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FRANCE EN ORIENT
AU XIV^ SIÈCLE
EXPÉDITIONS DU MARÉCHAL BOUCICAUT
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J. DELAVILLE LE ROULX
ARCHIVISTE PALÉOGRAPHE
A^Cle» MEMBRE DE L'ACOLB FRANÇAISE DE ROME
UOCTEUn ÉS-LETTRES
PARIS
ERNEST THORIN, ÉDITEUR
-IimAIRK DKS ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈSES ET DE ROME
nu r.ol.LkUK DR l-'ItANCE ET DE I.'fiCOLB nOBHALE SUPÉRIEURE
7, RUE DE HÉDICI8, 7
188ti
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BIBLIOTHÈQUE
DBS
ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME
FASCICULE QUARANTE-QUATRIEME
LA FRANCE KN ORIENT AU XIV' SIÈCLE
Par J. Deiatilt.e Le Houlx
I.
A MA MÈRE
145715
TABLE DES MATIÈRES
iNTROmCTIOX 1
LIVRF I. — PROJETS ET TENTATIVES (1290-1350).
Soi'ncKS du livre i Il
CiiAPïTRK I. Chute de Saint Jean d'Acre. — Efforts et projets
de Nicolas iv Ï3
— îi. Raymond Lull et Marino Sanudo 27
— III. Expédition de Charles de Valois 40
— IV. Projets de PliiHppe le lîel 48
— V. Routes d'Arménie et de Constantinople. — Golfe
Persique 64
— VI. Philippe le Long et Charles le Bel 78
— vu. Philippe de Valois. — Directorium de Brochard. 86
— viM. Ligue générale. — Humbert de Viennois 103
LIVRE IL — TENTATIVES (1350-1396).
Sources du livre h 113
Chapitre i. Croisade de Pierre i, roi de Chypre 119
— II. Croisade d'Amédée vi 141
— m. Boucicaut et le comte d'Eu en Palestine (1388-89) 159
— IV. Expédition de Barbarie (1390) 166
— V. Philippe de Mézières. — Son influence 201
LIVRE IIL — MCOPOLIS (1396).
Sources du livre m 211
Chapitre i. Progrès des Turcs. — Chevauchée du comte d'Eu.
— Ambassade du roi Sigismond en France 221
— II. Préparatifs de départ de l'armée franco-bourgui-
gnonne. — Autres alliés de Sigismond 233
— m. Marche de l'armée franco-bourguignonne. — Con-
centration et mouvement oITensif des croisés.
— Siège de NicopoUs , 246
— IV. Etat et force des deux armées 263
— V, Bataille de Nicopolis 270
Pagei.
Chapitre vi. Sort des prisonniers. — Retour de Sigisraond en
Hongrie. — Nouvelles de la défaite en France. 282
— VII. Coup d'oeil sur la campagne 293
— VIII. Délivrance et retour des prisonniers 300
— IX. Paiement de la rançon 321
LIVRE IV. - CONSTANTINOPLE (1397-1402).
Sources du livre iv 327
Chapitre i. Effet moral produit en Europe par la victoire des
Turcs 329
— II. Campagne des Turcs en 1397. —Manuel demande
du secours en Occident 349
— III. Expédition de Boucicaut 359
— IV. Campagne de Boucicaut à Constantin ople 369
— V. Retour de Boucicaut. — Voyage de Manuel en Oc-
cident 376
— VI. Rapports de Tamerlan avec les chrétiens. — Ba-
taille d'Ancyre 384
LIVRE V. - MODOX (1403-1408),
Sources du livre v 399
Chapitre i. Boucicaut, gouverneur de Gènes. — Difficultés
avec le roi de Chypre 403
— 11. Premières difficultés entre Gènes et Venise 412
— m. Départ du maréchal de Gènes. — L'Escandelour.
— Paix avec le roi de Chypre {avril-juillet 1403). 421
— IV. Campagne de Boucicaut en Syrie (fin juillet-
août 1403) 436
— V. Bataille de Modon. — Retour du maréchal à Gênes
(octobre 1403) 447
— VI. Négociations. — Accord du 22 mars 1404 458
— VII. Elargissement des prisonniers 470
— vrii. Exécution du traité. — Cartel de Boucicaut. —
Rappel de l'ambassadeur vénitien 475
— IX. Fin des négociations. — Paix du 28 juin 1406. . . . 482
— X. Arbitrage du 9 août 1408 498
— XI. Derniers projets et expéditions de Boucicaut (1407-
1408) 505
Conclusion ■. 514
INTRODUCTION
Ou s'est, depuis de loiif^ues anuées, habilut^ à arrêter;
à Ifl prist^ de Saint Jean d'Acre (l'2'Jl) Thistoire des croi-
Rîides, e4 à considérer cet événement comme la ruine
définitive des i^talilissements latins en Terre Sainte. Rien
n'est plus arbitraire qu'une pareille limite, née de la lassi-
tude dos historiens, et en contradiction avec les faits, La
nouvelle école historique, qui s'est donné la tûche de re-
nouveler l'étude des croisades', réagit contre cette ten-
dance, et le présent travail est né du même sentiment. Le
mouvement, en eliet, qui entrain;», durant deux siècles,
rOccident aux Lieux Saints, était tn>p considérable pour
cesser brusquement par la catastrophe de Saint Jean
d*Acrc ; la chute de cette pince, depuis loiigtcnijts prévue
par les esprits clairvoyants, ne découragea pas les espé-
rances des Chrétiens de relever un jour le royaume de
Jérusalem, car st la Syrie paraissait définitivement perdue,
il restait encore on Orient doux royaumes chrétiens, celui
de Chypre et celui d'Arménie, assez puissants Tun et l'autre
pour fournir de solides points d'appui aux futures reven-
dications des Latins.
I. A la \Hc de <^e mouvement liistorifiue s'est plar(^e \û Son<*té de
l'iPrittit tnlin qui, depuis bU fundatiuri |tK75)^ muh l'impulsiua tWier-
f^qiie dr M. le conito Hiaiit, a pruu]»)'* touK les t^rutlit» qui font do
rhifctuire des TruLsados l'ohjet di* [cnra i^tudt'îi. Les résultuls consi-
di'^rnhles ohlennii depuis dix ans sont ic présa^rc d'une rénovation
complète des idros f|ui ont eu jusqu'à présent eours en ces matières.
I
INTROOlICTlôN.
Le xiv' sitNcIo, Umi entier, se pr(5occupr de la question
d'Orient, et la France est la première i\ se passionner ptMU'
une intervention, de joui' en jour plus difTEicile à réaliser ;
les projets d'expédition, cependant, sp succèdent sans in-
terruption: souvent nnM]ie ils sont suivis d'effet, et les che-
vauchées «le Pierre di' Liisignan. d'Amédée de Savoie, du
duc de Bourbon et du niaréfhal lîoucicaut, — pour ne citer
que les plus importantes. — protestent contre une opinion
jusqu'à présent admise sans résen^e.
Avant de mettre en lumière ces projets et ces ten-
tatives, — objet de notre travail, — il importe d^étudier
les sources auxquelles nous avons puisé, et d'en indiquer
ici en quelques mots la valeur et l'étendue.
1.
On peut grouper en trois grandes classes les docu-
ments que nous avons employés : la première comprend
des mémoires qui, sous une forme ^éuéruleuient cnncisL-,
contiennent l'opinion persoimelle de leurs auteurs sur In
conduite A. tenir en Terre Sainte; dans cette catégorie
rentrent tous les j)roj(Hs de croisade émis au xiv" sièclt*.
Dans une seconde division se placent les. pièce^t diplf*-
tnnhijues et les teuvres qu'elles ont inspirées ; dans une
troisième, les témoignages des chroniqueurs. Dans quelle
mesure chacune de ces trois classes de documents a-t-elle
été utilisée ? Quelle créance avons-nous accordée à telle
chronique^ Par quels mnliCs avons-nous rejcUé le U'rnui-
gnage de telle autre? Quel parti avons-nous tiré d'un do-
cument d'archives l Quelle importance avons-nous attri-
buée A tel projet d'intervention en Orient l Autant de
questions sur lesquelles il a semblé utile de fournir au
lecteur quelques explications.
ruEMiÈRK CLASSE. ï'UojRTS ffp AVIS. — 11 v a pou de
choses à dire de cette catégorie de documents. Les projets
INTROprCTIOX.
(le croisade, les avis donnés par ceux que leur expérience
ou leur situation mettait en mesure d'éclairer TOccident sur
rélat de la Palestine étaient avant tout une œuvre per-
sonnelle; la tache de la critique se réduit donc A appré-
cier [e degré d'intérêt ou de confiance que méritr^nt les
vues et les conseils, dont les auteurs de ces mémoires se
sont faits les interprètes. Généralement présentés aux
souverains pontifes ou aux princes qui songeaient à se
croiser, ces projets n'ont pas été connus en dehoï's du
cercle resireint auquel ils s'ndressaient ; sauf quelques
exceptions, ils ne nous sont parvenus que par un ou deux
manuscrits, et jusqu'A présent très peu d'entre eux ont
été publiés.
Cet ensemble de textes, cependant, offre un sujet d'é-
tudes intéressantes et de révélations des plus curieuses.
Cest à l'aide de ces documents qu'on peut se faire une
idée exacte des connaissances et des préjugés des hommea
du XIV' siècle, eu ce qui concerne la question d'Orient ;
fréographie, forces militaires des royaumes clinUiens du
Levant, état de la puissance musulmane, moyens de re-
conquérir la Terre Sainte, tout y est passé en revue. S*il
est quelques projets dans lesquels les illusions et les élans'
d'un enthousiasme trop naïf font tort aux conseils de la
raison et de la prudence, la plupart d'entre eux sont em-
preints <run caractère pratique, souvent môme d*une pro-
fondeur de vues qu'on ne s'attendait pas A rencontrer à
cette époque. Ils émanent, pour la plupart, de person-
nages considérables, en mesure de fournir les rcnseigne-
nïcids les plus précis et les avis les plus utiles.
Les emprunts que nous avons faits A ces textes, encore
pou explorés, sont nombreux. 11 n'entrait pas dans le plan
de notre travail de consjicror aux auleui*s et aux ma-
Duscrits de ces ménjoires une étude approfondie. Aussi nous
flûnuues-nous borné à les résumer, en signalant brièvement
I'imp(trtJince particulière de chacun de ces témoignages.
DEUXIÈME CIASSE. DOCI'MRNTS I)'AriCHIVKS. — CVlIX-l'i
ont été un de nos principaux élénifuis d'inrormaiioii.
Leur caractère ofticiRl nous panin tissait une authenticil^'
incontestable, et, dans une certaine mesure, une sincérité
absolue. Sur ço dernior point, cepondant, quelques iv-
serves sont nécessaires; dans TiMiiploi des pièces dipio-
inaliqnes, nous n*avons pas jionln \U' vue fjuo l'intérêt
politique ou des appréciations parfois passionnées avaient
pu se fairp jour, et volonlaireiuent on !nèine de bonne foi,
I dénaturer, atténuer ou grossir certains événements. C'est
I le cas pour les correspondances diplomaliques vénitiennes;
l plus d'une fois, nous avons eu roccasion de rectifier,
^^d l'aide de sources d'autre provenance, des assertions
^■trop absolues et qui eussent faussi* la vérité liislin-ique.
^^Sous ces réserves, les pièces d'archives nous ont, été du
plus utile secours, et leur étude nous a jieruiis de mettre
en lumière nombre de faits dont les chroniques seules
ne nous eussent pas |UM"Uiis d'exposer le compU't <\ô-
velopperaent '.
TROISIÈME CITASSE. CHRONIQUES. — A c<5té des deux pre-
mières classes de textes se placent h»s chroniques. Nous
les avons largement mises î\ contribution, mais sans per-
dre de vue que leurs témoigna^î^es devaient être accueillis
avec prudence, contrôlés avec critiiiue, et comparés entre
*
I. Nous avons aUnbm'* aux recueils diplomatiques, impiîmt's ou
manusfTits, formi^s de pi(>res (rapoïiivf*s, la in<^iin' valcMir qu'à ces
pièces elles-nièmes ; si, dans certains eJi», la niaiiiérc ilnnt It's docii-
meiils Haut piiblii'*ii ou transcrits n'est pas e\Rinpte tle tuiit repruclie,
ees roIlei^tioiiK en revanche ai'^iiièrent souvent, par la perte des do-
funienl-s pritnitifK. le caract/Te et l'îniportanre des originaux : à vp
litre nous les avons mises au im^tue ranij: que reux-rî, et leur avons
accordé, sauf le cas d'inHdt^iilé reconnue, une é^ale uutoritO'. \uu«
prendrons pour exemple les Prpumt tif thinlttiri' de [ionnjQifne^ do
U. Plancher. t*elles-ei, tirées des Archives do la chambre des comptes
de Uùurjfognc, sont souvent directement citées par nous, sur la même
ligne que les documents d'archives, quoiqu'elles no soient, à propre-
ment parier, qu'une source de seconde main. Il va sans dire (|uc
t'originBl, quand il subsiste, a été consulté et collalionnè nvet* lu copi**.
INTROW;CTION,
5
eux par l'historien soucieux d'atteindre ;\ la vérité. Là»
plus qu'eu aucune autre espèce de documents, la sûreté
des informations, la conscience ou la partialité des chro-
niqueurs appellent un examen spécial ; il laut séparer
soigneusement les récits inspirés par Tun ou par l'autre
des partis en jeu, tenii* compte de la passion, de Tigno-
rance ou de la légèreté des écrivains, placer chacun d'eux
dans le milieu où il a vécu, remonter aux sources orales
ou écrites auxquelles il a puisé pour porter un jugement
i-aisonué. Tâche délicatf», dont les résultats u'oiîrent rien
d'absolu, puisque souvent un témoignage suspect peut
revêtir sur tm point s|>écial, par suite de circonstances
particulières d'iniormaliou ou d'exactitude, un caractère
d'iuithenticité iuconlestable '.
11 nous a paru utile de signaler au lecteur pourquoi nous
avons admis, rejeté ou accueilli avec réserve les récits des
principaux chroniqueurs. Il fallait également lui donner un
court résumé des sources d'archives et des mémoires aux-
quels nous avons puisé. Aussi, pour ne pas ralentir l'exposé
des événementH, avnns-nous groupé, en tête de chacune des
parties de notre travail, les notions indispensables à celui
qui le lii*a pour appi'écier sur quelles bases reposent les
faits que nous lui avons présentés.
U.
Si nous avons protesté contre ropinion qui limitait à
la prise d\\cro l'IiLstoii'e des croisades, si nous avons
I. Nous tliintions pour ext'iiijtln le n^rit de la cniisaile de Nicopolis
par U" Uclù/iniT rfr Satnt-Ih'niii. ciiijiciinlr aux Mtiivi'nirs d'un ti^moin
(K'ulain- : dt* iiu'iih." fdui 'lit-- ri'xpi'dititiii tir ttarbarii*, dun» la Chfv
HtifUf (tu fion dur h»tfit ttf /tuurbua. uflro di-s gtu'aiitie& qui ne se
ri?trouvcal [Hi:* [mrluut d:uis cette utiivrr.
6 INTRODUCTION.
lîherché à montrer les eiforts des Latins pour reconquérir
un royaume qu'ils avaient été impuissants à défendre, —
efforts qui ne cessent de se maniiester, pendant plus d'un
siècle, avec la persistance et la persévérance les plus re-
^^tmar(|uablos, — nous devons reconnaître que cette catas-
trophe lui pour TEurope chrétienne le point de dépari
d'une politique très diflërente de celle qu'elle avait jus-
qu'alors poursuivie dans 1(^ Levant. Elle iniprinia au mou-
vement à Toccasion duquel les croisades étaient néps un
caractère nouveau, dont les manifestations ne furent ni
moins glorieuses, ni moins intéressantes à étudier, bien
qu'elles aient été dirigées vers un autre objectif.
Il est superflu de rappeler que l'enthousiasme relig:ieux,
'qui arma l'Occident au xii" siècle et l'entraîna vers les
Lieux Saints, se ralentit au siècle suivant. La prise de
Jérusalem par Saladin (1187) marque ïissez bien le mo-
ment où la foi cessa d'être la pensée dominante et exclu-
sive des croisés, ei où elle s'unit h d'autres sentiments
pour inspirer de nouvelles expéditions contre les Musul-
mans. Les Latins établis en Palestine avaient jeté les bases
d'une domination réguUère, à Tinslar des états féodaux
de l'Occident, et avaient agi en vain<|iieurs dtîsireux de
conserver leurs conquêtes. L'importance commerciale et
territoriale de la colonie qu'ils avaient fondée sous le nom
de royaume de Jérusalem s'aftirmait de jour en jour ;
aussi au sentiment religieux se joignit bientôt nn intéivt
plus matériel, la défense du nouveau royaume et l'exten-
sion du commerce européen en Asie Mineure. Inspirée
par les Génois, c'est-à-dire par un peuple à la fois com-
merçant cl colonisateur, la croisade de riiilip[»e .Auguste
et de Richard Cœur de Lion ne p<ïui*suivii pas d'autre luit;
qui'lques aiuii'cK plus ttird. le changement de direction de
la quatrième croisade (l'20'i) indique u» revirement plus
marqué dans Tesprit puldic. On n'est plus au temps île
Pierre l'Ermite, dont les bandes innombrables, impatientes
INTRODUCTION.
d'arriver au Saint Sépulcre, no se seraient pas laissé sé-
duire par l'appât de la conquête de Coustantinople.
Cette transformatiou s'accentue encore pendant lei
xm" siècle. Nous ne prétendons pas, comme certains au-
teurs', que Tentliousiasme religieux s'éteignit complète-
ment, pt>ur faire place à d'autres mobiles. Sans Tétincelle
de la foi, les croisades eusseut-elles été possibles I Saint
Louis n'était-il pas, sous le ivipport chrétien, Tégal et
même le supérieur de Pierre l'Ermite l Mais l6 sentiment
de la foi n'était plus le seul dont se préoccupaient les
derniers croisés. Indépendamment de ce symptôme nou-
veau, on remarque que les expéditions du xiii*- .siècle diÔè-^
rent dos précédentes par la direction qui leur est donnée.
Ce n'est plus la Syrie qu'il s'agit d'envahir, c'est l'Egypte.
Le centre de la puissance musulmane s'est, en eflet, dé-
placé; et les armées d'André de Uongrie (1219) et de
Saint Louis (I2'i8-r>'i) se dirigent vers le Nil. C'est là
qu'est désormais la clef de la Palestine, c'est h\ qu'il faut
vaincre les Sarrasins pour arriver aux Lieux Saints, pen-
dant que les Mongols et les Pei-ses attaquent l'ennemi
commun au nord et à l'est. On voit ainsi germer une idée
politique que le siècle suivant développera et qui marque
des visées dili'ércntes de celles qui avaient jusqu'alors
animé les champions de la foi.
C'est celte idée nouvelle dont il nous h paru intéressant
rU' suivre les progrès; |ir4'ci)nisée dans les projets d<! croi-
!«t(le, modiliée par 1rs ciicnustancrs «wtérieures, elle do-
mine tout le xiv* siècle ; elle in8[»ire les revendications
années dont riiistorien est le témoin, elle en explique le
bni. l'insuflisaiice e( l'échec.
I. Vohaii'r. ilo liiiijrnrî-, lleller, lltMikcn. l'U*., ri rtremiutîtit i*rul/
h'utftif'ifÇU'hicfite fin' /\irn::fiiff, Ilrrliii, iaH3t.
LIVRE PREMIER
PROJETS ET TENTATIVES
1^90-1350.
LIVRK PRRMIIÎR
PROJETS ET TENTATIVES
I --290-1350.
Cette période est pres<iu« excluBÎvement remplie par des projeta île
fpoisade; les tentatives sont l'exception, et la ronséquence de ee fait
est la prédominance de ceux-ci sur les ducuments d'autre nalnre.
Sauf les mémoires émanés du graiid-maitpe du Temple *, de Du-
bois', de .Nogaret\ du roi Henri rr de Chypre*, du dominirain
ltrocard\ et les œuvres de Maririu Sanudo^ tous les pmjets «juc
nous avons étudiés sont inédits. 1^ plupart d'entre eux mériteraient
une publication intégrale. — Les pièces d'arcliives n'ont été utilisées
(|ue pour les tentatives dont la première moitié du xiv" siècle a été
l'objet. Kxcejité les actes ronrernant les préparatifs de Pliitipfiti \\
de Valuis lArdi. nat., séries J et P). elles unt presque toutes été
publiées dans des histoires (générales ou des dissertations porticu-
1. Uahuer V Un pu paru m Ariniuni'iitiuni il'aris, tt>93l, ir, t8i.
ï. Ualuze, iftrm, m, 1*t6. — Mongars, Grsia fh-ï per Frnncut (Ha-
novre, liîll», n, nui.
:i. li. lUiutarir, Soticcu et extrait» dt itocitmenli inédit» relatif» à
l'hi»tuire de l'rance fum Philippe le liai {Paris, 1861), p. HT.
V Mas l.îilrÎH. Ilintuire de ilhijpre (Paris. I852-(>I), H, 118.
'i. UeilïonherK. à la suite du Kheftiiier au i'.yyue, dans Mnnmiientj^
pour servir à riiisloire des provinces de Namur, de Ibilnaiil et de
l.uxumliourg, tv, 227-:ïri.
ti, Ikuigars, Gesla Ueiper /'Vaiico*, t. li.
Î2 SOURCES DU LIVRE PREMIER.
Hères ^ — Les chroniqueurs n'ont presque rien fourni; à peine
avons-nous l'occasion de citer quelques passages de Froissart', et,
pour l'expédition de Charles de Valois de recourir à la chronique
catalane de Hamon Muntaner (1265-1336); celle-iM est un monument
de premier ordre pour l'histoire des aventures de la Compagnie
Catalane dans le Levant ; écrite par un témoin oculaire et un acteur
des faits racontés, elle offre de sérieuses garanties d'exactitude,
malgré la partialité à laquelle aurait pu céder Muntaner, adversaire
du prétendant français'.
1. Les histoires de Chypre, de Dauphiné, les travaux de Iloutai-ic
sur Philippe le Bel, les recherches de Buchon sur les établissements
francs de Morée, d'Abel Hémusat sur les relations de l'Occident avec
les Mongols, l'introduction de Charrière aux Négociations de la France
dans le Levant, etc. ; le lecteur trouvera à leur lieu l'indication des
monographies auxquelles nous avons eu recours.
2. Le lecteur trouvera, en tète du livre n, quelques détails sur la
valeur historique des Chroniques de Froissart.
3. La première édition est de !558, a Valence, la seconde de 1567,
à Barcelone. File été traduite en castillan, en 15115, par D. Miguel
Moncade, et partiellement par le comte de Moncade au xvu» siècle;
elle a été éditée par Buchon, en français, dans le Panthéon liltèraire
(1" série, t. v et vi).
Ui chute (le Saint Jean d'Acre, quoique pn*vue, out iliius
tout rOccidonl un rrioiitissiMiH'jit rrmsiiIrruMe et y causa
une éiuoliou profonde. L'eiilli"Usiasnie. il est vnd, îles piv-
iniers temps s'était bien lofroidi à la fin du xin" siècle ;
seuU, les papes, les poètes, les fennnes et le peuple gar-
daient la tradition de l'ancien zêlo'. Déjà, lors de la se-
conde croisade do Saint Louis (1*270), les barons fi'an(;ais
avaient hésité à aecoiup;tj;ner le ri)i. et niaiiifeslé une véri-
tJible répugnance à s'engager dans tui voya^'e d'ouïri^nier.
Ct;[K'ndanl, â Tannonco dn la catastri>plie, l'opinion |)iih]ique
senilda sortir de snn engourdisseruenl, ei nuhlier li's pré-
occupations du nnuiienl, pour ne plus songer qu'à ruITmii-
ehissemenl des Lieux Saints.
Ce mouvement, tout spontané, était eu eontradictidU avec
r«spnt de la siM'iélé féo<lal(* et piditique; cette dei'uière
était hostile à de nouvelles expéditions. Le clergé, en effet,
â cliaf|UO croisade, payait un décime sm* ses biens et se
pinignait vivement de cet impôt; la noblesse, c'est-à-dire
l'élément qui avec le clergé avait entre les mains la puis-
sance et l'activité, se souciait peu de faire les frais et de
supporter les fatigues de ces buntains voyages. Si quel-
i|ae« < avontuiiers de la féodalité » consentaient encore a
I. Saint >lart! Clïrardin, Le* Origines de ta ffUf»tion tf Orient
do» Deu\-Mumles. I. u, p. 43|.
14
KFFORTS DÏI PAPE NICOLAS ÏV
s'einban|uei' pour l'Orient, c'est que l'ambition de conquérir
de» royaumes et des principautés^ et non plus la foi, soutenait
leur courage. Le mauvais succès, en outre, des cifûsades au
xiir siècle, auguicuta leur discrédit: Dieu ne semblait-il pas
abandonner les champions de sa cause? Fallait^il s'armer
malgré lui pour la défendre? Celte considération suffit pour
décourager les plus intrépides. Le zèle, un instant réveillé,
ne tarda pas à faire place à l'inMOUcianco et à la lassitude :
el, malgi-é l'appel du Saint-Siège, aucun effort no fut tenté
pour scM.*ourir les cbirtiens de TeiTo Sainte avant qu'ils fus-
sent réduits aux dernières extrémités.
Nicolas IV, cepeu<lant, ne s'était pas épargué pour tirer
l'Occident de son apathie; quand la ju'isr d'Aon* fut con-
nue, ce fut contre lui, contre sa coupable insouciance el
celle de la cour pontificale, un cri d'indignation universel,
cri aussi injuste qu'irréfléchi, né de la vivacité de l'iui-
pressinu puhliipie. Pouvait-on rendi'e le pontife responsable
d'un événeuient qu'il avait de tout son pouvoir cherché à
conjurer ? Edimard d'Angleterre ne l'avait-il pas bercé de
promesses trompeuses? Les autres souverains d'Occident,
aussi bien que les princes et les chevaliers, n'étaient-ils pas
restés sourds aux appels réitérés de la papauté? N'avaient-
ils pas refusé de sacrifier leiu's bîj'us cf leurs vies pour re-
conquérir un royaume que U;s partis se disputaient, sans souci
de l'ennemi du dehors qui profitait de ces rivalités pour
ruiner la puissance des Latins eu Orient '.
L'évacuation de laTeire Sainte consterna la cour de Rome,
et la lettre pontificale qui fit connaître au roi de France
Philippe le Bel (23 août 1201 j lu double perte de Saint Jejui
d'Acre el de Tyr. osl empreinte de la plus profonde tris-
tesse. Nicolas s'adressa en môme temps aux évêquos de
France pour les adjurer d'appeler aux armes les barons, l(»s
chevaliers et le peuple. Mais, de même que le roi, le clergé
resta sourd aux exiiortations du pape. Réuni en synode, il
m^ répondit que la prédication d'une nouvelle croisade res-
terait sans efft^t, tant qur les princes chrétiens se combat-
ti'uient mutuellement, tant que les Grecs, pîu* leur schisme
©t leur secrète haine contre les Lnlins, les Aragonais et les
1, W'ilken, Geschichte der Kreussiige, vn, 77S-7.
RIVALITES ET INDIFFERENCE DE l'oCCIDKÎïT. 15
Siciliens par leurs quorelle», troubleraieul ia paix dp la chn^-
lienté. Il fallait avant tout, disait-il, que le souverain ponlifo
ramenât l'union o( la ronconl<^ parmi los iléfiMiscurs du Christ
avant de los convior â une nouvelle t^xpédition ; c'était uuo
condition absolue de succès. Los dernières années du royaume
de Jérusalem avaient élé attristées pur des cotiipéfitions pro-
fondément regrettables; à côté de la rivalité permanente des
républiques maritimes, Chaides i d'Anjou avait fait valoir,
comme cessionnaire des ilroits de Marie d'Anlioche, niêee do
Hugues uif des prétentions au trône de Jéru:saîeut, que la
révolte des Siciliens, secrètement ourdie à Constantinople
pju* les intrigues do Palèologue, lit nvtjrter uiomentauénienf ;
on venait enfin (l'assister à la guerre d'Aragon, qui S4' ratta-
cliait intimement aux agissements et aux massacres dont la
Sicile avait été le théâtre. Ces divers événements avaient .
armé les nations chrétiennes les unes contre les autres, alors
que l'union était la condition élémentaire et indispensable de
toute action efficace en Orient. Il fallait donc apaiser à tout -
prix les querelles pendantes avant de songer à soulever de
nouveau l'Enrope à lu voix do riîglise.
Le pape ne fut pas plus liï'ureux en s*adi*essant aux Gé-
nois et aux Vénitiens: là encore les rivalités commerciales
entre les deux réfjubliques s'o[qji)saient â h'ur intervention
rians le Levant. Demander, comme il le fit, à ces puissances
d'oublier leurs différends pour envr>yer leurs flot les sur les
côtes de Syrie, les supplier de renoncer à tout commerce
avec le sultan d'Egypte, ou tout au moins de ne plus lui
fournir d'armes ni dapprovisionnements de guerre, leur pro-
poser la médiation aposhpliqu*- jimir mettre nu terme â leurs
compétitions, c'était aller au devant d'un échec diplomatique,
Venise et Gènes, supputant les avantages que leur procu-
rerait le maintien de ItMU's relations avec les Musuluiatis,
n'hésilèn^nt pas à les préférer à ceux qui leur étaient offerts
par le pape. Eu Allemagne, le synode des évèque», réuni par
les soins de l'archevêque de Salzbourg, légat apostolique, se
borna â exhorti-r l'empereur Rodolphe à prenrlre la croix et
â renouveler le vœu dïjâ émis au concile île Lyon (l?7î). do
réunir les ordres dn Temple et de l'Hôpital, dont la jalousie
avait causé, disait-on, en grande partie la chute de Saint
Jean d'Acre. L'empereur grec Andronie, les rtiis d'.\rménie
et de Géorgie furent également sollicités d'arracher la Terre
IG
EFFORTS DU PAPE NICOLAS IV
I
Sainte des maius des infidèles ; mais partout la voix du pon-
tife resta sans écho '.
Nicolas, cependant, avait dnnné l'exemple. Il avait équipé
et envoyé â Chypre nne flotte de vingt, vaisseaux qui ili^vaii'iit
se joindre aux (luinzc voiles du roi Henri ii, et teuter iiiir
expédition contre les côtes d'Asie Mineure' et cunlre
Ah'Xîuidrie. Mais l'occasion de nuire aux Sarrasins ne se
présenta pas et cette escailre n'eut aucun rôle à joucT. Kn
présence de l'indifférenct^ des princes diréliens, il fallut égal<^
ment renoncer à utiliser le bon vouloir du Khan des Mongols,
dmit l'auibassaileur était en Occident au monieiit nù tomba
Saint Jean d'Acre, porteur des propnsitioiis les plus avanta-
geuses ; il offrait, au nom d'Arguitii, s<ui souverain, d'alta-
i[U«'r le Soudan ilEgypIe de concert avec une armée chré-
lieuue. Ou décUua celte alliance, faute de pouvoir l'assembler
les troupes que le monarque mongol se déclarait prêt à ap-
puyer. Nicolas mourut avril l!?0?) le cœur plein de tristesse,
suus avoir décidé la chrétienté à reconquérir la Syrie".
De toutes parts il s'était entouré de conseils ; il avait
snllicilé l'avis de quiconque pouvait l'èchurer sur les choses
de l'Orient, n'épiirgnanl rien pour connailn^ la vraie situa-
tion de la Syrie et les moyens de l'arracher an joug mu-
sulman. Il n'est pas sans intérèl do refaire l'enquête à
laquelle s était livi'ê le poulife et d'en exposer eu quebpies
niot-s les conclusions.
Le preminr témoin entendu fui li' roi de Sieile, Charles n,
qui tenait de son père Charles d'Anjou des prétentions à la
couronne de Jérusalem *.
A son sens « passage général serait folie »; le sou<lun,
vainqueur des CJiréliens et des Tartaies, maiire de l'Asie
1. Wilken, loc. fit., p. 777-9.
2. I/Kseandelour (Caxlrum Quandelor] était Tubjeclif dp rettc dé-
monstration. Ka pusitioii d<? ceUe ville a t^té diverB«mcrit déterminée
par les géographes ; les uns l'ont ideiititiéc avec Alexandretie [hkau-
tii^roùn), les autres avet^ l'antique Side. M. île Mau I.alrie la place à
cinq uu si\ lieues plus â l'eKl, à l'cmplaecnient de la villo actuelle
d'Alaïa (Cornccuium de Strabon», entre Anamourel Satalie. (/>e* Beh'
tionâ... df l'Asie Mineure avec l'ilâ de Chypre, dans Uibl. de rKc. dntt
Chartes, 2» st^pie, t. i, p. aiS.I
3. Wilken, loc. ri/., p. TT'J-ftO.
4. Uibl. nat., franc. BU^l), f. 18» v«-19U.
A
AVIS Dr nOî CHA.RKES If.
Miutïui'e, iHail Irop i»ui.s:ianl poui- que los CUrétiens pussent
ronipler sur le succès d'une nouvellt? croisado. Les Sarra-
sins, disait-il. so gardorout il'iDquiéter le débai-quemeat,
laissant au olinmt et au temps le soin iraffaiblir les forces
des croisés. Interprète des conseils de la plus vuliraire pru-
dence, Charles ii estimait (ju'une guerre couuiKH'ciale, di-
rigée contre TEgYpte, était le luoTen le jdus sûr de ruiner
la puissance nuisnlniane. Ce pays, m effel, était 1V'n(i4>pôf
iMi rOcc-idenl s'approvisionnait tics denrées df* Inricnl ;
c'était la que « li mauvais crestiens » apportaient le fer et
le bois nécessaires aux Sarrasins, et se livraient i la traite
des Mameluck-s amenés des rivos de la mer Noire pour re-
cputor les liriuées du sultan, dont ils devenaient ensuite l'élé-
nient le plus r(>dnulalj!e. C'était par conséquent TK^ypte
qu'il fallait ruiner. C'étaient aussi les côtes de la Médi-
terranée, trop étendues pour être erticacenieut défendues,
qu'il fallait inquiéter par des incursions répétées. Pour obte-
nir ce lésullal, une flotte de cinquante galénis et de cin-
quante vaisseaux de transpiu't, avec un corps do débarque-
ment de quinze cents hommes, semblait suffisante; mais il
était indispensable d'assiu-er d'une fat-ou permanente ce <lé-
ploiomont uiilîtaire. L'originalité des vues du roi de Sicile
apparaît dans le modo de recrutement de cette force raa-
litirae. Le roi de Chypre, les Templiers et les Hospitaliers
pouvaient f<itu*nir chacun dix vaisseaux ; le reste des navire»
elles gens d'ai'mes devaient élre levés par le Saint-Siège; mais
il impurtail avant tout de maintenir au complet l'effectif des
uns comme di's autres, et c'est pour atteindre ce but que
Charles II proposait la réunion de tou;^ los ordres militaires
ou religieux : le Temple, THi'ipital, les Teutoniques, Cala-
ti'ava. Roucevaux. Saint Antoine, la Trinité, les chevalierK
d'Altopasso, les Prémonirés, Grauimont'. etc., en une seule
n
I. De ces ordros les plus connus sont les urdro» de Terre Sainte,
l'Hûpital, le Temple e! les Teuioniqucs; l'hùpital de Roncevaux.au
rovftumc de .Navarre. Tut b;'iii en 113L pour les pèlerins allant à Saint
Jacques do Compostelle, oonuDo Altopasso fui créi^ en Italie pour
l'usage dos pùlerins venant au \'olto Santo de Lucquciî. <Jalatrava fut
institué en 1158, en Espagne, pour combattre les Maures ; Saint An-
toine, en Dauphiné, pour lutter contre la maladie du Feu saint Antoine
(10031. Les Trinitaircï*. les Prémontrés, Grammont, fonrlt^s aux xi« et
xn* siècles, étaient des onlres plus spiVialoment religieux.
2
4
18
EFFORTS Dr PAPE NICOLAS IV.
« religion » obéissaut à un clief d'imt? autorité in<lisciité(%
fils fie roi ou au inoius de haut lignage, auquel serait promis
le trône de Jérusalem.
L*idéo de la réunion des Tenipliors et des Hospitalier.s
n'était pas nimvelh» ; éniiso par Saint Louis, flic avait été
Roulevée au concile do Lyon (l?7i} par lo pape Grégoiro x,
eî) présence dés représeutanls des deux ordres; mais, sur la
n^niarquo que les rois d'Kspagno no consonliraient pas à la
l'iisiou parce qu'ils avaient lr(tis ordn^s uiilil aires dans
knu-s royaumes, elle fut abaadouuée, ijous Nicolas iv le
projet fui repris, mais on ne Fétendit pas, c^unnie le de-
mandait Charles n. à tnus les ordres mililaims et reli-
gieux'. La question s'élargissait daus le pnget du mi d«»
Sicile. L'ordre nouveau devait iKn'cevoir les dîmes levées
dans luute la chrétienté, el les aumônes dues à la générosité
des fidèles; il convenait de lui assurer les ressources linau-
cières les plus étendues. Il n'était pas de privilège que
ne dussent lui acconler li's papi's et les s<MiVfraius d'Eu-
rope; tous les chevaux et arniiuvs des prélats, bannis el
ch(*valiers, devaient, après la mort de ceux-ci, faire retour au
^■and-maitre. On voit, par là, avec quelle amplem* de vues la
o(Uisiitnliou dti l'ordre nouveau élail conçue; mais le itrojct,
malgi-é sa haute portée politique, était trop large pour étiv
appliqué, Elîiit-il possihlo de grouper eu un seul faisceau des
personnalités peu faites pour oublier des rancunes déjà an-
ciennes et pour faire taire, en faveur du but commun, leurs
sentiments individuels ? Pouvait-on se flatter do réunir deux
mille frères chevaliers et deux cents frères sergents, nt d'as-
1. Ces détails nous sont parvenus par le mi^moire que Jacques rie
Molay, grand-raaitre du Temple, fit parvenir au pape L'li?ment v sur
cotte question, et dans lequel il résume les tentative» antérieures de
fusion. Voici ce qu'il dit de Nicolas iv : « Item, tempore iXirolai
• papse IV, propter perditionem terr» sanctje quiiR lune fuit, quia
itum^ clainabaut furtiter et alii populi eo quod succursus sufK-
ciens ad defensionem ipsius terrte non fuerat missus per euni. ad
excusatioiiem quodam modo sui, et ut appareret se velle roiiiediuni
apponere ciroa nej^cHria terra; sanctie. rcfricavit seu reassumpsil
1 verba uniuiiis predîctse, el tandem iiihil fecil. ■ Uuniface vm reprit
U question sans plus de succès que Nicolas iv. Noua aurons plus ba^^
Iwcasion de revenir sur le mémoire de Jacques de Molay. (Ualuze,
Vita pap. Avinion., u, 182-5.)
ÎIBMOIRE DK FIDENCE DE PaDOUE-
19
*iurer le rocrulouiout de cette nouvelle milice' ? Cette force
militaire, conconti'ée à CbvpiP, ^ Acro ou à Tripoli, suffirait-
»'llt* iiK'nie pouj* couquérû* la Paieslinf ? Autaul de questions
dont la sfdulion pai'aissait entourée irincertiludes.
A côté des vues de Charles II se placent celles d'un frère
mineur, Fideiice de Padttue. De tons li.*s avis dont s'entoiu'a
Nieitlas !V, c'est assurément le plus dèvelojipé et le plus
niinutienspinent motivé. Un sait le tôIp i|ue l'ordre des Krères
Mineurs joua en Terre Sainte j»u xiii" siècle; on eonnait l'ar-
ileur qu'il déplova dans sa propagande pfuir convertir les
inHdèles ; on conçoit dès lors l'autorilé qm^ revètail l'opinion
d'un des frères de celle observance. Le mémoire dont nous
nous proposons de résumer les principaux trails avait été
ilomandé â Fideuce de Pîidnuc par (îréifftiri' x an cniieilt* de
L^Voii ;I271^, et c'est punr répondje au désir du pape qu'il
fut composé. Des (rirconstancos que nous ignorons retar-
dèrent rachêvenu»nt de l'nuvriigc jnsiju'nn |>onîifîc;it de Ni-
colas IV et jusqu'aux d<'rnién's aiuiéos di^ la floriMii!i(ion latine
en S}TioV
}a^ mémoire du frère franeiseain so divise en deux parties;
la première est consacrée à l'Iiisloire de la TeiTe Siiinte, la
seconde nux moyens de la reconquérir. Cette dernière seule
nous intéresse : il n'en était pas de même :\ l'époque où
l'ouvrage fut écrit : rOccident Cfuiuaissait si mal les faits
qui s'étaient accomplis en Orient depuis deux siècles, qu'un
l'êcït dign<' <le foi des évém'merits, une description des
|M.*nples qui habitaient la Svric, des détails sur les mwurs
des Sarrasins et sur celles des Chrétiens de Palestine,
étaient non seulement fort bien aeoueillis des contemporains.
1, • Item, conseille li dis roys que le maistres de celé religion eiist
« II* frères chevaliers de su religion en sa compaiiie au covent et
• u* frere« beryena d'annes; et ronsellloit que chaisoiin fraJre chevalier
« uit nu bestfis, set ajis»Avuir i cheval et nue mulare vi n bons mncins
• d'armes; ptconsoloi! quecha-srim frere rlieval lirait ii eHnilersprosel
• vi(^>n)setde ligriagft si se i^woit trover; et que ces ii escuiers eussent
• armeotes tjoiies et Mufticiens poreauH armer sur ces n rotirin.s; et que
t II CACuier Fussent lel que, se il nvcnoil que leur maistre monist, que
« l'om iieiist faire frère de I iiridesn... » (Bil)i. nat., franc fiOW, f. 187
v"-H.) — I.e costume des chevaliers est miniitieusenienl <iét:rit.
2. Ilibi, nat., latin '2'i>, f. 8r»-rJ6. — Nous ne savons rien de la vie
de Fidence de Paduue ; il faut supposer qu'il accompagnait les am-
bassadeurs tarlares et uifci^ au concile do Lyon.
EFFORTS hV PAPK NICOLAS iV.
niai:4 encore absolument indispensables à rintelligencc* des
vues de l'autour. Le caraclèri? de cette partie de l'œuvr*» de
Fideuce est plus moral qu'historique ; les faits y figurent
moins poui' l'instruction ilu IcrUMir quo pour son édification ;
les mœurs des vainqueurs et des vaincus sont dêcntes avec
grand soin, et ronseignernonl umnil qui en découle ne manque
jamais d'être mis en relief.
Ce caractère subsiste dans le cimimencenient de la seconde
partie; parmi les conseils généraux druuïrs aux chrétiens
jx air rentrer en possession de la Svrie, l'exercice des vertus
morales (charité, chasteté, humilité, piété, sobriété, etc.)
occupe hi première place. A côté de la pi'atique de ces vertus,
aussi nécessaires au chef qu'aux soldats, l'auteur veut que
la discipline, la positiim A donner au camp, les dispnsi1i<>ns
de défense, les reconnaissances et un armement approprié à
l'ennemi que les Chrétiens auront â C(unbaltre, soient l'objet
des soins les phis attentifs. Rn présence d'adversaires aussi
redoutables et anssi n-nubreux que les .Sarrasins, aucune pré-
caution n'est supertlue. Ceux-ci peuvent mettre en ligne
qnaraiète mille cavaliers'. L'Hvmée chrétienne, pour ne pas
h'nr être inférieure, se conqujscra donc de tivnfe mille ou au
moins do vingt mille chevaux, sans compter une infanterie
considérable.
Après ces considérations préliminaires, l'auteur entre dan»
le détail du plan de campagne qu'il propose ; à côté de Taf"
mée dont il a réclamé la fin*ma(i'iti, il demande la consti-
tuliou d'une flotte, dont l'elVectif sera de cinquante ou, au
minimum, de trente galères, et il lui assigne dans les opé-
rations militaii'es un rôle prépondérant. Elle aura comme
ports d'attache les mouillages très sCirs de la côt<^ d'Asie :
Chypre, Acre, l'ile de T(>rtose et Uhodes. Grâce à sa pré-
sence, la marine peu développée des Musulmans deviendra
inutile; la mer sera purgée des pii-ates qui l'infestaient; ce
sera pour les Chrétiens de Terre Sainte une double crainte
de moins, et en même temps les Sarrasins de Syrie no ro-
1. Lauteur de la Devise des chemins de Babiloine évaluait à quatre-
vingt mille hommes les combattaiit-j que pouvaient fournir les Tnr-
comans. à quarante mille lelTeetif des soldats Kurdes de Syrie, et à neuf
mille t'inq cents celui des traupcs réglées do la Syrie. iCh. Schefer,
Etude sur ta Devise det chemin» de. Babiloiw, dans jVrchives de
rOrienl latin, n, 92-a.)
RLOCU» €OMMKRCUL PE L EGTPTE-
i-f-vroiu plus ies secours que TEgyplG leur envovail par mer.
An poiiu (le vue oominercial, l'utilité d'uu i;iHji]i»iemeut de
fnrcos iHJiritimGs est ineonlostablc ; en arrêtant les im-
porlalions irOccitlenl. on empêchera non seulenieiif la per-
reption par h* soiitlan dos droits dont les marrliandises
étaient frappées à l«nir enlrée on Egypte, drtdis évalués à
rintpiante mille Hnrins par au*, mais encore l'arrivée de
denrées dnul les Musulmans ont besoin, pîU'ce que leur pays
iieies leur fiiarnit pas. Comme L'ousêtpience de la suppres-
.sion du eommerce européen, les droits d'exportalioji ne
seront [dus p<Tçus, au g-rand préjudice du trésor du Soudan;
les prnduils éi^ypliena n'aunnil plus de débouchés ; ce sera
la ruine île l'Kfîypt^*. Nous avons déjà signalé l'apparition,
aux dernières années du xin" siècle, des idées ècoaomi([ues
dans la (pirstion des croisîwles; c'est mi facteur nouveau.
dont l'Occident comnu'nce k comprendre lu force et dont il
préconise l'emploi. Fideuce, le premier, se fit l'interprète
de ce sentiment eji r'éclamanl le blocus commercial de
l'Egypte.
Les avantaj^es que la flotte pourra retulre, au cours des
opérations militaires, nVcbap[)ent pas à la clalnoyance de
l'auteur du mémoire. Les côtes i^nriemies sont facilen à
dévaster et à ruiner ; en cas de péril, les croisés, trop vive-
ment pressés sur (<»rro, (rnnv(*ron1 un refuge sur les
vaiss<»aux, et, considération capitale, la présence iU* la
rtotte aux bouchi^s du Nil empêchera le soudan, dans la
crainti* d'un dcbanjurmeni, de dé^'aniir l'Egypte et immobi-
lisera un»' pari il' de sou année. Li' centr*» de la puissance
musulmane était alors sur le Nil, tandis que la 8}Tie
uVtaiT détV'udue fpu' par des garnistuis relativement faibles;
enipêrher l'Egypte de secourir la Syiie menacée était donc
une ntano'inTe stratégique îles plus heureuses.
Si la floite doit jotier un rôle important, celui de l'armée
n'est pas moins considéralde^ ri l;i route que cette dernière
de\ra suivre niériti» \u plus sérieuse aUenlion. Prendra-t-
clle la voie th» terre par t'onslaniinople, le Bosphore el
l'Asie Mineure ? S'embaniuera-l-<dle à Venise ou à Gênes
•
I. O ehiirpo cht donn<^ par le itrand-mairrc de l'IIôpital et l'évôquo
lie Monde (Ilibl. uat.. b-ann. GO'i'». et Kibl. S. r.cnovièvc K I, 28; —
Dibl. nat.. latin TUO), dont jos pnjiots seront étndit^s plus loin.
à deslinatiou de la Syrie^ ou bien, rnt'ttaiit on pratique un
système mixte, traver»era-l-elle l'Adriatique do Brindisi
à Durazzo sur des vaisseaux de transport, pour gagner en-
suite ronst.inlinople par tnrro ? L'aiilonr êraHe de suite
la preinièro route ; si elle facilite le transport des chevaux,
elle nécessitera le consentement de tous les souverains H«nl
l'armée traversera les t^tuts, et une discipline rigttureuse,
difRciio à obtenir d'une grande masse li'honimes baltitués à
tout piller sur leur passage. La troisième voie olTre les
mêmes inconvénients, mais â un moindre degré ; quant à
la seconde, c'est assnrôuieut la nieill<?iire, et elle n'a contre
elle que ta difficulté de rt^unir assez de bâtiments pour em-
barquer une armée considérable.
Le principe de l:i rouie maritime une fois admis, il reste
à déterminer le lieu de débarquemeul ; cette question avait
donné Utni, parmi les contemporains de l'auteur, âdes opinions
trèsdifféronles; on comprend que snr un développement déplus
de cent quatre-viu^'ls lieues de cotes, depuis la petHe Arnu^uie
jusqu'aux bouches du Nil, on ait pu proposer plusieurs points
stratégiques. Fidenc<* de Padoue les étudie successivenienl.
discute les avantag-es et les inconvénients de chacun d'eux
avant de tjonner son avis personnel. L'Kgypte est la clef do
la puissance musulmane ; une victoire des clirétiens sur le
Nil porterait aux Sarrasins un ntup nmrlcd, el la prise de
l'ile de Rasid ' .iflamerait tout U* pays dont elle est le gre-
nier. Mais fant-il leuter un débarquement quand la présence
de la flotie suffi! à paralyseriez efforts des Kt.'"yplî''n<. i-ourir
les hasards d'un ravitailJemenl ditïicile. d'uii climat mal-
nain, et attaquer un {uniple plus redoul;ible chez lui iju'il ne
le sérail en Syrie, à \u\o aussi x'ande distance des secours
promis par l'Arménie et It^s Tarlaivs? Arre é|;ii( tMicorc au
pouvoir des chi^Mieus nu moment où Fidence de Padoue
composa ^ou traité, el cette rirronstam-e pouvait ("uiliter
un débarquemeul sur ce point. Mais (;ette (•on>ideriili>>n,
inipurtaule s'il s'était agi d'un simple renfort â conduire
PI» Terre Sainte. t')mbait d'ello-inétne. puisque les Latins
devaient lever un armée assez forte pour n'avoir pas à crain-
1. I/auteur désigne pri>h!d)lcmt<nt ici l'île forniêf par la lu-juiehe du
Nil de UoœttO {Rechitl, ItrssHi) et une ries branrhev serundairrh du
EHARgVEMKXT.
dre f|uo rennemi U's empô<-Iiiîî de prendre terre. Tripoli avait
tle ïit>ml»reux pariisaiis ; nn vantail la sécnriU* de son port',
la richesse et la salubrité du pays, l'appui qu'où pourrait,
trouver auprès des populations eatholir(UPs qui occupaient les
environs do la ville, et les avantages pour vaincre le sondau
d'une position resserrée enln» la mer et le Liban, ne pcrniettant
pîis à l'ennemi de développer facilement tle grandes forces.
Ces raisons, bonnes en elles-niémes, étaient-elles suflisantes
p«MU' débart|uer à Tripoli une armée ayant pour objectif non
seulement la connuéto du liltoral, mais celle de riniérieur du
pays et de Jérusalem? Dans ce cas, les objections émises à
l'occasion de l'Egypte et d'Acre ne se reproduisaient-elles
pas pour Tripoli ? A l'ile de Tortosc ' les chrétiens étaient assu-
rés de tn>uver un bon porl, très spacieux, voisin do la terre
ferme, piv.s d'une vaste plaine propice au campement des
troupes, dans uu pays en grande partie chrétien; mais ces
avantages étaient compensés par de sérieuses difficultés; il
devenait difficile à l'armée de pairner l'intérieur ; le voisinage
deMargatet du Crac, anciennes furteresses des Hospitaliers,
tombées aux mains des SaiTasins, était iirt obslaclo aux
mouvements des cnusés. La po^ilittii des pnrts «le S'uidiu * el
dcH P;ds, prés de l'Aïas * en Arménie, au conlraire. ne ]u*é-
Apntait pas les mêmes inconvénients ; il n'y avait à reprocher
au premier (pi'une protVmdpur de bassin insuffisante aux
gros vaisseaux, au secon<K t^ue la chaleur du climat et le
manque d'eau dans les villes du littoral.
Kidence se déiermiuo pour ces deux points. Les gros
navires .se ilirigemui vers le port des Pals, les petit-*
vers Snudiu. Cette dispersion des forces chrétiennes,
I » Triprtiih... t>onum habet portuu». ■ (K. (V. Hcy, Pf'riples dr S*/n'e
ft fiWntu'nir, dans Arch. de l'itrienl latin, ii, 336.)
2. Aujourd'hui iic de Houad. (.'est un tnuuillage encore fréquenté
de nos jours et très sûr. — V. lîpy, f'riples...^ p. ruij.
:(, Sotdinum, /torttu S. Simconis, St'ieucie. Il est aujourd'hui combW.
C*e»t un bassin elliptirpie, orcusé de main d'homnio, communiquant
avec 1b mer par un cnnal maintenant oluitriu^ par les sables : il est
bordé de quais et mosure six cent cinquante mùtreâ de long sur plus
de quatre cents mètrt's de iîu'ge. flîpy. Pêriplcx..., p. 333.)
'*. Portiix /'atomm, »ur le ^njlfu d'Alexandretlo, à moitié chemin
entre l'Aïa» et romlwuclmrp du Sohiuiin, :i dix milles de chacun do
ces points, :i l'O. S. U. du premier ot au S. i:. du st^c»)ud. (Desimoni,
Actes passés à CAîas, duiit; Arcli. de l'Orietit latin, i, 4:i6.)
EFFORTS nr PAPE NICOLAS IV.
iienl!
inoonveni
déplorable en principe, n'aura pas iri
naires. Les «leiix ports sont sitiirs sur
en face l'un de l'autre, le port des Pals sur la rive arménienne,
Sondiu sur le liltural d'Arilinolie ; deux routes, Vnuo. par
terre, l'autre plus l'cmrte par le golfe (lîO milles), mettent eu
communication facile le port des Pals avec la Montagne
Noire, objectif des croisés. Celle-ci, qui s'élevait nun li^n do
Soudin, était un chaînon de l'Aumiis, courant du nord-est
au sud-ouest, elle n'était séparée de la 3ner que par une
plaine, et s'étendait du col de Bejt-lan au Raz el Kanzir.
Elle était couverte de forets et arrosée de sources abondantes ;
de nombreuses abbayes y étaient établies '. C'est au pied de
ce massif boisé que l'armée chrétienne devait se concentrer,
prèle à entrer en Arménie ou à marcher sur Antioche selon
les circonstances. Mais toutes les préférences de Fidence de
Padoue sont pour Antioche ; c'est une position saine, le cli-
mat est tempéré, la ville est belle, riche, bien arrosée, elle
n'a pas â redouter la pi-oximitê des Sarrasins qui ne la défen-
dront pas ; elle est cependant facile à fortifier, et les croisés
ne manqueront pas de s'y établir solidement. Là, ils pourront
attendre sans crainte l'an'ivée des rt^iforls des Tartares et
des Géorgiens, prendre Toffensive quand les forces coa-
lisées seront réuniiM. marcher jusqu'à TRuphrate. et, maîtres
(lu fleuve, descendre au sud par Alep et Damas jusqu'à
Jérusalem, tandis <[ue les Musulmans d'Kgypte seront tenus
en respect par la flotte.
Tel est, datis ses grandes lignes, le plan dr Fidence de
Padoue ; le mémoire se termine par quelques conseils sur les
moyens de conserver les Lieux Saints, si la cndsade rvussit:
entretenir une armée permannute, de foret- suffisante, en
Palestine, garder la mer avi*c une flotte d'environ diï galères,
fortifier les falaises du littoral à JaiTa. à la Montjnie', qui com-
mande Jérusalem, et sur quelques autres |ioints, doimcr aux
Chréliensde Syrii* un <'lnd' autorisé et rospecté, *'t b'ur prêcher
!. Uey, Prriptrs... p. :Wa.
2. Les croisés avaient donni^ le nom de }(ona Ooudii (Munt (ïanli?;
(iiui-s le manuscrit de Kulent'e dn P;itloiie) ;i lu moritaijno <iiii dominr
Jérusalem, et d'où, on venant de Jafîa, <»n di't'onvre d'abui-d lu villi»
sainte. Cette circonstarico explique 1 urît^tuo du nom de Moatjoie.
DIFFICULTES D UNE NOUVELLE CROISADE.
25
la jiratiqup de la sagesse H du riiumilité '. — Sans discuter
les allégalioiis do rautoui- fit la justesse do ses vues, il nous
est pennis de porter un jugonietit sur l'œuvre du frère mineur
de Païlouo, et d'y reconnaître l'expérience d'un homme qui a
longtemps v(*cu dans le Levant, et tiui, à la connaissanc*^ des
lieux et des rhoses, joint un grranrl désir d'instruire TOeci-
dent de la véritable situation de la Palystine, et de donner au
souverain pontife, avec la plus exaele inipartialité, le meil-
leur conseil pour la eroisade qu'il inrdilt*.
Malgré les efforts de Nicolas n , uialgré un concours de
circonstances qui rendait sinon certain, du moins possible, le
succès des armes chrétiennes eu Terre Sainte, la croisade
m-ée par le pontife n'eut pas lieu. Les progrès, cependant,
de la civilisation et de la puissance publique permettaient
aux princes chrétiens de s'occuper, avec plus d'efficaciié
qu'ils ne l'avaient fait préfédemtni'iit, des intérêts d(! l'Orient ;
l'affermissement du pouvoir royal en France, Tauguienta-
lion des ressources militairrs dont il riisposait et l'affaiblis-
ï«enieut progi'ossif (ie la féodalité, créaient à la ronronne
une situation dont elle pouvait prufitin* pour jeter les yeux
sur la Terre Sainti^. L'Angleterre avait réduit les Gallois et
les Kcossais ; l'Aragou, par ta iiossession des Baléares l't de
la Sardaigne, as^surait la liberté de la Médilerranée contre
de nouvelles tentatives musulmanes : l'Allemagne elle-même
re?<scntait les premiers effets du travail de centralisation
commencé depuis longtemps déjà dans son sein, et la maistm
de Hapsiiourg aftirutail déjà sa suprémali<\ I^e Saint-Siège,
dégagé des einitarras de la ijuendle des investitures, aif«'r-
missait son iidlueiiee. Mais si Tiitirorilé souveraine en Eui*ope ^
dispiisait d'une action plus étendue qu'aux siècles précédents
à mettre au service de la foi, la croisade n'en était pas moins
dt^venue impossible. Nous avons dît plus haut que l'iilée de
la croisade, n'étant plus soutemie piir l'enthousiasme reli-
gieux, avait donné tous ses résultats. En outre, la nécessiU^
de frapiier les Sarrasins en Rgypte s'était imposée ;\ totis les
esprits ; pour atteindre les bords du Nil une marine marchande
et miliiaiiT était indispensable ; les puissances chréiieiuies con-
tinentales ne la possédaient pas ; il lem- fallait recourir ai
I. KiUiMU'i' n'stnnc res 'pialilés par I»*< iIoun mots : êapienter A«-
mélif, qu'il applique uti rhvï de l'expédition projt'Iée.
28 EFFORTS DU PAPE NICOLAS IV.
communes de la Méditerranée, qui seules avaient les moyens
de transporter les croisés outre mer, mais dont les intérêts
commerciaux étaient directement opposés à ces entreprises,
puisqu'elles ruinaient tout trafic avec l'Orient. L'usage des
i^ objets et des denrées importés du Levant avait pris un tel
développement en Occident, qu'il devenait le principal obs-
tacle à de nouvelles croisades ; on ne pouvait songer à Ten-
traver ; on ne pouvait également rien tenter en Terre Sainte
sans l'interrompre. Etait-il surprenant que dans ces conditions
Nicolas IV ne réussit pas à armer l'Europe pour reconquérir
la Palestine * ?
1. Mas Latrie, Histoire de Chypre, i, 502-4.
La perto do la T<'Ito Sainlo. vivomont n^ssontie on Ceci-
dont, donua naissance, pendant les premières années du
XIV* siècle, à des projets de lonte nature, ayant tous pour
but la conquêt** de la Syrie. Chacun voulait app(irlor à
l'œuvre raïuniune l'appoint de sun expérience et de ses
idées personnelles. Au milieu de c© mouvement, doux per-
sonnages, à doa litres diffén^iits. aUÎT'enl ]'aHi*iUir)n publi-
que : l'ïm, Raymond LiilL os( un philosojiln' ; l'autre, Ma-
rino Sanudo, uti polilîiiup *■( un économiste; tous deux
cherchent a réveiller rculliiKisiasme des croisades, le pre-
mier par ses plans de propagandt^ et de prédication clirè-
tiounes, le second par son système do commerce et de
fTiierre V
Uaymond Lull. d'une fauiill*- unlili- de Tile de Majorque,
avait quille le m»nide â la suite de chagrins dont un amour
coupable ot adultère avail été l'origine. Il s'était voué au
serviri» de Di«*u. et, retiié, pour y faire pêniteuc*-, sur une
montagne de sa patrie, il avait cherché les moyens de
faire recouvrer rOrienl â la chrétienlé ; de ces médilallous
était néo tnie œuvre théologique, r.t/'.v maffna, UnW pour dé-
montrer la Niipériorité de l.-i reliijion dirélionne snr le ma-
honiélisnie. .Vppiiyant snr ce Imité le système de pro[jagande
dont il se fil l'apôtre. Lull voukiil soumettre les iritldèles et
I. Suint Muiv (tinirdfu, Ac« OiiffinfH rte lu qw-Htion (fOrifiU (lïevtif
d«6 Deux Mondes, I. i,i ilJMi't), p. \'t ft miiv.i — Voir aussi un ai-iiclf
do Oeléi'huo (Uevuo de» l>eux Mondes, wiv [I8'i0,l sur Haymund
un.
28
R. Ll'LI. ET M. SANIOO.
le» sclàsimiUi-iiH's vn les coiivorlissatil. Au lit;u dn U's écrasMi-,
pourquoi np jwts les coiivainrr*^ ? ' EoniMaiil de son plan les
ietitalivcs rlîui^'tTciisi's t'i iinpnissHnifs ditii^ srs fonlom-
poraiiis r«^A-ai(.'Ut lu réalisai ion. il riîpoiisso l'emploi île ta
forer l't song<' à reconquérir lîi Palestine [mr le rai^onn»--
iiii'til et rinstniftinn. Les app;ii*iticins diverses qu'il a cuc^s
liciidanl sa reïrail*' Ir ronfinucuL dans un dessein qu'il
])oursuil avec un dêvouenieut et une pej'sêvêranre aduii-
rabl(*s ; sa vie se passe, sans trèvf ni repos, à proposer aux
puissunees spirituelles e1 teniptirelles i'exéeulion île ses pro-
jets ; sa \ hnuo, sans se lasser^ répète ce que sa parole expose,
el, devanl rimiiffén'tiee j^énéialc, son rx<'niple montre la
voie à siii^rr. Cv{ t'sprii roiilcntplalil" l'I nivstii[U(' nt* nv rnu-
lenle pas d'émettre des théories; avec utie activité toujours
nouvelle, sans se rclniter, il l(*s itirl: rn pn-Uiquc', cl. après
iiiK' lnugue rarrière, paie du tjiarlyre son upiniâtivlé à t'mi-
verlir les Musulman» â la vraie loi.
Fersonru* n'i*iit une exisif^nre plus reiujdie. plus féconde
eu aventuii's que cet apôtre de la vérité. Il vs{ à Uonie au
moment où Saint Jean d'Acre tombe au pouvoir des infidèles
(1291), el expo.se ses vues au pape; mais il n'est pas écouté.
ConiuMMit espérer" qu'au nintnoiil de la eaïaslropln* qui chasse
les Chrétiens de Terre Sainte, il fera ]irèvaloir les conseils
de hi mndêralion, et comprctnln^ qu'on tloît renoncer à la
voie des armes, créer des monastères où \'o\i enseignera les
InngtU's or'ieiiliiles. et fondiM' des écoles de propaj^ande ^ he
papt^ el les ]>rjnees qu'il sidlicile tour m limr. en pajTiturant
l'Europe- aver une persévéraure iiihiliii^ahie, l'accuHillent avec
une hii'nvi'illiinlc pilit': il m* sv ri-Unic \Uis, el. â l'orée d'iri-
sistance. deiidi- siui souverain, h* r"i fU« Majorqu<s à établir
à Palnia un miixeui où U-i'ize frères étudieront l'm'abe. Lull
se nit'l A rapprriidri' axec eux; un esebive arabe leiu' sert
de précrpleur ; mais quand eelni-ei a pénelré 1rs di-sseins du
missionnaire, le fanatisme religieux se i^vcille en Lniel il lente
l. I)''s iilètis aiiiilu|iticn nvaieiit i^ié éuiiH's en Angleterre: iiou> en
trunvuiis la trare ilritiN les éirril» fb; ^êfonnî»1c'u^^ agents romnie
>\>rlif et l.a:i;cliuul, uiihM l»ien que dan» eeux île <'iuwer. esprit ealnie
et il'une «ran'ic piêlé. iJ. J. JiiA&prnnd, La vie nomade nu xiv «r'Wp,
ilan.H lleviie liisTuriqiie. \x, fiU).
i. M Vita i'unteinpla<i%u vsi antcriMlciis vitn: activir. i (II. Lull, if tf
^rooerliîis.)
VOYAOES ET PIlKOrrATlONS DE LULI.
20
(l'assassiner mn i!'lève; Lull désariiR' lo lULnirtrier cl pardorint».
Quand il sait l'arabe, il s'oiaïiarquo à ses frais jmiii- lAfriiiiiP
ol abordo à Uoufrit*. Là coiHmonconl d(»s conlroversos lh('*o-
logiques entre lui et los docteurs ïuahomètans ; il so niontri'
dialoctioion si consomniH qu'il cliaruie ses adversaires, et les
nuivertit; mais l'autorilé s'éiiuMit, ai auiouli' le ptiupl»^ contre
hii. Lapidi* et laissé pour mort sur le rivagn, Lull est re-
rueilli par des uiarcliauds trrnois ri ranu^ué eu EuiMpe.
A peine rt^labli, il retnui-ne ii Itouie; poadaiit près d'un
an il ne se lasso pas de d^miander à Bonifaco viii de favonser
la propagation do la foi parmi les infiilèles. .V Pise, il prêche
la crois;ide, et sa parole esl entendui' ; les Pisans le chargent
de présenter an Saint-Siègo uno pétition pour les autoriser à
ii'utei- la dnlivranco des Saints Lieux: à Gènes, nièuie succès;
li^s dames dt» l'arislocratie, enflamuuVs par l'ardeur des pré-
dications do Lnll, rendent leurs bijoux poiu*ê(iuip(!r et envoyer
UUH lîfdte dans h* Levant'. A Avignon, devenu le siège de la
papauté, il u'obtieiit rim ; et l'eutlniusiusine sonlevé a Pisi'
(*t à t^<>aes s'éteint faute d'encouragement. A Paris. Pliilippi'
le Bel reste sourd à toutes les exhortations*. Découragé. Lull
se décide à passer eu Orient, visite Chypre eï r.Vriuéuie;
mais les souverains de ces royaumes sont trop absorliés par
leurs divisions intestines pour compi'ondre l'utilité du rt^-
mède qu'il conseille. Il revient eu Occident, et tente de
nouveau de gagner la papauté à ses vues; ClénieuL v le
reçoit à Poitiers; mais^ eu uu>me temps que Lull, desenvoyé.s
inongids sont venus ii la cour du pontife, et h^s nouvelles
qu'ils apportent sont trop favorables à la cause ehretieune
pour enti'er en balance avec les espérances que Lull pouvait
faire concevoir à la chrétienté. Ils annoncent qu'une paix
générale vient d'être conclue cnlre tDiis les jiriiu'cs tartares,
et que, libre de ce côté, le roi ili! Perse offre â- Philippe h*
Bel l'appui de cent miUe cavaliers tarlares. Il s'agit bien
d'apprendre l'arabe à quelques nnssionnaires, quand le Saint-
Siège dispose d'une pareille alliance ; Lull est accueilli
comme un visionnaire.
1. Vuir plus bas sur <!ette croii^ade de femmes p. M.
'2. On trouve cependant, dans les nit''moiri:>!i de I>ubotf( (voir pta*
baji^ chap. iv) qneUjues reflets des id^es de [taymund Lull.
ru^
tt. I.ULL ET M. SANTDO.
Des efforts, cependant, poursuivi:? nvec laut d'opiniâlroW,
no (it'vaiont pas reslor stériles; les vues de LiiU s'impose-
reiït peu à peu h l'atlenliou publique; on 131?, le concile
de Vienne les consacra, en ordonnant qu'à Rome, et dans
U'S universités dt» Paris. d'Oxforrl. d*^ lîolognp et de Sîila-
niaiique, on affecterait des maîtres à renst'ignt^inenl des lan-
gues orientales, particulièrement de l'héhreu et do l'araHe.
Clément V. ami des lettres et des seiences. eonfimia par îuie
liulle 1*' decrtit du enncile, et proclanui quua des principaux
Nuucis des cliréliens devait être la conversion de» infidèles
et des idolâtres; et qu'à l'exemple du Christ , qui avait voulu
doruier à ses apôtres la connaissauci' des langues pour ré-
pandre l'évangile par touto la terre, TEglise devait s'efforcer
d'apprendre au plus grand nombre de ses membres It^ lau-
ifage des infidèles pmir propager parmi ces derniers les
dxgnies sacrés.
Raymond Lull avait longtemps attendu ee triomphe; il
l'obtint au moment où, déjà vieux, il allait descendre dans la
ttiuibe. Mais tuujfjurs prêt à la lutte, il voulut profiter des der-
niers jours qui lui resta ient à vivre, et les employa à former \n\v-
l^)ut des disciples, à les animer de sa science, et do son zèle :
!?-oisarisuprès, malgi'éson âgeavancé. impatient d'a[)pli(|ucr les
résultats obtenus, il s'embarqua de nouveau pour lAfrique, er
recommença à Hougie, avec les Mahomélans, les, conférences
et les disputes qu'il avait jadis failli payer de sa vie. Cette
fois les docteiu's se montrèrent plus intolérants ; le peuple,
ameuté par eux, maltraita et chassa le missionnaire que des
nuu'chands chrétiens eurent peine à dérober à la fureur des
Arables. Mais l'épreuve avait été trop forte pour te vieillard ;
il mourut sur It? vais.scau qui le ramenait à Palma, martyr de
son zèle et de sa foi.
Il serait injuste, à côté de l'étude des langues orieutalos,
de passer sous silence une autre idée de Raymond Lull, cello
de réunir <ui iiu seul corps les trois ordres religieux ilu Tem-
ple, de rilôpital et ries Teutouiques, dont les divisions et
riuiiuitié nuisaient à la cause chrétienne eu Palestine, au lieu
de la servir. S'il ne fut pas le premier à réclamer cette me-
sure', si d'autres, après lui. la propnsèrent maintes fois, il
1. Voir plus hftul les projets de Charles n de Sicile, p. 16 et suiv,
tmOJRTS DK R. i.iri.i..
nul rhonneur de l'assucier ea toute uccasion n ses projets. Il
eut aussi celui (ravoir pré(;()uis('> dos pnMuiors la conquôlo do
l'Egypte, et snrioul riiilcrdÎL'tiou absolue de commerce eutrp
ce pays et TOccident. Daus ua de se« traités il demandait
(|u'on attaquAt par ti^rre et pai* niw l'Andalousie, et qu'après
la conquiHo do ce royaume, rarnièe chrétienne victorieuse
s'emparAt de Ceuta eu Afrique, et de là, s'avançant vers l'est
lo long de la côte, poussitt jusqu'à Tunis ; de ce point elle
pouvait soumettre à son choix la Terre Sainte ou l'Egypte*.
L'armée devait obéir à un roi choisi par les princes croisés;
l'e^scadre, composée d'un gros vaisseau et do quatre galères
bien armées, à un amiial. Celui-ci avait uiission d'enlevtT Rho-
des et Malte, et de couper ainsi tout approvisionnement aux
Sarrasins. Excommunication, eonlîscation, châtiments de la
dernière rigueur senmt infligés à quiconque favorisera les
conmiunicationsdes iuHdèh's avi'c l'Occideni ; l'absU'nlion des
marchîuids chrétiens et liscilement commercial de l'Egypte
UH larderont pas à ruiner absolument la puissan(!H du sou-
dan *. Trois ans plus tard, rlans un autre ouvrage, Lull insisie
de nouveau sur son prujrl. ; il le dév^doppe l't \v complète ;
tandis que d'un côté un corps d'armée, s'emparant en Afrique
d(* Ceuta, du Maroc, de Tunis, de Rougie et de Tlemcen,
atteindra les froniièresde l'Egypte, un autre corps conquerra
CûHstantLuople et la Syrie, et gagnera par l'Arabie les bords
du Nil, qui se trouveront de la sorte menacés de deux côtés.
Lnll. cette fois, semble almndonner nu du moins reléguer à
l'arrière-plan l'idée dr la iioisiêre dont il se préoccupait
avec tant d'insistance* qneliiucs anné»îs plus tôt.
Malgi'é ces divergemes rlUpinion, on ne sam'ait mécon-
naître chez Raymond Lull d'autres préoccupations que celles
tle la diffusion des études orientales et de la religion catho-
lique par la prédicutiou. Si ces dernières avaient paru à plu-
sieurs empreintes d'une confiance et d'un «enthousiasme peut-
1. Dan» le traité Df fine (avril i;i06), l'auteur nxaminuit également
rii>put)ièsc île In conquête de l'ilc de Itasid (delta du \ih, mais il In
rejetait pour diver» matifs. — Voir V. Kunstmanii, Sturlirn ûbrr Ma'
rino Sanuflo den At'ftnrn. (Munich, IK'».^), in-'i*, p. "Jô.)
2. Kuimtiiiani}, Stmlirn..., p. 26-27. Hayiiiurid f.ull CHtime à six
l/)nét*ft le temps n*''cc8(>aif« â prwluiiT ce n'-sultal.
Le traité porte le titre : Df aetpiùi-
^tni trop naïfs, porsoiuie no pouvait cniil^Aster l'utilité do
l'union des ordres uiililairt's, qui dovaît frn-mer, p<iur ainsi
iliro, fn Orient, uno croisade pernianonto ; les idées cuui-
uierciales, les vues de Lidl sur l'Egypte étaient nouvellet»
pnur l'époque; on le vil liien :*i. riiésitation avec laquelle elles
élaieiit formulées, à l'absence di* sens pratiiiue, à l'ai-deur
en quelque sorte clievaleresque qui les avaient inspirées*.
S'il est vrai que le visionnaire disparaissait, c'était potn*
rester chevalier et genîiilniininc, non pour devenir p(di-
liqiie ou êcononiisfe. Rayinnuij Luli iinus apparaît ainsi
avec un d(nible earaclère : apôlre. il veut (conquérir l'Orienl
par la foi ; mais clievalier en mémo temps que niissionuaire.
il ne vent pas rjue rclui-ri s'abaisse devant ct»liii-lri; il met l'un
<*t l'autre sur le même ran^' ; pour lui, l'idéal d'uue socièlé
fortoiueiit constituée est l'accord du prêtre et de l'homme do
guerre.
y La questiiin d'intenention aux Lieux Sainls revêt avec
Marino Sanuelo un nouveau raractèru ; de religieuse, elle
devient ]Kdiliqiie et commerciale, et cette Irausformation
l'épond autant au changement (|ui s'est op^ré dans le mou-
vement des croisades, vers la tin du xiii*-' siècle, qu'à la nn-
lionalilé et aux attaches de famille de Sanudn.
Il appîu'lenail à ia grande famille vénitienne des Sanudo.
devenus, après la conquête de Constant iiiople par les Latins
(l?04), maîtres de Nax)»s. de Paros et de Mélos, et chefs
d'une dynastit; durale qui se per'pélua pendant plus d'un
siècle dans l'Archipel ; mais il n'était pas de la branche des
ducs de Naxos. Son père, Marco Sanudo, habitait Venise, et
selon toute probaldité Mariuo naquit dans cette ville vers
I2iî0, perpétuant le surnom patronymique de Torsello qu'il
lièrita de son père. Nous savons peu de chose de la vie <le
Sanudo ; un passage de ses reuvres nous apprend qu'il vécut
dans l'entourage du c^ardinal Kichanl de Saint Eustache, pro-
bablement dans le but de se familiariser avec la science du
ilroit, dfuit le prélat faisait son étude préférée ; mais combi<'n
de temps dura cette domesticité littéraire, à quelle époque
doit-elle se placer ? Autant de questions qu'on ne saurait ré-
1. Marinu Sanudo reprit ces idées en les transformant, comme nous
le montreniii» phi!» bas.
2. Saint Muri: liiranlin, lue. cit., p. 52.
VIK KT orVRAOKS I)K SA-Nt*X)0.
sûudre. Il eu est de même d'un st'ijoui' assez long en Grèce
aufpiol les êrrils do Sanudo font do fréqiintitos alhisiiins, sans
iiu'il soit possible toutefois île détenuiner si Torsello était
alors au service de la république, ou a'il habitait les posses-
sion-* de sa famille dans l'Arrhipel. Nous savons qu'il par-
rourut tout le Levant; il alla â Chypre, en Arniênio, :'i
Alexandrie et ù Rhodes ; le conmierce n'était pas étranger à
ces voyages*. Quelque incomplets que soient ces détails, ils
suffisent pour expliquer la direciion que Sauudo donna à son
esprit; un penchant naturel le poussait à s'occuper particu- i
liêrement de la politique de l'Orient et des moyens de rocoa-
quérir la Terre Sainte ; c'est de ce sentiment qu'est né le
trnilè des Sécréta fidelium cruris, l'œuvre à laquelle Sanudu
lîonsarra toute son existence et qui a immortalisé son nom'.
Son ouvrage achevé*, Sanudo quitta Venisn jiour le pré-
senter au saint-père, et, s'embarquant sur les galères véni-
tiennes qui faisaient le voyage de Flandre, il aborda û Bruges
poui' gagner de là Avignon, siège de la papauté ; il y parvint
le 2\ septembre I3'^l.
Pendant son voyage et à son instigation, les couis qu'il ^
traversa redoublèrent d'elTorts dans les préparatiCs de croisade
dont elles étaient occupées, En France, le roi et surtout le
comte de Clermont nïauifcstaient pour l'entreprise le zèle le
plu* enthousiaste; ils eurent avec Sanudo de fréquents entre-
tiens. Le comte Guillaume de Hainant arrêta avec lui les
bases d'un passage outre-mer. Retenu longtemps par le pape
à Avignon, Saniulo, devant l'échec des projets de Phili]»pe le
Long 'I3?3), rentra à Venise avec le dessein de rester dans
sa patrie ; il la quitta cependant en 133? pour aller à Naples
t, Kunstmann, Studien.. , p. 1-5.
2. Bongars iGesta Dei per i'ranco$,\. ii] a édité \es Sécréta fidelium
rruciê. Voir sur Sanudo particulièrement l'ouvrage do Kunstmann
ciXé plus haut, les études t'e Simonsfeld {Xeues Archw, vu, 43-72),
le travail de Saint Marc Girardin que nous avons déjà maintes fois
cité iHevue des Deux-Mondes, t. xu, IHfj'i), et la thèse de A, Pos-
tan5i)ue, lie libro secrftorum fidelium eruci», (Montpelllei', 185'».)
3. \jB premier livre de» Sfcrrtn fktetium crucis est de 13()fi; il fut
adrewé à Clément v; l'auteur y ajouta postérieurement un épilogue
et présenta l'ouvrage ainsi modifié à Jean ,\\n, successeur do Clé-
ment V ; le second livre fut l'omposé en 1312, mais la dernière main
n'y fut mise qu'en 1321 ; le troisième livre dut être écrit vers 1313.
(Simonsfeld, JVeiteK «ir/iir, vu, 45-7. i
34
U. I.UI.L KT al. SANt'DO.
solliciter le roi Robert de secourir la Grèce meuacée, et eu
1333 pour fairp un dernier voyage en Grèce et k Constan-
tinoplo*. Ses ressources étaient alors assez <iiïoinuêes pour
l'empêcher do reprendre avec les cours eui*opéennes les rela-
tions personnelles d'autrefois, et ses lellres témoignent du
regret que lui causait uin> pareille situation. Si Clément v.
auquel Sanudo avait, dès 1307, fait parvenir ïo premier livre
de son traité, accueillit Cavorabletuent les vues qu'il contenait,
et renouvela la défense faite aux Chrétiens de coniiuercer avec
Alexandrie et l'Egypte; si Philippe le Bel suivit l'exempli»
donné par le Saint-Siège en ce qui concernait les sujets du
royaume de France, ce fuient là, sera!>le-t-il, les seuls i-é-
sultats qu'obtinrent les efforts de Sanudo. BieutOt vinrent
les obstacles, les délais et les embarras de toutes sortes ;
Jean xxii, lui-même, écrivit en 1318 et 1319 aux rois de
Franco et d'Angleterre pour Ips dissuader de la croisade.
Sanudo s'indigna, et sacorrespoiidancp nous a conservé rexi>res-
siou de sa douleur et de son découragement. Quelques années
plus tird, devant l'apathie de l'Occident, il se contentait de
solliciter pour le royaume d'Arménie un secoiu*s de dix galères,
montées chacune par trois cent cinquante hommes d'équipage,
et portant une armée de (lébart|iiement [\o mille hommes de
pied et de trois cents chevaliers ; il suppliait le pape do
décider les princes chrétiens à s'ai'raer pour la foi, à s'unir
avec les Vénitiens, et à mettre â la tête des troupes un capi-
taine qui s'inspirât des principes exposés dans les Secretn
fidelium crucis'*. H mourut pou après, sans avoir eu, comme
Raymond LuU, la consolation de faire agréer ses plans'.
L'ouvrage de Sanudo, préseoté au pape Jean xxii, fut
examiné par une commission composée de trois frères Mineurs
et d'un Dominicain, familiers avec les choses du Levant. Le
résultat de cet examen fut favorable à l'ensemble dun projet
1. Ces divers voyagea et ces pourparlers corresponUpnt à des projets
d'inton'ention en Orient dont le lecteur trouvera les détails plus bas,
aux chapitres iv, vi et vu.
2. Kunstmann, Studien..., p. 22-3 et 39 ; — Saint Marc Girardîii^
he. cit., p. 57-8,
3. La date de la mort de Sanudo e«t incertaine; il vivait encore eu
1334.
IMPORTA .NCK CoMMKHClAI.li HE 1, KtiYI'TK.
»lout l'esprit, â la fois économique et politinue, s'iinjiosa à
rapprobalio» de.s commissaires'.
Los idt'cs px|iosêeA par Sanudo n'apparaissaient assurùmeiit
pas pour la première fois; ses principales propositions avaient
déjà été émises, et cependant l'œuvre était originale; il y
circulait uu souffle nouveau i{Ui transformait et rajeunissait,
en lonr donnant d'autres applieatinns, dos conreplious déjà
anciennes. N'avait-on pas, depuis Saint Louis, compris que
l'Egvpte était la clef de la Terre Saiute? N'avait-on pas diriifé
contre ce pajk's les dernières tentatives faites pour enlever la
Palestine aux infidèles!? Depuis le x" siècle, l'iniportatinn
du fer, du bois ou des armes riiez les Sarrasins n'éUit-elle pas
prohibée par Venise? Cette défense, aux siècles suivants,
n'avait-elle pas été maintes fois étendue et confirmée par le
Saint-Siège ( C'étaient là des idées courantes et presque re-
battues ; Sanudo, cependant, n'en conçut pas d'autres, et
trouva en elles les éléments d'un système complet de conquête
et de politique.
C'est le propre des hommes supérieurs de renouveler le?*
questions qui ont préoccupé leurs devanciers et de leur donner
une forme définitive. Sanudo comprit que la position géogra-
phique ile l'E^^ypte était unique, et qu'on pouvait tirer parti
contre elle dune siiuati<)U qui précisément faisait sa force
Entrepôt du commerce des Indes avec l'Occident, et de l'Oc-
cident avec l'Orient, l'Egypte tirait sa richesse du commerce
de transit; ruiner ce dernier, c'était ruiner la prospérité du
pays et on même temps sa prépondérance dans l'empire mu-
sulman. Pour atteindre ce but. il suffisait de détourner de
l'Egypte les marchands qui lui apportaient les deni'ées ile
l'extK'me Orient, et d'empêcher les nations européennes d'ame-
ner 4 Alexandrie les marchandises qui manquaient aux
Egyptiens. Tel est le plan conçu par Sanudo : blocus conti-
nental de l'Egypte et conquête du pays aifaibli parle blocus.
Samido est avaut tout Vénitien ; à lui s'applique mieux qu'à
personne la parole célèbre : Siamo V'rnezianiy poi ChristitJiii.
Ce n'est pas à dire, cependant, qu'il ne suit animé de l'esprit
1. La commission ne critiqua que e«rtaina points de détails, ot par-
ticulièrement la rigueur des inesurc!» proposées conlre les infructenrs
des prohibitions cuni merci aies <|uc Sanutlu réclamait cuntre le» iji-
fidèles. (Kun^tmunn, Studini..., p. 39.)
chrétien, et que le désir d'arracher la Terre Sainte aux infi-
dèles ne Tait pas inspiré et soutenu dans la composition de
son livre; mais, avant tout, c'est un patriote qui rêve la gi*an-
deur de son pays et qui excuse toutes les défaillances, quand
elles ont pour but le développement de la puissance véni-
tienne. On sait que Venise et les républiques maritimes de la
Méditerranée avaient trouvé, dans le commerce des denrées
prohibées par les ordonnances apostoliques, une source de
hénéKces considérables ; pour Sanudo. celte contrebande per-
dait de sa gravité quand elle était exercée par des Vénitiens,
et lui-niême, en parlant do ses nom breux voyages, fait observer,
avec un sentiment de légitime orgueil^ qu'il n'a jamais trafiqué
iKobjets de cette nature ' ; mais on sent qu'il excuse ses com-
patriot<'s de n'avoir pas suivi son exemple. Aussi, dans ses
projets, fait-il constamment à sa patrie la part la plus large ;
' il entrevoit pour elle un empire nouveau à conquérir et des
débouchés commerciaux à créer; s'il consent, en bhKiuant
l'ftlgypte, à léser innnicntanément Venise dans son commerce,
il sait bien que la nouvelle prospérité qu'il lui réserve com-
pensera au centuple les pertes subies.
I l.e blocus de l'Kgj'pte, proposé par Sanudo, se compose de
deux parties: — détourner le commerce des Indes de
I l'Egypte vers la Syrie ; — interdire à i'Kgypte toute exporta-
tion ou importation avec rOccident. Sanudo sait que, quand
une route commerciale est l'ermép, il faut de toute nécessitt»
qu'une autre s'ouvre pour la remplacer. L'Euphrate héritera
de la fortune du Nil ; les marchandises delà côte du Malabar.
au lieu d'arriver à Aden et de gagner de là par caravanes,
en neuf jouï"^, le Nil, sur lequel elles sont embarquées à des-
tination d'Alexandrie à l'époque de la crue du tîeiive ', seront
dirigées sur les ports de la Perse, et remonteront l'Euphrate
paur atteindre par Bagdad la Syrie. Antioche et la mer Médi-
terranée. Cette voie nouvelle permettra aux négociants chi*é-
tiens de pénétrer dans i'Imle; ils auront libre passage dans
Terapire des Tartares, au lieu d'être impitoyablement arrê-
tés par le soudan d'Egypte, qui no permet à aucun chrétien
de traverser ses états pour aller naviguer rlans l'océan
1. KuuKtmann, StutUrn. . ., p. 4.
2. En octobre, to voyage du ]K>inl d'arrivée d^ caravane^s Jusqu'il
Alexandrie dure quinze jaurs.
HUJCl'S DE 1. fiOVPTE.
Indit^n. La ri m te de Pwse, du rest*^, pst employée pour les
(ionréos de peu de poids el de grand prix, taudis ([ue la route
d'Aden est réservée aux marchandises lourdes et de peu de
valeur. Cette circonstance s'cxplii|ue par les frais de trans-
port cousidérables (pic su[i[K)rt('iit les dcnitV'S exïiédiêes par
la Perse, frais qui sont bieu moindres par la voie d'Aden et
ilu Nil. Eu revancbe. les droits à acquitter sont trêî^ lourds
en Egypte, trè.s faibles en Perse. Quand la route d'Egypte sera
fermée, tout le commerce de l'extrême Orient cherchera par
la Perse et la Syrie un débouché sur la Méditerranée. Pour
ruiner rKgyi»te il Jie sufiit pas de lui enlever son trafic avec
l'Orient, il faut aussi l'isoler de l'Occident, et c'est dans ce
but qu'un blocus sera m?cessaire. Sauudo veut qu'il soit
absolu ; il faut que l'Egypte ne puisse plus vendre à personne,
ni les denrées qu'elle reçoit, ni celles qu'elle produit; Tintor-
diotion de conunerce sera donc générale. Ni la Grèce d'un
(Aie et les pays compris entxe Scutari et les bouches du
Salejdi ou Cilicie', ni d'un autre côté la Tripolitaine, Tunis,
les États Barharesques et les possessions musulmanes d'Es-
pagne ne resteront en dehors de cette mesure, qui sera appli-
t|uée sur terre et sur mer avec la derniers rigunir et sou« les
peines les plus sévères ; quiconque' l'enfreindra ou favorisera
les infractcurs sera puni comme héi-étiqu).' et déclaré infânu\
cette dérlaratioii eiitrainaut la confiscation et de nombreuses
déchéances.
Pour maintenir le blocus, une ft(»tte do dix galères sera
levée et mise sous les ordres d'un capitaine nommé par le
Saint-Siège : elle protégera b*s rhivliens d'outre-mer, com-
battra le» Musulmans et fera exécuter les pénalités édictées
contre ceux qui per^'éxén-ront .1 <'onim<*pcer avec les infidèles ;
afin d'intéressi'r sa ^igilame. |i'< pn*ês seront partagées
entre le capitaine ei b's rqiiipjiiirs : rrux-ci seront Vénitiens :
do toutes les nations occidentales, eu efiVît, selon Sanudo.
c'est celle ijui connaît le mieux les mers du Levant, et qui a
dans r.\rcbipel le plu-* do pi.uts rie relAche. Les Vénitiens
sont doiu' les surveillants natunds de la croisière, et ou con-
t'oit que Sanudo, Vénitien lin-niénip, n'att pas hésité à faii-e
38
R. LUIX ET M. SANUDO.
->
de ses compatriotes les maîtres et les arbitres du commerce
européen '.
Saiiudo estinmit que trois ans »J'ud pareil blocus suffiraient
à ruitier l'Egypte, et que le aiouient serait alors propice pour
la conquérir. Il demandait au pape de lever, dans ce but. un
corps de troupes de ([uinzo mille hommes de pied et de ti'ois
cents cavalirrs, destiné à débarquer aux bouches du Nil sous la
proteciiou de la flotte ; il s*eflori,'ait de faire ressortir la supé-
riorité do cet itinéraire sur la route de terre suivie par la
première croisade, et sur le débarquement en Sj^-rie, à Ciiypre
ou en Arménie ■ ; mai.s toutefois, en raison de l'importance
stratégique do l'Arménie, qui seule était encore aux mains
des catholiques, et faisait obstacle i\ la réunion en un seul
faisceau de toutes les possessions musulmanes d'Asie Mineure,
il proposait l'envoi d'un routingont séparé dans ce royaume
afin dn lortifier la résistance des Ariiiéuii^ns. Au sud de
rKgypte, l'appui des chrétiens de Nubie, à la frontière orien-
tale de la Syrie ralliance des Tartares, dont il se déclare le
partisan (■on\aincu, devaient assurer le suceés. Sanuilo
enti'evuyait entre le Delta du Nil et les lagunes de Venise
une analogie (]ui semblait prédestiner sa patrii' à la posses-
sion de rKtçyplc. Il insistait beaucoup pour que la croisade
fut confiée exclusivement aux Vénitiens : c'était empê<-hcr.
dit-il. des rivalités et des ditîirultés dont les précédentes
expéditions n'avaient que Imp dtmné le spectacle ; c'était
aussi, grâce â l'i^xpérience lie-i marins de Venise et à leur
supériorité incontest'ible au point de vue commorcial, placer
l'entreprise sous les meilU'urs auspices: en réalité, Sanudo
Voulait fonder en Egypte \me nouvelle Venise, et, [uiisque
Gènes semblait maitresse de ta mer Noire, donner .•'* la répu-
blique de Saint-Marc b' commrroe ries Indes, dont les rives du
Nil el la nier Rougr ntaieut l'entrepôt naturel.
Tout, dans le plan de Sanudo. se rattache à cette idée ; les
Maures de (irenade pourraient, à un moment donné, être un
daiiffer sérieux; on les s()umettra pour s'en affranehir; on
1. Sailli Marc Ciîrartiiii. hc n't.. p. 6»i-y ; — Kuiistmiinii, Stuitien...^
I», H)-22. passiiM.
2. V.n oxposaiil les niisouK de m's |irêfrnMir''.H :i fliuîsii* l'Egypte,
Suiuidu lie fuit que repiijtluire les uruuiuouU expu-'H*?» avant lui. Voir
pluH haut, iMtgCN ir 01 ii'H.
IMPORTANTE DES VTES DE SANUPO.
sVtablira fortement à Rosette ot sur la cMx" d'Egypte qu'on
couvrira de forteivsso.s ; pcnriaiit los luois ui"i le couuuercp
est interrompu. c'est-à-dir« d'avril à octobre, ou détachera
viriirt galères et cIikj mille honiiuos du cor]is i>riin'i]uil ' pour
im]uiéter les peuples <|ui olièissent ri l'fiutoriu' du soudau.
la Tunisie, la Turquie d'Asie et les pays soumis à l'empire
jrrec. L'Eg;)^ple couquise, la roule de Jérusalem est ou>erte et la
Palestiiio dêlivi*ée du joug inusuluian'.
Les vues de Lull et de Sanudo, de ce dernier surtout, nous
niit semblé, à cause de leur importance exceptionnelle, mé-
riter d'être groupées dans un chapitre spécial. Elles éclairent,
au commencement du xiV siècle, d'uue vive lumière la ques-
tion d'Orient: elles l'èsument. en les transformant, les idées
••mises jusqu'alors par les meilleurs esprits; elles contiennent
le germe de toutes celles que, pemlaut prés de cinquante
années, le désir de reconquérir les Lieux Saints fera éclore
i»n Occident, et dont il sera question dans le coui's du présent
travail.
1. Sanudu évalue â otiiquante mille hommes et à deux mille che-
vaux, ou à la rigueur i\ quiuante mille iiommes et mille chevaux les
forces nécessaires à la réalisation dn ses projets.
2. Saint Marc Oirardin, (oc, crt., p. 63-4 ; — Kunstmanii, Studien. .,
p. :ïi-:.
CHAPITRE m
EXPEDITION DE CHARLES DE TAL.OI&.
S'il y avait pour les Latins, au îondpmain de l'évacuation
de la Syrie, un moyen de la reconquérir, c'était en s*unissant
aux Mongols ; depuis longtemps déjà les puissances occi-
dentales sV'taiont habituées à considérer cette dlliance comme
la liase do leur iHjlitique en Orient, mais elle était restée
'jusqu'alors dans le domaine do la théorie, et n'a>ait donné
aucun des résultats qu'un était en droit d'espérer d'elle.
L'invasion mongole, partie du fond de la Chine, après
avoir tout renversé sur son passage jusqu'en Russie, en
Pologne et en Hongrie, se trouvait, au milieu du xiir siècle,
en contact direct avec les P^tats musulmans tlu soiidan d'Egypte
en Syrie ; la première rencontre entre les Egyptiens et les
Mung'ds ' 1 ?r»0) a^ail été favorable aux premiers, et le sultan
Bihnrs, dont la valeur militaire étîiit universellement it-
nomniée, avait su, pendant son règne, arrêter les progrès des
envahisseurs. A la mort de Bibars, lt»s Mongols étaient de
nouveau enln»s en Syrie (l;*K(Jj; mais, malgré leur allianc*
avec les Clu-étiens de Terre Sainte, cette seconde invasion
avait éjiroiivé le sort de In [tremiére ; les Kgyptiens avaient
été victorieux à la bataille décisive de Hîrns (l?HI). Si, â Ja
suite de leur défaite, les Mongols avaient laissé quelques
années de répit à la Palestine, ce n'est pas iprils enssent
renoncéà leui' projet de conquérir l'EgyjJte, mais des tnmbles.
des soulèvements et des guen-es intestines occupèrent ailleurs
leur attention. Les innu'siuns continuelles des ICgyptiens en
Ciliuie, pays tributaire des Mongols. ramciiértMil bientôt les
Tarlai*es ;'i leurs premiers desseins: au monir-nt de la chuti"
du rovaumr de Jérusalem . leur chef (^lazan fherrhait â
VICTOIRE DES .M0NG0L8 A IlIMS.
11
entraîner l'Occident dans une ligue générale contre les
Musulmans. Nons avons montré r|uoIle suite de circ-on stances
nmpéclia l'Europe de mettre à pru(it les bonnes disp()sitions
de Gazan. Celui-ci, quoique privé d'une coopération dont il
espérait beaucoup, se mit en campagne, avec Tappui des
rois d'Arménie, de Géorgie et de Chypre (121)91. La bataille
se livra â Hims, à l'endroit même où s'étaient déjà rencon-
trées, à deux reprises ;13C0 et I2H|) les armées égyptienne
et mongole ; ce fut pour cette dernière une victoii-e complète,
dont la part décisive revenait aux troupes auxiliaires chré-^
tiennes, enrôlées sous la bannière de Gazan.
Un pareil succès eut un immense retentissement, et ranima
un moment, en Orient comme en Occident, le zèle pour la
délivrance de la Terre Sainte. Cette même année, le comte
Gui de Jaffa et Jean d'AntiLjche accouraient à Byblos pour
arrêter avec le roi d'Arménie» allié des vainqueurs, les bases
d'ane action commune; mais l'absence de Gazan^ qui avait
repris la campagne, empérha toute entente. Peu après
Henri ii de Chypre, kvi Hospitaliers et les Templiers en-
voyaient treize navii*es en vue de Rosette, mettaient sept
bîHiments égyptiens en fnite et pillaient la rote jusqu'aux
environs d'Alexandrie. Kn même temps Amaurv de Liislgnan.
seigneui' de Chypre, avec le concours du Temple et de
THApital. tentait nii débarquement A Tîle de Tortose (Ile di*
Kouad,, mais l'approcht* de l'ennemi le formait :*l s'éloigner.
Cependant, â l'instigation de Koiitloukschali, lieutenant de
Irazan, le projet contre Tortose ne tardait pas â être repris
'I30r. Les Templiers oc*iMiiȏrPiit l'Ile qui est en fare de la
\ille. ety eonstruisirent une tour lortiliée ; la venue d'une
riitttille égyptienne, qui aborda Tilc des deux rotés à la fois,
iibligea une l'ois encore les rhevaliers â la retraite. Assiégés
dans la tour (2? oï*tobre l;ïO;>). ils durent se rendre après
avoir |»erdn cinq eents arehers et trois cents hommes
d'armes '.
Ces éi'hecs. subis par les chrétiens iTOrienl à leur [iremièr*'
tentative de rejaemlre la Syrie, s'expliquent autant par le
I. ICilhnclit, liludex xur irx rhitiiers temps tiu rutffiumv *ie Jént-
Kttlrm lArch. tic l' trient Lutin, i. r»'ir-8). — Ahol HéttitiKiil, MétntiirfK
Miir If* retationii /mtitii/nejt des jirincea rftrètietiH.., tntf /m emfterfui'n
Manyols Mrw. de l'Arad. i\vs liist-r.. vi (1822), :t'.t6-'i69}.
v^
EXPEDITrON DE CHARLES Ï>E VALOIS.
manque d'eusemble de leui-s efforts (|ue par l'insuffisance des
forces déployées. Mais ce fut surtout l;i coiiduito des MotigoU
eux-méiue.s qui paralysa la tentative nouvelle ; dans le premier
enthousiasme du la victoire d'Hinis, on avait cru qvie Gaznii
n'avait qu'à continuer su marche pour anéantir la puissanc**
des Sati'asins ; il n'en fut rien cependant ; les vainqueurs,
pour diverses raisons, ne surent pas proliter de leur avantajçe,
et cette circonstaiice permit aux Musulmans d'opposer aux
Latins les troupes que les hésitations des Montfols rendaieul
momentanément snns emploi contre ces derniers.
On ne Uirda pas, dans Je Levant, â comprendre, après la
victoire, quo l'E^'vpto n'avait pas été frappée à mort ; l'Occi-
dent, au contraire, â distance des événements, fut plus lent à
renoncer à l'espéraDce que la défaite du soudan avait fait
concevoir. Au récit de la halaillc avaient succédé les nouvelles
los jdus favorables â la cause des Latins ; Gazan, allirmait-on.
fêtait devenu chixHien par l'inlliience de sa femme, priticesse
rhrétienne ; il s'était *»ni[)aré du Caim et de toute la S^Tie,
avait réintéf^ré les Tenipliors et les Hospitaliers dans leura
anciennes possessions, et engageait le Saint-Siège à envoyer
en Palestine des troupes pour la reprendi'e. Ces bruits
et ces récits avaient réveillé rentliousiasnie. A Cîénes,
cédant aux exhortations de Kavnioud Lull, les dames du plus
haut rang avaient vendu leurs bijoux pour équiper une escadre,
et i'avaieiit mise sous le comuiaudement de lîennit Zueeharia,
dont le nom avait laissé chez les Sairasins le souvenir le
plus redoutable '. Le pape Boniface viir avait renouvelé l'oppel
fait par ses prédécesseurs. (^ir;M'e â lui, grà<'e aux ;ipp;u*itinns
l*réi|uent<'s d'ambassades mongoles eu Europe *, et aux négo-
L Kiïhricht, litiidex..., dans Art'li. de IDrifut Latin, t, ti^ia-nO; —
Wilken, Gfsch. drr Kreuzsûgr vrt, 781 ; — Delescluze [Raymond LuU.
dans Itevuo des Peux Mondes, x.viv, 536). Ces dames étaient au nombre
de neuf; leurs noms nuusont été conservés, ainisi que ceux des quatrn
capitaines génois. — L'amiral génois IL Zaccharia avait joué un rôle
ronsidérable dans les aflaircs de Terre Sainte nuK dernières années
de la domination latine. Nous le retrouverons plus bas mMé aux ])rojol.s
de croisade île Philippe le Uel.
2. II n'entre pas dans le cadre de cette étude d'examiner en détail
les rapports iliplnmatiqoes qui s'établirent depuis IJ'iâ. mais surtout
;q)réri la chute d'Vcre, entre les Mongols et les puissanceit d'Dccidenl,
Krance. Kspagnc, Angleterre, Allemagne. V. sur ce point Hohricht,
illud^A ... p. 65U, note 81, ot .\bel Itémusat. Mi'muires..., possim.
MARIAGK DK CHARLES DK VALOIS.
43
ciations toujours reprises par la cour de Rome, l'enthousiasme
subsista longtemps ; on 1308 même, enflammée par les prédi-
cations dont l'Kurope retentissait, une masse considénible de
gous du peuple se rassembla dans le nord de la France, eu
belgifjue el sur les bords du Rhin, pour marcher à la déli-
vrance de la Terre Sainte. On pouvait croire à un véritable
réveil de Tesprit des croisades ; malheureusement ces croisés
{populaires commirent laut d'excès que la papauté <lut leur
i>rdomier de rentrer ilans leurs foyers'.
C'est vers la même époque, sous l'inspiration du st*ulimenl
belliqueux qui agitail alors toute l'Europe chrétienno, ([u'uii
prince français Charli-s di- Vali)iH, frère du roi IMiilippe lu
l:îel, songea â faire valuir les «Imits qu'il avait à l'euipire de
Constantinople. Ou séparait asso^ pou, en ce temps-là, la
question de l'empire grec de celle de la croisade, et, si quel-
ques esprits faisaient une distinction, ils ne voyaient dans la
conquête de Constantiiiople qu'une première étajtc à celle de
la Terre Sainte : on savait assez quels embarras les Grecs
avaient suscités au développemenl du royaume de Jérusalem
pour être c(m\aincu qu'en commentant par les réduire (ui
faciliterait la i-epriso ilo la Pab-stine.
Philippe de Courtenay. empereur titulaire de Byzance, avait
en nmurani transmis à sa tille Catln^rine ses droits â la cou-
ronne impériale; Catherin^ n'était pas mariiHs et l'appât d'un
pareil héritage suscita de nombreux j)rétendants à sa main :
l'haque puissance eut son candidat. Michel Paléologne, tils
i\r l'empereur Andronic, Frwléric d'Aragon, frère <lu roi
d'Aragon Jacques it, et ivd de Sicile, s'étaient mis sur le»
rangs. I.a France avait enUimé ( I 2*M\ de sérieuses négociations
pour faire épouser â la princesse Jacques, rtls aine du roi de
.Majorque', mais sans y parvenir. C'est alors qu'elle itroposa
un antre candidat, le profiro fivre du r(û, Charles de Valois.
\euf de Marguerite, Hlle de Charles n d'Anjou, qui venait
d'obtenir de Jac(|ues ii le trône de Sicile pour prix de son
flésisternent â la couronne d'Aragon. La diplomatie française
senti-eniit activement pour faire ivussir ce projet ; le Saint-
Siège l'appuya, â conditim» qu'avant de conquérir C^onstanti-
i. Kolirirlit, AVu'/'*x.,., p. (i,*0-l.
2. Ix roi lie Majorcjue était Jncquos I d'Arugon,
d'Aru^m AlpliunM.' n et Jaeque> u.
unclc de» rois
u
KXPKDITION I>K rilARI.ES HE \ AI.OI.S.
nopl(?, le prince français tenterait de reprendre la Sicile.
puvahie et usurpée par KW^déric d'Aragon, au mépris de la
iM'ssion dont nous venons de parler. Charles d'Âiijon, roi de
Na|iles. oncle de Catherine, dont la princesse avait promis
(l'obtenirle consentement, se hAta d'autoriser cette union; elle
lui assurait, en effet, le serr.iirs do la Fraiiee <:ontre l'usurputeur
du trône de Sicile et lui donnait l'espoir de venger Robert de
Calabre. battu et fait prisonnier par lui. Le mariage fut
décidé et eut lieu le IS janvier 1301 ; le même jour Catherine
abandonnait â son nouvel époux 1ou.s ses droits :t l'em-
pire, et Charles de Valois se mettait sans retard en route
pour la Sicile '.
L'expédition du prince français comptait quatre mille cava-
liers environ ; elle se joignit aux forces de Charles ir. prit terre
k Termini et assiéjrea Soiac-ca. Les maladies ne tardèrent pas
k décimer les troupes ; malgré de sérieux avantagea et beau-
coup do valeur déployée, Charles de Valois, après un an de
séjour, n'avait fait aucun prof:rês ; c'est alors que Charles ii
«e décida â traiter avor Frédério d'Aragon ; cette résolution
ruinait le*ï dernières espérances du frère do Philippe le Bol;
aussi Charles de Valois se b;'ita-t-il de se faire eouiprendre
tlans le traité de Caltabellota f:H aoftt L'îft?). et d'y faire
stipuler à son profit la lilierté de ramener son corps d'armée
à Naples par mer ou en suivant la roule de terre k son
choix*.
Mais si Charles de Valoi-* rernuiçait à la Sicili». il n'ahan-
doinmit pas ses prétentituis j'i l'empire d'Orient: en érhaup*
de sa retraite, il s'assurait, dans son projet de conquête de
Constantinople. rîip|iui de Frédéric d'.\rajiori. qui lui pro-
mettait (Lîf».'l^ une Hotti' do (luinze ou \iiijft galères, deux
cents cavaliers soudoyés pendant quatre mois, et s'engageait
en outrp à ne pas traiter avec Andronic avant que Charles de
Valois n'etH traité lui-même'.
1. J.A.C. Ilurhoh. iitr/itu'rftes et matihinux fuiur Mcrrir li *ntr hh-
tuire lie In tlominoUon frnnnti^e... tton» let prorOtcrii iti'memftrétK île
l'empire ijrer ^K'iOl i. V.*-7; — Haniuii Munlanor (étl. liiichunl, p. î05-fi;
— Itilil. niU.. (!o'i. ï>upuy, vol. yf., f. I2I-'J et vol. 122. f. I'i9.
2. R. Munlaner. n?dit. Uuchoii). p. 'ili-U: — Mas latrie., SovteUrs
preuve» de r/tttUure tle Chypre, dans iJibl. de l'Kc. des Chai'les, wxiv
.I8::i). p. 4H: — Buobon : fiech-rvhvit.... \, 48.
:ï. Itut'huii. Herhereftr*.,.. \. ^H. dîipW's Arvb iia*.. I. 'iio. ir 7.
TllinALT DE CKPÔV A VEMSK. 45
Ces promesses n'étaient pas destiuées à être tenues ; on k*
vit !nen quand la Conipagnie Catalane, sous leâ ordres de
Roger do Fior, passa au service d'Andronic avec l'asseu-
timent de Frédéric. Dans l'espril du roi de Sicile, elle
devait neutraliser les plans du prétendant français, tout
en semblant les favoriser; elle s'était, il est vrai, déclaré»*
pour ce dernier', mais ,il fallait peu connaître sa moralité
pour n'être pas convaincu qu'elle ne prendrait conseil que de
son intérêt. Frédéinc le .savait, et loin de réaliser le secours
consenti, fit tous ses efforts pour ruiner RGcrètoinent en Grèce
l'induence do Charles de Valois'.
Encouragé par le rapport de ses agents, Charles de Valois
se décida à tenter la conquête de l'euipire; Thibaut de
Cépoy. envoyé (septembrn \'MH\) à Venise, entraîna la répu-
blique dans ses projets. L'expédition devait prendre la mer au
mois de mars 1307; le i^ndez-vous général était à Hrindisi.
V(»nisu fournissait, aux frais de Charles, les vaisseaux néces-
saires au transport des troupes; une Hotte de douze galères,
destinée à assurer la sécurité de la uier, était armée à frais
communs. L'année suivante, des dillicultés survenues entre
les plénipotentiaires des deux parties contractantes orapè-
chèrent l'exécution du traité'. Cépoy, cependant, n'était pas
retourné en France; Charles de Valois, persévérant dans
ses desseins*, <d>tenait de ('lément v une dime en faveur de
l'expédition'; la mort même de Catherine de Courtenaj
n'arrêta pas les préparatifs militaires, et si le prince per-
1. Nous satons par la correspondance du gouverneur de Salonique.
Moiiumakos, agent secret du parti rrançais. (|ue les CiitaJans occupant
les forteresses du c6t<^ de Gallipuli, rcconiiaissuient Charles de Valois
I«mr leur seigneur (Huchou, Recherches,.., i. i8-y).
2. Pliilippe le iJel, en l3f>H, éerit à Krôiii^rit* pour se plahidre des
propos hostiles à ( liarle.s de Vului.s qu'il avait tenus (lloutaric. Xotices
et h'j-trailg tle documrnU ifi^dilH... xmut Phitif>/ie le Ihl l'arih;. IHtil),
p. H3-;.
a. Itonianin, Sloria doeumenttttn di Vwieji'a, m, «-I0.
'i. Tïiihaiit lie Cépoy avait (|uittt> l'aris le U septembre I30ii; il ne
rentra en Fniiire qu'en !;no. Le compte de ses tli'-penses pendant ce
vopge e.st dati> du TJ avril llilUà Saint-Cliristufle en Hallate (U. Mun-
tancr ledit. Hucliunt. p. 4b7-ft. noiel. — l.e 8 août i:iU7. (.'Iiarlesde
Valui^i faisait li Poitiers avec .Main de Monlendre un accoril relatif au
voyage de ce dernier avec ses homme» darmet» on Rouiauic dîui'hon,
Hecherches...^ i, 50J.
5. Poitiers, 3 juin 1307. (ÏJibl. nat.. franc. 4425, f. 5-y.>
46
KXPKMXrON DE rHARIJ:s DE VALOIS,
liait les droits qu*il tenait de sa femme, 11 continua à fairo
valoir ceux que cette mort avait transmis à Catherine de
Valois, sa fille. C'est ainsi quVn traité fut conclu avec
UroschiSaint lî]ticnncii},roideSGrLie,lc'27 mai*s I308*,conti'fi
Andronic, sur les bases d*uiie alliance offensive entre les deux
princes, et de la cession par Charles de Valois de divers
territoires en Albanie et en Macédoine; le pape renouvela,
ilnns le môme but. la dîme octntyée précédemment '. Pendant
l'o temps, Cépoy, qu'appuyait une flotte do dix galères et d'un
* lin* » levée â Venise, allait ù Négrepont se metti'e en rap-
ports avec la Couipa^^aie qu'il se llaltait d'attirer dans les
intérrts du prétendant (l31)Sj; il se rapprochait de Rocafort
auquel les Catalans obéissaient, et se faisait, griice â lui, re-
{•onnaîrre comme leur clief, malgré les efTorts contraires de
riiifaut don Ferrand, (Ils du roi de Majorque, et agent du roi
de Sicile. Mais la Compagnie, ramassis d'aventuriers de na-
tionalités diverses, sans disciplina et sans foi. cédant tour à
tour aux suggestions de quiconque llaltait ses intérêts et ses
passions, faisait peu de cas de l'autorité de Cépoy, plus no-
minale (jne l'éelle. Celui-ci vit bientiH, qu'il était impossible
d'utiliser, comme il l'espérait, les senûccs de ces bandes.
Tout tiTmblait devant les Catalans, mais Cépoy tremblait
devant eux ; Rocafort, qu'ils lui livrèrent, fut envoyé à
Naples et enfermé à Aversa par le roi Robert; ce coup de
main ne modiKa pas la situation. L'escadre vénitienne se retira
1. Charles il« Valui» stipulait 8â neutralité en cas de conflit entr*"
t'rosch et !e prince lio Tarente, son cousin, possesseur d'nnP partie de
l'Etulif. Le mariage lie 7.nri7.ft, lilledu mi serbe, avec Charles, deuxième
(ils ilu comte de Valtûs, étriil subordonnL^ â la rentrtl^e d't nxsch dan»
le sein de l'^'glise runiaino. Ce traité, conclu à Tabbaye du Lys, prO*s
4|p Mcltin, fui [wrté i>ar une amba^ade française à l'acceptation
d'I'rosch à Golak-tihilan en Macédoine (25 juiiloi 1308). H fut vidim^
Iiar Philippe le Bel en décembru liîia (Bibl. de t'Ec. des Chartes,
XXIV, 115-8, article de J. Ouîcherat analysant le texte de cette
alliance, publié ])ar M. Ubicini dans les Mémûire^i de la Société serbe
en 1870L
2. 6 février 1310 (n. ut.). ItibL nat., frarit;. 4525. f. 5-9.
3. (c nom est très commun au moyen âge. !l déi>igno un navire â
rames dont les dimensions et la forme ne nous sont pas connues. Le
terme italien legnù^ origine du mot /m, n'est pas plus explicite, car il
n'indique que la matière \boi») aveclaquellc le bûtiincnt était construit.
(Jal, Gïoasairf nauliqite. 93^i).
KCHEC DES PROJKTS DE CHARLES DE VALOIS. 47
partiellement; Cépoy lui-même, dégoûté de n'arriver à aucun
résultat, rentra en France (1308-1309)'. Quant à Charles de
Valois, il conserva pendant quelques années à Venise les appro-
visionnements et les navires qu'il y avait fait réunir en vue
de la conquête de Tempire d'Orient*.
1. R. Muntaner (édit. Buchon), p. 467-7i.
2. Quand Jacques de Caurroy, représentant de Charles de Valois,
regagna la France (1311), il transmit à un Vénitien, Michel Alberti, le
soin de veiller sur les navires et approvisionnements, mandat dont
l'avait chargé ce prince. (Mas Latrie, Commerce et ExpéditioiM mili-
taires de la France et de Venise au moyen âge, p. 62-71.)
(iuoiqup la i"oyauté fût restée éiraagore à l'entreprise de
('hurles de Valois, Philiiipe le Gel. comprenant le parti qu'elle
[lourrait tirer d'une restaui'aiioii lit» l'empire de B^zance aux
luaiiis d'un prince de la maison de France, avait encouragé
les plans de suii frère. Avec tes aspirations à la monarchie
universelle que Philippe le Bel ue se défendait pas rie nourrir,
la conquête de Constantino|ilcGÛtêtê un pas décisif dans cette
voie. L'idée de marier Cîiarles de Valois A l'héritière des
empereurs d'Oricul «-t d<; Taider à rentrer en possession de
son ht^ritage avait élé suggérée à Fliilippe le Bel (vers \'AÙ\i)
dans un mémoire qui lui prêchaii les moyens d'acquérir la
domination universelle. Le roi de Franco avait profilé du
conseil pour faire épousera son frère Catherine de Courteuay.
avec l'espoir de le faire régner un jour à Byzance '.
Quel était l'inspirateur d'une politique si élevée? Un simple
avocat du roi à Coulances, Pierre Dubois, dont le nom de-
meura inconnu, mais dont TinHueuce fut profonde sur ses
eonlemporaius, ei surtout sur le roi. Si Dubois ne fut appelé à
aucune des grandes charges de l'état, s'il resta loin des hou-
neurs et de la l'enommée, les services qu'il rendit à la royaut*^
méritent d'attirer ratlentiou sur lui. Il posséda, à uu uiouieut
où il était rare, le sentiment de la nationalité ; ses efforts
constants tendirent à assurer à la France le pi'ewier rang en
Europe, et dans ce but il ne s'épargna pas pour exposer ses
idées au roi et les lui faire adopter
t. Uout&ric, La France ioui Philippe le Bel, p. ^11-3. Le mémoire
de Dubois est inédit (Uibl. nat.. Ia(. 6222c).
CAttACTERK DES IDKES DE DCBOlS.
Parmi los questions capitales dont la solution occupa \o
i*^giie (le Philippe le Bel. il en est p»'U auxquelles Dubois
resta étranger; souvonl mémo la plume du polémiste était
réquisitionnée par lo roi pour préparer Topiiiion publique.
Dévoué avant tout à la rojauté, Dubois attaqua en toute
occasion la noblesse, le clergé et même le Saiut-Siègt» ; mais,
de boune foi dans ses attaques, il n'avait eu vue que le déve-
loppement du pouvoir royal et la yrandeur île la France '.
Le mémoire fU*. Dubois visait rétablissement de la monarchie
universcUo en faveur de la France ; la question de la conquête de
Cohstantinople n'v était abordée qu'accessoiivment. I/autenr
avait eependaat, sur la politique orientale, des idées plus
complétas ; il partiigeait renthousiasmc général que les ré-
cents succès des armes mongoles avait suscité en Occident;
il se passionnait, avec ses contemporains, en faveur d'une
intervention armée en Terre Sainte, et subissant ï'entraine-
meut de l'opinion publique, il se fit, dans mio série de travaux,
l'interprète des sentiments qui animaient la chrétienté*.
Les idées de Dubois ne sont pas. à proprement parler,
personnelles; il s'est assimilé, pour les vuli^ariser, celles de
ses conlemporains. Mais ce <[m lui appartient en propre,
c'est la hardiesse du théoricien, la déliance coutre la cour
deKome qui perce à chaque page, l'abus des citations etFac-
curaulation des idées accessoires, qui dénotent le légiste» sou-
vent au détrinienl de la clarté de la pensée. C'est surtout un
vil* amour pour la France et pour la grandeur de ses destinées;
ce sentiment éclate au grand jour dans le traite De HecHpe^
rtttione Tepr,r Smict,r, qui, quoique dédié au roi d'Angleterre,
met constamment en scène l^hilippe le Del, n'est écrit
que pour lui, et ne s'inspire que de la politique do ce dernier.
1. Boutaric. La i'ranee xoiut Philippe le Hel, p. 41Û-1.
2. Ces pampbipts uni iHô ptililirs. I.b pfeniier, fMi latin, conseillo la
création on Orinnt d'un royaunie puiir Philippe !r bori^;. Il a été édité
par DaUizr iVitti poparum Avmionensittin, u, lBfî-y5). Le deuxième,
(^g'nlrmnnt en lutin, rt dont la conipusitiun tw rapporte aux premicru
mois de l'annép 1:îO'*, nst Inlituté: f/e Rentpentlione TfrrtP Sanctœ
(éd. Itongai*:!!, (ieKta Dei per Francox, n, Ul(i-61|. Il Giit très développé,
et est diVdié au rui d Arifflclerre. Kdouunl i. M. l^oiitaric a parfaîte-
incnt établi la Hlialioti de eett mémuire^ dans: \oiiceit et fSxtraits dt
dvtTumentâ inétiili relalifâ à l'hintûire de France xouê Philippe le lieU
p. 85-y3.
50
PROJETS rtK PITIIJPPE LK BEL.
Lfis conseils douués par Dnbois sont de plus d'une sorte ;
ils portent sur les réformes indispensables dans l'Rglise et
dans la sociôtéj avant toute croisaile; ils visent aussi la
^ marche de rexpédition projetôe. mais avec moins d'insis-
tance, car l'auteur n'est vraiment â l'aise que sur le terrain
politique, se plaisanta deviner les mobiles auxquels obéissent
les cours européennes et à les faire servir un but qu'il pn''-
\ conise. La partie politique, U»s réformes nécessaires, surtout
dans le domaine religieux, le préoccupent spécialement : c'est
la partie neuve et originale de son œuvre.
IHibois. pour éviter les difficultés inhérentes au transport
par nter d nue grande tjuantité ilo clievaux. recommande Ja
roule de terre ; Taulorisation, ilit-il, de faire traverser aux
contingents allemands, hongrois el grecs, les états de l'em-
pereur Faléologue et des autres princes de celle rt'gion,
sera facilement obtenue. Les Fram;ais, les Anglais, les Espa-
gnols et les Italiens s'embarqueront, ou tout au moins ceux
d'entre enx qui ne redouteroTit pas la mer. Mais ce point n'a
pour l'auteur qu'une iniportanie secondaire; du plan d'opé-
rations militaires, il ne dit rien ; à peine conseille-t-il d'em-
ployer en Terre Sainte les soldats suivant les aptitudes
particulières à chaque race, et de mettre à la tête de chaque
cité un chef itiitr helli), ayant sous ses ordres des lieutenants
{cettUtrionfs), â chacun desquels obéiront huit escouades {co-
/lories) de douze liLinimes chacune. Les préférences du con-
seiller de Philippe IV sont ailleurs ; il n'est pas militaire,
mais légiste et pamph)étaii*e, et, en cette qualité, donne â
SOS préoccupations favorites la place d'honneur dans son
travail.
La discorde et la désorganisation, selon Dubois, i-èguent
partout en Europe ; le siècle et le clergé sont en proie à
ces deux maux qui rendent impossible toute tentative d'inter-
vention dans le Levant; c'est donc à les faire disparaître que
tendront les premiers effort^^. Ou C(M^ des laïques, la conçoive
devra être rétablie parmi les princes clu'étieus, toujours en
querelle les uns contre les autres. N'a-t-on pas vu les dis-
sentiments des Allemands et des Espagnols paralyser toute
tentative d'expédition? Ne sait-on pas (jue les puissances ita-
liennes, Venise, tténes, Pise, les Etats Lombards et les
Toscans^ ont, par leurs rivalités, fait échouer Tomvre de la
croisade # A célé dvs princes, il un va do même des parti-
t
nKSOBr.AMSATION DE LA ROCTKTE.
il
culiers ; la guerre intérieure est partout ; un pareil état de
choses cessem à rondition d'èdirter les peines les plus sé-
vères contre ceux qui prendront les armes, deronfisquor leurs
biens tït d'utiliser leur humeur bidliiiucuse au profit de la
conquête des Lieux Saints, en leur imposant la croisade
ciininie expiation de leur désobéissance. L'Kglise n'échappe
pas au mal qui mine la société laïque ; elle est desorganisée.
L'œuvre du concile sera de la réformer et de rt'^tablir la
paix au sein du clergé. Dulmis, eiï ennemi du Saint-Siège,
se plaît à signaler tous les points faibles et le remède
qu'il convient d'appliquer; mais peut-être un parti -pris
d'hostilité l*entraiue-t-il parfois au delà de la vérité; jamais
il ne résiste au plaisir de dire sou fait au souverain pontife.
Qwoi qu'il en soil, du reste, la partialité de l'auteur tie mo-
difie on rien la vérité des conchisions qu'il pose, et il a raison
d'atfirmer qu'en présence de la désorganisation de la société
religieuse et civile, aucune expédition en Terre Sainte ne
pourra être tentée avant d'avoir rétabli la paix et la concorde
dans l'Eglise comme parmi les laïques.
Au point de vue financier, les idées de Dubois nnt une
valeur particulière ; il se préoccupe de créer des ressources
pour la croisade, et d'assurer, en cas de succès, d'ime façon
penuanente. le service des finances dans les territoires con-
quis. Ce sont d'abord les biens des ordres militaires on Occi-
dent qui, afTermés et donnés en oniphytéose, fourniront
800000 livres t»«urnois ]i!ir an ; cette somme fera face aux
frais de noiis et d'approvisionnements *, C'est ensuite un quan-
tième à prélever sur les biens des ecclésiastiques à leur mort
(1/2 pour les cardiiianx. l/'i pour les clercs, la totalité pour
les clercs morts sans avoir testé). C'est enfin l'abandon, con-
senti par le Saint-Siège â l'ujuvre de la croisade, de tous les
legs caducs, de toutes les restitutions et de toutes les res-
sources sans affectatinn spéciale.
On est étonné de trouver, dans le mémoire de Dubois, un
1. Dubois proposa de réunir les ordres militaires, réduits À leurs
jiosspssioiis (le Terre Sainte et de Chypre (H<JipitaIiei's, Templier»,
l.iunristo-(;, pour servir de noyau auK efTorts chn'licns; quelqneii
luméeii phu tanl, le procès des Tempïiei's rtaiil d('*j.'i résolu, il renou-
vela »a proposition, mais en exceptant do son projet Popiire du Temple
pour lequel il n'avait alorii que mi'^pris rt colère.
r^o
PROJETS DE PHlI.tPPK I.E HEL
él^mout auquel ses devauciers avaient peu songé, la préoc-
cupation de coloniser le pays. Dans ce but, l'auteur demande
qu'en môme temps 0^110 les hommes d'armes, leurs femmes
fassent partie du passage et s'établissent en Palestine. Grâce
à elles, l'œuvre do colonisation aura une base solide et pourra
i-éussir. Enfin, pour profiter de leur influence, on maintiendra
le mariage des clercs en Orietit. et on développera les écoles
de filles et de garçons. Cette dernière institution est un reHet
direct des idées de Rayinutid Lnll ; Dubois les a reprises et
développées longuement : plan d'éducation différent pour les
garroas et pour les îilles ; ensei<;;nemcnt du grec, du latin et
de l'arabe ; création de deux, écoles dans chaque prieuré du
Temple ou de THôpital, avec affectation des revenus a l'en-
tretien di»s écoles et des maîtres, rien n'est omis; les ouvrages
même à employer dans l'éducation sont nnnutieusement in-
diqués. Dans la pensée de l'auteur, comme dans celle de
Raymond Lull, le but principnl fie ces écoles sera de faciliter
Tunion des églises grecque et romaine, qui préoccupe depuis
des siècles le monde catlinlique, en donnant à ceux qui de-
vront tenter de la nègocir'r, la pratii|in» de la langue arabe
sans laqaelli' li'urs eliorts resteraient infructueux.
Mais comment réaliser de pareils projets? Une autorité
seule, celle d'un concile général, sera assez écoutée pour les
faire accepter et exécuter par la chrétienté; quidle autre
puissance, en effet, saura mettre fin à la guerre (|ui désole
l*Kspagne. attribuer à Alphonse, l'aîné îles fils de Ferdinand.
le royaume de Grenade, au cadet le Portugal, et maintenir à
l'usurpateur D. Juan U'. troue iU\ Castîtle au délrimentde ses
neveux, à charge d'aider Alphonse à chasser les Sairasins
de ses nouveaux étals? Qui, en deh'us du pape, groupera les
rois d'Aragon, de Navarrci et do Majorque dans une mémo
alliance, .•^yanl pour but la conquête île Grenadin en faveur
d'Alphonse? Qui encore, après la défaite des Maures, en-
traînera ces n>is à la croisade, forcera U* Langued»»* à lever
une armée assez forte pour conquérir la Sardaîgne à l'Védéri*!
d*Aragon, et pour obliger celui-ci on échange de la royauté de
cette ile, â rendro l;t Sicile à son légilinu* possesscui-, b* roi ilo
Naplrs?Qui décidera Paléologiu» et l'empereur d'Allemagne
â prêter leur concimrs à l'entreprise? Le Sainl-Siégo peut
seul obtenir de pareils résultais, et Pidjois, avec la foi du
tbénricicii. u'i'h doiitt» pas un iiislanl. Il distribue à sou grû
CREATiON l) C.N UOÏALME CIIRKTIE.N E.N ORIENT.
53
les royiUiiiK's ('t les èinin di' l'Eiiropo. Aiisaiit h la France la.
paii la plus large, sans st* iloiiler (jm* (Il's rircoiislaiit;t's im-
prévnos poiirrniciii lioiilovorsor Iph combinaisons sur l<'S(|uelles
il a èVùyè ses projets. Ça*\U' conHanco do l'auloui* dans le
stircès de h»?s iLèories, niênie les plus nsêes, osl le i-'araclèrc
disliiiclif (les ouvrages de Dubois.
Ce caractère est plus luaîiileste encore dans le projet do
Pivation il'un royaume ehrètien en Orient, en faveur de Phi-
lippe If Long, second tils du nii de France (vers 1308 . On
comprend combien de diiîicuitès une pareille conception de-
vait rencontrer ; àenl<Mulre ranleur, aucune n'était à ^^(lind^^
La ron(|nête de IKirApte lui parait facile, en raison de la
situation gèograpliit^ue du pays; les cotes sont propices à un
débartjuemeni, el les habitants peu i*edonlables au point de
vue militaire; ou rendra encore la t:\cîie plus aisée en divi-
sant l'expédition en deux corps ; le piemier, débîU'tjuant
d'abord du CMÎté d'Acre, fera une diversion puissante ; les
iuHdèles seront forcés de dégarnir l'Egypte pour résister à
l'attaque dos Chrétiens en E^ilestine, et la seconde année pro-
fitem de cette circonslJince pour prendre terre sans résistance
dans le Delta du Nil. Une fois conquis, le pays n'est pas
ditbcile â gai'der ; ses revenus, évalués à soixante niiUe be-
nantâ d'or, reprêsentiuit trois millions six cent mille tlorîns
par an, sntïîroni à faire vivre le nouveau royaume ; l'union
des ordres niililaii'cs, sous b* coiumandemont suprènie *lu roi
de Chypre, crit^ra aux portes de l'Asie^ Mineure nue force
red-mlable. avec la(pielle les Suirasins devront compter et
dont la cause chrétienne tirera les jdiis grands avantages,
louant aux biens des Templiers, — dont Tautour rejette le
concours personnel. — on les appliquera aux frais de l'expé-
dition: ils serviront à é(|uip4*r une tloU<' d'une centaine de
voiles, destinée ;ï ruiner, par des ini-ui'sions répétéi'S, le littoral
de la Syrie, et à interrompre tout coninterce entre l'Occident
»H les pays musulmans, an grand détriment <1iî ces derniers.
Ces vues, il est vrai, uv différent pas de celles que nous
avons vti émettn* chaque fois qu'une croisade a occupé Tatten-
tioit publique ; elles n'ont, en elles-nièine, rien d'impraticable,
mai» on sait t|iirllc distann- sépare, dans de pareilles entre-
prises, la théorie de la |)ralique. Pouss;ini à l'extrénn^ les
romiêqnenees do son projet, Dubois n'est pas éloigné decroirû
qu'en présence du couronnement de Philippe le Long par le
54
PROJKTS l)K niIl.llM'E LE
pape fommo roi d'Acre, du Cilin^ d'Kj^ypte et de SjTie, 1«*
suUtiii no préfère eé<ler sans eoinbaL ù son eunemi les ter-
ritoires tlutJl la royauté lui aura êlê conférée. C'est là une
généreuse illusion. Ohji'eti:-t-(iii ù Dubois les ditticidiès poli-
tiques qiu' suscilrra l'établissemenl du nouveau royaume, il a
réponse à tout. Philippe n'a pas dr' droits à f:ure valnjr pour
légitimer sa confjuête? Il se fera céder ceux ijue le comte
d'Eu n'exerce pas '. Lo roi do Sicile', en échange d*nne com-
pensation pécuniaire, .sera heureux de renoncer n dt*s piv-
tentious rjue ta cour des barons de l'ancien royaume de
Jérusalem a rejetées autrefois'; mais s*il refusait cette re-
nonciation, la promesse du royaume de Tunis, voisin de la
Sicile, finrail raison des hésitations do Cliarles il'Anjou.
Quant an r4ïi de Chypi^s Henri n. veuf et sans enfants» s;Lns
trésor, menacé par son frère Auiaury, prince de Tyr, dans la
possession de ses étals, et absorbe pur les pnititpu's reli-
gietises. il ne saurait refiiser la grande maîti'ise des ordres
militaires, rétablis vl réunis en sa favem*; si c(*[tetidîint ce
prince uenïrair pas dans les vues ilu rui de Kroice, ou
ferait agir contre hii, soit le roi de Si<-ile. soit le eomie
d'Ru, dont les revendications à la counnuie di' <'liy|»re enlrai-
neraient l'accepialion de Henri ji. Kntin ranibiiion d'Amaury
de Tyr. serait facilement apaiséo par lu cession 'l'un richo
citmté en Palestine.
De pan'ils plans étaient irréalisables; destinés à préparer
roiiinion prdili(jue, ilsn'avaienl pas un caraclèr*' prallipu* suffi-
sant pour rlécider une intervention dans les cous^mIs du ifon-
vernement. Le nu de France le comprit, et, au milieu des
embarras intérieurs da royaume, .•Hinnir suite ne fui dntinée
aux projeis âr Dubois.
L'idée d'une croisade, cependant, occupait toujours les
1. Itaoul de Hricnne, comte irEti. connétable de Kraiice. lue ditns
un tDuriii»! n\ i:U.~». n'avait aucun droit à la cuumtine île JêriiKalem ni
deriiyprw. lïjms l'iirdre de» revendications fanlaisiMcs. il aurait pu
indirjiier uni' parenté éloîgni?io avec Mariude l.uaigiinn^ sieur d'Menri i,
fi3mmp de (îaiilif^r, comte de Rrienne et de .Talla, et iievou du rui do
Jcrusalrni, Jfan de nrieurie,
2. Cliarlch n d'Anjou, mi de Naples.
'.i. Nous aviins vu pluti haut que <'liarles i d'Anjou avait acheté
les droits de Marie ti*.\utiot'lie, nièce de Hugues m, au tnuie de
Jérusalem.
AVIS DU GRAND-MAITRE I>C TEMPLE.
DO
*
s; PhilipiR* le Bel, dès ijim- l'horizon p*>lili(iiie seclair-
l'issnii t-n Fnmn*, «''lait \v jn-fiiii^T :'t si- iirôoccuijer de la
ilupRlion de la Terro Sainte. Il n'avait pns, il est vrai, le
ilcssfin de so ni<'tlro pi'r.soinitdli'iiK'iit à la tOîtiMh^l'entn^pnse;
DubiiÎH lui avait fail roju|nvu(iri' (iiic la prHsencf du roi en
France èUiil in*lispi*nsaMe^; iiuiiHil songoait à donner la direc-
tion do la rndsade à un prince du sang royal.
Si la svn)|)athi»> t\f l'Occiiient m fav4'iir dfs Chrétiens
dOrieut iio st* ralenlissait pas, c'est aux HospilalirT.s (|ii'en
revenait l'honnenr ; ceux-ci, eu ofTet. par leurs appels ré-
pètï^s, entretenaient l'attention de l'Europe, et demaudaieiif,
à grands cris l'appui des puissances oci'identalos pour t'omier
ilans l'Archipid nn ètul)lissenieul dêtinilif, bouUîvard de la
chKHieulé contre l'islamisme. Pour aviser aux mesures à
prendre. Clènn.^nt v avait mandé auprès de lui à Poitiers
^1307) les *?rands-niaitres de l'Hôpital et du Tem])le; Foulques
de Villaret et Jacfjnes de Molay, consultés, avaient éclairé le
pontife sur la situation en Orient.
Molay se prononça eatégorîqnement poui* un passage géné-
ral en Orient, et rejeta absolument l'envoi de renforts que
lieaucnup <*onsi(léraieni comme sullisauls'. Sans point d'appui
en Asie Mineure, disait-il, puisque les enlisés u'y possédaient
plus ni ville, ni château, ni forteresse, les secours isolés ne
pouvaient être d'iiiiiiinc utilité; il ajnut;iii, dans l'hypothèse
iMi ils seraient fvpé<liés(^n Arménie pour déf'ciidn^ ce pays et en
faire la based'o[M''rati(ms militaires ultérieures, qu'iuu^ pareille
cnh'i'prisc norail (émérairesi l'armée de renfort n'était [las mi-
niéritpioment en étûl d»* résister aux foires du sondan d'E^'yptê ;
1. Dans le ïnénioirc sur le pi*o)ol de créution d'un royaume d'Orient
que nous venons d'iutalyser.
2. l/avis du grniid-maftro du Tcmplo a été édité par Italuîo (Vila
ftap. Avinion.. n, 176-H0.\ ainsi que le mémoire sur l'union projetée
des ordres du Tcmjilp et de riïfSpitiil (Vila jmp. Avininn.^ n, 1K0-5).
boluzo ojïsi^ne à tort la dîiTe de l'.Ilt i\ ces ilucuments; ils se rap-
portent roUairirmoint à \M)', coiiuno l'a rciiuirqué Hotitan'c (Clément
V, Phih'fipfl te lietrt k* Trmpli'rrXy p. S5i. On pHut menu^ assigner
au prrniifT denlrc eux uuc ihilc aritérietiriN >ti l'on observe rpuî Roger
de l,oria, oiti^ dans ce im^muire, inonnit nn t:ior.. Il ho peut repeudant
que la mort de l'aniiral, survrnne à Valetire où il vivait dans la re-
traito. ait (^n'-liinnituie i*n i:t07 ;i Mulay ; il ^'^t pUis [)roIiîi.bIe que l'envol
du inémoiiv au pa|>e précéda de quelques moi» la venue du griuid-
maitro à Poitjrr».
56
PROJETS DE PHILIPPE LE BEL
ce qui était eu fait n^venir au projet d'un passage général. Il in-
sistait eufin sur les iueonvénienîsfrnn iléharijueiiuMit on Armé-
nie: dangers du climat ', impossibilité de faire la gnr'rri^ à côlé
des troupes indigènes ([ui ont un iuod(* de eomballre tout difle-
reul d(* celui des Occiilont^ux. et surtout défiance des popula-
tions à l'égard des « Kranrs »'. QtianI aux voies et moyens à
suivre pour riîXpêdition, J;u'i[nes de Molay demandait le con-
cours dos rois d<! Kram-e, d'Arjgleterre, d'Allemagne, d<^
Sicile. d'Aragon et. de raslilk-, et imur It» transport des Iroupes
par mer, celui des puissaiicus marilinu's italiennes; mais
il recommandait spécialement l'usage de grands bàliinejits,
]>rén''riibli's aux galérrs et moins eliers qu'elli-s. L'efftxtif de
larmée cliréiicnui' devait se composer d'an moins quinze
mille hommes d'armes et cinquante mille fantassins; cette
évaluation n-posail sur d*'s bases eiuprnnléï's à rrq>iriion du
sulUin Hibars, {\\u d<'s meilleurs boiinm-s de gni-rn- que les
Musuluums aient (m à leur tête*. La question du débarqiie-
nienl îles croisés, d'une importance capitale, uiérilaii d'être
discutée de vive voix ; mais, quel que fût le point désigné
poiu- cette opération, un repos préalable de quelques jours à
Chypre ne pouvait offrir que de sérieux avantag«:'s. Legrand-
niaitre, en outre, conseilhiit, avant le passagi' général,
d'envoyer une escadre <le dix galères dans les ennx de Chypri-,
sous le couunandomrfit d'un amiral éprouvé; elle dt^vait tenir
la mer et arrêter les m;ir(li;inds chrétiens qui ne craignaient
pas, au mépris des prolùbilions les plus solennelles, de com-
mercer avec les infidèles et de leur l'ournir les armes el lus
bois dont ceux-ci manquaient. Le commandement de. cette
llottilU^ ne jionvait être attribué aux cbel'"< di's (U*di*es mili-
t-aires sans danger d'allii'er sur eux le ressonlimeut des répu-
bliques de Gènes et de Venise, partictdièreiuent intéressées
1. Cette observation a toujours été faite contre l'Arménie au moyen
Age.
2. « Si Kr:\nci ei>»ent in Arnienia vt indigerrnt rvfuiiçio, Anneni non
" receptapcnteus in aliquoca.slro v«l fortalitia sua, quia somperUubiîa-
a verunt etilubilant no Kranri auferanleis terram » (ItaluKo, ViOt pnp.
Avinion., u. 177).
il. llibar» (1261-1277) dit&ait qu'il était eu mesure de r(''sisior à (rente
mille Tartart's. mais qu'il cc'ilfrail le i-lmmp de bataille h une armée
de f|iiinze mille hommes ti'arnifs chrétiens (Haliue, Vt'fn pttp.
Avinion.j u, 178;.
KLSION DES OKl>RKS Mll.ITAÎRKS.
au développement de la controh.inile de ^^u[>rre avec I<*s Sar-
rasins. Lo iioin de l'amirul aragoiiaïs Roger de Loria\
universellement célèbre en Eurnpe, semblait rallier tous les
suffrages et faire tomber touUîs le.s obje<*tions. Loria avait
toutes les qualités d'un chef d'(»scadre, et pîirticuliêreraeut l'in-
dépeudauce du caractère; car. dans la relnute (ji"! il vivait, il
était également hostile auK cours de Naples, de Païenne et
il'Aragon. Jacques de Molay proposait au souverain pontife'
de lui confier la direction des opérations maritimos,
En même leuips, le moine Hajloii, île la famille des princes
de Liiuipriin. en Arménie, présentait à Clément v à Poiticr»
(août 1307) y Histoire des Tar(arrs, ([uil venait de composer à
l'insligatiou du pape, et dans la(|iielle, à côté de ce qu'il
savait des mœurs et des actions de ces peuples, il donnait au
Saint-Siège le conseil d'anafitier les infidèles en s'appuyant
»ur les Tartares ei en prenant lerre eu Arménie, Un pan^il
avis, dont les conclusions étaient contraires à celles quo le
pontife avait déjà recueillies, ne rencimtra que peu de par-
tisans; le débartpiement on Arménie offrait trop de drtngers
pour être fulopté*.
l'ne autre question préoccupait, au mémo momeiil, l'Kurope
chrétienne, celle de la fusion des ordres nulilairos. Saint
Louis, Grégoire x nu mucilc rlr I-y<iii (Ï"J74). Charles n do
Sicih^ avaient songé à cette mesure; Nicolas iv et liuniface viii
l'avaient étudiée sans raccomplir ' ; Dubois l'avait transformée
nn proposant d'appliquer à l'œuvre de TeiTe Sainte les re-
venus dont ces riches associations jouissaient eu Occident'.
Loj* meilleurs esprits croyaient qu'on agirait utilement eu
muiissiinl les deux principaux ordres institués pour la rlé-
feuse de la Terre Sainle. On les ;ivait vu-^. obéissant à une
1. Là carrière de Itoger (îr U)rin. à la \ùtv dos flottes d'Aragon,
pendant ks viujit di^niièios auiu'-es du \ui« siècle, fut des plus
brillantes. Tour à tuur il triuinphu dus Angevins de Naplrs, des Kraiicais
en Catalogue n sur les cûIl's du Laufcuedoc, cl des Sicilitius cri 1302.
Apr6» la paix de ('altabcllottu, il m retira à Valence on K!spa)foc; il y
niuurut en KiO<î.
2. te mt^moire a été ri>sumé par Vcriot, Jiintmte den Chevalirrs de
Maitf (Od. de I"8| n, 5.'>-T.
3. Le lecteur tnjuvora plus bas, au chapitre suivant, re qui nui-
cepue les projeta d'H.tytou.
\. Voir plus haut le cliapitrc i, pages 17-8.
5. Voir plus haut, page 51.
PROJETS DK PlïJMPPE LE BEL.
direction différente, compromettre par leurs divisions le salut
des possessions chrétiennes dans le Levant; on sotipronnait
même la loyauté cl la fiiiélité il<*s Ti'inpliiTs, et la rivalité des
d<Mix niilit'es avait pris de telles proportions (iii'il semblait
urgent d'aviser. Clément v, sollicité de toutes parts, ii'igno-
rani pas le^ pn»jetH de spoliatimi nourris par Philippe le Bel
ri>]itre le Temple, consulta Jacfpies de Molay surTopportu-
nité de cette fusion {Ï307}. Le grand-maître, comme on
devait le prévoir, si* déclara hostile à Inute tentative en Ce
sens, mais I(>s raisons t|u'i! Hl valoir était-ut loin ^l'être déci-
Hives : il craignait les rouHiis que ne nui]ii|ueraient pas de
faire naître la différence des deux règles, la ijucstion de
|)réséance entre les meuihres des deux religions, les rivalités
dont les effets désastreux s'étaient maintes fois déjà mani-
festés ; tout bien pesé, il déclarait que les inconvénients d'un
nouvel état de choses seraient supérieiu's aux avantages
espérés. Kn ce qui touchait le bétiélice qu'un rapprochement
entre les deux ordres pouvait procurer à la chrétienté dîins
sa lutte contres les Musninians, h* uiéniuire de Jacques de
Molay restait mnet. (_^léiuent v ne décida rien ; mais le roi
ih' l'Vance se chargea bientôt, en arrachant au SainlrSiège
l'aholition des Templiers, de donner à cette question une sohi-
tion sans réplique V
Le gi'and-maîlre de lHôpilal avait, en présence du suinl-
pére, très vivement insisté sur Turgence de secourir la Terre
Sainte ; il avait montré fpH- les Hns[)italiprs restaient seuls
dans le Levant à dcfendn' la ratisi^ eatholique e1 ;ï donner aux
populations chrétieimes un point d'appui et de résistance
«■outre It's infidèles ; qu'il fallait encoiu'ager leurs ofTuts et
leur fournir le iu< «yen rlo n-ntrer en Pîtlestîno. C'est pour
répondro h ces snljicîtations qu'à deux reprises (0 juin i\l
27 octobre 1309) Cléinent v exhorta Philipi^e le Btd :\
pixmdre la cndx*. et que les rois d'Aragon etd'Auyleterre pci-
mirent aux grands-nuuti*es du Temple et de l'Hôpital de tirt»r
lie leurs états les armes, chevaux, mïitel()1s et approvision-
iienu*nts nécessaires à l'expédii ion projcté<M 1 3011 V Kmouragé
1. Huluxe. Vitit pap. Avinion*^ U, lHO-5 ; — Vertol, //isluùr ticx
flhfvnfitrrs de MnUv, ii, 5»-6*i.
2. Bulles t Mtor Iuhî • ot i In a'tcmilBlPs perpétuas t, dans Bnlu£(^
X'ila ftap. Avinion.t u, l'^y^t I ifi.
J. l). M. V. de .NavaiTCte, DiserUmon ftixtoriva tobre /« pttrlc tfue
PREPARATIFS DU GRAND-MAITRE DE 1. HOPITAL.
59
'
par ces premitM's résultais, Foulques rk» Villaret pousse acli-
vomuul k's [irêpaïutifs do la croisjuit'; lous ks porls de* la
[édilerranée coaslniisont des galères pour k* passage ; ce
sont cin)|uanto vaisseaux qn(î fourniront les chantiers du la
Oatalfifiuc. fU' Narhonne. de Mars(»ill(% do Gènes, de Pi»e ot
de Venise, Kn outre, avant la Hotte, une escaiïre, eompospe
d'une dizaine de voiles, sera on mesure de prendi*e la mur et
de préparer l'an'ivée des croisés. Des chevaux ont été achetés
eu Kspajjue; la Sicile, l'Apiilif, la Provence et la Catalogne
ont fourni des approvisionnements, des armes et des hommes;
cinq cents frères de THôpital sont convoqués à Avignon pour
passer en Orient avec la croisade ; Tordre a pris dos en-
gagements pécuniaires puui' faire face aux d*îpenses de
rexpêditionV
Fendant ce k^mps le concilia de Vienne se réunit (1:111).
C'est lui qui doit proclamer la croisade ; pour s'éclairer sur
l'état do la Palesline et sur la nicilleure direction à donner
à l'iMitreprise, pour guider ses iléliliéivitinns, il s'est en-
D»iu*é des avis les plus couipétenls. HuïHauiiie do Nogaret,
le conseilhîr le plus écouté de Philijjpe le Bel, a ré-
digé un nu'*nioire dans lequel il a envisagé la possibilité
dv rexpéditioii, et les ressources pécuniaires qu'eîle exif^e ;
le roi de Chypre, do son côté, s'est expliqué sur la marche
den opérations militaires et maritimes avec une précision
rniniilicjise. mettant ainsi les prélats eu mesure de se pro-
noncer en complète cunnaissance fie cause.
Nogaret, inlerprêtï* des senlimiMils du roi d<> Krauce, do-
manile la suppression dos Templiers, cause de tous les
tualheurt d''Hitre-intM\ la direction supième de l'iMidi^prist'
pour Philippe h' Hid, et la fixali«ui de celle-ci à une èpcjque
a-isez éltdguée pour qtie les préparatifs nécessaires puissent
avoir été faits. La tâche, dil-il, est plus diHîeilo (pinn ne le
croil généralement; les Sarrasins snut d'une valeur éprouvée;
li'turron lu< /-^sfiniuilfs en Ihm ifwrrutc tic VHramar... dans : Mouioria»
df la It. A**, de la llihtoria (Mailrid, IKïTi, v, p. .i^i: — S. Pauli: Cotttce
fiijtUimaUco tlciêmru itntH'ir ordine GerosulîmitaHO (Lucque». I73i*-7t,
u. 2'i-a.
1. 2T janvier [t:n 1], PihC. Lettre du grand-niaitro i^ PhilipiM» le lï<"I ;
ce Ucrni'T nViait plaint di* n'etit» p.n Hmui au courant des prt''paratifs
(\rcli. nat., J, V'i2, n»» l.'ij. V. Piéros justilicaiivr;;. n-* i,
60 PRdJKTS IJK PinUl'l'K ht: bki..
î!s sont niîiiti'os de touto la Palestine, ol los nègociauls
Hin'uions qui coinnicrcout avt.'c eux leur ont fourni los ai'nies
ri h's appriivisinimeiiiciiis (loiit ils niamniîiU'nt. Pour Lriouw
pher do. pareils eutiomis, la chi'ètiouté devra rcdoubirr
d'(»fiorls, ot, rodovonuo maîtresse des Lieux Saints, ne rien
nt*'gli^fr ]MH,ir main'pjiir sos avanlairos, t'(jmbler les vides
causés dans ses rai]y:s par la lualudi*.' et la uiorl, et créer des
ressources pour soutenir sa couquètt) pendant do longues
années. Los fonds nécossaires à rex[)éditioji sm-ont faiis par
une conUilmiion lovéi* on Kranec, dans et! hiil. sons la
suneillance royale, par l'afffctalion des biens du Temple à
Tffiuvre de la croisade, par les revenus des autres ordres
militaires, excédant les besoins de leurs communanlés res-
pectives, et par une imposition mise sur TEglise entière.
On attribn<Ta égalpm(ml à la croisade les revenus des
prieurés, des bêiiélices 4lans lesquels le culte n'est pas célébi*ê
et ceux des monastères oil l'hospitalité n'absorbe pas tous
les fonds qui lui sontdestiiiés; onûn, dans toute? la chrétienté.
tous les legs faits à l'Eglise sans désignalion spéciale, les
revenus d'un eanonical par diocèse, et ceux des Ijénéfices
vacants pendant la pretniêro année de la vacance, seront
consacrés à aiigmejUi-r les ressources fournies par les indul-
gences, le rachat des vœux et toutes les mesures dont Nogiu-et
s'est fait riuspirateiu" '.
Les considérations politiques sont à p(>ine ettleurées dans
le mémoire d*' Nogarel. Alliance avec les Tartares, dénuu*ches
à tenter anprès de IVniipereur grec pour obtenir sou concours,
négociai ions avec les cités ilalienues pour i|u'elles ne soient
pas un oMibaiTas ou nu obstacle à l'expi^dilinu. sont li's seuls
points qu(» Nogaret signale ; mais il iusisK? à plusieurs nqnisrs
pour demander au concile d'allribuer à Philippe hi Bel la
levw des impots nouveaux et ladminislration di's fomls re-
cueillis en vue de la croisade. Cette insistiiucc marque-t-elle
1. Iloutaric, Xntififii ri E'^ttniitx de tioirmuettts irn^ttils relatifs à
i'/itêlinrr iJf Frnnve 9uhx HiHipfn' ff fiel, ji. Il7-2:t. Ce luémoiro a
i^tê analyw* ou <pielques lignes ])ar M»s Latrir (/fisluirc tir ("hijjtre, u,
l*JK-îi). I.n rnrini' uuteiir n résumé, en qiiflqiics mots, un mémoire do
IWMiuit ÏCarrhariii, amiral de Kninc*', mai> et' mt^moiro n'a pus trîiit,
l'oinnic I*a rru Mas Latrie, » la fi*t)isadt'. mais à un projet do débar-
ijucment (NI An^riotcrre. Ceci explique pourquoi ii»us n'uvuns pas à
nous on occujhîp ici.
OPINION DU ROr DK CHYPRE.
«l
les %Tai3 sentiments do Philippe lo Bel, moins rtésiroux de
prondn» la croix (|un d'avoir eniiv les mains des finanr<s
considérables, dont il puunait. dans la suite, disposer à son
L'avis du roi do Chypre ent celui H'ini lioinnie do guerre;
avw Nogaret, nous avons vu comuioiit la tToisadc devait
i^lre prêparôp; Henri ii nous indique comment elle de^Ta être
conduite'. Comme Foulijues do Villaret, et jjour les mêmes
niisoiis. il flemande )|u'une escadre, forte de quinze à vingt
navires, portant un corps de débarquement composé surtout
d'arbalétriers, précède l'expéHittdn principîde. Lo rùle de
(M*tle avant-gai'do sera considérable ; elle empêchera les faux
chrétiens, qui ne craignent pas de fournir aux Musulmans
leurs meilleurs soldats, le buis, le fer, la poix et les vi^TOs
druit ils ont iiesoin. de continuer ce commerce sacrilège";
par des incursions répétées sur les cAtes de Syrie et d'Egyptp
«die IVra le plus grand mal aux infidèles. Le roi de Chypre,
par son expérience personnelle, sait quels donimages on peut
d*» la sort*^ leur intliger, et (wtime qu'une pareille croisière,
maintimuo pendant quelques années, suffirait à ruiner abso-
lumiMit l'Egypto ; mais, pom* réussir, l'escadre <U^\vii être
indépendante; la moindre attache avec les républiques mari-
times dt^ l'Italie lui ôterait toute liberté d)' iiioiivemerits et
compromettrait le succès.
Le terrain préparé, l'expédition principale mettra à la voile
û ilestinalitm de Chypre, s'y reposera quelques jours, et
n^preiidra la mer en route pour l'Egypte. Cette halte n'aura
que «les avantages, car elle pei-tiiettra à rarmé<' de se com-
pléter, de refcn'iner ses cadres à l'abri de tout danger, de .se
renforcer des contingents chypriotes, sans que le soudan
puisse deviner sou objeclif. Chypn», en effet, est un point
1. Le mémoire du roi de Chypre fut apporté avi twiciic par Jacques
de Cusiatis, chanoine dWncone, et Simon de (armadino. Il est Mit«^
Mas Latrie, Histoire de Chypre, n, 118-25.
E. t> point fait l'objet des n'criminations de tous ceux qui ont eu
'oro^on de se pnmoncer sur 'Ion conditions d'une îutepvontion chré-
tienne en Orient. Malgré des prohibitions rt^pêlées, ce commerce con-
tinua à se fairo onvcrtcntftnt. Menri n diuu;inrîo, ici mùme, l'aggra*
vallon des peines pnicéthMnniont édictées contre les muli chriJitinni
par l'autorité |>ontificale. V. Miis Latrie, //istoire <te Chypre^ ii.
l'J5-8.
PROJETS DB PHrLIDPE LK BEI..
rentrai d'où elle pouira se diriger aussi bieu vers rArménio
et la Syrir* que vers l'Efry|ito. DôbiannuM* on Artnénio serait
une fautfî capitale ; le climat y est fatal aux Européens, et
une marche par terre d'Arménie en Syrie présenterait des
flifficultés <\o toutes sortes ; à plus forte niison. si les ChrétiMns
VDulnicni, par cette vùi», marcher directement sur le Caire,
les obstriï'les deviendraient insurmontables. Le dèbarquemeiit
en Syrio n'd^Trirait jjas. il est vrai, les mémos iui-niivéuicnts.
mais il priverai! rariaée des avanla^rs ((u'idle ln>uvt»i'a ou
preuaul terre en Egypte. Pourquoi, eu effet, envahir la
Syiûe, lijrsqiie les Tartanes, liuiilrf)|ihps de celte province,
peuvent, par nue simple prise d'ai'mos, immobiliser toutes les
forces musulmanes de Palestine, et, en se joignant à une
démoaslratioi) parti*' de Chypre, empêcher les garnisons
syriennes de secourir l'Egypte menacée? Si les CJirétiens
débarquent cm Syrie, le secours des Tari ares devient moins
efficace, le simdau rappelle ses troupes d'Egyptr, et se trouve
à la tète de toutes sos forces, massées eu une seule armée,
pour résister à l'invasion. En Egypte, au contraire, la croi-
sade trouvera des subsistances et un pays fertile. Victorieuse,
elle aura les vents propices pour gagner la Syrie en cinq ou
six jours; le plus fort de sa tàclio sera accompli, et, l'Egypte
conquise, la résistance de la S^xie ne sera pas redoutable.
Le Soudan, en effet, n'a jamais eu plus de soixante mille
hcirnnies dans ce pays, dont un tiers seulement de bonnes
troupes; les guerres fréqueutivs qu'il a eu à soutenir contre
les Tartares ont beaucoup diminué cet effectif, et la force des
contingents musulmans est très inférieure au chiffre énoncé
ici. L'Egypte de\Ta donc être prise comme r»bjectif de la
croisade. L'opinion de Henri ii conlirmait, avec l'autorité de
l'expérience et du raisouiiemeiit le plus rigoureux, les vues
émises depuis uu demi siècle jtar le^* hommes qui avaient eu
occasion de donner leur avis sur la route à tracer aux croisé.s.
Ces avis, dans leurs lignes princtpalrs. tlifféraii'ut peu les
uns des autres. Il n'en fut pas de itièiuu du pmjel de Guil-
laume d'Adam; Tauteur, un dominicain dont l'existence fut
consacrée à prêcher l'évangile en Orient jusque lîans l'Inde
et TEthiopte, et (pii fut lart'hevéfpie d<' Sultanitdi, dédia à
Raymond Guillaume de Farges, ciU'dinal de Sainte Marie
Nouvelle (I3I0-I314), son mémoire Demodo Sarramwsfjtir-
pandi. C'est, avec l'oeuvre de Fidence de Padoue, le pmjet le
MÉMOIRE D£ GUILLAUME d'aDAM. 63
plus détaillé qui nous soit parvenu ; mais les vues émises dif-
fèrent tellement de celles qui avaient cours au commencement
du XIV* siècle, qu'elles ne durent pas faire sur l'esprit public
une impression profonde. Guillaume d'Adam demandait que la
croisade, au lieu de s'embarquer, suivit la route de terre et
conquît Conatantinople en passant; il insistait aussi pour
(ju'on eût sur le golfe Persique une marine destinée à ruiner
le commerce de Flnde avec l'Egypte. Ces idées étaient trop
nouvelles pour être comprises. La première, cependant, fit
son chemin, et quinze ans plus tard elle reparaissait avec plus
de force et d'autorité ; quant à la seconde, elle était trop
hardie et d'une trop haute portée politique et commerciale
pour attirer l'attention *.
Le concile, éclairé par les docunents qui lui furent soumis,
proclama la croisade et vota l'établissement d'une dîme
pendant six ans pour faire face aux frais de l'expédition
(19 décembre 1312)».
1 . Sur Guillaume d'Adam, voir le chapitre suivant.
2. Bibl. nat., franc. 4425, f. 202-7.
QiK'lquPs-iins ries jtrnjets de croisade êclos au commonce-
iiK'iii tlu xiY" sièclo niéritout, par la inniveauté et l'origi-
iialKé de leurs vues, une attentiijn particulière. Si Raymond
Liili avait rêvé la c<in(|Ut>U> de la Trrn.' Sainte par Ift dé-
vcJitppement ik- lu civilisation ouropecnuc en Orient ; si
Miirinn Sanudo avait préconisé le blocus commercial de
l'Kpypte i>our ruiner la puissance musulmane et faciliter
les progrès des Chrétiens dans le Levant, d'autres esprits,
comme Hayton <'t Guillaume fl'Adam, avaient proposé au
Saint-Siège d'atteindre le même but en recourant à d'autres
niiiyens.
Aux mains de la dynastie chrétienne des Khoupéniens, le
royaume d'Arménie semblait, par sa positiim en Asie Mi-
neure, appelé à ynivv un rôle prépondérant dans les reven-
dications que les Latins songeaient à exercer dans le Le-
vant. Son importance n'avait pas échappé à la clairvoyance
des conseillers de Nicolas iv et de Clément v ; mais l(^ climat
et la pauvreté du pays avaient toujours fait écarter l'idée
d'un débar(iu(niient dans ces parages ',
Haydm, «'ii i|ualité d'Amn^nien, s'efforça de ramener l'opi-
nittu jiubli)[ue égaré<î â nno plus saim* appréciation des avan-
lages que sa patrie pouvait offrir à la croisadts se flattant
([ue s(m avis ne serait pas sans influence sur l'esprit de ses
contempt>rains.
1. Voir particulièrement l'avis de Fidence de Padoue et du grand-
roattre du Temple, pages 23-4 et 65.
Do hi raniille rios princ4*s de Lampron, comlo de Gorigos,
tnèlé intimement aux événemonla dout rArraénie fut le
théAtre, Haytini. après une exp^ditimi cinilre les Egyptiens
dans Iaf|Uelle il arenmpagna lo roi Hi'th'Hini, s'était retiré à
Chypre (vers 1305-6) pour renoncer au monde et prendre
l'habit dos Prémontrês. L'année suivante, il était passé en
Kuntpe. et, avait, à la solli<'ita1ioii ilu papi% i-ousi^^nô par
écrit les rêeits qu'il avait faits an pontifo, et dans h^squels
il avait raconté l'histoire (h's Tarlares. inséparable de relie
de son pr'.tpre [lays '.
C'est à la fin de cet onvrage r|u*Hay(ou, proclamant la
légitimité et Topporlunité d'une inlervenlion armée en Terre
Sainte, exposait à Clément v les vues que lui suggérait,
|K>ur l'expédition fui me, l'expérience d'une vie tout entière
passée eu Orient au nûlirn des événements '.
Les Tartare.**, disait-il, étaient prêts à s'unir aux Chrétiens,
et cette heureuse circonstance devait rlécider l'Occident à une
prise d'anue.s immédiate. Un « piqii passage », composé de dix
galère» portant mille chevaliers et trois mille hommes de
pied, équipé cl envoyé l'u avant-garde à Chypre et en Ar-
ménie, p(»uvait rendre les meilleurs senûces. Hayton émet-
tait sur ce point un a^ns conforme à celui de la plupart de
ses contemporains. A l'arrivéo de cette petite armée, le roi
t\es Tartares se décidait à interrompre les communications
entre la Tartario et les états des Sarrasins, et envahissait lo
lerriloin* d'Alep ; en même temps, unie aux forces de Chypre
et d'Arménie, celte avanl-garde attaquait les possessions
ennemies, protégeait le littoral, fortifiait l'Ile de Tortose,
obligeant ainsi le soudan à diviser ses forces et à venir de
sa pcrsiinm* d'Egypte en Syrie. Elle pouvait même se (latter,
9Î une circonstance iniprévue retenait celui-ci sur le Nil, do
conquérir Tripoli et totit le comté, au graml profit rlo l'expé-
dition principale.
La croisade, d'après Hayton. devait faire voile vers Chypre.
1. Ifi»torieiu arménien» de» Croisade», i, 469-70. Hayton dicta à
Poitiern wm hisinire en français à Mcola»! Falcou, qui la traduisit en
latin piiur la présenter au pape (ouùt 1307). Kn K151, Jean le Long
d'Ypres traduisii un français l:i version latine de Kalcon.
'2. C'oAt la f|uatriè[ne partie de V/h'stuire des Tartare». Nons nous
•ommod servi du texte ]>uiilié par L. de Itackcr, L'Exiréme Orient au
moyen Age, p. 2*21-&1 (trad. de Jean le Long).
ROUTES DAUMKMK KT DE CONSTAXTINOPLK.
s'y arrêter, et savoir là si l'avant-garde avait réussi â s'em-
parer de Tripoli ou de tout antre port sur los côtos <1<'
Syrio; on co cas, ollo avait un point solide de débarque-
ment; au cas couiraire, elle n'avait ((u'à prendre terre en
Arménie et de \i\ niarrliPr stir Damas el Jérusalem, tandis
que les Tarfares, dont l'allianco était indispensable au succès
de rexpwlitinn, envahiraient le pay^^ (ï'Alep. Mais pour
écîirter les coullils rulre Tarlares et Ciirétieus. il était pru-
dent iféviter la jonction des armées des deux puissances
alliées, el dfi laisser les Tartaros à Damas pendant que Ips
eroisés marcheraient vers .lérusal«'îu.
Haylon n'avait, pour ainsi dire, qu'indiqué ses projets dans
son Histoire des Tartares ; le pnnci]»al d'entre oux« celui
dont il avait pris â canir la ri^alisiuion, était de faire adop-
ter la route d'Annéniu ; Ilayt-on revint, dans la suite, à son
idée favorite, et la développa dans un mémoire, plusieurs
fois remanié, dont voici les principales lignes' :
Pour déraciner les préjugés de l'Occident contre l'Ai'-
ménie, Hayton commence par passer en revue les points
généralement proposés pour un débanjuernent, et par en
faire ressortir les désavantages. Alexandrie est une ville
très forte, au centre de la puissance du soudan ; l'eau y est.
mauvaise, pas de pAturapes pour Ips chevaux ni de res-
sources pour transporter l(»s convois nécessaires â l'armée ;
en été la côte est dangereuse, en hiver les approvisionn**-
ments manqueront; le succès n'est possible que si la place
tombe à bref délai aux mains des croisés. Damiette est
ruinée ; les inconvénients y sont les mêmes qu'à Alexandrie.
i. Nous croyons r]ue ces mémoires, qui accompagnent dans les
raanuscriU: le texte dltayton, doivent lui ùire atti'ibnés. Vvlw (Bibl.
nat.. ]at. 551.'», f. 5:ï-62, et nil)l. publ. Ue LeiUe, lat. 66) est en latin;
rauU*e (Ilibl. IVhII., Ashmol. :i42, f. 1-6 v"^) est en franrais; ils diffèrent
assez sensiblement l'un de l'autre, mais dans le premier comme dans
le second on pecunnait de grandes analogies avec le texte de VHi&toirc
des Tnrlares. I,e niémnire latin dèbiUe jmr un long pn^ambule dans
lequel l'auteur exjmse les moyens à employer pour dérîler les Chn^-
tiens à se crtiiser. Ce sont ceux (pie nous avons vu maintes fois déjà
indiqués; quelques-unes des Idées émises par Dulwîs s'y retrouvent,
mais exposées avec plii:> de mu<léralion et d'une faron plus pratique.
La supériorité des combattants apparteuaiU aux ordres militaires sur
les laïques y est démontrée, tant au point de vue de réconomîe k
réaliser que des services à obtenir.
AVANT.UîKS DU OKBARQLEMENT EN ARMENIE,
îsi Acro ni Tripoli ne sont dans de raeilleurea conditions ; â
rimpossibililô de < chevanchor par la torre », faute de bêtes
de somme pour escorter l'armée, se joint le (langer résul-
tiinl de la [tnixiiuilé de forteresses occupées par les Saira-
sins, et l'absence d'un port assez spacieux poiu* abriter la
flotte pendant l'hiver. Chypre, prise pour escale, n'offre aucun
avanl;ige ; l'exemple de saint Louis ne monin^-t-il pas que,
»an» »y arrêter, le prince eiM mieux fait de faire voile di-
rectement vers le lieu de débarquemout?
Ces divers points écartés, resle l'Arménie, à laquelle
on reproche l'insalubrité du climat, la pauvreté des pâ-
turages, et en général le manijui» de ressources pour appro-
visionner une armée'. Hayton prnte^^le contre ces reproches
mal fondés ; le climat seul pouirait éprouver l'armée,
mais en effectuant le passapo an mois d'août, de façon
à atteindre rAi*méuie en automne, les croisés jouiront d'une
température modérée et très saine. Le pays est couvert
de forteresses faciles à garder, qui déffudeut les passages
des montagnes; trois grandes rivières l'arrosent; on y trou-
vera sans peine les bêtes de somme et la remonie de cava-
lerie dont lin aura besoin; les ports de l'Aïas et des Paux
sont excellents ; la proximité de Chypre rend facile rarri-
véo des secours eu hommes ci en approvisionnements que
cette ile enverra aux croisés ; eutin l'appui du i-oi d'Armé-
nie, sur le(|uel l'expédition ne devra pas compter si elle
débai'que sur un autre ptunt di's côtes de Syrie ou d'Kgypte,
n'est pas à dérlaigm-r. Ou sent, cependant, à l'ardeur
qu'Hayton met à défendre l'Arménie, que les critiqm^s dont
file a été l'objet ne sont pas sans fondement, et l'obser-
vateur impartial reconnaitia que. si la croisade pouvait trou-
ver un sérieux avantage à pnMidre terre dans un pays ami,
ot à profiter des ports qu'il lui offrait, elle ne devait pas
compter y faire autre chose ((u'un hivernage, sous peino
d'avoir à redouter la ditîiculté des subsistances et les dan-
gers du climat.
Au pnniemps suivant, l'année quittera l'Arménie, reposée,
ravitaillée, avec des effectifs complets; de la Portelle elle se
■
1. Voir plus haut l'avis du grand-maître du Temple, de Ptdence
PidouCt du roi de Chypre, etc.
08 roijTKs d'\r>!knie et de constantinoplk.
dirigera vers le sud par l(' pont do Fer * sur Aiilioche, dont
elle s'empai'era facileincni, ainsi t{UO des châteaux onviroii-
■nants : Darbosac', le Gasinn ', Haréiie'. Dargon^j", le Coiii'-
saut*, situés dans un pays rit.'hc ol offrant des subsistances
faciles. Maîtres d'Anlidche. les croisés s'y arrêteront riuelqut^s
jours avant ilr? mutinuer \onr marche dont l'objectif sera
Haniali \
Pour nlleindrerotte ville, trois routes peuvent être clioisies :
lapri!inière,loni(e4»nl. le litlorul, pass(» parLaodicée. Margat*. et
à partir de ciî tliM'uier point s'èl(ji|rne de la côte pour s'enibneer
à l'est dans l'intérieur du pays ; elle offre près de Margat un
passîi^e très difficile pour une grande armée, s'il est gardé par
l'ennemi; la seconde, parlant d'Antioche el suivant la vallée
deTOronte. passeàFêniieet îi Césarée jHiur alt*'indre Hauudi';
eu l'adoptant l'armée ne manquera ni de pàiurages, ni d"eau.
ni d'approvisionnements, el n'aura rien â craindre des Sar-
rasins pendant sa marche. Quant à la troisième route, elle
incline plus à l'est que la seconde par la Marn- '", Sernim ",
1. L& Portelle est une localité qui formait la i'rontière du royaume
d'Arménie et de la princlpaul<^ d'Xiitiorhc. Le pont de Ter (/î/ViW-ff/-
Hadid) était jeté sur l'Oronle {\nhr-d-.\iti\.
2. Tarpcsao, Trapsacli, Trape.siicli suivaiU les [iiaiiuscrits, Trtifttmn
d'après Sanudo, aujourd'hui Ikrbetrak, château fort au nord <i'Au-
tioclie, sur le versant oriental de l'Amanus, ancienne possession des
Templiers.
;t. (îaslon, tluasto. Gastim, ^tait \i\\ château qui avait appartenu a
l'ordre du Temple, à quatre milles d'Antioche, sur le revers orieiilat
<le l'Amanus, près de iîagias.
4. Harain, llaaran , llaaram, aujourd'hui Qualaat Jlàrim, sur la
route d'Antioche à Alep.
5. Dragon, {Dtrkauch? au sud d'Antioche^
6. l'robahleinent Coratu-stum, aujaurd'hui Alaïa.
7. Ilamam, tiamen, aujourd'hui llamah^ l'ancienne Itnmalh, l'Epi-
phania des Sélcucido», sur la rive gauche de l'Oronte.
