait  app(irlor  à 
l'œuvre  raïuniune  l'appoint  de  sun  expérience  et  de  ses 
idées  personnelles.  Au  milieu  de  c©  mouvement,  doux  per- 
sonnages, à  doa  litres  diffén^iits.  aUÎT'enl  ]'aHi*iUir)n  publi- 
que :  l'ïm,  Raymond  LiilL  os(  un  philosojiln' ;  l'autre,  Ma- 
rino  Sanudo,  uti  polilîiiup  *■(  un  économiste;  tous  deux 
cherchent  a  réveiller  rculliiKisiasme  des  croisades,  le  pre- 
mier par  ses  plans  de  propagandt^  et  de  prédication  clirè- 
tiounes,  le  second  par  son  système  do  commerce  et  de 
fTiierre  V 

Uaymond  Lull.  d'une  fauiill*-  unlili-  de  Tile  de  Majorque, 
avait  quille  le  m»nide  â  la  suite  de  chagrins  dont  un  amour 
coupable  ot  adultère  avail  été  l'origine.  Il  s'était  voué  au 
serviri»  de  Di«*u.  et,  retiié,  pour  y  faire  pêniteuc*-,  sur  une 
montagne  de  sa  patrie,  il  avait  cherché  les  moyens  de 
faire  recouvrer  rOrienl  â  la  chrétienlé  ;  de  ces  médilallous 
était  néo  tnie  œuvre  théologique,  r.t/'.v  maffna,  UnW  pour  dé- 
montrer la  Niipériorité  de  l.-i  reliijion  dirélionne  snr  le  ma- 
honiélisnie.  .Vppiiyant  snr  ce  Imité  le  système  de  pro[jagande 
dont  il  se  fil  l'apôtre.  Lull  voukiil  soumettre  les  iritldèles  et 


I.  Suint  Muiv  (tinirdfu,  Ac«  OiiffinfH  rte  lu  qw-Htion  (fOrifiU  (lïevtif 
d«6  Deux  Mondes,  I.  i,i  ilJMi't),  p.  \'t  ft  miiv.i  —  Voir  aussi  un  ai-iiclf 
do  Oeléi'huo  (Uevuo  de»  l>eux  Mondes,  wiv  [I8'i0,l  sur  Haymund 

un. 


28 


R.    Ll'LI.   ET  M.   SANIOO. 


le»  sclàsimiUi-iiH's  vn  les  coiivorlissatil.  Au  lit;u  dn  U's  écrasMi-, 
pourquoi  np  jwts  les  coiivainrr*^  ?  '  EoniMaiil  de  son  plan  les 
ietitalivcs  rlîui^'tTciisi's  t'i  iinpnissHnifs  ditii^  srs  fonlom- 
poraiiis  r«^A-ai(.'Ut  lu  réalisai  ion.  il  riîpoiisso  l'emploi  île  ta 
forer  l't  song<'  à  reconquérir  lîi  Palestine  [mr  le  rai^onn»-- 
iiii'til  et  rinstniftinn.  Les  app;ii*iticins  diverses  qu'il  a  cuc^s 
liciidanl  sa  reïrail*'  Ir  ronfinucuL  dans  un  dessein  qu'il 
])oursuil  avec  un  dêvouenieut  et  une  pej'sêvêranre  aduii- 
rabl(*s  ;  sa  vie  se  passe,  sans  trèvf  ni  repos,  à  proposer  aux 
puissunees  spirituelles  e1  teniptirelles  i'exéeulion  île  ses  pro- 
jets ;  sa  \  hnuo,  sans  se  lasser^  répète  ce  que  sa  parole  expose, 
el,  devanl  rimiiffén'tiee  j^énéialc,  son  rx<'niple  montre  la 
voie  à  siii^rr.  Cv{  t'sprii  roiilcntplalil"  l'I  nivstii[U('  nt*  nv  rnu- 
lenle  pas  d'émettre  des  théories;  avec  utie  activité  toujours 
nouvelle,  sans  se  rclniter,  il  l(*s  itirl:  rn  pn-Uiquc',  cl.  après 
iiiK'  lnugue  rarrière,  paie  du  tjiarlyre  son  upiniâtivlé  à  t'mi- 
verlir  les  Musulman»  â  la  vraie  loi. 

Fersonru*  n'i*iit  une  exisif^nre  plus  reiujdie.  plus  féconde 
eu  aventuii's  que  cet  apôtre  de  la  vérité.  Il  vs{  à  Uonie  au 
moment  où  Saint  Jean  d'Acre  tombe  au  pouvoir  des  infidèles 
(1291),  el  expo.se  ses  vues  au  pape;  mais  il  n'est  pas  écouté. 
ConiuMMit  espérer"  qu'au  nintnoiil  de  la  eaïaslropln*  qui  chasse 
les  Chrétiens  de  Terre  Sainte,  il  fera  ]irèvaloir  les  conseils 
de  hi  mndêralion,  et  comprctnln^  qu'on  tloît  renoncer  à  la 
voie  des  armes,  créer  des  monastères  où  \'o\i  enseignera  les 
InngtU's  or'ieiiliiles.  et  fondiM'  des  écoles  de  propaj^ande  ^  he 
papt^  el  les  ]>rjnees  qu'il  sidlicile  tour  m  limr.  en  pajTiturant 
l'Europe- aver  une  persévéraure  iiihiliii^ahie,  l'accuHillent  avec 
une  hii'nvi'illiinlc  pilit':  il  m*  sv  ri-Unic  \Uis,  el.  â  l'orée  d'iri- 
sistance.  deiidi-  siui  souverain,  h*  r"i  fU«  Majorqu<s  à  établir 
à  Palnia  un  miixeui  où  U-i'ize  frères  étudieront  l'm'abe.  Lull 
se  nit'l  A  rapprriidri'  axec  eux;  un  esebive  arabe  leiu'  sert 
de  précrpleur  ;  mais  quand  eelni-ei  a  pénelré  1rs  di-sseins  du 
missionnaire,  le  fanatisme  religieux  se  i^vcille  en  Lniel  il  lente 


l.  I)''s  iilètis  aiiiilu|iticn  nvaieiit  i^ié  éuiiH's  en  Angleterre:  iiou>  en 
trunvuiis  la  trare  ilritiN  les  éirril»  fb;  ^êfonnî»1c'u^^  agents  romnie 
>\>rlif  et  l.a:i;cliuul,  uiihM  l»ien  que  dan»  eeux  île  <'iuwer.  esprit  ealnie 
et  il'une  «ran'ic  piêlé.  iJ.  J.  JiiA&prnnd,  La  vie  nomade  nu  xiv  «r'Wp, 
ilan.H  lleviie  liisTuriqiie.  \x,  fiU). 

i.  M  Vita  i'unteinpla<i%u  vsi  antcriMlciis  vitn:  activir.  i  (II.  Lull,  if tf 
^rooerliîis.) 


VOYAOES    ET   PIlKOrrATlONS   DE   LULI. 


20 


(l'assassiner  mn  i!'lève;  Lull  désariiR'  lo  lULnirtrier  cl  pardorint». 
Quand  il  sait  l'arabe,  il  s'oiaïiarquo  à  ses  frais  jmiii-  lAfriiiiiP 
ol  abordo  à  Uoufrit*.  Là  coiHmonconl  d(»s  conlroversos  lh('*o- 
logiques  entre  lui  et  los  docteurs  ïuahomètans  ;  il  so  niontri' 
dialoctioion  si  consomniH  qu'il  cliaruie  ses  adversaires,  et  les 
nuivertit;  mais  l'autorilé  s'éiiuMit,  ai  auiouli'  le  ptiupl»^ contre 
hii.  Lapidi*  et  laissé  pour  mort  sur  le  rivagn,  Lull  est  re- 
rueilli  par  des  uiarcliauds  trrnois  ri  ranu^ué  eu  EuiMpe. 

A  peine  rt^labli,  il  retnui-ne  ii  Itouie;  poadaiit  près  d'un 
an  il  ne  se  lasso  pas  de  d^miander  à  Bonifaco  viii  de  favonser 
la  propagation  do  la  foi  parmi  les  infiilèles.  .V  Pise,  il  prêche 
la  crois;ide,  et  sa  parole  esl  entendui'  ;  les  Pisans  le  chargent 
de  présenter  an  Saint-Siègo  uno  pétition  pour  les  autoriser  à 
ii'utei-  la  dnlivranco  des  Saints  Lieux:  à  Gènes,  nièuie  succès; 
li^s  dames  dt»  l'arislocratie,  enflamuuVs  par  l'ardeur  des  pré- 
dications do  Lnll,  rendent  leurs  bijoux  poiu*ê(iuip(!r  et  envoyer 
UUH  lîfdte  dans  h*  Levant'.  A  Avignon,  devenu  le  siège  de  la 
papauté,  il  u'obtieiit  rim  ;  et  l'eutlniusiusine  sonlevé  a  Pisi' 
(*t  à  t^<>aes  s'éteint  faute  d'encouragement.  A  Paris.  Pliilippi' 
le  Bel  reste  sourd  à  toutes  les  exhortations*.  Découragé.  Lull 
se  décide  à  passer  eu  Orient,  visite  Chypre  eï  r.Vriuéuie; 
mais  les  souverains  de  ces  royaumes  sont  trop  absorliés  par 
leurs  divisions  intestines  pour  compi'ondre  l'utilité  du  rt^- 
mède  qu'il  conseille.  Il  revient  eu  Occident,  et  tente  de 
nouveau  de  gagner  la  papauté  à  ses  vues;  ClénieuL  v  le 
reçoit  à  Poitiers;  mais^  eu  uu>me  temps  que  Lull,  desenvoyé.s 
inongids  sont  venus  ii  la  cour  du  pontife,  et  h^s  nouvelles 
qu'ils  apportent  sont  trop  favorables  à  la  cause  ehretieune 
pour  enti'er  en  balance  avec  les  espérances  que  Lull  pouvait 
faire  concevoir  à  la  chrétienté.  Ils  annoncent  qu'une  paix 
générale  vient  d'être  conclue  cnlre  tDiis  les  jiriiu'cs  tartares, 
et  que,  libre  de  ce  côté,  le  roi  ili!  Perse  offre  â-  Philippe  h* 
Bel  l'appui  de  cent  miUe  cavaliers  tarlares.  Il  s'agit  bien 
d'apprendre  l'arabe  à  quelques  nnssionnaires,  quand  le  Saint- 
Siège  dispose  d'une  pareille  alliance  ;  Lull  est  accueilli 
comme  un  visionnaire. 


1.  Vuir  plus  bas  sur  <!ette  croii^ade  de  femmes  p.  M. 
'2.  On  trouve  cependant,  dans  les  nit''moiri:>!i  de  I>ubotf(  (voir  pta* 
baji^  chap.  iv)  qneUjues  reflets  des  id^es  de  [taymund  Lull. 


ru^ 


tt.    I.ULL   ET  M.    SANTDO. 


Des  efforts,  cependant,  poursuivi:?  nvec  laut  d'opiniâlroW, 
no  (it'vaiont  pas  reslor  stériles;  les  vues  de  LiiU  s'impose- 
reiït  peu  à  peu  h  l'atlenliou  publique;  on  131?,  le  concile 
de  Vienne  les  consacra,  en  ordonnant  qu'à  Rome,  et  dans 
U'S  universités  dt»  Paris.  d'Oxforrl.  d*^  lîolognp  et  de  Sîila- 
niaiique,  on  affecterait  des  maîtres  à  renst'ignt^inenl  des  lan- 
gues orientales,  particulièrement  de  l'héhreu  et  do  l'araHe. 
Clément  V.  ami  des  lettres  et  des  seiences.  eonfimia  par  îuie 
liulle  1*'  decrtit  du  enncile,  et  proclanui  quua  des  principaux 
Nuucis  des  cliréliens  devait  être  la  conversion  de»  infidèles 
et  des  idolâtres;  et  qu'à  l'exemple  du  Christ ,  qui  avait  voulu 
doruier  à  ses  apôtres  la  connaissauci'  des  langues  pour  ré- 
pandre l'évangile  par  touto  la  terre,  TEglise  devait  s'efforcer 
d'apprendre  au  plus  grand  nombre  de  ses  membres  It^  lau- 
ifage  des  infidèles  pmir  propager  parmi  ces  derniers  les 
dxgnies  sacrés. 

Raymond  Lull  avait  longtemps  attendu  ee  triomphe;  il 
l'obtint  au  moment  où,  déjà  vieux,  il  allait  descendre  dans  la 
ttiuibe.  Mais  tuujfjurs  prêt  à  la  lutte,  il  voulut  profiter  des  der- 
niers jours  qui  lui  resta  ient  à  vivre,  et  les  employa  à  former  \n\v- 
l^)ut  des  disciples,  à  les  animer  de  sa  science,  et  do  son  zèle  : 
!?-oisarisuprès,  malgi'éson  âgeavancé.  impatient  d'a[)pli(|ucr  les 
résultats  obtenus,  il  s'embarqua  de  nouveau  pour  lAfrique,  er 
recommença  à  Hougie,  avec  les  Mahomélans,  les,  conférences 
et  les  disputes  qu'il  avait  jadis  failli  payer  de  sa  vie.  Cette 
fois  les  docteiu's  se  montrèrent  plus  intolérants  ;  le  peuple, 
ameuté  par  eux,  maltraita  et  chassa  le  missionnaire  que  des 
nuu'chands  chrétiens  eurent  peine  à  dérober  à  la  fureur  des 
Arables.  Mais  l'épreuve  avait  été  trop  forte  pour  te  vieillard  ; 
il  mourut  sur  It?  vais.scau  qui  le  ramenait  à  Palma,  martyr  de 
son  zèle  et  de  sa  foi. 

Il  serait  injuste,  à  côté  de  l'étude  des  langues  orieutalos, 
de  passer  sous  silence  une  autre  idée  de  Raymond  Lull,  cello 
de  réunir  <ui  iiu  seul  corps  les  trois  ordres  religieux  ilu  Tem- 
ple, de  rilôpital  et  ries  Teutouiques,  dont  les  divisions  et 
riuiiuitié  nuisaient  à  la  cause  chrétienne  eu  Palestine,  au  lieu 
de  la  servir.  S'il  ne  fut  pas  le  premier  à  réclamer  cette  me- 
sure', si  d'autres,  après  lui.  la  propnsèrent  maintes  fois,  il 


1.  Voir  plus  hftul  les  projets  de  Charles  n  de  Sicile,  p.  16  et  suiv, 


tmOJRTS  DK  R.  i.iri.i.. 


nul  rhonneur  de  l'assucier  ea  toute  uccasion  n  ses  projets.  Il 

eut  aussi  celui  (ravoir  pré(;()uis('>  dos  pnMuiors  la  conquôlo  do 
l'Egypte,  et  snrioul  riiilcrdÎL'tiou  absolue  de  commerce  eutrp 
ce  pays  et  TOccident.  Daus  ua  de  se«  traités  il  demandait 
(|u'on  attaquAt  par  ti^rre  et  pai*  niw  l'Andalousie,  et  qu'après 
la  conquiHo  do  ce  royaume,  rarnièe  chrétienne  victorieuse 
s'emparAt  de  Ceuta  eu  Afrique,  et  de  là,  s'avançant  vers  l'est 
lo  long  de  la  côte,  poussitt  jusqu'à  Tunis  ;  de  ce  point  elle 
pouvait  soumettre  à  son  choix  la  Terre  Sainte  ou  l'Egypte*. 
L'armée  devait  obéir  à  un  roi  choisi  par  les  princes  croisés; 
l'e^scadre,  composée  d'un  gros  vaisseau  et  do  quatre  galères 
bien  armées,  à  un  amiial.  Celui-ci  avait  uiission  d'enlevtT  Rho- 
des et  Malte,  et  de  couper  ainsi  tout  approvisionnement  aux 
Sarrasins.  Excommunication,  eonlîscation,  châtiments  de  la 
dernière  rigueur  senmt  infligés  à  quiconque  favorisera  les 
conmiunicationsdes  iuHdèh's  avi'c  l'Occideni  ;  l'absU'nlion  des 
marchîuids  chrétiens  et  liscilement  commercial  de  l'Egypte 
UH  larderont  pas  à  ruiner  absolument  la  puissan(!H  du  sou- 
dan  *.  Trois  ans  plus  tard,  rlans  un  autre  ouvrage,  Lull  insisie 
de  nouveau  sur  son  prujrl.  ;  il  le  dév^doppe  l't  \v  complète  ; 
tandis  que  d'un  côté  un  corps  d'armée,  s'emparant  en  Afrique 
d(*  Ceuta,  du  Maroc,  de  Tunis,  de  Rougie  et  de  Tlemcen, 
atteindra  les  froniièresde  l'Egypte,  un  autre  corps  conquerra 
CûHstantLuople  et  la  Syrie,  et  gagnera  par  l'Arabie  les  bords 
du  Nil,  qui  se  trouveront  de  la  sorte  menacés  de  deux  côtés. 
Lnll.  cette  fois,  semble  almndonner  nu  du  moins  reléguer  à 
l'arrière-plan  l'idée  dr  la  iioisiêre  dont  il  se  préoccupait 
avec  tant  d'insistance*  qneliiucs  anné»îs  plus  tôt. 

Malgi'é  ces  divergemes  rlUpinion,  on  ne  sam'ait  mécon- 
naître chez  Raymond  Lull  d'autres  préoccupations  que  celles 
tle  la  diffusion  des  études  orientales  et  de  la  religion  catho- 
lique par  la  prédicutiou.  Si  ces  dernières  avaient  paru  à  plu- 
sieurs empreintes  d'une  confiance  et  d'un  «enthousiasme  peut- 


1.  Dan»  le  traité  Df  fine  (avril  i;i06),  l'auteur  nxaminuit  également 
rii>put)ièsc  île  In  conquête  de  l'ilc  de  Itasid  (delta  du  \ih,  mais  il  In 
rejetait  pour  diver»  matifs.  —  Voir  V.  Kunstmanii,  Sturlirn  ûbrr  Ma' 
rino  Sanuflo  den  At'ftnrn.  (Munich,  IK'».^),  in-'i*,  p.  "Jô.) 

2.  Kuimtiiiani},  Stmlirn...,  p.  26-27.  Hayiiiurid  f.ull  CHtime  à  six 
l/)nét*ft  le  temps  n*''cc8(>aif«  â  prwluiiT  ce  n'-sultal. 


Le  traité  porte  le  titre  :  Df  aetpiùi- 


^tni  trop  naïfs,  porsoiuie  no  pouvait  cniil^Aster  l'utilité  do 
l'union  des  ordres  uiililairt's,  qui  dovaît  frn-mer,  p<iur  ainsi 
iliro,  fn  Orient,  uno  croisade  pernianonto  ;  les  idées  cuui- 
uierciales,  les  vues  de  Lidl  sur  l'Egypte  étaient  nouvellet» 
pnur  l'époque;  on  le  vil  liien  :*i.  riiésitation  avec  laquelle  elles 
élaieiit  formulées,  à  l'absence  di*  sens  pratiiiue,  à  l'ai-deur 
en  quelque  sorte  clievaleresque  qui  les  avaient  inspirées*. 
S'il  est  vrai  que  le  visionnaire  disparaissait,  c'était  potn* 
rester  chevalier  et  genîiilniininc,  non  pour  devenir  p(di- 
liqiie  ou  êcononiisfe.  Rayinnuij  Luli  iinus  apparaît  ainsi 
avec  un  d(nible  earaclère  :  apôlre.  il  veut  (conquérir  l'Orienl 
par  la  foi  ;  mais  clievalier  en  mémo  temps  que  niissionuaire. 
il  ne  vent  pas  rjue  rclui-ri  s'abaisse  devant  ct»liii-lri;  il  met  l'un 
<*t  l'autre  sur  le  même  ran^' ;  pour  lui,  l'idéal  d'uue  socièlé 
fortoiueiit  constituée  est  l'accord  du  prêtre  et  de  l'homme  do 
guerre. 

y  La  questiiin  d'intenention  aux  Lieux  Sainls  revêt  avec 
Marino  Sanuelo  un  nouveau  raractèru  ;  de  religieuse,  elle 
devient  ]Kdiliqiie  et  commerciale,  et  cette  Irausformation 
l'épond  autant  au  changement  (|ui  s'est  op^ré  dans  le  mou- 
vement des  croisades,  vers  la  tin  du  xiii*-'  siècle,  qu'à  la  nn- 
lionalilé  et  aux  attaches  de  famille  de  Sanudn. 

Il  appîu'lenail  à  ia  grande  famille  vénitienne  des  Sanudo. 
devenus,  après  la  conquête  de  Constant  iiiople  par  les  Latins 
(l?04),  maîtres  de  Nax)»s.  de  Paros  et  de  Mélos,  et  chefs 
d'une  dynastit;  durale  qui  se  per'pélua  pendant  plus  d'un 
siècle  dans  l'Archipel  ;  mais  il  n'était  pas  de  la  branche  des 
ducs  de  Naxos.  Son  père,  Marco  Sanudo,  habitait  Venise,  et 
selon  toute  probaldité  Mariuo  naquit  dans  cette  ville  vers 
I2iî0,  perpétuant  le  surnom  patronymique  de  Torsello  qu'il 
lièrita  de  son  père.  Nous  savons  peu  de  chose  de  la  vie  <le 
Sanudo  ;  un  passage  de  ses  reuvres  nous  apprend  qu'il  vécut 
dans  l'entourage  du  c^ardinal  Kichanl  de  Saint  Eustache,  pro- 
bablement dans  le  but  de  se  familiariser  avec  la  science  du 
ilroit,  dfuit  le  prélat  faisait  son  étude  préférée  ;  mais  combi<'n 
de  temps  dura  cette  domesticité  littéraire,  à  quelle  époque 
doit-elle  se  placer  ?  Autant  de  questions  qu'on  ne  saurait  ré- 


1.  Marinu  Sanudo  reprit  ces  idées  en  les  transformant,  comme  nous 
le  montreniii»  phi!»  bas. 

2.  Saint  Muri:  liiranlin,  lue.  cit.,  p.  52. 


VIK  KT  orVRAOKS  I)K  SA-Nt*X)0. 

sûudre.  Il  eu  est  de  même  d'un  st'ijoui'  assez  long  en  Grèce 
aufpiol  les  êrrils  do  Sanudo  font  do  fréqiintitos  alhisiiins,  sans 
iiu'il  soit  possible  toutefois  île  détenuiner  si  Torsello  était 
alors  au  service  de  la  république,  ou  a'il  habitait  les  posses- 
sion-* de  sa  famille  dans  l'Arrhipel.  Nous  savons  qu'il  par- 
rourut  tout  le  Levant;  il  alla  â  Chypre,  en  Arniênio,  :'i 
Alexandrie  et  ù  Rhodes  ;  le  conmierce  n'était  pas  étranger  à 
ces  voyages*.  Quelque  incomplets  que  soient  ces  détails,  ils 
suffisent  pour  expliquer  la  direciion  que  Sauudo  donna  à  son 
esprit;  un  penchant  naturel  le  poussait  à  s'occuper  particu-  i 
liêrement  de  la  politique  de  l'Orient  et  des  moyens  de  rocoa- 
quérir  la  Terre  Sainte  ;  c'est  de  ce  sentiment  qu'est  né  le 
trnilè  des  Sécréta  fidelium  cruris,  l'œuvre  à  laquelle  Sanudu 
lîonsarra  toute  son  existence  et  qui  a  immortalisé  son  nom'. 

Son  ouvrage  achevé*,  Sanudo  quitta  Venisn  jiour  le  pré- 
senter au  saint-père,  et,  s'embarquant  sur  les  galères  véni- 
tiennes qui  faisaient  le  voyage  de  Flandre,  il  aborda  û  Bruges 
poui'  gagner  de  là  Avignon,  siège  de  la  papauté  ;  il  y  parvint 
le  2\  septembre  I3'^l. 

Pendant  son  voyage  et  à  son  instigation,  les  couis  qu'il  ^ 
traversa  redoublèrent  d'elTorts  dans  les  préparatiCs  de  croisade 
dont  elles  étaient  occupées,  En  France,  le  roi  et  surtout  le 
comte  de  Clermont  nïauifcstaient  pour  l'entreprise  le  zèle  le 
plu*  enthousiaste;  ils  eurent  avec  Sanudo  de  fréquents  entre- 
tiens. Le  comte  Guillaume  de  Hainant  arrêta  avec  lui  les 
bases  d'un  passage  outre-mer.  Retenu  longtemps  par  le  pape 
à  Avignon,  Saniulo,  devant  l'échec  des  projets  de  Phili]»pe  le 
Long  'I3?3),  rentra  à  Venise  avec  le  dessein  de  rester  dans 
sa  patrie  ;  il  la  quitta  cependant  en  133?  pour  aller  à  Naples 


t,  Kunstmann,  Studien..  ,  p.  1-5. 

2.  Bongars  iGesta  Dei per  i'ranco$,\.  ii]  a  édité  \es  Sécréta  fidelium 
rruciê.  Voir  sur  Sanudo  particulièrement  l'ouvrage  do  Kunstmann 
ciXé  plus  haut,  les  études  t'e  Simonsfeld  {Xeues  Archw,  vu,  43-72), 
le  travail  de  Saint  Marc  Girardin  que  nous  avons  déjà  maintes  fois 
cité  iHevue  des  Deux-Mondes,  t.  xu,  IHfj'i),  et  la  thèse  de  A,  Pos- 
tan5i)ue,  lie  libro  secrftorum  fidelium  eruci»,  (Montpelllei',  185'».) 

3.  \jB  premier  livre  de»  Sfcrrtn  fktetium  crucis  est  de  13()fi;  il  fut 
adrewé  à  Clément  v;  l'auteur  y  ajouta  postérieurement  un  épilogue 
et  présenta  l'ouvrage  ainsi  modifié  à  Jean  ,\\n,  successeur  do  Clé- 
ment V  ;  le  second  livre  fut  l'omposé  en  1312,  mais  la  dernière  main 
n'y  fut  mise  qu'en  1321  ;  le  troisième  livre  dut  être  écrit  vers  1313. 
(Simonsfeld,  JVeiteK  «ir/iir,  vu,  45-7. i 


34 


U.    I.UI.L  KT  al.   SANt'DO. 


solliciter  le  roi  Robert  de  secourir  la  Grèce  meuacée,  et  eu 
1333  pour  fairp  un  dernier  voyage  en  Grèce  et  k  Constan- 
tinoplo*.  Ses  ressources  étaient  alors  assez  <iiïoinuêes  pour 
l'empêcher  do  reprendre  avec  les  cours  eui*opéennes  les  rela- 
tions personnelles  d'autrefois,  et  ses  lellres  témoignent  du 
regret  que  lui  causait  uin>  pareille  situation.  Si  Clément  v. 
auquel  Sanudo  avait,  dès  1307,  fait  parvenir  ïo  premier  livre 
de  son  traité,  accueillit  Cavorabletuent  les  vues  qu'il  contenait, 
et  renouvela  la  défense  faite  aux  Chrétiens  de  coniiuercer  avec 
Alexandrie  et  l'Egypte;  si  Philippe  le  Bel  suivit  l'exempli» 
donné  par  le  Saint-Siège  en  ce  qui  concernait  les  sujets  du 
royaume  de  France,  ce  fuient  là,  sera!>le-t-il,  les  seuls  i-é- 
sultats  qu'obtinrent  les  efforts  de  Sanudo.  BieutOt  vinrent 
les  obstacles,  les  délais  et  les  embarras  de  toutes  sortes  ; 
Jean  xxii,  lui-même,  écrivit  en  1318  et  1319  aux  rois  de 
Franco  et  d'Angleterre  pour  Ips  dissuader  de  la  croisade. 
Sanudo  s'indigna,  et  sacorrespoiidancp  nous  a  conservé  rexi>res- 
siou  de  sa  douleur  et  de  son  découragement.  Quelques  années 
plus  tird,  devant  l'apathie  de  l'Occident,  il  se  contentait  de 
solliciter  pour  le  royaume  d'Arménie  un  secoiu*s  de  dix  galères, 
montées  chacune  par  trois  cent  cinquante  hommes  d'équipage, 
et  portant  une  armée  de  (lébart|iiement  [\o  mille  hommes  de 
pied  et  de  trois  cents  chevaliers  ;  il  suppliait  le  pape  do 
décider  les  princes  chrétiens  à  s'ai'raer  pour  la  foi,  à  s'unir 
avec  les  Vénitiens,  et  à  mettre  â  la  tête  des  troupes  un  capi- 
taine qui  s'inspirât  des  principes  exposés  dans  les  Secretn 
fidelium  crucis'*.  H  mourut  pou  après,  sans  avoir  eu,  comme 
Raymond  LuU,  la  consolation  de  faire  agréer  ses  plans'. 

L'ouvrage  de  Sanudo,  préseoté  au  pape  Jean  xxii,  fut 
examiné  par  une  commission  composée  de  trois  frères  Mineurs 
et  d'un  Dominicain,  familiers  avec  les  choses  du  Levant.  Le 
résultat  de  cet  examen  fut  favorable  à  l'ensemble  dun  projet 


1.  Ces  divers  voyagea  et  ces  pourparlers  corresponUpnt  à  des  projets 
d'inton'ention  en  Orient  dont  le  lecteur  trouvera  les  détails  plus  bas, 
aux  chapitres  iv,  vi  et  vu. 

2.  Kunstmann,  Studien...,  p.  22-3  et  39  ;  —  Saint  Marc  Girardîii^ 
he.  cit.,  p.  57-8, 

3.  La  date  de  la  mort  de  Sanudo  e«t  incertaine;  il  vivait  encore  eu 
1334. 


IMPORTA .NCK  CoMMKHClAI.li  HE  1,  KtiYI'TK. 

»lout  l'esprit,  â  la  fois  économique  et  politinue,  s'iinjiosa  à 
rapprobalio»  de.s  commissaires'. 

Los  idt'cs  px|iosêeA  par  Sanudo  n'apparaissaient  assurùmeiit 
pas  pour  la  première  fois;  ses  principales  propositions  avaient 
déjà  été  émises,  et  cependant  l'œuvre  était  originale;  il  y 
circulait  uu  souffle  nouveau  i{Ui  transformait  et  rajeunissait, 
en  lonr  donnant  d'autres  applieatinns,  dos  conreplious  déjà 
anciennes.  N'avait-on  pas,  depuis  Saint  Louis,  compris  que 
l'Egvpte  était  la  clef  de  la  Terre  Saiute?  N'avait-on  pas  diriifé 
contre  ce  pajk's  les  dernières  tentatives  faites  pour  enlever  la 
Palestine  aux  infidèles!?  Depuis  le  x"  siècle,  l'iniportatinn 
du  fer,  du  bois  ou  des  armes  riiez  les  Sarrasins  n'éUit-elle  pas 
prohibée  par  Venise?  Cette  défense,  aux  siècles  suivants, 
n'avait-elle  pas  été  maintes  fois  étendue  et  confirmée  par  le 
Saint-Siège  (  C'étaient  là  des  idées  courantes  et  presque  re- 
battues ;  Sanudo,  cependant,  n'en  conçut  pas  d'autres,  et 
trouva  en  elles  les  éléments  d'un  système  complet  de  conquête 
et  de  politique. 

C'est  le  propre  des  hommes  supérieurs  de  renouveler  le?* 
questions  qui  ont  préoccupé  leurs  devanciers  et  de  leur  donner 
une  forme  définitive.  Sanudo  comprit  que  la  position  géogra- 
phique ile  l'E^^ypte  était  unique,  et  qu'on  pouvait  tirer  parti 
contre  elle  dune  siiuati<)U  qui  précisément  faisait  sa  force 
Entrepôt  du  commerce  des  Indes  avec  l'Occident,  et  de  l'Oc- 
cident avec  l'Orient,  l'Egypte  tirait  sa  richesse  du  commerce 
de  transit;  ruiner  ce  dernier,  c'était  ruiner  la  prospérité  du 
pays  et  on  même  temps  sa  prépondérance  dans  l'empire  mu- 
sulman. Pour  atteindre  ce  but.  il  suffisait  de  détourner  de 
l'Egypte  les  marchands  qui  lui  apportaient  les  deni'ées  ile 
l'extK'me  Orient,  et  d'empêcher  les  nations  européennes  d'ame- 
ner 4  Alexandrie  les  marchandises  qui  manquaient  aux 
Egyptiens.  Tel  est  le  plan  conçu  par  Sanudo  :  blocus  conti- 
nental de  l'Egypte  et  conquête  du  pays  aifaibli  parle  blocus. 

Samido  est  avaut  tout  Vénitien  ;  à  lui  s'applique  mieux  qu'à 
personne  la  parole  célèbre  :  Siamo  V'rnezianiy  poi  ChristitJiii. 
Ce  n'est  pas  à  dire,  cependant,  qu'il  ne  suit  animé  de  l'esprit 


1.  La  commission  ne  critiqua  que  e«rtaina  points  de  détails,  ot  par- 
ticulièrement la  rigueur  des  inesurc!»  proposées  conlre  les  infructenrs 
des  prohibitions  cuni  merci  aies  <|uc  Sanutlu  réclamait  cuntre  le»  iji- 
fidèles.  (Kun^tmunn,  Studini...,  p.  39.) 


chrétien,  et  que  le  désir  d'arracher  la  Terre  Sainte  aux  infi- 
dèles ne  Tait  pas  inspiré  et  soutenu  dans  la  composition  de 
son  livre;  mais,  avant  tout,  c'est  un  patriote  qui  rêve  la  gi*an- 
deur  de  son  pays  et  qui  excuse  toutes  les  défaillances,  quand 
elles  ont  pour  but  le  développement  de  la  puissance  véni- 
tienne. On  sait  que  Venise  et  les  républiques  maritimes  de  la 
Méditerranée  avaient  trouvé,  dans  le  commerce  des  denrées 
prohibées  par  les  ordonnances  apostoliques,  une  source  de 
hénéKces  considérables  ;  pour  Sanudo.  celte  contrebande  per- 
dait de  sa  gravité  quand  elle  était  exercée  par  des  Vénitiens, 
et  lui-niême,  en  parlant  do  ses  nom  breux  voyages,  fait  observer, 
avec  un  sentiment  de  légitime  orgueil^  qu'il  n'a  jamais  trafiqué 
iKobjets  de  cette  nature  '  ;  mais  on  sent  qu'il  excuse  ses  com- 
patriot<'s  de  n'avoir  pas  suivi  son  exemple.  Aussi,  dans  ses 
projets,  fait-il  constamment  à  sa  patrie  la  part  la  plus  large  ; 

'  il  entrevoit  pour  elle  un  empire  nouveau  à  conquérir  et  des 
débouchés  commerciaux  à  créer;  s'il  consent,  en  bhKiuant 
l'ftlgypte,  à  léser  innnicntanément  Venise  dans  son  commerce, 
il  sait  bien  que  la  nouvelle  prospérité  qu'il  lui  réserve  com- 
pensera au  centuple  les  pertes  subies. 

I  l.e  blocus  de  l'Kgj'pte,  proposé  par  Sanudo,  se  compose  de 
deux  parties:    —   détourner  le    commerce    des    Indes    de 

I  l'Egypte  vers  la  Syrie  ;  —  interdire  à  i'Kgypte  toute  exporta- 
tion ou  importation  avec  rOccident.  Sanudo  sait  que,  quand 
une  route  commerciale  est  l'ermép,  il  faut  de  toute  nécessitt» 
qu'une  autre  s'ouvre  pour  la  remplacer.  L'Euphrate  héritera 
de  la  fortune  du  Nil  ;  les  marchandises  delà  côte  du  Malabar. 
au  lieu  d'arriver  à  Aden  et  de  gagner  de  là  par  caravanes, 
en  neuf  jouï"^,  le  Nil,  sur  lequel  elles  sont  embarquées  à  des- 
tination d'Alexandrie  à  l'époque  de  la  crue  du  tîeiive  ',  seront 
dirigées  sur  les  ports  de  la  Perse,  et  remonteront  l'Euphrate 
paur  atteindre  par  Bagdad  la  Syrie.  Antioche  et  la  mer  Médi- 
terranée. Cette  voie  nouvelle  permettra  aux  négociants  chi*é- 
tiens  de  pénétrer  dans  i'Imle;  ils  auront  libre  passage  dans 
Terapire  des  Tartares,  au  lieu  d'être  impitoyablement  arrê- 
tés par  le  soudan  d'Egypte,  qui  no  permet  à  aucun  chrétien 
de  traverser  ses  états  pour  aller  naviguer    rlans   l'océan 


1.  KuuKtmann,  StutUrn. . .,  p.  4. 

2.  En  octobre,  to  voyage  du  ]K>inl  d'arrivée  d^  caravane^s  Jusqu'il 
Alexandrie  dure  quinze  jaurs. 


HUJCl'S    DE    1.  fiOVPTE. 

Indit^n.  La  ri  m  te  de  Pwse,  du  rest*^,  pst  employée  pour  les 
(ionréos  de  peu  de  poids  el  de  grand  prix,  taudis  ([ue  la  route 
d'Aden  est  réservée  aux  marchandises  lourdes  et  de  peu  de 
valeur.  Cette  circonstance  s'cxplii|ue  par  les  frais  de  trans- 
port cousidérables  (pic  su[i[K)rt('iit  les  dcnitV'S  exïiédiêes  par 
la  Perse,  frais  qui  sont  bieu  moindres  par  la  voie  d'Aden  et 
ilu  Nil.  Eu  revancbe.  les  droits  à  acquitter  sont  trêî^  lourds 
en  Egypte,  trè.s  faibles  en  Perse.  Quand  la  route  d'Egypte  sera 
fermée,  tout  le  commerce  de  l'extrême  Orient  cherchera  par 
la  Perse  et  la  Syrie  un  débouché  sur  la  Méditerranée.  Pour 
ruiner  rKgyi»te  il  Jie  sufiit  pas  de  lui  enlever  son  trafic  avec 
l'Orient,  il  faut  aussi  l'isoler  de  l'Occident,  et  c'est  dans  ce 
but  qu'un  blocus  sera  m?cessaire.  Sauudo  veut  qu'il  soit 
absolu  ;  il  faut  que  l'Egypte  ne  puisse  plus  vendre  à  personne, 
ni  les  denrées  qu'elle  reçoit,  ni  celles  qu'elle  produit;  Tintor- 
diotion  de  conunerce  sera  donc  générale.  Ni  la  Grèce  d'un 
(Aie  et  les  pays  compris  entxe  Scutari  et  les  bouches  du 
Salejdi  ou  Cilicie',  ni  d'un  autre  côté  la  Tripolitaine,  Tunis, 
les  États  Barharesques  et  les  possessions  musulmanes  d'Es- 
pagne ne  resteront  en  dehors  de  cette  mesure,  qui  sera  appli- 
t|uée  sur  terre  et  sur  mer  avec  la  derniers  rigunir  et  sou«  les 
peines  les  plus  sévères  ;  quiconque'  l'enfreindra  ou  favorisera 
les  infractcurs  sera  puni  comme  héi-étiqu).'  et  déclaré  infânu\ 
cette  dérlaratioii  eiitrainaut  la  confiscation  et  de  nombreuses 
déchéances. 

Pour  maintenir  le  blocus,  une  ft(»tte  do  dix  galères  sera 
levée  et  mise  sous  les  ordres  d'un  capitaine  nommé  par  le 
Saint-Siège  :  elle  protégera  b*s  rhivliens  d'outre-mer,  com- 
battra le»  Musulmans  et  fera  exécuter  les  pénalités  édictées 
contre  ceux  qui  per^'éxén-ront  .1  <'onim<*pcer  avec  les  infidèles  ; 
afin  d'intéressi'r  sa  ^igilame.  |i'<  pn*ês  seront  partagées 
entre  le  capitaine  ei  b's  rqiiipjiiirs  :  rrux-ci  seront  Vénitiens  : 
do  toutes  les  nations  occidentales,  eu  efiVît,  selon  Sanudo. 
c'est  celle  ijui  connaît  le  mieux  les  mers  du  Levant,  et  qui  a 
dans  r.\rcbipel  le  plu-*  do  pi.uts  rie  relAche.  Les  Vénitiens 
sont  doiu'  les  surveillants  natunds  de  la  croisière,  et  ou  con- 
t'oit  que  Sanudo,  Vénitien  lin-niénip,  n'att  pas  hésité  à  faii-e 


38 


R.    LUIX   ET  M.    SANUDO. 


-> 


de  ses  compatriotes  les  maîtres  et  les  arbitres  du  commerce 
européen  '. 

Saiiudo  estinmit  que  trois  ans  »J'ud  pareil  blocus  suffiraient 
à  ruitier  l'Egypte,  et  que  le  aiouient  serait  alors  propice  pour 
la  conquérir.  Il  demandait  au  pape  de  lever,  dans  ce  but.  un 
corps  de  troupes  de  ([uinzo  mille  hommes  de  pied  et  de  ti'ois 
cents  cavalirrs,  destiné  à  débarquer  aux  bouches  du  Nil  sous  la 
proteciiou  de  la  flotte  ;  il  s*eflori,'ait  de  faire  ressortir  la  supé- 
riorité do  cet  itinéraire  sur  la  route  de  terre  suivie  par  la 
première  croisade,  et  sur  le  débarquement  en  Sj^-rie,  à  Ciiypre 
ou  en  Arménie  ■  ;  mai.s  toutefois,  en  raison  de  l'importance 
stratégique  do  l'Arménie,  qui  seule  était  encore  aux  mains 
des  catholiques,  et  faisait  obstacle  i\  la  réunion  en  un  seul 
faisceau  de  toutes  les  possessions  musulmanes  d'Asie  Mineure, 
il  proposait  l'envoi  d'un  routingont  séparé  dans  ce  royaume 
afin  dn  lortifier  la  résistance  des  Ariiiéuii^ns.  Au  sud  de 
rKgypte,  l'appui  des  chrétiens  de  Nubie,  à  la  frontière  orien- 
tale de  la  Syrie  ralliance  des  Tartares,  dont  il  se  déclare  le 
partisan  (■on\aincu,  devaient  assurer  le  suceés.  Sanuilo 
enti'evuyait  entre  le  Delta  du  Nil  et  les  lagunes  de  Venise 
une  analogie  (]ui  semblait  prédestiner  sa  patrii'  à  la  posses- 
sion de  rKtçyplc.  Il  insistait  beaucoup  pour  que  la  croisade 
fut  confiée  exclusivement  aux  Vénitiens  :  c'était  empê<-hcr. 
dit-il.  des  rivalités  et  des  ditîirultés  dont  les  précédentes 
expéditions  n'avaient  que  Imp  dtmné  le  spectacle  ;  c'était 
aussi,  grâce  â  l'i^xpérience  lie-i  marins  de  Venise  et  à  leur 
supériorité  incontest'ible  au  point  de  vue  commorcial,  placer 
l'entreprise  sous  les  meilU'urs  auspices:  en  réalité,  Sanudo 
Voulait  fonder  en  Egypte  \me  nouvelle  Venise,  et,  [uiisque 
Gènes  semblait  maitresse  de  ta  mer  Noire,  donner  .•'*  la  répu- 
blique de  Saint-Marc  b'  commrroe  ries  Indes,  dont  les  rives  du 
Nil  el  la  nier  Rougr  ntaieut  l'entrepôt  naturel. 

Tout,  dans  le  plan  de  Sanudo.  se  rattache  à  cette  idée  ;  les 
Maures  de  (irenade  pourraient,  à  un  moment  donné,  être  un 
daiiffer  sérieux;  on  les  s()umettra  pour  s'en  affranehir;  on 


1.  Sailli  Marc  Ciîrartiiii.  hc  n't..  p.  6»i-y  ;  —  Kuiistmiinii,  Stuitien...^ 
I»,  H)-22.  passiiM. 

2.  V.n  oxposaiil  les  niisouK  de  m's  |irêfrnMir''.H  :i  fliuîsii*  l'Egypte, 
Suiuidu  lie  fuit  que  repiijtluire  les  uruuiuouU  expu-'H*?»  avant  lui.  Voir 
pluH  haut,  iMtgCN  ir  01  ii'H. 


IMPORTANTE  DES    VTES   DE  SANUPO. 

sVtablira  fortement  à  Rosette  ot  sur  la  cMx"  d'Egypte  qu'on 
couvrira  de  forteivsso.s  ;  pcnriaiit  los  luois  ui"i  le  couuuercp 
est  interrompu.  c'est-à-dir«  d'avril  à  octobre,  ou  détachera 
viriirt  galères  et  cIikj  mille  honiiuos  du  cor]is  i>riin'i]uil  '  pour 
im]uiéter  les  peuples  <|ui  olièissent  ri  l'fiutoriu'  du  soudau. 
la  Tunisie,  la  Turquie  d'Asie  et  les  pays  soumis  à  l'empire 
jrrec.  L'Eg;)^ple  couquise,  la  roule  de  Jérusalem  est  ou>erte  et  la 
Palestiiio  dêlivi*ée  du  joug  inusuluian'. 

Les  vues  de  Lull  et  de  Sanudo,  de  ce  dernier  surtout,  nous 
niit  semblé,  à  cause  de  leur  importance  exceptionnelle,  mé- 
riter d'être  groupées  dans  un  chapitre  spécial.  Elles  éclairent, 
au  commencement  du  xiV  siècle,  d'uue  vive  lumière  la  ques- 
tion d'Orient:  elles  l'èsument.  en  les  transformant,  les  idées 
••mises  jusqu'alors  par  les  meilleurs  esprits;  elles  contiennent 
le  germe  de  toutes  celles  que,  pemlaut  prés  de  cinquante 
années,  le  désir  de  reconquérir  les  Lieux  Saints  fera  éclore 
i»n  Occident,  et  dont  il  sera  question  dans  le  coui's  du  présent 
travail. 


1.  Sanudu  évalue  â  otiiquante  mille  hommes  et  à  deux  mille  che- 
vaux, ou  à  la  rigueur  i\  quiuante  mille  iiommes  et  mille  chevaux  les 
forces  nécessaires  à  la  réalisation  dn  ses  projets. 

2.  Saint  Marc  Oirardin,  (oc,  crt.,  p.  63-4  ;  —  Kunstmanii,  Studien.  ., 

p.  :ïi-:. 


CHAPITRE  m 


EXPEDITION   DE   CHARLES   DE   TAL.OI&. 


S'il  y  avait  pour  les  Latins,  au  îondpmain  de  l'évacuation 
de  la  Syrie,  un  moyen  de  la  reconquérir,  c'était  en  s*unissant 
aux  Mongols  ;  depuis  longtemps  déjà  les  puissances  occi- 
dentales sV'taiont  habituées  à  considérer  cette  dlliance  comme 
la  liase  do  leur  iHjlitique  en  Orient,  mais  elle  était  restée 
'jusqu'alors  dans  le  domaine  do  la  théorie,  et  n'a>ait  donné 
aucun  des  résultats  qu'un  était  en  droit  d'espérer  d'elle. 

L'invasion  mongole,  partie  du  fond  de  la  Chine,  après 
avoir  tout  renversé  sur  son  passage  jusqu'en  Russie,  en 
Pologne  et  en  Hongrie,  se  trouvait,  au  milieu  du  xiir  siècle, 
en  contact  direct  avec  les  P^tats  musulmans  tlu  soiidan  d'Egypte 
en  Syrie  ;  la  première  rencontre  entre  les  Egyptiens  et  les 
Mung'ds  '  1  ?r»0)  a^ail  été  favorable  aux  premiers,  et  le  sultan 
Bihnrs,  dont  la  valeur  militaire  étîiit  universellement  it- 
nomniée,  avait  su,  pendant  son  règne,  arrêter  les  progrès  des 
envahisseurs.  A  la  mort  de  Bibars,  lt»s  Mongols  étaient  de 
nouveau  enln»s  en  Syrie  (l;*K(Jj;  mais,  malgré  leur  allianc* 
avec  les  Clu-étiens  de  Terre  Sainte,  cette  seconde  invasion 
avait  éjiroiivé  le  sort  de  In  [tremiére  ;  les  Kgyptiens  avaient 
été  victorieux  à  la  bataille  décisive  de  Hîrns  (l?HI).  Si,  â  Ja 
suite  de  leur  défaite,  les  Mongols  avaient  laissé  quelques 
années  de  répit  à  la  Palestine,  ce  n'est  pas  iprils  enssent 
renoncéà  leui'  projet  de  conquérir  l'EgyjJte,  mais  des  tnmbles. 
des  soulèvements  et  des  guen-es  intestines  occupèrent  ailleurs 
leur  attention.  Les  innu'siuns  continuelles  des  ICgyptiens  en 
Ciliuie,  pays  tributaire  des  Mongols.  ramciiértMil  bientôt  les 
Tarlai*es  ;'i  leurs  premiers  desseins:  au  monir-nt  de  la  chuti" 
du    rovaumr    de    Jérusalem .    leur  chef  (^lazan    fherrhait    â 


VICTOIRE  DES   .M0NG0L8  A  IlIMS. 


11 


entraîner  l'Occident  dans  une  ligue  générale  contre  les 
Musulmans.  Nons  avons  montré  r|uoIle  suite  de  circ-on stances 
nmpéclia  l'Europe  de  mettre  à  pru(it  les  bonnes  disp()sitions 
de  Gazan.  Celui-ci,  quoique  privé  d'une  coopération  dont  il 
espérait  beaucoup,  se  mit  en  campagne,  avec  Tappui  des 
rois  d'Arménie,  de  Géorgie  et  de  Chypre  (121)91.  La  bataille 
se  livra  â  Hims,  à  l'endroit  même  où  s'étaient  déjà  rencon- 
trées, à  deux  reprises  ;13C0  et  I2H|)  les  armées  égyptienne 
et  mongole  ;  ce  fut  pour  cette  dernière  une  victoii-e  complète, 
dont  la  part  décisive  revenait  aux  troupes  auxiliaires  chré-^ 
tiennes,  enrôlées  sous  la  bannière  de  Gazan. 

Un  pareil  succès  eut  un  immense  retentissement,  et  ranima 
un  moment,  en  Orient  comme  en  Occident,  le  zèle  pour  la 
délivrance  de  la  Terre  Sainte.  Cette  même  année,  le  comte 
Gui  de  Jaffa  et  Jean  d'AntiLjche  accouraient  à  Byblos  pour 
arrêter  avec  le  roi  d'Arménie»  allié  des  vainqueurs,  les  bases 
d'ane  action  commune;  mais  l'absence  de  Gazan^  qui  avait 
repris  la  campagne,  empérha  toute  entente.  Peu  après 
Henri  ii  de  Chypre,  kvi  Hospitaliers  et  les  Templiers  en- 
voyaient treize  navii*es  en  vue  de  Rosette,  mettaient  sept 
bîHiments  égyptiens  en  fnite  et  pillaient  la  rote  jusqu'aux 
environs  d'Alexandrie.  Kn  même  temps  Amaurv  de  Liislgnan. 
seigneui'  de  Chypre,  avec  le  concours  du  Temple  et  de 
THApital.  tentait  nii  débarquement  A  Tîle  de  Tortose  (Ile  di* 
Kouad,,  mais  l'approcht*  de  l'ennemi  le  formait  :*l  s'éloigner. 
Cependant,  â  l'instigation  de  Koiitloukschali,  lieutenant  de 
Irazan,  le  projet  contre  Tortose  ne  tardait  pas  â  être  repris 
'I30r.  Les  Templiers  oc*iMiiȏrPiit  l'Ile  qui  est  en  fare  de  la 
\ille.  ety  eonstruisirent  une  tour  lortiliée  ;  la  venue  d'une 
riitttille  égyptienne,  qui  aborda  Tilc  des  deux  rotés  à  la  fois, 
iibligea  une  l'ois  encore  les  rhevaliers  â  la  retraite.  Assiégés 
dans  la  tour  (2?  oï*tobre  l;ïO;>).  ils  durent  se  rendre  après 
avoir  |»erdn  cinq  eents  arehers  et  trois  cents  hommes 
d'armes  '. 

Ces  éi'hecs.  subis  par  les  chrétiens  iTOrienl  à  leur  [iremièr*' 
tentative   de  rejaemlre  la  Syrie,  s'expliquent  autant  par  le 


I.  ICilhnclit,  liludex  xur  irx  rhitiiers  temps  tiu  rutffiumv  *ie  Jént- 
Kttlrm  lArch.  tic  l' trient  Lutin,  i.  r»'ir-8).  —  Ahol  HéttitiKiil,  MétntiirfK 
Miir  If*  retationii  /mtitii/nejt  des  jirincea  rftrètietiH..,  tntf  /m  emfterfui'n 
Manyols   Mrw.  de  l'Arad.  i\vs  liist-r..  vi  (1822),  :t'.t6-'i69}. 


v^ 


EXPEDITrON   DE  CHARLES  Ï>E  VALOIS. 

manque  d'eusemble  de  leui-s  efforts  (|ue  par  l'insuffisance  des 
forces  déployées.  Mais  ce  fut  surtout  l;i  coiiduito  des  MotigoU 
eux-méiue.s  qui  paralysa  la  tentative  nouvelle  ;  dans  le  premier 
enthousiasme  du  la  victoire  d'Hinis,  on  avait  cru  qvie  Gaznii 
n'avait  qu'à  continuer  su  marche  pour  anéantir  la  puissanc** 
des  Sati'asins  ;  il  n'en  fut  rien  cependant  ;  les  vainqueurs, 
pour  diverses  raisons,  ne  surent  pas  proliter  de  leur  avantajçe, 
et  cette  circonstaiice  permit  aux  Musulmans  d'opposer  aux 
Latins  les  troupes  que  les  hésitations  des  Montfols  rendaieul 
momentanément  snns  emploi  contre  ces  derniers. 

On  ne  Uirda  pas,  dans  Je  Levant,  â  comprendre,  après  la 
victoire,  quo  l'E^'vpto  n'avait  pas  été  frappée  à  mort  ;  l'Occi- 
dent, au  contraire,  â  distance  des  événements,  fut  plus  lent  à 
renoncer  à  l'espéraDce  que  la  défaite  du  soudan  avait  fait 
concevoir.  Au  récit  de  la  halaillc  avaient  succédé  les  nouvelles 
los  jdus  favorables  â  la  cause  des  Latins  ;  Gazan,  allirmait-on. 
fêtait  devenu  chixHien  par  l'inlliience  de  sa  femme,  priticesse 
rhrétienne  ;  il  s'était  *»ni[)aré  du  Caim  et  de  toute  la  S^Tie, 
avait  réintéf^ré  les  Tenipliors  et  les  Hospitaliers  dans  leura 
anciennes  possessions,  et  engageait  le  Saint-Siège  à  envoyer 
en  Palestine  des  troupes  pour  la  reprendi'e.  Ces  bruits 
et  ces  récits  avaient  réveillé  rentliousiasnie.  A  Cîénes, 
cédant  aux  exhortations  de  Kavnioud  Lull,  les  dames  du  plus 
haut  rang  avaient  vendu  leurs  bijoux  pour  équiper  une  escadre, 
et  i'avaieiit  mise  sous  le  comuiaudement  de  lîennit  Zueeharia, 
dont  le  nom  avait  laissé  chez  les  Sairasins  le  souvenir  le 
plus  redoutable  '.  Le  pape  Boniface  viir  avait  renouvelé  l'oppel 
fait  par  ses  prédécesseurs.  (^ir;M'e  â  lui,  grà<'e  aux  ;ipp;u*itinns 
l*réi|uent<'s  d'ambassades  mongoles  eu  Europe  *,  et  aux  négo- 


L  Kiïhricht,  litiidex...,  dans  Art'li.  de  IDrifut  Latin,  t,  ti^ia-nO;  — 
Wilken,  Gfsch.  drr  Kreuzsûgr  vrt,  781  ;  —  Delescluze  [Raymond  LuU. 
dans  Itevuo  des  Peux  Mondes,  x.viv,  536).  Ces  dames  étaient  au  nombre 
de  neuf;  leurs  noms  nuusont  été  conservés,  ainisi  que  ceux  des  quatrn 
capitaines  génois.  —  L'amiral  génois  IL  Zaccharia  avait  joué  un  rôle 
ronsidérable  dans  les  aflaircs  de  Terre  Sainte  nuK  dernières  années 
de  la  domination  latine.  Nous  le  retrouverons  plus  bas  mMé  aux  ])rojol.s 
de  croisade  île  Philippe  le  Uel. 

2.  II  n'entre  pas  dans  le  cadre  de  cette  étude  d'examiner  en  détail 
les  rapports  iliplnmatiqoes  qui  s'établirent  depuis  IJ'iâ.  mais  surtout 
;q)réri  la  chute  d'Vcre,  entre  les  Mongols  et  les  puissanceit  d'Dccidenl, 
Krance.  Kspagnc,  Angleterre,  Allemagne.  V.  sur  ce  point  Hohricht, 
illud^A  ...  p.  65U,  note  81,  ot  .\bel  Itémusat.  Mi'muires...,  possim. 


MARIAGK  DK  CHARLES  DK  VALOIS. 


43 


ciations  toujours  reprises  par  la  cour  de  Rome,  l'enthousiasme 
subsista  longtemps  ;  on  1308  même,  enflammée  par  les  prédi- 
cations dont  l'Kurope  retentissait,  une  masse  considénible  de 
gous  du  peuple  se  rassembla  dans  le  nord  de  la  France,  eu 
belgifjue  el  sur  les  bords  du  Rhin,  pour  marcher  à  la  déli- 
vrance de  la  Terre  Sainte.  On  pouvait  croire  à  un  véritable 
réveil  de  Tesprit  des  croisades  ;  malheureusement  ces  croisés 
{populaires  commirent  laut  d'excès  que  la  papauté  <lut  leur 
i>rdomier  de  rentrer  ilans  leurs  foyers'. 

C'est  vers  la  même  époque,  sous  l'inspiration  du  st*ulimenl 
belliqueux  qui  agitail  alors  toute  l'Europe  chrétienno,  ([u'uii 
prince  français  Charli-s  di-  Vali)iH,  frère  du  roi  IMiilippe  lu 
l:îel,  songea  â  faire  valuir  les  «Imits  qu'il  avait  à  l'euipire  de 
Constantinople.  Ou  séparait  asso^  pou,  en  ce  temps-là,  la 
question  de  l'empire  grec  de  celle  de  la  croisade,  et,  si  quel- 
ques esprits  faisaient  une  distinction,  ils  ne  voyaient  dans  la 
conquête  de  Constantiiiople  qu'une  première  étajtc  à  celle  de 
la  Terre  Sainte  :  on  savait  assez  quels  embarras  les  Grecs 
avaient  suscités  au  développemenl  du  royaume  de  Jérusalem 
pour  être  c(m\aincu  qu'en  commentant  par  les  réduire  (ui 
faciliterait  la  i-epriso  ilo  la  Pab-stine. 

Philippe  de  Courtenay.  empereur  titulaire  de  Byzance,  avait 
en  nmurani  transmis  à  sa  tille  Catln^rine  ses  droits  â  la  cou- 
ronne impériale;  Catherin^  n'était  pas  mariiHs  et  l'appât  d'un 
pareil  héritage  suscita  de  nombreux  j)rétendants  à  sa  main  : 
l'haque  puissance  eut  son  candidat.  Michel  Paléologne,  tils 
i\r  l'empereur  Andronic,  Frwléric  d'Aragon,  frère  <lu  roi 
d'Aragon  Jacques  it,  et  ivd  de  Sicile,  s'étaient  mis  sur  le» 
rangs.  I.a  France  avait  enUimé  (  I  2*M\  de  sérieuses  négociations 
pour  faire  épouser  â  la  princesse  Jacques,  rtls  aine  du  roi  de 
.Majorque',  mais  sans  y  parvenir.  C'est  alors  qu'elle  itroposa 
un  antre  candidat,  le  profiro  fivre  du  r(û,  Charles  de  Valois. 
\euf  de  Marguerite,  Hlle  de  Charles  n  d'Anjou,  qui  venait 
d'obtenir  de  Jac(|ues  ii  le  trône  de  Sicile  pour  prix  de  son 
flésisternent  â  la  couronne  d'Aragon.  La  diplomatie  française 
senti-eniit  activement  pour  faire  ivussir  ce  projet  ;  le  Saint- 
Siège  l'appuya,  â  conditim»  qu'avant  de  conquérir  C^onstanti- 


i.  Kolirirlit,  AVu'/'*x.,.,  p.  (i,*0-l. 
2.  Ix  roi  lie   Majorcjue  était  Jncquos  I  d'Arugon, 
d'Aru^m  AlpliunM.'  n  et  Jaeque>  u. 


unclc  de»  rois 


u 


KXPKDITION  I>K  rilARI.ES  HE   \  AI.OI.S. 


nopl(?,  le  prince  français  tenterait  de  reprendre  la  Sicile. 
puvahie  et  usurpée  par  KW^déric  d'Aragon,  au  mépris  de  la 
iM'ssion  dont  nous  venons  de  parler.  Charles  d'Âiijon,  roi  de 
Na|iles.  oncle  de  Catherine,  dont  la  princesse  avait  promis 
(l'obtenirle  consentement,  se  hAta  d'autoriser  cette  union;  elle 
lui  assurait,  en  effet,  le  serr.iirs  do  la  Fraiiee  <:ontre  l'usurputeur 
du  trône  de  Sicile  et  lui  donnait  l'espoir  de  venger  Robert  de 
Calabre.  battu  et  fait  prisonnier  par  lui.  Le  mariage  fut 
décidé  et  eut  lieu  le  IS  janvier  1301  ;  le  même  jour  Catherine 
abandonnait  â  son  nouvel  époux  1ou.s  ses  droits  :t  l'em- 
pire, et  Charles  de  Valois  se  mettait  sans  retard  en  route 
pour  la  Sicile  '. 

L'expédition  du  prince  français  comptait  quatre  mille  cava- 
liers environ  ;  elle  se  joignit  aux  forces  de  Charles  ir.  prit  terre 
k  Termini  et  assiéjrea  Soiac-ca.  Les  maladies  ne  tardèrent  pas 
k  décimer  les  troupes  ;  malgré  de  sérieux  avantagea  et  beau- 
coup do  valeur  déployée,  Charles  de  Valois,  après  un  an  de 
séjour,  n'avait  fait  aucun  prof:rês  ;  c'est  alors  que  Charles  ii 
«e  décida  â  traiter  avor  Frédério  d'Aragon  ;  cette  résolution 
ruinait  le*ï  dernières  espérances  du  frère  do  Philippe  le  Bol; 
aussi  Charles  de  Valois  se  b;'ita-t-il  de  se  faire  eouiprendre 
tlans  le  traité  de  Caltabellota  f:H  aoftt  L'îft?).  et  d'y  faire 
stipuler  à  son  profit  la  lilierté  de  ramener  son  corps  d'armée 
à  Naples  par  mer  ou  en  suivant  la  roule  de  terre  k  son 
choix*. 

Mais  si  Charles  de  Valoi-*  rernuiçait  à  la  Sicili».  il  n'ahan- 
doinmit  pas  ses  prétentituis  j'i  l'empire  d'Orient:  en  érhaup* 
de  sa  retraite,  il  s'assurait,  dans  son  projet  de  conquête  de 
Constantinople.  rîip|iui  de  Frédéric  d'.\rajiori.  qui  lui  pro- 
mettait (Lîf».'l^  une  Hotti'  do  (luinze  ou  \iiijft  galères,  deux 
cents  cavaliers  soudoyés  pendant  quatre  mois,  et  s'engageait 
en  outrp  à  ne  pas  traiter  avec  Andronic  avant  que  Charles  de 
Valois  n'etH  traité  lui-même'. 


1.  J.A.C.  Ilurhoh.  iitr/itu'rftes  et  matihinux  fuiur  Mcrrir  li  *ntr  hh- 
tuire  lie  In  tlominoUon  frnnnti^e...  tton»  let  prorOtcrii  iti'memftrétK  île 
l'empire  ijrer  ^K'iOl  i.  V.*-7;  —  Haniuii  Munlanor  (étl.  liiichunl,  p.  î05-fi; 
—  Itilil.  niU..  (!o'i.  ï>upuy,  vol.  yf.,  f.  I2I-'J  et  vol.  122.  f.  I'i9. 

2.  R.  Munlaner.  n?dit.  Uuchoii).  p.  'ili-U:  —  Mas  latrie.,  SovteUrs 
preuve»  de  r/tttUure  tle  Chypre,  dans  iJibl.  de  l'Kc.  des  Chai'les,  wxiv 
.I8::i).  p.  4H:  —  Buobon  :  fiech-rvhvit....  \,  48. 

:ï.  Itut'huii.  Herhereftr*.,..  \.  ^H.  dîipW's  Arvb    iia*..  I.  'iio.  ir  7. 


TllinALT   DE   CKPÔV  A    VEMSK.  45 

Ces  promesses  n'étaient  pas  destiuées  à  être  tenues  ;  on  k* 
vit  !nen  quand  la  Conipagnie  Catalane,  sous  leâ  ordres  de 
Roger  do  Fior,  passa  au  service  d'Andronic  avec  l'asseu- 
timent  de  Frédéric.  Dans  l'espril  du  roi  de  Sicile,  elle 
devait  neutraliser  les  plans  du  prétendant  français,  tout 
en  semblant  les  favoriser;  elle  s'était,  il  est  vrai,  déclaré»* 
pour  ce  dernier',  mais  ,il  fallait  peu  connaître  sa  moralité 
pour  n'être  pas  convaincu  qu'elle  ne  prendrait  conseil  que  de 
son  intérêt.  Frédéinc  le  .savait,  et  loin  de  réaliser  le  secours 
consenti,  fit  tous  ses  efforts  pour  ruiner  RGcrètoinent  en  Grèce 
l'induence  do  Charles  de  Valois'. 

Encouragé  par  le  rapport  de  ses  agents,  Charles  de  Valois 
se  décida  à  tenter  la  conquête  de  l'euipire;  Thibaut  de 
Cépoy.  envoyé  (septembrn  \'MH\)  à  Venise,  entraîna  la  répu- 
blique dans  ses  projets.  L'expédition  devait  prendre  la  mer  au 
mois  de  mars  1307;  le  i^ndez-vous  général  était  à  Hrindisi. 
V(»nisu  fournissait,  aux  frais  de  Charles,  les  vaisseaux  néces- 
saires au  transport  des  troupes;  une  Hotte  de  douze  galères, 
destinée  à  assurer  la  sécurité  de  la  uier,  était  armée  à  frais 
communs.  L'année  suivante,  des  dillicultés  survenues  entre 
les  plénipotentiaires  des  deux  parties  contractantes  orapè- 
chèrent  l'exécution  du  traité'.  Cépoy,  cependant,  n'était  pas 
retourné  en  France;  Charles  de  Valois,  persévérant  dans 
ses  desseins*,  <d>tenait  de  ('lément  v  une  dime  en  faveur  de 
l'expédition';  la  mort  même  de  Catherine  de  Courtenaj 
n'arrêta  pas  les  préparatifs  militaires,   et  si  le  prince  per- 

1.  Nous  satons  par  la  correspondance  du  gouverneur  de  Salonique. 
Moiiumakos,  agent  secret  du  parti  rrançais.  (|ue  les  CiitaJans  occupant 
les  forteresses  du  c6t<^  de  Gallipuli,  rcconiiaissuient  Charles  de  Valois 
I«mr  leur  seigneur  (Huchou,  Recherches,..,  i.  i8-y). 

2.  Pliilippe  le  iJel,  en  l3f>H,  éerit  à  Krôiii^rit*  pour  se  plahidre  des 
propos  hostiles  à  (  liarle.s  de  Vului.s  qu'il  avait  tenus  (lloutaric.  Xotices 
et  h'j-trailg  tle  documrnU  ifi^dilH...  xmut  Phitif>/ie  le  Ihl    l'arih;.    IHtil), 

p.  H3-;. 

a.  Itonianin,  Sloria  doeumenttttn  di  Vwieji'a,  m,  «-I0. 

'i.  Tïiihaiit  lie  Cépoy  avait  (|uittt>  l'aris  le  U  septembre  I30ii;  il  ne 
rentra  en  Fniiire  qu'en  !;no.  Le  compte  de  ses  tli'-penses  pendant  ce 
vopge  e.st  dati>  du  TJ  avril  llilUà  Saint-Cliristufle  en  Hallate  (U.  Mun- 
tancr  ledit.  Hucliunt.  p.  4b7-ft.  noiel.  —  l.e  8  août  i:iU7.  (.'Iiarlesde 
Valui^i  faisait  li  Poitiers  avec  .Main  de  Monlendre  un  accoril  relatif  au 
voyage  de  ce  dernier  avec  ses  homme»  darmet»  on  Rouiauic  dîui'hon, 
Hecherches...^  i,  50J. 

5.  Poitiers,  3  juin  1307.  (ÏJibl.  nat..  franc.  4425,  f.  5-y.> 


46 


KXPKMXrON  DE  rHARIJ:s  DE  VALOIS, 


liait  les  droits  qu*il  tenait  de  sa  femme,  11  continua  à  fairo 
valoir  ceux  que  cette  mort  avait  transmis  à  Catherine  de 
Valois,  sa  fille.  C'est  ainsi  quVn  traité  fut  conclu  avec 
UroschiSaint  lî]ticnncii},roideSGrLie,lc'27  mai*s  I308*,conti'fi 
Andronic,  sur  les  bases  d*uiie  alliance  offensive  entre  les  deux 
princes,  et  de  la  cession  par  Charles  de  Valois  de  divers 
territoires  en  Albanie  et  en  Macédoine;  le  pape  renouvela, 
ilnns  le  môme  but.  la  dîme  octntyée  précédemment '.  Pendant 
l'o  temps,  Cépoy,  qu'appuyait  une  flotte  do  dix  galères  et  d'un 
*  lin*  »  levée  â  Venise,  allait  ù  Négrepont  se  metti'e  en  rap- 
ports avec  la  Couipa^^aie  qu'il  se  llaltait  d'attirer  dans  les 
intérrts  du  prétendant  (l31)Sj;  il  se  rapprochait  de  Rocafort 
auquel  les  Catalans  obéissaient,  et  se  faisait,  griice  â  lui,  re- 
{•onnaîrre  comme  leur  clief,  malgré  les  efTorts  contraires  de 
riiifaut  don  Ferrand,  (Ils  du  roi  de  Majorque,  et  agent  du  roi 
de  Sicile.  Mais  la  Compagnie,  ramassis  d'aventuriers  de  na- 
tionalités diverses,  sans  disciplina  et  sans  foi.  cédant  tour  à 
tour  aux  suggestions  de  quiconque  llaltait  ses  intérêts  et  ses 
passions,  faisait  peu  de  cas  de  l'autorité  de  Cépoy,  plus  no- 
minale (jne  l'éelle.  Celui-ci  vit  bientiH,  qu'il  était  impossible 
d'utiliser,  comme  il  l'espérait,  les  senûccs  de  ces  bandes. 
Tout  tiTmblait  devant  les  Catalans,  mais  Cépoy  tremblait 
devant  eux  ;  Rocafort,  qu'ils  lui  livrèrent,  fut  envoyé  à 
Naples  et  enfermé  à  Aversa  par  le  roi  Robert;  ce  coup  de 
main  ne  modiKa  pas  la  situation.  L'escadre  vénitienne  se  retira 


1.  Charles  il«  Valui»  stipulait  8â  neutralité  en  cas  de  conflit  entr*" 
t'rosch  et  !e  prince  lio  Tarente,  son  cousin,  possesseur  d'nnP  partie  de 
l'Etulif.  Le  mariage  lie  7.nri7.ft,  lilledu  mi  serbe,  avec  Charles,  deuxième 
(ils  ilu  comte  de  Valtûs,  étriil  subordonnL^  â  la  rentrtl^e  d't  nxsch  dan» 
le  sein  de  l'^'glise  runiaino.  Ce  traité,  conclu  à  Tabbaye  du  Lys,  prO*s 
4|p  Mcltin,  fui  [wrté  i>ar  une  amba^ade  française  à  l'acceptation 
d'I'rosch  à  Golak-tihilan  en  Macédoine  (25  juiiloi  1308).  H  fut  vidim^ 
Iiar  Philippe  le  Bel  en  décembru  liîia  (Bibl.  de  t'Ec.  des  Chartes, 
XXIV,  115-8,  article  de  J.  Ouîcherat  analysant  le  texte  de  cette 
alliance,  publié  ])ar  M.  Ubicini  dans  les  Mémûire^i  de  la  Société  serbe 
en  1870L 

2.  6  février  1310  (n.  ut.).  ItibL  nat.,  frarit;.  4525.  f.  5-9. 

3.  (c  nom  est  très  commun  au  moyen  âge.  !l  déi>igno  un  navire  â 
rames  dont  les  dimensions  et  la  forme  ne  nous  sont  pas  connues.  Le 
terme  italien  legnù^  origine  du  mot  /m,  n'est  pas  plus  explicite,  car  il 
n'indique  que  la  matière  \boi»)  aveclaquellc  le  bûtiincnt  était  construit. 
(Jal,  Gïoasairf  nauliqite.  93^i). 


KCHEC  DES  PROJKTS  DE  CHARLES  DE  VALOIS.       47 

partiellement;  Cépoy  lui-même,  dégoûté  de  n'arriver  à  aucun 
résultat,  rentra  en  France  (1308-1309)'.  Quant  à  Charles  de 
Valois,  il  conserva  pendant  quelques  années  à  Venise  les  appro- 
visionnements et  les  navires  qu'il  y  avait  fait  réunir  en  vue 
de  la  conquête  de  Tempire  d'Orient*. 


1.  R.  Muntaner  (édit.  Buchon),  p.  467-7i. 

2.  Quand  Jacques  de  Caurroy,  représentant  de  Charles  de  Valois, 
regagna  la  France  (1311),  il  transmit  à  un  Vénitien,  Michel  Alberti,  le 
soin  de  veiller  sur  les  navires  et  approvisionnements,  mandat  dont 
l'avait  chargé  ce  prince.  (Mas  Latrie,  Commerce  et  ExpéditioiM  mili- 
taires de  la  France  et  de  Venise  au  moyen  âge,  p.  62-71.) 


(iuoiqup  la  i"oyauté  fût  restée  éiraagore  à  l'entreprise  de 
('hurles  de  Valois,  Philiiipe  le  Gel.  comprenant  le  parti  qu'elle 
[lourrait  tirer  d'une  restaui'aiioii  lit»  l'empire  de  B^zance  aux 
luaiiis  d'un  prince  de  la  maison  de  France,  avait  encouragé 
les  plans  de  suii  frère.  Avec  tes  aspirations  à  la  monarchie 
universelle  que  Philippe  le  Bel  ue  se  défendait  pas  rie  nourrir, 
la  conquête  de  Constantino|ilcGÛtêtê  un  pas  décisif  dans  cette 
voie.  L'idée  de  marier  Cîiarles  de  Valois  A  l'héritière  des 
empereurs  d'Oricul  «-t  d<;  Taider  à  rentrer  en  possession  de 
son  ht^ritage  avait  élé  suggérée  à  Fliilippe  le  Bel  (vers  \'AÙ\i) 
dans  un  mémoire  qui  lui  prêchaii  les  moyens  d'acquérir  la 
domination  universelle.  Le  roi  de  Franco  avait  profilé  du 
conseil  pour  faire  épousera  son  frère  Catherine  de  Courteuay. 
avec  l'espoir  de  le  faire  régner  un  jour  à  Byzance  '. 

Quel  était  l'inspirateur  d'une  politique  si  élevée?  Un  simple 
avocat  du  roi  à  Coulances,  Pierre  Dubois,  dont  le  nom  de- 
meura inconnu,  mais  dont  TinHueuce  fut  profonde  sur  ses 
eonlemporaius,  ei  surtout  sur  le  roi.  Si  Dubois  ne  fut  appelé  à 
aucune  des  grandes  charges  de  l'état,  s'il  resta  loin  des  hou- 
neurs  et  de  la  l'enommée,  les  services  qu'il  rendit  à  la  royaut*^ 
méritent  d'attirer  ratlentiou  sur  lui.  Il  posséda,  à  uu  uiouieut 
où  il  était  rare,  le  sentiment  de  la  nationalité  ;  ses  efforts 
constants  tendirent  à  assurer  à  la  France  le  pi'ewier  rang  en 
Europe,  et  dans  ce  but  il  ne  s'épargna  pas  pour  exposer  ses 
idées  au  roi  et  les  lui  faire  adopter 


t.  Uout&ric,   La  France  ioui  Philippe  le  Bel,  p.  ^11-3.  Le  mémoire 
de  Dubois  est  inédit  (Uibl.  nat..  Ia(.  6222c). 


CAttACTERK  DES  IDKES  DE  DCBOlS. 

Parmi  los  questions  capitales  dont  la  solution  occupa  \o 
i*^giie  (le  Philippe  le  Bel.  il  en  est  p»'U  auxquelles  Dubois 
resta  étranger;  souvonl  mémo  la  plume  du  polémiste  était 
réquisitionnée  par  lo  roi  pour  préparer  Topiiiion  publique. 
Dévoué  avant  tout  à  la  rojauté,  Dubois  attaqua  en  toute 
occasion  la  noblesse,  le  clergé  et  même  le  Saiut-Siègt»  ;  mais, 
de  boune  foi  dans  ses  attaques,  il  n'avait  eu  vue  que  le  déve- 
loppement du  pouvoir  royal  et  la  yrandeur  île  la  France  '. 

Le  mémoire  fU*.  Dubois  visait  rétablissement  de  la  monarchie 
universcUo  en  faveur  de  la  France  ;  la  question  de  la  conquête  de 
Cohstantinople  n'v  était  abordée  qu'accessoiivment.  I/autenr 
avait  eependaat,  sur  la  politique  orientale,  des  idées  plus 
complétas  ;  il  partiigeait  renthousiasmc  général  que  les  ré- 
cents succès  des  armes  mongoles  avait  suscité  en  Occident; 
il  se  passionnait,  avec  ses  contemporains,  en  faveur  d'une 
intervention  armée  en  Terre  Sainte,  et  subissant  ï'entraine- 
meut  de  l'opinion  publique,  il  se  fit,  dans  mio  série  de  travaux, 
l'interprète  des  sentiments  qui  animaient  la  chrétienté*. 

Les  idées  de  Dubois  ne  sont  pas.  à  proprement  parler, 
personnelles;  il  s'est  assimilé,  pour  les  vuli^ariser,  celles  de 
ses  conlemporains.  Mais  ce  <[m  lui  appartient  en  propre, 
c'est  la  hardiesse  du  théoricien,  la  déliance  coutre  la  cour 
deKome  qui  perce  à  chaque  page,  l'abus  des  citations  etFac- 
curaulation  des  idées  accessoires,  qui  dénotent  le  légiste»  sou- 
vent au  détrinienl  de  la  clarté  de  la  pensée.  C'est  surtout  un 
vil* amour  pour  la  France  et  pour  la  grandeur  de  ses  destinées; 
ce  sentiment  éclate  au  grand  jour  dans  le  traite  De  HecHpe^ 
rtttione  Tepr,r  Smict,r,  qui,  quoique  dédié  au  roi  d'Angleterre, 
met  constamment  en  scène  l^hilippe  le  Del,  n'est  écrit 
que  pour  lui,  et  ne  s'inspire  que  de  la  politique  do  ce  dernier. 


1.  Boutaric.  La  i'ranee  xoiut  Philippe  le  Hel,  p.  41Û-1. 

2.  Ces  pampbipts  uni  iHô  ptililirs.  I.b  pfeniier,  fMi  latin,  conseillo  la 
création  on  Orinnt  d'un  royaunie  puiir  Philippe  !r  bori^;.  Il  a  été  édité 
par  DaUizr  iVitti  poparum  Avmionensittin,  u,  lBfî-y5).  Le  deuxième, 
(^g'nlrmnnt  en  lutin,  rt  dont  la  conipusitiun  tw  rapporte  aux  premicru 
mois  de  l'annép  1:îO'*,  nst  Inlituté:  f/e  Rentpentlione  TfrrtP  Sanctœ 
(éd.  Itongai*:!!,  (ieKta  Dei  per  Francox,  n,  Ul(i-61|.  Il  Giit  très  développé, 
et  est  diVdié  au  rui  d  Arifflclerre.  Kdouunl  i.  M.  l^oiitaric  a  parfaîte- 
incnt  établi  la  Hlialioti  de  eett  mémuire^  dans:  \oiiceit  et  fSxtraits  dt 
dvtTumentâ  inétiili  relalifâ  à  l'hintûire  de  France  xouê  Philippe  le  lieU 
p.  85-y3. 


50 


PROJETS   rtK  PITIIJPPE    LK    BEL. 


Lfis  conseils  douués  par  Dnbois  sont  de  plus  d'une  sorte  ; 
ils  portent  sur  les  réformes  indispensables  dans  l'Rglise  et 
dans  la  sociôtéj   avant  toute  croisaile;   ils   visent  aussi  la 

^  marche  de  rexpédition  projetôe.  mais  avec  moins  d'insis- 
tance, car  l'auteur  n'est  vraiment  â  l'aise  que  sur  le  terrain 
politique,  se  plaisanta  deviner  les  mobiles  auxquels  obéissent 
les  cours  européennes  et  à  les  faire  servir  un  but  qu'il  pn''- 

\  conise.  La  partie  politique,  U»s  réformes  nécessaires,  surtout 
dans  le  domaine  religieux,  le  préoccupent  spécialement  :  c'est 
la  partie  neuve  et  originale  de  son  œuvre. 

IHibois.  pour  éviter  les  difficultés  inhérentes  au  transport 
par  nter  d  nue  grande  tjuantité  ilo  clievaux.  recommande  Ja 
roule  de  terre  ;  Taulorisation,  ilit-il,  de  faire  traverser  aux 
contingents  allemands,  hongrois  el  grecs,  les  états  de  l'em- 
pereur Faléologue  et  des  autres  princes  de  celle  rt'gion, 
sera  facilement  obtenue.  Les  Fram;ais,  les  Anglais,  les  Espa- 
gnols et  les  Italiens  s'embarqueront,  ou  tout  au  moins  ceux 
d'entre  enx  qui  ne  redouteroTit  pas  la  mer.  Mais  ce  point  n'a 
pour  l'auteur  qu'une  iniportanie  secondaire;  du  plan  d'opé- 
rations militaires,  il  ne  dit  rien  ;  à  peine  conseille-t-il  d'em- 
ployer en  Terre  Sainte  les  soldats  suivant  les  aptitudes 
particulières  à  chaque  race,  et  de  mettre  à  la  tête  de  chaque 
cité  un  chef  itiitr  helli),  ayant  sous  ses  ordres  des  lieutenants 
{cettUtrionfs),  â  chacun  desquels  obéiront  huit  escouades  {co- 
/lories)  de  douze  liLinimes  chacune.  Les  préférences  du  con- 
seiller de  Philippe  IV  sont  ailleurs  ;  il  n'est  pas  militaire, 
mais  légiste  et  pamph)étaii*e,  et,  en  cette  qualité,  donne  â 
SOS  préoccupations  favorites  la  place  d'honneur  dans  son 
travail. 

La  discorde  et  la  désorganisation,  selon  Dubois,  i-èguent 
partout  en  Europe  ;  le  siècle  et  le  clergé  sont  en  proie  à 
ces  deux  maux  qui  rendent  impossible  toute  tentative  d'inter- 
vention dans  le  Levant;  c'est  donc  à  les  faire  disparaître  que 
tendront  les  premiers  effort^^.  Ou  C(M^  des  laïques,  la  conçoive 
devra  être  rétablie  parmi  les  princes  clu'étieus,  toujours  en 
querelle  les  uns  contre  les  autres.  N'a-t-on  pas  vu  les  dis- 
sentiments des  Allemands  et  des  Espagnols  paralyser  toute 
tentative  d'expédition?  Ne  sait-on  pas  (jue  les  puissances  ita- 
liennes, Venise,  tténes,  Pise,  les  Etats  Lombards  et  les 
Toscans^  ont,  par  leurs  rivalités,  fait  échouer  Tomvre  de  la 
croisade  #  A  célé  dvs  princes,  il  un  va  do  même  des  parti- 


t 


nKSOBr.AMSATION  DE  LA  ROCTKTE. 


il 


culiers  ;  la  guerre  intérieure  est  partout  ;  un  pareil  état  de 
choses  cessem  à  rondition  d'èdirter  les  peines  les  plus  sé- 
vères contre  ceux  qui  prendront  les  armes,  deronfisquor  leurs 
biens  tït  d'utiliser  leur  humeur  bidliiiucuse  au  profit  de  la 
conquête  des  Lieux  Saints,  en  leur  imposant  la  croisade 
ciininie  expiation  de  leur  désobéissance.  L'Kglise  n'échappe 
pas  au  mal  qui  mine  la  société  laïque  ;  elle  est  desorganisée. 
L'œuvre  du  concile  sera  de  la  réformer  et  de  rt'^tablir  la 
paix  au  sein  du  clergé.  Dulmis,  eiï  ennemi  du  Saint-Siège, 
se  plaît  à  signaler  tous  les  points  faibles  et  le  remède 
qu'il  convient  d'appliquer;  mais  peut-être  un  parti  -pris 
d'hostilité  l*entraiue-t-il  parfois  au  delà  de  la  vérité;  jamais 
il  ne  résiste  au  plaisir  de  dire  sou  fait  au  souverain  pontife. 
Qwoi  qu'il  en  soil,  du  reste,  la  partialité  de  l'auteur  tie  mo- 
difie on  rien  la  vérité  des  conchisions  qu'il  pose,  et  il  a  raison 
d'atfirmer  qu'en  présence  de  la  désorganisation  de  la  société 
religieuse  et  civile,  aucune  expédition  en  Terre  Sainte  ne 
pourra  être  tentée  avant  d'avoir  rétabli  la  paix  et  la  concorde 
dans  l'Eglise  comme  parmi  les  laïques. 

Au  point  de  vue  financier,  les  idées  de  Dubois  nnt  une 
valeur  particulière  ;  il  se  préoccupe  de  créer  des  ressources 
pour  la  croisade,  et  d'assurer,  en  cas  de  succès,  d'ime  façon 
penuanente.  le  service  des  finances  dans  les  territoires  con- 
quis. Ce  sont  d'abord  les  biens  des  ordres  militaires  on  Occi- 
dent qui,  afTermés  et  donnés  en  oniphytéose,  fourniront 
800000  livres  t»«urnois  ]i!ir  an  ;  cette  somme  fera  face  aux 
frais  de  noiis  et  d'approvisionnements  *,  C'est  ensuite  un  quan- 
tième à  prélever  sur  les  biens  des  ecclésiastiques  à  leur  mort 
(1/2  pour  les  cardiiianx.  l/'i  pour  les  clercs,  la  totalité  pour 
les  clercs  morts  sans  avoir  testé).  C'est  enfin  l'abandon,  con- 
senti par  le  Saint-Siège  â  l'ujuvre  de  la  croisade,  de  tous  les 
legs  caducs,  de  toutes  les  restitutions  et  de  toutes  les  res- 
sources sans  affectatinn  spéciale. 

On  est  étonné  de  trouver,  dans  le  mémoire  de  Dubois,  un 


1.  Dubois  proposa  de  réunir  les  ordres  militaires,  réduits  À  leurs 
jiosspssioiis  (le  Terre  Sainte  et  de  Chypre  (H<JipitaIiei's,  Templier», 
l.iunristo-(;,  pour  servir  de  noyau  auK  efTorts  chn'licns;  quelqneii 
luméeii  phu  tanl,  le  procès  des  Tempïiei's  rtaiil  d('*j.'i  résolu,  il  renou- 
vela »a  proposition,  mais  en  exceptant  do  son  projet  Popiire  du  Temple 
pour  lequel  il  n'avait  alorii  que  mi'^pris  rt  colère. 


r^o 


PROJETS  DE   PHlI.tPPK   I.E   HEL 


él^mout  auquel  ses  devauciers  avaient  peu  songé,  la  préoc- 
cupation de  coloniser  le  pays.  Dans  ce  but,  l'auteur  demande 
qu'en  môme  temps  0^110  les  hommes  d'armes,  leurs  femmes 
fassent  partie  du  passage  et  s'établissent  en  Palestine.  Grâce 
à  elles,  l'œuvre  do  colonisation  aura  une  base  solide  et  pourra 
i-éussir.  Enfin,  pour  profiter  de  leur  influence,  on  maintiendra 
le  mariage  des  clercs  en  Orietit.  et  on  développera  les  écoles 
de  filles  et  de  garçons.  Cette  dernière  institution  est  un  reHet 
direct  des  idées  de  Rayinutid  Lnll  ;  Dubois  les  a  reprises  et 
développées  longuement  :  plan  d'éducation  différent  pour  les 
garroas  et  pour  les  îilles  ;  ensei<;;nemcnt  du  grec,  du  latin  et 
de  l'arabe  ;  création  de  deux,  écoles  dans  chaque  prieuré  du 
Temple  ou  de  THôpital,  avec  affectation  des  revenus  a  l'en- 
tretien di»s  écoles  et  des  maîtres,  rien  n'est  omis;  les  ouvrages 
même  à  employer  dans  l'éducation  sont  nnnutieusement  in- 
diqués. Dans  la  pensée  de  l'auteur,  comme  dans  celle  de 
Raymond  Lull,  le  but  principnl  fie  ces  écoles  sera  de  faciliter 
Tunion  des  églises  grecque  et  romaine,  qui  préoccupe  depuis 
des  siècles  le  monde  catlinlique,  en  donnant  à  ceux  qui  de- 
vront tenter  de  la  nègocir'r,  la  pratii|in»  de  la  langue  arabe 
sans  laqaelli'  li'urs  eliorts  resteraient  infructueux. 

Mais  comment  réaliser  de  pareils  projets?  Une  autorité 
seule,  celle  d'un  concile  général,  sera  assez  écoutée  pour  les 
faire  accepter  et  exécuter  par  la  chrétienté;  quidle  autre 
puissance,  en  effet,  saura  mettre  fin  à  la  guerre  (|ui  désole 
l*Kspagne.  attribuer  à  Alphonse,  l'aîné  îles  fils  de  Ferdinand. 
le  royaume  de  Grenade,  au  cadet  le  Portugal,  et  maintenir  à 
l'usurpateur  D.  Juan  U'.  troue  iU\  Castîtle  au  délrimentde  ses 
neveux,  à  charge  d'aider  Alphonse  à  chasser  les  Sairasins 
de  ses  nouveaux  étals?  Qui,  en  deh'us  du  pape,  groupera  les 
rois  d'Aragon,  de  Navarrci  et  do  Majorque  dans  une  mémo 
alliance,  .•^yanl  pour  but  la  conquête  île  Grenadin  en  faveur 
d'Alphonse?  Qui  encore,  après  la  défaite  des  Maures,  en- 
traînera ces  n>is  à  la  croisade,  forcera  U*  Langued»»*  à  lever 
une  armée  assez  forte  pour  conquérir  la  Sardaîgne  à  l'Védéri*! 
d*Aragon,  et  pour  obliger  celui-ci  on  échange  de  la  royauté  de 
cette  ile,  â  rendro  l;t  Sicile  à  son  légilinu*  possesscui-,  b*  roi  ilo 
Naplrs?Qui  décidera  Paléologiu»  et  l'empereur  d'Allemagne 
â  prêter  leur  concimrs  à  l'entreprise?  Le  Sainl-Siégo  peut 
seul  obtenir  de  pareils  résultais,  et  Pidjois,  avec  la  foi  du 
tbénricicii.  u'i'h  doiitt»  pas  un  iiislanl.  Il  distribue  à  sou  grû 


CREATiON  l)  C.N  UOÏALME  CIIRKTIE.N  E.N  ORIENT. 


53 


les  royiUiiiK's  ('t  les  èinin  di'  l'Eiiropo.  Aiisaiit  h  la  France  la. 
paii  la  plus  large,  sans  st*  iloiiler  (jm*  (Il's  rircoiislaiit;t's  im- 
prévnos  poiirrniciii  lioiilovorsor  Iph  combinaisons  sur  l<'S(|uelles 
il  a  èVùyè  ses  projets.  Ça*\U'  conHanco  do  l'auloui*  dans  le 
stircès  de  h»?s  iLèories,  niênie  les  plus  nsêes,  osl  le  i-'araclèrc 
disliiiclif  (les  ouvrages  de  Dubois. 

Ce  caractère  est  plus  luaîiileste  encore  dans  le  projet  do 
Pivation  il'un  royaume  ehrètien  en  Orient,  en  faveur  de  Phi- 
lippe If  Long,  second  tils  du  nii  de  France  (vers  1308  .  On 
comprend  combien  de  diiîicuitès  une  pareille  conception  de- 
vait rencontrer  ;  àenl<Mulre  ranleur,  aucune  n'était  à  ^^(lind^^ 
La  ron(|nête  de  IKirApte  lui  parait  facile,  en  raison  de  la 
situation  gèograpliit^ue  du  pays;  les  cotes  sont  propices  à  un 
débartjuemeni,  el  les  habitants  peu  i*edonlables  au  point  de 
vue  militaire;  ou  rendra  encore  la  t:\cîie  plus  aisée  en  divi- 
sant l'expédition  en  deux  corps  ;  le  piemier,  débîU'tjuant 
d'abord  du  CMÎté  d'Acre,  fera  une  diversion  puissante  ;  les 
iuHdèles  seront  forcés  de  dégarnir  l'Egypte  pour  résister  à 
l'attaque  dos  Chrétiens  en  E^ilestine,  et  la  seconde  année  pro- 
fitem  de  cette  circonslJince  pour  prendre  terre  sans  résistance 
dans  le  Delta  du  Nil.  Une  fois  conquis,  le  pays  n'est  pas 
ditbcile  â  gai'der  ;  ses  revenus,  évalués  à  soixante  niiUe  be- 
nantâ  d'or,  reprêsentiuit  trois  millions  six  cent  mille  tlorîns 
par  an,  sntïîroni  à  faire  vivre  le  nouveau  royaume  ;  l'union 
des  ordres  niililaii'cs,  sous  b*  coiumandemont  suprènie  *lu  roi 
de  Chypre,  crit^ra  aux  portes  de  l'Asie^  Mineure  nue  force 
red-mlable.  avec  la(pielle  les  Suirasins  devront  compter  et 
dont  la  cause  chrétienne  tirera  les  jdiis  grands  avantages, 
louant  aux  biens  des  Templiers,  —  dont  Tautour  rejette  le 
concours  personnel.  —  on  les  appliquera  aux  frais  de  l'expé- 
dition: ils  serviront  à  é(|uip4*r  une  tloU<'  d'une  centaine  de 
voiles,  destinée  ;ï  ruiner,  par  des  ini-ui'sions  répétéi'S,  le  littoral 
de  la  Syrie,  et  à  interrompre  tout  coninterce  entre  l'Occident 
»H  les  pays  musulmans,  an  grand  détriment  <1iî  ces  derniers. 

Ces  vues,  il  est  vrai,  uv  différent  pas  de  celles  que  nous 
avons  vti  émettn*  chaque  fois  qu'une  croisade  a  occupé  Tatten- 
tioit  publique  ;  elles  n'ont,  en  elles-nièine,  rien  d'impraticable, 
mai»  on  sait  t|iirllc  distann-  sépare,  dans  de  pareilles  entre- 
prises, la  théorie  de  la  |)ralique.  Pouss;ini  à  l'extrénn^  les 
romiêqnenees  do  son  projet,  Dubois  n'est  pas  éloigné  decroirû 
qu'en  présence  du  couronnement  de  Philippe  le  Long  par  le 


54 


PROJKTS    l)K    niIl.llM'E    LE 


pape  fommo  roi  d'Acre,  du  Cilin^  d'Kj^ypte  et  de  SjTie,  1«* 
suUtiii  no  préfère  eé<ler  sans  eoinbaL  ù  son  eunemi  les  ter- 
ritoires tlutJl  la  royauté  lui  aura  êlê  conférée.  C'est  là  une 
généreuse  illusion.  Ohji'eti:-t-(iii  ù  Dubois  les  ditticidiès  poli- 
tiques qiu'  suscilrra  l'établissemenl  du  nouveau  royaume,  il  a 
réponse  à  tout.  Philippe  n'a  pas  dr'  droits  à  f:ure  valnjr  pour 
légitimer  sa  confjuête?  Il  se  fera  céder  ceux  ijue  le  comte 
d'Eu  n'exerce  pas  '.  Lo  roi  do  Sicile',  en  échange  d*nne  com- 
pensation pécuniaire,  .sera  heureux  de  renoncer  n  dt*s  piv- 
tentious  rjue  ta  cour  des  barons  de  l'ancien  royaume  de 
Jérusalem  a  rejetées  autrefois';  mais  s*il  refusait  cette  re- 
nonciation, la  promesse  du  royaume  de  Tunis,  voisin  de  la 
Sicile,  finrail  raison  des  hésitations  do  Cliarles  il'Anjou. 
Quant  an  r4ïi  de  Chypi^s  Henri  n.  veuf  et  sans  enfants»  s;Lns 
trésor,  menacé  par  son  frère  Auiaury,  prince  de  Tyr,  dans  la 
possession  de  ses  étals,  et  absorbe  pur  les  pnititpu's  reli- 
gietises.  il  ne  saurait  refiiser  la  grande  maîti'ise  des  ordres 
militaires,  rétablis  vl  réunis  en  sa  favem*;  si  c(*[tetidîint  ce 
prince  uenïrair  pas  dans  les  vues  ilu  rui  de  Kroice,  ou 
ferait  agir  contre  hii,  soit  le  roi  de  Si<-ile.  soit  le  eomie 
d'Ru,  dont  les  revendications  à  la  counnuie  di'  <'liy|»re  enlrai- 
neraient  l'accepialion  de  Henri  ji.  Kntin  ranibiiion  d'Amaury 
de  Tyr.  serait  facilement  apaiséo  par  lu  cession  'l'un  richo 
citmté  en  Palestine. 

De  pan'ils  plans  étaient  irréalisables;  destinés  à  préparer 
roiiinion  prdili(jue,  ilsn'avaienl  pas  un  caraclèr*' prallipu*  suffi- 
sant pour  rlécider  une  intervention  dans  les  cous^mIs  du  ifon- 
vernement.  Le  nu  de  France  le  comprit,  et,  au  milieu  des 
embarras  intérieurs  da  royaume,  .•Hinnir  suite  ne  fui  dntinée 
aux  projeis  âr  Dubois. 

L'idée  d'une  croisade,  cependant,    occupait   toujours  les 


1.  Itaoul  de  Hricnne,  comte  irEti.  connétable  de  Kraiice.  lue  ditns 
un  tDuriii»!  n\  i:U.~».  n'avait  aucun  droit  à  la  cuumtine  île  JêriiKalem  ni 
deriiyprw.  lïjms  l'iirdre  de»  revendications  fanlaisiMcs.  il  aurait  pu 
indirjiier  uni'  parenté  éloîgni?io  avec  Mariude  l.uaigiinn^  sieur  d'Menri  i, 
fi3mmp  de  (îaiilif^r,  comte  de  Rrienne  et  de  .Talla,  et  iievou  du  rui  do 
Jcrusalrni,  Jfan  de  nrieurie, 

2.  Cliarlch  n  d'Anjou,  mi  de  Naples. 

'.i.  Nous  aviins  vu  pluti  haut  que  <'liarles  i  d'Anjou  avait  acheté 
les  droits  de  Marie  ti*.\utiot'lie,  nièce  de  Hugues  m,  au  tnuie  de 
Jérusalem. 


AVIS  DU  GRAND-MAITRE  I>C  TEMPLE. 


DO 


* 


s;  PhilipiR*  le  Bel,  dès  ijim-  l'horizon  p*>lili(iiie  seclair- 
l'issnii  t-n  Fnmn*,  «''lait  \v  jn-fiiii^T  :'t  si-  iirôoccuijer  de  la 
ilupRlion  de  la  Terro  Sainte.  Il  n'avait  pns,  il  est  vrai,  le 
ilcssfin  de  so  ni<'tlro  pi'r.soinitdli'iiK'iit  à  la  tOîtiMh^l'entn^pnse; 
DubiiÎH  lui  avait  fail  roju|nvu(iri'  (iiic  la  prHsencf  du  roi  en 
France  èUiil  in*lispi*nsaMe^;  iiuiiHil  songoait  à  donner  la  direc- 
tion do  la  rndsade  à  un  prince  du  sang  royal. 

Si  la  svn)|)athi»>  t\f  l'Occiiient  m  fav4'iir  dfs  Chrétiens 
dOrieut  iio  st*  ralenlissait  pas,  c'est  aux  HospilalirT.s  (|ii'en 
revenait  l'honnenr  ;  ceux-ci,  eu  ofTet.  par  leurs  appels  ré- 
pètï^s,  entretenaient  l'attention  de  l'Europe,  et  demaudaieiif, 
à  grands  cris  l'appui  des  puissances  oci'identalos  pour  t'omier 
ilans  l'Archipid  nn  ètul)lissenieul  dêtinilif,  bouUîvard  de  la 
chKHieulé  contre  l'islamisme.  Pour  aviser  aux  mesures  à 
prendre.  Clènn.^nt  v  avait  mandé  auprès  de  lui  à  Poitiers 
^1307)  les  *?rands-niaitres  de  l'Hôpital  et  du  Tem])le;  Foulques 
de  Villaret  et  Jacfjnes  de  Molay,  consultés,  avaient  éclairé  le 
pontife  sur  la  situation  en  Orient. 

Molay  se  prononça  eatégorîqnement  poui*  un  passage  géné- 
ral en  Orient,  et  rejeta  absolument  l'envoi  de  renforts  que 
lieaucnup  <*onsi(léraieni  comme  sullisauls'.  Sans  point  d'appui 
en  Asie  Mineure,  disait-il,  puisque  les  enlisés  u'y  possédaient 
plus  ni  ville,  ni  château,  ni  forteresse,  les  secours  isolés  ne 
pouvaient  être  d'iiiiiiinc  utilité;  il  ajnut;iii,  dans  l'hypothèse 
iMi  ils  seraient  fvpé<liés(^n  Arménie  pour  déf'ciidn^  ce  pays  et  en 
faire  la  based'o[M''rati(ms  militaires  ultérieures,  qu'iuu^  pareille 
cnh'i'prisc  norail  (émérairesi  l'armée  de  renfort  n'était  [las  mi- 
niéritpioment  en  étûl  d»*  résister  aux  foires  du  sondan  d'E^'yptê  ; 


1.  Dans  le  ïnénioirc  sur  le  pi*o)ol  de  créution  d'un  royaume  d'Orient 
que  nous  venons  d'iutalyser. 

2.  l/avis  du  grniid-maftro  du  Tcmplo  a  été  édité  par  Italuîo  (Vila 
ftap.  Avinion..  n,  176-H0.\  ainsi  que  le  mémoire  sur  l'union  projetée 
des  ordres  du  Tcmjilp  et  de  riïfSpitiil  (Vila  jmp.  Avininn.^  n,  1K0-5). 
boluzo  ojïsi^ne  à  tort  la  dîiTe  de  l'.Ilt  i\  ces  ilucuments;  ils  se  rap- 
portent roUairirmoint  à  \M)',  coiiuno  l'a  rciiuirqué  Hotitan'c  (Clément 
V,  Phih'fipfl  te  lietrt  k*  Trmpli'rrXy  p.  S5i.  On  pHut  menu^  assigner 
au  prrniifT  denlrc  eux  uuc  ihilc  aritérietiriN  >ti  l'on  observe  rpuî  Roger 
de  l,oria,  oiti^  dans  ce  im^muire,  inonnit  nn  t:ior..  Il  ho  peut  repeudant 
que  la  mort  de  l'aniiral,  survrnne  à  Valetire  où  il  vivait  dans  la  re- 
traito.  ait  (^n'-liinnituie  i*n  i:t07  ;i  Mulay  ;  il  ^'^t  pUis  [)roIiîi.bIe  que  l'envol 
du  inémoiiv  au  pa|>e  précéda  de  quelques  moi»  la  venue  du  griuid- 
maitro  à  Poitjrr». 


56 


PROJETS   DE    PHILIPPE    LE   BEL 


ce  qui  était  eu  fait  n^venir  au  projet  d'un  passage  général.  Il  in- 
sistait eufin  sur  les  iueonvénienîsfrnn  iléharijueiiuMit  on  Armé- 
nie: dangers  du  climat  ',  impossibilité  de  faire  la  gnr'rri^  à  côlé 
des  troupes  indigènes  ([ui  ont  un  iuod(*  de  eomballre  tout  difle- 
reul  d(*  celui  des  Occiilont^ux.  et  surtout  défiance  des  popula- 
tions à  l'égard  des  «  Kranrs  »'.  QtianI  aux  voies  et  moyens  à 
suivre  pour  riîXpêdition,  J;u'i[nes  de  Molay  demandait  le  con- 
cours dos  rois  d<!  Kram-e,  d'Arjgleterre,  d'Allemagne,  d<^ 
Sicile.  d'Aragon  et.  de  raslilk-,  et  imur  It»  transport  des  Iroupes 
par  mer,  celui  des  puissaiicus  marilinu's  italiennes;  mais 
il  recommandait  spécialement  l'usage  de  grands  bàliinejits, 
]>rén''riibli's  aux  galérrs  et  moins  eliers  qu'elli-s.  L'efftxtif  de 
larmée  cliréiicnui'  devait  se  composer  d'an  moins  quinze 
mille  hommes  d'armes  et  cinquante  mille  fantassins;  cette 
évaluation  n-posail  sur  d*'s  bases  eiuprnnléï's  à  rrq>iriion  du 
sulUin  Hibars,  {\\u  d<'s  meilleurs  boiinm-s  de  gni-rn-  que  les 
Musuluums  aient  (m  à  leur  tête*.  La  question  du  débarqiie- 
nienl  îles  croisés,  d'une  importance  capitale,  uiérilaii  d'être 
discutée  de  vive  voix  ;  mais,  quel  que  fût  le  point  désigné 
poiu-  cette  opération,  un  repos  préalable  de  quelques  jours  à 
Chypre  ne  pouvait  offrir  que  de  sérieux  avantag«:'s.  Legrand- 
niaitre,  en  outre,  conseilhiit,  avant  le  passagi'  général, 
d'envoyer  une  escadre  <le  dix  galères  dans  les  ennx  de  Chypri-, 
sous  le  couunandomrfit  d'un  amiral  éprouvé;  elle  dt^vait  tenir 
la  mer  et  arrêter  les  m;ir(li;inds  chrétiens  qui  ne  craignaient 
pas,  au  mépris  des  prolùbilions  les  plus  solennelles,  de  com- 
mercer avec  les  infidèles  et  de  leur  l'ournir  les  armes  el  lus 
bois  dont  ceux-ci  manquaient.  Le  commandement  de.  cette 
llottilU^  ne  jionvait  être  attribué  aux  cbel'"<  di's  (U*di*es  mili- 
t-aires  sans  danger  d'allii'er  sur  eux  le  ressonlimeut  des  répu- 
bliques de  Gènes  et  de  Venise,  partictdièreiuent  intéressées 


1.  Cette  observation  a  toujours  été  faite  contre  l'Arménie  au  moyen 
Age. 

2.  «  Si  Kr:\nci  ei>»ent  in  Arnienia  vt  indigerrnt  rvfuiiçio,  Anneni  non 
"  receptapcnteus  in  aliquoca.slro  v«l  fortalitia  sua,  quia somperUubiîa- 
a  verunt  etilubilant  no  Kranri  auferanleis  terram  »  (ItaluKo,  ViOt  pnp. 
Avinion.,  u.  177). 

il.  llibar»  (1261-1277)  dit&ait  qu'il  était  eu  mesure  de  r(''sisior  à  (rente 
mille  Tartart's.  mais  qu'il  cc'ilfrail  le  i-lmmp  de  bataille  h  une  armée 
de  f|iiinze  mille  hommes  ti'arnifs  chrétiens  (Haliue,  Vt'fn  pttp. 
Avinion.j  u,  178;. 


KLSION  DES  OKl>RKS  Mll.ITAÎRKS. 

au  développement  de  la  controh.inile  de  ^^u[>rre  avec  I<*s  Sar- 
rasins. Lo  iioin  de  l'amirul  aragoiiaïs  Roger  de  Loria\ 
universellement  célèbre  en  Eurnpe,  semblait  rallier  tous  les 
suffrages  et  faire  tomber  touUîs  le.s  obje<*tions.  Loria  avait 
toutes  les  qualités  d'un  chef  d'(»scadre,  et  pîirticuliêreraeut  l'in- 
dépeudauce  du  caractère;  car.  dans  la  relnute  (ji"!  il  vivait,  il 
était  également  hostile  auK  cours  de  Naples,  de  Païenne  et 
il'Aragon.  Jacques  de  Molay  proposait  au  souverain  pontife' 
de  lui  confier  la  direction  des  opérations  maritimos, 

En  même  leuips,  le  moine  Hajloii,  île  la  famille  des  princes 
de  Liiuipriin.  en  Arménie,  présentait  à  Clément  v  à  Poiticr» 
(août  1307)  y  Histoire  des  Tar(arrs,  ([uil  venait  de  composer  à 
l'insligatiou  du  pape,  et  dans  la(|iielle,  à  côté  de  ce  qu'il 
savait  des  mœurs  et  des  actions  de  ces  peuples,  il  donnait  au 
Saint-Siège  le  conseil  d'anafitier  les  infidèles  en  s'appuyant 
»ur  les  Tartares  ei  en  prenant  lerre  eu  Arménie,  Un  pan^il 
avis,  dont  les  conclusions  étaient  contraires  à  celles  quo  le 
pontife  avait  déjà  recueillies,  ne  rencimtra  que  peu  de  par- 
tisans; le  débartpiement  on  Arménie  offrait  trop  de  drtngers 
pour  être  fulopté*. 

l'ne  autre  question  préoccupait,  au  mémo  momeiil,  l'Kurope 
chrétienne,  celle  de  la  fusion  des  ordres  nulilairos.  Saint 
Louis,  Grégoire  x  nu  mucilc  rlr  I-y<iii  (Ï"J74).  Charles  n  do 
Sicih^  avaient  songé  à  cette  mesure;  Nicolas  iv  et  liuniface  viii 
l'avaient  étudiée  sans  raccomplir  '  ;  Dubois  l'avait  transformée 
nn  proposant  d'appliquer  à  l'œuvre  de  TeiTe  Sainte  les  re- 
venus dont  ces  riches  associations  jouissaient  eu  Occident'. 
Loj*  meilleurs  esprits  croyaient  qu'on  agirait  utilement  eu 
muiissiinl  les  deux  principaux  ordres  institués  pour  la  rlé- 
feuse  de  la  Terre  Sainle.  On  les   ;ivait  vu-^.  obéissant  à  une 


1.  Là  carrière  de  Itoger  (îr  U)rin.  à  la  \ùtv  dos  flottes  d'Aragon, 
pendant  ks  viujit  di^niièios  auiu'-es  du  \ui«  siècle,  fut  des  plus 
brillantes.  Tour  à  tuur  il  triuinphu  dus  Angevins  de  Naplrs,  des  Kraiicais 
en  Catalogue  n  sur  les  cûIl's  du  Laufcuedoc,  cl  des  Sicilitius  cri  1302. 
Apr6»  la  paix  de  ('altabcllottu,  il  m  retira  à  Valence  on  K!spa)foc;  il  y 
niuurut  en  KiO<î. 

2.  te  mt^moire  a  été  ri>sumé  par  Vcriot,  Jiintmte  den  Chevalirrs  de 
Maitf  (Od.  de  I"8|  n,  5.'>-T. 

3.  Le  lecteur  tnjuvora  plus  bas,  au  chapitre  suivant,  re  qui  nui- 
cepue  les  projeta  d'H.tytou. 

\.  Voir  plus  haut  le  cliapitrc  i,  pages  17-8. 
5.  Voir  plus  haut,  page  51. 


PROJETS  DK   PlïJMPPE   LE   BEL. 


direction  différente,  compromettre  par  leurs  divisions  le  salut 
des  possessions  chrétiennes  dans  le  Levant;  on  sotipronnait 
même  la  loyauté  cl  la  fiiiélité  il<*s  Ti'inpliiTs,  et  la  rivalité  des 
d<Mix  niilit'es  avait  pris  de  telles  proportions  (iii'il  semblait 
urgent  d'aviser.  Clément  v,  sollicité  de  toutes  parts,  ii'igno- 
rani  pas  le^  pn»jetH  de  spoliatimi  nourris  par  Philippe  le  Bel 
ri>]itre  le  Temple,  consulta  Jacfpies  de  Molay  surTopportu- 
nité  de  cette  fusion  {Ï307}.  Le  grand-maître,  comme  on 
devait  le  prévoir,  si*  déclara  hostile  à  Inute  tentative  en  Ce 
sens,  mais  I(>s  raisons  t|u'i!  Hl  valoir  était-ut  loin  ^l'être  déci- 
Hives  :  il  craignait  les  rouHiis  que  ne  nui]ii|ueraient  pas  de 
faire  naître  la  différence  des  deux  règles,  la  ijucstion  de 
|)réséance  entre  les  meuihres  des  deux  religions,  les  rivalités 
dont  les  effets  désastreux  s'étaient  maintes  fois  déjà  mani- 
festés ;  tout  bien  pesé,  il  déclarait  que  les  inconvénients  d'un 
nouvel  état  de  choses  seraient  supérieiu's  aux  avantages 
espérés.  Kn  ce  qui  touchait  le  bétiélice  qu'un  rapprochement 
entre  les  deux  ordres  pouvait  procurer  à  la  chrétienté  dîins 
sa  lutte  contres  les  Musninians,  h*  uiéniuire  de  Jacques  de 
Molay  restait  mnet.  (_^léiuent  v  ne  décida  rien  ;  mais  le  roi 
ih'  l'Vance  se  chargea  bientôt,  en  arrachant  au  SainlrSiège 
l'aholition  des  Templiers,  de  donner  à  cette  question  une  sohi- 
tion  sans  réplique  V 

Le  gi'and-maîlre  de  lHôpilal  avait,  en  présence  du  suinl- 
pére,  très  vivement  insisté  sur  Turgence  de  secourir  la  Terre 
Sainte  ;  il  avait  montré  fpH-  les  Hns[)italiprs  restaient  seuls 
dans  le  Levant  à  dcfendn'  la  ratisi^  eatholique  e1  ;ï  donner  aux 
populations  chrétieimes  un  point  d'appui  et  de  résistance 
«■outre  It's  infidèles  ;  qu'il  fallait  encoiu'ager  leurs  ofTuts  et 
leur  fournir  le  iu< «yen  rlo  n-ntrer  en  Pîtlestîno.  C'est  pour 
répondro  h  ces  snljicîtations  qu'à  deux  reprises  (0  juin  i\l 
27  octobre  1309)  Cléinent  v  exhorta  Philipi^e  le  Btd  :\ 
pixmdre  la  cndx*.  et  que  les  rois  d'Aragon  etd'Auyleterre  pci- 
mirent  aux  grands-nuuti*es  du  Temple  et  de  l'Hôpital  de  tirt»r 
lie  leurs  états  les  armes,  chevaux,  mïitel()1s  et  approvision- 
iienu*nts  nécessaires  à  l'expédii  ion  projcté<M  1 3011  V  Kmouragé 


1.  Huluxe.    Vitit  pap.   Avinion*^  U,   lHO-5  ;  —  Vertol,  //isluùr  ticx 
flhfvnfitrrs  de  MnUv,  ii,  5»-6*i. 

2.  Bulles  t  Mtor  Iuhî  •  ot  i  In  a'tcmilBlPs  perpétuas  t,  dans  Bnlu£(^ 
X'ila  ftap.  Avinion.t  u,  l'^y^t  I  ifi. 

J.  l).  M.  V.  de  .NavaiTCte,  DiserUmon  ftixtoriva  tobre  /«  pttrlc  tfue 


PREPARATIFS  DU  GRAND-MAITRE  DE  1.  HOPITAL. 


59 


' 


par  ces  premitM's  résultais,  Foulques  rk»  Villaret  pousse  acli- 
vomuul  k's  [irêpaïutifs  do  la  croisjuit';  lous  ks  porls  de*  la 
[édilerranée  coaslniisont  des  galères  pour  k*  passage  ;  ce 
sont  cin)|uanto  vaisseaux  qn(î  fourniront  les  chantiers  du  la 
Oatalfifiuc.  fU'  Narhonne.  de  Mars(»ill(%  do  Gènes,  de  Pi»e  ot 
de  Venise,  Kn  outre,  avant  la  Hotte,  une  escaiïre,  eompospe 
d'une  dizaine  de  voiles,  sera  on  mesure  de  prendi*e  la  mur  et 
de  préparer  l'an'ivée  des  croisés.  Des  chevaux  ont  été  achetés 
eu  Kspajjue;  la  Sicile,  l'Apiilif,  la  Provence  et  la  Catalogne 
ont  fourni  des  approvisionnements,  des  armes  et  des  hommes; 
cinq  cents  frères  de  THôpital  sont  convoqués  à  Avignon  pour 
passer  en  Orient  avec  la  croisade  ;  Tordre  a  pris  dos  en- 
gagements pécuniaires  puui'  faire  face  aux  d*îpenses  de 
rexpêditionV 

Fendant  ce  k^mps  le  concilia  de  Vienne  se  réunit  (1:111). 
C'est  lui  qui  doit  proclamer  la  croisade  ;  pour  s'éclairer  sur 
l'état  do  la  Palesline  et  sur  la  nicilleure  direction  à  donner 
à  l'iMitreprise,  pour  guider  ses  iléliliéivitinns,  il  s'est  en- 
D»iu*é  des  avis  les  plus  couipétenls.  HuïHauiiie  do  Nogaret, 
le  conseilhîr  le  plus  écouté  de  Philijjpe  le  Bel,  a  ré- 
digé un  nu'*nioire  dans  lequel  il  a  envisagé  la  possibilité 
dv  rexpéditioii,  et  les  ressources  pécuniaires  qu'eîle  exif^e  ; 
le  roi  de  Chypre,  do  son  côté,  s'est  expliqué  sur  la  marche 
den  opérations  militaires  et  maritimes  avec  une  précision 
rniniilicjise.  mettant  ainsi  les  prélats  eu  mesure  de  se  pro- 
noncer en  complète  cunnaissance  fie  cause. 

Nogaret,  inlerprêtï*  des  senlimiMils  du  roi  d<>  Krauce,  do- 
manile  la  suppression  dos  Templiers,  cause  de  tous  les 
tualheurt  d''Hitre-intM\  la  direction  supième  de  l'iMidi^prist' 
pour  Philippe  h'  Hid,  et  la  fixali«ui  de  celle-ci  à  une  èpcjque 
a-isez  éltdguée  pour  qtie  les  préparatifs  nécessaires  puissent 
avoir  été  faits.  La  tâche,  dil-il,  est  plus  diHîeilo  (pinn  ne  le 
croil  généralement;  les  Sarrasins  snut  d'une  valeur  éprouvée; 


li'turron  lu<  /-^sfiniuilfs  en  Ihm  ifwrrutc  tic  VHramar...  dans  :  Mouioria» 
df  la  It.  A**,  de  la  llihtoria  (Mailrid,  IKïTi,  v,  p.  .i^i:  —  S.  Pauli:  Cotttce 
fiijtUimaUco  tlciêmru  itntH'ir  ordine  GerosulîmitaHO  (Lucque».  I73i*-7t, 

u.  2'i-a. 

1.  2T  janvier  [t:n  1],  PihC.  Lettre  du  grand-niaitro  i^  PhilipiM»  le  lï<"I  ; 
ce  Ucrni'T  nViait  plaint  di*  n'etit»  p.n  Hmui  au  courant  des  prt''paratifs 
(\rcli.  nat.,  J,  V'i2,  n»»  l.'ij.  V.  Piéros  justilicaiivr;;.  n-*  i, 


60  PRdJKTS  IJK   PinUl'l'K  ht:   bki.. 

î!s  sont  niîiiti'os  de  touto  la  Palestine,  ol  los  nègociauls 
Hin'uions  qui  coinnicrcout  avt.'c  eux  leur  ont  fourni  los  ai'nies 
ri  h's  appriivisinimeiiiciiis  (loiit  ils  niamniîiU'nt.  Pour  Lriouw 
pher  do.  pareils  eutiomis,  la  chi'ètiouté  devra  rcdoubirr 
d'(»fiorls,  ot,  rodovonuo  maîtresse  des  Lieux  Saints,  ne  rien 
nt*'gli^fr  ]MH,ir  main'pjiir  sos  avanlairos,  t'(jmbler  les  vides 
causés  dans  ses  rai]y:s  par  la  lualudi*.'  et  la  uiorl,  et  créer  des 
ressources  pour  soutenir  sa  couquètt)  pendant  do  longues 
années.  Los  fonds  nécossaires  à  rex[)éditioji  sm-ont  faiis  par 
une  conUilmiion  lovéi*  on  Kranec,  dans  et!  hiil.  sons  la 
suneillance  royale,  par  l'afffctalion  des  biens  du  Temple  à 
Tffiuvre  de  la  croisade,  par  les  revenus  des  autres  ordres 
militaires,  excédant  les  besoins  de  leurs  communanlés  res- 
pectives, et  par  une  imposition  mise  sur  TEglise  entière. 
On  attribn<Ta  égalpm(ml  à  la  croisade  les  revenus  des 
prieurés,  des  bêiiélices  4lans  lesquels  le  culte  n'est  pas  célébi*ê 
et  ceux  des  monastères  oil  l'hospitalité  n'absorbe  pas  tous 
les  fonds  qui  lui  sontdestiiiés;  onûn,  dans  toute?  la  chrétienté. 
tous  les  legs  faits  à  l'Eglise  sans  désignalion  spéciale,  les 
revenus  d'un  eanonical  par  diocèse,  et  ceux  des  Ijénéfices 
vacants  pendant  la  pretniêro  année  de  la  vacance,  seront 
consacrés  à  aiigmejUi-r  les  ressources  fournies  par  les  indul- 
gences, le  rachat  des  vœux  et  toutes  les  mesures  dont  Nogiu-et 
s'est  fait  riuspirateiu"  '. 

Les  considérations  politiques  sont  à  p(>ine  ettleurées  dans 
le  mémoire  d*'  Nogarel.  Alliance  avec  les  Tartares,  dénuu*ches 
à  tenter  anprès  de  IVniipereur  grec  pour  obtenir  sou  concours, 
négociai  ions  avec  les  cités  ilalienues  pour  i|u'elles  ne  soient 
pas  un  oMibaiTas  ou  nu  obstacle  à  l'expi^dilinu.  sont  li's  seuls 
points  qu(»  Nogaret  signale  ;  mais  il  iusisK?  à  plusieurs  nqnisrs 
pour  demander  au  concile  d'allribuer  à  Philippe  hi  Bel  la 
levw  des  impots  nouveaux  et  ladminislration  di's  fomls  re- 
cueillis en  vue  de  la  croisade.  Cette  insistiiucc  marque-t-elle 

1.  Iloutaric,  Xntififii  ri  E'^ttniitx  de  tioirmuettts  irn^ttils  relatifs  à 
i'/itêlinrr  iJf  Frnnve  9uhx  HiHipfn'  ff  fiel,  ji.  Il7-2:t.  Ce  luémoiro  a 
i^tê  analyw*  ou  <pielques  lignes  ])ar  M»s  Latrir  (/fisluirc  tir  ("hijjtre,  u, 
l*JK-îi).  I.n  rnrini'  uuteiir  n  résumé,  en  qiiflqiics  mots,  un  mémoire  do 
IWMiuit  ÏCarrhariii,  amiral  de  Kninc*',  mai>  et'  mt^moiro  n'a  pus  trîiit, 
l'oinnic  I*a  rru  Mas  Latrie,  »  la  fi*t)isadt'.  mais  à  un  projet  do  débar- 
ijucment  (NI  An^riotcrre.  Ceci  explique  pourquoi  ii»us  n'uvuns  pas  à 
nous  on  occujhîp  ici. 


OPINION  DU  ROr  DK  CHYPRE. 


«l 


les  %Tai3  sentiments  do  Philippe  lo  Bel,  moins  rtésiroux  de 
prondn»  la  croix  (|un  d'avoir  eniiv  les  mains  des  finanr<s 
considérables,  dont  il  puunait.  dans  la  suite,  disposer  à  son 

L'avis  du  roi  do  Chypre  ent  celui  H'ini  lioinnie  do  guerre; 
avw  Nogaret,  nous  avons  vu  comuioiit  la  tToisadc  devait 
i^lre  prêparôp;  Henri  ii  nous  indique  comment  elle  de^Ta  être 
conduite'.  Comme  Foulijues  do  Villaret,  et  jjour  les  mêmes 
niisoiis.  il  flemande  )|u'une  escadre,  forte  de  quinze  à  vingt 
navires,  portant  un  corps  de  débarquement  composé  surtout 
d'arbalétriers,  précède  l'expéHittdn  principîde.  Lo  rùle  de 
(M*tle  avant-gai'do  sera  considérable  ;  elle  empêchera  les  faux 
chrétiens,  qui  ne  craignent  pas  de  fournir  aux  Musulmans 
leurs  meilleurs  soldats,  le  buis,  le  fer,  la  poix  et  les  vi^TOs 
druit  ils  ont  iiesoin.  de  continuer  ce  commerce  sacrilège"; 
par  des  incursions  répétées  sur  les  cAtes  de  Syrie  et  d'Egyptp 
«die  IVra  le  plus  grand  mal  aux  infidèles.  Le  roi  de  Chypre, 
par  son  expérience  personnelle,  sait  quels  donimages  on  peut 
d*»  la  sort*^  leur  intliger,  et  (wtime  qu'une  pareille  croisière, 
maintimuo  pendant  quelques  années,  suffirait  à  ruiner  abso- 
lumiMit  l'Egypto  ;  mais,  pom*  réussir,  l'escadre  <U^\vii  être 
indépendante;  la  moindre  attache  avec  les  républiques  mari- 
times dt^  l'Italie  lui  ôterait  toute  liberté  d)'  iiioiivemerits  et 
compromettrait  le  succès. 

Le  terrain  préparé,  l'expédition  principale  mettra  à  la  voile 
û  ilestinalitm  de  Chypre,  s'y  reposera  quelques  jours,  et 
n^preiidra  la  mer  en  route  pour  l'Egypte.  Cette  halte  n'aura 
que  «les  avantages,  car  elle  pei-tiiettra  à  rarmé<'  de  se  com- 
pléter, de  refcn'iner  ses  cadres  à  l'abri  de  tout  danger,  de  .se 
renforcer  des  contingents  chypriotes,  sans  que  le  soudan 
puisse  deviner  sou  objeclif.  Chypn»,  en  effet,  est  un  point 


1.  Le  mémoire  du  roi  de  Chypre  fut  apporté  avi  twiciic  par  Jacques 
de  Cusiatis,  chanoine  dWncone,  et  Simon  de  (armadino.  Il  est  Mit«^ 
Mas  Latrie,  Histoire  de  Chypre,  n,  118-25. 

E.  t>  point  fait  l'objet  des  n'criminations  de  tous  ceux  qui  ont  eu 
'oro^on  de  se  pnmoncer  sur  'Ion  conditions  d'une  îutepvontion  chré- 
tienne en  Orient.  Malgré  des  prohibitions  rt^pêlées,  ce  commerce  con- 
tinua à  se  fairo  onvcrtcntftnt.  Menri  n  diuu;inrîo,  ici  mùme,  l'aggra* 
vallon  des  peines  pnicéthMnniont  édictées  contre  les  muli  chriJitinni 
par  l'autorité  |>ontificale.  V.  Miis  Latrie,  //istoire  <te  Chypre^  ii. 
l'J5-8. 


PROJETS  DB  PHrLIDPE  LK  BEI.. 

rentrai  d'où  elle  pouira  se  diriger  aussi  bieu  vers  rArménio 
et  la  Syrir*  que  vers  l'Efry|ito.  DôbiannuM*  on  Artnénio  serait 
une  fautfî  capitale  ;  le  climat  y  est  fatal  aux  Européens,  et 
une  marche  par  terre  d'Arménie  en  Syrie  présenterait  des 
flifficultés  <\o  toutes  sortes  ;  à  plus  forte  niison.  si  les  ChrétiMns 
VDulnicni,  par  cette  vùi»,  marcher  directement  sur  le  Caire, 
les  obstriï'les  deviendraient  insurmontables.  Le  dèbarquemeiit 
en  Syrio  n'd^Trirait  jjas.  il  est  vrai,  les  mémos  iui-niivéuicnts. 
mais  il  priverai!  rariaée  des  avanla^rs  ((u'idle  ln>uvt»i'a  ou 
preuaul  terre  en  Egypte.  Pourquoi,  eu  effet,  envahir  la 
Syiûe,  lijrsqiie  les  Tartanes,  liuiilrf)|ihps  de  celte  province, 
peuvent,  par  nue  simple  prise  d'ai'mos,  immobiliser  toutes  les 
forces  musulmanes  de  Palestine,  et,  en  se  joignant  à  une 
démoaslratioi)  parti*'  de  Chypre,  empêcher  les  garnisons 
syriennes  de  secourir  l'Egypte  menacée?  Si  les  CJirétiens 
débarquent  cm  Syrie,  le  secours  des  Tari  ares  devient  moins 
efficace,  le  simdau  rappelle  ses  troupes  d'Egyptr,  et  se  trouve 
à  la  tète  de  toutes  sos  forces,  massées  eu  une  seule  armée, 
pour  résister  à  l'invasion.  En  Egypte,  au  contraire,  la  croi- 
sade trouvera  des  subsistances  et  un  pays  fertile.  Victorieuse, 
elle  aura  les  vents  propices  pour  gagner  la  Syrie  en  cinq  ou 
six  jours;  le  plus  fort  de  sa  tàclio  sera  accompli,  et,  l'Egypte 
conquise,  la  résistance  de  la  S^xie  ne  sera  pas  redoutable. 
Le  Soudan,  en  effet,  n'a  jamais  eu  plus  de  soixante  mille 
hcirnnies  dans  ce  pays,  dont  un  tiers  seulement  de  bonnes 
troupes;  les  guerres  fréqueutivs  qu'il  a  eu  à  soutenir  contre 
les  Tartares  ont  beaucoup  diminué  cet  effectif,  et  la  force  des 
contingents  musulmans  est  très  inférieure  au  chiffre  énoncé 
ici.  L'Egypte  de\Ta  donc  être  prise  comme  r»bjectif  de  la 
croisade.  L'opinion  de  Henri  ii  conlirmait,  avec  l'autorité  de 
l'expérience  et  du  raisouiiemeiit  le  plus  rigoureux,  les  vues 
émises  depuis  uu  demi  siècle  jtar  le^*  hommes  qui  avaient  eu 
occasion  de  donner  leur  avis  sur  la  route  à  tracer  aux  croisé.s. 
Ces  avis,  dans  leurs  lignes  princtpalrs.  tlifféraii'ut  peu  les 
uns  des  autres.  Il  n'en  fut  pas  de  itièiuu  du  pmjel  de  Guil- 
laume d'Adam;  Tauteur,  un  dominicain  dont  l'existence  fut 
consacrée  à  prêcher  l'évangile  en  Orient  jusque  lîans  l'Inde 
et  TEthiopte,  et  (pii  fut  lart'hevéfpie  d<'  Sultanitdi,  dédia  à 
Raymond  Guillaume  de  Farges,  ciU'dinal  de  Sainte  Marie 
Nouvelle  (I3I0-I314),  son  mémoire  Demodo  Sarramwsfjtir- 
pandi.  C'est,  avec  l'oeuvre  de  Fidence  de  Padoue,  le  pmjet  le 


MÉMOIRE  D£  GUILLAUME  d'aDAM.  63 

plus  détaillé  qui  nous  soit  parvenu  ;  mais  les  vues  émises  dif- 
fèrent tellement  de  celles  qui  avaient  cours  au  commencement 
du  XIV*  siècle,  qu'elles  ne  durent  pas  faire  sur  l'esprit  public 
une  impression  profonde.  Guillaume  d'Adam  demandait  que  la 
croisade,  au  lieu  de  s'embarquer,  suivit  la  route  de  terre  et 
conquît  Conatantinople  en  passant;  il  insistait  aussi  pour 
(ju'on  eût  sur  le  golfe  Persique  une  marine  destinée  à  ruiner 
le  commerce  de  Flnde  avec  l'Egypte.  Ces  idées  étaient  trop 
nouvelles  pour  être  comprises.  La  première,  cependant,  fit 
son  chemin,  et  quinze  ans  plus  tard  elle  reparaissait  avec  plus 
de  force  et  d'autorité  ;  quant  à  la  seconde,  elle  était  trop 
hardie  et  d'une  trop  haute  portée  politique  et  commerciale 
pour  attirer  l'attention  *. 

Le  concile,  éclairé  par  les  docunents  qui  lui  furent  soumis, 
proclama  la  croisade  et  vota  l'établissement  d'une  dîme 
pendant  six  ans  pour  faire  face  aux  frais  de  l'expédition 
(19  décembre  1312)». 


1 .  Sur  Guillaume  d'Adam,  voir  le  chapitre  suivant. 

2.  Bibl.  nat.,  franc.  4425,  f.  202-7. 


QiK'lquPs-iins  ries  jtrnjets  de  croisade  êclos  au  commonce- 
iiK'iii  tlu  xiY"  sièclo  niéritout,  par  la  inniveauté  et  l'origi- 
iialKé  de  leurs  vues,  une  attentiijn  particulière.  Si  Raymond 
Liili  avait  rêvé  la  c<in(|Ut>U>  de  la  Trrn.'  Sainte  par  Ift  dé- 
vcJitppement  ik-  lu  civilisation  ouropecnuc  en  Orient  ;  si 
Miirinn  Sanudo  avait  préconisé  le  blocus  commercial  de 
l'Kpypte  i>our  ruiner  la  puissance  musulmane  et  faciliter 
les  progrès  des  Chrétiens  dans  le  Levant,  d'autres  esprits, 
comme  Hayton  <'t  Guillaume  fl'Adam,  avaient  proposé  au 
Saint-Siège  d'atteindre  le  même  but  en  recourant  à  d'autres 
niiiyens. 

Aux  mains  de  la  dynastie  chrétienne  des  Khoupéniens,  le 
royaume  d'Arménie  semblait,  par  sa  positiim  en  Asie  Mi- 
neure, appelé  à  ynivv  un  rôle  prépondérant  dans  les  reven- 
dications que  les  Latins  songeaient  à  exercer  dans  le  Le- 
vant. Son  importance  n'avait  pas  échappé  à  la  clairvoyance 
des  conseillers  de  Nicolas  iv  et  de  Clément  v  ;  mais  l(^  climat 
et  la  pauvreté  du  pays  avaient  toujours  fait  écarter  l'idée 
d'un  débar(iu(niient  dans  ces  parages  ', 

Haydm,  «'ii  i|ualité  d'Amn^nien,  s'efforça  de  ramener  l'opi- 
nittu  jiubli)[ue  égaré<î  â  nno  plus  saim*  appréciation  des  avan- 
lages  que  sa  patrie  pouvait  offrir  à  la  croisadts  se  flattant 
([ue  s(m  avis  ne  serait  pas  sans  influence  sur  l'esprit  de  ses 
contempt>rains. 


1.  Voir  particulièrement  l'avis  de  Fidence  de  Padoue  et  du  grand- 
roattre  du  Temple,  pages  23-4  et  65. 


Do  hi  raniille  rios  princ4*s  de  Lampron,  comlo  de  Gorigos, 
tnèlé  intimement  aux  événemonla  dout  rArraénie  fut  le 
théAtre,  Haytini.  après  une  exp^ditimi  cinilre  les  Egyptiens 
dans  Iaf|Uelle  il  arenmpagna  lo  roi  Hi'th'Hini,  s'était  retiré  à 
Chypre  (vers  1305-6)  pour  renoncer  au  monde  et  prendre 
l'habit  dos  Prémontrês.  L'année  suivante,  il  était  passé  en 
Kuntpe.  et,  avait,  à  la  solli<'ita1ioii  ilu  papi%  i-ousi^^nô  par 
écrit  les  rêeits  qu'il  avait  faits  an  pontifo,  et  dans  h^squels 
il  avait  raconté  l'histoire  (h's  Tarlares.  inséparable  de  relie 
de  son  pr'.tpre  [lays  '. 

C'est  à  la  fin  de  cet  onvrage  r|u*Hay(ou,  proclamant  la 
légitimité  et  Topporlunité  d'une  inlervenlion  armée  en  Terre 
Sainte,  exposait  à  Clément  v  les  vues  que  lui  suggérait, 
|K>ur  l'expédition  fui  me,  l'expérience  d'une  vie  tout  entière 
passée  eu  Orient  au  nûlirn  des  événements '. 

Les  Tartare.**,  disait-il,  étaient  prêts  à  s'unir  aux  Chrétiens, 
et  cette  heureuse  circonstance  devait  rlécider  l'Occident  à  une 
prise  d'anue.s  immédiate.  Un  «  piqii  passage  »,  composé  de  dix 
galère»  portant  mille  chevaliers  et  trois  mille  hommes  de 
pied,  équipé  cl  envoyé  l'u  avant-garde  à  Chypre  et  en  Ar- 
ménie, p(»uvait  rendre  les  meilleurs  senûces.  Hayton  émet- 
tait sur  ce  point  un  a^ns  conforme  à  celui  de  la  plupart  de 
ses  contemporains.  A  l'arrivéo  de  cette  petite  armée,  le  roi 
t\es  Tartares  se  décidait  à  interrompre  les  communications 
entre  la  Tartario  et  les  états  des  Sarrasins,  et  envahissait  lo 
lerriloin*  d'Alep  ;  en  même  temps,  unie  aux  forces  de  Chypre 
et  d'Arménie,  celte  avanl-garde  attaquait  les  possessions 
ennemies,  protégeait  le  littoral,  fortifiait  l'Ile  de  Tortose, 
obligeant  ainsi  le  soudan  à  diviser  ses  forces  et  à  venir  de 
sa  pcrsiinm*  d'Egypte  en  Syrie.  Elle  pouvait  même  se  (latter, 
9Î  une  circonstance  iniprévue  retenait  celui-ci  sur  le  Nil,  do 
conquérir  Tripoli  et  totit  le  comté,  au  graml  profit  rlo  l'expé- 
dition principale. 

La  croisade,  d'après  Hayton.  devait  faire  voile  vers  Chypre. 


1.  Ifi»torieiu  arménien»  de»  Croisade»,  i,  469-70.  Hayton  dicta  à 
Poitiern  wm  hisinire  en  français  à  Mcola»!  Falcou,  qui  la  traduisit  en 
latin  piiur  la  présenter  au  pape  (ouùt  1307).  Kn  K151,  Jean  le  Long 
d'Ypres  traduisii  un  français  l:i  version  latine  de  Kalcon. 

'2.  C'oAt  la  f|uatriè[ne  partie  de  V/h'stuire  des  Tartare».  Nons  nous 
•ommod  servi  du  texte  ]>uiilié  par  L.  de  Itackcr,  L'Exiréme  Orient  au 
moyen  Age,  p.  2*21-&1  (trad.  de  Jean  le  Long). 


ROUTES    DAUMKMK   KT   DE   CONSTAXTINOPLK. 

s'y  arrêter,  et  savoir  là  si  l'avant-garde  avait  réussi  â  s'em- 
parer de  Tripoli  ou  de  tout  antre  port  sur  los  côtos  <1<' 
Syrio;  on  co  cas,  ollo  avait  un  point  solide  de  débarque- 
ment; au  cas  couiraire,  elle  n'avait  ((u'à  prendre  terre  en 
Arménie  et  de  \i\  niarrliPr  stir  Damas  el  Jérusalem,  tandis 
que  les  Tarfares,  dont  l'allianco  était  indispensable  au  succès 
de  rexpwlitinn,  envahiraient  le  pay^^  (ï'Alep.  Mais  pour 
écîirter  les  coullils  rulre  Tarlares  et  Ciirétieus.  il  était  pru- 
dent iféviter  la  jonction  des  armées  des  deux  puissances 
alliées,  el  dfi  laisser  les  Tartaros  à  Damas  pendant  que  Ips 
eroisés  marcheraient  vers  .lérusal«'îu. 

Haylon  n'avait,  pour  ainsi  dire,  qu'indiqué  ses  projets  dans 
son  Histoire  des  Tartares  ;  le  pnnci]»al  d'entre  oux«  celui 
dont  il  avait  pris  â  canir  la  ri^alisiuion,  était  de  faire  adop- 
ter la  route  d'Annéniu  ;  Ilayt-on  revint,  dans  la  suite,  à  son 
idée  favorite,  et  la  développa  dans  un  mémoire,  plusieurs 
fois  remanié,  dont  voici  les  principales  lignes'  : 

Pour  déraciner  les  préjugés  de  l'Occident  contre  l'Ai'- 
ménie,  Hayton  commence  par  passer  en  revue  les  points 
généralement  proposés  pour  un  débanjuernent,  et  par  en 
faire  ressortir  les  désavantages.  Alexandrie  est  une  ville 
très  forte,  au  centre  de  la  puissance  du  soudan  ;  l'eau  y  est. 
mauvaise,  pas  de  pAturapes  pour  Ips  chevaux  ni  de  res- 
sources pour  transporter  l(»s  convois  nécessaires  â  l'armée  ; 
en  été  la  côte  est  dangereuse,  en  hiver  les  approvisionn**- 
ments  manqueront;  le  succès  n'est  possible  que  si  la  place 
tombe  à  bref  délai  aux  mains  des  croisés.  Damiette  est 
ruinée  ;  les  inconvénients  y  sont  les  mêmes  qu'à  Alexandrie. 


i.  Nous  croyons  r]ue  ces  mémoires,  qui  accompagnent  dans  les 
raanuscriU:  le  texte  dltayton,  doivent  lui  ùire  atti'ibnés.  Vvlw  (Bibl. 
nat..  ]at.  551.'»,  f.  5:ï-62,  et  nil)l.  publ.  Ue  LeiUe,  lat.  66)  est  en  latin; 
rauU*e  (Ilibl.  IVhII.,  Ashmol.  :i42,  f.  1-6  v"^)  est  en  franrais;  ils  diffèrent 
assez  sensiblement  l'un  de  l'autre,  mais  dans  le  premier  comme  dans 
le  second  on  pecunnait  de  grandes  analogies  avec  le  texte  de  VHi&toirc 
des  Tnrlares.  I,e  niémnire  latin  dèbiUe  jmr  un  long  pn^ambule  dans 
lequel  l'auteur  exjmse  les  moyens  à  employer  pour  dérîler  les  Chn^- 
tiens  à  se  crtiiser.  Ce  sont  ceux  (pie  nous  avons  vu  maintes  fois  déjà 
indiqués;  quelques-unes  des  Idées  émises  par  Dulwîs  s'y  retrouvent, 
mais  exposées  avec  plii:>  de  mu<léralion  et  d'une  faron  plus  pratique. 
La  supériorité  des  combattants  apparteuaiU  aux  ordres  militaires  sur 
les  laïques  y  est  démontrée,  tant  au  point  de  vue  de  réconomîe  k 
réaliser  que  des  services  à  obtenir. 


AVANT.UîKS    DU    OKBARQLEMENT    EN    ARMENIE, 


îsi  Acro  ni  Tripoli  ne  sont  dans  de  raeilleurea  conditions  ;  â 
rimpossibililô  de  <  chevanchor  par  la  torre  »,  faute  de  bêtes 
de  somme  pour  escorter  l'armée,  se  joint  le  (langer  résul- 
tiinl  de  la  [tnixiiuilé  de  forteresses  occupées  par  les  Saira- 
sins,  et  l'absence  d'un  port  assez  spacieux  poiu*  abriter  la 
flotte  pendant  l'hiver.  Chypre,  prise  pour  escale,  n'offre  aucun 
avanl;ige  ;  l'exemple  de  saint  Louis  ne  monin^-t-il  pas  que, 
»an»  »y  arrêter,  le  prince  eiM  mieux  fait  de  faire  voile  di- 
rectement vers  le  lieu  de  débarquemout? 

Ces  divers  points  écartés,  resle  l'Arménie,  à  laquelle 
on  reproche  l'insalubrité  du  climat,  la  pauvreté  des  pâ- 
turages, et  en  général  le  manijui»  de  ressources  pour  appro- 
visionner une  armée'.  Hayton  prnte^^le  contre  ces  reproches 
mal  fondés  ;  le  climat  seul  pouirait  éprouver  l'armée, 
mais  en  effectuant  le  passapo  an  mois  d'août,  de  façon 
à  atteindre  rAi*méuie  en  automne,  les  croisés  jouiront  d'une 
température  modérée  et  très  saine.  Le  pays  est  couvert 
de  forteresses  faciles  à  garder,  qui  déffudeut  les  passages 
des  montagnes;  trois  grandes  rivières  l'arrosent;  on  y  trou- 
vera sans  peine  les  bêtes  de  somme  et  la  remonie  de  cava- 
lerie dont  lin  aura  besoin;  les  ports  de  l'Aïas  et  des  Paux 
sont  excellents  ;  la  proximité  de  Chypre  rend  facile  rarri- 
véo  des  secours  eu  hommes  ci  en  approvisionnements  que 
cette  ile  enverra  aux  croisés  ;  eutin  l'appui  du  i-oi  d'Armé- 
nie, sur  le(|uel  l'expédition  ne  devra  pas  compter  si  elle 
débai'que  sur  un  autre  ptunt  di's  côtes  de  Syrie  ou  d'Kgypte, 
n'est  pas  à  dérlaigm-r.  Ou  sent,  cependant,  à  l'ardeur 
qu'Hayton  met  à  défendre  l'Arménie,  que  les  critiqm^s  dont 
file  a  été  l'objet  ne  sont  pas  sans  fondement,  et  l'obser- 
vateur impartial  reconnaitia  que.  si  la  croisade  pouvait  trou- 
ver un  sérieux  avantage  à  pnMidre  terre  dans  un  pays  ami, 
ot  à  profiter  des  ports  qu'il  lui  offrait,  elle  ne  devait  pas 
compter  y  faire  autre  chose  ((u'un  hivernage,  sous  peino 
d'avoir  à  redouter  la  ditîiculté  des  subsistances  et  les  dan- 
gers du  climat. 

Au  pnniemps  suivant,  l'année  quittera  l'Arménie,  reposée, 
ravitaillée,  avec  des  effectifs  complets;  de  la  Portelle  elle  se 


■ 


1.  Voir  plus  haut  l'avis  du  grand-maître  du  Temple,  de  Ptdence 
PidouCt  du  roi  de  Chypre,  etc. 


08  roijTKs  d'\r>!knie  et  de  constantinoplk. 

dirigera  vers  le  sud  par  l('  pont  do  Fer  *  sur  Aiilioche,  dont 
elle  s'empai'era  facileincni,  ainsi  t{UO  des  châteaux  onviroii- 
■nants  :  Darbosac',  le  Gasinn ',  Haréiie'.  Dargon^j",  le  Coiii'- 
saut*,  situés  dans  un  pays  rit.'hc  ol  offrant  des  subsistances 
faciles.  Maîtres  d'Anlidche.  les  croisés  s'y  arrêteront  riuelqut^s 
jours  avant  ilr?  mutinuer  \onr  marche  dont  l'objectif  sera 
Haniali  \ 

Pour  nlleindrerotte  ville,  trois  routes  peuvent  être  clioisies  : 
lapri!inière,loni(e4»nl.  le  litlorul,  pass(»  parLaodicée.  Margat*.  et 
à  partir  de  ciî  tliM'uier  point  s'èl(ji|rne  de  la  côte  pour  s'enibneer 
à  l'est  dans  l'intérieur  du  pays  ;  elle  offre  près  de  Margat  un 
passîi^e  très  difficile  pour  une  grande  armée,  s'il  est  gardé  par 
l'ennemi;  la  seconde,  parlant  d'Antioche  el  suivant  la  vallée 
deTOronte.  passeàFêniieet  îi  Césarée  jHiur  alt*'indre  Hauudi'; 
eu  l'adoptant  l'armée  ne  manquera  ni  de  pàiurages,  ni  d"eau. 
ni  d'approvisionnements,  el  n'aura  rien  â  craindre  des  Sar- 
rasins pendant  sa  marche.  Quant  à  la  troisième  route,  elle 
incline  plus  à  l'est  que  la  seconde  par  la  Marn-  '",  Sernim  ", 


1.  L&  Portelle  est  une  localité  qui  formait  la  i'rontière  du  royaume 
d'Arménie  et  de  la  princlpaul<^  d'Xiitiorhc.  Le  pont  de  Ter  (/î/ViW-ff/- 
Hadid)  était  jeté  sur  l'Oronle  {\nhr-d-.\iti\. 

2.  Tarpcsao,  Trapsacli,  Trape.siicli  suivaiU  les  [iiaiiuscrits,  Trtifttmn 
d'après  Sanudo,  aujourd'hui  Ikrbetrak,  château  fort  au  nord  <i'Au- 
tioclie,  sur  le  versant  oriental  de  l'Amanus,  ancienne  possession  des 
Templiers. 

;t.  (îaslon,  tluasto.  Gastim,  ^tait  \i\\  château  qui  avait  appartenu  a 
l'ordre  du  Temple,  à  quatre  milles  d'Antioche,  sur  le  revers  orieiilat 
<le  l'Amanus,  près  de  iîagias. 

4.  Harain,  llaaran ,  llaaram,  aujourd'hui  Qualaat  Jlàrim,  sur  la 
route  d'Antioche  à  Alep. 

5.  Dragon,  {Dtrkauch?  au  sud  d'Antioche^ 

6.  l'robahleinent  Coratu-stum,  aujaurd'hui  Alaïa. 

7.  Ilamam,  tiamen,  aujourd'hui  llamah^  l'ancienne  Itnmalh,  l'Epi- 
phania  des  Sélcucido»,  sur  la  rive  gauche  de  l'Oronte. 

8.  Laodicée  (Laïuf^t'yéh)  sur  le  bord  de  la  nier.  —  Margat  est  au- 
jourd'hui apj>el<^  Miirkab.  C'était  une  des  principales  forteresses  des 
Hospitaliers  au  temps  de  la  domination  latine  eu  Palestine,  sur  la 
limite  des  principaul^ïs  d'Antioche  et  de  Trif>oli, 

9.  Hajion  donne  ^  l'Oronte  le  nom  de  Hevel.  —  Féinie  (Qualaat  em- 
}loudiq)esi  l'ancieime  Apaméo-^Césai-éei^rifartf),  sur  l'Oronte,  entre 
Fémie  et  Itamah. 

10.  La  Maire.  —  M.  lî.  G.  Itey  identifie  ce  lien  avec  le  village  actuel 
d8  Ma'arrat-en'No'amiin. 

11.  Ce  doit  6trc  Sermeda,  le  Sarmit  des  croisades,  d'après  M.  liey. 


PLAN   DR  CAMPAGNE  DE   L'eXPEDITION.  60 

Mf'gnarc!  Mesiùn  ',   dans  une  plaine  riche,  fertile  et  san« 
déft'nsi'. 

A  Hainah.  malgré  l'importance  do  la  viU«,  les  croisés  ne 
ivhc'ontnTonf  (in'iiiR'  faiblo  ivsistaïKO  ;  li^s  dt^fenses  sont  peu 
ri'iloiUahh's,  ot  la  garnison  peu  unriihn'iisf*.  De  là  ils  mar- 
oluTont  sur  Damaï*;  les  iroupes  du  Soudan,  si  elles  viennent 
à  leur  rencontre.  les  altendronl  probabliMuent  selon  leiu*  habi- 
tude dans  le  dêHIé  de  Caneis,  entre  Hauinli  i't  )a  Chamele*; 
mais  si  le  passage  n*est  pas  dêliMulu.  ICxpédition  n'aura  plus 
à  redouter  les  Sarrasins  de  Damas  et  de  Syrie,  qui  n'oseront 
pas  Tattaqupr  ailleurs  ;  elb^  pourra  marclier  directement,  par 
la  rhamele  et  Haaibek',  sur  Damas  rpii  ne  tiendra  pas,  puis 
atteindre  Jérusalem  et  conipiêrir  toute  la  Syrie.  Si  les  croisés 
veulent  alors  pousser  plus  hun  leurs  avantages,  la  route 
flKgypto  liMir  est  ouverte;  parvenus  à  Gnza.  ils  gagneront  le. 
Nil  par  la  route  du  désert  ou  par  cidie  du  littoral  '.  Dans  le 
l'as  oi'i  l'imnemi  aiiniit  refusé  la  bataille,  la  croisade  devra 
t'banger  de  dirreiiou  cl  so  rabatti'e  à  l'ouest  sur  Tripoli  ;  c'est 
une  marebe  en  arrière  de  quatre  jours,  iudis|»ensahle  pour  ne 
pus  laisser  les  Sarrasins  derrière  soi.  Par  contre,  devant  cette 
place,  les  croisés  auront  l'appui  des  chrétieus  ^\\^  Liban,  et. 
niaitres  de  Tripoli,  ils  puurronl  reprendre  leur  plan  pri- 
mitif de  conquête.  Quant  à  la  Hotte,  après  avoir  hiverné  au 
j>ort  des  Paux,  elle  fera  voile  directement  avec  <  le  gros  har- 
«  nois  ri  le  Ijlé  et  les  autres  gross4's  mandes  et  les  dames  et 
«  les  femes  et  les  enfans  de  l'ast  »  sur  Saint  Jean  d'Acre,  et 


1.  I.a  funiu' latirm  (|p  re  nom  pst  Ma^aretuin  Messini,  aujourd'liui 
Mn'nrrt  J/ixriw,  ù  mi-cliiMniii  et  au  snd  ilAnlini'tie  et  ilAlep,  au  iioni 

criani). 

2.  La  Cliatnc'li' est  aujourd'hui  //im«,  l'aiirifinno!  Kmèse.  iJes  batailles 
avainiit  déjà  eu  lieu  diiiis  lu  plaitte  dt)  Hinni  eu  12B1  ot  1299  entre  les 
^lo^^roU  ot  Ich  ICgyplims.  [^  ilétUé,  dont  it  est  ici  question,  doit  ûtpo 
rhi^rrht'  aux  piiviroiiK  du  Krak  des  chevaliers  (Quttlrtttt-et-JiuêH) ^  for- 
trrpsh**  qui  rumniaiidaît  les  rûutes  de  Hima  et  de  Hamali  à  Tripoli  et  à 
'l'oiiose. 

.'I.  Los  maiMisrrita  purteiit  Manboclt.  mais  il  faut  reconnaître  bous 
relie  uppt'llaliuu  Ibalbfk,  rancionne  /f'^Hopotis,  îi  mi-chemin  entre 
Ilinu  pt  l.'iuiias. 

i.  llayto:t  duiuif  uti  itinéraire  du  la  route  de  (;a£a  {(ruattreê)  tm 
rairo.  Cuiiipart^z  Vl'Uudr  aur  la  /it*t*isi;  de*  Chemins  lie  fittbyhine, 
daiiH  laquelle  M.  th.  Scliefer  atHudié  des  itinéraires  analo^'ues  lArch. 
de  roricnt  Laiiti,  ii,  8'i-ini). 


70 


ROt'TES    U  ARMENIE   ET    DE  CONSTANTINOPI.K 


de  là  sur  Jaffa,  laissant  dans  chacune  de  ces  stations  les 
approvisionnements  nécessaires,  puis  elle  rojoimlra  l'année 
nctorieuse  à  Gaza. 

Malgi'é  raulonlè  d(»rit  j(nussait  Hayti^n.  rM|nni«in  publique 
ne  se  laissa  pas  convainoro.  L'iiiKUiimili'-  des  itMtinigimgPs 
contn^  l'Arriiénie  rendait  toute  réhahilitation  ini|)ossible,  et 
Haylon  ne  parvint  pas  â  détruiro  les  pn''jug/'s  t\v  sr-s  contem- 
porains. 

Quelques  arinéi^s  plus  tard,  un  projet  nouveau  apparaît  ;  il 
émane  d'un  doiiiink'ain,  Giiillaiinie  d'Adam,  dont  la  vie  s*est 
passée  en  Orient  à  convertir  !i^s  infidèles'.  l»ansce  mémoire, 
l'exactitude  des  détails  ««t  rcx[>érieun'  pratique  dos  conseils 
s'unissent  k  des  vues  si  personnelles  l't  si  dilfèrenles  de  celles 
qui  reraplissenl  la  ]dnpart  des  traités  analorriH»;;,  que  l'onsemble 
des  projets  de  Guillaumo  d'Adam  mérite  iPètre  résumé  en 
quelques  mois  V 

Les  Sarrasins,  dit  l'auteur,  nt-  maintiennent  leur  supré- 
matie en  Orient  que  grâce  à  ra[)t"iu  ilc  leurs  viiisins  l't  â  la 
complicité  des  nations  chrétiennes.  Einpèchercet  appui,  rendre 
cette  c^jmplicité impossible  sont  desmo;v'ens  infaillibles  do  poi^ 
lerà  la  puissance  iiiusulniane  un  cnup  mortel.  Ku  prt'nn'ère  ligne 
les  peuph^s  comnien;auts  de  la  Méditerranée,  Catalans.  Véni- 
tiens, Pisans,  Génois  surtout",  se  livrent  à  la  contrebande  et  à 
la  traite  des  esclaves  avec  l'Kgvpte,  fournissant  ainsi  im  s(mi- 
dan,  avec  les  denrées  dont  il  a  besoin,  des  chrélims  dont  il  fait 
ses  meilleurs  soldats'.  L'empereur  de  Consiantinople  exporte 
les  blés  de  snn  euipire  en  Kgyplê  ;  le  roi  des  Tart^u'es  sep- 
t4'nlnonanx,  allié  du  soudan ,  autorise  dans  ses  étals  le  com- 
merce des  esclaves,  qne  les  navires  chrétiens  transportent 


1.  Voir  Kî  chapitre  préct^dent,  pages  62-'â. 

2.  Le  trait*^.  De  modo  Sfitracetiox  extirpandi  rniiis  esl  parvenu  dana 
un  manuscrit  de  U;Ue  du  xv  siècle  (A.  l,  28,  f,  232  v-aâi  v»). 

3.  (.i.  d'Adam  signale  spéL*ialemcnt  Sc^uraa  Salvagu  {S.  Safvaliei). 
Génois,  qui,  sous  pavillun  musulman,  favnriso  les  guùtK  les  plus  dé- 
pravés des  Sarrasins,  et  conduit,  hur  ses  vaisseaux,  les  ambassadeurs 
que  le  Soudan  envoie  aux  Tartares  de  la  mer  t^aspienne  et  de  la  mer 
Noire. 

4.  Ces  chrétiens  vendus  commo  esclaves  en  Kgypte  H>nt  des  Grecs, 
des  hulgnres,  des  Rutbénes,  des  Mains,  des  Hoii;;ruis  de  la  petite 
Hongrie;  iUrormeut  une  aruu''ode  quarante  milte  )jumm''s  uu\  ordres 
du  Soudan. 


KEFOHMES    PROPOSEES    Al'    SAINT-SIKCK 


71 


aux  liouchos  du  Nil;  los  pèlerins  eux-mèraos  qui  \'isitent  les 
lÂvux  Saints  sont  soiiiiiis  :i  (ips  rotlovances  piicimiaires  dont 
I*'  produit  earicliil  le  trésor  do  lours  eiiuoiuis. 

Si  lo  Saint-Siègo  vont  faire  cesser  cet  étal  de  choses,  il 
îip:ira  avec  énergie,  excommuniant  qiiiconqim  sp  rend  cou- 
(Kiblo  d'at'tes  de  commerce  prohibé,  et  confisquant  les  car- 
gaisons di's  dêliutiuants.  Une  escadnï  suffira  pour  fairtî 
res|)ector  les  défenses  ponlilicales,  mais  à  condition  qu'elle 
(*<dl  plus  sérieusement  organisée  que  celles  que  le  pape  a 
précédemment  é(piipét»s  dans  Je  même  but. 

On  sait,  en  effet,  que  l'Eglise  a  été  trompée,  et  que,  lors- 
qu'elle payai!  l'oniretieu  de  six  giiléres  pendant  un  an 
quatre  seulement  leuaienl  la  mer  pendant  six  mois  ;  leur 
armement  était  si  mauvais  que  devant  trois  bâtiments  enne- 
mis, elles  nVisaient  livrer  bataille.  Kn  outre,  jïei'snnne  n'ignnre 
que  la  n  ml  rebande  ne  s'exerrail  t[nr  pendaiil  les  mois 
d'hiver,  et  c'était  justement  en  été  que  la  croisière  avait  lieu; 
de  plus,  jamais  !e  capitaine  n'avait  rendu  compte  de  ses 
prises.  Il  fallait  donc  réformer  ces  abus  par  une  série  de  me- 
sures uouvelli*s,  et,  comme  contrôle,  appliquer  à  la  llotiille 
clirêiienue  rinstilutinii  ^'énujse  de  Vofficium  roùarie,  c^est-à- 
dire  autoriser  tuul  cbrétieii  lésé,  comme  le  laisaieni  les 
<n*nois,  à  produire  ses  réclamations  auprès  d'un  tribunal 
chargé  de  lui  rendre  justice  '.  Obtenir  lie  r(miper4'ur  d'Orient 
qri'il  reuouràtà  ses  rapports  amicaux  avec  le  Soudan,  sem- 
blait tAclie  plus  ilifMeile  ;  on  était  en  présence  d'un  prince 
sejiismatique  et  ilifHcile  à  convertir  â  la  f(»i  calboliqne 
riiiti;une  ;  mais  au  moins,  â  la  faveur  île  né^:ocia(i'>ns  fré- 
qtii-ntos  et  eu  usaut  de  douceur,  puiivait-on  reu'h-e  plus  bien- 
veillantes entre  la  cour  impériale  et  le  Saiut-Siège  les  rela- 


I.  <  K«l  atileni  hnjtis  (ofticii]  una  arcba,  scilicct  in  pnlano  commtini- 
talis  Janiie  t^uiii  tribus serraturis.  super quam sunt  très  prcpositi  ordi- 
nali.  et  ({iiiL-nm(|ue  Christianiis.  Jtideus  vcl  Sarraceniis  undocumque, 
si  lanieii  de  terra  illa  sit,  ((uod  contra  Januam  ^tierram  non  li&bet 
actualeni.  ubiniin'}ue  perJanuetises  fiierit  depredatus,  talis  per  se  vol 
suum  prooiiratorpin  in  archam  predictam  rndlo  sciento  unam  cedulam 
intromittit,  de  ^iia  expoliatione  querimoiiiam  contincntem.  Prepf)»!!) 
i^itiir  tpsiiiis  ofticii,  astrirti  per  Juranientum.  cerlis  anaî  temporibus 
arcliatniltamapenunt,etibi  iiiventa^cediil.'t.'^  perlegi>ate«,Matitne\|M>- 
llalijre>t  vtHMiit  et  ail  reddfnOum  ex)iitliali!t  i|iii(:<tiiid  et  quucuni'jue 
nitjilu  rapuuraiit  cunstringunlur  •  ^ï-  d'Adani,  f,  '2'^). 


72  ROUTES    DARMENIE    ET    DK    fONSTANTFNOPLK. 

tions  que  la  politiqtie  peu  modérée  de  la  papauté  avait 
enveniniéos. 

Quant  au  roi  flos  Tartares  du  nord,  dont  It^s  Génois  favo- 
risaient ralliance  avecTEgypIo,  ou  paralysera  se»  dispositions 
en  se  rapproclianl  rlu  roi  do  Por^e,  prince  mongol,  dont  les 
états  sont  situés  en(re  1rs  possessions  desTarlai'es  septentrio- 
naux et  celles  des  Sarrasins,  mais  dont  les  rapporls  sont  aussi 
tendus  avec  les  premiers  qu'avec  les  seconds.  L'excommnniea- 
tion  contre  les  navigateurs  qui  prêteront  l*^ur  appui  aux.  com- 
munications entre  Tarlarps  et  Eg^vptiens'  sera  proclamée  par 
le  pape;  si  co  moyen  ne  suffît  pas,  on  établira  une  croisière  à 
Chics  sous  le  comnmndennMit  des  pelits-fils  de  Benoit  Zac- 
charia*.  La  famille  génoise  des  Zaccliatia,  en  effet,  maîtresse 
de  l'île  de  Chios  dppuis  le  commencement  duxiv*  siècle,  sous 
la  au/erainelt'  nominale  île  l'empereur  de  Couslanlinople,  dé- 
mentait la  réputation  que  les  Génois  s'étaient  acquise  djins  le 
Levant,  en  restant  étrangère  â  la  contrebande  exercée  par  ses 
compafriotcs.  Benoit  Zaecliaria  cl  son  fils  Paléologue  avaient 
donné  des  gages  de  leur  atlachcment  â  la  cause  ehrélienne.  et 
c'est  aux.  fils  de  ce  d(*rnier,  Martin,  Benoît  et  BartliéU'tuy, 
que  Guillaume  d'Adnm  proposait  de  conticr  la  police  de  l'Ar- 
clîipeP.  La  position  de  Cliios,  à  nii-clu-min  entrf  ta  Tnrtarie  et 
l'Kgypte,  âproximilé  de  la  côte  d'Aiiatolie,  était  de  premier 
ordre  pom*  entraver  le  commerce  entre  la  mer  Noire  et 
Alexandrie. 

Pour  compléter  cet  ensemble  de  mesures,  il  fallait  enfin 
empêcher  l'argent  des  pèlerins  qui  visitaient  la  Terre  Sainte 
d'aller  gi'ossir,  sons  forme  de  tributs  et  fie  redevances,  le 
trésor  du  suudan.  Là  rncorr  ri'xcommunieation  était  iin»^ 
arme  excellente  dont  le  Saint-Siège  pouvait  se  servir;  eu 
faisant,  au  retour,  payer  aux  pèlerins  désobéissants  et  aux 
patrons  qui  avaient  l'onscnfi  à  les  recevoir  swv  leurs  navires 
l'absolution  de  la  peinte  encourue,  la  papauté  augmentait  ses 


1.  G.  d'Adam  demande  <]tîe  cette  excommunit'ation  «>it  étendue  à 
ceux  qui  favorisent  1rs  relations  fom  merci  aies  entre  les  Tartares  et  les 
Sarrasins  d'Asie  Mineure,  parce  que  ces  derniers  rôexpédieiU  les  mar- 
chandises en  Egypte  (f.  2:»8  v). 

'i.  Nous  avons  rencontré  plus  haut  à  diverses  l'epmes  le  nom  de 
l'amiral  Benoit  Zacoliaria.  p.  4:i  et  60. 

:t.  Ils  venaient  ï)pécisément  de  c-apturer  dix-huit  vaisseaux  de  pirates 
turcs  et  de  faire  une  incursion  heureuse  en  ;Vsîe  Mineure. 


AVANTAGES    DE    LA    R0(  TK    PAR   TKRKK 


73 


)roprcfï  ressources  ;  elle  assurait  en  mémo  temps  une  sanction 
écuuiairf^  à  sa  prohibition,  dans  le  cas  où  la  sanction  spiri- 
rituelle  résultant  Je  rexcomiuunicaliou  n'eût  pas  été  suffisante 
lour  arrêter  le  mouvement  de  pèlerinage. 

Ainsi  prépai'èe,  la  croisade,  dans  l'opinion  de  Guillaume 
l'Adam,  lievail  se  f^iiri'  fi;ins  d'''KC('llf*nt('s  o.nililinns  :  les  Sar- 
rasins d'Egypte  ne  sont  ni  vaiilaïUs  ni   reiloutables,  et  des 
'uphéttes,  répanriues  parmi  eux,  qui  attribuent  à  un  prince 
'anc  la   destniction   rlr    leur    puissance,    paraljsei'ont   leur 
luni^' ;  d'un  autre  c<Mê  en   Occident   tous,    barons,   che- 
valiers et  paysans,  désirent  prendre  la  croix  ;   ils   peuvent 
compter  sur  l'alliance  du  roi   de  Perse,  qui  a  formellement 
promis  son  concours   ei  aitainiera   les  Miisiilajans  au  nord, 
lundis  que  les  Chrétiens  dirigeront  leurs  efforts  vers  le  sud. 
Oéorifieus,  dont  ia  coo[>êrafion  a  souvent   été  fort  utile 
mx   Mongols  contre  les  Sarrasins,    ne  renieront   pas     leurs 
nfècédents  poUtiipios.  Mais,  pour  que  l'expéditiou  soi!  efti- 
'cace,  elle  devra  prendre  l&  roule  de  Oonstantinopîe  et  sVn 
emparer  avant  de  rien  louler  en  Palestine.  C'est  là,  d'après 
Guillaume  d'Adam,   le  nœud  de  la  question  ;  celte  idée,  qui 
lui  ost  personiielN»,   n'avait   jamais  été  émise  avant  lui  ;  il 
--'•■tforce  de  la  justifier  et   de  la  faire  adopter  par  le  Saint- 
ïiège. 
L#cs  raisons  mises  en  avant  dans  ce  but  sont  de  plus  d'une 
rt'to.   Sans  insisti'i*  outre  mesin'e,   comme  on  le  fera  plus 
lard  '.  sur  les  uvauiajL'es  otTerls  par  la  roule  de  terre  A  travers 
la  Hongrie  et  la  lïulgarie,  Guillîmme  d'Adam  fait  remarquer 
que  les  Grecs  sont,  au  même»  titre  que  les  Sarnisins,  hostiles  à  la 
rroi*<ade.    vi    qui*  ne   pas  li's  réduire,   c'est  exposr*r  rexpé- 
^^illiun    à   un    dauf^'cr   jH/ruianeul    de    leur  part.   On  cnunail 
^^kfio;:  les  dispositions  di*   l'empereur  d'Orient  pour  ne  pîis 
^Hlouter  ilf  co  fait  :  on  sait,  l'hisloire  l'U  main,  t\\u'  les  Paléo- 
^Bugnes  n'ont  rien  épar^^né  pour  ruiner  la  religion  calliolique; 
^Bi  (ui  pèro  doit  punir  plus  sévèrement  les  écarts  d*un  lils  dé- 
naturé que  ceux  d'tMi  esclave  eoupabli-,   le  saint  pèrr  est  eu 
droit  de  déployer   contre  les   Gre4;s,    autrefois   enfants    île 
ri^^lise,  plus  de  rigueur  que  contre  b!S  Sarrasins,  qui  n'ont, 
j.iinais  rnnroi  la  vraie  crnyann*,  La  conquête   rli»  Consfanti- 
noplc  seia  facile;  des  fi-nunns  y  suHiraii'ul.  Les  Turis,  i-n 


Vuir  pluh  bas  l'avi:!  de  Ltrucard,  au  cliapitro  vu. 


74 


ROUTES    I>  ARMKME    KT   DE    CONSTAÎ(T1>OPX.E. 


effet,  le  peuple  !c  plus  lâche  de  l'Asie,  qui  trembleul  devant 
des  Tartares,  des  Comans  ou  des  Géorgiens,  n'ont-ils  pas  osé 
attaquer  los  Grecs  p(  li's  vaincre?  Une  partio  de  Tmipire,  de 
lîyxancc  n*(*st-elli»  pas  habitt-e  par  des  pupul.ilioiis  calhuliques 
qui  accueilleront  les  croisés  en  libéralinirs?  Ri(»ii  n'eulravera 
doue  le  succès  de  l'expédition  contre  Constaulinople,  Maî- 
tresse de  la  ville,  l'anuée  croisée  aura  mi  pai'l  pour  se  re- 
former, se  ravitailler  et  se  replier  en  cas  d'échec,  avantiige 
capital  que  ne  lui  offrirait  aucun  point  du  liMoral  de  S>Tic 
ei  d'Eg^ple  ;  elle  s'rippruvisiontieia  facilenieut  de  vius,  de 
blés  et  de  viande,  que  la  Grèce  rtuirriil  eu  abondance.  En 
outre  Tile  de  Chios,  possession  des  Zacchai'ia,  sera  pour 
elle  une  position  exot^pliunncllt' :  i-lli' i-sl  fi-rlile,  salubiv,  en- 
tourée de  mouillages  sûrs  ;  hi  côte  rl'Asie  s'avance  à  trois 
juilles  de  Tilo  et  forme  mie  laugue  de  leire'  d'un  périmèlro 
de  cent  quati*e-viagt.s  milles,  très  resserrée  du  côté  du  con- 
tinent, couverte  tie  riches  vignobles,  coniitiandani  an  nord 
Smvrne,  au  sud  Éphèsc.  Les  Turcs  n'osent  pas  s'y  établir; 
les  Chrétiens  s'y  fortifteront  sans  peine,  et  entreront  par 
ce  point  en  Asie  Mineure.  En  face  de  cette  presqu'île,  au 
commencement  de  la  baie  de  Smyrne  et  à  quelques  lioties 
au  nord,  les  Génois  occupent  une  autre  position,  cello 
de  Piiocêe,  dont  le  pnrl  est  trè-isnr;  enfin,  ils  sont  maîtres 
<lePéra,  aux  portes  de  Couslautinuplf,  H  [wir  idle  dominent 
le  Bosphore'.  Ce  sont  autant  decondilions  favorables  dont  la 
croisade  protitera:  en  altatpianl  par  l'Auatolie  ]<'s  intidélrs, 
elle  arrêtera  i*u  même  temps  b^s  pirateries  des  ïmrs  dans 
l'Archipel  el  le  commerce  des  esclaves  qui  se  fail  '•lu-  luie 
^'randeé(dtf*ll<'  d'Asin  Mineure  m  Perse. 

A  rrxtTupîe  de  Samido.  la  principale  préoccupation  de 
Giiillaïune  dWdani  est  de  ruiner  le  commerce  des  SaiTasius. 
et  de  k»ur  porter  ainsi  des  coups  plus  redoutables  que  des 
défaites  siu*  les  cbaïups  de  bataille.  S'il  a  jnvcttnisé  la  con- 
quête de  l'empire  d'Orient,  c'est  pour  donner  Constantinople 
et  Ohios  comme  base  et  comme  appui   â  l'escadre  qui  iuler- 


I.  (Ji^tte  pix*sf|irile  est  appelée  de  de  t'IazoïiiéiiKS.  Klle  K^pare  la  baie 
de  SinjTiie  ilf  relli'  (riDpfii'Be. 

1.  (•uîUaDiTi^  (l'Adimi  tw  dniiii*^  inilli:  part  les  nuuis  des  pusiliouK 
g<^ugTaj)iji<|iK's  )|u'il  indiinie,  mïiis  ses  tU^scriptirijini  mml  okscz.  prtxis«8 
jiour  piTinfflrc  do  jivs  reronnuilrr  l'arilomenl. 


CREATION    D  INK    MAKINR    Sl'K    I.K   «Ol.FE   PKRSIQLK. 


ta 


rompra  les  relations  commorcialos  entre  l'Egypte  et  les  pro- 
venances «le  la  mer  Noire  et  de  la  mer  Caspienne.  Mais  il  no 
se  borne  pas  â  ce  premier  projet  ;  sachant  ((ue  l'Egypte  s'ap- 
pro\isionne  nun  si.'ulemerit  parla  Méiliterranêe,  mais  aussi 
par  la  mer  Rouge,  etqii'elle  reçoit  parcolto  voie  les  denrées 
i|p  rinde  et  ilo  rex(r»*'me  Orient,  il  a  compris  ipic  les  nipsiir(?s 
propasèf.»s  conti*ele  commerce  méditerranéen  ne  seraient  effi- 
caces qu'à  condition  d'élre  complétées  par  des  dispositions 
prises  contre  les  négociants  de  lu  mer  Uouge.  O'est  pour 
répondre  à  cette  nécessité  qu'il  expose,  à  la  lin  de  son  traité, 
les  mojens  d'intercepter  la  roule  de  l'Egypte  aux  m.irchan- 
(lisi's  venant  de  ces  contrées  éloignées.  Jamais,  avant  (îiiil- 
laume  d'Adam,  pareil  dessein  n'avait  été  conrju  ;  si  Sainidoet 
après  lui  le  gran<l-maitre  de  l'H^^pilal  afllrmaient  qu'en  pré- 
sence d*nn  Idoens  sévère  de  l'Kgypte,  le  commerce  de  l'ex- 
Irémet'ïrient,  faute  de  fjéboucliés,  passerait  par  l'Asie  centrale 
*ft  atteindrait  la  Méditerranée  en  Arménie,  aucun  d'eux  n'avait 
eu  la  hardiesse  de  vouloir  l'arrêter  dans  Tifcéan  Indien,  et  lui 
barrer  l'entrée  de  la  nier  Rouge.  (^i*iillniirm'  d'Adam  proposa 
de  le  fain».  et  montra  que  son  projet  n'était  pas  irréalisable. 
Il  suftira.  dit-il,  que  le  Saint-Siège  entretienne  trois  ou 
quatre  galêre's  dans  Titcéan  Indien  puur  empérher  le  passage 
dt>s  négociants  à  Aden,  L'expérience  a  été  tentée  jadis  parles 
rrénrds  e1  a  réussi  ;  ceux-ci,  sous  le  règne  d'Argnun.  roi  des 
Mongols,  ont  construit  deux  galères  à  Hagdad.  et.  par  l'Eu- 
phrale,  les  ont  conduites  dans  la  mer  d^'s  Indes  pour  défendre 
le  détroit  d'Aden.  La  si'ule  diltieulté  sérieuse,  êneore  qu'elle  no 
siiif.  pas  insurmontable,  sora  jiour  les  Cbrétit'us  de  se  procurer 
ces  navires.  I^es  marcbands  d'Aden  commercent  av<H*  l'Inde, 
mais  n'ont  aucune  relation  avec  la  I*erse  et  les  ilcs  de  l'arcbi- 
pel  Indieu,  dont  les  souverains  sont  b*urs  ennemis  ;  en  faisant 

sni(  aux  i!es 
"i  Houibay',  à 


constrinre  les  vaisseaux,  suit  a 
Deyndi'  datK  b'  goite  Pet*^iqiie. 


l'ili'  d'tlniiiiz  V 
snii  dans  l'Inde 


I-  Avant  (l'i^lrc  déva«ttV  pur  te>  Muii^ols,  la  villo  UOirnu/,  était  sur 
la  terre  ferme  (à  sept  un  [mit  milleN  du  fort  Mînab).  Kilo  fut  rehùtie  sur 
«ne  île  appelée  Jerun,  diittaiile  de  ^ix  kilumètrpsde  l.i  terre  ferme  et 
dp  formft  presf|iic  ronde. 

3.  Cch  fle«  iinxulie  Diree)  sont  siluévà  au  fund  du  golfe  i'eri-ir|ue,  à 
l'est  du  delta  du  CliM-el-Arab,  et  h  l'ouest  de  la  pointe  de  liurk.iii. 

:*.  Au  fond  du  pdie  de  ce  nom,  qui  est  fonni^  ii  l'onest  jiar  lu  pénin- 
sule de  Katlyawar  et  ii  l'e»!  par  la  cùtu  du  Koiikari. 


"fi  OOI.FE    PERSIQl'E. 

Taunah  ^  ou  â  Quilon  ',  on  sera  siir  de  n'avoir  rien  à  craia- 
(ln\  puisque  ces  Idéalités  sont  on  dehors  des  efioales  du  com- 
merro  do  ces  pays.  Le  ïmis  de  constnietinn  est  fort  abondant 
sur  tous  ces  points,  ot  [os  populations  favoriseront  une  enlr(y 
prise  destinée  â  ruiner  la  pruspêrit*^  de  riêgDcianls  qu'elle* 
haïssent  tM  doni  oll«'S  «'uvicnl  los  ricli(»ssrs.  Lo  roi  de  perse 
trouvera  sim  avantage  à  rélablissemcnt  d'une  force  maritime 
sur  le  golfe  Persique.  Nul  doute  qu'eu  échange  il  nncoulribuc 
aux  dépenses. 

Pour  armer  ces  galères,  l'Kgii.se  pourrait  soudoyer  les  équi- 
pages; mais  c'est  un  moyen  coftteux,  qu'elle  évitera  en  accor- 
dant des  indulgences  spéciales  iitix  douze  cents  luarius  dont 
elle  aura  Itesoiri,  et  en  relevant  une  centaine  d'hommes  de 
Texcomumnication  encourue  A  l'occasion  du  comuiftrce  illicile 
aiu|uel  ils  so  livraient  â  Alexandrie.  Klle  trouvera  ainsi  les 
ressout'res  pérunîaires  néces.siiires  à  retjlietJL'ii  de  i'esrath'e; 
les  matelots  ne  lui  manqueront  pas,  si  elle  se  décide  n 
absoudre  les  Génois  excommuniés  pour  cause  de  conliie- 
baiide.  Aventureux,  seuls  à  coiuiiiilre  les  mors  de  ces  parages 
que  lc»s  autres  peuples  ne  fréquentent  pas.  avides  au  gain  et 
cependant  plus  Imunètes  que  les  autres  nations  maritiuies, 
ce  sont  les  hommes  les  plus  aples  à  fiunier  les  équipages 
de  ces  navires. 

Un  port  sur  est  indispensable  â  la  Hollille  rhréiienne; 
elle  est  assurée  d'en  Irouver  facilement  un  daïis  la  mer  dos 
Indes,  (pli  t-nmpte,  dit  l'auteur,  plus  de  vingt  mille  Iles,  la 
plupart  inhabiléos.  (.'hyx  ''  et  Ormuz  dans  le  trolfe  PtTsique» 
possessions  du  roi  de  Perse,  remplissent  les  meilleurr's  con- 
ditions: U»s  galères  y  pourmiiL  hiverner  sans  danger,  y 
réparer  leurs  aviU'ies,  y  liéposer  les  marrïiaudises  coniis- 
quées.  avec  Tassurance  de  n'être  pas  inquiétés  par  la  Perse» 
dont  la  pnlitiqu4'  favorisera  leurs  progrès.  Les  ennemis 
qu'elles  auront  à  cunibathv  soûl  loin  ilvtiv  redoutables; 
sans  courage,  sans  armemeul,  pour  ainsi    «lire,  défensif  ou 

1.  A  ilou/.e  milles  anglais  au  .sud  de  Itouihuy.  eu  l'iiL'c  do  l'ilc  Sal- 
sette,  capitale  du  temtuire  du  Konkaii. 

2.  Appelé  au  moyeu  li^e  h'nottlum.  Kollnm,  Colon,  CotumOum,  sur 
In  côte  de  Malalmr.  au  nurJ  de  Trîviindrani,  nuri  loin  du  cap  Comijnn. 

!ï.  Aujourd'lmi  Kichm  ou  Tttiritah  (He  lonj:ue).  i'est  une  ile  consi- 
dérable, qui  s'olend  eu  longueur  parnllùlcment  h  lu  cûlc  de  Tlnin,  à 
l'ouest  de  l'ilc  dOrmuï. 


Kffen.sif,  étrangers  à  toul  ail  de  la  guerre,  ils  ae  rapprochent 
plus  lie  tu  bi>te  que  de  Vliomnm.  Le  détroit,  enfin,  rlont  lo 
passage  doit  (^ire  haiTè  par  l'escadre,  se  prèle  par  sa  configii- 
ralîun  géographique  au  but  iju'ellc  se  propose.  Trois  îles  »  le 
défendent,  et  les  navires  qui  vetdeiit  s'engager  dans  la  nier 
Rouge  iloivent  nécessairement  passer  près  de  l'une  d'elles  ; 
cdles  sont  occupées  par  des  peuplades  chrétiennes  qui,  ti'op 
faihle.>  pour  résister  à  ceux  qui  ont  rhorelié  à  l*'s  soumettre, 
se  sont  toujours  dérobèi's  aux  envabisseurs  en  se  rétngianl 
dans  les  cavernes  des  hautes  montagnes  dont  le  sol  de  ces 
îles  est  couvert.  Les  Chrétiens  trouveront  l;i  un  appui 
d'autant  plus  eHicacc  que  lt*s  liabilanls  IiaïssL'nt  b?s  Musul- 
maas.  avec  lesquels  ils  sont  forcément  en  contacL.  Celte 
circonstance  sera  préciens<>  pour  le  succès  de  l'entreprise; 
gnWe  à  elle,  grâce  aux  cnnsidérations  exposées  par  l'autour, 
se  trouve  justirié  le  petit  nombre  de  vaisseaux  dont  Guil- 
laume d'Adam  demande  la  concentration  à  Aden. 

Vu  pareil  proj(»t  ne  pouvait  être  pris  eu  considération. 
L'autour  lui-même  se  rendait  compte  qu'on  le  trouverait 
incroyable,  parce  qu'il  était  le  premier  à  le  sifrnalor,  ot  im- 
praticable, i»arct*  qu'on  n'admetlait  pas  que  quelques  galôres 
fussent  on  état  d'arrêter,  à  l'eutive  de  la  mur  Ronge,  des 
niarcliands  venant  par*  milliers  rh^  rextréme  Orient.  L'évé- 
nement justifia  ces  ap|ii-éhensions;  si,  dans  la  suite,  l'idée  de 
comuionccr  la  croisade  par  la  conquête  de  Constiintinople 
tai  reprise  et  eut  ses  partisans,  celle  de  criier  une  escadre 
dans  l'océan  Indieu  resta  lettre  morte,  si  même  aliène  sou- 
leva pas  la  pitié  et  le  rire  des  contemporains  de  Guillaume 
d'Adam, 


I.  <^  sont  les  îles  Moucha  uu   MouisOy  à   l'entrét^   Un   i^çolfe  de 
Ttwljourra,  entre  Znyta  pi  Ohokh;  elles  !*ont  aujourd'hui  inhabilités. 


CHAPITRE   VI, 


PHILIPPE    LE    LONG   ET    CHAKLKS    LK    HKL. 

Philippe  le  Bol  et  Clémoni  v  moururent,  à  pi^it  de  moi» 
frintervalle  (I3l^i),  au  milieu  des  propiiratifs  do  la  croisade, 
lêt^uaiU  :'i  leurs  suocesseurs  le  soiii  de  la  mener  â  Hanne  fin. 
Hènlief  des  desseins  du  pape  défunt,  Jean  xxii  L-imlirnia,  au 
lendemain  de  sun  élection,  la  dime  concédée  au  roi  de  Franco 
par  siin  prédécesseur,  et  bientôt  mémo,  pour  favoriser  plus 
diri'Ctemerjl  l'œuvre  ciunnietu-ée,  aulnri'ja  la  levée  de  deux 
nouvelles  dimosentièreH  dans  le  royaume  de  France  (  13 IG- 17}'. 

A  l'appel  du  concile  de  Vienne,  un  des  grands  feudataires 
de  la  couronne,  Louis,  con)le  de  Cleruiont,  plus  Uxi'd  duc  de 
Bourlion.  avait  répondu  des  premiers;  petit-fils  de  saint 
Louis,  ciievalier  renommé  pour  ses  hauts  faits  et  sa  sagesse, 
il  avait  pris  la  croix  et  son  exemple  avait  entraîné  une  foule 
de  chevaliers,  parmi  lesquels  Jean,  soigneur  de  Charolais. 
propre  frère  du  comte  de  Clermonl  (t3t(»).  Le  comte  de  Poi- 
tiers avait,  depuis  lonj^tomps,  pris  le  même  engagement  ;  la 
prédication  de  la  croix,  faite  par  le  patriarche  de  Jérusalem, 
réveilla  l'enthousiasme;  toute  la  chevalerie  de  France  se 
laissa  f^agner  par  le  zèle  général.  Le  i-oi  n'éljiit  pas  le  moins 
ardent  à  encouraj;er  reulre|irise  ;  mais,  empêclié  par  les  af- 
faires intérieures  iU\  royaume  de  se  mettre  eu  personne  à  la 
tête  de  l'expédition,  Philippe  le  Long  songea  à  envoyer  en 
Terre  Sainte  une  sorte  d'avaut-garde  sous  les  ordres  de  Louis 
deCleraionl,  auquel  il  fu  conlîa  le  commandement,  le  13  sep- 
tembre 1318.  C'était  donner  satisfaction  au  désir  d'aclivilê 


1,  l'i.septembr<^  mii 
J'iH  et  152. 


Il  janvier  1317.  CBîbl.  nat.,  franc  'i425.  f.  132, 


PRÉPARATIFS  DE  CI.ERMOXT  ET   DR  rUARLES   f.E   BEL. 

b«*lliitiiouite  qui  aminaîl  toute  la  France;  c'était  eu  même 
tomps,  de  l'avis  dos  horames  do  guerre,  prendre  une  mesure 
pxcellente  au  point  de  vue  militaire,  car  le  corps  mis  sous  les 
ordres  de  Clorraoïu  devait  préparer  les  voies,  et  lainliter  les 
mouvements  de  la  croisade  générale  ».  Une  piueille  entieprise, 
cependant,  n'allait  pas  sans  soulever  des  difdcultés  de  plus 
d'une  sorte:  il  fallait  promettre  aux  croisés  les  indulgences 
papales;  il  fallait  obtenii-  raiitnrisalinn  de  percev<nr  une 
partie  de  la  dîme  établie  par  le  crmcile  de  Vienne  (100  OOfl  flo- 
rins) el  do  l'appliquer  à  l'expéditioji  particulière  du  corole 
de  Clermont;  enfin,  pnur  calmer  les  impatients,  rendez-vous 
dut  être  désigné  pour  le  départ  ';  mais,  avant  le  jour  fixé,  des 
obslîicles  survinrent  ;  la  guerre  des  Pasttmreaux  absorba  tous 
les  efforts  «le  Philippe  le  Louji.  et  ce  prince  mourut  sans 
avoir  pu  songer  à  la  croisarle. 

Son  successeur,  Charles  le  Bel,  qui  s'était  croisé  dès 
1313,  manifesta  hautement,  â  s<iu  avènement  au  trnne.  Tin- 
tention  de  réaliser  U^s  jirojets  de  sitii  prédécesseur.  1)  renou- 
vela à  son  cousin  les  promesses  antérieures,  obtint  du  pape 
les  indulgences  pour  \i\  croisade,  et  la  ciinfinuation  pour 
quatre  nouvelles  années  îles  diuu*s  précédemmi'iil  constMities'; 
il  donna  mémo  un  c^uumencement  d'exécution  à  rexpédïtion 
eu  melUnt  le  vicnmte  de  Narbonru\  Amaury,  à  la  tèto 
d'une  flotte,  avec  la  promesse  de  vingt  mille  livres  parisis 
|iour  chaque  année  de  service.  En  même  temps,  les  avis  des 
plus  expérimentés  lui  panenaient  de  toutes  p^rts:  on  s'em- 
pressa, une  fois  de  plus,  de  léclairer  sur  la  situation  de  la 
TeiTB Sainte  et  <le  lui  signaler  les  meilleius  moyens  iVy  porter 
remède*. 


1.  A-  de  Uuiâljsie,  Projet  </<•  eroimdc  du  itremîer  duc  de  Buurhun 
{Knn.  Bull,  de  la  Soi'iét<^  de  l'Histoire  de  France,  1872.  ji.  2:î9-'iU. 

2.  22  juillet  V.\y.i  (lliiillarvl-ltrélioltes,  Titres  dt'  fiourhon.  l,  p.  26H). 
—  21  et  25  mars  i:ilK  (Jiibl.  nat.,  franc.  'i'v25,  f.  170  et  17'.).  —  His- 
tùrien»  de  f-'rancf,  xxi.  G72. 

3.  A.  de  Uoislisle.  Proj>l  de  croistide....  p.  232.  Les  dîmes  furent 
renouvelOos  pur  Jean  xxii  puur  deux  aiw,  le  26  juin  1322,  et  pour  une 
seconde  période  biennale  le  18  ilécembre  I.12'i  (BihI.  nat..  franr.  iiV2ri, 
f.  208  et  21.0).  —  1^1,  Prtijettt  de  rroimde  sons  tjiarte»  le  Iiel<t  sou» 
Philippe  de  Valois  (llif)!.  de  l'Kcole  des  Ch.,  1859,  p.  503). 

'i.  Um  avis  du  ^rand>maitre,  de  l'évoque  de  Monde  et  de  l'évéque 
da  Léon  nous  sont  parvenus  dans  deux  manuscrite:  Bibl.  nat.,  lat.  7470, 
r.  IK-tZav:  123  vo-129  vo;  172-178,—  et  Itibl.  Sainte-Goneviôve.  Fa28, 


80  PHILIPPE  LE  LONG   ET  CHARI.E8  LE  BEL. 

Parmi  ces  avis  se  place  en  promièro  ligne  celui  du  ^and- 
inaître  de  l'Hôpital,  dont  rmitinité  élait  inci>ntes<4il>Ie  en 
ces  lïiatièros.  Héiiuii  de  Villeneuve,  partisan  du  passage 
g<^néral,  écartait  la  voie  par  terre,  celle  qu'avaient  suivie 
les  arméoH  do  Pionv  l'Einiite  et  de  Godefrov  de  Fîonillnn, 
et  préconisait  rembaniueiuent  des  troupes  dans  les  divers 
ports  d'Espagne,  de  France  et  d'Kalie,  et  leur  concentration 
à  Chvpre  ou  à  Rhodes'.  II  domandait  r(u'nti  délai  de  (piatre 
ans,  consacré  aux  prépîu'atils,  séparai  la  prédicaliou  de  la 
croix  du  départ  des  croisés;  que  les  gages  des  soudovers 
fussent  ealnilés  ponr  cin/|  îuis  sans  interruption,  et  ceux  des 


f.  lay-l'iH;  l'i'v-lol  ;  1ô!-!62  v.  Ces  mniiuscrîts,  qui  conliennent 
d'autres  traitas  reiatifu  à  la  'IVrre  Sainte,  sont  du  commencement  <lu 
xtv*  siècle.  Fin  étudiant  spècialemfîiit  le  manuscrit  latin  7470,  nous 
croyons  qu'on  doit  le  dater  de  \'Ml\  à  i;(2K;  ce  n^sultat  nest  pas 
contredit  par  l'examen  palt'Hjjrraphiipie  du  niaiiuspritde  la  Bibliothèque 
Sainle  Geneviève.  Nous  iivons  foni\é  notre  roiiviclîon  : 

t»  Sur  les  miniatures  du  manuscrit  latin  7'i70  (|ui,  outre  les  éléments 
paléograpliiquoât  nrdioaires,  oflrent  ta  particularité  de  repré^aenter 
toujours  le  roi  de  France  avec  un  écu  aux  armes  de  Fnnu*e  el  de 
Navarre,  ce  qui  ne  se  rapporte  (|u'à  Philippe  Je  Hel,  Philippe  le  Long 
et  Charles  le  Del. 

2*  Sur  un  passante  de  l'avis  de  l'évéque  de  Léon  (f.  129  v")  qui  pro- 
pose de  marier  la  (iIIimIu  roi  de  Navarre  avec  le  petit  roi  Alphonse 
de  Castille  t  qnia  cuiii  alia  de  domo  Fraricïe  tiori  nun  potest.»  C«  per- 
sonnage ne  peut  Hrc.  Alplionse  de  la  Terda  (li!li6-lU05),  parce  tju'il  n'y 
avait  pas  aloi*s  lie  lillo  de  Navarre  (ainbi  se  trouve,  en  même  temps, 
écartée  l'hypothèse  d'après  laquelle  le  manuscrit  aurait  été  écrit  sous 
Philippe  le  Itel).  Reste  Alphonse  M,  né  en  t^lO,  rui  en  Ktli,  mai-ïé 
en  l:l28;  or,  de  i:tl2  îi  I32H,  tn>is  t»auirs  de  Charles  le  Mauvais  ont  pu 
être  mariées;  mais  par  contre,  entre  1323,  date  du  mariage  de  ta 
quatrié[ne  fille  de  Philippe  le  I^ng,  et  1328,  date  de  la  iiaÎAsanco  de  sa 
cinquième  tille,  il  n'y  avait  pas  de  tille  de  France  (ainsi  si;  trouve 
àcarté  t'hilippe  te  lAing).  La  date  h  adopter  est  donc  1323-28.  L'avis 
de  l'évéquo  de  Léon  se  trouve  donc  ainsi  daté. 

Reste  une  objection:  c'est  que  les  autres  avis,  ceux  du  grand-maitrc 
et  de  révéfjue  de  Mende,  peuvent  être  antérieurs  et  avoir  été  transcrila 
danii  ces  manuscrits,  écriLs  en  vue  de  Texpéditiuii  de  Charles  le  Ilcl. 
Nous  ne  croyons  pas  cotte  objection  sérieuse,  car  les  projets  de  croisade 
étaient  choses  d'at'tualité,  et  il  est  peu  vraiscmhlat>le  que  d'anciens 
projets  aient  été  transcrits  postérieurement.  La  chose,  cependant, 
n'est  |tas  impossible;  mais  nou.s  n'avons  pas  cru  devoir  nous  arrêter  à 
cette  considération,  et  avons  rapporté  les  divei-s  avis  de  ces  manuscrits 
»la  période  de  1323  2«. 

ï.  liibl.  nat.,  lat.  '4:0,  f.  173  v«  et  175. 


AVIS    UK   liVUA.WMK    lUrRANl). 


Si 


galèrfts  à  huit  mois  par  an'.  Enfin,  et  c'est  là  le  point  saillant 
(le  l'avis  du  grand-tnaitrn,  il  fallait  décider  les  nations  cliré- 
^eunes  à  roni|ire  (oui  conimeree  avec  l'Kgyple,  l'isoler  en 
•t;ibli:44ant  une  cpjisière,  eï  eiupêclier  toute  importation  (mi 
l'xportation  par  la  Méditerranée.  On  détournait  ainsi  U^  cnn»- 
inerce  dos  Indes  de  h  mute  rie  ta  nier  Rouge  en  faveur  de 
l'Arménie^  par  la((uelle  il  devait  fuUili'iue«nl  chercher  à  attein- 
dre la  Méditerranée.  Pensée  d'une  pndVintle  portée  cfun- 
inerciale  et  pnlitique,  dont  nous  avons  souvent  déjà  rencontré 
l'expression  au  cours  de  ce  travail,  mais  dont  jamais,  si  ce 
n'est  cJiez  Sanudo.  les  conséfiuences  et  l'utilité  n'avaient  été 
aussi  nettement  établies*. 

A  c.4Hé  du  fri'and-niaitre,  deux  prélats,  Tévôque  de  Mende 
et  révè<|ue  de  L<?on,  exprimaient  au  roi  leiu*  opinion  sur  la 
conduite  à  tenir  â  la  veille  de  riîxpédition. 

Guillaume  Durand,  le  jeune,  évéque  de  Mende  (I2fl7-l;ï*^8). 
élaii  le  neveu  de  rauteiu*  des  compilations  célèbres  i]fin\  la 
mémoire  a  traversé  le  mr>ven  âge,  entourée  d'un  remtm  uni- 
versel do  science  et  d'illustration  littéraire.  Il  avait  succéilé 
à  son  <mcle  sur  le  siè^e  épisc'»|i;il  de  Merld(^  et  nous  savons 
<|ue,  jouissant  de  la  faveur  poatittcale,  il  fut  mêlé  à  toutes 
les  questions  im])ortanlcs  qui  agitèrent  la  chrétienté  liaus 
les  premières  années  <lu  xiv"  siècle'.  Ses  vues  confirmaient 
dans  leur  ensemble  celles  ([ue  nous  avons  déjà  exposées  plus 
haui.  Union   des   princes  chrétiens  dont  le  désaccord   était 


1.  •  Item  et  avei^ne  que  le  passage  soit  ordîné  et  la  croix  trps 
t  urendroit,  si  corivendra  que  les  princes,  b.irûns  et  autres  bono  gens 

•  airnl  Ue  un  ans  en  sus  espiice  ilVanx  attirer,  garnir  et  ordincr  lour 

*  Ut^aui^iieK Ileiii.  t-e  il  plaist  au  saint  «yege  aix>stolical  d'ordcner 

t  U'K  somlels  des  mil  homes  à  cheval  et  nu  aubalrstriers  v  ans  con- 
«   liiiucls,  et  L.v  (çualées  i-hascun  au  vui  moys;  et  les  susdites  ^uukVs 

tn  gens  bcrront  coniperii/  ii  Itoddes  et  en  t'hipre  en  tens  et  eu 

maisons »  (Itibl.  uat.,  lat.  :'i70,  f.  170  v"). 

•2.  On  peut  compai'or  les  considérations  comLnercialert,  développées 
par  le  grand-maître,  avec  l'avis  de  Sanudo  relativement  au  blocus  de 
rKgypte.  V.  plua  haut,  pages  36-8. 

3.  Il  mourut  &  Nicosie,  dans  l'ile  de  Cliypre  eu  l'MH  [GaUin  Cftn'H- 
liana,  i,  Vu:  -  Histoire  littéraire  de  ta  France,  \\,  430».  —  Si  le 
lecteur  n'adopte  pas  les  conclusions  que  nous  avons  posées  dan»  la 
note  i  de  la  page  "U,  le  mémoire  dont  il  est  iel  question  devra  être 
attribué  a  (iuillaume  Durand,  le  vieux,  évéque  de  Mendo  de  1285 
k  V2*JÙ. 


82 


MriLIPPE  LE   LONG    KT  CltARI.RS   LK  BKL. 


■ 


fatal  aux  ini^rèts  latins  dans  le  Lovant',  déftmse  d'exporUT 
niiciino  raarcliandise  en  Orient,  création  d'une  forco  maritime 
et  militaire  impartante  envoyée  en  Asie  Mineure  par  mer, 
tandis  qu'un  cnrps,  i'oiirni  par  l'ordre  de  rHi'tpital  et  s'ap- 
pnyant  sur  tes  éléments  rlu'étiens  restés  en  Palestine,  faci- 
literait l'arrivée  et  le  débarquement  rio  l'expédition,  coopé- 
ration iudispousiibîe  des  Génois.  Hisans,  Vénitiens  et  des 
puissances  marilimes  :  tels  sont  les  prinripanx  point.s  sur 
lesquels  insistait  l'évèque  de  Mende.  Coiuuu'  Ions  eenx  qin* 
préoccupait  cette  question  capitale,  il  était  partisan  d'au 
passage  général,  et  exhortait  le  Saint-Siège  à  multiplier  les 
avantages  spirituels  et  matériels  promis  à  ceux  qui  pren- 
draient la  croix.  Ces  avantages,  dans  son  opinion,  devaient 
s'étendre  aussi  bien  au  clergé  séculier  qu'au  clergé  régidîer. 
aux  grands  dignitaii*es  de  l'Eglise  qu'aux  souvei-ains  tem- 
porels ;  il  fallait  qu'ils  fussent  assez  importants  pour  que 
personne,  à  la  voix  du  pontife,  n'hêsitAt  à  sacrifier  la 
position  dont  il  jouissait  en  Occident  h  celle  dont  la 
perspective  lui  était  offerte.  Ni  TAge,  ni  l'incapacité  de  porter 
les  armes  ne  devaient  être  une  cause  d'exclusion.  La  nou- 
velle croisade  faisait  appel  au  Ixtn  vouloir  de  tous,  et,  piiisqm* 
l'enthousiasme  religieux  ne  suffisait  pas,  elle  s'adressait  à 
l'intérêt  persnnurl  pi»iu*  déterminer  un  mouvemeui  nniversid 
d'opiuion.  C'était  bicu  ctuinailre  les  seutinients  des  popu- 
lations ;  les  moyens  techniques  exposés  par  Guillaume  Du- 
rand en  font  foi';  les  conseils  excellents  donnés  pour  pré- 
parer les  approvisionnements,  pour  recruter  Tannée,  pour 
lui  choisir  un  chef  au-dessus  des  inHuences  de  parti,  mon- 


1.  Parmi  les  querelles  qui  divisaient  les  princes  chrétiens^  une  des 
plus  funestes  était  celle  des  princes  dR  Hourçogne  et  de  Sicile  au  sujet 
de  la  principauté  d'Aclinie.  I.(i  pape  Jean  xvu  avait  priA  Philippe  le 
l>ong  (15  scptembpB  1320)  de  s'iiitprjio«er  jxjur  rétablir  l'accord  entre 
les  deux  maisons  (Mas  l.atrïc.  Commerce  et  Kxpéditions.,.,  p.  47), 

2.  La  grande  préoccupation  de  rtuiliaume  Durand  est  de  ne  pas 
créer  aux  croisés  un  état  dinfériorité  vis-à-vis  de  ceux  qui  resteront 
en  Occident,  il  projiûse  de  leur  pcrriietlre  d'afTermer  leurs  terres  et 
leurs  bénéfices  pondant  leur  absence,  de  promulguer  des  lois  somp* 
tuaires,  de  suspendre  les  procès  pendants^  de  fixer  le  maximum  de 
la  dot  que  tes  chevaliers  donneront  k  \cuv8  fliles  (l'exagération  de 
cette  dot  était  une  source  de  ruine  pour  la  noblesse),  de  ramener  la 
monnaie  :*  un  taux  uniforme,  etc. 


// 


AVIS   DK   l/KVK<irK   OK   LEOS. 


83 


\      Ui\i 


»nt  qu'ils  éuianaiont  d'un  luimrae  auquel  les  affaires  d'Orient 
kiout  familières  * . 

Kn  sa  qualité  d'Espagnol,  rêvêque  de  Léon*  insistait  sur- 
vint Mur  le  iiai'ii  qu'on  pourrait  lin>r  des  contiiigcuts  t»spa- 
ds  fît  gascons  ;  il  rwoinmandait  lu  formation  d'un  curps 
[(»  <loux  niillo  lïomiues  pris  parmi  k's  kabitanls  de  ces  pays 
[cursores  m  fqms},  habitués  à  couibatln^  I«s  Sarrasins  et 
isceplibley  de  rendre  d'inestimables  services.  Lui  aussi  se 
réuccupait  de  rélaljlir  la  concorde  entre  les  princes  chré- 
»ns,  et  surtout  enliy^  les  coui*s  d'Ai'agon  et  de  France,  par 
»»  inai'iages  entre  les  enfants  des  familles  régnantes.  Au 
uni  de  vue  militaire,  il  se  prononçait  pour  la  route  de 
'rc,  et  préconisait  l'allianco  Tartare,  sur  laquelle  les  croisés 
"ÏHHJvaieul  compter  avec  une  absolue  confiance;  elle  devjiit 
leur  pennelli'e  de  vaincre  d'abtu'd  les  Grecs,  et  de  tonniiT 
'  iMisuite  kmrs  armes  victorieuses  contre  les  Musulmans.  Il 
^Bt^c'ommtUidnitj  en  terminant,  la  pnsitiuti  de  Tyr  et  tirs  tii4>ii- 
^^u^nes  qui  rentourent  coiumi'  émiueiiiuit'Ut  favorable  ù  la 
^BftHistjiiuïe  et  à  la  défense. 

^^  Les  cinNiustances,  mal*j:ré  tous  les  efforts  faits  p(tur  réa- 
j^li'îer  l'expédition,  ne  permirent  pas  à  (^harles  le  Bel  <le  tenir 
^■tes  promesses;  l'argent  recueilli  eu  rue  de  la  croisade  s\>n- 
^Hloutit  dans  de  vaines  tentatives  pour  arracher  la  com^onue 
^^Pi4>ériale  à  L<mis  de  Bavière.  Louis  de  Clermonl,  à  l'exemple 
r  du  roi,  s'absorba  dans  les  mémos  intrigues,  puis  dans  la  guen'e 
,  dos  bâtards  en  Aquitaine,  mais  sans  jierdre  de  vue  le  passage 
iroutre-mer.  Kn  13^.'»,  jl  convoquait  les  pèlerins  pour  leur 
inoncer  qu'obligé  de  différer  le  départ,  il  leur  donnait  reii- 
■A'oUH  à  l'année  suivante.  Cette  déclaration  fut  accueillie 
par  des  protestations  et  des  murmures  indignés  ;  l'année 
livantr.  devenu  <luc  île  Bourbon,  le  comte  de  Clerniont, 
ircé  d'ajourner  encore  la  croisade,  souleva  l'indignation 
•nérale  des  croisés  par  ce  nouveau  rlélai,  dont  la  uialiguilé 


\f^z- 


1.  Les  vivres  et  la  solde  seront  assurés  pour  un  an;  les  croisés  rl(^ 
iaqiie  royaume  ou  de  ohaquo  province  obéiront  à  un  capitatiin 
M'oinl;  on  s'approvisionnera  à  l'avance  des  chevaux,  qui  sont  rares  et 
icrs  quand  ils  doivent  ùirc  recruti^s  rapidement;  on  chargera  des 
liciers  du  soin  des  armes  et  des  machines;  on  exercera  ^ëcjalement 

combattanift  au  tir  de  l'arbalète,  etc. 

l  Oarciiis  d'Ayerve  (\\iVJ  —  1  octobre  IXJ2). 


M 


PinUPPE    LE    I.ONO    KT    CHARLES    LE    BEL. 


populairo  s'empai'a,  malgré  les  prutestations  publi<iues  et 
solennelles  du  duc*. 

Plxarles  le  Bel,  cependant,  pour  renoncer  à  la  croisaile, 
lie  perdait  pas  de  vue  les  affaires  d'Orient  ;  uo  pouvant  ré- 
tablir j)ar  les  armes  la  paix  dans  le  Levant,  il  chercha  ;'i 
l'assurer  par  la  v<dH  diplomatifiue.  Dans  ci»  but  il  obtint  ilii 
Saint-Siège  Tautorisation  d'envoyer  au  Soudan  un  ambassa- 
deur, Guillaunu^  Bonnes  Mains,  qui  ht  accord  à  Barcelone 
avec  un  marchand  catalan,  le  8  juillet  13'27,  pour  le  voyage. 
La  mission  du  plénipotentiaire  français  touchait  les  intérêts 
do  la  foi  en  Orient;  sans  eu  connaître  exactement  l'objet,  il 
n'est  pas  téméraire  de  supposer  que  Charles  le  Bel  cherchait 
â  garantir  aux  Clirétions  du  Levant  te  libre  exercice  de  Ifur 
culte  et  la  neiitralifè  des  Musulmans.  Bonnes  Mains  avait  été 
autorisé  à  embariiuer  pour  TLgypte  une  cargaison  de  mar- 
chandises non  prohibées;  il  eut  le  tort  d'écouter  â  Aigues- 
Mortes,  où  le  navire  nolisé  à  Barcelone  devait  le  venir  pren- 
dre, les  propositions  d'un  négociant  catalan.  Pierre  de 
Moyenville.  et  de  l'accepter  comme  associé. 

A  peine  en  mer,  la  discorde  éclata  entre  Bonnes  Mains  n 
Moyenville;  ce  dernier  se  llatlait,  sous  le  couvert  de  la  mi^- 
sion  diplomatique  de  son  compagnon,  de  se  livrer  à  la  contre- 
bande. A  Alexandrie,  l'envoyé  français  fut  d'abord  très  c*tr- 
dialement  accueilli  ;  le  bruit  cmnit  même  que  h'  soudau  s(» 
disposait  à  abandonner  le  royaume  de  Jérusalem  à  Charles  h» 
Bel  et  à  envoyor  une  ambassade  en  France.  Mais  Moyen- 
ville,  par  dépit,  se  faisant  l'interprète  des  plus  mauvais 
propos  contre  Bonnes  Mains,  sut  faire  parvenir  ces  rumeurs 
jusqu'à  l'entourage  du  prince,  tandis  qu'il  vendait  la  car- 
gaison et  s'en  appropriait  le  prix.  Aussi,  â  l'audience  d«» 
congé,  Bonnes  Mains  fut-il  fort  mal  reçu  par  le  soudau  : 
celui-ci  déclara  qu'il  garderait  Jérusalem,  n'enverrait  aucune 
ambassade  en  Occident  et  se  borna  â  remettre  à  l'ambassa- 
deur une  lettre  pour  le  roi".  L'échec  était  dft  entièrcmenl  à 


1.  A.  de  Boislisle,  Projet  de  croisade...  p.  282-3.  Jusqu'en  1333.  il 
y  eut  entre  le  Saint-Siège  et  le  duc  de  Itoiirbuii  des  pourparlers  au 
sujet  de  la  croisstle.  V.  Iloistisle,  luco  eitatu,  passim. 

2.  De  retour  en  France,  les  faits  que  nuus  venons  d'exposer  et  que 
Moyenville  nvait  dénoncée  en  les  déHgurant  à  son  profit,  donnér«Mit 
lieu  â  iiijf^  eiKpii'te,  qui  Ht  éelater  la  parfaite  innocence  do  Honnos 
Mains.  Il  fiijliii  pluMours  années  encore  et  l'intervention  énergique  do 


MORT  DE  CHARLES   LE  BEL.  85 

Moyenville.  Charles  le  Bel  mourut  avant  de  l'apprendre,  lé- 

fîuant  à   son  successeur  des  projets,   toujours   différés,  de 
passage  en  Terre  Sainte. 


Philippe  de  Valois  auprès  de  la  cour  d'Aragon,  pour  obtenir  la  répa- 
ration des  torts  causés  au  négociateur  français  (Lot,  Projets  de  croi- 
Kttde  sous  Charles  le  Bel  et  sous  Philippe  de  Valois,  dans  Bibl.  de  l'Ec. 
(les  Ch.,  1859,  p.  503-9;  —  Lot,  Essai  d'intervention  de  Chnrles  le  Bel 
en  faveur  des  Chrétiens  d'Orient,  dans  Bibl.  de  l'Ec.  des  Ch.,  1875, 
p,  588-600;  —  D.  M.  K.  de  Navarrete,  Dissertacion  hist.  sobre  la 
parte... j  p.  85.) 


Il  fallait  ((iio  lii  quoslioii  iriuleTV(»iifion  aux  Lioiix  SaiiiW 
iiit  fiaiis  los  prénccïiiialii'tis  |uibli(jiiMs,  an  xn*  siècle,  ui^i' 
placo  bien  impoHaute  pour  que  chaque  roi,  à  son  avènemoiit 
au  In^ne  «le  Franco,  reprit,  avec  nn  tivs  réel  rlésir  dt»  K-s 
faire  ahoulir,  ries  projets  de  croisa^r  qui  éclumaieni  toujnui'H 
au  moment  ort  leur  exécution  semblait  imminente.  Phi- 
lippe de  Valois,  comme  ses  prédécesseurs,  ne  manqua  pas  à 
celle  tradition  ;  pour  réaliser  nn  dessein  dont  si>n  onclo  et 
son  cousin  lui  avaieni  légiu>  le  pieux  devoir  avec  la  couronne, 
il  d(''ploya  l'ardeur  t\i  l'af^livilé  les  jilns  Inualdes.  Roi  uiagiii- 
Hiiuo  ni  chevaleresque,  il  Uii  frappé  du  rôle  (juo  ses  îu'uics 
étaient  appelées  à  jnuer  eu  Orient;  le  déphiieuient  de  luxi» 
tprappelait  une  pareille  expéflition  flatta  ses  goûts  de  n»a|^ni- 
Hcencc  cl  d'érlal  ;  in\  le  vit  bien  à  Taclivilé  <(ni  présida  aux 
jiréparatifs  el  (pie  justifiait  l'inipatience  de  la  noblesse 
ri'an(;aise. 

î*e  souverain  pontife  ne  |>emvait  qu'enciuira^er  l'enthou- 
siasm<*  que  la  Krani'i*  nianifi^slail  ;  dès  I3:în  [Hî  juin),  il  accrn*- 
dait  an  roi  la  levée  d'une  dime  pour  deux  ans  :  Tannée 
suivante  (5  décembre  t3.'U),  il  promulguait  des  indulgences 
]Htnr  qnicon([ue  se  croiserait,  et  Philipiie  vr  prenait  les  dis- 
jMisitinns  nécessaires  pi>nr  faire  déposer  en  lieu  sfir  le  produil 
de  la  rlime  consentie  par  le  Saint-Siège  jusqu'au  jour  01*1  lo 
vovage  d'outre-mer  s'efleclueruil  (133?)'.  L'année  suivante. 


1.  16  jpin  1330  (Bibl.  nat-,  franc.  4525.  f.  282).  —  tt  décembre  13»! 
(Arch.  nal.,  P.  2289,  î.  692;  —  Bibl.  nat.,  franc.  4425,  f.  8).  -  1332  (.\rch. 
mil.,  J.  455,  n»  li). 


NKOOCIATIONS   DE  PHIMPHE   DK   VALOIS  AVEC   VENISE.      87 


I 


{?6  juillet  1333)  Jean  xxii  renouvelait  pour  six  ans  la  dime 
ootrojrée  en  1330.  Elle  portait  sur  le  revenu  des  bénéflce» 
(H*clésiastiq«es,  â  l'exception  des  bénéfices  appartenant  aux 
itrdre.s  de  chevalerie  et  des  bious  rt-giilièrement  exeinplé-s. 
Le  pape  appliiiuail  aussi  à  la  croisade  les  anuates,  les  soniines 
données  pour  le  rachat  du  vœu  de  croisade,  le  produit  des 
indulgences,  des  amendes  el  confiscations,  et  les  dons  oi  legs 
faits  aux  églises  sous  des  conditions  innt>r(aines  ou  obscures. 
Li'  rccou\Ten»ont  de  la  dîme  était  confié  au  roi  de  France  ;  en 
même  temps  des  avantages  étaient  accordés  aux  prélats  qui 
prendraient  la  croix  ;  l'absolution  était  promise  aux  excom- 
numiés  qui  accompagneraient  Philippe  vj  en  Orient  ;  le 
royaume  de  France  et  les  croisés  étaient  placés  aous  la 
pnitcclion  spéciale  de  la  papauté,  et  les  indulgonces  les  plus 
éumdues  accordées  à  quiconque  de  sa  persiuine,  de  son  argent 
r»u  de  ses  prières  concourrait  à  rexpéiIKion  '. 

Pendant  ce  temps  Philippe  df  V;dnis  ne  restait  pas  inactif. 
Dés  1331  ^IS  novembre),  il  écrivait  au  dnge  de  Venise  ol  le 
priait  d'envoyer  à  la  cour  de  France  des  personnes  expéri- 
luentées  pour  arrêter,  avec  elles,  les  lutiyens  de  transporter 
inie  armée  en  Timtc  Sainte  '.  Le  doge  s'empressa  do  déférer 
H  ce  désir;  au  printemps  suivmit  ses  représentants  Jean 
IΫdlegiïo.  niaise  Zéno  et  Marin  Morosini,  remettaient  â  Phi- 
lipjH»  VI,  sous  fonne  de  mémoire,  la  réponse  aux  questions 
|iii»ée»t.  C'est  qu'en  effet  le  projet  d'expédition  répondait  à  un 
sentiment  géuéral.  Venise,  comme  les  autres  nations  chré- 
tiennes, nubliail  un  instant  les  intérêts  de  sou  commerce, 
opposés  â  une  intervention  dans  îe  Levant,  pour  ne  songer 
qu'au  danger  d(Mit  les  pi*ogrés  de  la  puissance  ottomane  me- 


1.  Bullei*  ■  I^ticîe  nohis  mull«ï  «,  >  Terra   sancta  redemptoris  i, 
Prid^tn  carissiinuK   «^  «  Ad    lîberandam    terrain   »,   t  Ad  terram 

Minclam  •  du  2(i  juillet  isaa  (Arch.  rmt.,  J.  'iS.*!  (12  pièces);  —  J.  'iS'i, 
Ti-  2,  a,  ;,  h,  6:  —  Itibl.  nat.,  latin  12Kl'i.  f.  22^-:).  —  Cf.  Mas  Latrie, 
ilùtuire  de  Cfnjpie,  m.  72fij.  —  i:i:t:i.  Indulgences  lArrli.  nat..  J.  155, 
11*  17;  —  hibl.  nat.,  lai.  12814.  f.  225).  —  Philippe  vi  rendit  uno  or- 
«lunnanee  relative  ii  la  ilinie  en  oriubre  i:n:i  â  Pois.sy  (Arcli.  nat.,  J.  '»5.S, 
ir*  l*i).  — Jean  \\u  runiplt'la  les  avantages  faits  aux  croisés  par  une 
fa%*our  toute  pepïnjnnfileacrunléeà  lai*einede  France  (21  janvier  IIWii: 
c'était,  si  son  mari  {larlait  en  personne  pour  rexpèdition.  de  participer 
aux  indulgences  octi'oyéeiiaux  croisée  (Arch.  nat..  J.  455,  n**  tt.) 

2,  >laH  Lntrio.  Commerce  et  ExpétUtiunt  militairrt  de  la  France  et 
de  Venise  tt«  moyen  âge,  p.  'J7. 