8. Laodicée (Laïuf^t'yéh) sur le bord de la nier. — Margat est au-
jourd'hui apj>el<^ Miirkab. C'était une des principales forteresses des
Hospitaliers au temps de la domination latine eu Palestine, sur la
limite des principaul^ïs d'Antioche et de Trif>oli,
9. Hajion donne ^ l'Oronte le nom de Hevel. — Féinie (Qualaat em-
}loudiq)esi l'ancieime Apaméo-^Césai-éei^rifartf), sur l'Oronte, entre
Fémie et Itamah.
10. La Maire. — M. lî. G. Itey identifie ce lien avec le village actuel
d8 Ma'arrat-en'No'amiin.
11. Ce doit 6trc Sermeda, le Sarmit des croisades, d'après M. liey.
PLAN DR CAMPAGNE DE L'eXPEDITION. 60
Mf'gnarc! Mesiùn ', dans une plaine riche, fertile et san«
déft'nsi'.
A Hainah. malgré l'importance do la viU«, les croisés ne
ivhc'ontnTonf (in'iiiR' faiblo ivsistaïKO ; li^s dt^fenses sont peu
ri'iloiUahh's, ot la garnison peu unriihn'iisf*. De là ils mar-
oluTont sur Damaï*; les iroupes du Soudan, si elles viennent
à leur rencontre. les altendronl probabliMuent selon leiu* habi-
tude dans le dêHIé de Caneis, entre Hauinli i't )a Chamele*;
mais si le passage n*est pas dêliMulu. ICxpédition n'aura plus
à redouter les Sarrasins de Damas et de Syrie, qui n'oseront
pas Tattaqupr ailleurs ; elb^ pourra marclier directement, par
la rhamele et Haaibek', sur Damas rpii ne tiendra pas, puis
atteindre Jérusalem et conipiêrir toute la Syrie. Si les croisés
veulent alors pousser plus hun leurs avantages, la route
flKgypto liMir est ouverte; parvenus à Gnza. ils gagneront le.
Nil par la route du désert ou par cidie du littoral '. Dans le
l'as oi'i l'imnemi aiiniit refusé la bataille, la croisade devra
t'banger de dirreiiou cl so rabatti'e à l'ouest sur Tripoli ; c'est
une marebe en arrière de quatre jours, iudis|»ensahle pour ne
pus laisser les Sarrasins derrière soi. Par contre, devant cette
place, les croisés auront l'appui des chrétieus ^\\^ Liban, et.
niaitres de Tripoli, ils puurronl reprendre leur plan pri-
mitif de conquête. Quant à la Hotte, après avoir hiverné au
j>ort des Paux, elle fera voile directement avec < le gros har-
« nois ri le Ijlé et les autres gross4's mandes et les dames et
« les femes et les enfans de l'ast » sur Saint Jean d'Acre, et
1. I.a funiu' latirm (|p re nom pst Ma^aretuin Messini, aujourd'liui
Mn'nrrt J/ixriw, ù mi-cliiMniii et au snd ilAnlini'tie et ilAlep, au iioni
criani).
2. La Cliatnc'li' est aujourd'hui //im«, l'aiirifinno! Kmèse. iJes batailles
avainiit déjà eu lieu diiiis lu plaitte dt) Hinni eu 12B1 ot 1299 entre les
^lo^^roU ot Ich ICgyplims. [^ ilétUé, dont it est ici question, doit ûtpo
rhi^rrht' aux piiviroiiK du Krak des chevaliers (Quttlrtttt-et-JiuêH) ^ for-
trrpsh** qui rumniaiidaît les rûutes de Hima et de Hamali à Tripoli et à
'l'oiiose.
.'I. Los maiMisrrita purteiit Manboclt. mais il faut reconnaître bous
relie uppt'llaliuu Ibalbfk, rancionne /f'^Hopotis, îi mi-chemin entre
Ilinu pt l.'iuiias.
i. llayto:t duiuif uti itinéraire du la route de (;a£a {(ruattreê) tm
rairo. Cuiiipart^z Vl'Uudr aur la /it*t*isi; de* Chemins lie fittbyhine,
daiiH laquelle M. th. Scliefer atHudié des itinéraires analo^'ues lArch.
de roricnt Laiiti, ii, 8'i-ini).
70
ROt'TES U ARMENIE ET DE CONSTANTINOPI.K
de là sur Jaffa, laissant dans chacune de ces stations les
approvisionnements nécessaires, puis elle rojoimlra l'année
nctorieuse à Gaza.
Malgi'é raulonlè d(»rit j(nussait Hayti^n. rM|nni«in publique
ne se laissa pas convainoro. L'iiiKUiimili'- des itMtinigimgPs
contn^ l'Arriiénie rendait toute réhahilitation ini|)ossible, et
Haylon ne parvint pas â détruiro les pn''jug/'s t\v sr-s contem-
porains.
Quelques arinéi^s plus tard, un projet nouveau apparaît ; il
émane d'un doiiiink'ain, Giiillaiinie d'Adam, dont la vie s*est
passée en Orient à convertir !i^s infidèles'. l»ansce mémoire,
l'exactitude des détails ««t rcx[>érieun' pratique dos conseils
s'unissent k des vues si personnelles l't si dilfèrenles de celles
qui reraplissenl la ]dnpart des traités analorriH»;;, que l'onsemble
des projets de Guillaumo d'Adam mérite iPètre résumé en
quelques mois V
Les Sarrasins, dit l'auteur, nt- maintiennent leur supré-
matie en Orient que grâce à ra[)t"iu ilc leurs viiisins l't â la
complicité des nations chrétiennes. Einpèchercet appui, rendre
cette c^jmplicité impossible sont desmo;v'ens infaillibles do poi^
lerà la puissance iiiusulniane un cnup mortel. Ku prt'nn'ère ligne
les peuph^s comnien;auts de la Méditerranée, Catalans. Véni-
tiens, Pisans, Génois surtout", se livrent à la contrebande et à
la traite des esclaves avec l'Kgvpte, fournissant ainsi im s(mi-
dan, avec les denrées dont il a besoin, des chrélims dont il fait
ses meilleurs soldats'. L'empereur de Consiantinople exporte
les blés de snn euipire en Kgyplê ; le roi des Tart^u'es sep-
t4'nlnonanx, allié du soudan , autorise dans ses étals le com-
merce des esclaves, qne les navires chrétiens transportent
1. Voir Kî chapitre préct^dent, pages 62-'â.
2. Le trait*^. De modo Sfitracetiox extirpandi rniiis esl parvenu dana
un manuscrit de U;Ue du xv siècle (A. l, 28, f, 232 v-aâi v»).
3. (.i. d'Adam signale spéL*ialemcnt Sc^uraa Salvagu {S. Safvaliei).
Génois, qui, sous pavillun musulman, favnriso les guùtK les plus dé-
pravés des Sarrasins, et conduit, hur ses vaisseaux, les ambassadeurs
que le Soudan envoie aux Tartares de la mer t^aspienne et de la mer
Noire.
4. Ces chrétiens vendus commo esclaves en Kgypte H>nt des Grecs,
des hulgnres, des Rutbénes, des Mains, des Hoii;;ruis de la petite
Hongrie; iUrormeut une aruu''ode quarante milte )jumm''s uu\ ordres
du Soudan.
KEFOHMES PROPOSEES Al' SAINT-SIKCK
71
aux liouchos du Nil; los pèlerins eux-mèraos qui \'isitent les
lÂvux Saints sont soiiiiiis :i (ips rotlovances piicimiaires dont
I*' produit earicliil le trésor do lours eiiuoiuis.
Si lo Saint-Siègo vont faire cesser cet étal de choses, il
îip:ira avec énergie, excommuniant qiiiconqim sp rend cou-
(Kiblo d'at'tes de commerce prohibé, et confisquant les car-
gaisons di's dêliutiuants. Une escadnï suffira pour fairtî
res|)ector les défenses ponlilicales, mais à condition qu'elle
(*<dl plus sérieusement organisée que celles que le pape a
précédemment é(piipét»s dans Je même but.
On sait, en effet, que l'Eglise a été trompée, et que, lors-
qu'elle payai! l'oniretieu de six giiléres pendant un an
quatre seulement leuaienl la mer pendant six mois ; leur
armement était si mauvais que devant trois bâtiments enne-
mis, elles nVisaient livrer bataille. Kn outre, jïei'snnne n'ignnre
que la n ml rebande ne s'exerrail t[nr pendaiil les mois
d'hiver, et c'était justement en été que la croisière avait lieu;
de plus, jamais !e capitaine n'avait rendu compte de ses
prises. Il fallait donc réformer ces abus par une série de me-
sures uouvelli*s, et, comme contrôle, appliquer à la llotiille
clirêiienue rinstilutinii ^'énujse de Vofficium roùarie, c^est-à-
dire autoriser tuul cbrétieii lésé, comme le laisaieni les
<n*nois, à produire ses réclamations auprès d'un tribunal
chargé de lui rendre justice '. Obtenir lie r(miper4'ur d'Orient
qri'il reuouràtà ses rapports amicaux avec le Soudan, sem-
blait tAclie plus ilifMeile ; on était en présence d'un prince
sejiismatique et ilifHcile à convertir â la f(»i calboliqne
riiiti;une ; mais au moins, â la faveur île né^:ocia(i'>ns fré-
qtii-ntos et eu usaut de douceur, puiivait-on reu'h-e plus bien-
veillantes entre la cour impériale et le Saiut-Siège les rela-
I. < K«l atileni hnjtis (ofticii] una arcba, scilicct in pnlano commtini-
talis Janiie t^uiii tribus serraturis. super quam sunt très prcpositi ordi-
nali. et ({iiiL-nm(|ue Christianiis. Jtideus vcl Sarraceniis undocumque,
si lanieii de terra illa sit, ((uod contra Januam ^tierram non li&bet
actualeni. ubiniin'}ue perJanuetises fiierit depredatus, talis per se vol
suum prooiiratorpin in archam predictam rndlo sciento unam cedulam
intromittit, de ^iia expoliatione querimoiiiam contincntem. Prepf)»!!)
i^itiir tpsiiiis ofticii, astrirti per Juranientum. cerlis anaî temporibus
arcliatniltamapenunt,etibi iiiventa^cediil.'t.'^ perlegi>ate«,Matitne\|M>-
llalijre>t vtHMiit et ail reddfnOum ex)iitliali!t i|iii(:<tiiid et quucuni'jue
nitjilu rapuuraiit cunstringunlur • ^ï- d'Adani, f, '2'^).
72 ROUTES DARMENIE ET DK fONSTANTFNOPLK.
tions que la politiqtie peu modérée de la papauté avait
enveniniéos.
Quant au roi flos Tartares du nord, dont It^s Génois favo-
risaient ralliance avecTEgypIo, ou paralysera se» dispositions
en se rapproclianl rlu roi do Por^e, prince mongol, dont les
états sont situés en(re 1rs possessions desTarlai'es septentrio-
naux et celles des Sarrasins, mais dont les rapporls sont aussi
tendus avec les premiers qu'avec les seconds. L'excommnniea-
tion contre les navigateurs qui prêteront l*^ur appui aux. com-
munications entre Tarlarps et Eg^vptiens' sera proclamée par
le pape; si co moyen ne suffît pas, on établira une croisière à
Chics sous le comnmndennMit des pelits-fils de Benoit Zac-
charia*. La famille génoise des Zaccliatia, en effet, maîtresse
de l'île de Chios dppuis le commencement duxiv* siècle, sous
la au/erainelt' nominale île l'empereur de Couslanlinople, dé-
mentait la réputation que les Génois s'étaient acquise djins le
Levant, en restant étrangère â la contrebande exercée par ses
compafriotcs. Benoit Zaecliaria cl son fils Paléologue avaient
donné des gages de leur atlachcment â la cause ehrélienne. et
c'est aux. fils de ce d(*rnier, Martin, Benoît et BartliéU'tuy,
que Guillaume d'Adnm proposait de conticr la police de l'Ar-
clîipeP. La position de Cliios, à nii-clu-min entrf ta Tnrtarie et
l'Kgypte, âproximilé de la côte d'Aiiatolie, était de premier
ordre pom* entraver le commerce entre la mer Noire et
Alexandrie.
Pour compléter cet ensemble de mesures, il fallait enfin
empêcher l'argent des pèlerins qui visitaient la Terre Sainte
d'aller gi'ossir, sons forme de tributs et fie redevances, le
trésor du suudan. Là rncorr ri'xcommunieation était iin»^
arme excellente dont le Saint-Siège pouvait se servir; eu
faisant, au retour, payer aux pèlerins désobéissants et aux
patrons qui avaient l'onscnfi à les recevoir swv leurs navires
l'absolution de la peinte encourue, la papauté augmentait ses
1. G. d'Adam demande <]tîe cette excommunit'ation «>it étendue à
ceux qui favorisent 1rs relations fom merci aies entre les Tartares et les
Sarrasins d'Asie Mineure, parce que ces derniers rôexpédieiU les mar-
chandises en Egypte (f. 2:»8 v).
'i. Nous avons rencontré plus haut à diverses l'epmes le nom de
l'amiral Benoit Zacoliaria. p. 4:i et 60.
:t. Ils venaient ï)pécisément de c-apturer dix-huit vaisseaux de pirates
turcs et de faire une incursion heureuse en ;Vsîe Mineure.
AVANTAGES DE LA R0( TK PAR TKRKK
73
)roprcfï ressources ; elle assurait en mémo temps une sanction
écuuiairf^ à sa prohibition, dans le cas où la sanction spiri-
rituelle résultant Je rexcomiuunicaliou n'eût pas été suffisante
lour arrêter le mouvement de pèlerinage.
Ainsi prépai'èe, la croisade, dans l'opinion de Guillaume
l'Adam, lievail se f^iiri' fi;ins d'''KC('llf*nt('s o.nililinns : les Sar-
rasins d'Egypte ne sont ni vaiilaïUs ni reiloutables, et des
'uphéttes, répanriues parmi eux, qui attribuent à un prince
'anc la destniction rlr leur puissance, paraljsei'ont leur
luni^' ; d'un autre c<Mê en Occident tous, barons, che-
valiers et paysans, désirent prendre la croix ; ils peuvent
compter sur l'alliance du roi de Perse, qui a formellement
promis son concours ei aitainiera les Miisiilajans au nord,
lundis que les Chrétiens dirigeront leurs efforts vers le sud.
Oéorifieus, dont ia coo[>êrafion a souvent été fort utile
mx Mongols contre les Sarrasins, ne renieront pas leurs
nfècédents poUtiipios. Mais, pour que l'expéditiou soi! efti-
'cace, elle devra prendre l& roule de Oonstantinopîe et sVn
emparer avant de rien louler en Palestine. C'est là, d'après
Guillaume d'Adam, le nœud de la question ; celte idée, qui
lui ost personiielN», n'avait jamais été émise avant lui ; il
--'•■tforce de la justifier et de la faire adopter par le Saint-
ïiège.
L#cs raisons mises en avant dans ce but sont de plus d'une
rt'to. Sans insisti'i* outre mesin'e, comme on le fera plus
lard '. sur les uvauiajL'es otTerls par la roule de terre A travers
la Hongrie et la lïulgarie, Guillîmme d'Adam fait remarquer
que les Grecs sont, au même» titre que les Sarnisins, hostiles à la
rroi*<ade. vi qui* ne pas li's réduire, c'est exposr*r rexpé-
^^illiun à un dauf^'cr jH/ruianeul de leur part. On cnunail
^^kfio;: les dispositions di* l'empereur d'Orient pour ne pîis
^Hlouter ilf co fait : on sait, l'hisloire l'U main, t\\u' les Paléo-
^Bugnes n'ont rien épar^^né pour ruiner la religion calliolique;
^Bi (ui pèro doit punir plus sévèrement les écarts d*un lils dé-
naturé que ceux d'tMi esclave eoupabli-, le saint pèrr est eu
droit de déployer contre les Gre4;s, autrefois enfants île
ri^^lise, plus de rigueur que contre b!S Sarrasins, qui n'ont,
j.iinais rnnroi la vraie crnyann*, La conquête rli» Consfanti-
noplc seia facile; des fi-nunns y suHiraii'ul. Les Turis, i-n
Vuir pluh bas l'avi:! de Ltrucard, au cliapitro vu.
74
ROUTES I> ARMKME KT DE CONSTAÎ(T1>OPX.E.
effet, le peuple !c plus lâche de l'Asie, qui trembleul devant
des Tartares, des Comans ou des Géorgiens, n'ont-ils pas osé
attaquer los Grecs p( li's vaincre? Une partio de Tmipire, de
lîyxancc n*(*st-elli» pas habitt-e par des pupul.ilioiis calhuliques
qui accueilleront les croisés en libéralinirs? Ri(»ii n'eulravera
doue le succès de l'expédition contre Constaulinople, Maî-
tresse de la ville, l'anuée croisée aura mi pai'l pour se re-
former, se ravitailler et se replier en cas d'échec, avantiige
capital que ne lui offrirait aucun point du liMoral de S>Tic
ei d'Eg^ple ; elle s'rippruvisiontieia facilenieut de vius, de
blés et de viande, que la Grèce rtuirriil eu abondance. En
outre Tile de Chios, possession des Zacchai'ia, sera pour
elle une position exot^pliunncllt' : i-lli' i-sl fi-rlile, salubiv, en-
tourée de mouillages sûrs ; hi côte rl'Asie s'avance à trois
juilles de Tilo et forme mie laugue de leire' d'un périmèlro
de cent quati*e-viagt.s milles, très resserrée du côté du con-
tinent, couverte tie riches vignobles, coniitiandani an nord
Smvrne, au sud Éphèsc. Les Turcs n'osent pas s'y établir;
les Chrétiens s'y fortifteront sans peine, et entreront par
ce point en Asie Mineure. En face de cette presqu'île, au
commencement de la baie de Smyrne et à quelques lioties
au nord, les Génois occupent une autre position, cello
de Piiocêe, dont le pnrl est trè-isnr; enfin, ils sont maîtres
<lePéra, aux portes de Couslautinuplf, H [wir idle dominent
le Bosphore'. Ce sont autant decondilions favorables dont la
croisade protitera: en altatpianl par l'Auatolie ]<'s intidélrs,
elle arrêtera i*u même temps b^s pirateries des ïmrs dans
l'Archipel el le commerce des esclaves qui se fail '•lu- luie
^'randeé(dtf*ll<' d'Asin Mineure m Perse.
A rrxtTupîe de Samido. la principale préoccupation de
Giiillaïune dWdani est de ruiner le commerce des SaiTasius.
et de k»ur porter ainsi des coups plus redoutables que des
défaites siu* les cbaïups de bataille. S'il a jnvcttnisé la con-
quête de l'empire d'Orient, c'est pour donner Constantinople
et Ohios comme base et comme appui â l'escadre qui iuler-
I. (Ji^tte pix*sf|irile est appelée de de t'IazoïiiéiiKS. Klle K^pare la baie
de SinjTiie ilf relli' (riDpfii'Be.
1. (•uîUaDiTi^ (l'Adimi tw dniiii*^ inilli: part les nuuis des pusiliouK
g<^ugTaj)iji<|iK's )|u'il indiinie, mïiis ses tU^scriptirijini mml okscz. prtxis«8
jiour piTinfflrc do jivs reronnuilrr l'arilomenl.
CREATION D INK MAKINR Sl'K I.K «Ol.FE PKRSIQLK.
ta
rompra les relations commorcialos entre l'Egypte et les pro-
venances «le la mer Noire et de la mer Caspienne. Mais il no
se borne pas â ce premier projet ; sachant ((ue l'Egypte s'ap-
pro\isionne nun si.'ulemerit parla Méiliterranêe, mais aussi
par la mer Rouge, etqii'elle reçoit parcolto voie les denrées
i|p rinde et ilo rex(r»*'me Orient, il a compris ipic les nipsiir(?s
propasèf.»s conti*ele commerce méditerranéen ne seraient effi-
caces qu'à condition d'élre complétées par des dispositions
prises contre les négociants de lu mer Uouge. O'est pour
répondre à cette nécessité qu'il expose, à la lin de son traité,
les mojens d'intercepter la roule de l'Egypte aux m.irchan-
(lisi's venant de ces contrées éloignées. Jamais, avant (îiiil-
laume d'Adam, pareil dessein n'avait été conrju ; si Sainidoet
après lui le gran<l-maitre de l'H^^pilal afllrmaient qu'en pré-
sence d*nn Idoens sévère de l'Kgypte, le commerce de l'ex-
Irémet'ïrient, faute de fjéboucliés, passerait par l'Asie centrale
*ft atteindrait la Méditerranée en Arménie, aucun d'eux n'avait
eu la hardiesse de vouloir l'arrêter dans Tifcéan Indien, et lui
barrer l'entrée de la nier Rouge. (^i*iillniirm' d'Adam proposa
de le fain». et montra que son projet n'était pas irréalisable.
Il suftira. dit-il, que le Saint-Siège entretienne trois ou
quatre galêre's dans Titcéan Indien puur empérher le passage
dt>s négociants à Aden, L'expérience a été tentée jadis parles
rrénrds e1 a réussi ; ceux-ci, sous le règne d'Argnun. roi des
Mongols, ont construit deux galères à Hagdad. et. par l'Eu-
phrale, les ont conduites dans la mer d^'s Indes pour défendre
le détroit d'Aden. La si'ule diltieulté sérieuse, êneore qu'elle no
siiif. pas insurmontable, sora jiour les Cbrétit'us de se procurer
ces navires. I^es marcbands d'Aden commercent av<H* l'Inde,
mais n'ont aucune relation avec la I*erse et les ilcs de l'arcbi-
pel Indieu, dont les souverains sont b*urs ennemis ; en faisant
sni( aux i!es
"i Houibay', à
constrinre les vaisseaux, suit a
Deyndi' datK b' goite Pet*^iqiie.
l'ili' d'tlniiiiz V
snii dans l'Inde
I- Avant (l'i^lrc déva«ttV pur te> Muii^ols, la villo UOirnu/, était sur
la terre ferme (à sept un [mit milleN du fort Mînab). Kilo fut rehùtie sur
«ne île appelée Jerun, diittaiile de ^ix kilumètrpsde l.i terre ferme et
dp formft presf|iic ronde.
3. Cch fle« iinxulie Diree) sont siluévà au fund du golfe i'eri-ir|ue, à
l'est du delta du CliM-el-Arab, et h l'ouest de la pointe de liurk.iii.
:*. Au fond du pdie de ce nom, qui est fonni^ ii l'onest jiar lu pénin-
sule de Katlyawar et ii l'e»! par la cùtu du Koiikari.
"fi OOI.FE PERSIQl'E.
Taunah ^ ou â Quilon ', on sera siir de n'avoir rien à craia-
(ln\ puisque ces Idéalités sont on dehors des efioales du com-
merro do ces pays. Le ïmis de constnietinn est fort abondant
sur tous ces points, ot [os populations favoriseront une enlr(y
prise destinée â ruiner la pruspêrit*^ de riêgDcianls qu'elle*
haïssent tM doni oll«'S «'uvicnl los ricli(»ssrs. Lo roi de perse
trouvera sim avantage à rélablissemcnt d'une force maritime
sur le golfe Persique. Nul doute qu'eu échange il nncoulribuc
aux dépenses.
Pour armer ces galères, l'Kgii.se pourrait soudoyer les équi-
pages; mais c'est un moyen coftteux, qu'elle évitera en accor-
dant des indulgences spéciales iitix douze cents luarius dont
elle aura Itesoiri, et en relevant une centaine d'hommes de
Texcomumnication encourue A l'occasion du comuiftrce illicile
aiu|uel ils so livraient â Alexandrie. Klle trouvera ainsi les
ressout'res pérunîaires néces.siiires à retjlietJL'ii de i'esrath'e;
les matelots ne lui manqueront pas, si elle se décide n
absoudre les Génois excommuniés pour cause de conliie-
baiide. Aventureux, seuls à coiuiiiilre les mors de ces parages
que lc»s autres peuples ne fréquentent pas. avides au gain et
cependant plus Imunètes que les autres nations maritiuies,
ce sont les hommes les plus aples à fiunier les équipages
de ces navires.
Un port sur est indispensable â la Hollille rhréiienne;
elle est assurée d'en Irouver facilement un daïis la mer dos
Indes, (pli t-nmpte, dit l'auteur, plus de vingt mille Iles, la
plupart inhabiléos. (.'hyx '' et Ormuz dans le trolfe PtTsique»
possessions du roi de Perse, remplissent les meilleurr's con-
ditions: U»s galères y pourmiiL hiverner sans danger, y
réparer leurs aviU'ies, y liéposer les marrïiaudises coniis-
quées. avec Tassurance de n'être pas inquiétés par la Perse»
dont la pnlitiqu4' favorisera leurs progrès. Les ennemis
qu'elles auront à cunibathv soûl loin ilvtiv redoutables;
sans courage, sans armemeul, pour ainsi «lire, défensif ou
1. A ilou/.e milles anglais au .sud de Itouihuy. eu l'iiL'c do l'ilc Sal-
sette, capitale du temtuire du Konkaii.
2. Appelé au moyeu li^e h'nottlum. Kollnm, Colon, CotumOum, sur
In côte de Malalmr. au nurJ de Trîviindrani, nuri loin du cap Comijnn.
!ï. Aujourd'lmi Kichm ou Tttiritah (He lonj:ue). i'est une ile consi-
dérable, qui s'olend eu longueur parnllùlcment h lu cûlc de Tlnin, à
l'ouest de l'ilc dOrmuï.
Kffen.sif, étrangers à toul ail de la guerre, ils ae rapprochent
plus lie tu bi>te que de Vliomnm. Le détroit, enfin, rlont lo
passage doit (^ire haiTè par l'escadre, se prèle par sa configii-
ralîun géographique au but iju'ellc se propose. Trois îles » le
défendent, et les navires qui vetdeiit s'engager dans la nier
Rouge iloivent nécessairement passer près de l'une d'elles ;
cdles sont occupées par des peuplades chrétiennes qui, ti'op
faihle.> pour résister à ceux qui ont rhorelié à l*'s soumettre,
se sont toujours dérobèi's aux envabisseurs en se rétngianl
dans les cavernes des hautes montagnes dont le sol de ces
îles est couvert. Les Chrétiens trouveront l;i un appui
d'autant plus eHicacc que lt*s liabilanls IiaïssL'nt b?s Musul-
maas. avec lesquels ils sont forcément en contacL. Celte
circonstance sera préciens<> pour le succès de l'entreprise;
gnWe à elle, grâce aux cnnsidérations exposées par l'autour,
se trouve justirié le petit nombre de vaisseaux dont Guil-
laume d'Adam demande la concentration à Aden.
Vu pareil proj(»t ne pouvait être pris eu considération.
L'autour lui-même se rendait compte qu'on le trouverait
incroyable, parce qu'il était le premier à le sifrnalor, ot im-
praticable, i»arct* qu'on n'admetlait pas que quelques galôres
fussent on état d'arrêter, à l'eutive de la mur Ronge, des
niarcliands venant par* milliers rh^ rextréme Orient. L'évé-
nement justifia ces ap|ii-éhensions; si, dans la suite, l'idée de
comuionccr la croisade par la conquête de Constiintinople
tai reprise et eut ses partisans, celle de criier une escadre
dans l'océan Indieu resta lettre morte, si même aliène sou-
leva pas la pitié et le rire des contemporains de Guillaume
d'Adam,
I. <^ sont les îles Moucha uu MouisOy à l'entrét^ Un i^çolfe de
Ttwljourra, entre Znyta pi Ohokh; elles !*ont aujourd'hui inhabilités.
CHAPITRE VI,
PHILIPPE LE LONG ET CHAKLKS LK HKL.
Philippe le Bol et Clémoni v moururent, à pi^it de moi»
frintervalle (I3l^i), au milieu des propiiratifs do la croisade,
lêt^uaiU :'i leurs suocesseurs le soiii de la mener â Hanne fin.
Hènlief des desseins du pape défunt, Jean xxii L-imlirnia, au
lendemain de sun élection, la dime concédée au roi de Franco
par siin prédécesseur, et bientôt mémo, pour favoriser plus
diri'Ctemerjl l'œuvre ciunnietu-ée, aulnri'ja la levée de deux
nouvelles dimosentièreH dans le royaume de France ( 13 IG- 17}'.
A l'appel du concile de Vienne, un des grands feudataires
de la couronne, Louis, con)le de Cleruiont, plus Uxi'd duc de
Bourlion. avait répondu des premiers; petit-fils de saint
Louis, ciievalier renommé pour ses hauts faits et sa sagesse,
il avait pris la croix et son exemple avait entraîné une foule
de chevaliers, parmi lesquels Jean, soigneur de Charolais.
propre frère du comte de Clermonl (t3t(»). Le comte de Poi-
tiers avait, depuis lonj^tomps, pris le même engagement ; la
prédication de la croix, faite par le patriarche de Jérusalem,
réveilla l'enthousiasme; toute la chevalerie de France se
laissa f^agner par le zèle général. Le i-oi n'éljiit pas le moins
ardent à encouraj;er reulre|irise ; mais, empêclié par les af-
faires intérieures iU\ royaume de se mettre eu personne à la
tête de l'expédition, Philippe le Long songea à envoyer en
Terre Sainte une sorte d'avaut-garde sous les ordres de Louis
deCleraionl, auquel il fu conlîa le commandement, le 13 sep-
tembre 1318. C'était donner satisfaction au désir d'aclivilê
1, l'i.septembr<^ mii
J'iH et 152.
Il janvier 1317. CBîbl. nat., franc 'i425. f. 132,
PRÉPARATIFS DE CI.ERMOXT ET DR rUARLES f.E BEL.
b«*lliitiiouite qui aminaîl toute la France; c'était eu même
tomps, de l'avis dos horames do guerre, prendre une mesure
pxcellente au point de vue militaire, car le corps mis sous les
ordres de Clorraoïu devait préparer les voies, et lainliter les
mouvements de la croisade générale ». Une piueille entieprise,
cependant, n'allait pas sans soulever des difdcultés de plus
d'une sorte: il fallait promettre aux croisés les indulgences
papales; il fallait obtenii- raiitnrisalinn de percev<nr une
partie de la dîme établie par le crmcile de Vienne (100 OOfl flo-
rins) el do l'appliquer à l'expéditioji particulière du corole
de Clermont; enfin, pnur calmer les impatients, rendez-vous
dut être désigné pour le départ '; mais, avant le jour fixé, des
obslîicles survinrent ; la guerre des Pasttmreaux absorba tous
les efforts «le Philippe le Louji. et ce prince mourut sans
avoir pu songer à la croisarle.
Son successeur, Charles le Bel, qui s'était croisé dès
1313, manifesta hautement, â s<iu avènement au trnne. Tin-
tention de réaliser U^s jirojets de sitii prédécesseur. 1) renou-
vela à son cousin les promesses antérieures, obtint du pape
les indulgences pour \i\ croisade, et la ciinfinuation pour
quatre nouvelles années îles diuu*s précédemmi'iil constMities';
il donna mémo un c^uumencement d'exécution à rexpédïtion
eu melUnt le vicnmte de Narbonru\ Amaury, à la tèto
d'une flotte, avec la promesse de vingt mille livres parisis
|iour chaque année de service. En même temps, les avis des
plus expérimentés lui panenaient de toutes p^rts: on s'em-
pressa, une fois de plus, de léclairer sur la situation de la
TeiTB Sainte et <le lui signaler les meilleius moyens iVy porter
remède*.
1. A- de Uuiâljsie, Projet </<• eroimdc du itremîer duc de Buurhun
{Knn. Bull, de la Soi'iét<^ de l'Histoire de France, 1872. ji. 2:î9-'iU.
2. 22 juillet V.\y.i (lliiillarvl-ltrélioltes, Titres dt' fiourhon. l, p. 26H).
— 21 et 25 mars i:ilK (Jiibl. nat., franc. 'i'v25, f. 170 et 17'.). — His-
tùrien» de f-'rancf, xxi. G72.
3. A. de Uoislisle. Proj>l de croistide.... p. 232. Les dîmes furent
renouvelOos pur Jean xxii puur deux aiw, le 26 juin 1322, et pour une
seconde période biennale le 18 ilécembre I.12'i (BihI. nat.. franr. iiV2ri,
f. 208 et 21.0). — 1^1, Prtijettt de rroimde sons tjiarte» le Iiel<t sou»
Philippe de Valois (llif)!. de l'Kcole des Ch., 1859, p. 503).
'i. Um avis du ^rand>maitre, de l'évoque de Monde et de l'évéque
da Léon nous sont parvenus dans deux manuscrite: Bibl. nat., lat. 7470,
r. IK-tZav: 123 vo-129 vo; 172-178,— et Itibl. Sainte-Goneviôve. Fa28,
80 PHILIPPE LE LONG ET CHARI.E8 LE BEL.
Parmi ces avis se place en promièro ligne celui du ^and-
inaître de l'Hôpital, dont rmitinité élait inci>ntes<4il>Ie en
ces lïiatièros. Héiiuii de Villeneuve, partisan du passage
g<^néral, écartait la voie par terre, celle qu'avaient suivie
les arméoH do Pionv l'Einiite et de Godefrov de Fîonillnn,
et préconisait rembaniueiuent des troupes dans les divers
ports d'Espagne, de France et d'Kalie, et leur concentration
à Chvpre ou à Rhodes'. II domandait r(u'nti délai de (piatre
ans, consacré aux prépîu'atils, séparai la prédicaliou de la
croix du départ des croisés; que les gages des soudovers
fussent ealnilés ponr cin/| îuis sans interruption, et ceux des
f. lay-l'iH; l'i'v-lol ; 1ô!-!62 v. Ces mniiuscrîts, qui conliennent
d'autres traitas reiatifu à la 'IVrre Sainte, sont du commencement <lu
xtv* siècle. Fin étudiant spècialemfîiit le manuscrit latin 7470, nous
croyons qu'on doit le dater de \'Ml\ à i;(2K; ce n^sultat nest pas
contredit par l'examen palt'Hjjrraphiipie du niaiiuspritde la Bibliothèque
Sainle Geneviève. Nous iivons foni\é notre roiiviclîon :
t» Sur les miniatures du manuscrit latin 7'i70 (|ui, outre les éléments
paléograpliiquoât nrdioaires, oflrent ta particularité de repré^aenter
toujours le roi de France avec un écu aux armes de Fnnu*e el de
Navarre, ce qui ne se rapporte (|u'à Philippe Je Hel, Philippe le Long
et Charles le Del.
2* Sur un passante de l'avis de l'évéque de Léon (f. 129 v") qui pro-
pose de marier la (iIIimIu roi de Navarre avec le petit roi Alphonse
de Castille t qnia cuiii alia de domo Fraricïe tiori nun potest.» C« per-
sonnage ne peut Hrc. Alplionse de la Terda (li!li6-lU05), parce tju'il n'y
avait pas aloi*s lie lillo de Navarre (ainbi se trouve, en même temps,
écartée l'hypothèse d'après laquelle le manuscrit aurait été écrit sous
Philippe le Itel). Reste Alphonse M, né en t^lO, rui en Ktli, mai-ïé
en l:l28; or, de i:tl2 îi I32H, tn>is t»auirs de Charles le Mauvais ont pu
être mariées; mais par contre, entre 1323, date du mariage de ta
quatrié[ne fille de Philippe le I^ng, et 1328, date de la iiaÎAsanco de sa
cinquième tille, il n'y avait pas de tille de France (ainsi si; trouve
àcarté t'hilippe te lAing). La date h adopter est donc 1323-28. L'avis
de l'évéquo de Léon se trouve donc ainsi daté.
Reste une objection: c'est que les autres avis, ceux du grand-maitrc
et de révéfjue de Mende, peuvent être antérieurs et avoir été transcrila
danii ces manuscrits, écriLs en vue de Texpéditiuii de Charles le Ilcl.
Nous ne croyons pas cotte objection sérieuse, car les projets de croisade
étaient choses d'at'tualité, et il est peu vraiscmhlat>le que d'anciens
projets aient été transcrits postérieurement. La chose, cependant,
n'est |tas impossible; mais nou.s n'avons pas cru devoir nous arrêter à
cette considération, et avons rapporté les divei-s avis de ces manuscrits
»la période de 1323 2«.
ï. liibl. nat., lat. '4:0, f. 173 v« et 175.
AVIS UK liVUA.WMK lUrRANl).
Si
galèrfts à huit mois par an'. Enfin, et c'est là le point saillant
(le l'avis du grand-tnaitrn, il fallait décider les nations cliré-
^eunes à roni|ire (oui conimeree avec l'Kgyple, l'isoler en
•t;ibli:44ant une cpjisière, eï eiupêclier toute importation (mi
l'xportation par la Méditerranée. On détournait ainsi U^ cnn»-
inerce dos Indes de h mute rie ta nier Rouge en faveur de
l'Arménie^ par la((uelle il devait fuUili'iue«nl chercher à attein-
dre la Méditerranée. Pensée d'une pndVintle portée cfun-
inerciale et pnlitique, dont nous avons souvent déjà rencontré
l'expression au cours de ce travail, mais dont jamais, si ce
n'est cJiez Sanudo. les conséfiuences et l'utilité n'avaient été
aussi nettement établies*.
A c.4Hé du fri'and-niaitre, deux prélats, Tévôque de Mende
et révè<|ue de L<?on, exprimaient au roi leiu* opinion sur la
conduite à tenir â la veille de riîxpédition.
Guillaume Durand, le jeune, évéque de Mende (I2fl7-l;ï*^8).
élaii le neveu de rauteiu* des compilations célèbres i]fin\ la
mémoire a traversé le mr>ven âge, entourée d'un remtm uni-
versel do science et d'illustration littéraire. Il avait succéilé
à son <mcle sur le siè^e épisc'»|i;il de Merld(^ et nous savons
<|ue, jouissant de la faveur poatittcale, il fut mêlé à toutes
les questions im])ortanlcs qui agitèrent la chrétienté liaus
les premières années <lu xiv" siècle'. Ses vues confirmaient
dans leur ensemble celles ([ue nous avons déjà exposées plus
haui. Union des princes chrétiens dont le désaccord était
1. • Item et avei^ne que le passage soit ordîné et la croix trps
t urendroit, si corivendra que les princes, b.irûns et autres bono gens
• airnl Ue un ans en sus espiice ilVanx attirer, garnir et ordincr lour
* Ut^aui^iieK Ileiii. t-e il plaist au saint «yege aix>stolical d'ordcner
t U'K somlels des mil homes à cheval et nu aubalrstriers v ans con-
« liiiucls, et L.v (çualées i-hascun au vui moys; et les susdites ^uukVs
tn gens bcrront coniperii/ ii Itoddes et en t'hipre en tens et eu
maisons » (Itibl. uat., lat. :'i70, f. 170 v").
•2. On peut compai'or les considérations comLnercialert, développées
par le grand-maître, avec l'avis de Sanudo relativement au blocus de
rKgypte. V. plua haut, pages 36-8.
3. Il mourut & Nicosie, dans l'ile de Cliypre eu l'MH [GaUin Cftn'H-
liana, i, Vu: - Histoire littéraire de ta France, \\, 430». — Si le
lecteur n'adopte pas les conclusions que nous avons posées dan» la
note i de la page "U, le mémoire dont il est iel question devra être
attribué a (iuillaume Durand, le vieux, évéque de Mendo de 1285
k V2*JÙ.
82
MriLIPPE LE LONG KT CltARI.RS LK BKL.
■
fatal aux ini^rèts latins dans le Lovant', déftmse d'exporUT
niiciino raarcliandise en Orient, création d'une forco maritime
et militaire impartante envoyée en Asie Mineure par mer,
tandis qu'un cnrps, i'oiirni par l'ordre de rHi'tpital et s'ap-
pnyant sur tes éléments rlu'étiens restés en Palestine, faci-
literait l'arrivée et le débarquement rio l'expédition, coopé-
ration iudispousiibîe des Génois. Hisans, Vénitiens et des
puissances marilimes : tels sont les prinripanx point.s sur
lesquels insistait l'évèque de Mende. Coiuuu' Ions eenx qin*
préoccupait cette question capitale, il était partisan d'au
passage général, et exhortait le Saint-Siège à multiplier les
avantages spirituels et matériels promis à ceux qui pren-
draient la croix. Ces avantages, dans son opinion, devaient
s'étendre aussi bien au clergé séculier qu'au clergé régidîer.
aux grands dignitaii*es de l'Eglise qu'aux souvei-ains tem-
porels ; il fallait qu'ils fussent assez importants pour que
personne, à la voix du pontife, n'hêsitAt à sacrifier la
position dont il jouissait en Occident h celle dont la
perspective lui était offerte. Ni TAge, ni l'incapacité de porter
les armes ne devaient être une cause d'exclusion. La nou-
velle croisade faisait appel au Ixtn vouloir de tous, et, piiisqm*
l'enthousiasme religieux ne suffisait pas, elle s'adressait à
l'intérêt persnnurl pi»iu* déterminer un mouvemeui nniversid
d'opiuion. C'était bicu ctuinailre les seutinients des popu-
lations ; les moyens techniques exposés par Guillaume Du-
rand en font foi'; les conseils excellents donnés pour pré-
parer les approvisionnements, pour recruter Tannée, pour
lui choisir un chef au-dessus des inHuences de parti, mon-
1. Parmi les querelles qui divisaient les princes chrétiens^ une des
plus funestes était celle des princes dR Hourçogne et de Sicile au sujet
de la principauté d'Aclinie. I.(i pape Jean xvu avait priA Philippe le
l>ong (15 scptembpB 1320) de s'iiitprjio«er jxjur rétablir l'accord entre
les deux maisons (Mas l.atrïc. Commerce et Kxpéditions.,., p. 47),
2. La grande préoccupation de rtuiliaume Durand est de ne pas
créer aux croisés un état dinfériorité vis-à-vis de ceux qui resteront
en Occident, il projiûse de leur pcrriietlre d'afTermer leurs terres et
leurs bénéfices pondant leur absence, de promulguer des lois somp*
tuaires, de suspendre les procès pendants^ de fixer le maximum de
la dot que tes chevaliers donneront k \cuv8 fliles (l'exagération de
cette dot était une source de ruine pour la noblesse), de ramener la
monnaie :* un taux uniforme, etc.
//
AVIS DK l/KVK<irK OK LEOS.
83
\ Ui\i
»nt qu'ils éuianaiont d'un luimrae auquel les affaires d'Orient
kiout familières * .
Kn sa qualité d'Espagnol, rêvêque de Léon* insistait sur-
vint Mur le iiai'ii qu'on pourrait lin>r des contiiigcuts t»spa-
ds fît gascons ; il rwoinmandait lu formation d'un curps
[(» <loux niillo lïomiues pris parmi k's kabitanls de ces pays
[cursores m fqms}, habitués à couibatln^ I«s Sarrasins et
isceplibley de rendre d'inestimables services. Lui aussi se
réuccupait de rélaljlir la concorde entre les princes chré-
»ns, et surtout enliy^ les coui*s d'Ai'agon et de France, par
»» inai'iages entre les enfants des familles régnantes. Au
uni de vue militaire, il se prononçait pour la route de
'rc, et préconisait l'allianco Tartare, sur laquelle les croisés
"ÏHHJvaieul compter avec une absolue confiance; elle devjiit
leur pennelli'e de vaincre d'abtu'd les Grecs, et de tonniiT
' iMisuite kmrs armes victorieuses contre les Musulmans. Il
^Bt^c'ommtUidnitj en terminant, la pnsitiuti de Tyr et tirs tii4>ii-
^^u^nes qui rentourent coiumi' émiueiiiuit'Ut favorable ù la
^BftHistjiiuïe et à la défense.
^^ Les cinNiustances, mal*j:ré tous les efforts faits p(tur réa-
j^li'îer l'expédition, ne permirent pas à (^harles le Bel <le tenir
^■tes promesses; l'argent recueilli eu rue de la croisade s\>n-
^Hloutit dans de vaines tentatives pour arracher la com^onue
^^Pi4>ériale à L<mis de Bavière. Louis de Clermonl, à l'exemple
r du roi, s'absorba dans les mémos intrigues, puis dans la guen'e
, dos bâtards en Aquitaine, mais sans jierdre de vue le passage
iroutre-mer. Kn 13^.'», jl convoquait les pèlerins pour leur
inoncer qu'obligé de différer le départ, il leur donnait reii-
■A'oUH à l'année suivante. Cette déclaration fut accueillie
par des protestations et des murmures indignés ; l'année
livantr. devenu <luc île Bourbon, le comte de Clerniont,
ircé d'ajourner encore la croisade, souleva l'indignation
•nérale des croisés par ce nouveau rlélai, dont la uialiguilé
\f^z-
1. Les vivres et la solde seront assurés pour un an; les croisés rl(^
iaqiie royaume ou de ohaquo province obéiront à un capitatiin
M'oinl; on s'approvisionnera à l'avance des chevaux, qui sont rares et
icrs quand ils doivent ùirc recruti^s rapidement; on chargera des
liciers du soin des armes et des machines; on exercera ^ëcjalement
combattanift au tir de l'arbalète, etc.
l Oarciiis d'Ayerve (\\iVJ — 1 octobre IXJ2).
M
PinUPPE LE I.ONO KT CHARLES LE BEL.
populairo s'empai'a, malgré les prutestations publi<iues et
solennelles du duc*.
Plxarles le Bel, cependant, pour renoncer à la croisaile,
lie perdait pas de vue les affaires d'Orient ; uo pouvant ré-
tablir j)ar les armes la paix dans le Levant, il chercha ;'i
l'assurer par la v<dH diplomatifiue. Dans ci» but il obtint ilii
Saint-Siège Tautorisation d'envoyer au Soudan un ambassa-
deur, Guillaunu^ Bonnes Mains, qui ht accord à Barcelone
avec un marchand catalan, le 8 juillet 13'27, pour le voyage.
La mission du plénipotentiaire français touchait les intérêts
do la foi en Orient; sans eu connaître exactement l'objet, il
n'est pas téméraire de supposer que Charles le Bel cherchait
â garantir aux Clirétions du Levant te libre exercice de Ifur
culte et la neiitralifè des Musulmans. Bonnes Mains avait été
autorisé à embariiuer pour TLgypte une cargaison de mar-
chandises non prohibées; il eut le tort d'écouter â Aigues-
Mortes, où le navire nolisé à Barcelone devait le venir pren-
dre, les propositions d'un négociant catalan. Pierre de
Moyenville. et de l'accepter comme associé.
A peine en mer, la discorde éclata entre Bonnes Mains n
Moyenville; ce dernier se llatlait, sous le couvert de la mi^-
sion diplomatique de son compagnon, de se livrer à la contre-
bande. A Alexandrie, l'envoyé français fut d'abord très c*tr-
dialement accueilli ; le bruit cmnit même que h' soudau s(»
disposait à abandonner le royaume de Jérusalem à Charles h»
Bel et à envoyor une ambassade en France. Mais Moyen-
ville, par dépit, se faisant l'interprète des plus mauvais
propos contre Bonnes Mains, sut faire parvenir ces rumeurs
jusqu'à l'entourage du prince, tandis qu'il vendait la car-
gaison et s'en appropriait le prix. Aussi, â l'audience d«»
congé, Bonnes Mains fut-il fort mal reçu par le soudau :
celui-ci déclara qu'il garderait Jérusalem, n'enverrait aucune
ambassade en Occident et se borna â remettre à l'ambassa-
deur une lettre pour le roi". L'échec était dft entièrcmenl à
1. A. de Boislisle, Projet de croisade... p. 282-3. Jusqu'en 1333. il
y eut entre le Saint-Siège et le duc de Itoiirbuii des pourparlers au
sujet de la croisstle. V. Iloistisle, luco eitatu, passim.
2. De retour en France, les faits que nuus venons d'exposer et que
Moyenville nvait dénoncée en les déHgurant à son profit, donnér«Mit
lieu â iiijf^ eiKpii'te, qui Ht éelater la parfaite innocence do Honnos
Mains. Il fiijliii pluMours années encore et l'intervention énergique do
MORT DE CHARLES LE BEL. 85
Moyenville. Charles le Bel mourut avant de l'apprendre, lé-
fîuant à son successeur des projets, toujours différés, de
passage en Terre Sainte.
Philippe de Valois auprès de la cour d'Aragon, pour obtenir la répa-
ration des torts causés au négociateur français (Lot, Projets de croi-
Kttde sous Charles le Bel et sous Philippe de Valois, dans Bibl. de l'Ec.
(les Ch., 1859, p. 503-9; — Lot, Essai d'intervention de Chnrles le Bel
en faveur des Chrétiens d'Orient, dans Bibl. de l'Ec. des Ch., 1875,
p, 588-600; — D. M. K. de Navarrete, Dissertacion hist. sobre la
parte... j p. 85.)
Il fallait ((iio lii quoslioii iriuleTV(»iifion aux Lioiix SaiiiW
iiit fiaiis los prénccïiiialii'tis |uibli(jiiMs, an xn* siècle, ui^i'
placo bien impoHaute pour que chaque roi, à son avènemoiit
au In^ne «le Franco, reprit, avec nn tivs réel rlésir dt» K-s
faire ahoulir, ries projets de croisa^r qui éclumaieni toujnui'H
au moment ort leur exécution semblait imminente. Phi-
lippe de Valois, comme ses prédécesseurs, ne manqua pas à
celle tradition ; pour réaliser nn dessein dont si>n onclo et
son cousin lui avaieni légiu> le pieux devoir avec la couronne,
il d(''ploya l'ardeur t\i l'af^livilé les jilns Inualdes. Roi uiagiii-
Hiiuo ni chevaleresque, il Uii frappé du rôle (juo ses îu'uics
étaient appelées à jnuer eu Orient; le déphiieuient de luxi»
tprappelait une pareille expéflition flatta ses goûts de n»a|^ni-
Hcencc cl d'érlal ; in\ le vit bien à Taclivilé <(ni présida aux
jiréparatifs el (pie justifiait l'inipatience de la noblesse
ri'an(;aise.
î*e souverain pontife ne |>emvait qu'enciuira^er l'enthou-
siasm<* que la Krani'i* nianifi^slail ; dès I3:în [Hî juin), il accrn*-
dait an roi la levée d'une dime pour deux ans : Tannée
suivante (5 décembre t3.'U), il promulguait des indulgences
]Htnr qnicon([ue se croiserait, et Philipiie vr prenait les dis-
jMisitinns nécessaires pi>nr faire déposer en lieu sfir le produil
de la rlime consentie par le Saint-Siège jusqu'au jour 01*1 lo
vovage d'outre-mer s'efleclueruil (133?)'. L'année suivante.
1. 16 jpin 1330 (Bibl. nat-, franc. 4525. f. 282). — tt décembre 13»!
(Arch. nal., P. 2289, î. 692; — Bibl. nat., franc. 4425, f. 8). - 1332 (.\rch.
mil., J. 455, n» li).
NKOOCIATIONS DE PHIMPHE DK VALOIS AVEC VENISE. 87
I
{?6 juillet 1333) Jean xxii renouvelait pour six ans la dime
ootrojrée en 1330. Elle portait sur le revenu des bénéflce»
(H*clésiastiq«es, â l'exception des bénéfices appartenant aux
itrdre.s de chevalerie et des bious rt-giilièrement exeinplé-s.
Le pape appliiiuail aussi à la croisade les anuates, les soniines
données pour le rachat du vœu de croisade, le produit des
indulgences, des amendes el confiscations, et les dons oi legs
faits aux églises sous des conditions innt>r(aines ou obscures.
Li' rccou\Ten»ont de la dîme était confié au roi de France ; en
même temps des avantages étaient accordés aux prélats qui
prendraient la croix ; l'absolution était promise aux excom-
numiés qui accompagneraient Philippe vj en Orient ; le
royaume de France et les croisés étaient placés aous la
pnitcclion spéciale de la papauté, et les indulgonces les plus
éumdues accordées à quiconque de sa persiuine, de son argent
r»u de ses prières concourrait à rexpéiIKion '.
Pendant ce temps Philippe df V;dnis ne restait pas inactif.
Dés 1331 ^IS novembre), il écrivait au dnge de Venise ol le
priait d'envoyer à la cour de France des personnes expéri-
luentées pour arrêter, avec elles, les lutiyens de transporter
inie armée en Timtc Sainte '. Le doge s'empressa do déférer
H ce désir; au printemps suivmit ses représentants Jean
IΫdlegiïo. niaise Zéno et Marin Morosini, remettaient â Phi-
lipjH» VI, sous fonne de mémoire, la réponse aux questions
|iii»ée»t. C'est qu'en effet le projet d'expédition répondait à un
sentiment géuéral. Venise, comme les autres nations chré-
tiennes, nubliail un instant les intérêts de sou commerce,
opposés â une intervention dans îe Levant, pour ne songer
qu'au danger d(Mit les pi*ogrés de la puissance ottomane me-
1. Bullei* ■ I^ticîe nohis mull«ï «, > Terra sancta redemptoris i,
Prid^tn carissiinuK «^ « Ad lîberandam terrain », t Ad terram
Minclam • du 2(i juillet isaa (Arch. rmt., J. 'iS.*! (12 pièces); — J. 'iS'i,
Ti- 2, a, ;, h, 6: — Itibl. nat., latin 12Kl'i. f. 22^-:). — Cf. Mas Latrie,
ilùtuire de Cfnjpie, m. 72fij. — i:i:t:i. Indulgences lArrli. nat.. J. 155,
11* 17; — hibl. nat., lai. 12814. f. 225). — Philippe vi rendit uno or-
«lunnanee relative ii la ilinie en oriubre i:n:i â Pois.sy (Arcli. nat., J. '»5.S,
ir* l*i). — Jean \\u runiplt'la les avantages faits aux croisés par une
fa%*our toute pepïnjnnfileacrunléeà lai*einede France (21 janvier IIWii:
c'était, si son mari {larlait en personne pour rexpèdition. de participer
aux indulgences octi'oyéeiiaux croisée (Arch. nat.. J. 455, n** tt.)
2, >laH Lntrio. Commerce et ExpétUtiunt militairrt de la France et
de Venise tt« moyen âge, p. 'J7.
88
l'KOJETS I)K PHILir^Pl!: I)K VAl.OIS.
naçaient l'Europe tout entière. La république entra complète-
ment et sans arrière-pensée dans les vues du roi de France ;
elle l'engagea à n*a*jir qu'avec le coucoui*s du Saint-Siège et
après paciticatioii do l'univers chrétien ; elle lui conseilla de
n*entreprendro une croisade que s'il disposait de forces considé-
rables, c'ost-â-dirc de vinfrt mille cliovaux et de cinquante mille
hommes de pied, d'approvisiotnietueiits de guerre, de matériel
de «iège, et d'une Hotte de vingt â trente voiles uniquement
destinée à ravager les côtes de Temptre musulmati et à
ruiner le commerce de contrebande. Il y avait loin de ce
langage ù rindifférenoe avec laquelle Venise, depuis un
demi-siècle, avait aecueilli les prohibitions commerciales
édictées par la papauté. Les vivres nécessaires à l'armée
pouvaient être tirés du rovauriie île Nnples, de la Sicile, do
la Romanie et surtout de la Mer Noire ; les Vénitiens n'en
liouvaient pas louriiir, mais Tîle de Crète, appartenant « la
république, offrait un excellent point de relâche et de ravi-
taillement. Venise offrait (le cuopéi*er personnellenu'nt
h l'expédition en fournissant les navires nécessaires au
transport de cinq mille chevaux, cinq mille chevaliers, niilb'
écuyers ou sergents, avec leurs armes et des vivres pour un
an'. Elle mettait en oulre à la disjiosition de Philippe m
quatre mille marins, dont elle s'engageait à payer la solde
pendant six mois'.
Sur du concours des Vénitiens, le roi se hrite de prendre
la croix ("^5 juillet 133?, Melun), et d'activer les préparatifs.
Cinq commissaires sont nommés pour en réglei- tous les
détails ; leui-s décisions devront être acceptées par les
liririces de la maison royale'. Louis de Clermont. que les
dllficultés n'ont pas ivbuté. se i*emet au premier rang. Il se
considère toujcmrs comme un des cliefs de la croisade; grnce
à son initiative personnelle, la ville de Marseille est cnnsulfée
sur la conduite à tenir pour le passage (vers I33:i;. Klle
renouvelle les sages conseils donnés jadis par le mi de
I. Celte flotic devait comprendre cent galères el vaisseaux buîssiciii;
|p reste devait se composer de bàlimeiiLs pluH petits.
'2. Il mai i:i3*J. (Mas Latrie, Cummrrre et pxpMilion»...^ p. UR-lOI.)
3. Arch. nal., .ï, ^55, n« 11. — Moisli^le. Projet de tnn'taitr..,^ (dans
Aun. Bull. Ue la Svc. de l'Ilisl. de Fr., 1872, p. 2361.
AVIS DE LA Vll.LK t>K MARsElU.K hH" l»K M. I»!-". VniEVANO. SI)
riiypre à l'époque du concile de Vienne ». Diviîiiou de TexpA-
rlition en deux corps, dont le premier quittera Marseille nu
printemps, à destination diroi;fe d'Alexandrie et de Damiotti?
dans le but d'isoler rEy^ypte, tandis que le gros de l'aruiéo
partira vers le mois d*aoiU pour Chypre et liivemera dans
l'île ; commencement dos opérations militaires an mois
tl'avril suivant, avec l'aide des rois de Cliyprf^ et d'Aruicnii'
et de l'ordre de l'Hôpital. Les points de débarquement choisis
seront d'abord l'île de Tortose sur la côte de Syrie', pour
permettr»? le rasitaillenient de l'armée; puis la plaine d'Aire.
y^\ elle n'est pas trop fortement occupée par l'ennemi, on h'H
bouches de Rosette et de Damiette eu Egypte. De celte
dernière position on puurra faire une incursion dans le port
d'Alexandrie et y brCiler les navires musulmans. Mais on
devra se garder de prendi-e tetre h Tripoli, sous peine d'èti'o
écrasé par les forces considérables c]ue les San-îisins entre-
tiennent autour de cettn place. C'est, on le voit, une série
de coups de main. pluUH qu'une guerre régulière, que préco-
hi«Miit ce projet. (|ui se terminait par une série de considé-
rntions techniques sur l'approvisionnement, l'armement et les
dimensions des bùtiniens nécessaires au passage.
De son coté, Philippe vi recevait directement les meilleurs
aviî*. Le médecin de la reine Jeanne de 13ourgogne. Guy de
Vigevano, de Pavie. lui adressait un mémoire descriptif des
machines de guerre à employer, de leur mode de construc-
tiun. lies ponts â établir, des vaisseaux b*s plus propres ;'i
rendre de bons services à rexpédition, des chars de batailb'
ditut il rêvait la création, etc.*. Un dominicHin allemand.
Jirocard \ qui avait pris une part active m l'union dns Anné-
1. BIbl. nat.. latin I2H14, f. 227 v-2lil v;— M. HuisHsIe, f*rojet de
rrviMdf..., (Ann, Itull.. 1872, p. 248-A&). — V. l'avis du roi de Chypre
plu» haut. p. i'>l-2.
2. Vuir phiH haut, pa^es 22-U, l'opinion do l'idencc de Padoue sur
cea poinU de déharqiiomonl.
3. liuy de Vigevano avait été médecin do remjMîpeur Henri avant
d ûtre attaché au service do la pcirii\ Sut» mémoire, conservé ;i la
Ilibl. nat., (latin 11015). a été signalé dans Montfaucon^ li. hihf.^
n, lOH.
4. On sait peu de chose do Itrocard. Los bibliographes et les auteurs
q«i M» sont ocriipés de l'histuire littéraire de cotto éjwqne hésitent à
idwnlitier rnntpnr dn Dirrclorium a\ec un dominicain, son homonyme,
originaire de llarhy (Sjixci. qui fui religieux an Mont Sion, et a coin-
I»IRECTORirM DE BROCARD.
*
niens de. Cilicie à l'Eglise romaine, obtenue gnice aux efforts
du pape Jean xxii, dédiait au roi de Franco un traité très
étendu, comprenant ttmt un plan de campagne. Le séjour de
Tauteur en Orient, pendant plus de '2\ ans, donnait aux vues
toutes personnelles de Brocard utie valeui* particulière et
une autorité incontestable.
Brocard divisa son Advis Direct if eu deux parties; il con-
sacra la première à démontrer la nécessité de la croi.sade.
les préparatifs à faire, les routes à suivre; il réserva pour la
seconde le plan de l'expédition, et l'appuya sur les arguments
qu'il croyait les plus capables de convaincre le roi.
Le mérite do ceux-ci est d'être propres à l'auteur. Ce
caractéi'e se fait jour 4lès le début du mémoire. Après quel-
ques pages consacrées à certaines conditions indispensables, —
telles que le rétablissement de la concorde entit» les nations
chi'étiennes. ot sjiécialement entre les puissances maritimes ',
la création d'une Hotte de transport fournie par les Vénitiens
et les Génois, dont la connaissance pratique .des mers du
Levant était indispensable aux croisés", — l'auteur rompt
|)ûsé une description de la Terro Sainte (vers ï'2«5). Il y a de grandes
prDliaIiilit(*'s pour <|iie cette identilleatioti soit légitima..
Le DirecUirium fut composé eti latin en 1332. Plusieurs manuscrits
nous l'ont consorvi> sous celte forme (Hibl. nat.. latin r»l38 et 5990; —
nàle» I, 28; — Kruxrlles, Hibl. royale, ytTti; — Oxfonl, Marie Magd., i3et
218'â; — Home, Vatican. Kejr. Chr.. (i03; — N'ienne, Hibl. imp., 53fi). Il
fut traduit, an moment de son appîiriticm (t3'.l3|, par Jean de \ ignay,
hospitalier U AHopasso (Londres, Hritisli Muséum, Hoy. 19, I). i: —
Munich, fr. 'i9l|. l'ius tard, en U55, J. Miélot* chanoine de Lille,
sur l'ordre de Philippe le Uon, duc d« Hourgogne, fil une nouvelle
traduction dans le b>jt de hervir aux projets de croisade de ce prince».
(lUbl. nat., fr. 5593 et yuH7 : — Hibl. de l'Arsenal, ^:w ; — aruxelles, Hibl.
roy., 9095). Cett«î dernière traduction a été éditée par Reinenbergdans
la collection des Moimments pour servir à l'histoire des provinces de
>'amur, llaînaut et de Luxt^mtwurg, rv, 227-312. Nous non» sommes
servi du texte de Ui'iiTenberg dans le préseiU travail.
t. Cette rivalité exii^tait huriout enin- b's f'alalans et les f ■énoi»
HrocîU'd jii*op4»se de la faire cesîicr en faisant agir le roi d'.Srapni
auprès des (alalans et le roi de Sicile anpK's d(?s fît^nois. (hi devra
anssi apaiser la fiuerellc entre le roi Hoheri <le \aplcs cl Kn^lcric de
Sicile; elle serait jtréjudicjable à la croiï^dc en eni[H>cliHnl de tiit>r
lies blés de Fouille et de Sicile (KcilTenberg, MunumenU..., eXc.f
p. 247-8).
2. Les Vénitiens tenant Candie, Négreftont et presiiue toutes lex iles
de r.Krcl)i(icl, cl Ic^i (j6nuis [Missédaiit Péra cl (Jall'a sur la mer ^uire,
AVANTAfiBS UK K\ RorTH l'AU TKKRK
91
absolument avec les idées généralement adoptées par ses
rontemporains.
S'il est opportun d'envoyer dans le Lovant une escadre de
dix 11 douxe galères ponr empêcher la contrebande commer-
ciale avec les infidèles, et de renouveler les prohibitions si
souvent édictées déjà par le Saint-Siège, Brocard est formel-
lement opposé au passage par mer; il préfère la voit* de
terre par Constantinople et le Bosphore. Il n'est pas, â propre-
ment parler, le premier (|ui l'ait conseillée ; Guillaume d'Adam,
avant lui, s'était prononcé ilans le niéitif» sens, mais fti se
plaçant à un autre point île vue, et en s'appuyant sur des ar-
guments différents. Brocard écarte d*ahord la route d'Afrique
par (ribraltar. Tunis et TKgypte comme trop longue et trop
périlleuse ' ; la voie par mer de Marseille, d'Aiguës Mortes
ou de Nice à Chvpi*e et de là en Egypte ou en Syrie, ren-
contre en lui un adversaire acliarné. La longueur de la tra-
versée H ses dangers, les maladies dont elle serait la cause
pour les Français et les Allemands, peu habitués à la mer,
la fatigue résultant pour les chevaux d'un embarqneijn,'nt
prrdongé, sont les principales considérations qui doivent faire
renoncer à cet itinéraire. Suint Lonis l'avait suivi, et l'on sait
la mortalité r|ui décima s<»n armée jMMidaut son hivernage à
'hypre*. La route d'Italie n'offi-e pas les menues inconvé-
"tiients; qu'on se dirige par Aquilée, l'Istrie, la Dalmatie »»t
Thf'ssalonique en traversant le royaume de Rassie^, (m qu'on
Icscende à travers la péninsule justprà Hrindisi pour franchir
l'Adriatique, aborder à Durazzo et gagner Thessaloniqui'
par l'Albanie et la Valacliie, ou que <rOtrante l'expédition
|fassp voile sur Corfou et priMUir» t'*rre dans le Péloponnèse
Mir ivjoindrc Thessaloniqno à travers la Valachie, pailoul
Iph ci'oisés trouveront de grandes facilités d'approvisionne-
ments. Bien que les jieuples habitant la péninsule des Balkans
lAurx rtiarliih roiumiKsairnl les niuimlres parti<.'ulai'it<>a ilc cvi» parages
rHi-iffriibrr^. -V"»nm/';i/j»..., etc., p. S'iB-iVH.
t. Orocfird eM le proniicr, aprùs lî. Lui! (v. page îîl), qui ait fait
mmlion d'un parril itinéraire.
î. (iiiillnnmf d'Adam avait indiqin^ enfinfîlquesmotslesdangcrsdola
rodte d»? uut, maià sans discuter Ins dillV^rentes routes de terro ounnnr
le Eait HriH-ard. V. pa;:e 7:i.
3. C'cHt la partie sciitentrionalode la Serbie actuelle. Son nom vient,
dit-i»n, lie la rivière rli:" lt;L'icu, alDuenr de la Muravu.
m
T)IMErTORirM I)K HKtlCARO.
lie reL onnaissent pas l'autorité de l'Eglise romaine, ils n*0Dt
ni assez de vaillance, ni assez de hardiesse pour s'opposer n
la marche de l'armt'^e rhrtHienne. Mais la roule d'Allematrne
et tlu Hongrie, celle que Pierre l'Ermite a suivie, est sans
rniilredit la meilleure ; elle est courte, faoile, traverse des
pa;)'s riches, et ronduira directement les croisés, grossis de
Iniis les contingents alleiuaiids et hongrois, en Bulgarie; de
là. pour atteindre Constantîiiople et dans le hut d'assurer la
facilité des approvisionneiuents, l'armée se divisera eu deux
eorps ; l'un, avec le roi. pîissera par la llulgarie; l'autre tra-
versera l'Ksclavonie. Il sera d'autaut plus facile d'obtenir des
princes de Bulgarie, de Grèce et de Rassie le libre passage
dans leurs principautés, qu'usurpateurs de leurs états, ils
i-raindraient par un refus de compromettre l'existence de
Jour autorité. Brocard, cependant, ne rejette absolument ni
la voie maritime, ni la voie d'Italie; la première sen'ira u
ceux qui iront rejoindre l'escadre, la seconde sera suivie par
les croisés du sud de la France et d'Italie, et c'est à Thessa-
Umique que sera tixé le rendez-vous général.
D'après le plan du domicain allemand, la croisade devait
forcément se trouver en contact avec rem[«ereur d'Orient et
le roi de Serbie; l'opportunité d'une alliance avec ces deux
souverains se posaità tous les esprits. Brocard, avec beaucoup
de bon sens, la repousse absolument. Les raisons qu'il allègue
sont do deux sortes : les piemières, tirées du schisme qui
sépai-e les Grecs et les Serbes de la con)nnuiion romaine,
prouvent qu'une i»areille alliance serait criminelle au poiut
de vue catliolique; les secondes reposent sur des considé-
rations d'un autre ordre, et spécialement sur le peu de con-
fiance qu'on peut avoir en ces deux jieuples, déloyaux
comme tous les Orientaux, et animés d'une haine particulière
contre les Francs, liaine dont ils ont donné déjà maintes
preuves '. L'auli'ur insiste sur ce point en montrant que le
tnnie de Oonstautinople est aux mains d'une maison dans
laquelle les trahisons ne s«^ conipU'nt plus, et appuie son
argumentation di's exeniples It^s plus péremptoires. Andronic,
l'empereur ivgnant au moment on écrit Brocard, ne dément
]tas le sung de ses ancêtres. Cjuant à la Serbie, depuis de
I llrocanl appuie cette dernière assertion sur de nombroux oxom-
pies dteilTenbi'rg, MonumcnU..., elc, p. 'ifiSt.
CONQUKTE Dfi L EMl'lKK DE CûNsTANTIN'Ol'I.r..
IKÎ
K
longues années en proie à des compétitions et à des usur-
pations de familïe, elle offre le môme spectacle que Teinpin'
li'Orii'iitV Four i'intèi'ùt coniiuun, conclut Brocard, en s't'ni|i.'i-
i*ant fie l'idôe dt'-jîi émiso par un autre domfnii.aiu, tiuillaunn'
d'Adam, ï|ueUinos années aupuravani;, non seulement ou évittTa
toute alliance avec la Serbie et l'euipire d'Orien t mais on de\ ni
faire la conquête de ces <Ieuîc pays, entreprise dont la légi-
liroîté se jusiitie facilement. Ne sait-on pas, on effi'T, ipif»
le-s PaléologuL's, i]ui occupant le in^ne d<* r^tistunlinoplc.
n'apparliennenl pas â la liguée impériale^ Iirnore-l-uii (jue
)ps véritables héritiers de la couronne soiil \os aidants de
t'atlierine de Valois, sœur île Philippe vi i Knlin, le ina^rsacre
des Francs ordonné pai' Paléologiu^ (piand il rMssaisil l'empire,
n'appelle-t-il pas une éclatante vengeance, et l'usurpai ion
dont se ioiit rendus coupables les rois de Serbie ne merih'-
i-elle pas le même chAtimenl?
Une fois enlï'é dans cette voie, Rrocarrl ne s'arrèlf» [las: il
ileveloppe les moyens de s'emparer des élals de Paléologue,
moyens que Guillaume d'Adam avait dédaigné d'indii|uer, tant
IVntreprise lui semblait certaine. La tache sera faeile, dit à s<ju
tour Hrocard, car les Grecs sont lâches et sans courage:
deux mille Turcs n'oufils pas suffi â mettre en fuite rcm-
ereur Michel à la lole d'une armée de dix mille homnu's
d'armes^ Le même emperem* a-l-il su résister, malgré une
armée de quatorze mille hommes, à la grande Oompagnie.
flirte de deux mille cinq cents chevaliers ^ Le pays est dé-
peuplé et désert, les châteaux tombent en ruines; les popn-
iations ont été traîuées en esclavage ; le pouvoir impérial n'a
ni autorité ni énergie, et la puissance sjiirituelle, autrefuis
>i reiioutable, est â la discrélioii des eni|ierenis qui po>enl
ol déposent les patriarches â leiu* gré. Dans de pareilles
conditions. Conslanlinople seule cherchera :*i résister aux
croisés ; ses murailles sont en bon état de défense, nutis elle
compte peu de défenseurs. Une attaque par terre, à la Porte
Dorée, appuyée par des machines de guerre, et combinée aver
une attaque sur mer par des vaisseaux portant une sorte de
pont-levis permettant aux assaillants de sauter stu* les
tours des remparts', sera couronnée d'un plein suecés;
1. KHitrniilierff, Monument».,.* etc.. p. 264-81.
i. biiH'iird avait vu employer à (ontilaiilinriplo îles vai^scuux ainfti
blRECTORIUM DE BROCARD.
la cité (oniljeia pras(|ue sans combat aux luains des Chré-
tiens. Quant û Thessaloniqae, ville dont le périmètre est très
étendu et les habitants sans courage, les contingents qui
auront snivi les nmtos d'Ûtrante et de Hrindisi s'en empa-
riTifut aussi facilement que jadis le marquis de Monferrat'.
Andtiiiopie et les autres villes. t|u:uid Coustaulinople sera
aux mains des croisés, ne se défciiilront pas et tout l'empire
sera couquis V
La prise de la Serbie u'offrim pas plus de diffirultês ; le
pays est riche et fertile, sans phu-cs fortes ni châteaux; en
outre deux nations, les Albanais et lt»s Lati»::?. qui recon-
naissent rautorifé de la cour de Kome et "souffrent de la
tyrannie des Serbes, leurs maîtres, accueilleront en libé-
rateurs les croisés. Un niillior de chevaliers et cinq à six
mille hommes de pied, unis à ces doux peuples, sufdrout
pour assui*er le trioniplie des armes chréliennes en Serbie.
Les nvantajïf's <i'une pareille conduite sont manifestes;
rniillînune d'Adaui les a sigrial<!*s, Brorard U^s expose à son
tour. L*église grecque, dont le seliisme désole la chrétienté.
rentre dans \v sein de l'éii^liscroiiuiiiie; i'expédidon est assui-é*»
d'abondaiils approvisiouiiennnits di^ lilés, vins et viandes:
maîtiHisse de l'empire d'OrienI, elle ne craint plus de laisser
derrière rllr nu peuple dont la noutralité est douteuse: elle
Inmve à Consiantinupl** un inouillajj'e qu'elle chercherait \ai-
uemeut sur les côtes d'Asie Mineiu-e. depuis l'emhouchïU'e du
Nil jusqu'aux Danlanelles. Enfin, au^si bien pour assurer la
conquête de la Terre SaiiHe que [iour rcfornuM* l'armée en cas
d*échec, la possession de l'i^upire gi-ec est d'une utilité
incontestable.
Mais il ne suffit pas d*avoir soumis le pays, il faut con-
server la conquête. Les moyens <|ne l'auteur jtréconise dnns
iliîïposés par l'amiral génois VL-iHin Zaccliarla, neveu do Renuit Zaccharia,
dont nous avuns eu l'orcasion Je parler plus haut, « duquel, en fait Uf
nipr. vit Rncoire une glorieuse renommée » (ReifTenberg, MonU'
meniH..., etc.. p. 281).
1. A la suite de la quatrième croisade (1204), l'empereur Handuin
avall dunni^ h llunîfare m de Muntferrat le royaume de Tliessalonique,
Il avait Riifli h ce dernier d'une poignée d'tiommes pour prendre pos-
session du royaume qui lui avait été coni'Mé.
2. Voir plus haut. p. 7'i. l'opinion de Guillaume d'Adam ; ({uoique iden-
tique par le fuiid. elle din'ère sen&i blême ni de l'avis de Itrocard.
AVANTAORS DKS PROJETS I»K imOCARD.
05
<Q but ont pour objet la iV'forrao de rétai religieux des popu-
lations; on punira les Latins qui ont reni^ la foi catholique et
on expuUera sans pitié les Calogiros \ dont la haine astu-
cieuse excite le peuple contre l'Eglise romaine. A ces remèdes
«•nf^rgiques. Brocard ajoute des conseils pour corriger ce
qu'il appidle les < mauvaises observances » des Grecs, c'est-
â-tlire des pratiques religieuses dont les effets sont déplo-
rables. Il demande qu'oti développe en CTrèrp l'étude du
laiin au détriment de la langue grecque, sans oser cependant
prohiber absolument celle derniéï*e ; il souhaite d*ea res-
treindre l'iisuge autant que possible, e( [U-oposc que tout père
rie [dusieurs enfants soit obligé d'envoyer l'un d'eux à l'école
latine. La praticpie du latin est un des moyens les plus efti-
raees, non seulement de faire renoncer les Grecs à leurs
erreurs tliéologiques, mais de créer un lien commun entre
les vaincus et les vainqueurs, et de rapprocher des esprits
dont l'éducation, les idées et les intériHs offrent si peu de
jMiints de contact.
L'auteur entre ici dans le vif du sujet', c'est-à-dire dans
l'exposé des moyens à suivre pour s'emparer des Lieux Saints.
S'il a conseillé la conquête de l'empire gii'c, s'il a montré la
facilité qu'elle présentait, c'est que Constantinople servait
admirablement de point d'appui à la croisade pour envahir
la Palestine; c'est que, sans la possession de cette ville.
la traversée du Bosphore, — conséquence de l'itinérairt'
recommandé par l'auteur, — devenait impossible. C'est
qu'aussi celle-ci offrira aux croisés d'inappréciables avan-
tages ; d'abord la rapidité du trajet, qui écarte toute crainte^
lie maladie pour les hommes et les chevaux, puis le débar-
quement dans une plaine large, découverte et sans chiVteanx
forts, la facilité de ravitailler l'expédition par Constan-
tinople, et enfin l'assurance, au jour de la bataille, d'avoir
une année fraîche et rejiosée. Sur tout le littoral de la Médi-
teiTanéc.en effet . de Gibraltar en Kgypte et d'Egypte â Constan-
tinople, aucun autre point n'offre la possibilité à un corps expé-
ditionnaire < api-és le travail de la mer, de se recréer avant
qu'il s'expose à bataille ». L'Arménie, à ce point de vue,
.yompte de nombreux partisans, mai»» à tort ; si le débai"-
1. Uoini4 de la règle de saiiU Maiillfî.
3. C'est l'otijet de la «econde jtartie du mémoire de Urocard.
DJRECTORIUM DE BRÛCARt).
i|uement y est facile, le pajs est pauvre et désert ; le port
(les Paux, le seul qui existe sur la cdle. est insuffisant, et les
(lèHlês des iiioiitagnes qui s'éteutlent presque jusqu'à la mer
nliVi'nt à la niai'clie do rai'm(k> de sérieux obstacles*. Vue
autre oonsidératiou, d'une irt)port€aïH'e capitale, milite eu
faveur de l'adoption du plan de Brocard: la raison indique
de coniHieucer par « abattre le chief de l'enuemi p ; c'est re
que n'ont pas fait les Latins quand, maîtres d'Acre el de
Tripoli, ils attaquaient les Sarrasins au centre de leur puin-
sance, et avaient ainsi à lutter en même temps contre les
forces des Turcs et coiitiv celles du Soudan d'Egypte. Kn
envahissant d'abord le nord des imjssessiDii.s nmsulnianes, on
isolera les Turcs des Egyptiens ; on empêchera le Soudan de
l>i)rt('r secours aux Turcs. S'il était, en efTel. tenté de le
faire, les Tartares, dont les états séparent l'Egypte de la
Syrie, arrêteraient la marche du soudan, leur ennemi mortel.
Dans l'hypothèse contrairt', celle d'une attaque de l'Egypte
j)ar les croisés, le résultat ne serait pas le même ; les Tar-
tai"os, en effet, n'ont pas les mêmes raisons d'empêcher les
Tiuvs de traverser leur territoire |iour sivonrir le soudan.
A sujiposer même que ce dernier pni obtenir le libre passage
en Perse, son armée est si dégénérée qu'elle serait pour lex
Turcs un embarras pJutiM qu'un secours efficace. II faut, *'n
outre, considérer que lAiialolie, entourée île mers de trois
côtéSf de laMéiliterranée au sud, de la Propontide â l'ouest et
de la iner Noiro au nord, est dans une position excellente
pour recevoir facilement les approvisonnemenis dont l'expé-
dition aura besoin, et qu'elle tirera en abondance de la
Thrace, de la iMacédoine, de Mamistre, de la Valadiie, de
Né^a'epont ^^t de la côte septentrionale de la mer Noire.
Si Philippe vi se pénétre de la nécessité de n'acconler
aucune coiitiance ni aux .\rn»éniens, dont la conversion à
leglise de Rouie est trop récente pour oflrir des garanties
absolues, ni aux Syriens, ni aux populations issues d'al-
liances entre tirées et Latins ou entre Grecs et Turcs*, ni
1. Sur rArméiiic la mi^ine opinion a été exprimée par le (^raml-
maître du Temple, le roi <ic Cliypre, ci en général par les meil|piii*!i
Ksprittt ilu xiv siècle. Vuir plus haut p. 54-S et 62, et en faveur do
l'Arménie le plaidoyer d'ilayton, p. 64-70.
2. Itrueani apiH'lJf GnnumUnn leK enfants de Grecti et de latins, et
Muriez eenv de drees et de Turcs.
OPINION I>r CONSEIL nu RDI. ï)7
>AUX nouveaux cuuvertia dont le naturel peut reparaître au
moment le plus oritinue, ni surtout à la tribu des Assassins.
— l'expwlition a les plus heui*euses chances de n^-ussir. Los
Turrs sont divisés, et ces divisions ont relâché la disei-
pline militaire ; ils ont confié la défense des places
fortes à des garnisons composées de Grecs, t^u'ils ont af-
franchis de l'esclavage pour les marier à leurs propres tilles;
ceux-ei se souviendront de leur (lu^ilité de elirétïpn.s pour
livrer aux croisés les places dont ils auront la ^^arde. Enliu,
au point de vue militaire, les Turcs sont peu redoutables;
leur armement est inférieur â celui des troupes chrétiennes ;
après les Grecs et les Eg} ptiens, ce sont les soldats les plus
lâches de tout l'Orient. Ils rêsisterunt d'autant moins au choc
de Tonnemi. t^n'une |trophi?tie répandue parmi eux proclame
ijue leur nation sera défaite et détnùte par un prince de
France'. Ce sont là autant de conditions qui promettent la
victoire aux croisés.
La nouveauté des vues de Brocard, (|ui coniirmaient en
partie celles de Guillaume d'Adam ', causa â la cour de France
une profonde impression. Pourtant le roi hésitait à les adopter.
Soumises au conseil royal, elles furent examinétîs et discut<^es
avec la |dus sérieuse attention. La route de terre sembla aux
conseillers du roi de France impraticable, et leur avis fut
appuyé d'aipuments dont la valeur ne saurait être méconnue.
Longueur du chemin, frais considérables, fatigues pour les
hommes et les chevaux, querelles à redouter pemlant le
voyage entre les pèlerins et les habitants, rareté des vivres
dans les pays pauvres traversés par l^xpédition, dangers résul-
tant de la mauvaise foi <les princes dont on devra parcourir
les états, tels étaient les obstacles que présentait Texé-
cutioii d'un pareil itinéraire. L'exempb^ de Pierre l'Ermite
était là pour confirmer la vérité de ces prévisions ; en outre,
prendre la route de terre, n'était-ce pas indiquer à l'ennenù
1, Guillaume d'Adam avait déjà parlé de cette prophétie. V, p. Tit.
'i, l^lcrteur,en(NinipanintIeprtijet(leGui!IaumpiiAflamav(rcceluide
lirocanl. se cniïvaiïirpa que, quoique identique dans le fond, il dilTêre
notablement dan» les détails. Dans le premier, tout ost >ubordonrn> à
Vinxi'vH coimnercial: le stiruml inaiale sur le cùlé militaire de l'expè-
ditioii, sur les considérations |>olitiqucs et accorde une large part à la
qurirtiun du schibrae.
7
PROJKTS PK PIIII.II'I'R I)K VAI.OlS.
le point précis 01*1 il devait attomlrolosClirotienH? N'était-ce
pas aussi créer de nnuveaux relards à l'expédition, puisque In
^concentration d'une ai'mée, destinée à être embarquée à jour
fixe, se fait toujours plus rapidement que lorsque « cliacun
« se dilaye pour faire ses hnsoignes nn osjiérances qu'ils
« pourront bien à coup suivre le roy qui va à petite jour-
« née». Pour toutes ces raisons, le conseil se prononça on
faveui* de la voie de nier, mais avec une restriction ; il pro-
posa que le roi et sa cour, au lieu d'aller directeaieul de
Nice à Naples, suivissent les ctMes d'Italie, s'arrèfant à chaque
ville importante, Oénes. Pise. Unme. dans te but d'obtenir le
concours des états d'Italie. Un pèlerinage du roi aux sanc-
tuaires vénérés de Rome n'était-il pas le début indispensable
d'une croisade ? Rii outre, en lonj^eant les ct^tos, Philippe vi
évitait d'iiidispuser les pms9ani:t"i it;ilieuiies, toujoui*s en
guerre le» unes contre les autres et toujours défiantes ; elles
eussent soi][)çonné le roi, s'il avait traversé la {wniusuleavec
son armée, d'arriére-pcnsécs politiques, et du secrrt dessein
de se mêler aux intrigues dont l'Italie était le lliéAtre. A
Naples^ Philippe vi prenait, avant île faire voile vers l'Orient.
l'avis de son oncle Robert d'Anjou, s'il ne jiarvenail pas à
l'entraîner à sa sulli*.
Ce projet, il est ^Tai, mettait renipir*^ gret* à l'abri du
danger dont Hrocard le menaçait ; mais le roi n'avait i)as l'in-
tention de s'emparer de Conslantinoid(\ et il renonçait sau**
regret à une pareille conquête pour diriger tous ses efforts
contre la Terre Sainte. C'était, du moins, ainsi que le
Conseil du roi interpréta l'^s perplexités que la lecture du
mémoire de Brocard avait fait naître dans l'esprit de Philippe
de Valois'.
I. L'avis du conseil est contenu dans Arch. nat., I\ 2289, f. 703-12.
V. Pièces justiBeatives n» n. — Il a été analysé pai' Mas Latrie (Uiti.di'
Chypre, m, 726) en quelque» lignes. Un paragraphe sjiécial fait allu-
sion, dans ce mémoire, au traité de Drocard et à son influence sur
la direction de l'expédition projetée : » Aucuns advis ont esté baillez
I au roy sur cette besoi^ne par manière de livre, que on dit qu'un sage
< prélat, qui jadis fut de l'ordre des prescheurs, et de présent arche-
» vefiqiie (l'un arcbevescbé en l'empire de Constantinople et ez marchex
« de là, a composé et luy a envoyé; lequel semble conseiller au roy
« qu'il aille le chemin d'Allemajçne et de Hongrie par terre, et qu'il
c passe |)ar le royaume de RaMsie et par l'empire de Constantinople,
t et par ntit> partie de la terre que les Tuivs tiennent, et qu'il aille
LIGUE OKNKRAI.E INSPIRKK PAR VENISE. 09
Wïiise, peuclaiiL qm^ l'hilippe vi ^imt al)sorbé dans s(*s
jnvparatifs, poui-suivait, de son côté, la réalisation d'un des-
Hci» plus général; do plus on plus effrayée des progrès des
Turcs qui venaient de mettre le pied en Kurope, elle, songeait
à grï*nper dans une ligue rommune les nations directement
tnfép»ssé*^s â arrêter le dê\elopin*meut de la puissance otto-
mane. Klle n'eut garde de négliger les dispositions favo-
nàlilrs de Philippe vr, dont la sincérité n'était pas douteuse.
La France, sollicitée des premières, accueillit avec faveur les
<»M\ertures du sénat vénitien. I/nrdre de Rhodes, Tempe-
reur de Constantiiiople avaient adhéré à la ligue; le roi de
Cliypre était vivement pressé d'y entrer. Philippe vi promit
son conwjurs; mais, soit par défiance de la politique égoïste
des Vénitiens, soil par désir de ne pas laisser passer à une
autre puissance l'honneur el le profit de la ilirectiou suprême,
il ne s'engagea que sous réserve de ne pas entraver les arme-
nn'nt^ qu'il faisait lui-même pinir le passage en Terre Sainte.
Il avait deviné, semble-t-iî, que le projet vénitien no visait
que la guoiTO de Rooianie, et qu'en se liant trop étroitement
ù la poli(i<iu<' de la i-épublique di' S;»iut Marc, la France pou-
vait se li-ouver entravée dans ses propres desseins el dé-
tournée de la Terre Sainte par l'influence de ses futurs
alliés V
Quelques jour» plus tard (I l novembre 1333), Philippe de
Valois, proclamé général de la croisade par le saint père,
faisait part au doge de cet événement, el le priait d'envoyer
t pas»>DT U nier an hras de saint Georges, là où il y a peu i\f. mev à
I powier. Main, si comme II appert clairement h ceux qui lisent coluy
• livre, l'ententr rie eeluy qui l'a fait est que le roy paissant jiar la
f terre des miiMT^ants, runqulut avant &oy toute celle terre, c'est ù
t br^voir toute la terre du ruyaumc de Hassie, l'empire de (luniitoiUi-
t nuple, et la terre que les Turcs tiennent en une partie de torro
I nommée Asie; et que rela soit nu roy loisible, |iossit)lr et conve-
• nahlr, il s'elVorce de monstrcr aussy par moult de raisans et par la
« phis ^'rande partie Judit livre, laquelle chose ne semble estre mie de
• l'intention du roy quand à ce présent voyage » (Arch. nal., P. 228^.
f. 712).
I. I^Mre du roi de France \'A novemhrc ta:i:(, Poissy) au doge. (Mas
Latrie, Commerce et /fj/w'^/i/to/w, p. Kil.) — Lettre de Venise au roi
d<^ ("liypre (18 novembre iu:(;i), lui ppoposanl il'onvoyer des ambassa-
d^unt à Kliodes ou à Nêgrepont pour la ligue à conclure (Mas Latrie,
^l'oyrrilrt jfTftrveê rir t'Hiniotre de Chypre dans Bibl. de rkc. den Ch.,
XXXlv, fi5 note).
PRU.TKTS nr. PHILIPPE DE VALOIS.
au [iltis UM do nouveaux représoutjmls à l'aiis pour arrètw,
tie concert avec eux, les moyeus de i-êalUt*r le passagi»*. Au
printemps suivaut (8 mars !;*3'i), snus rinspiratiou d**s [i|i'*-
lïipotentiaires véuilieiis. Joaii rrrailf-nifïo et André Basefitio,
une cnnvc'utiou était conclue à Avignon en pivsence du pape;
elle obligeait ce dernier, la répubrujue de Venise, h's ntis de
France et de Chypre et Tordre de l'Hôpital à tenter, cette
même année, une adioii coniinune fontro les Turcs, en levant,
pour six mois, une Hotte de quarante galères, â laquelle
rendez-vous était donné à Négrepuiit au mois de mai V Le
manque du temps empêchait la réunion de forces plus im-
portanlos. Mais, pour la campapm' de I.'î;i5, les confédérés
s'engageaient à armer huit cents hommes d'armes, trimt<» fça-
lères et trcnte-dt'ux. bfitiim^nts de transporl ; dans ce chiffr*»
on avait escompté les secours que devaient fournir le roi dv
Sicile et l'empereur d'Orient : en cas th> refus de leur part, on
comptait s'adresser aux Génois et aux Tisans pour compléter
le nombre fixé*.
La mort de Jean xxiï (décembre 133i) empêcha l'exécution
des conventions stipulées à Avi|^ion. Philippe vi, cc?pendant.
s'était mis en mesure de lenir ses engajçemeuls. Jean do
Cépoy, un seigneur du Boauvaisis, avait été nommé capitaine
des galères envoyées contre les Turcs, et avait reru du Saint-
1. Mas Latrie, Commerce et Exp^ditinnt, p. 103. Il avait pris Ia
oroix le :W septembre 1333 {Chronique de» tfuatre premiers Vahiif
p. 6).
2. Mas Latrie. Commerce et fUpe'ttitions, p. IU'i-9. Le traité ne
parlait que dutio campagne de t-inq mois, mais le roi de France s'en-
gagea à la prolonger pendant uiï mois, de plus, si tel tHait l'avis de»
confédérés. Le» quarante galères devaient être fournies: dix par
rili^pital, dix par Venise, six par le roi de Chypre, six par l'empereur
d'Orient, quoiqu'il en eût promis dix dans des stipulations antérieures
avec l'Hôpital et Venise, huit par le pape et le roi de Trance.
3. Ma» [.^trie, Commerce et Expéditions^ p. HK»-9. — Le contingent du
jtape et de Philippe île Valois était de quatre cents honnnes «l'armes avec
leurs chevaux, et (le sci/.e transports; i^eliii des Hospitaliers de six galères,
huit transport» et deux cents lioniines d'armes; celui du roi de Chypre
de six galères, quatre transports elceiit hommes d'armes. Le roi de Sicile
devait fournir quatre transports et quatre galères au minimum, Veniw»
dix galères, l'empereur six galères et des hommes d'armes. — Phi-
lippe VI consentait à ce que c«t1e seconde campagne durât sept mois
au lieu de six, terme stipulé, si la lipue le jugeait opportun. Cf. 1Xi>'
\i\ii\\v\^l^it>rio •iccitmentntH ttt Veiir^m. ni, 112-0.
DERNIERS l'RKPAKATlFS OK PHILIPI'K UK VJILOIS.
101
égp (1!) mai 1334) Icîs iiululg<Mic(!s ordinairement accordées
aux clïofs d(» croisade V Un contrat dt* uolis avait été passé
avec des armaleurtf de Marseilk* et de Nice (3 avril 1335)
pour cini| f^alptos. cjui d<n'aiont <Hn^ mises sous les ordres de
l'amiral Hugues Quién^l*; les fçagos des hommes d'armes
avaient été déterminés par ordonnance royale (7 août 1335)*.
Cépoy avait même pris la nier pour rtssnrer le service des
approvisionnemenls et reconnaître la rout«? ; ce voyage lui avait
fourni l'occasion de quelques e^*îcarinouches heureuses contre
les Turcs\ Enlin Benoit xii. siiGcosse;ir du pontife défunt,
avait soh'nnellenienî renonvïdé à Philippe de Valois le com-
mandement suprême de la croisade (3 décembre 1335)*,
Le roi ëiail parli pour Avignon avec sa cour, accompagné
des rois de Bohême et de Navarre, et s'était logé à Ville-
neuve lès Avignon. Tons les préparatifs étaient faits, les ap-
provisionnements rassemhlês à Ai gués- Mortes, à Marseille et
dan» les ports du Languedoc: on avait des vaisseaux en
nttmbre snftisani pour tninsporti-r. au tlire du chroniqueur*,
soixante milh' luuumes outre-mer. A Rhodes, le grand-prieur
de France avait acrunnilé les vivres nécessaires an séjour de
l'expédition dans l'ile ; Vriiise ef les Hospitaliers s'êtiiient
établis en t'rèle. Tout semblait présager un heureux début à
la cndsade; la « crois esloit en si grant fleur de renommée
« qu'on ne parloit ne devisoil d'aultrc cose », et Topinion pu-
I, Arrh. nal-, J. 442, n"* 18' h. 18*. Los indulgences sont : 1" de dire
la messe avant lejuiir; 2" do la r(^l(^bper en terre liérèthiue; 3" de
Ci»nfe»ier et de pn'rlior on terre liêrétique; i" d'avoir indulgence
pli^iiièr*' n l'artifle de la inurt,
'-*. Jjit, .XrchruUujif nnvtàle. il, 326-^1. Hugues (Juiêret, seijfneup de
Tour* en Vinu-'it. rlievalier, conseillcp du roi, st-n^obal de Iteanritire
el de Niine», fut rrêt* amiral vers VS.\U. Le roi lui donna, en r^com-
|>eniw' lie s:i fiimlnite pondant le» prèpamtifs de la eroisade, par lettre
liu lî) janvier t:i;(5. quatre cents livres de rente à vie, et en octobre
ixm reite rente fut assi^j'ntV sur la ville et forteresse d'Hélicourt.
I.'amind mourut en 13'in des suites de blessures reçues dans un
rotnbat nav.il rontre le» Anglais (P. Anselme, Histoire tlet tjrnn/ix
ttffitin-M, vu, T'i'.-S).
3. Hih. nat.. laliii I2«ri, f. 209 v. Kd. iM, /'rttjetH de eroistttie nous
Chnrle* h fiel et Philipiie de Vajoù.dans Bibl. da TFÀ:. de» t'Ii., 185'J,
p. hW.
4. (Wiillaume de Nangifi. êdit. (ï<^raud« n, Vi't-^i et 145.
.'p. *rrb. nat.. J. 'loa, ir 10.
tt, rrui»»art, éd. Luce, i. 117.
102 PROJETS DB PHILIPPE DE VALOIS.
blique estimait à trois cent mille le nombre de ceux qui
s^étaient croisés. Mais l'expédition n'eut pas lieu; le calme re-
latif dont la France venait de jouir, et qui avait permis à son
roi do songer à la délivrance des Lieux Saints, venait de
cesser. Philippe VI quitta Avignon, rappelé par les menaces d<î
guerre avec l'Angleterre, cl n'eut plus d^s lors le loisir de
reprendre son projet d'expédilion. La croisade avait échoué'.
1. Froissart, éd. Lucc, i, lli-8; — Homanin, Storia dveunientala di
Veneziat ui, IKi.
Malgi'é l'activité déployée pai* Venise ])oiir grouper les pui'^-
KHiicos chnHienncs contro les Turcs, la ligue qu'elle avait espéré
former ne parviril pasàse foristituer. Laiiutrtrlii pontilofi dé-
('♦•lubn* 13ai! la [irivade l'appui qu'il avail pnimis; Philippe
d*» Valois reuou<;a à ses projets de croisade pour ue songer
(|uVt sa lutte avec rAiigloterre ; Robert de Na]>les, qui avait.
iui début des négoeiations. promis son roncours ; 1333), solli-
cité de nouveau par le Saint-Siège en 1335 de tenir ses
promesses, n'accueillit pas avec l'enthousiasme qu'on était
fo droit d'espérer les ouvertures de Benoit xii '. Le poids de
la lutte à soutenir retomba «lonc tout entier sur les Vénitiens.
Api'és avoir réprimé une révolte à Candie, leur amiral, Pierre
Zhdo. à la tête d'une tiotle de vingt galères, s'entpara dv
divers bâtiments turcs dans rArchi|>el, et pendant quelques
années la république de Saint Marc protégea seule dans le
!>*\ant le couïmerce et les possessions des Occidentaux contre
les progrés des Musulmans*.
Cependant la diplomatie européenne, à l'instigation de
Venise et du Saint-Siège, ne restîiit pas inactive ; de
tontes parts on cherchail :*i conclure une ligue générale ,
mais ee ne fut qu'après la mort de l'empereur Andi\)nic m
(l3W)<iue ces eiforts réussiront. Lambertino Haldoino délia
I. Itref du io murs i:i:iri {S. Paiili, Cod. Dipiom., n, 82). \'. Hupf,
tiriechentatul im MittrlaUer wul in tiff Xeuzeit (fiiicycl. it'Kntch et
(Iniln-r*. VI, Wt.
.i, Kuiuuuiii, Storia ducumentala di tVnejia, ni, 11^.
10
LKiUE GKNKRALK.
ÏUMBERT UE VIENNOrS.
Cecca» (^vôque do Limassol ', vint cette mêiiie uniiui;, an iiuin
(lu roi do Chyprfs (iemaruler au doge rira<lonico et au grand-
luailre de rHApit^*] de secourir la clirêtinulé menacée.
Sa mission eut un plein succès ; les chevaliei*» de Rhudes.
comme le aénal vénitien, s'engagèrent à premlre les armes
pour la cau'«e (■liréïii'iine ; le pape se mit à la tête du mou-
vement, et les uperalieus miIitai[o:5 commencèrei»t pemlant
l'été de I3Î4. La ligue avait armé une tlolle ; dans celle-ci
les galères pontifittales étaient eommandérs jiar le pénoi»
Martin Zarcliai'ia', celles de Venise par Pinre Zéno, relies du
roi de Chypre par Conrad Piccamiglio. Gênes avait envoyé
cinq vaisseaux, les chevaliers do Rhodes une escadre sous
les ordres du prieur de Lonihardie Jean de Hlandrate ; eu
tout vingt-sept galères. Le commandement suprême était dé-
volu au patriarche deCoitstantJuople Henri, léjfat apostoli(|ue.
La Hotte til voile vers Smyrne défendue jiar l'éiiiir d'Kphêse,
Omar-bey ; celui-ci. à la première nouvelle du danger qui
menaçait la ville, avaii quIKé la Grèce •n'i il soutenait Jeati
Cantacuzène contro .lean Paléolugue. Sujyrne. malgré tous
les efforts de rémir, lombîi aux mains des alliés (28 octobre
I3i3i; une partie de la rt<itte turque et l'arsenal furent in-
cendiés. L'année suivante, en vue du mont Athos, cinquante-
deux bâtiments de corsaires turcs furnil également détrtïits
par les Chrétiens (13 mai I3U). Mais l'armée d'ilmar était
intacte; elle lailla en pièces tjanvier t3Sr)june partie de la
garnison de Smyrne qui avait tenté une sortie. Le légat.
Pierre Zénn et Martin Zaccbaria tntuvèrent la uiorl dans ce
combat. Bien que Smyrne rest:'it aux mains des alliés, qui en
confièrent la défense à l'ordnî de Saint .le»n. celte alternalive
de succès et île défaites avait ralenti le zèle des confédérés.
Le pai>e redoublait d'instances pour augnienlor les forces
de la ligue; il .Mdlioitail Pise (15 février I3i'i;, Florence
(14 septembre t3'ii et IN juillot I3i:i;. Pérouse (juillet l.'ïiri;
do Buivre l'exemple de Bologne et dVnvoyer des secours en
Orient, mais sans sui'<ès. Si Venise persévérait encore à
maintenir son escadre dans l'Archipel, les chevaliers de
Rhodes avaient conclu ime paix sépan'-e nvec l'ennonii. La
1. Il était d'origine Itolonaise. D'atKird cliaiioiiic iln Kaina^ouste, il
fut évoque do l.imassol, et, en l.Ti'i, numnié ^v(^)|ue de Brcscia, où il
mourut PII i:riH.
2, Petit-fils de Itiniiral Ueiioil Zmcharia. \ page-s 42. fiO cl T:».
HgiuN cependant.^ presque dissuute, se reluniia un iiisUuit,
liir»i|ue rtertrauJ de Baux, bailli d'Acliaïe, successeur de
Zac.rUaria. aiinnin v.u Pahîstine quel(|ues renforts. Les Hospi-
liiiie'i'H reprirent les armes. Omar fut vaincu et tué (I3ît>).
mais ses frères continuèrent la guerre et investirent de nou-
veau Smyme '.
Au premier bruit de l'expédition, un prince français Iluiii-
bert ii« dauphin do Viennois, s'était fait nommer par le pajn*
capitaine de rannée chrétienne contre les Turcs \'2?i mai
1 3 iô I. Il avait prtHé .i .-Vvignun. entre les mains de Cléinenr m.
le serment de ne rentrer de trois ans dans ses états, et le
Icndeuiain. jour de la Fête-Dieu, le pontife lui avait remis
l'étendard et la croix. Ce choix n'avait pas éié accueilli sans
quelques protestations. Hunibertii, en etfel» ne .semblait pîis
miiiir les (jnalités (|u'on était en dndt d'espérer d'un chef
il'armt'e. C'étiiit à hi fois un misanthrope et nu vaniteux.
L'éiJil précairt^ de ses tînance<ï. la mort rie son fils unique, la
santé de la dauphine, lavaient alti'islé, et il avait songé :i
codera la France b-s états dont il éiait le dernier suiiveraiu.
pour se retirer du monde. En même temps, il ihumait carriér'c
â sa vanilé, eherdiait â se faire proclamer roi de Vieniip pai-
l'empereur d'Allemajrne, et se parait des titres les ]dus pom-
peux'. Il nV'tail donc pas étonnanl i|u'animé de ces disposi-
tions llumberl eût embrassé avec enthousiasme l'idée de la
cruisade, et sollicité du pape le commandement de l'expédilion.
Devant l'indifTérence des souverains d' Kuropi*, le saint père se
hiiUi d'accepter l'offre d'ilumbert, mal{;rë les craintes léfçi-
liuiOH que cette nomination soulevait dans son entourage. Le
ilauphin, avec rimprévoyance qui le caractérisait, s'était en-
ga^^é à l'Uiretcnir à ses frais cinq galères, un corps de mille
arbalétriers et trois cents hommes d'armes, parmi lesquels il
dcvail y avoir dou/.e barinerHts et cent chevaliers. C'étail un
cnritingeni trop i-unsirlérable. peu en rapport avec les rcs-
1. Ifopf, iirierhrtdttnfl. .., V'i. Wf^>\ — Mas Latrin. //ixtoire ilf
t'hypre, U, 180-1; — Hnrnaniri, Stui-i'a tlurunirn. tli Vrnrzitt, m. l'iT-K:
— (•. Mûllflr. f)ocumfnli nulfr rclnzioui ftritr ritta Toxtatir cott' OiienU'.
p. 113-Gri \:\\.
2. J. Itoman. Charte de lièfinrt tlu fpiiuftfiin llumhrrt // (Art'hivcs de
l'Orient l^liti, i, ô37); — \. ("horior, Hiitt. i(e Httupkiné |lfi6H, p. 5t(*>.
T89, HI6. — L'acio (|ui numnif lliimhert ii nu ruiiiinuiidenicnl hnpremr
cbI WilA ilfl'is Xallmiiitais, Htxtoivr ttett lutufthiu* tlf* In iruixi^me rnrr.
M, jII Hientvo, 17*^1,'.
lOH
lAUVE GENKKALE. — IILMUEHT DE VIKN^OIS.
sources el les finances obérées du pnnco. Clément vi le
n'Mlnisit à reni Jiomraes d'armes, mais exigea qu'Hnmbert
fil vreu lïe soutenir la guerre pendant trois ans sans rentrer
au Europe.
Celte folle entreprise fut préparée avec la plus grande dili*
ifence par le dauphin ; il traita avec des patrons de Marseille
pour la location de quatre galères armées, et le Dauphiné,
déjà écrasé par des impôts extraordinaires, dut fournir l'ar-
gent nécessaire à l'expédition. Malgré Pactivité déployée, la
durée des préparatifs dépassa lo tnrmc de la saint Jean l'^i
juin 1345}, que le dauphin avait tîxé pour le départ ; l'embar-
f|ueiaent n'eut lieu ijue le 2 septembre à Marseille'. Aux
quatre galères équipées aux frais d'Huinhert s'étaient jointes
rjuatre galères pontificales, mais c'est d'Italie qu'on espérait
d'importants renforts. Le chef de la croisade, débarquant â
Livourne, traversa l'Italie pour s'assurer lui-même de Texé-
eution des promesses faites par les cours italiennes. Quelques
centaines de Florentins, de Siennois et de Pisans s'ennMèrcnt
sous ses drapeaux ; â Trévise il acheta des chevaux ; à Ve-
nise, malgré un accueil des plus flatteurs de la part du doge,
il n'obtint qu'une galère, qui rallia l'escadre dans l'Archipel*.
Pendant ce temps le gros de l'expédition était resté sur les
navires, auxquels rendez-vous avait été donné A Céphalonie.
Humbert les y rejoignit vers le mois de décembre'.
L*hivcr se passa sans entamer des opérations militaires
i|Ue la faiblesse des forces chrétiennes rendait très ditfl-
cilrs. Humbert se borna â capturer quelques bâtiments gé-
nois et grecs, chargés de blé et ile marchandises diver-
ses*. Il n'osa, comme le lui demandait le pape» tenter de
i. J. Itoman, Charte de Ùfi/tart. . ., p. 537; — J. de Péti^ny, iVo/iVr
hixt. et hiotjr. sur Jact/ues Urunier (ftibl. de l'Ec. des Cli., i** série,
1. 1, p. 27a-.îi.
'.!. J. (le Pêti|rny, Nvtire higt. et hiuyr.. ., p. 27.5-6. — La liste des
chevalien* et dus relifrieux do l'Iiélel du Dauphin à Venise nous est
iloi)r»(''p par l'IvKse Chevalier, Choix de documenta in^dilg historique*
itur te lltifiphint' (IR'Vi, p. %-9.
'.i. L'ordonnance sur ro sujet fui renonvoiï'e ù Itliodes, le 2.5 no-
vembre liri.i {V . riif'valier, flhois dr dorumenlx ,. p. y9-104j.
4. r. Clievalier, Choix df docitmetttx. ,,, p. 105-1}. Cette capture eut
lieu avant lu 13 février l:îUj, ilate Uc l'estimation des niurchan<li.*.e)>
l'untisniK^n» par le vigtiier ilu patrian-lie de (onstantinople (tleyU,
iicxchâhU' de* Lemutehandelit im MUteiatter, i, 197).
CAMIWiNK U la'MBERT DANS I.K LEVANT.
«(.«courir Cuffa. Cette ville, entrepôt du commorce de l'Occi-
deiit. dans la mer Caspienne, Hait étroitement menacée par
lo Khan lios Tartares, Dsjani-bey, et la perte do cette pUico
«U eu les plus graves coii!séf|uences pour Venise et surtout
pour Gtnjes. Humbert hiverna â Négrepont. Pendant son
liivcmape, il s'était trouvé en contact avec une; tîotte génois»»
qui. sous le commandement de Simon Vignoso, avait pour
obji^ctit* la conquête de Chios. Cette ile, possessiou des Zar-
charia. avait été perdue par eux en 1 ;i?0, et Martin Zacchariu
s'était Hatte de la rpprtmdre aux Grecs à la faveur de la
ligue. L'expédition de Srayrne, le mauvais vouloir des con-
fi'déréset In mort deZaccliaria avaient empêché la réalisation
d« ceî4 projets, mais Géiies s'était h:Uée de les i*eprendrç.
Humbvrt* de son côté, avait entamé avec l'impératrice Anne
de ronstantinnplf» des négociations pour obtenir la cession
de l'ilo pendant trois ans ; il voulait en faire la base dos upé-
ratioiis des croisés ; puis voyant que ces pourparlers n'abou-
tissaient pas. il avait songé à s'om]>arer deCliios ]»ar la Uivev,
ol avait offert à Vignoso des sommes considérables pour le
laisî***r maitre d'agir contre l'ile; mais les Génois repoussèrent
l'i's ouvertures, dans la crainte de voir Venise, la principale
alliw» d'Humbert, prendre pied sur ce point, et attariuêi*ent
eux-mêmes Chios l'Itî juin 13'»'))'. Battu dans ses tentatives
rliploniatiques. Ilumbert, au retour do la belle, saison, sf*
raiiprocha des confédérés et prit part à un combat heu-
r^?<ix livré autour de Sniyrne 2'i juin). La cour pon-
tilicale. pour enti'etenir le zèle en Occident, lit rédiger, à
l'iMumsion de cetto victoire, un bulletin dans lequel le succès
des armes ihréliennes était démesurément grossi. A travers
les ampliïications du jvcit, ou pouvait entrevoir que l'affain;
fut «unglatite et peu décisive, mais que cependant le champ
de bataille resta aux confédérés '.
Sans pousser plus loin leurs avantages, les croisés se sé-
parèrent. Humbert découragé, voyant ses soldats en proie
1. Iluml>ert ulIVit à Vt^ru)»> iint' pension annuelle \\e <lix mille
ni>riiiï IKitir lui et vinjrt mille ^cus dur à i>artîiper entre les capitaines
fie» jfal(Tos (('. Pa^aiio. l>rUv imprette et det dmainio thi iîtnovtssi
ttfUa Orrcta, Genova. IKM', p. (î\).
2. J. de l'^ti).'ny, .Vo/i>p hist. ft ftiotjr.., p. 276-8. La lettre était
ailrewk^e pnr le roi de r.|iy]ire à Jeaitiie. rvuw do Sicile cl iJc Jéiti-
Mlem iHeyU, lue. ci'., i, 5UT-y).
aux lualadiftH cuiitagieuses qu/^ développnient les chaleurs,
écrivit au i^ajic pour lui nxposor quo Ip sr^ul iiiovpn tl fi sorti r
lionorablfîmt'nt do cHi^ avcnturo ('Uit rit» traîtpr avec les in-
litlèles, et pour lui demander <le convertir robUgatioQ qu'il
avait prise de rester trois ans en Orient en un p(^Ierinage aux
Lieux Saints. Lo. daupliin regaj^na lîhodes sur ces entre-
laites ; mais, pendant la traversée, il fut assailli par l'escadre
génoise occupée à la conquête de Chios ; celle-ci considérait, eu
('•irard aux propositions (juVlle avait renier, le dauphin coinino
un enutiini ; tous liîs bagagfs. jovaux, harnais et chfvaux du
prince furent pillés et perdus {fin août 13Ui)*. Enfin â
Rliodps, au commencement de \'^'^'ï, arriva la bullo sollicit<'*e
par Iluuihert. I,e Saînf-Siège, sans argent et sans moyen
d'en avoir, puisque toute l'Europe était en armes et que les
décimes ne pouvaient plus être levés, se souciait peu de
continuer la civisade ; il accordait au dauphin tout ce qti'il
avait demandé, et le prince, libre désonnais de tout lien re-
ligieux, rentra dans ses états pendant l'automne de 1347'.
Le réle piteux jiMié par Humbert avait achevé do désorga-
niser la ligue, qu'une direction éjier^ii|ue oùtseiile pu main-
tenir unie. Venise, quoique directenietiE intéressée au succès
des armes confédérées, avait abandonné Toeuvre commune
pdiii' ttvunierson attention du côté fie la Dalmatie, qui venait
de se révolter à la voix du roi de Hongrie, et de la Crimw,
in'i le développement des établissements génois crt'ait à la
républi(iue un sérieux danger commercial. Le roi de Chvpre
avait regagné ses états. Les Vénitiens, ainsi que le roi de
Chypre et Tordre de l'Hôpital, se décidèrent alors à traitz-r
avec le sultan d'Kphése [tî* annt LiiH). et obtinrent de lui la
]M)ssession de Sniynie, et d'importants avantages conuu*'r-
ciaux dans le Lovant, spécialement à Epliése. Le pape ratifia
ces c<inventions : la ligue, bii'u que destinée à subsister enctire
de nom pendant de longues années, était nmipue de fait; elle
avait conquis à la chrétienté la ville de Smyrne; celle-ci, dé-
fendue et fortifiéi* par li's Iïn.spitydi*'rs. resta pendant un
demi-siècle le boulevard des Chrelieus en .\sie Mineun'\
1. J. do i^ôtigny, Notice htsUit: et tiiogr ... p. 2H'i-7: — lloyd, loc.
rit., I, 5'i9,
1*. J. i\o r^li>;ny. Xittice /tixhtr. cl hitujr .. p. ;;TM-R».
o \\o\it iirievhcninwl.. ., vi, ^iG-i; — Itoniunin. m, t'i8-5l; — Moa
DKMEMBREMENT DE L EMPIRE 11 ORIENT.
C'est en vain qu'ù plusieurs reprises, eu 1350, en 1353 et
en I3r»7, la cour apostolique, le roi de Chypre, les Hospita-
liers et la république do Saint Marc cherchèrent à renouer
une alliance contn» les Turcs. Tous leurs efforts furent para-
lysés, dès leur début, par la guerre dos Géuuis et des Vé-
nitiens, Sur les instances du Saint-Siège, îles Traités furent
conclus par les plénipotentiaires des puissances intéressées,
mais les alliés semblaient n'adhérer qu':"i regret à la ligue,
et ne céder qu'aux solliGitatious répétées de la papauté ; il
(rentrait pas dans leurs vues de continuer la guerre ; dés
lors aucun résultat rluralilo ne p(tuvait être obtenu '.
Cette situation se prolongea pendant (quelques années, au
graud profit de la puissance musulmane, qui se développait
sans rencontrer d'obstacles et prenait de jour en jour un
pied plus solide en Kurope. I/empire d'Orient, incapablp de
résister aux Turcs, se démembrait de toutes parts ; c'est contre
lui que se tournait ranibitiou ottomane, c'est â lui qu'elle ar-
rachait chaque jour une nouvelle province. Les Chrétiens, de
leur côté, avaient protité de la faiblesse de l'autorité impé-
riale pour étendre â ses dépens leur influence commerciale et
coloniale dans l'Archipel ; les Génois, au xiv' siècle, person-
nifient cette politique qui leur réussit merveilleusement: en
I3i5 rile de Chios, en 1358 la vieille Phocéo sur la cote d'Asie
Mineure tombent au pouvoir des colons génois ; au même
moment Lesbos est détaché de l'einpire grec (1355) en faveur
d'une dynastie génoise, Philadc:l])hie (1353), la dernière pos-
session des Grtics en Asie Mineure, cherche, par crainte des
Turcs, â s'affranchir du lien r^ui la rattache a Byzance, in-
capable de la protéger contie les Sarrasins. Ces faits, sans
être pour les Latins des prugrèa au sens absolu du mot, ne
•ont pas indifférents aux destinées iiltérifurns de la cause
chrétienne. Si, d'un côté, on peut regretter de voir les puis-
sances catholiques se joindre aux intidèios pour briser une
barrière que ces ilerrders ébranlent déjà A coups redoublés,
on doit par contre so féliciter des résultats obtenus, puisqu'ils
ont pour effet d'augmenter les forces et In puissance des
états chrétiens dans l'Archipel'.
Latrie. Comiurrce et lîxpt'iittioiu, ... p. 1 12-20, donne le texte du traité
avec le sulun J'Kphèse.
t. Maa Latrie, UUtoire de Chypre, il, 217-9.
Grifrhenland..,. vi, 'iGS.
110
l.roUE OENKRVI.K
HfMUKRT DE VIENN'DlS.
On aurait tort d'induire du calme relatif qui se manîfeslo
an milieu du xrv* si/'cle quo la question des Lieux SaihU
l«tssioune luoius l'opiuiou publique qu'elle u(» l'avait fait an
iMmlemain de iacluite de Saint Jean d'Acre. L'enthousiasme
ne sVst pas ralenti, mais il s'est uiodittê. Si l'on jette un
coup d'œil sur les cinquante années qui se sont écoulnes, un
voit partout^ sous la menace du danger et la hunie de la
défaite, les projets de conquête so succéder presque sans in-
terruption; an milieu de la confusion <[ue la diversité des
avis ne manque pas de créer, des idées d'une haute portée
politique sont émises. Le blocus do rKgvpte. l'établissement
d'érules dans les pavs musuhuans dans nu but civilisateur,
l'alliance mongole, la création d'une ftirce clirétiemie sur le
golfe Persifjue sont de ce nombre ; de pareilles conceptions
sont d'un licin'eiix aui^^ire, et font présajfer le succès d'un»»
intervention eu Orient. Il n'en est rien, cependant, et les ten-
tatives ne répondent pas aux projets. Nicolas iv ne paiTient
pas à armer l'Occident. l'Europe ne sait pas protiter de la
coopération que les Tartares lui offrent. Charles de Valois
n'est pas plus heureux dans sa tentative de reconquérir le
sceptre impérial, et Philippe lo lîel n*a pas le loisir de passer
en Orient. Sous le rê^tji' de ses successeurs, l'inUîrvention
armée en Pab^stine r<!ste la préoccupation exclusive de la
politique française dans le Levant, sans que les circonstances,
maljîré des pi-vparatifs considérables, permettent jamais de
réaliser rexpé<Ution projetéi'. La ligne de Lïii, couronnée
par la pnae de Smyrno, est le seul résultat obtenu par la
chrétienté, résultat assuivment sans proportion avec les
efforts et les sacrifices qu'elle s'est imposés.
L'occupation de Smyrne cbH la période des projets stérilos
et des tentatives avortées ; la tin dti xiv' siècle offre un autn^
canictère. Lescunseiller.< cèdent le pas aux hommes d'action;
si la politique à suivre en Orient inspire moins do vues ori-
ginales et do conceptions remarquables, en revanche elle
réussit souvent à mettre l'épée aux nuiius de la chevalerie el
â l'entraîner contre les ennemis de la foi. C'est l'époque do
prises d'armes qu'alimentent une activité toujours renouvelée
d'expansion guerrière et la haine toujours vivace de.s
mécréants.
LIVRE II
TENTATIVES
■l3o(M3!)()
LIVUH il
TENTATIVES
1350-t3!)C
T<a diminution dft« projets de crûlsatlp. qui rèdent le pas aux expé-
ditions, raraoti^rise «-etto période. Seules l<>8 idées de Philippe de
Mé7.itTes appellent l'attention ; ellts ortt en, de leur temps, une
influence ronsidrrahlo qu'on est loin de soupçonn'^p aujourd'huî,
à considérer dans quel oubli sont lombi^ leiï ouvrages de
MéEières*.
Ltm documents d'arohiveii, sans être très considérables, sans être
même inédita, méritent un examen approfondi. Parmi les ouvrages
qu'lU ont inspiréa, nous (ritoronâ pi)ur l liypre, le.s travaux de M. de
W&s Latrie', qui a misa conlributionK toutes les archives européenneH.
1. A peine quelques fragments ont-ils été publiés. Cf. A. Molinier,
[)f»cri}UiuH de iIpujc matiutiri'itx. . . de Philipfte de Mézière» ((îénes.
1K«t,extr. dos Aroh. do lOrient Latin, i. IwrMl'i); — Lebi:iMif. hUtnoire»
ite lAend^mie det Imcriptùm»^ xvir, \\\\''\\'%. -- Il fnnt ajouter il ce
qui prérèdr la vio du 11. Pierre de Thomas (Acta Sanrtomm hoU.,
ïy janvier, n, yyt»-HU:i), et V/'jjtslre iomfinlahU et ronsotaloire sur le
d*''*a*1rr de .NiropoHs, (Froissarl. éd. Kervyn, wi, 4Vi-523 > Nous avons
anolyx^ rette dorniére ifuvro au cours du présent travail.
2. ifixtoire dr Chi/pre (F^iris. IH,i*J-fi!i, :J vol. in-H", et spécialement
le« t. 2 cl ;î; — /htcumenlM nouveaux si'rvatit de prntvts d l'hintuire de
ÇUe de Chypre (Cuil. dei> Uocuw. InOdits, .Mélanges lilstoriques, iv
Sur im point plus spécial, ja croisade d'Amédée do Savoie, on np
saurait trouver de meilleur fluide que le livre de Datta'. Fait d'apr*-!*
le compte du trésorier du pnnce pendant l'expL-dition, il met en garde
contre les inexactitudes des chroniques contemporaines.
Parmi celles-ci se place en première ligne Froissart, qui domine le
MV*" sii^cle tout entier. Il a toutes les qualili's d'un excellent anna*
liste: m(^moiro remarquable, amour de la vérité, ardeur infatigable
à l'entendre de la bourlie de ceux qui la savent, et fidélité à la
reproduire. S'il encourt parfois le reproche d'inexactitude ou de
partialité, on ne saurait l'accuser pcrsonncUeraent de mauvaise foi.
[| a iiccueitti indistinctement tout ce qu'il a entendu sans songer
que la passion. Taveuglement ou rignurance ont pu vider les
témoignages cpi'il reproduit; il est inconscient du tort qu'il fait à la
vérité historique. Un cunçoil dès \ors de quelle Façon il convient
d'employer les Chroiii^urs de Kroissart *. excellentes dans l'en-
semble, elles demandent à t^tre soumise.s, dans chaque cas spécial,
à une enquête sévère^.
A côté d'elles, se placent la Chronique det Quatre /tremier» Valois •,
1882, in-4"); — Commerce et Exp^diiiom militaire* île ia France et
lie Venise au intffjen /iffe {Ça)]\. des Doc. IntVd., 187*1. in-î"} ; — Ifes
relations polilit/ufx et romuiercinhx rte fAêie Mineure avec Cite de
Chypre (Dihl. de 1 Kcole des t'hurles, 2" série, t. i).
1. p. Datla, Spedizioue in Oriente dt Amedeo V! conte dî Sann'a
(Torino. i8"iti. in-S»), d'après les archives de Turin.
2. V. Kervyn de Lettenhove, Froisênrt, étude littéraire sur le
.\iv« siècle (Paris, 1857, 2 vul. in-12): — S. Luce, Chronique» de
J. Froissart^ i (introduction, Paris, 1869, in-8). — Les deux éditions
principales (le Fntissjirt, celles de Kervyn de Lettenhove et de S. Luce
(inachevée , n'ont pas pour base le même texte. Li première suit le
manuscrit uni<])ic d'Amiens, la seconde une classe nombreuse de ma-
nuHcrilsdont l'édiieur a établi la tiliation avec le plus grand soin en
réservant fmur 1rs variantes la leçwn du manuHcril d'.\miens. Nouî. ne
parlons |>as de l'édition de Uuclion {'i vul. gr. in-H" dans la collection
du Panthéon littéraire) qui ne jjeut étro considérée comme une édition
scientifique. — Kn citant Kroissart, nous avons eu recours h l'édition
de M. Luce jusqu'en i:t:o (7 vol. in-8-\ 1869-78), et à celle de M. Kenyn
(le Lettenhove ^25 vol. in-B", l«70-;7) pour l'époque postérieure et
pour les éclaircissements de toute nature qui accompagnent le texte
des Chroniques.
a. Cette enquête a été faite jwur la guerre de Guienne (1345-'46i,
par Bertrandy {Etudes sur les Chroniques de Froissart. Bonleaux,
1870), et pour celle de Urctagne (1341-G4) par 0. Fr. Hlaine (Hevue de
Bretagne et de Vendée, 1871, 5-32 et 119-3(1).
'i. S. Luce, Chnnnque dn quatrf premier» Valois (Paris, 18t>3,
in-H-l.
Sol'Ki^HS t)l^ LIVRE éRCOND.
lî;
d'origine normande, recunimandable par rexaclitude des renseigne-
ments qu'elle contient,— les Grandes Chroniques de France ', recueil
ofâriel i*Dmposc^ à Unsfigation des ftbbês de Saint Denis, et pour le
n^gne de Ttiarles v sur l'ordre exprès du roi, ~ et la seconde conti-
nuation de fluilhuuie de Nfinj^is', dont la rédaction rcvOt le in^mc
carartv're liistnriogniphi<jUf'.
Ce» chroniques général**» stmt compU'-tées par des téraoignagfs
spAeiaiiXf concernant eertains points liistnriqiieH partimiliers. Telle
est, par exemple, la croisade du roi Pierre i de (Jhypre qui a eu
dans Guillaume de Macliaut un historien contemporain, vérïdique
et injpartial. La /^rr«*'rf'.!/cxrtn//n> est à proprement parler l'histoire
du rè;rne de Pierre de Lusignan ; wrïle d'après les récits detémoîns
oculaires avec lesqueU Mâchant fut en relation» constintes, cette
chronique rimt^e est, pour la partie qui nous intéresse, très exacte.
Si vers la fin de l'ieuvre ce caractère disparait, on ne saurait rendre
l'auteur resjwnsable d'erreurs que ses inspirateurs étaient intéressés
à lui faire fummeltre^. Ini vie du D. i*ieiTe de Thomas, par Ph. de
Mézières. complet»» heureusement, malgré son allurt; apolo^tique,
les renscignenu-nts relatifs aux origines de l'expédition*.
L'intervention, au coiitraire, d'Aini^dèe vi en Orient, quoique men-
tioniiée avec quelques détails dans les Chroniques de Savot/e^,
resterait pour nous fort obscure sans les pièces d'archives. La
comparaison de ces deux sortes de doi*unicnts nmis apprend à n'usrr
qu'avec nuidératiun d'un témoignage qui, bien que contemporain,
n'offre pas d^s garanties absolues de vérité historique.
La croisade de Harbarie ne nous eh>t, pour ainsi dire, connue que
par Irschroriiques: elles émanent de chacune des nations qui furent
m*lèe» û cette pxi)édition, et se divisent en suurces arabes, génoises
et françaises. Les premières sont les moins nombreuses. Ibn-
Khsldoun, le chroniqueur des Arabes du jMaghreb*^ confirme les
récitA des auteurs chrétiens dans leurs lignes principales. Les
chri>n)ques génoises se réduisent aux annales, officielles et exactes
danâ leur concision, de (îejrges Stella, contemporain des faitsqu'i
1. Paulin Paris, len yrandes Chroniqurjt */»» France (6 vol. in-t3,
I83G-40).
2. IL Géraud, Chronique latine de Gniitaume de \angis de \\V,i à
t:f04» avecles eontinualums de t:tO0 à 1368 (Paris, t8'i3, 2 vol. in-8").
3. L. de MaK Latrie. /.« /'rixe d'Alexandrie (r.enève, 1877, in-^").
4. Acta Snnctornm HuU., 2li janvier, II, 9y«-101J.
5. MoHwnenta htKloriœ pairitf, Soriptorurn t. i (Turin, IB'ÏO, in-foL),
G-as-i.
6. Ibn-Khaldoun, UiMuirc des Berbères, irad. par de Slane (1852-
56), t. III.
116
SOTJftCES DC livre SECONÏ)".
raconte *, car les témoignages il'A. Giustinianî (U70-1336)*, et
(l'Ilubert Fiiglieta (1518-1581)' sont diretMemenl puist^sà celte source
commune. Il n'en est pas de même des récits de })rovenance fran-
çaise, en tète desquels se place la Chronique du bon duc I.oyR de
Bourbon*. Kcrite par un témoin oculaire, probablement Jean de
Chàteaumorand, sous l'inspiration du duc de nourbon, chef des
forces chrétiennes, elle rev^H, pwnr celte rampaj^iie, un caractère
d'autlienticité et de précision qu'on lui refuse généralement ilan»
son ensemble. Serviteur dévoué de Louis de Bourbon, l'auteur aura
pu parfois exagérer les qualités et le rôle du dur, mais le récit est
généralement tîdéle et doit être accepté avec confiance. Il n'en est
pas de mémo du témoignage de Froissart qui. h cùté de détails
puisés à des sources dignes de foi, accueille trop facilement de^
légendes plus [loétiqueg que réelles, se montre tmp peu favorable
au commandant de l'expédition et se fait l'écho des jalousies suftcitéeit
par la haute situation du duc ". Le Heligieux de Saint /tenu, au
contraire, chruniquenr officiel de Charles vi, comme il avait été
historiographe de Charles v", lidéle i\ la couronne encore plus
qu'au roi, est une source des plus importantes et des plus dif^es
de foi. En ce qui concerne la France, il oiïre toutes les garanties
d'exactitude, sauf à ne dire que ce qui pouvait être agréable au
souverain. Ses informations, pour les événements de politique exté-
rieure ou d'histoire étrangère, demandent à être contnilécs'. On
en peut dire autant de Jean Juvénal des Crsins. Son histoire,
inspirée par la reconnaissance des bienfaits de Charles vi, se
distingue, malgré le sentiment qui l'a dictée, par l'amour de la
vérité et l'exactitude du récit. On y chiTclifrait en vain, il est vrai,
des aperçus et des faits inconnus aux autres chroniqueurs, mais
1. G. Stella, Annales Grnuensea (1298-1400) dans Muralori, Aer.
italic scrt'p., XVII, î>'i7-IS18.
'1. Annali delta rcpuhlicndi Geiiova. Ces annales furent publiées en
1337 et réimprimées en 1855 (2 vol. in-8->. Gènes, Canepa). Nous nous
sommes servi de cette seconde édition.
a. Hislorim Genuensium libri xii (ricnun\ 1585).
4. A. M. Chazaud, La Chronique du bon duc Loy* de Bourbon
(Paris, 1876, in-8-). .M. Chazaud a montré que cette chronique, attribuée
H Cabaret d'Orville, si elle avait été rédigée par cf^lni-ci, avait été
dictée par un ancien compagnon du duc, vraisemblablement par Jean
de C'hùteaumorand.
5. Froissart, éd. Kervyn, xiv. 151-9, 211-53, et af>9-80..
6. \a partie de l'œuvre du religieux concernant le régne de Charles v
e.st perdue.
7. Bellaguet, Chronique du Beiit/ieuj: de Sftint iteni» (V&r'iJi, 1839-54,
6 vol. i^-4^^
SOURCES DU LIVRE SECOND. HT
la probité littéraire de l'auteur écarte tout soupçon d'exagération et
de partialité *.
1. ffittoire de Charles v/, 1» édit. par les soins de Théodore Gode-
froy (Paris, 1614, in-4») ; — 2« édit. par Denis Godefroy (Paris, 1653,
in-fol. avec additions). De nos jours Juvénal des Ursins a été réimprimé
dans la collection du Panthéon littéraire de Htichon et dans la
nouvelle collection des Mémoires pour servir à Chistoire de France
de Michaud et Poujoulat (1" série, t. ii, 1836). C'est de cette dernière
édition que nous nous sommes servi.
CHAPITRE PREMIKR.
CROISAtlt: DE PIEKRE 1, KOI DE CHYPRE.
Les progrès des Ottomans ne se ralentissaient pas, tandis
que l'Europe et les puissances chrétiennes <ïu Levant, à la
suilo (le l'éc^hec de la li*<iio el do la retraite d'Huaibert île
Viennois, ne savaient ou ne voulaient pas renouer uni? action
combinée contre les infidèles. Ceux-ci avaient profité de ce
répit pour étendre leur (louiinntion en Asif Mineur*', et alt-
sorber les états dont l'indépendance avait jusqu'alors empê-
ché l'unité politique de l'empire musulman. OrAce .-i sa posi-
sition, l'ArménÎH était devenue l'objectif dos efforts ih's
Turcs; elle avait vu les émirs turcomans ou arabes occuper
successivement Sis, Tarse, Adana, Pélerga. TAïas, et tout
le littoral, et elle irexislail plus que de nom; seuls les chA-
teaux forts de Gaban, Pardserpent et (îorighos résistaient
encore ; h's Turcs avaieni menu* déjà dévaslé les environs
de co dernier et attaqué la ville, mais les mui'ailles de la
place avaient re|»oussé leurs assauts.
Une situation aussi précaire appelait un secours immédiat;
le roi Constantin IV l'avait aoUiciié sans succès dr l'Etu'ope,
et TArménie n'alteinlait son salut que de l'appui du roi de
Chj^pro. L'avèneniPiit au trt')ne 4le Pierre i (IliiO) était le
seul espoir des Anuéniens ; ce prince luïurrissait des senti-
ments belliqueux qu'il avait eu grand'peiue â contenir du
vivant de son jiére Ilujruos iv. et ne demandait qu'à leur
donner libre carriéri\ L'ardeur guerrière du jeune roi se
fortitiait de considérations politiques : il manquait à l'ile de
Chvjire d'oatuper une ville fortifiée Nur la côte d'Asie Mineure ;
au point de vue commercial, les Chypriotes avaient besoin
sur la teiTe ferme d'un point où les marchands européens
pussent échanger leurs produits avec ceux de l'Asie centrale
cl notier des relations directes avec Kouieh, Sivas, Ense-
ruiim et les grands marchés auxquels aboutissaient les cara-
\anes de la haute Asie. Ils eussent ainsi iHit»'- de s'approvi-
sionner dans les ports d'Armènio, de Pamphylio etd'Rgypte.
L'occasion de réaliser ce projet était trop ravtu-able pour être
repoussée. L'Arménie demandait assistance au rui de Chypre
et lui offrait en échange d'oc<uiper (Kirighos: Pieriv s'em-
pressa d'accepter ces propositions. Dès le 15 janvier 1301,
deux galères chypriotes amenaient à Gorighos quatre com-
pagnies d'arbalétnei*s sous le comriiaiideiiieiit de Kohert de
Lusignan ', et la place jurait lidélité au roi de Ciiypre.
Cette prise de possession n'était que le prélude tl événements
plus considérables. Le granil Kuramau s'était hûlé de lever
une ai'niee nomlu'euse el de s'allier aux émirs de l'Aïas et de
l^srandelour, ses voisins, tandis que Pierifi faisait à Chypre
lie grands préparatifs, et réunissait â Famagouste une tîotte
lie cent dix-neuf voiles (II' ;ivril I.'I5I). dans laquelle ligu-
raîent des contingents fournis par le Saint-Siège. Gênes et
les chevaliers de Rhodes. Jamais pareil armement n'avait été
fait par les Lusignans ; le roi lui donna romni*- objectif Sa-
lalie, au fond d'un large golfe, sur la côte méridionale d'Asie
Mineure, place au.ssi importante par la forets de ses défenses
que par l'étendue de sun roniiuerce. Débarquant le 1*3 aoiU
tt pmximiti» de la ville, l'aiMiiéi* l'empcjrtait le lendemain
(*^ S août tilGljde haute lutte ; h-^ émirs de PAïas et de
LesL'andelour elfrayés deniandérenï la paix et l'obtinrent en
échange d'un tribut anniud et de la promesse de respecter
les territoires de Gorighos et de Satalie '.
Lo succès lies ai'nies chrétiennes eut un grand retentisse-
ment en Europe, mais la joie (piii avait inspirée fut courte:
on apprit bit-nlôt les dangers qui nu^uK.aient Satalie.
L'émir, que les sources contemporaines appellent Tacca, du
I. ("Vtjiit un c-hevalier poitevin, venu en t»nent ponr gnerrfiyersou»
la bannière des pnnres de sa muisiMi.
i. Mil» Uutrii', /M* relations ffolUn/uaK tt nnnnin-rinif/t tif l'Asie
}hn^tfrr nwc litc de Chtf/ftc duns Bit)!, do l'Ec. dusCti., li" série, t. l,
p. VMK-*I&.
120
rROISADK DK PfERRE I DE niYPRE.
nom du pays qui \\û obéissait, avait repris les armos aussitôt
après le départ du roi de Chypre, et ravageail h^s environs
de la ville; il lenlait même (13 avril \'Afï2) de surprendre la
place; mais, maltrré r^oliRC de cette surprise et quelques
succès de la flotie oliypriole sur les cotes de Lycie, la posi-
tion de Satalie restait aaseK crili(|ne pour nécessiter le départ
de Pierro i pour lOccideuï (i'i octobre 130*'). Il fallait que
le prince obtint des cours européeunos des renforts [Kïurcou-
tinuer la guerre, sous peine de voir s'évanouir les espérances
que le début de la campagne avait fnii concevoir A la
chrétieulé ' .
La preuiière éta[he du voyage de Pierre i fui Venise; il y
séjourna pendant le mois do déoemi)ro I 36l' ' ; de là il traversa
l'Italie septcntrionaltN passant par Milan, Puvie et Gènes
(janvier-février I3G3) et gagna AvÎ'jMiou par la route de la Cor-
niche. Le niercredi saint i '^0 mars 1303) il faisait son entrée
dans cette ville, oii se tnmvaieut réunis le pape Urbain v. le roi
de France. Jeun le Uon. le rui de Danemark, Valdemar m,
el le comte de Savoie '. Si la cause dt^s Chyprioti»» avait ren-
contré auprès des cnurs italiennes, malgré l'accueil magni-
fique dont elles honorèrent le prince, fort peu d'écho, il n'en
fut pas 4le même à Avignon. A l'instigation ilu pontife, les
rnis de France, de Darjemark et li' rtunii' de Savoie prii-ent
la croix le vendredi saint (31 mars), et promirent de secourir
le royaume de Chypre. C'est qu'en effet, Pierre i n'avail
pas à craindre d'eux, comme des puissances italiennes, des
jalousies d)^ commerce et d'influenrc dans le L**vani. L<^ roi
de France était le type de rbunneur chevaleresque ; il Leuujt
à remplir le vœu que lui avait légué sou père, et voyait
1. Mas Latrie, De» retaiiont , . ., dans Hibl. de llic. ilt-s th., 2« sr^rie,
t. I, p. VJ5-7.
2. Il quitta Venise le 2 janvier llMî^. l.'iLiitorisalioti de sortir des êUits
vénitiens lui lut donntV le r*" janvier i:îrt;[ [mr le grand <'»iii.sril Mds.
Latrie, /fisloimlf Cht/pre, il, 2i*) nt 2'i7).
3. Le roi de Krance était à Avignon depnis novembre lîWS, le nû
de Danemark depuis le 26 février \'MV.i iKrt>is!»nrt, éd. Lurn, vi, p.
XXWni et Xl.i). La date rie l'arrivée du roi de Chypre, faussemenl fix^i*
au It décembre i;t*12 par Villani, a été déterminée par >L de Mas latrie
[ilintoire de CfujpVfy n, 23it-'i0). La priScncc d'Amédée \ldt? Savoie
n'est pas signalée par les cbroiiiqueuni euntcmtH>rain!i. Datta (^S//irf/i-
zionr in Oriente di A$nedeo v/, Turin. 182*1, p. 11-:^ la déduit d'une bulle
ajMJstolique du l** avril 1U6U.
IMKRRK I A AVIGNON. 121
ilans la nuuvellp rroisaiii> le moyen (t'enlraîner hors do
France l«»s CV»inpagnips qui ruinaient le pays, et dont il <^lait
inipoH^ihle de le débarrasser '. Le jeune Pliilippe de NavaiTe,
lils dn Charles le Mauvais, proelauié ])ar Jean tt « inaislro et
fC'»uverneur de toutes los gens à icelhi eiiipriai* d'aler sur les
mertereansSarrazins ennemis de la fui» avait suivi Texeuiple du
roi : après lui le cardinal de Pêrigord, lèf^at .Lpiistolique ",
ie;in d'Artois, conili' d'Ku \ les rouîtes de L);imiu;irtin * et
de Tancarville *, Anmul d'Audrehem *", le grand^irieur de
I. Kn i;i65. le niaprciial Anioid d'Auilrelieni fut envoya auprès du
roi dp lîongpio pour négocier le passaj;i' des routiers dans cf pays.
L'eniperniir ('harlns iv nn limitait pas du siin-f-s; il oITrait ru^me la
moîiif^ des rcvoiius du royaume dp lîuhr-mc p(Midant trois ans pour
!»iibvenir aux frais dp l'eut ivprist*, et comptait sur Venise, si le pas-
*^)j;e n'aviiil p.i?. lieu pir la lIoiigriL^ jujur fuiipiiir les vaisseaux iiôces-
>jïin'& à reml)arri«(;merit des l'.impajLriiins. Lr projet rchuiiii ''omplù-
tein^nl lE. Molinifr, Etwh Kur la rir tl'Arnoul ff'Awirffhem, dans
Mt^moir**s prMrntt^s par divers siivnnts, t. vu Paris, 18KU, jti-V'), p. Ih9).
'J. Klie Talloyrarid dn Pèripord, né en laoi, iWéquR de Limoges
on l'Ai't^ d' \iï\cnv en I3:iî*, rardinal en 13;U, évi>«^ue d'Albano. lise
pr^nwMtpa braucoup de la Terre Sainte; c'est h lui que (îuillaume
Bohinzeie, voyapi'ur allemand, dédia son Lifier Hf^ futriihux tjttibmittam
ultramnt'inin et prœcipue de Terra Sam-ta \\ . Iteiiïenberg, Monument»
j«nir her'vir... p. 277-K(i). Il mourut à Avignon 1*' 17 janvier lîttj'i. Sa
mort, survenue en même temjM* que relie dn roi Jean u, ne fut pa.s,
au dire de (iuillaïune de Mucliaut, ;^ans influence sur l'échec de la
cn*tsade.
3. t'o prince (;iont lS2l-r, avril I:m7), fils de Robert d'Artois et do
Jnanne de Valois, surnommé Sunx Terre, retînt eu XW'rl le comté d'Ku,
ronlisqué sur le connétable liaoul de Mrienne. Le fut tmijours un tidèle
jmrti^an des rois île Kranue, et jamais sa conduite n'offrit les tergiver-
sJitjons dont celle de sun père avait donné l'exemple.
\. rharles, llls de Jean M de Trie et de Jeanne de Sancerre, succéda
n KOI! père dans ce comté en i;t:t8. Prisonnier à Poitiers, revetm défi-
iiitivojuent <le captivité en l:ift'i, il servit avec dévouement la cause
royale. U eut l'honneur de tenir Cbarles vt sur les fonts baptisinaiix. 11
vivait encore en i:Wï (P. Anselme, vi, (i7tt.
ô. Jean u. vicomte de Meinn, comte de Tancarville. seigneur de
>lonireuil Ikïllay el de WarenyoeUec, gouverneur de Itourgogne,
Champagne el lirie, eliftinlietlan de Krance et de Normandie, llls de
Jean t el de Jeanne de THiicurville, né avant \'.vl)\ el mort en l:tH2
|K Anselme. \. -l'H'».
tî. \rnoul d'Audrehem, d'une famille artéi!<ieniie, nA ver» 1305, prit
(lûrt â plusieurs expédillons en l!cosse (i:ta7-'il). défendit Calais avec
Jran de Vienne après le désastre de ('n''cy et y fut fait prisonnier.
Ilevoou de captivité (tUVJ). il guerroya en Augouinois ot en PirunU
CROISADE I>B PIERRE I DE CIITPRI?.
France '. le maréchal Buucicaut * et la fleur de la chevalerie
française avai<»nt pris la croix \
Mais le concours du roi de France ne suffisait pas à
Pierre i; il voulait entniinnr tonte la chrétioatè imi Orient,
ot dans ce but visiter toutes les cours européennes. Il
quitta Avignon à la tin do mai 1303, se dirigeant vers
l;i Flandre, le Brahant, rAlleniagne. l'Aii^'leferre, pour sol-
li<-ittîr l'appui dr leurs souverains*. Acfunnlli partout fas-
tueusement. il ne sut pas résister à la séduction qu'exercèrent
siu" son esprit aventureux et chevaleresque les divertisse-
nu'nts et les tourriuis tlunuésen suu uoiinuir, les ovations qui
l'attendaient de ville en ville et que juatiliait le renom de bra-
voure dont il était précédé. Plus de deux ans se pïussèrent à
parcourir l'Kiiro[)o sans résultat ♦Mlicaoe. L'Aragon et la Cas-
tille étaient en lutte sanglante^ l'Allemagne se désintéressait
(les choses delà croisade. l'Italie muUi[iliait les difticultés et
rli<*rchait par tous les moyens ù entraver les desseins du
prince; l'AngletciTerefusait une adhésion formelle; la P>ance
et fut nommé maréchal de Krant'p en i:i5l en remplacement du
mai-éflial de Heatijeii. Sa vi« se pasfca à cumbaUre les Anglais et le*
Compagnies. Il se démit de sa i'l)argo en i:i68 et fui. en éclianife,
nommé par <liapl('s \ porte-uriflamnie. It muurut k la Un du moi» de
décembre i:t7«. Vuir miv hi vio de ce personnage E. Molinier. ICtvde
sur la vie d'Antoul itWttdfckem.
1. Celait alui'îi II*. Robert de .luilly ou Juillac, devenu plus tard
grand-maitre Ac l'îlôpital (ia7'i-;r,i. Avant d'iMre grand-prieur do
France, il était p^l^l'eplrur do Flandre et de S. Vaabourg |I359).
(Arch. de Malte. Heij. Huit. Atatj., i. t Ui'l y.)
2. Jean i le Moin^^rc, dit Ituueicaut, seiffneur du Uridoré, de la
Bretiniêre el d'Elabieaux. naquit à Tours vers KMu. C-ompagnon
d'armes du I>u (luesclin et de Jean de Saintré. aussi habile diplomate
que vaillant ^ueirier, il fut im des plus fermes soutiens de la rojTiuté
franraise. Et\ qualité de lieutenant général de Touraine |1360) il fut
un den signataires du traité de [trétiguy. (Jjiiand le roi Jean quitta
Avignon, il raccumpaffiia en Angleterre; en lUlV't, il |)artici|m à la
victuire de rocherel; J'aini^^K suivante, ses démarches aboutiront au
traité de (iuérande entre Jeanne de Pentbiévre et Jean de M<intfort.
Il mnnrut «n mars l:nirt à llijon. <'Vst le père de Jean n le Meingre,
également maréchal de l-Vance. qtii joua en Urient un rt'de rapital,
auquel une grande partie du pn^sent travail est eonsacr^'e.
3. l-'ruissart, éd. I.ucc, \i, Sîi-ï. — (^hroHUfue de» tjuaire premier»
\. \oir l'itint^aire du rui de t'iiypre dans Mas Latrie, Uitioirc rfc
k
XOUVELI.ES DESASTREUSES DU LE^'ANT.
elle-même, aux prises avec de sérieux embarras financiers,
et craignant le retour des grandes Compagnies quo lo roi do
Navarre avaient rappelées de Lombardie. menaçait de ne
pas U*\\'\v ses promesses : blontît même son roi moucait prî-
sonniop volontaire en Angleterre» et cettf niurt ruinait le
dernier espoir de Pierre i'.
Pendant que le i-oi de Chypre oubliait, dans les fétcs elles
délices de l'Occident, la croisade, objet de son voyage»
les èvênoments devenaient de plus eu plus graves en
Orient. Dès le départ de Pieire i, les émirs coalisés avaient
attaqué Satalie par terre et par mer (Ha de 130'.?), mais ils
avaient été rejioussés et complètement défaits. Cet échec ne
Jps avait éloignés que momentanément; en llîti:*, la c^ite sep-
t#'iiîrionale de Tile de Cljypre avait «ouru un sérieux danger ;
envahie par un parti turc, elle fut dévastée et brûlée ; Cérines
même fut menacé. Malgré quelques avantages rem[tortés
autour de Satalie par l'amiral Jean de Sur, la situation i-esUiit
très critique; un apprit à ce moment que l'émir de Damas
avait rompu la paix en emprisonnant les uiarcbands Chy-
priotes qui se trouvaient dans cette ville ; cette violation des
traités était trop flagrante pour ne pas exaspérer Liisignan;
dès qu'il la ci;nnut, il courut à Avignon moati'er au pajie les
lettres que lui écrivait, pour la lui annoncer, le prince d'An-
lioche. son frère, régent du royaume. La Syrie tout entière
s'agitait; le roi de Chypre ne resta pas indifférent à l'in-
dignation générale; communiquant son enthousiasme à son
i;niourai,'e. il leva ime armée pen nttmlirense, mais composée
dVdements excellenis. engagée en Provence, en (îuyenne, en
» IjOiiibardie. en Flandre, en Angleterre et en AUemague, et se
hAta «le passeren Italie atin de regagner l'Orient. Philippe de
Mézières, rhancelierdu nii', abii's à Venise, avec le contours
(lu légat apostolique. Pierre de Thomas*, avait frété des ga-
1. Mas Latrie, />*« rtlntions^ etc., p. W7-tt; — FroiMarlt éd. ï.uce,
rt, p. \u-M,vm.
t. Philippf* (le Mézièrt*» e&t une des figures Ips plu» synipathiqiifî»
de l'biMoirf dr ( iiyprn; khi dévuueinenl à ses mis, mu ar"d«iir à
Hunver l'Mrinnt <Ihk intidcIcK ne tio di^nierHircnl janiait^ pendant sa
longiic ^a^ri^'►^^ Nmi» auruns wuvent. au coura de ce travail, ijccasion
de rovenir sur rr pi'rxinrmgr,
\\. L« h. Pierre ilo Tlmma-s, religieux canne, i>rij.'inaire de .^aligna»*
de 'ninmas, au (iiwr^.s** di- Siirlat. Il Tut iVveque de Coron, archevefpio
de Crète et patriarche lie ^iMl^litlltir|uple■ .Vprèd la murt du canlinal
CKOISADE DE PIERBB I 0E CHYPRE.
lères pour roxp<''dition, non sans s'otre heurtô au mauvais
vouloir du sénat de Venise qui mit tout en œuvre pour en-
traver la croisade ; luais le chancelier et le légat avaient
déployé tant de zèle nt d'activité (juelorai put prendra la raer
avec ses troupes au mois di* juin IMii'i. La république de Saint
Marc, avec une extrême habileté politique, avait, au dernier
moment, fait escorter par trois •:alères vénitiennes l'escadre
dont elle avait d'abord à tout prix cherché à empi'cher le
départ'. Klle s'assurait, de la sorte, sous le masque d'un
concours désintéressé, le moyen de surveiller et de contrôler
les opérations tutui-es'.
Rn quittant l'Adriatique, le roi do Chypre relùeha à Candie;
cette possession vénitienne venait de se révolter contre ta
métropole. Komentêe par Oénes, l'insurrection pouvait com-
pi*onïettre le succès de la croisade, et à ce titre avait ému la
l'our apostolique et le roi de Chypre autant que les Vénitiens.
L'énergie du doge Laurent Celsi Ht rentrer promptement les
rebellas dans lu devoir ; ([uarid Pierre i se présenta devant
l'ile, In soulèvement était comprimée Après quelques jours
de repos, rexpédition fit voile vers Rhodes où elle attendit
l'arrivée de la flotte chypriote ; celle-ci, comptant cent huit
voiles, dontdix gros navjres et trente-trois vaisseaux de trans-
port pour les chevaux, rejoiguit le roi le 23 août 1365. En
présence d'une pareille concentration de forces, dont l'ob-
jectif n'était pas C(jniui, les émirs de la cétt* d'Asie Mine.ui*c
eurent peur: ils s'empressèrent de solliciter la paix, dont 1b
grand-niaitrc du l'Hiqiital, lié lui-même avec eux, se lit le
médiateur. Tranquille Je ce coté, Pierre i quitta Rhodes; les
lU Tîtlleyraml il fui tiomm»'' h'giit <]u Saiiil-Siè^e, fl son influence fut
des pins h«*ui'eu;>fs pour faire aboutir les projets du roi de Chypre.
Il mourut i\ Kamagoubte, le 6 janvior 1^66 (<l. de Maetiaul, /.a Priite
ft'Alfxantfrii'^ M. de L. de Mas Latrie, (teacvc. 1877, p. 281).
1. Mau Latrie. Des reiatinn».,. p. 498-502; — id., Histoire rfe
Chtf/tre. (I. 2'il et 283-1.
2. Les JMïitructions donnf^CK par le doge au capilainA do rAdnatiquA
(2t>-7 juin Kïfiô) portent ^ue ce dernier suivra en mer l'armêo du roi
de Chypre partout uii elle ira, e; nutttiera :i la seigneurie le ileu de
di^liart]ueniont, le^ entreprises ot les projets de Pierre i (Man Latrie,
i/ixl. (te r.hypre, m. 7ôt-2|.
;i Ma-s I*atrie d/istoirr de Cht/pvf. ii, 250-2 et m. 742-9) donne
sur rette insurrection des picees i>man4>ea des chaneelteries de Cli ypre,
de Venitio et de Home.
DKRARQIKMKNT A ALKX.VNDRIE. l-Ti
Hospitaliers avaient joint ilix galères aux siennes, et la flotte
conibin(*e se dirigea vers la côte d'Asie Mineure ; mais, en
pleine mer. le roi, divultruarit son plan de campagne, mit le cap
snr TËgypte; il voulait frapjier la puissance du Soudan au
coeur, et enlever Alexandrie* {'2H septembre I;^ti5).
Le y octobre, la (lotte jeta l'ancre devant le Vieux Port
d'Alexandrie'; le lendemain le dêbaniuemeiit f-iait ordonné,
et les SaiTasins s'avauraienl dans la mer ptnir combattre les
croisés. Ce furent de part et d'antre des prodiges de valeur;
parmi les plus intrt'pides se distiiigui''rent le jeune comte de
Genevois, Am<!'dee ui, le maréclial de Chypre, Jean de
MorphoS le maréchal de Jérusalem, Simon Thinoly*, et le
propre neveu de Pierre i, Hugues de Lusignan, prince de tia-
lilée*. Le roi ne le céda eu rien aux siens; accompagné de
Perceval de Cologne, un de ses chambellans, à sa droite,
et de Brèniond de la Vuuhe à sa gauche, il paya de sa per-
sonne et se battit ave*- le plus grand acharnement. Comme
leurs compagnons d'armrs chypriotes, les chevaliers français
déployèrent la plus brillante intrépidité. Peneval de Co-
logne* était un Poitevin, « niuuk sages et bien imagiuatis che-
valier et bien enlangagiés », dont Pierre i avait les talents et
1, Mas Latrie, Hes relations.. . p. ôOJ.
2, Nous avons suivi, pi>ur raconter la prise d'Alexandrie et les
^T^nefiients (|ui en furent la conséquence, le récit de Guillaume de
Machaut {La Pn*e ttAterandrie). On peut rappruclier île ce récit
ci*lui do la (Ihroniffue di'.s t/uatre //reminr» Valois^ \\. tfi4-6.
3, Il était d'une l'atiiillc chypriote et fut ctiargé de diverses missions
eu Europe. Sa conduite devant Alexandrie lui valut le titre de comte
d'KdoBse ou de Ruliais.
\. Après la diute du it>yaume de Jérusalem on avait conservé,
comme litres liuiiurilifjues, les charges des grands ufticiers de ce
royaume. Simon Thinoly ("'tait presque français juiur i^tre allié â la
niaibon de Montolif, une des plu!> anciennes familles de l'ile, et pour
avoir longtemps guerroyé en France contre les Anglais sons Jean le
Uon et ciiarle» v. Il accompagna Pierre i dans ses voyages en Kurope
{UiHoire fie Chypre, n, llfJi.
5. Fils de Guy de Lusifinan, connétable do Chypre ([ ia'i6) et do
Marie ilo hourbon. il épousa Marie do Morpho, fille ainéo de Jean do
ïlorpbo, comte d'Kdesse iMacbaul, La Prisf d'Aierantine, p. UiV).
G. Perceval de Cologne se distinf;ua clans la suite au siège do
Limoges (ta70), dans l'armée du duc de Uincastre, à Mnntcontour,
devant Sainte Sévère, Tliouars et la lioclie sur Yon (ï370-3|. M. Kervyn
deLettcnbove propose de lire Couhnge», noma.ssez fréquent en tlerry,
Poitou et Sainlon>;e (l'roiss.iirt. M. Kervyn, \\i, 'i'»).
m
CftOTSAT)E T)K PIERRE I 0E CIïtPRE.
io fourage en grande estime. Bréiuoud de la Voulte. d'une
famille noble dn Vivarais, celle des Lévis-Villars, était, aux
cWh du roi
• Coni cliastiatis sus motc,
1 Kors et ft-nrips et deftensables
• Il eBloil graiiK, et Ions et fors,
« Kt plus vif e'iin alérion,
« Et s'ot {u>rage de lion ». '
Le vir.onito ileTuroiiiie' s'était des premiers jeté à la mer,
entraînant ses cDuipagnous par son exemple: près de lui Guy
le Haveux < qui duit estre en nombre dos preus », et ses deux
fils, Hubert le Baveux et Jédouin dt!Beauvillier\ di'ployaient
la vaillance dont ils éiaiMni \enus cliL'rcher l'orcasion outre-
mer.
Ce n'étaient pas les seuls Français présents â l'expédition.
1, Guillaume de Maehaut, An Prise iVMeTandn'e, v, 2:i95-6 et
2405-7. — La Voulte est une seigneurie du Vivarais, sur la rive droite
du Uliônef au nord est de Privas; elle appartenait k un cousin de
Urùmond,dc la familio dWnduze, et entra dans la maison de Lt^vispar
le mariage de ['hilippe, père de Hrénioiid, avec Anloinotlo dWndnxe.
-' Brémond, second fils de Philippe, porta tour à tour les surnoius
d'Anduse, de la Voulte, de Poli^ni et de C'hateaumorand; ce dernier
litre, qui tui est donné dans un acti* du 5 février i'iiU, lui venait de sa
femme, Hlle uniijue dp Jf>an de Chateauniurand, et il est probable qu'il
ne le prit qu'après la uiorl dn sou beau-père (Kn^issart, /'d. Kervyn,
xxni, '^67; " Ciiazaud, La Chronique du bon dur Loys fte Hourbon,
p. XH-MU).
*i. riuillauine Roger, m* de ce nom, comte de Beaufort, vicomte de
Turenne, liarun d'Alaii!t, Andnse, etc., fils de Ouillaum» Roger ii et de
Marie de ('Imiiilion, avait acheté la vicomte de Turenne en i:[5a de
Cécile de Comniinires, sieur de ^a femme Kléonoro de Coinminges.
\\. Mas Latrie dtinne ces noms nomme ceux des fils de Ouy le liaveax
{La Prise d'Alexandrie, p. 'MH). Voici ce que Ciuillaumede Machftut
(V. 2422-25) dit de ces trois guerriers :
• Ce sont iij chevaliers de Kranco
■ Qui aiment honneur et vaillance,
t Kt qui les vont par toute len*e
• Où on peut aler, pour les querre. •
Guy le ItAveux est plus connu dans l'histoire que «es fils. Il fut tour à
tour au service du roi de France et du duc de Bourgogne, et prit part,
en cette qualité, aux principaux événements militaires du régne de
Charles \ . — V. sur ce personnage Froissart, éd. Kervyn, xxil, 53.
pauttctpattoî* flfs raxKrAm a i. EitrKmTioN'.
hUtoire nous a conservé les noms, de quelques autres', du
seigneur du Puchay. de Jean de Fri(|uans, un agent iiavarrais
dont Charles v venait d'acheter l'appui*, et de ti'ois chevaliers
uormauds, Jean de la Rivière, sire •lePi'éaux', Guillaume de
Iïas^^uev^lle^ et Jean de Taillanville, sire d'^vetot'''; leurs
hrillants antécédents militaires faisaient présager, dan» la
campagne d'Kgypte. de beaux coups de lance et de vaillantes
< emprises d'armes ».
Le combat, commencé avec la plus vive ardeur, continuait
sans se ralentir; huit mille Chrétiens s'étaient jetés à Teau
et, malgré leur infériorité numérique, repoussaient lentement
l'enuenii sur la plage, Pendant ce temps les Hospitaliers
I. Chronique rfrt quatre premiers Vnhia, p. 164-6.
-'. Ce personnage, originaire de l*icardie, est indifTi-reramenl appelé
Jean do Kriquanh. Kriquet tle l-'ricamj)S. on Jean dit l-Hquet de Fri-
camps. Le 28 avril lâtj'i, il a^'cepta du i-oi Je Franre une pension
annuelle de mille livres et le titre de chambellan, ronsenlant à ce
prix k abandonner le parti de Charles de .Navarre. (Kroissart, 6d.
Korvyn, x\i, 374; — cf. Chronique normande du XJV siècle, par
A. et E- Molinier, Paris, 1882, passini).
ï. Jean île la Hiviùre, fils air»^ de Jean de ta HivîcTe et d'Isabeau
Dougerant, était premier rhamhellan dn duc de Xnrmandïc» capitaine
de Vemon en 1364, et prit part avec le maréchal de lilainville au
•iège d'Kvreux (juillet i:i6<|. M. Kervyn de Leltenhove dit qu'il
mounit vers i:i<>r> m pèlerinage û Jénisalem. Cette indication n'est
pas exacte, s'il est vrai que Jean de la Uivièpe était mort avant le
30 septembre KMiT (I.. r)eli.'sle, Mamiementx de Charles V, n* 'irj), il
est certain (|u'il prit part à l'expédition de X'Mih, qu'il n'était pas un
pèlerin, mai» un croittè, et que sa mort ne saurait «>tre antérieure aux
dernier» mois de 1365. Il tenait le litre de sire de Préaux de &&
femme Marguerite de Préaux (Kroissart^ éd. Kervyn, x.vui, 23).
4. Guillaume vi Martel de Hasquevîlle emprunta, le 16 mars 1305,
du maréchal de Blaînville, second mari de sa mère Jeanne Malet de
Graville.cinq cent onze francjt d'op < pour lesaint voyage d'oultre mer*.
|)'at)ord partisan de ('harles le Mauvais (1358-1364), Guillaume Martel
renonça bientôt à suivre ta fortune de ce prince II a.s.sista â la prise
de Meulan contre lui, â la bataille de C^^cherel, et à la prise d'Acquigny
(1364) i|ai ruina les espérances des .Navarrais. Après son retour d'Orient,
en I36H, il déTendit l^uviers contre les Compagnies, et llarfleur,
en I3T8, contre le comte d'Arundel. 11 mourut vers 1380. (A. Ilellot,
il uai historique sur les Martel de ii'tsr(uetiUej Kouen, iBTy,p. 41-7).
5. C'est le premier des sire» «l'Yvetot nui ait affecté do prendre le
lilre de roi. M. Kronientin {Essai historique sur Yvefot, IH44, p, 38)
cite en 1381 la première tnice de ces prétentiuim royalcK. 11 semble,
d'après le texte de la Chronique des quatre premiers Valois^ qu'un
doÎTe reculer d'une vingtaine d'années le début de ces aspirations.
rS CKOÎSADE TïE PTEÇIlfe T HÉ tm'PJlt.
(I«»barqués plus â l'est vers Rosette, au Nouveau Pt>rt, tuur-
naieut les Musulmans sans être inquiétés, et les poursuivaienl
jusqu'aux portes de la ville qui se refermaient derrière eux.
Les croisés reprennent alors haleine, dêljarquent les ehevaux,
et, â ritistij^ation du roi, l'assaut est résolu. Perceval coni-
niamle Tattâque; la bataille recommence à la port(^ de la
I)(>uane : devant la vigoureuse résistance de reanenii, il faut
appeler les evserves, composées des Hospitaliers sous le coni-
luîinderaent du roi ; après un nouvel effort la place est
emportée et mise à sac; toutes les portes de la ville sont
occupées, sauf la porte du Poivre, que le roi a vainement
tenté d'enlever atin de couper les communications derennemi
avec le Caire.
Le lendemain (samedi 1 1 octobre), le corps sarrasin resté
dans la ville est mis en fuite et forcé d'abandonner Alexan-
drie ; mais les croisés étrangers comprennent qu'il leur sera
impossible de se maintenir dans leur nouvelle conquête. Le
vicomte de Turenne se fait l'interprète de leurs sentiments et
demande, en leur nom, d'évacuer une place qu'on ne saïu'ait
défendre. Le roi et le légat Pierre de Thomas cherchent en
vain â détourner rariiiéede ce jirojet; sans se laisser toucher
par leurs exhorUitions, elle regagne la dotte, les Sarrasins
rentrent dans la ville, et Pierre t se voit forcé de se
rembarquer.
Ce coup de laaiii heureux fut, pour les armes chrétieiuies.
un brillant mais fatal suLcès. Le soudan avait étt» attaqué
sans avoir reçu aucune signification de f^merre ; peut-être
même les faits, dont Damas avait été le théâtre et qui avaient
motivé les armements du roi de Chypre, lui étaient-ils in-
connus: aussi l'agression subite des croisés l'exaspéra-t-elle.
et lui dicta-t-eile contre les marchands chrétiens résidant
en Kg}'pte et eu Syrie les représailles les plus odieuses et les
plus cruelles. Tous furent arrêtés, dépouillés de leurs biens.
torturés et contraints û livrer le numéraire et lus luai*-
chandises qu'ils possédaient. Seuls les Vénitiens surent pro-
fiter de l'éloi^'-iienieiit des alliés pour renouer avec TK^ypte
des relations comnierciales. Leur nMe. du reste, dans toute
cette campajïue, semble mystérieux; après avoir déconseillé
la croisade, ils se décident, au dernier UKmient, à y prendre
part, moins par zèle pour la cause commune que pour exercer
une surveillance constante sur les opérations. Les instruc-
ROLE EQtflVOQLTE DES VENITIENS. 12l>
tiens données par la seigneurie à ses agents sont formelles
sur ce point ; elles chargent même les provêditeurs de Crète,
dans le cas où le roi de Chypre attaquerait quelque partie
do la Turquie en paix avec les Vénitiens, d*avertir rémir du
pays qno l'expédition a lieu sans le consentement de la répu-
blique'. Autant avouer que les vaisseaux de Venise joueront
le nMc d'espions et préviendront l'ennemi des plans de la
flotte. Sans la précaution prise par le roi de Chypre de ne
divulguer liî but de l'expédition qu'en pleine mer, Venise
aurait secrètement informé les Sarrasins des mouvements
dirigés contre eux. comme elle le fit pendant la campagne
du maréchal Boucicaut en 1103*. Nul doute qu'elle n'ait
insisté pour l'évacuation d'Alexandrie, alîn de conserver ses
rapports de commerce avec l'Egypte; ne fallait-il pas em-
pêcher la ruine de ce pays, et détourner l'orage qui le
meaaçjût^ Les Vénitiens offrirent leur médiation et, grâce à
leurs seci'êtes intelligences avec l'aristocratie chypriote, ils
parvinrent à protéger les états du soudan d'une nouvelle inva-
sion en décidant le roi à s'attaquer aux Tuixs d'Asie Mineure.
La politique vénitienne n'hésitait pas ô sacrifier à ses propres
intérêts la cause de la chrétienté \
Kn Ocfident, la prise d'Alexandrie eut un effet considé-
rable: annoncée par Urbain v au n»otule chrétien, elle ralluma
partout l'enthousiasme et le zèle, et ou put espérer qu'un
mouvement durable d'émigration eu Orient allait s'établir;
quelques princes prirent la croix, mais leur exemple
ne fut suivi que d'un petit nombre de chevaliers, amoureux
«l'aventures et excités par les récits fabuleux que Ja victoire
d'Alexandrie avait fait naître. Eux-mêmes restèrent en
Europe : le pape, cédant aux sollicitations des états mari-
times, dont le commerce souffrait i)ar suite de la guerre
déclarée aux Egyptiens, dut engager Pierre i à traiter;
celui-ci^ abandonné des cours européennes, réduit à ses seules
forces, consentît à suspendre les hostilités, et autorisa les
i, Voirplushaut, p. l2^i,note2. — 3jailletl36â. Instructions de Venise
aux autorité» de Crète, iluns Mas Latrie, IIit>toire de Chypre, m, 752-3.
3. Voir plus bas le récit de cette campagne, au livre v, chap. m
ri IV.
U. Md8 Latrie, De% relaiion$* . . p. 503.
négociants vénitiens, génois et catalans, à s'entremettre pour
la conclusion de la paix *.
Pierre i était revenu A Chypre après l'expédition d'Alexan-
drie; obligé de ménajçer les K^ypticns. il avait porté toute son
attention sur les cOtes méridionales d'Asio Mineure et sur les
agissements des princrs turcs qui les occupaient. Ceux-ci
étaient d'abord resU's sur la défensive; mais, à la nouvelle
de l'attaque d'Ali'xandric, ils s'('t;iient préparés à secourir
le Soudan, et avaient équipé une iluttille destinée à remonter
le Nil jusqu'au Caire. Cet arinfment se faisait avec beaucoup
de hardiesse sur La cote de Caranianio, en face de l'ile de
Chypre. Informé à son retour de ces faits, le roi donna
l'ordre à l'amiral de chAtier Taudace des mécréants, et de
détruire leur Hotte. Les Chypriotes n'eurent pas de peine à
surprendre les Turcs près de Lescandelour, à les massacrer
et A brùlnr leurs liAtinieiits. Kiirouragée par ce facile succès,
la jeunesse guerrière vovdut pousser plus loin les avantaj.aw
obtenus, et l'amiral songea à profiter de ces dispositions
pour tenter un l'oup de main sur Lescîindelour '. Les premiers
ouvrages furent eulevés sans peine, mais le chAteau n*sisla;
les Chypriotes, remontant le coui*s du Mêlas '. qui se jette
dans la mer A quelque distance A l'est de la ville, se bor-
nèrent alors A ravager le pays environnant, et. après avoir
capturé tous les bAtiments qu'ils rencontrèrent, à rentrer A
Famagouste (fin de I3tj[>)*.
L'année suivante, pendant que les négociations s'ouvraient
avec TEgypte, celle-ci avait encouragé le grand Karaman, à
tenter surGorightis une attaque tléiûsive avec tous îestrou]>es
dont il disposiilL Klk^ es[K'rait ([ue cette diversion obligerait
Pierre i A dégarnir Chypre et A accepter les conditions de
paix qu'il lui plairait de dicter. Le roi. pénétrant le dessein
de l'ennemi, resta A Nicosie pour défendre l'ile et poursuivre
les négociations entamées avec les commissaires égyptiens.
1. Mas Latrie, Des relations. . . p. 504.
2. .Nous savons que l'éreiir de l'Kscandelour avait obtenu la jiaîx dn
roi de Cbj'pre; il est probable qu'il l'avait rompue pendant l'expé-
dition d'Egypte, et que cette rupture justifiait l'attaque dont la place
fut l'objet.
3. Ce fleuve est appelé dans les documents contemporains le fleuve
dit Seigneur Monongntî; r'cst certainement le Mêlas.
\. Mas Latrie, lie» reiations... p. 504-6,
EXPEDITION on CARAMANIK.
Il mit son frère Jean d'Antiocbo à la tête de rexpédition
de Caramanie. Sous le commandement de ce dernier, six
galôrcs, armées en guerre et portant des secours de toute
nature pom* la garnison de Gorighos. quittèrent Famagouste
au commencement de l'année I3i>7 (janvier-février). Elles
fêtaient mont(?es par trois cents archers et cinq cents hommes
d'armes on st^rgenU, choisis jiarmi les chevaliers chypriotes et
chevaliers étrangers. Ces derniers, qui avaient gagné îo Levant
à la nouvelle de la prise d'Alexandrie, étaient en majoriré,
et la France était dignement représeniée pannî eu\ '.
La première galère, rommandét* par le prince d'Antioche,
portait Il's Chypriotes: Simon Thiiioly, chambellan du roi de
Chypre. Jean de Morpho' et l'élite de la ni^Lilesse de Tile;
la seconde, sous les ordres du tricuplier de (Chypre, Jacques
de Noï*ès. se composait aussi de sujets de Pierre de Lusi-
giian ; parmi eux Jean d'ibelîn, Jacques Petit et un che-
valier anglais. Hubert le Houx, qui s'était distingué dans
les guerres anglo-françaises*. La troisième obéissait à Jean
de Monstry, amiral de Chypre, et à Guy le Uaveux, dont la
valeur était tenue en haute estime par le roi^ ; â son bord se
trouvait la fleur des chevaliers français, au nombre de vingt-
cinq, sans compter les écuyers ; c'étaient les sires de Nan-
touillet' et de Clairvaux, Foulques d'Arcliiac', Jacques de
Mailly ', Hobert le Baveux, tils de Guy, et Hcnaud le Baveux,
9on cousin. Saquet de Hlaru, Pierre de la Grésille, que Frois-
1. Mas Latrie {Des reiations... p. ôi)'i-lti| a raconté cette campagne
d'après Mâchant, qui donne sur ces événements beaucoup de détails
{I.a Priée dWUxnndrie^ \. 4'ii>4 56'i3). Machaut est la source princi-
pale pour toute rcrie période.
2. Voir plus haut, p. 125.
a. Grtuvcrncup de Villefranche, il servit dans l'armée du due de
LancBstre Oî*ti-'K piiis f"* capitaine de Cherbourg jusqu'en 1379.
Kn i3UG, il prit pari à l'expédition de l'rise (Froissart, éd. Kervyn,
xxin, 5'if.