88 


l'KOJETS    I)K    PHILir^Pl!:    I)K    VAl.OIS. 


naçaient  l'Europe  tout  entière.  La  république  entra  complète- 
ment et  sans  arrière-pensée  dans  les  vues  du  roi  de  France  ; 
elle  l'engagea  à  n*a*jir  qu'avec  le  coucoui*s  du  Saint-Siège  et 
après  paciticatioii  do  l'univers  chrétien  ;  elle  lui  conseilla  de 
n*entreprendro  une  croisade  que  s'il  disposait  de  forces  considé- 
rables, c'ost-â-dirc  de  vinfrt  mille  cliovaux  et  de  cinquante  mille 
hommes  de  pied,  d'approvisiotnietueiits  de  guerre,  de  matériel 
de  «iège,  et  d'une  Hotte  de  vingt  â  trente  voiles  uniquement 
destinée  à  ravager  les  côtes  de  Temptre  musulmati  et  à 
ruiner  le  commerce  de  contrebande.  Il  y  avait  loin  de  ce 
langage  ù  rindifférenoe  avec  laquelle  Venise,  depuis  un 
demi-siècle,  avait  aecueilli  les  prohibitions  commerciales 
édictées  par  la  papauté.  Les  vivres  nécessaires  à  l'armée 
pouvaient  être  tirés  du  rovauriie  île  Nnples,  de  la  Sicile,  do 
la  Romanie  et  surtout  de  la  Mer  Noire  ;  les  Vénitiens  n'en 
liouvaient  pas  louriiir,  mais  Tîle  de  Crète,  appartenant  «  la 
république,  offrait  un  excellent  point  de  relâche  et  de  ravi- 
taillement. Venise  offrait  (le  cuopéi*er  personnellenu'nt 
h  l'expédition  en  fournissant  les  navires  nécessaires  au 
transport  de  cinq  mille  chevaux,  cinq  mille  chevaliers,  niilb' 
écuyers  ou  sergents,  avec  leurs  armes  et  des  vivres  pour  un 
an'.  Elle  mettait  en  oulre  à  la  disjiosition  de  Philippe  m 
quatre  mille  marins,  dont  elle  s'engageait  à  payer  la  solde 
pendant  six  mois'. 

Sur  du  concours  des  Vénitiens,  le  roi  se  hrite  de  prendre 
la  croix  ("^5  juillet  133?,  Melun),  et  d'activer  les  préparatifs. 
Cinq  commissaires  sont  nommés  pour  en  réglei-  tous  les 
détails  ;  leui-s  décisions  devront  être  acceptées  par  les 
liririces  de  la  maison  royale'.  Louis  de  Clermont.  que  les 
dllficultés  n'ont  pas  ivbuté.  se  i*emet  au  premier  rang.  Il  se 
considère  toujcmrs  comme  un  des  cliefs  de  la  croisade;  grnce 
à  son  initiative  personnelle,  la  ville  de  Marseille  est  cnnsulfée 
sur  la  conduite  à  tenir  pour  le  passage  (vers  I33:i;.  Klle 
renouvelle  les  sages  conseils  donnés  jadis   par   le  mi  de 


I.  Celte  flotic  devait  comprendre  cent  galères  el  vaisseaux  buîssiciii; 

|p  reste  devait  se  composer  de  bàlimeiiLs  pluH  petits. 
'2.  Il  mai  i:i3*J.  (Mas  Latrie,  Cummrrre  et  pxpMilion»...^  p.  UR-lOI.) 
3.  Arch.  nal.,  .ï,  ^55,  n«  11. —  Moisli^le.  Projet  de  tnn'taitr..,^  (dans 

Aun.  Bull.  Ue  la  Svc.  de  l'Ilisl.  de  Fr.,  1872,  p.  2361. 


AVIS  DE  LA  Vll.LK  t>K  MARsElU.K  hH"  l»K  M.   I»!-".  VniEVANO.  SI) 

riiypre  à  l'époque  du  concile  de  Vienne  ».  Diviîiiou  de  TexpA- 
rlition  en  deux  corps,  dont  le  premier  quittera  Marseille  nu 
printemps,  à  destination  diroi;fe  d'Alexandrie  et  de  Damiotti? 
dans  le  but  d'isoler  rEy^ypte,  tandis  que  le  gros  de  l'aruiéo 
partira  vers  le  mois  d*aoiU  pour  Chypre  et  liivemera  dans 
l'île  ;  commencement  dos  opérations  militaires  an  mois 
tl'avril  suivant,  avec  l'aide  des  rois  de  Cliyprf^  et  d'Aruicnii' 
et  de  l'ordre  de  l'Hôpital.  Les  points  de  débarquement  choisis 
seront  d'abord  l'île  de  Tortose  sur  la  côte  de  Syrie',  pour 
permettr»?  le  rasitaillenient  de  l'armée;  puis  la  plaine  d'Aire. 
y^\  elle  n'est  pas  trop  fortement  occupée  par  l'ennemi,  on  h'H 
bouches  de  Rosette  et  de  Damiette  eu  Egypte.  De  celte 
dernière  position  on  puurra  faire  une  incursion  dans  le  port 
d'Alexandrie  et  y  brCiler  les  navires  musulmans.  Mais  on 
devra  se  garder  de  prendi-e  tetre  h  Tripoli,  sous  peine  d'èti'o 
écrasé  par  les  forces  considérables  c]ue  les  San-îisins  entre- 
tiennent autour  de  cettn  place.  C'est,  on  le  voit,  une  série 
de  coups  de  main.  pluUH  qu'une  guerre  régulière,  que  préco- 
hi«Miit  ce  projet.  (|ui  se  terminait  par  une  série  de  considé- 
rntions  techniques  sur  l'approvisionnement,  l'armement  et  les 
dimensions  des  bùtiniens  nécessaires  au  passage. 

De  son  coté,  Philippe  vi  recevait  directement  les  meilleurs 
aviî*.  Le  médecin  de  la  reine  Jeanne  de  13ourgogne.  Guy  de 
Vigevano,  de  Pavie.  lui  adressait  un  mémoire  descriptif  des 
machines  de  guerre  à  employer,  de  leur  mode  de  construc- 
tiun.  lies  ponts  â  établir,  des  vaisseaux  b*s  plus  propres  ;'i 
rendre  de  bons  services  à  rexpédition,  des  chars  de  batailb' 
ditut  il  rêvait  la  création,  etc.*.  Un  dominicHin  allemand. 
Jirocard  \  qui  avait  pris  une  part  active  m  l'union  dns  Anné- 


1.  BIbl.  nat..  latin  I2H14,  f.  227  v-2lil  v;—  M.  HuisHsIe,  f*rojet  de 
rrviMdf...,  (Ann,  Itull..  1872,  p.  248-A&).  —  V.  l'avis  du  roi  de  Chypre 
plu»  haut.  p.  i'>l-2. 

2.  Vuir  phiH  haut,  pa^es  22-U,  l'opinion  do  l'idencc  de  Padoue  sur 
cea  poinU  de  déharqiiomonl. 

3.  liuy  de  Vigevano  avait  été  médecin  do  remjMîpeur  Henri  avant 
d  ûtre  attaché  au  service  do  la  pcirii\  Sut»  mémoire,  conservé  ;i  la 
Ilibl.  nat.,  (latin  11015).  a  été  signalé  dans  Montfaucon^  li.  hihf.^ 
n,  lOH. 

4.  On  sait  peu  de  chose  do  Itrocard.  Los  bibliographes  et  les  auteurs 
q«i  M»  sont  ocriipés  de  l'histuire  littéraire  de  cotto  éjwqne  hésitent  à 
idwnlitier  rnntpnr  dn  Dirrclorium  a\ec  un  dominicain,  son  homonyme, 
originaire  de  llarhy  (Sjixci.  qui  fui  religieux  an  Mont  Sion,  et  a  coin- 


I»IRECTORirM    DE    BROCARD. 


* 


niens  de.  Cilicie  à  l'Eglise  romaine,  obtenue  gnice  aux  efforts 
du  pape  Jean  xxii,  dédiait  au  roi  de  Franco  un  traité  très 
étendu,  comprenant  ttmt  un  plan  de  campagne.  Le  séjour  de 
Tauteur  en  Orient,  pendant  plus  de  '2\  ans,  donnait  aux  vues 
toutes  personnelles  de  Brocard  utie  valeui*  particulière  et 
une  autorité  incontestable. 

Brocard  divisa  son  Advis  Direct  if  eu  deux  parties;  il  con- 
sacra la  première  à  démontrer  la  nécessité  de  la  croi.sade. 
les  préparatifs  à  faire,  les  routes  à  suivre;  il  réserva  pour  la 
seconde  le  plan  de  l'expédition,  et  l'appuya  sur  les  arguments 
qu'il  croyait  les  plus  capables  de  convaincre  le  roi. 

Le  mérite  do  ceux-ci  est  d'être  propres  à  l'auteur.  Ce 
caractéi'e  se  fait  jour  4lès  le  début  du  mémoire.  Après  quel- 
ques pages  consacrées  à  certaines  conditions  indispensables,  — 
telles  que  le  rétablissement  de  la  concorde  entit»  les  nations 
chi'étiennes.  ot  sjiécialement  entre  les  puissances  maritimes  ', 
la  création  d'une  Hotte  de  transport  fournie  par  les  Vénitiens 
et  les  Génois,  dont  la  connaissance  pratique  .des  mers  du 
Levant  était  indispensable  aux  croisés",  —  l'auteur  rompt 


|)ûsé  une  description  de  la  Terro  Sainte  (vers  ï'2«5).  Il  y  a  de  grandes 
prDliaIiilit(*'s  pour  <|iie  cette  identilleatioti  soit  légitima.. 

Le  DirecUirium  fut  composé  eti  latin  en  1332.  Plusieurs  manuscrits 
nous  l'ont  consorvi>  sous  celte  forme  (Hibl.  nat..  latin  r»l38  et  5990;  — 
nàle»  I,  28;  —  Kruxrlles,  Hibl.  royale,  ytTti;  —  Oxfonl,  Marie  Magd.,  i3et 
218'â;  —  Home,  Vatican.  Kejr.  Chr..  (i03;  —  N'ienne,  Hibl.  imp.,  53fi).  Il 
fut  traduit,  an  moment  de  son  appîiriticm  (t3'.l3|,  par  Jean  de  \  ignay, 
hospitalier  U  AHopasso  (Londres,  Hritisli  Muséum,  Hoy.  19,  I).  i:  — 
Munich,  fr.  'i9l|.  l'ius  tard,  en  U55,  J.  Miélot*  chanoine  de  Lille, 
sur  l'ordre  de  Philippe  le  Uon,  duc  d«  Hourgogne,  fil  une  nouvelle 
traduction  dans  le  b>jt  de  hervir  aux  projets  de  croisade  de  ce  prince». 
(lUbl.  nat.,  fr.  5593  et  yuH7  :  —  Hibl.  de  l'Arsenal,  ^:w  ;  —  aruxelles,  Hibl. 
roy.,  9095).  Cett«î  dernière  traduction  a  été  éditée  par  Reinenbergdans 
la  collection  des  Moimments  pour  servir  à  l'histoire  des  provinces  de 
>'amur,  llaînaut  et  de  Luxt^mtwurg,  rv,  227-312.  Nous  non»  sommes 
servi  du  texte  de  Ui'iiTenberg  dans  le  préseiU  travail. 

t.  Cette  rivalité  exii^tait  huriout  enin-  b's  f'alalans  et  les  f ■énoi» 
HrocîU'd  jii*op4»se  de  la  faire  cesîicr  en  faisant  agir  le  roi  d'.Srapni 
auprès  des  (alalans  et  le  roi  de  Sicile  anpK's  d(?s  fît^nois.  (hi  devra 
anssi  apaiser  la  fiuerellc  entre  le  roi  Hoheri  <le  \aplcs  cl  Kn^lcric  de 
Sicile;  elle  serait  jtréjudicjable  à  la  croiï^dc  en  eni[H>cliHnl  de  tiit>r 
lies  blés  de  Fouille  et  de  Sicile  (KcilTenberg,  MunumenU...,  eXc.f 
p.  247-8). 

2.  Les  Vénitiens  tenant  Candie,  Négreftont  et  presiiue  toutes  lex  iles 
de  r.Krcl)i(icl,  cl  Ic^i  (j6nuis  [Missédaiit  Péra  cl  (Jall'a  sur  la  mer  ^uire, 


AVANTAfiBS   UK    K\    RorTH    l'AU    TKKRK 


91 


absolument   avec  les  idées  généralement  adoptées  par  ses 
rontemporains. 

S'il  est  opportun  d'envoyer  dans  le  Lovant  une  escadre  de 
dix  11  douxe  galères  ponr  empêcher  la  contrebande  commer- 
ciale avec  les  infidèles,  et  de  renouveler  les  prohibitions  si 
souvent  édictées  déjà  par  le  Saint-Siège,  Brocard  est  formel- 
lement opposé  au  passage  par  mer;  il  préfère  la  voit*  de 
terre  par  Constantinople  et  le  Bosphore.  Il  n'est  pas,  â  propre- 
ment parler,  le  premier  (|ui  l'ait  conseillée  ;  Guillaume  d'Adam, 
avant  lui,  s'était  prononcé  ilans  le  niéitif»  sens,  mais  fti  se 
plaçant  à  un  autre  point  île  vue,  et  en  s'appuyant  sur  des  ar- 
guments différents.  Brocard  écarte  d*ahord  la  route  d'Afrique 
par  (ribraltar.  Tunis  et  TKgypte  comme  trop  longue  et  trop 
périlleuse  '  ;  la  voie  par  mer  de  Marseille,  d'Aiguës  Mortes 
ou  de  Nice  à  Chvpi*e  et  de  là  en  Egypte  ou  en  Syrie,  ren- 
contre en  lui  un  adversaire  acliarné.  La  longueur  de  la  tra- 
versée H  ses  dangers,  les  maladies  dont  elle  serait  la  cause 
pour  les  Français  et  les  Allemands,  peu  habitués  à  la  mer, 
la  fatigue  résultant  pour  les  chevaux  d'un  embarqneijn,'nt 
prrdongé,  sont  les  principales  considérations  qui  doivent  faire 
renoncer  à  cet  itinéraire.  Suint  Lonis  l'avait  suivi,  et  l'on  sait 
la  mortalité  r|ui  décima  s<»n  armée  jMMidaut  son  hivernage  à 

'hypre*.  La  route  d'Italie  n'offi-e  pas  les  menues  inconvé- 
"tiients;  qu'on  se  dirige  par  Aquilée,  l'Istrie,  la  Dalmatie  »»t 
Thf'ssalonique  en  traversant  le  royaume  de  Rassie^,  (m  qu'on 

Icscende  à  travers  la  péninsule  justprà  Hrindisi  pour  franchir 
l'Adriatique,  aborder  à  Durazzo  et  gagner  Thessaloniqui' 
par  l'Albanie  et  la  Valacliie,  ou  que  <rOtrante  l'expédition 
|fassp  voile  sur  Corfou  et  priMUir»  t'*rre  dans  le   Péloponnèse 

Mir  ivjoindrc  Thessaloniqno  à  travers  la  Valachie,  pailoul 
Iph  ci'oisés  trouveront  de  grandes  facilités  d'approvisionne- 
ments. Bien  que  les  jieuples  habitant  la  péninsule  des  Balkans 


lAurx  rtiarliih  roiumiKsairnl  les  niuimlres  parti<.'ulai'it<>a  ilc  cvi»  parages 
rHi-iffriibrr^. -V"»nm/';i/j»...,  etc.,  p.  S'iB-iVH. 

t.  Orocfird  eM  le  proniicr,  aprùs  lî.  Lui!  (v.  page  îîl),  qui  ait  fait 
mmlion  d'un  parril  itinéraire. 

î.  (iiiillnnmf  d'Adam  avait  indiqin^  enfinfîlquesmotslesdangcrsdola 
rodte  d»?  uut,  maià  sans  discuter  Ins  dillV^rentes  routes  de  terro  ounnnr 
le  Eait  HriH-ard.  V.  pa;:e  7:i. 

3.  C'cHt  la  partie  sciitentrionalode  la  Serbie  actuelle.  Son  nom  vient, 
dit-i»n,  lie  la  rivière  rli:"  lt;L'icu,  alDuenr  de  la  Muravu. 


m 


T)IMErTORirM    I)K    HKtlCARO. 


lie  reL  onnaissent  pas  l'autorité  de  l'Eglise  romaine,  ils  n*0Dt 
ni  assez  de  vaillance,  ni  assez  de  hardiesse  pour  s'opposer  n 
la  marche  de  l'armt'^e  rhrtHienne.  Mais  la  roule  d'Allematrne 
et  tlu  Hongrie,  celle  que  Pierre  l'Ermite  a  suivie,  est  sans 
rniilredit  la  meilleure  ;  elle  est  courte,  faoile,  traverse  des 
pa;)'s  riches,  et  ronduira  directement  les  croisés,  grossis  de 
Iniis  les  contingents  alleiuaiids  et  hongrois,  en  Bulgarie;  de 
là.  pour  atteindre  Constantîiiople  et  dans  le  hut  d'assurer  la 
facilité  des  approvisionneiuents,  l'armée  se  divisera  eu  deux 
eorps  ;  l'un,  avec  le  roi.  pîissera  par  la  llulgarie;  l'autre  tra- 
versera l'Ksclavonie.  Il  sera  d'autaut  plus  facile  d'obtenir  des 
princes  de  Bulgarie,  de  Grèce  et  de  Rassie  le  libre  passage 
dans  leurs  principautés,  qu'usurpateurs  de  leurs  états,  ils 
i-raindraient  par  un  refus  de  compromettre  l'existence  de 
Jour  autorité.  Brocard,  cependant,  ne  rejette  absolument  ni 
la  voie  maritime,  ni  la  voie  d'Italie;  la  première  sen'ira  u 
ceux  qui  iront  rejoindre  l'escadre,  la  seconde  sera  suivie  par 
les  croisés  du  sud  de  la  France  et  d'Italie,  et  c'est  à  Thessa- 
Umique  que  sera  tixé  le  rendez-vous  général. 

D'après  le  plan  du  domicain  allemand,  la  croisade  devait 
forcément  se  trouver  en  contact  avec  rem[«ereur  d'Orient  et 
le  roi  de  Serbie;  l'opportunité  d'une  alliance  avec  ces  deux 
souverains  se  posaità  tous  les  esprits.  Brocard,  avec  beaucoup 
de  bon  sens,  la  repousse  absolument.  Les  raisons  qu'il  allègue 
sont  do  deux  sortes  :  les  piemières,  tirées  du  schisme  qui 
sépai-e  les  Grecs  et  les  Serbes  de  la  con)nnuiion  romaine, 
prouvent  qu'une  i»areille  alliance  serait  criminelle  au  poiut 
de  vue  catliolique;  les  secondes  reposent  sur  des  considé- 
rations d'un  autre  ordre,  et  spécialement  sur  le  peu  de  con- 
fiance qu'on  peut  avoir  en  ces  deux  jieuples,  déloyaux 
comme  tous  les  Orientaux,  et  animés  d'une  haine  particulière 
contre  les  Francs,  liaine  dont  ils  ont  donné  déjà  maintes 
preuves  '.  L'auli'ur  insiste  sur  ce  point  en  montrant  que  le 
tnnie  de  Oonstautinople  est  aux  mains  d'une  maison  dans 
laquelle  les  trahisons  ne  s«^  conipU'nt  plus,  et  appuie  son 
argumentation  di's  exeniples  It^s  plus  péremptoires.  Andronic, 
l'empereur  ivgnant  au  moment  on  écrit  Brocard,  ne  dément 
]tas  le  sung  de  ses  ancêtres.  Cjuant  à  la  Serbie,  depuis  de 


I    llrocanl  appuie  cette  dernière  assertion  sur  de  nombroux  oxom- 
pies  dteilTenbi'rg,  MonumcnU...,  elc,  p.  'ifiSt. 


CONQUKTE    Dfi   L  EMl'lKK    DE    CûNsTANTIN'Ol'I.r.. 


IKÎ 


K 


longues  années  en  proie  à  des  compétitions  et  à  des  usur- 
pations de  familïe,  elle  offre  le  môme  spectacle  que  Teinpin' 
li'Orii'iitV  Four  i'intèi'ùt  coniiuun,  conclut  Brocard,  en  s't'ni|i.'i- 
i*ant  fie  l'idôe  dt'-jîi  émiso  par  un  autre  domfnii.aiu,  tiuillaunn' 
d'Adam,  ï|ueUinos  années  aupuravani;,  non  seulement  ou  évittTa 
toute  alliance  avec  la  Serbie  et  l'euipire  d'Orien  t  mais  on  de\  ni 
faire  la  conquête  de  ces  <Ieuîc  pays,  entreprise  dont  la  légi- 
liroîté  se  jusiitie  facilement.  Ne  sait-on  pas,  on  effi'T,  ipif» 
le-s  PaléologuL's,  i]ui  occupant  le  in^ne  d<*  r^tistunlinoplc. 
n'apparliennenl  pas  â  la  liguée  impériale^  Iirnore-l-uii  (jue 
)ps  véritables  héritiers  de  la  couronne  soiil  \os  aidants  de 
t'atlierine  de  Valois,  sœur  île  Philippe  vi  i  Knlin,  le  ina^rsacre 
des  Francs  ordonné  pai'  Paléologiu^  (piand  il  rMssaisil  l'empire, 
n'appelle-t-il  pas  une  éclatante  vengeance,  et  l'usurpai  ion 
dont  se  ioiit  rendus  coupables  les  rois  de  Serbie  ne  merih'- 
i-elle  pas  le  même  chAtimenl? 

Une  fois  enlï'é  dans  cette  voie,  Rrocarrl  ne  s'arrèlf»  [las:  il 
ileveloppe  les  moyens  de  s'emparer  des  élals  de  Paléologue, 
moyens  que  Guillaume  d'Adam  avait  dédaigné  d'indii|uer,  tant 
IVntreprise  lui  semblait  certaine.  La  tache  sera  faeile,  dit  à  s<ju 
tour  Hrocard,  car  les  Grecs  sont  lâches  et  sans  courage: 
deux  mille  Turcs  n'oufils  pas  suffi  â  mettre  en  fuite  rcm- 
ereur  Michel  à  la  lole  d'une  armée  de  dix  mille  homnu's 
d'armes^  Le  même  emperem*  a-l-il  su  résister,  malgré  une 
armée  de  quatorze  mille  hommes,  à  la  grande  Oompagnie. 
flirte  de  deux  mille  cinq  cents  chevaliers  ^  Le  pays  est  dé- 
peuplé et  désert,  les  châteaux  tombent  en  ruines;  les  popn- 
iations  ont  été  traîuées  en  esclavage  ;  le  pouvoir  impérial  n'a 
ni  autorité  ni  énergie,  et  la  puissance  sjiirituelle,  autrefuis 
>i  reiioutable,  est  â  la  discrélioii  des  eni|ierenis  qui  po>enl 
ol  déposent  les  patriarches  â  leiu*  gré.  Dans  de  pareilles 
conditions.  Conslanlinople  seule  cherchera  :*i  résister  aux 
croisés  ;  ses  murailles  sont  en  bon  état  de  défense,  nutis  elle 
compte  peu  de  défenseurs.  Une  attaque  par  terre,  à  la  Porte 
Dorée,  appuyée  par  des  machines  de  guerre,  et  combinée  aver 
une  attaque  sur  mer  par  des  vaisseaux  portant  une  sorte  de 
pont-levis  permettant  aux  assaillants  de  sauter  stu*  les 
tours    des    remparts',    sera   couronnée   d'un    plein   suecés; 


1.  KHitrniilierff,  Monument».,.*  etc..  p.  264-81. 

i.  biiH'iird  avait  vu  employer  à  (ontilaiilinriplo  îles  vai^scuux  ainfti 


blRECTORIUM   DE  BROCARD. 

la  cité  (oniljeia  pras(|ue  sans  combat  aux  luains  des  Chré- 
tiens. Quant  û  Thessaloniqae,  ville  dont  le  périmètre  est  très 
étendu  et  les  habitants  sans  courage,  les  contingents  qui 
auront  snivi  les  nmtos  d'Ûtrante  et  de  Hrindisi  s'en  empa- 
riTifut  aussi  facilement  que  jadis  le  marquis  de  Monferrat'. 
Andtiiiopie  et  les  autres  villes.  t|u:uid  Coustaulinople  sera 
aux  mains  des  croisés,  ne  se  défciiilront  pas  et  tout  l'empire 
sera  couquis  V 

La  prise  de  la  Serbie  u'offrim  pas  plus  de  diffirultês  ;  le 
pays  est  riche  et  fertile,  sans  phu-cs  fortes  ni  châteaux;  en 
outre  deux  nations,  les  Albanais  et  lt»s  Lati»::?.  qui  recon- 
naissent rautorifé  de  la  cour  de  Kome  et  "souffrent  de  la 
tyrannie  des  Serbes,  leurs  maîtres,  accueilleront  en  libé- 
rateurs les  croisés.  Un  niillior  de  chevaliers  et  cinq  à  six 
mille  hommes  de  pied,  unis  à  ces  doux  peuples,  sufdrout 
pour  assui*er  le  trioniplie  des  armes  chréliennes  en  Serbie. 

Les  nvantajïf's  <i'une  pareille  conduite  sont  manifestes; 
rniillînune  d'Adaui  les  a  sigrial<!*s,  Brorard  U^s  expose  à  son 
tour.  L*église  grecque,  dont  le  seliisme  désole  la  chrétienté. 
rentre  dans  \v  sein  de  l'éii^liscroiiuiiiie;  i'expédidon  est  assui-é*» 
d'abondaiils  approvisiouiiennnits  di^  lilés,  vins  et  viandes: 
maîtiHisse  de  l'empire  d'OrienI,  elle  ne  craint  plus  de  laisser 
derrière  rllr  nu  peuple  dont  la  noutralité  est  douteuse:  elle 
Inmve  à  Consiantinupl**  un  inouillajj'e  qu'elle  chercherait  \ai- 
uemeut  sur  les  côtes  d'Asie  Mineiu-e.  depuis  l'emhouchïU'e  du 
Nil  jusqu'aux  Danlanelles.  Enfin,  au^si  bien  pour  assurer  la 
conquête  de  la  Terre  SaiiHe  que  [iour  rcfornuM*  l'armée  en  cas 
d*échec,  la  possession  de  l'i^upire  gi-ec  est  d'une  utilité 
incontestable. 

Mais  il  ne  suffit  pas  d*avoir  soumis  le  pays,  il  faut  con- 
server la  conquête.  Les  moyens  <|ne  l'auteur  jtréconise  dnns 


iliîïposés  par  l'amiral  génois  VL-iHin  Zaccliarla,  neveu  do  Renuit  Zaccharia, 
dont  nous  avuns  eu  l'orcasion  Je  parler  plus  haut,  «  duquel,  en  fait  Uf 
nipr.  vit  Rncoire  une  glorieuse  renommée  »  (ReifTenberg,  MonU' 
meniH...,  etc..  p.  281). 

1.  A  la  suite  de  la  quatrième  croisade  (1204),  l'empereur  Handuin 
avall  dunni^  h  llunîfare  m  de  Muntferrat  le  royaume  de  Tliessalonique, 
Il  avait  Riifli  h  ce  dernier  d'une  poignée  d'tiommes  pour  prendre  pos- 
session du  royaume  qui  lui  avait  été  coni'Mé. 

2.  Voir  plus  haut.  p.  7'i.  l'opinion  de  Guillaume  d'Adam  ;  ({uoique  iden- 
tique par  le  fuiid.  elle  din'ère  sen&i  blême  ni  de  l'avis  de  Itrocard. 


AVANTAORS   DKS   PROJETS   I»K  imOCARD. 


05 


<Q  but  ont  pour  objet  la  iV'forrao  de  rétai  religieux  des  popu- 
lations; on  punira  les  Latins  qui  ont  reni^  la  foi  catholique  et 
on  expuUera  sans  pitié  les  Calogiros  \  dont  la  haine  astu- 
cieuse excite  le  peuple  contre  l'Eglise  romaine.  A  ces  remèdes 
«•nf^rgiques.  Brocard  ajoute  des  conseils  pour  corriger  ce 
qu'il  appidle  les  <  mauvaises  observances  »  des  Grecs,  c'est- 
â-tlire  des  pratiques  religieuses  dont  les  effets  sont  déplo- 
rables. Il  demande  qu'oti  développe  en  CTrèrp  l'étude  du 
laiin  au  détriment  de  la  langue  grecque,  sans  oser  cependant 
prohiber  absolument  celle  derniéï*e  ;  il  souhaite  d*ea  res- 
treindre l'iisuge  autant  que  possible,  e(  [U-oposc  que  tout  père 
rie  [dusieurs  enfants  soit  obligé  d'envoyer  l'un  d'eux  à  l'école 
latine.  La  praticpie  du  latin  est  un  des  moyens  les  plus  efti- 
raees,  non  seulement  de  faire  renoncer  les  Grecs  à  leurs 
erreurs  tliéologiques,  mais  de  créer  un  lien  commun  entre 
les  vaincus  et  les  vainqueurs,  et  de  rapprocher  des  esprits 
dont  l'éducation,  les  idées  et  les  intériHs  offrent  si  peu  de 
jMiints  de  contact. 

L'auteur  entre  ici  dans  le  vif  du  sujet',  c'est-à-dire  dans 
l'exposé  des  moyens  à  suivre  pour  s'emparer  des  Lieux  Saints. 
S'il  a  conseillé  la  conquête  de  l'empire  gii'c,  s'il  a  montré  la 
facilité  qu'elle  présentait,  c'est  que  Constantinople  servait 
admirablement  de  point  d'appui  à  la  croisade  pour  envahir 
la  Palestine;  c'est  que,  sans  la  possession  de  cette  ville. 
la  traversée  du  Bosphore,  —  conséquence  de  l'itinérairt' 
recommandé  par  l'auteur,  —  devenait  impossible.  C'est 
qu'aussi  celle-ci  offrira  aux  croisés  d'inappréciables  avan- 
tages ;  d'abord  la  rapidité  du  trajet,  qui  écarte  toute  crainte^ 
lie  maladie  pour  les  hommes  et  les  chevaux,  puis  le  débar- 
quement dans  une  plaine  large,  découverte  et  sans  chiVteanx 
forts,  la  facilité  de  ravitailler  l'expédition  par  Constan- 
tinople, et  enfin  l'assurance,  au  jour  de  la  bataille,  d'avoir 
une  année  fraîche  et  rejiosée.  Sur  tout  le  littoral  de  la  Médi- 
teiTanéc.en  effet .  de  Gibraltar  en  Kgypte  et  d'Egypte  â  Constan- 
tinople, aucun  autre  point  n'offre  la  possibilité  à  un  corps  expé- 
ditionnaire <  api-és  le  travail  de  la  mer,  de  se  recréer  avant 
qu'il  s'expose  à  bataille  ».  L'Arménie,  à  ce  point  de  vue, 
.yompte  de  nombreux   partisans,  mai»»  à  tort  ;   si  le  débai"- 


1.  Uoini4  de  la  règle  de  saiiU  Maiillfî. 

3.  C'est  l'otijet  de  la  «econde  jtartie  du  mémoire  de  Urocard. 


DJRECTORIUM   DE   BRÛCARt). 

i|uement  y  est  facile,  le  pajs  est  pauvre  et  désert  ;  le  port 
(les  Paux,  le  seul  qui  existe  sur  la  cdle.  est  insuffisant,  et  les 
(lèHlês  des  iiioiitagnes  qui  s'éteutlent  presque  jusqu'à  la  mer 
nliVi'nt  à  la  niai'clie  do  rai'm(k>  de  sérieux  obstacles*.  Vue 
autre  oonsidératiou,  d'une  irt)port€aïH'e  capitale,  milite  eu 
faveur  de  l'adoption  du  plan  de  Brocard:  la  raison  indique 
de  coniHieucer  par  «  abattre  le  chief  de  l'enuemi  p  ;  c'est  re 
que  n'ont  pas  fait  les  Latins  quand,  maîtres  d'Acre  el  de 
Tripoli,  ils  attaquaient  les  Sarrasins  au  centre  de  leur  puin- 
sance,  et  avaient  ainsi  à  lutter  en  même  temps  contre  les 
forces  des  Turcs  et  coiitiv  celles  du  Soudan  d'Egypte.  Kn 
envahissant  d'abord  le  nord  des  imjssessiDii.s  nmsulnianes,  on 
isolera  les  Turcs  des  Egyptiens  ;  on  empêchera  le  Soudan  de 
l>i)rt('r  secours  aux  Turcs.  S'il  était,  en  efTel.  tenté  de  le 
faire,  les  Tartares,  dont  les  états  séparent  l'Egypte  de  la 
Syrie,  arrêteraient  la  marche  du  soudan,  leur  ennemi  mortel. 
Dans  l'hypothèse  contrairt',  celle  d'une  attaque  de  l'Egypte 
j)ar  les  croisés,  le  résultat  ne  serait  pas  le  même  ;  les  Tar- 
tai"os,  en  effet,  n'ont  pas  les  mêmes  raisons  d'empêcher  les 
Tiuvs  de  traverser  leur  territoire  |iour  sivonrir  le  soudan. 
A  sujiposer  même  que  ce  dernier  pni  obtenir  le  libre  passage 
en  Perse,  son  armée  est  si  dégénérée  qu'elle  serait  pour  lex 
Turcs  un  embarras  pJutiM  qu'un  secours  efficace.  II  faut,  *'n 
outre,  considérer  que  lAiialolie,  entourée  île  mers  de  trois 
côtéSf  de  laMéiliterranée  au  sud,  de  la  Propontide  â  l'ouest  et 
de  la  iner  Noiro  au  nord,  est  dans  une  position  excellente 
pour  recevoir  facilement  les  approvisonnemenis  dont  l'expé- 
dition aura  besoin,  et  qu'elle  tirera  en  abondance  de  la 
Thrace,  de  la  iMacédoine,  de  Mamistre,  de  la  Valadiie,  de 
Né^a'epont  ^^t  de  la  côte  septentrionale  de  la  mer  Noire. 

Si  Philippe  vi  se  pénétre  de  la  nécessité  de  n'acconler 
aucune  coiitiance  ni  aux  .\rn»éniens,  dont  la  conversion  à 
leglise  de  Rouie  est  trop  récente  pour  oflrir  des  garanties 
absolues,  ni  aux  Syriens,  ni  aux  populations  issues  d'al- 
liances entre  tirées  et  Latins  ou  entre  Grecs  et  Turcs*,  ni 


1.  Sur  rArméiiic  la  mi^ine  opinion  a  été  exprimée  par  le  (^raml- 
maître  du  Temple,  le  roi  <ic  Cliypre,  ci  en  général  par  les  meil|piii*!i 
Ksprittt  ilu  xiv  siècle.  Vuir  plus  haut  p.  54-S  et  62,  et  en  faveur  do 
l'Arménie  le  plaidoyer  d'ilayton,  p.  64-70. 

2.  Itrueani  apiH'lJf  GnnumUnn  leK  enfants  de  Grecti  et  de  latins,  et 
Muriez  eenv  de  drees  et  de  Turcs. 


OPINION   I>r   CONSEIL   nu    RDI.  ï)7 

>AUX  nouveaux  cuuvertia  dont  le  naturel  peut  reparaître  au 
moment  le  plus  oritinue,  ni  surtout  à  la  tribu  des  Assassins. 
—  l'expwlition  a  les  plus  heui*euses  chances  de  n^-ussir.  Los 
Turrs  sont  divisés,  et  ces  divisions  ont  relâché  la  disei- 
pline  militaire  ;  ils  ont  confié  la  défense  des  places 
fortes  à  des  garnisons  composées  de  Grecs,  t^u'ils  ont  af- 
franchis de  l'esclavage  pour  les  marier  à  leurs  propres  tilles; 
ceux-ei  se  souviendront  de  leur  (lu^ilité  de  elirétïpn.s  pour 
livrer  aux  croisés  les  places  dont  ils  auront  la  ^^arde.  Enliu, 
au  point  de  vue  militaire,  les  Turcs  sont  peu  redoutables; 
leur  armement  est  inférieur  â  celui  des  troupes  chrétiennes  ; 
après  les  Grecs  et  les  Eg}  ptiens,  ce  sont  les  soldats  les  plus 
lâches  de  tout  l'Orient.  Ils  rêsisterunt  d'autant  moins  au  choc 
de  Tonnemi.  t^n'une  |trophi?tie  répandue  parmi  eux  proclame 
ijue  leur  nation  sera  défaite  et  détnùte  par  un  prince  de 
France'.  Ce  sont  là  autant  de  conditions  qui  promettent  la 
victoire  aux  croisés. 

La  nouveauté  des  vues  de  Brocard,  (|ui  coniirmaient  en 
partie  celles  de  Guillaume  d'Adam  ',  causa  â  la  cour  de  France 
une  profonde  impression.  Pourtant  le  roi  hésitait  à  les  adopter. 
Soumises  au  conseil  royal,  elles  furent  examinétîs  et  discut<^es 
avec  la  |dus  sérieuse  attention.  La  route  de  terre  sembla  aux 
conseillers  du  roi  de  France  impraticable,  et  leur  avis  fut 
appuyé  d'aipuments  dont  la  valeur  ne  saurait  être  méconnue. 
Longueur  du  chemin,  frais  considérables,  fatigues  pour  les 
hommes  et  les  chevaux,  querelles  à  redouter  pemlant  le 
voyage  entre  les  pèlerins  et  les  habitants,  rareté  des  vivres 
dans  les  pays  pauvres  traversés  par  l^xpédition,  dangers  résul- 
tant de  la  mauvaise  foi  <les  princes  dont  on  devra  parcourir 
les  états,  tels  étaient  les  obstacles  que  présentait  Texé- 
cutioii  d'un  pareil  itinéraire.  L'exempb^  de  Pierre  l'Ermite 
était  là  pour  confirmer  la  vérité  de  ces  prévisions  ;  en  outre, 
prendre  la  route  de  terre,  n'était-ce  pas  indiquer  à  l'ennenù 


1,  Guillaume  d'Adam  avait  déjà  parlé  de  cette  prophétie.  V,  p.  Tit. 

'i,  l^lcrteur,en(NinipanintIeprtijet(leGui!IaumpiiAflamav(rcceluide 
lirocanl.  se  cniïvaiïirpa  que,  quoique  identique  dans  le  fond,  il  dilTêre 
notablement  dan»  les  détails.  Dans  le  premier,  tout  ost  >ubordonrn>  à 
Vinxi'vH  coimnercial:  le  stiruml  inaiale  sur  le  cùlé  militaire  de  l'expè- 
ditioii,  sur  les  considérations  |>olitiqucs  et  accorde  une  large  part  à  la 
qurirtiun  du  schibrae. 

7 


PROJKTS  PK   PIIII.II'I'R   I)K   VAI.OlS. 

le  point  précis  01*1  il  devait  attomlrolosClirotienH?  N'était-ce 
pas  aussi  créer  de  nnuveaux  relards  à  l'expédition,  puisque  In 
^concentration  d'une  ai'mée,  destinée  à  être  embarquée  à  jour 
fixe,  se  fait  toujours  plus  rapidement  que  lorsque  «  cliacun 
«  se  dilaye  pour  faire  ses  hnsoignes  nn  osjiérances  qu'ils 
«  pourront  bien  à  coup  suivre  le  roy  qui  va  à  petite  jour- 
«  née».  Pour  toutes  ces  raisons,  le  conseil  se  prononça  on 
faveui*  de  la  voie  de  nier,  mais  avec  une  restriction  ;  il  pro- 
posa que  le  roi  et  sa  cour,  au  lieu  d'aller  directeaieul  de 
Nice  à  Naples,  suivissent  les  ctMes  d'Italie,  s'arrèfant  à  chaque 
ville  importante,  Oénes.  Pise.  Unme.  dans  te  but  d'obtenir  le 
concours  des  états  d'Italie.  Un  pèlerinage  du  roi  aux  sanc- 
tuaires vénérés  de  Rome  n'était-il  pas  le  début  indispensable 
d'une  croisade  ?  Rii  outre,  en  lonj^eant  les  ct^tos,  Philippe  vi 
évitait  d'iiidispuser  les  pms9ani:t"i  it;ilieuiies,  toujoui*s  en 
guerre  le»  unes  contre  les  autres  et  toujours  défiantes  ;  elles 
eussent  soi][)çonné  le  roi,  s'il  avait  traversé  la  {wniusuleavec 
son  armée,  d'arriére-pcnsécs  politiques,  et  du  secrrt  dessein 
de  se  mêler  aux  intrigues  dont  l'Italie  était  le  lliéAtre.  A 
Naples^  Philippe  vi  prenait,  avant  île  faire  voile  vers  l'Orient. 
l'avis  de  son  oncle  Robert  d'Anjou,  s'il  ne  jiarvenail  pas  à 
l'entraîner  à  sa  sulli*. 

Ce  projet,  il  est  ^Tai,  mettait  renipir*^  gret*  à  l'abri  du 
danger  dont  Hrocard  le  menaçait  ;  mais  le  roi  n'avait  i)as  l'in- 
tention de  s'emparer  de  Conslantinoid(\  et  il  renonçait  sau** 
regret  à  une  pareille  conquête  pour  diriger  tous  ses  efforts 
contre  la  Terre  Sainte.  C'était,  du  moins,  ainsi  que  le 
Conseil  du  roi  interpréta  l'^s  perplexités  que  la  lecture  du 
mémoire  de  Brocard  avait  fait  naître  dans  l'esprit  de  Philippe 
de  Valois'. 

I.  L'avis  du  conseil  est  contenu  dans  Arch.  nat.,  I\  2289,  f.  703-12. 
V.  Pièces  justiBeatives  n»  n.  —  Il  a  été  analysé  pai'  Mas  Latrie  (Uiti.di' 
Chypre,  m,  726)  en  quelque»  lignes.  Un  paragraphe  sjiécial  fait  allu- 
sion, dans  ce  mémoire,  au  traité  de  Drocard  et  à  son  influence  sur 
la  direction  de  l'expédition  projetée  :  »  Aucuns  advis  ont  esté  baillez 
I  au  roy  sur  cette  besoi^ne  par  manière  de  livre,  que  on  dit  qu'un  sage 
<  prélat,  qui  jadis  fut  de  l'ordre  des  prescheurs,  et  de  présent  arche- 
»  vefiqiie  (l'un  arcbevescbé  en  l'empire  de  Constantinople  et  ez  marchex 
«  de  là,  a  composé  et  luy  a  envoyé;  lequel  semble  conseiller  au  roy 
«  qu'il  aille  le  chemin  d'Allemajçne  et  de  Hongrie  par  terre,  et  qu'il 
c  passe  |)ar  le  royaume  de  RaMsie  et  par  l'empire  de  Constantinople, 
t  et  par  ntit>  partie  de  la  terre  que  les  Tuivs  tiennent,  et   qu'il  aille 


LIGUE  OKNKRAI.E   INSPIRKK   PAR   VENISE.  09 

Wïiise,  peuclaiiL  qm^  l'hilippe  vi  ^imt  al)sorbé  dans  s(*s 
jnvparatifs,  poui-suivait,  de  son  côté,  la  réalisation  d'un  des- 
Hci»  plus  général;  do  plus  on  plus  effrayée  des  progrès  des 
Turcs  qui  venaient  de  mettre  le  pied  en  Kurope,  elle,  songeait 
à  grï*nper  dans  une  ligue  rommune  les  nations  directement 
tnfép»ssé*^s  â  arrêter  le  dê\elopin*meut  de  la  puissance  otto- 
mane. Klle  n'eut  garde  de  négliger  les  dispositions  favo- 
nàlilrs  de  Philippe  vr,  dont  la  sincérité  n'était  pas  douteuse. 
La  France,  sollicitée  des  premières,  accueillit  avec  faveur  les 
<»M\ertures  du  sénat  vénitien.  I/nrdre  de  Rhodes,  Tempe- 
reur  de  Constantiiiople  avaient  adhéré  à  la  ligue;  le  roi  de 
Cliypre  était  vivement  pressé  d'y  entrer.  Philippe  vi  promit 
son  conwjurs;  mais,  soit  par  défiance  de  la  politique  égoïste 
des  Vénitiens,  soil  par  désir  de  ne  pas  laisser  passer  à  une 
autre  puissance  l'honneur  el  le  profit  de  la  ilirectiou  suprême, 
il  ne  s'engagea  que  sous  réserve  de  ne  pas  entraver  les  arme- 
nn'nt^  qu'il  faisait  lui-même  pinir  le  passage  en  Terre  Sainte. 
Il  avait  deviné,  semble-t-iî,  que  le  projet  vénitien  no  visait 
que  la  guoiTO  de  Rooianie,  et  qu'en  se  liant  trop  étroitement 
ù  la  poli(i<iu<'  de  la  i-épublique  di'  S;»iut  Marc,  la  France  pou- 
vait se  li-ouver  entravée  dans  ses  propres  desseins  el  dé- 
tournée de  la  Terre  Sainte  par  l'influence  de  ses  futurs 
alliés  V 

Quelques  jour»  plus  tard  (I  l  novembre  1333),  Philippe  de 
Valois,  proclamé  général  de  la  croisade  par  le  saint  père, 
faisait  part  au  doge  de  cet  événement,  el  le  priait  d'envoyer 


t  pas»>DT  U  nier  an  hras  de  saint  Georges,  là  où  il  y  a  peu  i\f.  mev  à 
I  powier.  Main,  si  comme  II  appert  clairement  h  ceux  qui  lisent  coluy 

•  livre,  l'ententr  rie  eeluy  qui  l'a  fait  est  que  le  roy  paissant  jiar  la 
f  terre  des  miiMT^ants,  runqulut  avant  &oy  toute  celle  terre,  c'est  ù 
t  br^voir  toute  la  terre  du  ruyaumc  de  Hassie,  l'empire  de  (luniitoiUi- 
t  nuple,  et  la  terre  que  les  Turcs  tiennent  en  une  partie  de  torro 
I  nommée  Asie;  et  que  rela  soit  nu  roy  loisible,   |iossit)lr  et  conve- 

•  nahlr,  il  s'elVorce  de  monstrcr  aussy  par  moult  de  raisans  et  par  la 
«  phis  ^'rande  partie  Judit  livre,  laquelle  chose  ne  semble  estre  mie  de 

•  l'intention  du  roy  quand  à  ce  présent  voyage  »  (Arch.  nal.,  P.  228^. 
f.  712). 

I.  I^Mre  du  roi  de  France  \'A  novemhrc  ta:i:(,  Poissy)  au  doge.  (Mas 
Latrie,  Commerce  et  /fj/w'^/i/to/w,  p.  Kil.)  —  Lettre  de  Venise  au  roi 
d<^  ("liypre  (18  novembre  iu:(;i),  lui  ppoposanl  il'onvoyer  des  ambassa- 
d^unt  à  Kliodes  ou  à  Nêgrepont  pour  la  ligue  à  conclure  (Mas  Latrie, 
^l'oyrrilrt  jfTftrveê  rir  t'Hiniotre  de  Chypre  dans  Bibl.  de  rkc.  den  Ch., 
XXXlv,  fi5  note). 


PRU.TKTS   nr.   PHILIPPE   DE   VALOIS. 

au  [iltis  UM  do  nouveaux  représoutjmls  à  l'aiis  pour  arrètw, 
tie  concert  avec  eux,  les  moyeus  de  i-êalUt*r  le  passagi»*.  Au 
printemps  suivaut  (8  mars  !;*3'i),  snus  rinspiratiou  d**s  [i|i'*- 
lïipotentiaires  véuilieiis.  Joaii  rrrailf-nifïo  et  André  Basefitio, 
une  cnnvc'utiou  était  conclue  à  Avignon  en  pivsence  du  pape; 
elle  obligeait  ce  dernier,  la  répubrujue  de  Venise,  h's  ntis  de 
France  et  de  Chypre  et  Tordre  de  l'Hôpital  à  tenter,  cette 
même  année,  une  adioii  coniinune  fontro  les  Turcs,  en  levant, 
pour  six  mois,  une  Hotte  de  quarante  galères,  â  laquelle 
rendez-vous  était  donné  à  Négrepuiit  au  mois  de  mai  V  Le 
manque  du  temps  empêchait  la  réunion  de  forces  plus  im- 
portanlos.  Mais,  pour  la  campapm'  de  I.'î;i5,  les  confédérés 
s'engageaient  à  armer  huit  cents  hommes  d'armes,  trimt<»  fça- 
lères  et  trcnte-dt'ux.  bfitiim^nts  de  transporl  ;  dans  ce  chiffr*» 
on  avait  escompté  les  secours  que  devaient  fournir  le  roi  dv 
Sicile  et  l'empereur  d'Orient  :  en  cas  th>  refus  de  leur  part,  on 
comptait  s'adresser  aux  Génois  et  aux  Tisans  pour  compléter 
le  nombre  fixé*. 

La  mort  de  Jean  xxiï  (décembre  133i)  empêcha  l'exécution 
des  conventions  stipulées  à  Avi|^ion.  Philippe  vi,  cc?pendant. 
s'était  mis  en  mesure  de  lenir  ses  engajçemeuls.  Jean  do 
Cépoy,  un  seigneur  du  Boauvaisis,  avait  été  nommé  capitaine 
des  galères  envoyées  contre  les  Turcs,  et  avait  reru  du  Saint- 


1.  Mas  Latrie,  Commerce  et  Exp^ditinnt,  p.  103.  Il  avait  pris  Ia 
oroix  le  :W  septembre  1333  {Chronique  de»  tfuatre  premiers  Vahiif 
p.  6). 

2.  Mas  Latrie.  Commerce  et  fUpe'ttitions,  p.  IU'i-9.  Le  traité  ne 
parlait  que  dutio  campagne  de  t-inq  mois,  mais  le  roi  de  France  s'en- 
gagea à  la  prolonger  pendant  uiï  mois,  de  plus,  si  tel  tHait  l'avis  de» 
confédérés.  Le»  quarante  galères  devaient  être  fournies:  dix  par 
rili^pital,  dix  par  Venise,  six  par  le  roi  de  Chypre,  six  par  l'empereur 
d'Orient,  quoiqu'il  en  eût  promis  dix  dans  des  stipulations  antérieures 
avec  l'Hôpital  et  Venise,  huit  par  le  pape  et  le  roi  de  Trance. 

3.  Ma»  [.^trie,  Commerce  et  Expéditions^  p.  HK»-9. —  Le  contingent  du 
jtape  et  de  Philippe  île  Valois  était  de  quatre  cents  honnnes  «l'armes  avec 
leurs  chevaux,  et  (le  sci/.e  transports;  i^eliii  des  Hospitaliers  de  six  galères, 
huit  transport»  et  deux  cents  lioniines  d'armes;  celui  du  roi  de  Chypre 
de  six  galères,  quatre  transports  elceiit  hommes  d'armes.  Le  roi  de  Sicile 
devait  fournir  quatre  transports  et  quatre  galères  au  minimum,  Veniw» 
dix  galères,  l'empereur  six  galères  et  des  hommes  d'armes.  —  Phi- 
lippe VI  consentait  à  ce  que  c«t1e  seconde  campagne  durât  sept  mois 
au  lieu  de  six,  terme  stipulé,  si  la  lipue  le  jugeait  opportun.  Cf.  1Xi>' 
\i\ii\\v\^l^it>rio  •iccitmentntH  ttt   Veiir^m.  ni,  112-0. 


DERNIERS    l'RKPAKATlFS    OK    PHILIPI'K    UK    VJILOIS. 


101 


égp  (1!)  mai  1334)  Icîs  iiululg<Mic(!s  ordinairement  accordées 
aux  clïofs  d(»  croisade  V  Un  contrat  dt*  uolis  avait  été  passé 
avec  des  armaleurtf  de  Marseilk*  et  de  Nice  (3  avril  1335) 
pour  cini|  f^alptos.  cjui  d<n'aiont  <Hn^  mises  sous  les  ordres  de 
l'amiral  Hugues  Quién^l*;  les  fçagos  des  hommes  d'armes 
avaient  été  déterminés  par  ordonnance  royale  (7  août  1335)*. 
Cépoy  avait  même  pris  la  nier  pour  rtssnrer  le  service  des 
approvisionnemenls  et  reconnaître  la  rout«?  ;  ce  voyage  lui  avait 
fourni  l'occasion  de  quelques  e^*îcarinouches  heureuses  contre 
les  Turcs\  Enlin  Benoit  xii.  siiGcosse;ir  du  pontife  défunt, 
avait  soh'nnellenienî  renonvïdé  à  Philippe  de  Valois  le  com- 
mandement suprême  de  la  croisade  (3  décembre  1335)*, 

Le  roi  ëiail  parli  pour  Avignon  avec  sa  cour,  accompagné 
des  rois  de  Bohême  et  de  Navarre,  et  s'était  logé  à  Ville- 
neuve lès  Avignon.  Tons  les  préparatifs  étaient  faits,  les  ap- 
provisionnements rassemhlês  à  Ai  gués- Mortes,  à  Marseille  et 
dan»  les  ports  du  Languedoc:  on  avait  des  vaisseaux  en 
nttmbre  snftisani  pour  tninsporti-r.  au  tlire  du  chroniqueur*, 
soixante  milh'  luuumes  outre-mer.  A  Rhodes,  le  grand-prieur 
de  France  avait  acrunnilé  les  vivres  nécessaires  an  séjour  de 
l'expédition  dans  l'ile  ;  Vriiise  ef  les  Hospitaliers  s'êtiiient 
établis  en  t'rèle.  Tout  semblait  présager  un  heureux  début  à 
la  cndsade;  la  «  crois  esloit  en  si  grant  fleur  de  renommée 
«  qu'on  ne  parloit  ne  devisoil  d'aultrc  cose  »,  et  Topinion  pu- 


I,  Arrh.  nal-,  J.  442,  n"*  18'  h.  18*.  Los  indulgences  sont  :  1"  de  dire 
la  messe  avant  lejuiir;  2"  do  la  r(^l(^bper  en  terre  liérèthiue;  3"  de 
Ci»nfe»ier  et  de  pn'rlior  on  terre  liêrétique;  i"  d'avoir  indulgence 
pli^iiièr*'  n  l'artifle  de  la  inurt, 

'-*.  Jjit,  .XrchruUujif  nnvtàle.  il,  326-^1.  Hugues  (Juiêret,  seijfneup  de 
Tour*  en  Vinu-'it.  rlievalier,  conseillcp  du  roi,  st-n^obal  de  Iteanritire 
el  de  Niine»,  fut  rrêt*  amiral  vers  VS.\U.  Le  roi  lui  donna,  en  r^com- 
|>eniw'  lie  s:i  fiimlnite  pondant  le»  prèpamtifs  de  la  eroisade,  par  lettre 
liu  lî)  janvier  t:i;(5.  quatre  cents  livres  de  rente  à  vie,  et  en  octobre 
ixm  reite  rente  fut  assi^j'ntV  sur  la  ville  et  forteresse  d'Hélicourt. 
I.'amind  mourut  en  13'in  des  suites  de  blessures  reçues  dans  un 
rotnbat  nav.il  rontre  le»  Anglais  (P.  Anselme,  Histoire  tlet  tjrnn/ix 
ttffitin-M,  vu,  T'i'.-S). 

3.  Hih.  nat..  laliii  I2«ri,  f.  209  v.  Kd.  iM,  /'rttjetH  de  eroistttie  nous 
Chnrle*  h  fiel  et  Philipiie  de  Vajoù.dans  Bibl.  da  TFÀ:.  de»  t'Ii.,  185'J, 
p.  hW. 

4.  (Wiillaume  de  Nangifi.  êdit.  (ï<^raud«  n,  Vi't-^i  et  145. 
.'p.    *rrb.  nat..  J.  'loa,  ir  10. 

tt,  rrui»»art,  éd.  Luce,  i.  117. 


102  PROJETS   DB   PHILIPPE   DE   VALOIS. 

blique  estimait  à  trois  cent  mille  le  nombre  de  ceux  qui 
s^étaient  croisés.  Mais  l'expédition  n'eut  pas  lieu;  le  calme  re- 
latif dont  la  France  venait  de  jouir,  et  qui  avait  permis  à  son 
roi  do  songer  à  la  délivrance  des  Lieux  Saints,  venait  de 
cesser.  Philippe  VI  quitta  Avignon,  rappelé  par  les  menaces  d<î 
guerre  avec  l'Angleterre,  cl  n'eut  plus  d^s  lors  le  loisir  de 
reprendre  son  projet  d'expédilion.  La  croisade  avait  échoué'. 


1.  Froissart,  éd.  Lucc,  i,  lli-8; —  Homanin,  Storia  dveunientala  di 
Veneziat  ui,  IKi. 


Malgi'é  l'activité  déployée  pai*  Venise  ])oiir  grouper  les  pui'^- 
KHiicos  chnHienncs  contro  les  Turcs,  la  ligue  qu'elle  avait  espéré 
former  ne  parviril  pasàse  foristituer.  Laiiutrtrlii  pontilofi  dé- 
('♦•lubn*  13ai!  la  [irivade  l'appui  qu'il  avail  pnimis;  Philippe 
d*»  Valois  reuou<;a  à  ses  projets  de  croisade  pour  ue  songer 
(|uVt  sa  lutte  avec  rAiigloterre  ;  Robert  de  Na]>les,  qui  avait. 
iui  début  des  négoeiations.  promis  son  roncours  ;  1333),  solli- 
cité de  nouveau  par  le  Saint-Siège  en  1335  de  tenir  ses 
promesses,  n'accueillit  pas  avec  l'enthousiasme  qu'on  était 
fo  droit  d'espérer  les  ouvertures  de  Benoit  xii  '.  Le  poids  de 
la  lutte  à  soutenir  retomba  «lonc  tout  entier  sur  les  Vénitiens. 
Api'és  avoir  réprimé  une  révolte  à  Candie,  leur  amiral,  Pierre 
Zhdo.  à  la  tête  d'une  tiotle  de  vingt  galères,  s'entpara  dv 
divers  bâtiments  turcs  dans  rArchi|>el,  et  pendant  quelques 
années  la  république  de  Saint  Marc  protégea  seule  dans  le 
!>*\ant  le  couïmerce  et  les  possessions  des  Occidentaux  contre 
les  progrés  des  Musulmans*. 

Cependant  la  diplomatie  européenne,  à  l'instigation  de 
Venise  et  du  Saint-Siège,  ne  restîiit  pas  inactive  ;  de 
tontes  parts  on  cherchail  :*i  conclure  une  ligue  générale , 
mais  ee  ne  fut  qu'après  la  mort  de  l'empereur  Andi\)nic  m 
(l3W)<iue  ces  eiforts  réussiront.  Lambertino  Haldoino  délia 


I.  Itref  du  io  murs  i:i:iri  {S.  Paiili,  Cod.  Dipiom.,  n,  82).  \'.  Hupf, 
tiriechentatul  im  MittrlaUer  wul  in  tiff  Xeuzeit  (fiiicycl.  it'Kntch  et 
(Iniln-r*.  VI,  Wt. 

.i,  Kuiuuuiii,  Storia  ducumentala  di  tVnejia,  ni,  11^. 


10 


LKiUE   GKNKRALK. 


ÏUMBERT   UE    VIENNOrS. 


Cecca»  (^vôque  do  Limassol  ',  vint  cette  mêiiie  uniiui;,  an  iiuin 
(lu  roi  do  Chyprfs  (iemaruler  au  doge  rira<lonico  et  au  grand- 
luailre  de  rHApit^*]  de  secourir  la  clirêtinulé  menacée. 

Sa  mission  eut  un  plein  succès  ;  les  chevaliei*»  de  Rhudes. 
comme  le  aénal  vénitien,  s'engagèrent  à  premlre  les  armes 
pour  la  cau'«e  (■liréïii'iine  ;  le  pape  se  mit  à  la  tête  du  mou- 
vement, et  les  uperalieus  miIitai[o:5  commencèrei»t  pemlant 
l'été  de  I3Î4.  La  ligue  avait  armé  une  tlolle  ;  dans  celle-ci 
les  galères  pontifittales  étaient  eommandérs  jiar  le  pénoi» 
Martin  Zarcliai'ia',  celles  de  Venise  par  Pinre  Zéno,  relies  du 
roi  de  Chypre  par  Conrad  Piccamiglio.  Gênes  avait  envoyé 
cinq  vaisseaux,  les  chevaliers  do  Rhodes  une  escadre  sous 
les  ordres  du  prieur  de  Lonihardie  Jean  de  Hlandrate  ;  eu 
tout  vingt-sept  galères.  Le  commandement  suprême  était  dé- 
volu au  patriarche  deCoitstantJuople  Henri,  léjfat  apostoli(|ue. 
La  Hotte  til  voile  vers  Smyrne  défendue  jiar  l'éiiiir  d'Kphêse, 
Omar-bey  ;  celui-ci.  à  la  première  nouvelle  du  danger  qui 
menaçait  la  ville,  avaii  quIKé  la  Grèce  •n'i  il  soutenait  Jeati 
Cantacuzène  contro  .lean  Paléolugue.  Sujyrne.  malgré  tous 
les  efforts  de  rémir,  lombîi  aux  mains  des  alliés  (28  octobre 
I3i3i;  une  partie  de  la  rt<itte  turque  et  l'arsenal  furent  in- 
cendiés. L'année  suivante,  en  vue  du  mont  Athos,  cinquante- 
deux  bâtiments  de  corsaires  turcs  furnil  également  détrtïits 
par  les  Chrétiens  (13  mai  I3U).  Mais  l'armée  d'ilmar  était 
intacte;  elle  lailla  en  pièces  tjanvier  t3Sr)june  partie  de  la 
garnison  de  Smyrne  qui  avait  tenté  une  sortie.  Le  légat. 
Pierre  Zénn  et  Martin  Zaccbaria  tntuvèrent  la  uiorl  dans  ce 
combat.  Bien  que  Smyrne  rest:'it  aux  mains  des  alliés,  qui  en 
confièrent  la  défense  à  l'ordnî  de  Saint  .le»n.  celte  alternalive 
de  succès  et  île  défaites  avait  ralenti  le  zèle  des  confédérés. 
Le  pai>e  redoublait  d'instances  pour  augnienlor  les  forces 
de  la  ligue;  il  .Mdlioitail  Pise  (15  février  I3i'i;,  Florence 
(14  septembre  t3'ii  et  IN  juillot  I3i:i;.  Pérouse  (juillet  l.'ïiri; 
do  Buivre  l'exemple  de  Bologne  et  dVnvoyer  des  secours  en 
Orient,  mais  sans  sui'<ès.  Si  Venise  persévérait  encore  à 
maintenir  son  escadre  dans  l'Archipel,  les  chevaliers  de 
Rhodes  avaient  conclu  ime  paix  sépan'-e  nvec  l'ennonii.  La 

1.  Il  était  d'origine  Itolonaise.  D'atKird  cliaiioiiic  iln  Kaina^ouste,  il 
fut  évoque  do  l.imassol,  et,  en  l.Ti'i,  numnié  ^v(^)|ue  de  Brcscia,  où  il 
mourut  PII  i:riH. 

2,  Petit-fils  de  Itiniiral  Ueiioil  Zmcharia.  \    page-s  42.  fiO  cl  T:». 


HgiuN  cependant.^  presque  dissuute,  se  reluniia  un  iiisUuit, 
liir»i|ue  rtertrauJ  de  Baux,  bailli  d'Acliaïe,  successeur  de 
Zac.rUaria.  aiinnin  v.u  Pahîstine  quel(|ues  renforts.  Les  Hospi- 
liiiie'i'H  reprirent  les  armes.  Omar  fut  vaincu  et  tué  (I3ît>). 
mais  ses  frères  continuèrent  la  guerre  et  investirent  de  nou- 
veau Smyme  '. 

Au  premier  bruit  de  l'expédition,  un  prince  français  Iluiii- 
bert  ii«  dauphin  do  Viennois,  s'était  fait  nommer  par  le  pajn* 
capitaine  de  rannée  chrétienne  contre  les  Turcs  \'2?i  mai 
1 3  iô  I.  Il  avait  prtHé  .i  .-Vvignun.  entre  les  mains  de  Cléinenr  m. 
le  serment  de  ne  rentrer  de  trois  ans  dans  ses  états,  et  le 
Icndeuiain.  jour  de  la  Fête-Dieu,  le  pontife  lui  avait  remis 
l'étendard  et  la  croix.  Ce  choix  n'avait  pas  éié  accueilli  sans 
quelques  protestations.  Hunibertii,  en  etfel»  ne  .semblait  pîis 
miiiir  les  (jnalités  (|u'on  était  en  dndt  d'espérer  d'un  chef 
il'armt'e.  C'étiiit  à  hi  fois  un  misanthrope  et  nu  vaniteux. 
L'éiJil  précairt^  de  ses  tînance<ï.  la  mort  rie  son  fils  unique,  la 
santé  de  la  dauphine,  lavaient  alti'islé,  et  il  avait  songé  :i 
codera  la  France  b-s  états  dont  il  éiait  le  dernier  suiiveraiu. 
pour  se  retirer  du  monde.  En  même  temps,  il  ihumait  carriér'c 
â  sa  vanilé,  eherdiait  â  se  faire  proclamer  roi  de  Vieniip  pai- 
l'empereur  d'Allemajrne,  et  se  parait  des  titres  les  ]dus  pom- 
peux'.  Il  nV'tail  donc  pas  étonnanl  i|u'animé  de  ces  disposi- 
tions llumberl  eût  embrassé  avec  enthousiasme  l'idée  de  la 
cruisade,  et  sollicité  du  pape  le  commandement  de  l'expédilion. 

Devant  l'indifTérence  des  souverains  d' Kuropi*,  le  saint  père  se 
hiiUi  d'accepter  l'offre  d'ilumbert,  mal{;rë  les  craintes  léfçi- 
liuiOH  que  cette  nomination  soulevait  dans  son  entourage.  Le 
ilauphin,  avec  rimprévoyance  qui  le  caractérisait,  s'était  en- 
ga^^é  à  l'Uiretcnir  à  ses  frais  cinq  galères,  un  corps  de  mille 
arbalétriers  et  trois  cents  hommes  d'armes,  parmi  lesquels  il 
dcvail  y  avoir  dou/.e  barinerHts  et  cent  chevaliers.  C'étail  un 
cnritingeni   trop  i-unsirlérable.  peu  en   rapport  avec  les   rcs- 

1.  Ifopf,  iirierhrtdttnfl.  ..,  V'i.  Wf^>\  —  Mas  Latrin.  //ixtoire  ilf 
t'hypre,  U,  180-1; —  Hnrnaniri,  Stui-i'a  tlurunirn.  tli  Vrnrzitt,  m.  l'iT-K: 
—  (•.  Mûllflr.  f)ocumfnli  nulfr  rclnzioui  ftritr  ritta  Toxtatir  cott'  OiienU'. 

p.  113-Gri  \:\\. 

2.  J.  Itoman.  Charte  de  lièfinrt  tlu  fpiiuftfiin  llumhrrt  //  (Art'hivcs  de 
l'Orient  l^liti,  i,  ô37);  —  \.  ("horior,  Hiitt.  i(e  Httupkiné  |lfi6H,  p. 5t(*>. 
T89,  HI6.  —  L'acio  (|ui  numnif  lliimhert  ii  nu  ruiiiinuiidenicnl  hnpremr 
cbI  WilA  ilfl'is  Xallmiiitais,  Htxtoivr  ttett  lutufthiu*  tlf*  In  iruixi^me  rnrr. 
M,  jII  Hientvo,  17*^1,'. 


lOH 


lAUVE   GENKKALE.    —    IILMUEHT   DE    VIKN^OIS. 


sources  el  les  finances  obérées  du  pnnco.  Clément  vi  le 
n'Mlnisit  à  reni  Jiomraes  d'armes,  mais  exigea  qu'Hnmbert 
fil  vreu  lïe  soutenir  la  guerre  pendant  trois  ans  sans  rentrer 
au  Europe. 

Celte  folle  entreprise  fut  préparée  avec  la  plus  grande  dili* 
ifence  par  le  dauphin  ;  il  traita  avec  des  patrons  de  Marseille 
pour  la  location  de  quatre  galères  armées,  et  le  Dauphiné, 
déjà  écrasé  par  des  impôts  extraordinaires,  dut  fournir  l'ar- 
gent nécessaire  à  l'expédition.  Malgré  Pactivité  déployée,  la 
durée  des  préparatifs  dépassa  lo  tnrmc  de  la  saint  Jean  l'^i 
juin  1345},  que  le  dauphin  avait  tîxé  pour  le  départ  ;  l'embar- 
f|ueiaent  n'eut  lieu  ijue  le  2  septembre  à  Marseille'.  Aux 
quatre  galères  équipées  aux  frais  d'Huinhert  s'étaient  jointes 
rjuatre  galères  pontificales,  mais  c'est  d'Italie  qu'on  espérait 
d'importants  renforts.  Le  chef  de  la  croisade,  débarquant  â 
Livourne,  traversa  l'Italie  pour  s'assurer  lui-même  de  Texé- 
eution  des  promesses  faites  par  les  cours  italiennes.  Quelques 
centaines  de  Florentins,  de  Siennois  et  de  Pisans  s'ennMèrcnt 
sous  ses  drapeaux  ;  â  Trévise  il  acheta  des  chevaux  ;  à  Ve- 
nise, malgré  un  accueil  des  plus  flatteurs  de  la  part  du  doge, 
il  n'obtint  qu'une  galère,  qui  rallia  l'escadre  dans  l'Archipel*. 
Pendant  ce  temps  le  gros  de  l'expédition  était  resté  sur  les 
navires,  auxquels  rendez-vous  avait  été  donné  A  Céphalonie. 
Humbert  les  y  rejoignit  vers  le  mois  de  décembre'. 

L*hivcr  se  passa  sans  entamer  des  opérations  militaires 
i|Ue  la  faiblesse  des  forces  chrétiennes  rendait  très  ditfl- 
cilrs.  Humbert  se  borna  â  capturer  quelques  bâtiments  gé- 
nois et  grecs,  chargés  de  blé  et  ile  marchandises  diver- 
ses*.   Il  n'osa,  comme   le  lui  demandait  le  pape»  tenter  de 


i.  J.  Itoman,  Charte  de  Ùfi/tart. . .,  p.  537;  —  J.  de  Péti^ny,  iVo/iVr 
hixt.  et  hiotjr.  sur  Jact/ues  Urunier  (ftibl.  de  l'Ec.  des  Cli.,  i**  série, 

1. 1,  p.  27a-.îi. 

'.!.  J.  (le  Pêti|rny,  Nvtire  higt.  et  hiuyr.. .,  p.  27.5-6.  —  La  liste  des 
chevalien*  et  dus  relifrieux  do  l'Iiélel  du  Dauphin  à  Venise  nous  est 
iloi)r»(''p  par  l'IvKse  Chevalier,  Choix  de  documenta  in^dilg  historique* 
itur  te  lltifiphint'  (IR'Vi,  p.  %-9. 

'.i.  L'ordonnance  sur  ro  sujet  fui  renonvoiï'e  ù  Itliodes,  le  2.5  no- 
vembre liri.i  {V .  riif'valier,  flhois  dr  dorumenlx  ,.  p.  y9-104j. 

4.  r.  Clievalier,  Choix  df  docitmetttx. ,,,  p.  105-1}.  Cette  capture  eut 
lieu  avant  lu  13  février  l:îUj,  ilate  Uc  l'estimation  des  niurchan<li.*.e)> 
l'untisniK^n»  par  le  vigtiier  ilu  patrian-lie  de  (onstantinople  (tleyU, 
iicxchâhU'  de*  Lemutehandelit  im  MUteiatter,  i,  197). 


CAMIWiNK  U  la'MBERT   DANS   I.K   LEVANT. 

«(.«courir  Cuffa.  Cette  ville,  entrepôt  du  commorce  de  l'Occi- 
deiit.  dans  la  mer  Caspienne,  Hait  étroitement  menacée  par 
lo  Khan  lios  Tartares,  Dsjani-bey,  et  la  perte  do  cette  pUico 
«U  eu  les  plus  graves  coii!séf|uences  pour  Venise  et  surtout 
pour  Gtnjes.  Humbert  hiverna  â  Négrepont.  Pendant  son 
liivcmape,  il  s'était  trouvé  en  contact  avec  une;  tîotte  génois»» 
qui.  sous  le  commandement  de  Simon  Vignoso,  avait  pour 
obji^ctit*  la  conquête  de  Chios.  Cette  ile,  possessiou  des  Zar- 
charia.  avait  été  perdue  par  eux  en  1  ;i?0,  et  Martin  Zacchariu 
s'était  Hatte  de  la  rpprtmdre  aux  Grecs  à  la  faveur  de  la 
ligue.  L'expédition  de  Srayrne,  le  mauvais  vouloir  des  con- 
fi'déréset  In  mort  deZaccliaria  avaient  empêché  la  réalisation 
d«  ceî4  projets,  mais  Géiies  s'était  h:Uée  de  les  i*eprendrç. 
Humbvrt*  de  son  côté,  avait  entamé  avec  l'impératrice  Anne 
de  ronstantinnplf»  des  négociations  pour  obtenir  la  cession 
de  l'ilo  pendant  trois  ans  ;  il  voulait  en  faire  la  base  dos  upé- 
ratioiis  des  croisés  ;  puis  voyant  que  ces  pourparlers  n'abou- 
tissaient pas.  il  avait  songé  à  s'om]>arer  deCliios  ]»ar  la  Uivev, 
ol  avait  offert  à  Vignoso  des  sommes  considérables  pour  le 
laisî***r  maitre  d'agir  contre  l'ile;  mais  les  Génois  repoussèrent 
l'i's  ouvertures,  dans  la  crainte  de  voir  Venise,  la  principale 
alliw»  d'Humbert,  prendre  pied  sur  ce  point,  et  attariuêi*ent 
eux-mêmes  Chios  l'Itî  juin  13'»'))'.  Battu  dans  ses  tentatives 
rliploniatiques.  Ilumbert,  au  retour  do  la  belle,  saison,  sf* 
raiiprocha  des  confédérés  et  prit  part  à  un  combat  heu- 
r^?<ix  livré  autour  de  Sniyrne  2'i  juin).  La  cour  pon- 
tilicale.  pour  enti'etenir  le  zèle  en  Occident,  lit  rédiger,  à 
l'iMumsion  de  cetto  victoire,  un  bulletin  dans  lequel  le  succès 
des  armes  ihréliennes  était  démesurément  grossi.  A  travers 
les  ampliïications  du  jvcit,  ou  pouvait  entrevoir  que  l'affain; 
fut  «unglatite  et  peu  décisive,  mais  que  cependant  le  champ 
de  bataille  resta  aux  confédérés  '. 

Sans  pousser  plus  loin  leurs  avantages,  les  croisés  se  sé- 
parèrent. Humbert  découragé,  voyant  ses  soldats  en  proie 


1.  Iluml>ert  ulIVit  à  Vt^ru)»>  iint'  pension  annuelle  \\e  <lix  mille 
ni>riiiï  IKitir  lui  et  vinjrt  mille  ^cus  dur  à  i>artîiper  entre  les  capitaines 
fie»  jfal(Tos  (('.  Pa^aiio.  l>rUv  imprette  et  det  dmainio  thi  iîtnovtssi 
ttfUa  Orrcta,  Genova.  IKM',  p.  (î\). 

2.  J.  de  l'^ti).'ny,  .Vo/i>p  hist.  ft  ftiotjr..,  p.  276-8.  La  lettre  était 
ailrewk^e  pnr  le  roi  de  r.|iy]ire  à  Jeaitiie.  rvuw  do  Sicile  cl  iJc  Jéiti- 
Mlem  iHeyU,  lue.  ci'.,  i,  5UT-y). 


aux  lualadiftH  cuiitagieuses  qu/^  développnient  les  chaleurs, 
écrivit  au  i^ajic  pour  lui  nxposor  quo  Ip  sr^ul  iiiovpn  tl fi  sorti r 
lionorablfîmt'nt  do  cHi^  avcnturo  ('Uit  rit»  traîtpr  avec  les  in- 
litlèles,  et  pour  lui  demander  <le  convertir  robUgatioQ  qu'il 
avait  prise  de  rester  trois  ans  en  Orient  en  un  p(^Ierinage  aux 
Lieux  Saints.  Lo.  daupliin  regaj^na  lîhodes  sur  ces  entre- 
laites  ;  mais,  pendant  la  traversée,  il  fut  assailli  par  l'escadre 
génoise  occupée  à  la  conquête  de  Chios  ;  celle-ci  considérait,  eu 
('•irard  aux  propositions  (juVlle  avait  renier,  le  dauphin  coinino 
un  enutiini  ;  tous  liîs  bagagfs.  jovaux,  harnais  et  chfvaux  du 
prince  furent  pillés  et  perdus  {fin  août  13Ui)*.  Enfin  â 
Rliodps,  au  commencement  de  \'^'^'ï,  arriva  la  bullo  sollicit<'*e 
par  Iluuihert.  I,e  Saînf-Siège,  sans  argent  et  sans  moyen 
d'en  avoir,  puisque  toute  l'Europe  était  en  armes  et  que  les 
décimes  ne  pouvaient  plus  être  levés,  se  souciait  peu  de 
continuer  la  civisade  ;  il  accordait  au  dauphin  tout  ce  qti'il 
avait  demandé,  et  le  prince,  libre  désonnais  de  tout  lien  re- 
ligieux, rentra  dans  ses  états  pendant  l'automne  de  1347'. 

Le  réle  piteux  jiMié  par  Humbert  avait  achevé  do  désorga- 
niser la  ligue,  qu'une  direction  éjier^ii|ue  oùtseiile  pu  main- 
tenir unie.  Venise,  quoique  directenietiE  intéressée  au  succès 
des  armes  confédérées,  avait  abandonné  Toeuvre  commune 
pdiii'  ttvunierson  attention  du  côté  fie  la  Dalmatie,  qui  venait 
de  se  révolter  à  la  voix  du  roi  de  Hongrie,  et  de  la  Crimw, 
in'i  le  développement  des  établissements  génois  crt'ait  à  la 
républi(iue  un  sérieux  danger  commercial.  Le  roi  de  Chvpre 
avait  regagné  ses  états.  Les  Vénitiens,  ainsi  que  le  roi  de 
Chypre  et  Tordre  de  l'Hôpital,  se  décidèrent  alors  à  traitz-r 
avec  le  sultan  d'Kphése  [tî*  annt  LiiH).  et  obtinrent  de  lui  la 
]M)ssession  de  Sniynie,  et  d'importants  avantages  conuu*'r- 
ciaux  dans  le  Lovant,  spécialement  à  Epliése.  Le  pape  ratifia 
ces  c<inventions  :  la  ligue,  bii'u  que  destinée  à  subsister  enctire 
de  nom  pendant  de  longues  années,  était  nmipue  de  fait;  elle 
avait  conquis  à  la  chrétienté  la  ville  de  Smyrne;  celle-ci,  dé- 
fendue et  fortifiéi*  par  li's  Iïn.spitydi*'rs.  resta  pendant  un 
demi-siècle  le  boulevard  des  Chrelieus  en  .\sie  Mineun'\ 


1.  J.  do  i^ôtigny,  Notice  htsUit:  et  tiiogr ...  p.  2H'i-7:   —  lloyd,  loc. 
rit.,  I,  5'i9, 

1*.  J.  i\o  r^li>;ny.  Xittice  /tixhtr.  cl  hitujr  ..  p.  ;;TM-R». 

o    \\o\it  iirievhcninwl.. .,  vi,  ^iG-i;  —  Itoniunin.  m,  t'i8-5l;  — Moa 


DKMEMBREMENT    DE   L  EMPIRE   11  ORIENT. 


C'est  en  vain  qu'ù  plusieurs  reprises,  eu  1350,  en  1353  et 
en  I3r»7,  la  cour  apostolique,  le  roi  de  Chypre,  les  Hospita- 
liers et  la  république  do  Saint  Marc  cherchèrent  à  renouer 
une  alliance  contn»  les  Turcs.  Tous  leurs  efforts  furent  para- 
lysés, dès  leur  début,  par  la  guerre  dos  Géuuis  et  des  Vé- 
nitiens, Sur  les  instances  du  Saint-Siège,  îles  Traités  furent 
conclus  par  les  plénipotentiaires  des  puissances  intéressées, 
mais  les  alliés  semblaient  n'adhérer  qu':"i  regret  à  la  ligue, 
et  ne  céder  qu'aux  solliGitatious  répétées  de  la  papauté  ;  il 
(rentrait  pas  dans  leurs  vues  de  continuer  la  guerre  ;  dés 
lors  aucun  résultat  rluralilo  ne  p(tuvait  être  obtenu  '. 

Cette  situation  se  prolongea  pendant  (quelques  années,  au 
graud  profit  de  la  puissance  musulmane,  qui  se  développait 
sans  rencontrer  d'obstacles  et  prenait  de  jour  en  jour  un 
pied  plus  solide  en  Kurope.  I/empire  d'Orient,  incapablp  de 
résister  aux  Turcs,  se  démembrait  de  toutes  parts  ;  c'est  contre 
lui  que  se  tournait  ranibitiou  ottomane,  c'est  â  lui  qu'elle  ar- 
rachait chaque  jour  une  nouvelle  province.  Les  Chrétiens,  de 
leur  côté,  avaient  protité  de  la  faiblesse  de  l'autorité  impé- 
riale pour  étendre  â  ses  dépens  leur  influence  commerciale  et 
coloniale  dans  l'Archipel  ;  les  Génois,  au  xiv'  siècle,  person- 
nifient cette  politique  qui  leur  réussit  merveilleusement:  en 
I3i5  rile  de  Chios,  en  1358  la  vieille  Phocéo  sur  la  cote  d'Asie 
Mineure  tombent  au  pouvoir  des  colons  génois  ;  au  même 
moment  Lesbos  est  détaché  de  l'einpire  grec  (1355)  en  faveur 
d'une  dynastie  génoise,  Philadc:l])hie  (1353),  la  dernière  pos- 
session des  Grtics  en  Asie  Mineure,  cherche,  par  crainte  des 
Turcs,  â  s'affranchir  du  lien  r^ui  la  rattache  a  Byzance,  in- 
capable de  la  protéger  contie  les  Sarrasins.  Ces  faits,  sans 
être  pour  les  Latins  des  prugrèa  au  sens  absolu  du  mot,  ne 
•ont  pas  indifférents  aux  destinées  iiltérifurns  de  la  cause 
chrétienne.  Si,  d'un  côté,  on  peut  regretter  de  voir  les  puis- 
sances catholiques  se  joindre  aux  intidèios  pour  briser  une 
barrière  que  ces  ilerrders  ébranlent  déjà  A  coups  redoublés, 
on  doit  par  contre  so  féliciter  des  résultats  obtenus,  puisqu'ils 
ont  pour  effet  d'augmenter  les  forces  et  In  puissance  des 
états  chrétiens  dans  l'Archipel'. 

Latrie.  Comiurrce  et  lîxpt'iittioiu, ...  p.  1 12-20,  donne  le  texte  du  traité 
avec  le  sulun  J'Kphèse. 

t.  Maa  Latrie,  UUtoire  de  Chypre,  il,  217-9. 
Grifrhenland..,.  vi,  'iGS. 


110 


l.roUE    OENKRVI.K 


HfMUKRT   DE   VIENN'DlS. 


On  aurait  tort  d'induire  du  calme  relatif  qui  se  manîfeslo 
an  milieu  du  xrv*  si/'cle  quo  la  question  des  Lieux  SaihU 
l«tssioune  luoius  l'opiuiou  publique  qu'elle  u(»  l'avait  fait  an 
iMmlemain  de  iacluite  de  Saint  Jean  d'Acre.  L'enthousiasme 
ne  sVst  pas  ralenti,  mais  il  s'est  uiodittê.  Si  l'on  jette  un 
coup  d'œil  sur  les  cinquante  années  qui  se  sont  écoulnes,  un 
voit  partout^  sous  la  menace  du  danger  et  la  hunie  de  la 
défaite,  les  projets  de  conquête  so  succéder  presque  sans  in- 
terruption; an  milieu  de  la  confusion  <[ue  la  diversité  des 
avis  ne  manque  pas  de  créer,  des  idées  d'une  haute  portée 
politique  sont  émises.  Le  blocus  do  rKgvpte.  l'établissement 
d'érules  dans  les  pavs  musuhuans  dans  nu  but  civilisateur, 
l'alliance  mongole,  la  création  d'une  ftirce  clirétiemie  sur  le 
golfe  Persifjue  sont  de  ce  nombre  ;  de  pareilles  conceptions 
sont  d'un  licin'eiix  aui^^ire,  et  font  présajfer  le  succès  d'un»» 
intervention  eu  Orient.  Il  n'en  est  rien,  cependant,  et  les  ten- 
tatives ne  répondent  pas  aux  projets.  Nicolas  iv  ne  paiTient 
pas  à  armer  l'Occident.  l'Europe  ne  sait  pas  protiter  de  la 
coopération  que  les  Tartares  lui  offrent.  Charles  de  Valois 
n'est  pas  plus  heureux  dans  sa  tentative  de  reconquérir  le 
sceptre  impérial,  et  Philippe  lo  lîel  n*a  pas  le  loisir  de  passer 
en  Orient.  Sous  le  rê^tji'  de  ses  successeurs,  l'inUîrvention 
armée  en  Pab^stine  r<!ste  la  préoccupation  exclusive  de  la 
politique  française  dans  le  Levant,  sans  que  les  circonstances, 
maljîré  des  pi-vparatifs  considérables,  permettent  jamais  de 
réaliser  rexpé<Ution  projetéi'.  La  ligne  de  Lïii,  couronnée 
par  la  pnae  de  Smyrno,  est  le  seul  résultat  obtenu  par  la 
chrétienté,  résultat  assuivment  sans  proportion  avec  les 
efforts  et  les  sacrifices  qu'elle  s'est  imposés. 

L'occupation  de  Smyrne  cbH  la  période  des  projets  stérilos 
et  des  tentatives  avortées  ;  la  tin  dti  xiv'  siècle  offre  un  autn^ 
canictère.  Lescunseiller.<  cèdent  le  pas  aux  hommes  d'action; 
si  la  politique  à  suivre  en  Orient  inspire  moins  do  vues  ori- 
ginales et  do  conceptions  remarquables,  en  revanche  elle 
réussit  souvent  à  mettre  l'épée  aux  nuiius  de  la  chevalerie  el 
â  l'entraîner  contre  les  ennemis  de  la  foi.  C'est  l'époque  do 
prises  d'armes  qu'alimentent  une  activité  toujours  renouvelée 
d'expansion  guerrière  et  la  haine  toujours  vivace  de.s 
mécréants. 


LIVRE   II 


TENTATIVES 


■l3o(M3!)() 


LIVUH   il 


TENTATIVES 


1350-t3!)C 


T<a  diminution  dft«  projets  de  crûlsatlp.  qui  rèdent  le  pas  aux  expé- 
ditions, raraoti^rise  «-etto  période.  Seules  l<>8  idées  de  Philippe  de 
Mé7.itTes  appellent  l'attention  ;  ellts  ortt  en,  de  leur  temps,  une 
influence  ronsidrrahlo  qu'on  est  loin  de  soupçonn'^p  aujourd'huî, 
à  considérer  dans  quel  oubli  sont  lombi^  leiï  ouvrages  de 
MéEières*. 

Ltm  documents  d'arohiveii,  sans  être  très  considérables,  sans  être 
même  inédita,  méritent  un  examen  approfondi.  Parmi  les  ouvrages 
qu'lU  ont  inspiréa,  nous  (ritoronâ  pi)ur  l  liypre,  le.s  travaux  de  M.  de 
W&s  Latrie',  qui  a  misa  conlributionK  toutes  les  archives européenneH. 


1.  A  peine  quelques  fragments  ont-ils  été  publiés.  Cf.  A.  Molinier, 
[)f»cri}UiuH  de  iIpujc  matiutiri'itx. . .  de  Philipfte  de  Mézière»  ((îénes. 
1K«t,extr.  dos  Aroh.  do  lOrient  Latin,  i.  IwrMl'i);  —  Lebi:iMif.  hUtnoire» 
ite  lAend^mie  det  Imcriptùm»^  xvir,  \\\\''\\'%.  --  Il  fnnt  ajouter  il  ce 
qui  prérèdr  la  vio  du  11.  Pierre  de  Thomas  (Acta  Sanrtomm  hoU., 
ïy  janvier,  n,  yyt»-HU:i),  et  V/'jjtslre  iomfinlahU  et  ronsotaloire  sur  le 
d*''*a*1rr  de  .NiropoHs,  (Froissarl.  éd.  Kervyn,  wi,  4Vi-523 >  Nous  avons 
anolyx^  rette  dorniére  ifuvro  au  cours  du  présent  travail. 

2.  ifixtoire  dr  Chi/pre  (F^iris.  IH,i*J-fi!i,  :J  vol.  in-H",  et  spécialement 
le«  t.  2  cl  ;î;  —  /htcumenlM  nouveaux  si'rvatit  de  prntvts  d  l'hintuire  de 
ÇUe  de  Chypre  (Cuil.  dei>  Uocuw.  InOdits,  .Mélanges  lilstoriques,    iv 


Sur  im  point  plus  spécial,  ja  croisade  d'Amédée  do  Savoie,  on  np 
saurait  trouver  de  meilleur  fluide  que  le  livre  de  Datta'.  Fait  d'apr*-!* 
le  compte  du  trésorier  du  pnnce  pendant  l'expL-dition,  il  met  en  garde 
contre  les  inexactitudes  des  chroniques  contemporaines. 

Parmi  celles-ci  se  place  en  première  ligne  Froissart,  qui  domine  le 
MV*"  sii^cle  tout  entier.  Il  a  toutes  les  qualili's  d'un  excellent  anna* 
liste:  m(^moiro  remarquable,  amour  de  la  vérité,  ardeur  infatigable 
à  l'entendre  de  la  bourlie  de  ceux  qui  la  savent,  et  fidélité  à  la 
reproduire.  S'il  encourt  parfois  le  reproche  d'inexactitude  ou  de 
partialité,  on  ne  saurait  l'accuser  pcrsonncUeraent  de  mauvaise  foi. 
[|  a  iiccueitti  indistinctement  tout  ce  qu'il  a  entendu  sans  songer 
que  la  passion.  Taveuglement  ou  rignurance  ont  pu  vider  les 
témoignages  cpi'il  reproduit;  il  est  inconscient  du  tort  qu'il  fait  à  la 
vérité  historique.  Un  cunçoil  dès  \ors  de  quelle  Façon  il  convient 
d'employer  les  Chroiii^urs  de  Kroissart  *.  excellentes  dans  l'en- 
semble, elles  demandent  à  t^tre  soumise.s,  dans  chaque  cas  spécial, 
à  une  enquête  sévère^. 

A  côté  d'elles,  se  placent  la  Chronique  det  Quatre  /tremier»  Valois  •, 


1882,  in-4");  —  Commerce  et  Exp^diiiom  militaire*  île  ia  France  et 
lie  Venise  au  intffjen /iffe  {Ça)]\.  des  Doc.  IntVd.,  187*1.  in-î"}  ;  —  Ifes 
relations  polilit/ufx  et  romuiercinhx  rte  fAêie  Mineure  avec  Cite  de 
Chypre  (Dihl.  de  1  Kcole  des  t'hurles,  2"  série,  t.  i). 

1.  p.  Datla,  Spedizioue  in  Oriente  dt  Amedeo  V!  conte  dî  Sann'a 
(Torino.  i8"iti.  in-S»),  d'après  les  archives  de  Turin. 

2.  V.  Kervyn  de  Lettenhove,  Froisênrt,  étude  littéraire  sur  le 
.\iv«  siècle  (Paris,  1857,  2  vul.  in-12):  —  S.  Luce,  Chronique»  de 
J.  Froissart^  i  (introduction,  Paris,  1869,  in-8).  —  Les  deux  éditions 
principales  (le  Fntissjirt,  celles  de  Kervyn  de  Lettenhove  et  de  S.  Luce 
(inachevée  ,  n'ont  pas  pour  base  le  même  texte.  Li  première  suit  le 
manuscrit  uni<])ic  d'Amiens,  la  seconde  une  classe  nombreuse  de  ma- 
nuHcrilsdont  l'édiieur  a  établi  la  tiliation  avec  le  plus  grand  soin  en 
réservant  fmur  1rs  variantes  la  leçwn  du  manuHcril  d'.\miens.  Nouî.  ne 
parlons  |>as  de  l'édition  de  Uuclion  {'i  vul.  gr.  in-H"  dans  la  collection 
du  Panthéon  littéraire)  qui  ne  jjeut  étro  considérée  comme  une  édition 
scientifique.  —  Kn  citant  Kroissart,  nous  avons  eu  recours  h  l'édition 
de  M.  Luce  jusqu'en  i:t:o  (7  vol.  in-8-\  1869-78),  et  à  celle  de  M.  Kenyn 
(le  Lettenhove  ^25  vol.  in-B",  l«70-;7)  pour  l'époque  postérieure  et 
pour  les  éclaircissements  de  toute  nature  qui  accompagnent  le  texte 
des  Chroniques. 

a.  Cette  enquête  a  été  faite  jwur  la  guerre  de  Guienne  (1345-'46i, 
par  Bertrandy  {Etudes  sur  les  Chroniques  de  Froissart.  Bonleaux, 
1870),  et  pour  celle  de  Urctagne  (1341-G4)  par  0.  Fr.  Hlaine  (Hevue  de 
Bretagne  et  de  Vendée,  1871,  5-32  et  119-3(1). 

'i.  S.  Luce,  Chnnnque  dn  quatrf  premier»  Valois  (Paris,  18t>3, 
in-H-l. 


Sol'Ki^HS  t)l^  LIVRE  éRCOND. 


lî; 


d'origine  normande,  recunimandable  par  rexaclitude  des  renseigne- 
ments qu'elle  contient,—  les  Grandes  Chroniques  de  France  ',  recueil 
ofâriel  i*Dmposc^  à  Unsfigation  des  ftbbês  de  Saint  Denis,  et  pour  le 
n^gne  de  Ttiarles  v  sur  l'ordre  exprès  du  roi,  ~  et  la  seconde  conti- 
nuation de  fluilhuuie  de  Nfinj^is',  dont  la  rédaction  rcvOt  le  in^mc 
carartv're  liistnriogniphi<jUf'. 

Ce»  chroniques  général**»  stmt  compU'-tées  par  des  téraoignagfs 
spAeiaiiXf  concernant  eertains  points  liistnriqiieH  partimiliers.  Telle 
est,  par  exemple,  la  croisade  du  roi  Pierre  i  de  (Jhypre  qui  a  eu 
dans  Guillaume  de  Macliaut  un  historien  contemporain,  vérïdique 
et  injpartial.  La  /^rr«*'rf'.!/cxrtn//n>  est  à  proprement  parler  l'histoire 
du  rè;rne  de  Pierre  de  Lusignan  ;  wrïle  d'après  les  récits  detémoîns 
oculaires  avec  lesqueU  Mâchant  fut  en  relation»  constintes,  cette 
chronique  rimt^e  est,  pour  la  partie  qui  nous  intéresse,  très  exacte. 
Si  vers  la  fin  de  l'ieuvre  ce  caractère  disparait,  on  ne  saurait  rendre 
l'auteur  resjwnsable  d'erreurs  que  ses  inspirateurs  étaient  intéressés 
à  lui  faire  fummeltre^.  Ini  vie  du  D.  i*ieiTe  de  Thomas,  par  Ph.  de 
Mézières.  complet»»  heureusement,  malgré  son  allurt;  apolo^tique, 
les  renscignenu-nts  relatifs  aux  origines  de  l'expédition*. 

L'intervention,  au  coiitraire,  d'Aini^dèe  vi  en  Orient,  quoique  men- 
tioniiée  avec  quelques  détails  dans  les  Chroniques  de  Savot/e^, 
resterait  pour  nous  fort  obscure  sans  les  pièces  d'archives.  La 
comparaison  de  ces  deux  sortes  de  doi*unicnts  nmis  apprend  à  n'usrr 
qu'avec  nuidératiun  d'un  témoignage  qui,  bien  que  contemporain, 
n'offre  pas  d^s  garanties  absolues  de  vérité  historique. 

La  croisade  de  Harbarie  ne  nous  eh>t,  pour  ainsi  dire,  connue  que 
par  Irschroriiques:  elles  émanent  de  chacune  des  nations  qui  furent 
m*lèe»  û  cette  pxi)édition,  et  se  divisent  en  suurces  arabes,  génoises 
et  françaises.  Les  premières  sont  les  moins  nombreuses.  Ibn- 
Khsldoun,  le  chroniqueur  des  Arabes  du  jMaghreb*^  confirme  les 
récitA  des  auteurs  chrétiens  dans  leurs  lignes  principales.  Les 
chri>n)ques  génoises  se  réduisent  aux  annales,  officielles  et  exactes 
danâ  leur  concision,  de  (îejrges  Stella,  contemporain  des  faitsqu'i 


1.  Paulin  Paris,  len  yrandes  Chroniqurjt  */»»  France  (6  vol.  in-t3, 
I83G-40). 

2.  IL  Géraud,  Chronique  latine  de  Gniitaume  de  \angis  de  \\V,i  à 
t:f04»  avecles  eontinualums  de  t:tO0  à  1368  (Paris,  t8'i3,  2  vol.  in-8"). 

3.  L.  de  MaK  Latrie.  /.«  /'rixe  d'Alexandrie  (r.enève,  1877,  in-^"). 

4.  Acta  Snnctornm  HuU.,  2li  janvier,  II,  9y«-101J. 

5.  MoHwnenta  htKloriœ pairitf,  Soriptorurn  t.  i  (Turin,  IB'ÏO,  in-foL), 

G-as-i. 

6.  Ibn-Khaldoun,  UiMuirc  des  Berbères,  irad.  par  de  Slane  (1852- 
56),  t.  III. 


116 


SOTJftCES  DC  livre  SECONÏ)". 


raconte  *,  car  les  témoignages  il'A.  Giustinianî  (U70-1336)*,  et 
(l'Ilubert  Fiiglieta  (1518-1581)' sont  diretMemenl  puist^sà  celte  source 
commune.  Il  n'en  est  pas  de  même  des  récits  de  })rovenance  fran- 
çaise, en  tète  desquels  se  place  la  Chronique  du  bon  duc  I.oyR  de 
Bourbon*.  Kcrite  par  un  témoin  oculaire,  probablement  Jean  de 
Chàteaumorand,  sous  l'inspiration  du  duc  de  nourbon,  chef  des 
forces  chrétiennes,  elle  rev^H,  pwnr  celte  rampaj^iie,  un  caractère 
d'autlienticité  et  de  précision  qu'on  lui  refuse  généralement  ilan» 
son  ensemble.  Serviteur  dévoué  de  Louis  de  Bourbon,  l'auteur  aura 
pu  parfois  exagérer  les  qualités  et  le  rôle  du  dur,  mais  le  récit  est 
généralement  tîdéle  et  doit  être  accepté  avec  confiance.  Il  n'en  est 
pas  de  mémo  du  témoignage  de  Froissart  qui.  h  cùté  de  détails 
puisés  à  des  sources  dignes  de  foi,  accueille  trop  facilement  de^ 
légendes  plus  [loétiqueg  que  réelles,  se  montre  tmp  peu  favorable 
au  commandant  de  l'expédition  et  se  fait  l'écho  des  jalousies  suftcitéeit 
par  la  haute  situation  du  duc  ".  Le  Heligieux  de  Saint  /tenu,  au 
contraire,  chruniquenr  officiel  de  Charles  vi,  comme  il  avait  été 
historiographe  de  Charles  v",  lidéle  i\  la  couronne  encore  plus 
qu'au  roi,  est  une  source  des  plus  importantes  et  des  plus  dif^es 
de  foi.  En  ce  qui  concerne  la  France,  il  oiïre  toutes  les  garanties 
d'exactitude,  sauf  à  ne  dire  que  ce  qui  pouvait  être  agréable  au 
souverain.  Ses  informations,  pour  les  événements  de  politique  exté- 
rieure ou  d'histoire  étrangère,  demandent  à  être  contnilécs'.  On 
en  peut  dire  autant  de  Jean  Juvénal  des  Crsins.  Son  histoire, 
inspirée  par  la  reconnaissance  des  bienfaits  de  Charles  vi,  se 
distingue,  malgré  le  sentiment  qui  l'a  dictée,  par  l'amour  de  la 
vérité  et  l'exactitude  du  récit.  On  y  chiTclifrait  en  vain,  il  est  vrai, 
des  aperçus  et  des  faits  inconnus  aux  autres  chroniqueurs,  mais 


1.  G.  Stella,  Annales  Grnuensea  (1298-1400)  dans  Muralori,  Aer. 
italic  scrt'p.,  XVII,  î>'i7-IS18. 

'1.  Annali  delta  rcpuhlicndi  Geiiova.  Ces  annales  furent  publiées  en 
1337  et  réimprimées  en  1855  (2  vol.  in-8->.  Gènes,  Canepa).  Nous  nous 
sommes  servi  de  cette  seconde  édition. 

a.  Hislorim  Genuensium  libri  xii  (ricnun\  1585). 

4.  A.  M.  Chazaud,  La  Chronique  du  bon  duc  Loy*  de  Bourbon 
(Paris,  1876,  in-8-).  .M.  Chazaud  a  montré  que  cette  chronique,  attribuée 
H  Cabaret  d'Orville,  si  elle  avait  été  rédigée  par  cf^lni-ci,  avait  été 
dictée  par  un  ancien  compagnon  du  duc,  vraisemblablement  par  Jean 
de  C'hùteaumorand. 

5.  Froissart,  éd.  Kervyn,  xiv.  151-9,  211-53,  et  af>9-80.. 

6.  \a  partie  de  l'œuvre  du  religieux  concernant  le  régne  de  Charles  v 
e.st  perdue. 

7.  Bellaguet,  Chronique  du  Beiit/ieuj:  de  Sftint  iteni»  (V&r'iJi,  1839-54, 
6  vol.  i^-4^^ 


SOURCES  DU  LIVRE  SECOND.  HT 

la  probité  littéraire  de  l'auteur  écarte  tout  soupçon  d'exagération  et 
de  partialité  *. 


1.  ffittoire  de  Charles  v/,  1»  édit.  par  les  soins  de  Théodore  Gode- 
froy  (Paris,  1614,  in-4»)  ;  —  2«  édit.  par  Denis  Godefroy  (Paris,  1653, 
in-fol.  avec  additions).  De  nos  jours  Juvénal  des  Ursins  a  été  réimprimé 
dans  la  collection  du  Panthéon  littéraire  de  Htichon  et  dans  la 
nouvelle  collection  des  Mémoires  pour  servir  à  Chistoire  de  France 
de  Michaud  et  Poujoulat  (1"  série,  t.  ii,  1836).  C'est  de  cette  dernière 
édition  que  nous  nous  sommes  servi. 


CHAPITRE  PREMIKR. 


CROISAtlt:   DE   PIEKRE  1,    KOI   DE   CHYPRE. 


Les  progrès  des  Ottomans  ne  se  ralentissaient  pas,  tandis 
que  l'Europe  et  les  puissances  chrétiennes  <ïu  Levant,  à  la 
suilo  (le  l'éc^hec  de  la  li*<iio  el  do  la  retraite  d'Huaibert  île 
Viennois,  ne  savaient  ou  ne  voulaient  pas  renouer  uni?  action 
combinée  contre  les  infidèles.  Ceux-ci  avaient  profité  de  ce 
répit  pour  étendre  leur  (louiinntion  en  Asif  Mineur*',  et  alt- 
sorber  les  états  dont  l'indépendance  avait  jusqu'alors  empê- 
ché l'unité  politique  de  l'empire  musulman.  OrAce  .-i  sa  posi- 
sition,  l'ArménÎH  était  devenue  l'objectif  dos  efforts  ih's 
Turcs;  elle  avait  vu  les  émirs  turcomans  ou  arabes  occuper 
successivement  Sis,  Tarse,  Adana,  Pélerga.  TAïas,  et  tout 
le  littoral,  et  elle  irexislail  plus  que  de  nom;  seuls  les  chA- 
teaux  forts  de  Gaban,  Pardserpent  et  (îorighos  résistaient 
encore  ;  h's  Turcs  avaieni  menu*  déjà  dévaslé  les  environs 
de  co  dernier  et  attaqué  la  ville,  mais  les  mui'ailles  de  la 
place  avaient  re|»oussé  leurs  assauts. 

Une  situation  aussi  précaire  appelait  un  secours  immédiat; 
le  roi  Constantin  IV  l'avait  aoUiciié  sans  succès  dr  l'Etu'ope, 
et  TArménie  n'alteinlait  son  salut  que  de  l'appui  du  roi  de 
Chj^pro.  L'avèneniPiit  au  trt')ne  4le  Pierre  i  (IliiO)  était  le 
seul  espoir  des  Anuéniens  ;  ce  prince  luïurrissait  des  senti- 
ments belliqueux  qu'il  avait  eu  grand'peiue  â  contenir  du 
vivant  de  son  jiére  Ilujruos  iv.  et  ne  demandait  qu'à  leur 
donner  libre  carriéri\  L'ardeur  guerrière  du  jeune  roi  se 
fortitiait  de  considérations  politiques  :  il  manquait  à  l'ile  de 
Chvjire  d'oatuper  une  ville  fortifiée  Nur  la  côte  d'Asie  Mineure  ; 


au  point  de  vue  commercial,  les  Chypriotes  avaient  besoin 
sur  la  teiTe  ferme  d'un  point  où  les  marchands  européens 
pussent  échanger  leurs  produits  avec  ceux  de  l'Asie  centrale 
cl  notier  des  relations  directes  avec  Kouieh,  Sivas,  Ense- 
ruiim  et  les  grands  marchés  auxquels  aboutissaient  les  cara- 
\anes  de  la  haute  Asie.  Ils  eussent  ainsi  iHit»'-  de  s'approvi- 
sionner dans  les  ports  d'Armènio,  de  Pamphylio  etd'Rgypte. 
L'occasion  de  réaliser  ce  projet  était  trop  ravtu-able  pour  être 
repoussée.  L'Arménie  demandait  assistance  au  rui  de  Chypre 
et  lui  offrait  en  échange  d'oc<uiper  (Kirighos:  Pieriv  s'em- 
pressa d'accepter  ces  propositions.  Dès  le  15  janvier  1301, 
deux  galères  chypriotes  amenaient  à  Gorighos  quatre  com- 
pagnies d'arbalétnei*s  sous  le  comriiaiideiiieiit  de  Kohert  de 
Lusignan  ',  et  la  place  jurait  lidélité  au  roi  de  Ciiypre. 

Cette  prise  de  possession  n'était  que  le  prélude  tl  événements 
plus  considérables.  Le  granil  Kuramau  s'était  hûlé  de  lever 
une  ai'niee  nomlu'euse  el  de  s'allier  aux  émirs  de  l'Aïas  et  de 
l^srandelour,  ses  voisins,  tandis  que  Pierifi  faisait  à  Chypre 
lie  grands  préparatifs,  et  réunissait  â  Famagouste  une  tîotte 
lie  cent  dix-neuf  voiles  (II'  ;ivril  I.'I5I).  dans  laquelle  ligu- 
raîent  des  contingents  fournis  par  le  Saint-Siège.  Gênes  et 
les  chevaliers  de  Rhodes.  Jamais  pareil  armement  n'avait  été 
fait  par  les  Lusignans  ;  le  roi  lui  donna  romni*-  objectif  Sa- 
lalie,  au  fond  d'un  large  golfe,  sur  la  côte  méridionale  d'Asie 
Mineure,  place  au.ssi  importante  par  la  forets  de  ses  défenses 
que  par  l'étendue  de  sun  roniiuerce.  Débarquant  le  1*3  aoiU 
tt  pmximiti»  de  la  ville,  l'aiMiiéi*  l'empcjrtait  le  lendemain 
(*^ S  août  tilGljde  haute  lutte  ;  h-^  émirs  de  PAïas  et  de 
LesL'andelour  elfrayés  deniandérenï  la  paix  et  l'obtinrent  en 
échange  d'un  tribut  anniud  et  de  la  promesse  de  respecter 
les   territoires  de  Gorighos  et  de  Satalie  '. 

Lo  succès  lies  ai'nies  chrétiennes  eut  un  grand  retentisse- 
ment en  Europe,  mais  la  joie  (piii  avait  inspirée  fut  courte: 
on  apprit  bit-nlôt  les  dangers  qui  nu^uK.aient  Satalie. 
L'émir,  que  les  sources  contemporaines  appellent  Tacca,  du 


I.  ("Vtjiit  un  c-hevalier  poitevin,  venu  en  t»nent  ponr  gnerrfiyersou» 
la  bannière  des  pnnres  de  sa  muisiMi. 

i.  Mil»  Uutrii',  /M*  relations  ffolUn/uaK  tt  nnnnin-rinif/t  tif  l'Asie 
}hn^tfrr  nwc  litc  de  Chtf/ftc  duns  Bit)!,  do  l'Ec.  dusCti.,  li"  série,  t.  l, 
p.  VMK-*I&. 


120 


rROISADK  DK  PfERRE  I  DE  niYPRE. 


nom  du  pays  qui  \\û  obéissait,  avait  repris  les  armos  aussitôt 
après  le  départ  du  roi  de  Chypre,  et  ravageail  h^s  environs 
de  la  ville;  il  lenlait  même  (13  avril  \'Afï2)  de  surprendre  la 
place;  mais,  maltrré  r^oliRC  de  cette  surprise  et  quelques 
succès  de  la  flotie  oliypriole  sur  les  cotes  de  Lycie,  la  posi- 
tion de  Satalie  restait  aaseK  crili(|ne  pour  nécessiter  le  départ 
de  Pierro  i  pour  lOccideuï  (i'i  octobre  130*').  Il  fallait  que 
le  prince  obtint  des  cours  européeunos  des  renforts  [Kïurcou- 
tinuer  la  guerre,  sous  peine  de  voir  s'évanouir  les  espérances 
que  le  début  de  la  campagne  avait  fnii  concevoir  A  la 
chrétieulé  ' . 

La  preuiière  éta[he  du  voyage  de  Pierre  i  fui  Venise;  il  y 
séjourna  pendant  le  mois  do  déoemi)ro  I  36l'  '  ;  de  là  il  traversa 
l'Italie  septcntrionaltN  passant  par  Milan,  Puvie  et  Gènes 
(janvier-février  I3G3)  et  gagna  AvÎ'jMiou  par  la  route  de  la  Cor- 
niche. Le  niercredi  saint  i '^0  mars  1303)  il  faisait  son  entrée 
dans  cette  ville,  oii  se  tnmvaieut  réunis  le  pape  Urbain  v.  le  roi 
de  France.  Jeun  le  Uon.  le  rui  de  Danemark,  Valdemar  m, 
el  le  comte  de  Savoie  '.  Si  la  cause  dt^s  Chyprioti»»  avait  ren- 
contré auprès  des  cnurs  italiennes,  malgré  l'accueil  magni- 
fique dont  elles  honorèrent  le  prince,  fort  peu  d'écho,  il  n'en 
fut  pas  4le  même  à  Avignon.  A  l'instigation  ilu  pontife,  les 
rnis  de  France,  de  Darjemark  et  li'  rtunii'  de  Savoie  prii-ent 
la  croix  le  vendredi  saint  (31  mars),  et  promirent  de  secourir 
le  royaume  de  Chypre.  C'est  qu'en  effet,  Pierre  i  n'avail 
pas  à  craindre  d'eux,  comme  des  puissances  italiennes,  des 
jalousies  d)^  commerce  et  d'influenrc  dans  le  L**vani.  L<^  roi 
de  France  était  le  type  de  rbunneur  chevaleresque  ;  il  Leuujt 
à  remplir  le  vœu  que  lui  avait  légué  sou  père,  et  voyait 


1.  Mas  Latrie,  De»  retaiiont , . .,  dans  Hibl.  de  llic.  ilt-s  th.,  2«  sr^rie, 
t.  I,  p.  VJ5-7. 

2.  Il  quitta  Venise  le  2  janvier  llMî^.  l.'iLiitorisalioti  de  sortir  des  êUits 
vénitiens  lui  lut  donntV  le  r*"  janvier  i:îrt;[  [mr  le  grand  <'»iii.sril  Mds. 
Latrie,  /fisloimlf  Cht/pre,  il,  2i*)  nt  2'i7). 

3.  Le  roi  de  Krance  était  à  Avignon  depnis  novembre  lîWS,  le  nû 
de  Danemark  depuis  le  26  février  \'MV.i  iKrt>is!»nrt,  éd.  Lurn,  vi,  p. 
XXWni  et  Xl.i).  La  date  rie  l'arrivée  du  roi  de  Chypre,  faussemenl  fix^i* 
au  It  décembre  i;t*12  par  Villani,  a  été  déterminée  par  >L  de  Mas  latrie 
[ilintoire  de  CfujpVfy  n,  23it-'i0).  La  priScncc  d'Amédée  \ldt?  Savoie 
n'est  pas  signalée  par  les  cbroiiiqueuni  euntcmtH>rain!i.  Datta  (^S//irf/i- 
zionr  in  Oriente  di  A$nedeo  v/,  Turin.  182*1,  p.  11-:^  la  déduit  d'une  bulle 
ajMJstolique  du  l**  avril  1U6U. 


IMKRRK  I  A  AVIGNON.  121 

ilans  la  nuuvellp  rroisaiii>  le  moyen  (t'enlraîner  hors  do 
France  l«»s  CV»inpagnips  qui  ruinaient  le  pays,  et  dont  il  <^lait 
inipoH^ihle  de  le  débarrasser  '.  Le  jeune  Pliilippe  de  NavaiTe, 
lils  dn  Charles  le  Mauvais,  proelauié  ])ar  Jean  tt  «  inaislro  et 
fC'»uverneur  de  toutes  los  gens  à  icelhi  eiiipriai*  d'aler  sur  les 
mertereansSarrazins  ennemis  de  la  fui»  avait  suivi  Texeuiple  du 
roi  :  après  lui  le  cardinal  de  Pêrigord,  lèf^at  .Lpiistolique  ", 
ie;in  d'Artois,  conili'  d'Ku  \  les  rouîtes  de  L);imiu;irtin  *  et 
de  Tancarville  *,   Anmul    d'Audrehem  *",   le  grand^irieur  de 


I.  Kn  i;i65.  le  niaprciial  Anioid  d'Auilrelieni  fut  envoya  auprès  du 
roi  dp  lîongpio  pour  négocier  le  passaj;i'  des  routiers  dans  cf  pays. 
L'eniperniir  ('harlns  iv  nn  limitait  pas  du  siin-f-s;  il  oITrait  ru^me  la 
moîiif^  des  rcvoiius  du  royaume  dp  lîuhr-mc  p(Midant  trois  ans  pour 
!»iibvenir  aux  frais  dp  l'eut ivprist*,  et  comptait  sur  Venise,  si  le  pas- 
*^)j;e  n'aviiil  p.i?.  lieu  pir  la  lIoiigriL^  jujur  fuiipiiir  les  vaisseaux  iiôces- 
>jïin'&  à  reml)arri«(;merit  des  l'.impajLriiins.  Lr  projet  rchuiiii  ''omplù- 
tein^nl  lE.  Molinifr,  Etwh  Kur  la  rir  tl'Arnoul  ff'Awirffhem,  dans 
Mt^moir**s  prMrntt^s  par  divers  siivnnts,  t.  vu  Paris,  18KU,  jti-V'),  p.  Ih9). 

'J.  Klie  Talloyrarid  dn  Pèripord,  né  en  laoi,  iWéquR  de  Limoges 
on  l'Ai't^  d' \iï\cnv  en  I3:iî*,  rardinal  en  13;U,  évi>«^ue  d'Albano.  lise 
pr^nwMtpa  braucoup  de  la  Terre  Sainte;  c'est  h  lui  que  (îuillaume 
Bohinzeie,  voyapi'ur  allemand,  dédia  son  Lifier  Hf^  futriihux  tjttibmittam 
ultramnt'inin  et  prœcipue  de  Terra  Sam-ta  \\ .  Iteiiïenberg,  Monument» 
j«nir  her'vir...  p.  277-K(i).  Il  mourut  à  Avignon  1*'  17  janvier  lîttj'i.  Sa 
mort,  survenue  en  même  temjM*  que  relie  dn  roi  Jean  u,  ne  fut  pa.s, 
au  dire  de  (iuillaïune  de  Mucliaut,  ;^ans  influence  sur  l'échec  de  la 
cn*tsade. 

3.  t'o  prince  (;iont  lS2l-r,  avril  I:m7),  fils  de  Robert  d'Artois  et  do 
Jnanne  de  Valois,  surnommé  Sunx  Terre,  retînt  eu  XW'rl  le  comté  d'Ku, 
ronlisqué  sur  le  connétable  liaoul  de  Mrienne.  Le  fut  tmijours  un  tidèle 
jmrti^an  des  rois  île  Kranue,  et  jamais  sa  conduite  n'offrit  les  tergiver- 
sJitjons  dont  celle  de  sun  père  avait  donné  l'exemple. 

\.  rharles,  llls  de  Jean  M  de  Trie  et  de  Jeanne  de  Sancerre,  succéda 
n  KOI!  père  dans  ce  comté  en  i;t:t8.  Prisonnier  à  Poitiers,  revetm  défi- 
iiitivojuent  <le  captivité  en  l:ift'i,  il  servit  avec  dévouement  la  cause 
royale.  U  eut  l'honneur  de  tenir  Cbarles  vt  sur  les  fonts  baptisinaiix.  11 
vivait  encore  en  i:Wï  (P.  Anselme,  vi,  (i7tt. 

ô.  Jean  u.  vicomte  de  Meinn,  comte  de  Tancarville.  seigneur  de 
>lonireuil  Ikïllay  el  de  WarenyoeUec,  gouverneur  de  Itourgogne, 
Champagne  el  lirie,  eliftinlietlan  de  Krance  et  de  Normandie,  llls  de 
Jean  t  el  de  Jeanne  de  THiicurville,  né  avant  \'.vl)\  el  mort  en  l:tH2 
|K  Anselme.  \.  -l'H'». 

tî.  \rnoul  d'Audrehem,  d'une  famille  artéi!<ieniie,  nA  ver»  1305,  prit 
(lûrt  â  plusieurs expédillons  en  l!cosse  (i:ta7-'il).  défendit  Calais  avec 
Jran  de  Vienne  après  le  désastre  de  ('n''cy  et  y  fut  fait  prisonnier. 
Ilevoou  de  captivité  (tUVJ).  il  guerroya  en  Augouinois  ot  en  PirunU 


CROISADE  I>B  PIERRE  I  DE  CIITPRI?. 

France  '.  le  maréchal  Buucicaut  *  et  la  fleur  de  la  chevalerie 
française  avai<»nt  pris  la  croix  \ 

Mais  le  concours  du  roi  de  France  ne  suffisait  pas  à 
Pierre  i;  il  voulait  entniinnr  tonte  la  chrétioatè  imi  Orient, 
ot  dans  ce  but  visiter  toutes  les  cours  européennes.  Il 
quitta  Avignon  à  la  tin  do  mai  1303,  se  dirigeant  vers 
l;i  Flandre,  le  Brahant,  rAlleniagne.  l'Aii^'leferre,  pour  sol- 
li<-ittîr  l'appui  dr  leurs  souverains*.  Acfunnlli  partout  fas- 
tueusement.  il  ne  sut  pas  résister  à  la  séduction  qu'exercèrent 
siu"  son  esprit  aventureux  et  chevaleresque  les  divertisse- 
nu'nts  et  les  tourriuis  tlunuésen  suu  uoiinuir,  les  ovations  qui 
l'attendaient  de  ville  en  ville  et  que  juatiliait  le  renom  de  bra- 
voure dont  il  était  précédé.  Plus  de  deux  ans  se  pïussèrent  à 
parcourir  l'Kiiro[)o  sans  résultat  ♦Mlicaoe.  L'Aragon  et  la  Cas- 
tille  étaient  en  lutte  sanglante^  l'Allemagne  se  désintéressait 
(les  choses  delà  croisade.  l'Italie  muUi[iliait  les  difticultés  et 
rli<*rchait  par  tous  les  moyens  ù  entraver  les  desseins  du 
prince;  l'AngletciTerefusait  une  adhésion  formelle;  la  P>ance 


et  fut  nommé  maréchal  de  Krant'p  en  i:i5l  en  remplacement  du 
mai-éflial  de  Heatijeii.  Sa  vi«  se  pasfca  à  cumbaUre  les  Anglais  et  le* 
Compagnies.  Il  se  démit  de  sa  i'l)argo  en  i:i68  et  fui.  en  éclianife, 
nommé  par  <liapl('s  \  porte-uriflamnie.  It  muurut  k  la  Un  du  moi»  de 
décembre  i:t7«.  Vuir  miv  hi  vio  de  ce  personnage  E.  Molinier.  ICtvde 
sur  la   vie  d'Antoul  itWttdfckem. 

1.  Celait  alui'îi  II*.  Robert  de  .luilly  ou  Juillac,  devenu  plus  tard 
grand-maitre  Ac  l'îlôpital  (ia7'i-;r,i.  Avant  d'iMre  grand-prieur  do 
France,  il  était  p^l^l'eplrur  do  Flandre  et  de  S.  Vaabourg  |I359). 
(Arch.  de  Malte.  Heij.  Huit.  Atatj.,  i.  t  Ui'l  y.) 

2.  Jean  i  le  Moin^^rc,  dit  Ituueicaut,  seiffneur  du  Uridoré,  de  la 
Bretiniêre  el  d'Elabieaux.  naquit  à  Tours  vers  KMu.  C-ompagnon 
d'armes  du  I>u  (luesclin  et  de  Jean  de  Saintré.  aussi  habile  diplomate 
que  vaillant  ^ueirier,  il  fut  im  des  plus  fermes  soutiens  de  la  rojTiuté 
franraise.  Et\  qualité  de  lieutenant  général  de  Touraine  |1360)  il  fut 
un  den  signataires  du  traité  de  [trétiguy.  (Jjiiand  le  roi  Jean  quitta 
Avignon,  il  raccumpaffiia  en  Angleterre;  en  lUlV't,  il  |)artici|m  à  la 
victuire  de  rocherel;  J'aini^^K  suivante,  ses  démarches  aboutiront  au 
traité  de  (iuérande  entre  Jeanne  de  Pentbiévre  et  Jean  de  M<intfort. 
Il  mnnrut  «n  mars  l:nirt  à  llijon.  <'Vst  le  père  de  Jean  n  le  Meingre, 
également  maréchal  de  l-Vance.  qtii  joua  en  Urient  un  rt'de  rapital, 
auquel  une  grande  partie  du  pn^sent  travail  est  eonsacr^'e. 

3.  l-'ruissart,  éd.  I.ucc,  \i,  Sîi-ï.   —  (^hroHUfue  de»  tjuaire  premier» 

\.  \oir  l'itint^aire  du  rui  de  t'iiypre  dans  Mas  Latrie,   Uitioirc  rfc 


k 


XOUVELI.ES  DESASTREUSES  DU  LE^'ANT. 

elle-même,  aux  prises  avec  de  sérieux  embarras  financiers, 
et  craignant  le  retour  des  grandes  Compagnies  quo  lo  roi  do 
Navarre  avaient  rappelées  de  Lombardie.  menaçait  de  ne 
pas  U*\\'\v  ses  promesses  :  blontît  même  son  roi  moucait  prî- 
sonniop  volontaire  en  Angleterre»  et  cettf  niurt  ruinait  le 
dernier  espoir  de  Pierre  i'. 

Pendant  que  le  i-oi  de  Chypre  oubliait,  dans  les  fétcs  elles 
délices  de  l'Occident,  la  croisade,  objet  de  son  voyage» 
les  èvênoments  devenaient  de  plus  eu  plus  graves  en 
Orient.  Dès  le  départ  de  Pieire  i,  les  émirs  coalisés  avaient 
attaqué  Satalie  par  terre  et  par  mer  (Ha  de  130'.?),  mais  ils 
avaient  été  rejioussés  et  complètement  défaits.  Cet  échec  ne 
Jps  avait  éloignés  que  momentanément;  en  llîti:*,  la  c^ite  sep- 
t#'iiîrionale  de  Tile  de  Cljypre  avait  «ouru  un  sérieux  danger  ; 
envahie  par  un  parti  turc,  elle  fut  dévastée  et  brûlée  ;  Cérines 
même  fut  menacé.  Malgré  quelques  avantages  rem[tortés 
autour  de  Satalie  par  l'amiral  Jean  de  Sur,  la  situation  i-esUiit 
très  critique;  un  apprit  à  ce  moment  que  l'émir  de  Damas 
avait  rompu  la  paix  en  emprisonnant  les  uiarcbands  Chy- 
priotes qui  se  trouvaient  dans  cette  ville  ;  cette  violation  des 
traités  était  trop  flagrante  pour  ne  pas  exaspérer  Liisignan; 
dès  qu'il  la  ci;nnut,  il  courut  à  Avignon  moati'er  au  pajie  les 
lettres  que  lui  écrivait,  pour  la  lui  annoncer,  le  prince  d'An- 
lioche.  son  frère,  régent  du  royaume.  La  Syrie  tout  entière 
s'agitait;  le  roi  de  Chypre  ne  resta  pas  indifférent  à  l'in- 
dignation générale;  communiquant  son  enthousiasme  à  son 
i;niourai,'e.  il  leva  ime  armée  pen  nttmlirense,  mais  composée 
dVdements  excellenis.  engagée  en  Provence,  en  (îuyenne,  en 
»  IjOiiibardie.  en  Flandre,  en  Angleterre  et  en  AUemague,  et  se 
hAta  «le  passeren  Italie  atin  de  regagner  l'Orient.  Philippe  de 
Mézières,  rhancelierdu  nii',  abii's  à  Venise,  avec  le  contours 
(lu  légat  apostolique.  Pierre  de  Thomas*,  avait  frété  des  ga- 


1.  Mas  Latrie,  />*«  rtlntions^  etc.,  p.  W7-tt;  —  FroiMarlt  éd.  ï.uce, 
rt,  p.  \u-M,vm. 

t.  Philippf*  (le  Mézièrt*»  e&t  une  des  figures  Ips  plu»  synipathiqiifî» 
de  l'biMoirf  dr  (  iiyprn;  khi  dévuueinenl  à  ses  mis,  mu  ar"d«iir  à 
Hunver  l'Mrinnt  <Ihk  intidcIcK  ne  tio  di^nierHircnl  janiait^  pendant  sa 
longiic  ^a^ri^'►^^  Nmi»  auruns  wuvent.  au  coura  de  ce  travail,  ijccasion 
de  rovenir  sur  rr  pi'rxinrmgr, 

\\.  L«  h.  Pierre  ilo  Tlmma-s,  religieux  canne,  i>rij.'inaire  de  .^aligna»* 
de  'ninmas,  au  (iiwr^.s**  di-  Siirlat.  Il  Tut  iVveque  de  Coron,  archevefpio 
de  Crète  et  patriarche  lie  ^iMl^litlltir|uple■  .Vprèd  la  murt  du  canlinal 


CKOISADE  DE  PIERBB  I  0E  CHYPRE. 

lères  pour  roxp<''dition,  non  sans  s'otre  heurtô  au  mauvais 
vouloir  du  sénat  de  Venise  qui  mit  tout  en  œuvre  pour  en- 
traver la  croisade  ;  luais  le  chancelier  et  le  légat  avaient 
déployé  tant  de  zèle  nt  d'activité  (juelorai  put  prendra  la  raer 
avec  ses  troupes  au  mois  di*  juin  IMii'i.  La  république  de  Saint 
Marc,  avec  une  extrême  habileté  politique,  avait,  au  dernier 
moment,  fait  escorter  par  trois  •:alères  vénitiennes  l'escadre 
dont  elle  avait  d'abord  à  tout  prix  cherché  à  empi'cher  le 
départ'.  Klle  s'assurait,  de  la  sorte,  sous  le  masque  d'un 
concours  désintéressé,  le  moyen  de  surveiller  et  de  contrôler 
les  opérations  tutui-es'. 

Rn  quittant  l'Adriatique,  le  roi  do  Chypre  relùeha  à  Candie; 
cette  possession  vénitienne  venait  de  se  révolter  contre  ta 
métropole.  Komentêe  par  Oénes,  l'insurrection  pouvait  com- 
pi*onïettre  le  succès  de  la  croisade,  et  à  ce  titre  avait  ému  la 
l'our  apostolique  et  le  roi  de  Chypre  autant  que  les  Vénitiens. 
L'énergie  du  doge  Laurent  Celsi  Ht  rentrer  promptement  les 
rebellas  dans  lu  devoir  ;  ([uarid  Pierre  i  se  présenta  devant 
l'ile,  In  soulèvement  était  comprimée  Après  quelques  jours 
de  repos,  rexpédition  fit  voile  vers  Rhodes  où  elle  attendit 
l'arrivée  de  la  flotte  chypriote  ;  celle-ci,  comptant  cent  huit 
voiles,  dontdix  gros  navjres  et  trente-trois  vaisseaux  de  trans- 
port pour  les  chevaux,  rejoiguit  le  roi  le  23  août  1365.  En 
présence  d'une  pareille  concentration  de  forces,  dont  l'ob- 
jectif n'était  pas  C(jniui,  les  émirs  de  la  cétt*  d'Asie  Mine.ui*c 
eurent  peur:  ils  s'empressèrent  de  solliciter  la  paix,  dont  1b 
grand-niaitrc  du  l'Hiqiital,  lié  lui-même  avec  eux,  se  lit  le 
médiateur.  Tranquille  Je  ce  coté,  Pierre  i  quitta  Rhodes;  les 


lU  Tîtlleyraml  il  fui  tiomm»''  h'giit  <]u  Saiiil-Siè^e,  fl  son  influence  fut 
des  pins  h«*ui'eu;>fs  pour  faire  aboutir  les  projets  du  roi  de  Chypre. 
Il  mourut  i\  Kamagoubte,  le  6  janvior  1^66  (<l.  de  Maetiaul,  /.a  Priite 
ft'Alfxantfrii'^  M.  de   L.  de  Mas  Latrie,  (teacvc.  1877,  p.  281). 

1.  Mau  Latrie.  Des  reiatinn».,.  p.  498-502;  —  id.,  Histoire  rfe 
Chtf/tre.  (I.  2'il  et  283-1. 

2.  Les  JMïitructions  donnf^CK  par  le  doge  au  capilainA  do  rAdnatiquA 
(2t>-7  juin  Kïfiô)  portent  ^ue  ce  dernier  suivra  en  mer  l'armêo  du  roi 
de  Chypre  partout  uii  elle  ira,  e;  nutttiera  :i  la  seigneurie  le  ileu  de 
di^liart]ueniont,  le^  entreprises  ot  les  projets  de  Pierre  i  (Man  Latrie, 
i/ixl.   (te  r.hypre,  m.  7ôt-2|. 

;i  Ma-s  I*atrie  d/istoirr  de  Cht/pvf.  ii,  250-2  et  m.  742-9)  donne 
sur  rette  insurrection  des  picees  i>man4>ea  des  chaneelteries  de  Cli ypre, 
de  Venitio  et  de  Home. 


DKRARQIKMKNT  A   ALKX.VNDRIE.  l-Ti 

Hospitaliers  avaient  joint  ilix  galères  aux  siennes,  et  la  flotte 
conibin(*e  se  dirigea  vers  la  côte  d'Asie  Mineure  ;  mais,  en 
pleine  mer.  le  roi,  divultruarit  son  plan  de  campagne,  mit  le  cap 
snr  TËgypte;  il  voulait  frapjier  la  puissance  du  Soudan  au 
coeur,  et  enlever  Alexandrie*  {'2H  septembre  I;^ti5). 

Le  y  octobre,  la  (lotte  jeta  l'ancre  devant  le  Vieux  Port 
d'Alexandrie';  le  lendemain  le  dêbaniuemeiit  f-iait  ordonné, 
et  les  SaiTasins  s'avauraienl  dans  la  mer  ptnir  combattre  les 
croisés.  Ce  furent  de  part  et  d'antre  des  prodiges  de  valeur; 
parmi  les  plus  intrt'pides  se  distiiigui''rent  le  jeune  comte  de 
Genevois,  Am<!'dee  ui,  le  maréclial  de  Chypre,  Jean  de 
MorphoS  le  maréchal  de  Jérusalem,  Simon  Thinoly*,  et  le 
propre  neveu  de  Pierre  i,  Hugues  de  Lusignan,  prince  de  tia- 
lilée*.  Le  roi  ne  le  céda  eu  rien  aux  siens;  accompagné  de 
Perceval  de  Cologne,  un  de  ses  chambellans,  à  sa  droite, 
et  de  Brèniond  de  la  Vuuhe  à  sa  gauche,  il  paya  de  sa  per- 
sonne et  se  battit  ave*-  le  plus  grand  acharnement.  Comme 
leurs  compagnons  d'armrs  chypriotes,  les  chevaliers  français 
déployèrent  la  plus  brillante  intrépidité.  Peneval  de  Co- 
logne* était  un  Poitevin,  «  niuuk  sages  et  bien  imagiuatis  che- 
valier et  bien  enlangagiés  »,  dont  Pierre  i  avait  les  talents  et 


1,  Mas  Latrie,  Hes  relations.. .  p.  ôOJ. 

2,  Nous  avons  suivi,  pi>ur  raconter  la  prise  d'Alexandrie  et  les 
^T^nefiients  (|ui  en  furent  la  conséquence,  le  récit  de  Guillaume  de 
Machaut  {La  Pn*e  ttAterandrie).  On  peut  rappruclier  île  ce  récit 
ci*lui  do   la  (Ihroniffue  di'.s  t/uatre  //reminr»  Valois^  \\.  tfi4-6. 

3,  Il  était  d'une  l'atiiillc  chypriote  et  fut  ctiargé  de  diverses  missions 
eu  Europe.  Sa  conduite  devant  Alexandrie  lui  valut  le  titre  de  comte 
d'KdoBse  ou  de  Ruliais. 

\.  Après  la  diute  du  it>yaume  de  Jérusalem  on  avait  conservé, 
comme  litres  liuiiurilifjues,  les  charges  des  grands  ufticiers  de  ce 
royaume.  Simon  Thinoly  ("'tait  presque  français  juiur  i^tre  allié  â  la 
niaibon  de  Montolif,  une  des  plu!>  anciennes  familles  de  l'ile,  et  pour 
avoir  longtemps  guerroyé  en  France  contre  les  Anglais  sons  Jean  le 
Uon  et  ciiarle»  v.  Il  accompagna  Pierre  i  dans  ses  voyages  en  Kurope 
{UiHoire  fie  Chypre,  n,  llfJi. 

5.  Fils  de  Guy  de  Lusifinan,  connétable  do  Chypre  ([  ia'i6)  et  do 
Marie  ilo  hourbon.  il  épousa  Marie  do  Morpho,  fille  ainéo  de  Jean  do 
ïlorpbo,  comte  d'Kdesse  iMacbaul,  La  Prisf  d'Aierantine,  p.  UiV). 

G.  Perceval  de  Cologne  se  distinf;ua  clans  la  suite  au  siège  do 
Limoges  (ta70),  dans  l'armée  du  duc  de  Uincastre,  à  Mnntcontour, 
devant  Sainte  Sévère,  Tliouars  et  la  lioclie  sur  Yon  (ï370-3|.  M.  Kervyn 
deLettcnbove  propose  de  lire  Couhnge»,  noma.ssez  fréquent  en  tlerry, 
Poitou  et  Sainlon>;e  (l'roiss.iirt.  M.  Kervyn,  \\i,  'i'»). 


m 


CftOTSAT)E  T)K  PIERRE  I  0E  CIïtPRE. 


io  fourage  en  grande  estime.  Bréiuoud  de  la  Voulte.  d'une 
famille  noble  dn  Vivarais,  celle  des  Lévis-Villars,  était,  aux 
cWh  du  roi 

•  Coni  cliastiatis  sus  motc, 
1  Kors  et  ft-nrips  et  deftensables 

•  Il  eBloil  graiiK,  et  Ions  et  fors, 
«  Kt  plus  vif  e'iin  alérion, 
«  Et  s'ot  {u>rage  de  lion  ».  ' 

Le  vir.onito  ileTuroiiiie'  s'était  des  premiers  jeté  à  la  mer, 
entraînant  ses  cDuipagnous  par  son  exemple:  près  de  lui  Guy 
le  Haveux  <  qui  duit  estre  en  nombre  dos  preus  »,  et  ses  deux 
fils,  Hubert  le  Baveux  et  Jédouin  dt!Beauvillier\  di'ployaient 
la  vaillance  dont  ils  éiaiMni  \enus  cliL'rcher  l'orcasion  outre- 
mer. 

Ce  n'étaient  pas  les  seuls  Français  présents  â  l'expédition. 


1,  Guillaume  de  Maehaut,  An  Prise  iVMeTandn'e,  v,  2:i95-6  et 
2405-7.  —  La  Voulte  est  une  seigneurie  du  Vivarais,  sur  la  rive  droite 
du  Uliônef  au  nord  est  de  Privas;  elle  appartenait  k  un  cousin  de 
Urùmond,dc  la  familio  dWnduze,  et  entra  dans  la  maison  de  Lt^vispar 
le  mariage  de  ['hilippe,  père  de  Hrénioiid,  avec  Anloinotlo  dWndnxe. 
-'  Brémond,  second  fils  de  Philippe,  porta  tour  à  tour  les  surnoius 
d'Anduse,  de  la  Voulte,  de  Poli^ni  et  de  C'hateaumorand;  ce  dernier 
litre,  qui  tui  est  donné  dans  un  acti*  du  5  février  i'iiU,  lui  venait  de  sa 
femme,  Hlle  uniijue  dp  Jf>an  de  Chateauniurand,  et  il  est  probable  qu'il 
ne  le  prit  qu'après  la  uiorl  dn  sou  beau-père  (Kn^issart,  /'d.  Kervyn, 
xxni,  '^67;  "  Ciiazaud,  La  Chronique  du  bon  dur  Loys  fte  Hourbon, 

p.   XH-MU). 

*i.  riuillauine  Roger,  m*  de  ce  nom,  comte  de  Beaufort,  vicomte  de 
Turenne,  liarun  d'Alaii!t,  Andnse,  etc.,  fils  de  Ouillaum»  Roger  ii  et  de 
Marie  de  ('Imiiilion,  avait  acheté  la  vicomte  de  Turenne  en  i:[5a  de 
Cécile  de  Comniinires,  sieur  de  ^a  femme  Kléonoro  de  Coinminges. 

\\.  Mas  Latrie  dtinne  ces  noms  nomme  ceux  des  fils  de  Ouy  le  liaveax 
{La  Prise  d'Alexandrie,  p.  'MH).  Voici  ce  que  Ciuillaumede  Machftut 
(V.  2422-25)  dit  de  ces  trois  guerriers  : 

•  Ce  sont  iij  chevaliers  de  Kranco 

■  Qui  aiment  honneur  et  vaillance, 
t  Kt  qui  les  vont  par  toute  len*e 

•  Où  on  peut  aler,  pour  les  querre.  • 

Guy  le  ItAveux  est  plus  connu  dans  l'histoire  que  «es  fils.  Il  fut  tour  à 
tour  au  service  du  roi  de  France  et  du  duc  de  Bourgogne,  et  prit  part, 
en  cette  qualité,  aux  principaux  événements  militaires  du  régne  de 
Charles  \ .  —  V.  sur  ce  personnage  Froissart,  éd.  Kervyn,  xxil,  53. 


pauttctpattoî*  flfs  raxKrAm  a  i.  EitrKmTioN'. 

hUtoire  nous  a  conservé  les  noms,  de  quelques  autres',  du 
seigneur  du  Puchay.  de  Jean  de  Fri(|uans,  un  agent  iiavarrais 
dont  Charles  v  venait  d'acheter  l'appui*,  et  de  ti'ois  chevaliers 
uormauds,  Jean  de  la  Rivière,  sire  •lePi'éaux',  Guillaume  de 
Iïas^^uev^lle^  et  Jean  de  Taillanville,  sire  d'^vetot''';  leurs 
hrillants  antécédents  militaires  faisaient  présager,  dan»  la 
campagne  d'Kgypte.  de  beaux  coups  de  lance  et  de  vaillantes 
<  emprises  d'armes  ». 

Le  combat,  commencé  avec  la  plus  vive  ardeur,  continuait 
sans  se  ralentir;  huit  mille  Chrétiens  s'étaient  jetés  à  Teau 
et,  malgré  leur  infériorité  numérique,  repoussaient  lentement 
l'enuenii  sur  la  plage,    Pendant  ce  temps  les  Hospitaliers 

I.  Chronique  rfrt  quatre  premiers  Vnhia,  p.  164-6. 

-'.  Ce  personnage,  originaire  de  l*icardie,  est  indifTi-reramenl  appelé 
Jean  do  Kriquanh.  Kriquet  tle  l-'ricamj)S.  on  Jean  dit  l-Hquet  de  Fri- 
camps.  Le  28  avril  lâtj'i,  il  a^'cepta  du  i-oi  Je  Franre  une  pension 
annuelle  de  mille  livres  et  le  titre  de  chambellan,  ronsenlant  à  ce 
prix  k  abandonner  le  parti  de  Charles  de  .Navarre.  (Kroissart,  6d. 
Korvyn,  x\i,  374;  —  cf.  Chronique  normande  du  XJV  siècle,  par 
A.  et  E-  Molinier,  Paris,  1882,  passini). 

ï.  Jean  île  la  Hiviùre,  fils  air»^  de  Jean  de  ta  HivîcTe  et  d'Isabeau 
Dougerant,  était  premier  rhamhellan  dn  duc  de  Xnrmandïc»  capitaine 
de  Vemon  en  1364,  et  prit  part  avec  le  maréchal  de  lilainville  au 
•iège  d'Kvreux  (juillet  i:i6<|.  M.  Kervyn  de  Leltenhove  dit  qu'il 
mounit  vers  i:i<>r>  m  pèlerinage  û  Jénisalem.  Cette  indication  n'est 
pas  exacte,  s'il  est  vrai  que  Jean  de  la  Uivièpe  était  mort  avant  le 
30  septembre  KMiT  (I..  r)eli.'sle,  Mamiementx  de  Charles  V,  n*  'irj),  il 
est  certain  (|u'il  prit  part  à  l'expédition  de  X'Mih,  qu'il  n'était  pas  un 
pèlerin,  mai»  un  croittè,  et  que  sa  mort  ne  saurait  «>tre  antérieure  aux 
dernier»  mois  de  1365.  Il  tenait  le  litre  de  sire  de  Préaux  de  && 
femme  Marguerite  de  Préaux  (Kroissart^  éd.  Kervyn,  x.vui,  23). 

4.  Guillaume  vi  Martel  de  Hasquevîlle  emprunta,  le  16  mars  1305, 
du  maréchal  de  Blaînville,  second  mari  de  sa  mère  Jeanne  Malet  de 
Graville.cinq  cent  onze  francjt  d'op  <  pour  lesaint  voyage d'oultre  mer*. 
|)'at)ord  partisan  de  ('harles  le  Mauvais  (1358-1364),  Guillaume  Martel 
renonça  bientôt  à  suivre  ta  fortune  de  ce  prince  II  a.s.sista  â  la  prise 
de  Meulan  contre  lui,  â  la  bataille  de  C^^cherel,  et  à  la  prise  d'Acquigny 
(1364)  i|ai  ruina  les  espérances  des  .Navarrais.  Après  son  retour  d'Orient, 
en  I36H,  il  déTendit  l^uviers  contre  les  Compagnies,  et  llarfleur, 
en  I3T8,  contre  le  comte  d'Arundel.  11  mourut  vers  1380.  (A.  Ilellot, 
il  uai  historique  sur  les  Martel  de  ii'tsr(uetiUej  Kouen,  iBTy,p.  41-7). 

5.  C'est  le  premier  des  sire»  «l'Yvetot  nui  ait  affecté  do  prendre  le 
lilre  de  roi.  M.  Kronientin  {Essai  historique  sur  Yvefot,  IH44,  p,  38) 
cite  en  1381  la  première  tnice  de  ces  prétentiuim  royalcK.  11  semble, 
d'après  le  texte  de  la  Chronique  des  quatre  premiers  Valois^  qu'un 
doÎTe  reculer  d'une  vingtaine  d'années  le  début  de  ces  aspirations. 


rS  CKOÎSADE  TïE  PTEÇIlfe  T  HÉ  tm'PJlt. 

(I«»barqués  plus  â  l'est  vers  Rosette,  au  Nouveau  Pt>rt,  tuur- 
naieut  les  Musulmans  sans  être  inquiétés,  et  les  poursuivaienl 
jusqu'aux  portes  de  la  ville  qui  se  refermaient  derrière  eux. 
Les  croisés  reprennent  alors  haleine,  dêljarquent  les  ehevaux, 
et,  â  ritistij^ation  du  roi,  l'assaut  est  résolu.  Perceval  coni- 
niamle  Tattâque;  la  bataille  recommence  à  la  port(^  de  la 
I)(>uane  :  devant  la  vigoureuse  résistance  de  reanenii,  il  faut 
appeler  les  evserves,  composées  des  Hospitaliers  sous  le  coni- 
luîinderaent  du  roi  ;  après  un  nouvel  effort  la  place  est 
emportée  et  mise  à  sac;  toutes  les  portes  de  la  ville  sont 
occupées,  sauf  la  porte  du  Poivre,  que  le  roi  a  vainement 
tenté  d'enlever  atin  de  couper  les  communications  derennemi 
avec  le  Caire. 

Le  lendemain  (samedi  1 1  octobre),  le  corps  sarrasin  resté 
dans  la  ville  est  mis  en  fuite  et  forcé  d'abandonner  Alexan- 
drie ;  mais  les  croisés  étrangers  comprennent  qu'il  leur  sera 
impossible  de  se  maintenir  dans  leur  nouvelle  conquête.  Le 
vicomte  de  Turenne  se  fait  l'interprète  de  leurs  sentiments  et 
demande,  en  leur  nom,  d'évacuer  une  place  qu'on  ne  saïu'ait 
défendre.  Le  roi  et  le  légat  Pierre  de  Thomas  cherchent  en 
vain  â  détourner  rariiiéede  ce  jirojet;  sans  se  laisser  toucher 
par  leurs  exhorUitions,  elle  regagne  la  dotte,  les  Sarrasins 
rentrent  dans  la  ville,  et  Pierre  t  se  voit  forcé  de  se 
rembarquer. 

Ce  coup  de  laaiii  heureux  fut,  pour  les  armes  chrétieiuies. 
un  brillant  mais  fatal  suLcès.  Le  soudan  avait  étt»  attaqué 
sans  avoir  reçu  aucune  signification  de  f^merre  ;  peut-être 
même  les  faits,  dont  Damas  avait  été  le  théâtre  et  qui  avaient 
motivé  les  armements  du  roi  de  Chypre,  lui  étaient-ils  in- 
connus: aussi  l'agression  subite  des  croisés  l'exaspéra-t-elle. 
et  lui  dicta-t-eile  contre  les  marchands  chrétiens  résidant 
en  Kg}'pte  et  eu  Syrie  les  représailles  les  plus  odieuses  et  les 
plus  cruelles.  Tous  furent  arrêtés,  dépouillés  de  leurs  biens. 
torturés  et  contraints  û  livrer  le  numéraire  et  lus  luai*- 
chandises  qu'ils  possédaient.  Seuls  les  Vénitiens  surent  pro- 
fiter de  l'éloi^'-iienieiit  des  alliés  pour  renouer  avec  TK^ypte 
des  relations  comnierciales.  Leur  nMe.  du  reste,  dans  toute 
cette  campajïue,  semble  mystérieux;  après  avoir  déconseillé 
la  croisade,  ils  se  décident,  au  dernier  UKmient,  à  y  prendre 
part,  moins  par  zèle  pour  la  cause  commune  que  pour  exercer 
une  surveillance  constante  sur  les  opérations.   Les  instruc- 


ROLE  EQtflVOQLTE  DES  VENITIENS.  12l> 

tiens  données  par  la  seigneurie  à  ses  agents  sont  formelles 
sur  ce  point  ;  elles  chargent  même  les  provêditeurs  de  Crète, 
dans  le  cas  où  le  roi  de  Chypre  attaquerait  quelque  partie 
do  la  Turquie  en  paix  avec  les  Vénitiens,  d*avertir  rémir  du 
pays  qno  l'expédition  a  lieu  sans  le  consentement  de  la  répu- 
blique'. Autant  avouer  que  les  vaisseaux  de  Venise  joueront 
le  nMc  d'espions  et  préviendront  l'ennemi  des  plans  de  la 
flotte.  Sans  la  précaution  prise  par  le  roi  de  Chypre  de  ne 
divulguer  liî  but  de  l'expédition  qu'en  pleine  mer,  Venise 
aurait  secrètement  informé  les  Sarrasins  des  mouvements 
dirigés  contre  eux.  comme  elle  le  fit  pendant  la  campagne 
du  maréchal  Boucicaut  en  1103*.  Nul  doute  qu'elle  n'ait 
insisté  pour  l'évacuation  d'Alexandrie,  alîn  de  conserver  ses 
rapports  de  commerce  avec  l'Egypte;  ne  fallait-il  pas  em- 
pêcher la  ruine  de  ce  pays,  et  détourner  l'orage  qui  le 
meaaçjût^  Les  Vénitiens  offrirent  leur  médiation  et,  grâce  à 
leurs  seci'êtes  intelligences  avec  l'aristocratie  chypriote,  ils 
parvinrent  à  protéger  les  états  du  soudan  d'une  nouvelle  inva- 
sion en  décidant  le  roi  à  s'attaquer  aux  Tuixs  d'Asie  Mineure. 
La  politique  vénitienne  n'hésitait  pas  ô  sacrifier  à  ses  propres 
intérêts  la  cause  de  la  chrétienté  \ 

Kn  Ocfident,  la  prise  d'Alexandrie  eut  un  effet  considé- 
rable: annoncée  par  Urbain  v  au  n»otule  chrétien,  elle  ralluma 
partout  l'enthousiasme  et  le  zèle,  et  ou  put  espérer  qu'un 
mouvement  durable  d'émigration  eu  Orient  allait  s'établir; 
quelques  princes  prirent  la  croix,  mais  leur  exemple 
ne  fut  suivi  que  d'un  petit  nombre  de  chevaliers,  amoureux 
«l'aventures  et  excités  par  les  récits  fabuleux  que  Ja  victoire 
d'Alexandrie  avait  fait  naître.  Eux-mêmes  restèrent  en 
Europe  :  le  pape,  cédant  aux  sollicitations  des  états  mari- 
times, dont  le  commerce  souffrait  i)ar  suite  de  la  guerre 
déclarée  aux  Egyptiens,  dut  engager  Pierre  i  à  traiter; 
celui-ci^  abandonné  des  cours  européennes,  réduit  à  ses  seules 
forces,  consentît  à  suspendre  les  hostilités,  et  autorisa  les 


i,  Voirplushaut,  p.  l2^i,note2.  —  3jailletl36â.  Instructions  de  Venise 
aux  autorité»  de  Crète,  iluns  Mas  Latrie,  IIit>toire  de  Chypre,  m,  752-3. 

3.  Voir  plus  bas  le  récit  de  cette  campagne,  au  livre  v,  chap.  m 
ri  IV. 

U.  Md8  Latrie,  De%  relaiion$* . .  p.  503. 


négociants  vénitiens,  génois  et  catalans,  à  s'entremettre  pour 
la  conclusion  de  la  paix  *. 

Pierre  i  était  revenu  A  Chypre  après  l'expédition  d'Alexan- 
drie; obligé  de  ménajçer  les  K^ypticns.  il  avait  porté  toute  son 
attention  sur  les  cOtes  méridionales  d'Asio  Mineure  et  sur  les 
agissements  des  princrs  turcs  qui  les  occupaient.  Ceux-ci 
étaient  d'abord  resU's  sur  la  défensive;  mais,  à  la  nouvelle 
de  l'attaque  d'Ali'xandric,  ils  s'('t;iient  préparés  à  secourir 
le  Soudan,  et  avaient  équipé  une  iluttille  destinée  à  remonter 
le  Nil  jusqu'au  Caire.  Cet  arinfment  se  faisait  avec  beaucoup 
de  hardiesse  sur  La  cote  de  Caranianio,  en  face  de  l'ile  de 
Chypre.  Informé  à  son  retour  de  ces  faits,  le  roi  donna 
l'ordre  à  l'amiral  de  chAtier  Taudace  des  mécréants,  et  de 
détruire  leur  Hotte.  Les  Chypriotes  n'eurent  pas  de  peine  à 
surprendre  les  Turcs  près  de  Lescandelour,  à  les  massacrer 
et  A  brùlnr  leurs  liAtinieiits.  Kiirouragée  par  ce  facile  succès, 
la  jeunesse  guerrière  vovdut  pousser  plus  loin  les  avantaj.aw 
obtenus,  et  l'amiral  songea  à  profiter  de  ces  dispositions 
pour  tenter  un  l'oup  de  main  sur  Lescîindelour '.  Les  premiers 
ouvrages  furent  eulevés  sans  peine,  mais  le  chAteau  n*sisla; 
les  Chypriotes,  remontant  le  coui*s  du  Mêlas  '.  qui  se  jette 
dans  la  mer  A  quelque  distance  A  l'est  de  la  ville,  se  bor- 
nèrent alors  A  ravager  le  pays  environnant,  et.  après  avoir 
capturé  tous  les  bAtiments  qu'ils  rencontrèrent,  à  rentrer  A 
Famagouste  (fin  de  I3tj[>)*. 

L'année  suivante,  pendant  que  les  négociations  s'ouvraient 
avec  TEgypte,  celle-ci  avait  encouragé  le  grand  Karaman,  à 
tenter  surGorightis  une  attaque  tléiûsive  avec  tous  îestrou]>es 
dont  il  disposiilL  Klk^  es[K'rait  ([ue  cette  diversion  obligerait 
Pierre  i  A  dégarnir  Chypre  et  A  accepter  les  conditions  de 
paix  qu'il  lui  plairait  de  dicter.  Le  roi.  pénétrant  le  dessein 
de  l'ennemi,  resta  A  Nicosie  pour  défendre  l'ile  et  poursuivre 
les  négociations  entamées  avec  les  commissaires  égyptiens. 


1.  Mas  Latrie,  Des  relations. . .  p.  504. 

2.  .Nous  savons  que  l'éreiir  de  l'Kscandelour  avait  obtenu  la  jiaîx  dn 
roi  de  Cbj'pre;  il  est  probable  qu'il  l'avait  rompue  pendant  l'expé- 
dition d'Egypte,  et  que  cette  rupture  justifiait  l'attaque  dont  la  place 
fut  l'objet. 

3.  Ce  fleuve  est  appelé  dans  les  documents  contemporains  le  fleuve 
dit  Seigneur  Monongntî;  r'cst  certainement  le  Mêlas. 

\.  Mas  Latrie,  lie»  reiations...  p.  504-6, 


EXPEDITION  on  CARAMANIK. 

Il  mit  son  frère  Jean  d'Antiocbo  à  la  tête  de  rexpédition 
de  Caramanie.  Sous  le  commandement  de  ce  dernier,  six 
galôrcs,  armées  en  guerre  et  portant  des  secours  de  toute 
nature  pom*  la  garnison  de  Gorighos.  quittèrent  Famagouste 
au  commencement  de  l'année  I3i>7  (janvier-février).  Elles 
fêtaient  mont(?es  par  trois  cents  archers  et  cinq  cents  hommes 
d'armes  on  st^rgenU,  choisis  jiarmi  les  chevaliers  chypriotes  et 
chevaliers  étrangers.  Ces  derniers,  qui  avaient  gagné  îo  Levant 
à  la  nouvelle  de  la  prise  d'Alexandrie,  étaient  en  majoriré, 
et  la  France  était  dignement  représeniée  pannî  eu\  '. 

La  première  galère,  rommandét*  par  le  prince  d'Antioche, 
portait  Il's  Chypriotes:  Simon  Thiiioly,  chambellan  du  roi  de 
Chypre.  Jean  de  Morpho'  et  l'élite  de  la  ni^Lilesse  de  Tile; 
la  seconde,  sous  les  ordres  du  tricuplier  de  (Chypre,  Jacques 
de  Noï*ès.  se  composait  aussi  de  sujets  de  Pierre  de  Lusi- 
giian  ;  parmi  eux  Jean  d'ibelîn,  Jacques  Petit  et  un  che- 
valier anglais.  Hubert  le  Houx,  qui  s'était  distingué  dans 
les  guerres  anglo-françaises*.  La  troisième  obéissait  à  Jean 
de  Monstry,  amiral  de  Chypre,  et  à  Guy  le  Uaveux,  dont  la 
valeur  était  tenue  en  haute  estime  par  le  roi^  ;  â  son  bord  se 
trouvait  la  fleur  des  chevaliers  français,  au  nombre  de  vingt- 
cinq,  sans  compter  les  écuyers  ;  c'étaient  les  sires  de  Nan- 
touillet'  et  de  Clairvaux,  Foulques  d'Arcliiac',  Jacques  de 
Mailly ',  Hobert  le  Baveux,  tils  de  Guy,  et  Hcnaud  le  Baveux, 
9on  cousin.  Saquet  de  Hlaru,  Pierre  de  la  Grésille,  que  Frois- 


1.  Mas  Latrie  {Des  reiations...  p.  ôi)'i-lti|  a  raconté  cette  campagne 
d'après  Mâchant,  qui  donne  sur  ces  événements  beaucoup  de  détails 
{I.a  Priée  dWUxnndrie^  \.  4'ii>4  56'i3).  Machaut  est  la  source  princi- 
pale pour  toute  rcrie  période. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  125. 

a.  Grtuvcrncup  de  Villefranche,  il  servit  dans  l'armée  du  due  de 
LancBstre  Oî*ti-'K  piiis  f"*  capitaine  de  Cherbourg  jusqu'en  1379. 
Kn  i3UG,  il  prit  pari  à  l'expédition  de  l'rise  (Froissart,  éd.  Kervyn, 
xxin,  5'if. 

4.  Voir  plus  haut,  p.  126. 

5.  Kenaud  de  iN'antouillot  épousa  Jeanne  des  Landes.  Il  réchappa  par 
miracle  à  l'incendie  de  la  danse  des  sauvages  en  janvier  1393  iFrois- 
iiart,  éd.  Kervyn.  wn,  261-2). 

6.  Fils  d'.\yinar  m,  sire  d'Archiac,  épousa  Letice  de  la  Marche  (Froi»- 
Hurt,  éd.  Kervyn,  x.\,  103-4i. 

7.  On  trouve  un  Jac()ues  de  Maîlly  figui'er  avec  le  titre  de  chevalier 
et  chambellan  du  rui  dans  les  compte»  de  Jean  de  Percy,  trésorier  des 
guerres,  pour  WVX  {W  Anselme,  vm,  630). 


CROISADE  DE  PIERRE  I  DE  CHYPRE. 

sart  qualitic  d'  «  appert  iiommu  ùs  urmes  durement  »  », 
Hervé  le  Coche  qui  servit  sous  le  comte  d'Alençon  et  le  duc 
de  Bourgogne',  etc.  ^ 

Si  cette  galiire  comprimait  surtout  des  Flamands,  des  Bra- 
bançons et  des  Bretons,  le  quati'iêmc  bAtimoiit  comptait  aussi 
nombre  de  chevaliers  y:ascons,  angevins  ut  bretons.  Il  «Hait 
comuiandt>  par  Florimund  de  Lesparre,  un  capitaine  gascon 
dont  le  renom  militaire  el  les  aventures  emplissaient  l'Eunipe. 
C'était,  en  effet,  une  lî^çure  originale  que  crdlede  ce  seigneur, 
dernier  de  sa  race,  allié  à  toutes  les  familles  princiêros  du 
midi  de  la  France,  nu'lt»  à  tous  les  grands  événements  qui 
ont  rempli  la  dernière  moitié  du  xiV  siècle,  et  dont  Texis- 
tence  fut  remjdie  do  vicissitudes  et  de  bizarreries  de  toutes 
sortes. 

La  famille  de  Lesparre,  puissante  dans  le  Bordelais  dés  le 
xn°  siècle,  avait  maintenu  sou  crédit  jus(]u'h  rélévation.  au 
xiv"  siédo,  dos  Griiilly  ;  elU»  nisfa  toujours  tidéle  aux  rois 
d'Augloten'e  ;  Fluriuiond,  lils  de  Cénébrun  iv  au'iuel  il  .succéda 
en  13G3,  continua  cette  fidélité  héréditaire,  malgré  d*éti*oit3 
liens  de  parenté  avec  les  Périgord  et  les  Rauzan^  dont 
rattachement  au  parti  fram^ais  était  absolu.  Le  traité  de 
BK'tigny  avait  rendu  sans  emploi  Tépéc  de  Florimond,  et 
le  tempérament  aventureux  du  seigneur  de  Lesparre  s'ac- 
uummodait  mal  de  l'inaction;  aussi  accueillit-il  avec  em- 
pressement Toccasion  de  repreiïdre  les  armes  ;  le  voyage 
de  Pierre  i  de  î^usignan  à  la  cour  du  Prince  Noir  (13G1) 
avait  soulevé  un  enthousiasme  général  parmi  les  chevaliers 
gascons  ;  Florimond  s*était  croisé  des  premiers  ;  sa  femme 


1.  UdéfenditMoncoiilouron  ia7U;de  i:ï68à  n;o,  il  reçut  de  Charles  v 
en  Anjou  el  daii^  le  Maiiiu  det»  terre»  coiiH^quées  sur  des  partisans 
des  Antillais.  Il  avait,  en  1371,  quatorze  l'ïievaliers  et  8oixante-troi> 
écuyers  bous  ses  ordres.  Kri  1393,  Il  figurait  ii  l'armée  du  MansdVois- 
sart,  (Hl.  Kervyn,  x\i,  -^32}. 

2.  Henri  ou  Hervé  le  Coche  était  sénéchal  de  Saintonge,  et  servait 
sous  le  conite  d'Alcnçon  en  13'i0.  Il  faisait  partie  de  l'escorte  du  duc 
de  Itourgogne  quand  celui-ci  alla  au-devant  du  roi  d'Angleterre  en 
1396.  Il  fut  nuinnit'i  rapilaine  de  Saint  Jean  d'Angély  le  29  octobre  1375 
(Kr-oissarl,  éd.  Kervyn,  xxn,  75;  —  Delislc,  Matiflementi  de  CharUii  V, 
n"  U75). 

3.  Nous  ne  citerons  pas  tous  leâ  noms  donnés  par  les  chroniqueurs. 
Le  lecteur  les  trouvera  groupés  par  ordre  alphabétique  aux  pièoeaj 

ifîcalive: 


COMPOSITION  DK  LA  KLOTTE  CIIYFRJGTK. 


133 


i*avait  acrompafrné  jusqu'à  Avip^n^n'.  Lui-mônic,  avec  ses 
avonluriors,  s'i'tait  altuchë  à  ta  fortune  du  comte  do  Savoie', 
et  c'est  de  CoustaiiUnople  que,  licencié  après  l'expédition 
d*Auiê(iée  VI,  il  avait  accepté  de  prendre  du  service  auprès 
du  roi  de  Chypre  \ 

Sur  la  jçalèrede  LesjKirre  étaient  montés  Thibaut  du  Pont 
<  bou  homme  d'armes  »  au  témoignage  de  Froissarl,  qu'oa 
vit  eu  Espagne  avec  le*»  Compagnies,  en  Bigorre  avec  Henri 
deTranstamarre,  et  qui  fut  tué  plus  tard  à  la  halailh?d'AYmet 
(1377)  par  les  Anglais*,  —  Jean  de  Sovains,  un  chevalier  an- 
gevin, —  le  Breton  Jean  de  liocheft^'t,  dont  le  nom  est  mêlé 
aux  principaux  faits  de  guen-edont  la  Brefagne  fut  le  tlié:'itre 
au  milieu  du  xiv"  siècle*,  —  et  Bertrand  de  Grailly,  bâtard 
du  vicomte  de  Benangcs, 

«  Hon  rlievalier 
_  •  Cointe,  apert.  courtois  et  legier 

«  Uui  aimme  honneur  et  het  de  bas  •*. 

I/a  cinquième  galère,  commandée  par  le  Cordelier  de  Pui- 
gnun,  se  composait  en  grande  partie  de  chevaliers  normands, 


1.  Ohain  v,  par  une  ludlo  liu  !'»  mars  1365,  accoi*da  à  Marguerilo 
d'Astarac,  femme  (i«  l'Ioriinond,  labsolutiuM  pl^niùrc  rùscrv^e  ordi- 
iiairrmont  anx  crois<^s  {Ua!)niiis,  A'otice  $ur  îlontuonti,  sire  de  tes- 
fuirrc,  Hoptleaux,  181.1,  in-a-.  passim). 

2.  Voir,  au  cliapitre  «uivant.  la  croisade  d'Ainôd(>e  de  Savoie. 
.1.  Florimond  entra  au  service  de  Pierre  do  Lu»»ifj;iian  vers  le  mois 

Uwtobre  !:i6(i.  Il  ne  prit  donc  pas  part  â  rexpi.''dition  d'Alexandrie 
{/.a  Prise  d'Alexniulrie,  p.  'JKT,  note  fil»)- 

I.  Il  fut  aussi  capitaine  de  Kochecliouart;  il  fit  prisonnier  Kustaclie 
U'Auberticoiirt.  attsista  aux  cuinbal«  de  Soubise,  de  rbiz»^  et  aux  sièges 
lie  Saint  .Icaii  d'AnKelj',  de  Iterval  IVM'l-'A)  et  de  BerKerac  (i:(77).  Il 
mourut  riMtenif"'!!!**  unnt^e(Kroissart,  c'(i.  Kcrvyn,  xxM,  :i77: —  Pelîsle, 
MwuiemenU  de  CfinHe*  V,  n"  81  H;  —  Ma-s  Latrie,  Des  relatiom.,. 
p.  A08I. 

5.  Jean  de  Rochefort  avait  rendu  lionmiagp  à  Charles  de  Hlois  à 
Hennés  en  lH'it.  Il  assistait  au  combat  de  Mani-on,  près  Ploërmel,  In 
l'i  août  Ut52,  du  caM^  dos  Kramais.  Kn  i:i71,  il  prit  ])art  h  rexpAditiori 
d'Allemaf*ne,  uû  il  semble  qu'il  soit  mort.  Kn  tous  cas,  il  riait  mort 
nvani  le  2"  janvier  l;*77.  comme  nous  l'apprend  un  document  relatif 
n  den  bimis  Bts  à  Saint  I^t  et  dont  la  possession  fut  confirmée  h  sa  filin 
Jeanne  de  Rochnfori,  femme  do  Jacques  de  la  Coudroye,  par  le  roi 
l'Iiarlet*  v  (f^hrrmitfue  normun'le,  p.  Jrtet  2%;  —  Chrottîtiuf.  df.A  ffuotre 
prrmirrx  Vtifoifi,  p.  1\7-H;  —  Mundemrntx  dr  C/tartex  V,  tv  l;i27|. 

fi.  Macliaut  rappelle  Iv-rtran  dn  Bcnaugcs,  onde  du  captai  do  Bueh 
(Art  Priée  d'Mtxandrie,  v.  'i71i-7). 


i 


i:i4 


CHOISADE  nK  PIKRRE   I   DK  CHYPRE. 


parmi  lesquels  d'Rstouteville,  seigneur  de  Torcy',  Basque- 
ville,  la  Rivière,  Friquans,  du  Puchay.  Taillanville*,  et  deux 
chevaliers  picaids,  le  seigneur  de  Bellangues'  et  Jeau  de 
Cayeu  '. 

Dans  la  sixième  et  dernière  fciilère,  qui  obéissait  â  Bremond 
de  la  Voulte,  ;'i  rô(è  do  Normands  tvinime  Aimé  de  Cou- 
tancos.  Tribouiliard  de  Tribuuville,  Huf^ues  de  Verneuil,  de 
Bretons  comme  le  sire  de  Montboudiier',  se  trouvaient  des 
chevaliers  siciliens,  des  nourfiruiirnonfi,  Philippe  de  .Tauoourt* 
et  le  snijrneur  de  Flavif^ny,  el  des  llauphiiiois,  les  sires  de 
Sassenaj<e  et  de  la  Voulte". 

Le  ^2^  février  I.'il»?,  Jean  d'Antioche  quitlait  Fama^'ousle  à 
destiuation  de  Goriphos  avec  quatre  galères,  laissant  en  ar- 
rière les  vaisseaux  de  Bremond  de  la  Voulte  et  de  Monstry 
dont  l'armement  était  incomplet.  B  avait  hîtte  de  serourir  In 
place,  que  menaçait  l'armée  du  j.'raiul  Karaman,  forle  do 
quarante-cinq  mille  hommes,  et  établie  sur  une  Iiaute  mon- 
tafçne  qui  dominait  le  chiUeaii.  au  nord  de  la  ville,  dans  une 
position  très  forte.  Le  renfort  qu'il  amenait  était  d'un  millier 
de  lances. 

A  peine  débarqué,  le  prince  d'Antioche  (l\S  février  I;ï(i7i 
fait  une  sortie  dans  l'uspoir  de  surprendre  rennenii.  mais 


1.  Nicolas,  dil  L'olart  d'Kstoutevîlle,  seigneur  do  Torcy,  d'Kstoutc- 
mont  et  de  beyne,  épousa  la  flllc  du  maréchal  de  Ulainvillo.  I^n  \'M\, 
il  était  capitaine  des  gen.s  d'armes  du  diocèse  de  Rouen;  il  mourut 
entre  l'tl'i  et  lUtt  (V.  Anselme,  vni,  'j;). 

2.  Voir  sur  ces  pcrsimnagos.  plus  haut  p.  127. 

a.  Probablement  Ouillaume  de  liellangues;  il  servait  en  Bretagne 
en  1373;  il  était  seÎKneiiP  de  X'imes  en  \*imeu  [MaHânnenti  de 
Charles  v,  n"  0(57;  —  La  Prise  fi  Ate,Tan(irie,  v.  1738). 

\.  In  Jean  de  Cnyeii  défendait  Tournay  en  !3in.  La  famille  élail 
issue  dAmoid  d'Anlres,  spi^'nenr  de  r'ayeu,  qui  épousa  Eléonore  de 
Varennes;  un  autre  .lemi  de  (ayeii  servait  en  1386  dans  ■  l'ost  de 
l'Escluse  •  (Kraissarl,  l'-il.  Kervyii,  xx,  527). 

5.  Monibouchier  est  clans  la  jmroisse  de  VIgnoc  (llle  et  Vilaine, 
arr.  de  Iternies,  caiil.  d'Utile).  I)*apr<>»  M  Kervyn  de  Ketlenliovo, 
pn  rencontre  à  l'éjaque  qui  nous  occupe  trois  periionnu^es  portant 
ce  nom  :  Alain,  Jean  et  Louis. 

6.  rils  rie  Nicliard  de  Jaiicottrt  et  d**  Marie  de  Villa.rnoiiï.  Il  servit 
seus  Coucy  el  fut  conseiller  du  duc  de  liourgogne.  Il  avait  i^pousé 
Isabelle  de  lleauvoir  et  testa  en  1392  (l'roissart,  éd.  Kervyn,  x\U,  2), 

7.  Sassenajje  (Uèro,  uir,  do  (jrcnolilc).  La  Vowltc  (ArdiVIie,  arr, 
de  l'rivasj. 


OPERATIONS  MIMTAJRRR  DEVANT  GORIOHOS. 

(»!ui-ri.  instruit  de  celte  maroho,  détache  un  corps  do  troupes 
considérable,  et  les  croisées,  accueillis  par  une  grèlc  de  traits, 
sont  contraints  de  battre  en  retraite.  Cet  engagement  ne  leur 
eiU  coûté  aucune  perte  sans  l'iiiip;itienco  de  Floriniond  de 
Lesparrequi,  mal|?ré  la  défonse  du  prince,  inart-ha  au  devant 
des  Turcs  ;  son  courage  et  celui  de  ses  compagnons  furent  im- 
puissatkts  à  compenser  leur  infériorité  numérique.  Dans  celte 
escaruiQUche,  lui  el  Jean  de  Sovains  furent  blessés  ;  Thibaut 
du  Pont  faillit  être  fait  prisonnier  ;  un  ècuyer  <  do  haut 
pris  »,  Jean  de  Rochefori,  et  le  sire  de  Bonanges  le  déga- 
gèrent';  Lesparre  dut  rallier  en  (ouïe  hâte  sa  petite  troupe 
et  regagner  la  ville. 

Lf*  lendemain  lundi,  nne  nouvelle  bravade  des  chevaliers 
étrangers  faillit  avoir  les  plus  funestes  conséquences.  La  ga- 
lère de  Monstry,  arrivée  de  la  vtMlle  à  Gurighos.  était  i*estée 
dans  le  port  ;  ceux  (jui  la  montaient,  irrités  de  ce  contre- 
temps q\ii  menarait  de  les  empêcher  dVtre  les  premiers  à  la 
bataille,  débarquent  au  nombre  de  cent  vingt,  et,  sous  laron- 
iluitc  de  Philippe  d'nmont',  tandis  que  les  chefs  délibèrent 
sur  la  conduite  des  opérations  militaires,  courent  sus  à  l'en- 
nemi qu'ils  aperçoivent  devant  eux.  Les  premières  lignes  se 
i*ompent  devant  rimiH'tuosité  de  leur  attaque,  mais  les  Turcs, 
revenus  d'une  première  surprise,  les  enveloppent  bientôt. 
Lfur  situation  devieiil  critique  ;  ils  reculent  lentement  >ers  la 
plage  ;  liu  château,  un  grand  nombre  de  chevaliers,  parmi 
iesqucU  Jean  Pastez,  Guy  le  Baveux,  Monstry,  viennent  à 
leur  serMUi*s.  La  mêlée  est  générale  et  sanglante;  les  tils  de 
Ciuy  le  Ilaveux.  Jean  de  Uochefurt,  Saquet  di*  lîlaiu,  funt  des 
prodigeis  de  valetir  et  couvrent  la  retraite.  Il  faut  que  lo 
prince  d'Antioche  envoie  Koulqiies  d'Archiat;  et  Bertrand 
de  IÎ4>nanges,  porteurs  d'un  ordre  lormel,  pour  faire  rentrer 
les  croisés  dans  la  ville. 

Le»  pertes  des  chrétiens,  dans  cette  escarmouche,  avaient 


I.  Mas  Latrie  (i>n  Rrluliun» . . ,  p.  5101^  par  Kuite  d'une  mauvais 
inU'rpr^latioii  du  texte  de  (Juiltaume  de  Marltaiit,  dit  que  Ip»  riirt'ticns 
IttÏMt'n'nt  vingt  mort.^  K«r  la  place;  ce  wiiit,  en  réalîlt'',  les  hiarrosinti 
qui  silhircnt  cette  p**rle. 

7.  ("^I:ut  lo  ItU  de  l*trrri\  illl  IIuKtin  d'Umunt.  qui  fut  <^réé  [mrle- 
oriflatiiine  en  X'Ml.  Il  avîtit  été  fail  prisonnier,  ronmie  son  [)6re,  par 
h'6  Anylatii  el  fut  nicheté  coiume  lui  par  Jean  ir  iFruifcsarl,  éd.  Kcr- 
vjrn,  XX,  207  ;  —  Mandements  de  Ciiarùs  \\  n"  125;, 


136 


CROISADE  DE  PIERRE   I   DE  CHYPRE. 


été  sérieuses  ;  parmi  les  morts  Philippe  d'Omont.  Bonau  de 
Bon  et  six  autres  chevaliers  ;  parmi  les  bless«^s  Pastez,  Guy 
le  Baveux,  Monstrv.  Gober!  rie  la  Hove,  Monsart  do  Ucsijiny. 
etc.;  des  cent  \\u^i  bommes  de  la  f;alèrc  de  Monstry,  à  peiao 
une  vingtaine  était  saine  et  sauve. 

Rendue  prudente  par  rexpérionce.  raniiAp,  malgré  l'an'iv^'e 
de  la  sixième  (galère,  celle  de  Bréniond  de  la  Voultis  sp- 
décide  à  attendre  de  nouveaux  renforts  avant  de  prendre 
roffensive:  elle  s'eniernie  dans  le  cliAteau,  tandis  que  les 
jjalères  retournent  à  Chypre  pour  amener  les  secours;  les 
ordres  les  plus  sévères  sont  donnés  pour  éviter  le  retcmr 
d'accidents  pareils  à  ceux  des  jours  prérédonts.  Un  aussi 
brusque  changement  d'attitude  de  la  part  des  (Chrétiens  tient 
les  Turcs  en  défiance  ;  les  Chypriotes,  occupés  à  soigner 
leurs  blessés,  ne  songent  pas  à  rompre  nno  défonse  dont  ils 
reconnaissent  enfin  l'utilité,  et  pendant  huit  jours  on  s'tdj.'jene 
de  part  et  d'autre  sans  agir. 

Le  neuvième  jour  (7  mars  I3r>7).  Florimond  de  Lesparre 
remarque  dans  l'arméo  turque  un  mouvement  insolite:  on 
descend  les  pavillons,  ou  plie  les  tontes,  et  tout  semble  indi- 
quer la  levée  du  camp.' Prévenu  par  Florimond.  le  prince 
d'Aiiiioche  se  décide,  sans  attendre  les  secours  de  Chypre.  A 
protîter  de  ce  moment  de  désordre  pour  attaquer  l'ennemi.  Il 
sort  do  la  place  à  la  tète  de  six  cents  combattants,  divisés 
en  trois  rorps  ;  lui-même,  à  l'aile  droite,  tourne  la  montaj^ne 
du  ciHé  de  rOrient.  Florimoml  de  Lesparre  exécute  le  même 
mouvement  vers  la  gauche,  et  Brcmond  de  la  Voulto  abonh^ 
la  position  do  front,  à  roiulniit  le  plus  escarpé.  Malgiv  une 
gn'^le  de  traits,  de  ttèches  onflatumées  ot  de  pierres,  U*s  Chré- 
tiens f^ravissent  la  montagne  do  pied  ferme  ;  au  sommet  ios 
trois  corps  se  réunissent  et  parviennent,  par  une  heureuse 
manœuvre,  à  tourner  les  machinas  de  rruerre,  à  s'établir  putrr» 
elles  et  les  Turcs,  et  à  s'emparer  des  premiérf?s  lenles 
Après  quoique  repos,  les  Musulmans  ralliés  re\ieunent  ai 
combat;  le  prince  d'Antioche,  au  centre,  à  côté  de  la  Imn- 
niére  de  Notre-Dame,  soutient  le  choc  principal  sans  faiblir; 
ses  lieutenants,  à  ses  cotés,  ivsisteut  éj^alement  avec  uvan- 
tafîe;  vers  le  soir,  l'émir,  voyant  l'iiititilité  de  ses  l'AVuts  ot 
l'intrépidité  des  Chivtiens,  se  décide  .h  battre   en  retraite. 

C'est  le  moment  que  le  prince  attend;  une  mêlée  terrible 
s'engagfc:  excités  par  la  victoire,  les  croisés  poursuivent,  au 


MOTIFS  DK  LA   KRTRAITE  I>ES  TLTRCS. 


137 


milieu  du  camp  Iwaleversô,  I03  Turrs  qui  cherchent  en  vain  à 
dèfenrlro  leur  vie;  tout  est  massacrt'  sans  pitié;  c'est  un 
spcf-tado  affreux  ;  aux.  cris  iIiïs  mouraiifs,  au  licnuisseuiont 
dos  chevaux,  aux  pleurs  des  femmes  et  au  bruit  des  armes, 
8*ajoute  l'hoiTeur  dune  hitte  nocturne.  Rien  ne  résisle  aux 
efforts  des  croisés;  la  di'^faito  dos  infidèles  est  complète. 

L'armée  chrétienne,  cepoudant,  ignorait  le  motif  du  mou- 
vement de  retraite  dont  Florimond  de  Lespane  avait  si  heu- 
reusement surpris  les  préparatifs;  assuréui^'nt  olle  était  loin 
do  soupçonner  la  vérité.  On  venait  d'apprendre  au  camp  turc, 
que  les  Mamelouks  du  Caire  sVtaicnt  révoltés  et  avaient  assas- 
siné le  gra!»d  bâcha;  celui-ci  ét;»it  partisan  de  la  paix  avec 
Chypre,  et  sa  mort  pouvait  amener  do  j;raves  complications 
diplomatiques  et  militaires  ;  aussi  le  grand  Karaman,  voyant 
l'effet  que  la  iioiivello  avait  produit  parmi  ses  soldats,  avait-il 
jugé  prudent  de  se  retirer  au  delà  du  Tanrus  pour  y  attendre 
en  sécurité  les  événements.  Le  prince  d'Antioche  eut  assez 
de  bonheur  et  un  coup  d'œil  asse?.  prompt  pour  profiter  du 
désarroi  des  Turcs  et  ri.squH*  une  action  décisive.  Lo  succès 
coaronna  sa  hardiesse;  le  buiin  fut  immense.  Les  secours. 
dont  le  roi  avait  annoncé  l'envoi  très  prochain,  devenaient 
inutiles,  et  après  quelques  jours  iltt  repos,  pétulant  Icsqutds 
les  honneurs  funèbres  funMit  rendus  en  (grande  pompe  aux 
Oin'tiens  morts  à  l'ennemi,  la  croisade  quitta  Oorirrhos  pour 
rcfCaj^ner  Chvpre  fli'-ll  mars  i;iC7;,  laissant  quehjut^s  ren- 
forts dans  la  place  \ 

On  ne  tarda  pas  :'i  ressentir  b*s  ln'ureux  effets  de  cette 
virt«»ire;  b;  grand  Fvaraman,  cliciTliaut  à  se  faire  pardonner 
son  aj;ression,  demanda  la  paix  ;  le  roi,  pour  conserver  toule 
sa  liberté  d'action  contre  l'K^ypte,  accueillit  les  ouvertures  ili» 
l'émir,  et  un  traité  fut  courïu  entre  les  deux  princes.  Les 
Karamans,  tant  fjue  vrcut  Pif^rre  i,  n'osèrent  plus  inquiéter 
le«  ('hvpriutcs  et  la  |irospérité  commerciale  de  Oorifîlios  st» 
releva  promptement. 

L<"«  néjçfociations  avec  l'Kj.'ypl)'.  icprndant,  étaictit  enlrérs 
dans  une  nouvclb*  idiasf  ;  li's  plcnipotciituiircs  arabes,  d'ac- 
rord  avec  les  commissaires  cliypriotes,  avaient  aiTêlé  les 
articles  rlu  frailé  ef  éiaicnt  allés  b^s  faire  ratifier  au  Cair4'. 
Une    andiassade,    envoyée    ot     conduite 


enviiyee 
1.  Mas  Latrie,  Des  HcUitions. 


jiar    le    tricoplier 


p.  51: 


138 


CAOISADB  DE  PIERKR  1  DE  CHYPRE. 


Jacques  do  Norès,  accompagnait  les  négociateurs  musul- 
mans ;  cUo  ôfait  charg-i^o  do  menor  à  biim  l'tVhange  des  pri- 
soiuiiors  ;  ce  fut  à  qui  on  forait  partie  ^  Seuls  Guy  le 
Baveux  et  ses  tils,  Robert  le  Roux  avec  ses  doux  écuyer» 
Jean  de  Contes  et  Jean  de  Beauviliier,  obiinrent  du  roi 
rauiorisatitiu  d'arcompaifnpr  Jacfjucs  de  Norês  ;  un  écuyer, 
Jean  de  Reims,  parvint  aussi  à  s'ctuban|uer  avec  eux  en  so 
faisant  admettre  dans  reiitourage  d'un  des  plénipotentiaires 
chyprioles,  le  Génois  Doganeo  Caltnneo  *. 

Les  c<insnilltTs  du  sultan  et  le  potiplo  penchaient  pour  la 
paix,  maia  le  flivan^  espérant  lasser  le  roi  de  Chypre  en 
gagnant  du  lemps,  reprit  les  négociations  sons  le  prétexte 
de  la  mort  d'un  dos  principaux  négoci?ilenrs  '.  Pierre  i 
refusa  d'entrer  dans  la  voie  qu'on  voulait  lui  imposer  ;  il  n*a- 
vail  pas  eucor<^  désarmé  ses  galères,  et  les  chevaliers  étran- 
gers étaient  encore  pour  quelques  mois  à  sa  solde.  Il 
demanda  donc  simplement  la  ratification  du  premier  traité, 
et  jtour  être  prèl.  eu  cas  do  refus,  à  recommencer  la  guerre, 
il  réorganisa  son  armée  et  Iraita  avec  Tacca,  l'émir  do  Sa- 
talie,  dont  Th^islilité  eût  pu  lui  causer  de  graves  embari'as 
(mars-septembre  \M1). 

Lo  divan,  <epondant.  pei^évéra  dans  sa  conduite,  et  Pieire  i 
so  mit  en  devoir  de  reprendre  la  campagne  ;  une  nouvello 
attaque  snr  Alexandrie  était  impossible,  car  la  côted'Kgypte 
était  sur  ses  gardes;  le  roi  se  dirigea  doue  vers  la  Syrie  avec 
ïout*.^  sa  flotte  fseptend)i-e  1307). 

An  mouKMit  de  ipiitlor  Chypre,  se  [troiinisit  un  incident 
dont  le  sire  de  Lesparrc'  élait  la  cause.  Cassé  aux  gages  avec 
sa  compagnie  pai'  Ir  roi.  pour  des  luotifs  sur  lesquols  aucun 
des  écrivains  rotileiuporains  no  s'est  nettement  expliqué, 
Losparre  demamla  :i  prendre  part  à  l'expédition;  voyant  se» 
services  repoussés,  il  se  retira  fort  irrité  et  envoya  au  roi, 
par  lettres  des  3  et  \  août  TiGT,  un  cartel  en  règle»  moyen 


t.  On  espérait,  au  retour,  pouvoir  visiter  le  Saint  Sépulcre  et  la 
Terre  Sainte  (La  Pn*e  d'Airxantfrie,  v.  5fir»r»-8). 

2.  C'est  aux  récits  <1«  Jpan  ile  Keims  iiun  Machaut  dut  la  plupart 
des  détails  de  sum  jKi^me.  Lps  autrrs  m^gociateurs  rliypriotcs  fureiU 
prubablrnieut  les  (It^ruMs  Pierro  Itacanelli  H  Jca»  Imporialo  \Hiiitaire 
de  Chffprr,  u,  2y2-:t). 

'.i.  Vtiir  It'R  rlf^tails  (le  ces  négociations  Uansi  Guillaume  de  Machaut 
(/.«  Prixe  (VMej-anUric,  v.  59U  à  6630). 


i 


OpeRATIONS   MIMTAIRKS  A  TKIPOU   ET  I.  AIAS. 


139 


sinon  respertueux,  du  moins  chfvnlerosque  de  motiro  fin  îi  la 
quRrcll(\  La  réponst»  du  roi  no  so  fit  pas  attendre  ;  il  écrivit 
de  son  château  du  Quid  '  (15  septembre  13G7)  qu'il  parlait 
pour  le.  service  do  Dieu,  mais  qu'aussitôt  la  guerre  tenuinéo, 
il  ri'pondrait  à  Paris,  le  jour  de  la  sain*  Michel  de  l'année 
suivante  (29  septembre  I3GS).  au  défi  que  Lesparre  lui  avait 
porté.  Le  champ  c\o6  cependant  n'eut  pas  lieu  :  le  pape  s'en- 
trf^nit  entre  les  deux  adversaires  et.  après  de  longui.'s  négo- 
i-iations,  obtint  une  réconciliation  dans  laquelle  Losparre 
s'humilia  devant  le  roi  et  reconnut  ses  torts  (8  avril  ];^()8'). 

De  pareilles  suseeptibililés,  nées  le  plus  souvent  de  motifs 
futiles,  so  jiroduisaient  presque  chaque  jour,  remlant  Je 
succès  des  expéditions  d'outre- mer  fort  problématique. 
Dahm  la  campagne  précédente,  l'indiscipline  des  chevaliers 
ou  leur  bravoure  irréfléchie  avait  causé  à  rexpédition  de 
gnives  embarras,  et  presque  compromis  resisteiice  do  l'ar- 
mée ;  dauK  la  suite,  nous  aurons  trop  souvent  roccasion  de 
>îi^Tialer  des  faits  nnalogues  et  leurs  conséquences  désas- 
treuses. 

La  flotte  lit  voile  vei*»  Tripoli  ;  après  un  débarquement 
Iieureux,  les  croisés  contraignent  les  Sarrasins  :'i  se  replier 
dauï*  la  \ille,  y  péuètreut  à  leur  suite  et  la  livrent  au  pillage 
{'i9  septembre  1307).  Tortose.  Laodicée  et  Bèlinas  subissent 
le  même  sort.  Le  roi  irArménie  a  donné  rendez-vous  â 
Pierre  i  devant  PAïas,  enlevée  aux  Arméniens  i>ar  les  Turcs; 
ceux-ci  sont  chassés  delà  ville  après  un  sérieux  combat,  mais 
le  château  résiste  aux  efforts  des  (Chrétiens  ;  le  roi  d'.Vrménie 
ne  se  montre  pas  comme  il  l'avait  promis,  et  après  huit  jours 
d'atteuïe,  dans  la 'Tainte  d'être  surpris  par  les  gros  temps,  le 
roi  de  Chypre  se  décide  à  regagner  ses  étals  (5  octobre  I  '107), 

Le  retour  do  Pierre  i  dai»s  l'Ile  peut  élre  consi<léré  comme 
la  Hn  de  la  croisade  ;  ce  n'est  pas  que  le  roi  ait  renoncé  à 
poursuivre  les  opérations  militaires,  mais  ses  troupes  sont 
tnïp  affaiblies  pour  supporter  les  fatigues  d'ime  plus  longue 
ram]iagno.  Il  faut,  pour  la  continuer  au  pnntpm[ts  prochain, 
demuuder  un  nouveau  secours  â  l'Occident;  Pierre  reprend, 


I.  O  rliÂteau  éluîtsilué  au  village  de  Kili  iCV/iunil  pri^8  de  lu  nier, 
ik  l'ouest  df  Liirnaca  et  de  la  Si'ala. 

î.  Tt't  èjiiwxle  ost  raconté  avec  beaucoup  de  détails  par  Murliaut 
{La  Prine  d'Alej^andrie,  v.  7iOO  à  TV35;. 


DE   CliYPRK. 

dans  ce  but,  le  chemin  de  l'Europe  (octobre  1367),  mais  le 
Saint-Siège  se  refuse  à  autoris^^r  une  srcondo  croisade,  dont 
l'échec  est  certain  en  raison  de  l'état  politique  des  cours 
européennes.  Il  engage  le  roi  à  renouer  des  négociations 
de  paix  avec  le  sultan,  et  les  instances  d'Urbain  v,  jointes 
à  celles  des  villes  maritimes  de  la  Médiferranêe,  sont  si 
pressantes  qu'elles  triomphent  de  la  ivpugnance  du  prince; 
des  ambassadeurs  (2i  juin  13*18)  sont  envoyés  au  Caire  et 
y  concluent  une  trêve,  prélude  ihi  traité  qu'on  négociait 
depuis  deux  ans  entre  Chypre  et  l'Kgj'ptc'. 

Telle  est,  dans  ses  grandes  ligues,  l'expédition  de  Pierre  de 
Lusignau  ;  c*est  la  preniièro,  depuis  la  chute  de  Saint  Jean 
d'Acre,  qui  mérite  le  nom  de  croisade.  Kut-elle  les  résultats 
qu'on  était  en  droit  d'espéi-er  de  succès  très  réels  remportés 
sur  l(^s  infidèles  ?  Il  semble  que  les  premiers  ne  répondirent  pas 
aux  sofifuds,  et  fui-ent  liDrs  de  proportion  avec  les  sacrifices  i^ue 
s'imposa  le  royaume  de  Chypre.  Il  y  a  plusieurs  raisons  à  ce 
fait  :  la  première  est  le  manque  d'ensemble  des  efforts  tentés  ; 
au  lieu  d'une  action  continue,  unus  assistons  ù  une  série  de? 
tentatives,  heureuses  il  est  vrai,  mais  sans  lien  enti^e  elles  ; 
la  seconde  cause  tient  à  la  difficulté  do  recruter  les  combat- 
tants, à  l'instabilité  des  cadres  d'une  armée  soldée  pour  un 
temps  très  court,  et  à  rinrliscipline  de  troupes  composées 
d'éléments  hétérogènes.  Mais  la  principale  raison,  celle  qui 
domine  l'histoire  du  Levant  au  xrv"  siècle,  est  rnppnsition 
systétnatique  des  états  maritimes  de  la  Méditerranée  à  toute 
croisade  ;  on  sait  les  motifs  de  cette  politique  et  on  en  connaît 
les  conséquences;  la  croisade  de  Pierre  i  conlîrme.  une  fuis 
de  plus,  les  uns  comme  lus  autres. 


I.  Mo  latrie,  ffrs  Hctations.,,  p.  .M6-B.  Les  instructions  de» 
amliassodeurs  sont  du  "20  mai  i:WS  à  Nome  i7/ï»/o/rr  de  Chypre,  n, 
ao'i-KK  Pierre  arintnira  le  m^mo  jour  à  son  frère  la  reprise  dos  n(>K**- 
fiatiuns.  Suivant  Maclicra  et  Strambaldi  les  pléni|>ut«ntiairos  par- 
tirent pour  Alexandrie  le  21  juin  i;**)8. 


Parmi  ](»s  prince:*  tjui  avaietit  pris  la  croix  a  Avignon,  ip 
vemiivdi  .saint  de  l'année  i:Ui:î,  entre  les  n»ain.s  il»  pape 
Prbain  v,  le  comte  de  Savoie,  Amédéc  vi,  s'était  distingué 
par  l'ardeur  de  son  zèle  et  renthonsiasme  de  sa  foi.  Mais, 
eoiuuie  le  roi  <le  France,  il  s'était  inipnnleniiiient  engagé;  le 
soulftveiuent  suscité  dans  la  vallée  d'Aoste  par  le  marquis  do 
milices,  an  mépris  des  tniités,  et  la  présence  dans  le  Cana- 
rèse  ï  d'une  compagnie  d'aventui'iers  anglais,  i\ui  menaçaient 
la  sécurité  du  pays,  avaient  obligé  le  comte  à  différer  la 
réalisation  de  ses  promesses,  et  à  laisser  le  roi  de  Chypre 
s'cmlianjucr  seul  à  Venise  (juin  13t>r»). 

Amédéc,  cependant,  n'avait  pas  renoncé  à  ses  projets.  S'il 
s'était  vu  enlever  j>ar  le  pape  toutes  les  concessions  ecclésias- 
ti<ines  faites  i*n  faveur  de  la  croisade,  s'il  avait  été  obligé  de 
n'slituer  au  légal  apostoliqnis  les  sommes  déjà  perçues',  ii 
n'en  persistait  pas  moins  ilans  le  dessein  de  passer  en  Orient, 
i.'t  (Paccomplir,  dès  (jne  les  circonstances  le  permellraîenl,  le 
Vfpn  sidennel  qu'il  avait  coiitraclé  â  Avigimn.  En  outre,  les 
liriisdeparcnti^  qui  Punissaient  à  la  fimiille  imi>éiiale  de  Cmus- 
tanlinople,  le  désir  de  soutenir  le  Ironecliancrlnnt  des  Faléo- 
l«»gues,  raffermissaient  dans  sa  résolution.  N'étai1-il  pas  riadi- 
nd  qu'Amédée  secourut  son  cousin  germain"  contre  les  Utu»- 

.  On  désigne  ainsi  la  partie  du  Piémont  comprise  entre  le  Pô,  U 
l><jire-lkiltée  et  la  Sture. 

■£.  '11  janvier  1^65  (Uatta,  Spedisione  m  Oriente  di  Amedeo  vi,  Turin. 
1826,  Jn-8^  p.  21).  Ce  légat  était  Llilles  de  .Montaigu,  cardinal  du  titre 
tic  S.  Martin  in  Montibm. 

3.  Aymon,  jMTe  d'\niédée  vi,  était  frère  de  l'impératrice  Anne, 
tuére  iÏh  Jean  Paléologue. 


142 


CROISADE  T>  AMRDHE  \l. 


malts  lie  jour  en  jonrplu-s  menacaiits?  Le  Levant  n'avait-il  pas 
un  Mttraît  partîculioi'  pinir  un  prince  dont  la  maison  tenait 
«risabelkî  do  Villidiardouin  dos  droits  sur  la  principaiitt» 
d'AcîiajV,  droits  l]iéuri(iuo3,  il  est  vrai,  mais  qu'un  sucoès  des 
îiriiiHs  t'InV-lit-niios  en  Orient  pouvait  rolevor  cl  faire  renaître? 

Mal^nt*'  le  peu  d'écho  que  ta  prédication  île  la  croisade  avait 
renconirè  en  Kurope,  les  efforts  persévérants  du  Saint-Siège 
a\!deiil  aijouli  à  la  formation  d'une  ligue  partielle.  L'empereur 
d'Allema^'ue,  Charles  iv.  était  venu  à  tlcnève  pour  ^v  euuférer 
an  comte  de  Savoie  le  vicariat  impérial  sur  les  évèchés  de 
Lyn,  Lausanne.  Genève,  Aosle,  Ivrée.  Turin.  Saint  Jean  de 
Maurieime,  TarenUuse.  Belley,  MAcun  et  Grenoble,  et  accom- 
pagné d'Aniêdée  vc,  s'était  dirigé  vers  Avignon.  C'est  là, 
dans  di's  rDnfêrcin'es  nninlnfuses  avec  Urbain  v,  que  furent 
jet<'-^s  les  bases  de  rexjKniiti'Ui.  Après  avoir  arrêté,  de  con- 
cert avec  le  pontife,  la  conduite  que  connnandaient  les 
événements  d'Italie  et  les  excès  dest  gi-andes  Compagnies, 
reinpereur  s'était  piéncoupé  de  l'état  de  li^mpire  de  liyzance. 
En  prësence  du  'langer  commun,  Jean  Fatéologue  s'était 
rapproché  du  roi  de  Hongrie,  et  l'intervention  de  ce  dernier 
était  as3m*ée  aux  Grecs  ;  Charles  iv,  à  son  tour,  promit  à  la 
croisade  son  appui  personnel  et  les  secours  des  princes  chré- 
tiens sujets  de  l'empire. 

Ce  n'étaient  là  malheureusement  que  des  promesses  ;  on 
avait  trop  bien  auguré  des  dispositions  de  Jean  PakHilogue,  et 
de  l'accueil  fait  par  lui  aux  ouvertures  des  cours  chi*étiennes. 
Menacé  de  toutes  parts  par  les  Turcs,  Faléologne,  pour  être 
secouru,  avait  accepta' en  principe  toutes  les  conditions  qu'on 
lui  avait  imposées,  parmi  lesquelles  la  principale  était  le  retour 
de  l'empire  gi'ec  à  la  foi  rtpostoli(|ue  et  rnuiaine.  Louis  de 
Hongrie,  avait,  comme  le  pape,  cru  à  la  sincérité  de  ces  pro- 
testations, que  l'empertmr  do  Byzimce  était  personnellement 
venu  renouveler  à  la  cour  de  Hongrie;  il  avait  redoublé 
d'efforts  pour  renth'e  ilécisive  la  campague  de  llitîtî,  qu'il  se- 
pnqiosait  d'entreprendi-c  sur  terre'»  tandis  que  le  comte  dei 


l.  Le  roi  de  Hongrie  avait  fait  pour  la  campagne  do  1365  de  grands 
pn^paratifs;  )e  manque  d'entente  avec  les  cours  m'cidentales  les  avait 
remlus  inutiles,  et  le  roi  s'était  borné  à  mettre  eu  déroule  les  grnéraux 
(le  Sracimir,  prince  de  la  [iulgarie  oi-cidentale.  il  avait  pris  Widdin,  fait 
prisonnier  Sracimir  et  sa  femme,  qu'il  avait  internés  en  Croatie  au  châ- 
teau tle  Gumnik,  et  nommé  le  voivode  de  Transylvanie,  Denis,  gou- 


CAMPAGNE   DC   ROI    DE   HONGRIK. 

Savoio  (levait  tonter  imo  expédition  maritime  dans  TArchipcl. 

Pondant  que  Paloulogiu*  était  en  Hougi'in,  ses  ambassadeui*s 
se  rendaient  aupivs  du  Saint-Siège,  et  entamaient  des  uègo- 
oiations  dans  lesquelles  la  manvaise  foi  byzantine  ne  tai'dait 
pas  à  se  montrer.  Elles  reniplirent  lés  premiers  mois  de 
["année  1360.  L'abjuration,  demandée  par  Urbain  v  en  février 
1360}  s6  faisait  toujours  attendre;  en  juin,  elle  n'avait  paît 
encore  eu  lieu,  et  le  pape,  se  rendant  compte  du  mauvais  vou- 
loir de  la  cour  impériale,  écrivit  an  roi  de  Hong:rie  (1" 
juillet  1366)  de  surseoir  à  toute  opération  militaire  tant  que 
Tenipereur  n'auriiit  pas  uiis  fin  au  schisme.  On  espérait  ainsi 
fiU'cer  Palérilogue  à  tenir  ses  promesses. 

Mai.s  il  était  trop  tard  ;  les  Hongrois  sVtaient  mis  en  mon- 
Yement,  ils  avaituit  niarohé  contre  Jean  Sisnian.  prince  de  la 
ulgarie  centrale',  allié  des  Turcs,  qui  a\;ut  attaqué  le  nou- 
veau bnnaC  hongrois.  Les  débuts  de  la  campagne  avaient  été 
favorable-s  aux  armes  chrétiennes;  Louis,  uni  aux  forces  de 
Vlajko,  voivode  de  Valachie.  boau-frére  de  Sracimir,  avait 
battu  Sisman  et  les  Ottomans';  de  sou  côté,  le  comte  de  Sa- 
voie avait  pris  la  mer  à  Venise  sans  qu'Urbain  v  jn'it  l'arTéler 
avant  stui  départ  ^. 

L'entreprise  du  comte  do  Savoie  était  singulièrement 
Lanlie  ;  comment  un  prince,  réduit  â  ses  seules  ressources, 
avait-il,  à  titre  pour  ainsi  dire  privé,  arjué  une  flotte  et 
un  corps  expéditionnaire,  et  s'était-iK  avec  plus  d'amlace 
que  de  raison,  engagé  dans  une  expédition  d'ime  témérité 
pn'sque  folb'^  Four  expliqut^r  sa  c(»n(luite,  un  doit  tenir 
compte  de  l'activité  belliqtK^nsc  qui  animait  alors  l'Occident, 
et  des  idées  politiques  et  militaires  auxquelles  11  obéissait. 
C'était  le  temps  des  grands  coups  dVpée  et  des  brillantes 
pa.ssf^  d*arnies.  Pouvait-on  faire  mieux  que  de  diriger  conti'e 


verneurde  \Vi(lilin(Jirprek,  Ge*ch.  der  Bulgaren,  Prague^  187G,  p.  326; 
—  Szalay,  Gexch.  (Jntjarn's  il,  274-5.) 

1.  I.a  iiulgiiric  était  alors  divisée  en  trois  iMats:  ta  Bulgarie  nrciden- 
ta,|n,  rapitnie  Widdiii;  la  Hulgarie  centrale,  rapilale  lirtutvo,  et  la 
tUilgarie  orientale^  composée  des  provinces  avoistiiant  reml>ouehtirf' 
<]ii  Oanube. 

1.  Jirecek,  GtscH.  der  Butgareriyp.  327;  —  Sxalay.  Gese/i.  Untjarnsj 
II,  275. 

:i.  tiatia,  5/)(?(/iîiofie. ..,  p.  2i-32; —  Kpssier.  GeAvhichtv  ivm  tîn- 
yam  ilrojl.  par  K.  Klein,  Leipzig,  1869».  ii,  153-5. 


141  CROISADE  d'aMKDEE  VI. 

les  infidèles  l'ardeur  dont  chacun  <^*taiL  enflammé?  Fallait-il 
déployer  dos  forces  considérables  pour  une  campagne  d'escar- 
iiïouchns  et  d'incursions  sur  le  littoral  ennemi,  la  seule  ijue 
comprit  la  stratégie  du  xiv" siècle?  Etait-il  même  besoin  de 
renforts  considérables  pour  relever  les  affaires  et  consolider 
ir  (riiue  de  Jean  Paléologue?  N*avait-ou  pas  vu  les  Catalans, 
avec  une  poignée  d'hommes,  tenir  en  échec  les  Grecs  et  les 
Turcs?  Lescxpluits  d'une  poignée  d'hommes,  conduits  par  un 
capitaine  vaillant  <'t  ê|)roiivé,  tel  que  h*  comte  de  Savoie,  ne 
pouvaient-ils  suffire  â  arrêter  les  progrès  des  Musulmans? 
Ces  considérations,  si  elles  ne  justifient  pas  la  résolution 
d'Amédée,  l'expliquent  dans  xme  cert.'iine  mesure. 

Au  point  de  vue  financier,  l'expédition  trouva  des  res- 
sources dans  les  décimes  )[iie  le  Saint-Siège  imposa  pour  six 
années  à  la  Savoie  (  I'""  avril  1 31)3;  ;  le  produit  des  dons  et  legs, 
des  aumônes  et  restitutions  faites  à  l'église  fut  attribué  par  le 
pape  â  la  croisade  pendant  la  même  période  ;  mais  Amédée 
avait  besoin  d'argent  coiupt;int.  Des  banquiers  de  Lyon  se 
substiiuèri'iit  aux  droits  du  prince  et  lui  avancèrent  dix  nïille 
florins  ;  eu  outre  le  comte  engagea  son  argenterie.  Les  habi- 
tants ne  furent  ainsi  astreints  à  aucune  contribution  extraor- 
dinaire; s(Mils  leurs  dons  vob.»ntaires,  unis  aux  revenus 
ordinaires  du  trésor  de  Savane,  procurèrent  à  Amédée  les 
sommes  dont  il  avait  l>esoiu  *.  Au  point  de  vue  spii'ituel.  la 
papaut-é  concéda  aux  croisés  les  avantages  et  indulgences 
d'usage'. 

Le  corps  expéditionnaire  se  composa  d'éléments  divers;  en 
première  ligne  les  gens  du  comte,  c'est-à-dire  les  vassaux 
directs,  ceux  qui  tenaient  les  fiefs  que  le  suzerain  n'avait  pas 
ctmcédés  et  dont  il  s'était  réservé  le  domaine  utile;  puis 
les  contingents  que  la  loi  féodale  obligeait  les  .seigneurs 
à  fournir  ;  mais  comme  cette  obligation  ne  s'étendait  pas  à 
une  expéditi<»n  entreprise  hors  des  états  du  comte,  ces  con- 
tingents reçurent  une  solde.  A  côté  de  ces  troupes,  à  pro- 
prement parler  savoisiennes,  se  placent  les  troupes  auxi- 
liaires ;  on  comptait  parmi  elles  vingt-huit  hommes  d'ai'mes 
nllemunds  levés  pai*  daleas  Visconti,  beau-fi*èi*e  d'Amédée, 


1.  Datta,  Spedisione,,.  p.  40-'i3.  L'argenterie  du  comte  produisit 
une  somme  de  sept  cent  soixante-dix-huit  ducats  d'or  de  Venise. 

2.  Oatta,  Spedizione...^  p.  't'I. 


COMPOSITION   DE  L  AAMEB  D  AMKUIiE. 

et  ApjkUrteuaiit  probablement  â  la  compugnie  (rHeiiiu'fniiu 
BtirgraU'i) ',  el  tous  les  guerriers  que  le  zèle  de  lu  croisade 
attira  sous  la  bîiuniêre  île  Savoie.  Enfin  Amédée  prit  â  sa 
sold<*  des  coiupagiiies  ùtriuigères,  raïuassis  d'aventuriers  de 
tontes  iiiitioMs  ;  sans  emploi  depuis  la  paix  d<?  Bréligny,  elles 
d^'solaient  1«  midi  de  la  France  et  l'ilalie  seplentriuuale.  On 
avait  cherché,  à  différentes  reprises,  à  entraîner  ces  bandes 
dangereuse;»  hors  do  France,  mais  sans  succès'.  Elles  étaient 
un  danger  permanent  p<!ur  une  partie  de  IFurope,  et  plus 
d'un  évéuomeut  de  celte  époque  ne  s'explique  que  par  la 
crainte  qu'elles  inspiraient  et  par  les  efforts  tenté,s  pour  les 
'éloigner.  Amêdée  eut  dans  son  armée  un  certain  nombre  de  ces 
coujpagnies,  nutammcnt  une  compagnie  anglaise  r.nnimandée 
par  deux,  aventuriers  du  nom  de  Lebron  et  de  Guillimme.  et 
une  cumpagnie  française  sous  les  ordres  d'un  coimélabli' *. 

L'îinnêe  d'Amédèe  comprenait  un  assez  grand  nombre  do 
Français.  A  la  lin  du  xiV  siècle,  le  sentiment  des  nationalités 
élail,  il  est  vrai,  encore  assez  confus,  cl  ce  Icrmi'  de  Fraui.ais 
n'avait  pas  la  signitlcation  que  nous  lui  donnons  aujourd'hui. 
Pour  U  plupart,  cependant,  les  sujets  du  roiule  de  Savoie, 
sous  la  suzeraineté  plus  nominale  quri  rétdic  do  Tnmjjire  d'Al- 
lemagne, se  rattachaient,  malgré  rindépendance  dont  ils 
j<»uissaient.  p.ar  la  langue  comme  par  les  mœurs  et  les 
attaches  de  famille,  aux.  provinces  françaises  et  bourgui- 
gnonnes qui  h.'s  entotnaient.  Il  suftîl  de  pai'courir  les  noms 
lies  seigneurs  qui  suivirent  Amêdée  eu  Orient  pour  se  con- 
vaincre de  ce  fait.  Des  huit  chevaliers  de  l'Annonciade*  qui 
se  enlisèrent  en  1300,  Jean  de  Vienne,  seigneur  de  Roulans, 
plus  tard  amiral'  de  FranceS  Hugues  de  Chàlûus,  seigneur 


I .  T^ri   1364,  Gatéfts  Viscotiti   avait  offert  aux   Pisans  contre  les 
FlomitiiiK  rapj)ui  d'Ilcnncquin  Borgraten. 
2    Vuir  plua  liant,  |»agc  121. 

3.  Dattu,  Spedhione...  p.  46-58. 

4,  L'ordre  de  l'Annonciade  avait  été  créé  en  1^2  par  les  comtes  do 
Savuic.  \\.  le  marquis  de  Loray  (Jean  de  Vienne,  p.  36,  note)  reporte 
i  I3C>G  la  fundaUon  do  cet  ordre,  â  l'occasion  prôcisùment  de  l'expé- 
dition tl'Amôd^c  en  Orient^  et  appuie  son  opinion  d'arguments  qui  nit!** 
ritent  cPôtre  pris  en  s^'^rieiise  ronsid^'ration. 

b.  Jean  de    Vienne,   né  vers   lUU,  tils  de  Guillaume  de   Vienne, 
iir  de  tfoulans  (prt»8  de  lïesnnron)  et  det^'laudino  doC'liaudeney, 
tilcvint  hire  df  |{o;.la;i.>  l'ii  l;i.V.»  par  lu  inorl  de  son  piTc.  II  lit  sc^  pre- 


H6  CROISADE  lïAMKDÉE   VI- 

d'Arlay'»  appartenaient  à  la  Bourgogne  ;  Rolland  ilo  Vaiss;^' 
était  un  geulilliouimt'fluBourlionuais'jGnillauiijedoChalaiiiuiit 
un  des  principaux  seigneurs  du  pays  de  Donibes'.  Elienue  de 
laRanme,  l'uiniral  de  la  croisade,  possédait  les  seigneuries  t\t^ 
Saint  Denis  en  Huy^ey  et  de  Cliavanni»s  cti  Frjiuclie-roml'*,  el 
GidlUiuiue  de  Granson  se  ratlnt-liait  à  la  Bnurgngne  par  la 
terre  de  Sainte  Croix  d(mt  il  était  seigneur*.  Si  ncais  |M»Hr- 
suivons  (:);t  examen,  nous  voyims  figurer  iiarnii  les  riiiu|hi- 
guous  «rAmédée  Loui.s  do  Châloiis,  un  bourguif^Miou,  fivre  du 
seigneiu'  d'Arlay*,  les  seigneurs  de  Saint  Amour*  et  do  Va- 


mières  armes  contre  losTompaRnies  anglaises  et  navarraises,  prit  part 
h  la  bataille  do  Brignais  (1361),  délivra  quelque  temps  après  fvcrs  l:ï6;*) 
à  Cliambornay  la  Bourgogne  des  routiers  qui  l'infestaient,  et  passa 
dans  Ip8  années  suivantes  au  service  de  la  Krancn.  Il  comlmttit  i 
Coclierel  (I36't)  avec  Du  Guesclin,  el  fut  nommé  maréchal  de  l'armi-e 
chargée  s«us  les  ordres  du  duc  de  Bourgogne  de  rt'duire  les  pla<*es  de 
la  Beaucc.  Nous  le  trouvons  à  la  bataille  d'Auray  (28  septembre  I3fi4i, 
et  en  janvier  suivant  (1365)  il  est  présent  au  siê>;e  de  Nojçent  sur  Seine 
occupé  par  les  routiers.  Au  moment  uù  il  suivît  la  bannière  d'Amédéc, 
sa  réputation  do  c-ourage  et  de  valeur  commençait  à  s'établir,  et  faisait 
présager  les  hautes  destinées  que  l'avenir  lui  réservait  (Marquis  de 
Loray,  Jean  rfe  Vienne,  passim). 

1.  Fils  aine  de  Jean  de  Chi\îons  et  de  Marguerite  de  Mello-  !l 
épousa  Blanche  de  Genève  et  mourut  vers  U90.  C'était  un  des  princi- 
paux seigneurs  de  Bourgogne;  la  maison  de  Chàlons  était  une  des 
plus  puissantes  de  la  province  (Kroissart,  éd.  Kervyn,  xx,  533). 

2.  Le  '21  juin  1364,  Rolland  de  Vaîssy,  de  Savoie,  recevait  diverses 
confirmations  du  n>i  île  France  concernant  le  péa^e  de  Saint  Sym- 
phorien  (probablement  Saint  Syniphorien  sur  L'uise,  départ,  du  RhAnc) 
et  la  chàtellenie  d'Ozan  i^probablenient  dans  le  ^iépart.  de  l'Ain, 
commune  de  Pont  de  Vaux)  (L.  Delisle,  Mandemeni»  de  Charles  i", 
n»  34). 

3.  Guillaume  de  Chalamout,  seigneur  de  Meximieux  (Ain,  cant.  de 
Trévoux)  et  de  Montanay  (Ain,  cant.  de  Trévunxl,  fils  d'Etienne  de 
Chalamout.  Le  mariage  dt^  s:i  tille  unique  porta  eu  1383  ces  deux 
seigneurieK  dans  la  maison  Maréclial. 

4.  (îrauBon  est  dans  le  pays  deVaud;  Sainte  Croix  est  près  de 
Louhans  (Saône  et  Luire). 

5.  Second  tils  de  Jean  de  Chilons  et  de  Marguerite  de  Mello;  il 
épousa  Mai^ucrilc  de  Vieiuic.  Il  avait  été  fait  prisonnier  ii  Briguais 
(1361),  assista  h  la  bataille  do  L'uchcrel  (1364;  et  fit  partie  de  larTnée 
du  duc  de  Bourgogne  contre  les  Navai*rai.s.  Froisj^arl  le  fait,  à  tort, 
assister  au  siège  d'Ardres  en  137";  il  était  déjà  mort  à  i-ette  époque; 
sa  mort,  en  eÔet.  eut  lieu  en  1366,  pendant  la  croisade  d'Améitée  VI 
(FruissarL  éd.  Kervyn,  xx.  533). 

0.  Km   13f;3  <I2  juillet)  Je&n  de  Saint  Amour  avait  acheté  d'I^tienne 


raiiiboii'  ou  Bi-csse,  tl'Aix',  de  Viriou'  et  de  Clermonl'  en 
D:iuphiné,  des  Gascons.  Floriraond  de  LeapaiTo"  et  Basse!*, 

«•I  I.Hiil  d'autres  dont  l'origine  est  esseutiellcmeut  française. 
On  [HMit  di>nï%  sans  U'mérilH.  ratliicher  la  cioisade  du  comte 
d(^  Savoie  aux  expéditions  françaises  qui  eurent  au  xiv*  siècle 
l'Orient  pour  objectif. 

Il  est  assez  diltieiïe  de  préciser  l'effectif  des  troupes 
d'Amédée,  Nous  connaissons  les  noms  de  quatre-vin^'-t-nenf 
cli*naliiM's  servant  sous  h^s  ordres  du  comte,  mais  ce  chiffre 
n'est  pas  complet,  et  ne  c<»mprend  ni  les  combattants  isolés, 
étrangers  à  la  Savoie,  soldés  par  leurs  suzerains  ou  com- 
battant sans  solde,  ni  les  contingents  mercenaires  ;  en  outre, 
cba4jU(- ch(»\alii'r  réunissait  sous  sa  bannièn^  un  noEubre  va- 
riable d'écuyers,  tanlôt  quatre,  tantôt  douze;  d'autres,  comme 
Lesparre,  Hujiues  t'I  Louis  de  Cbâlons,  éliiienl  suivis  d'une 
trentaine  ou  même  d'une  quarantaine  de  gentilshommes.  Dans 
ces  Conditions,  l'évaluation  est  assez  difficile,  et  il  faut  pour 
rétablir  recourir  à  mie  autre  base.  Le  lecteur  verra  plus  bas  que 
rexpéditjon  s'embarqua  sur  quinze  galères  ;  nous  savons  qu'à 


île  la  Baume  la  seigneurie  de  foligny  (Ain,  arr.  de  Dourg,  chef-lieu 
de  c;itiloiif.  (Iliiîllaril  lirêholles,  Titrcsde  Rourhon^  n"  2877.) 

1.  Olte  seigneurie,  située  dans  l'Ain  (canL  de  Pont  d'Ain)  appar- 
tenait à  la  famille  de  la  i'aUid. 

2.  La  seigneurie  d'Aix  est  dans  la  Dr6rae  {arr.  et  cnnt.  de  Die). 

3.  Jean  de  Graslée.  seigneur  de  Vîrieu.  Groslèe  est  dar?s  l'Ain 
[arr.  d«  Belley,  cant.  de  Lhuis)  à  2  kilomètres  du  Hliône.  —  Virieu  est 

lans  l'Isère  larr.  de  la  Tour  du  Pin). 

k.  I.e  titulaire  Hait  Aymar  de  Clermont,  seigneur  d'Hauterive  en 
l>auphiné.  second  fils  d'Aymar  n  et  d'Agathe  de  [*oiiiers.  Il  servait 
m  I36'i  souA  le  duc  de  Itourgogne  et  sous  le  comte  de  Tancarville 
\y.  Anselme,  vm,  910  et  921). 

5.  .Nous  avons  donn<^,  au  chapitre  précédent  (p.  132-3%  quelques 
d<'*tAils  sur  ce  personnage,  une  des  figures  les  plus  curieuses  de  cette 

lépoiiuH.  Klorimotnl  «"l'-laitoroisi^  des  premiers  à  l'appel  d't'rbain  v.  Il  faut 
Mipjt'JAer  qu'iHi  obiitaeje  imprévu  l'empêcha,  avec  le  corps  de  troupes 
|ui  raccompagnait,  de  rejuindre  à  Venise  le  roi  de  Chypre  au  mo- 
ment où  ce  derriÎHr  s'embarqua  iwur  l'Oriont  (juin  1365).  II  ne  aiiivit 
pa»  en  prince  à  Alexandrie;  mais  quand   Araédéc  vi  rassembla  ses 

•trïupf'*!.  il  se  hâta  de  se  joindre  à  elles  (27  mai  1366)  à  Pavio  (V.  I>alta, 
Sp'^ùisioiie. ,   ,  p.  2651, 

6,  tin  sire  de  lULxsetjuuadanti  le  parti  anglais,  au  milieu  du  xiv*  siècle, 
Bn  r^le  considt'^rahle.  Il  s'appelait  Rauulet  et  mourut  en  1390.  Il  est  fort 
probable  qn*'  r'esl  I*»  m<^mn  perwHmft'.'e  que  eelul  dont  11  est  ici  ques- 
tion trr"»i''>ni't,  ni.  Kcrvvii.  N\.  2(ii). 


* 


i 


148 


CROISADK    D  AMEDEË   VI. 


cette  époque*  on  avait  l'habiludo  do  calculer  que  chacune 
d'elles  pouvait  transporter  vingt-cinq  clievaliers  ;  si  l'on  es- 
time à  quatre  ou  cinq  hnnuiies  chaque  hince  garnie,  on  ar- 
rive au  chiffre  de  mille  cinq  ceiUs  à  mille  huit  cents  hommes, 
sans  c«»iapler  les  (équipages  des  navires  V 

Aniêdée  quitta  ses  états  \ers  le  milieu  du  mois  de  mai 
(lytîli);  soixante  seigneurs  l'escortèrent  jusqu'au  lieu  d'em- 
barijueinetd.  Le  27  mai  il  élait  à  Pa\ie,  mi  Tavaient  préeV'tlé 
les  gens  de  son  hôtel,  ("'est  dans  ciUte  ville  qu'il  enrôla  Les- 
parre.  Hugues  et  Louis  de  ChAlons  avec  leurs  compagnies. 
Pendant  son  séjour  à  Pavie,  le  bapléme  d'une  pctile-HlIe  de 
Galêas  Visconli',  à  laquelle  il  servit  de  parrain,  fut  locca- 
sion  do  fêtes  magnitiques.  Quelques  jours  après,  lecouile  prit 
larou(e  de  Padoue,  et  atteignit  Venise  le  II  juin  13GG^ 

Guillautae  de  Granson  y  avait  précédé  Amédée,  dans  le  Imt 
de  concentrer  les  troupes,  et  de  faire  les  derniers  préparatifs. 
Quand  le  comte  arriva,  tout  était  prêt;  quinze  galères  aflcn- 
d.iicni  dans  le  port  le  moment  i\e  mettre  â  la  voile,  (^nte 
flotte  de  transport  n'avait  pas  été  facile  à  rassembler  ;  malgré 
les  lettres  les  plus  pressant^^s  du  Saint-Siège,  les  républiques 
de  Gènes  et  de  Venise,  peu  soueieuses  de  fournir  les  navii-es 
nécessaires  à  l'entreprise,  n'avaient  prêté  aucun  concours 
aux  agents  d'Amédéo.  Ceuï-ci  avaieut  dû  s'adresser  diivc- 
tement  aux  armateurs  de  Venise,  de  Gènes  et  de  Marseille 
et  fréter,  aux  dépns  du  comte,  hi  totalité  des  hAtimenta*. 
Six  galères  appartenant  à  des  Vénitiens,  six  galères  génoises 


V.  Guillaume  de  Machaut.  Pvtie  d'Alexandrie,  v.  4602-4. 
c  En  la  galée  dont  jn  vous  conte 


I  Vinj^  cinq  diovaliers  par  conte 
I  A  voit,  que  tous  vous  nommeray.  t 

2.  Datta  {Spcdizîone. ..,  P*  l"y-2*>5)  a  donné  le  compte  du  tn^sorier 
des  guerres  d'Amédée  vi;  les  noms  des  pi-inoipaux  croisés  y  Hgurent. 

3.  Otte  enfant  avait  ]K>nr  ptrrc  tialêas  et  pour  luère  Isabnllp  de 
France.  Klle  fut  dans  la  suite  la  célèbre  ^'aIentine  de  MilaUj  femme 
du  duc  U)ni8  d'Orlc^-ans. 

\ .  Datla  {iSpedizione , . . ,  p.  70-9)  réfute  le  témoignage  d«  Guicheiion 
{//l'gtoire  yén^ahgifjnc  de  Savoie)  qui  place  à  ce  moment  une  cam- 
pagne d' Amédf^e  vi  contre  IMiilippe  d'.Vcliaïe,  campagne  qui  n'eut  lieu 
que  jK)slérienrement. 

5.  L'einj>ereur  l'iiarles  iv  n'avait  pas  tenu  la  promené  faite  à 
l  rlriiin  V  de  jwurvoir  uux  frais  de  transfert  des  secours  envoyés  à 
IVinpiri'  :;rec. 


I 


DEPART  nE   VENISE. 

pt  trois  grands  bMiments  marseillais  avaient  él<^  réunis'.  On 
y  onilKinjua  l'armée  et  on  ia  partagoa  en  trois  escadres.  La 
première,  composée  des  galères  gt^noiscs,  devait  former 
i'avant-ganle  et  jouir  d'une  assez  grande  liberté  d'action;  elle 
était  sous  le  commandement  d'Etienne  de  la  Baume,  nn  des 
serviteurs  les  plus  dévoués  du  comte,  auquel  le  titre  d'aniiral 
eu  chef  de  l'expédition  venail  d'être  donné  par  Amédée'.  La 
siwonde  division,  celle  du  centre,  comprenait  les  navires  vé- 
nitiens; elle  portait  les  seigneurs  de  Savoie  et  leurs  vassaux. 
et  olK^issait  au  prince  et  au  maréchal,  Guillaume  de  Mont- 
mayeur ':  c'était  Tèlite  des  troupes,  et  la  plus  forte  des  trois 
escadres.  Le  seigneur-  tie  Basset,  avec  les  galères  de  Mar- 
seille, commandait  l'arrière-gardo  ;  ])armi  les  éléments  dont 
il  disposait  se  trouvait  la  compagnie  allemande  aux  gages  do 
Oaléas  Visconti. 

Toutes  ces  disposition!*  prises,  Amédêe.  après  un  court 
séjour  à  Venise  consacré  à  visiter  les  églises  les  plus  renom- 
mées et  â  mettre  la  croisade  sous  la  protection  divine,  s'ein- 
hantua  à  Saint  Nicolas  de  Venise,  et  mit  à  la  voile  vers  le 
eOjuin  13ti(i'. 

Le  23  juin,  à  Pola,  la  flotte  complélaît  se»  armements,  el, 


t.  l.c  nombre  des  marins  composant  les  éfiiiipagcs  do  ces  navires 
^Uii  triS  vîirialik';  nous  lo  oormaissons  par  les  comptes  du  trt_^soricr 
de  Savoie  d'atta,  Spuiitzionc  .,  p.  6U-2). 

'1.  Il  <^tait  lils  naturel  d'Iiltienne  u  de  la  Baumo  (Voir  plus  haut, 
p.  lifii.  Kn  I3ô;ï,  il  avait  éU)  onvojM^  en  Aiitrichp  jjour  (•oncltire  une 
alliancr  avec  le  duc  Léopold;  en  IHôy,  il  recevait  d'Amcdï'*»^  v  vingt- 
cinq  livres  de  rente  en  fonds  de  terre  au  village  dAlli^'na.  11  fui 
compris  dans  la  première  promotion  des  chevaliers  du  Collier.  Do 
f'tuur  (l'Orient,  il  força,  de  ronceti  avec  t'iaspard  do  Muntmaycur,  le 
due  de  Milan,  (ialéas  Visconti»  ;'i  lever  le  slè^'c  d'Asti,  et  comlutsit  avec 
tHlion  de  Bruiiswirk  et  Iblet  de  Clialant,  l'avant-pardn  de  l'armée 
aavoisicnne  à  la  journée  dans  laquelle  Auiédéo  vi  hattit  Wm  Milanais 
apn'i  la  levi^e  du  aic^e.  Kn  llW.'t.  il  asKista  au  tniilé  de  paix  entre 
Amêdén  el  l^douanl  de  Iteaujeu.  f^ii  i:i*tU  (8  mail,  il  lit  jtartie  du 
conjM'il  de  tutelle,  nommé  h  la  mort  d'AinZ-diV  vi,  aouti  la  ju-^sidefice 
dn  Honne  de  tiourlMJii.  Il  lesla  en  \'.i'M  et  en  l'i02;  il  avait  t^jKJusé  l-'raii- 
roisc  rie  lliu'în  ((iuieliMrmn.  /fUtoire  tir  Brrsxc  et  fie  fiut/ry,  'A*  p.,  p.  20). 

:i  Seifçneur  de  Villar  Salet  et  de  (lysans  au  pays  de  Vaud^  un 
des  serviteurs  l»w  plu»  dt^voués  d'AnM''il(''e  vi.  N  mourut  vers  l.'IHS. 

4.  iJatta,  Speiiiziotie...,  p.  79-8«>.  \oui>  ne  savouR  pits  la  date  pr^- 
ci«'  de  la  levi^e  de  raiicre;  elle  est  iw!it)''rieure  au  19  juin  et  antérieure 
au  2î  ;  ce  jour-là  la  flotte  était  devant  Pola. 


150 


CROISADE    D  AMKDKE    VI. 


côtoyant  les  côtes  rio  Dahnatic  arrivait  à  Ragitse  lo  l""^  juillri. 
Les  Itabitants,  tant  par  crainte  des  Sarrasins  dont  ils  avaient 
à  redouter  le  daiigerenx  vaisinagi'  en  Grèce,  que  ronime  par- 
tisans do  Louis  de  Hon^^ie,  iillié  du  cnmte  de  Savoie,  tirent  anx 
croisé»  un  acriieil  cordial.  En  quittant  Fiasse,  Aniédêe  touclia 
à  Corfou  (G  juillet)  et  à  Modnn  M7  juillet*.  Le  surlondeinain, 
il  était  à  Coron  (19  juillet). 

La  guerre  désolait  alors  les  environs  de  la  colonie  véni- 
tienne et  menaçait  tnême  de  l'atteindre  :  rarelievêque  de 
Fatras,  Angelo  Aoeiajuoli,  et  rinipéralrice  Marie  de  Bourbon, 
mère  et  tutrice  d'Hugrucs  do  Lusignan,  se  dispubûent  ta 
Morée.  Le  premier  veiiriit  de  nieltre  le  sièj^e  devant  /onr-hio. 
une  dos  meilleures  placer  de  rimpératrice,  qui  en  avait 
confié  la  défense  à  Guillainno  de  Talay,  cliâtelain  de  Cala- 
niaLi.  rfdui-fi  se  liAla  d'implorer  et  d'olnenir  l'inter- 
veulirjn  d'Aiin''dée.  Quelques  jouis  sutïireiit  pour  iueru>r  à 
bien  les  négociations.  Amédée  disposait,  en  effet,  de  forces 
assez  redoutables  pour  imposer  f;ieilenient  sa  volonté  aux 
belligérants;  \{\  '21  juillet,  sa  méilialion  accomplie.  Il  conti- 
miait  sa  route,  passait  à  l'ilo  de  Saint  Oeorj^es  d'Albora ', 
visitait  le  cap  Suuiurn  et  les  colonnes  du  temple  de  Minerve, 
et  ari'ivaît  à  Négrepont  le  2  aot'it  *. 

La  position  <le  l'Eubée,  le  loiig  do  la  côte  de  la  Grèce,  avec 
un  port  spacieux  et  sur,  offrail  un  point  do  uoncenfr'ation 
dont  les  avantaj^es  n'avaient  pa,s  échappé  aux  Vénitiens;  ils 
avaient  occujiè  Négrepont,  et  eu  avaient  fait  un  do  U^uv^ 
principaux  établissements  dans  la  mer  Egée.  CVst  là,  eu 
réalité,  qu'Amédée  commenta  la  campagne  ;  après  quelques 
jours  de  repos,  la  prise  de  Gallipoli  fut  résolue  et  l'exécu- 
tion de  ce  dessein  c(mfiée  à  une  es<;a(lre  sous  les  ordre-i  du 
maréchal  Gaspai'd  de  Montmavem*. 

Il  est  superflu  iTinsIster  sur  la  valeur  stratégique  de» 
Gallipiïli  ;  la  pla<e,  sur  la  rive  eiu'opéeune  de  la  Tun|uie, 
commandait  le  détroit  des  DîU'danelles  et  par  suite  Conslan- 
tiuople  ;  sa  prise  était  le  prélude  obligé  de  tfuite  campagne 


1.  ï.eji  Itjiliens  appellent  ce  lieu  Cajtrlh  tfi  cardinale;  c'est  au- 
jounl'hui  Ilelbina,  n  I  entrée  ilu  {ruITe  d'Kgini*. 

2.  ]h\Uii,  S ped h ione.,.,  p.  S^-*yi\  —  C.hrtmùfues  de  >'aï'»iyr  dans 
MoMiinitMita  lii>tonif  palpin-,  scrijitorc»  i,  ;Kir>;  —  K.  Uojif,  Ortrr/trn- 
Iniui  im  MiUeiailcr.,.,  vu,  8. 


PRISK    DK    «AI.LIPOU. 


151 


avant  pour  ohjootif  (!<?  secourir  r(?nipiro  <rOrien(.  C'était  un 
|ioiri!  d'appui  solide  pour  dos  o[K'ratiftns  ultèrinurcs  et  un 
refuge  assuré  en  cas  d'échec.  Amêdéo,  comprenant  l'impor- 
tance de  cette  position,  ordonna  à  Muntmayeur  de  faire  voile 
vers  Oallipoli  (15  aoiVj;  lui-même  ne  larda  pas  à  n^joindro 
«on  lieutenant  avec  lo  reste  do  ses  forces*.  Lt;  17.  l'armée 
^tftil  en  vue  de  la  place  et  mettait  le  siê^e  devant  la  ville. 
Nous  manquons  de  détails  sur  la  marche  des  <»pHrations 
militaires,  mais  il  va  tout  lieu  de  croire  iiuVIles  n'offrirent 
pas  do  grandes  ditfiçuUf''s»  puisque  In  ?3  août  Gallipoli  obéis- 
sait à  un  capitaine,  Ayinon  Michel ',  nommé  par  le  comte  de 
Savoie.  Cependant  \a.  place  ne  se  roudiL  pas  sans  résistance; 
il  fallut  saper  les  murs,  et  entr<M*dans  Cmllipoli  par  la  brèche. 
Uich.ard  Mnsard,  un  chevalier  anglais,  qui  pi>rtait  la  bannière 
ilc  Savoie,  se  signala  à  l'assaut  ;  plusieurs  des  compagnons 
d'Amêdée  payèrent  letir  courag(i  de  leur  vie.  Rolland  de 
Vaissy,  le  seigneur  de  Saint  Amour",  Jean  de  Verdoii, 
(iirand  le  Maréehal  n-.stèrçnt  parmi  les  tnorts,  et  furent 
tï-ansportés  à  Péra  pour  y  être  ens<îvcUs  avec  les  honneurs 
dus  à  leui'  vaillante  conduite  *. 

En  quittant  Gallipoli.  le  ciniile  avait  pourvu  à  la  conser- 
vation de  s;i  conquête,  en  unmmant  Aymoii  Michel,  capitaine 
de  la  citadelle,  e(  Jacques  de  Lucerne,  gouverneur  de  la 
ville ';  la  garnison,  laissée  par  lui  snus  leurs  urdi"es,  se  com- 
posait d'une  partie  des  soudoyers  allemands  levés  par  Oaléas 
Visconti,  au  nombre  de  deux  cents  hommes  environ,  tant 
g(*nK  de  pied  qu'aivliers,  arbaléti'ici-s  et  vaUfts*.  Tranquille 
de  ce  côté,  Aniédêe  poursuivit  sa  route  vers  Constanlinopio, 


1 .  Dalta,  Spcdisione,  < , ,  p.  92-«,  Am<^dée  était  déjà  devant  Gallipoli 
le  3:1  ani'it. 

S.  Probablt'mnnt  de  )a  famille  vénitiennf^  des  MichieH  (Datta,  Spe- 
dizitmr. . .,  p.  102). 

a.   Voir  plus  haut,  p.  l'ifî,  les  délriils  donnés  sur  cpm  pensunnageH. 

4.  iMlta,  Sftfiti^itmi^. . .%  p.  98-UH  ;  —  Chronique»  tU  Satuye  (Mon. 
hUt.  pntr.,  KrriplorPK  i,  iJOS-S). 

5.  i'atia  fait  ol)sprver  [Spedhione.  ..^  p.  102)  que  Ciuichmoii  dntiB 
*on  /fixioire  t/i^ttt'titnffitjHC  a,  par  erreur,  écrit  qu'.^modée  •  y  niitiHiur 
gu'iv*»nïrtirs  Mit'hiiilln  lu  Poype  do  Saint  Siilpis  el  Tr*evoriicy,  • 

fi.  rrltn  L'arnisiin  i-o'ii|itait  f[iKUrr-vJii^l-Iiuil  fanta.s^ins  (AnV/rturf»/, 
diJtil  Ircnlr-liiiil  uvaitMil  rtiacnn  un  valrl;  si'i/f  i*<>Miii'IaL)l^s  (*'wM»r«- 
tnhitfH)  les  rumtnnndaipril.  Kilo  avait  viii(.'t-liuit  ftrl>alétriers  ut  tjua- 
rarite-quatrc  un'ltcr»  iDaHa,  Sjtedizione., .,  p.  \\)'S]. 


15; 


CROISA.DE  DAMEDEE  VI. 


et,  malgré  une  tompôte  f^iui  assaillit  sa  floIU-,  dôlianpu  rlaii* 
les  premiers  jours  de  septembre  dans  ta  capiulo  de  l'empiro 
d'Orient  V. 


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f)n 


Uiniinopit?  (.'laii  iiaiis  la  coi 
pn'iidri'  f[iie  l'einponMir,  parli  dans  h-  courant  dti  l'èk'  ptmr  la 
cour  du  roi  de  Hongrie,  avait  été  arrêté  par  Sisman,  roi  de  la 
Bulgarie  centrale,  et  retenu  prisonnier'.  Ce  second  voyage 
de  Jean  Paléologue  se  ratl.uliail  au  mémo  objet  quo  relui  do. 
l'annéo  précédente;  il  s'agissait  d'arrêter  li»s  baw^s  de  la 
réunion  des  «leux  églises  grecque  et  romaine,  sans  laquello 
aucun  secours  n'était  à  espérer  des  Hongrois.  L'emiiureur, 
par  crainte  des  pirates  turcs,  avait  préféra  à  la  voie  de 
luer  la  roat<>  de  terre  â  travers  la  Bulgarie.  Sisman,  pré- 
venu du  passage  de  l'enipereur,  l'avait  emprisonné  â  \Vid- 
din  ;  binn  que  n'ayant  jamais  élé  on  gunrre  avec  l'empire,  il 
s'était  rappelé  les  <lélaiLes  que  les  Hongrois  et  les  Oroes 
avaient  intligées  à  son  père,  et  ce  souvenir  avait  sufH 
pnnr  légitimer  k  ses  yeux  l'arrestation  de  !*aléidogue.  Ccltti 
nouvelle  avai)  soulevé  une  émotion  générale  à  Constanti- 
nople.  Ainédée  fut  accueilli  comme  un  libérateur.  L'impé- 
ratrice l(^  supplia  de  délivrer  son  mari  \  Unn  par(Mlle  r(»qu(?|{* 
ne  pouvait  être  refusée.  Le  promior  secours  â  donner  à 
Paléologue  n'était-il  pas  de  TaîTacher  des  mains  des  Bul- 
gares ?  Le  mois  rl»>  septembre  fut  consacré  aux  préparatifs 
de  l'expédition.  L'impératiice  y  contribua  pour  douze  milli^ 
hyperpéres  d'or,  et  équipa  deux  galères  ;  les  habitants  de  Pêra 
niin-nt  égalemeni  deux  bàiiincnts  à  la  disposition  d'Amédée, 
i'(  uti  cinquième  navire  fui  armé  â  Péra  aux  frais  du  cnmtc  *. 
Olui'Ci,  cependant,  à  la  première  nouvelle  de  révénemeni, 
avait  fait  partir  sur  une  galère  gémiise  les  seigneurs  d'Ur- 
tiéres'et  tle  Fromentes.  avec  mission  de  faire  vtdie  vers  la 


).  Datta,  SpeJizione...,  p.  105; —  Chroniqua  de  .Sftvot/e  (Mon. 
Iiisl,  patr.,  script,  i,  310). 

2.  D'dUB,  Spedizwne. . .,  p.  1 12,  se  trompe  en  attribuant  h.  Srasci- 
nnV  riiiTt'staliuii  Jo  IVmpereur  d'Orient, 

3.  Itatta,  .S/ie(/iiiV>»e. ...  p.  IOti-12.  Hion  que  les  historien»  byzan- 
tins o'aitMit  pas  parlé  de  la  captiviti'*  île  Jean  l'aliî'olojriie.  le  fait  est 
alwuturuent  (lêniontn>  par  les  ducuincnts  concernant  la  crulnado 
(r.\rnè(bV  vi  puhbV's  par  Dntta. 

'».   OaUn^  Sftniizione. . .,  ji.  1 17-20. 

5.  Doubs,  arr.  de  Slontbéliard,  ranton  de  Maiche. 


CAMPAGNE  SFR  LA  cAtE  BULGARE. 


153 


mer  Noiro,  de  remonter  le  Danube  jusqu'à  Wiildifi  et  do  dé- 
livrer l'empereur.  Devaient-ils  tenter  une  surprise  ou  chercher 
par  voie  diplomatique  â  obtenir  rêlargissemeut  du  prisonnier^ 
Ia's  dociiuients  sont  muets  sur  ce  point.  La  galère  génoise, 
surprise  par  le  gros  temps  dans  le  Bosphore,  fut  obligée  do 
ndàrher  fjurdques  jours  ilans  le  pnrf  Hu  Girol  ',  et  de  revenir 
à  Coustanïinople  sans  avoir  pu  enirer  dans  la  mer  Noire. 

L'échec  de  cett^i  tentative  hàla  l'acconiplissemeut  des  der- 
niers prêpanitifs.  Ainédée,  dès  les  premier:^  jours  d'octobny. 
qnittii  (^>n.stantinople  avec  sa  Hotte,  laissant  à  Gaspanl  de 
Montraayeur,  avec  un  corps  de  troupes,  le  soin  do  défendre 
la  ville  contre  les  attaques  des  Tnn-s.  Le  6,  il  était  au  port 
de  Lorfenal  '  dans  le  Dosphnre.  el,  api'ès  èlre  entré  dans  la 
mer  Noire,  remontait  la  eAto  de  Hid^'arie  en  se  dirigeant  an 
nord  vers  les  bouc]n^s  du  Danube.  Les  ChrtHietis,  arri\és  le  17 
il»»vant  SisupoU ',  s<»umellai4ïnt  sijccrssivenient  coid;  jiluce, 
Maiichopoli*,  la  ville  et  le  port  do  Scaiida^  «  ort  eslovent 
<  pluseurs  naves  lurquoyses.  lesquelles  en  roniliatlant  il/,  peri- 
«  rentet  parfunderent  ».  Il  ne  senibU*  pas  (|iir  jusque-là. Vnirdéo 
ait  rencimtré  une  résistance  sérieuse  ;  il  n'en  fut  pas  de  mémo 
devant  Meseiubria,  cité  maritime  assez  importante  pour  né- 


1 ,  I^ij  d(x!iminn*K  de  i(i  croisade  d'Amèdée  donnent  I&  forme  Giroul; 
il  s'agit  du  Girot,  ville  dont  ii  e.st  question  à  I'()rt.'a.sion  de  la  eampa^iic 
du  maréchal  HoiieicAiif  aiitoup  de  (!oni*ianlinoplc  en  lîjyy.  .\u  muyen 
à|»ifr,  les  bouelics  du  Hos]iliore,  vers  le  Pont  Kuxin.  portaient  le  nom 
do  T:ôra  toû  'Ai^y^oi,  et  en  italien  l'elui  de  Hocca  de  Argii'o.  (Gîte 
dernière  forme,  dêlipiivo  en  ftoffa  di  Giru,  a  donné  naissanec  à 
(liront  et  à  (iiroi  pour  dè.sl|K'ner  un  des  iminis  ]>rineipaux  du  passa^çe 
de  la  ï^rojwntide  dims  la  nier  .Nuire.  —  Uor;rer  de  Xivry  prujiosu 
d'identifier  le  (iirol  aver  la  ville  d'Ilirron  {Sîfhnoire  sur  fi  via  et  Its 
ouvratffs  dt  Vempereur  Manuei  l'ah'otutjue,  dans  les  Mlmi.  de  l'Acad. 
de*  ïnacr,  IH5:».  xix.  n.  itli. 

2,  M  phI  probable  qu'il  faut  lire  VArsfnal,  et  que  cette  d^^si^nation  se 
rapporte  à  une  place  sur  le  Hosiihort*  servant  darsenal  aux  lïyxantin». 

3,  SoïopoJis  des  Grecs,  appelée  Si7.u|K>Iis  par  les  Occidentaux;  elle 
c»t  dilui^e  pp'fc  de  la  haie  do  Hurlas. 

1  l'nihahlement  .Macnipolis,  au  nord  do  Mesembria.  L'auteur  des 
Chroninntt  rfr  Savoyç  (Monum.  hiM.  pair.,  script.,  i,  :UO)asj(igne  k  la 
prie*  de  ce»  villes  un  or*dre  qui,  s'il  est  exact,  iiidiqur  que  le*  Thr^- 
ti*»ïw  ne  s'artlreiiLcnireut  pas  dans  leuri  opérations  à  conquérir  ce« 
plai*r»  en  suivant  la  direction  sud-nord. 

5.  Au  fiMid  du  golfe  de  Iturgasi  au  nord  do  Siâopuli  ot  au  &ud  do 
Mraenibria. 


CROISADE    I>  AMKDKK    VI. 

cesfiiler  un  investissement  régulier.  L'armée  chrétienne  fut 
divisée  en  trois  corps  ;  «  au  jun^miorassauli  furent  les  seigneurs 
«  de  Basset  et  de  l'Esparre,  qui  requirent  eslre  aver  eulz  uies- 
«  siro  Gutliiaintte  de  Uransson  et  mejssire  Jehaii  de  Groléic  >  ; 
le  second,  coniiuandi'^  par  le  roralo  avec  les  seigneurs  do 
Genève,  de  (Miâlons,  d'Urtières,  de  Clenuont.  comprenait  les 
runiingents  savoisiens,  bourguigiK^ns  et  dauphinois  ;  les  ga- 
lères, sons  les  ordres  du  seigneur  de  Mitvlène'.  forniaieut  le 
troisième  et  bloquaient  la  plaee  par  mer.  La  citad4.dle,  qui 
commandait  le  port,  fut  enlevée  de  vive  force,  la  ville  soumise 
â  une  eonLribulion  de  guerre,  et  le  château  occupé  par  un 
corps  d«  truupês  sous  les  ordres  de  Berliou  de  Forax  et  do 
Guillaume  de  Chalamont  ^'22  octobre)'. 

Après  Mesenibria,  les  châteaux  iTAxillu  et  de  l^mona, 
lomlit's  au  pouvoir  des  croisés,  durent  payer  une  taille  aux 
vainqueurs  et  recevoir  garnisïon.  Pierre  Vihodi  fut  nommé 
capitaine  du  premier,  et  Antoine  de  Champagne,  bàtarfl  de 
Savoie,  capitaine  du  second'. 

C'est  à  ce  moment  qu'une  partie  dos  chevaliers,  mécontent© 
de  n'avoir  pas  fii  encfU'c,  depuis  le  début  de  la  campagne, 
Toccasion  de  déployer  sa  valeur,  contj-ut  le  dessein  de  tenter 
un  coup  de  main  sur  le  château  rie  Colocastro;  mais  la  sur- 
prise échoua  et  cuùta  aux  riirétiens  la  mort  de  cinq  chi'valiers 
et  tle  dix  écuyers.  l'our  U's  venger,  le  comte  attaqua  la  place 
avec  des  forces  suffisantes,  la  prit  d'assaut,  tailla  les  habi- 
tants en  pièces,  i*t  contîa  la  garde  de  la  villi>  aux  gens  do 
renipiMciir  iU*  Grèce  *. 

Le  '^U  octobre,  la  (loi le  était  devant  Vai'na,  une  des  villes 
les  plus  importantes  de  la  lîulgarie.  L'assaut  ayant  été  ru- 


1 .  François  fiattiUisio,  seigneur  de  LcstMg. 

2.  Vuir  sur  ce  personnage  plus  haut,  p.  l'iG. 

3.  DaUa.  Spefii:ionf. . . ,  p.  127-8.  —  Chrnnifiupx  tir  Sarot/e,  p.  31 1- 
13.  —  Axtllo.  appeU^  aussi  Anxinius,  Arht^toux,  LnsniUu,  /.cxgi/lu^  e^-t 
située  sur  la  cùte  do  HnlKai'ic»  un  peu  an  sud  de  Mosoiubria.  tandis 
que  Lomona  {Lytneno,  Emmona.  Cavo  tii  Lrmann)  est  au  nord  de 
nette  ville.  Lemona  fut  imiHisée  à  mille  cinq  cents  hyperpêres,  Axillo 
à  une  taxe  plus  forte,  dont  deux  mille  sept  cent  vinpt-qiiatre  hj'per- 
pt»refi  furent  seules  payées.  Los  ','Ar"HiV/up«  de  Sani'jç  jiliïreii»  la 
prise  de  Lemona  pendant  liiiaeliomle  rarnuHMirvanl  V:trii!i;  il  M'nihle 
peu  vraisemblable  que  la  place  ait  été  cunr|uise  â  un  muaient  où  il  y 
Avait  snttpension  d'armes. 

't.  fyironiifttes  (if  Savoi/e,  p.  313-4. 


AHMISTICB    KT   NKfîiK'IATIONS- 


155 


ronnii  impraticable,  |pstrou|mHdéharqnèrpn(  ptcnmmoncprent 
lo  sii'go  s(Uis  la  ilireotion  «l'Amérlép.  Kn  niômo  tcinpSi  't^'an  do 
Virnn(ï  et  Gui  11, tu  ru*!  ilo  Grans'>n  ftrilraient  en  pourparlfTs  avec 
k»s  Imbitaiits  :  ceux-ci  conseiiUiicul  à  approvisionner  l'armée 
chrétienne  de  vivres  et  à  députer  douze  des  leurs  vers  le  roi 
de  Buljîarie  pour  l'engager  à  trailer  avee  le  comte,  â  condition 
que  n»  dernier  n'atïaciuàt  pas  Varna  avant  le  retour  de  la  dé- 
pulatioii  itul^mre.  La  Bulgarie  veiiail  de  soutenir  contre  les 
Hongrois  une  campagne  inallieureu.so;  Sisnian.  très  effrayé 
des  progrés  des  Chrétiens',  reçut  à  Andrlnople  les  parle- 
mentaires envoyés  de  Varna;  il  se  hâta  de  faire  droit  à  leur 
requête  et  de  faire  partir  pour  Varna  un  plénipotenliairt*. 
chargé  de  demander  la  suspension  des  hostilités  et  l'ouverture 
de  conférences  de  paix.  Ainédée  n'eut  garde  <ie  ivpousser  ces 
avances,  mais  ÎI  les  subordonna  à  la  mise  en  liberté  de  Païéo- 
|M<riie,  faisant  de  cette  condition  la  base  indispensable  des 
négociations  ultérieures.  En  même  temps,  il  envoyait  au  devant 
de  l'emjiereur  un  de  ses  agents  ;  mais  celui-ci,  arrêté  pif  sijue 
aux  portes  de  Varna,  à  raliaira*,  ne  parvenait  pas  jusqu'au 
pns(»niiier,  et  attendait  vainement  pendant  prés  d'un  mois 
rarriv<>e  de  Paléologue. 

Lrs  p<mrparb»rs,  cependant,  n'étaient  pas  rouipns;  partis 
de  Varna  lo  29  octobre  sous  la  conduite  du  patriarchi?  cuth»»- 
liqiie  de  Constantiimplc.  Ips  plênipDtenliaires  du  comtr  de 
Savoie  séjounièreui  pendant  t<tul  le  iiiifis  de  décembre  à 
Trêve,  lieu  choisi  |K)ur  les  conférences  '.  Les  négociations 
portaient  surtmis  piuuts  ;  la  délivrance  de  rempereiir.  celle 
des  prisonniers  faits  par  los  Bulgares  pendant  b's  hostilités,  et 
la  restitution  (les  villes  uccupé»»s  par  Amédée.  Le  premier 
|v»int  fut  aceiirdé  sans  ditliculté,  et  le  "2\  décembre  Paléologne 
était  libre;  il  en  fut  de  même  du  second  ;  mais,  quand  il  fut 
que^stion  de  l'exécutvr.  le  mi  de  Bnlj/urie  til  preuve  de  la 
plus  iusigne  mauvaise  foi,   et  refusa  de  délivrer  les  prison- 


1.  Voir  pins  hmtt,  p.  t^;t. 

2.  Aujourd'hui  Kah'fikra  sur  la  cMo,  h  pou  ilo  disranrc  et  an  nun\ 
de  Vftrnn. 

a.  [)ftttn.  Sftfitiiiniir.  ,  ..  p.  I;ï0.2;  —  Chrnni'tfnnt  tir  Sai^fit/r,  \t.  'M'». 
Ttvxo  t\v>.Vf:ur  prohahjpinoht  'lirtniva  Kiir  In  Jiinirii,  ;i  rui-rlirmin  «In 
\  ariiQ  à  Witidiii.  Lrs  |iIt^iiip*itontiaire.'>  d'\iii*''ib'r  rtnirnt,  imlro  le 
patriarobr*.  flicf  de  In  mission,  le  soij-'npur  do  Kronientos,  Adalbort  do 
{toh^me,  l'itiiot  Keriny  et  (!nl>ri«*l  Hibîia. 


156 


CHUISADK    I)  AMEOEK   YI, 


niors;  coux-ci,  malgré  los  efforts  de  reinporeur,  diiront  payer 
ranron  pour  l'ecouvrer  leur  lilifrli^'.  Il  fut  eulin  stipulé  que 
Varna  resteraitau  pouvoir  des  liulgares,  mais  queMosouïbria 
appartiendrait  ati  comte  de  Savoie.  Aniédée,  satisfait  d'avoir 
mené  à  bonne  Hu  la  délivrance  de  l'enipereur.  se  hâta  do 
lever  le  siège  de  Varna  (21  défeinbro»)  et  d'alteindre  Mesem- 
bria  (20  déceuibro',  oCi  il  alteudit  le  retour  de  Paléologue. 
Les  deux  princes  réunis  rej^agnèrent  Sisopoli  et  y  séjour- 
nèreni  jdus  d<*  deux  mois  (0  janvier-20  mars)  occupés  «le  né- 
gociations qui,  selon  toute  vraisemblance,  avaient  pour  objet 
la  cession  de  Mesenibria  à  l'empire  grec  ;  cett©  ville,  en 
efffi,  qu'Amédée  ne  pouvait  songer  à  conserver,  fut  remise  à 
reitqiereur  le  9  mars,  moyennant  ime  somme  de  quinze  nùllo 
florins  à  payer  au  comte  do  Savoie",  et  quelques  joui's  après 
ce  dernier  quittait  Sisopoli,  louchait  au  port  de  Ix»rfenal 
(G  avril)  ilans  le  Hospbon»,  et  l'eulrail  à  Constanlinople,  ra- 
menant Jean  Paléologuo  délivré. 

hv  n'tnur  d('  l'expédition  victorieuse  fui  acçut^illi  à  Cons- 
tantiuoide  par  d<^s  apjdaudissenients  uiiivtTseU.  Amédé*.i,  tout 
en  ,se  félicitant  de  l'avoir  entreprise,  puisqu'elle  avait  réussi 
et  qu'elle  faisait  disparaître  un  des  ombaiTas  au  milieu  des- 
quels se  déballait  l'enqjire  d'Orient,  commençait  à  s'aper- 
cevoir que  PaKV)logue  ne  témoignait  pas  à  un  parent  et  à  lui 
libérateur  les  stMilinients  et  la  reconnaissance  qu'il  était  en 
droit  d'attendre,  et  ne  faisait  rien  pour  le  seconder.  11  ,se 
souvint  alors  tjuil  avait  juré  la  crnis.ide  contre  les  Tuixs,  et 
qui*,  depuis  son  arrivée  â  Constanlinople,  il  avait  pei*du  de 
vue  les  Musulmans  pour  comfiallro  les  Bulgares.  Deux  mois 
lui  restaient  encore  avant  l'i^xpii-afion  de  rengagenietèl  de  ses 
troupes;  il  rr-sobit  de  les  employer  â  attaijUiT  les  Turcs.  Le 
succès  remporlé  à  Gallipolî  présageait  de  nouvtdles  victoires; 
il  fallait,  pour  sauver  l'empire,  retarder  par  quelque  coup  do 


1.  Ces  prisonnier-i  étaient;  Antonino  Viscontî,  détenu  â  Aquila 
(Aeiog,  AÏtox,  AUfvs,  près  ilo  Sisopoli),  Guy  ds  Pontarlicr,  marérïial 
de  H4)urp>^rie.  Bandi^ruere  et  Poypi,  'jui.  pris  autour  tic  Varna,  furent 
roiuluitsâ  Pmvat  [i^rohnlon,  /Voiw/,  Owc,  dans  riritèricur  des  terre», 
au  ntird-uueHl  de  Varna). 

2.  Dalla,  Spediiiotxe. . ..  p.  133-5;  —  Chroniques  de  Savojfe^  p.  'MK. 

3.  Sur  ceun  somme  Paléologue  ne  paya  que  onze  mille  vingt-huit 
hyper|H>res,  liinn  qu'ayant  perçu  des  liahilaiits  de  Mescml)ria,  imjiohéiî 
de  ce  clief^  une  tjominc  supérieure  (Datta,  Sprdizione. , .  p.  ii5-6). 


J 


CONSÉqUESCES  ÎîK   1.A   CROISADE.  157 

niaiu  heureux  les  progrès  trop  rapides  de  la  puissance  otto- 
mane sur  les  rives  île  la  Proponiide.  En  exécution  do  ce  des- 
wrid,  Araédéo  enleva  (I  i  uiîii]  de  vive  force  deux  châteaux 
lurcs,  ceux  d'Eueacassîa  et  de  Colovevro  '  ;  à  la  prise  du  pre- 
mier les  matelots  et  les  fantassins  sedislinguèrenf  en  meitîint 
le  feu  à  une  t<iur  qui  formait*  la  principale  défense  de  la 
place,  et  en  y  plantant  l'étendard  de  Savoie;  le  second  tomba 
iiux  mains  des  tu'oisês  malgré  la  valeur  de  l'ennemi  et  fut 
livré  aux  tiammes  *  par  les  vainqueurs. 

Celte  double  victuii'e  mit  finaux  opérations  militaires;  les 
troupes  étaient  au  ternie  de  leur  engagement,  et  Amédée,  qui 
avait  supporté  seul  tous  les  frais  de  la  croisade,  n'avait  pas 
d'argejit  pom*  le  renouveler.  La  fin  du  mois  de  mai  fut  con- 
sîicrée  au  licenciement  de  l'armée;  le  comte  dut  emprunter 
aux  babitiint.s  de  Péra  et  à  l'empereur  des  sommes  considè- 
rïililes  pour  payer  la  solde  arriérée  Quand  tout  fut  liquidé,  il 
quitta  Constaniinople  ('i  juin  I3G7),  et  passant  par  Négrepont, 
Coron,  Modnn  et  les  ciHes  de  Dalmatie  et  dlllyrie,  regagna 
Whise  f3l  juillet  IHti7j.  Après  un  séjour  île  six  se-niainesdans 
l'i'tte  ville  (H  sepl<*mbrej,  il  se  mit  en  mute  pour  Rome  dans 
le  but  de  rendre  compte  au  pape  des  i*ésultats  de  la  croisade'. 

A  tout  prendre,  l'expédition  d'Amédée  avait  pleinement 
rétissi  ;  les  résultats  obtenus,  eu  égard  aux  forces  mises  sur 
pied,  dépassaient  de  beaucoup  ceux  qu'on  était  en  droit  d'es- 
pérer. Un  concours  de  circonstances  exceptionm*llenieut 
heureuses  avait  permis  au  comte  de  Savoie  de  s'iTiijiaii'r 
d'une  place  de  premier  ordre  commo  Gallipoli,  et  d'obtenir 
par  une  simple  démunsiralion  marilitnc  dirigée  sur  la  Cflte 
de  iJulgario,  la  <lélivrance  de  l'empereur.  Nul  doute  que  si, 
du  côté  de  la  Hongrie,  les  Bulgare»  n'avaient  pas  essuyé  de 
sérieux  échecs,  une  oxpédiUon  dans  l'intériem'  du  pays  eilt 
été  néce.ssalre  et  eiH  entraîné  des  dillicuités  insurmontables. 
Mais,  ik  uu  auti-e  point  de  vue,  les  succès  des  croisés  devaient 
ri'»t4?r  s&n»  effet.   Rentrant  dans   leur  patrie  à  la  fin   de  la 


t.  Il  e^l  difllcile  d'identifier  la  localité  ù  laquelle  correspond  le 
nom  d'Kueacîissia.  Wèa  certainement  Ut-tiguré;  Oloveyro  réjwnd  prti- 
bnblement  à  la  forme  grecipic  KocXo^spo;,  et  dé&ignu  un  monuitlûre 
d'Iiotnmes. 

3.   \*nVii,  SfH'di^tone. ..,  p.  l'il-U. 

3,  Datta,  iS/Wij/on/*. ..,  p.  I'i7-G3,  passim. 


158  CROISADE   d'aMKDÉE   VI. 

campagne,  sans  espoir  de  reprendre  jamais  les  armes,  ils 
abandonnaient  aux  Grecs  des  conquêtes  que  ces  derniers 
étaient  impuissants  à  défendre.  Dans  ces  conditions,  quels 
résultats  espérer  d'une  croisade  isolée?  Comment  se  flatter 
qu'elle  pûtexercer  une  influence  durable  sur  Tensemble  des  évé- 
neuK^ts  qui  se  déroulaient  en  Orient?  Le  comte  de  Savoie 
avait  gaspillé,  en  pure  perte,  ses  flnances,  la  bonne  volonté 
et  le  sang  de  ses  sujets  ;  ne  savait-il  pas,  en  quittant  Cons- 
tantinople,  que  les  Turcs  n'attendaient  que  son  départ  pour 
riîprcndre  leur  marche,  un  instant  arrêtée,  certains  que  rien 
ne  l'entraverait  désormais?  Autant  les  expéditions  de  Pierre 
de  Lusignan  pouvaient  avoir  pour  la  Terre  Sainte,  que  l'Occi- 
dent cherchait  à  reconquérir,  des  conséquences  capitales, 
autant  l'enti'oprise  d'Amédée  devait,  malgré  le  succès  des 
armes  chrétiennes,  rester  stérile  et  improductive. 


La  papauté  n'avait  coasé,  pendant  le  xiv^  siècle,  d'exhorter 

1rs  puissancra  chrt'titMnics  ;'i  scctuirir  l'Orient  meiiaci',  ci  su 
voix  trouvait  chaque  jour  moins  d'êclio.  Après  la  croisade 
(l'Amédée  de  Savoie,  l'ère  des  oxp^Hlilions  armées  semble 
clnso.  En  vain  (in^goire  \i  (137?;  s"efforce-t-il  de  gronper  les 
nations  occïdenUiles  en  vue  d'une  action  commune  dans  le 
Levant.  Il  se  heurte  à  un  obstacle  nouveau;  si  ses  prédé- 
cesseurs avaient  eu  à  compter  avec  les  républiques  inarîtiiiips 
de  la  Méditerranée,  dimt  le  commerce  était  hos(ib?  à  UmUi 
uiturventiun  en  Asie  Mineure  ou  en  Kjryptr,  lui-même  se 
trouvait,  dans  1p  même  nrdre  d'idées,  en  présence  nnii  plus 
d'intérêts  k  sauvegarder,  niais  de  stipulations  à  respecter. 
Les  habitants  de  Péra  avaient  conclu  avec  les  Ottomans  un 
tniité  régulier,  et  refusaient  de  le  rompre  pour  entrer  dans  la 
ligue  i*évée  par  iv.  pontife.  A  leur  exemple,  chacune  des  puis- 
sances qui  commerçaient  avec  l'Orient,  avait,  entre  1380  et 
i3il(l  enviivin,  obtenu  du  sultan  des  conventions  particulières. 
Dès  I38'2,  Gènes  était  assez  fortement  liée  avec  les  Turcs 
pi»ur  les  excepter  d'une  alliance  offensive  et  défensive 
conclue  par  elle  avec  l'empereur  d'Oriont  ;  en  1387  (8  juin), 
elle  liguait  avec  eux  un  Irailé  de  commerce.  Dans  cette  voie 
Venise  n'était  pas  restée  en  arrière;  elle  avait,  dés  1368, 
enUimé  avec  les  Turcs  des  négociations  relatives  à  la  cession 
du  port  deScutari,  et  avaitrepris  ce  projet  eu  I38ij  en  même 
temps  qu'elle  se  préoccupait  des  tarifs  à  imposer  aux  mar- 
chandises vénitiennes  dans  les  ports  ottomans'. 


I.   Ileyil,  Oeschichte  des  LevauiehnndelXf  ii,  33λ-GU. 


Ifii) 


En  ET  BOrcICAlTT  EN  PALESTLVE. 


Cette  situation  nouvelle  paralysait  les  efforts  du  Saint- 
Siège.  Il  fallut  rpndnfpp  à  tout  espoir  de  croisade  ;  l'ninour 
(k*^  aventures  rt  l'enthousiasme,  à  la  fois  religieux  cl  i^uerrier, 
qui  animaient  la  société  dans  lu  seconde  moitié  du  xiv**  siècle, 
HP  trouvant  pins  :i  so  donner  carrière  contre  les  infiiléles,  se 
conIctit/*reiit  (i\*xpé(lit.ions  plus  pacititjues;  de  toutes  parts  se 
produisit  un  mouvement  considérable  de  pèlerinages  vers  les 
Lieux  Saints;  chacun  voulut  témoigner  de  sa  foi  en  visitant 
le  t<unbeau  du  Christ,  tout  en  satisfaisant,  par  un  voyage  long 
et  souvent  périlleux,  le  besoin  d'activité  et  d'émotions  vio- 
ItMiles  qu'il  ressentait. 

11  serait  trop  lung  d Vnntnérer  les  personnages  illustres  qui 
accomplirent,  à  la  fin  du  xiv"  siècle,  le  voyage  d'outre-mer. 
Princos,  iioblos,  riches  et  pauvres  avaient  pris  le  bâton  de 
péhîriu  l't  éiiiigraietit  vlts  lignent.  L'Anglel«rre  était  repré- 
sentée en  Palestin**  par  HiMiri  do  Lancastre,  comte  de  Derby 
(plus  tard  Henri  iv),  par  le  duc  de  Norfolk  et  par  Thomas  de 
Swinbui-ne,  cli:'i(elaiii  de  Ouines  et  plus  tard  main»  de  Bor- 
(k-aux  ;  rAllcmagJie  par  Henri  de  Ker,  duc  de  Sagan  et  de 
Glogau,  par  le  comte  de  Hi>lionzolleru,  Albert  le  Heau,  par 
Czaslus  IV  ile  Peu/ig.  et  par  Vralislas  ix,  duc  de  Poméranie; 
l'Italie  par  rarchevéquc  de  Gènes,  Pileo  de  Marinis.  par  Jean 
KraïK.ois  de  Gunzague,  seigeur  de  Mantoue,  par  Thomas  lit, 
marijuis  de  Salaces;  le  Portugal,  pai'  Alphonse,  premier  duc 
de  Hragance;  la  France,  par  lus  comtes  d*Eu  et  de  la  Marche, 
jiriiices  du  sang,  par  Ugier  vu  d'Anglure.  par  Jean  le  Vicomte, 
de  Lamballe  en  Bretagne,  et  tant  d'antres  dont  les  noms  ne 
nous  sont  pas  parvenus  '. 

(Vpendant  parmi  les  pèlerins  que  la  France  envoya  en 
Terre  Sainte,  il  en  est  un  sur  lequel  il  importe  d'attirer  sp(S- 
cialement  l'attention  :  c'est  Jnan  ii  le  Mningrc^dit  Houcicaut. 
pins  tard  maivchal  de  Frauc.e  et  gouverneur  de  Gènes,  uut^ 
dos  plus  grandes  figiu'es  de  Hiistoire  de  France  sous  Charles  vi. 
Assurément  dans  la  foule  des  voyageurs  qui  se  succédèrent 
en  Palestine,  il  s'en  trouva  d'uu  rang  plus  élevé  el  d'une  no- 


1.  Arch.  de  l'Oriont  latin,  i,  540;  u,  p.u,  237-49  et  378-88;  —  Arch. 
de\>n!se.  Se».  3/i>/i,  xliv,  f.  GO  {29  août  1398);  —  Le  Voyage  du  ««*- 
ffHcur  dWnglure  (Suc.  des  Anciens  Textes,  1878).  passiui;  —  R.  Kdhricht 
et  H.  Moisnor,  Deutsrhr  Piltjerreixen  nach  rfem  heiïigm  hinde  (lïerlin, 
188U,  p.  4g:-9;. 


l'KKMlKKKS   ANNKKS   DE   BÔlt'iCAn' 


161 


lorièté  plus  universelle  ;  mais  aucun  u'exerça  sur  la  question 
d'Orient  une  inHncnce  plus  considéi*able  que  Boucicaut.  En 
lui  so  personnifient,  pendant  le  règne  de  Charles  vi,  les 
efforts  tentés  pour  anvter  les  progrès  ottomans.  C'est  à  ce 
titre  que  le  pèlerinage  de  Boucicaut  eu  Palestine  a  sa  place 
marquée  dans  le  présent  ouvrage. 

Fils  du  premier  man-chal  Boucieaut,  Jean  n,  né  en  1366 
et  resti*  orphelin  presque  au  Iienean,  avait  été  élevé  parmi 
les  compagnons  d'enfance  du  dauphin  fplus  tard  Charles  vi); 
Jp  séjour  à  la  cour  avait  développé  chez  lui  les  goûts  bel- 
liqueux dont  il  avait  fait  preu\e  de?*  ses  premières  années. 
l**a  guerrii-r  de  race,  il  préférait  les  armes  â  l'étude;  à  peine 
itfSi»  de  douze  ans,  il  obtenait  d'accompagner,  en  qualité  de 
page,  le  duc  de  Bourbon  dans  la  campagne  qui  eut  pour 
nlijectif  d*enlever  aux  Navarrais  (I37G)  les  places  de  Nor- 
mandie. L'année  suivante,  sous  le  même  chef,  il  faisait 
partie  de  l'expédition  qui  rejetait  le  duc  de  Buckingham 
en  Bretagno,  accompagnait  le  mar(V^-hal  de  Sancerre  en 
Ouvenne,  et  assistait  au  siège  de  Montguyon.  Malgré  sa  jeu- 
nesse, l'enfant  avait  hardiment  sujjpnrté  des  fatigues  au-dessus 
de  son  Age,  et  donné  assez  de  preuves  d'une  précoce  valeur 
pour  montrer  qu'il  serait  <  un  homme  de  grand  fait  ».  La 
campagne  de  Flandre  (13H2J  lui  valut,  à  seize  ans,  la  cheva- 
h'rio;  il  conquit  les  éperons  d'or  sur  le  champ  de  bataille  de 
kosbeçque,  et,  la  guerre  terminée,  resta  avec  le  connétable 
de  Clisson  pour  tenir  garnison  à  Térouanne.  Mais  l'inaction 
ne  convenait  pas  à  cette  nattu*e  ardente  et  infatigable  ; 
inoccupé  en  France,  le  jeune  clievalier  Ht  deux  fois  le  voyage 
lie  Prusse,  afin  de  comhattre  les  infidèles  aux  côtés  des  Teu- 
toniqnej*;  en  ns.'i,  il  prit  une  jjart  active  à  la  campagne 
menée  pai*  le  duc  de  Bonrbon  en  Piuyenne  et  aux  sièges  de 
Taillebourg,  Vertcuil  et  Mauléon;  quand  le  duc  retournai 
Paris,  il  ronHu  au  jeune  capitaine  le  cunniandement  du  pays 
conquis.  Toujours  avide  d'aventure;s,  Boncicaut  avait  établi 
sa  n'putation  de  jouteur  en  déliant  successivement  les  cham- 
pions les  plus  renommés:  Sicart  de  la  Barde,  Pierre  de 
Courtenay.  Thomas  de  CiifTord;  partoii*  il  avait  été  vainqueur. 
Eu  Espagne  il  avait  suivi  le  duc  de  Bourbon  au  secours  du  roi 
de  Castille.  menacé  par  l'armée  du  duc  de  Laucastre  (Ï386- 
1387);  ta  tactique  prudente  des  chefs  espagnols,  qui  traî- 
naient .-H  d*!*i>ein  la  gu*'rrc  en  longueur,  avait  lassé  rimpétuosïté 

H 


162  El'   KT   BOUCrCAVT   KN   PAI.ESTÎNK. 

des  Français;  auâ:>i  Boucicaut  el  s&s  comp»gDoa>«  â*étaient-iU 
hâtés,  de 5  que  leur  présence  n'était  plu?  indispensable  dan* 
la  péninsule,  de  rentrer  eu  France.  Mtjins  que  personne,  le 
futur  marèohal  pouvait  supporter  le  repos.  Ennuyé  de  n'avoir 
plus  de  batciilles  à  livrer,  ni  de  coups  d'épée  à  donner,  il 
songea  à  donner  carrière  à  son  activité  en  visitant  rOrient'. 

La  guerre  était  un  besoin  pour  la  noblesse  française,  ha- 
bituée depuis  un  denii-siÀcln  à  no  jamais  déposer  lo  harnois: 
la  vie  paisible  lui  était  inroniims  l'dc  ne  rêvait  (jue  grandes 
<  emprises  »,  chevauchées,  aventures  ou  pillages.  Quand  la 
paix  ou  une  suspension  d'armes  l'obligeait  au  repos,  elle 
cherchait  â  Tètranger  les  combats  dont  elle  était  sevrée  en 
France;  c'est  ainsi  que  l'ordre  Teutonique  vit,  à  maintes 
reprises,  des  chevaliers  français  combattre  les  infidèles  uses 
côtés,  que  les  iMaures  eurent  souvent  pour  adversaires  des 
guerriers  venus  en  Espagne  afin  d'y  déployer  leur  valeur,  et 
que  les  sanctuaires  les  plus  vénérés  de  la  clirétientc^  furent 
visités  par  une  foule  de  plus  en  plus  nombreuse  de  pèlerins. 

Boucicaut  «  grand  désir  avoit  de  visiter  ta  terre  d'outre- 
mer», et  d'imiter  l'exemple  de  son  père,  le  premier  maréchal, 
qui  avait,  avec  Geoffroy  de  Charny  et  Philippe  do  Mézieres, 
accompagné  dans  le  Levant  le  dauphin  d*^  Viennois,  et  qui 
plus  tard,  prisonnier  en  Anj^leterre,  avait  obtenu  du  roi 
Edouard  m,  pour  lui  et  douze  chevaliei-s.  un  sauf-conduit 
atin  d'aller  au  pMerinage  do  Saint  Jacques  de  Compostell*» 
(135i)  et  de  s'embariiuer  ensuite  pour  la  Ti*rre  Sainte*. 
C'était  donc  â  une  tradition  de  fainille  qu'obéissait  le  jeune 
gentilhomme  quand  il  prit  congé  du  duc  de  Bourbon  (vers  1388). 

Il  ne  parti tpas  seul;  Renaud  de  Ruye.  un  compagnon  d'armes, 
et  en  même  temps  un  ami  dévoué,  l'accompagnait.  La  maison 
de  Roye,  de  SDUche  picanle,  comptait  â  cette  époque  parmi  ses 
membres  d'illustres  guerriers,  et  Renaud  n'avait  pas  renié  le 
sang  de  ses  ancêtres.  Fiis  de  Mathieu,  dit  Flament,  de  Ruye 
et  de  Jeanne  de  Cbérïsy,  frère  de  Jean  et  de  Tristan  de  Royo. 
il  s'était  djjà,  malgré  sa  jeunesse,  distingué  sur  les  champs 
de  bataille  comme  dans  les  tournois  ;  la  confraternité  des 

1.  Livre  des  faits  du  bon  messire  Jean  te  Maingre  dit  Bouciguavi 

(éd.  Huclion),  partie  i,  cliap.  i  â  xv. 

2.  A.  MoUnier,  fiescriplion  •(«  deux  manuicrits  de  Philippe  de  Mè- 
ziérex,  dans  .\rch.  de  l'orient  latin,  i,  3'»8;  —  J.  J.  Jusserand.  V»>  no- 
made au  x/\'^  siècle,  dans  Keviio  historique,  xx.  65. 


VOYAGE  DE  BorCrCAPT   ET   DE   K-    I>E  ROYE.  Î63 

les  avait  cimenté  l'amitié  c\ue  Boucicaut  et  lui  s^étaient 

Les  deux  rojageurs  se  dirigèrent  ver?  Venise  pour  s'y 
ombarquer.  Cette  ville  était  alors  le  rendez-vous  de  ceux  qui 
piirtaient  pour  le  Levant.  Les  Vénitiens  avaient  organisé  avec 
le  plus  grand  soin  tout  ce  qui  concernait  le  voyage  des 
pèlerins';  il  ne  fut  donc  pas  dirticile  à  Boucicaut  et  à  son 
rnmpagnon  de  gagner  Constanîinople.  Quand  ils  y  arrivè- 
ronr,  Amurat  i  était  aux  environs  de  Gallip<di  en  Turquie 
rVEurope.  Le  carême  (de  Tannée  m88j  se  passa  à  attendre 
dans  la  capitale  de  l'empire  d'Orienl  un  sauf-conduit  du 
sultan.  Les  chevaliers  français  furent  reçus  à  *  grand  fesie  » 
i't  traités  magnifiquement,  et,  dans  leur  impatience  de  donner 
carrière  a  leur  valeur,  ils  mirent  leur  éjiée  à  la  disposition 
riu  prince  contre  les  Sarrasins.  Malheureusement  Amurat  était 
m  paix  avec  les  princes  musulmans,  et  n'avait  pas  occasion 
d'utiliser  les  services  qui  lui  étaient  offerts.  Après  un  séjour 
'il' trois  mois  'printemps  t388\  les  voyageurs  quittèrent  la 
rour  ottomane  pour  gagner,  par  la  Tur.[uio  d'Europe  et  la 

ilgarie.  le  Danube  et  la  Hongrin.  Anuu'at  les  fit  «  convoyer 

mrement  »  tant  qu'ils  furent  dans  sn>  états ^. 

Les  mêmes  désillusiuns  les  attendaiimt  auprès  du  roi  de 
longrie.  Malgré  Taccueil  cordial  qui  leur  fut  fait,  en  Hongrie, 
plus  qu'en  Tur(|uie.  leur  épi'e  ne  trouva  à  s'employer.  Sigis- 
mond  était  absorhé  par  des  préparatifs  considérables  dirigés 

)ntre  le  marquis  de  Moravie,  et  songeait  peu  à  ce  moment  à 

1.  Renaud  du  ttoye  fut  chambellan  et  conseiller  du  roi  et  du  duc 
l«  Touraine.  11  ^îuerroya  en  ICspai;rie.  prit,  au  tournoi  de  Saint 
Ingelberl  (I33U(  qu'il  avait  organisé,  une  part  importante,  assista:* 
!"•  U8t  du  Mans  •  (I3'J3),  et  fut  cliar^é  de  la  parde  du  roi  devenu  fou.  Il 
mourut  pendant  l'expédition  de  Hongrie  (1396).  Charles  vi  ordonna  de 
pas  poursuivre  la  succession  du  dt^funt,  ■  disant  (]ue  comme...  en  son 
vivant,  désirant  acquérir  honneur  et  han  renon  en  faisant  plusieurs 
guerres  et  loin^fiains  voiagea  et  par  especial  oudU  voiage  de  Hongrie 
rontpe  les  niascreans  de  la  foy,  se  sjît  endabu^s  et  oblig<V:i  envers 
iuhieuTS  ppr>o:uïes  en  gratis  et  grosse^  sommea  de  denier»  i 
»ji»8art,  éd.  Kervyn,  xxm,  58-60;  —  Itibl.  n»l.,  litres  originaux,  aux 
tti  t.R  MtLfii&Ë  et  ne  rovk). 
I.  Arciiives  de  l'Orient  latin,  u,  237. 

A.  Voir  pour  le  pèlerinage  de  Boucicaut  le  Livre  dex  faits,  partie  i, 
^liap.  XV.  Le  chroniqueur  n'assigne  aucune  date  aux  faitsqu'il  raconte; 
la  avonft  pu  les  fixer  approximativement,  grâce  aux  synchronismes 
(quels  il  fait  allusion. 


\(\4  KL'    KT   «OUCICAUT   KN    PALESTINK. 

s'attaquei'  aux  infidèles.  Trois  mois  sq  passèrent  (été  1.188)  h  la 
cour  de  Hongrie  ;  ce  délai  écoulé,  Reuaud  de  Roye  et  Boucicaut 
prirent  congé  de  Si^^isniond  et  se  séparèrent;  le  premier  se 
dirigea  vers  la  Prusse,  le  second  descendit  à  Venise  dans 
IMntention  de  s'emhaniuer  pour  la  Paleslino  (automne  1388^. 

Nous  n*avoiis  aucun  dérail  sur  le  pèlerinage  de  Boucicaut; 
nous  savons  seulenietit  qu'il  visita  <  très  dévotement  »  le 
saint  Sépulcre  et  tous  Ips  lieux  consacrés  par  la  piété  des 
tidèles.  Du  silence  du  chrooiqueur  on  est  en  droit  d'induire 
qu'aucun  incident  ne  troubla  le  voyage,  et  qu'il  s^accomplit 
sans  encombre.  Cependant  Boucicaut,  au  moment  de  quitter 
la  Palestine*,  apprit  qu'un  prince  français,  le  comte  d*Eu. 
moins  heureux  que  lui,  avait  été  arrêté  à  Damas  par  ordre 
(lu  Soudan  d'Kgypte. 

Philippe  d'Artois,  comte  d'Eu,  descendait  de  Robert  de 
France,  frère  de  saint  Louis,  et  â  ce  titre  se  rattachait  â  la 
famille  royale  de  France.  Fils  de  Jean  d'Artois  et  d'Isabelle 
de  Melun,  il  s'était  distingué  à  la  prise  de  Bourbourg  (1383  , 
et  avait,  coramo  la  plupart  de  ses  contemporains,  voulu  faire 
le  pèlerinage  de  Terre  Sainte*;  mais,  emprisonné  par  ordre 
du  Soudan,  il  allait,  être  transféré  de  Damas  au  Caire  quand 
il  fut  rejoint  par  Boucicaut  (1389). 

Ce  dernier,  «  nonobstant  qu'il  n'eust  oncques  à  luy  guères 
d'acointance  ».  n'avait  pas  hésité  à  interrompre  son  voyage: 
il  lui  semblait  qu'un  compatriote,  en  pays  étranger,  avait 
droit  à  ses  bous  ollioes,  et  que  l'honneur  du  roi  de  France» 
dont  le  comte  était  cousin,  méritait  qu'il  offrît  ses  serviceï 
et  son  appui  au  prisonnier.  Ce  trait  marque  bien  le  caractiVc 
de  Buucicaut;  chevalier,  il  sent  son  cœur  s'émouvoir  au  m-it 
des  malheurs  d'un  chevalier;  sujet  du  roi  de  France,  il  con- 
sidère comme  un  devoir  impérieux  de  porter  secours  â  un 
prince  du  sang  de  France.  Sa  conduite  à  l'égard  du  comte 
d*î5u  est  la  preuve  la  plus  péremptoire  de  ces  sentiments.  Il 
accompagna  le  prince  au  Caire,  et,  tandis  que  le  soudau  re- 
lâchait tous  les  pèlerins  qui  n'étaient  pas  «  de  la  mesgnie  » 
du  comte,  il  se  fit  volontairement  comprendre  dans  la  suite 
de  Philippe  d'Artois,  et  «  pour  luy  faire  compaignée. . .  se 
mit  en  la  prison  avec  lui.  »  Cette  captivité  dura  quatre  mois; 

1.  Ses  bagagrs  éraitint  einharqur^'s  :i  destination  de  In  Prusse. 

2.  1*.  Anselme,  i,  38*1-90. 


RETOUR  DES   PKLERINS. 


155 


il  fallut,  pour  y  mettre  fin,  que  le  consul  vénitien  d'Alexan- 
drie, sur  l'ordre  de  la  seigneurie,  iuterviiit  auprès  du  Soudan'. 
Rendus  à  la  liberté,  les  deux  pèlerins  profitèrent  de  leur 
pi'tour  à  Damas,  pour  visiter  Saint  Paul  des  Déserts  et  Sainte 
I  Catherine  du  Sinaï';  ils  retournèrent  ensuite  à  JtTusalem. 
I  Boucicaut  avait  déjà  parcouru  toute  la  Palestine;  il  recom- 
I  nieiiça  son  voyage  avee  le  comte  d'Ku,  payant  de  rechef  les 
I  tributs  imposés  par  les  Musulmans  et  «lu'il  avait  déjà  acquittés 
I  quelques  mois  avant,  heureux  d'escorter  un  vaillant  chevalier, 
parent  du  roi,  et  de  partager  avec  lui  fatigues  et  périls.  Le 
'  pèlerinage  de  Terre  Sainte,  bien  que  toléré  et  réglementé  par 
,  les  autorités  musulmanes,  n'était  exempt  ni  des  uns  ni  des 
I  auti-es.  Déjà  les  voyageurs,  arrivés  à  Beyrouth  «  en  intention 
;  de  monter  là  sur  mer  pour  eulx  en  retourner  »,  se  croyaient 
'     au  t(Tme  de  leurs  fatigues,  lorsque  les  Sarrasins  les  arrott^ent 

et  retardèrent  d'un  mois  leur  embarquement. 
l  Le  retour  s'effectua  par  Chypre,  Kiioiles  et  Venise;  de 
^Aette  dernière  ville  Eu  et  Roucicaut  gagnèrent  la  France.  Le 
Proi  était  alors  en  Bourgogne,  en  nuite  pour  aller  prendn^ 
possession  du  Languedoc  (noveml)re  l.'iS!));  les  voyageurs  le 
rencontrèrent  à  l'abbaye  de  Cluny\  et  furent  reçus  par  lui 
*  moult  joyeusement  ».  La  cuur  leur  lit  fête;  le  roi  n'eut  pas 
pas  assez  d'éloges  pour  louer  la  conduite  de  Boucicaul;  il  le 
remercia  <  du  bon  anatur  qu'il  avoît  [lorté  à  son  cousin  »  et 
de  la  fidèle  compagnie  qu'il  lui  avait  tenue.  Le  comte  d'Eu  ne 
fut  pas  moins  reconnaissant,  et  témoigna  sa  reconnaissance 
en  vouant  à  son  compagnon  de  captivité  une  amitié  indis- 
!K)luhlo. 

La  suite  do  ce  travail  monti-era  quelle  inlluence  ce  voyage 
Hi  ramitiê  dont  il  fut  sui\i  exercèrent  sur  les  événements 
ultérieurs,  eu  déteiniinaai  le  comte  d'Eu  et  surtout  Boucicaut 
à  se  faire,  en  toute  occasion,  les  promoteurs  d'une  intcr- 
TAotion  en  Orient. 


I.  2f>  mars  1389  (Arcti.  de  Venise,  Sen.  Misti  xl,  169). 

1*.  Le  Siiiai  (Djefn'l-Tor)^  en  Arabie,  au  nonl-ouest  de  la  péninsule 
<|ui  s'avaiK't'  dans  la  inor  Itouge,  enUe  les  j^olfps  du  Suez  pt  d'Akaba,  a 
tleï(x  Kommets,  duiii  le  ]»his  élevé  |>orto  le  imni  de  Sainte  C'atlierine. 

'I.  Livre  tien  ftiittt,  partie  i,  chap.  \v  et  \\t.  la  Chronique  du  bon 
itw  Lfitj$  i/p  tiourtnjn  \p.  216)  assigna  un  aiitiv  itînérairo  au  roi  ;  de 
Pan»  ù  .Meliun  sur  Yèvrp,  Gannat.  Ke  iMiy,  rarfassonnc.  rxtt»  i-oute 
iPinlïlo  exrlurc  le  séjour  de  rharics  vi  h  l'Iuny. 


CHAPITRE  TV. 
KXPÉDmoN  DE  barbarie:. 


Pendant  que»  du  côté  du  Danube,  l'Europe  ne  s'apercevait 
pas  des  progrès  des  Musuliuaiis,  elle  se  préoccupait  rie  leiu's 
incursions  dans  la  Mèditerranôo;  le?  côtes  d'Iiaiit?  et  de  Sicil)\ 
inejiacées  par  les  Sarrasins  d'Afrique,  tremblaient  devant 
l'audace  de  jour  en  j'>llrcrois^sante  des  corsaires  l)firl>ares([ut»*i. 
Les  rois  maures  de  Tunis,  de  Tlemcen  et  de  Bougie  encou- 
rageaient et  protégeaient  un  étal  de  choses  dont  ils  tiraient 
profit,  mais  qui  devenait  pour  le  miiunerro  européen  un  m*- 
rienx  danger.  La  péninyulf  it:ilimie,  plus  direcHMiu^nt  exposéi» 
que  le  reste  des  puissances  médit*'rrauéenues,  s'émut  e\ 
sollicita  l'appui  du  S;»int-Siôge;  les  Siciliens,  dont  Tile  élail 
jouniellomont  infestée  par  1ns  Africains,  obtinrent  d'Urbain  vi 
les  indulgences  que  la  pupautè  concédait  à  ceux  qui  .se  croi- 
saient pour  la  défense  de  la  foi  (18  avril  I;i88)',  et  Manfred 
lie  Clermont,  amiral  de  Sicile,  arma  une  flotte  contre  b'*» 
Barbarosques.  Ce  personnage,  descenitant  de  l'illustre  famille 
française  des  Clermont  Néelle,  s'était  ac<juis,  pendant  la  nii- 
norité  do  la  reine  Marie  de  Sicile,  assez  d'inlluence  tlans  l'ib-' 
entière  pour  n'y  faire  fd>éir  en  maître*.  Géues  et  Pise"  ré- 

1.  Haynaldt,  xxvi,  505-6. 

2.  II  était  comte  do  Modica  et  guuvernait  la  Sicile  nu  nom  de  U 
reine  Marie,  fille  de  Frédéric  u.  Son  crédit  fut  tel  que  Ladi^Ias  dfl 
Oumzzo,  un  des  compétiteur:^  au  trône  de  Naples,  demanda  la  main 
de  Constance,  Bile  de  Manfred.  A  la  suite  d'événements  traj^ïques,  il 
perdit  toute  autorité,  fat  mi«  h  mort,  et  Ladi:>la.s  répudia  Constance 
(Caméra,  Annali  civili^  u,  497;  —  Suramonte,  /fiiftoria  di  yn^Mh', 
M.  5ia:  —  Art  de  tf'ri/iet*  fa  Palps,  à  l'article  nois  des  deux  sicrLEs). 

3.  Pitié  n'autorisa  d'abord  que  ceux  de  ses  sujets  qui  avaient  soufTcrf 


AMBASSADE   UKNOISE    E-N    FRANCE.  167 

pondirent  à  l'appel  <le  Manfred  enjoignant  leurs  escadres  à  la 
flotte  sicilienne;  Venise,  également  sollicitée,  ne  voulut  pas 
rompre  avec  le  sultna  de  Tunis  et  déclina  toute  participation*. 
Sous  le  coramundemeut  de  K:iphaël  Adorno,  frère  du  doge  de 
Glanes,  rexpédilion  fit  voile  vers  l'ile  de  Gerbi*,  le  iirincipal 
i-epaii'tî  des  pirates  sur  la  cote  africaine,  et  s'en  empara 
(juin  1388).  Manfred  désintéressa  les  Génois  en  p:iyant  leur 
concours  au  prix  do  trente-six  mille  florins  d'or,  et  devint 
M'igneur  de  la  nouvelle  concjuète*. 

Malgré  ce  succès,  le  péril  n'était  pas  écarté;  la  navigation 
irétait  pas  sûre  dans  la  Méditerranée,  et  la  prospéiùté  coni- 
n»erciale  de  Gènes  souffrait  d'imn  pareille  situation.  Assuré- 
ment les  Géuoi.s,  avec  lo\U"  seule  uiartne.  pouvaient  facilement 
la  faire  cesser,  mais  ils  hésitaient,  par  un  déploiemetit  consi- 
dérable de  forces,  à  interrompre,  ntéme  iiiouienlanénienl,  leurs 
relations  commerciales.  En  outre,  l'état  intérieur  de  la  répu- 
blique, divisée  entre  les  partis  qui  se  disputaient  le  pouvoir 
et  songeaient  à  appeler  l'étranger,  n'était  pas  de  nature  à 
faire  envisager  sans  crainte  aux  esprits  claii'voyants  une  ex- 
pédition dirigée  par  Gènes  seule  contre  les  Musulmans 
d"Afrii|ue.  Ces  raisons  décidèrent  les  Génois  à  implorer 
Tappui  de  la  France  ;  une  ambassade  fui  envoyée  à  Charles  vi 
(1389J*.  Elle  le  rejoignit  à  Touloaso,  au  cours  du  voyage 
f|u*il  fit,  à  ia  tin  df  l'année  138!),  pr»ur  prendre  solennelle- 
ment possession  du  Languedoc.  Le  doge  Antoine  Adorno, 


des  incursions  arabes  à  user  de  représailles;  elle  finit  par  envoyer 
cin<i  galères  sous  les  ordres  de  Fran;ois  Orlandi  iMas  Latrie,  Traité» 
de  paix  et  de  commerce  avec  (ex  Arabes,  introd.  p,  239-40). 

1.   Mas  Latrie.  Traitée  de  pnix. ...  p.  129  et  introd.  p.  239-40. 

i.  Appelée  Menhtt  et  I.olophitgitis  innula  par  les  anciens,  dans  le 
golfe  de  (ïabès  (Tunisie). 

3.  (liustiniani,  Annali  delta  repnhliea  di  Genova  (éd.  de  1854).  n, 
163;  —  Stella  (Muratori,  xvn,  1128):  —  U.  Foglieta,  Genuensium  hi*t. 
/d.  de  1585),  I.  IX.  f.  164  v;  —  flaynalUi,  xxvi,  514-5.  —  L'expédition 
partit  le  28  mai  13B8.  Krédéric  m.  roi  de  Sicile,  avait,  dès  13G4,  nommé 
Jean  de  Clonnont  c)iiUclain  de  l'itc  de  Gerbi  s'il  ta  soumettait  à  la 
rourotme  de  Sicile  (Mas  Latrie,  Traités  de  paix.. .,  p.  160). 

4.  Oiustiniani.  n,  164:  — Stella  (Muratori.  xvn,  1129);  —  l*.  Fo|;:Iieta 
tcd.  de  1585J,  f.  164  V'^-IGS;  —  Chronique  du  hon  duc  toys  de  Huurbon, 
p.  218-9;  —  Chroni(/tte  du  ftfiio'^ux  de  Saint  /Je«i«,  l,  648-50;  — 
Froissart,  éd.  Kervyii,  xiv,  1Ô2-IÏ;  —  J.  Juvéïiat  -Ifs  1  rsins,  Histoire  de 
Charles  r/tèd.  .Michand  pI  Poujoulan,  M,  383. 


1(58 


K\t>KDITroN    DE    HIRHARIK 


<  moult  suiiblil  koiuiue,  saige  et  bel  parlier'  >,  était  pai'lisari 
flf*  l'allîanre  française;  il  comptait  sur  elle  piiur  soutenir  son 
uutorité  ébranlée,  H  espérait  qu'une  guoiro  étrnnt:ère  feniii 
aux  rivalités  iutérieuros  i[ui  déchiraient  la  républinup  un»- 
salutaire  diversion.  Il  se  llattHil,  en  outro.  dV>ntr;iiner  facilc- 
nienl  en  Afrique,  pour  le  plus  grand  protit  des  Oénoi.<^  un 
prince  chevaleresque  ol  une  cour  qui'  la  paix  rédui^iit  alors 
â  rinaction. 

Kn  présonc<'  du  roi.  les  ambassadiMirs  génois  expuséreni 
l'objet  de  leur  mission;  ils  représentèrent  que  l'audac*»  drs 
Sarrasins  rendait  toute  navigation  impossible  tiaus  la  Médi- 
terranée; que  la  Sicile.  h\  Sardaigne,  la  Corse,  les  il«»^ 
d'Elbe  et  dlscliia,  rarchipel  des  Baléares  étiiient  journelle- 
ment en  buUe  aux  déprédations  de  ces  écuuicurs  de  mer: 
que  pour  iiiedre  fin  à  ce?^  incursions,  l'idijectif  de  Texpêdi- 
tion  future  devait  être  la  |nisv  d'Africa',  «  maie  et  forti' 
ville'  »,  clef  des  royaurae.s  do  Tunis,  do  Bougie  et  de  Tleraani 
dont  elle  était  le  port  jirincipal.  Ils  ajoutaient  que  la  chute  ilc 
celle  place  entraînerait  la  i-nine  Cfrlairie  des  trois  royaumes 
inam'es,  ei  que  ramener  la  foi  chivtienne  dans  des  pays  d'oi'i 
elle  avait  été  si  longtemps  banni»'  n'était  pas  une  entreprise 
indigne  dn  plus  gi-auil  roi  rliréticu.  Kntin,  *mi  échange  du  se- 
cours qu'ils  sollicitaient  de  la  France,  les  Génois  s'enga- 
geaient â  transporter  et  à  approvisionner  le  corps  expédi- 
tiuimaire,  et  à  entretenir  à  leurs  frais  douxe  utillt*  arbalétier> 
éprouvés  et  huit  cents  gros  valets,  iU'uiés  do  lances  et  de 
pavois,  pendant  toute  la  durée  de  la  campagne*. 

Les  propositions  génoises  ne  reçurent  pas  de  Cliarles  vi 
l'aecui'il  entliousiaste  sur  lequel  lo  doge  avait  compté.  Malgré 
la  trêve  récente  entre  la  France  et  l'Angleterre,  qui  pro- 
mettait trois  ans  de  paix  aux  deux  puissances,  le  roi  n*éuii 


1.  Chronique  du  bon  duv  Loyg  de  Ûoiirfiun,  p.  2iî'. 

2.  A7  Mahadia  ou  Et  MfiMdin,  prés  du  e;q»  Aft'ica  (Tunisie),  l'au- 
cien  Aphrodision. 

3.  Froissart,  M.  Rudion,  ni,  58.  Kcrv\'n  donne  seulement  ■  iiuilb^ 
ville  I  (xrv-,  152). 

'i.  Kroissart,  éd.  Kcrvyn,  xiv,  153;  —  (UttanùiHc  dn  hon  dur...^ 
p.  220;  —  l'.  Knglipta  {rd.  de  1585»,  f.  IS'i-5;  —  J.  Juvénal  des  t  rsins. 
u,  383.  —  Le  Hefiffifiiix  de  Saint  Ofniti  (i^  «ii8-5I)  rt  liiustiniani  iu, 
I6î-"l  mettent  dans  la  bouche  des  ambuâbodcurs  des  tlis<'ours  qui  ne 
semblent  rei»nser  sur  aucune  donnée  historique. 


I.OLl.H    11    l)K    HOCKbON    CUKK    Ut    LA    (.'KolHADE. 


m 


pîis  disposé  à  s'ongagrer  ilans  nno  périlleuse  aventure.  Ré- 
?*istant  à  son  entourage,  qui  lo  pressait  d'accéder  au  désir 
ilê.s  (ién»iis,  il  congédia  les  ambassadeurs,  leur  donna  acte 
lie  leur;?  promesses  et  de  Iciu'  requête,  et  ajourna  sa  réponsi« 
A  deux  jours'. 

Te  délai  ne  fut  pas  perdu;  la  Jciint'sse,  ipti  lirnlait  de 
prondre  les  armes  conti'o  les  mécréants,  x*edotibla  d'inslanci's 
auprès  de  Charles  vi;  Louis  ii  de  Clermont,  duc  de  Bimrboii, 
iinde  nialeriiel  du  roi,  se  fit  ritiieriu'ète  ries  sfiilinients  de 
la  cour,  et  supplia  que  1*011  lui  donnât  le  couiuiatidenienl  île 
fentreprise.  Il  voulait  s'emplover  pour  le  service  du  ni  cl 
lie  Dit'U,  car,  disait-il,  «  c'esl  la  chose  au  rnonilr  fine  j'ai 
plus  désirée,  et  après  les  fais  mondains,  il  est  belli»  chose  tW 
servir  Dieu'.  »  Charles  m,  cependant,  hésitait;  it  essaya  de 
flisijïuader  le  duc  de  son  dessein  en  lui  rtMiiontraii*  qu'if  anraif 
[M'iue  à  recruter  îles  compagnons.  Le  dur  lui  i'é|iondi(  qm* 
lo5î  chevaliers  et  écuyers  de  ses  domaines  partiraient  avec 
lui,  et  que  jamais  ils  ne  «  lui  faillirent  ^  quand  il  avait  fait 
appel  à  leur  courage.  Son  insistance  l'nt  telle  que  le  roi  céda. 
o{  ipiaud  les  ambassadeurs  génois  vinrent  demanrler  la  ré- 
ponse promise,  Charles  vi  leur  présenta  sou  oncle  comnif  lo 
chef  de  la  cnusade,  et  leur  donna  l'assurance  (l'un  pi-oiii|il 
siMïours.  L*ambassade,  heureuse  du  résultat  obtenu,  se  hâta 
de  i-egagner  Tltalif'. 

t.ln  ne  piiuvail  faire  un  meilleur  choix  quo  ndui  du  din- 
de Bourbon.  Les  Génois  avaient  demandé  qm»  le  comman- 
dénient  en  chef  lïil  dévolu  â  \m  ju-ince  du  sang,  et  mis  eu 
Avaut  le  num  du  duc  de  Touraine,  frère  du  roi;  mais  b- 
Cïiïiseil  de  Charle>  vi  eut  la  sagesse  do  ne  pas  t'èdav  à  des 
Ao||icil;k(ions  plus  tl.'tileuses  que  raisonnées,  et  d'éearler  un 
prinre  dont  hi  jeunesse  et  rinoxpérience  militaire  ne  i>ou- 
vaient  qu'élrp  ftniestes  au  siiccès  de  rex[>édition,  Parmi  les 
membres  de  la  famille  royale,  les  ducs  de  lierry  et  do  Bour- 
gi>giie  se  souciaient  peu  ilequiLter  la  France  pour  un  lointain 
ruvnge;  on  fut  heureux  de  trouver  Louis  11  de  B'UU'bon  pour 


I .   ChronirfUfi  rf«  bttn  </«r. ...  p.  'J2'i. 

î.  /(/..  p.  JJI. 

a,  Krui&ifHri,  éd.  Kenyn.  mv,  \'i'2~'t,  —  (Jtronifftie  du  bon  ttuc..., 
p.  221  ;  —  J.  JuviViiiU  des  Irsiiis,  p.  38:t;  —  Rt'IitjivHX  lie  Sninl  Dmt*, 
^  fiSO-îJ,"—  liiiintiiiiaiii.  11,  l»'«7;  —  V.  Foirlit?tu,  f.  Hî5. 


170 


EXPEUrnuN    DE    BA.HUAKiJ::. 


le  meitrc  â  la  t*Me  fies  troupes.  Oncle  malnmel  du  roi,  ce 
prince  n'avait  pis  juscju^alors  eu  Toccasiou  de  jouer  en 
France  le  rôle  que  lui  assiguaîi  sa  naissance.  Longtemps 
prisonnier  eu  Angleterre  comme  otage  de  ia  rançon  du  roi 
Je^n  (I3G0-I3G8;,  il  avait,  â  son  retour,  pris  part  en  Bre- 
tagne et  en  Guyenne  aux  guerres  eonti*e  les  Anglais;  il  s*étail 
distingué  à  Rosbecque  (I38?j;  ou  le  tenait  à  la  cf>ur  pour  un 
vaillant  chevalier  et  poiu*  un  général  sage  et  prudent.  La  mort 
de  Charles  v,  eu  r:i[tpt'iant,  avec  les  ducs  d'Anjou,  de  Berryet 
de  Bourgogne,  à  la  ititello  du  jeune  roi,  Tavail  nus  au  premier 
rang  ;  ses  contemporains  fai.saient  gi*and  cas  do  ses  qualités  mi- 
litaires et  administratives,  persuadés  quo  s'il  avait  un  ihéAtre 
puur  les  exercer,  il  soutiendrait  dignement  sa  réputation. 

La  nouvelle  de  la  croisade  ne  tarda  pas  à  se  répandre  en 
Fr.inee.  en  Espagne  et  en  Angleterre;  de  toutes  parts  les 
adhésions  allluérent,  et  Tèhui  fut  universel.  Charles  vi,  pour 
ne  pas  dégarnir  son  royaume,  avait  i-églemenlé  par  diverses 
raesiu'es  les  conditions  du  ilépart  :  chacmi  dut  entreprendre  le 
voyage  à  ses  frais;  personne  ne  fut  autorisé  â  s'embarquer 
sïuïs  le  congé  du  roi»  et  le  nombre  des  combalUinls  fut  limité 
à  quinze  cents  pour  la  France.  De  leur  côté,  les  Génois 
avaient  annoncé  qu'ils  ne  transporteraient  sm-  leiU's  vaisseaux 
que  des  chevaliers  et  des  écuyer  j.  et  qu'ils  refusaient  le  pas- 
sage aux  valets  d'armée  dont  chaque  combattant  avait  alors 
coutume  de  se  faire  accompagner.  Cette  résolution,  inspirée 
par  le  roi,  avait  été  prise  pour  ménager  les  susceptibilités  des 
chevaliers  étrangers  et  leur  prouver  que  rexpédition  ue  de- 
vait comprendre  que  des  «  gens  de  fait  et  de  défense  », 
M:ilgré  ces  restrictions,  raiHuence  fut  telle  que  Louis  de 
Bourbon  eut  peur  de  manquer  an  dernier  moment  de  navii'cs 
et  d'approvisionnements.  Il  chargea  un  de  ses  maîtres  d'hôtel, 
un  des  maîtres  de  su  monnaie  et  cinq  autres  otKciers  de  sa 
maison  d'inscrire  les  enrôlements,  à  mesure  qu'ils  se  pi\»dui- 
saient,  et  de  se  tenir  en  rapports  constants  avec  la  république 
de  G(Mies  pour  régler  l(*s  dispositions  du  départ.  Celle-ci 
répondit  qu'elle  avait  vingt-deux  galères  et  dix-huit  vaisseaux 
prêts  à  ti'ansporter  six  mille  hommes  d'armes,  et  que  les 
craintes  du  duc  étaieul  chimériques.  Le  rendez-vous  général 
fui  (ixé  .i  Gènes,  la  semaineaprèsla  Saint  Jean  fin  juin  I.'tyn^  ', 


l'ruiïu»m-t, lmI.  Kenyn,  \iv,  M*' ,  —  ChronOjuetiu  hon*ittc...^-^.  223. 


PRECAKATII'S   ET    .iPPROA'lSlON.VEMK-NTS. 

Les  Génois»  cependant,  malgré  les  assurances  qu'ils  avaient 
données  à  maintes  reprises,  s'aporvurent  bientôt  qu'ils  ne 
pourraient  trouver  chez  eux  le  Mê  et  le  vin  indispensables  h 
l'expédition.  Le  doge,  effrMyé,  écrivit  au  duc  de  Bourbon 
poui'  le  prier  d'obtenir  de  Charles  vi  Tautorisation  d'acheter 
en  Pi'ovence  les  denrées  qui  lui  manquaient  ;  il  s'agissait  de 
deux  mille  tonneaux  de  vin  et  de  quatre  mille  cb-irges  de 
froment.  Cette   nouvelle   bouleversa  le   duc;  déjà   il  voyait 

*  l'armée  d'Auffrique  rompue»,  (H  renU'oprise  avortée;  sur 
l'avis  de  son  conseil,  il  députa  vers  le  roi  à  Beaucaii'c  un  de 
«pj«  seiTÎteurs,  Charles  de  Hangest',  chargé  de  faire  agréer 
la  requête  des  Génois  et,  on  outre,  d'obtenir  que  les  troupes 
pussent  se  concentrer  à  Marseille  «  et  que  la  ville  fïMit  aban- 
«  donnée  au  duc  de  Boui'bon  et  à  tous  ceulx  qu'il  y  voulJroir, 
«  mettre  ».  L'honneur  de  Louis  de  Bourbon  et  celui  de  la 
Krance  étaient  engagés;  il  fallait  à  tout  prix  que  le  voyage 
eût  lieu.  Charles  vi  le  comprit  et  accorda  à  son  oncle  ce  qu'il 
dmcindait.  tout  en  profesbut  ((u'H  n'ainmit  guère  les  Génois 

*  et  qu'ils  u'auruieut  point  de  vivres. . .  sinon  eu  payant  granl 
«  truaige,  car  ainsi  est  de  coustume  ». 

La  réponse  du  roi  fut  accueillie  par  les  Génois  et  par  le 
duc  avec  la  plus  grande  joie:  cln*z  celui-ci  comme  chezceux- 
là,  la  crainte  de  voir  échouer  la  croisade  avait  été  extrême; 
l'anitiur-propre  de  l'un,  l'intérêt  des  autres  étaient  également 
intéressés  au  succès  de  l'entreprise,  Louis  de  Boncboti  avait 
fait  preuve  de  beauciuip  d'â-prnpos  en  demandant  à  ras- 
sembler ses  troiqtes,  non  plus  à  G."*nes,  mais  à  Marseille. 
Puisque  cette  dernière  ville  devenait  le  «  marché  de  vivres  » 
do  Karmêe,  et  que  les  bùtiuieuls  génois  étaient  obligés  de 
venir  s'y  approvisionner,  il  était  naturel  que  rembarque- 
ment se  fit  à  Marseille;  on  donna  donc  eontre-onlre.  et  le> 
e4>mbatlauts  durent  se  réunir  dans  ce  p"rt  A  la  date  du 
('^juillet  nuo». 

Aus.sittM  que  rtnterventi')n  française  avait  été  décidée,  le 
tlnc  avait   accompagné  le  roi  à   Avignon,   et  demandé  au 


t.  C'était  lo  second  fils  de  Jean  de  \\ru\gc&t  et  de  Marie  de  Hcquî- 
gny.  Il  êjwusa  Mari^ueritc  rir  lleniimotU.  Son  frère  ain^  J(»an,  rharn- 
hellan  du  duc  de  lluurfrognc,  5e  distiii;rua  j  Nicupolit»  uù  il  fut  fait 
priwintiicr.  et  niouruf  à  Azirn'ourl  d'i'u's^^T*,  éil,  Kervyn.  vxi,  .V»r-Hl. 

•  ,   Chroniifiw  iftt  hvn  tfitr. ,.,  n.  -2'i-H. 


172       *  KXI'KI>IT|UN    1)K    BAHHAKIK. 

pape  Clément  vti  la  permission  de  combattre  les  infidèles. 
l't  It's  iiiiliilgenres  ordinaires  pour  les  croisés.  îl  était  onsuite 
n'ionrné  à  Riris  avec  le  roi,  pour  y  prendre  les  dispositions 
iridispeusables  et  notriinment  desarriingenients  financiers  que 
nécessitait  mi  patrimoine  assez  étroit  à  la  veille  d'une  dis- 
pondit'use  expédition'.  De  ]n  il  avilit  gagné  le  IJonrhunnais. 
avait  «  f>rdonné  les  affaires  de  son  pajys  »,  et  commis  le  sire  de 
Norris'  au  j^joiivernement  de  ses  terres  pendant  son  absence. 
Accompagné  de  tiuelques  grands  scipueurs,  it  s'était  ensuite 
acheminé  vers  Turin,  où  il  séjourna  du  17  au  10  mai,  et  dix 
jimrs  avant  la  date  fixée  il  ét;iit  à  Marseille  pour  organiser 
son  armée'.  Sa  suite,  compusiMi'  du  sire  de  Coucy*.  des 
comtes  d'Eu*  et  d'Harcuurt'^  et  de  FamiraNean  de  Vienne', 
fut  logée  dans  la  ville  par  les  soins  des  fourriers  du  duc,  eu 
jiiteudani  ijne  la  conoontration  fi'il  complète  et  que  le  dépari 
put  avoir  lieu.  Los  coniingenis  français,  — •  chose  rare  à  cette 


1.  Les  18  et  '2fy  mars  U90  lo  duc  de  Tourainc  prèle  an  duc  de 
Il^jiirbon  deux  mille  florins  pour  lo  voyajjre  de  Harliarie  (lluillard- 
lïn'liolles,  Titirs  de  iiourhon,  il,  n"  3790).  Le  duc  de  lUïubon  veruiii 
pour  douze  mille  livres  son  hôtel  de  Paris,  rue  de  ta  Harpe  (Loray, 
Jpnn  de  Vienne,  p,  243). 

2.  Pierre  de  Nurris,  chevalier  nivernais,  était  entré  en   1382  au 
service  du  diin  de  Bourbon,  qui  l'avait  charj^i^  de  l'administration  finan- 
cière de  ses  domaines.  Il  sut  ^:agncr  dans  ces  ronL'tiuns,  par -la  sagf 
des  moisures  qu'i!  ju'it.  l'absolue  contianco  de  son  luailre,  et  c'est  à  luT 
([ue  revient  l'Iionncur  d'avoir  maintenu   en  bon  état  les  tinanccw  ilu 
duc  (Cftronitfuc  du  bon  duc. . . ,  passim). 

3.  F.  Sarraceno,  He^psto  dei  principi  di  casa  d'Acftja^  dans 
Misccllanec  di  storia  italiana,  \x,  186;  —  Chronique  du  hondur.,,^ 
p.  223-4  et  226. 

î.  Kngucrrand  vu,  sire  de  <'oucy,  l'un  des  plu*  illiislrctî  gucrritu's 
du  \IV*  siècle.  Sa  carrière  militaire  et  diplomatique  fut  de»  pJUîf 
remplies.  .Nous  aurons,  dans  le  rour"s  de  ce  travail,  maiiUcs  fols  occa- 
sion de  rencontrer  ce  personnage.  M.  Mazas  (  Vies  di's  i/rnnds  capi- 
taine» français,  3*  tHlil.,  iv,  121)  aflirme,  sans  dminer  les  preuves  de 
son  assertion,  qu'il  s'agit  ici  de  Raoul  et  non  d'Enguerrund  de  t'^ucî. 

5.   Voir  plus  liant  sur  ce  per? onnna^o,  p.  ttj'i. 

(i.  Jean  vu  d'Ilarcourt,  fils  de  Jean  vi  et  de  Catherine  de  lt4)urlion, 
«Mail  cousin  du  roi  de  France  qui  l'arma  chevalier  le  jour  du  sacre 
(I  nov.  I3H0),  et  neveu  du  duc  Louis  n.  sous  les  ordres  duquel  il  avait 
s<*rvi  avant  de  l'accompagner  en  .Xfrique.  Il  fut  fnil  ]irisontiier  x 
Azincourt  oi  mourut  en  l'»52.  Il  avait  t'|K)Usè  Marguerite  d'Alençon. 
iTroissarl,  éd.  Kervyu,  .\i\,  .îl.i). 

7.  Voir  pluH  hnnl  -;iif  fc  jiei-Ronnag*',  p.  l'i.ï. 


CONCKNTIUTI**X    DliS   TRolîi»£S   A   MAHbEtLLE-  17^! 

époque,  —  avaient  traversé  lu  France  sans  donner  lieu  aux 
plaintes  que  soulevait  généralement  le  passage  des  gens  de 
guerre;  ils  avaient  payé  comptiint  leurs  dépenses*.  Pendant 
que  les  chevaliers  allluaient  dans  la  ville,  le  duc,  par  pré- 
voyance, complétait  se.s  approvisionnements  de  vin,  de 
viandes  salées  et  de  volailles  pour  les  malades,  craignani 
que  ces  détails  eussent  été  négligés  par  les  Génois.  L'embar- 
iiuemenl,  grâce  auK  excellenles  mesures  prises  par  le  chef 
do  la  croisade,  s'effectua  avec  le  plus  grand  oriiie.  Le  dur  cl 
l<*s  bai'on»  entrèrent  <  es  souverains  estaîges  et  chasto^ux  des 
<  nefs  et  galéos  »,  les  chevaliers,  les  hommes  d'armes,  le^ 
sergents  et  les  arbalétriers  prirent  les  places  qui  leur  avaient 
été  assignées,  *  chascun  trouva  son  lougeis  fait,  et  prest  pour 
€  aller  en  la  mer  »,  et  la  flotte  put  mettre  à  la  voile  à  l'époque 
primitivement  indiquée  par  le  duc". 

L'événement  n'avait  pas  justifié  les  appréhensions  de 
Charles  VI  ;  le  recrutenn-nt  des  eomliattants  avait  été  facile  ; 
do  toutes  paris  on  s'était  disputé  Ihonninir  de  prendre  part  à 
la  croisade.  Tout  ce  que  la  chevalerie  comptait  d'illustrations, 
en  France  et  dans  les  pays  vuisins,  se  groupa  autour  du  duc 
(le  Bourbon.  La  Gastrogne  était  représentée  par  le  siuidic  de 
la  Trau  «  ung  des  vaiUans  chevaliers  du  monde  »,  accom- 
pagné de  dix  gen(ilshommos\  par  les  sires  de  Castillou*  et 
d'Aibret';   le  Béarn  par  le  b;Vtartl  de  Foix  avec  une  suite 


) .  i.  Juvônal  des  t  rsin*.  u,  38a. 

2.   Cftronitfue  du  hou  rluc. . .,  p.  227-9. 

:i.  Lo  suudic  de  IKslrau,  ou  mieux  de  la  Trau.  est  un  <les  persou- 
nage»  les  plu»  remarquables  de  l'histoire  de  Gascogne  au  \iv*  siècle. 
La  Trau  est  une  sei^îiieurie  du  lïazadai»  (Gironde,  arr.  Uazas,  cant, 
Villandraut,  i*»tm,  Préchac).  Le  boudîc  était  seigneur  de  Préchac; 
îl  servit  en  laO'î  en  Bourgogne  sous  tes  ordres  du  duc  Philippe,  et 
dan»  l'armée  de  Du  Guesclin.  Comme  sire  de  Didonrie  (Cliarenle- 
luférieure,  arr.  Saintes,  cjmi.  Saujitiu  il  faisait  hommage  en  1366  au 
prince  d'Aquitaine,  tandis  qu'en  UifA  et  \'i6ù  il  rciidaii  hommage.^ 
i'harles  v  pour  le  château  de  Beauvoir,  sis  en  la  Bénéohaussée  de 
Toulouse  {V.  Froissari,  éJ.  Luoe,  vi,  p.  lu,  note  i). 

i.  La  ChronitfUf  du  ban  duc  l'appello  te  sire  de  C^stillon  entre 
deux  mers.  Il  y  a  deux  vicomtes  do  Castillon  prëâ  de  Bordeaux.  Tune 
«ur  la  Gironde,  l'autre  sur  la  Dordogno,  mais  aucune  n'est  dauâ 
I  ■  Entre-deux-aiers. 

5.  La  sierie  d'\ll)ret  étjtit  située  entre  la  Chalosse  et  le  Bazadats. 
Charles  i  d'Albrel,  celui  dont  il  est  ici  question,  Fut  connétable  de 
France  en  l'ioi:  il  mourut  à  Azuicourt  en  ri15. 


171  KXPKnrrioN  i>r  iiAKiiAitlK. 

nombreuse';  l'Aragon  par  le  vicomte  de  Rorlc'8*,  le  sire  tle 

la  Saigne'  et  Ortingo  d'Oitf^nyc*;  la  Bi'elJigne  et  la  Nor- 
nianftio  par  un  grand  nonihrv  do  chevaliers,  parmi  lesquels  le 
sin;  fl'IIarcourt*,  le  maréchal  d'Eu*,  Sainte-Sévère^,  et  le  sire 
de  Graville'  qu'accompagnaient  trente  hommes  d'armes;  la 

1.  Ji^an,  dit  Yvain  de  Déani.  bàtanl  de  Gastfin  ni  Phrbus.  Il  mourut 
ïirùlé  en  Janvier  V4\i:\,  à  la  suite  de  la  mascarade  des  sauvages  donnée 
îi  la  cour,  et  fut  enterré  aux  Chartreux  (Fri>i>.sart,  éd.  Kervyri,  xxi,  284). 

2.  Le  frère  du  vicomte  de  Hhodes,  Pons  Périlleux,  fut  pris  par  le 
sire  de  Reaumanoîr  dans  une  embuscade  prè:<  de  Monrontour  (rot)»* 
ihi  Nord)  en  1387  ifVironifjue  du  bon  duc. . .,  p.  211). 

;i.  Il  s'agit  probableniont  de  G,  de  Seignes,  chef  de  compagnie,  qui 
opérait  en  Provence  on  J385  et  1386.  —  On  avait  dus  1385  (25,  28  oc- 
tobre) agité  et  décidé  dans  les  conseils  du  papo  d'.Avigium  et  de  In 
reine  Marie  d'Anjou,  la  question  d'aclieter  sa  potraile.  ('plIe-ci  et  cell 
d'im  aventurier  gascon,  Perrolin  de  Termes,  fui  décidée  \'  juillet  13S6| 
pour  un  délai  de  si^  moi»,  moyennant  quatre  mille  florins.  En  août 
1386,  (1.  de  Soignes  rendit  hommage  au  roi  Louis  n  et  h  la  reine 
Mai'ie,  sa  mère,  |>our  trois  châteaux  qu'il  avait  en  Provence  (Bibl.  nat., 
franc.  5ÛI5,  f.  01  rn-",  129  v  et  137  v'). 

Km  tout  cas,  il  ne  saurait  être  question  ici  de  Chiquot  de  la  Saigne, 
dont  parle  souvent  la  Chronique  du  hon  duc;  celui-ci  s'appelle  Uer- 
nardon,  dit  Chiquot.  de  la  Salle,  et  n  a  pas  pris  part  à  l'expèiiition 
du  duc  de  Bourbon  (Kenseignements  communiqué.-*  par  M.  P.  Ûurrteu. 
Voir  l'ouvrage  de  ce  dernier,  Les  Gascons  en  Italie,  dans  Revue  dn 
r.a*(Cogne,  xxvi,  9). 

4.  Bernardon,  dit  Chiquot,  de  la  Salle,  homme  d'armes  anglo-gascon, 
avait,  de  concert  .ivee  Hortingo  de  la  Salle  (appelé  aussi  d'Orlenyei. 
chef  lie  bande  comme  hii«  combattu  au  Pont  Saint  F-sprit  (1360).  a  la 
Charité  sur  UWi-o  (1363-,  en  F>.spagne  (1367),  en  Champagne  (136>*'. 
surpris  et  arrêté  la  duchesse  de  Hmirhun  au  château  de  Bellefterch*- 
en  août  1369;  mais  il  ne  put  iléfetidre  la  tour  de  Rnu»  dans  laoaelk 
la  duchesse  avait  été  tniiisférée,  etUutîa  rendre  ît  la  lin  d'août  1372.  Il 
était  probablement  parent  d'Hortitigo{CAn>niV/«e(/«  hon  duc...,  pis&im  . 
—  P.  Uurrieu,  Les  Gascons  m  Italie^  ilaiis  lîcv.  de  (iascugne,  XXVI,  9;. 

5.  Vuir  plus  haut,  page  172. 

6.  fîuillaviuip  d'Ku,  sénéchal  du  comté  d'Eu,  fils  d'EusIache  de  la 
Chaussée.  Il  prit  part  à  la  croisade  de  Nicopolis  en  1396  (LebJPuf,  La 
ville  d'Un,  p    1*8). 

7.  Louis  (le  Urt>sse,  seigneur  de  Roussac  et  de  Sainte  Sévère,  AU  de 
I^uis  de  Itrosse,  tué  à  la  bataille  de  Poitiers  en  1356,  et  de  Constance 
de  la  Tour,  se  tlistingua  sous  Charles  v  et  Charles  vi.  Il  mourut  A 
tiénes,  au  retour  de  l'expédition,  comme  le  lecteur  le  verra  plus  bas, 
le  8  oct.  1390.  Son  corps  fut  rapiwrté  dans  l'église  de  S.  Martin 
d'Huriel  (P.  Anselme,  v,  571). 

8.  Ctuillaume  de  Ciravjlle  était  fils  de  Jean  de  Graville  et  de  Marie 
lie  Léon,  et  ne  doil  pas  être  confumlu  avec  Guy  de  Gra\nlle,  armé  che- 
valier À  llushecque  /Froissart.  éd,  Kervj^n,  XXi,  431). 


COMPOHJTIO.V    DE    I.  AHMKfe:. 


n.n 


w 


iTaine  par  Philippe  de*  Bar';  la  Touraino  par  Ingelgcv 
Atnboise*.  Coud*'  cl  lo  comte  (î'Ku*  <  nouvpllement  venu 
'oullre  lûer  >  amenèrent  deux  cents  Uonimes  d'armes.  Le 
seigneur  de  Saint  Georges*,  avec  vingt-cinq  gentilshommes, 
l'amiral  Jean  de  Vienne*,  plusieurs  membres  de  la  maison 
de  la  Trémoiile\  étaieut  à  la  tète  de  la  noblesse  de  Bour- 
gogne. La  Picardie,  la  Flandre  et  le  Hainaut  avaient  envoyé 
un  important  contingent,  au  milieu  diujuel  on  distinguait  le 
romted'Oitrevant*,  les  siresde  Ligne*,  d'Havre'",  d'Antoing". 


^ 


1.  Second  fils  de  Robert  de  lîar  et  de  Marie  de  France,  i^pousn 
Yolande  d'Enghien-Convorsan.  En  13'J0,  il  reçut  du  roi  un  don  de 
deux  mille  francs  en  récompense  de  ses  services.  Il  moumtà  la  journée 
de  Nicopolii  en  1396  ^Proivïart.  éd.  Kervyn,  x\,  231). 

2.  Froissart  l'appelle  (éd.  Kcrvyn,  xiv,  225)  Engorgi^  ou  F.nt}onjft, 
Il  s'agit  dingelyor,  s'igaeur  de  Hocliecorbon,  fils  dlnjiielyer  dit  le 
Grand,  bcigneur  d'.SmbuibC,  etc.  Il  épousa  Jeanne  de  Craon,  et  ne  fut 
jamais  seigneur  d'Anibuise;  maïs  iA>i\  tils  Louis  succéda  ù  Pierre  ii, 
l'ère  d'Ingelger,  dans  la  seigneurie  d'Amboise. 

3.  Voir  plus  liaul,  p.  172. 
1.  Voir  plus  haut,  p.  Ift'i-S. 

5.  Il  a'agit  de  Guillaume  de  Vienne,  61s  de  lingues  de  Vienne  et 
de  iJilleUe  de  Longwy:  il  i''p<jusa  Huguette  de  Sainte  Croix,  et  prit 
part,  aprèâson  retuur  de  Barbarie,  à  l'expédition  de  .Nicopolis  [Frois- 
sart, éd.  Kervyn,  vvm,  67). 

6.  Voir  plu-*  haut,  p.  I'i5  et  172.  Il  appartenait  à  la  même  maison 
que  le  sire  de  Saint  Georges  (Froissart.  cd.  Kervyn,  xxiii,  67). 

7.  On  compte  trois  représentants  de  la  famille  de  la  Trémoillc  à  la 
iKade  de  Itarbarle:  1"  Guy,  Keignour  ilc  Sully,  fils  de  Guy  et  de 
deg'»nde  Guenaud,  garde  de  ruriflanmeen  lUSIJ,  qui  épousa  ver« 
B2  Marie,  fille  de  Ixjuis  de  Sully,  et  uiuurut  à  Ithniles,  au  retour  de 
ixjiéJition  de  iNicopoli».  '!>  Guillaume,  fn^re  cadet  du  précélent, 
(gneur  de  Hu^son.   Il  fut  armé  chevalier  à  la  baïailte  de  Hu^becque 

2)  et  prit  part  à  l'expédition  de  Mcipolîs;  :l»  Jeati,  sire  de  Junville, 
Guy,  épousa  Jac  |ueline  d'Atnhjise  et  mourut  vers  14^i9.  11  ne  lit 
ie,  à  l'urigine,  du  vjyage  île  Uarbario,  mais*  conduisit  des  ren- 
due de  Bourbon  au  cours  de  la  campagne  (Froissart,  éd.  Ker- 
n,  xxiri,  211*3;  —  Sainte  Marthe.  Ututuive  ijénèalogiqae  de  ta  maison 
la  TremotUe  ;1668.  in-12),  p.  113). 
A.  Guillaume  de  Hainaut.  tils  a  né  du  duc  Albert  de  Bavière. 

9,  Jean  de  Ligne.  DU  de  <juillaume  de  Ligne  et  de  Uertlic  de 
hieidon,  mari  d'Eustache  de  Barl)anÇi)n,  mourut  en  Kj^i2  (Froissart, 
.  Kervyn,  xxit^  105). 

10.  Gérard  ii,  tils  de  Gérard  d'Enghlcn,  seigneur  d'Havre.  Pendant 
guerre  do  Frise  (131)6)  it  avait  cinquante-huit  lances  sous  he^urdres, 

dont  dix  chevaliers.   Il  épousa  Marguerite  de  Marbaix  (Froissart,  éd. 
~  rvyn»  xxr,  532-3). 

L 1 .  Henri  de  Melun,  dit  d'Antoing.  second  tils  de  Huguea  et  de  Mar- 


i 


< 


iTfî  KXI'KDITION    DE   lURHARlK. 

L'Angleterre  ii'èUii  pas  tcsUmî  indifTf^rente  à  reiithoustasmi? 
génôral:  sous  la  comluito  du  bâtard  de  Lnnrastro*,  ses  guer- 
riers les  plus  fameux,  Clifford*,  Cliiubo\  Neufvilie*,  Cor- 
iiouaille",  avaient  traversé  la  France  de  Calais  à  Marsoillu 
pour  so  joiriflre  :i  rexpédition,  au  nombre  de  vingt-cinq 
■^("iililsboiiimes  e(  dtî  oeut  archers.  Quant  aux  vassaux  ilii 
duc  de  Bourbon,  tons  avaient  répondu  à  l'ajtpel  do  leur 
suzerain.  Enfin,  au  dernier  moment,  unmbre  de  chevalier**. 
dont    la  venue    n'était    pas    annoneée,    avaienl   rejoint    let 


fiiertte  de  Picquigny,  mari  de  Jeanne  de  Wcrchin.  En  I37a,  il  com- 

"imandait  à  vingt  et  un  chevaliers,   quatre-vingt-neuf  écuycrs  et  cent 

vingt  hommes  d'armes.  Il  était  h.  Tost  de    Ilûurbourg  (sept.   13H3y. 

guerroya  eu  Poitou  (1383),  fut  envoyé  à  Gravcliniys  et  à  Dunkerqm» 

(»n  1384  (Kroissart,  édit.  Kcrvyn,  xx,  97-8). 

I.  Jolin  Beaufoii,  cumto  de  Derby,  fils  bâtard  du  due  de  Lancaslre. 
(jiif'lqiies  liistoriens  an^Oais,  llayward  (//»«/.  fie  Henri  iV.  p.  30-1). 
Hawdon  Brown  {Veneliûn  àtale  ptipen,  dans  la  coll.  des  Calcndarfi  «if 
slale  pa^jers  {Ixiudres,  18G4),  r,  Ixxxit  ont  dit»  d'après  le  témoignage  dcn 
chroniques  de  Saint  Denis,  que  le  comte  de  Derby  (lU>)infj;broke,  pliiN 
Iniil  Henri  iv)  prit  part  à  l'expédition  de  Ikirbarie  avec  trois  cent:» 
rhevaliers.  C'est  une  erreur.  Derby  assista  aux  joules  de  S.  Infjrelbprl 
prés  de  Boulo^ie  (mars-mai  1U9U1:  il  y  jouta  le  20  avril,  et  dutquiUer 
Calais  vers  le  6  mai.  C'e:»t,  en  eiïct,  à  cette  date  que  commence  h* 
compte  du  trésorier  du  voyage  de  Prusse.  Kn  quittant  Calais,  Deriiy 
alla  combattre  avec  les  Teutonique-s  dans  la  marche  de  Prus&e;  il  re- 
vint à  Bolingbroke  le  30  avril  1391.  De  là  il  f^t  le  pêterinaiirc  des 
Lieux  !Saints,  et  revint  a  Venise  le  18  nov.  i3y2;  mais  il  est  impos- 
sible de  confondre  ce  voyage  avec  le  voyage  de  Barbarie,  antérieur 
d'un  an  au  pèlerinage  en  Orient  (Baron  Pichon,  Partie  inédile  des  chro- 
niques de  S.  Denis,  Paris,  186'i,  in-8".  p.  ':i.  —  Londre.s,  Record  office. 
IhK'hy  of  Lnncaster  ttcconnfs.  class.  28,  bundle  1.  n"  6.—  Cf.  Mdnfilfthf- 
rir/,1  der  K.  Pr.  Ak.  der  Wisneuschnflnx  zu  Berlin  (1857),  '1O6-I;). 

2.  l*ouis  de  Clifford,  •  un  moult  appert  et  vaillant  chevalier  d'An- 
gleterre »,  frère  de  Thomafi  de  Clifford,  appelé  aussi  Balpb,  lortl 
S'evill;  il  était  cousin  germain  de  Jean  Chandos  et  mourut  en  1&UG. 
V.  sur  ce  personnajre  Dugdale's  liaronotje,  i,  297. 

3.  Probablement  sir  John  of  Clinton  1132G-97),  uoveu  et  héritier  de 
(ïnillaume.  C4)mle  d'Huutingdon. 

') .  Il  semble  que  ce  poraunuage  &oit  le  même  que  ClifTord.  Voir  plus 
haut  la  note  2. 

.»,  Probablement  sir  John  Cornwall,  chevalier.  Il  faisait  partie  de 
U  suite  du  duc  de  Lancastre  et  du  roi  de  Castille  en  1388.  Il  reçut 
eu  1400  du  roi  Richard  u  le  manoir  de  Chipping  Morlon;  il  épousa 
en  l^i02  Elisabeth  de  t^ancastre,  comtesse  de  lluuiingdon.  (L.ondreâ>, 
Kecortl  office,  Gascon  ftoHs  1 1  liic,  11,  m.  '1  ;  Pal.  rolls  22  fUc.  u,  part.  3. 
m   42;  et  2  lien,  iv,  part.  3.  m.  '»•,  —  Bym^r,  Fondera  vu.  583J, 


"  i- 


EFFECTIF   in;   L*AaMKK   I)KS  CROISKS.  17/ 

croisés  :  parmi  euxBêrand.  comte  dauphin  d'Auvergne',  lo 
vîcornle  dX'zès*,  ot  maint  autro.  LV'laii  avait  été  iinivei-sel*. 

Il  est  assez  difficile  de  déleruiiiier  l'eflectif  des  croisés; 
malgi'é  le  témoignage  de  Froissarl,  qui  fixe  à  quatorze  cents 
le  chiffre  tolal  dos  rhovaliors  oi  éciivors,  il  est  probable  que 
le  nombre  de  quin/r  cents  cluîvaiiers,  auquel  Charles  vi  avait 
limité  les  troupes  françaises,  fut  facilement  atteint;  il  con- 
vient d'y  ajont*M*  l^s  conibaîtants  étrangers  pour  lesquels 
nous  n'avons  aucune  base  d'évaluation.  Les  Génois  founiîrent 
milïo  nrbalélriers  et  les  équipages  des  navires,  au  total 
environ  quatn*  mille  cnnibattants;  d'apn^s'  un  chroniqueur 
i-ontemporaiiï,  ils  levèrent,  en  outre,  un  couliugHiit  de  deux 
niilh*  hommes  d'armes.  Quoi  qu'il  en  soit,  rt^xpédition  était 
uiuoériquement  considérable,  ot  pouvait  esptTPr  do  sérieux 
avantages  sur  les  Musulmans*. 

liO  commandement  de  la  flotte  avait  été  attribué  à  Jean 
Coiiiurioni'  d'Ollramarino.  unOniiois,  jïarf'nt  du  dogoAdorno, 
D'uno  ancicnno  fanùllo.  rlonl  nn  reprM^0Il1ant  s'était  illustré 
liés  le  Xiii'  siècle  au  service  do  la  république,  l'iuiiiral  avait 
rompli  d'importantes  fonctions  politiques  ot  coiumerciales 
dan-*  sa  pairie;  en  1388,  il  avait  pris  part  à  la  conquête  do. 
l'île  de  (ierbi,  cl  son  rôle  dans  a'it(^  campagne  l'avait  dé- 
signé an  choix  dos  Génois  comme  chef  do  la  tiotto  coalisée. 
Les  opérations  maritimes  lui  furent  dévolues,  taudis  que  le 


I .  Béraud  n.  flU  de  Béraml  i  et  de  Mario  de  Villemur.  Froiiwart 
l'appelle  •  lo  gentil  coTite  dauphin  •.  C'tMait  un  de  ses  protecteurs,  et 
il  m*  manque  aucune  ocoabirm  de  raconter  avec  d»^tail  les  prouesses  de 
ri*  iK»rsnnnage  (Kroissart.  M.  Kervyn.  xx.  2l.î-'i). 

J.  Alxiiuf,  vicomte  d'Izùs,  mari  do  [iaii|itiine  de  la  Hoehe. 

'A,  Kroissart,  éd.  Kervyn,  xiv,  155-6  et  32i-5;  —  Chronique  du  bon 
tittr.,.,p.  222  et  227;  —  Chronique  lie^  quatre  premiers  Valois., 
p.  :nî-5;  —  firlifjieiix  df  Saint  {ieniit,  i.  f»ô2-:j.  Vuir  aux  pïèeesjufili- 
JiraiiveK  m"  IV)  la  liste  des  chevaliers  qui  prirent  part  à  la  croisade. 

%.  FroiRsart,  iSI.  Kervyn>  xiv.  157;  — Chronique  du  bon  duc.f 
p.  222-3;  —  J.  Juvf^tml  des  l'rsins,  n,  :ï8a.  —  Le  Heti/fieux  de  Saint 
tieniâ  (i,  r»52-:t\  ilont  Ips  i-valuations  sont  jîënéralemeni  exagérées, 
parle,  en  outre,  de  rlfiix  mille  hommes  d'armes  fournis  par  Gènes. 
M.  MazAs  {Vie  dm  tjrandK  rapitainei,  ni,  t20-IJ  donne  les  chillres 
suivants:  deux  mille  r))evaliers  à  bannière  uu  ù  pennon,  sept 
mille  éeuyers,  eint)  mille  gros  varlots  armés  fi  lu  légère,  trois  mille 
Xi'UK  de  tmit.  la  pUipail  Gascons;  en  tout  dix-sept  mille  hommes. 
>uUK  ignorons  \os  irinnignage-s  qui  ont  servi  de  base  à  ce  calcul. 


178  KXPKDITIOX   DK    RaRBAIUR. 

duc  de  Boiu'boa  restait  charg<>  do  la  couduiie  des  opérations 
militaires*. 

Centurione  étiit  à  la  tête  d'mi  arinetueut  maritime  consi- 
dérable; les  soiircps  génoises  l'évaluent  à  quarante  gnlèros 
et  à  vingt  vaisseaux  de  transport;  le  cbri>ni(nieur  du  duc 
do  Bourbon  û  vingt-deux  galères  et  dix-huit  nefs  <  Unt  de 
<  guerre  et  de  cours'.  »  An  milieu  des  exagérations  d'autres 
lêinuijiçnages  d'origine  française',  ee  dernier  chiffre,  émané 
d'un  lémoiu  oculaire  qui  n'avait  aucun  intérêt  à  s'écai'ter 
de  la  vérité,  semble  devoir  être  préféré  à  celui  des  auteurs 
génois,  naturellement  enclins  à  l'exagération  en  cette  circons- 
tance. 

«  Grant  beaulté  et  grant  plaisauce  fut  à  veoir  Tordonnaure 
«  rlu  (ieparlenient  »  ;  c'étaient  de  toutes  parts  bannières. 
pennous  et  «  escus  armoiés .  , .  qui  venteloient  au  vent  ei 
«  resplendts.soient  au  soleil  >.  Au  moment  oA  les  ancres 
furent  levées,  nn  entendit  sur  les  hrUinieats  les  «  trompettes 
4  et  clarnns  retentii"  vt  bondir,  et  autres  ménestrels  fain- 
«  lem'  raestier  de  pipes  et  de  clialeinelles  et  de  naquaires.  » 
Toute  la  nier  résonnait  du  son  dos  instruments;  la  flotli' 
traversa  la  mde  et  attendit  le  jour  avant  de  prendre  Ir 
large  *. 

Elle  se  dirigea  vers  Gènes  en  longeant  les  côtes  de  Pro- 
vence et  de  Ligurie  ;  le  troisième  jour  elle  relAchait  à  Porto 
Fino,   tandis  que  le  duc  de    Bourbon,   avec  une   suite  de 


1.  Giustiniani,  n,  163;  —  Stella.  (Muralori,  xvi,  1128-9):  —  l'.  Fo- 
jtliefa,  éd.  de  lô85,  f.  165  ;  —  J.  Juvi^na!  des  Lrsins,  it,  384.  — 
Kti  1241,  Guillaume  Ollramarinu,  beau-jxjre  de  Jean  llrsino.  était  l'^a- 
pitaine  de  cent  Itoniines  d'armes.  Jean  Centurione  était  fils  de  Raphaël 
Centurione;  sun  nom  liffurc  dans  des  aciesde  IJ'O  et  1U77;  à  partir  tie 
1380,  it  ct(t  iiUimeinent  mêlé  aux  an'aires  de  la  ril^ptiblique  génoiî^e  el 
jusqu'à  Ba  mort,  survenuo  apix-s  1413,  Jean  Centurione  r>ocupA  dans 
va  patrie  une  situation  cxeeptioimello.  Nous  aurons,  dans  le  cour»  de 
ce  travail,  occasion  de  reneontrer  plusicurH  fois  le  nom  de  ce  person- 
nage L'onsidérablo  |  Renseignements  communiqué-s  par  M.  l'avocat 
C.  Desimoni). 

2.  CiiuKllniani.  n.  163;  —  Stella,  (Muralori,  wu,  128-9);  —  IJ.  Ko- 
glieta,  éd.  do  1585.  f.  165:  —  Chroni/fue  du  bon  fiuc...^  p.  229. 

3.  Le  fteh't/ieux  de  Saint  Vents  \}a.vie  il.  Sâ2-'d)  ûe  quatre-vingts  vais- 
seaux. Fruishart  (éd.  Kervyn,  xiv,  157)  indique  le  cliilTfre  de  cent  vin>rt 
galères,  deux  cents  vaisseaux  cl  cent  vaisseaux  d'appruvisionncmeri^i. 

4.  Kroissart,  éd.  Kervyn,  xiv,  157. 


ITINKRArRE   SlIVl  PAR  I^   FLOTTE.  179 

quelques  soigneurs,  doiscondait  à  terre  et  entrait  à  Gênes, 

<  grandement  receu  et  festoie  <tu  peuple  >.  Mais  sans  s'ar- 
ivter  dans  la  ville,  après  une  visite  au  doge,  il  regagna  sa 
fr:»Iêre,  et  l'on  remit  :\  la  voile  à  desiiuaiion  de  Porte  Venere. 
Dt»  ce  point  Texpi^dition  mit  le  cap  au  sud  vers  l'Afrique, 
passant  entre  la  Cov^^g  et  les  îles  de  Gorgotia  *  et  d'Elbe,  et 
lungennt  la  côte  orientale  de  la  Sardaigne  ;  elle  se  ravitailla  à 
la  Guîllastre',  à  Cagliari  [Chas tel  à  Caillé  ,  et  à  la  Mousière. 
Mais  la  traversée  avait  été  si  rude  et  si  périlleuse  qu'au 
premier  enthousiasme  avait  succédé  !c  découragement,  et 
qu<*  plus  d'un  des  croisés  aspirait  à  regagner  sa  patrie.  11 
fallut  toute  l'autorité  du  duc  de  Bourbon  pour  empêcher  les 
défections.  Quand  les  Chrétiens  quitièrent  la  Sardaigne,  ils 
h'étaienl  pas  à  la  fin  des  dangers.  En  travi^rsani  In  gouffni 
du  Lion,  endroit  redouté  des  navigateurs  du  uioyuji  âge,  la 
rintie  courut  le  risque  de  se  perdre.  Une  tempête,  qui  dura  un 
jimr  ft  une  nuit,  la  mil  en  péril,  «et  n'y  avoit  si  sage  patnm 
«  ni  niapintiier  qui  y  srrui  mettre  ni  donner  conseil,  fors  qm* 

<  attendre  la  volonté  de  Dieu  et  l'aventure.  »  Quand  la  mer 
et  le  vent  furent  apaisés,  les  capitaines  des  navires  cher- 
chèrent à  gagner  Pile  de  Coniglicra,  qui  n'était  qu'à  sfMZo 
lirues  d'Africa;  c'est  là  qu'en  prévision  des  gros  temps, 
rt'udez-vous  avait  été  donné  aux  vaisseaux;  le  duc  y  rcdAcha 
ptMidant  neuf  jours,  attendant  que  les  galères  égarées  ral- 
liassent le  gros  de  la  Hotte  ^ 

C'est  pendant  ce  délai  q\ie  h^  plan  de  campagne  fut  défini- 
tivement arrêté.  Les  chefs  dt'  rexj)édilion.  réunis  en  conseil, 
ré.Holurent  de  prendre  terre  devant  Africa  et  de  s'emparer  de 
la  place.  Nous  avons  déjà  montré  plus  haut  l'importance  stra- 
tégi(iue  de  cette  posiiinuet  les  conséquences  qTie  devait  en- 
traîner sa  chute;  avec  elle  les  princes  africains  ])crdaienl 
le  ineillour  port  de  la  côte  barbaresque,  un  refuge  pom*  leurs 
corsaires  et  la  setdc  ville  capable  de  couvrir  leurs  états. 


1.  Ilot  de  la  mer  de  Toscane,  un  peu  au  sud  du  parallèle  de 
ï.ivoiime. 

2.  Aujourd'hui  OgHastro,  petite  ile  près  dn  la  côte  est  de  Sardaigne. 

3.  Froi&sart.  éd.  Kervyn,  MV,  1Ô8-9;  —  Chronique  tlii  bon  tjiu\.., 
p.  229;  —  J.  Juvènal  des  Irsins,  n.  :(8i;  —  Hetiyieux  de  Suint  firnit^ 
II,  654-7.  —  La  Chronique  du  hon  duc  ne  parle  aucunement  des  gro» 
temps  que  l'expédition  eut  à  supporter. 


\m 


EXPKniTION   DE   IIARHÂKIK. 


AfriL'ii  était  <  malemciil  forte  »,  ci  défiuîl  nu  coup  de  main  ; 
pour  la  conquérir  un  siège  était  indispensabk*.  Elle  présentait 
par  s:i  configuration  la  f'irnie  d'un  arc,  «  le  plus  large  devers 

<  la  inor  »  ;  les  uinrnillfs  dn  lencfinte  étaient  élevées,  les  tours 
«  dru  semées  »  et,  <  au  hv-c  du  havi'e  »  une  grosse  tour, 
armée  de  bricoles  qui  lan<^'ai('nt  de  gi'ands  carreata.  dominaii 
rentrée  du  port'.  Le  dur  de  Lîuurbun,  dans  la  prévisiou 
d'une  sérieuse  résistance,  ordnnna  son  armée  en  trois  corps. 
L'avant-garde,  eoniposéo  rlc  huit  cents  hommes  d'armes  el 
de  cent  arbalétriern  génois,  tut  mise  sous  les  ordres  de  Couov 
et  d'Eu  ;  le  duc  se  résena  le  comm<uidement  du  corps  prin- 
cipal, formé  des  gens  de  son  hôtel  et  de  ses  feudataires  ;  s 
rarrière-ganle  les  contingent*!  ang:lais,  gascons  et  génnis  fie- 
raient obéir  au  soudic  dt^  la  Trau,  au  sire  de  Castillon,  el  au 
comte  dauphin  d'Auvergne  '.  On  régla  ensuite  l'oiilre  de  dé- 
barquement d'après  l'avis  des  Génois,  marins  fort  expéri- 
mentés et  connaissant  parlailemeiit  les  côtes  de  Barbarie.  11 
fut  ilécidé  que,  pi»ur  entrer  dans  le  port  d'Africa,  on  mettrait 
eu  première  ligne  les  plus  petits  vaisseaux  armés,  les  bri- 
ganlins,  qu'avant  d'y  pénétrer  on  se  tiendrait  immobile  pen- 
dant une  journée,  et  que  le  lendetuain  on  se  logerait  le  plus 
près  possible  de  la  ville  afin  d'opérer  le  débarquement  hors 
de  portée  des  projectiles  lancés  par  la  grosse  tour,  et  sotis  la 
piv)tectioa  des  arbalétriers  génois  <  lesquels  seront  tousjours 
«  prests  aux  deffenses  et  aux  escarmuches'  ». 

Ces  mesures  prises,  la  Hotte  quitta  Conigliera;  la  tempél*» 
était  caluiée,  l'air  était  «coi,  clair,  sùvy  et  attrempé  »,  les 
matelots  faisaient  force  de  rames,  la  mer  €  se  feadoît  et 

<  hruissoii  à  rencontre  d'eulx,  et  se  montroit  par  sainblant 


1 .  Fi-fiitvart  (éd.  Ken yn,  xiv,  152  et  216-7)  compare  la  ville  à  Calaiï^. 
tant  au  ftoint  de  vuo  de  ta  cunfigui'ation  t<)pogniphir|ue  que  c«mnif 
clef  du  pays,  car  fille  est  •  elef  H  retour  des  BarbarJns  et  rie  ceulx  du 
■  royaulm«  d'Au(rri()ue  «t  du  royanliufl  de  Hou}{ie  el  de  Thwiies  et  det 
-  myaulmes  iniîrédiiles  de  par  delà  ■'.  —  La.  bricole  était  une  madiiiu* 
de  giieriH*  à  fléau  cl  k  contrepoids,  analogue  au  trébuchet,  V.  fiay 
{Chas,  arch.,  217). 

2.  Chronique  du  bon  tluc. . .,  p.  320-30.— Juvénat  des  IJniins  (ii,  384) 
et  le  Betiyieux  de  Saint  hcnîn  (i,  (t56-^)  ili.sent  à  tort  qiin  les  Angtaîs 
débarquèrent  les  pretnicrs.  [/ordre  de  marche  fixé  par  le  duc  rend 
cotte  aâscition  inadmissible. 

3.  Froissart,  éd.  Korvvn,  xiv.  212-s. 


4  qu'elle  avoit  grand  désir  que  les  Crestiens  venissent  devant 
<  Auffrique  ».  On  nrriva  en  vue  de  la  ville  *  environ  heure  de 
€  basse  nonne  ».  LVnnomi,  de  son  rn(é,  ôtail  prévenu  et  sur 
ses  gardes,  mais  rimportance  de  rexpédition  l'étonna  ;  il  ne 
«'attendait  pas  â  une  pareille  concentration  de  forces.  Ce- 
pendnnt.  ronfinnl  dans  1rs  nïurailjos  de  la  pince,  il  s'apprêta 
sans  rraînie  â  soutenir  le  olmc  des  Chrétiens.  Ceux-ci,  fidèles 
au  plan  convenu,  arrivés  vers  le  soir  à  environ  une  lieue 
de  la  terre,  jettèrent  l'ancre  à  Tentrée  du  port  jusqu'au 
lendemain. 

Pendant  In  nuit  les  SaiTasins  tinrent  conseil  :  les  uns  vou- 
laient s'opposer  au  débarqu<*ment,  les  autres  proposaient  de 
n'y  pa>*  mettre  fdjstade  et  de  résener  t(jutes  leurs  ressources 
pour  défendre  la  ville.  L'armée  clirétieune,  disaienl-ils,  est 
nonibrousi»,  composée  de  g:uerriers  d'élitp,  et  les  troupes  mu- 
sulmanes ne  peuvent  résister  à  raruieiinMit  îles  arbalétriers 
génois.  Mieux  vaut  donc  ne  rien  tenter  contre  rennemi  et  se 
retirer  dans  la  place  ;  elle  est  en  état  de  résister  à  un  assaut  ; 
le  temps  et  le  climat  se  chargeront  d'affaiblir  les  assaillants'. 
Ce  dernier  avis  prévalut,  et  on  laissa  le  champ  libre  aux 
croisés.  Le  lendemain  (?:?  juillet  1390;,  les  vaisseaux  légers 
de  la  flotte  pénétrèrent  sans  encombre  dans  le  port,  iimlgré 
les  projeclilos  lancés  par  la  grosse  loiu*;  les  galères  suivirent 
t'U  bfui  ordre;  leur  tirant  il'eau  les  euïiiéchant  d'atteindre 
le  rivage,  les  troupes  furent  conduites  à  terre  par  des  barques, 
et  campées  «  A  rordonuanre  de  leiu's  mareschaulx'». 

Le  chroniqueur  nous  a  conservé  le  souvenir  iln  cumpemeut 
d*»s  croisés  autour  de  la  ville  :  au  centre,  la  tente  du  duc  de 
liourlxin,  surmontée  de  sa  devise  et  de  sa  bannière.  Cett*  der- 


I.  Froissart  (éil.  Kervyii,  mv,  218-20|  met  l'avis  de  résister  aux 
Chrétiens  dans  la  bouche  diîii  Sarrasin  appelé  .Maditcr,  et  l'avis  con- 
traire dans  celle  de  Belluis.  bire  de  Maldages.  11  est  difticile  de  dire  si 
re»  numu  sont  hiti'.oriijue»,  on  »'i\»  ont  servi  seulement  au  cbruniqueur 
il  perHoniiifier  son  nVIt. 

•-V  Friiibsart  («S3.  Kervpi,  xiv,  223)  se  trompe  en  disant  que  le  dé- 
lmr(|ut'mt*nt  *'ut  lit»»  Ih  mrrcretti.  E»  131*0,  la  sainte  Madeleine  tombait 
tiri  vetuiretii.  iCfimnit/ue  du  hou  duc...,  p.  230.)  —  Le  fieligiettx  dr 
Srtint  ffrni»  (i,  «».'»8-6lj  et  Juvènal  des  Lrsiris  (n,  384),  Giustiniani 
fu,  I6H)  et  r.  KuglJett  (f.  165)  ont,  à  tort,  raconté  que  te  débarquement 
w  til  au  prix  d'un  combat  arharné,  dont  l'bonneur  revint  principale- 
ment aux  archera  anglais. 


EXI»i:DITtO>    DK    BARBARIE. 

nière  était  aux  armes  do  France  pleines,  sur  lesquelles  so 
riêtachait  en  blanc,  an  centre,  nno  image  rie  la  Vierge,  as^lM* 
et  ayant  â  ses  pieils  l'êcu  de  Bourbon;  elle  servait  de  signw 
de  ralliement  â  toute  l'aj^mée.  A  dmite  et  à  gauche  étaieni 
dressées  les  lentes  des  chevaliers,  chaeuuG  portail  la  bannièn- 
Mil  le  pennon  aux  couleurs  de  celui  n  qui  elle  appartoîiail  : 
toutes  faisaitmt  fnmt  aux  murailles  ;  les  arbalétriers  occu- 
paient les  deux  extrémités  de  la  ligne  et  couvraient,  vu  leur 
nombre,  «ne  assez  grande  étendue  de  terrain  ;  ils  «  encloyoient  » 
les  seigneurs  dans  leur  campement.  Quant  aux  approvision- 
nements, ils  provenaient  des  bâtiments  de  transport,  et  c'étaii 
\in  va-et-vient  continuel  de  barques  entre  les  galères  et  le 
camp  poui'  assurer  les  subsistances  des  troupes  V 

Le  duc  de  Bourbon  avait  lieu  de  s'applaudir  du  début  ih' 
la  campagne  ;  jiorsonnc,  en  effet,  ii*ent  osé  se  flatter  <|ue  Ir 
débarquement  s'efTectuerait  sans  combat,  sous  les  mursd'iun; 
]tlaco  défendue  par  une  garnison  nombreuse,  dans  un  pays  uii 
trois  rois  sarrasins  tenaient  la  campagne  avec  des  forces  run- 
sidérables.  On  a  peine  â  comprendre  le  motif  qtii  dicta  hi 
conduite  des  Musulmans  si,  comme  le  disent  les  chroniqueurs, 
plusieurs  milliers  de  combattants  étaient  enfermés  dans 
AfricaV 

Toujours  est-il  que  ceux-ci  restèrent  deux  jours  A  obseiT(M' 
les  mouvements  des  Chrétiens  sans  oser  les  inquiéter;  ce  répit 
fut  mis  à  profit  pour  consolider  l'assiotte  du  camp  et  investir 
la  place.  Du  cUé  de  la  mer,  la  dotte  génoise  fut  chargée  du 
blocus;  u[ie  seule  porte  mettait  la  ville  en  communicatimi 
avec  la  |dage.  Du  colé  de  la  terre.  Tarméc  surveilla  les  trei* 
portes  qui  donnaient  sur  la  campagne. 

Le  troisième  jour,  vers  le  soir,  au  moment  où  les  croi- 
sés soujiaient.  THuneuii.  remarquant  peu  de  mouvcmeni 
dans  leur  camp,  profita  de  cette  cireonsiance  pour  faire  une 
sortie.  Henry  d'Antoing*  était  de  garde  avec  mille  arba- 
létriers génois  el  deux  cents  hommes  d'armes,   composiuil 

1.  Kroissart  (éd.  Korvyri,  xiv,  224-6)  donne  la  description  dos  prin- 
cipaux seigneurs,  de  letirs  tentes  ot  de  leurs  bannières. 

2.  I>uu/:t>  mille  d'après  la  Chronique  tlti  bon  tfuc  (|i.  2:tMi;  six  niiJtr 
iraprcs  le  livli'jieux  df.  Saint  Oeniit  (i,  ti5(j-7);  deux  mille  seulemeiil 
d'après  Juvénal  des  l'rsius  (m,  381);  mais  ces  deux  dernières  autorités 
«ont  suJeUes  â  «caution. 

3.  Voir  plus  haut,  p.  175. 


ATTAQUE  DO  CAMP 

pour  la  plupart  l'hi^tol  du  duc  :  les  sires  rie  l'Espinasse*,  de 
Chàtol-Munragnc'  et  de  saint  Priest',  Blain  Loup,  maréchal 
de  Bourbonnais \  messire  le  BaiTois'  faisaient  partie  de  ce 
contingent;  \h  étaient  comme  le  bailli  de  Bourbonnais. 
Tachon  de  Glï^nê',  comme  Robert  de  Damas',  garde  du 
pennon  ducal,  comme  Kenau<l  t\o  Bressolles*,  comme  l'êGuyer 
Oauvain  Micbaille*.  pour  ne  citer  que  (quelques  noms^  les  ser- 
viteurs les  plus  fidèles  de  Louis  deBourlcm,  ses  compagnons 


1.  Philibert  de  l'Espinasse  fut  un  des  quatre  chevaliers  nommés  par 
Je  duc  de  tlourbon  lors  de  la  création  du  conseil  de  Dourbonnais  (vers 
1368).  Il  prit  part  au  combat  de  la  barnùrc  amoureuse,  prés  de  Planoy, 
en  1374.  {Chronique  rfii  bon  duc. . ..  passim.) 

2.  Guillaume  de  Ch;Ue!- Montagne  fut  compris  dana  la  première 
promotion  des  chevaliers  de  l'Ecu  d'or,  cvèôi^  pîir  le  duc  de  Bourbon. 

3.  H  avait  pria  part,  avec  le  duc  de  llourboii,  à  l'expédition  de 
Klandreetàla  bataille  do  Itosbecque  en  1382.  {Chronique  du  bon  duc.,., 
p.  169-72). 

\.  lUain  Loup,  sire  de  Beauvoir.  Froissart  l'appelle  le  Lonvart.  Il 
i&»)»ta  à  la  bataille  de  Hostiecque  (1382),  à  la  campagne  de  Guyenne 
(l^Ôi,  â  la  prise  de  Tailleboiii'g  et  de  Verteuil  (t385'  où  il  se  distingua. 
11  renta  en  Poitou,  tandis  quo  le  duc  rclourtiait  à  Paria  avec  une  partie 
de  ses  forces.  .Nous  le  retrouvons  à  l'Ecluse  au  moment  du  projet 
avorté  de  descente  en  An(j;lotorre  (1386)  et  à  l'assaut  de  Brassempuing 
en  Bordelais  \Chronique  du  hou  duc. . .,  passim). 

Â.  Partout  oit  le  duc  de  Hou rbon  porta  les  armes,  le  Barrois  l'ac* 
oompagna  :  h  Hrive  la  tiaillardc  (137%),  à  la  Hoche  Senadoire  (1375), 
à  Ronbecque  (13K2),  h  Paris«  au  retour  de  la  campa^ïnc  de  Flandre,  à 
r£4'luse  et  en  ICspagne  (138(i).  Il  défendit,  avec  l'hàtcamnorand  son 
rousîn,  \antes  contre  les  Anglais  i  IHHO-t.'tKl  i,  prit  part  avec  lui  auN 
joutes  de  Vann('sîl381iet  â  l'exp^^dition  de  Bretagne  (l387}jCommandép 

par  le  connétable  de  Clisson,  {Chroniifuv  du  bon  duc ,  passim) 

En  140H,  il  conduisit  deïi  renforts  à  dt^nes  au  maréchal  lloucioaut,  tou- 
jours en  compagnie  de  (  liineauniorarid.  C'était,  avec  ce  dernier,  un  des 
servitrurs  les  plus  aimés  de  biuis  n. 

6.  •  pour  ses  bonnes  coutumoK  on  l'appela  le  bon  bailli  de  Uour- 
•  bunnois  •,  dit  la  Chronique  du  bon  duc.  Ce  fut  également  un 
raillant  homme  do  guerre;  il  <^laîl  ^^^*uye^  lors  des  campagnes  de 
Flandre  (1382)  et  de  Guyenne  (1385),  dans  lesquelles  il  se  distingua. 
iChrtiniffue  du  bon  due...,  passim.) 

7.  A  l'expédition  de  Flandre  (1382)  et  à  Verteuil  (campagne  do 
Coyonne,  13K5)  il  se  signala  par  sa  bravoure;  il  remplaça  Jean  de 
riiâteaiiniorand  dans  la  charge  iU-  porte-bannière  du  duc  (Chronique 
du  bon  duc. . .,  passim). 

*,  Ce  personnage  lit  les  mtMnes  r.-iui]>agnes  que  Robert  de  Damas. 
9.  Gauvaiii  Michaille  prit  part  h  rexjirditîun  d'Auvergne  (1375).  Kn 
1379,  it  fit  partie  de  l'escurte  que  le  duc  de  Bourbon  donna  à  Du 


184 


EXPEDITION    UE   BARBARIE. 


d'armes  les  plus  dévoués.  A  côté  d'eux,  se  tenaient  le  sire  de 
Chastellus  ',  et  ses  deux  fils  Guichard  et  Jean  de  ChAteau- 
inoraïid  ;  cp  dornier  joua,  tant  pu  lîarbario  )|uc  par  la  suilo 
on  Orient,  uu  rôle  si  con.sidorable  *iu'il  n'est  pas  hors  do 
propos  de  rappeler  en  quelques  lignes  les  débuts  mililnires 
(le  ce  jeune  chevalier. 

Châteaumorand,  uê  vers  1355,  avait  fait,  sous  le  waro- 
rhal  de  Sancerre,  ses  proinièrcs  armes  en  Berry  (vers  1371  . 
F'artout  oi'i  les  liasards  de  la  vie  militaire  avaient  conduit  Ii' 
tlur  de  Huurbon.  il  l'avail  suivi  connue  écuvei-  portant  !<• 
pennon  ducal.  Nous  le  voyons  assister  au  siège  de  Suinte 
Sôvère  (I37t?},  à  la  barrière  nnioureusi'  prè.s  de  Plancy  (I37i  , 
se  distinguer  à  Tahsaut  de  Urive  la  Gaillarde',  à  Traci*os  eu 


fiuesclin  lorsque  celui-ci  traversa  le  Bourbonnais  se  dirigeant  ver.< 
l'Espagne;  plus  tard  il  combattit  constamment  aux  côtés  des  chcvalifi's 
dont  il  était  le  compagnon  devant  les  niui>  <J*\frica.  Il  fut  grièvcnu'iii 
blessé  à  l'assaut  de  Sluii  vu  Valais  en  i:i8»>.  F,ii  lloo  (lOjanv.  n.  s.)  il 
reçut  un  don  de  roiit  francs  du  duc  d'Orli-aiis.  yKhronùfue  du  tmn 
ttur...,  paiisim,  Bibl.  nat.,  fram;.  nouv.  acq.  WMK  pièce  U'iO). 

1 .  llugue«  de  Chastellus.  sîiv  de  Ch.-^leaumorand,  l'ut  le  dernier  h 
porter  ce  nom  ;  sa  famille,  à  la  fuis  va-ssale  des  comtes  de  Forez  et  des 
ducti  dr  Bourbon,  se  distln^'ua  par  sa  fiikHité  inébranlable  à  ces  der* 
niers.  La  première  promulion  dos  chevaliers  Je  l'Kcu  d'or  créés  par 
Louis  \i  la  récompensa.  Uuand  le  duc  revint  de  captivité,  Hugues 
l'aida  à  reprendre  teschiUeauxdu  Bourbonnais  occupés  par  les  Anglais 
(lo67-8),  le  suivit  on  Kspagnc  (1376),  h  la  campagne  de  Flandre, 
assista  avec  ses  lîls  à  la  bataille  de  Rosbec<]ue  (l:)82|,  et  tit  partie,  ainsi 
que  son  second  KU,  des  forces  réunies  à  l'Écluse  en  l:i86,  on  vue  d'un 
projet  de  descente  en  Angleterre.  Oe  »oii  mariage  avec  Marguerite  tle 
la  Porte,  il  avait  eu  trois  enfants,  une  tille  Béatrice^  et  deux  HIs,  Gui- 
rhanl  et  Jean,  qui  Ruivireiit  U's  traces  du  leur  père.  I.'ainê,  (ïuicbaril. 
Ht,  avec  son  frère,  ses  premières  armes  Contre  les  Anglo-tlascons,  souk 
le  commandement  ilu  maréclial  \ju\m  de  SanceiTC,  auquel  le  duc  de 
Bourbon  avait  fourid  un  contingent  de  deux  cents  hommes  d'armes 
pour  tenir  en  resiieet  la  garnison  an;jrliuse  de  Sainte  Sévère  (Indre, 
urr.  I.a  Clii'ilre,  clief-lieii  île  canl.l.  Dans  une  escarmourhe  soutenue 
par  lui  et  son  frère  avec  six  autres  m-ntilMïnmmes,  il  Ht  pri.s(Minier  un 
aventurier  anglais,  Michelet  la  (iiiidc,  dunt  les  exar'tions  ruinaient  lis 
enviruns  de  Suuvigny  (Allier,  arr.  Moulins,  chef-lieu  de  rant/.  Quel- 
ques années  plus  lard,  il  entrait  le  premier  dans  le  etmleuu  de 
PuîtiorS}  pris  par  le  due  do  L^mrUoii  dans  la  campiigiie  de  1^72  eoin* 
mandée  par  Du  (>ues<'lin.  Il  M^t  distingua  à  Itoshertiiir.  et  mourut  à 
C'iénes  au  retour  de  la  croisade  do  Barliarie  {(.hroui'iur  iin  bon  flitr..., 
IHissim). 

2.  Corrèïc,  cliiT-licu  il'iirr. 


PREMIÈRES   \RMK$   DE   CHATEAUMORAND.  185 

Ativergne'  et  à  la  Roche  Seuadoire  (1375)*,  accompagner  en 
Kspagne  son  suzeraîa  la  même  année,  et  mener  toujours  la 
bannière  île  Bourbon  au  plus  fort  ilu  péril.  A  partir  du  siège 
de  Nantes  (1380),  il  eut  le  coniniandeineut  d'une  compagnie 
de  gens  d'ai'raea  et  la  garde  du  ije[iuon  fut  confiée  à  Robert 
de  Damas.  Le  jour  du  sacre  de  Charles  vi,  au  bani(uet  solennel. 
Chàteaumorand  fut  l'écuyer  au  giron  du<|uel  le  roi  tint  se-^ 
pieds  (\  novembre  1380),  et  celte  fonction  dut  lui  inérit<*r 
la  chevalerie  «  pi>ur  le  honneur  du  sacre  *. 

S'il  s'éloigna  <|ueliiuefois  du  duc  Louis,  ce  fut  toujours  ilr 
l'aveu  de  ce  dernier,  et  pour  prendre  parla  des  expéditions  dans 
b»st|uelles  le  nom  de  la  France  était  en^^agè.  C'est  ainsi  qu'il 
assista  aux  sièges  de  Châtcauueuf-de-Uandon  et  de  Nantes 
en  1380.  aux  joutes  de  Vannes  l'année  suivante,  et  qu'il 
acheva  la  délivrance  du  Poitou  commencée  par  le  duc  île 
BourWi,  en  restant  devant  Courlder  ^  les  Granges  *  et  Mont- 
raient* (1385  .  Fidèle  à  sa  devise  :  «  Quérir  honneur  par 
armes  ».  le  hanli  chevalier  ne  laissait  échapper  aucune 
occasion  de  *  bouter  avant  l'hostel  dont  il  cstoit  sailli*  ». 

Les  San*asins  s'étaient  flattés  de  surprendre  le  camp  chré- 
lien:  leur  espoir  fut  dôrii.  A  peine  se  furent-ils  avancés  que, 

I .  i'uy  dp  tWmc,  arr.  i  lormonl,  cant.  Rochofurl,  com.  Celle*. 
*i.  I'uy  de  l>ôme,  arr.  Clcrmont,  cant.  Ilochcforl. 
3,  Aujourd'hui  ruurbiac.  toi  et  Garonne,  com.  de  Villeneuve  sut 
Lot. 

I.   Lot  et  Gai*oniie,  arr.  Agen,  cant.  Raybbatt. 

5.  Aujourd'hui  Monbalen,  Lot  et  Garonne,  an*.  .X^un,  cant.  Lai-uque- 
Timbaut. 

6.  Pour  ce  qui  concomt'  Chàteaumorantl,  voir  la  f^hvoni'iue  du  htm 
fton. ...  i«wsiin.—  Seul  héritier,  (wr  lamoii  de  Hugues  et  Ju  {iiiitiianl 
ili.'  riia^tellus,  des  tief«  tant  paternels  que  maternels,  Jean  de  Chàtetiu- 
ini)i-Hiid  lit-rita  en  même  temps  des  exemples  et  de  la  vaillance  do  son 
jM'ri*  et  d<'  s«ii  trére.  Oiiilumate  et  Iiomme  il'épée,  il  ha  disliiijjua  pnr- 
tiriiliùrement  dtuih  les  ulluires  d'Orient;  suii  voyage  en  Barbarie  fut  la 
prrmiêre  étape  faite  dans  cclU^  voie;  les  MiivuntCH  se  succédèrent  sans 
interruption  pendant  une  (pnnznlne  d'années,  et  fln'itenumurand  mil 
HU  service  de  la  cause  clirélienue  les  (]u;tlilésli'>  jtlu:^  solides.  Kcriviiin. 
il  i*(>tu|tosa  la  t^/ironiqur  du  bon  tiur  Lmjfi  'le  /hitrbun,  reiueilliinl 
d»nx  cette  feuvre.  sans  jirétmition  littéraire,  sans  préoccupatimi  de  la 
\érité  liihtoriquo  ab;>ulue,  mais  avitc  la  plus  entière  burine  foi,  i^e»  »uii- 
venirs  personnel»  rebitifs  h  la  vie  de  Louis  ii  de  liuut'bun.  Il  avnit  été 
te  serviteur  le  plus  dévoué  dti  prince;  à  ce  titre  sa  chronique  est  uua 
iintorilé  de  )trfinier  ordre  en  plus  d'un  cas;  la  croisade  d'.M'riqne  est 
de  i*e  nombre. 


à 


lîXPKDlTIOiN    1}E    HYKBAHIE. 

vigoureusement  accueillis  par  les  croisés,  ils  durent  battre  en 
retraite  après  un  combat  d'oscarmouclie  de  deux  henrefi. 
dans  lequul  le  principal  rôle  fut  jorn»  par  les  arhali^triers  et 
les  armes  de  jet.  «  car  oucques  de  près  pour  assanibler  à  la 
*  main  de  glaive  ou  d'espt'e  ne  se  trouvèrent  ne  joignirent.  » 
Ottp  aflairo  coûta  aux  infidèles  trois  conts  hommes,  et  leur 
inspira  une  toile  frayeur  (qu'ils  restèrent  trois  semaines  sans 
tenter  de  nouvelle  sortie  '. 

Pendant  ce  temps  les  ruis  de  Tlemcen,  de  Bougie  et  de 
Tunis  tenaient  la  campagne  avec  une  armée  que  les  sources 
chrétiennes  évaluent  à  quarante  ou  soixante  mille  hommes*  ; 
nuelque  exagéré  que  puisse  être  ce  chiffre,  il  est  hors  de 
doute  qu'ils  disposaient  de  forces  considérables,  composées  des 
nomades  et  des  [topulations  de  la  c^to^  Les  Chrétiens  np- 
jirirent  bient<jt  qu'ils  se  proposaient  de  les  attaquer  dans  leurs 
positions;  pour  parer  à  cette  éventualité,  il  fut  question  de 
lever  le  siège;  le  duc  dut  combattre  personnellement  cet  avis 
et  faire  comprendre  aux  croisés  que,  s'ils  étaient  venus  en 
Afrique  pour  illustrer  leur  nom,  ce  n'était  pas  le  moment 
<  alors  que  honneur  venist  »  «le  ii*  pi^nire  [lar  une  pareille 
conduite,  et  de  faire  «  de  leur  honneur  deshonneur  ».  Eu  et 
Coucy  se  prononcèrent  dans  le  même  sens.  L'investissement 
continua  ;  maïs,  par  mesure  de  pinnlence,  ordre  fut  donné 
rrentourer  h*  campemoni  dr*  cordes,  maintenues  à  quatre  pieds 
au-dessus  de  teri-e  par  des  pieux,  et  destinées  à  arrêter  la 
cavalerie  sarrasine.  C'était  un  rempart  bien  léu^er.  niais  l'in- 
souciante témérité  des  Chrétiens  le  trouvait  sutlisant  pour 
éloigner  celte  «  canaille  ».  Cependant,  â  Tiiistigation  des 
(rénois,  alin  d'assur«>r  la  solidité  de  la  nouvelle  défense,  on 
croisa  entre  les  pieux  les  rames  des  galèi^es  ;  les  archer» 
étaient  de  la  sorte  mieux  protégés  contre  le  choc  des  che- 
vaux et  les  coups  de  lances,  et  par  suiie  leur  lir  devenait  plu?i 
elhcace.  En  outre  une  ordonnanc<?  réglementa  la  garde  de 
ceUe  <    encloisui*e    p:  chaque  capitaine  de  cent  homme-* 

Ki-yissaii,  éd.  Kervyii,  mv.  228-1»;  —  f'.fironitfnr  t/ti  hon  rlttr.,,^ 
p.  '231. 

2.  Jtivi^iial  des  lisins  (u,  38'i)  parle  de  quarante  mille  hommes: 
Kroissnrt  ic'il.  K<^i'vyn.MV,  22Hiile  trentt?  mille  archci*»  et  dix  mille  cava- 
liers :  la  Cfifonttfuc  (ht  bon  tti$c...  (p.  235i  de  soixante  mille  combattants. 

y.  Ibn  Kltalduun,  //m/,  th»  Uerltéfcn^  iv,  119,  dit  que  cette  armée  était 
commandite  par  AIhju  Fnrès.  HU  du  :>ultan.  et  |>ar  ttcs  ondct». 


KSCARMOUCHES   DES   SARRASINS.  187 

d'arme*  eut  mission  de  défendre,  avec  l'aide  de  cinquante 
arbaléti'ierî,  une  étendue  de  vingt-cinq  brasses.  Le  duc  eut 
?*ous  son  commandement  direct  mille  combattants  et  ciu<i 
fonts  arbalétriers,  pour  n^pousscr  les  assiégés  s'ils  faisaient 
une  sortie  pendant  rattaque  du  camp  par  les  ïH)is  maures'. 

(>s  **ages  mesures  prises,  on  attendit  rennemi.  *  Viennent 
Sarrasins  quand  ils  vouldruut  ».  disaient  les  Chrétiens;  nous 
«iomnkcs  prt^ts  à  les  recevoir.  Us  vinrent,  en  effet,  queUjUL's 
jours  après,  «  à  tous  leurs  naquères,  tambours,  cimballos, 
«  fresteaux  et  glais  »  présenter  la  bataille.  Mais  à  la  vue  de 
mille  hommes  d'armes  et  de  six  cents  arbalétriers  que  le  due 
de  Bourbon  lit  sortir  du  camp,  ils  n'osèrent  s'approcher  .'» 
portée  de  trait;  il  fallut  que  les  Chrétiens  prissent  l'offensive. 
Ceux-ci  n'eurent  pas  de  peine  à  repousser  rennemi  ;  la  nuit 
arrêta  la  poursuite:  le  due.  craignant  une  sortie  des  assiégés, 
ne  voulut  ]>as  profiter  de  ce  premier  succès,  et  l'affaire  se  ré- 
duisît â  une  escarmouehe  dans  laquelle  les  infidèles  perdirent 
une  soixantaine  de  chevaux  l't  une  centaine  d'hommes'. 
Malgré  leur  supériorité  numérique,  les  Musulmans  n'osèrent 
jamais  engager  l'affaire  à  fond,  et  se  bornèrent  â  s'établir 
solidement  dans  la  [daine  et  sur  la  plage,  à  proximité  ilu 
camp  des  croisés  et  de  la  place  assiégée,  et  prirent  «  ra>an- 
tagê  derrière  euls  d'un  hault  bois  »  pour  se  protéger  de  toute 
■surprise  et  garder  libre  leur  ligne  de  retraite.  Mais  à  défaut 
de  batiilïe  rangée,  ils  harcelèrent  les  croisés  de  fréquentes 
»*srarmouches '.  Convaincus  de  rinfériorilé  de  leur  armement, 
ils  s'avançaient  ;i  proximité  du  camp,  lançaient  (quelques 
tièches  et  se  repliaient  de  toutt-  la  vitesse  de  leurs  chevaux  ; 
ces  attaijues,  quoiijUi*  peu  meurtrières,  tenaient  sans  relAche 
les  chevaliers  en  éveil,  et  la  présence  d'une  armée  de  seconi-s 
les  empêchait  de  pousser  activement  les  opérations  du  siège 
en  obligeant  une  partie  de  leurs  forces  â  surveiller  les  mou- 
vements de  l'ennemi. 

Les  chroniqueurs  nous  ont  conservé  le  souvenir  des  alertes 
•lui  so  renouvelai<Mi1  presque  chaque  jour  ;  tantôt  c'était  urj 
jeune  chevalier  maure,  cavalier  intiépide,  revélu  d'une  ar- 
mure noire,  coiffé  d'iui  turban  blanc,  qui  s'avaneair  jusqu'aux 


1.  C.hroniif  ur  fin  hou  duc, . . ,  p.  2311-4. 

2.  f.hnmiquf  du  hon  duc. .,  p.  *i:t.V6. 

3.  Kmi6»aii,  W.  Kcrvyn,  XIV,  228. 


I 


lignes  chrétiennes,  lançait  d'une  main  sftre  ses  javelots 
<  empennés  ot  enferrés,  *  et  regagnait  ses  compagnons  à 
bride  abattue'  ;  laiit<'tt,  au  milieu  do  la  nuit,  les  Musulmans 
se  dirigeaient  eu  silence  vtrs  le  camp  chrétien,  espérant  le 
surprendre  du  c<)té  opposé  à  celui  oft  se  tenaient  le  sire  de 
Coru'oy  *  ot  Henry  J 'Antoing  \  rliargés  du  guet  ;  mais  un  cJiien 
i|ui  avait  suivi  les  croisés,  et  qu'ils  appelaient  le  chien  Nottp 
Dame,  donnait  Talurme  par  ses  aboiements,  et  la  surprise 
échouait.  L'imagination  populaire  avait  transformé  ce  fait  en 
légenile,  et  Ton  disaif  comniiniéiMeiii  dans  l'armée  qu'à  rap- 
proche ries  Sarrasins  npparnt  devant  eux  <  une  congrégation 

*  df^  dames  toutes  blanches,  et  par  esprcial  une  tout  au  premier 

*  chief,  ({ui  sans  compaj'Misou  ostoit  trop  plus  belle  que  toutes 
«  les  autres,  et  porloil  devant  elle  uiig  gonfanon  tout  hlancq 
«  et  une  croix  vermeille  par  dedens  ».  Cette  apparition  de  la 
Vierge  avait  mis  en  fuite  les  infidèles*.  Ces  escarmouches 
durèrent  pendant  ^[uarante-lieux  jours.  Couoy,  Eu,  le  comte 
dauphin,  les  vicuiulcs  d'Uzés  et  de  Rodes,  le  sire  de  la  Saigne, 
le  îfoudic  de  Trau  s'v  distinguèrent  tour  à  tonr;  Saint  Georges 
et  Oraville  tirent  ilns  prodiges  de  valeur  ;  l'honneur  d'un 
autre  engagemeni  fut  pour  les  chevaliers  anglais  ;  les  Génois 
et  lours  arbalétriers  eurent  aussi  leur  jour  ;  ckacuu  fit 
bravement  son  devoir  et  les  armes  chrétiennes  se  couvrirent 
de  gloire  *. 

Cependant  la  situation  respective  des  deux  années  ne  so 
moditiait  pas.  On  s'observait  de  part  et  d'autn.';  les  croisés, 
fatigués  de  Tattente  toujours  ddi^ne  d'une  action  générale. 
étaient  prêts  à  accepter  un  combat  restreint,  lUx  contre  dix 
nu  vingt  ronti*e  vingt.  L'initiative  d'une  pareille  proposition 
vint-elle  îles  Chrétiens  ou  des  inlidèles  ?  Les  récits  des  chro- 


1 .  Kroissart  (éd.  Kenyn,  m\  ,  J^'J)  l'appeilo  Agadinqtior  d'Oliferur. 
(1  attï'ibuf  à  fîmioiir  que  le  IianH  jEruerrier  nourrissait  |H»ur  Visa, 
Hili'  (in  iiti  de  Tunis,  la  imrdiesse  de  ces  •  appPitî.scs  d'annes  t.  Mais 
un  doit  isf*  (cniriMi  fxaiiir*  contre  lu  vt-nicité  dr  t'pl  aitiour.  et  l'cxafli- 
nhlf  dcî.  noms  dimnés  par  le  fbroiiii]ucur.  Froissait  ^emlile  sV-tr-e  plu 
à  rovMJr  de  cuidoiirs  poétiiines  un  npiisfKle  dont  lp.  fimd  p^iil  avoir  été 
vrai. 

*J.  C'était  un  rlirvalier  norniaml. 

a.  Voir  plus  haiK,  p.  175  et  Ifl2. 

k.  Kroissart,  éd.  KtTvyn,  mv.  TA't-'t. 

5.   Cfiroitiifuc  'lu  fmii  tlin',..,  p.  2^7-K, 


IMI'ATIKNCE  DES   i  IIKKTIENH,  1R9 

ûiqueui'â  diffpi*cnt  siu*  ce  point'.  Toujoui's  est-il  qu'iuie  foi» 
éiiiiso,  l'idée  fut  accueillie  avec  empresseaiont  par  les  pre- 
miers, et  qu'à  l'iusu  du  duc.  non  seulement  dix  chevaliers, 
mais  toute  l'armèo  se  trouva,  un  certain  jour,  en  armes,  prête 
à  accepter  le  combat  contre  les  Musulmans.  A  la  première 
nouvelle,  Guillaume  et  Guy  de  la  Tn'-iaoille',  un  écuyer  du 
nom  de  Cliiffreual,  le  seigneur  de  riiini  \  Héliori  dp  Lignac  *, 
deux  chevaliers  anglais,  Jean  Roussel'  et  Jean  Harpedane", 
Alain  Bude  et  Bochut  s'étaient  élancés  pour  répondre  au  défi 
tlo  l'ennemi.  A  eux  s'était  joint  lo  jeune  Geoffi'oy  Boucîcaut', 
second  fils  du  premier  maréchal  Boucicaut  ;  le  sang  de  sa  race 
iMtuillonnait  en  lui  ;  personne  ne  témoignait  plus  d'achar- 
nement à  conrii'  sus  aux  mécréants  ;  et  dans  l'éîan  de  son  en- 
thousiasme guerrier,  il  offrait  d'accepter  le  champ  clos,  vingt 


1.  La  Chùnique  Un  bon  dut-...  (p.  242)  attribue  à  Boucicaut  le  jeune 
\c  déù  portù  à  l'ennemi;  Kroissart  (éd.  Kepvyn,  xiv,  2U),  générale- 
ment sujet  à  caution  en  ce  qui  louche  rexpéditiun  de  lïarharie,  raconte 
lont^uemeiit,  avec  des  déiaila  évidemment  fantaisistes,  la  provocation 
adressée  par  le.s  Maures  aux  croi-sés.  il  faut  cependant  remarquer 
qu'il  donne  sur  l'arrivée  au  camp  chrétien  du  parlementaire  nuisul- 
luan,  sur  les  periionnaKPS  qui  le  reçurent  et  acceptèrent  se»  propo- 
sitions sans  en  référer  au  duc  de  Bourbon,  des  renseii^nements  si 
précis  et  si  vraisemblables,  qu'il  y  a  lieu  de  tenir  sérieusement  compte 
ilun  pareil  récit. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  175. 

:i.   Il  faisait  partie  de  la  compagnie  du  sire  de  Coucy. 

V.  Appelé  aussi  Hélion  de  Neilhac,  quatrième  tils  de  Pêriclion  de 
Neithac.  fut  sénéchal  de  la  Uochclle,  conseiller  et  chambellan  du  roi, 
premier  échanson  en  1377.  Il  so  signala  a  Hosbecque  (I3«2;.  Les  oncles 
du  roi  l'éloignèrcnt  de  la  cour  au  moment  où  Ctiarles  vi  fut  pris  de 
folie  furieuse,  pour  avoir  été  le  dernier  à  lui  servir  à  boire.  Il  mourut 
avant  1398  (Froissart,  éd.  Kervyn,  \\n,  280). 

5.  Ce  personnage  était  probablcmpnt  le  liU  aine  ou  un  des  petits-flls 
de  Tîjibaud  Kussell,  qui  vivait  sous  Kdouard  ni.  Trois  personnages,  en 
«iffet,  dans  cotte  famille  pijrtent  1g  prcnom  de  Jean  à  cette  époc|uti. 

6.  H  fut  créé  sénéchal  dAquitaino  le  I  mars  i:i8'i;  il  avait  épousé 
une  Française. 

7.  Geoffroy  lo  .Meingre,  dit  Boucicaut,  frère  de  Jean  n  le  Meingre, 
seigneur  de  Bridoré,  d'ttableaux,  de  Saint-Luc.  de  Bulhone  et  de 
Hoquobrune,  naquit  vers  1358.  11  fut  gouverneur  du  Uauphinê;  on 
ignore  la  date  de  sa  mort.  11  épousa  en  premières  noces  l'onstance  de 
Saluées,  et  en  secondes  noces  Uabeau  de  Poitiers,  (de  Uusserolle,  OtW. 
géogr.,  hiêt.  et  biogr.  d'Indre  et  Loire,  i,  324).  ()n  a  souvent  wiiifundu 
ce  personnage  avec  son  frère,  et  plusieurs  historiens  ont,  à  tort,  affirmé 
la  présence  de  Jean  ii  à  l'expédition  de  Barbarie. 


190 


EXIMlIltTION    DR   BARBARIE. 


Chrélieus  contre  quarante  Sarrasius  V  L'aventure  parvint 
aiiSfliUH  à  la  connaif^sance  du  aire  de  Coucy,  qui  blAnia  \(*r- 
toment  l'imprudente  témérité  des  jeunes  chevaliers.  Il  re- 
nionlm  qu'ils  s'exposaient,  en  agissant  <  sans  peser  ni  savourer 
«  les  choses  »,  à  croiser  le  fer  avec  des  ribauds  ou  des  valets. 
ou  à  se  laisser  attirer  dans  une  embuscade  ;  qu'en  pareille 
matière  on  devait  suivre  les  voies  ordinaires,  et  il  se  dirigea 
vors  la  tente  du  duc  de  Bimrbou  pour  rinformer  de  ce  qui  se 
passait.  Cepeudant  Boucicaut  et  ses  compagnons  étaient 
sortia  du  camp,  suivis  d'une  loule  qui  s'augmentait  d'instant 
eu  instant;  le  duc  de  Bourbon,  prévenu,  était  monté  sur  sa 
uiule,  et  se  dirigeait  du  côté  du  rassemlilcmcnt  pour  rétablir 
l'ordre,  car  «  les  gens  s'en  couraient  tous  comme  bestes  lit 
«  où  est  Boucicaut  ».  Quand  il  arriva  dans  la  plaine,  il  m< 
trouva  entouré  de  plus  do  trois  cents  gentilhomnies.  En 
l'apercevant,  Boucicaut  «  se  donna  orgueil  »  et  fundit  sur  les 
Sarrasins;  il  fallut  toute  rautorilé  du  commandant  en  chrf 
pour  l'arrêter.  L'ennemi,  effrayé  d'un  tel  déploiement  de  forcoN 
et  craignant  un  piège,  s'était  retiré,  sans  se  soucier  de 
relever  le  défi.  Les  croisés  appelaient  le  combat  à  grands 
cris;  le  comte  d'Eu  et  Philippe  de  Bar.  interprètes  du  sen- 
timent général,  insistaient  dans  ce  sens.  Il  eut  été  difficile, 
en  ce  moment,  au  duc  de  Bourbon  de  se  faire  obéir  s'il  avait 
ordonné  la  retraite:  il  prit  le  parti,  se  sentiuit  appuyé  par 
deux  mille  combattants  et  par  un  renfort  de  cent  cinquante 
hommes  que  le  comte  (l'Eu  lui  amenait,  d'attaquer  l'ennemi, 
el  le  combat  commenra.  A  quatre  ou  cinq  reprises,  les  inti- 
dêlos  furent  repoussés  ;  quand  les  croisés  regagnèrent  le 
camp  qu'ils  avaient  imprudemment  laissé  sous  la  garde  des 
malades  conuïiandés  par  Coucy,  ils  n'avaient  perdu  que  six 
combattants,  le  sire  de  Vallly,  frère  du  comte  de  Sancerre  *, 
(reoffroy  de  la  Celle*  el   quatre  écuyers  ;   encore  leur  mort 


i.  Chronique  du  bon  duc,,.,  p.  242-3;  —  Kroissart,  éd.  Kervyn,  xiv, 
2'j4-5. 

2.  Etienne,  frère  du  comte  Jean  m  de  Sancerre,  et  du  maréchal 
Louis  de  Sancerre.  était  tiU  de  Louis  de  Sancerre  (ué  à  Crécy  (\'S\6i 
de  iiéatrix  de  Ruustty.  Il  épousa  sueessivement  Beleaa&es  de  Vailly 
AHx  de  lïeaujeu,  et  mourut  à  Turin  sans  pastf^rité  au  retour  de  l'expé- 
dition de  Barbarie  [?.  Anselme,  n,  853). 

3.  Gcotîroy  de  la  Celle  était  seigneur  de  la  Celte-Draon  et  de  li 
Chatière  (Indre  et  Loire,  arr.  de  Loches,  cant.  du  Grand  l'rcssigny,' 


OPERATIONS   CONTRE   AFRK'A. 


loi 


n'était-ello  pas  due  aux  coups  des  Musutuiuiis,  mais  à  la 
fatigue  et  à  la  chaleur  qui  était  excessive,  et  au  df'faiil 
«  d'ayr,  de  vent  ou  de  alayne  '  ». 

Ces  divers  combats  avaient  un  peu  fait  perdre  de  vue  li» 
RÎôge  de  la  place.  Toute  rattenlîon  du  duc  s'était  concentiV'i» 
sur  les  mouveuients  de  l'ariuée  de  s<»ct)urs,  et  aucun  effort 
n'avait  été  teuLé  contre  Africa.  Lorsqu'après  sept  stMiiaines 
d'escarmouches  stt*riles,  on  comprit  l'inutilité  de  s'acharner 
rt  combattre  un  ennemi  qui  se  dérobait  à  tout  engagement 
sérieux,  on  songea  de  nouveau  à  s*omparer  de  la  ville.  Les 
Génois  avaient  apporté  un  échafaud  tnobiU»,  de  trois  étages 
ilo  hauteur,  qu'ils  proposaient  de  dresser  le  long  d'une  toui" 
du  côté  de  la  campagne;  ils  savaient  par  les  négociants  génois 
enfermés  dans  Africa  que.  de  ce  colé,  la  surveillance  des 
Musulmans  étaient  moindre  que  du  côté  delà  mer.  En  même 
temps,  sur  quatre  galères  accoupléos,  ils  établirent  deux  becs 
de  faucon,  chacun  d'eux  contenant  quinze  hommes  d'armes  et 
<lix  arbalétriers;  ces  dernières  machines  f*inient  destinées  à 
détruire  la  tour  du  port*.  Ces  préparatifs  avaient  rempli 
l'armée  chrétienne  d'allégresse  ;  «  il  sembloit.  dit  le  chro- 
niqueur, que  tout  fut  nostre  ».  Cette  joie  était  prématurée, 
comme  l'événement  le  prouva.  Les  assiégés,  â  la  vue  des 
engins  qu'on  dressait  dans  le  camp  chrétien,  s'étaient  hMés 
de  réunir  dans  la  tour  du  port  toutes  les  bombardes  dispo- 
nibles; Téchafaud,  pour  être  mis  en  position,  devait  passer  à 
portée  de  cette  tjur;  aussi  fut-il  couvert  de  projectiles  en- 
flammés, d'étoupes  et  de  poix,  si  bien  qu'en  un  jour  et  une 
nuit  il  fut  entièrement  brûlé.  Cette  mésaventure  courrouça 


com.  la  CcWc  fiuonaud).  Capitaino  de  Tours  et  de  la  Kochc  Posay  en  1969, 
il  prit  une  part  acdvc  aux  campagnes  dont  la  Toupaino  fut  le  tht^àtreii 
coite  ùpoque.  Kn  1371,  il  reçut  de  Charles  v  des  terres  contlsquées  sm* 
Guichiird  d'Angle,  partisan  du  roi  d'Angleterre,  en  récuinpeiisc  de  ne» 
•ervices.  En  1383,  il  servait  &ouit  le  duc  de  [terri  en  Piandre.  Il  eut 
nne  fille  Jeanne,  mariée  â  un  seigneur  d'.\zay.  (Deiftvîlle  Le  Rouis. 
Comptes  municijutux  de  Tuurs,  u,  300-2;  —  de  Dusserolle»  Dict.  ijéogr. 
hiat.  et  biogr.  d'Indre  et  Loire,  u,  49). 

1.  Chronique  du  bon  duc. ..^  p.  244-5;  —  Froissarl,  éd.  Ken7n, 
xiv,  249. 

2,  C'étaient,  sans  nul  doute,  des  machiner  atTeclant  la  Tonne  d'un 
bec  de  faucon,  et  qui.  soit  par  l'impulsion  qu'on  leur  donnait,  «ût  par 
la  protection  qu'elles  ofTraient  aux  hommes  qu'elles  contenaient,  per- 
mettaient de  saper  les  inuraillo  enneuiies. 


fort  Ip  duc.  Restaient  les  becs  de  faucon  dont  on  espéi'ait 
)»eauoonp,  mais  qui  csigoaient  uno  divoi*sion,  afin  que  Ten- 
nomi  n'accumulât  pas  toutes  ses  ressources  contre  eux.  Dans 
cp  but,  le  duc  et  toute  sa  compagnie  allèrent  attaquer  les 
njurnilles  à  l'endroit  des  trois  portos  ;  l'assaut  fut  donné  «  si 
HAreinnnt  que  l'une  des  portes  fut  arse  »,  mais  les  habitants 
la  murèrent  si  proniptr'ment  que  les  croisés  ne  purent  p^- 
rii'trer  dans  la  ville.  IViidant  cf  temps  les  becs  de  faucon 
faisaient  leur  office  :  au  nioinent  oi'j  les  Chi-éiiens  commen- 
raient  à  les  abandonner  puui-  luonter  sur  la  tour,  ils  se  sen- 
lirent  les  pieds  percés  pai*  les  Héches  des  Sarrasins.  Ceux- 
ci.  en  dessous  des  Chrétiens,  avaient  découvert  le  toit  du 
hourdis  de  la  toui*.  ne  laissant  pour  toute  défense  qu'un  sollier 
do  bois  percé  dn  nombreux  trous,  et  c'est  par  ses  interstice-* 
tju'ils  liraient  de  bas  en  haut.  L'effet  de  cetle  manœuvre  fut 
décisif;  les  Chrétiens  s'arrêtèrent.  Ils  avaient  complètement 
échoué  dans  leiu*  tentative  d'emporter  la  ville;  à  peine  pou- 
>aieut-ils  se  féliciter  d'avoir  donné  l'assaut  sous  les  veux  de 
l'armée  maui*e,  qui  exhortait  les  assiégés  à  la  résistance 
sans  lien  tenter  pour  les  dégager  :  résultat  négatif,  quand 
il  eût  faUu  un  sucrés  pour  hAler  la  chute  de  la  place  '. 

Le  découragement  comm(»nçait  à  pénétrer  parmi  les 
croisés  ;  le  nombre  des  blessés  et  surtout  des  malades  élail 
grand;  en  plein  été.  eu  effet,  la  températuix»  sur  la  c61e 
d'Afrique  paraissait  insupportable  à  cenx  qui  n'étaient  pas 
halnlués  à  un  climat  extrême,  et  l'arméo  souffrait  beaucoup 
de  la  chaleur.  Le  manque  d'eau  l'obligea  à  creuser  des  puits 
dans  le  sable  ;  les  approvisionnements  se  faisaient  mal  ; 
connue  l'on  ne  pouvait  les  tirer  du  pays,  il  fallait  qu'il* 
vinssent  du  dehors  :  le  vin  était  fourni  par  la  Fouille  et  la 
Calabre,  les  vivres  par  la  Sicile,  les  oranges  et  les  grenades 
par  l'Aragon,  les  <  grenaches  et  malvoisies  »  par  l'ile  de 
Candie.  Les  hasards  d'une  longue  navigîition,  tes  dangers 
que  couraient  les  bâtiments  de  la  part  des  corsaires  barba- 
resquos,  rendaient  encore  plus  iiTégulier  le  service  dos  sub- 
sistances. En  outre,  aucun  des  navires,  après  avoir  débarqué 
sa  cargaison,  ne  retournait  à  son  port  d'attache  en  chercher 
ime  autre,  mais  restait  devant  Africa  *  tant  pour  le  doute 
«  des  rencontres  des  SaiTasins  siu'  mer  que  pour  attendre  la 

1.   Cht'onique  du  htm  duc...,  p.  239-U. 


<  couclusiou  (!u  siège  et  vooir  si  les  Crcstiens  prendroient  celle 
«  forte  ville  d'Auffrique  »;  cette  condition  augmentait  encore 
la  difficulté  des  aiiprovisionneuients'. 

Lï»  fluc  de  Pourlion,  dont  l'autorité  était  hautaine  et  pré- 
somptueuse, n'avait  plus  sur  les  troupes  l'ascendant  des  pre- 
miers jours';  déjà  divers  symptômes  d<;  lassitude  s'étaient 
it»vêlés  parmi  les  croisés  ;  il  comprit  ([ue  les  circou.stances 
conimanduieut  une  résolution  énergirjLie.  L'hiver  approchait  et 
avec  lui  l'impossibilité  et  de  se  rembarquer  et  de  recevoir  des 
approvisionnements;  le  salut  de  l'armée  dépendait  d'inio 
prompte  décision.  Les  Génois  étaient  partisans  de  la  levée  du 
siège  et  propageaient  leur  sentiment  dans  le  camp;  ils  étaient 
h'^  premiers  â  se  plaindre,  â  déplorer  les  résultats  obtemis 
i»t  à  laisser  entendre  que  le  meilleur  parti  était  de  traiter 
avec  les  infidèles.  La  plupart  des  crois):s  s'étaient  successi- 
vement rangés  à  cet  avis,  et,  quîind  le  duc  eut  interrogé  le 
conseil  de  l'armée  sur  la  conduite  à  tenir,  il  se  trouva  presque 
le  seul  â  proposer  la  continuation  des  opérations  militaires  V 
A  l'instigation  des  négociants  cbrétiens,  enfermés  dans  la  ville 
pt  probablement  informés  par  les  Génois  des  dispositions  des 
assiégeants,  l'ennemi  s'empressa  de  saisir  l'occasion  favorable 
pour  faire  des  ouvertures  pacifiques,  dont  les  Génois  furent 
le«  intermédiaires.  Il  offrait,  en  échange  de  la  retraite  des 
«rrnisi^s,  une  trêve  de  dix  ans  entre  le  roi  do  Tunis  et  les 
('hrétiens.  Le  duc  repoussa  avec  indignation  une  pareille  pro- 
position, sans  même  en  discuter  le  principe,  au  grand  éton- 
iiement  «les  Sarrasins  et  surtout  des  Génois,  qui  savaient  qu'ils 
«  n'avoient  plus  de  quoi  maintenir  leur  navie  »,  et  que  «  la 
chevalerie  n'avoit  giiieres  à  menger  ».  Ceux-ci,  en  outiv, 
s'étaient  Hattés  do  l'espoir  qu'on  emporlerait  Africa  en 
quelques  jours,  et  vo^'aient  avec  déplaisir  l'investissement  se 


1.  rroîasArt,  éd.  Kervyn,  xiv,  226-7,  240-1. 

2.  Froissarl  (éd.  Krn-yii.  xiv,  257-H)  o.it  sy«témaliqiieinftnt  bofttile 
ftu  duc  de  liourbon  dont  il  arrentiic  les  défauts,  cl  ne  iieinl  aucune 
uccoAion  d'cxâUcr  Eiigucrrand  dn  t  oucy.  II  dit  formellement  que  si 
Cù  dernier  avait  eu  le  commandement^  les  cîioscs  se  seraient  passées 
autrement;  malgré  leur  exagt'-ration,  il  y  a  dans  le^  accusations  de 
l-'rois&art  un  fond  de  vérité. 

11.  Chronique  du  ton  duc,..,  p.  246;  —  Froissnrt  (éd.  Kervyn,  xiv, 
270-31  attribue  ù  t^ucy  l'honneur  d'avuir  pi-ovuf|ui''  la  réunion  du 
conHell  de  (tuerre.  —  Juven.il  île»  Irsins  m,  .'tK'n. 

13 


KM  KXI'JiDlTloN  liK  UAKHAUIK. 

pruluiiger  saus  résultat;  la  réponse  du  duc.les  clêsulad^autant 
plus  que,  faite  au  raornent  où  la  nécessité  de  levoir  le  siègo 
allait  s'imposer,  olle  présageait  une;  retraite  sans  conditions 
ni  iraitê.  La  république  de  Génirs  n'eût  pas  trouvé  son  complti 
ù  cette  solution;  aussi  s'entreniit-elle  fort  activement  pour 
obtenir  des  conditions  que  le  duc  consentît  a  accepter.  Après 
quatre  jours  de  négociations,  on  tomba  d'accord  :  la  croisade 
reprenait  la  luer;  en  échanf^i',  les  Sarrasins  payaient  pendanf 
quinze  ans  aux  Génois  le  tribut  qu'ils  avaient  coutume  d'acquit- 
ter entre  les  mains  du  roi  de  Tunis,  et,  en  outre,  dans  le  délai 
d'un  an,  une  somme  ilo  <lix  mille  ducats,  garantie  par  les  négo- 
ciants ualalans,  naiiolitains  et  sardi's  domiciliés  à  Africa'.  C*' 
nouveau  projet  lut  soumis  au  duc  de  Bourbon,  le  conseil  fui 
assemblé  pour  le  discuter.  Le  sotidic  de  la  Trau,  à  cause  de 
sou  âge,  parla  le  premier  ;  avec  l'autorité  de  rexpérlence 
t^t  de  la  bravoure,  il  conclut  qu'il  tenait  <  la  chose  aussi  lioniiti- 
<  rabln  que  s'il  avoit  esté  on  (rois  batailles  ».  .Tftanni<!ot  d*Or- 
tenyc,  Cliflbrt",  le  comte  ilauphin,  Coucv  se  prononcèrent 
énergiquement  dans  le  même  sens.  Le  comte  d'Eu,  Gravillc, 
les  sires  ile  Saint-Georges  et  «le  Casijllon  se  rangèrent  â 
l'avis  de  leurs  compagnons;  le  traité  fut  ratitié  et  les  mesures 
de  départ  prises  sans  retard'. 

Trois  jours  après  (fin  septembre  I390j,  l'armée  chrétienne 
remontait  sur  ses  vaisseaux.  La  retraite  se  fit  avec  le  plus 
grand  ordre  ;  les  bagages  fiu-ent  d'abord  chargés  sur  les 
barques  et  portés  aux  navires  ;  les  combattants  partirent 
l'usuite.  Le  duc,  dans  la  prévision  cpie  rennemi.  malgiv  la 
conclusion  de  la  paix,  tenterait  d'inquiéter  l'embarquement. 
s'était  résen'é  le  privilège  de  quitter  le  dernier  le  sol  africain. 
Il  avait  caché  derrière  une  mosquée  une  embuscade  de  deux 
cents  hommes  d'armes  ot  de  cent  arbalétriers  :  précaution 
fort  utile,  car  les  Musulmans  s'empressèrent,  dès  que  le  mou- 
veujent  des  croisé»  leur  fut  connu,  de  s'aventurer  jusqu'au 
camp  chrétien  et  de  faire  montre  d'une  audace  qui  contrastait 


i.  Ia  Religieux  de  Saint  Denis  0,670-1)  et  Gtustiniani  fn,  1*»9) 
parlent  de  dix  mille  écus  d'or  et  de  la  libération  des  prisonniers  ehn^- 
tiens.  La  Chronique  du  bon  duc  {p,  2^7\^  donne  le  cbitTre  de  vingt-cinti 
mille  ducats. 

;!.   Voir  plus  haut,  pape  !7fi. 

U.   Ckruniquf  du  bon  duc  .,  p.  246-50. 


RETOnt  Iȕ;s  CROISKti    l'Ail   L.V   SAltUAlilNK. 


195 


smgiiUèremeDt  avec  leur  conduite,  pendant  les  deux  mois 
ijui  venaient  de  s*écouler.  Le  duc  accepta  le  combat,  pour 
prott'-gor  la  retraite  de  rarmèe  ;  au  moment  où  IVnnpini 
Htait  fortement  engagé,  il  <  découvrit  son  einbusche  ». 
L'effet  fut  désastreux  poui*  les  Sarrasins  ;  ils  se  retirèrent 
avec  um*  perte  do  cent  à  cent  viugt  morts,  et  rembarquement 
lie  fut  plus  inquièlt».  Louis  de  Bourbon  (quitta  le  port  Uî 
dernier,  et  l'expédition  fil  voile  vers  Conigliera  oft  elle 
relâcha  le  lendemain '. 

Ou  y  lini  constùl  sur  la  route  à  suivre  ;  les  ciiofs,  mécouleuts 
d'avoir  échoué  devant  Africa,  cherchaient  l'occasion  d'un 
succès  avant  do  rentrer  en  Kuropo  ;  parmi  Ips  croisés,  les 
uns,  avilies  iraventures,  avaient  iléj.-'i  traité  iiidtviduidleraonl 
avec  les  patrons  génois  pour  être  débarqués  à  Naples, 
en  Sicile,  à  Chypre,  à  Rhodes  ou  en  Palestine';  les  autres 
avaient  hâte  de  rentrer  dans  leur  patrie  et  de  rassurer  leurs 
femmes  l't  leurs  mères,  que  la  prolongation  de  l'expédition 
elle  manque  de  nouvelles  inquiétaient  :  cuv,  selon  l"exprer%sion 
fin  poète. 

•  Dame  n'avons  par  deçà  qui  ne  die 

<  Qiip  le  bon  vent  vous  puîat  tost  ramener^  «, 

indis  que  processions  et  prières  publiques  se  succédaient 
pour  attirer  sur  la  croisade  les  bénédirtions  cdc  .stes  et 
surtout  pour  obtenir  la  fin  dos  hostilités. 

Sur  le  conseil  de  Jean  Centiirione,  le  duc  se  décida  à 
uiellre  le  cap  sur  la  Sardaigne  ;  Tile  était  sur  le  chemin  du 
retour;  eu  outre,  les  Génois  assuraient  que  Cagliari  servait 
aux  Barbaresquos  de  lieu  de  ravitaillement,  que  les  fau- 
bourgs de  l;i  vîUu  étaient  des  tMt  tir  forbons\  et  que 
les  leur  fi^nu-r  serait  leur  perler  un  coup  sensible.  Ils  ne 
disaient  pas  qu'un  de  leui-s  compatriotes,  Branralcon  Doria, 
était  alors  en  guerre  avec  le  roi  d'Aragon,  suzerain  de 
l'île,  contre  lequel  il  faisait  valoir  les  droits  de  sa  femme 


1.  Chronique  du  bon  (^/w^. . .,  p.  250-1  ;    —  Kroissart,    éd.    Kervyn, 
MV,  274. 

2.  FroÎHsart,  éd.  Kervyn,  xiv,  27'». 

3.  KiLstarrhe  Deiwliamps  (éd.   Tarbé),  i,    112-i:t.  Cf.  Kroissart,  éd , 
Kerryn,  Xiv,  i52. 

K,  Ce  Honl  loit  expreHsioitjt  de   la  f'bronîquf*  di*  K.   MuriUtricr  ,éd, 
llui'hun,  p.  5i7i. 


KXI^KDmOX  I)K  RAKhARlK. 

Ëléonore  (l'Ai'l)oiê<\  et  que  riiilorventiou  des  croisés  devait 
favoriser  les  efforts  du  prétendant  génois'.  Cette  résoln- 
(i'>n  répondait  aux.  désirs  de  tous  et  fut  acceptée  avec  joie. 
La  rti>tl(i  [larul  devant  Cagliari,  sur  la  c*He  sud-est  de  la  Sar- 
daigne.  L'enlit*e  du  port  fut  forcée  sans  difficidté  ;  on  j  cap- 
tura un  (,Tand  nombre  de  gros  vaisseaux;  la  basse  rille 
tomba  de  niAnie  au  pouvoir  des  croisés  ;  b'  cbâteau  se  rendit 
le  lendemain.  U  apparlenait  au  vicomte  de  Narbonne, 
Guillnumo  i,  <pii  tenait  en  Sardaigne,  du  chef  do  sa  mère 
Béatrix  d'Arborée',  troisième  femme  d'Aimerj  x  de  Nar- 
bonne, de  nombreuses  terres  dont  ni  lui  ni  son  fils  ne  pai*- 
vinrent  jamais,  malgré  la  faveur  que  leur  tOmoiguaienl 
les  Sardes,  à  conquérir  la  légilinio  et  paisible  possession*. 
Le  capitaine  de  Cagliari  fut  remplacé  par  une  garnison  gé- 
noise, 4ui  s'engagea  envers  le  duc  à  no  jamais  laisser  les 
Barbai'esques  s'approvisionner  dans  la  place,  et  à  la  garder 
*  bien  et  loyaulement  pour  les  Chrestiens  ». 

Pour  empêcher  les  Sairasinsde  se  ravitailler  en  Sardaigne,  la 
prise  de  Cagliaii  ne  suffisait  pas  ;  il  fallait  aussi  réduire  la  Guil- 
lastre  [Ogliastro),  iloi  de  la  côte  orientale  ;  les  Génois  n'eui^eni 
pas  de  peine  à  convaimre  leurs  aliirs  de  la  conquérir  en  pa>- 
saut.  La  Guillastre  ne  résista  pas  et  reçut  une  garnison  génoise 
dans  les  mêmes  conditions  que  Cagliari.  Maîtres  de  ces  doux 
points,  les  croisés  se  dirigèrent  versNaples,  (|ui  servait  êga 
lement  de  point  de  ravitaillement  à  reunomi;  mais  um' 
terrible  tempête,  qui  éclata  pendant  la  nuit,  détourna  la  llotlt* 
do  sa  destination,  lui  fit  courir  les  plus  grands  dangers  et  la 
conduisit  en  vue  de  Messine.  C'est  là  que  toutes  les  galères, 
égarées  par  le  gros  temps,  se  rassemblèrent  :  une  seule,  celle 


1.  Manno,  Histoire  de  Sardaigne^  cité  dans  l'ouvrage  du  marquis 
de  I*orfiy  sur  Jean  de  Vienne,  p.  250. 

2.  La  principauté  d'Arborée  en  Sardaigne  appartenait  h.  MarÎAti, 
père  de  Uéatrix. 

3.  (itiillaume  u,  vicomte  de  .\arI>onne,  fils  de  tiuillaiime  i,  se  di>- 
thigua  par  sa  bravoure  et  fut  tué  k  Vcmeuil  en  1424.  Après  1a  murt 
d'Kléonorc  d'Arborée,  fr'mme  de  Itrancaléon  Doria  (1403),  sa  grand- 
ïanto,  après  celle  do  Marian,  fli.s  dp  cotte  dernière  (1407),  il  se  trouva 
seul  héritier  de  la  prinoipnnlé  d'Arborée,  que  Brancali>on  [)or)a  et  le  i-oi 
d'.Vra^n  lui  disputèrent  (V.  P.  Anselme,  vu,  705;  —  Imhof,  Geneat.  A'V 
illitAtrium  in  Hiapania  famiiiarum,  p.  133-74; —  L.Salazar  de  Castro, 
Jiixtoire  de  ta  nminon  dr  Caislro.  pa«8iml. 


SKJOIK    IH     [H  C    EN    SICILE. 


197 


rjiio  njoiitaienl  U*  soiidir  de  l;i  Traii  et  Chiitcaumoranil,  fiif, 
entraînée  vers  Traparii,  à  rexlrémilé  occidLMitale  de  la  Sicile, 
et  se  brisa  devant  le  port  ;  mai>»,  grâce  aux  sGcours  qui  lui 
vinrent  de  la  côie,  aucun  de  ceux  qui  la  montaient  ne  périt  ; 
les  bagages  seuls  furent  perdus,  et  les  équipages  rega- 
gnèrent Messine  sur  une  galère  envoyée  pai*  le  duc  â  la 
première  nouvelle  du  naufrage  '. 

Manfred  de  Clermoiit',  aurjuel  obéissait  la  moitié  de  la 
Sicile,  fit  au  duc  de  Bourbon  et  à  ses  compagnons  un  accueil 
uiagniQque  :  pendant  les  huit  jours  qu'ils  séjournèrent  auprès 
do  lui.  ce  ne  furent  que  festins,  fêtes  et  attention»  de  toutes 
sortes.  Par  ordre  de  Manfred,  la  flotte  fut  approvisiouaéL*  de 
vivres;  Louis  de  liourbon,  Coucy,  le  couilo  dauphin  et  Phi- 
lippe d'Arlois  reçurent  en  présent  des  coursiers  de  prix,  et 
Clermont  sollicita,  au  niouient  du  départ  des  croisés,  l'Iiunneur 
d'être  armé  chevalier  des  mains  du  duc.  Celui-ci,  k  sou  tour, 
lui  donna  «  une  ceinture  d'or  et  sa  devise  d'Espérance  ». 

Les  Génois  étaient  parvenus  à  faire  prévaloir  leur  plan  et 
k  occuper  tous  les  points  de  relâche  des  SaïTasins.  En  quittant 
la  Sicile,  l'expédition  fit  voile  vers  Ton'acine.  Comme  Cagliari 
et  la  Guillastre,  Teiracine,  port  nur  la  mer  Tyrrhénienue,  â 
Texlrt-mité  des  marais  Pontins,  fournissait  aux  LJarhart'sque« 
des  vivres  et  un  refuge  ;  devant  les  forces  chrétiennes,  la 
basse  ville  ne  chercha  j>as  à  résister;  le  rlinfrau  se  rendit 
après  un  siège  de  deux  jours,  et  fut  c<tnHé  ù  la  garde  des 
Génois.  De  là,  longeant  la  c(île  d'Italie  en  remoutaJit  vers 
lo  nord,  la  iloïto  atteignit  Piombino,  ville  maritime, 
peu  distante  de  Pise.  en  face  d**  l'ile  d'KIIio.  Tu' nés 
était  depuis  longtemps  eu  guerre  avec  Pierre  Garabacorta, 
seigneur  de  Pioiobino  et  de  Pise.  et  insistait  vivement  auprès 
du  duc  poiu*  qu'il  l'aidât  à  le  réduire;  mais  LfUiis  df  IJoiiibon 
refusa  rie  tourner  son  épée  contre  des  chrétiens;  il  nffnt  sa 
médiation  qui  fut  acceptée.  Gambacorta,  effravé  d'un  dé- 
ploitun^nt  de  forces  qu'il  oraignail  de  voir  diriger  contre  lui, 
consentit  à  toutes  les  conditions  qni  lui  fureut  imposées, 
et  la   paix  fut  facilement   rétablie   t-utie  lui'  et  Gènes.  Il 


1 .   Chrottiffttc  (lu  fion  duc. . . ,  p.  252-4. 

*i.  Voir  plus  haut,  p.  16G-7. 

3.  l'icrn*  r.aiiibacorla,  seigneur  de  Pipjinbiiio  et  do  I*lse  dès  laftH, 
fut  tui^  en  X'A'JÎ  pur  Jucquvs  Appiaui,  «lui  lui  succéda  dans  ccrn  deux 
seîgnouriw. 


pn  fut  (le  raôme  avec  l'île  d'Elbe.  Grâce  à  rintcrveation  du 
duo,  les  prêteutions  qu'elle  soutenait  contre  les  Génois  TuinmiI 
abandonnées,  et  les  diltioultés  pendantes  heureusement  apla- 
nies '.  De  File  d'Elbe,  la  iloite  atteignit  Porto  Fino  ;  c'est  l:i 
que  la  plupart  des  croisés  prit  terre  pour  gîigner  Gênes  *.  Mais 
U*  duc  refusa  de  suivre  l'exemple  de  ses  l'oiupaifiions,  nu 
gniud  déplaisir  de  la  république  qui  lui  avait  prépai'é  une 
entrée  triomphale.  MalgW?  Tinsistance  des  Génois,  Louis  de 
R^turhon  persévéra  dans  son  dessein,  et  Ips  jirincipaux  chef»* 
de  la  e.roi.sade,  Cuuey.  le  comte  d'Eu,  le  eumte  daupliin  d'Au- 
vergne imitèrent  sa  résolution.  Embarqués  à  Marseille,  dî- 
saieiil-ils.  ils  avaient  fait  vœu  de  rentrer  en  France  par  h* 
même  port,  et  rien  ne  pouvait  les  délier  d'un  engagemeni 
solennel.  Une  fois  à  terre,  ils  se  dirigèrent  sur  Paris,  qu'ils 
atteignirent  vers  le  comuienceraeut  de  novembre  '.  Leur 
retour  était  altendu  avec  impatience;  partout  on  leur  Ht. 
fête;  leui's  récits  entlamniérenl  l'enthousiasme,  et  on  projetsi. 
pour  la  saison  suivante,  une  nouvelle  expédition.  Charles  m 
et  le  iluc  de  Touraiin*  prirent  même  la  croix,  mais  les  évé- 
nements empêchèrent  que  ce  des&ein  reçût  la  moindre 
exécution  *. 

A  tout  prendre,  la  croisade  avait  échoué;  malgré  quelques 
faciles  succès,  quelques  esrarmouchos  heureuses,  la  prise  île 
qu«dques  places  sans  défense,  il  est  impossible  de  se  mé- 
prendre sur  l'issue  de  l'expédition.  Africa,  l'objeclif  di'^ 
croisés,  n'avait  pas  été  enlevée  ;  sa  ivsistance  avait  para- 
lysé les  efforts  des  (^hrêtiens  et  entravé  tout  le  plan  de 
campagne.  Quand  ou  dut  se  rembarquer,  on  fut  très  heureux, 
grâce  aux  Génois,  de  négocier  un  traité  qui  sauvait  les  appa- 
rences, et  permettait  nue  retrait»^  honorable.  On  se  plut,  au 
retour,  à  réduire  les  châteaux  de  trois  ou  quatre  jtetita  ports. 
pour  les  interdire  aux  Musulman-set  les  metti-e  sous  la  pro- 
tection génoise;   mais  cetU.'  pridiibition  ne  pouvait  être  otïi- 


1.  ChronitiHK  du  hun  duc. . .,  p.  2.'>j  C.  Lilo  d'Elbe  appartenait  aux 
Pisans.  Kn  U!I8,  (Jtlirard  d'Appiaiiu,  en  vendant  Viaa  aux  Milauaiïi,  S4> 
réserva  Tile  d'KItîe  et  INorabiiio. 

2.  Là  moururent  Sainte  Sévère,  GuichanI  de  Cbâleaumorand,  lr> 
sires  de  Casiillon  et  de  Caillart  et  <.t(iu2e  rhovalicrs  anglais  {f'hrmtOfUf 
du  bon  duc. .  .^  p.  20 ;j, 

;:.   Kroîssari  lôd.  Kenyn.  \iv.  280»  dit;  vers  la  Saint  Martin, 
'i.   l-'roi><.irl,  r-"l.  K<'r\>-ii,  \iv.  280-1. 


KKSri.TATS   DK  LA  rRoISAIiE.  190 

cace.  et  causer  à  reonenii  un  tttrl  sérieux  ;  ne  lui  restait-il  pas 
encore,  sur  les  côtes  e1  àan»  les  îios  de  la  Médilerrauée,  plus 
d'un  refuge  ?  La  rivalité  des  répuîiliqnes  maritimes  ne  lui 
garantissait-elle  pas  la  liberté  de  navigation,  que  n'eût  pu  lui 
enlever  qu'une  action  commune  des  puissances  chrétiennes? 
Eléonore  d'Arborée  put,  il  est  vrai,  h  la  faveur  des  succès  des 
croisés  en  Sardaigne,  conclure  avec  le  roi  d'Aragon  une  paix 
avantageuse';  mais  était-ce  pour  cet  objet  que  In  chevaleri*» 
chrétienne  avait  pris  les  arnu^s  ? 

Gènes  n'avait  donc  pas  d'avantages  sérieux  à  espérer  de  l'oc- 
cupaliondes  ports  de  Sardaigne  et  deTerracine.  Elle  s'aperçut 
bientôt  que  la  croisade  pouvait  tourner  directement  contre  elle 
et  contre  les  intérêts  des  nations  commerçantes  de  la  Médi- 
terranée. Voici  pounjnoi  :  les  Sarrasins,  après  la  retrait*^ 
des  croisés,  tant  pour  éviter  le  retour  d'une  invasion  ([ue 
pour  se  venger  des  Chrétiens,  songèrent  à  unir  flan<  )un^ 
ligue  générale  tous  les  états  musulmans  de  la  côte  septen- 
trionale d'Afrique  et  les  Maures  d'Ksjiagnr.  Ils  se  propo- 
saient de  se  défendre  eu  cas  d'attaque  et  d'interdire  leurs 
ports  au  commerce  chrétien.  On  con<;oit  pour  Gènes  et  pour 
Venise  l'effet  d'une  pareille  mesure,  rigourensement  exécutée 
au  détroit  de  Gibraltar,  ot  sur  toute  l'éteadue  des  cAtes  sep- 
tentrionales de  l'Afrique.  Elle  eut  ruiné  les  relations  mari- 
limes  de  ces  deux  républiques  avec  la  Flandre  et  le  nord  de 
l'Europe.  Les  Génois  n'avaient  pivvu  ni  les  conséquences  de 
leur  conduite  à  l'égard  des  Harbaresfiues,  ni  les  représailles 
que  ceux-ci  pouvaient  exercer  contre  les  instigateurs  de 
la  croisade*;  aussi  se  hàtèreut-ils  de  négocier  avec  le  roi  de 
Tunis.  Les  Génois  eu  LI9I  f  17  octobre),  les  Vénitiens,  Tannée 
suivante  (i  juillet  139?),  obtini*ent  le  renouvellement  de  leurs 
traités  de  commerce  et  la  libération  des  prisonniers  chrétiens. 
Enfin,  l'année  suivante.  le  roi  de  Sicile,  après  di'  laborieuses 
négociations,  rentrait  en  possession  de  l'ile  de  Oerbi,  que  les 
Harbaresques  avaient  reconquise  depuis  le  départ  de  la  Hotte 
coalisée.  Le  péril  se  tivjuvait  ainsi  conjuré  '. 

IL  reste  k  examiner,  en  cas  do  succès  des  croisés,  quelles 


I .  M&rquis  de  Loray,  Jean  de  Vieufte,  p.  350.  • 

2    Froissant,  éd.  Kervyn,  xiv,  278-9. 

:t.   Lo  texte  de  ces  traités  a  été  publié  pnr  M.  de  Mas  Latrie,  Traitât 
nr^r  ht  Arahu,  p.  I»»  pt  2:i2-8  et  161-î». 


consétiuences  rexp(»(lU,ion  de  Harbarie  eût  pu  avoir  sur  1a 
question  d'Orient  et  sur  le  développement  de  la  puissance 
imisulmaue.  Nous  a'hêsituns  pas  à  dire  qu'elle  n*eu  eût  en 
aucune.  Les  dynasties  musulmanes  d'Afrique  n'avaient  plus. 
à  la  fin  (lu  xiV  siècle,  de  rapports  assez  étroits  avec  les 
Sarrasins  d'Asie  pour  qu'une  défaite  des  premiers  portât  un 
coup  sensible  aux  seconds.  Les  chevaliers  qui  accompa- 
j.'Tièi'ent  le  duc  de  Bourbon  sont  assurément  excusables  di» 
n'avoir  pas  compris  qu*ils  servaiejit  la  politique  de  Gènes  et 
non  la  cause  de  l'Orient  chrétien  ;  comme  les  compagnons  de 
saint  Louis,  ils  allèrent  en  Afrique  pour  combattre  les  Mu- 
sulmans, donner  des  coups  d'épée  et  de  lance,  et  dèfendi-e  la 
foi  menacée  par  les  infidèles.  Mais,  en  1390  comme  en  1?70, 
aucun  dN'ux,  aucun  même  des  cbefs  de  l'expédition  ne  s'est 
douté  qu'attaquer  les  Barbaresques  et  les  vaincre  n'aurait 
aucune  intlueuce  sur  le  cours  des  événements  dont  le  Levant 
était  le  théâtre,  et  n'anV'terait  nullement  les  prog^rés  de  la 
puissance  oitomane.  La  chevalerie  s'était  entliousiasniï^e  â 
l'espoir  de  prendre  les  armes  et  d'aller  guerroyer,  sans  scru- 
|iule  d'aucune  sorte,  conti'e  les  méci'éants  ;  peu  importait  <|ni* 
la  croisarie  fût  destinée  à  rester  stérile,  si  elle  donnait  roc<*astun 
de  belles  <  emprises  d'armes  »  et  d'aventures  merveilleuseH, 
Cette  ab.sence  de  clairvoyance  politique,  wt  a\euglément  uni- 
versel, dont  Charles  vi  fut  victime  aussi  bien  que  h*  dernier 
des  croisés,  caractérise  l'expédition  de  Barbarie.  C'est  moins 
une  croisade  qu'une  chevauchée,  née  de  l'intérêt  commercial 
des  Génois,  présentée  par  eux  avec  ujie  extiV-me  habileté  sons 
les  couleurs  d'une  ex[H*dition  religieuse,  quand  le  commerce 
juéditerranéen  seul  était  en  jeu.  et  condamnée,  dès  le  prin- 
cipe, à  ne  produire  aucun  des  résultats  dont  ils  avaient  leurré 
le  naïf  enthousiasme  des  croisés. 


Ceiitui  vieil  solitaire...  en  entrant  en  la  sale...  devant  ta 
«  royale  majesté  du  très*  gracieux  et  très  dévot  roy  d'Angk'- 
<  t«Tre  cornuat  d'an  gi*ant  cornet  de  chasse,  dnqiiol  il  ne  tina 
«  XL  ans  de  corner  as  empereurs  et  roys  et  princes  de  la  ores- 

tienté,  voire  pour  assembler  à  la  chasse  de  Dieu  les  graiiî 
€  lévriers  et  chiens  courans  pour  envair  la  riche  proie  » ', 
C'est  î»ous  celte  comparaison  alh-gorique  que  s'est  désigné 
lui-même  Philippe  de  Mèziêres,  l'ancien  chancelier  du  roi  de 
Chypre,  qui,  pendant  un  demi-sièrlc,  de  pnVs  ou  do  loin,  fut 
nièl»»  à  tous  les  événements  qui  euicnl  l'Orieiii  pour  théâtre. 
personnifiant  ainsi,  avec  un  rare  boulieur  d'expressiim,  la 
constance  des  efforts  qu'il  tenta  pour  armer  la  chrétienté 
contre  les  Sarrasins  et  l'indifférence  toujours  croissante  qu'il 
rencontra  auprès  d'elle. 

I.a  vie  de  Philippe  de  Méziéres  fut  exclusiveraenï  consacrée 
aux  affaire^  d't  Irieiit  ;  pendant  qu'il  servait  les  rois  de  Chypre, 
et  plus  lard  en  Kurope  a[»rés  sa  disgrâce,  elles  furent  son 
unique  préoccupation.  11  a  pu  écrire,  sans  exagération,  que 
durant  (|uarant<!  ans  il  ne  cessa  de  sonner  la  trompette 
d'alarme.  L'histoire  offre  peu  d'exemples  d'une  ténacité  aussi 
persévérante;  jamais  Méziéres  ne  se  laisse  rebuter  par  les 
obstacles,  il  revient  toujours  à  la  charge  sans  décourage- 


1.  british  Mtiscum,  Kuyal  20,  U  vi,  ^  U3  v-S.  Ce  passage  est  tiré 
d'une  épitrc  adrcss(^o  par  Philippe  do  Mi^zières  au  roi  d'Angtolorre, 
Hiclurd  u  (vers  1395}  dans  laquHlo  il  Icxliurlf,  df  concert  avec  le  nù 
d*  France,  à  se  croiser  contre  les  infidèles;  elle  a  été  analysée  par 
ker^jn  de  Lellcnliuvc  (Frui^sal•I,  \v,  :î7ii.8'2l. 


2(»? 


■murpt:  m;  mhzierks. 


meut,  mais  aussi  «ans  aigreur,  et  cependant  il  n'est  pas  un 
importun;  ceux  qu'il  sollicite  rêcontênt  avec  intérêt,  sauf  A 
ne  pas  adopter  ses  i<l(»es.  Son  expérience  personnelle  des 
choses  et  de  la  politique  orientaies  le  garde  des  projets  cbi- 
uiéni|ue3,  et,  sou»  les  allégories  gracieuses  et  poétiques  doni 
il  se  plaît  à  envelopper  sa  pensée,  se  cachent  des  vues 
d'une  hante  portée  pratique  et  des  conseils  excellents.  C'est, 
parmi  les  donneurs  d^avis,  —  exception  bien  rare,  —  une 
Hgurc  svriipatliique. 

Philippi'  d  I'  Mézières  était  né  dans  rAmiénois,  comme  Pierre 
rKrmite  dont  il  se  plaisait  à  se  dire  le  compatriote,  dans  les 
premières  années  du  xiV  siérli*.  Vers  I:iî3,  àgè  d'environ 
trente  ans,  il  st^  tixa  dans  l'ile  de  Chypre  à  la  cour  d'Hugues 
rie  Lusigruàu;  homme  fort  instruit,  il  avait  dos  connaissancoa 
ti-ès  supérieures  à  celles  de  la  plupart  des  laïques  et  même 
de  beaucoup  d'erch'siastiques  de  ce  temps;  celles-ci  le  dési- 
gnèrent au  choix  do  Pierre,  fils  et  successeur  de  Hugues  rv, 
qui,  parvenu  au  trône,  le  nomma  chancelier  du  royaume. 
Méziéres  sut,  dans  ces  fùtiftions.  mériter  la  faveur  de  son 
maître;  très  dévoué  aux  intérêts  de  ce  prince  brouillon  et 
avrnfnreux,  il  s'attauba.  a\ec  l'ardeur  infatigable  qui  formait 
le  fond  de  son  caractère,  à  euti'niner  l'Occident  à  une  nou- 
velle croisade,  mais  s<'s  efforts  restèrent  infnu'.lui'ux.  Quand 
Pierre  i  vint  en  Europe  (i:Jl)?-1305j  recruter  des  adhérents  à 
ses  projets,  il  ne  le  quitta  pas;  à  Avignon,  il  séduisit  le  pa|)e 
par  son  mérite  et  la  sagesse  de  ses  conseils,  et  fut  même  chargé 
par  celui-ci  de  missions  diplomatiques  délicates  en  Lombar- 
die.  Son  rôle  dans  la  préparution  de  la  croisade  de  Pierre  de 
Lusignan  fut  prépondérant;  quand  elle  s*exécuta.  il  retourna 
avec  le  prince  en  Orient  (juin  i;^Or»j',  et  Taccotupagna  part^^ut 
où  les  hasards  de  la  guerre  le  conduisirent,  devant  Alexandrie 
'■ommc  à  Tripoli.  .Mais  la  mort  de  Pierre  i  (I309;  et  l'avène- 
uienl  de  Pierre  il  modiliérent  la  situation  de  Philippe  d«» 
Méziéres  à  la  cour  de  Chypre;  on  1371,  il  était  envoyé  par 
le  nouveau  mi  en  Orrjdent  pour  féliciter  Grégoire  xï  de  son 
exaltîition  au  trône  [tonliriral;  ce  voyage  n'était,  tpt'un  pivt<'Xti» 
pour  éloigner  un  des  serviteurs  les  plus  dévoués  de  rancicn 
régime.  I^i'  chancelier  disgracié  tnmva,  à  la  cour  de  France, 
l'accueil  et   l'influence  t\\\v  Pierre  ji  lui  refusait;  il  resta  en 


\oir  ]ilus  haut,  p.  \l'i. 


KKFiJKTS    liK    CIIIJ.il'I'K    Î>K    lIKZlKltKS 


•*()V 


Occident,  couibLé  de  faveurs  et  de  présents  par  Charles  v. 
Lorsqu'en  1379,  il  entra  au  monastère  dos  C^lestins  à  Paris, 
il  conserva,  dans  cette  flcnii-retraitc,  assez  de  liberté  et  de 
crédit  pour  rester  le  conseiller  de  Charles  v  et  du  duc  d*Or- 
iéans,  et  Tinspirateur  d'une  poliiique  à  laquelle  la  majeure 
partie  de  sa  vie  avait  été  consacrée'. 

Il  serait  injuste  île  dire  que  tant  d'efforts  restèrent  stériles. 
Pt  que  Mézières  ue  pan'int  pas  à  se  faire  écouter.  Les  faits  dé- 
mentent cctl*^'  aflirmalion  trop  absolue;  peut-on  méconnaitre. 
en  t'ffrt,  que  la  croisade  de  Pierre  i.  b*s  espèijitions  du  comti' 
de  Savoie  à  Constantinople  et  du  duc  de  Bourbon  à  Tuni^, 
aient  été  dues  à  l'influence  directe  de  Philippe  de  Mézière'i? 
Mais  l'ardente?  piété  tlu  *  vieil  cordelier  »  ne  se  cnnientait 
l»as  de  ces  entreprises,  nées  d'un  enthousiasme  passager,  dtt 
besoiu  d*aventures  qui  s'emparait  de  la  noblesse  chrétienne 
dès  qu'elle  se  sentait  inactive,  et  qui  ser\  aient  de  prétexte  à 
des  chevauchées  conçues  et  menées  sans  esprit  de  suite  et 
sans  plau  raisonné.  Il  nVtait  pas  la  dupe  do  ces  cmisades 
qui.  pour  la  plu  paît  des  princes  d'Kurope.  étaient  l'occasion 
de  frted  somptueuses,  de  décimes  nouveaux  arrachés  au 
pape  et  de  subsides  extrîtordinaires  levés  s lu*  leurs  sujets:  il 
savait  quelles  n'aboutissaient  à  rîen.  el  que,  tandis  que  la 
chrétienté  usait  ses  finances,  ses  forces  et  sou  zèle  à  ces  ten- 
tatives >îui&  portée,  les  infidèles  devenaient  de  plus  en  plus 
nienaçanis,  et  qu'une  inlervenlion  etlicace  et  prompti*  était. 
indispeasîdtle  |ii»ur  sauver  le  royaume  de  Chvpre.  Aussi  ne 
cessait-il  d'attirer  l'attention  des  cours  eurojiéennes  sur  la 
nécessité  d'ime  action  sérieuse,  de  les  détourner  des  expédi- 
tions éphémères  et  stériles,  de  leur  prêcher  l'adoption  des 
plans  qui  seuls,  croyait-il.  pouvaient  conjurer  le  péril  aiuiufl 
les  Chrétiens  d*Asie'  lUaieul  â  la  veille  tle  suecomlier. 

Méziêres  Voulait  b*  salut  des  établissements  cbrelieus  du 
Levant:   il   avait    «  l'ardent    désir  '»    de    rendre    les   Lieux 


1.  Sur  U  vie  dp  l'iiilijipe  do  Mèziores.  vuii-  un  iiu^muin*  tir  Lt'lu'uf 
d«n»  le»  Mémoires  de  l'Académie  dc6  Inscriptions  et  nelles-Keltre»  (xvu 
(I75II,  'lyi-ôUi.  et  A.  Muliiiier,  Dexcriptinn  ttf  (hùx  iV'tmtiailit . , .  rf*» 
Philip/>e  rie  Mtf^iéreu,  dans  Archives  do  l'Orient  latin,  l,  3:16-7.  \ou» 
non»  bominos  servi  du  tirape  à  part  de  et'  triivail, 

"2.    \.  MolinieP.  MtinusrritA  de  PhiUppr  rie  Mt'siém,  p.  â. 

J.  l."cM  fruti>  vv  Mtini  •|iir  Mô/iêrcH  ïiVi't  (wr^onnific  dane  un  de  m*s 


204 


l'HJLIPFE  0£  MEZIËUKS. 


Saints  à  la  foi,  ot  sa  piété  s*unit  à  l'intérêt  poIiiiqiK*  pour 
animer  sa  plume  dan»  ce  but.  A  peine  counut-il  l'Orient» 
(lu'il  rêva  de  l'aiTaclicr  aux  Musulmans;  dès  1350,  avant 
môme  d'èinî  chancelier  de  Chypre,  il  cherchait  à  le  secourir. 
et  cette  pensée,  pendant  le  cours  d'une  longue  carrière,  ue 
cessa  d'occuper  son  esprit  et  d'inspirer  son  cœur. 

Le  fniil  de  ces  incessantes  méditations  fut  le  projet  de 
(■réalion  d'un  nouvel  ordre  de  chevalerie.  Des  croisades,  di- 
rigées par  des  princes  inexpérimentés,  prompts  à  se  décou- 
rager, étrangers  au  pays  où  ils  devaient  combattre,  ignormits 
de  ses  mœurs,  de  son  langage,  de  son  climat,  de  ses  res- 
sources, étaient  fatalement  vouées  à  des  échecs;  aussi 
fallait-il  établir  comme  base  de  toute  résistance  sérieuse  un 
corps  d'élite,  permanent,  endurci  aux  fatigues  et  ans  priva- 
lions,  composé  de  chevaliers  dtHoués  à  la  cause  sainte  qu'ils 
devaient  servir.  C'est  cette  idée  dont  Mézières  poursuit  la 
réalisation  sous  le  nom  de  Chevalerie  de  ia  Passion  de  Jèstts- 
Christ,  avec  la  persévérance  qui  lui  est  habituelle.  Sans 
souci  de  l'indifférence  toujours  croissante  de  la  noblesse  et 
du  clergé,  il  rédige  les  statuts  de  l'ordre  nouveau,  expose 
ses  plans,  h-s  moditie  et  les  remanie  à  plusieui*s  rt^'prises. 