4. Voir plus haut, p. 126.
5. Kenaud de iN'antouillot épousa Jeanne des Landes. Il réchappa par
miracle à l'incendie de la danse des sauvages en janvier 1393 iFrois-
iiart, éd. Kervyn. wn, 261-2).
6. Fils d'.\yinar m, sire d'Archiac, épousa Letice de la Marche (Froi»-
Hurt, éd. Kervyn, x.\, 103-4i.
7. On trouve un Jac()ues de Maîlly figui'er avec le titre de chevalier
et chambellan du rui dans les compte» de Jean de Percy, trésorier des
guerres, pour WVX {W Anselme, vm, 630).
CROISADE DE PIERRE I DE CHYPRE.
sart qualitic d' « appert iiommu ùs urmes durement » »,
Hervé le Coche qui servit sous le comte d'Alençon et le duc
de Bourgogne', etc. ^
Si cette galiire comprimait surtout des Flamands, des Bra-
bançons et des Bretons, le quati'iêmc bAtimoiit comptait aussi
nombre de chevaliers y:ascons, angevins ut bretons. Il «Hait
comuiandt> par Florimund de Lesparre, un capitaine gascon
dont le renom militaire el les aventures emplissaient l'Eunipe.
C'était, en effet, une lî^çure originale que crdlede ce seigneur,
dernier de sa race, allié à toutes les familles princiêros du
midi de la France, nu'lt» à tous les grands événements qui
ont rempli la dernière moitié du xiV siècle, et dont Texis-
tence fut remjdie do vicissitudes et de bizarreries de toutes
sortes.
La famille de Lesparre, puissante dans le Bordelais dés le
xn° siècle, avait maintenu sou crédit jus(]u'h rélévation. au
xiv" siédo, dos Griiilly ; elU» nisfa toujours tidéle aux rois
d'Augloten'e ; Fluriuiond, lils de Cénébrun iv au'iuel il .succéda
en 13G3, continua cette fidélité héréditaire, malgré d*éti*oit3
liens de parenté avec les Périgord et les Rauzan^ dont
rattachement au parti fram^ais était absolu. Le traité de
BK'tigny avait rendu sans emploi Tépéc de Florimond, et
le tempérament aventureux du seigneur de Lesparre s'ac-
uummodait mal de l'inaction; aussi accueillit-il avec em-
pressement Toccasion de repreiïdre les armes ; le voyage
de Pierre i de î^usignan à la cour du Prince Noir (13G1)
avait soulevé un enthousiasme général parmi les chevaliers
gascons ; Florimond s*était croisé des premiers ; sa femme
1. UdéfenditMoncoiilouron ia7U;de i:ï68à n;o, il reçut de Charles v
en Anjou el daii^ le Maiiiu det» terre» coiiH^quées sur des partisans
des Antillais. Il avait, en 1371, quatorze l'ïievaliers et 8oixante-troi>
écuyers bous ses ordres. Kri 1393, Il figurait ii l'armée du MansdVois-
sart, (Hl. Kervyn, x\i, -^32}.
2. Henri ou Hervé le Coche était sénéchal de Saintonge, et servait
sous le conite d'Alcnçon en 13'i0. Il faisait partie de l'escorte du duc
de Itourgogne quand celui-ci alla au-devant du roi d'Angleterre en
1396. Il fut nuinnit'i rapilaine de Saint Jean d'Angély le 29 octobre 1375
(Kr-oissarl, éd. Kervyn, xxn, 75; — Delislc, Matiflementi de CharUii V,
n" U75).
3. Nous ne citerons pas tous leâ noms donnés par les chroniqueurs.
Le lecteur les trouvera groupés par ordre alphabétique aux pièoeaj
ifîcalive:
COMPOSITION DK LA KLOTTE CIIYFRJGTK.
133
i*avait acrompafrné jusqu'à Avip^n^n'. Lui-mônic, avec ses
avonluriors, s'i'tait altuchë à ta fortune du comte do Savoie',
et c'est de CoustaiiUnople que, licencié après l'expédition
d*Auiê(iée VI, il avait accepté de prendre du service auprès
du roi de Chypre \
Sur la jçalèrede LesjKirre étaient montés Thibaut du Pont
< bou homme d'armes » au témoignage de Froissarl, qu'oa
vit eu Espagne avec le*» Compagnies, en Bigorre avec Henri
deTranstamarre, et qui fut tué plus tard à la halailh?d'AYmet
(1377) par les Anglais*, — Jean de Sovains, un chevalier an-
gevin, — le Breton Jean de liocheft^'t, dont le nom est mêlé
aux principaux faits de guen-edont la Brefagne fut le tlié:'itre
au milieu du xiv" siècle*, — et Bertrand de Grailly, bâtard
du vicomte de Benangcs,
« Hon rlievalier
_ • Cointe, apert. courtois et legier
« Uui aimme honneur et het de bas •*.
I/a cinquième galère, commandée par le Cordelier de Pui-
gnun, se composait en grande partie de chevaliers normands,
1. Ohain v, par une ludlo liu !'» mars 1365, accoi*da à Marguerilo
d'Astarac, femme (i« l'Ioriinond, labsolutiuM pl^niùrc rùscrv^e ordi-
iiairrmont anx crois<^s {Ua!)niiis, A'otice $ur îlontuonti, sire de tes-
fuirrc, Hoptleaux, 181.1, in-a-. passim).
2. Voir, au cliapitre «uivant. la croisade d'Ainôd(>e de Savoie.
.1. Florimond entra au service de Pierre do Lu»»ifj;iian vers le mois
Uwtobre !:i6(i. Il ne prit donc pas part â rexpi.''dition d'Alexandrie
{/.a Prise d'Alexniulrie, p. 'JKT, note fil»)-
I. Il fut aussi capitaine de Kochecliouart; il fit prisonnier Kustaclie
U'Auberticoiirt. attsista aux cuinbal« de Soubise, de rbiz»^ et aux sièges
lie Saint .Icaii d'AnKelj', de Iterval IVM'l-'A) et de BerKerac (i:(77). Il
mourut riMtenif"'!!!** unnt^e(Kroissart, c'(i. Kcrvyn, xxM, :i77: — Pelîsle,
MwuiemenU de CfinHe* V, n" 81 H; — Ma-s Latrie, Des relatiom.,.
p. A08I.
5. Jean de Rochefort avait rendu lionmiagp à Charles de Hlois à
Hennés en lH'it. Il assistait au combat de Mani-on, près Ploërmel, In
l'i août Ut52, du caM^ dos Kramais. Kn i:i71, il prit ])art h rexpAditiori
d'Allemaf*ne, uû il semble qu'il soit mort. Kn tous cas, il riait mort
nvani le 2" janvier l;*77. comme nous l'apprend un document relatif
n den bimis Bts à Saint I^t et dont la possession fut confirmée h sa filin
Jeanne de Rochnfori, femme do Jacques de la Coudroye, par le roi
l'Iiarlet* v (f^hrrmitfue normun'le, p. Jrtet 2%; — Chrottîtiuf. df.A ffuotre
prrmirrx Vtifoifi, p. 1\7-H; — Mundemrntx dr C/tartex V, tv l;i27|.
fi. Macliaut rappelle Iv-rtran dn Bcnaugcs, onde du captai do Bueh
(Art Priée d'Mtxandrie, v. 'i71i-7).
i
i:i4
CHOISADE nK PIKRRE I DK CHYPRE.
parmi lesquels d'Rstouteville, seigneur de Torcy', Basque-
ville, la Rivière, Friquans, du Puchay. Taillanville*, et deux
chevaliers picaids, le seigneur de Bellangues' et Jeau de
Cayeu '.
Dans la sixième et dernière fciilère, qui obéissait â Bremond
de la Voulte, ;'i rô(è do Normands tvinime Aimé de Cou-
tancos. Tribouiliard de Tribuuville, Huf^ues de Verneuil, de
Bretons comme le sire de Montboudiier', se trouvaient des
chevaliers siciliens, des nourfiruiirnonfi, Philippe de .Tauoourt*
et le snijrneur de Flavif^ny, el des llauphiiiois, les sires de
Sassenaj<e et de la Voulte".
Le ^2^ février I.'il»?, Jean d'Antioche quitlait Fama^'ousle à
destiuation de Goriphos avec quatre galères, laissant en ar-
rière les vaisseaux de Bremond de la Voulte et de Monstry
dont l'armement était incomplet. B avait hîtte de serourir In
place, que menaçait l'armée du j.'raiul Karaman, forle do
quarante-cinq mille hommes, et établie sur une Iiaute mon-
tafçne qui dominait le chiUeaii. au nord de la ville, dans une
position très forte. Le renfort qu'il amenait était d'un millier
de lances.
A peine débarqué, le prince d'Antioche (l\S février I;ï(i7i
fait une sortie dans l'uspoir de surprendre rennenii. mais
1. Nicolas, dil L'olart d'Kstoutevîlle, seigneur do Torcy, d'Kstoutc-
mont et de beyne, épousa la flllc du maréchal de Ulainvillo. I^n \'M\,
il était capitaine des gen.s d'armes du diocèse de Rouen; il mourut
entre l'tl'i et lUtt (V. Anselme, vni, 'j;).
2. Voir sur ces pcrsimnagos. plus haut p. 127.
a. Probablement Ouillaume de liellangues; il servait en Bretagne
en 1373; il était seÎKneiiP de X'imes en \*imeu [MaHânnenti de
Charles v, n" 0(57; — La Prise fi Ate,Tan(irie, v. 1738).
\. In Jean de Cnyeii défendait Tournay en !3in. La famille élail
issue dAmoid d'Anlres, spi^'nenr de r'ayeu, qui épousa Eléonore de
Varennes; un autre .lemi de (ayeii servait en 1386 dans ■ l'ost de
l'Escluse • (Kraissarl, l'-il. Kervyii, xx, 527).
5. Monibouchier est clans la jmroisse de VIgnoc (llle et Vilaine,
arr. de Iternies, caiil. d'Utile). I)*apr<>» M Kervyn de Ketlenliovo,
pn rencontre à l'éjaque qui nous occupe trois periionnu^es portant
ce nom : Alain, Jean et Louis.
6. rils rie Nicliard de Jaiicottrt et d** Marie de Villa.rnoiiï. Il servit
seus Coucy el fut conseiller du duc de liourgogne. Il avait i^pousé
Isabelle de lleauvoir et testa en 1392 (l'roissart, éd. Kervyn, x\U, 2),
7. Sassenajje (Uèro, uir, do (jrcnolilc). La Vowltc (ArdiVIie, arr,
de l'rivasj.
OPERATIONS MIMTAJRRR DEVANT GORIOHOS.
(»!ui-ri. instruit de celte maroho, détache un corps do troupes
considérable, et les croisées, accueillis par une grèlc de traits,
sont contraints de battre en retraite. Cet engagement ne leur
eiU coûté aucune perte sans l'iiiip;itienco de Floriniond de
Lesparrequi, mal|?ré la défonse du prince, inart-ha au devant
des Turcs ; son courage et celui de ses compagnons furent im-
puissatkts à compenser leur infériorité numérique. Dans celte
escaruiQUche, lui el Jean de Sovains furent blessés ; Thibaut
du Pont faillit être fait prisonnier ; un ècuyer < do haut
pris », Jean de Rochefori, et le sire de Bonanges le déga-
gèrent'; Lesparre dut rallier en (ouïe hâte sa petite troupe
et regagner la ville.
Lf* lendemain lundi, nne nouvelle bravade des chevaliers
étrangers faillit avoir les plus funestes conséquences. La ga-
lère de Monstry, arrivée de la vtMlle à Gurighos. était i*estée
dans le port ; ceux (jui la montaient, irrités de ce contre-
temps q\ii menarait de les empêcher dVtre les premiers à la
bataille, débarquent au nombre de cent vingt, et, sous laron-
iluitc de Philippe d'nmont', tandis que les chefs délibèrent
sur la conduite des opérations militaires, courent sus à l'en-
nemi qu'ils aperçoivent devant eux. Les premières lignes se
i*ompent devant rimiH'tuosité de leur attaque, mais les Turcs,
revenus d'une première surprise, les enveloppent bientôt.
Lfur situation devieiil critique ; ils reculent lentement >ers la
plage ; liu château, un grand nombre de chevaliers, parmi
iesqucU Jean Pastez, Guy le Baveux, Monstry, viennent à
leur serMUi*s. La mêlée est générale et sanglante; les tils de
Ciuy le Ilaveux. Jean de Uochefurt, Saquet di* lîlaiu, funt des
prodigeis de valetir et couvrent la retraite. Il faut que lo
prince d'Antioche envoie Koulqiies d'Archiat; et Bertrand
de IÎ4>nanges, porteurs d'un ordre lormel, pour faire rentrer
les croisés dans la ville.
Le» pertes des chrétiens, dans cette escarmouche, avaient
I. Mas Latrie (i>n Rrluliun» . . , p. 5101^ par Kuite d'une mauvais
inU'rpr^latioii du texte de (Juiltaume de Marltaiit, dit que Ip» riirt'ticns
IttÏMt'n'nt vingt mort.^ K«r la place; ce wiiit, en réalîlt'', les hiarrosinti
qui silhircnt cette p**rle.
7. ("^I:ut lo ItU de l*trrri\ illl IIuKtin d'Umunt. qui fut <^réé [mrle-
oriflatiiine en X'Ml. Il avîtit été fail prisonnier, ronmie son [)6re, par
h'6 Anylatii el fut nicheté coiume lui par Jean ir iFruifcsarl, éd. Kcr-
vjrn, XX, 207 ; — Mandements de Ciiarùs \\ n" 125;,
136
CROISADE DE PIERRE I DE CHYPRE.
été sérieuses ; parmi les morts Philippe d'Omont. Bonau de
Bon et six autres chevaliers ; parmi les bless«^s Pastez, Guy
le Baveux, Monstrv. Gober! rie la Hove, Monsart do Ucsijiny.
etc.; des cent \\u^i bommes de la f;alèrc de Monstry, à peiao
une vingtaine était saine et sauve.
Rendue prudente par rexpérionce. raniiAp, malgré l'an'iv^'e
de la sixième (galère, celle de Bréniond de la Voultis sp-
décide à attendre de nouveaux renforts avant de prendre
roffensive: elle s'eniernie dans le cliAteau, tandis que les
jjalères retournent à Chypre pour amener les secours; les
ordres les plus sévères sont donnés pour éviter le retcmr
d'accidents pareils à ceux des jours prérédonts. Un aussi
brusque changement d'attitude de la part des (Chrétiens tient
les Turcs en défiance ; les Chypriotes, occupés à soigner
leurs blessés, ne songent pas à rompre nno défonse dont ils
reconnaissent enfin l'utilité, et pendant huit jours on s'tdj.'jene
de part et d'autre sans agir.
Le neuvième jour (7 mars I3r>7). Florimond de Lesparre
remarque dans l'arméo turque un mouvement insolite: on
descend les pavillons, ou plie les tontes, et tout semble indi-
quer la levée du camp.' Prévenu par Florimond. le prince
d'Aiiiioche se décide, sans attendre les secours de Chypre. A
protîter de ce moment de désordre pour attaquer l'ennemi. Il
sort do la place à la tète de six cents combattants, divisés
en trois rorps ; lui-même, à l'aile droite, tourne la montaj^ne
du ciHé de rOrient. Florimoml de Lesparre exécute le même
mouvement vers la gauche, et Brcmond de la Voulto abonh^
la position do front, à roiulniit le plus escarpé. Malgiv une
gn'^le de traits, de ttèches onflatumées ot de pierres, U*s Chré-
tiens f^ravissent la montagne do pied ferme ; au sommet ios
trois corps se réunissent et parviennent, par une heureuse
manœuvre, à tourner les machinas de rruerre, à s'établir putrr»
elles et les Turcs, et à s'emparer des premiérf?s lenles
Après quoique repos, les Musulmans ralliés re\ieunent ai
combat; le prince d'Antioche, au centre, à côté de la Imn-
niére de Notre-Dame, soutient le choc principal sans faiblir;
ses lieutenants, à ses cotés, ivsisteut éj^alement avec uvan-
tafîe; vers le soir, l'émir, voyant l'iiititilité de ses l'AVuts ot
l'intrépidité des Chivtiens, se décide .h battre en retraite.
C'est le moment que le prince attend; une mêlée terrible
s'engagfc: excités par la victoire, les croisés poursuivent, au
MOTIFS DK LA KRTRAITE I>ES TLTRCS.
137
milieu du camp Iwaleversô, I03 Turrs qui cherchent en vain à
dèfenrlro leur vie; tout est massacrt' sans pitié; c'est un
spcf-tado affreux ; aux. cris iIiïs mouraiifs, au licnuisseuiont
dos chevaux, aux pleurs des femmes et au bruit des armes,
8*ajoute l'hoiTeur dune hitte nocturne. Rien ne résisle aux
efforts des croisés; la di'^faito dos infidèles est complète.
L'armée chrétienne, cepoudant, ignorait le motif du mou-
vement de retraite dont Florimond de Lespane avait si heu-
reusement surpris les préparatifs; assuréui^'nt olle était loin
do soupçonner la vérité. On venait d'apprendre au camp turc,
que les Mamelouks du Caire sVtaicnt révoltés et avaient assas-
siné le gra!»d bâcha; celui-ci ét;»it partisan de la paix avec
Chypre, et sa mort pouvait amener do j;raves complications
diplomatiques et militaires ; aussi le grand Karaman, voyant
l'effet que la iioiivello avait produit parmi ses soldats, avait-il
jugé prudent de se retirer au delà du Tanrus pour y attendre
en sécurité les événements. Le prince d'Antioche eut assez
de bonheur et un coup d'œil asse?. prompt pour profiter du
désarroi des Turcs et ri.squH* une action décisive. Lo succès
coaronna sa hardiesse; le buiin fut immense. Les secours.
dont le roi avait annoncé l'envoi très prochain, devenaient
inutiles, et après quelques jours iltt repos, pétulant Icsqutds
les honneurs funèbres funMit rendus en (grande pompe aux
Oin'tiens morts à l'ennemi, la croisade quitta Oorirrhos pour
rcfCaj^ner Chvpre fli'-ll mars i;iC7;, laissant quehjut^s ren-
forts dans la place \
On ne tarda pas :'i ressentir b*s ln'ureux effets de cette
virt«»ire; b; grand Fvaraman, cliciTliaut à se faire pardonner
son aj;ression, demanda la paix ; le roi, pour conserver toule
sa liberté d'action contre l'K^ypte, accueillit les ouvertures ili»
l'émir, et un traité fut courïu entre les deux princes. Les
Karamans, tant fjue vrcut Pif^rre i, n'osèrent plus inquiéter
le« ('hvpriutcs et la |irospérité commerciale de Oorifîlios st»
releva promptement.
L<"« néjçfociations avec l'Kj.'ypl)'. icprndant, étaictit enlrérs
dans une nouvclb* idiasf ; li's plcnipotciituiircs arabes, d'ac-
rord avec les commissaires cliypriotes, avaient aiTêlé les
articles rlu frailé ef éiaicnt allés b^s faire ratifier au Cair4'.
Une andiassade, envoyée ot conduite
enviiyee
1. Mas Latrie, Des HcUitions.
jiar le tricoplier
p. 51:
138
CAOISADB DE PIERKR 1 DE CHYPRE.
Jacques do Norès, accompagnait les négociateurs musul-
mans ; cUo ôfait charg-i^o do menor à biim l'tVhange des pri-
soiuiiors ; ce fut à qui on forait partie ^ Seuls Guy le
Baveux et ses tils, Robert le Roux avec ses doux écuyer»
Jean de Contes et Jean de Beauviliier, obiinrent du roi
rauiorisatitiu d'arcompaifnpr Jacfjucs de Norês ; un écuyer,
Jean de Reims, parvint aussi à s'ctuban|uer avec eux en so
faisant admettre dans reiitourage d'un des plénipotentiaires
chyprioles, le Génois Doganeo Caltnneo *.
Les c<insnilltTs du sultan et le potiplo penchaient pour la
paix, maia le flivan^ espérant lasser le roi de Chypre en
gagnant du lemps, reprit les négociations sons le prétexte
de la mort d'un dos principaux négoci?ilenrs '. Pierre i
refusa d'entrer dans la voie qu'on voulait lui imposer ; il n*a-
vail pas eucor<^ désarmé ses galères, et les chevaliers étran-
gers étaient encore pour quelques mois à sa solde. Il
demanda donc simplement la ratification du premier traité,
et jtour être prèl. eu cas do refus, à recommencer la guerre,
il réorganisa son armée et Iraita avec Tacca, l'émir do Sa-
talie, dont Th^islilité eût pu lui causer de graves embari'as
(mars-septembre \M1).
Lo divan, <epondant. pei^évéra dans sa conduite, et Pieire i
so mit en devoir de reprendre la campagne ; une nouvello
attaque snr Alexandrie était impossible, car la côted'Kgypte
était sur ses gardes; le roi se dirigea doue vers la Syrie avec
ïout*.^ sa flotte fseptend)i-e 1307).
An mouKMit de ipiitlor Chypre, se [troiinisit un incident
dont le sire de Lesparrc' élait la cause. Cassé aux gages avec
sa compagnie pai' Ir roi. pour des luotifs sur lesquols aucun
des écrivains rotileiuporains no s'est nettement expliqué,
Losparre demamla :i prendre part à l'expédition; voyant se»
services repoussés, il se retira fort irrité et envoya au roi,
par lettres des 3 et \ août TiGT, un cartel en règle» moyen
t. On espérait, au retour, pouvoir visiter le Saint Sépulcre et la
Terre Sainte (La Pn*e d'Airxantfrie, v. 5fir»r»-8).
2. C'est aux récits <1« Jpan ile Keims iiun Machaut dut la plupart
des détails de sum jKi^me. Lps autrrs m^gociateurs rliypriotcs fureiU
prubablrnieut les (It^ruMs Pierro Itacanelli H Jca» Imporialo \Hiiitaire
de Chffprr, u, 2y2-:t).
'.i. Vtiir It'R rlf^tails (le ces négociations Uansi Guillaume de Machaut
(/.« Prixe (VMej-anUric, v. 59U à 6630).
i
OpeRATIONS MIMTAIRKS A TKIPOU ET I. AIAS.
139
sinon respertueux, du moins chfvnlerosque de motiro fin îi la
quRrcll(\ La réponst» du roi no so fit pas attendre ; il écrivit
de son château du Quid ' (15 septembre 13G7) qu'il parlait
pour le. service do Dieu, mais qu'aussitôt la guerre tenuinéo,
il ri'pondrait à Paris, le jour de la sain* Michel de l'année
suivante (29 septembre I3GS). au défi que Lesparre lui avait
porté. Le champ c\o6 cependant n'eut pas lieu : le pape s'en-
trf^nit entre les deux adversaires et. après de longui.'s négo-
i-iations, obtint une réconciliation dans laquelle Losparre
s'humilia devant le roi et reconnut ses torts (8 avril ];^()8').
De pareilles suseeptibililés, nées le plus souvent de motifs
futiles, so jiroduisaient presque chaque jour, remlant Je
succès des expéditions d'outre- mer fort problématique.
Dahm la campagne précédente, l'indiscipline des chevaliers
ou leur bravoure irréfléchie avait causé à rexpédition de
gnives embarras, et presque compromis resisteiice do l'ar-
mée ; dauK la suite, nous aurons trop souvent roccasion de
>îi^Tialer des faits nnalogues et leurs conséquences désas-
treuses.
La flotte lit voile vei*» Tripoli ; après un débarquement
Iieureux, les croisés contraignent les Sarrasins :'i se replier
dauï* la \ille, y péuètreut à leur suite et la livrent au pillage
{'i9 septembre 1307). Tortose. Laodicée et Bèlinas subissent
le même sort. Le roi irArménie a donné rendez-vous â
Pierre i devant PAïas, enlevée aux Arméniens i>ar les Turcs;
ceux-ci sont chassés delà ville après un sérieux combat, mais
le château résiste aux efforts des (Chrétiens ; le roi d'.Vrménie
ne se montre pas comme il l'avait promis, et après huit jours
d'atteuïe, dans la 'Tainte d'être surpris par les gros temps, le
roi de Chypre se décide à regagner ses étals (5 octobre I '107),
Le retour do Pierre i dai»s l'Ile peut élre consi<léré comme
la Hn de la croisade ; ce n'est pas que le roi ait renoncé à
poursuivre les opérations militaires, mais ses troupes sont
tnïp affaiblies pour supporter les fatigues d'ime plus longue
ram]iagno. Il faut, pour la continuer au pnntpm[ts prochain,
demuuder un nouveau secours â l'Occident; Pierre reprend,
I. O rliÂteau éluîtsilué au village de Kili iCV/iunil pri^8 de lu nier,
ik l'ouest df Liirnaca et de la Si'ala.
î. Tt't èjiiwxle ost raconté avec beaucoup de détails par Murliaut
{La Prine d'Alej^andrie, v. 7iOO à TV35;.
DE CliYPRK.
dans ce but, le chemin de l'Europe (octobre 1367), mais le
Saint-Siège se refuse à autoris^^r une srcondo croisade, dont
l'échec est certain en raison de l'état politique des cours
européennes. Il engage le roi à renouer des négociations
de paix avec le sultan, et les instances d'Urbain v, jointes
à celles des villes maritimes de la Médiferranêe, sont si
pressantes qu'elles triomphent de la ivpugnance du prince;
des ambassadeurs (2i juin 13*18) sont envoyés au Caire et
y concluent une trêve, prélude ihi traité qu'on négociait
depuis deux ans entre Chypre et l'Kgj'ptc'.
Telle est, dans ses grandes ligues, l'expédition de Pierre de
Lusignau ; c*est la preniièro, depuis la chute de Saint Jean
d'Acre, qui mérite le nom de croisade. Kut-elle les résultats
qu'on était en droit d'espéi-er de succès très réels remportés
sur l(^s infidèles ? Il semble que les premiers ne répondirent pas
aux sofifuds, et fui-ent liDrs de proportion avec les sacrifices i^ue
s'imposa le royaume de Chypre. Il y a plusieurs raisons à ce
fait : la première est le manque d'ensemble des efforts tentés ;
au lieu d'une action continue, unus assistons ù une série de?
tentatives, heureuses il est vrai, mais sans lien enti^e elles ;
la seconde cause tient à la difficulté do recruter les combat-
tants, à l'instabilité des cadres d'une armée soldée pour un
temps très court, et à rinrliscipline de troupes composées
d'éléments hétérogènes. Mais la principale raison, celle qui
domine l'histoire du Levant au xrv" siècle, est rnppnsition
systétnatique des états maritimes de la Méditerranée à toute
croisade ; on sait les motifs de cette politique et on en connaît
les conséquences; la croisade de Pierre i conlîrme. une fuis
de plus, les uns comme lus autres.
I. Mo latrie, ffrs Hctations.,, p. .M6-B. Les instructions de»
amliassodeurs sont du "20 mai i:WS à Nome i7/ï»/o/rr de Chypre, n,
ao'i-KK Pierre arintnira le m^mo jour à son frère la reprise dos n(>K**-
fiatiuns. Suivant Maclicra et Strambaldi les pléni|>ut«ntiairos par-
tirent pour Alexandrie le 21 juin i;**)8.
Parmi ](»s prince:* tjui avaietit pris la croix a Avignon, ip
vemiivdi .saint de l'année i:Ui:î, entre les n»ain.s il» pape
Prbain v, le comte de Savoie, Amédéc vi, s'était distingué
par l'ardeur de son zèle et renthonsiasme de sa foi. Mais,
eoiuuie le roi <le France, il s'était inipnnleniiiient engagé; le
soulftveiuent suscité dans la vallée d'Aoste par le marquis do
milices, an mépris des tniités, et la présence dans le Cana-
rèse ï d'une compagnie d'aventui'iers anglais, i\ui menaçaient
la sécurité du pays, avaient obligé le comte à différer la
réalisation de ses promesses, et à laisser le roi de Chypre
s'cmlianjucr seul à Venise (juin 13t>r»).
Amédéc, cependant, n'avait pas renoncé à ses projets. S'il
s'était vu enlever j>ar le pape toutes les concessions ecclésias-
ti<ines faites i*n faveur de la croisade, s'il avait été obligé de
n'slituer au légal apostoliqnis les sommes déjà perçues', ii
n'en persistait pas moins ilans le dessein de passer en Orient,
i.'t (Paccomplir, dès (jne les circonstances le permellraîenl, le
Vfpn sidennel qu'il avait coiitraclé â Avigimn. En outre, les
liriisdeparcnti^ qui Punissaient à la fimiille imi>éiiale de Cmus-
tanlinople, le désir de soutenir le Ironecliancrlnnt des Faléo-
l«»gues, raffermissaient dans sa résolution. N'étai1-il pas riadi-
nd qu'Amédée secourut son cousin germain" contre les Utu»-
. On désigne ainsi la partie du Piémont comprise entre le Pô, U
l><jire-lkiltée et la Sture.
■£. '11 janvier 1^65 (Uatta, Spedisione m Oriente di Amedeo vi, Turin.
1826, Jn-8^ p. 21). Ce légat était Llilles de .Montaigu, cardinal du titre
tic S. Martin in Montibm.
3. Aymon, jMTe d'\niédée vi, était frère de l'impératrice Anne,
tuére iÏh Jean Paléologue.
142
CROISADE T> AMRDHE \l.
malts lie jour en jonrplu-s menacaiits? Le Levant n'avait-il pas
un Mttraît partîculioi' pinir un prince dont la maison tenait
«risabelkî do Villidiardouin dos droits sur la principaiitt»
d'AcîiajV, droits l]iéuri(iuo3, il est vrai, mais qu'un sucoès des
îiriiiHs t'InV-lit-niios en Orient pouvait rolevor cl faire renaître?
Mal^nt*' le peu d'écho que ta prédication île la croisade avait
renconirè en Kurope, les efforts persévérants du Saint-Siège
a\!deiil aijouli à la formation d'une ligue partielle. L'empereur
d'Allema^'ue, Charles iv. était venu à tlcnève pour ^v euuférer
an comte de Savoie le vicariat impérial sur les évèchés de
Lyn, Lausanne. Genève, Aosle, Ivrée. Turin. Saint Jean de
Maurieime, TarenUuse. Belley, MAcun et Grenoble, et accom-
pagné d'Aniêdée vc, s'était dirigé vers Avignon. C'est là,
dans di's rDnfêrcin'es nninlnfuses avec Urbain v, que furent
jet<'-^s les bases de rexjKniiti'Ui. Après avoir arrêté, de con-
cert avec le pontife, la conduite que connnandaient les
événements d'Italie et les excès dest gi-andes Compagnies,
reinpereur s'était piéncoupé de l'état de li^mpire de liyzance.
En prësence du 'langer commun, Jean Fatéologue s'était
rapproché du roi de Hongrie, et l'intervention de ce dernier
était as3m*ée aux Grecs ; Charles iv, à son tour, promit à la
croisade son appui personnel et les secours des princes chré-
tiens sujets de l'empire.
Ce n'étaient là malheureusement que des promesses ; on
avait trop bien auguré des dispositions de Jean PakHilogue, et
de l'accueil fait par lui aux ouvertures des cours chi*étiennes.
Menacé de toutes parts par les Turcs, Faléologne, pour être
secouru, avait accepta' en principe toutes les conditions qu'on
lui avait imposées, parmi lesquelles la principale était le retour
de l'empire gi'ec à la foi rtpostoli(|ue et rnuiaine. Louis de
Hongrie, avait, comme le pape, cru à la sincérité de ces pro-
testations, que l'empertmr do Byzimce était personnellement
venu renouveler à la cour de Hongrie; il avait redoublé
d'efforts pour renth'e ilécisive la campague de llitîtî, qu'il se-
pnqiosait d'entreprendi-c sur terre'» tandis que le comte dei
l. Le roi de Hongrie avait fait pour la campagne do 1365 de grands
pn^paratifs; )e manque d'entente avec les cours m'cidentales les avait
remlus inutiles, et le roi s'était borné à mettre eu déroule les grnéraux
(le Sracimir, prince de la [iulgarie oi-cidentale. il avait pris Widdin, fait
prisonnier Sracimir et sa femme, qu'il avait internés en Croatie au châ-
teau tle Gumnik, et nommé le voivode de Transylvanie, Denis, gou-
CAMPAGNE DC ROI DE HONGRIK.
Savoio (levait tonter imo expédition maritime dans TArchipcl.
Pondant que Paloulogiu* était en Hougi'in, ses ambassadeui*s
se rendaient aupivs du Saint-Siège, et entamaient des uègo-
oiations dans lesquelles la manvaise foi byzantine ne tai'dait
pas à se montrer. Elles reniplirent lés premiers mois de
["année 1360. L'abjuration, demandée par Urbain v en février
1360} s6 faisait toujours attendre; en juin, elle n'avait paît
encore eu lieu, et le pape, se rendant compte du mauvais vou-
loir de la cour impériale, écrivit an roi de Hong:rie (1"
juillet 1366) de surseoir à toute opération militaire tant que
Tenipereur n'auriiit pas uiis fin au schisme. On espérait ainsi
fiU'cer Palérilogue à tenir ses promesses.
Mai.s il était trop tard ; les Hongrois sVtaient mis en mon-
Yement, ils avaituit niarohé contre Jean Sisnian. prince de la
ulgarie centrale', allié des Turcs, qui a\;ut attaqué le nou-
veau bnnaC hongrois. Les débuts de la campagne avaient été
favorable-s aux armes chrétiennes; Louis, uni aux forces de
Vlajko, voivode de Valachie. boau-frére de Sracimir, avait
battu Sisman et les Ottomans'; de sou côté, le comte de Sa-
voie avait pris la mer à Venise sans qu'Urbain v jn'it l'arTéler
avant stui départ ^.
L'entreprise du comte do Savoie était singulièrement
Lanlie ; comment un prince, réduit â ses seules ressources,
avait-il, à titre pour ainsi dire privé, arjué une flotte et
un corps expéditionnaire, et s'était-iK avec plus d'amlace
que de raison, engagé dans une expédition d'ime témérité
pn'sque folb'^ Four expliqut^r sa c(»n(luite, un doit tenir
compte de l'activité belliqtK^nsc qui animait alors l'Occident,
et des idées politiques et militaires auxquelles 11 obéissait.
C'était le temps des grands coups dVpée et des brillantes
pa.ssf^ d*arnies. Pouvait-on faire mieux que de diriger conti'e
verneurde \Vi(lilin(Jirprek, Ge*ch. der Bulgaren, Prague^ 187G, p. 326;
— Szalay, Gexch. (Jntjarn's il, 274-5.)
1. I.a iiulgiiric était alors divisée en trois iMats: ta Bulgarie nrciden-
ta,|n, rapitnie Widdiii; la Hulgarie centrale, rapilale lirtutvo, et la
tUilgarie orientale^ composée des provinces avoistiiant reml>ouehtirf'
<]ii Oanube.
1. Jirecek, GtscH. der Butgareriyp. 327; — Sxalay. Gese/i. Untjarnsj
II, 275.
:i. tiatia, 5/)(?(/iîiofie. .., p. 2i-32; — Kpssier. GeAvhichtv ivm tîn-
yam ilrojl. par K. Klein, Leipzig, 1869». ii, 153-5.
141 CROISADE d'aMKDEE VI.
les infidèles l'ardeur dont chacun <^*taiL enflammé? Fallait-il
déployer dos forces considérables pour une campagne d'escar-
iiïouchns et d'incursions sur le littoral ennemi, la seule ijue
comprit la stratégie du xiv" siècle? Etait-il même besoin de
renforts considérables pour relever les affaires et consolider
ir (riiue de Jean Paléologue? N*avait-ou pas vu les Catalans,
avec une poignée d'hommes, tenir en échec les Grecs et les
Turcs? Lescxpluits d'une poignée d'hommes, conduits par un
capitaine vaillant <'t ê|)roiivé, tel que h* comte de Savoie, ne
pouvaient-ils suffire â arrêter les progrès des Musulmans?
Ces considérations, si elles ne justifient pas la résolution
d'Amédée, l'expliquent dans xme cert.'iine mesure.
Au point de vue financier, l'expédition trouva des res-
sources dans les décimes )[iie le Saint-Siège imposa pour six
années à la Savoie ( I'"" avril 1 31)3; ; le produit des dons et legs,
des aumônes et restitutions faites à l'église fut attribué par le
pape â la croisade pendant la même période ; mais Amédée
avait besoin d'argent coiupt;int. Des banquiers de Lyon se
substiiuèri'iit aux droits du prince et lui avancèrent dix nïille
florins ; eu outre le comte engagea son argenterie. Les habi-
tants ne furent ainsi astreints à aucune contribution extraor-
dinaire; s(Mils leurs dons vob.»ntaires, unis aux revenus
ordinaires du trésor de Savane, procurèrent à Amédée les
sommes dont il avait l>esoiu *. Au point de vue spii'ituel. la
papaut-é concéda aux croisés les avantages et indulgences
d'usage'.
Le corps expéditionnaire se composa d'éléments divers; en
première ligne les gens du comte, c'est-à-dire les vassaux
directs, ceux qui tenaient les fiefs que le suzerain n'avait pas
ctmcédés et dont il s'était réservé le domaine utile; puis
les contingents que la loi féodale obligeait les .seigneurs
à fournir ; mais comme cette obligation ne s'étendait pas à
une expéditi<»n entreprise hors des états du comte, ces con-
tingents reçurent une solde. A côté de ces troupes, à pro-
prement parler savoisiennes, se placent les troupes auxi-
liaires ; on comptait parmi elles vingt-huit hommes d'ai'mes
nllemunds levés pai* daleas Visconti, beau-fi*èi*e d'Amédée,
1. Datta, Spedisione,,. p. 40-'i3. L'argenterie du comte produisit
une somme de sept cent soixante-dix-huit ducats d'or de Venise.
2. Oatta, Spedizione...^ p. 't'I.
COMPOSITION DE L AAMEB D AMKUIiE.
et ApjkUrteuaiit probablement â la compugnie (rHeiiiu'fniiu
BtirgraU'i) ', el tous les guerriers que le zèle de lu croisade
attira sous la bîiuniêre île Savoie. Enfin Amédée prit â sa
sold<* des coiupagiiies ùtriuigères, raïuassis d'aventuriers de
tontes iiiitioMs ; sans emploi depuis la paix d<? Bréligny, elles
d^'solaient 1« midi de la France et l'ilalie seplentriuuale. On
avait cherché, à différentes reprises, à entraîner ces bandes
dangereuse;» hors do France, mais sans succès'. Elles étaient
un danger permanent p<!ur une partie de IFurope, et plus
d'un évéuomeut de celte époque ne s'explique que par la
crainte qu'elles inspiraient et par les efforts tenté,s pour les
'éloigner. Amêdée eut dans son armée un certain nombre de ces
coujpagnies, nutammcnt une compagnie anglaise r.nnimandée
par deux, aventuriers du nom de Lebron et de Guillimme. et
une cumpagnie française sous les ordres d'un coimélabli' *.
L'îinnêe d'Amédèe comprenait un assez grand nombre do
Français. A la lin du xiV siècle, le sentiment des nationalités
élail, il est vrai, encore assez confus, cl ce Icrmi' de Fraui.ais
n'avait pas la signitlcation que nous lui donnons aujourd'hui.
Pour U plupart, cependant, les sujets du roiule de Savoie,
sous la suzeraineté plus nominale quri rétdic do Tnmjjire d'Al-
lemagne, se rattachaient, malgré rindépendance dont ils
j<»uissaient. p.ar la langue comme par les mœurs et les
attaches de famille, aux. provinces françaises et bourgui-
gnonnes qui h.'s entotnaient. Il suftîl de pai'courir les noms
lies seigneurs qui suivirent Amêdée eu Orient pour se con-
vaincre de ce fait. Des huit chevaliers de l'Annonciade* qui
se enlisèrent en 1300, Jean de Vienne, seigneur de Roulans,
plus tard amiral' de FranceS Hugues de Chàlûus, seigneur
I . T^ri 1364, Gatéfts Viscotiti avait offert aux Pisans contre les
FlomitiiiK rapj)ui d'Ilcnncquin Borgraten.
2 Vuir plua liant, |»agc 121.
3. Dattu, Spedhione... p. 46-58.
4, L'ordre de l'Annonciade avait été créé en 1^2 par les comtes do
Savuic. \\. le marquis de Loray (Jean de Vienne, p. 36, note) reporte
i I3C>G la fundaUon do cet ordre, â l'occasion prôcisùment de l'expé-
dition tl'Amôd^c en Orient^ et appuie son opinion d'arguments qui nit!**
ritent cPôtre pris en s^'^rieiise ronsid^'ration.
b. Jean de Vienne, né vers lUU, tils de Guillaume de Vienne,
iir de tfoulans (prt»8 de lïesnnron) et det^'laudino doC'liaudeney,
tilcvint hire df |{o;.la;i.> l'ii l;i.V.» par lu inorl de son piTc. II lit sc^ pre-
H6 CROISADE lïAMKDÉE VI-
d'Arlay'» appartenaient à la Bourgogne ; Rolland ilo Vaiss;^'
était un geulilliouimt'fluBourlionuais'jGnillauiijedoChalaiiiuiit
un des principaux seigneurs du pays de Donibes'. Elienue de
laRanme, l'uiniral de la croisade, possédait les seigneuries t\t^
Saint Denis en Huy^ey et de Cliavanni»s cti Frjiuclie-roml'*, el
GidlUiuiue de Granson se ratlnt-liait à la Bnurgngne par la
terre de Sainte Croix d(mt il était seigneur*. Si ncais |M»Hr-
suivons (:);t examen, nous voyims figurer iiarnii les riiiu|hi-
guous «rAmédée Loui.s do Châloiis, un bourguif^Miou, fivre du
seigneiu' d'Arlay*, les seigneurs de Saint Amour* et do Va-
mières armes contre losTompaRnies anglaises et navarraises, prit part
h la bataille do Brignais (1361), délivra quelque temps après fvcrs l:ï6;*)
à Cliambornay la Bourgogne des routiers qui l'infestaient, et passa
dans Ip8 années suivantes au service de la Krancn. Il comlmttit i
Coclierel (I36't) avec Du Guesclin, el fut nommé maréchal de l'armi-e
chargée s«us les ordres du duc de Bourgogne de rt'duire les pla<*es de
la Beaucc. Nous le trouvons à la bataille d'Auray (28 septembre I3fi4i,
et en janvier suivant (1365) il est présent au siê>;e de Nojçent sur Seine
occupé par les routiers. Au moment uù il suivît la bannière d'Amédéc,
sa réputation do c-ourage et de valeur commençait à s'établir, et faisait
présager les hautes destinées que l'avenir lui réservait (Marquis de
Loray, Jean rfe Vienne, passim).
1. Fils aine de Jean de Chi\îons et de Marguerite de Mello- !l
épousa Blanche de Genève et mourut vers U90. C'était un des princi-
paux seigneurs de Bourgogne; la maison de Chàlons était une des
plus puissantes de la province (Kroissart, éd. Kervyn, xx, 533).
2. Le '21 juin 1364, Rolland de Vaîssy, de Savoie, recevait diverses
confirmations du n>i île France concernant le péa^e de Saint Sym-
phorien (probablement Saint Syniphorien sur L'uise, départ, du RhAnc)
et la chàtellenie d'Ozan i^probablenient dans le ^iépart. de l'Ain,
commune de Pont de Vaux) (L. Delisle, Mandemeni» de Charles i",
n» 34).
3. Guillaume de Chalamout, seigneur de Meximieux (Ain, cant. de
Trévoux) et de Montanay (Ain, cant. de Trévunxl, fils d'Etienne de
Chalamout. Le mariage dt^ s:i tille unique porta eu 1383 ces deux
seigneurieK dans la maison Maréclial.
4. (îrauBon est dans le pays deVaud; Sainte Croix est près de
Louhans (Saône et Luire).
5. Second tils de Jean de Chilons et de Marguerite de Mello; il
épousa Mai^ucrilc de Vieiuic. Il avait été fait prisonnier ii Briguais
(1361), assista h la bataille do L'uchcrel (1364; et fit partie de larTnée
du duc de Bourgogne contre les Navai*rai.s. Froisj^arl le fait, à tort,
assister au siège d'Ardres en 137"; il était déjà mort à i-ette époque;
sa mort, en eÔet. eut lieu en 1366, pendant la croisade d'Améitée VI
(FruissarL éd. Kervyn, xx. 533).
0. Km 13f;3 <I2 juillet) Je&n de Saint Amour avait acheté d'I^tienne
raiiiboii' ou Bi-csse, tl'Aix', de Viriou' et de Clermonl' en
D:iuphiné, des Gascons. Floriraond de LeapaiTo" et Basse!*,
«•I I.Hiil d'autres dont l'origine est esseutiellcmeut française.
On [HMit di>nï% sans U'mérilH. ratliicher la cioisade du comte
d(^ Savoie aux expéditions françaises qui eurent au xiv* siècle
l'Orient pour objectif.
Il est assez diltieiïe de préciser l'effectif des troupes
d'Amédée, Nous connaissons les noms de quatre-vin^'-t-nenf
cli*naliiM's servant sous h^s ordres du comte, mais ce chiffre
n'est pas complet, et ne c<»mprend ni les combattants isolés,
étrangers à la Savoie, soldés par leurs suzerains ou com-
battant sans solde, ni les contingents mercenaires ; en outre,
cba4jU(- ch(»\alii'r réunissait sous sa bannièn^ un noEubre va-
riable d'écuyers, tanlôt quatre, tantôt douze; d'autres, comme
Lesparre, Hujiues t'I Louis de Cbâlons, éliiienl suivis d'une
trentaine ou même d'une quarantaine de gentilshommes. Dans
ces Conditions, l'évaluation est assez difficile, et il faut pour
rétablir recourir à mie autre base. Le lecteur verra plus bas que
rexpéditjon s'embarqua sur quinze galères ; nous savons qu'à
île la Baume la seigneurie de foligny (Ain, arr. de Dourg, chef-lieu
de c;itiloiif. (Iliiîllaril lirêholles, Titrcsde Rourhon^ n" 2877.)
1. Olte seigneurie, située dans l'Ain (canL de Pont d'Ain) appar-
tenait à la famille de la i'aUid.
2. La seigneurie d'Aix est dans la Dr6rae {arr. et cnnt. de Die).
3. Jean de Graslée. seigneur de Vîrieu. Groslèe est dar?s l'Ain
[arr. d« Belley, cant. de Lhuis) à 2 kilomètres du Hliône. — Virieu est
lans l'Isère larr. de la Tour du Pin).
k. I.e titulaire Hait Aymar de Clermont, seigneur d'Hauterive en
l>auphiné. second fils d'Aymar n et d'Agathe de [*oiiiers. Il servait
m I36'i souA le duc de Itourgogne et sous le comte de Tancarville
\y. Anselme, vm, 910 et 921).
5. .Nous avons donn<^, au chapitre précédent (p. 132-3% quelques
d<'*tAils sur ce personnage, une des figures les plus curieuses de cette
lépoiiuH. Klorimotnl «"l'-laitoroisi^ des premiers à l'appel d't'rbain v. Il faut
Mipjt'JAer qu'iHi obiitaeje imprévu l'empêcha, avec le corps de troupes
|ui raccompagnait, de rejuindre à Venise le roi de Chypre au mo-
ment où ce derriÎHr s'embarqua iwur l'Oriont (juin 1365). II ne aiiivit
pa» en prince à Alexandrie; mais quand Araédéc vi rassembla ses
•trïupf'*!. il se hâta de se joindre à elles (27 mai 1366) à Pavio (V. I>alta,
Sp'^ùisioiie. , , p. 2651,
6, tin sire de lULxsetjuuadanti le parti anglais, au milieu du xiv* siècle,
Bn r^le considt'^rahle. Il s'appelait Rauulet et mourut en 1390. Il est fort
probable qn*' r'esl I*» m<^mn perwHmft'.'e que eelul dont 11 est ici ques-
tion trr"»i''>ni't, ni. Kcrvvii. N\. 2(ii).
*
i
148
CROISADK D AMEDEË VI.
cette époque* on avait l'habiludo do calculer que chacune
d'elles pouvait transporter vingt-cinq clievaliers ; si l'on es-
time à quatre ou cinq hnnuiies chaque hince garnie, on ar-
rive au chiffre de mille cinq ceiUs à mille huit cents hommes,
sans c«»iapler les (équipages des navires V
Aniêdée quitta ses états \ers le milieu du mois de mai
(lytîli); soixante seigneurs l'escortèrent jusqu'au lieu d'em-
barijueinetd. Le 27 mai il élait à Pa\ie, mi Tavaient préeV'tlé
les gens de son hôtel, ("'est dans ciUte ville qu'il enrôla Les-
parre. Hugues et Louis de ChAlons avec leurs compagnies.
Pendant son séjour à Pavie, le bapléme d'une pctile-HlIe de
Galêas Visconli', à laquelle il servit de parrain, fut locca-
sion do fêtes magnitiques. Quelques jours après, lecouile prit
larou(e de Padoue, et atteignit Venise le II juin 13GG^
Guillautae de Granson y avait précédé Amédée, dans le Imt
de concentrer les troupes, et de faire les derniers préparatifs.
Quand le comte arriva, tout était prêt; quinze galères aflcn-
d.iicni dans le port le moment i\e mettre â la voile, (^nte
flotte de transport n'avait pas été facile à rassembler ; malgré
les lettres les plus pressant^^s du Saint-Siège, les républiques
de Gènes et de Venise, peu soueieuses de fournir les navii-es
nécessaires à l'entreprise, n'avaient prêté aucun concours
aux agents d'Amédéo. Ceuï-ci avaieut dû s'adresser diivc-
tement aux armateurs de Venise, de Gènes et de Marseille
et fréter, aux dépns du comte, hi totalité des hAtimenta*.
Six galères appartenant à des Vénitiens, six galères génoises
V. Guillaume de Machaut. Pvtie d'Alexandrie, v. 4602-4.
c En la galée dont jn vous conte
I Vinj^ cinq diovaliers par conte
I A voit, que tous vous nommeray. t
2. Datta {Spcdizîone. .., P* l"y-2*>5) a donné le compte du tn^sorier
des guerres d'Amédée vi; les noms des pi-inoipaux croisés y Hgurent.
3. Otte enfant avait ]K>nr ptrrc tialêas et pour luère Isabnllp de
France. Klle fut dans la suite la célèbre ^'aIentine de MilaUj femme
du duc U)ni8 d'Orlc^-ans.
\ . Datla {iSpedizione , . . , p. 70-9) réfute le témoignage d« Guicheiion
{//l'gtoire yén^ahgifjnc de Savoie) qui place à ce moment une cam-
pagne d' Amédf^e vi contre IMiilippe d'.Vcliaïe, campagne qui n'eut lieu
que jK)slérienrement.
5. L'einj>ereur l'iiarles iv n'avait pas tenu la promené faite à
l rlriiin V de jwurvoir uux frais de transfert des secours envoyés à
IVinpiri' :;rec.
I
DEPART nE VENISE.
pt trois grands bMiments marseillais avaient él<^ réunis'. On
y onilKinjua l'armée et on ia partagoa en trois escadres. La
première, composée des galères gt^noiscs, devait former
i'avant-ganle et jouir d'une assez grande liberté d'action; elle
était sous le commandement d'Etienne de la Baume, nn des
serviteurs les plus dévoués du comte, auquel le titre d'aniiral
eu chef de l'expédition venail d'être donné par Amédée'. La
siwonde division, celle du centre, comprenait les navires vé-
nitiens; elle portait les seigneurs de Savoie et leurs vassaux.
et olK^issait au prince et au maréchal, Guillaume de Mont-
mayeur ': c'était Tèlite des troupes, et la plus forte des trois
escadres. Le seigneur- tie Basset, avec les galères de Mar-
seille, commandait l'arrière-gardo ; ])armi les éléments dont
il disposait se trouvait la compagnie allemande aux gages do
Oaléas Visconti.
Toutes ces disposition!* prises, Amédêe. après un court
séjour à Venise consacré à visiter les églises les plus renom-
mées et â mettre la croisade sous la protection divine, s'ein-
hantua à Saint Nicolas de Venise, et mit à la voile vers le
eOjuin 13ti(i'.
Le 23 juin, à Pola, la flotte complélaît se» armements, el,
t. l.c nombre des marins composant les éfiiiipagcs do ces navires
^Uii triS vîirialik'; nous lo oormaissons par les comptes du trt_^soricr
de Savoie d'atta, Spuiitzionc ., p. 6U-2).
'1. Il <^tait lils naturel d'Iiltienne u de la Baumo (Voir plus haut,
p. lifii. Kn I3ô;ï, il avait éU) onvojM^ en Aiitrichp jjour (•oncltire une
alliancr avec le duc Léopold; en IHôy, il recevait d'Amcdï'*»^ v vingt-
cinq livres de rente en fonds de terre au village dAlli^'na. 11 fui
compris dans la première promotion des chevaliers du Collier. Do
f'tuur (l'Orient, il força, de ronceti avec t'iaspard do Muntmaycur, le
due de Milan, (ialéas Visconti» ;'i lever le slè^'c d'Asti, et comlutsit avec
tHlion de Bruiiswirk et Iblet de Clialant, l'avant-pardn de l'armée
aavoisicnne à la journée dans laquelle Auiédéo vi hattit Wm Milanais
apn'i la levi^e du aic^e. Kn llW.'t. il asKista au tniilé de paix entre
Amêdén el l^douanl de Iteaujeu. f^ii i:i*tU (8 mail, il lit jtartie du
conjM'il de tutelle, nommé h la mort d'AinZ-diV vi, aouti la ju-^sidefice
dn Honne de tiourlMJii. Il lesla en \'.i'M et en l'i02; il avait t^jKJusé l-'raii-
roisc rie lliu'în ((iuieliMrmn. /fUtoire tir Brrsxc et fie fiut/ry, 'A* p., p. 20).
:i Seifçneur de Villar Salet et de (lysans au pays de Vaud^ un
des serviteurs l»w plu» dt^voués d'AnM''il(''e vi. N mourut vers l.'IHS.
4. iJatta, Speiiiziotie..., p. 79-8«>. \oui> ne savouR pits la date pr^-
ci«' de la levi^e de raiicre; elle est iw!it)''rieure au 19 juin et antérieure
au 2î ; ce jour-là la flotte était devant Pola.
150
CROISADE D AMKDKE VI.
côtoyant les côtes rio Dahnatic arrivait à Ragitse lo l""^ juillri.
Les Itabitants, tant par crainte des Sarrasins dont ils avaient
à redouter le daiigerenx vaisinagi' en Grèce, que ronime par-
tisans do Louis de Hon^^ie, iillié du cnmte de Savoie, tirent anx
croisé» un acriieil cordial. En quittant Fiasse, Aniédêe touclia
à Corfou (G juillet) et à Modnn M7 juillet*. Le surlondeinain,
il était à Coron (19 juillet).
La guerre désolait alors les environs de la colonie véni-
tienne et menaçait tnême de l'atteindre : rarelievêque de
Fatras, Angelo Aoeiajuoli, et rinipéralrice Marie de Bourbon,
mère et tutrice d'Hugrucs do Lusignan, se dispubûent ta
Morée. Le premier veiiriit de nieltre le sièj^e devant /onr-hio.
une dos meilleures placer de rimpératrice, qui en avait
confié la défense à Guillainno de Talay, cliâtelain de Cala-
niaLi. rfdui-fi se liAla d'implorer et d'olnenir l'inter-
veulirjn d'Aiin''dée. Quelques jouis sutïireiit pour iueru>r à
bien les négociations. Amédée disposait, en effet, de forces
assez redoutables pour imposer f;ieilenient sa volonté aux
belligérants; \{\ '21 juillet, sa méilialion accomplie. Il conti-
miait sa route, passait à l'ilo de Saint Oeorj^es d'Albora ',
visitait le cap Suuiurn et les colonnes du temple de Minerve,
et ari'ivaît à Négrepont le 2 aot'it *.
La position <le l'Eubée, le loiig do la côte de la Grèce, avec
un port spacieux et sur, offrail un point do uoncenfr'ation
dont les avantaj^es n'avaient pa,s échappé aux Vénitiens; ils
avaient occujiè Négrepont, et eu avaient fait un do U^uv^
principaux établissements dans la mer Egée. CVst là, eu
réalité, qu'Amédée commenta la campagne ; après quelques
jours de repos, la prise de Gallipoli fut résolue et l'exécu-
tion de ce dessein c(mfiée à une es<;a(lre sous les ordre-i du
maréchal Gaspai'd de Montmavem*.
Il est superflu iTinsIster sur la valeur stratégique de»
Gallipiïli ; la pla<e, sur la rive eiu'opéeune de la Tun|uie,
commandait le détroit des DîU'danelles et par suite Conslan-
tiuople ; sa prise était le prélude obligé de tfuite campagne
1. ï.eji Itjiliens appellent ce lieu Cajtrlh tfi cardinale; c'est au-
jounl'hui Ilelbina, n I entrée ilu {ruITe d'Kgini*.
2. ]h\Uii, S ped h ione.,., p. S^-*yi\ — C.hrtmùfues de >'aï'»iyr dans
MoMiinitMita lii>tonif palpin-, scrijitorc» i, ;Kir>; — K. Uojif, Ortrr/trn-
Iniui im MiUeiailcr.,., vu, 8.
PRISK DK «AI.LIPOU.
151
avant pour ohjootif (!<? secourir r(?nipiro <rOrien(. C'était un
|ioiri! d'appui solide pour dos o[K'ratiftns ultèrinurcs et un
refuge assuré en cas d'échec. Amêdéo, comprenant l'impor-
tance de cette position, ordonna à Muntmayeur de faire voile
vers Oallipoli (15 aoiVj; lui-même ne larda pas à n^joindro
«on lieutenant avec lo reste do ses forces*. Lt; 17. l'armée
^tftil en vue de la place et mettait le siê^e devant la ville.
Nous manquons de détails sur la marche des <»pHrations
militaires, mais il va tout lieu de croire iiuVIles n'offrirent
pas do grandes ditfiçuUf''s» puisque In ?3 août Gallipoli obéis-
sait à un capitaine, Ayinon Michel ', nommé par le comte de
Savoie. Cependant \a. place ne se roudiL pas sans résistance;
il fallut saper les murs, et entr<M*dans Cmllipoli par la brèche.
Uich.ard Mnsard, un chevalier anglais, qui pi>rtait la bannière
ilc Savoie, se signala à l'assaut ; plusieurs des compagnons
d'Amêdée payèrent letir courag(i de leur vie. Rolland de
Vaissy, le seigneur de Saint Amour", Jean de Verdoii,
(iirand le Maréehal n-.stèrçnt parmi les tnorts, et furent
tï-ansportés à Péra pour y être ens<îvcUs avec les honneurs
dus à leui' vaillante conduite *.
En quittant Gallipoli. le ciniile avait pourvu à la conser-
vation de s;i conquête, en unmmant Aymoii Michel, capitaine
de la citadelle, e( Jacques de Lucerne, gouverneur de la
ville '; la garnison, laissée par lui snus leurs urdi"es, se com-
posait d'une partie des soudoyers allemands levés par Oaléas
Visconti, au nombre de deux cents hommes environ, tant
g(*nK de pied qu'aivliers, arbaléti'ici-s et vaUfts*. Tranquille
de ce côté, Aniédêe poursuivit sa route vers Constanlinopio,
1 . Dalta, Spcdisione, < , , p. 92-«, Am<^dée était déjà devant Gallipoli
le 3:1 ani'it.
S. Probablt'mnnt de )a famille vénitiennf^ des MichieH (Datta, Spe-
dizitmr. . ., p. 102).
a. Voir plus haut, p. l'ifî, les délriils donnés sur cpm pensunnageH.
4. iMlta, Sftfiti^itmi^. . .% p. 98-UH ; — Chronique» tU Satuye (Mon.
hUt. pntr., KrriplorPK i, iJOS-S).
5. i'atia fait ol)sprver [Spedhione. ..^ p. 102) que Ciuichmoii dntiB
*on /fixioire t/i^ttt'titnffitjHC a, par erreur, écrit qu'.^modée • y niitiHiur
gu'iv*»nïrtirs Mit'hiiilln lu Poype do Saint Siilpis el Tr*evoriicy, •
fi. rrltn L'arnisiin i-o'ii|itait f[iKUrr-vJii^l-Iiuil fanta.s^ins (AnV/rturf»/,
diJtil Ircnlr-liiiil uvaitMil rtiacnn un valrl; si'i/f i*<>Miii'IaL)l^s (*'wM»r«-
tnhitfH) les rumtnnndaipril. Kilo avait viii(.'t-liuit ftrl>alétriers ut tjua-
rarite-quatrc un'ltcr» iDaHa, Sjtedizione., ., p. \\)'S].
15;
CROISA.DE DAMEDEE VI.
et, malgré une tompôte f^iui assaillit sa floIU-, dôlianpu rlaii*
les premiers jours de septembre dans ta capiulo de l'empiro
d'Orient V.
>U
iplt
\t dai
f)n
Uiniinopit? (.'laii iiaiis la coi
pn'iidri' f[iie l'einponMir, parli dans h- courant dti l'èk' ptmr la
cour du roi de Hongrie, avait été arrêté par Sisman, roi de la
Bulgarie centrale, et retenu prisonnier'. Ce second voyage
de Jean Paléologue se ratl.uliail au mémo objet quo relui do.
l'annéo précédente; il s'agissait d'arrêter li»s baw^s de la
réunion des «leux églises grecque et romaine, sans laquello
aucun secours n'était à espérer des Hongrois. L'emiiureur,
par crainte des pirates turcs, avait préféra à la voie de
luer la roat<> de terre â travers la Bulgarie. Sisman, pré-
venu du passage de l'enipereur, l'avait emprisonné â \Vid-
din ; binn que n'ayant jamais élé on gunrre avec l'empire, il
s'était rappelé les <lélaiLes que les Hongrois et les Oroes
avaient intligées à son père, et ce souvenir avait sufH
pnnr légitimer k ses yeux l'arrestation de !*aléidogue. Ccltti
nouvelle avai) soulevé une émotion générale à Constanti-
nople. Ainédée fut accueilli comme un libérateur. L'impé-
ratrice l(^ supplia de délivrer son mari \ Unn par(Mlle r(»qu(?|{*
ne pouvait être refusée. Le promior secours â donner à
Paléologue n'était-il pas de TaîTacher des mains des Bul-
gares ? Le mois rl»> septembre fut consacré aux préparatifs
de l'expédition. L'impératiice y contribua pour douze milli^
hyperpéres d'or, et équipa deux galères ; les habitants de Pêra
niin-nt égalemeni deux bàiiincnts à la disposition d'Amédée,
i'( uti cinquième navire fui armé â Péra aux frais du cnmtc *.
Olui'Ci, cependant, à la première nouvelle de révénemeni,
avait fait partir sur une galère gémiise les seigneurs d'Ur-
tiéres'et tle Fromentes. avec mission de faire vtdie vers la
). Datta, SpeJizione..., p. 105; — Chroniqua de .Sftvot/e (Mon.
Iiisl, patr., script, i, 310).
2. D'dUB, Spedizwne. . ., p. 1 12, se trompe en attribuant h. Srasci-
nnV riiiTt'staliuii Jo IVmpereur d'Orient,
3. Itatta, .S/ie(/iiiV>»e. ... p. IOti-12. Hion que les historien» byzan-
tins o'aitMit pas parlé de la captiviti'* île Jean l'aliî'olojriie. le fait est
alwuturuent (lêniontn> par les ducuincnts concernant la crulnado
(r.\rnè(bV vi puhbV's par Dntta.
'». OaUn^ Sftniizione. . ., ji. 1 17-20.
5. Doubs, arr. de Slontbéliard, ranton de Maiche.
CAMPAGNE SFR LA cAtE BULGARE.
153
mer Noiro, de remonter le Danube jusqu'à Wiildifi et do dé-
livrer l'empereur. Devaient-ils tenter une surprise ou chercher
par voie diplomatique â obtenir rêlargissemeut du prisonnier^
Ia's dociiuients sont muets sur ce point. La galère génoise,
surprise par le gros temps dans le Bosphore, fut obligée do
ndàrher fjurdques jours ilans le pnrf Hu Girol ', et de revenir
à Coustanïinople sans avoir pu enirer dans la mer Noire.
L'échec de cett^i tentative hàla l'acconiplissemeut des der-
niers prêpanitifs. Ainédée, dès les premier:^ jours d'octobny.
qnittii (^>n.stantinople avec sa Hotte, laissant à Gaspanl de
Montraayeur, avec un corps de troupes, le soin do défendre
la ville contre les attaques des Tnn-s. Le 6, il était au port
de Lorfenal ' dans le Dosphnre. el, api'ès èlre entré dans la
mer Noire, remontait la eAto de Hid^'arie en se dirigeant an
nord vers les bouc]n^s du Danube. Les ChrtHietis, arri\és le 17
il»»vant SisupoU ', s<»umellai4ïnt sijccrssivenient coid; jiluce,
Maiichopoli*, la ville et le port do Scaiida^ « ort eslovent
< pluseurs naves lurquoyses. lesquelles en roniliatlant il/, peri-
« rentet parfunderent ». Il ne senibU* pas (|iir jusque-là. Vnirdéo
ait rencimtré une résistance sérieuse ; il n'en fut pas de mémo
devant Meseiubria, cité maritime assez importante pour né-
1 , I^ij d(x!iminn*K de i(i croisade d'Amèdée donnent I& forme Giroul;
il s'agit du Girot, ville dont ii e.st question à I'()rt.'a.sion de la eampa^iic
du maréchal HoiieicAiif aiitoup de (!oni*ianlinoplc en lîjyy. .\u muyen
à|»ifr, les bouelics du Hos]iliore, vers le Pont Kuxin. portaient le nom
do T:ôra toû 'Ai^y^oi, et en italien l'elui de Hocca de Argii'o. (Gîte
dernière forme, dêlipiivo en ftoffa di Giru, a donné naissanec à
(liront et à (iiroi pour dè.sl|K'ner un des iminis ]>rineipaux du passa^çe
de la ï^rojwntide dims la nier .Nuire. — Uor;rer de Xivry prujiosu
d'identifier le (iirol aver la ville d'Ilirron {Sîfhnoire sur fi via et Its
ouvratffs dt Vempereur Manuei l'ah'otutjue, dans les Mlmi. de l'Acad.
de* ïnacr, IH5:». xix. n. itli.
2, M phI probable qu'il faut lire VArsfnal, et que cette d^^si^nation se
rapporte à une place sur le Hosiihort* servant darsenal aux lïyxantin».
3, SoïopoJis des Grecs, appelée Si7.u|K>Iis par les Occidentaux; elle
c»t dilui^e pp'fc de la haie do Hurlas.
1 l'nihahlement .Macnipolis, au nord do Mesembria. L'auteur des
Chroninntt rfr Savoyç (Monum. hiM. pair., script., i, :UO)asj(igne k la
prie* de ce» villes un or*dre qui, s'il est exact, iiidiqur que le* Thr^-
ti*»ïw ne s'artlreiiLcnireut pas dans leuri opérations à conquérir ce«
plai*r» en suivant la direction sud-nord.
5. Au fiMid du golfe de Iturgasi au nord do Siâopuli ot au &ud do
Mraenibria.
CROISADE I> AMKDKK VI.
cesfiiler un investissement régulier. L'armée chrétienne fut
divisée en trois corps ; « au jun^miorassauli furent les seigneurs
« de Basset et de l'Esparre, qui requirent eslre aver eulz uies-
« siro Gutliiaintte de Uransson et mejssire Jehaii de Groléic > ;
le second, coniiuandi'^ par le roralo avec les seigneurs do
Genève, de (Miâlons, d'Urtières, de Clenuont. comprenait les
runiingents savoisiens, bourguigiK^ns et dauphinois ; les ga-
lères, sons les ordres du seigneur de Mitvlène'. forniaieut le
troisième et bloquaient la plaee par mer. La citad4.dle, qui
commandait le port, fut enlevée de vive force, la ville soumise
â une eonLribulion de guerre, et le château occupé par un
corps d« truupês sous les ordres de Berliou de Forax et do
Guillaume de Chalamont ^'22 octobre)'.
Après Mesenibria, les châteaux iTAxillu et de l^mona,
lomlit's au pouvoir des croisés, durent payer une taille aux
vainqueurs et recevoir garnisïon. Pierre Vihodi fut nommé
capitaine du premier, et Antoine de Champagne, bàtarfl de
Savoie, capitaine du second'.
C'est à ce moment qu'une partie dos chevaliers, mécontent©
de n'avoir pas fii encfU'c, depuis le début de la campagne,
Toccasion de déployer sa valeur, contj-ut le dessein de tenter
un coup de main sur le château rie Colocastro; mais la sur-
prise échoua et cuùta aux riirétiens la mort de cinq chi'valiers
et tle dix écuyers. l'our U's venger, le comte attaqua la place
avec des forces suffisantes, la prit d'assaut, tailla les habi-
tants en pièces, i*t contîa la garde de la villi> aux gens do
renipiMciir iU* Grèce *.
Le '^U octobre, la (loi le était devant Vai'na, une des villes
les plus importantes de la lîulgarie. L'assaut ayant été ru-
1 . François fiattiUisio, seigneur de LcstMg.
2. Vuir sur ce personnage plus haut, p. l'iG.
3. DaUa. Spefii:ionf. . . , p. 127-8. — Chrnnifiupx tir Sarot/e, p. 31 1-
13. — Axtllo. appeU^ aussi Anxinius, Arht^toux, LnsniUu, /.cxgi/lu^ e^-t
située sur la cùte do HnlKai'ic» un peu an sud de Mosoiubria. tandis
que Lomona {Lytneno, Emmona. Cavo tii Lrmann) est au nord de
nette ville. Lemona fut imiHisée à mille cinq cents hyperpêres, Axillo
à une taxe plus forte, dont deux mille sept cent vinpt-qiiatre hj'per-
pt»refi furent seules payées. Los ','Ar"HiV/up« de Sani'jç jiliïreii» la
prise de Lemona pendant liiiaeliomle rarnuHMirvanl V:trii!i; il M'nihle
peu vraisemblable que la place ait été cunr|uise â un muaient où il y
Avait snttpension d'armes.
't. fyironiifttes (if Savoi/e, p. 313-4.
AHMISTICB KT NKfîiK'IATIONS-
155
ronnii impraticable, |pstrou|mHdéharqnèrpn( ptcnmmoncprent
lo sii'go s(Uis la ilireotion «l'Amérlép. Kn niômo tcinpSi 't^'an do
Virnn(ï et Gui 11, tu ru*! ilo Grans'>n ftrilraient en pourparlfTs avec
k»s Imbitaiits : ceux-ci conseiiUiicul à approvisionner l'armée
chrétienne de vivres et à députer douze des leurs vers le roi
de Buljîarie pour l'engager à trailer avee le comte, â condition
que n» dernier n'atïaciuàt pas Varna avant le retour de la dé-
pulatioii itul^mre. La Bulgarie veiiail de soutenir contre les
Hongrois une campagne inallieureu.so; Sisnian. très effrayé
des progrés des Chrétiens', reçut à Andrlnople les parle-
mentaires envoyés de Varna; il se hâta de faire droit à leur
requête et de faire partir pour Varna un plénipotenliairt*.
chargé de demander la suspension des hostilités et l'ouverture
de conférences de paix. Ainédée n'eut garde <ie ivpousser ces
avances, mais ÎI les subordonna à la mise en liberté de Païéo-
|M<riie, faisant de cette condition la base indispensable des
négociations ultérieures. En même temps, il envoyait au devant
de l'emjiereur un de ses agents ; mais celui-ci, arrêté pif sijue
aux portes de Varna, à raliaira*, ne parvenait pas jusqu'au
pns(»niiier, et attendait vainement pendant prés d'un mois
rarriv<>e de Paléologue.
Lrs p<mrparb»rs, cependant, n'étaient pas rouipns; partis
de Varna lo 29 octobre sous la conduite du patriarchi? cuth»»-
liqiie de Constantiimplc. Ips plênipDtenliaires du comtr de
Savoie séjounièreui pendant t<tul le iiiifis de décembre à
Trêve, lieu choisi |K)ur les conférences '. Les négociations
portaient surtmis piuuts ; la délivrance de rempereiir. celle
des prisonniers faits par los Bulgares pendant b's hostilités, et
la restitution (les villes uccupé»»s par Amédée. Le premier
|v»int fut aceiirdé sans ditliculté, et le "2\ décembre Paléologne
était libre; il en fut de même du second ; mais, quand il fut
que^stion de l'exécutvr. le mi de Bnlj/urie til preuve de la
plus iusigne mauvaise foi, et refusa de délivrer les prison-
1. Voir pins hmtt, p. t^;t.
2. Aujourd'hui Kah'fikra sur la cMo, h pou ilo disranrc et an nun\
de Vftrnn.
a. [)ftttn. Sftfitiiiniir. , .. p. I;ï0.2; — Chrnni'tfnnt tir Sai^fit/r, \t. 'M'».
Ttvxo t\v>.Vf:ur prohahjpinoht 'lirtniva Kiir In Jiinirii, ;i rui-rlirmin «In
\ ariiQ à Witidiii. Lrs |iIt^iiip*itontiaire.'> d'\iii*''ib'r rtnirnt, imlro le
patriarobr*. flicf de In mission, le soij-'npur do Kronientos, Adalbort do
{toh^me, l'itiiot Keriny et (!nl>ri«*l Hibîia.
156
CHUISADK I) AMEOEK YI,
niors; coux-ci, malgré los efforts de reinporeur, diiront payer
ranron pour l'ecouvrer leur lilifrli^'. Il fut eulin stipulé que
Varna resteraitau pouvoir des liulgares, mais queMosouïbria
appartiendrait ati comte de Savoie. Aniédée, satisfait d'avoir
mené à bonne Hu la délivrance de l'enipereur. se hâta do
lever le siège de Varna (21 défeinbro») et d'alteindre Mesem-
bria (20 déceuibro', oCi il alteudit le retour de Paléologue.
Les deux princes réunis rej^agnèrent Sisopoli et y séjour-
nèreni jdus d<* deux mois (0 janvier-20 mars) occupés «le né-
gociations qui, selon toute vraisemblance, avaient pour objet
la cession de Mesenibria à l'empire grec ; cett© ville, en
efffi, qu'Amédée ne pouvait songer à conserver, fut remise à
reitqiereur le 9 mars, moyennant ime somme de quinze nùllo
florins à payer au comte do Savoie", et quelques joui's après
ce dernier quittait Sisopoli, louchait au port de Ix»rfenal
(G avril) ilans le Hospbon», et l'eulrail à Constanlinople, ra-
menant Jean Paléologuo délivré.
hv n'tnur d(' l'expédition victorieuse fui acçut^illi à Cons-
tantiuoide par d<^s apjdaudissenients uiiivtTseU. Amédé*.i, tout
en ,se félicitant de l'avoir entreprise, puisqu'elle avait réussi
et qu'elle faisait disparaître un des ombaiTas au milieu des-
quels se déballait l'enqjire d'Orient, commençait à s'aper-
cevoir que PaKV)logue ne témoignait pas à un parent et à lui
libérateur les stMilinients et la reconnaissance qu'il était en
droit d'attendre, et ne faisait rien pour le seconder. 11 ,se
souvint alors tjuil avait juré la crnis.ide contre les Tuixs, et
qui*, depuis son arrivée â Constanlinople, il avait pei*du de
vue les Musulmans pour comfiallro les Bulgares. Deux mois
lui restaient encore avant l'i^xpii-afion de rengagenietèl de ses
troupes; il rr-sobit de les employer â attaijUiT les Turcs. Le
succès remporlé à Gallipolî présageait de nouvtdles victoires;
il fallait, pour sauver l'empire, retarder par quelque coup do
1. Ces prisonnier-i étaient; Antonino Viscontî, détenu â Aquila
(Aeiog, AÏtox, AUfvs, près ilo Sisopoli), Guy ds Pontarlicr, marérïial
de H4)urp>^rie. Bandi^ruere et Poypi, 'jui. pris autour tic Varna, furent
roiuluitsâ Pmvat [i^rohnlon, /Voiw/, Owc, dans riritèricur des terre»,
au ntird-uueHl de Varna).
2. Dalla, Spediiiotxe. . .. p. 133-5; — Chroniques de Savojfe^ p. 'MK.
3. Sur ceun somme Paléologue ne paya que onze mille vingt-huit
hyper|H>res, liinn qu'ayant perçu des liahilaiits de Mescml)ria, imjiohéiî
de ce clief^ une tjominc supérieure (Datta, Sprdizione. , . p. ii5-6).
J
CONSÉqUESCES ÎîK 1.A CROISADE. 157
niaiu heureux les progrès trop rapides de la puissance otto-
mane sur les rives île la Proponiide. En exécution do ce des-
wrid, Araédéo enleva (I i uiîii] de vive force deux châteaux
lurcs, ceux d'Eueacassîa et de Colovevro ' ; à la prise du pre-
mier les matelots et les fantassins sedislinguèrenf en meitîint
le feu à une t<iur qui formait* la principale défense de la
place, et en y plantant l'étendard de Savoie; le second tomba
iiux mains des tu'oisês malgré la valeur de l'ennemi et fut
livré aux tiammes * par les vainqueurs.
Celte double victuii'e mit finaux opérations militaires; les
troupes étaient au ternie de leur engagement, et Amédée, qui
avait supporté seul tous les frais de la croisade, n'avait pas
d'argejit pom* le renouveler. La fin du mois de mai fut con-
sîicrée au licenciement de l'armée; le comte dut emprunter
aux babitiint.s de Péra et à l'empereur des sommes considè-
rïililes pour payer la solde arriérée Quand tout fut liquidé, il
quitta Constaniinople ('i juin I3G7), et passant par Négrepont,
Coron, Modnn et les ciHes de Dalmatie et dlllyrie, regagna
Whise f3l juillet IHti7j. Après un séjour île six se-niainesdans
l'i'tte ville (H sepl<*mbrej, il se mit en mute pour Rome dans
le but de rendre compte au pape des i*ésultats de la croisade'.
A tout prendre, l'expédition d'Amédée avait pleinement
rétissi ; les résultats obtenus, eu égard aux forces mises sur
pied, dépassaient de beaucoup ceux qu'on était en droit d'es-
pérer. Un concours de circonstances exceptionm*llenieut
heureuses avait permis au comte de Savoie de s'iTiijiaii'r
d'une place de premier ordre commo Gallipoli, et d'obtenir
par une simple démunsiralion marilitnc dirigée sur la Cflte
de iJulgario, la <lélivrance de l'empereur. Nul doute que si,
du côté de la Hongrie, les Bulgare» n'avaient pas essuyé de
sérieux échecs, une oxpédiUon dans l'intériem' du pays eilt
été néce.ssalre et eiH entraîné des dillicuités insurmontables.
Mais, ik uu auti-e point de vue, les succès des croisés devaient
ri'»t4?r s&n» effet. Rentrant dans leur patrie à la fin de la
t. Il e^l difllcile d'identifier la localité ù laquelle correspond le
nom d'Kueacîissia. Wèa certainement Ut-tiguré; Oloveyro réjwnd prti-
bnblement à la forme grecipic KocXo^spo;, et dé&ignu un monuitlûre
d'Iiotnmes.
3. \*nVii, SfH'di^tone. .., p. l'il-U.
3, Datta, iS/Wij/on/*. .., p. I'i7-G3, passim.
158 CROISADE d'aMKDÉE VI.
campagne, sans espoir de reprendre jamais les armes, ils
abandonnaient aux Grecs des conquêtes que ces derniers
étaient impuissants à défendre. Dans ces conditions, quels
résultats espérer d'une croisade isolée? Comment se flatter
qu'elle pûtexercer une influence durable sur Tensemble des évé-
neuK^ts qui se déroulaient en Orient? Le comte de Savoie
avait gaspillé, en pure perte, ses flnances, la bonne volonté
et le sang de ses sujets ; ne savait-il pas, en quittant Cons-
tantinople, que les Turcs n'attendaient que son départ pour
riîprcndre leur marche, un instant arrêtée, certains que rien
ne l'entraverait désormais? Autant les expéditions de Pierre
de Lusignan pouvaient avoir pour la Terre Sainte, que l'Occi-
dent cherchait à reconquérir, des conséquences capitales,
autant l'enti'oprise d'Amédée devait, malgré le succès des
armes chrétiennes, rester stérile et improductive.
La papauté n'avait coasé, pendant le xiv^ siècle, d'exhorter
1rs puissancra chrt'titMnics ;'i scctuirir l'Orient meiiaci', ci su
voix trouvait chaque jour moins d'êclio. Après la croisade
(l'Amédée de Savoie, l'ère des oxp^Hlilions armées semble
clnso. En vain (in^goire \i (137?; s"efforce-t-il de gronper les
nations occïdenUiles en vue d'une action commune dans le
Levant. Il se heurte à un obstacle nouveau; si ses prédé-
cesseurs avaient eu à compter avec les républiques inarîtiiiips
de la Méditerranée, dimt le commerce était hos(ib? à UmUi
uiturventiun en Asie Mineure ou en Kjryptr, lui-même se
trouvait, dans 1p même nrdre d'idées, en présence nnii plus
d'intérêts k sauvegarder, niais de stipulations à respecter.
Les habitants de Péra avaient conclu avec les Ottomans un
tniité régulier, et refusaient de le rompre pour entrer dans la
ligue i*évée par iv. pontife. A leur exemple, chacune des puis-
sances qui commerçaient avec l'Orient, avait, entre 1380 et
i3il(l enviivin, obtenu du sultan des conventions particulières.
Dès I38'2, Gènes était assez fortement liée avec les Turcs
pi»ur les excepter d'une alliance offensive et défensive
conclue par elle avec l'empereur d'Oriont ; en 1387 (8 juin),
elle liguait avec eux un Irailé de commerce. Dans cette voie
Venise n'était pas restée en arrière; elle avait, dés 1368,
enUimé avec les Turcs des négociations relatives à la cession
du port deScutari, et avaitrepris ce projet eu I38ij en même
temps qu'elle se préoccupait des tarifs à imposer aux mar-
chandises vénitiennes dans les ports ottomans'.
I. Ileyil, Oeschichte des LevauiehnndelXf ii, 33λ-GU.
Ifii)
En ET BOrcICAlTT EN PALESTLVE.
Cette situation nouvelle paralysait les efforts du Saint-
Siège. Il fallut rpndnfpp à tout espoir de croisade ; l'ninour
(k*^ aventures rt l'enthousiasme, à la fois religieux cl i^uerrier,
qui animaient la société dans lu seconde moitié du xiv** siècle,
HP trouvant pins :i so donner carrière contre les infiiléles, se
conIctit/*reiit (i\*xpé(lit.ions plus pacititjues; de toutes parts se
produisit un mouvement considérable de pèlerinages vers les
Lieux Saints; chacun voulut témoigner de sa foi en visitant
le t<unbeau du Christ, tout en satisfaisant, par un voyage long
et souvent périlleux, le besoin d'activité et d'émotions vio-
ItMiles qu'il ressentait.
11 serait trop lung d Vnntnérer les personnages illustres qui
accomplirent, à la fin du xiv" siècle, le voyage d'outre-mer.
Princos, iioblos, riches et pauvres avaient pris le bâton de
péhîriu l't éiiiigraietit vlts lignent. L'Anglel«rre était repré-
sentée en Palestin** par HiMiri do Lancastre, comte de Derby
(plus tard Henri iv), par le duc de Norfolk et par Thomas de
Swinbui-ne, cli:'i(elaiii de Ouines et plus tard main» de Bor-
(k-aux ; rAllcmagJie par Henri de Ker, duc de Sagan et de
Glogau, par le comte de Hi>lionzolleru, Albert le Heau, par
Czaslus IV ile Peu/ig. et par Vralislas ix, duc de Poméranie;
l'Italie par rarchevéquc de Gènes, Pileo de Marinis. par Jean
KraïK.ois de Gunzague, seigeur de Mantoue, par Thomas lit,
marijuis de Salaces; le Portugal, pai' Alphonse, premier duc
de Hragance; la France, par lus comtes d*Eu et de la Marche,
jiriiices du sang, par Ugier vu d'Anglure. par Jean le Vicomte,
de Lamballe en Bretagne, et tant d'antres dont les noms ne
nous sont pas parvenus '.
(Vpendant parmi les pèlerins que la France envoya en
Terre Sainte, il en est un sur lequel il importe d'attirer sp(S-
cialement l'attention : c'est Jnan ii le Mningrc^dit Houcicaut.
pins tard maivchal de Frauc.e et gouverneur de Gènes, uut^
dos plus grandes figiu'es de Hiistoire de France sous Charles vi.
Assurément dans la foule des voyageurs qui se succédèrent
en Palestine, il s'en trouva d'uu rang plus élevé el d'une no-
1. Arch. de l'Oriont latin, i, 540; u, p.u, 237-49 et 378-88; — Arch.
de\>n!se. Se». 3/i>/i, xliv, f. GO {29 août 1398); — Le Voyage du ««*-
ffHcur dWnglure (Suc. des Anciens Textes, 1878). passiui; — R. Kdhricht
et H. Moisnor, Deutsrhr Piltjerreixen nach rfem heiïigm hinde (lïerlin,
188U, p. 4g:-9;.
l'KKMlKKKS ANNKKS DE BÔlt'iCAn'
161
lorièté plus universelle ; mais aucun u'exerça sur la question
d'Orient une inHncnce plus considéi*able que Boucicaut. En
lui so personnifient, pendant le règne de Charles vi, les
efforts tentés pour anvter les progrès ottomans. C'est à ce
titre que le pèlerinage de Boucicaut eu Palestine a sa place
marquée dans le présent ouvrage.
Fils du premier man-chal Boucieaut, Jean n, né en 1366
et resti* orphelin presque au Iienean, avait été élevé parmi
les compagnons d'enfance du dauphin fplus tard Charles vi);
Jp séjour à la cour avait développé chez lui les goûts bel-
liqueux dont il avait fait preu\e de?* ses premières années.
l**a guerrii-r de race, il préférait les armes â l'étude; à peine
itfSi» de douze ans, il obtenait d'accompagner, en qualité de
page, le duc de Bourbon dans la campagne qui eut pour
nlijectif d*enlever aux Navarrais (I37G) les places de Nor-
mandie. L'année suivante, sous le même chef, il faisait
partie de l'expédition qui rejetait le duc de Buckingham
en Bretagno, accompagnait le mar(V^-hal de Sancerre en
Ouvenne, et assistait au siège de Montguyon. Malgré sa jeu-
nesse, l'enfant avait hardiment sujjpnrté des fatigues au-dessus
de son Age, et donné assez de preuves d'une précoce valeur
pour montrer qu'il serait < un homme de grand fait ». La
campagne de Flandre (13H2J lui valut, à seize ans, la cheva-
h'rio; il conquit les éperons d'or sur le champ de bataille de
kosbeçque, et, la guerre terminée, resta avec le connétable
de Clisson pour tenir garnison à Térouanne. Mais l'inaction
ne convenait pas à cette nattu*e ardente et infatigable ;
inoccupé en France, le jeune clievalier Ht deux fois le voyage
lie Prusse, afin de comhattre les infidèles aux côtés des Teu-
toniqnej*; en ns.'i, il prit une jjart active à la campagne
menée pai* le duc de Bonrbon en Piuyenne et aux sièges de
Taillebourg, Vertcuil et Mauléon; quand le duc retournai
Paris, il ronHu au jeune capitaine le cunniandement du pays
conquis. Toujours avide d'aventure;s, Boncicaut avait établi
sa n'putation de jouteur en déliant successivement les cham-
pions les plus renommés: Sicart de la Barde, Pierre de
Courtenay. Thomas de CiifTord; partoii* il avait été vainqueur.
Eu Espagne il avait suivi le duc de Bourbon au secours du roi
de Castille. menacé par l'armée du duc de Laucastre (Ï386-
1387); ta tactique prudente des chefs espagnols, qui traî-
naient .-H d*!*i>ein la gu*'rrc en longueur, avait lassé rimpétuosïté
H
162 El' KT BOUCrCAVT KN PAI.ESTÎNK.
des Français; auâ:>i Boucicaut el s&s comp»gDoa>« â*étaient-iU
hâtés, de 5 que leur présence n'était plu? indispensable dan*
la péninsule, de rentrer eu France. Mtjins que personne, le
futur marèohal pouvait supporter le repos. Ennuyé de n'avoir
plus de batciilles à livrer, ni de coups d'épée à donner, il
songea à donner carrière à son activité en visitant rOrient'.
La guerre était un besoin pour la noblesse française, ha-
bituée depuis un denii-siÀcln à no jamais déposer lo harnois:
la vie paisible lui était inroniims l'dc ne rêvait (jue grandes
< emprises », chevauchées, aventures ou pillages. Quand la
paix ou une suspension d'armes l'obligeait au repos, elle
cherchait â Tètranger les combats dont elle était sevrée en
France; c'est ainsi que l'ordre Teutonique vit, à maintes
reprises, des chevaliers français combattre les infidèles uses
côtés, que les iMaures eurent souvent pour adversaires des
guerriers venus en Espagne afin d'y déployer leur valeur, et
que les sanctuaires les plus vénérés de la clirétientc^ furent
visités par une foule de plus en plus nombreuse de pèlerins.
Boucicaut « grand désir avoit de visiter ta terre d'outre-
mer», et d'imiter l'exemple de son père, le premier maréchal,
qui avait, avec Geoffroy de Charny et Philippe do Mézieres,
accompagné dans le Levant le dauphin d*^ Viennois, et qui
plus tard, prisonnier en Anj^leterre, avait obtenu du roi
Edouard m, pour lui et douze chevaliei-s. un sauf-conduit
atin d'aller au pMerinage do Saint Jacques de Compostell*»
(135i) et de s'embariiuer ensuite pour la Ti*rre Sainte*.
C'était donc â une tradition de fainille qu'obéissait le jeune
gentilhomme quand il prit congé du duc de Bourbon (vers 1388).
Il ne parti tpas seul; Renaud de Ruye. un compagnon d'armes,
et en même temps un ami dévoué, l'accompagnait. La maison
de Roye, de SDUche picanle, comptait â cette époque parmi ses
membres d'illustres guerriers, et Renaud n'avait pas renié le
sang de ses ancêtres. Fiis de Mathieu, dit Flament, de Ruye
et de Jeanne de Cbérïsy, frère de Jean et de Tristan de Royo.
il s'était djjà, malgré sa jeunesse, distingué sur les champs
de bataille comme dans les tournois ; la confraternité des
1. Livre des faits du bon messire Jean te Maingre dit Bouciguavi
(éd. Huclion), partie i, cliap. i â xv.
2. A. MoUnier, fiescriplion •(« deux manuicrits de Philippe de Mè-
ziérex, dans .\rch. de l'orient latin, i, 3'»8; — J. J. Jusserand. V»> no-
made au x/\'^ siècle, dans Keviio historique, xx. 65.
VOYAGE DE BorCrCAPT ET DE K- I>E ROYE. Î63
les avait cimenté l'amitié c\ue Boucicaut et lui s^étaient
Les deux rojageurs se dirigèrent ver? Venise pour s'y
ombarquer. Cette ville était alors le rendez-vous de ceux qui
piirtaient pour le Levant. Les Vénitiens avaient organisé avec
le plus grand soin tout ce qui concernait le voyage des
pèlerins'; il ne fut donc pas dirticile à Boucicaut et à son
rnmpagnon de gagner Constanîinople. Quand ils y arrivè-
ronr, Amurat i était aux environs de Gallip<di en Turquie
rVEurope. Le carême (de Tannée m88j se passa à attendre
dans la capitale de l'empire d'Orienl un sauf-conduit du
sultan. Les chevaliers français furent reçus à * grand fesie »
i't traités magnifiquement, et, dans leur impatience de donner
carrière a leur valeur, ils mirent leur éjiée à la disposition
riu prince contre les Sarrasins. Malheureusement Amurat était
m paix avec les princes musulmans, et n'avait pas occasion
d'utiliser les services qui lui étaient offerts. Après un séjour
'il' trois mois 'printemps t388\ les voyageurs quittèrent la
rour ottomane pour gagner, par la Tur.[uio d'Europe et la
ilgarie. le Danube et la Hongrin. Anuu'at les fit « convoyer
mrement » tant qu'ils furent dans sn> états ^.
Les mêmes désillusiuns les attendaiimt auprès du roi de
longrie. Malgré Taccueil cordial qui leur fut fait, en Hongrie,
plus qu'en Tur(|uie. leur épi'e ne trouva à s'employer. Sigis-
mond était absorhé par des préparatifs considérables dirigés
)ntre le marquis de Moravie, et songeait peu à ce moment à
1. Renaud du ttoye fut chambellan et conseiller du roi et du duc
l« Touraine. 11 ^îuerroya en ICspai;rie. prit, au tournoi de Saint
Ingelberl (I33U( qu'il avait organisé, une part importante, assista:*
!"• U8t du Mans • (I3'J3), et fut cliar^é de la parde du roi devenu fou. Il
mourut pendant l'expédition de Hongrie (1396). Charles vi ordonna de
pas poursuivre la succession du dt^funt, ■ disant (]ue comme... en son
vivant, désirant acquérir honneur et han renon en faisant plusieurs
guerres et loin^fiains voiagea et par especial oudU voiage de Hongrie
rontpe les niascreans de la foy, se sjît endabu^s et oblig<V:i envers
iuhieuTS ppr>o:uïes en gratis et grosse^ sommea de denier» i
»ji»8art, éd. Kervyn, xxm, 58-60; — Itibl. n»l., litres originaux, aux
tti t.R MtLfii&Ë et ne rovk).
I. Arciiives de l'Orient latin, u, 237.
A. Voir pour le pèlerinage de Boucicaut le Livre dex faits, partie i,
^liap. XV. Le chroniqueur n'assigne aucune date aux faitsqu'il raconte;
la avonft pu les fixer approximativement, grâce aux synchronismes
(quels il fait allusion.
\(\4 KL' KT «OUCICAUT KN PALESTINK.
s'attaquei' aux infidèles. Trois mois sq passèrent (été 1.188) h la
cour de Hongrie ; ce délai écoulé, Reuaud de Roye et Boucicaut
prirent congé de Si^^isniond et se séparèrent; le premier se
dirigea vers la Prusse, le second descendit à Venise dans
IMntention de s'emhaniuer pour la Paleslino (automne 1388^.
Nous n*avoiis aucun dérail sur le pèlerinage de Boucicaut;
nous savons seulenietit qu'il visita < très dévotement » le
saint Sépulcre et tous Ips lieux consacrés par la piété des
tidèles. Du silence du chrooiqueur on est en droit d'induire
qu'aucun incident ne troubla le voyage, et qu'il s^accomplit
sans encombre. Cependant Boucicaut, au moment de quitter
la Palestine*, apprit qu'un prince français, le comte d*Eu.
moins heureux que lui, avait été arrêté à Damas par ordre
(lu Soudan d'Kgypte.
Philippe d'Artois, comte d'Eu, descendait de Robert de
France, frère de saint Louis, et â ce titre se rattachait â la
famille royale de France. Fils de Jean d'Artois et d'Isabelle
de Melun, il s'était distingué à la prise de Bourbourg (1383 ,
et avait, coramo la plupart de ses contemporains, voulu faire
le pèlerinage de Terre Sainte*; mais, emprisonné par ordre
du Soudan, il allait, être transféré de Damas au Caire quand
il fut rejoint par Boucicaut (1389).
Ce dernier, « nonobstant qu'il n'eust oncques à luy guères
d'acointance ». n'avait pas hésité à interrompre son voyage:
il lui semblait qu'un compatriote, en pays étranger, avait
droit à ses bous ollioes, et que l'honneur du roi de France»
dont le comte était cousin, méritait qu'il offrît ses serviceï
et son appui au prisonnier. Ce trait marque bien le caractiVc
de Buucicaut; chevalier, il sent son cœur s'émouvoir au m-it
des malheurs d'un chevalier; sujet du roi de France, il con-
sidère comme un devoir impérieux de porter secours â un
prince du sang de France. Sa conduite à l'égard du comte
d*î5u est la preuve la plus péremptoire de ces sentiments. Il
accompagna le prince au Caire, et, tandis que le soudau re-
lâchait tous les pèlerins qui n'étaient pas « de la mesgnie »
du comte, il se fit volontairement comprendre dans la suite
de Philippe d'Artois, et « pour luy faire compaignée. . . se
mit en la prison avec lui. » Cette captivité dura quatre mois;
1. Ses bagagrs éraitint einharqur^'s :i destination de In Prusse.
2. 1*. Anselme, i, 38*1-90.
RETOUR DES PKLERINS.
155
il fallut, pour y mettre fin, que le consul vénitien d'Alexan-
drie, sur l'ordre de la seigneurie, iuterviiit auprès du Soudan'.
Rendus à la liberté, les deux pèlerins profitèrent de leur
pi'tour à Damas, pour visiter Saint Paul des Déserts et Sainte
I Catherine du Sinaï'; ils retournèrent ensuite à JtTusalem.
I Boucicaut avait déjà parcouru toute la Palestine; il recom-
I nieiiça son voyage avee le comte d'Ku, payant de rechef les
I tributs imposés par les Musulmans et «lu'il avait déjà acquittés
I quelques mois avant, heureux d'escorter un vaillant chevalier,
parent du roi, et de partager avec lui fatigues et périls. Le
' pèlerinage de Terre Sainte, bien que toléré et réglementé par
, les autorités musulmanes, n'était exempt ni des uns ni des
I auti-es. Déjà les voyageurs, arrivés à Beyrouth « en intention
; de monter là sur mer pour eulx en retourner », se croyaient
' au t(Tme de leurs fatigues, lorsque les Sarrasins les arrott^ent
et retardèrent d'un mois leur embarquement.
l Le retour s'effectua par Chypre, Kiioiles et Venise; de
^Aette dernière ville Eu et Roucicaut gagnèrent la France. Le
Proi était alors en Bourgogne, en nuite pour aller prendn^
possession du Languedoc (noveml)re l.'iS!)); les voyageurs le
rencontrèrent à l'abbaye de Cluny\ et furent reçus par lui
* moult joyeusement ». La cuur leur lit fête; le roi n'eut pas
pas assez d'éloges pour louer la conduite de Boucicaul; il le
remercia < du bon anatur qu'il avoît [lorté à son cousin » et
de la fidèle compagnie qu'il lui avait tenue. Le comte d'Eu ne
fut pas moins reconnaissant, et témoigna sa reconnaissance
en vouant à son compagnon de captivité une amitié indis-
!K)luhlo.
La suite do ce travail monti-era quelle inlluence ce voyage
Hi ramitiê dont il fut sui\i exercèrent sur les événements
ultérieurs, eu déteiniinaai le comte d'Eu et surtout Boucicaut
à se faire, en toute occasion, les promoteurs d'une intcr-
TAotion en Orient.
I. 2f> mars 1389 (Arcti. de Venise, Sen. Misti xl, 169).
1*. Le Siiiai (Djefn'l-Tor)^ en Arabie, au nonl-ouest de la péninsule
<|ui s'avaiK't' dans la inor Itouge, enUe les j^olfps du Suez pt d'Akaba, a
tleï(x Kommets, duiii le ]»his élevé |>orto le imni de Sainte C'atlierine.
'I. Livre tien ftiittt, partie i, chap. \v et \\t. la Chronique du bon
itw Lfitj$ i/p tiourtnjn \p. 216) assigna un aiitiv itînérairo au roi ; de
Pan» ù .Meliun sur Yèvrp, Gannat. Ke iMiy, rarfassonnc. rxtt» i-oute
iPinlïlo exrlurc le séjour de rharics vi h l'Iuny.
CHAPITRE TV.
KXPÉDmoN DE barbarie:.
Pendant que» du côté du Danube, l'Europe ne s'apercevait
pas des progrès des Musuliuaiis, elle se préoccupait rie leiu's
incursions dans la Mèditerranôo; le? côtes d'Iiaiit? et de Sicil)\
inejiacées par les Sarrasins d'Afrique, tremblaient devant
l'audace de jour en j'>llrcrois^sante des corsaires l)firl>ares([ut»*i.
Les rois maures de Tunis, de Tlemcen et de Bougie encou-
rageaient et protégeaient un étal de choses dont ils tiraient
profit, mais qui devenait pour le miiunerro européen un m*-
rienx danger. La péninyulf it:ilimie, plus direcHMiu^nt exposéi»
que le reste des puissances médit*'rrauéenues, s'émut e\
sollicita l'appui du S;»int-Siôge; les Siciliens, dont Tile élail
jouniellomont infestée par 1ns Africains, obtinrent d'Urbain vi
les indulgences que la pupautè concédait à ceux qui .se croi-
saient pour la défense de la foi (18 avril I;i88)', et Manfred
lie Clermont, amiral de Sicile, arma une flotte contre b'*»
Barbarosques. Ce personnage, descenitant de l'illustre famille
française des Clermont Néelle, s'était ac<juis, pendant la nii-
norité do la reine Marie de Sicile, assez d'inlluence tlans l'ib-'
entière pour n'y faire fd>éir en maître*. Géues et Pise" ré-
1. Haynaldt, xxvi, 505-6.
2. II était comte do Modica et guuvernait la Sicile nu nom de U
reine Marie, fille de Frédéric u. Son crédit fut tel que Ladi^Ias dfl
Oumzzo, un des compétiteur:^ au trône de Naples, demanda la main
de Constance, Bile de Manfred. A la suite d'événements traj^ïques, il
perdit toute autorité, fat mi« h mort, et Ladi:>la.s répudia Constance
(Caméra, Annali civili^ u, 497; — Suramonte, /fiiftoria di yn^Mh',
M. 5ia: — Art de tf'ri/iet* fa Palps, à l'article nois des deux sicrLEs).
3. Pitié n'autorisa d'abord que ceux de ses sujets qui avaient soufTcrf
AMBASSADE UKNOISE E-N FRANCE. 167
pondirent à l'appel <le Manfred enjoignant leurs escadres à la
flotte sicilienne; Venise, également sollicitée, ne voulut pas
rompre avec le sultna de Tunis et déclina toute participation*.
Sous le coramundemeut de K:iphaël Adorno, frère du doge de
Glanes, rexpédilion fit voile vers l'ile de Gerbi*, le iirincipal
i-epaii'tî des pirates sur la cote africaine, et s'en empara
(juin 1388). Manfred désintéressa les Génois en p:iyant leur
concours au prix do trente-six mille florins d'or, et devint
M'igneur de la nouvelle concjuète*.
Malgré ce succès, le péril n'était pas écarté; la navigation
irétait pas sûre dans la Méditerranée, et la prospéiùté coni-
n»erciale de Gènes souffrait d'imn pareille situation. Assuré-
ment les Géuoi.s, avec lo\U" seule uiartne. pouvaient facilement
la faire cesser, mais ils hésitaient, par un déploiemetit consi-
dérable de forces, à interrompre, ntéme iiiouienlanénienl, leurs
relations commerciales. En outre, l'état intérieur de la répu-
blique, divisée entre les partis qui se disputaient le pouvoir
et songeaient à appeler l'étranger, n'était pas de nature à
faire envisager sans crainte aux esprits claii'voyants une ex-
pédition dirigée par Gènes seule contre les Musulmans
d"Afrii|ue. Ces raisons décidèrent les Génois à implorer
Tappui de la France ; une ambassade fui envoyée à Charles vi
(1389J*. Elle le rejoignit à Touloaso, au cours du voyage
f|u*il fit, à ia tin df l'année 138!), pr»ur prendre solennelle-
ment possession du Languedoc. Le doge Antoine Adorno,
des incursions arabes à user de représailles; elle finit par envoyer
cin<i galères sous les ordres de Fran;ois Orlandi iMas Latrie, Traité»
de paix et de commerce avec (ex Arabes, introd. p, 239-40).
1. Mas Latrie. Traitée de pnix. ... p. 129 et introd. p. 239-40.
i. Appelée Menhtt et I.olophitgitis innula par les anciens, dans le
golfe de (ïabès (Tunisie).
3. (liustiniani, Annali delta repnhliea di Genova (éd. de 1854). n,
163; — Stella (Muratori, xvn, 1128): — U. Foglieta, Genuensium hi*t.
/d. de 1585), I. IX. f. 164 v; — flaynalUi, xxvi, 514-5. — L'expédition
partit le 28 mai 13B8. Krédéric m. roi de Sicile, avait, dès 13G4, nommé
Jean de Clonnont c)iiUclain de l'itc de Gerbi s'il ta soumettait à la
rourotme de Sicile (Mas Latrie, Traités de paix.. ., p. 160).
4. Oiustiniani. n, 164: — Stella (Muratori. xvn, 1129); — l*. Fo|;:Iieta
tcd. de 1585J, f. 164 V'^-IGS; — Chronique du hon duc toys de Huurbon,
p. 218-9; — Chroni(/tte du ftfiio'^ux de Saint /Je«i«, l, 648-50; —
Froissart, éd. Kervyii, xiv, 1Ô2-IÏ; — J. Juvéïiat -Ifs 1 rsins, Histoire de
Charles r/tèd. .Michand pI Poujoulan, M, 383.
1(58
K\t>KDITroN DE HIRHARIK
< moult suiiblil koiuiue, saige et bel parlier' >, était pai'lisari
flf* l'allîanre française; il comptait sur elle piiur soutenir son
uutorité ébranlée, H espérait qu'une guoiro étrnnt:ère feniii
aux rivalités iutérieuros i[ui déchiraient la républinup un»-
salutaire diversion. Il se llattHil, en outro. dV>ntr;iiner facilc-
nienl en Afrique, pour le plus grand protit des Oénoi.<^ un
prince chevaleresque ol une cour qui' la paix rédui^iit alors
â rinaction.
Kn présonc<' du roi. les ambassadiMirs génois expuséreni
l'objet de leur mission; ils représentèrent que l'audac*» drs
Sarrasins rendait toute navigation impossible tiaus la Médi-
terranée; que la Sicile. h\ Sardaigne, la Corse, les il«»^
d'Elbe et dlscliia, rarchipel des Baléares étiiient journelle-
ment en buUe aux déprédations de ces écuuicurs de mer:
que pour iiiedre fin à ce?^ incursions, l'idijectif de Texpêdi-
tion future devait être la |nisv d'Africa', « maie et forti'
ville' », clef des royaurae.s do Tunis, do Bougie et de Tleraani
dont elle était le port jirincipal. Ils ajoutaient que la chute ilc
celle place entraînerait la i-nine Cfrlairie des trois royaumes
inam'es, ei que ramener la foi chivtienne dans des pays d'oi'i
elle avait été si longtemps banni»' n'était pas une entreprise
indigne dn plus gi-auil roi rliréticu. Kntin, *mi échange du se-
cours qu'ils sollicitaient de la France, les Génois s'enga-
geaient â transporter et à approvisionner le corps expédi-
tiuimaire, et à entretenir à leurs frais douxe utillt* arbalétier>
éprouvés et huit cents gros valets, iU'uiés do lances et de
pavois, pendant toute la durée de la campagne*.
Les propositions génoises ne reçurent pas de Cliarles vi
l'aecui'il entliousiaste sur lequel lo doge avait compté. Malgré
la trêve récente entre la France et l'Angleterre, qui pro-
mettait trois ans de paix aux deux puissances, le roi n*éuii
1. Chronique du bon duv Loyg de Ûoiirfiun, p. 2iî'.
2. A7 Mahadia ou Et MfiMdin, prés du e;q» Aft'ica (Tunisie), l'au-
cien Aphrodision.
3. Froissart, M. Rudion, ni, 58. Kcrv\'n donne seulement ■ iiuilb^
ville I (xrv-, 152).
'i. Kroissart, éd. Kcrvyn, xiv, 153; — (UttanùiHc dn hon dur...^
p. 220; — l'. Knglipta {rd. de 1585», f. IS'i-5; — J. Juvénal des t rsins.
u, 383. — Le Hefiffifiiix de Saint Ofniti (i^ «ii8-5I) rt liiustiniani iu,
I6î-"l mettent dans la bouche des ambuâbodcurs des tlis<'ours qui ne
semblent rei»nser sur aucune donnée historique.
I.OLl.H 11 l)K HOCKbON CUKK Ut LA (.'KolHADE.
m
pîis disposé à s'ongagrer ilans nno périlleuse aventure. Ré-
?*istant à son entourage, qui lo pressait d'accéder au désir
ilê.s (ién»iis, il congédia les ambassadeurs, leur donna acte
lie leur;? promesses et de Iciu' requête, et ajourna sa réponsi«
A deux jours'.
Te délai ne fut pas perdu; la Jciint'sse, ipti lirnlait de
prondre les armes conti'o les mécréants, x*edotibla d'inslanci's
auprès de Charles vi; Louis ii de Clermont, duc de Bimrboii,
iinde nialeriiel du roi, se fit ritiieriu'ète ries sfiilinients de
la cour, et supplia que 1*011 lui donnât le couiuiatidenienl île
fentreprise. Il voulait s'emplover pour le service du ni cl
lie Dit'U, car, disait-il, « c'esl la chose au rnonilr fine j'ai
plus désirée, et après les fais mondains, il est belli» chose tW
servir Dieu'. » Charles m, cependant, hésitait; it essaya de
flisijïuader le duc de son dessein en lui rtMiiontraii* qu'if anraif
[M'iue à recruter îles compagnons. Le dur lui i'é|iondi( qm*
lo5î chevaliers et écuyers de ses domaines partiraient avec
lui, et que jamais ils ne « lui faillirent ^ quand il avait fait
appel à leur courage. Son insistance l'nt telle que le roi céda.
o{ ipiaud les ambassadeurs génois vinrent demanrler la ré-
ponse promise, Charles vi leur présenta sou oncle comnif lo
chef de la cnusade, et leur donna l'assurance (l'un pi-oiii|il
siMïours. L*ambassade, heureuse du résultat obtenu, se hâta
de i-egagner Tltalif'.
t.ln ne piiuvail faire un meilleur choix quo ndui du din-
de Bourbon. Les Génois avaient demandé qm» le comman-
dénient en chef lïil dévolu â \m ju-ince du sang, et mis eu
Avaut le num du duc de Touraine, frère du roi; mais b-
Cïiïiseil de Charle> vi eut la sagesse do ne pas t'èdav à des
Ao||icil;k(ions plus tl.'tileuses que raisonnées, et d'éearler un
prinre dont hi jeunesse et rinoxpérience militaire ne i>ou-
vaient qu'élrp ftniestes au siiccès de rex[>édition, Parmi les
membres de la famille royale, les ducs de lierry et do Bour-
gi>giie se souciaient peu ilequiLter la France pour un lointain
ruvnge; on fut heureux de trouver Louis 11 de B'UU'bon pour
I . ChronirfUfi rf« bttn </«r. ... p. 'J2'i.
î. /(/.. p. JJI.
a, Krui&ifHri, éd. Kenyn. mv, \'i'2~'t, — (Jtronifftie du bon ttuc...,
p. 221 ; — J. JuviViiiU des Irsiiis, p. 38:t; — Rt'IitjivHX lie Sninl Dmt*,
^ fiSO-îJ,"— liiiintiiiiaiii. 11, l»'«7; — V. Foirlit?tu, f. Hî5.
170
EXPEUrnuN DE BA.HUAKiJ::.
le meitrc â la t*Me fies troupes. Oncle malnmel du roi, ce
prince n'avait pis juscju^alors eu Toccasiou de jouer en
France le rôle que lui assiguaîi sa naissance. Longtemps
prisonnier eu Angleterre comme otage de ia rançon du roi
Je^n (I3G0-I3G8;, il avait, â son retour, pris part en Bre-
tagne et en Guyenne aux guerres eonti*e les Anglais; il s*étail
distingué à Rosbecque (I38?j; ou le tenait à la cf>ur pour un
vaillant chevalier et poiu* un général sage et prudent. La mort
de Charles v, eu r:i[tpt'iant, avec les ducs d'Anjou, de Berryet
de Bourgogne, à la ititello du jeune roi, Tavail nus au premier
rang ; ses contemporains fai.saient gi*and cas do ses qualités mi-
litaires et administratives, persuadés quo s'il avait un ihéAtre
puur les exercer, il soutiendrait dignement sa réputation.
La nouvelle de la croisade ne tarda pas à se répandre en
Fr.inee. en Espagne et en Angleterre; de toutes parts les
adhésions allluérent, et Tèhui fut universel. Charles vi, pour
ne pas dégarnir son royaume, avait i-églemenlé par diverses
raesiu'es les conditions du ilépart : chacmi dut entreprendre le
voyage à ses frais; personne ne fut autorisé â s'embarquer
sïuïs le congé du roi» et le nombre des combalUinls fut limité
à quinze cents pour la France. De leur côté, les Génois
avaient annoncé qu'ils ne transporteraient sm- leiU's vaisseaux
que des chevaliers et des écuyer j. et qu'ils refusaient le pas-
sage aux valets d'armée dont chaque combattant avait alors
coutume de se faire accompagner. Cette résolution, inspirée
par le roi, avait été prise pour ménager les susceptibilités des
chevaliers étrangers et leur prouver que rexpédition ue de-
vait comprendre que des « gens de fait et de défense »,
M:ilgré ces restrictions, raiHuence fut telle que Louis de
Bourbon eut peur de manquer an dernier moment de navii'cs
et d'approvisionnements. Il chargea un de ses maîtres d'hôtel,
un des maîtres de su monnaie et cinq autres otKciers de sa
maison d'inscrire les enrôlements, à mesure qu'ils se pi\»dui-
saient, et de se tenir en rapports constants avec la république
de G(Mies pour régler l(*s dispositions du départ. Celle-ci
répondit qu'elle avait vingt-deux galères et dix-huit vaisseaux
prêts à ti'ansporter six mille hommes d'armes, et que les
craintes du duc étaieul chimériques. Le rendez-vous général
fui (ixé .i Gènes, la semaineaprèsla Saint Jean fin juin I.'tyn^ ',
l'ruiïu»m-t, lmI. Kenyn, \iv, M*' , — ChronOjuetiu hon*ittc...^-^. 223.
PRECAKATII'S ET .iPPROA'lSlON.VEMK-NTS.
Les Génois» cependant, malgré les assurances qu'ils avaient
données à maintes reprises, s'aporvurent bientôt qu'ils ne
pourraient trouver chez eux le Mê et le vin indispensables h
l'expédition. Le doge, effrMyé, écrivit au duc de Bourbon
poui' le prier d'obtenir de Charles vi Tautorisation d'acheter
en Pi'ovence les denrées qui lui manquaient ; il s'agissait de
deux mille tonneaux de vin et de quatre mille cb-irges de
froment. Cette nouvelle bouleversa le duc; déjà il voyait
* l'armée d'Auffrique rompue», (H renU'oprise avortée; sur
l'avis de son conseil, il députa vers le roi à Beaucaii'c un de
«pj« seiTÎteurs, Charles de Hangest', chargé de faire agréer
la requête des Génois et, on outre, d'obtenir que les troupes
pussent se concentrer à Marseille « et que la ville fïMit aban-
« donnée au duc de Boui'bon et à tous ceulx qu'il y voulJroir,
« mettre ». L'honneur de Louis de Bourbon et celui de la
Krance étaient engagés; il fallait à tout prix que le voyage
eût lieu. Charles vi le comprit et accorda à son oncle ce qu'il
dmcindait. tout en profesbut ((u'H n'ainmit guère les Génois
* et qu'ils u'auruieut point de vivres. . . sinon eu payant granl
« truaige, car ainsi est de coustume ».
La réponse du roi fut accueillie par les Génois et par le
duc avec la plus grande joie: cln*z celui-ci comme chezceux-
là, la crainte de voir échouer la croisade avait été extrême;
l'anitiur-propre de l'un, l'intérêt des autres étaient également
intéressés au succès de l'entreprise, Louis de Boncboti avait
fait preuve de beauciuip d'â-prnpos en demandant à ras-
sembler ses troiqtes, non plus à G."*nes, mais à Marseille.
Puisque cette dernière ville devenait le « marché de vivres »
do Karmêe, et que les bùtiuieuls génois étaient obligés de
venir s'y approvisionner, il était naturel que rembarque-
ment se fit à Marseille; on donna donc eontre-onlre. et le>
e4>mbatlauts durent se réunir dans ce p"rt A la date du
('^juillet nuo».
Aus.sittM que rtnterventi')n française avait été décidée, le
tlnc avait accompagné le roi à Avignon, et demandé au
t. C'était lo second fils de Jean de \\ru\gc&t et de Marie de Hcquî-
gny. Il êjwusa Mari^ueritc rir lleniimotU. Son frère ain^ J(»an, rharn-
hellan du duc de lluurfrognc, 5e distiii;rua j Nicupolit» uù il fut fait
priwintiicr. et niouruf à Azirn'ourl d'i'u's^^T*, éil, Kervyn. vxi, .V»r-Hl.
• , Chroniifiw iftt hvn tfitr. ,., n. -2'i-H.
172 * KXI'KI>IT|UN 1)K BAHHAKIK.
pape Clément vti la permission de combattre les infidèles.
l't It's iiiiliilgenres ordinaires pour les croisés. îl était onsuite
n'ionrné à Riris avec le roi, pour y prendre les dispositions
iridispeusables et notriinment desarriingenients financiers que
nécessitait mi patrimoine assez étroit à la veille d'une dis-
pondit'use expédition'. De ]n il avilit gagné le IJonrhunnais.
avait « f>rdonné les affaires de son pajys », et commis le sire de
Norris' au j^joiivernement de ses terres pendant son absence.
Accompagné de tiuelques grands scipueurs, it s'était ensuite
acheminé vers Turin, où il séjourna du 17 au 10 mai, et dix
jimrs avant la date fixée il ét;iit à Marseille pour organiser
son armée'. Sa suite, compusiMi' du sire de Coucy*. des
comtes d'Eu* et d'Harcuurt'^ et de FamiraNean de Vienne',
fut logée dans la ville par les soins des fourriers du duc, eu
jiiteudani ijne la conoontration fi'il complète et que le dépari
put avoir lieu. Los coniingenis français, — • chose rare à cette
1. Les 18 et '2fy mars U90 lo duc de Tourainc prèle an duc de
Il^jiirbon deux mille florins pour lo voyajjre de Harliarie (lluillard-
lïn'liolles, Titirs de iiourhon, il, n" 3790). Le duc de lUïubon veruiii
pour douze mille livres son hôtel de Paris, rue de ta Harpe (Loray,
Jpnn de Vienne, p, 243).
2. Pierre de Nurris, chevalier nivernais, était entré en 1382 au
service du diin de Bourbon, qui l'avait charj^i^ de l'administration finan-
cière de ses domaines. Il sut ^:agncr dans ces ronL'tiuns, par -la sagf
des moisures qu'i! ju'it. l'absolue contianco de son luailre, et c'est à luT
([ue revient l'Iionncur d'avoir maintenu en bon état les tinanccw ilu
duc (Cftronitfuc du bon duc. . . , passim).
3. F. Sarraceno, He^psto dei principi di casa d'Acftja^ dans
Misccllanec di storia italiana, \x, 186; — Chronique du hondur.,,^
p. 223-4 et 226.
î. Kngucrrand vu, sire de <'oucy, l'un des plu* illiislrctî gucrritu's
du \IV* siècle. Sa carrière militaire et diplomatique fut de» pJUîf
remplies. .Nous aurons, dans le rour"s de ce travail, maiiUcs fols occa-
sion de rencontrer ce personnage. M. Mazas ( Vies di's i/rnnds capi-
taine» français, 3* tHlil., iv, 121) aflirme, sans dminer les preuves de
son assertion, qu'il s'agit ici de Raoul et non d'Enguerrund de t'^ucî.
5. Voir plus liant sur ce per? onnna^o, p. ttj'i.
(i. Jean vu d'Ilarcourt, fils de Jean vi et de Catherine de lt4)urlion,
«Mail cousin du roi de France qui l'arma chevalier le jour du sacre
(I nov. I3H0), et neveu du duc Louis n. sous les ordres duquel il avait
s<*rvi avant de l'accompagner en .Xfrique. Il fut fnil ]irisontiier x
Azincourt oi mourut en l'»52. Il avait t'|K)Usè Marguerite d'Alençon.
iTroissarl, éd. Kervyu, .\i\, .îl.i).
7. Voir pluH hnnl -;iif fc jiei-Ronnag*', p. l'i.ï.
CONCKNTIUTI**X DliS TRolîi»£S A MAHbEtLLE- 17^!
époque, — avaient traversé lu France sans donner lieu aux
plaintes que soulevait généralement le passage des gens de
guerre; ils avaient payé comptiint leurs dépenses*. Pendant
que les chevaliers allluaient dans la ville, le duc, par pré-
voyance, complétait se.s approvisionnements de vin, de
viandes salées et de volailles pour les malades, craignani
que ces détails eussent été négligés par les Génois. L'embar-
iiuemenl, grâce auK excellenles mesures prises par le chef
do la croisade, s'effectua avec le plus grand oriiie. Le dur cl
l<*s bai'on» entrèrent < es souverains estaîges et chasto^ux des
< nefs et galéos », les chevaliers, les hommes d'armes, le^
sergents et les arbalétriers prirent les places qui leur avaient
été assignées, * chascun trouva son lougeis fait, et prest pour
€ aller en la mer », et la flotte put mettre à la voile à l'époque
primitivement indiquée par le duc".
L'événement n'avait pas justifié les appréhensions de
Charles VI ; le recrutenn-nt des eomliattants avait été facile ;
do toutes paris on s'était disputé Ihonninir de prendre part à
la croisade. Tout ce que la chevalerie comptait d'illustrations,
en France et dans les pays vuisins, se groupa autour du duc
(le Bourbon. La Gastrogne était représentée par le siuidic de
la Trau « ung des vaiUans chevaliers du monde », accom-
pagné de dix gen(ilshommos\ par les sires de Castillou* et
d'Aibret'; le Béarn par le b;Vtartl de Foix avec une suite
) . i. Juvônal des t rsin*. u, 38a.
2. Cftronitfue du hou rluc. . ., p. 227-9.
:i. Lo suudic de IKslrau, ou mieux de la Trau. est un <les persou-
nage» les plu» remarquables de l'histoire de Gascogne au \iv* siècle.
La Trau est une sei^îiieurie du lïazadai» (Gironde, arr. Uazas, cant,
Villandraut, i*»tm, Préchac). Le boudîc était seigneur de Préchac;
îl servit en laO'î en Bourgogne sous tes ordres du duc Philippe, et
dan» l'armée de Du Guesclin. Comme sire de Didonrie (Cliarenle-
luférieure, arr. Saintes, cjmi. Saujitiu il faisait hommage en 1366 au
prince d'Aquitaine, tandis qu'en UifA et \'i6ù il rciidaii hommage.^
i'harles v pour le château de Beauvoir, sis en la Bénéohaussée de
Toulouse {V. Froissari, éJ. Luoe, vi, p. lu, note i).
i. La ChronitfUf du ban duc l'appello te sire de C^stillon entre
deux mers. Il y a deux vicomtes do Castillon prëâ de Bordeaux. Tune
«ur la Gironde, l'autre sur la Dordogno, mais aucune n'est dauâ
I ■ Entre-deux-aiers.
5. La sierie d'\ll)ret étjtit située entre la Chalosse et le Bazadats.
Charles i d'Albrel, celui dont il est ici question, Fut connétable de
France en l'ioi: il mourut à Azuicourt en ri15.
171 KXPKnrrioN i>r iiAKiiAitlK.
nombreuse'; l'Aragon par le vicomte de Rorlc'8*, le sire tle
la Saigne' et Ortingo d'Oitf^nyc*; la Bi'elJigne et la Nor-
nianftio par un grand nonihrv do chevaliers, parmi lesquels le
sin; fl'IIarcourt*, le maréchal d'Eu*, Sainte-Sévère^, et le sire
de Graville' qu'accompagnaient trente hommes d'armes; la
1. Ji^an, dit Yvain de Déani. bàtanl de Gastfin ni Phrbus. Il mourut
ïirùlé en Janvier V4\i:\, à la suite de la mascarade des sauvages donnée
îi la cour, et fut enterré aux Chartreux (Fri>i>.sart, éd. Kervyri, xxi, 284).
2. Le frère du vicomte de Hhodes, Pons Périlleux, fut pris par le
sire de Reaumanoîr dans une embuscade prè:< de Monrontour (rot)»*
ihi Nord) en 1387 ifVironifjue du bon duc. . ., p. 211).
;i. Il s'agit probableniont de G, de Seignes, chef de compagnie, qui
opérait en Provence on J385 et 1386. — On avait dus 1385 (25, 28 oc-
tobre) agité et décidé dans les conseils du papo d'.Avigium et de In
reine Marie d'Anjou, la question d'aclieter sa potraile. ('plIe-ci et cell
d'im aventurier gascon, Perrolin de Termes, fui décidée \' juillet 13S6|
pour un délai de si^ moi», moyennant quatre mille florins. En août
1386, (1. de Soignes rendit hommage au roi Louis n et h la reine
Mai'ie, sa mère, |>our trois châteaux qu'il avait en Provence (Bibl. nat.,
franc. 5ÛI5, f. 01 rn-", 129 v et 137 v').
Km tout cas, il ne saurait être question ici de Chiquot de la Saigne,
dont parle souvent la Chronique du hon duc; celui-ci s'appelle Uer-
nardon, dit Chiquot. de la Salle, et n a pas pris part à l'expèiiition
du duc de Bourbon (Kenseignements communiqué.-* par M. P. Ûurrteu.
Voir l'ouvrage de ce dernier, Les Gascons en Italie, dans Revue dn
r.a*(Cogne, xxvi, 9).
4. Bernardon, dit Chiquot, de la Salle, homme d'armes anglo-gascon,
avait, de concert .ivee Hortingo de la Salle (appelé aussi d'Orlenyei.
chef lie bande comme hii« combattu au Pont Saint F-sprit (1360). a la
Charité sur UWi-o (1363-, en F>.spagne (1367), en Champagne (136>*'.
surpris et arrêté la duchesse de Hmirhun au château de Bellefterch*-
en août 1369; mais il ne put iléfetidre la tour de Rnu» dans laoaelk
la duchesse avait été tniiisférée, etUutîa rendre ît la lin d'août 1372. Il
était probablement parent d'Hortitigo{CAn>niV/«e(/« hon duc..., pis&im .
— P. Uurrieu, Les Gascons m Italie^ ilaiis lîcv. de (iascugne, XXVI, 9;.
5. Vuir plus haut, page 172.
6. fîuillaviuip d'Ku, sénéchal du comté d'Eu, fils d'EusIache de la
Chaussée. Il prit part à la croisade de Nicopolis en 1396 (LebJPuf, La
ville d'Un, p 1*8).
7. Louis (le Urt>sse, seigneur de Roussac et de Sainte Sévère, AU de
I^uis de Itrosse, tué à la bataille de Poitiers en 1356, et de Constance
de la Tour, se tlistingua sous Charles v et Charles vi. Il mourut A
tiénes, au retour de l'expédition, comme le lecteur le verra plus bas,
le 8 oct. 1390. Son corps fut rapiwrté dans l'église de S. Martin
d'Huriel (P. Anselme, v, 571).
8. Ctuillaume de Ciravjlle était fils de Jean de Graville et de Marie
lie Léon, et ne doil pas être confumlu avec Guy de Gra\nlle, armé che-
valier À llushecque /Froissart. éd, Kervj^n, XXi, 431).
COMPOHJTIO.V DE I. AHMKfe:.
n.n
w
iTaine par Philippe de* Bar'; la Touraino par Ingelgcv
Atnboise*. Coud*' cl lo comte (î'Ku* < nouvpllement venu
'oullre lûer > amenèrent deux cents Uonimes d'armes. Le
seigneur de Saint Georges*, avec vingt-cinq gentilshommes,
l'amiral Jean de Vienne*, plusieurs membres de la maison
de la Trémoiile\ étaieut à la tète de la noblesse de Bour-
gogne. La Picardie, la Flandre et le Hainaut avaient envoyé
un important contingent, au milieu diujuel on distinguait le
romted'Oitrevant*, les siresde Ligne*, d'Havre'", d'Antoing".
^
1. Second fils de Robert de lîar et de Marie de France, i^pousn
Yolande d'Enghien-Convorsan. En 13'J0, il reçut du roi un don de
deux mille francs en récompense de ses services. Il moumtà la journée
de Nicopolii en 1396 ^Proivïart. éd. Kervyn, x\, 231).
2. Froissart l'appelle (éd. Kcrvyn, xiv, 225) Engorgi^ ou F.nt}onjft,
Il s'agit dingelyor, s'igaeur de Hocliecorbon, fils dlnjiielyer dit le
Grand, bcigneur d'.SmbuibC, etc. Il épousa Jeanne de Craon, et ne fut
jamais seigneur d'Anibuise; maïs iA>i\ tils Louis succéda ù Pierre ii,
l'ère d'Ingelger, dans la seigneurie d'Amboise.
3. Voir plus liaul, p. 172.
1. Voir plus haut, p. Ift'i-S.
5. Il a'agit de Guillaume de Vienne, 61s de lingues de Vienne et
de iJilleUe de Longwy: il i''p<jusa Huguette de Sainte Croix, et prit
part, aprèâson retuur de Barbarie, à l'expédition de .Nicopolis [Frois-
sart, éd. Kervyn, vvm, 67).
6. Voir plu-* haut, p. I'i5 et 172. Il appartenait à la même maison
que le sire de Saint Georges (Froissart. cd. Kervyn, xxiii, 67).
7. On compte trois représentants de la famille de la Trémoillc à la
iKade de Itarbarle: 1" Guy, Keignour ilc Sully, fils de Guy et de
deg'»nde Guenaud, garde de ruriflanmeen lUSIJ, qui épousa ver«
B2 Marie, fille de Ixjuis de Sully, et uiuurut à Ithniles, au retour de
ixjiéJition de iNicopoli». '!> Guillaume, fn^re cadet du précélent,
(gneur de Hu^son. Il fut armé chevalier à la baïailte de Hu^becque
2) et prit part à l'expédition de Mcipolîs; :l» Jeati, sire de Junville,
Guy, épousa Jac |ueline d'Atnhjise et mourut vers 14^i9. 11 ne lit
ie, à l'urigine, du vjyage île Uarbario, mais* conduisit des ren-
due de Bourbon au cours de la campagne (Froissart, éd. Ker-
n, xxiri, 211*3; — Sainte Marthe. Ututuive ijénèalogiqae de ta maison
la TremotUe ;1668. in-12), p. 113).
A. Guillaume de Hainaut. tils a né du duc Albert de Bavière.
9, Jean de Ligne. DU de <juillaume de Ligne et de Uertlic de
hieidon, mari d'Eustache de Barl)anÇi)n, mourut en Kj^i2 (Froissart,
. Kervyn, xxit^ 105).
10. Gérard ii, tils de Gérard d'Enghlcn, seigneur d'Havre. Pendant
guerre do Frise (131)6) it avait cinquante-huit lances sous he^urdres,
dont dix chevaliers. Il épousa Marguerite de Marbaix (Froissart, éd.
~ rvyn» xxr, 532-3).
L 1 . Henri de Melun, dit d'Antoing. second tils de Huguea et de Mar-
i
<
iTfî KXI'KDITION DE lURHARlK.
L'Angleterre ii'èUii pas tcsUmî indifTf^rente à reiithoustasmi?
génôral: sous la comluito du bâtard de Lnnrastro*, ses guer-
riers les plus fameux, Clifford*, Cliiubo\ Neufvilie*, Cor-
iiouaille", avaient traversé la France de Calais à Marsoillu
pour so joiriflre :i rexpédition, au nombre de vingt-cinq
■^("iililsboiiimes e( dtî oeut archers. Quant aux vassaux ilii
duc de Bourbon, tons avaient répondu à l'ajtpel do leur
suzerain. Enfin, au dernier moment, unmbre de chevalier**.
dont la venue n'était pas annoneée, avaienl rejoint let
fiiertte de Picquigny, mari de Jeanne de Wcrchin. En I37a, il com-
"imandait à vingt et un chevaliers, quatre-vingt-neuf écuycrs et cent
vingt hommes d'armes. Il était h. Tost de Ilûurbourg (sept. 13H3y.
guerroya eu Poitou (1383), fut envoyé à Gravcliniys et à Dunkerqm»
(»n 1384 (Kroissart, édit. Kcrvyn, xx, 97-8).
I. Jolin Beaufoii, cumto de Derby, fils bâtard du due de Lancaslre.
(jiif'lqiies liistoriens an^Oais, llayward (//»«/. fie Henri iV. p. 30-1).
Hawdon Brown {Veneliûn àtale ptipen, dans la coll. des Calcndarfi «if
slale pa^jers {Ixiudres, 18G4), r, Ixxxit ont dit» d'après le témoignage dcn
chroniques de Saint Denis, que le comte de Derby (lU>)infj;broke, pliiN
Iniil Henri iv) prit part à l'expédition de Ikirbarie avec trois cent:»
rhevaliers. C'est une erreur. Derby assista aux joules de S. Infjrelbprl
prés de Boulo^ie (mars-mai 1U9U1: il y jouta le 20 avril, et dutquiUer
Calais vers le 6 mai. C'e:»t, en eiïct, à cette date que commence h*
compte du trésorier du voyage de Prusse. Kn quittant Calais, Deriiy
alla combattre avec les Teutonique-s dans la marche de Prus&e; il re-
vint à Bolingbroke le 30 avril 1391. De là il f^t le pêterinaiirc des
Lieux !Saints, et revint a Venise le 18 nov. i3y2; mais il est impos-
sible de confondre ce voyage avec le voyage de Barbarie, antérieur
d'un an au pèlerinage en Orient (Baron Pichon, Partie inédile des chro-
niques de S. Denis, Paris, 186'i, in-8". p. ':i. — Londre.s, Record office.
IhK'hy of Lnncaster ttcconnfs. class. 28, bundle 1. n" 6.— Cf. Mdnfilfthf-
rir/,1 der K. Pr. Ak. der Wisneuschnflnx zu Berlin (1857), '1O6-I;).
2. l*ouis de Clifford, • un moult appert et vaillant chevalier d'An-
gleterre », frère de Thomafi de Clifford, appelé aussi Balpb, lortl
S'evill; il était cousin germain de Jean Chandos et mourut en 1&UG.
V. sur ce personnajre Dugdale's liaronotje, i, 297.
3. Probablement sir John of Clinton 1132G-97), uoveu et héritier de
(ïnillaume. C4)mle d'Huutingdon.
') . Il semble que ce poraunuage &oit le même que ClifTord. Voir plus
haut la note 2.
.», Probablement sir John Cornwall, chevalier. Il faisait partie de
U suite du duc de Lancastre et du roi de Castille en 1388. Il reçut
eu 1400 du roi Richard u le manoir de Chipping Morlon; il épousa
en l^i02 Elisabeth de t^ancastre, comtesse de lluuiingdon. (L.ondreâ>,
Kecortl office, Gascon ftoHs 1 1 liic, 11, m. '1 ; Pal. rolls 22 fUc. u, part. 3.
m 42; et 2 lien, iv, part. 3. m. '»•, — Bym^r, Fondera vu. 583J,
" i-
EFFECTIF in; L*AaMKK I)KS CROISKS. 17/
croisés : parmi euxBêrand. comte dauphin d'Auvergne', lo
vîcornle dX'zès*, ot maint autro. LV'laii avait été iinivei-sel*.
Il est assez difficile de déleruiiiier l'eflectif des croisés;
malgi'é le témoignage de Froissarl, qui fixe à quatorze cents
le chiffre tolal dos rhovaliors oi éciivors, il est probable que
le nombre de quin/r cents cluîvaiiers, auquel Charles vi avait
limité les troupes françaises, fut facilement atteint; il con-
vient d'y ajont*M* l^s conibaîtants étrangers pour lesquels
nous n'avons aucune base d'évaluation. Les Génois founiîrent
milïo nrbalélriers et les équipages des navires, au total
environ quatn* mille cnnibattants; d'apn^s' un chroniqueur
i-ontemporaiiï, ils levèrent, en outre, un couliugHiit de deux
niilh* hommes d'armes. Quoi qu'il en soit, rt^xpédition était
uiuoériquement considérable, ot pouvait esptTPr do sérieux
avantages sur les Musulmans*.
liO commandement de la flotte avait été attribué à Jean
Coiiiurioni' d'Ollramarino. unOniiois, jïarf'nt du dogoAdorno,
D'uno ancicnno fanùllo. rlonl nn reprM^0Il1ant s'était illustré
liés le Xiii' siècle au service do la république, l'iuiiiral avait
rompli d'importantes fonctions politiques ot coiumerciales
dan-* sa pairie; en 1388, il avait pris part à la conquête do.
l'île de (ierbi, cl son rôle dans a'it(^ campagne l'avait dé-
signé an choix dos Génois comme chef do la tiotto coalisée.
Les opérations maritimes lui furent dévolues, taudis que le
I . Béraud n. flU de Béraml i et de Mario de Villemur. Froiiwart
l'appelle • lo gentil coTite dauphin •. C'tMait un de ses protecteurs, et
il m* manque aucune ocoabirm de raconter avec d»^tail les prouesses de
ri* iK»rsnnnage (Kroissart. M. Kervyn. xx. 2l.î-'i).
J. Alxiiuf, vicomte d'Izùs, mari do [iaii|itiine de la Hoehe.
'A, Kroissart, éd. Kervyn, xiv, 155-6 et 32i-5; — Chronique du bon
tittr.,.,p. 222 et 227; — Chronique lie^ quatre premiers Valois.,
p. :nî-5; — firlifjieiix df Saint {ieniit, i. f»ô2-:j. Vuir aux pïèeesjufili-
JiraiiveK m" IV) la liste des chevaliers qui prirent part à la croisade.
%. FroiRsart, iSI. Kervyn> xiv. 157; — Chronique du bon duc.f
p. 222-3; — J. Juvf^tml des l'rsins, n, :ï8a. — Le Heti/fieux de Saint
tieniâ (i, r»52-:t\ ilont Ips i-valuations sont jîënéralemeni exagérées,
parle, en outre, de rlfiix mille hommes d'armes fournis par Gènes.
M. MazAs {Vie dm tjrandK rapitainei, ni, t20-IJ donne les chillres
suivants: deux mille r))evaliers à bannière uu ù pennon, sept
mille éeuyers, eint) mille gros varlots armés fi lu légère, trois mille
Xi'UK de tmit. la pUipail Gascons; en tout dix-sept mille hommes.
>uUK ignorons \os irinnignage-s qui ont servi de base à ce calcul.
178 KXPKDITIOX DK RaRBAIUR.
duc de Boiu'boa restait charg<> do la couduiie des opérations
militaires*.
Centurione étiit à la tête d'mi arinetueut maritime consi-
dérable; les soiircps génoises l'évaluent à quarante gnlèros
et à vingt vaisseaux de transport; le cbri>ni(nieur du duc
do Bourbon û vingt-deux galères et dix-huit nefs < Unt de
< guerre et de cours'. » An milieu des exagérations d'autres
lêinuijiçnages d'origine française', ee dernier chiffre, émané
d'un lémoiu oculaire qui n'avait aucun intérêt à s'écai'ter
de la vérité, semble devoir être préféré à celui des auteurs
génois, naturellement enclins à l'exagération en cette circons-
tance.
« Grant beaulté et grant plaisauce fut à veoir Tordonnaure
« rlu (ieparlenient » ; c'étaient de toutes parts bannières.
pennous et « escus armoiés . , . qui venteloient au vent ei
« resplendts.soient au soleil >. Au moment oA les ancres
furent levées, nn entendit sur les hrUinieats les « trompettes
4 et clarnns retentii" vt bondir, et autres ménestrels fain-
« lem' raestier de pipes et de clialeinelles et de naquaires. »
Toute la nier résonnait du son dos instruments; la flotli'
traversa la mde et attendit le jour avant de prendre Ir
large *.
Elle se dirigea vers Gènes en longeant les côtes de Pro-
vence et de Ligurie ; le troisième jour elle relAchait à Porto
Fino, tandis que le duc de Bourbon, avec une suite de
1. Giustiniani, n, 163; — Stella. (Muralori, xvi, 1128-9): — l'. Fo-
jtliefa, éd. de lô85, f. 165 ; — J. Juvi^na! des Lrsins, it, 384. —
Kti 1241, Guillaume Ollramarinu, beau-jxjre de Jean llrsino. était l'^a-
pitaine de cent Itoniines d'armes. Jean Centurione était fils de Raphaël
Centurione; sun nom liffurc dans des aciesde IJ'O et 1U77; à partir tie
1380, it ct(t iiUimeinent mêlé aux an'aires de la ril^ptiblique génoiî^e el
jusqu'à Ba mort, survenuo apix-s 1413, Jean Centurione r>ocupA dans
va patrie une situation cxeeptioimello. Nous aurons, dans le cour» de
ce travail, occasion de reneontrer plusicurH fois le nom de ce person-
nage L'onsidérablo | Renseignements communiqué-s par M. l'avocat
C. Desimoni).
2. CiiuKllniani. n. 163; — Stella, (Muralori, wu, 128-9); — IJ. Ko-
glieta, éd. do 1585. f. 165: — Chroni/fue du bon fiuc...^ p. 229.
3. Le fteh't/ieux de Saint Vents \}a.vie il. Sâ2-'d) ûe quatre-vingts vais-
seaux. Fruishart (éd. Kervyn, xiv, 157) indique le cliilTfre de cent vin>rt
galères, deux cents vaisseaux cl cent vaisseaux d'appruvisionncmeri^i.
4. Kroissart, éd. Kervyn, xiv, 157.
ITINKRArRE SlIVl PAR I^ FLOTTE. 179
quelques soigneurs, doiscondait à terre et entrait à Gênes,
< grandement receu et festoie <tu peuple >. Mais sans s'ar-
ivter dans la ville, après une visite au doge, il regagna sa
fr:»Iêre, et l'on remit :\ la voile à desiiuaiion de Porte Venere.
Dt» ce point Texpi^dition mit le cap au sud vers l'Afrique,
passant entre la Cov^^g et les îles de Gorgotia * et d'Elbe, et
lungennt la côte orientale de la Sardaigne ; elle se ravitailla à
la Guîllastre', à Cagliari [Chas tel à Caillé , et à la Mousière.
Mais la traversée avait été si rude et si périlleuse qu'au
premier enthousiasme avait succédé !c découragement, et
qu<* plus d'un des croisés aspirait à regagner sa patrie. 11
fallut toute l'autorité du duc de Bourbon pour empêcher les
défections. Quand les Chrétiens quitièrent la Sardaigne, ils
h'étaienl pas à la fin des dangers. En travi^rsani In gouffni
du Lion, endroit redouté des navigateurs du uioyuji âge, la
rintie courut le risque de se perdre. Une tempête, qui dura un
jimr ft une nuit, la mil en péril, «et n'y avoit si sage patnm
« ni niapintiier qui y srrui mettre ni donner conseil, fors qm*
< attendre la volonté de Dieu et l'aventure. » Quand la mer
et le vent furent apaisés, les capitaines des navires cher-
chèrent à gagner Pile de Coniglicra, qui n'était qu'à sfMZo
lirues d'Africa; c'est là qu'en prévision des gros temps,
rt'udez-vous avait été donné aux vaisseaux; le duc y rcdAcha
ptMidant neuf jours, attendant que les galères égarées ral-
liassent le gros de la Hotte ^
C'est pendant ce délai q\ie h^ plan de campagne fut défini-
tivement arrêté. Les chefs dt' rexj)édilion. réunis en conseil,
ré.Holurent de prendre terre devant Africa et de s'emparer de
la place. Nous avons déjà montré plus haut l'importance stra-
tégi(iue de cette posiiinuet les conséquences qTie devait en-
traîner sa chute; avec elle les princes africains ])crdaienl
le ineillour port de la côte barbaresque, un refuge pom* leurs
corsaires et la setdc ville capable de couvrir leurs états.
1. Ilot de la mer de Toscane, un peu au sud du parallèle de
ï.ivoiime.
2. Aujourd'hui OgHastro, petite ile près dn la côte est de Sardaigne.
3. Froi&sart. éd. Kervyn, MV, 1Ô8-9; — Chronique tlii bon tjiu\..,
p. 229; — J. Juvènal des Irsins, n. :(8i; — Hetiyieux de Suint firnit^
II, 654-7. — La Chronique du hon duc ne parle aucunement des gro»
temps que l'expédition eut à supporter.
\m
EXPKniTION DE IIARHÂKIK.
AfriL'ii était < malemciil forte », ci défiuîl nu coup de main ;
pour la conquérir un siège était indispensabk*. Elle présentait
par s:i configuration la f'irnie d'un arc, « le plus large devers
< la inor » ; les uinrnillfs dn lencfinte étaient élevées, les tours
« dru semées » et, < au hv-c du havi'e » une grosse tour,
armée de bricoles qui lan<^'ai('nt de gi'ands carreata. dominaii
rentrée du port'. Le dur de Lîuurbun, dans la prévisiou
d'une sérieuse résistance, ordnnna son armée en trois corps.
L'avant-garde, eoniposéo rlc huit cents hommes d'armes el
de cent arbalétriern génois, tut mise sous les ordres de Couov
et d'Eu ; le duc se résena le comm<uidement du corps prin-
cipal, formé des gens de son hôtel et de ses feudataires ; s
rarrière-ganle les contingent*! ang:lais, gascons et génnis fie-
raient obéir au soudic dt^ la Trau, au sire de Castillon, el au
comte dauphin d'Auvergne '. On régla ensuite l'oiilre de dé-
barquement d'après l'avis des Génois, marins fort expéri-
mentés et connaissant parlailemeiit les côtes de Barbarie. 11
fut ilécidé que, pi»ur entrer dans le port d'Africa, on mettrait
eu première ligne les plus petits vaisseaux armés, les bri-
ganlins, qu'avant d'y pénétrer on se tiendrait immobile pen-
dant une journée, et que le lendetuain on se logerait le plus
près possible de la ville afin d'opérer le débarquement hors
de portée des projectiles lancés par la grosse tour, et sotis la
piv)tectioa des arbalétriers génois < lesquels seront tousjours
« prests aux deffenses et aux escarmuches' ».
Ces mesures prises, la Hotte quitta Conigliera; la tempél*»
était caluiée, l'air était «coi, clair, sùvy et attrempé », les
matelots faisaient force de rames, la mer € se feadoît et
< hruissoii à rencontre d'eulx, et se montroit par sainblant
1 . Fi-fiitvart (éd. Ken yn, xiv, 152 et 216-7) compare la ville à Calaiï^.
tant au ftoint de vuo de ta cunfigui'ation t<)pogniphir|ue que c«mnif
clef du pays, car fille est • elef H retour des BarbarJns et rie ceulx du
■ royaulm« d'Au(rri()ue «t du royanliufl de Hou}{ie el de Thwiies et det
- myaulmes iniîrédiiles de par delà ■'. — La. bricole était une madiiiu*
de giieriH* à fléau cl k contrepoids, analogue au trébuchet, V. fiay
{Chas, arch., 217).
2. Chronique du bon tluc. . ., p. 320-30.— Juvénat des IJniins (ii, 384)
et le Betiyieux de Saint hcnîn (i, (t56-^) ili.sent à tort qiin les Angtaîs
débarquèrent les pretnicrs. [/ordre de marche fixé par le duc rend
cotte aâscition inadmissible.
3. Froissart, éd. Korvvn, xiv. 212-s.
4 qu'elle avoit grand désir que les Crestiens venissent devant
< Auffrique ». On nrriva en vue de la ville * environ heure de
€ basse nonne ». LVnnomi, de son rn(é, ôtail prévenu et sur
ses gardes, mais rimportance de rexpédition l'étonna ; il ne
«'attendait pas â une pareille concentration de forces. Ce-
pendnnt. ronfinnl dans 1rs nïurailjos de la pince, il s'apprêta
sans rraînie â soutenir le olmc des Chrétiens. Ceux-ci, fidèles
au plan convenu, arrivés vers le soir à environ une lieue
de la terre, jettèrent l'ancre à Tentrée du port jusqu'au
lendemain.
Pendant In nuit les SaiTasins tinrent conseil : les uns vou-
laient s'opposer au débarqu<*ment, les autres proposaient de
n'y pa>* mettre fdjstade et de résener t(jutes leurs ressources
pour défendre la ville. L'armée clirétieune, disaienl-ils, est
nonibrousi», composée de g:uerriers d'élitp, et les troupes mu-
sulmanes ne peuvent résister à raruieiinMit îles arbalétriers
génois. Mieux vaut donc ne rien tenter contre rennemi et se
retirer dans la place ; elle est en état de résister à un assaut ;
le temps et le climat se chargeront d'affaiblir les assaillants'.
Ce dernier avis prévalut, et on laissa le champ libre aux
croisés. Le lendemain (?:? juillet 1390;, les vaisseaux légers
de la flotte pénétrèrent sans encombre dans le port, iimlgré
les projeclilos lancés par la grosse loiu*; les galères suivirent
t'U bfui ordre; leur tirant il'eau les euïiiéchant d'atteindre
le rivage, les troupes furent conduites à terre par des barques,
et campées « A rordonuanre de leiu's mareschaulx'».
Le chroniqueur nous a conservé le souvenir iln cumpemeut
d*»s croisés autour de la ville : au centre, la tente du duc de
liourlxin, surmontée de sa devise et de sa bannière. Cett* der-
I. Froissart (éil. Kervyii, mv, 218-20| met l'avis de résister aux
Chrétiens dans la bouche diîii Sarrasin appelé .Maditcr, et l'avis con-
traire dans celle de Belluis. bire de Maldages. 11 est difticile de dire si
re» numu sont hiti'.oriijue», on »'i\» ont servi seulement au cbruniqueur
il perHoniiifier son nVIt.
•-V Friiibsart («S3. Kervpi, xiv, 223) se trompe en disant que le dé-
lmr(|ut'mt*nt *'ut lit»» Ih mrrcretti. E» 131*0, la sainte Madeleine tombait
tiri vetuiretii. iCfimnit/ue du hou duc..., p. 230.) — Le fieligiettx dr
Srtint ffrni» (i, «».'»8-6lj et Juvènal des Lrsiris (n, 384), Giustiniani
fu, I6H) et r. KuglJett (f. 165) ont, à tort, raconté que te débarquement
w til au prix d'un combat arharné, dont l'bonneur revint principale-
ment aux archera anglais.
EXI»i:DITtO> DK BARBARIE.
nière était aux armes do France pleines, sur lesquelles so
riêtachait en blanc, an centre, nno image rie la Vierge, as^lM*
et ayant â ses pieils l'êcu de Bourbon; elle servait de signw
de ralliement â toute l'aj^mée. A dmite et à gauche étaieni
dressées les lentes des chevaliers, chaeuuG portail la bannièn-
Mil le pennon aux couleurs de celui n qui elle appartoîiail :
toutes faisaitmt fnmt aux murailles ; les arbalétriers occu-
paient les deux extrémités de la ligne et couvraient, vu leur
nombre, «ne assez grande étendue de terrain ; ils « encloyoient »
les seigneurs dans leur campement. Quant aux approvision-
nements, ils provenaient des bâtiments de transport, et c'étaii
\in va-et-vient continuel de barques entre les galères et le
camp poui' assurer les subsistances des troupes V
Le duc de Bourbon avait lieu de s'applaudir du début ih'
la campagne ; jiorsonnc, en effet, ii*ent osé se flatter <|ue Ir
débarquement s'efTectuerait sans combat, sous les mursd'iun;
]tlaco défendue par une garnison nombreuse, dans un pays uii
trois rois sarrasins tenaient la campagne avec des forces run-
sidérables. On a peine â comprendre le motif qtii dicta hi
conduite des Musulmans si, comme le disent les chroniqueurs,
plusieurs milliers de combattants étaient enfermés dans
AfricaV
Toujours est-il que ceux-ci restèrent deux jours A obseiT(M'
les mouvements des Chrétiens sans oser les inquiéter; ce répit
fut mis à profit pour consolider l'assiotte du camp et investir
la place. Du cUé de la mer, la dotte génoise fut chargée du
blocus; u[ie seule porte mettait la ville en communicatimi
avec la |dage. Du colé de la terre. Tarméc surveilla les trei*
portes qui donnaient sur la campagne.
Le troisième jour, vers le soir, au moment où les croi-
sés soujiaient. THuneuii. remarquant peu de mouvcmeni
dans leur camp, profita de cette cireonsiance pour faire une
sortie. Henry d'Antoing* était de garde avec mille arba-
létriers génois el deux cents hommes d'armes, composiuil
1. Kroissart (éd. Korvyri, xiv, 224-6) donne la description dos prin-
cipaux seigneurs, de letirs tentes ot de leurs bannières.
2. I>uu/:t> mille d'après la Chronique tlti bon tfuc (|i. 2:tMi; six niiJtr
iraprcs le livli'jieux df. Saint Oeniit (i, ti5(j-7); deux mille seulemeiil
d'après Juvénal des l'rsius (m, 381); mais ces deux dernières autorités
«ont suJeUes â «caution.
3. Voir plus haut, p. 175.
ATTAQUE DO CAMP
pour la plupart l'hi^tol du duc : les sires rie l'Espinasse*, de
Chàtol-Munragnc' et de saint Priest', Blain Loup, maréchal
de Bourbonnais \ messire le BaiTois' faisaient partie de ce
contingent; \h étaient comme le bailli de Bourbonnais.
Tachon de Glï^nê', comme Robert de Damas', garde du
pennon ducal, comme Kenau<l t\o Bressolles*, comme l'êGuyer
Oauvain Micbaille*. pour ne citer que (quelques noms^ les ser-
viteurs les plus fidèles de Louis deBourlcm, ses compagnons
1. Philibert de l'Espinasse fut un des quatre chevaliers nommés par
Je duc de tlourbon lors de la création du conseil de Dourbonnais (vers
1368). Il prit part au combat de la barnùrc amoureuse, prés de Planoy,
en 1374. {Chronique rfii bon duc. . .. passim.)
2. Guillaume de Ch;Ue!- Montagne fut compris dana la première
promotion des chevaliers de l'Ecu d'or, cvèôi^ pîir le duc de Bourbon.
3. H avait pria part, avec le duc de llourboii, à l'expédition de
Klandreetàla bataille do Itosbecque en 1382. {Chronique du bon duc.,.,
p. 169-72).
\. lUain Loup, sire de Beauvoir. Froissart l'appelle le Lonvart. Il
i&»)»ta à la bataille de Hostiecque (1382), à la campagne de Guyenne
(l^Ôi, â la prise de Tailleboiii'g et de Verteuil (t385' où il se distingua.
11 renta en Poitou, tandis quo le duc rclourtiait à Paria avec une partie
de ses forces. .Nous le retrouvons à l'Ecluse au moment du projet
avorté de descente en An(j;lotorre (1386) et à l'assaut de Brassempuing
en Bordelais \Chronique du hou duc. . ., passim).
Â. Partout oit le duc de Hou rbon porta les armes, le Barrois l'ac*
oompagna : h Hrive la tiaillardc (137%), à la Hoche Senadoire (1375),
à Ronbecque (13K2), h Paris« au retour de la campa^ïnc de Flandre, à
r£4'luse et en ICspagne (138(i). Il défendit, avec l'hàtcamnorand son
rousîn, \antes contre les Anglais i IHHO-t.'tKl i, prit part avec lui auN
joutes de Vann('sîl381iet â l'exp^^dition de Bretagne (l387}jCommandép
par le connétable de Clisson, {Chroniifuv du bon duc , passim)
En 140H, il conduisit deïi renforts à dt^nes au maréchal lloucioaut, tou-
jours en compagnie de ( liineauniorarid. C'était, avec ce dernier, un des
servitrurs les plus aimés de biuis n.
6. • pour ses bonnes coutumoK on l'appela le bon bailli de Uour-
• bunnois •, dit la Chronique du bon duc. Ce fut également un
raillant homme do guerre; il <^laîl ^^^*uye^ lors des campagnes de
Flandre (1382) et de Guyenne (1385), dans lesquelles il se distingua.
iChrtiniffue du bon due..., passim.)
7. A l'expédition de Flandre (1382) et à Verteuil (campagne do
Coyonne, 13K5) il se signala par sa bravoure; il remplaça Jean de
riiâteaiiniorand dans la charge iU- porte-bannière du duc (Chronique
du bon duc. . ., passim).
*, Ce personnage lit les mtMnes r.-iui]>agnes que Robert de Damas.
9. Gauvaiii Michaille prit part h rexjirditîun d'Auvergne (1375). Kn
1379, it fit partie de l'escurte que le duc de Bourbon donna à Du
184
EXPEDITION UE BARBARIE.
d'armes les plus dévoués. A côté d'eux, se tenaient le sire de
Chastellus ', et ses deux fils Guichard et Jean de ChAteau-
inoraïid ; cp dornier joua, tant pu lîarbario )|uc par la suilo
on Orient, uu rôle si con.sidorable *iu'il n'est pas hors do
propos de rappeler en quelques lignes les débuts mililnires
(le ce jeune chevalier.
Châteaumorand, uê vers 1355, avait fait, sous le waro-
rhal de Sancerre, ses proinièrcs armes en Berry (vers 1371 .
F'artout oi'i les liasards de la vie militaire avaient conduit Ii'
tlur de Huurbon. il l'avail suivi connue écuvei- portant !<•
pennon ducal. Nous le voyons assister au siège de Suinte
Sôvère (I37t?}, à la barrière nnioureusi' prè.s de Plancy (I37i ,
se distinguer à Tahsaut de Urive la Gaillarde', à Traci*os eu
fiuesclin lorsque celui-ci traversa le Bourbonnais se dirigeant ver.<
l'Espagne; plus tard il combattit constamment aux côtés des chcvalifi's
dont il était le compagnon devant les niui> <J*\frica. Il fut grièvcnu'iii
blessé à l'assaut de Sluii vu Valais en i:i8»>. F,ii lloo (lOjanv. n. s.) il
reçut un don de roiit francs du duc d'Orli-aiis. yKhronùfue du tmn
ttur..., paiisim, Bibl. nat., fram;. nouv. acq. WMK pièce U'iO).
1 . llugue« de Chastellus. sîiv de Ch.-^leaumorand, l'ut le dernier h
porter ce nom ; sa famille, à la fuis va-ssale des comtes de Forez et des
ducti dr Bourbon, se distln^'ua par sa fiikHité inébranlable à ces der*
niers. La première promulion dos chevaliers Je l'Kcu d'or créés par
Louis \i la récompensa. Uuand le duc revint de captivité, Hugues
l'aida à reprendre teschiUeauxdu Bourbonnais occupés par les Anglais
(lo67-8), le suivit on Kspagnc (1376), h la campagne de Flandre,
assista avec ses lîls à la bataille de Rosbec<]ue (l:)82|, et tit partie, ainsi
que son second KU, des forces réunies à l'Écluse en l:i86, on vue d'un
projet de descente en Angleterre. Oe »oii mariage avec Marguerite tle
la Porte, il avait eu trois enfants, une tille Béatrice^ et deux HIs, Gui-
rhanl et Jean, qui Ruivireiit U's traces du leur père. I.'ainê, (ïuicbaril.
Ht, avec son frère, ses premières armes Contre les Anglo-tlascons, souk
le commandement ilu maréclial \ju\m de SanceiTC, auquel le duc de
Bourbon avait fourid un contingent de deux cents hommes d'armes
pour tenir en resiieet la garnison an;jrliuse de Sainte Sévère (Indre,
urr. I.a Clii'ilre, clief-lieii île canl.l. Dans une escarmourhe soutenue
par lui et son frère avec six autres m-ntilMïnmmes, il Ht pri.s(Minier un
aventurier anglais, Michelet la (iiiidc, dunt les exar'tions ruinaient lis
enviruns de Suuvigny (Allier, arr. Moulins, chef-lieu de rant/. Quel-
ques années plus lard, il entrait le premier dans le etmleuu de
PuîtiorS} pris par le due do L^mrUoii dans la campiigiie de 1^72 eoin*
mandée par Du (>ues<'lin. Il M^t distingua à Itoshertiiir. et mourut à
C'iénes au retour de la croisade do Barliarie {(.hroui'iur iin bon flitr...,
IHissim).
2. Corrèïc, cliiT-licu il'iirr.
PREMIÈRES \RMK$ DE CHATEAUMORAND. 185
Ativergne' et à la Roche Seuadoire (1375)*, accompagner en
Kspagne son suzeraîa la même année, et mener toujours la
bannière île Bourbon au plus fort ilu péril. A partir du siège
de Nantes (1380), il eut le coniniandeineut d'une compagnie
de gens d'ai'raea et la garde du ije[iuon fut confiée à Robert
de Damas. Le jour du sacre de Charles vi, au bani(uet solennel.
Chàteaumorand fut l'écuyer au giron du<|uel le roi tint se-^
pieds (\ novembre 1380), et celte fonction dut lui inérit<*r
la chevalerie « pi>ur le honneur du sacre *.
S'il s'éloigna <|ueliiuefois du duc Louis, ce fut toujours ilr
l'aveu de ce dernier, et pour prendre parla des expéditions dans
b»st|uelles le nom de la France était en^^agè. C'est ainsi qu'il
assista aux sièges de Châtcauueuf-de-Uandon et de Nantes
en 1380. aux joutes de Vannes l'année suivante, et qu'il
acheva la délivrance du Poitou commencée par le duc île
BourWi, en restant devant Courlder ^ les Granges * et Mont-
raient* (1385 . Fidèle à sa devise : « Quérir honneur par
armes ». le hanli chevalier ne laissait échapper aucune
occasion de * bouter avant l'hostel dont il cstoit sailli* ».
Les San*asins s'étaient flattés de surprendre le camp chré-
lien: leur espoir fut dôrii. A peine se furent-ils avancés que,
I . i'uy dp tWmc, arr. i lormonl, cant. Rochofurl, com. Celle*.
*i. I'uy de l>ôme, arr. Clcrmont, cant. Ilochcforl.
3, Aujourd'hui ruurbiac. toi et Garonne, com. de Villeneuve sut
Lot.
I. Lot et Gai*oniie, arr. Agen, cant. Raybbatt.
5. Aujourd'hui Monbalen, Lot et Garonne, an*. .X^un, cant. Lai-uque-
Timbaut.
6. Pour ce qui concomt' Chàteaumorantl, voir la f^hvoni'iue du htm
fton. ... i«wsiin.— Seul héritier, (wr lamoii de Hugues et Ju {iiiitiianl
ili.' riia^tellus, des tief« tant paternels que maternels, Jean de Chàtetiu-
ini)i-Hiid lit-rita en même temps des exemples et de la vaillance do son
jM'ri* et d<' s«ii trére. Oiiilumate et Iiomme il'épée, il ha disliiijjua pnr-
tiriiliùrement dtuih les ulluires d'Orient; suii voyage en Barbarie fut la
prrmiêre étape faite dans cclU^ voie; les MiivuntCH se succédèrent sans
interruption pendant une (pnnznlne d'années, et fln'itenumurand mil
HU service de la cause clirélienue les (]u;tlilésli'> jtlu:^ solides. Kcriviiin.
il i*(>tu|tosa la t^/ironiqur du bon tiur Lmjfi 'le /hitrbun, reiueilliinl
d»nx cette feuvre. sans jirétmition littéraire, sans préoccupatimi de la
\érité liihtoriquo ab;>ulue, mais avitc la plus entière burine foi, i^e» »uii-
venirs personnel» rebitifs h la vie de Louis ii de liuut'bun. Il avnit été
te serviteur le plus dévoué dti prince; à ce titre sa chronique est uua
iintorilé de )trfinier ordre en plus d'un cas; la croisade d'.M'riqne est
de i*e nombre.
à
lîXPKDlTIOiN 1}E HYKBAHIE.
vigoureusement accueillis par les croisés, ils durent battre en
retraite après un combat d'oscarmouclie de deux henrefi.
dans lequul le principal rôle fut jorn» par les arhali^triers et
les armes de jet. « car oucques de près pour assanibler à la
* main de glaive ou d'espt'e ne se trouvèrent ne joignirent. »
Ottp aflairo coûta aux infidèles trois conts hommes, et leur
inspira une toile frayeur (qu'ils restèrent trois semaines sans
tenter de nouvelle sortie '.
Pendant ce temps les ruis de Tlemcen, de Bougie et de
Tunis tenaient la campagne avec une armée que les sources
chrétiennes évaluent à quarante ou soixante mille hommes* ;
nuelque exagéré que puisse être ce chiffre, il est hors de
doute qu'ils disposaient de forces considérables, composées des
nomades et des [topulations de la c^to^ Les Chrétiens np-
jirirent bient<jt qu'ils se proposaient de les attaquer dans leurs
positions; pour parer à cette éventualité, il fut question de
lever le siège; le duc dut combattre personnellement cet avis
et faire comprendre aux croisés que, s'ils étaient venus en
Afrique pour illustrer leur nom, ce n'était pas le moment
< alors que honneur venist » «le ii* pi^nire [lar une pareille
conduite, et de faire « de leur honneur deshonneur ». Eu et
Coucy se prononcèrent dans le même sens. L'investissement
continua ; maïs, par mesure de pinnlence, ordre fut donné
rrentourer h* campemoni dr* cordes, maintenues à quatre pieds
au-dessus de teri-e par des pieux, et destinées à arrêter la
cavalerie sarrasine. C'était un rempart bien léu^er. niais l'in-
souciante témérité des Chrétiens le trouvait sutlisant pour
éloigner celte « canaille ». Cependant, â Tiiistigation des
(rénois, alin d'assur«>r la solidité de la nouvelle défense, on
croisa entre les pieux les rames des galèi^es ; les archer»
étaient de la sorte mieux protégés contre le choc des che-
vaux et les coups de lances, et par suiie leur lir devenait plu?i
elhcace. En outre une ordonnanc<? réglementa la garde de
ceUe < encloisui*e p: chaque capitaine de cent homme-*
Ki-yissaii, éd. Kervyii, mv. 228-1»; — f'.fironitfnr t/ti hon rlttr.,,^
p. '231.
2. Jtivi^iial des lisins (u, 38'i) parle de quarante mille hommes:
Kroissnrt ic'il. K<^i'vyn.MV, 22Hiile trentt? mille archci*» et dix mille cava-
liers : la Cfifonttfuc (ht bon tti$c... (p. 235i de soixante mille combattants.
y. Ibn Kltalduun, //m/, th» Uerltéfcn^ iv, 119, dit que cette armée était
commandite par AIhju Fnrès. HU du :>ultan. et |>ar ttcs ondct».
KSCARMOUCHES DES SARRASINS. 187
d'arme* eut mission de défendre, avec l'aide de cinquante
arbaléti'ierî, une étendue de vingt-cinq brasses. Le duc eut
?*ous son commandement direct mille combattants et ciu<i
fonts arbalétriers, pour n^pousscr les assiégés s'ils faisaient
une sortie pendant rattaque du camp par les ïH)is maures'.
(>s **ages mesures prises, on attendit rennemi. * Viennent
Sarrasins quand ils vouldruut ». disaient les Chrétiens; nous
«iomnkcs prt^ts à les recevoir. Us vinrent, en effet, queUjUL's
jours après, « à tous leurs naquères, tambours, cimballos,
« fresteaux et glais » présenter la bataille. Mais à la vue de
mille hommes d'armes et de six cents arbalétriers que le due
de Bourbon lit sortir du camp, ils n'osèrent s'approcher .'»
portée de trait; il fallut que les Chrétiens prissent l'offensive.
Ceux-ci n'eurent pas de peine à repousser rennemi ; la nuit
arrêta la poursuite: le due. craignant une sortie des assiégés,
ne voulut ]>as profiter de ce premier succès, et l'affaire se ré-
duisît â une escarmouehe dans laquelle les infidèles perdirent
une soixantaine de chevaux l't une centaine d'hommes'.
Malgré leur supériorité numérique, les Musulmans n'osèrent
jamais engager l'affaire à fond, et se bornèrent â s'établir
solidement dans la [daine et sur la plage, à proximité ilu
camp des croisés et de la place assiégée, et prirent « ra>an-
tagê derrière euls d'un hault bois » pour se protéger de toute
■surprise et garder libre leur ligne de retraite. Mais à défaut
de batiilïe rangée, ils harcelèrent les croisés de fréquentes
»*srarmouches '. Convaincus de rinfériorilé de leur armement,
ils s'avançaient ;i proximité du camp, lançaient (quelques
tièches et se repliaient de toutt- la vitesse de leurs chevaux ;
ces attaijues, quoiijUi* peu meurtrières, tenaient sans relAche
les chevaliers en éveil, et la présence d'une armée de seconi-s
les empêchait de pousser activement les opérations du siège
en obligeant une partie de leurs forces â surveiller les mou-
vements de l'ennemi.
Les chroniqueurs nous ont conservé le souvenir des alertes
•lui so renouvelai<Mi1 presque chaque jour ; tantôt c'était urj
jeune chevalier maure, cavalier intiépide, revélu d'une ar-
mure noire, coiffé d'iui turban blanc, qui s'avaneair jusqu'aux
1. C.hroniif ur fin hou duc, . . , p. 2311-4.
2. f.hnmiquf du hon duc. ., p. *i:t.V6.
3. Kmi6»aii, W. Kcrvyn, XIV, 228.
I
lignes chrétiennes, lançait d'une main sftre ses javelots
< empennés ot enferrés, * et regagnait ses compagnons à
bride abattue' ; laiit<'tt, au milieu do la nuit, les Musulmans
se dirigeaient eu silence vtrs le camp chrétien, espérant le
surprendre du c<)té opposé à celui oft se tenaient le sire de
Coru'oy * ot Henry J 'Antoing \ rliargés du guet ; mais un cJiien
i|ui avait suivi les croisés, et qu'ils appelaient le chien Nottp
Dame, donnait Talurme par ses aboiements, et la surprise
échouait. L'imagination populaire avait transformé ce fait en
légenile, et Ton disaif comniiniéiMeiii dans l'armée qu'à rap-
proche ries Sarrasins npparnt devant eux < une congrégation
* df^ dames toutes blanches, et par esprcial une tout au premier
* chief, ({ui sans compaj'Misou ostoit trop plus belle que toutes
« les autres, et porloil devant elle uiig gonfanon tout hlancq
« et une croix vermeille par dedens ». Cette apparition de la
Vierge avait mis en fuite les infidèles*. Ces escarmouches
durèrent pendant ^[uarante-lieux jours. Couoy, Eu, le comte
dauphin, les vicuiulcs d'Uzés et de Rodes, le sire de la Saigne,
le îfoudic de Trau s'v distinguèrent tour à tonr; Saint Georges
et Oraville tirent ilns prodiges de valeur ; l'honneur d'un
autre engagemeni fut pour les chevaliers anglais ; les Génois
et lours arbalétriers eurent aussi leur jour ; ckacuu fit
bravement son devoir et les armes chrétiennes se couvrirent
de gloire *.
Cependant la situation respective des deux années ne so
moditiait pas. On s'observait de part et d'autn.'; les croisés,
fatigués de Tattente toujours ddi^ne d'une action générale.
étaient prêts à accepter un combat restreint, lUx contre dix
nu vingt ronti*e vingt. L'initiative d'une pareille proposition
vint-elle îles Chrétiens ou des inlidèles ? Les récits des chro-
1 . Kroissart (éd. Kenyn, m\ , J^'J) l'appeilo Agadinqtior d'Oliferur.
(1 attï'ibuf à fîmioiir que le IianH jEruerrier nourrissait |H»ur Visa,
Hili' (in iiti de Tunis, la imrdiesse de ces • appPitî.scs d'annes t. Mais
un doit isf* (cniriMi fxaiiir* contre lu vt-nicité dr t'pl aitiour. et l'cxafli-
nhlf dcî. noms dimnés par le fbroiiii]ucur. Froissait ^emlile sV-tr-e plu
à rovMJr de cuidoiirs poétiiines un npiisfKle dont lp. fimd p^iil avoir été
vrai.
*J. C'était un rlirvalier norniaml.
a. Voir plus haiK, p. 175 et Ifl2.
k. Kroissart, éd. KtTvyn, mv. TA't-'t.
5. Cfiroitiifuc 'lu fmii tlin',.., p. 2^7-K,
IMI'ATIKNCE DES i IIKKTIENH, 1R9
ûiqueui'â diffpi*cnt siu* ce point'. Toujoui's est-il qu'iuie foi»
éiiiiso, l'idée fut accueillie avec empresseaiont par les pre-
miers, et qu'à l'iusu du duc. non seulement dix chevaliers,
mais toute l'armèo se trouva, un certain jour, en armes, prête
à accepter le combat contre les Musulmans. A la première
nouvelle, Guillaume et Guy de la Tn'-iaoille', un écuyer du
nom de Cliiffreual, le seigneur de riiini \ Héliori dp Lignac *,
deux chevaliers anglais, Jean Roussel' et Jean Harpedane",
Alain Bude et Bochut s'étaient élancés pour répondre au défi
tlo l'ennemi. A eux s'était joint lo jeune Geoffi'oy Boucîcaut',
second fils du premier maréchal Boucicaut ; le sang de sa race
iMtuillonnait en lui ; personne ne témoignait plus d'achar-
nement à conrii' sus aux mécréants ; et dans l'éîan de son en-
thousiasme guerrier, il offrait d'accepter le champ clos, vingt
1. La Chùnique Un bon dut-... (p. 242) attribue à Boucicaut le jeune
\c déù portù à l'ennemi; Kroissart (éd. Kepvyn, xiv, 2U), générale-
ment sujet à caution en ce qui louche rexpéditiun de lïarharie, raconte
lont^uemeiit, avec des déiaila évidemment fantaisistes, la provocation
adressée par le.s Maures aux croi-sés. il faut cependant remarquer
qu'il donne sur l'arrivée au camp chrétien du parlementaire nuisul-
luan, sur les periionnaKPS qui le reçurent et acceptèrent se» propo-
sitions sans en référer au duc de Bourbon, des renseii^nements si
précis et si vraisemblables, qu'il y a lieu de tenir sérieusement compte
ilun pareil récit.