Le  premier  projet,  dédié  au  mi  Pieri-e  i  de  Lusignan,  date 
de  I3()S;  c'est  un  mémoiri*  politique,  un  exposé  des  services 
que  rendra  la  milice  de  la  Passion.  En  l3H'i,  le  projet  prend 
les  proportions  d'un  véritable  ouvrage»  plein  de  faits  et  de 
détails  qtii  déuolêiit  iiii  autour  familier  aver  les  choses  de 
rûrieut.  Entîii,  en  l;iOr>,  le  mariage  de  Richard  ii  et  d'Isa- 
liclle  de  France  semble  sceller  à  jamais  la  réconciliation  des 
cours  d'Angleterre  et  de  Franco  ;  l'occasion  est  trop  propice 
pour  qu(^  Mézières  ne  tente  pas  d'enrôler  sous  la  bannière 
nouvelle  les  chevaliei*s  que  la  paix  rend  oisifs.  Une  épltre  au 
roi  d'Ang!t»ten'e  pour  l'exhoi-ter  .-i  prendre  la  croix  et  à 
s'alhlier  à  la  Passion  de  .Îésus-Chrisi',  une  œirvn*  littéraire, 
IraJtée  dans  le  goût  du  temps  avec  allégories  et  ticliuns  in- 
génieuses, ot  destinée  à  faire  ressortir  les  avantages  de  la 
ci-éation  projetée,  sortent  de  la  plume  <lu  solitaire  des  Ce- 


ouvrages.   Aucuiie  <iiialilk-a(ii>ii    ne  {Kiuvail  «Mn^   ptuit  heureuspun^nl 
cliui&ic.  V.  A.  Muliiiier,  Maniutcrih  ..,  p.  15  et  17. 

I.  C'est  rOpttiT  cunservi^o  »u  Britisli  Muséum,  Royal  20,  U  vf,  f^  38- 


Ol'VRAOES   DK    PHiUPPR   DE   ME/.IKRE.S. 


2(i:. 


lestins;  il  se  datte  qu'elles  recrutei'ont  de  nombreux  adhérent^ 
à  ses  projets,  mais  so»  espoir  *?sl  oncorc  une  fois  dé*;uV 

L'activité  littéraire  de  Philippe  de  Mèzières  fut  considé- 
rable; sans  parler  do  plusieurs  ouvrages  mystiques,  trois 
rédactions  de  ses  projets  de  fondation  de  la  Passion  de  Jésus- 
rhrist  (I3G8,  I38'(.  |;ïîï5)-',  uue  vie  du  bienheureux  Pienv 
de  Thomas,  compagnon  du  chancelier  en  Orient  pendant  la 
rroisade  du  roi  de  Chypre\  l'épitre  au  v>t\  d'Angleterre,  et, 
suivant  l'opinion  la  plus  accréditée,  le  Songe  du  Verger',  furent 
composés  par  lui'.  Il  n'entre  pas  dans  le  cadœ  de  ce  travail 
d'analyser  chacun  de  ces  ouvrages,  quoiqu'ils  se  rattachent 
ions,  à  des  liti*es  divers,  à  l'Orient  ot  à  la  question  d'inter- 
vention aux  Lieux  Saints.  Mais  la  tentative  d'établissemeni 
d'une  €  chevalerie  »  nouvelle  touche  de  trop  près  au  déve- 
loppement de  l'infUienco  chrétienne  dans  le  Levant  pour  ne  pas 
arrêter  notre  attention  pendant  quelques  instants. 

C'était  uue  heureuse  idée  de  placer  en  Palestine,  aux 
crttés  des  chevaliers  de  Rhodes,  trop  riches  pour  avoii-  con- 
servé l'ardeur  et  l'activité  des  anciens  temps,  une  milice 
jeune,  brave  et  animée  du  zèle  de  la  foi.  Tous  les  esprits 
clairvoyants  du  xiV  siècle  avaient,  compris  qu'une  force  per- 
manente, recrutée  par  des  éléments  d'élite,  était  indispensable 
pour  contenir  la  puissance  envahissante  des  Ottomans.  Après 
la  chute  d'Acre  ou  avait  favorisé  dans  ce  but  l'établissement 
des  Hospitaliers  à  Rhodes;  bientôt  on  demandait  la  fusion 
des  ordres  militaires,  et  on  proposait  de  mettre  aux  mains 
des  rois  de  Chypre  un  corps  de  soldats  choisis,  avant-garde 
des  puissances  européennes  en  Orient,  et  noyau  de  toute  ré- 
sistance contre  les  infidèles.  Philippe  de  Mézières,  fidèle  A 
cette  tradition  politique,  reprit,  en  le  rajeunissant,  le  projet 
de  ses  devanciers.   A  ce  moment  la  chevalerie  avait  soif 


1.  A.  Molinior,  ManMcn'U. . .,  P-  ^6- 

S.  A.  Molinier  (Manuscrits...^  psssim)  a  parfaitement  distingué  CM 
diverses  rédactionâ,  qu'il  a  analysées  isolément  dans  ce  travail, 

a.  Acta  Sancturum  Bvll.,  29  janvier,  n,  090-1013.  —  Voir  pluH 
haut,  p.  123. 

4.  Cette  question  d'attribution  est  fort  controvervée,  et  ce  point 
d'histoire  littéraire  n'est  pas  encore  élucidé. 

5,  n  faut  ausài  ajouter  à  la  liste  des  ouvrages  de  Philippe  de  Mé- 
zières  VEpistre  UimvntaMr  et  numohtmre  dont  nous  parlerons  lon- 
gtipmrnt  phis  b;i«. 


il'aveiitares  et  besoin  d'cxpansioti  au  dehors  ;  vanitease  et 
IVivole,  elle  était  susceptible  de  s'erithousiasiuer  pour  un 
<lesseiu  qui  flattait  ses  tiéfaiits.  Mézières  e^ipèra  tirer  parti 
rie  CCS  sentiments  pour  constituer  l'ordre  de  la  Passiout  et  il 
y  fit  la  plus  larpi'  part  aux  disjïositions  concernant  le  costume 
des  chevaliers  et  des  olliciers.  la  liiérurchie  ries  diguitaires, 
et  luillc  détails  qui  avaient,  aux  yeux  des  contemporains 
de  Mézières.  une  importance  capitale,  et  devaient  décider  les 
adhésions. 

L'ordre  nouveau  était  destiné  à  otj*e  le  miroir  tle  la  chn- 
tienlé;  ses  membres,  purifiés  par  la  grAce,  comprenaient  des 
clercs,  des  nobles,  des  bourgeois  et  des  artisans;  aux  pre- 
miers on  réservait  les  dignités  ecclésiastiques,  aux  second* 
les  commandements  militaires  ;  les  frères  se  recrutaient  parmi 
les  bourgeois,  les  sergents  parmi  les  artisans.  C'était  l'image 
de  la  société,  mais  jilus  parfaite;  bîs  clercs  priaient  tandis 
que  les  nobles,  les  frères  et  les  sergents  se  battaient,  et  tous 
ilonnaient  au  monde  le  spectacle  de  leurs  vertus.  Edifier  et 
réfonacr  le  «^^enre  luimain  par  l'exemple,  tel  est  le  but  moral 
des  chevaliers  de  la  Passion;  délivrer  le  Saint  Sépulcre,  tel 
sera  l'objet  de  leurs  efforbi  constants  ;  ils  s'y  emploieront  de 
cœur,  de  parole,  d'œuvi*e.  de  nom  et  d'habit,  *  de  cœur,  en 
4  ayant  toujours  présente  à  Tesprit  la  Passion  du  Christ;  de 
«  part)le,  en  pnkhant,  on  priant,  en  chantant;  d'œuvrc.  eu 
*  pratiquant  Tobéissance,  la  pauvreté  et  la  rhasteté  conju- 
«  gales  ',  en  macérant  la  chair...,  en  combuttanl  les  ennemis 
«  de  la  foi  qui  possèdent  la  Terre  Sainte,  en  employant  â  cet 
«  l'ffot  tous  les  biens  temporels  qu'il  (l'ordre)  pourra  acqué- 
«  rir,  recevoir  et  conquérir  ;  de  nom,  en  parant  ses  membres 
«  du  titre  de  chevaliers  de  la  Passion  du  Christ;  d'habit 
«  entin,  en  mettant  la  croix  sur  leurs  vêtements*.  » 

L'organisatiorj  sera  militaire;  une  série  d'officiers,  dont  le 
lilre  et  les  fonctions  sont  exactement  déterminés,  la  feroDt 
respecter;  au  point  de  vue  ecclésiastique,  le  pape  déléguera 
à  un  patriarche  la  directiori  spirituelle  de  l'ordre  ;  arche- 


1 .  Philippe  de  Mézières  entend  par  le  rmu  de  chasteté  U  fidélité 
Conjugale.  Les  temps  sont  mauvaî.s,  dlt-il,  le  monde  vieillit,  et  il  nr* 
faut  pas  imposer  ime  condition  qui  a  causé  la  décadence  des  autre» 
ordres  militaires;  les  chevaliers  de  la  Passion  seront  donc  mariés. 

2    A.  Molinier,  ManmcnU. ...  p.  8-9. 


•  (RGANliiATION  DE  I.A   MILICE  l»E  la   PASSION. 


•A)7 


vêqucs,  évèques,  chanoines  et  prêtres  lui  obéiront.  L'hospi- 
talité sera  en  honneur;  on  établira  à  la  fois  un  hospice  et  un 
hôpital  ;  les  veuves  et  les  orphelins  y  vivront,  les  malades  y 
seront  soignés,  visités  et  consolés  par  les  femmes  des  grands 
iliguitaires  '.  L'cnfanco  préoccupe  également  Philippe  de  Mé- 
zières  :  il  lui  ouvre  des  écoles,  surveillées  par  un  uiaitif 
spiHïial,  pour  lui  enseigner  l'arabe,  le  tartare.  le  grec  et  l'ai*- 
inénieii  ;  l'usaifc  du  latin  y  sera  ohlii^Mlnire,  et  dans  certaines 
il'ontre  elles  ou  pourra  mémo  apprendre  huit  langues  orien- 
tales différentes.  Le  droit  canon,  le  droit  civil,  la  théologie. 
la  musique  vocale  et  iustrumentalc  auront  leurs  écoles 
spéciales. 

Mais  la  milice  nouvelle  ne  s'adonnera  pas  exclusivement  â 
la  vie  contemplative;  si  elle  doit  faire  renoncer,  par  la  force 
de  l'exeuïple,  les  pécheurs  à  leurs  erreurs,  ot  ra>iver  dans 
les  Ames  le  culte  délaissé  de  la  Passion  du  Sauveur,  elle  est 
avant  tout  créée  pour  la  vie  niililaire.  et»  dans  les  projets  de 
Méziêres,  cette  dernière  tient  la  pla<e  d'honneur.  L'ordre  jra- 
t-il  pas  pour  objet  immédiat  de  secourir  les  Chrétiens  en  butte 
aux  attaques  des  intidêles?  Ne  doit-il  pas  reconquérir  Jéru- 
salem et  la  Terre  Sainte,  ne  doit-il  pas  surtout  assurer  la 
conservation  des  pays  reconquis?  Cette  udssion  suppose  la 
prédominance  de  l'élément  militaire,  sans  laquelle  les  che- 
valiers de  la  Passion  seraient  incapables  de  remplir  le  rôlt» 
que  hmr  fondateur  leur  destinait.  La  guerre  est  pour  eux  une 
■ibligation  étroite  ;  la  discipline  des  camps,  les  exercices  mili- 
taires, les  machines  de  guerre  â  empUiyer,  l'ordre  des  marches 
attirent  longuement  Tattenlion  de  Mé/ières  ;  l'armement  et  le 
campemiMit  sont  également  l'objet  îles  dispositions  les  plus 
mÎDutieuses  *.  Cet  ensemble  de  mesures  marqrie  nettement  les 
préoccupations  du  fondateur  dr  la  nouvelle  chevalerie. 

Malgn*  tant  d'efforts,  Philippe  de  Mézières  ne  parvint 
Jamais  â  la  constituer;  un  instant  (vei's  1390)  il  avait  espéiv 
n*'us-sir  ;  un  pape,  des  prélats,  des  docteurs  de  l'Universiié  de 
Paris,  six  ducs  du  sang  de  France  et  d'Angleterre  avaient 
adhéré  à  ses  projets,  mais  les  circonstances  ne  tardèrent  pas 
à  dissiper  les  espérances  conçues  ;  l'expédition  de  Barbarie, 


208  PHILIPPE   DE  MÉZIÈRES.' 

et  bientôt  après  la  croisade  préparée  par  le  duc  de  Bour- 
gogne occupèrent  tous  les  esprits,  :  TOrdre  de  la  Passion  fut 
oublié*. 


1.  Nous  avons  la  liste  des  adhérents  recrutés  par  Mézières;  ils  sont 
peu  nombreux,  mais  ce  sont  les  personnalités  les  plus  renommées 
pour  leur  courage  et  leurs  aventures  (A.  Molinier,  Manuteritt...^ 
p.  30-2). 


LIVRE  IJl 

MCOFOLIS 

1396 


LIVRE   111 


NICOPOLIS 


a% 


LVïpédition  iIp  Mcopolis.  tanl  par  l'importaiire  do  l'effort  U^nlè  par 
la  chrétienté  que  par  l'éi'Ut  d'un  désastre  sans  précôdcMit  dans 
rhisloîre  des  rruisades,  eut  irup  de  retentissement  au  moyen  âge 
puur  ne  i>as  avuir  laissé  de  numliroux  et  profumU  souvenirs.  Il  est 
peu  de  chronir|ucurs  oontcrapiiraîns  qui  n'aient  enroKi^tré  les  ia- 
ineiitables  aventureb  des  cruiiMl's  en  Bulgarie  et  en  Orient;  ccit 
it'inoignages  donnent  au  riVcit  de  l'historien,  qui  m  propose  de 
raconter  à  son  tour  les  péripéties  de  cette  oanipagne,  la  base  et 
l'appui  les  plus  solides. 

L'armée  coalisée  était  formée  de  corabattautit  appartenant  h 
presque  toiiles  les  nations  chrétiennes;  rette  divemté  d'origine  wî 
reflète  dans  les  sourrcs  dont  nous  nous  sommes  servi;  les  peuples 
mêmes  qui,  comme  les  Italiens,  n'ont  pas  été  mêlés  à  la  croisade, 
ne  sont  pas  re&lés  indifférents  aux  événements  dont  l'Orient  fut  le 
théâtre,  et  les  ont  accueillis  dans  leurs  chroniques;  les  Musulmans, 
de  leur  côté,  n'ont  eu  f;^rde  de  paaser  sous  bilencc  une  victoire  ca- 
pitale pour  leurs  armes.  Aussi  chacun  de  ces  différents  récita, 
pour  être  apprécié  à  sa  véritable  valeur,  devra-t-il  être  groupé  avec 
lea  témoignages  émanés  do  la  même  source  que  lui. 

SoriirM  KHSÇAlsEs.  Nous  avons  déj^  appnVié   l'antoKté   de  la 


2\2 


sorncKs  LU    livrk  tuoisikmk, 


Chrvnique  des 'juatre  première  Vatoù*,  celle  (îe  Jeau  Juvéïial  des 
l'rsina'  et  du  Heligieux  de  Saint  Oenia^^  mai»  ce  dernier  chroni- 
queur mérite,  pour  l'expéditiûit  de  Nîcopolis,  une  attention  spéciale, 
en  ce  qu'il  a  tenu  d'un  témoin  oculaire*  les  détails  relatifs  à  la 
croisade.  Kroissart,  dont  le  récit  est  très  développé,  doit  ici,  comme 
partout*,  être  soumis  à  un  sérieux  contrôle;  il  ne  faut  pas  oublier 
qu'il  était  tout  dévoué  à  En^'uerrand  vu  de  Coucy,  et  n'a  laissé 
ér.liapper  aucune  occasion  de  mettre  son  héros  en  relief,  au  détri- 
ment du  connétable  d'Ku  pour  lequel  il  professe  une  animosité  par- 
ticulière. Bien  que  !a  légèreté  et  l'incapacité  do  Philippe  d'Artois  ne 
fassent  doute  jwur  personne,  et  que  la  responsabilité  du  désastre 
retombe  en  grande  partie  sur  lui,  il  faut  néai^moins  se  tenir  en 
garde  contre  les  appréciations  souvent  trop  passionnées  de  Froissarl 
à  l'égard  du  connétable.  It  en  est  de  même  de  la  lieiatioH  de  ht 
croigade  de  iXicopotis  par  un  serviteur  nu  comte  Guy  ii  de  Hloi?.*, 
qui  n'est  qu'un  abrégé  tré»  exact  des  clmjniques  de  Kroissart. 

Le  témoignage  \p.  plu.s  important  et  le  phi.s  personnel  j>onr  celle 
période  est  celui  du  Lii-re  de»  faits  du  maréchal  lloucicaut". 
.Malgré  son  caractère  apologétique  [i\  a  été  écrit  sous  les  yeux, 
peut-être  même  sous  l'inspiration  directe  du  maréchal),  il  est  digne 
de  la  plus  sérieuse  confiance,  el  c'est,  k  tout  prendre,  une  source  de 
premier  ordre. 

Le  Lùre  des  faite  nous  a  conservé  le  souvenir  des  événement» 
auxquels  le  maréchal  a  été  mêlé  depuis  sa  naissance  jusqu'en  avril 
i409;  le  récit  s'arrête  brusquement  à  cette  époque,  et  cette  cir- 
constance nous  donne  la  certitude  que  Ta-uvre  est  contemporaine. 
On  a  fait,  sur  raulenr  de  cette  chronique,  de  nombreuses  conjec- 
tureS}  sans  qu'aucune  d'elles  i*oit  absolument  satisfaisante.   Il  faut 


1.  Voir  plus  haut,  page  1I4-Ô. 

2.  Voir  plus  haut,  page  116. 

3.  Voir  plus  haut,  page  116. 

4.  Gautier  de  Rupes,  de  la  maison  de  UaulTremouL 
o.  Voir  plus  haut,  page  114. 

6.  Ed.  Ken-yn  de  Letlenhove  \Chroniti»e*  de  Froiuart^  xv,  439-.'.OH 
Cl  XVI.  413-i3). 

7.  Le  matmscrit  unique  du  Liire  des  faits  du  bon  messire  Jeiut  U 
Maingre,  dit  Houcigaaut,  est  conservé  à  la  Mibl.  nat.  de  Paris,  fond» 
franc.  Ili32.  Il  a  été  pour  la  première  fois  publié  par  Tli.  Godefroy 
[Histoire  de  Mre.  Jean  Buncicaut^  Paris,  A.  Pacard,  1620,  in-'t«),  av»'r 
quelques  additions  tirées  des  chroniques  contemp(traines  et  des  pièces 
d'archives.  Knsuite  il  a  été  compris  dans  les  collections  générales  d«* 
chroniques  sur  rhistuirc  de  France,  par  pxemple  dans  la  t'jillertion 
universelie  drs  mémoires  pnrtindiers  refatifn  à  Chistnire  de  Fraure 

l.i»n(lr«^s  el  Paris,  1785,  in-H*.  tome  vi),  par  Parni,  avec  qurhjues  sup- 
pressions, -    dans  la  S'auvelle  Ctdlection  des  mémoires  pour  servir  û 


S<trRCKS    in      I.IVRK    TRôlSIKMI-: 


ii:i 


f*ppendanl,  croyons-nous,  rejeter  l'hypothèse  nui  .itlribue  la  com- 
position de  l'ouvrage  à  Houcicaiit  Ini-mèinp.  Celui-ci  était  avant 
tout  un  soldat;  la  politique,  comme  il  l'a  prouvé  maintes  fois,  et  à 
plus  forte  raison  la  composition  littéraire,  très  remarquable  dans  cette 
«T-uvre,  n'étaient  pas  le  fait  d'un  homme  de  guerre,  ne  vivant  que 
pour  combattre  et  frapper  de  grands  coups  d'cpée.  On  ne  saurait 
également»  comme  l'a  voulu  M.  Kervyn  de  Lettonhove,  reconnaître 
dans  le  Livre  dei  fait*  la  plume  de  Christine  de  Pisan'.  Il  semble 
vraîscmbUblo  que  lyuvrage  a  été  écrit  dan»  l'ontounigfi  du  ma- 
réchal, par  un  homme  qui  avait  vécu  aux  cAtés  de  Boiicicaut,  et 
qui  complétait  ses  souvenirs  personnels  par  cens  du  héivs  dont  il 
avait  entrepris  de  retracer  l'histoire;  Jean  de  Cbfileaumorand, 
l'auteur  probable  de  la  Chronique  du  bon  duc  Aoyi,  on  Jean  d'Ony, 
le  fidèle  écuyer  du  maréchal,  sont,  dans  cet  ordre  d'idées,  les 
personnages  auxquels  nous  devons  accorder  la  préférence  dans  nos 
conjectures. 

SocncF-s  BouKGUiuNONNKs.  Souà  c€tte  désignation  se  placent  les 
chroniques  d'origine  flamande,  artésienne  ou  bourguignonne.  KUes 
sont  importantes  moins  par  le  récit  des  événements  de  la  campagne, 
sur  laquelle  elles  ibument  peu  de  renseignements  nouveaux,  que 
par  les  détails  qu'elles  contiennent  sur  les  croisés  de  cette  région. 
Les  fies  gestin  ont  la  valeur  iTiin  témoignage  contemporain,  mais 
hans  ajouter  aucune  particularité  nouvelle  ii  celles  qui  nous  sont  con- 


r/tintoire  dr  h'raïu^e,  pai-  Miohaud  et  Poujoulal  (Paris,  1H3G,  /j;r.  in-8", 
t.  rt,  p.  205-332)  daprés  Godefi*oy,  —  dans  le  Pauihêon  lUiéraire  de 
Itiirlion  itonie  iri  des  Chroni/fues  de  Froisnart,  p.  502-689).  C'est  de  celte 
dernière  édition  que  nous  nuus  sommes  servi.  11  convient  de  remarquer 
qu'elle  dill'ére  des  autres  par  la  numération  donnée  aux  chapitres  de  la 
première  partie,  qui  ne  sont  qu'au  nombre  de  trente-huit,  tandis  qu" 
dans  tontes  les  éditions  et  dans  le  manuscrit  on  en  compte  Irenle-nenr; 
rrtle  difl'érence  s'explique  parce  que  Buchoii  n'a  pas,  comme  ses  pré- 
décesseurs, doimé  de  numéro donlr*'  au  prologue;  il  importait  d'avertir 
le  lecteur  de  cett»*  paiiicularité,  sans  laquelle  il  eût  eu  peine  à  établir 
la  concordani'c  des  diverses  édilions. 

Le  f.ivrr  des  fait*  a  direcicment  inspiré  une  IfUtoire  du  maréchai 
de  Roiicicaut:  l'auteur  ide  Pilbam)  a  fait  la  plus  grande  part  à  la  chro- 
nique dans  ce  livre  (hiris,  Ch.  Coignard.  Ifilt",  in-12).  Cet  ouvrage  n 
été  textuellement  n'umprîmé  â  La  Haye  par  L.  et  H.  van  r>t)Ie  (I699J, 
et  |»ar  (j.  de  Voys  ilTIl),  et  â  (!olog!ir  jiar  I*.  Marteau  (17371.  t>e  noH 
jouw  |I8*«)  le  baron  (î.  de  la  Tour  a  publié  une  étude  sur  le  Maréchal 
BoueirttuI  dans  VAgg  .rïtttion  rfttfindtfur  jvi,  r{5t-74  ot  548-76.)  \ous  si- 
^nderons  aussi  ici  une  nouvelle  histori'iue, /c  Mavi'ehal  de  Hourieaut 
(Paris,  Damien  Beugnié,  171'»,  in-lii.  par  Née  de  la  Rochelle. 

I.  Kervyn  de  Lettenliove,  /•"rtn'sxavt,  étude  littéraire  (Paris,  1857, 
in-12),  t,  :M)7-2y. 


Srtl'KCES  m 

imes  d'autre  part*.  Il  en  est  de  même  de  ta  chronique  de  Jean  Bran- 
ilon^;  ce  dernier,  mort  en  1428,  a  eu  sous  les  yeux  la  narration  de 
Kroissart.  Les  additions  faites  à  l'œuvre  de  Brandon  par  Adrien  de 
But  (mort  en  1488)'  eX\^  Chronique  anonyme  H e  F (andre^  s'inspirent 
rgalonient,  dans  une  plus  (grande  mesure  que  Brandon,  du  chn*- 
iiiqueur  de  Valencienncs.  Le  Livre  des  Trahisons  de  France'y  In 
fiente  des  dua  de  Bourgogne  (13ya-14U)',  empruntent  leurs  infor- 
iitatjon:j  à  leurs  devanciers.  Les  sources  artésiennes,  Krancuis  Bau* 
duin  (1520-1573)*  et  Philippe  Meyher*  (né  vers  1567)  sont  du  xvi* 
siècle,  et  n'offrent  aucun  détail  original  dans  les  quelques  lignes 
qu'elles  consacrent  à  l'expédition. 

SorucES  ALLEMANUES.  Le^  ohservatidus  que  nous  avons  faites  » 
l'occasion  des souires bourguignonnes  se  reprwluisent  à  l'occaMon  des 
chronique»  suisses,  alsaciennes  et  allemandes,  sans  que  cependant, 
comme  celles-lh,  elles  doivent  rien  à  des  informations  extérieures. 
(Vest,  à  proprement  parler,  un  ensemble  sptScial  dp  témoignage!*, 
dûs  aux  récits  des  croisés  allemands,  dans  lesquels  ceux-ci  occupent 
une  place  particulière;  à  ce  titre  elles  nous  sont  fort  précieuses. 
La  chronique  d'.Msace  de  Kuni^shofeu'  semble  partiale  et  injuste 
envers  les  Hongrois;  l'teuvre  de  Justinger",  plus  spécialement 
suisse,  est  indé|iendantc  de  Knnigshofen  et  de  la  continuatîun  de  ce 
dernier  connue  sous  le  nom  de  continuation  de  (kile".  Mais  ce  sont 
surtout  les  témoignages  bavarois  qui,  par  le  nombre  comme  par  Ih 
valeur  des  récits,  méritent  le  plus  d'attention;  la  marche  de  l'armée 
loalisée  le  long  du  Danube  et  le  sort  des  croisés  bavarois  y  sont  mis 
en  lumière.  Les  relations  contemporaines  d'Ulmann  Strômer  (13'iy- 


1 .  Chronif/ues  relatives  à  Vhistoire  de  la  Belgique  aou^  ta  domintt' 
tion  des  ducs  de  Bourgogne  (1876),  m,  p.  207-34. 

2.  Chroniquen  relatives...  (1870).  t,  p.  t-166.  Voir  sur  Nicopojis.  p.  ;U. 
;t.   flhroniquett  relatives...  (1870),  I.  p.  35-40. 

'i.  Froissart,  éd.  Kervyn,  xv,  U5-8,  fragment, 
.i.  Chroniques  relatives. ..  (1873),  ii,  p.  1-2,58. 

6.  Chroniques  relative*. . .  a873),  ii,  p.  268,  ver»  305-iO. 

7.  Chronique  dWrlhois  par  Frarïçois  Bauduin  (Arras,  1856,  in-»", 
p.  66,  dans  les  Mémoires  de  IWcadémie  d'Arras). 

8.  Il  acheva  les  annales  de  Flandre  de  son  grand-oncle  Jacques 
Meylier  Utibl.  dWrras,  ms.  n»  '123),  auxquelles  puisa  un  érudit  artésien 
du  commencement  du  wii»  siècle,  Ferréol  de  Locre,  qui  publia  n 
Arras  en  1616  une  chronique  de  Belgique  en  latin,  s'élendant  dn 
258  h  1616,  et  dans  laquelle  est  rapiiorté  le  plissage  de  Meyher  relatif 
h  Nicopolis. 

9.  Ed.  Hegel,  Die  Chroniken  der  Deulsrhen  Stôdte^  Straszburg  l-u, 
(Leipzig.  1870-1871,  2  vol.  in-S»). 

10.  C'-onrad  Justinger,  Berner  Chronik  {éd.  0.  Studer,  Berne.  187t. 
in«"i. 

11.  Mono,  Quellensammlunff. ..,  i,  286. 


SOt'RCES    I)i:    LIVHK    TROISIKMK. 


215 


ItO?)'.  ilu  chanoine  Onsorg  de  Hatisbonne*,  et  de  la  Chronique  de 
ftatiêlfonne^y  les  ouvrages  coraposé»  au  siècle  suivant  par  Jean 
Trîthemlus,  abh*  do  Saint  Jacques  le  Majeur  de  Wurtzburg*,  éma- 
nent d'un  même  groupe  d'informations  dont  la  Ilavière  est  le  centre. 
A  cette  même  origine  se  rattadie  la  plus  importante  des  chroniques 
que  nous  ayons  pour  la  croi.sade  de  Nicopolis,  celle  de  Schiltberger, 
dont  l'autorité  égale  celle  du  Livre  des  faitt  dix  maréchal  lloncicaut. 
L'auteur,  en  ell'et,  enfant  de  Munich,  suivit,  à  peine  adolescent,  en 
qualité  de  page  oud'écuyerde  Lienhart  (ïeichertinger,  les  chevaliers 
bavarois  à  la  croisade,  et  fut  pris  à  Nicopolis;  épargné  par  les  vain- 
queurs k  cause  de  aa  jeunesse,  il  resta  plus  de  trente  années  pri- 
sonnier des  Turc*  en  Orient.  Témoin  oculaire  des  faits  qu'il  raconte, 
Il  confirme  et  complète  le  Livre  des  faits^  et  son  récit  revêt,  grâce 
aux  circonstances  spéciales  dans  lesquelles  se  trouva  l'auteur,  une 
valeur  de  premier  urdre*.  L'imagination  populaire  s'est  également 
emparée  en  Allemagne  de  la  défaite  de  Nicopolis  et  l'a  consacrée 
dans  un  chant  assez  étendu  émané  d'un  témoin  oculaire,  auquel 
l'historien  ne  devra  pas  dédaigner  de  recourir". 

SouRCF^  iiONunoisES.  Elles  seraient  d'une  importance  capitale 
pour  déterminer  les  responsabilités  encourues  par  les  Français  et 
le»  Hongrois  dans  la  campagne,  si  elles  offraient  dos  récits  contem- 
porains et  détaillés.  Il  n'en  est  malheureusement  rien.  Ni  l'historien 
de  la  Dalmatie  Lucius^,  ni  Jean  de  Tliwrocz"  qui  écrivait  près  d'un 

1.  Ed.  Hegel,  Die  Chroniken  der  Ùeutschen  Stâdte,  Nùrnberg  i, 
(I8«IK  p.  l-ai2. 

2.  ridalricua  Onsorgius,  Chro/i.  Bavan'œ  (602-1422)  dans  A.  F. 
(Kfele,  ftrrum  Boiearum  scriptores  (Vienne,  1763,  in-fol.),  U  354-74. 

U.  K.  Th.  Gemeincr,  HeiehMtadt  Hegetuburgisehe  Chronik  (4  vol. 
)n-4«,  1800-2't,  Itatisbonne). 

4.  Chronicon  dueum  Bavariœd&n&FKher  {Tritfiemii  opéra,  Frano-j 
fort,  1601,  i,  100-120);  —  Chronicun  Sponheirtunse  ab  anno  1124 
annum  152B  (ibid.,  il,  236-'ia5). 

5.  ScIiiltbHrger  a  Hé  souvent  publié  ou  traduit,  en  tout  ou  en 
pArtie.  depuis  fédition  d'L'Im  on  Ki 73  jusqu'à  la  traduction  anglais" 
donnée  par  J.  H.  Tcfler  en  1879  avec  les  notes  du  professeur  i'.  Itruun, 
dOtlesiia,  sous  le  titre  suivant:  Thu  bondatje  and  trarvU  vf  Johann 
Sehiitberifer  (London.  in-S"»,  Kakluyt  Society,  1879,  .v\xn-26:i  pages). 
L'introduction  bibliographique  qui  accompagne  cette  traduction  Cj),vn- 
XIV)  signale  quatre  manuscrits  et  dix-neuf  éditions  de  Schiltbfrger, 
MouA  nous  tommes  servi  du  texte  donné  par  K,  Fr.  Neumann  soua  le 
litre  de  :  Die  Reisen  des  Johann  SchUtbergrr  (Munich,  I8âî^  in-8"). 

6.  IMerre  de  Mvi  (Hetz  on  Autriche,  à  la  frontiéredc  la  Moravie),  dan»  Li- 
liencrun, /*i'e/i»>ïori«cA?n  rt//Aa/i>rf«- rfer/>rt*/«<:/irn  (Leipzig,  1865),  1, 157. 

T.  I.ucius,  Dr  retjtfj  Ifalmnlit»  dansSchwandtner,  Scriptores  rerum 
JhtHgarieamni,  Datmalfcarum.  .  iVionnc,  1746-1748,  3  vol.  in-fol.), 
III,  1-'i65. 

8.  Schwaiidlncr,  t.  3t»-29l. 


Ifi 


SdlRCKS    in"    LIVKK   TRorsiFMK. 


KÎècle  après  len  événements,  ni  les  annaliittcs  du  s\i^  siècle,  tels  que 
Bontînins*,  Georges  Pray*  et  Pierre  de  Rewa*  ne  pépondenïn  l'in- 
l^rél  qn'oTi  pouvait  espérer  de  leurs  témoignagee.  et  no  permettent 
d'élucider  l'un  des  iwints  les  plus  importants  de  la  croisade. 

SoLKCES  l'ouiN.\isE.s.  Iji  présence  de  quelques  chevaliers  polonais 
H  la  croisade  a  laissé  en  Pologne  quelques^  souvenirs,  dont  l'historieTi 
Jean  Dlugoss,  qui  écrivait  A  la  tin  du  xv*  uiècle,  nous  a  conservé  fi- 
dèlement la  trace  dans  ses  ouvrages*. 

SoimcES  ITALIENNES.  Uicu  que  ritalic  n'ait  paa  été  directement 
mêlée  à  l'expédition,  aucune  des  chroniques  italiennes  contem- 
{toraincs  n'est  restée  muette  sur  In  catastrophe  de  XicopoliN: 
mais  toutes  ont  accueilli  sans  contrôle*  des  informations  inexacte^ 
mi  eïagéréea,  et  on  ne  saurait  leur  acooitler  aucune  confiance.  In 
point  cependant  est  à  retenir,  c'est  la  présence  dans  l'armée  alliée 
d'un  contingent  anglais,  dont  les  sources  anglaises  ne  parlent  pns. 
mais  dont  l'existence  parait  certaine.,  grâce  aux  documents  italien'» 
qui  confirment ^  {wur  ce  fait  spécial,  tes  assertions  des  chroni- 
queurs allemands. 

Sources  dvzvntines.  Sans  être  absolument  contemporaines,  puis- 
qu'elles datent  du  milieu  du  xv*  siècle,  elles  ne  sauraient  être  né- 
gligées; les  haute»  fonctions  remplies  à  la  cour  impériale  par  leur?. 
auteui-s,  G.  Prantzès  (1401  —  y  après  14"7)».,  Laonic  Chalcocondyh' 
(f-  vers  1464)',  Jean   Duras,  dont   la  chronique  s'étend  de   1341  :i 


1.  Antonii  llonfinii,  Hrrinn  /.';i(/u/"icMru//i //crat/f*.  ouvrage  complété 
par  J.  Samhucus  (Râle,  lô68,  in-fol.,  et  Hanau.  t60fî,  in-fol.)- 

2.  Annale*  ret/um  Hunfjaricfj  abanno  997  aJ  amtum  lo54  detUu-ii. 
(Vienne,  1754-74,  5  vol.  in-fol.). 

3.  Peiri  de  Hewa,  fomitis  comitatus  tie  Ttiûr^Vcï,  /ïr  .S.  Corutur 
Jiegni  Hutujnvitf. ..  ftirtuna  commrnlnriun  (dans  Schwandtner,  il. 
416-83),  et //tf  Monardtia  ri  S.  Conma  re^t^nt  ffuni/arùv  renturirf  vri 
(dans  Sehwandlner,  n,  6û2-8;i7). 

4.  Dlugoss,  Hixtoria  polonica,  X.  i,  !»5-(>  (éd.  de  1711),  el  Aunalrs 
Poloninr^  II,  1159. 

r».  Chroni(|ue  florentine  de  Pieru  Minerbrtli  ilansTarlini,  Rfr.  Ilatir. 
urn'ftl.,  il  tl770),  80-628;  —  Annalex  Mc*liolnnensfx  (12:10-1402)  dans 
Mnmturi  f/?«T.  UaUc.  nn-ifH..  xvi,  G;t"-839);  —  Andréa  f.attaro.  Utorin 
Piiduvfina  (dans  Muratorî,  xvn.  754-94 V»;  —  Jacobi  de  Delayto,  Annale* 
Entenjtes  (1393-1409)  dans  Muratori  xvni,  903-1096). 

6.  (I  a  composé  une  chronique  en  quatre  livres  qui  s'étend  jusquVn 
1477  {Chronîcott  tnnjus,  éd.  Migne,  Patr.  Grn'ai,,  vol.  159,  p.  638-102^». 
Le  premier  livre  se  rapporte  aux  régnes  des  Paléologues  depuis  Michel 
Comnénc  jusqu'à  Manuel,  ('e  qui  concerne  Nicopolis  se  trouve  aux 
paires  683-5. 

7.  Laonioi  Chalcocondyla'  Du  Hrhu»  TurcMx  {en  dix  livres,  do  i;*oo 
environ  à  1463i,  éd.  Mlg-H'.  Pulr.  drrvcn.  vol.  159,  et  Corput  êrript. 


SnlHrKS    m*    LIVRK    TKCISIIIME. 


•2\ 


1*62*.  sont  |)Our  nous  une  garantie  de  la  valeur  de  cea  témoignageR. 
Le  Grec  Chalcooondyle  cependant,  dont  le  style  e^it  barbare,  confus 
et  préten'ieux,  est  sujet  à  de  fréquentes  répétitions  qni  le  rendent 
suspect;  PiwantyAs,  parent  de  l'empereur»  est  en  mesure  d'èUv 
exactement  informé;  il  en  est  de  même  de  Jean  Ihicas;  celui-ci 
appartenait  par  son  grand-pàro  Mictiel,  dont  il  eut  los  mémoires 
sous  les  yeux,  à  l'ancienne  famille  impériale  de  liyzance,  et  sa 
chronique,  écrite  dans  un  esprit  très  catholique  et  hostile  aux  Grecs, 
est  généralement  exacte  et  offre  à  l'tiibtorien  la  meilleure  sourco 
byzantine  jKtur  cette  époque. 

Sources  TtiiiQCEs.  Elles  sont  capitales  pour  l'histoire  de  la  ri\Ȕ- 
sade,  puisqu'elles  nous  donnent  la  version  musulmane  des  événe- 
ments qui  se  déroulèrent  en  Bul^rie,  et  méritent^  abstraction  failr 
de  leurs  tendances  générales,  la  plus  sérieuse  attention.  Mlles 
se  réduisent  à  une  chroiiîquf  anonyme  riti^e  par  Ituchon  *.  H  :i 
ta  traduction  italienne  do  l'historien  turc  Saad-el-Uin';  cet  autour 
a  composé,  d'après  des  sources  turques  antérieures,  une  œuvre 
embrassant  la  période  comprise  depuis  le  rè^e  d'Osman  (1299-iit*2ni 
jusqu'à  l'année  l'i85:  il  a  emprunté  une  partie  des  faits  concernant  la 
rmisade  à  l'ouvrag**  des  Huit  Paradis  de  Mewlana  Idris*.  (les  té- 
moignages ne  semblent  pas  em[)reints  de  lexagération  qu'on  était 
en  droit  d'attendre  de  récits  émanant  des  vainqueurs,  après  wiw 
victoire  inespérée  et  dont  les  conséquences  furent  incalciiloblos. 

A  côté  des  chroniqufts  se  placent,  pour  qui  veut  étudier  la  croi- 
sade de  .\ico|iolis,  les  ilocuments  d'archives,  dont  limiKirtance  ne  le 
rédc  en  rien  à  celle  des  premières.  Pour  les  préparatifs  de  l'exjté- 
dition,  les  imprits  levés  à  cette  occasion  et  les  mesures  Hnuii- 
cières  prises  afin  de  payer  la  rançon  des  prisonniers,  les  arcliivis 


hinl.  By:aiU.  (Uunn,  18&3).  Pour  Nicopolis,  voir  le  livre  n  (Adit.  <lt! 
Bonn,  p,  :5-6). 

I.  Uuca*  J/inloria  Byzantina  dans  Migno,  Patr.  Grœcti,  vol.  15!», 
p.  7riO-ll66,  et  dans  Cvrpu<t  Kcript,  hiH.  Hyzant.  (Uonn.  I83'i),  t.  x\. 
pour  Mcupolis,  voir  le  cluip.  mu. 

'i.  Buclion,  ijtnm.  de  l'ntiêsnvt  d^ns  lo  Pttnth*'tm  h'titfraire,  \i\. 
'it'iî-5.  d'après  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris 
(o"  IH  ties  traductions  faites  pour  le?  jeunes  de  la  langue  franral&e  de 
l'un.«tantinople). 

îl.  Viiicenzo  Itrattuti,  Khrouici  deiV  on'yinc  e  proffragui  liflUt  cattt 
Wiomana.  tlt»\xx  parties  (1'"  partie,  Vienne,  !GV.»,  in-'i-;  i"  parti**, 
Madrid,  tfjj'J,  in-4").  1^  passage  relatif  {i  NicnpoUs  se  trouve  dans  la 
I'-  parlie,  p.  !«'».  —  Cf.  Huchon,  Cfn-'jii.  /te  rruixitttrt.  m,  265-6. 

'*.  Mewiana-Idrts  ou  Bdris  de  Uellis  écrivit  en  persan,  à  l'instign- 
lion  de  Bajazet  ri,  cette  vhrin}\i\uc  {T't ri Ui  i  //mcAï  AiViûfA/).  restée 
mannsrritM  et  devenue  excessivement  rare.  Il  mourut  en  'J2fi  de  Phé- 
girr  ilô^n)  1*1  non  en  9:;0  connue  le  dit  à  lorl  de  llanunor. 


218 


.SOURCES  Di;    LIVRK   TK0ISIK&1E. 


de  la  chambre  des  (*oinptes  do  Dourgogne  oITrent  une  mine  pré- 

«'ieuso,  !i  laquelle  nous  avons  largement  puisé'.  Les  archives  com- 
munales des  viliesdc  Flandre  apportent  également,  en  ce  qui  touche 
les  impositions  auxquelles  les  ^tats  du  duc  furent  soumis  en  vue 
de  la  croisade,  d'utiles  renseignements*.  11  faut  regretter  que  la 
dispersion  et  la  perte  des  archives  honirroise*  ne  permettent  pas 
d'rtclaircir  complètement  le  l'oie  de  Sigismond  et  de  hcs  sujets  pendant 
cette  campagne;  les  recueils  de  documents  hongrois  rontieiuient 
cependant  plus  d'une  indication  dont  nous  avons  tii*é  pruHt'.  Nous 
n'avons  eu  garde  de  m^gliger  les  documents  vénitiens;  personne 
n'ignore  que  la  répuhlifiue  de  S.  Marc  était  le  centre  diplomatique 
le  pins  important  du  moyen  âfie;  le  contre-coup  de  tous  les  événe- 
ments qui  se-  proiluisaient  on  Orient  se  faisait  sentir  à  VeniBe,  et 
hien  que  eelte  dernière  ne  fiM  pas  Rèrieusement  engagée  dans  la 
cniisade,  elle  devait  :i  sa  )>ositiun.  à  ses  intérêts  dans  le  Levant,  aux 
csjiéranccs  que  les  coalisés  avaient  fondées  sur  elle,  d'être  exacte- 
ment informée  des  choses  musulmanes.  Aussi  avons-nous  souvent, 
—  et  toujours  avec  succès,  —  recouru  aux  archives  de  la  république 
pour  cette  période^. 


1 .  Ces  archives  sont  actuellement  divisées  entre  les  dépôts  de  Lille 
et  de  Dijon.  Klles  ont  été  largement  mises  à  contribution  par  D. 
l'iaricher  dans  son  Histoire  de  lUmnjoQne  {I*ay-81,  4  vol.  in-fol.)  dont 
le  tome  m,  paru  en  1758,  contient  les  preuves  de  l'ouvrage.  Les  volumes 
manuscrits  de  la  collection  de  Bourgogne,  conservés  à  la  bibliothèque 
nationale,  renferment  également  île  nombreuses  copies  d'après  les 
an-liives  de  la  cour  ries  comptes  lie  Bourgogne.  Uans  cette  collection, 
comme  dans  les  preuves  de  I).  Plancher,  se  ti*onvent  de  nombreux 
documents  dont  les  originaux  sont  aujourd'hui  perdus. 

2.  Van  Dttyse  et  île  Hus!»cher,  Inventaire  analytitfue  des  chartes  et 
documents  apjiartrnnnt  aux  nrrhivrx  de  In  ville  de  Gand  4Ciand,  186T, 
în-^i");  — Gilliodts  van  Severen,  Inventaire  des  ftrc/iivcK  de  la  ville  de 
iinitjei  (Bruges,  ISTI-'f»,  \\  vol.  in-4°);  —  Inventaire  des  archives  de 
la  ehanibre  des  comptes,  t.  iri  (Bruxelles,  t8HI,  in-lol.)  dans  la  collec- 
tion des  Inveniairv»des  ttrrhivvitde  Itt  Ùett/i(/ue  publiée  sous  la  direction 
de  M.  Gachanl;  —  11.  \"andenbruek,  Cvtrailx  annlytiqnes  deit  anrienâ 
refiistreit  de»  eonsaulx  de  ta  rilte  de  Tournai/  (1861,  2  vol.  in-fi");  — 
Ville  de  Douai:  inventaire  analy(if(ue  des  archivet  communalen  anié- 
rieuren  à  i:90  (Lille  et  Douai,  1876-8,  in-fol.) 

:t.  (j.  Fejer,  Codex  difjlomaticuit  Iluuf/arifv  (Il  lûmes  en  'iO  vuL 
iti-R",  Bude,  1829-51).  La  table  chronologique  de  ee  recueil  a  été  pu- 
bliée par  F.  Knauz  en  1862  |Bude,  ia-8'')  et  l'index  alphabétique  par 
Maurus  t'/,iiiar  en  1866  (Bude,  in-8«l. 

4,  Outre  le»  pièces  inédites,  provenant  des  archives  de  Venise, 
heaufoup  de  iloruments  émanés  de  ta  même  source  ont  été  publiés 
par  Sinie  Ljubic  dans  le  (urne  iv  des  Monumenla  sftettantia  Itintoriam 
Slnt^ram  ineridionaUnm   f\gram.  187 î,  in-8"t  et  par  (1.  Wrnzel  dans 


Snl-RCKS    IH'    LIVRE    TROISIKMK.  VIU 

Pour  compléter  l'étude  des  sources  de  la  croisade,  il  nous  reste  à 
dire  quelques  mots  des  travaux  auxquels  elto  a  donné  lieu.  Sanx 
parler  do  rhistoirc  de  l'empereur  Sigismondd'Aschbach',  qui  rentre 
dans  la  catégorie  des  ouvra^'es  généraux  sui*  le  sujet,  au  même  titrt* 
que  les  histoires  de  Bulgarie^  de  Serbie',  de  l'empire  ottoman' H 
di*  Hongrie*,  nous  citerons  trois  études  spéi^iales  sur  Nicojtolis  ;  la 
première  en  date  est  une  dissertation  liongroise  spécialement  con- 
sacrée à  la  campagne  de  l'armée  coalisée,  au  puint  de  vue  straté- 
gique. I41  seconde,  en  allemand,  embrasse  rpnsembledc  la  croisade; 
c'est  un  résumé  consciencieux  d'après  les  documents  publiés,  rani^ 
l'auteur  n'a  pas  cherché  à  compléter  son  travail  à  l'aide  des  sourcps 
encore  inédites".  1^  troisième  nous  ramène  à  l'examen  stratégique 
des  faits  de  guerre*. 


les  Monutnenta  Hungariœ  histitrica,  acta  extera  m  (Uudo-Peslli,  1876, 

in-8*). 

1.  Dr.  Josepli  Aschbach,  Geschichte  Kaiser  Sit/muniCit  (Hambourg, 
IH;W-^5,  4  vol.  in-80). 

2.  Constantin  Jos.  Jireiek,  Geachichte  der  Bulfjuren  iPrague,  i87ft, 
in-S").  —  lienjamin  von  Kallay,  Getchichte  der  Serbeti  (lïude-Pesth, 
\  ienne  el  l^ipitig,  187H,  iti-8"). 

3.  Dr  Matnmnr-,  //hloirn  de  Vempire  uttomnn,  iilusieurs  fois  réim- 
primée. Nous  nous  sommes  servi  de  la  traduction  de  Dorhex  (Paris, 
Méihune  et  Pion,  I8V1,  a  v..|.  gr.  in-8»)- 

î  Maélatb  (J.  Graf>.  Gcschirftte  der  Mnfjyarfn,  Hatisjjoniie,  1852-:*, 
S  vol.  in-8«,  —  î>zalay.  Geschichle  Vngam's  (trad.  allemande  de  H. 
Wogerer),  Pesth,  1866-9,  3  vol.  in-8".  — Fessier,  Grscfm'hie  wn  Unffnrif 
(Irail.  par  K,  Klrin.  I.eipisig,  186^,  vol.  in-8«). 

5.  K.  Kiss,  A'Nihipohji  ûlkozet  (Magyar  Academiai  értostiWi,  18X3, 
in-8<). 

6.  .\l»iiï  lirauner,  />/>  Sehlnrhi  fiei  .Viroyw/ia,  \'.iW.  liistorisi'lii* 
Inaugiu'nl  disMoiiatiuu  der  pliilosopliiacheri  raculliil  der  riiivt'rsili'it 
Itroslou  (Hrerilau,  1876,  in-H»i. 

7.  (;.  Kiililor.  fiif  Sfhlarhten  Wrt  Nirufadi  und  \Vtirn*i  iBreslau, 
1882,  in-8)  avec  deux  plans. 


CHAPJTRii;  l'KEMIKR. 


PROGRES  DES  TURCS.  —  CHEVAUCHEE  DV  COMTE  U  EU.  —  AMBAS- 
SADE DO  ROI  SIOISMOND  EN  FRANCE. 


Un  siècle  â  peine  '  s'était  écoulé  depuis  la  fondation  à 
Brousse  et  à  Nicée  d'un  petit  royaume  ottoman,  et  déjà  une 
série  de  combats  et  de  conquêtes  avait  1*60010  les  limites  de 
rette  nouvelle  puissance  jusqu'aux  frontières  de  la  Hongrie. 
Les  Turcs,  par  la  prise  de  Gallipoli  (1356),  sous  le  sultan 
Urchan,  avaient  mis  le  pied  en  Europe  ;  nous  avons  vu  que 
rt'tte  derniêri'  n'avait  pas  lotit  d'abord  compris  l'étendue  du 
péril  qui  la  uienat^ait  ;  il  iallut  qu'Aniurat  i,  successeur  d'Ur- 
chan,  conquit  AuJrinoplc  { 1^^*51),  et  Télevât  au  rang  de 
capitale  jujur  ouvrir  les  yeux  aux  puissances  chrétiennes. 
Klles  commencèrent  alors  à  voir  (lue  les  progrès  de  l'islam 
s'étendaient  avec  un©  rapidité  redoutable,  et  que  chaque 
campagne  consacrait  l'annexion  d'une  nouvelle  province  ; 
mais,  malgré  rimmineiice  du  péril,  elles  n'avaient  su  prendre 
pnur  le  conjurer  que  des  mesures  insuffisantes. 

Fendant  qu'elles  s'épuisaient  en  expéditions  partielles,  en 
tentatives  aussi  hardies  que  stériles,  les  Ottomans  s'avan- 
çaient lentement  et  siîrement  dans  la  région  du  Danube. 
Les  populations  bulgares,  serbes,  valaques  et  hongroises, 
directement  menacées,  incapables  de  souietiir  longtemps  le 
choc  des  Turcs,  faisaient  les  plus  btuahles  efforts  pour  pro- 
longer la  résistance.  Le  roi  de  Serbie,  Uroch  v,  à  la  voix  du 
pape  Urbain  v,  s'éUiit  uni  à  Louis  le  Grand,  roi  de  Hongrie  ; 


I.  Voir  Asohbach,  Grtfrhi'cfitu  Kaiser  Si^mund'x,  i,    86-95; 
Itrauner,    Oie  Schtachf   hei   ÎVtropatitt,   p.    5-fi;  —    Ci,    Kiihler, 
^rhim'fiten  ron  SictipoU  unH  Wm'ntt,  ]ï.  5-fi. 


HATAtLLt:    DK   KÛSSûVO. 


221 


avec  l'appui  des  princes  de  Bosnie  et  de  Valachie  une  expé- 
dition avait  été  résolue;  les  eo.nliaés,  arrivés  à  nmiM-hes 
forcées  à  la  Maritza,  à  deux  journées  d'Andrinople,  tandis 
(ju'Annu'at  était  encore  en  Asie  Mineure,  furent  surpris  de 
unit  par  l'armée  turque  sous  les  ordres  de  Lalaschalin  (1363), 
et,  malgré  l'avantage  du  nombre,  culbutés  dans  lo  Heuve.  Ce 
fut  un  désastre  complet  ;  le  roi  de  Hongrie  n'échappa  à  la 
mort  que  par  miracle. 

Aiiiurat,  les  années  suivantes,  continua  ses  conquêtes  au 
nord  d'Andrinople,  le  long  de  la  mer  \oire  et  dans  la  région 
de  l'Hémus.  Nicée  tomba  eu  tn>i\  pouvnr  en  1375.  Lazan*. 
despote  de  Serbie,  Sîsman,  prince  de  Bulgarie,  dui'enl  traiter 
avec  le  vainqueur  :  au  premier  il  imposa  un  tribut  annuel  di' 
cent  livres  d'argent  et  de  mille  hommes  de  troupes  ;  au  se- 
cond il  prit  sa  fille  pour  l'épouser. 

Tributaires  ou  alliés  du  sultan,  les  princes  chrétiens  ne 
supportèrent  pas  longtemps  le  joug  musulman  :  Lazare  s'in- 
Nurgi'a;  Twarko,  roi  de  Bosnie,  et  Sismau  (iront  cause  com- 
mune avec  lui,  et  infligèrent  aux  Turcs  une  sanglante  défaite 
rn  Bosnie*  (1387). 

Sisman  fut  le  premier  à  être  puni  de  sa  défection.  Assiégé 
dans  Nicopolis.  il  eut  la  vie  sauve  (I388j,  mais  la  Bulgarie 
fut  incorporée  à  l'empire  ottoman*.  Pendant  ce  temps  Lazare, 
Twarko  ei  l'Albanais  Georges  Castriola  tenaient  la  cam- 
pagne, et  ce  deraier  réussissait  à  disperser  un  corps  d'armée 
tui-c*.  Ce  succès  fut  de  courte  durée.  L'année  suivante,  le 
sultan  tourna  ses  armes  contix*  Lazare  ;  après  des  marches 
difficiles  dans  rHémus,  il  pénétra  en  Serbie.  Devant  le 
danger.  Bosniaques,  Serbes,  Albanais,  Valaques,  Hongrois  et 
Polonais  s'étaient  groupés  autour  de  Lazare  et  du  prince 
de  Bosnie.  Le  choc  eut  lieu  dans  ta  plaine  île  Kossovo. 
Amurat  et  Lazare  périrent  dans  la  bataille»  et  la  victoire, 
chèrement  disputée,  resta  aux  Turcs  (1:*  juin  1389)*.  Mais 


1.  îïur  dix  mille  Turcs,  cinq  mille  environ  échap|ièrent  au  ma.s- 
nacre.  I-cr  sources  occidentales  sont  muettes  sur  cette  expédilioii.  bi 
bataille  eut  lieu  à  l'Iocnik,  surlaToplica.  \Aitchbacli.  i,  87-8;  —  Jiref**k, 
Ge«rh,  tler  Bulifaren,  p.  a'iO-l.) 

2.  Jirefek,  Gcsch.  dur  liulgaren,  p.  341, 

'^,   H.  von  Kâilay,  Gtich.  der  Serhen,  p.  166. 

\.  I.«i»  traditionii  serl)e6  veuliint   qu'Aiiuirat  ait   été  i^ffor^é  datu  »« 


PnOGRKS   DES  TITRCS. 

Bajazet,  successeur  d'Amurat,  traita  avec  Ëiienne,  âls  de 
Lazare  ;  il  épousa  sa  sœur  e(  reçut  de  lui  tribut  e(  troupe* 
Auxiliaires  \ 

La  Bulgarie  conquise,  la  Serbie  iributaire,  restait  la 
Hongrie  avec  laquelle  les  Turcs  allaleal  se  trouver  en  contact 
<lirect.  La  Bosnie,  grâce  à  l'appui  des  Hongrois  et  à  sa 
position  géographique,  avait  jusqu'alors  sauvegardé  son 
iiwK'pendance,  mais  elle  était  menacée  comme  la  Hongrie. 
Hongrois  et  Bosniaques  avaient-ils,  à  cette  époque,  les  res- 
sources et  la  force  nécessaires  pour  arrêter  l'invasion  musul- 
mane ?  Il  sembl*;  hors  do  doute  que  si  les  états  chrétiens. 
dès  le  milieu  du  xiv"  siècle,  avaient  ouvert  les  yeux  sur  l** 
péril  commun,  ils  am-aient  pu  le  conjurer.  L'empire  d'Orieut 
n'était  plus,  il  est  vrai,  que  l'ombre  de  lui-même  ;  un  em- 
pereur portait  i^ncore  la  pourpre,  mais  le  sceptre  que  sa  main 
tenait  n'ùtait  qu'un  vain  ornement.  Kntouré  de  toutes  parts  par 
les  Ottomans,  il  n'avait  plus  que  des  lambeaux  de  puissance, 
et  ses  provinces  étaient  à  la  merci  des  vainqueurs.  Cependant 
le  prestige  et  Tautorité  morale  de  l'empire  n'étaient  pas 
encore  dissipés,  et  si  la  couronne  se  fût  trouvée  placée  sur 
la  tête  de  princes  énergiques,  Byzance  eût  pu  servir  de  cenliv 
ù  une  résistance  efficace.  Groupés  autour  de  l'empereur,  les 
s(>igneui's  de  l'Archipel,  les  républiques  de  Gènes  et  de  Venise 
dont  les  étiblisseiiients  couraient  risque  de  sombrer  dans  le 
uïiufrage  de  l'empii-e,  et,  du  côté  de  l'Ouest,  les  princes 
ftujgares,  valaques,   serbes  et   bosniaques,  soutenus   par   la 


tPiite  par  Milosch  Obilitsch,  qui  se  glissa  dan»  le  camp  turc  dans 
l'pspoir  qup  le  meurtre  du  sultan  jetterait  le  désordre  panni  les  Otto- 
mans. —  Le  souvenir  de  la  bataille  s'e&t  perpétué  dans  les  chanta 
populaires  slaves.  On  peut  consulter  sur  ce  point  les  travaux  de  Gilfer- 
Hing(flo«nia,  Uersegovine  i  Starnya  Serhia,  1859),  de  S.  Kaper  (Aajar, 
tlff  Sfrben  znr^  nach  serbftniien  Sagen  u»d  IleUlengenéngen^  Vienne, 
1851),  d*.\.  d'Avril  iLn  hatadle  de  fiosKom,  Paris,  1868),  de  Stoyan  Nova- 
kovich  {Chants  nationau,r  serbes  sur  la  bataiUe  de  Koasovo,  Belgrade 
18:i  et  Agram  1872).  de  W.  fîerlianl,  {(ipsàntje  der  Serben,  Le  pzig  1877), 
IVâsai  critique  d'Armine  Pavich  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des 
sciences  et  arts  d'Agrflm  (1877),  et  la  traduction  anglaise  de  ces  poésies 
}HjpulairesparK.  Lawlon  Mijatovidi  iKossovo,  nn  altempt  tobringserhian 
uni  tonal  songs...  af  the  battle  of  Kttssovo  i$tto  orv^  poetHy  Londres,  1881t. 
I.  La  Chronique  du  Beligienr-  de  Saint  Denis,  Ol,  386-91),  raconte 
trùs  inexactement  cette  bataille  et  la  place  en  1395.  V.  Jircîek,  Gesch. 
der  Bulgnren,  p.  :ï42-'i;  —  R,  von  Kallay,  Cicxc-h.  der  .SVrftrfi,  p.  IGfi. 


hANr.RR  rOVRV   l'Ait   l.A   iioNnuiK. 


oo* 


Hongrie,  pouvaient  oppo.ser  une  barrière  infranchisHable  an 
torrent  et  l'arrêter.  C'était  là  une  politique  que  ni  Coustan- 
linople  ni  la  llougrie  ne  comprirent;  abandona^îs  de  leurs 
soutiens  naturels,  les  petits  ^tats  cherchèrent  à  résister  indi- 
viduellement, et,  quand  ils  se  virent  écrasés,  à  sauvegarder, 
jiardes  traités  avec  rcnnemi,  un  semblant  d'existence.  Souvent 
même  leui's  elTorts,  quoique  isolés,  ne  laissèrent  pas  de  retar- 
der la  marche  des  Turcs  ;  nous  n'en  voulons  pour  preuve  que 
le  sort  de  la  Valachie  et  de  la  Bulgarie,  plusieurs  fois  prises 
et  reprises  en  quelques  années.  Sous  une  impulsion  énergique 
et  persévérante,  partant  de  Cimstantini>])l(>  d'une  part,  de  la 
Hongrie  de  l'autre,  la  résistance  eût  pu  être  sérieuse,  u»ais  il 
eût  fallu  faire  trêve  aux  dissensions  intérieures,  aux  ambi- 
tions qui  tour  â  tour  animaient  ces  étals  les  uns  conti'e  les 
autres  ou  les  réunissaient  temporairement,  et  personne  n'y 
songea.  Les  Turcs  arrivaient  donc  aux  frontières  de  la 
Hongrie  favorisés  par  la  sittiation  politique  des  puissances 
qu'ils  attaquaient.  Quand  on  s'apen;ut  du  dnnger.  il  était 
bien  tard  pour  l'èloigtier. 

L'attention  de  Sigtsmond  avait  été  absorbée  par  les  troubles 
qui  avaient  éclaté  en  Hnngrie  et  par  l'attitude  menaçante  dr 
la  Pologne,  sans  lui  laisser  le  loisir  de  snn*eiller  les  agis- 
sements des  Turcs  sui'  le  Danube.  Ceux-ci  avaient  profité  des 
emban^as  de  Sigismoud  pour  tounifr  de  nouveau  leurs  arine.s 
contre  la  Bulgarie  qui,  à  l'expiiiplp  des  Valaques,  s'était 
rapprochée  des  Hongrois.  Sisman,  prince  des  Bulgares,  avait 
jiayé  de  sa  liberté'  ce  changementde  politique,  et  lepa^'s  situé 
sur  la  rive  droite  du  Danube,  Tancienue  province  de  Mésie. 
était  H'tombé  sous  le  joug  musidman.  Silistrie.  Nicopolis. 
Sistovo.  AViddin  avaient  été  reconquis  par  les  Turcs*. 

En  présence  de  ces  graves  événements,  la  Hongrie  comprît 
que  le  moment  d'agir  était  venu.  Sigismoud  se  prépara  ;i 
entrer  en  campagne  et  fit  appel  au  dévouement  de  la  chré- 
tienté. En  France,  la  détresse  du  roi  de  Hongrie,  grossie  par 


I.  Ce  point  n'e^t  pas  absolument  e^rtain.  Les  cliant»  [»i>pulaire>i 
bulgares  prolestetit  contre  celte  opinion,  et  altritiupnl  k  Sisman  la  mort 
*\0H  liéro»  »ur  Ir^  cliain|>  de  bataille  ;  inaU  la  «captivité  du  prince  semble* 
Ijeaucoup  plus  vraisemblable.  V.  le^dùtaiU  donnés  par  Jirecek.  (Cftr/i. 
rfer  Bulgarrn,  p.  ;t50-l). 

t.   Aï.cblmcli,  (ieêcUirhIr  Knhrr  Sitpnmttf'g.  l.  D'i. 


riiEV 

la  rumeur  publique,  prit  des  proportions  si  exagérées  (ju'oji 
lU'ut  universellement  quo  Sigisniond,  attaqué  par  cinq  cent 
mille  Turcs,  avait  perdu  ou  une  seule  bataille  quaruute  mille 
des  siens'.  11  u'ea  fallait  pas  plus  pour  émouvoir  la  cheva- 
lerie française  ;  le  cuinfe  d'Eu,  réeeiument  ju-omu  connétable,, 
rêvait  de  justifier  le  choix  du  roi,  dont  beaucoup  murmuraient 
tout  haut,  par  de  nouveaux  exploits.  Avide  de  combattre  les 
infidèles  aux  côtés  d'un  ]trince  dont  le  caractère  chevale- 
resque et  l'hospitalité  généreuse  lui  étaient  connus  par  les 
récits  enthousiastes  de  Boucicaut.  son  compagnon  et  son  ami', 
il  sollicita  de  Charles  vi  la  permission  de  conduire  en  Hongrie 
uu  secours  à  Sigismoud.  Le  roi,  malgré  sa  répugnance  à  auto- 
riser une  expédition  lointaine,  dut  céder  aux  pressantes  solli- 
citations du  connétable  ;  Philippe  d'Artois  partit  avec  une 
poignée  de  chevaliers  *. 

Tout  ce  qui  touche  cette  chevauchée  est  fort  obscur  dans 
les  récits  contemporains,  et  l'on  éprouve  plus  d'une  difficulté 
â  concilier  leurs  témoignages  incomplets  ou  contradicloires. 
La  jtlujiart  des  historiens  hongrois*,  s'appuyant  sur  l'autorité 
du  Vhronkon  Mciiicense'j  ont  placé  la  venue  du  comte  d'Ku 
eu  Hongrie  à  l'année  1395.  Il  y  a  là  divergence  avec  les 
sources  d'origine  française,  qui  nippurtent  à  L39?  et  1303' 
l'expédition  du  connétable,  el  La  confusion  est  d'autant  plus 


1 .  Chronique  du  Beligieux  de  Saint  Denys,  u,  112-3. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  159-65,  le  rhapitrc  consacrt^  au  voyage  de  Bou« 
ricaut  en  Orient. 

3.  Le  Chronicon  Mellicentt  (dans  Pcz,  Script,  rer.  Aiulr.^  i,  250), 
ilunnc  le  chiffre  do  six  cents  chevaliers,  reproduit  par  les  historiens 
hongrois  modernes-,  les  sources  françaises  celui  de  cinq  cents. 

'i.  Maêlath,  Gesch.  der  Magyaren,  n»  106;  —  Szalay,  Getch.  Vu- 
aarn't  (éd.  H.  Wôgerer,  Pest,  1869J,  n,  353;  —  Aschbach,  Gesehiehte 
Kaiser  Sigmund'St  h  ^^• 

5.  Pez,  I,  250. 

6.  La  Chronique  des  quatre  premiers  Valois  {p.  326J  parle  de 
l'armée  de  Sigismond  qui,  en  1392,  comprenait  >  de  bonne:i  gens 
d'armes  du  royaume  de  Krance  et  d'autres  contrées  >.  Ces  gens  d'arme» 
ne  peuvent  être  que  tes  compagnons  de  Philippe  d'Artois.  Juvi^nal  det» 
t  rsins  Ui,  395)  dit  qu'en  L393,  à  la  demande  du  roi  de  Mongne,  le 
conn(>tablc  «  bien  grandement  accompagné  •  fut  envoyé  en  Orient. 
La  Chronitfue  du  Hetiffieux  de  Saint  Denis  (n,  112-3)  parle  du  recours 
ilemandè  par  ta  Hongrie  au  moment  où  mourait  le  roi  d'Arménie  à 
i'arifi  130  novembre  1393). 


noCTRINE   ET  PROGRKS  DES  BOGOMILES.  225 

facile  qu'en  1393  comme  en  1395  le  fait  saillant  de  la  cam- 
jiagne  contre  les  Turcs  est  lu  siège  de  Nicopolis*. 

Nous  croyons,  cependant,  qne  lo  doute  n*est  pas  possible, 
et  que  le  comte  d*Eu  offrit  en  1393  le  secours  de  son  êpé* 
au  roi  de  Hongrie.  D'après  les  chroniqucMU's,  le  continssent 
français,  â  son  arriviV  à  la  cour  de  Sigismond,  trouva  le  péril 
écarté  et  les  Turcs  moins  monarants,  Co  fait  concorde  par- 
faitement avec  ce  que  nous  savons  de  la  campagne  heureuse; 
de  13!)?,  dans  laquelle  les  Hongrois  conquirent  Nicopolis,  e\ 
décidèrent  lo  voivode  de  Valachie,  Mircea,  à  rentrer  dam 
leur  alliance  *.  On  conroit  le  désappointement  des  chevaliers 
français  lorsqu'ils  apprirent,  de  la  bouche  de  Sigismnnd,  que 
leur  vaillance  n'avait  plus  l'occasion  de  s*exercer,  et  qu'il  ne 
fallait  pas  songer  à  attaquer  les  Musuliiiaeis.  Ils  demandèrent, 
à  grands  cris,  à  l'empereur  dVmploy(M-  leur  bonne  volonté 
autre  pai't  :  Sigismond,  au  milieu  des  dîHicultés  de  toute 
sorte  contn»  lesquelles;  il  se  débattait,  n'était  pas  embarrassé 
pour  leur  trouver  matièiT  à  guerroyer.  Il  leur  proposa,  disent 
les  cluoniqueurs  français,  d'attaquer  le  roi  de  Bohême,  Ven- 
ceslas.  son  frère,  «  qui  sentoit  mal  en  plusieurs  articles  de 
*  la  foy,  et  ne  valoit  guères  mieux  que  Sarrasins'  ». 

La  Boiïéme.  en  effet,  était  à  cette  époque  en  proie  â  l'hé- 
résie des  Patarins,  contre  laquelle  le  Saint-Siège  était  im- 
puissant. On  appelait  de  ce  num  en  Occident  les  Bogomiles  *, 
secte  religieuse  qui  s'était  développée  dans  la  péninsule  bal- 
kanique au  point  do  se  répandre  jusqu'en  Italie  et  eu  France. 
Né  au  milieu  du  x"  siècle,  le  bogomilisme  avait  pour  auteur 
le  pope  Uogorail  (amour  de  Dieu},  appelé  aussi  Jéi*émie  ; 
c'était  moins  une  religion  nouvelle,  moins  un  système  rom- 
pant ouvertement  avec  les  dogmes  de  Téglise  orthodoxe 
qu'une  ivformc  do  la  doctrine  paulicientie'  on  manichéenne, 


1.  Nicopofii  minor,  TurnuU,  sur  la  rive  gaucho  du  Danube.  —  II 
ne  faut  pa»  cuiifuiKlro  cette  pusitiuii  avec  SicopoUs  maJor\  sur  la  rive 
droite  du  Oetivo,  devant  laquelle  fut  livrée  la  bataille  de  1396. 

2.  Aschbach,  i.  91-2  et  96.  Mansi  {Ann.  fccl.,  xxvi,  569-"0)  place 
ce  Biôge  en  tU'.»U.  Lo  traité  d'alliance  avec  Mircea  ne  fat  signé  que  le 
7  mars  1395  (Szalay,  Gc9ch.  Unt/arn's,  n,  35:il. 

îï,  J.  des  Irsinsin,  396).  —  Cf.  Chran.  du  Helitjieux  de  Saint  Ùenit, 
11,  122-5. 

4,  h*rf*>\àù,o\,  Kù/tTai,  iMawaXtavo^,  liahuni  un  Mnnichejit  l'atareni. 

5.  Ainsi  nommée  do  l'hérésiarque  Paul  qui  vivait  au  vie  siècle. 

15 


CITETAUCHEE   nU  COMTE  D  Elî. 

ayant  pour  but  de  rattacher  plus  étroitement  au  christianisme 
le  dualisme  qui  formait  la  base  du  manichéismo.  Les  Bogo- 
miles  admettaient  l'existence  de  deux  principes,  celui  du  bien 
et  celui  du  mal.  égaux  on  puissance  ;  au  premier  iU  attri- 
buaient la  création  du  moude  céleste,  de  tout  ce  qui  est  invi- 
sible et  parfait  ;  au  second  celle  do  la  terre  et  de  tontes  les 
choses  visibles  et  corporelles*.  Ils  rejetaient  l'ancien  Tes- 
tament et  condamnaient  le  mariage,  au  moins  pour  ceux 
d'entre  eux  qui  aspiraient  â  la  perfection  do  la  foi  ',  n'ad- 
mettaient que  le  ciel  et  l'enfer  à  l'exclusion  du  purgatoire, 
acceptaient  la  confession  publique  mensuelle  eu  présence  des 
Hogomiles  «  parfaits  »,  mais  sans  énoncer  nommément  leurs 
péchés,  et  proclamaient  l'utilité  de  la  prière,  surtout  de 
Toraison  domitiicaïe. 

Cette  hérésie  avait  fait  de  rapides  progrès  ;  pendant  cinq 
siècles  elle  domine  l'histoire  des  Slaves  méridionaux.  L'arrivée 
des  Turcs  l'emporta,  et  ceux-ci,  quand  ils  voului'ent  convertir 
leurs  nouveaux  sujets  à  l'islnmisme,  trouvèrent  les  Bogomiles 
plus  dociles  à  accepter  la  loi  de  Mahomet  que  les  populations 
catholiques  de  la  péninsule  des  Balkans''. 

Des  chrétiens,  venus  pour  combattre  les  ennemis  de  la  foi, 
ne  pouvaient  éprouver  aucun  scrupule  à  tourner  leurs  armes 
contre  des  hénitiques.  Aussi  l'offre  de  Sigismond  fut-elle 
agréée  par  le  comte  d'Eu  et  ses  compagnons,  et  la  campagne 
fut  si  vivement  menée  que  Venceslas,  effrayé,  ne  tarda  pas  à 
capituler*. 

Ces  faits,  émanés  dos  sources  françaises,  sont  en  parfait 
accord  avec  Thistoirc  de  Hongrie.  À  la  un  de  1393  (18  dc~ 


1.  Satan,  le  principe  du  mal,  créa  Adam  et  Eve,  mais  sans  jwuvoîr 
les  animer.  Il  s'adressa  alors  à  Dieu,  principe  du  bien,  pour  uhtenir 
ce  résultat. 

2.  En  Itosnie  ils  se  mariaient,  mais  pouvaient  répudier  leur  Temme. 
En  Occident  ils  allaient  à  ta  guerre  et  pouvaient  acquérir  des  biens; 
ils  vivaient  comme  les  catholiques,  n'avaient  dans  leur  vêtement 
aucun  si^ne  distinctif;  à  leur  lit  de  mort,  s'ils  voulaient  devenir  ■  par- 
faits »,  ils  devaient  se  soumettre  a  une  cérémonie  religieuse,  appelée 
dans  les  textes  occidentaux  la  •  oonveniensa  ■. 

3.  La  doctrine  de  Lfogomil  a  été,  depuis  quelques  années,  étudiée 
par  les  historiens  russes  et  siaves;  mais  il  reste  encore  nombre  de 
problèmes  â  élucider  (\'.  Jireùek,  Gesck.  der  Butt/aren,  p.  174-84). 

4.  Chron.  du  Religieux  de  Saint  Deniê^  n,  122-5, 


PERIL  CûUttV  PAU  LA  HûNGRIi:. 


227 


oembre],  nous  savons  que  Sigîsmond  avait  fait  alliance  contre 
Venceslas  avec  le  duc  Albert  m  d'Autriche,  le  margrave 
Guillaume  de  Misnie  et  le  margrave  de  Moravie  ;  qu'eu  1395 
Venceslas  lut  fait  prisonnier  à  la  suite  rrune  conspiration 
ourdie  par  les  principaux  seigneurs  de  Rohôme  à  riostigation 
de  l'empereur  Sigismoad,  et  que  ces  i'néncmcnts  avaient 
répand»!  en  Bohème  la  cunfiision,  la  terreur  et  la  ruine. 

Rien  n'emprcho  donc  d'accirder  foi  aux  témoignages  sur 
lesquels  nous  nous  sommes  nppuyé  en  ce  qui  concerne  la  che- 
vauchée du  comlft  d'Eu,  et  d'admettre  que.  sollicitée  à  la  tin 
de  I3!)3,  l'intervention  française  se  produisit  en  I3!)i'.  Il 
n'en  serait  pas  de  même  si  l'on  adoptait  la  date  de  1395,  ;i 
laquelle  se  rangent  les  historiens  hongrois.  Comment  sup- 
poser que  le  connétable  eût  pu  tenir  on  Ht>ngrie  la  campagne  eii 
1395,  lorsque  Sigismoud,  comme  le  lecteur  le  verra  plus  bas, 
lui  envoyait  eu  France  un  messager  spécial  qui  n'arriva  à 
Paris  qu'a  la  fin  de  mai  1395,01  qui  était  chargé  de  l'informer 
des  progrès  des  Ottomans  et  de  solliciter  de  nouveau  contre 
eux  le  coDCOUrs  du  vaillant  chevalier?  Si  Philippe  d'Artois 
eiH  ét6  sur*  les  bords  du  Dannbit  en  1395,  nU-il  pu  être  de 
retour  â  Paris  en  novi'uiljre  13!)."»',  fût-il  même  ï-evenu  en 
France  pour  repartir  au  printemps  suivant  (1396)  avec  Tex- 
pérlition  sollicitée  par  le  roi  de  Hongrie  en  1395?  La  date 
de  1395  doit  donc  être  absolument  rejetée. 

Nous  n'avons  aucun  détail  sur  l'intervention  des  Français 
en  Hongrie:  Unir  besogne  fut,  croyons-nous,  facile,  et  dès 
qu'elle  fui  terminée,  ils  se  h  itèrent  de  regagner  leur  patrie. 
Mais,  à  peine  étaient-ils  partis,  que  du  cOté  des  Turcs  le  péril 
rodoubla  ;  il  devint  bientôt  si  menaçant  que  Sigisuiond  se 
décida  à  solliciter  li*  secours  de  l'Occident.  En  même  temps, 
avant  d'entamer  les  hostilités,  il  tenta  une  dernière  démarche 
pour  éviter  la  guerre,  en  envoyant  des  ambassadeurs  â  Ba- 
jazet;  mais  le  sultan,  ne  voulant  rien  entendre,  fit  emprisonner 
les  envoyés  hongrois  à  limusse,  et  hâta  ses  préparatifs  mi- 
litaires \ 


1.  Asohbach,  !,  58  et  sniv. 

2.  Le  8  novembre  1395,  n  Paris,  le  duc  d'0rl(>ans  ordonnait  de  payer  au 
connétable  doux  cent  vin^t-cinq  francs  que  celui-ci  lui  avait  gagnés 
&  la  paume.  (Uib).  nat.,  fr.  nouv.  acq.  3(i4à  bis.J 

3.  Notices  et  extrait*  det  mamucrits,  n,  iv,  64.  Lettre  de  lïajazet  à 
son  fils  Soliman  ile  janvier  1395. 


SIGISMOND  DEMANDE  DV    SECOURS. 

Sigismond  ne  pouvait  compter  que  sur  la  chrôtienté  pour 
Conjurer  le  péril.  L'empereur  de  ConsLautinople,  Manuel, 
bien  que  sans  autorité  et  sans  force,  fut  le  preniior  sollicité. 
Quelque  précaire  qu'il  fût,  il  promit  son  concours,  et,  à  dé- 
faut de  troupes,  s'engag^ea  à  participer  aux  Irais  de  l'expédi- 
tion'. Venise  répondit  aux  i»uvertures  qui  lui  furent  faites  par 
une  promesse  subordonnée  à  la  réponse  i\QS  autï'es  puissance*, 
car  son  appui  isolé  eût  été  insuffisant*. 

En  même  temps.  Sigismond  faisait  prêcher  la  guerre  sainte 
par  le  pape;  mais  lu  schisniu  divisait  l'Kurope.  lîoniface  ix, 
reconnu  parla  Hongrie,  rAileniugne,  lu  Pologue,  l'Italie  et 
TAngleten'e,  chargea  rarchevèque  de  Néopatras  de  procla- 
mer la  croisade  en  Hosnie,  Croatie.  Dalniatie  ot  Esclavonie 
(3  juin  139^).  Dans  ces  pays,  dépeuplés  par  des  guerres  inces- 
santes, et  en  partie  gagnés  à  l'islamisuie,  on  répondit  peu  à 
l'appel  du  pontife;  quelques  mois  plus  tard  (ITi  octobre  13i)4), 
Jean  de  Gubbio,  légat  apustolique,  dut  être  envoyé  pour  le 
même  objet  dans  l'archevêché  de  Salzbuurg  ot  dans  les  dio- 
cèses suffragants,  en  Auiriche,  à  Venise,  dans  le  Trévi.sau  et 
le  patriarchat  de  Grado.  C'étaient  les  provinces  les  plus 
directement  menacées^. 

Mais  le  reste  de  rKurope,  la  France,  l'Espagne,  Naples 
et  la  Sicile  échappaient  à  la  voix  de  Boniface  ix,  pour 
obéir  à  celle  de  Clément  vu,  l'autipape  d'Avignoii.  Sigis- 
mond savait  que  les  secours  de  ces  états  lui  étjùent  indis- 
pensables; unr  circonstance  heureuse  le  servit.  La  noblesse 
fran<;aise  avait  alors  une  telle  activité  guerrière  qu'elle  cou- 


1.  FltranUès.  Annaies  i,  chap.  xtv,  éd.  de  Bonn,  !838,  p.  59;^ 
Saad-el-Din  (dans  Viticenzo  Urartuti,  Chron.  delfitrig.  p.  r,  I8M.  Il  n'y  a 
pas  lieu  de  douter  de  cette  alliauce.  quehjue  inefficace  qu'elle  pût  être. 
M.Brauner(p.  8),  sur  l'autorité  do  Oucas,  suppose  que  ce  fut  Manuel  qui 
écrivit  pour  démander  aux  princes  chrétiens  et  au  papodu  le  secourir. 
(1  se  peut  qu'il  Tait  fait;  la  présence  mf^me  d'un  des  aml>a.ssadeurâ  de 
Manuel  à  !a  cour  de  Bourgogne  en  1395  semble  se  raltarhcr  ii  ce  fait; 
mais,  en  tout  ca.^,  Sigismond  Implora  aussi  des  secour.s,  pui&<(uc  nous 
savons  qu'il  s'adressa  dans  ce  but  aux  Vénitiens  tlUbl.  nal.,  coll.  de 
Bourgogne,  vol.  104,  compte  de  P.  tic  Montbcrtuuî,  an.  1394-5). 

2.  6  septembre  1394;  —  Kd.  S.  Ljubic.  Munum.  spcci.  historiam 
Slav.  meridion.^  iv.  335, et  G.Wenzel,  }fonnm.  ilungariii'  hiMorira^  acta 
estera,  m,  753,  d'après  les  arcliives  de  Venise  {Sen.  Seer.,  E  (r),  f.  94. 

3.  U  juin  1394.  liuUe  «  Cogimur  ex  débita  •.  — 15  octobre  1394.  Bulle 
<  Ad  ajKtstolatufl  noâtri  •.  (Mansi,  .Imi.  eccl.,  .v.wi,  584-C). 


PROJETS    DE    PHII.U'PK    LE    HARIH. 


229 


rait  à  tous  les  champs  dp  bataille;  en  Prusse  avec  les  Teu- 
toniqups,  eu  Hongrie,  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  en 
Orient  même,  au  service  du  sultan  et  de  Tamerlan',  partout 
rlle  cherchait  des  aventures;  à  défaut  même  de  l'épêe,  elle 
prenait  le  hAton  do  pèlerin  et  entreprenait  le  voyage  de 
.lêrusalem.  Grâce  à  ces  rapports  constants  avec  les  pays 
étrangers,  la  Kranoe  savait  les  progrès  des  Turcs,  elle  s'in- 
téressait aux  nialheui-s  des  Chrétiens  d'Orient,  et  applau- 
dissait aux  projets  de  ligue  à  la  tôte  desquels  était  le  roi  de 
Hougriu.  Le  duo  de  Bourgogne,  HhilipiM.'  le  Hardi,  interprète 
du  sentiment  public,  avait  pris  les  devants  et  envoyé  Guil- 
laume de  la  Trémoille.  son  niaréchal,  auprès  de  Sigismond*. 
Il  devait  engager  le  roi  de  Hongrie  à  demander  ottioiellement 
des  secours  A  Charles  vi.  et  l'assurer  qu'ils  lui  seraient  accor- 
dés. Guillaume  de  la  Trémoille  passa  par  Venise  (janvier 
1305]  ;  il  espérait  y  rencontrer  des  ambassadeurs  hongrois, 
exposer  au  sénat  vénitien,  en  leur  présence,  les  projets  de 
croisade  formés,  dès  l'année  précédente",  par  les  ducs  de 
Bourgogne,  d'Orléans  et  de  Lancastre,  et  obtenir  l'adhésion 
de  la  républi(|nM  de  Saint  Marc*.  Venise  était  alors  le  point 
central  oVi  se  poursuivaient  ces  négociations;  Manuel  y  était 


1.  R<iiicirant,  pendant  son  voyage  aux  Ltoux  Saints^  avait  demandé 
un  sultan  du  service  contre  les  Sarrasins;  Jacques  de  lleilly  avait  servi 
soos  le  pi-re  de  lïajazet;  Jac<|ues  du  Kay,  sou»  Tamerian  {Livre  des 
faiUf  I,  chap.  xv,  p.  5H*J;  —  Troissart,  éd.  Kervyn,  xv,  3ia). 

3.  Il  était  a4'f'nmpii;;né  de  Renier  l'ot,  d'un  autre  chambellan  et  de 
douze  écuyers  de  la  maison  du  duc  (I*.  Ilauyn,  iV^moiVe*  du  voiage 
fait  m  //onurif,  IJibl.  na*.,  coll.  de  Bourgogne,  x.\,  :i'iO).  Sur  Guil- 
laume iIp  la  TfL^ioille,  voir  plus  haut,  pafîe  175. 

:t.  |>6s  i:('.)î,  Philippe  le  Hardi  avait  étudié  les  mesures  financières 
à  prendre  pour  subvenir  aux  frais  de  l'expédition.  Voir  pièces  justi- 
ticativPK,  n*  v. 

^.  Rararite,  ifim.  des  ducs  de  Dourgoffne,  (i*  éd.,  i,  311,  d'après  un 
manu.serit  de  la  Bibliothèque  de  hijon.  —  Il  prPte  la  pri^raiére  idée 
de  rcxpèditton  à  Pierre  de  la  Trémoille,  tandis  que  ce  dernier  guer- 
myait  l'ri  Prusse  avec  le  grand-rnaitre  dos  Teutoniques.  A  son  retour 
en  lluurgagne,  Pierre  de  la  Tn>nioille  l'expdsa  au  <luc,  qui  l'aflopta  et 
envoya  en  liî'Jï  (avril-décembre)  la  Tri^mnille  auprès  du  grand-maître 
|>our  étudier  les  moyens  de  faire  réussir  ce  dessein.  —  21  janviBr  t39S 
ÎAreïi.  de  Venise,  Sen.  Seer.  K(H,  f.  10:i.  Ed.  Monum.  sjtrrt.  hint. 
SiuiK  meridion.,  iv,  n;i8,  et  Monum.  flun*/.  kist-^  acta  extera  m,  757;  — 
V.  tl;iuyn,  M^moitr»  du  voiof/e..,  p.  3'i0|.  —  Krauner  (p.  14)  dit  que 
Wiilippe  le  Hapli  (it  secrètement  avertir  Sigismond,  parce  que,  s'il 


M 


230  AMBASSADE    DE    SIGISMOND    EN    FRANCE. 

représenté;  la  Franco»  la  Bourgogne,  VAnglotcrreetlaHongrie 
y  envoyaient  leurs  agents'.  Les  plénipotentiaires  hongrois 
tardant  à  arriver,  la  Tréiuoille  poursuivit  sa  route  (î  février 
1305). 

L'ambassade  envoyée  par  Sigisuiond  à  Charles  vi  se  com- 
posait de  trois  seigneurs  hongrois;  l'archevêque  d(\  Gran, 
Nicolas  de  Kanysa  ',  trésorier  du  roi,  eu  était  le  chef*.  Elle 
prit  la  voie  de  Venise,  et  s*y  arrêta  pour  solliciter  la  coopé- 
ration de  la  république.  Le  sénat  entra  on  pourparlers  arec 
elle;  les  Hongrois  oxposèrent  que,  pour  empêcher  les  Turcs 
de  passer  d'Asie  eu  Europe  et  réciproquement,  vingt-cinq 
galères  étaient  nécessaires,  et  que  rentra  tien  d'une  pareille 
flotte  pouvait  être  évalué  à  trente  cinq  ou  quarante  mille 
ducats  par  mois.  Venise  répondit  que  si  Sigisniond,  avec  les 
ducs  de  Bourgogne.  d'Orléans  et  de  Lancastn*.  faisait  cam- 
pagne sur  terre,  elle  founiirait  des  galères  en  nomlire  égal 
au  quart  de  l'effectif  total  de  la  flotte  coalisée,  pourvu  toute- 
fois que  celle-ci  ne  dépassât  pas  vingt-cinii  b;'ltinu'nts;  elle 
proniL'ttait,  en  outre,  de  laisser  ses  navires  ù  la  disposition 
des  confédérés  aussi  longtemps  que  ceux  des  autres  puis- 
sances, Mais,  (|uand   les  Hongrois   lui  demandèrent   si  elle 


eût  mis  lui-mùme  rafïaire  en  avant,  elle  eût  été  combattue  par  la  fac- 
tion du  duc  d'Orléans.  1-e  document  du  21  janvier  I31>5  fait  tomber 
cotte  insinuation;  les  ducs  de  Uourgogne,  d'Orléans  et  de  1-aiira.stre  y 
sont  constamment  considérés  comme  les  promoteurs  de  la  croisade. 

1.  23  décembre  I:ï9'i.  Sert.  Sccr.  E(r),  î.  102.  I-M.  Monttm.  xpeet. 
hist.  Slav.  meridùm,,  iv,  338,  et  Monnm,  UunQ.  hi^t.,  acta  exlera  m, 
757;  —  \  février  f395,  Sen,  Secr.  K(r),  f.  105.  VA,  Monum.  tpect.  hist. 
StttV.  mcndion.,  iv,  339. 

2.  Il  était  primat  ne  HoiigHe  et  légat.  Il  occuj>ait  le  siéf^  de  Grau 
dés  1387,  et  en  était  encore  titulaire  en  lUS.  C'était  un  de.s  per- 
sonnages les  plus  considérables  dn  la  cour  de  Sipismond.  (Fejer,  Cad. 
dipl.  Ihmff.,  X,  1,  p.  3i8;  x,  2,  p.  200;  x,  6,  p.  92  et  143.) 

3.  Les  chroniqueurs  français  dillûrcnt  sur  le  nombre  des  envuyéji 
hongrois;  d'après  Froissart,  ils  étaient  trois;  d'après  le  Itellpieux  de 
Saint  Denis,  quatre.  Cette  différence  s'explique  si  l'un  sutitre  que  le 
roi  de  Hongrie  envoyait  un  messager  spécial  au  connétable  de  France, 
son  ancien  compagnon  d'armes,  pour  l'avertir  des  dangers  que  cottrait 
la  couronne  de  î^aint-Ktiennc.  I-es  chitTres  donnés  par  les  chroniques 
se  trouvent  ainiU  justifiés.  Livre  dfg  faits,  i,  chap.  xxi,  p.  58'J.  (Cf, 
Brauner,  p.  14).  —  I*.  Itauyn  {Mémoire*  //u  voimjt,  f.  3'iO  v">  demie 
aussi,  d'après  les  archives  de  la  cour  des  comptes  de  liuurgugne,  le 
chiRVo  de  quatre  ambassadeurs. 


ARRIVEE    DE   L  AMHASSADR   EN   FRANCE.  ZM 

maintenait  ses  engagements  pour  le  cas  où  Sigismond  seul 
ferait  campagne,  elle  répondit  que  cette  hypothèse  lui  sem- 
blait, pour  ses  nationaux  et  ses  êtahlissemeuts  commerciaux, 
une  source  de  grands  dangers  et  de  pertes  considérables,  et 
qu'en  conséquence  elle  devrait  modifier  ses  dispositions 
(r)-|->mars  130.^)'. 

De  Venise,  il  est  probable  que  l'ambassade  hongroise  tra- 
versa le  nord  de  l'Italie,  mais  là  elle  avait  peu  à  espérer. 
Gènes,  déchirée  par  des  dissensions  intestines,  songeait  à  se 
donner  â  la  France;  Florence,  loin  de  secourir  Sigismond, 
lui  eîit  plut(H  demandé  son  appui  contre  le  comte  de  Vertus*; 
Milan  entretenait  avec  Hajaîîet  des  relations  paciâques  et 
même  amicales.  Nous  retrouvons  les  ambassadeurs  à  Lyon 
(H  mai);  le  duc  de  Bourgogne  les  y  attendait,  pour  les 
assurer  par  avance  des  sentiments  favorables  qui  l'animaient. 
Il  les  accueillit  en  leur  faisant  présent  d'un  surtout  de  table, 
orné  de  diamants,  perles  et  saphirs,  et  de  diverses  pièces 
d'argenterie,  et  chargea  un  de  ses  chevaliers,  Renier  Pot,  de 
les  accompagner  pondant  leur  séjour  en  France*.  Mais  l'ab- 
sence des  princes,  oncles  du  roi,  qui  étaient  à  cette  époque  à 
Avignon  auprès  du  pape,  rendait  inutile  le  voyage  de  Paris 
on  Charles  vi  se  trouvait  seul.  L'ambassade  protita  de  cette 
circonstance  pour  rendre  visite  à  la  duchesse  de  Hourgognc  à 
Dijon  (17-19  mai),  et  gagner  lîorde.uix;  le  duc  de  Lancastre, 
dont  le  nom  avait  été  niélé  :uix  pnijets  d'intervention  en 
Hongrie,  résidait  alors  dans  cette  ville,  et  il  importait  de 
s'assurer  de  ses  dispositions*. 

Les  ambassadeurs  hongrois  n'arrivèrent  à  Paris  que  le 
0  août',  au  moment  du  retour  du  duc  do  Bourgogne  et  des 
princes  qui  formaient  le  conseil  de  régence  ;  ils  y  furent 


I.  5marsl395,Seïï.5«îr.  E  {r)î.  107.  Ed.  Monum.ttpect.hist.Siav...^ 
IV,  li'i'J,  «t  Monum.  Humj.  fiist.,  aria  extera  m.  T68.  —  10-12  mars  1395, 
Stn.  Secr.  E(r)  f.  lO«-y.  Ed.  Monum,  speet.  hiit.  Simt.,  iv,  340-3, 
et  MoHHtit.  Ifvfiff.  hist,,  m,  y6t-3.  —  M.  iti*auner,  Kanu  connaître  ce» 
textes  v^nilions,  avait  fort  judicieusement  conjecturé  que  l'ambansade 
avait  pris  ta  route  de  VenÎRC  (p.  W). 

3.  Elle  te  sollii'ita  un  an  plus  tanl,  Ip  25  avril  13U6  {Areh.  Storieo 
Hatiano,  iv,  220-3). 

3.  D.  Plaiiclier,  I/Ul.  de  Buurfj,  ni,  147. 

4.  P.  Bauyn,  Mt'm.  tin  voiage^  f.  :i'»0  v^-3'il  r*. 

5.  P.  BauyUj  M^m.  du  voiage,  t.  341. 


232 


AaiBASSADE    f»K    SIGISMOND    E.\    FRANCR. 


accueillis  avec  les  démonstrations  de  la  plus  cordiale  bien- 
veillance. Admis  en  présence  de  Charles  vi,  Nicolas  de 
Kanysa  présenta  los  lettres  de  sou  souverain;  lui-même  en 
développa  le  coutenn  dans  un  long  discours  :  il  exposa  en 
substance  que  Bajazet  allait  faire  subir  à  la  Hongrie  le  sort 
do  la  Bulgarie,  de  la  Valachie  et  de  la  Serbie;  et.  après  un 
tableau  sinistre  des  cruautés  des  Turcs,  il  supplia  Charles  vi 
de  ne  pas  abandonner  Sigismond. 

De  son  coté,  la  comte  d'Eu,  connétable  d('  France,  en  sou- 
venir de  ses  anciennes  relations  d'amitié  iivec  le  roi  de  Hon- 
grie, avait  été  informé  par  un  messager  spécial  que  la 
situation  du  royauuie  était  critique,  ^ue  Bajazet  avait  ras- 
semblé une  armée  <le  (quarante  mille  hommes,  dont  dix  nulle 
cavaliers,  et  marchait  sur  la  Hongrie.  Sigismond  priait  le 
connétable  de  communiquer  ces  nouvelles  au  maréchal  Bou- 
cicaut,  et  à  quiconque  voudrait  s'armer  pour  combattre  les 
Sarrasins.  Ni  le  maréchal,  ni  le  connétable  n'hésitèrent  à  pro- 
mettre l'appui  de  leur  êpée'. 

Charles  vi,  cédant  aux  sollicitations  de  la  cour,  suivît 
leur  exemple  ;  neuf  joïU's  après,  Tambassade  hongroise 
quittait  la  France,  comblée  de  présents  ;  clbi  emporUiit 
l'assurance  d'un  puissant  secours,  tant  le  projet  d'expé- 
dition avait  été  accmùlli  avec  enthousiasme  parles  chevaliers 
français  ". 


1.  Ait>re  des  foitu,  i,  chap.  xxi,  p.  589. 

2.  rroiasart,  éd.  Kervyn,  xv,  220. 


CHAPITRE  II, 


PREPARATIFS  DE  DEPART  DE  L  ARMEE   FRANCO-BOURGUIGNONNE. 
ALTRES  ALLIÉS  DE  SIGISMOND. 


Des  circonstances  particulièrement  heureuses  avaient  aidé 
au  succès  de  Tamljassade  de  Sigismond  en  France.  Sans  par- 
ler ^e  la  soif  4e  combats  qui  animait  la  noblesse,  de  l'horreur 
qu'inspiraiiMtt  les  cruautés  des  Turcs  et  les  provocations  té- 
méraires du  sultan,  la  reprise  des  hostilités  avec  l'Angle- 
terre, déjà  suspendues  depuis  trois  ans,  semblait  reculée  â 
une  épocjue  éloignée  par  les  pourpai'lcrs  de  Leiinghen;  enfin 
le  mariage  de  la  iille  de  Chai'les  vi,  Isabelle,  avec  le  roî 
d'Angleten'o,  donnait  de  nouveaux  gages  de  paix.  La  situa- 
lion  intérieure  semblait  assez  stable  pour  autoriser  une  expé- 
dition lointaine,  que  tous  désiraicni.  Le  mi,  en  promettant 
à  Sigismond  une  année  pour  la  campagne  de  I3U6,  n'avait 
fait  que  ratifier  le  vœu  de  IVqiinion  publique.  Cette  décision 
détermina  dans  tont^  la  France  un  élan  général  ;  |Kiur  no 
pas  dégarnir  h^  royaume  de  tous  ses  déi'euscms,  i»n  dut  faire 
un  choix  parmi  ceux  qui  demandaient  à  partir. 

Le  duc  de  Bourgogne,  qui  avait  déjàdonné  niainti's  preuves 
de  son  zèle  pour  la  foi  chrétienne,  se  mit  à  la  tête  de  ce  mou- 
vement; nous  savons  avec  quelle  bienveillance  il  accueillit 
les  aml>assadeur»  hongrois,  et  combien  il  facilita  auprès  de 
Charles  vi  le  succès  de  leur  mission.  Il  prit  à  cœur  le  succès 
de  la  croisade,  non  qu'il  di'it  y  pn^ndre  un»»  part  personnelle, 
mais  parce  qu'il  songeait  à  dunner  à  Sf>n  Hls  la  direction  su- 
prême de  l'entreprise.  Jean,  comte  de  Novers,  était  un  jeune 


234 


PREPARATIFS    DE    DEPART. 


homme  de  vingt- qaatre  ansV  courtois,  de  manières  douces, 
très  aimé  des  chevaliers  bourg-uignons  ;  il  avait  déjà  fait 
campagne,  mais  n  était  pas  encore  chevalier.  Conquérir  la 
clicvalcrie  en  guerroyant  contre  les  mécréants,  à  la  této  de 
la  noblesse  française,  était  pour  un  prince  de  son  sang  une 
heureuse  fortune-  A  l'hôtel  d'Artois  un  ne  s'occupa  plus  que 
de  Tentreprise  projetée;  le  comte  de  Nevers  l'avait  acceptée 
avec  enthousiasme;  il  avait  obtenu  l'agrément  de  son  père, 
et  n'ai  tendait  que  rautorisation  royale  pour  régler  les  dispo- 
sitions du  départ. 

Le  conseiitoint'jiide  Charles  vi  ne  tarda  pas  à  être  donné  : 
Jean  de  Nevers  fut  proclamé  chef  do  la  croisade*.  Cette  nou- 
velle, publiée  dans  les  états  du  duc  et  par  toute  la  Franco, 
eut  un  énorme  relnntissfmrnf  ;  do  toutps  paris  les  adhésions 
atiluéreat.  Les  chefs  de  l'expédition  ne  savaient  à  qui  répoudre 
parmi  ceux  qui  demandaient  à  entrer  dans  leurs  compagnies. 
«  Les  aucuns  ostoient  retenus  et  les  aucuns  n^avoiont  piïintde 
«  maistre  »  ;  quels  que  dussent  étn»  les  dépens  d'un  si  long 
voyage,  les  chevaliers  n'hésitaient  pas  à  renlreprendre  et 
à  soutenir  dignement  leur  ranii;.  Le  roi  tint  à  honneur  que 
le  comte  d'F.u  et  BiHJcioaut  y  tissent  la  iigure  d'ui»  conné- 
table et  d'un  maréchal  de  France.  Le  mouvement  fut  géné- 
ral, et  l'on  dut  limiter  à  miîle  chevaliers  et  écuyers  le  nombre 
des  élus\  C'était,  en  cumpt;int  l'escorte  des  combattants,  ser- 
gents, pages,  etc.,  un  effectif  d'environ  quatre  mille  hommes. 

Eu  et  Bouoiraut,  prévenus  directement  en  souvenir  de 
leurs  anciennes  relations  avec  le  roi  de  Hongrie,  s'étaient 
croisés  des  premiers.  A  leur  exemple  «  toute  tleur  de  cheva- 
«  lerie  et  de  noble  gent  »  s'était  gi*oupéo 'autour  de  Jean  de 


1.  Proîssart  (éd.  Kervyn,  xv,  218)  lui  donne  vingt-deux  ans;  il  en 
avait  vinjrt-quatre,  étant  nû  le  28  mai  1371. 

2.  Un  eut,  un  moment,  la  crainte  (jue  Jean  de  Neversne  pût  preriilre 
le  cummanderacnt  de  l'armée.  H  s'était,  en  elTet,  rompu  l'i-panln  peu  de 
temp.s  auparavant,  mais  les  soins  des  in^Uivins  et  rbirurgiens  ilu  duc 
de  Ilourfro^ne,  de  la  duchesse  d'Orléans  et  du  imI  le  mirent  en  \ton  de 
temps  en  état  de  remonter  à  chevEil  (P.  Ilauyn,  Mêm.  du  voiage.  f.  3i2l. 

3.  l'roissart.  éd.  Kervyn.  W,  p.  2;tn.  —  Mioliaud  {/fUtnirc  //m  rroi- 
autifx,  in,  379)  dunne  le  rîiilTre  de  quatorze  cenl.s  chevaliers  et  écuyers, 
mais  sans  prouve;  le  nvU'jieux  tir  Saint  îtrnis  |ii.  i2*.i|  celui  de  deux 
mille.  —  V.  Kroissart,  éd.  kervyn,  xv.  ijassim;  —  ftrlirfirujc  de  SairU 
Oenis,  n,  428-9;  —  Livre  des  faits^  i,  ch.  xxi,  p.  58y-90. 


Ë. 


COMPOSITION    DE    l'armée    FRANCO-nOUROUKiNONNE.      235 

Nevers.  Henri'  et  Philippe  deBa^^  cousins  du  roi,  Enguor- 
rand  do  Coucy',  l'amiral  Jean  de  Vienne*,  Guy  et  Giiillauine 
de  la  Trôinoillo*,  In  comlo  do  la  Marche*.  Renaud  de  Roye", 
un  compagnon  de  Boucicaut  dans  ses  expédition»  en  Orient, 
le  sire  de  Senipy',  pour  ne  citer  que  les  principaux  seigneurs, 
s'étaient  préparés  au  voyage  de  Hongrie'. 

Outre  les  chevaliers  ennMés  isolément,  et  supportant  eux- 
mêmes  les  frai»  de  la  campagne,  des  compagnies  avaient  été 
formées  par  les  soins  du  duc  de  Bourgogne.  Les  ofliciers  de 
la  maison  du  duc  avaient  roru  leurs  gages  arriérés  pour  les 
aider  à  supporter  les  dépenses  de  la  nouvelle  expédition'". 
Une  ordonnance,  rendue  le  ?0  mars  I39(i,  avait  réglé  la  com- 
position de  riiôlcl  du  jeune  comte  :  cent  quatre-vingt-treize 
chevaliers  et  écuyers,  vingt  arbalétriers»  sept  échansons.  pan- 
notiers,  etc.,  en  faisaient  partie.  La  bannière  de  Jean  de  Ne- 
vers  était  confiée  à  Philippe  de  Mussy",  le  pennon  à  Gru- 

1.  Fils  aîné  do  Robert,  duc  de  Bar,  et  de  Marie  de  Franco;  [|  avait 
assisté  h  la  concentration  do  troupes  faite  à  l'Ecluse  tH86)  ot  aux 
ffuerros  do  Guoidro  [I.'J«H)  et  de  Bretajçn»  (1302).  Il  avait  épousé  Marie, 
fille  d'ICnpuorrand  do  l'oucy  (l-Yoîssart,  éd.  Kervyn,  xx,  250). 

2.  Voir  plus  haut,  p.  175. 
a.  Voir  plus  haut,  p.  172. 

4.  Voir  plu.s  haut,  p.  U6,  172  et  i75, 

5.  Voir  plus  haut,  p.  Ï75. 

6.  Jacques  II,  comte  de  hi  Marche,  fils  de  Jean  i  et  de  Catherine  de 
Vendôme.  Il  fut  créé  grand  chambellan  le  2Ct  juillet  1:^97  et  mourut 
en  W-l». 

7.  Voir  plus  haut,  p.  162. 

8.  Divers  manuscrits  do  Kruissart  donnent  à  tort  SnirU  Pot.  Nous 
savons  en  elTet  i]uc  Waleran  de  Saint  Pol  prit  ]>art  à  la  campagne  de 
Krise  {i:i%i,  ce  <jui  exclut  sa  présence  h  la  croisaile.  Il  s'afpt  ici  de 
Jean  do  Seuipy,  chambellan  du  duc  de  Itourffufjne,  un  des  c4iin]tat,Mion!} 
d'arme»  du  maréchal  Boucicaut,  et  un  des  plus  vaillants  chevaliers  de 
son  temps. 

ï».  Froissart.  éd.  Kervyn,  xv,  2;w;  —  Uire  ttex  fait»^  p;irlie  i. 
ch.  .\.\i.  p.  50O. 

10.  I,(>K  noms  de  ceux  qui  furent  ainsi  payés  nous  sont  parvenus 
(Arch.  de  la  (Vde  dOr,  H.  15««.  f.  37|. 

11.  Philippe  de  Mussy  éiait  chevalier  bachelier  en  1382;  en  1387,  il 
iwrte  Ir  ijire  ilé  chambellan  dn  duc  do  Bourgogne  et  accomjta^'ne. 
avec  f|ualrr  écuyers,  (ïtiillauine  de  la  Tréuioillr'  à  IVxpédilion  de  Hra- 
bant.  lin  i:t'Jl  i  :20  niai),  il  esl  envoyé  à  Pont  Saint  K^prit  aupiiVs  du 
comte  Bernard  d'Armagnac;  on  i:ï92  (M  juillet),  ilestchargé  de  la  con- 
centration â  Sens  des  troupes  que  le  duc  de  Bourgogne  mène  au  rui 
pour  l'expédition  do  ttrolagne.  ï.n  13<Ji  (10  mai),  il  donne  quittance 


236 


l'REPARATIFS  DE  DEPART. 


thiize;  trois  chevaliers,  Courtiambles',  Jean  rlo  Blaisy'  ot 
Buxeiil',  devaient  escorter  la  bannière;  le  luèaie  soin  in- 
combait à  Nanlon  et  à  Hugueuin  de  Lugny*  auprès  du  portc- 
pennon*.  Deux  chariots  étaient  destinés  au  transport  des  ar- 
nuires  et  de  réchan?*onnorie;  un  chariot  garni  d'étoffe,  acheté 
â  Arras,  et  vingt-huil  chevaux,  grands  et  pi'til;*,  complétaient 
ce  service".  Nous  ne  connaissons  malheureusement  pas  la 
composition  des  autres  compagnies,  notamment  celle  de  l'hô- 
tel du  duc  Philippe  de  Bourgogne.  Charles  vi,  de  son  côté. 


des  gages  qui  lui  sont  dus  pour  un  voyage  en  Iwimbardie  et  en  Savoie 
auprôs  du  cimite  de  Vertus  et  du  mar(|uiH  de  Montferrat.  It  mourut 
probableUKMil  pendant  l'expi^dition  de  Hongrie,  rar  sa  femme  Mar- 
guerite de  Mussy  f^Uiit  veuve  en  1398,  et  était  exenipti'e  du  droit  de 
rachat  pour  les  terres  do  la  JaÏBse  et  de  t'ussan^^-  (Arch.  de  la  Côte 
d'Or,  B..  invent.  de  Peincedé,  xxii,  123,  175,  238;  xxin,  126;  XXIV, 
121.  :tft4). 

1.  Il  y  eut,  à  la  fin  du  xiV"  et  au  commencement  du  xv  siècle,  deux 
seigneurs  de  Courtiambles,  le  père  et  le  fils,  qui  portaient  tous  deux 
le  prénom  de  Jacques.  Il  est  assez  difficile  de  séparer  la  bioji^phie 
de  l'un  de  celle  de  l'autre.  En  tous  cas  les  Courtiambles  se  distin- 
guèrent particulièrement  contre  les  Turcs;  la  suite  de  notre  travail 
montrera  la  part  prise  par  le  personnage  dont  il  est  ici  question  dans 
Texpédition  de  Hongrie  el  le  rachat  des  prisonniers.  Kn  outre,  en  1380. 
un  Jacques  de  Courliambles,  chevalier  et  chambellan  du  duc  de  lîour- 
gogne^  recevait  un  dun  de  cinq  cents  livres  |»our  le  dt^dommftger  des 
fmis  d'un  voyante  en  Turquie  el  de  la  longue  captivité  qui  en  avait  été 
la  cons^'(|uonce.  Le  V2  mars  I3'J3  m.  s.l,  mcssire  Jacques  de  Cour- 
tiambles recevait  deux  cents  livres  i  pour  avoir  porté  honurahlemeiit 
l'étendard  du  duc  de  Bourbon,  chef  et  général  do  l'armée  des  Français 
qui  fut  h.  Cionnes  et  de  là  en  Tartarie  ■  (Arch.  de  la  Cïito  d'Or,  B., 
invcnl.  de  Peimu-dt^.  n.  349  el  xxu.  238). 

2.  Jean  do  Blaîsy.  seifj;near  de  >lavill3%  tîls  d'Alexandre  de  Blaiity, 
écuyer,  et  do  damoisello  Jubard  de  S.  Itarry,  avait  i^puu>é  Marguerite^ 
flllc  de  Itichard  Ikiuhot,  de  Oijon,  licencia  as  lois,  et  de  Julienne,  sa 
femme.  Il  était  chambellan  du  duc  de  Bourgogne  (Arch.  de  la  Cote 
d'Or,  U.,  invent,  de  Peincedi^,  xxvn,  256  et  271). 

3.  Damas  de  Uuxeul,  écuyer  d'écurie  du  duc,  était  un  des  serviteurs 
les  plus  dévoués  de  Philippe  le  Hardi.  Jean  de  Buxcul,  chef  de  la  fa- 
mille, plus  spécialement  attaché  au  service  du  comte  do  Nevers,  resta 
en  Occident;  il  était  capitaine  de  Monlc^nis,  et  mourut  en  13%  ^Arch. 
do  la  Cùle  dOr.  U.,  invent,  de  Peincedé,  xxvr,  56). 

4.  En  139'!.  il  était  écuyer  pannetier  du  duc  de  Bourgogne  (\rch.  de 
la  Côte  dOr,  B..  invont,  de  Peincedé,  x\ui,  130). 

h.  I>.  Plancher,  i/Ut.  de  Hourg.,  ni,  preuves,  cïxxiij-v. 
6.  Il  fut  dépensé  de  ce  chef '.127  fr.  Il  s.  8  den.  en  deux  sommes 
(Arch.  de  la  OHe  dXh%  B.  150»,  f.  150  v  et  B.  1511,  f.  76  V). 


CONSEIL  BONNE  AU  COMtE  DE  NEVERS.        237 

avait  envoyé  uu  assez  grand  nombre  de  chevaliers  ;  ne  fallait- 
il  pas  que  le  comte  d*Eu  et  Roucîcaut  tissent  honneur  à  la 
couronne  de  France?  Uuui:icaut  seul  mena  au  comlo  de  Ne- 
vers  soixaute-dix  gentilshommes,  dont  quinze  chevaliers  de 
ses  parents;  on  peut,  par  ce  chiffre,  apprécier  l'importance 
du  contingent  f<»nrni  par  la  France'. 

A  côtn  des  chevaliers,  lut  levé  un  coqis  de  soudoyers; 
les  chi'ouiqueurs  français  u'en  parlent  pas,  mais  les  sources 
alleuiaiides  le  mentionnent,  sans  T'tre  d'accord  sur  l'effectif 
(juVlles  lui  attribuent  :  six  mille  hommes  ^elon  les  unes, 
dix  mille  hommes  selon  les  auti'cs.  En  évaluant  Parmêe 
franco-hourjçuignonue  à  dix  mille  hommes  envinui,  chevaliers 
et  troupes  de  pied',  nous  ne  croyons  pas  nous  êlr»i^''iver  de 
la  vérité. 

Philippe  le  Hardi  avait,  avec  beaucoup  de  prudence,  en- 
touré son  fils  d'un  conseil  destiné  à  guider  son  inexpérience 
milit<iire.  Il  avait  choisi  Philippe  de  Bar\  l'amiral  Jean  de 
Viennes  Guy  et  (ruillaume  de  la  Ti'émoille",  et  Odard  de 
Chasseron*  pour  éclain?r  le  jeune  prince  de  leurs  lumières  ;  il 
avait,  eu  outre,  ilésiuné  <[uelf|ues-uus  des  chevaliers  les  plus 
illustres  par  la  naissance  ou  la  valeur,  le  comte  <le  la  March<', 
Henri  de  Bar,  Coucy,  le  connétable  et  le  maréclml  Boucicaut', 


1.  Utft'e  des  failx^  i,  cli.  xxi,  p.  590.  Il  est  dit  (|ul'  Boiu'lraut  nienn 
ces  gonlilshommcïià.sesdi^pens.  Nous  croyons  cependant  rj  no  Charles  vi 
contribua  à  leur  entretien.  i*armi  ces  quinze  clievaliers,  appartenant 
à  la  famille  du  maréchal,  le  Lwre  des  faits  cito  :  le  Itarrois^  Jean  et 
Codemart  de  Liniéres,  Itcnaud  de  Chavigny,  Robert  de  Miily,  Jean 
dKgrevilIe. 

2.  Schiltberger,  p.  53;  —  Konigshofcn,  p.  85i.  —  Cf.  Brauner, 
p.  17.  Vertot  semble  avoir  exagéré  en  écrivant  •  que  la  France  fournit 
plus  de  troupes  d'ordonnance  que  tous  les  autre»  alliez  ensemble  • 
{Histoire  des  Chev.  hosjtU.^X  w  (ITTii),  liv.  vi,  p.  259).  —  P.  Bauyn 
{Mém.  du  minge^  f.  'AM  v»),  évalue  comme  nous  à  une  dizaine  de  mille 
hommes  la  force  de  l'armée. 

CI.  Voir  plus  haut,  p.  175. 

4.  Voir  plus  haut,  p.  145,  172  et  175. 

5.  Voir  plus  haut,  p.  175. 

6.  Chambellan  et  conseiller  du  dur  de  Bourgogne.  Philippe  te  Hardi 
le  chargea,  avec  tjuillaume  de  la  Trémoille,  en  1390,  d'une  mission 
auprès  du  comte  de  Foix.  relative  au  mariage  du  duc  de  Berry  (FroU- 
«art,  éd.  Ker>7n,  xx,  5'i7). 

7.  i).  Plancher,  y/M(.  de  Ihunf.,  m,  preuveaclxxv.  L'ordonnance  du 
duc  désignait  encore  dix  chevaliers,  dont  Jean  de  Nevers  pouvait 


238 


PRE1»ARATIKS  DE   DEPART, 


dont  Jean  de  Nevers  pouvait,  s'il  le  jugeait  convenable,  sol- 
liciter les  avis  et  invoquer  Tassistance. 

Le  duc  <lû  Bourgogne  avait  songé  à  tout  ;  à  sa  requête,  le 
jiape  avait  accordé  au  chef  de  la  croisade  des  indulgences 
spéciales;  c'était  d'abord  rîadulgence  plénière,  puis  l'auto- 
risation de  manger  et  coucticr  chez  les  iuiidèlos  et  schisma- 
tiqaes,  de  choisir  un  confe>!Sour  et  d'entendre  la  messe  avant 
le  lever  du  soleil  ;  enfin,  à  ces  indulgences  générales  d'autres 
faveurs  plus  particulières  avaient  été  ajoutées  :  elles  concor- 
naicnt  certains  vœux  faits  par  le  comte  de  Nevers.  A  son  dé- 
but, l'expédition  revêtait  un  caractère  religieux  bien  nianiué, 
mais,  au  cours  do  la  campagne,  ce  caractèi'e  s'effaija  gra- 
duellement, et  la  croisade  devint  une  chevauchée'. 

Philippe  le  lîardi  avait  le  goi'it  de  tout  ce  qui  était  magni- 
fique; c'était  une  tradition  de  la  maison  do  Bourgogne  qu'il 
se  plaisait  à  suivre.  Aussi  saisit-il  avec  empressement  cette 
nouvelle  occasion  de  donner  carrière  à  son  amour  du  faste. 
Bannières,  peimons,  guidons  de  lances  étaient  brodés  d'or  et 
d'argent;  partout  les  armes  ou  la  devise  du  comte  de  Never» 
étaient  reproduites.  Ohflaaimos  des  trompettes,  housses  do 
chevaux,  chabra(|ues,  tout  était  chamarré  d'argent  et  brodé 
aux  couleurs  de  Bourgogne.  An  centre  des  banuière*  se  dé- 
tachait l'image  do  la  Vierge,  entourée  des  tleurs  de  lys  de 
France  et  accompagnée  de  huit  écussons  aux  armes  du  comte  de 
Nevers  ;  la  livrée,  qui  comprenait  plus  de  deux  cents  personnes, 
pijrtait  la  couleur  adoptée  par  le  prince,  *  le  vert  gai  ».  Les 
tentes  étaient  de  satin  du  même  vert,  avec  des  ornements  en 
rapport  avec  ceux  des  autres  pièces,  l^artout  on  déploya  un 
luxe  magnitique;  petits  et  grands  rivalisèrent  à  l'envi  pour 
soutenir  un  train  aussi  somptueux'. 


prendre  les  avis;  c'étaient  des  servitpurs  personnels  du  duc,  dans 
rexpérience  Jesiiuels  iJ  avait  toute  confiance.  V.  sur  oea  personnages 
iiliis  haut,  pages  160-5,  175  et  235. 

1.  Compte  d(-  Jean  Chousat  pour  l'aniiiïe  1400  (Bibl.  nal.,  Coll.  do 
llûiirg.,  vol.  190,  f"  7iy-20).  Ce  fut  maître  Pierre  Berthiot,  secrétaire 
du  duc  de  lu>ur{?ugnf>,  qui  obtint  rcx[>édition  des  bulles. 

2.  I>.  IManclicr.  Uist.  de  Hourff,,  tn,  W^,  daprùs  les  c^imptes 
de  la  trésorerie  des  ducs  de  Bourgogne  conservés  à  Dijon  :  —  Proissart, 
éd.  Kervyn,  xv,  p.  22'i.— La  somme  dépensée  de  ce  cbef  était  de  mille 
huit  cent  trente-cinq  francs  (Arch.  de  la  C6te  d'Or,  B.  1187G  et  B.  1508, 
f.  127v'-8v<'). 


MESURES   FINANClkaES   POMtt   lA  CllMSADK.  239 

Il  fallut  aviser  aux  moyens  de  payer  toutes  ces  magnid- 
cencGs.  Cette  question  avait  préoccupé  1g  duc  dès  139i,  et  il 
avait  songé  à  lever  dans  ses  états  un  iinptU  oxlraordinaim 
pour  rexpédition  future.  Il  cuuiptail,  de  ce  chef,  sur  rleux 
Cent  mille  francs;  en  y  ajoutant  ce  que  le  roi  de  France  lui 
devait  (cent  seize  mille  francs)  et  les  recettes  du  domaine  et 
des  aides  (cent  quatre-vingt-trois  mille  francs),  abstraction 
faîte  dos  dépenses  ordinaires  de  la  maison  ducale,  ce  chiffre 
se  trouvait  doublé.  Avec  le  don  promis  par  Charles  vi,  et 
l'emprunt  que  Philippe  le  Hardi  se  propo.saitde  faire  au  comte 
de  Vertus,  on  espérait  atteindre  cinq  cent  mille  francs'. 

Ce  projet  servit  de  Lase  aux  mesures  iitiancières  prises  par 
le  duc.  Il  demanda  à  ses  sujets  cent  mille  nobles,  c'est-à-dire 
environ  deux  cent  mille  francs,  pour  le  voyage  de  Hongrie 
(I39'i).  Dans  cette  somme,  la  part  des  villes  de  F'lan<lre  fut 
de  soixaute-cinq  mille  nobles,  celle  île  Malines  et  d'Anvers  de 
quatre  mille,  ct^lle  des  ch;'ftellenies  de  Lille.  Douai  etOrchies 
do  quinze  cents;  le  reste  fut  payé  par  la  Uourgngne*.  Le  duc 
avait  espéré  du  clergé  de  Flandre  une  subvention  importante 
(cinq  mille  cent  cinquante  cinq  nobles);  mais  celui-ci  montra 
peu  d'empi-essemeiil,  i^t  s(;  borna  à  un  prêt  de  cinq  mille  deux 
cent  soixante-cinq  nobles  '.  En  outre,  la  ville  de  Lille  avança' 
pour  le  voyage  du  cumte  de  Nevers  deux  mille  francs,  qui 


1.  V.  Pièces  justificatives,  n»  V. 

2.  inventaire  de*  Archivée  de  la  Belijiqitf,  Chambre  des  compto», 
m,  97  et  'i51.  —  L'impôt  fut  levé  dèa  la  lin  de  1U94.  .Nous  en  avons  la 
preuve  pour  Urnges,  «jui  paya  sa  q«iiliv|mrl  (oi)ze  mille  nobles)  en 
plusieurs  termes,  du  28  novembre  139i  an  7  avril  1396  {fnv.  des  Ar- 
ehivei  de  firtiyex,  m,  315-6).  —  Malines  avait  d'abon]  prêté  deux  mille 
nobles;  elle  convertit  suii  pr^t  en  don  après  le  dt'^sastre  de  NioopuMs 
(Lettre  de  Pliilippe  le  Hardi  du  26  janvier  1:^98,  aux  Arcliivcs  muni- 
cipales de  Malines |.  —  Lille  octroyn  une  aide  de  quatre  mille  francs, 
Duuai  une  aide  de  trois  mille,  Orrhies  donna  cent  nobles(Lettrc  duduc 
du  19  juillet  i:J9'j.  aux  Arch.  du  .Nord.  U.  123o!.  —  Pour  la  Bourgogne,, 
l'Artois,  le  Nivernais  et  Hcthol,  voyez  \).  Plancher.  Hist.  de  Bourg, ,* 
III,  preuves,  p.  clxxxiij  et  147.  Les  gens  d'église,  bonnes  villes,  bour- 
geois, etc.,  de  la  Comté  sont  imposés  à  douze  mille  francs  d'or  (2  juil- 
let 1396)  ;  le  duché  paie  quarante  mille  francs,  rArtoietrente-cinq  mille 
livres,  etc. 

3.  Inv.  des   Arch.  de  la  Belgique^  Chambre  des  comptes,  m,  97 
et  451. 


entrèrent  en  déduction  du  montant  de  Timposition  qu'elle 
s'ôtftit  engagée  à  fournir*. 

Ces  sommes  étaient  loin  d'être  suffisantes;  il  fallut  recou- 
rir à  des  emprunts,  faits  aux  villes  et  aux  Lomhards  des  états 
riu  duc:  do  co  chef  la  ville  d'Ourlenilioiirg  prêta  huit  cent 
viiigt-luiit  livres,  les  Lorabards  de  Dmiai  et  ilc:  Lille  soixante- 
dix  livres  de  gros*.  En  même  temps,  Piiîlîppn  le  Hardi  négo- 
ciait d'autres  emprunts  avec  les  baiUis,  les  receveurs  parii- 
culiei-s  et  les  fermiers  du  domaine  ducal,  avec  les  municipa- 
lités flamandes,  avec  les  banquiers  de  Vienne  et  de  Venise, 
Il  iibtouail  nilin  du  roi  de  Fraue((  un  don  de  dix  mille  francs'. 

L';ippel  de  Sigismniid  avait  été  euk'udu  dans  toule  l'Ku- 
roiie  chrétienne.  L'Allemagne,  comme  In  France,  s'él-ait  émue 
à  la  nouvelle  du  danger,  et  avait  pris  les  armes.  Il  est  diffi- 
cile d'êvahier  l'iuiportauce  du  s<.icuurs  (qu'elle  eiivujy'a  au  roi 
de  Hongrie;  mais,  de  la  Pologne  à  l'Alsace,  du  Luxem- 
bourg à  la  Styrie,  les  croisés  affinèrent,  et  le  mouvement 
fu(  généra!.  Si  nous  ignorons  la  force  numérique  des  contin- 
gents allemands,  nous  connaissons  la  plupart  des  princes 
qui  les  couduisaieni,  et  par  là  nous  pouvons  supposer 
qu'elle  était  consi<lérable.  Le  comte  Palatin  Robert  Pipan.  fils 
aîné  du  roi  Roltert  m.  prit  la  croix,  ainsi  qu'un  comte  de 
Katzenelleubogen,  dont  l'identité  est  difficile  à  établir;  il 
semble,  en  effet,  peu  probable  qu'Eberard  v,  mort  on  140'*  à 
l'âge  de  plus  de  (luadc-viiigts  ans,  ait  entrepris,  plus  que  sep- 
tuagénaire, une  paieille  expédition V  Hermann  ii,  comte  de 
Cillj,  et  Jean  ni,  biu'grave  de  Niiremberg,  étaient  parmi  les 
croisés.  On  a  voulu  aussi  ranger  ]>anni  eux  Frédéric,  frère 
cadet  de  Jean  m,  premier  électtnir  de  Brandebourg,  mais  sans 
preuves  suffisantes.  La  plupart  des  témoignages  ne  citent 
qu'un  burgrave  qui  ait  pris  part  à  la  crnisade.  et  nous  savons 
de  source  certaine  que  c'est  Jean  lit  (piî  y  (igura.  En  (Uitre,  la 
mention  qui  relate  ce  fait  est  une  addition  post<*rieure  dans 


1.  Apch.  du  Nord,  B.  1256.  —  La  somme  fat  restiiuôe  par  ordre  du 
duc  du  21  mars  1396  (Arcb.  du  Nord.  M.  1859,  n»  »5). 

2.  V^  Piùi-es  justitlralivofi,  n"  VI. 

3.  V.  Pièces  juslificalives,  u"  vi.  —   D.  Plancher,  I/ist.  de  Bourg.^ 
ni,  I'i8;  —  Bibl.  nat.,  coll.  de  Bourgogne,  vol.  lO^i,  fol.  158. 

h.  Voir  sur  ce  point  Urauner  (p.  lU),  comme  aussi  sur  tout  ce  qui 
concerne  la  participation  des  ADemands  à  la  croisade. 


PART  PRISE  PAR  LES  TEVTONIQUES  A  LA  CROISADE.      241 

la  chronique  où  ellti  figure  V  Encore  moins  faul-il  admettre 
que  Jean  m,  comme  l'a  écrit  un  historien,  fût  grand-prieur 
des  Teutoniques*,  titre  qui  ne  convient  pas  à  ceux-ci,  mais 
aux  Hospitaliers.  Nous  savons  qu'il  ne  fut  affïli('%  de  quelque 
façon  que  ce  soit,  ni  à  l'un  ni  à  l'autre  de  ces  ordres  militaires. 

Ceci  nous  amène  à  chercher  quelle  part  prit  l'ordre  Teuto- 
nique  à  l'expédilion.  et  sur  ce  point  encore  la  certitude  est 
difficile  à  l'établir.  Sigismond  avait  imploré  l'appui  du  grand- 
maître  Ci>nrad  do  Junyngi*n';  malgr»''  U*  silence  des  chroni- 
ques, la  coopération  des  Toutoniques  ne  semble  pas  douteuse. 
Le  roi  de  Hongrie  entretenait  avec  eux  des  rapports  d'une 
bienveillante  intimité.  Ceux-ci  pouvaient-ils  rejeter  la  re- 
quôte  de  Sigismond*?  En  outre,  n'avaient-ils  pas  été  comblés 
de  bienfaits  par  le  (bu;  de  Bourgogne?  L'idée  première  de  la 
croisade  avait,  disait-on,  été  suggérée  à  ce  dernier  par  le 
grand-maître  lui-même.  L'ordre  eùt-ii  oublié  loute  reconnais- 
smice  au  point  de  se  flésintèresser  do  l'expédition?  Nous  sa- 
vons, du  resto,  (ju'en  Ï397  le  grand-maiti*e  mettait  comme 
Gonditioa  à  une  négociation  la  libération  de  ses  cheraliers 
prisonniers  des  Turcs.  Ces  considérations  militent  en  faveur 
de  la  présence  des  Teutoniqucs  dans  les  rangs  de  l'armée 
coalisi^.  Les  dangers,  cependant,  qui  les  menaçaient  du  coté. 
de  la  Pologne  et  de  la  Gothie  ne  permeltent  de  croire  qu'à 
une  intervention  isolée  de  quelques  chevaliers,  probablement 
membres  des  baillages  les  plus  éloignés  de  Prusse,  et  assex 
peu  nombi*eux  pour  expliquer  le  silence  des  chnmiqueurs. 

A  la  tête  des  chevaliers  bavarois,  comme  nous  l'avons 
vu  plus  haut,  était  Robert  Pîpan;  les  noms  de  plusieurs 
d*entre  eux  nous  sont  parvenus.  Tl  en  est  de  même  pour  le 
contingent  aUacieii;  la  Suisse  ne  resta  pas  en  arrière'  de 
ses  voisins  de  Bavière  et  d'Alsace;  quant  aux  chevaliers  du 
Hainaut  qui,  sous  la  conduite  du  comte  d'Ûsti'evant,  tils  de 
leiu*  seigneur,  s'apprêtaient  à  suivre  leurs  compagnons  de 


1.  »  Marchio  Brandeburgensis  Fridericus  senior  in  boc  b*»llo  fui!  Pt 
n  penlidit  niulta,  vîx  persunalitcr  in  navi  evaitit  i  {Cat.  ahbat.  Saga- 
ne»wi«m,ilansSterizel,  5crip/.  rer.  StUtic^l^  297),— Cf.  Brauner,p.  11. 

2.  Ascdbach,  l,  p.  99. 

a.  Il  fut  élu  graml-maitro  le  :)U  nov.  139'i  et  mourut  le  30  mars  1407. 

4.  Si«Jsnioiid  fut,  dans  la  suite,  aftiliô  à  ronlri^  Teutonique. 

5.  Le  lecteur  trouvera  ces  noms  dans  la  liete  gV^nérale  des  croiséfl. 
V,  Pièces  justificatives,  n»  xxn. 

19 


ALLIKS  nie  SIGtSMOXD. 

Flandre  ot  de  Bourgogne,  ils  se  virent  refuRer  par  Albert  d^ 
BavitMV  l'autorisation  qnMls  sollifitaiont.  Co  fui  pour  1p  comte 
(l'Ostrevant,  prince  jouno  et  entreprenant,  heau-IVère  de  Jean 
tlo  Nevei*St  une  cruelle  déception  ;  Albert,  pour  calmer  Par- 
dcnr  bclli^neuse  de  son  tils  i4  de  sa  noblesse,  dut  lui  donner 
carrière  en  la  tournant  contre  les  Frisons  \ 

L*Angleten*e»  au  temps  des  premières  négociations  entre 
Sigismond  et  le  duc  de  Bourgogne,  avait  promis  l'envoi  d'un 
secours  important  sous  les  ordres  du  duc  de  Lancastre.  Ce 
fut  un  des  fils  de  ce  dernier,  probablement  Jean  lîeaufort, 
)|ni  l'amena  à  Sigi^îmond  ;  la  cour  d'Angleten'e  n'avait  pas 
accueilli  avec  autant  d'enthousiasme  que  celle  de  France  le 
projet  de  croisade  ;  le  contingent  anglais  cependant  ne  com- 
prenait  pas.  au  dire  des  cliroiiicjueurs,  moins  de  mille  cheva- 
liers. Nous  n'avons  aucun  tlctail  sin-  le  rôle  joué  dans  la  suite 
par  ce  corps  d'armée  ;  les  sources  anglaises  sont  muettes  sur 
tout  ce  qui  touche  Texpc^dilion  de  Hongrie*. 

La  situation  intérieurf  dellUdie  eniprchait  d'espérer  aucun 
appui  de  ce  cdtè.  Venise  seule  était  on  dehors  des  compé- 
titions et  des  révolutions  qui  agitaient  la  péninsule.  KUe  avait. 
des  le  principe,  servi  de  point  de  ralliement  aux  euvttvé.s 
des  diverses  nations  européennes,  et  elle  avait  pris  vis-û-via 
du  roi  de  Hongrii»  des  engagements  conditionnels.  Depuis 
cette  époque,  nn  ambassadeur  vénitien.  Jean  Albertî.  avait  été 
envoyé  à  la  cour  de  France  'septembre  l3îJr>),  pour  négocier 
la  libération  de  quelques  Vénitiens,  retenus  prisonniers 
en  France",  et  pour  assurer  la  facilité  des  relations  com- 
merciales entre  les  deux  puissances*.   Il  avait  pu,  au  cours 


1.  Froissart,  éd.  Kervyn,  xv.  226-9. 

2.  Urauner,  p.  25.  Aucune  trace  de  cette  expédition  n'est  restée  dans 
les  chroniqueur!^  anglais;  à  peine  l'un  d'entre  eux,  Th.  Walsingham. 
(//i«/.  angi..  M.  II.  T.  Kiley.  1864;  n.  217).  parle-t-il  do  .\icopoIi8,.pt 
encore  d'une  façon  absolument  inexacte.  Le  deuxième  fils  du  duc  do 
lancastre.  John  Deaufort,  est  le  seul  qui  semble  avoir  pu  conduire 
on  llonfzrio  le  secours  promis  à  Sipismond.  Le  pou  do  détails  que 
nous  avons  nous  est  fourni  par  los  soun^cs  allemandes  et  italiennes. 

3.  C'étaient  des  Vénitiens,  détenus  par  riuilliiumo  de  Vienne,  siro 
de  Saint  Georges,  à  son  château  do  Longepierre.  Henri  de  Sauvement, 
bailli  d'Omonl,  les  lui  réclama  en  janvier  I39D.  (Arch.  de  U  Cite  d'Or, 
li.  1508,  f.  ^b  \-«-4(i.) 

4.  Le!>chronique.*i  vénitiennes,  et  en  première  ligne  la  Vita  di  Carlo 
Ztno  (Venise,  1829,  pcl.  in-S",  p.  174-»>)  ont  placé  à  cette  époque  une 


NKOOCIATIONS  DK  SICISMON'Ï)  AVEC  MANI:EI<  ET  VENISE.     243 

«le  son  voyage,  se  convainoro  des  intentions  du  gouvernement 
fran(;ais,  et  rapporter  au  sénat,  apn>s  neuf  mois  d'absence,  la 
certitude  quo  ce  pavs  s'armerait  pour  la  défense  de  la  foi  *. 
Sur  ces  assurances,  la  républiiiue  de  Saint  Marc  avait  converti 
fles  promesses  en  n'îsolutions  définitives. 

Pendant  ce  lemps,  les  nt^gociations  continuaient  entre  l'em- 
pereur d'Orient  et  Sigismond  ;  on  savait  à  Venise,  le  I''"  mars 
1306,  que  Tacconl  s'était  fait  entre  les  deux  princes;  le  roi 
de  Hongrie  s'engageait  ;i  concentrer,  au  mois  de  mai  suivant, 
une  grande  armée  sur  le  Danube;  en  juin,  elle  devait  ^tre  à 
Constantinople.  L'empereur  d'Orienl,  de  son  aWj  armait  dix 
galèivsj  dont  l'entretien  devait  être  pavé  par  lui  pendant  un 
mois  et  pendant  Trois  mois  par  Sigismond;  trente  miUe  ducats 
étaient  déjîî  versos  pour  cet  objet  entre  les  mains  d'Emmanuel 
Fhilotropliinos,  ambassadeur  impérial.  Cette  nouvelle,  connue 
â  Venise  au  momeui  où  la  république  se  préparait  à  envoyer 
une  ambassade  à  Bajazet  afin  de  le  réconcilier  avec  l'empe- 
reur, fit  ajourner  une  ilémarche .  désormais  sans  objet,  et 
dont  le  roi  d(»  Hongrie  eûl  été  eu  droit  de  se  plaindre*. 

Cependant  les  Vénitiens,  sollicités  par  l'ambassadeur  hon- 
grois de  se  prononcer  sans  plus  larder  sur  leurs  intentions, 
promirent  pour  l'été  un  secours  de  (piatre  galères,  et  s'enga- 
gèrent à  envoyer  cette  esciadre  en  Romanie  de  la  mi-juillet  â 
la  mi-août^.  Cette  promesse  ferme  était  moins  avantageuse 
que  les  promesses  conditionnelles  faites  Pannée  précédente. 
Venise  expliquait  cette  différence  en  faisant  observer  qu'elle 
n'était  pas  assuive  des  secours  que  devaient  amener  les  ducs 
de  Lancastre,  d'Orléans  et  de  Bourgogne,  et  que  néanmoins, 
jiar  considération  pour  Sigismond.  elle  conseiitaità  lui  fournir 
quatre  galères  (M-U  avril  1390).  L'ambassadeur  avait, 
on  même  temps,  fait  au  sénat  une  demande  d'emprunt  ;  sur 
ce  point  la  république   se  déclara  dans  l'impossibilité  d'ac- 


^Umb&Msade  do  Tharles  Zf'i)o  en  Franre  et  en  AiigleteiTe,  dont  l'objet 
'i^léciAl  ^tait  la  croisade.  Rnnianin  {Stnria  dorum.  di  Vrnezia,  m,  335, 
note  2)  démontrp  péremptoirement  que  Zeno  n'alUi  pat»  nn  Occident, 
et  que  l'ambassiule  de  Jean  Altjerti  n'eut  qu'un  but  commercial. 

1.  Vita  di  Carlo  Zenn,  p.  174-fi. 

2.  Apch.  de  Venise,  .S>n.  Miati,  xuri,  f.  liS  v*>-6.  Vaï.  dans  i^fuitum. 
tprrl.  hitt.  Slav.  merid.,  iv,  :160-1. 

3.  Kllft  flevait  y  attendre  l'arrivée  <le  Sigismond. 


ALLIKS  T>E  SICTSMOND. 

céder  aux  désirs  du  roi  '.  Aux  nouvelles  instances  du  plénipn- 
tenlirtire hongrois,  il  fut  r*'ponduquel(|ues  jours après(27 avril), 
que,  nu>me  si  Sipismond  trouvait  à.  se  faire  prêter  de  Targeut. 
les  Vénitieus  ne  poui-raienl,  sans  inconvénient,  autoriser  la 
cession  de  la  créance  du  roi  sur  eux,  â  cause  du  caractère 
personne!  do  cotto  dette  *. 

Gênes  el  Kloieuro.  s'il  faut  en  croire  la  chronique  de  Marino 
Sanudo',  suivirent  l'exemple  de  Venise  et  entrèivnt  dans  la 
ligue  ;  mais  rien  n'est  moins  certain.  Les  Génois  assurémeni 
eussent  été  lieureux  do  ivniibattre  les  progrès  des  Turcs  ; 
leur  intérêt  commercial,  simui  leurs  sympathins  personnelles, 
les  y  engageait;  mais  leur  soumission  au  roi  de  France, 
cette  année  même,  était  ti'op  récente  pour  que  le  gouverneur 
français,  f|uelqiie  désii-  qu'il  en  eût,  ptM  stinger  à  engager  les 
forces  d'un  pays  nouvtdlmuiMit  ciïn(|iiis  dans  une  expédition 
lointaine.  Quant  aux  Florentins,  il  semble  tout  â  fait  impos- 
sible que  leur  appui  ait  été  acquis  à  Sigismond  ;  c'étaient  eux 
au  contraire  qui  imploraient  le  secours  du  roi  conlre  le  comte 
de  Vertus,  et  ils  avaient  trop  à  faire  dans  la  péninsule  pour 
envoyer  des  renforts  â  l'étranger*. 

Il  ne  paraît  pas  douteux  q\ie  la  Pologne  se  joignit  aux 
coalisés  ;  cette  intervention  est  attestée  par  les  historiens 
polonais",  mais  nous  ignorons  dans  quelle  niesun*  elle  se 
produisît.  11  est  probabïo,  ini  égard  à  la  situation  du  pays, 
qu'elle  fut  limitée  à  Tenvoi  en  Hongrie  d'un  petit  noyau  de 
chevaliers  ;  les  noms  «l'une  dizaine  d'entre  eux  â  peine  nous 
ont  été  conservés,  avec  le  souvenir  de  leui*  conduite  héroïquii 
à  Nicopolis. 

Restaient  les  chevaliers  de  Rhodes,  auxquels  Sigismond] 
avait,  des  premiers,  fait  appel.  Là,  du  moins,  il  avait  été  eiï-[ 
tendu,  et  les  secours  lui  vinronl  sans  restriction  ni  arrién 


1.  Arch.  de  Venise,  Sfn.  Seer.  E(r),  f.  126  ^-«-7.  K<J.  dans  Monuni. 
ipeci ,  IV.  p.  363-5. 

2.  San.  Secr.  F(rl,  f.  128.  Kd.  dans  Monum.  spect...,  iv,  p.  873-4. 
Il  s'agissait  de  sept  mille  ducaU  que,  par  ta  paix  de  Tarin,  Venise 
devait  chaque  année  payer  à  Sigismond. 

3.  Muratori,  fier.  ftal.  gcript.,  xxn,  762. 

4.  ,\rch.  Stor.  liât.,  iv,  220-3. 

5.  DIugos.*i,  H\$toria  Potonica,  i,  145-6  {éd.  de  1711);  —  Annales 
Polonicœ,  ibidem,  n,  1159. 


COOPÉRATION  DES  HOSPITALIERS.  245 

pensée.  La  flotte  de  Tordre  dans  l'Archipel,  le  grand-prieur 
d'Allemagne,  Frédéric  de  Hohenzollern  à  la  tête  des  Hospi- 
taliers allemands,  et  le  grand-maître  Philibert  de  Naillac, 
avec  Télite  de  ses  chevaliers,  lui  apportèrent  leur  concours*. 


I.  Brauner,  p.  12  et  25.  —  Dès  le  4  avril  1395,  Philibert  de  Naillac, 
alurs  grand-prieur  d'Aquitaine,  avait,  à  la  prière  du  duc  de  Bourgogne 
et  de  Charles  vi,  obtenu  du  ^rand-maitre  llérédia  la  permission  d'aller 
combattre  dans  le  Levant  les  infidèles  (llerquet,  /.  F.  de  llérédia^ 
Muhlhausen  i.  Tli.,  1878,  p.  83;  —  Arch.  de  .Malte.  Lib.  Bull.  Mag., 
MV,  f.  80). 


Au  priulemps  de  l'année  1306,  les  croisés  se  inireni  eu 
marche  pour  la  Hongrie.  Le  contingent  priiicipaU  sous  les 
ordres  du  comte  de  Nevers,  devait  Hrv  réuni  à  Dijon  lo 
"20  avril  pour  j  recevoir  sa  ^iolde;  le  rendez-vous  général 
était  fixé  au  30  du  mêine  mois  à  MoiitLélianl.  De  son  côté, 
Jean  de  Nevers  avait  pris  congé  du  roi  de  France  à  Paris 
le  6  a^Til,  et  était  allé  à  Saint-Denis  faire  se^  dévouions 
accompagné  d'un  grand  nombre  de  chevaliers.  Il  arriva  à 
Dijon  le  13,  et  y  surveilla  le:î  derniers  préparatifs.  Tous  los 
membres  de  sa  famille  se  trouvaient  alors  dans  cette  ville 
pour  hii  faire  leurs  adieux.  11  partit  le  30  avril  <  âpre:* 
dîsuer  »  pour  rejoindre  les  Iroupos  à  Montl>éIiard  ', 

De  MoMfbéliard  l'armée  gagna  l'Alsace  supérieure,  passa 
le  Rhin  au-desstfus  de  Strasbourg,  et  p;tr  le  Hrisgau  arriva 
dans  la  vallée  du  Danube.  Sa  marclie  fut  assez  rapide; 
le  9  mai,  le  comte  de  Nevers  était  à  Loeflfonborg,  en  Bavière, 
et  écrivait  â  la  ville  <le  Ratisbotiue  p(Hir  lui  di'tiKuuIcr  de 
mettre  à  sa  disposition  sur  le  Danube  une  dotiillc  de  trans- 
port pour  les  troupes  et  les  bagages  '. 

Une  seconde  colonne,  probablement  composée  d'une  partie 


1.  D.  Plancher,  /fisl.  de  Bourg.  »i.  ri8-9:  —  Relifjieux  de  Saini 
Denig,  u,  ''i28:  —  Juvénai  Ups  Ursins,  n,  p.  W8. 

2.  La  marche  indiquée  par  Frois-sart  {àt\.  Kervyti,  xv,  23t),  et  la  date 
qu'il  dorme  miii  ab.<s«>lument  en-oiuies.  —  Cf.  Braiiner.  p.  2:i.  et  fî^- 
tfenxhnrffis(hrr Hhronik  daiisCI'h.  Cieirieiiier,  II,  327-8.  — llest su (m.M'Ûu 
de  rcmartjuoi'  (|u  Asohbacli  \Geichichlc  Kaiser  Sijmund'i,  \y  97   iigtc 


PASSAGE  PKS  CROISKS  EX  ITALIB  KT  KX  Al.I.KMAr.NK. 


247 


des  contingents  fraudais,  avait  suivi  une  autre  route.  Elie 
quittii  Paris  à  la  tin  d'avril  sous  les  ordres  d'Honri  de  Bar  et 
d'En^ueiTand  de  Coucv'.  Ce  dernier,  à  peine  revenu  d'Italie 
oi"i  le  duc  d'Oriéans  l'avait  envoyé  l'année  précédente  (1395) 
pour  soutenir  Savone  conti'c  les  Génois  *,  avait  reçu  de  Char- 
les vr  la  niissioti  de  retourner  en  Loiubardif»;  il  devait  agir 
auprès  du  comte  de  Vertus  qui  clierchait  à  détourner  Gènes 
de  se  donner  à  la  France.  Une  quinzaine  de  chevaliers  lac- 
coinpaj^nait;  ceux-ci  étaient  îi  l.i  solde  du  duc  rrOrléans» 
directement  intéressé  à  la  né/jfuv:i:iUou  avec  Jean  Galéas^.  A 
la  tète  de  cette  colonne,  Henri  de  Har  et  Coucy  descendirent 
en  Itiilie  pour  accomplir  leur  mission  avant  do  regagner  l'ar- 
uiée  confédérée*. 

En  Bavière,  his  croisés  allemands  se  joignirent  aux  Franco- 
liourgtiiifnons  :  c'élaient  surtout  des  troupes  auxiliaires, 
cuinpuséfs  d'Uonmies  de  pied.  .ïemi  do  Nuremberg  et 
I^tbert,  comte  palatin  du  Rhin,  étaient  à  lem*  tète.  A  son 
passage  à  Straubingen,  Jean  de  Nevers  fut  accneilH  et  f<^lé 
par  son  beau-frêre,  Adalberl  ii  do  Bavière,  dont  il  avait 
épousé  la  soeur.  S'il  faut  en  croire  l'autorité  d'Avenlin  "'.  il 
réconcilia  les  deux  frères  Jean  de  Munich  et  Etienne  il  de 
Laiidshut.  de  la  maison  di' Witt<.'Uitach,  qu'un  partJige  avait 
ilivisés.  Mais  cette  assertion  n'est  pas  soutt'nablc,  l'acte 
•rurcord,  en  effet,  fut  conclu  lo  '2h  novembre  1395",  anté- 
rieurement à  répoque  oii  le  comtt?  de  Nevers  était  en 
liavière,  et  ne  mentionne  en  auciuie  façon  Tarbilnige  de 
ce  dernier.  La  piirîicipation  <i'Etienu4^  ii  de  Landshut  à 
l'expédition ,    indiquée    par   un    historien ,    n'est    pas    plus 


28)  s'est  compl^'tomont  trompé  en  fixant  le  dépati  dos  owisés  au  mois 
de  mar«  IH*.ir>  et  leur  arrivée  à  Straubingen  au  25  novembre  de  la 
uiùmo  annt^e. 

1 .  Coucy  àtalx  encore  à  Poi'is  le  18  avril  19%  {Bull,  de  ta  Soc.  aead.  de 
Luon.  xxrv,  '*'). 

'2.  .Vùr.  di  êtoria  flaliana^  XX,  lï>2-a. 

3.  tiuU.  de  la  Soc.  acad.  de  Laon,  xxiv,  'i?-5l,  pièces  (Sitit<'*cs  par 
M.  Mau^iu,  tJrt-CM  do  lu  collection  Joursanvault.  V.  l'Inventaire  de  cette 
collection  (Paris,  Techencr,  1838,  'i  vol.  in-«*)  i,  n*  î24.  —  Ilibl.  nat., 
fr.  nouv.  acq.,  a63y.  pièce  341. 

'i.  Hrauiier.  p.  23;  —  ('roisaart,  éd.  Kcrvyn.xv,  p.  '<Xi)^;~Helifjieuje 
de  Saittt  iknU,  \\,  p.  ViH-30. 

5.  Chvunica,  vui,  510. 

6.  QuetIcH  zar  Unir.  Gcuchichtc,  vi,  5fi9. 


248 


MARCHE  DE  L  ARMKIÎ  KKANCO-BOlUC.LJUNdNNE. 


certaine;  les  sources  bavaroises  sont  muettes  sur  ce  point*. 

On  arriva  ainsi  n  Vienne,  où  les  fè(es  recommencèrent. 
L^opoUI  IV,  duc  d'Anlricho,  qui  avait  ôpousé  la  sœur  de  Jean, 
tint  â  honneur  ilo  recevoir  magnifiquement  son  beau-frère. 
L'avan (-garde,  sous  les  ordres  du  connétable  de  France,  tit 
son  entrée  dans  h  ville  le  jour  de  la  Pentecôte  ('^i  mai  1396). 
Jean  de  Nevor.s  n'aiTiva  qu'un  mois  plus  tard,  avec  ic  gros  de 
l'armée,  à  la  Saint-Jeau  (25  juin)*. 

Le  sire  de  Coucy  et  Henri  de  lîar,  de  leur  côté,  avaient 
assez  proinptement  rempli  leur  mission  en  Italie,  et  s'é- 
taient liâtes  do  quitter  la  Lombardie.  Les  expressions  em- 
ployées par  le  Reli«,Meux  de  Saint  Denis  :  «  legationeque 
«  peniela  ad  cnminiliiones  alicis  timgiiis  ilineribus  eonlen- 
«  derunt'  »  ont  fait  éc^irter,  dans  les  travaux  les  plus  ré- 
cents, la  route  de  Venise  et  de  Dalmatie,  et  supposer  que 
la  coloinm  franeaise  avait  dû  tVancbîr  le  Urenner  pour  se 
joindre  â  Passau  aux  forces  du  comte  de  Nevers.  Il  u'eu  fut 
rien  cependant;  nous  savons,  de  source  certfiine,  que  Coucy 
et  Henri  de  Bar  demandèrent  à  la  république  do  Venise 
(17  mai  I39G)  de  leur  accorder  passage  sur  des  vaisseaux 
vénitiens  jusqu'à  Segna  ',  et  que  le  'J9  mai,  en  leur  présence. 
le  sénat  donna  à  leur  demande  une  réponse  favorable.  Le 
lendemain,  30  mai,  une  galêrt*  était  mise  à  leur  ilisposilion 
pour  les  conduire  sur  les  côtes  de  Dalmatie.  De  là  ils  devaient 
rejoindre  par  terre  l'armée  de  Sigismond  '. 

Nous  ne  connaissons  pas  la  diu'ée  du  séjour  du  comte  de  Ne- 
vers  â  Vienne.  Des  îippruvisionnementj*  pi»ur  l'armée,  farines, 
fourrages  et  vins,  furent,  par  onlro  du  prince,  chargés  sur  une 
flottille  de  soixante-dix  vaisseaux  qui  descendit  le  Danube.  Kn 
mémo  temps,  un  chevalier  llamand»  Gautier  de  Huppes'",  qui 
savait  rallomand,  était  envoyé  en  avant-garde  pom*  faire  les 


1.  Brauner.  p.  23. 

2.  Annales  MctticeMcs  (Mon.  Genn. script.,  ix,  51V): — Chrtmit/ue  fie 
/fflfftfM,  appcndix  (Pez,  Script,  rer.  aush\,  i,  1164).  La  plupart  des 
hibtoriens  donnent  à  tort  la  date  du  2%  mai  (Urauncr,  p.  2'i  ;  —  Kùhlor, 
p.  10). 

3.  RHigieux  de  Saint  Denis,  n,  p.  ^j30. 
i.  Ville  du  Crualio,  «iir  l'Adriatique. 

5.  Urauner,  p.  2i.  —  Asolibach  il,  p.  97),  avait  indique  la  routr  dp 
Venise.  \.  l'icce^  justificatives,  u"  vu. 

6.  Gautier  de  BaufTrcmoiit.  aire  de  Vauvillars,  de  Ituppcs.  etc. 


CONCENTRATION  A.  BCUK. 


249 


logements  ot  prévenir  k»  n>i  de  Honprio  de  rarrivèo  dos 
croisés.  Sigisrnoiid  était  à  Bud(»  quand  il  apprit  la  venue 
prochaine  de  rarmée  franco-bourguignonne  ;  ansait^H  il  s'a- 
vança an  devant  du  comte  de  Nevors,  et  lui  fit  «  nKtuIt  grant 

€  révérence et  à  tous  cculz  du  sanc  royal,  et  aux  autres 

*  barons,  et  tous  récent  à  grant  joye  et  honneur.  '  » 

[1  est  assez  difïicile  de  fixer  l'époque  à  laquelle  l'expédi- 
tion atteignit  Bude.  Les  témoignages  sont  contradictoires 
sur  ce  point.  Kroissart  '  sembb'  indiquer  l«*  mois  t\o  juin, 
Juvénal  des  Ur»ins",  celui  de  juillet  ;  nous  nous  rangeons  â 
cette  dernière  opinion,  qui  nous  parait  de  beaucoup  la  plus 
\raiseniblaMr.  Il  est  dil'ticile.  en  effet,  de  supposer  qu'une 
ïirniéc  considérable,  encombrée  île  bagages,  magnitiquement 
accueillie  â  son  passage  pai*  les  princes  dont  elle  ti-aversait 
les  ét;its,  ait  mis  moins  de  trois  mois  à  parcourir  la  distance 
qui  sépare  Montbéliard  de  Bude  *. 

Bude  était  le  rendez-vous  général,  le  point  de  concen- 
tratii>n  des  forces  coalisées.  C'est  là  ipie  durent  arriver,  eu 
même  temps  que  le  comte  de  Nevers.  Cuucy  et  Henri  de  Tiar. 
Le  contingent  anglais,  dont  nous  ne  savons  que  peu  do  chose". 
les  chevaliers  HospiUiliers,  probablenn-nt  aussi  U^s  pidonai», 
se  groupèrent  là  autour  df  Sigisuiund  et  de  Taritiée  hongroise. 
Le  grand-maître  rie  Uliode»  n'avait  quitté  l'ile  qu'au  mois 
d'atn'it-  Il  s'cndian|iia  sur  It^s  gîilères  de  l'ordre,  toucha  â 
Smyriie  «'t.  pmiajit  terre  vu  Hurope,  rejoignit  le  roi  sans  qu'il 
soit  possible  de  préciser  son  itinéraire  *.  Après  quelques  jours 
de  repos,  la  marche  eu  avant  fut  décidée. 

B;ijazt*t  avait  V)>uhi  la  gut^rre  ;  sa  conduit*^  envers  les 
ambassadeurs  que  Sigismond  lui  avait  envoyés  ne  laissait 
aucun  doute  à  cet  égard.  Le  roi  de  Hongrie  ne  s'y  était  pas 


1.  Livrt:  ftrK  fnitu,  i,  ch.  X-XU»  p.  5tK)-l;  —  Kùhicr,  p.  H. 

2.  Kroi&sart,  éd.  Kcnyn,  xv»  243-'j. 
U.  Juvdnal  des  rritins,  n,  p.  %08. 

V  Kiihler  fp.  11)  adopte  la  mi-juin;  cette  date  ne  concorde  pas  avoc 
celle  du  2'i  juin  donnée  pour  l'arrivée  du  comte  de  Novers  k  Vienne. 

.5.  Vuir  plus  haut,  p.  'J'i^. 

fi.  [Josio,  ItrIVUt.  délia.  S.  reliff.  di  S.  Gio.  Gierot.^  l),  p.  153.  — 
l'IiiliU'rt  lie  NaillBc  était  encore  à  Rho<le!*  le  2  aDÙI  1;KM>;  le  31  du 
niAme  moi»,  Pierre  île  (ulant,  niarérhal  de  l'ordre,  liffiipe  danb  un  «rie 
en  qualité  du  lieutenani  du  ^'rand-niaitre.  T'cr^t  diinr  entre  rt'.s  deux 
date.s  que  se  plfire  h*  liéparl  de  PlèiliU'rt  do  Naiilue  (Vreh.  de  Malle. 
lih.  HhU.  May  ,  xi\ .  f.  t»!  et  135  vj. 


250  ^URCHE  oe  l'armke  coalisée. 

trompé,  et  avait  pris  los  armes  dès  1395,  do  noncert  avec 
Mircea,  \oivode  de  Tnmsylvame,  qui  «Y'tail  rapproché  de,s 
Hongrois,  ci  nvait  fait  alliance  avec  eux  [1  mars  1305). 
Sigisnioiid  voulail  protilor  de  léloignemont  du  sultan  pour 
surprendre  l'emioiiii  avant  la  conceiilratioii  complète  des 
forces  turques,  et  remporter,  à  la  faveur  de  cetfe  circons- 
tance, un  avanta;.'*'  île  quelque  iinporianoe.  LVHénement  jus- 
tifia ce  plan  ;  ParnuV  liongruise,  rassemblée  on  Transylvanie. 
envahit  la  Valacliie,  repoussa  vers  le  Danube  les  troupes  olto- 
manes  auxquelles  la  j^arde  du  pays  était  confiée»  et  apn*s 
avoir  éprouvé  une  sérieiiae  résistance,  s'empara  de  Nicopolis 
[Xico/jolis  rninor  ').  Ces  succès  semblaient  d'un  bon  augure 
pour  la  campagne  prochaine;  la  trahison  de  Mircea  qui,  dans 
un  défilé,  tit  tirer  dos  tlèches  empoisonnées  sur  Sigismond 
routraiit  dans  ses  états,  faillit  tout  compromettre:  le  roi 
échappa  miraculeusement  au  danger,  ei  regagna  PesiJi  pour 
atl4»ndre  les  secours  promis  par  la  chrétienté'. 

Le  sultan,  exaspéré  de  réche<'  subi  par  ses  armes,  avait 
oflficiellenient  dérbuv  la  guen*e  à  Sigismond  dès  le  mois  de 
février  W.iiî,  et  annoncé  sa  venue  en  Hongrie  pour  le  mois  do 
mai.  Quand  l'armée  tU^s  croisés  arriva,  on  n'avait  encore 
aucune  nouvelle  de  Rajazet  et  de  ses  projets  ;  les  espions 
hongi'ôis  m*,  signalaient  sa  présence  tmlle  part  en  Kurope. 

Sigismond  était  d'avis  d'attendre  les  Turcs  en  Hongrie; 
une  gueiTe  défensive  eût  été  favorable  à  une  iirmée  ct>m- 
posée  d'éléments  aussi  divers  que  ceux  de  l'arnuV  coalisée  ; 
celle-ci.  de  la  sorte,  pouvait  s'assurer  l'avantage  d'une 
position  inexpugnable,  et  ne  courait  pas  risque  do  se 
déhiinder  par  une  marche  en  avant  nu  d'arriver  éjuiisée  à 
l'ennemi.  Ces  sages  raisons  ne  furent  pas  goùté(*s  des  cheva- 
liers ;  ils  étaient  venus  pour  frapper  de  grands  coups  d'éi)ée, 
non  pour  attendre  rennenii  d;nix  un  camp  ;  si  l'avis  du  roi 
de  Hongrii'  prévalait,  l'armén  élait  exposée  à  rester  inactive 
peiidant  toute  la  saison.  Un  conseil  de  guerre  fut  tenu  ; 
Coucy  se  fit  l'inlerprète  des  chevaliers  français,  allemands 
el  anglais,  et  la  marche  en  avant  fut  résnlue  '. 


1.  Sur  la  rive  gauche  du  Danulte  (AVcm  Niko/tol^  Tiirnult). 

2.  Szalay,  Gfsch.  Vnt/nm'K,  n,  353;  —  Fessier,  Oesch.  wm  (/Hgarn, 

II.  2»î2-:i;  —  AscbbaL-ii,  i,  tm-:. 

'^■  KuidgùUofcn,  darit  Ue(,a'l,  Oinni.  tlvr  l)ir$ascheH  Stûdle,  Strasz- 


PLAN  ET  OIURCTIK  DES  CROISES. 

Le  but  ^\^i  la  campagne  était  du  chassor  los  Turcs  (rKiiropp, 
ot  l'eiitlmusiasmo  des  <;roisés  no  doutait  pa?^  ti'un  facile  suc- 
cès. Ne  8eiub)ait-il  pas  quo  Bajazi^t  ivdouCàt  d'opposer  sou 
armée  à  la  leur?  Etait-il  téuiéraire  d'espérer  que  IVxpédi- 
tiou  allait  consolider  le  trône  chancelant  des  Palêologues, 
sauver  les  principautés  danubiennes  et  la  Honj^rie  du  péril 
qui  les  menaçait?  Les  optimistes  même,  vo/aieut  déjà  l'Ar- 
ch-ipel  franchi,  et  Jérusalem  délivrée  du  joug  musulman.  Pour 
obtenir  ce  résultu,  la  ville  du  Nicopolis  '  était  le  point  stra- 
têgi(iue  le  plus  imporlanl,  la  base  des  opératious  ultérieures  ; 
maîtres  de  cette  ville,  qu'il  importait  d'enlever  avant  l'ar- 
rivée de  Bajazet,  les  croisés  attiraient  dans  leurs  intérêts 
le  voivode  de  Valachte,  dont  l;i  fidélité  était  dcaiieuse,  et 
le  détachaient  absolument  de  l'alliance  turque  ;  enfin  la 
route  d'Andrin(tple  leur  était  ouverte,  â  condilion  il'agir 
nipidemenl  et  dn  franchir  les  Halkaus  avant  tpie  J'cnnenii 
leur  disputîU  le  passage. 

Pour  atteindre  OrsovaetNicopulis,  le  pl;in  prinutil'dii  roi  rie 
Hungrie  avîdt  été  dn  traverser  la  Transjflvanie  et  d'arriver  â 
Orsova  par  la  Valachie.  Cotte  route,  si  elle  avait  l'avantage 
de  forcer  les  Valaqnes  â  se  joindre  à  roxpédîtion,  avait  Tin- 
convéaient  d'être  plus  longue  que  la  route  du  Danube,  et 
il  importait,  en  présence  des  dispositions  chancelantes 
des  Serbes,  de  ne  pas  leur  donner  le  temps  de  passer  le 
Timok  et  d\i|)érer  leur  junctinn  avec  les  Turcs.  En  oulr<\ 
d'autres  raisons  rléiournèrent  Sigismond  de  prendre  la 
route  de  Transylvanie  ;  il  apprit  que  le  roi  de  Pologne, 
malgré  le  ti'aité  conclu  avec  les  Honjiri^is,  nouait  de  nouvelles 
intrigues  avi*<;  Mircea,  voivode  de  Valachie»  et  avec  le  (ils  île 
ce  dernier;  dans  ces  conditions,  au  milieu  des  défilés  des 
Carpalhes,  la  marchf^  des  croisés  (»nt  pu  être  facilement 
relardée,  au  grand  détriment  de  l'expéditioii  *.  L'armée  coa- 
lisée descendit  donc  le  cours  itn  Danube  jusqu'à  Orsova \ 

Le  passage  du  Danube  eut  lieu  en  amont  d'(  Irsova,  au-des- 


burg,  II.   p.  H54;   —  froissart,  <>d.   Kervyn,  \\\    2-t'l-i; 
faits,  I,  ch.  xxir,  p.  Tt*JO-{  ;  —  Hrauner^  p.  26. 
1.  Xiropitlig  mnjoi'j  kup  la  rive  droite  du  Danube. 


Livre  des 


252 


MARCHE  DE  I.  AR-MEE  COAUSEE. 


SOUS  des  Portes  de  fer.  Il  fallut  huit  jours  pour  mener  à  bien 
cette  opération  que  l'onnemi  n'inquiéta  pas  ;  elle  se  fit  sans 
ordre  etsaus  discipline,  comme  la  niarche  qui  l'avait  pr<*cédêe. 
Les  chroniqueurs  nous  ont  laissé  un  tableau  très  sombre  de 
la  conduite  des  croisés.  En  Serbie,  tout  fut  pillé  et  dévasté  à 
leur  passage,  et  les  dispositions  des  populations,  déjà  peu 
favorables  aux  Hongrois,  n'en  devinrent  que  plus  hostiles. 
D'un  autre  ccHé,  l'arrogante  léffêreté  des  Français  et  leur 
orgueilleuse  présomption  indisposaient  les  habitants,  irritiiient 
les  croisés  des  autres  natiuLs,  et  faisaient  naître  de  continuels 
conflits.  Pendant  la  marche,  pendant  les  campements,  pas 
d'éclaireurs,  pas  d'avant-postes,  pas  do  sentinelles.  Un  mépris 
profond  de  l'ennemi  faisait  négliger  toutes  ces  précautions 
essentielles  '. 

Le  Danube  franchi,  Orsova,  si  Ton  eu  croit  les  témoignages 
liiingi'ois,  fut  facilement  enlevée,  et  ce  fait  d'armes  inaugura 
la  campagne.  Il  st-mblc  qu'il  y  ait  là  une  confusion  qu'il  im- 
t>orte  de  rectifier.  Les  sources  françaises  sont  muettes  sur  la 
prise  de  cette  ville,  et  rhistorieu  hejiigrois  Thwrocz,  qui  a 
t'tuprunté  cette  assertion  a  un  dncument  diplomatique,  a  fait 
iitie  interversion  dans  l'ordre  dans  h^quel  deux  villes  étaient 
iioniniëe.s  dans  ce  docuuienC.  Il  eu  résulte  que  Widdiri  devient 
la  première  place  forte  rencontrée  par  les  Chrétiens,  et 
qu'Orgko  {Orc/iow  ou  Orechovo*)^  la  seconde  forteresse  qu'ils 
trouvèrent  sur  leur  chemin,  ne  doit  plus  élro  idcntitiée  avec 
Orsova,  mais  avec  Kac<»  [Hnchowa^]. 

.Vrrivée  sous  les  nmrs  de  Widdin,  l'ai'mée  chivtienne  se 
préparait  à  assaillir  la  ville,  lorsque  la  garnison,  sous  le  com- 
mandement du  pj'iuce  bulgare,  Sracimir,  fit  sa  soumission. 
On  passa  au  til  de  l'épée  les  quelques  Turcs  qui  défendaical 
la  cité,  et  ou  y  laissa  une  garnison  de  trois  cents  hommes  ^ 
C'est  là  que  le  comte  de  Nevers  et  trois  cents  de  ses  corn- 


1.  K.  Kiss,  p.  280. 

2.  Kejer,  CW.  dipl.  IIhhq.^  ix,  4,  p.  56. 

;i.  Kohlnr,  p.  Il,  MotP  5.  —  Uraunor  (p.  27)  et  K.  Kiss  (p.  279)  citent 
Ortuiva  comme  la  première  ville  pri«e  par  les  croisés.  Jipccek  [Gfseh» 
fier  /iitlf/nrent  p.  X5n)  rectifie  lurdre  dant» lequel  l'année  de»  croisitf 
be  présenta  devant  Widdin  et  Orgko. 

'i.  l'ejcr,  X,  2,p.  420. —ï.c  A*tTcrfM/7ri/jt(r,cli.xxn,  p.59l) l'appelle 
lituidin*.  Sans  donner  le  nom  du  couunandant  dn  la  place,  il  dit  qu'il 
ét^iit  l'iirétien  grec  et  avait  été  ])ar  force  soumis  A  la  dumination  turque. 


PRISK    DE    RACIIOWA. 


25.S 


gagnons  furent  armés  chpvaliors .  Cette  circonstance  corrobore 
ce  que  nous  avons  avancé  plus  haut,  en  prouvant  que  Widdin 
fut  la  promi*^re  ville  forte  qui  arn^ta  les  croisés.  C'est,  en 
effet,  au  moment  où  l'armée  allait,  pour  la  première  fois,  abor- 
der l'ennemi,  qu'il  était  naturt^l,  selon  les  usages  de  la  che- 
valerie, de  créer  les  nouveaux  chevaliers  '. 

L'expédition,  en  continuant  sa  marehe  le  long  du  Danube, 
reuritnira  la  promièrt»  résistance  sérieuse  devaiil  Hîichowa. 
La  ville  était  défendue  par  une  double  ligne  de  murailles 
flanquées  de  tours,  et  par  une  forte  garnison,  prête  à  se  dé- 
fendre courageusement.  Les  chevaliers  frau*;ais.  avides  de  se 
distinguer  au  premier  rang,  et  jaloux  d'avoir  seuls  l'honneur 
de  In  première  affaire,  au  nombre  de  cinq  cents  —  parmi  les- 
quels les  plus  grands  s^-igneurs;  Philippe  de  1?ar.  lec<uiitede 
la  Marche.  Coucy,  le  connétable  d'Ku  et  le  maréchal  Bouci- 
raut,  —  se  hâtent,  par  une  marche  de  nuit,  de  devancer  le  gros 
de  l'armée.  Au  matin,  ils  arrivent  sous  les  murs  ;  les  Turcs 
sortent  de  la  place  pour  détruire  un  pont,  jeté  sur  les  fossés 
et  dont  la  rupture  ei'il  teuu  les  assaillants  à  distance  des  rem- 
paris  ;  une  bataille  acharnée  s'engage  sur  ce  point  et,  après  une 
lutte  assez  longue,  la  possession  du  pont  re3t<»  aux  croisés 
et  au  maréchal  Boucicaut;  les  Turcs  sont  rejetés  dans  la 
ville  par  le  connétible.  Mais,  à  cause  de  leur  petit  nonibn*.  les 
Chrétiens  ne  peuvent  que  maintenir  leurs  positions.  Sigis- 
moiid,  informé  de  ce  qui  se  passe,  leur  envoie  des  renforts  et 
ordonne  l'assaut.  L'orgueil  di>s  Français  s'indigne  de  l'aide 
que  les  Hongrois  leur  offrent.  Boucicaut  exhorte  ses  compa- 
gnons :  «  Certes,  dist-il,  grant  bonle  nous  seroU  se  autres  gens 
«  passoieut  ce  pont  devant  nous  qui  l'avons  eu  eu  garde.  Or 
«  sus  tost,  mes  très  chers  conipaignons  et  amis,  faisons  tant 
«  en  ceste  besongne  que  il  soit  renom  de  nous'  ».  Au  milieu 
d'une  mêlée  furieuse,  Boucicaut  s'elauce  au  premier  rang; 
son  étendard ,  porté  par  Hugues  de  Chevenon,  est  arraché 
par  l'ennemi  ;  Hugues  lui-même  est  culbuté,  avec  l'échelle  à 
laquelle  il  monte,  au  fond  du  fossé.   L'assaut  devient  géné- 


En  13%  le  cwr  Sracimir  fut  pris  par  [tajazet  et  son  fila  se  réfugia 
en  Hongrie  (Fejer,  .\,  2,  p.  418).  —  SchîUberger  léd.  de  Munich,  IBSy» 
p.  5t)  dunne  à  Widdiii  son  ancien  num  Pmiem. 

1,  l.ivn  de*  failxj  i,  cli.  xxu,  p.  5â0-l;  —  Kroisaart,  éd.  Ker^yn, 
\\\  248. 

a.  livre  des  fait tf  i,  ch.  xxm,  p.  59i-2, 


ral  ;  tonte  Tarmée  y  prend  part,  sans  parvenir,  malgré  des 
prodiges  do  valeur,  à  enlever  la  place.  La  nuit  met  fin  à  la 
lutte  ;  le  lendemain,  au  moment  où  les  croisés  se  préparent 
:'i  un  nouvel  assaut,  les  chrétiens  grecs  de  la  ville  se  rendent 
au  roi  île  Uongrie.  à  condition  que  lenrs  vies  et  leurs  biens 
seront  respectés.  Boucicaut.  chargé  de  faire  exécuter  la  con- 
vention, entre  dans  Racliowa  et  livre  à  Sigismond  tous  les 
Turcs  qui  s'y  trouvaient'. 

Le  Religieux  de  Saint  Denis,  en  racontant  ces  faits,  affirme 
que  les  propositions  des  hahitanis  furent  repmissées  et  que 
la  ville,  prise  par  les  tToisés,  fut  livrée  au  pillage  et  au  raïis- 
sacre,  sans  distinction  d'Age  et  de  sexe.  Mille  des  plus  no- 
tables habitants  fuivnt  seuls  épargnés  à  condition  de  payer 
rançon.  Tette  assertion  semble  exagérée;  il  est  vrai  qu'un 
massacre  eut  lieu,  mais  il  ne  porta  que  sur  les  Turcs,  et  ia 
responsabilité  doit  en  retoiidjer  sur  Sigismond,  auquel  le 
maréchal  les  livra*. 

Cette  première  affaire  avait  déjà  fait  éclater  l'antagonisme 
qui  régnait  entre  les  chevaliers  fran<jais  et  l'armée  hongroise; 
les  premiers  avaient  failli,  dés  le  début,  compromettre,  par 
leur  eiilrepivriante  témérité,  le  succès  de  l'expédition  ;  à 
Rachowa,  si  Sigismond  n'était  venu  les  tirer  d'une  position 
critique,  on  ne  sait  quelles  conséquences  eût  pu  avoir  leur 
imprudent*^  conduite.  En  présence  de  symptùnies  d'une  pa- 
reille gravité,  le  roi  de  Hongrie  était  en  droit  de  concevoir 
pour  la  suite  de  la  campagne  les  ci*aintes   les  plus  justifiées. 

Le  récit  du  débu(  des  opérations  militaires  dans  Froissart 
diffère  absolunu'nt  de  celui  des  autres  chroniqueurs.  La  pre- 
mière cité  tunpïe,  dit-il.  que  l'armée  renconti'a  s'appelait  la 
Cornette;  elle  étiût  en  pays  plat,  sur  le  bord  de  la  Mele^; 
après  avoir  été  assiégée,  elle  fut  prise  d'assaut  et  ses  habi- 

1.  Lt'tire  des  faits,  i,  ch.  xxm»  p.  591-3;  —  Juvénal  des  Ursins,  n, 
'iU8;  —  Schiltberjïer,  p.  52.  —  La  ville,  appelée  par  les  chroniqueurs 
Hftco,  Jiirho.  est  aujourd'hui  Hacliowa. 

2.  liefiffieur  de  Saint-Denis  (II.  p.  'i52}.  dont  le  témoi|ïnage  est  très 
suspect  pour  tout  ce  qui  ronrerne  l'expi^dition  de  Jean  de  Nevers.  — 
Ko  Lifre  des  faits,  bleu  qu'ayant  un  caractère  ap'tlo^liqne  h  l'égard 
du  maréchal,  est  des  plus  digups  de  foi  dar>8  s<in  ensemble;  Schilt- 
herfçer  confirme  dans  sps  poiiil.s  principaux  le  récit  du  Lit^re  det 
faits.  —  K.  KîBs  met  sur  le  compte  de  Sl^smond  le  massacre.  Voir 
contre  cette  opinion  Brauner  (p.  28)  et  Kohier  (p.  12). 

'J.  .M.  Kervyn  de  Letlenliove  identifie  la  Mêle  avec  le  Timoi.  fleuve 


CAMPAONE  DES  CR01SK8  RN  Bl'LOARIK.  JiM 

lants  passés  au  fil  de  l^épéf.  Do  U  les  croisés  arriveront 
tlevanl  la  Quarie'  qui  tint  fjuinzi?  jours,  ««t  fui  pillée  par  eux, 
puis  devant  le  château  fort  de  Krehappe*.  défendu  par  un 
Ture  du  nom  de  Corbadas;  au  bout  de  quatre  jours  la  ville 
était  au  pouvoir  dos  Chrètitnis,  niais  le  château  tenait  encore; 
après  -sejit  jours  d'efforts  iautilos,  rarniêe  lova  le  siège  et 
marcha  sur  Nicopoiis\  11  est  difficile  d'imaginer  un  récit 
plus  complètenieiit  difféi-ent  île  celui  dfs  autres  sources. 
Aucun  des  noms  de  ville  n'approche  de  ceux  que  nous  con- 
naissons; les  faits  de  guerre  eux-mêmes  n'ont  aucune  ana- 
logie avec  ceux  qni  nous  sont  racontés  ailleurs.  En  outn\  le 
récit  de  Froissart  contit^ut  des  passages  certainement  roma- 
nesques et  sans  fondement  historique;  telle  est.  par  exemple, 
après  la  levée  du  siège  He  Brehappe.  l'histoire  des  trois  fils 
du  Turc  Corbadas,  Maladius,  Hahcliius  et  Uutliii,  auxquels 
Corbadas  assigue  des  missions  qui  doivent  sauver  leur  patrie, 
missions  dont  ils  s'acquittent  avec  une  précision  méthodique, 
malgré  les  dangers  qui  les  erivironiieut*. 

Il  semble  diuic  qu'en  ce  qui  touche  la  marche  des  coalisés 
l'autorité  de  Froissart  soit  de  peu  île  poids;  pour  admettre 
son  récit  il  faudrait  supposer,  —  supposition  loutr  graluit4\ 
—  qu'il  a  précisément  raconté  la  prise  des  «  cimi  ou  six 
villes  fermé<^s  »  sur  lesquelles  les  antres  sources  sont  mm^ttes, 
et  quelles  n'indiquent  que  par  l'expression  générique  de  châ- 
teaux*. 

Rachowa  prise,  Sigisuniod  y  laissa  uni»  gai*uison  de  deux 
cents  hommc^s,  et  l'arniéo  contiima  sa  marche.  Elle  arriva  le 
I?  septembre'  devant  Nicopoiis,  ville  forte  située  sur  la  rive 

qai  se  jeUo  dans  le  l'anube  au-dessus  de  Widdin,  et  non  dans  la  mer, 
comme  le  dit  Froissai-t.  La  Cornette  devient  alors  no-du-Timok,  petite 
Yille  non  loin  de  rembouchure  du  Timok  ;Fri3is8art,  éd.  Kervyn,  \\\\ 
2M  et  3311  Ces  identifications,  comme  celles  de  la  Quairie  et  do  ïlrc- 
bappe,  pmposéi's  jiar  lom^ine  auteur,  ne  nous  semblent  pas  offrir  assez 
de  r.f^rtitude  pour  Hvr  admises. 

t.  Artarrt,  Imurg  au  sud-ouest  de  Widdin,  aur  la  roule  qui  conduit 
de  cette  ville  à  Helgniltschi  (Froissart,  éd.  Kervyn,  xxtv,  387», 

2.  BflffrnUMrhi.  tmnrg  a  dix  lieuRs*  au  sud>est  de  Widdin,  aur  la 
roule  de  celte  ville  à  Ni«sa  (Froissart,  éd.  Kervyn,  XXIV,  80). 

3.  Froissart,  éd.  Kervyn.  \v,  24(;-9. 

4.  Froissart,  éd.  Kervyn,  xv,  249-5:1. 

6.  Froissart,  éd.  Kervyn,  xv,  251;  —  Thwrocx,  dans  Schwandtnnr, 
Script,  ter.  //unff.,  i.  221-2. 
ti.  Kl  non  le  15,  comme  dit  K.  Kiss  tp.  2HÛ|. 


droite  du  Danube,  dans  une  position  stratégiquo  très  Impor- 
taute,  parce  qïiVIlp  commandait  !a  vallée  de  l'Aluta,  M. 
donnait  ainsi  aux  Turcs  ia  clef  de  la  Valachie;  aussi  le 
sultan  l'avait-il  pourvue  d'une  forte  garnison,  oWnssant  à  un 
hommr»  énergique,  vétéran  des  champs  de  bataille,  Dogan 
Uey,  dont.  l'Age  ne  paralysait  ni  l'activité  ni  le  courage, 
La  place,  en  bon  état  Ht'  dêfi^nse.  bien  approvisionnée  de 
vivres  et  d'armes,  était  résolue  à  se  défi*ndre  jusqu'à  la 
mort. 

L'armée  coalisée  manquait  de  matériel  de  siège,  mais  les 
Français,  qui  avaient  réclamé  le  |iri'mier  poste  de  combat, 
n'en  étaient  pas  inquiets.  Des  échelles,  disail  le  maréchal, 
sont  vite  faites,  et  aux  mains  d'Iiotiimes  courageux  ellen 
valent  toutes  les  machines  de  guerre.  Il  n'en  fut  pas  ainsi 
cep<iiidant;  les  atliuiues  de  vivo  fnrce  échouéreul,  et  il  fallut 
s<»  résigner  à  chang^T  le  siège  en  blocus,  et  à  attendre  de  lu 
faim  le  résultat  que  l'assaut  n'avait  pu  donner.  Une  ligne  de 
n-traiichottieuts  fut  creusée  jusqu'aux  murailles';  du  C(Hé  de 
la  terre,  les  Kraiigais  s'étendaient  en  demi-cercle  autour  d«*  la 
place,  leurs  ailes  appuyées  au  fleuve;  sur  le  Danube,  la  flottille 
coupa  les  communications  des  assiégés  avec  la  Valachie;  les 
Hongrois,  lea  Allemands  et  le  reste  des  coalisés  s'établirent 
dans  un  camp  spécial,  an  bord  du  Danube,  en  aval  de  la 
ville;  les  approvisionnements  des  assiégeants  se  faisaient  par 
U'  tleuve. 

Pendant  quinze  jours  les  U'oupes  chrétiennes  restèrent  sous 
Nîcopolis,  occupées  à  investir  la  ville;  les  chevaliers,  dans 
rinaetiou  forcée  que  leur  imposait  le  blocus,  retournèrent  k 
leurs  délassements  ordinaires.  Festins,  Jeux,  débauches,  fêtes 
de  toutes  natm-es  se  succédèrent  sans  interruption,  au  détri- 
ment de  la  discipline  que  les  exemples  venus  de  haut  rui- 
nèrent jusque  dans  les  derniers  rangs  de  l'armée.  Aucune  des 
précautions  nécessaires  pour  garder  le  camp  n'était  prise; 
les  espions  ne  s'acquittaient  pas  de  leur  mission,  le  sen'ioe 
d'éclnireiu's  était  nul;  les  habitants,  excédés  de  la  pi*ésence 


I.  •  Le  roy  do  llonguerie, . .  tantost  fist  coramencier  n  belles  mines 
<  ]>ar  dessoul)z  terre,  lesquelles  furent  faites  et  menée»  jusque»  à  la 

•  muraille  de  la  ville,  Kt  furent  si  larges  que  m  hommes  d'armer 

•  pouvoient  combatre  tout  d'un  front  {Livre  det  faits,  i,  cli.  xxiv, 
p.  593). 


HECONNATSSAXCE  DU  SIRE  DF.  COrCY-  257 

des  gens  de  gmnre,  ne  se  souciaient  pas  de  les  informer  des 
mouvements  de  l'ennemi,  et  Tannée  vivait  dans  une  insou- 
ciante sécurité  V 

Froissnrt  parle,  pendant  ce  siège,  d  une  reconnaissance 
faite  par  le  sire  do  Coiicy  â  la  tête  de  cinq  cents  lances  mon- 
ti^es.  Celui-ci  était  accompagrné  de  Renautde  Uoye',  de  Sempy™, 
du  châtelain  lie  Beaiiv-iis*.  du  seigneur  de  Montcavrer  et  de 
quelques  autres  ohrvaliers.  I/ennemi  en  force,  au  nombre  de 
vingt  mille  hfuumt's,  gardait  un  défilé;  Coticy,  prévenu  par 
ses  êclaireurs,  détache  cent  lances  qu'il  envoie  en  avant, 
masque  le  reste  de  ses  ti-oupes  demère  un  bois,  et,  tandis 
que  son  avant-gardo  attaqu4'  1rs  Turcs  et  les  attire  par  une 
feinte  retraite  dans  la  plaine,  il  les  pnmd  à  revers  et  en  fait 
un  massacre  considérable.  Ce  fait  d'amies,  ajouto  le  chro- 
niqueur, en  excitant  l'envie  do  ceux  qui  n'y  avaient  pas  pris 
part,  déchaîna  contre  Coucj  bien  des  colères,  et  la  haine  de 
ceux  qui  |p  jalousaient,  parmi  lesquels  lo  connétable,  ne  fit 
que  s'en  accroître*. 

Froissart  est  le  seul  historien  qui  raconte  cet  épisode,  dont 
il  rapporte  tout  Thrumonr  au  siro  de  Coucy.  son  héros.  Il  est 
vrai  qu'une  part'ille  chevauchée  n'avait  en  soi  rien  d'anormal, 
que  le  blocus  laissait  sans  emploi  une  partie  de  l'armée,  et 
(|u'uuc'  ïvconnaissance  harditiient  poussée  pouvait  éclairer  les 
chefs  do  rpxiKHiition  sur  la  présence  do  l'ennemi  dont  ils 
n'avaient  auc\me  nouvelle.  Malgré  cela,  le  récit  de  Froissart 


1.  Livre  de»  faits,  i,  ch.  xxiv,  p.  593;  —  Juvénal  des  Ursimt,  n, 
p.  40H;  —  fieligienjc  de  Saint-Denix,  ii,  494-6;  —  Schiltberger,  p.  52; 
—  Hrauii«r,  p.  29-31  ;  —  K.ihlor.  p.  12-3;  —  K.  Kiss,  p.  28i-2, 

2.  Voir  plus  haut.  p.  2U5. 
U.  Voir  plus  liaut,  p.  T,ib. 

4.  Quelques  raanusciits  de  Froissart  portent:  Beauvoir.  11  s'agit 
probablement  de  Jean  des  Bordes,  châtolairi  de  Q«auvais  à  cause  de 
Ka  femme  Jarqueline  le  Châtelain  de  Beauvaîs  (Froissart,  éd.  Kervyn, 
xxni,  7â). 

5.  Quelques  manuscrits  [lortent  :  le  Borgne  dr  Monlquet.  Il  s'agirait 
alors  de  Guillaume  de  Montquel,  dit  le  Borgne,  tué  à  la  bataille  de 
Niropfilis.  —  Le  sire  de  Moulcavrel  {Pas  do  t'alais,  près  de  Montreuili 
était  un  vaillant  l'hevalier  artésien.  Il  s'était  di&tingué  et  avait  été  fait 
prisonnier  à  l'exp^dilion  de  Gueidre  (ISSK),  avait  combattu  à  la  joute 
qui  eut  lieu  entre  les  «ires  de  Tlary  et  de  Cou rtenay  (13891.  Il  prit  part 
il  la  croisade  de  Jean  de  Xevers,  ainsi  que  sou  jeune  fils,  et  échappa 
an  massacre  de  Nicopolis  (Froi8.*iart,  éd.  Korvyn,  xxri.  220  et  232), 

6.  FroisMUrt,  éd.  Kervjn,  xv,  2ftV8. 

17 


âÔ8 


SIKGR  DK  NICOPOUS. 


ne  doit  être  accueilli  qu'avec  une  extrême  réserve;  il  est  trop 
visiblement  destint>  â  raetlre  on  relief  le  rôle  joué  par  Coucy. 
pour  n'être  pas  au  moins  empreint  de  partialité  à  l'endroit 
de  ce  personnage,  et  les  détails  que  le  chroniqueur  a  donnés 
sur  la  marche  de  l'expédition  n'ont  pas,  jusqu'à  présent, 
revêtu  un  tel  caractère  d'exactitude  qun  ce  nouveau  récit 
puisse  êti*e  accepté  sans  contrôle*. 

Pendant  que  Tarmèe  chrétienne,  trompée  par  les  rapports 
do  ses  émissaires,  croyait  encore  Bajazet  en  Asie,  et  s'en- 
dormait dons  une  dangereuse  sécurité,  celui-ci  apprenait  la 
marche  en  avant  des  croisés  et  se  hAtait  de  rassembler  ses 
troupes  pour  s'y  opposer. 

Ce  furent,  selon  Froissart.  les  commonicatious  de  Jean 
Galéas  Visconti.  mécontent  d'avoir  vu  traverser  par  les 
Français  ses  projets  contre  Géiu's,  qui  instruisirent  Bajazct 
des  mouvements  de  reunerai;  un  autre  chroniqueur  attribue 
ce  résultat  â  une  lettre  interceptée  de  l'empereur  Manuel'. 
Sans  prêter  entièrement  foi  à  rot.te  accusation  contre  Galéas, 
il  est  néanmoins  certain  que  le  duc  de  Milan  entretenait 
aveu  les  Turcs  des  rapports  amicaux,  et  il  n'est  pas  impos- 
sible qu'il  les  ait  informés  de  l'expédition  des  Chrétiens.  Au 
reste,  leur  marche  ne  fut  pas  tellement  rapide  (|ue  Baj.'ixet 
n'ait  pu  en  être  insti'uit  par  les  moyens  ordinaires. 

Il  est  assez  ililiicile  de  savoir  où  se  trouvait  Uajazet  (juand 
la  nouvelle  «le  l'entrée  fie  Sigismond  en  Bulgarie  lui  par- 
vint. Au  dire  de  Froissart,  il  était  au  Caire  auprès  du  ca- 
liphe  d'Egypte,  et  c'est  là  que  le  rejoignit  le  frère  de  Cor- 
badas,  porteur  de  cette  nouvelle;  suivajit  il'autres.  et  ceci 
est  plus  vraisemblable,  il  était  en  Asie  Mineure,  sur  le  point 
de  passer  en  Europe  avec  son  armée.  Les  Dardanelles 
franchies,  il  vint  investir  Constantinople,  mais  la  marche 
en  avant  des  croisés  changea  ses  dispositions.  Il  leva  Je 
siège,  brûla  ses  machines  de  guerre  et  se  hâta  de  marcher 
au  secours  de  Nicopolis*. 


1.  Froissart,  éd.  Kervyn,  xv,  264-8. 

2.  l'roissart,  éd.  Kervyn,  xv,  2.52-4,  et  d'après  lui  le  serviteur  de 
Guy  de  Dlois  (xv,  465)  et  Adrien  de  nut(xv,  413); —Saad-el-Dln,  dans 
Vincenzo  Braïutti,  Chron.  delVoriij.  i,  183. 

3.  Froissart,  M.  Kervyn,  xv,  251;  —  NiBlielwil,  dans  Froissart,  éd. 
Buchon,  lUi  264-5;  —  Saad-el-l>in,  tlaits  Vineenxn  Kratttiti,  I,  183. 


COCNKNTUATION  ET  MARCHE  DKS  Tt'RCS. 

Le  point  de  concenti'ation  de  l'armêo  turque  ôtait  Philip- 
popoli.  C'est  là  que  les  troupes  otit^manes,  venues  d'Asie  et 
d'Europe,  aussi  bien  que  celles  que  Bajazet  amenait  avec 
lui  deConsUntinople,  se  réunirent.  Quel  quefAt  leurnombre, 
et  il  êUit  considérable,  comme  nous  rétablirons  plus  bas, 
il  faut,  ici  encore,  nous  tenir  eu  garde  conti'e  les  exagé- 
rations de  Froissart;  si^  dans  une  certaine  mesure,  des 
contingents  persans  grossirent  les  rangs  de  cette  année,  on 
ne  saurait  admettre  que  la  Lithuanie  et  les  marches  de 
Prusse  envoyèrent  des  secours  au  sultan'. 

De  Philippopoli  deux  routes  conduisaient  A  Nicopolis  par 
les  Balk:ins,  celles  de  la  puite  de  Trajau  et  de  Tatarba- 
zardszick;  elles  descemlaient  aux  vallées  de  l'Osma  et  de  la 
Jantra,  affluents  du  Danube.  0'e<t  en  arrivant  dans  \n  vallée 
de  rOsma  que  Bajazet  (il  sa  jonctirju  avec  les  Serbes  de 
Lazarevich;  ceux-ci  avaient  déjà  pénétré  jusqu'à  la  Jantra; 
ils  se  dirigèrent  sur  Lantcza,  tandis  (|ue  Bajazet.  avec  ses 
janissaires,  prenait  Tirnovo  comme  tibjeotif. 

Les  Chrétiens  étaient  tellement  persuadés  que  les  Turc» 
n'oseraient  pas  Ips  attaquer,  qu'ils  traitaient  de  chimère 
l'ann'tnce  do  li*iir  approdic  ;  par  (►rdn"  du  maréchal  Bimci- 
caut,  les  porteurs  de  pareilles  nouvelles,  accusés  de  chercher 
:'(  ilémoraliser  les  soldats,  étaient  battus  et  maltraités;  quel- 
ques-uns même,  pour  avoir  semé  des  bruits  alarmants  dans 
le  camp,  eurent  les  oreilles  coupées'. 

Il  n'était  que  trop  vrai,  cependant,  que  Bajiuet  approchait; 
Sigisnirjnd.  informé  des  mouveuients  des  Turcs,  se  décide 
à  envoyer  en  reconnaissance  vers  Tirno\o  le  ban  Jean  de 
Mamth'.  avec  un  fort  dét!w;hemenl  hongrois  de  cinq  mille 


t.  Froissart,  éd.  Kpfvyn,  xv,  2M,  ol  Annale*  Mrtîiolanenwtt  iMiira- 
lori,  XVI,  82fi). 

2.  Itfiiiffiear  de  Saint  Drnii,  H,  500. 

3.  Il  ('■lait  ban  «Ir  Marhov  ihanug  Maehovienxii)^  r'esl-à-rliro  goti- 
vernrur  militaire  du  Imnat  silnr  sur  la  rivp  tlruiie  du  Danube,  vers 
lU»l;»rinl«,  iluiis  la  partin  •M^ptontriuiiaU;  il«  la  Sorbio.  >ous  le  voyons 
liguror  en  ftîtlo  i|ualjli-  laulût  seul,  laiitùt  av<>c  Pierre  df;  Poron  et 
Kraurois  Iïel)ok.  dans  (les  actes  de.«i  annt'-es  13^7,  lavs,  1390,  fiOl  et  1409. 
C'était  nn  dos  serviteuiN  les  plus  d('*vûut'*s  de  Si>;ismund  ;  sa  tîdiMité  fut 
rôcomperLiV-e  par  do  iiumbreux  bionfailh  do  i*fllui-ci.  et  par  dos  oonoe»- 
slonsspéoialt'»  que  lui  accorda  le  .Sûint-Siùgo.  Il  vivait  encore  en  1437 
(Fejer,  Cod.  dipl.  Jiung.,  X,  2,  p.  432,  452.  454;  X,  3,  p.  151,210;  X, 
3,  p.  63,  707;  x,  7.  p.  877). 


hommes  environ;  celui-ci  n'a  pas  de  peine  à  reconnaître 
l'ennemi  et  revient  avec  la  certitude  que  le  sultan  est  à  six 
ïuilles  de  Nicopoiis,  à  la  tète  d'une  armée  formidable,  et 
(ju'il  n'j  a  pas  de  temps  à  perdre  pour  éviter  une  surprise*. 

D'autres  historiens  ont  div(^rsement  rapporté  refait.  Schilt- 
berger,  par  exemple,  généralement  fort  exact  dans  se« 
descriptions,  attribue  la  reconnaissance  à  Mircea,  voivode 
de  Valachie,  avec  mille  hommes;  quant  à  Kr«ûssîU't,  peut- 
être  faut-il  voir  dans  l'épisode  dont  il  rapportt^  tout  l'honneur 
au  sire  de  Coucy,  et  que  nous  avons  raconté  plus  haut,  le 
récit  de  cette  reconnaissance:  en  tous  cas,  on  ne  doit  ici  tenir 
aucun  compte  d'un  lémoiguage,  ordiiiairemeni  fort  inexact'. 

Il  ne  semble  donc  pas,  comme  l'ont  dit  plusieurs  chroni- 
queurs, que  les  croisés  aient  été  surpris.  Les  récits  contem- 
porains présentent,  il  est  vrai,  des  contradictions  qui  ne  sont 
pas  toujours  faciles  û  expliquer;  nous  tâcherons  cependant 
de  faire  concurder,  autant  que  possible,  leurs  témoignages. 

Dès  que  le  roi  de  Hongrie  connut  bt  jirésence  de  l'eunemi. 
il  dépécha  un  émissaire  vers  le  camp.  L'armée  était  entrain 
de  diner;  aussitôt,  au  milieu  de  la  confusion  générale. 
chacun  court  aux  armes  «  qui  mieulx  mieulx  >.  Les  tnbles 
sont  renversées,  les  chevaliers  <  [v  vin  en  teste  *  sautent 
à  cheval  avec  plus  d'enthousiasme  que  de  discipline,  se 
groupent  autour  rie  leurs  chefs,  et  rejoignent  à  la  hAte  Sigis- 
juoud.  sous  les  yeux  et  au  milieu  des  plaisanteries  des  as- 
siégés qui  assistent,  du  liant  des  remparts,  à  cette  tumultueuse 
prise  d'armes.  \h  sont  si  impatients  de  combattre  qu'il» 
veulent  marcher  sans  retard  à  l'ennemi,  et  r^ue  les  sages  avis 
de  leurs  chefs  ont  peine  à  arrêter  leur  élan  ', 


1.  In  diplôme  de  Si^^israond  pour  Jean  de  Maroth   (t'iï2l  rapjtarte 

ce  fait  : c^wlnim  Xicojx)lïs  obsfldisset.  pnie<iii;to  Uayazith  irape- 

c  ratare,  eu  lempciro  in  Tliroiiu  (Tirnovo)  ciim  validisjiima  sua  puteiitia 

■  Turcuruiu  existente;  ttinr  ideiu  Joannes,  baiius,  de  noetro  mandalo 

■  ad  explurandam  patenliam  ipsiiis  Bayftzith pruperando  ft  ad 

«  nosiram  ceUitudinem  redeundo,  de  potentia  ipsius  Bayazith  nostram 
a  ceUitudinein  certis&ime  inrormavit  >  iKatoiia,  liUtoria  critica  Heffittn 
ffungarite  (t":9-l8i:t,  iv,  42>).  —  Le  Hfligieux  de  Saint  Denis  (n,  502) 
et  Juvénal  des  l'rsins  (n,  p.  409)  se  trompent  en  disant  (pie  cettn 
mission  fut  dMiliée  au  Palatin  de  Hongrie  (maf/ntut  came»). 

2.  Schiitberger,  p.  52;  —  Kpoissart,  éd.  Kervjn,  xv,  264-8. 

3.  Livre  des  faits^  i,  cli.  xxiv,  p.  593  ;  —  Froissart.  éd.  Kervyn,  xy, 
212;  —  Chron.  anonyme  turque  dans  Froissart,  éd.  Uiiohon,  m,  265. 


C*est  ainsi,  cruyniis-nous.  r|ue  *loit  s'explitiuer  la  coiifusicm 
dont  la  trace  nuus  est  parvenue  dans  la  plupart  des  récits 
contemporains:  la  nouvelle  de  l'approche  des  Turcs,  et  du 
tumulte  qui  s'ensuivit,  doit  éti^e  reportée  à  la  veillo  d(^  la 
iiataille  (24  septenibrf)'.  C'est  à  ce  inoiufut  aussi  que  ae 
place  le  massacre  de  tous  les  prisonniers  précédemment 
faits  par  les  Chrétiens.  Ces  prisonnioi's,  au  nombre  d'un 
millier,  avaient  été  éparjjnés  au  sac  de  Rarhowa  dans 
l'fspoir  qu'on  obtiendrait  d'eux,  une  riche  rançon;  un  pareil 
acte  d'iuhumauité.  surttmt  de  la  pîU't  d'iuinimê-;  ayant  pris  la 
croix  pour  délivrer  rK^^li-ir  <)]>primén  par  les  infidèles,  ne 
s'explique  que  par  un  instant  d'afl'olonicnt.  (juan<l  Tennenii 
fut  signalé,  ou  par  l'cuibarras  de  lu'arder  des  piisojuiÏL'rs  pen- 
dant le  combat.  Eu  outre,  pondant  la  l)ataille.  le  leiulemain, 
Uïius  ne  voyons  |)as  li*  nionimt  où  ce  niassacri'  aurait  pu  ntro 
exécuté.  Quand  le  sanf^-froid  fut  revfiiu,  la  chevalerie  fran- 
çaise eut  horreur  de  sa  propre  conduite;  elle  chercha  non  â 
la  justifier,  mais  à  en  att.i^nupr  l'odieux,  et  cette  prèoccu- 
palinn,  toute  à  l'honneur  des  coupables,  se  fait  joiu*  dans  la 
plupai't  de»  récits  contemporains*. 

Quant  au  conseil  île  guerre,  tenu  par  Sigisniond  et  par 
les  principaux  chefs  de  la  croisade,  il  eut  également  lieu  ce 
même  jour,  dans  la  soirée.  Le  roi  di'  Hongrie  proposa  de 
former  l'avant-garde  de  l'année  avec  les  Vainques  com- 
mandés par  Mircea:  c'étaient  des  troupes  légéi*es,  connais- 
sant bien  le  pays  et  très  aptes  à  combattre  les  Turcs.  En 
outre,  Sigisniond  avait  rnainles  fois  é|irouvé  le  jieu  de  con- 
fianc(^  qu'on  devail  avoir  en  Mircea;  misa  lavant-garde,  le 
voivode  pouvait  moins  facilement  faire  défection  au  moment 
du  danger.  Placées  en  secoml  rang,  les  forces  hongroise», 
dont  ta  soliililé  n'était  pas  beaucoup  plus  cortiine  que  colle 


1.  Voir  phiK  bas,  p.  270,  sur  quelle»  mi^ns  nous  nous  sommes 
iKpptiyé  pour  fixor  au  35  Beptetn))re  la  date  de  la  bataille. 

2.  t'n  pareil  cai>.  malgré  leH  niieur»  de  l'époque,  n'était  pas  dé- 
fendable. Ce  n'est  paseiiinvo(|iiaiit  le  droit  de  tuer  des  mécréants  comme 
tien  rhiens  eiiraftrs,  ou  en  prMeiidayt  que  le»  captifs  n'^iisseiit  pas 
été  eri  nn'sure  de  p;iyor  rariroii.  ou  bien  on  pri>rlamnnt  qu'à  l.t  ^ruerro 
il  ent  tocijnurs  Ituti  lU*  (Hininupr  le  nombre  doK  ennomiK,  (ju'nti  ;u-le  do 
barbarie  snuvîme  |)Ouvait  t^tre  excusé.  {Helii/ieits  tir  Saint  heitt'n,  il,  500; 
—  Juv<!-ual  des  lr>ins,  u,  p.  'lOU;  —  Chrun.  anonyme  lunjuc  dan» 
KroiNkai-t,  éd.  Buclion,  m,  265.) 


REJIST  DL"  PLAN  DE  BATAILLE  DK   SIOISMOXD. 

des  Valaques.  èliiîeiit  mises  dans  rimpossibilitô  de  reculer, 
et  devaient  faire  de  nécessité  vertu.  La  première  ligne  de 
€  la  bataille  »  proprement  dite  était  l'êservée  aux  Français, 
qui  se  trouvaient  .ainsi  opposés  au  corps  des  janissaires, 
adversaires  dignes  de  leui*  vaillance.  Kn  secomle  ligne,  les 
troupes  hongroises,  allemandes  et  bosnia(|ues,  et  celles  dos 
autres  uations.  rlevaient  soutenir  ratia(iue  des  Français,  les 
couvrir  en  cas  de  retraite,  et  résister  aux  partis  de  spahis 
qui,  pendant  le  combat,  sebm  la  tactique  tur(|ue,  ne  ces- 
saient de  harceler  le  liane  de  l'adversaire. 

Les  chevaliers  français,  et  en  particulier  le  connétable, 
n'acceptèrent  pas  le  plan  de  Sio;ismoiid.  Leur  orgueilleuse 
présomption,  qui,  depuis  le  jour  où  l'ordre  de  marche  avait 
été  réglé  à  Bude,  n'avait  manqué  aucune  occasion  de  se  ma- 
nifester, reparut  ici  plus  arrogante  que  januiis.  Un  conné- 
table de  Frauce.  ilirent-ils,  ne  peut  avoir  d'autre  poste  de 
combat  que  le  premier  rang;  lui  eu  assigner  un  autre,  c'est 
vouloir  lui  faire  une  mortelle  injure;  la  noblesse  française 
ne  peut  marcher  qu'à  l'avant-gardi»;  le  roi  de  Hongrie,  en 
la  reléguant  en  seconde  ligne,  veut  avoir  pour  lui  *  ta  fletn- 
«  et  l'honneur  de  la  jnurnée  ».  En  vain  les  chevaliers  d'une 
expérience  consommée,  les  Coucy  et  les  Uoucicaut,  se  ran- 
gent-ils à  l'avis  de  Si^smond.  Ils  sont  t:ixés  de  poltnmnerie 
par  les  plus  fougueux,  et  <iuy  de  la  Trémoille,  inteiiirèle 
do  leurs  sentiinenls,  s'attire  du  vieux  sire  de  Coucy  la  ri*- 
ponse  qu*il  mérilait.  <  A  la  besogne,  lui  tlit-il,  je  montrerai 

<  que  je  n'ai  pas  peur  et  mettrai  la  queue  de  mon  cheval  où 

<  vous  n'osere2  mettre  le  juuseau  du  vôtre  ».  Le  connétîible, 
mécontent  de  n'avoir  pas  été  consulté  le  premier,  se  pro- 
nonce dans  le  sens  opposé,  et  n'a  pas  tie  peine  à  rallier  à 
son   opinion  la  jeunesse   qui    l'i'ntoure.    «  Là  oi'i   vérité   et 

<  raison  ne  pevent  estre  oy>.  il  convient  que  oullre-cuidance 
«  règne  »,  s'écrie  IVniiiral  Jean  de  Vienne.  Mais  ces  sages 
pai'oles  ne  convainquent  persoime;  les  Fi'ançais,  nu  mépris 
de  la  prudenre  et  de  l'expérience,  veulent  être  les  premiers 
à  attaquer  Bajazet,  et  Sigismond,  malgi*é  ses  instances  ré-i 
pétées,  est  forcé  de  céder'. 


1.  Froiasart,  éd.  Kervyn,  xv,  314;  —  Schlltbepficp,  p.  52-:i;  —  Ju^ 
vénal  dci  Ursins,  ii,  p.  WJ  ;  —  lidigieux  de  Saint-Denis,  n,  p.  iOO, 


CHAPITRE  IV. 

ETAT  ET   FORCE   DES   DEUX   ARMEES. 

$igismund  avait  réuiii  toutes  les  forces  de  son  royaume 
pour  lutter  contre  les  Turcs  ;  mais  son  année,  bien  que  nurué- 
riqueiueiït  cousidôrablo,  n'était  pas  homogène,  et  les  éléments 
dont  elle  so  comp<»sait  n'offraient  pas  assez  de  solidité  pour 
soutenir  une  guerre  contre  les  Ottomans.  La  cause  de  cette 
infériorité  .s'expli((uo  facilement.  Au  système  militaire  des  rois 
de  Hongrie  de  la  maison  d'Arpad  f9î)7-l30l),  exclusivement 
fondé  sur  les  places  fortes,  avait  succédé,  sous  les  souverains  de 
la  dynastie  arigevine,  un  nouveausystème,  auquel  les  Hougrois, 
surtout  sous  le  règne  de  Louis  t  (I3i2-82}  avaient  dû  une 
puissance  militaire  de  premier  ordre.  Il  reposait  sur  le  déve- 
loppement de»  divisons  'hnnderinm),  nom  donné  à  des  corps 
de  troupes  levés  et  8oIdé<5  par  le  roi  aux  frais  du  trésor,  et 
par  la  haute  noblesse  militaire  et  ecclésiastique  au  moyen  du 
prodnit  dos  dîmes  et  des  gabelles.  Chacune  de  ces  divisions 
coraprenail  cinq  cents  cavaliers,  et  était  entretenue  par  les 
grands  feudulaires  du  royauuic  en  proportion  de  leurs  biens 
et  de  leur  rang.  A  c»ité  de  cette  force  militaire,  la  petite  no- 
blesse, qui  ne  pouvait  fonrnir  que  le  service  individuel  de  cha- 
cun de  ses  membres  ou  de  deux  ou  trois  vassaux,  était  enr*)lée, 
par  cnintè,  dans  des  corps  de  troupes  de  pied.  Cette  organi- 
sation, toute  oligarchique,  sitivit  le  sort  de  raristocratie  hon- 
groise, et  déclina  lorsque  celle-ci  s'épuisa  pur  des  prises 
d'armes  continuelles  contre  les  Turcs,  aussi  dispendieuses 
qu'inutiles,  faites  dans  le  but  de  consolider  le  pouvoir  royal, 
(juoiquê  ce  dernier  se  fût  fortifié  par  la  ruine  de  la  noblesse, 
il  ue  put  pas,  au  premier  moment,  remédier  à  Taffai- 
blissement  des  furecs  militaires.  Déjà,  sous  Sigismond.  le 
syst<Mne  des  divisions  était  condamné  ;  l'obligation  du  sei"- 
vicô  féodal  ne  s'étendait  pas  au  delà  des  frontières  du 
royaume,  et  les  seigneurs,  épuisés,  refusaient  au  roi  leur 
concours    hors    des    limites  de   leurs  fiefs.   11   fallut   alors 


J 


2ftl 


KTAT  KT  KORCK  UES   IJELX  AK.MEKS. 


recourir  â  d'autres  éléments  pour  donner  au  royaume  la  force 
militaire  dont  il  avait  besoin.  Onles  trouva  dans  une  milice  (wwYi- 
ciaportalttt^)  qui.  à  l'origine,  était  uue  troupe  auxiliaire,  équipée 
aux  frais  des  paysans,  conduite  par  la  noblesse,  et  dont  le  recru- 
tement reposait  sur  le  nombre  de  vassaux  do  chaque  seigneur, 

Kn  1390.  aucun  des  deux  systèmes  n'ét'iit  en  vigueur;  Tar- 
méu  huugroise  traversait  une  époque  de  transition,  et  elle 
était  assez  désorganisée  pour  que  Sigismond  fût  obligé  de 
iv?courir  aux  services  de  merceuaires,  levés  aux  frais  de  la 
couronne,  oircoustance  peu  faite  pour  cousulider  la  force 
d'une  armée  déjà  composée  d'éléments  hétérogènes  '. 

Il  est  assez  difficile,  en  présence  des  chiffres  conlradic- 
toires  fournis  par  les  chroniqueurs,  d'évaluer  lo  nombre  de» 
troupes  hongroises.  Kruissart  parle  de  soixante  mille  hommes", 
le  Religieux  de  Saint-Denis  de  quarante  mille.  Kaut-il.  dans 
ceschifl'res,  comprendre  les  Valaques  qui,  souîs  Ui  conduite  du 
voi\odeMircea,  firent  campagne  aux  côtés  de  Sigismond?  Cela 
parait  probable.  Dans  quelle  proportion,  en  outre,  cavalerie 
et  infauterie  figuraient-elles  ilans  l'armée  hongroise  ?  Si  nous 
eu  croyons  le  Religieux  de  Saint-Denis,  les  gens  de  pied 
étaient  en  grande  majorité,  et  Sigismond  avait  maintes  foU 
proposé  de  les  mettre  en  première  ligne.  Nous  avons  vu.  d'autre 
part,  que  si  le  roi  avait  sous  ses  ordres  d(w  troupes  soldées  et 
des  milices  nationales,  la  cavalerie  fonuait  en  Hongrie  la 
principale  force  de  l'ai'mée,  et  nous  savons  que  Mathias  Corvin 
(  I  i58-90)  fut  le  premier  qui  essaya,  sans  grand  succès  du  reste, 
de  constituer  une  infanterie  hongroise.  Nous  sommes  donc 
réduits  aux  conjectures  en  ce  qui  concerne  la  composition  de 
l'armée  de  Sigismond  *.  Le  chroniqueur  Ulmaim  Siromer,  au 
contraire,  ne  porto  le  nombre  total  des  croisés  qu'à  ireuto 
mille  chevaliers,  écuyers  et  valets  \  mais  il  est  probable  que 
chaque  lance  ou  épéo  représente,  dans  ce  calcul,  deux  à  trois 


'1.  Ce  nom  vient  de  ce  qiicn  Hongrie  la  porta  d'un  villa^o  était 
prise  commit  iinitr  au  rejL,^ard  de  l'impôt,  et  désignait  uni*  apgloini'ra- 
tion  dp  feox  astreints  a  payor  cotleetivemont  les  ctiargcs  fiscales,  t)n 
comptait  par  portes,  oomme  on  France  on  comptait  par  feux. 

2.  K.  Kiss,  p.  265-6  :  —  11.  Moynert,  Das  Kriegsweâcn  der  (mffarn^ 
Vienne,  t876.  p.  5'i-:3. 

3.  Jireïck  (fiesch.  der  Bulqaren,  p.  355)  adopte  i-e  chiffre, 
'i.  Kôhlor,  p,  2^1.  —  Iteliffiruj-  de  Saitit-Dr/iix,  II,  p.  188. 
ô.  Hegel,  Chmn.  der  /fcuUcftffn  SUtdte,  .Niirnbert',  i,  W. 


EFFECTIF  DE  l'ARMÉE  COXUSÉE.  265 

chevaux,  et  par  conséquent  qu'il  convient  d'ajouter  un 
combattant  de  plus  pour  quiconque  avait  trois  ctiovaux. 
puisqu'on  ce  t;as  le  *  pros  valet  *  était  armé'.  D'autres 
auteurs  citent  des  chiffres  plus  cunsidérables;  Sozomètio  et 
Piero  Minerbetti  trente-cinq  mille  chevaliers  ',  la  chronique 
de  Magdebourg  soixante  mille  hummos  \  Fniissartcent  mille 
hommes*,  André  Gai taro  quatre-vingt-dix  mille lionuiie'*,  ilonf. 
soixante  mille  chevaux  *,  le  Livrr  den  faits  cent  mille  che- 
vaux', idris  cent  (nm(e  mille  hommes'  ;  d'autres  clironiquours 
deux  cent  mille  couibattaiits".  11  y  a,  .semblc-t-il,  à  garder,  au 
milieu  de  ces  exagérations  dans  un  sens  comme  dans  l'autre, 
un  juste  milieu,  lin  historien  hongrois,  de  nos  jours,  a  cru 
pouvoir  dresser  un  tableau  de  l'effectif  de  l'armée  coalisée; 
les  chiffres  qu'il  propose,  quoique  ne  reposant  pas  sur  des 
bases  indiscutables,  ont  le  mérite  île  la  vi*aiseiublanco,  ot  il 
semble  i)u'im  puisse  tenir  quelque  compte  de  ce  calcul  : 

.Vnnèe  du  roi  de  Hongrie  etdivi8ions(6^mf/mfl).    3ti  000  h. 

Soudovers  hongrois -^G  000  h. 

Troupes  de  pied  de  Transylvanie Iti  000  h. 

Français " 1  î  DOO  h. 

Croisés  allemands li  IKK)  h. 

Soudovers  allemands  et  bohèmes \'l  OIKJ  h. 

Troupes  valaques 10  000  h. 

iimonnh." 


1.  Kôlilcr,  p.  2;*.  —  Sciiiltbepgor  (ji.  ri;ii,  f|ui  roinpIUftait  tv^tte  fonc- 
tion Auprô^  d'iir)  chevalier  havaroÏK.  raronto  qup  pendant  lo  coml>ai  il 
se  tint,  avec  les  antres  valets,  derrière  le  front  de  hataillo,  cl  que, 
voyant  le  chrval  de  son  maître  tutS  il  courut  à  lui.  lui  dnnua  le  Jiieu, 
et  monta  ensuite  sur  un  eheval  turc,  maiis  cavalior  pour  rejoindre  .sa 
place  primitive.  Il  semblerait,  d'apr^'î  ce  l'f^cit,  que  les  valets  arm(^s  ne 
prenaient  |ias  part  à  l'action,  mais  attendaient  seulement  Umrs  maître». 

2.  Mnnitori.  xvi.  »o:  et  \Wî. 

:t.  Ma^fifhurf/er  Schôfipenchronik^  dans  Chron.  dcr  lieuUchen  Stâdlr, 
xn,  2î»l. 

4.  td.  Kervyn,  xv,  24î. 

5.  fut.  Pailorana  (Mnratori,  xvu,  821), 
fi.  I\  I.  eh.  .v\n,  p.  591. 
T.  (>  lémoignage  est  reproduit  par  Saad-pl-L>in  dans  Vhiconxo 

[trattuti,  I,  tH%. 

8.  Schiltherger  (p.  53i,  pur  une  erreur  maniroslo,  «H'alue  6  soiio 
niillt!  hommes  l'urméo  de-*  croisiia.  NousHavon»  qu'il  faut  lire  .soixante 
mille.  —  V.  Koldcr,  p.  23;  —  Brauncr,  p.  30. 

î».  K,  Ki.<s,  p.  2rtH 


ETAT  ET  KORCE 

Poui"  notre  part,  nous  évaluerions  volontiers  les  forces 
coalisées  à  une  centaine  de  mille  hommes. 

Il  suffît  de  jpter  un  coup  d'œil  sur  la  composition  de  cette 
amn-e,  pour  s'imaginer  ce  que  devait  être  une  pareille  agglo- 
mération d'hommes,  de  nationalités  et  par  conséquent  d'idées 
différentes.  Paur  nn  parler  que  des  Franco-Bourguignons,  ils 
arrivaient  en  Hongrie  avno  l'étalage  d'un  luxe  insolent.  Le 
comte  de  Nevers  et,  à  son  exemple,  tous  ses  chevaliers, 
avaient  rivalisé  pour  s'éclipser  iiiutuellenient.  Harnais, 
armures,  vêtements,  moutures,  tout  était  couvert  d'or  et 
d'argent;  les  bagages  étaient  hors  de  proportion  avec  Tef- 
fectif  des  combattants  ;  pendant  le  parcours,  ce  nV-taient  que 
jeux,  divertissements,  déijuuchi's  de  toutes  sortes,  La  disci- 
pline s'était  relâchée,  et  le  clergé  avait  cherché  à  rappeler 
aux  croisés  le  but  sacré  de  leur  expédition,  les  mena<.'ant  des 
foudres  de  l'Kglise  s'ils  ne  renonraieut  au  genre  de  vie 
qu'ils  menaient.  Oes  exhortations  avaient  été  vaincs  ;  les 
Français  n'eu  avaient  tenu  aucun  compte,  et  airivaient  en 
face  de  l'ennemi  pleins  d'une  folle  arrogance  et  d'une  insou- 
ciante témérité'.  Les  troupos  hongmises,  apf»artenanl  à  d<*s 
nations  diffén^ntes  de  momrs  et  dt'  langage,  d'aspimtiuns 
contraires,  que  réunissait  temporairement  le  danger  commun, 
n'avaient  aucun  lien  entre  elles;  inconnues  les  unes  aux 
autres,  elles  étaieul  dans  les  plus  déplorables  conditinns  pour 
ab<irder  rennerni.  Sur  le  passage  des  armées,  d<'  celle  du 
comte  de  Ncvt^rs  commi'  d(*  celle  de  Sigismond,  tout  avait 
été  jûllé,  et  les  habitants  avaient  subi  les  plus  mauvais  trai- 
tements. Aussi,  malgré  i'îissnraucc  qu'affertaiont  les  chefs  de 
l'entreprise,  un  ubservadMu*  impartial  n'eut  pas  manqué  de 
distinguer  dans  l'armée  des  éléments  hétérogènes,  qui  devaient 
tût  ou  tard  se  désagréger  ou  enti*er  en  conflit  les  uns  contre 
les  autres,  au  grand  déti'iment  de  la  cause  commune. 

L'armée  de  Bajazet  était  loin  de  ressembler  à  celle  des 
croisés.  Excepté  les  Serbes  qui  en  faisaient  parlLe  et  dont  le 
nombre  était  |teu  considérable,  elle  consistait  exclusivement 
en  soldats  musulmans,  qu'enflammait  le  fanatisme  religimix, 
et  que  des  guerres  continuelles  en  .\3ie  et  en  Europe,  tou- 
jours heureuses,  avaient  singulièrement  aguerris.  Les  progrès 


I.  J,  des  iTsins.  ii.  p.  108;  —  Jtelif/iettj: de Saint-Dmiê^  M,  p.  485;  — 
Banuile,  f/ist,  rfw  duM  de  Bourg.,  i,  Uao. 


ORGANISATIOX  DE  L  AKMEE  TUKQCE. 


267 


incessants  de  la  puissance  ottomane  avaient  été  pour  ello  uno 
école  excellente.  Tant  qu'il  pouvait  porter  les  armes,  le 
soldat  turc  restait  à  l'armée.  Pendant  sa  vîo ,  sa  condition 
était  priviléjçiée;  après  sa  mort,  Mahomet  lui  proineilait  les 
félicités  de  stm  paradis,  félicités  d'autant  pins  c<implétes  <\nG 
les  souffrances  endurées  pour  le  service  du  pi'ophèteavaientété 
plus  (çriuides.  On  pouvait  demander  beaucoup  à  des  hommes 
ijoe  soutenait  uno  pjiroilh^  foi. 

L'organisation  de  l'arniée  musulmane  développai!  encore 
ces  ijualilés,  el  en  tirait  un  njer\eilleux  parti.  Klie  compre- 
nait en  effet  des  corps  permanents  de  cavalerie  et  d'infan- 
terie, les  spahis  et  les  janiMsaires,  et  cette  circonstance 
couti-ibua  beaucoup  jiendant  deux  siècles  à  assurer  la  supé- 
riorité de  la  Porte  sur  les  armées  européennes. 

Ciiez  les  Turcs,  comme  chez  les  nations  occidentales,  le 
système  féodal  servait  de  Imse  au  recrutenieni  militaire; 
chaque  flef  d'un  revenu  de  cinq  cents  aspres  devait  foiu'nir 
ai»  caxalier:  ou  évalue,  à  la  fin  ilu  xiv"  siècle,  à  soixante- 
quinze  mille  chevaux  en\iron  l'effectif  de  la  cavalerie  que  le 
sultan  pouvait  mettre  en  ligne  de  ce  chef. 

A  coté  de  ces  troupes,  le  sultan  Urchati  songea,  dès  1327, 
à  organiser  un  corps  d'infanterie,  l'omté  d'éléments  na- 
tionaux; il  le  destinait  spécialement  aux  sièges,  et  en  temps 
de  paix  devait  le  renvoyer  à  la  culture  des  terres.  Ce  pre- 
mier essai  ne  fut  pas  heureux;  il  fut  impossible  de  plier  les 
hommes  à  l'obéissance,  et,  pour  y  réussir,  il  fallut  rec<»urir 
aux  (ils  de  sujets  chrétiens  vaincus  ou  prisonniers.  <^eux-ci, 
grÂce  à  une  dis<*ipline  sévère  et  à  une  é<lucation  militaire 
de  premier  ordre,  ne  tardèrent  pas  à  devenir,  sous  le  nom 
de  janissaires,  le  noyau  de  l'année  ottomane.  Composée  à 
l'origine  d'un  millier  d'hommes  seulement,  cette  troupe 
d'élite  fut  successivemeul  augmentée,  sans  jamais  cependant 
dépasser  le  chiffre  de  dix  à  douze  mille  hommes. 

L<*s  janissaires  touchaient  une  solde  permanente  île  qimtro 
aspres  par  jour,  qui  s'augment^iit  en  proportion  tin  temps  de 
service.  Un  somuiier  était  attribué  à  dix  janissaires,  une 
grande  tente  à  vingt-cinq  ;  leur  chef  s'appelait  «  .Vjassl  >. 

Knconragé  par  les  excellents  résultais  de  cette  org;inisation 
nouvelle.  .Vmunil  i,  successeur  d'Urchan,  voulut  l'étendre  à  la 
cavalerie,  et  institua  le  coi-ps  des  spaliis  de  lu  Porte  (vers 
1376;,  auxquels  il  attribua  une  solde  de  douze  à  quinze  aspres 


KTAT  ET  roitrE  UKH  DEUX  ARMEES. 

par  jour.  Destinés  primitivement  à  former  la  garde  person- 
nelle (lu  sultan,  ils  ne  faisaient  r.jiinpagne  qu'avec  lui.  Plus 
tard,  ils  se  subdivisèrent t;n  plusieurs  cal^'gories,  et  c'estdan.s 
ce  corps  que  furent  ]tris  les  hommes  afiVwtés  aux  divers  ser- 
vices spéciaux,  conime  par  exemple  la  proteoiion  du  j^rand 
é(endarii  et  le  service  d'estafettes.  Leur  nombre  ne  dépassa 
jamais  quinze  mille  hommes.  A  Nicopolis,  ils  élaienl  dix  millu 
au  témoignaffe,  certainement  exagéré,  de  Ducas.  Leur  arme- 
juent  consistait  en  une  longue  lance  à  penumieten  un  sabre 
recourbé;  beaucoup  y  joignaient  la  masse  d'arme». 

Le  reste  de  la  cavalerie  turque,  c'est-à-<lire  celle  qui  se 
recrutait  selon  le  nmde  féodal,  était  diversement  armé. 
Sabre,  arc  i't  javelots  chez  les  Asiatiques,  lanco  ei  bouclier 
chez  les  Européens;  quelques-uns  portaient  le  heaume  et  la 
cotte  d(_*  niailli's.  Les  janissaires  avaient  l'arc,  le  cimeterre  et 
un  poignard  cnurbe;  souvent  aussi  leur  poitrine  était  protégée 
par  une  pièce  de  défense. 

Quand  la  gueri-e  éclatait,  les  Turcs  aiîjoigiKiient  à  leur 
armée  <les  troupes  irrégulières  de  cavalerî*'  et  d'infanterie.  Les 
premières'  ne  recevaient  aucune  .snlde  et  vivaient  de  pillage; 
le  butin  qu'elles  faisaient  leur  appartenait,  après  prélèvement 
de  deux  dixièmes,  dont  l'un  était  destiné  au  sultan  et  l'autre  à 
leurs  chefs.  Elles  faisaient  le  service  d'éclaireurs  à  deux  jour- 
nées de  marche  devant  le  gros  dos  forces  turques,  el  pendant 
la  bataille  leur  place  était  aux  ailes  quelles  couvraient  ;  leur 
effectif  s'éleva  parfois  jusqu'à  trente  mille  chevaux.  Quant  aux 
auxiliaires  d'infanterie',  ils  recevaient  des  communes  ipii  les 
avaient  levi's  une  solde  niensnelle  ili!  jj'uis  duirats.  Ils  élaieul 
armés  d'arcs.  Dans  les  sièges  ou  les  employait  à  creuser  les 
tranchées;  sur  mer,  ils  i*emplissaient  l'olfico  de  rameurs'. 

Le  tableau  que  nous  venons  de  tracer  de  l'armée  ottomane 
montre  quelle  rsupériorité  elle  avait  sur  les  armées  occideu- 
tales.  La  permatience  des  corps  d'infanterie  et  de  cavalerie, 
une  discipline  et  un  armement  excellents,   étaient  des  cou- 

1.  Klles  portaient  le  nom  tV Akirifijii,  et  étaient  armées  comme  les 
spahis. 

2.  Appelés  Azajiis,  il.")  portaient  un  turban  muge  pour  losdUtinguor 
de»  jaiiissniroN. 

a.  Kôhler,  p.  17-21.  (T.  les  historiens  de  l'empirr  ottoman,  de  Ham- 
mor,  Zinkeiscn,  Jonqiiiôros,  etc.,  pour  tout  cv  qui  touche  lurganibO- 
tion  militaire  turque. 


EFFECTIF  I>E  I.  ATUIKR  OTTOMANE. 


2(i9 


ditions  qni,  jointes  au  fanatinino  et  au  fat.ilismp.  musulmans, 
(lovaient  lui  assurer  lu  victoire  conlrn  les  eniu^uiis  dont  ell<î 
allait  affronter  le  choc. 

Au  point  de  vue  numérique,  l'évaluation  des  forces  do 
Hajazt^t  oui  fort  difflfilo;  la  plus  niodérêi?  les  ostime  à  deux 
ri»nt  mille  hommes,  la  plus  éh'vér  a  quatre  cent  milli'\  Ces 
chiffres  sont^  à  noire  avis,  exagérés.  Le  témoignage  du 
Religieux  de  Saint  Denis»  généralement  sujet  à  caution, 
semble,  dans  ce  cas  spécial,  de  natur*»  à  être  adopté,  parce 
qu'il  repose  sur  des  renseignements  dfts  à  des  tt^moins  ocu- 
laires. Kn  éiiuniéranl  h's  différents  t-iu-ps  ottomans,  il  nrrivr  au 
chiffre  de  quatre-vingt-quatorze  luiUe  hommes,  auxquels  il 
convient  d'ajouter  les  troupes  iiTégulières  qui  éclairaionl  la 
n»arche  et  couvraît^nt  les  flancs  de  l'armée  du  sullan*.  N<»us 
avons  pour  ces  deruièrcs  le  chiffr*'  de  huit  nulle  chevaux^,  qui 
parait  très  vraisemblable.  C'est  donc  au  total  environ  cent 
dix  mille  hommes  mis  eu  ligne  par  Bajazet,  c'est-à-dire.  A 
peu  do  chose  près,  lo  mi'-tne  effectif  que  celui  de  l'ainiêe 
chrétienneV 


t.  Srhiltberger  (p.  52),  Trilhemius  (Chron.  SponH..  p.  339).  Pierre 
de  Rewa,  (SotiwarnJtaer,  u.  652),  Froîs^rt  (ôd.  Korvyn,  xv,  Slli.l'ïero 
Mînerbetti  (Tartini,  fier  italic.  Script. ^  n,  36'»).  Vlstoria  Padtfvann 
(Murotori,  xvii,  821)  donnent  le  chiffre  de  deux  cent  mille  hommes;  la 
Chron.  finnnyme  rfe Flandre (Kroïssart,  t^d.  KerNyn,  xv.  'il") et  Saiisovinu 
{Ànnalex  Tnrchenci,  Venise  1.1*3,  p.  213)ilisenttroiscpntmillp  hommes: 
Irr  Annahn  Estfwtp»  (Min-atori,  xviu,  S)'.ih)  quatre  rent  mille  hummeti. 

2.  •  Qiiis  iiiitem  easrt  hostîum  numerns  itivpstif^anti  mirjn  pt  qiie- 
-  renli  (liligeni'iiiti,  vcridirji  mnllorum  Htiç  ilignunun  rplarîono  inno- 

*  mit  qiind  iillra  viginti  (|iiatnor  milia  gregarionim  pnint,  qui  se 
■  primo  coriKpeotui  (  hristianorum  obtulertint.  qiioa  non  longe  snqiip- 
i  baiittir  trifçinta  milia  eqiiestriam  hominura;   BiLsatum  autein,  (|iii 

•  istasciHiiqnadragintHmilibuR  sequebatur,  Chriïiliani  non  videlianl>. 
{fietitfieux  fie  Saint  iJenis,  n,  p.  504. 

a.  ■  Pnmavorat  Itajazitli  mnro  »uo  veiitum  orto  mjlium  •  | Pierre  de 
Uewa  dans  Scliwandtner,  it,  652;  —  Cf.  Justinger,  dans  Kroissart,  ihI. 
Kcrvyn,  xv,  409). 

4.  Noir  Rur  ce  point  Brauner,  p.  33-'i, et  Kùhlar,  p.  22-3. 


: 


CHAPITRE  V. 

BATAILLE    HE'  NICOPOLIS. 

Le  lundi  (?.">  sept.  130G]',  avant  le  jour,  les  Français,  impa- 
tients rie  combattre,  sont  iirêt-*  :i  marcher  à  IVnncnii.  Le  conné- 
table, sans  souci  de  Tarméo  alliée,  sans  attendre  qu'elle  se 
concentre,  sort  du  camp  et  prend  [losition.  C'est  eu  vain  que 
Sigismond  accourt,  à  l'aube,  le  supplier  une  dernièi-e  fois 
d'iiccepter  le  plan  qu'il  proposait  la  veille,  et  de  placer  les 
troupes  hongivdses  à  ra\ant-gariie.  Il  se  heurte  à  l'obstination 
la  pins  présomptueuse*;  à  peine  a-t-il  quitt*'»  le  camp,  que 
le  connétable  donne  le  signal  de  l'attaque.  Il  a  sept  cents 
chevaliers  environ  sous  ses  npdres  ;  il  les  divise  en  deux,  corps; 
lui-même  prend  le  eoinmandenn'nt  tïi'  Tavant-garde,  le  comlo 
de  Ni^vers  et  Coucy  celui  du  centre,  .leun  de  Vienne  déploie 
la  bannière  de  bi  Vierg<\  «  la  smiveraint'  de  touU's  1rs  autres 
€  et  leur  ralliance  »  ;  le  grand-maître  de  Uhodes,  avec  rêlite 
de  ses  chevaliers,  est  au  milieu  des  forces  françaises.  Tous 

1.  En  présence  des  contradictions  que  présentent  les  témoîgiiage»i 
oontemporains,  la  date  de  lu  hatutlU*  est  dit'Hcile  à  fixer.  Les  sources 
françitises  (R«*liyieux  d«»  Saint-Oeiiys.  Kroisjiart)  di^u^nt  que  le  dernier 
dimanche  de  septembre  i24  sept.)  l'arrivée  de  Gajazet  en  vue  de  Nico- 
polis  fut  ofSciellement  connue,  et  que  le  lettdeiuaii)  (lundi  25  t«ept.)  le 
choc  eut  lieu.  Quelques  sources  allemandes  donnent  des  dates  dilTè- 
rentes  :  les  Annales  mellicenses  (Pertz,  Mnn.  Germ.t  i.v,  5t4l  el  le 
rontinuateur  de  Dethmar  (F.  11.  Cîrautofl",  J)ie  Lùheekischen  Cfirtmiken^ 
Hamhour^,  1S2M-30,  l,  451),  celle  du  24  septembre;  Posil^e.  celle  ilu 
29  (»aint  Michel);  lUmnn  Stninier,  relie  du  28  (jt^udl  avant  la  Kaiiit 
Michel}  d'afcurd  avec  rin.srriptlon  de  l'église  de  Hrassovia  en  Transyl- 
vanie (Schwandtner,  n,  RHii).  Main  Konigstiofen  et  la  continuation  de 
la  chronique  de  llngen  rappurteni,  comme  les  têninifriia^'^'s  français. 
In  hataille  au  lundi  avant  ta  saint  Michel  (25  sept.)  :  Justinger  (Chron. 
de  Berne^  citée  dans  Fr-oissart,  éd.  Kervyn ,  xv,  410)  donne  la  même 
date  (die  S.  Firtnini,  npisc.  ei  martyrisa,  t'es  (["uiy  dernières  autorités 
rendent  tuute  hésitation  impossible,  et  nous  permcUont  d'adopter  avec 
certitude  la  date  du  lundi  25  septembre  13%. 

2.  lieligitux  tU  Saint- fienis,  n,  p.  502. 


POSITION  DES  DEITC  ARMÉES.  271 

s'èlancont  à  ronnemi,  pleins  d'enthousiasme  et  de  bravouro, 
aux  cris  répétés  de  :  vive  saint  Denis,  vive  saint  Georges'. 

La  champ  de  bataille  s'étend  au  sud-ouest  de  Nicopolis*. 
C'est  une  plaine,  limitée  à  l'ouest  par  les  derniers  contreforts 
tics  Balkans,  ù  Test  par  l'Osma,  sur  une  longueur  d'environ 
deux  lieues;  â  peu  près  au  milieu  de  la  plaine,  un  léger  mou- 
vftinent  de  terrain  indique  la  ligne  de  partage  des  eaux  du 
Danube  et  d*'  oiillrs  iW  rOsnia.  T'est  entre  la  ville  assiégée 
et  cette  ligne  qu'eut  lieu  le  choc;  les  croisés,  tournant  le  dos 
aux  remparts,  marchaient  au  devant  des  Turcs  qui  descen- 
daient des  Balkans  au  secours  de  Nicopolis. 

Nous  venons  di^  voir  i(ue  lavanlgardo,  composée  de 
Français,  infanterie  et  cavalerie,  était  déjà  aux  prises  avec 
l'ennemi.  En  seconde  ligne,  l'aile  droite  était  f<)rniée  de 
troupes  choisies  sous  les  ordres  d'Etienne  L'iczknvii-h';  le 
centre,  en  allant  do  droite  â  gauche,  comprenait  la  division 
du  palatin  Nicolas  de  Gara*,  principalement  composée  de 
cavalerie  ibanderia)^  celle  des  contingents  do  Bohême,  com- 

1.  Annales  Mediolanenxes  (Miiralori,  xiv,  p.  H26). 

2.  \\  n'y  pas  (I«  ilùute  iK>!*sib!e,  malgré  les  liypnthéttcs  contradictoires 
lies  historiens,  sur  la  pusitlon  du  champ  ilf  bataille.  Il  rst  im|)ossible 
qu'il  s'agisse  de  la  ville  iIp  Nicupolî»  situer  sur  la  rive  gauche  \\\x 
Danubo  (Xicopolin  minor,  Turnnll}  et  qui  fut  anti'TJf^uri'ment  plu- 
Meurs  fois  prise  et  reprise  par  les  Turcs  et  le«  L'iiréliens.  Les  témoi- 
gna^e.H  sont  fornieU  sur  c«  point.  Il  est  ('ipalemeni  inailinissible  que  la 
i]alaille  ail  eu  lieu  près  do  Tirnovo,  sur  l'emplacement  de  la  ville 
nunaine  ilt:  Moojwlis  {Xicopoiis  ad  ilaemttm,  près  de  \'ikjup\,  au  eon- 
fluent  de  la  Httssitza  et  delà  Jaiitra.  Maljj:n^  le  ti^moignafred'un  anna- 
liste serbe  contenu  dans  un  manuscrit  citt*'  par  Jirecek,  malgrt^  les 
ruines  et  la  pyramide  qui  subsistent  enrure  à  .Nikjup  et  qui  siMnblent 
rappeler  le  souvenir  Je  la  victoire  des  Ottitmaiis,  il  est  certain  que  la 
ville  était  dt'îjà  riiîm^e  au  xrv*  siècle,  et  que  pendant  le  moyen  Age 
aucun  centre  d'habitation  n'exista  à  cet  endroit.  V.  en  faveur  de  celte 
opinion  :  Simon  {SUsungtberiehtetx  der  Mùnch.  Akad,  1869»,  et  Jirecelt 
{Geêt^h,  der  Utdgartn^  355),  et  contre  elle  :  Bi*aiiner  ip.  29)  Kôhlcr 
(p.  17)  et  K.  Kiss  (p.  28^iK —  K.  Kanitz  {Ûonau-Ùatgarien^  Leipzig,  1875, 
U,  189]  a  décrit  remplaeemcnl  do  ta  bataille. 

3.  Laczkovich  commandait  les  troupes  do  la  Transylvanie  dont  il 
était  voivode.  Partisan  secret  de  t^diidas,  compiîititeur  de  Sigîsmond, 
il  trahit,  comme  Lazarevicli,  la  cause  chrétienne. 

4.  .Nicolas  de  Gara,  grand  palatin  de  Hongrie  {magnug  cornes)  flguro 
avec  C4>  titre  dans  des  actes  de  I3TG,  1402.  I'«:u.  C'était  une  des  per- 
sonnalités militaires  les  plus  considérables  du  royaume.  11  rendit  à  la 
couronne  de  tels  services  en  Aragon  et  en  France  que  Charles  vi 
(14161  et  Sigismond  (i41ti)  lui  c-oncèdèrent  le  droit  d'ajouter  à  ses  ar- 


mandée  par  le  comte  de  Cîlly',  et  les  troupes  allemandes 
obéissant  au  comte  de  Nuremberg'  ;  à  l'aile  gauche  se  trou- 
Yair»nt  los  Valaqwes  i*l  Inur  vc^ivode  Mircea. 

L'armée  turque  élail  disposée  sur  tmis  lignes;  la  première 
comptait,  outre  une  cavalerio  irréguliére  (ravatit-garde.  une 
vingtaine  de  mille  Inunnies  de  troupos  do  pied  ;  celte  infanterie 
légère  éclairait  le  gros  de  l'année  à  trois  kilomètres  environ 
en  avant  de  la  secondt*  ligne.  Celle-ci  comptait  treize  mille 
hommes,  les  spahis  aux  ailes,  les  janissaires  et  l'iiifanterie 
asiatique  au  centre;  eniîn,  en  réserve,  quarante  mille  janis- 
saires et  spahis  de  la  PoHp,  c'est-à-dire  l'élite  des  troupes 
ottïimanes,  la  garde  persiumello  du  sultan,  étaient  prêts  à 
ftppu^'er  les  deux  premières  divisions;  enOu.  à  Taîle  droite, 
mais  Nfi  peu  éloigné  du  reste  de  rarmée,  Lazarevich  avait 
cinq  mille  Serbes  sous  ses  ordres. 

Le  premier  choc  a  lieu  entre,  les  deux  premières  ligues  des 
armées  ennemies.  Les  Turcs  ont  taché  aux  cndsés  par  un 
rideau  de  cavalerie  la  vue  des  pieux  qu'ils  ont  plantés  pour 
briser  les  charges  de  la  cavalerie  chrétienne,  en  avant  do 
leur  seconde  ligue.  Les  Français  s'avancent  en  bon  ordre 
contre  la  cavalerie  légère  turque,  qui,  toujouz's  en  mouvement, 
AQ  dérobe  à  une  attaque  régulière;  elle  harcèle  le  flanc  de 
rennemi  en  marche,  le  retarde  dans  ses  mouvements,  et 
s'échappe  tt»ut  à  coup  pour  se  reformer  deiTièro  la  seconde 
ligne  (les  Turcs,  en  démasquant  l'infanterie  mu.sulmane,  pro- 
tégée par  les  pieux  dont  il  vient  d'être  question. 

Ci>tte  défense  s'élentlait  devant  tout  le  front  de  l'armée 
turque;  elle  se  composait  de  pieux  <  plantés  eu  biesant  », 
les  pointes  tournées  vers  l'ennenii,  à  hauteur  du  poiti'ail  des 
chevaux;  elle  mettait,  par  sa  largeur,  ceux  (ju'elle  protégeait 
à  Tabri  des  coups  de  lance  donnés  par  un  adversaire  qui  ne 
l'avait  pas  franchie '.  Au  ton  avec  lequel  le  maréchal  s'ex- 


moiries, — qui  étaient  d'or  à  un  borpnnt  tenant  dons  sa  gueule  on  globe 
surmonté  d'une  croix  d'or  et  entouré  de  flammes,  —  un  cimier  oom- 
poifté  d'un  heaume,  ei  limliré  d'une  couronne  d'or,  de  laquelle  partaient 
des  rayons  et  des  lambre(|U)ns  de  façon  k  suutenir  et  à  encadrer  l'écu. 
Ilmourulavant  l438iKejcr,  Cod.tlfpl.  Humj.^  vn,  3,  p.  135;  x,  î,p.  178; 
X.  5,  p.  563,  74t;  x,  7,  p.  518. 

1.  Voir  plus  haut,  p.  240. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  240. 

3.  Le.s  historiens  modernes  ont  difTèremment  disposé  cet  trois  Hgnea, 


HATVtl.I.K    lir    N'U'OPCiî.IS. 

pnine  sur  ce  point,  on  peut  juger  du  dépit  que  dorent 
éprejuver  les  chefs  français  quand  ils  aperçurent  cet  obstacle. 
«  lïs  firent,  dit-il,  cel  exploit,  où  ilz  ne  mirent  pas  graut 
«  pièce,  car  assez  avoient  unleiui^s  gens  qui  do  les  ticher 
«  s*entremettoient.  >  Tels  qu'ils  étaient,  ces  pieux  étaient 
une  protection  eftioace.  Arrivés  en  bon  ordre  devant  la  ligne 
ennemie,  les  (^lirtHitMis  sont  aci^ueillis  par  une  grêle  de  trait-*, 

<  par  si  grant  raniion  et  si  drainent  que  oucques  grésil  ne 

<  goûte  de  pluye  ne  cheyrent  pins  espessement  du  ciel  que 
*  là  cheoient  floches.  >  Ku  quelques  instants,  hommes  et 
chevaux  en  grand  nombre  sont  mis  hors  de  combat.  Les 
croisés  hésitent  un  instant;  à  leurs  côtés  les  Hongrois,  qui 
ne  savent  pas  combattre  en  bataille  rangée,  commencent  à 
reculer  devant  les  traits  dont  les  couvrent  les  vin;ft  à  trente 
mille  archers  turcs.  Le  maréchal,  sans  souci  des  marques 
de  défaillance  que  donnent  les  contingents  hongix)!»,  sans 
souci  de  J'ubstacle  qui  le  sépare  de  l'ennemi,  juge  la  gra- 
vité de  la  situation,  et  comprend  qu'à  tout  prix  il  faut 
continuer  à  marcher  en  avant.  <  Nous  laisserons-nous, 
«  s'écrie-t-il.  tuer  ici  lâchement  :  courons  à  l'ennemi  pour 
«  éviter  ses  flèches.  »  Le  comte  de  Nevers  et  toute  l'armée 
se  rallient  à  ce  conseil  ;  les  pieux  sont  franchis,  non  sans  de 
grandes  pertes  d'hommes  et  de  chevaux  ;  l'infanterie  turque 
cependant  résiste  toujoui*s,  elle  ne  se  laisse  entamer  qu'apivs 
un  combat  héroïiiue.  Sans  armures  pour  se  protéger,  elle  cède 
à  la  supériorité  de  l'armement  des  t'Iiréliens  et  :i  Ifur  valeur 
indomptable;  après  avoir  perdu  une  dizaine  de  mille  hommes, 
elle  se  retire  derrière  la  cavalerie  de  la  seconde  ligne  pour 
se  reformer'. 

L'armée  chrétienne  se  trouve  alors  engagée  au  milieu  de 
l'ennemi,  dont  les  ailes  menacent  de  la  déborder;  en  arrière 
elle  n'est  plus  soutenue;   les  Hongrois,  quand  ils  l'ont  vue 


mais  les  distinctions  de  détail  qu'ils  ont  établies  laissent  subsister  les 
points  capitaux  de  la  bataille.  —  V.  K.  Kiss,  p.  384-5;  —  Hraaner,  p. 
41-2;—  KÔhler.  p.  27. 

1.  Jieiifjieitx de  Snittl-lhniit^,  U,  5U'i-6  ;  —  /.ivre de»  fails^  il, ch.XMv, 
p.  59'*  ;  —  Kuriigslioft'ii  (Mone.  Qucttrnxnmmluny, ti\yâil\  ;  —  Chromipte 
de  Berne  léd.  Kepvyn  dîins  l*roi»sart.,  xv,  409)  :  —  Gobellnus  Persona 
(Meibom,  lier.  Germanie.,  Helnibtailt,  1688,  m,  287). 

2.  Reliijiettx  de  Saint-fttniit,  n,  504-6  ;  —  Livre  de»  faiu^  i,  ch.  xxiv, 
p.  594. 


r,K-s  c?*ft;sivs. 

onclievestiv**!?  ^s  pioux  ».  ont  pris  la  fuite  au  liou  d*ap- 
jiuycr  son  mouveinpiit  ufîensif  ;  seul  Nicolas  dp  Gara,  grand 
palatin  de  Hongrie',  a  maiutenu  ses  troupes  et  marché 
on  avant,  mais  le  contingrnl  dont  il  dispose  est  insuffisant 
à  enipi^cher  un  mouvement  enveloppant  de  la  part  des  Turcs. 
Les  chef»  français  voient  le  danger,  mais  ils  sont  trop 
nvancés  potir  avoir  le  temps  de  inoculer  eu  bon  ordre  jus- 
qu'à leur  ligne  de  soutien.  Une  attanue  audacieuse  et  ra- 
pide peut  seule  conjurer  le  péril  ;  sans  ÏK^sit^T,  ralliant  leurs 
troupes,  ils  poursuivent  leur  marche  :  les  spahis,  ébranlés 
par  la  retraite  de  l'infanterie  en  déroute,  sont  culbutés  ;  malgré 
leur  valeur,  malgré  rexcellenee  de  leurs  montures  et  de  leur 
nruiement,  le  reste  des  tniupes  turijues  n'offre  plus  aux 
Chrétiens  victorieux,  une  résistance  aussi  opiniâtre  ;  la  seconde 
ligne  do  Tannéi'  de  Bajazetest  rompue,  cinq  mille  Musidman» 
sont  hors  de  combat*. 

C'est  à  ce  moment  que  les  croisés,  profitant  de  leur  avan- 
tage, et  mometitanémeut  d(?gagés  par  TefTort  qu'ils  venaient 
de  faire,  auraient  dû  se  retirer  en  bon  ordre  sur  le  gros  de 
rarraée  alliée,  qui  se  raoltiit  on  mouvemont  pour  les  appuyer. 
Bajrucet.  de  son  c<»té,  avait  été  déconcerté  par  rinipétuosité 
do  l'attaque  :  ses  troupes  étaient  ébranlées,  et  tandis  qu'il  les 
ralliait,  les  Français  pouvaient  se  replier  sans  être  înquiéU?^. 
Il  semble  que,  dans  cette  funeste  journée,  les  conseils  de  la 
prudence  durent  loujours  céder  aux  suggestions  de  la  plus 
Folle  présomption.  Les  chevaux,  sous  leurs  lourdes  armures, 
!Mmt  épuisés  ;  la  chaleur  accable  les  combatUints".  Les  plus 
eKp<^'rimentés  sont  d'avis  de  ne  pas  compromettre,  par  un 
second  mouvement  offensif,  le  résultat  de  la  journée  ;  mais  le 


1.  Voir  plu»  haut,  p.  2"l, 

2.  Rcligifux  de  Saint- Deniit,  it,  506- 8  ;  —  Livre  dei  faits,  i,  ch. 
x.xiv,  p.  59'i-.'i  ;  —  bucuH,  lUit.  Bij:ant,^  ohap.  xni;  —  Pofcilge,  Script, 
rer.  PruM.  ui,  208. 

3.  Lf»  souries  hotigniises  affirment  r]ue  Ift  chcvalerin  mit  pi^d  à 
Iprrc  ot  combnuit  ilft  la  mvie,  Uinn  de  paroiJ  n'est  indiqué  par  les  chro- 
niqueurs français.  Il  y  a  ropciulanl  lieu  tic  tenir  cotnple  iln  ra.s«ertion 
dos  historien»  hongruis  ;  si  i-lle  re^lo  incertiiine,  elle  <'st  du  moins  con- 
forme awx  n.>;ij;f\sdes  i^uerriurs  d».*  cette  époqur.  et  Hunble  ronlirrnéf 
par  uu  délai!  t'uipruntr*  au  Uctt^ioux  diî  Saint-I>nnis  ;  nnus  savons  jmr 
lui  qu'avunt  la  Imiaillo  le»  chev-iliors  roupiT^nt  hnirs  poiilainca, 
longueu  dft  deux  pU-d»,  alin  d't^lre  plus  à  j'ftlso  pour  coniIiaUrt'.  V.  sur 
ce  iwint  Ktihlt^rip.  25j. 


îïATAIM.K  DK   XICOPOLIS. 

connétable  s'obstine  â  vouloir  poursuivi*e  ce  premier  succès; 
il  fait  fie  nouveau  aonnor  la  charge,  et  les  croisi?s  sVIanceitt 

à  la  pciiTHuiln  des  fuyards.  Quand  ils  arrivent  au  sommet 
d'une  légère  colline,  dont  les  Turcs  avaient  défendu  les  rampes, 
le  spectacle  change.  Bajazet  est  dans  la  plaine  avec  une 
armée  de  f|uaraute  mille  hommes  '  ;  ce  sont  ses  troupes 
d'élite,  les  janissain-s,  (jui,  ilaiis  les  guerres  d'Asie,  lui  ont  si 
souvent  assuré  la  victoire  ;  il  les  a  tenues  jusqu'alors  en  ob- 
serve :  rassuré,  jiar  les  rapports  do  ses  lieutenants,  sur  le 
petit  nombre  (rennemis  qu'il  u  devant  lui,  il  les  t*branle 
pour  envelopper  les  croisés.  Ce  iiiouveuient  jette  parmi  ces 
dernitTS  le  plus  f^Tand  effroi  ;  un  corps  ottoman  débouche  à 
ce  moment  sur  leur  droite  et  porte  la  panique  à  son  comble; 
malgré  Tordre  de  leurs  chefs  ils  ne  peuvent  ni  reprendre 
leur  rang  de  bataille,  ni  tirer  les  tîpées  du  fourreau.  C'vat 
une  confusion  inexprimable;  elle  gagne  le  gros  de  l'armée; 
A  l'aile  gauche  Mircea,  à  l'aile  droite  Krienne  Laozkovich. 
se  retirent  ;  au  centre  les  Hongrois,  cédant  à  l'effroi  général, 
lîtchent  pied'. 

Seules  des  corps  hongrois,  les  lro?i|>es  du  gnunl  palatin  ne 
sont  pas  ébranlées;  i\  leurs  côtés  le  comte  rie  Cilly  maintient 
également  les  soudoyers  allemands  et  bohèmes  qu'il  com- 
mande ;  c'est  un  noyau  d'envinm  douze  mille  hommes  qui 
peut  sauver  la  journée.  Ils  attaquent  hardiment  les  Turcs; 
les  janissaires  Héchissent,  les  spahis  reformés  entrent  en 
ligne  et  le  combat  reste  longtemps  indécis.  Les  Fran<;ais 
soutenus  reprennent  courage,  mais  les  Serbes,  sous  la  cim- 
duite  d'Etienne  Lazarevich,  se  sont  réservés  jusqu'au  moment 
où  le  succès  se  dessine  en  faveur  des  Musulmans;  ils  se 
décident  alors  à  les  secourir,  et  attaquent  Niiîolas  de  Gara. 
L'effectif  des  troupe^  serbes  ne  nous  est  pas  connu;  Schilt- 
berger  le  fixe  à  quinze  mille  hommes,  évalution  évidemment 
exagérée  si  l'on  songe  que  Lazai'evich,  par  le  traité  de  138!) 
conclu  avec  la  Porte,  n'était  tenu  qu'à  mettre  sur  pied  cinq 
raille  hommes,  et  qu'il  a  dû,  en  fait,  rester  au-dessous  de  ce 
chiffre.  C'est  donc  un  renfort  d'environ  cinq  mille  hommes 


1.  Ducas  {Ifiitt.  Bycanl,,  chap.  xni)  donne  le  chinTre  d^.  dix  mille 
KpahiK. 

2.  flr/if/iVttar  tir  Snint-fhnis,  n.  508-10:   -   Livre  thn  fait»,  |,  ph. 
XXIV,  p.  5*»5. 


PEETE    un    I.A    UATAILLE    J'Att    LliS    CHRKTIliNS. 


277 


(le  troupes  Craîches  pour  Bajazet.  Malgré  des  prodiges  de 
valeur,  ta  batailli'  est  perdue  pour  les  ClirtMieus  ;  rinterven- 
tion  des  Serbes  est  décisive,  et  Sigisuïuud,  à  la  tète  de  ses 
troupes,  se  retire  en  désordre  sur  le  Danube. 

Les  chroniqueurs  français  ont  généralement  attribué  à  la 
fuite  des  Hongrois  la  rcsponsabilitfî  du  désastre;  cette  asser- 
tion no  saurait  être  accoplée  sans  réserves.  S'il  est  vrai 
que  les  alliés  de  Sigismond,  [bulgares  et  Bosniaques,  aient 
liWIié  pied  sans  combat;  s'il  est  également  certain  qu'une 
partie  des  auxiliaires  hongrois,  effrayée  par  le  désordre 
de  la  mêlée,  par  la  fuite  des  chevaux  sans  cavaliers  et  des 
valets  d'armée,  ait  cédé  à  une  panique  subite,  il  faut 
reconnaître  ([ue  les  troupes  aguerries  de  Sigismond  ont 
bravement  fait  leur  devoir.  Le  roi,  à  leur  tète,  avec  ses  lieu- 
tenants les  plus  dévoués,  Nicolas  do  Gara',  Nicolas  de  Ka- 
nysa,  archevêque  de  Gran'.  les  Kozgon*.  Forcacz*,  le  ban 
Jean  de  Maroth'.  le  comte  do  Cilly*,  a  tenté  un  effort  suprême 
pour  dégager  les  chevaliers  français.  Pour  les  sauver,  il  a 
réuni  à  ses  troupes  les  croisés  allemands  et  polonais,  et  sa 
tentative  eiH  réussi  sans  l'arrivée  décisive  des  Serbes  sur  le 
champ  de  bataill<î  ;  c'est  duiit:  plulnt  à  l'outrecuidauce  fran- 
çaise, â  la  témérité  sans  excuses  du  connétable  et  de  la  jeu- 
nesse guerrière  qui  le  soutenait,  que  revient  la  perte  de  la 
journée. 

Pendant  que  Sigismond,  dans  un  supn'Mne  effurl.  tenfjiit, 
comme  nous  venons  de  le  voir,  de  rétablir  la  bataille,  les 
Français  faisaient  des  prodiges  de  valeur.  «  Oncques  cenglier 
€  escumant  ny  loup  enragié  plus  fièrement  ne  se  abandonna  », 
disent  les  contemporains.  Ce  fut  une  niéléo  sans  pitié. 
iJésespï^rant  de  vaincre,  ils  voulaient  mourir  après  avoir 
vendu  chèrement  leur  vie.  Le  comte  de  Nevers,  malgré 
sa  jeunesse,  donnait  l'exemple  aux  siens  ;  les  <  nobles 
€  frères   de  Har  »,  le  comte   de   la   Marche,  <  qui  le  plus 


1.  Voir  pliiH  haut,  p.  271  et  275. 

3.  Voir  pliiK  haut.  ]>age  230. 

8.  Fejop,  Cofi.  tfipl.  ifnn*/.,  \.  2,  2'i2. 

4.  Jean  KorgTH^h  dr  liliyrtiPs  appartiMiait  à  une  famille  qui  juiia  un 
pùIp  iiujwrtiuit  dauN  l'hisloirc  de  llongrio.  Ct,  Fojcr,  CW.  dipt,  Uung.^ 
X.  2.  p.  m. 

5.  Voir  plus  haut,  p.  25<i. 
li.  Voir  plus  haut,  p.  Iki), 


IIAÏAHJK   HE  MCOPOLIS. 

«  jeuoe  estoitde  tous,  ne  aucores  ne  avoit  barbo  ne  gre- 
«  non  »,  firent  vaillnniment  leur  devoir.  Ces  «  nobles  jouvea- 
«  ciaulx  de  la  fleur  d**  lis  là  se  combatoicnt,  dit  W  throni- 
«  queur,  non  raie  comme  enfaus,  mais  coroiue  si  ce  fussent 
«  très  endurcis  chevaliers  ».  Le  connectable,  ditnt  les  conseils 
pernicieux  avaient  conduit  Tarnii^e  à  la  ruine,  cherchait  à  les 
faire  oublier  par  la  ténuVitô  de  son  courage.  II  «  ne  s'j  fai- 
«  gnoit  luie,  ains  dcpartoit  les  grands  presses  avant  et 
«  arrière  ».  Cba(iue  instant  augiueniail  la  rnèlde  et  la  cou- 
fusion.  Les  chevaliers,  diss(^nûu(^s  par  petits  groupes  de  dix 
et  de  vingt,  uffraient  â  l'ennemi  une  proie  rai:il('.  Parmi  gux,  le 
marécbal  Houcicaut  luttait  avec  une  ardeur  dHsesp<?r(?e,  Il 
«  se  fichoit  es  plus  dru*î  >,  l'audaco  do  ses  faits  d'armes 
était  si  heureuse  qu'elle  (*tait  jinur  toul^  rarm**e  un  objet 
d'admiration.   IVrsuruie,   ou   cette  jounirn,    ne    fit  plus   de 

<  bien  et  de  vaillance  »  que  lui.  Il  semble  que  le  chroni- 
queur, en  comparant  les  Chrétiens  à  des  sangliers  accultîs, 
ait  spécialeiuent  eu  en  vue  le  itlus  terrible  d'entre  eux.  Bou- 
cicaut.  H  est,  en  effet,  didicile  de  trouver  une  image  qui 
I>eigne  mieux  que  celle-ci  le  caractère  du  maréchal,  sa  bra- 
voure un  peu  rude,  non  raisonnée  et  d'une  ténacit*^  iucrovable. 
On  se  figure,  penilanl  cette  mèk^e,  les  sentiments  qui  devaient 
agiter  son  âme.  ilunte  de  la  défaite.  Iiaine  de  rintidêle, 
courroux  contre  ceux  dont  l'avis  avait  amené  le  désastre,  se 
heurtaient  dans  son  cœur;  s'il  ijtait  d'ordinaire  au  combat 
parmi  les  pins  vaillants,  il  était,  ce  jour-iâ.  le  premier  au 
danger,  combattant,  sans  souci  de  la  mort,  avec  l'énergie  du 
désespoir.  Il  est  «  comme  tout  forcené  »,  résolu  à  vendre 
chèrement  sa  vie  <  à  celle  chieuuaille;  si  fie  ri  le  destrier  des 
c  espérons,  et  s'abandonne  de  toute  sa  vertu  es  plus  drua 
€  do  In  bataille  ;  et  h  tout  la  trancimnt  cspêes  que  il  tenoiti 
«  fiert  â  di'xtre  et  à  senestre  si   grandes  collées  que  tout 

<  abatoit    quanqu'il    atteignoit    devant    soy.    Et   tant   ala 

<  ainsi  faisant  dev^int  luy  que  touft  les  plus  hardis  le  rodou- 
c  tèrenl,  et  se  prirent  à  destourner  de  sa  voye;  mais  non 
«  pourtant  lui  lancoient  dars  et  espées  ceulx  qui  aprocher 
«  ne  ï'osoieot  ;  et  il.  comme  viguercux.  bien  se  savuit  dof- 
«  foridre.  Si  vous  peignoit  ce  desirier,  qui  esloit  grant  et 
€  fort,  et  qui  bien  et  bel  estoit  armé,  ou  milieu  de  la  pres?»e 
*  par  tel  randon   qu'à  sou  encontre   les  aloit  abatant.    Et 

<  tant  :ila  ainsi,  faisant  tousjuurs  a\anL,  qui  est  une  uicrveil- 


I>KOI>U>ES  l)K   VAI.KIU   ItES   KHAN't-'AW. 

leuse  cfio.se  à  raconter  ;  ot  toutefois  est-elle  vrayc. 
si  que  tesruoignent  ceulx  qui  le  virent,  que  il  trospenja 
toutes  les  batailles  des  Sarrasins,  et  puis  retourna  arrière 
parmi  eulx  à  se.s  compa^^nons.  Ha!  Dieux  !  (luel  (chevalier! 
Dieu  lui  sauve  sa  vertu  !  Domma^^e  sera  quant  vie  lui 
fauUlra  ;  mais  ne  sera  mie  ancore,  car  Dieu  le  grardera.  »  La 
mort  ne  veut  pas  le  prendre.  Il  fait  auti>ur  de  lui.  à  force  de 
coups,  «  si  grant  cervedes  morts  et  des  abatus  »  que  nul  n'oso 
l'approcher.  C'est  un  lion  forcené  qui  ne  redoute  rien  ;  plu- 
sieurs infidt^lcs  paient  de  leur  vie  leurs  tentativrs  de  s'era- 
paror  de  lui.  Knfiii  il  faut  cOder  au  nombre  et  Boucicaut  est 
fait  prisonnier.  Vu  peu  plus  loin,  le  vaillant  sire  de  Coucy, 
malgré  les  coups  de  massue  de  cuivre  qui  s'abattaient  sur  sn 
t(^te,  malgré  les  jusarnu's  i|ui  fra]ipaii'nl  son  armure,  faisait 
nn  gi^iul  carnage  des  Musulmans.  D'une  force  peu  cotunume. 
il  leur  «  lançoitsi  très  gran.s  coups  que  tous  les  detranchoit  » 
et  semait  la  mort  autour  riolui'. 

A  se»  ciHês,  Tamiral  de  Vi**nue  sauvait  Thonnem-  de  la 
chevalerie  dont  il  portait  le  drapeau.  Ses  conseils  avaient  été 
reptmssV^s.  son  expérience  ni(''prisêe,  et  reprMMlatir,  dans  cette 
funeste  journée,  personne  n'e'it  pu  tenir  plus  haut  et  plus 
ferme  la  bannière  de  la  Vierge.  lucapable  de  rallier  les  fuyards 
que  n'arrêtaient  ni  ses  nienaues,  ni  ses  cris,  il  songeait  j'i  rega- 
gner le  camp,  mais  la  voix  du  devoir  le  fait  n-noncer  à  ce 
honteux  dessein.  On  ne  ternit  pas.  par  un  moment  de  faiblesse, 
une  longue  vie  d'honn<'ur  et  de  vaillance.  Aussitôt  il  invoque 
Notre  Dame  et  !<•«  Saints,  rair»>  ses  dix  compagnons,  et  fond 
avec  eux  sur  les  intidéles.  Comme  un  lion  furieux,  il  répand 
la  mort  autour  de  lui.  Six  fois  l'étendard  de  la  Vierge  est 
abattu,  six  fois  il  le  relève,  jusqu'à  ce  qu'il  succombe  enfin 
sous  les  coups  de  l'ennemi,  seirant  encore  entre  ses  mains  la 
bannière  mutilée*. 


1.  Livre  df*  fait»,  i.  ch.  xxiv,  p.  51*5. 

2.  Vky  \Afray,  Jean  th  Vienne,  p.  27*2-3.  d'après  le  ftetiffieiix,  M,  5U; 
—  cf.  Lirre  dfn  faits,  i.  di.  x\iv.  p.  5%,  ot  Kroissatt,  <>d.  Korvyii,  xv, 
318.  —  Deux  autres  mombïvs  dn  lu  famillo  df  Vienno.  CfUilLiumc  et 
Jacf|iios.  prirt'Ml  prirl  à  la  croisade,  ("e  flernirr  suornniba  h  Mcopolifi. 
nuit  c<'\\éi  de  lamiral.  Le»  cotnpa^iiun^  de  Jean  do  Vienne  sont  proba- 
blnmenl  le*  nl'^^l^s  (|nn  ceux  qui  partirent  av»'r.  lui  pour  la  route  de 
Milan,  aux  Trais  du  dur  d'Orlôari'i.  et  dotd  nous  ronnai!i<M>nâ  les  tiointt 
{Huit,  ftcla  Suc.  acud,  Uif  laun.  \\l\-  (I88'i),  p.  46-51). 


28(i 


liAT.VUXK   1>K   NUnpOLIS. 


Prés  de  l'amiral  tombent  Guillaume  de  la  Trémoille  <  qui 
à  merveilles  estoit  beau  ohevalier  »  et  sun  fi!s\  Philippe  de 
Bar",  MontcHvrel,  un  vaillant  chevalier  d'Artois*,  Jean  de 
Royo'ettani  d'autres.  LVIite  de  la  noblesse  frdin:aise  p«?rit 
sur  le  champ  de  bataille  dr*  Nicopolis  ;  le  reste  tombe  aux 
mains  des  vainqueurs;  le  totnte  de  Nevers  est  parmi  les  pri- 
sonniers \ 

liC  roi  de  Hongrie,  cependant,  luttait  toujours.  Quand  îl 
vit  sa  bannière  abattue,  quand  nelui  qni  la  portait,  Jean,  tils 
de  Nicolas  de  Gara,  fut  tombé  en  la  défetulant,  il  comprit 
que  toute  résistance  était  inutile.  Les  iroupos  étaient  dis- 
persées; ct^dant  aux  consiûls  des  comlen  de  Cilly  et  de 
Nuremberg,  il  se  rf^.soud  alors  à  quitter  le  champ  de  bataille. 
et  arrive  au  Danube.  Là.  après  mille  dangers,  il  monte  sur 
un  navire  di*  l'ordre  dt;  Rhodes;  nne  aatje  barque  recueille 
ses  hdèles  compagnons  qui  ne  l'ont  pas  abandonn*?,  et,  au 
milieu  d'une  grêle  de  traits  lancés  de  la  rive  par  les  Turcs, 
le  rni  et  sa  suite  échappent  au  sort  qui  attend  la  plupart 
îles  fugitifs*. 

Il  est  difficile  de  préciser  la  composition  de  l'escorte 
royale  dans  cette  fuite.  Cilly  et  le  burgrave  du  Nuremberg, 
le  grand-maître  Philibert  rie  Naillao.  accon)pagnaient  Sigis- 
mond;  parmi  les  Hongrois.  Nicolas  de  Kanysa,  archevêque 
de  (îran,  et  son  frère  Klieune.  Nicolas  de  Gara  el  Jean,  sou 
frère,  Oswaldde  Wolkenstein,  un  des  compagnons  de  jeunesse 


1.  Voir  plus  haiU,  page  ITô,  —  Son  fils  était  Philippe  de  la  Tré- 
moilte. 

2.  Voir  plus  haul,  p.  Vu. 

n.  Voir  plus  haul,  p.  257.  M.  Kervyn  conteste  le  téinoignîi^  do 
Fi*oissaiiet  aftirmp  quo  Montcavrel  survécut  à  la  bataille.  Quoi  quit 
en  soit,  l'épisoiff  rapporte^  prn*  Tfoissart  (xv.  :n"-8)  el  rpjah'f  au  jeune 
fils  lin  chevalier  arU^sien,  qui.  malgré  le  dévouement  tl'un  ecuyer 
auquel  son  père  l'avait  eotitié.  fut  uuyé  dans  le  Danube  ftu  moment 
d'eire  sauvé,  est  des  plus  loucliatitjj. 

'i.  Il  était  seigneur  du  Flessier  de  Koye,  de  Muret  et  de  BuKancy, 
prêt»  d'thir&i^ampît  (Oise).  Sou  hLs  Mathjpti,  f|Ui  alla  en  Orient  rliercher 
le  corps  de  son  ;>ére,  rapporta  nne  reli')Ue  pr^'cieuse,  le  clief  de  sainte 
Anne,  qui  est  aujourd'hui ('«tuservé  j!»  Cliéry  (tHse).  (Maillet,  Une  trunsln- 
tinn  de  reti</ucn,  t\:v\s  Itull.  duoomitearch.de  Noyon,  r  (1862).  p.  *i3i-y). 

5.  Hrtitjieux  de  Saint  l/enis,  ii,  514;  —  Kroissart,  éd.  Kervj'n, 
XV.  318. 

6.  Ki^uigfshoreti.  i'Jifun,  Ahatitt^  u,  85'i 
.\v,  ;f.'S;  —  SLliiUU.ir{;-or.  p.  ôlt-'i. 


;—  b'roissart,  éd.  Kervyn, 


Fl'ITK    Ut.   sii.lSMuM»    SI  K    l,\L   HANIHE. 


•^81 


tlii  roi,  poète  dont  les  œuvres  nous  sont  pan'emies:  parmi  les 
Polonais,  Thomas  Kulski  et  Stibor  de  Stib<jmczp',  échap- 
|>éroiit  avec  le  roi  à  la  mort.  Déruétriiis  Bebek  et  Jean  rio 
l*asztoli  furent  aussi  de  ue  nombre'.  Co  sont  là  les  seuls 
noms  <]ui  nous  soient  parvenus;  il  ne  semble  pas  que  les 
compagnons  de  Sigisninnil  fussent  beaucoup  pl\is  nombreux  ; 
au  plus  peut-on,  d'après  les  témoignages  contemporains,  ea 
porter  le  nombre  à  une  vingtaine". 

Le  di^sastre  était  complet  ;  la  route  du  Danube  <*tait  coupée  ; 
ceux  que  les  coups  tles  Turcs  ont  *^pargné3.  ceux  que  l'en- 
nemi  n'a  pas  enveloppés  et  faits  prisonniers,  essayent  de  fuii* 
vers  le  fleuve;  là  oncore  la  mort  les  attend.  Ils  se  jettent  à 
l'eau  pour  alteindn^  la  flottille,  en  majeure  partie  composée 
de  vaisseaux  de  tninsport  ^u  de  pontons  ilestinés  à  main- 
tenir sur  le  Danube  le  blocus  de  Nicopolis  ;  ceux-ci  sont 
prom|ilement  cliargés  outre  mesure  et  coulent  bas  ;  paitout, 
pour  éviter  de  pannls  accidents,  les  premiers  arrivés  coupent 
sans  pitié  â  coups  de  hache  les  mains  des  fugitifs  qui  s'ac- 
crochent à  leurs  barques;  le  reste,  dans  la  confusiim  géné- 
rale, périt  noyé  dans  le  fleuve.  C'est  un  lajnentable  spectacle; 
le  tils  du  seigneur  de  Montcavrel  se  noie  entre  Heux  barques*  ; 
un  chevalier  polomiis,  ne  trouvani  nulle  pari  nu  bateau  pour 
lo  recueillir.  traviTso,  tout  armé,  à  ti'avers  raille  périls,  le 
Danube  à  la  nage'  ;  mais  combien,  moins  heureux  que  lui, 
ne  parviennent  pas  â  attfiindi'e  la  rive  opposée'! 


1.  (.'omte  de  PretttKjurg  il39U).  Il  avait  obtenu,  ain^i  que  ses  frére^s, 
en  1389.  la  naturalisation  hongroise  (Fejor,  Cod.  dipl.  hung,,  x.  i, 
p.  561  c\  X,  X  p.  i:i:ti. 

2.  Si^i!^I^o^d  nomma  l>cmt>trius  Bobck  tfrand  pulfttin  rt  Jean  U(ï 
l'aa/.toli  Krand  chanoi^hcr,  et  lesenvuya,  avec  Jean  do  (lara,  annoncer 
en  Hongrie  h?  succV^s  de  sa  fuite  et  gouverner  le  ru3'aume  en  son 
absence  (Ascliïmch,  i,  107| 

3.  I'"eji»r,  pa^sim;  —  Vertot,  Hint.  de$  f'ht^v.  hosjt.,  n,  3a2;  —  Frois' 
sart.  ^d.  Korvvn.  w.  317;  —  <;.  Pray.  Xnn.  mj.  Jfuntj.,  pars  ni.  t%; 
—  Diiijtoss.  HUt.  poion.,  u  l'iG;  —  Heila  Weber,  /He  (iedichte  Os~ 
watd'â  vfiH  iroMr/K/c»»,  Jarbriick,  I8'i7,  p.  6. 

'i.  Froissart,  éd.  Kervyn.  xv.  317-H. 

5.  U  o»t  appol'^  par  S.  Sarnirius  Dtui^oss,  l/i/i.  fuilnu..  u.  1 159)  .<<//- 
boriuê,  fini  fuit  tjtnte  StoiuM,  et  par  DIu^^osm,  Strttnioniatiit  vs  /••rra 
Siradietui,  de  domo  ijjndnorUt»,  Scffuja  ri/i/WAi/tM  {iMiigtiMs.  //iV. 
ftotuH.,  I,  nS-Gj. 

(i.  ftfli'jirujc  de  Suint  bt^ni*.  il.  512;  —  Scliîltberger,  p.  3i, 


Si  le  désastre  était  coiaplet  puur  les  croisés.  Ilajazet 
payait  cher  son  triomphe  ;  l'élite  de  ses  truupes  était  hors  de 
combat;  son  armée,  d'après  les  sources  françaises,  avait 
perdu  de  vingt  à  trente  mille,  et.  suivant  d'autres  inicils,  de 
quarante  à  soixante  mille  hommes.  Le  sultan  Ini-môme, 
disait-on.  avait  été  personnellement  engagé  dans  cette  journée, 
et  blessé;  on  ajoutait  même  (|ue  c'était  Sigismond  qui  l'avait 
désarçonné'.  Mais  on  ne  saurait  ajouter  fui  à  la  véracité  de 
ces  récils,  piiis(iue.  le  lendemain  de  la  bataille.  Bajazet  pn*- 
sidait  à  l'exécution  des  prisonniers. 

Du  v.<W  des  Chrétiens,  les  évaluations  les  plus  modérées 
Usent  à  douze  mille,  d'autres  à  vingt  mille  le  nombre  des 
morts';  il  est  dilficîle,  en  présence  d'une  défaite  aussi 
complète,  qu'elles  puissent  être  exactes.  D'une  armée  consi- 
dérable, rien  ne  subsistait  ;  les  corps  valaques,  bosniaques  et 
serbes  avaient  passé  à  l'ennemi,  les  croisés  fninçais  étaient 

1.  Ai'riT  lies  faits,  i,  eh.  \xiv',  p.  596;  —Het.  tte  Saint  Denis,  ti,  3t8; 
—  Edris  (Fn)i».sart,  ^t\.  lïuchon  ni,  266);  —  Annales  Estenses  (Mura- 
tori,  xvin,  836 1  ;  —  Jean  de  Mussis  (Muratori.  xvi,  557);  —  ÏJoiifiniua 
(flcr.  Unfjaric.  decadr».  ilattau,  1606,  p.  ;ï77-8>  ;  —  Sozomène  (Mura- 
tori, xvr,  1162Ï;  —  lionincuntri  (Muratori,  xxi,  72;. 

2.  Posilge  {Script,  m-.  Prnxx.,  ni.  20**);  —  Chrou.  Norimh.  ipir 
CJtronikrn  drr  tJeiiljcrhrn  Stàfltt:  .NiiniUerf:.  1,  p.  .3311;  —  Chron.  auM 
A'.  iSVr/MUfM/"*  /ri7.  \ihidem.  p.  33*.» l  ;  —  Uunliiiiu*.  {Hee.  Vng.  ttec, 
|i.  37H).  —  I.P  Ininoiîjrn.i'îc  ilfi  Jt^an  île  Miissls.  t^valuant  los  pertes  des 
('hrétiens  à  niilln  ltuintiie:i  et  trenlt'  Imroiis,  est  évidemment  très  éloi- 
iifi^  dp  la  voriti'  ;  dans  l'autre  sons  hist'm^cr  iCht'on.  de  /icrnc  dan» 
rnH.s>art.  (d.  Kc-rvyn,  XV,  'ilO)  et  KoniKsIiufen  {Chrott.  Ah.,  u,  854), 
IMirlcnt  du  luo,  Oi>0  uu2UD,  090 mort»,  cliiltVes  également  inucceptabte.s. 


KTKNUUK    i»KS    PERTKS    I>KH    llKfX    AII.MKKS. 


283 


pris  ou  tués,  l'armée  hongroise  on  fuite  ou  noyéts  dans  le 
Danube.  A  peine  quelques  débris  avaient-ils,  à  prand'peine. 
atteint  la  rive  gauche  du  fleuve,  mais  là  encore  ils  s'étaient 
trouvés  en  pays  ennemi;  4lOpouillés  par  les  Valaques,  ils 
n'avaient  pu  reg;agiier  l'Allt^magno  qu'au  prix  des  plus 
grandes  privations.  Beaucoup  avaient  succombé  pendant  îe 
(rajet;  le  reste,  après  des  privations  de  toutes  sortes,  arriva 
en  Allemagne,  exténué  de  faim,  de  fatigue  et  dtï  misère;  de  ce 
nombre  était  le  duc  Robert  de  liavièr4».  Il  revint  malade  sous 
des  habits  rie  niendiaiit;  les  soulfrauces  t^u'il  avait  endurées 
étaient  au-dessus  do  ses  forces;  il  mourut  quelques  jours 
aprC-s  son  retour  à  Amberg*. 

Les  croisés  avaient,  dans  leur  fuite,  abandonné  tout  ce 
qu'ils  possêilaient:  matériel  de  gueire,  approvisionnement», 
bagages  des  chevaliers,  tentes,  bannièi'es,  tout  tomba  au 
pouvoir  des  Turcs.  Le  sultan,  après  la  batiiille.  put  juger,  en 
parcourant  letLéAtre  de  la  lutte,  de  l'étendue  de  sa  victoire, 
mais  en  même  temps  des  pertes  subies  par  son  armée.  Pendant 
que  jongleurs  et  ménonfrels  dansaient  et  chantaient  devant 
lui,  dans  la  «  UKiitre  tonte  »,  abaudnnuée  par  le  roi  de  Hon- 
grie el  dont  le  lux<i  dépassait  ton  le  imagination,  pendiuit 
qu'il  rendait  grâces  à  I>ieu  dosa  victoire,  le  rhauip  <ie  bataille 
était  jorir-hé  de  Musultnaus  ;  «  pour  ung  crestieu  de  ceux  qui 
«  gésoienl  sur  les  champs  morts,  il  y  avoit  trente  Turs  ou 
€  plus  uu  auitres  hommes  de  sa  \oy  ».  Ce  spectacle  nlliinia 
la  colère  de  Hajazet,  et  jmur  venger  la  mort  de  ses  soldats, 
le  massacre  des  prisonniers  fut  résolu.  Tout  captif  dut  être 
amené  eu  pr^sencR  du  sultan  pour  subir  la  mort  qui  lui  était 
réservée;  quelques  prisonniers  de  marque,  dont  on  pouvait 
espérer  une  riche  rançon,  furent  seuls  exceptés,  et  leur  sort 
(ttt  réservé  à  la  décision  ultérieiu'e  du  prince*. 


1.  /?r/i(/i>Mxrfe»rtinr/>rni>,u,5J2:  —  l  Iman Stromorl//i> CAron. rf«r 

tteuUrhen  Stfttltr,  Niirnlinr;:,  i,  p.  i9l  ;  —  i)iisor(j  {Her  litfir.  Scn'pt.,  l, 
ji.  ;tnt|;  —  Tntiu'iiiitis,  C.hvm.duc.  /tar.,  {*i\.  do  ItiOl,  i.  p.  117.  —  Un 
valH  il'atitri'irti*  rivait  ji  Vioiino  nn  fK'pe,  nnmm»^  Jeun  do  llenizobort, 
<|ul  •  a  fait  plusiniirn  mpialite/..  M)lngpinens  pt  ami» liez  il  pliisiours 
"  ivluiirnaim  de  !a  rumpai;ni«  ilo  mon.-M'ijînoiir  le  conte  ile^Npvors  ». 
l*ùuv  ce  l'ail,  If  dur  de  Ruiir^uKiif  lui  oi'copda  une  grntiflootion  (Arcb. 
dolatViU'd'Or.  li.  1511,  t.  6»). 

2    Kruissart,  ÛJ.  Kervyu,  xv,  U2I-:*. 


284 


SOKT   DES    I^RISOXNIERS. 


Le  lendemain,  mardi  \  le  courroux  du  sultau  n'était  pHs 
apaisé.  Persistant  dans  sa  vengeance»  et  par  repn^ailie^  du 
massacre  fait  par  les  croisés  des  prisonniers  turcs  avant  la 
bataille.  Bajazet  ordonne  d'auieaer  les  Chréiiens  devant  lui. 
Il  est  sous  une  tente,  en  pleine  campagne,  entouré  d'un 
brillant  état  major,  et  fait  di^filer  sous  ses  yeux  les  captifs 
onciiainés.  «  Làeslott  grant  pitii'»  à  vooir  ces  nobles  seigneurs, 
«  jeulncs  jouvenciaulx,  do  si  hault  sanc  comme  de  la  noble 
«  lignée  royale  de  France,  amener  liez  de  cordes  esiroitte- 
«  ment,  tous  desarmez  en  leurs  petis  p'iurpoins  par  ces 
«  chiens  Sarrasins,  lais  et  oiribb^s,  qui  les  t.enoient  dure- 
«  ment  devant  ce  tirant,  crineniy  de  la  foy.  qui  là  séoit.  » 

Cependant  «  les  lattitiiers  du  roy  »  ^'étaient  enquis  des 
plus  nobles  soigneurs  pour  les  excepter  du  massacre.  Jacques 
de  Heilly',  qui  s'était  fait  reconnaître  do  l'entourage  du 
sultan,  les  aidait  dans  cette  recherche.  Ainsi  furent  amenés 
th-vant  Baj;izet  le  comte  de  Nevers,  les  couites  d'Ku  et  de  la 
Marolie,  le  sire  de  Coucy,  Henri  ile  Bar,  Guy  de  la  Tré- 
moille  et  quelques  autres  chevaliers.  Le  sidtan,  qui  les 
épai'gna.  les  plara  devant  lui.  et  fil  détiler  entre  eux  et 
lui  tous  les  Chrétiens  destinés  à  être  massacrés.  Semblable, 
dit  le  chroniqueur,  «  au  roi  Herode  assis  en  chayere  que  Ten 
<  paint  par  U*s  parois  et  aux  lunocens  que  l'en  detnuiche 
4  devant  lui  »,  Bajazet  reganlait  les  captifs  «  un  petit  », 
faisait  un  signe  et  les  bourreaux  s'emparaient  d'eux.  Aus- 
sitôt ils  étaient  «  frappés  horriblement  par  t»'stes,  par  poi- 
«  trines  et  par  espaules,  que  on  leur  abatoit  jus  sans  nulle 
«  pitié  ». 

Boucicaut,  à  son  tour,  allait  iiérir  comme  ses  compagnons; 
l'intervention  du  comte  de  Nevers  le  sauva.  Se  jetant  aux 
genoux  du  sultan,  celui-ci  implore  la  grâce  du  Maivchal,  mais 
ses  paroles  ne  sont  pas  comprises.  Pris  d'une  inspiration 
.soudaine,    Il   joint   alors   <    les  deux  dois  ensemble  de   ses 


1.  2t>sept.  laofî. 

'J.  Jacqiipude  Oéquy,  seigneur  de  Heilly  oi  du  l*a<,  llltt  de  Jacques 
de  ll«îlly  et  d'Alix  de  t'oricy,  avait  ôpoii^é  Ade  de  HaiiiPval.  Kn  IS?*.», 
il  ;iv;ïit  MiuH  ses  ordres  quatre  ohevalïeps  et  treize  éruyers.  Il  assista 
atix  sièges  d'.Aquigny  (ftr>ùt  136'»)  et  d'Ardres  <  l.'C'K '^onibaMit  eu  Ppuhsi» 
;iver  It* s  Teuloniqties,  et  avait  dt^jà  étf>  eu  «trient  avaut  l'oxp^dilion  do 
lloM^ri*^  (V.  pliiN  haut.  p.  *2i!l).  Il  i^tnit  rliambellan  Ju  duc  do  bour* 
goyiie  (l-'roiiisart,  6d.  Kcrvyn,  .\xi,  537-B). 


MASSACRR    IiKS    nUS(tN\|RUS. 

4  doux  maius  eu  regardant  lo  Hoznt,  et  rïst  signe  que  il 
«  estant  oomo  son  propre  frêro  «t  qu'il  le  rospitast  », 
Ce  signe  est  saisi  du  sultan  et  Bouciuuut  esl  sauvé.  Ui«'U, 
dit  le  chrouiqui'ur,  voulait  garder  son  serviteur  et  le  ré- 
server pour  accomplir  d'autres  exploits,  et  venger  par  lui  le 
d<^sastre  de  NiL*opnlis". 

Cette  sîuiLrIaiite  boiirherie  dura  toute  la  jouruée.  Les  \io- 
limes  marchaient  l'ésiguées  au  supplice,  comme  des  agneaux 
traînés  par  le  boucher.  Lo  sentimont  rhréiien  les  soutenait; 
elles  niaur.'iipiil  oti  niartyrs  «  ptiur  ri-xausscun'nt  de  la  foy  », 
(*t  nul  ne  pouvait  souhaiter  une  niorl  plus  enviable,  «  si  n'est 
«  mie  (bmbte  que,  se  ilz  la  recrurent  en  bon  gré,  que  iU  sont 
*  sains  eu  paradis.  »  lin  nuMiraut  ils  s'4'xh'triaienl  les  uns 
les  antres.  Hans  Greiff,  chevalier  bavarois,  soutenait  le  cou- 
rage de  ses  niuupagnons  ;  :i  haute  voix  il  invoquait  le  Sei- 
gneur, et  en  le  reuierrianl  de  lui  donner  la  couronne  du 
martyi*e.  il  s'agenouilla  pour  recevoir  le  c.iuip  fatal.  Seul.s  les 
prisonniers  Agés  tW  moins  de  vingt  ans  furent  épargnés  ; 
parmi  eux  Schilrlierger,  qui  avait  à  peine  seize  ans, 
dni  son  salnl  :\  rinterveniiou  du  Hls  du  s\il1an.  (^nand  les 
Turcs  furent  fatigués  de  frapper  H  le  sultan  d't'n\t)vcr  les 
prisonniers  à  la  mort,  vers  quatr»?  heures  [lu  soir,  à  la  prière 
de  l'enloiiragc  d<'  Uîijîizct.  ordre  fuî  donné  il'arréter  le  car- 
nage; il  avait  coulé  la  vie  ii  environ  trois  mille  hommes,  pour 
la  plupart  chevaliers  ou  écuyers'. 

La  connaissance  «le  la  langue  turque,  a^qu'isê  en  servant 
dans  les  années  musulmanes,  sauva  Jacques  de  Heilly  et 
Jacques  du  Fay,  de  ïournay  ;  Tamour  du  gain,  en  faisant 
cacher  aux  soldats  turcs  leurs  prisonniers  pour  en  tirei'  Ih'*- 
néfice,  «Ml  sauva  quelques  autres.  Ceux  des  captifs  qui  échap- 
pèrent à  la  mort  furent  partagés  entre  les  soldat»,  comme  le 
resti»     du    butin,   ^smt   la    part    due    au    sultan  :     bien    peu 


1.  Lirre  dfx  faits.  I.  ch.  xxv,  p.  596-".  —  Proissart  (éd.  Korvyn,  xv, 
327)  dit  que  te  comte  du  Ncvors  fit  signe  &  Bajazct  en  comptant  d'uno 
main  sur  l'autn*  <  qu'il  paierait  grant  finance.  »  —  Itabbi  Joseph, 
{Chroniclrs,  Lontli-cs,  1835,  I.  252.) 

2.  NoiiH  rniyuns  qu'il  iic  faut  admettre  ni  le  chilTre  de  trois  ceius 
hommti's,  duiiné  par  Krùissart  et  Kabbi  Josopli  ot  évidemment  tWisinfi^- 
rieur  h  la  réalité,  ni  celui  do  dix  mille  hommes  donné  par  Schiltbergcr. 
—  fti'h'ffiett.i'  fte  Sfiinl-lh*ni*.  n.  p.  518. 


■2K0i  RoiïT  pF.s  pnrsoNNiKus. 

piu-ent  se  racheter  à  prix  d'argent,  la  plus  granr]p  parti*?  fut 
vendue  comme  esclaves'. 

Quekiups  pr-istmiiiors  de  marque,  parmi  lesquels  Jean  do 
Nevers»  avaient  seuls  été  réservés  pour  être  mis  à  rançon, 
co  nime  nous  venons  de  ledire.Lournombre  ne  nous  est  pas  exac- 
teraentconnu;  il  ne  dépassait  pas  vïn^t-quatro.  Schiltberger 
le  tixe  à  quatorze,  dont  douze  Kfanrais;  d'autres  sources  à 
cinq  seulement.  C'étaient,  outre  le  comte  de  Nevors,  le  con- 
nétalile,  ruuc'v.  le  comte  de  la  Marche,  Henrv  de  Bar,  Guy 
de  la  Trémouille,  Jean  de  Hangest',  le  maK'chal  Roucicaut, 
Uenier  Pot\  maître  d'hôtel  du  comte  de  Nevers.  Jacques  de 
Couriianibles',  hliistaclie  de  IlUua*.  qui  fut  palatin  de  Hon- 
grie, Tristan  do  Me^sein,  Jean  de  Varsenaere.  Etienne  Sjnû- 
lier",  Jean  de  Bodem',  et  quelques  autres*. 

De  Nicopolis,  ils  furent  iliri^'i^  sur  Andriiiople,  centre  de 
la  puissance  turque  en  Hurope,  et  y  restèreut  quinze  jours, 
puis  de  là  sur  Gallipoli.  Leur  séjour  ei»  cette  ville  fut  de 
deux  mois.  Le  comle  de  Nevers  et  ses  compagnons  étaient 
logés  à  Tétage  supérieur  d'une  tour  dont  le  bas  était  occupé 
par  trois  cents  captifs;  i;es  derniers  faisaient  partie  du  butin 
ihi  sultîin:  parmi  eux  était  Schiltberger,  dont  le  n'cit  nous  a 
transmis  ces  détails.  Pendant  que  les  Chrétien»  attendaient  à 
Gallipoli  que  leur  sort  fiH  décidé,  un  ordi^e  du  sultan  enjoi- 
gnit de  les  faire  passer  m  Asie  et  de  les  conduire  à  Brousse, 


1.  Heligietts de  Saint  Denis^  n,  516-8;  —  Froissart,  éj.  Kervjii,  xv, 
321-9;  —  Litre  des  ftiitK.  i,  ch.  x.VV,  p.  596-7;  —  Schiltberger,  p.  54-6; 

—  Cf.  Brauner,  p.  50-». 

2.  \  oir  plus  jinut,  p.  171.  —  I]  donna  quittance,  le  23  avril  1398,  de 
mille  francs  d'or  reçus  du  duc  d'Orléans  pour  sa  rançon.  (Ditil.  nat., 
fr.  nouv.  acq.  3639,  pièces  307  et  3I7.I 

3.  Voir  plus  h:iut,  p.  231. 

4.  Voir  plu<  haut,  p.  236. 

».  Pour  KustuL-he  de  llisua,  v.  Pièces  justificatives,  n»  xvi. 

6.  Hraunorip.  51)  identitle  ce  persoimage  avec  Rtienne  Sdimichàr^ 
un  llavaruis  tiui  fut  or^é  chevalier  à  cause  de  sa  conduite  pendant  la 
bataille.  Uruun  {The  Bondafje  atiti travelg...  p.  112).  proj>08e  de  recon- 
nailre  dans  K.  Synfdior.  Ktieniie  Siniontornya,  neveu  d'Rtienue  Laszko- 
vich,  voivode  de  Transylvanie. 

7.  lïrauner  (p.  5!»  l'appelle  .loan  de  lïaile.  Il  s'apt,  d'après  Hruun 
{The  lionHaije  itntt  IraveU.  p.  112)  île  Jean  Sracimir.  rni  de  la  Bulgarie 
occidentale,  dont  la  capitale  clait  W'idditi  {en  allemand  hodetn\. 

8.  Habbi  Joseph,  CArom'r/M.l,  252;  —  Froiiisart,  éd.  Kervyn.XV,  Si5; 

—  Schiltberger,  p.  55. 


IMLK    I)K    I.A    Fl.iiTTK   i'OAl.ISKK. 


2a: 


en  Anatulie.  La  captivité,  sans  être,  semblnt-il,  d'iino  rig-iipiir 
oxtrt'me,  ne  laissa  pas  que  d'éprouver  b*ïaucoup  les  clievaliVr**. 
Hahitiu^s  .-i  une  nourriUire  raffinée,  au  service  de  nombreux 
douiestiiiues,  ils  avaient  i)eiiie  i\  se  contenter  de  gros^^es 
viandes  mal  cuites  et  mal  préparés,  de  pain  de  millet,  et  à 
supporter  la  privation  de  vin  ;  on  vit  bienttH  les  maladies 
s'attaqupr  à  eux.  A  Bmusse,  ii.s  furent  rejoints  par  Bajazet, 
et,  sur  son  ordre,  la  prison  du  comte  de  Nevers  fut  adoucie; 
un  palais,  voisin  de  celui  du  Sultan,  lui  fut  assij^né  comme  rési- 
dence. Il  fallut  que  le  prince,  par  sa  n^signation  et  sa  bonne 
humeur,  soutint  et  réconfortât  ses  compagnons.  Le  comte  de 
la  Marche,  Henri  tU»  Bar.  b^  maréchal  prenaient  leur  mal  en 
patience.  Ce  dernier  surtout  s'applaudissait  d'avoir  échappé 
à  la  mort  qu'il  avait  vue  de  si  près  :  <«  A  l'avenir»  disait-il. 
**  ce  que  je  vivrai,  il  me  semble  que  ce  sera  avantage  »i.  Il 
remontait  le  couratre  do  ses  amis  et  cherchait  à  leur  faire 
partagerses  espérances  «  dans  une  prompte  délivrance',   h 

La  barque  sur  laquelle  Sigismond  s'était  réfug'ié  avec  son 
escorte  nvait  descendu  le  cours  du  Danube  jusqu'à  la  mer 
Noire  et  de  là  le  fugitif  avait  ga^aié  fonstantiriople  sous  la 
protection  de  la  flotte  coalisée  qui  croisait  aux  bouches  du 
Danube.  Le  Me  de  cette  flotte,  commandéo  par  Thomas 
Mocenigo,  et  coiupusée  de  quaraMt*'-(|u;itre  brUiments  appar- 
tenant aux  Vénitiens,  â  l'ordre  de  Rhodes,  à  l'empereur  et  aux 
princes  chn^tiens  de  riiios  et  de  Mitylène,  n'avait  pas  répondu 
k  l'espoir  de  la  chrétienté.  Elle  semblait  assez  forte,  ce- 
pendant, pour  paralyser  la  marine  encore  peu  déveiopi)ée  des 
(Jttomans,  et  empêcher  ou  au  moins  entraver  le  passage  à 
Gallipoli  des  contingents  tiu'cs  venant  d'Asie.  Il  n'en  fut  rien; 
croisant  devant  Constantinople  et  plus  tard  aux  bouches  du 
Danube,  elle  attendit  dans  l'inaction  i'airivée  des  croisés,  au 
lieu  d'inquiéter  le  passage  des  renforl,s  dans  le  Bosphore*.  Le 
sultan,  sentant  son  infériorité  maritime,  réussit  à  dérober  à 
Thomas  Mocenigo,  dans  les  ports  avolsiuant  Gallipoli,  ses 
valtscaux  de  transport.  De  son  côté,  Venise,  qui  avait  surtout 


1.  SchiUberKsr,  p.  57;  —  Froiiwait,  éd.  Kervyn,  xv,  3^0-3. 

2.  Heyd  lGr*fA.  ''e*  Lfrti»trfninthh,  ii,  2fi'2)  ditqnn  Mocenl^  n*ap- 
rivA  dovnnt  (^onsijintiiiuple  ({ue  lo  2  septembre;  kî  co  fait  est  vrai,  il 
n'eftt  pas  étonnant  que  k:  jnnisage  dce  truupes  ottomanes  par  le  Uospliure 
ae  soit  accompli  sans  tMiruiiibre. 


en  vue  la  sécurité  de  son  commei*ce  et  spécialement  celle  de 
galères  revenant  de  la  Mer  Noire,  ne  cessa,  durant  tout  l'êlw, 
pi.mr  assurer  ce  résultat,  d'envoyer  à  ses  agents  les  instilla- 
tions les  plus  précises  et  les  rtmforts  dont,  elle  pouvait  dis- 
poser. Nauplie  [Neapolis  tie  Homania),  N^grepont  et  le  groupe 
des  Cvelades  étaient  signalés  à  l'attention  du  capitaine 
vénitien  pour  les  défendre  conln.'  tonte  atlufiuc  dos  Turcs  :  si 
la  flotte  coalisée  se  dispersait,  ordre  était  dt)nné  à  Moceni^n 
de  se  replier,  sans  retanl,  avec  ses  vaisseaux,  dans  l'Archipel 
pour  y  protéger  les  pttssessions  véniliennos.  tiiiand  la  calas- 
în>|i!if*  fut  connue,  la  ré[ni1ili(|ue  «ic  Saiul  Marc,  très  effra^'èe, 
tit  de  ntmveaux  armeuuuits  dans  ce  but  ;  sa  colonie  de  Fera, 
menacée  par  le  siège  de  Constantinople  que  le  sultan  menait 
activement  lorsquo  les  croisés  entrèrent  en  Dulgarie.  avait 
été  ilégagée  par  la  rtotle  de  Mocenigo'  et  la  retrait^  de 
Bajazet»  mais  elle  était  de  nouveau  en  péril  ;  ou  était  sans 
nouvelles  des  galères  de  la  mer  Noire,  et  le  triomphe  des 
Turcs  rendait  la  siluatinn  très  précaire.  Il  semble  ijue  si  la 
politique  vénitienne  n'avait  pas  exclusivement  tondu  à  pro- 
téger, sans  rien  risi[upr,  ses  intérêts  comiiu'rciîmx,  un  effort 
eût  pu  être  tenté  a\ec  chance  de  succès  jiar  la  ilote  com- 
binée ;  une  diversion  énergique,  sur  le  Bosphore,  pouvait 
changer  la  face  des  choses  et  peut-être  éviter  le  désastre  de 
Nicopolis", 

Sous  loscorte  des  vaisseaux  chrétiens,  le  vo'x  de  Hongrie  attei- 
gnit Constaiitinople  sans  encombre  ;  il  n'y  resta  que  le  tentps 
nécessaire  p<jur  saluer  l'empereur,  et  s'emharr|ua  avec  le 
grantl-maitre  de  l'ordre  de  Saint  .lean  sur  un  navire  vénitien 
pour  Khodes.  Devant  Cialliiioli.  les  Turcs»  informés  de  son 
passage,  font  ranger  sur  \o  rivage  tniis  les  prisonniers  chi'é- 
tiens,  et  crient  à  Sigismond,  avec  une  aniéro  ii*onie,  do 
débarquer  et  de  délivrer  ses  sujets.  Ils  n'avaient,  du  reste, 
aucun  moyen  d'empêcher  la  Hotte  chrétieime  de  franchir  les 


1.  Keytl,  Gesch.  des  Levantehandels,  n,  262,  nuteS. 

2.  Marino  Sanuto.  Vile  fie'  tiucht  di  Venesia  iMnratori.  xxn.  762);  — 
22  juin  1^96  (.\rch.  (Je  Venisp).  Sert.  .tfiJî/i.  XLHi,  f.  138)  ;  20  juillet 
1396  (ê(|.  Ljiihic,  Mon.  spect.  hid.  atav.  merid.,  i\,  :t78)  ;  —  29  et  31 
octobre  1396  (êtl.  Ljubic,  iv,  3SG-88,  390-1);  —  28  novembre  1396  (Sen. 
Mi$lt\  xim,  r.  158  v">  ;  —  12  janvier  1397  {Sen.  Ali»ii\  xun,  f.  166  v«» ; 
—  Cf.  Urauner,  ji.  25. 


Dardanelles,  et  Sigismond  continua  su  route  sans  ôtre 
iniiuièté'.  A  Rhodes,  quittant  1©  graiid-inaître,  il  fit  voile 
sur  un  navire  de  Zara  vers  l'Adriatiqur;,  sous  la  protection  de 
Iroiï^  galères  vénitiennes  et  aborda  â  Mtulon  le  G  décembre.  La 
nouvelle  de  ce  retour,  connue  A  Venise  le  10  du  mémo  mois, 
estaussitùt  transmise  par  la  république  aux  autorités  iJe  Hude, 
à  l'empereur  des  Romains,  Venceslas,  et  aux  ducs  d'Autriche. 
En  même  temps,  pour  connaître  les  intetïtions  ultérieures 
de  Sigismond  et  les  détails  de  la  campagne,  les  Vénitiens 
envoient  au  devant  de  lui  jusqu'à  Ragu.se  un  envoyé  extraor- 
dinaire; mais  Sigismond,  au  lieu  de  rentrer  en  Hongrie  pai' 
Venise,  passe  l'hiver  en  Dalmaiie  et  en  lUyrie,  où  sa  présence 
est  rendue  nécessaire  par  la  fidélité  chancelante  de  ses  sujets 
et  les  menées  du  parti  de  Ladislas*.  Pendant  ce  temps, 
Nicolas  de  Gara  et  Jean  de  Maroth.  qui  lui  sont  toujours 
fidèles,  reconquièrent  la  Croatie  et  une  partie  de  la  Bosnie  ; 
leurs  victoires  ouvrent  au  roi  la  roule  de  Hongrie  qu'il  regagne 
au  printemps^. 

Ceux  des  croisés  qui  avaient  réussi  â  atteindre  après  la 
bataille  la  rive  gauche  du  Danube,  et  de  là,  au  prix  de 
mille  périls  et  de  privations  de  toutes  sortes,  l'Autricho  el 
l'Allemagne,  avaient  npi)ort(?  la  nouvelle  du  désastre,  et  elle 
s'était  rapidement  répandue  jusqu'en  France.  Bientôt  même 
ces  bmits  alarmants  avaient  pris  une  telle  consistance,  que 
Charles  vi,  en  l'absence  de  renseigiieinents  officiels,  dut 
défendre  la  dindgation  de  pareilles  nouvelles  avec  ordre 
d'enfermer  les  propagateurs  au  Chàtelet  et  de  les  faire  noyer 
s'ils  étaient  convaincus  de  mensonge*.  On  conroit  l'impa- 
tience de  la  France  à  apprendre  le  sort  de  l'expédition; 
dans  la  noblesse  française  et  bourguignonne»  il  n'y  avait  pus 


1.  Chalcocondylafi,  />  reb.  Turc.  (éd.  de  Bonn,  1843),  I.  i,  p.  40;  — 
Schiltbergor.  p.  56. 

2.  Ladiiilas  de  Durazzo,  fils  de  Charles  iir,  roi  de  Naples,  avait  suc- 
cédé en  1386  à  SOI»  père.  11  ne  fut  maître  inconie>lé  de  son  royaume 
qu'en  1399.  [|  cljercha  à  enlever  les  province»  iliynennes  et  dalmatcs 
de  la  Hongrie  à  Sipisrnond. 

a.  Sigismund  tMait  de  retour  à  Bude  avant  le  28  mii  1397  (Fejer, 
Cod.  di'pi.  linng..  pashim;  —  Ijutdc,  Mon.  ipeet.,  iv.  393-4  vi  'i03  (ins- 
tructions du  sénat  du  7  a\ril  1397)  :  —  I.(:ciu:i,  de  Uegno  Ùahnatûe  dan» 
Sohwandlner,  tn,  417;  -~  Ai^clibacli,  i,  ch.  6,  pâssim). 

4.  Froissart,  éd.  Kervyn,  xv,  331-2. 

lu 


de  famille  qui  n'eiit  un  de  ses  membres  en  Hongrie;  parmi  la 
bourgeoisie  et  le  peuple,  renthousiasuic  pour  la  croisade,  la 
haine  dt?  l'infidèle  enlri^cnaient  la  curiosité  publique  et  la 
ferme conrtance  dans  la  victoire.  Aussi  les  premières  rumeurs 
de  la  dt}faite.  répandues  à  Paris  dans  les  premiers  jours  de 
décembre  I3'.)(j,  furent-elles  accneillio-i  avec  le  plus  vif  inté- 
rêt et  la  plus  profonde  douleur'.  Au  premier  moment,  on  ne 
voulut  pas  ajouter  foi  au  désastre;  il  semblait  impossible  que 
l'élite  de  la  clievalerio,  d'un  conrage  épntuvé  en  maints  com- 
bats, so  fùl  laissé  anéantir  par  des  hordes  d'infidèles.  Cepcn- 
dani,  devant  la  persistance  de  la  nonvelle  apportée  par  deux 
valets  du  connétable',  riiniuiéiude  redoubla;  on  chercha 
de  toutes  parts  à  savoir  la  vérité.  Charles  vi  et  le  duc  de 
Bourgogne  envoient,  dans  ce  but,  Jean  de  Neuville  et  Guil- 
laume de  l'Aigle  à  Venise,  porli'urs  dti  lettres  pour  la  seigneu- 
rie (7-8  décembre;;  le  même  Jour,  Pietrequin  VVandewalIe, 
valet  du  duc.  prend  la  route  de  Hongrie  avec  une  mission 
semblable.  Deux  jours  après  (10  décembre),  l'inquiétude 
redoublant.  Charles  vi  fait  partir  en  toute  hâte  deux  de  ses 
écuyers,  Jean  Picquot  et  Pierre  de  Keini>>';  et  le  duc  d'Or- 
léans, en  recommandant  son  écuver  Cetbiz  Prunelle'  à  la 
beinveillance  du  doge,  prie  ce  doniier  de  lui  fournir  tous  les 
ren.seignements  qu'il  aura  sur  les  tristes  é\énements  dont  la 
rumeur  vient  de  se  répandicen  France.  Le  13,  c'est  Geoffroy 
de  Saint  Marc,  serviteur  a'Honri  de  Bar.  qui  part  pour  s'cn- 
quêrii*  du  >i(»rl  de  son  maître»  et  des  autres  barons  français*; 
frère  Guillaume  Pierre,  ei*mite  du  duc  de  Borry,  l'accom- 
pagne*. —  La  république   de  Venise  est,  à  ce  moment,   le 


1.  Froissart,  M.  Kepvyii,  XV,  331-2. 

2.  P.  lîauj-n,  Méin.  itu  Vfii'i;je^  p.  34'J  v-SoO. 

3.  Arch.  de  Venjse  (/  liOrt  Cotumem'rrinU  ddia  Hrp.  di  Vettesia,  t.  m, 
n"  44-8,  p.  2'i3-4.  Éd.  Mas  Latri<^,  Commerce  et  Exjiédi lions..,  p.  138-63  ; 
—  Arch.  dclaCùte-d'Op.  B.  1511,  T.  30. 

4  Arch.  de  Venise.  Cûtnmfm.,  t.  ni,  n"  49,  p.  244.  Éd.  Mas  Latrii 
Commerce  et  exp'itHùtns,\i.  163. —  Uoïhiz  Prunelle  était  accompagr 
de  Jean  de  la  t'iurhe,  valet  de  ohain  re  du  duc  d'Orléans.  Ils  reçurent 
300  francs,  le  t3  dtWmbrc.  pjur  les  frais  de  leur  voyage.  (Bibi.  nat..  fr 
nouv.  acq..  363i>,  pièces  268-9.1 

5.  Arcli.  de  Venise,  Cumittem..  l.  m,  n»  50,  p.  244.  Ed.  Mas  Latrie, 
Commerce  et  eXf)t'tiilion/t,..,  p.  ICô. 

G.  Buit.  de  ta  Soc.  acad.  de  I.aon,  xxiv,  52  (pièces  de  la  collection 


JACQrKS   in:   ItKIIXY   EN   FRANCfi.  201 

trait  d'union  entro  l'Occident  et  le  Levant.  Si,  «l'une  part. 
elle  s'occupo  avec  la  plus  grande  activité  d'arrôter  Tinvasion 
menaçante  des  Turcs  dans  rArehipol,  si  elle  n<>gocic  avec 
Sigismond  et  l'aide  à  rentrer  dans  ses  états,  d'autre  part  elle 
met  beaucoup  d'empressement  à  faciliter  les  rapports  de  la 
France  ave<r  les  survivants  de  In  cr<tisade.  Robert  de  Bar, 
sans  nouvelles  de  son  fils  Philippe,  sachant  seulement  que 
son  autrt»  fils  Henri  est  prisonnier  à  Widdin,  demande  à  la 
seigneurie  de  lui  donner  des  rtMiseignements  certains  ;  la 
dame  de  Cùucj  implore  l'assistance  des  Vénitiens  pour  faire 
i^elAcher  son  mari  ;  In  duc  d'Orléans  les  supplie  de  mettre  tout 
en  œuvre  pour  obtenir  t'élar/^îssenient  des  prisonniers'. 

C'est  qu'en  effet  l'incerlitude  île  la  cour  tie  France  avait 
cessé.  Le  lendemain  de  la  bataille,  Bajazet,  à  la  prière  du 
eomte  de  Nevers,  avait  rendu  la  liberté  à  Jacques  de  Heilly, 
l'avait  chargé  d'exposer  au  roi  et  an  duc  de  Bourgogne 
les  détails  de  la  défaite  ije  Nic«»|io!is,  de  leur  domand^M- 
leurs  intentions  au  sujet  du  rachat  des  captifs,  et  de  lui  rap- 
porter, sans  retard.  leni'  lépun^e.  Heilly  s'étJiit  immédia- 
tement mis  en  route,  porteur  de  lettres  île  Jean  de  Nevers 
et  d'instructions  verbales.  Il  prit  le  chemin  tW  la  Lombar- 
ilie.  afin  de  saluer  à  Milan,  en  passant.  Jean  Galéas  Vis- 
conti.  de  la  part  du  sultan,  et  de  publier  partout  la  nou- 
velle de  la  victoire  îles  troupes  otl<imanes.  Le  chevalier 
bourguignon  fit  diligence:  la  nuit  de  Noël  il  arrivait  â  Paris, 
et  <  tout  lioiisé  et  tout  espouronné  »,  pénétrait  à  l'hôtel 
Saint  Pol,  <e  faisait  connaître  des  chambellans  royaux  et 
introduire  auprès  du  roi.  Autonr  de  ce  dernier  les  ducs  d*Or- 
léans,  de  Berry,  de  Bourgogne  et  de  Boiu'bou,  le  comte 
de  Sainl  Pol  ei  toute  la  courétaifut  réunis  à  l'occasion  de  hi 
solennité  de  Noël.  S'agenouillant  devant  (Charles  vi,  Heilly 
raconte  en  détail  toutes  les  péripéties  de  la  campagne,  la  la- 
mentable histoire  lie  la  défuite,  la  niort  glorieuse  de  ceux  qui 
sont  tombés  â  l'ennemi,  lu  cruauté  de  Bajazet,  le  sahu 
inespéré  de  ceux   que  le  vainqueur  a  épui'gués.   Son  l'écit 


Joursanvault,  éditées  par  M.  Mangin,  ii"  42^  Ue  l'inventaire  dea  arcb. 
Juunrtiivaiill  f,  p.  59-6U). 

I.  2a  (iéroinbre  l/tUB  (Commfm.  m,  n"  52,  p.  2iM  —  31  décembre 
{Commem.  tu,  ii»  53,  p.  244),  —  1"  janvior  139T  yCummevi.  nr,  n»  55^ 
p.  245).  VA.  Mas  I-atrie,  Commerre  et  Expédition»^  p,  167-170. 


OO'i 


DEUL  GENERAI.   K\    FKANCb*. 


terminé,  il  se  relève;  le  rui  donne  aussitôt  l'ordre  de  relâcher 
les  prisonnier.s  enfermés  au  Chûlelet  pour  avoir  divulgué  la 
nouvelle,  malhenreuseiuenl  trop  rétdlc,  de  rêchou  subi  par 
les  croisés'.  On  se  presse  autour  d'Ht^illy;  cliacuii  veut  con- 
naître le  sort  d'un  fiis,  d'uu  frère,  d'un  purent,  d'un  ami. 
C'est  une  désolation  générale,  un  deuil  publie  qui  s'étend  sur 
louie  la  France  et  la  Bourgogne.  Qui  n'a  ni  parent,  ni  ami  à 
pleurer,  plaint  la  «  noldf^  chevalerie  i]ui  esfoit  coiuute  la  fleur 
«  de  France,  qui  périe  y  esloîL  ».  Les  plus  grandes  dames 
de  France  sont  dans  les  larmes;  le  duc  de  Bourgogne^  au 
milieu  de  la  joie  iju'il  éprouve  de  savoir  son  fils  sain  et  sauf, 
se  lamente  de  la  purlt;  de  ses  meilleurs  gentilshommes.  En 
dehors  de  la  cour,  le  sentiment  public  n'est  pas  moins  dou- 
loureusement alTecté.  A  l'espoir  de  la  paix  avec  l'Angleterre, 
qui  seuiblaîl  certaine,  succèdent  ht  doideur  et  l'atBiction;  la 
honte  et  la  tristesse  remplissent  tous  les  cœurs,  et  lorsque, 
quelques  jours  après  (0  janvier  Ï3U7),  un  ser\ice  solennel  est 
célébré  pour  les  morts  dans  toutes  les  églises  de  Paris. 
l'afïluence  des  assistants  montre  la  part  que  tout  le  paya 
prend  à  une  catastrophe  sans  précédents.  «  Et  estoit  grant 
«  pitié  à  ouïr  les  cloches  sonner  de  par  toutes  les  églises 
«  de  Paris,  où  l'on  chantoit  et  faisoit  prières  pour  eulx,  et 
*  chacun  à  larmes  et  plains  s'en  aloit  priant  »' 


1.  Frolssart,  éd.  Kervyn,  xv,  329  et  332-5;  —  P.  Bauyn  Mëm,  du 
voiage,  p.  3j2. 

2.  Frolssart,  od.  Kervyn,  xv,  335-6;  —  Religieux  de  Saint  Denis^ 
IJ,  p.  520-2;  —  Livre  des  faiU^  i,  ch.  x.wi,  p.  597-8;  —  Juvénal  des 
Ursins,  n,  p.  410. 


CHAPITRE  VII. 


COUP    D  ŒIL   SUR   LA   CAMPAâNE 


Un  désastre  aussi  complet  ^ue  celui  de  Nicopolis  pst,  dans 
les  annales  de  riiistoiro,  un  fait  assez  rare  pour  qu'il  soil 
intéressant  de  s'y  arrêter  quoUjues  instants.  Par  suite  de 
quelles  circonstîïncfis  une  armée  de  cent  mille  hnnimes,  dis- 
posant d'un  matériel  de  guerre  considérable,  pleine  d'en- 
thousiasme pour  la  cause  qu'elle  défendait,  et  ne  ménageant 
ni  son  sang  ni  sa  vaillanrn  afin  dn  la  faire  triompher,  a-t-elle 
été  anéantie  devant  Nicopolis  parles  forces  turques?  Quelles 
fautes  dans  les  opérations  militaires,  dans  la  discipline  des 
croisés,  dans  la  conduite  des  troupes  ont  amené  un  pareil 
t»ffondrement  ?  C'est  ce  que  nous  allons  chercher  à  exposer 
en  quelques  mots'. 

On  ne  saurait  reprocher  aux  croisés  d'avcnr  pris  Nicopolis 
cf»mrae  objectif  de  leur  mouvement  offensif.  Nous  avons 
montré  l'importance  stratégique  de  cette  place  pour  une 
armée  cherchant  à  envahir  les  possessions  ottomanes,  et  nous 
ne  pouvons  qu'approuver  la  ligne  de  marche  adoptée.  Mais 
l'ordre  dans  lequel  s'accomplit  cotte  marche,  l'imprévoyance 
des  chefs  et  l'indiscipline  des  troupes,  l'oubli  des  précautions 
les  plus  élémentaires  pour  couvrir  l'armée,  le  luxe  et  le  faste 
déployés  dans  le  camp,  méritent  les  plus  sérieuses  cntiques. 
Si,  dans  ces  conditions,  un  atteignit  sans  encombre  Nicopolis, 
c'est  que  la  Bulgarie  était  dégarnie  de  troupes,  et  que  les 
forces  turques,  laissées  dans  le  pays  par  Kajazet,  étaient  trop 
faibles  pour  inquiéter  les  mouvements  des  Chrétien*.  Ce  Ait 


I.  Vuir  pour  tout  ce  chapitre)  K.  Kîhs  (p.  28<J  et  suiv.),  auquel  lions 
KvoiiK  emprunté  les  principaux  traits  de  cette  élude. 


ri.   SÏ'R   I.A    CAMP.VîKK. 

pour  ces  derniers  une  heureuse  fortune,  dont  ils  profitèronl 
en  s'emparant.  clicmin  faisant,  de  fiuokiues  forteresses  mal 
défendues  ;  mais  dès  cos  premiers  engagements,  un  observa- 
teur cliiirvoyant  eût  pu  remarquer,  dans  la  faron  dont  ils 
furent  couduits,  des  .symptômes  alarmants  pour  la  suiti^  de  la 
ranipagiio. 

La  chevalerie,  dont  la  bravoure  n'est  pas  en  questicm, 
avait  d'elle-mr*me  une  haute  opinion  ;  malgré  son  ignorance 
des  règles  de  la  stratégie,  elle  se  croyait  infaillible  dans  l'art 
do  la  guerre.  Quiconque  n'était  pas  chevalier  était  indigne  de 
tenir  une  épée,  et  il  eût  fait  beau  soutenir  qu'une  armée  de 
mercenaires,  une  horde  de  barbares  pouvait  lui  tenir  tète  et 
se  mesurer  avec  elle.  Une  pareille  outrecuidance  lui  sera 
fatale,  le  jour  où  elle  se  mesurera  avec  un  eniiend  qui  n'obéira 
pas  seulement,  comme  elle,  aux  inspirations  d'une  valeur 
téméraire ,  mais  encoiv*  aux  ordres  tactiques  d'un  chef 
exprriuienté. 

.lustju'à  Nicopolis  la  marche  des  croisés  fut  une  ujarclie 
triomphale.  Arrivés  devant  la  place,  ils  tentent  de  l'onle\cr 
de  vive  force,  mais  l'absence  de  uuitérici  de  siège  fait  échouer 
leur  dessein  ;  ils  se  décident  alors  à  l'investir,  par  torro  avw 
leurs  troupes,  sur  le  Danube  avec  la  Hottille  hongroi.'se,  e(  ce 
blocus  entrave  les  mouvements  de  toulo  Taruiée.  Ne  pou- 
vaient-ils pas.  pnisfjiie  riiiipnssibilit*'  d'un  siège  en  règle  avait 
été  de  suite  recuunue,  maintenir  le  blocus  avec  une  partie  do 
leurs  forces,  et.  en  continuant  leur  mouvement  offensif» 
franchir  les  Balkans  avec  le  reste  de  rarnu'*e? 

I.a  crête  des  Balkîuis  est  distante  d'environ  vingt-cin(| 
lieues  de  Nicopolis;  en  tenant  compte  des  accidents  de  ter- 
rain, des  difficultés  iiiln'renle«  ù  des  riiarohcs  daii>»  les  m«ui- 
tagnes.  l'armée  rlinHiemie  rut  \m  l'atteindre  en  huit  jours, 
surtout  si  elle  avait  éti^  divisée  en  plusieurs  corps.  La  bataille 
se  fût  livrée  dans  la  vallée  Je  l'Msma  et  dan•^  celle  de  la  Wîda  ; 
les  croisés  eussent  ainsi  été  maîtres  des  délilés  de  la  vallée  de  la 
Jantra,  par  lesqmds  lîajaztît  pouvait  déboucher  dans  lu  plaine, 
comme  révéuemcnt  l'a  prou\é.  Eiilin.  s'il  était  trop  tard  pimr 
devancer  le  sultan,  (jui  a\ait  franchi  la  chaîne  des  Uulkatis 
dès  le  m  septembre,  au  moins  le»  croisas,  ayant  dépassé 
Tirnovo  et  Lavocsa.  eussent,  avant  l'aiTivée  de  l'eiMiemi. 
occupé  les  défilés,  et  empêché  les  Ott(uuuns  de  descendn-  dans 
la  plaine. 


DAIfOBRS  DD  SIEGE  DE  ^^COPOLIS. 

Rien  do  pareil  no  fut  tonti^  ;  un  mouvompnt  en  avant  eAt 
éloigné  les  Clu'éliensde  leur  cculi'c  de  ruvitiiillcmcnt,  et,  dans 
un  pays  pauvre  et  peu  peuplé,  on  ne  pouvait  songer  à  faire 
vivre  rarmée  avec  les  ressource-i  locales  ;  encore  moins  pou- 
vait-on, à  travers  les  montagnes,  la  fuiro  suivre  de  ses 
approvisitmnements.  Il  faut  ajouter  que.  composée  en  gi-ande 
partie  de  cavalerie,  elle  eût  éprouvé  de  très  sérieuses  diffi- 
cultés à  franchir  les  Balkans.  Ce^  considératious.  ([ui  excu-sent 
en  quelque  sorte  la  conduite  des  croisé:*,  no  sont  pas  décisives, 
puisque  liajazet,  a>oc  ui:e  armée  également  composée  d'une 
noriibfLMise  cavalerie»  francliït  les  Balkans  sans  laisser  sa 
cavalene  en  arrière  et  sans  que  ses  troupes  souffrissent  de 
la  faim.  Les  coalisés  devaient  avoir  prévu  ces  difficultés,  et 
ne  pas  s'y  arrêter.  D'un  avitre  ci'ité,  sachant  ou  soupçonnant 
tout  au  moins  que  les  Turcs  se  concentraient  entre  Andri- 
nople  et  Philippopnli.  ils  ne  jmuvaient  songera  descendre  le 
coui*s  du  Danube  punr  teinlre  la  main  à  la  tiotte  qui  croisait 
à  reml)ouelim*e  du  fleuve,  sans  exposer  et  découvrir  leur 
armée  du  côté  des  Balkans'  ;  une  pareille  manœuvre  eut  été 
dé:*asU'euse.  Effrayés  rl'une  marcb(f  à  travers  les  montagnes, 
rejtoussanl  à  juste  titre  une  marche  le  long  du  ileuve.  ils 
restèrent  dans  l'inaction  ;  cette  résolution  était  justifiée  par 
la  tactiquf  de  répo(|ue,  qui  défendait  de  laisser  derrière  soi 
une  place  sans  la  réduire,  et  remlait  ainsi  la  prise  de  Nico- 
polis  indispensahle  avant  d'aller  plus  loin. 

Si  les  croisés  ne  devait-nt  pas  s'éloigner  de  Nicopolis  avant 
de  l'avoir  conquise,  au  moins  imporlait-ilile  l'enlever  au  plus 
lot  :  le  manque  de  machines  dt^  siège  les  obligea  à  restreindre 
leurs  opérations  à  un  blocus,  circonstance  malheureuse,  car 
un  siège  en  régie  étiiit  possible.  La  Hotte  coalisée  croisait  â 
l'embouchure  du  Danube,  â  quatre-vingt-dix  lieues  environ 
de  Nico]iolis  ;  elle  pouvait  ilétacher  une  partie  de  ses  vaisseaux 
sans  s'affaiblir  assez  pour  avoir  â  redouter  la  niaritie  nais- 
saute  des*Turcs;  en  une  dizaine  île  jours,  cette  division 
ivmontait  le  fleuve  jusqu'à  la  place;  l'opération  n'offrait  pas 


1.  Kii  t'iVi,  !<•  mi  dr  pDingiio  Latliiilns  et  lliinyiidr  roinmirenl  une 
fiiiilr  armliijLïiir;  pour  ne  \nis  h V' loti; no r  des  a]ipmvi:!i>iuiiiieinciUh  iprils 
rcc<*vftirnt  par  le  fliMiYe,  iU  vodliirniit  l'ii  suivre  le  cours:  cfUe  marchn 
\c  lung  (lu  l'iuiultr  niiiena  la  di^faitc  de  Warna.  —  V.  Kùliler,  p.  Î2 
et  siitv. 


2d6 


COUP  n  (EiL  SUR  r.A  campagne. 


de  difficultés  sérieuses,  puisque  le  fleuve  est  large,  profond  et 
moins  rapide  que  le  l-*o,  dont  les  galères  vénitieiiues  remon- 
tèrent maintes  fois  le  cours,  dans  la  guerre  que  la  république 
de  Saint  Marc  soutint  contre  Philippe  Marie  Visconti,  duc  de 
Milan  (lV?l)-I  îî  I}. 

Ce  mouvement  mettait  à  la  disposition  des  croisés  les  ma- 
chines de  guerre  i]ui  leur  manquaient.  Nous  savons,  en  effet, 
que,  dès  13S0,  pendant  la  guerre  de  Chioggia,  les  galères 
génoises  et  vénitiennes  étaient  armées  d'engins  lanrant  des 
boulets  de  marbre  de  cent  quarante  et  même  de  deux  cents 
livres.  A  de  pareilles  machines  les  murailles  de  Nicopolia  ne 
pouvaient  ni^ister  longtemps,  et,  ta  place  aux  mains  des 
Chrétiens,  il  se  peut  que  \o.  sultan  n'eût  pas  osé  quitter  la 
région  montagneu^ie  des  Balkans  et  descendre  dans  la  plaine 
du  Danube. 

Mais  si  rien  de  ce  que  nous  venons  do  dire  ne  fut  exécuté, 
si  Bajazet  arriva  â  l'improviste  devant  NicopoUs,  si  la  bataille 
devint  inévitable,  les  croisés  prirent-ils,  de  leur  coté,  toutes 
les  mesures  que  la  prudence  et  la  sagesse  cummaudaient,  au 
moment  où  allait  se  décider,  non  seulement  le  sort  de  la  cam- 
pagne, mais  celui  peut-être  d'une  partie  de  la  rhrétienté?  M 
semble  que  non.  L'arniée  coalisée  n'a  ni  base  de  retraite. 
ni  solides  points  de  défense  sur  ses  flancs;  derrière  elle,  une 
place  ennemie  avec  une  gai*nisoo  entreprenante;  plus  loin 
le  Danube,  sans  pont.  En  cas  de  désastre,  elle  n'échappera,  en 
battant  en  retraite,  à  la  garnison  de  Nicopolis  que  pour  périr 
dans  les  Hots  du  fleuve.  Son  aile  gauche  est  découverte  dans 
la  plaine;  â  droite,  un  bois  pourrait  servir  de  soutien;  on 
laisse  un  large  espace  libre  enti'e  l'aile  droite  et  cette  défense 
naturelle.  H  semble,  cependant,  qu'on  eût  pu  prendre  une 
position  de  combat  plus  favorable.  Au  moment  où  la  pré- 
sence de  Tarraée  turque  fut  signalée,  il  fallait  ranger  l'armée 
chrétienne  eu  bataille  sur  la  rive  gaucho  de  l'Osma,  qui  fe 
jette  dans  le  Danube  â  environ  une  lieue  en  amont  de  Nico- 
polis ;  ce  mouvement  avait  l'avantage  de  donner  Orsova 
comme  base  d'opérations  aux  Chi*étipns  et  de  maintenir  leurs 
communications  libres  avec  rOccident.  En  même  temps  la 
flottille  devait  rf  monter  le  Heuve  jus(]u'au  conflu'*nt  de  l'Osma, 
et  jeter  l'aneiv»  le  long  du  rivage.  Dans  cetti^  pusitiun  hin 
croisés  pouvaient  attendre  les  forces  uttomanes.  l*a  rapidiii^ 
des  naux   du  fleuve,  la  flottille  ancive  à  rembouchure  de  lu 


FAUTES   COMMISES    PENDANT    I.A    BATAILLE. 


297 


rivière  étaient  pour  Bajazet  de  sérieux  obstacles  ;  Taile 
droite  des  Ottomans  se  trouvait  menacée  si  les  Chrétiens  pre- 
naient roffensive^  et  la  bataille  s*engageait  avec  des  chances 
égales. 

La  critique  est  toujours  facile,  Loin  des  événements, 
ut  n'éprouve  aucun  embarras  à  indiquer  le  remède  aux 
fautes  commises.  Ici  même,  en  reprochant  aux  coalisés 
de  n'avoir  pas  fait,  à  rapproche  du  sultan,  un  n^ouvement 
de  convci*sion  à  droite,  nous  n'avons  pas  tenu  compte 
de  l'arrivée  soudaine  des  Turos,  d'une  surprise  qui  rendait 
une  pareille  manœuvre  singulièrement  dilTïcile.  Envisa- 
geons donc  simplement  la  bataille  telle  qu'elle  si?  livra, 
et  voyons  si  la  fagon  dont  ello  fut  conduite  mérite  d'être 
blAméo,  et  engage  la  rcsporisubîiitL^  des  chefs  de  la  croisade. 

Faisons  d'abord  la  part  des  rivalités  qui  agitaient  l'ar- 
mée, des  haines  que  nourrissaient  les  généraux  les  uns  contre 
les  autres.  Nous  savons  que,  dans  le  conseil  de  guerre  tenu 
;ivant  la  bataille,  elles  firent  rejeter  l'ordro  de  combat  proposé 
par  Sigisnioud,  qu'il  fallut  mettre  les  Kran<:ais  à  l'avant-garde, 
et  que  les  défections  décisives  de  Laczkovich  et  de  Mircea 
eussent  été  presque  impossibles  si  le  plan  du  roi  de  Hongrie 
avait  été  adopté.  Ce  sont  là  dos  circonstances  exoejitionnelles, 
supérieures  à  la  volonté  humaine,  et  qu'on  ne  peut  que  dé- 
plorer, sans  les  imputer  à  l'un  ou  à  l'autre  des  acteurs  de  ces 
lamentables  événenieuts.  Mais  si  l'on  veut  fixer  les  l'ospon- 
siibilités,  il  faut  signaler  doux  fautes,  commises  pondant 
cette  triste  journée,  et  dont  les  conséquences  furent  capitales. 

La  première  fauti'  fut  la  manière  dont  les  chevaliers 
franco-bourtruiguons  attaquèrent  l'ennemi.  A  l'extrême  avant- 
garde,  iU  abordent,  avec  une  brillante  valeur,  la  première 
ligne  turque  et  l'enfoncent,  mais  ne  savent  pas  rester  maîtres 
d'eux-mêraes,  et  so  laissent  entraîner  sans  i*étlexion,  au  mé- 
)>ns  de  toutes  les  règles  de  la  stratégie.  On  sait  qu'une  charge 
lie  cavalerie,  comme  celle  qu'ils  fournirent,  doit  êtn^  tou- 
duite  d'une  allure  modérée,  sans  être  lente,  pour  ne  pas 
hiisser  à  rennenii  It^  temps  de  se  mettre  en  défense,  que  sa 
vitessf  doit  s'augmenter  progressivement,  snns  aller  jus)|u*â 
surujener  1rs  rhevaux,  (jui.  en  cas  île  rotraitr».  ne  pourraient 
plus  donner  ce  qu'on  i»\igorail  d'eux,  qu'enHn  un  corps  rie 
rêser\'e  doit  simtenir  le  corps  qui  charge.  Aucune  de  ces  pré- 
cautions ne  fut  observée  ;  la  chevalerie  arriva  bride  abattue 


COL'P    1*  (EIL    Sim    L\    CAMPAONE. 

sur  les  Turcs,  les  sabra  sans  merci,  et  les  poursuivit  avec 
acharneuienl.  Elle  épuUa  ainsi  ses  chevaux  et  se  trouva,  sans 
soutien,  très  eu  avant  du  gros  de  l'armée  qui  n'avait  pu  la 
suivre  dans  sa  course  folio. 

La  seconde  faute  incombe  à  Siglsmoud  ;  il  ne  comprit  pas 
assex  vite  le  datjger  auquel  les  Français  exposaient  l'armée 
tout  entière.  11  ne  vil  pas  qu'avant  tout  il  ne  fallait  point  les 
laisser  seuls  aux  prises  avec  les  Turcs,  en  avant  du  front  de 
bataille,  et  que,  si  l'infanterie  avait  trop  île  chemin  à  faire 
pour  les  rejoindre  en  temps  util'-,  il  (levait  porter  sa  cava- 
lerie en  avant  pour  donner  à  l'avanl-garde  uu  soutien,  au 
moins  momentané,  pendant  quL'  le  reste  de  ses  troupes  mar- 
chailau  secours  dt's  Français .  Sigismond  ne  quitta  pas  ses  posi- 
tions; est-ce  faute  d'avoir  embrassé  d*un  coup  iVœW  retendue 
du  danger?  est-ce  par  dépit  d'avoir  vu  ses  plans  rejetês  et 
avec  uu  secret  plaisir  de  laisser  se  tirer  seul  d'une  position 
critique  le  pi*ésompt lieux  connélable?  e<tt-ce  parce  ([u'îl  se 
Hait  peu  à  ses  troupes  et  à  ses  alliés,  et  qu'il  ivdoutait, 
comme  l'événement  l'a  prouvé,  le  peu  de  stdidité  des  unes  et 
la  défection  des  autres?  (juel  que  sf»it  le  motif  auquel  il  obéit, 
les  conséquences  de  son  inactiun  furent  désastreuses. 

Du  côté  des  Turcs,  les  opérations  militaires  ont  un  toui 
antre  caraclère.  Le  sultan,  srcondé  par  une  armée  solide, 
dévouée,  éprouvée  dans  maints  combats,  no  laisse  rien  au 
hasard,  et  sa  victoire  est  due  autant  à  la  sagesse  de  ses  dis- 
po-^ilinns  militaires  qu'aux  fautes  de  ses  adversaires.  Son 
plan,  qu'il  poursuit  avec  une  persévérante  opiniâtreté,  est  de 
conquérir  la  Bulgarie  pour  asseoir  solidement  la  puissance 
utlornane  on  l'iUrope.  Maître  do  cette  pruvinre,  il  cnmmaiide 
k*  cours  inférieur  el  l'embouchure  ilii  Danube,  il  domine  toute 
la  règiou  comprise  entre  les  lialkans,  le  tlouve  et  la  mw 
Noire,  et  la  Propontide  devient  un  lac  oKoman.  Aussi  n'hé- 
site-t-il  pas,  quand  la  marrhc  des  en  usés  est  anuoncéi'.  à 
abandonner  toutes  ses  con(piêtos  antérieures,  qu*il  ne  peut 
défendre  ellicacemenï,  |iour  faire  de  Nicopolis  le  centre  de  la 
irsistaui^e.  C'est  pour  lui  une  position  stratégique  de  premier 
ordre  ;  il  y  concentre  toutes  les  forces  dont  il  dispose  et  les 
met  sous  le  commandenunit  d'un  vétéran  des  armées  nuistd- 
manes,  d'un  lieutenant  éprouvé,  Dogan  Bey,  avec  mission  d<' 
défendit»  la  place  jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Lui-même 
rassemble  ses  troupes  de  secours  enire  Andrinople  et  Phi- 


TaCTIQHE   PRrDEPTTE   nK   BAJA2ET. 


290 


lippopoli.  Il  sait  bien  qu'une  victoire  leremoitra  en  possession 
(le  tout  !o  pays  abandunné.  Sou  armée  concenlrêe,  il  se  met 
un  devoir  de  franchir  les  Balkans,  opératioa  difficile  dans  un 
pays  pauvre,  flrvask*;  par  la  guorro,  ot  pîu*  suitn  sans  res- 
sources, surtout  pour  une  ariiièo  en  grande  partie  composée 
de  cavalerie.  Deux  roules,  celles  de  Kazaulik  et  do  Tatar- 
bazardzsik,  mènent  aux  vallées  de  la  Jantra  et  de  i'Osaia;  ce 
sont  celles  qu'il  choisit.  Vers  le  20  septembre,  il  a  atteint 
les  sommets,  reforme  son  ai-mée,  et  descend  par  les  pentes 
douces  du  versant  occidental  dans  la  plainte  du  Dannho. 
Aucun  obstacle  n'arrête  sa  marche,  aucun  avant-poste 
ennemi  ne  lui  dispute  les  défiles.  Les  Balkans  franchis 
sans  encombre,  Bajazet  est  maître  de  la  campagne  ;  les  rap- 
ports qu'il  ret;oit  de  l'armée  croisée,  «le  l'indiscipline  et  des 
rivalités  dont  elle  donne  le  spectacle,  augmentent  sa  confiance. 
Il  n'ignore  pas  que  les  alliés  des  Hongrois,  Valaques  et  Serbes, 
sont  (l'une  Hdélité  ehaacelauie,  que  les  croisés  sont  animés 
d'une  fulle  présomption  ;  en  agissant  sans  précipitation  il 
verra  bientôt  se  fttndre  devant  lui  les  divers  éléments  de 
rarniée  coufédéive.  C'est  dans  ces  conditions  que  la  bataille 
se  tloMiie  ;  le  sultan  a  pris  toutes  les  précautions  commandées 
par  la  prudence  ;  son  uj-niée  est  rangée  en  trois  lignes,  la 
cavalerie  est  aux  ailes,  prèle  à  envelopper  l'ennemi,  et  à  dé- 
fendre les  extrémités,  toujours  plus  vulnérables,  du  fi*ont  de 
bataille  ;  les  ailes  de  la  troisième  ligne  dépassent  beaucoup 
le  centre,  en  sorte  que  la  disposition  générale  est  celle  d'un 
di-uiicercle  ouvert  du  côté  di*  rrnnenii  ;  enlin  les  Musulmans 
tint  l'avantage  d'une  position  dominant  celle  des  Chrétiens. 
Kn  outre,  à  droit<i  une  colline  escarpée,  â  gauche  un  bois 
épais  fortifient  les  positions  des  Turcs,  et  tandis  que  les 
croisés  se  font  tuer,  sans  résultat,  avec  une  héroïque  bra- 
voure, les  Ottomans,  ébranlés  par  la  furie  des  attaques  qu'ils 
ont  a  soutenir,  se  reforment  sans  désordre  derrière  b'urs 
ligne»  de  bataille,  et  recommencent  la  lutte.  Devant  une 
tactique  aussi  réfléchie,  la  victoire  ne  peut  échapper  à  celui 
qui  a  su  mettn»  fie  son  ï'(>té  toutes  les  chances  favorables  et 
ne  ricti  abandonner  au  hasard,  \ii\o  reste  aux  Turcs,  et  ce  ré- 
sultat, dû  tant  â  leurs  ({ualités  mililaires  qu'aux  faute»  de 
h'urs  adversaires,  n'a  rien  qui  doive  étonner  un  spectateur 
impartial  :  tout,  en  effet,  concourait  à  le  lui  faiiv  prévoir. 


CHAPITRE  VIIÏ 


DELIVRANCE   ET   RETOUR   DES  PRISONNIERS. 


La  nouvellp  du  désasiro  canmtfi  ot  !a  proniière  émotion 
passée,  on  s'occupe  ù  la  cour  de  France  des  raosuros  à 
prondro  pour  obtenir  la  délivrance  des  captifs  el  les  arracher, 
aussi  tôt  i^up  possiblo,  à  leur  prison.  JucqiiPs  de  Heilly  a  dlô 
chargé  par  eux  d'insister  sur  la  nécessité  d'une  prompte 
intervention  ;  le  duc  de  lîourgo^ie,  désireux  de  sauver  son 
fils  des  mains  des  infidèles,  est  partisan  des  moyens  les  plus 
rapides,  et  l'on  sait  qu'une  i'ani;on  est  le  seul  mode  de 
libération  qu'acceptera  Bajazet.  Aussi  décide-t-on  qu'Heilly 
retournera  prés  du  sultan  ;  une  auibassrule  solennelle,  rhar- 
gée  de  né^iirier  la  mise  en  librrlè  dos  prisonniers,  raccom- 
pagnera. 

Pendant  qu'Heilly  était  eu  roule  vers  la  France,  les  envoyés 
de  Charles  vi  et  des  seigneurs  français  étaient  arrivés  à  Venise. 
C'est  là  qu'ils  apprirent  le  sort  malheureux  de  l'expédition: 
li'urs  instructions  leur  eujoig-naient  île  ne  pas  ^cf,^1gIler  la 
l'iance  sans  avoir  vu  le  couilc  de  Nevers  et  ses  compagnons; 
aussi  sollicitèrent-ils  de  la  république  do  Saint-Marc  les  moyens 
<le  continuer  leur  voyage  '.  Celle-ci  leur  conseilla  d'aller 
d'abord  en  Diilmatie  et  de  savoir  du  roi  de  Hongrie,  plus 
exactement  qu'elle  no  saurnit  le  faire,  le  sort  des  prisonuiers. 
le  lieu  de  leur  internement  i>t  les  pourparlei's  entamés  poui* 


I.  C.uillaumcdn  l'Ai^lr  était  pEissé  par  Mjlan  où  il  avait  obtenu  du 
dur  Jfiuiiflaléas  uiir  leUi*e.  adress^'ca  In  seigrïeurio  île  Voiiiso,  la  ]iriaiit 
iiu'Urc  iinf  galiTo  armée  à  la  di^po>îtiuii  du  cliambcllan  du  duf  tie 


]Umt't!o^t\o.  CotlV  Irttrefut  porléi-Mi  Venise  par  le  seigneur  do  la  Croix, 
rhambelliin  de  Jean  Cialéas  (I*.  Hauyn,  Mi'm.  du  voiaffc,  f.  331}. 


Ot'lLLACME   DE  L  A|Gt>.   KN   ORIENT.  301 

leur  délivrance  (11  janvier  1397);  elle  les  autorisa,  dans  ce 
Sut,  à  prendre  passage  sur  ses  vaisseaux  jusqu'à  RagruseV 
Quelques  semaines  plus  tard  {\  février),  elle  fit  ariuer  une 
galère  pour  les  mener  de  Dalmatie  à  Coiistanlinople '.  Si  elle 
n'avait  pas  mis,  pendant  la  campagne,  autant  qu'elle  eiU  pu  et 
dû  le  faire,  ses  forces  e(  son  itiHuonce  au  senice  de  la  croi- 
^ade,  au  moins  apportait-elle,  après  la  catasiropht'.  toute  son 
activité  â  faciliter  la  délivrauf^e  des  prisonniers,  et  à  ailênuer 
les  conséquences  d'une  défaite  dont  elle  sentait  tout  le  danger 
pour  la  paix  de  l'Europe  et  pour  S(»s  propres  établissements 
du  Levant. 

Grâce  à  l'appui  que  Venise  lui  prêta,  Guillaume  di'  l'Aigle 
put  atteindre  TUe  de  Mitylène  et  gagner  de  là  Mikalidsch", 
où  se  trouvaient  tes  prisonniers.  Le  seigneur  de  la  Croix,  cham- 
bellan du  duc  de  Milan,  Pavait  accompagné,  porteur  d'une 
lettre  pour  Bajaxet,  dans  laquelb^  Galéas  recommandait  le 
comte  de  Nevers  à  la  bienveillance  du  sultan.  Lt?  duc  de 
Bourgogne  avait  pris  soin  de  charger  son  envoyé  de  quelques 
présents  destinés  au  vainqueur  ;  c*étaient  des  harnais,  selles 
ot  arçons  d'un  travail  magnifique.  Guillaume  do  TAigle,  on 

1.  Arcli.  de  Venise,  Sert.  Misti,  XLUr,  f.  166  {^d.  Ljubic,  Mouum. 
Bjteel...,  IV,  397).  A  celte  date  Venise  savait  ([ti'il  y  avait  des  n(^gu- 
ciations  commencées  avec  la  «  liascie  »,  mais  croyait  (|iie  les  ppï- 
sonniers  étaient  dans  ce  pays.  —  Pendant  leur  séjour  à  Venise 
Guillaume  do  l'Aigle,  Betliiz  Prunelle.  Jean  PicqucI  et  Jean  de  la 
Cloche  empruntèrent  à  un  négociant  véntlicn  L>ominiquc,  Hls  d'André 
de  Sienne  (16  janvier  1397),  deux  cent  quatre-vingt-sept  écua  et  demi 
pour  subvenir  à  leurs  dépenses.  Cette  somme  fut,  plus  tard,  supitortéc 
par  moitié  ])ar  les  ducs  d'Orléans  et  de  Bourgogne  (Bibl.  nat.,  fr.  nouv. 
acq.  3639,  pièce  289). 

2.  Arch.  de  Venise,  Sen.  Secr.,  E,  f.  139  p«-v".  —  Pendant  les  mois 
de  janvier  et  février  1397,  plusieurs  chevaliers  français  arrivèrent  ù 
Venise,  chargés  de  se  rendre  auprès  des  captifs.  —  Le  23  janvier, 
Charles  vi  envoie  Pierre  \'allée,  un  des  gardes  do  la  monnaie  de 
Troyes,  h  Venise,  pour  délivrer  le  sire  de  laTrémoilIc,  le  maréchal  de 
Bourgogne  et  Itenicr  Pot  {Ordonnance»,  vui,  120).  —  Le  28  janvier, 
un  ainbassnrleur  du  roi  de  France  est  à  Venise  avec  une  mission  ana- 
logue (Ljubic,  Momim.  $pret...,  iv,  401).  Tous  ces  chevaliers  furent  au- 
toriséa  à  prendre  pavsagc  sur  la  galère  armée  par  délibération  du 
4  février.  —  Le  8  mars  1397,  Venise  permit  également  à  deux  autres 
chevaliers  français  d'aller  dans  le  Levant  (Arch.  de  Venise,  Sen.  Misti, 
XLUl,  f.  166). 

3.  A  deux  journées  de  Brousse,  à  l'ouest  du  lac  Ulubad  {Leopa- 
dium). 


DELIVRANCR   ET   RETOIR   DBS    PRISONNIERS. 

les  offrant,  devait  faire  entendre  que  ce  n'était  là  qne  le  pré- 
lude de  présents  plus  riches,  et  d'une  ambassade  plus  solen- 
nelle. Bajazot,  flatté,  accueillit  sans  colère  ces  ouvertures 
pacififiues  ;  il  ne  repoussa  pas  le  principe  d'une  rançon  dont 
1©  chiffre  étitit  â  déterminer,  et  autorisa  Guillaume  de  l'Aigle 
à  se  mettre  en  rapports  avec  Jean  de  Nevers  et  le*  prisonnioi's. 

Après  plus  de  trois  semaines  {2\  janvier)  passées  à  Mika- 
lidsch,  l'ainbassadeur  du  duc  de  Rmirpogne  rotonrna  à 
Mil^ylène  et,  de  celte  île,  par  Chiiis  et  Modon,  regagna  Venise  : 
dis-huil  joui*s  après  son  débarquement  dans  c^lte  ville,  il 
était  de  retour  à  Paris  (vers  avril  l-'iOT  )  '. 

L'ambassade  solennelle,  dont  il  avait  annoncé  la  venue  au 
sultan,  était  déjà  partie  quand  il  revint  en  France  ;  elle  se 
composait  de  Jeau  de  Cliriteauiuorand,  de  Jean  de  Vergy  et 
de  Gilbert  de  Leuwerghenj  ;  le  premier,  chainbeîlan  et  con- 
seiller du  roi,  représentait  Charles  vi  ;  c'était  à  la  fois  un 
homme  de  guerre  et  un  diplomate  du  pins  grand  tnêrite.  Tl 
s'était  illtisiré  à  rexpéilition  de  Tunis,  sous  les  ordres  du  duc 
de  Bourbon  (1390);  on  faisait  grand  cas  à  la  cour  de  co 
«  chevallier  pourveu  de  sens  et  de  beau  langaige.  froit  et 
atleiiipré  en  toutes  manières  »,  et  la  suite  de  ce  récit  mon- 
trera qu'il  savait  aussi  bien  tenir  l'épée  qne  mener  à  bonne 
fin  une  négociiition  difficile.  Ses  services  contre  les  inft- 
ilèles,  raniitié  dunt  Ihoiïorait  le  maréchal  Houcicaiil  Tappi^ 
lèreni  à  remplir  auprès  du  suit  au  une  mission  qui  deman- 
dait à  la  fois  de  la  prudence,  du  courage  et  de  l'honneur*. 
A  côté  de  lui,  Jean  de  Vergy \  gouverneur  du  comté  de 
Bourgogne,  et  Gilbert  île  Leuwerghem  *,  gouverneur  de 
Flandre,  étaient  envoyés  par  le  duc  de  Hourgogne;  leur 
position  administrative  leur  donnait,  dans  la  discussion 
de  la  rançon,  une  compétence  spéciale,  et  leurs  lumières 
devaient  être  d'un  gr-and  secours  pour  aboutir  à  un  prompt 
arrangement,    Jean    Blondel,    premier    écuyer,    et    raattre 


1.  P.  Bauyn,  Mcm.  du  voiage,  î.  ;t51-2.  —  La  liste  des  présents  est 
donnée  par  le  mi>mc  auteur  (f.  350  v). 
"1.  Voir  plus  haut,  pages  lB<î  et  suivantes. 

3.  Il  était  seigneur  de  Fouvans  (Fouvcnt-lo-llaul,  Haute-Saône, 
ar.  Gray.  cant.  <  hamplitte).  La  charge  de  sénéchal  de  Bourgogne  était 
héréditaire  dans  la  maison  de  Vergy. 

4.  Il  était  chevalier  et  chainbellan  du  duc  dèii  138tf  (Arch.  de  la  Côte 
d'Or,  n,  inv    ik-  Peincedé,  wiu.  Uni  et  XXIV,  347). 


BAJAZET. 

Robert  d'AugueU  seci^taire  du  duc*»  leur  étaient  adjoints. 
Ils  connaissaient  la  diplomatie  et  les  cours  italiennes  pour 
avoir  déjà.  Tannée  précédente  (mai  1 396) ,  été  chargés 
d'apaiser  un  différend  survenu  entre  Jean  Galéas  Visconti, 
duc  de  Milan,  le  nïai'tjuis  de  Montferrat  et  le  prieur  de 
Piémont  et  de  Morée  à  l'occasion  des  prétentions  du  comte 
de  Savoie  sur  les  pays  situés  nu  delà  des  Alpos'.  Une 
suite  nombreuse  de  vingt-qualre  valets,  pour  conduire  les 
chevaux  et  les  chiens,  el  dix  fauconniers  complétaient  lam- 
bassado.  Elle  se  mit  en  route  le  20  janvier  1397,  peu  de 
jours  après  le  départ  de  Jac(|ues  de  Heilly,  qui  avait  eu  hAte 
de  rendre  compte  li  Bajazet  de  son  voyage  et  de  se  constituer 
de  nouveau  prisonnier  entre  ses  mains*. 

Les  envoyés  français  étaient  porteurs  de  riches  présents 
IKtur  le  sultan  ;  on  connaissait  la  passion  do  ce  prince 
pour  la  fauconnerie  et  la  cliasse,  son  amour  pour  les  ten- 
tures et  étoffes  somptueuses  ;  aussi  les  cadeaux  que  lui  des- 
tinait le  duc  de  Hourgu^'-ne  fiu'ent-ils  choisis  pour  Hatler  ces 
goftts  (ît  dans  l'espoir  de  rendre  les  disp4>sitions  de  Bajazef 
plus  favorables  aux  prisonniers.  Douze  perfaults  blancs  lui 
furent  envoyés;  on  y  joignit  les  gants  des  fauconniers,  tout 
brodés  de  perles  et  de  pierres  précieuses,  deux  selles  et  har- 
nais d'apparat,  d'un  travail  très  riche,  avec  inscriptions  en 
«  lettres  san-asinoysines  et  plusieurs  fleurs  d'oultrc  mer  se- 
mées »  ;  des  étoffer  précieuses,  fixées  par  dos  clous  et  des  roses 
d'or  pendantes,  les  garnissaient;  leui-s  In^usses  étaient  en 
broderie  d*or  de  Chypre.  Dix  chevaux,  revêtus  de  couvertures 
aux  armes  du  duc,  et  conduits  par  des  valets  à  la  livrée  de 
Bourgogne,  deux  grands  liuuers  et  huit  lévriers  furent  joints 
aux  pièces  do  harnachement  préparées  pour  Bajazet.  Les 
toiles  de  Reims,  l'écarlate  tine,  étaient  rares  en  Orient  ;  les 
draps  de  haute  lice  d'xVrras,  représentant  de  <  bonnes  his- 
c  foires  anchiennes  ;^  plaisaient  particulièrement  au  sultan  ; 


1.  Itobert  d'Aufruel  ou  de  Dangiicl  occupait  cette  charge  d^s  138' 
{Bev.  des  fjQc.  hisL,  \\\  (1880).  p.  183-4). 

2.  bil)l.  nai.,  cuil.  de  Uourgogno,  vol.  lOi  (compte  de  novembre 
1396  û  février  1397). 

a.  Froitusorl,  éd.  Kervyn,  xv,  337  ot  426-7.  I^  dé|)art  d'Heilly.  d'après 
Froiftsan.,  eut  lieu  apréh  duunLi  juurK  environ  de  séjour  à  l'ari»,  c'est- 
ji-dire  vers  le  6  ou  7  j&iivier  1U97.  —  Arcli.  do  la  Cûle  d'or,  It.  1511. 
f.  140. 


DELIVRANCE    ET   RETOUR   DES   PRISO.NNIERS. 

on  n*eui  partie  de  les  oublier,  et,  par  uno  dêlicaïc  flatterie, 
le  sujet  (les  tapisseries  choisies  reprêsenlait  riiisloire  d'A- 
lexandre le  Grand,  dniit  Uajazet  se  plaisait  à  se  proclamer  le 
descendant.  Quelques  pièces  d'orfèvrerie  complotaient  les 
cadeaux  cutifiés  aux  ambassadeurs  français  '. 

Heilly»  parti  quelques  jours  avant  Chàteauraorand,  Vergy 
et  Leuwerghem,  avait  fait  diligence  pour  rejoindre  le  sultan  : 
Rajûzet  n'était  pins  à  Brousîse,  mais  A  soixante  lieues  au 
delà  lie  cfute  ville',  ;'(  Holy,  en  Aîiatolie;  les  prisonniers  l'a- 
vaient suivi  dans  cette  nouvelle  résidence,  sauf  Enguerrand  de 
Couc}',  malade,  dont  le  sire  de  Milyléiie,  son  [larent  élijiyné*. 
avait  assuré  sous  caution  la  liberté  provisoire.  Le  prumpt  retour 
irHcilly,  sa  fidélité  à  tenir  sa  parole,  et  la  nouvelle  de  l'ar- 
rivée prochaine  de  l'ambassade  tirent  sur  l'esprit  de  Bajazet 
une  heureuse  impression  ;  IleiUy  obtint  facilement  les  sauf- 
conduits  nécessaires  aux  pléuipotentiaires,  et  en  même  temps 
sa  liberté  définitive.  11  put  se  mettre  en  rapports  avec  les 
prisonniers,  leur  donner  des  nouvelles  d'Occident  et  Tassu- 
rauce  que  toute  la  France  s'intéressait  à  leur  rachat. 

L'ambassade,  de  son  côté,  avait  pris  la  route  de  Milan, 
sauf  Verg}',  qui  avait  gagné  direcleraeul  la  Hongrie  ;  elle 
portait  à  Jean  Galéas  une  lettre  de  Philippe  le  Hardi,  et 
devait  s'assurer  des  bonnes  grâces  du  duc.  Très  écouté 
à  la  cour  ottomane,  Galéas  pouvait  faciliter  le  succès  de  la 
mission  des  plénîpolentiaires  français ,  ou  l'entraver  à 
son  gré;  il  importait  donc  de  se  rapprocher  de  lui*.  De 
Milan,  les  envoyés  se  dirigèrent  vers  Bude  ;  ils  y  rejoignirent 


1.  Brauner,  p.  59-60.  V.  Pièces  justificatives,  n"  vm. 

2.  C'est  avec  cette  ville  qu'on  identifie  généralement  Pebty  et  PoUy. 
noms  donnés  par  les  divers  manuscrite  de  Froissart. 

3.  Froisaart,  en  indiquant  cette  parenté,  qu'il  nous  est  impossible 
de  déterminer,  semble  s'Wre  trompé.  Ce  qu'il  dit  de  la  dame  de 
Mitylène  (éd.  Kervyn,  xvi^  5'1)  ne  se  justifie  pas  non  plus  au  point  de 
vue  généalogique. 

4.  itibl.  nat.f  coll.  de  Bourgogne,  vol.  lOî  (compte  de  novembre  1396 
À  février  1397).  —  Jean  d<ï  Fismes  e;  Hector  de  Marseille,  chevaucheurs, 
accompagnèrent  Jean  Blondel  et  maître  Hubert  d'Anguel  en  Lombardie; 
l'un  devait  de  là  être  envoyé  â  Uude  à  Jean  de  Vergy,  et  l'autre  en 
France  au  duc  de  liourgogne,  pour  les.  informer  du  résultat  de  l'am- 
bassade auprès  de  Jean  Galéas(Arch.  delà  COte  d'or,  B.  1511,  f.  UO). 
—  Jean  Blondel  était  revenu  de  Lombardie  en  avril  1397  (Arch.  de 
la  Côte  d'or,  li.  1511,  f.  168  \-'). 


SIQISMÛXD  ARRÊTE  LES  PRÉsKNTS  DESTINÉs  A  BAJAZET.    305 


Heilly,  porteur  des  sauf-couduits  nécessaires  pour  tJ'averser 
le  territoire  turc  ;  niais,  selon  Froissart,  des  difficultés  s'éle- 
vèrent à  l'occasion  des  présents  destinés  à  BajjizeU  Le  roi  de 
Hongrie  s'opposa  à  ce  que  les  tiipisseries  et  les  étoffes  fussent 
envoyées  au  sultan,  parce  que  c'étaient  des  témoins  durables 
d'une  victoire  dont  l'orgueil  ottoman  avait  lieu  d'être  fier.  Chà- 
teaumoraud  dut  en  ivférer  en  toute  hâte  à  Paris  ;  Charles  vi. 
r'i  cette  nouvelle,  insista  vivement  auprès  de  Sigismnnd  par 
lettre  potir  obtenir  le  libre  passage  des  cadeaux,  et  l'affaire 
no  fui  terminée,  à  la  satisfaction  des  plénipotentiaires,  que 
grâce  à  Tintervenlion  ihi  grand-maitre  de  Rhodes,  à  cette 
époque  présent  en  Hongrie  '. 

!1  y  a  dans  ce  récit  plusieurs  invraisemblances.  Au  moment 

où  Chàleauuiorand  arriva  â  Bude  (mars  ou  avril  131)7),  nous 

-       savons  que  Sigismond  n'était  pas  en  Hongrie,  mais  en  Dal- 

m      matie  ;  le  grand-mailre,  dont   le  rôle  fut  prépondérant  en 

cette  affaire,  ne  semble  pas  avoir  quitté  Rhodes,  depuis  son 

»  retour  de  l'expédition  ;  il  est,  en  outre,  impossible  que  Château- 
morand  ait  eu  le  temps  de  demander  des  instructions  en 
France,  <ie  les  recevnir  à  Bude,  et  d'aller  jusqu'à  Brousse 

t  remplir  son  ambassade  auprès  de  Bajîizet  avant  la  fin  de  juin, 
date  à  laquelle  furent  entamées  les  négociations  définitives 
pour  la  mise  en  liberté  du  comte  de  Nevers  et  de  ses  compa- 
gnons. Enfin,  il  est  au  moins  étrange  que  Sigismond  ait  cher- 
ché à  entraver  la  mission  des  ambassadeurs  de  Charles  vi  :  il 
s'agissait  <lu  rachat  des  pristuiuiers,  parmi  lesquels  se  trou- 
vaient des  seigneurs  hongrois;  la  ronduite  de  Sigismond  eut 
été  en  désaccord  avec  les  sacrifices  pécuniaires  qu'il  s'imposa 
plus  tard  pour  faciliter  la  libération  des  captifs. 

11  est  cependant  possible  d'expliquer  Terreur  du  chroni- 
queur; il  a  confondu  les  dates  et  les  personnages.  U  est  vrai 
que  le  duc  de  Bourgogne  écrivit  au  roi  de  Hongrie  pour  se 
plaindre  île  ce  que  le  raailre  des  moimaies  de  Bude,  Paul 
Bernard,  avait  ouvert  quelques  coffres  contenant  des  joyaux 
et  des  vêlements,  laissés  en  garde  par  le  comte  de  Nevers 
à  son  passage  en  Hongrie.  Il  se  peut  que  cet  acte  arbitraire, 
dont  nous  ne  connaissons  pas  tous  les  délails.  ait  donné  lieu 
h  un  échange  de  lettres  et  de  messagers  entre  Paris  ot  Bude; 
le  récit  du  chroniqueur  tire,  à  n'en  pas  douter,  son   origine 


1.  Froissart,  éd.  Kervyn,  xv,  348-52  et  358. 


iU 


DELIVRANCE   ET    RETOLK   1>ES   PRISONNIERS. 

(le  ce  fait,  mais  doit  être  absolument  rejeté  en  ce  qui  touche  les 
présents  destinés  au  sultan'. 

Les  prisonniers  n'avaient  pas  attendu  l'arrivée  des  plénipo- 
tentiaires pour  négocier  leur  délivrance;  ils  avaient  chargé 
le  maréchal  Boucicaut  et  le  sire  de  la  Trémoillo  do  deman- 
der à  bajazet  si  sou  ijitention  était  de  mettre  à  rançon  les 
captifs,  et  avaient  à  grand'peiac  obtenu  que  Boucicaut 
et  la  Trémoille  fussent  mis  en  liberté  sous  caution,  aBn  de 
*  pourchasser  finance  »  et  de  réunir  la  somme  nécessaire 
au  rachat  de  leurs  compagnons.  Munis  de  sauf-conduits, 
ceux-ci  s'étiiient  mis  en  route  pour  Hliodes.  Ce  voyage, 
dont  la  date  exacte  nous  est  inconuiie,  se  place  très 
probablement  en  niai's  1397;  nous  savous,  en  effet,  que  le 
maréchal  et  ta  Trémoille  étaient  encop*'  à  Brousse  le  Iti  fé- 
vrier 1307,  et  qu'ils  arrivèrent  ;'t  Rhodes  avant  Pâques 
(22  avril  1397)». 

Rhodes  était,  à  cette  époque,  le  centre  des  intérêts  chré- 
tiens en  Orient;  depuis  quo  les  empereurs  de  Constantiuopb* 
n'avaient  plus  qu'un  semblant  de  pouvoir,  et  que  lo  royaume 
de  Chypre  obéii^sait  tour  à  tour  aux  [influences  de  deux 
républiques  rivales.  Tordre  de  IHôpilal  exerrait  une  supré- 
matie iuconteslée  sur  les  îles  de  l'Archipel  ;  les  seigneurs  do 
ces  îles,  génois  ou  vénitiens,  négociants  et  banquiers,  ne 
redoutaient  pas  une  protection  (|ui  les  mettait  à  l'abri  des 
tentatives  des  infidèles  sans  les  constituer  en  état  de  gueire 
ouverte  avec  ceux-ci.  Us  jouissaient  ainsi  d'une  sécurité  rela- 
tive, dont  profilait  hnir  commerce.  C'était  à  eux  qu'il  fallait 
s'adresser  pour  obtenir  les  sommes  dont  le  comte  de  Nevei's 
avait  besoin.  Intermédiaires  entre  les  négociants  italiens  et 
lo  commerce  de  l'Orient,  ils  étaient  connus  sur  tous  les  mar- 
chés du  Levant,  car  «  marchandise  va  et  court  partout,  et 
«  se  gouverne  et  esloffe  le  monde  par  celle  ordonnance*  ». 
Bajazet   pouvait   sans   crainte   accepter  leur  signature  ;  de 


1.  Arch.  du  Nord,  ïï.  1272,  La  lettre  du  duc  de  Bourgogne  n'e^t 
pas  datée,  mais  elle  est  do  1397.  V.  Pièces  justificatives,  n"  xn. 

1!.  Uoucicaut  et  la  Trémoille  figurent  comme  témoins  au  testament 
d'IJnguerrand  de  Coucy  (A.  du  t'hosne,  liist.  généal.  des  maisons  de 
Guinea,  d'Ardres,  de  Gand  et  de  Coucy,  Paris.  1631,  p.  'iI9).  La  Tré- 
moille mourut  à  Rhodes  dans  l'octavo  tle  l'ùques  1397  (Froissart,  éd. 
Kervyii,  xvi.  264). 

U.  Kroissart,  éd.  Kervyn.  xv,  3ô6. 


MORT    r>E   LA    TUKMOTU-E    A    RHODES. 


30t 


leur  côté,  sans  piu'ler  du  désir  qu'ils  pouvaient  avoir  de  tirer 
los  Chrétiens  de  prison,  ils  trouvaient,  à  leur  rendre  ser- 
vice, honneur  et  profit.  En  allant  à  Rhodes  ,  Boucicaut  et  la 
Tréraoille  se  proposaient  d'intéresser  à  leur  cause  le  grand- 
maître.  Le  concours  de  Philibert  de  Naillac,  français  de 
naissance,  qui  avait  pris  une  part  personnelle  à  la  croisade, 
n'était  pas  douteux  ;  par  lui  les  représentants  du  comte  de 
Nevers  devaient  avoir  un  accès  facile  auprès  des  seigneurs 
de.  l'Archipel. 

A  peinte  arrivé  à  Rhodes,  la  Trémoille  tomba  malade; 
(jLielquea  jours  après  il  mourait,  malgré  les  soins  dévoués 
dont  l'entoura  le  maréchal,  lui  laissant  supporter  tout  U^ 
poids  des  négociations  (tin  d'avril  i:i97').  Sans  perdre  do 
temps,  Boucicaut  fréta  deux  navires,  et  tit  voile  vers  Mity- 
lène. 

Parmi  les  princes  de  l'Archipel,  le  seigneur  de  Mity- 
lène,  François  Gattilusio.  était  un  des  plus  puissants  et 
des  plus  en  crédit  à  la  cour  ottomane;  on  était  sûr  de  ses 
dispositions  ù  l'égard  des  prisonniers  ;  déjà  il  avait  répondu 
pour  le  sire  de  Coucy.  malade,  et  incapable  do  quitter 
Brousse  en  même  temps  que  les  autres  captifs.  Il  appartenait 
;i  une  noble  et  riche  famille  génoise.  Son  pèiv',  venu  dans  le 


1.  FroiB8art(éd.  Kervyn,  xvi,  52)  place,  par  errcup,ceUe  mort  pen- 
dant le  passage  des  chevalier»  û  Khodes  au  ivtuur  de  la  captivité, 
c'est-à-dire  en  septembre  1397.  La  nouvelle  de  ce  décès  fut  apportée 
au  duc  do  Bourgupne  par  Jean  de  llangest  (5  janvier  1398),  et  afQigea 
profonde  m  ont  Philippe  le  Hardi.  Iloucicaut  avait  fait  enterrer  Guide  la 
Trémoille  à  Hliodcs;  Guillaume  de  l'Aigle^  chambellan  du  duc  de  Boui*- 
gogne,  qui  avait  été  envoyé  à  Venise  aux  premiers  bruits  de  la  défaite 
de  .N'icopolis  (7-8  décembre  1396)  et  en  Orient  pour  s'enquérir  du  sort 
des  prisonnieis,  fut  en  1399  (Juin-septembre)  spécialement  chargé  d» 
présider  à  Itbodes  à  l'exliumation  des  restes  de  la  Trémoille,  et  de  les 
rapporter  en  France,  (wur  les  faire  inhumer  k  la  i'iiartreuse  de  Dijon, 
dans  la  sépulture  des  du<'M  de  Iluurgogne  (V.  Kroissart,  éd.  Kervyn, 
XVI.  250  et  26'»  ;  P.  liauyn.  Mém.  du  voiatje^  f.  359  vMiO).  M.  Kervyn  de 
Lettenbove  dit  d'autre  part  (Kroissart,  \xv,  128)  que  ce  fut  Pierre 
Vallée  qui  fut  ciiargé  de  ramener  en  l'rance  le  corps  de  la  Trémoille. 

2.  La  généalogie  des  seigneurs  de  Mityiènl^  malgré  les  travaux  tes 
plus  récents  Eaits  à  Gùnes,  est  fort  confuse.  Il  semble  cependant  que 
le  premier  Gattilusio  qui  s'établit  à  Lesbos,  François,  ne  pouvait  être 
le  mdme  que  celui  qui  intervint  en  1397  à  la  rançon  des  prisonniers, 
bien  que  portant  le  même  prénom. 


308 


DKUVRANCE   ET   RETûCU   liES   PUISONNIEKS. 


Levant  avtic  deux  galères  courir  la  fortune  (1354),  avait  fait 
réussir  un  coup  de  main  sur  Constantinople.  et  rétabli  Jean 
PaléoIogiiG  sur  le  trône  impérial.  Jean,  par  reconnaissance, 
lui  avait  donné  la  main  de  sa  tille  Mari»' et  Tile  de  Lesbos  en 
fief,  lui  faisant  ainsi  prendre  rang  parmi  les  hauts  barons 
chrétiens  du  Levant.  Les  Oattlliisin  avaient  su  profiter  à 
merveille  de  cette  situation,  et  aug^menter  en  môme  temps  la 
prospérité  de  leurs  états  et  de  leur  maison;  à  la  cour  de 
Constantinople  ils  |)arlaieat  en  niailpt's;  à  Gènes,  ils  étaient 
également  écoutés  par  In  république,  dont  ils  accroissaient 
l'inrtuence  en  Orient  et  développaient  le  commerce.  lU 
avaient  étendu  sur  le  continent  asiatique  leur  domination  en 
prenant  à  bail  les  possessions  de  la  Mahone  deChios  â  Foglia 
Nuova*.  Une  branche  de  leur  famille  s'était  établie,  dès  1384, 
sur  la  côte  de  Tiin]iiie„  :ï  /Enos,  à  rembouchure  de  la  Maritza 
{Hébrus)\  la  ville  s'était  donnée,  pour  échapper  à  l'oppres- 
sion du  fonctionnaire  grec  qui  la  gouvernait,  à  Nicolas  Gatll- 
lusio,  frère  de  Franrnis.  premier  iln  nom.  tige  des  seigneurs 
de  Mitylèae.  Centre  commercial  important.  /Enos  servait, 
grâce  à  sa  position,  de  trait  d'union  entre  les  îles  de  l'Ar- 
chipel et  la  Turquie  d'Europe,  et  approvisionnait  toute  la 
Thrace  et  la  Macédoine  de  salaisons'. 

Le  maréchal,  à  son  arrivée  à  Lesbos,  exposa  à  Gattilusio 
l'objet  de  sa  venue,  et  <  tant  y  mist  peine  et  si  gracieuse- 
«  ment  et  tant  sagement  parla  »,  qu'il  obtint  de  lui  un  prêt  de 
trente-six  mille  francs.  Muni  de  celte  somme,  qui  permettait 
de  parer  aux  nécessités  les  plus  pressantes  des  captifs,  Bou- 
cicaut  se  hAta  de  retourner  auprès  du  comte  de  Nevers.  Le 
seigneur  d\iiuos  lui  avait  également  envoyé  argent,  provi- 
sions, linge  et  étoffes.  L'arrivée  du  maréchal  fut  accueillie 
avec  des  transports  de  joie  par  les  prisonniers,  tant  à  cause 
de  l'argent  qu'il  leur  apportait,  qu'à  cause  des  promesses 
qui  lui  avaient  été  faites  de  toutes  parts  de  faciliter  le  paie- 
ment de  la  rançon.  Lui-même  commença  par  prélever  la 
somme  qu'il  avait  â  payer  à  Rajiizot,  et  «  fut  quittes  de  sa 
«  prison  et  s'en  povoit  aler  où  il  lui  plaisoit".  » 


1.  Voir  sur  la  Mahone,  plus  bas,  livre  v,  chap. 

2.  lleyd,  Getch.  des  Levantehandets^  i,  568-71, 

3.  Livre  des  faits,  partie  i,  cli.  xxvn,  p.  599.  — 


I  et  m. 

et  passîm. 

V.  aux  Pièces  juatiS- 


RUI.i:    UL    MAUECIIAl.    BOL'CICAUT. 


30Î) 


Désormais  libre,  il  n'abandonna  pas  ses  compagnons*,  mais 
sVmploya  à  faire  abuulir  les  négociations  avec  ]e  sultan  et  à 
triompher  <ïes  hésitations  de  ce  prince.  Entreprise  délicate» 
dont  tout  rhonneur  devrait  lui  revenir,  s'il  fallait  eu  croire 
le  chroniqueur  du  Livre  des  faits;  mais  un  pannl  témoignage 
est  trop  directement  intéressé  pour  qu*on  doive  Taccepter 
sans  contrôle. 

II  n'est  pas  possible  de  nier  que  le  rôle  du  maréchal 
n'ait  été  des  plus  efficaces,  que  son  voyage  à  Rhodes  et  4 
Losbos  n'ait  eu  les  plus  heureux  résultats;  mais  faut-il 
admeltre  que  la  seule  entremise  de  Uoucicaut  obtint  la  libé- 
ration des  prisonniers,  la  rédiictiim  de  leur  ranron  de  un  mil- 
lion de  francs  à  cent  cinquante  inillo,  sous  promesse  qu'ils  ne 
combattraient  plus  Bajazet,  et  que  les  plénipotentiaires 
français,  à  leur  arrivée  en  Orient,  n'eurent  '|u\i  ratifier  les 
dispositions  prises?  C'est  faire  au  nian'rhal  la  part  trop 
belle.  Les  événements  démentent  la  plupart  de  ces  faits  ;  en 
particulier,  on  nes'exjiliquorait  guère  que  les  chevaliers  fran- 
(;ais.  k>i  Boucicaut  à  hnir  tête,  eussent  repris  les  armes,  comme 
iU  le  firent  dès  leur  retour  en  France,  pour  secourir  l'em- 
pire d'Orient,  au  mépris  de  leurs  serments  les  pins  solennels. 

Pendant  que  les  négociations  d*int  nous  venons  de  pailer 
se  poursuivaient  en  Orient.  In  cour  de  Bourgogne  no  l'ostait 
pas  inactive.  Sans  parler  de  Tambassade  envoyée  au  sultan, 
le  duc  et  surt(iut  la  duchesse  de  H'iurgogno  se  préoccupaient 
sans  cesse  des  meilleurs  moyens  d'abréger  la  captivité  de 
leur  fils'.  Un  riche  négociant  de  Lucques,  banquier  à  Pai*is, 
après  avoir  fait  une  immense  fortune  dans  le  Levant,  Dino 
lïa[>nndi.  fut  consulté.  C'était  un  personnage  considérable. 


rfttives,  n**  r\.  la  li?ttre  de  Jean  de  Nevers  et  d'Henri  de  Kar  au  seigneur 
*rvKni>s, 

1.  Le  uiarr'rliai  ne  profita  pas  ptufi  de  sa  lib<?rté  pour  rentrer  en 
France  qu'il  tic  l'avait  fait  dans  une  circontilaucc  analogue  à  l'égard 
du  comte  d'Ku.  V.  plus  haut,  p.  Itii. 

2.  Dans  leur  iin|»atieni'e  de  le  revoir,  Ils  avaient  m^mo  soiijfé  à  nne 
Invasion  en  corrompant  les  gardes  chargés  de  le  surveiller;  tancelol, 
viguier  de  Savone,  était  l'iiiKtigateur  du  complot;  découvert,  il  eut  â 
peine  le  temps  de  sauver  sa  télé.  Va\  I  ^06,  Jean  de  Nevers,  devenu  due 
de  Bourgogne,  appréciant  le  danger  auquel  Lancelut  s'était  ex)x)Ré  ]M)ur 
le  délivrer,  lui  fit  don  de  deux  mille  livres  ilV  lïauyn,  .Vt'm.  du  vuùujc 
f.  854  v-|. 


310 


DKLIVRANCE    ET   RETOUR   DES   PRISONNIERS. 


dont  les  relations  avec  l'Orient  ét-aient  de  premier  ordre. 
Il  habitait  Bruges  et  avait  à  Paris  une  des  plus  somptueuses 
ix»sidonccs  de  la  ville.  Maître  d'initel,  puis  conseiller  du  duc 
de  Bourgogne  (vers  1397),  il  avait  été  mêlé  aux  plus  grande» 
opérations  financières  de  cette  époque,  et  avait  prêté  à  Phi- 
lippe le  Hardi,  à  différentes  reprises,  des  sommes  importantes. 
Il  répondit  sans  lièsiter  qu'il  faliail  s'adresser  aux  marchands 
génois  et  vénitiens  de  l'Archipel  qui,  par  leurs  rapports  com- 
merciaux avec  les  Turcs ,  pouvaient  garantir  à  Bajazet  le 
paiement  de  la  runron;  lui-mOnie  écrivit  dans  ce  srns  à  un 
de  ses  correspondants,  Barthélémy  Pellegrino,  marchand 
génois  à  Chios,  devenu,  par  le  commerce  de  l'alun  et 
du  mastic,  le  plus  riche  négociant  du  Levant.  Celui-ci 
entretenait  des  rapports  constants  avec  l'Asie  Mineure  et 
était  p4Tsonncllement  connu  du  sultan.  Quoique  Pellegrino 
n'ait  pas  pris  une  part  directe  et  porsuunelle  au  rachat  des 
Chrétiens,  nous  savons  qu'il  leur  prodigua  ses  bons  offices, 
cl  que  son  intorvontion  ne  fut  pas  sans  effet  sur  les  dispo- 
silions  favorables  df*  Hdjazet*. 

Froissart  idace  sur  la  même  ligue  que  la  médiation  de 
Pollogi*ino  celle  du  roi  de  Chypre,  Jacques  i.  Ce  prince,  dit-il, 
envoya  au  sultan  «  une  nef  en  or  Hn  »  valant  vingt  mille  ducats, 
pour  le  bien  disposer  et  pour  «  avoir  entrée  d'amour  et  de 
«  seure  cognoissance  4lovers  lui  »  ;  s'autorisant  de;*  bonnes 
relations  qui  exist;ue[it  entre  «mix,  il  Ht  les  plus  grands  efforts 
pour  faciliter  la  délivrance  des  captifs.  On  comprend  fort 
bien  les  motifs  auxquels  pouvait  obéir  le  roi  en  s'eniremet- 
tani  dans  cette  affaire.  Les  Génois  parlaient  en  maîtres  à 
Chypre,  et  il  fallait  les  ménager.  Obtenir  la  lilierlé  des  pri- 
sonniers frau(;ais.  c'était  être  agréable  à  Géues  (|ui  venait  de 
se  donner  à  la  France.  C'était  également  renouer  d'amicales 
i*elations  aver  une  cour  étrangère,  qui  témoignait  peu  de 
sympathies  aux  rois  d'un  pays  sur  lequel  un  priuce  de  sang 
français  avait  élevé  des  prétentions'.  11  importe,  cependant. 


1.  Froissart,  éd.  Kerwn,  xv,  437;  xvi,  2'J-SO  et  xxiii,  p.  5-7;  — 
Hopf,  fliti.  den  Giuxtinioni,  trad.  dans  Giorn.  Ligustico,  anno  vii-vrn, 
p.  471  ;  —  Belgrano,  Àrch.  stur.  Ital.,  'M  sorie,  ni,  i)arlie  i,  p.  121;  — 
Heyd,  Oesch.  de»  LcmntekatuleU,  il,  263;  —  Froissart,  éd.  Kervyn, 

XVI.  n--8. 

2.  l/)uis  II  dt'  Bourbon,  oncle  de  ('barlcs  vi,  (.MhîI  neveu  Uc  Mnrir  »lr 


DETERMINATION    DE    LA    RANÇON. 

de  n'accueillir  le  rècil  de  Froissart  que  sous  certaines 
réserves.  Jacques  i,  tonu  pour  ainsi  dire  on  tutelle  par  les 
étrangers  auxquels  il  devait  sa  couronne,  avait-il  bien  auprès 
du  sultan  une  influence  à  Laquelle  on  pftt  avoir  intér(>t  à 
recourir,  et  le  râlo  que  lui  assigne  le  chmniqupur  n'est-il  pas 
plus  important  qu'il  ne  fu(  rêellemenl?  La  seule  chose  que 
nous  sachions  avec  certitude,  c'est  qu'en  1397  (?4  juin)»  le 
i*oi  de  Chypre  prêta  au  comte  de  Nevers  une  somme  de 
quinzo  mille Horins  d'or.  C'était  boaucoup  pour  un  prinrc  dont 
le  trésor  était  presque  vide  :  la  protection  génoise  avait  miné 
les  finances  chypriotes,  et  l'Ermite  de  la  Faye.  chargé  des 
réclamations  pécuniaires  du  duc  de  Bourbon,  avait,  l'année 
précédente,  rencontré,  auprès  de  la  cour  de  Chypre,  les  plus 
grandes  difficultés  h  mènera  bien  la  mission  qui  lui  avait  été 
conâée  '. 

La  captivité  des  ])rinces  français  touchait  de  trop  près 
aux  intérêts  des  Chrétiens  en  Orient,  les  conséquences  du 
désastre  étaient  trop  menaçantes,  pour  que  le  sort  des-  prison- 
niers ne  rencontrai  pas  parmi  eux  une  sympathie  générale, 
et  un  réel  désir  d'obtenir  leur  délivrance.  L'opinion  publique 
s'intéressait  à  leur  sort  et.  de  tous  côtés,  cherchait  à  fléchir 
le  sultan  en  leur  faveur.  Au  mois  de  juin  1397,  les  négocia- 
teurs tombèrent  d'accord;  la  rançon  fut  lixée  à  deux  cent  mille 
florins  ;  sur  celte  .somme  vingt-liuit  inîlle  florins  furent  payés 
comptant.  Jean  de  Nevers  les  avait  empruntés  à  Jean  de 
Lusignan,  seigneur  de  Heyroulh,  neveu  du  roi  de  Chypre, 
à  Brancalènn  Grille  et  à  Nicolas  Matharas,  bourgeois  de 
PéraV  Le  surplus,  cent  soixante-douze  mille  florins,  fut  stipulé 
payable  dans  le  délai  de  huit  mois.  Bajaxet  acceptait  la 
signature  de  François  Gattilusio  pour  cent  dix  mille  florin», 
nt  celle  de  Nicolas ,  seigneur  d.-Enos ,  pour  quarante 
mille  florins,  l^  reste  de  la  somme  était  [>roniis  pru*  Gaspard 
de'Pagani.  négociant  génois  de  Péra,  et  par  Nicolas  Paterio, 


Bourbon,  impératrice  do  Cunstantinopte,  et  tion  héritier.  Il  a«  croyait 
des  droits  au  tn>nf*  de  Nicosie,  par  suite  d'un  testament  fait,  disait-on, 
en  sa  faveur  piir  Hugues  de  Lusignan,  fils  de  ['impératrice  (Mas  Latrie, 
/fixt.  de  Chypre,  il,  IV'i.  note  2). 

1.  Kroissart,  éd.  Kervyn,  xvi,  31-5.  —  V.  Mas  Latrie,  Hitt.  de 
Chypre,  il,  407,  i23,  W6  et  445,  —  Bibl.  nat.,  coll.  de  Bourgogne,  vol.  OK. 
f.  720-1. 

3.  P.  Bauyn,  Mém,  du  roiaffe,  f.  356  v. 


31: 


liELIVRANCE    KT    RKToUR    1>E>    PRISONMERS. 


podestat  de  Foglia  Nuova.  qui  s'engageaient  chacun  pour 
onze  mille  florins'.  En  évaluant  le  ducat  à  1?  francs»  c'était 
donc  une  $;omme  de  plus  de  deux  millions  qu'avait  exigée 
Bajazot. 

De  leur  côté,  les  prisonniers  garantissaient  aux  Gattilusio. 
à  Gaspard  de'  Pagani  et  :î  Nicolas  Paterio,  par  acte  du 
?4juin  1 307,  passéà  Mikalidsch  Me  remboursement  de laraocon 
dans  un  bref  délai .  Jean  de  Nevers,  Henri  de  Bar  et  Jacfjues  de 
Bourbon,  rjiunpssîiirnt  :u\  nom  de  leurs  compagnons,  prenaient 
t'enga^i'ineni  do  séjourner  ;'i  Veuisti  tant  ([u'ils  ne  se  seraient 
pas  acquittés  de  leiu"  dette.  C'est  là,  en  effet,  qu'ils  devaient 
trouver  l'argent  rassemblé  en  France  prinr  leur  rachat.  Afin 
de  donner  plus  de  force  à  col  acio,  le  maréchal  Boucicaut» 
Vcrgy,  Leuwerghem  et  Ciiâïoaumorand,  ainsi  que  Colard 
des  Armoises",  envoyé  du  duc  de  Bar,  l'avaient  ratifié  et 
s'étaient  obligés  solidairement  â  en  assurer  le  plein  effet. 

Les  prisonniers  élaienl  libres,  après  nanf  mois  d*une  capti- 
vité dont  ils  avaient  eu  grand'peine  à  supporter  les  souf- 
frances. Bien  que  traités  avec  une  bienveillance  relative,  ils 
s'étaient  difficilement  plies  aux  privations  qu'on  leur  impo- 


ï.  Arcli.  du  Nord,  B.  1271.  Ed.  Kervyn  de  Lettenhove  dans 
Froissant»  xvi,  261-3.  —  François  Gattilusio.  seigneur  de  Lesbos.  était 
représenté  par  Anceau  Spinnia.  et  Nicolas  Gattilusio.  seigneur  d'.lvnos. 
par  Nicolas  Grisle.  (Cf.  Heyd,  GescH.  fies  Lcrnntehundets .  n,  263.) 
Les  Paterio  étaient  Génois;  les  fils  de  .\icoIa.s  (mort  avant  \\\fy\,  Jean, 
Georges,  Thomas  et  Lanfrano,  dont  on  a  des  artes  jiGénpsil'i1ft-l'i21t. 
ainsi  que  Bernard,  frnre  de  Nicolas,  étaiont  bourgeois  de  Chios.  Il  faut 
donc  rejeter  l'hj-pollièse,  émise  par  M.  Ker\-yn  de  Leltenbove  (Frois- 
sart,  XVI,  263).  d'une  parenté  avec  les  faniilles  franraiseii  du  nom  de 
Pasté.  Si  Nicolas  Paterio  est  désigné  dans  un  compte  d'Oudot  ï)ouay 
sous  la  forme  \icolas  PaMtK  npftfttat,  il  est  facile  de  voir  que  l'erreur 
provient  du  srribe,  qui  a  traduit,  sans  la  romju'emlre,  la  forme  italienne 
NiroUi  Paterio  poriesta...  —  il^Tiiard  Paterirt  avança  au  comte  de 
Nevers  cinq  mille  ducats  à  Trévlse,  le  13  janvier  1398,  n.  st..  (Arch. 
du  Nord,  \\.  18"I,  n"  2.  —  V.  Pièces  justificatives,  n"  r\;  —  Bibl.  nat., 
coll.  de  Bourgogne,  vol.  100,  f.  Ci'Mi;  —  Kroi.ssart,  M.  Kr-nyn,  \vr,  U.) 

2.  A  deux  journées  de  Urouftse,  à  l'est  du  lac  I  liitiad  yt^upn- 
ftium). 

3.  La  famille  it  laquelle  appartenait  Coiard  des  Armoi.ses.  originaire 
de  Champagne,  s'établit  en  Barrois  au  milieu  du  xiv*  stéde.  1^  |»cr- 
sonnage  dont  il  est  ici  (juestion  était  le  troj.'iiéme  lils  de  l^itard  i  de^^ 
Arnioiftcs  el  de  Marie  de  Cbambley  (0.  ralmct,  ilUtoirc  de  Lovrtiine. 
v,  civiij-clx  ;  —  H.  Vincent,  La  Muinon  dfg  Armvin^Jt,  Paris,  I87r, 
jjassim). 


MORT    DE   COLTY. 


313 


sait,  et  auxquelles  leur  genre  de  vie  antérieure  ne  les  avait 
pas  habitués.  Loin  des  li^ura,  en  pays  étranger  et  infidèle, 
dans  l'incertitutlo  ronstanto  du  sort  qui  lour  était  ï-êservé, 
craigaant  qu'un  caprice  changeAt  les  dispositions  de  Bajazet 
et  les  envoyât  au  supplice,  ils  avaient  plus  souffert  de  cette 
anxiété  de  tous  les  instants  que  des  rigueurs  proprenu^nt 
dites  de  leur  prison.  Plusieurs  même  d'entre  eux  étaient 
1-ombés  malades  et  avaient  succombé.  Le  sire  de  Coucy,  le 
premier,  affaibli  par  l'âge,  épuisé  par  les  mauvais  traitements, 
mourut  à  Brousse  le  18  février  1M07  '.  Kobnrt  d'Esne,  que  le 
duc  d'Orléans  avait  envoyé  pour  négocier  la  délivrance 
d'Henri  de  Bar  et  d'Enguerrand  de  Coucy.  apprit  en  chemin 
la  ti'ist»*  nouvelle;  le  ca*iir  dii  dernier  des  Coucy,  rapporté 
en  France  par  Jacques  Wilay,  châtelain  de  Saint-Gobain,  fut 
inhumé  eu  grande  pompe  au  monastère  des  Célestins  de 
Villeneuve,  près  de  Nogent,   que   le  défunt    avait  fondé*. 

C'était  un  chevalier: 

■  . ..  appers  et  joli, 
I  Saige,  puissant,  do  graiit  largesse  plain, 
«  Beau  chevalier,  bien  travaillant  aussi, 
■  Sanz  nul  repos.. .  > 

Avec  lui  s  éteignait  la  vaillanl'e  race  des  barons  de  Coucy. 
et  le  poêle,  â  la  nouvelle  de  ce  trépas,  avait  raison  do  s'écrier: 

<  O  saint  Lambert,  le  Cliasteler.  Coucy, 
t  1  j  Tère,  Oy«y,  Oeccie,  saint  Gonibain. 

•  Marie,  pluurez  et  le  rtiaHlel  d'Acy. 

c  Le  bon  seigneur  'jui  vuuâ  tient  en  sa  main 

*  Fa  i\m  ai  bien  servy  aon  tiouverain...  ^> 

Peu  de  temps  après,  Guy   de  ta   Trémoille   succombait 


1.  Kroissart,  <^d.  Kervyn.  xvi.  30.  L'épitapbo  de  Coucy  est  donnée 
par  Zuriaub«n  {M^m.  de  l'Ac.  de»  Imcr.,  xxv.  186).  —  Son  testament. 
du  16  février  i:t'.i7,  est  imprimé  dana  A,  du  C'hesnc,  //wl.  généal.  ihg 
maiionA  He  Guines...  p.  M^). 

2.  Froissant,  éd.  Korvyn,  xv.  :i57  et  Mil;  xvi.  iiO;  —  ItuH.  dr  Ut  Snc. 
ncad.de  Laon,  xxiv  i,  1882),  p.  i6,  d'après  rinvcut.  de»  ArcbivpsJoursaii' 
vault,  I,  p.  11.  —  Robert  d'Esne»  seigneur  do  Beauvoir,  était  un  che- 
valier du  Canibrésis:  il  avait  é|>ouï^  la  dame  de  llothoncourt;  la  famille 
d'Rsne  s'était  signalée  a  la  premîoro  croÎMatlc. 

:i.  Ru8tachodeJiC'liam)>»itÀ'ui7T4  j'nWrf.,  éd.  Tarbé.  i,  17^-0)  a  «»n»a<Té 
à  Kuguerand  vil  une  ballade  dan»t  lar|uelle  tl  exhale  la  pi'ofunded'Hiicur 
quo  causa  la  mort  «  d  Knguerrant  le  baron  >. 


également  (avril  1397}  à  Rhodes,  comme  noua  l'avons  vu 
plus  haut  '.  En  juin  c'était  le  tour  du  connétable  d'Eu  ;  la 
maladie,  le  climat  et  la  noiirrifure  Tavaipiit  tellement  éprouvé 
qu'il  mourut  â  Mikalidsch,  quelques  jours  avant  la  mise  en 
liberté  des  captifs  {\'^  juin  1307),  Ses  restes  furent  inhumés 
dans  \o  couvent  de  Saint-François  à  Galata,  et  rapportés  plus 
tard  à  En  oi"i  ils  fuient  onscvolis  djins  l'église  Saint-Léonard  ; 
une  grille  de  fer,  allusion  à  la  captivité  du  prince,  entoura  le 
uiuDument,  et  le  connétable  fut  repi*ésenlé  sans  gant  et  sans 
casque  \ 

Chàteauniorand.  Vergy  et  Leuwerghcm,  leur  mission  ac- 
complie^ avaient  hâte  de  rentrer  en  Europe;  aussi,  â  peine 
l'accord  fut-il  conclu  que,  prenant  congé  de  Bajazef,  ils  re- 
gagnèrent Brousse  et  priront  passage  sur  le  premier  bAti- 
ment  en  partance  pour  Lesbos.  C'était,  au  dire  de  Froissant, 
«  une  galère  passagière,  non  pas  trop  grande  ».  Avec  eux 
s'embarqucreut  Jacques  do  Courtiamblos.  un  des  prisonniers 
délivrés ,  Jean  Picquet  et  Jcau  de  Neuville ,  deux  des 
écuyers  que  les  princes  français  avaient  envoyés,  en  dé- 
cembre 1396,  s'enquérir  du  sort  des  chevaliers  français'.  Le 


1.  Voir  plus  haut,  p.  307. 

2.  Le  tombeau  en  inarhre  du  ronnétable  existait  encore  en  1757 
dans  le  couvent  de  Saint  François  à  Oatata  devant  le  maître  autel, 
avec  l'inscription  suivante  en  lettres  gothiques  :  •  f  Sepulchrum 
■  magnifici  dumini  Philippi  de  Artoes,  comittH  de  Eu  et  conestabiliarii 
f  Franciae.  qui  obiit  in  Mioalini  Mrrcx.xxvir  |sic),  die  xv  jnnii,  in  quo 

I  est  carne  sua.  Anima  ejus  requiescat  in  pace  •.  —  Le  corps  de  Phi- 
lippe d'Artois  reposait  à  (îalata  au  moment  du  voyage  de  Clavijo(140nK 

II  faut  donc  rejeter  le  témoignage  do  Froissart  (éd.  Kervyn,  xvi,  40), 
qui  veut  qu'il  ait  6tà  rapporté  à  Ku,  à  moins  que  la  translation  ne  &oit 
postérieure  à  I  ïOa,  ou  bien  encore  qu'une  partie  des  restes  ait  été 
enterrée  à  (ialata  et  l'autre  ramonée  en  Krance. 

Quant  au  lieu  de  la  mort  du  connétable,  Froissart  le  place  &  llaulto 
Loge  en  Grèce.  Il  faut  le  cherclier  près  de  MiKalidsch,  lieud'intornn- 
raent  des  prisonniers,  c'est-à-dire  en  Asie  Mineure,  pr^s  de  Brousse. 
Les  identifications  proposées  par  M.  Kervyn  de  Letterihove  [Altolorje, 
ville  bâtie  sur  les  ruines  d'Kphése)  et  par  M.  jtruun  (A'irA-A'iViMi, 
entre  C^fnstanlinopîe  et  Andrinople),  et  cette  dernière  surtout,  ne 
doivent  être  acceptées  qu'avec  réserve.  (Cf.  Froissart.  éd.  Kervyn, 
xvi,  40  et  *JôG;  —  Conslanlinopte  au  commencement  du  w"  siècle,  par 
lo  professeur  Bruun,  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  d'Odessa.) 

3.  Voir  plus  haut,  p.  200.  Jean  de  Neuville  alla  jusqu'en  Bulgarie; 
les  frais  de  ce  voyage  lui  furent  'payés,  le  'i  iiov(?ml>re   KïOT.  par  le 


MORT    DE    LEl'WERtîHEM. 


315 


temps,  d'abord  beau,  devint  si  mauvais  pendant  la  tra- 
versée que  Louwerghem,  dont  la  santé  était  probablfiment 
déjà  ébranlée,  tomba  malade  et  mourut  avant  d'atteindre 
Lesbos.  ChAtoaumorand  et  Vergy,  avec  leurs  compagnons, 
continuant  leur  voyage  sur  un  vaisseau  do  commerce  véni- 
tien, touchèrenl  à  Uliodes  et  débarquèrent  à  Venise,  annon- 
çant partout  l'heureuse  nouvelle  de  la  délivrance  '.  Il  est  dif- 
ficile de  préciser  la  date  de  Tarrivée  à  Venise  des  plénipti- 
tentiaires  frnni'ai.s.  Elle  eiit  très  probablement  lieu  vers  la  lin 
du  mois  do  juillet,  puisfjne  le  31  octobre  la  république  do 
Saint  Marc  recevait  <les  lettres  de  Charles  vi  et  du  duc  de 
B'HU'gogne,  datées  des  l'j  et  19  septembre,  la  remerciant  de 
leur  avoir  annoncé  la  mise  en  liberté  des  prisonniers.  En  tous 
cas,  dès  le  commencement  de  septembre,  les  plénipotentiaires 
étaient  rentrés  en  France*. 

Les  chevaliers,  après  quelques  jours  de  repos,  suivirent  la 
route  prise  par  ChAteaiimoraud  et  Vergy  ;  leur  première 
étape  fut  Lesbos.  Gatliliisio  ](Mir  avait  rendu  trop  de  ser- 
vices et  pouvait  leur  en  rendre  assez  d'autres  encore  pour 
qu'ils  cnsseut  le  désir  de  s'arrêter  quelque  temps  auprès  de 


dur  dn  Rniirgojfnc  (Arcli.  de   la  Cùte  d'or,  K.  11876,  lay.  t43,  lîatise 
1,  rote  1805). 

1.  Froiiiîsart,  f^d.  Ken'yn,  xvi,  41-2.  —  Le  patron  du  bâtiment  véni- 
tien qui  ramena  Chàteaumoranj  et  sa  suite  à  Venise  s'appelait  François 
Martin.  It  reçut,  le  2;l  janvier  1398,  à  Trêvise,  deux  mille  quatre  cent 
cinquante  dneatK  d'or  pour  le  prix  du  pas.suge  (Arcb.  de  la  C^te 
dOr,  H.  11876.  liasse  6.  I93K 

2.  15  et  19  septembre  1397.  ^Arrh.  de  Venise,  Commem.,  ni.  n"»  67 
et  68.  p.  247).  —  lO.-^eptetiibrp  1397.  La  ville  de  Dijon  dt^fraie  Jacques  do 
ronrtiamiilesrevenude  Hongrie  (Ari*h.  municîp.  de  Dijon,  Herf.  T,  1|. — 
21  octobre  1397.  Is>n  an  m^me  t*«jurtiamble.s  revenu  de  Hongrie  {Arcb. 
(lelaOMed'Or,  H.  11876).—  La  nouvelle  de  la  lib'^ralîon  des  prisonnier» 
arriva  le  28  août  1397  à  Paris.  apiM>rtée  [wr  maître  Siméon  de  Serres, 
(rentil homme  de  la  suite  de  Ver^y  (?.  liauyn.  M/'m.  du  i'wiVïj/c,  f,  353  vl. 
Lesplénipotentiairei  durent  suivre  deprèsSimôonde  Serres.  Avec  Cbur-, 
ti&mble.s  vint  en  I'Yan<*e  un  tils  naturel  de  Trançolii  Gattilusio,  nomii 
Cïeorges  ;  it  <^'tait  cbargé  de  donner  au  duc  de  [tourfcogne  des  nouvelb 
de  Jean  de  Novers;  il  fut  re(;o  par  Pbilippe  le  Hardi  avec  niafrnihccncfl 
et  comblé  de  présents  pour  lui  et  pour  tia  famille  iC.  [tauyn,  Mf'in. 
fiu  wiage,  f.  357  v«-9).  —  Vergy  ne  rentra  à  Lille  que  ver»  le  lo  fé- 
vrier 1398.  Il  est  i»robable  qu'A  H«n  retour  en  France  il  fut  cbargA  rie 
diventes  mi^^iior^t^  juhqu';!  cette  ibilr  i  \rcli,  de  la  ^'tAv  d'Or,  11.  I*ill, 
f.  «î)|. 


316  DÉLIVRANCE   ET   RETOUR   DES  PRISONNIERS. 

lui.  Ils  séjourneront  à  Mitylène  plus  d'un  mois  (5  juillet- 
15  aont  1307),  occupés  non  seulement  des  moyens  d'acquitter 
la  rançon  dup  au  sultan,  mais  do  négociations  d'un  tout 
autre  caractère,  dont  il  sera  parlé  dans  la  suite  de  ce 
récit.  Pendant  ce  ten»ps,  le  gi-aud-maître  do  l'Hôpital 
armait  à  Rhodes  deux,  galères  (jui.  sous  la  conduite  de 
Pierre  de  Bauffremont ',  venaient  se  mettre  à  la  dispo- 
sition du  conile  de  Nevers  pour  le  conduire  à  Rhndes. 
Après  un  repos  de  quatre  jours,  destiné  au  ravitaille- 
ment des  navires,  Jean  de  Bourgogne  et  ses  compagnons 
firent  voile  vers  Rhodes  *.  A  leur  arrivée ,  ils  furent 
accueillis  «    doulcenionf  et  lyenienl  ».  C'était  à  qui,  parmi 

1.  Froissart  commet  ici  une  double  erreur,  ert  donnant  à  BaufTre- 
mont  le  prénom  de  Jacques  et  la  qualification  de  maréchal  do  l'ordre. 
Le  maréchal  était  alors  Pierre  de  Tutaiit,  et  nous  ne  connaissons 
aucun  membre  de  la  famille  de   BaulTreniont  ayant  à  cette  époque 

)rté  le  prénom  do  Jacques.  Pieri-e  de  HaulTremont,  précepteur  de 
>rraîne  en  1381  { 10  octobre i,  de  Metz  en  l:i*Jl  16  septembre),  et  plus 
tard  do  Beaune  (avant  1399),  iMaît  un  des  ]ier!ionnagc.s  les  plus  consi- 
dérables de  l'ordre  de  Saint  Jean.  A  h  fin  du  xiv"  siècle,  il  résida 
presque  constamment  à  Itliodcs.  et  sa  venue  à  Mityltne  n'est  nulle- 
ment invraiscudilablc.  Il  fut  iiommi^gpand-liospitalier  à  une  date  qu'on  ne 
saurait  jipéciser  exactement  (vers  l'*00).  Vax  1401  (14  Kcptembre),  on 
lui  concéda  la  baillîe  de  Flandre.  Kn  1402,  avec  Elie  de  fossat  et 
[Dominique  d'Allemagne,  il  représenta  le  grand-maitrc  en  (irèce,  en 
AcbaÏQ  et  Romanie.  On  soit  que  des  intérêts  d'une  importance  capitale 
pour  les  Hospitaliers  ctaionl  nu  jeu  dans  la  péninsule  lurco-bclléniquc; 
le  choix  de  Pierre  de  ItaulVrcniout  montre  en  quelle  estime  il  était 
tenu  par  l'ordre.  En  l'ilft  il  devint,  parlamortdc  lïenaud  de  Giresme, 
grand-prieur  de  France  avec  les  préceplorics  de  t/liotsy,  llautavesnes 
et  Loysun.  Les  généalogies  de  la  famille  de  liaulVremont  mentionnent 
deux  chevaliers  de  Saint  Jean  potlant  le  prénom  de  Pierre.  Pierre  de 
llauflfremont  le  jeune  fut  admis  dans  l'ordre,  le  4  mai  1416,  au  fframl- 
prieuré  de  France,  par  Pierre  de  Baufl'remont,  son  frère.  Il  y  a  Hen  de 
n'accepter  qu'avec  réserves  les  renseignements  assez  confus  que  ren- 
ferment sur  ces  deux  persoima^s  les  généalogies  de»  Haiiffreraont. 
1  Vfcb.de  Malte, /Jf//.  litilt.  Mnt/.,  vr.  66  v";x,  107  v«;  xv,  'iO;  xvi,  llv«; 
xvu,  IG2-3;  .\xv,  15-16:  —  de  Coui-celle»,  ï/itt.  de»  Pairs  de  France^ 
VI,  13  et  suiv.). 

2.  Arch.  de  la  Côte  d'Or.  B.  11936;  —  Arch.  du  \ord,  B.  12: 1  (lettre 
du  5  juillet);  —  Frf>issart,  éd.  Kervyn,  xvi,  48-50.  —  Leg  galères  d»> 
Ithodes  durent  arriver  avant  le  10  août  à  l.eî^bos.  Nous  avoni,  à  cotte 
date,  une  reconnaissance,  par  le  comte  do  \Hvers,  de  U  vaïiwiellfcfln- 
^ragér  par  lM>niiniqiie  d'Allemagne.  CJ»miiiandinir  de  Kliofles;  ello  dut 
être  rédigée  sur  Ins  renseî^nemciits  ap|)urlét>  par  les  galères  de 
l'ordre. 


1 


ITINKRAIRK   IjES    prisonniers   DE   RHODES  A   YK.MSE.     317 

les  Hoâpîtaiiors,  dil  FroUsart,  leur  ofii-irait  ses  services, 
chercherait  à  leur  rendre  agréable  le  séjour  dans  Tiie,  leur 
prêterait  «  finance  d'or  et  d'argent,  pour  payer  et  faire  leurs 
«  menus  frais,  laquelle  chose,  sembla  au  comte  de  Nevers  et 
«  aux  autres  un  grant  membre  de  courtoisie  ».  Les  cheva- 
liers, auxquels  Tair  sain  et  tempéré  de  Rhodes  était  sa- 
lutaire» eu  présence  du  hou  accueil  qui  leur  élait  fait,  y 
attendirent  sans  regret  le  passage  de»  galères  vénitiennes 
retouniant  à  Venise,  sur  lesquelles  ils  prirent  passage  '. 

La  route  ordinaire  îles  navires  vénitiens  venaiit  de  Rhodes 
nous  est  cnrinue.  Ils  touchaient  à  M'Kion,  possession  véni- 
tienne à  Textrémité  sud-tuiest  do  la  Morée  près  de  l'île  de 
Sapienza  (non  loin  de  la  ville  de  Navarin),  puis  relâchaient 
aux  différentes  îles  de  la  nier  Ionienne  et  aux  principaux 
ports  des  cotes  de  Dalmalieel  d'Illyrie.  Froissart,  qui  indique 
cet  itinéraire,  a  interverti  sans  cesse  l'ordre  des  stations 
auxquelles  s'arrêtèrent  Jean  de  Nevers  et  ses  compagnons  ; 
en  quittant  Modon,  ils  gagnèrent  les  îles  de  Gavrc  [Cabrera, 
près  de  Sapienza?)  et  de  Zante.  le  port  de  Clarence  sui*  la 
côte  de  Morée,  à  l'entrée  du  golfe  de  Fatras,  les  lies  de 
Céphalonie  et  de  Corfou,  Raguso  et  Parenzo  *. 

Il  semble  nécessaire  d^ajouter  u  l'itinéraire  du  comte  de 
Nevers  une  escale  que  n'a  pas  mentionnée  Froissart,  c'est 
Capo  tristria  [JuHtinopoiis)\  nous  îivons  la  mention  positive 
ele  la  pi-ésence  du  comte  et  de  Jacques  de  Hourbon  dans  cette 
ville,  le  8  octobre  1397,  date  à  la(iuclle  ils  contractèrent  un 
emprunt  de  quinze  mille  ducats  auprès  du  doge,  Antoine 
Venier.  De  là  ils  atteignirent  Venise,  où  ils  s'étaient  engagés 
à  séjourner  tant  qu'ils  ne  seraient  pas  libères  envers  leura 
répondants*. 


1.  Froissart,  xvi,  51-2.  1^  duc  de  noiipgogne  sut.  leS  janv.  1398,  â 
Arras.  par  Jean  de  llangest,  «on  cliambellan^  l'arrivéo  iJes  prisonnier» 
H  Hhodes  (I*.  Btinyn,  M^m.  du  y^oiage.  f.  359). 

'i.  Froissart,  éd.  Kervyn,  .\vi,  52-B.  —  Il  donne  des  détails  8ur  le 
iiéjourdes  Français  dan»  ces  divers  cndroil-s,  et  notamment  r  Cépha- 
lonie; l'exactitude  de  ces  renni^ignements  mérite  d'être  contrôlée  au 
mÊme  titre  que  l'ordredans  lequel  sont  présentées  au  lecteur  les  étapes 
successives  du  voyage. 

3.  Arch.  de  Venise,  Commcm.^  m,  n"  70,  p.  247;  —  Arch.  de  la  C6te 
d'Or,  U.  ,11876:  —  Marino  Sanuto,  Vite  dfducAi  (Muratorl,  xxu,  782). 
Venise  avait  décidé  de  dépenser  cinq  cent«  ducats  pour  recevoir  di- 
gnement le  comte  de  Nevers  {25  sept.  1397). 


Il  fuliut  quatre  mois  pour  obtenir  ce  résultat.  Dino  Rapondî 
était  parti  de  Paris  pour  ritalie  le  lô  novembre;  arrivé  à 
Venise,  il  s'entremit  avec  la  plus  graiule  activité  en  cette 
affaire.  Sigismond,  roi  de  Hongrie,  offrait  bien  au  comte  de 
Nevers  une  sommo  ào  cent  mille  ducats,  mais  sans  pouvoir 
la  réaliser;  d'autre  pari,  la  république,  de  Saint  Marc  était 
tenue  d'une  rente  anuuelle  envers  Sigismond.  Uapondi.  après 
avoir  obtenu  l'engagement  de  la  rente  à  son  profit,  avança 
les  fonds'.  Pendant  toutes  ces  négociations,  fidèles  à  la  parole 
donnée,  les  seigneurs  français  étaient  restés  à  Venise.  Une 
épidémie,  dont  nous  ignorons  la  nature,  y  régnait  3101*3. 
Kllê  ijfïrit  même  un  cai^actère  assez  redoutable  pour  les  obliger 
à  quitter  la  ville  et  à  se  réfugier  à  Trévise  (23  novembre  1 397)*. 
A  peine  y  étaient-ils  arrivés  <[u'IIenri  de  Bar  succombait, 
emporté  par  le  fléau  dont  il  avait  pris  le  germe  à  Venise 
(novembre  1397),  Comme  son  beau-frère,  le  sire  de  Coucy, 
il  ne  devait  pas  revoir  la  France  ■\  Vers  la  fin  de  janvier  1398, 
le  comte  de  Nevers  recevait  de  la  seigneurie  l'autorisation  de 
quitter  le  territoire  de  Venise  avec  ses  compagnons;  il  n'avait 
jamais  séparé  lem*  sort  du  sien  et,  eu  toutes  circonstances, 
avait  toujours  agi  seul  en  leur  nom,  prenant  à  sa  chai'ge  leur 
rançon  comme  la  sienne.  Pleinement  libres,  les  chevaliers 
français  quittèrent  Trtîvise  sans  retard,  le  23  janvier  ;  le 
surlendemain  ils  passaient  à  Capo  di  Ponte,  dont  la  jeunesse, 
conduite  par  le  podestat,  leur  faisait  une  réception  solen- 
nelle*; de  là  ils  gagnèrent  directement  la  Bourgogne  par  le 
Tyrol  et  la  Suisse.  La  nouvelle  do  leur  retour  s'était  rapide- 


1.  Nous  reviendrons  sur  ces  faits  en  détail  dans  le  chapitre 
suivant. 

2.  V.  Pièces  justificatives,  n"  xxni.  Pendant  que  les  prisonniers  sé- 
journaient à  Trévise,  le  comte  do  Nevers  habita  Courglano,  aux  enWrons 
de  cette  ville;  le  il  décembre  il  retourna  à  Trévise. 

3.  Arch.  de  la  Cote  d'Or,  B.  1514,  f.  170;  —  Froissart,  éd.  Kervyn, 
xxni,  6  (d'après  le  compte  de  Josset  de  Halle},  nt  xvr,  60;  —  Livre  des 
faiU,  partie  l,  ch.  xxvii,  p.  600.  —  Les  archives  de  Joursanvault 
contenaient  un  compte  relatif  aux  obsèques  d'Henri  de  Bar,  daté  du 
10  novembre  1397  iinvent.  des  Archives  Joursanvault,  t,  p.  Il,  n"  73). 

4.  21  janvier  1398.  Lettre  de  remerciement  du  comte  de  Nevers  aux 
Vénitiens  (Arch.  de  Venise,  (Jommem.,  m,  n"  80,  p.  250).  —  Chroniguede 
Bellune  de  Clément  .Miari  dans  VArch.  Veneto,  n,  12-3.  —  Nous  avons 
l'itinéraire  exact  du  retour  des  prisonniers.  Voir  Pièces  justificatives, 
n«  x.xiu. 


RËTOl'R  Dl"  COMTE  DE  NEVKRS  EN  BOrKQOONE. 


319 


ment  propagée  ;  ce  fut  une  allégresse  universelle  parmi  les 
sujets  de  Pliilippe  le  Hardi.  Partout  les  prisonniers  reçurent 
un  accueil  enthousiaste;  partout  on  fêta  la  rentrée  de  Jean 
dans  les  états  de  son  père  comme  un  événement  presque 
inespéré,  et  tous  rivalisèrent  pour  prouver  leur  attache- 
ment et  lem'  fidélité  à  leur  seigneur. 

Le  comte  do  Nevers  fit  son  entrée  à  Dijon  le  23  février  1398 
venant  de  Francho  Conilé.  li  était  accompagné  du  comte  do 
la  Marche,  dus  sires  de  Vienne,  de  Pagnj^-,  de  Chùlon,  de  la 
TrémoiUe  et  du  mai'échal  Ltoucicaut  ;  un  nombreux  cortège 
s'était  joint  à  eux  pour  honorer  le  retour  de  ceux  qu'on  avait 
longtemps  désespéré  de  revoir.  Les  acclamations  éclatèrent 
de  toutes  parts  à  l'arrivée  du  comte;  la  municipalité  lui  pré- 
senta, aux  portes  de  la  ville,  un  cadeau  d'argenterie;  elle 
avait  envoyé  une  députatiou  au-devant  de  lui  jusiiu'à  Gray; 
lui-même,  en  souvenir  de  la  captivité  qu'il  avait  subie,  se 
rendit  à  la  prison,  et  en  jeta  <  hors,  do  sa  propre  main  »,  tous 
ceux  qui  s'y  trouvaient.  Le  lendemain,  pour  remercier  le  ciel 
de  sou  heureuse  délivrance,  il  passait  à  Brazey,  se  rendant  à 
Notre-Dame  du  Mont  Roland,  pèlerinage  pour  lequel  la  mai- 
son de  Bourgogne  professait  une  dévotion  particulière'. 

Après  un  service  solennel,  célébré  â  Dijon  en  l'honneur 
des  croisés  morts  à  l'ennemi*,  h-  comte  se  mit  en  route  pour 
rejoindre  son  père  à  Gand  ;  mais  û  Fouclières,  village  entre 
Bar-sur-Seine  et  Troyes,  il  rerut  l'ordre,  apporté  par  Vergy, 
d'aller  d'abord  saluer  le  roi.  Pour  obéir  à  son  père,  il 
gagna  Paris  (10  miu's  1398)  où  était  la  cour.  Charles  vi.  voulant 
lui   témoigner  le  plaisir  qu'il  éprouvait  â   le  revoir,  lui  fit 


1.  15  février  1398.  Délibération  sur  les  présents  qne  la  ville  de  Dijon 
fera  au  comte  de  Nevera;  on  ira  au  devant  de  lui  jusqu'à  (iray 
(ApcIi.  municip.  de  Dijon,  lieg.  T,  i).  —  23  février.  ICnipée  à  Dijon 
(J.  Garnier,  Les  deux  premier»  hôtels  de  ville  de  Dijon,  ilans  Mémoireji 
de  la  Coinm.  des  antiquités  du  dt^part.  de  la  Côte  d'f^^  ix,  p.  22).  — 
24  février.  Passage  à  Braaey  (An^li.  de  la  (ôm  d\)r,  H.  3'i56,  f.  23), 
aujourd'tiui  Bratey  en  Plaine  (('Ole  d'Or,  arr.  de  Iteaune,  cant.  Saint 
Jean  de  Losne,  â  quatre  lieuea  et  demie  de  Dijon).  —  Notre  Dame  du 
Mont  Holand  est  située  pr^s  de  Dole  (Jura,  arr.  de  Dule,  rant.  de 
Roclieforl,  coin,  de  Jouhe). 

2.  Arch.  de  la  Côte  d'Or,  B.  11876.  Cette  cérémonie  eut  lieu  avant 
le  3  mars.  Ce  jour-là,  le  comte  coucha  à  Clianceaux,  en  route  pour 
Paris  (P.  Bau>'U,  Mèm.  du  voiage,  f.  361  v»). 


don  (le  viugt  mille  livres.  Le  retour  du  fils  du  duc  de  Bour- 
gogne fut  le  sigual  d'une  telle  explosion  d'enthousiasme 
et  de  joie,  que  toutes  les  villes  des  états  de  Philippe  le  Hardi 
se  disputèrent  l'honneur  de  recevoir  Jean  de  Nevers,  Il  fallut 
qu'il  quittât  Paris,  quatre  jours  apn^s  son  arrivée,  pour  se 
montrer  à  ses  futurs  sujets;  ce  fut  une  suite  non  interrompue 
de  fôtes  et  de  réjouissances.  Trois  échevins  de  Lille  étaient 
venus  jusqu'à  Louvres*  au  dovautde  lui;  ils  l'accompagnèrent 
jusqu'à  Arras,  où  il  arriva  le  10  mars  I3î)8;  la  duchesse,  sa 
mère,  l'y  attendait.  Le  19  au  soir  il  entrait  A  Lille,  précédé 
de  trois  ménestrels  et  d'un  Irouipetle  jouant  devant  lui  de 
leurs  instruments.  Là,  comme  A  Dijon,  il  re(;nt  des  présents 
d'argenterie,  de  poisson  et  de  vin;  le  "22  mars,  il  était 
à  Gandi  y  renconti-ait  le  duc  de  Bourgogne,  son  père, 
et  allait  soleuiiellement  fain?  son  offrande  à  l'abbaye  de 
Saint-Pierre.  Le  29  mars,  il  était  à  Anvers;  le  lendemain. 
accompagné  de  Philippe  le  Hardi,  il  se  rendit  à  Bruges  avec 
une  escorte  de  cinq  cents  cavaliers;  la  ville  avait  exigé, 
pour  anticiper  le  paiement  d'im  terme  du  subside  auquel  elle 
avait  été  taxée,  la  visite  de  Jean  de  Nevers;  là  encore  il  fut 
accueilli  magiiifî<iuement,  et  comblé  de  riches  cadeaux. 
Ypres,  Termomle  le  rei.urent  successivement;  le  25  avril,  à 
Toui'nay,  le  clergé  vint  processionnellemenl  à  sa  rencontre; 
le  lendemain,  à  (irammont,  il  était  salué  par  Guillaume  d'Os- 
ti'evant,  son  beau  frèroV  Si  la  défaite  avait  été  lamentable, 
le  retour  était  LiiuuiphaL 


1.  Seine  et  Oise,  ar.  Pontoiset  cant.  Luzarches. 

2.  Froissart,  éd.  Kerv^n,  xvi,  273-ii  ;  —  Inventaire  des  Arch.  de 
Bruges,  ui,  ;i96-7  ;  —  Dibl.  nat.,  coll.  de  tîourgogne,  vol.  104  (compte 
de  J.  d'Espoulcttes,  du  1  février  1398  au  1  février  13i>9,  n.  s.)  ;  —  Arch. 
de  la  Côte  d'Or,  R.  1511  bis  (compte  de  Guyot  de  Uraye);—  H.  Vanden- 
broeck,  li^xlraiu  analyliqvex  des  anciens  registres  des  consauir  de  la 
ville  de  Toumay,  1861.  2  vol,  in-S".  —  Le  corps  de  ville  de  Tournay 
s'était  flatté  qu'il  y  aurait  ^^ràce  plénière  à  l'occasioni  de  rentrée  du 
comte;  il  n'eu  fut  rien.  —  Grammont  est  une  petite  ville  du  Bra- 
bant.  à  environ  huit  lieue»  au  nord-ouesi  de  Tournay.  —  Le  comte 
d'Ostrevant  était  fil«  du  duc  .\lbert  de  Bavière,  comte  de  Hainaut.  de 
Hollaude,  etc.  ;  il  avait  épousé,  en  secondes  noces,  Marguerite  de 
llourgogne,  vœur  de  Jean  de  Nevers. 


I 


I 


Il  ne  suflisait  pas  que  Jeau  de  Nevers  fût  libre  et  rentrât 
dans  les  états  de  son  père,  il  fallait  aviser  aux  moyens  d'ac- 
quitter les  engagements  qu'il  avait  souscrits  lui-môme  ou  qui 
iivaieut  été  souscrits  en  son  nom.  La  rançon  qu'il  avait  con- 
sentie était  considérable  ;  avec  un  élan  de  générosité  chevale- 
resque, Jean  avait  pris  à  sa  charge  non  seulement  son  propre 
rachat»  mais  encore  celui  de  ses  compagnons,  et  Philippe  le 
Hardi  se  trouvait  assez  embarrassé  pour  faire  hnnnr'ur  à  In 
parole  de  son  (ils.  La  prodigalité  et  le  faste  étaient  une 
tradition  de  la  maison  de  Bourgogne  ;  le  duc,  qui  n'avait 
jamais  voulu  la  faire  mentir,  avait  ain-^î  mis  ses  finances 
dans  un  assez  piteux  élat  ;  lui  et  la  duchesse,  sa  femme, 
pour  que  leur  Hls  tînt  un  rang  digne  de  sa  naîssauce,  avaient 
envoyé  à  Venise  un  grand  nombre  d'officiers  de  leur  maison, 
une  vaisselle  d'or  et  d'argent,  un  nombreux  éijuipage,  en  un 
mot  tout  ce  qui  devait  lui  assurer,  pour  traverser  ritalie. 
un  ti'ain  magnifique  ;  fallait-il  qu'il  rentrât  en  France 
comme  im  fugitif?  Le  luxe  déployé  au  moment  oii  de  lourds 
sacrifices  s'imposaient,  le  voyage  triomphal  de  Jean,  au  re- 
tour de  sa  captivité  dans  les  états  paternels,  n'étaient  pas  de 
natuie  à  faciliter  l'exécution  <Ies  conditions  pécuniaires  de  la 
ran^'on.  et  avaient  achevé  de  déranger  les  finances,  déjà  si 
mal  en  ordre,  de  Philippe  le  Hardi  '. 


I.  FroJsMrtf  éd.  Korvyn,  .\vi,  56-7;  —  Darantc,  i,  351-2.  —  Pendant 
son  S(>jour  à  Trévisp,  le  comte  do  .Nevers  distribua  de  riches  ètrermcs  À 
son  entourage,  selon  la  coutume  de  la  cour  Uc  bourgogne  (1  janvier 
1398).  I.e  comte  de  la  Marche  donna  à  Jean  de  Nevers.  à  l'occasion  de 


322  PAIEMENT  DK  LA  ftAÎJÇÔ:f. 

Jean  avait  pu  nuitter  le  territoire  vénitien,  grAce  a  Tînicr- 
veiition  Je  Diuo  liapomii,  dont  la  signature  avait  été  acceptée 
pour  fi^'^gagor  la  parole  du  comte  tlo  Nevers  ;  nous  savons 
(pio  le  roi  de  Hongrie,  malffrê  son  désir  de  contribuer  au 
rachat  des  prisonniers,  avait  vu  sa  bonne  volonté  paralysée 
par  l'état  de  ses  finances  ;  ne  pouvant  donner  d'argent  comp- 
tant, il  s'avisa  i\ni\  avait  sur  Venise  une  rente  annuelle  de 
sept  uiille  ducat:;;,  oi  envoya  au  do^'c,  dans  le  but  de  la  vendre, 
une  ambassade,  composée  d'un  évéque  et  de  plusiGui*s  cheva- 
liers '.  Les  propositions  de  Sigismond  furent  froidement 
accueillies  par  la  république;  elle  répondit  insolemment  que 
s'il  s'agissait  d'a.'heter  lo  royaume  de  Hungri4\  l'affaire  pour- 
i*ait  être  examinée,  mais  qu'une  rente  de  sept  mille  ducats 
était  trop  minime  pour  mériter  l'ouverture  de  négociations. 
Battus  de  ce  c'ité,  les  représentants  du  roi  cherchèrent  à 
engager  la  l'ente.  et  furent  assez  heureux  pour  y  parvenir. 
Dinu  Uapoudi  accepta  pour  cent  nùile  ducats  la  créance  de 
Sigismond  sur  Venise,  ot  versa  cette  somme  au  comte  de 
Nevers,  promettant,  dès  que  Sigismond  la  rembourserait,  de 
lui  réu'océder  la  rente.  C'était,  en  summe.  Sigismond  qiû 
donnait  cent  mille  ducats  au  comte  de  Nevers.  Dino  llnpondi 
n'était  qu'un  intermédiaire;  la  rente  était  en  réalité,  sinon 
officiellement,  engagée  au  duc  de  Bourgdgne*.  Les  revendi- 
cations directes  que  ce  dernier  cxorra  dans  la  suite  auprès  des 
Vénitiens,  et  dont  nous  parlerons  plus  bas,  ne  laissent  aucun 
doute  à  cet  égard. 

Il  n'étiiit  pas  facile  au  duc  de  Bourgogne  de  faire  face  au 
paiement  de  la    rançon.  Il  ne  s'agissait   pas  seulement  de 


la  fètc  de  NotH  (139"'),  une  robe  de  satin  figuré,  doublée  de  martr*» 
[Extraits  du  comt?  d'Ddart  ttouay,  f.  15  et  20,  dans  Bibl.  nat.,  coll.  de 
(urg.,  vol.  100,  f.  675  et  697;. 

1.  Celte  pente  iMuit  payée  à  la  couronne  de  Hongrie  en  vertu  d'un 
article  du  traité  de  Turin  (8  aoiU  1381}.  Ce  traité  est  analysé  dana 
nouianin  {Slor.  dorum.  di  Venezia,  m,  21(5-8)  d'après  les  archives  de 
Veoisi».  —  L'êvùquo  dont  parle  Frols.sart,  (éd.  Kervyn,  xvi,  61),  e«t 
probahleinent  .Nicolas  de  Kanysa,  archevêque  de  Gran,  qui  fut  souvent 
chargé  de  inisttiuns  analoj,'ues.  V.  plu»  haut,  p.  230. 

2.  Voir  Pièces  justificatives,  n*  xi.  —  Napondi  fut  généreusement 
récomppiisé  de  ses  bons  oflices:  en  1397  (21  septembre,  à  Ucauté  sur 
Marne)  le  duc  lui  a-.si;^nait  trois  mille  francs;  l'année  suivante  (août 
13'J8),  il  recevait  i|ualre  mille  écus  (Arch.  de  la  Côte  d'Or,  H.  11876  et 
B.  1514,  f.  170). 


CftEMIER   ET  SECOM*  VERSEMENT. 


323 


lieux  cent  mille  ducats,  chifTi-ê  exigé  par  Bajazet;  les  frais 
iraïubassafles  en  Orient,  le  retour  des  captifs  eu  Europe, 
l'argent  dont  ils  avaient  besoin  pour  soutenir  leur  rang,  les 
frais  de  change  et  mille  autres  dépenses  avaient  absorbé  une 
<oninie  au  nmins  égide.  C'étaient  donc  environ  quatre  cent 
itiille  ducats  à  trouver  à  bref  dMai  '. 

Bajazet  avait  reçu,  avant  la  libération  des  prisonniers, 
soixante-quinze  niilin  ducats  ;  la  plus  grande  partie  de  cette 
somme  (vingt-neuf  mille  deux  rent  soixante  et  un  ducats, 
huit  juillas).  avait  été  fournie  par  les  chevaliers  de  Rhodes, 
qui,  outre  de  l'arj^ent  comptant,  avaient  engagé  dans  ce  but 
leur  argenterie,  leur  vaisselle  personnelle  et  celle  de  l'ordre. 
Le  roi  de  Chypre  avait  prêté  quinze  mille  florins  ;  le  reste 
provenait  d'avances  failes  par  les  négociants  de  Péra  et  de 
l\\rchipelV 

Pour  acquitter  le  second  terme  du  paiement»  Dino  Rapondi 
avait  avancé,  au  nom  du  roi  de  Hongrie,  cent  mille  ducats  ; 
les  trente  mille  ducats  empruntés  par  les  prisonniers, 
moitié  au  dogo  de  Venise  à  Capo  d'Istria*,  moitié  à  frère 
Dominique  d'Allemagne,  do  l'onlre   de  l'HApital  *,  pendant 


1.  Nous  avons  la  preuve  de  ce  que  nous  avançons  dans  le  compte 
que  ppiKluisit  Anroau  Spinola,  représeiUant  des  GaltihiRio.  Pour 
soixante-quinze  raille  ducats  versés  au  sultan  par  eux,  il  réclama  au 
duc  de  Uourgogiic  cen(  huit  mille  cinq  cents  ducats.  On  voit  par 
c«tte  somme  que  notre  évaluation  n'est  pas  exagérée.  —  V.  Pièces 
justificative!),  n»  x- 

2.  L'engagement  avait  été  fait  à  (  alaync  {sic)  de  Fiesquc  à  Mitylène 
le  10  août  13'J".  V.  Pièces  justificatives,  n»  xiv.  Les  quinze  mille 
florin*  dur,  pr^ti^s  par  le  roi  de  Chypre  (Mikalidsch,  24  juin  139"),  de- 
vaient être  retnlMursi^s  à  première  réquisition  dans  te  délai  d'un  mois 
(BiW.  na!.,  coll.  de  Itowrg.,  vol.  98,  f.  720-1).  Voir,  pour  les  autres 
liommei)  prêtées,  Pièces  jusliticativo.'*,  n«  \xui. 

3.  fl  oct   1397,  ('apod'lhtria.  Pr^tdc  quinze  mille  ducats  par  le  doge 
Jean  de  Nevers  et  à  Jacques  do  Dourbon.  —  20janv.   139tt  (n.  st.), 

Vévise.  Kcnouvellement  de  cclenga^etncnt  (Arch.  de  Venise,  Commem. 
ni,  n-  70,  78-9.  p.  247  et  2'i9;  -  Arch.  de  la  Cùte  d'Or,  B.  1187C). 

4.  Parmi  le»  di).;nitaires  de  l'Hôpital,  il  en  est  peu  qui  aient  joué 
un  rôle  plus  considérable  que  frère  Ouminiquc  d  Allemagne.  Précep- 
teur de  Saint  iitienne  de  Monopuli  en    1373,  au  moment  ou   un  débat 

, important  s'était  élevé  dans  lordrc  au  sujiM  des  droit.s  et  des  posses- 
aions  de  ceUe  commanderie  et  de  plnsieu»  autres  maiM)ns  d'Italie. 
nous  le  trouvons,  en  1381,  précepteur  de  .Naples  et  de  l'izano,  et 
lieutenant  du  grand-roaitro  en  Italie.  Son  InQuenoe  est  déjà  grande 


PAIEMENT   DE   LA   RAXrON. 

le  séjowp  lie  Jean  de  Nftvers  à  Trévise,  et  diverses  sommes 
prêtées  par  des  négociants  et  des  banquiers  italiens,  —  en 
tout  cui^uaiïte-lrois  mille  ducats,  —  avaient  sein^i  à  acquitter 
les  dépenses  des  j)risonniers  avant  leur  rentrée  en  Fraiïce,  et 
à  satisfaire  aux  rèclaniations  les  plus  pressantes  '. 

La  totalité  de  la  ram.on  n*i?n  restaif,  pas  inoins  à  la  charge 
de  Philippe  le  llardi.  Sigisniond  avait,  il  est  vrai,  donné  cent 
iuill<?  ducats,  mais  les  événemenls  rendirent  ce  don  pour 
ainsi  dire  illusoire.  On  verra  plus  bjis  qu'en  présence  des 
ditliuultés  soulevées  par  Venise  pour  le  paiement  de  la  rente 
qu'il  a\ait  eiijjagée,  Dino  Kapundi  ne  toiieha  jamais  les  arré- 
rages prorais;  par  suite,  Philippe  le  Hardi,  qu'il  représen- 
tait, restîi  tenu  du  capital  que  Sigisniond,  embarrassé  d'ar- 
gent, n'eut  jamais  le  uio^'eu  de  rachi'tcr.  H  est  également 
fort  probable  que  rengagement  [tour  cimiuaule  luille  ducats, 
pris  envers  Jean  de  Neversparles  seigneurs  hongrois  captifs, 
et  représentant  leur  quote-part  dans  la  ranron  (10  décembre 
1397j,  resta  lettre  morte'.  Seul,  Jacques  de  Bourbon,  comte 
delà  Marche,  remboursa  en  1403  neuf  mille  livi-es,  partie  de 
son  rachat  personnel '\ 


dans  los  conseils  de  i'Ilôpilal;  on  lui  concède  des  terres  à  Rhodes,  on 
lui  donne  le  commandement  d'une  galère  (U81).  el  on  t38:t  {,1'i  mars; 
il  est  nommé  h  la  préceptorerie  de  Chypre,  qu'il  ne  garde  que  irois 
ans;  à  cette  coramandene  ont  été  ajoutées  pour  lui  les  rcsponâions  de 
Sinica  et  de  Nojiara.  Kn  i:iK6,  â  la  mort  de  Itarthélemy  Assanti  d'Iscliia, 
nie  de  Ntî^yro  lui  est  inféodée,  mais  il  ne  la  conserve  que  jusqu'en 
1392,  et  la  cède  à  Bufiglro  Hrancaecio  de  \aples,  maréchal  du  pape,  ei 
frère  d'un  cnrdinal  proiecleiirde  l'ordre.  \in  UBU,  il  avait  été  cliariçé 
des  intérêts,  très  importants  à  cette  époque,  lio  l'Ilùpital  en  Achaïe, 
avec  le  titre  de  «  prociiraïur  ».  Nommé  commandeur  d'Avignon  en 
1392  (ï)  juillet)  sur  l'urdre  de  Clément  vu,  sans  pour  cela  résigner  les 
commanderiez  dont  il  clait  déjii  titulaire,  il  devint  bientôt  après  le 
procureur  général  île  l'ordre,  et  toute  l'administration  financière  fut 
entre  ses  main».  I>e  1402  à  1404  le.s  affaires  de  Grèce  furent  menéeus 
par  lui,  ave«-  ra^sistance  de  l'ierre  de  ilaulIVeinont  et  d'Elie  de  Fossai. 
De»  1409,  il  était  lieutenant  du  grand-maitre,  et  occupa  cette 
charge  jusqu'à  .sa  mort,  .-.urvonue  en  1411  (entre  le  4  mars  et  le  IGmai). 
—  (Arch.  de  Malle. //<?j.//u//..l/ay.,  vi,  113,201-4,  225;  vu^  2»3et  298  v«  ; 
vin,  208  V'et2l2v'';ix,  183;  x,  164  v;  M,  i:i|  ;  xvi,  Iti»;  xr.\,  iiG-9et 
I74v»;xxiv,  147  v«  et  58.  — iJoslo, /vW/ iWorm  rfr//a»acra...,  n,  passim). 

1.  V.  Pièces  justilieatives,  n"*  xv  et  xxitl. 

2.  l  octobre  llt'J*.  V.  Pièces  justilicalives,  n'^'  xvi. 

3.  28avriM40a.  Uembourtîemfntpar  Jacques  de  Bourbon  de  neuf  mille 


ÎMPOSÎTrONS  LE^*iES  SUR  LES  ÉTATS  DU  DUC. 