2. Voir plus haut, p. 175.
:i. Il faisait partie de la compagnie du sire de Coucy.
V. Appelé aussi Hélion de Neilhac, quatrième tils de Pêriclion de
Neithac. fut sénéchal de la Uochclle, conseiller et chambellan du roi,
premier échanson en 1377. Il so signala a Hosbecque (I3«2;. Les oncles
du roi l'éloignèrcnt de la cour au moment où Ctiarles vi fut pris de
folie furieuse, pour avoir été le dernier à lui servir à boire. Il mourut
avant 1398 (Froissart, éd. Kervyn, \\n, 280).
5. Ce personnage était probablcmpnt le liU aine ou un des petits-flls
de Tîjibaud Kussell, qui vivait sous Kdouard ni. Trois personnages, en
«iffet, dans cotte famille pijrtent 1g prcnom de Jean à cette époc|uti.
6. H fut créé sénéchal dAquitaino le I mars i:i8'i; il avait épousé
une Française.
7. Geoffroy lo .Meingre, dit Boucicaut, frère de Jean n le Meingre,
seigneur de Bridoré, d'ttableaux, de Saint-Luc. de Bulhone et de
Hoquobrune, naquit vers 1358. 11 fut gouverneur du Uauphinê; on
ignore la date de sa mort. 11 épousa en premières noces l'onstance de
Saluées, et en secondes noces Uabeau de Poitiers, (de Uusserolle, OtW.
géogr., hiêt. et biogr. d'Indre et Loire, i, 324). ()n a souvent wiiifundu
ce personnage avec son frère, et plusieurs historiens ont, à tort, affirmé
la présence de Jean ii à l'expédition de Barbarie.
190
EXIMlIltTION DR BARBARIE.
Chrélieus contre quarante Sarrasius V L'aventure parvint
aiiSfliUH à la connaif^sance du aire de Coucy, qui blAnia \(*r-
toment l'imprudente témérité des jeunes chevaliers. Il re-
nionlm qu'ils s'exposaient, en agissant < sans peser ni savourer
« les choses », à croiser le fer avec des ribauds ou des valets.
ou à se laisser attirer dans une embuscade ; qu'en pareille
matière on devait suivre les voies ordinaires, et il se dirigea
vors la tente du duc de Bimrbou pour rinformer de ce qui se
passait. Cepeudant Boucicaut et ses compagnons étaient
sortia du camp, suivis d'une loule qui s'augmentait d'instant
eu instant; le duc de Bourbon, prévenu, était monté sur sa
uiule, et se dirigeait du côté du rassemlilcmcnt pour rétablir
l'ordre, car « les gens s'en couraient tous comme bestes lit
« où est Boucicaut ». Quand il arriva dans la plaine, il m<
trouva entouré de plus do trois cents gentilhomnies. En
l'apercevant, Boucicaut « se donna orgueil » et fundit sur les
Sarrasins; il fallut toute rautorilé du commandant en chrf
pour l'arrêter. L'ennemi, effrayé d'un tel déploiement de forcoN
et craignant un piège, s'était retiré, sans se soucier de
relever le défi. Les croisés appelaient le combat à grands
cris; le comte d'Eu et Philippe de Bar. interprètes du sen-
timent général, insistaient dans ce sens. Il eut été difficile,
en ce moment, au duc de Bourbon de se faire obéir s'il avait
ordonné la retraite: il prit le parti, se sentiuit appuyé par
deux mille combattants et par un renfort de cent cinquante
hommes que le comte (l'Eu lui amenait, d'attaquer l'ennemi,
el le combat commenra. A quatre ou cinq reprises, les inti-
dêlos furent repoussés ; quand les croisés regagnèrent le
camp qu'ils avaient imprudemment laissé sous la garde des
malades conuïiandés par Coucy, ils n'avaient perdu que six
combattants, le sire de Vallly, frère du comte de Sancerre *,
(reoffroy de la Celle* el quatre écuyers ; encore leur mort
i. Chronique du bon duc,,., p. 242-3; — Kroissart, éd. Kervyn, xiv,
2'j4-5.
2. Etienne, frère du comte Jean m de Sancerre, et du maréchal
Louis de Sancerre. était tiU de Louis de Sancerre (ué à Crécy (\'S\6i
de iiéatrix de Ruustty. Il épousa sueessivement Beleaa&es de Vailly
AHx de lïeaujeu, et mourut à Turin sans pastf^rité au retour de l'expé-
dition de Barbarie [?. Anselme, n, 853).
3. Gcotîroy de la Celle était seigneur de la Celte-Draon et de li
Chatière (Indre et Loire, arr. de Loches, cant. du Grand l'rcssigny,'
OPERATIONS CONTRE AFRK'A.
loi
n'était-ello pas due aux coups des Musutuiuiis, mais à la
fatigue et à la chaleur qui était excessive, et au df'faiil
« d'ayr, de vent ou de alayne ' ».
Ces divers combats avaient un peu fait perdre de vue li»
RÎôge de la place. Toute rattenlîon du duc s'était concentiV'i»
sur les mouveuients de l'ariuée de s<»ct)urs, et aucun effort
n'avait été teuLé contre Africa. Lorsqu'après sept stMiiaines
d'escarmouches stt*riles, on comprit l'inutilité de s'acharner
rt combattre un ennemi qui se dérobait à tout engagement
sérieux, on songea de nouveau à s*omparer de la ville. Les
Génois avaient apporté un échafaud tnobiU», de trois étages
ilo hauteur, qu'ils proposaient de dresser le long d'une toui"
du côté de la campagne; ils savaient par les négociants génois
enfermés dans Africa que. de ce colé, la surveillance des
Musulmans étaient moindre que du côté delà mer. En même
temps, sur quatre galères accoupléos, ils établirent deux becs
de faucon, chacun d'eux contenant quinze hommes d'armes et
<lix arbalétriers; ces dernières machines f*inient destinées à
détruire la tour du port*. Ces préparatifs avaient rempli
l'armée chrétienne d'allégresse ; « il sembloit. dit le chro-
niqueur, que tout fut nostre ». Cette joie était prématurée,
comme l'événement le prouva. Les assiégés, â la vue des
engins qu'on dressait dans le camp chrétien, s'étaient hMés
de réunir dans la tour du port toutes les bombardes dispo-
nibles; Téchafaud, pour être mis en position, devait passer à
portée de cette tjur; aussi fut-il couvert de projectiles en-
flammés, d'étoupes et de poix, si bien qu'en un jour et une
nuit il fut entièrement brûlé. Cette mésaventure courrouça
com. la CcWc fiuonaud). Capitaino de Tours et de la Kochc Posay en 1969,
il prit une part acdvc aux campagnes dont la Toupaino fut le tht^àtreii
coite ùpoque. Kn 1371, il reçut de Charles v des terres contlsquées sm*
Guichiird d'Angle, partisan du roi d'Angleterre, en récuinpeiisc de ne»
•ervices. En 1383, il servait &ouit le duc de [terri en Piandre. Il eut
nne fille Jeanne, mariée â un seigneur d'.\zay. (Deiftvîlle Le Rouis.
Comptes municijutux de Tuurs, u, 300-2; — de Dusserolle» Dict. ijéogr.
hiat. et biogr. d'Indre et Loire, u, 49).
1. Chronique du bon duc. ..^ p. 244-5; — Froissarl, éd. Ken7n,
xiv, 249.
2, C'étaient, sans nul doute, des machiner atTeclant la Tonne d'un
bec de faucon, et qui. soit par l'impulsion qu'on leur donnait, «ût par
la protection qu'elles ofTraient aux hommes qu'elles contenaient, per-
mettaient de saper les inuraillo enneuiies.
fort Ip duc. Restaient les becs de faucon dont on espéi'ait
)»eauoonp, mais qui csigoaient uno divoi*sion, afin que Ten-
nomi n'accumulât pas toutes ses ressources contre eux. Dans
cp but, le duc et toute sa compagnie allèrent attaquer les
njurnilles à l'endroit des trois portos ; l'assaut fut donné « si
HAreinnnt que l'une des portes fut arse », mais les habitants
la murèrent si proniptr'ment que les croisés ne purent p^-
rii'trer dans la ville. IViidant cf temps les becs de faucon
faisaient leur office : au nioinent oi'j les Chi-éiiens commen-
raient à les abandonner puui- luonter sur la tour, ils se sen-
lirent les pieds percés pai* les Héches des Sarrasins. Ceux-
ci. en dessous des Chrétiens, avaient découvert le toit du
hourdis de la toui*. ne laissant pour toute défense qu'un sollier
do bois percé dn nombreux trous, et c'est par ses interstice-*
tju'ils liraient de bas en haut. L'effet de cetle manœuvre fut
décisif; les Chrétiens s'arrêtèrent. Ils avaient complètement
échoué dans leiu* tentative d'emporter la ville; à peine pou-
>aieut-ils se féliciter d'avoir donné l'assaut sous les veux de
l'armée maui*e, qui exhortait les assiégés à la résistance
sans lien tenter pour les dégager : résultat négatif, quand
il eût faUu un sucrés pour hAler la chute de la place '.
Le découragement comm(»nçait à pénétrer parmi les
croisés ; le nombre des blessés et surtout des malades élail
grand; en plein été. eu effet, la températuix» sur la c61e
d'Afrique paraissait insupportable à cenx qui n'étaient pas
halnlués à un climat extrême, et l'arméo souffrait beaucoup
de la chaleur. Le manque d'eau l'obligea à creuser des puits
dans le sable ; les approvisionnements se faisaient mal ;
connue l'on ne pouvait les tirer du pays, il fallait qu'il*
vinssent du dehors : le vin était fourni par la Fouille et la
Calabre, les vivres par la Sicile, les oranges et les grenades
par l'Aragon, les < grenaches et malvoisies » par l'ile de
Candie. Les hasards d'une longue navigîition, tes dangers
que couraient les bâtiments de la part des corsaires barba-
resquos, rendaient encore plus iiTégulier le service dos sub-
sistances. En outre, aucun des navires, après avoir débarqué
sa cargaison, ne retournait à son port d'attache en chercher
ime autre, mais restait devant Africa * tant pour le doute
« des rencontres des SaiTasins siu' mer que pour attendre la
1. Cht'onique du htm duc..., p. 239-U.
< couclusiou (!u siège et vooir si les Crcstiens prendroient celle
« forte ville d'Auffrique »; cette condition augmentait encore
la difficulté des aiiprovisionneuients'.
Lï» fluc de Pourlion, dont l'autorité était hautaine et pré-
somptueuse, n'avait plus sur les troupes l'ascendant des pre-
miers jours'; déjà divers symptômes d<; lassitude s'étaient
it»vêlés parmi les croisés ; il comprit ([ue les circou.stances
conimanduieut une résolution énergirjLie. L'hiver approchait et
avec lui l'impossibilité et de se rembarquer et de recevoir des
approvisionnements; le salut de l'armée dépendait d'inio
prompte décision. Les Génois étaient partisans de la levée du
siège et propageaient leur sentiment dans le camp; ils étaient
h'^ premiers â se plaindre, â déplorer les résultats obtemis
i»t à laisser entendre que le meilleur parti était de traiter
avec les infidèles. La plupart des crois):s s'étaient successi-
vement rangés à cet avis, et, quîind le duc eut interrogé le
conseil de l'armée sur la conduite à tenir, il se trouva presque
le seul â proposer la continuation des opérations militaires V
A l'instigation des négociants cbrétiens, enfermés dans la ville
pt probablement informés par les Génois des dispositions des
assiégeants, l'ennemi s'empressa de saisir l'occasion favorable
pour faire des ouvertures pacifiques, dont les Génois furent
le« intermédiaires. Il offrait, en échange de la retraite des
«rrnisi^s, une trêve de dix ans entre le roi do Tunis et les
('hrétiens. Le duc repoussa avec indignation une pareille pro-
position, sans même en discuter le principe, au grand éton-
iiement «les Sarrasins et surtout des Génois, qui savaient qu'ils
« n'avoient plus de quoi maintenir leur navie », et que « la
chevalerie n'avoit giiieres à menger ». Ceux-ci, en outiv,
s'étaient Hattés do l'espoir qu'on emporlerait Africa en
quelques jours, et vo^'aient avec déplaisir l'investissement se
1. rroîasArt, éd. Kervyn, xiv, 226-7, 240-1.
2. Froissarl (éd. Krn-yii. xiv, 257-H) o.it sy«témaliqiieinftnt bofttile
ftu duc de liourbon dont il arrentiic les défauts, cl ne iieinl aucune
uccoAion d'cxâUcr Eiigucrrand dn t oucy. II dit formellement que si
Cù dernier avait eu le commandement^ les cîioscs se seraient passées
autrement; malgré leur exagt'-ration, il y a dans le^ accusations de
l-'rois&art un fond de vérité.
11. Chronique du ton duc,.., p. 246; — Froissnrt (éd. Kervyn, xiv,
270-31 attribue ù t^ucy l'honneur d'avuir pi-ovuf|ui'' la réunion du
conHell de (tuerre. — Juven.il île» Irsins m, .'tK'n.
13
KM KXI'JiDlTloN liK UAKHAUIK.
pruluiiger saus résultat; la réponse du duc.les clêsulad^autant
plus que, faite au raornent où la nécessité de levoir le siègo
allait s'imposer, olle présageait une; retraite sans conditions
ni iraitê. La république de Génirs n'eût pas trouvé son complti
ù cette solution; aussi s'entreniit-elle fort activement pour
obtenir des conditions que le duc consentît a accepter. Après
quatre jours de négociations, on tomba d'accord : la croisade
reprenait la luer; en échanf^i', les Sarrasins payaient pendanf
quinze ans aux Génois le tribut qu'ils avaient coutume d'acquit-
ter entre les mains du roi de Tunis, et, en outre, dans le délai
d'un an, une somme ilo <lix mille ducats, garantie par les négo-
ciants ualalans, naiiolitains et sardi's domiciliés à Africa'. C*'
nouveau projet lut soumis au duc de Bourbon, le conseil fui
assemblé pour le discuter. Le sotidic de la Trau, à cause de
sou âge, parla le premier ; avec l'autorité de rexpérlence
t^t de la bravoure, il conclut qu'il tenait < la chose aussi lioniiti-
< rabln que s'il avoit esté on (rois batailles ». .Tftanni<!ot d*Or-
tenyc, Cliflbrt", le comte ilauphin, Coucv se prononcèrent
énergiquement dans le même sens. Le comte d'Eu, Gravillc,
les sires ile Saint-Georges et «le Casijllon se rangèrent â
l'avis de leurs compagnons; le traité fut ratitié et les mesures
de départ prises sans retard'.
Trois jours après (fin septembre I390j, l'armée chrétienne
remontait sur ses vaisseaux. La retraite se fit avec le plus
grand ordre ; les bagages fiu-ent d'abord chargés sur les
barques et portés aux navires ; les combattants partirent
l'usuite. Le duc, dans la prévision cpie rennemi. malgiv la
conclusion de la paix, tenterait d'inquiéter l'embarquement.
s'était résen'é le privilège de quitter le dernier le sol africain.
Il avait caché derrière une mosquée une embuscade de deux
cents hommes d'armes ot de cent arbalétriers : précaution
fort utile, car les Musulmans s'empressèrent, dès que le mou-
veujent des croisé» leur fut connu, de s'aventurer jusqu'au
camp chrétien et de faire montre d'une audace qui contrastait
i. Ia Religieux de Saint Denis 0,670-1) et Gtustiniani fn, 1*»9)
parlent de dix mille écus d'or et de la libération des prisonniers ehn^-
tiens. La Chronique du bon duc {p, 2^7\^ donne le cbitTre de vingt-cinti
mille ducats.
;!. Voir plus haut, pape !7fi.
U. Ckruniquf du bon duc ., p. 246-50.
RETOnt Iȕ;s CROISKti l'Ail L.V SAltUAlilNK.
195
smgiiUèremeDt avec leur conduite, pendant les deux mois
ijui venaient de s*écouler. Le duc accepta le combat, pour
prott'-gor la retraite de rarmèe ; au moment où IVnnpini
Htait fortement engagé, il < découvrit son einbusche ».
L'effet fut désastreux poui* les Sarrasins ; ils se retirèrent
avec um* perte do cent à cent viugt morts, et rembarquement
lie fut plus inquièlt». Louis de Bourbon (quitta le port Uî
dernier, et l'expédition fil voile vers Conigliera oft elle
relâcha le lendemain '.
Ou y lini constùl sur la route à suivre ; les ciiofs, mécouleuts
d'avoir échoué devant Africa, cherchaient l'occasion d'un
succès avant do rentrer en Kuropo ; parmi Ips croisés, les
uns, avilies iraventures, avaient iléj.-'i traité iiidtviduidleraonl
avec les patrons génois pour être débarqués à Naples,
en Sicile, à Chypre, à Rhodes ou en Palestine'; les autres
avaient hâte de rentrer dans leur patrie et de rassurer leurs
femmes l't leurs mères, que la prolongation de l'expédition
elle manque de nouvelles inquiétaient : cuv, selon l"exprer%sion
fin poète.
• Dame n'avons par deçà qui ne die
< Qiip le bon vent vous puîat tost ramener^ «,
indis que processions et prières publiques se succédaient
pour attirer sur la croisade les bénédirtions cdc .stes et
surtout pour obtenir la fin dos hostilités.
Sur le conseil de Jean Centiirione, le duc se décida à
uiellre le cap sur la Sardaigne ; Tile était sur le chemin du
retour; eu outre, les Génois assuraient que Cagliari servait
aux Barbaresquos de lieu de ravitaillement, que les fau-
bourgs de l;i vîUu étaient des tMt tir forbons\ et que
les leur fi^nu-r serait leur perler un coup sensible. Ils ne
disaient pas qu'un de leui-s compatriotes, Branralcon Doria,
était alors en guerre avec le roi d'Aragon, suzerain de
l'île, contre lequel il faisait valoir les droits de sa femme
1. Chronique du bon (^/w^. . ., p. 250-1 ; — Kroissart, éd. Kervyn,
MV, 274.
2. FroÎHsart, éd. Kervyn, xiv, 27'».
3. KiLstarrhe Deiwliamps (éd. Tarbé), i, 112-i:t. Cf. Kroissart, éd ,
Kerryn, Xiv, i52.
K, Ce Honl loit expreHsioitjt de la f'bronîquf* di* K. MuriUtricr ,éd,
llui'hun, p. 5i7i.
KXI^KDmOX I)K RAKhARlK.
Ëléonore (l'Ai'l)oiê<\ et que riiilorventiou des croisés devait
favoriser les efforts du prétendant génois'. Cette résoln-
(i'>n répondait aux. désirs de tous et fut acceptée avec joie.
La rti>tl(i [larul devant Cagliari, sur la c*He sud-est de la Sar-
daigne. L'enlit*e du port fut forcée sans difficidté ; on j cap-
tura un (,Tand nombre de gros vaisseaux; la basse rille
tomba de niAnie au pouvoir des croisés ; b' cbâteau se rendit
le lendemain. U apparlenait au vicomte de Narbonne,
Guillnumo i, <pii tenait en Sardaigne, du chef do sa mère
Béatrix d'Arborée', troisième femme d'Aimerj x de Nar-
bonne, de nombreuses terres dont ni lui ni son fils ne pai*-
vinrent jamais, malgré la faveur que leur tOmoiguaienl
les Sardes, à conquérir la légilinio et paisible possession*.
Le capitaine de Cagliari fut remplacé par une garnison gé-
noise, 4ui s'engagea envers le duc à no jamais laisser les
Barbai'esques s'approvisionner dans la place, et à la garder
* bien et loyaulement pour les Chrestiens ».
Pour empêcher les Sairasinsde se ravitailler en Sardaigne, la
prise de Cagliaii ne suffisait pas ; il fallait aussi réduire la Guil-
lastre [Ogliastro), iloi de la côte orientale ; les Génois n'eui^eni
pas de peine à convaimre leurs aliirs de la conquérir en pa>-
saut. La Guillastre ne résista pas et reçut une garnison génoise
dans les mêmes conditions que Cagliari. Maîtres de ces doux
points, les croisés se dirigèrent versNaples, (|ui servait êga
lement de point de ravitaillement à reunomi; mais um'
terrible tempête, qui éclata pendant la nuit, détourna la llotlt*
do sa destination, lui fit courir les plus grands dangers et la
conduisit en vue de Messine. C'est là que toutes les galères,
égarées par le gros temps, se rassemblèrent : une seule, celle
1. Manno, Histoire de Sardaigne^ cité dans l'ouvrage du marquis
de I*orfiy sur Jean de Vienne, p. 250.
2. La principauté d'Arborée en Sardaigne appartenait h. MarÎAti,
père de Uéatrix.
3. (itiillaume u, vicomte de .\arI>onne, fils de tiuillaiime i, se di>-
thigua par sa bravoure et fut tué k Vcmeuil en 1424. Après 1a murt
d'Kléonorc d'Arborée, fr'mme de Itrancaléon Doria (1403), sa grand-
ïanto, après celle do Marian, fli.s dp cotte dernière (1407), il se trouva
seul héritier de la prinoipnnlé d'Arborée, que Brancali>on [)or)a et le i-oi
d'.Vra^n lui disputèrent (V. P. Anselme, vu, 705; — Imhof, Geneat. A'V
illitAtrium in Hiapania famiiiarum, p. 133-74; — L.Salazar de Castro,
Jiixtoire de ta nminon dr Caislro. pa«8iml.
SKJOIK IH [H C EN SICILE.
197
rjiio njoiitaienl U* soiidir de l;i Traii et Chiitcaumoranil, fiif,
entraînée vers Traparii, à rexlrémilé occidLMitale de la Sicile,
et se brisa devant le port ; mai>», grâce aux sGcours qui lui
vinrent de la côie, aucun de ceux qui la montaient ne périt ;
les bagages seuls furent perdus, et les équipages rega-
gnèrent Messine sur une galère envoyée pai* le duc â la
première nouvelle du naufrage '.
Manfred de Clermoiit', aurjuel obéissait la moitié de la
Sicile, fit au duc de Bourbon et à ses compagnons un accueil
uiagniQque : pendant les huit jours qu'ils séjournèrent auprès
do lui. ce ne furent que festins, fêtes et attention» de toutes
sortes. Par ordre de Manfred, la flotte fut approvisiouaéL* de
vivres; Louis de liourbon, Coucy, le couilo dauphin et Phi-
lippe d'Arlois reçurent en présent des coursiers de prix, et
Clermont sollicita, au niouient du départ des croisés, l'Iiunneur
d'être armé chevalier des mains du duc. Celui-ci, k sou tour,
lui donna « une ceinture d'or et sa devise d'Espérance ».
Les Génois étaient parvenus à faire prévaloir leur plan et
k occuper tous les points de relâche des SaïTasins. En quittant
la Sicile, l'expédition fit voile vers Ton'acine. Comme Cagliari
et la Guillastre, Teiracine, port nur la mer Tyrrhénienue, â
Texlrt-mité des marais Pontins, fournissait aux LJarhart'sque«
des vivres et un refuge ; devant les forces chrétiennes, la
basse ville ne chercha j>as à résister; le rlinfrau se rendit
après un siège de deux jours, et fut c<tnHé ù la garde des
Génois. De là, longeant la c(île d'Italie en remoutaJit vers
lo nord, la iloïto atteignit Piombino, ville maritime,
peu distante de Pise. en face d** l'ile d'KIIio. Tu' nés
était depuis longtemps eu guerre avec Pierre Garabacorta,
seigneur de Pioiobino et de Pise. et insistait vivement auprès
du duc poiu* qu'il l'aidât à le réduire; mais LfUiis df IJoiiibon
refusa rie tourner son épée contre des chrétiens; il nffnt sa
médiation qui fut acceptée. Gambacorta, effravé d'un dé-
ploitun^nt de forces qu'il oraignail de voir diriger contre lui,
consentit à toutes les conditions qni lui fureut imposées,
et la paix fut facilement rétablie t-utie lui' et Gènes. Il
1 . Chrottiffttc (lu fion duc. . . , p. 252-4.
*i. Voir plus haut, p. 16G-7.
3. l'icrn* r.aiiibacorla, seigneur de Pipjinbiiio et do I*lse dès laftH,
fut tui^ en X'A'JÎ pur Jucquvs Appiaui, «lui lui succéda dans ccrn deux
seîgnouriw.
pn fut (le raôme avec l'île d'Elbe. Grâce à rintcrveation du
duo, les prêteutions qu'elle soutenait contre les Génois TuinmiI
abandonnées, et les diltioultés pendantes heureusement apla-
nies '. De File d'Elbe, la iloite atteignit Porto Fino ; c'est l:i
que la plupart des croisés prit terre pour gîigner Gênes *. Mais
U* duc refusa de suivre l'exemple de ses l'oiupaifiions, nu
gniud déplaisir de la république qui lui avait prépai'é une
entrée triomphale. MalgW? Tinsistance des Génois, Louis de
R^turhon persévéra dans son dessein, et Ips jirincipaux chef»*
de la e.roi.sade, Cuuey. le comte d'Eu, le eumte daupliin d'Au-
vergne imitèrent sa résolution. Embarqués à Marseille, dî-
saieiil-ils. ils avaient fait vœu de rentrer en France par h*
même port, et rien ne pouvait les délier d'un engagemeni
solennel. Une fois à terre, ils se dirigèrent sur Paris, qu'ils
atteignirent vers le comuienceraeut de novembre '. Leur
retour était altendu avec impatience; partout on leur Ht.
fête; leui's récits entlamniérenl l'enthousiasme, et on projetsi.
pour la saison suivante, une nouvelle expédition. Charles m
et le iluc de Touraiin* prirent même la croix, mais les évé-
nements empêchèrent que ce des&ein reçût la moindre
exécution *.
A tout prendre, la croisade avait échoué; malgré quelques
faciles succès, quelques esrarmouchos heureuses, la prise île
qu«dques places sans défense, il est impossible de se mé-
prendre sur l'issue de l'expédition. Africa, l'objeclif di'^
croisés, n'avait pas été enlevée ; sa ivsistance avait para-
lysé les efforts des (^hrêtiens et entravé tout le plan de
campagne. Quand ou dut se rembarquer, on fut très heureux,
grâce aux Génois, de négocier un traité qui sauvait les appa-
rences, et permettait nue retrait»^ honorable. On se plut, au
retour, à réduire les châteaux de trois ou quatre jtetita ports.
pour les interdire aux Musulman-set les metti-e sous la pro-
tection génoise; mais cetU.' pridiibition ne pouvait être otïi-
1. ChronitiHK du hun duc. . ., p. 2.'>j C. Lilo d'Elbe appartenait aux
Pisans. Kn U!I8, (Jtlirard d'Appiaiiu, en vendant Viaa aux Milauaiïi, S4>
réserva Tile d'KItîe et INorabiiio.
2. Là moururent Sainte Sévère, GuichanI de Cbâleaumorand, lr>
sires de Casiillon et de Caillart et <.t(iu2e rhovalicrs anglais {f'hrmtOfUf
du bon duc. . .^ p. 20 ;j,
;:. Kroîssari lôd. Kenyn. \iv. 280» dit; vers la Saint Martin,
'i. l-'roi><.irl, r-"l. K<'r\>-ii, \iv. 280-1.
KKSri.TATS DK LA rRoISAIiE. 190
cace. et causer à reonenii un tttrl sérieux ; ne lui restait-il pas
encore, sur les côtes e1 àan» les îios de la Médilerrauée, plus
d'un refuge ? La rivalité des répuîiliqnes maritimes ne lui
garantissait-elle pas la liberté de navigation, que n'eût pu lui
enlever qu'une action commune des puissances chrétiennes?
Eléonore d'Arborée put, il est vrai, h la faveur des succès des
croisés en Sardaigne, conclure avec le roi d'Aragon une paix
avantageuse'; mais était-ce pour cet objet que In chevaleri*»
chrétienne avait pris les arnu^s ?
Gènes n'avait donc pas d'avantages sérieux à espérer de l'oc-
cupaliondes ports de Sardaigne et deTerracine. Elle s'aperçut
bientôt que la croisade pouvait tourner directement contre elle
et contre les intérêts des nations commerçantes de la Médi-
terranée. Voici pounjnoi : les Sarrasins, après la retrait*^
des croisés, tant pour éviter le retour d'une invasion ([ue
pour se venger des Chrétiens, songèrent à unir flan< )un^
ligue générale tous les états musulmans de la côte septen-
trionale d'Afrique et les Maures d'Ksjiagnr. Ils se propo-
saient de se défendre eu cas d'attaque et d'interdire leurs
ports au commerce chrétien. On con<;oit pour Gènes et pour
Venise l'effet d'une pareille mesure, rigourensement exécutée
au détroit de Gibraltar, ot sur toute l'éteadue des cAtes sep-
tentrionales de l'Afrique. Elle eut ruiné les relations mari-
limes de ces deux républiques avec la Flandre et le nord de
l'Europe. Les Génois n'avaient pivvu ni les conséquences de
leur conduite à l'égard des Harbaresfiues, ni les représailles
que ceux-ci pouvaient exercer contre les instigateurs de
la croisade*; aussi se hàtèreut-ils de négocier avec le roi de
Tunis. Les Génois eu LI9I f 17 octobre), les Vénitiens, Tannée
suivante (i juillet 139?), obtini*ent le renouvellement de leurs
traités de commerce et la libération des prisonniers chrétiens.
Enfin, l'année suivante. le roi de Sicile, après di' laborieuses
négociations, rentrait en possession de l'ile de Oerbi, que les
Harbaresques avaient reconquise depuis le départ de la Hotte
coalisée. Le péril se tivjuvait ainsi conjuré '.
IL reste k examiner, en cas do succès des croisés, quelles
I . M&rquis de Loray, Jean de Vieufte, p. 350. •
2 Froissant, éd. Kervyn, xiv, 278-9.
:t. Lo texte de ces traités a été publié pnr M. de Mas Latrie, Traitât
nr^r ht Arahu, p. I»» pt 2:i2-8 et 161-î».
consétiuences rexp(»(lU,ion de Harbarie eût pu avoir sur 1a
question d'Orient et sur le développement de la puissance
imisulmaue. Nous a'hêsituns pas à dire qu'elle n*eu eût en
aucune. Les dynasties musulmanes d'Afrique n'avaient plus.
à la fin (lu xiV siècle, de rapports assez étroits avec les
Sarrasins d'Asie pour qu'une défaite des premiers portât un
coup sensible aux seconds. Les chevaliers qui accompa-
j.'Tièi'ent le duc de Bourbon sont assurément excusables di»
n'avoir pas compris qu*ils servaiejit la politique de Gènes et
non la cause de l'Orient chrétien ; comme les compagnons de
saint Louis, ils allèrent en Afrique pour combattre les Mu-
sulmans, donner des coups d'épée et de lance, et dèfendi-e la
foi menacée par les infidèles. Mais, en 1390 comme en 1?70,
aucun dN'ux, aucun même des cbefs de l'expédition ne s'est
douté qu'attaquer les Barbaresques et les vaincre n'aurait
aucune intlueuce sur le cours des événements dont le Levant
était le théâtre, et n'anV'terait nullement les prog^rés de la
puissance oitomane. La chevalerie s'était entliousiasniï^e â
l'espoir de prendre les armes et d'aller guerroyer, sans scru-
|iule d'aucune sorte, conti'e les méci'éants ; peu importait <|ni*
la croisarie fût destinée à rester stérile, si elle donnait roc<*astun
de belles < emprises d'armes » et d'aventures merveilleuseH,
Cette ab.sence de clairvoyance politique, wt a\euglément uni-
versel, dont Charles vi fut victime aussi bien que h* dernier
des croisés, caractérise l'expédition de Barbarie. C'est moins
une croisade qu'une chevauchée, née de l'intérêt commercial
des Génois, présentée par eux avec ujie extiV-me habileté sons
les couleurs d'une ex[H*dition religieuse, quand le commerce
juéditerranéen seul était en jeu. et condamnée, dès le prin-
cipe, à ne produire aucun des résultats dont ils avaient leurré
le naïf enthousiasme des croisés.
Ceiitui vieil solitaire... en entrant en la sale... devant ta
« royale majesté du très* gracieux et très dévot roy d'Angk'-
< t«Tre cornuat d'an gi*ant cornet de chasse, dnqiiol il ne tina
« XL ans de corner as empereurs et roys et princes de la ores-
tienté, voire pour assembler à la chasse de Dieu les graiiî
€ lévriers et chiens courans pour envair la riche proie » ',
C'est î»ous celte comparaison alh-gorique que s'est désigné
lui-même Philippe de Mèziêres, l'ancien chancelier du roi de
Chypre, qui, pendant un demi-sièrlc, de pnVs ou do loin, fut
nièl»» à tous les événements qui euicnl l'Orieiii pour théâtre.
personnifiant ainsi, avec un rare boulieur d'expressiim, la
constance des efforts qu'il tenta pour armer la chrétienté
contre les Sarrasins et l'indifférence toujours croissante qu'il
rencontra auprès d'elle.
I.a vie de Philippe de Méziéres fut exclusiveraenï consacrée
aux affaire^ d't Irieiit ; pendant qu'il servait les rois de Chypre,
et plus lard en Kurope a[»rés sa disgrâce, elles furent son
unique préoccupation. 11 a pu écrire, sans exagération, que
durant (|uarant<! ans il ne cessa de sonner la trompette
d'alarme. L'histoire offre peu d'exemples d'une ténacité aussi
persévérante; jamais Méziéres ne se laisse rebuter par les
obstacles, il revient toujours à la charge sans décourage-
1. british Mtiscum, Kuyal 20, U vi, ^ U3 v-S. Ce passage est tiré
d'une épitrc adrcss(^o par Philippe do Mi^zières au roi d'Angtolorre,
Hiclurd u (vers 1395} dans laquHlo il Icxliurlf, df concert avec le nù
d* France, à se croiser contre les infidèles; elle a été analysée par
ker^jn de Lellcnliuvc (Frui^sal•I, \v, :î7ii.8'2l.
2(»?
■murpt: m; mhzierks.
meut, mais aussi «ans aigreur, et cependant il n'est pas un
importun; ceux qu'il sollicite rêcontênt avec intérêt, sauf A
ne pas adopter ses i<l(»es. Son expérience personnelle des
choses et de la politique orientaies le garde des projets cbi-
uiéni|ue3, et, sou» les allégories gracieuses et poétiques doni
il se plaît à envelopper sa pensée, se cachent des vues
d'une hante portée pratique et des conseils excellents. C'est,
parmi les donneurs d^avis, — exception bien rare, — une
Hgurc svriipatliique.
Philippi' d I' Mézières était né dans rAmiénois, comme Pierre
rKrmite dont il se plaisait à se dire le compatriote, dans les
premières années du xiV siérli*. Vers I:iî3, àgè d'environ
trente ans, il st^ tixa dans l'ile de Chypre à la cour d'Hugues
rie Lusigruàu; homme fort instruit, il avait dos connaissancoa
ti-ès supérieures à celles de la plupart des laïques et même
de beaucoup d'erch'siastiques de ce temps; celles-ci le dési-
gnèrent au choix do Pierre, fils et successeur de Hugues rv,
qui, parvenu au trône, le nomma chancelier du royaume.
Méziéres sut, dans ces fùtiftions. mériter la faveur de son
maître; très dévoué aux intérêts de ce prince brouillon et
avrnfnreux, il s'attauba. a\ec l'ardeur infatigable qui formait
le fond de son caractère, à euti'niner l'Occident à une nou-
velle croisade, mais s<'s efforts restèrent infnu'.lui'ux. Quand
Pierre i vint en Europe (i:Jl)?-1305j recruter des adhérents à
ses projets, il ne le quitta pas; à Avignon, il séduisit le pa|)e
par son mérite et la sagesse de ses conseils, et fut même chargé
par celui-ci de missions diplomatiques délicates en Lombar-
die. Son rôle dans la préparution de la croisade de Pierre de
Lusignan fut prépondérant; quand elle s*exécuta. il retourna
avec le prince en Orient (juin i;^Or»j', et Taccotupagna part^^ut
où les hasards de la guerre le conduisirent, devant Alexandrie
'■ommc à Tripoli. .Mais la mort de Pierre i (I309; et l'avène-
uienl de Pierre il modiliérent la situation de Philippe d«»
Méziéres à la cour de Chypre; on 1371, il était envoyé par
le nouveau mi en Orrjdent pour féliciter Grégoire xï de son
exaltîition au trône [tonliriral; ce voyage n'était, tpt'un pivt<'Xti»
pour éloigner un des serviteurs les plus dévoués de rancicn
régime. I^i' chancelier disgracié tnmva, à la cour de France,
l'accueil et l'influence t\\\v Pierre ji lui refusait; il resta en
\oir ]ilus haut, p. \l'i.
KKFiJKTS liK CIIIJ.il'I'K Î>K lIKZlKltKS
•*()V
Occident, couibLé de faveurs et de présents par Charles v.
Lorsqu'en 1379, il entra au monastère dos C^lestins à Paris,
il conserva, dans cette flcnii-retraitc, assez de liberté et de
crédit pour rester le conseiller de Charles v et du duc d*Or-
iéans, et Tinspirateur d'une poliiique à laquelle la majeure
partie de sa vie avait été consacrée'.
Il serait injuste île dire que tant d'efforts restèrent stériles.
Pt que Mézières ue pan'int pas à se faire écouter. Les faits dé-
mentent cctl*^' aflirmalion trop absolue; peut-on méconnaitre.
en t'ffrt, que la croisade de Pierre i. b*s espèijitions du comti'
de Savoie à Constantinople et du duc de Bourbon à Tuni^,
aient été dues à l'influence directe de Philippe de Mézière'i?
Mais l'ardente? piété tlu * vieil cordelier » ne se cnnientait
l»as de ces entreprises, nées d'un enthousiasme passager, dtt
besoiu d*aventures qui s'emparait de la noblesse chrétienne
dès qu'elle se sentait inactive, et qui ser\ aient de prétexte à
des chevauchées conçues et menées sans esprit de suite et
sans plau raisonné. Il nVtait pas la dupe do ces cmisades
qui. pour la plu paît des princes d'Kurope. étaient l'occasion
de frted somptueuses, de décimes nouveaux arrachés au
pape et de subsides extrîtordinaires levés s lu* leurs sujets: il
savait quelles n'aboutissaient à rîen. el que, tandis que la
chrétienté usait ses finances, ses forces et sou zèle à ces ten-
tatives >îui& portée, les infidèles devenaient de plus en plus
nienaçanis, et qu'une inlervenlion etlicace et prompti* était.
indispeasîdtle |ii»ur sauver le royaume de Chvpre. Aussi ne
cessait-il d'attirer l'attention des cours eurojiéennes sur la
nécessité d'ime action sérieuse, de les détourner des expédi-
tions éphémères et stériles, de leur prêcher l'adoption des
plans qui seuls, croyait-il. pouvaient conjurer le péril aiuiufl
les Chrétiens d*Asie' lUaieul â la veille tle suecomlier.
Méziêres Voulait b* salut des établissements cbrelieus du
Levant: il avait « l'ardent désir '» de rendre les Lieux
1. Sur U vie dp l'iiilijipe do Mèziores. vuii- un iiu^muin* tir Lt'lu'uf
d«n» le» Mémoires de l'Académie dc6 Inscriptions et nelles-Keltre» (xvu
(I75II, 'lyi-ôUi. et A. Muliiiier, Dexcriptinn ttf (hùx iV'tmtiailit . , . rf*»
Philip/>e rie Mtf^iéreu, dans Archives do l'Orient latin, l, 3:16-7. \ou»
non» bominos servi du tirape à part de et' triivail,
"2. \. MolinieP. MtinusrritA de PhiUppr rie Mt'siém, p. â.
J. l."cM fruti> vv Mtini •|iir Mô/iêrcH ïiVi't (wr^onnific dane un de m*s
204
l'HJLIPFE 0£ MEZIËUKS.
Saints à la foi, ot sa piété s*unit à l'intérêt poIiiiqiK* pour
animer sa plume dan» ce but. A peine counut-il l'Orient»
(lu'il rêva de l'aiTaclicr aux Musulmans; dès 1350, avant
môme d'èinî chancelier de Chypre, il cherchait à le secourir.
et cette pensée, pendant le cours d'une longue carrière, ue
cessa d'occuper son esprit et d'inspirer son cœur.
Le fniil de ces incessantes méditations fut le projet de
(■réalion d'un nouvel ordre de chevalerie. Des croisades, di-
rigées par des princes inexpérimentés, prompts à se décou-
rager, étrangers au pays où ils devaient combattre, ignormits
de ses mœurs, de son langage, de son climat, de ses res-
sources, étaient fatalement vouées à des échecs; aussi
fallait-il établir comme base de toute résistance sérieuse un
corps d'élite, permanent, endurci aux fatigues et ans priva-
lions, composé de chevaliers dtHoués à la cause sainte qu'ils
devaient servir. C'est cette idée dont Mézières poursuit la
réalisation sous le nom de Chevalerie de ia Passion de Jèstts-
Christ, avec la persévérance qui lui est habituelle. Sans
souci de l'indifférence toujours croissante de la noblesse et
du clergé, il rédige les statuts de l'ordre nouveau, expose
ses plans, h-s moditie et les remanie à plusieui*s rt^'prises.
Le premier projet, dédié au mi Pieri-e i de Lusignan, date
de I3()S; c'est un mémoiri* politique, un exposé des services
que rendra la milice de la Passion. En l3H'i, le projet prend
les proportions d'un véritable ouvrage» plein de faits et de
détails qtii déuolêiit iiii autour familier aver les choses de
rûrieut. Entîii, en l;iOr>, le mariage de Richard ii et d'Isa-
liclle de France semble sceller à jamais la réconciliation des
cours d'Angleterre et de Franco ; l'occasion est trop propice
pour qu(^ Mézières ne tente pas d'enrôler sous la bannière
nouvelle les chevaliei*s que la paix rend oisifs. Une épltre au
roi d'Ang!t»ten'e pour l'exhoi-ter .-i prendre la croix et à
s'alhlier à la Passion de .Îésus-Chrisi', une œirvn* littéraire,
IraJtée dans le goût du temps avec allégories et ticliuns in-
génieuses, ot destinée à faire ressortir les avantages de la
ci-éation projetée, sortent de la plume <lu solitaire des Ce-
ouvrages. Aucuiie <iiialilk-a(ii>ii ne {Kiuvail «Mn^ ptuit heureuspun^nl
cliui&ic. V. A. Muliiiier, Maniutcrih .., p. 15 et 17.
I. C'est rOpttiT cunservi^o »u Britisli Muséum, Royal 20, U vf, f^ 38-
Ol'VRAOES DK PHiUPPR DE ME/.IKRE.S.
2(i:.
lestins; il se datte qu'elles recrutei'ont de nombreux adhérent^
à ses projets, mais so» espoir *?sl oncorc une fois dé*;uV
L'activité littéraire de Philippe de Mèzières fut considé-
rable; sans parler do plusieurs ouvrages mystiques, trois
rédactions de ses projets de fondation de la Passion de Jésus-
rhrist (I3G8, I38'(. |;ïîï5)-', uue vie du bienheureux Pienv
de Thomas, compagnon du chancelier en Orient pendant la
rroisade du roi de Chypre\ l'épitre au v>t\ d'Angleterre, et,
suivant l'opinion la plus accréditée, le Songe du Verger', furent
composés par lui'. Il n'entre pas dans le cadœ de ce travail
d'analyser chacun de ces ouvrages, quoiqu'ils se rattachent
ions, à des liti*es divers, à l'Orient ot à la question d'inter-
vention aux Lieux Saints. Mais la tentative d'établissemeni
d'une € chevalerie » nouvelle touche de trop près au déve-
loppement de l'infUienco chrétienne dans le Levant pour ne pas
arrêter notre attention pendant quelques instants.
C'était uue heureuse idée de placer en Palestine, aux
crttés des chevaliers de Rhodes, trop riches pour avoii- con-
servé l'ardeur et l'activité des anciens temps, une milice
jeune, brave et animée du zèle de la foi. Tous les esprits
clairvoyants du xiV siècle avaient, compris qu'une force per-
manente, recrutée par des éléments d'élite, était indispensable
pour contenir la puissance envahissante des Ottomans. Après
la chute d'Acre ou avait favorisé dans ce but l'établissement
des Hospitaliers à Rhodes; bientôt on demandait la fusion
des ordres militaires, et on proposait de mettre aux mains
des rois de Chypre un corps de soldats choisis, avant-garde
des puissances européennes en Orient, et noyau de toute ré-
sistance contre les infidèles. Philippe de Mézières, fidèle A
cette tradition politique, reprit, en le rajeunissant, le projet
de ses devanciers. A ce moment la chevalerie avait soif
1. A. Molinior, ManMcn'U. . ., P- ^6-
S. A. Molinier (Manuscrits...^ psssim) a parfaitement distingué CM
diverses rédactionâ, qu'il a analysées isolément dans ce travail,
a. Acta Sancturum Bvll., 29 janvier, n, 090-1013. — Voir pluH
haut, p. 123.
4. Cette question d'attribution est fort controvervée, et ce point
d'histoire littéraire n'est pas encore élucidé.
5, n faut ausài ajouter à la liste des ouvrages de Philippe de Mé-
zières VEpistre UimvntaMr et numohtmre dont nous parlerons lon-
gtipmrnt phis b;i«.
il'aveiitares et besoin d'cxpansioti au dehors ; vanitease et
IVivole, elle était susceptible de s'erithousiasiuer pour un
<lesseiu qui flattait ses tiéfaiits. Mézières e^ipèra tirer parti
rie CCS sentiments pour constituer l'ordre de la Passiout et il
y fit la plus larpi' part aux disjïositions concernant le costume
des chevaliers et des olliciers. la liiérurchie ries diguitaires,
et luillc détails qui avaient, aux yeux des contemporains
de Mézières. une importance capitale, et devaient décider les
adhésions.
L'ordre nouveau était destiné à otj*e le miroir tle la chn-
tienlé; ses membres, purifiés par la grAce, comprenaient des
clercs, des nobles, des bourgeois et des artisans; aux pre-
miers on réservait les dignités ecclésiastiques, aux second*
les commandements militaires ; les frères se recrutaient parmi
les bourgeois, les sergents parmi les artisans. C'était l'image
de la société, mais jilus parfaite; bîs clercs priaient tandis
que les nobles, les frères et les sergents se battaient, et tous
ilonnaient au monde le spectacle de leurs vertus. Edifier et
réfonacr le «^^enre luimain par l'exemple, tel est le but moral
des chevaliers de la Passion; délivrer le Saint Sépulcre, tel
sera l'objet de leurs efforbi constants ; ils s'y emploieront de
cœur, de parole, d'œuvi*e. de nom et d'habit, * de cœur, en
4 ayant toujours présente à Tesprit la Passion du Christ; de
« part)le, en pnkhant, on priant, en chantant; d'œuvrc. eu
* pratiquant Tobéissance, la pauvreté et la rhasteté conju-
« gales ', en macérant la chair..., en combuttanl les ennemis
« de la foi qui possèdent la Terre Sainte, en employant â cet
« l'ffot tous les biens temporels qu'il (l'ordre) pourra acqué-
« rir, recevoir et conquérir ; de nom, en parant ses membres
« du titre de chevaliers de la Passion du Christ; d'habit
« entin, en mettant la croix sur leurs vêtements*. »
L'organisatiorj sera militaire; une série d'officiers, dont le
lilre et les fonctions sont exactement déterminés, la feroDt
respecter; au point de vue ecclésiastique, le pape déléguera
à un patriarche la directiori spirituelle de l'ordre ; arche-
1 . Philippe de Mézières entend par le rmu de chasteté U fidélité
Conjugale. Les temps sont mauvaî.s, dlt-il, le monde vieillit, et il nr*
faut pas imposer ime condition qui a causé la décadence des autre»
ordres militaires; les chevaliers de la Passion seront donc mariés.
2 A. Molinier, ManmcnU. ... p. 8-9.
• (RGANliiATION DE I.A MILICE l»E la PASSION.
•A)7
vêqucs, évèques, chanoines et prêtres lui obéiront. L'hospi-
talité sera en honneur; on établira à la fois un hospice et un
hôpital ; les veuves et les orphelins y vivront, les malades y
seront soignés, visités et consolés par les femmes des grands
iliguitaires '. L'cnfanco préoccupe également Philippe de Mé-
zières : il lui ouvre des écoles, surveillées par un uiaitif
spiHïial, pour lui enseigner l'arabe, le tartare. le grec et l'ai*-
inénieii ; l'usaifc du latin y sera ohlii^Mlnire, et dans certaines
il'ontre elles ou pourra mémo apprendre huit langues orien-
tales différentes. Le droit canon, le droit civil, la théologie.
la musique vocale et iustrumentalc auront leurs écoles
spéciales.
Mais la milice nouvelle ne s'adonnera pas exclusivement â
la vie contemplative; si elle doit faire renoncer, par la force
de l'exeuïple, les pécheurs à leurs erreurs, ot ra>iver dans
les Ames le culte délaissé de la Passion du Sauveur, elle est
avant tout créée pour la vie niililaire. et» dans les projets de
Méziêres, cette dernière tient la pla<e d'honneur. L'ordre jra-
t-il pas pour objet immédiat de secourir les Chrétiens en butte
aux attaques des intidêles? Ne doit-il pas reconquérir Jéru-
salem et la Terre Sainte, ne doit-il pas surtout assurer la
conservation des pays reconquis? Cette udssion suppose la
prédominance de l'élément militaire, sans laquelle les che-
valiers de la Passion seraient incapables de remplir le rôlt»
que hmr fondateur leur destinait. La guerre est pour eux une
■ibligation étroite ; la discipline des camps, les exercices mili-
taires, les machines de guerre â empUiyer, l'ordre des marches
attirent longuement Tattenlion de Mé/ières ; l'armement et le
campemiMit sont également l'objet îles dispositions les plus
mÎDutieuses *. Cet ensemble de mesures marqrie nettement les
préoccupations du fondateur dr la nouvelle chevalerie.
Malgn* tant d'efforts, Philippe de Mézières ne parvint
Jamais â la constituer; un instant (vei's 1390) il avait espéiv
n*'us-sir ; un pape, des prélats, des docteurs de l'Universiié de
Paris, six ducs du sang de France et d'Angleterre avaient
adhéré à ses projets, mais les circonstances ne tardèrent pas
à dissiper les espérances conçues ; l'expédition de Barbarie,
208 PHILIPPE DE MÉZIÈRES.'
et bientôt après la croisade préparée par le duc de Bour-
gogne occupèrent tous les esprits, : TOrdre de la Passion fut
oublié*.
1. Nous avons la liste des adhérents recrutés par Mézières; ils sont
peu nombreux, mais ce sont les personnalités les plus renommées
pour leur courage et leurs aventures (A. Molinier, Manuteritt...^
p. 30-2).
LIVRE IJl
MCOFOLIS
1396
LIVRE 111
NICOPOLIS
a%
LVïpédition iIp Mcopolis. tanl par l'importaiire do l'effort U^nlè par
la chrétienté que par l'éi'Ut d'un désastre sans précôdcMit dans
rhisloîre des rruisades, eut irup de retentissement au moyen âge
puur ne i>as avuir laissé de numliroux et profumU souvenirs. Il est
peu de chronir|ucurs oontcrapiiraîns qui n'aient enroKi^tré les ia-
ineiitables aventureb des cruiiMl's en Bulgarie et en Orient; ccit
it'inoignages donnent au riVcit de l'historien, qui m propose de
raconter à son tour les péripéties de cette oanipagne, la base et
l'appui les plus solides.
L'armée coalisée était formée de corabattautit appartenant h
presque toiiles les nations chrétiennes; rette divemté d'origine wî
reflète dans les sourrcs dont nous nous sommes servi; les peuples
mêmes qui, comme les Italiens, n'ont pas été mêlés à la croisade,
ne sont pas re&lés indifférents aux événements dont l'Orient fut le
théâtre, et les ont accueillis dans leurs chroniques; les Musulmans,
de leur côté, n'ont eu f;^rde de paaser sous bilencc une victoire ca-
pitale pour leurs armes. Aussi chacun de ces différents récita,
pour être apprécié à sa véritable valeur, devra-t-il être groupé avec
lea témoignages émanés do la même source que lui.
SoriirM KHSÇAlsEs. Nous avons déj^ appnVié l'antoKté de la
2\2
sorncKs LU livrk tuoisikmk,
Chrvnique des 'juatre première Vatoù*, celle (îe Jeau Juvéïial des
l'rsina' et du Heligieux de Saint Oenia^^ mai» ce dernier chroni-
queur mérite, pour l'expéditiûit de Nîcopolis, une attention spéciale,
en ce qu'il a tenu d'un témoin oculaire* les détails relatifs à la
croisade. Kroissart, dont le récit est très développé, doit ici, comme
partout*, être soumis à un sérieux contrôle; il ne faut pas oublier
qu'il était tout dévoué à En^'uerrand vu de Coucy, et n'a laissé
ér.liapper aucune occasion de mettre son héros en relief, au détri-
ment du connétable d'Ku pour lequel il professe une animosité par-
ticulière. Bien que !a légèreté et l'incapacité do Philippe d'Artois ne
fassent doute jwur personne, et que la responsabilité du désastre
retombe en grande partie sur lui, il faut néai^moins se tenir en
garde contre les appréciations souvent trop passionnées de Froissarl
à l'égard du connétable. It en est de même de la lieiatioH de ht
croigade de iXicopotis par un serviteur nu comte Guy ii de Hloi?.*,
qui n'est qu'un abrégé tré» exact des clmjniques de Kroissart.
Le témoignage \p. plu.s important et le phi.s personnel j>onr celle
période est celui du Lii-re de» faits du maréchal lloucicaut".
.Malgré son caractère apologétique [i\ a été écrit sous les yeux,
peut-être même sous l'inspiration directe du maréchal), il est digne
de la plus sérieuse confiance, el c'est, k tout prendre, une source de
premier ordre.
Le Lùre des faite nous a conservé le souvenir des événement»
auxquels le maréchal a été mêlé depuis sa naissance jusqu'en avril
i409; le récit s'arrête brusquement à cette époque, et cette cir-
constance nous donne la certitude que Ta-uvre est contemporaine.
On a fait, sur raulenr de cette chronique, de nombreuses conjec-
tureS} sans qu'aucune d'elles i*oit absolument satisfaisante. Il faut
1. Voir plus haut, page 1I4-Ô.
2. Voir plus haut, page 116.
3. Voir plus haut, page 116.
4. Gautier de Rupes, de la maison de UaulTremouL
o. Voir plus haut, page 114.
6. Ed. Ken-yn de Letlenhove \Chroniti»e* de Froiuart^ xv, 439-.'.OH
Cl XVI. 413-i3).
7. Le matmscrit unique du Liire des faits du bon messire Jeiut U
Maingre, dit Houcigaaut, est conservé à la Mibl. nat. de Paris, fond»
franc. Ili32. Il a été pour la première fois publié par Tli. Godefroy
[Histoire de Mre. Jean Buncicaut^ Paris, A. Pacard, 1620, in-'t«), av»'r
quelques additions tirées des chroniques contemp(traines et des pièces
d'archives. Knsuite il a été compris dans les collections générales d«*
chroniques sur rhistuirc de France, par pxemple dans la t'jillertion
universelie drs mémoires pnrtindiers refatifn à Chistnire de Fraure
l.i»n(lr«^s el Paris, 1785, in-H*. tome vi), par Parni, avec qurhjues sup-
pressions, - dans la S'auvelle Ctdlection des mémoires pour servir û
S<trRCKS in I.IVRK TRôlSIKMI-:
ii:i
f*ppendanl, croyons-nous, rejeter l'hypothèse nui .itlribue la com-
position de l'ouvrage à Houcicaiit Ini-mèinp. Celui-ci était avant
tout un soldat; la politique, comme il l'a prouvé maintes fois, et à
plus forte raison la composition littéraire, très remarquable dans cette
«T-uvre, n'étaient pas le fait d'un homme de guerre, ne vivant que
pour combattre et frapper de grands coups d'cpée. On ne saurait
également» comme l'a voulu M. Kervyn de Lettonhove, reconnaître
dans le Livre dei fait* la plume de Christine de Pisan'. Il semble
vraîscmbUblo que lyuvrage a été écrit dan» l'ontounigfi du ma-
réchal, par un homme qui avait vécu aux cAtés de Boiicicaut, et
qui complétait ses souvenirs personnels par cens du héivs dont il
avait entrepris de retracer l'histoire; Jean de Cbfileaumorand,
l'auteur probable de la Chronique du bon duc Aoyi, on Jean d'Ony,
le fidèle écuyer du maréchal, sont, dans cet ordre d'idées, les
personnages auxquels nous devons accorder la préférence dans nos
conjectures.
SocncF-s BouKGUiuNONNKs. Souà c€tte désignation se placent les
chroniques d'origine flamande, artésienne ou bourguignonne. KUes
sont importantes moins par le récit des événements de la campagne,
sur laquelle elles ibument peu de renseignements nouveaux, que
par les détails qu'elles contiennent sur les croisés de cette région.
Les fies gestin ont la valeur iTiin témoignage contemporain, mais
hans ajouter aucune particularité nouvelle ii celles qui nous sont con-
r/tintoire dr h'raïu^e, pai- Miohaud et Poujoulal (Paris, 1H3G, /j;r. in-8",
t. rt, p. 205-332) daprés Godefi*oy, — dans le Pauihêon lUiéraire de
Itiirlion itonie iri des Chroni/fues de Froisnart, p. 502-689). C'est de celte
dernière édition que nous nuus sommes servi. 11 convient de remarquer
qu'elle dill'ére des autres par la numération donnée aux chapitres de la
première partie, qui ne sont qu'au nombre de trente-huit, tandis qu"
dans tontes les éditions et dans le manuscrit on en compte Irenle-nenr;
rrtle difl'érence s'explique parce que Buchoii n'a pas, comme ses pré-
décesseurs, doimé de numéro donlr*' au prologue; il importait d'avertir
le lecteur de cett»* paiiicularité, sans laquelle il eût eu peine à établir
la concordani'c des diverses édilions.
Le f.ivrr des fait* a direcicment inspiré une IfUtoire du maréchai
de Roiicicaut: l'auteur ide Pilbam) a fait la plus grande part à la chro-
nique dans ce livre (hiris, Ch. Coignard. Ifilt", in-12). Cet ouvrage n
été textuellement n'umprîmé â La Haye par L. et H. van r>t)Ie (I699J,
et |»ar (j. de Voys ilTIl), et â (!olog!ir jiar I*. Marteau (17371. t>e noH
jouw |I8*«) le baron (î. de la Tour a publié une étude sur le Maréchal
BoueirttuI dans VAgg .rïtttion rfttfindtfur jvi, r{5t-74 ot 548-76.) \ous si-
^nderons aussi ici une nouvelle histori'iue, /c Mavi'ehal de Hourieaut
(Paris, Damien Beugnié, 171'», in-lii. par Née de la Rochelle.
I. Kervyn de Lettenliove, /•"rtn'sxavt, étude littéraire (Paris, 1857,
in-12), t, :M)7-2y.
Srtl'KCES m
imes d'autre part*. Il en est de même de ta chronique de Jean Bran-
ilon^; ce dernier, mort en 1428, a eu sous les yeux la narration de
Kroissart. Les additions faites à l'œuvre de Brandon par Adrien de
But (mort en 1488)' eX\^ Chronique anonyme H e F (andre^ s'inspirent
rgalonient, dans une plus (grande mesure que Brandon, du chn*-
iiiqueur de Valencienncs. Le Livre des Trahisons de France'y In
fiente des dua de Bourgogne (13ya-14U)', empruntent leurs infor-
iitatjon:j à leurs devanciers. Les sources artésiennes, Krancuis Bau*
duin (1520-1573)* et Philippe Meyher* (né vers 1567) sont du xvi*
siècle, et n'offrent aucun détail original dans les quelques lignes
qu'elles consacrent à l'expédition.
SorucES ALLEMANUES. Le^ ohservatidus que nous avons faites »
l'occasion des souires bourguignonnes se reprwluisent à l'occaMon des
chronique» suisses, alsaciennes et allemandes, sans que cependant,
comme celles-lh, elles doivent rien à des informations extérieures.
(Vest, à proprement parler, un ensemble sptScial dp témoignage!*,
dûs aux récits des croisés allemands, dans lesquels ceux-ci occupent
une place particulière; à ce titre elles nous sont fort précieuses.
La chronique d'.Msace de Kuni^shofeu' semble partiale et injuste
envers les Hongrois; l'teuvre de Justinger", plus spécialement
suisse, est indé|iendantc de Knnigshofen et de la continuatîun de ce
dernier connue sous le nom de continuation de (kile". Mais ce sont
surtout les témoignages bavarois qui, par le nombre comme par Ih
valeur des récits, méritent le plus d'attention; la marche de l'armée
loalisée le long du Danube et le sort des croisés bavarois y sont mis
en lumière. Les relations contemporaines d'Ulmann Strômer (13'iy-
1 . Chronif/ues relatives à Vhistoire de la Belgique aou^ ta domintt'
tion des ducs de Bourgogne (1876), m, p. 207-34.
2. Chroniquen relatives... (1870). t, p. t-166. Voir sur Nicopojis. p. ;U.
;t. flhroniquett relatives... (1870), I. p. 35-40.
'i. Froissart, éd. Kervyn, xv, U5-8, fragment,
.i. Chroniques relatives. .. (1873), ii, p. 1-2,58.
6. Chroniques relative*. . . a873), ii, p. 268, ver» 305-iO.
7. Chronique dWrlhois par Frarïçois Bauduin (Arras, 1856, in-»",
p. 66, dans les Mémoires de IWcadémie d'Arras).
8. Il acheva les annales de Flandre de son grand-oncle Jacques
Meylier Utibl. dWrras, ms. n» '123), auxquelles puisa un érudit artésien
du commencement du wii» siècle, Ferréol de Locre, qui publia n
Arras en 1616 une chronique de Belgique en latin, s'élendant dn
258 h 1616, et dans laquelle est rapiiorté le plissage de Meyher relatif
h Nicopolis.
9. Ed. Hegel, Die Chroniken der Deulsrhen Stôdte^ Straszburg l-u,
(Leipzig. 1870-1871, 2 vol. in-S»).
10. C'-onrad Justinger, Berner Chronik {éd. 0. Studer, Berne. 187t.
in«"i.
11. Mono, Quellensammlunff. .., i, 286.
SOt'RCES I)i: LIVHK TROISIKMK.
215
ItO?)'. ilu chanoine Onsorg de Hatisbonne*, et de la Chronique de
ftatiêlfonne^y les ouvrages coraposé» au siècle suivant par Jean
Trîthemlus, abh* do Saint Jacques le Majeur de Wurtzburg*, éma-
nent d'un même groupe d'informations dont la Ilavière est le centre.
A cette même origine se rattadie la plus importante des chroniques
que nous ayons pour la croi.sade de Nicopolis, celle de Schiltberger,
dont l'autorité égale celle du Livre des faitt dix maréchal lloncicaut.
L'auteur, en ell'et, enfant de Munich, suivit, à peine adolescent, en
qualité de page oud'écuyerde Lienhart (ïeichertinger, les chevaliers
bavarois à la croisade, et fut pris à Nicopolis; épargné par les vain-
queurs k cause de aa jeunesse, il resta plus de trente années pri-
sonnier des Turc* en Orient. Témoin oculaire des faits qu'il raconte,
Il confirme et complète le Livre des faits^ et son récit revêt, grâce
aux circonstances spéciales dans lesquelles se trouva l'auteur, une
valeur de premier urdre*. L'imagination populaire s'est également
emparée en Allemagne de la défaite de Nicopolis et l'a consacrée
dans un chant assez étendu émané d'un témoin oculaire, auquel
l'historien ne devra pas dédaigner de recourir".
SouRCF^ iiONunoisES. Elles seraient d'une importance capitale
pour déterminer les responsabilités encourues par les Français et
le» Hongrois dans la campagne, si elles offraient dos récits contem-
porains et détaillés. Il n'en est malheureusement rien. Ni l'historien
de la Dalmatie Lucius^, ni Jean de Tliwrocz" qui écrivait près d'un
1. Ed. Hegel, Die Chroniken der Ùeutschen Stâdte, Nùrnberg i,
(I8«IK p. l-ai2.
2. ridalricua Onsorgius, Chro/i. Bavan'œ (602-1422) dans A. F.
(Kfele, ftrrum Boiearum scriptores (Vienne, 1763, in-fol.), U 354-74.
U. K. Th. Gemeincr, HeiehMtadt Hegetuburgisehe Chronik (4 vol.
)n-4«, 1800-2't, Itatisbonne).
4. Chronicon dueum Bavariœd&n&FKher {Tritfiemii opéra, Frano-j
fort, 1601, i, 100-120); — Chronicun Sponheirtunse ab anno 1124
annum 152B (ibid., il, 236-'ia5).
5. ScIiiltbHrger a Hé souvent publié ou traduit, en tout ou en
pArtie. depuis fédition d'L'Im on Ki 73 jusqu'à la traduction anglais"
donnée par J. H. Tcfler en 1879 avec les notes du professeur i'. Itruun,
dOtlesiia, sous le titre suivant: Thu bondatje and trarvU vf Johann
Sehiitberifer (London. in-S"», Kakluyt Society, 1879, .v\xn-26:i pages).
L'introduction bibliographique qui accompagne cette traduction Cj),vn-
XIV) signale quatre manuscrits et dix-neuf éditions de Schiltbfrger,
MouA nous tommes servi du texte donné par K, Fr. Neumann soua le
litre de : Die Reisen des Johann SchUtbergrr (Munich, I8âî^ in-8").
6. IMerre de Mvi (Hetz on Autriche, à la frontiéredc la Moravie), dan» Li-
liencrun, /*i'e/i»>ïori«cA?n rt//Aa/i>rf«- rfer/>rt*/«<:/irn (Leipzig, 1865), 1, 157.
T. I.ucius, Dr retjtfj Ifalmnlit» dansSchwandtner, Scriptores rerum
JhtHgarieamni, Datmalfcarum. . iVionnc, 1746-1748, 3 vol. in-fol.),
III, 1-'i65.
8. Schwaiidlncr, t. 3t»-29l.
Ifi
SdlRCKS in" LIVKK TRorsiFMK.
KÎècle après len événements, ni les annaliittcs du s\i^ siècle, tels que
Bontînins*, Georges Pray* et Pierre de Rewa* ne pépondenïn l'in-
l^rél qn'oTi pouvait espérer de leurs témoignagee. et no permettent
d'élucider l'un des iwints les plus importants de la croisade.
SoLKCES l'ouiN.\isE.s. Iji présence de quelques chevaliers polonais
H la croisade a laissé en Pologne quelques^ souvenirs, dont l'historieTi
Jean Dlugoss, qui écrivait A la tin du xv* uiècle, nous a conservé fi-
dèlement la trace dans ses ouvrages*.
SoimcES ITALIENNES. Uicu que ritalic n'ait paa été directement
mêlée à l'expédition, aucune des chroniques italiennes contem-
{toraincs n'est restée muette sur In catastrophe de XicopoliN:
mais toutes ont accueilli sans contrôle* des informations inexacte^
mi eïagéréea, et on ne saurait leur acooitler aucune confiance. In
point cependant est à retenir, c'est la présence dans l'armée alliée
d'un contingent anglais, dont les sources anglaises ne parlent pns.
mais dont l'existence parait certaine., grâce aux documents italien'»
qui confirment ^ {wur ce fait spécial, tes assertions des chroni-
queurs allemands.
Sources dvzvntines. Sans être absolument contemporaines, puis-
qu'elles datent du milieu du xv* siècle, elles ne sauraient être né-
gligées; les haute» fonctions remplies à la cour impériale par leur?.
auteui-s, G. Prantzès (1401 — y après 14"7)»., Laonic Chalcocondyh'
(f- vers 1464)', Jean Duras, dont la chronique s'étend de 1341 :i
1. Antonii llonfinii, Hrrinn /.';i(/u/"icMru//i //crat/f*. ouvrage complété
par J. Samhucus (Râle, lô68, in-fol., et Hanau. t60fî, in-fol.)-
2. Annale* ret/um Hunfjaricfj abanno 997 aJ amtum lo54 detUu-ii.
(Vienne, 1754-74, 5 vol. in-fol.).
3. Peiri de Hewa, fomitis comitatus tie Ttiûr^Vcï, /ïr .S. Corutur
Jiegni Hutujnvitf. .. ftirtuna commrnlnriun (dans Schwandtner, il.
416-83), et //tf Monardtia ri S. Conma re^t^nt ffuni/arùv renturirf vri
(dans Sehwandlner, n, 6û2-8;i7).
4. Dlugoss, Hixtoria polonica, X. i, !»5-(> (éd. de 1711), el Aunalrs
Poloninr^ II, 1159.
r». Chroni(|ue florentine de Pieru Minerbrtli ilansTarlini, Rfr. Ilatir.
urn'ftl., il tl770), 80-628; — Annalex Mc*liolnnensfx (12:10-1402) dans
Mnmturi f/?«T. UaUc. nn-ifH.. xvi, G;t"-839); — Andréa f.attaro. Utorin
Piiduvfina (dans Muratorî, xvn. 754-94 V»; — Jacobi de Delayto, Annale*
Entenjtes (1393-1409) dans Muratori xvni, 903-1096).
6. (I a composé une chronique en quatre livres qui s'étend jusquVn
1477 {Chronîcott tnnjus, éd. Migne, Patr. Grn'ai,, vol. 159, p. 638-102^».
Le premier livre se rapporte aux régnes des Paléologues depuis Michel
Comnénc jusqu'à Manuel, ('e qui concerne Nicopolis se trouve aux
paires 683-5.
7. Laonioi Chalcocondyla' Du Hrhu» TurcMx {en dix livres, do i;*oo
environ à 1463i, éd. Mlg-H'. Pulr. drrvcn. vol. 159, et Corput êrript.
SnlHrKS m* LIVRK TKCISIIIME.
•2\
1*62*. sont |)Our nous une garantie de la valeur de cea témoignageR.
Le Grec Chalcooondyle cependant, dont le style e^it barbare, confus
et préten'ieux, est sujet à de fréquentes répétitions qni le rendent
suspect; PiwantyAs, parent de l'empereur» est en mesure d'èUv
exactement informé; il en est de même de Jean Ihicas; celui-ci
appartenait par son grand-pàro Mictiel, dont il eut los mémoires
sous les yeux, à l'ancienne famille impériale de liyzance, et sa
chronique, écrite dans un esprit très catholique et hostile aux Grecs,
est généralement exacte et offre à l'tiibtorien la meilleure sourco
byzantine jKtur cette époque.
Sources TtiiiQCEs. Elles sont capitales pour l'histoire de la ri\Ȕ-
sade, puisqu'elles nous donnent la version musulmane des événe-
ments qui se déroulèrent en Bul^rie, et méritent^ abstraction failr
de leurs tendances générales, la plus sérieuse attention. Mlles
se réduisent à une chroiiîquf anonyme riti^e par Ituchon *. H :i
ta traduction italienne do l'historien turc Saad-el-Uin'; cet autour
a composé, d'après des sources turques antérieures, une œuvre
embrassant la période comprise depuis le rè^e d'Osman (1299-iit*2ni
jusqu'à l'année l'i85: il a emprunté une partie des faits concernant la
rmisade à l'ouvrag** des Huit Paradis de Mewlana Idris*. (les té-
moignages ne semblent pas em[)reints de lexagération qu'on était
en droit d'attendre de récits émanant des vainqueurs, après wiw
victoire inespérée et dont les conséquences furent incalciiloblos.
A côté des chroniqufts se placent, pour qui veut étudier la croi-
sade de .\ico|iolis, les ilocuments d'archives, dont limiKirtance ne le
rédc en rien à celle des premières. Pour les préparatifs de l'exjté-
dition, les imprits levés à cette occasion et les mesures Hnuii-
cières prises afin de payer la rançon des prisonniers, les arcliivis
hinl. By:aiU. (Uunn, 18&3). Pour Nicopolis, voir le livre n (Adit. <lt!
Bonn, p, :5-6).
I. Uuca* J/inloria Byzantina dans Migno, Patr. Grœcti, vol. 15!»,
p. 7riO-ll66, et dans Cvrpu<t Kcript, hiH. Hyzant. (Uonn. I83'i), t. x\.
pour Mcupolis, voir le cluip. mu.
'i. Buclion, ijtnm. de l'ntiêsnvt d^ns lo Pttnth*'tm h'titfraire, \i\.
'it'iî-5. d'après un manuscrit de la Bibliothèque nationale de Paris
(o" IH ties traductions faites pour le? jeunes de la langue franral&e de
l'un.«tantinople).
îl. Viiicenzo Itrattuti, Khrouici deiV on'yinc e proffragui liflUt cattt
Wiomana. tlt»\xx parties (1'" partie, Vienne, !GV.», in-'i-; i" parti**,
Madrid, tfjj'J, in-4"). 1^ passage relatif {i NicnpoUs se trouve dans la
I'- parlie, p. !«'». — Cf. Huchon, Cfn-'jii. /te rruixitttrt. m, 265-6.
'*. Mewiana-Idrts ou Bdris de Uellis écrivit en persan, à l'instign-
lion de Bajazet ri, cette vhrin}\i\uc {T't ri Ui i //mcAï AiViûfA/). restée
mannsrritM et devenue excessivement rare. Il mourut en 'J2fi de Phé-
girr ilô^n) 1*1 non en 9:;0 connue le dit à lorl de llanunor.
218
.SOURCES Di; LIVRK TK0ISIK&1E.
de la chambre des (*oinptes do Dourgogne oITrent une mine pré-
«'ieuso, !i laquelle nous avons largement puisé'. Les archives com-
munales des viliesdc Flandre apportent également, en ce qui touche
les impositions auxquelles les ^tats du duc furent soumis en vue
de la croisade, d'utiles renseignements*. 11 faut regretter que la
dispersion et la perte des archives honirroise* ne permettent pas
d'rtclaircir complètement le l'oie de Sigismond et de hcs sujets pendant
cette campagne; les recueils de documents hongrois rontieiuient
cependant plus d'une indication dont nous avons tii*é pruHt'. Nous
n'avons eu garde de m^gliger les documents vénitiens; personne
n'ignore que la répuhlifiue de S. Marc était le centre diplomatique
le pins important du moyen âfie; le contre-coup de tous les événe-
ments qui se- proiluisaient on Orient se faisait sentir à VeniBe, et
hien que eelte dernière ne fiM pas Rèrieusement engagée dans la
cniisade, elle devait :i sa )>ositiun. à ses intérêts dans le Levant, aux
csjiéranccs que les coalisés avaient fondées sur elle, d'être exacte-
ment informée des choses musulmanes. Aussi avons-nous souvent,
— et toujours avec succès, — recouru aux archives de la république
pour cette période^.
1 . Ces archives sont actuellement divisées entre les dépôts de Lille
et de Dijon. Klles ont été largement mises à contribution par D.
l'iaricher dans son Histoire de lUmnjoQne {I*ay-81, 4 vol. in-fol.) dont
le tome m, paru en 1758, contient les preuves de l'ouvrage. Les volumes
manuscrits de la collection de Bourgogne, conservés à la bibliothèque
nationale, renferment également île nombreuses copies d'après les
an-liives de la cour ries comptes lie Bourgogne. Uans cette collection,
comme dans les preuves de I). Plancher, se ti*onvent de nombreux
documents dont les originaux sont aujourd'hui perdus.
2. Van Dttyse et île Hus!»cher, Inventaire analytitfue des chartes et
documents apjiartrnnnt aux nrrhivrx de In ville de Gand 4Ciand, 186T,
în-^i"); — Gilliodts van Severen, Inventaire des ftrc/iivcK de la ville de
iinitjei (Bruges, ISTI-'f», \\ vol. in-4°); — Inventaire des archives de
la ehanibre des comptes, t. iri (Bruxelles, t8HI, in-lol.) dans la collec-
tion des Inveniairv»des ttrrhivvitde Itt Ùett/i(/ue publiée sous la direction
de M. Gachanl; — 11. \"andenbruek, Cvtrailx annlytiqnes deit anrienâ
refiistreit de» eonsaulx de ta rilte de Tournai/ (1861, 2 vol. in-fi"); —
Ville de Douai: inventaire analy(if(ue des archivet communalen anié-
rieuren à i:90 (Lille et Douai, 1876-8, in-fol.)
:t. (j. Fejer, Codex difjlomaticuit Iluuf/arifv (Il lûmes en 'iO vuL
iti-R", Bude, 1829-51). La table chronologique de ee recueil a été pu-
bliée par F. Knauz en 1862 |Bude, ia-8'') et l'index alphabétique par
Maurus t'/,iiiar en 1866 (Bude, in-8«l.
4, Outre le» pièces inédites, provenant des archives de Venise,
heaufoup de iloruments émanés de ta même source ont été publiés
par Sinie Ljubic dans le (urne iv des Monumenla sftettantia Itintoriam
Slnt^ram ineridionaUnm f\gram. 187 î, in-8"t et par (1. Wrnzel dans
Snl-RCKS IH' LIVRE TROISIKMK. VIU
Pour compléter l'étude des sources de la croisade, il nous reste à
dire quelques mots des travaux auxquels elto a donné lieu. Sanx
parler do rhistoirc de l'empereur Sigismondd'Aschbach', qui rentre
dans la catégorie des ouvra^'es généraux sui* le sujet, au même titrt*
que les histoires de Bulgarie^ de Serbie', de l'empire ottoman' H
di* Hongrie*, nous citerons trois études spéi^iales sur Nicojtolis ; la
première en date est une dissertation liongroise spécialement con-
sacrée à la campagne de l'armée coalisée, au puint de vue straté-
gique. I41 seconde, en allemand, embrasse rpnsembledc la croisade;
c'est un résumé consciencieux d'après les documents publiés, rani^
l'auteur n'a pas cherché à compléter son travail à l'aide des sourcps
encore inédites". 1^ troisième nous ramène à l'examen stratégique
des faits de guerre*.
les Monutnenta Hungariœ histitrica, acta extera m (Uudo-Peslli, 1876,
in-8*).
1. Dr. Josepli Aschbach, Geschichte Kaiser Sit/muniCit (Hambourg,
IH;W-^5, 4 vol. in-80).
2. Constantin Jos. Jireiek, Geachichte der Bulfjuren iPrague, i87ft,
in-S"). — lienjamin von Kallay, Getchichte der Serbeti (lïude-Pesth,
\ ienne el l^ipitig, 187H, iti-8").
3. Dr Matnmnr-, //hloirn de Vempire uttomnn, iilusieurs fois réim-
primée. Nous nous sommes servi de la traduction de Dorhex (Paris,
Méihune et Pion, I8V1, a v..|. gr. in-8»)-
î Maélatb (J. Graf>. Gcschirftte der Mnfjyarfn, Hatisjjoniie, 1852-:*,
S vol. in-8«, — î>zalay. Geschichle Vngam's (trad. allemande de H.
Wogerer), Pesth, 1866-9, 3 vol. in-8". — Fessier, Grscfm'hie wn Unffnrif
(Irail. par K, Klrin. I.eipisig, 186^, vol. in-8«).
5. K. Kiss, A'Nihipohji ûlkozet (Magyar Academiai értostiWi, 18X3,
in-8<).
6. .\l»iiï lirauner, />/> Sehlnrhi fiei .Viroyw/ia, \'.iW. liistorisi'lii*
Inaugiu'nl disMoiiatiuu der pliilosopliiacheri raculliil der riiivt'rsili'it
Itroslou (Hrerilau, 1876, in-H»i.
7. (;. Kiililor. fiif Sfhlarhten Wrt Nirufadi und \Vtirn*i iBreslau,
1882, in-8) avec deux plans.
CHAPJTRii; l'KEMIKR.
PROGRES DES TURCS. — CHEVAUCHEE DV COMTE U EU. — AMBAS-
SADE DO ROI SIOISMOND EN FRANCE.
Un siècle â peine ' s'était écoulé depuis la fondation à
Brousse et à Nicée d'un petit royaume ottoman, et déjà une
série de combats et de conquêtes avait 1*60010 les limites de
rette nouvelle puissance jusqu'aux frontières de la Hongrie.
Les Turcs, par la prise de Gallipoli (1356), sous le sultan
Urchan, avaient mis le pied en Europe ; nous avons vu que
rt'tte derniêri' n'avait pas lotit d'abord compris l'étendue du
péril qui la uienat^ait ; il iallut qu'Aniurat i, successeur d'Ur-
chan, conquit AuJrinoplc { 1^^*51), et Télevât au rang de
capitale jujur ouvrir les yeux aux puissances chrétiennes.
Klles commencèrent alors à voir (lue les progrès de l'islam
s'étendaient avec un© rapidité redoutable, et que chaque
campagne consacrait l'annexion d'une nouvelle province ;
mais, malgré rimmineiice du péril, elles n'avaient su prendre
pnur le conjurer que des mesures insuffisantes.
Fendant qu'elles s'épuisaient en expéditions partielles, en
tentatives aussi hardies que stériles, les Ottomans s'avan-
çaient lentement et siîrement dans la région du Danube.
Les populations bulgares, serbes, valaques et hongroises,
directement menacées, incapables de souietiir longtemps le
choc des Turcs, faisaient les plus btuahles efforts pour pro-
longer la résistance. Le roi de Serbie, Uroch v, à la voix du
pape Urbain v, s'éUiit uni à Louis le Grand, roi de Hongrie ;
I. Voir Asohbach, Grtfrhi'cfitu Kaiser Si^mund'x, i, 86-95;
Itrauner, Oie Schtachf hei ÎVtropatitt, p. 5-fi; — Ci, Kiihler,
^rhim'fiten ron SictipoU unH Wm'ntt, ]ï. 5-fi.
HATAtLLt: DK KÛSSûVO.
221
avec l'appui des princes de Bosnie et de Valachie une expé-
dition avait été résolue; les eo.nliaés, arrivés à nmiM-hes
forcées à la Maritza, à deux journées d'Andrinople, tandis
(ju'Annu'at était encore en Asie Mineure, furent surpris de
unit par l'armée turque sous les ordres de Lalaschalin (1363),
et, malgré l'avantage du nombre, culbutés dans lo Heuve. Ce
fut un désastre complet ; le roi de Hongrie n'échappa à la
mort que par miracle.
Aiiiurat, les années suivantes, continua ses conquêtes au
nord d'Andrinople, le long de la mer \oire et dans la région
de l'Hémus. Nicée tomba eu tn>i\ pouvnr en 1375. Lazan*.
despote de Serbie, Sîsman, prince de Bulgarie, dui'enl traiter
avec le vainqueur : au premier il imposa un tribut annuel di'
cent livres d'argent et de mille hommes de troupes ; au se-
cond il prit sa fille pour l'épouser.
Tributaires ou alliés du sultan, les princes chrétiens ne
supportèrent pas longtemps le joug musulman : Lazare s'in-
Nurgi'a; Twarko, roi de Bosnie, et Sismau (iront cause com-
mune avec lui, et infligèrent aux Turcs une sanglante défaite
rn Bosnie* (1387).
Sisman fut le premier à être puni de sa défection. Assiégé
dans Nicopolis. il eut la vie sauve (I388j, mais la Bulgarie
fut incorporée à l'empire ottoman*. Pendant ce temps Lazare,
Twarko ei l'Albanais Georges Castriola tenaient la cam-
pagne, et ce deraier réussissait à disperser un corps d'armée
tui-c*. Ce succès fut de courte durée. L'année suivante, le
sultan tourna ses armes contix* Lazare ; après des marches
difficiles dans rHémus, il pénétra en Serbie. Devant le
danger. Bosniaques, Serbes, Albanais, Valaques, Hongrois et
Polonais s'étaient groupés autour de Lazare et du prince
de Bosnie. Le choc eut lieu dans ta plaine île Kossovo.
Amurat et Lazare périrent dans la bataille» et la victoire,
chèrement disputée, resta aux Turcs (1:* juin 1389)*. Mais
1. îïur dix mille Turcs, cinq mille environ échap|ièrent au ma.s-
nacre. I-cr sources occidentales sont muettes sur cette expédilioii. bi
bataille eut lieu à l'Iocnik, surlaToplica. \Aitchbacli. i, 87-8; — Jiref**k,
Ge«rh, tler Bulifaren, p. a'iO-l.)
2. Jirefek, Gcsch. dur liulgaren, p. 341,
'^, H. von Kâilay, Gtich. der Serhen, p. 166.
\. I.«i» traditionii serl)e6 veuliint qu'Aiiuirat ait été i^ffor^é datu »«
PnOGRKS DES TITRCS.
Bajazet, successeur d'Amurat, traita avec Ëiienne, âls de
Lazare ; il épousa sa sœur e( reçut de lui tribut e( troupe*
Auxiliaires \
La Bulgarie conquise, la Serbie iributaire, restait la
Hongrie avec laquelle les Turcs allaleal se trouver en contact
<lirect. La Bosnie, grâce à l'appui des Hongrois et à sa
position géographique, avait jusqu'alors sauvegardé son
iiwK'pendance, mais elle était menacée comme la Hongrie.
Hongrois et Bosniaques avaient-ils, à cette époque, les res-
sources et la force nécessaires pour arrêter l'invasion musul-
mane ? Il sembl*; hors do doute que si les états chrétiens.
dès le milieu du xiv" siècle, avaient ouvert les yeux sur l**
péril commun, ils am-aient pu le conjurer. L'empire d'Orieut
n'était plus, il est vrai, que l'ombre de lui-même ; un em-
pereur portait i^ncore la pourpre, mais le sceptre que sa main
tenait n'ùtait qu'un vain ornement. Kntouré de toutes parts par
les Ottomans, il n'avait plus que des lambeaux de puissance,
et ses provinces étaient à la merci des vainqueurs. Cependant
le prestige et Tautorité morale de l'empire n'étaient pas
encore dissipés, et si la couronne se fût trouvée placée sur
la tête de princes énergiques, Byzance eût pu servir de cenliv
ù une résistance efficace. Groupés autour de l'empereur, les
s(>igneui's de l'Archipel, les républiques de Gènes et de Venise
dont les étiblisseiiients couraient risque de sombrer dans le
uïiufrage de l'empii-e, et, du côté de l'Ouest, les princes
ftujgares, valaques, serbes et bosniaques, soutenus par la
tPiite par Milosch Obilitsch, qui se glissa dan» le camp turc dans
l'pspoir qup le meurtre du sultan jetterait le désordre panni les Otto-
mans. — Le souvenir de la bataille s'e&t perpétué dans les chanta
populaires slaves. On peut consulter sur ce point les travaux de Gilfer-
Hing(flo«nia, Uersegovine i Starnya Serhia, 1859), de S. Kaper (Aajar,
tlff Sfrben znr^ nach serbftniien Sagen u»d IleUlengenéngen^ Vienne,
1851), d*.\. d'Avril iLn hatadle de fiosKom, Paris, 1868), de Stoyan Nova-
kovich {Chants nationau,r serbes sur la bataiUe de Koasovo, Belgrade
18:i et Agram 1872). de W. fîerlianl, {(ipsàntje der Serben, Le pzig 1877),
IVâsai critique d'Armine Pavich dans les Mémoires de l'Académie des
sciences et arts d'Agrflm (1877), et la traduction anglaise de ces poésies
}HjpulairesparK. Lawlon Mijatovidi iKossovo, nn altempt tobringserhian
uni tonal songs... af the battle of Kttssovo i$tto orv^ poetHy Londres, 1881t.
I. La Chronique du Beligienr- de Saint Denis, Ol, 386-91), raconte
trùs inexactement cette bataille et la place en 1395. V. Jircîek, Gesch.
der Bulgnren, p. :ï42-'i; — R, von Kallay, Cicxc-h. der .SVrftrfi, p. IGfi.
hANr.RR rOVRV l'Ait l.A iioNnuiK.
oo*
Hongrie, pouvaient oppo.ser une barrière infranchisHable an
torrent et l'arrêter. C'était là une politique que ni Coustan-
linople ni la llougrie ne comprirent; abandona^îs de leurs
soutiens naturels, les petits ^tats cherchèrent à résister indi-
viduellement, et, quand ils se virent écrasés, à sauvegarder,
jiardes traités avec rcnnemi, un semblant d'existence. Souvent
même leui's elTorts, quoique isolés, ne laissèrent pas de retar-
der la marche des Turcs ; nous n'en voulons pour preuve que
le sort de la Valachie et de la Bulgarie, plusieurs fois prises
et reprises en quelques années. Sous une impulsion énergique
et persévérante, partant de Cimstantini>])l(> d'une part, de la
Hongrie de l'autre, la résistance eût pu être sérieuse, u»ais il
eût fallu faire trêve aux dissensions intérieures, aux ambi-
tions qui tour â tour animaient ces étals les uns conti'e les
autres ou les réunissaient temporairement, et personne n'y
songea. Les Turcs arrivaient donc aux frontières de la
Hongrie favorisés par la sittiation politique des puissances
qu'ils attaquaient. Quand on s'apen;ut du dnnger. il était
bien tard pour l'èloigtier.
L'attention de Sigtsmond avait été absorbée par les troubles
qui avaient éclaté en Hnngrie et par l'attitude menaçante dr
la Pologne, sans lui laisser le loisir de snn*eiller les agis-
sements des Turcs sui' le Danube. Ceux-ci avaient profité des
emban^as de Sigismoud pour tounifr de nouveau leurs arine.s
contre la Bulgarie qui, à l'expiiiplp des Valaques, s'était
rapprochée des Hongrois. Sisman, prince des Bulgares, avait
jiayé de sa liberté' ce changementde politique, et lepa^'s situé
sur la rive droite du Danube, Tancienue province de Mésie.
était H'tombé sous le joug musidman. Silistrie. Nicopolis.
Sistovo. AViddin avaient été reconquis par les Turcs*.
En présence de ces graves événements, la Hongrie comprît
que le moment d'agir était venu. Sigismoud se prépara ;i
entrer en campagne et fit appel au dévouement de la chré-
tienté. En France, la détresse du roi de Hongrie, grossie par
I. Ce point n'e^t pas absolument e^rtain. Les cliant» [»i>pulaire>i
bulgares prolestetit contre celte opinion, et altritiupnl k Sisman la mort
*\0H liéro» »ur Ir^ cliain|> de bataille ; inaU la «captivité du prince semble*
Ijeaucoup plus vraisemblable. V. le^dùtaiU donnés par Jirecek. (Cftr/i.
rfer Bulgarrn, p. ;t50-l).
t. Aï.cblmcli, (ieêcUirhIr Knhrr Sitpnmttf'g. l. D'i.
riiEV
la rumeur publique, prit des proportions si exagérées (ju'oji
lU'ut universellement quo Sigisniond, attaqué par cinq cent
mille Turcs, avait perdu ou une seule bataille quaruute mille
des siens'. 11 u'ea fallait pas plus pour émouvoir la cheva-
lerie française ; le cuinfe d'Eu, réeeiument ju-omu connétable,,
rêvait de justifier le choix du roi, dont beaucoup murmuraient
tout haut, par de nouveaux exploits. Avide de combattre les
infidèles aux côtés d'un ]trince dont le caractère chevale-
resque et l'hospitalité généreuse lui étaient connus par les
récits enthousiastes de Boucicaut. son compagnon et son ami',
il sollicita de Charles vi la permission de conduire en Hongrie
uu secours à Sigismoud. Le roi, malgré sa répugnance à auto-
riser une expédition lointaine, dut céder aux pressantes solli-
citations du connétable ; Philippe d'Artois partit avec une
poignée de chevaliers *.
Tout ce qui touche cette chevauchée est fort obscur dans
les récits contemporains, et l'on éprouve plus d'une difficulté
â concilier leurs témoignages incomplets ou contradicloires.
La jtlujiart des historiens hongrois*, s'appuyant sur l'autorité
du Vhronkon Mciiicense'j ont placé la venue du comte d'Ku
eu Hongrie à l'année 1395. Il y a là divergence avec les
sources d'origine française, qui nippurtent à L39? et 1303'
l'expédition du connétable, el La confusion est d'autant plus
1 . Chronique du Beligieux de Saint Denys, u, 112-3.
2. Voir plus haut, p. 159-65, le rhapitrc consacrt^ au voyage de Bou«
ricaut en Orient.
3. Le Chronicon Mellicentt (dans Pcz, Script, rer. Aiulr.^ i, 250),
ilunnc le chiffre do six cents chevaliers, reproduit par les historiens
hongrois modernes-, les sources françaises celui de cinq cents.
'i. Maêlath, Gesch. der Magyaren, n» 106; — Szalay, Getch. Vu-
aarn't (éd. H. Wôgerer, Pest, 1869J, n, 353; — Aschbach, Gesehiehte
Kaiser Sigmund'St h ^^•
5. Pez, I, 250.
6. La Chronique des quatre premiers Valois {p. 326J parle de
l'armée de Sigismond qui, en 1392, comprenait > de bonne:i gens
d'armes du royaume de Krance et d'autres contrées >. Ces gens d'arme»
ne peuvent être que tes compagnons de Philippe d'Artois. Juvi^nal det»
t rsins Ui, 395) dit qu'en L393, à la demande du roi de Mongne, le
conn(>tablc « bien grandement accompagné • fut envoyé en Orient.
La Chronitfue du Hetiffieux de Saint Denis (n, 112-3) parle du recours
ilemandè par ta Hongrie au moment où mourait le roi d'Arménie à
i'arifi 130 novembre 1393).
noCTRINE ET PROGRKS DES BOGOMILES. 225
facile qu'en 1393 comme en 1395 le fait saillant de la cam-
jiagne contre les Turcs est lu siège de Nicopolis*.
Nous croyons, cependant, qne lo doute n*est pas possible,
et que le comte d*Eu offrit en 1393 le secours de son êpé*
au roi de Hongrie. D'après les chroniqucMU's, le continssent
français, â son arriviV à la cour de Sigismond, trouva le péril
écarté et les Turcs moins monarants, Co fait concorde par-
faitement avec ce que nous savons de la campagne heureuse;
de 13!)?, dans laquelle les Hongrois conquirent Nicopolis, e\
décidèrent lo voivode de Valachie, Mircea, à rentrer dam
leur alliance *. On conroit le désappointement des chevaliers
français lorsqu'ils apprirent, de la bouche de Sigismnnd, que
leur vaillance n'avait plus l'occasion de s*exercer, et qu'il ne
fallait pas songer à attaquer les Musuliiiaeis. Ils demandèrent,
à grands cris, à l'empereur dVmploy(M- leur bonne volonté
autre pai't : Sigismond, au milieu des dîHicultés de toute
sorte contn» lesquelles; il se débattait, n'était pas embarrassé
pour leur trouver matièiT à guerroyer. Il leur proposa, disent
les cluoniqueurs français, d'attaquer le roi de Bohême, Ven-
ceslas. son frère, « qui sentoit mal en plusieurs articles de
* la foy, et ne valoit guères mieux que Sarrasins' ».
La Boiïéme. en effet, était à cette époque en proie â l'hé-
résie des Patarins, contre laquelle le Saint-Siège était im-
puissant. On appelait de ce num en Occident les Bogomiles *,
secte religieuse qui s'était développée dans la péninsule bal-
kanique au point do se répandre jusqu'en Italie et eu France.
Né au milieu du x" siècle, le bogomilisme avait pour auteur
le pope Uogorail (amour de Dieu}, appelé aussi Jéi*émie ;
c'était moins une religion nouvelle, moins un système rom-
pant ouvertement avec les dogmes de Téglise orthodoxe
qu'une ivformc do la doctrine paulicientie' on manichéenne,
1. Nicopofii minor, TurnuU, sur la rive gaucho du Danube. — II
ne faut pa» cuiifuiKlro cette pusitiuii avec SicopoUs maJor\ sur la rive
droite du Oetivo, devant laquelle fut livrée la bataille de 1396.
2. Aschbach, i. 91-2 et 96. Mansi {Ann. fccl., xxvi, 569-"0) place
ce Biôge en tU'.»U. Lo traité d'alliance avec Mircea ne fat signé que le
7 mars 1395 (Szalay, Gc9ch. Unt/arn's, n, 35:il.
îï, J. des Irsinsin, 396). — Cf. Chran. du Helitjieux de Saint Ùenit,
11, 122-5.
4, h*rf*>\àù,o\, Kù/tTai, iMawaXtavo^, liahuni un Mnnichejit l'atareni.
5. Ainsi nommée do l'hérésiarque Paul qui vivait au vie siècle.
15
CITETAUCHEE nU COMTE D Elî.
ayant pour but de rattacher plus étroitement au christianisme
le dualisme qui formait la base du manichéismo. Les Bogo-
miles admettaient l'existence de deux principes, celui du bien
et celui du mal. égaux on puissance ; au premier iU attri-
buaient la création du moude céleste, de tout ce qui est invi-
sible et parfait ; au second celle do la terre et de tontes les
choses visibles et corporelles*. Ils rejetaient l'ancien Tes-
tament et condamnaient le mariage, au moins pour ceux
d'entre eux qui aspiraient â la perfection do la foi ', n'ad-
mettaient que le ciel et l'enfer à l'exclusion du purgatoire,
acceptaient la confession publique mensuelle eu présence des
Hogomiles « parfaits », mais sans énoncer nommément leurs
péchés, et proclamaient l'utilité de la prière, surtout de
Toraison domitiicaïe.
Cette hérésie avait fait de rapides progrès ; pendant cinq
siècles elle domine l'histoire des Slaves méridionaux. L'arrivée
des Turcs l'emporta, et ceux-ci, quand ils voului'ent convertir
leurs nouveaux sujets à l'islnmisme, trouvèrent les Bogomiles
plus dociles à accepter la loi de Mahomet que les populations
catholiques de la péninsule des Balkans''.
Des chrétiens, venus pour combattre les ennemis de la foi,
ne pouvaient éprouver aucun scrupule à tourner leurs armes
contre des hénitiques. Aussi l'offre de Sigismond fut-elle
agréée par le comte d'Eu et ses compagnons, et la campagne
fut si vivement menée que Venceslas, effrayé, ne tarda pas à
capituler*.
Ces faits, émanés dos sources françaises, sont en parfait
accord avec Thistoirc de Hongrie. À la un de 1393 (18 dc~
1. Satan, le principe du mal, créa Adam et Eve, mais sans jwuvoîr
les animer. Il s'adressa alors à Dieu, principe du bien, pour uhtenir
ce résultat.
2. En Itosnie ils se mariaient, mais pouvaient répudier leur Temme.
En Occident ils allaient à ta guerre et pouvaient acquérir des biens;
ils vivaient comme les catholiques, n'avaient dans leur vêtement
aucun si^ne distinctif; à leur lit de mort, s'ils voulaient devenir ■ par-
faits », ils devaient se soumettre a une cérémonie religieuse, appelée
dans les textes occidentaux la • oonveniensa ■.
3. La doctrine de Lfogomil a été, depuis quelques années, étudiée
par les historiens russes et siaves; mais il reste encore nombre de
problèmes â élucider (\'. Jireùek, Gesck. der Butt/aren, p. 174-84).
4. Chron. du Religieux de Saint Deniê^ n, 122-5,
PERIL CûUttV PAU LA HûNGRIi:.
227
oembre], nous savons que Sigîsmond avait fait alliance contre
Venceslas avec le duc Albert m d'Autriche, le margrave
Guillaume de Misnie et le margrave de Moravie ; qu'eu 1395
Venceslas lut fait prisonnier à la suite rrune conspiration
ourdie par les principaux seigneurs de Rohôme à riostigation
de l'empereur Sigismoad, et que ces i'néncmcnts avaient
répand»! en Bohème la cunfiision, la terreur et la ruine.
Rien n'emprcho donc d'accirder foi aux témoignages sur
lesquels nous nous sommes nppuyé en ce qui concerne la che-
vauchée du comlft d'Eu, et d'admettre que. sollicitée à la tin
de I3!)3, l'intervention française se produisit en I3!)i'. Il
n'en serait pas de même si l'on adoptait la date de 1395, ;i
laquelle se rangent les historiens hongrois. Comment sup-
poser que le connétable eût pu tenir on Ht>ngrie la campagne eii
1395, lorsque Sigismoud, comme le lecteur le verra plus bas,
lui envoyait eu France un messager spécial qui n'arriva à
Paris qu'a la fin de mai 1395,01 qui était chargé de l'informer
des progrès des Ottomans et de solliciter de nouveau contre
eux le coDCOUrs du vaillant chevalier? Si Philippe d'Artois
eiH ét6 sur* les bords du Dannbit en 1395, nU-il pu être de
retour â Paris en novi'uiljre 13!)."»', fût-il même ï-evenu en
France pour repartir au printemps suivant (1396) avec Tex-
pérlition sollicitée par le roi de Hongrie en 1395? La date
de 1395 doit donc être absolument rejetée.
Nous n'avons aucun détail sur l'intervention des Français
en Hongrie: Unir besogne fut, croyons-nous, facile, et dès
qu'elle fui terminée, ils se h itèrent de regagner leur patrie.
Mais, à peine étaient-ils partis, que du cOté des Turcs le péril
rodoubla ; il devint bientôt si menaçant que Sigisuiond se
décida à solliciter li* secours de l'Occident. En même temps,
avant d'entamer les hostilités, il tenta une dernière démarche
pour éviter la guerre, en envoyant des ambassadeurs â Ba-
jazet; mais le sultan, ne voulant rien entendre, fit emprisonner
les envoyés hongrois à limusse, et hâta ses préparatifs mi-
litaires \
1. Asohbach, !, 58 et sniv.
2. Le 8 novembre 1395, n Paris, le duc d'0rl(>ans ordonnait de payer au
connétable doux cent vin^t-cinq francs que celui-ci lui avait gagnés
& la paume. (Uib). nat., fr. nouv. acq. 3(i4à bis.J
3. Notices et extrait* det mamucrits, n, iv, 64. Lettre de lïajazet à
son fils Soliman ile janvier 1395.
SIGISMOND DEMANDE DV SECOURS.
Sigismond ne pouvait compter que sur la chrôtienté pour
Conjurer le péril. L'empereur de ConsLautinople, Manuel,
bien que sans autorité et sans force, fut le preniior sollicité.
Quelque précaire qu'il fût, il promit son concours, et, à dé-
faut de troupes, s'engag^ea à participer aux Irais de l'expédi-
tion'. Venise répondit aux i»uvertures qui lui furent faites par
une promesse subordonnée à la réponse i\QS autï'es puissance*,
car son appui isolé eût été insuffisant*.
En même temps. Sigismond faisait prêcher la guerre sainte
par le pape; mais lu schisniu divisait l'Kurope. lîoniface ix,
reconnu parla Hongrie, rAileniugne, lu Pologue, l'Italie et
TAngleten'e, chargea rarchevèque de Néopatras de procla-
mer la croisade en Hosnie, Croatie. Dalniatie ot Esclavonie
(3 juin 139^). Dans ces pays, dépeuplés par des guerres inces-
santes, et en partie gagnés à l'islamisuie, on répondit peu à
l'appel du pontife; quelques mois plus tard (ITi octobre 13i)4),
Jean de Gubbio, légat apustolique, dut être envoyé pour le
même objet dans l'archevêché de Salzbuurg ot dans les dio-
cèses suffragants, en Auiriche, à Venise, dans le Trévi.sau et
le patriarchat de Grado. C'étaient les provinces les plus
directement menacées^.
Mais le reste de rKurope, la France, l'Espagne, Naples
et la Sicile échappaient à la voix de Boniface ix, pour
obéir à celle de Clément vu, l'autipape d'Avignoii. Sigis-
mond savait que les secours de ces états lui étjùent indis-
pensables; unr circonstance heureuse le servit. La noblesse
fran<;aise avait alors une telle activité guerrière qu'elle cou-
1. FltranUès. Annaies i, chap. xtv, éd. de Bonn, !838, p. 59;^
Saad-el-Din (dans Viticenzo Urartuti, Chron. delfitrig. p. r, I8M. Il n'y a
pas lieu de douter de cette alliauce. quehjue inefficace qu'elle pût être.
M.Brauner(p. 8), sur l'autorité do Oucas, suppose que ce fut Manuel qui
écrivit pour démander aux princes chrétiens et au papodu le secourir.
(1 se peut qu'il Tait fait; la présence mf^me d'un des aml>a.ssadeurâ de
Manuel à !a cour de Bourgogne en 1395 semble se raltarhcr ii ce fait;
mais, en tout ca.^, Sigismond Implora aussi des secour.s, pui&<(uc nous
savons qu'il s'adressa dans ce but aux Vénitiens tlUbl. nal., coll. de
Bourgogne, vol. 104, compte de P. tic Montbcrtuuî, an. 1394-5).
2. 6 septembre 1394; — Kd. S. Ljubic. Munum. spcci. historiam
Slav. meridion.^ iv. 335, et G.Wenzel, }fonnm. ilungariii' hiMorira^ acta
estera, m, 753, d'après les arcliives de Venise {Sen. Seer., E (r), f. 94.
3. U juin 1394. liuUe « Cogimur ex débita •. — 15 octobre 1394. Bulle
< Ad ajKtstolatufl noâtri •. (Mansi, .Imi. eccl., .v.wi, 584-C).
PROJETS DE PHII.U'PK LE HARIH.
229
rait à tous les champs dp bataille; en Prusse avec les Teu-
toniqups, eu Hongrie, comme nous l'avons vu plus haut, en
Orient même, au service du sultan et de Tamerlan', partout
rlle cherchait des aventures; à défaut même de l'épêe, elle
prenait le hAton do pèlerin et entreprenait le voyage de
.lêrusalem. Grâce à ces rapports constants avec les pays
étrangers, la Kranoe savait les progrès des Turcs, elle s'in-
téressait aux nialheui-s des Chrétiens d'Orient, et applau-
dissait aux projets de ligue à la tôte desquels était le roi de
Hougriu. Le duo de Bourgogne, HhilipiM.' le Hardi, interprète
du sentiment public, avait pris les devants et envoyé Guil-
laume de la Trémoille. son niaréchal, auprès de Sigismond*.
Il devait engager le roi de Hongrie à demander ottioiellement
des secours A Charles vi. et l'assurer qu'ils lui seraient accor-
dés. Guillaume de la Trémoille passa par Venise (janvier
1305] ; il espérait y rencontrer des ambassadeurs hongrois,
exposer au sénat vénitien, en leur présence, les projets de
croisade formés, dès l'année précédente", par les ducs de
Bourgogne, d'Orléans et de Lancastre, et obtenir l'adhésion
de la républi(|nM de Saint Marc*. Venise était alors le point
central oVi se poursuivaient ces négociations; Manuel y était
1. R<iiicirant, pendant son voyage aux Ltoux Saints^ avait demandé
un sultan du service contre les Sarrasins; Jacques de lleilly avait servi
soos le pi-re de lïajazet; Jac<|ues du Kay, sou» Tamerian {Livre des
faiUf I, chap. xv, p. 5H*J; — Troissart, éd. Kervyn, xv, 3ia).
3. Il était a4'f'nmpii;;né de Renier l'ot, d'un autre chambellan et de
douze écuyers de la maison du duc (I*. Ilauyn, iV^moiVe* du voiage
fait m //onurif, IJibl. na*., coll. de Bourgogne, x.\, :i'iO). Sur Guil-
laume iIp la TfL^ioille, voir plus haut, pafîe 175.
:t. |>6s i:('.)î, Philippe le Hardi avait étudié les mesures financières
à prendre pour subvenir aux frais de l'expédition. Voir pièces justi-
ticativPK, n* v.
^. Rararite, ifim. des ducs de Dourgoffne, (i* éd., i, 311, d'après un
manu.serit de la Bibliothèque de hijon. — Il prPte la pri^raiére idée
de rcxpèditton à Pierre de la Trémoille, tandis que ce dernier guer-
myait l'ri Prusse avec le grand-rnaitre dos Teutoniques. A son retour
en lluurgagne, Pierre de la Tn>nioille l'expdsa au <luc, qui l'aflopta et
envoya en liî'Jï (avril-décembre) la Tri^mnille auprès du grand-maître
|>our étudier les moyens de faire réussir ce dessein. — 21 janviBr t39S
ÎAreïi. de Venise, Sen. Seer. K(H, f. 10:i. Ed. Monum. sjtrrt. hint.
SiuiK meridion., iv, n;i8, et Monum. flun*/. kist-^ acta extera m, 757; —
V. tl;iuyn, M^moitr» du voiof/e.., p. 3'i0|. — Krauner (p. 14) dit que
Wiilippe le Hapli (it secrètement avertir Sigismond, parce que, s'il
M
230 AMBASSADE DE SIGISMOND EN FRANCE.
représenté; la Franco» la Bourgogne, VAnglotcrreetlaHongrie
y envoyaient leurs agents'. Les plénipotentiaires hongrois
tardant à arriver, la Tréiuoille poursuivit sa route (î février
1305).
L'ambassade envoyée par Sigisuiond à Charles vi se com-
posait de trois seigneurs hongrois; l'archevêque d(\ Gran,
Nicolas de Kanysa ', trésorier du roi, eu était le chef*. Elle
prit la voie de Venise, et s*y arrêta pour solliciter la coopé-
ration de la république. Le sénat entra on pourparlers arec
elle; les Hongrois oxposèrent que, pour empêcher les Turcs
de passer d'Asie eu Europe et réciproquement, vingt-cinq
galères étaient nécessaires, et que rentra tien d'une pareille
flotte pouvait être évalué à trente cinq ou quarante mille
ducats par mois. Venise répondit que si Sigisniond, avec les
ducs de Bourgogne. d'Orléans et de Lancastn*. faisait cam-
pagne sur terre, elle founiirait des galères en nomlire égal
au quart de l'effectif total de la flotte coalisée, pourvu toute-
fois que celle-ci ne dépassât pas vingt-cinii b;'ltinu'nts; elle
proniL'ttait, en outre, de laisser ses navires ù la disposition
des confédérés aussi longtemps que ceux des autres puis-
sances, Mais, (|uand les Hongrois lui demandèrent si elle
eût mis lui-mùme rafïaire en avant, elle eût été combattue par la fac-
tion du duc d'Orléans. 1-e document du 21 janvier I31>5 fait tomber
cotte insinuation; les ducs de Uourgogne, d'Orléans et de 1-aiira.stre y
sont constamment considérés comme les promoteurs de la croisade.
1. 23 décembre I:ï9'i. Sert. Sccr. E(r), î. 102. I-M. Monttm. xpeet.
hist. Slav. meridùm,, iv, 338, et Monnm, UunQ. hi^t., acta exlera m,
757; — \ février f395, Sen, Secr. K(r), f. 105. VA, Monum. tpect. hist.
StttV. mcndion., iv, 339.
2. Il était primat ne HoiigHe et légat. Il occuj>ait le siéf^ de Grau
dés 1387, et en était encore titulaire en lUS. C'était un de.s per-
sonnages les plus considérables dn la cour de Sipismond. (Fejer, Cad.
dipl. Ihmff., X, 1, p. 3i8; x, 2, p. 200; x, 6, p. 92 et 143.)
3. Les chroniqueurs français dillûrcnt sur le nombre des envuyéji
hongrois; d'après Froissart, ils étaient trois; d'après le Itellpieux de
Saint Denis, quatre. Cette différence s'explique si l'un sutitre que le
roi de Hongrie envoyait un messager spécial au connétable de France,
son ancien compagnon d'armes, pour l'avertir des dangers que cottrait
la couronne de î^aint-Ktiennc. I-es chitTres donnés par les chroniques
se trouvent ainiU justifiés. Livre dfg faits, i, chap. xxi, p. 58'J. (Cf,
Brauner, p. 14). — I*. Itauyn {Mémoire* //u voimjt, f. 3'iO v"> demie
aussi, d'après les archives de la cour des comptes de liuurgugne, le
chiRVo de quatre ambassadeurs.
ARRIVEE DE L AMHASSADR EN FRANCE. ZM
maintenait ses engagements pour le cas où Sigismond seul
ferait campagne, elle répondit que cette hypothèse lui sem-
blait, pour ses nationaux et ses êtahlissemeuts commerciaux,
une source de grands dangers et de pertes considérables, et
qu'en conséquence elle devrait modifier ses dispositions
(r)-|->mars 130.^)'.
De Venise, il est probable que l'ambassade hongroise tra-
versa le nord de l'Italie, mais là elle avait peu à espérer.
Gènes, déchirée par des dissensions intestines, songeait à se
donner â la France; Florence, loin de secourir Sigismond,
lui eîit plut(H demandé son appui contre le comte de Vertus*;
Milan entretenait avec Hajaîîet des relations paciâques et
même amicales. Nous retrouvons les ambassadeurs à Lyon
(H mai); le duc de Bourgogne les y attendait, pour les
assurer par avance des sentiments favorables qui l'animaient.
Il les accueillit en leur faisant présent d'un surtout de table,
orné de diamants, perles et saphirs, et de diverses pièces
d'argenterie, et chargea un de ses chevaliers, Renier Pot, de
les accompagner pondant leur séjour en France*. Mais l'ab-
sence des princes, oncles du roi, qui étaient à cette époque à
Avignon auprès du pape, rendait inutile le voyage de Paris
on Charles vi se trouvait seul. L'ambassade protita de cette
circonstance pour rendre visite à la duchesse de Hourgognc à
Dijon (17-19 mai), et gagner lîorde.uix; le duc de Lancastre,
dont le nom avait été niélé :uix pnijets d'intervention en
Hongrie, résidait alors dans cette ville, et il importait de
s'assurer de ses dispositions*.
Les ambassadeurs hongrois n'arrivèrent à Paris que le
0 août', au moment du retour du duc do Bourgogne et des
princes qui formaient le conseil de régence ; ils y furent
I. 5marsl395,Seïï.5«îr. E {r)î. 107. Ed. Monum.ttpect.hist.Siav...^
IV, li'i'J, «t Monum. Humj. fiist., aria extera m. T68. — 10-12 mars 1395,
Stn. Secr. E(r) f. lO«-y. Ed. Monum, speet. hiit. Simt., iv, 340-3,
et MoHHtit. Ifvfiff. hist,, m, y6t-3. — M. iti*auner, Kanu connaître ce»
textes v^nilions, avait fort judicieusement conjecturé que l'ambansade
avait pris ta route de VenÎRC (p. W).
3. Elle te sollii'ita un an plus tanl, Ip 25 avril 13U6 {Areh. Storieo
Hatiano, iv, 220-3).
3. D. Plaiiclier, I/Ul. de Buurfj, ni, 147.
4. P. Bauyn, Mt'm. tin voiage^ f. :i'»0 v^-3'il r*.
5. P. BauyUj M^m. du voiage, t. 341.
232
AaiBASSADE f»K SIGISMOND E.\ FRANCR.
accueillis avec les démonstrations de la plus cordiale bien-
veillance. Admis en présence de Charles vi, Nicolas de
Kanysa présenta los lettres de sou souverain; lui-même en
développa le coutenn dans un long discours : il exposa en
substance que Bajazet allait faire subir à la Hongrie le sort
do la Bulgarie, de la Valachie et de la Serbie; et. après un
tableau sinistre des cruautés des Turcs, il supplia Charles vi
de ne pas abandonner Sigismond.
De son coté, la comte d'Eu, connétable d(' France, en sou-
venir de ses anciennes relations d'amitié iivec le roi de Hon-
grie, avait été informé par un messager spécial que la
situation du royauuie était critique, ^ue Bajazet avait ras-
semblé une armée <le (quarante mille hommes, dont dix nulle
cavaliers, et marchait sur la Hongrie. Sigismond priait le
connétable de communiquer ces nouvelles au maréchal Bou-
cicaut, et à quiconque voudrait s'armer pour combattre les
Sarrasins. Ni le maréchal, ni le connétable n'hésitèrent à pro-
mettre l'appui de leur êpée'.
Charles vi, cédant aux sollicitations de la cour, suivît
leur exemple ; neuf joïU's après, Tambassade hongroise
quittait la France, comblée de présents ; clbi emporUiit
l'assurance d'un puissant secours, tant le projet d'expé-
dition avait été accmùlli avec enthousiasme parles chevaliers
français ".
1. Ait>re des foitu, i, chap. xxi, p. 589.
2. rroiasart, éd. Kervyn, xv, 220.
CHAPITRE II,
PREPARATIFS DE DEPART DE L ARMEE FRANCO-BOURGUIGNONNE.
ALTRES ALLIÉS DE SIGISMOND.
Des circonstances particulièrement heureuses avaient aidé
au succès de Tamljassade de Sigismond en France. Sans par-
ler ^e la soif 4e combats qui animait la noblesse, de l'horreur
qu'inspiraiiMtt les cruautés des Turcs et les provocations té-
méraires du sultan, la reprise des hostilités avec l'Angle-
terre, déjà suspendues depuis trois ans, semblait reculée â
une épocjue éloignée par les pourpai'lcrs de Leiinghen; enfin
le mariage de la iille de Chai'les vi, Isabelle, avec le roî
d'Angleten'o, donnait de nouveaux gages de paix. La situa-
lion intérieure semblait assez stable pour autoriser une expé-
dition lointaine, que tous désiraicni. Le mi, en promettant
à Sigismond une année pour la campagne de I3U6, n'avait
fait que ratifier le vœu de IVqiinion publique. Cette décision
détermina dans tont^ la France un élan général ; |Kiur no
pas dégarnir h^ royaume de tous ses déi'euscms, i»n dut faire
un choix parmi ceux qui demandaient à partir.
Le duc de Bourgogne, qui avait déjàdonné niainti's preuves
de son zèle pour la foi chrétienne, se mit à la tête de ce mou-
vement; nous savons avec quelle bienveillance il accueillit
les aml>assadeur» hongrois, et combien il facilita auprès de
Charles vi le succès de leur mission. Il prit à cœur le succès
de la croisade, non qu'il di'it y pn^ndre un»» part personnelle,
mais parce qu'il songeait à dunner à Sf>n Hls la direction su-
prême de l'entreprise. Jean, comte de Novers, était un jeune
234
PREPARATIFS DE DEPART.
homme de vingt- qaatre ansV courtois, de manières douces,
très aimé des chevaliers bourg-uignons ; il avait déjà fait
campagne, mais n était pas encore chevalier. Conquérir la
clicvalcrie en guerroyant contre les mécréants, à la této de
la noblesse française, était pour un prince de son sang une
heureuse fortune- A l'hôtel d'Artois un ne s'occupa plus que
de Tentreprise projetée; le comte de Nevers l'avait acceptée
avec enthousiasme; il avait obtenu l'agrément de son père,
et n'ai tendait que rautorisation royale pour régler les dispo-
sitions du départ.
Le conseiitoint'jiide Charles vi ne tarda pas à être donné :
Jean de Nevers fut proclamé chef do la croisade*. Cette nou-
velle, publiée dans les états du duc et par toute la Franco,
eut un énorme relnntissfmrnf ; do toutps paris les adhésions
atiluéreat. Les chefs de l'expédition ne savaient à qui répoudre
parmi ceux qui demandaient à entrer dans leurs compagnies.
« Les aucuns ostoient retenus et les aucuns n^avoiont piïintde
« maistre » ; quels que dussent étn» les dépens d'un si long
voyage, les chevaliers n'hésitaient pas à renlreprendre et
à soutenir dignement leur ranii;. Le roi tint à honneur que
le comte d'F.u et BiHJcioaut y tissent la iigure d'ui» conné-
table et d'un maréchal de France. Le mouvement fut géné-
ral, et l'on dut limiter à miîle chevaliers et écuyers le nombre
des élus\ C'était, en cumpt;int l'escorte des combattants, ser-
gents, pages, etc., un effectif d'environ quatre mille hommes.
Eu et Bouoiraut, prévenus directement en souvenir de
leurs anciennes relations avec le roi de Hongrie, s'étaient
croisés des premiers. A leur exemple « toute tleur de cheva-
« lerie et de noble gent » s'était gi*oupéo 'autour de Jean de
1. Proîssart (éd. Kervyn, xv, 218) lui donne vingt-deux ans; il en
avait vinjrt-quatre, étant nû le 28 mai 1371.
2. Un eut, un moment, la crainte (jue Jean de Neversne pût preriilre
le cummanderacnt de l'armée. H s'était, en elTet, rompu l'i-panln peu de
temp.s auparavant, mais les soins des in^Uivins et rbirurgiens ilu duc
de Ilourfro^ne, de la duchesse d'Orléans et du imI le mirent en \ton de
temps en état de remonter à chevEil (P. Ilauyn, Mêm. du voiage. f. 3i2l.
3. l'roissart. éd. Kervyn. W, p. 2;tn. — Mioliaud {/fUtnirc //m rroi-
autifx, in, 379) dunne le rîiilTre de quatorze cenl.s chevaliers et écuyers,
mais sans prouve; le nvU'jieux tir Saint îtrnis |ii. i2*.i| celui de deux
mille. — V. Kroissart, éd. kervyn, xv. ijassim; — ftrlirfirujc de SairU
Oenis, n, 428-9; — Livre des faits^ i, ch. xxi, p. 58y-90.
Ë.
COMPOSITION DE l'armée FRANCO-nOUROUKiNONNE. 235
Nevers. Henri' et Philippe deBa^^ cousins du roi, Enguor-
rand do Coucy', l'amiral Jean de Vienne*, Guy et Giiillauine
de la Trôinoillo*, In comlo do la Marche*. Renaud de Roye",
un compagnon de Boucicaut dans ses expédition» en Orient,
le sire de Senipy', pour ne citer que les principaux seigneurs,
s'étaient préparés au voyage de Hongrie'.
Outre les chevaliers ennMés isolément, et supportant eux-
mêmes les frai» de la campagne, des compagnies avaient été
formées par les soins du duc de Bourgogne. Les ofliciers de
la maison du duc avaient roru leurs gages arriérés pour les
aider à supporter les dépenses de la nouvelle expédition'".
Une ordonnance, rendue le ?0 mars I39(i, avait réglé la com-
position de riiôlcl du jeune comte : cent quatre-vingt-treize
chevaliers et écuyers, vingt arbalétriers» sept échansons. pan-
notiers, etc., en faisaient partie. La bannière de Jean de Ne-
vers était confiée à Philippe de Mussy", le pennon à Gru-
1. Fils aîné do Robert, duc de Bar, et de Marie de Franco; [| avait
assisté h la concentration do troupes faite à l'Ecluse tH86) ot aux
ffuerros do Guoidro [I.'J«H) et de Bretajçn» (1302). Il avait épousé Marie,
fille d'ICnpuorrand do l'oucy (l-Yoîssart, éd. Kervyn, xx, 250).
2. Voir plus haut, p. 175.
a. Voir plus haut, p. 172.
4. Voir plu.s haut, p. U6, 172 et i75,
5. Voir plus haut, p. Ï75.
6. Jacques II, comte de hi Marche, fils de Jean i et de Catherine de
Vendôme. Il fut créé grand chambellan le 2Ct juillet 1:^97 et mourut
en W-l».
7. Voir plus haut, p. 162.
8. Divers manuscrits do Kruissart donnent à tort SnirU Pot. Nous
savons en elTet i]uc Waleran de Saint Pol prit ]>art à la campagne de
Krise {i:i%i, ce <jui exclut sa présence h la croisaile. Il s'afpt ici de
Jean do Seuipy, chambellan du duc de Itourffufjne, un des c4iin]tat,Mion!}
d'arme» du maréchal Boucicaut, et un des plus vaillants chevaliers de
son temps.
ï». Froissart. éd. Kervyn, xv, 2;w; — Uire ttex fait»^ p;irlie i.
ch. .\.\i. p. 50O.
10. I,(>K noms de ceux qui furent ainsi payés nous sont parvenus
(Arch. de la (Vde dOr, H. 15««. f. 37|.
11. Philippe de Mussy éiait chevalier bachelier en 1382; en 1387, il
iwrte Ir ijire ilé chambellan dn duc do Bourgogne et accomjta^'ne.
avec f|ualrr écuyers, (ïtiillauine de la Tréuioillr' à IVxpédilion de Hra-
bant. lin i:t'Jl i :20 niai), il esl envoyé à Pont Saint K^prit aupiiVs du
comte Bernard d'Armagnac; on i:ï92 (M juillet), ilestchargé de la con-
centration â Sens des troupes que le duc de Bourgogne mène au rui
pour l'expédition do ttrolagne. ï.n 13<Ji (10 mai), il donne quittance
236
l'REPARATIFS DE DEPART.
thiize; trois chevaliers, Courtiambles', Jean rlo Blaisy' ot
Buxeiil', devaient escorter la bannière; le luèaie soin in-
combait à Nanlon et à Hugueuin de Lugny* auprès du portc-
pennon*. Deux chariots étaient destinés au transport des ar-
nuires et de réchan?*onnorie; un chariot garni d'étoffe, acheté
â Arras, et vingt-huil chevaux, grands et pi'til;*, complétaient
ce service". Nous ne connaissons malheureusement pas la
composition des autres compagnies, notamment celle de l'hô-
tel du duc Philippe de Bourgogne. Charles vi, de son côté.
des gages qui lui sont dus pour un voyage en Iwimbardie et en Savoie
auprôs du cimite de Vertus et du mar(|uiH de Montferrat. It mourut
probableUKMil pendant l'expi^dition de Hongrie, rar sa femme Mar-
guerite de Mussy f^Uiit veuve en 1398, et était exenipti'e du droit de
rachat pour les terres do la JaÏBse et de t'ussan^^- (Arch. de la Côte
d'Or, B.. invent. de Peincedé, xxii, 123, 175, 238; xxin, 126; XXIV,
121. :tft4).
1. Il y eut, à la fin du xiV" et au commencement du xv siècle, deux
seigneurs de Courtiambles, le père et le fils, qui portaient tous deux
le prénom de Jacques. Il est assez difficile de séparer la bioji^phie
de l'un de celle de l'autre. En tous cas les Courtiambles se distin-
guèrent particulièrement contre les Turcs; la suite de notre travail
montrera la part prise par le personnage dont il est ici question dans
Texpédition de Hongrie el le rachat des prisonniers. Kn outre, en 1380.
un Jacques de Courliambles, chevalier et chambellan du duc de lîour-
gogne^ recevait un dun de cinq cents livres |»our le dt^dommftger des
fmis d'un voyante en Turquie el de la longue captivité qui en avait été
la cons^'(|uonce. Le V2 mars I3'J3 m. s.l, mcssire Jacques de Cour-
tiambles recevait deux cents livres i pour avoir porté honurahlemeiit
l'étendard du duc de Bourbon, chef et général do l'armée des Français
qui fut h. Cionnes et de là en Tartarie ■ (Arch. de la Cïito d'Or, B.,
invcnl. de Peimu-dt^. n. 349 el xxu. 238).
2. Jean do Blaîsy. seifj;near de >lavill3% tîls d'Alexandre de Blaiity,
écuyer, et do damoisello Jubard de S. Itarry, avait i^puu>é Marguerite^
flllc de Itichard Ikiuhot, de Oijon, licencia as lois, et de Julienne, sa
femme. Il était chambellan du duc de Bourgogne (Arch. de la Cote
d'Or, U., invent, de Peincedi^, xxvn, 256 et 271).
3. Damas de Uuxeul, écuyer d'écurie du duc, était un des serviteurs
les plus dévoués de Philippe le Hardi. Jean de Buxcul, chef de la fa-
mille, plus spécialement attaché au service du comte do Nevers, resta
en Occident; il était capitaine de Monlc^nis, et mourut en 13% ^Arch.
do la Cùle dOr. U., invent, de Peincedé, xxvr, 56).
4. En 139'!. il était écuyer pannetier du duc de Bourgogne (\rch. de
la Côte dOr, B.. invont, de Peincedé, x\ui, 130).
h. I>. Plancher, i/Ut. de Hourg., ni, preuves, cïxxiij-v.
6. Il fut dépensé de ce chef '.127 fr. Il s. 8 den. en deux sommes
(Arch. de la OHe dXh% B. 150», f. 150 v et B. 1511, f. 76 V).
CONSEIL BONNE AU COMtE DE NEVERS. 237
avait envoyé uu assez grand nombre de chevaliers ; ne fallait-
il pas que le comte d*Eu et Roucîcaut tissent honneur à la
couronne de France? Uuui:icaut seul mena au comlo de Ne-
vers soixaute-dix gentilshommes, dont quinze chevaliers de
ses parents; on peut, par ce chiffre, apprécier l'importance
du contingent f<»nrni par la France'.
A côtn des chevaliers, lut levé un coqis de soudoyers;
les chi'ouiqueurs français u'en parlent pas, mais les sources
alleuiaiides le mentionnent, sans T'tre d'accord sur l'effectif
(juVlles lui attribuent : six mille hommes ^elon les unes,
dix mille hommes selon les auti'cs. En évaluant Parmêe
franco-hourjçuignonue à dix mille hommes envinui, chevaliers
et troupes de pied', nous ne croyons pas nous êlr»i^''iver de
la vérité.
Philippe le Hardi avait, avec beaucoup de prudence, en-
touré son fils d'un conseil destiné à guider son inexpérience
milit<iire. Il avait choisi Philippe de Bar\ l'amiral Jean de
Viennes Guy et (ruillaume de la Ti'émoille", et Odard de
Chasseron* pour éclain?r le jeune prince de leurs lumières ; il
avait, eu outre, ilésiuné <[uelf|ues-uus des chevaliers les plus
illustres par la naissance ou la valeur, le comte <le la March<',
Henri de Bar, Coucy, le connétable et le maréclml Boucicaut',
1. Utft'e des failx^ i, cli. xxi, p. 590. Il est dit (|ul' Boiu'lraut nienn
ces gonlilshommcïià.sesdi^pens. Nous croyons cependant rj no Charles vi
contribua à leur entretien. i*armi ces quinze clievaliers, appartenant
à la famille du maréchal, le Lwre des faits cito : le Itarrois^ Jean et
Codemart de Liniéres, Itcnaud de Chavigny, Robert de Miily, Jean
dKgrevilIe.
2. Schiltberger, p. 53; — Konigshofcn, p. 85i. — Cf. Brauner,
p. 17. Vertot semble avoir exagéré en écrivant • que la France fournit
plus de troupes d'ordonnance que tous les autre» alliez ensemble •
{Histoire des Chev. hosjtU.^X w (ITTii), liv. vi, p. 259). — P. Bauyn
{Mém. du minge^ f. 'AM v»), évalue comme nous à une dizaine de mille
hommes la force de l'armée.
CI. Voir plus haut, p. 175.
4. Voir plus haut, p. 145, 172 et 175.
5. Voir plus haut, p. 175.
6. Chambellan et conseiller du dur de Bourgogne. Philippe te Hardi
le chargea, avec tjuillaume de la Trémoille, en 1390, d'une mission
auprès du comte de Foix. relative au mariage du duc de Berry (FroU-
«art, éd. Ker>7n, xx, 5'i7).
7. i). Plancher, y/M(. de Ihunf., m, preuveaclxxv. L'ordonnance du
duc désignait encore dix chevaliers, dont Jean de Nevers pouvait
238
PRE1»ARATIKS DE DEPART,
dont Jean de Nevers pouvait, s'il le jugeait convenable, sol-
liciter les avis et invoquer Tassistance.
Le duc <lû Bourgogne avait songé à tout ; à sa requête, le
jiape avait accordé au chef de la croisade des indulgences
spéciales; c'était d'abord rîadulgence plénière, puis l'auto-
risation de manger et coucticr chez les iuiidèlos et schisma-
tiqaes, de choisir un confe>!Sour et d'entendre la messe avant
le lever du soleil ; enfin, à ces indulgences générales d'autres
faveurs plus particulières avaient été ajoutées : elles concor-
naicnt certains vœux faits par le comte de Nevers. A son dé-
but, l'expédition revêtait un caractère religieux bien nianiué,
mais, au cours do la campagne, ce caractèi'e s'effaija gra-
duellement, et la croisade devint une chevauchée'.
Philippe le lîardi avait le goi'it de tout ce qui était magni-
fique; c'était une tradition de la maison do Bourgogne qu'il
se plaisait à suivre. Aussi saisit-il avec empressement cette
nouvelle occasion de donner carrière à son amour du faste.
Bannières, peimons, guidons de lances étaient brodés d'or et
d'argent; partout les armes ou la devise du comte de Never»
étaient reproduites. Ohflaaimos des trompettes, housses do
chevaux, chabra(|ues, tout était chamarré d'argent et brodé
aux couleurs de Bourgogne. An centre des banuière* se dé-
tachait l'image do la Vierge, entourée des tleurs de lys de
France et accompagnée de huit écussons aux armes du comte de
Nevers ; la livrée, qui comprenait plus de deux cents personnes,
pijrtait la couleur adoptée par le prince, * le vert gai ». Les
tentes étaient de satin du même vert, avec des ornements en
rapport avec ceux des autres pièces, l^artout on déploya un
luxe magnitique; petits et grands rivalisèrent à l'envi pour
soutenir un train aussi somptueux'.
prendre les avis; c'étaient des servitpurs personnels du duc, dans
rexpérience Jesiiuels iJ avait toute confiance. V. sur oea personnages
iiliis haut, pages 160-5, 175 et 235.
1. Compte d(- Jean Chousat pour l'aniiiïe 1400 (Bibl. nal., Coll. do
llûiirg., vol. 190, f" 7iy-20). Ce fut maître Pierre Berthiot, secrétaire
du duc de lu>ur{?ugnf>, qui obtint rcx[>édition des bulles.
2. I>. IManclicr. Uist. de Hourff,, tn, W^, daprùs les c^imptes
de la trésorerie des ducs de Bourgogne conservés à Dijon : — Proissart,
éd. Kervyn, xv, p. 22'i.— La somme dépensée de ce cbef était de mille
huit cent trente-cinq francs (Arch. de la C6te d'Or, B. 1187G et B. 1508,
f. 127v'-8v<').
MESURES FINANClkaES POMtt lA CllMSADK. 239
Il fallut aviser aux moyens de payer toutes ces magnid-
cencGs. Cette question avait préoccupé 1g duc dès 139i, et il
avait songé à lever dans ses états un iinptU oxlraordinaim
pour rexpédition future. Il cuuiptail, de ce chef, sur rleux
Cent mille francs; en y ajoutant ce que le roi de France lui
devait (cent seize mille francs) et les recettes du domaine et
des aides (cent quatre-vingt-trois mille francs), abstraction
faîte dos dépenses ordinaires de la maison ducale, ce chiffre
se trouvait doublé. Avec le don promis par Charles vi, et
l'emprunt que Philippe le Hardi se propo.saitde faire au comte
de Vertus, on espérait atteindre cinq cent mille francs'.
Ce projet servit de Lase aux mesures iitiancières prises par
le duc. Il demanda à ses sujets cent mille nobles, c'est-à-dire
environ deux cent mille francs, pour le voyage de Hongrie
(I39'i). Dans cette somme, la part des villes de F'lan<lre fut
de soixaute-cinq mille nobles, celle île Malines et d'Anvers de
quatre mille, ct^lle des ch;'ftellenies de Lille. Douai etOrchies
do quinze cents; le reste fut payé par la Uourgngne*. Le duc
avait espéré du clergé de Flandre une subvention importante
(cinq mille cent cinquante cinq nobles); mais celui-ci montra
peu d'empi-essemeiil, i^t s(; borna à un prêt de cinq mille deux
cent soixante-cinq nobles '. En outre, la ville de Lille avança'
pour le voyage du cumte de Nevers deux mille francs, qui
1. V. Pièces justificatives, n» V.
2. inventaire de* Archivée de la Belijiqitf, Chambre des compto»,
m, 97 et 'i51. — L'impôt fut levé dèa la lin de 1U94. .Nous en avons la
preuve pour Urnges, «jui paya sa q«iiliv|mrl (oi)ze mille nobles) en
plusieurs termes, du 28 novembre 139i an 7 avril 1396 {fnv. des Ar-
ehivei de firtiyex, m, 315-6). — Malines avait d'abon] prêté deux mille
nobles; elle convertit suii pr^t en don après le dt'^sastre de NioopuMs
(Lettre de Pliilippe le Hardi du 26 janvier 1:^98, aux Arcliivcs muni-
cipales de Malines |. — Lille octroyn une aide de quatre mille francs,
Duuai une aide de trois mille, Orrhies donna cent nobles(Lettrc duduc
du 19 juillet i:J9'j. aux Arch. du .Nord. U. 123o!. — Pour la Bourgogne,,
l'Artois, le Nivernais et Hcthol, voyez \). Plancher. Hist. de Bourg, ,*
III, preuves, p. clxxxiij et 147. Les gens d'église, bonnes villes, bour-
geois, etc., de la Comté sont imposés à douze mille francs d'or (2 juil-
let 1396) ; le duché paie quarante mille francs, rArtoietrente-cinq mille
livres, etc.
3. Inv. des Arch. de la Belgique^ Chambre des comptes, m, 97
et 451.
entrèrent en déduction du montant de Timposition qu'elle
s'ôtftit engagée à fournir*.
Ces sommes étaient loin d'être suffisantes; il fallut recou-
rir à des emprunts, faits aux villes et aux Lomhards des états
riu duc: do co chef la ville d'Ourlenilioiirg prêta huit cent
viiigt-luiit livres, les Lorabards de Dmiai et ilc: Lille soixante-
dix livres de gros*. En même temps, Piiîlîppn le Hardi négo-
ciait d'autres emprunts avec les baiUis, les receveurs parii-
culiei-s et les fermiers du domaine ducal, avec les municipa-
lités flamandes, avec les banquiers de Vienne et de Venise,
Il iibtouail nilin du roi de Fraue(( un don de dix mille francs'.
L';ippel de Sigismniid avait été euk'udu dans toule l'Ku-
roiie chrétienne. L'Allemagne, comme In France, s'él-ait émue
à la nouvelle du danger, et avait pris les armes. Il est diffi-
cile d'êvahier l'iuiportauce du s<.icuurs (qu'elle eiivujy'a au roi
de Hongrie; mais, de la Pologne à l'Alsace, du Luxem-
bourg à la Styrie, les croisés affinèrent, et le mouvement
fu( généra!. Si nous ignorons la force numérique des contin-
gents allemands, nous connaissons la plupart des princes
qui les couduisaieni, et par là nous pouvons supposer
qu'elle était consi<lérable. Le comte Palatin Robert Pipan. fils
aîné du roi Roltert m. prit la croix, ainsi qu'un comte de
Katzenelleubogen, dont l'identité est difficile à établir; il
semble, en effet, peu probable qu'Eberard v, mort on 140'* à
l'âge de plus de (luadc-viiigts ans, ait entrepris, plus que sep-
tuagénaire, une paieille expédition V Hermann ii, comte de
Cillj, et Jean ni, biu'grave de Niiremberg, étaient parmi les
croisés. On a voulu aussi ranger ]>anni eux Frédéric, frère
cadet de Jean m, premier électtnir de Brandebourg, mais sans
preuves suffisantes. La plupart des témoignages ne citent
qu'un burgrave qui ait pris part à la crnisade. et nous savons
de source certaine que c'est Jean lit (piî y (igura. En (Uitre, la
mention qui relate ce fait est une addition post<*rieure dans
1. Apch. du Nord, B. 1256. — La somme fat restiiuôe par ordre du
duc du 21 mars 1396 (Arcb. du Nord. M. 1859, n» »5).
2. V^ Piùi-es justitlralivofi, n" VI.
3. V. Pièces juslificalives, u" vi. — D. Plancher, I/ist. de Bourg.^
ni, I'i8; — Bibl. nat., coll. de Bourgogne, vol. lO^i, fol. 158.
h. Voir sur ce point Urauner (p. lU), comme aussi sur tout ce qui
concerne la participation des ADemands à la croisade.
PART PRISE PAR LES TEVTONIQUES A LA CROISADE. 241
la chronique où ellti figure V Encore moins faul-il admettre
que Jean m, comme l'a écrit un historien, fût grand-prieur
des Teutoniques*, titre qui ne convient pas à ceux-ci, mais
aux Hospitaliers. Nous savons qu'il ne fut affïli('% de quelque
façon que ce soit, ni à l'un ni à l'autre de ces ordres militaires.
Ceci nous amène à chercher quelle part prit l'ordre Teuto-
nique à l'expédilion. et sur ce point encore la certitude est
difficile à l'établir. Sigismond avait imploré l'appui du grand-
maître Ci>nrad do Junyngi*n'; malgr»'' U* silence des chroni-
ques, la coopération des Toutoniques ne semble pas douteuse.
Le roi de Hongrie entretenait avec eux des rapports d'une
bienveillante intimité. Ceux-ci pouvaient-ils rejeter la re-
quôte de Sigismond*? En outre, n'avaient-ils pas été comblés
de bienfaits par le (bu; de Bourgogne? L'idée première de la
croisade avait, disait-on, été suggérée à ce dernier par le
grand-maître lui-même. L'ordre eùt-ii oublié loute reconnais-
smice au point de se flésintèresser do l'expédition? Nous sa-
vons, du resto, (ju'en Ï397 le grand-maiti*e mettait comme
Gonditioa à une négociation la libération de ses cheraliers
prisonniers des Turcs. Ces considérations militent en faveur
de la présence des Teutoniqucs dans les rangs de l'armée
coalisi^. Les dangers, cependant, qui les menaçaient du coté.
de la Pologne et de la Gothie ne permeltent de croire qu'à
une intervention isolée de quelques chevaliers, probablement
membres des baillages les plus éloignés de Prusse, et assex
peu nombi*eux pour expliquer le silence des chnmiqueurs.
A la tête des chevaliers bavarois, comme nous l'avons
vu plus haut, était Robert Pîpan; les noms de plusieurs
d*entre eux nous sont parvenus. Tl en est de même pour le
contingent aUacieii; la Suisse ne resta pas en arrière' de
ses voisins de Bavière et d'Alsace; quant aux chevaliers du
Hainaut qui, sous la conduite du comte d'Ûsti'evant, tils de
leiu* seigneur, s'apprêtaient à suivre leurs compagnons de
1. » Marchio Brandeburgensis Fridericus senior in boc b*»llo fui! Pt
n penlidit niulta, vîx persunalitcr in navi evaitit i {Cat. ahbat. Saga-
ne»wi«m,ilansSterizel, 5crip/. rer. StUtic^l^ 297),— Cf. Brauner,p. 11.
2. Ascdbach, l, p. 99.
a. Il fut élu graml-maitro le :)U nov. 139'i et mourut le 30 mars 1407.
4. Si«Jsnioiid fut, dans la suite, aftiliô à ronlri^ Teutonique.
5. Le lecteur trouvera ces noms dans la liete gV^nérale des croiséfl.
V, Pièces justificatives, n» xxn.
19
ALLIKS nie SIGtSMOXD.
Flandre ot de Bourgogne, ils se virent refuRer par Albert d^
BavitMV l'autorisation qnMls sollifitaiont. Co fui pour 1p comte
(l'Ostrevant, prince jouno et entreprenant, heau-IVère de Jean
tlo Nevei*St une cruelle déception ; Albert, pour calmer Par-
dcnr bclli^neuse de son tils i4 de sa noblesse, dut lui donner
carrière en la tournant contre les Frisons \
L*Angleten*e» au temps des premières négociations entre
Sigismond et le duc de Bourgogne, avait promis l'envoi d'un
secours important sous les ordres du duc de Lancastre. Ce
fut un des fils de ce dernier, probablement Jean lîeaufort,
)|ni l'amena à Sigi^îmond ; la cour d'Angleten'e n'avait pas
accueilli avec autant d'enthousiasme que celle de France le
projet de croisade ; le contingent anglais cependant ne com-
prenait pas. au dire des cliroiiicjueurs, moins de mille cheva-
liers. Nous n'avons aucun tlctail sin- le rôle joué dans la suite
par ce corps d'armée ; les sources anglaises sont muettes sur
tout ce qui touche Texpc^dilion de Hongrie*.
La situation intérieurf dellUdie eniprchait d'espérer aucun
appui de ce cdtè. Venise seule était on dehors des compé-
titions et des révolutions qui agitaient la péninsule. KUe avait.
des le principe, servi de point de ralliement aux euvttvé.s
des diverses nations européennes, et elle avait pris vis-û-via
du roi de Hongrii» des engagements conditionnels. Depuis
cette époque, nn ambassadeur vénitien. Jean Albertî. avait été
envoyé à la cour de France 'septembre l3îJr>), pour négocier
la libération de quelques Vénitiens, retenus prisonniers
en France", et pour assurer la facilité des relations com-
merciales entre les deux puissances*. Il avait pu, au cours
1. Froissart, éd. Kervyn, xv. 226-9.
2. Urauner, p. 25. Aucune trace de cette expédition n'est restée dans
les chroniqueur!^ anglais; à peine l'un d'entre eux, Th. Walsingham.
(//i«/. angi.. M. II. T. Kiley. 1864; n. 217). parle-t-il do .\icopoIi8,.pt
encore d'une façon absolument inexacte. Le deuxième fils du duc do
lancastre. John Deaufort, est le seul qui semble avoir pu conduire
on llonfzrio le secours promis à Sipismond. Le pou do détails que
nous avons nous est fourni par los soun^cs allemandes et italiennes.
3. C'étaient des Vénitiens, détenus par riuilliiumo de Vienne, siro
de Saint Georges, à son château do Longepierre. Henri de Sauvement,
bailli d'Omonl, les lui réclama en janvier I39D. (Arch. de U Cite d'Or,
li. 1508, f. ^b \-«-4(i.)
4. Le!>chronique.*i vénitiennes, et en première ligne la Vita di Carlo
Ztno (Venise, 1829, pcl. in-S", p. 174-»>) ont placé à cette époque une
NKOOCIATIONS DK SICISMON'Ï) AVEC MANI:EI< ET VENISE. 243
«le son voyage, se convainoro des intentions du gouvernement
fran(;ais, et rapporter au sénat, apn>s neuf mois d'absence, la
certitude quo ce pavs s'armerait pour la défense de la foi *.
Sur ces assurances, la républiiiue de Saint Marc avait converti
fles promesses en n'îsolutions définitives.
Pendant ce lemps, les nt^gociations continuaient entre l'em-
pereur d'Orient et Sigismond ; on savait à Venise, le I''" mars
1306, que Tacconl s'était fait entre les deux princes; le roi
de Hongrie s'engageait ;i concentrer, au mois de mai suivant,
une grande armée sur le Danube; en juin, elle devait ^tre à
Constantinople. L'empereur d'Orienl, de son aWj armait dix
galèivsj dont l'entretien devait être pavé par lui pendant un
mois et pendant Trois mois par Sigismond; trente miUe ducats
étaient déjîî versos pour cet objet entre les mains d'Emmanuel
Fhilotropliinos, ambassadeur impérial. Cette nouvelle, connue
â Venise au momeui où la république se préparait à envoyer
une ambassade à Bajazet afin de le réconcilier avec l'empe-
reur, fit ajourner une ilémarche . désormais sans objet, et
dont le roi d(» Hongrie eûl été eu droit de se plaindre*.
Cependant les Vénitiens, sollicités par l'ambassadeur hon-
grois de se prononcer sans plus larder sur leurs intentions,
promirent pour l'été un secours de (piatre galères, et s'enga-
gèrent à envoyer cette esciadre en Romanie de la mi-juillet â
la mi-août^. Cette promesse ferme était moins avantageuse
que les promesses conditionnelles faites Pannée précédente.
Venise expliquait cette différence en faisant observer qu'elle
n'était pas assuive des secours que devaient amener les ducs
de Lancastre, d'Orléans et de Bourgogne, et que néanmoins,
jiar considération pour Sigismond. elle conseiitaità lui fournir
quatre galères (M-U avril 1390). L'ambassadeur avait,
on même temps, fait au sénat une demande d'emprunt ; sur
ce point la république se déclara dans l'impossibilité d'ac-
^Umb&Msade do Tharles Zf'i)o en Franre et en AiigleteiTe, dont l'objet
'i^léciAl ^tait la croisade. Rnnianin {Stnria dorum. di Vrnezia, m, 335,
note 2) démontrp péremptoirement que Zeno n'alUi pat» nn Occident,
et que l'ambassiule de Jean Altjerti n'eut qu'un but commercial.
1. Vita di Carlo Zenn, p. 174-fi.
2. Apch. de Venise, .S>n. Miati, xuri, f. liS v*>-6. Vaï. dans i^fuitum.
tprrl. hitt. Slav. merid., iv, :160-1.
3. Kllft flevait y attendre l'arrivée <le Sigismond.
ALLIKS T>E SICTSMOND.
céder aux désirs du roi '. Aux nouvelles instances du plénipn-
tenlirtire hongrois, il fut r*'ponduquel(|ues jours après(27 avril),
que, nu>me si Sipismond trouvait à. se faire prêter de Targeut.
les Vénitieus ne poui-raienl, sans inconvénient, autoriser la
cession de la créance du roi sur eux, â cause du caractère
personne! do cotto dette *.
Gênes el Kloieuro. s'il faut en croire la chronique de Marino
Sanudo', suivirent l'exemple de Venise et entrèivnt dans la
ligue ; mais rien n'est moins certain. Les Génois assurémeni
eussent été lieureux do ivniibattre les progrès des Turcs ;
leur intérêt commercial, simui leurs sympathins personnelles,
les y engageait; mais leur soumission au roi de France,
cette année même, était ti'op récente pour que le gouverneur
français, f|uelqiie désii- qu'il en eût, ptM stinger à engager les
forces d'un pays nouvtdlmuiMit ciïn(|iiis dans une expédition
lointaine. Quant aux Florentins, il semble tout â fait impos-
sible que leur appui ait été acquis à Sigismond ; c'étaient eux
au contraire qui imploraient le secours du roi conlre le comte
de Vertus, et ils avaient trop à faire dans la péninsule pour
envoyer des renforts â l'étranger*.
Il ne paraît pas douteux q\ie la Pologne se joignit aux
coalisés ; cette intervention est attestée par les historiens
polonais", mais nous ignorons dans quelle niesun* elle se
produisît. 11 est probabïo, ini égard à la situation du pays,
qu'elle fut limitée à Tenvoi en Hongrie d'un petit noyau de
chevaliers ; les noms «l'une dizaine d'entre eux â peine nous
ont été conservés, avec le souvenir de leui* conduite héroïquii
à Nicopolis.
Restaient les chevaliers de Rhodes, auxquels Sigismond]
avait, des premiers, fait appel. Là, du moins, il avait été eiï-[
tendu, et les secours lui vinronl sans restriction ni arrién
1. Arch. de Venise, Sfn. Seer. E(r), f. 126 ^-«-7. K<J. dans Monuni.
ipeci , IV. p. 363-5.
2. San. Secr. F(rl, f. 128. Kd. dans Monum. spect..., iv, p. 873-4.
Il s'agissait de sept mille ducaU que, par ta paix de Tarin, Venise
devait chaque année payer à Sigismond.
3. Muratori, fier. ftal. gcript., xxn, 762.
4. ,\rch. Stor. liât., iv, 220-3.
5. DIugos.*i, H\$toria Potonica, i, 145-6 {éd. de 1711); — Annales
Polonicœ, ibidem, n, 1159.
COOPÉRATION DES HOSPITALIERS. 245
pensée. La flotte de Tordre dans l'Archipel, le grand-prieur
d'Allemagne, Frédéric de Hohenzollern à la tête des Hospi-
taliers allemands, et le grand-maître Philibert de Naillac,
avec Télite de ses chevaliers, lui apportèrent leur concours*.
I. Brauner, p. 12 et 25. — Dès le 4 avril 1395, Philibert de Naillac,
alurs grand-prieur d'Aquitaine, avait, à la prière du duc de Bourgogne
et de Charles vi, obtenu du ^rand-maitre llérédia la permission d'aller
combattre dans le Levant les infidèles (llerquet, /. F. de llérédia^
Muhlhausen i. Tli., 1878, p. 83; — Arch. de .Malte. Lib. Bull. Mag.,
MV, f. 80).
Au priulemps de l'année 1306, les croisés se inireni eu
marche pour la Hongrie. Le contingent priiicipaU sous les
ordres du comte de Nevers, devait Hrv réuni à Dijon lo
"20 avril pour j recevoir sa ^iolde; le rendez-vous général
était fixé au 30 du mêine mois à MoiitLélianl. De son côté,
Jean de Nevers avait pris congé du roi de France à Paris
le 6 a^Til, et était allé à Saint-Denis faire se^ dévouions
accompagné d'un grand nombre de chevaliers. Il arriva à
Dijon le 13, et y surveilla le:î derniers préparatifs. Tous los
membres de sa famille se trouvaient alors dans cette ville
pour hii faire leurs adieux. 11 partit le 30 avril < âpre:*
dîsuer » pour rejoindre les Iroupos à Montl>éIiard ',
De MoMfbéliard l'armée gagna l'Alsace supérieure, passa
le Rhin au-desstfus de Strasbourg, et p;tr le Hrisgau arriva
dans la vallée du Danube. Sa marclie fut assez rapide;
le 9 mai, le comte de Nevers était à Loeflfonborg, en Bavière,
et écrivait â la ville <le Ratisbotiue p(Hir lui di'tiKuuIcr de
mettre à sa disposition sur le Danube une dotiillc de trans-
port pour les troupes et les bagages '.
Une seconde colonne, probablement composée d'une partie
1. D. Plancher, /fisl. de Bourg. »i. ri8-9: — Relifjieux de Saini
Denig, u, ''i28: — Juvénai Ups Ursins, n, p. W8.
2. La marche indiquée par Frois-sart {àt\. Kervyti, xv, 23t), et la date
qu'il dorme miii ab.<s«>lument en-oiuies. — Cf. Braiiner. p. 2:i. et fî^-
tfenxhnrffis(hrr Hhronik daiisCI'h. Cieirieiiier, II, 327-8. — llest su (m.M'Ûu
de rcmartjuoi' (|u Asohbacli \Geichichlc Kaiser Sijmund'i, \y 97 iigtc
PASSAGE PKS CROISKS EX ITALIB KT KX Al.I.KMAr.NK.
247
des contingents fraudais, avait suivi une autre route. Elie
quittii Paris à la tin d'avril sous les ordres d'Honri de Bar et
d'En^ueiTand de Coucv'. Ce dernier, à peine revenu d'Italie
oi"i le duc d'Oriéans l'avait envoyé l'année précédente (1395)
pour soutenir Savone conti'c les Génois *, avait reçu de Char-
les vr la niissioti de retourner en Loiubardif»; il devait agir
auprès du comte de Vertus qui clierchait à détourner Gènes
de se donner à la France. Une quinzaine de chevaliers lac-
coinpaj^nait; ceux-ci étaient îi l.i solde du duc rrOrléans»
directement intéressé à la né/jfuv:i:iUou avec Jean Galéas^. A
la tète de cette colonne, Henri de Har et Coucy descendirent
en Itiilie pour accomplir leur mission avant do regagner l'ar-
uiée confédérée*.
En Bavière, his croisés allemands se joignirent aux Franco-
liourgtiiifnons : c'élaient surtout des troupes auxiliaires,
cuinpuséfs d'Uonmies de pied. .ïemi do Nuremberg et
I^tbert, comte palatin du Rhin, étaient à lem* tète. A son
passage à Straubingen, Jean de Nevers fut accneilH et f<^lé
par son beau-frêre, Adalberl ii do Bavière, dont il avait
épousé la soeur. S'il faut en croire l'autorité d'Avenlin "'. il
réconcilia les deux frères Jean de Munich et Etienne il de
Laiidshut. de la maison di' Witt<.'Uitach, qu'un partJige avait
ilivisés. Mais cette assertion n'est pas soutt'nablc, l'acte
•rurcord, en effet, fut conclu lo '2h novembre 1395", anté-
rieurement à répoque oii le comtt? de Nevers était en
liavière, et ne mentionne en auciuie façon Tarbilnige de
ce dernier. La piirîicipation <i'Etienu4^ ii de Landshut à
l'expédition , indiquée par un historien , n'est pas plus
28) s'est compl^'tomont trompé en fixant le dépati dos owisés au mois
de mar« IH*.ir> et leur arrivée à Straubingen au 25 novembre de la
uiùmo annt^e.
1 . Coucy àtalx encore à Poi'is le 18 avril 19% {Bull, de ta Soc. aead. de
Luon. xxrv, '*').
'2. .Vùr. di êtoria flaliana^ XX, lï>2-a.
3. tiuU. de la Soc. acad. de Laon, xxiv, 'i?-5l, pièces (Sitit<'*cs par
M. Mau^iu, tJrt-CM do lu collection Joursanvault. V. l'Inventaire de cette
collection (Paris, Techencr, 1838, 'i vol. in-«*) i, n* î24. — Ilibl. nat.,
fr. nouv. acq., a63y. pièce 341.
'i. Hrauiier. p. 23; — ('roisaart, éd. Kcrvyn.xv, p. '<Xi)^;~Helifjieuje
de Saittt iknU, \\, p. ViH-30.
5. Chvunica, vui, 510.
6. QuetIcH zar Unir. Gcuchichtc, vi, 5fi9.
248
MARCHE DE L ARMKIÎ KKANCO-BOlUC.LJUNdNNE.
certaine; les sources bavaroises sont muettes sur ce point*.
On arriva ainsi n Vienne, où les fè(es recommencèrent.
L^opoUI IV, duc d'Anlricho, qui avait ôpousé la sœur de Jean,
tint â honneur ilo recevoir magnifiquement son beau-frère.
L'avan (-garde, sous les ordres du connétable de France, tit
son entrée dans h ville le jour de la Pentecôte ('^i mai 1396).
Jean de Nevor.s n'aiTiva qu'un mois plus tard, avec ic gros de
l'armée, à la Saint-Jeau (25 juin)*.
Le sire de Coucy et Henri de lîar, de leur côté, avaient
assez proinptement rempli leur mission en Italie, et s'é-
taient liâtes do quitter la Lombardie. Les expressions em-
ployées par le Reli«,Meux de Saint Denis : « legationeque
« peniela ad cnminiliiones alicis timgiiis ilineribus eonlen-
« derunt' » ont fait éc^irter, dans les travaux les plus ré-
cents, la route de Venise et de Dalmatie, et supposer que
la coloinm franeaise avait dû tVancbîr le Urenner pour se
joindre â Passau aux forces du comte de Nevers. Il u'eu fut
rien cependant; nous savons, de source certfiine, que Coucy
et Henri de Bar demandèrent à la république do Venise
(17 mai I39G) de leur accorder passage sur des vaisseaux
vénitiens jusqu'à Segna ', et que le 'J9 mai, en leur présence.
le sénat donna à leur demande une réponse favorable. Le
lendemain, 30 mai, une galêrt* était mise à leur ilisposilion
pour les conduire sur les côtes de Dalmatie. De là ils devaient
rejoindre par terre l'armée de Sigismond '.
Nous ne connaissons pas la diu'ée du séjour du comte de Ne-
vers â Vienne. Des îippruvisionnementj* pi»ur l'armée, farines,
fourrages et vins, furent, par onlro du prince, chargés sur une
flottille de soixante-dix vaisseaux qui descendit le Danube. Kn
mémo temps, un chevalier llamand» Gautier de Huppes'", qui
savait rallomand, était envoyé en avant-garde pom* faire les
1. Brauner. p. 23.
2. Annales MctticeMcs (Mon. Genn. script., ix, 51V): — Chrtmit/ue fie
/fflfftfM, appcndix (Pez, Script, rer. aush\, i, 1164). La plupart des
hibtoriens donnent à tort la date du 2% mai (Urauncr, p. 2'i ; — Kùhlor,
p. 10).
3. RHigieux de Saint Denis, n, p. ^j30.
i. Ville du Crualio, «iir l'Adriatique.
5. Urauner, p. 2i. — Asolibach il, p. 97), avait indique la routr dp
Venise. \. l'icce^ justificatives, u" vu.
6. Gautier de BaufTrcmoiit. aire de Vauvillars, de Ituppcs. etc.
CONCENTRATION A. BCUK.
249
logements ot prévenir k» n>i de Honprio de rarrivèo dos
croisés. Sigisrnoiid était à Bud(» quand il apprit la venue
prochaine de rarmée franco-bourguignonne ; ansait^H il s'a-
vança an devant du comte de Nevors, et lui fit « nKtuIt grant
€ révérence et à tous cculz du sanc royal, et aux autres
* barons, et tous récent à grant joye et honneur. ' »
[1 est assez difïicile de fixer l'époque à laquelle l'expédi-
tion atteignit Bude. Les témoignages sont contradictoires
sur ce point. Kroissart ' sembb' indiquer l«* mois t\o juin,
Juvénal des Ur»ins", celui de juillet ; nous nous rangeons â
cette dernière opinion, qui nous parait de beaucoup la plus
\raiseniblaMr. Il est dil'ticile. en effet, de supposer qu'une
ïirniéc considérable, encombrée île bagages, magnitiquement
accueillie â son passage pai* les princes dont elle ti-aversait
les ét;its, ait mis moins de trois mois à parcourir la distance
qui sépare Montbéliard de Bude *.
Bude était le rendez-vous général, le point de concen-
tratii>n des forces coalisées. C'est là ipie durent arriver, eu
même temps que le comte de Nevers. Cuucy et Henri de Tiar.
Le contingent anglais, dont nous ne savons que peu do chose".
les chevaliers HospiUiliers, probablenn-nt aussi U^s pidonai»,
se groupèrent là autour df Sigisuiund et de Taritiée hongroise.
Le grand-maître rie Uliode» n'avait quitté l'ile qu'au mois
d'atn'it- Il s'cndian|iia sur It^s gîilères de l'ordre, toucha â
Smyriie «'t. pmiajit terre vu Hurope, rejoignit le roi sans qu'il
soit possible de préciser son itinéraire *. Après quelques jours
de repos, la marche eu avant fut décidée.
B;ijazt*t avait V)>uhi la gut^rre ; sa conduit*^ envers les
ambassadeurs que Sigismond lui avait envoyés ne laissait
aucun doute à cet égard. Le roi de Hongrie ne s'y était pas
1. Livrt: ftrK fnitu, i, ch. X-XU» p. 5tK)-l; — Kùhicr, p. H.
2. Kroi&sart, éd. Kcnyn, xv» 243-'j.
U. Juvdnal des rritins, n, p. %08.
V Kiihler fp. 11) adopte la mi-juin; cette date ne concorde pas avoc
celle du 2'i juin donnée pour l'arrivée du comte de Novers k Vienne.
.5. Vuir plus haut, p. 'J'i^.
fi. [Josio, ItrIVUt. délia. S. reliff. di S. Gio. Gierot.^ l), p. 153. —
l'IiiliU'rt lie NaillBc était encore à Rho<le!* le 2 aDÙI 1;KM>; le 31 du
niAme moi», Pierre île (ulant, niarérhal de l'ordre, liffiipe danb un «rie
en qualité du lieutenani du ^'rand-niaitre. T'cr^t diinr entre rt'.s deux
date.s que se plfire h* liéparl de PlèiliU'rt do Naiilue (Vreh. de Malle.
lih. HhU. May , xi\ . f. t»! et 135 vj.
250 ^URCHE oe l'armke coalisée.
trompé, et avait pris los armes dès 1395, do noncert avec
Mircea, \oivode de Tnmsylvame, qui «Y'tail rapproché de,s
Hongrois, ci nvait fait alliance avec eux [1 mars 1305).
Sigisnioiid voulail protilor de léloignemont du sultan pour
surprendre l'emioiiii avant la conceiilratioii complète des
forces turques, et remporter, à la faveur de cetfe circons-
tance, un avanta;.'*' île quelque iinporianoe. LVHénement jus-
tifia ce plan ; ParnuV liongruise, rassemblée on Transylvanie.
envahit la Valacliie, repoussa vers le Danube les troupes olto-
manes auxquelles la j^arde du pays était confiée» et apn*s
avoir éprouvé une sérieiiae résistance, s'empara de Nicopolis
[Xico/jolis rninor '). Ces succès semblaient d'un bon augure
pour la campagne prochaine; la trahison de Mircea qui, dans
un défilé, tit tirer dos tlèches empoisonnées sur Sigismond
routraiit dans ses états, faillit tout compromettre: le roi
échappa miraculeusement au danger, ei regagna PesiJi pour
atl4»ndre les secours promis par la chrétienté'.
Le sultan, exaspéré de réche<' subi par ses armes, avait
oflficiellenient dérbuv la guen*e à Sigismond dès le mois de
février W.iiî, et annoncé sa venue en Hongrie pour le mois do
mai. Quand l'armée tU^s croisés arriva, on n'avait encore
aucune nouvelle de Rajazet et de ses projets ; les espions
hongi'ôis m*, signalaient sa présence tmlle part en Kurope.
Sigismond était d'avis d'attendre les Turcs en Hongrie;
une gueiTe défensive eût été favorable à une iirmée ct>m-
posée d'éléments aussi divers que ceux de l'arnuV coalisée ;
celle-ci. de la sorte, pouvait s'assurer l'avantage d'une
position inexpugnable, et ne courait pas risque do se
déhiinder par une marche en avant nu d'arriver éjuiisée à
l'ennemi. Ces sages raisons ne furent pas goùté(*s des cheva-
liers ; ils étaient venus pour frapper de grands coups d'éi)ée,
non pour attendre rennenii d;nix un camp ; si l'avis du roi
de Hongrii' prévalait, l'armén élait exposée à rester inactive
peiidant toute la saison. Un conseil de guerre fut tenu ;
Coucy se fit l'inlerprète des chevaliers français, allemands
el anglais, et la marche en avant fut résnlue '.
1. Sur la rive gauche du Danulte (AVcm Niko/tol^ Tiirnult).
2. Szalay, Gfsch. Vnt/nm'K, n, 353; — Fessier, Oesch. wm (/Hgarn,
II. 2»î2-:i; — AscbbaL-ii, i, tm-:.
'^■ KuidgùUofcn, darit Ue(,a'l, Oinni. tlvr l)ir$ascheH Stûdle, Strasz-
PLAN ET OIURCTIK DES CROISES.
Le but ^\^i la campagne était du chassor los Turcs (rKiiropp,
ot l'eiitlmusiasmo des <;roisés no doutait pa?^ ti'un facile suc-
cès. Ne 8eiub)ait-il pas quo Bajazi^t ivdouCàt d'opposer sou
armée à la leur? Etait-il téuiéraire d'espérer que IVxpédi-
tiou allait consolider le trône chancelant des Palêologues,
sauver les principautés danubiennes et la Honj^rie du péril
qui les menaçait? Les optimistes même, vo/aieut déjà l'Ar-
ch-ipel franchi, et Jérusalem délivrée du joug musulman. Pour
obtenir ce résultu, la ville du Nicopolis ' était le point stra-
têgi(iue le plus imporlanl, la base des opératious ultérieures ;
maîtres de cette ville, qu'il importait d'enlever avant l'ar-
rivée de Bajazet, les croisés attiraient dans leurs intérêts
le voivode de Valachte, dont l;i fidélité était dcaiieuse, et
le détachaient absolument de l'alliance turque ; enfin la
route d'Andrin(tple leur était ouverte, â condilion il'agir
nipidemenl et dn franchir les Halkaus avant tpie J'cnnenii
leur disputîU le passage.
Pour atteindre OrsovaetNicopulis, le pl;in prinutil'dii roi rie
Hungrie avîdt été dn traverser la Transjflvanie et d'arriver â
Orsova par la Valachie. Cotte route, si elle avait l'avantage
de forcer les Valaqnes â se joindre à roxpédîtion, avait Tin-
convéaient d'être plus longue que la route du Danube, et
il importait, en présence des dispositions chancelantes
des Serbes, de ne pas leur donner le temps de passer le
Timok et d\i|)érer leur junctinn avec les Turcs. En oulr<\
d'autres raisons rléiournèrent Sigismond de prendre la
route de Transylvanie ; il apprit que le roi de Pologne,
malgré le ti'aité conclu avec les Honjiri^is, nouait de nouvelles
intrigues avi*<; Mircea, voivode de Valachie» et avec le (ils île
ce dernier; dans ces conditions, au milieu des défilés des
Carpalhes, la marchf^ des croisés (»nt pu être facilement
relardée, au grand détriment de l'expéditioii *. L'armée coa-
lisée descendit donc le cours itn Danube jusqu'à Orsova \
Le passage du Danube eut lieu en amont d'( Irsova, au-des-
burg, II. p. H54; — froissart, <>d. Kervyn, \\\ 2-t'l-i;
faits, I, ch. xxir, p. Tt*JO-{ ; — Hrauner^ p. 26.
1. Xiropitlig mnjoi'j kup la rive droite du Danube.
Livre des
252
MARCHE DE I. AR-MEE COAUSEE.
SOUS des Portes de fer. Il fallut huit jours pour mener à bien
cette opération que l'onnemi n'inquiéta pas ; elle se fit sans
ordre etsaus discipline, comme la niarche qui l'avait pr<*cédêe.
Les chroniqueurs nous ont laissé un tableau très sombre de
la conduite des croisés. En Serbie, tout fut pillé et dévasté à
leur passage, et les dispositions des populations, déjà peu
favorables aux Hongrois, n'en devinrent que plus hostiles.
D'un autre ccHé, l'arrogante léffêreté des Français et leur
orgueilleuse présomption indisposaient les habitants, irritiiient
les croisés des autres natiuLs, et faisaient naître de continuels
conflits. Pendant la marche, pendant les campements, pas
d'éclaireurs, pas d'avant-postes, pas do sentinelles. Un mépris
profond de l'ennemi faisait négliger toutes ces précautions
essentielles '.
Le Danube franchi, Orsova, si Ton eu croit les témoignages
liiingi'ois, fut facilement enlevée, et ce fait d'armes inaugura
la campagne. Il st-mblc qu'il y ait là une confusion qu'il im-
t>orte de rectifier. Les sources françaises sont muettes sur la
prise de cette ville, et rhistorieu hejiigrois Thwrocz, qui a
t'tuprunté cette assertion a un dncument diplomatique, a fait
iitie interversion dans l'ordre dans h^quel deux villes étaient
iioniniëe.s dans ce docuuienC. Il eu résulte que Widdiri devient
la première place forte rencontrée par les Chrétiens, et
qu'Orgko {Orc/iow ou Orechovo*)^ la seconde forteresse qu'ils
trouvèrent sur leur chemin, ne doit plus élro idcntitiée avec
Orsova, mais avec Kac<» [Hnchowa^].
.Vrrivée sous les nmrs de Widdin, l'ai'mée chivtienne se
préparait à assaillir la ville, lorsque la garnison, sous le com-
mandement du pj'iuce bulgare, Sracimir, fit sa soumission.
On passa au til de l'épée les quelques Turcs qui défendaical
la cité, et ou y laissa une garnison de trois cents hommes ^
C'est là que le comte de Nevers et trois cents de ses corn-
1. K. Kiss, p. 280.
2. Kejer, CW. dipl. IIhhq.^ ix, 4, p. 56.
;i. Kohlnr, p. Il, MotP 5. — Uraunor (p. 27) et K. Kiss (p. 279) citent
Ortuiva comme la première ville pri«e par les croisés. Jipccek [Gfseh»
fier /iitlf/nrent p. X5n) rectifie lurdre dant» lequel l'année de» croisitf
be présenta devant Widdin et Orgko.
'i. l'ejcr, X, 2,p. 420. —ï.c A*tTcrfM/7ri/jt(r,cli.xxn, p.59l) l'appelle
lituidin*. Sans donner le nom du couunandant dn la place, il dit qu'il
ét^iit l'iirétien grec et avait été ])ar force soumis A la dumination turque.
PRISK DE RACIIOWA.
25.S
gagnons furent armés chpvaliors . Cette circonstance corrobore
ce que nous avons avancé plus haut, en prouvant que Widdin
fut la promi*^re ville forte qui arn^ta les croisés. C'est, en
effet, au moment où l'armée allait, pour la première fois, abor-
der l'ennemi, qu'il était naturt^l, selon les usages de la che-
valerie, de créer les nouveaux chevaliers '.
L'expédition, en continuant sa marehe le long du Danube,
reuritnira la promièrt» résistance sérieuse devaiil Hîichowa.
La ville était défendue par une double ligne de murailles
flanquées de tours, et par une forte garnison, prête à se dé-
fendre courageusement. Les chevaliers frau*;ais. avides de se
distinguer au premier rang, et jaloux d'avoir seuls l'honneur
de In première affaire, au nombre de cinq cents — parmi les-
quels les plus grands s^-igneurs; Philippe de 1?ar. lec<uiitede
la Marche. Coucy, le connétable d'Ku et le maréchal Bouci-
raut, — se hâtent, par une marche de nuit, de devancer le gros
de l'armée. Au matin, ils arrivent sous les murs ; les Turcs
sortent de la place pour détruire un pont, jeté sur les fossés
et dont la rupture ei'il teuu les assaillants à distance des rem-
paris ; une bataille acharnée s'engage sur ce point et, après une
lutte assez longue, la possession du pont re3t<» aux croisés
et au maréchal Boucicaut; les Turcs sont rejetés dans la
ville par le connétible. Mais, à cause de leur petit nonibn*. les
Chrétiens ne peuvent que maintenir leurs positions. Sigis-
moiid, informé de ce qui se passe, leur envoie des renforts et
ordonne l'assaut. L'orgueil di>s Français s'indigne de l'aide
que les Hongrois leur offrent. Boucicaut exhorte ses compa-
gnons : « Certes, dist-il, grant bonle nous seroU se autres gens
« passoieut ce pont devant nous qui l'avons eu eu garde. Or
« sus tost, mes très chers conipaignons et amis, faisons tant
« en ceste besongne que il soit renom de nous' ». Au milieu
d'une mêlée furieuse, Boucicaut s'elauce au premier rang;
son étendard , porté par Hugues de Chevenon, est arraché
par l'ennemi ; Hugues lui-même est culbuté, avec l'échelle à
laquelle il monte, au fond du fossé. L'assaut devient géné-
En 13% le cwr Sracimir fut pris par [tajazet et son fila se réfugia
en Hongrie (Fejer, .\, 2, p. 418). — SchîUberger léd. de Munich, IBSy»
p. 5t) dunne à Widdiii son ancien num Pmiem.
1, l.ivn de* failxj i, cli. xxu, p. 5â0-l; — Kroisaart, éd. Ker^yn,
\\\ 248.
a. livre des fait tf i, ch. xxm, p. 59i-2,
ral ; tonte Tarmée y prend part, sans parvenir, malgré des
prodiges do valeur, à enlever la place. La nuit met fin à la
lutte ; le lendemain, au moment où les croisés se préparent
:'i un nouvel assaut, les chrétiens grecs de la ville se rendent
au roi île Uongrie. à condition que lenrs vies et leurs biens
seront respectés. Boucicaut. chargé de faire exécuter la con-
vention, entre dans Racliowa et livre à Sigismond tous les
Turcs qui s'y trouvaient'.
Le Religieux de Saint Denis, en racontant ces faits, affirme
que les propositions des hahitanis furent repmissées et que
la ville, prise par les tToisés, fut livrée au pillage et au raïis-
sacre, sans distinction d'Age et de sexe. Mille des plus no-
tables habitants fuivnt seuls épargnés à condition de payer
rançon. Tette assertion semble exagérée; il est vrai qu'un
massacre eut lieu, mais il ne porta que sur les Turcs, et ia
responsabilité doit en retoiidjer sur Sigismond, auquel le
maréchal les livra*.
Cette première affaire avait déjà fait éclater l'antagonisme
qui régnait entre les chevaliers fran<jais et l'armée hongroise;
les premiers avaient failli, dés le début, compromettre, par
leur eiilrepivriante témérité, le succès de l'expédition ; à
Rachowa, si Sigismond n'était venu les tirer d'une position
critique, on ne sait quelles conséquences eût pu avoir leur
imprudent*^ conduite. En présence de symptùnies d'une pa-
reille gravité, le roi de Hongrie était en droit de concevoir
pour la suite de la campagne les ci*aintes les plus justifiées.
Le récit du débu( des opérations militaires dans Froissart
diffère absolunu'nt de celui des autres chroniqueurs. La pre-
mière cité tunpïe, dit-il. que l'armée renconti'a s'appelait la
Cornette; elle étiût en pays plat, sur le bord de la Mele^;
après avoir été assiégée, elle fut prise d'assaut et ses habi-
1. Lt'tire des faits, i, ch. xxm» p. 591-3; — Juvénal des Ursins, n,
'iU8; — Schiltberjïer, p. 52. — La ville, appelée par les chroniqueurs
Hftco, Jiirho. est aujourd'hui Hacliowa.
2. liefiffieur de Saint-Denis (II. p. 'i52}. dont le témoi|ïnage est très
suspect pour tout ce qui ronrerne l'expi^dition de Jean de Nevers. —
Ko Lifre des faits, bleu qu'ayant un caractère ap'tlo^liqne h l'égard
du maréchal, est des plus digups de foi dar>8 s<in ensemble; Schilt-
herfçer confirme dans sps poiiil.s principaux le récit du Lit^re det
faits. — K. KîBs met sur le compte de Sl^smond le massacre. Voir
contre cette opinion Brauner (p. 28) et Kohier (p. 12).
'J. .M. Kervyn de Letlenliove identifie la Mêle avec le Timoi. fleuve
CAMPAONE DES CR01SK8 RN Bl'LOARIK. JiM
lants passés au fil de l^épéf. Do U les croisés arriveront
tlevanl la Quarie' qui tint fjuinzi? jours, ««t fui pillée par eux,
puis devant le château fort de Krehappe*. défendu par un
Ture du nom de Corbadas; au bout de quatre jours la ville
était au pouvoir dos Chrètitnis, niais le château tenait encore;
après -sejit jours d'efforts iautilos, rarniêe lova le siège et
marcha sur Nicopoiis\ 11 est difficile d'imaginer un récit
plus complètenieiit difféi-ent île celui dfs autres sources.
Aucun des noms de ville n'approche de ceux que nous con-
naissons; les faits de guerre eux-mêmes n'ont aucune ana-
logie avec ceux qni nous sont racontés ailleurs. En outn\ le
récit de Froissart contit^ut des passages certainement roma-
nesques et sans fondement historique; telle est. par exemple,
après la levée du siège He Brehappe. l'histoire des trois fils
du Turc Corbadas, Maladius, Hahcliius et Uutliii, auxquels
Corbadas assigue des missions qui doivent sauver leur patrie,
missions dont ils s'acquittent avec une précision méthodique,
malgré les dangers qui les erivironiieut*.
Il semble diuic qu'en ce qui touche la marche des coalisés
l'autorité de Froissart soit de peu île poids; pour admettre
son récit il faudrait supposer, — supposition loutr graluit4\
— qu'il a précisément raconté la prise des « cimi ou six
villes fermé<^s » sur lesquelles les antres sources sont mm^ttes,
et quelles n'indiquent que par l'expression générique de châ-
teaux*.
Rachowa prise, Sigisuniod y laissa uni» gai*uison de deux
cents hommc^s, et l'arniéo contiima sa marche. Elle arriva le
I? septembre' devant Nicopoiis, ville forte située sur la rive
qai se jeUo dans le l'anube au-dessus de Widdin, et non dans la mer,
comme le dit Froissai-t. La Cornette devient alors no-du-Timok, petite
Yille non loin de rembouchure du Timok ;Fri3is8art, éd. Kervyn, \\\\
2M et 3311 Ces identifications, comme celles de la Quairie et do ïlrc-
bappe, pmposéi's jiar lom^ine auteur, ne nous semblent pas offrir assez
de r.f^rtitude pour Hvr admises.
t. Artarrt, Imurg au sud-ouest de Widdin, aur la roule qui conduit
de cette ville à Helgniltschi (Froissart, éd. Kervyn, xxtv, 387»,
2. BflffrnUMrhi. tmnrg a dix lieuRs* au sud>est de Widdin, aur la
roule de celte ville à Ni«sa (Froissart, éd. Kervyn, XXIV, 80).
3. Froissart, éd. Kervyn. \v, 24(;-9.
4. Froissart, éd. Kervyn, xv, 249-5:1.
6. Froissart, éd. Kervyn, xv, 251; — Thwrocx, dans Schwandtnnr,
Script, ter. //unff., i. 221-2.
ti. Kl non le 15, comme dit K. Kiss tp. 2HÛ|.
droite du Danube, dans une position stratégiquo très Impor-
taute, parce qïiVIlp commandait !a vallée de l'Aluta, M.
donnait ainsi aux Turcs ia clef de la Valachie; aussi le
sultan l'avait-il pourvue d'une forte garnison, oWnssant à un
hommr» énergique, vétéran des champs de bataille, Dogan
Uey, dont. l'Age ne paralysait ni l'activité ni le courage,
La place, en bon état Ht' dêfi^nse. bien approvisionnée de
vivres et d'armes, était résolue à se défi*ndre jusqu'à la
mort.
L'armée coalisée manquait de matériel de siège, mais les
Français, qui avaient réclamé le |iri'mier poste de combat,
n'en étaient pas inquiets. Des échelles, disail le maréchal,
sont vite faites, et aux mains d'Iiotiimes courageux ellen
valent toutes les machines de guerre. Il n'en fut pas ainsi
cep<iiidant; les atliuiues de vivo fnrce échouéreul, et il fallut
s<» résigner à chang^T le siège en blocus, et à attendre de lu
faim le résultat que l'assaut n'avait pu donner. Une ligne de
n-traiichottieuts fut creusée jusqu'aux murailles'; du C(Hé de
la terre, les Kraiigais s'étendaient en demi-cercle autour d«* la
place, leurs ailes appuyées au fleuve; sur le Danube, la flottille
coupa les communications des assiégés avec la Valachie; les
Hongrois, lea Allemands et le reste des coalisés s'établirent
dans un camp spécial, an bord du Danube, en aval de la
ville; les approvisionnements des assiégeants se faisaient par
U' tleuve.
Pendant quinze jours les U'oupes chrétiennes restèrent sous
Nîcopolis, occupées à investir la ville; les chevaliers, dans
rinaetiou forcée que leur imposait le blocus, retournèrent k
leurs délassements ordinaires. Festins, Jeux, débauches, fêtes
de toutes natm-es se succédèrent sans interruption, au détri-
ment de la discipline que les exemples venus de haut rui-
nèrent jusque dans les derniers rangs de l'armée. Aucune des
précautions nécessaires pour garder le camp n'était prise;
les espions ne s'acquittaient pas de leur mission, le sen'ioe
d'éclnireiu's était nul; les habitants, excédés de la pi*ésence
I. • Le roy do llonguerie, . . tantost fist coramencier n belles mines
< ]>ar dessoul)z terre, lesquelles furent faites et menée» jusque» à la
• muraille de la ville, Kt furent si larges que m hommes d'armer
• pouvoient combatre tout d'un front {Livre det faits, i, cli. xxiv,
p. 593).
HECONNATSSAXCE DU SIRE DF. COrCY- 257
des gens de gmnre, ne se souciaient pas de les informer des
mouvements de l'ennemi, et Tannée vivait dans une insou-
ciante sécurité V
Froissnrt parle, pendant ce siège, d une reconnaissance
faite par le sire do Coiicy â la tête de cinq cents lances mon-
ti^es. Celui-ci était accompagrné de Renautde Uoye', de Sempy™,
du châtelain lie Beaiiv-iis*. du seigneur de Montcavrer et de
quelques autres ohrvaliers. I/ennemi en force, au nombre de
vingt mille hfuumt's, gardait un défilé; Coticy, prévenu par
ses êclaireurs, détache cent lances qu'il envoie en avant,
masque le reste de ses ti-oupes demère un bois, et, tandis
que son avant-gardo attaqu4' 1rs Turcs et les attire par une
feinte retraite dans la plaine, il les pnmd à revers et en fait
un massacre considérable. Ce fait d'amies, ajouto le chro-
niqueur, en excitant l'envie do ceux qui n'y avaient pas pris
part, déchaîna contre Coucj bien des colères, et la haine de
ceux qui |p jalousaient, parmi lesquels lo connétable, ne fit
que s'en accroître*.
Froissart est le seul historien qui raconte cet épisode, dont
il rapporte tout Thrumonr au siro de Coucy. son héros. Il est
vrai qu'une part'ille chevauchée n'avait en soi rien d'anormal,
que le blocus laissait sans emploi une partie de l'armée, et
(|u'uuc' ïvconnaissance harditiient poussée pouvait éclairer les
chefs do rpxiKHiition sur la présence do l'ennemi dont ils
n'avaient auc\me nouvelle. Malgré cela, le récit de Froissart
1. Livre de» faits, i, ch. xxiv, p. 593; — Juvénal des Ursimt, n,
p. 40H; — fieligienjc de Saint-Denix, ii, 494-6; — Schiltberger, p. 52;
— Hrauii«r, p. 29-31 ; — K.ihlor. p. 12-3; — K. Kiss, p. 28i-2,
2. Voir plus haut. p. 2U5.
U. Voir plus liaut, p. T,ib.
4. Quelques raanusciits de Froissart portent: Beauvoir. 11 s'agit
probablement de Jean des Bordes, châtolairi de Q«auvais à cause de
Ka femme Jarqueline le Châtelain de Beauvaîs (Froissart, éd. Kervyn,
xxni, 7â).
5. Quelques manuscrits [lortent : le Borgne dr Monlquet. Il s'agirait
alors de Guillaume de Montquel, dit le Borgne, tué à la bataille de
Niropfilis. — Le sire de Moulcavrel {Pas do t'alais, près de Montreuili
était un vaillant l'hevalier artésien. Il s'était di&tingué et avait été fait
prisonnier à l'exp^dilion de Gueidre (ISSK), avait combattu à la joute
qui eut lieu entre les «ires de Tlary et de Cou rtenay (13891. Il prit part
il la croisade de Jean de Xevers, ainsi que sou jeune fils, et échappa
an massacre de Nicopolis (Froi8.*iart, éd. Korvyn, xxri. 220 et 232),
6. FroisMUrt, éd. Kervjn, xv, 2ftV8.
17
âÔ8
SIKGR DK NICOPOUS.
ne doit être accueilli qu'avec une extrême réserve; il est trop
visiblement destint> â raetlre on relief le rôle joué par Coucy.
pour n'être pas au moins empreint de partialité à l'endroit
de ce personnage, et les détails que le chroniqueur a donnés
sur la marche de l'expédition n'ont pas, jusqu'à présent,
revêtu un tel caractère d'exactitude qun ce nouveau récit
puisse êti*e accepté sans contrôle*.
Pendant que Tarmèe chrétienne, trompée par les rapports
do ses émissaires, croyait encore Bajazet en Asie, et s'en-
dormait dons une dangereuse sécurité, celui-ci apprenait la
marche en avant des croisés et se hAtait de rassembler ses
troupes pour s'y opposer.
Ce furent, selon Froissart. les commonicatious de Jean
Galéas Visconti. mécontent d'avoir vu traverser par les
Français ses projets contre Géiu's, qui instruisirent Bajazct
des mouvements de reunerai; un autre chroniqueur attribue
ce résultat â une lettre interceptée de l'empereur Manuel'.
Sans prêter entièrement foi à rot.te accusation contre Galéas,
il est néanmoins certain que le duc de Milan entretenait
aveu les Turcs des rapports amicaux, et il n'est pas impos-
sible qu'il les ait informés de l'expédition des Chrétiens. Au
reste, leur marche ne fut pas tellement rapide (|ue Baj.'ixet
n'ait pu en être insti'uit par les moyens ordinaires.
Il est assez ililiicile de savoir où se trouvait Uajazet (juand
la nouvelle «le l'entrée fie Sigismond en Bulgarie lui par-
vint. Au dire de Froissart, il était au Caire auprès du ca-
liphe d'Egypte, et c'est là que le rejoignit le frère de Cor-
badas, porteur de cette nouvelle; suivajit il'autres. et ceci
est plus vraisemblable, il était en Asie Mineure, sur le point
de passer en Europe avec son armée. Les Dardanelles
franchies, il vint investir Constantinople, mais la marche
en avant des croisés changea ses dispositions. Il leva Je
siège, brûla ses machines de guerre et se hâta de marcher
au secours de Nicopolis*.
1. Froissart, éd. Kervyn, xv, 264-8.
2. l'roissart, éd. Kervyn, xv, 2.52-4, et d'après lui le serviteur de
Guy de Dlois (xv, 465) et Adrien de nut(xv, 413); —Saad-el-Dln, dans
Vincenzo Braïutti, Chron. delVoriij. i, 183.
3. Froissart, M. Kervyn, xv, 251; — NiBlielwil, dans Froissart, éd.
Buchon, lUi 264-5; — Saad-el-l>in, tlaits Vineenxn Kratttiti, I, 183.
COCNKNTUATION ET MARCHE DKS Tt'RCS.
Le point de concenti'ation de l'armêo turque ôtait Philip-
popoli. C'est là que les troupes otit^manes, venues d'Asie et
d'Europe, aussi bien que celles que Bajazet amenait avec
lui deConsUntinople, se réunirent. Quel quefAt leurnombre,
et il êUit considérable, comme nous rétablirons plus bas,
il faut, ici encore, nous tenir eu garde conti'e les exagé-
rations de Froissart; si^ dans une certaine mesure, des
contingents persans grossirent les rangs de cette année, on
ne saurait admettre que la Lithuanie et les marches de
Prusse envoyèrent des secours au sultan'.
De Philippopoli deux routes conduisaient A Nicopolis par
les Balk:ins, celles de la puite de Trajau et de Tatarba-
zardszick; elles descemlaient aux vallées de l'Osma et de la
Jantra, affluents du Danube. 0'e<t en arrivant dans \n vallée
de rOsma que Bajazet (il sa jonctirju avec les Serbes de
Lazarevich; ceux-ci avaient déjà pénétré jusqu'à la Jantra;
ils se dirigèrent sur Lantcza, tandis (|ue Bajazet. avec ses
janissaires, prenait Tirnovo comme tibjeotif.
Les Chrétiens étaient tellement persuadés que les Turc»
n'oseraient pas Ips attaquer, qu'ils traitaient de chimère
l'ann'tnce do li*iir approdic ; par (►rdn" du maréchal Bimci-
caut, les porteurs de pareilles nouvelles, accusés de chercher
:'( ilémoraliser les soldats, étaient battus et maltraités; quel-
ques-uns même, pour avoir semé des bruits alarmants dans
le camp, eurent les oreilles coupées'.
Il n'était que trop vrai, cependant, que Bajiuet approchait;
Sigisnirjnd. informé des mouveuients des Turcs, se décide
à envoyer en reconnaissance vers Tirno\o le ban Jean de
Mamth'. avec un fort dét!w;hemenl hongrois de cinq mille
t. Froissart, éd. Kpfvyn, xv, 2M, ol Annale* Mrtîiolanenwtt iMiira-
lori, XVI, 82fi).
2. Itfiiiffiear de Saint Drnii, H, 500.
3. Il ('■lait ban «Ir Marhov ihanug Maehovienxii)^ r'esl-à-rliro goti-
vernrur militaire du Imnat silnr sur la rivp tlruiie du Danube, vers
lU»l;»rinl«, iluiis la partin •M^ptontriuiiaU; il« la Sorbio. >ous le voyons
liguror en ftîtlo i|ualjli- laulût seul, laiitùt av<>c Pierre df; Poron et
Kraurois Iïel)ok. dans (les actes de.«i annt'-es 13^7, lavs, 1390, fiOl et 1409.
C'était nn dos serviteuiN les plus d('*vûut'*s de Si>;ismund ; sa tîdiMité fut
rôcomperLiV-e par do iiumbreux bionfailh do i*fllui-ci. et par dos oonoe»-
slonsspéoialt'» que lui accorda le .Sûint-Siùgo. Il vivait encore en 1437
(Fejer, Cod. dipl. Jiung., X, 2, p. 432, 452. 454; X, 3, p. 151,210; X,
3, p. 63, 707; x, 7. p. 877).
hommes environ; celui-ci n'a pas de peine à reconnaître
l'ennemi et revient avec la certitude que le sultan est à six
ïuilles de Nicopoiis, à la tète d'une armée formidable, et
(ju'il n'j a pas de temps à perdre pour éviter une surprise*.
D'autres historiens ont div(^rsement rapporté refait. Schilt-
berger, par exemple, généralement fort exact dans se«
descriptions, attribue la reconnaissance à Mircea, voivode
de Valachie, avec mille hommes; quant à Kr«ûssîU't, peut-
être faut-il voir dans l'épisode dont il rapportt^ tout l'honneur
au sire de Coucy, et que nous avons raconté plus haut, le
récit de cette reconnaissance: en tous cas, on ne doit ici tenir
aucun compte d'un lémoiguage, ordiiiairemeni fort inexact'.
Il ne semble donc pas, comme l'ont dit plusieurs chroni-
queurs, que les croisés aient été surpris. Les récits contem-
porains présentent, il est vrai, des contradictions qui ne sont
pas toujours faciles û expliquer; nous tâcherons cependant
de faire concurder, autant que possible, leurs témoignages.
Dès que le roi de Hongrie connut bt jirésence de l'eunemi.
il dépécha un émissaire vers le camp. L'armée était entrain
de diner; aussitôt, au milieu de la confusion générale.
chacun court aux armes « qui mieulx mieulx >. Les tnbles
sont renversées, les chevaliers < [v vin en teste * sautent
à cheval avec plus d'enthousiasme que de discipline, se
groupent autour rie leurs chefs, et rejoignent à la hAte Sigis-
juoud. sous les yeux et au milieu des plaisanteries des as-
siégés qui assistent, du liant des remparts, à cette tumultueuse
prise d'armes. \h sont si impatients de combattre qu'il»
veulent marcher sans retard à l'ennemi, et r^ue les sages avis
de leurs chefs ont peine à arrêter leur élan ',
1. In diplôme de Si^^israond pour Jean de Maroth (t'iï2l rapjtarte
ce fait : c^wlnim Xicojx)lïs obsfldisset. pnie<iii;to Uayazith irape-
c ratare, eu lempciro in Tliroiiu (Tirnovo) ciim validisjiima sua puteiitia
■ Turcuruiu existente; ttinr ideiu Joannes, baiius, de noetro mandalo
■ ad explurandam patenliam ipsiiis Bayftzith pruperando ft ad
« nosiram ceUitudinem redeundo, de potentia ipsius Bayazith nostram
a ceUitudinein certis&ime inrormavit > iKatoiia, liUtoria critica Heffittn
ffungarite (t":9-l8i:t, iv, 42>). — Le Hfligieux de Saint Denis (n, 502)
et Juvénal des l'rsins (n, p. 409) se trompent en disant (pie cettn
mission fut dMiliée au Palatin de Hongrie (maf/ntut came»).
2. Schiitberger, p. 52; — Kpoissart, éd. Kervjn, xv, 264-8.
3. Livre des faits^ i, cli. xxiv, p. 593 ; — Froissart. éd. Kervyn, xy,
212; — Chron. anonyme turque dans Froissart, éd. Uiiohon, m, 265.
C*est ainsi, cruyniis-nous. r|ue *loit s'explitiuer la coiifusicm
dont la trace nuus est parvenue dans la plupart des récits
contemporains: la nouvelle de l'approche des Turcs, et du
tumulte qui s'ensuivit, doit éti^e reportée à la veillo d(^ la
iiataille (24 septenibrf)'. C'est à ce inoiufut aussi que ae
place le massacre de tous les prisonniers précédemment
faits par les Chrétiens. Ces prisonnioi's, au nombre d'un
millier, avaient été éparjjnés au sac de Rarhowa dans
l'fspoir qu'on obtiendrait d'eux, une riche rançon; un pareil
acte d'iuhumauité. surttmt de la pîU't d'iuinimê-; ayant pris la
croix pour délivrer rK^^li-ir <)]>primén par les infidèles, ne
s'explique que par un instant d'afl'olonicnt. (juan<l Tennenii
fut signalé, ou par l'cuibarras de lu'arder des piisojuiÏL'rs pen-
dant le combat. Eu outre, pondant la l)ataille. le leiulemain,
Uïius ne voyons |)as li* nionimt où ce niassacri' aurait pu ntro
exécuté. Quand le sanf^-froid fut revfiiu, la chevalerie fran-
çaise eut horreur de sa propre conduite; elle chercha non â
la justifier, mais à en att.i^nupr l'odieux, et cette prèoccu-
palinn, toute à l'honneur des coupables, se fait joiu* dans la
plupai't de» récits contemporains*.
Quant au conseil île guerre, tenu par Sigisniond et par
les principaux chefs de la croisade, il eut également lieu ce
même jour, dans la soirée. Le roi di' Hongrie proposa de
former l'avant-garde de l'année avec les Vainques com-
mandés par Mircea: c'étaient des troupes légéi*es, connais-
sant bien le pays et très aptes à combattre les Turcs. En
outre, Sigisniond avait rnainles fois é|irouvé le jieu de con-
fianc(^ qu'on devail avoir en Mircea; misa lavant-garde, le
voivode pouvait moins facilement faire défection au moment
du danger. Placées en secoml rang, les forces hongroise»,
dont ta soliililé n'était pas beaucoup plus cortiine que colle
1. Voir phiK bas, p. 270, sur quelle» mi^ns nous nous sommes
iKpptiyé pour fixor au 35 Beptetn))re la date de la bataille.
2. t'n pareil cai>. malgré leH niieur» de l'époque, n'était pas dé-
fendable. Ce n'est paseiiinvo(|iiaiit le droit de tuer des mécréants comme
tien rhiens eiiraftrs, ou en prMeiidayt que le» captifs n'^iisseiit pas
été eri nn'sure de p;iyor rariroii. ou bien on pri>rlamnnt qu'à l.t ^ruerro
il ent tocijnurs Ituti lU* (Hininupr le nombre doK ennomiK, (ju'nti ;u-le do
barbarie snuvîme |)Ouvait t^tre excusé. {Helii/ieits tir Saint heitt'n, il, 500;
— Juv<!-ual des lr>ins, u, p. 'lOU; — Chrun. anonyme lunjuc dan»
KroiNkai-t, éd. Buclion, m, 265.)
REJIST DL" PLAN DE BATAILLE DK SIOISMOXD.
des Valaques. èliiîeiit mises dans rimpossibilitô de reculer,
et devaient faire de nécessité vertu. La première ligne de
€ la bataille » proprement dite était l'êservée aux Français,
qui se trouvaient .ainsi opposés au corps des janissaires,
adversaires dignes de leui* vaillance. Kn secomle ligne, les
troupes hongroises, allemandes et bosnia(|ues, et celles dos
autres uations. rlevaient soutenir ratia(iue des Français, les
couvrir en cas de retraite, et résister aux partis de spahis
qui, pendant le combat, sebm la tactique tur(|ue, ne ces-
saient de harceler le liane de l'adversaire.
Les chevaliers français, et en particulier le connétable,
n'acceptèrent pas le plan de Sio;ismoiid. Leur orgueilleuse
présomption, qui, depuis le jour où l'ordre de marche avait
été réglé à Bude, n'avait manqué aucune occasion de se ma-
nifester, reparut ici plus arrogante que januiis. Un conné-
table de Frauce. ilirent-ils, ne peut avoir d'autre poste de
combat que le premier rang; lui eu assigner un autre, c'est
vouloir lui faire une mortelle injure; la noblesse française
ne peut marcher qu'à l'avant-gardi»; le roi de Hongrie, en
la reléguant en seconde ligne, veut avoir pour lui * ta fletn-
« et l'honneur de la jnurnée ». En vain les chevaliers d'une
expérience consommée, les Coucy et les Uoucicaut, se ran-
gent-ils à l'avis de Si^smond. Ils sont t:ixés de poltnmnerie
par les plus fougueux, et <iuy de la Trémoille, inteiiirèle
do leurs sentiinenls, s'attire du vieux sire de Coucy la ri*-
ponse qu*il mérilait. < A la besogne, lui tlit-il, je montrerai
< que je n'ai pas peur et mettrai la queue de mon cheval où
< vous n'osere2 mettre le juuseau du vôtre ». Le connétîible,
mécontent de n'avoir pas été consulté le premier, se pro-
nonce dans le sens opposé, et n'a pas tie peine à rallier à
son opinion la jeunesse qui l'i'ntoure. « Là oi'i vérité et
< raison ne pevent estre oy>. il convient que oullre-cuidance
« règne », s'écrie IVniiiral Jean de Vienne. Mais ces sages
pai'oles ne convainquent persoime; les Fi'ançais, nu mépris
de la prudenre et de l'expérience, veulent être les premiers
à attaquer Bajazet, et Sigismond, malgi*é ses instances ré-i
pétées, est forcé de céder'.
1. Froiasart, éd. Kervyn, xv, 314; — Schlltbepficp, p. 52-:i; — Ju^
vénal dci Ursins, ii, p. WJ ; — lidigieux de Saint-Denis, n, p. iOO,
CHAPITRE IV.
ETAT ET FORCE DES DEUX ARMEES.
$igismund avait réuiii toutes les forces de son royaume
pour lutter contre les Turcs ; mais son année, bien que nurué-
riqueiueiït cousidôrablo, n'était pas homogène, et les éléments
dont elle so comp<»sait n'offraient pas assez de solidité pour
soutenir une guerre contre les Ottomans. La cause de cette
infériorité .s'expli((uo facilement. Au système militaire des rois
de Hongrie de la maison d'Arpad f9î)7-l30l), exclusivement
fondé sur les places fortes, avait succédé, sous les souverains de
la dynastie arigevine, un nouveausystème, auquel les Hougrois,
surtout sous le règne de Louis t (I3i2-82} avaient dû une
puissance militaire de premier ordre. Il reposait sur le déve-
loppement de» divisons 'hnnderinm), nom donné à des corps
de troupes levés et 8oIdé<5 par le roi aux frais du trésor, et
par la haute noblesse militaire et ecclésiastique au moyen du
prodnit dos dîmes et des gabelles. Chacune de ces divisions
coraprenail cinq cents cavaliers, et était entretenue par les
grands feudulaires du royauuic en proportion de leurs biens
et de leur rang. A c»ité de cette force militaire, la petite no-
blesse, qui ne pouvait fonrnir que le service individuel de cha-
cun de ses membres ou de deux ou trois vassaux, était enr*)lée,
par cnintè, dans des corps de troupes de pied. Cette organi-
sation, toute oligarchique, sitivit le sort de raristocratie hon-
groise, et déclina lorsque celle-ci s'épuisa pur des prises
d'armes continuelles contre les Turcs, aussi dispendieuses
qu'inutiles, faites dans le but de consolider le pouvoir royal,
(juoiquê ce dernier se fût fortifié par la ruine de la noblesse,
il ue put pas, au premier moment, remédier à Taffai-
blissement des furecs militaires. Déjà, sous Sigismond. le
syst<Mne des divisions était condamné ; l'obligation du sei"-
vicô féodal ne s'étendait pas au delà des frontières du
royaume, et les seigneurs, épuisés, refusaient au roi leur
concours hors des limites de leurs fiefs. 11 fallut alors
J
2ftl
KTAT KT KORCK UES IJELX AK.MEKS.
recourir â d'autres éléments pour donner au royaume la force
militaire dont il avait besoin. Onles trouva dans une milice (wwYi-
ciaportalttt^) qui. à l'origine, était uue troupe auxiliaire, équipée
aux frais des paysans, conduite par la noblesse, et dont le recru-
tement reposait sur le nombre de vassaux do chaque seigneur,
Kn 1390. aucun des deux systèmes n'ét'iit en vigueur; Tar-
méu huugroise traversait une époque de transition, et elle
était assez désorganisée pour que Sigismond fût obligé de
iv?courir aux services de merceuaires, levés aux frais de la
couronne, oircoustance peu faite pour cousulider la force
d'une armée déjà composée d'éléments hétérogènes '.
Il est assez difficile, en présence des chiffres conlradic-
toires fournis par les chroniqueurs, d'évaluer lo nombre de»
troupes hongroises. Kruissart parle de soixante mille hommes",
le Religieux de Saint-Denis de quarante mille. Kaut-il. dans
ceschifl'res, comprendre les Valaques qui, souîs Ui conduite du
voi\odeMircea, firent campagne aux côtés de Sigismond? Cela
parait probable. Dans quelle proportion, en outre, cavalerie
et infauterie figuraient-elles ilans l'armée hongroise ? Si nous
eu croyons le Religieux de Saint-Denis, les gens de pied
étaient en grande majorité, et Sigismond avait maintes foU
proposé de les mettre en première ligne. Nous avons vu. d'autre
part, que si le roi avait sous ses ordres d(w troupes soldées et
des milices nationales, la cavalerie fonuait en Hongrie la
principale force de l'ai'mée, et nous savons que Mathias Corvin
( I i58-90) fut le premier qui essaya, sans grand succès du reste,
de constituer une infanterie hongroise. Nous sommes donc
réduits aux conjectures en ce qui concerne la composition de
l'armée de Sigismond *. Le chroniqueur Ulmaim Siromer, au
contraire, ne porto le nombre total des croisés qu'à ireuto
mille chevaliers, écuyers et valets \ mais il est probable que
chaque lance ou épéo représente, dans ce calcul, deux à trois
'1. Ce nom vient de ce qiicn Hongrie la porta d'un villa^o était
prise commit iinitr au rejL,^ard de l'impôt, et désignait uni* apgloini'ra-
tion dp feox astreints a payor cotleetivemont les ctiargcs fiscales, t)n
comptait par portes, oomme on France on comptait par feux.
2. K. Kiss, p. 265-6 : — 11. Moynert, Das Kriegsweâcn der (mffarn^
Vienne, t876. p. 5'i-:3.
3. Jireïck (fiesch. der Bulqaren, p. 355) adopte i-e chiffre,
'i. Kôhlor, p, 2^1. — Iteliffiruj- de Saitit-Dr/iix, II, p. 188.
ô. Hegel, Chmn. der /fcuUcftffn SUtdte, .Niirnbert', i, W.
EFFECTIF DE l'ARMÉE COXUSÉE. 265
chevaux, et par conséquent qu'il convient d'ajouter un
combattant de plus pour quiconque avait trois ctiovaux.
puisqu'on ce t;as le * pros valet * était armé'. D'autres
auteurs citent des chiffres plus cunsidérables; Sozomètio et
Piero Minerbetti trente-cinq mille chevaliers ', la chronique
de Magdebourg soixante mille hummos \ Fniissartcent mille
hommes*, André Gai taro quatre-vingt-dix mille lionuiie'*, ilonf.
soixante mille chevaux *, le Livrr den faits cent mille che-
vaux', idris cent (nm(e mille hommes' ; d'autres clironiquours
deux cent mille couibattaiits". 11 y a, .semblc-t-il, à garder, au
milieu de ces exagérations dans un sens comme dans l'autre,
un juste milieu, lin historien hongrois, de nos jours, a cru
pouvoir dresser un tableau de l'effectif de l'armée coalisée;
les chiffres qu'il propose, quoique ne reposant pas sur des
bases indiscutables, ont le mérite île la vi*aiseiublanco, ot il
semble i)u'im puisse tenir quelque compte de ce calcul :
.Vnnèe du roi de Hongrie etdivi8ions(6^mf/mfl). 3ti 000 h.
Soudovers hongrois -^G 000 h.
Troupes de pied de Transylvanie Iti 000 h.
Français " 1 î DOO h.
Croisés allemands li IKK) h.
Soudovers allemands et bohèmes \'l OIKJ h.
Troupes valaques 10 000 h.
iimonnh."
1. Kôlilcr, p. 2;*. — Sciiiltbepgor (ji. ri;ii, f|ui roinpIUftait tv^tte fonc-
tion Auprô^ d'iir) chevalier havaroÏK. raronto qup pendant lo coml>ai il
se tint, avec les antres valets, derrière le front de hataillo, cl que,
voyant le chrval de son maître tutS il courut à lui. lui dnnua le Jiieu,
et monta ensuite sur un eheval turc, maiis cavalior pour rejoindre .sa
place primitive. Il semblerait, d'apr^'î ce l'f^cit, que les valets arm(^s ne
prenaient |ias part à l'action, mais attendaient seulement Umrs maître».
2. Mnnitori. xvi. »o: et \Wî.
:t. Ma^fifhurf/er Schôfipenchronik^ dans Chron. dcr lieuUchen Stâdlr,
xn, 2î»l.
4. td. Kervyn, xv, 24î.
5. fut. Pailorana (Mnratori, xvu, 821),
fi. I\ I. eh. .v\n, p. 591.
T. (> lémoignage est reproduit par Saad-pl-L>in dans Vhiconxo
[trattuti, I, tH%.
8. Schiltherger (p. 53i, pur une erreur maniroslo, «H'alue 6 soiio
niillt! hommes l'urméo de-* croisiia. NousHavon» qu'il faut lire .soixante
mille. — V. Koldcr, p. 23; — Brauncr, p. 30.
î». K, Ki.<s, p. 2rtH
ETAT ET KORCE
Poui" notre part, nous évaluerions volontiers les forces
coalisées à une centaine de mille hommes.
Il suffît de jpter un coup d'œil sur la composition de cette
amn-e, pour s'imaginer ce que devait être une pareille agglo-
mération d'hommes, de nationalités et par conséquent d'idées
différentes. Paur nn parler que des Franco-Bourguignons, ils
arrivaient en Hongrie avno l'étalage d'un luxe insolent. Le
comte de Nevers et, à son exemple, tous ses chevaliers,
avaient rivalisé pour s'éclipser iiiutuellenient. Harnais,
armures, vêtements, moutures, tout était couvert d'or et
d'argent; les bagages étaient hors de proportion avec Tef-
fectif des combattants ; pendant le parcours, ce nV-taient que
jeux, divertissements, déijuuchi's de toutes sortes, La disci-
pline s'était relâchée, et le clergé avait cherché à rappeler
aux croisés le but sacré de leur expédition, les mena<.'ant des
foudres de l'Kglise s'ils ne renonraieut au genre de vie
qu'ils menaient. Oes exhortations avaient été vaincs ; les
Français n'eu avaient tenu aucun compte, et airivaient en
face de l'ennemi pleins d'une folle arrogance et d'une insou-
ciante témérité'. Les troupos hongmises, apf»artenanl à d<*s
nations diffén^ntes de momrs et dt' langage, d'aspimtiuns
contraires, que réunissait temporairement le danger commun,
n'avaient aucun lien entre elles; inconnues les unes aux
autres, elles étaieul dans les plus déplorables conditinns pour
ab<irder rennerni. Sur le passage des armées, d<' celle du
comte de Ncvt^rs commi' d(* celle de Sigismond, tout avait
été jûllé, et les habitants avaient subi les plus mauvais trai-
tements. Aussi, malgré i'îissnraucc qu'affertaiont les chefs de
l'entreprise, un ubservadMu* impartial n'eut pas manqué de
distinguer dans l'armée des éléments hétérogènes, qui devaient
tût ou tard se désagréger ou enti*er en conflit les uns contre
les autres, au grand déti'iment de la cause commune.
L'armée de Bajazet était loin de ressembler à celle des
croisés. Excepté les Serbes qui en faisaient parlLe et dont le
nombre était |teu considérable, elle consistait exclusivement
en soldats musulmans, qu'enflammait le fanatisme religimix,
et que des guerres continuelles en .\3ie et en Europe, tou-
jours heureuses, avaient singulièrement aguerris. Les progrès
I. J, des iTsins. ii. p. 108; — Jtelif/iettj: de Saint-Dmiê^ M, p. 485; —
Banuile, f/ist, rfw duM de Bourg., i, Uao.
ORGANISATIOX DE L AKMEE TUKQCE.
267
incessants de la puissance ottomane avaient été pour ello uno
école excellente. Tant qu'il pouvait porter les armes, le
soldat turc restait à l'armée. Pendant sa vîo , sa condition
était priviléjçiée; après sa mort, Mahomet lui proineilait les
félicités de stm paradis, félicités d'autant pins c<implétes <\nG
les souffrances endurées pour le service du pi'ophèteavaientété
plus (çriuides. On pouvait demander beaucoup à des hommes
ijoe soutenait uno pjiroilh^ foi.
L'organisation de l'arniée musulmane développai! encore
ces ijualilés, el en tirait un njer\eilleux parti. Klie compre-
nait en effet des corps permanents de cavalerie et d'infan-
terie, les spahis et les janiMsaires, et cette circonstance
couti-ibua beaucoup jiendant deux siècles à assurer la supé-
riorité de la Porte sur les armées européennes.
Ciiez les Turcs, comme chez les nations occidentales, le
système féodal servait de Imse au recrutenieni militaire;
chaque flef d'un revenu de cinq cents aspres devait foiu'nir
ai» caxalier: ou évalue, à la fin ilu xiv" siècle, à soixante-
quinze mille chevaux en\iron l'effectif de la cavalerie que le
sultan pouvait mettre en ligne de ce chef.
A coté de ces troupes, le sultan Urchati songea, dès 1327,
à organiser un corps d'infanterie, l'omté d'éléments na-
tionaux; il le destinait spécialement aux sièges, et en temps
de paix devait le renvoyer à la culture des terres. Ce pre-
mier essai ne fut pas heureux; il fut impossible de plier les
hommes à l'obéissance, et, pour y réussir, il fallut rec<»urir
aux (ils de sujets chrétiens vaincus ou prisonniers. <^eux-ci,
grÂce à une dis<*ipline sévère et à une é<lucation militaire
de premier ordre, ne tardèrent pas à devenir, sous le nom
de janissaires, le noyau de l'année ottomane. Composée à
l'origine d'un millier d'hommes seulement, cette troupe
d'élite fut successivemeul augmentée, sans jamais cependant
dépasser le chiffre de dix à douze mille hommes.
L<*s janissaires touchaient une solde permanente île qimtro
aspres par jour, qui s'augment^iit en proportion tin temps de
service. Un somuiier était attribué à dix janissaires, une
grande tente à vingt-cinq ; leur chef s'appelait « .Vjassl >.
Knconragé par les excellents résultais de cette org;inisation
nouvelle. .Vmunil i, successeur d'Urchan, voulut l'étendre à la
cavalerie, et institua le coi-ps des spaliis de lu Porte (vers
1376;, auxquels il attribua une solde de douze à quinze aspres
KTAT ET roitrE UKH DEUX ARMEES.
par jour. Destinés primitivement à former la garde person-
nelle (lu sultan, ils ne faisaient r.jiinpagne qu'avec lui. Plus
tard, ils se subdivisèrent t;n plusieurs cal^'gories, et c'estdan.s
ce corps que furent ]tris les hommes afiVwtés aux divers ser-
vices spéciaux, conime par exemple la proteoiion du j^rand
é(endarii et le service d'estafettes. Leur nombre ne dépassa
jamais quinze mille hommes. A Nicopolis, ils élaienl dix millu
au témoignaffe, certainement exagéré, de Ducas. Leur arme-
juent consistait en une longue lance à penumieten un sabre
recourbé; beaucoup y joignaient la masse d'arme».
Le reste de la cavalerie turque, c'est-à-<lire celle qui se
recrutait selon le nmde féodal, était diversement armé.
Sabre, arc i't javelots chez les Asiatiques, lanco ei bouclier
chez les Européens; quelques-uns portaient le heaume et la
cotte d(_* niailli's. Les janissaires avaient l'arc, le cimeterre et
un poignard cnurbe; souvent aussi leur poitrine était protégée
par une pièce de défense.
Quand la gueri-e éclatait, les Turcs aiîjoigiKiient à leur
armée <les troupes irrégulières de cavalerî*' et d'infanterie. Les
premières' ne recevaient aucune .snlde et vivaient de pillage;
le butin qu'elles faisaient leur appartenait, après prélèvement
de deux dixièmes, dont l'un était destiné au sultan et l'autre à
leurs chefs. Elles faisaient le service d'éclaireurs à deux jour-
nées de marche devant le gros dos forces turques, el pendant
la bataille leur place était aux ailes quelles couvraient ; leur
effectif s'éleva parfois jusqu'à trente mille chevaux. Quant aux
auxiliaires d'infanterie', ils recevaient des communes ipii les
avaient levi's une solde niensnelle ili! jj'uis duirats. Ils élaieul
armés d'arcs. Dans les sièges ou les employait à creuser les
tranchées; sur mer, ils i*emplissaient l'olfico de rameurs'.
Le tableau que nous venons de tracer de l'armée ottomane
montre quelle rsupériorité elle avait sur les armées occideu-
tales. La permatience des corps d'infanterie et de cavalerie,
une discipline et un armement excellents, étaient des cou-
1. Klles portaient le nom tV Akirifijii, et étaient armées comme les
spahis.
2. Appelés Azajiis, il.") portaient un turban muge pour losdUtinguor
de» jaiiissniroN.
a. Kôhler, p. 17-21. (T. les historiens de l'empirr ottoman, de Ham-
mor, Zinkeiscn, Jonqiiiôros, etc., pour tout cv qui touche lurganibO-
tion militaire turque.
EFFECTIF I>E I. ATUIKR OTTOMANE.
2(i9
ditions qni, jointes au fanatinino et au fat.ilismp. musulmans,
(lovaient lui assurer lu victoire conlrn les eniu^uiis dont ell<î
allait affronter le choc.
Au point de vue numérique, l'évaluation des forces do
Hajazt^t oui fort difflfilo; la plus niodérêi? les ostime à deux
ri»nt mille hommes, la plus éh'vér a quatre cent milli'\ Ces
chiffres sont^ à noire avis, exagérés. Le témoignage du
Religieux de Saint Denis» généralement sujet à caution,
semble, dans ce cas spécial, de natur*» à être adopté, parce
qu'il repose sur des renseignements dfts à des tt^moins ocu-
laires. Kn éiiuniéranl h's différents t-iu-ps ottomans, il nrrivr au
chiffre de quatre-vingt-quatorze luiUe hommes, auxquels il
convient d'ajouter les troupes iiTégulières qui éclairaionl la
n»arche et couvraît^nt les flancs de l'armée du sullan*. N<»us
avons pour ces deruièrcs le chiffr*' de huit nulle chevaux^, qui
parait très vraisemblable. C'est donc au total environ cent
dix mille hommes mis eu ligne par Bajazet, c'est-à-dire. A
peu do chose près, lo mi'-tne effectif que celui de l'ainiêe
chrétienneV
t. Srhiltberger (p. 52), Trilhemius (Chron. SponH.. p. 339). Pierre
de Rewa, (SotiwarnJtaer, u. 652), Froîs^rt (ôd. Korvyn, xv, Slli.l'ïero
Mînerbetti (Tartini, fier italic. Script. ^ n, 36'»). Vlstoria Padtfvann
(Murotori, xvii, 821) donnent le chiffre de deux cent mille hommes; la
Chron. finnnyme rfe Flandre (Kroïssart, t^d. KerNyn, xv. 'il") et Saiisovinu
{Ànnalex Tnrchenci, Venise 1.1*3, p. 213)ilisenttroiscpntmillp hommes:
Irr Annahn Estfwtp» (Min-atori, xviu, S)'.ih) quatre rent mille hummeti.
2. • Qiiis iiiitem easrt hostîum numerns itivpstif^anti mirjn pt qiie-
- renli (liligeni'iiiti, vcridirji mnllorum Htiç ilignunun rplarîono inno-
* mit qiind iillra viginti (|iiatnor milia gregarionim pnint, qui se
■ primo coriKpeotui ( hristianorum obtulertint. qiioa non longe snqiip-
i baiittir trifçinta milia eqiiestriam hominura; BiLsatum autein, (|iii
• istasciHiiqnadragintHmilibuR sequebatur, Chriïiliani non videlianl>.
{fietitfieux fie Saint iJenis, n, p. 504.
a. ■ Pnmavorat Itajazitli mnro »uo veiitum orto mjlium • | Pierre de
Uewa dans Scliwandtner, it, 652; — Cf. Justinger, dans Kroissart, ihI.
Kcrvyn, xv, 409).
4. Noir Rur ce point Brauner, p. 33-'i, et Kùhlar, p. 22-3.
:
CHAPITRE V.
BATAILLE HE' NICOPOLIS.
Le lundi (?."> sept. 130G]', avant le jour, les Français, impa-
tients rie combattre, sont iirêt-* :i marcher à IVnncnii. Le conné-
table, sans souci de Tarméo alliée, sans attendre qu'elle se
concentre, sort du camp et prend [losition. C'est eu vain que
Sigismond accourt, à l'aube, le supplier une dernièi-e fois
d'iiccepter le plan qu'il proposait la veille, et de placer les
troupes hongivdses à ra\ant-gariie. Il se heurte à l'obstination
la pins présomptueuse*; à peine a-t-il quitt*'» le camp, que
le connétable donne le signal de l'attaque. Il a sept cents
chevaliers environ sous ses npdres ; il les divise en deux, corps;
lui-même prend le eoinmandenn'nt tïi' Tavant-garde, le comlo
de Ni^vers et Coucy celui du centre, .leun de Vienne déploie
la bannière de bi Vierg<\ « la smiveraint' de touU's 1rs autres
€ et leur ralliance » ; le grand-maître de Uhodes, avec rêlite
de ses chevaliers, est au milieu des forces françaises. Tous
1. En présence des contradictions que présentent les témoîgiiage»i
oontemporains, la date de lu hatutlU* est dit'Hcile à fixer. Les sources
françitises (R«*liyieux d«» Saint-Oeiiys. Kroisjiart) di^u^nt que le dernier
dimanche de septembre i24 sept.) l'arrivée de Gajazet en vue de Nico-
polis fut ofSciellement connue, et que le lettdeiuaii) (lundi 25 t«ept.) le
choc eut lieu. Quelques sources allemandes donnent des dates dilTè-
rentes : les Annales mellicenses (Pertz, Mnn. Germ.t i.v, 5t4l el le
rontinuateur de Dethmar (F. 11. Cîrautofl", J)ie Lùheekischen Cfirtmiken^
Hamhour^, 1S2M-30, l, 451), celle du 24 septembre; Posil^e. celle ilu
29 (»aint Michel); lUmnn Stninier, relie du 28 (jt^udl avant la Kaiiit
Michel} d'afcurd avec rin.srriptlon de l'église de Hrassovia en Transyl-
vanie (Schwandtner, n, RHii). Main Konigstiofen et la continuation de
la chronique de llngen rappurteni, comme les têninifriia^'^'s français.
In hataille au lundi avant ta saint Michel (25 sept.) : Justinger (Chron.
de Berne^ citée dans Fr-oissart, éd. Kervyn , xv, 410) donne la même
date (die S. Firtnini, npisc. ei martyrisa, t'es (["uiy dernières autorités
rendent tuute hésitation impossible, et nous permcUont d'adopter avec
certitude la date du lundi 25 septembre 13%.
2. lieligitux tU Saint- fienis, n, p. 502.
POSITION DES DEITC ARMÉES. 271
s'èlancont à ronnemi, pleins d'enthousiasme et de bravouro,
aux cris répétés de : vive saint Denis, vive saint Georges'.
La champ de bataille s'étend au sud-ouest de Nicopolis*.
C'est une plaine, limitée à l'ouest par les derniers contreforts
tics Balkans, ù Test par l'Osma, sur une longueur d'environ
deux lieues; â peu près au milieu de la plaine, un léger mou-
vftinent de terrain indique la ligne de partage des eaux du
Danube et d*' oiillrs iW rOsnia. T'est entre la ville assiégée
et cette ligne qu'eut lieu le choc; les croisés, tournant le dos
aux remparts, marchaient au devant des Turcs qui descen-
daient des Balkans au secours de Nicopolis.
Nous venons di^ voir i(ue lavanlgardo, composée de
Français, infanterie et cavalerie, était déjà aux prises avec
l'ennemi. En seconde ligne, l'aile droite était f<)rniée de
troupes choisies sous les ordres d'Etienne L'iczknvii-h'; le
centre, en allant do droite â gauche, comprenait la division
du palatin Nicolas de Gara*, principalement composée de
cavalerie ibanderia)^ celle des contingents do Bohême, com-
1. Annales Mediolanenxes (Miiralori, xiv, p. H26).
2. \\ n'y pas (I« ilùute iK>!*sib!e, malgré les liypnthéttcs contradictoires
lies historiens, sur la pusitlon du champ ilf bataille. Il rst im|)ossible
qu'il s'agisse de la ville iIp Nicupolî» situer sur la rive gauche \\\x
Danubo (Xicopolin minor, Turnnll} et qui fut anti'TJf^uri'ment plu-
Meurs fois prise et reprise par les Turcs et le« L'iiréliens. Les témoi-
gna^e.H sont fornieU sur c« point. Il est ('ipalemeni inailinissible que la
i]alaille ail eu lieu près do Tirnovo, sur l'emplacement de la ville
nunaine ilt: Moojwlis {Xicopoiis ad ilaemttm, près de \'ikjup\, au eon-
fluent de la Httssitza et delà Jaiitra. Maljj:n^ le ti^moignafred'un anna-
liste serbe contenu dans un manuscrit citt*' par Jirecek, malgrt^ les
ruines et la pyramide qui subsistent enrure à .Nikjup et qui siMnblent
rappeler le souvenir Je la victoire des Ottitmaiis, il est certain que la
ville était dt'îjà riiîm^e au xrv* siècle, et que pendant le moyen Age
aucun centre d'habitation n'exista à cet endroit. V. en faveur de celte
opinion : Simon {SUsungtberiehtetx der Mùnch. Akad, 1869», et Jirecelt
{Geêt^h, der Utdgartn^ 355), et contre elle : Bi*aiiner ip. 29) Kôhlcr
(p. 17) et K. Kiss (p. 28^iK — K. Kanitz {Ûonau-Ùatgarien^ Leipzig, 1875,
U, 189] a décrit remplaeemcnl do ta bataille.
3. Laczkovich commandait les troupes do la Transylvanie dont il
était voivode. Partisan secret de t^diidas, compiîititeur de Sigîsmond,
il trahit, comme Lazarevicli, la cause chrétienne.
4. .Nicolas de Gara, grand palatin de Hongrie {magnug cornes) flguro
avec C4> titre dans des actes de I3TG, 1402. I'«:u. C'était une des per-
sonnalités militaires les plus considérables du royaume. 11 rendit à la
couronne de tels services en Aragon et en France que Charles vi
(14161 et Sigismond (i41ti) lui c-oncèdèrent le droit d'ajouter à ses ar-
mandée par le comte de Cîlly', et les troupes allemandes
obéissant au comte de Nuremberg' ; à l'aile gauche se trou-
Yair»nt los Valaqwes i*l Inur vc^ivode Mircea.
L'armée turque élail disposée sur tmis lignes; la première
comptait, outre une cavalerio irréguliére (ravatit-garde. une
vingtaine de mille Inunnies de troupos do pied ; celte infanterie
légère éclairait le gros de l'année à trois kilomètres environ
en avant de la secondt* ligne. Celle-ci comptait treize mille
hommes, les spahis aux ailes, les janissaires et l'iiifanterie
asiatique au centre; eniîn, en réserve, quarante mille janis-
saires et spahis de la PoHp, c'est-à-dire l'élite des troupes
ottïimanes, la garde persiumello du sultan, étaient prêts à
ftppu^'er les deux premières divisions; enOu. à Taîle droite,
mais Nfi peu éloigné du reste de rarmée, Lazarevich avait
cinq mille Serbes sous ses ordres.
Le premier choc a lieu entre, les deux premières ligues des
armées ennemies. Les Turcs ont taché aux cndsés par un
rideau de cavalerie la vue des pieux qu'ils ont plantés pour
briser les charges de la cavalerie chrétienne, en avant do
leur seconde ligue. Les Français s'avancent en bon ordre
contre la cavalerie légère turque, qui, toujouz's en mouvement,
AQ dérobe à une attaque régulière; elle harcèle le flanc de
rennemi en marche, le retarde dans ses mouvements, et
s'échappe tt»ut à coup pour se reformer deiTièro la seconde
ligne (les Turcs, en démasquant l'infanterie mu.sulmane, pro-
tégée par les pieux dont il vient d'être question.
Ci>tte défense s'élentlait devant tout le front de l'armée
turque; elle se composait de pieux < plantés eu biesant »,
les pointes tournées vers l'ennenii, à hauteur du poiti'ail des
chevaux; elle mettait, par sa largeur, ceux (ju'elle protégeait
à Tabri des coups de lance donnés par un adversaire qui ne
l'avait pas franchie '. Au ton avec lequel le maréchal s'ex-
moiries, — qui étaient d'or à un borpnnt tenant dons sa gueule on globe
surmonté d'une croix d'or et entouré de flammes, — un cimier oom-
poifté d'un heaume, ei limliré d'une couronne d'or, de laquelle partaient
des rayons et des lambre(|U)ns de façon k suutenir et à encadrer l'écu.
Ilmourulavant l438iKejcr, Cod.tlfpl. Humj.^ vn, 3, p. 135; x, î,p. 178;
X. 5, p. 563, 74t; x, 7, p. 518.
1. Voir plus haut, p. 240.
2. Voir plus haut, p. 240.
3. Le.s historiens modernes ont difTèremment disposé cet trois Hgnea,
HATVtl.I.K lir N'U'OPCiî.IS.
pnine sur ce point, on peut juger du dépit que dorent
éprejuver les chefs français quand ils aperçurent cet obstacle.
« lïs firent, dit-il, cel exploit, où ilz ne mirent pas graut
« pièce, car assez avoient unleiui^s gens qui do les ticher
« s*entremettoient. > Tels qu'ils étaient, ces pieux étaient
une protection eftioace. Arrivés en bon ordre devant la ligne
ennemie, les (^lirtHitMis sont aci^ueillis par une grêle de trait-*,
< par si grant raniion et si drainent que oucques grésil ne
< goûte de pluye ne cheyrent pins espessement du ciel que
* là cheoient floches. > Ku quelques instants, hommes et
chevaux en grand nombre sont mis hors de combat. Les
croisés hésitent un instant; à leurs côtés les Hongrois, qui
ne savent pas combattre en bataille rangée, commencent à
reculer devant les traits dont les couvrent les vin;ft à trente
mille archers turcs. Le maréchal, sans souci des marques
de défaillance que donnent les contingents hongix)!», sans
souci de J'ubstacle qui le sépare de l'ennemi, juge la gra-
vité de la situation, et comprend qu'à tout prix il faut
continuer à marcher en avant. < Nous laisserons-nous,
« s'écrie-t-il. tuer ici lâchement : courons à l'ennemi pour
« éviter ses flèches. » Le comte de Nevers et toute l'armée
se rallient à ce conseil ; les pieux sont franchis, non sans de
grandes pertes d'hommes et de chevaux ; l'infanterie turque
cependant résiste toujoui*s, elle ne se laisse entamer qu'apivs
un combat héroïiiue. Sans armures pour se protéger, elle cède
à la supériorité de l'armement des t'Iiréliens et :i Ifur valeur
indomptable; après avoir perdu une dizaine de mille hommes,
elle se retire derrière la cavalerie de la seconde ligne pour
se reformer'.
L'armée chrétienne se trouve alors engagée au milieu de
l'ennemi, dont les ailes menacent de la déborder; en arrière
elle n'est plus soutenue; les Hongrois, quand ils l'ont vue
mais les distinctions de détail qu'ils ont établies laissent subsister les
points capitaux de la bataille. — V. K. Kiss, p. 384-5; — Hraaner, p.
41-2;— KÔhler. p. 27.
1. Jieiifjieitx de Snittl-lhniit^, U, 5U'i-6 ; — /.ivre de» fails^ il, ch.XMv,
p. 59'* ; — Kuriigslioft'ii (Mone. Qucttrnxnmmluny, ti\yâil\ ; — Chromipte
de Berne léd. Kepvyn dîins l*roi»sart., xv, 409) : — Gobellnus Persona
(Meibom, lier. Germanie., Helnibtailt, 1688, m, 287).
2. Reliijiettx de Saint-fttniit, n, 504-6 ; — Livre de» faiu^ i, ch. xxiv,
p. 594.
r,K-s c?*ft;sivs.
onclievestiv**!? ^s pioux ». ont pris la fuite au liou d*ap-
jiuycr son mouveinpiit ufîensif ; seul Nicolas dp Gara, grand
palatin de Hongrie', a maiutenu ses troupes et marché
on avant, mais le contingrnl dont il dispose est insuffisant
à enipi^cher un mouvement enveloppant de la part des Turcs.
Les chef» français voient le danger, mais ils sont trop
nvancés potir avoir le temps de inoculer eu bon ordre jus-
qu'à leur ligne de soutien. Une attanue audacieuse et ra-
pide peut seule conjurer le péril ; sans ÏK^sit^T, ralliant leurs
troupes, ils poursuivent leur marche : les spahis, ébranlés
par la retraite de l'infanterie en déroute, sont culbutés ; malgré
leur valeur, malgré rexcellenee de leurs montures et de leur
nruiement, le reste des tniupes turijues n'offre plus aux
Chrétiens victorieux, une résistance aussi opiniâtre ; la seconde
ligne do Tannéi' de Bajazetest rompue, cinq mille Musidman»
sont hors de combat*.
C'est à ce moment que les croisés, profitant de leur avan-
tage, et mometitanémeut d(?gagés par TefTort qu'ils venaient
de faire, auraient dû se retirer en bon ordre sur le gros de
rarraée alliée, qui se raoltiit on mouvemont pour les appuyer.
Bajrucet. de son c<»té, avait été déconcerté par rinipétuosité
do l'attaque : ses troupes étaient ébranlées, et tandis qu'il les
ralliait, les Français pouvaient se replier sans être înquiéU?^.
Il semble que, dans cette funeste journée, les conseils de la
prudence durent loujours céder aux suggestions de la plus
Folle présomption. Les chevaux, sous leurs lourdes armures,
!Mmt épuisés ; la chaleur accable les combatUints". Les plus
eKp<^'rimentés sont d'avis de ne pas compromettre, par un
second mouvement offensif, le résultat de la journée ; mais le
1. Voir plu» haut, p. 2"l,
2. Rcligifux de Saint- Deniit, it, 506- 8 ; — Livre dei faits, i, ch.
x.xiv, p. 59'i-.'i ; — bucuH, lUit. Bij:ant,^ ohap. xni; — Pofcilge, Script,
rer. PruM. ui, 208.
3. Lf» souries hotigniises affirment r]ue Ift chcvalerin mit pi^d à
Iprrc ot combnuit ilft la mvie, Uinn de paroiJ n'est indiqué par les chro-
niqueurs français. Il y a ropciulanl lieu tic tenir cotnple iln ra.s«ertion
dos historien» hongruis ; si i-lle re^lo incertiiine, elle <'st du moins con-
forme awx n.>;ij;f\sdes i^uerriurs d».* cette époqur. et Hunble ronlirrnéf
par uu délai! t'uipruntr* au Uctt^ioux diî Saint-I>nnis ; nnus savons jmr
lui qu'avunt la Imiaillo le» chev-iliors roupiT^nt hnirs poiilainca,
longueu dft deux pU-d», alin d't^lre plus à j'ftlso pour coniIiaUrt'. V. sur
ce iwint Ktihlt^rip. 25j.
îïATAIM.K DK XICOPOLIS.
connétable s'obstine â vouloir poursuivi*e ce premier succès;
il fait fie nouveau aonnor la charge, et les croisi?s sVIanceitt
à la pciiTHuiln des fuyards. Quand ils arrivent au sommet
d'une légère colline, dont les Turcs avaient défendu les rampes,
le spectacle change. Bajazet est dans la plaine avec une
armée de f|uaraute mille hommes ' ; ce sont ses troupes
d'élite, les janissain-s, (jui, ilaiis les guerres d'Asie, lui ont si
souvent assuré la victoire ; il les a tenues jusqu'alors en ob-
serve : rassuré, jiar les rapports do ses lieutenants, sur le
petit nombre (rennemis qu'il u devant lui, il les t*branle
pour envelopper les croisés. Ce iiiouveuient jette parmi ces
dernitTS le plus f^Tand effroi ; un corps ottoman débouche à
ce moment sur leur droite et porte la panique à son comble;
malgré Tordre de leurs chefs ils ne peuvent ni reprendre
leur rang de bataille, ni tirer les tîpées du fourreau. C'vat
une confusion inexprimable; elle gagne le gros de l'armée;
A l'aile gauche Mircea, à l'aile droite Krienne Laozkovich.
se retirent ; au centre les Hongrois, cédant à l'effroi général,
lîtchent pied'.
Seules des corps hongrois, les lro?i|>es du gnunl palatin ne
sont pas ébranlées; i\ leurs côtés le comte rie Cilly maintient
également les soudoyers allemands et bohèmes qu'il com-
mande ; c'est un noyau d'envinm douze mille hommes qui
peut sauver la journée. Ils attaquent hardiment les Turcs;
les janissaires Héchissent, les spahis reformés entrent en
ligne et le combat reste longtemps indécis. Les Fran<;ais
soutenus reprennent courage, mais les Serbes, sous la cim-
duite d'Etienne Lazarevich, se sont réservés jusqu'au moment
où le succès se dessine en faveur des Musulmans; ils se
décident alors à les secourir, et attaquent Niiîolas de Gara.
L'effectif des troupe^ serbes ne nous est pas connu; Schilt-
berger le fixe à quinze mille hommes, évalution évidemment
exagérée si l'on songe que Lazai'evich, par le traité de 138!)
conclu avec la Porte, n'était tenu qu'à mettre sur pied cinq
raille hommes, et qu'il a dû, en fait, rester au-dessous de ce
chiffre. C'est donc un renfort d'environ cinq mille hommes
1. Ducas {Ifiitt. Bycanl,, chap. xni) donne le chinTre d^. dix mille
KpahiK.
2. flr/if/iVttar tir Snint-fhnis, n. 508-10: - Livre thn fait», |, ph.
XXIV, p. 5*»5.
PEETE un I.A UATAILLE J'Att LliS CHRKTIliNS.
277
(le troupes Craîches pour Bajazet. Malgré des prodiges de
valeur, ta batailli' est perdue pour les ClirtMieus ; rinterven-
tion des Serbes est décisive, et Sigisuïuud, à la tète de ses
troupes, se retire en désordre sur le Danube.
Les chroniqueurs français ont généralement attribué à la
fuite des Hongrois la rcsponsabilitfî du désastre; cette asser-
tion no saurait être accoplée sans réserves. S'il est vrai
que les alliés de Sigismond, [bulgares et Bosniaques, aient
liWIié pied sans combat; s'il est également certain qu'une
partie des auxiliaires hongrois, effrayée par le désordre
de la mêlée, par la fuite des chevaux sans cavaliers et des
valets d'armée, ait cédé à une panique subite, il faut
reconnaître ([ue les troupes aguerries de Sigismond ont
bravement fait leur devoir. Le roi, à leur tète, avec ses lieu-
tenants les plus dévoués, Nicolas do Gara', Nicolas de Ka-
nysa, archevêque de Gran'. les Kozgon*. Forcacz*, le ban
Jean de Maroth'. le comte do Cilly*, a tenté un effort suprême
pour dégager les chevaliers français. Pour les sauver, il a
réuni à ses troupes les croisés allemands et polonais, et sa
tentative eiH réussi sans l'arrivée décisive des Serbes sur le
champ de bataill<î ; c'est duiit: plulnt à l'outrecuidauce fran-
çaise, â la témérité sans excuses du connétable et de la jeu-
nesse guerrière qui le soutenait, que revient la perte de la
journée.
Pendant que Sigismond, dans un supn'Mne effurl. tenfjiit,
comme nous venons de le voir, de rétablir la bataille, les
Français faisaient des prodiges de valeur. « Oncques cenglier
€ escumant ny loup enragié plus fièrement ne se abandonna »,
disent les contemporains. Ce fut une niéléo sans pitié.
iJésespï^rant de vaincre, ils voulaient mourir après avoir
vendu chèrement leur vie. Le comte de Nevers, malgré
sa jeunesse, donnait l'exemple aux siens ; les < nobles
€ frères de Har », le comte de la Marche, < qui le plus
1. Voir pliiH haut, p. 271 et 275.
3. Voir pliiK haut. ]>age 230.
8. Fejop, Cofi. tfipl. ifnn*/., \. 2, 2'i2.
4. Jean KorgTH^h dr liliyrtiPs appartiMiait à une famille qui juiia un
pùIp iiujwrtiuit dauN l'hisloirc de llongrio. Ct, Fojcr, CW. dipt, Uung.^
X. 2. p. m.
5. Voir plus haut, p. 25<i.
li. Voir plus haut, p. Iki),
IIAÏAHJK HE MCOPOLIS.
« jeuoe estoitde tous, ne aucores ne avoit barbo ne gre-
« non », firent vaillnniment leur devoir. Ces « nobles jouvea-
« ciaulx de la fleur d** lis là se combatoicnt, dit W throni-
« queur, non raie comme enfaus, mais coroiue si ce fussent
« très endurcis chevaliers ». Le connectable, ditnt les conseils
pernicieux avaient conduit Tarnii^e à la ruine, cherchait à les
faire oublier par la ténuVitô de son courage. II « ne s'j fai-
« gnoit luie, ains dcpartoit les grands presses avant et
« arrière ». Cba(iue instant augiueniail la rnèlde et la cou-
fusion. Les chevaliers, diss(^nûu(^s par petits groupes de dix
et de vingt, uffraient â l'ennemi une proie rai:il('. Parmi gux, le
marécbal Houcicaut luttait avec une ardeur dHsesp<?r(?e, Il
« se fichoit es plus dru*î >, l'audaco do ses faits d'armes
était si heureuse qu'elle (*tait jinur toul^ rarm**e un objet
d'admiration. IVrsuruie, ou cette jounirn, ne fit plus de
< bien et de vaillance » que lui. Il semble que le chroni-
queur, en comparant les Chrétiens à des sangliers accultîs,
ait spécialeiuent eu en vue le itlus terrible d'entre eux. Bou-
cicaut. H est, en effet, didicile de trouver une image qui
I>eigne mieux que celle-ci le caractère du maréchal, sa bra-
voure un peu rude, non raisonnée et d'une ténacit*^ iucrovable.
On se figure, penilanl cette mèk^e, les sentiments qui devaient
agiter son âme. ilunte de la défaite. Iiaine de rintidêle,
courroux contre ceux dont l'avis avait amené le désastre, se
heurtaient dans son cœur; s'il ijtait d'ordinaire au combat
parmi les pins vaillants, il était, ce jour-iâ. le premier au
danger, combattant, sans souci de la mort, avec l'énergie du
désespoir. Il est « comme tout forcené », résolu à vendre
chèrement sa vie < à celle chieuuaille; si fie ri le destrier des
c espérons, et s'abandonne de toute sa vertu es plus drua
€ do In bataille ; et h tout la trancimnt cspêes que il tenoiti
« fiert â di'xtre et à senestre si grandes collées que tout
< abatoit quanqu'il atteignoit devant soy. Et tant ala
< ainsi faisant dev^int luy que touft les plus hardis le rodou-
c tèrenl, et se prirent à destourner de sa voye; mais non
« pourtant lui lancoient dars et espées ceulx qui aprocher
« ne ï'osoieot ; et il. comme viguercux. bien se savuit dof-
« foridre. Si vous peignoit ce desirier, qui esloit grant et
€ fort, et qui bien et bel estoit armé, ou milieu de la pres?»e
* par tel randon qu'à sou encontre les aloit abatant. Et
< tant :ila ainsi, faisant tousjuurs a\anL, qui est une uicrveil-
I>KOI>U>ES l)K VAI.KIU ItES KHAN't-'AW.
leuse cfio.se à raconter ; ot toutefois est-elle vrayc.
si que tesruoignent ceulx qui le virent, que il trospenja
toutes les batailles des Sarrasins, et puis retourna arrière
parmi eulx à se.s compa^^nons. Ha! Dieux ! (luel (chevalier!
Dieu lui sauve sa vertu ! Domma^^e sera quant vie lui
fauUlra ; mais ne sera mie ancore, car Dieu le grardera. » La
mort ne veut pas le prendre. Il fait auti>ur de lui. à force de
coups, « si grant cervedes morts et des abatus » que nul n'oso
l'approcher. C'est un lion forcené qui ne redoute rien ; plu-
sieurs infidt^lcs paient de leur vie leurs tentativrs de s'era-
paror de lui. Knfiii il faut cOder au nombre et Boucicaut est
fait prisonnier. Vu peu plus loin, le vaillant sire de Coucy,
malgré les coups de massue de cuivre qui s'abattaient sur sn
t(^te, malgré les jusarnu's i|ui fra]ipaii'nl son armure, faisait
nn gi^iul carnage des Musulmans. D'une force peu cotunume.
il leur « lançoitsi très gran.s coups que tous les detranchoit »
et semait la mort autour riolui'.
A se» ciHês, Tamiral de Vi**nue sauvait Thonnem- de la
chevalerie dont il portait le drapeau. Ses conseils avaient été
reptmssV^s. son expérience ni(''prisêe, et reprMMlatir, dans cette
funeste journée, personne n'e'it pu tenir plus haut et plus
ferme la bannière de la Vierge. lucapable de rallier les fuyards
que n'arrêtaient ni ses nienaues, ni ses cris, il songeait j'i rega-
gner le camp, mais la voix du devoir le fait n-noncer à ce
honteux dessein. On ne ternit pas. par un moment de faiblesse,
une longue vie d'honn<'ur et de vaillance. Aussitôt il invoque
Notre Dame et !<•« Saints, rair»> ses dix compagnons, et fond
avec eux sur les intidéles. Comme un lion furieux, il répand
la mort autour de lui. Six fois l'étendard de la Vierge est
abattu, six fois il le relève, jusqu'à ce qu'il succombe enfin
sous les coups de l'ennemi, seirant encore entre ses mains la
bannière mutilée*.
1. Livre df* fait», i. ch. xxiv, p. 51*5.
2. Vky \Afray, Jean th Vienne, p. 27*2-3. d'après le ftetiffieiix, M, 5U;
— cf. Lirre dfn faits, i. di. x\iv. p. 5%, ot Kroissatt, <>d. Korvyii, xv,
318. — Deux autres mombïvs dn lu famillo df Vienno. CfUilLiumc et
Jacf|iios. prirt'Ml prirl à la croisade, ("e flernirr suornniba h Mcopolifi.
nuit c<'\\éi de lamiral. Le» cotnpa^iiun^ de Jean do Vienne sont proba-
blnmenl le* nl'^^l^s (|nn ceux qui partirent av»'r. lui pour la route de
Milan, aux Trais du dur d'Orlôari'i. et dotd nous ronnai!i<M>nâ les tiointt
{Huit, ftcla Suc. acud, Uif laun. \\l\- (I88'i), p. 46-51).
28(i
liAT.VUXK 1>K NUnpOLIS.
Prés de l'amiral tombent Guillaume de la Trémoille < qui
à merveilles estoit beau ohevalier » et sun fi!s\ Philippe de
Bar", MontcHvrel, un vaillant chevalier d'Artois*, Jean de
Royo'ettani d'autres. LVIite de la noblesse frdin:aise p«?rit
sur le champ de bataille dr* Nicopolis ; le reste tombe aux
mains des vainqueurs; le totnte de Nevers est parmi les pri-
sonniers \
liC roi de Hongrie, cependant, luttait toujours. Quand îl
vit sa bannière abattue, quand nelui qni la portait, Jean, tils
de Nicolas de Gara, fut tombé en la défetulant, il comprit
que toute résistance était inutile. Les iroupos étaient dis-
persées; ct^dant aux consiûls des comlen de Cilly et de
Nuremberg, il se rf^.soud alors à quitter le champ de bataille.
et arrive au Danube. Là. après mille dangers, il monte sur
un navire di* l'ordre dt; Rhodes; nne aatje barque recueille
ses hdèles compagnons qui ne l'ont pas abandonn*?, et, au
milieu d'une grêle de traits lancés de la rive par les Turcs,
le rni et sa suite échappent au sort qui attend la plupart
îles fugitifs*.
Il est difficile de préciser la composition de l'escorte
royale dans cette fuite. Cilly et le burgrave du Nuremberg,
le grand-maître Philibert rie Naillao. accon)pagnaient Sigis-
mond; parmi les Hongrois. Nicolas de Kanysa, archevêque
de (îran, et son frère Klieune. Nicolas de Gara el Jean, sou
frère, Oswaldde Wolkenstein, un des compagnons de jeunesse
1. Voir plus haiU, page ITô, — Son fils était Philippe de la Tré-
moilte.
2. Voir plus haul, p. Vu.
n. Voir plus haul, p. 257. M. Kervyn conteste le téinoignîi^ do
Fi*oissaiiet aftirmp quo Montcavrel survécut à la bataille. Quoi quit
en soit, l'épisoiff rapporte^ prn* Tfoissart (xv. :n"-8) el rpjah'f au jeune
fils lin chevalier arU^sien, qui. malgré le dévouement tl'un ecuyer
auquel son père l'avait eotitié. fut uuyé dans le Danube ftu moment
d'eire sauvé, est des plus loucliatitjj.
'i. Il était seigneur du Flessier de Koye, de Muret et de BuKancy,
prêt» d'thir&i^ampît (Oise). Sou hLs Mathjpti, f|Ui alla en Orient rliercher
le corps de son ;>ére, rapporta nne reli')Ue pr^'cieuse, le clief de sainte
Anne, qui est aujourd'hui ('«tuservé j!» Cliéry (tHse). (Maillet, Une trunsln-
tinn de reti</ucn, t\:v\s Itull. duoomitearch.de Noyon, r (1862). p. *i3i-y).
5. Hrtitjieux de Saint l/enis, ii, 514; — Kroissart, éd. Kervj'n,
XV. 318.
6. Ki^uigfshoreti. i'Jifun, Ahatitt^ u, 85'i
.\v, ;f.'S; — SLliiUU.ir{;-or. p. ôlt-'i.
;— b'roissart, éd. Kervyn,
Fl'ITK Ut. sii.lSMuM» SI K l,\L HANIHE.
•^81
tlii roi, poète dont les œuvres nous sont pan'emies: parmi les
Polonais, Thomas Kulski et Stibor de Stib<jmczp', échap-
|>éroiit avec le roi à la mort. Déruétriiis Bebek et Jean rio
l*asztoli furent aussi de ue nombre'. Co sont là les seuls
noms <]ui nous soient parvenus; il ne semble pas que les
compagnons de Sigisninnil fussent beaucoup pl\is nombreux ;
au plus peut-on, d'après les témoignages contemporains, ea
porter le nombre à une vingtaine".
Le di^sastre était complet ; la route du Danube <*tait coupée ;
ceux que les coups tles Turcs ont *^pargné3. ceux que l'en-
nemi n'a pas enveloppés et faits prisonniers, essayent de fuii*
vers le fleuve; là oncore la mort les attend. Ils se jettent à
l'eau pour alteindn^ la flottille, en majeure partie composée
de vaisseaux de tninsport ^u de pontons ilestinés à main-
tenir sur le Danube le blocus de Nicopolis ; ceux-ci sont
prom|ilement cliargés outre mesure et coulent bas ; paitout,
pour éviter de pannls accidents, les premiers arrivés coupent
sans pitié â coups de hache les mains des fugitifs qui s'ac-
crochent à leurs barques; le reste, dans la confusiim géné-
rale, périt noyé dans le fleuve. C'est un lajnentable spectacle;
le tils du seigneur de Montcavrel se noie entre Heux barques* ;
un chevalier polomiis, ne trouvani nulle pari nu bateau pour
lo recueillir. traviTso, tout armé, à ti'avers raille périls, le
Danube à la nage' ; mais combien, moins heureux que lui,
ne parviennent pas â attfiindi'e la rive opposée'!
1. (.'omte de PretttKjurg il39U). Il avait obtenu, ain^i que ses frére^s,
en 1389. la naturalisation hongroise (Fejor, Cod. dipl. hung,, x. i,
p. 561 c\ X, X p. i:i:ti.
2. Si^i!^I^o^d nomma l>cmt>trius Bobck tfrand pulfttin rt Jean U(ï
l'aa/.toli Krand chanoi^hcr, et lesenvuya, avec Jean do (lara, annoncer
en Hongrie h? succV^s de sa fuite et gouverner le ru3'aume en son
absence (Ascliïmch, i, 107|
3. I'"eji»r, pa^sim; — Vertot, Hint. de$ f'ht^v. hosjt., n, 3a2; — Frois'
sart. ^d. Korvvn. w. 317; — <;. Pray. Xnn. mj. Jfuntj., pars ni. t%;
— Diiijtoss. HUt. poion., u l'iG; — Heila Weber, /He (iedichte Os~
watd'â vfiH iroMr/K/c»», Jarbriick, I8'i7, p. 6.
'i. Froissart, éd. Kervyn. xv. 317-H.
5. U o»t appol'^ par S. Sarnirius Dtui^oss, l/i/i. fuilnu.. u. 1 159) .<<//-
boriuê, fini fuit tjtnte StoiuM, et par DIu^^osm, Strttnioniatiit vs /••rra
Siradietui, de domo ijjndnorUt», Scffuja ri/i/WAi/tM {iMiigtiMs. //iV.
ftotuH., I, nS-Gj.
(i. ftfli'jirujc de Suint bt^ni*. il. 512; — Scliîltberger, p. 3i,
Si le désastre était coiaplet puur les croisés. Ilajazet
payait cher son triomphe ; l'élite de ses truupes était hors de
combat; son armée, d'après les sources françaises, avait
perdu de vingt à trente mille, et. suivant d'autres inicils, de
quarante à soixante mille hommes. Le sultan Ini-môme,
disait-on. avait été personnellement engagé dans cette journée,
et blessé; on ajoutait même (|ue c'était Sigismond qui l'avait
désarçonné'. Mais on ne saurait ajouter fui à la véracité de
ces récils, piiis(iue. le lendemain de la bataille. Bajazet pn*-
sidait à l'exécution des prisonniers.
Du v.<W des Chrétiens, les évaluations les plus modérées
Usent à douze mille, d'autres à vingt mille le nombre des
morts'; il est dilficîle, en présence d'une défaite aussi
complète, qu'elles puissent être exactes. D'une armée consi-
dérable, rien ne subsistait ; les corps valaques, bosniaques et
serbes avaient passé à l'ennemi, les croisés fninçais étaient
1. Ai'riT lies faits, i, eh. \xiv', p. 596; —Het. tte Saint Denis, ti, 3t8;
— Edris (Fn)i».sart, ^t\. lïuchon ni, 266); — Annales Estenses (Mura-
tori, xvin, 836 1 ; — Jean de Mussis (Muratori. xvi, 557); — ÏJoiifiniua
(flcr. Unfjaric. decadr». ilattau, 1606, p. ;ï77-8> ; — Sozomène (Mura-
tori, xvr, 1162Ï; — lionincuntri (Muratori, xxi, 72;.
2. Posilge {Script, m-. Prnxx., ni. 20**); — Chrou. Norimh. ipir
CJtronikrn drr tJeiiljcrhrn Stàfltt: .NiiniUerf:. 1, p. .3311; — Chron. auM
A'. iSVr/MUfM/"* /ri7. \ihidem. p. 33*.» l ; — Uunliiiiu*. {Hee. Vng. ttec,
|i. 37H). — I.P Ininoiîjrn.i'îc ilfi Jt^an île Miissls. t^valuant los pertes des
('hrétiens à niilln ltuintiie:i et trenlt' Imroiis, est évidemment très éloi-
iifi^ dp la voriti' ; dans l'autre sons hist'm^cr iCht'on. de /icrnc dan»
rnH.s>art. (d. Kc-rvyn, XV, 'ilO) et KoniKsIiufen {Chrott. Ah., u, 854),
IMirlcnt du luo, Oi>0 uu2UD, 090 mort», cliiltVes également inucceptabte.s.
KTKNUUK i»KS PERTKS I>KH llKfX AII.MKKS.
283
pris ou tués, l'armée hongroise on fuite ou noyéts dans le
Danube. A peine quelques débris avaient-ils, à prand'peine.
atteint la rive gauche du fleuve, mais là encore ils s'étaient
trouvés en pays ennemi; 4lOpouillés par les Valaques, ils
n'avaient pu reg;agiier l'Allt^magno qu'au prix des plus
grandes privations. Beaucoup avaient succombé pendant îe
(rajet; le reste, après des privations de toutes sortes, arriva
en Allemagne, exténué de faim, de fatigue et dtï misère; de ce
nombre était le duc Robert de liavièr4». Il revint malade sous
des habits rie niendiaiit; les soulfrauces t^u'il avait endurées
étaient au-dessus do ses forces; il mourut quelques jours
aprC-s son retour à Amberg*.
Les croisés avaient, dans leur fuite, abandonné tout ce
qu'ils possêilaient: matériel de gueire, approvisionnement»,
bagages des chevaliers, tentes, bannièi'es, tout tomba au
pouvoir des Turcs. Le sultan, après la batiiille. put juger, en
parcourant letLéAtre de la lutte, de l'étendue de sa victoire,
mais en même temps des pertes subies par son armée. Pendant
que jongleurs et ménonfrels dansaient et chantaient devant
lui, dans la « UKiitre tonte », abaudnnuée par le roi de Hon-
grie el dont le lux<i dépassait ton le imagination, pendiuit
qu'il rendait grâces à I>ieu dosa victoire, le rhauip <ie bataille
était jorir-hé de Musultnaus ; « pour ung crestieu de ceux qui
« gésoienl sur les champs morts, il y avoit trente Turs ou
€ plus uu auitres hommes de sa \oy ». Ce spectacle nlliinia
la colère de Hajazet, et jmur venger la mort de ses soldats,
le massacre des prisonniers fut résolu. Tout captif dut être
amené eu pr^sencR du sultan pour subir la mort qui lui était
réservée; quelques prisonniers de marque, dont on pouvait
espérer une riche rançon, furent seuls exceptés, et leur sort
(ttt réservé à la décision ultérieiu'e du prince*.
1. /?r/i(/i>Mxrfe»rtinr/>rni>,u,5J2: — l Iman Stromorl//i> CAron. rf«r
tteuUrhen Stfttltr, Niirnlinr;:, i, p. i9l ; — i)iisor(j {Her litfir. Scn'pt., l,
ji. ;tnt|; — Tntiu'iiiitis, C.hvm.duc. /tar., {*i\. do ItiOl, i. p. 117. — Un
valH il'atitri'irti* rivait ji Vioiino nn fK'pe, nnmm»^ Jeun do llenizobort,
<|ul • a fait plusiniirn mpialite/.. M)lngpinens pt ami» liez il pliisiours
" ivluiirnaim de !a rumpai;ni« ilo mon.-M'ijînoiir le conte ile^Npvors ».
l*ùuv ce l'ail, If dur de Ruiir^uKiif lui oi'copda une grntiflootion (Arcb.
dolatViU'd'Or. li. 1511, t. 6»).
2 Kruissart, ÛJ. Kervyu, xv, U2I-:*.
284
SOKT DES I^RISOXNIERS.
Le lendemain, mardi \ le courroux du sultau n'était pHs
apaisé. Persistant dans sa vengeance» et par repn^ailie^ du
massacre fait par les croisés des prisonniers turcs avant la
bataille. Bajazet ordonne d'auieaer les Chréiiens devant lui.
Il est sous une tente, en pleine campagne, entouré d'un
brillant état major, et fait di^filer sous ses yeux les captifs
onciiainés. « Làeslott grant pitii'» à vooir ces nobles seigneurs,
« jeulncs jouvenciaulx, do si hault sanc comme de la noble
« lignée royale de France, amener liez de cordes esiroitte-
« ment, tous desarmez en leurs petis p'iurpoins par ces
« chiens Sarrasins, lais et oiribb^s, qui les t.enoient dure-
« ment devant ce tirant, crineniy de la foy. qui là séoit. »
Cependant « les lattitiiers du roy » ^'étaient enquis des
plus nobles soigneurs pour les excepter du massacre. Jacques
de Heilly', qui s'était fait reconnaître do l'entourage du
sultan, les aidait dans cette recherche. Ainsi furent amenés
th-vant Baj;izet le comte de Nevers, les couites d'Ku et de la
Marolie, le sire de Coucy, Henri ile Bar, Guy de la Tré-
moille et quelques autres chevaliers. Le sidtan, qui les
épai'gna. les plara devant lui. et fil détiler entre eux et
lui tous les Chrétiens destinés à être massacrés. Semblable,
dit le chroniqueur, « au roi Herode assis en chayere que Ten
< paint par U*s parois et aux lunocens que l'en detnuiche
4 devant lui », Bajazet reganlait les captifs « un petit »,
faisait un signe et les bourreaux s'emparaient d'eux. Aus-
sitôt ils étaient « frappés horriblement par t»'stes, par poi-
« trines et par espaules, que on leur abatoit jus sans nulle
« pitié ».
Boucicaut, à son tour, allait iiérir comme ses compagnons;
l'intervention du comte de Nevers le sauva. Se jetant aux
genoux du sultan, celui-ci implore la grâce du Maivchal, mais
ses paroles ne sont pas comprises. Pris d'une inspiration
.soudaine, Il joint alors < les deux dois ensemble de ses
1. 2t>sept. laofî.
'J. Jacqiipude Oéquy, seigneur de Heilly oi du l*a<, llltt de Jacques
de ll«îlly et d'Alix de t'oricy, avait ôpoii^é Ade de HaiiiPval. Kn IS?*.»,
il ;iv;ïit MiuH ses ordres quatre ohevalïeps et treize éruyers. Il assista
atix sièges d'.Aquigny (ftr>ùt 136'») et d'Ardres < l.'C'K '^onibaMit eu Ppuhsi»
;iver It* s Teuloniqties, et avait dt^jà étf> eu «trient avaut l'oxp^dilion do
lloM^ri*^ (V. pliiN haut. p. *2i!l). Il i^tnit rliambellan Ju duc do bour*
goyiie (l-'roiiisart, 6d. Kcrvyn, .\xi, 537-B).
MASSACRR IiKS nUS(tN\|RUS.
4 doux maius eu regardant lo Hoznt, et rïst signe que il
« estant oomo son propre frêro «t qu'il le rospitast »,
Ce signe est saisi du sultan et Bouciuuut esl sauvé. Ui«'U,
dit le chrouiqui'ur, voulait garder son serviteur et le ré-
server pour accomplir d'autres exploits, et venger par lui le
d<^sastre de NiL*opnlis".
Cette sîuiLrIaiite boiirherie dura toute la jouruée. Les \io-
limes marchaient l'ésiguées au supplice, comme des agneaux
traînés par le boucher. Lo sentimont rhréiien les soutenait;
elles niaur.'iipiil oti niartyrs « ptiur ri-xausscun'nt de la foy »,
(*t nul ne pouvait souhaiter une niorl plus enviable, « si n'est
« mie (bmbte que, se ilz la recrurent en bon gré, que iU sont
* sains eu paradis. » lin nuMiraut ils s'4'xh'triaienl les uns
les antres. Hans Greiff, chevalier bavarois, soutenait le cou-
rage de ses niuupagnons ; :i haute voix il invoquait le Sei-
gneur, et en le reuierrianl de lui donner la couronne du
martyi*e. il s'agenouilla pour recevoir le c.iuip fatal. Seul.s les
prisonniers Agés tW moins de vingt ans furent épargnés ;
parmi eux Schilrlierger, qui avait à peine seize ans,
dni son salnl :\ rinterveniiou du Hls du s\il1an. (^nand les
Turcs furent fatigués de frapper H le sultan d't'n\t)vcr les
prisonniers à la mort, vers quatr»? heures [lu soir, à la prière
de l'enloiiragc d<' Uîijîizct. ordre fuî donné il'arréter le car-
nage; il avait coulé la vie ii environ trois mille hommes, pour
la plupart chevaliers ou écuyers'.
La connaissance «le la langue turque, a^qu'isê en servant
dans les années musulmanes, sauva Jacques de Heilly et
Jacques du Fay, de ïournay ; Tamour du gain, en faisant
cacher aux soldats turcs leurs prisonniers pour en tirei' Ih'*-
néfice, «Ml sauva quelques autres. Ceux des captifs qui échap-
pèrent à la mort furent partagés entre les soldat», comme le
resti» du butin, ^smt la part due au sultan : bien peu
1. Lirre dfx faits. I. ch. xxv, p. 596-". — Proissart (éd. Korvyn, xv,
327) dit que te comte du Ncvors fit signe & Bajazct en comptant d'uno
main sur l'autn* < qu'il paierait grant finance. » — Itabbi Joseph,
{Chroniclrs, Lontli-cs, 1835, I. 252.)
2. NoiiH rniyuns qu'il iic faut admettre ni le chilTre de trois ceius
hommti's, duiiné par Krùissart et Kabbi Josopli ot évidemment tWisinfi^-
rieur h la réalité, ni celui do dix mille hommes donné par Schiltbergcr.
— fti'h'ffiett.i' fte Sfiinl-lh*ni*. n. p. 518.
■2K0i RoiïT pF.s pnrsoNNiKus.
piu-ent se racheter à prix d'argent, la plus granr]p parti*? fut
vendue comme esclaves'.
Quekiups pr-istmiiiors de marque, parmi lesquels Jean do
Nevers» avaient seuls été réservés pour être mis à rançon,
co nime nous venons de ledire.Lournombre ne nous est pas exac-
teraentconnu; il ne dépassait pas vïn^t-quatro. Schiltberger
le tixe à quatorze, dont douze Kfanrais; d'autres sources à
cinq seulement. C'étaient, outre le comte de Nevors, le con-
nétalile, ruuc'v. le comte de la Marche, Henrv de Bar, Guy
de la Trémouille, Jean de Hangest', le maK'chal Roucicaut,
Uenier Pot\ maître d'hôtel du comte de Nevers. Jacques de
Couriianibles', hliistaclie de IlUua*. qui fut palatin de Hon-
grie, Tristan do Me^sein, Jean de Varsenaere. Etienne Sjnû-
lier", Jean de Bodem', et quelques autres*.
De Nicopolis, ils furent iliri^'i^ sur Andriiiople, centre de
la puissance turque en Hurope, et y restèreut quinze jours,
puis de là sur Gallipoli. Leur séjour ei» cette ville fut de
deux mois. Le comle de Nevers et ses compagnons étaient
logés à Tétage supérieur d'une tour dont le bas était occupé
par trois cents captifs; i;es derniers faisaient partie du butin
ihi sultîin: parmi eux était Schiltberger, dont le n'cit nous a
transmis ces détails. Pendant que les Chrétien» attendaient à
Gallipoli que leur sort fiH décidé, un ordi^e du sultan enjoi-
gnit de les faire passer m Asie et de les conduire à Brousse,
1. Heligietts de Saint Denis^ n, 516-8; — Froissart, éj. Kervjii, xv,
321-9; — Litre des ftiitK. i, ch. x.VV, p. 596-7; — Schiltberger, p. 54-6;
— Cf. Brauner, p. 50-».
2. \ oir plus jinut, p. 171. — I] donna quittance, le 23 avril 1398, de
mille francs d'or reçus du duc d'Orléans pour sa rançon. (Ditil. nat.,
fr. nouv. acq. 3639, pièces 307 et 3I7.I
3. Voir plus h:iut, p. 231.
4. Voir plu< haut, p. 236.
». Pour KustuL-he de llisua, v. Pièces justificatives, n» xvi.
6. Hraunorip. 51) identitle ce persoimage avec Rtienne Sdimichàr^
un llavaruis tiui fut or^é chevalier à cause de sa conduite pendant la
bataille. Uruun {The Bondafje atiti travelg... p. 112). proj>08e de recon-
nailre dans K. Synfdior. Ktieniie Siniontornya, neveu d'Rtienue Laszko-
vich, voivode de Transylvanie.
7. lïrauner (p. 5!» l'appelle .loan de lïaile. Il s'apt, d'après Hruun
{The lionHaije itntt IraveU. p. 112) île Jean Sracimir. rni de la Bulgarie
occidentale, dont la capitale clait W'idditi {en allemand hodetn\.
8. Habbi Joseph, CArom'r/M.l, 252; — Froiiisart, éd. Kervyn.XV, Si5;
— Schiltberger, p. 55.
IMLK I)K I.A Fl.iiTTK i'OAl.ISKK.
2a:
en Anatulie. La captivité, sans être, semblnt-il, d'iino rig-iipiir
oxtrt'me, ne laissa pas que d'éprouver b*ïaucoup les clievaliVr**.
Hahitiu^s .-i une nourriUire raffinée, au service de nombreux
douiestiiiues, ils avaient i)eiiie i\ se contenter de gros^^es
viandes mal cuites et mal préparés, de pain de millet, et à
supporter la privation de vin ; on vit bienttH les maladies
s'attaqupr à eux. A Bmusse, ii.s furent rejoints par Bajazet,
et, sur son ordre, la prison du comte de Nevers fut adoucie;
un palais, voisin de celui du Sultan, lui fut assij^né comme rési-
dence. Il fallut que le prince, par sa n^signation et sa bonne
humeur, soutint et réconfortât ses compagnons. Le comte de
la Marche, Henri tU» Bar. b^ maréchal prenaient leur mal en
patience. Ce dernier surtout s'applaudissait d'avoir échappé
à la mort qu'il avait vue de si près : <« A l'avenir» disait-il.
** ce que je vivrai, il me semble que ce sera avantage »i. Il
remontait le couratre do ses amis et cherchait à leur faire
partagerses espérances « dans une prompte délivrance', h
La barque sur laquelle Sigismond s'était réfug'ié avec son
escorte nvait descendu le cours du Danube jusqu'à la mer
Noire et de là le fugitif avait ga^aié fonstantiriople sous la
protection de la flotte coalisée qui croisait aux bouches du
Danube. Le Me de cette flotte, commandéo par Thomas
Mocenigo, et coiupusée de quaraMt*'-(|u;itre brUiments appar-
tenant aux Vénitiens, â l'ordre de Rhodes, à l'empereur et aux
princes chn^tiens de riiios et de Mitylène, n'avait pas répondu
k l'espoir de la chrétienté. Elle semblait assez forte, ce-
pendant, pour paralyser la marine encore peu déveiopi)ée des
(Jttomans, et empêcher ou au moins entraver le passage à
Gallipoli des contingents tiu'cs venant d'Asie. Il n'en fut rien;
croisant devant Constantinople et plus tard aux bouches du
Danube, elle attendit dans l'inaction i'airivée des croisés, au
lieu d'inquiéter le passage des renforl,s dans le Bosphore*. Le
sultan, sentant son infériorité maritime, réussit à dérober à
Thomas Mocenigo, dans les ports avolsiuant Gallipoli, ses
valtscaux de transport. De son côté, Venise, qui avait surtout
1. SchiUberKsr, p. 57; — Froiiwait, éd. Kervyn, xv, 3^0-3.
2. Heyd lGr*fA. ''e* Lfrti»trfninthh, ii, 2fi'2) ditqnn Mocenl^ n*ap-
rivA dovnnt (^onsijintiiiuple ({ue lo 2 septembre; kî co fait est vrai, il
n'eftt pas étonnant que k: jnnisage dce truupes ottomanes par le Uospliure
ae soit accompli sans tMiruiiibre.
en vue la sécurité de son commei*ce et spécialement celle de
galères revenant de la Mer Noire, ne cessa, durant tout l'êlw,
pi.mr assurer ce résultat, d'envoyer à ses agents les instilla-
tions les plus précises et les rtmforts dont, elle pouvait dis-
poser. Nauplie [Neapolis tie Homania), N^grepont et le groupe
des Cvelades étaient signalés à l'attention du capitaine
vénitien pour les défendre conln.' tonte atlufiuc dos Turcs : si
la flotte coalisée se dispersait, ordre était dt)nné à Moceni^n
de se replier, sans retanl, avec ses vaisseaux, dans l'Archipel
pour y protéger les pttssessions véniliennos. tiiiand la calas-
în>|i!if* fut connue, la ré[ni1ili(|ue «ic Saiul Marc, très effra^'èe,
tit de ntmveaux armeuuuits dans ce but ; sa colonie de Fera,
menacée par le siège de Constantinople que le sultan menait
activement lorsquo les croisés entrèrent en Dulgarie. avait
été ilégagée par la rtotle de Mocenigo' et la retrait^ de
Bajazet» mais elle était de nouveau en péril ; ou était sans
nouvelles des galères de la mer Noire, et le triomphe des
Turcs rendait la siluatinn très précaire. Il semble ijue si la
politique vénitienne n'avait pas exclusivement tondu à pro-
téger, sans rien risi[upr, ses intérêts comiiu'rciîmx, un effort
eût pu être tenté a\ec chance de succès jiar la ilote com-
binée ; une diversion énergique, sur le Bosphore, pouvait
changer la face des choses et peut-être éviter le désastre de
Nicopolis",
Sous loscorte des vaisseaux chrétiens, le vo'x de Hongrie attei-
gnit Constaiitinople sans encombre ; il n'y resta que le tentps
nécessaire p<jur saluer l'empereur, et s'emharr|ua avec le
grantl-maitre de l'ordre de Saint .lean sur un navire vénitien
pour Khodes. Devant Cialliiioli. les Turcs» informés de son
passage, font ranger sur \o rivage tniis les prisonniers chi'é-
tiens, et crient à Sigismond, avec une aniéro ii*onie, do
débarquer et de délivrer ses sujets. Ils n'avaient, du reste,
aucun moyen d'empêcher la Hotte chrétieime de franchir les
1. Keytl, Gesch. des Levantehandels, n, 262, nuteS.
2. Marino Sanuto. Vile fie' tiucht di Venesia iMnratori. xxn. 762); —
22 juin 1^96 (.\rch. (Je Venisp). Sert. .tfiJî/i. XLHi, f. 138) ; 20 juillet
1396 (ê(|. Ljiihic, Mon. spect. hid. atav. merid., i\, :t78) ; — 29 et 31
octobre 1396 (êtl. Ljubic, iv, 3SG-88, 390-1); — 28 novembre 1396 (Sen.
Mi$lt\ xim, r. 158 v"> ; — 12 janvier 1397 {Sen. Ali»ii\ xun, f. 166 v«» ;
— Cf. Urauner, ji. 25.
Dardanelles, et Sigismond continua su route sans ôtre
iniiuièté'. A Rhodes, quittant 1© graiid-inaître, il fit voile
sur un navire de Zara vers l'Adriatiqur;, sous la protection de
Iroiï^ galères vénitiennes et aborda â Mtulon le G décembre. La
nouvelle de ce retour, connue A Venise le 10 du mémo mois,
estaussitùt transmise par la république aux autorités iJe Hude,
à l'empereur des Romains, Venceslas, et aux ducs d'Autriche.
En même temps, pour connaître les intetïtions ultérieures
de Sigismond et les détails de la campagne, les Vénitiens
envoient au devant de lui jusqu'à Ragu.se un envoyé extraor-
dinaire; mais Sigismond, au lieu de rentrer en Hongrie pai'
Venise, passe l'hiver en Dalmaiie et en lUyrie, où sa présence
est rendue nécessaire par la fidélité chancelante de ses sujets
et les menées du parti de Ladislas*. Pendant ce temps,
Nicolas de Gara et Jean de Maroth. qui lui sont toujours
fidèles, reconquièrent la Croatie et une partie de la Bosnie ;
leurs victoires ouvrent au roi la roule de Hongrie qu'il regagne
au printemps^.
Ceux des croisés qui avaient réussi â atteindre après la
bataille la rive gauche du Danube, et de là, au prix de
mille périls et de privations de toutes sortes, l'Autricho el
l'Allemagne, avaient npi)ort(? la nouvelle du désastre, et elle
s'était rapidement répandue jusqu'en France. Bientôt même
ces bmits alarmants avaient pris une telle consistance, que
Charles vi, en l'absence de renseigiieinents officiels, dut
défendre la dindgation de pareilles nouvelles avec ordre
d'enfermer les propagateurs au Chàtelet et de les faire noyer
s'ils étaient convaincus de mensonge*. On conroit l'impa-
tience de la France à apprendre le sort de l'expédition;
dans la noblesse française et bourguignonne» il n'y avait pus
1. Chalcocondylafi, /> reb. Turc. (éd. de Bonn, 1843), I. i, p. 40; —
Schiltbergor. p. 56.
2. Ladiiilas de Durazzo, fils de Charles iir, roi de Naples, avait suc-
cédé en 1386 à SOI» père. 11 ne fut maître inconie>lé de son royaume
qu'en 1399. [| cljercha à enlever les province» iliynennes et dalmatcs
de la Hongrie à Sipisrnond.
a. Sigismund tMait de retour à Bude avant le 28 mii 1397 (Fejer,
Cod. di'pi. linng.. pashim; — Ijutdc, Mon. ipeet., iv. 393-4 vi 'i03 (ins-
tructions du sénat du 7 a\ril 1397) : — I.(:ciu:i, de Uegno Ùahnatûe dan»
Sohwandlner, tn, 417; -~ Ai^clibacli, i, ch. 6, pâssim).
4. Froissart, éd. Kervyn, xv, 331-2.
lu
de famille qui n'eiit un de ses membres en Hongrie; parmi la
bourgeoisie et le peuple, renthousiasuic pour la croisade, la
haine dt? l'infidèle enlri^cnaient la curiosité publique et la
ferme conrtance dans la victoire. Aussi les premières rumeurs
de la dt}faite. répandues à Paris dans les premiers jours de
décembre I3'.)(j, furent-elles accneillio-i avec le plus vif inté-
rêt et la plus profonde douleur'. Au premier moment, on ne
voulut pas ajouter foi au désastre; il semblait impossible que
l'élite de la clievalerio, d'un conrage épntuvé en maints com-
bats, so fùl laissé anéantir par des hordes d'infidèles. Cepcn-
dani, devant la persistance de la nonvelle apportée par deux
valets du connétable', riiniuiéiude redoubla; on chercha
de toutes parts à savoir la vérité. Charles vi et le duc de
Bourgogne envoient, dans ce but, Jean de Neuville et Guil-
laume de l'Aigle à Venise, porli'urs dti lettres pour la seigneu-
rie (7-8 décembre;; le même Jour, Pietrequin VVandewalIe,
valet du duc. prend la route de Hongrie avec une mission
semblable. Deux jours après (10 décembre), l'inquiétude
redoublant. Charles vi fait partir en toute hâte deux de ses
écuyers, Jean Picquot et Pierre de Keini>>'; et le duc d'Or-
léans, en recommandant son écuver Cetbiz Prunelle' à la
beinveillance du doge, prie ce doniier de lui fournir tous les
ren.seignements qu'il aura sur les tristes é\énements dont la
rumeur vient de se répandicen France. Le 13, c'est Geoffroy
de Saint Marc, serviteur a'Honri de Bar. qui part pour s'cn-
quêrii* du >i(»rl de son maître» et des autres barons français*;
frère Guillaume Pierre, ei*mite du duc de Borry, l'accom-
pagne*. — La république de Venise est, à ce moment, le
1. Froissart, M. Kepvyii, XV, 331-2.
2. P. lîauj-n, Méin. itu Vfii'i;je^ p. 34'J v-SoO.
3. Arch. de Venjse (/ liOrt Cotumem'rrinU ddia Hrp. di Vettesia, t. m,
n" 44-8, p. 2'i3-4. Éd. Mas Latri<^, Commerce et Exjiédi lions.., p. 138-63 ;
— Arch. dclaCùte-d'Op. B. 1511, T. 30.
4 Arch. de Venise. Cûtnmfm., t. ni, n" 49, p. 244. Éd. Mas Latrii
Commerce et exp'itHùtns,\i. 163. — Uoïhiz Prunelle était accompagr
de Jean de la t'iurhe, valet de ohain re du duc d'Orléans. Ils reçurent
300 francs, le t3 dtWmbrc. pjur les frais de leur voyage. (Bibi. nat.. fr
nouv. acq.. 363i>, pièces 268-9.1
5. Arcli. de Venise, Cumittem.. l. m, n» 50, p. 244. Ed. Mas Latrie,
Commerce et eXf)t'tiilion/t,.., p. ICô.
G. Buit. de ta Soc. acad. de I.aon, xxiv, 52 (pièces de la collection
JACQrKS in: ItKIIXY EN FRANCfi. 201
trait d'union entro l'Occident et le Levant. Si, «l'une part.
elle s'occupo avec la plus grande activité d'arrôter Tinvasion
menaçante des Turcs dans rArehipol, si elle n<>gocic avec
Sigismond et l'aide à rentrer dans ses états, d'autre part elle
met beaucoup d'empressement à faciliter les rapports de la
France ave<r les survivants de In cr<tisade. Robert de Bar,
sans nouvelles de son fils Philippe, sachant seulement que
son autrt» fils Henri est prisonnier à Widdin, demande à la
seigneurie de lui donner des rtMiseignements certains ; la
dame de Cùucj implore l'assistance des Vénitiens pour faire
i^elAcher son mari ; In duc d'Orléans les supplie de mettre tout
en œuvre pour obtenir t'élar/^îssenient des prisonniers'.
C'est qu'en effet l'incerlitude île la cour tie France avait
cessé. Le lendemain de la bataille, Bajazet, à la prière du
eomte de Nevers, avait rendu la liberté à Jacques de Heilly,
l'avait chargé d'exposer au roi et an duc de Bourgogne
les détails de la défaite ije Nic«»|io!is, de leur domand^M-
leurs intentions au sujet du rachat des captifs, et de lui rap-
porter, sans retard. leni' lépun^e. Heilly s'étJiit immédia-
tement mis en route, porteur de lettres île Jean de Nevers
et d'instructions verbales. Il prit le chemin tW la Lombar-
ilie. afin de saluer à Milan, en passant. Jean Galéas Vis-
conti. de la part du sultan, et de publier partout la nou-
velle de la victoire îles troupes otl<imanes. Le chevalier
bourguignon fit diligence: la nuit de Noël il arrivait â Paris,
et < tout lioiisé et tout espouronné », pénétrait à l'hôtel
Saint Pol, <e faisait connaître des chambellans royaux et
introduire auprès du roi. Autonr de ce dernier les ducs d*Or-
léans, de Berry, de Bourgogne et de Boiu'bou, le comte
de Sainl Pol ei toute la courétaifut réunis à l'occasion de hi
solennité de Noël. S'agenouillant devant (Charles vi, Heilly
raconte en détail toutes les péripéties de la campagne, la la-
mentable histoire lie la défuite, la niort glorieuse de ceux qui
sont tombés â l'ennemi, lu cruauté de Bajazet, le sahu
inespéré de ceux que le vainqueur a épui'gués. Son l'écit
Joursanvault, éditées par M. Mangin, ii" 42^ Ue l'inventaire dea arcb.
Juunrtiivaiill f, p. 59-6U).
I. 2a (iéroinbre l/tUB (Commfm. m, n" 52, p. 2iM — 31 décembre
{Commem. tu, ii» 53, p. 244), — 1" janvior 139T yCummevi. nr, n» 55^
p. 245). VA. Mas I-atrie, Commerre et Expédition»^ p, 167-170.
OO'i
DEUL GENERAI. K\ FKANCb*.
terminé, il se relève; le rui donne aussitôt l'ordre de relâcher
les prisonnier.s enfermés au Chûlelet pour avoir divulgué la
nouvelle, malhenreuseiuenl trop rétdlc, de rêchou subi par
les croisés'. On se presse autour d'Ht^illy; cliacuii veut con-
naître le sort d'un fiis, d'uu frère, d'un purent, d'un ami.
C'est une désolation générale, un deuil publie qui s'étend sur
louie la France et la Bourgogne. Qui n'a ni parent, ni ami à
pleurer, plaint la « noldf^ chevalerie i]ui esfoit coiuute la fleur
« de France, qui périe y esloîL ». Les plus grandes dames
de France sont dans les larmes; le duc de Bourgogne^ au
milieu de la joie iju'il éprouve de savoir son fils sain et sauf,
se lamente de la purlt; de ses meilleurs gentilshommes. En
dehors de la cour, le sentiment public n'est pas moins dou-
loureusement alTecté. A l'espoir de la paix avec l'Angleterre,
qui seuiblaîl certaine, succèdent ht doideur et l'atBiction; la
honte et la tristesse remplissent tous les cœurs, et lorsque,
quelques jours après (0 janvier Ï3U7), un ser\ice solennel est
célébré pour les morts dans toutes les églises de Paris.
l'afïluence des assistants montre la part que tout le paya
prend à une catastrophe sans précédents. « Et estoit grant
« pitié à ouïr les cloches sonner de par toutes les églises
« de Paris, où l'on chantoit et faisoit prières pour eulx, et
* chacun à larmes et plains s'en aloit priant »'
1. Frolssart, éd. Kervyn, xv, 329 et 332-5; — P. Bauyn Mëm, du
voiage, p. 3j2.
2. Frolssart, od. Kervyn, xv, 335-6; — Religieux de Saint Denis^
IJ, p. 520-2; — Livre des faiU^ i, ch. x.wi, p. 597-8; — Juvénal des
Ursins, n, p. 410.
CHAPITRE VII.
COUP D ŒIL SUR LA CAMPAâNE
Un désastre aussi complet ^ue celui de Nicopolis pst, dans
les annales de riiistoiro, un fait assez rare pour qu'il soil
intéressant de s'y arrêter quoUjues instants. Par suite de
quelles circonstîïncfis une armée de cent mille hnnimes, dis-
posant d'un matériel de guerre considérable, pleine d'en-
thousiasme pour la cause qu'elle défendait, et ne ménageant
ni son sang ni sa vaillanrn afin dn la faire triompher, a-t-elle
été anéantie devant Nicopolis parles forces turques? Quelles
fautes dans les opérations militaires, dans la discipline des
croisés, dans la conduite des troupes ont amené un pareil
t»ffondrement ? C'est ce que nous allons chercher à exposer
en quelques mots'.
On ne saurait reprocher aux croisés d'avcnr pris Nicopolis
cf»mrae objectif de leur mouvement offensif. Nous avons
montré l'importance stratégique de cette place pour une
armée cherchant à envahir les possessions ottomanes, et nous
ne pouvons qu'approuver la ligne de marche adoptée. Mais
l'ordre dans lequel s'accomplit cotte marche, l'imprévoyance
des chefs et l'indiscipline des troupes, l'oubli des précautions
les plus élémentaires pour couvrir l'armée, le luxe et le faste
déployés dans le camp, méritent les plus sérieuses cntiques.
Si, dans ces conditions, un atteignit sans encombre Nicopolis,
c'est que la Bulgarie était dégarnie de troupes, et que les
forces turques, laissées dans le pays par Kajazet, étaient trop
faibles pour inquiéter les mouvements des Chrétien*. Ce Ait
I. Vuir pour tout ce chapitre) K. Kîhs (p. 28<J et suiv.), auquel lions
KvoiiK emprunté les principaux traits de cette élude.
ri. SÏ'R I.A CAMP.VîKK.
pour ces derniers une heureuse fortune, dont ils profitèronl
en s'emparant. clicmin faisant, de fiuokiues forteresses mal
défendues ; mais dès cos premiers engagements, un observa-
teur cliiirvoyant eût pu remarquer, dans la faron dont ils
furent couduits, des .symptômes alarmants pour la suiti^ de la
ranipagiio.
La chevalerie, dont la bravoure n'est pas en questicm,
avait d'elle-mr*me une haute opinion ; malgré son ignorance
des règles de la stratégie, elle se croyait infaillible dans l'art
do la guerre. Quiconque n'était pas chevalier était indigne de
tenir une épée, et il eût fait beau soutenir qu'une armée de
mercenaires, une horde de barbares pouvait lui tenir tète et
se mesurer avec elle. Une pareille outrecuidance lui sera
fatale, le jour où elle se mesurera avec un eniiend qui n'obéira
pas seulement, comme elle, aux inspirations d'une valeur
téméraire , mais encoiv* aux ordres tactiques d'un chef
exprriuienté.
.lustju'à Nicopolis la marche des croisés fut une ujarclie
triomphale. Arrivés devant la place, ils tentent de l'onle\cr
de vive force, mais l'absence de uuitérici de siège fait échouer
leur dessein ; ils se décident alors à l'investir, par torro avw
leurs troupes, sur le Danube avec la Hottille hongroi.'se, e( ce
blocus entrave les mouvements de toulo Taruiée. Ne pou-
vaient-ils pas. pnisfjiie riiiipnssibilit*' d'un siège en règle avait
été de suite recuunue, maintenir le blocus avec une partie do
leurs forces, et. en continuant leur mouvement offensif»
franchir les Balkans avec le reste de rarnu'*e?
I.a crête des Balkîuis est distante d'environ vingt-cin(|
lieues de Nicopolis; en tenant compte des accidents de ter-
rain, des difficultés iiiln'renle« ù des riiarohcs daii>» les m«ui-
tagnes. l'armée rlinHiemie rut \m l'atteindre en huit jours,
surtout si elle avait éti^ divisée en plusieurs corps. La bataille
se fût livrée dans la vallée Je l'Msma et dan•^ celle de la Wîda ;
les croisés eussent ainsi été maîtres des délilés de la vallée de la
Jantra, par lesqmds lîajaztît pouvait déboucher dans lu plaine,
comme révéuemcnt l'a prou\é. Eiilin. s'il était trop tard pimr
devancer le sultan, (jui a\ait franchi la chaîne des Uulkatis
dès le m septembre, au moins le» croisas, ayant dépassé
Tirnovo et Lavocsa. eussent, avant l'aiTivée de l'eiMiemi.
occupé les défilés, et empêché les Ott(uuuns de descendn- dans
la plaine.
DAIfOBRS DD SIEGE DE ^^COPOLIS.
Rien do pareil no fut tonti^ ; un mouvompnt en avant eAt
éloigné les Clu'éliensde leur cculi'c de ruvitiiillcmcnt, et, dans
un pays pauvre et peu peuplé, on ne pouvait songer à faire
vivre rarmée avec les ressource-i locales ; encore moins pou-
vait-on, à travers les montagnes, la fuiro suivre de ses
approvisitmnements. Il faut ajouter que. composée en gi-ande
partie de cavalerie, elle eût éprouvé de très sérieuses diffi-
cultés à franchir les Balkans. Ce^ considératious. ([ui excu-sent
en quelque sorte la conduite des croisé:*, no sont pas décisives,
puisque liajazet, a>oc ui:e armée également composée d'une
noriibfLMise cavalerie» francliït les Balkans sans laisser sa
cavalene en arrière et sans que ses troupes souffrissent de
la faim. Les coalisés devaient avoir prévu ces difficultés, et
ne pas s'y arrêter. D'un avitre ci'ité, sachant ou soupçonnant
tout au moins que les Turcs se concentraient entre Andri-
nople et Philippopnli. ils ne jmuvaient songera descendre le
coui*s du Danube punr teinlre la main à la tiotte qui croisait
à reml)ouelim*e du fleuve, sans exposer et découvrir leur
armée du côté des Balkans' ; une pareille manœuvre eut été
dé:*asU'euse. Effrayés rl'une marcb(f à travers les montagnes,
rejtoussanl à juste titre une marche le long du ileuve. ils
restèrent dans l'inaction ; cette résolution était justifiée par
la tactiquf de répo(|ue, qui défendait de laisser derrière soi
une place sans la réduire, et remlait ainsi la prise de Nico-
polis indispensahle avant d'aller plus loin.
Si les croisés ne devait-nt pas s'éloigner de Nicopolis avant
de l'avoir conquise, au moins imporlait-ilile l'enlever au plus
lot : le manque de machines dt^ siège les obligea à restreindre
leurs opérations à un blocus, circonstance malheureuse, car
un siège en régie étiiit possible. La Hotte coalisée croisait â
l'embouchure du Danube, â quatre-vingt-dix lieues environ
de Nico]iolis ; elle pouvait ilétacher une partie de ses vaisseaux
sans s'affaiblir assez pour avoir â redouter la niaritie nais-
saute des*Turcs; en une dizaine île jours, cette division
ivmontait le fleuve jusqu'à la place; l'opération n'offrait pas
1. Kii t'iVi, !<• mi dr pDingiio Latliiilns et lliinyiidr roinmirenl une
fiiiilr armliijLïiir; pour ne \nis h V' loti; no r des a]ipmvi:!i>iuiiiieinciUh iprils
rcc<*vftirnt par le fliMiYe, iU vodliirniit l'ii suivre le cours: cfUe marchn
\c lung (lu l'iuiultr niiiena la di^faitc de Warna. — V. Kùliler, p. Î2
et siitv.
2d6
COUP n (EiL SUR r.A campagne.
de difficultés sérieuses, puisque le fleuve est large, profond et
moins rapide que le l-*o, dont les galères vénitieiiues remon-
tèrent maintes fois le cours, dans la guerre que la république
de Saint Marc soutint contre Philippe Marie Visconti, duc de
Milan (lV?l)-I îî I}.
Ce mouvement mettait à la disposition des croisés les ma-
chines de guerre i]ui leur manquaient. Nous savons, en effet,
que, dès 13S0, pendant la guerre de Chioggia, les galères
génoises et vénitiennes étaient armées d'engins lanrant des
boulets de marbre de cent quarante et même de deux cents
livres. A de pareilles machines les murailles de Nicopolia ne
pouvaient ni^ister longtemps, et, ta place aux mains des
Chrétiens, il se peut que \o. sultan n'eût pas osé quitter la
région montagneu^ie des Balkans et descendre dans la plaine
du Danube.
Mais si rien de ce que nous venons do dire ne fut exécuté,
si Bajazet arriva â l'improviste devant NicopoUs, si la bataille
devint inévitable, les croisés prirent-ils, de leur coté, toutes
les mesures que la prudence et la sagesse cummaudaient, au
moment où allait se décider, non seulement le sort de la cam-
pagne, mais celui peut-être d'une partie de la rhrétienté? M
semble que non. L'arniée coalisée n'a ni base de retraite.
ni solides points de défense sur ses flancs; derrière elle, une
place ennemie avec une gai*nisoo entreprenante; plus loin
le Danube, sans pont. En cas de désastre, elle n'échappera, en
battant en retraite, à la garnison de Nicopolis que pour périr
dans les Hots du fleuve. Son aile gauche est découverte dans
la plaine; â droite, un bois pourrait servir de soutien; on
laisse un large espace libre enti'e l'aile droite et cette défense
naturelle. H semble, cependant, qu'on eût pu prendre une
position de combat plus favorable. Au moment où la pré-
sence de Tarraée turque fut signalée, il fallait ranger l'armée
chrétienne eu bataille sur la rive gaucho de l'Osma, qui fe
jette dans le Danube â environ une lieue en amont de Nico-
polis ; ce mouvement avait l'avantage de donner Orsova
comme base d'opérations aux Chi*étipns et de maintenir leurs
communications libres avec rOccident. En même temps la
flottille devait rf monter le Heuve jus(]u'au conflu'*nt de l'Osma,
et jeter l'aneiv» le long du rivage. Dans cetti^ pusitiun hin
croisés pouvaient attendre les forces uttomanes. l*a rapidiii^
des naux du fleuve, la flottille ancive à rembouchure de lu
FAUTES COMMISES PENDANT I.A BATAILLE.
297
rivière étaient pour Bajazet de sérieux obstacles ; Taile
droite des Ottomans se trouvait menacée si les Chrétiens pre-
naient roffensive^ et la bataille s*engageait avec des chances
égales.
La critique est toujours facile, Loin des événements,
ut n'éprouve aucun embarras à indiquer le remède aux
fautes commises. Ici même, en reprochant aux coalisés
de n'avoir pas fait, à rapproche du sultan, un n^ouvement
de convci*sion à droite, nous n'avons pas tenu compte
de l'arrivée soudaine des Turos, d'une surprise qui rendait
une pareille manœuvre singulièrement dilTïcile. Envisa-
geons donc simplement la bataille telle qu'elle si? livra,
et voyons si la fagon dont ello fut conduite mérite d'être
blAméo, et engage la rcsporisubîiitL^ des chefs de la croisade.
Faisons d'abord la part des rivalités qui agitaient l'ar-
mée, des haines que nourrissaient les généraux les uns contre
les autres. Nous savons que, dans le conseil de guerre tenu
;ivant la bataille, elles firent rejeter l'ordro de combat proposé
par Sigisnioud, qu'il fallut mettre les Kran<:ais à l'avant-garde,
et que les défections décisives de Laczkovich et de Mircea
eussent été presque impossibles si le plan du roi de Hongrie
avait été adopté. Ce sont là dos circonstances exoejitionnelles,
supérieures à la volonté humaine, et qu'on ne peut que dé-
plorer, sans les imputer à l'un ou à l'autre des acteurs de ces
lamentables événenieuts. Mais si l'on veut fixer les l'ospon-
siibilités, il faut signaler doux fautes, commises pondant
cette triste journée, et dont les conséquences furent capitales.
La première fauti' fut la manière dont les chevaliers
franco-bourtruiguons attaquèrent l'ennemi. A l'extrême avant-
garde, iU abordent, avec une brillante valeur, la première
ligne turque et l'enfoncent, mais ne savent pas rester maîtres
d'eux-mêraes, et so laissent entraîner sans i*étlexion, au mé-
)>ns de toutes les règles de la stratégie. On sait qu'une charge
lie cavalerie, comme celle qu'ils fournirent, doit êtn^ tou-
duite d'une allure modérée, sans être lente, pour ne pas
hiisser à rennenii It^ temps de se mettre en défense, que sa
vitessf doit s'augmenter progressivement, snns aller jus)|u*â
surujener 1rs rhevaux, (jui. en cas île rotraitr». ne pourraient
plus donner ce qu'on i»\igorail d'eux, qu'enHn un corps rie
rêser\'e doit simtenir le corps qui charge. Aucune de ces pré-
cautions ne fut observée ; la chevalerie arriva bride abattue
COL'P 1* (EIL Sim L\ CAMPAONE.
sur les Turcs, les sabra sans merci, et les poursuivit avec
acharneuienl. Elle épuUa ainsi ses chevaux et se trouva, sans
soutien, très eu avant du gros de l'armée qui n'avait pu la
suivre dans sa course folio.
La seconde faute incombe à Siglsmoud ; il ne comprit pas
assex vite le datjger auquel les Français exposaient l'armée
tout entière. 11 ne vil pas qu'avant tout il ne fallait point les
laisser seuls aux prises avec les Turcs, en avant du front de
bataille, et que, si l'infanterie avait trop île chemin à faire
pour les rejoindre en temps util'-, il (levait porter sa cava-
lerie en avant pour donner à l'avanl-garde uu soutien, au
moins momentané, pendant quL' le reste de ses troupes mar-
chailau secours dt's Français . Sigismond ne quitta pas ses posi-
tions; est-ce faute d'avoir embrassé d*un coup iVœW retendue
du danger? est-ce par dépit d'avoir vu ses plans rejetês et
avec uu secret plaisir de laisser se tirer seul d'une position
critique le pi*ésompt lieux connélable? e<tt-ce parce ([u'îl se
Hait peu à ses troupes et à ses alliés, et qu'il ivdoutait,
comme l'événement l'a prouvé, le peu de stdidité des unes et
la défection des autres? (juel que sf»it le motif auquel il obéit,
les conséquences de son inactiun furent désastreuses.
Du côté des Turcs, les opérations militaires ont un toui
antre caraclère. Le sultan, srcondé par une armée solide,
dévouée, éprouvée dans maints combats, no laisse rien au
hasard, et sa victoire est due autant à la sagesse de ses dis-
po-^ilinns militaires qu'aux fautes de ses adversaires. Son
plan, qu'il poursuit avec une persévérante opiniâtreté, est de
conquérir la Bulgarie pour asseoir solidement la puissance
utlornane on l'iUrope. Maître do cette pruvinre, il cnmmaiide
k* cours inférieur el l'embouchure ilii Danube, il domine toute
la règiou comprise entre les lialkans, le tlouve et la mw
Noire, et la Propontide devient un lac oKoman. Aussi n'hé-
site-t-il pas, quand la marrhc des en usés est anuoncéi'. à
abandonner toutes ses con(piêtos antérieures, qu*il ne peut
défendre ellicacemenï, |iour faire de Nicopolis le centre de la
irsistaui^e. C'est pour lui une position stratégique de premier
ordre ; il y concentre toutes les forces dont il dispose et les
met sous le commandenunit d'un vétéran des armées nuistd-
manes, d'un lieutenant éprouvé, Dogan Bey, avec mission d<'
défendit» la place jusqu'à la dernière extrémité. Lui-même
rassemble ses troupes de secours enire Andrinople et Phi-
TaCTIQHE PRrDEPTTE nK BAJA2ET.
290
lippopoli. Il sait bien qu'une victoire leremoitra en possession
(le tout !o pays abandunné. Sou armée concenlrêe, il se met
un devoir de franchir les Balkans, opératioa difficile dans un
pays pauvre, flrvask*; par la guorro, ot pîu* suitn sans res-
sources, surtout pour une ariiièo en grande partie composée
de cavalerie. Deux roules, celles de Kazaulik et do Tatar-
bazardzsik, mènent aux vallées de la Jantra et de i'Osaia; ce
sont celles qu'il choisit. Vers le 20 septembre, il a atteint
les sommets, reforme son ai-mée, et descend par les pentes
douces du versant occidental dans la plainte du Dannho.
Aucun obstacle n'arrête sa marche, aucun avant-poste
ennemi ne lui dispute les défiles. Les Balkans franchis
sans encombre, Bajazet est maître de la campagne ; les rap-
ports qu'il ret;oit de l'armée croisée, «le l'indiscipline et des
rivalités dont elle donne le spectacle, augmentent sa confiance.
Il n'ignore pas que les alliés des Hongrois, Valaques et Serbes,
sont (l'une Hdélité ehaacelauie, que les croisés sont animés
d'une fulle présomption ; en agissant sans précipitation il
verra bientôt se fttndre devant lui les divers éléments de
rarniée coufédéive. C'est dans ces conditions que la bataille
se tloMiie ; le sultan a pris toutes les précautions commandées
par la prudence ; son uj-niée est rangée en trois lignes, la
cavalerie est aux ailes, prèle à envelopper l'ennemi, et à dé-
fendre les extrémités, toujours plus vulnérables, du fi*ont de
bataille ; les ailes de la troisième ligne dépassent beaucoup
le centre, en sorte que la disposition générale est celle d'un
di-uiicercle ouvert du côté di* rrnnenii ; enlin les Musulmans
tint l'avantage d'une position dominant celle des Chrétiens.
Kn outre, à droit<i une colline escarpée, â gauche un bois
épais fortifient les positions des Turcs, et tandis que les
croisés se font tuer, sans résultat, avec une héroïque bra-
voure, les Ottomans, ébranlés par la furie des attaques qu'ils
ont a soutenir, se reforment sans désordre derrière b'urs
ligne» de bataille, et recommencent la lutte. Devant une
tactique aussi réfléchie, la victoire ne peut échapper à celui
qui a su mettn» fie son ï'(>té toutes les chances favorables et
ne ricti abandonner au hasard, \ii\o reste aux Turcs, et ce ré-
sultat, dû tant â leurs ({ualités mililaires qu'aux faute» de
h'urs adversaires, n'a rien qui doive étonner un spectateur
impartial : tout, en effet, concourait à le lui faiiv prévoir.
CHAPITRE VIIÏ
DELIVRANCE ET RETOUR DES PRISONNIERS.
La nouvellp du désasiro canmtfi ot !a proniière émotion
passée, on s'occupe ù la cour de France des raosuros à
prondro pour obtenir la délivrance des captifs el les arracher,
aussi tôt i^up possiblo, à leur prison. JucqiiPs de Heilly a dlô
chargé par eux d'insister sur la nécessité d'une prompte
intervention ; le duc de lîourgo^ie, désireux de sauver son
fils des mains des infidèles, est partisan des moyens les plus
rapides, et l'on sait qu'une i'ani;on est le seul mode de
libération qu'acceptera Bajazet. Aussi décide-t-on qu'Heilly
retournera prés du sultan ; une auibassrule solennelle, rhar-
gée de né^iirier la mise en librrlè dos prisonniers, raccom-
pagnera.
Pendant qu'Heilly était eu roule vers la France, les envoyés
de Charles vi et des seigneurs français étaient arrivés à Venise.
C'est là qu'ils apprirent le sort malheureux de l'expédition:
li'urs instructions leur eujoig-naient île ne pas ^cf,^1gIler la
l'iance sans avoir vu le couilc de Nevers et ses compagnons;
aussi sollicitèrent-ils de la république do Saint-Marc les moyens
<le continuer leur voyage '. Celle-ci leur conseilla d'aller
d'abord en Diilmatie et de savoir du roi de Hongrie, plus
exactement qu'elle no saurnit le faire, le sort des prisonuiers.
le lieu de leur internement i>t les pourparlei's entamés poui*
I. C.uillaumcdn l'Ai^lr était pEissé par Mjlan où il avait obtenu du
dur Jfiuiiflaléas uiir leUi*e. adress^'ca In seigrïeurio île Voiiiso, la ]iriaiit
iiu'Urc iinf galiTo armée à la di^po>îtiuii du cliambcllan du duf tie
]Umt't!o^t\o. CotlV Irttrefut porléi-Mi Venise par le seigneur do la Croix,
rhambelliin de Jean Cialéas (I*. Hauyn, Mi'm. du voiaffc, f. 331}.
Ot'lLLACME DE L A|Gt>. KN ORIENT. 301
leur délivrance (11 janvier 1397); elle les autorisa, dans ce
Sut, à prendre passage sur ses vaisseaux jusqu'à RagruseV
Quelques semaines plus tard {\ février), elle fit ariuer une
galère pour les mener de Dalmatie à Coiistanlinople '. Si elle
n'avait pas mis, pendant la campagne, autant qu'elle eiU pu et
dû le faire, ses forces e( son itiHuonce au senice de la croi-
^ade, au moins apportait-elle, après la catasiropht'. toute son
activité â faciliter la délivrauf^e des prisonniers, et à ailênuer
les conséquences d'une défaite dont elle sentait tout le danger
pour la paix de l'Europe et pour S(»s propres établissements
du Levant.
Grâce à l'appui que Venise lui prêta, Guillaume di' l'Aigle
put atteindre TUe de Mitylène et gagner de là Mikalidsch",
où se trouvaient tes prisonniers. Le seigneur de la Croix, cham-
bellan du duc de Milan, Pavait accompagné, porteur d'une
lettre pour Bajaxet, dans laquelb^ Galéas recommandait le
comte de Nevers à la bienveillance du sultan. Lt? duc de
Bourgogne avait pris soin de charger son envoyé de quelques
présents destinés au vainqueur ; c*étaient des harnais, selles
ot arçons d'un travail magnifique. Guillaume do TAigle, on
1. Arcli. de Venise, Sert. Misti, XLUr, f. 166 {^d. Ljubic, Mouum.
Bjteel..., IV, 397). A celte date Venise savait ([ti'il y avait des n(^gu-
ciations commencées avec la « liascie », mais croyait (|iie les ppï-
sonniers étaient dans ce pays. — Pendant leur séjour à Venise
Guillaume do l'Aigle, Betliiz Prunelle. Jean PicqucI et Jean de la
Cloche empruntèrent à un négociant véntlicn L>ominiquc, Hls d'André
de Sienne (16 janvier 1397), deux cent quatre-vingt-sept écua et demi
pour subvenir à leurs dépenses. Cette somme fut, plus tard, supitortéc
par moitié ])ar les ducs d'Orléans et de Bourgogne (Bibl. nat., fr. nouv.
acq. 3639, pièce 289).
2. Arch. de Venise, Sen. Secr., E, f. 139 p«-v". — Pendant les mois
de janvier et février 1397, plusieurs chevaliers français arrivèrent ù
Venise, chargés de se rendre auprès des captifs. — Le 23 janvier,
Charles vi envoie Pierre \'allée, un des gardes do la monnaie de
Troyes, h Venise, pour délivrer le sire de laTrémoilIc, le maréchal de
Bourgogne et Itenicr Pot {Ordonnance», vui, 120). — Le 28 janvier,
un ainbassnrleur du roi de France est à Venise avec une mission ana-
logue (Ljubic, Momim. $pret..., iv, 401). Tous ces chevaliers furent au-
toriséa à prendre pavsagc sur la galère armée par délibération du
4 février. — Le 8 mars 1397, Venise permit également à deux autres
chevaliers français d'aller dans le Levant (Arch. de Venise, Sen. Misti,
XLUl, f. 166).
3. A deux journées de Brousse, à l'ouest du lac Ulubad {Leopa-
dium).
DELIVRANCR ET RETOIR DBS PRISONNIERS.
les offrant, devait faire entendre que ce n'était là qne le pré-
lude de présents plus riches, et d'une ambassade plus solen-
nelle. Bajazot, flatté, accueillit sans colère ces ouvertures
pacififiues ; il ne repoussa pas le principe d'une rançon dont
1© chiffre étitit â déterminer, et autorisa Guillaume de l'Aigle
à se mettre en rapports avec Jean de Nevers et le* prisonnioi's.
Après plus de trois semaines {2\ janvier) passées à Mika-
lidsch, l'ainbassadeur du duc de Rmirpogne rotonrna à
Mil^ylène et, de celte île, par Chiiis et Modon, regagna Venise :
dis-huil joui*s après son débarquement dans c^lte ville, il
était de retour à Paris (vers avril l-'iOT ) '.
L'ambassade solennelle, dont il avait annoncé la venue au
sultan, était déjà partie quand il revint en France ; elle se
composait de Jeau de Cliriteauiuorand, de Jean de Vergy et
de Gilbert de Leuwerghenj ; le premier, chainbeîlan et con-
seiller du roi, représentait Charles vi ; c'était à la fois un
homme de guerre et un diplomate du pins grand tnêrite. Tl
s'était illtisiré à rexpéilition de Tunis, sous les ordres du duc
de Bourbon (1390); on faisait grand cas à la cour de co
« chevallier pourveu de sens et de beau langaige. froit et
atleiiipré en toutes manières », et la suite de ce récit mon-
trera qu'il savait aussi bien tenir l'épée qne mener à bonne
fin une négociiition difficile. Ses services contre les inft-
ilèles, raniitié dunt Ihoiïorait le maréchal Houcicaiil Tappi^
lèreni à remplir auprès du suit au une mission qui deman-
dait à la fois de la prudence, du courage et de l'honneur*.
A côté de lui, Jean de Vergy \ gouverneur du comté de
Bourgogne, et Gilbert île Leuwerghem *, gouverneur de
Flandre, étaient envoyés par le duc de Hourgogne; leur
position administrative leur donnait, dans la discussion
de la rançon, une compétence spéciale, et leurs lumières
devaient être d'un gr-and secours pour aboutir à un prompt
arrangement, Jean Blondel, premier écuyer, et raattre
1. P. Bauyn, Mcm. du voiage, î. ;t51-2. — La liste des présents est
donnée par le mi>mc auteur (f. 350 v).
"1. Voir plus haut, pages lB<î et suivantes.
3. Il était seigneur de Fouvans (Fouvcnt-lo-llaul, Haute-Saône,
ar. Gray. cant. < hamplitte). La charge de sénéchal de Bourgogne était
héréditaire dans la maison de Vergy.
4. Il était chevalier et chainbellan du duc dèii 138tf (Arch. de la Côte
d'Or, n, inv ik- Peincedé, wiu. Uni et XXIV, 347).
BAJAZET.
Robert d'AugueU seci^taire du duc*» leur étaient adjoints.
Ils connaissaient la diplomatie et les cours italiennes pour
avoir déjà. Tannée précédente (mai 1 396) , été chargés
d'apaiser un différend survenu entre Jean Galéas Visconti,
duc de Milan, le nïai'tjuis de Montferrat et le prieur de
Piémont et de Morée à l'occasion des prétentions du comte
de Savoie sur les pays situés nu delà des Alpos'. Une
suite nombreuse de vingt-qualre valets, pour conduire les
chevaux et les chiens, el dix fauconniers complétaient lam-
bassado. Elle se mit en route le 20 janvier 1397, peu de
jours après le départ de Jac(|ues de Heilly, qui avait eu hAte
de rendre compte li Bajazet de son voyage et de se constituer
de nouveau prisonnier entre ses mains*.
Les envoyés français étaient porteurs de riches présents
IKtur le sultan ; on connaissait la passion do ce prince
pour la fauconnerie et la cliasse, son amour pour les ten-
tures et étoffes somptueuses ; aussi les cadeaux que lui des-
tinait le duc de Hourgu^'-ne fiu'ent-ils choisis pour Hatler ces
goftts (ît dans l'espoir de rendre les disp4>sitions de Bajazef
plus favorables aux prisonniers. Douze perfaults blancs lui
furent envoyés; on y joignit les gants des fauconniers, tout
brodés de perles et de pierres précieuses, deux selles et har-
nais d'apparat, d'un travail très riche, avec inscriptions en
« lettres san-asinoysines et plusieurs fleurs d'oultrc mer se-
mées » ; des étoffer précieuses, fixées par dos clous et des roses
d'or pendantes, les garnissaient; leui-s In^usses étaient en
broderie d*or de Chypre. Dix chevaux, revêtus de couvertures
aux armes du duc, et conduits par des valets à la livrée de
Bourgogne, deux grands liuuers et huit lévriers furent joints
aux pièces do harnachement préparées pour Bajazet. Les
toiles de Reims, l'écarlate tine, étaient rares en Orient ; les
draps de haute lice d'xVrras, représentant de < bonnes his-
c foires anchiennes ;^ plaisaient particulièrement au sultan ;
1. Itobert d'Aufruel ou de Dangiicl occupait cette charge d^s 138'
{Bev. des fjQc. hisL, \\\ (1880). p. 183-4).
2. bil)l. nai., cuil. de Uourgogno, vol. lOi (compte de novembre
1396 û février 1397).
a. Froitusorl, éd. Kervyn, xv, 337 ot 426-7. I^ dé|)art d'Heilly. d'après
Froiftsan., eut lieu apréh duunLi juurK environ de séjour à l'ari», c'est-
ji-dire vers le 6 ou 7 j&iivier 1U97. — Arcli. do la Cûle d'or, It. 1511.
f. 140.
DELIVRANCE ET RETOUR DES PRISO.NNIERS.
on n*eui partie de les oublier, et, par uno dêlicaïc flatterie,
le sujet (les tapisseries choisies reprêsenlait riiisloire d'A-
lexandre le Grand, dniit Uajazet se plaisait à se proclamer le
descendant. Quelques pièces d'orfèvrerie complotaient les
cadeaux cutifiés aux ambassadeurs français '.
Heilly» parti quelques jours avant Chàteauraorand, Vergy
et Leuwerghem, avait fait diligence pour rejoindre le sultan :
Rajûzet n'était pins à Brousîse, mais A soixante lieues au
delà lie cfute ville', ;'( Holy, en Aîiatolie; les prisonniers l'a-
vaient suivi dans cette nouvelle résidence, sauf Enguerrand de
Couc}', malade, dont le sire de Milyléiie, son [larent élijiyné*.
avait assuré sous caution la liberté provisoire. Le prumpt retour
irHcilly, sa fidélité à tenir sa parole, et la nouvelle de l'ar-
rivée prochaine de l'ambassade tirent sur l'esprit de Bajazet
une heureuse impression ; IleiUy obtint facilement les sauf-
conduits nécessaires aux pléuipotentiaires, et en même temps
sa liberté définitive. 11 put se mettre en rapports avec les
prisonniers, leur donner des nouvelles d'Occident et Tassu-
rauce que toute la France s'intéressait à leur rachat.
L'ambassade, de son côté, avait pris la route de Milan,
sauf Verg}', qui avait gagné direcleraeul la Hongrie ; elle
portait à Jean Galéas une lettre de Philippe le Hardi, et
devait s'assurer des bonnes grâces du duc. Très écouté
à la cour ottomane, Galéas pouvait faciliter le succès de la
mission des plénîpolentiaires français , ou l'entraver à
son gré; il importait donc de se rapprocher de lui*. De
Milan, les envoyés se dirigèrent vers Bude ; ils y rejoignirent
1. Brauner, p. 59-60. V. Pièces justificatives, n" vm.
2. C'est avec cette ville qu'on identifie généralement Pebty et PoUy.
noms donnés par les divers manuscrite de Froissart.
3. Froisaart, en indiquant cette parenté, qu'il nous est impossible
de déterminer, semble s'Wre trompé. Ce qu'il dit de la dame de
Mitylène (éd. Kervyn, xvi^ 5'1) ne se justifie pas non plus au point de
vue généalogique.
4. itibl. nat.f coll. de Bourgogne, vol. lOî (compte de novembre 1396
À février 1397). — Jean d<ï Fismes e; Hector de Marseille, chevaucheurs,
accompagnèrent Jean Blondel et maître Hubert d'Anguel en Lombardie;
l'un devait de là être envoyé â Uude à Jean de Vergy, et l'autre en
France au duc de liourgogne, pour les. informer du résultat de l'am-
bassade auprès de Jean Galéas(Arch. delà COte d'or, B. 1511, f. UO).
— Jean Blondel était revenu de Lombardie en avril 1397 (Arch. de
la Côte d'or, li. 1511, f. 168 \-').
SIQISMÛXD ARRÊTE LES PRÉsKNTS DESTINÉs A BAJAZET. 305
Heilly, porteur des sauf-couduits nécessaires pour tJ'averser
le territoire turc ; niais, selon Froissart, des difficultés s'éle-
vèrent à l'occasion des présents destinés à BajjizeU Le roi de
Hongrie s'opposa à ce que les tiipisseries et les étoffes fussent
envoyées au sultan, parce que c'étaient des témoins durables
d'une victoire dont l'orgueil ottoman avait lieu d'être fier. Chà-
teaumoraud dut en ivférer en toute hâte à Paris ; Charles vi.
r'i cette nouvelle, insista vivement auprès de Sigismnnd par
lettre potir obtenir le libre passage des cadeaux, et l'affaire
no fui terminée, à la satisfaction des plénipotentiaires, que
grâce à Tintervenlion ihi grand-maitre de Rhodes, à cette
époque présent en Hongrie '.
!1 y a dans ce récit plusieurs invraisemblances. Au moment
où Chàleauuiorand arriva â Bude (mars ou avril 131)7), nous
- savons que Sigismond n'était pas en Hongrie, mais en Dal-
m matie ; le grand-mailre, dont le rôle fut prépondérant en
cette affaire, ne semble pas avoir quitté Rhodes, depuis son
» retour de l'expédition ; il est, en outre, impossible que Château-
morand ait eu le temps de demander des instructions en
France, <ie les recevnir à Bude, et d'aller jusqu'à Brousse
t remplir son ambassade auprès de Bajîizet avant la fin de juin,
date à laquelle furent entamées les négociations définitives
pour la mise en liberté du comte de Nevers et de ses compa-
gnons. Enfin, il est au moins étrange que Sigismond ait cher-
ché à entraver la mission des ambassadeurs de Charles vi : il
s'agissait <lu rachat des pristuiuiers, parmi lesquels se trou-
vaient des seigneurs hongrois; la ronduite de Sigismond eut
été en désaccord avec les sacrifices pécuniaires qu'il s'imposa
plus tard pour faciliter la libération des captifs.
11 est cependant possible d'expliquer Terreur du chroni-
queur; il a confondu les dates et les personnages. U est vrai
que le duc de Bourgogne écrivit au roi de Hongrie pour se
plaindre île ce que le raailre des moimaies de Bude, Paul
Bernard, avait ouvert quelques coffres contenant des joyaux
et des vêlements, laissés en garde par le comte de Nevers
à son passage en Hongrie. Il se peut que cet acte arbitraire,
dont nous ne connaissons pas tous les délails. ait donné lieu
h un échange de lettres et de messagers entre Paris ot Bude;
le récit du chroniqueur tire, à n'en pas douter, son origine
1. Froissart, éd. Kervyn, xv, 348-52 et 358.
iU
DELIVRANCE ET RETOLK 1>ES PRISONNIERS.
(le ce fait, mais doit être absolument rejeté en ce qui touche les
présents destinés au sultan'.
Les prisonniers n'avaient pas attendu l'arrivée des plénipo-
tentiaires pour négocier leur délivrance; ils avaient chargé
le maréchal Boucicaut et le sire de la Trémoillo do deman-
der à bajazet si sou ijitention était de mettre à rançon les
captifs, et avaient à grand'peiac obtenu que Boucicaut
et la Trémoille fussent mis en liberté sous caution, aBn de
* pourchasser finance » et de réunir la somme nécessaire
au rachat de leurs compagnons. Munis de sauf-conduits,
ceux-ci s'étiiient mis en route pour Hliodes. Ce voyage,
dont la date exacte nous est inconuiie, se place très
probablement en niai's 1397; nous savous, en effet, que le
maréchal et ta Trémoille étaient encop*' à Brousse le Iti fé-
vrier 1307, et qu'ils arrivèrent ;'t Rhodes avant Pâques
(22 avril 1397)».
Rhodes était, à cette époque, le centre des intérêts chré-
tiens en Orient; depuis quo les empereurs de Constantiuopb*
n'avaient plus qu'un semblant de pouvoir, et que lo royaume
de Chypre obéii^sait tour à tour aux [influences de deux
républiques rivales. Tordre de IHôpilal exerrait une supré-
matie iuconteslée sur les îles de l'Archipel ; les seigneurs do
ces îles, génois ou vénitiens, négociants et banquiers, ne
redoutaient pas une protection (|ui les mettait à l'abri des
tentatives des infidèles sans les constituer en état de gueire
ouverte avec ceux-ci. Us jouissaient ainsi d'une sécurité rela-
tive, dont profilait hnir commerce. C'était à eux qu'il fallait
s'adresser pour obtenir les sommes dont le comte de Nevei's
avait besoin. Intermédiaires entre les négociants italiens et
lo commerce de l'Orient, ils étaient connus sur tous les mar-
chés du Levant, car « marchandise va et court partout, et
« se gouverne et esloffe le monde par celle ordonnance* ».
Bajazet pouvait sans crainte accepter leur signature ; de
1. Arch. du Nord, ïï. 1272, La lettre du duc de Bourgogne n'e^t
pas datée, mais elle est do 1397. V. Pièces justificatives, n" xn.
1!. Uoucicaut et la Trémoille figurent comme témoins au testament
d'IJnguerrand de Coucy (A. du t'hosne, liist. généal. des maisons de
Guinea, d'Ardres, de Gand et de Coucy, Paris. 1631, p. 'iI9). La Tré-
moille mourut à Rhodes dans l'octavo tle l'ùques 1397 (Froissart, éd.
Kervyii, xvi. 264).
U. Kroissart, éd. Kervyn. xv, 3ô6.
MORT r>E LA TUKMOTU-E A RHODES.
30t
leur côté, sans piu'ler du désir qu'ils pouvaient avoir de tirer
los Chrétiens de prison, ils trouvaient, à leur rendre ser-
vice, honneur et profit. En allant à Rhodes , Boucicaut et la
Tréraoille se proposaient d'intéresser à leur cause le grand-
maître. Le concours de Philibert de Naillac, français de
naissance, qui avait pris une part personnelle à la croisade,
n'était pas douteux ; par lui les représentants du comte de
Nevers devaient avoir un accès facile auprès des seigneurs
de. l'Archipel.
A peinte arrivé à Rhodes, la Trémoille tomba malade;
(jLielquea jours après il mourait, malgré les soins dévoués
dont l'entoura le maréchal, lui laissant supporter tout U^
poids des négociations (tin d'avril i:i97'). Sans perdre do
temps, Boucicaut fréta deux navires, et tit voile vers Mity-
lène.
Parmi les princes de l'Archipel, le seigneur de Mity-
lène, François Gattilusio. était un des plus puissants et
des plus en crédit à la cour ottomane; on était sûr de ses
dispositions ù l'égard des prisonniers ; déjà il avait répondu
pour le sire de Coucy. malade, et incapable do quitter
Brousse en même temps que les autres captifs. Il appartenait
;i une noble et riche famille génoise. Son pèiv', venu dans le
1. FroiB8art(éd. Kervyn, xvi, 52) place, par errcup,ceUe mort pen-
dant le passage des chevalier» û Khodes au ivtuur de la captivité,
c'est-à-dire en septembre 1397. La nouvelle de ce décès fut apportée
au duc do Bourgupne par Jean de llangest (5 janvier 1398), et afQigea
profonde m ont Philippe le Hardi. Iloucicaut avait fait enterrer Guide la
Trémoille à Hliodcs; Guillaume de l'Aigle^ chambellan du duc de Boui*-
gogne, qui avait été envoyé à Venise aux premiers bruits de la défaite
de .N'icopolis (7-8 décembre 1396) et en Orient pour s'enquérir du sort
des prisonnieis, fut en 1399 (Juin-septembre) spécialement chargé d»
présider à Itbodes à l'exliumation des restes de la Trémoille, et de les
rapporter en France, (wur les faire inhumer k la i'iiartreuse de Dijon,
dans la sépulture des du<'M de Iluurgogne (V. Kroissart, éd. Kervyn,
XVI. 250 et 26'» ; P. liauyn. Mém. du voiatje^ f. 359 vMiO). M. Kervyn de
Lettenbove dit d'autre part (Kroissart, \xv, 128) que ce fut Pierre
Vallée qui fut ciiargé de ramener en l'rance le corps de la Trémoille.
2. La généalogie des seigneurs de Mityiènl^ malgré les travaux tes
plus récents Eaits à Gùnes, est fort confuse. Il semble cependant que
le premier Gattilusio qui s'établit à Lesbos, François, ne pouvait être
le mdme que celui qui intervint en 1397 à la rançon des prisonniers,
bien que portant le même prénom.
308
DKUVRANCE ET RETûCU liES PUISONNIEKS.
Levant avtic deux galères courir la fortune (1354), avait fait
réussir un coup de main sur Constantinople. et rétabli Jean
PaléoIogiiG sur le trône impérial. Jean, par reconnaissance,
lui avait donné la main de sa tille Mari»' et Tile de Lesbos en
fief, lui faisant ainsi prendre rang parmi les hauts barons
chrétiens du Levant. Les Oattlliisin avaient su profiter à
merveille de cette situation, et aug^menter en môme temps la
prospérité de leurs états et de leur maison; à la cour de
Constantinople ils |)arlaieat en niailpt's; à Gènes, ils étaient
également écoutés par In république, dont ils accroissaient
l'inrtuence en Orient et développaient le commerce. lU
avaient étendu sur le continent asiatique leur domination en
prenant à bail les possessions de la Mahone deChios â Foglia
Nuova*. Une branche de leur famille s'était établie, dès 1384,
sur la côte de Tiin]iiie„ :ï /Enos, à rembouchure de la Maritza
{Hébrus)\ la ville s'était donnée, pour échapper à l'oppres-
sion du fonctionnaire grec qui la gouvernait, à Nicolas Gatll-
lusio, frère de Franrnis. premier iln nom. tige des seigneurs
de Mitylèae. Centre commercial important. /Enos servait,
grâce à sa position, de trait d'union entre les îles de l'Ar-
chipel et la Turquie d'Europe, et approvisionnait toute la
Thrace et la Macédoine de salaisons'.
Le maréchal, à son arrivée à Lesbos, exposa à Gattilusio
l'objet de sa venue, et < tant y mist peine et si gracieuse-
« ment et tant sagement parla », qu'il obtint de lui un prêt de
trente-six mille francs. Muni de celte somme, qui permettait
de parer aux nécessités les plus pressantes des captifs, Bou-
cicaut se hAta de retourner auprès du comte de Nevers. Le
seigneur d\iiuos lui avait également envoyé argent, provi-
sions, linge et étoffes. L'arrivée du maréchal fut accueillie
avec des transports de joie par les prisonniers, tant à cause
de l'argent qu'il leur apportait, qu'à cause des promesses
qui lui avaient été faites de toutes parts de faciliter le paie-
ment de la rançon. Lui-même commença par prélever la
somme qu'il avait â payer à Rajiizot, et « fut quittes de sa
« prison et s'en povoit aler où il lui plaisoit". »
1. Voir sur la Mahone, plus bas, livre v, chap.
2. lleyd, Getch. des Levantehandets^ i, 568-71,
3. Livre des faits, partie i, cli. xxvn, p. 599. —
I et m.
et passîm.
V. aux Pièces juatiS-
RUI.i: UL MAUECIIAl. BOL'CICAUT.
30Î)
Désormais libre, il n'abandonna pas ses compagnons*, mais
sVmploya à faire abuulir les négociations avec ]e sultan et à
triompher <ïes hésitations de ce prince. Entreprise délicate»
dont tout rhonneur devrait lui revenir, s'il fallait eu croire
le chroniqueur du Livre des faits; mais un pannl témoignage
est trop directement intéressé pour qu*on doive Taccepter
sans contrôle.
II n'est pas possible de nier que le rôle du maréchal
n'ait été des plus efficaces, que son voyage à Rhodes et 4
Losbos n'ait eu les plus heureux résultats; mais faut-il
admeltre que la seule entremise de Uoucicaut obtint la libé-
ration des prisonniers, la rédiictiim de leur ranron de un mil-
lion de francs à cent cinquante inillo, sous promesse qu'ils ne
combattraient plus Bajazet, et que les plénipotentiaires
français, à leur arrivée en Orient, n'eurent '|u\i ratifier les
dispositions prises? C'est faire au nian'rhal la part trop
belle. Les événements démentent la plupart de ces faits ; en
particulier, on nes'exjiliquorait guère que les chevaliers fran-
(;ais. k>i Boucicaut à hnir tête, eussent repris les armes, comme
iU le firent dès leur retour en France, pour secourir l'em-
pire d'Orient, au mépris de leurs serments les pins solennels.
Pendant que les négociations d*int nous venons de pailer
se poursuivaient en Orient. In cour de Bourgogne no l'ostait
pas inactive. Sans parler de Tambassade envoyée au sultan,
le duc et surt(iut la duchesse de H'iurgogno se préoccupaient
sans cesse des meilleurs moyens d'abréger la captivité de
leur fils'. Un riche négociant de Lucques, banquier à Pai*is,
après avoir fait une immense fortune dans le Levant, Dino
lïa[>nndi. fut consulté. C'était un personnage considérable.
rfttives, n** r\. la li?ttre de Jean de Nevers et d'Henri de Kar au seigneur
*rvKni>s,
1. Le uiarr'rliai ne profita pas ptufi de sa lib<?rté pour rentrer en
France qu'il tic l'avait fait dans une circontilaucc analogue à l'égard
du comte d'Ku. V. plus haut, p. Itii.
2. Dans leur iin|»atieni'e de le revoir, Ils avaient m^mo soiijfé à nne
Invasion en corrompant les gardes chargés de le surveiller; tancelol,
viguier de Savone, était l'iiiKtigateur du complot; découvert, il eut â
peine le temps de sauver sa télé. Va\ I ^06, Jean de Nevers, devenu due
de Bourgogne, appréciant le danger auquel Lancelut s'était ex)x)Ré ]M)ur
le délivrer, lui fit don de deux mille livres ilV lïauyn, .Vt'm. du vuùujc
f. 854 v-|.
310
DKLIVRANCE ET RETOUR DES PRISONNIERS.
dont les relations avec l'Orient ét-aient de premier ordre.
Il habitait Bruges et avait à Paris une des plus somptueuses
ix»sidonccs de la ville. Maître d'initel, puis conseiller du duc
de Bourgogne (vers 1397), il avait été mêlé aux plus grande»
opérations financières de cette époque, et avait prêté à Phi-
lippe le Hardi, à différentes reprises, des sommes importantes.
Il répondit sans lièsiter qu'il faliail s'adresser aux marchands
génois et vénitiens de l'Archipel qui, par leurs rapports com-
merciaux avec les Turcs , pouvaient garantir à Bajazet le
paiement de la runron; lui-mOnie écrivit dans ce srns à un
de ses correspondants, Barthélémy Pellegrino, marchand
génois à Chios, devenu, par le commerce de l'alun et
du mastic, le plus riche négociant du Levant. Celui-ci
entretenait des rapports constants avec l'Asie Mineure et
était p4Tsonncllement connu du sultan. Quoique Pellegrino
n'ait pas pris une part directe et porsuunelle au rachat des
Chrétiens, nous savons qu'il leur prodigua ses bons offices,
cl que son intorvontion ne fut pas sans effet sur les dispo-
silions favorables df* Hdjazet*.
Froissart idace sur la même ligue que la médiation de
Pollogi*ino celle du roi de Chypre, Jacques i. Ce prince, dit-il,
envoya au sultan « une nef en or Hn » valant vingt mille ducats,
pour le bien disposer et pour « avoir entrée d'amour et de
« seure cognoissance 4lovers lui » ; s'autorisant de;* bonnes
relations qui exist;ue[it entre «mix, il Ht les plus grands efforts
pour faciliter la délivrance des captifs. On comprend fort
bien les motifs auxquels pouvait obéir le roi en s'eniremet-
tani dans cette affaire. Les Génois parlaient en maîtres à
Chypre, et il fallait les ménager. Obtenir la lilierlé des pri-
sonniers frau(;ais. c'était être agréable à Géues (|ui venait de
se donner à la France. C'était également renouer d'amicales
i*elations aver une cour étrangère, qui témoignait peu de
sympathies aux rois d'un pays sur lequel un priuce de sang
français avait élevé des prétentions'. 11 importe, cependant.
1. Froissart, éd. Kerwn, xv, 437; xvi, 2'J-SO et xxiii, p. 5-7; —
Hopf, fliti. den Giuxtinioni, trad. dans Giorn. Ligustico, anno vii-vrn,
p. 471 ; — Belgrano, Àrch. stur. Ital., 'M sorie, ni, i)arlie i, p. 121; —
Heyd, Oesch. de» LcmntekatuleU, il, 263; — Froissart, éd. Kervyn,
XVI. n--8.
2. l/)uis II dt' Bourbon, oncle de ('barlcs vi, (.MhîI neveu Uc Mnrir »lr
DETERMINATION DE LA RANÇON.
de n'accueillir le rècil de Froissart que sous certaines
réserves. Jacques i, tonu pour ainsi dire on tutelle par les
étrangers auxquels il devait sa couronne, avait-il bien auprès
du sultan une influence à Laquelle on pftt avoir intér(>t à
recourir, et le râlo que lui assigne le chmniqupur n'est-il pas
plus important qu'il ne fu( rêellemenl? La seule chose que
nous sachions avec certitude, c'est qu'en 1397 (?4 juin)» le
i*oi de Chypre prêta au comte de Nevers une somme de
quinzo mille Horins d'or. C'était boaucoup pour un prinrc dont
le trésor était presque vide : la protection génoise avait miné
les finances chypriotes, et l'Ermite de la Faye. chargé des
réclamations pécuniaires du duc de Bourbon, avait, l'année
précédente, rencontré, auprès de la cour de Chypre, les plus
grandes difficultés h mènera bien la mission qui lui avait été
conâée '.
La captivité des ])rinces français touchait de trop près
aux intérêts des Chrétiens en Orient, les conséquences du
désastre étaient trop menaçantes, pour que le sort des- prison-
niers ne rencontrai pas parmi eux une sympathie générale,
et un réel désir d'obtenir leur délivrance. L'opinion publique
s'intéressait à leur sort et. de tous côtés, cherchait à fléchir
le sultan en leur faveur. Au mois de juin 1397, les négocia-
teurs tombèrent d'accord; la rançon fut lixée à deux cent mille
florins ; sur celte .somme vingt-liuit inîlle florins furent payés
comptant. Jean de Nevers les avait empruntés à Jean de
Lusignan, seigneur de Heyroulh, neveu du roi de Chypre,
à Brancalènn Grille et à Nicolas Matharas, bourgeois de
PéraV Le surplus, cent soixante-douze mille florins, fut stipulé
payable dans le délai de huit mois. Bajaxet acceptait la
signature de François Gattilusio pour cent dix mille florin»,
nt celle de Nicolas , seigneur d.-Enos , pour quarante
mille florins, l^ reste de la somme était [>roniis pru* Gaspard
de'Pagani. négociant génois de Péra, et par Nicolas Paterio,
Bourbon, impératrice do Cunstantinopte, et tion héritier. Il a« croyait
des droits au tn>nf* de Nicosie, par suite d'un testament fait, disait-on,
en sa faveur piir Hugues de Lusignan, fils de ['impératrice (Mas Latrie,
/fixt. de Chypre, il, IV'i. note 2).
1. Kroissart, éd. Kervyn, xvi, 31-5. — V. Mas Latrie, Hitt. de
Chypre, il, 407, i23, W6 et 445, — Bibl. nat., coll. de Bourgogne, vol. OK.
f. 720-1.
3. P. Bauyn, Mém, du roiaffe, f. 356 v.
31:
liELIVRANCE KT RKToUR 1>E> PRISONMERS.
podestat de Foglia Nuova. qui s'engageaient chacun pour
onze mille florins'. En évaluant le ducat à 1? francs» c'était
donc une $;omme de plus de deux millions qu'avait exigée
Bajazot.
De leur côté, les prisonniers garantissaient aux Gattilusio.
à Gaspard de' Pagani et :î Nicolas Paterio, par acte du
?4juin 1 307, passéà Mikalidsch Me remboursement de laraocon
dans un bref délai . Jean de Nevers, Henri de Bar et Jacfjues de
Bourbon, rjiunpssîiirnt :u\ nom de leurs compagnons, prenaient
t'enga^i'ineni do séjourner ;'i Veuisti tant ([u'ils ne se seraient
pas acquittés de leiu" dette. C'est là, en effet, qu'ils devaient
trouver l'argent rassemblé en France prinr leur rachat. Afin
de donner plus de force à col acio, le maréchal Boucicaut»
Vcrgy, Leuwerghem et Ciiâïoaumorand, ainsi que Colard
des Armoises", envoyé du duc de Bar, l'avaient ratifié et
s'étaient obligés solidairement â en assurer le plein effet.
Les prisonniers élaienl libres, après nanf mois d*une capti-
vité dont ils avaient eu grand'peine à supporter les souf-
frances. Bien que traités avec une bienveillance relative, ils
s'étaient difficilement plies aux privations qu'on leur impo-
ï. Arcli. du Nord, B. 1271. Ed. Kervyn de Lettenhove dans
Froissant» xvi, 261-3. — François Gattilusio. seigneur de Lesbos. était
représenté par Anceau Spinnia. et Nicolas Gattilusio. seigneur d'.lvnos.
par Nicolas Grisle. (Cf. Heyd, GescH. fies Lcrnntehundets . n, 263.)
Les Paterio étaient Génois; les fils de .\icoIa.s (mort avant \\\fy\, Jean,
Georges, Thomas et Lanfrano, dont on a des artes jiGénpsil'i1ft-l'i21t.
ainsi que Bernard, frnre de Nicolas, étaiont bourgeois de Chios. Il faut
donc rejeter l'hj-pollièse, émise par M. Ker\-yn de Leltenbove (Frois-
sart, XVI, 263). d'une parenté avec les faniilles franraiseii du nom de
Pasté. Si Nicolas Paterio est désigné dans un compte d'Oudot ï)ouay
sous la forme \icolas PaMtK npftfttat, il est facile de voir que l'erreur
provient du srribe, qui a traduit, sans la romju'emlre, la forme italienne
NiroUi Paterio poriesta... — il^Tiiard Paterirt avança au comte de
Nevers cinq mille ducats à Trévlse, le 13 janvier 1398, n. st.. (Arch.
du Nord, \\. 18"I, n" 2. — V. Pièces justificatives, n" r\; — Bibl. nat.,
coll. de Bourgogne, vol. 100, f. Ci'Mi; — Kroi.ssart, M. Kr-nyn, \vr, U.)
2. A deux journées de Urouftse, à l'est du lac I liitiad yt^upn-
ftium).
3. La famille it laquelle appartenait Coiard des Armoi.ses. originaire
de Champagne, s'établit en Barrois au milieu du xiv* stéde. 1^ |»cr-
sonnage dont il est ici (juestion était le troj.'iiéme lils de l^itard i de^^
Arnioiftcs el de Marie de Cbambley (0. ralmct, ilUtoirc de Lovrtiine.
v, civiij-clx ; — H. Vincent, La Muinon dfg Armvin^Jt, Paris, I87r,
jjassim).
MORT DE COLTY.
313
sait, et auxquelles leur genre de vie antérieure ne les avait
pas habitués. Loin des li^ura, en pays étranger et infidèle,
dans l'incertitutlo ronstanto du sort qui lour était ï-êservé,
craigaant qu'un caprice changeAt les dispositions de Bajazet
et les envoyât au supplice, ils avaient plus souffert de cette
anxiété de tous les instants que des rigueurs proprenu^nt
dites de leur prison. Plusieurs même d'entre eux étaient
1-ombés malades et avaient succombé. Le sire de Coucy, le
premier, affaibli par l'âge, épuisé par les mauvais traitements,
mourut à Brousse le 18 février 1M07 '. Kobnrt d'Esne, que le
duc d'Orléans avait envoyé pour négocier la délivrance
d'Henri de Bar et d'Enguerrand de Coucy. apprit en chemin
la ti'ist»* nouvelle; le ca*iir dii dernier des Coucy, rapporté
en France par Jacques Wilay, châtelain de Saint-Gobain, fut
inhumé eu grande pompe au monastère des Célestins de
Villeneuve, près de Nogent, que le défunt avait fondé*.
C'était un chevalier:
■ . .. appers et joli,
I Saige, puissant, do graiit largesse plain,
« Beau chevalier, bien travaillant aussi,
■ Sanz nul repos.. . >
Avec lui s éteignait la vaillanl'e race des barons de Coucy.
et le poêle, â la nouvelle de ce trépas, avait raison do s'écrier:
< O saint Lambert, le Cliasteler. Coucy,
t 1 j Tère, Oy«y, Oeccie, saint Gonibain.
• Marie, pluurez et le rtiaHlel d'Acy.
c Le bon seigneur 'jui vuuâ tient en sa main
* Fa i\m ai bien servy aon tiouverain... ^>
Peu de temps après, Guy de ta Trémoille succombait
1. Kroissart, <^d. Kervyn. xvi. 30. L'épitapbo de Coucy est donnée
par Zuriaub«n {M^m. de l'Ac. de» Imcr., xxv. 186). — Son testament.
du 16 février i:t'.i7, est imprimé dana A, du C'hesnc, //wl. généal. ihg
maiionA He Guines... p. M^).
2. Froissant, éd. Korvyn, xv. :i57 et Mil; xvi. iiO; — ItuH. dr Ut Snc.
ncad.de Laon, xxiv i, 1882), p. i6, d'après rinvcut. de» ArcbivpsJoursaii'
vault, I, p. 11. — Robert d'Esne» seigneur do Beauvoir, était un che-
valier du Canibrésis: il avait é|>ouï^ la dame de llothoncourt; la famille
d'Rsne s'était signalée a la premîoro croÎMatlc.
:i. Ru8tachodeJiC'liam)>»itÀ'ui7T4 j'nWrf., éd. Tarbé. i, 17^-0) a «»n»a<Té
à Kuguerand vil une ballade dan»t lar|uelle tl exhale la pi'ofunded'Hiicur
quo causa la mort « d Knguerrant le baron >.
également (avril 1397} à Rhodes, comme noua l'avons vu
plus haut '. En juin c'était le tour du connétable d'Eu ; la
maladie, le climat et la noiirrifure Tavaipiit tellement éprouvé
qu'il mourut â Mikalidsch, quelques jours avant la mise en
liberté des captifs {\'^ juin 1307), Ses restes furent inhumés
dans \o couvent de Saint-François à Galata, et rapportés plus
tard à En oi"i ils fuient onscvolis djins l'église Saint-Léonard ;
une grille de fer, allusion à la captivité du prince, entoura le
uiuDument, et le connétable fut repi*ésenlé sans gant et sans
casque \
Chàteauniorand. Vergy et Leuwerghcm, leur mission ac-
complie^ avaient hâte de rentrer en Europe; aussi, â peine
l'accord fut-il conclu que, prenant congé de Bajazef, ils re-
gagnèrent Brousse et priront passage sur le premier bAti-
ment en partance pour Lesbos. C'était, au dire de Froissant,
« une galère passagière, non pas trop grande ». Avec eux
s'embarqucreut Jacques do Courtiamblos. un des prisonniers
délivrés , Jean Picquet et Jcau de Neuville , deux des
écuyers que les princes français avaient envoyés, en dé-
cembre 1396, s'enquérir du sort des chevaliers français'. Le
1. Voir plus haut, p. 307.
2. Le tombeau en inarhre du ronnétable existait encore en 1757
dans le couvent de Saint François à Oatata devant le maître autel,
avec l'inscription suivante en lettres gothiques : • f Sepulchrum
■ magnifici dumini Philippi de Artoes, comittH de Eu et conestabiliarii
f Franciae. qui obiit in Mioalini Mrrcx.xxvir |sic), die xv jnnii, in quo
I est carne sua. Anima ejus requiescat in pace •. — Le corps de Phi-
lippe d'Artois reposait à (îalata au moment du voyage de Clavijo(140nK
II faut donc rejeter le témoignage do Froissart (éd. Kervyn, xvi, 40),
qui veut qu'il ait 6tà rapporté à Ku, à moins que la translation ne &oit
postérieure à I ïOa, ou bien encore qu'une partie des restes ait été
enterrée à (ialata et l'autre ramonée en Krance.
Quant au lieu de la mort du connétable, Froissart le place & llaulto
Loge en Grèce. Il faut le cherclier près de MiKalidsch, lieud'intornn-
raent des prisonniers, c'est-à-dire en Asie Mineure, pr^s de Brousse.
Les identifications proposées par M. Kervyn de Letterihove [Altolorje,
ville bâtie sur les ruines d'Kphése) et par M. jtruun (A'irA-A'iViMi,
entre C^fnstanlinopîe et Andrinople), et cette dernière surtout, ne
doivent être acceptées qu'avec réserve. (Cf. Froissart. éd. Kervyn,
xvi, 40 et *JôG; — Conslanlinopte au commencement du w" siècle, par
lo professeur Bruun, dans les Mémoires de l'Académie d'Odessa.)
3. Voir plus haut, p. 200. Jean de Neuville alla jusqu'en Bulgarie;
les frais de ce voyage lui furent 'payés, le 'i iiov(?ml>re KïOT. par le
MORT DE LEl'WERtîHEM.
315
temps, d'abord beau, devint si mauvais pendant la tra-
versée que Louwerghem, dont la santé était probablfiment
déjà ébranlée, tomba malade et mourut avant d'atteindre
Lesbos. ChAtoaumorand et Vergy, avec leurs compagnons,
continuant leur voyage sur un vaisseau do commerce véni-
tien, touchèrenl à Uliodes et débarquèrent à Venise, annon-
çant partout l'heureuse nouvelle de la délivrance '. Il est dif-
ficile de préciser la date de Tarrivée à Venise des plénipti-
tentiaires frnni'ai.s. Elle eiit très probablement lieu vers la lin
du mois do juillet, puisfjne le 31 octobre la république do
Saint Marc recevait <les lettres de Charles vi et du duc de
B'HU'gogne, datées des l'j et 19 septembre, la remerciant de
leur avoir annoncé la mise en liberté des prisonniers. En tous
cas, dès le commencement de septembre, les plénipotentiaires
étaient rentrés en France*.
Les chevaliers, après quelques jours de repos, suivirent la
route prise par ChAteaiimoraud et Vergy ; leur première
étape fut Lesbos. Gatliliisio ](Mir avait rendu trop de ser-
vices et pouvait leur en rendre assez d'autres encore pour
qu'ils cnsseut le désir de s'arrêter quelque temps auprès de
dur dn Rniirgojfnc (Arcli. de la Cùte d'or, K. 11876, lay. t43, lîatise
1, rote 1805).
1. Froiiiîsart, f^d. Ken'yn, xvi, 41-2. — Le patron du bâtiment véni-
tien qui ramena Chàteaumoranj et sa suite à Venise s'appelait François
Martin. It reçut, le 2;l janvier 1398, à Trêvise, deux mille quatre cent
cinquante dneatK d'or pour le prix du pas.suge (Arcb. de la C^te
dOr, H. 11876. liasse 6. I93K
2. 15 et 19 septembre 1397. ^Arrh. de Venise, Commem., ni. n"» 67
et 68. p. 247). — lO.-^eptetiibrp 1397. La ville de Dijon dt^fraie Jacques do
ronrtiamiilesrevenude Hongrie (Ari*h. municîp. de Dijon, Herf. T, 1|. —
21 octobre 1397. Is>n an m^me t*«jurtiamble.s revenu de Hongrie {Arcb.
(lelaOMed'Or, H. 11876).— La nouvelle de la lib'^ralîon des prisonnier»
arriva le 28 août 1397 à Paris. apiM>rtée [wr maître Siméon de Serres,
(rentil homme de la suite de Ver^y (?. liauyn. M/'m. du i'wiVïj/c, f, 353 vl.