325 


Ce  furent  les  états  du  duc  qui  supportèrent,  pour  ainsi 
dire,  toute  la  dette.  Le  cas  était  prévu  par  le  code  féodal  ; 
la  captivité,  aussi  bien  que  la  première  chevatichée  du  fils 
aîné  du  seigneur,  donnait  lieu  à  nne  aido  extraordinaire.  Elle 
fut  levée  dans  toute  l'étendue  des  domaines  do  Philippe  le 
Hardi.  Le  duché  de  B'mrgr^gne  fut  imposé  à  cinquante  mille 
francs,  le  comté â  trente  mille  livres.  Ioh  pa^s  de  Flandre  à  cent 
mille  nobles,  ot  leur  clergé  à  sept  mille  cent  quatre-vingt- 
treize  nobles;  la  chAtellenie  de  Lille  â  huit  mille  livres,  celles 
de  Douai  et  (l'Orchies  à  irois  mille  cinq  cent  trente-deux 
livres  ;  le  Rhételois  dut  payer  cinq  mille  tlorinsd'or,  le  comté 
de  Nevers  et  la  baronuie  do  Donzy  dix  raille  francs.  La  pan 
du  comté  de  Charolais  fut  fixée  â  cinq  mille  francs  ;  les  sujets 
de  Waleran  de  Luxeuïbourg,  comte  de  Ligny  et  de  Saint 
Pol.  furent  également  soumis  à  cette  aide;  licsançon  donna 
trois  raille  livres,  les  pays  d'Artois  seize  mille  trois  cent  cin- 
quante-doux livn»s.  Quoique  onéreuse  que  fût  cette  nouvelle 
charge,  ello  fut  volée  sans  murmure  par  les  états.  Malgré 
les  sacridces  très  lourds  qu'ils  avaient  antérieurement  consentis 
pour  subvenir  aux  frais  de  l'oxpédition.  les  propositions  de  Phi- 
lippe le  Hardi  furent  acceptées  sans  débat  (1397)'.  Pour  la 
Flandre  trois  lormos  de  paiement  avaient  été  institués,  dont 
le  dernier  était  exigible  ù  la  Clinndeleur  de  l'année  1390: 
parmi  le^  villes  désireuses  île  donner  au  duc  le  moyen  d'ac- 
quitter ses  engagements  au  plus  tcM,  il  s'en  trouva,  comme 
Bruges,  qui  devancèrent  les  é|)oques  iixées  ;  d'autres,  comme 
D«»urti,  avaient  créé  des  rentes  pour  trouver  l'argent  qui  leur 
était  demandé.  Dans  la  Bourgogne  proprement  dite,  quatre 
termes  furent  établis,  de  la  Noi*I  l.'ÏOT  â  la  Saint  .lean  1309  V 


livres  sur  treize  mille  ducats,  somme  à  laquelle  avait  été  fixée  sa  rançon 
par  acconl  avct!  le  duc  de  iJourgogne  en  juin  1400  {Arch.  de  la  Côte 
d'Or.  li.  11876.  liasse  3!,  cote  132). 

1.  Les  états  de  Brabanï  refu&<>rent  tout  subside;  rintervcntlon  per- 
sonnelle de  la  duche^sbodc  tïrabant,  »i:ur  dr  Plillip}>o  le  Hardi,  ne  put 
les  décider;  U  est  vrai  qu'ils  n'élaiem  pan  sous  le  gouvernement  direct 
du  duc  de  Uuurgogne(V.  Froissart.  éd.  Kervyn,  xvi,  p.  26.V8). 

2.  Arcb.  du  \ord,  B.  1272  et  2020:  —  /nvenl.  ifcii  areh.  de  Hntgeit, 
ut,  287-8,  ;t9a-'i  et  sef|.  V.  IMèces  jus'itkitives,  ii-  xvn  ;  —  Arrh.  de  la 
(Me  d'Or.  H.  \\h:%  ll.Vi:».  11.578.  M87l>  passini,  et3i:3;  —  Arch.  du 
>ord,  U.  1290,  I2ii8  et  1209,  IH65  n»  2,  IBG6  n»  41,  1^50;  —  Jnient. 
de»  areh.  cnmm,  de   Ikmai,  p.  \2\  —  Bîbl.   nat.,  coll.  de  Bourg., 


PArEMR?ÏT   PE   LA    RAÎCÇOK. 

Lf  recouvrement  de  Tinipôt  se  fit  régulièrement  ;  à  peine" 
quelques  diflinultês  surgirent-elles  de  la  part  de  ceux  qui  sf 
croyaient  exemptés  d'y  contribuer*  ;  c'est  ainsi  que  les  Hos- 
pitaliers, par  l'organe  de  Guillaume  de  Munie,  cummandnur 
de  Flandre,  obtinrent,  et  c'étixit  justice,  rie  ne  pas  être  com- 
pris dans  la  répartition  de  l'aide'. 

Charles  vi  avait  voulu  rontribuor.  en  levant  une  taille  de 
cinquanle-liuit  mille  francs,  à  ruiu\re  cuniinuiie;  les  auti'os 
princes,  alliés  à  la  maison  de  Bourgt>gne,  le  comte  fie  Savoie, 
et  le  comte  d'Oslrevant,  beaux-frères  de  Je^n  de  Nevers.  et 
le  duc  de  lîavière,  père  du  comte  d'Osirevanl,  étaient  restés 
sourds  à  l'appel  du  duc  \  Malgré  ie  don  royal,  les  somme* 
versées  a>ec  tant  d'empressement  par  les  sujets  de  Philippe 
le  Hardi  étaient  insuffisantes.  Il  fallut  recourir  à  d'autres 
mesures.  La  première  fui  l'engagement  à  Castaigne  de  Fiesque 
de  la  vaisselle  d'or  du  duc  (I!)  février  I31)S;;  elle  produisit 
vingt  mille  francs,  remboursables  en  deux  ans;  la  seconde 
diminua  nu  suspendit  les  gages  des  otîiciers  de  la  cour  de 
Bourgogne;  mais  cen'êtaient  là  que  des  expédients,  ne  servant 
qu'à   accélérer   le  paiement  sans  éteindre  la  dette  (1309). 


vol.  104  (comptes  de  Jean  il'Kspoulettes  du  5  février  1397  au 
:j|  janvier  ia*t8  et  de  (iuillaïunft  l^heuily,  receveur  particulier  du 
bailliage  de  Dijon),  et  P.  lïauyn,  Mém.  du  votait',  f.  :i.iV  v-ô. 

1.  Jeanne,  veuve  de  Jean  de  (iray,  fious  prétexte  de  la  noblesse  de 
son  mari,  refusa  d'acquitter  sa  quote-part  (Arcli.  do  la  Cote  d'Or, 
suppl.  B.  9\,  1"  chambre  des  comptes,  lîpjtî.  desi  di^lib.  et  arrêts^ 
i:t'J8-lî37).  —  La  remise  faite  aux  Hospitaliers  s'élevait  â  trois  cents 
nobles  (Aroh.  du  Nord.  U.  iJ'Ji). 

2.  Ouillaunic  de  Munto  appara't  coirmie  frère  de  l'Hôpital  dès  K(RI  ; 
en  1385  il  était  commandeur  de  Hantavesncs  et  d'Ivry.  Kn  1389,  Adam 
Itoulart  le  remplaça  dans  la  première  de  ces  cominanderies  et  lui 
c.^da  en  échange  la  prêcepiorene  do  Flandre,  cliambr*»  prieuralc;  en 
1390,  nous  te  trouvons  avec  Je  titre  île  lieutenntil  du  grand-prieur  iln 
l'rauce;  en  i;W9,  avec  celui  d'ilttspitalier.  Il  fut  nonnn^^.  capitaine  de 
Smynie  en  l:Ut9-l'iO0,  et  inuurut  avant  le  mois  de  septembre  l'iUl 
(Areb.  de  Malte,  /îc//.  HuU.  Mfnj.,  vr,  ;tO;  \iri,  33  v";  IX,  fil  v  el  175; 
XV.  11";  XVI,  Il  v";  —  Mannier,  Ht  Moire  du  tjrnuH-jiriruré  de  l'rnncr , 
Paris,  1872,  p.  (il>01. 

3.  2  octobre  1397  (Ari'-h.  de  la  iMe  d"Or,  U.  !lH7fil.  —  Les  gens  do 
parlement  furent  exemptés  de  cette  taille  {Ordaini,,  \ni.  3I5|  par 
lettres  du  13  fi^vrier  1399  tn.  si.)  —  Bib!.  nal.,  coll.  de  Bourt.'.,  vol.  ÏO'i 
acomptes  du  25  mars  1397  au  30  avril  1398  ;  —  P.  Banyii.  J/^'wi.  du 
vuiat/e.  f.  355  v. 


Philii^pe  11'  Hardi  prit  une  résolution  plus  efficace;  il  fit  un 
nouvel  appfl  aux  états  de  Bourgogne  et  de  Charolais;  aux 
prcniiers  il  demanda,  pour  parfaire  la  rançon,  \u\  nouveau 
subside  do  douze  mille  franrs,  aux  .si'conds  un  inipiH  suppté- 
uientaire  de  deux  mille  franrs  'l'iOOj.Ces  sommes,  votées 
sans  nnirnnire,  furent  levées  en  deux  termes  à  lu  Saint  Jean 
et  à  la  Ti.ussaint  do  ranut^-e  liOOV 

Il  ne  resta  plus  que  quelques  appoints  adonner  ;  tel  fut,  par 
exemple,  un  paiement  do  dix  inillr  francs  fait  â  Anceau 
Spinola,  représentant  du  srigneur  de  Milylènc,  et  destiné  à 
éteindre  entièrement  la  dette  ilu  due  «nivers  GattiJusio. 

Une  pareille  opération  tinancinre  était  tro]}  considérahle 
pour  preiiflri'  iin  d'iiu  jour  â  l'autre;  :ins-*i  les  comptes  des 
trésoriers  du  due  et  les  documents  contemporains  mention- 
nent-ils, pendant  quelques  années  encore,  des  faits  qui  la 
concerupul.  Ces  faits  sont  do  plus  d'une  sorte;  parmi  les 
plus  intéressants  se  placent  les  difficultés  qui  s'élevèrent  enUv 
la  république  de  Saint  Marc  et  la  cour  de  Bourgogne  '. 

La  pari  prise  par  Venise  an  rachat  des  captifs,  en  dehi>rs 
d(îs  bons  officos  qu'elle  n'avait  cessé  de  leur  témoigner,  se 
réduisait  à  un  prêt  de  quinze  mille  ducats  d'or,  fait  par  le 
doge  à  .loan  de  Nevers  et  â  .Jacques  île  Bourbon".  Rien 
n'était  plus  net  qu'une  pareille  situation.  Si.  d'un  côté, 
la  républiqm»  avait  une  créance  contre  le  duc  de  B'»ur- 
gogne,  de  l'autre,  elle  devait  annuellement  â  la  couronne  la 
Hongrie,  on  iriieux  â  qui  s'était  substitué  à  elle,  une  rente  de 
sept  mille  ducats.  Kéolaïuer  le  paiement  de  la  ci*éance,  dif- 
férer sous  divers  prétextes  celui  de  la  dette,  puis  offrir  oii 
nier  la  compensation  des  deux  sommes  suivant  que  celle-ci 
était  plus  ou  moins  avant^igeuse,  fut  un  jf^u  auquel  se  com- 
plut la  diplomatie  vénitienne,  et  dont  elle  usa  pour  ne  paj'er 
f|ue  partie  de  ce  qu'elle  devait.  No  sulfisait-il  pas  aux  Véni- 
tiens d'avoir  fait   échouer  la  croisade,   en   lui   rnarchandanl 


I.  JK  Plnnrh<M'.  //»»/.  fir  Bourtf.,  m.  preuves  ch^xxiij:  —  Ardi,  de 


•ii:*:,  f.   2r-3:    h.    tl.VJ'i;    W. 


lljîW;   It. 


la   Cùtc    d'Or.    H. 

n.  2:ti::  B.  TMh\  —  Itibl.  nat.,  coll.  fin  Bouru  .  vol.  9i.  f. 

2.  ,\rch.  de  Ia  t  Vite  d'Or,  H.  tô-Jfl,  f.  »jy.  Anroau  Spinola  séjournn 
n  lu  cour  de  Itoiirp<»gne  de  In  tin  de  l'amiéo  t399  jusqu'en  «vril  l'iOl 
(P.  Itauyii.  M^m.  tiu  voiage,  p.  .liiS  v-tij. 

3.  V.  H«r  ce  prêt,  plus  himt,  page  323. 


PAIEMENT    PK    I.A    RANÇON. 

l'aide  qu'eux  seuls  pouvaient  lui  rlonner.  sans  tirer  ensuite 
profit  d'une  situation  qu'ils  avaient  contribué  à  créer?  Mal- 
heureusement rég'ùsuio  dominait  la  politique  vénitienne; 
celle-ci  ne  reculait  devant  aucun  moyen  dès  qu'il  s'agissait 
de  ses  propres  intérêts  ;  nous  en  avons  ici  une  nouvelle 
preuve  :  la  question  de  la  ranron  des  croisés  occupa  pendant 
plus  do  vingt-cinq  atinées  les  chancelleries  de  Hongrie,  de 
Bourgogne  et  de  Venise,  et  mit.  une  fuis  de  plus,  en  lumière 
les  agissements  de  la  république  de  Saint  Mare. 

Les  difdciiltés  ne  tardèrent  pas  à  naitre.  Sigismond  avait 
demandé  que  les  sept  mille  ducats  qui  lui  étaient  dus  pour 
i;^îin  fussent,  en  exécution  du  transport  qu'il  avait  consenti. 
payés  par  Veniso  à  Dinu  Kapnndi  ainsi  qu'à  Martin  et  à 
François  Martin';  mais  le  sénat,  sans  tenir  compte  de  la 
réclamation  du  roi,  paya,  par  compensation,  deux  mille  du- 
cats à  Thomas  Mocenigo  qui  avait  créance  de  pareille  somme 
sur  Sigismond.  Les  cinq  mille  autres  ducats  entrèrent  en 
déduction  du  prêt  fait  au  comte  de  Nevers.  La  rèiiublique. 
cependant,  n'admettait  pas  le  principe  de  la  compensation: 
elle  avait  exposé  au  duc  de  Bcmrgogne  que  dette  et  créance 
étaient  distinctes,  que  la  somme  annuelle  stipulée  n'était  pas 
à  proprement  parier  un  cens,  mais  une  clause  de  la  paix  d»* 
Turin  dont  l'exécution  était  subordonnée  à  celle  des  autres 
conditions  ilii  traité  *.  Mais,  ccunme  elle  n'avait  aucun  motif 
de  contester  le  versomeiif  dt»  raunuité  de  sept  mille  ducats 
pour  1J9'J,  elle  imputa  cimj  mille  ducats  sur  les  quinxe  mille 
qui  lui  étaient  {\n^.  et  pria  le  duc  de  liater  le  paiement  des 
dix  mille  ducats  restant  à  recouvrer'. 


1.  C'est  le  navire  de  François  Martin  qui  ramena  à  Venise  Château- 
morand  et  V'ergj'. 

2.  24  septembre  i;t97.  Lettre  fin  doge  au  duc  (Arch.  do  U  Côte  d'Or, 
B.  11876,  lay.  87,  liasse  I,  cote  9). 

H.  15  août  1399,  (iran.  Lettre  de  Sigismond  aux  Vénitiens  {CmmiWt».. 
IX,  n"  I6â.  analysée  dans  .lAmum.jtyjerf...,  iv,  42(n.— 27aoùt  i:t99.  Venise. 
Ileçu  do  Mocenigo  \f'ominfm.^  lU,  ii"  lfi!t,  p.  270,  analyw^  dans  ,I/oï»u«j. 
ipecl...,  IV,  4201.  —  'i  septembre  i:W9,  Venise.  Lettre  du  iloge  au  duc  de 
lk)iirgogne(,\rch.  de  Veni.se,  Commem.^  m,  n**  IH'i,  p.  270;  —  Arcli.  de  U 
rVitod'Or,  H.  11876,  lay. 87,  lias.se  l,i*ote8;  — .Xrrli.du  NonLdansun  vifli- 
musdu  18  août  lî-w,  jï,  1299).  —  Laohancellerii^  V(Wiitiennc.  employant 
l'indictiun  de  septembre,  exoejité  dans  les  pièces  destinées  aux  chan- 
celleries étrangères,  avait  daté  la  lettre  du  doge  de  Vintf.  \lf.  Le 
»<iitH»,  qui  la  transcrivit  au  regiMre  deh  Commemffn'afi,  mentionne  i-r 


C'est  qnVn  réalitp  Philippe*  In  Har4i  considérait  comme 
siennes  les  stipulations  faites  par  Rapondi  ;  le  roi  de  Hongrie, 
garant  du  paiement  de  la  rente  auprès  du  cessionnaire, 
insistait  vivement  auprès  des  Vénitiens  pour  obtenir  qu'on 
solilàt  tes  termes  amérés.  Pendant  les  pn^miers  mois  do  1  i03, 
il  multiplia  lettres  et  ambassades  â  la  république  de  Venise. 
Celle-d  se  borna  à  répondre  qu'elle  avait  de  justes  raisons 
pour  ne  pouvoir  aecordei'  re  que  demandait  le  roi.  et  Sigis- 
inond  n'obtint  jamais  d'explications  plus  catégoriques.  Ilaurait 
pu,  repeadatit,  deviner  la  vérité;  son  compétiteur  au  trtme 
de  H<mgiie,  Ladi.slasdeDurazzo.  faisait  de  rapides  progrés,  et 
Venise  était  depuis  longtemps  soupçonnée  d'avoir  pour  lui 
de  secrètes  svmpathies.  Il  n'en  fallait  pas  pins  pour  que  la 
république  dédaignât  de  s'expliquer  avec  un  prince  dont  elle 
croyait  n'avoir  rien  à  craindre. 

.\vec  le  duc  de  Bourgogne  il  n'en  alla  pas  de  même;  la 
seigneurie  se  hâta  de  se  justifier  auprès  de  lui  ;  elle  soutint  que 
l'inexécution  des  conditions  de  la  paix  de  Turin  par  Sigismond 
la  dégageait  du  paiement  de  la  rente.  Ce  prince  n'avait-il  pas. 
par  ce  traité,  renoncé  à  ses  prétentions  sur  les  bouches  de  la 
Dalmatie,  à  tout  comnirrce  maritime  à  exercer  par  ses  sujets 
sur  la  c(Ue  de  rAdriattiiue?  Ces  engagements  avaient-ils  été 
li^nus.  l'état  de  son  royaume  lui  permettait-il  même  de  les 
tenirMI  était  ilono  légitirno  lîe  refuser  tine  rent**  qui  n'avait 
été  consentie  qu'en  considération  d'avantages  que  Sigismond 
était  impuissant  à  assurer  aux  Vénitiens.  La  justification  du 
sénat  S4'  («'rnnmût  par  un<'  nouvelle  demande  à  Pliijjpp*'  le 
Hardi  d'acquittor  les  dix  mille  ducats  dus  â  la  république'; 
Antoine  Spalatino,  envoyé  en  Aragon,  était  chargé,  à  son 
retour,   de  s'arrêter  en   France  et  d'insister  sur   ce  point 


fait  en  remarquant  que.  selon  lusage  vénitien,  elle  oui  dti  portei- la 
mention  de  riiidiction  vm.  Cotte  lettre  fut  mise  aux  archives  du  dur 
(le  IV>urgogne  |»ar  Jean  fouiller,  le  tl  décembre  l'M'J.  —  V.  Pièee-* 
jiittiHcatives.  n"  xm.  -  12  nepterabre  i:WJ,  Venise.  Lettre  de  \enise 
à  Sigismond,  en  n^ponse  â  la  lettre  du  iâ  août  (\rcli.  de  Venise. 
Commetn.,  lu.  n-  16ti,  p.  2701. 

t.  '(janvier,  25  mars,  26  avril  \W.\.  Négociations  aveti  Sl>ritsmond 
(,\r-"li.  de  Venise,  Sm.  Seer.,  i.  f.  Hfi.  ya  v»,  iOo  \-".  Kd.  Mouum. 
*peet...,  tv,  'iT:i,  iT.i,  i'Z\.  —  21  avril  l'iO:t.  lti^]Mmsr  tle  Venise  au 
due  do  Ihmrgoguo  i»«,  Secr.,  i,  f.  lOUi.  Voir  l'iiVi'>  jiistilK'nilvck, 
n*  xvni. 


: 


PAIEMENT    DK    LA    RANÇON. 

auprès  du  duc.  La  réponse  decolui-ci  ne  se  fit  pas  attendre  : 
écrite  le  8  août,  elle  parvint  au  sénat  le  ?l  soptciiibre.  Elle 
exprimait  en  lormos  si  vifs  l'étonnement  d'une  pareille  fai;on 
d'agir,  elle  exigeait  si  irapérieusemenl  satisfaction  que  Venise. 
très  ombarrasséo,  chercha  à  gagner  du  temps,  et  se  décida, 
ijuand  elle  ne  put  phw  user  d'atternioiements,  à  envoyer  en 
France  un  de  ses  chanceliers,  Pien*n  de  Gualfredini,  pour 
apaiser  te  duc  et  Justifier  la  conduite  du  sénat  (2\  octobre 
t'»03).  Une  pareille  ambassade  était  devenue  indispensable 
depuis  lo  jourtiù  îos  Véiiiiiejis  avaient,  en  pleine  paix,  atta- 
qué et  battu  à  Modon  nne  flotte  génoise  commandée  par  le 
maréchal  Bnuciraut  ['  oclobre  IU)3;;  il  fallait,  à  tout  prix. 
atténuL'r  l'effet  que  la  mmvt'lle  de  cette  injustifiable  agres- 
sion ne  pouvait  manquer  ih*  proïkiire  de  France,  et  les  com- 
plications qu'elle  inermçnil  d'attirer  ;i  la  république.  Aucune 
excuse  nouvelle,  aucun  arytitjient  nouv<'au  n'étaient  mis  en 
avant  dans  les  instructions  données  à  Gualfredlni.  Le  sénat 
comptait  sur  Thabileté  do  son  représentant  jionr  dissiper  l(* 
malentendu,  et  pi-ésenler  les  choses  sous  leur  vrai  jour,  tant 
au  duc  qu'à  Uino  Rapoiidi.  Philippe  le  Hardi,  dans  sa  lettre. 
avait  fait  remarquer,  non  sans  aigreur,  que  Jean  de  Nevers, 
pendant  son  séjour  à  Venise,  eût  pu  Irouvor  nombre  de  Véni- 
tiens prêts  à  se  substituer  à  ses  droits,  et  laissait  entrevoir 
([u'en  ce  cas  la  ivpub!iqn<>  n'eût  pas  suulevé  les  mêmes  dif- 
ficultés. Pierre  de  Gualfredini  fut  chargé  de  faire  justice  de 
cette  insinuation,  en  déclarant  que  son  gouvernement  n'avait 
pas  l'habitude  de  prendre  en  considération  les  transactions 
passées  entre  particuliers,  fussent-ils  citovens  de  Veniso. 
T'était  là  unr  diM'larafiim  Uniiv  gratuite;  le  soin  avec  lequel 
furent  i*elevées  les  paroles  du  duc  sur  ce  point  monti'e  assez 
quelle  créance  méritaient  1rs  protestations  du  plénipoten- 
tiaire vénitien.  Onlre  fut  floniie  :"i  cidui-ci,  s'il  échouait  daîi** 
sa  mission,  dinformer  les  consuls  de  la  république  à  Bruges 
et  à  Gand  rie  cet  insuccès,  pour  mettre  les  négociants  véai- 
tiens  de  Fbuidre  eu  garde  contri^  d<N  nîesnres  violentes  q«p 
le  duc  pourrait  être  amené  à  [)rendre  contre  eux  par  voie  île 
l'epi'ésailles'. 


1.  *il  c!  a;  Keplenibre  I'«o;ï  i-SV/j.  Serr.,  i,  f.  toU:  —  Sen.  Mixt», 
\l.M,  r.  I04J. —  Voir  PiùceK  jusliticatives,  ti"  .wiii  fi  plus  has  le  clm- 
pitiT  VI  ilu  livre  V  sur  tout  co  qui  concerne  coltc  uinbas^ade. 


Avec  le  roi  de  Hongrie,  il  n'y  avait  pas  ies  mêmes  mèna- 
gemenis  à  ganler;  rmiarchie  intérieure  du  royaume  grandis- 
sait chaqur  jour,  cl  l'autorité  du  roi,  battue  en  brèche  en 
Buhèiuo  coiiiuio  eu  E)alniatie,  par  le  parti  allemand  comme 
par  le  parli  napoliUiin.  devenait  de  plus  en  plus  précaii'o; 
aussi  l'attitude  de  la  république  consen'a-t-ello.  à  l'égard  de 
Sigismoud,  le  raraclère  hautiiin  ot  insolent  que  nous  avons 
iU*yX  constaté.  Aux  réclumaiions  réitérées  du  prince,  à  IVx- 
pression  de  ses  craintes  relatives  à  un  partage  de  la  Dalma- 
tie,  consenti  par  Venise  â  Ladislas,  il  fut  simplement  rê|tondu 
que  les  événements  dont  ce  pays  avait  été  le  théâtre  légiti- 
maient la  conduite  des  Vénitiens,  et  qu'aucun  accord  n'avait 
élé  conclu  )iar  eux  avec  Ladislas.  Sigi^mond  Lereber.  négo- 
ciant de  lînih'  et  agent  du  roi.  dut  se  contenter  de  cette 
répons*»,  donnée  avec  une  maiivnise  grâce  évidente,  et  saas 
autres  explications  (  21  juillet  I  Ui\  '.  Le  nd  «le  Hongrie  se 
le  tint,  pimr  dit.  et  si,  l'année  suivante,  il  chercha  â  se  rap- 
pjochcr  de  la  république  de  Saint  Marc,  il  ne  fut  plus  ques- 
tion du  paiement  des  ducats  arriérés". 

H  était  moins  facile  rl'imposer  silence  aux  protesta- 
tions du  duc  de  IJourgogne.  La  mort  de  Philippe  le  Hardi 
l'avril  lîDÎ)  n'avait  en  rien  changé  la  situation;  le  comte  de 
Nevers,  devenu  Jean  -ïaus  Peoi*.  se  montra  aussi  énergique 
que  son  péri'.  Son  iusîstaiir'e  â  réclauicr  \o^  arrérages  de  la 
nmte  ur  laissait  pas  (juc  d'inquiéter  les  Vénitiens.  Pierre  de 
tlualfredini  n'avait  pas  convaincu  Philippe  le  Hardi  ;  Fran- 
rois  Contarini.  envin'é  en  Franeepuur  une  négociation  diplo- 
matique importiute,  fut  accessoiremeui  chargé  '2'2  mai  1 105) 
de  repreudiv  la  rpiesiiou,  tant  on  redoutait  â  Venise,  de  la 
p;irt  du  iietiveau  duc.  la  pnuuulgatiou  de  uiesures  préjudi- 
l'iahles  au  commerce  vénitien  dans  le^;  Flandre^.  Il  ne  fui  pas 


I.  22  nuvembru  l'iOS  h  (îraii,  1  dtV<>ndjre  â  Vii»egr3ul,  *J  avril  140'i. 
t'i  Presliourji.  I.Httreti  <Il*  Si^fisniiMul  îi  \'e'ii-«  f  \rrli.  de  N'euise.  r«w- 
w<''rt..ni,n'*270.2::iet2«:.p.2*»;»  it!t2î»H:«'J.  .V«HMm.ji/ïr/'/...,v.:Hpl3'J|. 
—  'it» janvier.  2  ff^vrier.  ii  ft-vripr,  Ul  juillpl  lUi'i.  l>élil)i'ratE(fns  du  sénat 
lé(J.  MoHHin.  Jtpfct....  V.  p.  :I2.  u;i,  ;ï'i.  'i'i-r»K  Oulre  Sijrisinoiiil  Lereher. 
I"  rui  "!••  lloiij:rif  cnvuya  i\  Veiii.o  lUnhèlouty  (Juiiloli  ijatixîop  et 
mar»  t'iO'n,  (iujfer  ravjz».  prévôt  de  Zatinih.  et  Paul  de  l*avii».  un  do 
6CH clianceliers  i\'.  V«hm/h.  n//cct....  \.5r.-7). 

'1.  Voir  le»  anjl)af*»adrî»  envoyées  aux  Wnitienst  par  Sigîsmond  en 
waUet  octubpp  liOS  {Monum.  njt^rt....  v,  61  et  STii. 


332  PAIEMENT   DE    LA    RANÇON. 

plus  heureux  avec  le  fils  que  son  prédécesseur  ne  l'avait  été 
avrc  le  père'.  Jean  ne  voulut  rien  entendre,  n'admettant  pas 
qu'on  contestAt  la  légitimité  de  sa  demande,  admettant  encore 
moins  qu'on  o>t;*it  dire  que  jamais  la  république  n'avait  traité 
avec  lui.  sinon  pour  un  prêt  de  quinze  mille  ducnts  dont  les 
deux  tiers  restaient  encore  dus;  sans  se  rehiiter,  il  euAoya. 
l'année  suivante,  de  nouveaux  ambassadeurs  à  Venise  (  1  iOtî  *. 
Il  n*y  avait  aucune  raison  pour  qu'une  solution  intervint  : 
de  part  et  d'autre  chacun  maintenait  son  droit,  sans  céder  sur 
aucun  point.  Les  envoyés  français  étaient  rentrés  en  France, 
fort  mécontents  de  l'accueil  fait  à  leurs  réclamations,  et 
(lisaient  bien  liant  que  leur  duc  saurai(,  d'une  manière  uu 
il'une  autre,  se  pavei-  de  ce  qu'on  lui  refusait  "\  Venise  trem- 
blait plus  que  jamais  pour  ses  intérêts  commerciaux,  et  char- 
geait son  consul  à  lîruges  d'avertir  ses  nationaux  dri  Torage 
qui  les  menaçait  '.  Cette  préoccupation  était  si  fnrte  que  le 
sénat,  deux  mois  plus  tard  (6  novembi-e  1  iflti),  se  décidait  à 
sortir  de  l'incertitudo  en  demandant  catépiu-iquemont  la  pro- 
rogation du  sauf-fonduit  que  les  ducs  de  Bourgogne  avaient 
octroyé  aux  galères  véniiienues.  et  en  insistant  pour  qu'il  fui 
spécifié  que  le  différend  pendant  entre  la  cour  de  Bourgogne 
et  la  république  n'atteindrait  en  rien  la  liberté  de  commerce 
et  de  navijîation.  Uapondi,  que  les  Vénitiens  croyaient  avoir 
dans  leurs  intèrèls,  fui  ])riè  d'obtenir  du  duc  ce  nouveau 
sauf-C'»ndui(  ;  en  mémi'  temps  le  consul  vénitien  à  Bruges 
entama,  dans  le  aiôme  but.  des  négociations  directes  avec  les 
villes  tlamandes,  nolanmient  avec  Bruges,  Gan<l  et  Ypres  ;  on 
espérait  ainsi,  si  ces  dernières  se  prononçaient  en  faveur  du 
nuiintien  des  conventions  roinmcuriales,  forcer  la  main  à  Jean 
sans  Peur,  ou  au  moins  paralyser  sa  résistance .  Bruges  accueillit 


1.  Kranruis  Contariiii  et  Marc  Daadolo  partirent  à  la  fin  d'octobn? 
t'iO'i  pour  la  Krance;  ils  jillaicnt  réclamer  la  libération  de  marchand»; 
véiiilieiïs  arrêtés  par  ordre  du  duc  de  lïeny  â  Montpellier.  —  Voir 
plus  bas,  liv.  v,  chap.  vm.  le  récit  de  ceUn  ambassade.  —  Sur  le  (kit 
lies  inslruirtions  données  à  (/oiitarioi  potir  l'alTaire  de  la  renie  de  sept 
mille  ducats,  voir  Monum.  sficct...,  v.  ô'i-H. 

2.  Ces  ambassadeurs  tétaient  Jeaa  Lau^ii'esl.  cotiseillor  et  mnilre  dns 
rt^quétes,  et  (îtiillaiime  I>oré,  serrélaire  du  dur  ([*.  Hauyn.  }/rm.  tttt 
roiage.  f.  îtGl»  v"). 

;î.  i:>  septembre  Ii06  (Kil.  Moiium.  speci...,  v.  Sfr-T). 

4.   lô  septrmbfp  TiOfi  (Arch.  de  »nisp.  S'en,  Sert.,  m,  f.  40  v»). 


AMBASSADES  DES   VENITIENS  Et  DU  DUC. 

avec  faveur  les  ouvertures  de  Venise,  et  promit  de  faire  tous 
ses  efforts  pour  arriver  au  résultat  désiré  ;  mais  Rapondi  no 
put  obtenir  du  duc  qu'une  prolongation  insuffisante  (1407)*, 
Deux  ans  se  passèrent  sans  que  la  situation  se  modifiât;  onze 
annuités  étaient  dues,  et  ia  somme  réclamée  se  montait,  avec 
les  intérêts,  à  cent  mille  ducats.  Un  nouvel  ambassadeur 
bourguignon,  Jean  Mercier  ',  venu  à  Venise,  avait  tenu  un 
langage  si  menaçant  iseptcmbre  l'iOO)  que  la  république  se 
décida  à  céder.  L'Ermite  Jérôme,  accrédité  par  elle  auprès  de 
Jean  sans  Peur  (3  octobre  1109),  re^ut  des  instructions  conci- 
liantes. Gènes  venait,  par  arbiti*age  du  comt«  de  Savoie, 
d'être  condamnée  à  payer  aux  Vénitiens  nno  somme  de 
quatre-vingt-seize  mille  ducats  *.  Ceux-ci  offrirent  de  céder 
leur  créance  au  duc  do  Bourgogne  contre  le  versement  des 
deux  tiers  de  la  somme,  ou  contre  le  versement  do.  la  moitié 
seulement,  à  condition  qu'ils  seraient  substitués  aux  droits 
de  Jean  sans  Peur  vis-ù-vis  de  la  couronna  de  Hongrie.  Si 
cette  proposition  n'était  pus  goûtée  du  duc.  ils  lut  proposaiout 
une  quittance  des  cent  mille  ducats  qu'ils  devaient  et  le  paie- 
ment de  vingt-cinq  mille  ducats  en  cinq  ans;  à  ce  prix,  tous 
les  droits  â  exercer  contre  le  roi  de  Hongrie  seraient  cédés  à 
la  république.  Jean  sans  Peur  fut  inflexible  ;  Jérôme  lui  pro- 
posa jusqu'à  quarante  mille  ducats  (I  ilOj.  sans  parvenir  à  lui 
faire  diminuer  ses  prétentions,  et  revint  à  Venise  sans  qu'on 
se  fût  rais  d'accord  *. 


i.  6  novembre  l^i06  (Arch.  (Ip  Venise,  Sen.  .Vm/i,  XLvn,  f.  78). 
V.  Pièces  justificatives,  n®  xix-  —  2  décembre  I407  (Arch.  de  Venise, 
Sen.  Secr.,  lU.  82  v»  et  83). 

2.  Jean  Mercier,  (Ir  Maçon,  assista  au  parlement  de  Beaune  et  de 
Saint-Launmt  en  l'i(>7.  IMs  l'ilO  il  était  maitre  des  requêtes  et  con- 
seiller du  duc.  I^n  tU6  il  fut  envoyé  par  Jean  sans  Peur  auprès  du 
comte  do  l-'uix,  a^iâista,  en  1418,  aux  conférences  de  la  tutnite  entre 
Uray  sur  Seine  et  Montereau;  en  1420,  il  fnt  chargé  d'em}>6cher  la 
Dresse  et  la  Savoie  de  livrer  pa^ssage  à  l'année  du  dauphin  (la 
lïarro,  ,Wm.  pour  serv,  à  l'hi»t.  de  France  et  de  Dowg,  (Paris,  1729|, 
U,  104,  113,  ID'ij. 

3.  Voir  plus  bas  tous  les  détails  relatirs  à  cet  arbitrage  (livre  y, 
chap.  X). 

4.  9  septembre  1409  (.S>/i.  Secr.,  iv,  56-7).  —  17  septembre  1409 
{Sen,  Sccr.,  iv,  58  v«,  éd.  Monum.  $pect...,  vi,  18).  —  3  octobre  1409. 
Instructions  n  m"  Jérôme  {Sen.  AVer.,  iv,  65  v*;  —  Syndicati,  i,  191  >•»), 
—  23  avril  1410.  Nouvelles  instructions  (it'fil  A>cr..,  iv,  107). 


334  PAIEMENT  DE  I^   RaNÇOX. 

Une  période  de  quinze  ans  s'écoule  sans  que  la  qiiestir>n 
soil  de  nouveau  aj^itée;  les  préoccupations  des  ducs  de  Bouj- 
^ogne  sont  ailleurs  ;  ni  Jean  sans  Peur,  ni  après  lui  Philippe 
le  Bon,  ne  songent  à  faire  valoir  leurs  droits,  et  Venise,  dont 
le  commerce  avec  les  Flandi'tîs  n'a  pas,  en  dépit  de  ses 
craintes,  subi  l'arrOt  qu'elle  redoutait,  s'est  Ijîou  gardéo 
d'attirer  l'attention  sur  une  question  qui  semble  oubliée.  Co 
n'est  qu'en  li?'i  que  Philippe  le  Bon  reprend  les  négo- 
ciations; il  puvoie  en  It.ilii-  une  ambnssade  composée  d'Ilnc 
de  Lannoy  *.  de  Robi^rt  tU'  Saux,  vitliune  de  l'église  do 
Reims,  de  Jean  Jouberi ,  archidiacre  de  Langres,  ei  de 
Quentin  Ménard,  anhiiliacre  de  Bruxelles*.  Aux  réclama- 
tions dos  envoyés  du  duc,  le  sénat  répond  avec  les  mêmes 
arguments  qu'il  faisait  valoir  vingt  ans  auparavant  ;  mais 
le  temps  a  changé  les  dispositions  de  la  cour  de  Bourgogne; 
ce  n'ost  plus  cf^nf  mille  ducats  qu'idle  exige  impérieusement. 
elUv  est  prête  à  céder  à  la  république  les  droits  de  Phi- 
lippe lo  Hardi  sur  la  couronne  de  Hongrie  en  échange  de 
sept  mille  ducats  ('JO-'IO  jnillei  ri'^'i).  Trop  heureuse  d'en 
être  quitte  à  si  bon  marché  el  d'assurer  à  ce  prix  la  sécurité 
de  son  commerce,  Venise  renonce  à  ses  prétentions  aux  dix 
mille  ducats  dus  sur  la  rançon  du  comte  de  Nevers,  el 
ord<Muie  à  sou  consul  à  Bruges,  de  payer,  siu*  les  premiers* 
fonds  libres,  la  somme  de  sept  mille  ducaU  au  duc  de  Bour- 
gogne (?8  mai  Ii2.")).  Après  vingt-cinq  ans  de  négociations, 
Venise,   grâce  à  un    léger  .sacritice,    restait    maiiresse    du 


terrain 


1.  Hue  (le  Lann(»y,  ïiobnrt  de  Saux  et  Quentin  Ménnrd  avaient  élé 
déjà  envoyés  en  Italie  cinq  ans  avant  imjut  faire  ratilier  par  le  pape 
Martin  v  !n  paix  de  >lolnii  (I!  juillet  liiy)  conclue  entre  le  duc  de 
Itourgognc  el  le  datipliiii  (pins  lard  Tharles  vu).  iD.  Plancher,  I/t'itt.  de 
liourrj.^  ni.  515.1 

i.  (Quentin  Mênani,  originaire  de  Flavignyen  Bourgogne,  chanuinc 
de  fhàlon.s  et  de  Saint  Orner,  «eer^talre  d^i»  1412»  puis  ronseiller  de» 
ducs  de  Itourgogne^  Hit  provnt  de  Saint  Orner  (t'iifit;  nommé  évoque 
d'Arrns  en  14H9,  il  fut  transféré  à  rarchevéclié  de  lk»sancon  qu'il 
occupa  jusqu'à  sa  mort,  survenue  en  1462.  [Gall.  chrixt.  m,  474;  xv, 
94-8;  —  la  Marre,  Mémoires  pour  snvir ,  n,  Il 'il. 

3.  26  mai  l'iiîi  (Arcli.  de  la  Côte  d'Or,  It,  11876,  lay.  87,  liasse  I, 
cote  11).  —  26  el  30  juillet  ri2'i  <Apeli.  de  Venise,  Sen.  Secr.,  vni, 
i65  v  et  166.  V.  Pièces  justificatives,  n«  xx).  —  28  mai  1425  (Arch. 
de  Venise,  Sen.  Misti,  i.v,  f.  112  v"  . 


LIVRE  IV 

CONSTANTINOPLE 

1396-1  «2. 


MVRE  IV 


CONSTANTINOT'L!: 


1390-1 i02 


t/CS  soiirnes  dn  cettn  jH^pîode  sont  hrancoup  plus  resteïntcs  que  celles 
de  la  précédente.  Les  chroniques  se  r^duUent  aux  t^moignaKes 
byiantins  et  turea  que  nous  avons  «^nuniArés  plus  haut',  au  Livre 
Uex  /'aiti^  qui  nous  fait  connaître  le  rôle  joué  par  le  maréchal  à 
Constantinople,  au  /iefitjt'euj:  Je  Saint  Dénia',  k  Schiltlwrger*.  et  h 
quelques  diMails  donnés  j>ar  les  chi'oni<|ues  ituliennes,  anglaiscg  et 
franraiscs  sur  Ib  voyage  île  l'empereur  Manuel  en  Occident  et  sur 
Ja  bataille  d'Ancyre.  Pour  cette  dernière  on  pourra  consulter  égale- 
ment la  relation  contemporaine  de  j'ambasBade  de  l'fChpagnol  Ituy 
(ion/.ale7.  deClavijo  â  la  cour  do  Tn'ltizotide^,  cl  les  liii»toncns  orien- 
taux Chérifeddin*  et  Ibn-Arabchah'. 


t.  Voir  page  216-7. 

2.  Voir  page  2l2-:t. 

a.  Voir  page  116. 

^.  Voir  page  215. 

5.  liiitoria  t/rt  ijrnn  Tanwrfnn,  e  itinerario  1/  ennrraeion  ftel  viaffe^ 
y  relaciun  th  la  rmfiuj'ailu  tjue  Huy  Gonzalez  de  Ctavt'jo  le  hizo  pur 
mandndo  det  muy  jM/deroÂo  ténor  rey  dim  Ilenrique  cl  tereero  de 
Custilla-.-  (Madrid.  1782,  in-^i"). 

B.  Il  a  corn|wsé  en  j>er»an  une  J/iHoire  de  Timur  Heg,  qui  a  été 
traduite  en  français  par  Petits  do  la  Croix  (l^aris,  1722,  '<  vol.  in-12). 
Four  la  bataille,  voir  h-  livre  v,  ch.  'i7-9,  (iv,  &-20). 

7.  Ahmed  bon  Mnliammed  Ibn  Arabchah  écrivit  en  arabe  une  vîe 

32 


338 


SoLRCES    Dr    LIVRF.   glATRlÈME 


Les  archives  italiennes,  pontificales\  génoises  et  vùiiîtîennes 
rompirent  sur  plus  d'un  (wint  le  rt^cit  des  chroniqueurs,  partiVu- 
liôrempnt  cpHps  de  la  république  de  Saint-Marc  que  les  progrès  de» 
Turcs  menaçaient  et  qui  clicrclia  à  détourner  loragc  prêt  à  foiidi*e 
sur  elle=.  • 

Quelques  travaux  récents  méritent  aussi  d'être  mentionnés  ici: 
tels  sont  les  uuvragos  de  HiJpf\  d'ilertzberg*,  de  Pinlay^  d'Ho- 
wortli",  de  Beving',  et,  sur  dos  points  plus  spéciaux,  la  dissertation 
que  llerger  de  Xivrcy  a  consacrée  à  La  vie  et  nux  ouvrages  de 
Vempercur  Manuel  Pa(f''vUujuc*y  et  le  Mémoire  du  baron  Silvestre  de 
Sacy  Rur  une  corregpondanve  inédite  de  Tamerlan  avec  Charles  ïv". 


de  Tamerlan,  plusieurs  fuis  imprimée  :  en  1636.  in-4«,  k  Amsterdam, 
par  Jacques  Golius,  en  1767-72,  U  Franocker.  en  2  tomes  in-i",  avec 
traduction  latine  de  S.  H.  Manger,  l/navrayo  d'Arabchali  a  été  traduit 
en  français  par  Pierre  \attier  (Paris,  1658,  in-4«»;, en  anglais  (Calcutta. 
1812,  in'-8",ul  I8IS,  2cédition),  eten  turc  (Constantinople,  1739,  În-V). 
Le  lecteur  trouvera  ce  qui  concerne  la  bataille  d'Ancyre  au  1.  vi,  ^  10 
et  11  {trad.  de  Vattier  p.  lari-SOOi. 

t.  Mansi,  Annales  JSrcie.siattiici,  t.  xwii  (Kucques,  1752,  in-fol.)- 

2.  Les  archives  de  Gènes  n'ont  donné  lieu  à  aucune  publication 

pour  cette  période;  ù  celles  de  Venise  sont  empruntés  les  élémenls 

qui  ont  fourni  Icâ  publications  suivantes  :  Sathas,    Documenttt   inédUt 

relatifs  à  ihiatoiredr  la  Grrre  rtumoi/en  tige.  (tidO-irjOO;,  Venise,  1880, 

2  vol.  in-'i";  —  Sime  l.jubic,  Munumenia  sperlantia  histuriam  Sin- 
l'ontm  ineriflionalimn,  t.  v  (A;;ram,  1875,  m-^).  — K.  liopf  (GriVrArn- 
Innd  im  Millelolier  wid  in  der  Neuzcit,  X.  vi  et  vu  de  lencydopédie 
d'Krsch  et  (iruher,  Lnipzig,  187U,  in-i")  a  également  mis  largement  » 
proHt  les  documents  génois  et  vénitiens,  ces  derniers  surtout. 

:i.  Voir  la  note  précéilente. 

4.  D'O.  F.  Hertzberg,  GMc/(»Wt/e  der  Dyianiiner  dans  l'encjxlo- 
pédie  d'Oncken  iBerlin,  1883,  in-H"). 

5.  .1  fiistori/  nf  Grèce  from  ittt  eonguest  by  the  Romans  to  the  jrresent 
lime  (7  vol.  in-8",  Oxford.  1877). 

6.  La  principauté  d'Acfiaie  et  de  Morée.  1204-14:^0  (Uruxelles,  1H79. 
in-H*»;. 

7.  Mémoires  de  l'.\cad''mie  des  Inscriptions,  MX  (1853).  n.  l-2ftl. 

8.  Henry   II.    Ilowortti,  J/istory  of  the  MonyoU  (lAïudros,  1876-80. 

3  vol.  in-8"). 

9.  Mémoires  de  t' Académie  di^t  Inseriplions,   vi  |1822)  p.   Î70-522. 
Ot  vil  (1824]  p.  a35-4:t8. 


KKFKT  MORAL   PRfUniT  EN   EIUopE  PAU   I,.V  VirTOiRK   OKS  TfRCS. 


Le  désastre  de  Nicopolis  avait  ouvert  la  route  de  l'Occi- 
d«nt  aux  vainqueurs.  Ce  n'éUiient  ni  les  puissances  de  TAr- 
cîiipcl,  ni  la  Grèce,  ni  les  principautés  serbes  et  valaques, 
i^noare  moins  les  Hongrois  ou  les  empenmrs  de  Constanti- 
nople  qui  pouvaient  arrêter  la  marche  de  Bajazet  ;  la  menace 
qu'il  avait  faite,  avant  lu  campagne,  de  faire  manger  son 
l'heval  sur  l'autel  de  Saint-Pierre  à  Uoine.  ne  semblait  plus 
à  personne  une  insolente  bravade;  l'Europe  tremblait  devant 
l'êpée  du  conquérant. 

En  France,  la  tristesse  et  le  deuil  avaient  été  universels  ; 
rêmotion  publique,  dont  nous  avons  déjà*  signalé  les  pre- 
mières manifestations  â  la  nouvelle  de  la  catastrophe,  avait 
été  vivenient  suri-xcitéts  et  on  peut  juger  de  son  inlr*nsiié  par 
les  vers  qu*Euslache  des  Champs  consacra  à  la  bataille  et 
dans  lesquels  il  .se  Ht  l'interprète  des  sentiments  de  tons: 

•  Las  où  sont  les  haulx  instnimens, 
»  Les  draps  dur,  les  robes  de  soye 
••  Les  grans  destriers,  les  parreniens, 

•  Les  joiisteurs  quà  veoîr  souluie. 

•  Les  dames  que  dancer  veoio 
'  Dès  la  nuit  Jusques  au  cler  jour? 

■  Las!  où  e8t  d'orgueil  le  !;éjour? 

■  Dieux  l'a  mis  en  partie  à  fin. 
a  Je  ne  voy  que  trlatebce  et  plour, 

■  Et  obsèques  soir  et  matin.  > 


1.  Voir  plus  haut,  p.  2Vl-'i. 


340  EFFET  MORAL  CALSÉ   PAR   LA   DEfAITE. 

Le  poète  continue  sur  ce  ton,  et  sa  ballade  reflèie,  dans  sa 
tristesse,  le  deuil  de  la  France  entière: 

■  Où  wnt  les  enohaineiuetiH 

•  (Oue  l'on  fiortûit  comm«  conrroye) 

■  li'argent  et  d'or,  leurs  sonnemens. 
«  Pour  niiculx  pramlrc  i^pis  sauîx?  on  voie 

■  Lessel  de  cûi*ps,  de  la  monnoie, 

•  Ciast  de  viande  et  d'atoiir, 

•  Perte  d'esj>6rit,   grant  luour 

•  De  torches,  gastement  de  vin, 
t  Je  ne  voy  que  tristesce  et  plour, 
I  Et  obsèques  soir  et  matin. 

«  Et  en  mains  liens  noirs  vestomens, 
1  Porter  deuil  et  courroux  pour  joye, 

■  Sonner  pour  les  trespassemens 
«  De  pluseurs,  que  pitié  eonvoye 
«  Au  moustier.  Vengcnee  me^troie 
€  Péchii  en  quelrunqne  seigneur, 

•  En  grant,  eu  nioicn,  en  meneur: 

•  Soyon  tout  à  Inen  fuire  enclin. 

■  Je  ne  voy  que  tristesse  et  plour, 

•  Et  obsèques  soir  et  matin. 

t  (L'Envoy.)  Prince,  abisme  est  li  jugemen» 

•  Do  Dieu  et  ses  pugnissemen»: 

•  M  l'a  bien  montré  à  ce  tour: 

■  En  Turiiuie  est  ses  vengemens, 

■  lie  loiug,  par  divers  mandement, 
-  Pour  noz  jK^chiez  plains  de  venin. 

•  Je  ne  voy  que  tristesce  et  plour, 

■  Et  obsèques  soir  et  matin  •'. 

Mais  en  Krancr.  plus  qu'en  aucun  awivo  pays,  les  impres- 
sions, un"'aii'  b's  plus  \ives,  s'effacent  i'a|>idi'inont,  ronirae  si 
leur  acuité  même  semblait  devoir  en  abréger  la  durée,  Nos 
pères  iréfhapjiaient  pas  à  relie  condition  inhérente  au  carac- 
lére  national;  un  en  eut  la  preuve  après  Nicupolis.  La  France, 
grâce  à  son  êloignement,  n'avait  pas  cumme  la  Grèce,  la 
Hon^'ie  oti  (^onstantinoplo,  à  redouter  du  Turc  un  danger 
immédiat  ;  elle  se  persuada  facilement  qu  elle  n  eialt  pas 
directement  menacée,  et  ue  songea  pas  aux  conséquences  in- 


1.  Les  ttuvrea  inédites  d'Emlache  des  Champs  (éd.  Tarbé,  1849),  i, 
163-G.  L'ne  autre  pièce  d'Kustache  des  Champs  (i,  16'i-5),  plus  spé- 
cialement lusloriquc,  exprime  les  mêmes  senlimenls. 


PHILIPPK    DK    ME/IKRES. 


341 


directes  d'un  noiivoau  profifrôs  do  Bajaznt.  Aussi  bien,  ces 
vues  politiques  n'êtai<»nt  à  la  portée  que  du  petit  uoml)re; 
Irts  idées  qui  nous  somblenf  aujuurd'Jmi  èîèineiUairos  élaieiit. 
û  la  tin  du  xiv*  siècle,  lapanape  de  quelques  priviligiés,  que 
des  voyages  à  rêtratiger,  ou  le  maniement  des  affaires  pu- 
bliques, avaient  appelés  à  les  aequérir.  La  chevalerie  s'em- 
pressa d'oublier  la  leron  qu'elle  veuaii  de  recovidr  et  reiourua 
à  ses  tournois,  à  ses  amours,  aussi  allègi'omcnt  qu'elle  était 
partie  en  campagne. 

t  Rogardez  tjiiel  dievalerie 

I  Quant  noble  gcnt,  quel  cumpAignic 

■  Avez  pordue  entre  nous, 

s'écrie  un  auteur  eoutenip^traiu  pai*  la  bnurbi»  il'un  Sarra-^in 
qu'il  met  en  scène, 

■  Mai.t  quelle  plainte  en  faites  vous? 

■  Si  n'en  voy  nully  qu'en  soupire'.  » 

Il  est  impossible  di*  jH-indre  d'un  trait  plus  heureux  l'état 
des  esprits  au  b-iidi-niairi  de  Nicopolis. 

Une  seale  voix  s'était  élevée  pnur  rappider  au  due  de  Bour- 
gogne qu'il  a\'ait  la  gloire  de  sa  maison  et  relie  du  nom  chré- 
tien à  rétablir  en  châtiant  Tiirpueil  des  Turcs:  voix  autorisée 
s'il  en  fut.  et  qui.  maintes  fuis  déjà,  s'était  l'ait  entendre  en 
faveur  des  intérêts  chrétiens  en  Ori*^nt.  Philipp*'  de  Mézièn>s, 
le  vieux  chancelier  du  roi  Pi*Tre  de  ('hvpn*.  retiré,  depuis 
près  de  vingt  ans.  au  cloître  des  ('él(»slins  à  Paris,  ne  s'était 
jamais  itésinléressé  des  choses  île  la  croisade,  et  l'ardour  de 
sa  fol  ne  s'étîût  pas  ralentie  avec  les  années.  Nous  avons 
montré,  plus  haut  \  ses  efforts  pain*  eiitrainer  l'Occident  à 
la  conquête  des  Lieux  Saints.  I^i  nouvelle  de  hi  bataille  de 
Nicopulis  le  frappa,  dans  sa  pieuse  solitude,  d'un  coup  dou- 
loureux ;  il  reprit  la  plume  pour  dire  aux  princes  chrétien^. 
dans  une  <  rude  épislre  »,  et  les  fautes  commises  et  les 
moyens  de  les  réparer.  Il  était  bien  UivA,  après  révéuemeni. 
pour  faire  toucher  ilu  doigt  la  plaie  saignante  ;  il  ét^it  ponl- 


1.  Iluiiuré  Ikjiincl,  L'tiftpnrition  nuiitrr  Jf^n  tlf  .\/rtiHfj  (Milil,  nal. 
franc.,  7202).  ("est  une  |»<)i''mc  ulh^goniiiie  ilmi;»  lii<iurllr  le  j»o^te  cri- 
tique ses  runteui|M>rain!>  iP.  Paris,  Xotii^cn  xur  Irit  MuntinT.  franc., 
\  I.  258-9». 

2.  Voir  ijages  201-8. 


34: 


KKFRT    MORAI,    CAISK    FAK    1,A    IiKKAlïfc;. 


être  prématuré,  au  momenl  où  le  désaslre  accablail  Iou(g  la 
chrélienté,  où  les  prisonniers  étaient  captifs,  de  parler  d'une 

nouvelle  croisade.  î.a  voix  dp  Mézièivs  resta  sans  écho,  au 
milieu  de  riusouciance  chaque  juur  trniudissante '. 

Ses  conseils,  du  reste,  ne  semblaient  pas  inspirés  au  même 
degK*  que  maint  proji^l  de  croisade  dont  nous  avons  eu  l'oc- 
casion de  nous  occuper  précéfleiiniioiiT.  par  rexpérience  pra- 
tique qu'on  était  en  droit  d'attendre  d'un  liomrae  qui  avail 
passé  trente  ans  île  sa  vie  en  Client.  Présentés  sous  forme 
d'allégorie,  iU  inanquaiont,  pour  ainsi  dire,  d'actualité  ;  l;i 
coiu*  frivole  de  Charles  vi  les  accueillit  avec  le  respect  que 
méritai*  l'aiiduité  d'un  vieux  siTvitenr  des  rois  de  Chypre; 
mais  (Ml  même  t<Mi»ps  l'iusislance  que  ce  vieillard,  â  demi 
retiré  du  monde,  apportait  à  gourmander  ses  contemporains 
par  ses  écrits  et  sa  parole  excifa  un  certain  sentiment  de  dé- 
fiance. On  ne  poiiv.-iii  s'empêcher  do  songer  que  la  Miiict  du 
Christ,  le  nouvel  ordre  de  chevalerie  dont  Philippe  n'avait 
cessé  de  p<nu'suivre  la  réalisation,  tenait  dnns  sim  épitre  la 
place  la  plus  considérabli*,  et  que  les  renseignements  ilounè*: 
par  l'auteur  sur  la  puissance  ottomane  semblaient  arriérés 
d'une  vingbiine  d'années,  et  concordîdenl  mal  avec  le^*  récits 
apportés  en  Occident  par  les  compagnons  du  comte  d** 
Nevers  *. 

Ecrite  nu  lendemain  du  desasin-,  l'œuvt'u  de  Meziéres  ne 
proposait  aux  vaincus  que  deux  alternatives  :  rachet<*r  Ii-h 
captifs  «  par  traité  ».  i>u  les  délivrer  *  par  la  voie  dp  fait  e? 
de  guerre  »,  c'esl-à-dire  par  une  tiuuvelîi'  expédition.  L'aii- 
leur,  secrètement  partisan  du  second  mo_\eu,  disrul^ùt  le 
rafdiat  des  prisonniers  et  dont^iil  de  son  eHica<'ité;  il  crai- 
gnait (|ue  les  TiuTs  ne  demandasM'ul  une  «  extrême  et  iin- 
«  portable  ran(;on  »,  à  laquelh*  le  trésor  de  France  ne  pùl 


1.  EptKire  Itimpiilithle  fl  amnolotoirr  sur  te  fait  dtr  tn  tirnconfi- 
turfi,  etc.  {Va\.  Korvyri.  Krois-sati,  .\m,  ''»'t'i-.ï2^). 

2.  Voir  tiiir  la  sîtiintion  d(*H  Musulniuns  les  piuvigraptirs  (jiii  uiit  pour 
litre:  •>  1,'atiteiir  rnrilf  lri)is  ppiiices  très  grans  seigneurs  «le  Turquie 
t  et  l(îs  CDiitrrps  J«  leurs  seigiHMiries.  —  Les  rondiliniit»  du  socoml 
«  seigneur  de  Tuniuîe. —  Les  roiiditioD.s  du  liera  seigneur  de  Turquie, 
t  —  Les  t'unditiuns  eu  gixis  de  l'Amuralh  turq  et  de  son  liU  Husctli.  dti 
«  leur  fortune  cl  de  leur  grant  pnis.sani*e  et  vuillance.  —  lUe  ii-capi- 
«  tulation  bricfve  des  eunquestes  que  l'Amorat  et  son  lili*  Dasetli  ont 
•  fuil  sur  les  (  resliens  i.  i Kixfissjirl,  éd.  Kervyii;  wr.  ."lOS-lî). 


i 


m 


PROJKTS    I»E    PUIMPPK    DK   MKZIKBKS. 


:u:i 


suttiri',  fl  que,  l'argeut  fùl-ii  recueilli,  il  n*y  eiUilauger  pour 
In  ('ïirètieiitp  à  le  leur  fournir.  «  La  inonnoio  de  la  dictp 
«  raiiron,  ilis:iit-i].  pourroil  doiinr-r  mat(*iv  (ît  occasion  an 
«  prince  des  Turcs  Haxetli  de  vtMiir  pivitemeul  acquerre  les 
€  auti'es  royaume  de  la  or(.'stienié  »,  ce  qui  serait  pour  los 
cliréticns  fournir  des  arnie^  conlri'  eux-rnèm<'s.  Ces  craintes 
exposées,  le  vieux  chancelii-r  donne  U^s  meilleurs  conseils 
pour  la  levée  de  la  ran(;on  ;  elle  devra  être  *  «le  bonne  aquesks 
^  libéralo  et  non  violente  »  :  il  cïU>  l'exemple  du  roi  Henri  de 
rhvjire,  rachelé  par  ses  sujets  de  leur  plein  gré,  gi'HCO  aux 
trois  états  du  royaume,  et  la  conduite  prudente  ilo  ce  prince 
t|ui  diminua,  pai*  des  rédnclions  sag^-ment  L-nuçues  sur  ses 
propres  dèjiensrs,  la  ilette  de  son  p«*upli*.  ("était  indiquiT 
ivec  délicatesse  au  roi  de  France  et  au  duc  de  Bourgogne 
les  mesures  à  prendre  pour  assurer  la  rançon  dos  prison- 
niers'. 

La  voie  des  armes  senildiiil  plus  ('ffîcace  a  l'auteur.  Il 
voyail  là  rnceasion  de  faire  jou4'r  à  la  chevalerie  de  la  l*a-s- 
sidu  dans  les  affaires  d'<.)riertt  le  nMe  qu'il  avait  rêvé  pour 
ell«\  Kilo  devait,  quoique  <  une  en  substance  »,  se  diviser  en 
trois  *  congrégations  »,  dont  «-liarune  avait  un  emploi  dis- 
liiicl.  La  prendère.  comprenant  les  chevaliers  de  France, 
d'Angleterre.  il'Kcosse  et  d'Italie,  réunie  avant  le,s  deux 
autres,  se  rassemblait  â  >'enise,  eï  de  là  allait  «  jiar  mer 
«  tout  droit  en  Turquie  pour  parfurinr  son  emprise  et  reron- 
«  vrrr  les  prisonniers  ».  Mézières  se  llallail  (qu'elle  serait, 
rii  pru  de  t(>mps,  forte  de  quarante,  ijuatr^-vingts  ou  cent 
niillo  ci»mbattaiit.s.  Le  second  contingent,  formé  des  cheva- 
liers .-illcmands.  devait  iiiandier  «  tout  dmit  en  (\>nstantin<qd4' 
«  et  à  Itonne  victoire  passer  le  bras  Saint  George*  ».  puis  se 
joindre  aux  Français  en  Asie  Mineure;  sa  force  éUiit  présu- 
mée drvuir  égah'r  celb»  de  la  première  *  congrégation  »,  car 
«  il  MM'a  légière  choM'  ;i  la  bonté  de  Dieu  d'assamider  c*  coiu- 
«  batans.  »  Quant  â  lu  troisième  chevalerie,  celle  «  d'Austre 
«  i»u  de  Midi  »  comprenant  les  Kspiiguols  et  les  portugais. 
évaluéiT  ^  soixante  ou  quatre-vingt  mille  hommes,  elle  devait 
combattre  les  Sarrasins  d'Kspagne,  et,  après  les  avoir  vain- 
cu», s'embarquer  pour  rHgyiti*'  et   v  faiir  sa  jonction  avec 


I.  Froinsaii,  M.  Kervyii,  xvi,  i78-8«. 


EFPBT  WOBAI.   CACHE    PAR    U\    DEFAITE. 

les  premières  divisions  qui,  de  victoire  en  victoiro.  seraîenf 
arrivées,  parla  Palcstiiic.  aux  frontièn^s  di*  rRfï;}'ple'. 

Ce  plan  était  in'éalisable  ;  à  peine,  malgré  les  efforts  do 
Mézières,  quelques  arllièreiits  avaient-ils  été  recrutés.  Com- 
ment supposer  tjue  l:i  rhrétipnlê,  Hêsahusép  des  expédîtionj* 
loinlainoii,  réiuurail.  :i  la  voix  du  vltuix  Cnrdelier,  um*  masse 
d'hommes  plus  considérable  que  celles  que  l'enlliousiasme 
des  preniièiv's  croisades  avait  armées  pour  la  conquête  des 
Lieux  Saints.  Cet  enth'Uisiasme  n'existait  plu.s;  rameur  des 
aventures  et  l'activité  d'expansion  à  l'étranger,  quoique  trè^i 
réels  à  la  fui  du  xiv"  siècle.  la  crainte  même  de  rinrasioa 
musulmane  qui  dominait  les  esprits  depuis  la  perte  de  la  Tem» 
Sainte 'ne  suffisaient  pas  pour  suppléer  au  sentiment  religieux 
qui  avait  poussé,  deux  siècles  avant,  les  croisés  vers  le 
tombeau  du  Christ.  On  conçoit  que  les  couteniporains  n'aient 
accueilli  les  projets  de  Mézières  qu'avec  une  respectueuse 
indifférence;  si  l'état  précaire  dt?  l'Orient  devait,  dans  la 
suite,  réveiller  l'ardeur  belliqueuse  des  CIm'Miens,  ce  réveil 
devait  revêtir  un  caractère  tout  différeut  de  celui  que  le 
solitaire  des  Célestins  rêvait  de  lui  imprimer. 

Mais  on  comprend  ru^d  que  I'i(K'e  de  la  vengeance,  .si  natu- 
relle â  un  peuple  chcvalernsque,  ne  se  soit  pus  eniparêo  de 
la  France  à  la  suite  du  desastre  ;  Kustache  des  Champs  s'était 
bien  écrié  : 

■  Pleurons  cette  meschance! 
•  Vengeons  leur  mort!  aions  en  Dieu  fiance  •*, 

mais  sans  insister  sur  ce  sentiment.  Philippe  de  Mézières 
avait  hautement  réclamé  la  réparation  qu'exigeait  l'honneur 
des  Chrétions.  et  cependant  ses  paroles  n'avaient  pas  été 
écoutées.  Une  pjucilb'  conduite,  que  b's  mœurs  du  trmps  ne 
semblent  pas  justiiier.  s'explique  toutefois  dans  une  certaine 
mesure.  Il  n'est  pas  douteux  qu'à  la  nouvelle  de  la  catas- 
trophe, lo  premier  iiiouvemnit  de  la  jeunesse  iruerrièiv,  dans 
un  élan  chevaleresque.  ;iit  été  de  courir  aux  armes  pour  veuger 
la  mort  de  ses  aînés  tombés  â  Tennuiui;  mais,  cédant  à  des 


1.  Froissarl,  éd.  Kervyn,  xvi.  Î91-9. 

2.  Le  \\  mai  121)1  une  ftotlo  mu:sutnianc  avait  nsà  Adria. 
le»  œuvra  inédites  d  Eu«iache  dex  Champ»  |M.  TorW,  !8i9»,  t, 

I6W>. 


PROMPT  OL'BLI  DE   UV  CVrASTRfJPlIE 


Mb 


raisons  d'ordre  jmlitique.  cette  ardeur  généreuso  se  ralnin 
bient<H.  La  fleur  do  la  chevalerie  était  prisonnière  de Bajazot; 
pour  la  sauver,  il  fallait  s'abstenir  do  tout  acte  d'hostilité 
tint  ([u'elle  ne  serait  pas  délivrée.  Plus  d'un  an  se  passa  de 
la  sorte  avant  le  retour  des  prisonniers;  c'était  plus  qu'il 
n'en  fallait  pour  que  U's  idées  prissent  un  autre  cours;  tjuaiid 
le  comte  de  Nevers  rentra  en  France,  à  l'émotion  des  pre- 
nners  jours  ne  tardèrent  pas  à  succéder  rinditTérence  et 
bientôt  l'oubli. 

Une  autre  cause,  en  outre,  devait  hâter  cet  oubli.  Il  est 
toujours  pénible  de  s'avouer  à  soi-même  les  fautes  commises; 
par  un  penchant  naturel,  la  nature  humaine  se  plaîl  A  atténuer 
la  responsabilité  encourue  eu  la  part;igeant  avec  autrui.  Les 
vaincus  ne  manquèrent  pas,  —  peut-être  avec  quelque  raison, 
—  pour  se  justitier  â  leurs  propres  yeux,  de  rejeter  sur  le» 
Hongrois  les  causes  do  la  défaite.  Mézièi*es  avait,  dans  son 
épitre,  attribué  à  la  divei'sité  des  éléments  do  rarrnée  coali- 
sée, <  composée  de  cinq  générations  de  Crestiens  catholiques 
«  et  de  quatre  ou  de  cinq  scismatiques  »,  l'insuccès  do  la 
«  journée  hurimable  »  ;  et  il  avait  consaci^  uu  chapitre  spé- 
cial à  exposer  «  les  grans  défauts  d'aucunes  générations  parti- 
«  culières  de  l'ost  du  voy  de  Honguerie  ».  Ces  considérations 
ne  manquaient  pas  d'un  fonds  de  vérité;  elle^  furent  d'autint 
plus  facilement  acceptées  qu'elles  excusaient  la  conduite  des 
chevaliers  français.  On  oublia  facilement  l'outrecuidance,  la 
légèreté,  le  mépris  des  règles  militaires,  qu'on  s'avouait 
tout  bas,  pour  ne  se  rajtpeler  que  les  faules  des  Hongrois,  et 
Kustache  des  Chunips,  organe  du  sentiment  public,  s'écria  : 

•  MdiOiMily.  l'ilé  (le  payetinie, 
>  Ati  trMii|>s  lu  ait  li  sié^e»  fut  gfaiis 
<  Kiit  (]f»lais8tèH  par  ur^iieil  et  fulie; 
■  C'iir  \e»  lluiiKit^tt  t|ui  furent  kup  Irk  champs 

•  Avec  leur  roy,  fultis  ot  récréans, 

•  Leur  roy  meisme  eniimincnl  par  puisHaiicc 

•  Saut;  a&sorabjor.  • 

L'amour-propre  était  sauvegardé:  la  chevalerie  n'était 
plut  l'instrument,  mais  la  victime  de  la  défaite;  elle  pouvait 
panser  ses  [dates  en  silence,  en  dehors  de  toute  idée  du 
vengeance*. 


I.  Kfiittrc  liwtenUihlc...  p.  \h'i''À.  - 
den  Champ»  it^d.  TarW,  IBV.n.  p.  I6.V 


Let  reui'reê  iuétfileu  tt/Cnntachc 


34(î 


EFFET   MOK.\I.  CAI'SE    PAU    L\   DEFAITE, 


Si  rOccident  s'était  facilement  désintéressé  du  péril  que  la 
victoire  de  Bajazet  rendait  de  plus  en  plus  menaçant,  il  n'on 
était  pas  lie  niônie  dos  puissances  chrétiennes  du  Ix^vant. 
Conslanlinople,  dont  le  siège  durait  depuis  plusieurs  années, 
et  qui  n'avait  vu  les  Turcs  s'éloigner  que  pour  renforcer 
Tarmée  dirigée  par  le  sultan  contre  les  croisés,  attendait  à 
rhaquc  instant  le  retour  du  vainquenr;  ses  forces  militaires 
comme  ses  finances  étaient  épnisées,  et  l'aniique  prestige  du 
Irône  impérial  no  sutlisait  plus  à  la  défendre.  La  péninsule 
turco-iielIéni(|ue  ne  pouvait  songer  â  soutenir  la  lutte  ;  eu 
Thessalie.  l'autorité  do  Maïui*^!  i  n'était  f|u'un  vain  nom  ;  celle 
du  despote  de  Mistra,  Théodore  Paléopue,  propre  frère  de 
Teniperenr,  n'était  pas  jihis  redoutable  en  Morée;  l'Epire,  Né- 
•îrepont  étaient  aux  mains  de  Venise;  la  harunnie  d'Athènes 
an  jiouvdir  de  Florence,  nu  ponr  mieux  dire,  ces  seigneuries 
avaient  à  leur  télé  des  d;)'naslics  italiennes,  incapables  d'au- 
cune résistance  sans  le  secours  de  la  métropole.  L'Ai'clu|>el 
offrait  un  spectacle  analogue  ;  il  se  partageait  en  possessions 
génoises,  vénitiennes  ou  florentines,  plus  commerciales  rpi** 
tnililaiies.  Qu'un  souille  hellifineux  s'élcvàt.  qu'une  person- 
nalité énergi(|ue  se  mit  à  lu  tête  d'un  mouvement  de  l'ésis- 
tance,  d'mie  ligue  analogue  à  celles  qu'on  avait  formées  cin- 
([uante  ans  [ilus  f'd.  il  y  avait  là  les  éléments  d'un  sérieux 
appui  pour  l'empire  de  Constantiuople.  Malheureusement. 
personne  n'était  en  mesure  de  donner  l'élan  ;  seul,  le  grand- 
rnattrc  île  l'Hnpital  (m*iL  pu  le  faire,  mais,  récenmient  promu 
iiu  iiiagisiére  etéchappé  par  miracle  au  ilêsastrede  Nicyjioli», 
Philibert  de  Naillac  se  considérait  comme  incapable  de  soti- 
tenir  dignement  ce  rôle,  lîest^uent  les  républiques  italiennes, 
dont  b's  rpuii]itoïrs  couvraient  les  iles  et  les  côtes  de  la  mer 
Ionienne»  de  rArclupel  et  de  la  mer  Noiiv.  Venise  et  Gênes 
;i\aient  pndilt'  \h'  la  faiblesse  des  Grecs  et  «les  dispositions 
bienvt;illantr.s  des  Turcs  a  leur  arrivée  en  Europe.  p<inr 
étendre,  au  xiv"  siècle,  d'une  fac'Ui  cotisiilérable  leur  empin* 
colonial,  au  détriment  des  premiers  connue  des  seconds.  Tes 
établissnmiMils  :i\ai<Mit;  su.  justju'alors.  par  une  politique  pru- 
dente, grandir  sans  c(»mprometlre  leur  indépend;ince  ni 
éveiller  la  colère  des  infidèles  dont  ils  favorisaient  le  coni- 
oierce.  Après  Nicn|)n|is,  ils  ne  pouv;iicnl  plus  <'miérer  la 
métui'  tolérance  de  la  pari  îles  Musulmans,  désormais  surs  dç 
Wm  force.  Le  péril  commun  b's  menaçait  aussi  impéritiusc- 


CRALNTKS   hE   LA    RKI'l'BLWfK   DK    VENWK. 

meni  quo  les  autres  puissances  chrétiennes.  C'est  ce  que? 
comprit  de  suite  la  république  rie  Venise  ;  effrayée  des  résul- 
tats de  la  journée  de  Nieopolis,  elles*.*  h;\ta  de  déléguer  dans 
le  Levant  deux  «  provisores  »,  inunis  de  pleins  pouvi>ii*s  et 
chargés  de  prendre  toutes  les  mesiues  nécessitées  par  les 
circonstances;  en  même  temps  serJean  Loredimo,  qui  était  en 
Islrie  â  Parenzo,  devait  rassembler  hommes,  approvisiomie- 
luents,  agrès,  et  se  porter  en  irtute  hâte  au  secours  de  Moce- 
nigo;  ce  dernier,  peusait-on,  se  trouvait  entre  Constant inople 
et  Négrepont.  Loredano  était  chargé  d'arrêter  avec  lui,  ou. 
m^me  sans  lui»  avec  les  autorités  de  Négrepont,  les  disposi- 
tions les  plus  propres  à  conjurer  le  danger;  il  fallait  protéger 
Cunstantinopl(\  encourager  l'empereur,  mais  sans  cesser  d'as- 
surer aux  galères  vénitiennes  la  sécurité  du  voyage  de  Roma- 
nie,  et  défendre  Négrepont  ^  Pour  frênes,  1p  péril  n'était 
pîis  m<ûndr(>  ;  elle  avait  les  mêmes  intérêisqueles  Vénitiens; 
mais,  venant  <le  se  donner  à  la  France,  elle  était  trop  absor- 
l>ee  par  ses  affaires  intérieures  pour  songer  â  ses  colonies  du 
Levant.  Kn  outre,  la  jalousie  et  la  haine  séculaire  des  deux 
républiques  étaient  si  fortes  i|ue  l'imminence  du  danger  ne 
put  les  déterminer  â  s'allier  rontro  l'ennemi  commun. 

Le  despote  de  Morée,  affolé,  s'était  hâté  d'envoyer  à  Venise 
«ne  ambassade,  â  la  tète  de  laquelle  se  trouvait  Nicolas  Nota- 
ras,  grand  interprète  de  l'empereur,  et  d'implorer  le  secours 
de  la  république.  Celle-ci  (janv.  1397  pi-oposa  de  fortifier 
Ténédos,  clef  des  Dardanelles;  l'importance  d'une  pareille 
position  n'écliappait  â  pei'sonne.  Kn  l;t8l,  par  la  paix  de 
Turin,  l'ile  avait  été  neurraliséo.  et  la  démolition  de  ses  dé- 
fenses avait  èié  onbwméi*;  h*  projet  véiiiti*'ti  n»iipail  donc  les 
coiivenlious  du  traite.  Pierre  Emu.  chargé  d'obtenir  le  consen- 
tement de  tfènesfmai's  1397;.  essuya  nn  refus;  les  tlén<»i.s  se 
souciaient  peu  île  mettre  aux  mains  irniie  puissanro  rivale 
une  place  niiliUtire  et  conunerciale  de  pr<'nii''i*  tnilre,  rf  l'iti- 
teivi  particulier  passa  avant  le  salui  commun' 


1.  liélibératiuns  tics  2R-9  w^l.,  31  uct.  et  3H  nov.  1»9A  {\tv\\.  de  Ve- 
nise. à>n.  Misiî,  Min,  f.  1.iH-fiO.  VA.  Ljubic.  Mutiuin.  tperi,,  iv.  :wii-H 
t't  :iyo.) 

'1.  Arcli.  (If  Vctiisu.  Snt.  Sm\,  C  f.  IMK  v;  —  Syintirriti,  i.  \'i-'.\. 
—  Cf.  Ilopf,  (irifrhmUintt  iut  MittetaUer,  \\\.  6:i;  —  Ilt'rt/.l»erj;. 
(JcKfh.  Hçr  It'jzunliwr^  p.  ô2'i. 


Qu'allait  faii*e  Bajnzet  ?  Comment  allail-il  proHU>r  de  sa 
victoire?  Marrheraîl-il  droit  à  Biido,  dont  la  route  lui  était 
ouverte  ?  Beaucoup  if  pensaient  ;  mais  le  sultan  était  assez 
clairvinatil  pour  mnipreudre  que  sa  puissance,  encore  trop 
disculée  en  Asie,  ne  lui  permettait  pas  de  s'éloigner,  pt 
qu'avec  une  base  stratés^ique  iiu'omplètp  sur  le  Danube  infé- 
rieur. riuva.si(in  do  la  Hongrie  était  ini[)rmieute.  Il  sut  donc, 
malgré  sa  victoire  décisive,  malgré  ia  désorganisation  des 
forces  hongroises,  renoncer  à  frapper  nn  coup  d'éclat,  et  se 
contenta  de  ravager  le  pays  enti'e  le  Danube  et  la  Save.  Une 
division  do  son  armée  dévasta  la  Bosnie  orientale,  une  autre 
entra  en  Valachie.  et  Tavant-garde  de  ses  troupes  pénêli*a 
jusqu'en  Stvrie  sans  rencontrer  aucune  résistance.  A  ce 
moment,  Bajazet,  jugennt  qu'il  s'était  avancé  asseiï  loin,  et 
souffrant  lui-même  de  la  goutte,  donna  l'ordre  à  ses  soldats 
de  rebrousser  chemin,  et  rentra  en  Asie.  II  lui  restait,  dai»s 
de  prochaines  campagnes,  à  recueillir  lesfmits  de  la  victoire*. 


Si  le  sultan,  après  la  victnirc  àa  Nicopolis,  s'était  borné  â 
piller  h^  pays  ontre  la  Save  et  le  Danube,  ot  A  onvoyer 
fjuelquys  soldats  en  Busiiie  et  on  Valacliie',  il  avait  profité  de 
la  fin  de  l'année  13*JC  pour  organiser  sur  des  bases  plus 
solides  la  puissance  otiouiane  en  Kurope.  Au  point  de  vue 
torritorial,  Widdin  et  les  domaines  de  Sracimii-,  princ(^  de 
Bul^;u'ie,  avaient  été  incorporés  à  l'empire;  ou  avait  cherché 
en  même  temps  à  grouper  au  nord  des  Balkans  des  élémeuts 
turcs;  on  avait  même,  pour  faciliter  cette  agglomération,  pro- 
voqué, par  des  mesures  de  rigueur  ei  de  fanatisme  religieux, 
l'émigration  des  chrétiens  bulgares  vers  la  Valachie  ou  les 
hauts  plateaux  des  Balkans.  D'un  auti'e  côté,  à  la  même 
«'•poipie,  les  conversions  des  Bulgai^es  à  l'islamisme  avaient 
uugmoulé,  surtout  â  Lowatsoli  et  dans  la  moyenne  Bulgarie, 
entre  l'Isker  et  TOsaUf  et  an  sud  des  Bîtlkans,  dans  le  Des- 
poto-Dagh.  Grâce  à  ces  circonstances,  l'élablissemenl  des 
ÏUTCH  dans  ce  pays  s'était  trouvé  fortement  consolidé. 

L'année  suivante  (1397)  vit  se  déchaîner  l'orage  que  le» 
puissances  chrétiennes  redoutaient.  L'objectif  de  Bajaxet 
était  toujours  ConslauLiuople  ;  vainement  assiégée  ou  bloquée 
à  différentes  reprises,  la  ville  avait  jusqu'alors  su  protéger  son 
indépendance;  le  sultîiu  n'était  pas  encore  en  mesur-e  de  la 
réduire.  Il  le  comprit  si  bien  qu'il  liirigea  ses  efforts  contre 
les  provinces  éloignées  de  l'empire  d'Orient,  la  Thessalio  et 

i.  I,»*  vieil  Evrenos  Itey  avait  ét*^  charg»^  de  punir  Mircca  de  sa  dé- 
fection (Ht'rtzberK,  p.  5'ih. 


:cm) 


tampaoke  des  TVnCH  EN  1397 


le  (lespotat  de  Mistra,  voulant  los  ruiner  et  les  réduire  à 
riiupuissance  absolue  avant  cle  tourner  ses  forces  contre  la 
fitô  impèrialo. 

Knvnhir  sinuiltanément  hi  péninsule  hellénique  par  le  nord 
1*1  p;ir  la  Morén,  el  ruiner  les  provinces  de  l'empire  d'Orienl, 
iucajtables  de  résister  au  choc  des  Turcs,  tel  fut  le  plan  d^ 
Haja/.<^t  pour  la  raui pagne  de  13V)7.  Son  exécutiou.  à 
considmT  l'état  politii|uo  et  social  des  pavs  que  l'armée 
ottomane  devait  iraversor,  n'offrait  pas  de  diffioultés  sérieus<*9, 
et.  do  fait,  elle  n'en  présenta  aucune'. 

Nous  avous  déjà  montré  l'état  précaire  de  l'empire  d'Orient. 
Depuis  un  demi-siècle,  chaque  année  avait,  pour  ainsi  dii'e» 
été  mar(|uée  par  un  affaiblissement  d'autorité;  en  1397,  les 
deux  provinces  do  Tliossalie  et  do  Sparte,  objectif  du  sultan. 
séparées  de  la  uiélrupole,  sans  communication  mitre  elles, 
entourées  d'ennemis  ou  de  puissances  sans  forces  militaires. 
étaient  destinées  à  cédei*  â  la  iiromière  attaque.  Bajazet»  à  la 
tèto  dune  armée  turque,  envahit  en  (tersunne  la  Thcssalie 
(1397).  L'évéque  grec,  interprête  des  habitants  du  paj^s  de 
Saloue,  fut  le  premier  à  ap[)oler  les  Musulmans,  en  vantant, 
dit-on,  au  sultan  les  humides  prairies  de  cette  contrée,  si 
favorables  ;i  la  chasse  au  faucon  que  Hajîwet  aimait  avec 
passion.  Aucun  lïb^tacle  irarréta  les  envahisseurs;  les  popu- 
lations valaques,  la  comlesse  de  Saloue.  veuve  de  Louis 
d'Aragon,  acceptèrent  les  tributs  qui  leur  furent  imposés.  La 
l'.omîesse,  accu.sée  de  concussion,  fli»  meurtre  et  d'adultéré 
par  ses  sujets,  fut  déclarée  derhue  et  remplacée  par  un  gou- 
verneur turc;  sa  fille  fut  conduite  au  harem.  Après  une  courte 
campagne,  les  Turcs  rcgagnèreul  la  Thrace  avec  le  sultan'. 

Pt'urlant  ce  temps,  un  second  cu'ps  d'armée,  composé 
de  cinfiuantc  mille  hommes,  envahissait  la  Morée  sous  le 
commandement  de  Jacoub  et  d'Kvrenos\  deux  des  meilleurs 
liemenauts  de  Bajazet.  Là,  les  difticultés  et  la  r<*sistance  ne 
devaient  pas  être  plus  redoutables  qu'en  Tliessalie;  le  s^ultan, 
prévoyant  pour  s«'s  jirmes  nu  facile  succès,  n'avait  pïis  jugé 


1.  liertzberg.  p.  521-2. 

2.  Finlay,  I/istort/  of  Grèce  (1877),  ui,  472;  —  Hopf,  vn,  63;  —  Ch. 
Ilevingï  An  priticijmutt'  d'Achaïe  et  de  Morée  (Bruxelles  1879),  91-2. 

3.  Ilopf  (vu,  6.1)  dit  Murtasi.  —  Pbrantzès,  ChroH.  maju»^  éd.  de 
Mignc,  Pair,  grtera,  vol.  156,  p.  704. 


MARCHE   DES   Tl'UCS   EX  MOKKR. 

nécessaire  «le  poursuivre  sa  luarcho  v«?rs  le  sutl  iH  de  l'aire  sa 
jonction  avec  ses  lieutenants  ;  il  rtait  rentré  dans  ses  états, 
leur  laissant  le  soin  de  mener  seuls  l'expédititm  lontn»  la 
Morée.  C'était  le  propre  frère  de  Maimel,  ïliéodon'  Paiéo- 
logiie»  qui  représentait  Tautorité  impériale  dan.s  la  péninsule 
avec  le  litre  de  despote.  Aux  slrat''»ges  qui,  jusqu'au  milieu 
du  XIV"  siècle,  avaient  gouverné  les  possessions  byzantines 
eu  Morée,  géuéralemont  par  périodes  assez  courtes,  avaient 
succédé  des  lieutenant»  de  l'empei'eur,  a]i[)p]Hs  despotes  et 
appai'tenaut  à  sa  famille:  l'étalilissemeut  de  celte  nouvelle 
charge  avait  coïncidé  avec  la  diminution  de  la  puissance  cen- 
trale dans  ces  contrées,  et  élJiit  destiné,  grâce  an  prestige 
qu'exerçait  encore  la  dynastie  inipériiile,  à  n*tenir  dans  le 
devoir  et  l'obéissance  des  p(q>ulations  prêtes  à  se  détacher 
d'un  pouvoir  qui  s'amoindrissait  do  jour  en  jour. 

Sauf  quelques  possessions  vénitiennes  en  Argolîde  et  u 
Moduii,  la  Murée  dépendait  encore,  au  moins  Uffuiinalemenl, 
de  l'empire.  Los  Vénitiens,  comme  Théodore,  allaient 
éprouver  la  colère  du  sultan:  il  ne  déplaisait  pas  à  Haja^ïet  de 
se  venger  de  l'appui  qu'ils  avaient,  l'aïuiée  précédente,  ftjurni 
à  Manuel  enconcoiu*ant  aux  opérations  maritimes  qui  avaient 
sauvé  Péra  et  favorisé  la  fuite  de  Sigismond.  Cotte  vengeance, 
du  reste,  lui  était  tendue  facile  par  bis  fautes  politicpies 
des  républiques  italiennes.  La  jubmsie  de  Gènes  avait  empê- 
ché de  fortlHer  Ténôdos,  clef  des  Dardanelles'.  Venise,  se 
leutrant  de  l'espoir  de  traiter  avec  les  Ottomans,  n'avait  pas  su 
acheter  Corinthe  à  TIiéo*ltn'e.  qui,  après  se  l'être  fait  céder 
par  Tocco,  n'osait  l'occuper  dans  la  crainte  d'attirer  sur  lui 
la  colère  du  sultan,  et  proposait  aux  Vénitiens  de  leur  aban- 
ibuinerson  nuirché(:?U  avril  I3!I7).  Cette  hésitation  [ueltait 
la  Morée  à  ta  merci  des  Turcs;  quand  leurs  troupes,  com- 
mandées par  Evi'enos.  HreiM  leur  aj)paritioii  devant  rislhme. 
aucune  disposition  militaire  n'était  prise  pour  amMcr  leui' 
marche*. 

Les  défenses  de  l'isthme  étaient  incomplètes  ;  elles  ne  résis- 
tèrent pas  aux  cinquante  mille  hommes  qu'amenaient  les 
généraux  de  Bajazet;  celles-ci  forcées,  ils  se  répandirent 
dans  toute  la  péninsule.  L'Argolide  fut  la  première  atteinte 


i.  Voir  pluK  haut,  pttgc  llîT 

2,  Herizberg,  p.  022;  —  U.^f.  vu,  p.  fi». 


:i52  CAMPAGNE  DES  TVRCS  EX  1397. 

par  une  division  tiirr^iin  sous  les  ordi*cs  de  Jacoub  :  Ar^os  fut 
ussi^!gêe.  La  ville,  à  l'extinction  de  la  famille  de  Brienne, 
malgré  les  réclaiiintiims  que  la  compagnie  Catalane,  par  un 
singulier  appel  à  la  lui  féodale,  avuit  élevées  comme  héritière 
des  ducs  d'Athènes,  était  passée  dans  la  maison  d'Enghieii. 
Marie  d'Eiighieii,  dernière  descendaiile  de  Guy  de  la  Roche. 
ei  femme  du  Vénitien  Pierre  Cornaro,  avait  vendu  le  fief  à  la 
république,  de  Venise.  C'est  à  celle-ci  el  à  son  lieutonant. 
Nicolas  BnMlani,  qu'incombait  le  devoir  de  défendre  Argr)s. 
Le  capitaine  vénitien,  quoique  prévenu  de  longue  date  de  la 
marche  de  l'etuiemi,  n'avait  su  prendj-e  que  des  mesures  insuf- 
fisantes. Lft  place  manquait  de  céréales  et  d'approvisionne- 
ments. Il  avait  mêiiHî  jioussé  la  légèreté  jusqu'à  vendre  ce 
dont  il  auiait  pîi  tirer  parti.  Ce  n'était  pas,  au  reste,  un 
homme  de  guerre,  mais  un  négociant,  et  il  avait  contié  le 
commandement  de  la  «.iiadeHe  à  son  associé,  Antoine  Bra 
cio,  sur  l'énergie  ihiqiiel  on  m*  pouvait  nullement  compter. 
A  l'approche  de  rennemi,  lircdaui  songea  un  instant  à  enlever 
ce  poste  â  lîraccio  ;  mais,  dissuadé  de  ce  ]jrftjet  par  son  chan- 
celier Ottabone  île  Mantoue  et  par  le  refus  de  Braccio,  il 
n'y  donna  pas  suite.  Jacoub  parut,  le  2  juin  1^397,  hous 
les  murs  de  la  place  et  la  somma  de  se  rendre  ;  le  conné- 
table Spaolino  et  un  des  rhâti'huns,  Marc  de  fontana,  vrïu- 
laient  résister  jusqu'à  la  dernière  extrémité;  André  Vendra- 
min,  au  contraire.  Fautive  chAlelain,  interprète  de  Braccio, 
qui.  dans  l'état  délabré  ru'i  se  trouvaient  les  murailles,  se 
Souciaii  peu  d'exposer  sa  vie  et  celle  do  sa  famille,  Ht  préva- 
loir auprès  de  Bredani,  qui  avait  perdu  la  tète,  le  parti  de 
ti'ailer  avec  les  Turcs.  Les  négociations  ne  furent  pas  longue?, 
le  lendemain  la  place  ouvrait  ses  portes.  Ce  fut  un  déaastj'e 
complet:  le  pillage  s'étendit  sur  la  ville  comme  surtout  le 
territi^irt;;  plus  de  quatorze  mille  hommes  furent  traînés  en 
esclavage';  à  peine  quelques  hahilants  purent-ils  gagner 
TAttique,  le  Despotat  ou  Corinlhe;  tout  fut  ravagé  et  I'Ap- 
golide  dépeuplée.  Bredani,  auteur  d'un  pareil  désastre,  paj'a, 
d'une  détention  de  deux  mois  dans  la  plus  rigoureuse  prison, 
la  lâcheté  de  sa  conduite*. 


t.  Laonic  Chalcocondylas  tèd.  de  Uonn,  p.  97-9)  donne  lechiflVe  de 
trente  mille  hommes. 
2.  Ifertzberg,  p.  022;  -  Finlay.  iv,  p.  2a.1;  —  Hopf,  vu.  63-4  (d*apr^ 


(JONtjUBTE   KT   PtLLAQK   PE   Ik   QtUÎCK. 


353 


I 


Nauplie.  malgré  ses  murailles,  el  malgré  ses  communica- 
tions maritimes  qui  restaient  ouvertes  avec  Venise,  s'atten- 
dait au  môme  sort  qu'Argos  ;  mais  l'armée  turque  se  détourna 
d'elle.  Craignait-elle  de  s'affaiblir  eu  faisant  le  siège  de  pla- 
ces dout  la  résistance  pouvait  se  prolonger?  Comprit-elle  que 
des  renforts  pourraient  secourir  la  ville  sans  que  les  assié- 
geants pussent  s'y  opposer  ?  ou  se  proposait-elle  simplement 
démettre  à  feu  etàsanglaMoréG?Ct?tte  dernière  considération 
semble  la  plus  plausible.  Bajazet  no  voulait  pas  conquérir,  mais 
piller  le  pays;  il  voyait  surtout  daus  cette  expédition  le 
moyen  de  donner  à  ses  soldats  une  riche  proie  et  de  récom- 
penser ainsi  leurs  services.  L'approche  des  Turcs  avait  refoulé 
devant  Nauplio  do  nombreuses  bandes  albanaises,  que  com- 
mandait l'Albanais  Piiiohera  ;  la  présence  de  ces  aventuriers 
devant  la  place  était  pour  les  Vénitiens  un  embarras  très 
sérieux,  sinon  un  danger,  et  suffisait  à  garantir  les  Ottomans 
contre  un  coup  de  main  tenté  par  la  garnison.  Les  autorités  de 
Nauplie,  en  effet,  tremblaient  d'accorder  l'entrée  de  la  ville 
aux  Albanais;  elles  ne  s'y  décidèrent  que  l'année  suivante 
(I398J,  sur  les  instances  du  podestat  Octavien  Buono  qui 
lit  observer  que  les  services  de  ces  bandes  belliqueuses, 
bien  armées,  bien  montées,  ne  pouvaient  qu'être  profitables  à 
la  république  *. 

Jacoub,  n'ayant  rien  à  craindre  de  Nauplie,  continua  sa 
marche  vers  le  sud  ;  il  atteignit  Théodore  à  Leondari  {Mégalo- 
poiis)\e  ?1  juin  1397,  le  battit  et  l'obligea  à  se  reconnaître  tri- 
butaire de  la  Porte.  Pendant  ce  temps,  Evrenos  avait  parcouru 
toute  la  Moréo;  il  avait  défait  et  soumis  à  un  tribut  Pierre 
de  Saint  Superan,  dit  Bordo,  un  Gascon,  chef  des  Navar- 
rais  et  lieutenant  du  Saint  Siège;  les  armes  ottomanes 
s'étaient  montrées  autour  de  Modon,  à  l'extrémité  sud-ouest  de  la 
péninsule,  la  colonie  vénitienne  avait  été  pillée  et  ravagée.  Les 
deux  corps  turcs,  après  avoir  mis  tout  le  pays  à  feu  et  à 
sang,  après  avoir  enlevé  un  butin  considérable,  rentrèrent  à 
l'automne  dans  les  états  du  sultan  '. 

Le  pillage  de  la  Grèce  se  rattachait  au  plan  général  de 


les  sources  vénitiennes);   —   Deving,   La  principauté  (TAcHaU..., 
p.  S5  note. 

1.  Ilopf.  VU,  fi^. 

2.  ilopr,  vu,  ti'âj  —  llertxbCTg,  p.  332. 


354 


CAMPAGNE    DBS   TURCS    EN    139' 


Bajazet  ;  celui-ci,  en  ruinant  les  provinces  les  ptus  riches  de 
l'empire  d'Orient  et  en  les  isolant  de  la  métropole,  espérait 
faire  tomber  Constantinople  en  son  pouvoir.  Voulail-il  s'as- 
surer, en  prévision  des  progrès  menaçants  des  Mongols,  une 
position  de  premier  ordre  sur  le  Bosphore  ?  Voulait-il  seu- 
lement conquérir  B_jzance  pour  relier  les  tronçons  êpars 
de  son  nouvel  empire,  ou  se  ilattait-il  de  faire  du  siège  de 
l'empire  de  Constantin  le  centre  de  la  puissance  turque  en 
Europe?  Quoi  qu'il  en  soit,  ses  efforts  étaient  jusqu'aloi*3 
restés  infructueux.  Ni  on  blocus  presque  permanent  depuis 
près  de  dix  ans.  du  côté  de  la  terre,  ni  une  rigoureuse  sur- 
veillance que  la  possession  de  Guseldschehissar  et  Gallipoli 
permettait  aux  Turcs  d'exercer  sur  le  Bosphore  et  THellespont, 
ni  l'absence  d'approvisionnements  venant  d'Asie,  n'avaient 
encore  déterminé  la  ledilitiou  de  la  ville.  Le  sultan  atten- 
dait ce  résultat  de  la  campagne  de  1397,  et  plus  encore  des 
dissentions  intérieures  et  des  prétentions  dynastiques*  qu'il 
avait  fomentées  '. 

Jean  vu,  neveu  de  Manuel,  despote  de  Salembria,  avait  des 
droits  au  trône  impérial.  Il  était  fils  d'Andronic,  frère 
aîné  de  Manuel,  et  on  sait  qu'Andronic  avait  été  écarté  de 
la  succession  paternelle  pour  avoir  tramé  un  complot  contre 
son  père.  Les  revendications  du  neveu  avaient  une  base  trop 
légitime  pour  ne  pas  mériter  d'être  exercées  contre  l'oncle. 
Bajazet  jugea  que  rien  ne  sen'irait  mieux  ses  desseins  que  de 
susciter  un  rival  à  Manuel,  Le  prince  fut  heureux  d'accepter 
le  rôle  qu'on  voulait  lui  faire  jouer  ;  on  lui  foui'ûit  une 
armée  turque  pour  investir  Conslanlinople,  et.  en  échange  du 
service  qu'il  recevait  du  sultan,  il  s'engagea  naïvement,  si  la 
ville  tombait  entre  ses  mains,  à  l'abandonner  aux  Ottomans  ; 
il  est  probable  qu'il  entendait,  dans  ce  cas,  leur  concéder  uu 
quartier  de  la  ville,  à  l'instar  des  Génois,  Pisans  et  Vénitieu», 
avec  tous  les  droits  politiques  et  religieux  dont  jouissaient 
ces  puissances.  Ou  sait  combien  les  sultans  désiraient  voir 
s'élever  à  Constantinople  une  mosquée  ouverte  au  libre  exer- 
cice du  culte  de  Mahomet,  et  faire  rendre  aux  Musulmans  la 
justice  par  un  cadi  nommé  par  eux.  Ces  deux  points  étaient 
spécialemeut  stipulés  dans  les  promesses  prises  par  Jean  vu. 


:l.,;Hert2berg,  p.  522. 


HABILETE    POLITIQrE    DE   BAJAZET. 


355 


La  conduite  de  Bajnzet  était  fort  habile,  elle  avait  l'avantage 
de  no  pas  éveiller  lc3  susceptibilités  des  républiques  commer- 
ciales italiennes,  seules  puissances  que  les  Ottomans  eussent 
intérêt  à  ménager.  Kien,  dans  les  encouragements  donnés 
au  prétendant,  n'était  de  nature  â  motiver  leurs  craintes  ; 
aucune  mesure  n'était  prise  contre  elles;  les  Turcs  restaient 
ainsi  eu  dehors  des  compétitions  personnelles  de  Gènes  et  de 
Venise.  Celles-ci  se  flattaient  précisément  alors,  û  la  faveur  de 
négociations  commerciales  enlamées  avec  le  sultan,  de  dissiper 
le  ressentiment  de  Bajazct  et  de  détourner  l'orage  qui  les 
menarait.  Guidées  par  leur  irilérét  particulier  plus  que  par 
l'intérêt  général,  elles  laissèrent  les  Turcs  poursmvre  leurs 
projets  et  s'endormirent  dans  une  fausse  sécurité  '. 

La  politique  turque,  cependant,  portait  ses  fruits  ;  le  blocus 
de  Conslantinoplo  était  mené  plus  rigoureusement  ;  toute 
communication  était  coupée  entre  la  ville  et  les  provinces 
do  Tempire,  et  les  approvisionnements  n'arrivaient  plus  de 
l'Asie.  On  commençait  â  murmurer  dans  Constjmtinople, 
les  partisans  de  Jean  vu  levaient  la  téte^  et  exploitaient  en 
faveur  du  prétendant  les  souffrances  publiques.  Les  denrées 
s'étaient  élevées  â  un  taux  exorbitant  ;  le  muid  de  blé  valait 
vingt  besants.  Les  habitants  quittaient  la  ville  pour  se  réfugier 
sur  le  territoire  ottoman,  accusant  Manuel  d'être  l'auteur  de 
tous  leurs  maux.  Celui-ci  n'avait  ni  trésor,  ni  armée,  et,  dans 
cette  situation  précaire,  ne  pouvait  rien  pour  calmer  les  mé- 
contents, de  jour  en  jour  plus  nombreux.  Au  milieu  de  sa 
détresse,  l'empereur  se  tourna  vers  les  puissances  occiden- 
tales, et  implora  leur  secours  ;  .sans  argent,  sans  soldats, 
menacé  par  un  compétiteur,  il  allait  succomber  ot  livrer  aux 
troupes  ottomanes  la  capitale  de  l'empire,  si  l'Occident  ne 
venait  à  son  aide,  La  (in  de  l'année  1397  et  l'année  L398 
furent  remplies  par  des  négociations  avec  l'Italie,  la  France 
et  rAjigleterre.  Nicolas  Noiaras  (1397),  grand  interprète, 
fut  chargé  d'obtenir  de  Charles  vj  l'appui  dont  Manuel  avait 


1.  Finlay,  tu,  M2\  —  llertzberg,  p.  533.  —  Ambassades  de  GéiMs  h 
Hajozet  en  août  1396.  avril  et  oct.  1397,  mai  1398  (Arch.  de  Gènci» 
Inttr.  et  retat.  13%-li6i,  et  Divers,  fîhe,  13:3-1409;  —  MU  delta 
aocieta  ligure,  \i\tt  175  et  siiiv.).  —  Néguciations  de  Venise  pour  une 
alliance  avec  les  Turc»  en  1398,  1401  et  rt02  (Arch.  de  Venise,  Sen. 
Miâli,  \l.iv,  210  et  xlv,  Vi3;  -  Syndicali^  i,  i:9j. 


356 


MANUEL  DEMANDE   DU    SECOURS    EN    OCCIDENT. 


un  si  urgent  besoin.  Théodore  Cantacuzène,  oncle  de  Manuel, 
ne  tarda  pas  à  partir  â  son  tour  pour  la  France  et  rAuglo- 
terre,  où  il  était  accrédit»^.  Hilaire  Doria,  beau-frère  de  Veta- 
percur,  eut  la  mission  d'entraîner  les  courj  italiennes  et 
particulièrement  le  Saint-Siège.  A  Rome,  ia  papauté,  com- 
prenant La  gravité  de  la  situation,  reprit  avec  ardeur  Ie9 
projets  de  croisade  et  de  ligue  générale  qu'elle  n'avait  jamais 
abandonnés.  Par  son  ordre,  la  crois  fut  prêchée  dans  tout* 
la  chrétieuLé  (l  avril  13'J8);  l'annét?  suivante,  Boniface  ix 
adressa  un  nouvel  appel,  plus  pressant,  aux  fidèles.  Doria 
avait  exposé'an  pape  les  dangers  do  l'empire;  après  Bjzance, 
c'étaient  la  Valachie  et  la  Hongrie  qui  étaient  à  la  merci  de 
Bajazet;  le  Saint-Siège,  frappé  de  la  vérité  de  ces  observa- 
tions, redoubla  do  zèle  pour  sauver  Constantinoplo*. 

A  Venise,  il  stiinblait  (lue  la  république  de  Saint  Marc  n^ 
se  rendit  pas  un  compte  exact  de  riniminonce  du  péril.  Tandis 
qu'elle  encoui*agoait  Manuel  à  la  résistance,  tandis  qu'elle 
repoussait  toute  idée  de  partage  de  l'eniiiire  d'Orient,  pour  le 
cas  ou  l'empereur  quitterait  Constantinople*,  elle  se  mettait 
cependant  à  la  tète  d'une  nouvelle  confédération  qui  devait 
comprendie  le  rcû  de  Chypre,  Tordre  de  Rhodes,  la  maLone  de 
Chios  et  le  duc  de  Naxos.  Mais  les  assurances  qu'elle  prodi- 
guait au  malheui'eux  Manuel  étaient  des  protestations  et  des 
promesses  de  bons  offices  plutôt  que  des  secours  effectifs. 
Notaras,  â  son  retour  on  Orient  'août  1398)  avait  été  magni- 
fiquement accueilli  à  Venise;  il  avait  re(;u  droit  de  cité  et 
la  république  l'avait  vivement  encouragé  â  nouer  une  ligue 


1.  1  avril  1398.Boniface  IX  nomme  Paul,  évAq un  de  Chaioédoine,  ion 
légat  pour  prt^cher  la  croisade  contre  najazel.  (Cf.  Thomas  Walalngham, 
fiist.  angticnna,  n,  229-30).  Dans  le  diocèse  de  Mayetice,  c'est  le  béné- 
dictin Augustin  de  Verdun  qui  reçut  celte  misïsion.  La  croisade  fut  prè- 
chéo  on  Norvège,  Suéde,  Uanemirk  et  Allemagne  par  le  même  per- 
sonnage. Lo  Saint-Siégc  ordonna  la  prédication  dans  les  diocèses  de 
Lausanne,  Uanbcrg,  Meissen,  LubecketCamin  par  lettres  apostoliques 
du  12janv.  1400  (Man.si,  Ànn.  eccL,  xxvn,  71).  —6  mars  J399.  Nouvel 
apjiel  de  Bonifa'^e  aux  Chrétiens,  adressé  â  Paul,  évûque  de  Chalcé- 
doino  (Mansi,  xxvn,  41,  43-4.  Ed.  Theiner,  Vetera  monum.  Mit.  J/iMg. 
êacram  iUustraniia,  Rome.  1860,  in-f",  ti,  170-2). 

2.  Heyd,  Gesch.  dfê  LeonntehnnH^U,  n,  26ï.  Cette  ouverture  fut 
faite  par  Manuel,  découragé;  Venise  la  di^clina.  L'empureur  lui 
offrait  ('ùnst.tnlinople  et  les  iles  d'Imbros  et  de  l.emnoa.  sous  oor- 
tainos  conditionii. 


HESITATroyS  DES  VENITIENS. 


357 


I 


générale.  L'année  suivante,  il  n'en  était  plus  de  même  :  Déraé- 
trius  Sophianos,  ambassadeur  de  Théodore  Paléologue,  venu 
â  Venise  pour  la  formation  de  celle  ligue,  s'était  heurté  à 
des  dispositions  contraires  ;  hi  répiiblitjue  avait  inènie  chargé 
Pierre  Arimondo,  capitaine  de  l'Adriatique  (juillet  I390J.  de 
traiter  avec  Bajazet.  Il  y  eut  là,  de  la  part  des  Vénitiens, 
une  conduite  pleine  de  tergiversations  qu'expliquent,  sans  les 
justilier,  les  circonst.incos  et  la  situation  de  la  république. 
Ne  fallait-il  pas.  avant  tout,  éviter  la  ruine  des  comptoirs  et  des 
colonies  \énitiennes?  Un  secours  donné  avec  franchise  pou- 
vait tout  compromettre,  en  éveillant  le  courroux  du  sultan  ; 
un  secours  refusé  pouvait  également,  en  causant  la  chute  do 
l'empire  d'Orient,  entraîner  par  contre-coup  Venise  ou  la 
laisser  sans  défense  à  la  merci  du  vainqueur.  Do  là.  des 
arrière-pensées,  une  politique  ondoyante,  ménageant  le  Crois- 
s.int  sans  répudier  la  Croix,  et  cherchant  â  ne  pas  sacrifier 
rintérêt  aux  préférences,  tout  en  ue  voulant  pas  rompre  avec 
les  préférences  pour  mettre  franchement  Tintérôt  en  première 
ligne. 

Le  reste  de  Fltalie.  sollicité  par  les  ambassadeurs  de 
Manuel.  rest;i  sourd  â  leurs  supplications.  Florence,  en 
guerre  avec  les  Visconti,  déclina  toute  participation  ;  Lucques 
et  Sienne,  pre-^sées  par  le  pape  et  par  Doria,  donnèrent  cinq 
cents  ducats  ;  mai*  ce  n'était  pas  l:*i  ce  qui  pouvait  sauver 
l'empire'.  L'Angleterre  sembla  céder  un  instant  aux  instances 
de  Doria,  mais,  là  encore,  l'espoir  ne  fut  pas  de  longue  durée; 
la  guerre  civile,  qui  éclata  dans  ce  pays,  détourna  ailleurs 
les  forces  de  la  nation  ;  â  peine  Manuel  obtint-il  un  subside 
pécuniaire,  au  lieu  des  secours  d'hommes  dont  il  avait  besoin. 
Ce  subside  même  faillit  n'être  pas  versé  ;  des  dissentiments 
s'étaient  élevés  entre  Doria  et  Thomas,  évéque  dp  Chrysopolis, 
chargé  de  le  percevoir.  Il  fallut  que  le  Saint-Siège  envoyât 
spécialement  en  An^:h»terre  l'évéque  «le  VoUerra  pour  rece- 
voir l'argent  (^ue  se  disputaient  Doria  et  le  légat  apostolique". 

Restait    la    France,  à   laquelle    s'étalent    successivement 


1.  Kinlay.  m,  471;  —  Hertzberg,  p.  523;  —  Ifopf,  vii,  64. 

2.  Mansi,  xxvu,  44;  —  ïtyracr,  Fœdera,  \nr,  82  —  Doria  quitta 
r.\nglf*terre  pour  retourner  à  Constaiitinoplo  au  commencement  de 
l'J9*J.  Le  &8Uf-conduit  qu'il  rci^it  p^t  dnlt^  ilu  20  JRnvier  1399.  n.  s. 
(Rymer,  ix,  65). 


358 


M.VNITEI.    DKMANDE    I>r    SECOURS    EN   OCCIDENT. 


adressés  Notaras  p.t  Cantacvizêno.  Co  dernier  était  arrivé  en" 
Franco  au  milieu  d'octobre  1397,  porteur  d'une  lettre  de  l'em- 
pereur au  roi  Charles,  vi  datée  du  1  juillet  précédent.  Manuel 
représentait  sans  détours  les  progrès  des  Turcs,  sa  propre 
faiblesse  et  les  dangers  dont  il  était  environné.  Il  conjurait 
le  roi  de  le  secourir  dans  sa  détresse,  et  exprimait  l'espé- 
rance qu'un  prince  q\ù  n'avait  pas  hésité,  dans  l'intérêt  de  la 
religion,  à  envoyer  une  puissante  année  en  Hongrie,  ne  res- 
terait pas  sourd  à  son  appel,  et  n'hésiterail  pas  à  lui  accorder 
un  appui  dont  t<jus  ceux  qui  avaient  échappé  au  désastre  de 
Nicopolis  lui  confirmeraient  l'absolue  nécessité.  Le  prestige 
de  l'empire  d'Orient  était  puissant  en  Occident  ;  Charles  vi, 
que  cette  démarche  du  descendant  des  ancien:*  maîtres  du 
monde  tîatlait  dans  sa  vanité,  reçut  Tambassadpur  avec  les 
plus  grands  égards  cl  la  plus  somptueuse  magnificence.  La 
cour,  les  ducs  de  Berrv  et  de  Bourgogne  étaient  favorables 
à  la  requête  de  Théodore  Caiitacuzéne  ;  le  duc  d'Orléans 
s'était  jeté  aux  genoux  du  roi  pour  lui  diMuandor  d'être  le 
chef  d'une  nouvelle  expédilion  ;  mais  le  souvenir  de  lu  cam- 
pagne de  1396  était  trop  récent  et  trop  douloureux  pour 
que  Charles  vi  ne  résistât  pas  aux  sidlicitations  de  son  entou- 
rage. L'ambassadeui"  resta  quebiues  mois  en  France,  comblé 
de  présents  et  d'attentions  de  toutes  sortes.  Im.  noblesse, 
cependant,  toujours  prête  à  s'enthousiasmer  pour  les  causes 
désespérées,  redoublait  d'instiinces  ;  le  roi,  circonvenu  de 
toutes  parts,  céda  enfin  à  la  pression  qu'on  exerçait  sur  lui, 
et  Cantacuzène,  lorsqu'il  quitta  la  France,  emporta  In  priK 
messe  d'un  secours  d'hommes  el  d'argent;  ctdui-ci.  qui  se 
montait,  à  sept  mille  ducats,  fut  transmis  pai'  les  banquiers 
vénitiens  en  Orient  dès  i:îl)8  'juillet);  quant  aux  troupes, 
elles  mirent  â  la  voile  à  Aiguos-Morles  à  la  lin  de  juin  l;iî>9. 
C'était  la  revanche  de  Nicopolis'. 


l.  Hopf,  VII,  64;  —  Livre  des  fttits,  i.  chap.  xxix,  p.  601.  —  Divers 
paiements  importants  furent  faits  [>ar  urtlre  de  Cliorlrs  vi  h  Cantacu- 
zène  et  à  Jean  de  Natala  iDucange,  l'uin.  aug.  Bt/zanl..  p.  23S  et  2il; 
—  Religieux  de  Saint'/>enis,  u,  559-63).  —  La  lellro  de  IV-mpcrPiir, 
insérée  dans  le  rdcit  du  otiponiqueup,  ollVe  toutes  les  garanties dau- 
tlienticité,  et  il  y  a  Hou  de  Tacccpter  sans  rrserves.  Les  archives  Jonr- 
sanvault  (Invont,  i,  n"  7W),i  contenaient  une  pièt-e  relative  à  un  don  de 
joyaux  fait  <  à  un  clievalier  blanc  vestu,  du  pays  de  Grosso,  qui  estoit 

■  venu  en  ambassadeur  devers  le  roy  en  In  rompa^rnio  de  l'onde  de 

■  l'empereur  de  Constantinople  •  113117). 


CHAPITRE  m 


EXPEDITION  DE  BOUCICAUT. 


Pour  conduire  à  Cnnstantinople  le  secours  promis  par  le 
roi  de  France  â  Munm>l,  un  hnrauie  s'imposait  au  choix  de 
Charles  vi  ;  nous  avons  nommé  le  maréchal  Boucicaut.  La 
croisade  de  Nicopolis  avait  mis  en  relief  la  puissante  origina- 
lité de  cette  personnalité  militaire»  type  de  l'honneur  cheva- 
leresque et  de  la  vaillance  la  plus  téméraire.  Au  moment  oA 
l'intervention  franraise  dans  le  Levant  fut  décidée,  Boucicaut 
revenait  do  l'expédition  de  Guyenne,  où  il  avait  châtié  la 
réhellion  du  corate  de  Périgord  (1308).  Lo  repos  pesait  à  cette 
nature  rude  ot  infatigable;  la  vie  du  courtisan  répugnait  à  ce 
caractère  mal  as-soupli,  étranger  auxsublililés  de  la  politique, 
et  n'aimant  que  les  coups  d*épée  donnés  d  une  main  snro 
dans  un  combat  loyal.  Aussi  le  maréchal  accueillit-il  avec 
juie  le  nouveau  commandement  auquel  Charles  vi  l'appela; 
il  y  trouvait  l'occasion  de  reprendre  les  armes  contre  lea 
iiiHdèles  et  de  venger  les  victimes  de  Nicopolis  d*un  ennemi 
parliciilièrement  abhorré.  Proclamé  chef  de  l'entreprise,  il 
mît  toute  son  activité  à  hAter  les  préparatifs  du  départ. 

Charles  vi  avait  fixé  l'effeclif  du  corps  expéditionnaire  â 
quatre  cents  hommes  d'armes  et  à  quatre  cents  valets  armés, 
sans  compter  les  archers'.  Boucicuut  était  investi  du  coni- 
mandement  suprême;  à  lui  appartenait  lo  soin  de  désigner 
ceux  qui  devaient  l'accompagner.  Nous  pimvons  juger,  par 
les  noms  de  quelques-uns  d'entre  eux  qui  nous  sont  pan^enus 


I.  Litre  de»  faiU^  i,  ch.  \MX,  p.  G()l  et  ch.  xxx,  p.  M2.  —  L« 
lieligieux  de  Saint  Denis  (n.  690-21  i^valiie  le  contingent  envoyé  en 
Orient  k  douze  ccnis  hommes  d'annrs. 


360 


EXPr.niTION   PE    BOrCICAUT. 


qu'il  s'entoura  <\e  l'élite  de  la  chevalerie  française.  C'étaient, 
d'abord,  lo  seigneur  de  Linières  et  son  fils  Jean,  —  oticle 
et  cousin  maternels  du  mai-échar;  Roberc  de  Milly*.  im  de 
ses  plus  fidèles  compagnons;  Franrois  d'Aubrecicourt*,  un 
des  familiers  du  duc  de  Bourbon;  Jean  de  Torsay*;  Louis  de 


1.  La  mère  de  Jean  rr,  le  Meingre,  était  Florîe  de  Unières.  —  Phi- 
lippe, seigneur  de  Linière»,  dont  il  est  ici  question,  fils  de  Jean  iv  de 
Linièt'es,  était  neveu  de  Florie,  et  par  conséquent  ronsin  germain  du 
maréchal.  En  1367  (nov.-déc.l,  il  servait  en  qualité  d'écuyer,  sous  les 
ordres  du  maréchal  de  Sancerre»  en  Auvergne  et  en  Berry;  chevalier 
l'année  suivante,  il  Ht  la  campagne  de  Nivernais,  cl  en  1370  il  était  à 
Chàteauroux.  Nous  le  retrouvuns  en  1386  en  Uerry,  à  ta  tête  d'une 
compagnie;  il  a  sous  ses  ordres  deux  chevaliers  bacheliers  et  quarante* 
sept  écuyers;  Télé  suivant,  il  est  en  Guyenne  avec  Sancerre;  le  I  août 
1388,  îi  la  Chdtre,  il  sert  f^ous  les  ordres  de  Guillaume  -de  Neîllac, 
capitaine  général  du  roi  on  Guyenne.  Kn  1393  (2  mai)  il  fait  montre  aa 
Boupt  de  Dieux  près  do  ('hiltcauroux.  A  son  retour  d'Grient,  il  fut 
nommé  par  *"harles  vi  grand  queux  de  France  aux  lieu  et  place  de 
Charles  de  ChAlillon  (I  déc.  liUt].  Il  mourut  cnirc  Uïl  et  l'iI2.  — 
Son  fils  Jean  v,  qui  l'afcompapnait  à  Constanlinople,  lui  succéda  dans 
la  charge  de  queux  de  France.  Fidèle  au  parti  français,  il  vit  ses 
terres  confisquées  et  mourut  vers  I'i32  (liibl.  nat.»  cab.  des  titres» 
pièces  originales,  vol.  1720  au  mot  uuniêhes,  et  vol.  1725  au  mot 
LisiÈnt-s;  —  U.  Villevieilie.  Tr/'s.  gi'néat.,  ui,  f.  U  et  U  bis;  —  Clai- 
rambault,  Titres  scellés,  lxvi,  5057-63.  —  P.  Anselme,  vin,  83i-9). 

2.  Il  avait  pris  part  à  la  campagne  de  Nîcopolis  (v.  page  237).  Fils  de 
Mahieu  de  Milly,  ccuyer,  et  de  Marie  d'Equiviller,  il  était  seigneur  de 
Verrères,  et  (igure.  dans  un  acte  du  27  juillet  l'ill,  avec  les  titres  de 
chevalier  et  de  chambellan  du  roi  (liibl.  nat.,  cab.  des  titres,  L>.  Ville- 
vieille,  Très.  g*hiéai.,  Lvni,  f.  66  v»|. 

3.  François  d'Aubrecicourf,  seigneur  de  Rochefort,  fils  de  Catherine 
de  Coussant,  dame  de  Montcressori.  etc.,  chambellan  du  roi  et  du  duc 
de  Bourbon,  épousa  Jeanne  de  Kevel  en  l'iOl.  —  il  fut  cliargé,  vers 
1405,  avec  Chàteauniorand  et  l'Ermite  de  la  Faye  de  réorganiser  la 
cour  des  comptes  du  duc  de  Bourbon.  11  se  déclar»  pour  le  parti  du 
duc  d'Orléans  {déclaration  de  Saint  Ouen.  9  oet.  lUl  .  {Chronitjue  du 
bon  duc...,  p.  278;  —  Duueî  d'Arcq,  Pièces  im'tliti's,  i,  3î5:  — 
Huilliard  Bréholles.  Titres  de  /îottrfiuit,  ii,  'i375.  S38}t,  Vi85). 

4.  Jean  de  Torsay  était  fort  appi"éci(}  du  roi  et  des  ducs,  dont  il  était 
le  chambellan:  de  1397  h  1399,  il  rcrul  plusieurs  marques  de  faveur. 
A  son  retour  d'Orient,  il  fut  investi  de  la  charge  de  sénéchal  de  Poitou: 
en  septembre  U05,  il  était  à  Paris  avec  cent  hommes  d'armes,  sous  le 
commandement  du  duc  de  Berry,  pour  défendre  la  ville.  La  même 
année,  il  alla  en  Guyenne  avec  leconnétfibled'Albret  (montrée  HufTee, 
1  fév.  I406I.  Fn  ri09,  il  lit  partie  du  secours  envoyé  à  Gênes  au 
maréchal  Bouclcaut.  Sénéchal  de  Poitou,  puis  capitaine  de  Fontenay 
le  t'omiet  il  fut  nommé  maître  des  arbalétriers,  le  8  janv.   1416.  I.ni 


Culant';  Barbasan*.  rhambellan  du  roi  et  des  ducs  de  Beiry 
et  de  Bourgogne,  qui  avait  reçu  de  ce  dernier  truis  cents  écus 


Bour^çiiignons  le  destituèrent  en  1418,  nt  il  s'attacha  au  parti  du 
dauphin  auquel  il  rendit  de  grands  services.  Il  fît  son  testament  à 
Poitiers  en  juillet  1 128^  et  monrut  peu  après  (Bibl.  nat.,  pièces  origi- 
nales, vol.  2855,  au  motxORSAY;  —  Clairambaalt,  Titres  sceliég^  vol.  cvi, 
8290-3.  —  P.  Anselme,  viii.  60-70». 

i,  On  sait  peu  de  chose  des  premières  armes  de  Louis  de  Culant.  Il 
était  attaché  à  l'hôtel  da  ducde  Bourbon,  et  passa  en  Espagne  on  1409 
pour  combattre  les  Sarra.sins  (siège  dAntiqnière).  Deux  ans  plus  tard, 
il  se  ralliait  au  parti  du  duc  d'Orléans  (déclaration  de  S.  Ouen,  9  oct. 
iUl).  Kn  1417,  nous  le  trouvons  avec  lo  titre  de  capitaine  de  .Melun; 
il  e«t  au  nombre  des  partisans  du  dauphin  en  TilS.  Il  fut  nommé  amiral 
avant  1422.  (.'ctte  année  même,  il  est  capitaine  général  des  frontières 
du  Lyonnais,  du  .Maçonnais  et  du  tiàtinais.  En  1423,  le  duc  de  Bour- 
gogne, après  la  victoire  de  Gravant  remportée  sur  le  dauphin,  marche 
au  secours  de  la  llu^ciëre.  as.siégée  par  l'amiral.  Culant  prend  part  à  la 
campagne  de  Jeanne  d'Arc,  assiste  au  couronnement  de  Charles  vu  à 
Reims,  et  meurt  en  1444  sans  enfants  do  son  mariage  avec  Jeanne  de 
Ch^itillon,  dame  de  la  Palisse  en  Bourbonnais,  et  veuve  do  Gaucher 
de  Passac.  (Bibl.  nat.,  cab.  des  titres,  D.  Villevieille,  Très,  généal.^ 
xxxiii,  f.  134;  —  pièces  originales,  vol.  953  ;  —  Clairambault,  THrei 
icellésy  xxxvni,  2857-9.  —  P.  Anselme,  vu,  81  et  835;  —  Chron.  du 
bon  Hue...,  p.  312  ;  —  Douct  d'Arcq,  Piévet  inédite*,  i,  345). 

2.  Lo  sire  de  Uarttazan,  appelé  Renautt  dans  les  documents  français, 
est  le  même  personnage  qu'Arnaud  Ciuillem,  fils  de  Manaud  de  Bar- 
bazan  ;  c'e^t  une  des  gloires  les  plus  pures  de  la  Gascogne;  les  con- 
temporains lui  ont  donné  les  surnoms  de  chevalier  sans  reproche,  et 
de  restaurateur  du  rotjmtme  et  de  la  couronne  de  France.  Comme  son 
père,  Arnaud  Guillnm  joua,  au  commencement  du  xs*  siècle,  un  rôle 
considérable.  Il  était  jeune  encore  au  moment  de  son  voyage  k  Cona- 
tantinople,  mais  non  sans  renom  militaire.  Dès  1387,  nous  le  voyons 
faire  campagne,  entouré  d«  quelques  hommes  d'armes.  Kn  1394,  il 
est  assez  célèbre  pour  que  le  duc  d'Orléans  le  nomme  son  chambellan. 
En  1393-4,  il  est  en  Gascogne  aux  côtés  de  Bernard  vn  d'Armagnac, 
ot  prend  part  à  la  guerre  dont  cette  province  est  le  théâtre.  Au  mo- 
ment où  il  accompagne  Boucîcaut  en  Orient,  il  est  dan»  la  force  de 
l'âge,  mais  sa  renommée  ne  s'établit  d'une  façon  indiscutable  que 
dans  les  premières  années  du  xv«  siècle.  Au  commencement  de  1404 
(I4janv.)  le  duc  d'Orléans  le  charge,  avec  deux  do  ses  écuyers,  le 
bire  do  Kontenilles  et  Gastonet  de  Scdilhac,  d'une  mission  en  Lom- 
bardie;  l'année  suivante  (1  fév.  1405,  montre  h  Cognac),  il  sert  en 
Guyenne  sous  le  commandement  du  connétable  d'Albret,  et  a  sous  ses 
ordres  un  chevalier  bachelier,  un  chevalier  et  vingt  et  un  écuyers. 
Kn  1410,  il  est  sénéchal  d'Agénois;  on  1412,  capitaine  do  Breuville 
(Manche,  arr.  Valogne,  cant.  Briquebeo;  en  lil5,  il  défend  A  Paris, 
avec  Jean  de  Torsay.  le  roi  et  le  duc  de  Guyenne.  Kn  1418,  il  est  con- 
seiller pt  chambellan  du  roi  et  du  dauphin,  lieutenant  générai  du 


362 


EXPEDITION   DE   BOUCICACT. 


d*or  pour  l'aider  à  supporter  les  frais  de  l'expédition*;  Robin 
de  Braqueraont  qui  avait  déjà  fait  ses  preuves  en  Espagne. 
en  Italie',  et  sur  mer  sous  les  ordres  de  l'amiral  Jean  de 
Vienne  ;  le  sire  de  Montenay';  Louis  de  Lugny  ;  Louis  de  Cer* 


royaume,  capitaine  de  Lu&îgnan;  c'est  un  des  plus  fidèles  paiiiiuuis 
du  futur  Charles  vu.  Capitaine  de  Melun,  il  ne  rend  la  ville  qu'à  la 
dernière  extrémité  et  ne  cède  que  devant  la  famine.  Les  Anglais  le 
font  prisonnier  et  le  conduisent  à  Paris.  Charles  vu,  à  deux  reprises, 
lui  fait  don  de  sommes  importantes  destinées  h  payer  sa  rançon  {U26 
et  1430),  De  1426  à  H3Q  environ,  il  est  titulaire  de  la  capitainerie  de 
Castelcuiler  (Lot  et  Garonne»  arr.  Agon,  cant.  Puymirol).  C'est  une 
des  plus  grandes  Bgures  parmi  les  hommes  d'élite  qui  entourèrent  le 
jeune  roi  au  début  do  son  règne.  (Bibl.  nat.,  cab.  des  titres,  pièces 
originales,  vol.  187,  au  mot  BAnuASAN;  —  l>.  Vilîevieille,  Trét.  généni., 
IX,  79  v;  —  Clairambaull,  Titres  scetlés,  i.\,  553-7.  V.  aussi  les  chro- 
niques du  temps  et  P.  Durrieu,  Documenlt  relatifs  à  la  chute  de  la 
maison  d'Armagnac- F czensnyuet,  p.  10  et  17t. 

1.  Par  lettres  du  22  mai-s  1399  à  Conflans  tUibl.  nat.,  D.  Vilîevieille, 
Très,  génial.,  iaxwik  f.  1251. 

2.  Robin  ou  Robinet,  fils  de  Renaud  n  de  Itraquemont,  seigneur  de 
Crainville  et  do  [ïélhencourt  en  Normandie,  fut  sous  les  ordres  de  Jean 
de  Vienne  en  1377,  servit  le  roi  de  Sicile  en  138'i,  et  le  rui  de  Castille 
en  1386  contre  le  roi  de  Portugal.  11  rotourna  en  1393  en  Castille, 
favorisa  l'évasion  de  Benoît  xni  à  Avignon  (U02|,  souscrivit  l'alliance 
conclue  enlre  Charles  vi  et  le  prince  de  Galles  (1404).  C'était,  dès  cette 
époque,  un  personnage  important.  Il  portait  le  titre  do  conseiller  el 
chambellan  du  duc  d'Orléans  en  1404.  En  liOô,  il  recevait  seize  mill*i» 
livres  pour  équiper  quatre  galères  â  cinq  cents  arbalétîei's  pendant 
deux  mois.  I^n  1408,  il  faisait  partie  de  l'expédition  dirigée  contre  les 
Sarrasins  de  Grenade.  >ous  le  retrouvons  quelques  années  plus  tard 
(1415)  avec  le  bâtard  de  Bourbon;  il  commande  la  flotte  chargée  d'em- 
pêcher le  ravitaillement  dllarfleur,  et  se  fait  battre  par  le  duc  de 
riarencc.  Nommé  amiral,  le  22  avril  1417,  il  etabrasina  le  parti  du 
dauphin  auquel  il  rendit  de  grands  services,  notamment  dans  les  né- 
gociations relatives  à  la  paix  avec  l'Angleterre  (1118).  Mais  destitué  de 
son  office  à  cette  époque,  il  se  retira  en  Ivspagne:  «pr  alliances  dans 
ce  pays  Ml  avait  épousé  snccessivement  deux  Espagnoles,  Inès  d« 
Mendoza  et  Eiéonore  de  Tolède)  le  décidèrent  à  s'y  fixer.  Oncle  de  Jean 
de  Uéthencourt,  qui  aval!  l'onquis  lesCanarlesà  la  rouronnpde  Castille. 
H  se  fit  nommer  roi  de  l'île  de  Fer,  nne  des  Canaries.  II  mourut  en  Es- 
pagne, faisant  souche  espagnole.  ^Bibl.  naL.  cab.  des  titrfts,  pièces  origi- 
nales, vol.  494;—  dossiers  bleus,  au  mot  kiîaql'emont;  —  Clairambault, 
Titrf»  scelles,  \\\,  I48Ï).— P.  Anselme,  vu,  81 6-7;  — /.e  Oi/iarir/i,  livre 
de  ta  ronqu^te  et  conversion  des  Cannries,  Itouen,  I87i,  p.  n,-L  et  LVH). 

3.  C'était  alor.-;  Jean;  il  avait  succédé,  avant  le  24  déc.  1383,  à 
Guillaume  de  Montenay  dans  la  seigneurie  de  ce  nom.  La  premièrt* 
mention  dans  laquelle  il  figure,  avec  le  titre  d'éciiyer,  est  du  31  mars 


villon  ;  Foulques  Viguier.  Jean  d'Ony.  écuyer  du  duo  de 
Bourgogne  «  appert  homme,  iiurdi  et  de  grant  vassellage 

<  en   fait  d'armes,  et  qui  jà  avuit  moult   traveillié   et  so 

<  trouvé  en  maintes  bonnes  places  »,  avait  demandé  la  faveur 
de  prendre  part  à  la  campagne,  persuadé  qu'il  ne  trouverait 
pas  un  meilleur  chef,  et  que  <  mieulx  ne  povoit  employer 
«  son  temps  que  avec  lui'  ».  La  bannière  de  Notre  Dame 
était  portée  par  Pierre  de  Grassay.  Chàtoaumorand,  aussi 
brave  chevalier  qu'habile  diplomate,  dont  rexpérience  des 
choses  d'Orient  pouvait  être  précieuse,  avait  été  désigné  des 
premiers.  L'EnaiLe  de  la  F;iye  devait  le  seconder;  au  fait  de 
la  politique  et  des  intérêts  qui  s'agitaient  daus  le  Levant,  il 
avait,  en  qualité  de  conseiller  du  duc  do  Bourbon,  soutenu  à 
la  cour  do  Chypre  les  pnHentidus  de  ce  prince,  et  le  maréchal 
avait  tenu  à  s'assurer  les  senices  d'un  pai'eil  auxiliaire. 
Ainsi  composé,  le  secours  envoyé  â  Constantinople  compre- 
nait les  meilleurs  éléments  qu'on  pût  rencontrer;  ce  n'était 
plus,  comme  â  l'expédition  \\c  Hongrie,  une  foule  de  gentils- 
hommes aussi  présomptueux  qu'inexpérimentés  ;  mais,  selon 
l'expression  du  chroniqueur,  une  «  belle  compaignie  ».  Si 
ceux  qui  la  composaient  n'avaient  pas  le  renom  et  les  écla- 
tants servia's  des  chevaliers  de  Nicopolis,  ils  étaient  jeunes 
et  vaillants,  et  l'histoire  a  conservé  le  nom  de  la  plupart 
d'entn'  eux  et  le  souvenir  des  honneurs  qui  leur  furent  dévo- 
lus dans  la  suite.  Avec  eux,  aucune  rivalité  dans  le  comman- 
dement n était  à  redouter;  tous,  animés  d'une  gêné- 
reiwe  émulation,  connaissaient  leur  chef,  l'aimaient  et 
étaient  pr<^ts  â  se  faire  tuer  à  ses  côtés.  Knfin  le  contingent 
restreint  dont  disposait  Boucicaut  était  une  garantie  de  suc- 
cès entre  les  mains  d'un  généi*al  plus  habitué  à  la  guerre 
d'escarmouches,  oi"!  la  valeur  individuelle  se  donnait  libre 
carrière,  qu'à  la  stratégie  et  au  maniement  de  grandes  masses 
de  combattants*. 

L'embarquement  se  fit  à  Aigues-Mortes.  sur  quatre  navires 
Ht  rleux  galères.  Les  pivparatifs  de  l'expédition  et  la  concen- 


inR2.  Kn  1^05,  il  ct,t  qualKlr  de  seigneur  do  Montonay  n(  dp  Milly;  il 
inniirut  avant  l^tK  (ItihI.  nal.,  riairainbaiilt.  Titrft  srrttf's,  i.wvi. 
5969-77). 

!.  Livre  dttit  faitê^  t,  rli.  .\.\x,  p.  ft02. 

2.  Uvre  fift  fnitif  i,  ch.  %xi%.  p.  fioi. 


364 


EXPEDITION   DE   BOrciCAUT. 


tration  des  troupes  avaient  été  rapirleraent  menés;  aussi,  dès 
que  le  maréchul  arriva  ('26  juin  tiîOOi,  leva-t-on  l'anrre.  A 
Savone,  on  rolâolia,  et  Boiicicaut,  proritant  do  f^etle  relAche, 
«  fist  toutes  ses  ordonnantes  et  ordcno  ses  chevetaines.  et 
«  bailla  à  chacun  tel  charge  que  bon  lui  sembla  ».  De  là, 
la  flotte  reprit  la  mer  jusqu'à  Capii,  en  vue  de  Naples. 

Le  royaume  de  Naples,  depuis  la  mort  de  la  reine  Jeanne, 
était  disputé  par  les  partis  angevin  et  français.  Louis  ii  d'An- 
jou, représentant  de  ce  doniier.  défendait,  contre  la  famille 
de  Durazzo,  les  droits  qu'il  tenait  de  son  père  Louis  j,  adopté 
par  la  reine  Jeanne.  Le  parti  angevin  était  personnifié  par 
Ladislas  de  Durazzo,  fils  de  Cliarles  in,  dont  le  père,  descen- 
dant d'un  fils  cadet  de  Charles  ii  de  Naples,  invoquait  les 
liens  du  sang  bien  autrement  puissants  que  ceux  de  l'adoption  ; 
c*est  comme  hériti*>r  du  sang  qu'il  avait  revendiqué  le 
royaume,  l'avait  conquis  ot  laissé  à  sou  (ils.  Ladislas,  après 
la  mort  de  son  père  (1384),  avait  régné  sans  contestation 
jusqu'à  la  venue  do  Louis  ii  (LISÛ)  on  Italie,  et  depuis  cette 
époque,  il  luttait  pour  reconquérir  le  trône  que  son  compéti- 
teur lui  avait  enlevé.  C'est  ainsi  que  cinq  galères  de  Ladislas 
étaient  occupées  au  siège  de  Capri,  «  laquelle  dicte  ville  el 
«  chastel  se  tenoient  pour  le  roy  Louys  >,  lorsque  Boucicaut 
parut  devant  l'île.  Informé  de  l'état  des  partis,  le  maréchal 
n'hésite  pas  un  instant  ^  mettre  son  épée  au  service  de 
Louis  11,  et  «  si  tost  qu'il  sot  ceste  chose,  il  dit  à  ses  gens 
<  qu'il  vouloit  aler  secourir  le  chastel  du  roy  Louys  et  que 
«  chacun  se  meist  en  ordonnance  ».  Mais  il  était  trop  tard, 
le  chiUeau  s'était  rendu;  le  capitaine,  secrètement  dévoué  à 
Ladislas,  refuse  Tassistauco  ijui  lui  est  offerte  par  l'escadre 
française,  et  jette  le  masque  en  expulsant  de  la  place  les  Fran- 
çais qui  s'y  trouvaient.  Sa  conduite  ne  laisse  aucun  doute  au 
maréchal  sur  sa  trahison  ;  il  ne  reste  à  Boucicaut  qu'à  recueil- 
lir les  expulsés,  et  à  donner  la  chassie  aux  galères  de  Ladislas, 
qui  se  retirent,  avec  prudence,  devant  les  forces  supérieures 
de  la  flotte  française.  Ku  continuant  sa  route,  l'expédition 
rencontre  un  vaisseau  appartenant  au  comte  de  Peraude\ 
partisan  de  Ladislas;  elle  lui  donne  la  chasse,  l'oblige  à  se 
jeter  â  lacùle;  l'équipage  s'enfuit  en  abandonnant  le  navire 
el  la  cargaison  aux  mains  du  maréchal. 


I.  On  ne  sait  quel  egt  le  personnage*  dant  il  eut  ici  question. 


bOUCICAUT  RELACUE  DANS  l' ARCHIPEL.        305 

La  mer  était  libre;  Boiicicaui  en  profite  pour  so  diriger 
vers  (a  Sicile,  et  rehVcher  à  Mossine.  De  Measiae,  il  tniverse 
rAdrialique,  et  touche  à  l'ile  de  Sapienzu,  eu  face  de  Modon. 
à  rexti'éinitè  occidentale  du  Péloponèse.  Nous  avons  une 
lettre  du  seigneur  de  Roche  la  Morlère,  un  des  croisés, 
datée  de  ce  mouillage,  le  *J  septembre;  nous  savons  par  elle 
que  le  maréchal  attendait  là  les  galères  de  Gènes  qui  devaient 
apporter  des  dépêches  et  de  l'argent.  Gùnes  avait  promis 
huit  galères,  Venise  autant,  mais  les  Français  se  flattaient 
que  cette  dernière  en  enverrait  douze;  l'ordre  de  Rhodes 
s'était  également  engagé  à  joindre  ses  vaisseaux  aux  forces 
combinées  des  trois  puissances  '. 

Le  retard  des  tlottes  alliées  modifia  les  projets  de  Boucîcaut; 
lassé  d'attentb'e,  il  fit  voile  vers  Chios  ;  c'est  là  qu'il  espérait 
faire  sa  jonction  avec  l'oscadi'e  vénitienne.  Son  espoii*  fut 
encore  déçu;  pas  plus  que  celle-ci,  les  galères  de  Rhodes, 
auxquelles  cette  île  avait  été  indiquée  comme  point  de  con- 
centi'ation,  n'étaient  arrivées.  Continuant  sa  route,  le  maréchal 
touche  à  Lesbos  ;  Gattilosio  lo  reçoit  avec  les  démonstrations 
de  la  joie  la  plus  vive,  mais  lui  apprend  que  <  pour  non  rompre 
«  les  convenances  et  partis  que  il  avoit  avocques  les  Turcs  », 
il  leur  a  annomé  la  venue  des  forces  chrétiennes,  ajoutant 
que  cette  démarche  ne  rcmpêchera  pas  de  prendre  part  à  la 
campagne,  et  de  joindre  une  de  ses  galères  a  ta  flotte  alliée. 
Ce  trait  marque  bien  la  dépendance  dans  laquelle  vivaient 
les  princes  do  l'Archipel  â  l'égard  du  sultan  ;  pour  n'être  pas 
absorbés,  ils  tremblaient  et  courbaient  la  tète  devant  lui, 
prêts  à  la  relever  quand  ils  se  sentaient  soutenus  dans  leur 
résistance.  Il  serait  superilu  d'insister  sur  la  portée  et  les 
conséquences  de  l'avis  donné  par  Gattilusio  à  Bajazet.  Il 
devenait  impossible  de  surprendre  l'ennemi,  et  cette  divul- 
gation rendait  fort  dilficilcs  les  opérations  projetées.  Tout 
autre  se  serait  découragé  et  aurait  renoncé  à  secourir 
Constantinople  ;  mais  Boucicaut,  sans  tenir  compte  du  désa- 
vantage que  cette  situation  lui  créait,  <  dit  que  de  par  Dieu 


1.  Lettre  écrite  de  Moréc  à  Etienne  de  Semur  par  te  seigneur  de 
Itosclie  la  Molère.  Le  seigneur  bourguignon  donne,  dans  cette  lettre, 
des  diïtails  préois  qui  complètent  les  indications  fournies  par  le  lAvre 
du  faitu  [Hev.  des  Soc.  sav.,  1878,  p.  68-70,». 


366 


EXPEDITION    DE   BOUCICAtT. 


«  fusl  »,  et  continua  sa  route,  cherchant  toujoui*s  à  joindre 
la  flotte  vénitienne. 

A  Négrepont,  où  elle  devait  être,  il  ne  la  trouva  pas  et 
l'attendit  quelque  temps.  L'empereur  de  Constantinople  igno- 
rait encore  l'approche  des  secours  ;  il  importait  cependant 
qu'il  la  connût  au  plus  tôt,  afin  de  mettre  son  armée  en  état 
de  tenir  campagne  dès  l'arrivée  des  renforts  annoncés.  Dans 
ce  but,  le  maréchal  résolut  de  détacher  de  la  flotte  deux  ga- 
lères, chargées  d'atteindre  Cunstantinopk'.  Le  commandement 
de  l'une  d'elles  fut  confié  â  Châteaumurand.  dout  partout  ou 
reconnaissait  la  haute  capaciiê;  Jean  d'Ony ',  écuyer  du  duc 
de  Bourgogne,  le  secondait.  Jean  de  Torsay  fut  mis  à  la  tête 
de  la  secondEî  galère.  Si  c'était  un  nouveau  venu  en  Orient, 
ce  n'était  pas  un  inconnu  pour  le  maréchal,  et  son  passé 
garantissait  l'avenir. 

L'envoi  de  ces  deux  bâtiments  était  une  téméraire  hardiesse  ; 
de  la  part  de  Boucicaut,  elle  u'a  rien  qui  doive  nous  sur- 
prendre. C'était,  eu  outre,  une  faute  grave  dont  les  consé- 
quences pouvaient  compromettre  le  succès  de  la  campagne. 
Les  Turcs  étaient  prévenus;  maitres  de  Gallipoli  et  de  la  côte 
asiatique,  ils  avaient  â  leur  merci  les  deux  uavires  dans  les 
DardaJielles  ;  s'ils  les  capturaient,  —  hypothèse  puur  le 
moins  très  plausible,  —  quel  rôle  jouerait  désormais  l'escadre 
frantjaise,  privée  de  sa  principale  force?  Venise,  Rhodes  el 
Lesbos,  dont  les  flottes  hésitaient  à  appareiller,  triomphe- 
raient-elles de  leurs  hésitations  après  un  premier  échec  du 
maréchal?  C'était  peu  probable,  et  on  devait  penser  que  de 
l'issue  de  la  première  rencontre  dépendrait  l'existence  même 
de  la  ligue, 

Boucicaut.  dominé  par  l'idée  que  l'empereur  était  à  bout 
de  forces,  et  que  tout  retard  était  coupable  quand  Constan- 
tinople menaçait  do  tomber  aux  mains  du  sultan  avant  l'ar- 
rivée des  renforts,  ne  vit  qu'un  moyen  de  sortir  de  la  situation 
que  lui  créait  l'absence  des  flottes  alliées  :  c'était  de  prévenir, 
à  tout  prix,  Manuel  que  le  secours  n'était  pas  loin  ;  pour  exé- 
cuter ce  dessein,  il  exposa  ses  deux  meilleures  galères.  Lui- 
même,  du  reste,  se  rendit  assez  compte  du  danger,  pour  les 
escorter  avec  le  reste  de  ses  vaisseaux  jusqu'à  Gallipoli,  et 


1,  Sur  Jean  d'Ony,  voir  plus  haut,  p.  363. 


COMBAT  DANS  LES  DARDANELLES. 

<  de  là  U6  se  bougia  affin  de  les  secourir  se  aucune  chose  leur 
«  avenoit  ». 

Ce  qui  était  prévu  arriva;  les  Musulmans,  avertis,  avaient 
fait  «  deux  embusches  de  dix-sept  g'aiées  bien  armées  », 
qu'ils  avaient  dissimulées,  sept  à  Gallipoli,  ics  dix  autres 
plus  près  de  Constantinople.  Sans  défiance,  Chàteauniorand 
et  Torsay  franchissent  le  détroit  et  continuent  leur  route, 
lorsque,  tout  à  coup,  ils  se  trouvent  entourés  do  toutes  parts. 
Un  seul  parti  restait  à  prendre  :  virer  de  bord  au  plus  tôt 
et  retourner  vers  le  maréchal,  en  se  frayant  un  passage  au 
travers  des  lignes  ennemies.  <  Si  furent  tost  pesle  raesle  avec 
«  eulx  qui  les  assaillirent  de  tous  costez,  et  les  nostres 
«  comme  vaillans  et  preux  se  prirent  à  deffendre  vigue- 
€  reusement  ;  et  par  si  grant  vertu  estriverent  contie  eulx 
«  que  oncques  ne  les  porent  arrester,  ains  malgré  leurs  dens 
«  s'en  veuoient  tousjours  combatant.  quoy  que  les  Sarrasins 
«  taschassent  à  les  faire  demeurer  *.  Les  deux  galères,  dans 
cette  mêlée,  se  rapprochaient  du  détroit,  si  bien  que  Bou- 
cicaut  «  ouy  l'effrainte  »;  celui-ci,  malgré  les  conseils  do 
son  entourage  qui  le  dissuadait,  en  présence  du  nombre  des 
Sarrasins,  de  secourir  ChAteauinorand  et  Torsay,  et  proclamait 
qa*il  valait  mieux  sacrifier  deux  galères  que  d'exposer  la 
flotte  à  une  ruine  certaine,  €  ne  musa  mie  â  leur  estre  au 
«  devant  et  moult  tost  se  mist  en  belle  oi^lonnauce  pour  les 
«  aler  aidier  ».  La  prudence  de  ses  compagnons  l'avaii 
exaspéré.  Croient-ils,  s'ccriait-il,  que  j'abandonnerai  mes 
deux  galères;  j'aimerois  «  mieulx  estre  mort  que  par  mon 
c  défaut  veoir  mourir  et  perdre  ma  conipaignie,  et  que  yk 
«  Dieu  ne  me  laissast  tant  vivre  que  tant  de  recreandise  fust 
«  en  moi  trouvée.  » 

C'est  dans  ces  dispositions  qu'il  se  porta  au  secours  de  ses 
lieutenants,  et  «  bien  besuing  leur  estoit,  car  jû  estoient  si 
«  batus  que  mais  aidier  ne  se  povoient  ».  A  l'approche  du 
maréclial,  l'ennemi,  malgré  sa  supériorité  numérique,  frappé 
de  la  contenance  cl  du  maintien  delà  fiotte  clirétiennc,  aban- 
donna les  deux  galères  et  prit  la  fuite  avec  tant  de  précipitation 
que,  «  sans  ce  que  il  y  mist  conseil  ».  le  plus  gros  de  ses 
vaisseaux  alla  s'échouer  sur  le  rivage.  Les  galères  étaient 
sauvées,  et  Boucicaut  pouvait  se  féliciter  d'avoir  été  secondé 
par  la  plus  heui*euse  fortune. 
Le  soir  de  cette  bataille,  la  flotte  mouilla  au  port  de  Té- 


368 


EXPEDITION   DK    BOUCICAUt. 


iiédos'  ;  le  leudeiuain,  Jeâ  vaisseaux  allit^s  arrivèrent;  ils  se 
composaient  de  la  tiotte  vénitienne,  de  deux  galères  de 
Rhodes  et  d'une  gaiitjLe  du  seigneur  de  Mityléne.  La  concen- 
tration faite,  le  mardcliat  prit  le  coaunandeuient  en  chef  de 
la  ligue,  et  donna  la  bannière  de  la  Vierge  *  par  droit 
c  d'armes,  cojnme  à  cellui  i|ui  plus  avoit  veu,  et  qui  estoit  un 
c  vaillant  chevalier  »,  k  Pierre  do  Grassay.  Le  lendemaio 
matin,  «  après  ce  que  les  messes  furent  cbantëos»,  les  ancres 
furent  levées,  et  l'expédition  atteignit  Conb^tantinople  sans 
être  inquiétée*. 


1.  Cette  île  qui  est  voisine  de  ta  côte  d'Asie  Mineure  est  ■  devant' 
t  la  grant  Troye  i.   Elle  commande,  sur  la  côte  d'Asie,  le  détroit  des 
Dardanelles. 

2.  Livre  des  faits,  partie  i,  cb.  xxx^  p.  602-3. 


Constantinople  salua  Tarrivée  de  la  flotte  alliée  par  les 
témoignages  de  la  joie  la  plus  vive.  L'empereur,  averti  de  la 
venue  du  maréchal,  avait  riîuni  pour  tenter  un  dernier  effort 
le  peu  de  troupes  qui  lui  restaient.  Nous  n'avons  aucun  élé- 
iiiPiit  pour  évaluer  îe  nombre  de  celles-ci  ;  malgré  l'expression 
du  chroniqueur,  qui  parle  de  «  Tost  et  de  l'assemblée  de 
«  rempereur  où  il  avoit  grant  gent  ».  il  est  peu  probable 
que  l'empire  aux  abois  dispos;\t  d'une  armée  nombreuse;  les 
mercenaires  qui  la  composaient  étaient  peu  faits  pour  inspirer 
confiance  et  rendre  de  véritables  services.  Il  ne  semble  pas 
que  le  maréchal,  pendant  son  séjour  à  Constantinople,  les  ait 
jamais  détournés  de  la  garde  des  remparts  pour  les  joindre  â 
ses  propres  soldats'. 

Boucicaut  était  impatient  d^ouvrir  les  opérations  et  de 
<  courir  sus  aux  Sarrasins  >.  A  peine  ses  troupes  eurent- 
elles  pris  quatre  jours  de  repos,  qu'il  les  nHinit  à  Constan- 
tinople, dans  une  plaine,  pour  les  passer  en  revue;  elles 
comptaient  six  cents  hommes  d*armes.  six  cents  valets  armés 
et  raille  hommes  de  trait;  dans  ce  chiffre,  le  contingent  des 
alliés  s'élevait  à  deux  cents  hommes  d'armes,  deux  cents 
valets  et  quelques  archers.  C^est  pendant  cette  revue  que  le 
maréchal  fixa  Tordre  de  marche,  <  Hst  ses  chevetaius  et  capi- 
«  taines  >,  et  donna  à  chacun  sa  fonction  <  selon  ce  que  il 
c  savoit  que  ilz  valoient  ». 


1.  La  source  principale  pour  ce  chapitre  est  le  livre  det  faili,  i, 
ch.  XXXI  et  xxxH,  p.  60»-6. 

U 


370 


CAMPAONK   DE  BnUCICAUT   A    COSSTANTINOPI.R. 


Ces  dispositions  prises,  la  petite  armée  s'embarqua,  accom- 
pagnée do  Manuel.  La  flotte  qui  la  portait  était  de  vingt  et  une 
galères  «  compiles  »,  de  trois  grandes  galère»  huissières  sur 
lesquelles  cent  vingt  chevaux  avaient  pris  passage,  et  de  six 
autres  vaisseaux  de  moindre  dimension,  galiotos  et  brigan- 
tins'.  Elle  quitta  Constantinople  pour  la  <  Turquie  »,  c'est- 
à-dire  pour  la  cdte  d'Asie  Mineure,  et  le  débarquement  eut 
lieu  près  de  Naretès*. 

Le  maréchal,  avec  les  forces  dont  il  disposait,  ne  pouvait 
prétendre  qu'à  inquiéter  les  Ottomans  sur  le  littoral  asiatique, 
A  faire  quelques  hardis  coups  de  main,  à  brfiler  et  à  piller 
quelques  châteaux  et  villages,  et  par  des  incursions  heureuses, 
menées  avec  rapidité,  tantôt  sur  un  point,  tantôt  sur  un  autre, 
à  forcer  l'ennemi  à  rompre  le  blocus  de  Constantinople  ;  c'est 
î\  obtenir  ce  résultat  que  tendirent  les  eiforts  de  rcmpcreiu" 
et  de  Boucicaut. 

Débarqués  à  Naretès,  les  Chrétiens  s'avancèrent  <  ou  pays 
€  de  Turquie  >  d'environ  deux  lieues,  brûlant,  détruisant  et 
pillant  tout  sur  leur  passage.  Le  pays  était  riche,  couvert  de 
€  bons  vilages  et  de  beaulx  manoirs  »,  et  sans  défense;  tout 
fut  détruit,  et  les  Sarrasins  faits  prisonniers  furent  «  mis  â 
<  l'espée  ».  Sans  pousser  plus  loin  la  reconnaissance,  les 
alliés  regagnèrentia  cùte  et  rejoignirent  la  flotte  pour  renti'er 
en  Europe,  se  réservant  pour  une  prochaine  expédition. 
Elle  eut  lieu  peu  de  jours  après;  son  objectif  était  un  gros 
village,  appelé  Diaquis,  distant  de  deux  lieues  du  littoral,  au 
fond  du  goife  de  Nicomédie.  La  côte  asiatique  de  la  Propou- 
tide,  depuis  Cyzique  jusqu'à  Nicomédie,  portait  au  moyen 
âge  le  nom  de  golfe  de  Nicomédie;  c'est  aujourd'hui  le  golfe 


1.  ta  galèro  huissière  était  ainsi  nommée  parce  qu'elle  était  ouverte 
à  sa  poupe  et  présentait  une  porte  aux  clievatix  qu'on  embarquait  danb 
sa  cale.  D'après  le  chilTre  donné  ici  par  l'auteur  fia  Livre  (tes  faite, 
quarante  chevaux  avaient  prùs  place  dans  chaque  bâtiment,  et  Jal 
calcule  que  les  dimensions  de  ces  galères  huissières  devaient  être 
d'au  moins  cent  vingt-trois  pieds  do  quille.  —  La  galiote  était  une 
petite  galère,  mèrae  forme,  même  disposition  des  rameurs  et  de  la 
mâture.  —  Le  brigantin  était  plus  petit  encore,  tout  en  restant  Ôdèle 
au  type  de  la  galère,  tl  était  ponté,  à  une  seule  voile,  appelée  voile  da 
maître,  et  avait  do  huit  à  seize  bancs  k  un  rameur.  Les  mouvements 
du  brigantin,  très  rapides,  le  faisaient  employer  pour  la  course  (Jal, 
Gio$s.  nautique,  passim). 

2.  \uu8  n'avons  pu  déterminer  la  |K>8ition  de  cette  localité. 


OPÉRATIONS    A    DIAIH'IS,    MCOMKDIK    ET    LK    SKRAIL.       1(71 

d'Ismîd.  Diaquis,  l'ancien  Dascylium,  ri^sîdence  des  satrapes 
do  Bithynie,  s'appelle  de  uos  jours  DaskïlyV 

Los  Turcs,  à  l'arrivée  du  maréchal,  s'assemblèrent  en  gi'and 
nombre  pour  défendre  lo  village  contre  lui,  «  et  tous  arrangez 
4.  se  tenoient  à  pié  et  à  cheval  au  devant,  â  tieulx  armeures 
€  comme  ilz  povoient  avoir  ».  La  résistance  était  impossible 
devant  une  attaque  régulière;  ils  voulurent  cependant  l'es- 
sayer, mais  «  ce  ne  leur  valu  riens  »,  et  s*ils  n'avaient  pris 
la  fuite,  tous  eussent  été  tués  ou  pris.  Quand  les  Chrétiens 
furent  maîtres  du  village,  beaucoup  do  Turcs  avaient  suc- 
combé, le  reste  avait  fui  ou  s'était  caché  dans  les  maisons 
où  aucun  quartier  ne  leur  fut  fait.  L.m,  comme  dans  la  première 
expédition,  timt  fut  pillé,  le  feu  fut  mis  pai'tout.  aux  beaux 
«  manoirs  »  comme  à  un  riche  palais  du  sultan  ;  quand  tout 
fut  dévasté,  Boucicaut  et  son  armée  remontèrent  dans  leurs 
galères. 

On  navigua  toute  la  nuit;  au  matin,  on  était  eu  vue  de 
Nicomédie.  Lo  débarquement  fut  oi*donné,  mais  les  Sarrasins 
«  y  Guidèrent  mettre  empeschement  »  ;  il  fallut  soutenir 
contre  eux  un  combat  assez  vif  pour  <  prendre  port  et  terre 
<  gaignier  sur  eulx  ».  Libres  de  leurs  mouvements,  les 
troupes  s'avancèrent  vers  Nicomédie  pour  <  l'assaillir  par 
€  manière  d'escarmouche  »,  C'était  une  ville  fortifiée,  avec 
de  solides  et  hautes  murailles,  capable  de  résister  à  un  coup 
de  main.  Boucicaut  voulut  en  iucendier  les  portes;  mais  elles 
étaient  ferrées  de  lames  de  fer  et  ne  bnUèrent  pas.  Ayant 
échoué  de  ce  coté,  il  fit  apporter  et  drosser  des  échelles; 
elles  étaient  trop  courtes  do  plus  de  trois  brasses.  Il  fallut 
renoncer  à  s'emparer  de  Nicomédie;  les  Chrétiens  re- 
gagnèrent alors  leurs  vaisseaux,  non  sans  avoir  tué  tous  les 
Sarrasins  qu'ils  purent  trouver,  et  incendié  les  faubourgs  et 
le  pays  environnant. 

Comme  la  veille,  la  nuit  fut  consacrée  â  <  cheminer  »;  à 
l'aube,  la  Hotte  jetait  l'anci^e  eu  face  d'un  village  appelé  le 
Sérail  (Ac  iSérai],  situé  dans  la  plaine,  à  une  lieue  environ 
de  ta  mer.  Rien  ne  put  empêcher  le  maréchal  de  s'emparer 
de  cette  localité»  et  de  ruiner  tout  le  pays  aux  environs.  Mais, 


1.  Les  portulans  vènitienft  donnent  les  formes  do  ùasquif   Tarqui, 
Larqui;  \ei  portulans  grecs  du  xv  sièclD  portent  plus  exactement  : 


I 


■M'I 


CAMPAGNE    DE   BOUCICAUT   A    CONSTANTiXOPLK. 


pendant  qu'il  accomplissait  cette  œuvre  de  destruction,  la 
nouvelle  de  sa  présence  s'était  répandue,  ot  une  grande  quan- 
tité de  Sarrasins  s'était  rassemblée.  Enhardis  par  leur  nombre 
«[ui  croissait  d'instant  en  instant,  ceux-ci  suivirent  de  si 
prùs  l'armée  du  maréchal  qui  se  repliait  vers  le  rivage,  qu'il 
fallut,  à  plusieurs  reprises,  donner  ordre  à  Parrière-garde  de 
leur  faire  face.  Les  Turcs  n'osaient  pas  engager  l'affaire  à  fond. 
mais  tentèrent  quelques  escarmouches,  sans  empêcher  toute- 
fois Cembarquonient  de  se  faire  dans  le  plus  gi'and  ordre.  Ou 
leva  l'ancre  de  nuit  oA.  on  Ht  voile  vers  Constanlinople.  Il  était 
temps  de  regagner  la  ville,  car  les  coups  de  main  du  genre 
de  ceux  que  tentait  Boucicaut  ne  réussissent  qu'à  la  condition 
d'être  menés  avec  célérité.  L'événement  l'avait  bien  montré  ; 
à  sa  première  descente  sur  la  côte  d'Asie,  le  maréchal  n'avait 
éprouvé  aucune  résistance;  à  Biaquis,  au  contraire,  l'ennemi 
était  en  nombre;  âNicomédie,  il  était  prêt  à  soutenir  l'attaque 
des  Chrétiens.  H  fallait  donc  renouveler  souvent  ces  incur- 
sions dans  des  directions  différentes,  et  reprendre  la  mer 
dès  que  Temaerni  était  prévenu  de  la  présence  des  troupes 
alliées. 

C'est  d'après  ces  principes  que  l'empereur  et  le  mai-échal, 
après  six  joui-a  de  repos  à  Constantinople.  se  remirent  en 
campagne  dans  une  direclion  tout  â  fait  opposée,  celle  de  la 
mer  Noire,  et  nllèrent  assaillir  le  château  de  Rive'.  II  était 
situé  à  rembotichure  du  Bosphore,  sur  la  côte  d'Aaic,  à  Ten- 
droit  où  l'aiici^'n  tleuve  de  Bithyîue,  le  Rivas  [Préhas],  auquel 
il  devait  son  nom,  se  jetait  dans  le  Print  Euxin.  I^  place 
était  dans  une  forte  position  «  car  de  Tune  dos  pars,  la  mer 
«  y  batoil,  ot  de  l'autre  une  grosse  rivière  qui  vient  de 
<  Turquie,  ai  que  on  n'y  povoit  venir  que  par  une  part.  » 
Malgré  toutes  les  précautions  prises,  les  Sarrasins,  prévenus 
par  leurs  espions,  attendaient  los  Chrétiens.  Sans  s'opposer 
au  débarquement,  ils  étaient  rangés  «  en  belle  ordonnance  > 
devant  le  château,  au  nombre  de  six  à  sept  mille,  prêts  à 
livrer  bataille.  Los  ti'oupes  de  Boucicaut  étaient  nombreuses 
ci  «  de  si  belle  ostoffc  »  que  les  Turcs,  pour  augmenter  leurs 
forces,  dégarnirent  la  place  de  ses  défenseurs,  ne  laissant 
dans  les  murs  que  le  nombre  de  soldats  strictement  uéces- 
saire  pour  résister  pendant  un  jour  aux  assauts  des   assiô- 


1.  Auj.  Riwa  Kalessi. 


ASSAUT    DI     CHATKAl"    I>E   KIVK. 

nts.  La  position,  au  reste,  do  la  placp  et  la  hauteur  des  mu- 
railles rendaient  la  dêfnnse  facile.  Les  Musulmans  espéraient 
que  le  maréchal  tenterait  l'attaque  du  château  avec  toutes  ses 
forces;  eux-m<?mes  s'étaient  retirés  un  peu  en  arrière,  «  affin 

<  que  quand  les  gens  [de  Boucicaut]  seroient  iV  l'assault,  au 

<  pié  du  mur  et  seroient  esparpillez  pour  <*omhatre  le  chastel, 
€  que  ilz  venisseut  si  tost  sur  eulx  que  i\z  n'eussent  loisir  de 
«  eulx  assemliler  ne  mettre  en  ordenance  »,  C'était  une 
«  malice  »  à  laquelle  le  maréchal  ne  se  laissa  pas  preuilre  ; 
â  peine  débarqué,  il  i'nniia  lui  corps  composé  d'arhaletriers 
et  de  gens  d'armes,  au  milieu  duquel  restèrent  L'empereur  et 
les  chevaliers  de  Rhodes,  et  le  rangea  en  bataille  dans  la 
plaine.  C'est  là  que  «  demoura  la  banière  Nostre  Dame 
€  ainsi  assise  que  elle  devoit  ».  Cette  division  devait  tenir 
les  Sarrasins  en  respect,  tandis  que  le  maréchal,  avec  le  reste 
de  ses  troupes,  se  réservait  l'attaque  du  château. 

Ces  dispositions  prises,  Boucicaut  commence  l'assaut  de  la 
place  du  cù\è  de  Test.  Les  assiégés,  pour  le  tenir  â  distauco» 
allument,  sur  les  murs  et  <  es  faulses  brayes,  de[3J  escLaffaulx 
€  couvers  de  fenrre  et  de  ramille  luoulliée  pour  rendre 
«  grant  fumée  »,  mais  cet  obstacle  ne  l'airète  pas.  En  peu 
d'heures,  il  est  au  pied  du  uuir,  il  a  établi  deux  mines  et  les 
a  menées,  en  dépit  de  *  tous  leurs  empesehemens  »,  assez 
loin  pour  faire  deux  brèches  aux  murailles.  Autour  de  ces 
points,  le  combat  est  fort  acharné,  les  Sairasins  défendent 
avec  courage  le  passage;  les  ChriHiens,  â  l'exemple  de  leur 
4  vaillant  clievetaine  qui  mie  ne  s'i  espargnuil,  ainsy  tenoit 
«  si  bien  sa  place  que  nul  tant  n*y  traveilloit  »,  font  des 
prodiges  de  valeur.  Plusifuirs  fois  les  éclicll^'s  sont  dressées. 
et  le  combat  s'engage  corp.s  à  corps;  mais,  sous  les  pierres 
tancées  par  les  assiégés  comme  sous  le  poids  des  assiégeants, 
elles  cèdent  et  se  rompent. 

Le  maréchal,  qui  n'a  pas  cessé  de  combattre  avec  la  plus 
grande  intrépidité,  comprend  que,  sans  échelles,  ses  efforts 
*»t  ceux  de  ses  compagnons  reslerout  vains;  il  doime  r<trdre 
tle  faire  â  la  hâte,  avec  deux  antennes  de  galères,  une  échelle 
grande  et  forte;  elle  est  prête  au  moiuont  où  le  jour  com- 
ntence  â  baisser.  T'est  l'i  qui  sera  b'  premier  â  y  monter; 
Ouichard  de   la  Jaille'  a  cet  liomieur;  il  combat  longtemps 

1.  \ou8  savons  peu  de  chose  sur  ce  personnat^e.  Il  appartenait  pro- 


: 


374 


CAMPAONK    DK    HOUrlGAUT   A  CONSTANTINOPLE. 


«  main  à  main  à  ceulx  du  chastel  qui  tant  estoient  sur  lui 
«  que  ilz  le  désarmèrent  de  son  espée,  pour  laquelle  cause, 
«  et  non  mio  par  faullc  de  courage,  le  convint  abaissier  dessoubz 
«  un  bon  escuier  qui  estoit  le  premier  après  lui,  qui  est 
«  nommé  Hugues  do  Tholoigni  ».  Celui-ci,  après  des  pro- 
diges rie?  valetir.  eiilrn  le  premier  dans  la  place,  suivi  de  la 
Jaille  et  d'une  dizaine  d'antres.  Bientôt  la  position  d©  cette 
poignée  d*homraes  devient  critique  ;  l'échelle  s'est  mmpue 
«  pour  le  grant  fais  et  charge  des  bons  vaillans  qui  par  leurs 
«  grans  courages  s'offorroient  de  monter  sus  ».  et  les  ren- 
forts ne  peuvent  airiver  à  ceux  qui  combattent  sur  le  mur. 

Le  secoiu*s  vint  d'une  autre  part;  pendant  qu'on  avait 
escaladé  les  murailles,  le  combat  avait  continué  <  en  la  mine  » 
et  les  Chrétiens  avaient  fini  par  entrer  dans  la  ville.  Jean 
d'Ony'»  que  nous  trouvons  toujt)m's  ait  premier  rang,  <  tant 
«  que  par  sa  force  et  le  hardement  de  son  bon  courage, 
«  malgré  les  ennemis  qui  toute  peine  nieloienl  à  l'en  garder, 
«  iist  tant  que  il  entra  dedens  le  premier  ».  La  voie  était  ou- 
verte; à  la  suite  d'Ony,  Foulques  Viguier,  Renaud  de  Bar- 
hazan,  <  le  chevalier  sans  reproche  »*,  et  plusieurs  autres 
pénètnmt  dans  la  place  et  courent  prêter  main  forte  à  leurs 
compagnons  qui  luttent  sur  les  murailles,  avec  l'énergie  du 
désespoir. 

L'arrivée  d*Ony  et  de  ses  amis  décida  la  victoire;  le  chA- 
tean  fat  pris  et  rasé;  le  lendemain,  par  ordre  du  maréchal, 
on  passa  les  habitants  au  til  de  l'épée.  L'armée  turque  qui 
observait  depuis  le  malin  les  mouvements  de  Boucicaut,  satis- 
faite d'avoir  immobilisé  une  partie  des  forces  chrétiennes, 
n'avait  pas  quitté  ses  positions,  et  le  soir,  convaincue  que 
l'avantage  ne  lui  fût  pas  resté,  elle  s'était  retirée  sans  tenter 
aucun  effort  pour  dégager  le  château. 

Après  ce  succès,  les  alliés  regagnèrent  les  galères;  la  flotte 
reprit  lo  chemin  de  Constantinople;  vers   le  soir,  à  Tentréo 


bablcment  à  la  famille  angevine  de  la  Jaille,  dont  plujiieurs  membrci» 
s'illustrèrent  au  moyen  ^gc.  En  mai  1381.  Guicliart  de  la  Jaille  obtint 
uno  lettre  de  rémission  de  Charles  vi  à  roccasion  d'un  méfait  dont  il 
se  rendit  coupable  au  mois  d'août  1380  à  Soufy,  près  de  Machaux  en 
Brie.  Il  avait  alors  vingt-six  ans.  et  servait  le  roi  contre  les  Anglais 
<Areh.  nat.,  JJ.  119,  n"36). 

1.  Voir  plus  Iiaut,  pages  363  et  366. 

2.  Voir  plus  haut,  page  361. 


IR   1>E  I.A    B!ÔW^rC0N8TANTCTOPLE.  375 

de  1a  bouche  de  la  raer  Noire,  elle  passa  devant  une  <  bonne 
€  ville  »,  appelée  le  Giio!  ',  et  y  jeta  l'ancre  pour  la  nuit. 
Le  lendemain,  Boucicaut,  «  qui  à  autre  chose  ne  pensoit 

<  fors  à  tousjours  grever  les  Sarrasins  de  sou  povoir  ».  fait 
prendre  les  armes  et  sonner  le  débarquement.  Les  Turcs,  in- 
formés du  sort  subi  par  le  ch;\teau  de  Rive  et  voyant  les 
préparatifs  faits  contre  le  Girol,  <  bout^Vent  le  feu  tout  en 

<  iiu  moumeut  eu  plus  de  cent  lieux,  et  tous  s'enfuyrent  es 
«  lûontaigues  qui  là  sont  grandes  et haultes  ».  Eapeud'heui-es, 
la  ville  tout  entière  était  en  flammes;  l'armée  chrf^tienne, 
témoin  de  ce  spectacle,  ne  se  rembarqua  que  lorsque  t<mt  fut 
brùlé  ;  les  Turcs  avaient  fait  eux-mêmes  ce  que  le  maréchal 
se  proposait  de  faire. 

Pendant  Tabsence  de  Manuel  et  de  Boucicaut,  te«  Musul- 
mans avaient  réuni  virïgt  vaisseaux  au  pas  de  Naretès,  au 
grand  préjudice  et  dommage  des  habitants  de  Coustantînople 
et  de  Péra,  car  ils  «  comprenoient  tout  le  pays  et  aeprenoient 
€  à  tout  gaster  ».  C'est  au  Girol  que  i'enipereur  apprit  ceitf^ 
nouvelle;  aussitôt  le  maréchal  fait  voile  dans  la  direction  de 
Naretès  pour  châtier  l'audace  de  ces  infidèles.  Ceux-ci,  n'osant 
attendre  rapjMoche  de  reuriemi,  sVnfiiirent  san»  combat, 
abandonnant  au  maréchal  leiU"s  vaisseaux  qu'il  brûla.  Après 
ce  dernier  exploit,  la  flotte  rentra  à  Constantinople.  La  cam- 
pagne avait  duré  puviron  un  mois;  elle  avait  jeté  la  terreur 
chez  les  Musulmans  et  brisé  le  blocus;  mais  les  résultats 
obtenus  pouvaient-ils  être  durables?  Ou  n'était-ce  qu'un  répit 
passager  pour  Constantinople.  pareil  à  celui  qu'éprouvent  les 
malades,  qne  le  médecin  a  condamnés,  â  la  veille  de  .succomber 
au  mal  qui  les  étreint? 

1.  Pour  l'identification  da  ce  ticu,  voir  plus  liaut,  page  15J,  nute  I. 


CHAPITRE  V. 


RETOUR    DE  BOUCICAUT.  —  VOYAGE  DE    MANUEL   EN   OCCTDEîTr. 

Cettp  première  campagne  du  maréchal  Boucicaut,  dont  le 
Livre  des  Fnîts^  nous  a  transrais  le  récit  détaillé,  eut  lieu 
pendant  l'autninne  de  l'année  1399,  sans  qu'il  nous  soit  pos- 
sible dVn  lixor  plus  exactement  la  date  ;  elle  fut,  sans  nul 
tl(juti%  suivie  d'expéditions  analogues.  Boucicaut  était  trop 
t'iineaii  de  l'inaction  pour  avoir  laissé  s'écouler  les  derniers 
mois  de  1399,  qu'il  |iassa  à  Constantinople,  sans  reprendre 
les  armes  et  sans  tenter  de  nouvelles  incursions  sur  le  terri- 
toire ennemi.  Le  chroniqueur  est  formel  sur  ce  point,  et 
s'excuse  de  ne  pas  exposer  par  le  menu  les  exploits  de  son 
héros,   «  car  à  auuy  ponrroit  tourner   aux  Usans  de  tout 

<  compter  »,  et,  «  pour  dire  en  brief  »,  lo  maréchal,  tandis 
«  qu'il  y  fu,  ne  séjourna,  ne  prist  aucun  i*epos  qui  durast  plus 
«  do  VIII  jours,  que  t«>usjours  ne  fust  sus  les  ennemis,  où  il 
*  prist  tant  de  chastiaulx,  de  villes  et  de  forterecos  que  tout 
€  le  pays  d'environ,  qui  tout  estoit  occuppé  de  Sarrasins. 
«  dospecha  et  desancombra,  et  tant  de  bien  y  fist  que  nul  ne 

<  le  saroit  dire.  » 

L'énergie  do  Boucicaut.  son  ardeur  infatigable,  sa  bravoure 
(^ui  allait  jusqu^â  la  témérité,  lui  avaient  conquis  l'eslimu  et 
le  respect  de  tous  ;  il  avait  ranimé  les  courages  chancelants. 
relevé  le  moral  des  Chr^Uiens  et  éloigné  l'imminence  du 
danger.  L'empereur,  les  biu'ons  et  les  Grecs  lui  savaient  gré 
de  ce  résultat,  mais  tous  se  prérjccupaient  avec  lui  des  moyens 
de  maintenii*  les  avantages  acquis.  La  tâche  était  au-deasu9 


1.  P.  I,  chap.  xxxm,  p.  606-7. 


RECONCtUATION   DE  JEAN   Vil   ET   DE   MANUEL. 

des  forces  de  l'emperour  ;  abandonné  à  ses  seules  ressources, 
Manuel  n'avait  ni  la  puissance  militaire,  ni  un  prestige 
moral  suffisants  pour  imposer  le  respect  aux  ennemis  du 
dehors  et  du  dedans.  Tous  les  efforts  du  maréchal  tendirent  à 
remédier  à  cette  double  infériorité. 

11  fallait  avant  tout  raffermir  l'empereur  sur  le  trAne,  en 
ramenant  l'uniou  dans  la  famille  impériale.  Ecarter  le  danger 
d'une  compétition  sur  laquelle  les  Turcs  fondaient  If'ur  plus 
grand  espoir,  c'était  conjurer  le  péril  le  plus  menaça»!.  Bou- 
cicaut  conseilla  donc  à  Manuel  de  s*^  rapprocher  de  son  neveu 
Jean  vii.  Leur  rivalité  durait  depuis  plusieurs  anné<.^s  ;  elle 
avait  causé  la  plupart  des  luaux  qui  avaient  désolé  l'empire 
et  pouvait  amener  sa  chute.  Jean,  allié  des  Musulmans,  ne 
voulait  renoncer  à  aucune  de  ses  prétentions,  et  combattait 
son  oncle  avec  uti^obstinalion  acharnée;  c'était  une  situation 
«  préjudiciable  à  la  crestianté  et  mal  séant  à  culx  »,  qu'il 
importait  de  faire  cesser  au  plus  tôt.  Une  réconciliation  sem- 
blait diflicilo  îi  uî>t<Miir  dans  l'étal  dos  esprits  des  deux  adver- 
suires  ;  cepcndaul  l'intervention  personnelle  de  Boucicaut,  la 
prudence  qu'il  déploya  en  cette  occasion,  et  surtout  Tascen- 
ilaut  ([ue  sou  *Miractère  et  ses  victoires  lui  avaient  mérité  en 
Orient,  trionipfu'rent  de  toutes  les  difficultés.  Le  maréchal  alla 
liu-raéme  chercher  Jean  à  Salembria,  et  le  ramena  à  Constan- 
tinople,  ot'i  il  fut  reçu  avec  les  transports  de  la  joie  la  plus 
vive*. 

Ce  résultat  obtenu,  Bouclcaut  songea  aux  moyens  do  tenir 
la  campagne  ot  de  défendre  Coastantinoplo  contre  les  Otto- 
mans. Le  trésor  était  vide,  les  approvisioimements  étaient 


1.  Los  liisloriens  greiirt  Ducus,  l'hrantzès,  Chaloocondylp  up  disent 
rioii  du  rôle  joué  par  Baadcaut  à  Cunstantinople.  Phrantzès  roconto 
seuicmpnl  la  réconciliation  de  l'oncle  et  du  neveu  ;  il  l'attribue  à  la 
disgrÂce  dans  laquelle  Jean  était  tombé  auprès  de  Uajazct  et  à  la  géné- 
l'osité  do  Manuel,  qui  raccuefllil  à  bras  ouverts,  lui  donna  un  fçrand 
état  de  maison  et  lui  confia  même  l'empire  au  bout  de  quelques  jours. 
l^H  motifs  do  ce»  réticences  se  devinent  dans  l'humiliation  que  la 
vanité  nationale  ressentait  des  comparaisons,  peu  avantageuses  et  [our- 
lant naturelles,  qui  s'établissaient  entre  les  Grecs  et  les  Français, 
("était  un  proverbe  courant  qu'un  Turc  sufHsait  pour  mettre  en  fuite 
trois  Grec».  On  comprend  que  les  historiens  grecs  n'aient  pas  voulu 
avouer  ce  qu'ils  devaient  à  l'intervention  étrangère  (H<T^ror  de  .Xivrny, 
Mtfmnire  sur  la  vie  et  le»  ouvrages  de  l'empereur  Manuel  Palihloyuej 
M6m.  do  l'Acad.  des  Inscr.,  mx  i1853),  u,  92-3). 


378 


RETOUR   DE  BOUCICAUT  EN  OCCIDENT. 


épuisés  ;  on  ne  pouvait  ni  payer  la  solde  de  l'armée,  ni  mémo 
la  nourrir  ;  il  fallait  aviser  au  plus  t6t,  sous  peine  d'une 
catastrophe  prochaine.  Le  niaréchal  se  rendait  compte  que  la 
présence  de  ses  troupes  l'puisait  les  vivres,  et  que,  s'il 
s'éloignait,  l'ennemi,  enhardi  par  s(m  départ,  attaquerai! 
l'empereur  incapable  de  résister  au  choc  des  Musulmans.  La 
situation  était  critique  :  Houcicaut  résolut  de  l'entrer  on 
France,  en  compagnie  de  Manuel,  pour  implorer  un  nouveau 
secours,  dfit  l'empereur  abdiquer  l'empire  entre  les  mains  do 
Charles  vi,  pourvu  qu'il  obtint  <  a^de  pour  le  garder  contre 
<  les  mescréans  ».  Cette  idée  d'abdication,  au  reste,  n'était  pa* 
nouvelle  ;  elle  avait  déjà  été  mise  en  avant  par  Manuel  lai- 
même,  mais  Venise  n'avait  pas  répondu  à  l'ouverture  qui  lui 
avait  été  faite  '.  Si  le  roi  restait  sourd  aux  propositions  du 
fugitif,  les  cours  européennes,  personnellement  visitées  pai- 
Manuel,  seraient  sollicitées  de  venir  au  secours  de  l'empire 
chancelant.  De  son  côté,  Boucicaut  considérait  la  situatinn 
comme  désespérée,  et  se  reconnaissait  incapable,  avec  les 
forces  dont  il  disposait,  d'empêcher  un  dénouement  fatal. 

Le  départ  fut  donc  décidé*,  quoiqu'il  présentAl  un  autre 
danger,  également  très  grave.  Les  partis,  à  peine  réconciliés, 
n'attendaient  qu'un  signal  pour  relever  la  tête  ;  Tenncmi  du 
dehors  était  prêt  à  tenter  un  effort  décisif  dès  que  la  ville 
serait  ilégarnie  de  ses  défenseurs.  Jean,  qui  était  tlé^signé 
pour  remplacer  son  oncle  pendant  Tabsence  de  ce  dernier, 
refusait  de  prendre  le  pouvoir  dans  de  pai*eilles  conditions. 


1.  Nous  avons  parlé  plus  haut  (p.  U56,i,  de  l'ofl're  faite  par  Manuel  ii 
Venise  de  renoncera  l'empire.  Les  prisonniers  français  de  NicopolU 
avaient,  pendant  leur  s<>jour  à  Lesbos  (15  août  1397),  conclu  un  traité 
analofïue  avec  Jean,  le  compétiteur  de  Manuel;  Jean  cédait,  par  l'en- 
tremise de  François  Gattilusio,  seigneur  de  Mitylftne,au  roi  de  France, 
tous  ses  droits  à  l'empire  de  Itomanie,  moyennant  vingt-cinq  mille 
Dorins  et  la  possessiuii  d'un  château  dans  Se  royaume.  Vn  délai  de 
trois  ans  ùtait  stipula  puur  réaliser  le  traité,  qui  resta  lettre  morte.  Il 
est  curieux,  au  lendemain  de  la  défaite  de  .Nicopolis,  do  constater  qae 
les  Français  n'avaient  pas  abandonné  tout  espoir  de  reprendre  le» 
armes  pour  la  défense,  ou  même,  pour  le  rétahli-sseraent  de  Ferapire 
de  Constantinople  à  leur  protit  (Arch.  do  la  Côto  d'Or,  B.  11936). 

9U[i(UK9âyTb>v,  è;  'ItïX^ov  soprîsoOat,  xai  5f,  %i\  FaXiia;  ri;  x«-:(ii  x*t  Bjutta* 
■.(av  avTTiv  (Oraison  funèbre  de  Théodore  Paléologuo  par  son  frère 
Manuel,  éd.  Combelis,  Auctariwn  Xovum,  16'i8,  f",  p.  UUO). 


GARNISON  tJUSSEE  A  CONSTANTLNOPLE. 


370 


«  car  il  savoit  bien  que  aussi  tost  que  ilz  seroient  partis, 

<  le  Basât  venilroit  à  toute  sa  puissance  assegier  la  ville. 
€  [l'Jaffaiiier  et  gaster  ».  Il  était  Jitticile  de  ne  pas  recon- 
naître la  justesse  de  ces  craintes,  aussi  le  maréchal  so  dècida- 
t-il  à  laisser  un  petit  noyau  de  bonnes  troupes  pnur  protéger 
ronstantinople. 

CltAteauruoraiid  l'ut  désigné  pour  commander  cette  garnison, 
composée  de  cent  hommes  d'armes,  de  cent  valets  armés  et 
d'un  grand  noiuhre  d'arbalétriers.  Elle  ne  comprenait  que 
des  Français,  avec  des  vivres  pour  un  an.  et  assez  d'argent 

<  en  mains  de  bons  marclians  »  pour  assurer  le  senice  de 
la  solde  pendant  le  même  laps  do  temps.  Les  Vénitiens  et  les 
Génois  s'engagèi-ent  également  à  laisser,  devant  Constan- 
tinople.  huit  galères,  quatre  génoises  et  quatre  vénitiennes. 
Ces  dispositions  rendirent  courage  aux  Grecs  qui,  déses- 
pérés, <  ne  savoient  meilleur  conseil  que  de  eulx  enfuyr 
c  devers  les  Sarrasins  et  abandonner  la  bonne  ville  de  Cons- 

<  tantinoble  »,  et  Jean  accepta  Tinvestiture  de  la  puissance 
impériale*. 

Manuel  et  Boucicaul  quittèrent  Conslanlinople  le  10  dé- 
cembre ISnoV  L'entpereur  emmenait  avec  lui  rimpéralrice^ 
sa  femme,  et  ses  deux  jeunes  enfants,  Jean  et  Tliéodore. 
Laissant  sa  famille  on  Morée,  auprès  du  despote,  son  frère, 
il  continua  son  voyage  avec  le  maréchal'.  Tous  deux  débar- 
quèrent à  Venise  ;  la  seigneurie  leur  fit  une  réception  solen- 
nelle ;  Manuel  fut  logé  au  palais  du  marquis  de  Kerrare; 
un  dépensa  doux  cents  ducats  pour  lui  faire  un  accueil  digne 
de  son  rang,  et  la  république  de  Saint  Mnrc  lui  promit  son 
<roncours  le  plus  absolu  contre  les  Turcs.  Charmé  de  ces  pro- 
messes, qu'il  croyait  sincères,  l'empereui-  quitta  Venise  pour 
Padoue  ;  là  François  de  Carrare  et  le  marquis  de  Mantoue 


1.  LivTû  df«  faiit,  p.  i,  ch.  xxxiii,  p.  606-7.  —  Ilertzbergt  p.  524. 

2.  Cotto  date  est  donnée  par  une  note  marginale  grecque  d'un  ina- 
nujscrit  do  la  Itibl.  nationale  in**  557);  il  n'y  a  pa  liou  de  la  suspecter. 
Le  /Jvrf  Hf9  fait*  (p.  i,  cïj.  xxxiii,  p.  G06-7)  dit  à  deux  reprises  que 
le  maréchal  séjourna  presque  un  an  en  Grèce;  **ette  assertion  n'oi*t 
exacte  que  ai  elle  s'applique  à  la  durée  dp  l'ahsencedu  nianVIial  horw 
de  France;  mais  s'il  s'agit  du  w>jo«r  ppopremenl  dit  en  tJrient,  elle 
Cïit  certaineiuent  fautise. 

:i.  Pliraiitz&K,  éd.  de  Uonn^  i,  c.  xv,  p.  62;  •  Ducas,  éd.  do  Bonn, 
XIV,  p,  29-30. 


VOYAGE    DE   MANUKL   EN    OCCIDENT. 

déployèrent,  pour  lui  faire  honnenr,  tout  le  lux©  dont  cette 
petite  conr  aimait  à  s'entourer  ;  cortège,  musique,  banquet, 
torches,  rien  ne  fut  épargné.  A  Vicence.  mémo  récoplion  ;  à 
Pavie,  Jean  Galeas  Visconti,  duc  de  Milan,  prodigua  égale- 
ment à  l'empereur  son  appui  el  les  protestations  les  plus  cha- 
leureuses, le  reçut  avec  la  plus  grande  coniialit*^  et  lui  pro- 
cura des  chevaux  pour  passer  eu  France.  Retardé  par  cas 
visites  aux  cours  italiennes ,  Manuel  n'arriva  à  Pïiris  qu'an 
mois  de  juin  '.  Si  Charle.s  vi  avait  été  flatté  des  ambassades 
f[u'il  avait  reçues  précédemment,  la  venue  de  l'empereur 
lui-même  le  combla  de  joie  ;  n'avait-il  pas  lieu  d'être  fier 
d'un  événement  aussi  *^xtranrrliuaire,  d\ni  honneur  qui  n'avait 
éfa*  fait  à  aucun  de  ses  prédécesseurs  et  qui  témoignait  d'une 
faveur  partiruli(?re  â  son  égard?  Aussi  Manuel  fut-il  accueilli 
avec  les  plus  grands  égards  et  avec  toute  la  pompe  que 
commandait  l'honneur  de  la  France. 

Dos  chevaliers  du  plus  haut  rang  furent  envoyés  à  sa  ren- 
contre, avec  mission  il'assurer  à  Thôte  du  roi,  dans  toutes 
les  villes  qu'il  traverserait,  uue  réception  digne  de  la  majesté 
impériale;  à  P;iris.  on  fit  des  préparatifs  magniftques.  Le 
S  juin  UOfi,  l'empereur  traversa  le  pont  de  Chareuton  ;  deux 
mille  bourgeois  de  Paris,  à  cheval,  rangés  aux  ciHés  do  la 
chaussée,  l'alicndaieni  pnur  l'escorter;  un  peu  en  arrière 
d'eux,  le  chancelier  de  France,  les  présidents  au  Parlement, 
avec  une  suite  de  cinq  cents  personnes^  et  trois  cardinaux  lui 
souhaitèrent  la  bienvenue  ;  quelques  pas  plus  loin  Charles  vi. 
entouré  do  toute  sa  cour,  au  son  des  clairons  et  de  la  musique, 
s'avança  pour  lui  donner  Uy  baiser  de  paix.  L'emi)ereur,  à 
cheval,  revêtu  d'un  habit  impérial  en*  soie  blanche,  par  se:* 
traits  pleins  de  noblesse,  sa  longue  barbe,  ses  chevaux  blancs 
et  la  dignité  de  toute  sa  personne,  conquit  anssit4H  la  sym- 
pathie universelle.  Il  ht  son  (»ntrée  solduielle  à  Paris,  aux 
côtés  du  roi.  escorté  dt's  princes  du  sang,  au  milieu  d'un 
appareil  magnitique,  aux  applamlisst^uients  d'une  population 
enthousiaste.  Après  un  repas  somptueux  au  palais,  les 
princes  le  conduisirent  au  Louvre,  où  son  logement  avait  été 


I.  Andréa  (iatnn)  (Mtiratori,  xvn,  8;t5-7);  —  Annnles  MciHolunt^n^ct 
(Muratori,  \vi,  8:tHt  :  —  rhalrocoiulylp,  éd,  île  Uonn,  p.  84  :  —  Ho)»f,  vu, 
G.S.  Voir  pour  tout  ce  (pii  cuiirernp  le  voyage  lie  Manuel  en  Di^rident 
le  mémoire  iln  Heryer  de  Xivrey  sur  la  ?^iV  et  teg  ouvra'jes  de  Mttnuel 
(Mém.  do  lAi-iwI.  drs  Inscr.  xix  |1853),  u,  l-2l>l!. 


SÉJOUR    DE   MANUEL   EN   FRANCE   ET   EN   AXOLETERRE.    381 

préparé,  et  penriant  son  séjour  en  France,  il  n'y  eut  pas 
d'honneurs,  d'attentions,  et  même  de  présents  dont  il  ne 
fût  comblé*.  L'hospitalité  de  Charles  vi  fut  digne  de 
l'hôte  qu'il  recevait. 

Quand  Manuel  exposa  les  motifs  de  son  voyage  et  la  détresse 
de  Tempiro,  il  trouva  auprès  du  roi  le  môme  empressement  à 
lui  promettre  des  secours  d'hommes  et  d'argent  ;  le  maréchal 
avait  eu  raison  de  ne  pas  douter  du  succès  d'une  démarche 
personnelle  de  l'empereur'.  Rassuré  de  ce  côté,  Manuel  s'em- 
presse de  tourner  ses  regards  vers  TAngletorro.  Dès  le 
20  juin,  il  écrit  à  Pierre  Holt,  prieur  de  l'Hôpital  en  Irlande, 
pour  lui  annoncer  son  projet  de  passer  la  mer,  &iu\  d'inté- 
resser le  roi  d'Angleterre  au  sort  de  l'empire  d'Orient;  mais 
il  apprend  bientôt  que  les  circonstances  no  sont  pas  favo- 
rables, qu'Henri  iv  conduit  uiip  expédition  en  Ecosse  contre 
le  roi  Robert  m  qui  refuse  de  reconnaître  l'autorité  du  nou- 
veau souverain,  et  qu'il  convient  d'attendre  son  retour".  Il 
reste  donc  en  France  jusqu'au  mois  lîe  septembre. 

En  traversant  la  Manche,  il  est  assailli  par  une  tempête;  a 
Caiilorbér}\  les  Augustins  l'accueillent  avec  les  plus  grands 
honneui-s;  son  entrevue  avec  Henri  iv  a  lieu  ïiblakheth,  près 
de  Londres,  le  jour  de  la  Saint  Thomas  (décembre  I  iOO)*;  elle 


t.  t  A  MsxéCouxeTsesalo,  trésorier  de  l'empereur  de  Constantinople, 
«  XVI  cens  livres  pour  ledit  empereur,  en  déduction  de  plus  grande 

•  somme,  en  aoiist  MCCrc.  —  A  Regrniut  Pisdoc,  changeur,   pour  un 
I  han&p  et  une  aigtiiùrc  dur,  iwinrunnez  ù  divers  ouvrages,  pesant 

•  ensemble  vn  marcs,  i  once,  xvi  eslerlins  d'or.delibvrè  au  roy  noslre 
■  sire,  qui  l'a  fait  prtsenler  de  par  luy  à  l'emjiereurdo  Constantinople... 

•  ct:ci,xiv  I.  p.  p  (llergerde  Xivrey,  Mémoire... ^  p.  103-4). 

2.  Relifjieux  de  Saint  Denise  n,  754-9. 

3.  Pierre  llolt  répondit  ù  la  lettre  du  roi  le  11  juillet  1400  (Roy. 
and  him,  tetter*  during  the  reign  of  Henry  /V,  Londres,  1860, 
p.  39).  Il  était  turcoplier  et  prieur  d'Irlande;  sa  nomination  à  ces 
doux  fonctions  est  antérieure  à  1396.  Confirmé  en  139G  (2  août)  et  en 
1404  (24  oct.)  dans  la  diffnité  de  prieur,  il  la  résigna  en  14iO;  déa 
1407,  i]  était  lieutenant  et  visitateur  du  grand-maitre  en  Anglctcrref 
Ecoftse  et  Irlande.  11  mourut  en  1415  ^\rch.  de  Malte,  Hfg.  Bull.  Mag.^ 
xvni,  72;  .MX,  100-2;  .\xt,  t3U;  xxiu,  127-8;  xxiv,  ad  calcom,  f^  4 
et  5  non  numérotés.  —  \V.  Porter,  A  history  of  the  h'nighis  of  MaUa 
(rev.  éd.  1883,  p.  726). 

4.  Probablement  le  29  décembre,  anniversaire  du  martyre  de  S. 
Thomas  de  Cantorbéry,  ou  le  31  décembre,  s'il  s'agit  de  la  fête  d« 
S.  Thomas,  apàtre. 


382 


VOYAGE    DE  MAM^E1>   KM  OCGIDRNT. 


est  très  cordiale,  et  là,  comme  en  France,  il  est  reçu  «  moult 
honorableniont  ».  Manuel,  plus  ébloui  encore  do  1*  récep- 
tion de  Henri  que  celle  de  Charles  vi,  est  séduit  par  les  qualités 
personnelles  du  souverain  ;  Henri  lui  promet  un  secours  eo 
hommes  d'armes,  en  nrchers,  en  argent  et  en  vaisseaux  pour 
ti'ansporter  l'armée  là  où  besoin  sera.  Les  lettres  de  Teni- 
pereur  nous  ont  conservé  le  souvenir  de  cet  heureux  espoir. 
Mais  aucune  des  assurances  données  par  le  roi  d'Angleterre 
ne  fut  réalisée  ;  Henri  iv,  au  lendemain  de  son  avènement, 
entouré  d'ennemis  et  de  compétiteurs,  n'était  pas  en  mesure 
de  les  tenir.  Cependant  telh»  fut  la  séductiim  c\ercé(?  par  lo 
monarque  anglais,  que  Manuel  conserva  longtemps  Tespe- 
rance  de  les  voir  s'accomplir.  Il  rentra  à  Paris,  le  28  fé- 
yr'uiv  1  iOI  ;  de  toutes  les  promesses  qui  lui  avaient  été  faites, 
une  seule  subsistait,  c'i^tait  lo  paiement  d'un  subside  de  trois 
mille  marcs,  que  Richard  ii  avait  fait  autrefois  lever  dans 
ses  états  pour  la  défense  de  la  Romanie  et  qui  n'était  pas 
encore  touché  '. 

Charles  vi  n'avait  marchandé  à  Manuel  ni  les  prévenances 
ni  les  promesses.  <  Nombreuses  sont  tes  choses,  écrivait 
«  celui-ci  à  Manuel  Chrysolai'as,  que  le  glorieux  roi  nous 
«  a  accordées  ;  nombreuses  aussi  celles  que  nous  avons 
«  obtenues  de  ses  parents,  des  dignitaires  de  sa  cour  et  de 
«  tout  le  monde.  »  C'était,  d'abord,  un  secours  de  douze 
cents  combattants  payés  pendant  un  an  aux  frais  de  Charles  n 
et  commandés  par  le  mai'échal  Boucicaut  ;  c'était  ensuite  une 
pension  annuelle  de  quatorze  mille  écus*.  Mais  quand  l'em- 
pereur, à  son  retour  d'Angleterre,  insista  pour  obtenir  ce  qui 
lui  avait  été  promis,  il  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  que  le* 
préoccupations  de  la  cour  de  France  étaient  ailleurs.  Le* 
ducs  d'Orléans  et  do  Bourgogne  se  disputaient  le  pouvoir  au 
nom  du  roi,  dont  la  raison  n'avait  que  des  lueurs  passagères  ; 
au  milieu  de  leurs  mesquines  divisions,  les  événements  les 
plus  considérables  s'accomplissaient  sans  qu'on  songeât  à  en 


i.  Capxgrave'f  chronicle  ofEnf/land.  p.  277 ;  —  Tliomas Walsingham, 
ffùt.  nngt.^  n,  247  ;  —  Chroniques  rfc  Monstrelet,  i,  32,  note;  —  Jioy. 
nnd  hist.  hUers,  p.  56-7  (3  février  1401.  ii.  ».).  —  Lettres  à  Manuel 
rhrysolaras  et  à  l'archevCque  Euthymiu»,  dans  Berger  de  Xîvrey 
{Mémuire...^  p.  107-9). 

2,  Berger  de  Xivrey,  Mémoire,  p.  102-3;  —  Livre  Hes  faiu.  p  i, 
cli.  x.xxv,  p.  60a  ;  —  Religiexix  de  Saint  Denis,  m,  50-J. 


INDIFFÉRENCE   DK   L  OCCrOKNT.  383 

profiter.  Ni  la  déposition  de  Vencoîilas  en  Allemagne,  ni  la 
chute  de  Richard  u  en  Angleterre,  qui,  habilement  exploitée, 
eîkt  pu  avoir  pour  la  domination  anglaise  en  Guyenne  des 
conséquences  désastreuses,  n'avaient  réussi  à  détourner  les 
politiques  de  leiu's  ambitions  et  de  leurs  rancunes.  Si  des 
faits  d'une  pai*eilie  importance  n'éveillaient  aucune  attention 
en  France,  comment  le  sort  de  l'empire  de  Constantinople 
pouvait-il  secouer  l'indifférence  générale?  Manuel  resta  plus 
de  deux  ans  en  France  (juin  1  iOO-novombre  1103),  sans  par- 
venir à  faire  triompher  sa  cause,  et,  malgré  les  promesses 
les  plus  chaleureuses,  il  n'obtint  jamais  que  de  stériles  mar- 
ques d'intérêt.  Il  fallut  que  le  salut  de  Constantinople,  que 
lui  refusait  l'Occident,  lui  vint  des  Tartares  ;  la  victoire  de 
Tamerlau  sur  Bajazot,  à  Ancyre  (juilliM  1102),  lui  rouvrit  les 
portes  de  son  empire. 


CHAPITRE  VI. 


RAPPORTS  DE  TAMKRLAN  AVEC  LES  CHRETIENS. 
BATAILLE    D'aNCYRE. 

Au  niomen*  où  Manuel  quitta  ConstantÎBople,  la  situation  de 
ri'iiipirf  d'Orient  sL'inbhut  désespérée  et  Ton  pouvait  craindre 
que  les  secours  rieniandés  en  Occident  n'amvassenl  trop 
(ard. 

La  péninsultt  Itellêniquo  et  les  îles  de  l'Archipel  offraient 
le  spectacle  de  la  confusion  la  plus  déplorable.  Les  puissances 
chrétiennes  (.remblaient  devant  les  vainqueurs,  et  cherchaient, 
par  tous  les  moyens,  à  détournnr  le  danger,  ne  reculant  devant 
aucune  concession,  pas  racme  devant  une  alliance  avec  les 
Musulmans,  pourvu  qu'elles  fussont  épargnées.  Antoine  i 
Acciajuoli  avait  donné  le  signal  en  s'alliant  aujL  Tui'cs  et  en 
menaçant  rKubée  de  concert  avec  eux  (1400).  Venise,  per- 
sonnellement menacée,  —  doux  dos  galères  de  Crête  avaient 
été  capturées,  —  faisait  des  préparatifs  pour  défendre  ses 
possessions,  mais  sans  i*ompro  les  pourparlers  entamés 
AUoluogo,  par  le  duc  de  Crète,  avec  Soliman,  dis  de  Bajazet  ; 
l'année  suivante  C??  mars  1401),  elle  s'était  même  adressée 
directement  au  sultan  pour  lui  proposer  un  armistice.  L*al- 
lianco  turque  pouvait  seule  assurer  aux  princes  de  l'Archipel 
un  semblant  de  sécurité;  en  140?.  le  seigneur  de  Nepant^j 
avait  menacé  les  Vénitiens  de  s'unir  aux  infidèles,  et  devant 
cette  perspective,  pour  conjnrer  le  péril,  la  république  avait 
offert  au  seigneur  de  Nopanto  de  lui  acheter  ses  états*. 
Dans  le  Péloponèse,  le  despote  de  Mistra,  frère  de  Manuel, 


i.  Hopf,  vu,  65  ;  Sathas,  Doc.  inéd.,  ii.  B-9  et  12  (2» aoùt-iO  sept.  UOO} 

et  I,  1-2  (24  avril  1402). 


MOEEE. 

éperdu,  s'était  réfugié  auprès  dos  chevaliers  de  Saint  Jean,  et 
leur  avait  vendu  ledespotat.  L'ordre,  déjà  maître  de  quelc^ues 
places  en  Morée,  mêlé  à  tous  les  événements  dont  l' Achaïe  avjiit 
été  le  théAtre,  nourrissait,  sous  les  auspices  du  Saint-Siège,  à 
la  faveur  de  l'épuisement  général,  le  projet  de  soumettre 
toute  la  péninsule  à  sa  domination;  il  voulait,  en  s'y  établis- 
sant solidement,  créer  un  état  destiné  à  airètpr  le  flot  de 
l'invasion  musulmane  et  à  servir  de  base  et  d'appui,  le  cas 
échéant,  à  une  action  commune  de  la  chrétienté  contre  les 
infidèles.  Déjà  le  granrl-maître  Hérédia  s'était,  quelques 
années  plus  iM,  mis  en  règle  avec  le  droit  féodal,  en  ache- 
tant les  droits  de  Marie  de  Bretagne  et  de  son  fils  mineur  sur 
l'Achaïe;  mais,  malgré  le  concours  qu'il  trouva  auprès  des 
Vénitiens  et  du  papo,  il  avait  écliruié  rhins  une  tentative  de 
s'emparer  de  Corinthe,  clef  du  Pélopoiièse,  et  payé  cet  insuc- 
cès de  sa  liberté  (1381-7  .  L'abandon  du  despotat  par  Théo- 
dore Paléologue  ouvrait  une  autre  voie  d'acheminement  vers 
le  même  but.  Philibert  de  Naillac,  successeur  de  Hérédia, 
n'eut  garde  de  laisser  échapper  une  pareille  occasion  (juillet 
1390-1  iflO);  mais  grâce  à  la  haiuf  invétérée  des  Grecs  pour 
lu  domination  latine,  cette  secomlc  tentative  eut  le  même 
sort  que  la  première.  Saint  Supéran,  qui  voyait  dans  l'exten- 
sion du  pouvoir  de*î  Hospitaliers  un  danger  sérieux  pour  sa 
propre  autorité,  appela  les  Turcs  à  son  aide  (I40I),  ravagea 
avec  eux  tout  le  pays,  ot  se  reconnut  leur  tributaire.  Les 
princes  gi*ecs  s'unirent  à  lui  successivement,  empêchant 
ainsi  la  réalisation  d'un  projet  donc  le  succès  eût  créé  aux 
sultans  un  danger  sérieux,  en  groupant  sous  une  seule  auto- 
rité les  forces  chrétiennes  lio  la  péninsule  balkanique'. 

Au  milieu  de  ces  contlits  peipétuels,  la  tâche  de  Bajazet 
paraissait  facile,  rien  ne  semblait  capable  d'arrêter  l'ambition 
ottomane;  à  peine  quelques  symptômes  heureux  soutenaient- 
ils  l'espoir  des  Grecs.  La  garnison,  laissée  par  le  maréchal 
à  Constantinople,  suffisait  pour  tenir  en  respect  les  Turcs  et 
empêcher  de  leur  part  une  attaque  de  vive  force,  Château- 
morand  avait  hérité  de  Ténergie  de  Boucicaut;  la  famine 
était  t<'lle  dans  la  place  que  <  les  gens  estoient  contrains 
c  par  rage  de  fain  cle  eulx  avaler  par  nuit  à  cordes  jus  des 


380 


RAPPORTS   DE   TaMERIAN  AVEC   LES  CHRETIENS. 


€  murs  de  la  ville,  et  eulx  aler  rendre  aux  Turcs  >.  Cepen- 
dant, à  force  d'acîivilé»  en  multipliant  les  sorties  «  partout 

<  où  il  savoii  que  il  avoit  gras  pays  »,  le  capitaine  fran- 
çais parvint  à  réapprovisionner  Gonstantinople.  c  II  n'estoît 

<  vaissel  do  Sarrasins  qui  là  environ  osast  passer  qui  tan- 
«  tosl  ne  fust  happez  par  ces  galées  qui  tousjours  estoyent  eu 
«  agait'  ».  Dans  la  péninsule,  au  môme  moment,  Pierre  de 
Saint  Supéran,  redevenu  l'cnrinmi  des  Turcs,  avait  remporté  sur 
un  corps  ottoman,  qui  avait  envahi  l'Acliaïe,  un  léger  avan- 
tage qu'où  se  plaisait  à  considérer  comme  le  présage  de  succès 
plus  décisifs  pour  Tavenir*. 

L'année  suivante,  la  situation  semblait  moins  critique: 
les  Turcs  avaient  évacué  quelques  places,  parmi  lesquelles 
Salembria,  rentrée  sous  l'autorité  du  gouverneur  impérial 
Bryennios  Leontarios  (1 501).  A  la  faveur  de  ces  événements, 
les  projets  de  confédération  avaient  été  repris  (1402),  mais 
sans  plus  aboutir  que  précédemment.  La  diplomatie  euro- 
péenne pouvait-elle  grouper,  en  vue  d'une  action  unique,  des 
princes  et  des  états  dont  les  intérêts  étaient  opposés,  et  qui 
faisaient  passer  leur  avantage  personnel  avant  le  bien 
commun*. 

Si  le  torrent  musulman  ralentissait  son  cours,  il  n'est  pas 
sans  intérêt  de  montrer  à  quelles  causes  ce  ralentissement 
était  diV  Le  but  de  liajazet  était  d'incorporer  à  ses  états  les 
pays  qui  composaient  l'empire  grec  et  d'en  faire  des  pro- 
vinces turques.  Pour  l'atteindre,  il  fallait  remplacer  les  expé- 
ditions et  les  incursions  ilunt  la  Grèce  avait  jusqu'alors  été  la 
victime,  par  une  occupaiiori  perniauento.  Do  graudca  masses 
de  troupes,  lancées  sur  la  péninsule  turco-hellénique  pour  lu 
ravager,  n'avaient,  il  est  vrai,  renconti'é  aucune  résistance. 
mais  au(re  chose  était  de  piller  le  pays,  autre  chose  d'y  éta- 
blir la  domination  ottomane,  de  la  cousulider  peu  à  peu,  par 
des  progrès  lents  et  continus.  Si  le  sultan  avait  pu  disposer, 
d'une  façon  permanente,  d'autant  d'hommes  qu'il  en  avait 
employé  à  la  campagne  de  1397,  ta  conquête  eût  été  facile: 


1.  Livre  de$  faits^  p.  l,  chap.  xxxiv,  p.  607. 

2.  ha  lettre  de  Botiifacc  ix,  félicilan'  S.  Supcran  de  cette  victoire  M 
lui  décernant  le  titre  de  vicaire  et  de  gonfatonicr  du  pape  en  Aehaïe, 
est  du  15  ftWrier  l'iOO  (Mansi,  xxvn.  Ttî*. 

3.  Hopf,  vu.  65. 


PREMIERES   ANiNKES    DE    TAMBRLAX 


387 


mais  Bajazet}  forcé  de  compter  avec  le  nombre  de  ses  soldats, 
qui  avaient  ailleurs  leur  emploi,  dut  chercher,  par  des 
alliances  avec  les  puissances  qui  se  disputaient  In  péninsule, 
à  compenser  la  diminution  de  ses  forces  militaires. 

A  cette  cause  de  répit  momentané  s'en  joignait  une  autre, 
d'un  caractère  autrement  sérieux,  puisqu'elle  menaçait  l'exis- 
tence même  de  la  puissance  ottomane.  Les  Mongols,  sous  la 
conduite  do  leur  chef  Tamerlan,  faisaient  de  jour  en  jour  de 
nouveaux  progrès;  partis  (îu  fond  de  TAsio,  ils  étaient,  de 
victoire  en  victoire,  arrivés  sur  les  bords  de  la  mer  Noire;  un 
conflit  entre  eux  et  les  Musulmans  était  devenu  inévitable. 
Bajazet,  forcé  de  jeter  les  yeux  sur  l'Orient,  ajourna  ses  des- 
seins contre  l'Occident,  et  l'empire  de  Constantinople  respira 
plus  librement. 

C'était,  en  effet,  une  étrange  fortune  que  celle  de  Tempire 
Mongol  qui,  aous  le  sceptre  d'un  chef  énergique,  descendant 
de  Gengis-Khan.  s'était  reformé,  à  un  siècle  et  demi  de  dis- 
tance, et  dominait,  comme  jadis,  l'Asie  tout  entière,  de  la 
Chine  aux  frontières  ottomanes.  Il  avait  suffi,  pour  rétablir 
la  puissance  mongole,  d'un  Tamerlan.  Invincible  sur  le  champ 
de  bataille,  conquérant  do  génie,  d'uno  ambition  insatiable, 
homme  d'état  au  sens  qu'attachent  1ns  Orientaux  à  ce  mot, 
administrateur  de  premier  ordre,  mais  cruel  jusqu'à  la  bar- 
barie et  sanguinaire  même  contre  un  ennemi  vaincu  dans  un 
loyal  combat,  Tamerlan  terrifiait  ses  adversaires  avant  de  les 
attaquer,  et  rien  ne  l'ésistait  à  sa  marche  conquérante.  Né  à 
Kesch,  enTransoxiane,  en  1335,  il  succéda  vers  1369  à  l'émir 
Huâsein,  dont  il  avait  épousé  la  soem*,  dans  la  possession  du 
IChora^'an  et  de  la  Transoxiane,  et  fixa  sa  résidence  à  Samar- 
cande.  C'est  alors  qu'il  conçut  le  projet  gigantesque  de 
détruire  toutes  les  dynasties  nées  du  démerabremont  de 
l'empire  de  Gengis-Khan.  et  de  reformer  à  son  prc»fit  la  puis- 
sauce  du  héros  mongol.  Sa  vie  ne  fut  qu'une  expédition 
ininterrompue;  mais  partout,  sur  son  passage,  il  ne  laissa 
que  ruines,  meurtres  et  désolation.  L'histoire  n'a  pas  gardé 
le  souvenir  d'un  conquérant  plus  sanguinaire  ;  â  peine  quel- 
ques traits  moins  féroces  mitigenl-ils  l'effroi  qu'inspire  une 
pareille  figure. 

Après  la  conquête  de  laCliaresmie  et  du  Kandahar,  Tamer- 
lan avait  successivement  soumis  toute  la  Perse,  puis  les 
pays  au  pied  du  versant  méridional  du  Caucase.  L'Arménie 


3S8 


RAPPORTS   DE   TAMERLAN    AVEC    LES   CHRETIENS. 


et  la  Mésopotamie  n'avaient  pas  lardé  à  reconnaître  son  auto- 
rité. Depuis  t300,  lt»s  steppes  entre  la  mer  Noire  et  la  mer 
Caspienne  avaient  subi  son  joug;  les  pays  russes  à  Touesl  du 
Volga,  du  Don  et  du  Dnit'per  avaient  été  dévastés  par  son 
armée;  en  1304,  il  avait  soumis  les  côtes  de  l'Océan  Indien, 
du  golfe  Persique  et  les  riches  vallées  de  l'Euphratc  et  du 
Tigre;  quatre  ans  plus  tard,  il  conquérait  l'Hindouatan 
(1398),  qu'il  inondait  de  torrents  de  sang. 

Deux  pu!ssanL*es  restaient  seules  en  présence  eu  Asie»  les 
Mongols  et  les  Ottomaus  ;  entre  Taraerlan,  à  l'apogée  de  sa 
gloire,  et  Bajazet,  dont  les  progrès  faisaient  trembler TOcci- 
dent»  un  choc  était  inévitable. 

Bajazet  avait  compris  que.  pour  résister  à  l'envahissement 
des  hordes  ([ue  Tauierlan  jetait  sur  l'Asie  occidentale,  il 
fallait  reprendre  résolument  la  politique  asiastique  do  son 
père  Amurat,  et  absorber  les  états  qui,  à  l'est  et  au  sud  de 
l'empire  ottoman,  conservaient  encore  un  semblant  d'iudé- 
peudance  ;  à  ce  prix  seul,  il  pouvait  consolider  sa  position 
pour  une  éventualité  plus  ou  moins  prochaine.  Dès  1391, 
Konieh  et  la  partie  orientale  de  la  Carainanie  étaient  tombés 
au  pouvoir  des  Turcs;  l'année  suivante  (1393).  la  bataille 
décisive  d'Aktschaî  avait  consacré  la  conquête  de  l'émirat 
par  les  Ottomans.  Peu  après,  le  sud-est  de  l'Asie  Mineure, 
Césarée,  Tokat  et  Si  vas  reconnaissaient  la  suprématie 
de  Bajazet.  Les  émirs,  dépossédés  par  le  sultan,  s'étaient 
réfugiés  auprès  du  conquérant  mongol,  et  ne  cessaient  de 
l'exhorter  à  envahir  le  territoire  ottoman  et  à  faire  justice 
d'une  puissance,  destinée  à  être  iiM  ou  lard  pour  lui  un  sé- 
rieux danger. 

De  pareilles  excitations  ne  devaient  pas  être  perdues;  mais 
le  conquérant,  grisé  par  ses  victoires,  ne  se  hâtait  pas  de 
rencontrer  son  ennemi.  En  1400,  il  était  rentré  dans  Sivas, 
qu'un  des  Hls  de  Bajazet  n'avait  pu  défendre  contre  lui,  el 
après  des  cruautés  sans  nom,  différant  sa  vengeance,  il  avait 
tourné  ses  pas  vers  l'Egypte  et  marché  contre  le  sultan  des 
Mameluks,  dont  rarmêe  fut  taillée  en  pièces  devant  Damas 
et  devant  Alcp  (1  îOO-l  iOI).  Pendant  cette  campagne,  la  rage 
de  destruction,  qu'inspirait  aux  Mongols  le  fanatisme  reli- 
gieux, se  donna  pleine  caiTière;  les  cités  les  plus  floris- 
santes furent  ruinées,  et  les  scènes  d'horreur  dont  elles  de- 
>inrenl    le   thi'.'ilri*  np  furent  surpassées  que  pai*  celles  qui 


R^LE   PES   MISSIONNAIRES   DOMINICAINS. 


389 


signalèrent  rentrée  des  Mongols  à  Bagdad  après  un  combat 
acharné*. 

Tanierlan  hiverna  en  140I-?  dans  la  plaine  de  Karabagh  ;  i! 
se  préparait  â  attaquer  lo  sultan  et  à  jouer  une  partie  déci- 
sive. Avant  de  l'engager,  lo  conquéraut  s'entoura  de  tous  les 
appuis  dont  il  pouvait  tirer  parti,  et  noua  des  rapports  de 
comraerce  et  d'amitié  avec  les  puissances  occidentales . 
C'était  une  tradition  de  la  politique  des  états  chrétien»  d'en- 
tretenir en  Orient  des  relations  cordiales  avec  les  Tartares, 
et  de  s'appuyer  sur  leur  alliance  poui*  combattre  les  Musul- 
mans. Reprise  à  ce  moment,  par  crainte  des  progrès  de 
Bajazet,  cette  idée,  d'une  haute  portée  politique,  trouva 
dans  les  missionnaires,  et  particulièrement  dans  les  Domi- 
nicains, les  plus  ardent  promoteurs.  Jean  vu  et  le  podestat 
génois  de  Galata  s'étaient,  par  leur  intermédiaire,  mis  en 
rapport  avec  Tamorlan,  l'avaient  excité  à  déclarer  la  guerre 
â  Bajazet,  promettant  de  lui  payer  â  l'avenir  le  tribut 
dû  au  sultan  et  de  l'assister  dans  sa  campagne  contre  les 
Ottomans'. 

Charles  vi  était  également  entré  en  relations  directes  avec 
le  conquérant  mongol.  Il  l'avait,  au  moment  de  l'expédition 
deNicopolis,  prévenu  de  ses  efforts  pour  arrêter  les  progrès 
de  Bajazet  ;  un  frère  Prêcheur,  François  Isathru.  avait  été 
charge  de  l'informer  des  projets  du  roi  de  France  et  de 
solliciter  son  alliance  ;  nous  avons,  dans  la  correspondanco 
entretenue  par  lui  avec  la  cour  de  France  après  la  bataille 
d'Anc^Te,  la  preuve  qu'il  y  eut,  entre  les  deux  monarques. 
plus  qu'un  échange  de  lettres  de  recommandation  pour  des 
missionnaires  envoyés  en  Orient,  qu'on  entama  de  véritables 
négociations  relatives  à  un  Irailé  de  commerce  et  même  A  un 
traité  d'alliance. 