Lesplénipotentiairei durent suivre deprèsSimôonde Serres. Avec Cbur-,
ti&mble.s vint en I'Yan<*e un tils naturel de Trançolii Gattilusio, nomii
Cïeorges ; it <^'tait cbargé de donner au duc de [tourfcogne des nouvelb
de Jean de Novers; il fut re(;o par Pbilippe le Hardi avec niafrnihccncfl
et comblé de présents pour lui et pour tia famille iC. [tauyn, Mf'in.
fiu wiage, f. 357 v«-9). — Vergy ne rentra à Lille que ver» le lo fé-
vrier 1398. Il est i»robable qu'A H«n retour en France il fut cbargA rie
diventes mi^^iior^t^ juhqu';! cette ibilr i \rcli, de la ^'tAv d'Or, 11. I*ill,
f. «î)|.
316 DÉLIVRANCE ET RETOUR DES PRISONNIERS.
lui. Ils séjourneront à Mitylène plus d'un mois (5 juillet-
15 aont 1307), occupés non seulement des moyens d'acquitter
la rançon dup au sultan, mais do négociations d'un tout
autre caractère, dont il sera parlé dans la suite de ce
récit. Pendant ce ten»ps, le gi-aud-maître do l'Hôpital
armait à Rhodes deux, galères (jui. sous la conduite de
Pierre de Bauffremont ', venaient se mettre à la dispo-
sition du conile de Nevers pour le conduire à Rhndes.
Après un repos de quatre jours, destiné au ravitaille-
ment des navires, Jean de Bourgogne et ses compagnons
firent voile vers Rhodes *. A leur arrivée , ils furent
accueillis « doulcenionf et lyenienl ». C'était à qui, parmi
1. Froissart commet ici une double erreur, ert donnant à BaufTre-
mont le prénom de Jacques et la qualification de maréchal do l'ordre.
Le maréchal était alors Pierre de Tutaiit, et nous ne connaissons
aucun membre de la famille de BaulTreniont ayant à cette époque
)rté le prénom do Jacques. Pieri-e de HaulTremont, précepteur de
>rraîne en 1381 { 10 octobre i, de Metz en l:i*Jl 16 septembre), et plus
tard do Beaune (avant 1399), iMaît un des ]ier!ionnagc.s les plus consi-
dérables de l'ordre de Saint Jean. A h fin du xiv" siècle, il résida
presque constamment à Itliodcs. et sa venue à Mityltne n'est nulle-
ment invraiscudilablc. Il fut iiommi^gpand-liospitalier à une date qu'on ne
saurait jipéciser exactement (vers l'*00). Vax 1401 (14 Kcptembre), on
lui concéda la baillîe de Flandre. Kn 1402, avec Elie de fossat et
[Dominique d'Allemagne, il représenta le grand-maitrc en (irèce, en
AcbaÏQ et Romanie. On soit que des intérêts d'une importance capitale
pour les Hospitaliers ctaionl nu jeu dans la péninsule lurco-bclléniquc;
le choix de Pierre de ItaulVrcniout montre en quelle estime il était
tenu par l'ordre. En l'ilft il devint, parlamortdc lïenaud de Giresme,
grand-prieur de France avec les préceplorics de t/liotsy, llautavesnes
et Loysun. Les généalogies de la famille de liaulVremont mentionnent
deux chevaliers de Saint Jean potlant le prénom de Pierre. Pierre de
llauflfremont le jeune fut admis dans l'ordre, le 4 mai 1416, au fframl-
prieuré de France, par Pierre de Baufl'remont, son frère. Il y a Hen de
n'accepter qu'avec réserves les renseignements assez confus que ren-
ferment sur ces deux persoima^s les généalogies de» Haiiffreraont.
1 Vfcb.de Malte, /Jf//. litilt. Mnt/., vr. 66 v";x, 107 v«; xv, 'iO; xvi, llv«;
xvu, IG2-3; .\xv, 15-16: — de Coui-celle», ï/itt. de» Pairs de France^
VI, 13 et suiv.).
2. Arch. de la Côte d'Or. B. 11936; — Arch. du \ord, B. 12: 1 (lettre
du 5 juillet); — Frf>issart, éd. Kervyn, xvi, 48-50. — Leg galères d»>
Ithodes durent arriver avant le 10 août à l.eî^bos. Nous avoni, à cotte
date, une reconnaissance, par le comte do \Hvers, de U vaïiwiellfcfln-
^ragér par lM>niiniqiie d'Allemagne. CJ»miiiandinir de Kliofles; ello dut
être rédigée sur Ins renseî^nemciits ap|)urlét> par les galères de
l'ordre.
1
ITINKRAIRK IjES prisonniers DE RHODES A YK.MSE. 317
les Hoâpîtaiiors, dil FroUsart, leur ofii-irait ses services,
chercherait à leur rendre agréable le séjour dans Tiie, leur
prêterait « finance d'or et d'argent, pour payer et faire leurs
« menus frais, laquelle chose, sembla au comte de Nevers et
« aux autres un grant membre de courtoisie ». Les cheva-
liers, auxquels Tair sain et tempéré de Rhodes était sa-
lutaire» eu présence du hou accueil qui leur élait fait, y
attendirent sans regret le passage de» galères vénitiennes
retouniant à Venise, sur lesquelles ils prirent passage '.
La route ordinaire îles navires vénitiens venaiit de Rhodes
nous est cnrinue. Ils touchaient à M'Kion, possession véni-
tienne à Textrémité sud-tuiest do la Morée près de l'île de
Sapienza (non loin de la ville de Navarin), puis relâchaient
aux différentes îles de la nier Ionienne et aux principaux
ports des cotes de Dalmalieel d'Illyrie. Froissart, qui indique
cet itinéraire, a interverti sans cesse l'ordre des stations
auxquelles s'arrêtèrent Jean de Nevers et ses compagnons ;
en quittant Modon, ils gagnèrent les îles de Gavrc [Cabrera,
près de Sapienza?) et de Zante. le port de Clarence sui* la
côte de Morée, à l'entrée du golfe de Fatras, les lies de
Céphalonie et de Corfou, Raguso et Parenzo *.
Il semble nécessaire d^ajouter u l'itinéraire du comte de
Nevers une escale que n'a pas mentionnée Froissart, c'est
Capo tristria [JuHtinopoiis)\ nous îivons la mention positive
ele la pi-ésence du comte et de Jacques de Hourbon dans cette
ville, le 8 octobre 1397, date à la(iuclle ils contractèrent un
emprunt de quinze mille ducats auprès du doge, Antoine
Venier. De là ils atteignirent Venise, où ils s'étaient engagés
à séjourner tant qu'ils ne seraient pas libères envers leura
répondants*.
1. Froissart, xvi, 51-2. 1^ duc de noiipgogne sut. leS janv. 1398, â
Arras. par Jean de llangest, «on cliambellan^ l'arrivéo iJes prisonnier»
H Hhodes (I*. Btinyn, M^m. du y^oiage. f. 359).
'i. Froissart, éd. Kervyn, .\vi, 52-B. — Il donne des détails 8ur le
iiéjourdes Français dan» ces divers cndroil-s, et notamment r Cépha-
lonie; l'exactitude de ces renni^ignements mérite d'être contrôlée au
mÊme titre que l'ordredans lequel sont présentées au lecteur les étapes
successives du voyage.
3. Arch. de Venise, Commcm.^ m, n" 70, p. 247; — Arch. de la C6te
d'Or, U. ,11876: — Marino Sanuto, Vite dfducAi (Muratorl, xxu, 782).
Venise avait décidé de dépenser cinq cent« ducats pour recevoir di-
gnement le comte de Nevers {25 sept. 1397).
Il fuliut quatre mois pour obtenir ce résultat. Dino Rapondî
était parti de Paris pour ritalie le lô novembre; arrivé à
Venise, il s'entremit avec la plus graiule activité en cette
affaire. Sigismond, roi de Hongrie, offrait bien au comte de
Nevers une sommo ào cent mille ducats, mais sans pouvoir
la réaliser; d'autre pari, la république, de Saint Marc était
tenue d'une rente anuuelle envers Sigismond. Uapondi. après
avoir obtenu l'engagement de la rente à son profit, avança
les fonds'. Pendant toutes ces négociations, fidèles à la parole
donnée, les seigneurs français étaient restés à Venise. Une
épidémie, dont nous ignorons la nature, y régnait 3101*3.
Kllê ijfïrit même un cai^actère assez redoutable pour les obliger
à quitter la ville et à se réfugier à Trévise (23 novembre 1 397)*.
A peine y étaient-ils arrivés <[u'IIenri de Bar succombait,
emporté par le fléau dont il avait pris le germe à Venise
(novembre 1397), Comme son beau-frère, le sire de Coucy,
il ne devait pas revoir la France ■\ Vers la fin de janvier 1398,
le comte de Nevers recevait de la seigneurie l'autorisation de
quitter le territoire de Venise avec ses compagnons; il n'avait
jamais séparé lem* sort du sien et, eu toutes circonstances,
avait toujours agi seul en leur nom, prenant à sa chai'ge leur
rançon comme la sienne. Pleinement libres, les chevaliers
français quittèrent Trtîvise sans retard, le 23 janvier ; le
surlendemain ils passaient à Capo di Ponte, dont la jeunesse,
conduite par le podestat, leur faisait une réception solen-
nelle*; de là ils gagnèrent directement la Bourgogne par le
Tyrol et la Suisse. La nouvelle do leur retour s'était rapide-
1. Nous reviendrons sur ces faits en détail dans le chapitre
suivant.
2. V. Pièces justificatives, n" xxni. Pendant que les prisonniers sé-
journaient à Trévise, le comte do Nevers habita Courglano, aux enWrons
de cette ville; le il décembre il retourna à Trévise.
3. Arch. de la Cote d'Or, B. 1514, f. 170; — Froissart, éd. Kervyn,
xxni, 6 (d'après le compte de Josset de Halle}, nt xvr, 60; — Livre des
faiU, partie l, ch. xxvii, p. 600. — Les archives de Joursanvault
contenaient un compte relatif aux obsèques d'Henri de Bar, daté du
10 novembre 1397 iinvent. des Archives Joursanvault, t, p. Il, n" 73).
4. 21 janvier 1398. Lettre de remerciement du comte de Nevers aux
Vénitiens (Arch. de Venise, (Jommem., m, n" 80, p. 250). — Chroniguede
Bellune de Clément .Miari dans VArch. Veneto, n, 12-3. — Nous avons
l'itinéraire exact du retour des prisonniers. Voir Pièces justificatives,
n« x.xiu.
RËTOl'R Dl" COMTE DE NEVKRS EN BOrKQOONE.
319
ment propagée ; ce fut une allégresse universelle parmi les
sujets de Pliilippe le Hardi. Partout les prisonniers reçurent
un accueil enthousiaste; partout on fêta la rentrée de Jean
dans les états de son père comme un événement presque
inespéré, et tous rivalisèrent pour prouver leur attache-
ment et lem' fidélité à leur seigneur.
Le comte do Nevers fit son entrée à Dijon le 23 février 1398
venant de Francho Conilé. li était accompagné du comte do
la Marche, dus sires de Vienne, de Pagnj^-, de Chùlon, de la
TrémoiUe et du mai'échal Ltoucicaut ; un nombreux cortège
s'était joint à eux pour honorer le retour de ceux qu'on avait
longtemps désespéré de revoir. Les acclamations éclatèrent
de toutes parts à l'arrivée du comte; la municipalité lui pré-
senta, aux portes de la ville, un cadeau d'argenterie; elle
avait envoyé une députatiou au-devant de lui jusiiu'à Gray;
lui-même, en souvenir de la captivité qu'il avait subie, se
rendit à la prison, et en jeta < hors, do sa propre main », tous
ceux qui s'y trouvaient. Le lendemain, pour remercier le ciel
de sou heureuse délivrance, il passait à Brazey, se rendant à
Notre-Dame du Mont Roland, pèlerinage pour lequel la mai-
son de Bourgogne professait une dévotion particulière'.
Après un service solennel, célébré â Dijon en l'honneur
des croisés morts à l'ennemi*, h- comte se mit en route pour
rejoindre son père à Gand ; mais û Fouclières, village entre
Bar-sur-Seine et Troyes, il rerut l'ordre, apporté par Vergy,
d'aller d'abord saluer le roi. Pour obéir à son père, il
gagna Paris (10 miu's 1398) où était la cour. Charles vi. voulant
lui témoigner le plaisir qu'il éprouvait â le revoir, lui fit
1. 15 février 1398. Délibération sur les présents qne la ville de Dijon
fera au comte de Nevera; on ira au devant de lui jusqu'à (iray
(ApcIi. municip. de Dijon, lieg. T, i). — 23 février. ICnipée à Dijon
(J. Garnier, Les deux premier» hôtels de ville de Dijon, ilans Mémoireji
de la Coinm. des antiquités du dt^part. de la Côte d'f^^ ix, p. 22). —
24 février. Passage à Braaey (An^li. de la (ôm d\)r, H. 3'i56, f. 23),
aujourd'tiui Bratey en Plaine (('Ole d'Or, arr. de Iteaune, cant. Saint
Jean de Losne, â quatre lieuea et demie de Dijon). — Notre Dame du
Mont Holand est située pr^s de Dole (Jura, arr. de Dule, rant. de
Roclieforl, coin, de Jouhe).
2. Arch. de la Côte d'Or, B. 11876. Cette cérémonie eut lieu avant
le 3 mars. Ce jour-là, le comte coucha à Clianceaux, en route pour
Paris (P. Bau>'U, Mèm. du voiage, f. 361 v»).
don (le viugt mille livres. Le retour du fils du duc de Bour-
gogne fut le sigual d'une telle explosion d'enthousiasme
et de joie, que toutes les villes des états de Philippe le Hardi
se disputèrent l'honneur de recevoir Jean de Nevers, Il fallut
qu'il quittât Paris, quatre jours apn^s son arrivée, pour se
montrer à ses futurs sujets; ce fut une suite non interrompue
de fôtes et de réjouissances. Trois échevins de Lille étaient
venus jusqu'à Louvres* au dovautde lui; ils l'accompagnèrent
jusqu'à Arras, où il arriva le 10 mars I3î)8; la duchesse, sa
mère, l'y attendait. Le 19 au soir il entrait A Lille, précédé
de trois ménestrels et d'un Irouipetle jouant devant lui de
leurs instruments. Là, comme A Dijon, il re(;nt des présents
d'argenterie, de poisson et de vin; le "22 mars, il était
à Gandi y renconti-ait le duc de Bourgogne, son père,
et allait soleuiiellement fain? son offrande à l'abbaye de
Saint-Pierre. Le 29 mars, il était à Anvers; le lendemain.
accompagné de Philippe le Hardi, il se rendit à Bruges avec
une escorte de cinq cents cavaliers; la ville avait exigé,
pour anticiper le paiement d'im terme du subside auquel elle
avait été taxée, la visite de Jean de Nevers; là encore il fut
accueilli magiiifî<iuement, et comblé de riches cadeaux.
Ypres, Termomle le rei.urent successivement; le 25 avril, à
Toui'nay, le clergé vint processionnellemenl à sa rencontre;
le lendemain, à (irammont, il était salué par Guillaume d'Os-
ti'evant, son beau frèroV Si la défaite avait été lamentable,
le retour était LiiuuiphaL
1. Seine et Oise, ar. Pontoiset cant. Luzarches.
2. Froissart, éd. Kerv^n, xvi, 273-ii ; — Inventaire des Arch. de
Bruges, ui, ;i96-7 ; — Dibl. nat., coll. de tîourgogne, vol. 104 (compte
de J. d'Espoulcttes, du 1 février 1398 au 1 février 13i>9, n. s.) ; — Arch.
de la Côte d'Or, R. 1511 bis (compte de Guyot de Uraye);— H. Vanden-
broeck, li^xlraiu analyliqvex des anciens registres des consauir de la
ville de Toumay, 1861. 2 vol, in-S". — Le corps de ville de Tournay
s'était flatté qu'il y aurait ^^ràce plénière à l'occasioni de rentrée du
comte; il n'eu fut rien. — Grammont est une petite ville du Bra-
bant. à environ huit lieue» au nord-ouesi de Tournay. — Le comte
d'Ostrevant était fil« du duc .\lbert de Bavière, comte de Hainaut. de
Hollaude, etc. ; il avait épousé, en secondes noces, Marguerite de
llourgogne, vœur de Jean de Nevers.
I
I
Il ne suflisait pas que Jeau de Nevers fût libre et rentrât
dans les états de son père, il fallait aviser aux moyens d'ac-
quitter les engagements qu'il avait souscrits lui-môme ou qui
iivaieut été souscrits en son nom. La rançon qu'il avait con-
sentie était considérable ; avec un élan de générosité chevale-
resque, Jean avait pris à sa charge non seulement son propre
rachat» mais encore celui de ses compagnons, et Philippe le
Hardi se trouvait assez embarrassé pour faire hnnnr'ur à In
parole de son (ils. La prodigalité et le faste étaient une
tradition de la maison de Bourgogne ; le duc, qui n'avait
jamais voulu la faire mentir, avait ain-^î mis ses finances
dans un assez piteux élat ; lui et la duchesse, sa femme,
pour que leur Hls tînt un rang digne de sa naîssauce, avaient
envoyé à Venise un grand nombre d'officiers de leur maison,
une vaisselle d'or et d'argent, un nombreux éijuipage, en un
mot tout ce qui devait lui assurer, pour traverser ritalie.
un ti'ain magnifique ; fallait-il qu'il rentrât en France
comme im fugitif? Le luxe déployé au moment oii de lourds
sacrifices s'imposaient, le voyage triomphal de Jean, au re-
tour de sa captivité dans les états paternels, n'étaient pas de
natuie à faciliter l'exécution <Ies conditions pécuniaires de la
ran^'on. et avaient achevé de déranger les finances, déjà si
mal en ordre, de Philippe le Hardi '.
I. FroJsMrtf éd. Korvyn, .\vi, 56-7; — Darantc, i, 351-2. — Pendant
son S(>jour à Trévisp, le comte do .Nevers distribua de riches ètrermcs À
son entourage, selon la coutume de la cour Uc bourgogne (1 janvier
1398). I.e comte de la Marche donna à Jean de Nevers. à l'occasion de
322 PAIEMENT DK LA ftAÎJÇÔ:f.
Jean avait pu nuitter le territoire vénitien, grAce a Tînicr-
veiition Je Diuo liapomii, dont la signature avait été acceptée
pour fi^'^gagor la parole du comte tlo Nevers ; nous savons
(pio le roi de Hongrie, malffrê son désir de contribuer au
rachat des prisonniers, avait vu sa bonne volonté paralysée
par l'état de ses finances ; ne pouvant donner d'argent comp-
tant, il s'avisa i\ni\ avait sur Venise une rente annuelle de
sept uiille ducat:;;, oi envoya au do^'c, dans le but de la vendre,
une ambassade, composée d'un évéque et de plusiGui*s cheva-
liers '. Les propositions de Sigismond furent froidement
accueillies par la république; elle répondit insolemment que
s'il s'agissait d'a.'heter lo royaume de Hungri4\ l'affaire pour-
i*ait être examinée, mais qu'une rente de sept mille ducats
était trop minime pour mériter l'ouverture de négociations.
Battus de ce c'ité, les représentants du roi cherchèrent à
engager la l'ente. et furent assez heureux pour y parvenir.
Dinu Uapoudi accepta pour cent nùile ducats la créance de
Sigismond sur Venise, ot versa cette somme au comte de
Nevers, promettant, dès que Sigismond la rembourserait, de
lui réu'océder la rente. C'était, en summe. Sigismond qiû
donnait cent mille ducats au comte de Nevers. Dino llnpondi
n'était qu'un intermédiaire; la rente était en réalité, sinon
officiellement, engagée au duc de Bourgdgne*. Les revendi-
cations directes que ce dernier cxorra dans la suite auprès des
Vénitiens, et dont nous parlerons plus bas, ne laissent aucun
doute à cet égard.
Il n'étiiit pas facile au duc de Bourgogne de faire face au
paiement de la rançon. Il ne s'agissait pas seulement de
la fètc de NotH (139"'), une robe de satin figuré, doublée de martr*»
[Extraits du comt? d'Ddart ttouay, f. 15 et 20, dans Bibl. nat., coll. de
(urg., vol. 100, f. 675 et 697;.
1. Celte pente iMuit payée à la couronne de Hongrie en vertu d'un
article du traité de Turin (8 aoiU 1381}. Ce traité est analysé dana
nouianin {Slor. dorum. di Venezia, m, 21(5-8) d'après les archives de
Veoisi». — L'êvùquo dont parle Frols.sart, (éd. Kervyn, xvi, 61), e«t
probahleinent .Nicolas de Kanysa, archevêque de Gran, qui fut souvent
chargé de inisttiuns analoj,'ues. V. plu» haut, p. 230.
2. Voir Pièces justificatives, n* xi. — Napondi fut généreusement
récomppiisé de ses bons oflices: en 1397 (21 septembre, à Ucauté sur
Marne) le duc lui a-.si;^nait trois mille francs; l'année suivante (août
13'J8), il recevait i|ualre mille écus (Arch. de la Côte d'Or, H. 11876 et
B. 1514, f. 170).
CftEMIER ET SECOM* VERSEMENT.
323
lieux cent mille ducats, chifTi-ê exigé par Bajazet; les frais
iraïubassafles en Orient, le retour des captifs eu Europe,
l'argent dont ils avaient besoin pour soutenir leur rang, les
frais de change et mille autres dépenses avaient absorbé une
<oninie au nmins égide. C'étaient donc environ quatre cent
itiille ducats à trouver à bref dMai '.
Bajazet avait reçu, avant la libération des prisonniers,
soixante-quinze niilin ducats ; la plus grande partie de cette
somme (vingt-neuf mille deux rent soixante et un ducats,
huit juillas). avait été fournie par les chevaliers de Rhodes,
qui, outre de l'arj^ent comptant, avaient engagé dans ce but
leur argenterie, leur vaisselle personnelle et celle de l'ordre.
Le roi de Chypre avait prêté quinze mille florins ; le reste
provenait d'avances failes par les négociants de Péra et de
l\\rchipelV
Pour acquitter le second terme du paiement» Dino Rapondi
avait avancé, au nom du roi de Hongrie, cent mille ducats ;
les trente mille ducats empruntés par les prisonniers,
moitié au dogo de Venise à Capo d'Istria*, moitié à frère
Dominique d'Allemagne, do l'onlre de l'HApital *, pendant
1. Nous avons la preuve de ce que nous avançons dans le compte
que ppiKluisit Anroau Spinola, représeiUant des GaltihiRio. Pour
soixante-quinze raille ducats versés au sultan par eux, il réclama au
duc de Uourgogiic cen( huit mille cinq cents ducats. On voit par
c«tte somme que notre évaluation n'est pas exagérée. — V. Pièces
justificative!), n» x-
2. L'engagement avait été fait à ( alaync {sic) de Fiesquc à Mitylène
le 10 août 13'J". V. Pièces justificatives, n» xiv. Les quinze mille
florin* dur, pr^ti^s par le roi de Chypre (Mikalidsch, 24 juin 139"), de-
vaient être retnlMursi^s à première réquisition dans te délai d'un mois
(BiW. na!., coll. de Itowrg., vol. 98, f. 720-1). Voir, pour les autres
liommei) prêtées, Pièces jusliticativo.'*, n« \xui.
3. fl oct 1397, ('apod'lhtria. Pr^tdc quinze mille ducats par le doge
Jean de Nevers et à Jacques do Dourbon. — 20janv. 139tt (n. st.),
Vévise. Kcnouvellement de cclenga^etncnt (Arch. de Venise, Commem.
ni, n- 70, 78-9. p. 247 et 2'i9; - Arch. de la Cùte d'Or, B. 1187C).
4. Parmi le» di).;nitaires de l'Hôpital, il en est peu qui aient joué
un rôle plus considérable que frère Ouminiquc d Allemagne. Précep-
teur de Saint iitienne de Monopuli en 1373, au moment ou un débat
, important s'était élevé dans lordrc au sujiM des droit.s et des posses-
aions de ceUe commanderie et de plnsieu» autres maiM)ns d'Italie.
nous le trouvons, en 1381, précepteur de .Naples et de l'izano, et
lieutenant du grand-roaitro en Italie. Son InQuenoe est déjà grande
PAIEMENT DE LA RAXrON.
le séjowp lie Jean de Nftvers à Trévise, et diverses sommes
prêtées par des négociants et des banquiers italiens, — en
tout cui^uaiïte-lrois mille ducats, — avaient sein^i à acquitter
les dépenses des j)risonniers avant leur rentrée en Fraiïce, et
à satisfaire aux rèclaniations les plus pressantes '.
La totalité de la ram.on n*i?n restaif, pas inoins à la charge
de Philippe le llardi. Sigisniond avait, il est vrai, donné cent
iuill<? ducats, mais les événemenls rendirent ce don pour
ainsi dire illusoire. On verra plus bjis qu'en présence des
ditliuultés soulevées par Venise pour le paiement de la rente
qu'il a\ait eiijjagée, Dino Kapundi ne toiieha jamais les arré-
rages prorais; par suite, Philippe le Hardi, qu'il représen-
tait, restîi tenu du capital que Sigisniond, embarrassé d'ar-
gent, n'eut jamais le uio^'eu de rachi'tcr. H est également
fort probable que rengagement [tour cimiuaule luille ducats,
pris envers Jean de Neversparles seigneurs hongrois captifs,
et représentant leur quote-part dans la ranron (10 décembre
1397j, resta lettre morte'. Seul, Jacques de Bourbon, comte
delà Marche, remboursa en 1403 neuf mille livi-es, partie de
son rachat personnel '\
dans los conseils de i'Ilôpilal; on lui concède des terres à Rhodes, on
lui donne le commandement d'une galère (U81). el on t38:t {,1'i mars;
il est nommé h la préceptorerie de Chypre, qu'il ne garde que irois
ans; à cette coramandene ont été ajoutées pour lui les rcsponâions de
Sinica et de Nojiara. Kn i:iK6, â la mort de Itarthélemy Assanti d'Iscliia,
nie de Ntî^yro lui est inféodée, mais il ne la conserve que jusqu'en
1392, et la cède à Bufiglro Hrancaecio de \aples, maréchal du pape, ei
frère d'un cnrdinal proiecleiirde l'ordre. \in UBU, il avait été cliariçé
des intérêts, très importants à cette époque, lio l'Ilùpital en Achaïe,
avec le titre de « prociiraïur ». Nommé commandeur d'Avignon en
1392 (ï) juillet) sur l'urdre de Clément vu, sans pour cela résigner les
commanderiez dont il clait déjii titulaire, il devint bientôt après le
procureur général île l'ordre, et toute l'administration financière fut
entre ses main». I>e 1402 à 1404 le.s affaires de Grèce furent menéeus
par lui, ave«- ra^sistance de l'ierre de ilaulIVeinont et d'Elie de Fossai.
De» 1409, il était lieutenant du grand-maitre, et occupa cette
charge jusqu'à .sa mort, .-.urvonue en 1411 (entre le 4 mars et le IGmai).
— (Arch. de Malle. //<?j.//u//..l/ay., vi, 113,201-4, 225; vu^ 2»3et 298 v« ;
vin, 208 V'et2l2v'';ix, 183; x, 164 v; M, i:i| ; xvi, Iti»; xr.\, iiG-9et
I74v»;xxiv, 147 v« et 58. — iJoslo, /vW/ iWorm rfr//a»acra..., n, passim).
1. V. Pièces justilieatives, n"* xv et xxitl.
2. l octobre llt'J*. V. Pièces justilicalives, n'^' xvi.
3. 28avriM40a. Uembourtîemfntpar Jacques de Bourbon de neuf mille
ÎMPOSÎTrONS LE^*iES SUR LES ÉTATS DU DUC.
325
Ce furent les états du duc qui supportèrent, pour ainsi
dire, toute la dette. Le cas était prévu par le code féodal ;
la captivité, aussi bien que la première chevatichée du fils
aîné du seigneur, donnait lieu à nne aido extraordinaire. Elle
fut levée dans toute l'étendue des domaines do Philippe le
Hardi. Le duché de B'mrgr^gne fut imposé à cinquante mille
francs, le comté â trente mille livres. Ioh pa^s de Flandre à cent
mille nobles, ot leur clergé à sept mille cent quatre-vingt-
treize nobles; la chAtellenie de Lille â huit mille livres, celles
de Douai et (l'Orchies à irois mille cinq cent trente-deux
livres ; le Rhételois dut payer cinq mille tlorinsd'or, le comté
de Nevers et la baronuie do Donzy dix raille francs. La pan
du comté de Charolais fut fixée â cinq mille francs ; les sujets
de Waleran de Luxeuïbourg, comte de Ligny et de Saint
Pol. furent également soumis à cette aide; licsançon donna
trois raille livres, les pays d'Artois seize mille trois cent cin-
quante-doux livn»s. Quoique onéreuse que fût cette nouvelle
charge, ello fut volée sans murmure par les états. Malgré
les sacridces très lourds qu'ils avaient antérieurement consentis
pour subvenir aux frais de l'oxpédition. les propositions de Phi-
lippe le Hardi furent acceptées sans débat (1397)'. Pour la
Flandre trois lormos de paiement avaient été institués, dont
le dernier était exigible ù la Clinndeleur de l'année 1390:
parmi le^ villes désireuses île donner au duc le moyen d'ac-
quitter ses engagements au plus tcM, il s'en trouva, comme
Bruges, qui devancèrent les é|)oques iixées ; d'autres, comme
D«»urti, avaient créé des rentes pour trouver l'argent qui leur
était demandé. Dans la Bourgogne proprement dite, quatre
termes furent établis, de la Noi*I l.'ÏOT â la Saint .lean 1309 V
livres sur treize mille ducats, somme à laquelle avait été fixée sa rançon
par acconl avct! le duc de iJourgogne en juin 1400 {Arch. de la Côte
d'Or. li. 11876. liasse 3!, cote 132).
1. Les états de Brabanï refu&<>rent tout subside; rintervcntlon per-
sonnelle de la duche^sbodc tïrabant, »i:ur dr Plillip}>o le Hardi, ne put
les décider; U est vrai qu'ils n'élaiem pan sous le gouvernement direct
du duc de Uuurgogne(V. Froissart. éd. Kervyn, xvi, p. 26.V8).
2. Arcb. du \ord, B. 1272 et 2020: — /nvenl. ifcii areh. de Hntgeit,
ut, 287-8, ;t9a-'i et sef|. V. IMèces jus'itkitives, ii- xvn ; — Arrh. de la
(Me d'Or. H. \\h:% ll.Vi:». 11.578. M87l> passini, et3i:3; — Arch. du
>ord, U. 1290, I2ii8 et 1209, IH65 n» 2, IBG6 n» 41, 1^50; — Jnient.
de» areh. cnmm, de Ikmai, p. \2\ — Bîbl. nat., coll. de Bourg.,
PArEMR?ÏT PE LA RAÎCÇOK.
Lf recouvrement de Tinipôt se fit régulièrement ; à peine"
quelques diflinultês surgirent-elles de la part de ceux qui sf
croyaient exemptés d'y contribuer* ; c'est ainsi que les Hos-
pitaliers, par l'organe de Guillaume de Munie, cummandnur
de Flandre, obtinrent, et c'étixit justice, rie ne pas être com-
pris dans la répartition de l'aide'.
Charles vi avait voulu rontribuor. en levant une taille de
cinquanle-liuit mille francs, à ruiu\re cuniinuiie; les auti'os
princes, alliés à la maison de Bourgt>gne, le comte fie Savoie,
et le comte d'Oslrevant, beaux-frères de Je^n de Nevers. et
le duc de lîavière, père du comte d'Osirevanl, étaient restés
sourds à l'appel du duc \ Malgré ie don royal, les somme*
versées a>ec tant d'empressement par les sujets de Philippe
le Hardi étaient insuffisantes. Il fallut recourir à d'autres
mesures. La première fui l'engagement à Castaigne de Fiesque
de la vaisselle d'or du duc (I!) février I31)S;; elle produisit
vingt mille francs, remboursables en deux ans; la seconde
diminua nu suspendit les gages des otîiciers de la cour de
Bourgogne; mais cen'êtaient là que des expédients, ne servant
qu'à accélérer le paiement sans éteindre la dette (1309).
vol. 104 (comptes de Jean il'Kspoulettes du 5 février 1397 au
:j| janvier ia*t8 et de (iuillaïunft l^heuily, receveur particulier du
bailliage de Dijon), et P. lïauyn, Mém. du votait', f. :i.iV v-ô.
1. Jeanne, veuve de Jean de (iray, fious prétexte de la noblesse de
son mari, refusa d'acquitter sa quote-part (Arcli. do la Cote d'Or,
suppl. B. 9\, 1" chambre des comptes, lîpjtî. desi di^lib. et arrêts^
i:t'J8-lî37). — La remise faite aux Hospitaliers s'élevait â trois cents
nobles (Aroh. du Nord. U. iJ'Ji).
2. Ouillaunic de Munto appara't coirmie frère de l'Hôpital dès K(RI ;
en 1385 il était commandeur de Hantavesncs et d'Ivry. Kn 1389, Adam
Itoulart le remplaça dans la première de ces cominanderies et lui
c.^da en échange la prêcepiorene do Flandre, cliambr*» prieuralc; en
1390, nous te trouvons avec Je titre île lieutenntil du grand-prieur iln
l'rauce; en i;W9, avec celui d'ilttspitalier. Il fut nonnn^^. capitaine de
Smynie en l:Ut9-l'iO0, et inuurut avant le mois de septembre l'iUl
(Areb. de Malte, /îc//. HuU. Mfnj., vr, ;tO; \iri, 33 v"; IX, fil v el 175;
XV. 11"; XVI, Il v"; — Mannier, Ht Moire du tjrnuH-jiriruré de l'rnncr ,
Paris, 1872, p. (il>01.
3. 2 octobre 1397 (Ari'-h. de la iMe d"Or, U. !lH7fil. — Les gens do
parlement furent exemptés de cette taille {Ordaini,, \ni. 3I5| par
lettres du 13 fi^vrier 1399 tn. si.) — Bib!. nal., coll. de Bourt.'., vol. ÏO'i
acomptes du 25 mars 1397 au 30 avril 1398 ; — P. Banyii. J/^'wi. du
vuiat/e. f. 355 v.
Philii^pe 11' Hardi prit une résolution plus efficace; il fit un
nouvel appfl aux états de Bourgogne et de Charolais; aux
prcniiers il demanda, pour parfaire la rançon, \u\ nouveau
subside do douze mille franrs, aux .si'conds un inipiH suppté-
uientaire de deux mille franrs 'l'iOOj.Ces sommes, votées
sans nnirnnire, furent levées en deux termes à lu Saint Jean
et à la Ti.ussaint do ranut^-e liOOV
Il ne resta plus que quelques appoints adonner ; tel fut, par
exemple, un paiement do dix inillr francs fait â Anceau
Spinola, représentant du srigneur de Milylènc, et destiné à
éteindre entièrement la dette ilu due «nivers GattiJusio.
Une pareille opération tinancinre était tro]} considérahle
pour preiiflri' iin d'iiu jour â l'autre; :ins-*i les comptes des
trésoriers du due et les documents contemporains mention-
nent-ils, pendant quelques années encore, des faits qui la
concerupul. Ces faits sont do plus d'une sorte; parmi les
plus intéressants se placent les difficultés qui s'élevèrent enUv
la république de Saint Marc et la cour de Bourgogne '.
La pari prise par Venise an rachat des captifs, en dehi>rs
d(îs bons officos qu'elle n'avait cessé de leur témoigner, se
réduisait à un prêt de quinze mille ducats d'or, fait par le
doge à .loan de Nevers et â .Jacques île Bourbon". Rien
n'était plus net qu'une pareille situation. Si. d'un côté,
la républiqm» avait une créance contre le duc de B'»ur-
gogne, de l'autre, elle devait annuellement â la couronne la
Hongrie, on iriieux â qui s'était substitué à elle, une rente de
sept mille ducats. Kéolaïuer le paiement de la ci*éance, dif-
férer sous divers prétextes celui de la dette, puis offrir oii
nier la compensation des deux sommes suivant que celle-ci
était plus ou moins avant^igeuse, fut un jf^u auquel se com-
plut la diplomatie vénitienne, et dont elle usa pour ne paj'er
f|ue partie de ce qu'elle devait. No sulfisait-il pas aux Véni-
tiens d'avoir fait échouer la croisade, en lui rnarchandanl
I. JK Plnnrh<M'. //»»/. fir Bourtf., m. preuves ch^xxiij: — Ardi, de
•ii:*:, f. 2r-3: h. tl.VJ'i; W.
lljîW; It.
la Cùtc d'Or. H.
n. 2:ti:: B. TMh\ — Itibl. nat., coll. fin Bouru . vol. 9i. f.
2. ,\rch. de Ia t Vite d'Or, H. tô-Jfl, f. »jy. Anroau Spinola séjournn
n lu cour de Itoiirp<»gne de In tin de l'amiéo t399 jusqu'en «vril l'iOl
(P. Itauyii. M^m. tiu voiage, p. .liiS v-tij.
3. V. H«r ce prêt, plus himt, page 323.
PAIEMENT PK I.A RANÇON.
l'aide qu'eux seuls pouvaient lui rlonner. sans tirer ensuite
profit d'une situation qu'ils avaient contribué à créer? Mal-
heureusement rég'ùsuio dominait la politique vénitienne;
celle-ci ne reculait devant aucun moyen dès qu'il s'agissait
de ses propres intérêts ; nous en avons ici une nouvelle
preuve : la question de la ranron des croisés occupa pendant
plus do vingt-cinq atinées les chancelleries de Hongrie, de
Bourgogne et de Venise, et mit. une fuis de plus, en lumière
les agissements de la république de Saint Mare.
Les difdciiltés ne tardèrent pas à naitre. Sigismond avait
demandé que les sept mille ducats qui lui étaient dus pour
i;^îin fussent, en exécution du transport qu'il avait consenti.
payés par Veniso à Dinu Kapnndi ainsi qu'à Martin et à
François Martin'; mais le sénat, sans tenir compte de la
réclamation du roi, paya, par compensation, deux mille du-
cats à Thomas Mocenigo qui avait créance de pareille somme
sur Sigismond. Les cinq mille autres ducats entrèrent en
déduction du prêt fait au comte de Nevers. La rèiiublique.
cependant, n'admettait pas le principe de la compensation:
elle avait exposé au duc de Bcmrgogne que dette et créance
étaient distinctes, que la somme annuelle stipulée n'était pas
à proprement parier un cens, mais une clause de la paix d»*
Turin dont l'exécution était subordonnée à celle des autres
conditions ilii traité *. Mais, ccunme elle n'avait aucun motif
de contester le versomeiif dt» raunuité de sept mille ducats
pour 1J9'J, elle imputa cimj mille ducats sur les quinxe mille
qui lui étaient {\n^. et pria le duc de liater le paiement des
dix mille ducats restant à recouvrer'.
1. C'est le navire de François Martin qui ramena à Venise Château-
morand et V'ergj'.
2. 24 septembre i;t97. Lettre fin doge au duc (Arch. do U Côte d'Or,
B. 11876, lay. 87, liasse I, cote 9).
H. 15 août 1399, (iran. Lettre de Sigismond aux Vénitiens {CmmiWt»..
IX, n" I6â. analysée dans .lAmum.jtyjerf..., iv, 42(n.— 27aoùt i:t99. Venise.
Ileçu do Mocenigo \f'ominfm.^ lU, ii" lfi!t, p. 270, analyw^ dans ,I/oï»u«j.
ipecl..., IV, 4201. — 'i septembre i:W9, Venise. Lettre du iloge au duc de
lk)iirgogne(,\rch. de Veni.se, Commem.^ m, n** IH'i, p. 270; — Arcli. de U
rVitod'Or, H. 11876, lay. 87, lias.se l,i*ote8; — .Xrrli.du NonLdansun vifli-
musdu 18 août lî-w, jï, 1299). — Laohancellerii^ V(Wiitiennc. employant
l'indictiun de septembre, exoejité dans les pièces destinées aux chan-
celleries étrangères, avait daté la lettre du doge de Vintf. \lf. Le
»<iitH», qui la transcrivit au regiMre deh Commemffn'afi, mentionne i-r
C'est qnVn réalitp Philippe* In Har4i considérait comme
siennes les stipulations faites par Rapondi ; le roi de Hongrie,
garant du paiement de la rente auprès du cessionnaire,
insistait vivement auprès des Vénitiens pour obtenir qu'on
solilàt tes termes amérés. Pendant les pn^miers mois do 1 i03,
il multiplia lettres et ambassades â la république de Venise.
Celle-d se borna à répondre qu'elle avait de justes raisons
pour ne pouvoir aecordei' re que demandait le roi. et Sigis-
inond n'obtint jamais d'explications plus catégoriques. Ilaurait
pu, repeadatit, deviner la vérité; son compétiteur au trtme
de H<mgiie, Ladi.slasdeDurazzo. faisait de rapides progrés, et
Venise était depuis longtemps soupçonnée d'avoir pour lui
de secrètes svmpathies. Il n'en fallait pas pins pour que la
république dédaignât de s'expliquer avec un prince dont elle
croyait n'avoir rien à craindre.
.\vec le duc de Bourgogne il n'en alla pas de même; la
seigneurie se hâta de se justifier auprès de lui ; elle soutint que
l'inexécution des conditions de la paix de Turin par Sigismond
la dégageait du paiement de la rente. Ce prince n'avait-il pas.
par ce traité, renoncé à ses prétentions sur les bouches de la
Dalmatie, à tout comnirrce maritime à exercer par ses sujets
sur la c(Ue de rAdriattiiue? Ces engagements avaient-ils été
li^nus. l'état de son royaume lui permettait-il même de les
tenirMI était ilono légitirno lîe refuser tine rent** qui n'avait
été consentie qu'en considération d'avantages que Sigismond
était impuissant à assurer aux Vénitiens. La justification du
sénat S4' («'rnnmût par un<' nouvelle demande à Pliijjpp*' le
Hardi d'acquittor les dix mille ducats dus â la république';
Antoine Spalatino, envoyé en Aragon, était chargé, à son
retour, de s'arrêter en France et d'insister sur ce point
fait en remarquant que. selon lusage vénitien, elle oui dti portei- la
mention de riiidiction vm. Cotte lettre fut mise aux archives du dur
(le IV>urgogne |»ar Jean fouiller, le tl décembre l'M'J. — V. Pièee-*
jiittiHcatives. n" xm. - 12 nepterabre i:WJ, Venise. Lettre de \enise
à Sigismond, en n^ponse â la lettre du iâ août (\rcli. de Venise.
Commetn., lu. n- 16ti, p. 2701.
t. '(janvier, 25 mars, 26 avril \W.\. Négociations aveti Sl>ritsmond
(,\r-"li. de Venise, Sm. Seer., i. f. Hfi. ya v», iOo \-". Kd. Mouum.
*peet..., tv, 'iT:i, iT.i, i'Z\. — 21 avril l'iO:t. lti^]Mmsr tle Venise au
due do Ihmrgoguo i»«, Secr., i, f. lOUi. Voir l'iiVi'> jiistilK'nilvck,
n* xvni.
:
PAIEMENT DK LA RANÇON.
auprès du duc. La réponse decolui-ci ne se fit pas attendre :
écrite le 8 août, elle parvint au sénat le ?l soptciiibre. Elle
exprimait en lormos si vifs l'étonnement d'une pareille fai;on
d'agir, elle exigeait si irapérieusemenl satisfaction que Venise.
très ombarrasséo, chercha à gagner du temps, et se décida,
ijuand elle ne put phw user d'atternioiements, à envoyer en
France un de ses chanceliers, Pien*n de Gualfredini, pour
apaiser te duc et Justifier la conduite du sénat (2\ octobre
t'»03). Une pareille ambassade était devenue indispensable
depuis lo jourtiù îos Véiiiiiejis avaient, en pleine paix, atta-
qué et battu à Modon nne flotte génoise commandée par le
maréchal Bnuciraut [' oclobre IU)3;; il fallait, à tout prix.
atténuL'r l'effet que la mmvt'lle de cette injustifiable agres-
sion ne pouvait manquer ih* proïkiire de France, et les com-
plications qu'elle inermçnil d'attirer ;i la république. Aucune
excuse nouvelle, aucun arytitjient nouv<'au n'étaient mis en
avant dans les instructions données à Gualfredlni. Le sénat
comptait sur Thabileté do son représentant jionr dissiper l(*
malentendu, et pi-ésenler les choses sous leur vrai jour, tant
au duc qu'à Uino Rapoiidi. Philippe le Hardi, dans sa lettre.
avait fait remarquer, non sans aigreur, que Jean de Nevers,
pendant son séjour à Venise, eût pu Irouvor nombre de Véni-
tiens prêts à se substituer à ses droits, et laissait entrevoir
([u'en ce cas la ivpub!iqn<> n'eût pas suulevé les mêmes dif-
ficultés. Pierre de Gualfredini fut chargé de faire justice de
cette insinuation, en déclarant que son gouvernement n'avait
pas l'habitude de prendre en considération les transactions
passées entre particuliers, fussent-ils citovens de Veniso.
T'était là unr diM'larafiim Uniiv gratuite; le soin avec lequel
furent i*elevées les paroles du duc sur ce point monti'e assez
quelle créance méritaient 1rs protestations du plénipoten-
tiaire vénitien. Onlre fut floniie :"i cidui-ci, s'il échouait daîi**
sa mission, dinformer les consuls de la république à Bruges
et à Gand rie cet insuccès, pour mettre les négociants véai-
tiens de Fbuidre eu garde contri^ d<N nîesnres violentes q«p
le duc pourrait être amené à [)rendre contre eux par voie île
l'epi'ésailles'.
1. *il c! a; Keplenibre I'«o;ï i-SV/j. Serr., i, f. toU: — Sen. Mixt»,
\l.M, r. I04J. — Voir PiùceK jusliticatives, ti" .wiii fi plus has le clm-
pitiT VI ilu livre V sur tout co qui concerne coltc uinbas^ade.
Avec le roi de Hongrie, il n'y avait pas ies mêmes mèna-
gemenis à ganler; rmiarchie intérieure du royaume grandis-
sait chaqur jour, cl l'autorité du roi, battue en brèche en
Buhèiuo coiiiuio eu E)alniatie, par le parti allemand comme
par le parli napoliUiin. devenait de plus en plus précaii'o;
aussi l'attitude de la république consen'a-t-ello. à l'égard de
Sigismoud, le raraclère hautiiin ot insolent que nous avons
iU*yX constaté. Aux réclumaiions réitérées du prince, à IVx-
pression de ses craintes relatives à un partage de la Dalma-
tie, consenti par Venise â Ladislas, il fut simplement rê|tondu
que les événements dont ce pays avait été le théâtre légiti-
maient la conduite des Vénitiens, et qu'aucun accord n'avait
élé conclu )iar eux avec Ladislas. Sigi^mond Lereber. négo-
ciant de lînih' et agent du roi. dut se contenter de cette
répons*», donnée avec une maiivnise grâce évidente, et saas
autres explications ( 21 juillet I Ui\ '. Le nd «le Hongrie se
le tint, pimr dit. et si, l'année suivante, il chercha â se rap-
pjochcr de la république de Saint Marc, il ne fut plus ques-
tion du paiement des ducats arriérés".
H était moins facile rl'imposer silence aux protesta-
tions du duc de IJourgogne. La mort de Philippe le Hardi
l'avril lîDÎ) n'avait en rien changé la situation; le comte de
Nevers, devenu Jean -ïaus Peoi*. se montra aussi énergique
que son péri'. Son iusîstaiir'e â réclauicr \o^ arrérages de la
nmte ur laissait pas (juc d'inquiéter les Vénitiens. Pierre de
tlualfredini n'avait pas convaincu Philippe le Hardi ; Fran-
rois Contarini. envin'é en Franeepuur une négociation diplo-
matique importiute, fut accessoiremeui chargé '2'2 mai 1 105)
de repreudiv la rpiesiiou, tant on redoutait â Venise, de la
p;irt du iietiveau duc. la pnuuulgatiou de uiesures préjudi-
l'iahles au commerce vénitien dans le^; Flandre^. Il ne fui pas
I. 22 nuvembru l'iOS h (îraii, 1 dtV<>ndjre â Vii»egr3ul, *J avril 140'i.
t'i Presliourji. I.Httreti <Il* Si^fisniiMul îi \'e'ii-« f \rrli. de N'euise. r«w-
w<''rt..ni,n'*270.2::iet2«:.p.2*»;» it!t2î»H:«'J. .V«HMm.ji/ïr/'/...,v.:Hpl3'J|.
— 'it» janvier. 2 ff^vrier. ii ft-vripr, Ul juillpl lUi'i. l>élil)i'ratE(fns du sénat
lé(J. MoHHin. Jtpfct.... V. p. :I2. u;i, ;ï'i. 'i'i-r»K Oulre Sijrisinoiiil Lereher.
I" rui "!•• lloiij:rif cnvuya i\ Veiii.o lUnhèlouty (Juiiloli ijatixîop et
mar» t'iO'n, (iujfer ravjz». prévôt de Zatinih. et Paul de l*avii». un do
6CH clianceliers i\'. V«hm/h. n//cct.... \.5r.-7).
'1. Voir le» anjl)af*»adrî» envoyées aux Wnitienst par Sigîsmond en
waUet octubpp liOS {Monum. njt^rt.... v, 61 et STii.
332 PAIEMENT DE LA RANÇON.
plus heureux avec le fils que son prédécesseur ne l'avait été
avrc le père'. Jean ne voulut rien entendre, n'admettant pas
qu'on contestAt la légitimité de sa demande, admettant encore
moins qu'on o>t;*it dire que jamais la république n'avait traité
avec lui. sinon pour un prêt de quinze mille ducnts dont les
deux tiers restaient encore dus; sans se rehiiter, il euAoya.
l'année suivante, de nouveaux ambassadeurs à Venise ( 1 iOtî *.
Il n*y avait aucune raison pour qu'une solution intervint :
de part et d'autre chacun maintenait son droit, sans céder sur
aucun point. Les envoyés français étaient rentrés en France,
fort mécontents de l'accueil fait à leurs réclamations, et
(lisaient bien liant que leur duc saurai(, d'une manière uu
il'une autre, se pavei- de ce qu'on lui refusait "\ Venise trem-
blait plus que jamais pour ses intérêts commerciaux, et char-
geait son consul à lîruges d'avertir ses nationaux dri Torage
qui les menaçait '. Cette préoccupation était si fnrte que le
sénat, deux mois plus tard (6 novembi-e 1 iflti), se décidait à
sortir de l'incertitudo en demandant catépiu-iquemont la pro-
rogation du sauf-fonduit que les ducs de Bourgogne avaient
octroyé aux galères véniiienues. et en insistant pour qu'il fui
spécifié que le différend pendant entre la cour de Bourgogne
et la république n'atteindrait en rien la liberté de commerce
et de navijîation. Uapondi, que les Vénitiens croyaient avoir
dans leurs intèrèls, fui ])riè d'obtenir du duc ce nouveau
sauf-C'»ndui( ; en mémi' temps le consul vénitien à Bruges
entama, dans le aiôme but. des négociations directes avec les
villes tlamandes, nolanmient avec Bruges, Gan<l et Ypres ; on
espérait ainsi, si ces dernières se prononçaient en faveur du
nuiintien des conventions roinmcuriales, forcer la main à Jean
sans Peur, ou au moins paralyser sa résistance . Bruges accueillit
1. Kranruis Contariiii et Marc Daadolo partirent à la fin d'octobn?
t'iO'i pour la Krance; ils jillaicnt réclamer la libération de marchand»;
véiiilieiïs arrêtés par ordre du duc de lïeny â Montpellier. — Voir
plus bas, liv. v, chap. vm. le récit de ceUn ambassade. — Sur le (kit
lies inslruirtions données à (/oiitarioi potir l'alTaire de la renie de sept
mille ducats, voir Monum. sficct..., v. ô'i-H.
2. Ces ambassadeurs tétaient Jeaa Lau^ii'esl. cotiseillor et mnilre dns
rt^quétes, et (îtiillaiime I>oré, serrélaire du dur ([*. Hauyn. }/rm. tttt
roiage. f. îtGl» v").
;î. i:> septembre Ii06 (Kil. Moiium. speci..., v. Sfr-T).
4. lô septrmbfp TiOfi (Arch. de »nisp. S'en, Sert., m, f. 40 v»).
AMBASSADES DES VENITIENS Et DU DUC.
avec faveur les ouvertures de Venise, et promit de faire tous
ses efforts pour arriver au résultat désiré ; mais Rapondi no
put obtenir du duc qu'une prolongation insuffisante (1407)*,
Deux ans se passèrent sans que la situation se modifiât; onze
annuités étaient dues, et ia somme réclamée se montait, avec
les intérêts, à cent mille ducats. Un nouvel ambassadeur
bourguignon, Jean Mercier ', venu à Venise, avait tenu un
langage si menaçant iseptcmbre l'iOO) que la république se
décida à céder. L'Ermite Jérôme, accrédité par elle auprès de
Jean sans Peur (3 octobre 1109), re^ut des instructions conci-
liantes. Gènes venait, par arbiti*age du comt« de Savoie,
d'être condamnée à payer aux Vénitiens nno somme de
quatre-vingt-seize mille ducats *. Ceux-ci offrirent de céder
leur créance au duc do Bourgogne contre le versement des
deux tiers de la somme, ou contre le versement do. la moitié
seulement, à condition qu'ils seraient substitués aux droits
de Jean sans Peur vis-ù-vis de la couronna de Hongrie. Si
cette proposition n'était pus goûtée du duc. ils lut proposaiout
une quittance des cent mille ducats qu'ils devaient et le paie-
ment de vingt-cinq mille ducats en cinq ans; à ce prix, tous
les droits â exercer contre le roi de Hongrie seraient cédés à
la république. Jean sans Peur fut inflexible ; Jérôme lui pro-
posa jusqu'à quarante mille ducats (I ilOj. sans parvenir à lui
faire diminuer ses prétentions, et revint à Venise sans qu'on
se fût rais d'accord *.
i. 6 novembre l^i06 (Arch. (Ip Venise, Sen. .Vm/i, XLvn, f. 78).
V. Pièces justificatives, n® xix- — 2 décembre I407 (Arch. de Venise,
Sen. Secr., lU. 82 v» et 83).
2. Jean Mercier, (Ir Maçon, assista au parlement de Beaune et de
Saint-Launmt en l'i(>7. IMs l'ilO il était maitre des requêtes et con-
seiller du duc. I^n tU6 il fut envoyé par Jean sans Peur auprès du
comte do l-'uix, a^iâista, en 1418, aux conférences de la tutnite entre
Uray sur Seine et Montereau; en 1420, il fnt chargé d'em}>6cher la
Dresse et la Savoie de livrer pa^ssage à l'année du dauphin (la
lïarro, ,Wm. pour serv, à l'hi»t. de France et de Dowg, (Paris, 1729|,
U, 104, 113, ID'ij.
3. Voir plus bas tous les détails relatirs à cet arbitrage (livre y,
chap. X).
4. 9 septembre 1409 (.S>/i. Secr., iv, 56-7). — 17 septembre 1409
{Sen, Sccr., iv, 58 v«, éd. Monum. $pect..., vi, 18). — 3 octobre 1409.
Instructions n m" Jérôme {Sen. AVer., iv, 65 v*; — Syndicati, i, 191 >•»),
— 23 avril 1410. Nouvelles instructions (it'fil A>cr.., iv, 107).
334 PAIEMENT DE I^ RaNÇOX.
Une période de quinze ans s'écoule sans que la qiiestir>n
soil de nouveau aj^itée; les préoccupations des ducs de Bouj-
^ogne sont ailleurs ; ni Jean sans Peur, ni après lui Philippe
le Bon, ne songent à faire valoir leurs droits, et Venise, dont
le commerce avec les Flandi'tîs n'a pas, en dépit de ses
craintes, subi l'arrOt qu'elle redoutait, s'est Ijîou gardéo
d'attirer l'attention sur une question qui semble oubliée. Co
n'est qu'en li?'i que Philippe le Bon reprend les négo-
ciations; il puvoie en It.ilii- une ambnssade composée d'Ilnc
de Lannoy *. de Robi^rt tU' Saux, vitliune de l'église do
Reims, de Jean Jouberi , archidiacre de Langres, ei de
Quentin Ménard, anhiiliacre de Bruxelles*. Aux réclama-
tions dos envoyés du duc, le sénat répond avec les mêmes
arguments qu'il faisait valoir vingt ans auparavant ; mais
le temps a changé les dispositions de la cour de Bourgogne;
ce n'ost plus cf^nf mille ducats qu'idle exige impérieusement.
elUv est prête à céder à la république les droits de Phi-
lippe lo Hardi sur la couronne de Hongrie en échange de
sept mille ducats ('JO-'IO jnillei ri'^'i). Trop heureuse d'en
être quitte à si bon marché el d'assurer à ce prix la sécurité
de son commerce, Venise renonce à ses prétentions aux dix
mille ducats dus sur la rançon du comte de Nevers, el
ord<Muie à sou consul à Bruges, de payer, siu* les premiers*
fonds libres, la somme de sept mille ducaU au duc de Bour-
gogne (?8 mai Ii2.")). Après vingt-cinq ans de négociations,
Venise, grâce à un léger .sacritice, restait maiiresse du
terrain
1. Hue (le Lann(»y, ïiobnrt de Saux et Quentin Ménnrd avaient élé
déjà envoyés en Italie cinq ans avant imjut faire ratilier par le pape
Martin v !n paix de >lolnii (I! juillet liiy) conclue entre le duc de
Itourgognc el le datipliiii (pins lard Tharles vu). iD. Plancher, I/t'itt. de
liourrj.^ ni. 515.1
i. (Quentin Mênani, originaire de Flavignyen Bourgogne, chanuinc
de fhàlon.s et de Saint Orner, «eer^talre d^i» 1412» puis ronseiller de»
ducs de Itourgogne^ Hit provnt de Saint Orner (t'iifit; nommé évoque
d'Arrns en 14H9, il fut transféré à rarchevéclié de lk»sancon qu'il
occupa jusqu'à sa mort, survenue en 1462. [Gall. chrixt. m, 474; xv,
94-8; — la Marre, Mémoires pour snvir , n, Il 'il.
3. 26 mai l'iiîi (Arcli. de la Côte d'Or, It, 11876, lay. 87, liasse I,
cote 11). — 26 el 30 juillet ri2'i <Apeli. de Venise, Sen. Secr., vni,
i65 v et 166. V. Pièces justificatives, n« xx). — 28 mai 1425 (Arch.
de Venise, Sen. Misti, i.v, f. 112 v" .
LIVRE IV
CONSTANTINOPLE
1396-1 «2.
MVRE IV
CONSTANTINOT'L!:
1390-1 i02
t/CS soiirnes dn cettn jH^pîode sont hrancoup plus resteïntcs que celles
de la précédente. Les chroniques se r^duUent aux t^moignaKes
byiantins et turea que nous avons «^nuniArés plus haut', au Livre
Uex /'aiti^ qui nous fait connaître le rôle joué par le maréchal à
Constantinople, au /iefitjt'euj: Je Saint Dénia', k Schiltlwrger*. et h
quelques diMails donnés j>ar les chi'oni<|ues ituliennes, anglaiscg et
franraiscs sur Ib voyage île l'empereur Manuel en Occident et sur
Ja bataille d'Ancyre. Pour cette dernière on pourra consulter égale-
ment la relation contemporaine de j'ambasBade de l'fChpagnol Ituy
(ion/.ale7. deClavijo â la cour do Tn'ltizotide^, cl les liii»toncns orien-
taux Chérifeddin* et Ibn-Arabchah'.
t. Voir page 216-7.
2. Voir page 2l2-:t.
a. Voir page 116.
^. Voir page 215.
5. liiitoria t/rt ijrnn Tanwrfnn, e itinerario 1/ ennrraeion ftel viaffe^
y relaciun th la rmfiuj'ailu tjue Huy Gonzalez de Ctavt'jo le hizo pur
mandndo det muy jM/deroÂo ténor rey dim Ilenrique cl tereero de
Custilla-.- (Madrid. 1782, in-^i").
B. Il a corn|wsé en j>er»an une J/iHoire de Timur Heg, qui a été
traduite en français par Petits do la Croix (l^aris, 1722, '< vol. in-12).
Four la bataille, voir h- livre v, ch. 'i7-9, (iv, &-20).
7. Ahmed bon Mnliammed Ibn Arabchah écrivit en arabe une vîe
32
338
SoLRCES Dr LIVRF. glATRlÈME
Les archives italiennes, pontificales\ génoises et vùiiîtîennes
rompirent sur plus d'un (wint le rt^cit des chroniqueurs, partiVu-
liôrempnt cpHps de la république de Saint-Marc que les progrès de»
Turcs menaçaient et qui clicrclia à détourner loragc prêt à foiidi*e
sur elle=. •
Quelques travaux récents méritent aussi d'être mentionnés ici:
tels sont les uuvragos de HiJpf\ d'ilertzberg*, de Pinlay^ d'Ho-
wortli", de Beving', et, sur dos points plus spéciaux, la dissertation
que llerger de Xivrcy a consacrée à La vie et nux ouvrages de
Vempercur Manuel Pa(f''vUujuc*y et le Mémoire du baron Silvestre de
Sacy Rur une corregpondanve inédite de Tamerlan avec Charles ïv".
de Tamerlan, plusieurs fuis imprimée : en 1636. in-4«, k Amsterdam,
par Jacques Golius, en 1767-72, U Franocker. en 2 tomes in-i", avec
traduction latine de S. H. Manger, l/navrayo d'Arabchali a été traduit
en français par Pierre \attier (Paris, 1658, in-4«»;, en anglais (Calcutta.
1812, in'-8",ul I8IS, 2cédition), eten turc (Constantinople, 1739, În-V).
Le lecteur trouvera ce qui concerne la bataille d'Ancyre au 1. vi, ^ 10
et 11 {trad. de Vattier p. lari-SOOi.
t. Mansi, Annales JSrcie.siattiici, t. xwii (Kucques, 1752, in-fol.)-
2. Les archives de Gènes n'ont donné lieu à aucune publication
pour cette période; ù celles de Venise sont empruntés les élémenls
qui ont fourni Icâ publications suivantes : Sathas, Documenttt inédUt
relatifs à ihiatoiredr la Grrre rtumoi/en tige. (tidO-irjOO;, Venise, 1880,
2 vol. in-'i"; — Sime l.jubic, Munumenia sperlantia histuriam Sin-
l'ontm ineriflionalimn, t. v (A;;ram, 1875, m-^). — K. liopf (GriVrArn-
Innd im Millelolier wid in der Neuzcit, X. vi et vu de lencydopédie
d'Krsch et (iruher, Lnipzig, 187U, in-i") a également mis largement »
proHt les documents génois et vénitiens, ces derniers surtout.
:i. Voir la note précéilente.
4. D'O. F. Hertzberg, GMc/(»Wt/e der Dyianiiner dans l'encjxlo-
pédie d'Oncken iBerlin, 1883, in-H").
5. .1 fiistori/ nf Grèce from ittt eonguest by the Romans to the jrresent
lime (7 vol. in-8", Oxford. 1877).
6. La principauté d'Acfiaie et de Morée. 1204-14:^0 (Uruxelles, 1H79.
in-H*»;.
7. Mémoires de l'.\cad''mie des Inscriptions, MX (1853). n. l-2ftl.
8. Henry II. Ilowortti, J/istory of the MonyoU (lAïudros, 1876-80.
3 vol. in-8").
9. Mémoires de t' Académie di^t Inseriplions, vi |1822) p. Î70-522.
Ot vil (1824] p. a35-4:t8.
KKFKT MORAL PRfUniT EN EIUopE PAU I,.V VirTOiRK OKS TfRCS.
Le désastre de Nicopolis avait ouvert la route de l'Occi-
d«nt aux vainqueurs. Ce n'éUiient ni les puissances de TAr-
cîiipcl, ni la Grèce, ni les principautés serbes et valaques,
i^noare moins les Hongrois ou les empenmrs de Constanti-
nople qui pouvaient arrêter la marche de Bajazet ; la menace
qu'il avait faite, avant lu campagne, de faire manger son
l'heval sur l'autel de Saint-Pierre à Uoine. ne semblait plus
à personne une insolente bravade; l'Europe tremblait devant
l'êpée du conquérant.
En France, la tristesse et le deuil avaient été universels ;
rêmotion publique, dont nous avons déjà* signalé les pre-
mières manifestations â la nouvelle de la catastrophe, avait
été vivenient suri-xcitéts et on peut juger de son inlr*nsiié par
les vers qu*Euslache des Champs consacra à la bataille et
dans lesquels il .se Ht l'interprète des sentiments de tons:
• Las où sont les haulx instnimens,
» Les draps dur, les robes de soye
•• Les grans destriers, les parreniens,
• Les joiisteurs quà veoîr souluie.
• Les dames que dancer veoio
' Dès la nuit Jusques au cler jour?
■ Las! où e8t d'orgueil le !;éjour?
■ Dieux l'a mis en partie à fin.
a Je ne voy que trlatebce et plour,
■ Et obsèques soir et matin. >
1. Voir plus haut, p. 2Vl-'i.
340 EFFET MORAL CALSÉ PAR LA DEfAITE.
Le poète continue sur ce ton, et sa ballade reflèie, dans sa
tristesse, le deuil de la France entière:
■ Où wnt les enohaineiuetiH
• (Oue l'on fiortûit comm« conrroye)
■ li'argent et d'or, leurs sonnemens.
« Pour niiculx pramlrc i^pis sauîx? on voie
■ Lessel de cûi*ps, de la monnoie,
• Ciast de viande et d'atoiir,
• Perte d'esj>6rit, grant luour
• De torches, gastement de vin,
t Je ne voy que tristesce et plour,
I Et obsèques soir et matin.
« Et en mains liens noirs vestomens,
1 Porter deuil et courroux pour joye,
■ Sonner pour les trespassemens
« De pluseurs, que pitié eonvoye
« Au moustier. Vengcnee me^troie
€ Péchii en quelrunqne seigneur,
• En grant, eu nioicn, en meneur:
• Soyon tout à Inen fuire enclin.
■ Je ne voy que tristesse et plour,
• Et obsèques soir et matin.
t (L'Envoy.) Prince, abisme est li jugemen»
• Do Dieu et ses pugnissemen»:
• M l'a bien montré à ce tour:
■ En Turiiuie est ses vengemens,
■ lie loiug, par divers mandement,
- Pour noz jK^chiez plains de venin.
• Je ne voy que tristesce et plour,
■ Et obsèques soir et matin •'.
Mais en Krancr. plus qu'en aucun awivo pays, les impres-
sions, un"'aii' b's plus \ives, s'effacent i'a|>idi'inont, ronirae si
leur acuité même semblait devoir en abréger la durée, Nos
pères iréfhapjiaient pas à relie condition inhérente au carac-
lére national; un en eut la preuve après Nicupolis. La France,
grâce à son êloignement, n'avait pas cumme la Grèce, la
Hon^'ie oti (^onstantinoplo, à redouter du Turc un danger
immédiat ; elle se persuada facilement qu elle n eialt pas
directement menacée, et ue songea pas aux conséquences in-
1. Les ttuvrea inédites d'Emlache des Champs (éd. Tarbé, 1849), i,
163-G. L'ne autre pièce d'Kustache des Champs (i, 16'i-5), plus spé-
cialement lusloriquc, exprime les mêmes senlimenls.
PHILIPPK DK ME/IKRES.
341
directes d'un noiivoau profifrôs do Bajaznt. Aussi bien, ces
vues politiques n'êtai<»nt à la portée que du petit uoml)re;
Irts idées qui nous somblenf aujuurd'Jmi èîèineiUairos élaieiit.
û la tin du xiv* siècle, lapanape de quelques priviligiés, que
des voyages à rêtratiger, ou le maniement des affaires pu-
bliques, avaient appelés à les aequérir. La chevalerie s'em-
pressa d'oublier la leron qu'elle veuaii de recovidr et reiourua
à ses tournois, à ses amours, aussi allègi'omcnt qu'elle était
partie en campagne.
t Rogardez tjiiel dievalerie
I Quant noble gcnt, quel cumpAignic
■ Avez pordue entre nous,
s'écrie un auteur eoutenip^traiu pai* la bnurbi» il'un Sarra-^in
qu'il met en scène,
■ Mai.t quelle plainte en faites vous?
■ Si n'en voy nully qu'en soupire'. »
Il est impossible di* jH-indre d'un trait plus heureux l'état
des esprits au b-iidi-niairi de Nicopolis.
Une seale voix s'était élevée pnur rappider au due de Bour-
gogne qu'il a\'ait la gloire de sa maison et relie du nom chré-
tien à rétablir en châtiant Tiirpueil des Turcs: voix autorisée
s'il en fut. et qui. maintes fuis déjà, s'était l'ait entendre en
faveur des intérêts chrétiens en Ori*^nt. Philipp*' de Mézièn>s,
le vieux chancelier du roi Pi*Tre de ('hvpn*. retiré, depuis
près de vingt ans. au cloître des ('él(»slins à Paris, ne s'était
jamais itésinléressé des choses île la croisade, et l'ardour de
sa fol ne s'étîût pas ralentie avec les années. Nous avons
montré, plus haut \ ses efforts pain* eiitrainer l'Occident à
la conquête des Lieux Saints. I^i nouvelle de hi bataille de
Nicopulis le frappa, dans sa pieuse solitude, d'un coup dou-
loureux ; il reprit la plume pour dire aux princes chrétien^.
dans une < rude épislre », et les fautes commises et les
moyens de les réparer. Il était bien UivA, après révéuemeni.
pour faire toucher ilu doigt la plaie saignante ; il ét^it ponl-
1. Iluiiuré Ikjiincl, L'tiftpnrition nuiitrr Jf^n tlf .\/rtiHfj (Milil, nal.
franc., 7202). ("est une |»<)i''mc ulh^goniiiie ilmi;» lii<iurllr le j»o^te cri-
tique ses runteui|M>rain!> iP. Paris, Xotii^cn xur Irit MuntinT. franc.,
\ I. 258-9».
2. Voir ijages 201-8.
34:
KKFRT MORAI, CAISK FAK 1,A IiKKAlïfc;.
être prématuré, au momenl où le désaslre accablail Iou(g la
chrélienté, où les prisonniers étaient captifs, de parler d'une
nouvelle croisade. î.a voix dp Mézièivs resta sans écho, au
milieu de riusouciance chaque juur trniudissante '.
Ses conseils, du reste, ne semblaient pas inspirés au même
degK* que maint proji^l de croisade dont nous avons eu l'oc-
casion de nous occuper précéfleiiniioiiT. par rexpérience pra-
tique qu'on était en droit d'attendre d'un liomrae qui avail
passé trente ans île sa vie en Client. Présentés sous forme
d'allégorie, iU inanquaiont, pour ainsi dire, d'actualité ; l;i
coiu* frivole de Charles vi les accueillit avec le respect que
méritai* l'aiiduité d'un vieux siTvitenr des rois de Chypre;
mais (Ml même t<Mi»ps l'iusislance que ce vieillard, â demi
retiré du monde, apportait à gourmander ses contemporains
par ses écrits et sa parole excifa un certain sentiment de dé-
fiance. On ne poiiv.-iii s'empêcher do songer que la Miiict du
Christ, le nouvel ordre de chevalerie dont Philippe n'avait
cessé de p<nu'suivre la réalisation, tenait dnns sim épitre la
place la plus considérabli*, et que les renseignements ilounè*:
par l'auteur sur la puissance ottomane semblaient arriérés
d'une vingbiine d'années, et concordîdenl mal avec le^* récits
apportés en Occident par les compagnons du comte d**
Nevers *.
Ecrite nu lendemain du desasin-, l'œuvt'u de Meziéres ne
proposait aux vaincus que deux alternatives : rachet<*r Ii-h
captifs « par traité ». i>u les délivrer * par la voie dp fait e?
de guerre », c'esl-à-dire par une tiuuvelîi' expédition. L'aii-
leur, secrètement partisan du second mo_\eu, disrul^ùt le
rafdiat des prisonniers et dont^iil de son eHica<'ité; il crai-
gnait (|ue les TiuTs ne demandasM'ul une « extrême et iin-
« portable ran(;on », à laquelh* le trésor de France ne pùl
1. EptKire Itimpiilithle fl amnolotoirr sur te fait dtr tn tirnconfi-
turfi, etc. {Va\. Korvyri. Krois-sati, .\m, ''»'t'i-.ï2^).
2. Voir tiiir la sîtiintion d(*H Musulniuns les piuvigraptirs (jiii uiit pour
litre: •> 1,'atiteiir rnrilf lri)is ppiiices très grans seigneurs «le Turquie
t et l(îs CDiitrrps J« leurs seigiHMiries. — Les rondiliniit» du socoml
« seigneur de Tuniuîe. — Les roiiditioD.s du liera seigneur de Turquie,
t — Les t'unditiuns eu gixis de l'Amuralh turq et de son liU Husctli. dti
« leur fortune cl de leur grant pnis.sani*e et vuillance. — lUe ii-capi-
« tulation bricfve des eunquestes que l'Amorat et son lili* Dasetli ont
• fuil sur les ( resliens i. i Kixfissjirl, éd. Kervyii; wr. ."lOS-lî).
i
m
PROJKTS I»E PUIMPPK DK MKZIKBKS.
:u:i
suttiri', fl que, l'argeut fùl-ii recueilli, il n*y eiUilauger pour
In ('ïirètieiitp à le leur fournir. « La inonnoio de la dictp
« raiiron, ilis:iit-i]. pourroil doiinr-r mat(*iv (ît occasion an
« prince des Turcs Haxetli de vtMiir pivitemeul acquerre les
€ auti'es royaume de la or(.'stienié », ce qui serait pour los
cliréticns fournir des arnie^ conlri' eux-rnèm<'s. Ces craintes
exposées, le vieux chancelii-r donne U^s meilleurs conseils
pour la levée de la ran(;on ; elle devra être * «le bonne aquesks
^ libéralo et non violente » : il cïU> l'exemple du roi Henri de
rhvjire, rachelé par ses sujets de leur plein gré, gi'HCO aux
trois états du royaume, et la conduite prudente ilo ce prince
t|ui diminua, pai* des rédnclions sag^-ment L-nuçues sur ses
propres dèjiensrs, la ilette de son p«*upli*. ("était indiquiT
ivec délicatesse au roi de France et au duc de Bourgogne
les mesures à prendre pour assurer la rançon dos prison-
niers'.
La voie des armes senildiiil plus ('ffîcace a l'auteur. Il
voyail là rnceasion de faire jou4'r à la chevalerie de la l*a-s-
sidu dans les affaires d'<.)riertt le nMe qu'il avait rêvé pour
ell«\ Kilo devait, quoique < une en substance », se diviser en
trois * congrégations », dont «-liarune avait un emploi dis-
liiicl. La prendère. comprenant les chevaliers de France,
d'Angleterre. il'Kcosse et d'Italie, réunie avant le,s deux
autres, se rassemblait â >'enise, eï de là allait « jiar mer
« tout droit en Turquie pour parfurinr son emprise et reron-
« vrrr les prisonniers ». Mézières se llallail (qu'elle serait,
rii pru de t(>mps, forte de quarante, ijuatr^-vingts ou cent
niillo ci»mbattaiit.s. Le second contingent, formé des cheva-
liers .-illcmands. devait iiiandier « tout dmit en (\>nstantin<qd4'
« et à Itonne victoire passer le bras Saint George* ». puis se
joindre aux Français en Asie Mineure; sa force éUiit présu-
mée drvuir égah'r celb» de la première * congrégation », car
« il MM'a légière choM' ;i la bonté de Dieu d'assamider c* coiu-
« batans. » Quant â lu troisième chevalerie, celle « d'Austre
« i»u de Midi » comprenant les Kspiiguols et les portugais.
évaluéiT ^ soixante ou quatre-vingt mille hommes, elle devait
combattre les Sarrasins d'Kspagne, et, après les avoir vain-
cu», s'embarquer pour rHgyiti*' et v faiir sa jonction avec
I. Froinsaii, M. Kervyii, xvi, i78-8«.
EFPBT WOBAI. CACHE PAR U\ DEFAITE.
les premières divisions qui, de victoire en victoiro. seraîenf
arrivées, parla Palcstiiic. aux frontièn^s di* rRfï;}'ple'.
Ce plan était in'éalisable ; à peine, malgré les efforts do
Mézières, quelques arllièreiits avaient-ils été recrutés. Com-
ment supposer tjue l:i rhrétipnlê, Hêsahusép des expédîtionj*
loinlainoii, réiuurail. :i la voix du vltuix Cnrdelier, um* masse
d'hommes plus considérable que celles que l'enlliousiasme
des preniièiv's croisades avait armées pour la conquête des
Lieux Saints. Cet enth'Uisiasme n'existait plu.s; rameur des
aventures et l'activité d'expansion à l'étranger, quoique trè^i
réels à la fui du xiv" siècle. la crainte même de rinrasioa
musulmane qui dominait les esprits depuis la perte de la Tem»
Sainte 'ne suffisaient pas pour suppléer au sentiment religieux
qui avait poussé, deux siècles avant, les croisés vers le
tombeau du Christ. On conçoit que les couteniporains n'aient
accueilli les projets de Mézières qu'avec une respectueuse
indifférence; si l'état précaire dt? l'Orient devait, dans la
suite, réveiller l'ardeur belliqueuse des CIm'Miens, ce réveil
devait revêtir un caractère tout différeut de celui que le
solitaire des Célestins rêvait de lui imprimer.
Mais on comprend ru^d que I'i(K'e de la vengeance, .si natu-
relle â un peuple chcvalernsque, ne se soit pus eniparêo de
la France à la suite du desastre ; Kustache des Champs s'était
bien écrié :
■ Pleurons cette meschance!
• Vengeons leur mort! aions en Dieu fiance •*,
mais sans insister sur ce sentiment. Philippe de Mézières
avait hautement réclamé la réparation qu'exigeait l'honneur
des Chrétions. et cependant ses paroles n'avaient pas été
écoutées. Une pjucilb' conduite, que b's mœurs du trmps ne
semblent pas justiiier. s'explique toutefois dans une certaine
mesure. Il n'est pas douteux qu'à la nouvelle de la catas-
trophe, lo premier iiiouvemnit de la jeunesse iruerrièiv, dans
un élan chevaleresque. ;iit été de courir aux armes pour veuger
la mort de ses aînés tombés â Tennuiui; mais, cédant à des
1. Froissarl, éd. Kervyn, xvi. Î91-9.
2. Le \\ mai 121)1 une ftotlo mu:sutnianc avait nsà Adria.
le» œuvra inédites d Eu«iache dex Champ» |M. TorW, !8i9», t,
I6W>.
PROMPT OL'BLI DE UV CVrASTRfJPlIE
Mb
raisons d'ordre jmlitique. cette ardeur généreuso se ralnin
bient<H. La fleur do la chevalerie était prisonnière de Bajazot;
pour la sauver, il fallait s'abstenir do tout acte d'hostilité
tint ([u'elle ne serait pas délivrée. Plus d'un an se passa de
la sorte avant le retour des prisonniers; c'était plus qu'il
n'en fallait pour que U's idées prissent un autre cours; tjuaiid
le comte de Nevers rentra en France, à l'émotion des pre-
nners jours ne tardèrent pas à succéder rinditTérence et
bientôt l'oubli.
Une autre cause, en outre, devait hâter cet oubli. Il est
toujours pénible de s'avouer à soi-même les fautes commises;
par un penchant naturel, la nature humaine se plaîl A atténuer
la responsabilité encourue eu la part;igeant avec autrui. Les
vaincus ne manquèrent pas, — peut-être avec quelque raison,
— pour se justitier â leurs propres yeux, de rejeter sur le»
Hongrois les causes do la défaite. Mézièi*es avait, dans son
épitre, attribué à la divei'sité des éléments do rarrnée coali-
sée, < composée de cinq générations de Crestiens catholiques
« et de quatre ou de cinq scismatiques », l'insuccès do la
« journée hurimable » ; et il avait consaci^ uu chapitre spé-
cial à exposer « les grans défauts d'aucunes générations parti-
« culières de l'ost du voy de Honguerie ». Ces considérations
ne manquaient pas d'un fonds de vérité; elle^ furent d'autint
plus facilement acceptées qu'elles excusaient la conduite des
chevaliers français. On oublia facilement l'outrecuidance, la
légèreté, le mépris des règles militaires, qu'on s'avouait
tout bas, pour ne se rajtpeler que les faules des Hongrois, et
Kustache des Chunips, organe du sentiment public, s'écria :
• MdiOiMily. l'ilé (le payetinie,
> Ati trMii|>s lu ait li sié^e» fut gfaiis
< Kiit (]f»lais8tèH par ur^iieil et fulie;
■ C'iir \e» lluiiKit^tt t|ui furent kup Irk champs
• Avec leur roy, fultis ot récréans,
• Leur roy meisme eniimincnl par puisHaiicc
• Saut; a&sorabjor. •
L'amour-propre était sauvegardé: la chevalerie n'était
plut l'instrument, mais la victime de la défaite; elle pouvait
panser ses [dates en silence, en dehors de toute idée du
vengeance*.
I. Kfiittrc liwtenUihlc... p. \h'i''À. -
den Champ» it^d. TarW, IBV.n. p. I6.V
Let reui'reê iuétfileu tt/Cnntachc
34(î
EFFET MOK.\I. CAI'SE PAU L\ DEFAITE,
Si rOccident s'était facilement désintéressé du péril que la
victoire de Bajazet rendait de plus en plus menaçant, il n'on
était pas lie niônie dos puissances chrétiennes du Ix^vant.
Conslanlinople, dont le siège durait depuis plusieurs années,
et qui n'avait vu les Turcs s'éloigner que pour renforcer
Tarmée dirigée par le sultan contre les croisés, attendait à
rhaquc instant le retour du vainquenr; ses forces militaires
comme ses finances étaient épnisées, et l'aniique prestige du
Irône impérial no sutlisait plus à la défendre. La péninsule
turco-iielIéni(|ue ne pouvait songer â soutenir la lutte ; eu
Thessalie. l'autorité do Maïui*^! i n'était f|u'un vain nom ; celle
du despote de Mistra, Théodore Paléopue, propre frère de
Teniperenr, n'était pas jihis redoutable en Morée; l'Epire, Né-
•îrepont étaient aux mains de Venise; la harunnie d'Athènes
an jiouvdir de Florence, nu ponr mieux dire, ces seigneuries
avaient à leur télé des d;)'naslics italiennes, incapables d'au-
cune résistance sans le secours de la métropole. L'Ai'clu|>el
offrait un spectacle analogue ; il se partageait en possessions
génoises, vénitiennes ou florentines, plus commerciales rpi**
tnililaiies. Qu'un souille hellifineux s'élcvàt. qu'une person-
nalité énergi(|ue se mit à lu tête d'un mouvement de l'ésis-
tance, d'mie ligue analogue à celles qu'on avait formées cin-
([uante ans [ilus f'd. il y avait là les éléments d'un sérieux
appui pour l'empire de Constantiuople. Malheureusement.
personne n'était en mesure de donner l'élan ; seul, le grand-
rnattrc île l'Hnpital (m*iL pu le faire, mais, récenmient promu
iiu iiiagisiére etéchappé par miracle au ilêsastrede Nicyjioli»,
Philibert de Naillac se considérait comme incapable de soti-
tenir dignement ce rôle, lîest^uent les républiques italiennes,
dont b's rpuii]itoïrs couvraient les iles et les côtes de la mer
Ionienne» de rArclupel et de la mer Noiiv. Venise et Gênes
;i\aient pndilt' \h' la faiblesse des Grecs et «les dispositions
bienvt;illantr.s des Turcs a leur arrivée en Europe. p<inr
étendre, au xiv" siècle, d'une fac'Ui cotisiilérable leur empin*
colonial, au détriment des premiers connue des seconds. Tes
établissnmiMils :i\ai<Mit; su. justju'alors. par une politique pru-
dente, grandir sans c(»mprometlre leur indépend;ince ni
éveiller la colère des infidèles dont ils favorisaient le coni-
oierce. Après Nicn|)n|is, ils ne pouv;iicnl plus <'miérer la
métui' tolérance de la pari îles Musulmans, désormais surs dç
Wm force. Le péril commun b's menaçait aussi impéritiusc-
CRALNTKS hE LA RKI'l'BLWfK DK VENWK.
meni quo les autres puissances chrétiennes. C'est ce que?
comprit de suite la république rie Venise ; effrayée des résul-
tats de la journée de Nieopolis, elles*.* h;\ta de déléguer dans
le Levant deux « provisores », inunis de pleins pouvi>ii*s et
chargés de prendre toutes les mesiues nécessitées par les
circonstances; en même temps serJean Loredimo, qui était en
Islrie â Parenzo, devait rassembler hommes, approvisiomie-
luents, agrès, et se porter en irtute hâte au secours de Moce-
nigo; ce dernier, peusait-on, se trouvait entre Constant inople
et Négrepont. Loredano était chargé d'arrêter avec lui, ou.
m^me sans lui» avec les autorités de Négrepont, les disposi-
tions les plus propres à conjurer le danger; il fallait protéger
Cunstantinopl(\ encourager l'empereur, mais sans cesser d'as-
surer aux galères vénitiennes la sécurité du voyage de Roma-
nie, et défendre Négrepont ^ Pour frênes, 1p péril n'était
pîis m<ûndr(> ; elle avait les mêmes intérêisqueles Vénitiens;
mais, venant <le se donner à la France, elle était trop absor-
l>ee par ses affaires intérieures pour songer â ses colonies du
Levant. Kn outre, la jalousie et la haine séculaire des deux
républiques étaient si fortes i|ue l'imminence du danger ne
put les déterminer â s'allier rontro l'ennemi commun.
Le despote de Morée, affolé, s'était hâté d'envoyer à Venise
«ne ambassade, â la tète de laquelle se trouvait Nicolas Nota-
ras, grand interprète de l'empereur, et d'implorer le secours
de la république. Celle-ci (janv. 1397 pi-oposa de fortifier
Ténédos, clef des Dardanelles; l'importance d'une pareille
position n'écliappait â pei'sonne. Kn l;t8l, par la paix de
Turin, l'ile avait été neurraliséo. et la démolition de ses dé-
fenses avait èié onbwméi*; h* projet véiiiti*'ti n»iipail donc les
coiivenlious du traite. Pierre Emu. chargé d'obtenir le consen-
tement de tfènesfmai's 1397;. essuya nn refus; les tlén<»i.s se
souciaient peu île mettre aux mains irniie puissanro rivale
une place niiliUtire et conunerciale de pr<'nii''i* tnilre, rf l'iti-
teivi particulier passa avant le salui commun'
1. liélibératiuns tics 2R-9 w^l., 31 uct. et 3H nov. 1»9A {\tv\\. de Ve-
nise. à>n. Misiî, Min, f. 1.iH-fiO. VA. Ljubic. Mutiuin. tperi,, iv. :wii-H
t't :iyo.)
'1. Arcli. (If Vctiisu. Snt. Sm\, C f. IMK v; — Syintirriti, i. \'i-'.\.
— Cf. Ilopf, (irifrhmUintt iut MittetaUer, \\\. 6:i; — Ilt'rt/.l»erj;.
(JcKfh. Hçr It'jzunliwr^ p. ô2'i.
Qu'allait faii*e Bajnzet ? Comment allail-il proHU>r de sa
victoire? Marrheraîl-il droit à Biido, dont la route lui était
ouverte ? Beaucoup if pensaient ; mais le sultan était assez
clairvinatil pour mnipreudre que sa puissance, encore trop
disculée en Asie, ne lui permettait pas de s'éloigner, pt
qu'avec une base stratés^ique iiu'omplètp sur le Danube infé-
rieur. riuva.si(in do la Hongrie était ini[)rmieute. Il sut donc,
malgré sa victoire décisive, malgré ia désorganisation des
forces hongroises, renoncer à frapper nn coup d'éclat, et se
contenta de ravager le pays enti'e le Danube et la Save. Une
division do son armée dévasta la Bosnie orientale, une autre
entra en Valachie. et Tavant-garde de ses troupes pénêli*a
jusqu'en Stvrie sans rencontrer aucune résistance. A ce
moment, Bajazet, jugennt qu'il s'était avancé asseiï loin, et
souffrant lui-même de la goutte, donna l'ordre à ses soldats
de rebrousser chemin, et rentra en Asie. II lui restait, dai»s
de prochaines campagnes, à recueillir lesfmits de la victoire*.
Si le sultan, après la victnirc àa Nicopolis, s'était borné â
piller h^ pays ontre la Save et le Danube, ot A onvoyer
fjuelquys soldats en Busiiie et on Valacliie', il avait profité de
la fin de l'année 13*JC pour organiser sur des bases plus
solides la puissance otiouiane en Kurope. Au point de vue
torritorial, Widdin et les domaines de Sracimii-, princ(^ de
Bul^;u'ie, avaient été incorporés à l'empire; ou avait cherché
en même temps à grouper au nord des Balkans des élémeuts
turcs; on avait même, pour faciliter cette agglomération, pro-
voqué, par des mesures de rigueur ei de fanatisme religieux,
l'émigration des chrétiens bulgares vers la Valachie ou les
hauts plateaux des Balkans. D'un auti'e côté, à la même
«'•poipie, les conversions des Bulgai^es à l'islamisme avaient
uugmoulé, surtout â Lowatsoli et dans la moyenne Bulgarie,
entre l'Isker et TOsaUf et an sud des Bîtlkans, dans le Des-
poto-Dagh. Grâce à ces circonstances, l'élablissemenl des
ÏUTCH dans ce pays s'était trouvé fortement consolidé.
L'année suivante (1397) vit se déchaîner l'orage que le»
puissances chrétiennes redoutaient. L'objectif de Bajaxet
était toujours ConslauLiuople ; vainement assiégée ou bloquée
à différentes reprises, la ville avait jusqu'alors su protéger son
indépendance; le sultîiu n'était pas encore en mesur-e de la
réduire. Il le comprit si bien qu'il liirigea ses efforts contre
les provinces éloignées de l'empire d'Orient, la Thessalio et
i. I,»* vieil Evrenos Itey avait ét*^ charg»^ de punir Mircca de sa dé-
fection (Ht'rtzberK, p. 5'ih.
:cm)
tampaoke des TVnCH EN 1397
le (lespotat de Mistra, voulant los ruiner et les réduire à
riiupuissance absolue avant cle tourner ses forces contre la
fitô impèrialo.
Knvnhir sinuiltanément hi péninsule hellénique par le nord
1*1 p;ir la Morén, el ruiner les provinces de l'empire d'Orienl,
iucajtables de résister au choc des Turcs, tel fut le plan d^
Haja/.<^t pour la raui pagne de 13V)7. Son exécutiou. à
considmT l'état politii|uo et social des pavs que l'armée
ottomane devait iraversor, n'offrait pas de diffioultés sérieus<*9,
et. do fait, elle n'en présenta aucune'.
Nous avous déjà montré l'état précaire de l'empire d'Orient.
Depuis un demi-siècle, chaque année avait, pour ainsi dii'e»
été mar(|uée par un affaiblissement d'autorité; en 1397, les
deux provinces do Tliossalie et do Sparte, objectif du sultan.
séparées de la uiélrupole, sans communication mitre elles,
entourées d'ennemis ou de puissances sans forces militaires.
étaient destinées à cédei* â la iiromière attaque. Bajazet» à la
tèto dune armée turque, envahit en (tersunne la Thcssalie
(1397). L'évéque grec, interprête des habitants du paj^s de
Saloue, fut le premier à ap[)oler les Musulmans, en vantant,
dit-on, au sultan les humides prairies de cette contrée, si
favorables ;i la chasse au faucon que Hajîwet aimait avec
passion. Aucun lïb^tacle irarréta les envahisseurs; les popu-
lations valaques, la comlesse de Saloue. veuve de Louis
d'Aragon, acceptèrent les tributs qui leur furent imposés. La
l'.omîesse, accu.sée de concussion, fli» meurtre et d'adultéré
par ses sujets, fut déclarée derhue et remplacée par un gou-
verneur turc; sa fille fut conduite au harem. Après une courte
campagne, les Turcs rcgagnèreul la Thrace avec le sultan'.
Pt'urlant ce temps, un second cu'ps d'armée, composé
de cinfiuantc mille hommes, envahissait la Morée sous le
commandement de Jacoub et d'Kvrenos\ deux des meilleurs
liemenauts de Bajazet. Là, les difticultés et la r<*sistance ne
devaient pas être plus redoutables qu'en Tliessalie; le s^ultan,
prévoyant pour s«'s jirmes nu facile succès, n'avait pïis jugé
1. liertzberg. p. 521-2.
2. Finlay, I/istort/ of Grèce (1877), ui, 472; — Hopf, vn, 63; — Ch.
Ilevingï An priticijmutt' d'Achaïe et de Morée (Bruxelles 1879), 91-2.
3. Ilopf (vu, 6.1) dit Murtasi. — Pbrantzès, ChroH. maju»^ éd. de
Mignc, Pair, grtera, vol. 156, p. 704.
MARCHE DES Tl'UCS EX MOKKR.
nécessaire «le poursuivre sa luarcho v«?rs le sutl iH de l'aire sa
jonction avec ses lieutenants ; il rtait rentré dans ses états,
leur laissant le soin de mener seuls l'expédititm lontn» la
Morée. C'était le propre frère de Maimel, ïliéodon' Paiéo-
logiie» qui représentait Tautorité impériale dan.s la péninsule
avec le litre de despote. Aux slrat''»ges qui, jusqu'au milieu
du XIV" siècle, avaient gouverné les possessions byzantines
eu Morée, géuéralemont par périodes assez courtes, avaient
succédé des lieutenant» de l'empei'eur, a]i[)p]Hs despotes et
appai'tenaut à sa famille: l'étalilissemeut de celte nouvelle
charge avait coïncidé avec la diminution de la puissance cen-
trale dans ces contrées, et élJiit destiné, grâce an prestige
qu'exerçait encore la dynastie inipériiile, à n*tenir dans le
devoir et l'obéissance des p(q>ulations prêtes à se détacher
d'un pouvoir qui s'amoindrissait do jour en jour.
Sauf quelques possessions vénitiennes en Argolîde et u
Moduii, la Murée dépendait encore, au moins Uffuiinalemenl,
de l'empire. Los Vénitiens, comme Théodore, allaient
éprouver la colère du sultan: il ne déplaisait pas à Haja^ïet de
se venger de l'appui qu'ils avaient, l'aïuiée précédente, ftjurni
à Manuel enconcoiu*ant aux opérations maritimes qui avaient
sauvé Péra et favorisé la fuite de Sigismond. Cotte vengeance,
du reste, lui était tendue facile par bis fautes politicpies
des républiques italiennes. La jubmsie de Gènes avait empê-
ché de fortlHer Ténôdos, clef des Dardanelles'. Venise, se
leutrant de l'espoir de traiter avec les Ottomans, n'avait pas su
acheter Corinthe à TIiéo*ltn'e. qui, après se l'être fait céder
par Tocco, n'osait l'occuper dans la crainte d'attirer sur lui
la colère du sultan, et proposait aux Vénitiens de leur aban-
ibuinerson nuirché(:?U avril I3!I7). Cette hésitation [ueltait
la Morée à ta merci des Turcs; quand leurs troupes, com-
mandées par Evi'enos. HreiM leur aj)paritioii devant rislhme.
aucune disposition militaire n'était prise pour amMcr leui'
marche*.
Les défenses de l'isthme étaient incomplètes ; elles ne résis-
tèrent pas aux cinquante mille hommes qu'amenaient les
généraux de Bajazet; celles-ci forcées, ils se répandirent
dans toute la péninsule. L'Argolide fut la première atteinte
i. Voir pluK haut, pttgc llîT
2, Herizberg, p. 022; — U.^f. vu, p. fi».
:i52 CAMPAGNE DES TVRCS EX 1397.
par une division tiirr^iin sous les ordi*cs de Jacoub : Ar^os fut
ussi^!gêe. La ville, à l'extinction de la famille de Brienne,
malgré les réclaiiintiims que la compagnie Catalane, par un
singulier appel à la lui féodale, avuit élevées comme héritière
des ducs d'Athènes, était passée dans la maison d'Enghieii.
Marie d'Eiighieii, dernière descendaiile de Guy de la Roche.
ei femme du Vénitien Pierre Cornaro, avait vendu le fief à la
république, de Venise. C'est à celle-ci el à son lieutonant.
Nicolas BnMlani, qu'incombait le devoir de défendre Argr)s.
Le capitaine vénitien, quoique prévenu de longue date de la
marche de l'etuiemi, n'avait su prendj-e que des mesures insuf-
fisantes. Lft place manquait de céréales et d'approvisionne-
ments. Il avait mêiiHî jioussé la légèreté jusqu'à vendre ce
dont il auiait pîi tirer parti. Ce n'était pas, au reste, un
homme de guerre, mais un négociant, et il avait contié le
commandement de la «.iiadeHe à son associé, Antoine Bra
cio, sur l'énergie ihiqiiel on m* pouvait nullement compter.
A l'approche de rennemi, lircdaui songea un instant à enlever
ce poste â lîraccio ; mais, dissuadé de ce ]jrftjet par son chan-
celier Ottabone île Mantoue et par le refus de Braccio, il
n'y donna pas suite. Jacoub parut, le 2 juin 1^397, hous
les murs de la place et la somma de se rendre ; le conné-
table Spaolino et un des rhâti'huns, Marc de fontana, vrïu-
laient résister jusqu'à la dernière extrémité; André Vendra-
min, au contraire. Fautive chAlelain, interprète de Braccio,
qui. dans l'état délabré ru'i se trouvaient les murailles, se
Souciaii peu d'exposer sa vie et celle do sa famille, Ht préva-
loir auprès de Bredani, qui avait perdu la tète, le parti de
ti'ailer avec les Turcs. Les négociations ne furent pas longue?,
le lendemain la place ouvrait ses portes. Ce fut un déaastj'e
complet: le pillage s'étendit sur la ville comme surtout le
territi^irt;; plus de quatorze mille hommes furent traînés en
esclavage'; à peine quelques hahilants purent-ils gagner
TAttique, le Despotat ou Corinlhe; tout fut ravagé et I'Ap-
golide dépeuplée. Bredani, auteur d'un pareil désastre, paj'a,
d'une détention de deux mois dans la plus rigoureuse prison,
la lâcheté de sa conduite*.
t. Laonic Chalcocondylas tèd. de Uonn, p. 97-9) donne lechiflVe de
trente mille hommes.
2. Ifertzberg, p. 022; - Finlay. iv, p. 2a.1; — Hopf, vu. 63-4 (d*apr^
(JONtjUBTE KT PtLLAQK PE Ik QtUÎCK.
353
I
Nauplie. malgré ses murailles, el malgré ses communica-
tions maritimes qui restaient ouvertes avec Venise, s'atten-
dait au môme sort qu'Argos ; mais l'armée turque se détourna
d'elle. Craignait-elle de s'affaiblir eu faisant le siège de pla-
ces dout la résistance pouvait se prolonger? Comprit-elle que
des renforts pourraient secourir la ville sans que les assié-
geants pussent s'y opposer ? ou se proposait-elle simplement
démettre à feu etàsanglaMoréG?Ct?tte dernière considération
semble la plus plausible. Bajazet no voulait pas conquérir, mais
piller le pays; il voyait surtout daus cette expédition le
moyen de donner à ses soldats une riche proie et de récom-
penser ainsi leurs services. L'approche des Turcs avait refoulé
devant Nauplio do nombreuses bandes albanaises, que com-
mandait l'Albanais Piiiohera ; la présence de ces aventuriers
devant la place était pour les Vénitiens un embarras très
sérieux, sinon un danger, et suffisait à garantir les Ottomans
contre un coup de main tenté par la garnison. Les autorités de
Nauplie, en effet, tremblaient d'accorder l'entrée de la ville
aux Albanais; elles ne s'y décidèrent que l'année suivante
(I398J, sur les instances du podestat Octavien Buono qui
lit observer que les services de ces bandes belliqueuses,
bien armées, bien montées, ne pouvaient qu'être profitables à
la république *.
Jacoub, n'ayant rien à craindre de Nauplie, continua sa
marche vers le sud ; il atteignit Théodore à Leondari {Mégalo-
poiis)\e ?1 juin 1397, le battit et l'obligea à se reconnaître tri-
butaire de la Porte. Pendant ce temps, Evrenos avait parcouru
toute la Moréo; il avait défait et soumis à un tribut Pierre
de Saint Superan, dit Bordo, un Gascon, chef des Navar-
rais et lieutenant du Saint Siège; les armes ottomanes
s'étaient montrées autour de Modon, à l'extrémité sud-ouest de la
péninsule, la colonie vénitienne avait été pillée et ravagée. Les
deux corps turcs, après avoir mis tout le pays à feu et à
sang, après avoir enlevé un butin considérable, rentrèrent à
l'automne dans les états du sultan '.
Le pillage de la Grèce se rattachait au plan général de
les sources vénitiennes); — Deving, La principauté (TAcHaU...,
p. S5 note.
1. Ilopf. VU, fi^.
2. ilopr, vu, ti'âj — llertxbCTg, p. 332.
354
CAMPAGNE DBS TURCS EN 139'
Bajazet ; celui-ci, en ruinant les provinces les ptus riches de
l'empire d'Orient et en les isolant de la métropole, espérait
faire tomber Constantinople en son pouvoir. Voulail-il s'as-
surer, en prévision des progrès menaçants des Mongols, une
position de premier ordre sur le Bosphore ? Voulait-il seu-
lement conquérir B_jzance pour relier les tronçons êpars
de son nouvel empire, ou se ilattait-il de faire du siège de
l'empire de Constantin le centre de la puissance turque en
Europe? Quoi qu'il en soit, ses efforts étaient jusqu'aloi*3
restés infructueux. Ni on blocus presque permanent depuis
près de dix ans. du côté de la terre, ni une rigoureuse sur-
veillance que la possession de Guseldschehissar et Gallipoli
permettait aux Turcs d'exercer sur le Bosphore et THellespont,
ni l'absence d'approvisionnements venant d'Asie, n'avaient
encore déterminé la ledilitiou de la ville. Le sultan atten-
dait ce résultat de la campagne de 1397, et plus encore des
dissentions intérieures et des prétentions dynastiques* qu'il
avait fomentées '.
Jean vu, neveu de Manuel, despote de Salembria, avait des
droits au trône impérial. Il était fils d'Andronic, frère
aîné de Manuel, et on sait qu'Andronic avait été écarté de
la succession paternelle pour avoir tramé un complot contre
son père. Les revendications du neveu avaient une base trop
légitime pour ne pas mériter d'être exercées contre l'oncle.
Bajazet jugea que rien ne sen'irait mieux ses desseins que de
susciter un rival à Manuel, Le prince fut heureux d'accepter
le rôle qu'on voulait lui faire jouer ; on lui foui'ûit une
armée turque pour investir Conslanlinople, et. en échange du
service qu'il recevait du sultan, il s'engagea naïvement, si la
ville tombait entre ses mains, à l'abandonner aux Ottomans ;
il est probable qu'il entendait, dans ce cas, leur concéder uu
quartier de la ville, à l'instar des Génois, Pisans et Vénitieu»,
avec tous les droits politiques et religieux dont jouissaient
ces puissances. Ou sait combien les sultans désiraient voir
s'élever à Constantinople une mosquée ouverte au libre exer-
cice du culte de Mahomet, et faire rendre aux Musulmans la
justice par un cadi nommé par eux. Ces deux points étaient
spécialemeut stipulés dans les promesses prises par Jean vu.
:l.,;Hert2berg, p. 522.
HABILETE POLITIQrE DE BAJAZET.
355
La conduite de Bajnzet était fort habile, elle avait l'avantage
de no pas éveiller lc3 susceptibilités des républiques commer-
ciales italiennes, seules puissances que les Ottomans eussent
intérêt à ménager. Kien, dans les encouragements donnés
au prétendant, n'était de nature â motiver leurs craintes ;
aucune mesure n'était prise contre elles; les Turcs restaient
ainsi eu dehors des compétitions personnelles de Gènes et de
Venise. Celles-ci se flattaient précisément alors, û la faveur de
négociations commerciales enlamées avec le sultan, de dissiper
le ressentiment de Bajazct et de détourner l'orage qui les
menarait. Guidées par leur irilérét particulier plus que par
l'intérêt général, elles laissèrent les Turcs poursmvre leurs
projets et s'endormirent dans une fausse sécurité '.
La politique turque, cependant, portait ses fruits ; le blocus
de Conslantinoplo était mené plus rigoureusement ; toute
communication était coupée entre la ville et les provinces
do Tempire, et les approvisionnements n'arrivaient plus de
l'Asie. On commençait â murmurer dans Constjmtinople,
les partisans de Jean vu levaient la téte^ et exploitaient en
faveur du prétendant les souffrances publiques. Les denrées
s'étaient élevées â un taux exorbitant ; le muid de blé valait
vingt besants. Les habitants quittaient la ville pour se réfugier
sur le territoire ottoman, accusant Manuel d'être l'auteur de
tous leurs maux. Celui-ci n'avait ni trésor, ni armée, et, dans
cette situation précaire, ne pouvait rien pour calmer les mé-
contents, de jour en jour plus nombreux. Au milieu de sa
détresse, l'empereur se tourna vers les puissances occiden-
tales, et implora leur secours ; .sans argent, sans soldats,
menacé par un compétiteur, il allait succomber ot livrer aux
troupes ottomanes la capitale de l'empire, si l'Occident ne
venait à son aide, La (in de l'année 1397 et l'année L398
furent remplies par des négociations avec l'Italie, la France
et rAjigleterre. Nicolas Noiaras (1397), grand interprète,
fut chargé d'obtenir de Charles vj l'appui dont Manuel avait
1. Finlay, tu, M2\ — llertzberg, p. 533. — Ambassades de GéiMs h
Hajozet en août 1396. avril et oct. 1397, mai 1398 (Arch. de Gènci»
Inttr. et retat. 13%-li6i, et Divers, fîhe, 13:3-1409; — MU delta
aocieta ligure, \i\tt 175 et siiiv.). — Néguciations de Venise pour une
alliance avec les Turc» en 1398, 1401 et rt02 (Arch. de Venise, Sen.
Miâli, \l.iv, 210 et xlv, Vi3; - Syndicali^ i, i:9j.
356
MANUEL DEMANDE DU SECOURS EN OCCIDENT.
un si urgent besoin. Théodore Cantacuzène, oncle de Manuel,
ne tarda pas à partir â son tour pour la France et rAuglo-
terre, où il était accrédit»^. Hilaire Doria, beau-frère de Veta-
percur, eut la mission d'entraîner les courj italiennes et
particulièrement le Saint-Siège. A Rome, ia papauté, com-
prenant La gravité de la situation, reprit avec ardeur Ie9
projets de croisade et de ligue générale qu'elle n'avait jamais
abandonnés. Par son ordre, la crois fut prêchée dans tout*
la chrétieuLé (l avril 13'J8); l'annét? suivante, Boniface ix
adressa un nouvel appel, plus pressant, aux fidèles. Doria
avait exposé'an pape les dangers do l'empire; après Bjzance,
c'étaient la Valachie et la Hongrie qui étaient à la merci de
Bajazet; le Saint-Siège, frappé de la vérité de ces observa-
tions, redoubla do zèle pour sauver Constantinoplo*.
A Venise, il stiinblait (lue la république de Saint Marc n^
se rendit pas un compte exact de riniminonce du péril. Tandis
qu'elle encoui*agoait Manuel à la résistance, tandis qu'elle
repoussait toute idée de partage de l'eniiiire d'Orient, pour le
cas ou l'empereur quitterait Constantinople*, elle se mettait
cependant à la tète d'une nouvelle confédération qui devait
comprendie le rcû de Chypre, Tordre de Rhodes, la maLone de
Chios et le duc de Naxos. Mais les assurances qu'elle prodi-
guait au malheui'eux Manuel étaient des protestations et des
promesses de bons offices plutôt que des secours effectifs.
Notaras, â son retour on Orient 'août 1398) avait été magni-
fiquement accueilli à Venise; il avait re(;u droit de cité et
la république l'avait vivement encouragé â nouer une ligue
1. 1 avril 1398.Boniface IX nomme Paul, évAq un de Chaioédoine, ion
légat pour prt^cher la croisade contre najazel. (Cf. Thomas Walalngham,
fiist. angticnna, n, 229-30). Dans le diocèse de Mayetice, c'est le béné-
dictin Augustin de Verdun qui reçut celte misïsion. La croisade fut prè-
chéo on Norvège, Suéde, Uanemirk et Allemagne par le même per-
sonnage. Lo Saint-Siégc ordonna la prédication dans les diocèses de
Lausanne, Uanbcrg, Meissen, LubecketCamin par lettres apostoliques
du 12janv. 1400 (Man.si, Ànn. eccL, xxvn, 71). —6 mars J399. Nouvel
apjiel de Bonifa'^e aux Chrétiens, adressé â Paul, évûque de Chalcé-
doino (Mansi, xxvn, 41, 43-4. Ed. Theiner, Vetera monum. Mit. J/iMg.
êacram iUustraniia, Rome. 1860, in-f", ti, 170-2).
2. Heyd, Gesch. dfê LeonntehnnH^U, n, 26ï. Cette ouverture fut
faite par Manuel, découragé; Venise la di^clina. L'empureur lui
offrait ('ùnst.tnlinople et les iles d'Imbros et de l.emnoa. sous oor-
tainos conditionii.
HESITATroyS DES VENITIENS.
357
I
générale. L'année suivante, il n'en était plus de même : Déraé-
trius Sophianos, ambassadeur de Théodore Paléologue, venu
â Venise pour la formation de celle ligue, s'était heurté à
des dispositions contraires ; hi répiiblitjue avait inènie chargé
Pierre Arimondo, capitaine de l'Adriatique (juillet I390J. de
traiter avec Bajazet. Il y eut là, de la part des Vénitiens,
une conduite pleine de tergiversations qu'expliquent, sans les
justilier, les circonst.incos et la situation de la république.
Ne fallait-il pas. avant tout, éviter la ruine des comptoirs et des
colonies \énitiennes? Un secours donné avec franchise pou-
vait tout compromettre, en éveillant le courroux du sultan ;
un secours refusé pouvait également, en causant la chute do
l'empire d'Orient, entraîner par contre-coup Venise ou la
laisser sans défense à la merci du vainqueur. Do là. des
arrière-pensées, une politique ondoyante, ménageant le Crois-
s.int sans répudier la Croix, et cherchant â ne pas sacrifier
rintérêt aux préférences, tout en ue voulant pas rompre avec
les préférences pour mettre franchement Tintérôt en première
ligne.
Le reste de Fltalie. sollicité par les ambassadeurs de
Manuel. rest;i sourd â leurs supplications. Florence, en
guerre avec les Visconti, déclina toute participation ; Lucques
et Sienne, pre-^sées par le pape et par Doria, donnèrent cinq
cents ducats ; mai* ce n'était pas l:*i ce qui pouvait sauver
l'empire'. L'Angleterre sembla céder un instant aux instances
de Doria, mais, là encore, l'espoir ne fut pas de longue durée;
la guerre civile, qui éclata dans ce pays, détourna ailleurs
les forces de la nation ; â peine Manuel obtint-il un subside
pécuniaire, au lieu des secours d'hommes dont il avait besoin.
Ce subside même faillit n'être pas versé ; des dissentiments
s'étaient élevés entre Doria et Thomas, évéque dp Chrysopolis,
chargé de le percevoir. Il fallut que le Saint-Siège envoyât
spécialement en An^:h»terre l'évéque «le VoUerra pour rece-
voir l'argent (^ue se disputaient Doria et le légat apostolique".
Restait la France, à laquelle s'étalent successivement
1. Kinlay. m, 471; — Hertzberg, p. 523; — Ifopf, vii, 64.
2. Mansi, xxvu, 44; — ïtyracr, Fœdera, \nr, 82 — Doria quitta
r.\nglf*terre pour retourner à Constaiitinoplo au commencement de
l'J9*J. Le &8Uf-conduit qu'il rci^it p^t dnlt^ ilu 20 JRnvier 1399. n. s.
(Rymer, ix, 65).
358
M.VNITEI. DKMANDE I>r SECOURS EN OCCIDENT.
adressés Notaras p.t Cantacvizêno. Co dernier était arrivé en"
Franco au milieu d'octobre 1397, porteur d'une lettre de l'em-
pereur au roi Charles, vi datée du 1 juillet précédent. Manuel
représentait sans détours les progrès des Turcs, sa propre
faiblesse et les dangers dont il était environné. Il conjurait
le roi de le secourir dans sa détresse, et exprimait l'espé-
rance qu'un prince q\ù n'avait pas hésité, dans l'intérêt de la
religion, à envoyer une puissante année en Hongrie, ne res-
terait pas sourd à son appel, et n'hésiterail pas à lui accorder
un appui dont t<jus ceux qui avaient échappé au désastre de
Nicopolis lui confirmeraient l'absolue nécessité. Le prestige
de l'empire d'Orient était puissant en Occident ; Charles vi,
que cette démarche du descendant des ancien:* maîtres du
monde tîatlait dans sa vanité, reçut Tambassadpur avec les
plus grands égards cl la plus somptueuse magnificence. La
cour, les ducs de Berrv et de Bourgogne étaient favorables
à la requête de Théodore Caiitacuzéne ; le duc d'Orléans
s'était jeté aux genoux du roi pour lui diMuandor d'être le
chef d'une nouvelle expédilion ; mais le souvenir de lu cam-
pagne de 1396 était trop récent et trop douloureux pour
que Charles vi ne résistât pas aux sidlicitations de son entou-
rage. L'ambassadeui" resta quebiues mois en France, comblé
de présents et d'attentions de toutes sortes. Im. noblesse,
cependant, toujours prête à s'enthousiasmer pour les causes
désespérées, redoublait d'instiinces ; le roi, circonvenu de
toutes parts, céda enfin à la pression qu'on exerçait sur lui,
et Cantacuzène, lorsqu'il quitta la France, emporta In priK
messe d'un secours d'hommes el d'argent; ctdui-ci. qui se
montait, à sept mille ducats, fut transmis pai' les banquiers
vénitiens en Orient dès i:îl)8 'juillet); quant aux troupes,
elles mirent â la voile à Aiguos-Morles à la lin de juin l;iî>9.
C'était la revanche de Nicopolis'.
l. Hopf, VII, 64; — Livre des fttits, i. chap. xxix, p. 601. — Divers
paiements importants furent faits [>ar urtlre de Cliorlrs vi h Cantacu-
zène et à Jean de Natala iDucange, l'uin. aug. Bt/zanl.. p. 23S et 2il;
— Religieux de Saint'/>enis, u, 559-63). — La lellro de IV-mpcrPiir,
insérée dans le rdcit du otiponiqueup, ollVe toutes les garanties dau-
tlienticité, et il y a Hou de Tacccpter sans rrserves. Les archives Jonr-
sanvault (Invont, i, n" 7W),i contenaient une pièt-e relative à un don de
joyaux fait < à un clievalier blanc vestu, du pays de Grosso, qui estoit
■ venu en ambassadeur devers le roy en In rompa^rnio de l'onde de
■ l'empereur de Constantinople • 113117).
CHAPITRE m
EXPEDITION DE BOUCICAUT.
Pour conduire à Cnnstantinople le secours promis par le
roi de France â Munm>l, un hnrauie s'imposait au choix de
Charles vi ; nous avons nommé le maréchal Boucicaut. La
croisade de Nicopolis avait mis en relief la puissante origina-
lité de cette personnalité militaire» type de l'honneur cheva-
leresque et de la vaillance la plus téméraire. Au moment oA
l'intervention franraise dans le Levant fut décidée, Boucicaut
revenait do l'expédition de Guyenne, où il avait châtié la
réhellion du corate de Périgord (1308). Lo repos pesait à cette
nature rude ot infatigable; la vie du courtisan répugnait à ce
caractère mal as-soupli, étranger auxsublililés de la politique,
et n'aimant que les coups d*épée donnés d une main snro
dans un combat loyal. Aussi le maréchal accueillit-il avec
juie le nouveau commandement auquel Charles vi l'appela;
il y trouvait l'occasion de reprendre les armes contre lea
iiiHdèles et de venger les victimes de Nicopolis d*un ennemi
parliciilièrement abhorré. Proclamé chef de l'entreprise, il
mît toute son activité à hAter les préparatifs du départ.
Charles vi avait fixé l'effeclif du corps expéditionnaire â
quatre cents hommes d'armes et à quatre cents valets armés,
sans compter les archers'. Boucicuut était investi du coni-
mandement suprême; à lui appartenait lo soin de désigner
ceux qui devaient l'accompagner. Nous pimvons juger, par
les noms de quelques-uns d'entre eux qui nous sont pan^enus
I. Litre de» faiU^ i, ch. \MX, p. G()l et ch. xxx, p. M2. — L«
lieligieux de Saint Denis (n. 690-21 i^valiie le contingent envoyé en
Orient k douze ccnis hommes d'annrs.
360
EXPr.niTION PE BOrCICAUT.
qu'il s'entoura <\e l'élite de la chevalerie française. C'étaient,
d'abord, lo seigneur de Linières et son fils Jean, — oticle
et cousin maternels du mai-échar; Roberc de Milly*. im de
ses plus fidèles compagnons; Franrois d'Aubrecicourt*, un
des familiers du duc de Bourbon; Jean de Torsay*; Louis de
1. La mère de Jean rr, le Meingre, était Florîe de Unières. — Phi-
lippe, seigneur de Linière», dont il est ici question, fils de Jean iv de
Linièt'es, était neveu de Florie, et par conséquent ronsin germain du
maréchal. En 1367 (nov.-déc.l, il servait en qualité d'écuyer, sous les
ordres du maréchal de Sancerre» en Auvergne et en Berry; chevalier
l'année suivante, il Ht la campagne de Nivernais, cl en 1370 il était à
Chàteauroux. Nous le retrouvuns en 1386 en Uerry, à ta tête d'une
compagnie; il a sous ses ordres deux chevaliers bacheliers et quarante*
sept écuyers; Télé suivant, il est en Guyenne avec Sancerre; le I août
1388, îi la Chdtre, il sert f^ous les ordres de Guillaume -de Neîllac,
capitaine général du roi on Guyenne. Kn 1393 (2 mai) il fait montre aa
Boupt de Dieux près do ('hiltcauroux. A son retour d'Grient, il fut
nommé par *"harles vi grand queux de France aux lieu et place de
Charles de ChAlillon (I déc. liUt]. Il mourut cnirc Uïl et l'iI2. —
Son fils Jean v, qui l'afcompapnait à Constanlinople, lui succéda dans
la charge de queux de France. Fidèle au parti français, il vit ses
terres confisquées et mourut vers I'i32 (liibl. nat.» cab. des titres»
pièces originales, vol. 1720 au mot uuniêhes, et vol. 1725 au mot
LisiÈnt-s; — U. Villevieilie. Tr/'s. gi'néat., ui, f. U et U bis; — Clai-
rambault, Titres scellés, lxvi, 5057-63. — P. Anselme, vin, 83i-9).
2. Il avait pris part à la campagne de Nîcopolis (v. page 237). Fils de
Mahieu de Milly, ccuyer, et de Marie d'Equiviller, il était seigneur de
Verrères, et (igure. dans un acte du 27 juillet l'ill, avec les titres de
chevalier et de chambellan du roi (liibl. nat., cab. des titres, L>. Ville-
vieille, Très. g*hiéai., Lvni, f. 66 v»|.
3. François d'Aubrecicourf, seigneur de Rochefort, fils de Catherine
de Coussant, dame de Montcressori. etc., chambellan du roi et du duc
de Bourbon, épousa Jeanne de Kevel en l'iOl. — il fut cliargé, vers
1405, avec Chàteauniorand et l'Ermite de la Faye de réorganiser la
cour des comptes du duc de Bourbon. 11 se déclar» pour le parti du
duc d'Orléans {déclaration de Saint Ouen. 9 oet. lUl . {Chronitjue du
bon duc..., p. 278; — Duueî d'Arcq, Pièces im'tliti's, i, 3î5: —
Huilliard Bréholles. Titres de /îottrfiuit, ii, 'i375. S38}t, Vi85).
4. Jean de Torsay était fort appi"éci(} du roi et des ducs, dont il était
le chambellan: de 1397 h 1399, il rcrul plusieurs marques de faveur.
A son retour d'Orient, il fut investi de la charge de sénéchal de Poitou:
en septembre U05, il était à Paris avec cent hommes d'armes, sous le
commandement du duc de Berry, pour défendre la ville. La même
année, il alla en Guyenne avec leconnétfibled'Albret (montrée HufTee,
1 fév. I406I. Fn ri09, il lit partie du secours envoyé à Gênes au
maréchal Bouclcaut. Sénéchal de Poitou, puis capitaine de Fontenay
le t'omiet il fut nommé maître des arbalétriers, le 8 janv. 1416. I.ni
Culant'; Barbasan*. rhambellan du roi et des ducs de Beiry
et de Bourgogne, qui avait reçu de ce dernier truis cents écus
Bour^çiiignons le destituèrent en 1418, nt il s'attacha au parti du
dauphin auquel il rendit de grands services. Il fît son testament à
Poitiers en juillet 1 128^ et monrut peu après (Bibl. nat., pièces origi-
nales, vol. 2855, au motxORSAY; — Clairambaalt, Titres sceliég^ vol. cvi,
8290-3. — P. Anselme, viii. 60-70».
i, On sait peu de chose des premières armes de Louis de Culant. Il
était attaché à l'hôtel da ducde Bourbon, et passa en Espagne on 1409
pour combattre les Sarra.sins (siège dAntiqnière). Deux ans plus tard,
il se ralliait au parti du duc d'Orléans (déclaration de S. Ouen, 9 oct.
iUl). Kn 1417, nous le trouvons avec lo titre de capitaine de .Melun;
il e«t au nombre des partisans du dauphin en TilS. Il fut nommé amiral
avant 1422. (.'ctte année même, il est capitaine général des frontières
du Lyonnais, du .Maçonnais et du tiàtinais. En 1423, le duc de Bour-
gogne, après la victoire de Gravant remportée sur le dauphin, marche
au secours de la llu^ciëre. as.siégée par l'amiral. Culant prend part à la
campagne de Jeanne d'Arc, assiste au couronnement de Charles vu à
Reims, et meurt en 1444 sans enfants do son mariage avec Jeanne de
Ch^itillon, dame de la Palisse en Bourbonnais, et veuve do Gaucher
de Passac. (Bibl. nat., cab. des titres, D. Villevieille, Très, généal.^
xxxiii, f. 134; — pièces originales, vol. 953 ; — Clairambault, THrei
icellésy xxxvni, 2857-9. — P. Anselme, vu, 81 et 835; — Chron. du
bon Hue..., p. 312 ; — Douct d'Arcq, Piévet inédite*, i, 345).
2. Lo sire de Uarttazan, appelé Renautt dans les documents français,
est le même personnage qu'Arnaud Ciuillem, fils de Manaud de Bar-
bazan ; c'e^t une des gloires les plus pures de la Gascogne; les con-
temporains lui ont donné les surnoms de chevalier sans reproche, et
de restaurateur du rotjmtme et de la couronne de France. Comme son
père, Arnaud Guillnm joua, au commencement du xs* siècle, un rôle
considérable. Il était jeune encore au moment de son voyage k Cona-
tantinople, mais non sans renom militaire. Dès 1387, nous le voyons
faire campagne, entouré d« quelques hommes d'armes. Kn 1394, il
est assez célèbre pour que le duc d'Orléans le nomme son chambellan.
En 1393-4, il est en Gascogne aux côtés de Bernard vn d'Armagnac,
ot prend part à la guerre dont cette province est le théâtre. Au mo-
ment où il accompagne Boucîcaut en Orient, il est dan» la force de
l'âge, mais sa renommée ne s'établit d'une façon indiscutable que
dans les premières années du xv« siècle. Au commencement de 1404
(I4janv.) le duc d'Orléans le charge, avec deux do ses écuyers, le
bire do Kontenilles et Gastonet de Scdilhac, d'une mission en Lom-
bardie; l'année suivante (1 fév. 1405, montre h Cognac), il sert en
Guyenne sous le commandement du connétable d'Albret, et a sous ses
ordres un chevalier bachelier, un chevalier et vingt et un écuyers.
Kn 1410, il est sénéchal d'Agénois; on 1412, capitaine do Breuville
(Manche, arr. Valogne, cant. Briquebeo; en lil5, il défend A Paris,
avec Jean de Torsay. le roi et le duc de Guyenne. Kn 1418, il est con-
seiller pt chambellan du roi et du dauphin, lieutenant générai du
362
EXPEDITION DE BOUCICACT.
d*or pour l'aider à supporter les frais de l'expédition*; Robin
de Braqueraont qui avait déjà fait ses preuves en Espagne.
en Italie', et sur mer sous les ordres de l'amiral Jean de
Vienne ; le sire de Montenay'; Louis de Lugny ; Louis de Cer*
royaume, capitaine de Lu&îgnan; c'est un des plus fidèles paiiiiuuis
du futur Charles vu. Capitaine de Melun, il ne rend la ville qu'à la
dernière extrémité et ne cède que devant la famine. Les Anglais le
font prisonnier et le conduisent à Paris. Charles vu, à deux reprises,
lui fait don de sommes importantes destinées h payer sa rançon {U26
et 1430), De 1426 à H3Q environ, il est titulaire de la capitainerie de
Castelcuiler (Lot et Garonne» arr. Agon, cant. Puymirol). C'est une
des plus grandes Bgures parmi les hommes d'élite qui entourèrent le
jeune roi au début do son règne. (Bibl. nat., cab. des titres, pièces
originales, vol. 187, au mot BAnuASAN; — l>. Vilîevieille, Trét. généni.,
IX, 79 v; — Clairambaull, Titres scetlés, i.\, 553-7. V. aussi les chro-
niques du temps et P. Durrieu, Documenlt relatifs à la chute de la
maison d'Armagnac- F czensnyuet, p. 10 et 17t.
1. Par lettres du 22 mai-s 1399 à Conflans tUibl. nat., D. Vilîevieille,
Très, génial., iaxwik f. 1251.
2. Robin ou Robinet, fils de Renaud n de Itraquemont, seigneur de
Crainville et do [ïélhencourt en Normandie, fut sous les ordres de Jean
de Vienne en 1377, servit le roi de Sicile en 138'i, et le rui de Castille
en 1386 contre le roi de Portugal. 11 rotourna en 1393 en Castille,
favorisa l'évasion de Benoît xni à Avignon (U02|, souscrivit l'alliance
conclue enlre Charles vi et le prince de Galles (1404). C'était, dès cette
époque, un personnage important. Il portait le titre do conseiller el
chambellan du duc d'Orléans en 1404. En liOô, il recevait seize mill*i»
livres pour équiper quatre galères â cinq cents arbalétîei's pendant
deux mois. I^n 1408, il faisait partie de l'expédition dirigée contre les
Sarrasins de Grenade. >ous le retrouvons quelques années plus tard
(1415) avec le bâtard de Bourbon; il commande la flotte chargée d'em-
pêcher le ravitaillement dllarfleur, et se fait battre par le duc de
riarencc. Nommé amiral, le 22 avril 1417, il etabrasina le parti du
dauphin auquel il rendit de grands services, notamment dans les né-
gociations relatives à la paix avec l'Angleterre (1118). Mais destitué de
son office à cette époque, il se retira en Ivspagne: «pr alliances dans
ce pays Ml avait épousé snccessivement deux Espagnoles, Inès d«
Mendoza et Eiéonore de Tolède) le décidèrent à s'y fixer. Oncle de Jean
de Uéthencourt, qui aval! l'onquis lesCanarlesà la rouronnpde Castille.
H se fit nommer roi de l'île de Fer, nne des Canaries. II mourut en Es-
pagne, faisant souche espagnole. ^Bibl. naL. cab. des titrfts, pièces origi-
nales, vol. 494;— dossiers bleus, au mot kiîaql'emont; — Clairambault,
Titrf» scelles, \\\, I48Ï).— P. Anselme, vu, 81 6-7; — /.e Oi/iarir/i, livre
de ta ronqu^te et conversion des Cannries, Itouen, I87i, p. n,-L et LVH).
3. C'était alor.-; Jean; il avait succédé, avant le 24 déc. 1383, à
Guillaume de Montenay dans la seigneurie de ce nom. La premièrt*
mention dans laquelle il figure, avec le titre d'éciiyer, est du 31 mars
villon ; Foulques Viguier. Jean d'Ony. écuyer du duo de
Bourgogne « appert homme, iiurdi et de grant vassellage
< en fait d'armes, et qui jà avuit moult traveillié et so
< trouvé en maintes bonnes places », avait demandé la faveur
de prendre part à la campagne, persuadé qu'il ne trouverait
pas un meilleur chef, et que < mieulx ne povoit employer
« son temps que avec lui' ». La bannière de Notre Dame
était portée par Pierre de Grassay. Chàtoaumorand, aussi
brave chevalier qu'habile diplomate, dont rexpérience des
choses d'Orient pouvait être précieuse, avait été désigné des
premiers. L'EnaiLe de la F;iye devait le seconder; au fait de
la politique et des intérêts qui s'agitaient daus le Levant, il
avait, en qualité de conseiller du duc do Bourbon, soutenu à
la cour do Chypre les pnHentidus de ce prince, et le maréchal
avait tenu à s'assurer les senices d'un pai'eil auxiliaire.
Ainsi composé, le secours envoyé â Constantinople compre-
nait les meilleurs éléments qu'on pût rencontrer; ce n'était
plus, comme â l'expédition \\c Hongrie, une foule de gentils-
hommes aussi présomptueux qu'inexpérimentés ; mais, selon
l'expression du chroniqueur, une « belle compaignie ». Si
ceux qui la composaient n'avaient pas le renom et les écla-
tants servia's des chevaliers de Nicopolis, ils étaient jeunes
et vaillants, et l'histoire a conservé le nom de la plupart
d'entn' eux et le souvenir des honneurs qui leur furent dévo-
lus dans la suite. Avec eux, aucune rivalité dans le comman-
dement n était à redouter; tous, animés d'une gêné-
reiwe émulation, connaissaient leur chef, l'aimaient et
étaient pr<^ts â se faire tuer à ses côtés. Knfin le contingent
restreint dont disposait Boucicaut était une garantie de suc-
cès entre les mains d'un généi*al plus habitué à la guerre
d'escarmouches, oi"! la valeur individuelle se donnait libre
carrière, qu'à la stratégie et au maniement de grandes masses
de combattants*.
L'embarquement se fit à Aigues-Mortes. sur quatre navires
Ht rleux galères. Les pivparatifs de l'expédition et la concen-
inR2. Kn 1^05, il ct,t qualKlr de seigneur do Montonay n( dp Milly; il
inniirut avant l^tK (ItihI. nal., riairainbaiilt. Titrft srrttf's, i.wvi.
5969-77).
!. Livre dttit faitê^ t, rli. .\.\x, p. ft02.
2. Uvre fift fnitif i, ch. %xi%. p. fioi.
364
EXPEDITION DE BOrciCAUT.
tration des troupes avaient été rapirleraent menés; aussi, dès
que le maréchul arriva ('26 juin tiîOOi, leva-t-on l'anrre. A
Savone, on rolâolia, et Boiicicaut, proritant do f^etle relAche,
« fist toutes ses ordonnantes et ordcno ses chevetaines. et
« bailla à chacun tel charge que bon lui sembla ». De là,
la flotte reprit la mer jusqu'à Capii, en vue de Naples.
Le royaume de Naples, depuis la mort de la reine Jeanne,
était disputé par les partis angevin et français. Louis ii d'An-
jou, représentant de ce doniier. défendait, contre la famille
de Durazzo, les droits qu'il tenait de son père Louis j, adopté
par la reine Jeanne. Le parti angevin était personnifié par
Ladislas de Durazzo, fils de Cliarles in, dont le père, descen-
dant d'un fils cadet de Charles ii de Naples, invoquait les
liens du sang bien autrement puissants que ceux de l'adoption ;
c*est comme hériti*>r du sang qu'il avait revendiqué le
royaume, l'avait conquis ot laissé à sou (ils. Ladislas, après
la mort de son père (1384), avait régné sans contestation
jusqu'à la venue do Louis ii (LISÛ) on Italie, et depuis cette
époque, il luttait pour reconquérir le trône que son compéti-
teur lui avait enlevé. C'est ainsi que cinq galères de Ladislas
étaient occupées au siège de Capri, « laquelle dicte ville el
« chastel se tenoient pour le roy Louys >, lorsque Boucicaut
parut devant l'île. Informé de l'état des partis, le maréchal
n'hésite pas un instant ^ mettre son épée au service de
Louis 11, et « si tost qu'il sot ceste chose, il dit à ses gens
< qu'il vouloit aler secourir le chastel du roy Louys et que
« chacun se meist en ordonnance ». Mais il était trop tard,
le chiUeau s'était rendu; le capitaine, secrètement dévoué à
Ladislas, refuse Tassistauco ijui lui est offerte par l'escadre
française, et jette le masque en expulsant de la place les Fran-
çais qui s'y trouvaient. Sa conduite ne laisse aucun doute au
maréchal sur sa trahison ; il ne reste à Boucicaut qu'à recueil-
lir les expulsés, et à donner la chassie aux galères de Ladislas,
qui se retirent, avec prudence, devant les forces supérieures
de la flotte française. Ku continuant sa route, l'expédition
rencontre un vaisseau appartenant au comte de Peraude\
partisan de Ladislas; elle lui donne la chasse, l'oblige à se
jeter â lacùle; l'équipage s'enfuit en abandonnant le navire
el la cargaison aux mains du maréchal.
I. On ne sait quel egt le personnage* dant il eut ici question.
bOUCICAUT RELACUE DANS l' ARCHIPEL. 305
La mer était libre; Boiicicaui en profite pour so diriger
vers (a Sicile, et rehVcher à Mossine. De Measiae, il tniverse
rAdrialique, et touche à l'ile de Sapienzu, eu face de Modon.
à rexti'éinitè occidentale du Péloponèse. Nous avons une
lettre du seigneur de Roche la Morlère, un des croisés,
datée de ce mouillage, le *J septembre; nous savons par elle
que le maréchal attendait là les galères de Gènes qui devaient
apporter des dépêches et de l'argent. Gùnes avait promis
huit galères, Venise autant, mais les Français se flattaient
que cette dernière en enverrait douze; l'ordre de Rhodes
s'était également engagé à joindre ses vaisseaux aux forces
combinées des trois puissances '.
Le retard des tlottes alliées modifia les projets de Boucîcaut;
lassé d'attentb'e, il fit voile vers Chios ; c'est là qu'il espérait
faire sa jonction avec l'oscadi'e vénitienne. Son espoii* fut
encore déçu; pas plus que celle-ci, les galères de Rhodes,
auxquelles cette île avait été indiquée comme point de con-
centi'ation, n'étaient arrivées. Continuant sa route, le maréchal
touche à Lesbos ; Gattilosio lo reçoit avec les démonstrations
de la joie la plus vive, mais lui apprend que < pour non rompre
« les convenances et partis que il avoit avocques les Turcs »,
il leur a annomé la venue des forces chrétiennes, ajoutant
que cette démarche ne rcmpêchera pas de prendre part à la
campagne, et de joindre une de ses galères a ta flotte alliée.
Ce trait marque bien la dépendance dans laquelle vivaient
les princes do l'Archipel â l'égard du sultan ; pour n'être pas
absorbés, ils tremblaient et courbaient la tète devant lui,
prêts à la relever quand ils se sentaient soutenus dans leur
résistance. Il serait superilu d'insister sur la portée et les
conséquences de l'avis donné par Gattilusio à Bajazet. Il
devenait impossible de surprendre l'ennemi, et cette divul-
gation rendait fort dilficilcs les opérations projetées. Tout
autre se serait découragé et aurait renoncé à secourir
Constantinople ; mais Boucicaut, sans tenir compte du désa-
vantage que cette situation lui créait, < dit que de par Dieu
1. Lettre écrite de Moréc à Etienne de Semur par te seigneur de
Itosclie la Molère. Le seigneur bourguignon donne, dans cette lettre,
des diïtails préois qui complètent les indications fournies par le lAvre
du faitu [Hev. des Soc. sav., 1878, p. 68-70,».
366
EXPEDITION DE BOUCICAtT.
« fusl », et continua sa route, cherchant toujoui*s à joindre
la flotte vénitienne.
A Négrepont, où elle devait être, il ne la trouva pas et
l'attendit quelque temps. L'empereur de Constantinople igno-
rait encore l'approche des secours ; il importait cependant
qu'il la connût au plus tôt, afin de mettre son armée en état
de tenir campagne dès l'arrivée des renforts annoncés. Dans
ce but, le maréchal résolut de détacher de la flotte deux ga-
lères, chargées d'atteindre Cunstantinopk'. Le commandement
de l'une d'elles fut confié â Châteaumurand. dout partout ou
reconnaissait la haute capaciiê; Jean d'Ony ', écuyer du duc
de Bourgogne, le secondait. Jean de Torsay fut mis à la tête
de la secondEî galère. Si c'était un nouveau venu en Orient,
ce n'était pas un inconnu pour le maréchal, et son passé
garantissait l'avenir.
L'envoi de ces deux bâtiments était une téméraire hardiesse ;
de la part de Boucicaut, elle u'a rien qui doive nous sur-
prendre. C'était, eu outre, une faute grave dont les consé-
quences pouvaient compromettre le succès de la campagne.
Les Turcs étaient prévenus; maitres de Gallipoli et de la côte
asiatique, ils avaient â leur merci les deux uavires dans les
DardaJielles ; s'ils les capturaient, — hypothèse puur le
moins très plausible, — quel rôle jouerait désormais l'escadre
frantjaise, privée de sa principale force? Venise, Rhodes el
Lesbos, dont les flottes hésitaient à appareiller, triomphe-
raient-elles de leurs hésitations après un premier échec du
maréchal? C'était peu probable, et on devait penser que de
l'issue de la première rencontre dépendrait l'existence même
de la ligue,
Boucicaut. dominé par l'idée que l'empereur était à bout
de forces, et que tout retard était coupable quand Constan-
tinople menaçait do tomber aux mains du sultan avant l'ar-
rivée des renforts, ne vit qu'un moyen de sortir de la situation
que lui créait l'absence des flottes alliées : c'était de prévenir,
à tout prix, Manuel que le secours n'était pas loin ; pour exé-
cuter ce dessein, il exposa ses deux meilleures galères. Lui-
même, du reste, se rendit assez compte du danger, pour les
escorter avec le reste de ses vaisseaux jusqu'à Gallipoli, et
1, Sur Jean d'Ony, voir plus haut, p. 363.
COMBAT DANS LES DARDANELLES.
< de là U6 se bougia affin de les secourir se aucune chose leur
« avenoit ».
Ce qui était prévu arriva; les Musulmans, avertis, avaient
fait « deux embusches de dix-sept g'aiées bien armées »,
qu'ils avaient dissimulées, sept à Gallipoli, ics dix autres
plus près de Constantinople. Sans défiance, Chàteauniorand
et Torsay franchissent le détroit et continuent leur route,
lorsque, tout à coup, ils se trouvent entourés do toutes parts.
Un seul parti restait à prendre : virer de bord au plus tôt
et retourner vers le maréchal, en se frayant un passage au
travers des lignes ennemies. < Si furent tost pesle raesle avec
« eulx qui les assaillirent de tous costez, et les nostres
« comme vaillans et preux se prirent à deffendre vigue-
€ reusement ; et par si grant vertu estriverent contie eulx
« que oncques ne les porent arrester, ains malgré leurs dens
« s'en veuoient tousjours combatant. quoy que les Sarrasins
« taschassent à les faire demeurer *. Les deux galères, dans
cette mêlée, se rapprochaient du détroit, si bien que Bou-
cicaut « ouy l'effrainte »; celui-ci, malgré les conseils do
son entourage qui le dissuadait, en présence du nombre des
Sarrasins, de secourir ChAteauinorand et Torsay, et proclamait
qa*il valait mieux sacrifier deux galères que d'exposer la
flotte à une ruine certaine, € ne musa mie â leur estre au
« devant et moult tost se mist en belle oi^lonnauce pour les
« aler aidier ». La prudence de ses compagnons l'avaii
exaspéré. Croient-ils, s'ccriait-il, que j'abandonnerai mes
deux galères; j'aimerois « mieulx estre mort que par mon
c défaut veoir mourir et perdre ma conipaignie, et que yk
« Dieu ne me laissast tant vivre que tant de recreandise fust
« en moi trouvée. »
C'est dans ces dispositions qu'il se porta au secours de ses
lieutenants, et « bien besuing leur estoit, car jû estoient si
« batus que mais aidier ne se povoient ». A l'approche du
maréclial, l'ennemi, malgré sa supériorité numérique, frappé
de la contenance cl du maintien delà fiotte clirétiennc, aban-
donna les deux galères et prit la fuite avec tant de précipitation
que, « sans ce que il y mist conseil ». le plus gros de ses
vaisseaux alla s'échouer sur le rivage. Les galères étaient
sauvées, et Boucicaut pouvait se féliciter d'avoir été secondé
par la plus heui*euse fortune.
Le soir de cette bataille, la flotte mouilla au port de Té-
368
EXPEDITION DK BOUCICAUt.
iiédos' ; le leudeiuain, Jeâ vaisseaux allit^s arrivèrent; ils se
composaient de la tiotte vénitienne, de deux galères de
Rhodes et d'une gaiitjLe du seigneur de Mityléne. La concen-
tration faite, le mardcliat prit le coaunandeuient en chef de
la ligue, et donna la bannière de la Vierge * par droit
c d'armes, cojnme à cellui i|ui plus avoit veu, et qui estoit un
c vaillant chevalier », k Pierre do Grassay. Le lendemaio
matin, « après ce que les messes furent cbantëos», les ancres
furent levées, et l'expédition atteignit Conb^tantinople sans
être inquiétée*.
1. Cette île qui est voisine de ta côte d'Asie Mineure est ■ devant'
t la grant Troye i. Elle commande, sur la côte d'Asie, le détroit des
Dardanelles.
2. Livre des faits, partie i, cb. xxx^ p. 602-3.
Constantinople salua Tarrivée de la flotte alliée par les
témoignages de la joie la plus vive. L'empereur, averti de la
venue du maréchal, avait riîuni pour tenter un dernier effort
le peu de troupes qui lui restaient. Nous n'avons aucun élé-
iiiPiit pour évaluer îe nombre de celles-ci ; malgré l'expression
du chroniqueur, qui parle de « Tost et de l'assemblée de
« rempereur où il avoit grant gent ». il est peu probable
que l'empire aux abois dispos;\t d'une armée nombreuse; les
mercenaires qui la composaient étaient peu faits pour inspirer
confiance et rendre de véritables services. Il ne semble pas
que le maréchal, pendant son séjour à Constantinople, les ait
jamais détournés de la garde des remparts pour les joindre â
ses propres soldats'.
Boucicaut était impatient d^ouvrir les opérations et de
< courir sus aux Sarrasins >. A peine ses troupes eurent-
elles pris quatre jours de repos, qu'il les nHinit à Constan-
tinople, dans une plaine, pour les passer en revue; elles
comptaient six cents hommes d*armes. six cents valets armés
et raille hommes de trait; dans ce chiffre, le contingent des
alliés s'élevait à deux cents hommes d'armes, deux cents
valets et quelques archers. C^est pendant cette revue que le
maréchal fixa Tordre de marche, < Hst ses chevetaius et capi-
« taines >, et donna à chacun sa fonction < selon ce que il
c savoit que ilz valoient ».
1. La source principale pour ce chapitre est le livre det faili, i,
ch. XXXI et xxxH, p. 60»-6.
U
370
CAMPAONK DE BnUCICAUT A COSSTANTINOPI.R.
Ces dispositions prises, la petite armée s'embarqua, accom-
pagnée do Manuel. La flotte qui la portait était de vingt et une
galères « compiles », de trois grandes galère» huissières sur
lesquelles cent vingt chevaux avaient pris passage, et de six
autres vaisseaux de moindre dimension, galiotos et brigan-
tins'. Elle quitta Constantinople pour la < Turquie », c'est-
à-dire pour la cdte d'Asie Mineure, et le débarquement eut
lieu près de Naretès*.
Le maréchal, avec les forces dont il disposait, ne pouvait
prétendre qu'à inquiéter les Ottomans sur le littoral asiatique,
A faire quelques hardis coups de main, à brfiler et à piller
quelques châteaux et villages, et par des incursions heureuses,
menées avec rapidité, tantôt sur un point, tantôt sur un autre,
à forcer l'ennemi à rompre le blocus de Constantinople ; c'est
î\ obtenir ce résultat que tendirent les eiforts de rcmpcreiu"
et de Boucicaut.
Débarqués à Naretès, les Chrétiens s'avancèrent < ou pays
€ de Turquie > d'environ deux lieues, brûlant, détruisant et
pillant tout sur leur passage. Le pays était riche, couvert de
€ bons vilages et de beaulx manoirs », et sans défense; tout
fut détruit, et les Sarrasins faits prisonniers furent « mis â
< l'espée ». Sans pousser plus loin la reconnaissance, les
alliés regagnèrentia cùte et rejoignirent la flotte pour renti'er
en Europe, se réservant pour une prochaine expédition.
Elle eut lieu peu de jours après; son objectif était un gros
village, appelé Diaquis, distant de deux lieues du littoral, au
fond du goife de Nicomédie. La côte asiatique de la Propou-
tide, depuis Cyzique jusqu'à Nicomédie, portait au moyen
âge le nom de golfe de Nicomédie; c'est aujourd'hui le golfe
1. ta galèro huissière était ainsi nommée parce qu'elle était ouverte
à sa poupe et présentait une porte aux clievatix qu'on embarquait danb
sa cale. D'après le chilTre donné ici par l'auteur fia Livre (tes faite,
quarante chevaux avaient prùs place dans chaque bâtiment, et Jal
calcule que les dimensions de ces galères huissières devaient être
d'au moins cent vingt-trois pieds do quille. — La galiote était une
petite galère, mèrae forme, même disposition des rameurs et de la
mâture. — Le brigantin était plus petit encore, tout en restant Ôdèle
au type de la galère, tl était ponté, à une seule voile, appelée voile da
maître, et avait do huit à seize bancs k un rameur. Les mouvements
du brigantin, très rapides, le faisaient employer pour la course (Jal,
Gio$s. nautique, passim).
2. \uu8 n'avons pu déterminer la |K>8ition de cette localité.
OPÉRATIONS A DIAIH'IS, MCOMKDIK ET LK SKRAIL. 1(71
d'Ismîd. Diaquis, l'ancien Dascylium, ri^sîdence des satrapes
do Bithynie, s'appelle de uos jours DaskïlyV
Los Turcs, à l'arrivée du maréchal, s'assemblèrent en gi'and
nombre pour défendre lo village contre lui, « et tous arrangez
4. se tenoient à pié et à cheval au devant, â tieulx armeures
€ comme ilz povoient avoir ». La résistance était impossible
devant une attaque régulière; ils voulurent cependant l'es-
sayer, mais « ce ne leur valu riens », et s*ils n'avaient pris
la fuite, tous eussent été tués ou pris. Quand les Chrétiens
furent maîtres du village, beaucoup do Turcs avaient suc-
combé, le reste avait fui ou s'était caché dans les maisons
où aucun quartier ne leur fut fait. L.m, comme dans la première
expédition, timt fut pillé, le feu fut mis pai'tout. aux beaux
« manoirs » comme à un riche palais du sultan ; quand tout
fut dévasté, Boucicaut et son armée remontèrent dans leurs
galères.
On navigua toute la nuit; au matin, on était eu vue de
Nicomédie. Lo débarquement fut oi*donné, mais les Sarrasins
« y Guidèrent mettre empeschement » ; il fallut soutenir
contre eux un combat assez vif pour < prendre port et terre
< gaignier sur eulx ». Libres de leurs mouvements, les
troupes s'avancèrent vers Nicomédie pour < l'assaillir par
€ manière d'escarmouche », C'était une ville fortifiée, avec
de solides et hautes murailles, capable de résister à un coup
de main. Boucicaut voulut en iucendier les portes; mais elles
étaient ferrées de lames de fer et ne bnUèrent pas. Ayant
échoué de ce coté, il fit apporter et drosser des échelles;
elles étaient trop courtes do plus de trois brasses. Il fallut
renoncer à s'emparer de Nicomédie; les Chrétiens re-
gagnèrent alors leurs vaisseaux, non sans avoir tué tous les
Sarrasins qu'ils purent trouver, et incendié les faubourgs et
le pays environnant.
Comme la veille, la nuit fut consacrée â < cheminer »; à
l'aube, la Hotte jetait l'anci^e eu face d'un village appelé le
Sérail (Ac iSérai], situé dans la plaine, à une lieue environ
de ta mer. Rien ne put empêcher le maréchal de s'emparer
de cette localité» et de ruiner tout le pays aux environs. Mais,
1. Les portulans vènitienft donnent les formes do ùasquif Tarqui,
Larqui; \ei portulans grecs du xv sièclD portent plus exactement :
I
■M'I
CAMPAGNE DE BOUCICAUT A CONSTANTiXOPLK.
pendant qu'il accomplissait cette œuvre de destruction, la
nouvelle de sa présence s'était répandue, ot une grande quan-
tité de Sarrasins s'était rassemblée. Enhardis par leur nombre
«[ui croissait d'instant en instant, ceux-ci suivirent de si
prùs l'armée du maréchal qui se repliait vers le rivage, qu'il
fallut, à plusieurs reprises, donner ordre à Parrière-garde de
leur faire face. Les Turcs n'osaient pas engager l'affaire à fond.
mais tentèrent quelques escarmouches, sans empêcher toute-
fois Cembarquonient de se faire dans le plus gi'and ordre. Ou
leva l'ancre de nuit oA. on Ht voile vers Constanlinople. Il était
temps de regagner la ville, car les coups de main du genre
de ceux que tentait Boucicaut ne réussissent qu'à la condition
d'être menés avec célérité. L'événement l'avait bien montré ;
à sa première descente sur la côte d'Asie, le maréchal n'avait
éprouvé aucune résistance; à Biaquis, au contraire, l'ennemi
était en nombre; âNicomédie, il était prêt à soutenir l'attaque
des Chrétiens. H fallait donc renouveler souvent ces incur-
sions dans des directions différentes, et reprendre la mer
dès que Temaerni était prévenu de la présence des troupes
alliées.
C'est d'après ces principes que l'empereur et le mai-échal,
après six joui-a de repos à Constantinople. se remirent en
campagne dans une direclion tout â fait opposée, celle de la
mer Noire, et nllèrent assaillir le château de Rive'. II était
situé à rembotichure du Bosphore, sur la côte d'Aaic, à Ten-
droit où l'aiici^'n tleuve de Bithyîue, le Rivas [Préhas], auquel
il devait son nom, se jetait dans le Print Euxin. I^ place
était dans une forte position « car de Tune dos pars, la mer
« y batoil, ot de l'autre une grosse rivière qui vient de
< Turquie, ai que on n'y povoit venir que par une part. »
Malgré toutes les précautions prises, les Sarrasins, prévenus
par leurs espions, attendaient los Chrétiens. Sans s'opposer
au débarquement, ils étaient rangés « en belle ordonnance >
devant le château, au nombre de six à sept mille, prêts à
livrer bataille. Los ti'oupes de Boucicaut étaient nombreuses
ci « de si belle ostoffc » que les Turcs, pour augmenter leurs
forces, dégarnirent la place de ses défenseurs, ne laissant
dans les murs que le nombre de soldats strictement uéces-
saire pour résister pendant un jour aux assauts des assiô-
1. Auj. Riwa Kalessi.
ASSAUT DI CHATKAl" I>E KIVK.
nts. La position, au reste, do la placp et la hauteur des mu-
railles rendaient la dêfnnse facile. Les Musulmans espéraient
que le maréchal tenterait l'attaque du château avec toutes ses
forces; eux-m<?mes s'étaient retirés un peu en arrière, « affin
< que quand les gens [de Boucicaut] seroient iV l'assault, au
< pié du mur et seroient esparpillez pour <*omhatre le chastel,
€ que ilz venisseut si tost sur eulx que i\z n'eussent loisir de
« eulx assemliler ne mettre en ordenance », C'était une
« malice » à laquelle le maréchal ne se laissa pas preuilre ;
â peine débarqué, il i'nniia lui corps composé d'arhaletriers
et de gens d'armes, au milieu duquel restèrent L'empereur et
les chevaliers de Rhodes, et le rangea en bataille dans la
plaine. C'est là que « demoura la banière Nostre Dame
€ ainsi assise que elle devoit ». Cette division devait tenir
les Sarrasins en respect, tandis que le maréchal, avec le reste
de ses troupes, se réservait l'attaque du château.
Ces dispositions prises, Boucicaut commence l'assaut de la
place du cù\è de Test. Les assiégés, pour le tenir â distauco»
allument, sur les murs et < es faulses brayes, de[3J escLaffaulx
€ couvers de fenrre et de ramille luoulliée pour rendre
« grant fumée », mais cet obstacle ne l'airète pas. En peu
d'heures, il est au pied du uuir, il a établi deux mines et les
a menées, en dépit de * tous leurs empesehemens », assez
loin pour faire deux brèches aux murailles. Autour de ces
points, le combat est fort acharné, les Sairasins défendent
avec courage le passage; les ChriHiens, â l'exemple de leur
4 vaillant clievetaine qui mie ne s'i espargnuil, ainsy tenoit
« si bien sa place que nul tant n*y traveilloit », font des
prodiges de valeur. Plusifuirs fois les éclicll^'s sont dressées.
et le combat s'engage corp.s à corps; mais, sous les pierres
tancées par les assiégés comme sous le poids des assiégeants,
elles cèdent et se rompent.
Le maréchal, qui n'a pas cessé de combattre avec la plus
grande intrépidité, comprend que, sans échelles, ses efforts
*»t ceux de ses compagnons reslerout vains; il doime r<trdre
tle faire â la hâte, avec deux antennes de galères, une échelle
grande et forte; elle est prête au moiuont où le jour com-
ntence â baisser. T'est l'i qui sera b' premier â y monter;
Ouichard de la Jaille' a cet liomieur; il combat longtemps
1. \ou8 savons peu de chose sur ce personnat^e. Il appartenait pro-
:
374
CAMPAONK DK HOUrlGAUT A CONSTANTINOPLE.
« main à main à ceulx du chastel qui tant estoient sur lui
« que ilz le désarmèrent de son espée, pour laquelle cause,
« et non mio par faullc de courage, le convint abaissier dessoubz
« un bon escuier qui estoit le premier après lui, qui est
« nommé Hugues do Tholoigni ». Celui-ci, après des pro-
diges rie? valetir. eiilrn le premier dans la place, suivi de la
Jaille et d'une dizaine d'antres. Bientôt la position d© cette
poignée d*homraes devient critique ; l'échelle s'est mmpue
« pour le grant fais et charge des bons vaillans qui par leurs
« grans courages s'offorroient de monter sus ». et les ren-
forts ne peuvent airiver à ceux qui combattent sur le mur.
Le secoiu*s vint d'une autre part; pendant qu'on avait
escaladé les murailles, le combat avait continué < en la mine »
et les Chrétiens avaient fini par entrer dans la ville. Jean
d'Ony'» que nous trouvons toujt)m's ait premier rang, < tant
« que par sa force et le hardement de son bon courage,
« malgré les ennemis qui toute peine nieloienl à l'en garder,
« iist tant que il entra dedens le premier ». La voie était ou-
verte; à la suite d'Ony, Foulques Viguier, Renaud de Bar-
hazan, < le chevalier sans reproche »*, et plusieurs autres
pénètnmt dans la place et courent prêter main forte à leurs
compagnons qui luttent sur les murailles, avec l'énergie du
désespoir.
L'arrivée d*Ony et de ses amis décida la victoire; le chA-
tean fat pris et rasé; le lendemain, par ordre du maréchal,
on passa les habitants au til de l'épée. L'armée turque qui
observait depuis le malin les mouvements de Boucicaut, satis-
faite d'avoir immobilisé une partie des forces chrétiennes,
n'avait pas quitté ses positions, et le soir, convaincue que
l'avantage ne lui fût pas resté, elle s'était retirée sans tenter
aucun effort pour dégager le château.
Après ce succès, les alliés regagnèrent les galères; la flotte
reprit lo chemin de Constantinople; vers le soir, à Tentréo
bablcment à la famille angevine de la Jaille, dont plujiieurs membrci»
s'illustrèrent au moyen ^gc. En mai 1381. Guicliart de la Jaille obtint
uno lettre de rémission de Charles vi à roccasion d'un méfait dont il
se rendit coupable au mois d'août 1380 à Soufy, près de Machaux en
Brie. Il avait alors vingt-six ans. et servait le roi contre les Anglais
<Areh. nat., JJ. 119, n"36).
1. Voir plus Iiaut, pages 363 et 366.
2. Voir plus haut, page 361.
IR 1>E I.A B!ÔW^rC0N8TANTCTOPLE. 375
de 1a bouche de la raer Noire, elle passa devant une < bonne
€ ville », appelée le Giio! ', et y jeta l'ancre pour la nuit.
Le lendemain, Boucicaut, « qui à autre chose ne pensoit
< fors à tousjours grever les Sarrasins de sou povoir ». fait
prendre les armes et sonner le débarquement. Les Turcs, in-
formés du sort subi par le ch;\teau de Rive et voyant les
préparatifs faits contre le Girol, < bout^Vent le feu tout en
< iiu moumeut eu plus de cent lieux, et tous s'enfuyrent es
« lûontaigues qui là sont grandes et haultes ». Eapeud'heui-es,
la ville tout entière était en flammes; l'armée chrf^tienne,
témoin de ce spectacle, ne se rembarqua que lorsque t<mt fut
brùlé ; les Turcs avaient fait eux-mêmes ce que le maréchal
se proposait de faire.
Pendant Tabsence de Manuel et de Boucicaut, te« Musul-
mans avaient réuni virïgt vaisseaux au pas de Naretès, au
grand préjudice et dommage des habitants de Coustantînople
et de Péra, car ils « comprenoient tout le pays et aeprenoient
€ à tout gaster ». C'est au Girol que i'enipereur apprit ceitf^
nouvelle; aussitôt le maréchal fait voile dans la direction de
Naretès pour châtier l'audace de ces infidèles. Ceux-ci, n'osant
attendre rapjMoche de reuriemi, sVnfiiirent san» combat,
abandonnant au maréchal leiU"s vaisseaux qu'il brûla. Après
ce dernier exploit, la flotte rentra à Constantinople. La cam-
pagne avait duré puviron un mois; elle avait jeté la terreur
chez les Musulmans et brisé le blocus; mais les résultats
obtenus pouvaient-ils être durables? Ou n'était-ce qu'un répit
passager pour Constantinople. pareil à celui qu'éprouvent les
malades, qne le médecin a condamnés, â la veille de .succomber
au mal qui les étreint?
1. Pour l'identification da ce ticu, voir plus liaut, page 15J, nute I.
CHAPITRE V.
RETOUR DE BOUCICAUT. — VOYAGE DE MANUEL EN OCCTDEîTr.
Cettp première campagne du maréchal Boucicaut, dont le
Livre des Fnîts^ nous a transrais le récit détaillé, eut lieu
pendant l'autninne de l'année 1399, sans qu'il nous soit pos-
sible dVn lixor plus exactement la date ; elle fut, sans nul
tl(juti% suivie d'expéditions analogues. Boucicaut était trop
t'iineaii de l'inaction pour avoir laissé s'écouler les derniers
mois de 1399, qu'il |iassa à Constantinople, sans reprendre
les armes et sans tenter de nouvelles incursions sur le terri-
toire ennemi. Le chroniqueur est formel sur ce point, et
s'excuse de ne pas exposer par le menu les exploits de son
héros, « car à auuy ponrroit tourner aux Usans de tout
< compter », et, « pour dire en brief », lo maréchal, tandis
« qu'il y fu, ne séjourna, ne prist aucun i*epos qui durast plus
« do VIII jours, que t«>usjours ne fust sus les ennemis, où il
* prist tant de chastiaulx, de villes et de forterecos que tout
€ le pays d'environ, qui tout estoit occuppé de Sarrasins.
« dospecha et desancombra, et tant de bien y fist que nul ne
< le saroit dire. »
L'énergie do Boucicaut. son ardeur infatigable, sa bravoure
(^ui allait jusqu^â la témérité, lui avaient conquis l'eslimu et
le respect de tous ; il avait ranimé les courages chancelants.
relevé le moral des Chr^Uiens et éloigné l'imminence du
danger. L'empereur, les biu'ons et les Grecs lui savaient gré
de ce résultat, mais tous se prérjccupaient avec lui des moyens
de maintenii* les avantages acquis. La tâche était au-deasu9
1. P. I, chap. xxxm, p. 606-7.
RECONCtUATION DE JEAN Vil ET DE MANUEL.
des forces de l'emperour ; abandonné à ses seules ressources,
Manuel n'avait ni la puissance militaire, ni un prestige
moral suffisants pour imposer le respect aux ennemis du
dehors et du dedans. Tous les efforts du maréchal tendirent à
remédier à cette double infériorité.
11 fallait avant tout raffermir l'empereur sur le trAne, en
ramenant l'uniou dans la famille impériale. Ecarter le danger
d'une compétition sur laquelle les Turcs fondaient If'ur plus
grand espoir, c'était conjurer le péril le plus menaça»!. Bou-
cicaut conseilla donc à Manuel de s*^ rapprocher de son neveu
Jean vii. Leur rivalité durait depuis plusieurs anné<.^s ; elle
avait causé la plupart des luaux qui avaient désolé l'empire
et pouvait amener sa chute. Jean, allié des Musulmans, ne
voulait renoncer à aucune de ses prétentions, et combattait
son oncle avec uti^obstinalion acharnée; c'était une situation
« préjudiciable à la crestianté et mal séant à culx », qu'il
importait de faire cesser au plus tôt. Une réconciliation sem-
blait diflicilo îi uî>t<Miir dans l'étal dos esprits des deux adver-
suires ; cepcndaul l'intervention personnelle de Boucicaut, la
prudence qu'il déploya en cette occasion, et surtout Tascen-
ilaut ([ue sou *Miractère et ses victoires lui avaient mérité en
Orient, trionipfu'rent de toutes les difficultés. Le maréchal alla
liu-raéme chercher Jean à Salembria, et le ramena à Constan-
tinople, ot'i il fut reçu avec les transports de la joie la plus
vive*.
Ce résultat obtenu, Bouclcaut songea aux moyens do tenir
la campagne ot de défendre Coastantinoplo contre les Otto-
mans. Le trésor était vide, les approvisioimements étaient
1. Los liisloriens greiirt Ducus, l'hrantzès, Chaloocondylp up disent
rioii du rôle joué par Baadcaut à Cunstantinople. Phrantzès roconto
seuicmpnl la réconciliation de l'oncle et du neveu ; il l'attribue à la
disgrÂce dans laquelle Jean était tombé auprès de Uajazct et à la géné-
l'osité do Manuel, qui raccuefllil à bras ouverts, lui donna un fçrand
état de maison et lui confia même l'empire au bout de quelques jours.
l^H motifs do ce» réticences se devinent dans l'humiliation que la
vanité nationale ressentait des comparaisons, peu avantageuses et [our-
lant naturelles, qui s'établissaient entre les Grecs et les Français,
("était un proverbe courant qu'un Turc sufHsait pour mettre en fuite
trois Grec». On comprend que les historiens grecs n'aient pas voulu
avouer ce qu'ils devaient à l'intervention étrangère (H<T^ror de .Xivrny,
Mtfmnire sur la vie et le» ouvrages de l'empereur Manuel Palihloyuej
M6m. do l'Acad. des Inscr., mx i1853), u, 92-3).
378
RETOUR DE BOUCICAUT EN OCCIDENT.
épuisés ; on ne pouvait ni payer la solde de l'armée, ni mémo
la nourrir ; il fallait aviser au plus t6t, sous peine d'une
catastrophe prochaine. Le niaréchal se rendait compte que la
présence de ses troupes l'puisait les vivres, et que, s'il
s'éloignait, l'ennemi, enhardi par s(m départ, attaquerai!
l'empereur incapable de résister au choc des Musulmans. La
situation était critique : Houcicaut résolut de l'entrer on
France, en compagnie de Manuel, pour implorer un nouveau
secours, dfit l'empereur abdiquer l'empire entre les mains do
Charles vi, pourvu qu'il obtint < a^de pour le garder contre
< les mescréans ». Cette idée d'abdication, au reste, n'était pa*
nouvelle ; elle avait déjà été mise en avant par Manuel lai-
même, mais Venise n'avait pas répondu à l'ouverture qui lui
avait été faite '. Si le roi restait sourd aux propositions du
fugitif, les cours européennes, personnellement visitées pai-
Manuel, seraient sollicitées de venir au secours de l'empire
chancelant. De son côté, Boucicaut considérait la situatinn
comme désespérée, et se reconnaissait incapable, avec les
forces dont il disposait, d'empêcher un dénouement fatal.
Le départ fut donc décidé*, quoiqu'il présentAl un autre
danger, également très grave. Les partis, à peine réconciliés,
n'attendaient qu'un signal pour relever la tête ; Tenncmi du
dehors était prêt à tenter un effort décisif dès que la ville
serait ilégarnie de ses défenseurs. Jean, qui était tlé^signé
pour remplacer son oncle pendant Tabsence de ce dernier,
refusait de prendre le pouvoir dans de pai*eilles conditions.
1. Nous avons parlé plus haut (p. U56,i, de l'ofl're faite par Manuel ii
Venise de renoncera l'empire. Les prisonniers français de NicopolU
avaient, pendant leur s<>jour à Lesbos (15 août 1397), conclu un traité
analofïue avec Jean, le compétiteur de Manuel; Jean cédait, par l'en-
tremise de François Gattilusio, seigneur de Mitylftne,au roi de France,
tous ses droits à l'empire de Itomanie, moyennant vingt-cinq mille
Dorins et la possessiuii d'un château dans Se royaume. Vn délai de
trois ans ùtait stipula puur réaliser le traité, qui resta lettre morte. Il
est curieux, au lendemain de la défaite de .Nicopolis, do constater qae
les Français n'avaient pas abandonné tout espoir de reprendre le»
armes pour la défense, ou même, pour le rétahli-sseraent de Ferapire
de Constantinople à leur protit (Arch. do la Côto d'Or, B. 11936).
9U[i(UK9âyTb>v, è; 'ItïX^ov soprîsoOat, xai 5f, %i\ FaXiia; ri; x«-:(ii x*t Bjutta*
■.(av avTTiv (Oraison funèbre de Théodore Paléologuo par son frère
Manuel, éd. Combelis, Auctariwn Xovum, 16'i8, f", p. UUO).
GARNISON tJUSSEE A CONSTANTLNOPLE.
370
« car il savoit bien que aussi tost que ilz seroient partis,
< le Basât venilroit à toute sa puissance assegier la ville.
€ [l'Jaffaiiier et gaster ». Il était Jitticile de ne pas recon-
naître la justesse de ces craintes, aussi le maréchal so dècida-
t-il à laisser un petit noyau de bonnes troupes pnur protéger
ronstantinople.
CltAteauruoraiid l'ut désigné pour commander cette garnison,
composée de cent hommes d'armes, de cent valets armés et
d'un grand noiuhre d'arbalétriers. Elle ne comprenait que
des Français, avec des vivres pour un an. et assez d'argent
< en mains de bons marclians » pour assurer le senice de
la solde pendant le même laps do temps. Les Vénitiens et les
Génois s'engagèi-ent également à laisser, devant Constan-
tinople. huit galères, quatre génoises et quatre vénitiennes.
Ces dispositions rendirent courage aux Grecs qui, déses-
pérés, < ne savoient meilleur conseil que de eulx enfuyr
c devers les Sarrasins et abandonner la bonne ville de Cons-
< tantinoble », et Jean accepta Tinvestiture de la puissance
impériale*.
Manuel et Boucicaul quittèrent Conslanlinople le 10 dé-
cembre ISnoV L'entpereur emmenait avec lui rimpéralrice^
sa femme, et ses deux jeunes enfants, Jean et Tliéodore.
Laissant sa famille on Morée, auprès du despote, son frère,
il continua son voyage avec le maréchal'. Tous deux débar-
quèrent à Venise ; la seigneurie leur fit une réception solen-
nelle ; Manuel fut logé au palais du marquis de Kerrare;
un dépensa doux cents ducats pour lui faire un accueil digne
de son rang, et la république de Saint Mnrc lui promit son
<roncours le plus absolu contre les Turcs. Charmé de ces pro-
messes, qu'il croyait sincères, l'empereui- quitta Venise pour
Padoue ; là François de Carrare et le marquis de Mantoue
1. LivTû df« faiit, p. i, ch. xxxiii, p. 606-7. — Ilertzbergt p. 524.
2. Cotto date est donnée par une note marginale grecque d'un ina-
nujscrit do la Itibl. nationale in** 557); il n'y a pa liou de la suspecter.
Le /Jvrf Hf9 fait* (p. i, cïj. xxxiii, p. G06-7) dit à deux reprises que
le maréchal séjourna presque un an en Grèce; **ette assertion n'oi*t
exacte que ai elle s'applique à la durée dp l'ahsencedu nianVIial horw
de France; mais s'il s'agit du w>jo«r ppopremenl dit en tJrient, elle
Cïit certaineiuent fautise.
:i. Pliraiitz&K, éd. de Uonn^ i, c. xv, p. 62; • Ducas, éd. do Bonn,
XIV, p, 29-30.
VOYAGE DE MANUKL EN OCCIDENT.
déployèrent, pour lui faire honnenr, tout le lux© dont cette
petite conr aimait à s'entourer ; cortège, musique, banquet,
torches, rien ne fut épargné. A Vicence. mémo récoplion ; à
Pavie, Jean Galeas Visconti, duc de Milan, prodigua égale-
ment à l'empereur son appui el les protestations les plus cha-
leureuses, le reçut avec la plus grande coniialit*^ et lui pro-
cura des chevaux pour passer eu France. Retardé par cas
visites aux cours italiennes , Manuel n'arriva à Pïiris qu'an
mois de juin '. Si Charle.s vi avait été flatté des ambassades
f[u'il avait reçues précédemment, la venue de l'empereur
lui-même le combla de joie ; n'avait-il pas lieu d'être fier
d'un événement aussi *^xtranrrliuaire, d\ni honneur qui n'avait
éfa* fait à aucun de ses prédécesseurs et qui témoignait d'une
faveur partiruli(?re â son égard? Aussi Manuel fut-il accueilli
avec les plus grands égards et avec toute la pompe que
commandait l'honneur de la France.
Dos chevaliers du plus haut rang furent envoyés à sa ren-
contre, avec mission il'assurer à Thôte du roi, dans toutes
les villes qu'il traverserait, uue réception digne de la majesté
impériale; à P;iris. on fit des préparatifs magniftques. Le
S juin UOfi, l'empereur traversa le pont de Chareuton ; deux
mille bourgeois de Paris, à cheval, rangés aux ciHés do la
chaussée, l'alicndaieni pnur l'escorter; un peu en arrière
d'eux, le chancelier de France, les présidents au Parlement,
avec une suite de cinq cents personnes^ et trois cardinaux lui
souhaitèrent la bienvenue ; quelques pas plus loin Charles vi.
entouré do toute sa cour, au son des clairons et de la musique,
s'avança pour lui donner Uy baiser de paix. L'emi)ereur, à
cheval, revêtu d'un habit impérial en* soie blanche, par se:*
traits pleins de noblesse, sa longue barbe, ses chevaux blancs
et la dignité de toute sa personne, conquit anssit4H la sym-
pathie universelle. Il ht son (»ntrée solduielle à Paris, aux
côtés du roi. escorté dt's princes du sang, au milieu d'un
appareil magnitique, aux applamlisst^uients d'une population
enthousiaste. Après un repas somptueux au palais, les
princes le conduisirent au Louvre, où son logement avait été
I. Andréa (iatnn) (Mtiratori, xvn, 8;t5-7); — Annnles MciHolunt^n^ct
(Muratori, \vi, 8:tHt : — rhalrocoiulylp, éd, île Uonn, p. 84 : — Ho)»f, vu,
G.S. Voir pour tout ce (pii cuiirernp le voyage lie Manuel en Di^rident
le mémoire iln Heryer de Xivrey sur la ?^iV et teg ouvra'jes de Mttnuel
(Mém. do lAi-iwI. drs Inscr. xix |1853), u, l-2l>l!.
SÉJOUR DE MANUEL EN FRANCE ET EN AXOLETERRE. 381
préparé, et penriant son séjour en France, il n'y eut pas
d'honneurs, d'attentions, et même de présents dont il ne
fût comblé*. L'hospitalité de Charles vi fut digne de
l'hôte qu'il recevait.
Quand Manuel exposa les motifs de son voyage et la détresse
de Tempiro, il trouva auprès du roi le môme empressement à
lui promettre des secours d'hommes et d'argent ; le maréchal
avait eu raison de ne pas douter du succès d'une démarche
personnelle de l'empereur'. Rassuré de ce côté, Manuel s'em-
presse de tourner ses regards vers TAngletorro. Dès le
20 juin, il écrit à Pierre Holt, prieur de l'Hôpital en Irlande,
pour lui annoncer son projet de passer la mer, &iu\ d'inté-
resser le roi d'Angleterre au sort de l'empire d'Orient; mais
il apprend bientôt que les circonstances no sont pas favo-
rables, qu'Henri iv conduit uiip expédition en Ecosse contre
le roi Robert m qui refuse de reconnaître l'autorité du nou-
veau souverain, et qu'il convient d'attendre son retour". Il
reste donc en France jusqu'au mois lîe septembre.