La  France  avait  pris  au  sort  de  l'empire  grec  un  intérêt 
trop  direct,  elle  avait,  afin  de  sauvegarder  les  possessions 
des  Génois,  devenus  ses  sujets,  et  notamment  leur  colonie 
de  Galata,  trop  lieu  de  rechercher  l'appui  de  Tamerlan,  poui' 


1.  Ilertzberg,  p.  525-7.  V.  aussi  H.  H.  floworth,  ffîstory  of  the 
Mongolit,  n,  passim. 

2.  V.  dans  Sanudo  (  Vite  de'  duchi.  MurntoH,  xxn,  T07),  une  lettre  dp 
Tamerlan  au  lieutenant  de  l'emperonr  à  Constan(iiH>ple.  —  lle)*d, 
Gt*eh.  des  Ln*antfhnndeU,  u,  265;  —  llrrtzberg,  p.  527. 


390 


RAPPORTS    DE    TAMERLÂN    A.VEC   LES    CHRETIENS. 


n'avoir  pas  tenté  de  nouer  avec  lui  He  relations  diploma- 
tiques. Il  n'est  pas  téméraire  d'affirmer,  au  ton  de  la  corres- 
pondance échangée  entre  Tamerlan  et  Charles  vi,  que  les 
ouvertures  de  ce  dernier  ne  furent  pas  ropoussêes,  et  qu'il 
trouva,  de  la  part  du  chef  des  Mongols,  un  sérieux  soutien 
de  sa  politique  orientale  ^ 

Nous  savons,  en  effet,  d'une  fa^on  certaine,  que  Tamerlan 
chercha,  avant  d'entrer  en  lutte  contre  un  adversaire  aussi 
puissant  et  aussi  reiîtmtahle  que  Biijazet,  Talliance  do,-! 
chrétiens  d'Orient.  Non  souleiuont  il  envoya  à  Péra  une 
ambassade,  chargée  de  présents,  pour  se  concilier  les 
sympathies  des  Génois,  mais  il  avait  jeté  les  yeux  sur  la 
puissance  maritime  des  Italiens  et  des  Grecs,  et  songé,  n 
l'aide  d'une  démonstration  navale,  â  appuyer  ses  opérations 
militaires;  dans  ce  hut  il  avait  sollicité  do  Teraporeur  de 
Trébizonde  un  contingent  de  vingt  vaisseaux  ;  atix  Grecs 
de  Constantinople  et  aux  colonies  italiennes  de  Péra,  il  avait 
adressé  la  m^rne  demande.  Les  vaisseaiix  de  guerre  de  ces 
nations  pouvaient  lui  rendre  des  services  de  premier  ordre, 
en  enipéclmnt  les  troupes  turques  de  franchir  le  Bosphore,  et 
en  enti*avanl  dn  la  sorte  l'envoi  de  renforts  d'Europe  ou 
Asie.  Grecs  et  Italiens  lui  avaient  promis  leur  concours  ;  les 
liabitants  de  Péra  avaient  même  arboré  sur  leurs  murailles 
l'étendard  des  Mongols". 


1.  Sylvestre  de  Sacy  (Mémoire  sur  une  corretfMmdance  inédiit  dr 
Tamerlan  avec  CkarUi  v/,  dans  Mémoires  de  l'Acad.  des  Inscriptions 
VI,  (1822),  p.  i73-'i)  diminue,  à  tort,  l'importance  des  relations  noiièe.^ 
entre  les  deux  printres.  —  Le  texte  m^me  des  lettres  de  Tamerlan  est 
beaucoup  plus  glanerai  que  la  traduction  latine  contemi>oraine  qui  Ica 
accompagne,  et  dont  il  n'y  a  pas  lieu  de  rejeter  systématiquement  la 
valeur,  —  valeur  que  Sylvestre  de  Sacy  reconnaît  îui-mômo  en  ce  qui 
concerne  la  date  de  cette  correspondance. 

2.  Malgré  Jeurs  promesses  les  hnbitans  de  Péi^  ne  firent  rion  pour 
contrarier  les  mouvements  des  Ottomans;  il  semble  même  qu'après  U 
bataille  la  floUe  ^énoi&e,  probablement  en  échange  d'une  rémunération 
importante,  se  prôt»  au  traiislwrdement  des  vaincus  d'Asie  en  Kuropo. 
Les  Vénitiens  mirent,  à  l'exemple  des  Oénois,  leurs  navires  au  service 
des  fugitifs,  mais  n'accueillirent  sur  leurs  vaisseaux  rjue  desCliréticiih 
grecs;  des  b;Uimeiits  grocsel  catalans  s'employèrent  t'palement  à  faire 
franchirle  nusjiîiore  aux  débris  Je  l'armée  vainc  ue,(Sanudo,  Vi'frrff'rfucAi 
(Muratûpi,  xxn,  798);  —  ClaviJD,  //ÎHt.  del  rjran  Tamorliin,  éd.  de  Ma- 
drid, 1782,  p. 90;  —Stella  (Muratori,  wii,  HO'i);  —  CAr«n.  de  rrèpise 
(Muratori,  xi\,  801). 


MISSION   DE   !.  ARCHEVEQUE   DE  SriTAPflEH. 

Il  y  a  plus;  Tamerlan,  s'il  n'avait  pas  été  animé  de  dispo- 
sitions conciliantes  à  l'égard  de  TEurope,  aurait-il  chargé  un 
Dominicain,  Jean  ir,  archevêque  do  Sultanii>h*,  d'imo  mission 
diplomatique  en  Occident',  au  lendemain  même  de  la  bataille 
d'Ancj-re  (juillet  ï'»0?)V  mission  au  cours  de  laquelle  le 
négociateur,  après  avoir  visité  Venise,  Gônos,  ta  France  et 
l'Angleterre,  conclut,  au  nom  du  conquérant  mongol,  avec 
Charles  vi  et  Henri  iv  des  traités  de  commerce  sur  les  hases 
d'une  liberté  réciproque  pour  les  marchands  des  deux  pays*? 
Aurail-il  toléré,  pendant  la  bataille,  la  présence  à  ses  côtés 
des  ambassadeurs  castillans,  Payo  de  Sottomayor  et  Hernan 
Sanche/.  de  Palazuelos'? 

Un  échange  de  notes  entre  Tamerlan  et  Bajazet,  pendant 
l'hiver  de   1401-2,  avait  élevé  au   plus  haut  point  entre  les 


ï.  Ce  prélat,  d'orif^'Heanglaise,  joua  en  Orient  un  piMe  considérable. 
Transféré  en  1378  (26  auùt)  de  Tévèché  de  Nakhshiwan  an  siège  mé- 
tropolitain de  Snltanieii,  en  Arménie,  il  porlnit  îe  titre  iVai'chiepi*- 
ropus  itUiu»  Orientis,  quoique  rien  dans  les  lettres  papales  d'investi- 
ture ne  le  justifie.  Il  faut  suppo&er  que  l'importance  de  Sultanieh^ 
rendez-vous  de  tout  le  conamerce  de  l'Asie,  et  capitale  très  florissante 
au  témoignage  des  contemporaitis,  avait  fait  de  cet  archevêché  le 
centre  de  la  catholicité  en  Orient,  —  ^altanieh  était  une  cité  for- 
lifïé©  d'Arménie,  l'ancienne  Tigranocerta.  Siège  d'un  évêché,  elle 
avait  été  élevée  en  1318  par  le  pape  Jean  xxu  au  rang  d'archevêché.  — 
Voir  la  description  de  la  ville  dans  Clavijo  (éd.  de  Madrid,  1782,  p.  113 
et  suiv.)  et  dans  Sylvestre  de  Sacy  {Mémoire...,  p.  483). 

2.  Stella  (Muratori,  \\i\,  H9i);  —  Sanudo  (Mnratori,  xxii,  798). 

3.  SyWestpc  de  Sacy  {Mémoire...,  p.  5li>-6  admet  à  tort,  selon  nous, 
la  ïK>ssibilité  d'un  premier  voyage  de  l'archevêque  de  Sultanicli  à 
Venise  et  à  (lénes  en  1398.  .Nous  pensons  qu'il  n'y  eut  qu'un  seul 
voyage  de  ce  prélat  en  Occident  de  H02. 

\.  Jean  u  était  porteur  d'une  lettre  de  Tamerlan  à  Charles  vi,  du 
1  août  l'i02.  La  bataille  d'.Xncyre  fut  livrée  lo  21  juillet  de  la  même 
année.  Kes  lettres  de  Henri  iv  :i  Tamerlan  et  à  son  fils  Mirassa 
Amimssa  no  #ont  pas  datées,  maïs  leur  texte  permet  de  penser  qu'elles 
furent  écrites  en  réjwnse  aux  propositions  de  l'archevêque.  —  La 
réponse  de  Charles  vi  est  du  15  juin   l'il)3  (Sylvestre  de  Sacy,    Mé- 


moire..., p.  'i73-'i,  521- 


KIlis,  Original  letters,  3**  séries,  i,  54-8;  — 


fUnjal  and  kist.  htter»  uf  Ifennj  tv,  p.  i25-G  .  On  doit  rapporter  k 
la  même  é^ioque  une  série  de  lettres  d'Henri  iv,  recommandant  l'ar- 
chevêque Jean  au  prêtre  Jean,  au  roi  de  l'tiypre,  au  doge  de  Venise, 
k  l'empereur  de  Trêbijtonde,  à  reniper*eur  Manut'l  et  an  rui  de  Géorgie. 
C-ea  lettres  furent  emportées  par  rarclicvt^que  de  Sultsnieh  quand  il 
n'tourna  en  Orient  (ftoy.  and  hisl.  ielten,  p.  131-H|. 
5.  Clavijo,  éd.  de  Madrid,  1782,  p.  2fi. 


392 


BATAILLE   DANCYRE. 


deux  conquérants  raniraosité  qu'ils  nourrissaienl  l'un  contre 
l'autro.  C'étaient,  à  proprement  parler,  des  défis  bien  plus 
que  des  instniinents  diploinatiques,  et  l'orgueil  des  deux 
adversaires  s'y  donnait  libre  carrière  *.  A  la  suite  de  cette 
correspondance,  Tainerlan  ouvrit  la  campagne  au  coramen- 
cement  du  printemps  de  I  i02  ;  elle  devait  être  décisive. 
L'armée  mongole  envaliit  l'Arménie  turque,  s'empara  des 
forteresses  d'Ersendschan  et  de  Koumah,  puis  marcha  sur 
Sivas  et  plus  an  sud  sur  Cf'sarén,  pour  tourner  les  défilés  bien 
défendus  qui  protégeaient  la  frontière  ottomane,  et  pour  des- 
cendre dans  la  plaine  d'Ancyredans  le  dessein  d'assiéger  cette 
place  (jue  défendait  Jacoub  bey*. 

Pondant  ce  temps,  Bajaxet  avait  rassemblé  une  ai*mee 
considérable  ;  les  évaluations  les  plus  basses  en  portent 
l'effectif  à  quatre-vingt-dix  mille  hommes  :  peut-êti*c  même 
comptait-elle  ceut  vingt  raille  coinbattants.  L'exagération  des 
chroniqueurs  ne  permet  pas  de  préciser  mieux  le  chiffre  de* 
troupes  ottomanes^.  A  côté  d'elles.  Bajazct  avait  sous  se* 
ordres  de  forts  conliugents  européens,  el  notamment  un  corps 
auxiliaire  serbe,  sous  la  conduite  d'Etienne  Lazarevich  ; 
mais  les  éléments  dont  se  composait  l'armée  turque  man- 
quaient de  cohésion,  et  c'étiiit  une  condition  défavorable  pour 
aborder  un  ennemi  potu*  qui  Tamerlan  était  presque  un  Dieu. 
dont  la  discipline  et  l'armement  étaient  parfaits,  dont  le 
nombre  enlin  n'était  pas  inférieur  à  celui  des  Ottomans.  Le 
conquérant  mongol  exerrait  sur  ses  soldais  un  puissant  ascen- 
dant ;  jamais  il  ne  leur  avait  laissé  le  temps  de  se  reposer, 


1.  Voir  de  Haminer,  Hist.  de  Vemp.  ottoman,  n,  79-82, 

2.  Voir  sur  la  bataille  d'Ancyre  les  récits  des  historiens  orinntauT 
et  grecs,  ceux  de  Sanudo  (Miiratori,  xxu.  791  et  suiv.|;du  lieligieux  ft^ 
Saint  Denis  (m,  i6-5!):  de  Mnnstrelet  (éd.  Doiiet  d'.Srcq,  i,  84);  d*» 
Schiltberger  (p.  "3);  de  Juvéna!  des  Irsins  ui.  ^«23  .  Nous  avons  suivi 
le  récit  donné  d'après  ces  sources  par  ïlertzberg  (p.  .î28-31|. 

:t.  Kinlay  (ni,  4fll)  fait  remarquer  qu'au  dire  des  chroniqueurs,  les 
armées  de  Baja/.et  et  île  Tamerlan  étaient  si  nombreuses  qu'il  eût  été 
impossible  de  les  nourrir  pendant  un  jour  sans  avoir  préparé,  un  mois 
d'avance,  des  approvisionnements  ii  cliaque  étape.  —  \.e  continjrcnt 
serbe,  dans  liinnée  rie  Bajazel,  comptait  cinq  mille  hommes  au  début 
de  la  campa;,;ne,  c'était  le  cbillre  lixé  par  le  traité  entre  la  Serbie  ot 
l'empire  ottiiman.  Il  faut  niipjwser  que,  riepuis  rouvorture  îles  tjosti- 
lités,  ce  corps  subit  des  pertes.  ('onimt»nt  eùt-il  comprif*  vingt  mille 
homme»  à  la  bataille  d'Ancyre,  comme  le  veulent  les  chroniqueurs? 


ïiKH    OTTOMANR. 


393 


jamais  la  discipline  ne  s'éUùt  rolâchèe.  tout  était  réglé  «  à 

<  si  grant  ordonnance  que  toutes  les  neccessaii*es  que  il  con- 

<  venoit  à  fournir  l'ost  il  menoit  avant  soy»  et  de  bestes 
«  si  grant  quantité  que   merveilles   estoit.   et   par  si   bon 

<  ordre  qu*il  n'y  avoit  si  petitn  boste  qui  no  portas!  sa 
«  charge  d'aucun  fanlel,  mesmes  les  chèvres  et  les  mou- 
*  tons  »  '.  Enfin  U*s  Mongols  avaient  foi  en  leur  chef  et 
ne  doutaient  pas  de  la  victoire. 

Bajazet,  au  contraire,  avait  épuisé  son  armée  par  des  mar- 
ches forcées  ;  ni  la  solde  ni  les  vivres  n*étaient  régulièrement 
distribués:  le  fanatisme  religieux,  une  des  principales  forces 
des  troupes  ottomanes  contre  des  adversaires  chrétiens, 
n^existait  pas  contre  les  Mongols,  musulmans  comme  les 
Turcs.  On  conseillait  au  sultan  de  traîner  les  choses  en  lon- 
gueur, et  d'éviter  la  rencontre;  mais  impatient  de  terminer 
d'un  seul  coup  la  lutte  par  une  bataille  décisive,  Hajazet 
ne  voulut  nen  entendre. 

A  peine  les  Ottomans  s'approchèrcnt-ils  de  la  plaine 
d'Aucyre  que  Tamerlan  leva  le  siège  de  la  ville  pour  se  ren- 
fermer dans  un  camp  retranché,  dont  la  position  empêchait 
les  Ottomans  de  s'approvisionner  d'eau  ;  en  même  temps  ses 
agents  cherchaient  à  détacher  les  troupes  venant  des  pays 
qui  obéissaient  â  l'émir  Seldjoucide,  dépossédé  par  Bajazet, 
H  1rs  encourageaient  à  la  défection.  Le  choc  eut  lieu  le  ven- 
dredi ?l  juillet  150:?,  dans  la  plaine  de  Tschibukabad,  au 
nord-ouest  d'Ancyre  '. 

L'armée  ottomane  était  adossée  à  une  colline  ;  son  avant- 
garde  se  composait  de  plusieurs  milliers  d'archers  et  de 
quelques  éléphants*.  La  ligne  de  bataille  comprenait  à  l'aile 
droite  la  cavalerie  asiatique,  commandée  par  le  fils  aîné  du 
sultan.  Sniiman,  et  la  cavalerie  .serbe  sous  les  ordres  d'Etienne 
Lazarevich,  beau-frère  de  Bajazet;  au  centre  le  sultan,  entouré 
de  ses  trois  plus  jeunes  fils,  était  û  la  tête  des  janissaires  ; 
l'aile  gauche  était  formée  des  contingents  euro[)éens.   Les 


1.  /Jvre  df$  faite,  p.  i,  ch.  xxxvi,  p.  609. 

2.  Sylvestre  de  Saoy  a  déterminé  cette  date  dans  les  Mémoire*  de 
VAvndémie  des  Inscrijttionn.  IS22,  t.  vi,  408,  —  I-a  bataille  est  généra- 
iement  nVputce  avoir  ét6  duimée  le  2Ï  ou  Je  2H  juillet. 

3.  L'emploi  des  éléphants  fut  fort  remarqué  en  Ocoideiit.  Monstrelet 
M,  85)  dit  que  bajazet  nVn  avait  <\no.  di\.  tmiili-*  rni<*  Tiini»'i'lan  ni  nul 
vingt-six  en  ligne, 


1 


394 


BATAILLE    I)  ANCYRE. 


réserves  obéissaient  à  un  des  fils  du  sultan»  Mohammed,  et 
aux  généraux  turcs  les  plus  expérimentés.  Du  côté  des  Mon- 
gols, les  troupes  étalent  partagées  en  divisions  nombreuses, 
ayant  à  leur  tête  des  princes  de  la  famille  de  Tamerlan  ;  elles 
formaient  aussi  deux  lignes  de  bataille.  L'aile  droite  de  la 
première  était  renforcée  par  les  auxiliaires  Turconiaiis  ; 
quatre-vingts  régiments  composaient  le  centre  ;  l'aile  gauche 
offrait  une  disposition  analogue.  Tamerlan  avait  pris  le  com- 
mandement des  réserves,  fortes  de  quarante  régiments. 

L*actîon  s'engage  au  point  du  jour  ;  elle  semble  d'abord 
favorable  aux  armes  ottomanes.  Le  mouvement  des  deux  ailes 
est  bravement  mené  et  réussit  ;  la  cavalerie  serbe  surtout, 
admirablement  protégée  par  ses  armures,  fait  beaucoup  de 
mal  à  l'ennemi.  Dans  In  feu  du  combat»  les  Turcs  se 
laissent  entraîner  en  avant,  le  sultan  se  rend  compte  du 
danger  que  court  son  ai'mée  d'être  tournée  par  les  Mongols: 
mais,  au  lieu  d'ordonner  au  centre  d'appuyer  le  mouvement 
des  ailes,  il  fait  reprendre  à  ces  dernières  leurs  positions 
primitives.  Cette  riMraite  maniue  le  commencement  de  la 
défaite  ;  les  Mongols  lu  prennent  pour  une  fuite,  s'élancent 
contre  les  Ottomans  avec  tant  d'lmpétuosi(é  que  ceux-ci  sont 
incapables  de  leur  résister.  A  ce  moment,  les  contingents 
Seldjoucidcs,  cédant  aux  insinuatuins  dns  agents  dr  Tamerlan. 
font  défection  et  passent  aux  Mongols.  La  bataille  était  dès 
lors  perdue  sans  ressources;  partout  les  Turcs  sont  dispersés 
et  massacrés  en  masse  ;  quelques-uns  parviennent  â  battre  en 
retraite  en  bon  ordre;  piunii  eux  est  Soliman,  qui  se  replie 
sur  Brousse  sous  la  protection  des  Serbes,  et  Mohammed  qui 
s'enfuit  à  l'ouest  dans  la  région  montagneuse.  Hajazet,  avec 
ses  dix  mille  janissaires,  se  battit  en  héros  jusqu'à  la  tin  ; 
ce  n'est  que  quand  la  nuit  vint  et  que  t»jut  espoir  fut  perdu, 
qu'il  se  décida  à  fuir.  Il  était  trop  tard  ;  son  tils  seul  atteignit 
la  Caramanlo  ;  lui-même,  avec  son  tils  Musa  et  l'élite  de  ses 
généraux,  fut  fait  prisonnier  et  conduit  devant  Tamerlan. 

L'armée  turque  était  anéantie,  l'ompire  ottoman  était. 
comme  son  chef,  â  la  merci  du  rnnquérant  mongol  ;  une  seule 
Vtataille  avait  sntîi  à  renverser  une  puissance  qui  semblait 
défior  les  coups  de  la  fortune.  Baja/et,  prisonnier  de  Ta- 
merlan. ne  put  obtenir  d'étio  mis  <'n  liberté  et  mournt  captif 
en  HO.'î.  Ses  fils  se  divisèrent,  sous  la  protection  tyrannique 
du  vainqueur,  les  états  paternels.  Par  les  soins  de  Tamerlan. 


PRISE   DB  SMYRIVE   PAR  LBA  M0NÔ0L8. 


395 


l'antique  doinination  des  émirs  Seidjoucides  fut  rétablie  en 
Asie  Mineure,  et  après  la  bataille  d'Ancyre  l'armée  tartare, 
partagée  en  quelques  divisions  isolées,  employa  la  fin  de  la 
campagne  (HO?)  à  assurer  la  pacification  et  la  conquête  des 
états  du  sultan  '.  Smyrue.  la  seule  ville  importante  et  furtifiôe 
qui  fut  au  pouvoir  des  Chrétiens  sui*  la  côte  asiatique,  n'échappa 
pas  au  sort  commun.  Tanierlan  vint  lui-même  l'assiéger  (fin 
de  1102).  Les  chevaliors  de  Rhodes,  dont  elle  était  le  boule- 
vard en  pays  musulman,  l^avaient  entourée  des  défenses  les 
plus  fortes  ;  elle  avait  résisté  anx.  efforts  de  Bajazet,  elle 
devait  succomber  â  ceux  de  Tamerlan.  Le  siège  fut  long  et 
difficile  ;  la  place,  cependant,  malgré  le  courage  de  ses  dé- 
fenseurs, tomba  aux  mains  des  Mongols  (déc.  1402).  Les 
vainqueurs,  après  avoir  répandu  des  loiTents  de  sang  et 
massacré  les  habitants  sans  pitié,  la  rasèrent  et  la  détrui- 
sirent complètement*.  Co  fut  le  dernier  exploit  des  Tartares 
en  Asie  Mineure;  au  printemps  do  n03,  ils  regagnèrent 
Samarcande.  Deux  ans  après.  Taruerlan  mourait  au  milieu 
d'une  expédition  c-onti'e  la  Chine  {!'i05).  Cette  mort,  dit  Tau- 
teur  du  Livre  des  Faits,  avec  une  grande  perspirarilé,  fut 
heureuse  pour  la  chrétienté,  car  «  n'eust  pas  fait  meilleur 
«  compaignie  cellui  Tamburlan  aux  Crestiens  que  avoit  fait 
«  le  Basât»  se  longuement  oust  vescu;  car  jà  n'eust  été  saoul 
«  de  conquérir  terre.  Mais  Dieu,  qui  â  toutes  choses  scet 
«  remédier,  ne  volt  mie  souffrir  que  son  peuple  crestien 
<  fust  soubrats  ne  subjugué  par  les  ennemis  de  sa  vraye 
«  foy.  Si  lui  envoya  la  mort,  qui  toute  chose  mondaine  trait 
•  afin'.  » 

L'inter>'cntion  do  Tamerlan  avait  sauvé  IVmpire  de  Cons- 
tantinoplc  et  les  intérêts  chrétiens  en  Orient.  Assurément. 


1.  Sanudo  (Muratori,  xxn,  798-800)  rapporte  des  documents  curieux 
sur  la  conduite  de  Tamerlan  après  ta  victoire  et  la  ruine  des  états  df. 
Bajazot. 

2.  fioftio,  DeiVUlùria  deUa  êacra  rtUffiaM..,,  w,  156-7.  —  Ouillaumo 
do  Munte  avnit  été  charge^  en  I3U8  de  fortifier  Smjrme  ;  fr.  liuffillo 
Patû/ato.  prieur  de  Ilarletta,  avait  conduit  des  renforts  et  des  appro- 
visionnements dans  la  ville.  Les  historiens  de  l'ordre  ont  fixé  la  date 
de  la  porte  de  Smyrne  à  l'année  IUlt8,  parce  qu'ils  croyaient  que  la 
bataille  d'Ancyre  avait  eu  lieu  cette  annéo-Iâ;  les  suurccs  arabcn. 
récemment  étudiées,  ont  depuis  lors  permis  de  rapporter  la  date  de  cet 
évêniMiieiit  militaire  au  2t  Juillet  1^02. 

a.  Livre  de»  fait»,  ji.  i,  rh,  \XXVI,  p.  60!l, 


396 


BATAILLE    D  ANCYRE. 


l'empereur  Manuel  n*05ait  espérer  un  pareil  dénouement,  et 
quand  il  snt,  au  commencement  de  novembre  1402,  la  dé- 
faite (le  Bajazet,  i!  se  hAta  He  quitter  TOccidcnt,  dont  il  ne 
parvenait  plus  à  émouvoir  ia  pi  Lié.  et  do  regagner  ses  étatjj. 
désormais  à  l'abri  du  péril  musulman.  Châteaumorand  n'avait 
pas  perdu  de  temps  pour  rentrer  en  France  dès  que  sa  pré- 
sence n'avait  plus  été  indispensable  àConstantinoplo  Ml  pouvait 
quitter  rOrient  sans  crainte;  les  vaincus  do  Nicopolis  et  l'em- 
pereur grec  étaient  vengés.  C'était,  pour  l'empire  de  Cons- 
tantin, un  demi-siècle  dévie. 


t.  Chàteauinôratvi  était  rentré  en  France  en  septembre  1402,  comme 
le  prouve  l'inventaire  des  joyaux  du  duc  de  Berry  qui  mentionne 
divers  objets  rapportés  d'Orient  au  duc  par  Châteaumorand.  (V.  Pu 
justificatives  n*"  \.\0.  Manuel  quitta  Paris  le  mardi  21  novembre  P 
Châteaumorand  fut  désigné  pour  raccompagner  avec  deux  cenU 
hommes  d'armes  {/ieli(fieux  de'SaiiU  Denis,  m,  ifi-ôl  ;  —  J.  des  UrsiiiH. 
M,  421).  —  I.a  ri^publique  de  Venise  annonça  à  l'empereur  de  Cons- 
tanlinoplc  la  bataille  d'Ancyre  le  9  octobre  l't02,  en  joignaiU  à  cette 
nouvelle  ses  félicitations  (Arch.  de  Venise,  5(îm.  .Vm/*.  xi.vi,  f.  47  v-). 


LIVRE  V 

M  0  D  0  N 

4403-1408 


LJVRK  \ 


MODON 


H03.1408 


1^  rivalité  de  Gênes  et  de  Venise  fait  l'objet  du  présent  livre;  pour  la 
retracer  avec  exactitude,  l'étude  des  «ources  génoises  et  vénitiennes 
s'impoiie;  c'est  en  les  comparant  entre  elles,  en  les  contrôlant  par 
les  témoignages  d'origine  française  ou  chypriote  que  l'historien 
arrivera  à  la  vérité  historique. 

Nous  avons  eu  déjà  l'occasion  d'apprécier  la  valeur  des  chroni- 
queurs génois'.  Les  auteurs  vénitiens  nous  fournissent  de  leur  côté 
(le  précieux  élément»  d'infurtnatîon,  permettant  d'opjxïser  aux  griefs 
des  uns  la  justification  do  leurs  adversaires.  La  vio  des  doges  de 
Marino  Sanudo^,  écrite  par  un  auteur  presque  contemporain,  qui  a 
eu  à  t>a  disposition  les  archives  de  ta  république  et  des  chroniques 
aujourd'hui  perdues,  est  la  source  vénitienne  la  plus  considérable. 
1^  vie  de  Charles  Zéno,  qui  commandait  la  flotte  vénitienne  h  Modon, 


1.  Voirplus  haut,  p.  115-6.  Aux  chroniques  déjà  citées  on  peut  ajouter 
la  Crcmaca  di  Gtnova  d'Alexandre  Salvago  {éd.  C.  Desimoni.  Genova, 
1879,  in-^i"),  qui,  bien  que  composée  au  commencement  duxvi'iiècle, 
résume  en  quelques  lignes  les  témoignages  des  chroniqueurs  génois 
antérieurs. 

3.  Vitœ  dueum  Venetorum  (421-1493),  auctore  Mariao  Santtdo, 
Ltonardi  jilio  (en  italien  dons  Muratori.  wii,  :{9U-I252i. 


4O0 


SOURCES   DU   LIVRE   CINQUIEME. 


due  à  la  plume  de  Jacques  Zéno,  neveu  du  grand  capitaine*;  —  la 
continuation  d'André  Dandolo  (1383-1410)  empruntée  à  la  chronique 
de  Jean  Bemboet  contemporaine  des  faits  qu'elle  raconte',  —  et  une 
courte  chronique  anonyme',  également  contemporaine^  complètent 
et  éclairent  le  témoignage  de  Sanudo.  Mais  l'ensemble  des  ducu- 
ments  vénitiens  exagère  les  événements  au  profit  de  Venise»  et 
excuse,  de  parti  pris,  le  rôle  peu  honorable  joué  parla  république 
de  Saint  Marc. 

Le  Livre  des  faits*,  à  son  tour,  inspiré  par  un  homme  de  guerre 
français,  étranger  aux  compétitions  des  deux  républiques,  mais 
obli^  par  suite  des  circonstances  »  épouser  les  querelles  de  l'une 
d'elles,  sert  de  contre-poids  aux  exagérations  de  celle-ci  comme  de 
celle-là.  A  coup  sur,  l'amour  propre  du  maréchal  se  trouva  engagé 
dans  l'affaire,  et  Boucicaut,  joué  par  Venise,  laisse  percer  sa  ran- 
cune contre  elle  à  chaque  page,  mais  son  dépit  est  tout  personnel  ; 
peu  lui  iintx>rtent  les  récriminations  et  les  haines  génoises  ou  Téni- 
tiennes;  c'est  un  Français  qui  a,  par  nécessité  politique,  avec  plus 
de  témérité  que  d'habileté  diplomatique,  cherché  à  exploiter  en 
faveur  des  intérêts  génois,  devenus  les  siens,  une  situation  qu'il  n'a 
pas  créée  et  qui  ne  le  touche  que  fort  peu.  Son  récit  nest  rien 
moins  qu'une  apologie  ;  it  ne  vise  ni  à  diminuer  la  part  de  respon- 
sabilité qui  lui  incombe,  ni  à  excuser  l'imprévoyance  politique  dont 
il  a  fait  preuve  ;  on  ne  saurait  donc  tenir  trop  de  compte  d'un  pareil 
tëmoij-'nage.  Au  même  titre,  pour  les  événements  dont  Chypre  fut  le 
théâtre,  la  chronique  chypriote  de  Léonce  Mâcheras  ne  devra  pas 
être  négligée;  on  eût  pu  espérer  plus  de  détails  de  la  ]>art  de 
l'auteur,  contemporain  des  faits  qu'il  raconte^  directement  mêlé  au 
complot  de  Famagoustc,  apparenté  aux  personnalités  les  plus  mar- 
quantes de  l'ile  de  Chypre,  et  en  situation  de  puiser  les  informations 
les  plus  officielles  aux  archives  de  la  chancellerie  royale  des  Lu- 
signans;  mais,  tel  qu'il  est,  le  récit  de  Mâcheras  emprunte  aux  cir- 
constances que  nous  venons  de  rappeler,  et  à  sa  simplicité  même, 
une  grande  valeur  historique'. 

C'est  à  l'aide  de  ces  éléments  divers,  c'est  plus  encore  grâce  aax 


1.  Lavita  di  Carlo Zeno...  scrt'Ua  nel»ecoîoXVdaJacopoZeno,eic,..^ 
ouvrage  souvent  imprimé.  Nous  nous  sommes  servi  de  l'édition  de 
Venise,  1829,  petit  in-S". 

2.  Muratori,  xii,  515-24. 

3.'  Crunacltetta  veneziana  dal  \kD2  ai  IMb.  Ed.  V.  Juppi  dans 
VArchivio  Veneto,  xvn,  parte  ii  (IByHj,  25  pages  in-8«. 

4.  Sur  le  Livre  des  faits,  voir  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut» 
p,  212-3. 

5.  Chronique  de  Léonce  Mâcheras  (éd.  Miller  et  Sathas,  Paris,  1882, 
2  vol.  in-8«|. 


SÔUUCES  DU  LrV'RE   CINQUIEME. 


4Ô1 


pièces  diplomatiques*  que  nous  avons  reconstitué  les  phases  do 
cette  rivalité;  les  documents  d'archives  nous  fournissent,  à  Gènes 
comme  à  Venise,  mais  surtout  à  Venise,  les  renseignements  les  plus 
complets;  les  négociations  fort  longues,  auxquelles  furent  m^lés  les 
représentants  des  deux  puissances,  nous  sont  connues  jour  par  jour, 
et  pour  ainsi  dire  heure  par  heure.  Klles  sont  contenuetj,  à  Venise, 
dans  les  séries  Scnato  Secreii,  Seitaio  Misti,  Commttnoriali,  SyH' 
dicati  eX  Patti  ScioltO,  dont  l'une,  celle  des  Commemoriaii,  a  été 
récemment  publiée  pour  la  période  qui  nous  occupe',  tandis  que 
les  autres  ont  fourni  de  nombreux  documents  aux  recueils  de 
Sathas*  et  de  Ljubic".  Les  archives  génoises,  au  contraire,  n'ont 
donné  lieu  â  aucune  publication  d'ensemble;  nous  avons  truuvé  à 
Ciénos  ce  qui  concernait  l'histoire  de  ces  négociations  dans  les  séries 
des  Materie  PotUiche  et  des  Divertorum  /tegistrï^;  dans  les  extraits 
de  pièces  aujourd'hui  perdues  recueillis  par  Koccatapliata';  et  à 
Paris  dans  les  registres  des  LiOri  Jurîunt  ".  Il  nous  a  paru  nécessaire 
de  ne  prendre,  dans  ces  documents  fort  nombreux,  que  ce  qui 
pouvait  donner  au  lecteur  la  physionomie  générale  et  les  lignes 
principales  des  pourparlers  diplomatiques  qui  se  sont  continués 
pendant  plusieurs  années  ;  autrement  les  dimensions  de  notre  travail 
eussent  été  doublées,  sans  intérêt  pour  le  lecteur  et  au  prix  de 
redites  aussi  inutiles  que  fastidieuses. 


1.  Les  archives  de  Venise,  en  Tabsence  de  celles  de  Gènes,  suf- 
firaient seules  â  cette  étude,  gr&ce  au  soin  que  les  plénipotentiaires 
vénitiens  ont  toujours  pris  de  transmettre  au  sénat  les  jtropositions 
génoises  avant  de  lui  faire  connaître  les  réponses  qu'ils  y  avaient 
faites. 

2.  Aux  archives  des  Frari. 

3.  /  libri  commemoriati  Uella  republica  dt  Venezia,  regesti  (Venise, 
t876-83,  3  vol.  in-4«).  Il  im|>orte  d'avertir  le  lecteur  que  dans  cette 
publication,  pour  conser\'er  l'ordre  chronologique,  lu  numérotation 
donnée  aux  documents  dans  les  registres  originaux  n'a  pas  été  res- 
ï)ectée.  Nous  avnna  ici  cité  les  documents  d'après  le  recueil  imprimé. 

4.  Sathas,  hocumenU  inédits  relatifê  à  Vliiatoirt  de  Grécf  ou  moyen 
àye  (14l>0-130«).  {Venise,  1880,  2  vol.  in-S-.) 

5.  Sime  Ljubic,  Monumettia  gpectantia  historiam  Stavorum  mcri- 
dionatium,  t.  v  (Agram.  1875,  in-8*|. 

6.  Aux  archives  d'Ktat  à  Gènes.  Les  archives  de  la  banque  de  Saint 
Georges  ont  été  récemment  réunies  à  ce  dépét;  c'est  elles  qui,  à  pro- 
prement parler,  forment  pour  cette  époque  les  archives  mêmes  de  la 
république. 

7.  Bibliothèque  Hrignole  Sale  à  Gènes,  ms.  108,  D2. 

8.  Ces  Liàri  Juriiim,  qui  contiennent  les  pièces  les  plus  impor- 
tantes des  archives  génoises,  ont,  par  suite  de  la  conquête  française 
pendant  la  révolution,  été  apportés  à  l'aria  et  sont  conservés  au  Mi- 
nistère des  Affaire»  étrangères. 

>i6 


402 


SOVRCES   Dr    LîVRE  CINQUIEME. 


Un  document  d'une  autre  nature,  un  mémoire  analogue  &  ceux 

auxquels  nous  avons  eu  maintes  foi»,  dans  les  précédents  livres, 
occasion  de  recourir,  nous  a  été  dans  celui-ci  d'un  grand  secours; 
c'est  un  traité  composé  par  un  Vénitien,  Emmanuel  Piloti,  vers  1420  '. 
L'auteur,  négociant  et  fonctionnîiire  de  la  république  de  Saint  Marc, 
apOttsé  la  plus  grande  partie  de  sa  vio  dans  le  Levant;  il  a  connu, 
par  des  témoins  dignes  de  foi,  les  événements  qu'il  raconte  et 
wuvent  même  y  a  été  directement  mêlé  ;  aussi  les  a-t-il  rappelés 
afin  d'appuyer  par  des  faits  les  théories  qu'il  préconise  pour  re- 
couvrer la  Terre  Sainte.  Il  n'entrait  pas  dans  le  cadre  de  notre 
travail  d'étudier  l'originalité  et  la  valeur  do  ce  plan  du  conquête, 
mais  seulement  de  puiser  à  cette  source  les  renseignements  relatif 
â  la  campagne  du  maréchal  et  à  ses  conséquences  en  Orient;  sur  ce 
point,  le  témoignage  de  Piloti  est  de  premier  ordre. 

Il  nous  reste  à  dire  queUpics  mots  des  ouvrages  imprimés. 
Nous  avons  déjà  cité  les  ouvrages  du  comte  de  Mas  Latrie 
sur  Chypre  et  sur  les  relations  de  l'Occident  avec  cette  île  et 
avec  le  Levant'.  Us  sont,  avec  les  histoires  générales  de  GV^nes  et 
l'histoire  de  Venise  de  Homanin,  la  base  de  toute  étude  approfondie' 
de  cette  période. 


1.  Traité  d'Emmanuel  Piloti  sur  le  passage  dans  la  Terre  Sainte 
(1420),  édité  par  le  baron  de  Reiffenberg  à  la  suite  du  Chevalier 
au  Cygne,  i,  ai9-Uy  (lînixelles,  184fi,  in-4'').  Ce  volume  forme  le 
tome  IV  des  monuments  pour  servir  à  l'histoire  de»  provinces  de 
Namur,  de  llainaut  et  du  Luxembourg. 

2.  Voir  plus  hatit^  page  1t3.  Ils  ont  été  résumés  sous  une  forme 
brève  et  exacte  par  K.  Herquet,  Cyprische  KônigsgeHaiten  de*  ffavset 
Lusignan,  (Halle  a.  See,  1881,  in-8»). 

3.  S.  Romaniii,  Storia  dorumentnta  dt  Venetia  (Venise,  1853,  10  vol. 
in-8*). 


Pendant  que  la  chrétienté  subissait  â  Nicopolis  h  désastre 
dont  nous  avons  raconté  plus  haut  Jos  principales  phases,  un 
événement  considérable  avait  profondéinent  modifié  la  consti- 
tution politique  lie  l'itah'e.  Gènes  s'était  donnée  â 
France  (4  novembre  1396),  et  Charles  vi  avait  accepté  un 
accroissement  d'autorité  que  tout  lui  commandait  de  refuser. 
On  sait  les  motifs  qui  avaient  déterminé  les  Génois  à  se  mettre 
S0U3  la  dépendance  de  la  France.  L'anarchie  que  les  grandes 
familles  des  Guarco,  des  Montaldo,  des  Fregoso  et  des  Adomo 
ne  cessaient  d'entretenir  et  qui  ruinait  le  pays,  les  menées 
de  Jean  Galéas  Visconti,  duc  de  Milan,  dans  un  intérêt  de 
conquête  personnelle,  avaient  rendu  nécessaire  une  interven- 
tion étrangère.  Le  doge  Antoine  Adorno  la  sollioita  de 
Charles  vi  et  l'obtint.  Quelque  séduisante,  quelque  honorable 
qu'elle  pîit  être,  une  pareille  conquête,  dans  la  situation  inté- 
rieure et  extfTieuro  oii  se  tixmvait  le  royaume,  apparaissait 
aux  esprits  les  moins  clairvoyants  comme  une  source  de  diffi- 
cultés sans  nombre  et  d'embarras  sans  cesse  renaissants. 
Mais  le  roi  et  son  entourage,  dont  la  perspicacité  politique 
n'allait  pas  loin,  furent  aveuglés  par  l'éclat  que  la  possession 
de  Gènos  promettait  de  faire  rejaillir  sur  la  couronne  de 
France  et  entrèrent  complètement  dans  les  vues  des  Génois; 
la  Ligiu-ie  fut  déclarée  province  française. 

Ou  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  de  la  faute  qu'on  avait  com- 
mise. Le  doge  Adomo.  que  Charles  vi  avait  maintenu  au 
pouvoir  en  qualité  de  gouvenieur  royal,  devint,  en  peu  de 
teinp*»,  »n-Hp(ict  â  tout  le  monde,  «t  deux   mois  ne  s'étaient 


4Ô4 


BOUCtCAUT  OOUVERNEt'R  DE  OENES. 


pas  écoulés  <^u'il  deriiaiidait  à  être  relevé  de  ses  fonctions 
(nov.-déc.  1396],  Ni  Walorau  de  Luxembourg,  comte  de 
Saitit  Pol,  malgré  dVxcelleiite.s  mesures,  ni  Pierre  Fresnel. 
évèque  do  Meaux,  un  des  néguciateurs  du  traité  qui  avait 
livré  Gênes  â  la  France,  ni  Colard  deCalleville  ne  réussirent 
à  faire  respecter  leur  autorité  et  à  calmer  les  (esprits  (IHl)7- 
131)8j.  Ce  dernier  mémo  fut  chassé  par  les  Génois,  et  l'anar- 
chie devint  absolue  sous  la  dictature  de  Baptiste  Boccanera 

(i;i90-i'i0i]. 

La  nécessité  d'un  gouverneur  énergique  sHmposait. 
Charles  vi  désigna  Boucicaut  pour  occuper  ce  poste.  Les 
hautes  capacités  uiilitain's  du  maréchal,  la  renommée  uni- 
verselle de  bravoure  chevaleresque  qu'il  s'était  acquise  avaient 
attiré  l'attention  sur  lui.  On  connaissait  la  rudesse  intlexiblc 
dont  il  avait  déjà  donné  maintes  preuves,  et  ou  savait  que 
personne  n'était  plus  ajite  que  lui  à  la  charge  qu'on  lui  desti- 
nait. Charles  vi,  sans  cette  circonstance  ({Ui  força  son  choix, 
n'eiU  pas  consenti  à  se  priver  des  somces  d'un  pareil  capi- 
taine. Mais  il  comprit  qu'il  fallait  donner  aux  nouveaux  sujets 
de  la  France  un  gouverneur  dont  l'éuergie  fiH  certaine  et  la 
gloire  incontestée'.  Celle-ci  était  universelle,  et  les  Géuoia 
avaient,  moins  que  personne,  motif  de  l'ignorer.  Sans  cesse  en 
contact,  par  leurs  colonies  et  leurs  relations  commerciales. 
avec  l'Orient,  ils  savaient  la  terreur  que  le  nom  do  Boucicaut 
jetait  parmi  les  infidèles,  et  l'estime  dans  laquelle  les  souve- 
rains d'Europe  le  tenaient.  Eux-mêmes,  au  lendemain  de 
Nicopolis,  avaient  sollicité  du  roi  de  France  la  nomination 
du  maréchal  au  gouvernement  de  Gènes,  persuadés  que  lui 
seul  aurait  assez  d'ascendant  et  de  volonté  pour  commander 
aux  partis  et  réduire  les  factieux  '. 

Boucicaut,  malgré  L'état  de  la  Ligurie  et  les  dilUcultés  qui 
l'attendaient  à  Gènes,  n'hésita  pas  â  obéir  â  l'ordre  du  roi. 
Depuis  son  retour  de  Constantinople,  il  écait  resté  inactif,  et 
la  création  d'un  ordre  de  chevalerie  destiné  à  la  défense  des 
dames,  dont  il  fut  le  chef,  ne  suffisait  pas  à  l'activit*'!  infati- 
gable dont  il  était  animé'.  Il  accepta  la  mission  que  lui  con- 


1.  G.  Stella.  Annaiei  Genuemes  dans  Muratori  {xvil,  1187);  — 
Giustiniani,  Animii  deUa  RepuhUca  di  (jcnoiut  (éd.  de  IBM,  u, 
p.  219-20). 

2.  livre  de»  faites  p.  n,  chap.  v,  p.  615-6. 

3.  L'ordre  de  la  Dame  Blanche  à  l'e$eu  verd  se  composait  de  treUe 


ENTsis  DU  MARÉCHAL  A  OÉNBS. 

fiait  Charles  visans  songer  Ma  responsabilité  qu'il  assumait; 
flatté  d'avoir  été  désigné  par  le  vœu  des  Génois  au  choix  du 
roi,  heureux  surtout  d'entrevoir  de  nouveaux  combats  â  livrer 
et  de  grands  desseins  à  exécuter. 

Le  maréchal  avait,  avant  tout,  le  tempérament  du  guer- 
rier, Tamour  des  grands  coups  d'épée  et  la  haine  du  Turc, 
C^  dernier  sentiment  dominait,  chez  lui,  tous  les  autres,  et  il 
avait  l'ospoir,  comme  gouverneur  de  Gènes,  de  lui  donner 
carrière.  Les  colonies  n'éiaitnit  elles  pas  la  principal»*  source 
de  la  prospérité  génoise,  et  les  progrès  des  Ottomans  ne  les 
menaçaient-ils  pas?  N'avait-on  pas  vu  Péra  trembler  au 
moment  du  desastre  de  Nicopolis  ?  Ne  fallaif-il  pas  soutenir, 
à  tout  prix,  les  établissements  chi'étieas  dans  le  Levant,  sous 
peine  de  ruiner  le  commerce  de  la  nouvelle  conquête  du  roi 
de  France^  Ne  devait-on  pas  secourir  C'mstantinople  en  fai- 
sant de  Péra  le  centre  de  la  résistance?  Dans  ces  dispositions 
d'esprit,  on  pouvait  être  sur  que  Boucicaut  ne  laisserait 
échapper  aucune  occasion  rie  guerroyer  contre  les  infidèles, 
et  de  venger  les  vaincus  do  Nicopolis. 

Boucicaut  fit  son  entrée  solennelle  à  Gènes  le  31  octobre 
l'tOl,  au  ntilieu  d'tui  imposant  appareil  militaire  et  d'un 
immense  concours  de  peuple.  L'attitude  éuergiijue  du  maré- 
chal, et  surtout  le  nombre  des  gens  d'armes'  qui  l'accompa- 
gnaient, en  imposèrent  aux  fauteurs  de  trouble;  mais  au 
milieu  des  magnificences  d'une  réception  otiicielle,  perçait 
déjà  le  désappointement  des  Génois  qui  s'apercevaient,  trop 
tard,  qu'ils  s'étaient  donné  un  maître.  Le  maréchal  inaugura 
son  administration  par  des  actes  sévères,  mais  justes.  Le 
premier  fut  un  désarmement  général;  les  habitants,  étonnés 
de  la  fermeté  du  nouveau  gouverneur  et  contenus  pur  les 
forces  dont  il  disposait,  l'exécutèrent  sans  murmure  ;  en  même 
temps  le  maréchal  assurait,  dans  un  discours  public,  les  bons 
citoyens  qu'ils  n'avaient  rien  à  redout<?r  du  gouvernement  du 
roi  de  Krance.  mais  que  toute  tentative  de  traliison  ou  de 
révolte  serait  réprimée  avec    lu  plus  rigoureuse  sévérité^. 

ehevalfers,  qui  s'étaient  cn^agi^s  à  prendre  la  défense  des  dames  et 
demoiselles  contre  ceux  qui  leur  faisaient  tort  à  toute  réquisition. 
{livre  dût  faits,  !,  cliap.  XAXVir  et  xv.wiir,  p.  609-12.) 

I.  D'après  les  source»  (^^noïses  il  était  escorté  de  mille  liommes 
d'arme»!  (Stella  dans  Muratori,  xvn,  1187  ;  —  Giusliniaiii,  ii,  220). 

3.  Livre  de$  faii«,  n,  chsp.  vi  et  vu,  p.  61&-8. 


406 


nOlTlCAUT   GOIVERNEUR    DE    GENES. 


Enfin,  pour  nonfirraer  sos  pantlps,  il  faisait  arrêter  Boccanera 
ot  Franchi,  deux  cniu^inis  du  parti  français,  accusés  d'usur- 
pation et  de  robellJt>n,  Ips  faisait  juger  souimairement  et 
coodamuerà  mort.  Franchi  parvînt  à  ti-omper  la  vigilance  do 
ses  gardiens  et  à  s'f^chappi'r,  mais  Boccanera  fut  exé»cuté  ;  sa 
tète,  pxposôQ  au  haut  d'une  pique,  servit  d'exemple  et  do 
leçon  â  quiconque  sctngeait  à  c-onspirer  contre  la  dominatio» 
française'. 

Celte  conduite  rigoureuse  eut  les  nioilleurs  effets;  les  esprits 
se  calmèrent,  et  une  suite  d'excellentes  mesures  intérieui-es. 
prises  par  Boucioaut,  avec  autant  de  prudence  que  de  modé- 
ration, acheva  de  lui  gagner  la  confiance.  Les  lénioignage*» 
ooiitemporaitis  sont  unanimes  pom*  reconnaître  les  qualitê> 
dont  il  fit  preuve;  son  désintéressement  et  sa  probité,  rem- 
ploi religieusement  exact  des  impôts  aux  travaux  d'utilité 
Iiiihliqiie,  à  la  solde  des  troupes  et  à  l'entretien  des  vaisseaux. 
l'austérité  de  ses  mœurs  rirent  l'admiration  des  Génois,  qui 
aimaient  chez  autrui  les  vertus  qu'ils  ne  pratiquaient  pas. 
Ceux-ci,  dans  la  crainte  que  Charles  vi  ne  leur  enlevât  leur 
gouverneur,  députèrent  en  France  deux  d'enti'e  eux,  Domi- 
nique Impériale  et  Cosme  Tarïgo,  pour  demander  au  roi  de  le 
iiumuiiT  gouverneur  à  vie.  La  femme  du  maréchal,  .\ntoineïte 
de  Turenne,  appelée  â  Gênes  par  son  mari,  fut  reçue  avec 
les  plus  gi-aiids  honneurs,  et  la  ville  lui  fit  présent  à  son  entri'*o 
lie  «ieux  mille  livres  (5  juillet  1  'i02)  ;  enfin  le  gouverneur  vit 
ses  gages  élevés  de  huit  mille  cinq  cents  à  dix-huit  mille  six 
cent  vingt-cinq  livres*. 

A  l'intérieur,  la  cité  fut  réorganisée,  les  membres  dos 
conseils  réélus,  la  garde  des  forts  confiée  aux  Français,  los 


1.  iji^re  tien  faits,  n,  rhai».  vu,  p.  t>l7-H;  —  St<*lla  (Muralcri,  wn. 
1187-8):  —  l.  Ko^'liela,  M.  de  1585,  f.  183;  —  <.;iustiniani,  ii,  220. 

2.  Stella  iMuratori,  xvn,  1I91-2J:  —  Ciiutiniani,  u,  226-7;  —  V.  Fo- 
gljeta,  éd.  do  1385,  f.  1B3  V";  —  livre  des  fails.  u,  chap.  X,  p.  620;  — 
A.  Salvago,  Cronaca  dî  Genova,  p.  42.  —  L'unanimiié  des  jugements 
portés  par  leti  liistoriens  génois  contemporains  sur  Boucîcfiut  mérite 
d'être  remarquée.  Mlle  est  toute  en  faveur  du  maréclial.  In  seul  his- 
torien moderne,  ('anale  (Xuova  ist.  delta  rep.  di  Genova  n,  133^ a  rejeté 
l'opinion  de  seâ  pr6d<Soessetirs  et  a  cherché  â  expliquer  par  la  crainte 
l'appréciation  favorable  qu'ils  avaient  émise.  Les  arguments  qu'il  donne 
ne  résistent  pas  â  la  critique;  s'il  avait  simplement  fait  observer  que 
leur  jugement  pouvait  être  taxé  d'mi  peu  trop  d'enthousiasme  pour  le 
maréchal,  ses  réserves,  réduites  à  ces  limites,  auraient  pu  se  justifier. 


I 

I 

I 


SAGES   MESURES   PRISES    PAR    BOUCIC.VL'T. 

fortifications  réparées  et  augmoatèes  de  deux  nouveaux  châ- 
teaux, l'un  sur  le  port,  raulri?îui  milieu  de  ia  ville  ;  on  exigea 
de  («MIS  les  citoyens  le  serment  de  ridélitô  au  roi.  Au  dehors, 
Uoucicaut  êdîHa  deux  chîUeaux  à  Chiavai'î  et  à  la  Spczia  et 
s'occupa  de  faire  rentrer  dans  robêissance  les  vassaux 
révoltés  de  la  république.  Savone  prAtn  serment  de  fidélité 
entre  les  mains  de  Pierre  de  la  Viouville,  lieutenant  du  ma- 
réchal (29  juin  liO?)*.  Monaco  fut  repris  à  Louis  de  Gri- 
nialdi,  et  la  famille  des  Carrelo  restitua  le  chAteau  d'Arotia. 
«Quatre  galères,  envoyées  do  Gênes,  s'emparèrent  de  l'Ile 
d'Ellie.  De  toutes  parts  se  tirent  sentir  les  effets  d^m 
gouvernement  juste  et  énergique  *. 

C'est  à  ce  moment  que  le  mai'é-chal  tourna  son"  attention 
vers  les  colonies  génoises.  Elles  étaient  l'une  des  principales 
forces  de  la  république.  Venise,  qui  les  voyait  se  développer 
et  prospérer  avec  déplaisir  et  jalousie,  n'attendait  qu'une 
occasion  favorable  pour  les  ruiner  à  son  profit.  Kaffa  en 
Crimée,  les  établissements  de  la  mer  d'Azov,  Péra  aux 
jtortes  de  ConstJinlînople,  Chios  dans  l'Archipel,  Famagouste 
en  Chypre,  faisaient  au  commerce  vénitien  une  concurrence 
n-doulable.  Maintes  fois  déjà,  au  cours  du  xiv*  siècle,  les 
dtMix  républiques  ennemies  avaient  pris  les  armes  pour  ruiner 
leur  infiuencc  coloniale,  sans  parvenij*  â  se  porter  un  coup 
décisif,  lîoucicaut  comprit  (pie  sa  politique  devait  tendre  à 
maiutuuir  et  â  dévelopi>eir  les  colonies  génoises.  Son  premier 


1.  Pierre  de  la  Viezville,  chambellan  du  duc  de  Toiiraine,  dont  nouh 
trouvons  la  mention  en  1390-91,  (conduisit  en  139'i  avec  Jean  de  Trye 
et  (îuillaume  de  itraquemont,  dit  Urafjuet,  cent  hommes  d'armes  et 
cinquante  archers  on  Italie  sous  le  commandement  du  sire  do  Coury. 
Kst-ce  le  môme  personnage  que  Pierre  do  la  Viczville,  dit  le  Mais^rc, 
chevalier?  —  Cedernier^de  1380à  1393,  servit  fréquemment  en  Picardie, 
à  Ardre»  et  à  Douvres;  en  ^^\0,  il  était  sous  les  ordres  du  duc  de 
ltour|,çogne  et  fut,  nn  14li,  chargé  par  ce  dernier  de  conclure  un  traité 
iralliance  avec  le  rui  d'Angle  ter  ru.  Vers  la  mt^me  époque  il  était  che- 
valier et  chambellan  du  rui  et  capitaine  de  Gravelines;  sa  carrière 
semble  s'ôtre  païuée  en  Picnrdie,  Artois  et  Flandre,  mais  nous  ne 
sauriûiiH  nflîrmer  qu'il  fùl  le  mAinf  que  h-  lieutenant  de  Boucicaut 
(Itibl.  nat.,  cab.  de»  tilce»,  pièces  originales,  vol.  2989,  au  mot  vu:c- 
villk;  —  n.  Vilipvieille,  Trt'».  t/énéui.,  xci,  f.  107  v^l08;  —  Clairum- 
bault,  rUrcA  ncellrH,  c\n,  8787-95). 

2.  Stella  (Muratori.  xvn.  1190):  —  Giustiniani,  n,  222;  —  V.  Foglieta, 
éd.  do  1585,  f.  183  v;  -  Livre  des  fait»,  u,  ch.  ix,  p.  619-20. 


408 


BOUCICAUT   GOUVERNEUR    DK    GB.NES. 


soin  fut  d'envoyer  visiter  chacune  d'elles  et  de  se  faire 
exposer  leur  état'. 

Déjà  le  maréchal,  qui  avait  au  phis  haut  degré  la  haine  des 
intidêles,  avait  toui'ué  les  yeux  vers  rOrieul.  Avec  plus 
de  ténacité  que  de  prudence  politique,  il  réglait  sa  conduite 
sur  ce  sentiment.  Venger,  en  faisant  aux  mécréants  tout  le 
mal  possible,  l'échec  subi  par  les  barons  chrétiens  à  Nico- 
polîs  et  la  captivité  personniille  qui  en  avait  été  pour  lui  la 
conséquence,  tel  était  h*  projet  dont  son  espnl  ne  se  détA- 
chait  jamais.  Ici  sa  rancune  était  d'accord  avec  les  intérêts 
génois  ;  persuadé  qu'il  fallait  avant  tout  affaiblir  Bajazet 
dans  sa  marche  triomphale,  il  avait  fait  ronrhire  aux  Génois 
de  Péra  une  alliance  avec  Tamerluii.  Après  la  bataille  d'Ancyre 
(2\  juillet  1 10?)",  après  que  l'invasion  mongole  se  fut  détour- 
née de  la  Syrie  vers  la  Mésftpotaniis  les  Génois,  à  Tiusli- 
gation  de  leur  gouverneur,  ciinliiiuérent  â  s'attaquer  aux 
Sanasins  de  Syrie.  Antoine  di  Guarco.  capitaine  de  Fama- 
gouste,  et  Jean  Loinelîiui  leur  coururent  sus  sur  tout  le 
littoral  (le  l'Asie  Mineure,  capturant  loiu's  navires  et  faisant 
un  riche  butin;  mais  ces  agressions,  comme  on  devait  s'y 
attendre,  amenèrent  des  représailles;  les  négociants  gcnui:s 
furL'ut  retenus  prisonniers  par  les  Musulmans,  et  les  dispo- 
sitions des  infidèles  devinrent  menaçante-s  \ 

Pendant  que  ces  événements  mettaient  le  commerce  de 
Gènes  en  péril,  les  nouvelles  de  Chypre  prenaient  un  carac- 
tère d'extrême  gravité.  Le  roi  de  Chypre.  Janus,  levant  le 
niasqut.'  ',  venait  de  mettre  le  siège  devant  Fainagouste. 
centre  de  la  domination  génoise  dans  l'île.  Eu  outre,  un 
r(miplot.  tramé  contre  les  Génois  à  l'instigation  du  roi  et 
ayant  pour  but  4I0  délivrer  Famagous1x>,  avait  été  découveri 
lortuitemeut  par  le  gouverneur  Antoine  di  Guarco  (?6 
mars  l 'lO'ij,  Le  CDUtVvsnii'  i\o  ce  tlfirnier,  frère  Guy  Gai,  était 
l'âme  de  la  conspiration,   dans  laquelle   étaient   entrés  les 


1.  Livre  det  faits^  ir,  chap.  ix,  p.  619-20. 

2.  (ilustinioin,  n,  225-6;  —  Stella  (Muratori,  xvn,  1194-5). 

3.  Stella  (Muratori,  XVH,  1191);  —  ('.iiiKtinianl,  u,  222. 

4.  IX's  1394  et  1395  des  négociations  pour  recouvrer  Raina^onste 
avaient  Mé  entamées  par  les  rois  de  Cliyprc,  et  \'pnise  avait  promis 
un  appui  pécuniaire  {Mas  Latrie,  Itonimrntu  nottt^eaux  jtrrvntit  de 
preuve*  t\  l'histoire  de  l'tle  de  Chypre,  p.  364-5). 


COMPLOT    DECOUVERT   A    KAMAOOUSTE. 

partisans  les  plus  dévoués  do  Janus'.  Dix  hommes,  gagnés 
au  roi,  devaient  occuper  la  porte  do  Némosie  (Limasol)  ;  une 
rixo,  qui  éclata  parmi  les  soldats  qui  la  gardaient,  fit  croire  à 
l'un  des  conjurés,  Thomas  de  Campofregoso,  que  ses  amis 
avaient  agi  avant  l'heure,  et,  pris  de  peui\  il  courut  tout 
avouer  au  capitaine.  La  répression  ne  se  fit  pas  attendre; 
dix  conspirateurs  furent  mis  â  mort*.  Antoine  di  Guai'co 
demanda  des  secours  à  la  métropute;  Boucicaut  se  mit  en 
devoir  de  les  lui  envoyer  sans  retard. 

Le  roi  de  Chypre,  .lanus,  était  un  jeune  homme  de  vingt 
et  un  ans,  fils  de  Jacques  i  et  d'Héloïse  de  Brunswick;  la 
mort  de  son  père  l'avait  appelé  au  trône  en  I3Î)8.  Sa  jeu- 
nesse s'était  passée  à  Gènes,  mais  en  captivité.  Jusqu'à  la 
mort  du  roi  Pierre  n  (13  octobre  1382),  les  Génois  avaient 
tenu  Jacques  i  dans  une  étroite  prison  ;  à  ce  moment  ils  le 
relfichèrerjt,  non  sans  lui  imposer  uu  ti'aité  qui  leur  assurait 
Famagoustc  (tO  février  1383)  avec  un  rayon  de  deux  milles 
autour  de  la  ville,  et  le  port  de  Cérines,  sur  la  côte  septen- 
trionale do  lile.  Toutes  les  provenances  d'Egv'pte  et  de  Syrie 
devaient  être  débarquées  à  Famajurouste,  toutes  celh^s  do  la 
rôte  d'Asie  Mineure  à  Cérines.  Il  ne  restait  aux  Chypriotes 
que  Limasol  ;  encore  Gènes  avait-elle  eu  soin  do  réduire  le 
mouvement  de  ce  port  aux  importations  indispensables  à  l'Ile 
en  denrées  et  en  bétail,  ne  permettant  aux  habitants  que  le 
raliotage.  En  outi'e,  Chypre  avait  été  imposée  â  huit  cent 
mille  ducats  et  Janus  retenu  en  otage  à  GOnes. 

Après  im  premier  débarquement  malheureux  (juin  1383) 
le  roi  Jacques  dut  rentrer  â  Gênes  ;  la  chute  de  Pierre  et  do 
Glirnot  de  Mnutolif.  chefs  d'une  partie  de  la  noblesse  chy- 
priote, rendit  une  seconde  expédition  possible;  Jacques  fut 
acclamé  (?4  avril  1385)  â  son  déhari[uement, 

Janus  était  toujours  prisonnier;  il  ne  fut  relAché  qu'en 
I3UI  et  remis  aux  mains  de  l'amiral  de  Chypre,  Pieire  de 
Cafrau,  contre  une  rançon   de  cent  vingt-cinq  mille  écus 


1.  Mâcheras  (Chronûjue,  u,  :tâ7-9)  cite  parmi  eux  Simon  de  Montolif 
et  Georges  Billy. 

2.  niustiniani.  ii,  222-;î;  —  Stella  (Muratori,  xvri.  liyi|;  —  V.  Fo- 
h'Iiela,  M.  de  158S,  f.  IK:i  v.  —  Marheras*  {Chroniquf,  u,  a57-9)  donne 
le  chiffre  île  viti^t-liuil  personnes  tuées  à  la  suite  <ïe  la  «lécouverte  du 
l'oinplnl.  Il  y  a  lieu  de  prnndre  en  st^rien^se  Cionsidé ration  ce  tcmoi- 
(piage,  qui  ulTrc  de  grandes  garantie»  d'exactitude. 


410 


liOLClCAllT   GOfVERNEUH   DK    GENKS. 


d'or,  payable  dans  les  quarante  jours  de  Tarrivée  du  jeune 
prince  dans  Tile'.  En  môme  temps,  les  exigences  financières 
des  Génois  n'avaient  pas  do  bornes.  Non  contents  du  Irait** 
imposé  â  Jacques  i,  et  qui  leur  assui-ait  d'importants  avan- 
tages commerciaux,  ils  exigeaient  Texécution  intégrale  des 
conventions  du  19  février  1383.  La  dette  du  roi  envers  la 
Mahone  de  Chypre"  s'élevait  alors  à  neuf  cent  ving1-cin(| 
milita  Horins,  dont  cent  mille  représentaient  les  frais  du 
premier  débarquement\  On  convint  que,  pour  l'éteindre, 
l'île  payerait  annuellement  cinquante  mille  écus  d'or,  et  un 
impôt  il'un  'dixième  {dfcanatus)  sur  ftiutes  les  marchandîso:s 
fui  établi  pour  subvenir  à  cette  obligation*. 

La  situation  du  royaume  de  Chypre,  rjuand  Janu»  succéda 
à  son  père^  n'était  rien  moins  que  florissante.  La  flotte 
n'existait  plus,  le  pays  était  tléchiré  par  les  factions  qui 
se  disputaient  le  pouvoir;  les  Génois,  maîtres  de  Famagouste 
et  de  Cérities,  tenaient  tout  le  commeive  entre  leurs  mains, 
et  les  finances  royales  ne  pouvaient  suffire  aux  conditions 
p^'cuniaires  qu'ils  avaient  imposées.  On  comprend  aisément 
que  .lanus  ait  chi-rché  à  secouer  le  joufî  des  Génois  et  à 
les  rejeter  hurs  de  l'île.  Il  payait  assez  cher  l'appui  qu'ils 
avaient  donné  â  son  père  pour  l'aidor  à  reconquérir  sa  cou- 
ronne, et  leur  conduite  justifiait  en  quelque  sorte*  la  sienne. 
On  ne  saurait  lui  reprocher,  avec  rainerturae  qu'ont  montrée 
les  histoneus  génois,  l'oubli  des  bienfaits  de  la  république  et 
l'ingratitude  envers  la  ville  dans  laquelle  il  avait  été  élevé. 
Lui-même,  du  reste,  au  dire  des  chroni<iueurs  contemporains, 
loin  de  nior  ces  bienfaits,  se  faisait  gloire  de  l'éducation 
rerue  et  des  sentiments  puisés  à  pareille  source,  <  Les 
«  Génois,  disait-il.  ont  l'âme  lière  ;  il  faut  à  leur  ardeur  ot 
«  à  leur  activité  un  aliment  toujours  nouveau  ;  aussi  émi- 
«  grent-ils  pour  conquérir  à  leur  patrie  de  nouveaux  terrî- 
«  toires.  Ainsi  aî-je  fait  moi-même;  roi  de  Chypre,  je  veux 
«  la  grandeur  de  mon  pays,  comme  les  Génois  veulent  celle 


1.  Mas  Latrie,  Hist.  de  Chypre,  n,  42i. 

2.  On  entendait  par  ce  nom  une  sorte  «le  sociétt^  par  actions,  dont  le 
capital  avait  été  formé  dans  un  but  déterminé,  et  dont  les  bênéticets 
devaient  Mre  partaf^és  entre  tes  actionnaires.  Cds  associations  étaient 
très  en  faveur  à  Gftnos. 

:t,  Mas  Ijilrie.  Hist.  de  Cht/ftre.  il,  U2. 

■"i.  Hertjuet,  Cyprixrhr  K'iniijntji'giaUen^  p.  a5-6. 


ENVOI   U'UNK   ESCADRE  GENOISE   EN  CHYPRE.  411 

<  du  leur.  J'aurais  mal  profité  de  leurs  leçons  si  je  no 
€  songeais  à  conquérir  une  ville,  voisine  do  mes  etab*» 
«  fond(''e  par  mes  anc<>tres.  clef  de  luoii  royaume  »  *. 

Jaiius  éUit  résolu  à  mener  les  choses  vigoureusement  ; 
pourparlers  et  remontrances  furent  inutiles  ;  il  avait  sous 
ses  ordres  six  mille  hommes  de  troupes  environ  et  à  sa  solde 
quelques  vaisseaux  catalans.  11  déclara  qu'il  ne  lèverait  le 
siège  que  sa  barbe  ne  fût  devenue  blanche*. 

La  situation  était  grave  pour  Gt^nes.  En  présence  de  la 
fidélité  douteuse  d'Antoine  di  Guarco,  le  maréchal  envoya, 
dès  le  30  janvier  li03,  Miliaduce  Palavioini  à  FamagousU^ 
pour  y  remplafcr  le  capitaine.  Palavicini,  passant  à  Venise 
pour  gagner  son  poste,  avait  onire  de  mettiv  les  Vénitiens 
en  garde  contre  les  agissements  de  Guarco,  qui  semblait 
vmiloir  s'emparer  de  Chypre  pour  son  propre  compte,  et  do 
prier  la  répiihliqui?  de  Saint  Marc  do  suspendre  tous  rapports 
commerciaux  avec  lui  et  avec  Tile'.  En  même  temps,  Bon- 
cicaut  se  hAtait  de  secourir  la  garnison  de  Famagouste. 
Trois  galères  partirent  de  Gènes  au  mois  d'août  I  \0'2  sous 
les  oi'dres  de  frère  Antoine  do  Grimaldi,  commandeur  de 
Gènes,  de  Tordre  de  rH(5piial.  Dès  qu'elles  furent  en  vue 
do  Famagouste,  Tarnièe  de  Janus  se  dispersa,  lui-même 
s'enfuit,  el  les  Catalans  effrayés  coulèrent  à  fond  les  treize 
navii'es  qu'ils  avaient  mis  au  service  du  roi.  Le  siège  était 
levé  sans  condiat;  Grimaldi  put  s'établir  dans  l'île  avec  les 
renforts  qu'il  amenait  \  Il  y  mourut  de  maladie  l'année 
suivante*. 

1.  Giustîniaiii,  n,  r-'3-i;  —  Stella  (Muratori,  xvn,  lli»!);  —  l".  Fo- 
gliela.  éd.  ilo  1585.  f.  1H4  r*. 

2.  Kcirquel,  Ci/pr.  Kônitjs'jestaU^n,  p.  37;  —  Stella  (  Muratorî ,  wil^ 
1191);  —  Giustiniani,  \\,'ll'S:  —  \\  Foglieta,  éd.  de  1585,  f.  183  v«. 

3.  Aprli.  de  VeiiiHO,  Sen.  Serr.,  i»  50  v  et  84  v»-».*!  v.  —  Venise  ré- 
pundjtaii  gouverneur  de  G^neK^aprèftledèpartiU'  l'alavicini  (martt  1402), 
que  si  les  TiénniH  ne  pouvaient  s'entendre  avec  Guarco,  elle  em- 
pâdierait  se»  nationaux  d'aller  :i  Famagouste,  mais  que  Chypre  tétait 
un  point  d'une  ex1n''nieimfx>r(.')uce  pour  son  cx>mmerce  et  qu'il  faudrait 
((u'elle  rlioîstt  un  autre  jHjrt  de  l'ile. 

4.  Stella  (Muratori,  xvn,  ll95i;  — Giuhiiniani,  n,  224;—  L*.  Foglieta, 
éd.  de  1585,  f.  iH'i. 

fi.  Nous  ne  connaiisons  pas  la  date  exairte  de  aa  mort.  Nous  savona 
hniilement  que  wm  niircenvur  à  la  cornniandcrie  de  Saint  J^an  dtt 
Gène!',  frcre  FrMt'rii'  Malahpina,  fu!  iiuiuuu' le  26  luurs  Ii03  ^An-li.dv 
Malle,  Heg.  ttuU.  Mag.,  î.vu,  f.  136). 


CHAPITRE  II. 


PREMIKRES   DIFFICULTES    ENTRE    OEXES   ET   VEXJSE. 

Les  progrôs  que  la  ilomiiiatioti  génoise  n'avait  cessé  (ie 
faire  à  Chypre  s*élaient  traduits  pour  V^enisc  par  une  diiiii- 
nution  d'iniluence  et  d'aclivité  commerciale,  qu'elle  ne  sup- 
portait pas  sans  rancune  ni  sans  tl»*sir  de  reconqiit'^rir  sa 
suprématie.  II  est  naturel,  dans  ces  circonstances,  que  les 
Vénitiens  aient  été  les  conseillers  de  Janus.  et  rjue  ce  prince 
ait  recherché  leur  appui  pour  combattre  les  Génois.  Aussi. 
dès  le  commencement  des  hostilités,  le  bruit  courut-il  a 
Chypre  que  Venise  encourageait  la  prise  d'armes  du  roi  par 
des  secours  d'hommes,  de  munitions  et  de  navires.  Le  maré- 
chal, à  la  première  nouvelle  de  ces  bruits,  avait  envoyé  à 
Venise  Antoine  di  Mollodo,  notaire  du  gouvernement  génois, 
se  plaindre  d'une  pareille  c*vndui(e  et  demander  des  explica- 
tions. Lo  sénat  (5  juillet  1  iû?)  répondit  au  représentant  du  ma- 
réchal en  se  disculpant  d'avoir  fourni  aucun  appui  ;'»  Jamis» 
et  d'avoir  jamais  dû  armer  des  vaisseaux  pour  transportex 
en  Chypre  des  soldats  ou  dos  secours.  Noos  n'avons  pas, 
il  est  vrai.  <li3ait-il.  interrompu  nos  relations  commerciales 
avec  cette  ile  et  avec  Rhodes;  les  ambassadeurs  de  Janus, 
de  retour  do  Lombanlie,  ont  pris  passage  à  Itord  d*un  de 
nos  hAtlments  avec  quidquos  clievaux  et  quelques  armes  don- 
nés par  ntnus  au  roi  ;  un  autre  cheval  a  été  envoyé  à  un  do 
nos  compatriotes  résidant  à  Chypre,  Ce  même  bâtiment  con- 
tenait encore  deux  cents  bancs  tle  rameurs,  deux  bombardes, 
quelques  balislcs  et  <  viretons  »,  pris  dans  notre  arsenal  à  l.i 
demande  du  grand-maître  de  Rhodes  '  :   mais  notre  dessein 


1.  La  di^libération  du  sénat  autorisant  la  demai)dt>  du  jurand-inaîtro 
e»t  du  27  mai  I'i02  (Satlias,  Oocum.  inrdiit,  ii,  81). 


RELATIONS  TENDrES   ENTRE   (lENES   ET  VENISE. 


413 


I 


n'était  pas  de  favoriser  La  rébellion  du  roi.  Ces  explications 
fuivnt  (Jonnéos  â  l'ambassadeur  génois,  en  même  temps  qu'un 
refus  motivé  d'armor  un  plus  grand  nLHubrti  de  gal+res  poui" 
défendre  l'empiro  d'Orient  ot  de  fournir  û  Teiupereur  Manuel 
des  blés  provenant  des  colonies  vénitiennes  du  Levant  ; 
elles  étaient  conciliantes  et  idcines  de  franchise',  mais 
il  élail  facile  de  prévoir  «juc  la  divergence  des  intérêts  ne 
lanleruit  pas  à  faire  naiCre  t'auUigonisme  des  deux  puissances 
rivales. 

Les  relations,  en  effet,  entre  Gènes  et  Venise  s'aigrirent 
bientôt  ;  â  peine  cette  dernière  avait-elle  répondu  aux  expli- 
cations demandées  par  Moltedo  qu'un  fiiit  nouveau  (10  août 
liO?j  se  produisait.  Un  navin*  ^^éudis  avait  relâché  à  Modon 
au  retour  de  Constanlinople  ;  des  gens  d'armes  français,  des- 
cHïdus  ii  terre,  s'étaient  pris  de  querelle  avec  des  mercenaires 
â  la  solde  de  Venise  ;  François  Foscarini,  qui  était  sur  le 
vaisseau  génois,  avait  quitté  Modon  en  raenavant  les  Vénitiens 
de  leur  nuire  en  toute  occasion.  Si  ces  menaces  étaient  in- 
convenantes, il  est  juste  de  dli-e  qu'elles  avaient  été  provo- 
quées par  l'attitude  des  mercenaires.  Pour  éviter  d'envenimer 
un  incident  sans  conséquence,  la  prudence  consiùllait  au  sénat 
d'écrire  au  mari'chal  et  au  capitaine  des  gens  d'armes  afin 
d'apaiser  leur  courroux,  mais  une  proposition  en  ce  sens  fut 
rejetée'.  Ce  refus  montre  bien  l'état  des  esprits  à  Venise. 
Deux  mois  plus  tard,  quand  on  sut  que  l'expédition  d'Antoine 
de  Grimaldi  avait  lésé  les  intérêts  de  citoyens  vénitirns.  que 
plusieurs  de  leurs  navires  avaient  été  iurétés,  l'opinion  pu- 
blique ne  connut  plus  de  mesure.  Le  sénat  ordonna  d'urgence 
l'anuement  de  navires  légers  en  aussi  grand  nombre  que 
possible,  défendît  au  commerce  véiùtien  d'expédier  des  bâti- 
ments â  Chios  et  à  Mitylène  en  raison  des  dangers  qu'ils 
auraient  ;'i  courir',  et  envoya,  en  même  temps,  un  ambas- 
sadeur û  Gênes  demander  au  gouverneur  les  motifs  du  celtu 
digression  *. 


1.  Anh.  de  Venise.  Sen.  MUli,  XLVi,  f.  33v<>-4.  V.  Pièces  justifica- 
tives n"  .\xiv.  V.  aussi  les  délibération!»  du  29  décembre  1402,  dans  les- 
quelles CK'X  incident  est  rapporté.  Ce  sont  elles  qui  donnent  le  nom  de 
l'envoyé  de  Boucicaut  {Sen.  Secr.,  i,  f.  8'i  v*^  v*j. 

2.  Arch.  do  Venise.  Sen.  Mùtt,  xlvi,  f.  36  v". 

3.  2i  novembre  1W2  {Sen.  Seer.,  i,  f.  79). 

4.  14  octobre  1402  (5m.  Mistit  xlvi,  f.  48  v«-9). 


414      PREMIKRKS  DtFFICtLTES  ENTBR  GKNES  ET   VENISE 

Le  roi  de  Chypre»  sur  ces  entrefaites,  par  l'intermédiaire 
de  Boti  ambassadeur  Perriu,  insistait  vivement  auprès  de  la 
république  de  Saint  Marc  pour  obtenir  l'appui  et  les  conseils 
(lo  cetto  dernière.  Ceux-ci  étaient  plus  faciles  à  donner  que 
celui-là.  Elle  conseilla  (12  décembre  H02)  à  Perrin  d'aller 
voir  la  duchesse  de  Milan,  de  lui  exposer  Tétat  du  royaume 
de  Chypre,  et  de  la  décider,  à  cause  des  liens  de  proche 
parenté  qui  l'unissaient  au  roi  '.  à  intervenir  auprès  des 
Génois  eu  faveui*  de  Janus  ;  puis,  sans  tarder,  de  gagner 
Gênes  et  d'y  justifier  la  conduite  du  roi,  son  maître,  devjiDt 
le  conseil  di^s  Anciens,  en  exposant  qne,  si  Janus  avait 
attaqué  Famagouste,  c'était  parce  qu'elle  était  aux  mains 
d'Antoine  di  Guarco  contre  la  volonté  des  Génois,  et  |)arce 
que  Guarco  ruinait  Vile.  Le  gouvernement  génois,  asseas 
divisé  sur  la  question  chypriote,  devait,  dans  l'opiniou  des 
Vénitiens,  avant  d'entamer  une  guerre,  tenir  compte  des  frais 
et  des  hasards  qu'elle  entralneraii  ;  plusieurs  même  des  prin- 
cipaux citoyens  de  Gênes  avaient  personnellement  inti'rét  à 
ménager  le  roi  de  Chypre.  Il  était  donc  probable  que  les 
projets  d'accommodement  présentés  par  Perrin  ne  seraient 
pas  repoussés  '. 

L'ambassadeur  cliypriote  se  hâta  de  suivre  l'avis  du  sénat 
et  de  partir  pour  Milan;  quelques  jours  plus  tard,  il  revint  â 
Venise  (*^2  décembre)  ;  on  l'engagea  vivement  à  aller  à  Gènes, 
et,  en  excusant  .ïaniis  auprès  des  Génois,  à  ne  pas  se  départir 
de  la  morlération  nécessaire  à  un  arrangement  pacitique. 
Perrin  ne  trouva  sans  doute  pas  à  Gènes  l'accueil  qu'il  espé- 
rait et  que  les  Vénitiens  lui  avaient  laissé  entrevoir.  Le 
maréchal  et  le  conseil  des  Anciens,  sûrs  de  leur  force,  lui 
firent  sentir  que  Chypre  était  à  leur  merci.  Aussi  écrivit-il, 
avec  imo  nouvelle  insistance,  à  la  république  de  Venise 
(2  janvier  I  i03)  pom*  solliciter  son  appui.  Il  allait  jusqu'à 
dire  qu'il  était  autorisé  A  engager  les  biens  et  les  possessions 
du  roi,  et  que  celui-ci  donnerait  plut/>t  Chypre  â  Venise  que 
de  la  laisser  prendre  aux  Génois.   Quelque  tentantes    que 


1.  Catherine  VtBConti,  ducliesse  de  Mîlan,  éUît  steur  de  Valonllnff 
Visconti,  veuve  de  Pierre  n,  roi  de  Chypre. 

2.  12  décembre  1402  {Sen.  Secr.,  l,  f.  83).  —  Mas  Lalrie  {fiiti.  Ut 
Chypre,  n,  459-60)  a  publié  la  partie  principale  de  rette  déUbéraUon, 
mais  il  la  date  à  tort  île  UOl. 


EhîVOt   D  VPï    AMUASSADElTl   VKNITIEN   A   GKNES. 

fussent  ces  ouvertures,  Venise  eut  la  prudence  de  les 
décliner  V 

Il  lui  convenait  peu,  en  effet,  de  courir  dos  aventures  aussi 
téméraires,  quel([ue  prolit  quelle  dût  trouver  à  détourner  à 
son  avantage  tout  le  commerce  de  l'île  de  Chypre  ;  elle  pré- 
féra rester  dans  uno  saj^e  rosen^e  ol  attendre,  pour  décider 
la  conduite  qu'elle  tiendrait,  le  cours  des  événements  et 
l'issue  des  négociations  entamées  à  Gènes. 

L'envoi  d'un  ambassadeur  vénitien  auprès  du  maréchal, 
décidé  dés  le  1 4  octobre  I Î02,  avaitété  difféiv  pour  permettre 
à  Venise,  comme  à  Gènes,  de  recevoir  les  rapports  officiels 
do  leurs  agents  sur  les  faits  en  litige.  Le  12  décembre  U02, 
Zacharie  ïrévisan  fut  désigné  pour  cette  mission  ;  il  rerut 
ses  instructions  le  19  du  même  mois,  et  se  mit  en  route  sans 
rotard. 

Trévisan  était  chargé  d'exposer  les  réclamations  des  Véni- 
tiens. Ellos  portaient  sur  la  capture,  dans  les  eaux  de  Chypre 
en  septembre  1  iO?,  par  Antoine  de  Grimaldi.  chef  des  galères 
génoises,  de  quelques  biUiments  vénitiens,  et  sur  la  vente  do 
leurs  cargaisons  ordonnée  par  co  capitaine'.  Le  préjudice 
causé  de  la  sorte  un  commerce  de  Venise  était  estimé  à  dix 
mille  ducats,  dont  Trévisan  devait  demander  lo  rembour- 
sement. En  s'en  tenant,  dans  toutes  les  négociations,  aux 
termes  de  la  paix  de  Turin  (1^81)  qui  régissait  les  rapports 
entre  les  deux  puissances  *,  Trévisan  avait  ordre  de  ne  pas 
laisser  ses  adversaires  argiun*.  pour  gagner  du  temps,  de 
l'absence  des  rapports  officiels  émanés  des  agents  génois 
à  Chypre,  et  de  faire  observer  qu'une  pareille  excuse  était 
peu  vraisemblable  puisque  Venise  était  bien  eu  possession 
des  documents  relatifs  aux  niéraes  faits.  Il  devait  insister 
pour  obtenir  une  réponse  prompte  et  explicite.  En  aucun  cas 
il  ne  pouvait  être  question  d'une  renonciation,  de  la  ]mrt  des 
Vénitiens,  à  secourir  Jauus  dans  l'avenir  et  à  envoyer  des 


1.  32  décembre  1402  (Sen.  Swr.,  i,  83  v*).  —  2  janvier  1403  {Sm. 
Secr.,  I,  86j. 

2.  Tous  les  détails  relatifs  à  ces  faits  sont  exposés  dans  les  instruc- 
tions do  Trévisan.  V.  Pièces  justificatives,  n»  xxv. 

3.  On  avait  donn*^  à  l'ainbasso rieur,  avant  scni  rl^part  de  Venise, 
une  copie  du  toxto  do  la  paix  de  Turin,  et  deit  dépositiuntt  des  patrons 
arrêtés,  afin  qu'il  pût  discuter,  pièces  en  main,  les  prétentions  dus 
Génois. 


416      PREMIERES  DlFFlCt'LTKS  ENTRE   GENES   ET   VEKlSB. 

navires  à  Chypre.  Trévisan  était  autorisé  à  dire  qu'une  pa- 
i^ille  prétejitiou  n'était  pas  prévui'  4ans  les  instructions  qu'il 
avait  reçues,  et  qu'elle  lui  semblait  personnellement  d'une 
gravité  exceptionnelle.  Il  ne  devait  pas  manquer  de  rappeler 
au  uiaK'clial  K;  préjudice  causé  au  commerce  vénitien  en 
Syrie  par  les  incursions  de  la  galère  génoise  de  Famagouste 
conti*e  les  infidèles  '.  et  de  lui  demander  ses  bons  offices  pour 
faire  restituer  plusieurs  sommes  dues  en  Chypre  à  des  négo- 
ciants vénitiens*. 

Les  réclamations  de  Venise  étaient  justes;  Boucicaut  le 
savait,  et  avait  le  plus  grand  intérêt  â  s'assurer  la  neutralité 
de  cette  puissance.  Aussi,  avant  même  d'avoir  entendu  Tré- 
visan, avait-il  envoyé  un  ambassadeur  à  la  république  pour 
expliquer  ;iu  sénat  la  conduite  îles  Génois.  Si  Gènes,  disait 
l'envoyé  génois,  a  déclaré  la  gueire  au  roi  de  Chypre,  c'est 
pour  le  punir  de  s'être  montré  iugrat  envers  elle,  et  de  l'avoir 
attaquée  par  terre  et  pnr  mer,  au  mépris  des  bienfaits  dont 
Jacques  i  et  Jauus  ont  été  comblés  par  elle.  Elle  a  été  chai'uiée 
d'apprendre  par  Moltedo'  que  les  Vénitiens  ne  donneront  ni 
secours,  ni  euconragement  à  Jauus,  et  les  supplie  de  persé- 
vérer dans  coite  résolution. 

La  république  de  Saint  Marc  répondit  à  ces  protestations 
le  39  décembre.  Au  premier  point,  elle  répliqua  que  le  vrai 
motif  du  roi  de  Chypre,  en  prenant  les  armes,  n'était  pas 
d'attaquer  les  Génois,  mais  Antoine  di  Guai'co  qui  avait  saisi 
îe  pouvoir,  refusait  de  livrer  Famagouste  au  capitaine  envoyé 
de  Gènes,  et  arjiïait  des  navires  en  course.  Quant  an  second 
point,  elle  renouvela  la  réponse  qu'elle  avait  jadis  faite  à 
Moltedo,  mais  maintint  l'obligation  pour  ses  navires  do  tou- 
cher à  Chypre  dans  l'intérêt  de  son  commerce.  Elle  ajoutai 
que,  contrairement  à  tous  tes  usages,  ses  vaisseaux  avaient 
été  airètés  et  capturés,  qu'on  avait  saisi  et  vendu  les  cargai- 


1.  Voir  plus  haut,  page  408. 

2.  Quatrr;  mille  ducats  à  Pierre  llragadin,  Barbon  Moroaini  et  son 
fWirc;  deux  oorits  ducat.s  revenant  à  .Morosini  de  rh<^ritage  de  Richard 
de  Koligno.  V.  Pièces  justificatives,  ti^xw.  —  Une  partie  du  sénat 
avait  proposé,  au  cas  où  Gènes  refuserait  tout  ncrommodement,  de 
s'en  tenir  à  la  lettre  du  traité  de  Turin,  et  de  demander  la  nomination 
d'arbitres.  Cette  motion  ne  semble  pas  avoir  été  adoptée. 

3.  La  réponse  de  Venise  â  Moltedo  est  du  5  juillet  1402.  V.  plus 
haut,  page  412. 


NEGOCIATIONS  Ilfi^itLÎKKES  A   tiiùNEs. 

soiis  comme  si  elle  eût  été  en  guerre  avec  les  Génois,  et 
qu'elle  venait  d'envoyer  un  araljassadeur  à  Gènes  demander 
n'-paration  du  préjudice  causé.  Enfin,  elle  déclarait  qu'elle  ne 
croyait  pas  pouvoir  aliéner  par  une  promesse  sa  liberté 
d'action,  tout  en  protestant  éuer^^iriuement  do  son  désir  de 
maintenir  la  paix  de  Tarin  '. 

l>e  toutes  parts  l'opinion  pulïlîqiie  était  favorable  aux  Vé- 
nitiens. François  de  Carrare,  dno  de  Padoue,  très  écouté  de 
Rouricaut,  avait  proposé  s(ui  intervention';  reinporeur  Ma- 
nuel avait  fail  iMie  otlre  analogue,  et  Ja  républiiiue  de  Venise 
s'était  liAtée  d'accepter  cette  médiation'.  Knfin,  à  Chypre,  la 
situation  était  toujours  grave  ;  le  roi  avait  repris  le  .sièpe  de 
Famagousle  ;  afin  de  oouper  coiu't  à  toute  tentative  nUérieure 
de  la  pan  de  Janus.  nrie  expédition  considérable  devenait 
DÔc-essaire  •,  Pour  tous  ces  motifs,  et  surtout  pour  n'avoir 
pas  contre  lui  les  Vénitiens  dans  le  cas  d'une  rampa^e 
contre  Chypre,  Boucicaut  accueillit  les  ouvertures  de  Tré- 
visau,  et  îles  négociations  régulières  s'ouvrirent  à  Gènes. 

Elles  durèrent  pi'ndant  t))ut  le  mois  de  janvier  HOS  ; 
chacun  disputait  pied  à  pied  les  intérêts  de  son  gouverne- 
ment. Les  Génois  acceptèrent  l'indemnité  demandée  pour  un 
dos  navires*;  ils  admettaient  également  le  principe  d'une 
réparation  due  aux  citoyens  de  Venise^  pour  les  marchandises 
et  les  vaisseaux  saisis,  et  chargeaient  deux  des  Anciens  de 
Gênes  d'en  fixer  le  chiffre*;  quant  au  navire  de  Thadèe 
Betiedetto',  ils  offraient  de  le  restituer  dans  l'état  où  il 
était,  et  de  ne  faire  porter  l'indemnité  qu'on  leur  réclamait 
que  sur  la  cargaison,  mais  ils  refusaient  absolument  toute  com- 


i.  29  décembre  1402  [Sen.  Seer.^  i,  84  v«-5  v).  Ce  registre  des  déli- 
hératioris  nous  a  conserva  les  divers  jjrojeU  de  réponse  pmitos/'.H  nu 
stMiat;  il  y  a,  itiûmc  dans  ceux  qui  ne  furent  pas  adoplûs,  des  détails 
précieux  q  noter,  dont  nous  avons  proflté. 

2.  2  janvier  l'i03  [Sen.  Secr.,  i,  f.  86). 

3.  31  janvier  i'ioa.  Rf^ponse  de  Vcni«e  aux  ambassadeurs  de  l'em- 
pereur -Manuel  [Sen.  Secr.,  i,  86). 

'i.  Giustiniani,  u,  228;  —  V.  Koglictn,  éd.  do  1585,  f.  184  v. 

5.  Celui  de  Lucas  l^ngo,  capturé  le  'J  septembre  l'iO'i  aux  snlines 
do  Chypre.  V.  Pièces  justificatives,  n«»xxv. 

6.  Léonard  ot  Raphaél  de'  (ïentili. 

7.  Capturé,  le  7  septembre  1^*02,  aux  «aline»  de  Chypre.  V.  V\i*cp» 
Justificatives,  n«  wv. 

» 


418      rKEMikaES  DIFFICtXTKS   ENTRE  GENES  ET   VENISE, 

peitsation  pour  les  grîphées  ^  qui,  disaient-ils,  avaiout  «U^ 
envoyées  à  Chypre  malgn'i  les  promesses  des  Vi^nitiens  de 
cesser  tout  commerce  avec  l'île  {S  février  1503).  Venise  uo 
voulut  pas  accepter  ces  propositions.  Elle  fit  observer  par  Trê- 
visan  quf»  les  estimations  vénitiennes  éuùont  en  dessous  de  la 
vérité,  qu'elles  devaient  être  prises  comme  bases,  et  (ju'il  n'y 
avait  pas  lieu  de  les  discuter  comme  le  demandaient  les  Génoî». 
Elle  maintint  aussi  Pindeinnité  (|u'"dle  avait  à  re(.'evt»ir  pour  le 
navire  de  Thadéc  Benrdotto,  ne  pouvant  accepter  qu'on  1<» 
lui  rendît  sans  compensation,  quand  les  Génois  ravaionl  â 
dessein  démàtê  et  mis  hors  de  sen'ice;  enfin  elle  insista  pour 
que  les  griphées  fussent  comprises  dans  rindemnilé,  puis- 
qu'elles avaient  été  amenées  de  force  au  thàleau  du  roî^  cl  que 
jamais  les  promesses  dont  se  prévalaient  les  Génois  n'avaient 
été  faites  *. 

Los  négociations  se  contimièrent  en  mars;  à  cett«  époque 
(5  mars  l'iO.T),  Venise  venait  d'apprendre  qu'une  coche*  vé- 
nitienne avait,  le  ;^"l  novembre  140'^,  été  capturée  par  disme 
de  Grimaldi  et  Antoine  Gentil,  capitaines  de  deux  galères  gé- 
noises, et  qu'ils  avaient  saisi  la  cargaison*;  elle  s'empi-essa 
d'informer  Trévisan  de  ce  fait  pour  faire  ajouter  ce  fîrief  à 
ceux  dont  elle  demandait  la  réparation  '. 

Cette  prétention  nouvelle,  que  Gènes  refusa  d'admettre*, 
fit  ti'ainer  h^s  pourparlers  eu  loiïgueur.  Les  Vénitiens  per- 
dirent patience  et  doimèrent  à  leur  agent  (fl  a^Til  I  Ut3) 
l'ordre    de   quitter  Gènes    si    satisfaction    ne    lui   était    pa« 


1.  La  griphéc  ('tait  un  petit  navire,  correspondant  au  bAtimeni 
généralement  connu  sous  le  nom  de  brigantîn.  Ces  gripliées  furr«nt 
capturées  le  U  septembre  1  ''lO'i,  et  conduites  à  Famagouste  par  Grimaldi. 
^V.  Pièces  Justificatives,  n°xxv). 

2.  8  fi.Wrior  U03  (Sen.  Secr.,  i.  f.  87). 

U.  On  di^nnait  ce   nom  à  une  barque  aux  extrémités  très  releva 
portant  une  voile  carrée  au  railiou  et  trois  bandes  de  ris,  La  cool 
capturée  (patron  François  Pampariu)  allait  do  Chypre  à  Beyroutli, 
avait  M:  Uncée  Je  rtdîU'her  à  Rhodes  à  cause  du  ^ri's  tymps. 

4.  Procès-verbal  fut  dressé  par  les  autorités  de  Rtiodes»  énumcrant 
les  objets  qui  composaient  la  cargaison,  et  le  défaut  des  capitaines 
génois,  le  4  di^cembre  1402  {CotnmemoiitUi,  m,  n"  253,  p.  290). 

5.  5  mars  1403  {Sen.  Secr.,  i,  f.  UO). 

6.  4  avril  1403  {Sph.  Serr.,  i,  f.  95).  —  Proposition  de  lA>napd  <'-flni- 
vellii  pejeli^e  ((»»  ilialectc  v(''nitieii». 


ArcORD    ENTRE    LES    DEl'X    priSSANCKS- 


accordêo,  et.  en  prenant  coQgê  du  gouveruemcut  gt^nois,  de 
lui  faii'e  voir  les  conséquences  do  sa  conduiteV 

QueUiuos  jours  après,  rontre-ordrn  était  donné  à  Trévisan 
Ï20  avril  1103).  Vonise  lui  enjoignait  de  rester  trois  jours 
de  plus  â  Gônes^  afin  de  recevoir  les  documents  concernant 
de  nouveaux  dmnmMges  cnusés  aux  négociants  vénitiens  à 
Tripoli,  et  de  tàclior  d'en  oblcnir  réparation*.  Cotte  prolon- 
gation était  le  présage  d'intentions  conciliantes.  Le  27  avril 
Trévisan  quittait  définitivement  Gènes;  d'accord  avec  le 
consoil  des  Ancii'os  sur  les  dommages  et  intérêts  :i  payer  aux 
Vénitiens  pour  le  préjudice  souffert  dans  les  eaux  de  Khodes 
et  de  Chypre,  il  portait  au  doge  une  letti*e  de  Pierre  do  la 
Vieuville.  (a*  dcrninr  reniplarait  le  gouverneur,  parti  en 
expédition  contre  Janus,  et  énuméniit.  dans  sa  lettre,  les 
propositions  d*ind*'ninité  auxquelles  les  Génois  avaient 
consenti  \ 

La  république  de  Saint  Marc,  en  protestant  de  son  désir 


1.  9  avril  l'iOn  [Seu.  Secr.,  i,  97).  Lps  moindres  points  sont  prérîs^s 
ilaiiB  ceH  instructions,  t.a  délibération  fut  longue,  et  toutes  les  expres- 
HJons  pour  ainsi  diro  posées  dans  des  aiuendcinents  {Sen,  Secr.,  r,  98). 

2.  2i)  avril  l'iO:)  {Scn.  Sea\,  i,  76  v"). 

3.  Arcfi.  de  \  enisc  {Commemonah\  ni,  n"  2ti2.  p.  292).  Voici  le  détail 
de  ces  pn»positions: 

1"  Bâtiment  (l'A.  Mïchiel. 

Pour*  50  000  livres  de  potasse: 
20  iUtinient  de  Tliadée  Benedetto. 
Pour  1  200  livre»  de  poivre: 
Pour     300     —     de  gingembre  : 
Pour     900     —     de  poivre: 
Pour     4  mesures  de  cannelle  en  poudre: 
3»  Biifiment  de  Mondiuo  Bonaccorsi. 

l'onr  30  caisses  de  sucre; 
f*"  Indemnitf^s  à  troi»  navires  retenus  dan»  1p 

jKirt  de  Famagoiiste  : 

50  KectificalionH,  etc.  : 

fi»  lïàtmient  de  Kranraîs  Pampano  : 

7»  La  valeur  du  bfttimenl  de  Thadée  Benedetto  sera  estimée  par 

le  capitaine  génois  et  le  haile  vénitien  11  Nicosie. 

Il  est  aancz  difticilc  d'estimer  cxactcmont  le  poids  des  ctrgftisuns; 

le  document  italien  parle  de  mvjliaia  et  de  venlinaia^  me.surt>.s  de 

poids  dont  l'évaluatiori  n'a  rien  do  fixe.  Nous  les  avons  considérées 

comme  l'équivalent  de  poids  de  100  et  de  1000  livres.  Le-i  mesurei 

{cnntara)  de  canelle  ne   sont  pas  plus  préciiiCâ;  en   Tu»c;iiie  elles 

correspondaient  À  50  livres,  à  OAncs  à  150  livres,  l\  Xaplesii  250  livres. 


272  florins. 

1fi8  — 

m  — 

12ft  — 

128  — 

700  — 

300  — 

7^  - 

1000  - 


420      PREMIÈRES   DIFKICULTKS    ENTRE    GENES    ET    VENISE. 

tlo  vivre  en  bonne  union  et  en  paix  profonde  avec  les  Génois, 
accepta  (5  mai  1403)  les  chiffres  posés  par  eux,  et  le  paie- 
ment des  indemnités  au  premier  septembre  1403*.  Pierre 
de  la  Vieuville  (22  mai)'  s^erapressa  de  remercier  le  doge  de 
cette  acceptation  qui  terminait  le  litige,  en  l'assurant  que 
Gênes  mettrait  toute  diligence  à  payer  les  sommes  dues,  et 
s'efforcerait  d'éviter  le  retour  d'inconvénients  semblables  à 
ceux  dont  Venise  avait  eu  à  se  plaindre'. 


1.  5  mai  1403  {Sert.  Secr.,  i.  f.  101).  Venise  donna  en  même  temps 
ordre  à  son  agent  à  Chypre  d'estimer,  de  concert  avec  le  représentant 
de  Gènes,  le  bâtiment  de  Thadée  Benedetto. 

2.  Voir  plus  haut,  page  407. 

3.  22  mai  1403.  (Commemorialty  m,  n«  263,  p.  292.) 


(Quoique  les  négociations  que  nous  venons  de  retracer 
n'aient  étô  terminées  qu'au  mois  )!e  mai  1103,  cependant, 
(lès  le  mois  de  mars,  à  considérer  le  tour  qu'elles  avaient 
pris,  il  était  facile  de  prévoir  qu'elles  aboutiraient.  Cette 
perspective  avait  permis  au  maré<*fial  de  quitter  Gènes  sans 
attendre  un  arrangement  dértnilit",  et  de  faire  voile  vers 
f'hvprc.  n  partit,  le  4  avril  HOS,  avec  le  gros  de  sa  flfttte, 
laissant  à  (îèiies,  pour  le  représenter,  Pierre  de  la  Vieuville. 
qui  était  en  mt'-mt'  ti'iaps  podestat  de  la  cité'  et  réunissait 
ainsi  en  sa  pei'sonne  le  pouvoir  central  et  Tautorité  lunni- 
eipale. 

La  flotte  génoise  comprenait  en  tout  neuf  galères,  sept 
navires  de  transport  et  deux  auti'ps  gros  bâtiments.  Sur  les 
navires  de  transport  avaient  pris  passage  six  cents  lances  à 
deux  hommes  par  lance  et  six  cents  chevaux;  les  deux  autres 
navin^s  contenaient  sept  cents  hommes  do  pied;  une  autre 
galère,  année  ultérieurement,  rejoignit  l'escadre  à  Fuma- 
gouste  le  lï)  mai.  La  galère  du  maréchal,  outre  la  bannière 
lie  Houcicaut.  portait  celles  do  Notre  Dame,  <le  Saint  Laurent 
el  de  Saint  Georges;  l'élite' de  la  noblesse  française  faisait 
la  principale  force  de  rexpéditiou'. 

1.  Stella,  (Muralori  wii,  II97Ï;  —  Giusiiniani,  u,  238;  —  l,e  Livre 
Heu  fait»  II,  chap.  \i,  p.  620)  dit  qu'il  partit  le  3  avril. 

2.  On  vRpra  plus  bas,  par  la  liste  des  prisonnici-s  fait*»  à  Modon  ot 
par  loh  iiums  do  chevaliers  que  li;  lecteur  reneontrera  au  cours  de  ce 
récit,  la  Jii>tilicntion  de  cette  assertion. 

:ï.  /.(t'/r  fifsftiitt,  n,<*liap.  \i,p.  621.  —  Slclla,  (Muraturi  .\VU,  1137»; 


U\ 


DKl'AUT    r»r    .MAHKrilAI.    UE    liKNKS. 


Quelques  jours  auparavant,  le  2\  mars,  une  promièro 
galèro  était  soi-tin  du  pinl  de  Gènes;  elle  précédait  l'oxpêdî- 
tioii  et  avait  ù  Imnl  riinnile  de  la  l'ave  «  preudUomine  eu 
€  conscience  et  discret  eii  conseil  >.  un  des  ct»n>>eilier8  les 
plus  écoutés  de  Boucicaut,  un  des  diplumates  les  plus  exercé* 
do  ce  lcrai»s'.  Porteur  de  paroles  de  paix,  la  Vayo  devait 
tâcher  d'amener  le  roi  de  Chypre  à  traiter  avant  l'arriv^Ni  tlii 
maréchal;  personne  mieux  que  lui,  du  reste,  ne  pouvait  mener 
cette  négociation  à  bonne  fin.  Il  avait  été,  plusieurs  fois 
déjà,  chargé  auprès  de  la  cuur  de  Chypre  de  missions  ana- 
logues; personuelleiiienl  connu  du  roi  et  de  ses  conseillers, 
il  savait  sur  quel  terrain  il  allait  s'engager'.  Si  nous  en 
croyons  les  sources  vénitiennes,  la  Fayo  partait  avec  une 
mission  bien  définie.  D'après  elles,  Perrin.  l'ambassadeur  du 
roi  do  Chypre,  avait,  dm*ant  son  séjour  :"i  Oènes,  conclu  un 
traité  avec  celte  puissance,  et  la  Kayt'  allait  demander  à  Janus, 
pour  tîîu'antir  l'exéeution  de  la  convention,  la  remise  au 
maréchal  du  chùu^au  de  CérinRs\ 

I/expédition  génoise  était  loin  de  ra»3Uï*er  les  Vénitions; 
nous  avons  exposé  i)lus  haut  les  raisons  politiques  et  com- 
merciales qui  leur  Caisaient  voir  ave<:  défiance  une  flotte 
importante,  appartenant  à  une  nation  rivale,  faire  voile  vers 
rOrient,  maîtresse  d'agir  à  son  gré  dans  les  mors  du  Levant. 
Aussi,  dés  Je  U  nuirs,  cnxoyaietit-ih  au  capitaine  général  de 
rAdriatique,  Charles  Zéno,  l'ordre  de  concentrer  sur  les 
wUes  de  la  mer  Ionienne,  aux  environs  de  MtMlmi  et  de 
Corfou,  tontes  les  forces  mai'itimes  de  la  rt'puhlique,  eVst- 
â-dire  la  galère  Trévisane,  les  quatre  galères  île  Cn>te  et  la 
galère  *  Truna*  »  dont  i'armement  avait  besoin  d'être  com* 


—  Giustiniani,  ii,  228;  —  l-.  Koglieta,  éd.  de  I5H5,  f.  184  \^\  — 
Piloti  {Cher,  au  f'.yjnr,  i,  p.  39'i  )  ;  —  t)clibt'>ratioii  df*  Veniso 
du  'i  avril  lî03  (.Virh.  d«  VenUo,  .S'en.  Seer..  r.  f.  94).  —  )lolgrt\ 
les  noms  divers  iluiim^s  aux  diirércntes  pspéi'cs  de  bâtiments  par 
Ibs  chroniipieurs,  tuus  saut  iPaccurd  sur  k*  iiûiuhre  des  vaiﻫoaux: 
dix-huit  bàlimeiiLs,  doiu  iH'uf  luialtM-cs. —  l/dTcetif  militaire  li'aiisiiorti.V 
par  la  lluUc  nous  est  iudi(|Ui^  par  les  renseignements  «qu'envoyait  do 
Gànes  Xucharic  Trévisan  au  gonvorncmont  vénitien. 

1.  /.ivre  des  faits,  n,  ehap.  xi,  p.  621.  Voir  sur  l'Ermito  de  la  Kaye, 
plus  haut,  p.  363. 

2.  livre  des  fait»,  n,  ehap.  .M,  ]>.  621  ; —  Stella,  {.MuratoH  WH.  n9:i. 
:i.  'i  avril  t'.o:i  (ScH.  Seet.,  I,  f.  94». 

'i.  thi  appelait  ainsi  la  jralère  i|iie  roininandait  Ber  ICuslaelie  Trutio. 


INSTRUCTIONS  DE  VENISE  A  CHARLES  /ENrt. 

plét<V.  Zêno,  en  attendant  «les  instructions  définitives,  devait 
envoyer  ;\  Hhodes  pour  avoir  des  nouvelles,  et,  eu  cas  d'êviV- 
nient  grave,  détacher  la  galère  *  Truna  »  jusqu'à  Pareuzo, 
en  Daimatie;  de  ce  point  il  était  facile  de  communiquer  avec 
Venise  et  d'informer  le  sénat  d«  tout  ce  qu'il  aurait  intérêt 
â  savoir'.  En  nif'*nn'  temps  la  galère  qui  croisait  dans  les 
eaux  do  Nemie  reçut  Tordre  de  rejoindre  la  flotte";  trois 
galères,  armées  en  toute  hAte  à  Venise,  furent  mises  sou»  le 
conimandemonl  de  ser  liéonanl  Mon^nigo,  avec  mission  de 
rallier  Icscadro  de  Zéno  et  de  porier  â  ce  dernier  les  insti'uc- 
lions  de  la  république*. 

Dans  ces  instructions,  Venise,  convaincue  des  dangers 
d'une  guerre  avec  Gènes,  et  redoutant  qu'une  imprudence 
compromît  Tissue  des  négociations  entamées  par  Trêvisan  et 
presque  terminées,  recommandait  â  son  capitaine  la  plus 
grande  cii'conspeclion,  sans  cesser  d'être  prêt  â  lonto  éven- 
tualité. Los  quatorze  galères  vénitiennes  (en  y  comprenant 
celles  de  Mocenigo)  devaient  être  jin^tes  à  agir  au  pn-mier 
signal,  et  protéger  avec  la  plus  grande  diligence  les  intérêts, 
les  navires  et  les  établissements  de  la  république.  Zéno  était 
libre,  en  ras  d'une  nouvelle  agression  dos  Génois,  d'agir  à 
M»n  gré  contni  leur  marine,  pourvu  qu'ime  action  de  sa 
part  n'exposât  en  rien  la  flotte  véniti(mne.  Sous  ces 
réserAes,  il  avait  pouvoir  d'arrêter  et  de  capturer  les  bâti- 
ment*, (le  saisir  les  cargaisons  et  de  les  mettre  en  lieu  sfir 
jus(|u'à  ce  que  la  n-pnblique,  informée,  ail  décidé  (|ue|le  con- 
duite elle  tiendrait.  Au  cas  contrains  c'est-à-dire  s'il  était 
impossible  ou  dangereux  de  capturer  les  vaisseaux  ennemis. 
Zéiio  devait  se  borner  à  informer  lo  sénat,  avec  le  plus  de 
détails  possible,  dus  faits  accomplis.  La  galère  do  Nègrepont 
éUkit  mise  â  la  disposition  du  <rapilaine,  et  ordre  était  donné 
en  CrrU'  d'armer  une  nouvelle  galère  et  de  la  lui  envoyer'. 


I.  Il  était  lainsf^  à  Xi'iio  «ne  ^raïKlf  liberté  d  actiun  dun>  lo  nio>un 
il'opt'ror  rotto  roiu'Kiitratiun. 

J.  'J  nian*  1  iO:t  iSen.  Secr.,  i,  f.  Ul).  C'est  à  Modon  que  lo  capitaine 
de  TAdriatiqnr  ilevail  trouver  ses  iMnInictions. 

:».  2i  mars  l'iO:i  i.sVn.  Secr.,  i,  f.  y»). 

V  .S  avril  Ii03  (.s'en.  Secr.,  i,  f.  95). 

5.  iavril  Ii0:i  \Sen.  Srrr.,  i,  f.  'J^il.  Voir  Pièces  juslillralives,  ii«xxvi. 
Pimr  l'iHtn  im|H>rtant«  di'<lilK^ruttiin  un  exigea,  par  okccpliuii^  non  si^u- 
lt*niiMi(  la  majorité,  niniM  les  deux  tiers  des  voix.  Diverses  propositions 


i 


V^i  DKPAUT  I»r  MARKCIUL  HK  OKKES. 

CiH  eusemble  de  dispositions  protectrices  fut  complété  pi 
Ift  défense  au  commerce  vénitien   d'aborder  dans  Tilo  de 
Chypre,  nHn  d'éviter  toute  occasion  de  conflit  '. 

Itoucicaul.  eu  (|uittant  <réues,  avait  fait  voile  sur  Rhodes; 
i!  devait  y  trouver  des  nouvelles  et  savoir  si  les  propositions 
de  l'Krniite  do  la  Faye  avaient  été  écoutées'.  Il  n'avait  pas 
atteint  cctt^'  ilf  qu'il  rtait  rejoint  par  les  Vénitiens.  A  peine 
avait-il  passé  lo  royaume  de  Naples  et  franchi  le  détroit  de 
Messine  qu'il  apprenait  les  mouvement»  de  la  flotte  véni- 
tieime;  eu  airivant  en  vue  deModon\  il  trouva  Zéno  qui  l'y 
aUeuilait  avec  treizf  ^sil^roa.  Un  pareil  dépli)iemcnt  de  forces 
avait  lieu  d'étonuerlo  maréchal.  A  tout  hasard,  il  se  mil  f»n 
ligne  de  bataille  el  s'avanra  an-devaut  des  Vénitiens;  mai.** 
ceux-ci  «  se  partirent  du  port,  et  joyeusemeni  luy  vindnMii 
«  au  devant.  »  Cotte  démonstration  amicale  dissipa  U.'> 
soupçons  de  Boucicaut,  dont  la  loyauté  chevalesque  ne  pou- 
vait supposer  que  l'accueil  qu'il  recevait  fut  en  contradictiou 
avec  les  sentiments  intiun's  iIp  Venise  à  souégaI^i^ 

Les  ambassadeurs  dt^  Peuiporour  do  Constantinople, 
Mariuf'K  atli'ïHlaient  l*'  Tuaréchal  à  Modon;  ils  le  ju'iérent  dt* 
ne  pas  rcuii^^ttre  à  la  voile  avaui  l'arrivée  de  leur  niaitre  dans 
ce  port.  Ce  prince,  en  effet,  revenant  d'Occideul.  était  alors 
dans  le  despotit  dv!  Morée  que  jrouvernait  son  frère  sous  sa 
suxerainctt*;  son  voyage  avait  duré  près  de  ti'ois  ans,  et  Ih 
nouvelle  de  la  victoire  de  Tamerlan  à  Ancyre  le  i-appelait  à 
Corïstaidiuople*.  Oignes  Tavaitacrueilli  ina£rnitiqneTn('ni(»2jan- 
vic-r  liUJ].  file  lui  avait  donné   trois   mille  llurins   d'or  et 


non  îicloptéfs,  relatîvps  à  l'es  instructions,  nous  ont  f*tà  conservées  ;  le 
]ii>it)t  principal  quVIIes  visaient  était  de  fixer  h  cinq  mille  ou  à  dix 
uiiilo  ducat.-^  Ip  cliilVr*'  aiqiroximatif  iIlm  (lomuia^fHs  à  subir  par  Wiiltsc 
avant  iJf*  rtiiiqin- avi,T  1rs  (IcnoÏN  (.S«vf.  .SwT.,  i,  F.  y'i  v-^fo.  Il  ttemiile 
([uu  l'npift't  ciaiîon,  »n  pareille  matière»  eût  t^li^  ttiiigulièrcment  difh* 
cili.'  fi  di'-lJcati», 

I.  2y  avril  l'iOS  (.S>«.  Serr.,  i,  f.  79). 

'J.  5  avril  lio:(  (Sen.  Secr.,  I,  f.  95). 

a.  Kxtn.'rnïlé  sud  ouest  de  la  Mor^»». 

4,  Livre  (tfx  fait»,  u,  chap.  xn,  p.  62l-:i.  Les  événements  pontéHeurs 
désabuw'renl  le  iiiarcclial,  et  ce  oliapitre  du  Liwe  det  fait»  conti<<nt 
re\)»rf's.Mnn  altristce  de  ses  désillusions. 

5.  Nuut>  avons  exjtosé  plus  haut,  p.  37G-8.t,  Ipi»  iiiutifi»  el  les  ré.sutlut> 
négatifs  de  ce  voyafic. 


BOITICAI'T  KAIT  KSrORTKR  MA.MKi.  A  PONSTANTINOl'l.E.   4t^5 

promis  trois  galères  contre  les  Turcs'.  Venise,  moins  enthou- 
siaste, s'ôtait  engagée  à  le  faire  reeonduiro  en  Morée  selon 
son  désir,  mais  sans  [irornettre  fie  l'escorter  jusqu'à  Cons- 
tantinople.  Elle  se  réservait  d'attendre  les  circonstances 
et  de  voir  quelle  ronduîte  tiendraient  les  Génois*. 

Manuel  se  proposait  de  séjoiirnor  un  mois  en  M(M-ée.  Le 
despotat,  bien  que  gouverné  par  son  frère,  relevait  de  la 
couronne  impériale,  et  l'administratiun  faible  de  Théodore  le 
garantissait  mal  eontre  des  usurpaiions.  L'empereur  voulait 
remédier  à  cet  état  dr  choses  et  connaitrc  les  sentiment.s  des 
peuples  chrétiens  qui  entouraient  la  Morée  :  Valaques,  Alba- 
nais et  Serbes.  Il  attendait  une  ambassade  de  Soliman  i.  iils 
de  Hajazet^  qui  devait  le  joindre  en  Morée.  Il  semblait 
mémo  que  le  délai  qu'il  s'était  fixé,  et  auquel  il  se  tint,  était 
court,  pour  régler  de  pareils  intérêts. 

Boucicaut  s'empressa  d'accéder  au  désir  exprimé  par 
Manuel,  envoya  à  la  rencontre  de  l'empereur  ChAteaumo- 
rand  et  le  Génois  Jean  Centurioue  d'Oliramare*.  tandis  que 
[ui-méme  s'avançait  Jus(|u'au  port  de  Busilipotanio*.  L'entre- 
vue, à  lai|nelle  assistaient  la  femme  et  U-s  enfants  rie  l'emix.'- 
renr.  fut  très  cordiale.  Boucicaut,  apprenant  que  Manuel 
désirait  regagner  Conslanliuople  par  mer,  détacliu  de  sa  Hotte 


1.  Il  venait  dp  France  par  mer.  Voir  les  détaiU»  de  au  nVepttun 
dans  Stella  (Munitort,  wii,  1 1%),  et  dans  Oiustiniani  (il,  327-8).  Il  quitta 
i.(^iies  en  ftWrier,  par  terre,  se  rendanl  à  VeiiisL». 

2.  26  février  140.1  (.sWi.  Secr.,  i.  f.  86);  —  2  mars  i'iOS  {Sen.  Secr., 
I,  r.  89).  Venise  fixait  ;ï  vinj-'t-cinq  ou  tretjte  le  nombre  des  persoii- 
na^s  de  la  suite  de  l'emperenr  quollo  ofTrail  de  IransjKjrter  en  Mon-e: 
le  reste  devait  »>tro  eralmniuê  aux  frais  de  Manuel  sur  des  vaisi^eaux 
inairliandK.  —  .'i  mars  !'iO:i.  Défense  riait  faite  a  Zi^mi  de  di^jrasser 
Midvasia  (Scn.  .Sc/r.,  i,  f.  yo.  E*i.  Salhas,  Iiuftoti.  in^diix,  i.  ."»). 

:t.  Cette  anibnssatle  duiina  lien  au  iraifé  de  paix  publié  dans  Mub 
(.atrie,  Cummcrve  ot  lixprdidiinn  tniiilttù'rjt,  ji.  l7il-«::. 

't.  Le  6  janvier  t4n^.  Jean  de  1  bàleaumorand,  avee  trois  eonbeîlierii 
dont  l'un  était  Jean  t'enturione  d'Ottramare  (v.  sur  re  personnage, 
p.  177-8),  avait  été  rhargtV  de  se  nnidre  en  Orieni  pour  inspreler  les 
établissements  pt^nniK,  renoiivelnr  les  traités  de  la  république  avee  le>» 
print-eh  d'< orient  l'hii'-tiens  ou  musulmans,  ete.  iMas  Ijitrie.  f'.nmmrrre 
rt  /'^j'fH'ffitùmii  niifitai'reif,  \t.  IT2-T).  Voir  sur  <!biUeaumornnd  p.  tH'»-'>. 

r».  l'c  jH>ii  l'iait  a  l'euilMiurliure  du  fleuve  do  re  nom  lanfieii  /;w- 
n^aM),  au  fond  du  pilfu  rie  Laeunio. 


426 


ARRIVEE  DU  MARECHAL  A  RHODES. 


quatre    rr^lères,  sous   les    ordres   de  CliAteaumnrand.    pour 
reconduire  l'empereur  dans  ses  états'. 

Le  S(''nat  de  Venise  avait,  depuis  longtemps»  profil  cette 
hypothèse;  sou  capilaiue  général  avait  sur  ce  point  des  instruc- 
tions très  précises.  I!  devait,  si  Gênes  prôtait»  connue  elle  ph 
avait  manifesté  l'intention,  trois  galères  à  l'empereur  pour  le 
meneràConstantiniijde,  le  faire  égalementescorler  par  les  trois 
galères  de  Mocenigo.  Le  voyage  ne  devait  pas  se  prolonger  au 
delà  de  huit  jouis;  il  était  enjoint  à  Mocenigo,  dès  son  arrivée  a 
ronsluutinoplo.  rk*  revenir  sans  délai  se  mettre  à  la  disposition 
do  Zêno*.  La  décision  de  Fioucicaut,  qui,  au  lieu  de  trois  galères, 
en  donnait  quatre  à  l\'niponïur.  ne  laissa  pas  que  d'embar- 
rasser Zéno,  car  ses  instnidious  étaient  muettes  sur  cetti' 
êvcntïialité.  Un  conseil,  aiuiiiel  prirent  part  Mocenigo,  les 
capitaines  di's  vaisseaux  i>t  l'onitmir  de  Venise,  fut  tenu  dans 
l'île  de  Fatlinujs  Ir  i^lJniai;  îl  fui  décidé  que,  pour  ne  pas 
faiiv  moins  que  Géiies,  et  ne  pas  mettre  les  forces  vêuitieniifw 
<»n  étal  d'inférioi  lié  luuiiérique  dans  c(*  voyage,  quatre  galères 
escorlnraicnl  Manuel.  C'était  liieu  irtterpnHor  les  intention-s 
de  la  répahliqu^s  celle-ci  approuva  la  c<mduito  de  Zeno*. 

L'emiierpui'  partit  donc  sous  la  protection  de  huit  gîilères. 
tant  génoises  (jue  vénitiennes,  pour  Constantinople.  Uoucî- 
caut  l'accompagna  jusqu'au  cap  Saint  Ange*,  et,  avec  le* 
quatn^ galères  qui  lui  restaient,  se  dirigea  vers  Khodes,  suivi 
par  Zêno  avec  n<'uf  galères'.  I^oin  de  concevoir  de  l'omlïragc 
de  celte  conduite,  le  maréchal  s'en  réjouit,  persuadé  que  le-S 
Vénitiens  raccompagnaient  dans  rintenliou  de  se  joiiidix^  à 
lui  contre  les  Musiilnuuis.  Il  arriva  ainsi  à  Rhodes  (juin  1  îO:i)i 
Philihert  de  Naillae,  le  gr.-tnd-maître  des  Ilnspit-iliers.  l'ac- 
cueillit «  très  joyeusement  et  à  juonlt  grant  hoimeur  », 
et  dressa  avoc  lui  le  plan  de  la  campagne.  L'Krmite  de  la 
Kaye  ne  tarda    pas   à    revenir    de    f^hypro,   à   Rhodes,    Il 


1.  Mai  riO:î  (/,iV;t  des  fftitx^  m,  chaj».  xm,  p.  6*^:1.  —  l.a  voie  p«r 
terre,  à  laquo)lf>  lemptcrour  avait  songé  un  instant  pour  retourner  ji 
(lonslantinoplc,  avait  i-ié  di^tiiiitiveraent  ^carl^c.  Cf.  Sen.  Secr.,  i,  f.  8H-i> 
(2fi  fïSvrier  c-A  2  mars  TiOS). 

2.  5  avril  l'i03  {Sm.  Serr.,  i,  f.  9ô). 

:i.   10  juillet  l'iOa  (Seit  Serr.,  u  f-  102». 

V  I.C  crtp  Saint  Angfî  [caput  Matci)  forme  rcxlrémiti^  sud  est  de  la 
Moréo. 
5.  Lirrf  Ucg  futt»,  n,  chnp.  \m.  j).  »i2:i. 


INTERVENTION  Ul  «iRAND-MAITRE  ALFRES  DE  JAM».       427 

était  porteur  de  mauvaises  nouvelles,  sa  mission  avait  échoué, 
.lamis  HP  voulait  pas  ilêposer  les  armes  et  se  refusait  à  tout 
.tcrommodement.  Aus.sit*M  If  marérhal  se  mit  en  mesure  de 
pousser  viviMueiit  les  choses,  et  (l'fitlaqner  Chypre;  mais  le 
p'aiid-mailret  avant  d*ea  venir  à  cette  extrémité,  proposa  et 
tit  accepter  sou  intervention  iK^rsonnelle.  Philibert  de 
Naillar  partit  avec  la  Kave  pour  Chypre  (juin  1403). 
Dominique  d'Allemagne',  Drai^onet  Clavelli',  Gauthier  Gre- 
vetlou,  pri(*ur  d'Angleterre",  Ru^'uiond  de  Lescure,  prieur <lc 
ToulouHoS  et  Pierre  de  BauffrLMuont  ",  grand  hospitiilier, 
raccompagnaient*.  ChAteauniorand,  sur  ces  ontrefaite»,  et 


1.  Voir  sur  ce  porsunna^e,  plus  haut,  p.  32:i. 

2.  Dragoneto  ClaveMi  habitait  liliodcs:  ce  personnage  semble  d'ori- 
jîiiic  italienne:  il  irjijiparteiiait  pis  à  l'ordre  des  Ilospitalient,  mai» 
«on  existence  est  intimement  liée  a  la  leur.  T'était  un  bamjuier,  cor- 
rt*sixindant  du  fçrand-uiaitre  à  Rhodes  pendant  que  ce  dernier  était  en 
Occident.  A  ce  litre,  it  jouissait  dune  )L;rande  faveur.  Kn  i:f82  (^i  avril) 
il  fut  nommé  receveur  de  l'ordre  à  Rhodes,  en  (.'atalopne  et  dans  la 
L'hàtellnnio  d'Emposte.  Plus  tard  tl'*OI),  il  reçut  en  Hef  l'ile  de  .\isyii> 
cl  le  casai  de  Lardo  â  Htiodes.  Xaillac  l'appelait  des  noms  de  vassuUus 
vl  i\p  fnmitinn'H ;  il  reçut  de  lui  de  nombreux  services  tinanciers, 
mais  Clavellî  ne  semble  plus,  vers  hi  fin  de  ses  junrs,  jouir  du  toute  la 
faveur  qui  lui  avait  àtô  précédemment  témoignée.  II  mourut  entre 
lil'i  et  IViri  tAnrli.  de  Malte,  Rt^ij.  Bull.  Ma*j.,  VI,  219  v-;  XVI,  115  V»; 
x\ui,  lyn  v;  XXIV,  162.  —  Ikisio,  fhW  intoria..,^  u,  161). 

3.  \VttItopde<lrendon,pn''cepteurde  llalstone,  fut  nommé  le  18  oclo- 
lire  TiOO  prieur  d'Angleterre  ;  Il  mourut  en  l'ilfi  \The  enijlUh  vr  sUth 
inw/ue  uf  tfie  order  ùf  the  hospiUtt  of  Saint  John  uf  Jeruxalem^ 
ïjuiilon,  1880.  in-B",  p.  36). 

'i.  Itaymond  de  Leseure  avait  été  nomme  grand-prieur  de  Toulouse 
le  27  février  13%.  11  avait  été  envoyé  on  Murée  (1400)  pour  administrer, 
di-'  concert  avec  Klle  de  Kossaî,  les  possessions  do  l'urdre  ilans  le 
IVlojionèse;  c'est  lut  qui,  en  IWii,  fut  chargé  de  conclure  le  traité  que 
les  lluspiialiers  fîrent  avec  le  soudan.  Il  fut  ju:raiid  commandeur  de 
Chypre.  1-e  chapitre  Kénéral  d'Alx(lilO)  le  désijfua  comme  trésorier 
lie  l'ordre.  l/anm>e  suivante,  il  périt  <levant  Macri  en  Lycio  dans  «no 
expédition  contre  les  Turcs,  (.\rch.de  Malte,  Hc'j.  Bull.  May.,  xiv,  f.  'il. 
—  Ikisio.  Dell'  titorin...,  ii,  pas,sini). 

5.  Voir  plus  haut.  p.  316. 

6.  Livre  tien  faits.  II,  chap.  \iv,  p.  62V  —  Le  départ  de  Philibert 
lie  Naillac  eut  lieu  avant  le  VJ  juin  ri03,  comme  nous  l'apprend  une 
lettre  adrew^ée  à  celte  date  jwr  Xéno  à  Venise  et  datée  de  Sinmpalio 
idêlib.  du  10  juillet  IWia,  Sert.  Srcr.,  \,  f.  102).  I.e«  trois  (icrniers  noms 
mouh  sont  donnés  jKir  le  texte  du  traité,  auquel  CPh  persfinna^es  Ilj.'u- 
K'rciit  comme  téuioiiiK  (Ma>»  Lutric,  //i'*r  ffe  f^hjfftrr.  ii,  'iTI). 


428 


KSCAXDBLOL'R. 


quelque  toinps  avant  1*^  rcîtiiir  de  rErmile  à  Rhodes,  avait 
liii-môme  rejoint  le  maréchal  après  avoir  reconduit  l'empe- 
reur à  Constaiitiuople.  Il  rameit.til  un  ronfnrt deoinq  galères 
et  de  trois  galiot^s,  fourni  par  les  colonies  génoises  do  Péra. 
d'-îîlnos,  de  Mitylêne  et  do  Chios*.  En  mèm(^  temps  Zéno, 
auquel  Boui'icauï  avait  demandé  de  se  joindre  à  lui  contre 
les  uiéci'éaulH,  s'excusait  de  ue  pouvoir  eondescendre  au  désir 
du  maréchal,  faute  d'instructions  de  la  part  de  Venise".  Ce 
refus  comiuença  à  ouvrir  les  yeux  â  Boucicaut,  et  à  lui  faire 
comprendre  qu'il  avait  été  joué  par  le  capitiiine  vénitien. 

L'inaction  était  insupportable  au  maréchal;  pendant  qup 
le  grand -maître  négociait  â  Chypre,  Boucicaut,  sur  le  conseil 
des  riospitaliers,  reprit  la  mer  et  fit  voile  vers  le  golfe  de 
Sathalie  sur  la  côte  de  Pamplivlie\  Le  but  de  Tenlrepris*' 
était  la  conquête  du  château  de  l'Escandelour*.  En  mer 
l'escadre  génoise  rencotiti*a  un  gros  bâti  ment  sarrasin, 
l'attaqua  et  le  captura;  mais,  sans  s'arrêter  à  ce  prt^nùer 
succès,  elle  poursuivit  sa  route  ei  arriva  en  vue  de 
l'Escandelour. 

La  ville  se  développait  sur  lr»s  flancs  d'nne  colline  et 
descendait  jusqu'à  la  mer;  elle  était  commandée,  au  haut  de 
la  cellino,  par  un  important  château  fort;  sur  le  rivage,  une 
tour  défendait  l'entrée  du  port.  Le  long  de  la  mer  s'étendait 
une  plaine,  coupée  de  jai'dins  et  d'habitations.  C'est  là  que  le 
maréchal  débarque  ses  troupes;  il  dispose  d'environ  huit  cent* 
chevaliers  et  écuyers.  c'esl-â-dire  de  près  de  trois  mill»* 
i;ombattants,  el  les  range  en  bataille  dans  un  ordre  parfait; 
lea  bannières  de  Notre  Dame,  du  maréchal,  des  seigneurs 


I.  Livre  fteii  faita.  ri,  rliap.   \iv,  p.  62'i.  —  \iv  Pcra.  iiiit^  galère  K' 
une  jfaliotH;  ir.Knos,  mu»  gâliTL*  pI  une  galîuto;  ilo  Mitylène,  tm<^  pa- 
iera «I  une  gatinto:  et  de  riiios,  deux  ^alùpes.  Piluti  (CArc.  nu  Cytjfne, 
t,  p.  :i9'i)  tht  que  IttiiuMcaut  i-efut  du  Levant  un  scoonrïi  d'eiivin>n  »ix 
gîilées. 

'i.  Livrf  de»  faits,  it,  chap.  xiv.  p.  fiî'i.  —  La  ViUi  </i  f'.arLo  Zfno 
((^(i.  de  1829,  p.  182)  reproduit  ta  réjuMise  faite  parZêno  â  Ikmcicmut. 

U.  Nous  avons  suivi  pour  ces  (^vêneiueiits  le  Livre  ttea  faits.  Le* 
(')ironir|iu*iirs  pri^nois  tStella,  CitustiniaiMi  plarent  L*etlo  c\p<>ditiitn  apré^^ 
lit  l'oneliision  de  lu  pnîx  aver  le  roi  de  Thypro.  —  i'iloli  (.CArc.  nn 
f^ijf/rw,  I,  p.  :».'!  et  :ïy7}  rontirnifl  le  r^oil  du  Livre  det  failë. 

\.  Vo T  >nr  la  ]HP.sitio!i  de  rKsraiidrJO'ir.  jw^je  16. 


SUCCKS  I)f   MAKKiHAl.  IjEVaNT  L'KSCANDELOUR.  4?!> 

(l'Acher,  de  Cliâteauuiorand',  de  Clutoaiibrun',  do  Château- 
neuf,  de  Puyos.  etc.,  lours<^n'entde  signes  de  rallioment.  Tous 
sont  pleins  d'ardeur  et  d'espérance,  et,  avant  d'engager  le, 
combat.  Boucicaut  arme  plusieurs  nouveaux  ehevalier3\ 

Le  niarécLal  divise  ses  forces  eu  trois  corps:  l'un,  aux 
ordres  de  ChAleaumoranrl,  doit  attaquer  le  port;  Paiitrc,  com- 
mandé par  lyïuis  de  Culanl\  avec  cent  lioninies  d'armes, 
cent  arbalétriers  et  cent  valets,  a  la  mission  de  défendre  un 
passage  et  d'empêcher  que  la  ville  soit  secourue;  Rdiicicaut 
lui-mômo,  à  la  téie  du  ti'uisièfuc  corps,  celui  de  i'hàteaubrun, 
donnera  Tassant  à  la  porte. 

L'attaque,  du  c<"i*ê  de  Ch.iteauniorand,  l'iii  très  rivo  et  la 
défense  très  vigoureuse.  La  tour  du  puri  é(ait  bien  défendue; 
les  échelles,  appliquées  aux  murs  par  les  assaillanls,  se  trou- 
vèrent trop  courtes,  et  malfp-é  des  prodiges  de  valeur, 
Ohâteaumorand  ne  put  avancer  et  entrer  dans  la  place.  Du 
cdtédc  Calant  la  intle  ne  fut  pas  moins  acharnée,  et«Ii;pas  ». 
après  un  combat  acharné,  resta  aux  mains  des  Chrétiens: 
c'était  une  position  de  premier  ordre  pour  isoler  et  affamer 
la  ville.  Le  lendemain  l'assaut  fut  repris  et  mené  vigoureu- 
sement; Chàteaumorand,  malgré  la  résistance  désespérée  des 
Musulmans  enfermés  dans  la  tour,  réussit  à  s*empai*er  du 
port  et  du  bas  de  la  ville.  Les  magasins  du  bazar,  tombés 
aux  mains  des  Génois,  furent  pillés  et  les  marchandises  en- 
levées; les  bâtiments  ancrés  dans  le  ]iort,  au  nombre  de 
neuf,  subirent  le  même  sort  et  furent  incendiés  pai*  les 
vainqueurs*. 


1.  Jean  de  Chàteaumorand. 

2.  Guillaume  de  Naillac»  .seîjfneur  de  C^âteaubruii.  C'était  un 
t  moult  vaillans  chevaliers  •,  qui  se  distingua  à  la  prise  de  Saint 
Sa  vin  on  i:i6î»,  aux  campagnes  de  Castitle  et  de  Flandre  (i:i82);  il 
hiisait  partie  dr-  l'ost  de  llxluse  (1386)  et  de  l'expédilion  d'Espagne 
li:i87).  Il  fut  sénéchai  de  Sainlonge,  puis  capitaine  général  de  la 
Guyenne  en  deçà  de  la  Dordogne.  il  mourut  en  l^iOÔ  (Frois&art,  éd. 
Kervyn,  xxn,  27»-9), 

3.  Livre  des  faits^  n.  chap.  XV,  p.  625.  l'armi  eux  :  le  Barrois,  le  flla 
du  seigneur  de  la  Choletiùre,  nevou  du  maréchal;  le  seigneur  de 
Oiâiteauneuf  en  Provence,  me&sire  Menaut  Clia.ssagnes,  messire  Loui» 
do  Montigian,  etc.  —Stella.  (Muratori  xvu,  1199). 

4.  Voir  sur  ce  personnage  plus  haut,  p.  IJÔI.  Il  était  maréchal  do 
l'armée, 

5.  Ce»  navires  étaient  ;   quatre  fus'os,  deux  galères,  une  galiote, 


430 


r.  ESCANDEI.OUR. 


Le  seignour  ilo  l'Kscandt^lour,  au  moment  du  débarque- 
ment, tenait  là  campagne  conti*e  sou  frêro.  à  cinq  jour- 
nées de  marche  de  la  ville;  à  la  première  nouvelle  de 
l'arrivée  des  Chrétiens,  il  so  hâte  de  venir  au  secours  de 
la  garnison  du  château  dans  l'espoir  de  faire  lever  le  siège. 
Mais,  campé  à  un  demi-mille  des  forces  génoises,  il  n'ose  le« 
attaquer,  et  se  Imnie  â  les  «  contre  siéger  ».  Chaque  jour  ce 
sont  des  escarmouches  dans  lesquell*^"*  les  Sarrasins  laissent 
«  ou  plume,  ou  aile,  on  bien  y  esl oient  battus  »;  mais  jamaw, 
;ui  grand  ilésespoirdu  maréchal,  ils  n'acceptent  la  bataille.  Uo 
ji)ur  lioncicaut  s'avise  diui  stratagème:  il  fait  débanjuer  de 
nuit  quatre-vingts  chevaux  qu'il  dissimule  à  rennemi:  ses 
èclaireurs  engagent  un  combat  d'avant-garde  et  battent  en 
retraite,  attirant  les  infidèles  an  milieu  d'un  pays  coupé  de 
jardins  et  de  huies;  l'ennemi,  sans  défiance,  s'arrête  dan» 
les  jardins  pour  laisser  passer  la  grande  chaleur  du  milieu 
fin  jour,  Ln  maréchal,  profilant  de  cette  faute,  lance  contre 
lui  une  troupe  ilo  gens  île  pied  armés  A  ta  léger»;,  d"archer» 
et  de  valets;  elle  le  surprend  désarmé,  pendant  que  Uii-mÔroc 
e(  rhûteaniriorand,  à  la  téfe  îles  cavaliers,  font  un  mouvement 
env(*lo])p:uil  ol  touruaut.  La  déroute  des  Sarrasins,  pris  entre 
la  cavalerie  et  les  gens  de  pied,  est  complète;  leur  chef  sr 
réfugie  dans  les  montagnes  et  n*ose  plus  eu  descendre» 
quoique  le  maréchal  lui  offre  la  bataille.  Le  lendemain,  les 
Sarrasins,  poursuivis  dans  les  uiontagnes,  se  dispersent  dans 
les  bois  sans  combattre,  et  les  Génois,  redescendant  dans  la 
plaine,  pillent  et  brûlent  jardins  et  maisons. 

En  présence  de  ces  faits  le  seigneur  de  l'Escandelour  im- 
plora la  paix.  Le  maréchal,  frappé  do  l'importance  de  la  place, 
en  cas  de  gueiTe  avec  le  roi  de  Chypre,  comme  point  de  ra- 
vitaillement, la  lui  accorda;  quatorze  jours  après  son  dèbar- 
qnement,  Vescadre  reprenait  la  uut'. 


deux  naves  {Livre  des  faits,  n,  chap.  xvi,  p.  62.V6;  —  SteiU,  (Muratori 
Xvn,  1200);  —  Giustiiiiani,  n,  228;  —  U.  FoRlieta,  éd.  de  ir»8â,  f.  184  r^, 
i.  Livre  des  faits,  n.  chap.  xvn,  p.  626-7;  —  Stolia,  (Muratori  xvH, 
1200);  —  Ptiustiniaiii,  n,  p.  228;  —  C  raj;liela,  ('d.  de  \h%h,  f.  1«'.  v«. 
—  Piioti  (Chev.  au  Ci^gne.  t,  p,  3^0)  dit  que  Boucicîiut  ne  débar<)unpa5 
àSathalie,  maisqu'eftrayé  (lu  nombre deii  infidèles,  il  rebrousmachtiniin; 
c'est  une  erreur.  Muririo  Sanudo  (Vite  de  duchi  di  Vmezia,  Muratori, 
x\u,  790)  dit  de  mf'me  que  Boucicaut  ne  fit  rien  à  l'E&candt'Ionr.  Dm- 
dolo  (4.  Ihiiidiili  ehrnniron.  Muratorï,  \ir.  517)  e.sl  pliift  pxpljritr;  il 


PAIX    AVKr    I.F.   UOI    DE   CIIVPHE- 


431 


I^  paix,  cependant,  venait  d'être  conclue  avec  le  roi  »le 
riiypro;  la  nouvcllo  *?n  paninï  au  marôchal  au  moment  où  il 
s'apprêtait  à  quitler  l'Escanflfiloiir.  L'intorvention  du  frrauil- 
uiaitre  de  Hbudes  avait  ét^  dét-isive  (7  juillet  1  i03}.  Houci- 
rïiut,  heuroux  île  mettre  fia  aux  hostilités  contre  Janus,  et 
d'être  libre  de  diriger  tous  ses  efforts  contre  les  infidèles,  se 
hâta  d'accepter  les  clauses  du  traité,  et  do  faire  voile  vers 
Chvpm  pour  ratifier  et  échanger  les  gages  de  paix.  Le  grami- 
luaître  et  les  membres  de  la  haute  cour  de  Chypre'  l'atten- 
daient au  pt>rt  de  Pandaia,  pour  l'accompagner  à  Nicosie, 
résidence  du  roi'. 

Tout  l'honneur  de  cette  négociation  revenait  à  Philibert 
de  Naillac.  Il  avait  été  secondé  par  l'Ermite  de  la  Faye, 
représrntiint  du  roi  de  France,  par  Nicolas  tU*  Marco,  An- 
toine Ueggio  et  Cyprien  de  Mai'i,  fiui  agissaient  au  nom  du 
maréchal,  de  la  ville  do  Gênes,  de  l'ancienne  et  de  la  nou- 
velle Mahone  de  Chypre;  il  importïiit,  en  effe),  que  l'ancienne 
société,  cp*''ée  en  K183  pour  rétablir  .Jacques  i  sur  le  trône 
{miiomi  di  Ci//ro)*^  aussi  bien  que  la  nouvelle  Mahone  formée 
dans  le  but  de  fonder  le  capital  nécessaire  à  l'expédition  de 
Hiiiicicaut,  fussent  représentées  au  traité  pour  sauvegarder 
les  intérêt"  financiers  dos  actionnaires'. 

La  paix  du  7  juillet  l'i03  fut  à  la  fois  un  traité  de  paix 
i^t  un  traité  de  commerce,  dont  voici  les  principales 
conditions'  : 


raconte  la  défaite  des  Génois  et  affirme  qu'ils  furent  ubligés  de  réduire 
l'elTectif  de  leurs  galères  d«  vingt  et  une  à  onze,  pour  que  le»  équi- 
page fuKsent  complets. 

1.  Le  conseil  de  Janusou  haute  cour  se  composait  de  Pbîlippe  de 
Lu»ignan,  cunnéiable,  de  Renaud  de  Mimars,  maréchal,  de  llutrues 
de  la  Baume,  chevalier,  de  François  Canimcrdas,  lurcoplier,  d'Hugues 
Habin,  de  Jacques  de  Gîbellet  et  de  Sriavc  d'Asperch,  clievalicrH. 
iMos  Latrie,  I/iâl.  de  Chypre,  u,  467). 

2.  Uvre  des  fait»,  n,  chap.  xvni»  p.  627-8;  —  IMIot!  iC/ir».  au 
Cj/ffne,  I,  p.  397),  —  Les  Milions  du  Livre  des  faits  oui  iriipHiné  par 
erreur  Candie;  le  manuscrit  [urte:  l'andaia.  Il  »'aKit  do  Pandaia,  |><>rt 
de  la  CiVte  septenlrîunale  de  l'iiypre. 

3.  Klle  fut  ciinstituce  par  acte  du  19  octobre  t38^i  (Mas  latrie,  //i<f. 
de  Chypre,  n,  'i83). 

4.  Heyd,  Gesch.  des  î.evaniehnndels^  n,  ^«12-3. 

5.  Le  texte  de  ce  traiti^  a  été  édité  par  Mas  latrie  iUiêL  de  Chypre , 
n.  466-71J. 


4:^2 


CLAUSES  DE  I.A  PAIX  AVKC  LE  ROI  DE  CHYPRE. 


l.  Le  roi  (le  Chypre,  pour  les  frais  de  rexpédition,  don- 
nera à  la  nouvoUe  Mahone  de  Chypre  cent  ciuquaute  niillf 
ducals  d'i>r;  en  garantie  do  rexécutloii  de  cotle  clause. 
soixante-dix  mille  tlucats  eu  joyaux  et  îirgenlene  seront 
remis  en  gage  au  grand-maître  de  Rhodes'. 

'2.  Il  s'obligera  persounelleinent,  lui  et  ses  héritiers,  |>our 
Ibk  quatro-vingl  mille  ducats  restants,  et  cett43  somme  sera 
\ers(^e  entre  \vs  miiins  du  g]-and-niailre  jusqu'à  exécution  j»ar 
le  maréchal  dos  autres  couditi«uis  du  traité'. 

3.  Il  paiera  chaque  année  quinze  mille  ducats  en  dèductîou 
de-*  cent  ciiiquaril*^  nillli^  duoatsdiis;  chaque  paiement  lib^- 
rriîi  d'autant  les  garanties  données  par  lui;  en  cas  de  nou- 
paiemenl,  le  maréchal  se  paiera  eu  faisant  vendre  pareille 
.•<omme  desdits  gages. 

i.  La  légiiimité  île  la  cause  de  la  guerre  sera  jugée  par  le 
maréchal  et,  suivant  sa  décision,  toute  nu  jiartie  de  la  somme 
sera  rembours4^o  au  roi  de  Chypre. 

f).  Les  eugagemenls  pris  pai*  Jacques  i,  roi  de  Chypre, 
prédécesseur  de  Janus,  envers  les  Génois,  seront  appréciés 
par  le  maréchal  dans  lo  délai  d'un  an;  sa  sentence  sera  ac- 
ceptée par  le  roi  d<'  Chypn'  et  pai'  le  comnmn  dn  Gênes. 

G.  Les  captifs,  de  part  <'!  d'autre,  seront  relâchés  ;  leurs 
biens  leur  seront  rendus. 

7.  Le  roi  de  Chypre  paiera  à  l'aucienne  Mahouo  de  Chypre 
cent  vingt  et  un  mille  besans  vieux  de  Nicosie,  chaque  annéi*, 
jusqu'à  parfait  paiement  de  ce  qu'il  lui  doit.  Le  nmréchal, 
cependant,  pourra  diminuer,  s'il  le  juge  convenable,  le  chiffre 
fies  versements  annuels  en  les  répartissanl  sur  un  plus  graod 
nombre  d'années. 

On  remarquera  que,  dans  ce  traité»  bien  des  points  res- 
taient à  déterminer;  des  questions  importantes  avaient  été 
K'sei"vées  au  jugement  du  maréchal,  ce  qui,  au  premier 
abord,  peut  sembler  inusité.  On  conçoit  diflicilement»  en 
effet,   que  le  chef  de  l'armée  génoise  ait  été  pris  comme 


1.  La  quittance  de  remise  des  joyaux  au  grand-maitre  est  du  15  oc- 
tobre 1403  (Ed.  Pauli.  Cod.  (h'plom.,  li,  p.  I07-8J. 

i.  L'enga^flment  du  roi  de  Chypre  est  du  mi^me  jour  i*  Juillet  U03): 
il  est  fait  en  faveur  de  l'ancienne  et  de  la  nouvelle  Malione  de  Chypr» 
(Arch.  dcGènoB.  Diwrs  Heg.,  6-501,  f.  42  y-H.  Cf,  Mas  I.alrie.  //iV. 
de  Chypre,  n,  'tTI.  note  'n. 


RF.fîLKMENT    DES    POINTS    I.AISSKS    KN    SUSPENS. 


433 


arbitre  entre  le  roi  de  Chypre  et  les  Génois  eux-m«?mes. 
Ceito.  clause  ne  s'explique  que  par  l'opuiion  que  les  ennemis 
mûmes  de  Boucicaut  avaient  conçue  du  caractère  et  de  i*im- 
partialitè  du  maréchal.  Représentant  de  l'autorité  supérieure 
du  roi  de  France,  planant  au-dessus  des  questions  mesquines 
d'indemnit<^'s  l't  de  n-inhoursenients,  il  se  trouvait  investi, 
f^àce  à  la  confiance  du  roi  do  Chypre,  d'un  rôle  aussi  délicat 
qu'honorable.  En  outre,  le  traité  était  muet  sur  les  opérations 
militaires  dont  Faïaagouste  avait  eu  à  souffrir,  —  ce  qui 
nécessitait  le  règlement  ultérieur  des  dommages  et  l'apai- 
seraeiit  des  conili(s  ([uVlles  avaient  causés. 

Le  maréchal  (juillet  1  iO;|)  était  trop  pressé  de  courir  sua 
aux  mécréants,  pour  s'arrêter  longtemps  à  Chypre.  11  resti 
quatre  jours  av^r,  Janus.  si  courtoisement  accueilli  que  le 
TOi  voulait  à  toute  force  lui  faire  présent  de  vingt-cinq  mille 
ducats.  Boucicaut  refusa  Targeat,  mais  quitta  Janus  avec  la 
promesse  que  deux  galères  se  joindraient  â  la  HoUe  génoise 
contre  les  infidèles'.  Ce  ne  fut  qu'au  retour  de  l'eîtpédilion 
de  Syrie  (fin  d'août  liOS)  que  le  maréchal  séjourna  quelques 
jours  à  Famagouste,  et  s'occupa  de  i-égler  les  points  restés 
en  suspens  dans  le  traité  de  paix'. 

C'est  à  ce  moment  (?l>  aoftt)  que  Janus  accrédita  auprès 
de  Boucicaut  Georges  Billy,  son  conseiller,  qui  était  déjà 
entré  en  rapports  avec  le  représentant  du  maréchal,  Ambroise 
Rigio.  Boucicaut,  à  son  tour  (l'H  aoilt),  écrivit  de  Fauta- 
gouste  au  roi  de  Chypre  pour  le  prier  de  produire  ses  récla- 
mations avant  le  1  mai  à  Gènes,  en  exécution  des  clauses 
du  traité  ;  la  lettre  du  maréchal  fut  pi-ésentée  ;i  Janus,  le 
30  août,  par  Cyprien  de  Mari'.  H  ue  semble  pas  qu'il  ait  été 
difficile  à  Billy  et  à  Rigio  de  tomber  d'accord,  car,  dès  le 
3(1  octobre,  un  échangeait  de  part  et  d'autre  Télat  approuvé 
des  réclamations.  Klles  portaient  presque  exclusivement  sur 
Famagouste.  et  sur  les  rapports  entre  Chypriotes  et  Génois 
dans  l'ile. 


1.  Livrf  des  faits,  n.  chap.  xvni,  p.  628.  De  ces  deux  galères,  une 
seule  ue  Joignit  à  l'escadre;  l'autre  s'enfuit  •  carc'esloient  cour&alres  •. 

2.  Lit^re  lies  fnilK.  n,  chap.  XMV.  p.  634. 

3.  26  Jioùt  Ii0:i  (Mfts  Latrie.  llUl.  tie  Chypre,  u,  471-2).  —  28  aoiït 
I403(\pcli.  de  Gènes,  Divers  fieg.,  6-301,  feuille  volante).  V.  Pièces 
jUBtifioatiTea,  n»  xaviii.  —  30  août  1403  {Arch.  de  Gènes,  Divers  /ieg., 
0-501,  feuille  volante). 


434 


PM\  \yy.c  i.t  ROI  DR  rinfPRE. 


Sur  la  question  de  la  restitution  des  serfs,  esclaves  et  pri- 
sonniers de  guerre,  comme  sur  celle  de  la  restitution  des 
biens,  la  réciprocité  fut  fuciieinent  admise.  La  zone  de  deux 
lieues  ^jui  entourait  Famagouste,  et  qui  avait  été  abandonnée 
aux  Génois  par  In  traité  de  1383,  était  une  source  de  diffi- 
cultés toujours  renaissantes  ;  on  se  mit  d'accord  pour  per- 
mettre aux  tiabitants  <le  cette  ;ïone  de  rentrer  en  possession 
de  leurs  propriétés  sans  craindre  d'être  inquîélés.  —  Les 
conflits  de  juridiction,  qui  se  produisaient  souvent  entre 
Génois  et  Chypriotes,  furent  réglés  par  la  défense,  faite  au 
capitaine  génois  rie  Famagouste,  de  forcer  les  sujets  du  roi  k 
comparaître  devant  lui  sans  autorisation  royale,  et  par  le 
droit  de  justice  accordé  au  capitaine  de  Famagouste  ou  au 
consul  de  Gènes  dans  les  causes  mixtes.  —  Les  Génois 
avaient,  on  1383,  au  point  de  vue  commercial,  imposé  à 
Ch3'pro  des  conditions  tout  à  fait  draconiennes,  et  spéciale- 
ment l'obligatioii  pour  les  Chypriotes  de  n'avoir  de  port  qu*à 
Famagouste.  Cette  clause,  à  laquelle  Gènes  tenait  paiMlessus 
tout.  puisf|M'el]e  lui  mettait  tout  le  commerce  de  l'île  entre 
les  mains,  fut  maintenue  jusqu'à  ce  que  Boucicaut  efit  jugé 
la  légitimité  des  réclamations  de  Janus  ;  on  défendit,  en  mémo 
temps,  qu'aucun  Chypriote  sortît  de  l'île  sans  passeport 
royal,  formalité  dont  les  Génois  étaient  affranchis  pour  entrer 
dans  nie  et  y  séjourner  ;  tout  navire  dut  être  visité  avant  de 
prendre  la  nier,  pour  éviter  qu'il  eut  à  son  bord  des  sujets  du 
roi.  L<^s  Génois  qui  habitaient  Famagouste  purent  y  rentrer, 
et  les  sujets  du  roi  en  sortir  à  leur  gré  ;  on  permit  aux  émi- 
grants  de  Syrie  de  se  fixer  librement  dans  l'île  après 
déclaration  devant  les  autorités  compétentes. 

Les  questions  financières  préoccupèrent  également  les 
négociat^îurs  ;  il  fut  décidé  que  les  Génois,  â  quelque  Vace 
qu'ils  appartinssent',  contribueraient  au  paiement  annuel  de 
l'impôt  de  quatorze  mille  besants  à  payer  à  Gênes^  et  que 
l'ancienne  Mahoue  de  Chypre  serait  remboursée  de  ce  qui  lui 
était  dû  par  les  Chypriotes.  —  Quelques  points  particuliers. 
visant  certaines  personnalités  compromises  dans  la  guerre, 
furent  ensuite  réglés.  Le  drapeau  génois  et  celui  du  roi  de 


t.  Les  Génois  6/anM  éUiicnt de  race  lerantîne  et  libre;  les  Génob 
noirs  étaient  des  esi'lavos. 


PAIX  AVEC  LE  ROI  DE  CHYPRE.  435 

Chypre  durent  flotter  l'un  près  de  l'autre  sur  les  murs  do 
Famagouste*. 

Cette  convention  additionnelle  mettait  fin  aux  hostilités 
entre  Chypre  et  Gênes  ;  elle  rétablissait  entre  les  deux  puis- 
sances les  relations  amicales  que  la  prise  d'armes  de  Janus 
avait  un  instant  troublées. 


1.  Mas  latrie,  IliM.  de  Chypre,  n,  472  et  475. 


CHAPITRE  IV. 


CAMPAGNE  DE  BOUCICAUT  EX  SYRIE. 


(FIN  JriLLET-AOlT  1403). 


Boucicaiit,  ilébarrassé  <ie  tout  souci  du  côté  do.  Chypre 
par  la  conclusion  du  traité  du  7  jnilk^t  1103,  tourna  louleî* 
ses  forces  contre  les  Musulmans.  Persuadé,  avec  raison,  riue 
pour  frapper  d'un  coup  mortel  la  puissance  des  infidèles,  il 
fallait  l'attaquer  en  Egypte,  il  se  proposait  de  faire  voilfi 
vers  Alexandrie  et  de  s'emparer  de  ce  port,  dont  la  posses- 
sion lui  (lunrijiii  les  clefs  de  l'Egypte'.  Malheureusement  ce 
dessein,  d'une  haute  portéo  politique,  rencontra  des  difficul- 
tés insuniiontablos  auxquelles  le  maréchal,  malgré  Topiniâ- 
treté  de  sa  volonté,  dut  se  soumettre.  I!  se  heurta  d'abord 
au  mauvais  vouloir  des  Génois  :  ceux-ci  cousidéraient  l'expé- 
dition comme  terminée,  puisque  le  but  espéré  èlait  atteint, 
et  ne  songeaient  ([u'à  retourner  à  Gènes.  Les  capitaines  dos 
galères,  Jean  Conturione',  Luc  de  Fiesqut»,  Antoine  Reggio, 
André  Lomellini,  interprètes  de  ces  sentiments,  attaquèrent 
Irt  plan  de  campagne  de  Boucicciut;  ils  lui  reprochèrent, 
nnii  sans  amertume,  de  séparer  la  flotte  en  deux  escadres, 
dont  l'une  devait  se  tenir  à  cinquante  milles  d'Alexan- 
drie, tandis  que  l'autre  passerait  piu*  Famagouste  avant  de 
rallier  la  premièi*e.  C'était,  disaient-ils,  exposer  l'expédition 
tout  entière  à  de  grands  dangers;  ils  firent  enân  'observer 


1.  Nous  avons  eu,  maintes  fois,  au  cours  de  ce  travail,  occasion  de 
montrer  que  dans  les  projets  de  croisade  les  plus  sérieux  du  xiv*  siècle 
la  route  d'Kgypte  fut  con.statnment  prcconisôe, 

2.  Voir  plus  haut,  p.  177-8  et  425. 


DEMONSTRATION    CONTRE    ALEXANDRIE. 

que  la  saison  était  mal  choisie,  que  ventii  et  courants  étaient 
contraires  et  emiH^chaienl  défaire  voile  vers  Alexandrie.  Sans 
se  laisser  décourager  par  ces  considérations,  W  mîu'échal 
persévéra  dans  son  dessein.  En  quittant  (\vpio,  il  revint  à 
Kliodes  pour  prendre  le  yeui^  mais  ne  put  arriver  jusqu'à 
Alexandrie;  il  fut  forcé  de  rester  à  quinze  milles  environ  de 
la  ville,  sous  les  veux  des  Musulmans,  sans  pouvoir  débarquer, 
perdant  se-;  chevaux  enlevés  par  les  coups  de  mer'.  Devant 
cette  impossibilité  absolue,  il  renonça  À  son  projet,  et  prit 
pour  f>bjectif  les  côtes  do  Syrie  et  particulièrement  Tripoli. 
Les  Vénitiens,  qui  avaient  reru  l'ordre  de  suivre  pas  a  pas 
la  flotte  génoise,  de  se  tenir  au  courant  de  ses  projets,  et  de 
les  dévoiler  aux  intéressés,  s'étaient  très  consciencieusement 
acquittés  de  leur  mission*.  Elle  leur  avait,  du  reste,  été  sin- 
gulièrement facilitée  par  le  maréchal  lui-même  qui,  en  exhor- 
tant Zéno  à  se  joindre  à  lui  contre  les  mécréants,  lui  avait 
révélé  son  plan  de  campagne.  Le  capitaine  vénitien,  protitant 
de  celle  conridence,  avait  rlonné  l'alarme  sur  toutes  les  cistes; 
partout  Boucicaul  trouva  l'ennemi  en  défense.  .Vlexandrie 
étiiit  sur  ses  gardes;  les  fortifications  avaient  été  réparées; 
on  avait  recreusé  les  fusses,  et  si  les  circonstances  eussent 
permis  aux  Génois  de  débarquer,  ils  eussent  trouvé  quatre 
mille  cavaliers  pour  repousser  leur  attu(|ue'.  Ce  qui  eut  lieu 
à  Alexandrie  se  reproduisit  pendant  toute  la  campagne.  On 
ne  saurait  trop  flétrir  de  pareils  procédés,  dont  la  politique 


1.  Nous  avons,  !>ur  la  dèmoniitration  du  maréchal  contre  Alexandrie, 
(Im  détails  très  circonstanciés,  quoique  un  peu  confusément  exposés, 
dhns  Piloti  (Chrv.  au  Cygne,  I,  p.  39'i-7).  Ce  témoignage,  qui  est  celui 
dun  témoin  oi'ulaire  (il  habitait  alors  Alexandrie  et  le  Caire),  doit  être 
considéré  comme  très  important.  Il  n'est  pas  étonnant  que  le  Livre 
tteit  fniU  iM,  chiip.  xviit,  p.  tj28)glissu  sur  ces  faits  sans  y  insister. 

-'.  lOjuilIpt  \W.\  [Sen.  Secr.,  \,  102;.  Le  consul  des  Vénitiens  ;i 
Alexandrie  avait  été  pi-évenii  de^i  intentions  de  l'armée  génois**.  Voir 
Pièces  jusiilicalives,  n*»  xxvii. 

:i.  Piloti  iChcv.  an  Cygiie,  i,  p.  :tU4-5)  rapporte  le  fait  en  l'attribuant 
aux  «  maulvais  crestieiis  >;  en  qualité  dt^  Véuitit*n,  il  n'avoue  pas  que 
par  ce  terme  il  faut  entendre  ses  compatriotes,  et  donne  des  détails 
précis  sur  l»*s  travaux  de  défense  de  lu  ville.  Il  ajoute  que  Itoucicaut, 
prévenu  du  fait  avant  de  se  diriger  vers  Alexandrie,  y  envoya  un 
vaisseau  avcr  des  ambassadeurs  •  affin  de  tirer  liurs  lo  souspect  de 
4  la  mente  du  souldain  >,  mais  que  te  sultan  ne  se  laissa  pas  prendre 
»  cotte  ambss.sad'*,  destinée  à  lui  inspirer  une  fausse  .sécurité. 


438  CAMPAGNE  UE   BOfClCAL'T  EN   SVRIE. 

vénitienne  était  coutumière  et  qui  révoltent  la  conscicDCC 
publique.  Le  maréchal,  peu  fait  à  ce  double  jeu,  n'avait 
d'abord  pas  soupçonné  les  Vénitiens;  il  fallut  la  prise,  dans 
les  eaux  de  Bcyroutli,  d'une  do  lours  «  gripperies'  »,  dont  le 
patron  avoua  qu'il  avait  mission  d'annoncer  dans  les  port^  la 
prochaine  arrivée  des  Génois,  pour  ouvrir  complètement  les 
yeux  à  Boucîcaul*.  Le  sénat  de  Venise  n'avait  aucun  scrupule 
à  agir  de  la  sorte,  et  tandis  qu'il  avertissait  leDuemi.  il 
arrêtait  en  morne  tomps  tout  lo  commerce  vénitien  en  Orient'» 
dans  la  crainte  de  voir  ses  navires  capturés  par  la  flotte 
génoise  dans  les  eaux  du  Levant. 

Le  vent  était  favorable  pour  aller  à  Tripoli  ;  Boucicaut. 
repassant  par  Faniagouste,  y  rnllie  une  galère  et  arrive  le 
lendemain  en  vue  de  Tripoli*.  L'ennemi,  prévenu,  Tattend 
sur  le  rivage,  prêt  à  le  «  recevoir  aux  pointes  des  lances  ». 
Six  ceuts  clievnux  sont  rangés  sur  lo  bord  de  la  mer,  <  annej! 
«  et  couvers  tunt  richement  de  tin  vclonx  et  drap  d'or,  et  de 
«  tous  abillcmens  riches  ».  Le  costume  des  cavaliers  indique 
des  gens  «  de  graut  honneur  et  d<^  grant  estât  »,  et  les  plus 
I>nidents  engiigent  le  maréchal  ;i  ne  pas  tenter  do  prendre* 
terre.  MaisHoucicautno  se  laisse  ni  épouvanter  ni  <  esbahir  »: 
malgré  les  remontrances  de  s<iu  conseil,  il  maintient  «  â 
«  visage  hardi  »  la  nécessité  d'un  débarquement,  et  donne 
l'ordre  à  son  héraut  Montjoye  de  l'annoncer  dans  toute  la 
Hotte.  Celle-ci  se  met  aussitôt  eu  mouvement  et  fait  voile 
vers  le  rivage;  les  tiompetles  sonnent,  les  arbalétriers  sont 


t.  \ous  avons  dit  plus  IlhuI  fr  (|u'rtiiicnt  res  Irâtiments  légers. 
npiwlos  anssî  prijihtVs.  V.  pins  haut,  p.  'ilS. 

'1.  Itoiiciraiit,  iW's  irrifr,  voulait  <  lancier  «ii  la  mer  »  l'équipagp  de  la 
Krippci'ie;  mais  il  <  dclilinra  rpic  nun.  car  ilz  lui  avoicnl  r(^^rphi 
«  deboiinairemi^nt,  vl  aussi   le   méfiait  n'estuit  mie  si   ^i*ar)t  k  («ulx 

•  l'oinme  à  reiilx  qui  envoj'GZ.  les  y  avoient mais  ne  vouloit  null^ 

«  mont  (lue  par  lui  ne  jiar  sa  cause  fust  mcu  conten.s  entre  les  Venrci<*n* 

•  et  Gennevoii*  »  (Livri-  ries  fnitt,  ii,  ehap.  xxi,  tilM-ÏÏ). 

:i.  15  mai  1403.  Défense  île  partir  pour  la  Syrie  et  JalTu  (Zafff}, 
iSfn.  Mixtiy  XLVl,  83».  —  20  juillet  \W.\.  Mùmedérense  pourAlexandriOf 
Damiftto,  U  Syrie,  Chypre  (Sr».  -Wiwr,  xLVi,  92)  et  JafTa  {Sm.  Misti» 

MAI,  9'i). 

\,  5-7  août  l'iOS.  d'aprfts laloUre  tie  B.  Morosini {Munitori.  \mi, fK>0-1). 
AntéinoIgrtii^etli'Murosini  la  flulte  comprenait  (lix-neuf^aJèreîigénoisfK, 
deux  de  Rliodes,  un  liuissïer  igranil  bâtiment  de  transport)  sur  lci|ucl 
éiuit  le  gnuul-niajtrc.  ut  ili\  à  (lour.e  Yais*>eaux  plu^  petite. 


DEBARQUEMENT  A  TRIPOLI.  439 

k  leur  poste,  sur  le  pont  des  vaisseaux,  et  commencent  à 
tirer  sur  les  Sarnisius  qui  ripostent  sans  succès.  Les  Chré- 
tiens sont  animés  d'un  <  hardi   courage   ».   Leur  <   bon 

<  conduiseur  »  les  exliorte,  et  ses  paroles  redoublent  leur 
vaillance.  A  une  petite  distance  du  rivajr<".  les  bàtinienLs 
s'arrêtent,  les  jt^eas  il'aruies  satit<*nt  ù  la  mer  pour  gagner  la 
plage,  le  combat  s'engage  avec  an  achîirnement  terrible, 
corps  à  corps,  entre  ceux  qui  débarf|u*Mit  et  les  Musulmans 
qui  défendent  le  port.  H  y  eut  là,  dit  le  chroniqueur,  «  maintes 

<  lïelles  armes,  main  â  maiit,  et  maint  tour  de  bataille  ».  Les 
Sairasins  sont  !*ix  contre  un  et  font  beaucoup  de  mal  aux 
Chrétiens.  Le  maréchal,  donnant  l'exemple,  est  «  tichez 
€  es  plus  drus  »  et  se  bat  comme  un  linn  ;  il  entraîne  ses 
compagnons  qui,  appuyés  par  le  tir  des  arbalétriers  et  piir 
les  <  canons  qu'ilz  leur  lançoient  de  dedens  les  galées  »,  par- 
viennent au  prix  des  plus  grimds  efforts  à  s'établir  dans  le 
port'. 

Ce  n'est  lâ  qu'un  premier  succès.  Boucicaut.  après  quelques 
uiomentK  de  repDS,  reforme  sun  armée,  l'exhorte  à  se  bien 
comporter  <  car  il  avoit  espérance  en  Dieu  et  en  la  Vierge 
€  Marie  (|ue  ilz  aroient  bonïie  journée  »,  et  la  itiéne,  au  pas, 
«  les  lances  sur  les  coU  »,  contre  les  troupes  ennemies.  Les 
Sarrasins  l'attendent;  leur  iufîinterie  est  au  centre,  leur 
cavalerie  aux  ailes  du  front  de  bataille;  leur  effectif  total  s<» 
monte  à  quinze  mille  hommes,  dont  sept  cents  cavaliers, 
selon  les  appréciations  du  maré(dml.  Du  côté  des  Génois, 
auxquels  se  sont  joinls  les  chevaliers  de  Rhodes,  sous  la 
conduite  du  grand-mailre  Philibert  de  Naillac,  il  n'y  a  pas 
plus  de  deux  mille  combatUints.  Malgré  les  efforts  de  ta 
cavalerie  sarrasine,  après  un  combat  acharné,  les  infidèles 
perdent  du  terrain.  Sentant  qu'ils  ne  peuvent  résister  ni  au 
choc  des  hommes  d'armi'S,  ni  aux  traits  des  arbalétriers,  ils 
battent  lotitHmenf  en  reti*aite  <  tant  que  petit  A  petit  prirent 
«  à  euU  de  p;it'iir  et  laisser  la  bnlaille  »;  ils  se  Haltent,  par 
cette  manœuvre,  d'éloigner  les  Chrétiens  de  leurs  vaisseaux. 
et,  par  un  mouvement  tournant,  de  couper  les  communica- 
tions de  ceux-ci  a\ec  la  nier.  Le  maréchal,  sans  si*  laisser 
entraîner  à  les  poursuivre,  rallie  «es  stddats;  !M>n  entourage 


|.  /.ivre  (IfxfaiHf,  ir,  rhap,  XIX,  p.  628-9. 


440  CAMPAONK  »E   BOUCICAUT  EN   SYRIE. 

estime  que  l'affaire  a  ôuV  assez  meurtrièi*e  et  que  les  troQpo« 
y  ont  acquis  assez  d'honneur;  il  engage Bodcicaut  à  s'en  tenir 
à  ce  premier  avantage,  mais  ses  avis  sont  repousses.  Les 
Musulmans,  â  leur  toui-,  se  reforment  dans  les  jardins,  «  qui 
«  moult  sont  drus  et  espès.  »  Louis  de  Culanl*,  aver  Tavaut- 
g-arde,  est  envoyé  contre  eus  et  les  éhranlo.  C'est  le  moment 
([u'ils  choisissent  [>our  tenter  avi?c  leur  cavalerie,  qui  occiiptï 
les  deux  extrémités  de  leurs  positions,  le  mouvement  enve- 
Ifjppuiit,  grâce  auquel  ils  espèrent  cerner  la  «  bataille  >  du 
maréchal  ;  l' arrière-garde  dégage  Boucicaut,  et  le  com- 
bat recommence,  corps  à  corps,  plus  acharné  que  jamais;  il 
se  torminn  par  îa  retraite  des  infidèles  dans  les  jardins  et  les 
vergers  qui  entourent  Tripoli.  Le  maréchal  est  vainqueur;  il 
veut  poursuivre  l'eunemi,  nmis  ses  soldats  ont  trop  souffeii 
pour  qu'une  pareille  poursuite  soit  possible:  il  les  rallie  en 
bon  ordre  et  nMiionte  sur  ses  vaisseaux*. 

L'armée  chrétienne  s'était  couverte  de  gloire.  Le  grand- 
maître  de  Khodes,  Raymond  de  Lescure*  et  Pierre  d»*  Rauf- 
fremoiit*  du  c(Hé  des  Hospitaliers  ;  Châteaumorand,  l'Ermite 
de  la  Faye'  et  Louis  de  Culant'  du  côté  des  Fraurais. 
s'étaient  distingués  parmi  les  plus  intrépides.  Parmi  k»s 
écuyers  Tiercelet  de  Cheles,  .Jeau  de  Neuvy".  Uichurd 
Monteille,  Guillaume  el  Huguenin  de  Tholigny'',  (WiilleniJQ 
de  Labesse,  le  bâtard  de  Kebergues.  Jean  d'Onv*.  Ummad  di* 


I.  Vuir  pluïi  liant,  p.  :i61  et  42V. 

'J.  Livre  de*  faits,  h,  chap.  xx,  p.  6*20-31. 

y.  Voir  pluH  liant,  p.  '§27. 

1.  Voir  plus  haut,  p.  :tl6  et  427. 

5.  Voir  plus  haiil,  ]>.  MiiS. 

6.  Jean  du  NVuvy  senit  ronimp.  iVuyer  sou.s  I&  bitriiiière  de  Philippe 
dr  Ugnit'pps  (montre  du  K  mars  l:t8H.  n.  s.)  à  la  Chflpplaudp.  -Dants  un 
ante  de  1408,  conlirmô  le  11  juillet  l'ilï,  il  eut  qualitié  d'éciiyer,  t  ser- 
viteur de  mon.seigne«r  le  maresrhal  Hoiu;iquaut»  (Itild.  nai.,  [},  V'ille^ 
vieille,  TrêH.  tjén.,  LXiv,  F.  27  v"  ;  —  IMcccs  originales»  vol.  2103,  «o 
nml  NKUVV). 

7.  Guillaume  de  Tholigny  fut  fait  prisonnier  à  Mûdon,  la  m^ii» 
anni^e  (7  cet.  1403).  Uenilu  n  la  libert<^,  il  runtinua  à  comtiaUr*<  sous  Im 
ordres  du  maréchal.  Kn  1415,  il  était  chevaliep  bachelier,  avait  soui 
.st'î>  ordres  un  autre  chevalier  rt  une  di/aine  dVcuyers.  Il  servait  à  Pirii 
suu.s  le  commandement  du  prévôt  de  In  ville,  pour  la  sùroté  du  roi 
(Ribl.  nal.,  l'ièces  originales,  vol.  28;U),  an  mot  tiioliu.w). 

H,  Voir  plu!>haut,  p.  36U. 


DIVERGENCES   DES   TKMOIONAGES   CONTEMPORAINS.  lïl 

Camberonne.  le  Barrois*  etc..  avaient  fait  des  prodiges  de 
valeur  et  supplôô  par  lour  courage  à  la  disproportion  des 
forces'. 

Le.  fait  d'armes  que  nous  venons  de  racontor  ne  figure 
pas  dans  toutes  les  chroniques  ;  les  sources  g^^noïses  et 
vénitiennes  n'en  font  aucune  mention.  Nous  connaissons 
cependant,  tant  par  un  auteur  contemporain,  Piloti,  que 
par  une  lettre  écrite  par  le  baile  vénitien  de  Chypre 
H  la  république,  le  conihat  de  Tripoli  ;  mais  œs  deux 
récits  diffèrent  d'une  façon  très  sensible  de  celui  que  nous 
venons  de  donner  d'après  le  Livre  des  faits.  —  Piloti,  auteur 
contemporain,  très  au  courant  des  choses  de  l'Orient  à  cette 
è[>oque,  raconta  les   faits   tout  autrement.  D'après  lui,    <  il 

<  [Bouciraut]  s'en  alla  à  TrifK)li  de  Suria;  et  là,  le  matin, 

*  mist  se/,  gens  en  terre.  Et  premiers  que  ilz  arrivassent  alla 

<  terre,  qui  e^jt  ung  mille  et  demi,  ilz  vindreut  si  grant 
«  stKrcours  de  gens,  que  missire  Boussicart  se  mist  à  fuir,  et 
«  si  monta  sus  ses  galées  e^  ne  péust  tant  faire  qu'il  n'eu 
€  demoura  en  terre  pins  de  trente.  Et  Cimix  depuis  fuirent 
«  pris  vyf,  et  ilz  domatidarent  de  la  condition  et  intention  do 

•  l'armée;  et  depuis  le/  fiivut  morir  »^  A  son  tour  H.  Mo- 
rosini,  baile  de  Chypre,  qui  écrit  au  sénat  véuitiea  pour  lui 
faire  connaître  les  faits  survenus  en  Orient,  qui  est  à  même 
d'être  exactement  informé,  et  qui  a  toutes  raisons  de  trans- 
mettre la  vérité  à  son  gouvernement,  ilit'  que  les  Génois 
descendirent  à  teire.  à  deux  heures  de  la  journée,  que  le 
soigneur  de  Tripoli  s'était  relranché  dans  les  jardins  qui 
environnent  la  ville,  et  n'avait  envoyé  contre  \o  maréchal 
(|ue  cinquante  chevaux  pour  l'attirer  loin  de  la  mer;  il  ajoute 
que  le  prince,  voyant  les  Chrétiens  ne  pas  s'éloigner  à  plus  do 
sept  traits  de  baliste  du  rivage,  se  décida  vers  six  heures  à 
prendre  l'offensive.  Hi  reculer  les  (iénois  ju8(|u'au  rivage,  et 
jos  força  â  se  jeter  û  la  mer  pour  njoindre  la  tlotte,  en  leur 
faisant  subir  une  perte  de  plus  de  cent  hommes,  dont  un 
chevalier  français,  sans  compter  les  blessés. 

En  préstruce  do  récils  si  ilifférents,  dont  les  coiulilions  d'au- 


1.  Voir  plufthaut.  p.  18». 

2.  Cet»  iiuiu.K  sunt  citi^ï  par  le  Litre  des  fttiU^  u«  cliap.  X\,  p.  630. 

3.  I»iluti  {t:hcv.  ,i«  t:y,jne.  i,  :iîlT^ 

'i.  Lettre  dp  11.  Murusiiii  ^Muraroti,  .\\n,  8U0-I). 


442 


CAMPAGNE   DE    BOUCICAUT   EN   SYRIE. 


ihenttcit'é  sont  également  fortes,  il  est  mul  aisé  de  dém^ti^r 
la  vérité.  Il  est,  eu  effet,  difficile  de  rejeter  les  témoignage* 
de  Piloti  el  do  Morosini  qui,  bion  que  dissemblables,  se  for- 
ttfîeut  i'im  Tautre;  il  est  également  iui]iOïsible  de  repousser 
la  version  du  Livre  des  faits.  Quelque  partialité,  eu  effet, 
qu'on  suppose  â  l'nuteur,  ou  ne  peut  admettre  qu'un  rédae- 
tcur,  mr-me  oiîicie!,  comme  l'était  l'auteur  du  Livre  des  fait», 
ait  transformé  une  défaite,  aussi  grave  que  celle  dont  parlent 
Pilutî  et  Moi"osiiii,  en  une  série  de  combats  favorables  aux 
armes  génoises  ;  son  récit  comporte  une  abondîince  et  une 
précision  de  détails  qui  excluent  toute  imposture. 

La  vérité,  croyons-nous,  est  du  ciHé  du  Livrt'  tirs  fttfSf 
sous  certïiiues  réserves  cependant.  Bnucicaut,  vers  le  soir» 
se  retira  sur  ses  vaisseaux.  Ëtait-il  aussi  coinplèlemeut  vic- 
torieux qu'il  se  plaît  à  le  dire,  ou  la  vaillance  déployée  par 
ses  troupes  ne  servit-elle  qu'à  empêcher  la  ri'trai(<'  de  devenir 
une  déroute?  C'est  ce  qu'on  est  en  droiï  d'induire  des  témoi- 
gnages vénitiens  et  surtout  du  récit  de  Morosini;  mais  un 
fait  reste  ac(|uis,  c'est  que  les  Clirélions  combattirent  avec 
la  plus  intrépide  bravoure,  et  fii'ent  subir  à  rennemi  îles 
perles  sérieuses. 

Le  maivcUal  n'était  pas  «  saoulé  de  grever  les  Sarrasins  »  ; 
eu  quittant  Tripoli  il  fait  voile  vers  le  sud.  Dans  les  eaux  de 
Beyrnulh  il  di'lacbo  drnx  galères,  sous  le  commandement  de 
Chùteaumoriitid,  pour  capturer  une  galère  sarrasino.  Le  navire 
pris,  l'équipage  est  passé  au  (il  de  l'éjn^e'.  Pendant  ce  temps. 
Buucicaut  avait  pillé  lîotrun,  ville  sans  défense,  et  l'avait 
mise  â  feu  et  à  sang;  le  10  août  au  matin,  après  avoir  rallié 
son  lirulenant,  il  arriv;iit  devant  Beyrouth  '.  Ce  port, 
centre  commercial  important,  renfermait  de  nombreux  comp- 
toirs vénitiens.  La  côt<».  basse  en  cet  endroit,  les  remparts 
de  la  \ille  peu  redoutables  rendaient  tm  coup  de  main  plus 
facile  qu'à  Tripoli*. 

Comme  partout,  la  venue  des  Oénois  était  annoncée,  nuiîs 
les  Musulmans  n'étaient  pas  en  forces  pour  s'opposer  aux 
mouvements  du  maréchal.  Les  arbalétriers  de  l'escadre  for- 


1.  Livit  des  faiU,  n,  chap.  xxr,  p.  631. 

2.  Kt  nun  le  8  août  comme  dit  Marino  Sanudo  (  V  tir  de'  dochi 

Muratori,  wn.  7yO|. 
;i.  Ilcyd,  Gesch.  det  Levanlehnndets,  u,  ^i60. 


KHIEC  DRS  fïKXOIS   DRVANT  SAGETTE. 

cAreni  sans  pleine  «  œlle  chiennaille  r|ui  là  breoient  comme 
*  enragiez  »  à  so  retirer,  e!  à  se  renferm<'r  dans  la  ville. 
L'assaut  fut  donué.  et.  malgré  une  résistance  courageuse,  la 
ville  fut  emportée,  pillée  et  incendiée'.  Le  maivichal,  s'om* 
parant  du  butin,  chargea  sur  ses  navires  toutes  les  mar- 
rhandises  trouvées  à  Beyrouth,  dont  la  plupart  appartenaient 
aux  Vénitiens,  et  les  conduisit  à  Famagouste  pour  les  vendre 
aux  enchères'. 

Boucicaut  continua  alors  sa  route  vers  le  sud,  et  arriva 
devant  Sagette\  Douzo  mille  Musulmans  l'attendaient;  après 
les  avoir  couverts  de  bonihanles  et  <le  viretons,  et  leur  avoir 
mis  bon  nombre  d'honuues  hors  de  combat,  le  maréchal 
ordonne  le  débarquement.  Jean  d'Onv  s'élance  le  premier; 
à  ^oii  exemple  les  Chrétiens  <  comme  sangliers  se  tichoient 
«  en  la  marine  jusques  au  ventre  pour  leur  courir  sus  », 
mais  un  changement  de  vent  vient  contrarier  cette  opération. 
D«nix  cents  arbaléti'iers  seulement  et  autant  de  gens  d'armi^ 
avaient  débarqué;  cette  poijrnée  d'hommes  est  obligée  de  se 
défendre  contre  les  charges  des  Musulmans  sans  pouvoir  être 
secourue.  Kilo  reste  c  de  pied  quoy  »  sans  se  laisser  entamer, 
ri  tinit  par  s'emparer  du  port.  Après  cinq  heures  de  combat, 
dans  une  position  critique,  la  nier  et  le  vtMtt  ne  s'apaisant 
pas,  le  maréchal  se  décide  à  batti'e  en  retraite,  et  â  regagner 
les  navires*  (t.?  aoftt  li03j. 


1.  livre  tien  faits,  [),  ch«p.  x.\i,  p.  B'di;  —  Giustiniani,  n,  228:  — 
Piloti  \f:hev.  au  Ciffine,  i,  3y7-8);  —La  Vita  di  Curh  Zrruf,  p.  18^;  — 
Vite  (h*  Huchi  (Murutorl,  \\u,  790);  —  A,  HanduH  rhrunicon  (Murât - 
uri,  su,  ot7);  —  Aniialen  {''oroticirnsex  (Muraturi.  XXU,  203);  —  Crtf 
tutvhrtta  Venezittn/i  i.\n*ti.  Veiieto,  \vn,  2,  p.  \);  —  Lettre  do  Moro- 
bini  (Miimluri,  \\ii,  «omi).  l  V-tle  loltre  n'est  pas  entièremorit  reproduite 
ilana  Muratori:  elle  a  ('t<\  m  outre,  traduite  parle  clir')iu(|ueur  vi^- 
iiitiei)  MurinuSailudu  du  dialecte  véiiilii'ii  eit  langage  italien;  elle  so 
li*uuve  daiiK  non  iiilêgralité  daiiH  le  nmntiserit  de  la  Itihliutliéqne  de 
SaiiU  Mare  i,I.atliii,  c\ass,c  i,  n»  i.cxcix,  f.  70  v^2). 

2.  Le  Livre  lirn  fait*  ne  parle  pus  de  cette  «MreonHtaiiee,  qui  osl 
Itors  de  duute;  il  dit,  au  contraire,  «pie  la  ville  Mail  vide  de  ruarrltnn- 
tliseti,  et  (jue  lei^  iu'-}£ueiaulH  les  avaient  niîses  lï  t'ahri  dans  leK  huit» 
et  les  montagnes.  <"eiit  devant  lleyruutli  <|ue  Ituut'icaut  eupturu  un 
vaÏKM'ati  It^ger  vi'MiilitMi  (voir  plus  haut,  p.  ):iHj  et  qu'il  eut  la  preuve 
de  la  trahison  de  la  république  de  Vcni80. 

:t.  Aujourd'hui  Saida;  l'anciuiuio  Sidon,  appeldtï  aussi  Stiyette  au 
uiuynn  àgc. 

'i.  Livre  den  fait»,  w.  diap.  XMI.  p.  032-3;  —  Lettre  do  11.  Morosiui 
iMurntori,  wii,  sou- h. 


444 


CAMPAONK   DE   BOXJCICAUT  EN   SYRIE. 


Cet  échec  devant  Sagette  marque  pour  l'armée  génoise  le 
comaiencement  des  revers.  Malgré  les  conseils  les  plus  sages, 
le  maréchal  s'obstinait  à  continuer  la  campagne  contif?  un 
eunemi  prévenu  de  ses  mouvements.  La  brav(mro,  la  téiu(*niê 
même  des  Chrétiensi  ne  suffisaient  pas  à  triompher  du  nombre; 
les  vents  étaient  cnntraires,  et  la  ciSte  de  S;yTie,  sans  rade» 
sftres,  devenait  dangorouse  pour  la  flotte  et  rendait  tout  dé- 
barquement impossible.  Malgré  les  éléments,  Boncicaut  per- 
sista à  tenir  la  nw;r;  le  V(»n1  le  poussa  devant  Laodic<H*,  au 
nord  de  Tripoli.  Là  encore,  malgré  la  mer,  malgré  les  Sar- 
rasins massés  sur  la  rive,  il  voulait  pnmdi-e  terre,  et  avait  en- 
^oyé  reconnaître  les  deux  tours  de  la  plac<»  par  Jean  C^n- 
tiirione  et  Choleton  '.  dans  l'intention  di;  les  attaquer  le 
lendemain  ;  mais  le  quart  seulement  de  ses  galères  Tavail 
suivi;  le  reste,  égai-é  par  le  vent  et  la  mer,  ne  parvenait  pas 
à  rallier.  Le  gros  de  l'armée  des  infidèles,  croyant  quo 
Boncicaut  a  renoncé  à  son  projet,  se  démasque  ù  ce  moment  ; 
ils  étaient  bien  trente  mille;  le  maréchal,  corapronant  alors 
son  impuissance,  se  retire,  bénis.sant  le  ciel  de  n'avoir  pas 
tt*nté  un  débarquement  immédiat,  et  «reputant»  coite  cir- 
«  constance  comme  à  miracle  d<'  Nostre  Seigneur  qui  de  sa 
«  grâce  les  ot  voulu  sauver  »^ 

La  démoiisirntion  devant  Laodicée  marqua  la  fin  de  la 
rampague  de  Syrii?  ;  commencée  brillamment,  elle  se  ler- 
luiiiait  piteusement.  Le  nombre  des  ennemis,  les  blessés 
et  les  malades  qui  affaililissaient  et  paralysaient  la  tlotle. 
étaient  des  causes  d'infériorité  contiv  lesquelles  un  ne 
potivait  lutter.  Boncicaut  se  résigna,  ot,  tandis  que  le  gi*and- 
maîtr**  faisaîl  voile  vers  Cérines,  il  retourna  à  Famugoiisie 
pour  régler  les  points  restés  en  >iuspens  dans  le  traité  dr 
paix    (fin   d'aoïH    1403)*.    De    là   ii  gagna  l'ile  de   Rhodes 


1.  Il  s'agit  propablement  du  ilU  du  seigneur  de  la  ('Iwletière,  dont 
le  nom  patntnyniifiiu'  l'-lail  Clirilrt,  et  le  dimiiiutir  (.-holeton.  Il  ^l:iit 
neveu  du  maréoliKl.  ï Ji  l 'iDH.  K-  licutetiant  du  Kuuvepneur  n  (it^iiea  /-tail 
llujfues  Cliolot,  qu'on  peut  sans  t^-m^rité  idetitilier  avec  (hoU'ton. 
Nous  trouvons,  eu  laô'J,  la  trace  d'un  Hue  Cholet,  chevalier  lUibl. 
nat.,  Clairaratjault,  Tt'trcx  scfUt's  xxxn,  23"li.  Il  ap[)artenait  à  In 
mi>me  famille,  mais  il  est  douteux  que  ce  soit  le  même  porsunna^e 
i|Uo  celui  dont  il  est  ici  (juestion. 

2.  /.tire  de»  faits.  \\,  rliap.  x\iii,  p.  63'i;  -  Lettre  île  U.  Morobinî 
(Muratori,  \mi.  KOO-1), 

3.  Voir  plus  haut,  p.  Vt:t. 


I 

I 


PAHC  AVEC  LE   SOITDAN  d'EOYPTE.  445 

et  s*y  arrêta  une  dizaine  de  jours  (septembre  1403).  L'accueil 
du  graiul-maitre  fut  des  plus  courtois;  fôtes  et  festins  se 
3ucc6dèreut  sans  interruption.  En  même  temps  le  maréchal 
réorganisait  sa  flotte,  dont  les  équipages  étaient  décimés  par 
la  fièvre  et  les  blessures.  Tous  les  malades  et  blessés  furent 
mis  sur  trois  navires,  avec  un  grand  nombre  d'hommes 
d'armes  pour  les  escorter  et  les  défendre.  II  ne  lui  resta  plus 
alors,  en  troupes  valides,  r|u*enviriin  douze  i\  qnatorzA*  cont.s 
arbalétriers.  C'était  un  effectif  trop  faible  pour  continuer  la 
campagne;  le  retour  à  Gènes  fut  résolu'. 

Pendant  son  séjour  à  Rhodes,  le  maréchal  détacha  une 
partie  de  sa  tloite  à  destination  d'Alexandrie.  Cette  expé- 
dition, qui  est  certaine,  puisqu'elle  nous  est  pan-enuo  par 
des  sources  différentes,  n'est  bien  claire  ni  dans  son  objet, 
ni  dans  ses  circonstances,  ni  dîins  ses  résultats.  Les  chro- 
niques génoises  disent  qu'un  navire  fut  envoyé  à  Ah'xanilrii^, 
qu'il  portait  un  plénipotentiaire  chargé  de  conclun*  la  paix, 
mais  que  le  suudan,  s;icliant  la  faiblesse  des  troupes  génoises 
décimées  par  la  tiêvre^  refusa  tout  accommodement'.  Le 
Vénitien  Filoti,  on  mesure  d'élre  parfaitement  renseigné, 
nous  donne  des  détails  si  [irécis  qu'ils  noiit  pu  être  imaginés. 
Boucicaut,  dit-il,  tit  partir  pour  l'Egypte  deux  gros  navires 
do  douze  cents  tonneaux  chaunu,  commandés  l'un  par  Polio 
Arqua,  capitîiine  et  aaib:Lssadeur,  l'aulrc  par  Pierre  Naton, 
lie  Savotie.  Chaque  uavire  était  monté  par  deux  cent  cinquante 
hommes.  Les  capitAÎiies  commencèrent  <  à  guerroyer  celluy 
«  port  ».  bien  qu'ils  eussent  peu  de  chance  de  l'aine  quelques 
dommages  sérieux  autrement  qu'avei:  leurs  barques  armées', 
puis  ils  demandéreul  la  paix.  PoUo  descendit  à  terre  pour 
la  négocier,  et  trois  mois  après  elle  était  signée;  le  soudan 
avait  exigé  d'être  indemnisé  des  dommages  qui  lui  avaient 
été  causés;  les  Génois,  de  ce  chef,  payèrent  trente  mille  ducats. 
Le  chroniqueur  ajoute  que  ce  traité  les  déconsidéra  tellement 


1.  Livre  de»  faits,  u,  chap.  xxiv,  p.  634. 

2.  Stella,  (MuraWri.xvn.  1200);  — (iiusliniani,n,p.228;  — T.  Foglieta, 
éd.  de  I58j,  Ï.  IH4  v.  —  Le  Livre  deit  faits  {ii^  chap.  x.xxi,  p.  CtS)  wii- 
firnie  l'etivoi  d'une  ^al^re  devant  Alexandrie. 

3.  Les  grus  vaisseaux,  k  cause  de  leur  tirant  d'eau,  ne  puuvaient 
k       apprucher  d'Alexandne;  ta  ente,    sans  mouillages  sûrs,  était  très 


CAMPAfiNR  DE  BOfCICAlT   EN  8YEIE, 

dans  cps  parapos  que  «  quasi  ont  abandonné  celliiy  voyage  »*, 
CV'tait  payer  bien  cher  la  satisfaction  (funo  vfngence  per- 
sonnelle, et  quelques  douiiiiages  matériels  infligés  aux  Mu- 
sulmans. 

La  campagne  de  Syrie  n'eut  et  ne  pouvait  avoir  aucun 
résultat  sérieux;  il  eût  fallu,  selon  Piloti*,  —  et  nous 
souscrivons  à  ce  jugement,  —  que  le  maréchal,  dès  son 
premier  séjour  à  Rhodes,  au  lieu  «ralIcM-  sur  les  ctites  d'Asie 
Mineure,  se  dirigent  de  suite,  avee  toutes  ses  forces,  rontre 
Alexandrie,  avant  que  les  vents  ne  fussent  contraires.  Dans 
ces  coiidilious,  «  il  eust  prins  la  terre  avecque  très  grunt 
«  avoir  et  avecque  son  très  grant  honnour,  et  aussi  de  toute 
«  la  crestienté  »,  la  campagne,  ngoureusoment  menée  contre 
l'Egypte,  eût  pu  faire  couiir  les  plus  grands  dangers  à,  la 
puissance  musulmane.  Nous  avons  vu  que  la  conduite,  toute 
différente,  de  Boucicaut,  eut  pour  les  Génois  des  conséquences 
désastreuses. 


1.  Pilotî  {Chev.  au  Cygne,  r,  398-9). 

2.  Piloti  {CheiK  au  Cygne,  i,  399). 


CHAPITRE  V. 


BATAILLE  DE  MODÛN.  —  RETOt'R  DU  MARECHAL  A  0ENB8. 


(OCTOBRK   1403). 

Lp  pillage  dp  BejTouth  (8  août  l'iOS)  avait  été  fort  préju- 
diciablp  au  commerce  dp  Vonise.  qui  fintretenait  dans  cotto 
place  d'importants  comptoirs.  Quand  la  villo  tomba  aux 
miiius  des  GéDois.  les  entrepôts  vénitiens  ne  furent  pas 
respectés  plus  que  ceux  des  autres  nations.  Malgré  les 
plaintes  des  Vénitiens,  leurs  marchandises  furent  enlevées^  ; 
cinq  mille  ducats  leur  furent  pris,  et  un  vaisseau  appartenant 
à  Bomard  Morosîni,  vice-baile  de  Chypre,  fut  capturé  dans 
le  port  ".  Devant  les  réclamations  que  souleva  sa  conduite, 
le  maréchal  se  justifia  en  affirmant  son  droit  de  s'emparer  de 
tout  ce  qu'il  trouvait  en  territoire  ennemi,  encore  qu'il  ne 
fftt  pas  eu  guerre  avec  Veiii.so\ 

Une  pareille  réponse  n'était  pas  faite  pour  satisfaire  la 
république  de  Saint  Mai'c  ;  la  nouvelle  du  pilluge,  transmise 
par  les  marchands  de  Bej'routh  à  Bernard  Morosini',  et 
par  lui  au  capitaine  général  Charles  Zéuo,  parvint  à  Venise 


1.  Vite  de*  duchi  (Miifalori.  xxu,  7901.  Ces  marchandises  eunsi»- 
laîent  «n  quinze  cents  ballots  importés  de  Damas,  d'une  valeur  de 
trois  mille  tliicats-  Le  rapport  officiel  porte  <  v  pondes  specierum  » 
{Sert,  Secr.,  i,  108). 

2.  A'en.  Secr.,  t.  108.  Ce  bâtiment  était  de  cent  quatre-vingts  ton- 
neaux et  portait  soixante-quatre  ballots  de  coton. 

3.  Vite  de'  duchi  (Muratori,  xxu,  790);  —  Cronachetta  Venexiana, 
p.  4;  —  VHa  di  Carlo  Zeno,  p.  183;  —  Lettre  de  B.  Morosîni  du 
21  août  1403  (Miiratori,  xxri,  800). 

4.  D'après  Sanudo  {Vite  de'  dMhf},  il  s'appelait  Etienne  d'Acre. 


44^ 


BATAH-LE  DE  MODON. 


le  19  septembre  par  ta  galère  <  Molina  »  *,  que  Zéno  avait 
t-Mivoyêo  en  toute  hàtv  pour  inforiiier  le  sénat  de  l'^vt-ni^- 
meiit'.  La  lettre  de  Morosini  signalait  les  Génois  roinnu- 
ilisposés  à  mener  la  campagne  en  corsaires;  Venise  répondit 
îi\i\.  communications  de  son  agent  en  recommandant  la 
plus  grande  réserve  à  Zéno  afin  d'éviter  tout  coiiflU\ 

Pendant  ce  temps  Zéno,  aux  termes  de  ses  instructions  du 
10  juillet,  aurait  pu  attaquer  la  flotte  génoise,  coupable  d'avoir 
commencé  les  hosiilîlés  en  pillant  des  établissements  véni- 
tiens ;  mais  il  se  rendait  irop  bien  compte  des  hasards  et  des 
ronséquences  d*une  déclaration  de  guerre  pour  la  lancera  la 
légère,  surtout  lorsque  son  gouvernement  ne  cessait  de  ren- 
forcer la  flotte  mise  sous  ses  ordres  et  do  l'engager  à 
la  phis  extrême  prudence.  Dans  ces  dispositions,  il  voulut 
épuiser  toutes  les  chîmces  d'éviter  la  guerre,  et  fit  part  au 
maréchal  des  plaintes  de  la  république. 

Il  est  ditlicile  de  savoir  quelle  fut  exactement  la  portée  de 
celte  démarche.  La  Vie  dr  /t'no  affirme  que  le  capitaine  véni- 
tien envoya  des  ambassadem's  à  Boucicaut;  le  Arrrr  drs 
faitSf  au  contraire,  en  expliquant  les  motifs  que  le  nmrécbal 
invoqua  pour  se  justifier,  nous  dit  qu'il  les  exposa  à  des 
amis  qui  l'engageaient  à  se  défier  des  Vénitiens.  Il  importe 
peu  de  savoir  si  des  pourparlers  réguliers  ou  dos  conver- 
sations officieuses  furent  échangés  entre  les  chefs  des  deux 
flottes.  Zéno  voulait  atténuer,  sous  une  apparence  de  modé- 
ration, l'ouverture  d'hostilités  depuis  JDngtenips  décidées. 
On  conçoit  qu'il  ait  cherché  â  donner  â  ces  pourparlers  un 
caractère  solemiel,  pour  montrer  jiéremjdoirenicnt  son  désir 
de  maintenir  la  paix.  Boucicaut,  au  contraire,  eu  dimiiiuaut 
l'importance  de  ces  mêmes  pourparlers,  augmentait  par  cola 
même  l'odieux  de  la  conduite  do  ses  futurs  adversaires. 

Zéno  se  plaignit  que  lo  niai'éclial  evit  recherché  tontes  les 
occasions  de  rompre  l'amitié  et  l'alliance  qui  existaient  entre 
Gènes  et  Venise.  En  infligeant  â  la  république  par  sa  con- 
duite à  Bevroutb  une    grave  injure,    Boucicaut  venait   de 

1.  Ainsi  nommée  parce  qu'elle  avait  pour  capitaine  ou  pour  arma- 
teur un  membre  do  la  famille  Molin. 

2.  Vite  rftf' rfwr/ii  iMuratori,  xxn,  790);  —  Cronnehetta  Vene^îana^ 
p.  4;  —  Sen.  Sccr.^  i,  107.  —  Morosini  était  chargé  de  tninsmettro 
aux  \7*nitîens  toutes  les  nouvelles  intt^ressantes  C5tf«.  J/i»/i,  XLVI,  107), 

:».  20  juillet  1'.03.  (Sen.  J/ik/i,  xlvi,  f.  92). 


J 


I 


BOITCICAUT  DISCULPE  SA  CON'DtnTE  DEVANT  BEYROCTH.  449 

déchirer  la  paix  do  Turin  ;  Zéno  se  permettait  de  l'eugager 
:i  restituer  aux  Vénitiens  les  marchandises  qu'il  leur  avait 
enlovêes  et  à  réparer  le  doninuige  causé. 

Buucicaut  accueillit  assez  mal  ces  ouvertures;  la  conduite 
déloyale  des  Vénitiens  l'avait  exaspéré,  et  il  se  disculpa 
a^ser.  vertement  dos  reproclies  f^u'ils  lui  adressaient,  en 
faisant  remarquer  que,  pour  un  homme  ijui  cherchait  l'nc- 
cjisiou  dv  ruuiiire  avec  eux,  il  n'avait  cessé  de  leur  témoigner 
les  seuiimcnts  les  plus  amicaux,  pareils  du  reste  à  ceux 
qu'eux-mêmes  lui  avaient  montrés.  Quant  au  pillage  de 
Beyrouth,  il  n'avait  rien  à  se  reprocher;  Venise  savait  que, 
plus  d'uu  an  auparavant,  il  avait  délié  le  sultan  pour  avoir 
anété  des  marchands  génois  au  Caire,  à  Damas  et  à 
Alexanrlrie;  que  liii-iiiéiiir,  jtfin  d'éviter  tuiile  complication, 
avait  prévenu  la  république,  dix  mois  avant  son  départ  do 
Gènes,  d'avoir  à  retirer  des  pays  musulmans  leurs  mar- 
chandises ;  qu'enfin  li's  Vénitiens  n'avaient  p;is  de  marchan- 
dises à  Beyrouth,  puisque  les  entiepôts  étaient  vides,  et  que 
personne  dans  la  ville,  au  moment  de  rêvénement,  ne  lui 
avilit  fait  savoir  qu'il  en  fiH  autrement. 

Malgré  les  instances  répétées  du  capitaine  vénitien,  il  fut 
inïpossible  d'obtenir  rien  de  plus  du  maréchal.  Sur  la  ques- 
tion des  restitutions,  il  se  déclara  prêt  â  rendre  toutes  les 
marchandises  s'il  lui  étuit  prouvé  qu'elles  fussent  propriété 
vénilienne.  Aux  intentions  belliqueuses  qu'on  lui  attribuait, 
il  opposa  sa  cimduile,  et  protesta  que,  s'il  avait  eu  le  dessein 
qu'on  lui  [trétait,  il  n'eut  pas  affaibli  sa  tlotte  en  détachant 
quatre  galères  et  quebpies  galittfes'.  Sur  ce  point,  il  était 
sincère,  et  n'avait  d'autre  but  que  de  regagner  (îénes  paisi- 
blement; l'expérience  lui  avait  moiitré  qu'il  n'avait  rien 
gagné  â  prodiguer,  jusqu'à  la  témérité,  dans  des  coups  de 
main  aussi  hardis  qu'inutiles,  sa  bravoure  et  celle  de  ses 
compagnons*. 

/éno,  malgn'î  la  modération  dont  il  fit  preuve  dans  ces 
circonstances,  était  bien  décidé  à  recourir  à  la  force;  en 
transmettant  à  la  seigneurie  la  nouvelle  du  pillage  de 
Beyrouth,  il  l'avait  avis^éo  de  ses  intentions.  Sa  flotte  était 


1.  On  entendait  par  gatiote  une  petite  galère. 

2.  Viia  rfi  ^mo,  p.   183-4;  —   Livre  de*  fait».   H,  chap.  .vxv,    p. 


450 


BATAtLÏ4E  DE  MODON. 


(le  beaucoup  supérieure  à  l'escadre  géuuise  '  ;  l'armée  du 
maré(!hal,  d^cimôe  par  les  corabaU  et  la  fièvre,  ne  pouvait 
plus  conipenser  par  le  courage  sou  infériorité  numérique; 
elle  ne  méditait  plus,  comme  un  instaut  les  Vénitiens 
l'avaient  redouté,  la  conquête  de  la  Morée  de  concert  avec 
le  granJ-maitre  de  Rhodes*.  Toutes  les  cbanres  favorables 
seiïiblaieul  n'-unios  pour  engager  la  guerre,  et  Zéno  n'at- 
tendait que  la  réponse  de  Venise  pour  ouvrir  les  hostilités. 

La  réponse  du  sénat  fut  telle  qu'on  pouvait  la  prévoir;  au 
milieu  des  nombreuses  hypothèses  qu'elle  vise,  à  c(>té  de< 
précautions  qu'elle  recommande  à  Zéno  de  prendre  pour 
sauvegarder  son  commerce,  et  spécialement  celui  de  la  mer 
Noire  et  la  mer  d'Azov,  elle  conclut,  au  cas  de  non-resti- 
tution des  marchandises  enlevées,  à  une  action  navale  ;  mai* 
elle  la  limite  au  cas  oii  Zéno  se  trouvera  vis-à-vis  de  lu  flotte 
génoise  dans  une  situation  do  supériorité  manjuée,  et  lui 
donne  les  pouvoirs  les  plus  étendus  pour  auLMuenter,  s*il  le 
juge  utile,  les  forces  vénitiennes  par  l'adjonction  des  galères 
de  Komanie,  de  Candie  et  de  Crète  ^. 

Cependant  le  marvchal  avaif  iiuitté  Rh<ides,  et  s'était 
dirigé  vers  Candie.  Il  avait  avec  lui  onze  galères»  dont  une  de 
Chios  et  une  galère  de  Tordre  de  Rhodes  *.  Arrivé  sur  les 
côtes  de  Morée  au  cap  .Saint--\jige\  il  fut  rejoint  par  deux 
des  galères  qu'il  avait  laissées  à  Rhodes  c  moult  bien  garrdes 


1.  Noufi  avons  une  série  de  délibérations  du  sénat,  relatives  à  la  floue 
de  Zéno,  qui  montrent  do  quels  soins  elle  était  l'objet  de  la  part  de 
Venise.  —  11  août  1403  (5«i.  Misti,  xlvi,  f.  95  v).  —  l»7  août  1403 
(Sen.  Miiti,  xi.Vi.  f.  ^8  v). 

2.  Cette  crainte  avait  été  assez  sérieuse  pour  que  le  sénat  eût  or- 
donné (13  septembre  U03)  au  rapitaiue  de  l'Adriatique  et  au  cliAlelmn 
de  Coron  de  s'établir  à  Zoncbio,  dût-il  en  coûter  quatre  mille  ducats 
(Sathas,  Doe.  infd.^  i.  p.  7). 

3.  25  septembre  1403  {Scn.  Secr.,  i,  f.  ta»).  Voir  Pièce»  justificatives, 
n"  XXIX. 

'i.  I:.  Koglieta  (éd.  de  1585,  f.  184  \^)  parle  de  deux  galères  de  Khodes. 
Hou<-ii'aul  avait,  avant  d'atteindre  les  côtes  do  Morée,  lirencié  dea\ 
galères  de  Cbios,  une  galère  et  une  galioto  du  seijfneur  cle  Mityléne. 
une  galéru  et  une  gahote  de  Péra.  une  galère  du  seigneur  d\Kno&.  et 
deux  uu  trois  autivs  galiotes,  sans  compter  lu  galère  détachée  & 
Alexandrie  {Uvre  dtA  faitt,  n,  cbap.  xxxi,  p.  643.  V.  Pièces  justifica- 
tives, n«  XXXV). 

5.  Kxtrémité  sud-est  de  la  Morée. 


CONCENTRATION-  DES  DEl'X  FLOTTES  A  MODON.     451 

«  de  bonnes  gens  d'armos  et  d'arbalcstiors  à  f^ant  foison  »*. 
Mais,  persuadé  que  ce  renfort  (évalue  à  plus  de  huit  cents 
hommes)  était  sans  utilité,  il  continua  sa  route  sans  retenir 
les  galères.  Le  5  octobre  I  îOiJ,  il  rolàchait  au  port  des  Cailles' 
pour  y  passer  la  nuit.  Au  petit  jour  le  patron  d'un  brigantin 
vénitien,  porteur  des  dépéchrs  de  la  seigneurie,  croyant  avoir 
affaire  à  la  flotte  vénitienne,  vint  les  remettre  au  maréchal  ; 
mais  celui-ci,  avec  une  loyauté  toute  chevaleresque,  ne  vou- 
lant pas  profiter  do  cette  méprise,  les  rendit  sans  les  ouvrir. 
Le  leudemaiu  (0  octobre)  il  fit  voile  vers  le  aonl.  et  jeta 
l'uncre  devant  l'Ile  de  Sapienza'\  distante  d'un  mille  environ 
de  Modon. 

La  flotte  vénitienne  n'était  pas  loin  ;  elle  était  massée  au- 
dessus  de  Modon.  A  peine  les  Génois  eurent-ils  mouillé 
loui's  ancres,  qu'une  barque,  montée  par  cimi  ou  six  hommes, 
vint  reconnaître  la  position  du  maivchal.  Aussitôt  Zéno  prit 
ses  dernièi'e.s  dispositions,  mit  ses  vaisseaux  en  état  de  com- 
battre, fit  sortir  du  port  de  Modon,  pour  les  joindre  à  sa 
flotte,  deux  gros  biitiments  marchands,  chargés  de  plus  de 
mille  hnmmes  et  destinés  au  voyage  de  Tana  dans  la  mer 
Noire*,  et  garnît  le  rivage  de  troupes  pour  empêcher  Bon- 
cicaul  de  prendre  terre,  s'il  eu  avait  riiitf*ntion\  La  bataille 
était  imminente;  on  allait  enfin  voir  éclater  la  haine  sourde 
que  les  Vénitiens  nourrissaient  contre  Gênes,  et  crever 
€  l'enfleure  de  Tenvie  portée  en  leurs  courages  jà  par  lonc 
«  temps,  et  le  vcnim  qui  en  sailli  lait  et  abominable  »V 


1.  Livre  des  fttiU,  il,  cb.  xxiv,  p.  6:ï4. 

2.  Porîiu  Qmilearum^  pointe  méridionale  du  Péloponèae,  à  l'extré- 
mitè  de  la  prest^u'jle  du  MaKH»- 

3.  Vite  de  duchi  iMuratori,  xxn,  790  et  802);  —  A.  Datidolo  (CAro- 
niroH,  Muraloi'i,  \ii.  517  H):  —  Livre  des  faits^  n.  chap.  xxiv  et  \xv, 
p.  GS'î-fi;  —  ('.nmttchrtln  Venrzinnn,  p.  h\  —  Piloti  {Chev.  au  Cygne,  i. 
p.  3y«);—  Vim  di  Zentt,  p.  185;  —  Giiistiniani.  m,  228;  —  StelU,  iMu- 
ralori  xvn.  1200)  ;  —  Livre  desfaits^  n,  chap.  xxxi,  p.  641-fi.  Voir  Piùcea 
jufttifli'alîvfîH,  n»  xxxv. 

4.  lU  tétaient  sous  le  commandement  d'Alinoro  I/)mbanlo. 

5.  I  Et  avec  ce  par  terre  faisuiont  aler  seluti  la  mai*îne  forant  foison 
«  de  gens  (rarme«  à  pié  el  h  rhesat.  aftin  que  le  marcwlial  et  sa 
t  cum})aignie  un  peuM  esrliajiper  par  nulle  voye  im  cas  ijue,  par  jiaoMr 
■  ou  par  quelque  av^'riture,  pour  se  naiiver  vers  terre  se  retrayi>t  ■ 
{Livrt  des  faits^  n,  chap.  xwi,  p.  636). 

6.  Livre  des  faits,  n,  chap.  XXV.  p.  63V 


4Ô2  BATAILLE   DE  MODON. 

Le  capitaiae  vénitien  disposait  do  onze  galères*,  et  des 
deux  gros  bâtiments  dont  nous  venons  de  parler.  Le  Uvre 
tIfs  faits  p.'u'lt»  encore  de  dix-huit  ou  viu-^t  vaisseaux,  chaig^s 
de  j^^Mis  d'annes  cl  d'arlialt;irier.s;  mais  il  ne  semble  [tas 
qu'ils  aieiil  pris  part  û  la  bataille.  Ils  furent  rangés  par  le 
provèditeur  de  Modoii  dans  le  port,  pour  le  défendre  en  cas 
d'attaciiie.  Le  dituancbe  7  octobre,  la  Hotte  génoise  (jaitta  le 
mouillage  de  Sapieiua  et  mit  le  cap  vers  le  nord.  Le  maré- 
cbal  pn-nait  la  mule  de  Oônes,  sans  chercber  la  flotte  véni- 
(ioiine  pour  la  i:oinljaltre,  comme  les  Vénitiens  ont  voulu  le 
faire  croire'.  Zêuo,  eu  même  temps,  sortait  du  portdeModon 
avec  tous  ses  navires,  et  maiiceuvrait  dans  le  but  de  se  rap- 
proebcr  de  Houciraut,  qui  suivait  toujuurs  sa  route.  Le  man^ 
chai  n'attache  d'abord  aucune  importance  à  ce  mouvement, 
il  croit  que  le.s  Vénitiens  quittent  la  Moi*ée  jiour  i-egagner 
Venise;  mais  bientôt  il  est  impossible  <le  douter  do  leur  des- 
sein; ils  sont,  au  dire  du  chroniqueur,  «  tMi  trop  mauvaise 
«  contenance  d'amis  »,  et  tous  sont  à  leur  poste  de  combat 
Boucicaut  se  rend  à  l'évidence,  s'arrête  et  donne  l'ordre  d*^ 
faire  face  à  IVnnemi.  Quand  les  deux  flottes  sont  fts>ez 
rapprochées  Tune  de  l'autre,  les  voiles  sout  carguécs,  de 
part  et  d'autre  on  se  met  «  en  arroy  de  combattre  ».  et  la 
bataille  s'engage.  An  milieu  des  contradictions  qu\dîrent  des 
récits  intéressés  â  disculper  CÎL'nois  ou  Vénitiens,  il  est  ditlî- 
cile  de  dire  de  quel  coté  partit  le  signal*.  Zéno,  dans  la  roU- 
tion  officielli'  du  combat  envoyée  à  Venise,  ne  trouve  d'autre 
raison,  pour  Justitier  la  nécessité  d'en  venir  aux  mains,  que 
Tordre  parfait  dans  lequel  le  maréchal  s'avança  vers  la  flotte. 


1.  Piloti  {Chfv.  au  Ctjrfne,  i,  p.  39fl)  donne  h-  nombre  de  vi,  mais 
c'est  une  faute  de  lecture  (xiiir  \i.  ht;n]!)u  (Mumlori.  xxn,  "90)  ilonne 
le  chiffre  de  dix  gaU';rcs,  chill're  évidemment  erroné,  comme  le  prouve 
l'unanimité  des  autres  clinmiqiieurs. 

2.  Les  sources  vénitiennes  cependant  sont  obligées  de  reconnaître 
ce  mouvement  de  Boucicaut. 

3.  Le  Livre  des  fait*  {\\.  ch.  \\\'\,  p.  636-7)  dit  que  Boucicaut  fit 
«  expreiue  deflence  que  iml  ne  fcist  semblant  de  traire  h  ouU  twm- 
«  barde  ne  autre  trait  »,  et  que  ce  furent  les  Vénitiens  qui  eriémnl  ; 
1  bataille,  bataille,  et  avec  ce  saluèrent  les  nostres  de  bonnes  bum- 
t  l>ardes,  si  fu  leur  la  commençaille  i.  D'après  la  Vita  di  C.  Zena^  ce 
serait  aussitj'u  après  la  manœuvre  ordonnée  par  le  maréchal,  qu'une 
immense  clameur  s'éleva  de  l'armée  génoise  et  fut  le  si(fnal  de  U 
lutte. 


sans  avoir  détaché,  coinrac  il  l'avait  fait  on  une  autre  oir- 
constance.  un  bâtiment  eu  piirleinentairc.  —  ordr<>  qui  Ht 
comprendre  a»  capitaine  vénitien  les  inteutiona  hostiles  des 
Génois*. 

]^a  lutte  fut  acharnée.  <  dure  et  asprc  et  mortelle  et  à 
«  bonnes  lances  »;  les  vaisseaux  étaient  encliovétrés  les  uns 
dans  les  autres  ;  quatre  heures  durant  un  tit  de  part  et  <rautre 
(ies  protiiges  de  valeur.  «  Après  les  lances,  s'ciitrecourureut 
4.  sus  main  à  main,  à  dagues  cl  à  haclies  et  cspéos*  ».  Les 
galères  vénitiennes  avaient  sur  la  Hotte  j^énoise  un  grand 
avantfi^e,  celui  d'avoir  leurs  équipages  au  complet  et  le 
nombre  réglementaire  do  rumbattants.  «  Si  n'ostoit  mie  le 
€  gien  esgal  quant  eu  quantité  du  gent,  carpuur  un.  quatre  y 

<  ot  des  ennemis,  et  presque  le  double  dn  navire.  »  Le  mai-é- 
chal  déploya  ^tm  intrépidité  habituelle:  «  car  Dieux  scet 

<  comment  lui  et  les  siens  vaillamment  le  firent,  lui,   pour 

<  conforter  ses  bons  combatans,  et  eulx  par  l'exemple  de  lui 
«  et  pour  garder  leur  bon  chi'\etaine  et  seigneur.  »  Sa  galère, 
montée  par  deux  cent  quatre-vingts  à  trois  cents  combattants, 
s*était  «  accouplée  »  à  celle  du  capitaine  des  Vénitiens,  et 
deux  autres  galères  génoises  étaient  venues  la  renforcer. 
L'abonlage  fut  teirible;  on  vit  lf*s  ompagnons  du  niaré- 
ehalt    «   comme   loups   faineitleux   ou   enragiez sail- 

<  lir  en  la  galère  du  cajdtaine  si  ilruemont  et  courir  parmi, 
«  faisant  les  traces  df  leurs  coups  ».  rUrislopho  Uianco, 
capitaine  de  la  galère  de  Zéno.  se  battit  comme  un  lion.  Ou 
put  croire  que  le  vaisseau  vénitien  allait  succomber  sous 
l'attaque  di'  Floucicaut.  Il  n'en  fut  rien  cependant,  soit  grAco 
à  une  manreuvre  habile  du  capitaine  vénitien  entouré  de  trois 
côtés  d'ennemis',   suit   paire  que    les   galères,   grandes  et 


I.   Vile  de'  dnchi  (Muratori,  xxu,  802-3). 
3.  Livre  rfM  fniu,  n.  chap.  xxvr,  p.  637. 

•  Dato  il  segno,  luUi  i  romalori,  1  mnrinari  od  i  Boldati  clicorano 
inli*rno  itd  csbu  in  gran  oalca  se  iw  andaruno  al  dcHtro  lato  dclla 
(futcra,  e  tutti  kI  ïi|}ac4:iaroiio  a  corrcrvi,  Htl  allora  comand6  ctie  da 
quollii  parte  &i  faec»se  penUerc  la  ^'alera  aggravata  dcl  peso  de*  corpi 
c  (lolle  armi.  tome  questo  fu  escguito.  Hubito  avvonnc  oosa  rho 
prima  non  m  fiarebbo  pottita  cpoderc,  (icpclié  tutto  il  pericolo  rhe 
|»afwa  soprastare  imminente  col  combattore  dai  tre  lati  délia  galera 
Tu  Icvato  via  in  un  nttimo,  di  maniera  chc  la  /utTa  rldotia  al  tlestru 
lato  retflo  pareggiata,  e  tutte  le  gonto  délia  galera  viniziaua  cou 


454 


ItATAILI.K   Dlî    MODON. 


hautes,  qui  appuyaient  le  mart'chal.  étaient  trop  encombrantes? 
soit  plutôt  parce  que  I^Wnanl  Mocenigo,  à  la  vue  du  péril 
que  courait  Zéno,  mauœuvra  de  façon  à  le  dégager  eu  atta- 
(juant  par  la  poupe  luie  des  galères  génoises,  et  força  ainsi 
les  autres  à  battre  en  retraite'.  En  ce  moment  Teutrée  en 
lipiifi  il'un  smil  b;'iiim(Mi(  v^'-nitien  eut  suffi  pour  cerner  la 
galère  du  uiarèulial.  Ku  irièmp  t.euips  trois  galères  génoises, 
(jui  s'étaient  aventurées  trop  loin,  étaient  cernées  ot  prises 
par  les  deux  gi'os  bâtiments  vénitiens. 