En traversant la Manche, il est assailli par une tempête; a
Caiilorbér}\ les Augustins l'accueillent avec les plus grands
honneui-s; son entrevue avec Henri iv a lieu ïiblakheth, près
de Londres, le jour de la Saint Thomas (décembre I iOO)*; elle
t. t A MsxéCouxeTsesalo, trésorier de l'empereur de Constantinople,
« XVI cens livres pour ledit empereur, en déduction de plus grande
• somme, en aoiist MCCrc. — A Regrniut Pisdoc, changeur, pour un
I han&p et une aigtiiùrc dur, iwinrunnez ù divers ouvrages, pesant
• ensemble vn marcs, i once, xvi eslerlins d'or.delibvrè au roy noslre
■ sire, qui l'a fait prtsenler de par luy à l'emjiereurdo Constantinople...
• ct:ci,xiv I. p. p (llergerde Xivrey, Mémoire... ^ p. 103-4).
2. Relifjieux de Saint Denise n, 754-9.
3. Pierre llolt répondit ù la lettre du roi le 11 juillet 1400 (Roy.
and him, tetter* during the reign of Henry /V, Londres, 1860,
p. 39). Il était turcoplier et prieur d'Irlande; sa nomination à ces
doux fonctions est antérieure à 1396. Confirmé en 139G (2 août) et en
1404 (24 oct.) dans la diffnité de prieur, il la résigna en 14iO; déa
1407, i] était lieutenant et visitateur du grand-maitre en Anglctcrref
Ecoftse et Irlande. 11 mourut en 1415 ^\rch. de Malte, Hfg. Bull. Mag.^
xvni, 72; .MX, 100-2; .\xt, t3U; xxiu, 127-8; xxiv, ad calcom, f^ 4
et 5 non numérotés. — \V. Porter, A history of the h'nighis of MaUa
(rev. éd. 1883, p. 726).
4. Probablement le 29 décembre, anniversaire du martyre de S.
Thomas de Cantorbéry, ou le 31 décembre, s'il s'agit de la fête d«
S. Thomas, apàtre.
382
VOYAGE DE MAM^E1> KM OCGIDRNT.
est très cordiale, et là, comme en France, il est reçu « moult
honorableniont ». Manuel, plus ébloui encore do 1* récep-
tion de Henri que celle de Charles vi, est séduit par les qualités
personnelles du souverain ; Henri lui promet un secours eo
hommes d'armes, en nrchers, en argent et en vaisseaux pour
ti'ansporter l'armée là où besoin sera. Les lettres de Teni-
pereur nous ont conservé le souvenir de cet heureux espoir.
Mais aucune des assurances données par le roi d'Angleterre
ne fut réalisée ; Henri iv, au lendemain de son avènement,
entouré d'ennemis et de compétiteurs, n'était pas en mesure
de les tenir. Cependant telh» fut la séductiim c\ercé(? par lo
monarque anglais, que Manuel conserva longtemps Tespe-
rance de les voir s'accomplir. Il rentra à Paris, le 28 fé-
yr'uiv 1 iOI ; de toutes les promesses qui lui avaient été faites,
une seule subsistait, c'i^tait lo paiement d'un subside de trois
mille marcs, que Richard ii avait fait autrefois lever dans
ses états pour la défense de la Romanie et qui n'était pas
encore touché '.
Charles vi n'avait marchandé à Manuel ni les prévenances
ni les promesses. < Nombreuses sont tes choses, écrivait
« celui-ci à Manuel Chrysolai'as, que le glorieux roi nous
« a accordées ; nombreuses aussi celles que nous avons
« obtenues de ses parents, des dignitaires de sa cour et de
« tout le monde. » C'était, d'abord, un secours de douze
cents combattants payés pendant un an aux frais de Charles n
et commandés par le mai'échal Boucicaut ; c'était ensuite une
pension annuelle de quatorze mille écus*. Mais quand l'em-
pereur, à son retour d'Angleterre, insista pour obtenir ce qui
lui avait été promis, il ne tarda pas à s'apercevoir que le*
préoccupations de la cour de France étaient ailleurs. Le*
ducs d'Orléans et do Bourgogne se disputaient le pouvoir au
nom du roi, dont la raison n'avait que des lueurs passagères ;
au milieu de leurs mesquines divisions, les événements les
plus considérables s'accomplissaient sans qu'on songeât à en
i. Capxgrave'f chronicle ofEnf/land. p. 277 ; — Tliomas Walsingham,
ffùt. nngt.^ n, 247 ; — Chroniques rfc Monstrelet, i, 32, note; — Jioy.
nnd hist. hUers, p. 56-7 (3 février 1401. ii. ».). — Lettres à Manuel
rhrysolaras et à l'archevCque Euthymiu», dans Berger de Xîvrey
{Mémuire...^ p. 107-9).
2, Berger de Xivrey, Mémoire, p. 102-3; — Livre Hes faiu. p i,
cli. x.xxv, p. 60a ; — Religiexix de Saint Denis, m, 50-J.
INDIFFÉRENCE DK L OCCrOKNT. 383
profiter. Ni la déposition de Vencoîilas en Allemagne, ni la
chute de Richard u en Angleterre, qui, habilement exploitée,
eîkt pu avoir pour la domination anglaise en Guyenne des
conséquences désastreuses, n'avaient réussi à détourner les
politiques de leiu's ambitions et de leurs rancunes. Si des
faits d'une pai*eilie importance n'éveillaient aucune attention
en France, comment le sort de l'empire de Constantinople
pouvait-il secouer l'indifférence générale? Manuel resta plus
de deux ans en France (juin 1 iOO-novombre 1103), sans par-
venir à faire triompher sa cause, et, malgré les promesses
les plus chaleureuses, il n'obtint jamais que de stériles mar-
ques d'intérêt. Il fallut que le salut de Constantinople, que
lui refusait l'Occident, lui vint des Tartares ; la victoire de
Tamerlau sur Bajazot, à Ancyre (juilliM 1102), lui rouvrit les
portes de son empire.
CHAPITRE VI.
RAPPORTS DE TAMKRLAN AVEC LES CHRETIENS.
BATAILLE D'aNCYRE.
Au niomen* où Manuel quitta ConstantÎBople, la situation de
ri'iiipirf d'Orient sL'inbhut désespérée et Ton pouvait craindre
que les secours rieniandés en Occident n'amvassenl trop
(ard.
La péninsultt Itellêniquo et les îles de l'Archipel offraient
le spectacle de la confusion la plus déplorable. Les puissances
chrétiennes (.remblaient devant les vainqueurs, et cherchaient,
par tous les moyens, à détournnr le danger, ne reculant devant
aucune concession, pas racme devant une alliance avec les
Musulmans, pourvu qu'elles fussont épargnées. Antoine i
Acciajuoli avait donné le signal en s'alliant aujL Tui'cs et en
menaçant rKubée de concert avec eux (1400). Venise, per-
sonnellement menacée, — doux dos galères de Crête avaient
été capturées, — faisait des préparatifs pour défendre ses
possessions, mais sans i*ompro les pourparlers entamés
AUoluogo, par le duc de Crète, avec Soliman, dis de Bajazet ;
l'année suivante C?? mars 1401), elle s'était même adressée
directement au sultan pour lui proposer un armistice. L*al-
lianco turque pouvait seule assurer aux princes de l'Archipel
un semblant de sécurité; en 140?. le seigneur de Nepant^j
avait menacé les Vénitiens de s'unir aux infidèles, et devant
cette perspective, pour conjnrer le péril, la république avait
offert au seigneur de Nopanto de lui acheter ses états*.
Dans le Péloponèse, le despote de Mistra, frère de Manuel,
i. Hopf, vu, 65 ; Sathas, Doc. inéd., ii. B-9 et 12 (2» aoùt-iO sept. UOO}
et I, 1-2 (24 avril 1402).
MOEEE.
éperdu, s'était réfugié auprès dos chevaliers de Saint Jean, et
leur avait vendu ledespotat. L'ordre, déjà maître de quelc^ues
places en Morée, mêlé à tous les événements dont l' Achaïe avjiit
été le théAtre, nourrissait, sous les auspices du Saint-Siège, à
la faveur de l'épuisement général, le projet de soumettre
toute la péninsule à sa domination; il voulait, en s'y établis-
sant solidement, créer un état destiné à airètpr le flot de
l'invasion musulmane et à servir de base et d'appui, le cas
échéant, à une action commune de la chrétienté contre les
infidèles. Déjà le granrl-maître Hérédia s'était, quelques
années plus iM, mis en règle avec le droit féodal, en ache-
tant les droits de Marie de Bretagne et de son fils mineur sur
l'Achaïe; mais, malgré le concours qu'il trouva auprès des
Vénitiens et du papo, il avait écliruié rhins une tentative de
s'emparer de Corinthe, clef du Pélopoiièse, et payé cet insuc-
cès de sa liberté (1381-7 . L'abandon du despotat par Théo-
dore Paléologue ouvrait une autre voie d'acheminement vers
le même but. Philibert de Naillac, successeur de Hérédia,
n'eut garde de laisser échapper une pareille occasion (juillet
1390-1 iflO); mais grâce à la haiuf invétérée des Grecs pour
lu domination latine, cette secomlc tentative eut le même
sort que la première. Saint Supéran, qui voyait dans l'exten-
sion du pouvoir de*î Hospitaliers un danger sérieux pour sa
propre autorité, appela les Turcs à son aide (I40I), ravagea
avec eux tout le pays, ot se reconnut leur tributaire. Les
princes gi*ecs s'unirent à lui successivement, empêchant
ainsi la réalisation d'un projet donc le succès eût créé aux
sultans un danger sérieux, en groupant sous une seule auto-
rité les forces chrétiennes lio la péninsule balkanique'.
Au milieu de ces contlits peipétuels, la tâche de Bajazet
paraissait facile, rien ne semblait capable d'arrêter l'ambition
ottomane; à peine quelques symptômes heureux soutenaient-
ils l'espoir des Grecs. La garnison, laissée par le maréchal
à Constantinople, suffisait pour tenir en respect les Turcs et
empêcher de leur part une attaque de vive force, Château-
morand avait hérité de Ténergie de Boucicaut; la famine
était t<'lle dans la place que < les gens estoient contrains
c par rage de fain cle eulx avaler par nuit à cordes jus des
380
RAPPORTS DE TaMERIAN AVEC LES CHRETIENS.
€ murs de la ville, et eulx aler rendre aux Turcs >. Cepen-
dant, à force d'acîivilé» en multipliant les sorties « partout
< où il savoii que il avoit gras pays », le capitaine fran-
çais parvint à réapprovisionner Gonstantinople. c II n'estoît
< vaissel do Sarrasins qui là environ osast passer qui tan-
« tosl ne fust happez par ces galées qui tousjours estoyent eu
« agait' ». Dans la péninsule, au môme moment, Pierre de
Saint Supéran, redevenu l'cnrinmi des Turcs, avait remporté sur
un corps ottoman, qui avait envahi l'Acliaïe, un léger avan-
tage qu'où se plaisait à considérer comme le présage de succès
plus décisifs pour Tavenir*.
L'année suivante, la situation semblait moins critique:
les Turcs avaient évacué quelques places, parmi lesquelles
Salembria, rentrée sous l'autorité du gouverneur impérial
Bryennios Leontarios (1 501). A la faveur de ces événements,
les projets de confédération avaient été repris (1402), mais
sans plus aboutir que précédemment. La diplomatie euro-
péenne pouvait-elle grouper, en vue d'une action unique, des
princes et des états dont les intérêts étaient opposés, et qui
faisaient passer leur avantage personnel avant le bien
commun*.
Si le torrent musulman ralentissait son cours, il n'est pas
sans intérêt de montrer à quelles causes ce ralentissement
était diV Le but de liajazet était d'incorporer à ses états les
pays qui composaient l'empire grec et d'en faire des pro-
vinces turques. Pour l'atteindre, il fallait remplacer les expé-
ditions et les incursions ilunt la Grèce avait jusqu'alors été la
victime, par une occupaiiori perniauento. Do graudca masses
de troupes, lancées sur la péninsule turco-hellénique pour lu
ravager, n'avaient, il est vrai, renconti'é aucune résistance.
mais au(re chose était de piller le pays, autre chose d'y éta-
blir la domination ottomane, de la cousulider peu à peu, par
des progrès lents et continus. Si le sultan avait pu disposer,
d'une façon permanente, d'autant d'hommes qu'il en avait
employé à la campagne de 1397, ta conquête eût été facile:
1. Livre de$ faits^ p. l, chap. xxxiv, p. 607.
2. ha lettre de Botiifacc ix, félicilan' S. Supcran de cette victoire M
lui décernant le titre de vicaire et de gonfatonicr du pape en Aehaïe,
est du 15 ftWrier l'iOO (Mansi, xxvn. Ttî*.
3. Hopf, vu. 65.
PREMIERES ANiNKES DE TAMBRLAX
387
mais Bajazet} forcé de compter avec le nombre de ses soldats,
qui avaient ailleurs leur emploi, dut chercher, par des
alliances avec les puissances qui se disputaient In péninsule,
à compenser la diminution de ses forces militaires.
A cette cause de répit momentané s'en joignait une autre,
d'un caractère autrement sérieux, puisqu'elle menaçait l'exis-
tence même de la puissance ottomane. Les Mongols, sous la
conduite do leur chef Tamerlan, faisaient de jour en jour de
nouveaux progrès; partis (îu fond de TAsio, ils étaient, de
victoire en victoire, arrivés sur les bords de la mer Noire; un
conflit entre eux et les Musulmans était devenu inévitable.
Bajazet, forcé de jeter les yeux sur l'Orient, ajourna ses des-
seins contre l'Occident, et l'empire de Constantinople respira
plus librement.
C'était, en effet, une étrange fortune que celle de Tempire
Mongol qui, aous le sceptre d'un chef énergique, descendant
de Gengis-Khan. s'était reformé, à un siècle et demi de dis-
tance, et dominait, comme jadis, l'Asie tout entière, de la
Chine aux frontières ottomanes. Il avait suffi, pour rétablir
la puissance mongole, d'un Tamerlan. Invincible sur le champ
de bataille, conquérant do génie, d'uno ambition insatiable,
homme d'état au sens qu'attachent 1ns Orientaux à ce mot,
administrateur de premier ordre, mais cruel jusqu'à la bar-
barie et sanguinaire même contre un ennemi vaincu dans un
loyal combat, Tamerlan terrifiait ses adversaires avant de les
attaquer, et rien ne l'ésistait à sa marche conquérante. Né à
Kesch, enTransoxiane, en 1335, il succéda vers 1369 à l'émir
Huâsein, dont il avait épousé la soem*, dans la possession du
IChora^'an et de la Transoxiane, et fixa sa résidence à Samar-
cande. C'est alors qu'il conçut le projet gigantesque de
détruire toutes les dynasties nées du démerabremont de
l'empire de Gengis-Khan. et de reformer à son prc»fit la puis-
sauce du héros mongol. Sa vie ne fut qu'une expédition
ininterrompue; mais partout, sur son passage, il ne laissa
que ruines, meurtres et désolation. L'histoire n'a pas gardé
le souvenir d'un conquérant plus sanguinaire ; â peine quel-
ques traits moins féroces mitigenl-ils l'effroi qu'inspire une
pareille figure.
Après la conquête de laCliaresmie et du Kandahar, Tamer-
lan avait successivement soumis toute la Perse, puis les
pays au pied du versant méridional du Caucase. L'Arménie
3S8
RAPPORTS DE TAMERLAN AVEC LES CHRETIENS.
et la Mésopotamie n'avaient pas lardé à reconnaître son auto-
rité. Depuis t300, lt»s steppes entre la mer Noire et la mer
Caspienne avaient subi son joug; les pays russes à Touesl du
Volga, du Don et du Dnit'per avaient été dévastés par son
armée; en 1304, il avait soumis les côtes de l'Océan Indien,
du golfe Persique et les riches vallées de l'Euphratc et du
Tigre; quatre ans plus tard, il conquérait l'Hindouatan
(1398), qu'il inondait de torrents de sang.
Deux pu!ssanL*es restaient seules en présence eu Asie» les
Mongols et les Ottomaus ; entre Taraerlan, à l'apogée de sa
gloire, et Bajazet, dont les progrès faisaient trembler TOcci-
dent» un choc était inévitable.
Bajazet avait compris que. pour résister à l'envahissement
des hordes ([ue Tauierlan jetait sur l'Asie occidentale, il
fallait reprendre résolument la politique asiastique do son
père Amurat, et absorber les états qui, à l'est et au sud de
l'empire ottoman, conservaient encore un semblant d'iudé-
peudance ; à ce prix seul, il pouvait consolider sa position
pour une éventualité plus ou moins prochaine. Dès 1391,
Konieh et la partie orientale de la Carainanie étaient tombés
au pouvoir des Turcs; l'année suivante (1393). la bataille
décisive d'Aktschaî avait consacré la conquête de l'émirat
par les Ottomans. Peu après, le sud-est de l'Asie Mineure,
Césarée, Tokat et Si vas reconnaissaient la suprématie
de Bajazet. Les émirs, dépossédés par le sultan, s'étaient
réfugiés auprès du conquérant mongol, et ne cessaient de
l'exhorter à envahir le territoire ottoman et à faire justice
d'une puissance, destinée à être iiM ou lard pour lui un sé-
rieux danger.
De pareilles excitations ne devaient pas être perdues; mais
le conquérant, grisé par ses victoires, ne se hâtait pas de
rencontrer son ennemi. En 1400, il était rentré dans Sivas,
qu'un des Hls de Bajazet n'avait pu défendre contre lui, el
après des cruautés sans nom, différant sa vengeance, il avait
tourné ses pas vers l'Egypte et marché contre le sultan des
Mameluks, dont rarmêe fut taillée en pièces devant Damas
et devant Alcp (1 îOO-l iOI). Pendant cette campagne, la rage
de destruction, qu'inspirait aux Mongols le fanatisme reli-
gieux, se donna pleine caiTière; les cités les plus floris-
santes furent ruinées, et les scènes d'horreur dont elles de-
>inrenl le thi'.'ilri* np furent surpassées que pai* celles qui
R^LE PES MISSIONNAIRES DOMINICAINS.
389
signalèrent rentrée des Mongols à Bagdad après un combat
acharné*.
Tanierlan hiverna en 140I-? dans la plaine de Karabagh ; i!
se préparait â attaquer lo sultan et à jouer une partie déci-
sive. Avant de l'engager, lo conquéraut s'entoura de tous les
appuis dont il pouvait tirer parti, et noua des rapports de
comraerce et d'amitié avec les puissances occidentales .
C'était une tradition de la politique des états chrétien» d'en-
tretenir en Orient des relations cordiales avec les Tartares,
et de s'appuyer sur leur alliance poui* combattre les Musul-
mans. Reprise à ce moment, par crainte des progrès de
Bajazet, cette idée, d'une haute portée politique, trouva
dans les missionnaires, et particulièrement dans les Domi-
nicains, les plus ardent promoteurs. Jean vu et le podestat
génois de Galata s'étaient, par leur intermédiaire, mis en
rapport avec Tamorlan, l'avaient excité à déclarer la guerre
â Bajazet, promettant de lui payer â l'avenir le tribut
dû au sultan et de l'assister dans sa campagne contre les
Ottomans'.
Charles vi était également entré en relations directes avec
le conquérant mongol. Il l'avait, au moment de l'expédition
deNicopolis, prévenu de ses efforts pour arrêter les progrès
de Bajazet ; un frère Prêcheur, François Isathru. avait été
charge de l'informer des projets du roi de France et de
solliciter son alliance ; nous avons, dans la correspondanco
entretenue par lui avec la cour de France après la bataille
d'Anc^Te, la preuve qu'il y eut, entre les deux monarques.
plus qu'un échange de lettres de recommandation pour des
missionnaires envoyés en Orient, qu'on entama de véritables
négociations relatives à un Irailé de commerce et même A un
traité d'alliance.
La France avait pris au sort de l'empire grec un intérêt
trop direct, elle avait, afin de sauvegarder les possessions
des Génois, devenus ses sujets, et notamment leur colonie
de Galata, trop lieu de rechercher l'appui de Tamerlan, poui'
1. Ilertzberg, p. 525-7. V. aussi H. H. floworth, ffîstory of the
Mongolit, n, passim.
2. V. dans Sanudo ( Vite de' duchi. MurntoH, xxn, T07), une lettre dp
Tamerlan au lieutenant de l'emperonr à Constan(iiH>ple. — lle)*d,
Gt*eh. des Ln*antfhnndeU, u, 265; — llrrtzberg, p. 527.
390
RAPPORTS DE TAMERLÂN A.VEC LES CHRETIENS.
n'avoir pas tenté de nouer avec lui He relations diploma-
tiques. Il n'est pas téméraire d'affirmer, au ton de la corres-
pondance échangée entre Tamerlan et Charles vi, que les
ouvertures de ce dernier ne furent pas ropoussêes, et qu'il
trouva, de la part du chef des Mongols, un sérieux soutien
de sa politique orientale ^
Nous savons, en effet, d'une fa^on certaine, que Tamerlan
chercha, avant d'entrer en lutte contre un adversaire aussi
puissant et aussi reiîtmtahle que Biijazet, Talliance do,-!
chrétiens d'Orient. Non souleiuont il envoya à Péra une
ambassade, chargée de présents, pour se concilier les
sympathies des Génois, mais il avait jeté les yeux sur la
puissance maritime des Italiens et des Grecs, et songé, n
l'aide d'une démonstration navale, â appuyer ses opérations
militaires; dans ce hut il avait sollicité do Teraporeur de
Trébizonde un contingent de vingt vaisseaux ; atix Grecs
de Constantinople et aux colonies italiennes de Péra, il avait
adressé la m^rne demande. Les vaisseaiix de guerre de ces
nations pouvaient lui rendre des services de premier ordre,
en enipéclmnt les troupes turques de franchir le Bosphore, et
en enti*avanl dn la sorte l'envoi de renforts d'Europe ou
Asie. Grecs et Italiens lui avaient promis leur concours ; les
liabitants de Péra avaient même arboré sur leurs murailles
l'étendard des Mongols".
1. Sylvestre de Sacy (Mémoire sur une corretfMmdance inédiit dr
Tamerlan avec CkarUi v/, dans Mémoires de l'Acad. des Inscriptions
VI, (1822), p. i73-'i) diminue, à tort, l'importance des relations noiièe.^
entre les deux printres. — Le texte m^me des lettres de Tamerlan est
beaucoup plus glanerai que la traduction latine contemi>oraine qui Ica
accompagne, et dont il n'y a pas lieu de rejeter systématiquement la
valeur, — valeur que Sylvestre de Sacy reconnaît îui-mômo en ce qui
concerne la date de cette correspondance.
2. Malgré Jeurs promesses les hnbitans de Péi^ ne firent rion pour
contrarier les mouvements des Ottomans; il semble même qu'après U
bataille la floUe ^énoi&e, probablement en échange d'une rémunération
importante, se prôt» au traiislwrdement des vaincus d'Asie en Kuropo.
Les Vénitiens mirent, à l'exemple des Oénois, leurs navires au service
des fugitifs, mais n'accueillirent sur leurs vaisseaux rjue desCliréticiih
grecs; des b;Uimeiits grocsel catalans s'employèrent t'palement à faire
franchirle nusjiîiore aux débris Je l'armée vainc ue,(Sanudo, Vi'frrff'rfucAi
(Muratûpi, xxn, 798); — ClaviJD, //ÎHt. del rjran Tamorliin, éd. de Ma-
drid, 1782, p. 90; —Stella (Muratori, wii, HO'i); — CAr«n. de rrèpise
(Muratori, xi\, 801).
MISSION DE !. ARCHEVEQUE DE SriTAPflEH.
Il y a plus; Tamerlan, s'il n'avait pas été animé de dispo-
sitions conciliantes à l'égard de TEurope, aurait-il chargé un
Dominicain, Jean ir, archevêque do Sultanii>h*, d'imo mission
diplomatique en Occident', au lendemain même de la bataille
d'Ancj-re (juillet ï'»0?)V mission au cours de laquelle le
négociateur, après avoir visité Venise, Gônos, ta France et
l'Angleterre, conclut, au nom du conquérant mongol, avec
Charles vi et Henri iv des traités de commerce sur les hases
d'une liberté réciproque pour les marchands des deux pays*?
Aurail-il toléré, pendant la bataille, la présence à ses côtés
des ambassadeurs castillans, Payo de Sottomayor et Hernan
Sanche/. de Palazuelos'?
Un échange de notes entre Tamerlan et Bajazet, pendant
l'hiver de 1401-2, avait élevé au plus haut point entre les
ï. Ce prélat, d'orif^'Heanglaise, joua en Orient un piMe considérable.
Transféré en 1378 (26 auùt) de Tévèché de Nakhshiwan an siège mé-
tropolitain de Snltanieii, en Arménie, il porlnit îe titre iVai'chiepi*-
ropus itUiu» Orientis, quoique rien dans les lettres papales d'investi-
ture ne le justifie. Il faut suppo&er que l'importance de Sultanieh^
rendez-vous de tout le conamerce de l'Asie, et capitale très florissante
au témoignage des contemporaitis, avait fait de cet archevêché le
centre de la catholicité en Orient, — ^altanieh était une cité for-
lifïé© d'Arménie, l'ancienne Tigranocerta. Siège d'un évêché, elle
avait été élevée en 1318 par le pape Jean xxu au rang d'archevêché. —
Voir la description de la ville dans Clavijo (éd. de Madrid, 1782, p. 113
et suiv.) et dans Sylvestre de Sacy {Mémoire..., p. 483).
2. Stella (Muratori, \\i\, H9i); — Sanudo (Mnratori, xxii, 798).
3. SyWestpc de Sacy {Mémoire..., p. 5li>-6 admet à tort, selon nous,
la ïK>ssibilité d'un premier voyage de l'archevêque de Sultanicli à
Venise et à (lénes en 1398. .Nous pensons qu'il n'y eut qu'un seul
voyage de ce prélat en Occident de H02.
\. Jean u était porteur d'une lettre de Tamerlan à Charles vi, du
1 août l'i02. La bataille d'.Xncyre fut livrée lo 21 juillet de la même
année. Kes lettres de Henri iv :i Tamerlan et à son fils Mirassa
Amimssa no #ont pas datées, maïs leur texte permet de penser qu'elles
furent écrites en réjwnse aux propositions de l'archevêque. — La
réponse de Charles vi est du 15 juin l'il)3 (Sylvestre de Sacy, Mé-
moire..., p. 'i73-'i, 521-
KIlis, Original letters, 3** séries, i, 54-8; —
fUnjal and kist. htter» uf Ifennj tv, p. i25-G . On doit rapporter k
la même é^ioque une série de lettres d'Henri iv, recommandant l'ar-
chevêque Jean au prêtre Jean, au roi de l'tiypre, au doge de Venise,
k l'empereur de Trêbijtonde, à reniper*eur Manut'l et an rui de Géorgie.
C-ea lettres furent emportées par rarclicvt^que de Sultsnieh quand il
n'tourna en Orient (ftoy. and hisl. ielten, p. 131-H|.
5. Clavijo, éd. de Madrid, 1782, p. 2fi.
392
BATAILLE DANCYRE.
deux conquérants raniraosité qu'ils nourrissaienl l'un contre
l'autro. C'étaient, à proprement parler, des défis bien plus
que des instniinents diploinatiques, et l'orgueil des deux
adversaires s'y donnait libre carrière *. A la suite de cette
correspondance, Tainerlan ouvrit la campagne au coramen-
cement du printemps de I i02 ; elle devait être décisive.
L'armée mongole envaliit l'Arménie turque, s'empara des
forteresses d'Ersendschan et de Koumah, puis marcha sur
Sivas et plus an sud sur Cf'sarén, pour tourner les défilés bien
défendus qui protégeaient la frontière ottomane, et pour des-
cendre dans la plaine d'Ancyredans le dessein d'assiéger cette
place (jue défendait Jacoub bey*.
Pondant ce temps, Bajaxet avait rassemblé une ai*mee
considérable ; les évaluations les plus basses en portent
l'effectif à quatre-vingt-dix mille hommes : peut-êti*c même
comptait-elle ceut vingt raille coinbattants. L'exagération des
chroniqueurs ne permet pas de préciser mieux le chiffre de*
troupes ottomanes^. A côté d'elles. Bajazct avait sous se*
ordres de forts conliugents européens, el notamment un corps
auxiliaire serbe, sous la conduite d'Etienne Lazarevich ;
mais les éléments dont se composait l'armée turque man-
quaient de cohésion, et c'étiiit une condition défavorable pour
aborder un ennemi potu* qui Tamerlan était presque un Dieu.
dont la discipline et l'armement étaient parfaits, dont le
nombre enlin n'était pas inférieur à celui des Ottomans. Le
conquérant mongol exerrait sur ses soldais un puissant ascen-
dant ; jamais il ne leur avait laissé le temps de se reposer,
1. Voir de Haminer, Hist. de Vemp. ottoman, n, 79-82,
2. Voir sur la bataille d'Ancyre les récits des historiens orinntauT
et grecs, ceux de Sanudo (Miiratori, xxu. 791 et suiv.|;du lieligieux ft^
Saint Denis (m, i6-5!): de Mnnstrelet (éd. Doiiet d'.Srcq, i, 84); d*»
Schiltberger (p. "3); de Juvéna! des Irsins ui. ^«23 . Nous avons suivi
le récit donné d'après ces sources par ïlertzberg (p. .î28-31|.
:t. Kinlay (ni, 4fll) fait remarquer qu'au dire des chroniqueurs, les
armées de Baja/.et et île Tamerlan étaient si nombreuses qu'il eût été
impossible de les nourrir pendant un jour sans avoir préparé, un mois
d'avance, des approvisionnements ii cliaque étape. — \.e continjrcnt
serbe, dans liinnée rie Bajazel, comptait cinq mille hommes au début
de la campa;,;ne, c'était le cbillre lixé par le traité entre la Serbie ot
l'empire ottiiman. Il faut niipjwser que, riepuis rouvorture îles tjosti-
lités, ce corps subit des pertes. ('onimt»nt eùt-il comprif* vingt mille
homme» à la bataille d'Ancyre, comme le veulent les chroniqueurs?
ïiKH OTTOMANR.
393
jamais la discipline ne s'éUùt rolâchèe. tout était réglé « à
< si grant ordonnance que toutes les neccessaii*es que il con-
< venoit à fournir l'ost il menoit avant soy» et de bestes
« si grant quantité que merveilles estoit. et par si bon
< ordre qu*il n'y avoit si petitn boste qui no portas! sa
« charge d'aucun fanlel, mesmes les chèvres et les mou-
* tons » '. Enfin U*s Mongols avaient foi en leur chef et
ne doutaient pas de la victoire.
Bajazet, au contraire, avait épuisé son armée par des mar-
ches forcées ; ni la solde ni les vivres n*étaient régulièrement
distribués: le fanatisme religieux, une des principales forces
des troupes ottomanes contre des adversaires chrétiens,
n^existait pas contre les Mongols, musulmans comme les
Turcs. On conseillait au sultan de traîner les choses en lon-
gueur, et d'éviter la rencontre; mais impatient de terminer
d'un seul coup la lutte par une bataille décisive, Hajazet
ne voulut nen entendre.
A peine les Ottomans s'approchèrcnt-ils de la plaine
d'Aucyre que Tamerlan leva le siège de la ville pour se ren-
fermer dans un camp retranché, dont la position empêchait
les Ottomans de s'approvisionner d'eau ; en même temps ses
agents cherchaient à détacher les troupes venant des pays
qui obéissaient â l'émir Seldjoucide, dépossédé par Bajazet,
H 1rs encourageaient à la défection. Le choc eut lieu le ven-
dredi ?l juillet 150:?, dans la plaine de Tschibukabad, au
nord-ouest d'Ancyre '.
L'armée ottomane était adossée à une colline ; son avant-
garde se composait de plusieurs milliers d'archers et de
quelques éléphants*. La ligne de bataille comprenait à l'aile
droite la cavalerie asiatique, commandée par le fils aîné du
sultan. Sniiman, et la cavalerie .serbe sous les ordres d'Etienne
Lazarevich, beau-frère de Bajazet; au centre le sultan, entouré
de ses trois plus jeunes fils, était û la tête des janissaires ;
l'aile gauche était formée des contingents euro[)éens. Les
1. /Jvre df$ faite, p. i, ch. xxxvi, p. 609.
2. Sylvestre de Saoy a déterminé cette date dans les Mémoire* de
VAvndémie des Inscrijttionn. IS22, t. vi, 408, — I-a bataille est généra-
iement nVputce avoir ét6 duimée le 2Ï ou Je 2H juillet.
3. L'emploi des éléphants fut fort remarqué en Ocoideiit. Monstrelet
M, 85) dit que bajazet nVn avait <\no. di\. tmiili-* rni<* Tiini»'i'lan ni nul
vingt-six en ligne,
1
394
BATAILLE I) ANCYRE.
réserves obéissaient à un des fils du sultan» Mohammed, et
aux généraux turcs les plus expérimentés. Du côté des Mon-
gols, les troupes étalent partagées en divisions nombreuses,
ayant à leur tête des princes de la famille de Tamerlan ; elles
formaient aussi deux lignes de bataille. L'aile droite de la
première était renforcée par les auxiliaires Turconiaiis ;
quatre-vingts régiments composaient le centre ; l'aile gauche
offrait une disposition analogue. Tamerlan avait pris le com-
mandement des réserves, fortes de quarante régiments.
L*actîon s'engage au point du jour ; elle semble d'abord
favorable aux armes ottomanes. Le mouvement des deux ailes
est bravement mené et réussit ; la cavalerie serbe surtout,
admirablement protégée par ses armures, fait beaucoup de
mal à l'ennemi. Dans In feu du combat» les Turcs se
laissent entraîner en avant, le sultan se rend compte du
danger que court son ai'mée d'être tournée par les Mongols:
mais, au lieu d'ordonner au centre d'appuyer le mouvement
des ailes, il fait reprendre à ces dernières leurs positions
primitives. Cette riMraite maniue le commencement de la
défaite ; les Mongols lu prennent pour une fuite, s'élancent
contre les Ottomans avec tant d'lmpétuosi(é que ceux-ci sont
incapables de leur résister. A ce moment, les contingents
Seldjoucidcs, cédant aux insinuatuins dns agents dr Tamerlan.
font défection et passent aux Mongols. La bataille était dès
lors perdue sans ressources; partout les Turcs sont dispersés
et massacrés en masse ; quelques-uns parviennent â battre en
retraite en bon ordre; piunii eux est Soliman, qui se replie
sur Brousse sous la protection des Serbes, et Mohammed qui
s'enfuit à l'ouest dans la région montagneuse. Hajazet, avec
ses dix mille janissaires, se battit en héros jusqu'à la tin ;
ce n'est que quand la nuit vint et que t»jut espoir fut perdu,
qu'il se décida à fuir. Il était trop tard ; son tils seul atteignit
la Caramanlo ; lui-même, avec son tils Musa et l'élite de ses
généraux, fut fait prisonnier et conduit devant Tamerlan.
L'armée turque était anéantie, l'ompire ottoman était.
comme son chef, â la merci du rnnquérant mongol ; une seule
Vtataille avait sntîi à renverser une puissance qui semblait
défior les coups de la fortune. Baja/et, prisonnier de Ta-
merlan. ne put obtenir d'étio mis <'n liberté et mournt captif
en HO.'î. Ses fils se divisèrent, sous la protection tyrannique
du vainqueur, les états paternels. Par les soins de Tamerlan.
PRISE DB SMYRIVE PAR LBA M0NÔ0L8.
395
l'antique doinination des émirs Seidjoucides fut rétablie en
Asie Mineure, et après la bataille d'Ancyre l'armée tartare,
partagée en quelques divisions isolées, employa la fin de la
campagne (HO?) à assurer la pacification et la conquête des
états du sultan '. Smyrue. la seule ville importante et furtifiôe
qui fut au pouvoir des Chrétiens sui* la côte asiatique, n'échappa
pas au sort commun. Tanierlan vint lui-même l'assiéger (fin
de 1102). Les chevaliors de Rhodes, dont elle était le boule-
vard en pays musulman, l^avaient entourée des défenses les
plus fortes ; elle avait résisté anx. efforts de Bajazet, elle
devait succomber â ceux de Tamerlan. Le siège fut long et
difficile ; la place, cependant, malgré le courage de ses dé-
fenseurs, tomba aux mains des Mongols (déc. 1402). Les
vainqueurs, après avoir répandu des loiTents de sang et
massacré les habitants sans pitié, la rasèrent et la détrui-
sirent complètement*. Co fut le dernier exploit des Tartares
en Asie Mineure; au printemps do n03, ils regagnèrent
Samarcande. Deux ans après. Taruerlan mourait au milieu
d'une expédition c-onti'e la Chine {!'i05). Cette mort, dit Tau-
teur du Livre des Faits, avec une grande perspirarilé, fut
heureuse pour la chrétienté, car « n'eust pas fait meilleur
« compaignie cellui Tamburlan aux Crestiens que avoit fait
« le Basât» se longuement oust vescu; car jà n'eust été saoul
« de conquérir terre. Mais Dieu, qui â toutes choses scet
« remédier, ne volt mie souffrir que son peuple crestien
< fust soubrats ne subjugué par les ennemis de sa vraye
« foy. Si lui envoya la mort, qui toute chose mondaine trait
• afin'. »
L'inter>'cntion do Tamerlan avait sauvé IVmpire de Cons-
tantinoplc et les intérêts chrétiens en Orient. Assurément.
1. Sanudo (Muratori, xxn, 798-800) rapporte des documents curieux
sur la conduite de Tamerlan après ta victoire et la ruine des états df.
Bajazot.
2. fioftio, DeiVUlùria deUa êacra rtUffiaM..,, w, 156-7. — Ouillaumo
do Munte avnit été charge^ en I3U8 de fortifier Smjrme ; fr. liuffillo
Patû/ato. prieur de Ilarletta, avait conduit des renforts et des appro-
visionnements dans la ville. Les historiens de l'ordre ont fixé la date
de la porte de Smyrne à l'année IUlt8, parce qu'ils croyaient que la
bataille d'Ancyre avait eu lieu cette annéo-Iâ; les suurccs arabcn.
récemment étudiées, ont depuis lors permis de rapporter la date de cet
évêniMiieiit militaire au 2t Juillet 1^02.
a. Livre de» fait», ji. i, rh, \XXVI, p. 60!l,
396
BATAILLE D ANCYRE.
l'empereur Manuel n*05ait espérer un pareil dénouement, et
quand il snt, au commencement de novembre 1402, la dé-
faite (le Bajazet, i! se hAta He quitter TOccidcnt, dont il ne
parvenait plus à émouvoir ia pi Lié. et do regagner ses étatjj.
désormais à l'abri du péril musulman. Châteaumorand n'avait
pas perdu de temps pour rentrer en France dès que sa pré-
sence n'avait plus été indispensable àConstantinoplo Ml pouvait
quitter rOrient sans crainte; les vaincus do Nicopolis et l'em-
pereur grec étaient vengés. C'était, pour l'empire de Cons-
tantin, un demi-siècle dévie.
t. Chàteauinôratvi était rentré en France en septembre 1402, comme
le prouve l'inventaire des joyaux du duc de Berry qui mentionne
divers objets rapportés d'Orient au duc par Châteaumorand. (V. Pu
justificatives n*" \.\0. Manuel quitta Paris le mardi 21 novembre P
Châteaumorand fut désigné pour raccompagner avec deux cenU
hommes d'armes {/ieli(fieux de'SaiiU Denis, m, ifi-ôl ; — J. des UrsiiiH.
M, 421). — I.a ri^publique de Venise annonça à l'empereur de Cons-
tanlinoplc la bataille d'Ancyre le 9 octobre l't02, en joignaiU à cette
nouvelle ses félicitations (Arch. de Venise, 5(îm. .Vm/*. xi.vi, f. 47 v-).
LIVRE V
M 0 D 0 N
4403-1408
LJVRK \
MODON
H03.1408
1^ rivalité de Gênes et de Venise fait l'objet du présent livre; pour la
retracer avec exactitude, l'étude des «ources génoises et vénitiennes
s'impoiie; c'est en les comparant entre elles, en les contrôlant par
les témoignages d'origine française ou chypriote que l'historien
arrivera à la vérité historique.
Nous avons eu déjà l'occasion d'apprécier la valeur des chroni-
queurs génois'. Les auteurs vénitiens nous fournissent de leur côté
(le précieux élément» d'infurtnatîon, permettant d'opjxïser aux griefs
des uns la justification do leurs adversaires. La vio des doges de
Marino Sanudo^, écrite par un auteur presque contemporain, qui a
eu à t>a disposition les archives de ta république et des chroniques
aujourd'hui perdues, est la source vénitienne la plus considérable.
1^ vie de Charles Zéno, qui commandait la flotte vénitienne h Modon,
1. Voirplus haut, p. 115-6. Aux chroniques déjà citées on peut ajouter
la Crcmaca di Gtnova d'Alexandre Salvago {éd. C. Desimoni. Genova,
1879, in-^i"), qui, bien que composée au commencement duxvi'iiècle,
résume en quelques lignes les témoignages des chroniqueurs génois
antérieurs.
3. Vitœ dueum Venetorum (421-1493), auctore Mariao Santtdo,
Ltonardi jilio (en italien dons Muratori. wii, :{9U-I252i.
4O0
SOURCES DU LIVRE CINQUIEME.
due à la plume de Jacques Zéno, neveu du grand capitaine*; — la
continuation d'André Dandolo (1383-1410) empruntée à la chronique
de Jean Bemboet contemporaine des faits qu'elle raconte', — et une
courte chronique anonyme', également contemporaine^ complètent
et éclairent le témoignage de Sanudo. Mais l'ensemble des ducu-
ments vénitiens exagère les événements au profit de Venise» et
excuse, de parti pris, le rôle peu honorable joué parla république
de Saint Marc.
Le Livre des faits*, à son tour, inspiré par un homme de guerre
français, étranger aux compétitions des deux républiques, mais
obli^ par suite des circonstances » épouser les querelles de l'une
d'elles, sert de contre-poids aux exagérations de celle-ci comme de
celle-là. A coup sur, l'amour propre du maréchal se trouva engagé
dans l'affaire, et Boucicaut, joué par Venise, laisse percer sa ran-
cune contre elle à chaque page, mais son dépit est tout personnel ;
peu lui iintx>rtent les récriminations et les haines génoises ou Téni-
tiennes; c'est un Français qui a, par nécessité politique, avec plus
de témérité que d'habileté diplomatique, cherché à exploiter en
faveur des intérêts génois, devenus les siens, une situation qu'il n'a
pas créée et qui ne le touche que fort peu. Son récit nest rien
moins qu'une apologie ; it ne vise ni à diminuer la part de respon-
sabilité qui lui incombe, ni à excuser l'imprévoyance politique dont
il a fait preuve ; on ne saurait donc tenir trop de compte d'un pareil
tëmoij-'nage. Au même titre, pour les événements dont Chypre fut le
théâtre, la chronique chypriote de Léonce Mâcheras ne devra pas
être négligée; on eût pu espérer plus de détails de la ]>art de
l'auteur, contemporain des faits qu'il raconte^ directement mêlé au
complot de Famagoustc, apparenté aux personnalités les plus mar-
quantes de l'ile de Chypre, et en situation de puiser les informations
les plus officielles aux archives de la chancellerie royale des Lu-
signans; mais, tel qu'il est, le récit de Mâcheras emprunte aux cir-
constances que nous venons de rappeler, et à sa simplicité même,
une grande valeur historique'.
C'est à l'aide de ces éléments divers, c'est plus encore grâce aax
1. Lavita di Carlo Zeno... scrt'Ua nel»ecoîoXVdaJacopoZeno,eic,..^
ouvrage souvent imprimé. Nous nous sommes servi de l'édition de
Venise, 1829, petit in-S".
2. Muratori, xii, 515-24.
3.' Crunacltetta veneziana dal \kD2 ai IMb. Ed. V. Juppi dans
VArchivio Veneto, xvn, parte ii (IByHj, 25 pages in-8«.
4. Sur le Livre des faits, voir ce que nous avons dit plus haut»
p, 212-3.
5. Chronique de Léonce Mâcheras (éd. Miller et Sathas, Paris, 1882,
2 vol. in-8«|.
SÔUUCES DU LrV'RE CINQUIEME.
4Ô1
pièces diplomatiques* que nous avons reconstitué les phases do
cette rivalité; les documents d'archives nous fournissent, à Gènes
comme à Venise, mais surtout à Venise, les renseignements les plus
complets; les négociations fort longues, auxquelles furent m^lés les
représentants des deux puissances, nous sont connues jour par jour,
et pour ainsi dire heure par heure. Klles sont contenuetj, à Venise,
dans les séries Scnato Secreii, Seitaio Misti, Commttnoriali, SyH'
dicati eX Patti ScioltO, dont l'une, celle des Commemoriaii, a été
récemment publiée pour la période qui nous occupe', tandis que
les autres ont fourni de nombreux documents aux recueils de
Sathas* et de Ljubic". Les archives génoises, au contraire, n'ont
donné lieu â aucune publication d'ensemble; nous avons truuvé à
Ciénos ce qui concernait l'histoire de ces négociations dans les séries
des Materie PotUiche et des Divertorum /tegistrï^; dans les extraits
de pièces aujourd'hui perdues recueillis par Koccatapliata'; et à
Paris dans les registres des LiOri Jurîunt ". Il nous a paru nécessaire
de ne prendre, dans ces documents fort nombreux, que ce qui
pouvait donner au lecteur la physionomie générale et les lignes
principales des pourparlers diplomatiques qui se sont continués
pendant plusieurs années ; autrement les dimensions de notre travail
eussent été doublées, sans intérêt pour le lecteur et au prix de
redites aussi inutiles que fastidieuses.
1. Les archives de Venise, en Tabsence de celles de Gènes, suf-
firaient seules â cette étude, gr&ce au soin que les plénipotentiaires
vénitiens ont toujours pris de transmettre au sénat les jtropositions
génoises avant de lui faire connaître les réponses qu'ils y avaient
faites.
2. Aux archives des Frari.
3. / libri commemoriati Uella republica dt Venezia, regesti (Venise,
t876-83, 3 vol. in-4«). Il im|>orte d'avertir le lecteur que dans cette
publication, pour conser\'er l'ordre chronologique, lu numérotation
donnée aux documents dans les registres originaux n'a pas été res-
ï)ectée. Nous avnna ici cité les documents d'après le recueil imprimé.
4. Sathas, hocumenU inédits relatifê à Vliiatoirt de Grécf ou moyen
àye (14l>0-130«). {Venise, 1880, 2 vol. in-S-.)
5. Sime Ljubic, Monumettia gpectantia historiam Stavorum mcri-
dionatium, t. v (Agram. 1875, in-8*|.
6. Aux archives d'Ktat à Gènes. Les archives de la banque de Saint
Georges ont été récemment réunies à ce dépét; c'est elles qui, à pro-
prement parler, forment pour cette époque les archives mêmes de la
république.
7. Bibliothèque Hrignole Sale à Gènes, ms. 108, D2.
8. Ces Liàri Juriiim, qui contiennent les pièces les plus impor-
tantes des archives génoises, ont, par suite de la conquête française
pendant la révolution, été apportés à l'aria et sont conservés au Mi-
nistère des Affaire» étrangères.
>i6
402
SOVRCES Dr LîVRE CINQUIEME.
Un document d'une autre nature, un mémoire analogue & ceux
auxquels nous avons eu maintes foi», dans les précédents livres,
occasion de recourir, nous a été dans celui-ci d'un grand secours;
c'est un traité composé par un Vénitien, Emmanuel Piloti, vers 1420 '.
L'auteur, négociant et fonctionnîiire de la république de Saint Marc,
apOttsé la plus grande partie de sa vio dans le Levant; il a connu,
par des témoins dignes de foi, les événements qu'il raconte et
wuvent même y a été directement mêlé ; aussi les a-t-il rappelés
afin d'appuyer par des faits les théories qu'il préconise pour re-
couvrer la Terre Sainte. Il n'entrait pas dans le cadre de notre
travail d'étudier l'originalité et la valeur do ce plan du conquête,
mais seulement de puiser à cette source les renseignements relatif
â la campagne du maréchal et à ses conséquences en Orient; sur ce
point, le témoignage de Piloti est de premier ordre.
Il nous reste à dire queUpics mots des ouvrages imprimés.
Nous avons déjà cité les ouvrages du comte de Mas Latrie
sur Chypre et sur les relations de l'Occident avec cette île et
avec le Levant'. Us sont, avec les histoires générales de GV^nes et
l'histoire de Venise de Homanin, la base de toute étude approfondie'
de cette période.
1. Traité d'Emmanuel Piloti sur le passage dans la Terre Sainte
(1420), édité par le baron de Reiffenberg à la suite du Chevalier
au Cygne, i, ai9-Uy (lînixelles, 184fi, in-4''). Ce volume forme le
tome IV des monuments pour servir à l'histoire de» provinces de
Namur, de llainaut et du Luxembourg.
2. Voir plus hatit^ page 1t3. Ils ont été résumés sous une forme
brève et exacte par K. Herquet, Cyprische KônigsgeHaiten de* ffavset
Lusignan, (Halle a. See, 1881, in-8»).
3. S. Romaniii, Storia dorumentnta dt Venetia (Venise, 1853, 10 vol.
in-8*).
Pendant que la chrétienté subissait â Nicopolis h désastre
dont nous avons raconté plus haut Jos principales phases, un
événement considérable avait profondéinent modifié la consti-
tution politique lie l'itah'e. Gènes s'était donnée â
France (4 novembre 1396), et Charles vi avait accepté un
accroissement d'autorité que tout lui commandait de refuser.
On sait les motifs qui avaient déterminé les Génois à se mettre
S0U3 la dépendance de la France. L'anarchie que les grandes
familles des Guarco, des Montaldo, des Fregoso et des Adomo
ne cessaient d'entretenir et qui ruinait le pays, les menées
de Jean Galéas Visconti, duc de Milan, dans un intérêt de
conquête personnelle, avaient rendu nécessaire une interven-
tion étrangère. Le doge Antoine Adorno la sollioita de
Charles vi et l'obtint. Quelque séduisante, quelque honorable
qu'elle pîit être, une pareille conquête, dans la situation inté-
rieure et extfTieuro oii se tixmvait le royaume, apparaissait
aux esprits les moins clairvoyants comme une source de diffi-
cultés sans nombre et d'embarras sans cesse renaissants.
Mais le roi et son entourage, dont la perspicacité politique
n'allait pas loin, furent aveuglés par l'éclat que la possession
de Gènos promettait de faire rejaillir sur la couronne de
France et entrèrent complètement dans les vues des Génois;
la Ligiu-ie fut déclarée province française.
Ou ne tarda pas à s'apercevoir de la faute qu'on avait com-
mise. Le doge Adomo. que Charles vi avait maintenu au
pouvoir en qualité de gouvenieur royal, devint, en peu de
teinp*», »n-Hp(ict â tout le monde, «t deux mois ne s'étaient
4Ô4
BOUCtCAUT OOUVERNEt'R DE OENES.
pas écoulés <^u'il deriiaiidait à être relevé de ses fonctions
(nov.-déc. 1396], Ni Walorau de Luxembourg, comte de
Saitit Pol, malgré dVxcelleiite.s mesures, ni Pierre Fresnel.
évèque do Meaux, un des néguciateurs du traité qui avait
livré Gênes â la France, ni Colard deCalleville ne réussirent
à faire respecter leur autorité et à calmer les (esprits (IHl)7-
131)8j. Ce dernier mémo fut chassé par les Génois, et l'anar-
chie devint absolue sous la dictature de Baptiste Boccanera
(i;i90-i'i0i].
La nécessité d'un gouverneur énergique sHmposait.
Charles vi désigna Boucicaut pour occuper ce poste. Les
hautes capacités uiilitain's du maréchal, la renommée uni-
verselle de bravoure chevaleresque qu'il s'était acquise avaient
attiré l'attention sur lui. On connaissait la rudesse intlexiblc
dont il avait déjà donné maintes preuves, et ou savait que
personne n'était plus ajite que lui à la charge qu'on lui desti-
nait. Charles vi, sans cette circonstance ({Ui força son choix,
n'eiU pas consenti à se priver des somces d'un pareil capi-
taine. Mais il comprit qu'il fallait donner aux nouveaux sujets
de la France un gouverneur dont l'éuergie fiH certaine et la
gloire incontestée'. Celle-ci était universelle, et les Géuoia
avaient, moins que personne, motif de l'ignorer. Sans cesse en
contact, par leurs colonies et leurs relations commerciales.
avec l'Orient, ils savaient la terreur que le nom do Boucicaut
jetait parmi les infidèles, et l'estime dans laquelle les souve-
rains d'Europe le tenaient. Eux-mêmes, au lendemain de
Nicopolis, avaient sollicité du roi de France la nomination
du maréchal au gouvernement de Gènes, persuadés que lui
seul aurait assez d'ascendant et de volonté pour commander
aux partis et réduire les factieux '.
Boucicaut, malgré L'état de la Ligurie et les dilUcultés qui
l'attendaient à Gènes, n'hésita pas â obéir â l'ordre du roi.
Depuis son retour de Constantinople, il écait resté inactif, et
la création d'un ordre de chevalerie destiné à la défense des
dames, dont il fut le chef, ne suffisait pas à l'activit*'! infati-
gable dont il était animé'. Il accepta la mission que lui con-
1. G. Stella. Annaiei Genuemes dans Muratori {xvil, 1187); —
Giustiniani, Animii deUa RepuhUca di (jcnoiut (éd. de IBM, u,
p. 219-20).
2. livre de» faites p. n, chap. v, p. 615-6.
3. L'ordre de la Dame Blanche à l'e$eu verd se composait de treUe
ENTsis DU MARÉCHAL A OÉNBS.
fiait Charles visans songer Ma responsabilité qu'il assumait;
flatté d'avoir été désigné par le vœu des Génois au choix du
roi, heureux surtout d'entrevoir de nouveaux combats â livrer
et de grands desseins à exécuter.
Le maréchal avait, avant tout, le tempérament du guer-
rier, Tamour des grands coups d'épée et la haine du Turc,
C^ dernier sentiment dominait, chez lui, tous les autres, et il
avait l'ospoir, comme gouverneur de Gènes, de lui donner
carrière. Les colonies n'éiaitnit elles pas la principal»* source
de la prospérité génoise, et les progrès des Ottomans ne les
menaçaient-ils pas? N'avait-on pas vu Péra trembler au
moment du desastre de Nicopolis ? Ne fallaif-il pas soutenir,
à tout prix, les établissements chi'étieas dans le Levant, sous
peine de ruiner le commerce de la nouvelle conquête du roi
de France^ Ne devait-on pas secourir C'mstantinople en fai-
sant de Péra le centre de la résistance? Dans ces dispositions
d'esprit, on pouvait être sur que Boucicaut ne laisserait
échapper aucune occasion rie guerroyer contre les infidèles,
et de venger les vaincus do Nicopolis.
Boucicaut fit son entrée solennelle à Gènes le 31 octobre
l'tOl, au ntilieu d'tui imposant appareil militaire et d'un
immense concours de peuple. L'attitude éuergiijue du maré-
chal, et surtout le nombre des gens d'armes' qui l'accompa-
gnaient, en imposèrent aux fauteurs de trouble; mais au
milieu des magnificences d'une réception otiicielle, perçait
déjà le désappointement des Génois qui s'apercevaient, trop
tard, qu'ils s'étaient donné un maître. Le maréchal inaugura
son administration par des actes sévères, mais justes. Le
premier fut un désarmement général; les habitants, étonnés
de la fermeté du nouveau gouverneur et contenus pur les
forces dont il disposait, l'exécutèrent sans murmure ; en même
temps le maréchal assurait, dans un discours public, les bons
citoyens qu'ils n'avaient rien à redout<?r du gouvernement du
roi de Krance. mais que toute tentative de traliison ou de
révolte serait réprimée avec lu plus rigoureuse sévérité^.
ehevalfers, qui s'étaient cn^agi^s à prendre la défense des dames et
demoiselles contre ceux qui leur faisaient tort à toute réquisition.
{livre dût faits, !, cliap. XAXVir et xv.wiir, p. 609-12.)
I. D'après les source» (^^noïses il était escorté de mille liommes
d'arme»! (Stella dans Muratori, xvn, 1187 ; — Giusliniaiii, ii, 220).
3. Livre de$ faii«, n, chsp. vi et vu, p. 61&-8.
406
nOlTlCAUT GOIVERNEUR DE GENES.
Enfin, pour nonfirraer sos pantlps, il faisait arrêter Boccanera
ot Franchi, deux cniu^inis du parti français, accusés d'usur-
pation et de robellJt>n, Ips faisait juger souimairement et
coodamuerà mort. Franchi parvînt à ti-omper la vigilance do
ses gardiens et à s'f^chappi'r, mais Boccanera fut exé»cuté ; sa
tète, pxposôQ au haut d'une pique, servit d'exemple et do
leçon â quiconque sctngeait à c-onspirer contre la dominatio»
française'.
Celte conduite rigoureuse eut les nioilleurs effets; les esprits
se calmèrent, et une suite d'excellentes mesures intérieui-es.
prises par Boucioaut, avec autant de prudence que de modé-
ration, acheva de lui gagner la confiance. Les lénioignage*»
ooiitemporaitis sont unanimes pom* reconnaître les qualitê>
dont il fit preuve; son désintéressement et sa probité, rem-
ploi religieusement exact des impôts aux travaux d'utilité
Iiiihliqiie, à la solde des troupes et à l'entretien des vaisseaux.
l'austérité de ses mœurs rirent l'admiration des Génois, qui
aimaient chez autrui les vertus qu'ils ne pratiquaient pas.
Ceux-ci, dans la crainte que Charles vi ne leur enlevât leur
gouverneur, députèrent en France deux d'enti'e eux, Domi-
nique Impériale et Cosme Tarïgo, pour demander au roi de le
iiumuiiT gouverneur à vie. La femme du maréchal, .\ntoineïte
de Turenne, appelée â Gênes par son mari, fut reçue avec
les plus gi-aiids honneurs, et la ville lui fit présent à son entri'*o
lie «ieux mille livres (5 juillet 1 'i02) ; enfin le gouverneur vit
ses gages élevés de huit mille cinq cents à dix-huit mille six
cent vingt-cinq livres*.
A l'intérieur, la cité fut réorganisée, les membres dos
conseils réélus, la garde des forts confiée aux Français, los
1. iji^re tien faits, n, rhai». vu, p. t>l7-H; — St<*lla (Muralcri, wn.
1187-8): — l. Ko^'liela, M. de 1585, f. 183; — <.;iustiniani, ii, 220.
2. Stella iMuratori, xvn, 1I91-2J: — Ciiutiniani, u, 226-7; — V. Fo-
gljeta, éd. do 1385, f. 1B3 V"; — livre des fails. u, chap. X, p. 620; —
A. Salvago, Cronaca dî Genova, p. 42. — L'unanimiié des jugements
portés par leti liistoriens génois contemporains sur Boucîcfiut mérite
d'être remarquée. Mlle est toute en faveur du maréclial. In seul his-
torien moderne, ('anale (Xuova ist. delta rep. di Genova n, 133^ a rejeté
l'opinion de seâ pr6d<Soessetirs et a cherché â expliquer par la crainte
l'appréciation favorable qu'ils avaient émise. Les arguments qu'il donne
ne résistent pas â la critique; s'il avait simplement fait observer que
leur jugement pouvait être taxé d'mi peu trop d'enthousiasme pour le
maréchal, ses réserves, réduites à ces limites, auraient pu se justifier.
I
I
I
SAGES MESURES PRISES PAR BOUCIC.VL'T.
fortifications réparées et augmoatèes de deux nouveaux châ-
teaux, l'un sur le port, raulri?îui milieu de ia ville ; on exigea
de («MIS les citoyens le serment de ridélitô au roi. Au dehors,
Uoucicaut êdîHa deux chîUeaux à Chiavai'î et à la Spczia et
s'occupa de faire rentrer dans robêissance les vassaux
révoltés de la république. Savone prAtn serment de fidélité
entre les mains de Pierre de la Viouville, lieutenant du ma-
réchal (29 juin liO?)*. Monaco fut repris à Louis de Gri-
nialdi, et la famille des Carrelo restitua le chAteau d'Arotia.
«Quatre galères, envoyées do Gênes, s'emparèrent de l'Ile
d'Ellie. De toutes parts se tirent sentir les effets d^m
gouvernement juste et énergique *.
C'est à ce moment que le mai'é-chal tourna son" attention
vers les colonies génoises. Elles étaient l'une des principales
forces de la république. Venise, qui les voyait se développer
et prospérer avec déplaisir et jalousie, n'attendait qu'une
occasion favorable pour les ruiner à son profit. Kaffa en
Crimée, les établissements de la mer d'Azov, Péra aux
jtortes de ConstJinlînople, Chios dans l'Archipel, Famagouste
en Chypre, faisaient au commerce vénitien une concurrence
n-doulable. Maintes fois déjà, au cours du xiv* siècle, les
dtMix républiques ennemies avaient pris les armes pour ruiner
leur infiuencc coloniale, sans parvenij* â se porter un coup
décisif, lîoucicaut comprit (pie sa politique devait tendre à
maiutuuir et â dévelopi>eir les colonies génoises. Son premier
1. Pierre de la Viezville, chambellan du duc de Toiiraine, dont nouh
trouvons la mention en 1390-91, (conduisit en 139'i avec Jean de Trye
et (îuillaume de itraquemont, dit Urafjuet, cent hommes d'armes et
cinquante archers on Italie sous le commandement du sire do Coury.
Kst-ce le môme personnage que Pierre do la Viczville, dit le Mais^rc,
chevalier? — Cedernier^de 1380à 1393, servit fréquemment en Picardie,
à Ardre» et à Douvres; en ^^\0, il était sous les ordres du duc de
ltour|,çogne et fut, nn 14li, chargé par ce dernier de conclure un traité
iralliance avec le rui d'Angle ter ru. Vers la mt^me époque il était che-
valier et chambellan du rui et capitaine de Gravelines; sa carrière
semble s'ôtre païuée en Picnrdie, Artois et Flandre, mais nous ne
sauriûiiH nflîrmer qu'il fùl le mAinf que h- lieutenant de Boucicaut
(Itibl. nat., cab. de» tilce», pièces originales, vol. 2989, au mot vu:c-
villk; — n. Vilipvieille, Trt'». t/énéui., xci, f. 107 v^l08; — Clairum-
bault, rUrcA ncellrH, c\n, 8787-95).
2. Stella (Muratori. xvn. 1190): — Giustiniani, n, 222; — V. Foglieta,
éd. do 1585, f. 183 v; - Livre des fait», u, ch. ix, p. 619-20.
408
BOUCICAUT GOUVERNEUR DK GB.NES.
soin fut d'envoyer visiter chacune d'elles et de se faire
exposer leur état'.
Déjà le maréchal, qui avait au phis haut degré la haine des
intidêles, avait toui'ué les yeux vers rOrieul. Avec plus
de ténacité que de prudence politique, il réglait sa conduite
sur ce sentiment. Venger, en faisant aux mécréants tout le
mal possible, l'échec subi par les barons chrétiens à Nico-
polîs et la captivité personniille qui en avait été pour lui la
conséquence, tel était h* projet dont son espnl ne se détA-
chait jamais. Ici sa rancune était d'accord avec les intérêts
génois ; persuadé qu'il fallait avant tout affaiblir Bajazet
dans sa marche triomphale, il avait fait ronrhire aux Génois
de Péra une alliance avec Tamerluii. Après la bataille d'Ancyre
(2\ juillet 1 10?)", après que l'invasion mongole se fut détour-
née de la Syrie vers la Mésftpotaniis les Génois, à Tiusli-
gation de leur gouverneur, ciinliiiuérent â s'attaquer aux
Sanasins de Syrie. Antoine di Guarco. capitaine de Fama-
gouste, et Jean Loinelîiui leur coururent sus sur tout le
littoral (le l'Asie Mineure, capturant loiu's navires et faisant
un riche butin; mais ces agressions, comme on devait s'y
attendre, amenèrent des représailles; les négociants gcnui:s
furL'ut retenus prisonniers par les Musulmans, et les dispo-
sitions des infidèles devinrent menaçante-s \
Pendant que ces événements mettaient le commerce de
Gènes en péril, les nouvelles de Chypre prenaient un carac-
tère d'extrême gravité. Le roi de Chypre. Janus, levant le
niasqut.' ', venait de mettre le siège devant Fainagouste.
centre de la domination génoise dans l'île. Eu outre, un
r(miplot. tramé contre les Génois à l'instigation du roi et
ayant pour but 4I0 délivrer Famagous1x>, avait été découveri
lortuitemeut par le gouverneur Antoine di Guarco (?6
mars l 'lO'ij, Le CDUtVvsnii' i\o ce tlfirnier, frère Guy Gai, était
l'âme de la conspiration, dans laquelle étaient entrés les
1. Livre det faits^ ir, chap. ix, p. 619-20.
2. (ilustinioin, n, 225-6; — Stella (Muratori, xvn, 1194-5).
3. Stella (Muratori, XVH, 1191); — ('.iiiKtinianl, u, 222.
4. IX's 1394 et 1395 des négociations pour recouvrer Raina^onste
avaient Mé entamées par les rois de Cliyprc, et \'pnise avait promis
un appui pécuniaire {Mas Latrie, Itonimrntu nottt^eaux jtrrvntit de
preuve* t\ l'histoire de l'tle de Chypre, p. 364-5).
COMPLOT DECOUVERT A KAMAOOUSTE.
partisans les plus dévoués do Janus'. Dix hommes, gagnés
au roi, devaient occuper la porte do Némosie (Limasol) ; une
rixo, qui éclata parmi les soldats qui la gardaient, fit croire à
l'un des conjurés, Thomas de Campofregoso, que ses amis
avaient agi avant l'heure, et, pris de peui\ il courut tout
avouer au capitaine. La répression ne se fit pas attendre;
dix conspirateurs furent mis â mort*. Antoine di Guai'co
demanda des secours à la métropute; Boucicaut se mit en
devoir de les lui envoyer sans retard.
Le roi de Chypre, .lanus, était un jeune homme de vingt
et un ans, fils de Jacques i et d'Héloïse de Brunswick; la
mort de son père l'avait appelé au trône en I3Î)8. Sa jeu-
nesse s'était passée à Gènes, mais en captivité. Jusqu'à la
mort du roi Pierre n (13 octobre 1382), les Génois avaient
tenu Jacques i dans une étroite prison ; à ce moment ils le
relfichèrerjt, non sans lui imposer uu ti'aité qui leur assurait
Famagoustc (tO février 1383) avec un rayon de deux milles
autour de la ville, et le port de Cérines, sur la côte septen-
trionale do lile. Toutes les provenances d'Egv'pte et de Syrie
devaient être débarquées à Famajurouste, toutes celh^s do la
rôte d'Asie Mineure à Cérines. Il ne restait aux Chypriotes
que Limasol ; encore Gènes avait-elle eu soin do réduire le
mouvement de ce port aux importations indispensables à l'Ile
en denrées et en bétail, ne permettant aux habitants que le
raliotage. En outi'e, Chypre avait été imposée â huit cent
mille ducats et Janus retenu en otage à GOnes.
Après im premier débarquement malheureux (juin 1383)
le roi Jacques dut rentrer â Gênes ; la chute de Pierre et do
Glirnot de Mnutolif. chefs d'une partie de la noblesse chy-
priote, rendit une seconde expédition possible; Jacques fut
acclamé (?4 avril 1385) â son déhari[uement,
Janus était toujours prisonnier; il ne fut relAché qu'en
I3UI et remis aux mains de l'amiral de Chypre, Pieire de
Cafrau, contre une rançon de cent vingt-cinq mille écus
1. Mâcheras (Chronûjue, u, :tâ7-9) cite parmi eux Simon de Montolif
et Georges Billy.
2. niustiniani. ii, 222-;î; — Stella (Muratori, xvri. liyi|; — V. Fo-
h'Iiela, M. de 158S, f. IK:i v. — Marheras* {Chroniquf, u, a57-9) donne
le chiffre île viti^t-liuil personnes tuées à la suite <ïe la «lécouverte du
l'oinplnl. Il y a lieu de prnndre en st^rien^se Cionsidé ration ce tcmoi-
(piage, qui ulTrc de grandes garantie» d'exactitude.
410
liOLClCAllT GOfVERNEUH DK GENKS.
d'or, payable dans les quarante jours de Tarrivée du jeune
prince dans Tile'. En môme temps, les exigences financières
des Génois n'avaient pas do bornes. Non contents du Irait**
imposé â Jacques i, et qui leur assui-ait d'importants avan-
tages commerciaux, ils exigeaient Texécution intégrale des
conventions du 19 février 1383. La dette du roi envers la
Mahone de Chypre" s'élevait alors à neuf cent ving1-cin(|
milita Horins, dont cent mille représentaient les frais du
premier débarquement\ On convint que, pour l'éteindre,
l'île payerait annuellement cinquante mille écus d'or, et un
impôt il'un 'dixième {dfcanatus) sur ftiutes les marchandîso:s
fui établi pour subvenir à cette obligation*.
La situation du royaume de Chypre, rjuand Janu» succéda
à son père^ n'était rien moins que florissante. La flotte
n'existait plus, le pays était tléchiré par les factions qui
se disputaient le pouvoir; les Génois, maîtres de Famagouste
et de Cérities, tenaient tout le commeive entre leurs mains,
et les finances royales ne pouvaient suffire aux conditions
p^'cuniaires qu'ils avaient imposées. On comprend aisément
que .lanus ait chi-rché à secouer le joufî des Génois et à
les rejeter hurs de l'île. Il payait assez cher l'appui qu'ils
avaient donné â son père pour l'aidor à reconquérir sa cou-
ronne, et leur conduite justifiait en quelque sorte* la sienne.
On ne saurait lui reprocher, avec rainerturae qu'ont montrée
les histoneus génois, l'oubli des bienfaits de la république et
l'ingratitude envers la ville dans laquelle il avait été élevé.
Lui-même, du reste, au dire des chroni<iueurs contemporains,
loin de nior ces bienfaits, se faisait gloire de l'éducation
rerue et des sentiments puisés à pareille source, < Les
« Génois, disait-il. ont l'âme lière ; il faut à leur ardeur ot
« à leur activité un aliment toujours nouveau ; aussi émi-
« grent-ils pour conquérir à leur patrie de nouveaux terrî-
« toires. Ainsi aî-je fait moi-même; roi de Chypre, je veux
« la grandeur de mon pays, comme les Génois veulent celle
1. Mas Latrie, Hist. de Chypre, n, 42i.
2. On entendait par ce nom une sorte «le sociétt^ par actions, dont le
capital avait été formé dans un but déterminé, et dont les bênéticets
devaient Mre partaf^és entre tes actionnaires. Cds associations étaient
très en faveur à Gftnos.
:t, Mas Ijilrie. Hist. de Cht/ftre. il, U2.
■"i. Hertjuet, Cyprixrhr K'iniijntji'giaUen^ p. a5-6.
ENVOI U'UNK ESCADRE GENOISE EN CHYPRE. 411
< du leur. J'aurais mal profité de leurs leçons si je no
€ songeais à conquérir une ville, voisine do mes etab*»
« fond(''e par mes anc<>tres. clef de luoii royaume » *.
Jaiius éUit résolu à mener les choses vigoureusement ;
pourparlers et remontrances furent inutiles ; il avait sous
ses ordres six mille hommes de troupes environ et à sa solde
quelques vaisseaux catalans. 11 déclara qu'il ne lèverait le
siège que sa barbe ne fût devenue blanche*.
La situation était grave pour Gt^nes. En présence de la
fidélité douteuse d'Antoine di Guarco, le maréchal envoya,
dès le 30 janvier li03, Miliaduce Palavioini à FamagousU^
pour y remplafcr le capitaine. Palavicini, passant à Venise
pour gagner son poste, avait onire de mettiv les Vénitiens
en garde contre les agissements de Guarco, qui semblait
vmiloir s'emparer de Chypre pour son propre compte, et do
prier la répiihliqui? de Saint Marc do suspendre tous rapports
commerciaux avec lui et avec Tile'. En même temps, Bon-
cicaut se hAtait de secourir la garnison de Famagouste.
Trois galères partirent de Gènes au mois d'août I \0'2 sous
les oi'dres de frère Antoine do Grimaldi, commandeur de
Gènes, de Tordre de rH(5piial. Dès qu'elles furent en vue
do Famagouste, Tarnièe de Janus se dispersa, lui-même
s'enfuit, el les Catalans effrayés coulèrent à fond les treize
navii'es qu'ils avaient mis au service du roi. Le siège était
levé sans condiat; Grimaldi put s'établir dans l'île avec les
renforts qu'il amenait \ Il y mourut de maladie l'année
suivante*.
1. Giustîniaiii, n, r-'3-i; — Stella (Muratori, xvn, lli»!); — l". Fo-
gliela. éd. ilo 1585. f. 1H4 r*.
2. Kcirquel, Ci/pr. Kônitjs'jestaU^n, p. 37; — Stella ( Muratorî , wil^
1191); — Giustiniani, \\,'ll'S: — \\ Foglieta, éd. de 1585, f. 183 v«.
3. Aprli. de VeiiiHO, Sen. Serr., i» 50 v et 84 v»-».*! v. — Venise ré-
pundjtaii gouverneur de G^neK^aprèftledèpartiU' l'alavicini (martt 1402),
que si les TiénniH ne pouvaient s'entendre avec Guarco, elle em-
pâdierait se» nationaux d'aller :i Famagouste, mais que Chypre tétait
un point d'une ex1n''nieimfx>r(.')uce pour son cx>mmerce et qu'il faudrait
((u'elle rlioîstt un autre jHjrt de l'ile.
4. Stella (Muratori, xvn, ll95i; — Giuhiiniani, n, 224;— L*. Foglieta,
éd. de 1585, f. iH'i.
fi. Nous ne connaiisons pas la date exairte de aa mort. Nous savona
hniilement que wm niircenvur à la cornniandcrie de Saint J^an dtt
Gène!', frcre FrMt'rii' Malahpina, fu! iiuiuuu' le 26 luurs Ii03 ^An-li.dv
Malle, Heg. ttuU. Mag., î.vu, f. 136).
CHAPITRE II.
PREMIKRES DIFFICULTES ENTRE OEXES ET VEXJSE.
Les progrôs que la ilomiiiatioti génoise n'avait cessé (ie
faire à Chypre s*élaient traduits pour V^enisc par une diiiii-
nution d'iniluence et d'aclivité commerciale, qu'elle ne sup-
portait pas sans rancune ni sans tl»*sir de reconqiit'^rir sa
suprématie. II est naturel, dans ces circonstances, que les
Vénitiens aient été les conseillers de Janus. et rjue ce prince
ait recherché leur appui pour combattre les Génois. Aussi.
dès le commencement des hostilités, le bruit courut-il a
Chypre que Venise encourageait la prise d'armes du roi par
des secours d'hommes, de munitions et de navires. Le maré-
chal, à la première nouvelle de ces bruits, avait envoyé à
Venise Antoine di Mollodo, notaire du gouvernement génois,
se plaindre d'une pareille c*vndui(e et demander des explica-
tions. Lo sénat (5 juillet 1 iû?) répondit au représentant du ma-
réchal en se disculpant d'avoir fourni aucun appui ;'» Jamis»
et d'avoir jamais dû armer des vaisseaux pour transportex
en Chypre des soldats ou dos secours. Noos n'avons pas,
il est vrai. <li3ait-il. interrompu nos relations commerciales
avec cette ile et avec Rhodes; les ambassadeurs de Janus,
de retour do Lombanlie, ont pris passage à Itord d*un de
nos hAtlments avec quidquos clievaux et quelques armes don-
nés par ntnus au roi ; un autre cheval a été envoyé à un do
nos compatriotes résidant à Chypre, Ce même bâtiment con-
tenait encore deux cents bancs tle rameurs, deux bombardes,
quelques balislcs et < viretons », pris dans notre arsenal à l.i
demande du grand-maître de Rhodes ' : mais notre dessein
1. La di^libération du sénat autorisant la demai)dt> du jurand-inaîtro
e»t du 27 mai I'i02 (Satlias, Oocum. inrdiit, ii, 81).
RELATIONS TENDrES ENTRE (lENES ET VENISE.
413
I
n'était pas de favoriser La rébellion du roi. Ces explications
fuivnt (Jonnéos â l'ambassadeur génois, en même temps qu'un
refus motivé d'armor un plus grand nLHubrti de gal+res poui"
défendre l'empiro d'Orient ot de fournir û Teiupereur Manuel
des blés provenant des colonies vénitiennes du Levant ;
elles étaient conciliantes et idcines de franchise', mais
il élail facile de prévoir «juc la divergence des intérêts ne
lanleruit pas à faire naiCre t'auUigonisme des deux puissances
rivales.
Les relations, en effet, entre Gènes et Venise s'aigrirent
bientôt ; â peine cette dernière avait-elle répondu aux expli-
cations demandées par Moltedo qu'un fiiit nouveau (10 août
liO?j se produisait. Un navin* ^^éudis avait relâché à Modon
au retour de Constanlinople ; des gens d'armes français, des-
cHïdus ii terre, s'étaient pris de querelle avec des mercenaires
â la solde de Venise ; François Foscarini, qui était sur le
vaisseau génois, avait quitté Modon en raenavant les Vénitiens
de leur nuire en toute occasion. Si ces menaces étaient in-
convenantes, il est juste de dli-e qu'elles avaient été provo-
quées par l'attitude des mercenaires. Pour éviter d'envenimer
un incident sans conséquence, la prudence consiùllait au sénat
d'écrire au mari'chal et au capitaine des gens d'armes afin
d'apaiser leur courroux, mais une proposition en ce sens fut
rejetée'. Ce refus montre bien l'état des esprits à Venise.
Deux mois plus tard, quand on sut que l'expédition d'Antoine
de Grimaldi avait lésé les intérêts de citoyens vénitirns. que
plusieurs de leurs navires avaient été iurétés, l'opinion pu-
blique ne connut plus de mesure. Le sénat ordonna d'urgence
l'anuement de navires légers en aussi grand nombre que
possible, défendît au commerce véiùtien d'expédier des bâti-
ments â Chios et à Mitylène en raison des dangers qu'ils
auraient ;'i courir', et envoya, en même temps, un ambas-
sadeur û Gênes demander au gouverneur les motifs du celtu
digression *.
1. Anh. de Venise. Sen. MUli, XLVi, f. 33v<>-4. V. Pièces justifica-
tives n" .\xiv. V. aussi les délibération!» du 29 décembre 1402, dans les-
quelles CK'X incident est rapporté. Ce sont elles qui donnent le nom de
l'envoyé de Boucicaut {Sen. Secr., i, f. 8'i v*^ v*j.
2. Arch. do Venise. Sen. Mùtt, xlvi, f. 36 v".
3. 2i novembre 1W2 {Sen. Seer., i, f. 79).
4. 14 octobre 1402 (5m. Mistit xlvi, f. 48 v«-9).
414 PREMIKRKS DtFFICtLTES ENTBR GKNES ET VENISE
Le roi de Chypre» sur ces entrefaites, par l'intermédiaire
de Boti ambassadeur Perriu, insistait vivement auprès de la
république de Saint Marc pour obtenir l'appui et les conseils
(lo cetto dernière. Ceux-ci étaient plus faciles à donner que
celui-là. Elle conseilla (12 décembre H02) à Perrin d'aller
voir la duchesse de Milan, de lui exposer Tétat du royaume
de Chypre, et de la décider, à cause des liens de proche
parenté qui l'unissaient au roi '. à intervenir auprès des
Génois eu faveui* de Janus ; puis, sans tarder, de gagner
Gênes et d'y justifier la conduite du roi, son maître, devjiDt
le conseil di^s Anciens, en exposant qne, si Janus avait
attaqué Famagouste, c'était parce qu'elle était aux mains
d'Antoine di Guarco contre la volonté des Génois, et |)arce
que Guarco ruinait Vile. Le gouvernement génois, asseas
divisé sur la question chypriote, devait, dans l'opiniou des
Vénitiens, avant d'entamer une guerre, tenir compte des frais
et des hasards qu'elle entralneraii ; plusieurs même des prin-
cipaux citoyens de Gênes avaient personnellement inti'rét à
ménager le roi de Chypre. Il était donc probable que les
projets d'accommodement présentés par Perrin ne seraient
pas repoussés '.
L'ambassadeur cliypriote se hâta de suivre l'avis du sénat
et de partir pour Milan; quelques jours plus tard, il revint â
Venise (*^2 décembre) ; on l'engagea vivement à aller à Gènes,
et, en excusant .ïaniis auprès des Génois, à ne pas se départir
de la morlération nécessaire à un arrangement pacitique.
Perrin ne trouva sans doute pas à Gènes l'accueil qu'il espé-
rait et que les Vénitiens lui avaient laissé entrevoir. Le
maréchal et le conseil des Anciens, sûrs de leur force, lui
firent sentir que Chypre était à leur merci. Aussi écrivit-il,
avec imo nouvelle insistance, à la république de Venise
(2 janvier I i03) pom* solliciter son appui. Il allait jusqu'à
dire qu'il était autorisé A engager les biens et les possessions
du roi, et que celui-ci donnerait plut/>t Chypre â Venise que
de la laisser prendre aux Génois. Quelque tentantes que
1. Catherine VtBConti, ducliesse de Mîlan, éUît steur de Valonllnff
Visconti, veuve de Pierre n, roi de Chypre.
2. 12 décembre 1402 {Sen. Secr., l, f. 83). — Mas Lalrie {fiiti. Ut
Chypre, n, 459-60) a publié la partie principale de rette déUbéraUon,
mais il la date à tort île UOl.
EhîVOt D VPï AMUASSADElTl VKNITIEN A GKNES.
fussent ces ouvertures, Venise eut la prudence de les
décliner V
Il lui convenait peu, en effet, de courir dos aventures aussi
téméraires, quel([ue prolit quelle dût trouver à détourner à
son avantage tout le commerce de l'île de Chypre ; elle pré-
féra rester dans uno saj^e rosen^e ol attendre, pour décider
la conduite qu'elle tiendrait, le cours des événements et
l'issue des négociations entamées à Gènes.
L'envoi d'un ambassadeur vénitien auprès du maréchal,
décidé dés le 1 4 octobre I Î02, avaitété difféiv pour permettre
à Venise, comme à Gènes, de recevoir les rapports officiels
do leurs agents sur les faits en litige. Le 12 décembre U02,
Zacharie ïrévisan fut désigné pour cette mission ; il rerut
ses instructions le 19 du même mois, et se mit en route sans
rotard.
Trévisan était chargé d'exposer les réclamations des Véni-
tiens. Ellos portaient sur la capture, dans les eaux de Chypre
en septembre 1 iO?, par Antoine de Grimaldi. chef des galères
génoises, de quelques biUiments vénitiens, et sur la vente do
leurs cargaisons ordonnée par co capitaine'. Le préjudice
causé de la sorte un commerce de Venise était estimé à dix
mille ducats, dont Trévisan devait demander lo rembour-
sement. En s'en tenant, dans toutes les négociations, aux
termes de la paix de Turin (1^81) qui régissait les rapports
entre les deux puissances *, Trévisan avait ordre de ne pas
laisser ses adversaires argiun*. pour gagner du temps, de
l'absence des rapports officiels émanés des agents génois
à Chypre, et de faire observer qu'une pareille excuse était
peu vraisemblable puisque Venise était bien eu possession
des documents relatifs aux niéraes faits. Il devait insister
pour obtenir une réponse prompte et explicite. En aucun cas
il ne pouvait être question d'une renonciation, de la ]mrt des
Vénitiens, à secourir Jauus dans l'avenir et à envoyer des
1. 32 décembre 1402 (Sen. Swr., i, 83 v*). — 2 janvier 1403 {Sm.
Secr., I, 86j.
2. Tous les détails relatifs à ces faits sont exposés dans les instruc-
tions do Trévisan. V. Pièces justificatives, n» xxv.
3. On avait donn*^ à l'ainbasso rieur, avant scni rl^part de Venise,
une copie du toxto do la paix de Turin, et deit dépositiuntt des patrons
arrêtés, afin qu'il pût discuter, pièces en main, les prétentions dus
Génois.
416 PREMIERES DlFFlCt'LTKS ENTRE GENES ET VEKlSB.
navires à Chypre. Trévisan était autorisé à dire qu'une pa-
i^ille prétejitiou n'était pas prévui' 4ans les instructions qu'il
avait reçues, et qu'elle lui semblait personnellement d'une
gravité exceptionnelle. Il ne devait pas manquer de rappeler
au uiaK'clial K; préjudice causé au commerce vénitien en
Syrie par les incursions de la galère génoise de Famagouste
conti*e les infidèles '. et de lui demander ses bons offices pour
faire restituer plusieurs sommes dues en Chypre à des négo-
ciants vénitiens*.
Les réclamations de Venise étaient justes; Boucicaut le
savait, et avait le plus grand intérêt â s'assurer la neutralité
de cette puissance. Aussi, avant même d'avoir entendu Tré-
visan, avait-il envoyé un ambassadeur à la république pour
expliquer ;iu sénat la conduite îles Génois. Si Gènes, disait
l'envoyé génois, a déclaré la gueire au roi de Chypre, c'est
pour le punir de s'être montré iugrat envers elle, et de l'avoir
attaquée par terre et pnr mer, au mépris des bienfaits dont
Jacques i et Jauus ont été comblés par elle. Elle a été chai'uiée
d'apprendre par Moltedo' que les Vénitiens ne donneront ni
secours, ni euconragement à Jauus, et les supplie de persé-
vérer dans coite résolution.
La république de Saint Marc répondit à ces protestations
le 39 décembre. Au premier point, elle répliqua que le vrai
motif du roi de Chypre, en prenant les armes, n'était pas
d'attaquer les Génois, mais Antoine di Guai'co qui avait saisi
îe pouvoir, refusait de livrer Famagouste au capitaine envoyé
de Gènes, et arjiïait des navires en course. Quant an second
point, elle renouvela la réponse qu'elle avait jadis faite à
Moltedo, mais maintint l'obligation pour ses navires do tou-
cher à Chypre dans l'intérêt de son commerce. Elle ajoutai
que, contrairement à tous tes usages, ses vaisseaux avaient
été airètés et capturés, qu'on avait saisi et vendu les cargai-
1. Voir plus haut, page 408.
2. Quatrr; mille ducats à Pierre llragadin, Barbon Moroaini et son
fWirc; deux oorits ducat.s revenant à .Morosini de rh<^ritage de Richard
de Koligno. V. Pièces justificatives, ti^xw. — Une partie du sénat
avait proposé, au cas où Gènes refuserait tout ncrommodement, de
s'en tenir à la lettre du traité de Turin, et de demander la nomination
d'arbitres. Cette motion ne semble pas avoir été adoptée.
3. La réponse de Venise â Moltedo est du 5 juillet 1402. V. plus
haut, page 412.
NEGOCIATIONS Ilfi^itLÎKKES A tiiùNEs.
soiis comme si elle eût été en guerre avec les Génois, et
qu'elle venait d'envoyer un araljassadeur à Gènes demander
n'-paration du préjudice causé. Enfin, elle déclarait qu'elle ne
croyait pas pouvoir aliéner par une promesse sa liberté
d'action, tout en protestant éuer^^iriuement do son désir de
maintenir la paix de Tarin '.
l>e toutes parts l'opinion pulïlîqiie était favorable aux Vé-
nitiens. François de Carrare, dno de Padoue, très écouté de
Rouricaut, avait proposé s(ui intervention'; reinporeur Ma-
nuel avait fail iMie otlre analogue, et Ja républiiiue de Venise
s'était liAtée d'accepter cette médiation'. Knfin, à Chypre, la
situation était toujours grave ; le roi avait repris le .sièpe de
Famagousle ; afin de oouper coiu't à toute tentative nUérieure
de la pan de Janus. nrie expédition considérable devenait
DÔc-essaire •, Pour tous ces motifs, et surtout pour n'avoir
pas contre lui les Vénitiens dans le cas d'une rampa^e
contre Chypre, Boucicaut accueillit les ouvertures de Tré-
visau, et îles négociations régulières s'ouvrirent à Gènes.
Elles durèrent pi'ndant t))ut le mois de janvier HOS ;
chacun disputait pied à pied les intérêts de son gouverne-
ment. Les Génois acceptèrent l'indemnité demandée pour un
dos navires*; ils admettaient également le principe d'une
réparation due aux citoyens de Venise^ pour les marchandises
et les vaisseaux saisis, et chargeaient deux des Anciens de
Gênes d'en fixer le chiffre*; quant au navire de Thadèe
Betiedetto', ils offraient de le restituer dans l'état où il
était, et de ne faire porter l'indemnité qu'on leur réclamait
que sur la cargaison, mais ils refusaient absolument toute com-
i. 29 décembre 1402 [Sen. Seer.^ i, 84 v«-5 v). Ce registre des déli-
hératioris nous a conserva les divers jjrojeU de réponse pmitos/'.H nu
stMiat; il y a, itiûmc dans ceux qui ne furent pas adoplûs, des détails
précieux q noter, dont nous avons proflté.
2. 2 janvier l'i03 [Sen. Secr., i, f. 86).
3. 31 janvier i'ioa. Rf^ponse de Vcni«e aux ambassadeurs de l'em-
pereur -Manuel [Sen. Secr., i, 86).
'i. Giustiniani, u, 228; — V. Koglictn, éd. do 1585, f. 184 v.
5. Celui de Lucas l^ngo, capturé le 'J septembre l'iO'i aux snlines
do Chypre. V. Pièces justificatives, n«»xxv.
6. Léonard ot Raphaél de' (ïentili.
7. Capturé, le 7 septembre 1^*02, aux «aline» de Chypre. V. V\i*cp»
Justificatives, n« wv.
»
418 rKEMikaES DIFFICtXTKS ENTRE GENES ET VENISE,
peitsation pour les grîphées ^ qui, disaient-ils, avaiout «U^
envoyées à Chypre malgn'i les promesses des Vi^nitiens de
cesser tout commerce avec l'île {S février 1503). Venise uo
voulut pas accepter ces propositions. Elle fit observer par Trê-
visan quf» les estimations vénitiennes éuùont en dessous de la
vérité, qu'elles devaient être prises comme bases, et (ju'il n'y
avait pas lieu de les discuter comme le demandaient les Génoî».
Elle maintint aussi Pindeinnité (|u'"dle avait à re(.'evt»ir pour le
navire de Thadéc Benrdotto, ne pouvant accepter qu'on 1<»
lui rendît sans compensation, quand les Génois ravaionl â
dessein démàtê et mis hors de sen'ice; enfin elle insista pour
que les griphées fussent comprises dans rindemnilé, puis-
qu'elles avaient été amenées de force au thàleau du roî^ cl que
jamais les promesses dont se prévalaient les Génois n'avaient
été faites *.
Los négociations se contimièrent en mars; à cett« époque
(5 mars l'iO.T), Venise venait d'apprendre qu'une coche* vé-
nitienne avait, le ;^"l novembre 140'^, été capturée par disme
de Grimaldi et Antoine Gentil, capitaines de deux galères gé-
noises, et qu'ils avaient saisi la cargaison*; elle s'empi-essa
d'informer Trévisan de ce fait pour faire ajouter ce fîrief à
ceux dont elle demandait la réparation '.
Cette prétention nouvelle, que Gènes refusa d'admettre*,
fit ti'ainer h^s pourparlers eu loiïgueur. Les Vénitiens per-
dirent patience et doimèrent à leur agent (fl a^Til I Ut3)
l'ordre de quitter Gènes si satisfaction ne lui était pa«
1. La griphéc ('tait un petit navire, correspondant au bAtimeni
généralement connu sous le nom de brigantîn. Ces gripliées furr«nt
capturées le U septembre 1 ''lO'i, et conduites à Famagouste par Grimaldi.
^V. Pièces Justificatives, n°xxv).
2. 8 fi.Wrior U03 (Sen. Secr., i. f. 87).
U. On di^nnait ce nom à une barque aux extrémités très releva
portant une voile carrée au railiou et trois bandes de ris, La cool
capturée (patron François Pampariu) allait do Chypre à Beyroutli,
avait M: Uncée Je rtdîU'her à Rhodes à cause du ^ri's tymps.
4. Procès-verbal fut dressé par les autorités de Rtiodes» énumcrant
les objets qui composaient la cargaison, et le défaut des capitaines
génois, le 4 di^cembre 1402 {CotnmemoiitUi, m, n" 253, p. 290).
5. 5 mars 1403 {Sen. Secr., i, f. UO).
6. 4 avril 1403 {Sph. Serr., i, f. 95). — Proposition de lA>napd <'-flni-
vellii pejeli^e ((»» ilialectc v(''nitieii».
ArcORD ENTRE LES DEl'X priSSANCKS-
accordêo, et. en prenant coQgê du gouveruemcut gt^nois, de
lui faii'e voir les conséquences do sa conduiteV
QueUiuos jours après, rontre-ordrn était donné à Trévisan
Ï20 avril 1103). Vonise lui enjoignait de rester trois jours
de plus â Gônes^ afin de recevoir les documents concernant
de nouveaux dmnmMges cnusés aux négociants vénitiens à
Tripoli, et de tàclior d'en oblcnir réparation*. Cotte prolon-
gation était le présage d'intentions conciliantes. Le 27 avril
Trévisan quittait définitivement Gènes; d'accord avec le
consoil des Ancii'os sur les dommages et intérêts :i payer aux
Vénitiens pour le préjudice souffert dans les eaux de Khodes
et de Chypre, il portait au doge une letti*e de Pierre do la
Vieuville. (a* dcrninr reniplarait le gouverneur, parti en
expédition contre Janus, et énuméniit. dans sa lettre, les
propositions d*ind*'ninité auxquelles les Génois avaient
consenti \
La république de Saint Marc, en protestant de son désir
1. 9 avril l'iOn [Seu. Secr., i, 97). Lps moindres points sont prérîs^s
ilaiiB ceH instructions, t.a délibération fut longue, et toutes les expres-
HJons pour ainsi diro posées dans des aiuendcinents {Sen, Secr., r, 98).
2. 2i) avril l'iO:) {Scn. Sea\, i, 76 v").
3. Arcfi. de \ enisc {Commemonah\ ni, n" 2ti2. p. 292). Voici le détail
de ces pn»positions:
1" Bâtiment (l'A. Mïchiel.
Pour* 50 000 livres de potasse:
20 iUtinient de Tliadée Benedetto.
Pour 1 200 livre» de poivre:
Pour 300 — de gingembre :
Pour 900 — de poivre:
Pour 4 mesures de cannelle en poudre:
3» Biifiment de Mondiuo Bonaccorsi.
l'onr 30 caisses de sucre;
f*" Indemnitf^s à troi» navires retenus dan» 1p
jKirt de Famagoiiste :
50 KectificalionH, etc. :
fi» lïàtmient de Kranraîs Pampano :
7» La valeur du bfttimenl de Thadée Benedetto sera estimée par
le capitaine génois et le haile vénitien 11 Nicosie.
Il est aancz difticilc d'estimer cxactcmont le poids des ctrgftisuns;
le document italien parle de mvjliaia et de venlinaia^ me.surt>.s de
poids dont l'évaluatiori n'a rien do fixe. Nous les avons considérées
comme l'équivalent de poids de 100 et de 1000 livres. Le-i mesurei
{cnntara) de canelle ne sont pas plus préciiiCâ; en Tu»c;iiie elles
correspondaient À 50 livres, à OAncs à 150 livres, l\ Xaplesii 250 livres.
272 florins.
1fi8 —
m —
12ft —
128 —
700 —
300 —
7^ -
1000 -
420 PREMIÈRES DIFKICULTKS ENTRE GENES ET VENISE.
tlo vivre en bonne union et en paix profonde avec les Génois,
accepta (5 mai 1403) les chiffres posés par eux, et le paie-
ment des indemnités au premier septembre 1403*. Pierre
de la Vieuville (22 mai)' s^erapressa de remercier le doge de
cette acceptation qui terminait le litige, en l'assurant que
Gênes mettrait toute diligence à payer les sommes dues, et
s'efforcerait d'éviter le retour d'inconvénients semblables à
ceux dont Venise avait eu à se plaindre'.
1. 5 mai 1403 {Sert. Secr., i. f. 101). Venise donna en même temps
ordre à son agent à Chypre d'estimer, de concert avec le représentant
de Gènes, le bâtiment de Thadée Benedetto.
2. Voir plus haut, page 407.
3. 22 mai 1403. (Commemorialty m, n« 263, p. 292.)
(Quoique les négociations que nous venons de retracer
n'aient étô terminées qu'au mois )!e mai 1103, cependant,
(lès le mois de mars, à considérer le tour qu'elles avaient
pris, il était facile de prévoir qu'elles aboutiraient. Cette
perspective avait permis au maré<*fial de quitter Gènes sans
attendre un arrangement dértnilit", et de faire voile vers
f'hvprc. n partit, le 4 avril HOS, avec le gros de sa flfttte,
laissant à (îèiies, pour le représenter, Pierre de la Vieuville.
qui était en mt'-mt' ti'iaps podestat de la cité' et réunissait
ainsi en sa pei'sonne le pouvoir central et Tautorité lunni-
eipale.
La flotte génoise comprenait en tout neuf galères, sept
navires de transport et deux auti'ps gros bâtiments. Sur les
navires de transport avaient pris passage six cents lances à
deux hommes par lance et six cents chevaux; les deux autres
navin^s contenaient sept cents hommes do pied; une autre
galère, année ultérieurement, rejoignit l'escadre à Fuma-
gouste le lï) mai. La galère du maréchal, outre la bannière
lie Houcicaut. portait celles do Notre Dame, <le Saint Laurent
el de Saint Georges; l'élite' de la noblesse française faisait
la principale force de rexpéditiou'.
1. Stella, (Muralori wii, II97Ï; — Giusiiniani, u, 238; — l,e Livre
Heu fait» II, chap. \i, p. 620) dit qu'il partit le 3 avril.
2. On vRpra plus bas, par la liste des prisonnici-s fait*» à Modon ot
par loh iiums do chevaliers que li; lecteur reneontrera au cours de ce
récit, la Jii>tilicntion de cette assertion.
:ï. /.(t'/r fifsftiitt, n,<*liap. \i,p. 621. — Slclla, (Muraturi .\VU, 1137»;
U\
DKl'AUT r»r .MAHKrilAI. UE liKNKS.
Quelques jours auparavant, le 2\ mars, une promièro
galèro était soi-tin du pinl de Gènes; elle précédait l'oxpêdî-
tioii et avait ù Imnl riinnile de la l'ave « preudUomine eu
€ conscience et discret eii conseil >. un des ct»n>>eilier8 les
plus écoutés de Boucicaut, un des diplumates les plus exercé*
do ce lcrai»s'. Porteur de paroles de paix, la Vayo devait
tâcher d'amener le roi de Chypre à traiter avant l'arriv^Ni tlii
maréchal; personne mieux que lui, du reste, ne pouvait mener
cette négociation à bonne fin. Il avait été, plusieurs fois
déjà, chargé auprès de la cuur de Chypre de missions ana-
logues; personuelleiiienl connu du roi et de ses conseillers,
il savait sur quel terrain il allait s'engager'. Si nous en
croyons les sources vénitiennes, la Fayo partait avec une
mission bien définie. D'après elles, Perrin. l'ambassadeur du
roi do Chypre, avait, dm*ant son séjour :"i Oènes, conclu un
traité avec celte puissance, et la Kayt' allait demander à Janus,
pour tîîu'antir l'exéeution de la convention, la remise au
maréchal du chùu^au de CérinRs\
I/expédition génoise était loin de ra»3Uï*er les Vénitions;
nous avons exposé i)lus haut les raisons politiques et com-
merciales qui leur Caisaient voir ave<: défiance une flotte
importante, appartenant à une nation rivale, faire voile vers
rOrient, maîtresse d'agir à son gré dans les mors du Levant.
Aussi, dés Je U nuirs, cnxoyaietit-ih au capitaine général de
rAdriatique, Charles Zéno, l'ordre de concentrer sur les
wUes de la mer Ionienne, aux environs de MtMlmi et de
Corfou, tontes les forces mai'itimes de la rt'puhlique, eVst-
â-dire la galère Trévisane, les quatre galères île Cn>te et la
galère * Truna* » dont i'armement avait besoin d'être com*
— Giustiniani, ii, 228; — l-. Koglieta, éd. de I5H5, f. 184 \^\ —
Piloti {Cher, au f'.yjnr, i, p. 39'i ) ; — t)clibt'>ratioii df* Veniso
du 'i avril lî03 (.Virh. d« VenUo, .S'en. Seer.. r. f. 94). — )lolgrt\
les noms divers iluiim^s aux diirércntes pspéi'cs de bâtiments par
Ibs chroniipieurs, tuus saut iPaccurd sur k* iiûiuhre des vaiﻫoaux:
dix-huit bàlimeiiLs, doiu iH'uf luialtM-cs. — l/dTcetif militaire li'aiisiiorti.V
par la lluUc nous est iudi(|Ui^ par les renseignements «qu'envoyait do
Gànes Xucharic Trévisan au gonvorncmont vénitien.
1. /.ivre des faits, n, ehap. xi, p. 621. Voir sur l'Ermito de la Kaye,
plus haut, p. 363.
2. livre des fait», n, ehap. .M, ]>. 621 ; — Stella, {.MuratoH WH. n9:i.
:i. 'i avril t'.o:i (ScH. Seet., I, f. 94».
'i. thi appelait ainsi la jralère i|iie roininandait Ber ICuslaelie Trutio.
INSTRUCTIONS DE VENISE A CHARLES /ENrt.
plét<V. Zêno, en attendant «les instructions définitives, devait
envoyer ;\ Hhodes pour avoir des nouvelles, et, eu cas d'êviV-
nient grave, détacher la galère * Truna » jusqu'à Pareuzo,
en Daimatie; de ce point il était facile de communiquer avec
Venise et d'informer le sénat d« tout ce qu'il aurait intérêt
â savoir'. En nif'*nn' temps la galère qui croisait dans les
eaux do Nemie reçut Tordre de rejoindre la flotte"; trois
galères, armées en toute hAte à Venise, furent mises sou» le
conimandemonl de ser liéonanl Mon^nigo, avec mission de
rallier Icscadro de Zéno et de porier â ce dernier les insti'uc-
lions de la république*.
Dans ces instructions, Venise, convaincue des dangers
d'une guerre avec Gènes, et redoutant qu'une imprudence
compromît Tissue des négociations entamées par Trêvisan et
presque terminées, recommandait â son capitaine la plus
grande cii'conspeclion, sans cesser d'être prêt â lonto éven-
tualité. Los quatorze galères vénitiennes (en y comprenant
celles de Mocenigo) devaient être jin^tes à agir au pn-mier
signal, et protéger avec la plus grande diligence les intérêts,
les navires et les établissements de la république. Zéno était
libre, en ras d'une nouvelle agression dos Génois, d'agir à
M»n gré contni leur marine, pourvu qu'ime action de sa
part n'exposât en rien la flotte véniti(mne. Sous ces
réserAes, il avait pouvoir d'arrêter et de capturer les bâti-
ment*, (le saisir les cargaisons et de les mettre en lieu sfir
jus(|u'à ce que la n-pnblique, informée, ail décidé (|ue|le con-
duite elle tiendrait. Au cas contrains c'est-à-dire s'il était
impossible ou dangereux de capturer les vaisseaux ennemis.
Zéiio devait se borner à informer lo sénat, avec le plus de
détails possible, dus faits accomplis. La galère do Nègrepont
éUkit mise â la disposition du <rapilaine, et ordre était donné
en CrrU' d'armer une nouvelle galère et de la lui envoyer'.
I. Il était lainsf^ à Xi'iio «ne ^raïKlf liberté d actiun dun> lo nio>un
il'opt'ror rotto roiu'Kiitratiun.
J. 'J nian* 1 iO:t iSen. Secr., i, f. Ul). C'est à Modon que lo capitaine
de TAdriatiqnr ilevail trouver ses iMnInictions.
:». 2i mars l'iO:i i.sVn. Secr., i, f. y»).
V .S avril Ii03 (.s'en. Secr., i, f. 95).
5. iavril Ii0:i \Sen. Srrr., i, f. 'J^il. Voir Pièces juslillralives, ii«xxvi.
Pimr l'iHtn im|H>rtant« di'<lilK^ruttiin un exigea, par okccpliuii^ non si^u-
lt*niiMi( la majorité, niniM les deux tiers des voix. Diverses propositions
i
V^i DKPAUT I»r MARKCIUL HK OKKES.
CiH eusemble de dispositions protectrices fut complété pi
Ift défense au commerce vénitien d'aborder dans Tilo de
Chypre, nHn d'éviter toute occasion de conflit '.
Itoucicaul. eu (|uittant <réues, avait fait voile sur Rhodes;
i! devait y trouver des nouvelles et savoir si les propositions
de l'Krniite do la Faye avaient été écoutées'. Il n'avait pas
atteint cctt^' ilf qu'il rtait rejoint par les Vénitiens. A peine
avait-il passé lo royaume de Naples et franchi le détroit de
Messine qu'il apprenait les mouvement» de la flotte véni-
tieime; eu airivant en vue deModon\ il trouva Zéno qui l'y
aUeuilait avec treizf ^sil^roa. Un pareil dépli)iemcnt de forces
avait lieu d'étonuerlo maréchal. A tout hasard, il se mil f»n
ligne de bataille el s'avanra an-devaut des Vénitiens; mai.**
ceux-ci « se partirent du port, et joyeusemeni luy vindnMii
« au devant. » Cotte démonstration amicale dissipa U.'>
soupçons de Boucicaut, dont la loyauté chevalesque ne pou-
vait supposer que l'accueil qu'il recevait fut en contradictiou
avec les sentiments intiun's iIp Venise à souégaI^i^
Les ambassadeurs dt^ Peuiporour do Constantinople,
Mariuf'K atli'ïHlaient l*' Tuaréchal à Modon; ils le ju'iérent dt*
ne pas rcuii^^ttre à la voile avaui l'arrivée de leur niaitre dans
ce port. Ce prince, en effet, revenant d'Occideul. était alors
dans le despotit dv! Morée que jrouvernait son frère sous sa
suxerainctt*; son voyage avait duré près de ti'ois ans, et Ih
nouvelle de la victoire de Tamerlan à Ancyre le i-appelait à
Corïstaidiuople*. Oignes Tavaitacrueilli ina£rnitiqneTn('ni(»2jan-
vic-r liUJ]. file lui avait donné trois mille llurins d'or et
non îicloptéfs, relatîvps à l'es instructions, nous ont f*tà conservées ; le
]ii>it)t principal quVIIes visaient était de fixer h cinq mille ou à dix
uiiilo ducat.-^ Ip cliilVr*' aiqiroximatif iIlm (lomuia^fHs à subir par Wiiltsc
avant iJf* rtiiiqin- avi,T 1rs (IcnoÏN (.S«vf. .SwT., i, F. y'i v-^fo. Il ttemiile
([uu l'npift't ciaiîon, »n pareille matière» eût t^li^ ttiiigulièrcment difh*
cili.' fi di'-lJcati»,
I. 2y avril l'iOS (.S>«. Serr., i, f. 79).
'J. 5 avril lio:( (Sen. Secr., I, f. 95).
a. Kxtn.'rnïlé sud ouest de la Mor^»».
4, Livre (tfx fait», u, chap. xn, p. 62l-:i. Les événements pontéHeurs
désabuw'renl le iiiarcclial, et ce oliapitre du Liwe det fait» conti<<nt
re\)»rf's.Mnn altristce de ses désillusions.
5. Nuut> avons exjtosé plus haut, p. 37G-8.t, Ipi» iiiutifi» el les ré.sutlut>
négatifs de ce voyafic.
BOITICAI'T KAIT KSrORTKR MA.MKi. A PONSTANTINOl'l.E. 4t^5
promis trois galères contre les Turcs'. Venise, moins enthou-
siaste, s'ôtait engagée à le faire reeonduiro en Morée selon
son désir, mais sans [irornettre fie l'escorter jusqu'à Cons-
tantinople. Elle se réservait d'attendre les circonstances
et de voir quelle ronduîte tiendraient les Génois*.
Manuel se proposait de séjoiirnor un mois en M(M-ée. Le
despotat, bien que gouverné par son frère, relevait de la
couronne impériale, et l'administratiun faible de Théodore le
garantissait mal eontre des usurpaiions. L'empereur voulait
remédier à cet état dr choses et connaitrc les sentiment.s des
peuples chrétiens qui entouraient la Morée : Valaques, Alba-
nais et Serbes. Il attendait une ambassade de Soliman i. iils
de Hajazet^ qui devait le joindre en Morée. Il semblait
mémo que le délai qu'il s'était fixé, et auquel il se tint, était
court, pour régler de pareils intérêts.
Boucicaut s'empressa d'accéder au désir exprimé par
Manuel, envoya à la rencontre de l'empereur ChAteaumo-
rand et le Génois Jean Centurioue d'Oliramare*. tandis que
[ui-méme s'avançait Jus(|u'au port de Busilipotanio*. L'entre-
vue, à lai|nelle assistaient la femme et U-s enfants rie l'emix.'-
renr. fut très cordiale. Boucicaut, apprenant que Manuel
désirait regagner Conslanliuople par mer, détacliu de sa Hotte
1. Il venait dp France par mer. Voir les détaiU» de au nVepttun
dans Stella (Munitort, wii, 1 1%), et dans Oiustiniani (il, 327-8). Il quitta
i.(^iies en ftWrier, par terre, se rendanl à VeiiisL».
2. 26 février 140.1 (.sWi. Secr., i. f. 86); — 2 mars i'iOS {Sen. Secr.,
I, r. 89). Venise fixait ;ï vinj-'t-cinq ou tretjte le nombre des persoii-
na^s de la suite de l'emperenr quollo ofTrail de IransjKjrter en Mon-e:
le reste devait »>tro eralmniuê aux frais de Manuel sur des vaisi^eaux
inairliandK. — .'i mars !'iO:i. Défense riait faite a Zi^mi de di^jrasser
Midvasia (Scn. .Sc/r., i, f. yo. E*i. Salhas, Iiuftoti. in^diix, i. ."»).
:t. Cette anibnssatle duiina lien au iraifé de paix publié dans Mub
(.atrie, Cummcrve ot lixprdidiinn tniiilttù'rjt, ji. l7il-«::.
't. Le 6 janvier t4n^. Jean de 1 bàleaumorand, avee trois eonbeîlierii
dont l'un était Jean t'enturione d'Ottramare (v. sur re personnage,
p. 177-8), avait été rhargtV de se nnidre en Orieni pour inspreler les
établissements pt^nniK, renoiivelnr les traités de la république avee le>»
print-eh d'< orient l'hii'-tiens ou musulmans, ete. iMas Ijitrie. f'.nmmrrre
rt /'^j'fH'ffitùmii niifitai'reif, \t. IT2-T). Voir sur <!biUeaumornnd p. tH'»-'>.
r». l'c jH>ii l'iait a l'euilMiurliure du fleuve do re nom lanfieii /;w-
n^aM), au fond du pilfu rie Laeunio.
426
ARRIVEE DU MARECHAL A RHODES.
quatre rr^lères, sous les ordres de CliAteaumnrand. pour
reconduire l'empereur dans ses états'.
Le S(''nat de Venise avait, depuis longtemps» profil cette
hypothèse; sou capilaiue général avait sur ce point des instruc-
tions très précises. I! devait, si Gênes prôtait» connue elle ph
avait manifesté l'intention, trois galères à l'empereur pour le
meneràConstantiniijde, le faire égalementescorler par les trois
galères de Mocenigo. Le voyage ne devait pas se prolonger au
delà de huit jouis; il était enjoint à Mocenigo, dès son arrivée a
ronsluutinoplo. rk* revenir sans délai se mettre à la disposition
do Zêno*. La décision de Fioucicaut, qui, au lieu de trois galères,
en donnait quatre à l\'niponïur. ne laissa pas que d'embar-
rasser Zéno, car ses instnidious étaient muettes sur cetti'
êvcntïialité. Un conseil, aiuiiiel prirent part Mocenigo, les
capitaines di's vaisseaux i>t l'onitmir de Venise, fut tenu dans
l'île de Fatlinujs Ir i^lJniai; îl fui décidé que, pour ne pas
faiiv moins que Géiies, et ne pas mettre les forces vêuitieniifw
<»n étal d'inférioi lié luuiiérique dans c(* voyage, quatre galères
escorlnraicnl Manuel. C'était liieu irtterpnHor les intention-s
de la répahliqu^s celle-ci approuva la c<mduito de Zeno*.
L'emiierpui' partit donc sous la protection de huit gîilères.
tant génoises (jue vénitiennes, pour Constantinople. Uoucî-
caut l'accompagna jusqu'au cap Saint Ange*, et, avec le*
quatn^ galères qui lui restaient, se dirigea vers Khodes, suivi
par Zêno avec n<'uf galères'. I^oin de concevoir de l'omlïragc
de celte conduite, le maréchal s'en réjouit, persuadé que le-S
Vénitiens raccompagnaient dans rintenliou de se joiiidix^ à
lui contre les Musiilnuuis. Il arriva ainsi à Rhodes (juin 1 îO:i)i
Philihert de Naillae, le gr.-tnd-maître des Ilnspit-iliers. l'ac-
cueillit « très joyeusement et à juonlt grant hoimeur »,
et dressa avoc lui le plan de la campagne. L'Krmite de la
Kaye ne tarda pas à revenir de f^hypro, à Rhodes, Il
1. Mai riO:î (/,iV;t des fftitx^ m, chaj». xm, p. 6*^:1. — l.a voie p«r
terre, à laquo)lf> lemptcrour avait songé un instant pour retourner ji
(lonslantinoplc, avait i-ié di^tiiiitiveraent ^carl^c. Cf. Sen. Secr., i, f. 8H-i>
(2fi fïSvrier c-A 2 mars TiOS).
2. 5 avril l'i03 {Sm. Serr., i, f. 9ô).
:i. 10 juillet l'iOa (Seit Serr., u f- 102».
V I.C crtp Saint Angfî [caput Matci) forme rcxlrémiti^ sud est de la
Moréo.
5. Lirrf Ucg futt», n, chnp. \m. j). »i2:i.
INTERVENTION Ul «iRAND-MAITRE ALFRES DE JAM». 427
était porteur de mauvaises nouvelles, sa mission avait échoué,
.lamis HP voulait pas ilêposer les armes et se refusait à tout
.tcrommodement. Aus.sit*M If marérhal se mit en mesure de
pousser viviMueiit les choses, et (l'fitlaqner Chypre; mais le
p'aiid-mailret avant d*ea venir à cette extrémité, proposa et
tit accepter sou intervention iK^rsonnelle. Philibert de
Naillar partit avec la Kave pour Chypre (juin 1403).
Dominique d'Allemagne', Drai^onet Clavelli', Gauthier Gre-
vetlou, pri(*ur d'Angleterre", Ru^'uiond de Lescure, prieur <lc
ToulouHoS et Pierre de BauffrLMuont ", grand hospitiilier,
raccompagnaient*. ChAteauniorand, sur ces ontrefaite», et
1. Voir sur ce porsunna^e, plus haut, p. 32:i.
2. Dragoneto ClaveMi habitait liliodcs: ce personnage semble d'ori-
jîiiic italienne: il irjijiparteiiait pis à l'ordre des Ilospitalient, mai»
«on existence est intimement liée a la leur. T'était un bamjuier, cor-
rt*sixindant du fçrand-uiaitre à Rhodes pendant que ce dernier était en
Occident. A ce litre, it jouissait dune )L;rande faveur. Kn i:f82 (^i avril)
il fut nommé receveur de l'ordre à Rhodes, en (.'atalopne et dans la
L'hàtellnnio d'Emposte. Plus tard tl'*OI), il reçut en Hef l'ile de .\isyii>
cl le casai de Lardo â Htiodes. Xaillac l'appelait des noms de vassuUus
vl i\p fnmitinn'H ; il reçut de lui de nombreux services tinanciers,
mais Clavellî ne semble plus, vers hi fin de ses junrs, jouir du toute la
faveur qui lui avait àtô précédemment témoignée. II mourut entre
lil'i et IViri tAnrli. de Malte, Rt^ij. Bull. Ma*j., VI, 219 v-; XVI, 115 V»;
x\ui, lyn v; XXIV, 162. — Ikisio, fhW intoria..,^ u, 161).
3. \VttItopde<lrendon,pn''cepteurde llalstone, fut nommé le 18 oclo-
lire TiOO prieur d'Angleterre ; Il mourut en l'ilfi \The enijlUh vr sUth
inw/ue uf tfie order ùf the hospiUtt of Saint John uf Jeruxalem^
ïjuiilon, 1880. in-B", p. 36).
'i. Itaymond de Leseure avait été nomme grand-prieur de Toulouse
le 27 février 13%. 11 avait été envoyé on Murée (1400) pour administrer,
di-' concert avec Klle de Kossaî, les possessions do l'urdre ilans le
IVlojionèse; c'est lut qui, en IWii, fut chargé de conclure le traité que
les lluspiialiers fîrent avec le soudan. Il fut ju:raiid commandeur de
Chypre. 1-e chapitre Kénéral d'Alx(lilO) le désijfua comme trésorier
lie l'ordre. l/anm>e suivante, il périt <levant Macri en Lycio dans «no
expédition contre les Turcs, (.\rch.de Malte, Hc'j. Bull. May., xiv, f. 'il.
— Ikisio. Dell' titorin..., ii, pas,sini).
5. Voir plus haut. p. 316.
6. Livre tien faits. II, chap. \iv, p. 62V — Le départ de Philibert
lie Naillac eut lieu avant le VJ juin ri03, comme nous l'apprend une
lettre adrew^ée à celte date jwr Xéno à Venise et datée de Sinmpalio
idêlib. du 10 juillet IWia, Sert. Srcr., \, f. 102). I.e« trois (icrniers noms
mouh sont donnés jKir le texte du traité, auquel CPh persfinna^es Ilj.'u-
K'rciit comme téuioiiiK (Ma>» Lutric, //i'*r ffe f^hjfftrr. ii, 'iTI).
428
KSCAXDBLOL'R.
quelque toinps avant 1*^ rcîtiiir de rErmile à Rhodes, avait
liii-môme rejoint le maréchal après avoir reconduit l'empe-
reur à Constaiitiuople. Il rameit.til un ronfnrt deoinq galères
et de trois galiot^s, fourni par les colonies génoises do Péra.
d'-îîlnos, de Mitylêne et do Chios*. En mèm(^ temps Zéno,
auquel Boui'icauï avait demandé de se joindre à lui contre
les uiéci'éaulH, s'excusait de ue pouvoir eondescendre au désir
du maréchal, faute d'instructions de la part de Venise". Ce
refus comiuença à ouvrir les yeux â Boucicaut, et à lui faire
comprendre qu'il avait été joué par le capitiiine vénitien.
L'inaction était insupportable au maréchal; pendant qup
le grand -maître négociait â Chypre, Boucicaut, sur le conseil
des riospitaliers, reprit la mer et fit voile vers le golfe de
Sathalie sur la côte de Pamplivlie\ Le but de Tenlrepris*'
était la conquête du château de l'Escandelour*. En mer
l'escadre génoise rencotiti*a un gros bâti ment sarrasin,
l'attaqua et le captura; mais, sans s'arrêter à ce prt^nùer
succès, elle poursuivit sa route ei arriva en vue de
l'Escandelour.
La ville se développait sur lr»s flancs d'nne colline et
descendait jusqu'à la mer; elle était commandée, au haut de
la cellino, par un important château fort; sur le rivage, une
tour défendait l'entrée du port. Le long de la mer s'étendait
une plaine, coupée de jai'dins et d'habitations. C'est là que le
maréchal débarque ses troupes; il dispose d'environ huit cent*
chevaliers et écuyers. c'esl-â-dire de près de trois mill»*
i;ombattants, el les range en bataille dans un ordre parfait;
lea bannières de Notre Dame, du maréchal, des seigneurs
I. Livre fteii faita. ri, rliap. \iv, p. 62'i. — \iv Pcra. iiiit^ galère K'
une jfaliotH; ir.Knos, mu» gâliTL* pI une galîuto; ilo Mitylène, tm<^ pa-
iera «I une gatinto: et de riiios, deux ^alùpes. Piluti (CArc. nu Cytjfne,
t, p. :i9'i) tht que IttiiuMcaut i-efut du Levant un scoonrïi d'eiivin>n »ix
gîilées.
'i. Livrf de» faits, it, chap. xiv. p. fiî'i. — La ViUi </i f'.arLo Zfno
((^(i. de 1829, p. 182) reproduit ta réjuMise faite parZêno â Ikmcicmut.
U. Nous avons suivi pour ces (^vêneiueiits le Livre ttea faits. Le*
(')ironir|iu*iirs pri^nois tStella, CitustiniaiMi plarent L*etlo c\p<>ditiitn apré^^
lit l'oneliision de lu pnîx aver le roi de Thypro. — i'iloli (.CArc. nn
f^ijf/rw, I, p. :».'! et :ïy7} rontirnifl le r^oil du Livre det failë.
\. Vo T >nr la ]HP.sitio!i de rKsraiidrJO'ir. jw^je 16.
SUCCKS I)f MAKKiHAl. IjEVaNT L'KSCANDELOUR. 4?!>
(l'Acher, de Cliâteauuiorand', de Clutoaiibrun', do Château-
neuf, de Puyos. etc., lours<^n'entde signes de rallioment. Tous
sont pleins d'ardeur et d'espérance, et, avant d'engager le,
combat. Boucicaut arme plusieurs nouveaux ehevalier3\
Le niarécLal divise ses forces eu trois corps: l'un, aux
ordres de ChAleaumoranrl, doit attaquer le port; Paiitrc, com-
mandé par lyïuis de Culanl\ avec cent lioninies d'armes,
cent arbalétriers et cent valets, a la mission de défendre un
passage et d'empêcher que la ville soit secourue; Rdiicicaut
lui-mômo, à la téie du ti'uisièfuc corps, celui de i'hàteaubrun,
donnera Tassant à la porte.
L'attaque, du c<"i*ê de Ch.iteauniorand, l'iii très rivo et la
défense très vigoureuse. La tour du puri é(ait bien défendue;
les échelles, appliquées aux murs par les assaillanls, se trou-
vèrent trop courtes, et malfp-é des prodiges de valeur,
Ohâteaumorand ne put avancer et entrer dans la place. Du
cdtédc Calant la intle ne fut pas moins acharnée, et«Ii;pas ».
après un combat acharné, resta aux mains des Chrétiens:
c'était une position de premier ordre pour isoler et affamer
la ville. Le lendemain l'assaut fut repris et mené vigoureu-
sement; Chàteaumorand, malgré la résistance désespérée des
Musulmans enfermés dans la tour, réussit à s*empai*er du
port et du bas de la ville. Les magasins du bazar, tombés
aux mains des Génois, furent pillés et les marchandises en-
levées; les bâtiments ancrés dans le ]iort, au nombre de
neuf, subirent le même sort et furent incendiés pai* les
vainqueurs*.
1. Jean de Chàteaumorand.
2. Guillaume de Naillac» .seîjfneur de C^âteaubruii. C'était un
t moult vaillans chevaliers •, qui se distingua à la prise de Saint
Sa vin on i:i6î», aux campagnes de Castitle et de Flandre (i:i82); il
hiisait partie dr- l'ost de llxluse (1386) et de l'expédilion d'Espagne
li:i87). Il fut sénéchai de Sainlonge, puis capitaine général de la
Guyenne en deçà de la Dordogne. il mourut en l^iOÔ (Frois&art, éd.
Kervyn, xxn, 27»-9),
3. Livre des faits^ n. chap. XV, p. 625. l'armi eux : le Barrois, le flla
du seigneur de la Choletiùre, nevou du maréchal; le seigneur de
Oiâiteauneuf en Provence, me&sire Menaut Clia.ssagnes, messire Loui»
do Montigian, etc. —Stella. (Muratori xvu, 1199).
4. Voir sur ce personnage plus haut, p. IJÔI. Il était maréchal do
l'armée,
5. Ce» navires étaient ; quatre fus'os, deux galères, une galiote,
430
r. ESCANDEI.OUR.
Le seignour ilo l'Kscandt^lour, au moment du débarque-
ment, tenait là campagne conti*e sou frêro. à cinq jour-
nées de marche de la ville; à la première nouvelle de
l'arrivée des Chrétiens, il so hâte de venir au secours de
la garnison du château dans l'espoir de faire lever le siège.
Mais, campé à un demi-mille des forces génoises, il n'ose le«
attaquer, et se Imnie â les « contre siéger ». Chaque jour ce
sont des escarmouches dans lesquell*^"* les Sarrasins laissent
« ou plume, ou aile, on bien y esl oient battus »; mais jamaw,
;ui grand ilésespoirdu maréchal, ils n'acceptent la bataille. Uo
ji)ur lioncicaut s'avise diui stratagème: il fait débanjuer de
nuit quatre-vingts chevaux qu'il dissimule à rennemi: ses
èclaireurs engagent un combat d'avant-garde et battent en
retraite, attirant les infidèles an milieu d'un pays coupé de
jardins et de huies; l'ennemi, sans défiance, s'arrête dan»
les jardins pour laisser passer la grande chaleur du milieu
fin jour, Ln maréchal, profilant de cette faute, lance contre
lui une troupe ilo gens île pied armés A ta léger»;, d"archer»
et de valets; elle le surprend désarmé, pendant que Uii-mÔroc
e( rhûteaniriorand, à la téfe îles cavaliers, font un mouvement
env(*lo])p:uil ol touruaut. La déroute des Sarrasins, pris entre
la cavalerie et les gens de pied, est complète; leur chef sr
réfugie dans les montagnes et n*ose plus eu descendre»
quoique le maréchal lui offre la bataille. Le lendemain, les
Sarrasins, poursuivis dans les uiontagnes, se dispersent dans
les bois sans combattre, et les Génois, redescendant dans la
plaine, pillent et brûlent jardins et maisons.
En présence de ces faits le seigneur de l'Escandelour im-
plora la paix. Le maréchal, frappé do l'importance de la place,
en cas de gueiTe avec le roi de Chypre, comme point de ra-
vitaillement, la lui accorda; quatorze jours après son dèbar-
qnement, Vescadre reprenait la uut'.
deux naves {Livre des faits, n, chap. xvi, p. 62.V6; — SteiU, (Muratori
Xvn, 1200); — Giustiiiiani, n, 228; — U. FoRlieta, éd. de ir»8â, f. 184 r^,
i. Livre des faits, n. chap. xvn, p. 626-7; — Stolia, (Muratori xvH,
1200); — Ptiustiniaiii, n, p. 228; — C raj;liela, ('d. de \h%h, f. 1«'. v«.
— Piioti (Chev. au Ci^gne. t, p, 3^0) dit que Boucicîiut ne débar<)unpa5
àSathalie, maisqu'eftrayé (lu nombre deii infidèles, il rebrousmachtiniin;
c'est une erreur. Muririo Sanudo (Vite de duchi di Vmezia, Muratori,
x\u, 790) dit de mf'me que Boucicaut ne fit rien à l'E&candt'Ionr. Dm-
dolo (4. Ihiiidiili ehrnniron. Muratorï, \ir. 517) e.sl pliift pxpljritr; il
PAIX AVKr I.F. UOI DE CIIVPHE-
431
I^ paix, cependant, venait d'être conclue avec le roi »le
riiypro; la nouvcllo *?n paninï au marôchal au moment où il
s'apprêtait à quitler l'Escanflfiloiir. L'intorvention du frrauil-
uiaitre de Hbudes avait ét^ dét-isive (7 juillet 1 i03}. Houci-
rïiut, heuroux île mettre fia aux hostilités contre Janus, et
d'être libre de diriger tous ses efforts contre les infidèles, se
hâta d'accepter les clauses du traité, et do faire voile vers
Chvpm pour ratifier et échanger les gages de paix. Le grami-
luaître et les membres de la haute cour de Chypre' l'atten-
daient au pt>rt de Pandaia, pour l'accompagner à Nicosie,
résidence du roi'.
Tout l'honneur de cette négociation revenait à Philibert
de Naillac. Il avait été secondé par l'Ermite de la Faye,
représrntiint du roi de France, par Nicolas tU* Marco, An-
toine Ueggio et Cyprien de Mai'i, fiui agissaient au nom du
maréchal, de la ville do Gênes, de l'ancienne et de la nou-
velle Mahone de Chypre; il importïiit, en effe), que l'ancienne
société, cp*''ée en K183 pour rétablir .Jacques i sur le trône
{miiomi di Ci//ro)*^ aussi bien que la nouvelle Mahone formée
dans le but de fonder le capital nécessaire à l'expédition de
Hiiiicicaut, fussent représentées au traité pour sauvegarder
les intérêt" financiers dos actionnaires'.
La paix du 7 juillet l'i03 fut à la fois un traité de paix
i^t un traité de commerce, dont voici les principales
conditions' :
raconte la défaite des Génois et affirme qu'ils furent ubligés de réduire
l'elTectif de leurs galères d« vingt et une à onze, pour que le» équi-
page fuKsent complets.
1. Le conseil de Janusou haute cour se composait de Pbîlippe de
Lu»ignan, cunnéiable, de Renaud de Mimars, maréchal, de llutrues
de la Baume, chevalier, de François Canimcrdas, lurcoplier, d'Hugues
Habin, de Jacques de Gîbellet et de Sriavc d'Asperch, clievalicrH.
iMos Latrie, I/iâl. de Chypre, u, 467).
2. Uvre des fait», n, chap. xvni» p. 627-8; — IMIot! iC/ir». au
Cj/ffne, I, p. 397), — Les Milions du Livre des faits oui iriipHiné par
erreur Candie; le manuscrit [urte: l'andaia. Il »'aKit do Pandaia, |><>rt
de la CiVte septenlrîunale de l'iiypre.
3. Klle fut ciinstituce par acte du 19 octobre t38^i (Mas latrie, //i<f.
de Chypre, n, 'i83).
4. Heyd, Gesch. des î.evaniehnndels^ n, ^«12-3.
5. Le texte de ce traiti^ a été édité par Mas latrie iUiêL de Chypre ,
n. 466-71J.
4:^2
CLAUSES DE I.A PAIX AVKC LE ROI DE CHYPRE.
l. Le roi (le Chypre, pour les frais de rexpédition, don-
nera à la nouvoUe Mahone de Chypre cent ciuquaute niillf
ducals d'i>r; en garantie do rexécutloii de cotle clause.
soixante-dix mille tlucats eu joyaux et îirgenlene seront
remis en gage au grand-maître de Rhodes'.
'2. Il s'obligera persounelleinent, lui et ses héritiers, |>our
Ibk quatro-vingl mille ducats restants, et cett43 somme sera
\ers(^e entre \vs miiins du g]-and-niailre jusqu'à exécution j»ar
le maréchal dos autres couditi«uis du traité'.
3. Il paiera chaque année quinze mille ducats en dèductîou
de-* cent ciiiquaril*^ nillli^ duoatsdiis; chaque paiement lib^-
rriîi d'autant les garanties données par lui; en cas de nou-
paiemenl, le maréchal se paiera eu faisant vendre pareille
.•<omme desdits gages.
i. La légiiimité île la cause de la guerre sera jugée par le
maréchal et, suivant sa décision, toute nu jiartie de la somme
sera rembours4^o au roi de Chypre.
f). Les eugagemenls pris pai* Jacques i, roi de Chypre,
prédécesseur de Janus, envers les Génois, seront appréciés
par le maréchal dans lo délai d'un an; sa sentence sera ac-
ceptée par le roi d<' Chypn' et pai' le comnmn dn Gênes.
G. Les captifs, de part <'! d'autre, seront relâchés ; leurs
biens leur seront rendus.
7. Le roi de Chypre paiera à l'aucienne Mahouo de Chypre
cent vingt et un mille besans vieux de Nicosie, chaque annéi*,
jusqu'à parfait paiement de ce qu'il lui doit. Le nmréchal,
cependant, pourra diminuer, s'il le juge convenable, le chiffre
fies versements annuels en les répartissanl sur un plus graod
nombre d'années.
On remarquera que, dans ce traité» bien des points res-
taient à déterminer; des questions importantes avaient été
K'sei"vées au jugement du maréchal, ce qui, au premier
abord, peut sembler inusité. On conçoit diflicilement» en
effet, que le chef de l'armée génoise ait été pris comme
1. La quittance de remise des joyaux au grand-maitre est du 15 oc-
tobre 1403 (Ed. Pauli. Cod. (h'plom., li, p. I07-8J.
i. L'enga^flment du roi de Chypre est du mi^me jour i* Juillet U03):
il est fait en faveur de l'ancienne et de la nouvelle Malione de Chypr»
(Arch. dcGènoB. Diwrs Heg., 6-501, f. 42 y-H. Cf, Mas I.alrie. //iV.
de Chypre, n, 'tTI. note 'n.
RF.fîLKMENT DES POINTS I.AISSKS KN SUSPENS.
433
arbitre entre le roi de Chypre et les Génois eux-m«?mes.
Ceito. clause ne s'explique que par l'opuiion que les ennemis
mûmes de Boucicaut avaient conçue du caractère et de i*im-
partialitè du maréchal. Représentant de l'autorité supérieure
du roi de France, planant au-dessus des questions mesquines
d'indemnit<^'s l't de n-inhoursenients, il se trouvait investi,
f^àce à la confiance du roi do Chypre, d'un rôle aussi délicat
qu'honorable. En outre, le traité était muet sur les opérations
militaires dont Faïaagouste avait eu à souffrir, — ce qui
nécessitait le règlement ultérieur des dommages et l'apai-
seraeiit des conili(s ([uVlles avaient causés.
Le maréchal (juillet 1 iO;|) était trop pressé de courir sua
aux mécréants, pour s'arrêter longtemps à Chypre. 11 resti
quatre jours av^r, Janus. si courtoisement accueilli que le
TOi voulait à toute force lui faire présent de vingt-cinq mille
ducats. Boucicaut refusa Targeat, mais quitta Janus avec la
promesse que deux galères se joindraient â la HoUe génoise
contre les infidèles'. Ce ne fut qu'au retour de l'eîtpédilion
de Syrie (fin d'août liOS) que le maréchal séjourna quelques
jours à Famagouste, et s'occupa de i-égler les points restés
en suspens dans le traité de paix'.
C'est à ce moment (?l> aoftt) que Janus accrédita auprès
de Boucicaut Georges Billy, son conseiller, qui était déjà
entré en rapports avec le représentant du maréchal, Ambroise
Rigio. Boucicaut, à son tour (l'H aoilt), écrivit de Fauta-
gouste au roi de Chypre pour le prier de produire ses récla-
mations avant le 1 mai à Gènes, en exécution des clauses
du traité ; la lettre du maréchal fut pi-ésentée ;i Janus, le
30 août, par Cyprien de Mari'. H ue semble pas qu'il ait été
difficile à Billy et à Rigio de tomber d'accord, car, dès le
3(1 octobre, un échangeait de part et d'autre Télat approuvé
des réclamations. Klles portaient presque exclusivement sur
Famagouste. et sur les rapports entre Chypriotes et Génois
dans l'ile.
1. Livrf des faits, n. chap. xvni, p. 628. De ces deux galères, une
seule ue Joignit à l'escadre; l'autre s'enfuit • carc'esloient cour&alres •.
2. Lit^re lies fnilK. n, chap. XMV. p. 634.
3. 26 Jioùt Ii0:i (Mfts Latrie. llUl. tie Chypre, u, 471-2). — 28 aoiït
I403(\pcli. de Gènes, Divers fieg., 6-301, feuille volante). V. Pièces
jUBtifioatiTea, n» xaviii. — 30 août 1403 {Arch. de Gènes, Divers /ieg.,
0-501, feuille volante).
434
PM\ \yy.c i.t ROI DR rinfPRE.
Sur la question de la restitution des serfs, esclaves et pri-
sonniers de guerre, comme sur celle de la restitution des
biens, la réciprocité fut fuciieinent admise. La zone de deux
lieues ^jui entourait Famagouste, et qui avait été abandonnée
aux Génois par In traité de 1383, était une source de diffi-
cultés toujours renaissantes ; on se mit d'accord pour per-
mettre aux tiabitants <le cette ;ïone de rentrer en possession
de leurs propriétés sans craindre d'être inquîélés. — Les
conflits de juridiction, qui se produisaient souvent entre
Génois et Chypriotes, furent réglés par la défense, faite au
capitaine génois rie Famagouste, de forcer les sujets du roi k
comparaître devant lui sans autorisation royale, et par le
droit de justice accordé au capitaine de Famagouste ou au
consul de Gènes dans les causes mixtes. — Les Génois
avaient, on 1383, au point de vue commercial, imposé à
Ch3'pro des conditions tout à fait draconiennes, et spéciale-
ment l'obligatioii pour les Chypriotes de n'avoir de port qu*à
Famagouste. Cette clause, à laquelle Gènes tenait paiMlessus
tout. puisf|M'el]e lui mettait tout le commerce de l'île entre
les mains, fut maintenue jusqu'à ce que Boucicaut efit jugé
la légitimité des réclamations de Janus ; on défendit, en mémo
temps, qu'aucun Chypriote sortît de l'île sans passeport
royal, formalité dont les Génois étaient affranchis pour entrer
dans nie et y séjourner ; tout navire dut être visité avant de
prendre la nier, pour éviter qu'il eut à son bord des sujets du
roi. L<^s Génois qui habitaient Famagouste purent y rentrer,
et les sujets du roi en sortir à leur gré ; on permit aux émi-
grants de Syrie de se fixer librement dans l'île après
déclaration devant les autorités compétentes.
Les questions financières préoccupèrent également les
négociat^îurs ; il fut décidé que les Génois, â quelque Vace
qu'ils appartinssent', contribueraient au paiement annuel de
l'impôt de quatorze mille besants à payer à Gênes^ et que
l'ancienne Mahoue de Chypre serait remboursée de ce qui lui
était dû par les Chypriotes. — Quelques points particuliers.
visant certaines personnalités compromises dans la guerre,
furent ensuite réglés. Le drapeau génois et celui du roi de
t. Les Génois 6/anM éUiicnt de race lerantîne et libre; les Génob
noirs étaient des esi'lavos.
PAIX AVEC LE ROI DE CHYPRE. 435
Chypre durent flotter l'un près de l'autre sur les murs do
Famagouste*.
Cette convention additionnelle mettait fin aux hostilités
entre Chypre et Gênes ; elle rétablissait entre les deux puis-
sances les relations amicales que la prise d'armes de Janus
avait un instant troublées.
1. Mas latrie, IliM. de Chypre, n, 472 et 475.
CHAPITRE IV.
CAMPAGNE DE BOUCICAUT EX SYRIE.
(FIN JriLLET-AOlT 1403).
Boucicaiit, ilébarrassé <ie tout souci du côté do. Chypre
par la conclusion du traité du 7 jnilk^t 1103, tourna louleî*
ses forces contre les Musulmans. Persuadé, avec raison, riue
pour frapper d'un coup mortel la puissance des infidèles, il
fallait l'attaquer en Egypte, il se proposait de faire voilfi
vers Alexandrie et de s'emparer de ce port, dont la posses-
sion lui (lunrijiii les clefs de l'Egypte'. Malheureusement ce
dessein, d'une haute portéo politique, rencontra des difficul-
tés insuniiontablos auxquelles le maréchal, malgré Topiniâ-
treté de sa volonté, dut se soumettre. I! se heurta d'abord
au mauvais vouloir des Génois : ceux-ci cousidéraient l'expé-
dition comme terminée, puisque le but espéré èlait atteint,
et ne songeaient ([u'à retourner à Gènes. Les capitaines dos
galères, Jean Conturione', Luc de Fiesqut», Antoine Reggio,
André Lomellini, interprètes de ces sentiments, attaquèrent
Irt plan de campagne de Boucicciut; ils lui reprochèrent,
nnii sans amertume, de séparer la flotte en deux escadres,
dont l'une devait se tenir à cinquante milles d'Alexan-
drie, tandis que l'autre passerait piu* Famagouste avant de
rallier la premièi*e. C'était, disaient-ils, exposer l'expédition
tout entière à de grands dangers; ils firent enân 'observer
1. Nous avons eu, maintes fois, au cours de ce travail, occasion de
montrer que dans les projets de croisade les plus sérieux du xiv* siècle
la route d'Kgypte fut con.statnment prcconisôe,
2. Voir plus haut, p. 177-8 et 425.
DEMONSTRATION CONTRE ALEXANDRIE.
que la saison était mal choisie, que ventii et courants étaient
contraires et emiH^chaienl défaire voile vers Alexandrie. Sans
se laisser décourager par ces considérations, W mîu'échal
persévéra dans son dessein. En quittant (\vpio, il revint à
Kliodes pour prendre le yeui^ mais ne put arriver jusqu'à
Alexandrie; il fut forcé de rester à quinze milles environ de
la ville, sous les veux des Musulmans, sans pouvoir débarquer,
perdant se-; chevaux enlevés par les coups de mer'. Devant
cette impossibilité absolue, il renonça À son projet, et prit
pour f>bjectif les côtes do Syrie et particulièrement Tripoli.
Les Vénitiens, qui avaient reru l'ordre de suivre pas a pas
la flotte génoise, de se tenir au courant de ses projets, et de
les dévoiler aux intéressés, s'étaient très consciencieusement
acquittés de leur mission*. Elle leur avait, du reste, été sin-
gulièrement facilitée par le maréchal lui-même qui, en exhor-
tant Zéno à se joindre à lui contre les mécréants, lui avait
révélé son plan de campagne. Le capitaine vénitien, protitant
de celle conridence, avait rlonné l'alarme sur toutes les cistes;
partout Boucicaul trouva l'ennemi en défense. .Vlexandrie
étiiit sur ses gardes; les fortifications avaient été réparées;
on avait recreusé les fusses, et si les circonstances eussent
permis aux Génois de débarquer, ils eussent trouvé quatre
mille cavaliers pour repousser leur attu(|ue'. Ce qui eut lieu
à Alexandrie se reproduisit pendant toute la campagne. On
ne saurait trop flétrir de pareils procédés, dont la politique
1. Nous avons, !>ur la dèmoniitration du maréchal contre Alexandrie,
(Im détails très circonstanciés, quoique un peu confusément exposés,
dhns Piloti (Chrv. au Cygne, I, p. 39'i-7). Ce témoignage, qui est celui
dun témoin oi'ulaire (il habitait alors Alexandrie et le Caire), doit être
considéré comme très important. Il n'est pas étonnant que le Livre
tteit fniU iM, chiip. xviit, p. tj28)glissu sur ces faits sans y insister.
-'. lOjuilIpt \W.\ [Sen. Secr., \, 102;. Le consul des Vénitiens ;i
Alexandrie avait été pi-évenii de^i intentions de l'armée génois**. Voir
Pièces jusiilicalives, n*» xxvii.
:i. Piloti iChcv. an Cygiie, i, p. :tU4-5) rapporte le fait en l'attribuant
aux « maulvais crestieiis >; en qualité dt^ Véuitit*n, il n'avoue pas que
par ce terme il faut entendre ses compatriotes, et donne des détails
précis sur l»*s travaux de défense de lu ville. Il ajoute que Itoucicaut,
prévenu du fait avant de se diriger vers Alexandrie, y envoya un
vaisseau avcr des ambassadeurs • affin de tirer liurs lo souspect de
4 la mente du souldain >, mais que te sultan ne se laissa pas prendre
» cotte ambss.sad'*, destinée à lui inspirer une fausse .sécurité.
438 CAMPAGNE UE BOfClCAL'T EN SVRIE.
vénitienne était coutumière et qui révoltent la conscicDCC
publique. Le maréchal, peu fait à ce double jeu, n'avait
d'abord pas soupçonné les Vénitiens; il fallut la prise, dans
les eaux de Bcyroutli, d'une do lours « gripperies' », dont le
patron avoua qu'il avait mission d'annoncer dans les port^ la
prochaine arrivée des Génois, pour ouvrir complètement les
yeux à Boucîcaul*. Le sénat de Venise n'avait aucun scrupule
à agir de la sorte, et tandis qu'il avertissait leDuemi. il
arrêtait en morne tomps tout lo commerce vénitien en Orient'»
dans la crainte de voir ses navires capturés par la flotte
génoise dans les eaux du Levant.
Le vent était favorable pour aller à Tripoli ; Boucicaut.
repassant par Faniagouste, y rnllie une galère et arrive le
lendemain en vue de Tripoli*. L'ennemi, prévenu, Tattend
sur le rivage, prêt à le « recevoir aux pointes des lances ».
Six ceuts clievnux sont rangés sur lo bord de la mer, < annej!
« et couvers tunt richement de tin vclonx et drap d'or, et de
« tous abillcmens riches ». Le costume des cavaliers indique
des gens « de graut honneur et d<^ grant estât », et les plus
I>nidents engiigent le maréchal ;i ne pas tenter do prendre*
terre. MaisHoucicautno se laisse ni épouvanter ni < esbahir »:
malgré les remontrances de s<iu conseil, il maintient « â
« visage hardi » la nécessité d'un débarquement, et donne
l'ordre à son héraut Montjoye de l'annoncer dans toute la
Hotte. Celle-ci se met aussitôt eu mouvement et fait voile
vers le rivage; les tiompetles sonnent, les arbalétriers sont
t. \ous avons dit plus IlhuI fr (|u'rtiiicnt res Irâtiments légers.
npiwlos anssî prijihtVs. V. pins haut, p. 'ilS.
'1. Itoiiciraiit, iW's irrifr, voulait < lancier «ii la mer » l'équipagp de la
Krippci'ie; mais il < dclilinra rpic nun. car ilz lui avoicnl r(^^rphi
« deboiinairemi^nt, vl aussi le méfiait n'estuit mie si ^i*ar)t k («ulx
• l'oinme à reiilx qui envoj'GZ. les y avoient mais ne vouloit null^
« mont (lue par lui ne jiar sa cause fust mcu conten.s entre les Venrci<*n*
• et Gennevoii* » (Livri- ries fnitt, ii, ehap. xxi, tilM-ÏÏ).
:i. 15 mai 1403. Défense île partir pour la Syrie et JalTu (Zafff},
iSfn. Mixtiy XLVl, 83». — 20 juillet \W.\. Mùmedérense pourAlexandriOf
Damiftto, U Syrie, Chypre (Sr». -Wiwr, xLVi, 92) et JafTa {Sm. Misti»
MAI, 9'i).
\, 5-7 août l'iOS. d'aprfts laloUre tie B. Morosini {Munitori. \mi, fK>0-1).
AntéinoIgrtii^etli'Murosini la flulte comprenait (lix-neuf^aJèreîigénoisfK,
deux de Rliodes, un liuissïer igranil bâtiment de transport) sur lci|ucl
éiuit le gnuul-niajtrc. ut ili\ à (lour.e Yais*>eaux plu^ petite.
DEBARQUEMENT A TRIPOLI. 439
k leur poste, sur le pont des vaisseaux, et commencent à
tirer sur les Sarnisius qui ripostent sans succès. Les Chré-
tiens sont animés d'un < hardi courage ». Leur < bon
< conduiseur » les exliorte, et ses paroles redoublent leur
vaillance. A une petite distance du rivajr<". les bàtinienLs
s'arrêtent, les jt^eas il'aruies satit<*nt ù la mer pour gagner la
plage, le combat s'engage avec an achîirnement terrible,
corps à corps, entre ceux qui débarf|u*Mit et les Musulmans
qui défendent le port. H y eut là, dit le chroniqueur, « maintes
< lïelles armes, main â maiit, et maint tour de bataille ». Les
Sairasins sont !*ix contre un et font beaucoup de mal aux
Chrétiens. Le maréchal, donnant l'exemple, est « tichez
€ es plus drus » et se bat comme un linn ; il entraîne ses
compagnons qui, appuyés par le tir des arbalétriers et piir
les < canons qu'ilz leur lançoient de dedens les galées », par-
viennent au prix des plus grimds efforts à s'établir dans le
port'.
Ce n'est lâ qu'un premier succès. Boucicaut. après quelques
uiomentK de repDS, reforme sun armée, l'exhorte à se bien
comporter < car il avoit espérance en Dieu et en la Vierge
€ Marie (|ue ilz aroient bonïie journée », et la itiéne, au pas,
« les lances sur les coU », contre les troupes ennemies. Les
Sarrasins l'attendent; leur iufîinterie est au centre, leur
cavalerie aux ailes du front de bataille; leur effectif total s<»
monte à quinze mille hommes, dont sept cents cavaliers,
selon les appréciations du maré(dml. Du côté des Génois,
auxquels se sont joinls les chevaliers de Rhodes, sous la
conduite du grand-mailre Philibert de Naillac, il n'y a pas
plus de deux mille combatUints. Malgré les efforts de ta
cavalerie sarrasine, après un combat acharné, les infidèles
perdent du terrain. Sentant qu'ils ne peuvent résister ni au
choc des hommes d'armi'S, ni aux traits des arbalétriers, ils
battent lotitHmenf en reti*aite < tant que petit A petit prirent
« à euU de p;it'iir et laisser la bnlaille »; ils se Haltent, par
cette manœuvre, d'éloigner les Chrétiens de leurs vaisseaux.
et, par un mouvement tournant, de couper les communica-
tions de ceux-ci a\ec la nier. Le maréchal, sans si* laisser
entraîner à les poursuivre, rallie «es stddats; !M>n entourage
|. /.ivre (IfxfaiHf, ir, rhap, XIX, p. 628-9.
440 CAMPAONK »E BOUCICAUT EN SYRIE.
estime que l'affaire a ôuV assez meurtrièi*e et que les troQpo«
y ont acquis assez d'honneur; il engage Bodcicaut à s'en tenir
à ce premier avantage, mais ses avis sont repousses. Les
Musulmans, â leur toui-, se reforment dans les jardins, « qui
« moult sont drus et espès. » Louis de Culanl*, aver Tavaut-
g-arde, est envoyé contre eus et les éhranlo. C'est le moment
([u'ils choisissent [>our tenter avi?c leur cavalerie, qui occiiptï
les deux extrémités de leurs positions, le mouvement enve-
Ifjppuiit, grâce auquel ils espèrent cerner la « bataille > du
maréchal ; l' arrière-garde dégage Boucicaut, et le com-
bat recommence, corps à corps, plus acharné que jamais; il
se torminn par îa retraite des infidèles dans les jardins et les
vergers qui entourent Tripoli. Le maréchal est vainqueur; il
veut poursuivre l'eunemi, nmis ses soldats ont trop souffeii
pour qu'une pareille poursuite soit possible: il les rallie en
bon ordre et nMiionte sur ses vaisseaux*.
L'armée chrétienne s'était couverte de gloire. Le grand-
maître de Khodes, Raymond de Lescure* et Pierre d»* Rauf-
fremoiit* du c(Hé des Hospitaliers ; Châteaumorand, l'Ermite
de la Faye' et Louis de Culant' du côté des Fraurais.
s'étaient distingués parmi les plus intrépides. Parmi k»s
écuyers Tiercelet de Cheles, .Jeau de Neuvy". Uichurd
Monteille, Guillaume el Huguenin de Tholigny'', (WiilleniJQ
de Labesse, le bâtard de Kebergues. Jean d'Onv*. Ummad di*
I. Vuir pluïi liant, p. :i61 et 42V.
'J. Livre de* faits, h, chap. xx, p. 6*20-31.
y. Voir pluH liant, p. '§27.
1. Voir plus haut, p. :tl6 et 427.
5. Voir plus haiil, ]>. MiiS.
6. Jean du NVuvy senit ronimp. iVuyer sou.s I& bitriiiière de Philippe
dr Ugnit'pps (montre du K mars l:t8H. n. s.) à la Chflpplaudp. -Dants un
ante de 1408, conlirmô le 11 juillet l'ilï, il eut qualitié d'éciiyer, t ser-
viteur de mon.seigne«r le maresrhal Hoiu;iquaut» (Itild. nai., [}, V'ille^
vieille, TrêH. tjén., LXiv, F. 27 v" ; — IMcccs originales» vol. 2103, «o
nml NKUVV).
7. Guillaume de Tholigny fut fait prisonnier à Mûdon, la m^ii»
anni^e (7 cet. 1403). Uenilu n la libert<^, il runtinua à comtiaUr*< sous Im
ordres du maréchal. Kn 1415, il était chevaliep bachelier, avait soui
.st'î> ordres un autre chevalier rt une di/aine dVcuyers. Il servait à Pirii
suu.s le commandement du prévôt de In ville, pour la sùroté du roi
(Ribl. nal., l'ièces originales, vol. 28;U), an mot tiioliu.w).
H, Voir plu!>haut, p. 36U.
DIVERGENCES DES TKMOIONAGES CONTEMPORAINS. lïl
Camberonne. le Barrois* etc.. avaient fait des prodiges de
valeur et supplôô par lour courage à la disproportion des
forces'.
Le. fait d'armes que nous venons de racontor ne figure
pas dans toutes les chroniques ; les sources g^^noïses et
vénitiennes n'en font aucune mention. Nous connaissons
cependant, tant par un auteur contemporain, Piloti, que
par une lettre écrite par le baile vénitien de Chypre
H la république, le conihat de Tripoli ; mais œs deux
récits diffèrent d'une façon très sensible de celui que nous
venons de donner d'après le Livre des faits. — Piloti, auteur
contemporain, très au courant des choses de l'Orient à cette
è[>oque, raconta les faits tout autrement. D'après lui, < il
< [Bouciraut] s'en alla à TrifK)li de Suria; et là, le matin,
* mist se/, gens en terre. Et premiers que ilz arrivassent alla
< terre, qui e^jt ung mille et demi, ilz vindreut si grant
« stKrcours de gens, que missire Boussicart se mist à fuir, et
« si monta sus ses galées e^ ne péust tant faire qu'il n'eu
€ demoura en terre pins de trente. Et Cimix depuis fuirent
« pris vyf, et ilz domatidarent de la condition et intention do
• l'armée; et depuis le/ fiivut morir »^ A son tour H. Mo-
rosini, baile de Chypre, qui écrit au sénat véuitiea pour lui
faire connaître les faits survenus en Orient, qui est à même
d'être exactement informé, et qui a toutes raisons de trans-
mettre la vérité à son gouvernement, ilit' que les Génois
descendirent à teire. à deux heures de la journée, que le
soigneur de Tripoli s'était relranché dans les jardins qui
environnent la ville, et n'avait envoyé contre \o maréchal
(|ue cinquante chevaux pour l'attirer loin de la mer; il ajoute
que le prince, voyant les Chrétiens ne pas s'éloigner à plus do
sept traits de baliste du rivage, se décida vers six heures à
prendre l'offensive. Hi reculer les (iénois ju8(|u'au rivage, et
jos força â se jeter û la mer pour njoindre la tlotte, en leur
faisant subir une perte de plus de cent hommes, dont un
chevalier français, sans compter les blessés.
En préstruce do récils si ilifférents, dont les coiulilions d'au-
1. Voir plufthaut. p. 18».
2. Cet» iiuiu.K sunt citi^ï par le Litre des fttiU^ u« cliap. X\, p. 630.
3. I»iluti {t:hcv. ,i« t:y,jne. i, :iîlT^
'i. Lettre dp 11. Murusiiii ^Muraroti, .\\n, 8U0-I).
442
CAMPAGNE DE BOUCICAUT EN SYRIE.
ihenttcit'é sont également fortes, il est mul aisé de dém^ti^r
la vérité. Il est, eu effet, difficile de rejeter les témoignage*
de Piloti el do Morosini qui, bion que dissemblables, se for-
ttfîeut i'im Tautre; il est également iui]iOïsible de repousser
la version du Livre des faits. Quelque partialité, eu effet,
qu'on suppose â l'nuteur, ou ne peut admettre qu'un rédae-
tcur, mr-me oiîicie!, comme l'était l'auteur du Livre des fait»,
ait transformé une défaite, aussi grave que celle dont parlent
Pilutî et Moi"osiiii, en une série de combats favorables aux
armes génoises ; son récit comporte une abondîince et une
précision de détails qui excluent toute imposture.
La vérité, croyons-nous, est du ciHé du Livrt' tirs fttfSf
sous certïiiues réserves cependant. Bnucicaut, vers le soir»
se retira sur ses vaisseaux. Ëtait-il aussi coinplèlemeut vic-
torieux qu'il se plaît à le dire, ou la vaillance déployée par
ses troupes ne servit-elle qu'à empêcher la ri'trai(<' de devenir
une déroute? C'est ce qu'on est en droiï d'induire des témoi-
gnages vénitiens et surtout du récit de Morosini; mais un
fait reste ac(|uis, c'est que les Clirélions combattirent avec
la plus intrépide bravoure, et fii'ent subir à rennemi îles
perles sérieuses.
Le maivcUal n'était pas « saoulé de grever les Sarrasins » ;
eu quittant Tripoli il fait voile vers le sud. Dans les eaux de
Beyrnulh il di'lacbo drnx galères, sous le commandement de
Chùteaumoriitid, pour capturer une galère sarrasino. Le navire
pris, l'équipage est passé au (il de l'éjn^e'. Pendant ce temps.
Buucicaut avait pillé lîotrun, ville sans défense, et l'avait
mise â feu et à sang; le 10 août au matin, après avoir rallié
son lirulenant, il arriv;iit devant Beyrouth '. Ce port,
centre commercial important, renfermait de nombreux comp-
toirs vénitiens. La côt<». basse en cet endroit, les remparts
de la \ille peu redoutables rendaient tm coup de main plus
facile qu'à Tripoli*.
Comme partout, la venue des Oénois était annoncée, nuiîs
les Musulmans n'étaient pas en forces pour s'opposer aux
mouvements du maréchal. Les arbalétriers de l'escadre for-
1. Livit des faiU, n, chap. xxr, p. 631.
2. Kt nun le 8 août comme dit Marino Sanudo ( V tir de' dochi
Muratori, wn. 7yO|.
;i. Ilcyd, Gesch. det Levanlehnndets, u, ^i60.
KHIEC DRS fïKXOIS DRVANT SAGETTE.
cAreni sans pleine « œlle chiennaille r|ui là breoient comme
* enragiez » à so retirer, e! à se renferm<'r dans la ville.
L'assaut fut donué. et. malgré une résistance courageuse, la
ville fut emportée, pillée et incendiée'. Le maivichal, s'om*
parant du butin, chargea sur ses navires toutes les mar-
rhandises trouvées à Beyrouth, dont la plupart appartenaient
aux Vénitiens, et les conduisit à Famagouste pour les vendre
aux enchères'.
Boucicaut continua alors sa route vers le sud, et arriva
devant Sagette\ Douzo mille Musulmans l'attendaient; après
les avoir couverts de bonihanles et <le viretons, et leur avoir
mis bon nombre d'honuues hors de combat, le maréchal
ordonne le débarquement. Jean d'Onv s'élance le premier;
à ^oii exemple les Chrétiens < comme sangliers se tichoient
« en la marine jusques au ventre pour leur courir sus »,
mais un changement de vent vient contrarier cette opération.
D«nix cents arbaléti'iers seulement et autant de gens d'armi^
avaient débarqué; cette poijrnée d'hommes est obligée de se
défendre contre les charges des Musulmans sans pouvoir être
secourue. Kilo reste c de pied quoy » sans se laisser entamer,
ri tinit par s'emparer du port. Après cinq heures de combat,
dans une position critique, la nier et le vtMtt ne s'apaisant
pas, le maréchal se décide à batti'e en retraite, et â regagner
les navires* (t.? aoftt li03j.
1. livre tien faits, [), ch«p. x.\i, p. B'di; — Giustiniani, n, 228: —
Piloti \f:hev. au Ciffine, i, 3y7-8); —La Vita di Curh Zrruf, p. 18^; —
Vite (h* Huchi (Murutorl, \\u, 790); — A, HanduH rhrunicon (Murât -
uri, su, ot7); — Aniialen {''oroticirnsex (Muraturi. XXU, 203); — Crtf
tutvhrtta Venezittn/i i.\n*ti. Veiieto, \vn, 2, p. \); — Lettre do Moro-
bini (Miimluri, \\ii, «omi). l V-tle loltre n'est pas entièremorit reproduite
ilana Muratori: elle a ('t<\ m outre, traduite parle clir')iu(|ueur vi^-
iiitiei) MurinuSailudu du dialecte véiiilii'ii eit langage italien; elle so
li*uuve daiiK non iiilêgralité daiiH le nmntiserit de la Itihliutliéqne de
SaiiU Mare i,I.atliii, c\ass,c i, n» i.cxcix, f. 70 v^2).
2. Le Livre lirn fait* ne parle pus de cette «MreonHtaiiee, qui osl
Itors de duute; il dit, au contraire, «pie la ville Mail vide de ruarrltnn-
tliseti, et (jue lei^ iu'-}£ueiaulH les avaient niîses lï t'ahri dans leK huit»
et les montagnes. <"eiit devant lleyruutli <|ue Ituut'icaut eupturu un
vaÏKM'ati It^ger vi'MiilitMi (voir plus haut, p. ):iHj et qu'il eut la preuve
de la trahison de la république de Vcni80.
:t. Aujourd'hui Saida; l'anciuiuio Sidon, appeldtï aussi Stiyette au
uiuynn àgc.
'i. Livre den fait», w. diap. XMI. p. 032-3; — Lettre do 11. Morosiui
iMurntori, wii, sou- h.
444
CAMPAONK DE BOXJCICAUT EN SYRIE.
Cet échec devant Sagette marque pour l'armée génoise le
comaiencement des revers. Malgré les conseils les plus sages,
le maréchal s'obstinait à continuer la campagne contif? un
eunemi prévenu de ses mouvements. La brav(mro, la téiu(*niê
même des Chrétiensi ne suffisaient pas à triompher du nombre;
les vents étaient cnntraires, et la ciSte de S;yTie, sans rade»
sftres, devenait dangorouse pour la flotte et rendait tout dé-
barquement impossible. Malgré les éléments, Boncicaut per-
sista à tenir la nw;r; le V(»n1 le poussa devant Laodic<H*, au
nord de Tripoli. Là encore, malgré la mer, malgré les Sar-
rasins massés sur la rive, il voulait pnmdi-e terre, et avait en-
^oyé reconnaître les deux tours de la plac<» par Jean C^n-
tiirione et Choleton '. dans l'intention di; les attaquer le
lendemain ; mais le quart seulement de ses galères Tavail
suivi; le reste, égai-é par le vent et la mer, ne parvenait pas
à rallier. Le gros de l'armée des infidèles, croyant quo
Boncicaut a renoncé à son projet, se démasque ù ce moment ;
ils étaient bien trente mille; le maréchal, corapronant alors
son impuissance, se retire, bénis.sant le ciel de n'avoir pas
tt*nté un débarquement immédiat, et «reputant» coite cir-
« constance comme à miracle d<' Nostre Seigneur qui de sa
« grâce les ot voulu sauver »^
La démoiisirntion devant Laodicée marqua la fin de la
rampague de Syrii? ; commencée brillamment, elle se ler-
luiiiait piteusement. Le nombre des ennemis, les blessés
et les malades qui affaililissaient et paralysaient la tlotle.
étaient des causes d'infériorité contiv lesquelles un ne
potivait lutter. Boncicaut se résigna, ot, tandis que le gi*and-
maîtr** faisaîl voile vers Cérines, il retourna à Famugoiisie
pour régler les points restés en >iuspens dans le traité dr
paix (fin d'aoïH 1403)*. De là ii gagna l'ile de Rhodes
1. Il s'agit propablement du ilU du seigneur de la ('Iwletière, dont
le nom patntnyniifiiu' l'-lail Clirilrt, et le dimiiiutir (.-holeton. Il ^l:iit
neveu du maréoliKl. ï Ji l 'iDH. K- licutetiant du Kuuvepneur n (it^iiea /-tail
llujfues Cliolot, qu'on peut sans t^-m^rité idetitilier avec (hoU'ton.
Nous trouvons, eu laô'J, la trace d'un Hue Cholet, chevalier lUibl.
nat., Clairaratjault, Tt'trcx scfUt's xxxn, 23"li. Il ap[)artenait à In
mi>me famille, mais il est douteux que ce soit le même porsunna^e
i|Uo celui dont il est ici (juestion.
2. /.tire de» faits. \\, rliap. x\iii, p. 63'i; - Lettre île U. Morobinî
(Muratori, \mi. KOO-1),
3. Voir plus haut, p. Vt:t.
I
I
PAHC AVEC LE SOITDAN d'EOYPTE. 445
et s*y arrêta une dizaine de jours (septembre 1403). L'accueil
du graiul-maitre fut des plus courtois; fôtes et festins se
3ucc6dèreut sans interruption. En même temps le maréchal
réorganisait sa flotte, dont les équipages étaient décimés par
la fièvre et les blessures. Tous les malades et blessés furent
mis sur trois navires, avec un grand nombre d'hommes
d'armes pour les escorter et les défendre. II ne lui resta plus
alors, en troupes valides, r|u*enviriin douze i\ qnatorzA* cont.s
arbalétriers. C'était un effectif trop faible pour continuer la
campagne; le retour à Gènes fut résolu'.
Pendant son séjour à Rhodes, le maréchal détacha une
partie de sa tloite à destination d'Alexandrie. Cette expé-
dition, qui est certaine, puisqu'elle nous est pan-enuo par
des sources différentes, n'est bien claire ni dans son objet,
ni dans ses circonstances, ni dîins ses résultats. Les chro-
niques génoises disent qu'un navire fut envoyé à Ah'xanilrii^,
qu'il portait un plénipotentiaire chargé de conclun* la paix,
mais que le suudan, s;icliant la faiblesse des troupes génoises
décimées par la tiêvre^ refusa tout accommodement'. Le
Vénitien Filoti, on mesure d'élre parfaitement renseigné,
nous donne des détails si [irécis qu'ils noiit pu être imaginés.
Boucicaut, dit-il, tit partir pour l'Egypte deux gros navires
do douze cents tonneaux chaunu, commandés l'un par Polio
Arqua, capitîiine et aaib:Lssadeur, l'aulrc par Pierre Naton,
lie Savotie. Chaque uavire était monté par deux cent cinquante
hommes. Les capitAÎiies commencèrent < à guerroyer celluy
« port ». bien qu'ils eussent peu de chance de l'aine quelques
dommages sérieux autrement qu'avei: leurs barques armées',
puis ils demandéreul la paix. PoUo descendit à terre pour
la négocier, et trois mois après elle était signée; le soudan
avait exigé d'être indemnisé des dommages qui lui avaient
été causés; les Génois, de ce chef, payèrent trente mille ducats.
Le chroniqueur ajoute que ce traité les déconsidéra tellement
1. Livre de» faits, u, chap. xxiv, p. 634.
2. Stella, (MuraWri.xvn. 1200); — (iiusliniani,n,p.228; — T. Foglieta,
éd. de I58j, Ï. IH4 v. — Le Livre deit faits {ii^ chap. x.xxi, p. CtS) wii-
firnie l'etivoi d'une ^al^re devant Alexandrie.
3. Les grus vaisseaux, k cause de leur tirant d'eau, ne puuvaient
k apprucher d'Alexandne; ta ente, sans mouillages sûrs, était très
CAMPAfiNR DE BOfCICAlT EN 8YEIE,
dans cps parapos que « quasi ont abandonné celliiy voyage »*,
CV'tait payer bien cher la satisfaction (funo vfngence per-
sonnelle, et quelques douiiiiages matériels infligés aux Mu-
sulmans.
La campagne de Syrie n'eut et ne pouvait avoir aucun
résultat sérieux; il eût fallu, selon Piloti*, — et nous
souscrivons à ce jugement, — que le maréchal, dès son
premier séjour à Rhodes, au lieu «ralIcM- sur les ctites d'Asie
Mineure, se dirigent de suite, avee toutes ses forces, rontre
Alexandrie, avant que les vents ne fussent contraires. Dans
ces coiidilious, « il eust prins la terre avecque très grunt
« avoir et avecque son très grant honnour, et aussi de toute
« la crestienté », la campagne, ngoureusoment menée contre
l'Egypte, eût pu faire couiir les plus grands dangers à, la
puissance musulmane. Nous avons vu que la conduite, toute
différente, de Boucicaut, eut pour les Génois des conséquences
désastreuses.
1. Pilotî {Chev. au Cygne, r, 398-9).
2. Piloti {CheiK au Cygne, i, 399).
CHAPITRE V.
BATAILLE DE MODÛN. — RETOt'R DU MARECHAL A 0ENB8.
(OCTOBRK 1403).
Lp pillage dp BejTouth (8 août l'iOS) avait été fort préju-
diciablp au commerce dp Vonise. qui fintretenait dans cotto
place d'importants comptoirs. Quand la villo tomba aux
miiius des GéDois. les entrepôts vénitiens ne furent pas
respectés plus que ceux des autres nations. Malgré les
plaintes des Vénitiens, leurs marchandises furent enlevées^ ;
cinq mille ducats leur furent pris, et un vaisseau appartenant
à Bomard Morosîni, vice-baile de Chypre, fut capturé dans
le port ". Devant les réclamations que souleva sa conduite,
le maréchal se justifia en affirmant son droit de s'emparer de
tout ce qu'il trouvait en territoire ennemi, encore qu'il ne
fftt pas eu guerre avec Veiii.so\
Une pareille réponse n'était pas faite pour satisfaire la
république de Saint Mai'c ; la nouvelle du pilluge, transmise
par les marchands de Bej'routh à Bernard Morosini', et
par lui au capitaine général Charles Zéuo, parvint à Venise
1. Vite de* duchi (Miifalori. xxu, 7901. Ces marchandises eunsi»-
laîent «n quinze cents ballots importés de Damas, d'une valeur de
trois mille tliicats- Le rapport officiel porte < v pondes specierum »
{Sert, Secr., i, 108).
2. A'en. Secr., t. 108. Ce bâtiment était de cent quatre-vingts ton-
neaux et portait soixante-quatre ballots de coton.
3. Vite de' duchi (Muratori, xxu, 790); — Cronachetta Venexiana,
p. 4; — VHa di Carlo Zeno, p. 183; — Lettre de B. Morosîni du
21 août 1403 (Miiratori, xxri, 800).
4. D'après Sanudo {Vite de' dMhf}, il s'appelait Etienne d'Acre.
44^
BATAH-LE DE MODON.
le 19 septembre par ta galère < Molina » *, que Zéno avait
t-Mivoyêo en toute hàtv pour inforiiier le sénat de l'^vt-ni^-
meiit'. La lettre de Morosini signalait les Génois roinnu-
ilisposés à mener la campagne en corsaires; Venise répondit
îi\i\. communications de son agent en recommandant la
plus grande réserve à Zéno afin d'éviter tout coiiflU\
Pendant ce temps Zéno, aux termes de ses instructions du
10 juillet, aurait pu attaquer la flotte génoise, coupable d'avoir
commencé les hosiilîlés en pillant des établissements véni-
tiens ; mais il se rendait irop bien compte des hasards et des
ronséquences d*une déclaration de guerre pour la lancera la
légère, surtout lorsque son gouvernement ne cessait de ren-
forcer la flotte mise sous ses ordres et do l'engager à
la phis extrême prudence. Dans ces dispositions, il voulut
épuiser toutes les chîmces d'éviter la guerre, et fit part au
maréchal des plaintes de la république.
Il est ditlicile de savoir quelle fut exactement la portée de
celte démarche. La Vie dr /t'no affirme que le capitaine véni-
tien envoya des ambassadem's à Boucicaut; le Arrrr drs
faitSf au contraire, en expliquant les motifs que le nmrécbal
invoqua pour se justifier, nous dit qu'il les exposa à des
amis qui l'engageaient à se défier des Vénitiens. Il importe
peu de savoir si des pourparlers réguliers ou dos conver-
sations officieuses furent échangés entre les chefs des deux
flottes. Zéno voulait atténuer, sous une apparence de modé-
ration, l'ouverture d'hostilités depuis JDngtenips décidées.
On conçoit qu'il ait cherché â donner â ces pourparlers un
caractère solemiel, pour montrer jiéremjdoirenicnt son désir
de maintenir la paix. Boucicaut, au contraire, eu dimiiiuaut
l'importance de ces mêmes pourparlers, augmentait par cola
même l'odieux de la conduite do ses futurs adversaires.
Zéno se plaignit que lo niai'éclial evit recherché tontes les
occasions de rompre l'amitié et l'alliance qui existaient entre
Gènes et Venise. En infligeant â la république par sa con-
duite à Bevroutb une grave injure, Boucicaut venait de
1. Ainsi nommée parce qu'elle avait pour capitaine ou pour arma-
teur un membre do la famille Molin.
2. Vite rftf' rfwr/ii iMuratori, xxn, 790); — Cronnehetta Vene^îana^
p. 4; — Sen. Sccr.^ i, 107. — Morosini était chargé de tninsmettro
aux \7*nitîens toutes les nouvelles intt^ressantes C5tf«. J/i»/i, XLVI, 107),
:». 20 juillet 1'.03. (Sen. J/ik/i, xlvi, f. 92).
J
I
BOITCICAUT DISCULPE SA CON'DtnTE DEVANT BEYROCTH. 449
déchirer la paix do Turin ; Zéno se permettait de l'eugager
:i restituer aux Vénitiens les marchandises qu'il leur avait
enlovêes et à réparer le doninuige causé.