Le  choc  avait  été  si  violent,  la  mêlée  si  acharnée  que  de 
part  et  d'autre  on  s'arrêta»  quoique  la  victoire  fût  indécise, 
Zéno  ne  poursuivit  pas  l'ennemi  et  rentra  a  Modo».  Sa  flotte 
avait  trop  suutïert  pour  pouvoir  t"nir  la  mer;  sa  galère  ne 
comptait  pas  trente  hommes  valides;  le  reste  était  tué  ou 
blessé.  La  plupart  des  b:Uimenls  vénitiens  n'avaient  pas  fait 
leur  devoir:  p^rsonno,  si  ce  nVst  Mocenigo,  n'étiit  vomi  ïui 
secours  de  Zéno  menacé,  et  il  n'est  pas  téméraire  d'attribuer 
la  couduiio  des  capitaines  à  des  jalousies  de  commande- 
ment*. De  s(m  côté  le  maréchal,  quoique  ayant  perdu  m»h 
trois  meilleures  galères,  ne  s'attribuait  pas  moins  la  victoire 
Il  est  vrai  qu'il  avait,  après  la  bataille,  battu  eu  n»traite 
sans  être  inquiété;  les  Vénitiens  lui  avaient  laissé  le  champ 
libre,  et,  loin  de  tenlerauciui  effort  |iour  dégager  une  do  Imrs 
galères  cernée  par  la  flotte  génoise,  ils  «  s'en  allèrent  retirur 
«  ot  ficiier  en  leur  ville  de  Modou,  dolens  ot  marris,  dont 
«  avoyeut  failly  à  leur  intontion.  »  Ils  avaient  perdu,  tant  en 
tués  qu'en  blessés,  plus  de  cent  cinquante  bommes'\ 


•  grand'ansift  comlmUfvann  rr>n!rQ  ai  nemico  vhc  n  qu<Mla  nnNirsiina 

•  pui*t6  s'era  ûppo^to...  Dal  sinistro  liUo  fit  la  jL'nlnra  di  t'nrlu  sioura  (lai 

■  tieniico,  perché  por  lo  abba-ssare  del  latu  destro  diveiine  piii  alUt  da 
«  quolla  parte,  o  più  bnssa  doIT  altra  banda;  ed  aiicura  rordii»'  tU\ 

■  reaii  pareva  clie  faresse  ora  ostarolo,  ora  dilesa;  e  i  danli  e  Ir 
«  partigiane  lanciate  dal  nemico  dal  Iuojl^  piii  ba&so  jmrcu- 
I  levano  ne*  remi,  e  cosi  i  nemici  in  vano  ruiubaUevano  da  quella 
<  parte,  né  di  quivi  puleano  più  ulTendere  î  ViiiiKiuni  »  (Vita  tii  fjarh 
Zenoy  p.  191-2). 

1.  Voir  la  relation  orHcielle  dans  Muratori,  \\u.  803. 

2.  Lr  hénal,  dans  ses  instructions  à  'Aêno,  avait  pr^vii  la  question 
de  prééminence  des  •  supraconiites  •,  et  t'avait  tranchée  en  Cavriir 
de  Zéno. 

'^.  Los  »ourccK   vénitiennes  disent  cent    cinquanle-troîs    liumaics 


J 


455 

Ducôtô  des  Fraii(;ais  et  des  Génois,  tous  avaient  fait  cou- 
rageusement leur  devuir.  Le  «  vaillant  diovetaino  s'était 
distingué,  comme  toujours,  au  premier  rang;  à  ses  côtés 
Louis  de  Culant,  .îoan  Dôme,  Robinet  Frotel  et  Jean  le  Loup 
s'élaicnt  hardiment  comportés.  Parmi  les  écuyers  Ouicliart 
de  Mago,  liobert  de  Tholigny,  Renaud  d'Kscambntnno, 
Richard  MouteiUo,  Jean  de  Montreuard,  Chariot  de  Fontaines, 
Odart  de  la  Chassaigne,  avaient  donné  l'exemple  de  la  plus 
brillante  valeur.  Jean  d'Ony,  au  prix  de  graves  blessures, 
«  y  fist  tant  de  sa  part  que  il  en  porta,  audit  des  amis  et  des 
«  ennemis,  â  men'eilles  grant  loz.  »  Les  Génois  ne  restèrent 
pas  en  dessous  de  leurs  cmipagriims;  leurs  pertes  s'élevèrent 
à  plus  de  six  cents  hommes',  sans  compter  plus  de  quatre 
cents  prisonniers  faits  sur  les  galères  capturées.  Parmi  ces 
derniers  était  Châtnauinorand,  le  second  du  mm*échul,  dont 
la  conduite  penilant  l'actitm  avait  été  an-dessus  de  tout  élogfî, 
et  réiitede  la  noblesse  fi-îinçaise  et  génoise;  ils  furent  dirigés 
sm*  Venise'.  Quant  aux  galères,  elles  fumnt  cundiiiles  à 
M'ulon,  j't  leurs  cargaisons,  numéraii'e  et  marcluindiscs,  furent 
consignées  aux  uiaius  du  rhàtt^^lain  de  Modon,  malgré  les 
réclamations  des  Génois  qui  prétendaient  ([u'elles  ne  prove- 
naient pas  du  pillage  de  Hi-yrouth.  mais  do  prises  faites  à 
Famagouste*. 

La  déloyauté  des  Vénitiens  avait  exaspéré  le  maréchal. 
Mais  <  tant  romaint  dolent  et  Indigné  de  ceste  advanture, 
«  dont  jamais  ne  se  donnast  de  garde,  et  de  ce  qu'il  avoit 


(.1.  iJaiiduli  chronictifi,  Muratiii'i,  Xii,  5!7\  —  Vite  de'  ducht  (Mura- 
turi,  \xir,  700»,  etr. 

t.  Il  convient  de  remarquer  que  ce»  évaluations  ftont  de  source 
vi^tiilioniie. 

2.  Pour  le  ré<Mt  de  la  balaille.  voir:  Sources  génoises.  Stella,  (Muratori, 
xvn,  l'ieei  ;  —  (;iustiniani,  ii,  338;  —  V.  Foglieta,  ni.  de  ir»85,  f.  i8'i  x-*; 
—  Livre  défi  faits,  n.cli.wvi.  p.  6^6-8.  et  les  historiensf^Onois.  — Sources 
v^iiilicniies,  Vitn  di  Carlo  Zcno,  ji,  18r>-95;  —  A.  Ùanditti  chronicon 
iMuraturi,  xit,  517-8);  —  Vile  de'  ducht  di  Venezia  'Muratori,  .\xn, 
TltO);  —  Croiifirhetta  Vvnesiana,  p.  ô;  — Piloli  (Chev.  au  Ojyne,  i, 
p.  398);  —  lîelniion  officielle  de  ^noà  la  seigneurie  (Muratori,  xxn, 
8US-4);  —  Procuration  d»  18  mars  l'iO'i.  lArch.  do  (It^nes,  Materie  jm' 
SUivhe,  max/.o  U,  27JO,  oi  Arcli.  de  Venise.  Syndicati,  p.  Ï84),  i*it*ïe  |)ar 
U(»innnin  (Slorin  documentata  di  Vene:itt,  iv,  8-10). 

•J.  Parts  Ips  Vite  de'  durfii  (Muratori,  x\n,  K04)  ligure  le  détail  des 
marchandises  saisies. 


456 


RETOVR  nu  MARKCnAL  A  GENES. 


«  ainsi  esté  prins  dospourveut  *»(  aussi  de  la  perlç  qu'il  ni 
«  fait  de  sa  gciit,  qu<3  nul  ne  pouiToit  diro  rommont  son  cuor 
«  fu  gros  ot  f^nrtoz  oontrp  Véneciens.  »  Après  avoir  luoiiill^ 
sur  lo  cluunp  do  Imlaille,  il  rassembla  ses  vaisseaux,  reforma, 
lo  mieux,  ([u'il  put.  ses  «'^quipa^es  décimés,  et  reprit  la  route  de 
Gènes,  la  vengeance  dans  le  cœur'. 

Nous  ne  savons  si  Boucicaut  rentra  à  Gènes  avec  les  huit 
galères  (|ui  lui  restaient  après  la  bataille;  les  sources  vêni- 
lienries  ne  parlent  que  de  cinq  galères  qui  tirent  voile  vers 
l'Occident.  Ce  chiffre  peut  se  justifier  eu  remarquant  que  la 
g^alère  de  Rhodes  et  celle  de  Chios,  n'ayant  aucune  raison 
d'acc()inpaf,nier  noucicaul  en  Occident,  dui'ent  se  séparer  d<> 
lui  à  Mudun  et  que,  pour  compléter  ses  équipages,  le  luai'è- 
chal  fut  obligé  de  répartir  celui  d'un  de  ses  vaisseaux  sur 
les  cinq  autres.  De  cette  fa(;on  le  chiffre  de  cinq  galères  e^t 
atteint,  mais  ne  s'applique  qu'aux  vaisseaux  en  état  ihi  cotn- 
hattre.  Los  transports,  la  galère  désarmée  dont  nous  venons 
do  parler,  celle  qui  fui  prise  aux  Vénitiens,  accompagnaient 
certAineniont  l'escadre  génoise,  tout  en  n'entrant  pas  dans  le 
calcul  do  son  effectif*. 

Quatre  jours  après  la  bataille  (11  octobre  1103).  deux 
navires  vénititMis  se  MintiUvrt'nt  eu  vue  de  la  flotte  génoise 
dans  les  eaux  de  Sicile.  Le  maréchal,  heureux  do  c*»ttc 
occasion  de  vengeance,  donne  Tordre  de  les  attaquer; 
après  un  court  combat  ils  sont  pris  et  conduits  à  Gènes; 
les  cargaisons  sont  saisies  et  les  hommes  faits  prisonniers. 
Le  maréchal  ne  les  relâchera  que  quand  ses  chevaliers  et  son 
fidèlo  Chàteauuiorand  auront  élè  délivivs  de  leur  prison\ 

Le  reste  du  voyage  se  passa  sans  incident  ;  le  maréchal 


1.  Uvre  deg  faits,  u,  cliap.  xxvir,  p.  6Urt. 

2.  Cronarhetta  Veneziana,  p.  5;  —  Vite  tie  duchi  (Muratori,  xxii, 
"yo  et  804). 

3.  Livri^  des  fnit»^  ii,  chap.  xwn,  p.  6:t8-9;  —  CronacheUa  Vene- 
zxana^  p.  5;  —  IV/^'rfc'rfurAi  (Muraton,  xxri,  p.  791).  L'an  dos  vaisseaux 
avait  pour  patron  Jean  (Zannij  dp  l*izo,  il  revenait  de  Romanir;  l'awtp*, 
chargi^  de  his(*uit,  de  ramos  et  rl'approvisi<iniiomf*nts  maritime»  à 
destination  de  Mwlon,  avait  pour  patron  Victor  Marrofo;  citait  un  na- 
vire apparlenanl  ati  ■  commun  <ln  Venise  •.  Le  7  novembre  lias, 
Boucicaut  fait  vendre  le  chargement  de  biscuit  do  la  paliot**  véiiiticnno 
captnréo,  parce  qu'il  pourrait  se  gàlor  (Arch.  de  G^nes,  Ùtvrrs  Hcg., 
{6,  501)  r.  ^8  Y"). 


RETOUR  DU  MARÉCHAL  A  GENES.  457 

rentra  à  Gênes  le  lundi  29  octobre*.  Sa  colère  n'était  pas 
tombée,  et  il  ne  songeait  qu'à  infliger  aux  Vénitiens  tout  le  mal 
possible,  à  faire  attaquer  par  les  Génois  tous  leurs  bâtiments 
en  représailles  de  l'attaque  dont  il  avait  été  victime.  Le 
retour  fut  lamentable,  et,  dit  l'auteur  du  Livre  des  faits, 
€  bien  vous  promet  que  ce  ne  sembloient  mie  gent  venans  de 
«  feste  ou  dance  :  car  à  merveilles  estoyent  lassez,  navrez  et 
€  desrorapus,  et  n'estoit  mie  de  merveilles*  ». 


1.  Stella  (Muratori,  xvti,  1201).  Le  30  octobre,  Boucicaut  faisait  trans- 
crire sur  les  registres  de  la  chancellerie  génoise  divers  actes  con- 
cernant la  campagne  de  Chypre,  dont  les  originaux  avaient  été  expédiés 
pendant  son  absence  (Arch.  de  Gènes,  Divers  Heg.^  6-501,  passim). 
Hepquet  (Cyprische  Kônigsgestallen,  p.  39)  dit,  à  tort,  que  le  retour  du 
maréchal  eut  lieu  le  20  octobre. 

2.  Livre  des  faits,  ii,  chap.  xxvn,  p.  638. 


CHAFITKK  VI. 

NÉGOCIATIONS.    —  ACCORD  PC   ??  MAKS    1  iO'l, 

La  nouvelle  de  la  bataille  de  jModou  fut  accueillie  a  VeiiiïiC 
par  doîj  transports  de  joie;  d^^s  illiirniiiatioiis  géniTales  eurt'ul 
lieu  le  24  octobre  1 103;  sur  le  camiiaiiilc  de  Saint  Marc,  lepluiub 
de  la  coupole  se  li(jU4^lia  par  la  fifrce  de  la  chaleur,  et  Jea 
trois  cloches  siJufTrirejit  du  fou.  Ainsi  s**  trouvait  réalisé'  un 
antique  pi'overbe  vénilieu.  d'après  li-quel  la  t!:rande  tom*  de 
Voriis*^  devait  bn'dop  et  Atre  refaite  avant  (\\\o  Padoue  fiU  aux 
Vénitiens'. 

Ces  sentiments  n'ont  rien  de  .surprenant  si  l'on  songr^  à 
l'animusité  que  les  Vénitiens  n*avaieut  cessé  de  témoigner  à 
leui's  rivaux  ;  rêchec  des  Génois,  inalrrry  b»  prix  auquel  il  était 
acheté,  remplissait  (oum  les  cœurs  de  joie,  quelles  que 
pussent  <^tre  les  const^quences  ultérioun*s  de  révénenient, 
et  quelques  complications  qu'il  pût  susciter  dans  la  suite. 

Venise  se  rendait  fort  bien  compte  de  la  portée  de  l'agres- 
sion à  laquelle  elle  s'était  livrée,  en  pleine  paix.  Taudis  qu« 
la  ville  tout  entière  se  réjouissait  du  succès  des  armes  véni- 
tiennes, le  sénat,  san.s  perdre  de  temps,  so  juViiccupait 
d'atténuer  vis-à-vis  des  puissances  étrangères  Teffet  do  la 
balaillp  de  Modun.  Kans  ce  but.  il  accréditait  (*2S  octobre] 
Picnv!  de  (fiialfti'ilini  '  auprès  du  diic  di^  U'Uirgogne,  avec 
mission  de  porter  à  (liarles  vi  une  lettre  de  la  république. 
Dans  cette  lettre,  en  date  du  .'ÏO  octobre.  Venise  proiesiait 


1.  V7/^  de'  tiuchi  (Muratori,  .\xn,  SOCii.  I^  coupole  fut  rcrailc  et  dorée 
i)  cotte  (jfcasiun. 

2.  Il  était  notaire  de  la  république  et  se  trouvait  à  ce  momeni  à 
Trévise. 


I.ErrRE    IiE    VE.NISE   AL*    ROI    DK    KRANCK. 

de  son  respect  pour  le  roi  do  France  et  de  ses  intentions 
pacifiques.  Elle  exposait  que.  lésée  dans  ses  intérêts  commer- 
ciaux à  Cliypre  et  à  Rhodes,  elle  avait,  par  l'entremise  de 
son  ambassadeur,  obtenu  du  gouvernement  génois  la  répara- 
tion du  préjudice  qu'elle  avait  subi  ;  mais  que  le  maréchal 
noucieaut,  maljf^é  l'accueil  jtacitique  i|u'il  avait  reru  de 
Charles  Zéno  en  mai  l'ill^i,  à  son  premier  passage  à  Modon, 
malgré  ses  assurances  réitérées  de  respecter  le  commerce  de 
la  république,  avait  démenli  ses  promesses  en  pillant  el  pre- 
nant H  Beyrouth,  au  nnâs  d'août  suivant,  les  nianhandises 
des  négociants  vénitiens.  La  seigneurie  ajoutait  que,  le  7 
octobre,  la  tîotte  géimise,  passant  de  nouveau  à  Modou  dans 
les  eaux  vénitiennes,  avait  montré,  au  lieu  des  intentions 
pacifiques  d'autref(>is,  les  dispositions  les  plus  hostiles,  et 
que  cette  attitude  avait  forcé  /éno  à  la  rombattrc,  et  à  cap- 
turer trois  des  galères  qui  la  eomposaient  ;  elle  terminait  en 
témoignant  de  ses  excuses  et  de  ses  regrets  d'avoir  ^té  poussée 
par  le  maréchal  à  cette  extréinité'. 

En  même  temps  le  sénal  songeait  à  avertir  officiellement 
du  même  lait,  dans  des  termes  à  peu  près  semhhililes,  les 
princes  italiens,  le  seigneur  de  Padoue.  le  pape,  h»  comte  de 
Savoie,  le  roi  Ladislas,  la  duchesse  de  Milan,  les  Floren- 
tins, le  cardinal  de  Ltologi»e.  le  patriarche  d'Aquilée.  le  marquis 
de  Ferraro,  le  seigneur  do  Manloue  et  les  Malatcsta:  mais  la 
majorilé  des  sénateurs  se  prononça  contre  cette  pritpo- 
sition.  et  se  borna  ii  prévenir  le  roi  de  France  ;  aussi  bien 
élait-il  le  seul  dont  les  résidiitiuns  étaient  à  craindre,  te  seul 
dont  il  impoPtJiit  d'attêimer  le  ressentiment'. 

Il  ne  semble  pas,  du  reste,  que  les  Vénitiens  aient  eu,  à 
ce  momout,  le  désir  de  continuer  h's  hostilités  ;  mais,  loin  do 


1.  2fc  et  30  oetubro  HO»  (Arch.  de  Venise,  AVn.  Mistt\  xi.vi.  f.  lo'j- 
11  V".  —  Voir  Pièces  juslifirativcs.  n"  \\\).  —  En  m<>inp  temps  um? 
lettre  seniblabln  ^tait  ailressée  à  Philippe  île  Mt^ziére^,  coiispillcr  do 
Charles  vi.  —  Cette  lettn^  de  la  rèptil»li(|ue  de  Venise  à  Cbarlesi  vi, 
qut>)()iie  portant  en  mar^e  dans  le  registre  de  la  chanoellerie  v(^nilienne 
la  mention  \  non  scribntur  >,  a  cependant  6té  envoyée  au  rui  de 
Kraiire;  lions  en  avons  la  preuve  daoH  un  [rnsï^age  d'une  des  délibé- 
rations ult«>rieures  du  sénat  <iii:it*H  I  'iiC),  dans  lequel  allusion  est  faite 
Il  cette  lettre  (Arcli.  île  Venise.  Srn.  .Sf/v.,  m.  f.  58  v);  en  utilro  le 
LitTC  ffes  ftiiiH  (t\,  cliap.  .\.\x,  p.  )»'in-l)  l'analyse  en  quelques  ligne». 

2.  28  octobre  iiu:t  [Sm.  Misli,  XLVI,  f.  10»). 


460 


NEGOCIATIONS  ET  ACCORD. 


se  dissimuler  les  dau^^ers  et  les  difficultés  de  toute  sorte  qui  les 
attendaient,  ils  prireat  toutes  les  résolutions  que  commandait 
réventiialitè  d'une  guerre.  Ordre  est  donné  à  Zèno,  qui  croire 
dans  les  eaux  de  Nemle,  de  revenir  ;i  Venise  avec  toute  sa 
flotte  *  ;  Venise  sera  mise  eu  état  de  défense;  les  Conseillenf. 
le  capitonne  des  Quarante  et  les  Sages  du  conseil  j»rendronl 
les  mesures  nécessaires  pour  protéger  la  ville  par  terre  et  par 
mer*.  Les  autorités  de  Corfou  et  les  capitaines  vénitiens  en 
Orient  captureront  t«nis  les  bfitinients  génois  qu'ils  rencon- 
treront'. En  môme  temps,  la  diplomatie  de  la  république 
s'efforce  de  se  créer  dans  l'Adriatique  comme  dans  la  mer 
Tyrrhénienne  des  ports  de  refuge,  et  elle  ne  néglige  aucun 
effort  pour  y  réussir.  Tels  sont,  sur  la  côte  de  Dalmatle,  la 
ville  de  Kaguse  et  plus  au  sud  quebiues  autres  positions.  Le 
sénat  s'empresse  d'autoriser,  à  cet  effet,  l'ouverture  de  négo- 
ciations et  de  donner  à  ses  représentants  les  pouvoirs  les  plus 
étendus;  quelques  jours  après,  une  ambassade  solennelle  est 
envovée  â  Uaguso  pour  remercier  la  cité  de  laccueil  qu'elle 
a  fait  à  la  Hotte  vénitienne  après  la  bataille  de  Modttn,  et 
p(tur  obtenir  d'olle  de  fermer  son  port  aux  Oônois.  Pour 
atteindre  ce  bul,  il  n'est  pas  de  flatteries  délicates  que  doive 
épargner  l'ambassadeur  vénitien*.  Les  possessions  du  roi 
Ladislas  en  Oalmatie  aussi  bien  qu'en  Pouille  attirent  égale- 
ment l'attention  des  Vénitiens  ;  ils  lui  font  demander,  par 
l'entremise  de  leur  consul  en  Pouille,  de  les  y  admettre  à 
l'exclusion  des  autres  nations'.  Une  rlétuarche  analogn*^  est 
tentée  auprès  de  la  ville  d'Ancône,  et  Venise  chercbe,  en  cas 
de  guerre,  à  fermer  l'Adriatique  à  la  marine  génoise*.  Dans 
le  même  senn'menf  politiijne.  le  sénat  se  pn*'occnpe  de  s'as- 
surer, dans  la  merTjrrbt'uicnne.  un  nudc-ux  points  de  relAclie 
aux  environs  de  Pise.  Il  envoie  un  agent  auprès  de  la  duchesse 


1.  8  novembre  1*0,1  {Sfit.  S>rt\,  i.  Il'ij. 

2.  8  novembre  r.o:i  (.s>n    .S«t.,  i,  112) 
Setr.,  I,  i\h). 

3.  29  novembre  1403  (Sathas,  f)uc.  ine'd..,  i,  7-8). 

4.  fi  novembre  1403  (Monum.  speel...,  v,  26U  — 
{.Uonuw.  xpect...,  v,  30-1). 

5.  20  novembre  1403  {Monum.  Jifiecl...,  V,  29-30). 

6.  IG  novembre  lUW  (.Sch.  N«t.,  i,  112). 


22  novembre  1403  (.S'«ii. 


29  novembre  1403 


de  Milan  et  des  princes  lombards  et  toscans  qui  peuvent 
servir  ce  dessein*. 

Les  Génois,  de  leur  côté,  et  surtout  Boucicaut,  nourris- 
saient (les  seiititnonls  npposés.  Profoiidéinr-nt  froissé  do  la 
conduile  de  la  n'^puîiliqae  de  Sjiint  Marc,  le  maréchal  avait, 
dès  son  retour  à  Gènf's.  envoyé  aux  Vénitiens  un  ambassadeur, 
Calianeo  Cigalla.  airconipagiié  d'un  secrétaire.  Il  leur  deman- 
dait compte  de  l'agression  dont  il  avait  été  victime,  se  pbà- 
gnait  de  la  rupture  de  la  paix,  et  voulait  connaître  leurs 
intentions  ullérieures  '.  Celles-ci,  à  tout  prendre,  étaient 
pacifiques  ;  aussi  le  représentant  du  nuiréchal,  quand  il  iuriva 
à  Venise,  obtint-il  facilement  un  sauf-conduit  (.îll  iiovembrej, 
et  put-il  conclure  une  trêve  avec  Venise  sur  les  bases  de  la 
reslitulion  nM'i]H'(M|ne  <U's  prises,  —  trêve  fjue  le  capitaine 
générai  génois  pour  rOrient  dénunrail  le  2  déci?njbre  1  iOJ '. 

Ce  premier  point  réglé,  Cigalla*  se  présenta  devant  le 
sénat.  L'objet  de  sa  mission  était  de  savoir  si  la  déclaration 
de  guerre  faite  par  les  Véuitieiis  aux  Génois  était  intention- 
nelle, ou  si  elle  avait  eu  lieu  sans  l'assentiment  du  sénat.  Dans 
le  premier  cas,  il  demandait  que  lo  préjudice  causé  à  Gènes 
fût  répans  dans  le  secoini,  que  ceux  qui  avaient  agi  sans 
mandat  fussent  punis  d'une  fai.on  exemplaire.  Il  demandait 
enfin  la  restitution  d(?s  navires  et  îles  prisonniers. 

Le  sénat  répondit,  le  13  décembre,  que,  sans  répéter  les 
raisons,  déjà  connues  et  exposées  maintes  fois,  de  la  con- 
duite de  Venise,  la  responsabilité  de  la  rupture  des  relations 
pacifiques  entre  les  deux  républiques  incombait  aux  Génois. 
et  qu'il  n'avait  ni  indetnnités  à  domier,  ni  rebelles  à  punir  ; 
par  suite,  il  était  en  droit  de  retenir  les  vaisseaux  et  les  pri- 
sonniers. Il  ajoutait  que  si  Gênes  admettait  en  principe  ta 
réparation  des  torts  causés  aux  Vénitiens,  ceux-ci  de  leur 


1.  iG  novembre  UO:t.  •  Utile  esset. , .  babere  tu  nostra  liberiate  vel 
pni  riustru  rt-Juctu  unuin  vel  duos  ex  j»)rtuhu8  et  locis  qui  sunt  în 

I  portibus  I'i»Jiruni  ft  ilhiruiii  otuiratanim  ■  (Sen.  Secr.^  i,  llîi). 

2.  Stella  (Muralori,  xvn,  1201);  —  (îiusliniani,  n,  p.  229. 

S.  Snn.  Secr.^  I,  117;  —  \rc\\.  des  AfTaires  étrangères  {Memorie 
Genoveti,  M,  328};  —  Tièneit,  Hitiliottièqne  Brignole-Sale  (extraits  de 
Roccatagliata,  ma.  108  D.  2,  ii.  K). 

4.  5  et  11  déf^mbre  l'i03  (5rn.  Secr.,  u  Hf^)'  Cigalla,  pendant  ma 
séjour  à  Venise,  fut  défrayé  aux  fraia  de  la  républi<iue. 


462 


NEGOCIATIONS    ET   ArOORO. 


côté  étaient  prôts  à  désigner  den  plénipotentiaires,  «t  a  les 
m<^ttre  en  rapports  avec  Tainbassadeur  génois'. 

La    réponse   du  sénat  n'ayant  pas  effrayé  Cijfalla,  quatre 

auditeurs  furent  accrédités  auprès  de  lui;  ils  lui  exposèreul 

les  prélenliuns  do.  Venise.  Cello-ci  demandait  lu  réparation 

des  (luniinages  infligés  aux  Vénitiens  : 

1"  à  Chypre  et  à  Itliodes, 

J"  à  Keyroulh, 

3»  à  Tripoli 

et  4*"  celle  de  tous  ceux  qui  s'étaient  produits  jus- 
qu'à la  conclusion  de  la  Irève.  Elle  exigeait  aussi  la  restitu- 
tion de  la  galéasse  prise  par  les  Génois  à  Modon  et  dos 
navires  capturés  par  le  maréclial  pondant  le  retour  do  la 
flotte  à  Gènes*, 

Cigalla  accepla  ou  principe  ces  réclamations,  sauf  colle 
concernant  Tripoli,  qui  lui  était  inconnue;  mais,  de  son 
côté,  il  insista  ériergiquement  sur  la  libération  des  prison- 
niers, en  faisant  nbserver  que  le  fait  était  sans  pi-écé- 
deuts  puisque,  eu  maiates  circonstances.  Venise,  aussi  bien 
que  Gènes,  avait  capture  des  bâtiments  dont  la  cargaison 
valait  quatre-vingts  et  cent  mille  ducats,  saus  jamais  retenir 
les  équipages  prisonniers'.  Celte  question,  en  effet,  aux  yeux 
des  Génois,  et  surtout  d»  maivichal.  primait  toutes  les 
autres;  par  là  s'explique  la  facilité  avec  laquelle  Cigalla  cédait 
sur  tous  les  points,  sans  chercher  à  soulever  d'objections  ni 
à  susciter  de  retards.  Ses  instructions  étaient  formelles,  il 
fallait  faire  relâcher  .iu  plus  vite  les  prisonniers.  Malgi'é  des 
conférences  quotidiennes^  et  un  désir  réciproque  de  concilîa- 


1.  13  décembre  1403  (5«i.  Secr.,  i,  119.  V.  Pièces  justificative, 
n"  xxxu). 

2.  15  dêt^ombni  1403  {Sen.  Secr.,  i,  120  V). 

3.  •  Oixit  [C'igalla]...  subjungcndo  quod  nunquam  viderai  nec 
t  aiidivcrat  quod  prupter  damna  (lat;i  aut  injurias  ïllatas,  exi»terido  in 
I  pace,  homines  et  personc  capte  rctincrontur,  irao  cum  ralcllaiiiK  et 

*  ipsi   sGPura  fcccrant  et  receperant  multa  danna.  acoeixTHnt  plura 

■  navigiadc  valore  <;•"  ducatorum  et  lxxx™,  ot  quod  nutiquam  por- 

•  wjne  rtïtentp  fuerant  nce  mercatores,  se<l  expoliebantup  et  pcrmîtle- 
«  haniur  iro  pro  faclis  suis,  et  quod  propterca  placerft  in   hoc  facto 

■  faoere  rem  Doo  gralara  et  de  qua  reportaremus  mundo  famam  et 
«  gloriam  ;  ultimate  concludendo  non  semel  se<l  ler  quod  poneretur 
I  presto  flnis  istis  negociis,  quia  dilalîo  non  poteral  esse  ntsi  mala  ■ 
{Sen,  .V«T.,  1,  120  \-). 


tioD^  la  mission  de  Cigalla  ne  prit  Ëa  que  le  22  janvier  1404; 
encore  à  cette  date  rien  n'était-il  terminé;  on  s'était  seule- 
ment mis  fl*accor(l  sur  deux  i)ri>posit,ionrt  êmam^es  de  Venise, 
dont  l'ambassadeur  alla  ilemander  à  Giuies  la  nititicatift»'. 

Pour  arriver  à  celte  entente,  —  encore  qu'elle  fût  bien 
imparfaite,  —  les  négociations  furent  longues  et  diificiles. 
Il  n'est  pas  sans  intiVtH  do  les  suivre  pas  à  pas,  on  groupant 
sous  chacun  des  chefs  qui  furent  disculés  par  les  négociateurs 
Je  résumé  de  leurs  délibérations. 

Lii  queslion  des  dommages  pour  les  faits  survenus  à 
Chjrpre  et  à  Rhodes  nr*  pouvail  donner  lieu  à  de  longues  dis- 
cussions. Elle  était  résolue  dès  le  mois  do  mai  précédent  ; 
une  prétendue  erreur  du  calcul  dans  le  cliiflVe  diî  l'indemnité 
avait  seule  relardé  le  paiomenl,  ot  Cigalta  passa  outre'. 

Quant  au  pillage  de  Beyrouth,  le  plénipotentiaii-e  génois 
avait,  dès  la  première  conférence,  implicitement  reconnu  la 
légitimité  de  la  demande  des  Vénitiens,  en  avouant  que  le 
fait  avîiii  été  fort  regretté  à  Géues,  et  qu'il  était  ditticile 
d'empêcher  des  soldats,  au  moment  d'un  pillage,  de  distin- 
guer ce  qui  était  propriété  des  Sarrasins  de  ce  qui  apparte- 
nait â  Venise*.  La  disctission  ne  porta  que  sur  le  chiti're  du 
dommage;  devant  les  observations  de  Cigalla,  les  Vénitiens 
-se  déclarèrent  prêts  à  une  transaction,  pounu  que  l'tMisemble 
des   conditions    de   paix    fût    accepté   sans    relard'.    Mais 


1.  22  janvier  Ii04  (Sen.  Secr.^  i,  128). 

2.  Voir  plus  haut  ce  fiuî  a  éxà  dit  sur  cette  négooiation.  Le  sénat, 
dès  le  25  août,  avait  agité  la  question  de  Tcnvoi  k  (lènes  d'un  agent  chargé 
de  toucher  l'argent  promis;  il  ne  fut  envoyé  que  le  2t  septembre  li03. 
(Sen.  Secr.j  i,  f.  103  et  106).  Le  terme  de  paiement  était  Hxé  au  1  sep- 
tembre l'i03,  mais  le  maréchal,  étant  à  Khodcs,  avait  mandé  do  ne 
payer  i|ue  deux  mille  quatre  cents  florins  au  lieu  de  trois  mille  quatre 
cents  ducats,  parce  (|u'il  avait  appris  qu'une  erreur  de  calcul  avait  été 
commise  {S^n.  Secr.,  i,  120).  Gènes  consentità  payer  trois  mille  quatre 
cents  ducats  et  l'estimation  à  intervenir  du  navire  de  Tbadée  Uonc- 
detto  {Sen.  Sfcr..,  i,  121.  Voir  Pièces  justitîcativcs,  n«  xx.vm). 

a.  15  décembre  1'iO:ï  {Sen.  Secr.,  ï,  120). 

16  décembre  1103  {Srn.  Secr.,  i,  119  %•").  Venise  demandait  trenlc- 
deux  mille  ducats,  cbittre  fixé  par  le  sénat.  — Cigalla  protesta  (18  dé- 
cembre K03),  en  faisant  remarquer  que  les  chiffres  donnés  par  les 
négociants  lésés,  ot  qui  avaient  servi  à  calculer  l'inilemnité.  ne  pou- 
vaient être  acceptés  sans  contrr^le  {Sen.  Secr.,  i,  121).  Le  20  décembre, 
il  proposa  de  s'en  tenir  au  chilTre  dressé  par  les  massiers  génois,  ot 
qui  n'était  pas  encore  connu  iSen.  Secr.t  i,  122  et  l23-'«).  Les  Vénitiena 


464 


NEGOCIATIONS   ET  ACCORD. 


lo  pl<>nipotentiairo  génois  so  refusa  à  toute  concession,  ei 
Venise  dut,  en  rin  de  compte,  admettre  le  principe  d'un  arbi- 
ti'ajïe  et  la  base  d'évalualion  qu'elle  avait  rejeiês  à  Torigine' 


(IG, 


9?     97 


,  29  décembre  )  40:îj. 


La  question  du  préjudice  souffert  par  la  république  à  Tri- 
poli*, —  à  la([utdli?  elle  tenta,  au  cours  des  négociations,  de 
rattacher  un  nouveau  duiinnage,  subi  aux  salines  de  Chypre*, 
—  fui  réservée  d'un  cuniinnu  accord.  Cigalla  n'avait  de  docu- 
uients  prêci-s  sur  aucune  de  ces  deux  prétentions,  et  s'enga- 
gea, après  la  conclusion  de  la  pais,  à  faii'e  rendre  A  Venise. 
par  lo  gouvernement  j^énois,  la  justice  qui  lui  était  due*. 

Eatiii  ios  Vénitiens  prétendaient,  avec  raison  du  i*e*»le, 
être  indemnisés  de  tous  les  doïnraages  causés  à  leur  com- 
miTce  et  à  leurs  navires  jusqu'au  jour  de  l'aruiistice.  Celte 
prétention  étûL  d'autant  plus  sérieuse  que  les  Génois,  sur 
l'instigation  du  maréchal,  et  par  haine  des  Vénitien»,  se 
s'étaient  pas  fait  fauie  de  leur  faire  tout  le  mal  possible 
depuis  la  bataille  de  Modon.  Cigalla  no  nia  en  aucune  façon 
la  légitimité  d'un  pareille  demande,  et  il  fut  convenu  que 
les  indemnités  auxquelles  Venise  avait  droit  de  ce  fait  lui 
seraient  payées,  ce  qui  était  justice*. 

La  restitution  des  navires  pris  k  Modon  et  après  Modon 
par  le  maréchal  ne  fut  jamais  contestée  par  le  représentant 
de  Gènes*.  Il  setubhiit  ilotic  (|ue,  d'accord  sur  les  principaux 
points  en  litige,  les  deux  puissances  ne  dussent  pas  tarder  â 


voulurent  subordonner  la  question  aux  autres  pointe  du  lltigOt 
rant,  par  une  sorte  d'ultimatum,  triompher  des  hésitations  de 
adversaires.  Marc  Uandoluavait  pixiftosédaccepterleslimation  génoise  et 
le  chiflre  vénitien  cumme  bases,  et  de  charger  Florencededéterminerqui 
aurait  à  supporter  la  JilTérence  entre  ces  deux  cIiifTrea,  et  dans  quelîes 
proportions.  Cet  avis  fut  repoussé  le  27  décembre  (5cm.  Secr.^  i,  123). 

1.  29  décembre  140a  {Sen.  Secr.,  i,  124  à  125  v*).  —  31  décembre 
iSett.  Secr.,  i.  126). 

2.  Il  s'agissait  de  cotons. 

3.  Vn  préjudice  de  six  cents  ducats  avait  été  causé  à  ser  Nicolas 
f-occo,  citoyen  vénitien,  jiar  les  Génois  (Sen.  Seer.,  i,  12i-2.  V.  Pièces 
justificatives,  n»  .vxxni). 

'i.  Délibérations  dc-s  15,  18  et  22  décembre  1403  {Sen.  Seer.^  i, 
120-3). 

5.  Délibérations  des  15,  18  et  22  décembre   1403  {S^.  Seer., 
120-3). 

6.  15  décembre  1403  {SetL  Secr.,  i,  120-1). 


SOHT   DES   PRISONNIERS. 


465 


s'entendre  d'une  façon  complète;  la  question  de  la  libération 
des  prisonniers  recula  et  friillit  mOine  compromettre  ce 
résultat. 

Le  sort  des  prisonniers  préoccupait  avant  tout  les  Génois 
et  particulièrement  le  marèclial.  Nous  avons  rlèjù  dit,  iju'A 
sa  première  entrevue  avec  les  Vénitiens,  Cigalla  avait  réclamé 
leur  élargissement,  aflirmnut  que  leur  empriHounement  était 
illégal  et  contraire  aux  usages  suivis  par  lu  répablique  en  des 
circonstances  analogues.  Venise  avait  répondu  en  posant  le 
principe  de  la  restitution  réciproque  des  prises,  mais  en  la 
i-eculant  jusqu'au  moment  où  les  in<lemnités  à  fixer  pour  les 
dommages  subis  avaut  l'armistice  auraient  été  déterminées, 
ou  jusqu'à  ce  que  Gènes  eût  fourni  des  assurances  ou  des 
cautions  suffisantes  pour  rendre  la  délivrance  des  captifs 
sans  danger  pour  Venise'.  Cigalla  répliqua  qu'une  pareille 
mesm'o  était  inhumaine  r|uaiid  les  deux  nalions  étaient  en 
paix;  que  l'échange  des  prisonniers,  puisqu'il  devait  être 
réciproque,  équivalait  à  un  échange  île  cautions,  et  qu'il  n'y 
avait  pas  Hou  de  mettre  en  doute  hi  lioune  f<d  des  parties 
contractantes,  surtout  si  l'on  songeait  que  depuis  l'armistice 
les  négociants  génois  et  vénitiens  avaient  commercé  c<He  à 
côte,  donnant  ainsi  à  leurs  nations  l'exemple  de  la  fraternité 
et  du  bon  accord.  M:iis  Venise  tint  bon  et  persista  dans  sa 
proposition  (18  décembre').  Elle  subordonna  la  libération  des 
captifs  au  versement  des  trois  mille  quatre  cents  ducats,  dus 
par  les  Génois,  et  à  la  restitution  îles  navires  vénitiens  avec 
leurs  cargaisrms;  puis  elle  proposa,  en  échange  d'une  mise 
en  lilterté  immédiate,  que  celle  dos  ileux  puissances  qui 
n'aurait  pas  exécuté  les  conditi<ms  qui  lui  incombaient,  au 
moment  de  l'élargissement  des  prisonniers,  donnAt  caution 
à  l'autre  pour  garantir  le  plein  effet  des  stipulations  consen- 
ties'. Cigalla,  désireux  il'en  iinir  avec  cette  question,  accepta 
CCS  propositions  et  demanda  tl'en  référer  à  Gènes  arant  de 
passer  outre  (?8  décembre  1403*). 

Le  mois  de  janvier  liOi   s'écoula  sans  que  le  gouverne- 
ment génois  rtt  connaître  sa  réponse.   Cigalla,   cependant, 


1.  15  décembre  (fien.  Sâcr.,  i,  121). 

a.  18  décembre  [Sen.  Sfct'.,  l,  131-2). 

».  Déliliérations  des  '2i  et  27  dtk'embre  {Sm.  5«T.,  I,  122-4). 

4,  2y  décembre  {Sen.  Secr.^  l,  124-5). 

30 


NêGOCIATIOyS  RT  AÔCÔRD. 

restait  à  Venise,  et  poiu-suïvait  ies'iié^ociatioas  avec  le 
sénat;  tantôt  celui-ci  Tinformait  d'im  nouveau  fait,  l'arre-v 
tation  par  ordre  du  duc  de  Berry  de  marchands  vénitiens  à 
Montpellier,  en  représailles  de  la  captivité  des  chevaUcra 
français*;  tantôt  il  lui  faisait  diverses  propositions  relatives 
aux  prisonniers". 

Cipalla  transmettait  ces  communications  à  son  gou- 
vernemeut»  mais  les  choses  n'avani;aient  pjis.  Enfin,  le  211 
janvier,  le  conseil  des  Anciens  de  Gènes  et  le  marée  fiai  accré- 
ditèrent un  nouveau  pléiiipolentiaire,  Dominique  Impériale, 
auprès  de  la  république  de  Venise,  et  contîrnièrent  les  pouvoirs 
de  Cigalla.  Cette  nouvelle  fut  notiiiêe  aa  sénat  vénitien  le  28 
janvier*,  mais  la  moitié  du  luoi»  de  février  se  passa  avant 
rarrivêe  de  Dominique  Impériale*.  Les  Vénitiens,  fort  peu 
rassurés  sur  le  succès  final  des  négociations,  se  décidèrent  n 
prendre,  pour  parer  à  toute  éventualité,  de  nouvelles  dispo- 
sitions de  défense  et  de  guerre  (14-tO  février)". 

Cette  conduite  n'était  que  ti'op  justifiée.  Le  nouvel  anibasH»- 
deur  voulut  tout  remettre  en  cause  ;  il  reprit  un  à  un  tous  les  ar- 
ticles acceptés  par  sou  prédécesseur,  pourles  critiquer  et  tî'icher 
i\v  faire  revenir  le  sénat  vénitien  sur  les  décisions  déjà  prises. 
Il  fallut  que  ce  dernier  (33  février)  lui  répondit,  avec  beaucoup 
de  fermeté,  que  ce  qui  étîut  fait  étiiit  fait,  et  qu'il  se  souciiiii 
peu  de  rouvrir  un  débat  terminé  ;  cependant,  sur  un  ou  deux 
points  spéciaux,  il  prit  soin  de  lui  démontrer  péremptoire- 
ment la  modération  de  ses  exigences*.  A  chaque  séance  de 

t.  29  et  31  décembre  1403  (Sen.  Secr.,  i,  125  v^-fi). 

2.  22  Janvïpr  l'iO'i  (Sen.  Secr.,  i,  128).  Venise  versera  â  Géneâ  une 
caution  de  cinquante  mille  ducats,  et  rehïchera  les  prisonniers  quand 
les  navires  pris  par  les  Génois  seront  rentrés  à  Venise;  ou  inversement 
Venise  recevra  dc3  Génois  cinquante  mille  durais,  libérera  les  captif», 
et  ne  prendra  qu'alors  li\Taison  des  bâtiments  qui  doivent  lui  être 
restitués. 

3.  Arch.  de  Venise  {Commemoriali,  m,  n*  275,  p.  294).  —  Arcll.  de 
Gènes  (Diver*  Reg.,  6-501,  f.  "1  v-Sv).  —  3e  janvier  1404.  Le  sénat 
accorde  un  sauf-conduit  à  D.  Impériale  et  à  dix  personnes  de  sa  suite 
jusqu'au  15  février.  Il  avait  déjà  renouvelé  celui  de  Cigalla,  le  29  jan- 
vier, pour  le  mt-me  laps  de  temps  (.S>n.  Secr.,  i,  128  v*-9). 

4.  Il  fallut  proroger  à  nouveau,  le  14  février,  les  sauf-conduits  jusqa'à 
la  tin  du  moia  de  février  {Sen.  Secr.^  i,  131  v). 

5.  14  février  (5^».  Secr.,  l,  130-1).  —  16  février  {Sen.  Seer., 
I,  132). 

6.  23  février  1404  {Sert.  Secr.,  l,  134), 


TRAITÉ   Dr   22   MARS    1404. 


461 


» 


nouvelles  questions  9*é!evaieiit  :  l'arrestation  des  marchands 
vénitiens  à  MontpelHcr,  la  conHscution  rrconto  do  hiUimeuts 
H  Cadix  et  à  Iviza  ',  soulevaient  de  la  part  du  sénat  des  récla- 
mations et  des  plaintes  sur  lesquelles  les  plénipotentiaires 
avaient  à  s'expliquer.  Ils  finirpnt.  rejtendant,  par  se  mettre 
d'accord;  le  projet  lie  traité  fut  envuyé,  vers  le  10  mars,  à 
la  ratitlcation  du  gouvernement  de  Gênes,  On  connut  à  Venise 
l'approbation  du  inarécliai  le  17  du  tuème  mois,  et  la  conven- 
tion dértnitive  fut  conclue  le  len<iemain  (18  mars  1  îÛi)*. 

Ce  mAme  jour  la  république  tic  Venise  instituait  cinq  pro- 
cureurs pour  la  représenter  au  traité  de  paix,  qui  fut  solen- 
nellement .sit?ué  au  palais  du  doge  le  '2'2  mars^  Le  hmdeniain 
elle  désignait  Ramberto  Morosini  pour  aller  à  Gènes  en  faire 
exécuter  les  principales  ciauses  et  le  notifier  aux  puissances 
étrangères  ^  Kn  même  temps  die  informait  ses  agents,  spécia- 
lemeut  ceux  di^rit-nt,  du  résultat  pacifique  des  négociations, 
et  arrêtait  les  armejnents  précédemment  ordonnés  •.  De  leur 


I.  26  févriop  Uû4  (Sen.  .S>cr.,  i,  134).  —  Deux  bùtimflnts  génois 
étaient  enU'és  de  nuit  dans  le  purt  de  (  'odix,  et  s'étaient  empar^n  d'une 
coclie  vénitienne  ipatrun  Nicujas  Hoksui  fit  do  sa cai*j|^i.s«ii.  Ce  roup  de 
main  avait  ooùtô  la  vie  h  ({iielriiies  matelots,  d'autres  avaient  été 
blessés  et  pris.  Venise,  le  2'J  janvier  l'iU'»,  écrivit  an  roi  de  Cnstille  et 
do  Kéon  pour  In  prier  de  faire  resjterter  le  traité  de  eommerre  et 
d'alliance  qu'il  avait  conclu  avec  elle  {.S>m.  Miati^  xt.vi,  123  r").  —  A 
Iviia  un  bùlimcnt  vénitien  (patron  Antoine  Oipi»)  avait  été  capturé 
par  les  Génois.  Le  sénat  insista  auprès  du  roi  d'Aragon  (30  janvier  1404) 
pour  obtenir  réparation  (Sert.  Misti,  xlvi,  12U  v). 

•2.  26  et  27  février  1404  {Scn.  Secr.,  i,  134).  —  13  mars  1404  {Sert, 
Secr.,  I,  136).  —  18  mars  (Sen.  Seer.,  !,  137  v). 

3.  Ces  procureurs  étaient:  Jean  Barbadico  et  Charles  Zéno,  procu- 
rateurs de  Saint  Marc,  l'ierroAymo,  Alban  lïadoerct  Ramberto  Querini 
(Arch.  de  Gènes,  Mat.  Politichc,  mazzo  11,  2730).  Pour  le  texte  du 
traité,  voir:  Arch.  de  Gènes  {Mat.  PotitiefK?,  mazzo  U,  2730)  et  Pièces 
juiilificatives,  n"  xxxiv. 

4.  21,  22  et  23  mars  1404  (Sen.  Seer,,  i,  138  r»  et  v).  —  Crona^:hetta 
Yejiesiantif.^,  6. 

5.  22  mars  1404.  Après  un  délai  de  huit  jours,  le  capitaine  de  Modon 
latJisera  prendre  la  mcM-  au  bâtiment  d'André  de  Nicola  {Sen.  Misti,  .xlvi, 
129).  —  24  inars.  Ser  Jean  Corner,  ser  Marc  Michiel  et  sor  Moïse  Michiel 
sont  envoyés  en  Homanie,  Chypre  et  Annénic  pour  notifier  l'accord 
entre  Gènes  et  Vetiiae  (Sathas^  Doc.  in^H.j  i,  9).  —  26  mars.  Le» 
recteurs  de  ]>urauo.  C^>rfuu,  Modon,  Corvn  et  .Négrciwnt  réduiront 
les  armements  extraordinaires  faits  depuis  février  140'i  {Sen.  Mith\ 
XLVI,  I28j. 


468 


NIÏGOCIATIONS   ET   ACCORD. 


côU^,  les  Génois  faisaieut  La  même  notification  À  leurs  agealït 
(31  mars  1404)'. 

L'accord  qui  venait  d'être  conclu  ne  difTérait  p;is,  dans 
ses  points  essentiels,  des  conditions  acceptées  en  principe  par 
l'ambassadeur  Cigalla  ;  il  convieut  ici  d'eu  résumer  tes  prin- 
cipales clauses: 

La  paix  de  Turin  (S  août  1381)  restait  la  loi  des  puissances 
contractantes.  G^ne^^  devait  payer  aux  Vénitiens  les  dommage! 
causés  par  elle  à  Chypre  et  â  Rhodes,  et  fixés  à  trois  cents  flo- 
rins; elle  était  également  tenue  de  payer  la  valeur  du  navire  de 
Thadêe  Benedetto,  dont  l'estimation  était  réservée,  et  celle 
des  marchandises  enlevées  à  Beyrouth,  pour  laquelle  l'inven- 
taire dressé  par  les  massiers  génois  de  Famagouste  était 
pris  comme  base.  Elle  restituait  enfin  les  prisonniers  véni- 
tiens qu'elle  détenait,  les  bâtiments  qu'elle  avait  capturés 
pendant  et  après  la  bataille  tle  Modon.  et  la  coche  prise  à 
Iviza*.  En  échanjie,  elle  rentrait  on  possession  des  ti'ois 
galères  perdues  â  Modon  avec  leurs  agrès  et  leurs  marchan- 
dises. La  libération  des  prisonniers  détenus  à  Venise  était 
subordonnée  à  l'accomplissement  préalable,  de  la  part  des 
Génois,  des  conditions  que  nous  venons  d'énumérer.  Un  délai 
de  six  mois  était  fixé  pour  la  restitution  réciproque  des  mar- 
chandises, des  bâtiments  et  des  prisonniers  capturés  jusqu'à 
l'armistice  ;  par  exception,  co  délai  était  réduit  à  quatre  mois 
pour  la  coche  que  le  gouvernement  génois  avait  saisie  dans 
le  port  de  Cadix  et  fait  conduire  â  Bruges.  Les  négociants 
vénitiens,  arrêtés  à  Montpellier  par  ordre  du  duc  de  Berry 
avec  leurs  mai'chandises,  devaient  être  relâchés  avant  six 
mois  ;  justice  était  promise  par  la  république  de  Gênes  aux 
Vénitiens  lésés  àTripoli  et  à  Chypre.  Les  Français,  prisonniers 
de  Venise,  s'engageaient  à  n'élever  â  l'avenir  aucune  récla- 
mation à  cause  de  lem*  détention  ;  les  cautions  réciproques 
données  par  les  marchands  vénitiens  et  génois  à  Péra,  en 
échange  d'une  mise  en  liberté  provisoire,  devenaient  sans 
effet,  et  devaient  èti'c  rendues  à  ceux  qui  les  avaient 
fournies  '. 


1.  Commemoriati\  m,  n»  282,  p.  29". 

2.  G'est-à-dire  la  galiote  commandée  par  Victor  Marchofo  et  U  chiche 
d'Iviza,  dont  Jacques  Vènier  était  capitaine. 

3.  Voir  Fiôccs  justificatives,  n«  xxxiv. 


TRIOMPHE   DE   LA   DIPLOMATIE   VENITIENNE.  469 

La  diplomatie  vénitienne,  par  ce  traité,  remportait  un 
triomphe  complet,  et  faisait  prévaloir  toutes  les  prétentions 
qu'elle  avait  émises.  Mais  une  pareille  paix  pouvait-elle  être 
durable  ?  Les  esprits  les  moins  perspicaces  n'avaient  pas  de 
peine  à  prévoir,  au  moins  sur  les  points  laissés  en  suspens 
et  réservés  à  un  examen  ultérieur,  l'occasion  de  difficultés 
nouvelles,  capables  de  tout  remettre  en  question.  L'événement 
ne  tarda  pas  à  prouver  la  légitimité  de  ces  prévisions. 


CHAPITRE  VII. 


ELARGISSEMEîrr  DES   PRISONNIERS. 

tous  n'avons,  ju.*ïqu*à  présent,  parlé  qu*accidente!l<*mcnt 
(lu  sort  des  prisonniers  français  et  génois  faits  à  Modoii  et 
conduits  à  Venise  pour  y  être  df'tetius.  Ln  quastion  de  leur 
élarg:issement  tint  cependant  assez  ele  place  dans  les  négo- 
ciations fjue  nous  venons  de  retracer,  pour  qu'il  importe  de 
dire  quelques  mots  dos  circonstances  de  leur  captivité.  Ce-* 
pristuiniers,  au  r;ip]inri  du  capitaine  général  de  TAdriatique, 
dépassaient  le  nombre  de  quatre  cents,  liommes  de  pied  et 
rameurs.  A  ce  ehiffre  il  convient  d'ajouter  trente-cinq 
chevaliers  »>u  écuyers  frnnçais,  parmi  lesquels  Chàteaumo- 
rand,  dont  la  réputJition  de  bravoure  et  do  prudence  étiit 
nniverselle  dans  la  Méditerranée.  La  noblesse  ji^énoise  coiiip- 
tait  également  de  nombreux  représentants  parmi  les  captifs: 
Léonard  Sauli,  Pierre  et  Cosnio  de  Grimaldi,  capitaines  des 
trois  galères  capturées,  Cassano  Doria  que  le  conseil  de-s 
Anciens  envoyait  en  nnssion  dans  le  Levant,  et  qui,  puur 
gagner  son  poste,  se  trouvait  à  bord  d'nn  navire  génois  au 
moment  de  la  bataille,  et  plnsieurs  autres'. 

Les  Français  s'étaient  d'abord  flattés  d'une  prompte  libéra- 
lion,  selon  les  usaj^es  de  leur  patrie;. ils  comprirent  bientôt 
leur  eiTour.  et  se  résignèrent  à  attendre  la  conclusion  de  la 
paix,  heureux  si  elle   leur  rendait  la  liberté.  N'avait-on  pas 


t.   X'ite  de'  rfHcAi*(Murati)ri,  xxn,  »û4).Samido.  etapiV^lui  Ir^sourcor 
vénitiennes,  citent  parmi  1p^  captifs  Louis  itr  Nonnandin.  Ce  porsvii- 
nago  n*a  jamais  été  au  noml)re  des  priHonniers.  —  Uvre  dcn  /«il«,  n, 
chap.  XXYII,  p.  639.   —  I^  Chroniffut:  de  Dandolo  iMuratuii,  mi,  517) 
donne  te  chiiîre  de  cinr|  cents  priKonnien»  environ. 


RIGUEURS  DE  LA  CAPTIVITE. 

de  nombreux  exemples  île  prisonniers  conservés  par  les 
Vénitiens  toute  leur  vie  en  captivité?  Le  résultat  des  premières 
négociations,  dont  l'écho  leur  parvint  dans  leurs  cachots, 
n'était  pas  rassurant.  Veniso  se  jiréuccupait  fort  pcMi  d'adoucir 
leui*  sort,  et  sans  Chateaumuraud  «  le  sage  au  cuor  constant, 
«  en  qui  ne  deffaut  vertu  que  bon  vaillant  et  preux  doye 
«  avoir  »,  qui  ne  cessait  de  relever  leurs  courages,  ils  eussent 
eu  peine  à  supporter  les  rigueurs  de  la  captivité.  La  morta- 
lité était  considérable;  plus  de  cent  vingt  parmi  eux  succom- 
héreut.  Le  sénat,  effi*ayé,  se  décida  â  s'occuper  du  sort  des 
survivant-*  (?5  janvier  l'iOi),  et  chargea  deux  officiers 
d'adoucir  leur  prison  ', 

Sur  le  conseil  de  Cliàteaumorand,  les  captifs  avaient  écrit  an 
roi  de  France  et  aux  ducs,  ses  oncles,  pour  leur  exposer  leur 
état  et  intéresser  la  cour  à  leurs  infortunes.  En  morne  temps, 
ils  s'étaient  adressés  au  maréolial,  et  Trivaient  supplié  de  ne 
pas  continuer  la  guerre,  s'il  voutail  qu'ils  fussent  remis  en 
liberté.  Ils  ne  comptaient  pas,  à  vrai  dire,  arrêter  la  colère 
et  les  projets  rie  vengeance  de  Boucicaut,  mais  espéraient 
qu'un  ordre  formel  de  Charles  vi  enjoindrait  au  gouviTneur 
de  Gènes  de  traiter  avec  les  Vénitiens. 

La  noblesse  française  avait  accueilli  avec  indignation  la 
nouvelle  de  la  capture  de  ses  |tins  brillants  chevaliers,  et  le 
duc  de  Beri'y  n'avait  pas  ln'sité,  snus  forme  de  représailles, 
â  faire  emjjri'i'intipr  à  Montpellier  des  négociants  vénitiens, 
leurs  marchandises  et  lenrs 'bâtiments  *. 

Au  rei;u  des  lettres  dos  prisonniers,  l'indignation  et  la 
pitié  redoubleront;  les  plus  puissants  seigneurs,  le  nù  lui- 
même  écrivirent  au  maréchal  de  s'abstenir  de  toute  hosti- 
lité contre  Venise;  en  même  temps  ils  s'adressèrent  direc- 
tement à  cette  dernière  ponr  obtenir  la  libération  des  captifs. 
Le  porteur  des  lettres  rf)>ales.  Hélion  de  Longavemes, 
ècuyer  du  roi.  reçut  l'ordre  d'insister  pour  obtenir  une 
prompte  réponse,  et  d'accorder  trtua  jour»  au  sénat  pour  la 


t.  Livrr  ths  faim,  Uy  rhap.  xxvni,  p.  689;  —  CronnehHta  Vene- 
i/rtwn,  p.  ti;  —  Déliln^ration  tlu  24  janvier  1 404  \Scn.  Minti,  xi.Vi,  f.  I19|. 
Hcinnn|Muns  i|ue  la  mortalité  sévit  pai'inl  Ir  rommun  dos  prisniniier», 
tAiidis  que  imus  ne  voyons  rien  do  sembl&blo  se  manifester  parmi  Jet* 
prisonniers  de  distinction. 

2.  Sen.  Secr.,  i,  126. 


4^:^  KLAR6ISSBMENT   DBS  PRISONNIERS. 

lui  donner.  Devant  cetto  insistance,  la  républir|uo  rppnnrtU 
i|u'un  ilélai  si  court  no  pcrmetlait  pas  de  convor|uer  les 
conseils  à  temps  pour  délibérer  et  discuter  la  question 
avec  l'attention  qu'elle  méritait  (8  mars  lîOi)'.  Elle  réser- 
vait ainsi,  en  évitant  de  se  prononcer  nnitement.  sa  liberté 
d'action  à  un  moment  où  la  signature  de  la  paix  allait,  d'un 
jour  à  l'autre,  entraîner  l'élargissemeiit  des  captifs. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  Taccord  prélirainaire  fut 
conclu  le  22  mars  MOi.  Aussitôt  Caltaneo  Cigalla  saisit  le 
sénat  vénitien  d'une  demande,  ayant  pour  objet  de  relâcher 
Chàteaumorand  sans  délai,  sous  caution  de  six  mille  ducats. 
L'ambassadeur  génois  se  proposait  d'emmener  avec  lui  le 
capitaine  français  à  Gènes,  sachant  bien  l'iaUuonce  qu'il 
exerçait  sur  l'esprit  du  maréchal,  et  persuadé  que  son  inter- 
vention ne  pourrait  riue  hâter  le  succès  définitif  des  négocia- 
tions, et  la  prompte  exécution  des  clauses  de  la  paix.  Il  indi- 
quait nu  sénat,  en  formulant  sa  demande,  de  quelle  utilité 
rhntcjunnfirnnrl  pourrait  Aire  pour  obtenir  la  libération  deu 
prid(wuners  vénilitnis  faits  à  Montiiellier.  Cet  argument  con- 
vainquit la  république  de  Saint  Marc  (24  mars  1404).  Le 
surlendemain,  ChAteaumorand  était  libre,  sans  caution; 
après  s'être  engagé  sous  serment,  en  cas  d'échec,  à  revenir 
se  constituer  prisonnier  avec  ses  trois  sen'ants,  il  quîttaj 
Venise  en  même  temps  ïjuo  les  ambassadeurs  génois*. 

Ce  départ  fut  le  signai  d'un  revirement  dans  la  conduite» 
du  sénat  ;  il  se  décida  (  26  mars)  à  acc«i*der  aux  pri- 
sonniers une  liberté  sous  caution,  à  condition  de  ne  pas 
quitter  la  ville.  Ceux-ci,  par  groupes,  présentèrent  des 
répondants  pour  des  sommes  variables,  et  le  sénat,  suivant 
les  cas,  accepta,  refusa  ou  réduisit  ces  cautions.  Ces  mises  en 
liberté  provisoire  portèrent  sur  trente  chevaliers  français,  et 
vingt-six  Génois  environ.  Les  valets  et  domestii|ues  furtnit 
relâchés  sous  serment  et  sans  caution  '.  Quelques  jours  pins 
tard,  en  vue  d'un  élargissement  prochain,  Louis  de  Culaut 


1.  Livre  des  faits,  n,  chap.  x\ix,  p.  640;  —  Mas  Latrie,  Comt 
et  Expéditions,  p.  182-3. 

2.  24  mars  i'.04  (Sen.  Srrr.,  I,  139;  Sen.  Misti,  Xl,VI.  Iî8).—  26  m.nrs 
{Commemnrittli ,  ni,  n**  278,  p.  206».  Voniso  lit  des  présent*  à  Chàl<*au- 
morand  et  aux  pléiupoteiiliatres  lui-sqn'lls  prirent  congé  d'elle. 

3.  k  avril  {Sen,  Misti^  xtvi,  128  v).  —  7  avril  (Cowmw/iuri'a/i,  m. 


MISES    EN    UHRRTE   rROVrSOIRB. 


473 


obtint  l'autorination  d'onvoyor  Renaud  de  Chambaron  avec 
un  valet  à  Trévise  et  à  Sacile  pour  acheter  des  chevaux  et 
Ibs  ramener  à  Venise  (l'i  avril)'. 


n*^  28'i-5  p.  29?  1.  —  Nous  donnonB  iVi  la  liste  des  prisonnier»  appelés  à 
jouir  de  cette  faveur.  {Commemorfaii,  lit,  n"  277,  279-81,  283-6, 
p,  296-8.) 

26  mare.  —  Caution  de  dix  mille  ducats  pour  : 

(«otiis  de  Culant.  CîuiUaume  de  Tholigny. 

Jean  Loup.  Chariot  de  Fontaines. 

Jean  Dôme.  Robert  de  Torcy. 

Kobin  Fretel.  Jean  de  Montregnault. 

.lehannet  de  Deaiirhamp.  Hicbard  <ie  Marcé. 

Plotûn  do  Castellus.  Humbert  de  Charul. 

Simon  de  Koncival.  Jean  d'Ony. 

Jean  Kvrard.  Rieliard  de  Montara. 

Iteiiaud  Cambronne. 

—  Caution  do  millo  ducats  pour: 

Parpillondc  Sollicrs.  Bertbold  le  Moine?  (Leoma- 

Pierre  de  la  (iarde.  naehi). 

Rtionno  des   Hoches   de  S.  Le  bAtard  de  Thoy. 

Lebigne.  I*icrrn  Ambogu. 

Odard  àf  rbaniprobcrt.  Jean  Cautoii. 

Le  bâtard  d«  Montregnard.  Jean  Jalon. 

Pierre  Kau<)uier.  Pierre  Morel. 

Robort  Talias. 
27  mars  140^.  ->  Caution  de  dix  mille  ducats'  pour: 


Georges  Cavalli. 

Jean  Lazzarini,  notaire. 

Jaajueit  di  Gambarana. 


Cassano  I^iria. 
Pierrf  dp  (Irimaldi. 
i'nsmp  de  (irimaldi. 
L<!>onard  Sauli. 

—  San»  caution  :  Charle-*  Salvago. 

5  avril  l'iO'i.  —  Caution  individuelle  <1p  rerit  ducats  pour  : 
Pliilippp  Vonli».  Metrbior  Fatinantl. 

.Ange  l'aptiro.  Ilnbnrt  Parodî. 

liaptiiite  Pindebene.    .  Pierre  Aniadi. 

Gaspard  Fatinanti. 

—  Caution  individuelle  de  cinq  centa  ducats  |>our  : 
Laurent  de  Pise.  Ange  de  Montenero. 

7  avril  l^O'i.  —  Caution  de  cinquante  diieatjt  pour  : 
Barbier,  serviteur  de  Charlea  Salvago. 

—  Caution  individuelle  de  cent  ducats  pour: 
Dominique  Lazzarini.  Jean  Bellollo. 
Léonanl  La/narini.  Lur  Scarella. 

Hulwrt  Mlegri.  Pierre  Anodet. 

Jean  Itardi. 
Sett.  Miati,  XLVI,  f.  130. 


9.  La  rAulîon,  propoft^p  le  2n  iiinr*,  ^tait  de  iiuAlorzc  inilln  diKJiU.  I^* 

r^nnl  1j  r<^duJ!>it  U  dix  iiiille.  Culle  de  Cuonuo  Doiia  H  de  Pii'rrc  de  (irimaldi 
Mail  lie  *\\  nulle  ducat». 


J 


BLARGISSEHENT  DES  PRISONNIERS. 

L'exécution,  cependant,  des  clauses  de  la  paix,  auxquelles 
était  subordonnée  la  libération  dos  prisonniers,  traînait  eu 
longueur.  Au  milieu  de  mai,  un  seul  des  bâtiments  vénitiens 
capturés  avait  été  restitué  à  ser  Robert  Morosini.  Dominique 
Impériale,  pour  hâter  la  mise  en  liberté  des  prisonniers,  pro- 
posa de  verser  aux  Vénitiens  une  garantie  pécuniaire  (1 4  mai). 
Les  intéressés  (16  mai)  insistèrent  personnellement  dans  le 
môme  sens;  ils  firent  observer  qu'ils  étaient  étrangers  à  cc« 
lenteurs,  et  demandèrent  â  bénéficier  de  l'exécution,  même 
partielle,  du  traité  de  paix.  Devant  cette  insistance,  Venise 
céda,  dans  l'espoir  que  Chàleaumorand  ferait  relâcher  les 
négociants  arrêtés  à  MoutppIUrT,  ei  autorisa  la  mise  en  liberté 
détiniiive  des  prisonniers  français;  elle  eut  lieu  le  17  mai  '. 
Leur  captivité  avait  duré  huit  mois. 

Restaient  les  Génois,  pour  lesquels  Venise  n'avait  pas  les 
mêmes  motifs  de  se  montrer  indulgente.  Dominique  Impériale, 
cependant,  obtint  de  faire  établir  une  distinction  entrei  les 
Génois  de  marqm^  et  les  simples  matelots;  ces  d»^rniers.  qtti 
avaient  versé  ime  caution  individuelle  de  cent  ducats  pour 
sortir  de  prison,  furent  reîAchés  sans  condition  (17-lî)  mai); 
enfin,  le  21  mai,  le  sénat,  pour  aplanir  toute  diltirulté,  enoort» 
que  les  conditions  du  traité  ne  fussent  pas  accomplies  entière- 
ment, se  décida  à  accorder  la  liberté  à  ceux  des  Génois  qui 
étaient  encore  détenus  à  Venise*. 


1.  14  mai  1404  (Sen,  Mitti,  XLvr,  f.  135).  —  26mai(.s>n.  Mt'êti,  xlvi. 
f.  lîO).  —  17  mai  {Cummcmnriati,  ni,  n**»  2ÏII-2,  p.  290). 

2.  17  mai  1404  (6>n.  .Viji/(,xlvi,  f.  132  v«).— lUmai(.s>«.  J/i'a/i,  XLVI, 
f.  135).  —  24  luaî  (Sen.  Secr.,  ir,  f.  9  v'>). 


Il  no  suffisait  pas  qiu*  le  traité  d(»  paix  fût  signé;  il  fallait 
Trxécuter»  et  cett^  exécution  n'alla  pas  sans  amener  dt^s  dif- 
ficultés et  des  conflits  de  plus  d'une  sorte. 

Les  Vénitiens,  on  acceptant  di*  Gènes  une  indeumiU*  pour 
les  dommag"es  causés  à  leur  commerce  :t  Bo\TouIh,  avaient 
réservé  tous  les  droits  qu'ils  pourraient  avoir  à  exercer,  a 
cette  occasion,  contre  le  roi  de  Chypre  et  le  graiid-inaître  de 
Rhodes.  On  se  souvient  en  effet  que  tous  deux,  par  leur 
présence  ou  par  celle  de  leurs  vaisseaux  dans  l'escadre  du 
maréchal,  avaient  participé  à  rexpédition  de  Syrie  et  par 
suitt?  au  pillage  de  Uoyruiilli. 

A  peine  la  convention  du  '^'2  mars  ful-elle  conclue  que 
Venise  adressa  au  grand-niaitre  d<^  Rhodes  (i  avril  IiOÎ)des 
représentatinns  sur  la  conduite  qu'il  avait  tenue.  Elle  se  plai- 
gnit qu'au  mépris  d'une  ancienne  et  constante  amitié,  il  oîlt 
pris  les  armes  contre  elle  nt  concouru  au  pillage'  des  niar- 
cliandises  vénitiennes;  par  l'organe  de  ser  M;irc  Michiel, 
envoyé  dans  le  Levant  pour  faire  exécuter  la  paix.  oUo 
demanda  ré]iaration  du  préjudice  causé.  Le  grand-niaitrc, 
?»ans  al>ordf't'  le  fnnri  de  la  qtu^stiun.  réponriit  en  anuonrant 
l'envoi  d'un  ambassadeur  au  sénat,  mais  il  tarda  à  s'acquitter 
de  sa  promesse  ;  qneitpies  mois  plus  tard,  lassée  d'une  si 
longue  attiMito  ('*?!)  août  1U)1).  la  répulitiipie  dut  charger  les 
capitaines  des  galères  de  Beyrouth  d'ahonler  à  Rhodes,  et 
de  réclamer  de  nouveau  an  graud-mailre  la  réparation  «les 
dommages'.  Devant   cette   insistance,   Philibert  de   Naillac 

t.  Ces  dommages  étaient  estimés  à  huit  mille  ducat«,  mais  Icb 


476  EXKCUTION   DU   TRAITB. 

s'exé(*u1a.  L'ambassade  annoncée  arriva  à  Venise  au  mois  dn 
septembre  (16-18  sf|)lf*mbre}.  EUt'  prolesta  que  si  à  Muilon 
une  galère  de  Rbodes  accompagnait  la  flotte  génoise,  ce 
n'était  pas  dans  une  intention  hostile  à  Venise,  mais  pour 
obéir  aux  onlres  du  inai-éch.il.  représentant  du  roi  de  France, 
et  pour  défendre  les  intérêts  de  l'ordre  en  Morée.  Elle  assu- 
rait également  que  Nailiac  avait  suivi  Boucicaut  en  Orient 
pour  courir  sus  aux  mécréants,  non  pour  léser  les  Vénitiens, 
et  quMl  regrettait  sincèrement  le  pillage  de  Beyrouth,  auquel 
du  reste  il  était  étranger  ;  quant  à  la  restitution  des  mar- 
chandises, elle  avait  été  faite  d'une  façon  complète  à  Cérines 
aux  représentants  de  Venise.  En  présence  de  ces  atiSrmations 
et  des  regrets  témoignés  par  Icgrand-maitre,  le  sénaî  accepta 
les  assurances  et  les  excuses  que  lui  apportait  l'ambassade '. 

Il  tint  la  même  conduite  à  l'égard  du  roi  de  Chypre.  Le 
4  avril,  il  enjoignait  à  Bernard  Morosini,  vice-baile  de  Nico- 
sie, de  se  rendre  auprès  de  Janus,  de  lui  exposer  les  faits  qui 
motivaient  sa  visite,  et  spécialement  de  lui  réclamer  cinq 
mille  ducats  pour  la  restitution  des  marchandises  enlevées  â 
Beyrouth  par  la  galiote  do  Bernard  de  Saint  Saturnin,  sujet 
chypriote.  Le  roi,  il  est  vrai,  faisant  droit  à  une  premièro 
réclamatinn,  avait  déjà  saisi  quebiues-nues  de  ces  marchan- 
dises, mais  c'était  une  satisfaction  insulfisante  dont  Venise 
no  pouvait  se  contenter.  Jauus.  après  de  longs  débats,  finit 
par  accepter  le  chiffre  do  trois  mille  ducats  auquel  Mon^sini 
se  rabattit,  et  s'engagea  â  payer  la  somme  dans  le  délai  d'un 
an  {juin  ISf)i)V 

Le  l'Ole  de  Morosiui  à  Chypre  n'était  pas  exempt  de  difli- 
cult<Ss.  Représentant  des  Vénitiens  pour  toutes  les  clauses  du 
traité  de  paix  qui  concernaient  cette  île,  il  était,  sans  parler 


agents  vénitiens  étaient  autorisés  â  transiger  puur  la  moitié  de  cetto 
somme. 

1.  4  avril  1404  (Sathas,  Doc.  inéd.,  ji,  121);  —  29  août  1404  {Sen. 
Misli,  XLVi,  148  v);  —  16  sRptemhre  [Sen.  Misli,  xi.vi,  157  vi;  — 
18  septembre.  •  Volumns  hoc  credere,  cum  Rrm»  spe  et  confidcn1ia« 
*  qnod  sacra  religio  Rmli  taliter  pravidebit  quud  de  cetero  sîmilianan 
s  occnrent,  r-ei-tissimi  quod  fraterne  et  amicabîliter  tractabunt  nostn» 
»  merratores  et  civps,  ac  eanim  navigia  et  bona,  sicut  sumus  dÎHpOdstti 
«  facere  vice  versa.  »  (»«.  Mhti,  xi.vi,  IfiR.) 

2.  4  avril  tiO'M.SVn.  MUti,  xtvi,  126  v«J;  —  29  août  1404  (.Voi, 
Nièti^  XLVI,  149). 


CAHTEL  DE   BOlîClCAlTT. 


47'; 


fies  récLaniâtions  qu'il  venait  dn  faire  triompher  auprès  do 

.îanus,  chargé  (i'pstinier  t\  Faniagouste,  de  concert  avec  les 
Huissiers  gùiiuis,  le  navire  de  ïhadée  Benedetto;  il  avait 
auasi  mission  d'exiger  deux  uiille  ducats  du  roi  de  Chypre 
pour  payer  la  solde  d'un  navire  vénitien  que  Perrin  le  Jeune' 
avait  capture  et  mis  au  service  du  roi.  Knjuiii  l  lO'i,  quelques- 
unes  do  ces  questions  avaient  été  heureusenieut  terminées, 
d'autres  étaient  en  voie  <raiTangement.  Venise  déployait  la 
plus  grande  activité  à  faire  cesser  ces  lenteurs  qui  paraly- 
saient son  commerce,  et,  pour  seconder  les  efforts  de  son 
agent,  entrait  dans  la  voie  des  concessions*. 

A  Gènes,  au  contraire,  les  dispositions  étaient  loin  d'être 
pacifiques,  suitout  dans  l'entourage  du  maréchal.  Celui-ci, 
tant  que  ses  braves  chevaliers  avaient  été  en  prison,  s'était 
contenu  pour  obtenii'  leur  libération;  mais  leurs  récits  à  leur 
retour,  la  letta*  de  Venise  à  Charles  vi  après  Modon,  dont 
copie  lui  avait  été  envoyée  de  Krance.  l'avaient  exaspéré.  La. 
paix  était  signée,  et  Boucicant  omprmail  qu'il  fallait  se 
garder  de  jeter  les  Génois  dans  de  nouvelles  aventures;  mais 
il  r**stait  toujours  à  un  gentilhomme  le  droit  de  justifier  sa 
conduite  et  de  provoquer  ses  contradicteurs.  C'est  à  ce  parti 
que  le  maréchal  se  résolut.  Il  écrivit  au  doge  et  à  Zéno  une 
lettre  de  défi,  très  ferme  et  très  digne  iU  juin  lîOî),  dans 
laquelle  il  réfuta  tes  assertions  des  Vénitiens  eu  ce  qui  con- 
cernait Hevrouth  et  M'mIou.  Il  y  disculpait  sa  conduite,  sans 
ci*aindre  de  taxer  «  de  déloyauté  et  de  mensonge  »  cellede  ses 
adversaires.  Une  pareille  injure,  daus  l'opinion  du  maréchal. 
appelait  une  réparation  par  les  armes.  Il  la  proposait  â  Stt^no 
ot  a  Zéno,  à  la  tin  de  sa  lettre,  et  les  provnquait  à  simtenir  leurs 
dires  eu  champclos,  six  contre  cinq,  douze  coutredix.  dix-huit 
contre  quinze,  vingt-quatrecontre  vingt,  ou  trente conti'e  vingt- 
cinq;  s'ils  préféraient  un  autre  mode  de  comhat,  il  se  décla- 
rait prêt  à  accepter  un  comhat  naval,  galère  contre  galère  ". 


1.  Appelé  Uaits  les  piércs  vénitiennes Perrinus  de  Juvenibus.  C'était 
un  dofl  conseillt*!^  i]<^  Jantis. 

2.  29  août  1404  ySen.  Misti,  XLVï,  U9j.  Ce  navire  appartenait  k 
Jean  de  l'alestrina  et  C".  Il  fut  arrâté  daits  l'Adriatique;  la  cargaison 
fut  dtVhargée,  el  le  bâtiment  passa  a»  service  du  roi  de  Chypre  avec 
son  éiiuipage.  —  I^  dé!it>éra(ion  du  29  août  donne  des  détails  circons- 
tanciés sur  le  rtMe  de  H.  Morusini  à  ('liypre, 

3.  Livre  dei  faits^  u,  cU.  xxxi,  p.  OU-6.  Voir  Pièces  justiticativc&, 


< 

A 


Ce  cartel  ne  reçut  pas  de  réponse.  Il  n'entrait  pas  dans  les 
haltiludes  do  la  républiiiue  de  trancher  les  iiuostiona  en 
combat  singulier,  quand  elle  pouvait  recourir  à  la  diplomatie 
oa  atômu  à  la  force  des  armes'.  Mais  ce  nouveau  symptôme 
des  sentiments  belliqueux  des  Génois  no  laissa  pas  que  de 
l'effrayer,  et  de  lui  fairo  prendre  dos  mesures  nouvelles  pour 
protéger  son  cmimerce  ["30  et  27  juin  Iî04)*.  En  même 
temps,  elle  apprenait  que  les  Florentins  s'étaient  mis  en  rap- 
ports avec  Boucicaut  pour  le  décider  à  attaquer  Venise  par 
mer,  tandis  qu'eux-]in*mMS,  unis  â  François  de  Carrare,  sei- 
gneur de  Padoue,  l'at tiqueraient  sur  U*.  continrut.  Celte 
alliance  pouvait  ètm  funeste  à  la  l'êpublique.  aussi  celle-ci 
envoya-t-oUe  en  toute  bâte  Jean  Zurzi  pour  dissuader  les 
Florentins  de  leur  dessein,  et  détourner  le  cmip  qui  la  mena- 
çait (8  et  15  juillet  1404)^ 

Venise,  en  effet,  était  à  cette  époque  en  guerre  avec  Fran- 
çois de  Carrare  et  Nicolas  d'Kste,  nian|uis  de  Ferrare.  Au 
milieu  des  intrigues  de  toutes  sortes  qu'avaient  suscitées  dans 
tout  le  nord  de  la  péninsule  la  succession  de  Jean  Galôas 
Visconti  et  le  pjutage  des  élats  du  duc,  les  puissances  ita- 
liennes s'étaient,  à  plusieurs  reprises,  liguées  dans  le  but 
de  profiter  du  dèmombreMient  des  domaines  des  Visconti; 
mais,  jusqu";i  ce  moment,  il  n'élait  venu  ni  à  Gènes  ni  à 
Venise,  engagées  dans  une  guerre  maritime,  la  pensée  de  se 
créer  des  alliés  sur  le  <;ontinont,  et  de  tenir  â  la  fois  cam- 
pagne sur  terre  et  sur  mer.  On  conçoit  l'appréliensinn  causée 
aux  Vénitiens  par  une  pareille  perspective;  la  désignation  par 
les  Génois  d'un  ambassadeur.  Antoine  de  Fiesque,  destiné  à 
mettre  d'accord  le  duge  et  le  seignem-  de  Padoue  (14  juillet) 


n«  XXXV.  Cette  lettre  est  résumée  dans  Stella  (Muratori,  xvu,  Î202-4), 

dans  Oiustiniani  tn,  232-4)  et  dans  L'.  Koglieta  (éd.  de  1585,  f.  1851. 
Les  chroniqueurs  vénitiens  n'en  font  aucune  mention,  excepté  la 
Cnmachetta  Venesiana  (p.  8-9). 

1.  «  Aile  bravate  del  Doucicault,  il  doge  e  lo  Zcno  risposero  con 
■  dignitoso  silenzio  *  iHomanin,  Storia  doc.  di  Venezia,  iv,  p.  11). 

'2.  20  juin  11U4.  Ordre  aux  recteurs  de  l'Istrie  d'arrt^ter  les  bâti- 
ments vénitiens  (Sen.  Misti,  xlvi,  f.  l'*l).  —  27  juin  1404.  Défense 
à  Pierre  Contarini  et  à  Fantino  Pisani  de  prendre  la  mer  avant  le 
10  juillet,  afin  qu'on  puis»e  avoir  des  nouvelles  précises  des  intentions 
de  Gène»  {Sen.  Misti,  XLVl,  f.  141  v»). 

3.  Sen.  Secr.,  n,  f.  27  v  et  31  v«. 


RAPPEL  DE  L  AMBASSADEUR  VE^ilTIEN. 


479 


ne  fit  qu'augmenter  leurs  craintes.  Cette  médiation,  que  les 
Génois  semblent  s'éLre  attribuée  sans  mandat,  avait  Até 
repoussée  par  le  st^nat  vi^nilien  (*?S  juillet)  dès  la  première 
ourerture,  mais  Gènes  n'en  avait  pas  moins  persisté  dans  ses 
pmjets.  Quand  Antoine  de  Fiesque  se  présenta  devant  le  doge 
(;'  septembre),  celui-ci  dut  décliner  de  nouveau  l'intervention 
génoise'. 

Au  milieu  des  négociations  qui  absorbent,  pendant  les  der- 
niers mois  de  Tannée  l'iOi,  toute  l'Italie  sepleutrionale,  et 
auxquelles  Venise  et  Gènes  sont  mêlées,  il  est  assez  difîicile 
de  préciser  l'état  des  rapports  qui  régissent  ces  deux  puis- 
sances. La  paix  est  conclue  entre  elles;  Robert  Morosini 
prépare  à  Gènes  l'exécution  des  clauses  stipulées,  et  on  tra- 
vaille activement,  de  part  et  d'autre,  â  conclure  l'accord  déti- 
nitif.  Mais  Boucicaut  vient  de  défier  le  doge  et  Zéno;  Venise 
se  plaint  d'actes  de  piraterie,  isolés  il  est  vrai,  qu'elle  attri- 
bue aux  Génois,  et  le  maréchal,  pour  mieux  accentuer  ses 
sentiments  hostiles  (30  aoîit  1401),  vient  de  donner  à  un 
Génois,  Nicola-^de  Moneplia,  patmn  d'im  bâtiment  léger,  des 
lettres  de  marque,  qtii  ruiiforiseut  à  naviguer  dans  l'Adria- 
tique, et  à  l'aire  aux  Vénitiens  tout  le  mal  qu'il  pourra*.  Ne 
voulant  rouvrir  les  hostilités  qu'à  bon  escient,  Boucicaut, 
interprète  des  sentiments  de  son  entourage,  n'a  trouvé  de 
meilleur  moyen  de  nuire  â  .ses  ennemis  sans  rompre  la  paix, 
et  de  se  venger  de  leur  déloyauté,  que  d'autoriser  la  pira- 
terie contre  eux.  Cette  conduite'  entraine  le  rappel  de  Moro- 
sini, dont  la  sécurité  personnelle  est  menacée  à  Gènes 
(Iti  septembre),  mais  ce  df-part  n'est  pas  le  signal  d'une  rup- 
ture déHnilive.  Morosini,  en  quittant  Gènes,  au  moment  où  sa 
mission  peut  être  considérée  comme  terminée,  annonce  l'en- 
voi ultérieur  d'un  notaire  vénitien  pom*  i-égler  les  questions 
encore  pendantes  (tin  septembr*^  liOi). 

De  son  côté,  Venise  favorisait  de  ses  subsides  les  menées 
d'Antoine  di  Guarco   contre  Gènes  ^   cherchait  à  détacher 


1.  i%  juillet  U04  (Arch.  de  Oénes,  Diwrt  Beg.,  6-301,  f.  10^  v»).  — 
28  juillet  140i  (Arch.  de  Venise,  Sen.  Secr.,  n,  f.  35).  —  2  septembre 
1404  {Sert.  Secr.,  il,  f.  49). 

2.  Arcïi.  de  Gùncs  {Materù  PoUliche^  mazzo  il,  2730). 

3.  Il  décembre  1404.  Subside  de  six  mille  ducats  {Sen.  Secr.,  n, 
f.  82j.  —  25  décembre   140^1.   .Nouveau  subside  de  deux  mille  duoaU 


480 


TENTSE  ENTOIE  TÎNK  AMBASSADE  ES  FRATÎCE. 


le  cardinal  de  Bologne  do  l'aHiaiice  de  Bnucicaut'.  et  deman- 
dait iiu  duc  d'Orléaas  le  renvoi  du  maréchal,  dont  elle  redou- 
tât l'influence  et  les  qualités  militaires'.  Eu  même  temps, 
olUî  donnait  au  capilainode  l'Adriaticiue  Tordre  de  poursuivre 
et  d'attaquer  le  bâtiment  de  Nicolas  de  Moneglia,  aaviguaiil 
sous  le  pavillon  du  seigneur  de  Padoue  (6  octobre  MOI)*. 
ElU'  soudoyait  Hos  ti'on])Cs  pour  renforcer  les  garnisons  de 
Corfou,  Coron,  Modon  et  Nëgrepont;  enfin,  en  roprésaillfs  du 
mal  que  lui  faisait  le  corsaire  génois,  et  de  l'arrestation  de 
ses  nationaux  à  Cliios,  elle  faisait  emprisonner  les  Génois 
arrivant  de  Tana  sur  les  galères  vénitiennes,  ut  confisquait 
leurs  marchandises  ^ 

Mais,  en  même  temps,  elle  avait  à  cœur  de  faire  relâcher 
sans  retard  les  Vénitiens  retenus  prisonniers  â  Montpellier 
par  ordre  du  duc  de  Borry.  L'intervention  deChAteaumorand 
n'ayant  pas  été  sutlîsanti*  pour  iibtenir  ce  résultat,  elle  se 
résolut  à  envoyer  une  ambassade  à  Charles  vi  l'I'J  août  l  S04)'. 
Personne  ne  se  souciait  d'accepter  cette  mission,  et,  après  de 
fréquentes  délibérations  à  ce  sujet,  qui  se  prolongèrent  pendant 
li?s  mois  de  septembre  et  octobre,  Marc  Dandolo  et  t'Hinrois 
Contaritil  furent  désignés  pour  l'ambassade  de  France*. 

Il  ue  semble  pas  que  la  présence  en  France  dos  ambassa- 
deurs vénitiens  ail  amené  la  solution  que  Venise  attendait, 
malgré  l'întcn'entiou  du  duc  d'Orléans  qu'elle  avait  sollicitée'. 


(Sen.  Sen'.,  n.  f.   82).  —  5  janvier  1405.  Délibération  sur  le  m£me 
objet  (Sen.  Secr.,  u,  f.  82i. 

1.  11  décembre  UO^i  (Sen.  Secr.^  n,  f.  76).  Le  cardinal   Balthasar 
Cossa,  légat  a]K>stoliquc,  avait  fait  son  entn^e  dans  Gotogrin  le  'J  se| 
tetnbro  1'iU3;   il   venait  gouverner   la  cité  au   nom  du  Saint  Siëge^ 
{Croniea  di  Boloffna,  dans  Muratori,  .\vm,  582». 

2.  3  janvier  iVoS  {Sen.  Sea:,  m,  f.  82  v»-3).  Elle  donnait  pour  pré- 
texte à  cette  demande  l'intorSt  de  la  France,  que  Iloucicaut,  disait- 
elle,  ne  cessait  de  compromettre. 

:t.  Sr».  Secr.,  n,  F.  64.  Le  capitaine  ne  devra  franchir  ni  le  c«p 
Ituf&ani  ni  le  cap  Saint  Ange. 

V.  Il  dt^corithie  l'iû'i  {.>>».  Secr.,  n,  f.  75.  Ed.  Sathfts,  Doc.  »Wrf.,  I, 
91.  —  20  décembre  1404  [Sen.  Mistf,  xi.vi,  T.  161  v). 

5.  Mas  Latrie,  Commerce  et  Exjiéditiontiy  p.  184. 

6.  Délibérations  des  4  et  5  septembre  1404  (Max  Latrie^  Commi 
et  Expéditionsy  p.  185).  —  6  septembre  {Sen.  Secr.,  n,  f.  5:i).  —  28 
2'J  octubre  (Mas  I.atric,  Commerce  et  EjtpéditivnSy  p.  185-7). 

7.  Délibérations  des  12  et  18  janvier  1405  (Mas  Latne,  Commerce  et 
Expédiiiom,  p.  187-8). 


PRISONNIERS   VENITIENS   A   MONTPELLIER.  48Î 

Nous  ne  saurions  dire  à  quelle  époque  les  captifs  furent 
remis  en  liberté.  Il  faut  attendre  jusqu'en  1409  (20  janvier) 
pour  retrouver  la  trace  de  cette  négociation,  A  cette  date,  un 
ambassadeur  du  duc  de  Berry  est  à  Venise  pour  fixer  l'in- 
demnité à  donner  aux  Vénitiens.  Il  n'est  plus  question  des 
prisonniers,  et  la  république  de  Saint  Marc  se  montre  dispo- 
sée à  accueillir  les  ouvertures  de  l'ambassadeur  français  \ 


1.  Sert.  Mistif  XLvni,  f.  51.  —  Nous  ne  savons  rien  de  plus  sur  cette 
ambassade  et  sur  le  succès  de  la  négociation. 


31 


Le  rappel  de  Morosini  n'avait  pas  la  signification  qu'il 
semblait  annoncer.  Venise,  en  faisant  pressentir  Tenvoi  d'un 
nouveau  plénipotentiaire  à  Gènes,  avait  ôté  à  cette  mesure 
lo  caractère  d'une  rupture  diplomnlique,  tout  nn  marquant 
sou  intention  de  ne  pas  céder  »  toutes  l(»s  exigences  des 
Génois.  Aussi,  après  un  délai  de  quatre  mois,  crut-elle  Ihî* 
dispositions  de.  ses  adversaires  assez  modifiées,  ei  leur  anï- 
mositê  assez  ap.iisée  po)ir  rendre  possibh'  la  reprise  îles  né- 
gociations. François  Beaciani,  notaire  de  la  république,  fut 
envoyé  à  Gênes  (23  janvier  1 505]  avec  des  instructions  ferm«îs 
et  conciliantes.  Il  devait  rappeler  au  gouvernement  génois 
que,  malgré  les  assurances  données  à  diverses  reprises  à 
Morosini,  Nicolas  de  Moncjçlia  avait,  au  mépris  de  la  pai\, 
tenu  la  m(?r  en  corsaire.  e(  infligé  aux  Vénitiens  un  préjudice 
sérieux,  dont  réparation  devait  leur  être  faite;  il  avait  ordre 
d'insister  pour  obtj?nir  cette  réparation,  sans  permettre  aux 
Génois  de  se  retranrlior  derrière  leur  qualité  de  suj<^ts  du  roi 
de  France  ou  d(irrière  leur  ignorance  des  agissements  de 
Nicolas  de  Moneglia.  Les  instructions  du  sénat  enjoignaient 
enfin  â  Beaciani  de  réclamer  Texécution  iniméiliate  des  clauseit 
encore  pendantes  du  traité  du  ??  mars  I  iOi  '. 


1.  23  janvier  t405.  —  It  s'agissait  de  la  coche  de  Marc  dalle  CbiV 
vere  (lA  n  Clodenis,  M.  He  Acioden'is.  Chiovere  est  le  nom  d'un 
quartier  de  Venise),  du  navire  vénitien  repris  aux  pirates  par  le  ca- 
pita*ne  général  de  l'Adriatique,  et  de  la  mise  en  lit>erté  de  deux 
citoyens  de  Venise  emprisonnés  par  les  Génois,  Cattnrino  délia  Roaa 
et  Pierre  de  Vallo  {Sert.  Mini,  xlvi,  163  v-i  v«). 


VF.NISK   RÉCLAME   i/kxKCL'TIoN  DV  TJUITK.  IPIÎ 

Les  Vénitiens  protesiaient,  avant  toute  autre  n»clamation. 
contre  les  actes  de  piraterie  de  Nicolas  do  Monoglia,  et  énu- 
niéraient  le  tort  que  ceux-ci  avaient  causé  à  leur  commerce". 
Ils  demandaient,  en  consêrjnence,  la  i*eslituti<in  des  marchan- 
dises et  dos  prisonniers,  et  la  punition  de  Nicolas  de  Mone- 
glia.  Les  Génois,  en  répondant  aux  prétentions  vénitiennes 
(7  février  1405]',  refusèrent  ruii**  et  l'autre;  la  première, 
parce  que  les  lettres  de  marque  avaient  été  doniiées  à  Nicolas 
de  Mnneglia  par  le  maréchal  pprsonnellement.  n<ui  par  le 
gouvernement  génois,  rt  parc*'  que  ce  dernier  n'avait  ni  or- 
donné ni  même  su  les  actes  dont  Venise  avait  souffert,  n'en 
avait  nullement  profité,  ft  ne  [jouvait  restituer  ce  qu'il  ne 
possédait  pas;  la  seconde,  parce  que  Nicolas  de  Moueglîa 
n'avait  pas  agi  de  son  plein  gré,  mais  sur  Tordro  et  l'injonc- 
tion formelle  du  uiaréciial. 

Les  phiintes  de  Beaciani  sur  les  restitutions  de  navires  et 
de  marchandises  qui  devaient  être  exécutées  dans  les  six 
înois  de  l'accord  du  "22  mars  I40i,  furent  mieux  accueillies 
que  celles  qui  concernaient  Nicolas  de  Moneglia;  la  répu- 
blique de  Gènes  se  rléclara  prête  à  les  écouter,  et  nnnoiira 
qu'elle  avait  digà  envoyé  à  ses  agents  en  Orient  des  <irdr*es 
en  ce  sens.  Elle  tit  également  droit  à  (juelques  réclamations 
accessoires ^  et  en  repoussa  d'autres*. 


1.  23  janvier  l'iOo  iSeii.  Miêti,  XLVl,  163  v''-4  vj.  —  Le  corsaire 
avait  attaqué  dans  les  eaux  de  Maina  (golfe  de  Coron)  une  coclio 
vénitienne  (patron  Ba.sile  Tirapelle),  revenant  deî&na  et  naviguant  do 
concert  avec  un  bâtiment  génois  (patron  [>armano  de  Capimo,  do 
Savone).  Morie^'lia  avait  enjoint  à  pr  dernier  de  ne  pas  porter  secours 
au  navire  vénitien,  et  s'était  emparé  du  hAtiment,  de  l'équipaiçe  et  de 
la  rargaison.  Il  avait  a^çi  de  mi^me  a  l'é^'anl  du  bâtiment  de  (ieorges 
Mon(,'avaro,  et  d'une  grippcne  de  Candie  qui  allait  do  Cérigo  ù 
('andie.  Oenes,  sur  re  dernier  point,  argua  d'une  ignorance  absolue 
du  fait  en  question. 

2.  Le  mémoire  du  7  février  1405  (Arcli.  de  (lônes,  Diver»  Herf.^ 
6-501,  r.  131  v-S  V)  se  divise  en  deus  parties:  i*  llrponse  des  (^îi'mioîs 
aux  réclamations  de  Venise;  2'>  Réclamations  des  Génois  contre 
Venise. 

3.  Au  dire  des  Vénitiens,  un  navire  catalan  avait  rencontp**  au  cap 
Malée  un  de  leurs  bAlimenttt  (patron  Mare  Ilianro'  et  l'avait  traîlt^  en 
navire  ami.  Dans  les  eaux  de  Modon  le  m^me  navire  catalan  vuulut 
attaquer  un  bAtfment  génois;  il  en  fut  empêché  par  le  gouverneur 
vénitien  de  Modon.  Irritée,  les  Catalan.s,  quelques  jours  aprùs,  atta- 
quèrent le  navire  de  Marc  Uianco,  et  le  pillèrent  complëlement  (23jan- 


434 


FIN  BE8  NEGOCIATIONS. 


Aux  griefs  des  Vénitions  Gènes  répoadit  en  faisant  con- 
naître ceux  dont  elle  avait,  de  son  côté,  à  se  plaindre.  Le 
mémoire  qu'elle  remit  à  Beaciani  à  cette  occasion,  ènumérait 
les  faits,  objets  de  ces  plaintes,  et  exigeait,  au  nom  du 
gouvernement  génois,  la  resiiiutiou  des  prisonniers  faits  pi 
Venise,  des  bâtiments  et  des  marckaudises  saisis  par  elle^  et 
la  réparation  du  préjudice  causé'. 


vier  1405.  —  Sen.  I^isti,  xlvi,  163  v*-5  v»).  Lionel  Lercari,  capitaine 
gi^nois,  le  leur  reprit  plus  tard.  Gènes  (?onsentjt  à  restituer  ce  bntiment 
aux  Vénitiens.  Elle  s'engagea  (7  février  ltU5)  à  faire  tous  ses  efforts 
pour  rentrer  eu  possession  du  navire  vénitien  capturé  par  Jean  et 
i^ercival  Spinola  (Arch.  de  Gènes,  Divers  Beg.,  6-501,  f.  151  \*«-3). — 
Le  II  février  1405,  Boucïcaut  et  le  conseil  des  Anciens  décident  que 
le  navire  sera  conduit  à  Gènes;  son  chargement  sera  confié  à  ta  garde 
de  deux  citoyens  génois.  Si  l'accord  se  fait  entre  Gènes  et  Venisp. 
navire  et  marchandises  seront  restitués;  sinon,  le  gouvernement  déci- 
dera de  ce  qu'il  y  aura  lieu  de  faire  à  cet  égard  (Arch.  do  Gènes, 
Divers  Heg.,  6-501,  f.  157  v*). 

4.  Gènes  nia  l'arrestation  de  Cattarino  délia  Rosa  et  de  Pierre  de 
Valle,  que  les  Vénitiens  lui  reprorhaient  ;  ceux-ci  croyaient  leurs  con- 
citoyens détenus  à  Vintimille  et  à  Lérici  {castrutn  lUicit).  Les  Génois 
proptwèrent  (7  février  r*05)  aux  Vénitiens  de  charger  un  de  Ieur> 
agents  de  s'assurer  par  lui-même  de  l'inexactitude  de  cette  affirmation 
(Arch.  de  Gènes,  Divers  Reg.,  6-501,  f.  151  v'>-3). 

1.  7  février  1405.  (Arch.  dts  Gènes,  Divers  Beg.,  6-501,  f.  153  y»-5  v*.t 
Voici  le  résumé  de  ce  mémoire  : 

P  A  Négrcpont,  des  citoyens  génois,  venus  pour  réclamer  la  resti- 
tution des  marcliandisns  de  C'unrad  Doria,  ont  été  incarcérés.  Ce« 
marchandises,  prises  sur  la  gripperie  dudil  Doria,  s'élèvent  à  la  valeur 
de  deux  mille  neuf  cent  quarante-quatre  ducats  d'or. 

2°  A  Venise,  sept  négociants  génois  :  Eldouard  Salvagi,  Barthélémy 
de'  Franchi,  Manfred  Marcuflb,  Philippe  Lomellini,  Lancerotlo  de 
Grimaldi,  Philippe  Centurione,  Jean  de  Rapallo,  qui  s'étaiem  «m- 
harquéftà  diverses  escales  sur  les  galères  dp  Venise  revenant  deTanii, 
ont  été  arn>tés  et  emprisonnés,  malgré  les  assurances  pacifiques  qu»* 
leur  a  données  le  capitaine  Nicolas  Tusco.  Pendant  le  voyage,  àGallJ- 
poli,  la  nouvelle  des  pirateries  do  Nicolas  de  Moneglia  a  été  connno. 
Sur  le»  i'onseils  periîdes  du  capitaine,  les  négociants  lui  ont  confié  ks 
objets  précieux  qu'ils  avaient  (perles,  or.  argent  monnayé,  diamants), 
afin  do  les  soustraire  à  la  perquisition  du  baile  de  Négrepont.  C<m 
objets  ont  été  confisqués  â  Venise  par  la  république.  Les  marchandises 
de  Jean  de  Rapallo,  d'une  valeur  de  mille  ducats,  et  trois  mille  ducats 
d'or,  dont  il  était  porteur  pour  le  compte  de  Mcolas  Gattilusio,  seigneur 
d'.l^nos,  ont  été  saisis  à  Modon.  —  Los  négooiants  ont  été  relâchés  aur 
parole. 

3"  A  Candie  un  bâtiment  génois  (patron  Jacques  de  Pontremolo), 


ad 


DISPOSITIONS   PACIFIQUES    DES    DEUX   PUISSANCES.         485 

Les  dispositions  de  Venise,  comme  rallps  de  Gi'nes,  s'ébiient, 
au  printemps  de  I  iOô,  beaucoup  modifiées.  La  première  était 
engagée  dans  une  guerre  continentale  contre  le  seigneur  de 
Padouo,  qui  avait  intéressé  à  sa  cause  son  gendre  Nicolas 
d'Kste,  marquis  de  Ferraro.  Bien  qu'alliée  à  Gonzague  do 
Mantoue.elle  avait  fort,  à  faire  pour  soutenir  l'honneur  de  ses 
armes,  et  la  campagne  exigeait  de  grands  sacritices  d'argent 
et  d^hommes'.  De  leur  côté,  les  Génois,  si  le  maréchal  était 
opposé  à  tout  arrangement  avec  les  Vénitiens,  désiraient  la 
paix.  Ils  sentaient  que  Boucicaut  chercherait  à  prollter  de 
la  conflagration  de  Tltalie  du  nord,  qui  tendait  à  devenir 
générale,  et  qu'il  les  engagerait  ilans  de  nouvelles  expédi- 
tions; dans  cette  prévision  il  était  prudent  de  traiter  avec 
Venise.  Aussi,  de  part  et  d'antre,  était-on  disposé  à  un 
accommodement.  La  république^  do  Venise,  conipremml  qu'elle 
avait  intérêt  à  avoir  â  Gènes  un  représentant  muni  de  pou- 
voirs étendus,  nomma  â  ce  poste  Pien-e  Aymo(?8  mars  1  i05), 
et  entoura  sa  nomination  de  telles  précautions  qu'elle  ren- 
dit impossible  tout  refus  de  sa  part*.  Elle  voulait  être  dé- 
barrassée de  tout  souci  du  côté  de  Gènes;  déjà  Nicolas 
d'Esté  avait  traité  avec  elle  (li  mars  1  iOâ),  et  elle  entendait 
jiorter  tout  son  effort  conti'e  le  seigneur  dt*  Padoue\  Pendant 
ce  temps  les  Génois  désignaient  des  commissaires  chargés  de 
s'enquérir  des  marchandises  vénitiennes  capturées  et  détenues 
illégalement  par  eux  (H  avril  liOri:'.  Pierre  Ayrao  recevait, 
avec  l'état  estimatif  des  pertes  subies  par  les  bâtiments  vé- 


venn  pour  charger  du  vin,  a  été  arrêté  et  saisi,  ainsi  que  ceux  qai  le 
montaient. 

1°  Pendant  la  tn've,  un  bâtiment  génois  (^patron  Antonio  LercAri), 
venant  de  Itonianie,  s'est  réfufçiédans  le  port  de  Sapienza  pour  y  jeter 
Tancre  à  caui^  du  ^rutî  tr>[nps.  l'ti  vaisseau  vénitien  r  capturé  le  canot 
et  l'équipage,  coupé  les  amari-es,  pris  une  des  anerca  de  ce  navire,  et 
fAusé  un  prt^judice  de  rjuatre  cents  ducats  à  Lercari. 

1.  Rumatiin.  Storia  ùocumentaia^  iv,  19. 

2.  I^lle  stipula  {28  mars  l'iOS)  une  amende  considérable  s'il  refusait 
la  charge  qui  lui  était  cuntiée,  cl  inversement  lui  fit  de  grands  avan- 
tages pécuniaires  pour  forcer  son  acceptation  {Sen.  Secr.   n,  102). 

3.  Romanin,  Storia  (haimentaln,  iv,  21. 

'i.  ('es  commissaire»  (Matent  Kîienne  Caianco,  Jacques  Doria,  llenoit 
de  Strada.  Le  16  avril,  les  deux  derniers  furent  remplacés  par  Antoine 
Vivaldi  et  Haptistc  Justiiiiani  lArch.  do  (jtïnes,  Hivers  fieg.^  6-501, 
t  170  V-l). 


486 


FIN  DES   NEGOCIATIONS. 


nitlens,  des  iustruciioiis  ti-ès  couciliaDtes  (12  mai),  et  faiiiait 
accepter  une  susiiêusiun  d'armes  {2'k  mai);  la  continuation, 
en  effet,  de  l'état  de  guerre,  en  suscitant  chaque  jour  du 
nouvelles  hostilités,  eût  indétiniment  prolongé  les  conférences 
et  rendu  la  paix  impossible'. 

Tontes  ces  négociations  avaient  été  menées  on  dehors  du 
maréchal,  absent  de  Gènes  pendant  qu'elles  se  pourstiivaienl*- 
Les  sentiments  de  Boucicaut,  au  reste,  n'étaient  un  mystère 
pour  personne.  Adversaire  résolu  de  tout  accommodement 
avec  Venise,  il  se  refusait  absolument  âfigui'er,  à  un  titre  quel- 
conque, dans  un  accord  avec  une  puissance  dont  la  conduite 
avait  été  déloyale,  qui  avait  ilétenu  les  prisonniers  faits  par 
elle  à  Modon  et  gardé  le  silence  à  la  suite  du  cartel  qu'elle 
avait  reçu.  Avec  le  caractère  du  uiarèchal,  il  n'y  avait  pas 
à  espérer  qu'il  changerait  d'avis,  et  les  choses  menaçaient 
do  traîner  en  longueur.  La  cour  de  France,  informée  de  ces 
faits  tant  par  l'aiabassadenr  de  Venise  auprès  d'elle  que  pur 
les  agents  du  duo  d'Orléans  i\  leur  retour  d'Italie,  se  décida 
à  envoyer  à  Boucicaut  nue  ambassade,  composée  de  Pien'O 
lloaubié,  évèque  d"U/ès\  île  Louis  de  Mnaljoye*.  de  l'Er- 
mite  de   la  Faye  et  de  Nicole  le  Dur''.  Elle  avait   mission 


1.  2  mai  r»05  (Areh.  de  Venise,  Pftttt  nciulti,  série  i.  busla  18, 
n"  351».  —  12  mai  TiOS  [Sert.  St^cr.,  u,  f.  !t1-i).  —24  mai  1405  {Sen. 
Secr.,  n,  116.  Kd.  Sathas,  i>oi\  inrd.,  t,  10). 

2.  Houcicaiil  partit  le  26  mar.s  l»05  pour  Nice;  il  était  do  retour  h 
(iènes  le  15  mai  (Arcïi.  de  Cu^ne.s,  /hvrrt  Hetf.,  6-501,  f.  165  v»  et  I7et. 

'i.  Ce  prélat  n'était  pa.s  un  inoonnii  pour  tes  (îénois.  Il  avait  pria 
part,  en  13%,  avec  Pierre  Fresiiel,  évèque  de  Mcaux,  et  Sassenago. 
aux  négwiations  conduites  fi  Milan  et  à  Ciônespoiir  préparer  lacessioifl 
de  la  Lijîurie  à  la  Kraripe.  Il  fut  nommé  au  sié(^e  d'L'zt'^  poslérieuro- 
iiient  îi  l:W8,  fui  exncutoup  testamentaire  du  due  d'Ortéaiii;  ill*  uotubre 
1403).  O'élait  un  des  diplomates  les  plus  distingués  que  l'éjïlise  jtro- 
duisit  ù  cette  époque.  Il  fut  iiummé  à  l'évt^i'hé  de  Scez  à  la  lin  du  M0>^, 
(esta  le  15  [nai  l'iOH  et  mourut  peu  de  temps  après  avoir  UàX  «on  testa- 
ment (Gfidin  chrifitiana,  vr,  639  et  xi,  »"). 

S.  D'oriixine  alsacienne,  il  s'appelait  Kronberw.  Maréclial  des  armée- 
du  pape  Clément  vu  en  137^,  il  fut  vicerui  de  .\aples  (wur  Loui^  n 
d'Anjou  (vers  1388),  mcntbre  du  am^eil  du  duc  d'Orléans  il'iOfl).  etc. 
Le  11  juin  TiO^,  il  était  gouverneur  d'Asti  pour  le  duc  d'ôrlèana  (DtbI. 
nat.,  cabinet  des  titres,  pièces  originales,  vol.  2027.  au  inot  muntjoyi:!. 

5.  Ce  personnapo  était  un  des  diplomates  les  plus  écouté»  du  due 
d'Orléans.  11  était  eonseiller  et  maître  des  requêtes  de  l'hôtel.  En  no- 
vembre 13<J'J,  le  duc  l'avait  envoyé,  avec  son  cbambcllait  Uuillaumo  de 


GENES. 

d*aplnnii'  les  difficultés  pendantes,  surlout  celles  provenant 
du  fait  du  luaréclial,  et  dut  se  prévaloir  do  l'autorité  dont  le 
roi  l'avait  investie  pour  obtenir  ijue  Boucicaut  s'abstînt, 
jusqu'au  premier  mars  suivant,  de  molester  les  Vénitiens'.  Il 
ne  fallait  rien  moins  qu'un  ordre  roy:»!  pour  faire  renoncer  le 
maréchal  au  pillage  armé,  gi'Ace  auquel  il  prétendait  se  venger 
des  outra<;es  personuL'Ls  qu'il  avait  rerus  de  Venise. 

Les  plênipoleiitiaires  (Vam.ais  avaient  été  envoyés  à  Gênes 
par  l'influence  directe  du  duc  d'Orléans.  Frappés  des  senti- 
ments conciliants  manifestés  par  Pierre  Avmu.  ils  députèrent 
Pierre  de  Serigny  ù  Venise  au  nom  du  roi  de  France  et  du 
duc  d'Orléans,  pour  jiroposer  â  ta  république,  dans  le  diffé- 
rtmd  qu'elle  avait  avec  le  maréchal  et  les  Génois,  l'arbitraffe 
du  duc  d'Orléans,  arbiti'age  qu'ils  ètneiit  cliargés  d'exercer. 
Le  sénat,  craipnant  de  se  compromettre  et  de  s'attirer  une 
gueri'e  non  seulement  avec  les  Génois,  uiai^  avec  la  couronne 
de  France,  répondit  que  si  les  plénipotentiaires  venaient  à 
Venise,  ils  seraient  reçus  et  traités  selon  leur  rang  et  avec  la 
iléférence  que  méritjiieat  les  princes  dont  ils  étaient  les 
représentants;  il  les  assurait  enfin  qu'ils  trouveraient  les 
Vénitiens  animés  du  désir  de  mettre  tin  à  un  état  de  clioses 
qui  se  prolongeait  depuis  trop  longtemps  {'21  juillet).  Cette 
réponse,  sans  doute,  n'était  pas  celle  qu'espérait  Tambas- 
sade    française.    Klle     renon<;a     â    son    voyage    à    Venise 

(17  août  imy. 

Cependant,  de  part  et  d'autre,  le  désir  de  la  paix  s'accen- 
tuait. Pierr*'  .Vymo  recevait  de  nouveau  (17  aoi\I)  l'ordre,  tout 
eu  niainlenanl  les  droits  de  Venise,  d'accorder  aux  Génois 
toutes  facilités  de  forme  et  de  temps  pour  réparer  les  dom- 


Layn,  vers  lo  roi  dos  Komains  en  Ituli^mc.  là)  juillet  1404,  il  le  chargea 
d'une  nouvelle  mission  auprès  du  pape,  en  Lombardio  et  en  Bohême; 
il  N'agissait  du  schisme  et  de  l'an'aire  du  Luxembourg.  Les  années 
Huiv^iiites.  il  continua  ses  missions  diplomatiques  eu  Luxembourg, 
auprès  du  pape,  fn  Brota^ne.  eu  lî<mrt>ounais,  etc.  (1^iOg-14lfi).  Con- 
seillor  du  duc  d'Orlt-ans.  et.  après  \h  mort  de  ce  deruier,  de  la  du- 
chesse, it  était  aussi  archidiacre  d'Ouchu  et  chanoine  d'Evreux  (Bibl. 
liât,,  c^b.  des  titres,  pièces  oricinales,  voL  lOU",  au  mot  Lt  dur;  — 
franc,  nouv.  ai*r|.  auao,  pièces  a.Vï-4.) 

1.  i3  juillet  li05(Aridi.  de  (;t>iies,  Oivera  Heg.,  6-501,  f.  tÛS  v<^  v». 
Voir  Pioces  justiticatives,  ii"  \x.\vi.} 

2.  iî7  juillet  li05  (Mas  Latrie,  Commerce  et  ExpéditionSf  p.  188-7.)— 
ir  août  1405,  (Sen.  Seer.^  »,  f.  laS). 


FIN   DES  NEOOCIATIO.NS. 

mages  qu'ils  avaient  causés;  ceux-ci,  de  leurcOté,  ordonnaieut 
à  leurs  représentants  dt!  se  mettre  en  rapport  avec  l'aujha^- 
sadeur  vénitien,  aux  officiers  chargés  de  calculer  les  indem- 
nités pécuniaires,  de  se  réunir  frêfiuerament  pour  remplir 
leur  mandai  (septembre  I'â05).  En  même  temps  les  Vénitien^ 
refusaient  au  grand-maître  de  Rhode-s  l'autorisation  de  for- 
tifier Ténédos,  parce  f^ue  cet  acte  eût  été  contraire  au  traité  qni 
régissait  leurs  relations  avec  Gênes,  et  renouvelaient  à  leur» 
agents  la  défense  d'imiuiéler  le  commerce  génois  (oct.  1 40.5)'. 

Quello  que  fût,  des  deux,  parts,  l'envie  d'arriver  à  la  con- 
clusion de  la  paix,  les  négociations  se  prolongèrent  jusqu'à 
la  fin  du  mois  de  juin  l 'lOtî.  Chaque  point,  chaque  indemnité, 
chaque  restituliua  fut  discut*'*,  sur  chaque  objet  li/s  pléuipo- 
tentiaires  consultaient  leurs  gouvernements  sans  lesquels  ils 
ne  décidaient  rien.  En  nuire.  Pierre  Aymo,  d'abord  maladt*. 
mourut  à  Gênes  au  cours  de  sa  mission ,  et  Venise  dut  le 
remplacer  pai'  Thomas  Moceuigo'.  Il  est  hors  de  propos  d'en- 
trer iri  dans  le  détail  ilc  ces  dil'libératinns*.  Nous  ferlins 
cependant  une  exception  on  faveurd'une  prétention  vénitienne. 
qui,  en  dehors  des  points  à  résoudre,  prit  une  importance 
considérable  dans  les  ronférences  des  plénipotentiain'S. 

Nous  avons  vu  que  le  maréchal,  dans  son  dépit  de  ne  pou- 
voir se  venger  des  Vénitiens,  avait  séparé  sa  qualité  ofGcielU* 
de  sa  situation  personnelle.  C'est  ainsi  qu'il  avait  arrtié  en 
son  propre  nom  le  bàlimeut  avec  lequel  Nlcoliis  de  Moneglia 
avait  inquiété  le  commerce  vénitien,  tandis  que  comme  gou- 
verneur de  (jénes  pour  Charles  vi  il  observait  les  cftuditioii-* 
de  l'accord  inlen'enu  entre  les  Génois  et  les  Vénitiens.  La 
n'[)ublique  de  Venise,  craignant  que  la  paix  n'eût  pour  elle, 
par  le  nu^Mue  stratagème,  les  niémrs  résultats  que  l'accord 
do  I  U)  4 .  enjoignit  à  son  ambassadeur  d'obtenir  que  le  gouver- 


1.  17  août  1405  {Sen.  Sea:,  u,  f.  1381.  —  2,  17,  24  septembre  {Ar.-h. 
de  G6nes,  lHvers  Heg.,  6-501,  f.  187  v-S  v).  —  21  septembre  (Satlias, 
Hoc.  inéd.,  I,  p.  11-2).  —  l'J  octobre  (Sathas,  Ihn:.  inéd.,  \\,  p.  132^. 

2.  la  ot  23  mars  l'i06  {Sen.  Sea\,  ui,  f.  i  y°  ot  13). 

3.  Les  instructions  do  Venise  à  Aymo  ot  ;i  Mucenitro  sont  du  24  Ur- 
oombre  TiUô  (5<?n.  Secr.,  n.  17Î-5);  du  5  février  1406  [Sen.  Serr.,  u, 
187);  du  26  avril  \M)G  (Sen.  Sircr.,  m,  17);  du  2  juin  l 'lOG  {Scu.  .SV/r., 
m,  24  v-5i;  du  8  juin  1106  {Sen.  :>ecr.j  m,  25|:  el  du  2i  juin  l 'iiJÔ 
{Sen.  Secr.,  tu,  29). 


LB   MARÉCHAL    RESTE    EN    DEIKlRS    DES   NEGOCIATIONS.     489 

neur  intervînt  non  seulement  comme  gouverneur,  mais  per- 
sonnellement au  traité  de  paix  (2i  décembre  I  '*06).  Elle  vou- 
lait ainsi  provenir  le  retour  fie  ce  qui  était  arrivé,  mais  ne  se 
dissimulait  pas  qu'il  serait  ditticiïe  do  faire  admettre  cette 
prétention  par  Gènes  ;  aussi  recommandait-elle  à  Aymo  de  ne 
faire  d'ouvertures  sur  ce  pnint  (|ue  ^nariil  les  autres  seraient 
définitivement  réglés'.  Ce  qu'elle  avait  prévu  arriva.  Bouci- 
caut,  avec  sa  rudesse  de  soldat»  répondit  qu'il  s'en  tiendrait 
aux  termes  d(j  la  promesse  qu'il  avait  contractée  en  présence 
des  ambassadeurs  envoyés  par  Charles  n'.  Il  fallut  revenir  à 
la  rédaction  do  l'accord  de  lîOi,  et  même  consentir,  en  cas 
d'absence  du  maréchal,  à  ce  que  le  uiim  de  son  lieutenant  fiH 
substitué  au  sien\  Ce  n'est  pas  tout;  le  maréchal,  la  question 
une  fois  soulevée,  exige^-t  qu'il  fût  forniellement  constaté  qu'il 
no  serait  pas  engagé  personrudlenient;  c'était  dépasser  les 
termes  de  l'accord  de  1  iOÎ.  Venise  fut  enrore  obligée  de  con- 
sentir à  celle  concession  ;  on  lui  laissa  seulement  le  choix  de 
la  forme  h  d(umerà  cette  déclaration.  Elle  dul  être  faite  dans 
un  acte  séparé  au  niomeut  de  la  signature  de  la  paix.^  Battue 
!»ur  tous  ees  points,  Venise  avait  espéré  compenser  cet  échec 
en  amenant  les  Génois  â  se  porter  garants  des  actes  du  maré- 
chal, tant  qu'il  serait  gouverneur  de  Gènes,.  Elle  y  réussit 
non  sans  peine.  En  vertu  du  )lr*rnier  article  du  traité  de  paix, 
il  fut  convenu  que  les  Génois  garantiraient  les  actes  de  leur 
gouverneur,  pourvu  qu'ils  fussent  commis  sur  son  ordre  par 
leurs  navires,  par  leurs  nationaux  ou  par  des  étrangers  sur 
leur  territoire.  Les  prises  faites  par  des  vaisseaux  étrangers, 
en  dehors  des  possessions  génoises,  devaient  être  contisquéos 
à  leur  euirée  sur  ^(dles-ci^ 

rerijùnes  qiiesliuns,  en  outre,  ne  pouvaient  recevoir  do 
stdutiau  rléfinilive  dans  le  traité;  ranimosité  des  parties,  le 
manque  de  documents  otîiriels  dont  Paltonte  eût  tnip  long- 
temps prolongé  les  négociations,  la  nécessité  de  trancher  des 


I.  24  dérninbpe  l'(05  iSen   Sert.»  il,  175). 

'£.  lajuillel  l'iOn.  Voir  plu»  liant,  Pièces  juuliflcaïivcH,  n"  xxxvi. 

:i.  â  février  l'i06  {.>>«.  Serr..  »,  I87|. 

'i.  Insinirlions  du  *iH  avril  lîufi  tSen.  Secr.,  in.  17».  I.r  lextr  ilo 
rettp  flrclarntiuii  rst  duria  Hommemorinli  on,  n»  2n,  p.  315),  et  dans 
Apch.  des  AfTaircs  élranpépes  {Lihri  Junum,  ix,  f.  I5'i  v"-5). 

5.  2  juin  Witfi  {Sen.  Secr.^  tu, '2'^  \"-h).  —  24  juin  t'tWj.  Annexe  au 
traité  de  paix  {Sen.  Secr.,  m,  2U). 


KLN   DES   NEGOCIATIONS. 

points  de  droit  ou  de  fait,  dont  Tappréciation  ne  pouvait 
appartenir  aux  intéressés,  avaient  engagé  les  négoriateurs  k 
rèsorvorces  (jiu^stitmsà  la  déiiision  d'arbitres.  La  détt*rmiua- 
tîou  duiuoile  d'arbiti'agi'  iirèoccupa,  à  plusieui's  reprises,  les 
plénipotentiaires,  et  donna  lieu  à  un  échange  de  vues  qu'il  est 
intéressant  dtï  résumer  fii  r(Uolqn(.'s  mots. 

Aux  termtîs  du  traité  de  Turin,  chacune  des  parties  contrac- 
tantes devait  nommer  deux  arbitres.  Les  Vênilieus,  dès  que 
la  question  d'arbitrage  se  posa,  accédèrent  sans  ditficultè 
('2^  décembiv  lîn5)âcette  clause.  Ils  proposèrent  un  délai 
de  deux  mois  pour  réunir  les  arbitres,  et  la  ville  de  Floreuc*? 
ou  celle  de  Bologne  comme  lieu  de  réunion.  Mais  prévoyant 
que  l'accord  ne  serait  pas  possible  enti-e  eux,  ils  désiraient 
qu'un  cinquième  arbitre  fut  désigné  de  suite  pour  ne  pas 
retarder  les  négociations,  H  ;ittacliaient  une  gi*andi'  impor- 
tance à  ce  que  celiù-ci  fût  dans  leurs  intérêts.  Ils  mettaient 
Morosini  en  garde  sur  ce  point,  en  lui  niontranl  l'impor- 
tance de  ce  choix,  et  lui  indiquaient,  le  cas  échéant,  six 
ï»nms  û  proposer'  ('^i  déc+^nibre  I  iOÔ),  auxquels  ils  ajou- 
(èrenl  celui  de  la  répuljUque  do  Florence  (5  février  liOGj; 
mais  ils  écartèrent  absolument  l'anlipape  et  les  princes  du 
sang  de  France  qui,  à  tout  prendre,  avaient  autorité  sur  les 
Génois.  Knfin,  si  aucun  de  ces  noms  nVtiit  agivé  à  G<'nes. 
l'ambassadeur  devait  s'en  tenir  à  l'élection  do  deux  personnes 
de  chaque  côté,  laissant  au  hasard  la  chance  d'un  accord 
conclu  sans  rinti'rventinri  d'un  cinquième  arbitre  pcnir  dt'par- 
tager  les  voix*.  Gènes  comprit  comme  Venise  l'intérêt  qu'il  y 
avait  à  désigner,  dans  le  ti'aité  même,  le  cinquième  arbitre. 
Florence  fui  choisie  \ 

Le  IH  jiiiji.  les  jilénipolenliaii'os  génois  et  vénitiens  affir- 
mèrent sidennellement  leurs  pouvoirs  de  conclure  la  paix. 
Elle  fut  signée,  le  '^8  juin  suivant,  à  Gênes*.  Le  mai'écbal  n'y 


1.  La  villn  de  Siennï*.  la  ville  de  L.u<'<|iiej«,  Charles  de  MaUtcttU,  le 
nts  de  pHtKlolpbe  de  Malatesla,  le  seign<^ur  dfî  Matitnoe  et  Ottobonc 
T*>r»>  (.Se».  Secr..  il,  174  v^-S  vV 

2.  Instructions  <lu  ^  ft^vrier  1406  \Sen.  Sf-r.,  u,  Ift:». 

;t.  N'uir  le  S  21  du  traité  du  2K  juin  l'i06.  Pièce»  justîHvaUvcs, 
n"  xxvtt. 

i.  Il  juin  ri06  (Arcli.  dp  Venise,  Commemnyiali\  m,  n"  IT,  p.  3IS), — 
IH  juin  liOfi  f  Arrh.  do  Neni&c,  Ci>mnKfmornth\  m,  n"  18,  p.  Zi\'  — 
PitUi  gchiliy  basia  18,  série  i,  u"  355;  — Arcb.  des  Affaires  ëti'auf 


CLAl'SES   DE    LA    PAIX, 


491 


figurait  pas;  il  avait  quitté  cette  ville  pour  Savoue,  à  la 
requotc  du  pape  Benoit  xni  quelques  jours  auparavant 
(Il  juin),  laissant  sa  pniouration  â  son  liônleiiant  Gilbert 
de  la  Fayette'.  Le  traita,  qui  comprenait  vingt-cinq  articles, 
n'avait  pax  un  caractère  plus  définitif  que  l'accord  de  I40L 
Quelques  points  étaient  réglés,  mais  la  phipai't  des  ques- 
tions étaient  n^son-écs  â  la  dùci.sion  di^s  arbitres.  Nous 
doouous  ici  le  résumé  des  principales  clauses  de  ta  paix  : 

1 .  —  Les  offenses  et  les  injures  sont  oubliées  de  part  et 
d'autre. 

2.  —  Les  Génois,  en  vertu  de  l'accord  du  22  mars  \kO\, 
restitueront  sous  quatre  mois  la  valeur  de  hi  cargaison  dn 
navirt»  du  Nicolas  Uossn  capturé  à  Cadix  par  Nicolas  de  Mone- 
glia,  c*est-â-dire  sept  mille  dix  florins.  Sur  cette  somme  ils 
prélèveront,  jusqu'à  la  ilécisiim  dds  arbitres,  sept  cents  H(»rins, 
représentaiif  le  traiispurC  d'une  partie  de  la  cargaison  de 
('adix  à  Bruges. 

3.  —  Los  fu'bilres  prononceron!  â  qui  incomberont  les  frais 
de  voyage  du  navire  de  Nicolas  K*jsso  de  Cadix  à  Bruges 
(deux  cent  cintiuante  gros  de  Bi-ugcs]  ;  ils  décideront  si  les 
Génois  seront  tenus  au  delà  des  sept  mille  dix  florins  stipulés 
plus  haut,  au  cas  où  la  valeur  des  niarcUandises  saisies  par 
eux  serait  reconnue  supéneunî  A  celte  somme,  malgré  le 
procès-verbal  contraire  des  plénipnteutiaires  en  tlate  du 
30  septembre  liOi'. 


IJbri  Jurinm,  ix,  f.  l'iii);  —  2Kjuiti  IWtHArcli.  de  Venijie,  Commeino- 
riait,  m,  n"  iy,  p.  Ul'i;  —  Arcd,  des  AfTaire-s  étnuigières,  Lihri  Ju- 
limn.  (\.  f.  I'i7-5y). 

ï.  Il  «'tait  fils  de  Marfçuetitp  de  l'e^obin  l't  de  (îuillaiiiue  Moticr, 
M*i>:iieur  il(»  la  l'aywtte.  Il  avait  été  élpvé  à  l'hôtel  du  duc  de  iVinrIxjii. 
Un  Hait  pfMi  lie.  oliuse  iln  si^k  premières  années,  Séin'i",h:il  ile  ItdurlHiii- 
naib.  puis  niuivrlial  du  dur  daii.s  le»  |j;ue{TC'S  de  LanguediH*,  il  arcoin- 
pa^^ua  liUuis  u  au  siê^  de  SouMsc  et  iiii  tournoi  i|ui  eut  liru  en  t  il^V 
à  l'ari«.  l.'anntV  Kuivantc,  il  fut  rn'é  elievalier  de  l'onlre  dn  NiUn* 
Dame,  Institua  par  le  dut:.  Il  Miivit  la  furtnno  du  récent  dont  il  fut 
fouseill(tr  ot  Ldiaïubellan.  La  rliarjfc  de  mar(''plml  lic  j'innoe  réeoni- 
|K;nt>a  Icft  servicch  de  liilbei*t  de  lu  Fayette  eu  K'JI.  Il  aviiit  épiiUM^ 
■leaunc  de  JoyeiihCf  et  vivait  cneui'c  cti  l'i^6(ltihl.  riat.,  piéres  urigi- 
nales,  an  mot  FWbTTE;  —  P.  Auhelnu*,  vu,  ôtî-T;  —  Krolssnrt,  éd. 
Kervyn,  XXI,  186;  —  Uoiint  d'Aref),  Pif^ces  rcttUivetf  nu  rt^ijur  df 
Cftarlex  V/.  i,  3"0j. 

2.  VcuiKC  avait  fixé  rJ'i  dêceudfre  \Mib\  la  somme  de  t^ept   millu 


492 


PAIX  DU  28  JiiN  1406, 


\. —  Gênes  paiera,  sous  quatre  mois,  aux  Vénitiens  six- 
cent  quaranle-sept  florins,  valeur  do  quatre-vingt-un  sacs  de 
laine  n^stant  à  restituer  de  la  cargaison  du  bfitiiuent  d'Antoine 
Coppo,  suivant  l'accord  du  23  mars  l'iOi'. 

5.  —  Gênes  paiera,  sous  quatre  mois,  pour  lo  bAtinient  de 
Marr  (\i\\\p  Chiovp.ro.  capturé  â  Alexandrie  par  Paul  Lercai'i, 
dix  huit  cent  cinquante  florins,  et  potir  sa  cai'gaison  doiue 
cents  florins.  Les  arbitres  auront  à  prononcer  si  le  navire, 
quand  il  devait  être  restitué,  valait  plus  ou  moins  de  dix 
huit  cent  cinquante  Honns,  et  sa  cargaison,  plus  ou  moins 
de  douze  cents  florins'. 

ti.  —  Elle  rendra,  dans  le  délai  d'un  mois,  toutes  les  niar- 
chandises  prises  aux  Vénitiens  on  Orionl  qui  restent  à  res- 
tituer; cette  restitution  se  fera  en  natui'esi  les  objets  existent 
encore,  ou  autrement  en  argent. 

7.  —  L'estimation  du  bâtiment  de  Thadée  BenedetLOt 
admise  par  l'accord  du  ?'^  mars  1  îO't.  de\ra  être  faite  par  le 
capitaine  de  Faniagouste  et  le  baile  de  Chypre. 

8.  —  Les  Génois  s'étaient  engagés  à  faire  droit  aux  récla- 
niaiions  des  Vénitiens  uu  sujet  dos  colons  qui  leur  avaient 
été  enlevés  à  Tripoli,  et  d'une  cargaison  de  sel  qu'ils  avaient 
perdue  à  Chyjire.  Rien  n'avant  été  fait,  cette  promesse  est 
renouvelée. 

î).  —  Les  Génois  dtîvaient,  pour  les  ilommages  causés  il 
Beyrouth,  payer  huit  mille  besanls  de  Chypre;  ils  donneront 


l 

: 


ducat*  environ  comme  base  de  l'indemnité  à  obtenir  piwr  le  navire  de 
Nicûlas  Rosso.  Quant  aux  frai»,  dont  l'attribution  pcMivait  être  délicate. 
elle  (lernaiulait  dn  ta  réserver  aux  arl)itre8.  —  Ones  contesta  cette 
prétention  (2  juin  l'iOftj.  Venise  insi-sta  |8  juin),  mais  se  considéra 
comme  foiT-èe  d'accepter  la  (I<!;rlanition  de  IXiminique  Impériale  et  de 
Tattaneo  Cigalla,  pour  ne  pas  se  déjujicr.  bien  qu'elle  lui  fut  désavan- 
tageuse, au  cas  où  (iénes  n'accepterait  pas  l'arbitrage  bur  ce  point 
iSen.  Secr.,  m»  25  r'-v"). 

1.  Il  y  avait  quatre-vingt-div-huit  sacs  à  restituer,  maïs  dix-sept 
d'entre  eux  étaient  patisés  aux  mains  des  marcliandii  O'irentins.  Venise 
ordonna  (24  décemtJre  l'iU5)  à  son  ambassadeur  de  n'en  réclamer  que 
quaire-vingl-un  iSen.  Secr.,  il,  l"4  v"-5  v"). 

2.  Veniiie  avait  demandé  si\  mille  dncati»  {>our  te  na\ire  et  quinze 
cents  pour  les  marchandises.  Elle  ordonna  à  son  ambassadeur  de  «m- 
tenir  sa  prétention  ('1\  déccmltre  t'iUôi,  mais  de  consentir  à  dix-huit 
cents  Horins  pour  le  navire  et  à  mille  uu  douze  cents  florins  jwur  la 
cargaison  [Scn,  Secr.,  u,  171  v-û  v"}. 


CLAUSES  DE  LA   PAtX 


49:] 


quinze  cents  florins  d'or,  qui  représentent  la  mûme  somme, 
payables  k  Gênes  dans  le  délai  do  quatre  mois'. 

10.  —  En  co  (jui  conconio  les  navires  vénitiens  capturés 
par  Nicolas  de  Moncglia,  le  gnuveniemcnt  génois  se  déclare 
irresponsable,  et  cousent  à  ce  que  la  queMion  soit  soumise  aux 
arbitres^ 

11.  —  Le  vaisseau  (patron  Martin  de  Lorenzo)  pris  à  Chios 
par  Pierre  Naton,  de  Savoue',  sera  restitué  avoc  sa  cargaison 
ou  sa  valeur  aux  Vénitiens  dans  le  délai  do  trois  mois. 

1?.  —  On  compensera  l'indemnité  demandée  par  Venise  à 
cause  de  la  capture  du  bâtiment  de  F'ranç.ois  Pessato,  avec  la 
somme  de  deux  mille  neuf  cent  quarante-quatn»  ducats 
appartenant  à  Conrad  Doria,  et  qu'elle  a  entre  les  mains*. 

13.  —  Les  arbilros  seront  saisis  do  la  réclamation  de 
Venise  relativeniont  â  la  détention  injuste  et  à  la  confiscation 
des  marchandises  des  citoyens  vénitiens,  dont  les  noms 
suivent  : 

1.  Cattarino  délia  Rosa,  joaillier,  arrêté  à  AJbenga,  détenu 
vingt  mois  à  Vintimille  :  —  dix  mille  cent  ducats  rie  mar- 

L        chandisos  confisquées. 

I  u.  Pierre  de  Valle,  arrêté  à  Porto  Venere,  détenu  vingt  mois 

I      â  Lérici  :  —  cinq  cents  ducats  de  marchandises  confisquées. 

F  1.  Venise,  eonsnitée  par  son  ambassadeur  sur  ce  point,  répondit 

I  (26  avril  H06)  qu'au  mumcnt  où  le  fait  avait  eu  lieu,  le  behant  de 
Chypre  valait  un  septième  du  ducat,  et  qu'il  était  juste  d'établir  le 
calcul  sur  citlo  base;  luais  s'il  y  avait  diftitiultiVà  adopter  ce  mode  de 
calcul,  elle  autorisait  son  agent  â  traiter  au  mieux  des  int('T<>ts  de  Ve- 
ni.se.  Rlle  demandait  aussi  {2%  décembre  1405)  que  le  ])aiement  n'eiit 
pas  lieu  â  Famngou.ste,  mais  à  (iénes  (Sen.  Seer.^  m,  17  ;  n,  174  vv-5 
v»), 

2.  Nous  avons  vu  plus  haut  les  actes  de  piraterie  reprochés  &  Nicolas 
de  Moneglia,  v.  pa^e  479. 

3.  Il  allait  en  Homanie;  la  cargaison  se  composait  de  potanse.  La 
forme  latine  sous  laquelle  est  désigné  ce  personnage  est  Petrut  Na- 
tonitui,  Hiloti  iChcv.  au  (^i^ffne,  i,  p.  399)  rapi)cllti  Pierre  .Naton,  Torine 
française,  mais  qui,  selon  l'habitude  de  ce  chroniqueur,  ne  dilTérc  pas 
beauc<iup  de  la  forme  italienne. 

4.  Le  navire  de  Français  Pessato  <^tait  chargé  d'huile;  il  alliit  de 
Sicile  à  Alexandrie.  11  fut   pris  par  Nicolas  i  imenes  Picrate;  Lionel 

rcari,  gônoi.*,  le  lui  reprit.  —  Venise  aurait  voulu  que  k*  cas  fût 
'soumis  aax  arbitres  (8  juin  U06).  La  compensation  fut  constatée  dans 
un  acte  additionnel  du  2  juillet  1406  (Arch.  des  Affaires  étrangèreSt 
tihri  Jurium,  vm,  f.  155-6).  Voir  Pièces  justificatives,  n»  xxxvu. 


■       Sic 


J 


4d4 


PAIX  m:  28  juin  1 106. 


ni.  Jacqupft  Sappa,  qui  subit  lo  m^me  sort  qno.  Pierre  do 
Vallo;  —  huit  conts  durnU  lui  furent  confiqu^s'. 

\\,  —  Gêiies  rcistituera  toutes  les  marchandises  qui  par- 
viendront eu  sa  possession  provenant  du  b:\limeut  d'Antoine 
Coppo,  capturé  par  Jean  ot  Perciva!  Spinola  dans  les  eaux  de 
Sicile.  Ll'S  arbitres  décideront  si  Gènes  est  tenue  d'une  iii- 
derauité  pour  ce  fait'. 

15.  — Les  marchandises  confisquées  à  Pêra  aux  négociants 
vénitiens,  venant  de  Tana  sur  un  navire  génois,  et  à  Gaffa, 
ou  ieiu*  valeur  seront  restituées,  dans  le  délai  de  deux  mois; 
mais  celles  dont  Lercari  s'est  emparé,  par  voie  de  repré- 
sailles, ne  seront  pas  rendues"'. 

16.  —  La  valeur  du  navire  de  ser  Nicolas  Cocco,  livré  au 
capitaino  do  Kamagou.stc  par  le  vioo-consul  vènition  A  Fama- 
gousle.  lui  sera  reslituéo.  quand  ollt-  aura  été  déterminée 
coutradictoirement  pai'  le  capitaine  de  Famagouste  et  le  baite 
vénitien  de  Chypre. 

17.  —  Du  temps  d'Antoine  Adorno  (13  mai  1395),  doge  de 
Gènes,  des  lettres  do  ropi-ésailles  avaient  été  accordées  à 
Dominique  Lin'cari  contre  Venise.  Les  arbitrées  décideront 
s'il  y  avait  lieu  à  représailles,  et,  suivant  leur  décision,  ces 
lettres  seront  rapportées  ou  confirmées*. 


1.  Venise  engagea  son  ambassadeur  à  insister  pour  la  mise 
liberté  de  ces  prisonniers  (24  décembre  I405K  Ciéncs  déclara  ifçno 
ces  faits.  —  Le  26  avril  H06,  le  sénat  de  Venise  renouvela  ses  înstan 
en  faveur  de  In  mise  en  liberté  de  Oittarino  délia  Rosa.  —  Le  2  jum» 
il  enjoipnît  à  Thomas  Mocenipo,  s'il  n'obtenait  pas  satisfaction,  d'ac- 
cepter que  la  (|uestion  fût  soumise  au  jugement  des  arbitres;  le  H  juin. 
Mof^enigo  reçut  l'ordre  d'insister  pour  faire  admettre  cette  demièiv 
solution  i5rn.  Secr.,  n,  174  v"-5;  ni,  17  et  24  \^-b  v"). 

2.  Gênes  espérait  recouvrer  une  grande  partie  de  ces  marchandises; 
Venise  afKrmait  que  Spinola  avait  dépnsé  la  cargai.son  à  Marseille, dautt 
le  but  de  la  restituer  si  lagiiepi-e  neoontinuail  pas.  Dansées  rontlitiun», 
l'ambassadeur  vénitien  réclamera  toute  la  eargaistjn  et  le  bâtiment.  Il 
se  contentera  24  déc.  1405),  au  refus  des  fît'uoiH  d'accéUcir  à  cette 
demande,  do  la  re.stitulion  de  tout  ce  qu'ils  auront  recouvré  sur  Jeiui 
Spinola  (^^n.  SetT.,  H,  174  v«-5v«). 

3.  Charles  Lercari  représente  ici  Doinitnf|ue  Lercari,  son  oncle. 
Voir  le  !^  17.  Il  s'agissait  de  onze  eentx  ducats  pris  par  lui  à  Paris. 

4.  Venise  désirait  que  ces  représailles  fussent  arrêtées  aussi  promptr- 
menl  que  possible,  et  chargea  son  anibai>sadt'ur  d'insister  pour  faire 
cesser  un  état  de  choses  tontre  lequel  t'ile  pixttestait  énergiquement. 
Les  fiénois  soutenaient  la  légitimité  des  représailles  (S  février  1^06)  e 


CLAfSES   DK   LA    PAIX.  495 

18.  —  Venise  rendra  aux  Génois  les  trois  galères  prises  à 
Modon. 

19.  —  Elle  rondra  é^aloinenl  les  valeurs  et  marchandises 
saisies  à  Modun  el  à  Candie  sur  des  négociants  génois,  reve- 
nant de  Cninée  sur  des  galères  vénitiennes. 

20.  —  Elle  fera  restituer  divers  a^ês,  ancres,  etc.,  con- 
fisqués par  le  ohfiteUûn  de  Modon,  et  appartenant  au  bâti- 
ment d'Antoine  Lercari. 

21.  —  La  paix  de  Turin  sera  maintenue,  notamment  en  ce 
qui  concerne  l'élection  d'arbitres  pour  résoudre  les  difRcultés 
pendantes;  ils  seront  doux  pour  rba(|uo  partie,  et  se  réuni- 
ront à  Florence,  sous  deux  mois.  La  république  de  Florence 
sera  choisie  comme  cinquième  arbitre  en  cas  de  désaccord. 

22.  —  Les  hostilités  cesseront  à  partir  de  la  signature  du 
traité;  les  cautions  données  aux  prisiuiniers  sur  parole  seront 
restituées. 

23.  —  Les  dommages  causés  jusqu'au  jour  de  la  signature 
du  traité  seront  à  la  charge  de  celle  des  parties  qui  les  aura 
suscitées. 

2'».  —  Les  parties  contractantes  seront  tenues  des  dotles 
qu'elles  avaient  contractées  l'une  vis-à-vis  de  l'auti'e  avant  la 
rupture  de  la  paix. 

25,  —  La  république  de  Gènes  sera  responsable  des  actes 
d'hostilité  du  guuverni'ur  de  Gènes,  Jean  le  Meingre,  commis 
à  l'aide  de  navires  génois,  de  sujets  génois,  ou  d'étrangers 
sur  le  territoire  génois.  S'ils  sont  commis  par  des  navire^ 
étrangers  hors  des  possessions  génoises,  les  marchandises 
transporlées  en  teiritoire  génois  n'y  seront  pas  reçues. 

En  même  temps  que  C4'  ti'aité.  les  plénip')tentiaires  signaient 
la  déclaration  qui  mettait  le  maréchal  personnellement  en 
dehors  des  engagements  pris  par  son  lieutenant  au  koeh  iId 


affirmant  quo  les  VénlUens  avaient  transporté,  du  temps  où  le  car- 
dinal d'Alonçon  était  patriarche  Je  Grado,  à  Dominique  Lercjiri,  cer- 
taines ainmités  (/>a<7rF).  généralement  payées  par  eux  au  patriarche. 
Venise  les  menait  an  déH  de  montrer  aucun  engafrement  qui  Tobliffeàt 
envers  ttominiqne  Lercari,  ce  qui  rendait  les  lettres  du  rcpn'*»aille8 
sans  caui»e  (2'i  juin).  —  Kn  outre,  elle  fuirait  prouver  par  mui  ainbati- 
aadeur  que  les  repn'saillPH  exerc*^c*  par  l  harles  l-ercjiri  (Vtaient  une 
violation  de  la  paix  de  Turin;  en  dernier  resaort,  elle  contentait  à  ce 
que  la  question  fut  soumise  ii  un  arbitrage  {Sert.  Secr,,  n,  187;  — 
m,  29J. 


496 


PAIX  DU  28  iviy  1400. 


gouverncmenl  de  Gènps.  De  leur  côte,  les  Génois  publiaicul 
la  paix  par  une  leilrt*  circulaire,  adressée  a  tuus  leurs  agcnU 
et  sujets;  ils  ordomiaieut  à  Percival  de  Griiualdi,  podeslai 
de  Péra,  dp  restituer  lo  bâtiment  de  Martin  de  Lorenzo  et  sa 
cargaison  (art.  11),  et  â  .lean  de  Mozetilî,  capitiiine  de  Fa- 
ma^'ouste,  d'estimer»  d'accorii  avec  le  baile  vêiiitieu  de 
Chypre,  le  bâtiment  de  Thadée  Benedetto  (art.  7);  enfin  il 
était  enjoint  aux  fonctîonnîiires  g(''nois  en  Orient  de  restituer» 
en  nature  ou  on  argent,  tous  les  biens  contisqués  aux 
Vénitiens'. 

A  Venise  la  paix  fut  promulguée  le  35  juillet.  La  compen- 
sation, stipulée  par  l'article  12,  avait  été  signée  le  2  juillet  a 
Gênes  ;  le  mois  suivant  André  Zano  était  envoyé  â  Chypre 
pour  toucher  l'argent  dû  aux  Vénitiens;  à  la  mémo  époque 
(30  août)  les  représentants  des  G^^nois  Bartliélemy  de'  Franchi, 
Edouard  Salvagi  et  Philippe  Lomellini  rentraient  â  Venise 
en  possession  do  l'argent  et  du  numéraire  confiqués  par  la 
république  de  Saint  Marc  à  ceux-ci  à  leur  retour  de  Crimée*. 
Ëntin,  au  mois  de  décembre  ((?  et  24  décembre  tiOC).  les 
Génois  exécutaient  une  partie  des  conventions  stipulées.  \U 
payaient  les  indemnités  relatives  aux  biVtiments  de  Nicola.s 
Rossu  (art.  2),  d'Antoine  Coppo  (art.  4),  de  Marc  dalle 
Chiovere  (art.  5),  et  celles  qui  concernaient  le  fait  de  Beyrouth 
(art.  9),  —  en  tout  onze  mille  cinquante-sept  florins.  Ils  rem- 
boursaient également  une  somme  de  trois  cent  quatre-vingt- 
dix-neuf  livres  sept  sols,  due  pour  le  navire  de  Jean  et  do  Per- 
cival  Spinola  (art.  H)". 

Ce  traité,  dans  son  ensemble,  avait  pour  base  la  répara- 
tion des  dommages  causés  de  part  et  d'autre.  Rien  n'était 
plus  équitable,  mais  rien  n'était  pins  difficile  â  déterminer 
que  les  responsabilités  pécuniaires  de  chacune  des  parties 
Contractantes.    Cette    considération ,    malgré   l'activité    dè- 


1.  Arch.  des  AIT.  étrang.  {Libri  Jurium^  ix,  154  v"-5);  —  Arch.  de 
VenisB  (Commrmoriaii^  ni,  n"  2!-5,  p.  316). 

2.  Arch.  de  Venise  (Commemorùtlt\  m,  n**  26-7,  p.  31fi-7);  —  Arcli. 
des  AfT.  (^trang.  (Lihri  Jun'um,  ix,  1'.  lOô-fi  ;  —  Aroh.  de  VeiiiKe  (Sen. 
Mixti,  XLVn,  f.  65  %■<■-"  v»,  indiqué  danH  Mas  IJUrie,  Uiêt.  de  Chypre, 
11,  456).  —  La  procuration  deH  négociants  gùnuis  pour  renirt;r  en 
possession  de  leurs  biens  est  du  9  août  U06  (Arch.  de  Venise,  /*aui 
seiolli,  série  i,  busia  18,  n"  35'i)- 

a.  Arcli.  des  Aff.  étrang.,  Libri  Jurium^  vni,  f.  156-9. 


LA   PAIX   EST   A    L  AVANTAGE   OB   GENKS. 


4q: 


[iloyèe  lie  part  et  d'auti'C,  malgré  le  désir  des  deux  puis- 
sances de  terminer  le  litige,  explique  la  lenteur  des  négo- 
ciations. Dans  lo  règlcmonl  des  différents  chefs  visés  par 
le  traité,  les  Vénilieus.  comme  nous  l'avons  vu,  après  avoir 
beaucoup  demandé,  durent  se  contenter  de  peu;  dans  toutes 
l(îs  questions  importantes,  comme  c<^lle  de  l'obligation  per- 
sonnelle du  maréchal.  Gènes  fit  prévaloir  ses  propositions; 
elle  ne  céda  que  rarement  aux  exigences  de  ses  adversaires. 
Si  l'on  except*^  ceux  des  articles  de  la  paix  qui,  fixés  par 
l'accord  du  22  mars  I'jO'i,  mais  non  exécutés,  furent  renou- 
velés pai'  le  traité  définitif,  tout  l'honneur  du  traité  fut  pour 
les  Génois;  malgré  l'incursion  peu  justifiable  de  Nicolas  de 
Moneglia,  leur  position,  à  la  signature  de  ta  paix,  était  rela- 
tivement meilleure  qu*en  mars  UOi.  Faut-il  attribuer  ce 
résultât  à  la  seule  habileté  de  leui's  négociateurs,  ou  au  désir 
de  paix  manifesté  par  Venise?  Cette  question  est  trop  com- 
plexe pour  être  résolue  avec  certitude;  elle  se  rattache  à 
mille  circonstances,  dénature  ti^ès  diverse,  parmi  losqueUes 
se  place,  en  première  ligne,  le  degré  d'infinence  possédé  par 
chacun  des  belligérants  au  milieu  des  compétitions  ilîploma- 
tiques  et  ujtlitaires  qui  agitaient,  à  cette  époqm*.  la  partie 
septentrionale  de  la  péninsule  Italique. 


2i 


CHAPITRE  X, 


ARBITRAGE  DU  9   AOÏT    I 'â08. 


La  paix  conclue,  restaient  les  questions  â  résoudre  par  voie 
d'arbitrage;  un  délai  de  deux,  mois  avait  été  stipulé  afin  do 
permettre  aux  arbitres  de  se  réunir  û  Florence.  Venise  s'était 
bàlée  de  se  faire  représenter  f3-t*  anùt  1 106),  par  Barthélemv 
Nani  et  Fantinn  Dandulo'.  (jui  arrivèrent  U»  '21  août  A  Flo- 
rence, mais  Gênes  n'avait  pas  fait  preuve  de  la  même  dili- 
gence. Le  H  septemljre'.  elle  demandait  pourse**  agent-^.  sous 
pi'étexte  d'une  épidémie  qui  l'égnnil  à  Florence,  une  proroga- 
tion jusqu'au  1  novembre,  et,  malgré  rinsistance  de  Venise, 
malgré  l'amende  à  laquelle  s'exposaient  les  retardataires,  il 
fut  impossible  de  faire  avancer  leur  voyage'. 

Ces  lenteurs  étaient  calculées;  les  Génois  voulaient  gagner 
du  temps,  et,  dans  ce  but.  cherchèrent,  dés  les  premières 
conférences,  à  remettre  tout  en  question.  Boucicaut,  disaieni- 
ils,  avait  été  offensé  par  Charles  Zéno  sans  motif,  et  ils 
offraient  de  le  prouver;  les  négociateurs  vénitiens,  pour  cou- 
per court  à  tout  nouveau  débat,  durent  faire obsener  que  ces 


t.  (Sen.  Secr.,  ni,  f.  36-7).  André  Ontarini,  fils  de  Jean  Contarînî, 
origiiiairenieiit  i^lti,  fui  remp]a<'i''  par  Dandulo.  On  craignit  qu'il  ne 
parut  suspect  aux  (î^nols  à  cause  des  dommages  quA  ceux*<*i  avaient 
fait  subir  à  son  père.  On  adjoignit  {li  août  U08}  François  Zabarella  à 
Nani  et  â  Uandolo  on  qualité  de  conseil. 

2.  Le  II,  ne  les  voyant  pas  venir,  les  Vénitiens  écrivirent  au  lïen- 
tenant  de  Boucicaut  â  G'^-nes,  pour  le  prier  de  hùler  le  départ  dos 
Génois,  et  témoigner  de  leur  désir  de  ne  pas  perdre  un  temps  précieux 
à  les  attendre. 

3.  Il  et  15  septembre  1406  {Sen.  Seer.,  m,  f.  39  \-«-40).  —  30  no- 
vembre \Sen.  Secr.^  ui,  f.  50). 


AMKDKE    VHI    DKSIÛNI-:   COMME   AllHITRE. 


490 


prétentions  avaient  jadis  M  oxaminéps  et  résolues  pnr 
Domiuiqiio  Impériale  ot  Cigalla.  el  que  la  mission  des  arbitn^s 
était  parfaitement  déterminée  par  le  traité  de  paix'.  Les 
Génois  voulurent  alors  discuter  le  point  do  départ  du  délai  de 
trois  mois  fixé  pour  désii,nier  le  cinquième  arbitre,  subor- 
ilMimtT  au  droit  de  produire  des  témoins  le  recimrs  au  cin- 
quième mbitre,  et  rouvrir  les  débats  sur  le  défi  du  maréchal'. 

Les  événements  leur  dnunèreut  raison;  pendant  ces  négo- 
ciations, Florence  refusa  le  rolr;  de  (cinquième  arbitre  qu'on 
lui  avait  attribué,  et  les  j>lénipotruLiaii'<îs  se  séparèrent  (fin  de 
mars  1407).  Tout  était  remis  eu  cause*. 

Venise  cependant  ne  se  tint  pas  pour  battue,  et  donna 
Vordro  (2  avril  l'iOTj  à  Rarthélemy  Nani  de  se  rendre  à 
GéneSf  et  d'amen^T  le^  Géoois  à  dèsig^ner  un  nouvel  arbitro. 
Elle  exceptait  U's  princes  du  sang  de  France  qui  eussent  été 
à  la  fois  juj^os  et  parties,  mais  ne  repoussait  pas  en  principe 
l'arbitï'age  de  Raymond  de  Lescure,  prieur  de  Toulouse*, 
ami  des  deux  gouvernements,  dont  le  nom  avait  été  prononcé 
A  cettif  (Kcasion  (H  avril).  Nani  fut  bien  accueilli  à  Gènes. 
Dominique  Impériale  et  Baptiste  de  Jacopopour  Gènes,  Dar- 
Ihéleinv  Nani  pour  Venise  arrêtèrent  leur  choix  sur  Amé- 
dée  viiï,  comte  de  Savoie  (8  juin)\ 

La  fin  f\p  Tannée  1 407  se  passa  sans  qu'on  fil  rii'n,  de'part 
et  d'aiitri».  jiour  hâter  la  solution  définitive.  Au  comnience- 
meut  de  lUJW  {\'2  janvier-lJS  février),  comme  il  fallait  que 
l'arbitre  fut  au  courant  des  questions  qui  allaient  lui  i>tre 
Boumi.ses,  le  gouvernement  génois  provoqua  à  Gènes,  en  pré- 


1.  27  janvier  1407  (Sen.  Secr.,  ni,  f.  52). 

2.  19  février  1407  {Sen.  Secr.,  m,  f.  55).  —  11  mars  (Sen.  Seer.,  m, 
f.  58). 

a.  30  mars  et  2  avril  1407  [Sen.  Serr..  m,  f.  fiO-I).  —  bi  réi)uhli(iiio 
lie  Fioreiicp  dérida,  le  IG  mars  1407,  de  refuser  l'arbitrage  |Arrli.  ilo 
Florence,  Ctaxfte  n,  Ifist.  5,  n»  108,  f.  16-20). 

4.  Voir  sur  cf  personnage,  plus  haut,  p.  427,  ot  plus  bas,  p.  505-7. 
Il  remplissait  alurs  à  Gt>nes  une  mission  diplomatique  dont  le  roi  de 
Cbypro  l'avait  chargé. 

5.  «  avril  1407  (.s>m.  5«t.,  ni,  f.  61-21.  —  6  mai  (Sen.  Seer.,  ni, 
f.  64).  —  8  juin  (Arcb.  de  GOnos,  Mnten'e  Potitiche.  mazzo  11,  2730: 
Arch.  de  Venise,   Commémorai li\  ni,  ir   'lî»,   p.  :i2a).  Le  6  juin,  le 

laréclml  avait  donné   procuratînn  ù   1>.  Impériale  et  k  lit  de  Jacopo 
l'effet  d'élire  Amédt^e  comme  cinquième  arbitre  (Arch.  de  Voniao, 
Commemoridiij  ui,  n«  48,  p.  322). 


ARBITRAOE  du  9  AOUT  1408. 

sence  des  quatre  arbitres,  les  dépositions  qu'il  crut  utile»  à 
sa  cause;  elles  furent  recueillies  par  écrit  pour  être  transmises 
au  comte  de  Savoie*. 

En  même  temps,  Venise  et  Gênes  désignaient  leurs  repré- 
sentants auprès  d'Amédéo.  Pour  Venise  Paul  Zane  et  Barbon 
Morosini,  assistés  do  Jacques  de'  Fabri  et  d'Albert  de  Pietra- 
rossa,  légiste'.  Pour  Génea  Dominique  Impériale  et  Barthé- 
lémy Bosco,  docteurs  es  lois;  ces  derniers,  quoique  accrédités 
dès  le  10  février,  ne  quittèrent  Gênes  que  vers  le  20  mars". 
Les  ambassadeurs  vénitiens  ét-aient  déjà  amvés  en  Savoie; 
ils  comparurent  devant  le  comte  le  31  mars,  et  les  Génois  le 
3  avril.  Après  leurs  audiences  d'amvêe  et  la  présentation 
des  titres  et  pièces  concernant  les  questions  en  litige,  ils 
furent  ajournés  par  Amédée  au  ?6  avril.  Ce  jour-là,  chacuiie 
des  deux  parties  présenta  les  mémoires  justificatifs  de  sa 
conduite;  les  conférences  se  succédèrent  alors,  sans  interinip- 
lion,  jusqu'au  2  août,  au  milieu  «les  incidents  de  procédure, 
des  demandes,  répliques  et  cuutre-répliques  pi*oduites  de 
pai'l  et  d'autre.  La  sentence  arbitrale  fut  prononcée  le  0  août 
l'i08;  en  voici  les  points  principaux*  : 

l.  —  Les  Vénitiens  réclamaient  aux  Génois  sept  cents 
florins  pour  le  nolis  du  navire  de  Nicolas  de  Moneglîa;  il-* 
leur  seront  payés  (art.  "i  du  traité). 

3.  —  Les  Vénitiens  soutiennent  que  la  cargaison  du  bâti- 
ment de  Nicolas   Rosso,  quand  iJ  fut  capturé,   valait  vingt,- 


1.  Ces  dépositions,  très  longues  et  détaillées,  sont  conservées  aux 
Archives  de  Gènes  {Malfrie  Polilichey  mazzD  11,  27S0).  Dlles  embrassent 
tous  les  faiU  qui  donnèrent  Heu  non  seulennent  au  traité  du  28  juin 
1406,  mais  encore  à  l'accord  du  22  mars  1404. 

2.  4  février  1408  [Sen.  }fUlt\  xLvii,  f.  I6fi).  François  Zabarella  avait 
été  nommé,  mais  il  fut  reinplaot^  par  Jacques  de'  Fabri.  ■—  9  février  et 
11  mars  1408.  Délibèralionii  relatives  aux  dépenses  des  ambassadeun 
(Sen.  Misti,  xLvn,  f.  167i.  Leurs  instructions  sont  du  24  février  14M 
{Sen.  Mistt\  xlvu,  f.  173-5). 

3-  10  février  1408  (Arch.  de  Gènes,  Divers  Beg.,  7-502,  f.  14  v«).  — 
9,  15,  16  mars  1408.  Ordres  do  départ  aux  ambassadeurs  génois  (Arch. 
de  Gènes,  /(/.,  f.  36  v,  38,  39  r-'V»  et  41). 

4.  Le  détail  de  la  procédure  suivie  dans  celte  circonstance  nous  &X 
parvenu  dans  son  entier  C.\rch.  de  Gènes,  Materie  Politiche,  mauo  11, 
2730).  Il  y  eut  dix-huit  séances,  du  31  mar^f  au  2  août.  La  sentence 
fut  rendue  le  9  août.  —  Voir  le  texte  de  l'arbitrage  aux  Pièces  ju^tifi- 
Cttives,  n-  xxxvui. 


sept  raille  huit  cent  un  ducats;  les  Génois  leur  paieront  douze 
mille  cinq  cent  Irois  ducats  (art.  3). 

3.  —  Les  autres  prétentions  des  Vénitiens  sur  les  mar- 
chandises appartenant  à  l'équipage  du  navire  de  N.  Rosso,  et 
non  comprises  ilana  la  somme  précédente,  sont  rejetées. 

i.  —  Les  Vénitiens  demandent  la  restitution  du  navire  do 
Marc  dalle  Chiovere,  pris  par  Paul  Lercari,  ou  sa  valeur 
(six  mille  ducats),  et  celle  de  la  cargaison  (quinze  cents 
ducals).  Les  Génois  ont  promis  de  payer  dix-huit  cent  cin- 
quante florins  pour  le  navire  et  douze  cents  pour  la  cargaison. 
L'arbitre  les  condamne  à  payer  trois  mille  trois  cent  trente- 
sept  ducats  aiLK  Vénitiens  (art.  5). 

5,  G  et  7.  —  Gripperie  de  Candie.  —  Amédée  fixe  comme 
il  suit  les  indemnités  allouées  aux  Vénitiens  pour  les  naWres 
capturés  par  Nicolas  de  Moneglia  (art.  10)  : 

SomiiM  dvKMtiilée.  Soiuaie  «c«ord4«. 

Navire  dn  Basile  Tirapolle 60000  ducats.        44960  ducats. 

Navire  de  Grégoire  Monganapo  .   .   .     16000      —  12000      — 

Gripperie  tle  Candie i3:o      —  8681/2  — 

8.  —  Faute  de  preuves  fournies  par  Venise.  Gènes  n'est 
tenue  d'aucune  indemnité  vis-à-vis  de  Catterino  délia  Rosa,  de 
Pierre  de  Vaîle  et  de  Jacques  Sappa  (art.  13). 

9.  —  Au  lieu  de  vingt-sept  millo  deux  cents  ducats,  deman- 
dés par  Venise  pour  le  navire  et  la  cargaison  du  bâtiment 
d'Antoine  Coppo.  il  lui  sera  alloué  vingt-six  mille  neuf  cent 
quatre-vingt  dix-neuf  ducats  (ai*t.  I'*j. 

10. —  Venise  ne  doit  rien  à  Dominique  Lercari  i^art.  17). 
I^s  sonmies  demandées  par  elle  pour  Catterino  délia  Rosa, 
pj(,pj.p  ,1,,  v^ii,.  pt  Jatrquos  Sappa  se  comp(msent  avpc  celle 
i|ue  les  Génois  réclament  (deux  cent  cinquante  hesants  de 
Bruges)  à  Toccasion  du  voyage  de  Cadix  à  Bruges  du  bâti- 
mont  do  Nicolas  Rosso. 

IL  —  Les  frais  de  l'arbitrage  seront  â  la  charge  des 
Génois'. 

Telle  fut,  résumée  en  quelques  lignes,  la  sentence  promul- 


i.  Vn  mémoire  du  28  février  1408,  ï)r(^8flnté  parles  plénipoten- 
tiaires vênilipns,  concernant  les  doramages  subis  par  le  navire  de  Maro 
dalle  (  "hiovere,  avait  été  écarté  par  le  comte  de  Savoie  cximrae  étranger 
à  la  caiiiie.  te  22  août  l'i08  (Arch.  de  Venise,  PtUti  êcioUij  bunta  19, 
série  1,  n-  360). 


ry): 


ARBITKA(iK    DU    1}   AOUT    1408. 


giii^o  par  Ip  comte  de  Savoie.  Elle  n'avait  pas  lieu  de  satis- 
faire le  gouvernement  génois  qui.  par  Torganc  de  ses  repW'- 
sentanl^',  eu  appela  de  ia  décision  de  l'arhiU'e.  Mais  il  fut 
pas3é  out;re  à  sa  protestation.  —  Ainsi  se  trouvaient  défini- 
tivement rêgl<?es  les  questions  pendantes  entre  Gènes  et 
Ver»ise, 

L'exécution  de  la  seiiteuoe  fit  renmtre  les  difficultés.  Lo-» 
Génois,  mécontents  de  voir  leur  appel  repoussé,  ne  se  fiâtèreni 
pas  do  s'acquitlor  envers  Venise;  les  réclamations  de  Frauf-oj^ 
Heaoiani,  env<t_)*é  dans  ce  but  auprès  du  ctinscil  des  Anciens, 
(octobre  1108)  restêronl  sans  effet.  Gènes,  par  l'organe  d'Ingo 
de  Grimaldi.  ne  ces^^ait  de  protester  (janvier  I  SO'J'  auprès  d(» 
la  république  de  Saint  Marc  de  la  nullité  de  larbitra^e,  et  de 
demander,  sans  succès  du  reste,  qu'on  remit  à  de  nouveaux 
arbitres  l'examen  de  cette  nullité'.  Battu  de  ce  côté,  Gri- 
maldi chercba  à  obtenir  d(,>  meilleures  conditions  pécuniaire^'. 
Los  négociations  durèrent  ainsi  jusqu'au  mois  d'avril,  avec 
un  caractère  siuni-ofliciel,  sans  qu'il  fi'it  possible  de  lomber 
d'accord,  malgré  le  désir  des  Vénitiens  d'accueillir  les  pn»- 
positions  génoises,  pourvu  qu'elles  fussent  équitables,  raison- 
nables et  honorables  \ 

Gènes  persistait  cependant  ;'i  nier  la  légitimité  de  la  sen- 
tence, et  annonçait  aux  Vénitiens  fl.")  juin  1  îOî);  son  intention 
tle  porter  [a  f[ue>tion  devant  le  concile  réuni  à  Piseel  d**van( 
le  souverain  poniife  i[m  allait  être  élu  par  lui'.  A  cette  oiiver- 
ture,  Venise  répondit  par  un  refus  formel,  et,  forte  des  auto- 
rités juridiques  qu'elle  avait  consultées,  engagea  Gènes  à 
s'en  tenir  à  la  décision  du  comte  de  Savoie,  promettant  de  se 


1.  Ciillos  Morosini.  Morct  Bragadin  et  Kobert  Morusinî  avaient  Mè 
désignés  par  le  sénat  de  Venise  jkjui*  tâcher  de  décider  Grimaldi  à 
faire  extVutcr  les  clauses  de  l'iirbitrape. 

2.  Clones  oIVrait  vingt  mille  florins,  payables  en  dt-ux  ans;  elle  offrit 
ultérieurement  quinre  cents  florins  par  an.  Venise  en  réclamait 
trente  mille  à  payer  en  trois  ans;  elle  demanda  ensuite  que  lasomm^ 
fat  payée  par  annuités  de  einq  mille  florins. 

:ï.  Il  octobre  l'iOS  {Sen.  Secr.,  m.  f.  It9i.  —  »,  8  janvier  1^09  {Sen, 
Secr,.  m.  f.  i:i3-4j.  —  12,  U,  10,  18  avril  1401)  (Scn.  Srer.,  i\, 
f.  y-llK 

4.  Le  concile  de  Pise  déposa  le  pape  (irêmjîr-e  \ii  et  rântipHfx' 
Bonoitxin  ;  il  nomma  Pierre  Fitar^jo  de  Candie  sous  le  nom  d'Alexandre  \ 
tman»  1409). 


(rÉNES   ACCEPTE   l'aRBITRAGB.  503 

montrer,  dans  rexêculion  de  la  sentence,  aussi  bienveillante 
et  fncilo  à  satisfaire  qu'elle  était  iadoxiblo  sur  le  principe 
môme  do  rarbitragci'. 

A  ce  moment  les  événements  dont  Gènes  devint  le  théâtre 
modîtîèrent  les  rapports  et  les  dispositions  des  deux  puis- 
sances. Les  GMïois  venaient  de  s'aPTranchir  de  la  domination 
française  et  de  lionncM*  It*  pouvoir  au  njanjuis  de  Moulferrat 
(septembre  1409).  Si  Venise  n'osa  féliciter  ce  dernier  au  len- 
demain de  la  révolution  qui  l'appelait  au  gouvernement  de 
Gènes,  olle  nn  tarda  pas  à  savoir  par  son  agont.  François 
lieaciani,  que  les  Génois  désiraient  vivre  en  b<»nne  intelligence 
avec  elle.  Aussitôt  elle  leur  fil  demander  (G  mars  1410)  com- 
ment et  dans  quels  délais  ils  entendaient  pa;\er  les  sommes 
qu'ils  lui  devaient*. 

La  rép'tnse  des  Géu<iis'  ne  contesta  ni  la  légitimité  de  la 
sentence  ni  la  dette  dont  ils  étaient  tenus.  Il  ne  resta  plus 
qu'à  fixer  la  somme  due,  les  termes  et  le  lieu  du  paiemeut. 
Ces  trois  ([uestions  donnèrent  lien  â  un  échange  de  proposi- 
tions qui  diu"a  jusqu'à  la  fin  de  I -UO*.  Venise  finit  par  accep- 
ter de  recevoir  vingt-cinq  mille  ducats  en  cinq  annuités,  lo 
reste  de  la  dette  étant  ensuite  paj'able  à*  raison  de  deux  mille 


I.  y  juillet  U09  (Sen.  Secr.,  IV,  38). 

'2.  29  déccmhro  l'é09  {Sen.  Secr.,  iv,  8»).  —  6  mars  1410  {Sen. 
Serr.,  iv,  97). 

3.  l'ne  question  accessoire,  que  Venise  avait  dû  faire  écarter  comme 
élrangôre  au  débat,  avait  retardé  cette  réponse.  VMe  concernait  cer- 
tiiines  annuités  que  lo  patriarche  de  (irado  recevait  depuis  la  fin  du 
XMi"  siècle  Jes  Vt^nitiens,  en  ècliange  de  certains  droits  et  de  cei-tains 
territoires  qu'il  leur  avait  rèdés  en  (strie.  Souvent  le  paiement  de  ces 
annuités  se  trouvait  sui^pcndu  quand  le  patriarche  et  la  n^publique 
('Ijuenl  en  difHcultés,  et  n'était  repris  que  quand  l'accortl  était  rétabli 
enire  les  deux  pouvoirs  (ao  avril  lUO).  .Nous  avons  vu  plus  haut  que 
reite  question  avait  déjà  été  agitée  à  l'occasion  du  traité  de  1406  (art.  17). 
{Sen.  Serr.^  iv.  Ilit). 

'i.  Gènes  proposa  d'abord  de  verser  quinze  ou  vingt  mille  fiorins 
piMidant  trois  ou  quatre  ans,  et  ensuite  mille  ducats  jusqu'à  parfait 
paiement;  mais  Venise  assura  qu'elle  ne  pouvait,  à  rauso  des  frais 
ronsidérables  qu'elle  avait  supportés  en  ambassades  et  dépenses  de 
toute  nature,  se  contenter  de  moins  de  quarante  mille  ducats^  payables 
en  cinq  ans,  ou  par  annuités  do  cinq  mille  ducats  (6  mors  UIO,  Sen. 
Secr.^  IV.  a".  —  24  juiu  l'ilO.  Sen.  Secr.,  iv,  UO  v*.  —  9  septembre 
lUO.  Sen.  Secr.,  i\,  134;. 


504  ARBITRAGE  DU  9  AOUT  1408. 

ducats  par  an  (27  octobre  1410)*.  Raphaël  de  Vivaldi  fut 
accrédité  par  le  marquis  de  Montferrat  pour  traiter  sur  ces 
bases  avec  Reaciani  (7  novembre  1410),  et  le  4  décembre  la 
république  de  Venise  rappelait  Beacîani  dont  la  mission  était 
terminée  par  la  conclusion  de  l'accord  avec  les  Génois  *.  Il 
avait  fallu  plus  de  six  années  de  négociations  pour  obtenir  ce 
résultat. 


1.  Sen.  Secr.,iv,  140  v». 

2.  7  novembre  1410  {Paiti  êcioUij  busta  19,  série  1,  n»  368).  —  4  dé- 
cembre 1410  {Sen.  Secr.f  iv,  145). 


[ 


CHAPITRE  XI. 

DERNCER.S   PROJETS   ET  EXPEDITIONS    DE   BOCCICAUT 

(I407-I'»08). 


Au  milieu  des  préoccupations  qui  l'absorbaieDt,  Boucicaut 
n'avait  jamais  penlu  l'Orient  de  vue,  ni  renoncé  à  l'idée  d( 
rcfairo,  quelque  jour,  une  nouvelle  expédition  contre  les  in- 
fidèles. Ce  dessein,  une  fois  entré  dans  son  esprit,  y  avait 
mûri  ;  le  maréchal  n'attendait  qu'une  occasion  pour  l'exé- 
cuter, persuadé  qu'il  ny  avait  d'entreprise  plu*  louable  que 
que  de  <  tousjours  augmenter  et  accroistre  le  bien  de  la 
<  crestient*'i  et  l'honriDur  de  chevalericî  ».  Rien  ne  le  rebutait 
pour  atteindre  ie  but  rêvé;  la  situation,  cependant,  ne  sem- 
blait pas  propice  à  une  campagne  lointaine.  L'arbitrage,  qui 
devait  maître  fin  à  la  (jnerelle  des  Cn'-tmis  et  des  Vénitiena,i 
n'était  i)as  prononcé,  et  les  négociaUons  menaçaient  de  se 
prolonger  qitelqm»  temps  encore.  A  Gènes,  les  dispositions 
des  babilants.  loin  dV'tre  rassurantes,  laissaient  apercevoir 
les  pivmiei*s  symptômes  d'une  Hdélilé  chancelante.  La  question 
du  schisme,  à  laquelle  Houciuaui,  en  qualité  de  représent<int 
du  roi  de  Franco,  prenait  une  part  très  active,  passi'uumit 
tous  les  esprits.  Enfin,  les  événemeats  politiques  et  militaires 
dont  rilalie  septentrionale  était  le  théâtre  semblaient  trop 
considérables  pour  permettre  au  gouverneur  de  Gènes 
d'abandonner  un  poste  auquel  la  confiance  de  Charles  vi 
l'avait  appelé. 

Malgré  tant  de  circonstances  défavorables,  le  îimréclial 
n'avait  pas  renoncé  à  son  projet.  Il  profita  de  In  présenn»  h 
Gênes  du  grand-prieur  de  Toulouse,  Raymond  de  Lescure. 
représentant  du  roi  de  Chypre  (août  lîn7),  pour  le  lui  déve- 
lopper, et  lui  faire  des  ouvertures  au  sujet  d'une  nouvelle 
expédition. 


500      I>KKMBIIS  l'ROJKTS   ET   EXPEDITIONS   UK   BOUCICALT- 

Lescure,  une  des  personnalités  les  plus  remarquables  do 
l'oiilre  (io  Kliotios,  s'était,  comme  litiilaîn.'  dt^  la  couiman- 
derie  do  Ch)'pre\  créé  auprès  du  Jauus  une  siluaiiou  excep- 
tionnelle, et  ce  prince  l'avait,  à  maintes  reprises,  cbiu*gé  de 
missions  de  confiance.  Le  succès  fli[)ltimatiqne  que  Lescure 
avait  remporté,  eu  faisant  accepter  au  sou<lau  d'Egypte  un 
traité  de  paix  avec  les  Hospitaliers  (1403)'.  avait  engagé 
Janus  à  lui  confier  le  soin  d'une  négociation  analof;ue;  mai» 
le  Soudan,  qui  avait  à  se  plaindre  du  mal  que  la  piraterie 
chypriote  faisait  au  commerce  égyptien,  n'avait  voulu  écouter 
aucune  |irop(isiliun  pacifique,  avait,  jeté  le  négociateur  en 
prison  au  Caire,  et  ne  l'avait  rendu  à  la  liberlé  que  contre 
une  forte  rançon". 

Le  but  du  voyage  de  Lescure  était  double;  il  venaii  à  la 
niur  de  France  négocier  1(*  mariage  du  roi  de  Chypre  avec 
une  princesse  du  sang*,  et  devait,  en  passaut  à  Oèneitr 
s'entendre  avec  le  maréchal  sur  le  retrait  des  joyaux  que 
Jauus  avail  donnés  en  gage  aux  Génois  ptiur  garantir  l'exé- 
cution de  la  paix  du  7  juillet  l'i03^.  Houricaut  saisit  cotte 
occasion  de  lui  soumettre  ses  plans  irexpéditùm  dans  le  Le- 
vant, et  coniiae  un  pareil  desspin  ne  pouvait  être  discuté 
«  sanz  prcmiéromont  y  appeller  le  nom  do  Dieu  ei  son  ayde  >, 
la  conférence  eut  lieu  aux  environs  de  (îéues,  dans  l'églisu* 
de  Notre  Uanie  la  Couronnée,  lieu  de  pèlerinage  très  en 
honneur  parmi  les  populations  ligttrieimes*. 

L'objectif  du  maréchal  était  Alexandrie.  C'était,  ilisait- 
il,  <  faisable  cliose  el  assez  legiert)  [à]  qui  l'oseroit  entre- 
prendre»; eu  celte  circonstance  Boucicaut  ue  se  troiupail  pas. 


t.  )l  fut  nnmriit^  à  ce  poste  le  '2'2  octobre  I'i05  (Arch-  de  Valte,  Jtef/. 
Huit.  Mn'j.^  xvni,  Tiai.  V.  sur  ce  personnage,  pages  'iî7  et  499, 

2.  t'e  Iraiti'^  est  «^liité  dans  Paiili,  Cod.  tli'pt.,  n,  108. 

;i.  Viniït-cii»)  mille  diicaU  {Livre  tfrn  failt^  ni,  ch;ip.  xviï,  p.  6641. 
—  I.e  grand-maitr«  (!»•  Ithodes  (1*  aoùl  liuii  prie  Ips  marrhands  vfjii- 
liens,  gi!'noii*,  catalans  ^n  l'raoraisi  régidant  à  Alfixantirie,  de  lui  prêter 
.six  mille  ducats  jKiiir  le  rachat  de  Lescure  (Arch.  de  Malte,  RffQ.  liuU. 
MiUJ.,  XVMI,  I2(»  \'\. 

I.  Il  rhfMsit  |.Hjnr  Janus  Charlottr  il«î  lUmrbon,  wciir  de  Jacques  ii, 
comli-  dr  la  Man'lic.  I.e  inari:ige  fut  cêlcbré  à  Mcluii,  pai"  [trocurrur, 
le  2  août  liU'J. 

5.  Mas  Latrie, //t*5/.  tie  Chypre,  n,  Wi,  note  1,  —  llcrquet.  Cy- 
j/rischff  Kônifjsficitaltrn,  p.  10. 

6.  Livre  ifcs  faits,  m,  dmp,  w,  p.  660. 


LE  MARÊCHAÎ.  KNVOIK  !  NE  AMBASSADE  EX  CHYPRE.  5<)7 

N'avai(-il  pas  Texemple  du  roi  de  Chypre  dont  la  flotte, 
composa  d'une  galère  ot  d'ime  galiote,  courait  les  mers  du 
I^*vant  sîins  qu'aucun  bîVliment  san-asin  se  ba$ai*d;\t  âla  corn- 
batln*,  ouïrait  dans  le  port  d'Alexanrlrie  sans  résistance  au 
grand  effroi  des  habitants,  et  capturait  plus  de  (|uinze  cents 
Musulmans  dans  ses  diverses  expéditions  (I  UJO-I 'il5j7  En 
outre,  le  dessein  d';ittanu<ir  rKg^pti*  a\ail,  puur  la  suite  des 
êvênenienls,  une  haute  portée  polititiue,  <d  la  chute  d'Alexan- 
drie <  qui  tant  est  noble  el  de  grant  renommée  »  eût  eu  diuis 
l'Eiu'ope  clirètienue  comme  dans  le  monde  musulman  un 
retentissemeni  ((msidêrald*'. 

Lescure  approuva   le  plan  de  ï{oucic;mt,  <  moull  l'eu  1*0- 

<  conforta  »,  el  offrit  sa  coopération  personnelle  à  une  entre- 
prise agréable  à  Dieu,  prolitable  à  la  chrétienté  et  destinée 
à  couvrir  de  gloire  ceux  qui  y  pai'ticiperaient.  Il  entra  réso- 
lument dans  les  vues  du  miiréchal,  et  lui  conseilla  d'envoyer 
à  Chypre  une  ambassade  puur  obtenir  le  coucours  du  roi. 
Jean  d'On\ ,  écuyer  de  Bouoicaut,  el  frère  Jean  de  Vogon, 

<  un  ti-ès  noble  et  nottalde  religieux  de  Tordre  de  saint  Jeaii  », 
furent  désignés  pour  cède  mission  qui  devait  rester  secrète 
(août  ré07)=. 

Les  instructions ■  des  deux  plénipotentiaires  étaient  piv- 
cisos:  passant  par  Venise,  ils  avaient  ordre  de  s'embarquer 
pitur  Rhodes,  d'y  faire  connaître  mu  grand-mailre  la  façon 


1.  •  Et  quant  ilz  cntroy<»nt  au  port  d'Alexandrie,  toute  la  terre  bC 
«  armuil,  et  tous  loz  rppsiiens  qui  dedans  estoyent,  venoyent  à  estro 
■  entieri'é  dedans  Ick  Icui-s  fondighcâ,  pour  douhtc  du  peuple.   Et  du 

•  port  d'Alexandrie  aulx  auttres  lieux  dn  souldain.  une  seule  galéo 

•  ne  iwvoit  ys-sir  rontrr  celle  du  roy;  et  tant  entrevint  que,  de  tem|Mt 

•  en  lenii>s,  reste  galéc  avoit  prie*  mille  V  Sarrasins  •   ilMlnti.  Chrv. 
rt«  V.yijnr,  \,  p.  3H5).  —  <  Si  envoyai   (c'est  !e  roi  de  Chypre  qui  parlei 

•  l&ntost  uu«^  gîilée  courre  sur  le  pays  du  dit  stiuldan,  qui  rnoult^rant 
t  dommage  Ini  porta,  et  prist  la  plu*  belU-  nuve  t|iie  Wt  eussent  ehargt'e 

•  de  marchandise.  MX  ainsi  pays  pa'-tanl,  et  jirenant  jipuyejç,  ahi  cellM 

•  galt'o  contremont  le  fleuvptlu  Ml  bien  w  milles  •  \Urrr  lirx  /*titx, 
ni,  chap.  .wii,  p.  ijG'i). 

2,  Il  était  commandeur  de  Hellevitle  (IthfVie,  arr.  de  \  illefrancbe) 
depuis  le  I'»  juillet  l'iO'i.  I!n  l'iKl.  celto  cnnïmanderic  av.iit  drjji  nu, 
do]Miis  Jean  do  Vogun,  deux  titulaiix's.  Le  /.irrr  ilf*  fnit^  »»«  ir.nqM^ 
en  donnant  à  ce  iHTsonnage  le  nom  de  Jran  de  Viewu  (An:h.  de 
Malle,  ling.  Huit.  Mmj.,  vvm,  40  v";  xxni,  Tli. 

'A.  \tjir  INùcets  justiliralive.s»  n*  x\M\. —  Les  instruclionii  mint  re- 
produite» dan»  lu  l.iire  ticK  fniin  |ui,  clinp,  xv  et  xvi.  p.  660-;n. 


I 


508     DERNIERS  PROJETS  ET   EXPEDITIONS   DE  BOUCICAUT. 

dont  avait  été  réglée  la  question  dea  gages  détenus  par  les 
Génois,  et  de  le  prier  de  leur  faciliter  les  moyens  de  gagner 
Chypre.  En  présence  de  Janus  ils  devaient,  dans  le  plus  grand 
secret,  développer  le  dessein  du  maréchal,  faire  voir  à  Janus, 
par  de  délicates  flatteries,  qu'il  était  le  prince  sur  lequel  re- 
posaient toutes  les  espérances  de  la  chrétienté,  et  que  ce  qu'il 
avait  déjà  fait  pour  elle  était  un  sîir  garant  de  ses  réso- 
lutions futures.  Dieu  semblait  Tavoir  désigné,  par  «  grant 
«  signe  d'amour  »,  au  rôle  glorieux  qu'on  attendait  de  lui  et 
auquel  il  ne  pouvait  se  dérober. 

Il  était  facile  H e  préparer  l'expédition  sans  donner  l'éveil; 
la  levée  d'une  armée  â  Chypre  s'expliquait  par  l'éfat  de 
guerre  existant  entre  Janus  et  le  soudau;  faisant  voile  ver* 
Rhodes,  celle-ci  opérait,  sans  exciter  aucun  soupçon,  sa 
jonction  avec  les  troupes  génoises  â  Chaslel  Rouge*,  et  de 
là  les  forces  coalisées  se  dirigeaient  sur  Alexandrie.  Des 
émissaires  cliypriotes  ou  arméniens,  envoyés  dans  cette  der- 
nière ville,  pouvaient  servir  utilement  les  projets  des  Chré- 
tiens et  les  informer  sûrement  des   mouvements  de  Tcnnemi. 

Le  maréclial  estimait  les  forces  nécessaires  à  l'entreprise 
à  mille  li'unitirs  irariiics  «  de  bonne  estoffe  »,  mille  valeU 
armés,  niillo  arbalétriers,  deux  cents  archers  et  deux  cents 
rhevaux;  pejur  les  transporter  il  fallait  cinq  grands  bâtiments, 
deux  galères  et  deux  galères  de  transport  (huissiers),  appro- 
visionnées de  vivres  pour  six  mois.  Les  frais,  pour  une  cam- 
pagne de  quatre  mois,  devaient  s'élever  â  cent  trente-doux 
mille  tlorius  environ.  Il  était  juste  «[n'en  pareil  cas  Janns, 
uuquol  tout  l'honneur  du  succès  était  réservé,  pay.-^t  lu  moitié 
(le  cette  somme,  et  que  l'argent  parvint  au  plus  t*')!  â  G^ne.s 
pour  permettre  aux  armemenis  de  se  faire  durant  l'hiver,  et 
à  l'expédiLiot»  de  piviidre  la  mer  eu  avril  I  i08. 

Dans  lu  pejiséê  de  liiuicicaut,  la  coopération  de  Janu»  de- 
vîiit  être  avant  tout  pécuniaire.  Il  savait  qu'on  ne  pouvait  rien 
attendre  d'autre  de  ce  prince.  Les  ressources  militaires  de 
file  étaient  resti'einles  ;  eu  outre  les  Génois  y  étaient  mal 
vus  et  les  Chypriotes  se  souciaient  fort  i)eu,  sous  le  prétexte 
d'une  camjiagne  contre  l'Egypte,  d'un  débarquement  nombreux 
^^    de  ces  derniers  û  Chypre,   Aussi  le  maréchal  s'empressait-il 

W  I.  Probablement  A*«/art/ >Vinimowr,  entre  Tortoso  et  le  Chastel  Blanc, 

r 


janus  refuse  son  concours, 


5U9 


deraâsurer  Janus  sur  ce  doriiior  point,  en  afHrmant  (juo  le 
gros  de  l'arméo  se  composerait  d'élêineutâ  français.  Il  laissait 
au  roi  toulo  latitude  d'augmenter  la  proportion  des  contin- 
gents chypriotes,  car  «  do  tant  que  plus  y  inottroil,  de  tant 
<  prendroit-il  plus  en  butin  ». 

Les  ambassadeurs  reçurent  k  la  cour  de  Chypre  l'accueil 
le  plus  cordial.  Flatté  d*'s  ouvertures  qui  lui  étaient  faites  et 
des  l'iuanges  que  lui  adressait  le  maréchal.  Janus  déclara 
qu'il  «  ne  le  povoit  asMoz  louer  ne  remercier  à  la  centiesnio 
«  partie  de  ee  forant  ln'nofice,  no  jamais  faii*e  chose  qui  y 
€  peust  souilire  »'.  Il  montra  le  plus  grand  désir  d'accepier 
les  propositions  de  Bouoicaut,  et  diMuanda,  avant  de  rlontier 
une  réponse  définitive,  a  prendie  l'avis  d'un  doses  consfillers 
les  plus  écoutés.  Perrin  lo  Jeune.  Ce  dernier  avait  joué,  au  mo- 
ment de  la  campagne  de  HOU,  en  qualité  de  représentant  du 
roi  à  Venise  ei  à  Gènes,  un  rôh*  consi<lorable,  et  ses  conseils 
avaient  la  plus  faraude  influence  sur  l'ospril  do  Janus. 

Perrin,  mis  au  courant  des  projets  d'oxpédition,  dissuaila 
son  souverain  d'y  donner  suite;  il  fit  valoir  des  arguments 
qui  modifièrent  les  dispositions  de  Janus,  et  les  plénipoten- 
tiaires ne  tardèrent  pas  à  s'apercevoir  de  ce  chaugemeut.  hv 
roi,  fort  embarrassé  de  revenir  sur  ses  premières  déclarations, 
refusaitde  se  prononcer  calégori(iueiuent,  et  «  autre  fois  faisoit 
«  response  assez  froide,  pour  les  doubles  que  il  y  mettoit  », 
Jean  de  Vogou  et  d'Ony,  lassés  de  tant  d'hésitations,  insis- 
tèrent pour  obtenir  ime  .solution;  elle  leur  l'ut  entin  données 
(2i  octobre  1407j'.  Janus  refusait  absolument  le  concours 
qu'on  sollicitait  de  lui  ;  il  mettait  en  avant  sa  jeunesse  <  qui 
«  excusoit  sou  petit  sens  »,  et  en  protestant  de  son  amilié 
inaltérable  pour  le  maréchal,  il  se  déclarait  incapable  de 
laisser,  en  vue  d'une  entreprise  lointaine,  son  pays  exposé 
aux  incursions  des  Turcs,  aux  menées  <Ies  partis',  aux  leii- 
tativcs  génoises,  que  l'éloignement  de  Bouoicaut  rendait  pos- 
sibles, et  que  les  Chypriotes,  instruits  par  une  cruelle  expé- 


1.  Livre  dis  faitt,  m,  chap.  xvn,  p.  663. 

2.  Livre  de*  faits,  tu,  chap.  xvur,  p.  664. 

a.  «  Car  il  [Janits]  savoit  bien  que  lui  parti  de  son  pays,  il  y  eu  avuit 
maint  par  aventure  que  on  culderoit  qu'ilz  fussent  ses  meilleun» 
amt8,  mais  que  à  ta  guise  de  par  delà  on  ne  doit  avuir  fianco  ne  «s 
faindroient  mie  de  lui  Wllir  sa  seigneurie,  et  ainsi  puurroit  perdre 
le  seur  pour  le  non  aeur  >  {Livre  des  faits,  nr,  chap.  xvni,  p.  665). 


510     DERNIERS  PROJETS  KT   EXPKDITIONS   DE  BOUClCAlîT 


rience,  redoutaient  plus  encore  que  les  Musulmans  cl  les 
(langera  intérieurs. 

Los  ainbnssïulptirs  se  Iintèrcnl  ili^  retourniT  â  tn-ncs  junhT 
celte  mauvaise  nonvoUe  au  maréchal'.  Cohii-ci  était  bien  loin 
de  s'atteutU'o  à  un  pareil  résultat  ;  lea  assurances  de  Lescure 
lui  avaient  fait  espéror  une  tout  autre  réponse.  Grégoire xii 
(i)  novombiv  1  iOTj,  sollicité  parSif^isunrnil,  veuait  d'exhorter 
les  fidèles  à  se  croiser  contre  les  Tui'cs  à  la  suite  du  roi  He 
Hongrie,  et  ce  réveil  de  l'esprit  des  croisades  semblait  d'un 
bon  augure  pour  l'expédition  projet<?e*. 

Le  dépit  de  Boiuicaul  fut  extrême;  il  ajourna  ses  projets 
à  des  temps  meilleurs,  et  «  le  bon  champion  de  Jhesu  Christ, 
«  qui  est  de  euer.  de  voulenté  et  de  fait  le  droit  persécuteur 
«  (b^s  mescreans  »\  tourna,  non  sans  regret,  son  attention 
et  son  activité  du  côté  drs  événements  qui  agitaient  la  pénin- 
sule italique. 

L'occasion,  cependant,  de  combattre  les  Musulmans  se 
présenta  bientôt,  sans  que  le  marôclial  la  clu'iohât.  Ce  ne 
fut  pas,  à  vrai  dire,  une  expédition  régnlièi'e.  mais  nne  attaque 
isolée,  un  d<'  rrs  cnnps  de  main  si  propres  ù  faire  écbiler  les 
qualités  militaires  et  la  bravoure  de  Houcicaul.  Ce  dernier 
s*élait  embarqué  à  Gènes  (20  septembre  M08)  â  destination 
des  côtes  de  Provence;  il  allait  <  voir  sa  b<mne  et  belle 
<  femme  et  visiter  sa  terre  »  l<(rs(|ue  pendant  la  traversée 
on  lui  signala  la  présence  de  quatre  galères  maures*.  Sa  ré- 
solution fut  aussitôt  prise,  et  cpioique  n'ayant  qu'un  bâtiment 
â  op])oser  aux  quatre  vaisseaux  ennemis,  il  se  prépara  au 
combat,  mais  la  nuit  tombait  et  BoucîcauU  pour  attendre  le 
jour  et  des  nouvidles  précises  des  San'asins,  relâcha  à  Porto 
Mauri/.ioV 

Les  Maures  avaient  jeté  l'ancre  devant  le  cliâteau  de  Elo- 
quebruneV  et  «  semblant  ne  faisoient  d'culx  eu  aler  ».  Le 


1.  Ils  repassèrent  par  Rhodes.  Le  "  novembre  1407,  Je  grond-maltre 
fiutorisnit  Jean  de  Vogoa  ù  ijuittcr  Uliodos  [)ûur  rOccidcnt  lArch.  de 
Malte,  Hey.  liitti.  Atag.^  xix,  56). 

2.  Tlieiner,  Vetera  mofittm.  ht'êt.  I/iitufnriam  iUuêtrantia,  n, 
179-80. 

3.  livre  det  faits,  m,  ehap.  x.\i,  p.  6611. 
^.  Livre  ttes  faits,  m,  chap.  xxi,  p.  669. 

5.  Port  de  la  rivièrp  du  Ponont,  cnti-n  Savone  et  .Menlon. 

6.  Entre  Menton  et  Monai'o. 


ATTAQl'E   I*  f.NE   ESCADIIK   MAl'RE   A   Vrl.l.EKIlANCnB. 

londomain.  lo  maréchal,  informé  de  leur  position,  n'hésita 
pas,  malgré  riufériorilé  du  nombre,  malgré  les  craintes  ex- 
primées par  les  plus  vaillants.  i\  ordonner  l'attaquu.  Nous 
verrons,  dit-il  â  ses  compagnons,  ce  que  vous  saurez  faire. 
«  Voicj  bien  àbesongner,  mais  es  fortes  besongnea  acquiert- 
<  on  le  grant  honneur»*;  puis  il  prit  ses  dispositions  de 
combat. 

Sa  galère  comptait  cinquante  arbalétriers;  il  désigna  le 
poste  de  chacun  d'eux.  Lui-même  so  plara  à  la  poupe;  à  ses 
wMéft  étaient  messine  Choloton ',  le  seigneur  de  Môntpesat\ 
Guillaume  de  TholignyS  les  Génois  Pierre  Cassagoe  et 
Thomas  Pansan.  A  l'amère,  il  fit  mettre  Jean  d'Onv*.  Macé 
de  Rochebaron*,  les  bàtirds  do  Varanes  et  d'Auberons.  Louis 
de  Milly  ot  plusieurs  autres  furent  chargés  de  défendre  les 
flancs  du  navire. 

Quand  le  maréchal  arriva  devant  Hoquebruue,  «  sur  l'heure 
«  de  vespres  >,  les  Sarrasins  n'y  étaient  plus;  ils  avaient 
gagné  le  ptirt  de  Villefranche*.  Roucicaut  se  met  à  leur  pour- 
suite sans  retard,  et  les  rejoint  une  heure  avant  le  coucher 
du  sdleil;  l'ennemi  n'ose  soutenir  le  choc,  coupe  en  toute 
hAte  les  amarres  des  bâtiments  et  cherche  à  fuir.  La  pour- 
suite recuuimence.  plus  acharnée  que  jamais;  Boucicant 
atteint  enliii  les  Maures,  au  moment  'n'i  le  jour  tombe,  â  la 
hauteur  de  Nice.  «  Si  furent  durement  envayis,  dit  le  chroni- 


i.  Livre  rfr*  /ViiM,  p.  m,  chap.  xxr,  p.  *Hi9. 

t.  Il  8'était  déjii  distingué  pendant  la  campagne  de  Syrie.  V.  plus 
haut,  page  W\. 

3.  Amcnyon,  sire  de  Montpesat  (Lot  et  Garonne,  arr.  Agen,  CAnt. 
de  Prayssas;,  était  ècuyer  et  chambellan  du  duc  d'Orléans,  et  fut  Aé- 
signé  en  l'»03  pour  arcompa^ner  ce  dernier  en  Lombardie.  Plus  tard, 
il  planait  en  outre  !e«  titres  de  seigneur  de  Madillan,  de  cfiRvnlipr,  do 
con&eiller  et  do  chambellan  du  roi,  et  occupa  soiisOiarles  vi  la  cli.irpe 
do  guuvorneur  des  »énéctiaut>»éeh  d'AgenaU  et  de  lia»cogne.  Il  vivait 
encore  on    1430    (Bibl.   nat.,   pièces  originales,   vol.    2007,  nu   mot 

»IOSTeKZ\T). 

4.  Voir  plus  haut,  p.  440, 

5.  Voir  plus  haut,  p,  368  et  Uû. 

(î.  Macé  de  Hui.'liebaron,  seigneur  de  Dors,  ('■[>ou)îa  Ala»ie  de  Rous- 
sillon.  Il  eut  deux  fiU:  Jean,  mort  san.t  postf^rïté,  et  Antoine,  ècuyer 
tranchant  du  duc  de  l^urgugne  Philippe  le  lion  (Bibl.  nat.,  eab.  dn* 
titroH,  piéres  originales,  vol.  2512,  au  mot  niiciitu\RON|. 

7.  Au  fond  du  golfe  de  ce  nom,  non  loin  et  à  l'est  de  Nice, 


512     DERNIERS  PROJETS   ET  KXPKDmoNS  DE  BOUCICAUT. 

«  queur  du  luaréchalf  et  là  ot  fait  de  moiiIt  belles  armes  et 
<  uioult  si  esprouva  bien  chacun  en  droit  soy.  Mais  pour  ce 
«  que  lonc  seroit  à  dire  les  fais  que  chacun  y  fist,  vous  dis 
*  icmt  en  un  monl  que  l'œuvre  loue  le  laaislre  »*,  Ce  fut  une 
horrible  luerie  qui  dura  toute  la  unit;  incapables  de  fuir,  les 
infidèles  se  défendaient  avec  le  courage  du  désespoir;  ils  per- 
dirent une  centaint?  des  leurs,  que  la  nior  jeta  le  lendemain 
sur  le  rivage.  L'affaire  avait  été  si  chaude  que  les  arbalétriers 
avaient  tiré  sept  grosses  caisses  de  viretons*. 

La  jnurnée  du  lendemain  se  passa  tout  entière  à  com- 
battre. L'ennemi  manueuATait  pour  se  retirer;  il  atteignit  rie 
la  sorte,  vers  le  soir,  les  Iles  d'IIjtères,  et  s'y  réfugia,  tandis 
que  le  maréchal  relâchait  au  pied  du  chiiteau  de  lirégaiiçou'. 
sur  la  côte  de  Provence,  en  face  des  îles.  Mais,  pendant  la 
nuit,  les  Sari'asins  levèrent  secrètement  l'anci'e  et  reprirent 
la  route  d'Afrique.  L'attaque  dn  maréchal  leur  cofttait  plus 
de  quatre  cents  liommes  *  que  mors  qur  affoliez  »,  pour  ces 
deux  journées,  tandis  que  les  perles  des  Chrétieus  ne  .s'éle- 
vaient qu'à  dix-neuf  hommes  tués  et  blessés. 

Le  snccès  était  complet.  Boucicaut  débarqua  à  Toulon,  se 
félicitant  d'avoir  eu  l'occasion  de  courir  sus  aux  infidèles  : 
mais  un  coup  de  main,  quelque  heureux  qu'il  pût  être,  iio 
compensait  pas  rexpédition  projelét»  contre  Alexandrie. 
Celle-ci,  déjà  très  difficile  à  entreprendre  au  moment  où  le 
maréchal  avait  sollicité  le  concours  de  Janus,  ne  tarda  pas  à 
devenir  in'éalisnble.  Les  événement.s  se  précipitèrent  en 
Italie:  Tcxpulsion  des  Krau^ais  de  Gènes  (1400)  et  bientôt 
de  toute  la  péninsule  entrahia  la  retraite  du  maréchal.  Rentré 
en  France.  Boucicaut  trouva  le  roi  dominé  par  la  faction 
bourguignonne.  Attristé,  assombri  par  d4;s  chagrins  de  fa- 
mille, il  se  retira  dans  le  Languedoc,  dont  Charles  vi  lui 
avait  confié  le  gouvernement  (Iil3).  Deux  ans  après,  l'ex- 
pédition que  le  roi  d'Angleterre  préparait  contre  la  France, 
et  qui  aboutit  à  la  catastrophe  d'Azincourt  (lil?»),  lui  remit 
les  armes  à  la  main  et  lui  coûta  la  liberté.  Prisonnier  eu 
Angleterre,  il  ne  tai'da  pas  â  succombei*  aux  douleurs  que  lui 


1.  Livre  des  faits,  p.  m,  chap.  xxi.  p.  670. 

2.  On  appelait  de  ce  num  les  traits  d'arhalètett. 

3.  Aujourd'hui  fort  de  Drégançon,  à  l'extrémité  orientale  de  la  rade 
d'Hyèrt's. 


MORT   DU   MARECHAL.  5lB 

infligeaient  rabaissement  de  sa  patrie  et  les  rigueurs  de  la 
captivité  fl421).  Les  projets  de  croisade,  auxquels  il  s'était 
exclusivement  consacré  pendant  tant  d'années,  et  qui  se  per- 
sonnifiaient en  lui,  furent  définitivement  ajournés.  Les  dé- 
sastres du  royaume  permettaient-ils  de  les  reprendre  ?  Pou- 
vait-on même  songer  à  une  intervention  à  laquelle  l'âme  et 
le  bras  venaient  de  manquer  tout  à  coup? 


CONCLUSION. 


Le  récit  des  expéditions  du  maréchal  Boucicaut  nous  a 
conduit  jusqu'aux  premières  années  du  w"  siècle,  à  la  veille 
de  la  catastrophe  qui,  en  enlevant  Gènes  à  la  France,  porta 
A  l'intluencc  de  cotl^  rlt^rnitVo  on  Orient  un  coup  mortel.  Au 
tcrmo  do  notre  élude,  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  jeter  un 
coup  d*œil  en  arriére  et  de  constater  si  les  résultats  acquis 
répoDdent  aux  efforts  déployés  et  au  but  poui-suivi. 

Il  est  mallieureusement  trop  facile  de  se  convaincre  du  con- 
traire. La  première  moitié  du  xiv*  siècle  s'écoule  sans  que 
les  projets  et  les  préparatifs  de  croisade  donnent  naissance 
à  aucune  tentative  sérieuse;  plus  tard  la  chrétienté  semble 
entrer  résolument  dans  la  voie  des  expéditions,  et  l'on  peut 
espérer  qu'elln  frappnra  de  grands  coups.  Il  n'en  est  rien 
cependant;  les  vues  politiques,  les  desseins  à  longue  portée 
cèdent  devant  lardeur  belliqueuse  d'une  bouillanle  cheva- 
lerie, qui  veut,  on  quelques  mois,  se  <  saoïMer  »  de  coups  de 
lance  et  d'épôe,  et  rentrer  en  Occident  quand  sou  bras  sera 
las  de  frapper.  Ce  ne  sont  ni  la  croisade  d'Aïuédée  de  Savoie 
ni  l'aventure  du  duc  de  Bourbon  en  Barbarie  qui  retarderont  lo 
cours  des  événements  et  entrave  font  lo  développement  de  la 
puissance  musulaiiiDO.  Les  expéditions  de  Boucicaut,  raaifn-ê 
l'intrépidité  avec  laquelle  elles  furent  accomplies,  n'échappent 
pas  â  la  même  critique.  Il  n'y  a  d'exception  que  pour  leis 
croisades  du  roi  Pierre  de  Chypre  et  du  comte  de  Nevers. 
Attaquer  l'islamisme  en  Egypte,  ou  arrêter  du  côté  de  la 
Hongrie  Tinvasion  ottomane,  étaient  des  desseins  politiques 
dont  le  succès  pouvait  avoir  les  plus  sérieuses  conséquences; 
mais  à  .\lexandrie,  des  considérations  d'ordre  supérieur 
commandèrent  la  retraite;  A  Nicopolis,  l'outrecuidante  témé- 


CONCLUSION. 

rite  de  la  chevalerie  française  corapromit  les  plus  belles 
espérances  et  amena  un  désastre  sans  précédent;  en  résumé, 
aucun  avantage  délinitif  ne  fut  obtenu.  Peut-on,  en  effet, 
faire  entrer  ea  ligne  de  compte  quelques  châteaux  momenta- 
nément occupés,  quelques  ports  saccagés»  quelques  bâti- 
ments sarraîiins  capturés  ou  coulés  à  fond?  Les  contem- 
porains se  sont  mépris  sur  la  portée  du  mal  fait  aux 
inhdèles;  mais,  loin  des  événements,  il  nous  est  impossible 
départager  leur  erreur.  Un  capitaine  du  xiv"  siècle  pouvait 
se  flatter  d'avantages  pariiels.  nchetés  au  prix  de  la  plus 
intrépide  valeur,  et  se  persuader  qu'ils  sufïlsaient  à  arrêter 
les  progrès  du  Croissant.  Mais  pour  nous  l*illiision  cesse  ;  ces 
faits  prennent,  dans  l'ensemble  de  l'histoire  des  croisades, 
leur  signification  exacte  et  leur  valeur  réelle.  Nous  consta- 
tons que  le  monde  musulman,  malgré  les  efforts  de  l'Occident 
chrétien,  ne  s'arrèle  pas,  pendant  le  xiV  siècle,  dans  la  voie 
des  conquêtes,  et  ne  cesse  de  s'établir  chaque  jour  plus  soli- 
dement, en  Europe.  A  peine  celle-ci  parvient-elle  à  retarder 
de  quelques  années  lo  trioniphe  des  Ottomans  :  résultat  hors 
de  proportion  avec  les  sacrifices  de  toute  nature  que  la 
chrétienté  s'est  imposés  durant  plus  d'un  siècle. 

L'événement  ne  tarda  pas  â  démontrer  la  fragilité  dea 
succès  dont  se  prévalaient  les  Chrétiens,  A  peine  Boucicaut 
a-t-il  disparu  que  les  victoires  musulmanes  se  succèdent  sans 
interruption  :  ('hypre  et  son  roi  tombent  au  pouvoir  des  infi- 
dèles (1425-1  i'JG).  Ih  route  du  Saint  Sépulcre  est  fermée  aux 
pèlerins,  RUodes  est  menacée  (M î4j.  Les  efforts  des  Hospi- 
taliers et  d'une  escadre  envovée  par  le  duc  de  Bourgogne 
dons  les  mnrs  du  Lovant  dégagent  l'île,  mais  n'empêchent  pas 
Conslantinople,  quelques  années  plus  tard  (1453),  de  succom- 
ber et  d'ouvrir  ses  portes  à  Mahomet  ii. 

La  prise  de  ron.s1antino]jle.  comme  jadis  celle  de  Saint 
.îean  d'.Vere.  remplit  rO<cirlrnt  de  iorreur  et  réveille  un 
instant  l'enthousiasme  d'autrefois.  Philippe  le  Bon  ^février 
1454)  prononce  à  Lille  le  vœu  du  Faisan;  à  son  exemple,  toute 
'la  noblesse  prend  la  croix,  le  Saint  Siège  appelle  aux  armes 
B]a  Hongrie  et  l'Allemagne,  mais  la  première  seule  s'arme  pour 
défendre  sa  frontière  menacée.  Calixte  m  et  Pie  ii  sont  im- 
puissants à  entraîner  l'Italie  dans  une  ligue  générale.  Les 
Hongrois,  cependant,  entrent  en  campagne  et,  conduits  par 
leur  roi  .Toaii    Ilunyade,  défendent   heureusement  Belgrade 


516 


CONCLUSION. 


contre  lea  atiaques  des  Turcs  (1156),  tandis  que  la  flotte  pon- 
tificale remporle  f|i]elques  succès  dans  la  mer  Egée. 

Le  duc  de  Bourgogne  ae  dt^ciile  enîîii  à  8*acquitl('r  de  son 
vœu  ;  les  cours  itiUieunes  semblent  prèles  â  le  suivre,  Venisfî 
et  Scanderberg  ont  promis  leur  concours.  La  mort  de  Pio  ii 
à  Ancùne  (liGi),  à  la  veille  du  départ,  remet  tout  on  cause; 
les  coalisés  se  dispersent»  et  la  liotte  bourguignonne  se  nitiro 
â  Marseille. 

Il  faut  un  nouvel  exploit  dos  Turcs,  la  prise  de  Négrepont, 
pour  grouper  un  instant,  à  l'instigation  des  Vénitiens,  dans 
une  même  action,  Venise,  Florence,  le  Saint  Siège,  les  rois 
d'Aragon  et  de  Naples,  les  Hospitaliers  et  ie  roi  do  Perse 
(l'iTO);  mais  l'union  de  ces  puissances  ne  suffit  pas  à  arrêter 
les  Ottomans  qui  mettent  le  siège  devant  Ubodes  (1480).  La 
place  nVst  sauvée  fjue  parles  efforts  héroïques  de,s chevaliers 
et  du  grand-maître,  Pierre  d'Aubussoti,  qui  se  couvre  de 
gloire  à  leur  iète.  L'Occid<mt  n'a  envoyé  au  secours  de  Tordn^ 
menacé  (jae  quelques  cuuibattîmis,  venus  individuellement 
partager  le  péril  de  leurs  frères  d*armes«  et  des  subsides 
pécuniaires  dont  le  pape  Sixte  iv,  à  Tinstigatiou  du  mi  de 
France  Louis  xi,  a  prescrit  la  levée. 

La  France  est  toujours  au  premier  rang  pour  combattre 
les  Turcs,  et  défentire  l'Occident  contre  leurs  empiétements. 
Au  xV  sièclo  elle  est  tidèle  à  co  vd\e  protecteur;  Philippe  In 
Bon  et  Louis  xi  s'inspirent  de  cette  politique;  Charles  viii, 
partant  pour  la  conquête  du  royaume  de  Naples,  rêve,  après 
l'avoir  soumis,  de  tourner  ses  armes  victorieuses  contre 
Constantinople,  et  ce  dessein  le  décide  à  descendre  en  Italie. 
Ltmis  XII,  j'i  l'appel  d'Alexaiidn*  vi  (1500),  envdit*  dans  la 
Méditerranée  une  escadre,  comiiiaadée  par  I^hilippe  di'  Clèvos 
Ravestein,  pour  la  joindre  contre  les  infidèles  aux  marines 
du  pape  et  du  grand-maître  de  Rhodes.  .\ux  projets  de  ligiio 
universelle,  dont  Léon  x  est  l'âme  [\')\lj,  François  i  répond 
par  la  promesse  d'un  corps  d'armée  considérable,  ot  la  croi- 
sade trouve  en  lui  un  zélé  partisan, 

Mais  cette  promesse  est  la  dernière  manifestation  de  cett<^ 
tradition  séculaire.  La  lutte  contre  la  maison  d'Autriche,  en- 
Irepriso  par  François  i.  amène  un  chaugcmenl  radical  dans 
la  politique  frangaiso;  les  rois  irès  chrétiens,  |Mtiir  résister  À 
Charles  Quint  et  à  ses  successeurs,  s'unissent  intimement  à 
la  Porte,  et  désertent  la  défense  des  intérêts  calholiqucs  eu 


CONCLUSÎOX 


51' 


Orient.  Cette  mission,  abandonnée  par  la  France,  est  reprise 
au  xvi**  siècle  par  TEspagne  et  l'Empire.  C'est  Charles  Quiut 
(1530)  qui  donne  Malte  aux  Hospitaliers,  chassés  do  Rhodes 
en  1523;  c'est  sa  marine  qui  soutionl  leurs  efforts  aux.  pre- 
miers temps  de  leur  établissem^^nt  au  centre  de  la  Médi- 
terranée; grâce  à  lui,  la  Goulefte  est  emportée  (1535)  et 
l'ordre  délivré  du  redoutable  voisinage  du  corsaire  Barbe- 
rousse;  lui-même  déb.irque  à  deux  reprises  en  Afrique  et 
tourne  ses  forces  contre  Alger  [I5'il]  et  contre  El  Mahedia 
(1550);  du  côté  de  la  Hongrie  il  entïvtient  avec  la  plus  per- 
sévérante opiniAtrcté,  contre  les  Ottomans,  la  lutte  qu'à 
son  exemple  les  empereurs  d'Allemagne  continueront  après 
liû. 

Quand  le  Croissant  menace  Malte  et  réduit  l'île  aux  der- 
nières extrémités,  le  salut  vient  encore  de  Philippe  n,  roi 
d'Espagne,  et  les  secours  amenés  par  le  vice-roi  de  Sicile 
(septembre  1505)  obligent  les  Turcs  à  lever  le  siège  et  à 
n^preudre  le  chemin  de  l'Orient.  Mais  la  défaite  des  meilleures 
troupes  ottomanes  crie  vengeance,  et  Sélim  entreprend  la 
conquête  de  l'ilo  de  Chypre.  Nicosie  et  Faïuagonste  tombent 
en  son  pouvoir;  li's  Véuiliens  sont,  impuissants  à  arrêter  le 
iorreul  musulman  (I5G0).  En  même  temps,  l'escadre  de 
l'ordre  est  détruite  par  le  cursaii'e  Lucoliiali  eu  vue  des 
côtes  de  Sicile  (ir»70).  Devant  rimmirieuce  du  danger  une 
ligue  générale  se  forme;  elle  comprend  Venise,  le  Saint- 
Siège,  les  chevaliers  tle  Mal(^  et  l'Espagne,  C-etto  dernière 
eal  à  la  tète  de  lu  coalition,  et  Don  Juan  d'Autriche,  frère  de 
Philippe  iT.  [ireml  \v.  commandement  supivme  de  la  flotte,  la 
plus  fcirte  (|ue  la  chrélituilè  ait  jamais  rassemblée  contre 
l'ennemi  ctuumun.  Lm  choc  a  lieu  sur  les  eotes  de  Morèe. 
dans  le  golfe  de  Lépante  (7  octobre  1571).  La  victoire  des 
alliés  est  complète  ei  remf>lit  l'Europe  entière  d'allégresse  »»t 
il'e.spérance. 

La  Iiataille  de  Lépante  marque  la  lin  des  guerres  ivligienses 
en  Orient;  on  se  méprendrait  étrangement  en  attribuanl  ce 
résultat  au  stircès  i'tnn]»oi-tè  par  les  (luttes  chivtieunes.  Quelquo 
brillant  f|u'il  ait  pu  être,  sullisait-il  à  refouler  l'isliimisme?  Il 
faut  chercher  ailleurs  l'explication  de  ce  fait.  Inaugurée  \mv 
Fran<;oisi,  ralliaute  politique  de  la  France  avec  la  Porte  s'est 
développée  et  consulidée  durant  prés  d'un  demi-siedi*  ; 
après  Lépante,  elle  est  assez  réelle  pour  rendre  ilésormais 


1