Buucicaut accueillit assez mal ces ouvertures; la conduite
déloyale des Vénitiens l'avait exaspéré, et il se disculpa
a^ser. vertement dos reproclies f^u'ils lui adressaient, en
faisant remarquer que, pour un homme ijui cherchait l'nc-
cjisiou dv ruuiiire avec eux, il n'avait cessé de leur témoigner
les seuiimcnts les plus amicaux, pareils du reste à ceux
qu'eux-mêmes lui avaient montrés. Quant au pillage de
Beyrouth, il n'avait rien à se reprocher; Venise savait que,
plus d'uu an auparavant, il avait délié le sultan pour avoir
anété des marchands génois au Caire, à Damas et à
Alexanrlrie; que liii-iiiéiiir, jtfin d'éviter tuiile complication,
avait prévenu la république, dix mois avant son départ do
Gènes, d'avoir à retirer des pays musulmans leurs mar-
chandises ; qu'enfin li's Vénitiens n'avaient p;is de marchan-
dises à Beyrouth, puisque les entiepôts étaient vides, et que
personne dans la ville, au moment de rêvénement, ne lui
avilit fait savoir qu'il en fiH autrement.
Malgré les instances répétées du capitaine vénitien, il fut
inïpossible d'obtenir rien de plus du maréchal. Sur la ques-
tion des restitutions, il se déclara prêt â rendre toutes les
marchandises s'il lui étuit prouvé qu'elles fussent propriété
vénilienne. Aux intentions belliqueuses qu'on lui attribuait,
il opposa sa cimduile, et protesta que, s'il avait eu le dessein
qu'on lui [trétait, il n'eut pas affaibli sa tlotte en détachant
quatre galères et quebpies galittfes'. Sur ce point, il était
sincère, et n'avait d'autre but que de regagner (îénes paisi-
blement; l'expérience lui avait moiitré qu'il n'avait rien
gagné â prodiguer, jusqu'à la témérité, dans des coups de
main aussi hardis qu'inutiles, sa bravoure et celle de ses
compagnons*.
/éno, malgn'î la modération dont il fit preuve dans ces
circonstances, était bien décidé à recourir à la force; en
transmettant à la seigneurie la nouvelle du pillage de
Beyrouth, il l'avait avis^éo de ses intentions. Sa flotte était
1. On entendait par gatiote une petite galère.
2. Viia rfi ^mo, p. 183-4; — Livre de* fait». H, chap. .vxv, p.
450
BATAtLÏ4E DE MODON.
(le beaucoup supérieure à l'escadre géuuise ' ; l'armée du
maré(!hal, d^cimôe par les corabaU et la fièvre, ne pouvait
plus conipenser par le courage sou infériorité numérique;
elle ne méditait plus, comme un instaut les Vénitiens
l'avaient redouté, la conquête de la Morée de concert avec
le granJ-maitre de Rhodes*. Toutes les cbanres favorables
seiïiblaieul n'-unios pour engager la guerre, et Zéno n'at-
tendait que la réponse de Venise pour ouvrir les hostilités.
La réponse du sénat fut telle qu'on pouvait la prévoir; au
milieu des nombreuses hypothèses qu'elle vise, à c(>té de<
précautions qu'elle recommande à Zéno de prendre pour
sauvegarder son commerce, et spécialement celui de la mer
Noire et la mer d'Azov, elle conclut, au cas de non-resti-
tution des marchandises enlevées, à une action navale ; mai*
elle la limite au cas oii Zéno se trouvera vis-à-vis de lu flotte
génoise dans une situation do supériorité manjuée, et lui
donne les pouvoirs les plus étendus pour auLMuenter, s*il le
juge utile, les forces vénitiennes par l'adjonction des galères
de Komanie, de Candie et de Crète ^.
Cependant le marvchal avaif iiuitté Rh<ides, et s'était
dirigé vers Candie. Il avait avec lui onze galères» dont une de
Chios et une galère de Tordre de Rhodes *. Arrivé sur les
côtes de Morée au cap .Saint--\jige\ il fut rejoint par deux
des galères qu'il avait laissées à Rhodes c moult bien garrdes
1. Noufi avons une série de délibérations du sénat, relatives à la floue
de Zéno, qui montrent do quels soins elle était l'objet de la part de
Venise. — 11 août 1403 (5«i. Misti, xlvi, f. 95 v). — l»7 août 1403
(Sen. Miiti, xi.Vi. f. ^8 v).
2. Cette crainte avait été assez sérieuse pour que le sénat eût or-
donné (13 septembre U03) au rapitaiue de l'Adriatique et au cliAlelmn
de Coron de s'établir à Zoncbio, dût-il en coûter quatre mille ducats
(Sathas, Doe. infd.^ i. p. 7).
3. 25 septembre 1403 {Scn. Secr., i, f. ta»). Voir Pièce» justificatives,
n" XXIX.
'i. I:. Koglieta (éd. de 1585, f. 184 \^) parle de deux galères de Khodes.
Hou<-ii'aul avait, avant d'atteindre les côtes do Morée, lirencié dea\
galères de Cbios, une galère et une galioto du seijfneur cle Mityléne.
une galéru et une gahote de Péra. une galère du seigneur d\Kno&. et
deux uu trois autivs galiotes, sans compter lu galère détachée &
Alexandrie {Uvre dtA faitt, n, cbap. xxxi, p. 643. V. Pièces justifica-
tives, n« XXXV).
5. Kxtrémité sud-est de la Morée.
CONCENTRATION- DES DEl'X FLOTTES A MODON. 451
« de bonnes gens d'armos et d'arbalcstiors à f^ant foison »*.
Mais, persuadé que ce renfort (évalue à plus de huit cents
hommes) était sans utilité, il continua sa route sans retenir
les galères. Le 5 octobre I îOiJ, il rolàchait au port des Cailles'
pour y passer la nuit. Au petit jour le patron d'un brigantin
vénitien, porteur des dépéchrs de la seigneurie, croyant avoir
affaire à la flotte vénitienne, vint les remettre au maréchal ;
mais celui-ci, avec une loyauté toute chevaleresque, ne vou-
lant pas profiter do cette méprise, les rendit sans les ouvrir.
Le leudemaiu (0 octobre) il fit voile vers le aonl. et jeta
l'uncre devant l'Ile de Sapienza'\ distante d'un mille environ
de Modon.
La flotte vénitienne n'était pas loin ; elle était massée au-
dessus de Modon. A peine les Génois eurent-ils mouillé
loui's ancres, qu'une barque, montée par cimi ou six hommes,
vint reconnaître la position du maivchal. Aussitôt Zéno prit
ses dernièi'e.s dispositions, mit ses vaisseaux en état de com-
battre, fit sortir du port de Modon, pour les joindre à sa
flotte, deux gros biitiments marchands, chargés de plus de
mille hnmmes et destinés au voyage de Tana dans la mer
Noire*, et garnît le rivage de troupes pour empêcher Bon-
cicaul de prendre terre, s'il eu avait riiitf*ntion\ La bataille
était imminente; on allait enfin voir éclater la haine sourde
que les Vénitiens nourrissaient contre Gênes, et crever
€ l'enfleure de Tenvie portée en leurs courages jà par lonc
« temps, et le vcnim qui en sailli lait et abominable »V
1. Livre des fttiU, il, cb. xxiv, p. 6:ï4.
2. Porîiu Qmilearum^ pointe méridionale du Péloponèae, à l'extré-
mitè de la prest^u'jle du MaKH»-
3. Vite de duchi iMuratori, xxn, 790 et 802); — A. Datidolo (CAro-
niroH, Muraloi'i, \ii. 517 H): — Livre des faits^ n. chap. xxiv et \xv,
p. GS'î-fi; — ('.nmttchrtln Venrzinnn, p. h\ — Piloti {Chev. au Cygne, i.
p. 3y«);— Vim di Zentt, p. 185; — Giiistiniani. m, 228; — StelU, iMu-
ralori xvn. 1200) ; — Livre desfaits^ n, chap. xxxi, p. 641-fi. Voir Piùcea
jufttifli'alîvfîH, n» xxxv.
4. lU tétaient sous le commandement d'Alinoro I/)mbanlo.
5. I Et avec ce par terre faisuiont aler seluti la mai*îne forant foison
« de gens (rarme« à pié el h rhesat. aftin que le marcwlial et sa
t cum})aignie un peuM esrliajiper par nulle voye im cas ijue, par jiaoMr
■ ou par quelque av^'riture, pour se naiiver vers terre se retrayi>t ■
{Livrt des faits^ n, chap. xwi, p. 636).
6. Livre des faits, n, chap. XXV. p. 63V
4Ô2 BATAILLE DE MODON.
Le capitaiae vénitien disposait do onze galères*, et des
deux gros bâtiments dont nous venons de parler. Le Uvre
tIfs faits p.'u'lt» encore de dix-huit ou viu-^t vaisseaux, chaig^s
de j^^Mis d'annes cl d'arlialt;irier.s; mais il ne semble [tas
qu'ils aieiil pris part û la bataille. Ils furent rangés par le
provèditeur de Modoii dans le port, pour le défendre en cas
d'attaciiie. Le dituancbe 7 octobre, la Hotte génoise (jaitta le
mouillage de Sapieiua et mit le cap vers le nord. Le maré-
cbal pn-nait la mule de Oônes, sans chercber la flotte véni-
(ioiine pour la i:oinljaltre, comme les Vénitiens ont voulu le
faire croire'. Zêuo, eu même temps, sortait du portdeModon
avec tous ses navires, et maiiceuvrait dans le but de se rap-
proebcr de Houciraut, qui suivait toujuurs sa route. Le man^
chai n'attache d'abord aucune importance à ce mouvement,
il croit que le.s Vénitiens quittent la Moi*ée jiour i-egagner
Venise; mais bientôt il est impossible <le douter do leur des-
sein; ils sont, au dire du chroniqueur, « tMi trop mauvaise
« contenance d'amis », et tous sont à leur poste de combat
Boucicaut se rend à l'évidence, s'arrête et donne l'ordre d*^
faire face à IVnnemi. Quand les deux flottes sont fts>ez
rapprochées Tune de l'autre, les voiles sout carguécs, de
part et d'autre on se met « en arroy de combattre ». et la
bataille s'engage. An milieu des contradictions qu\dîrent des
récits intéressés â disculper CÎL'nois ou Vénitiens, il est ditlî-
cile de dire de quel coté partit le signal*. Zéno, dans la roU-
tion officielli' du combat envoyée à Venise, ne trouve d'autre
raison, pour Justitier la nécessité d'en venir aux mains, que
Tordre parfait dans lequel le maréchal s'avança vers la flotte.
1. Piloti {Chfv. au Ctjrfne, i, p. 39fl) donne h- nombre de vi, mais
c'est une faute de lecture (xiiir \i. ht;n]!)u (Mumlori. xxn, "90) ilonne
le chiffre de dix gaU';rcs, chill're évidemment erroné, comme le prouve
l'unanimité des autres clinmiqiieurs.
2. Les sources vénitiennes cependant sont obligées de reconnaître
ce mouvement de Boucicaut.
3. Le Livre des fait* {\\. ch. \\\'\, p. 636-7) dit que Boucicaut fit
« expreiue deflence que iml ne fcist semblant de traire h ouU twm-
« barde ne autre trait », et que ce furent les Vénitiens qui eriémnl ;
1 bataille, bataille, et avec ce saluèrent les nostres de bonnes bum-
t l>ardes, si fu leur la commençaille i. D'après la Vita di C. Zena^ ce
serait aussitj'u après la manœuvre ordonnée par le maréchal, qu'une
immense clameur s'éleva de l'armée génoise et fut le si(fnal de U
lutte.
sans avoir détaché, coinrac il l'avait fait on une autre oir-
constance. un bâtiment eu piirleinentairc. — ordr<> qui Ht
comprendre a» capitaine vénitien les inteutiona hostiles des
Génois*.
]^a lutte fut acharnée. < dure et asprc et mortelle et à
« bonnes lances »; les vaisseaux étaient encliovétrés les uns
dans les autres ; quatre heures durant un tit de part et <rautre
(ies protiiges de valeur. « Après les lances, s'ciitrecourureut
4. sus main à main, à dagues cl à haclies et cspéos* ». Les
galères vénitiennes avaient sur la Hotte j^énoise un grand
avantfi^e, celui d'avoir leurs équipages au complet et le
nombre réglementaire do rumbattants. « Si n'ostoit mie le
€ gien esgal quant eu quantité du gent, carpuur un. quatre y
< ot des ennemis, et presque le double dn navire. » Le mai-é-
chal déploya ^tm intrépidité habituelle: « car Dieux scet
< comment lui et les siens vaillamment le firent, lui, pour
< conforter ses bons combatans, et eulx par l'exemple de lui
« et pour garder leur bon chi'\etaine et seigneur. » Sa galère,
montée par deux cent quatre-vingts à trois cents combattants,
s*était « accouplée » à celle du capitaine des Vénitiens, et
deux autres galères génoises étaient venues la renforcer.
L'abonlage fut teirible; on vit lf*s ompagnons du niaré-
ehalt « comme loups faineitleux ou enragiez sail-
< lir en la galère du cajdtaine si ilruemont et courir parmi,
« faisant les traces df leurs coups ». rUrislopho Uianco,
capitaine de la galère de Zéno. se battit comme un lion. Ou
put croire que le vaisseau vénitien allait succomber sous
l'attaque di' Floucicaut. Il n'en fut rien cependant, soit grAco
à une manreuvre habile du capitaine vénitien entouré de trois
côtés d'ennemis', suit paire que les galères, grandes et
I. Vile de' dnchi (Muratori, xxu, 802-3).
3. Livre rfM fniu, n. chap. xxvr, p. 637.
• Dato il segno, luUi i romalori, 1 mnrinari od i Boldati clicorano
inli*rno itd csbu in gran oalca se iw andaruno al dcHtro lato dclla
(futcra, e tutti kI ïi|}ac4:iaroiio a corrcrvi, Htl allora comand6 ctie da
quollii parte &i faec»se penUerc la ^'alera aggravata dcl peso de* corpi
c (lolle armi. tome questo fu escguito. Hubito avvonnc oosa rho
prima non m fiarebbo pottita cpoderc, (icpclié tutto il pericolo rhe
|»afwa soprastare imminente col combattore dai tre lati délia galera
Tu Icvato via in un nttimo, di maniera chc la /utTa rldotia al tlestru
lato retflo pareggiata, e tutte le gonto délia galera viniziaua cou
454
ItATAILI.K Dlî MODON.
hautes, qui appuyaient le mart'chal. étaient trop encombrantes?
soit plutôt parce que I^Wnanl Mocenigo, à la vue du péril
que courait Zéno, mauœuvra de façon à le dégager eu atta-
(juant par la poupe luie des galères génoises, et força ainsi
les autres à battre en retraite'. En ce moment Teutrée en
lipiifi il'un smil b;'iiim(Mi( v^'-nitien eut suffi pour cerner la
galère du uiarèulial. Ku irièmp t.euips trois galères génoises,
(jui s'étaient aventurées trop loin, étaient cernées ot prises
par les deux gi'os bâtiments vénitiens.
Le choc avait été si violent, la mêlée si acharnée que de
part et d'autre on s'arrêta» quoique la victoire fût indécise,
Zéno ne poursuivit pas l'ennemi et rentra a Modo». Sa flotte
avait trop suutïert pour pouvoir t"nir la mer; sa galère ne
comptait pas trente hommes valides; le reste était tué ou
blessé. La plupart des b:Uimenls vénitiens n'avaient pas fait
leur devoir: p^rsonno, si ce nVst Mocenigo, n'étiit vomi ïui
secours de Zéno menacé, et il n'est pas téméraire d'attribuer
la couduiio des capitaines à des jalousies de commande-
ment*. De s(m côté le maréchal, quoique ayant perdu m»h
trois meilleures galères, ne s'attribuait pas moins la victoire
Il est vrai qu'il avait, après la bataille, battu eu n»traite
sans être inquiété; les Vénitiens lui avaient laissé le champ
libre, et, loin de tenlerauciui effort |iour dégager une do Imrs
galères cernée par la flotte génoise, ils « s'en allèrent retirur
« ot ficiier en leur ville de Modou, dolens ot marris, dont
« avoyeut failly à leur intontion. » Ils avaient perdu, tant en
tués qu'en blessés, plus de cent cinquante bommes'\
• grand'ansift comlmUfvann rr>n!rQ ai nemico vhc n qu<Mla nnNirsiina
• pui*t6 s'era ûppo^to... Dal sinistro liUo fit la jL'nlnra di t'nrlu sioura (lai
■ tieniico, perché por lo abba-ssare del latu destro diveiine piii alUt da
« quolla parte, o più bnssa doIT altra banda; ed aiicura rordii»' tU\
■ reaii pareva clie faresse ora ostarolo, ora dilesa; e i danli e Ir
« partigiane lanciate dal nemico dal Iuojl^ piii ba&so jmrcu-
I levano ne* remi, e cosi i nemici in vano ruiubaUevano da quella
< parte, né di quivi puleano più ulTendere î ViiiiKiuni » (Vita tii fjarh
Zenoy p. 191-2).
1. Voir la relation orHcielle dans Muratori, \\u. 803.
2. Lr hénal, dans ses instructions à 'Aêno, avait pr^vii la question
de prééminence des • supraconiites •, et t'avait tranchée en Cavriir
de Zéno.
'^. Los »ourccK vénitiennes disent cent cinquanle-troîs liumaics
J
455
Ducôtô des Fraii(;ais et des Génois, tous avaient fait cou-
rageusement leur devuir. Le « vaillant diovetaino s'était
distingué, comme toujours, au premier rang; à ses côtés
Louis de Culant, .îoan Dôme, Robinet Frotel et Jean le Loup
s'élaicnt hardiment comportés. Parmi les écuyers Ouicliart
de Mago, liobert de Tholigny, Renaud d'Kscambntnno,
Richard MouteiUo, Jean de Montreuard, Chariot de Fontaines,
Odart de la Chassaigne, avaient donné l'exemple de la plus
brillante valeur. Jean d'Ony, au prix de graves blessures,
« y fist tant de sa part que il en porta, audit des amis et des
« ennemis, â men'eilles grant loz. » Les Génois ne restèrent
pas en dessous de leurs cmipagriims; leurs pertes s'élevèrent
à plus de six cents hommes', sans compter plus de quatre
cents prisonniers faits sur les galères capturées. Parmi ces
derniers était Châtnauinorand, le second du mm*échul, dont
la conduite penilant l'actitm avait été an-dessus de tout élogfî,
et réiitede la noblesse fi-îinçaise et génoise; ils furent dirigés
sm* Venise'. Quant aux galères, elles fumnt cundiiiles à
M'ulon, j't leurs cargaisons, numéraii'e et marcluindiscs, furent
consignées aux uiaius du rhàtt^^lain de Modon, malgré les
réclamations des Génois qui prétendaient ([u'elles ne prove-
naient pas du pillage de Hi-yrouth. mais do prises faites à
Famagouste*.
La déloyauté des Vénitiens avait exaspéré le maréchal.
Mais < tant romaint dolent et Indigné de ceste advanture,
« dont jamais ne se donnast de garde, et de ce qu'il avoit
(.1. iJaiiduli chronictifi, Muratiii'i, Xii, 5!7\ — Vite de' ducht (Mura-
turi, \xir, 700», etr.
t. Il convient de remarquer que ce» évaluations ftont de source
vi^tiilioniie.
2. Pour le ré<Mt de la balaille. voir: Sources génoises. Stella, (Muratori,
xvn, l'ieei ; — (;iustiniani, ii, 338; — V. Foglieta, ni. de ir»85, f. i8'i x-*;
— Livre défi faits, n.cli.wvi. p. 6^6-8. et les historiensf^Onois. — Sources
v^iiilicniies, Vitn di Carlo Zcno, ji, 18r>-95; — A. Ùanditti chronicon
iMuraturi, xit, 517-8); — Vile de' ducht di Venezia 'Muratori, .\xn,
TltO); — Croiifirhetta Vvnesiana, p. ô; — Piloli (Chev. au Ojyne, i,
p. 398); — lîelniion officielle de ^noà la seigneurie (Muratori, xxn,
8US-4); — Procuration d» 18 mars l'iO'i. lArch. do (It^nes, Materie jm'
SUivhe, max/.o U, 27JO, oi Arcli. de Venise. Syndicati, p. Ï84), i*it*ïe |)ar
U(»innnin (Slorin documentata di Vene:itt, iv, 8-10).
•J. Parts Ips Vite de' durfii (Muratori, x\n, K04) ligure le détail des
marchandises saisies.
456
RETOVR nu MARKCnAL A GENES.
« ainsi esté prins dospourveut *»( aussi de la perlç qu'il ni
« fait de sa gciit, qu<3 nul ne pouiToit diro rommont son cuor
« fu gros ot f^nrtoz oontrp Véneciens. » Après avoir luoiiill^
sur lo cluunp do Imlaille, il rassembla ses vaisseaux, reforma,
lo mieux, ([u'il put. ses «'^quipa^es décimés, et reprit la route de
Gènes, la vengeance dans le cœur'.
Nous ne savons si Boucicaut rentra à Gènes avec les huit
galères (|ui lui restaient après la bataille; les sources vêni-
lienries ne parlent que de cinq galères qui tirent voile vers
l'Occident. Ce chiffre peut se justifier eu remarquant que la
g^alère de Rhodes et celle de Chios, n'ayant aucune raison
d'acc()inpaf,nier noucicaul en Occident, dui'ent se séparer d<>
lui à Mudun et que, pour compléter ses équipages, le luai'è-
chal fut obligé de répartir celui d'un de ses vaisseaux sur
les cinq autres. De cette fa(;on le chiffre de cinq galères e^t
atteint, mais ne s'applique qu'aux vaisseaux en état ihi cotn-
hattre. Los transports, la galère désarmée dont nous venons
do parler, celle qui fui prise aux Vénitiens, accompagnaient
certAineniont l'escadre génoise, tout en n'entrant pas dans le
calcul do son effectif*.
Quatre jours après la bataille (11 octobre 1103). deux
navires vénititMis se MintiUvrt'nt eu vue de la flotte génoise
dans les eaux de Sicile. Le maréchal, heureux do c*»ttc
occasion de vengeance, donne Tordre de les attaquer;
après un court combat ils sont pris et conduits à Gènes;
les cargaisons sont saisies et les hommes faits prisonniers.
Le maréchal ne les relâchera que quand ses chevaliers et son
fidèlo Chàteauuiorand auront élè délivivs de leur prison\
Le reste du voyage se passa sans incident ; le maréchal
1. Uvre deg faits, u, cliap. xxvir, p. 6Urt.
2. Cronarhetta Veneziana, p. 5; — Vite tie duchi (Muratori, xxii,
"yo et 804).
3. Livri^ des fnit»^ ii, chap. xwn, p. 6:t8-9; — CronacheUa Vene-
zxana^ p. 5; — IV/^'rfc'rfurAi (Muraton, xxri, p. 791). L'an dos vaisseaux
avait pour patron Jean (Zannij dp l*izo, il revenait de Romanir; l'awtp*,
chargi^ de his(*uit, de ramos et rl'approvisi<iniiomf*nts maritime» à
destination de Mwlon, avait pour patron Victor Marrofo; citait un na-
vire apparlenanl ati ■ commun <ln Venise •. Le 7 novembre lias,
Boucicaut fait vendre le chargement de biscuit do la paliot** véiiiticnno
captnréo, parce qu'il pourrait se gàlor (Arch. de G^nes, Ùtvrrs Hcg.,
{6, 501) r. ^8 Y").
RETOUR DU MARÉCHAL A GENES. 457
rentra à Gênes le lundi 29 octobre*. Sa colère n'était pas
tombée, et il ne songeait qu'à infliger aux Vénitiens tout le mal
possible, à faire attaquer par les Génois tous leurs bâtiments
en représailles de l'attaque dont il avait été victime. Le
retour fut lamentable, et, dit l'auteur du Livre des faits,
€ bien vous promet que ce ne sembloient mie gent venans de
« feste ou dance : car à merveilles estoyent lassez, navrez et
€ desrorapus, et n'estoit mie de merveilles* ».
1. Stella (Muratori, xvti, 1201). Le 30 octobre, Boucicaut faisait trans-
crire sur les registres de la chancellerie génoise divers actes con-
cernant la campagne de Chypre, dont les originaux avaient été expédiés
pendant son absence (Arch. de Gènes, Divers Heg.^ 6-501, passim).
Hepquet (Cyprische Kônigsgestallen, p. 39) dit, à tort, que le retour du
maréchal eut lieu le 20 octobre.
2. Livre des faits, ii, chap. xxvn, p. 638.
CHAFITKK VI.
NÉGOCIATIONS. — ACCORD PC ?? MAKS 1 iO'l,
La nouvelle de la bataille de jModou fut accueillie a VeiiiïiC
par doîj transports de joie; d^^s illiirniiiatioiis géniTales eurt'ul
lieu le 24 octobre 1 103; sur le camiiaiiilc de Saint Marc, lepluiub
de la coupole se li(jU4^lia par la fifrce de la chaleur, et Jea
trois cloches siJufTrirejit du fou. Ainsi s** trouvait réalisé' un
antique pi'overbe vénilieu. d'après li-quel la t!:rande tom* de
Voriis*^ devait bn'dop et Atre refaite avant (\\\o Padoue fiU aux
Vénitiens'.
Ces sentiments n'ont rien de .surprenant si l'on songr^ à
l'animusité que les Vénitiens n*avaieut cessé de témoigner à
leui's rivaux ; rêchec des Génois, inalrrry b» prix auquel il était
acheté, remplissait (oum les cœurs de joie, quelles que
pussent <^tre les const^quences ultérioun*s de révénenient,
et quelques complications qu'il pût susciter dans la suite.
Venise se rendait fort bien compte de la portée de l'agres-
sion à laquelle elle s'était livrée, en pleine paix. Taudis qu«
la ville tout entière se réjouissait du succès des armes véni-
tiennes, le sénat, san.s perdre de temps, so juViiccupait
d'atténuer vis-à-vis des puissances étrangères Teffet do la
balaillp de Modun. Kans ce but. il accréditait (*2S octobre]
Picnv! de (fiialfti'ilini ' auprès du diic di^ U'Uirgogne, avec
mission de porter à (liarles vi une lettre de la république.
Dans cette lettre, en date du .'ÏO octobre. Venise proiesiait
1. V7/^ de' tiuchi (Muratori, .\xn, SOCii. I^ coupole fut rcrailc et dorée
i) cotte (jfcasiun.
2. Il était notaire de la république et se trouvait à ce momeni à
Trévise.
I.ErrRE IiE VE.NISE AL* ROI DK KRANCK.
de son respect pour le roi do France et de ses intentions
pacifiques. Elle exposait que. lésée dans ses intérêts commer-
ciaux à Cliypre et à Rhodes, elle avait, par l'entremise de
son ambassadeur, obtenu du gouvernement génois la répara-
tion du préjudice qu'elle avait subi ; mais que le maréchal
noucieaut, maljf^é l'accueil jtacitique i|u'il avait reru de
Charles Zéno en mai l'ill^i, à son premier passage à Modon,
malgré ses assurances réitérées de respecter le commerce de
la république, avait démenli ses promesses en pillant el pre-
nant H Beyrouth, au nnâs d'août suivant, les nianhandises
des négociants vénitiens. La seigneurie ajoutait que, le 7
octobre, la tîotte géimise, passant de nouveau à Modou dans
les eaux vénitiennes, avait montré, au lieu des intentions
pacifiques d'autref(>is, les dispositions les plus hostiles, et
que cette attitude avait forcé /éno à la rombattrc, et à cap-
turer trois des galères qui la eomposaient ; elle terminait en
témoignant de ses excuses et de ses regrets d'avoir ^té poussée
par le maréchal à cette extréinité'.
En même temps le sénal songeait à avertir officiellement
du même lait, dans des termes à peu près semhhililes, les
princes italiens, le seigneur de Padoue. le pape, h» comte de
Savoie, le roi Ladislas, la duchesse de Milan, les Floren-
tins, le cardinal de Ltologi»e. le patriarche d'Aquilée. le marquis
de Ferraro, le seigneur do Manloue et les Malatcsta: mais la
majorilé des sénateurs se prononça contre cette pritpo-
sition. et se borna ii prévenir le roi de France ; aussi bien
élait-il le seul dont les résidiitiuns étaient à craindre, te seul
dont il impoPtJiit d'attêimer le ressentiment'.
Il ne semble pas, du reste, que les Vénitiens aient eu, à
ce momout, le désir de continuer h's hostilités ; mais, loin do
1. 2fc et 30 oetubro HO» (Arch. de Venise, AVn. Mistt\ xi.vi. f. lo'j-
11 V". — Voir Pièces juslifirativcs. n" \\\). — En m<>inp temps um?
lettre seniblabln ^tait ailressée à Philippe île Mt^ziére^, coiispillcr do
Charles vi. — Cette lettn^ de la rèptil»li(|ue de Venise à Cbarlesi vi,
qut>)()iie portant en mar^e dans le registre de la chanoellerie v(^nilienne
la mention \ non scribntur >, a cependant 6té envoyée au rui de
Kraiire; lions en avons la preuve daoH un [rnsï^age d'une des délibé-
rations ult«>rieures du sénat <iii:it*H I 'iiC), dans lequel allusion est faite
Il cette lettre (Arcli. île Venise. Srn. .Sf/v., m. f. 58 v); en utilro le
LitTC ffes ftiiiH (t\, cliap. .\.\x, p. )»'in-l) l'analyse en quelques ligne».
2. 28 octobre iiu:t [Sm. Misli, XLVI, f. 10»).
460
NEGOCIATIONS ET ACCORD.
se dissimuler les dau^^ers et les difficultés de toute sorte qui les
attendaient, ils prireat toutes les résolutions que commandait
réventiialitè d'une guerre. Ordre est donné à Zèno, qui croire
dans les eaux de Nemle, de revenir ;i Venise avec toute sa
flotte * ; Venise sera mise eu état de défense; les Conseillenf.
le capitonne des Quarante et les Sages du conseil j»rendronl
les mesures nécessaires pour protéger la ville par terre et par
mer*. Les autorités de Corfou et les capitaines vénitiens en
Orient captureront t«nis les bfitinients génois qu'ils rencon-
treront'. En môme temps, la diplomatie de la république
s'efforce de se créer dans l'Adriatique comme dans la mer
Tyrrhénienne des ports de refuge, et elle ne néglige aucun
effort pour y réussir. Tels sont, sur la côte de Dalmatle, la
ville de Kaguse et plus au sud quebiues autres positions. Le
sénat s'empresse d'autoriser, à cet effet, l'ouverture de négo-
ciations et de donner à ses représentants les pouvoirs les plus
étendus; quelques jours après, une ambassade solennelle est
envovée â Uaguso pour remercier la cité de laccueil qu'elle
a fait à la Hotte vénitienne après la bataille de Modttn, et
p(tur obtenir d'olle de fermer son port aux Oônois. Pour
atteindre ce bul, il n'est pas de flatteries délicates que doive
épargner l'ambassadeur vénitien*. Les possessions du roi
Ladislas en Oalmatie aussi bien qu'en Pouille attirent égale-
ment l'attention des Vénitiens ; ils lui font demander, par
l'entremise de leur consul en Pouille, de les y admettre à
l'exclusion des autres nations'. Une rlétuarche analogn*^ est
tentée auprès de la ville d'Ancône, et Venise chercbe, en cas
de guerre, à fermer l'Adriatique à la marine génoise*. Dans
le même senn'menf politiijne. le sénat se pn*'occnpe de s'as-
surer, dans la merTjrrbt'uicnne. un nudc-ux points de relAclie
aux environs de Pise. Il envoie un agent auprès de la duchesse
1. 8 novembre 1*0,1 {Sfit. S>rt\, i. Il'ij.
2. 8 novembre r.o:i (.s>n .S«t., i, 112)
Setr., I, i\h).
3. 29 novembre 1403 (Sathas, f)uc. ine'd.., i, 7-8).
4. fi novembre 1403 (Monum. speel..., v, 26U —
{.Uonuw. xpect..., v, 30-1).
5. 20 novembre 1403 {Monum. Jifiecl..., V, 29-30).
6. IG novembre lUW (.Sch. N«t., i, 112).
22 novembre 1403 (.S'«ii.
29 novembre 1403
de Milan et des princes lombards et toscans qui peuvent
servir ce dessein*.
Les Génois, de leur côté, et surtout Boucicaut, nourris-
saient (les seiititnonls npposés. Profoiidéinr-nt froissé do la
conduile de la n'^puîiliqae de Sjiint Marc, le maréchal avait,
dès son retour à Gènf's. envoyé aux Vénitiens un ambassadeur,
Calianeo Cigalla. airconipagiié d'un secrétaire. Il leur deman-
dait compte de l'agression dont il avait été victime, se pbà-
gnait de la rupture de la paix, et voulait connaître leurs
intentions ullérieures '. Celles-ci, à tout prendre, étaient
pacifiques ; aussi le représentant du nuiréchal, quand il iuriva
à Venise, obtint-il facilement un sauf-conduit (.îll iiovembrej,
et put-il conclure une trêve avec Venise sur les bases de la
reslitulion nM'i]H'(M|ne <U's prises, — trêve fjue le capitaine
générai génois pour rOrient dénunrail le 2 déci?njbre 1 iOJ '.
Ce premier point réglé, Cigalla* se présenta devant le
sénat. L'objet de sa mission était de savoir si la déclaration
de guerre faite par les Véuitieiis aux Génois était intention-
nelle, ou si elle avait eu lieu sans l'assentiment du sénat. Dans
le premier cas, il demandait que lo préjudice causé à Gènes
fût répans dans le secoini, que ceux qui avaient agi sans
mandat fussent punis d'une fai.on exemplaire. Il demandait
enfin la restitution d(?s navires et îles prisonniers.
Le sénat répondit, le 13 décembre, que, sans répéter les
raisons, déjà connues et exposées maintes fois, de la con-
duite de Venise, la responsabilité de la rupture des relations
pacifiques entre les deux républiques incombait aux Génois.
et qu'il n'avait ni indetnnités à domier, ni rebelles à punir ;
par suite, il était en droit de retenir les vaisseaux et les pri-
sonniers. Il ajoutait que si Gênes admettait en principe ta
réparation des torts causés aux Vénitiens, ceux-ci de leur
1. iG novembre UO:t. • Utile esset. , . babere tu nostra liberiate vel
pni riustru rt-Juctu unuin vel duos ex j»)rtuhu8 et locis qui sunt în
I portibus I'i»Jiruni ft ilhiruiii otuiratanim ■ (Sen. Secr.^ i, llîi).
2. Stella (Muralori, xvn, 1201); — (îiusliniani, n, p. 229.
S. Snn. Secr.^ I, 117; — \rc\\. des AfTaires étrangères {Memorie
Genoveti, M, 328}; — Tièneit, Hitiliottièqne Brignole-Sale (extraits de
Roccatagliata, ma. 108 D. 2, ii. K).
4. 5 et 11 déf^mbre l'i03 (5rn. Secr., u Hf^)' Cigalla, pendant ma
séjour à Venise, fut défrayé aux fraia de la républi<iue.
462
NEGOCIATIONS ET ArOORO.
côté étaient prôts à désigner den plénipotentiaires, «t a les
m<^ttre en rapports avec Tainbassadeur génois'.
La réponse du sénat n'ayant pas effrayé Cijfalla, quatre
auditeurs furent accrédités auprès de lui; ils lui exposèreul
les prélenliuns do. Venise. Cello-ci demandait lu réparation
des (luniinages infligés aux Vénitiens :
1" à Chypre et à Itliodes,
J" à Keyroulh,
3» à Tripoli
et 4*" celle de tous ceux qui s'étaient produits jus-
qu'à la conclusion de la Irève. Elle exigeait aussi la restitu-
tion de la galéasse prise par les Génois à Modon et dos
navires capturés par le maréclial pondant le retour do la
flotte à Gènes*,
Cigalla accepla ou principe ces réclamations, sauf colle
concernant Tripoli, qui lui était inconnue; mais, de son
côté, il insista ériergiquement sur la libération des prison-
niers, en faisant nbserver que le fait était sans pi-écé-
deuts puisque, eu maiates circonstances. Venise, aussi bien
que Gènes, avait capture des bâtiments dont la cargaison
valait quatre-vingts et cent mille ducats, saus jamais retenir
les équipages prisonniers'. Celte question, en effet, aux yeux
des Génois, et surtout d» maivichal. primait toutes les
autres; par là s'explique la facilité avec laquelle Cigalla cédait
sur tous les points, sans chercher à soulever d'objections ni
à susciter de retards. Ses instructions étaient formelles, il
fallait faire relâcher .iu plus vite les prisonniers. Malgi'é des
conférences quotidiennes^ et un désir réciproque de concilîa-
1. 13 décembre 1403 (5«i. Secr., i, 119. V. Pièces justificative,
n" xxxu).
2. 15 dêt^ombni 1403 {Sen. Secr., i, 120 V).
3. • Oixit [C'igalla]... subjungcndo quod nunquam viderai nec
t aiidivcrat quod prupter damna (lat;i aut injurias ïllatas, exi»terido in
I pace, homines et personc capte rctincrontur, irao cum ralcllaiiiK et
* ipsi sGPura fcccrant et receperant multa danna. acoeixTHnt plura
■ navigiadc valore <;•" ducatorum et lxxx™, ot quod nutiquam por-
• wjne rtïtentp fuerant nce mercatores, se<l expoliebantup et pcrmîtle-
« haniur iro pro faclis suis, et quod propterca placerft in hoc facto
■ faoere rem Doo gralara et de qua reportaremus mundo famam et
« gloriam ; ultimate concludendo non semel se<l ler quod poneretur
I presto flnis istis negociis, quia dilalîo non poteral esse ntsi mala ■
{Sen, .V«T., 1, 120 \-).
tioD^ la mission de Cigalla ne prit Ëa que le 22 janvier 1404;
encore à cette date rien n'était-il terminé; on s'était seule-
ment mis fl*accor(l sur deux i)ri>posit,ionrt êmam^es de Venise,
dont l'ambassadeur alla ilemander à Giuies la nititicatift»'.
Pour arriver à celte entente, — encore qu'elle fût bien
imparfaite, — les négociations furent longues et diificiles.
Il n'est pas sans intiVtH do les suivre pas à pas, on groupant
sous chacun des chefs qui furent disculés par les négociateurs
Je résumé de leurs délibérations.
Lii queslion des dommages pour les faits survenus à
Chjrpre et à Rhodes nr* pouvail donner lieu à de longues dis-
cussions. Elle était résolue dès le mois do mai précédent ;
une prétendue erreur du calcul dans le cliiflVe diî l'indemnité
avait seule relardé le paiomenl, ot Cigalta passa outre'.
Quant au pillage de Beyrouth, le plénipotentiaii-e génois
avait, dès la première conférence, implicitement reconnu la
légitimité de la demande des Vénitiens, en avouant que le
fait avîiii été fort regretté à Géues, et qu'il était ditticile
d'empêcher des soldats, au moment d'un pillage, de distin-
guer ce qui était propriété des Sarrasins de ce qui apparte-
nait â Venise*. La disctission ne porta que sur le chiti're du
dommage; devant les observations de Cigalla, les Vénitiens
-se déclarèrent prêts à une transaction, pounu que l'tMisemble
des conditions de paix fût accepté sans relard'. Mais
1. 22 janvier Ii04 (Sen. Secr.^ i, 128).
2. Voir plus haut ce fiuî a éxà dit sur cette négooiation. Le sénat,
dès le 25 août, avait agité la question de Tcnvoi k (lènes d'un agent chargé
de toucher l'argent promis; il ne fut envoyé que le 2t septembre li03.
(Sen. Secr.j i, f. 103 et 106). Le terme de paiement était Hxé au 1 sep-
tembre l'i03, mais le maréchal, étant à Khodcs, avait mandé do ne
payer i|ue deux mille quatre cents florins au lieu de trois mille quatre
cents ducats, parce (|u'il avait appris qu'une erreur de calcul avait été
commise {S^n. Secr., i, 120). Gènes consentità payer trois mille quatre
cents ducats et l'estimation à intervenir du navire de Tbadée Uonc-
detto {Sen. Sfcr.., i, 121. Voir Pièces justitîcativcs, n« xx.vm).
a. 15 décembre 1'iO:ï {Sen. Secr., ï, 120).
16 décembre 1103 {Srn. Secr., i, 119 %•"). Venise demandait trenlc-
deux mille ducats, cbittre fixé par le sénat. — Cigalla protesta (18 dé-
cembre K03), en faisant remarquer que les chiffres donnés par les
négociants lésés, ot qui avaient servi à calculer l'inilemnité. ne pou-
vaient être acceptés sans contrr^le {Sen. Secr., i, 121). Le 20 décembre,
il proposa de s'en tenir au chilTre dressé par les massiers génois, ot
qui n'était pas encore connu iSen. Secr.t i, 122 et l23-'«). Les Vénitiena
464
NEGOCIATIONS ET ACCORD.
lo pl<>nipotentiairo génois so refusa à toute concession, ei
Venise dut, en rin de compte, admettre le principe d'un arbi-
ti'ajïe et la base d'évalualion qu'elle avait rejeiês à Torigine'
(IG,
9? 97
, 29 décembre ) 40:îj.
La question du préjudice souffert par la république à Tri-
poli*, — à la([utdli? elle tenta, au cours des négociations, de
rattacher un nouveau duiinnage, subi aux salines de Chypre*,
— fui réservée d'un cuniinnu accord. Cigalla n'avait de docu-
uients prêci-s sur aucune de ces deux prétentions, et s'enga-
gea, après la conclusion de la pais, à faii'e rendre A Venise.
par lo gouvernement j^énois, la justice qui lui était due*.
Eatiii ios Vénitiens prétendaient, avec raison du i*e*»le,
être indemnisés de tous les doïnraages causés à leur com-
miTce et à leurs navires jusqu'au jour de l'aruiistice. Celte
prétention étûL d'autant plus sérieuse que les Génois, sur
l'instigation du maréchal, et par haine des Vénitien», se
s'étaient pas fait fauie de leur faire tout le mal possible
depuis la bataille de Modon. Cigalla no nia en aucune façon
la légitimité d'un pareille demande, et il fut convenu que
les indemnités auxquelles Venise avait droit de ce fait lui
seraient payées, ce qui était justice*.
La restitution des navires pris k Modon et après Modon
par le maréchal ne fut jamais contestée par le représentant
de Gènes*. Il setubhiit ilotic (|ue, d'accord sur les principaux
points en litige, les deux puissances ne dussent pas tarder â
voulurent subordonner la question aux autres pointe du lltigOt
rant, par une sorte d'ultimatum, triompher des hésitations de
adversaires. Marc Uandoluavait pixiftosédaccepterleslimation génoise et
le chiflre vénitien cumme bases, et de charger Florencededéterminerqui
aurait à supporter la JilTérence entre ces deux cIiifTrea, et dans quelîes
proportions. Cet avis fut repoussé le 27 décembre (5cm. Secr.^ i, 123).
1. 29 décembre 140a {Sen. Secr., i, 124 à 125 v*). — 31 décembre
iSett. Secr., i. 126).
2. Il s'agissait de cotons.
3. Vn préjudice de six cents ducats avait été causé à ser Nicolas
f-occo, citoyen vénitien, jiar les Génois (Sen. Seer., i, 12i-2. V. Pièces
justificatives, n» .vxxni).
'i. Délibérations dc-s 15, 18 et 22 décembre 1403 {Sen. Seer.^ i,
120-3).
5. Délibérations des 15, 18 et 22 décembre 1403 {S^. Seer.,
120-3).
6. 15 décembre 1403 {SetL Secr., i, 120-1).
SOHT DES PRISONNIERS.
465
s'entendre d'une façon complète; la question de la libération
des prisonniers recula et friillit mOine compromettre ce
résultat.
Le sort des prisonniers préoccupait avant tout les Génois
et particulièrement le marèclial. Nous avons rlèjù dit, iju'A
sa première entrevue avec les Vénitiens, Cigalla avait réclamé
leur élargissement, aflirmnut que leur empriHounement était
illégal et contraire aux usages suivis par lu répablique en des
circonstances analogues. Venise avait répondu en posant le
principe de la restitution réciproque des prises, mais en la
i-eculant jusqu'au moment où les in<lemnités à fixer pour les
dommages subis avaut l'armistice auraient été déterminées,
ou jusqu'à ce que Gènes eût fourni des assurances ou des
cautions suffisantes pour rendre la délivrance des captifs
sans danger pour Venise'. Cigalla répliqua qu'une pareille
mesm'o était inhumaine r|uaiid les deux nalions étaient en
paix; que l'échange des prisonniers, puisqu'il devait être
réciproque, équivalait à un échange île cautions, et qu'il n'y
avait pas Hou de mettre en doute hi lioune f<d des parties
contractantes, surtout si l'on songeait que depuis l'armistice
les négociants génois et vénitiens avaient commercé c<He à
côte, donnant ainsi à leurs nations l'exemple de la fraternité
et du bon accord. M:iis Venise tint bon et persista dans sa
proposition (18 décembre'). Elle subordonna la libération des
captifs au versement des trois mille quatre cents ducats, dus
par les Génois, et à la restitution îles navires vénitiens avec
leurs cargaisrms; puis elle proposa, en échange d'une mise
en lilterté immédiate, que celle dos ileux puissances qui
n'aurait pas exécuté les conditi<ms qui lui incombaient, au
moment de l'élargissement des prisonniers, donnAt caution
à l'autre pour garantir le plein effet des stipulations consen-
ties'. Cigalla, désireux il'en iinir avec cette question, accepta
CCS propositions et demanda tl'en référer à Gènes arant de
passer outre (?8 décembre 1403*).
Le mois de janvier liOi s'écoula sans que le gouverne-
ment génois rtt connaître sa réponse. Cigalla, cependant,
1. 15 décembre (fien. Sâcr., i, 121).
a. 18 décembre [Sen. Sfct'., l, 131-2).
». Déliliérations des '2i et 27 dtk'embre {Sm. 5«T., I, 122-4).
4, 2y décembre {Sen. Secr.^ l, 124-5).
30
NêGOCIATIOyS RT AÔCÔRD.
restait à Venise, et poiu-suïvait ies'iié^ociatioas avec le
sénat; tantôt celui-ci Tinformait d'im nouveau fait, l'arre-v
tation par ordre du duc de Berry de marchands vénitiens à
Montpellier, en représailles de la captivité des chevaUcra
français*; tantôt il lui faisait diverses propositions relatives
aux prisonniers".
Cipalla transmettait ces communications à son gou-
vernemeut» mais les choses n'avani;aient pjis. Enfin, le 211
janvier, le conseil des Anciens de Gènes et le marée fiai accré-
ditèrent un nouveau pléiiipolentiaire, Dominique Impériale,
auprès de la république de Venise, et contîrnièrent les pouvoirs
de Cigalla. Cette nouvelle fut notiiiêe aa sénat vénitien le 28
janvier*, mais la moitié du luoi» de février se passa avant
rarrivêe de Dominique Impériale*. Les Vénitiens, fort peu
rassurés sur le succès final des négociations, se décidèrent n
prendre, pour parer à toute éventualité, de nouvelles dispo-
sitions de défense et de guerre (14-tO février)".
Cette conduite n'était que ti'op justifiée. Le nouvel anibasH»-
deur voulut tout remettre en cause ; il reprit un à un tous les ar-
ticles acceptés par sou prédécesseur, pourles critiquer et tî'icher
i\v faire revenir le sénat vénitien sur les décisions déjà prises.
Il fallut que ce dernier (33 février) lui répondit, avec beaucoup
de fermeté, que ce qui étîut fait étiiit fait, et qu'il se souciiiii
peu de rouvrir un débat terminé ; cependant, sur un ou deux
points spéciaux, il prit soin de lui démontrer péremptoire-
ment la modération de ses exigences*. A chaque séance de
t. 29 et 31 décembre 1403 (Sen. Secr., i, 125 v^-fi).
2. 22 Janvïpr l'iO'i (Sen. Secr., i, 128). Venise versera â Géneâ une
caution de cinquante mille ducats, et rehïchera les prisonniers quand
les navires pris par les Génois seront rentrés à Venise; ou inversement
Venise recevra dc3 Génois cinquante mille durais, libérera les captif»,
et ne prendra qu'alors li\Taison des bâtiments qui doivent lui être
restitués.
3. Arch. de Venise {Commemoriali, m, n* 275, p. 294). — Arcll. de
Gènes (Diver* Reg., 6-501, f. "1 v-Sv). — 3e janvier 1404. Le sénat
accorde un sauf-conduit à D. Impériale et à dix personnes de sa suite
jusqu'au 15 février. Il avait déjà renouvelé celui de Cigalla, le 29 jan-
vier, pour le mt-me laps de temps (.S>n. Secr., i, 128 v*-9).
4. Il fallut proroger à nouveau, le 14 février, les sauf-conduits jusqa'à
la tin du moia de février {Sen. Secr.^ i, 131 v).
5. 14 février (5^». Secr., l, 130-1). — 16 février {Sen. Seer.,
I, 132).
6. 23 février 1404 {Sert. Secr., l, 134),
TRAITÉ Dr 22 MARS 1404.
461
»
nouvelles questions 9*é!evaieiit : l'arrestation des marchands
vénitiens à MontpelHcr, la conHscution rrconto do hiUimeuts
H Cadix et à Iviza ', soulevaient de la part du sénat des récla-
mations et des plaintes sur lesquelles les plénipotentiaires
avaient à s'expliquer. Ils finirpnt. rejtendant, par se mettre
d'accord; le projet lie traité fut envuyé, vers le 10 mars, à
la ratitlcation du gouvernement de Gênes, On connut à Venise
l'approbation du inarécliai le 17 du tuème mois, et la conven-
tion dértnitive fut conclue le len<iemain (18 mars 1 îÛi)*.
Ce mAme jour la république tic Venise instituait cinq pro-
cureurs pour la représenter au traité de paix, qui fut solen-
nellement .sit?ué au palais du doge le '2'2 mars^ Le hmdeniain
elle désignait Ramberto Morosini pour aller à Gènes en faire
exécuter les principales ciauses et le notifier aux puissances
étrangères ^ Kn même temps die informait ses agents, spécia-
lemeut ceux di^rit-nt, du résultat pacifique des négociations,
et arrêtait les armejnents précédemment ordonnés •. De leur
I. 26 févriop Uû4 (Sen. .S>cr., i, 134). — Deux bùtimflnts génois
étaient enU'és de nuit dans le purt de ( 'odix, et s'étaient empar^n d'une
coclie vénitienne ipatrun Nicujas Hoksui fit do sa cai*j|^i.s«ii. Ce roup de
main avait ooùtô la vie h ({iielriiies matelots, d'autres avaient été
blessés et pris. Venise, le 2'J janvier l'iU'», écrivit an roi de Cnstille et
do Kéon pour In prier de faire resjterter le traité de eommerre et
d'alliance qu'il avait conclu avec elle {.S>m. Miati^ xt.vi, 123 r"). — A
Iviia un bùlimcnt vénitien (patron Antoine Oipi») avait été capturé
par les Génois. Le sénat insista auprès du roi d'Aragon (30 janvier 1404)
pour obtenir réparation (Sert. Misti, xlvi, 12U v).
•2. 26 et 27 février 1404 {Scn. Secr., i, 134). — 13 mars 1404 {Sert,
Secr., I, 136). — 18 mars (Sen. Seer., !, 137 v).
3. Ces procureurs étaient: Jean Barbadico et Charles Zéno, procu-
rateurs de Saint Marc, l'ierroAymo, Alban lïadoerct Ramberto Querini
(Arch. de Gènes, Mat. Politichc, mazzo 11, 2730). Pour le texte du
traité, voir: Arch. de Gènes {Mat. PotitiefK?, mazzo U, 2730) et Pièces
juiilificatives, n" xxxiv.
4. 21, 22 et 23 mars 1404 (Sen. Seer,, i, 138 r» et v). — Crona^:hetta
Yejiesiantif.^, 6.
5. 22 mars 1404. Après un délai de huit jours, le capitaine de Modon
latJisera prendre la mcM- au bâtiment d'André de Nicola {Sen. Misti, .xlvi,
129). — 24 inars. Ser Jean Corner, ser Marc Michiel et sor Moïse Michiel
sont envoyés en Homanie, Chypre et Annénic pour notifier l'accord
entre Gènes et Vetiiae (Sathas^ Doc. in^H.j i, 9). — 26 mars. Le»
recteurs de ]>urauo. C^>rfuu, Modon, Corvn et .Négrciwnt réduiront
les armements extraordinaires faits depuis février 140'i {Sen. Mith\
XLVI, I28j.
468
NIÏGOCIATIONS ET ACCORD.
côU^, les Génois faisaieut La même notification À leurs agealït
(31 mars 1404)'.
L'accord qui venait d'être conclu ne difTérait p;is, dans
ses points essentiels, des conditions acceptées en principe par
l'ambassadeur Cigalla ; il convieut ici d'eu résumer tes prin-
cipales clauses:
La paix de Turin (S août 1381) restait la loi des puissances
contractantes. G^ne^^ devait payer aux Vénitiens les dommage!
causés par elle à Chypre et â Rhodes, et fixés à trois cents flo-
rins; elle était également tenue de payer la valeur du navire de
Thadêe Benedetto, dont l'estimation était réservée, et celle
des marchandises enlevées à Beyrouth, pour laquelle l'inven-
taire dressé par les massiers génois de Famagouste était
pris comme base. Elle restituait enfin les prisonniers véni-
tiens qu'elle détenait, les bâtiments qu'elle avait capturés
pendant et après la bataille tle Modon. et la coche prise à
Iviza*. En échanjie, elle rentrait on possession des ti'ois
galères perdues â Modon avec leurs agrès et leurs marchan-
dises. La libération des prisonniers détenus à Venise était
subordonnée à l'accomplissement préalable, de la part des
Génois, des conditions que nous venons d'énumérer. Un délai
de six mois était fixé pour la restitution réciproque des mar-
chandises, des bâtiments et des prisonniers capturés jusqu'à
l'armistice ; par exception, co délai était réduit à quatre mois
pour la coche que le gouvernement génois avait saisie dans
le port de Cadix et fait conduire â Bruges. Les négociants
vénitiens, arrêtés à Montpellier par ordre du duc de Berry
avec leurs mai'chandises, devaient être relâchés avant six
mois ; justice était promise par la république de Gênes aux
Vénitiens lésés àTripoli et à Chypre. Les Français, prisonniers
de Venise, s'engageaient à n'élever â l'avenir aucune récla-
mation à cause de lem* détention ; les cautions réciproques
données par les marchands vénitiens et génois à Péra, en
échange d'une mise en liberté provisoire, devenaient sans
effet, et devaient èti'c rendues à ceux qui les avaient
fournies '.
1. Commemoriati\ m, n» 282, p. 29".
2. G'est-à-dire la galiote commandée par Victor Marchofo et U chiche
d'Iviza, dont Jacques Vènier était capitaine.
3. Voir Fiôccs justificatives, n« xxxiv.
TRIOMPHE DE LA DIPLOMATIE VENITIENNE. 469
La diplomatie vénitienne, par ce traité, remportait un
triomphe complet, et faisait prévaloir toutes les prétentions
qu'elle avait émises. Mais une pareille paix pouvait-elle être
durable ? Les esprits les moins perspicaces n'avaient pas de
peine à prévoir, au moins sur les points laissés en suspens
et réservés à un examen ultérieur, l'occasion de difficultés
nouvelles, capables de tout remettre en question. L'événement
ne tarda pas à prouver la légitimité de ces prévisions.
CHAPITRE VII.
ELARGISSEMEîrr DES PRISONNIERS.
tous n'avons, ju.*ïqu*à présent, parlé qu*accidente!l<*mcnt
(lu sort des prisonniers français et génois faits à Modoii et
conduits à Venise pour y être df'tetius. Ln quastion de leur
élarg:issement tint cependant assez ele place dans les négo-
ciations fjue nous venons de retracer, pour qu'il importe de
dire quelques mots dos circonstances de leur captivité. Ce-*
pristuiniers, au r;ip]inri du capitaine général de TAdriatique,
dépassaient le nombre de quatre cents, liommes de pied et
rameurs. A ce ehiffre il convient d'ajouter trente-cinq
chevaliers »>u écuyers frnnçais, parmi lesquels Chàteaumo-
rand, dont la réputJition de bravoure et do prudence étiit
nniverselle dans la Méditerranée. La noblesse ji^énoise coiiip-
tait également de nombreux représentants parmi les captifs:
Léonard Sauli, Pierre et Cosnio de Grimaldi, capitaines des
trois galères capturées, Cassano Doria que le conseil de-s
Anciens envoyait en nnssion dans le Levant, et qui, puur
gagner son poste, se trouvait à bord d'nn navire génois au
moment de la bataille, et plnsieurs autres'.
Les Français s'étaient d'abord flattés d'une prompte libéra-
lion, selon les usaj^es de leur patrie;. ils comprirent bientôt
leur eiTour. et se résignèrent à attendre la conclusion de la
paix, heureux si elle leur rendait la liberté. N'avait-on pas
t. X'ite de' rfHcAi*(Murati)ri, xxn, »û4).Samido. etapiV^lui Ir^sourcor
vénitiennes, citent parmi 1p^ captifs Louis itr Nonnandin. Ce porsvii-
nago n*a jamais été au noml)re des priHonniers. — Uvre dcn /«il«, n,
chap. XXYII, p. 639. — I^ Chroniffut: de Dandolo iMuratuii, mi, 517)
donne te chiiîre de cinr| cents priKonnien» environ.
RIGUEURS DE LA CAPTIVITE.
de nombreux exemples île prisonniers conservés par les
Vénitiens toute leur vie en captivité? Le résultat des premières
négociations, dont l'écho leur parvint dans leurs cachots,
n'était pas rassurant. Veniso se jiréuccupait fort pcMi d'adoucir
leui* sort, et sans Chateaumuraud « le sage au cuor constant,
« en qui ne deffaut vertu que bon vaillant et preux doye
« avoir », qui ne cessait de relever leurs courages, ils eussent
eu peine à supporter les rigueurs de la captivité. La morta-
lité était considérable; plus de cent vingt parmi eux succom-
héreut. Le sénat, effi*ayé, se décida â s'occuper du sort des
survivant-* (?5 janvier l'iOi), et chargea deux officiers
d'adoucir leur prison ',
Sur le conseil de Cliàteaumorand, les captifs avaient écrit an
roi de France et aux ducs, ses oncles, pour leur exposer leur
état et intéresser la cour à leurs infortunes. En morne temps,
ils s'étaient adressés au maréolial, et Trivaient supplié de ne
pas continuer la guerre, s'il voutail qu'ils fussent remis en
liberté. Ils ne comptaient pas, à vrai dire, arrêter la colère
et les projets rie vengeance de Boucicaut, mais espéraient
qu'un ordre formel de Charles vi enjoindrait au gouviTneur
de Gènes de traiter avec les Vénitiens.
La noblesse française avait accueilli avec indignation la
nouvelle de la capture de ses |tins brillants chevaliers, et le
duc de Beri'y n'avait pas ln'sité, snus forme de représailles,
â faire emjjri'i'intipr à Montpellier des négociants vénitiens,
leurs marchandises et lenrs 'bâtiments *.
Au rei;u des lettres dos prisonniers, l'indignation et la
pitié redoubleront; les plus puissants seigneurs, le nù lui-
même écrivirent au maréchal de s'abstenir de toute hosti-
lité contre Venise; en même temps ils s'adressèrent direc-
tement à cette dernière ponr obtenir la libération des captifs.
Le porteur des lettres rf)>ales. Hélion de Longavemes,
ècuyer du roi. reçut l'ordre d'insister pour obtenir une
prompte réponse, et d'accorder trtua jour» au sénat pour la
t. Livrr ths faim, Uy rhap. xxvni, p. 689; — CronnehHta Vene-
i/rtwn, p. ti; — Déliln^ration tlu 24 janvier 1 404 \Scn. Minti, xi.Vi, f. I19|.
Hcinnn|Muns i|ue la mortalité sévit pai'inl Ir rommun dos prisniniier»,
tAiidis que imus ne voyons rien do sembl&blo se manifester parmi Jet*
prisonniers de distinction.
2. Sen. Secr., i, 126.
4^:^ KLAR6ISSBMENT DBS PRISONNIERS.
lui donner. Devant cetto insistance, la républir|uo rppnnrtU
i|u'un ilélai si court no pcrmetlait pas de convor|uer les
conseils à temps pour délibérer et discuter la question
avec l'attention qu'elle méritait (8 mars lîOi)'. Elle réser-
vait ainsi, en évitant de se prononcer nnitement. sa liberté
d'action à un moment où la signature de la paix allait, d'un
jour à l'autre, entraîner l'élargissemeiit des captifs.
Nous avons dit plus haut que Taccord prélirainaire fut
conclu le 22 mars MOi. Aussitôt Caltaneo Cigalla saisit le
sénat vénitien d'une demande, ayant pour objet de relâcher
Chàteaumorand sans délai, sous caution de six mille ducats.
L'ambassadeur génois se proposait d'emmener avec lui le
capitaine français à Gènes, sachant bien l'iaUuonce qu'il
exerçait sur l'esprit du maréchal, et persuadé que son inter-
vention ne pourrait riue hâter le succès définitif des négocia-
tions, et la prompte exécution des clauses de la paix. Il indi-
quait nu sénat, en formulant sa demande, de quelle utilité
rhntcjunnfirnnrl pourrait Aire pour obtenir la libération deu
prid(wuners vénilitnis faits à Montiiellier. Cet argument con-
vainquit la république de Saint Marc (24 mars 1404). Le
surlendemain, ChAteaumorand était libre, sans caution;
après s'être engagé sous serment, en cas d'échec, à revenir
se constituer prisonnier avec ses trois sen'ants, il quîttaj
Venise en même temps ïjuo les ambassadeurs génois*.
Ce départ fut le signai d'un revirement dans la conduite»
du sénat ; il se décida ( 26 mars) à acc«i*der aux pri-
sonniers une liberté sous caution, à condition de ne pas
quitter la ville. Ceux-ci, par groupes, présentèrent des
répondants pour des sommes variables, et le sénat, suivant
les cas, accepta, refusa ou réduisit ces cautions. Ces mises en
liberté provisoire portèrent sur trente chevaliers français, et
vingt-six Génois environ. Les valets et domestii|ues furtnit
relâchés sous serment et sans caution '. Quelques jours pins
tard, en vue d'un élargissement prochain, Louis de Culaut
1. Livre des faits, n, chap. x\ix, p. 640; — Mas Latrie, Comt
et Expéditions, p. 182-3.
2. 24 mars i'.04 (Sen. Srrr., I, 139; Sen. Misti, Xl,VI. Iî8).— 26 m.nrs
{Commemnrittli , ni, n** 278, p. 206». Voniso lit des présent* à Chàl<*au-
morand et aux pléiupoteiiliatres lui-sqn'lls prirent congé d'elle.
3. k avril {Sen, Misti^ xtvi, 128 v). — 7 avril (Cowmw/iuri'a/i, m.
MISES EN UHRRTE rROVrSOIRB.
473
obtint l'autorination d'onvoyor Renaud de Chambaron avec
un valet à Trévise et à Sacile pour acheter des chevaux et
Ibs ramener à Venise (l'i avril)'.
n*^ 28'i-5 p. 29? 1. — Nous donnonB iVi la liste des prisonnier» appelés à
jouir de cette faveur. {Commemorfaii, lit, n" 277, 279-81, 283-6,
p, 296-8.)
26 mare. — Caution de dix mille ducats pour :
(«otiis de Culant. CîuiUaume de Tholigny.
Jean Loup. Chariot de Fontaines.
Jean Dôme. Robert de Torcy.
Kobin Fretel. Jean de Montregnault.
.lehannet de Deaiirhamp. Hicbard <ie Marcé.
Plotûn do Castellus. Humbert de Charul.
Simon de Koncival. Jean d'Ony.
Jean Kvrard. Rieliard de Montara.
Iteiiaud Cambronne.
— Caution do millo ducats pour:
Parpillondc Sollicrs. Bertbold le Moine? (Leoma-
Pierre de la (iarde. naehi).
Rtionno des Hoches de S. Le bAtard de Thoy.
Lebigne. I*icrrn Ambogu.
Odard àf rbaniprobcrt. Jean Cautoii.
Le bâtard d« Montregnard. Jean Jalon.
Pierre Kau<)uier. Pierre Morel.
Robort Talias.
27 mars 140^. -> Caution de dix mille ducats' pour:
Georges Cavalli.
Jean Lazzarini, notaire.
Jaajueit di Gambarana.
Cassano I^iria.
Pierrf dp (Irimaldi.
i'nsmp de (irimaldi.
L<!>onard Sauli.
— San» caution : Charle-* Salvago.
5 avril l'iO'i. — Caution individuelle <1p rerit ducats pour :
Pliilippp Vonli». Metrbior Fatinantl.
.Ange l'aptiro. Ilnbnrt Parodî.
liaptiiite Pindebene. . Pierre Aniadi.
Gaspard Fatinanti.
— Caution individuelle de cinq centa ducats |>our :
Laurent de Pise. Ange de Montenero.
7 avril l^O'i. — Caution de cinquante diieatjt pour :
Barbier, serviteur de Charlea Salvago.
— Caution individuelle de cent ducats pour:
Dominique Lazzarini. Jean Bellollo.
Léonanl La/narini. Lur Scarella.
Hulwrt Mlegri. Pierre Anodet.
Jean Itardi.
Sett. Miati, XLVI, f. 130.
9. La rAulîon, propoft^p le 2n iiinr*, ^tait de iiuAlorzc inilln diKJiU. I^*
r^nnl 1j r<^duJ!>it U dix iiiille. Culle de Cuonuo Doiia H de Pii'rrc de (irimaldi
Mail lie *\\ nulle ducat».
J
BLARGISSEHENT DES PRISONNIERS.
L'exécution, cependant, des clauses de la paix, auxquelles
était subordonnée la libération dos prisonniers, traînait eu
longueur. Au milieu de mai, un seul des bâtiments vénitiens
capturés avait été restitué à ser Robert Morosini. Dominique
Impériale, pour hâter la mise en liberté des prisonniers, pro-
posa de verser aux Vénitiens une garantie pécuniaire (1 4 mai).
Les intéressés (16 mai) insistèrent personnellement dans le
môme sens; ils firent observer qu'ils étaient étrangers à cc«
lenteurs, et demandèrent â bénéficier de l'exécution, même
partielle, du traité de paix. Devant cette insistance, Venise
céda, dans l'espoir que Chàleaumorand ferait relâcher les
négociants arrêtés à MoutppIUrT, ei autorisa la mise en liberté
détiniiive des prisonniers français; elle eut lieu le 17 mai '.
Leur captivité avait duré huit mois.
Restaient les Génois, pour lesquels Venise n'avait pas les
mêmes motifs de se montrer indulgente. Dominique Impériale,
cependant, obtint de faire établir une distinction entrei les
Génois de marqm^ et les simples matelots; ces d»^rniers. qtti
avaient versé ime caution individuelle de cent ducats pour
sortir de prison, furent reîAchés sans condition (17-lî) mai);
enfin, le 21 mai, le sénat, pour aplanir toute diltirulté, enoort»
que les conditions du traité ne fussent pas accomplies entière-
ment, se décida à accorder la liberté à ceux des Génois qui
étaient encore détenus à Venise*.
1. 14 mai 1404 (Sen, Mitti, XLvr, f. 135). — 26mai(.s>n. Mt'êti, xlvi.
f. lîO). — 17 mai {Cummcmnriati, ni, n**» 2ÏII-2, p. 290).
2. 17 mai 1404 (6>n. .Viji/(,xlvi, f. 132 v«).— lUmai(.s>«. J/i'a/i, XLVI,
f. 135). — 24 luaî (Sen. Secr., ir, f. 9 v'>).
Il no suffisait pas qiu* le traité d(» paix fût signé; il fallait
Trxécuter» et cett^ exécution n'alla pas sans amener dt^s dif-
ficultés et des conflits de plus d'une sorte.
Les Vénitiens, on acceptant di* Gènes une indeumiU* pour
les dommag"es causés à leur commerce :t Bo\TouIh, avaient
réservé tous les droits qu'ils pourraient avoir à exercer, a
cette occasion, contre le roi de Chypre et le graiid-inaître de
Rhodes. On se souvient en effet que tous deux, par leur
présence ou par celle de leurs vaisseaux dans l'escadre du
maréchal, avaient participé à rexpédition de Syrie et par
suitt? au pillage de Uoyruiilli.
A peine la convention du '^'2 mars ful-elle conclue que
Venise adressa au grand-niaitre d<^ Rhodes (i avril IiOÎ)des
représentatinns sur la conduite qu'il avait tenue. Elle se plai-
gnit qu'au mépris d'une ancienne et constante amitié, il oîlt
pris les armes contre elle nt concouru au pillage' des niar-
cliandises vénitiennes; par l'organe de ser M;irc Michiel,
envoyé dans le Levant pour faire exécuter la paix. oUo
demanda ré]iaration du préjudice causé. Le grand-niaitrc,
?»ans al>ordf't' le fnnri de la qtu^stiun. réponriit en anuonrant
l'envoi d'un ambassadeur au sénat, mais il tarda à s'acquitter
de sa promesse ; qneitpies mois plus tard, lassée d'une si
longue attiMito ('*?!) août 1U)1). la répulitiipie dut charger les
capitaines des galères de Beyrouth d'ahonler à Rhodes, et
de réclamer de nouveau an graud-mailre la réparation «les
dommages'. Devant cette insistance, Philibert de Naillac
t. Ces dommages étaient estimés à huit mille ducat«, mais Icb
476 EXKCUTION DU TRAITB.
s'exé(*u1a. L'ambassade annoncée arriva à Venise au mois dn
septembre (16-18 sf|)lf*mbre}. EUt' prolesta que si à Muilon
une galère de Rbodes accompagnait la flotte génoise, ce
n'était pas dans une intention hostile à Venise, mais pour
obéir aux onlres du inai-éch.il. représentant du roi de France,
et pour défendre les intérêts de l'ordre en Morée. Elle assu-
rait également que Nailiac avait suivi Boucicaut en Orient
pour courir sus aux mécréants, non pour léser les Vénitiens,
et quMl regrettait sincèrement le pillage de Beyrouth, auquel
du reste il était étranger ; quant à la restitution des mar-
chandises, elle avait été faite d'une façon complète à Cérines
aux représentants de Venise. En présence de ces atiSrmations
et des regrets témoignés par Icgrand-maitre, le sénaî accepta
les assurances et les excuses que lui apportait l'ambassade '.
Il tint la même conduite à l'égard du roi de Chypre. Le
4 avril, il enjoignait à Bernard Morosini, vice-baile de Nico-
sie, de se rendre auprès de Janus, de lui exposer les faits qui
motivaient sa visite, et spécialement de lui réclamer cinq
mille ducats pour la restitution des marchandises enlevées â
Beyrouth par la galiote do Bernard de Saint Saturnin, sujet
chypriote. Le roi, il est vrai, faisant droit à une premièro
réclamatinn, avait déjà saisi quebiues-nues de ces marchan-
dises, mais c'était une satisfaction insulfisante dont Venise
no pouvait se contenter. Jauus. après de longs débats, finit
par accepter le chiffre do trois mille ducats auquel Mon^sini
se rabattit, et s'engagea â payer la somme dans le délai d'un
an {juin ISf)i)V
Le l'Ole de Morosiui à Chypre n'était pas exempt de difli-
cult<Ss. Représentant des Vénitiens pour toutes les clauses du
traité de paix qui concernaient cette île, il était, sans parler
agents vénitiens étaient autorisés â transiger puur la moitié de cetto
somme.
1. 4 avril 1404 (Sathas, Doc. inéd., ji, 121); — 29 août 1404 {Sen.
Misli, XLVi, 148 v); — 16 sRptemhre [Sen. Misli, xi.vi, 157 vi; —
18 septembre. • Volumns hoc credere, cum Rrm» spe et confidcn1ia«
* qnod sacra religio Rmli taliter pravidebit quud de cetero sîmilianan
s occnrent, r-ei-tissimi quod fraterne et amicabîliter tractabunt nostn»
» merratores et civps, ac eanim navigia et bona, sicut sumus dÎHpOdstti
« facere vice versa. » (»«. Mhti, xi.vi, IfiR.)
2. 4 avril tiO'M.SVn. MUti, xtvi, 126 v«J; — 29 août 1404 (.Voi,
Nièti^ XLVI, 149).
CAHTEL DE BOlîClCAlTT.
47';
fies récLaniâtions qu'il venait dn faire triompher auprès do
.îanus, chargé (i'pstinier t\ Faniagouste, de concert avec les
Huissiers gùiiuis, le navire de ïhadée Benedetto; il avait
auasi mission d'exiger deux uiille ducats du roi de Chypre
pour payer la solde d'un navire vénitien que Perrin le Jeune'
avait capture et mis au service du roi. Knjuiii l lO'i, quelques-
unes do ces questions avaient été heureusenieut terminées,
d'autres étaient en voie <raiTangement. Venise déployait la
plus grande activité à faire cesser ces lenteurs qui paraly-
saient son commerce, et, pour seconder les efforts de son
agent, entrait dans la voie des concessions*.
A Gènes, au contraire, les dispositions étaient loin d'être
pacifiques, suitout dans l'entourage du maréchal. Celui-ci,
tant que ses braves chevaliers avaient été en prison, s'était
contenu pour obtenii' leur libération; mais leurs récits à leur
retour, la letta* de Venise à Charles vi après Modon, dont
copie lui avait été envoyée de Krance. l'avaient exaspéré. La.
paix était signée, et Boucicant omprmail qu'il fallait se
garder de jeter les Génois dans de nouvelles aventures; mais
il r**stait toujours à un gentilhomme le droit de justifier sa
conduite et de provoquer ses contradicteurs. C'est à ce parti
que le maréchal se résolut. Il écrivit au doge et à Zéno une
lettre de défi, très ferme et très digne iU juin lîOî), dans
laquelle il réfuta tes assertions des Vénitiens eu ce qui con-
cernait Hevrouth et M'mIou. Il y disculpait sa conduite, sans
ci*aindre de taxer « de déloyauté et de mensonge » cellede ses
adversaires. Une pareille injure, daus l'opinion du maréchal.
appelait une réparation par les armes. Il la proposait â Stt^no
ot a Zéno, à la tin de sa lettre, et les provnquait à simtenir leurs
dires eu champclos, six contre cinq, douze coutredix. dix-huit
contre quinze, vingt-quatrecontre vingt, ou trente conti'e vingt-
cinq; s'ils préféraient un autre mode de comhat, il se décla-
rait prêt à accepter un comhat naval, galère contre galère ".
1. Appelé Uaits les piércs vénitiennes Perrinus de Juvenibus. C'était
un dofl conseillt*!^ i]<^ Jantis.
2. 29 août 1404 ySen. Misti, XLVï, U9j. Ce navire appartenait k
Jean de l'alestrina et C". Il fut arrâté daits l'Adriatique; la cargaison
fut dtVhargée, el le bâtiment passa a» service du roi de Chypre avec
son éiiuipage. — I^ dé!it>éra(ion du 29 août donne des détails circons-
tanciés sur le rtMe de H. Morusini à ('liypre,
3. Livre dei faits^ u, cU. xxxi, p. OU-6. Voir Pièces justiticativc&,
<
A
Ce cartel ne reçut pas de réponse. Il n'entrait pas dans les
haltiludes do la républiiiue de trancher les iiuostiona en
combat singulier, quand elle pouvait recourir à la diplomatie
oa atômu à la force des armes'. Mais ce nouveau symptôme
des sentiments belliqueux des Génois no laissa pas que de
l'effrayer, et de lui fairo prendre dos mesures nouvelles pour
protéger son cmimerce ["30 et 27 juin Iî04)*. En même
temps, elle apprenait que les Florentins s'étaient mis en rap-
ports avec Boucicaut pour le décider à attaquer Venise par
mer, tandis qu'eux-]in*mMS, unis â François de Carrare, sei-
gneur de Padoue, l'at tiqueraient sur U*. continrut. Celte
alliance pouvait ètm funeste à la l'êpublique. aussi celle-ci
envoya-t-oUe en toute bâte Jean Zurzi pour dissuader les
Florentins de leur dessein, et détourner le cmip qui la mena-
çait (8 et 15 juillet 1404)^
Venise, en effet, était à cette époque en guerre avec Fran-
çois de Carrare et Nicolas d'Kste, nian|uis de Ferrare. Au
milieu des intrigues de toutes sortes qu'avaient suscitées dans
tout le nord de la péninsule la succession de Jean Galôas
Visconti et le pjutage des élats du duc, les puissances ita-
liennes s'étaient, à plusieurs reprises, liguées dans le but
de profiter du dèmombreMient des domaines des Visconti;
mais, jusqu";i ce moment, il n'élait venu ni à Gènes ni à
Venise, engagées dans une guerre maritime, la pensée de se
créer des alliés sur le <;ontinont, et de tenir â la fois cam-
pagne sur terre et sur mer. On conçoit l'appréliensinn causée
aux Vénitiens par une pareille perspective; la désignation par
les Génois d'un ambassadeur. Antoine de Fiesque, destiné à
mettre d'accord le duge et le seignem- de Padoue (14 juillet)
n« XXXV. Cette lettre est résumée dans Stella (Muratori, xvu, Î202-4),
dans Oiustiniani tn, 232-4) et dans L'. Koglieta (éd. de 1585, f. 1851.
Les chroniqueurs vénitiens n'en font aucune mention, excepté la
Cnmachetta Venesiana (p. 8-9).
1. « Aile bravate del Doucicault, il doge e lo Zcno risposero con
■ dignitoso silenzio * iHomanin, Storia doc. di Venezia, iv, p. 11).
'2. 20 juin 11U4. Ordre aux recteurs de l'Istrie d'arrt^ter les bâti-
ments vénitiens (Sen. Misti, xlvi, f. l'*l). — 27 juin 1404. Défense
à Pierre Contarini et à Fantino Pisani de prendre la mer avant le
10 juillet, afin qu'on puis»e avoir des nouvelles précises des intentions
de Gène» {Sen. Misti, XLVl, f. 141 v»).
3. Sen. Secr., n, f. 27 v et 31 v«.
RAPPEL DE L AMBASSADEUR VE^ilTIEN.
479
ne fit qu'augmenter leurs craintes. Cette médiation, que les
Génois semblent s'éLre attribuée sans mandat, avait Até
repoussée par le st^nat vi^nilien (*?S juillet) dès la première
ourerture, mais Gènes n'en avait pas moins persisté dans ses
pmjets. Quand Antoine de Fiesque se présenta devant le doge
(;' septembre), celui-ci dut décliner de nouveau l'intervention
génoise'.
Au milieu des négociations qui absorbent, pendant les der-
niers mois de Tannée l'iOi, toute l'Italie sepleutrionale, et
auxquelles Venise et Gènes sont mêlées, il est assez difîicile
de préciser l'état des rapports qui régissent ces deux puis-
sances. La paix est conclue entre elles; Robert Morosini
prépare à Gènes l'exécution des clauses stipulées, et on tra-
vaille activement, de part et d'autre, â conclure l'accord déti-
nitif. Mais Boucicaut vient de défier le doge et Zéno; Venise
se plaint d'actes de piraterie, isolés il est vrai, qu'elle attri-
bue aux Génois, et le maréchal, pour mieux accentuer ses
sentiments hostiles (30 aoîit 1401), vient de donner à un
Génois, Nicola-^de Moneplia, patmn d'im bâtiment léger, des
lettres de marque, qtii ruiiforiseut à naviguer dans l'Adria-
tique, et à l'aire aux Vénitiens tout le mal qu'il pourra*. Ne
voulant rouvrir les hostilités qu'à bon escient, Boucicaut,
interprète des sentiments de son entourage, n'a trouvé de
meilleur moyen de nuire â .ses ennemis sans rompre la paix,
et de se venger de leur déloyauté, que d'autoriser la pira-
terie contre eux. Cette conduite' entraine le rappel de Moro-
sini, dont la sécurité personnelle est menacée à Gènes
(Iti septembre), mais ce df-part n'est pas le signal d'une rup-
ture déHnilive. Morosini, en quittant Gènes, au moment où sa
mission peut être considérée comme terminée, annonce l'en-
voi ultérieur d'un notaire vénitien pom* i-égler les questions
encore pendantes (tin septembr*^ liOi).
De son côté, Venise favorisait de ses subsides les menées
d'Antoine di Guarco contre Gènes ^ cherchait à détacher
1. i% juillet U04 (Arch. de Oénes, Diwrt Beg., 6-301, f. 10^ v»). —
28 juillet 140i (Arch. de Venise, Sen. Secr., n, f. 35). — 2 septembre
1404 {Sert. Secr., il, f. 49).
2. Arcïi. de Gùncs {Materù PoUliche^ mazzo il, 2730).
3. Il décembre 1404. Subside de six mille ducats {Sen. Secr., n,
f. 82j. — 25 décembre 140^1. .Nouveau subside de deux mille duoaU
480
TENTSE ENTOIE TÎNK AMBASSADE ES FRATÎCE.
le cardinal de Bologne do l'aHiaiice de Bnucicaut'. et deman-
dait iiu duc d'Orléaas le renvoi du maréchal, dont elle redou-
tât l'influence et les qualités militaires'. Eu même temps,
olUî donnait au capilainode l'Adriaticiue Tordre de poursuivre
et d'attaquer le bâtiment de Nicolas de Moneglia, aaviguaiil
sous le pavillon du seigneur de Padoue (6 octobre MOI)*.
ElU' soudoyait Hos ti'on])Cs pour renforcer les garnisons de
Corfou, Coron, Modon et Nëgrepont; enfin, en roprésaillfs du
mal que lui faisait le corsaire génois, et de l'arrestation de
ses nationaux à Cliios, elle faisait emprisonner les Génois
arrivant de Tana sur les galères vénitiennes, ut confisquait
leurs marchandises ^
Mais, en même temps, elle avait à cœur de faire relâcher
sans retard les Vénitiens retenus prisonniers â Montpellier
par ordre du duc de Borry. L'intervention deChAteaumorand
n'ayant pas été sutlîsanti* pour iibtenir ce résultat, elle se
résolut à envoyer une ambassade à Charles vi l'I'J août l S04)'.
Personne ne se souciait d'accepter cette mission, et, après de
fréquentes délibérations à ce sujet, qui se prolongèrent pendant
li?s mois de septembre et octobre, Marc Dandolo et t'Hinrois
Contaritil furent désignés pour l'ambassade de France*.
Il ue semble pas que la présence en France dos ambassa-
deurs vénitiens ail amené la solution que Venise attendait,
malgré l'întcn'entiou du duc d'Orléans qu'elle avait sollicitée'.
(Sen. Sen'., n. f. 82). — 5 janvier 1405. Délibération sur le m£me
objet (Sen. Secr., u, f. 82i.
1. 11 décembre UO^i (Sen. Secr.^ n, f. 76). Le cardinal Balthasar
Cossa, légat a]K>stoliquc, avait fait son entn^e dans Gotogrin le 'J se|
tetnbro 1'iU3; il venait gouverner la cité au nom du Saint Siëge^
{Croniea di Boloffna, dans Muratori, .\vm, 582».
2. 3 janvier iVoS {Sen. Sea:, m, f. 82 v»-3). Elle donnait pour pré-
texte à cette demande l'intorSt de la France, que Iloucicaut, disait-
elle, ne cessait de compromettre.
:t. Sr». Secr., n, F. 64. Le capitaine ne devra franchir ni le c«p
Ituf&ani ni le cap Saint Ange.
V. Il dt^corithie l'iû'i {.>>». Secr., n, f. 75. Ed. Sathfts, Doc. »Wrf., I,
91. — 20 décembre 1404 [Sen. Mistf, xi.vi, T. 161 v).
5. Mas Latrie, Commerce et Exjiéditiontiy p. 184.
6. Délibérations des 4 et 5 septembre 1404 (Max Latrie^ Commi
et Expéditionsy p. 185). — 6 septembre {Sen. Secr., n, f. 5:i). — 28
2'J octubre (Mas I.atric, Commerce et EjtpéditivnSy p. 185-7).
7. Délibérations des 12 et 18 janvier 1405 (Mas Latne, Commerce et
Expédiiiom, p. 187-8).
PRISONNIERS VENITIENS A MONTPELLIER. 48Î
Nous ne saurions dire à quelle époque les captifs furent
remis en liberté. Il faut attendre jusqu'en 1409 (20 janvier)
pour retrouver la trace de cette négociation, A cette date, un
ambassadeur du duc de Berry est à Venise pour fixer l'in-
demnité à donner aux Vénitiens. Il n'est plus question des
prisonniers, et la république de Saint Marc se montre dispo-
sée à accueillir les ouvertures de l'ambassadeur français \
1. Sert. Mistif XLvni, f. 51. — Nous ne savons rien de plus sur cette
ambassade et sur le succès de la négociation.
31
Le rappel de Morosini n'avait pas la signification qu'il
semblait annoncer. Venise, en faisant pressentir Tenvoi d'un
nouveau plénipotentiaire à Gènes, avait ôté à cette mesure
lo caractère d'une rupture diplomnlique, tout nn marquant
sou intention de ne pas céder » toutes l(»s exigences des
Génois. Aussi, après un délai de quatre mois, crut-elle Ihî*
dispositions de. ses adversaires assez modifiées, ei leur anï-
mositê assez ap.iisée po)ir rendre possibh' la reprise îles né-
gociations. François Beaciani, notaire de la république, fut
envoyé à Gênes (23 janvier 1 505] avec des instructions ferm«îs
et conciliantes. Il devait rappeler au gouvernement génois
que, malgré les assurances données à diverses reprises à
Morosini, Nicolas de Moncjçlia avait, au mépris de la pai\,
tenu la m(?r en corsaire. e( infligé aux Vénitiens un préjudice
sérieux, dont réparation devait leur être faite; il avait ordre
d'insister pour obtj?nir cette réparation, sans permettre aux
Génois de se retranrlior derrière leur qualité de suj<^ts du roi
de France ou d(irrière leur ignorance des agissements de
Nicolas de Moneglia. Les instructions du sénat enjoignaient
enfin â Beaciani de réclamer Texécution iniméiliate des clauseit
encore pendantes du traité du ?? mars I iOi '.
1. 23 janvier t405. — It s'agissait de la coche de Marc dalle CbiV
vere (lA n Clodenis, M. He Acioden'is. Chiovere est le nom d'un
quartier de Venise), du navire vénitien repris aux pirates par le ca-
pita*ne général de l'Adriatique, et de la mise en lit>erté de deux
citoyens de Venise emprisonnés par les Génois, Cattnrino délia Roaa
et Pierre de Vallo {Sert. Mini, xlvi, 163 v-i v«).
VF.NISK RÉCLAME i/kxKCL'TIoN DV TJUITK. IPIÎ
Les Vénitiens protesiaient, avant toute autre n»clamation.
contre les actes de piraterie de Nicolas do Monoglia, et énu-
niéraient le tort que ceux-ci avaient causé à leur commerce".
Ils demandaient, en consêrjnence, la i*eslituti<in des marchan-
dises et dos prisonniers, et la punition de Nicolas de Mone-
glia. Les Génois, en répondant aux prétentions vénitiennes
(7 février 1405]', refusèrent ruii** et l'autre; la première,
parce que les lettres de marque avaient été doniiées à Nicolas
de Mnneglia par le maréchal pprsonnellement. n<ui par le
gouvernement génois, rt parc*' que ce dernier n'avait ni or-
donné ni même su les actes dont Venise avait souffert, n'en
avait nullement profité, ft ne [jouvait restituer ce qu'il ne
possédait pas; la seconde, parce que Nicolas de Moueglîa
n'avait pas agi de son plein gré, mais sur Tordro et l'injonc-
tion formelle du uiaréciial.
Les phiintes de Beaciani sur les restitutions de navires et
de marchandises qui devaient être exécutées dans les six
înois de l'accord du "22 mars I40i, furent mieux accueillies
que celles qui concernaient Nicolas de Moneglia; la répu-
blique de Gènes se rléclara prête à les écouter, et nnnoiira
qu'elle avait digà envoyé à ses agents en Orient des <irdr*es
en ce sens. Elle tit également droit à (juelques réclamations
accessoires ^ et en repoussa d'autres*.
1. 23 janvier l'iOo iSeii. Miêti, XLVl, 163 v''-4 vj. — Le corsaire
avait attaqué dans les eaux de Maina (golfe de Coron) une coclio
vénitienne (patron Ba.sile Tirapelle), revenant deî&na et naviguant do
concert avec un bâtiment génois (patron [>armano de Capimo, do
Savone). Morie^'lia avait enjoint à pr dernier de ne pas porter secours
au navire vénitien, et s'était emparé du hAtiment, de l'équipaiçe et de
la rargaison. Il avait a^çi de mi^me a l'é^'anl du bâtiment de (ieorges
Mon(,'avaro, et d'une grippcne de Candie qui allait do Cérigo ù
('andie. Oenes, sur re dernier point, argua d'une ignorance absolue
du fait en question.
2. Le mémoire du 7 février 1405 (Arcli. de (lônes, Diver» Herf.^
6-501, r. 131 v-S V) se divise en deus parties: i* llrponse des (^îi'mioîs
aux réclamations de Venise; 2'> Réclamations des Génois contre
Venise.
3. Au dire des Vénitiens, un navire catalan avait rencontp** au cap
Malée un de leurs bAlimenttt (patron Mare Ilianro' et l'avait traîlt^ en
navire ami. Dans les eaux de Modon le m^me navire catalan vuulut
attaquer un bAtfment génois; il en fut empêché par le gouverneur
vénitien de Modon. Irritée, les Catalan.s, quelques jours aprùs, atta-
quèrent le navire de Marc Uianco, et le pillèrent complëlement (23jan-
434
FIN BE8 NEGOCIATIONS.
Aux griefs des Vénitions Gènes répoadit en faisant con-
naître ceux dont elle avait, de son côté, à se plaindre. Le
mémoire qu'elle remit à Beaciani à cette occasion, ènumérait
les faits, objets de ces plaintes, et exigeait, au nom du
gouvernement génois, la resiiiutiou des prisonniers faits pi
Venise, des bâtiments et des marckaudises saisis par elle^ et
la réparation du préjudice causé'.
vier 1405. — Sen. I^isti, xlvi, 163 v*-5 v»). Lionel Lercari, capitaine
gi^nois, le leur reprit plus tard. Gènes (?onsentjt à restituer ce bntiment
aux Vénitiens. Elle s'engagea (7 février ltU5) à faire tous ses efforts
pour rentrer eu possession du navire vénitien capturé par Jean et
i^ercival Spinola (Arch. de Gènes, Divers Beg., 6-501, f. 151 \*«-3). —
Le II février 1405, Boucïcaut et le conseil des Anciens décident que
le navire sera conduit à Gènes; son chargement sera confié à ta garde
de deux citoyens génois. Si l'accord se fait entre Gènes et Venisp.
navire et marchandises seront restitués; sinon, le gouvernement déci-
dera de ce qu'il y aura lieu de faire à cet égard (Arch. do Gènes,
Divers Heg., 6-501, f. 157 v*).
4. Gènes nia l'arrestation de Cattarino délia Rosa et de Pierre de
Valle, que les Vénitiens lui reprorhaient ; ceux-ci croyaient leurs con-
citoyens détenus à Vintimille et à Lérici {castrutn lUicit). Les Génois
proptwèrent (7 février r*05) aux Vénitiens de charger un de Ieur>
agents de s'assurer par lui-même de l'inexactitude de cette affirmation
(Arch. de Gènes, Divers Reg., 6-501, f. 151 v'>-3).
1. 7 février 1405. (Arch. dts Gènes, Divers Beg., 6-501, f. 153 y»-5 v*.t
Voici le résumé de ce mémoire :
P A Négrcpont, des citoyens génois, venus pour réclamer la resti-
tution des marcliandisns de C'unrad Doria, ont été incarcérés. Ce«
marchandises, prises sur la gripperie dudil Doria, s'élèvent à la valeur
de deux mille neuf cent quarante-quatre ducats d'or.
2° A Venise, sept négociants génois : Eldouard Salvagi, Barthélémy
de' Franchi, Manfred Marcuflb, Philippe Lomellini, Lancerotlo de
Grimaldi, Philippe Centurione, Jean de Rapallo, qui s'étaiem «m-
harquéftà diverses escales sur les galères dp Venise revenant deTanii,
ont été arn>tés et emprisonnés, malgré les assurances pacifiques qu»*
leur a données le capitaine Nicolas Tusco. Pendant le voyage, àGallJ-
poli, la nouvelle des pirateries do Nicolas de Moneglia a été connno.
Sur le» i'onseils periîdes du capitaine, les négociants lui ont confié ks
objets précieux qu'ils avaient (perles, or. argent monnayé, diamants),
afin do les soustraire à la perquisition du baile de Négrepont. C<m
objets ont été confisqués â Venise par la république. Les marchandises
de Jean de Rapallo, d'une valeur de mille ducats, et trois mille ducats
d'or, dont il était porteur pour le compte de Mcolas Gattilusio, seigneur
d'.l^nos, ont été saisis à Modon. — Los négooiants ont été relâchés aur
parole.
3" A Candie un bâtiment génois (patron Jacques de Pontremolo),
ad
DISPOSITIONS PACIFIQUES DES DEUX PUISSANCES. 485
Les dispositions de Venise, comme rallps de Gi'nes, s'ébiient,
au printemps de I iOô, beaucoup modifiées. La première était
engagée dans une guerre continentale contre le seigneur de
Padouo, qui avait intéressé à sa cause son gendre Nicolas
d'Kste, marquis de Ferraro. Bien qu'alliée à Gonzague do
Mantoue.elle avait fort, à faire pour soutenir l'honneur de ses
armes, et la campagne exigeait de grands sacritices d'argent
et d^hommes'. De leur côté, les Génois, si le maréchal était
opposé à tout arrangement avec les Vénitiens, désiraient la
paix. Ils sentaient que Boucicaut chercherait à prollter de
la conflagration de Tltalie du nord, qui tendait à devenir
générale, et qu'il les engagerait ilans de nouvelles expédi-
tions; dans cette prévision il était prudent de traiter avec
Venise. Aussi, de part et d'antre, était-on disposé à un
accommodement. La république^ do Venise, conipremml qu'elle
avait intérêt à avoir â Gènes un représentant muni de pou-
voirs étendus, nomma â ce poste Pien-e Aymo(?8 mars 1 i05),
et entoura sa nomination de telles précautions qu'elle ren-
dit impossible tout refus de sa part*. Elle voulait être dé-
barrassée de tout souci du côté de Gènes; déjà Nicolas
d'Esté avait traité avec elle (li mars 1 iOâ), et elle entendait
jiorter tout son effort conti'e le seigneur dt* Padoue\ Pendant
ce temps les Génois désignaient des commissaires chargés de
s'enquérir des marchandises vénitiennes capturées et détenues
illégalement par eux (H avril liOri:'. Pierre Ayrao recevait,
avec l'état estimatif des pertes subies par les bâtiments vé-
venn pour charger du vin, a été arrêté et saisi, ainsi que ceux qai le
montaient.
1° Pendant la tn've, un bâtiment génois (^patron Antonio LercAri),
venant de Itonianie, s'est réfufçiédans le port de Sapienza pour y jeter
Tancre à caui^ du ^rutî tr>[nps. l'ti vaisseau vénitien r capturé le canot
et l'équipage, coupé les amari-es, pris une des anerca de ce navire, et
fAusé un prt^judice de rjuatre cents ducats à Lercari.
1. Rumatiin. Storia ùocumentaia^ iv, 19.
2. I^lle stipula {28 mars l'iOS) une amende considérable s'il refusait
la charge qui lui était cuntiée, cl inversement lui fit de grands avan-
tages pécuniaires pour forcer son acceptation {Sen. Secr. n, 102).
3. Romanin, Storia (haimentaln, iv, 21.
'i. ('es commissaire» (Matent Kîienne Caianco, Jacques Doria, llenoit
de Strada. Le 16 avril, les deux derniers furent remplacés par Antoine
Vivaldi et Haptistc Justiiiiani lArch. do (jtïnes, Hivers fieg.^ 6-501,
t 170 V-l).
486
FIN DES NEGOCIATIONS.
nitlens, des iustruciioiis ti-ès couciliaDtes (12 mai), et faiiiait
accepter une susiiêusiun d'armes {2'k mai); la continuation,
en effet, de l'état de guerre, en suscitant chaque jour du
nouvelles hostilités, eût indétiniment prolongé les conférences
et rendu la paix impossible'.
Tontes ces négociations avaient été menées on dehors du
maréchal, absent de Gènes pendant qu'elles se pourstiivaienl*-
Les sentiments de Boucicaut, au reste, n'étaient un mystère
pour personne. Adversaire résolu de tout accommodement
avec Venise, il se refusait absolument âfigui'er, à un titre quel-
conque, dans un accord avec une puissance dont la conduite
avait été déloyale, qui avait ilétenu les prisonniers faits par
elle à Modon et gardé le silence à la suite du cartel qu'elle
avait reçu. Avec le caractère du uiarèchal, il n'y avait pas
à espérer qu'il changerait d'avis, et les choses menaçaient
do traîner en longueur. La cour de France, informée de ces
faits tant par l'aiabassadenr de Venise auprès d'elle que pur
les agents du duo d'Orléans i\ leur retour d'Italie, se décida
à envoyer à Boucicaut nue ambassade, composée de Pien'O
lloaubié, évèque d"U/ès\ île Louis de Mnaljoye*. de l'Er-
mite de la Faye et de Nicole le Dur''. Elle avait mission
1. 2 mai r»05 (Areh. de Venise, Pftttt nciulti, série i. busla 18,
n" 351». — 12 mai TiOS [Sert. St^cr., u, f. !t1-i). —24 mai 1405 {Sen.
Secr., n, 116. Kd. Sathas, i>oi\ inrd., t, 10).
2. Houcicaiil partit le 26 mar.s l»05 pour Nice; il était do retour h
(iènes le 15 mai (Arcïi. de Cu^ne.s, /hvrrt Hetf., 6-501, f. 165 v» et I7et.
'i. Ce prélat n'était pa.s un inoonnii pour tes (îénois. Il avait pria
part, en 13%, avec Pierre Fresiiel, évèque de Mcaux, et Sassenago.
aux négwiations conduites fi Milan et à Ciônespoiir préparer lacessioifl
de la Lijîurie à la Kraripe. Il fut nommé au sié(^e d'L'zt'^ poslérieuro-
iiient îi l:W8, fui exncutoup testamentaire du due d'Ortéaiii; ill* uotubre
1403). O'élait un des diplomates les plus distingués que l'éjïlise jtro-
duisit ù cette époque. Il fut iiummé à l'évt^i'hé de Scez à la lin du M0>^,
(esta le 15 [nai l'iOH et mourut peu de temps après avoir UàX «on testa-
ment (Gfidin chrifitiana, vr, 639 et xi, »").
S. D'oriixine alsacienne, il s'appelait Kronberw. Maréclial des armée-
du pape Clément vu en 137^, il fut vicerui de .\aples (wur Loui^ n
d'Anjou (vers 1388), mcntbre du am^eil du duc d'Orléans il'iOfl). etc.
Le 11 juin TiO^, il était gouverneur d'Asti pour le duc d'ôrlèana (DtbI.
nat., cabinet des titres, pièces originales, vol. 2027. au inot muntjoyi:!.
5. Ce personnapo était un des diplomates les plus écouté» du due
d'Orléans. 11 était eonseiller et maître des requêtes de l'hôtel. En no-
vembre 13<J'J, le duc l'avait envoyé, avec son cbambcllait Uuillaumo de
GENES.
d*aplnnii' les difficultés pendantes, surlout celles provenant
du fait du luaréclial, et dut se prévaloir do l'autorité dont le
roi l'avait investie pour obtenir ijue Boucicaut s'abstînt,
jusqu'au premier mars suivant, de molester les Vénitiens'. Il
ne fallait rien moins qu'un ordre roy:»! pour faire renoncer le
maréchal au pillage armé, gi'Ace auquel il prétendait se venger
des outra<;es personuL'Ls qu'il avait rerus de Venise.
Les plênipoleiitiaires (Vam.ais avaient été envoyés à Gênes
par l'influence directe du duc d'Orléans. Frappés des senti-
ments conciliants manifestés par Pierre Avmu. ils députèrent
Pierre de Serigny ù Venise au nom du roi de France et du
duc d'Orléans, pour jiroposer â ta république, dans le diffé-
rtmd qu'elle avait avec le maréchal et les Génois, l'arbitraffe
du duc d'Orléans, arbiti'age qu'ils ètneiit cliargés d'exercer.
Le sénat, craipnant de se compromettre et de s'attirer une
gueri'e non seulement avec les Génois, uiai^ avec la couronne
de France, répondit que si les plénipotentiaires venaient à
Venise, ils seraient reçus et traités selon leur rang et avec la
iléférence que méritjiieat les princes dont ils étaient les
représentants; il les assurait enfin qu'ils trouveraient les
Vénitiens animés du désir de mettre tin à un état de clioses
qui se prolongeait depuis trop longtemps {'21 juillet). Cette
réponse, sans doute, n'était pas celle qu'espérait Tambas-
sade française. Klle renon<;a â son voyage à Venise
(17 août imy.
Cependant, de part et d'autre, le désir de la paix s'accen-
tuait. Pierr*' .Vymo recevait de nouveau (17 aoi\I) l'ordre, tout
eu niainlenanl les droits de Venise, d'accorder aux Génois
toutes facilités de forme et de temps pour réparer les dom-
Layn, vers lo roi dos Komains en Ituli^mc. là) juillet 1404, il le chargea
d'une nouvelle mission auprès du pape, en Lombardio et en Bohême;
il N'agissait du schisme et de l'an'aire du Luxembourg. Les années
Huiv^iiites. il continua ses missions diplomatiques eu Luxembourg,
auprès du pape, fn Brota^ne. eu lî<mrt>ounais, etc. (1^iOg-14lfi). Con-
seillor du duc d'Orlt-ans. et. après \h mort de ce deruier, de la du-
chesse, it était aussi archidiacre d'Ouchu et chanoine d'Evreux (Bibl.
liât,, c^b. des titres, pièces oricinales, voL lOU", au mot Lt dur; —
franc, nouv. ai*r|. auao, pièces a.Vï-4.)
1. i3 juillet li05(Aridi. de (;t>iies, Oivera Heg., 6-501, f. tÛS v<^ v».
Voir Pioces justiticatives, ii" \x.\vi.}
2. iî7 juillet li05 (Mas Latrie, Commerce et ExpéditionSf p. 188-7.)—
ir août 1405, (Sen. Seer.^ », f. laS).
FIN DES NEOOCIATIO.NS.
mages qu'ils avaient causés; ceux-ci, de leurcOté, ordonnaieut
à leurs représentants dt! se mettre en rapport avec l'aujha^-
sadeur vénitien, aux officiers chargés de calculer les indem-
nités pécuniaires, de se réunir frêfiuerament pour remplir
leur mandai (septembre I'â05). En même temps les Vénitien^
refusaient au grand-maître de Rhode-s l'autorisation de for-
tifier Ténédos, parce f^ue cet acte eût été contraire au traité qni
régissait leurs relations avec Gênes, et renouvelaient à leur»
agents la défense d'imiuiéler le commerce génois (oct. 1 40.5)'.
Quello que fût, des deux, parts, l'envie d'arriver à la con-
clusion de la paix, les négociations se prolongèrent jusqu'à
la fin du mois de juin l 'lOtî. Chaque point, chaque indemnité,
chaque restituliua fut discut*'*, sur chaque objet li/s pléuipo-
tentiaires consultaient leurs gouvernements sans lesquels ils
ne décidaient rien. En nuire. Pierre Aymo, d'abord maladt*.
mourut à Gênes au cours de sa mission , et Venise dut le
remplacer pai' Thomas Moceuigo'. Il est hors de propos d'en-
trer iri dans le détail ilc ces dil'libératinns*. Nous ferlins
cependant une exception on faveurd'une prétention vénitienne.
qui, en dehors des points à résoudre, prit une importance
considérable dans les ronférences des plénipotentiain'S.
Nous avons vu que le maréchal, dans son dépit de ne pou-
voir se venger des Vénitiens, avait séparé sa qualité ofGcielU*
de sa situation personnelle. C'est ainsi qu'il avait arrtié en
son propre nom le bàlimeut avec lequel Nlcoliis de Moneglia
avait inquiété le commerce vénitien, tandis que comme gou-
verneur de (jénes pour Charles vi il observait les cftuditioii-*
de l'accord inlen'enu entre les Génois et les Vénitiens. La
n'[)ublique de Venise, craignant que la paix n'eût pour elle,
par le nu^Mue stratagème, les niémrs résultats que l'accord
do I U) 4 . enjoignit à son ambassadeur d'obtenir que le gouver-
1. 17 août 1405 {Sen. Sea:, u, f. 1381. — 2, 17, 24 septembre {Ar.-h.
de G6nes, lHvers Heg., 6-501, f. 187 v-S v). — 21 septembre (Satlias,
Hoc. inéd., I, p. 11-2). — l'J octobre (Sathas, Ihn:. inéd., \\, p. 132^.
2. la ot 23 mars l'i06 {Sen. Sea\, ui, f. i y° ot 13).
3. Les instructions do Venise à Aymo ot ;i Mucenitro sont du 24 Ur-
oombre TiUô (5<?n. Secr., n. 17Î-5); du 5 février 1406 [Sen. Serr., u,
187); du 26 avril \M)G (Sen. Sircr., m, 17); du 2 juin l 'lOG {Scu. .SV/r.,
m, 24 v-5i; du 8 juin 1106 {Sen. :>ecr.j m, 25|: el du 2i juin l 'iiJÔ
{Sen. Secr., tu, 29).
LB MARÉCHAL RESTE EN DEIKlRS DES NEGOCIATIONS. 489
neur intervînt non seulement comme gouverneur, mais per-
sonnellement au traité de paix (2i décembre I '*06). Elle vou-
lait ainsi provenir le retour fie ce qui était arrivé, mais ne se
dissimulait pas qu'il serait ditticiïe do faire admettre cette
prétention par Gènes ; aussi recommandait-elle à Aymo de ne
faire d'ouvertures sur ce pnint (|ue ^nariil les autres seraient
définitivement réglés'. Ce qu'elle avait prévu arriva. Bouci-
caut, avec sa rudesse de soldat» répondit qu'il s'en tiendrait
aux termes d(j la promesse qu'il avait contractée en présence
des ambassadeurs envoyés par Charles n'. Il fallut revenir à
la rédaction do l'accord de lîOi, et même consentir, en cas
d'absence du maréchal, à ce que le uiim de son lieutenant fiH
substitué au sien\ Ce n'est pas tout; le maréchal, la question
une fois soulevée, exige^-t qu'il fût forniellement constaté qu'il
no serait pas engagé personrudlenient; c'était dépasser les
termes de l'accord de 1 iOÎ. Venise fut enrore obligée de con-
sentir à celle concession ; on lui laissa seulement le choix de
la forme h d(umerà cette déclaration. Elle dul être faite dans
un acte séparé au niomeut de la signature de la paix.^ Battue
!»ur tous ees points, Venise avait espéré compenser cet échec
en amenant les Génois â se porter garants des actes du maré-
chal, tant qu'il serait gouverneur de Gènes,. Elle y réussit
non sans peine. En vertu du )lr*rnier article du traité de paix,
il fut convenu que les Génois garantiraient les actes de leur
gouverneur, pourvu qu'ils fussent commis sur son ordre par
leurs navires, par leurs nationaux ou par des étrangers sur
leur territoire. Les prises faites par des vaisseaux étrangers,
en dehors des possessions génoises, devaient être contisquéos
à leur euirée sur ^(dles-ci^
rerijùnes qiiesliuns, en outre, ne pouvaient recevoir do
stdutiau rléfinilive dans le traité; ranimosité des parties, le
manque de documents otîiriels dont Paltonte eût tnip long-
temps prolongé les négociations, la nécessité de trancher des
I. 24 dérninbpe l'(05 iSen Sert.» il, 175).
'£. lajuillel l'iOn. Voir plu» liant, Pièces juuliflcaïivcH, n" xxxvi.
:i. â février l'i06 {.>>«. Serr.. », I87|.
'i. Insinirlions du *iH avril lîufi tSen. Secr., in. 17». I.r lextr ilo
rettp flrclarntiuii rst duria Hommemorinli on, n» 2n, p. 315), et dans
Apch. des AfTaircs élranpépes {Lihri Junum, ix, f. I5'i v"-5).
5. 2 juin Witfi {Sen. Secr.^ tu, '2'^ \"-h). — 24 juin t'tWj. Annexe au
traité de paix {Sen. Secr., m, 2U).
KLN DES NEGOCIATIONS.
points de droit ou de fait, dont Tappréciation ne pouvait
appartenir aux intéressés, avaient engagé les négoriateurs k
rèsorvorces (jiu^stitmsà la déiiision d'arbitres. La détt*rmiua-
tîou duiuoile d'arbiti'agi' iirèoccupa, à plusieui's reprises, les
plénipotentiaires, et donna lieu à un échange de vues qu'il est
intéressant dtï résumer fii r(Uolqn(.'s mots.
Aux termtîs du traité de Turin, chacune des parties contrac-
tantes devait nommer deux arbitres. Les Vênilieus, dès que
la question d'arbitrage se posa, accédèrent sans ditficultè
('2^ décembiv lîn5)âcette clause. Ils proposèrent un délai
de deux mois pour réunir les arbitres, et la ville de Floreuc*?
ou celle de Bologne comme lieu de réunion. Mais prévoyant
que l'accord ne serait pas possible enti-e eux, ils désiraient
qu'un cinquième arbitre fut désigné de suite pour ne pas
retarder les négociations, H ;ittacliaient une gi*andi' impor-
tance à ce que celiù-ci fût dans leurs intérêts. Ils mettaient
Morosini en garde sur ce point, en lui niontranl l'impor-
tance de ce choix, et lui indiquaient, le cas échéant, six
ï»nms û proposer' ('^i déc+^nibre I iOÔ), auxquels ils ajou-
(èrenl celui de la répuljUque do Florence (5 février liOGj;
mais ils écartèrent absolument l'anlipape et les princes du
sang de France qui, à tout prendre, avaient autorité sur les
Génois. Knfin, si aucun de ces noms nVtiit agivé à G<'nes.
l'ambassadeur devait s'en tenir à l'élection do deux personnes
de chaque côté, laissant au hasard la chance d'un accord
conclu sans rinti'rventinri d'un cinquième arbitre pcnir dt'par-
tager les voix*. Gènes comprit comme Venise l'intérêt qu'il y
avait à désigner, dans le ti'aité même, le cinquième arbitre.
Florence fui choisie \
Le IH jiiiji. les jilénipolenliaii'os génois et vénitiens affir-
mèrent sidennellement leurs pouvoirs de conclure la paix.
Elle fut signée, le '^8 juin suivant, à Gênes*. Le mai'écbal n'y
1. La villn de Siennï*. la ville de L.u<'<|iiej«, Charles de MaUtcttU, le
nts de pHtKlolpbe de Malatesla, le seign<^ur dfî Matitnoe et Ottobonc
T*>r»> (.Se». Secr.. il, 174 v^-S vV
2. Instructions <lu ^ ft^vrier 1406 \Sen. Sf-r., u, Ift:».
;t. N'uir le S 21 du traité du 2K juin l'i06. Pièce» justîHvaUvcs,
n" xxvtt.
i. Il juin ri06 (Arcli. dp Venise, Commemnyiali\ m, n" IT, p. 3IS), —
IH juin liOfi f Arrh. do Neni&c, Ci>mnKfmornth\ m, n" 18, p. Zi\' —
PitUi gchiliy basia 18, série i, u" 355; — Arcb. des Affaires ëti'auf
CLAl'SES DE LA PAIX,
491
figurait pas; il avait quitté cette ville pour Savoue, à la
requotc du pape Benoit xni quelques jours auparavant
(Il juin), laissant sa pniouration â son liônleiiant Gilbert
de la Fayette'. Le traita, qui comprenait vingt-cinq articles,
n'avait pax un caractère plus définitif que l'accord de I40L
Quelques points étaient réglés, mais la phipai't des ques-
tions étaient n^son-écs â la dùci.sion di^s arbitres. Nous
doouous ici le résumé des principales clauses de ta paix :
1 . — Les offenses et les injures sont oubliées de part et
d'autre.
2. — Les Génois, en vertu de l'accord du 22 mars \kO\,
restitueront sous quatre mois la valeur de hi cargaison dn
navirt» du Nicolas Uossn capturé à Cadix par Nicolas de Mone-
glia, c*est-â-dire sept mille dix florins. Sur cette somme ils
prélèveront, jusqu'à la ilécisiim dds arbitres, sept cents H(»rins,
représentaiif le traiispurC d'une partie de la cargaison de
('adix à Bruges.
3. — Los fu'bilres prononceron! â qui incomberont les frais
de voyage du navire de Nicolas K*jsso de Cadix à Bruges
(deux cent cintiuante gros de Bi-ugcs] ; ils décideront si les
Génois seront tenus au delà des sept mille dix florins stipulés
plus haut, au cas où la valeur des niarcUandises saisies par
eux serait reconnue supéneunî A celte somme, malgré le
procès-verbal contraire des plénipnteutiaires en tlate du
30 septembre liOi'.
IJbri Jurinm, ix, f. l'iii); — 2Kjuiti IWtHArcli. de Venijie, Commeino-
riait, m, n" iy, p. Ul'i; — Arcd, des AfTaire-s étnuigières, Lihri Ju-
limn. (\. f. I'i7-5y).
ï. Il «'tait fils de Marfçuetitp de l'e^obin l't de (îuillaiiiue Moticr,
M*i>:iieur il(» la l'aywtte. Il avait été élpvé à l'hôtel du duc de iVinrIxjii.
Un Hait pfMi lie. oliuse iln si^k premières années, Séin'i",h:il ile ItdurlHiii-
naib. puis niuivrlial du dur daii.s le» |j;ue{TC'S de LanguediH*, il arcoin-
pa^^ua liUuis u au siê^ de SouMsc et iiii tournoi i|ui eut liru en t il^V
à l'ari«. l.'anntV Kuivantc, il fut rn'é elievalier de l'onlre dn NiUn*
Dame, Institua par le dut:. Il Miivit la furtnno du récent dont il fut
fouseill(tr ot Ldiaïubellan. La rliarjfc de mar(''plml lic j'innoe réeoni-
|K;nt>a Icft servicch de liilbei*t de lu Fayette eu K'JI. Il aviiit épiiUM^
■leaunc de JoyeiihCf et vivait cneui'c cti l'i^6(ltihl. riat., piéres urigi-
nales, an mot FWbTTE; — P. Auhelnu*, vu, ôtî-T; — Krolssnrt, éd.
Kervyn, XXI, 186; — Uoiint d'Aref), Pif^ces rcttUivetf nu rt^ijur df
Cftarlex V/. i, 3"0j.
2. VcuiKC avait fixé rJ'i dêceudfre \Mib\ la somme de t^ept millu
492
PAIX DU 28 JiiN 1406,
\. — Gênes paiera, sous quatre mois, aux Vénitiens six-
cent quaranle-sept florins, valeur do quatre-vingt-un sacs de
laine n^stant à restituer de la cargaison du bfitiiuent d'Antoine
Coppo, suivant l'accord du 23 mars l'iOi'.
5. — Gênes paiera, sous quatre mois, pour lo bAtinient de
Marr (\i\\\p Chiovp.ro. capturé â Alexandrie par Paul Lercai'i,
dix huit cent cinquante florins, et potir sa cai'gaison doiue
cents florins. Les arbitres auront à prononcer si le navire,
quand il devait être restitué, valait plus ou moins de dix
huit cent cinquante Honns, et sa cargaison, plus ou moins
de douze cents florins'.
ti. — Elle rendra, dans le délai d'un mois, toutes les niar-
chandises prises aux Vénitiens on Orionl qui restent à res-
tituer; cette restitution se fera en natui'esi les objets existent
encore, ou autrement en argent.
7. — L'estimation du bâtiment de Thadée BenedetLOt
admise par l'accord du ?'^ mars 1 îO't. de\ra être faite par le
capitaine de Faniagouste et le baile de Chypre.
8. — Les Génois s'étaient engagés à faire droit aux récla-
niaiions des Vénitiens uu sujet dos colons qui leur avaient
été enlevés à Tripoli, et d'une cargaison de sel qu'ils avaient
perdue à Chyjire. Rien n'avant été fait, cette promesse est
renouvelée.
î). — Les Génois dtîvaient, pour les ilommages causés il
Beyrouth, payer huit mille besanls de Chypre; ils donneront
l
:
ducat* environ comme base de l'indemnité à obtenir piwr le navire de
Nicûlas Rosso. Quant aux frai», dont l'attribution pcMivait être délicate.
elle (lernaiulait dn ta réserver aux arl)itre8. — Ones contesta cette
prétention (2 juin l'iOftj. Venise insi-sta |8 juin), mais se considéra
comme foiT-èe d'accepter la (I<!;rlanition de IXiminique Impériale et de
Tattaneo Cigalla, pour ne pas se déjujicr. bien qu'elle lui fut désavan-
tageuse, au cas où (iénes n'accepterait pas l'arbitrage bur ce point
iSen. Secr., m» 25 r'-v").
1. Il y avait quatre-vingt-div-huit sacs à restituer, maïs dix-sept
d'entre eux étaient patisés aux mains des marcliandii O'irentins. Venise
ordonna (24 décemtJre l'iU5) à son ambassadeur de n'en réclamer que
quaire-vingl-un iSen. Secr., il, l"4 v"-5 v").
2. Veniiie avait demandé si\ mille dncati» {>our te na\ire et quinze
cents pour les marchandises. Elle ordonna à son ambassadeur de «m-
tenir sa prétention ('1\ déccmltre t'iUôi, mais de consentir à dix-huit
cents Horins pour le navire et à mille uu douze cents florins jwur la
cargaison [Scn, Secr., u, 171 v-û v"}.
CLAUSES DE LA PAtX
49:]
quinze cents florins d'or, qui représentent la mûme somme,
payables k Gênes dans le délai do quatre mois'.
10. — En co (jui conconio les navires vénitiens capturés
par Nicolas de Moncglia, le gnuveniemcnt génois se déclare
irresponsable, et cousent à ce que la queMion soit soumise aux
arbitres^
11. — Le vaisseau (patron Martin de Lorenzo) pris à Chios
par Pierre Naton, de Savoue', sera restitué avoc sa cargaison
ou sa valeur aux Vénitiens dans le délai do trois mois.
1?. — On compensera l'indemnité demandée par Venise à
cause de la capture du bâtiment de F'ranç.ois Pessato, avec la
somme de deux mille neuf cent quarante-quatn» ducats
appartenant à Conrad Doria, et qu'elle a entre les mains*.
13. — Les arbilros seront saisis do la réclamation de
Venise relativeniont â la détention injuste et à la confiscation
des marchandises des citoyens vénitiens, dont les noms
suivent :
1. Cattarino délia Rosa, joaillier, arrêté à AJbenga, détenu
vingt mois à Vintimille : — dix mille cent ducats rie mar-
L chandisos confisquées.
I u. Pierre de Valle, arrêté à Porto Venere, détenu vingt mois
I â Lérici : — cinq cents ducats de marchandises confisquées.
F 1. Venise, eonsnitée par son ambassadeur sur ce point, répondit
I (26 avril H06) qu'au mumcnt où le fait avait eu lieu, le behant de
Chypre valait un septième du ducat, et qu'il était juste d'établir le
calcul sur citlo base; luais s'il y avait diftitiultiVà adopter ce mode de
calcul, elle autorisait son agent â traiter au mieux des int('T<>ts de Ve-
ni.se. Rlle demandait aussi {2% décembre 1405) que le ])aiement n'eiit
pas lieu â Famngou.ste, mais à (iénes (Sen. Seer.^ m, 17 ; n, 174 vv-5
v»),
2. Nous avons vu plus haut les actes de piraterie reprochés & Nicolas
de Moneglia, v. pa^e 479.
3. Il allait en Homanie; la cargaison se composait de potanse. La
forme latine sous laquelle est désigné ce personnage est Petrut Na-
tonitui, Hiloti iChcv. au (^i^ffne, i, p. 399) rapi)cllti Pierre .Naton, Torine
française, mais qui, selon l'habitude de ce chroniqueur, ne dilTérc pas
beauc<iup de la forme italienne.
4. Le navire de Français Pessato <^tait chargé d'huile; il alliit de
Sicile à Alexandrie. 11 fut pris par Nicolas i imenes Picrate; Lionel
rcari, gônoi.*, le lui reprit. — Venise aurait voulu que k* cas fût
'soumis aax arbitres (8 juin U06). La compensation fut constatée dans
un acte additionnel du 2 juillet 1406 (Arch. des Affaires étrangèreSt
tihri Jurium, vm, f. 155-6). Voir Pièces justificatives, n» xxxvu.
■ Sic
J
4d4
PAIX m: 28 juin 1 106.
ni. Jacqupft Sappa, qui subit lo m^me sort qno. Pierre do
Vallo; — huit conts durnU lui furent confiqu^s'.
\\, — Gêiies rcistituera toutes les marchandises qui par-
viendront eu sa possession provenant du b:\limeut d'Antoine
Coppo, capturé par Jean ot Perciva! Spinola dans les eaux de
Sicile. Ll'S arbitres décideront si Gènes est tenue d'une iii-
derauité pour ce fait'.
15. — Les marchandises confisquées à Pêra aux négociants
vénitiens, venant de Tana sur un navire génois, et à Gaffa,
ou ieiu* valeur seront restituées, dans le délai de deux mois;
mais celles dont Lercari s'est emparé, par voie de repré-
sailles, ne seront pas rendues"'.
16. — La valeur du navire de ser Nicolas Cocco, livré au
capitaino do Kamagou.stc par le vioo-consul vènition A Fama-
gousle. lui sera reslituéo. quand ollt- aura été déterminée
coutradictoirement pai' le capitaine de Famagouste et le baite
vénitien de Chypre.
17. — Du temps d'Antoine Adorno (13 mai 1395), doge de
Gènes, des lettres do ropi-ésailles avaient été accordées à
Dominique Lin'cari contre Venise. Les arbitrées décideront
s'il y avait lieu à représailles, et, suivant leur décision, ces
lettres seront rapportées ou confirmées*.
1. Venise engagea son ambassadeur à insister pour la mise
liberté de ces prisonniers (24 décembre I405K Ciéncs déclara ifçno
ces faits. — Le 26 avril H06, le sénat de Venise renouvela ses înstan
en faveur de In mise en liberté de Oittarino délia Rosa. — Le 2 jum»
il enjoipnît à Thomas Mocenipo, s'il n'obtenait pas satisfaction, d'ac-
cepter que la (|uestion fût soumise au jugement des arbitres; le H juin.
Mof^enigo reçut l'ordre d'insister pour faire admettre cette demièiv
solution i5rn. Secr., n, 174 v"-5; ni, 17 et 24 \^-b v").
2. Gênes espérait recouvrer une grande partie de ces marchandises;
Venise afKrmait que Spinola avait dépnsé la cargai.son à Marseille, dautt
le but de la restituer si lagiiepi-e neoontinuail pas. Dansées rontlitiun»,
l'ambassadeur vénitien réclamera toute la eargaistjn et le bâtiment. Il
se contentera 24 déc. 1405), au refus des fît'uoiH d'accéUcir à cette
demande, do la re.stitulion de tout ce qu'ils auront recouvré sur Jeiui
Spinola (^^n. SetT., H, 174 v«-5v«).
3. Charles Lercari représente ici Doinitnf|ue Lercari, son oncle.
Voir le !^ 17. Il s'agissait de onze eentx ducats pris par lui à Paris.
4. Venise désirait que ces représailles fussent arrêtées aussi promptr-
menl que possible, et chargea son anibai>sadt'ur d'insister pour faire
cesser un état de choses tontre lequel t'ile pixttestait énergiquement.
Les fiénois soutenaient la légitimité des représailles (S février 1^06) e
CLAfSES DK LA PAIX. 495
18. — Venise rendra aux Génois les trois galères prises à
Modon.
19. — Elle rondra é^aloinenl les valeurs et marchandises
saisies à Modun el à Candie sur des négociants génois, reve-
nant de Cninée sur des galères vénitiennes.
20. — Elle fera restituer divers a^ês, ancres, etc., con-
fisqués par le ohfiteUûn de Modon, et appartenant au bâti-
ment d'Antoine Lercari.
21. — La paix de Turin sera maintenue, notamment en ce
qui concerne l'élection d'arbitres pour résoudre les difRcultés
pendantes; ils seront doux pour rba(|uo partie, et se réuni-
ront à Florence, sous deux mois. La république de Florence
sera choisie comme cinquième arbitre en cas de désaccord.
22. — Les hostilités cesseront à partir de la signature du
traité; les cautions données aux prisiuiniers sur parole seront
restituées.
23. — Les dommages causés jusqu'au jour de la signature
du traité seront à la charge de celle des parties qui les aura
suscitées.
2'». — Les parties contractantes seront tenues des dotles
qu'elles avaient contractées l'une vis-à-vis de l'auti'e avant la
rupture de la paix.
25, — La république de Gènes sera responsable des actes
d'hostilité du guuverni'ur de Gènes, Jean le Meingre, commis
à l'aide de navires génois, de sujets génois, ou d'étrangers
sur le territoire génois. S'ils sont commis par des navire^
étrangers hors des possessions génoises, les marchandises
transporlées en teiritoire génois n'y seront pas reçues.
En même temps que C4' ti'aité. les plénip')tentiaires signaient
la déclaration qui mettait le maréchal personnellement en
dehors des engagements pris par son lieutenant au koeh iId
affirmant quo les VénlUens avaient transporté, du temps où le car-
dinal d'Alonçon était patriarche Je Grado, à Dominique Lercjiri, cer-
taines ainmités (/>a<7rF). généralement payées par eux au patriarche.
Venise les menait an déH de montrer aucun engafrement qui Tobliffeàt
envers ttominiqne Lercari, ce qui rendait les lettres du rcpn'*»aille8
sans caui»e (2'i juin). — Kn outre, elle fuirait prouver par mui ainbati-
aadeur que les repn'saillPH exerc*^c* par l harles l-ercjiri (Vtaient une
violation de la paix de Turin; en dernier resaort, elle contentait à ce
que la question fut soumise ii un arbitrage {Sert. Secr,, n, 187; —
m, 29J.
496
PAIX DU 28 iviy 1400.
gouverncmenl de Gènps. De leur côte, les Génois publiaicul
la paix par une leilrt* circulaire, adressée a tuus leurs agcnU
et sujets; ils ordomiaieut à Percival de Griiualdi, podeslai
de Péra, dp restituer lo bâtiment de Martin de Lorenzo et sa
cargaison (art. 11), et â .lean de Mozetilî, capitiiine de Fa-
ma^'ouste, d'estimer» d'accorii avec le baile vêiiitieu de
Chypre, le bâtiment de Thadée Benedetto (art. 7); enfin il
était enjoint aux fonctîonnîiires g(''nois en Orient de restituer»
en nature ou on argent, tous les biens contisqués aux
Vénitiens'.
A Venise la paix fut promulguée le 35 juillet. La compen-
sation, stipulée par l'article 12, avait été signée le 2 juillet a
Gênes ; le mois suivant André Zano était envoyé â Chypre
pour toucher l'argent dû aux Vénitiens; à la mémo époque
(30 août) les représentants des G^^nois Bartliélemy de' Franchi,
Edouard Salvagi et Philippe Lomellini rentraient â Venise
en possession do l'argent et du numéraire confiqués par la
république de Saint Marc à ceux-ci à leur retour de Crimée*.
Ëntin, au mois de décembre ((? et 24 décembre tiOC). les
Génois exécutaient une partie des conventions stipulées. \U
payaient les indemnités relatives aux biVtiments de Nicola.s
Rossu (art. 2), d'Antoine Coppo (art. 4), de Marc dalle
Chiovere (art. 5), et celles qui concernaient le fait de Beyrouth
(art. 9), — en tout onze mille cinquante-sept florins. Ils rem-
boursaient également une somme de trois cent quatre-vingt-
dix-neuf livres sept sols, due pour le navire de Jean et do Per-
cival Spinola (art. H)".
Ce traité, dans son ensemble, avait pour base la répara-
tion des dommages causés de part et d'autre. Rien n'était
plus équitable, mais rien n'était pins difficile â déterminer
que les responsabilités pécuniaires de chacune des parties
Contractantes. Cette considération , malgré l'activité dè-
1. Arch. des AIT. étrang. {Libri Jurium^ ix, 154 v"-5); — Arch. de
VenisB (Commrmoriaii^ ni, n" 2!-5, p. 316).
2. Arch. de Venise (Commemorùtlt\ m, n** 26-7, p. 31fi-7); — Arcli.
des AfT. (^trang. (Lihri Jun'um, ix, 1'. lOô-fi ; — Aroh. de VeiiiKe (Sen.
Mixti, XLVn, f. 65 %■<■-" v», indiqué danH Mas IJUrie, Uiêt. de Chypre,
11, 456). — La procuration deH négociants gùnuis pour renirt;r en
possession de leurs biens est du 9 août U06 (Arch. de Venise, /*aui
seiolli, série i, busia 18, n" 35'i)-
a. Arcli. des Aff. étrang., Libri Jurium^ vni, f. 156-9.
LA PAIX EST A L AVANTAGE OB GENKS.
4q:
[iloyèe lie part et d'auti'C, malgré le désir des deux puis-
sances de terminer le litige, explique la lenteur des négo-
ciations. Dans lo règlcmonl des différents chefs visés par
le traité, les Vénilieus. comme nous l'avons vu, après avoir
beaucoup demandé, durent se contenter de peu; dans toutes
l(îs questions importantes, comme c<^lle de l'obligation per-
sonnelle du maréchal. Gènes fit prévaloir ses propositions;
elle ne céda que rarement aux exigences de ses adversaires.
Si l'on except*^ ceux des articles de la paix qui, fixés par
l'accord du 22 mars I'jO'i, mais non exécutés, furent renou-
velés pai' le traité définitif, tout l'honneur du traité fut pour
les Génois; malgré l'incursion peu justifiable de Nicolas de
Moneglia, leur position, à la signature de ta paix, était rela-
tivement meilleure qu*en mars UOi. Faut-il attribuer ce
résultât à la seule habileté de leui's négociateurs, ou au désir
de paix manifesté par Venise? Cette question est trop com-
plexe pour être résolue avec certitude; elle se rattache à
mille circonstances, dénature ti^ès diverse, parmi losqueUes
se place, en première ligne, le degré d'infinence possédé par
chacun des belligérants au milieu des compétitions ilîploma-
tiques et ujtlitaires qui agitaient, à cette époqm*. la partie
septentrionale de la péninsule Italique.
2i
CHAPITRE X,
ARBITRAGE DU 9 AOÏT I 'â08.
La paix conclue, restaient les questions â résoudre par voie
d'arbitrage; un délai de deux, mois avait été stipulé afin do
permettre aux arbitres de se réunir û Florence. Venise s'était
bàlée de se faire représenter f3-t* anùt 1 106), par Barthélemv
Nani et Fantinn Dandulo'. (jui arrivèrent U» '21 août A Flo-
rence, mais Gênes n'avait pas fait preuve de la même dili-
gence. Le H septemljre'. elle demandait pourse** agent-^. sous
pi'étexte d'une épidémie qui l'égnnil à Florence, une proroga-
tion jusqu'au 1 novembre, et, malgré rinsistance de Venise,
malgré l'amende à laquelle s'exposaient les retardataires, il
fut impossible de faire avancer leur voyage'.
Ces lenteurs étaient calculées; les Génois voulaient gagner
du temps, et, dans ce but. cherchèrent, dés les premières
conférences, à remettre tout en question. Boucicaut, disaieni-
ils, avait été offensé par Charles Zéno sans motif, et ils
offraient de le prouver; les négociateurs vénitiens, pour cou-
per court à tout nouveau débat, durent faire obsener que ces
t. (Sen. Secr., ni, f. 36-7). André Ontarini, fils de Jean Contarînî,
origiiiairenieiit i^lti, fui remp]a<'i'' par Dandulo. On craignit qu'il ne
parut suspect aux (î^nols à cause des dommages quA ceux*<*i avaient
fait subir à son père. On adjoignit {li août U08} François Zabarella à
Nani et â Uandolo on qualité de conseil.
2. Le II, ne les voyant pas venir, les Vénitiens écrivirent au lïen-
tenant de Boucicaut â G'^-nes, pour le prier de hùler le départ dos
Génois, et témoigner de leur désir de ne pas perdre un temps précieux
à les attendre.
3. Il et 15 septembre 1406 {Sen. Seer., m, f. 39 \-«-40). — 30 no-
vembre \Sen. Secr.^ ui, f. 50).
AMKDKE VHI DKSIÛNI-: COMME AllHITRE.
490
prétentions avaient jadis M oxaminéps et résolues pnr
Domiuiqiio Impériale ot Cigalla. el que la mission des arbitn^s
était parfaitement déterminée par le traité de paix'. Les
Génois voulurent alors discuter le point do départ du délai de
trois mois fixé pour désii,nier le cinquième arbitre, subor-
ilMimtT au droit de produire des témoins le recimrs au cin-
quième mbitre, et rouvrir les débats sur le défi du maréchal'.
Les événements leur dnunèreut raison; pendant ces négo-
ciations, Florence refusa le rolr; de (cinquième arbitre qu'on
lui avait attribué, et les j>lénipotruLiaii'<îs se séparèrent (fin de
mars 1407). Tout était remis eu cause*.
Venise cependant ne se tint pas pour battue, et donna
Vordro (2 avril l'iOTj à Rarthélemy Nani de se rendre à
GéneSf et d'amen^T le^ Géoois à dèsig^ner un nouvel arbitro.
Elle exceptait U's princes du sang de France qui eussent été
à la fois juj^os et parties, mais ne repoussait pas en principe
l'arbitï'age de Raymond de Lescure, prieur de Toulouse*,
ami des deux gouvernements, dont le nom avait été prononcé
A cettif (Kcasion (H avril). Nani fut bien accueilli à Gènes.
Dominique Impériale et Baptiste de Jacopopour Gènes, Dar-
Ihéleinv Nani pour Venise arrêtèrent leur choix sur Amé-
dée viiï, comte de Savoie (8 juin)\
La fin f\p Tannée 1 407 se passa sans qu'on fil rii'n, de'part
et d'aiitri». jiour hâter la solution définitive. Au comnience-
meut de lUJW {\'2 janvier-lJS février), comme il fallait que
l'arbitre fut au courant des questions qui allaient lui i>tre
Boumi.ses, le gouvernement génois provoqua à Gènes, en pré-
1. 27 janvier 1407 (Sen. Secr., ni, f. 52).
2. 19 février 1407 {Sen. Secr., m, f. 55). — 11 mars (Sen. Seer., m,
f. 58).
a. 30 mars et 2 avril 1407 [Sen. Serr.. m, f. fiO-I). — bi réi)uhli(iiio
lie Fioreiicp dérida, le IG mars 1407, de refuser l'arbitrage |Arrli. ilo
Florence, Ctaxfte n, Ifist. 5, n» 108, f. 16-20).
4. Voir sur cf personnage, plus haut, p. 427, ot plus bas, p. 505-7.
Il remplissait alurs à Gt>nes une mission diplomatique dont le roi de
Cbypro l'avait chargé.
5. « avril 1407 (.s>m. 5«t., ni, f. 61-21. — 6 mai (Sen. Seer., ni,
f. 64). — 8 juin (Arcb. de GOnos, Mnten'e Potitiche. mazzo 11, 2730:
Arch. de Venise, Commémorai li\ ni, ir 'lî», p. :i2a). Le 6 juin, le
laréclml avait donné procuratînn ù 1>. Impériale et k lit de Jacopo
l'effet d'élire Amédt^e comme cinquième arbitre (Arch. de Voniao,
Commemoridiij ui, n« 48, p. 322).
ARBITRAOE du 9 AOUT 1408.
sence des quatre arbitres, les dépositions qu'il crut utile» à
sa cause; elles furent recueillies par écrit pour être transmises
au comte de Savoie*.
En même temps, Venise et Gênes désignaient leurs repré-
sentants auprès d'Amédéo. Pour Venise Paul Zane et Barbon
Morosini, assistés do Jacques de' Fabri et d'Albert de Pietra-
rossa, légiste'. Pour Génea Dominique Impériale et Barthé-
lémy Bosco, docteurs es lois; ces derniers, quoique accrédités
dès le 10 février, ne quittèrent Gênes que vers le 20 mars".
Les ambassadeurs vénitiens ét-aient déjà amvés en Savoie;
ils comparurent devant le comte le 31 mars, et les Génois le
3 avril. Après leurs audiences d'amvêe et la présentation
des titres et pièces concernant les questions en litige, ils
furent ajournés par Amédée au ?6 avril. Ce jour-là, chacuiie
des deux parties présenta les mémoires justificatifs de sa
conduite; les conférences se succédèrent alors, sans interinip-
lion, jusqu'au 2 août, au milieu «les incidents de procédure,
des demandes, répliques et cuutre-répliques pi*oduites de
pai'l et d'autre. La sentence arbitrale fut prononcée le 0 août
l'i08; en voici les points principaux* :
l. — Les Vénitiens réclamaient aux Génois sept cents
florins pour le nolis du navire de Nicolas de Moneglîa; il-*
leur seront payés (art. "i du traité).
3. — Les Vénitiens soutiennent que la cargaison du bâti-
ment de Nicolas Rosso, quand iJ fut capturé, valait vingt,-
1. Ces dépositions, très longues et détaillées, sont conservées aux
Archives de Gènes {Malfrie Polilichey mazzD 11, 27S0). Dlles embrassent
tous les faiU qui donnèrent Heu non seulennent au traité du 28 juin
1406, mais encore à l'accord du 22 mars 1404.
2. 4 février 1408 [Sen. }fUlt\ xLvii, f. I6fi). François Zabarella avait
été nommé, mais il fut reinplaot^ par Jacques de' Fabri. ■— 9 février et
11 mars 1408. Délibèralionii relatives aux dépenses des ambassadeun
(Sen. Misti, xLvn, f. 167i. Leurs instructions sont du 24 février 14M
{Sen. Mistt\ xlvu, f. 173-5).
3- 10 février 1408 (Arch. de Gènes, Divers Beg., 7-502, f. 14 v«). —
9, 15, 16 mars 1408. Ordres do départ aux ambassadeurs génois (Arch.
de Gènes, /(/., f. 36 v, 38, 39 r-'V» et 41).
4. Le détail de la procédure suivie dans celte circonstance nous &X
parvenu dans son entier C.\rch. de Gènes, Materie Politiche, mauo 11,
2730). Il y eut dix-huit séances, du 31 mar^f au 2 août. La sentence
fut rendue le 9 août. — Voir le texte de l'arbitrage aux Pièces ju^tifi-
Cttives, n- xxxvui.
sept raille huit cent un ducats; les Génois leur paieront douze
mille cinq cent Irois ducats (art. 3).
3. — Les autres prétentions des Vénitiens sur les mar-
chandises appartenant à l'équipage du navire de N. Rosso, et
non comprises ilana la somme précédente, sont rejetées.
i. — Les Vénitiens demandent la restitution du navire do
Marc dalle Chiovere, pris par Paul Lercari, ou sa valeur
(six mille ducats), et celle de la cargaison (quinze cents
ducals). Les Génois ont promis de payer dix-huit cent cin-
quante florins pour le navire et douze cents pour la cargaison.
L'arbitre les condamne à payer trois mille trois cent trente-
sept ducats aiLK Vénitiens (art. 5).
5, G et 7. — Gripperie de Candie. — Amédée fixe comme
il suit les indemnités allouées aux Vénitiens pour les naWres
capturés par Nicolas de Moneglia (art. 10) :
SomiiM dvKMtiilée. Soiuaie «c«ord4«.
Navire dn Basile Tirapolle 60000 ducats. 44960 ducats.
Navire de Grégoire Monganapo . . . 16000 — 12000 —
Gripperie tle Candie i3:o — 8681/2 —
8. — Faute de preuves fournies par Venise. Gènes n'est
tenue d'aucune indemnité vis-à-vis de Catterino délia Rosa, de
Pierre de Vaîle et de Jacques Sappa (art. 13).
9. — Au lieu de vingt-sept millo deux cents ducats, deman-
dés par Venise pour le navire et la cargaison du bâtiment
d'Antoine Coppo. il lui sera alloué vingt-six mille neuf cent
quatre-vingt dix-neuf ducats (ai*t. I'*j.
10. — Venise ne doit rien à Dominique Lercari i^art. 17).
I^s sonmies demandées par elle pour Catterino délia Rosa,
pj(,pj.p ,1,, v^ii,. pt Jatrquos Sappa se comp(msent avpc celle
i|ue les Génois réclament (deux cent cinquante hesants de
Bruges) à Toccasion du voyage de Cadix à Bruges du bâti-
mont do Nicolas Rosso.
IL — Les frais de l'arbitrage seront â la charge des
Génois'.
Telle fut, résumée en quelques lignes, la sentence promul-
i. Vn mémoire du 28 février 1408, ï)r(^8flnté parles plénipoten-
tiaires vênilipns, concernant les doramages subis par le navire de Maro
dalle ( "hiovere, avait été écarté par le comte de Savoie cximrae étranger
à la caiiiie. te 22 août l'i08 (Arch. de Venise, PtUti êcioUij bunta 19,
série 1, n- 360).
ry):
ARBITKA(iK DU 1} AOUT 1408.
giii^o par Ip comte de Savoie. Elle n'avait pas lieu de satis-
faire le gouvernement génois qui. par Torganc de ses repW'-
sentanl^', eu appela de ia décision de l'arhiU'e. Mais il fut
pas3é out;re à sa protestation. — Ainsi se trouvaient défini-
tivement rêgl<?es les questions pendantes entre Gènes et
Ver»ise,
L'exécution de la seiiteuoe fit renmtre les difficultés. Lo-»
Génois, mécontents de voir leur appel repoussé, ne se fiâtèreni
pas do s'acquitlor envers Venise; les réclamations de Frauf-oj^
Heaoiani, env<t_)*é dans ce but auprès du ctinscil des Anciens,
(octobre 1108) restêronl sans effet. Gènes, par l'organe d'Ingo
de Grimaldi. ne ces^^ait de protester (janvier I SO'J' auprès d(»
la république de Saint Marc de la nullité de larbitra^e, et de
demander, sans succès du reste, qu'on remit à de nouveaux
arbitres l'examen de cette nullité'. Battu de ce côté, Gri-
maldi chercba à obtenir d(,> meilleures conditions pécuniaire^'.
Los négociations durèrent ainsi jusqu'au mois d'avril, avec
un caractère siuni-ofliciel, sans qu'il fi'it possible de lomber
d'accord, malgré le désir des Vénitiens d'accueillir les pn»-
positions génoises, pourvu qu'elles fussent équitables, raison-
nables et honorables \
Gènes persistait cependant ;'i nier la légitimité de la sen-
tence, et annonçait aux Vénitiens fl.") juin 1 îOî); son intention
tle porter [a f[ue>tion devant le concile réuni à Piseel d**van(
le souverain poniife i[m allait être élu par lui'. A cette oiiver-
ture, Venise répondit par un refus formel, et, forte des auto-
rités juridiques qu'elle avait consultées, engagea Gènes à
s'en tenir à la décision du comte de Savoie, promettant de se
1. Ciillos Morosini. Morct Bragadin et Kobert Morusinî avaient Mè
désignés par le sénat de Venise jkjui* tâcher de décider Grimaldi à
faire extVutcr les clauses de l'iirbitrape.
2. Clones oIVrait vingt mille florins, payables en dt-ux ans; elle offrit
ultérieurement quinre cents florins par an. Venise en réclamait
trente mille à payer en trois ans; elle demanda ensuite que lasomm^
fat payée par annuités de einq mille florins.
:ï. Il octobre l'iOS {Sen. Secr., m. f. It9i. — », 8 janvier 1^09 {Sen,
Secr,. m. f. i:i3-4j. — 12, U, 10, 18 avril 1401) (Scn. Srer., i\,
f. y-llK
4. Le concile de Pise déposa le pape (irêmjîr-e \ii et rântipHfx'
Bonoitxin ; il nomma Pierre Fitar^jo de Candie sous le nom d'Alexandre \
tman» 1409).
(rÉNES ACCEPTE l'aRBITRAGB. 503
montrer, dans rexêculion de la sentence, aussi bienveillante
et fncilo à satisfaire qu'elle était iadoxiblo sur le principe
môme do rarbitragci'.
A ce moment les événements dont Gènes devint le théâtre
modîtîèrent les rapports et les dispositions des deux puis-
sances. Les GMïois venaient de s'aPTranchir de la domination
française et de lionncM* It* pouvoir au njanjuis de Moulferrat
(septembre 1409). Si Venise n'osa féliciter ce dernier au len-
demain de la révolution qui l'appelait au gouvernement de
Gènes, olle nn tarda pas à savoir par son agont. François
lieaciani, que les Génois désiraient vivre en b<»nne intelligence
avec elle. Aussitôt elle leur fil demander (G mars 1410) com-
ment et dans quels délais ils entendaient pa;\er les sommes
qu'ils lui devaient*.
La rép'tnse des Géu<iis' ne contesta ni la légitimité de la
sentence ni la dette dont ils étaient tenus. Il ne resta plus
qu'à fixer la somme due, les termes et le lieu du paiemeut.
Ces trois ([uestions donnèrent lien â un échange de proposi-
tions qui diu"a jusqu'à la fin de I -UO*. Venise finit par accep-
ter de recevoir vingt-cinq mille ducats en cinq annuités, lo
reste de la dette étant ensuite paj'able à* raison de deux mille
I. y juillet U09 (Sen. Secr., IV, 38).
'2. 29 déccmhro l'é09 {Sen. Secr., iv, 8»). — 6 mars 1410 {Sen.
Serr., iv, 97).
3. l'ne question accessoire, que Venise avait dû faire écarter comme
élrangôre au débat, avait retardé cette réponse. VMe concernait cer-
tiiines annuités que lo patriarche de (irado recevait depuis la fin du
XMi" siècle Jes Vt^nitiens, en ècliange de certains droits et de cei-tains
territoires qu'il leur avait rèdés en (strie. Souvent le paiement de ces
annuités se trouvait sui^pcndu quand le patriarche et la n^publique
('Ijuenl en difHcultés, et n'était repris que quand l'accortl était rétabli
enire les deux pouvoirs (ao avril lUO). .Nous avons vu plus haut que
reite question avait déjà été agitée à l'occasion du traité de 1406 (art. 17).
{Sen. Serr.^ iv. Ilit).
'i. Gènes proposa d'abord de verser quinze ou vingt mille fiorins
piMidant trois ou quatre ans, et ensuite mille ducats jusqu'à parfait
paiement; mais Venise assura qu'elle ne pouvait, à rauso des frais
ronsidérables qu'elle avait supportés en ambassades et dépenses de
toute nature, se contenter de moins de quarante mille ducats^ payables
en cinq ans, ou par annuités do cinq mille ducats (6 mors UIO, Sen.
Secr.^ IV. a". — 24 juiu l'ilO. Sen. Secr., iv, UO v*. — 9 septembre
lUO. Sen. Secr., i\, 134;.
504 ARBITRAGE DU 9 AOUT 1408.
ducats par an (27 octobre 1410)*. Raphaël de Vivaldi fut
accrédité par le marquis de Montferrat pour traiter sur ces
bases avec Reaciani (7 novembre 1410), et le 4 décembre la
république de Venise rappelait Beacîani dont la mission était
terminée par la conclusion de l'accord avec les Génois *. Il
avait fallu plus de six années de négociations pour obtenir ce
résultat.
1. Sen. Secr.,iv, 140 v».
2. 7 novembre 1410 {Paiti êcioUij busta 19, série 1, n» 368). — 4 dé-
cembre 1410 {Sen. Secr.f iv, 145).
[
CHAPITRE XI.
DERNCER.S PROJETS ET EXPEDITIONS DE BOCCICAUT
(I407-I'»08).
Au milieu des préoccupations qui l'absorbaieDt, Boucicaut
n'avait jamais penlu l'Orient de vue, ni renoncé à l'idée d(
rcfairo, quelque jour, une nouvelle expédition contre les in-
fidèles. Ce dessein, une fois entré dans son esprit, y avait
mûri ; le maréchal n'attendait qu'une occasion pour l'exé-
cuter, persuadé qu'il ny avait d'entreprise plu* louable que
que de < tousjours augmenter et accroistre le bien de la
< crestient*'i et l'honriDur de chevalericî ». Rien ne le rebutait
pour atteindre ie but rêvé; la situation, cependant, ne sem-
blait pas propice à une campagne lointaine. L'arbitrage, qui
devait maître fin à la (jnerelle des Cn'-tmis et des Vénitiena,i
n'était i)as prononcé, et les négociaUons menaçaient de se
prolonger qitelqm» temps encore. A Gènes, les dispositions
des babilants. loin dV'tre rassurantes, laissaient apercevoir
les pivmiei*s symptômes d'une Hdélilé chancelante. La question
du schisme, à laquelle Houciuaui, en qualité de représent<int
du roi de Franco, prenait une part très active, passi'uumit
tous les esprits. Enfin, les événemeats politiques et militaires
dont rilalie septentrionale était le théâtre semblaient trop
considérables pour permettre au gouverneur de Gènes
d'abandonner un poste auquel la confiance de Charles vi
l'avait appelé.
Malgré tant de circonstances défavorables, le îimréclial
n'avait pas renoncé à son projet. Il profita de In présenn» h
Gênes du grand-prieur de Toulouse, Raymond de Lescure.
représentant du roi de Chypre (août lîn7), pour le lui déve-
lopper, et lui faire des ouvertures au sujet d'une nouvelle
expédition.
500 I>KKMBIIS l'ROJKTS ET EXPEDITIONS UK BOUCICALT-
Lescure, une des personnalités les plus remarquables do
l'oiilre (io Kliotios, s'était, comme litiilaîn.' dt^ la couiman-
derie do Ch)'pre\ créé auprès du Jauus une siluaiiou excep-
tionnelle, et ce prince l'avait, à maintes reprises, cbiu*gé de
missions de confiance. Le succès fli[)ltimatiqne que Lescure
avait remporté, eu faisant accepter au sou<lau d'Egypte un
traité de paix avec les Hospitaliers (1403)'. avait engagé
Janus à lui confier le soin d'une négociation analof;ue; mai»
le Soudan, qui avait à se plaindre du mal que la piraterie
chypriote faisait au commerce égyptien, n'avait voulu écouter
aucune |irop(isiliun pacifique, avait, jeté le négociateur en
prison au Caire, et ne l'avait rendu à la liberlé que contre
une forte rançon".
Le but du voyage de Lescure était double; il venaii à la
niur de France négocier 1(* mariage du roi de Chypre avec
une princesse du sang*, et devait, en passaut à Oèneitr
s'entendre avec le maréchal sur le retrait des joyaux que
Jauus avail donnés en gage aux Génois ptiur garantir l'exé-
cution de la paix du 7 juillet l'i03^. Houricaut saisit cotte
occasion de lui soumettre ses plans irexpéditùm dans le Le-
vant, et coniiae un pareil desspin ne pouvait être discuté
« sanz prcmiéromont y appeller le nom do Dieu ei son ayde >,
la conférence eut lieu aux environs de (îéues, dans l'églisu*
de Notre Uanie la Couronnée, lieu de pèlerinage très en
honneur parmi les populations ligttrieimes*.
L'objectif du maréchal était Alexandrie. C'était, ilisait-
il, < faisable cliose el assez legiert) [à] qui l'oseroit entre-
prendre»; eu celte circonstance Boucicaut ue se troiupail pas.
t. )l fut nnmriit^ à ce poste le '2'2 octobre I'i05 (Arch- de Valte, Jtef/.
Huit. Mn'j.^ xvni, Tiai. V. sur ce personnage, pages 'iî7 et 499,
2. t'e Iraiti'^ est «^liité dans Paiili, Cod. tli'pt., n, 108.
;i. Viniït-cii») mille diicaU {Livre tfrn failt^ ni, ch;ip. xviï, p. 6641.
— I.e grand-maitr« (!»• Ithodes (1* aoùl liuii prie Ips marrhands vfjii-
liens, gi!'noii*, catalans ^n l'raoraisi régidant à Alfixantirie, de lui prêter
.six mille ducats jKiiir le rachat de Lescure (Arch. de Malte, RffQ. liuU.
MiUJ., XVMI, I2(» \'\.
I. Il rhfMsit |.Hjnr Janus Charlottr il«î lUmrbon, wciir de Jacques ii,
comli- dr la Man'lic. I.e inari:ige fut cêlcbré à Mcluii, pai" [trocurrur,
le 2 août liU'J.
5. Mas Latrie, //t*5/. tie Chypre, n, Wi, note 1, — llcrquet. Cy-
j/rischff Kônifjsficitaltrn, p. 10.
6. Livre ifcs faits, m, dmp, w, p. 660.
LE MARÊCHAÎ. KNVOIK ! NE AMBASSADE EX CHYPRE. 5<)7
N'avai(-il pas Texemple du roi de Chypre dont la flotte,
composa d'une galère ot d'ime galiote, courait les mers du
I^*vant sîins qu'aucun bîVliment san-asin se ba$ai*d;\t âla corn-
batln*, ouïrait dans le port d'Alexanrlrie sans résistance au
grand effroi des habitants, et capturait plus de (|uinze cents
Musulmans dans ses diverses expéditions (I UJO-I 'il5j7 En
outre, le dessein d';ittanu<ir rKg^pti* a\ail, puur la suite des
êvênenienls, une haute portée polititiue, <d la chute d'Alexan-
drie < qui tant est noble el de grant renommée » eût eu diuis
l'Eiu'ope clirètienue comme dans le monde musulman un
retentissemeni ((msidêrald*'.
Lescure approuva le plan de ï{oucic;mt, < moull l'eu 1*0-
< conforta », el offrit sa coopération personnelle à une entre-
prise agréable à Dieu, prolitable à la chrétienté et destinée
à couvrir de gloire ceux qui y pai'ticiperaient. Il entra réso-
lument dans les vues du miiréchal, et lui conseilla d'envoyer
à Chypre une ambassade puur obtenir le coucours du roi.
Jean d'On\ , écuyer de Bouoicaut, el frère Jean de Vogon,
< un ti-ès noble et nottalde religieux de Tordre de saint Jeaii »,
furent désignés pour cède mission qui devait rester secrète
(août ré07)=.
Les instructions ■ des deux plénipotentiaires étaient piv-
cisos: passant par Venise, ils avaient ordre de s'embarquer
pitur Rhodes, d'y faire connaître mu grand-mailre la façon
1. • Et quant ilz cntroy<»nt au port d'Alexandrie, toute la terre bC
« armuil, et tous loz rppsiiens qui dedans estoyent, venoyent à estro
■ entieri'é dedans Ick Icui-s fondighcâ, pour douhtc du peuple. Et du
• port d'Alexandrie aulx auttres lieux dn souldain. une seule galéo
• ne iwvoit ys-sir rontrr celle du roy; et tant entrevint que, de tem|Mt
• en lenii>s, reste galéc avoit prie* mille V Sarrasins • ilMlnti. Chrv.
rt« V.yijnr, \, p. 3H5). — < Si envoyai (c'est !e roi de Chypre qui parlei
• l&ntost uu«^ gîilée courre sur le pays du dit stiuldan, qui rnoult^rant
t dommage Ini porta, et prist la plu* belU- nuve t|iie Wt eussent ehargt'e
• de marchandise. MX ainsi pays pa'-tanl, et jirenant jipuyejç, ahi cellM
• galt'o contremont le fleuvptlu Ml bien w milles • \Urrr lirx /*titx,
ni, chap. .wii, p. ijG'i).
2, Il était commandeur de Hellevitle (IthfVie, arr. de \ illefrancbe)
depuis le I'» juillet l'iO'i. I!n l'iKl. celto cnnïmanderic av.iit drjji nu,
do]Miis Jean do Vogun, deux titulaiix's. Le /.irrr ilf* fnit^ »»« ir.nqM^
en donnant à ce iHTsonnage le nom de Jran de Viewu (An:h. de
Malle, ling. Huit. Mmj., vvm, 40 v"; xxni, Tli.
'A. \tjir INùcets justiliralive.s» n* x\M\. — Les instruclionii mint re-
produite» dan» lu l.iire ticK fniin |ui, clinp, xv et xvi. p. 660-;n.
I
508 DERNIERS PROJETS ET EXPEDITIONS DE BOUCICAUT.
dont avait été réglée la question dea gages détenus par les
Génois, et de le prier de leur faciliter les moyens de gagner
Chypre. En présence de Janus ils devaient, dans le plus grand
secret, développer le dessein du maréchal, faire voir à Janus,
par de délicates flatteries, qu'il était le prince sur lequel re-
posaient toutes les espérances de la chrétienté, et que ce qu'il
avait déjà fait pour elle était un sîir garant de ses réso-
lutions futures. Dieu semblait Tavoir désigné, par « grant
« signe d'amour », au rôle glorieux qu'on attendait de lui et
auquel il ne pouvait se dérober.
Il était facile H e préparer l'expédition sans donner l'éveil;
la levée d'une armée â Chypre s'expliquait par l'éfat de
guerre existant entre Janus et le soudau; faisant voile ver*
Rhodes, celle-ci opérait, sans exciter aucun soupçon, sa
jonction avec les troupes génoises â Chaslel Rouge*, et de
là les forces coalisées se dirigeaient sur Alexandrie. Des
émissaires cliypriotes ou arméniens, envoyés dans cette der-
nière ville, pouvaient servir utilement les projets des Chré-
tiens et les informer sûrement des mouvements de Tcnnemi.
Le maréclial estimait les forces nécessaires à l'entreprise
à mille li'unitirs irariiics « de bonne estoffe », mille valeU
armés, niillo arbalétriers, deux cents archers et deux cents
rhevaux; pejur les transporter il fallait cinq grands bâtiments,
deux galères et deux galères de transport (huissiers), appro-
visionnées de vivres pour six mois. Les frais, pour une cam-
pagne de quatre mois, devaient s'élever â cent trente-doux
mille tlorius environ. Il était juste «[n'en pareil cas Janns,
uuquol tout l'honneur du succès était réservé, pay.-^t lu moitié
(le cette somme, et que l'argent parvint au plus t*')! â G^ne.s
pour permettre aux armemenis de se faire durant l'hiver, et
à l'expédiLiot» de piviidre la mer eu avril I i08.
Dans lu pejiséê de liiuicicaut, la coopération de Janu» de-
vîiit être avant tout pécuniaire. Il savait qu'on ne pouvait rien
attendre d'autre de ce prince. Les ressources militaires de
file étaient resti'einles ; eu outre les Génois y étaient mal
vus et les Chypriotes se souciaient fort i)eu, sous le prétexte
d'une camjiagne contre l'Egypte, d'un débarquement nombreux
^^ de ces derniers û Chypre, Aussi le maréchal s'empressait-il
W I. Probablement A*«/art/ >Vinimowr, entre Tortoso et le Chastel Blanc,
r
janus refuse son concours,
5U9
deraâsurer Janus sur ce doriiior point, en afHrmant (juo le
gros de l'arméo se composerait d'élêineutâ français. Il laissait
au roi toulo latitude d'augmenter la proportion des contin-
gents chypriotes, car « do tant que plus y inottroil, de tant
< prendroit-il plus en butin ».
Les ambassadeurs reçurent k la cour de Chypre l'accueil
le plus cordial. Flatté d*'s ouvertures qui lui étaient faites et
des l'iuanges que lui adressait le maréchal. Janus déclara
qu'il « ne le povoit asMoz louer ne remercier à la centiesnio
« partie de ee forant ln'nofice, no jamais faii*e chose qui y
€ peust souilire »'. Il montra le plus grand désir d'accepier
les propositions de Bouoicaut, et diMuanda, avant de rlontier
une réponse définitive, a prendie l'avis d'un doses consfillers
les plus écoutés. Perrin lo Jeune. Ce dernier avait joué, au mo-
ment de la campagne de HOU, en qualité de représentant du
roi à Venise ei à Gènes, un rôh* consi<lorable, et ses conseils
avaient la plus faraude influence sur l'ospril do Janus.
Perrin, mis au courant des projets d'oxpédition, dissuaila
son souverain d'y donner suite; il fit valoir des arguments
qui modifièrent les dispositions de Janus, et les plénipoten-
tiaires ne tardèrent pas à s'apercevoir de ce chaugemeut. hv
roi, fort embarrassé de revenir sur ses premières déclarations,
refusaitde se prononcer calégori(iueiuent, et « autre fois faisoit
« response assez froide, pour les doubles que il y mettoit »,
Jean de Vogou et d'Ony, lassés de tant d'hésitations, insis-
tèrent pour obtenir ime .solution; elle leur l'ut entin données
(2i octobre 1407j'. Janus refusait absolument le concours
qu'on sollicitait de lui ; il mettait en avant sa jeunesse < qui
« excusoit sou petit sens », et en protestant de son amilié
inaltérable pour le maréchal, il se déclarait incapable de
laisser, en vue d'une entreprise lointaine, son pays exposé
aux incursions des Turcs, aux menées <Ies partis', aux leii-
tativcs génoises, que l'éloignement de Bouoicaut rendait pos-
sibles, et que les Chypriotes, instruits par une cruelle expé-
1. Livre dis faitt, m, chap. xvn, p. 663.
2. Livre de* faits, tu, chap. xvur, p. 664.
a. « Car il [Janits] savoit bien que lui parti de son pays, il y eu avuit
maint par aventure que on culderoit qu'ilz fussent ses meilleun»
amt8, mais que à ta guise de par delà on ne doit avuir fianco ne «s
faindroient mie de lui Wllir sa seigneurie, et ainsi puurroit perdre
le seur pour le non aeur > {Livre des faits, nr, chap. xvni, p. 665).
510 DERNIERS PROJETS KT EXPKDITIONS DE BOUClCAlîT
rience, redoutaient plus encore que les Musulmans cl les
(langera intérieurs.
Los ainbnssïulptirs se Iintèrcnl ili^ retourniT â tn-ncs junhT
celte mauvaise nonvoUe au maréchal'. Cohii-ci était bien loin
de s'atteutU'o à un pareil résultat ; lea assurances de Lescure
lui avaient fait espéror une tout autre réponse. Grégoire xii
(i) novombiv 1 iOTj, sollicité parSif^isunrnil, veuait d'exhorter
les fidèles à se croiser contre les Tui'cs à la suite du roi He
Hongrie, et ce réveil de l'esprit des croisades semblait d'un
bon augure pour l'expédition projet<?e*.
Le dépit de Boiuicaul fut extrême; il ajourna ses projets
à des temps meilleurs, et « le bon champion de Jhesu Christ,
« qui est de euer. de voulenté et de fait le droit persécuteur
« (b^s mescreans »\ tourna, non sans regret, son attention
et son activité du côté drs événements qui agitaient la pénin-
sule italique.
L'occasion, cependant, de combattre les Musulmans se
présenta bientôt, sans que le marôclial la clu'iohât. Ce ne
fut pas, à vrai dire, une expédition régnlièi'e. mais nne attaque
isolée, un d<' rrs cnnps de main si propres ù faire écbiler les
qualités militaires et la bravoure de Houcicaul. Ce dernier
s*élait embarqué à Gènes (20 septembre M08) â destination
des côtes de Provence; il allait < voir sa b<mne et belle
< femme et visiter sa terre » l<(rs(|ue pendant la traversée
on lui signala la présence de quatre galères maures*. Sa ré-
solution fut aussitôt prise, et cpioique n'ayant qu'un bâtiment
â op])oser aux quatre vaisseaux ennemis, il se prépara au
combat, mais la nuit tombait et BoucîcauU pour attendre le
jour et des nouvidles précises des San'asins, relâcha à Porto
Mauri/.ioV
Les Maures avaient jeté l'ancre devant le cliâteau de Elo-
quebruneV et « semblant ne faisoient d'culx eu aler ». Le
1. Ils repassèrent par Rhodes. Le " novembre 1407, Je grond-maltre
fiutorisnit Jean de Vogoa ù ijuittcr Uliodos [)ûur rOccidcnt lArch. de
Malte, Hey. liitti. Atag.^ xix, 56).
2. Tlieiner, Vetera mofittm. ht'êt. I/iitufnriam iUuêtrantia, n,
179-80.
3. livre det faits, m, ehap. x.\i, p. 6611.
^. Livre ttes faits, m, chap. xxi, p. 669.
5. Port de la rivièrp du Ponont, cnti-n Savone et .Menlon.
6. Entre Menton et Monai'o.
ATTAQl'E I* f.NE ESCADIIK MAl'RE A Vrl.l.EKIlANCnB.
londomain. lo maréchal, informé de leur position, n'hésita
pas, malgré riufériorilé du nombre, malgré les craintes ex-
primées par les plus vaillants. i\ ordonner l'attaquu. Nous
verrons, dit-il â ses compagnons, ce que vous saurez faire.
« Voicj bien àbesongner, mais es fortes besongnea acquiert-
< on le grant honneur»*; puis il prit ses dispositions de
combat.
Sa galère comptait cinquante arbalétriers; il désigna le
poste de chacun d'eux. Lui-même so plara à la poupe; à ses
wMéft étaient messine Choloton ', le seigneur de Môntpesat\
Guillaume de TholignyS les Génois Pierre Cassagoe et
Thomas Pansan. A l'amère, il fit mettre Jean d'Onv*. Macé
de Rochebaron*, les bàtirds do Varanes et d'Auberons. Louis
de Milly ot plusieurs autres furent chargés de défendre les
flancs du navire.
Quand le maréchal arriva devant Hoquebruue, « sur l'heure
« de vespres >, les Sarrasins n'y étaient plus; ils avaient
gagné le ptirt de Villefranche*. Roucicaut se met à leur pour-
suite sans retard, et les rejoint une heure avant le coucher
du sdleil; l'ennemi n'ose soutenir le choc, coupe en toute
hAte les amarres des bâtiments et cherche à fuir. La pour-
suite recuuimence. plus acharnée que jamais; Boucicant
atteint enliii les Maures, au moment 'n'i le jour tombe, â la
hauteur de Nice. « Si furent durement envayis, dit le chroni-
i. Livre rfr* /ViiM, p. m, chap. xxr, p. *Hi9.
t. Il 8'était déjii distingué pendant la campagne de Syrie. V. plus
haut, page W\.
3. Amcnyon, sire de Montpesat (Lot et Garonne, arr. Agen, CAnt.
de Prayssas;, était ècuyer et chambellan du duc d'Orléans, et fut Aé-
signé en l'»03 pour arcompa^ner ce dernier en Lombardie. Plus tard,
il planait en outre !e« titres de seigneur de Madillan, de cfiRvnlipr, do
con&eiller et do chambellan du roi, et occupa soiisOiarles vi la cli.irpe
do guuvorneur des »énéctiaut>»éeh d'AgenaU et de lia»cogne. Il vivait
encore on 1430 (Bibl. nat., pièces originales, vol. 2007, nu mot
»IOSTeKZ\T).
4. Voir plus haut, p. 440,
5. Voir plus haut, p, 368 et Uû.
(î. Macé de Hui.'liebaron, seigneur de Dors, ('■[>ou)îa Ala»ie de Rous-
sillon. Il eut deux fiU: Jean, mort san.t postf^rïté, et Antoine, ècuyer
tranchant du duc de l^urgugne Philippe le lion (Bibl. nat., eab. dn*
titroH, piéres originales, vol. 2512, au mot niiciitu\RON|.
7. Au fond du golfe de ce nom, non loin et à l'est de Nice,
512 DERNIERS PROJETS ET KXPKDmoNS DE BOUCICAUT.
« queur du luaréchalf et là ot fait de moiiIt belles armes et
< uioult si esprouva bien chacun en droit soy. Mais pour ce
« que lonc seroit à dire les fais que chacun y fist, vous dis
* icmt en un monl que l'œuvre loue le laaislre »*, Ce fut une
horrible luerie qui dura toute la unit; incapables de fuir, les
infidèles se défendaient avec le courage du désespoir; ils per-
dirent une centaint? des leurs, que la nior jeta le lendemain
sur le rivage. L'affaire avait été si chaude que les arbalétriers
avaient tiré sept grosses caisses de viretons*.
La jnurnée du lendemain se passa tout entière à com-
battre. L'ennemi manueuATait pour se retirer; il atteignit rie
la sorte, vers le soir, les Iles d'IIjtères, et s'y réfugia, tandis
que le maréchal relâchait au pied du chiiteau de lirégaiiçou'.
sur la côte de Provence, en face des îles. Mais, pendant la
nuit, les Sari'asins levèrent secrètement l'anci'e et reprirent
la route d'Afrique. L'attaque dn maréchal leur cofttait plus
de quatre cents liommes * que mors qur affoliez », pour ces
deux journées, tandis que les perles des Chrétieus ne .s'éle-
vaient qu'à dix-neuf hommes tués et blessés.
Le snccès était complet. Boucicaut débarqua à Toulon, se
félicitant d'avoir eu l'occasion de courir sus aux infidèles :
mais un coup de main, quelque heureux qu'il pût être, iio
compensait pas rexpédition projelét» contre Alexandrie.
Celle-ci, déjà très difficile à entreprendre au moment où le
maréchal avait sollicité le concours de Janus, ne tarda pas à
devenir in'éalisnble. Les événement.s se précipitèrent en
Italie: Tcxpulsion des Krau^ais de Gènes (1400) et bientôt
de toute la péninsule entrahia la retraite du maréchal. Rentré
en France. Boucicaut trouva le roi dominé par la faction
bourguignonne. Attristé, assombri par d4;s chagrins de fa-
mille, il se retira dans le Languedoc, dont Charles vi lui
avait confié le gouvernement (Iil3). Deux ans après, l'ex-
pédition que le roi d'Angleterre préparait contre la France,
et qui aboutit à la catastrophe d'Azincourt (lil?»), lui remit
les armes à la main et lui coûta la liberté. Prisonnier eu
Angleterre, il ne tai'da pas â succombei* aux douleurs que lui
1. Livre des faits, p. m, chap. xxi. p. 670.
2. On appelait de ce num les traits d'arhalètett.
3. Aujourd'hui fort de Drégançon, à l'extrémité orientale de la rade
d'Hyèrt's.
MORT DU MARECHAL. 5lB
infligeaient rabaissement de sa patrie et les rigueurs de la
captivité fl421). Les projets de croisade, auxquels il s'était
exclusivement consacré pendant tant d'années, et qui se per-
sonnifiaient en lui, furent définitivement ajournés. Les dé-
sastres du royaume permettaient-ils de les reprendre ? Pou-
vait-on même songer à une intervention à laquelle l'âme et
le bras venaient de manquer tout à coup?
CONCLUSION.
Le récit des expéditions du maréchal Boucicaut nous a
conduit jusqu'aux premières années du w" siècle, à la veille
de la catastrophe qui, en enlevant Gènes à la France, porta
A l'intluencc de cotl^ rlt^rnitVo on Orient un coup mortel. Au
tcrmo do notre élude, il n'est pas sans intérêt de jeter un
coup d*œil en arriére et de constater si les résultats acquis
répoDdent aux efforts déployés et au but poui-suivi.
Il est mallieureusement trop facile de se convaincre du con-
traire. La première moitié du xiv* siècle s'écoule sans que
les projets et les préparatifs de croisade donnent naissance
à aucune tentative sérieuse; plus tard la chrétienté semble
entrer résolument dans la voie des expéditions, et l'on peut
espérer qu'elln frappnra de grands coups. Il n'en est rien
cependant; les vues politiques, les desseins à longue portée
cèdent devant lardeur belliqueuse d'une bouillanle cheva-
lerie, qui veut, on quelques mois, se < saoïMer » de coups de
lance et d'épôe, et rentrer en Occident quand sou bras sera
las de frapper. Ce ne sont ni la croisade d'Aïuédée de Savoie
ni l'aventure du duc de Bourbon en Barbarie qui retarderont lo
cours des événements et entrave font lo développement de la
puissance musulaiiiDO. Les expéditions de Boucicaut, raaifn-ê
l'intrépidité avec laquelle elles furent accomplies, n'échappent
pas â la même critique. Il n'y a d'exception que pour leis
croisades du roi Pierre de Chypre et du comte de Nevers.
Attaquer l'islamisme en Egypte, ou arrêter du côté de la
Hongrie Tinvasion ottomane, étaient des desseins politiques
dont le succès pouvait avoir les plus sérieuses conséquences;
mais à .\lexandrie, des considérations d'ordre supérieur
commandèrent la retraite; A Nicopolis, l'outrecuidante témé-
CONCLUSION.
rite de la chevalerie française corapromit les plus belles
espérances et amena un désastre sans précédent; en résumé,
aucun avantage délinitif ne fut obtenu. Peut-on, en effet,
faire entrer ea ligne de compte quelques châteaux momenta-
nément occupés, quelques ports saccagés» quelques bâti-
ments sarraîiins capturés ou coulés à fond? Les contem-
porains se sont mépris sur la portée du mal fait aux
inhdèles; mais, loin des événements, il nous est impossible
départager leur erreur. Un capitaine du xiv" siècle pouvait
se flatter d'avantages pariiels. nchetés au prix de la plus
intrépide valeur, et se persuader qu'ils sufïlsaient à arrêter
les progrès du Croissant. Mais pour nous l*illiision cesse ; ces
faits prennent, dans l'ensemble de l'histoire des croisades,
leur signification exacte et leur valeur réelle. Nous consta-
tons que le monde musulman, malgré les efforts de l'Occident
chrétien, ne s'arrèle pas, pendant le xiV siècle, dans la voie
des conquêtes, et ne cesse de s'établir chaque jour plus soli-
dement, en Europe. A peine celle-ci parvient-elle à retarder
de quelques années lo trioniphe des Ottomans : résultat hors
de proportion avec les sacrifices de toute nature que la
chrétienté s'est imposés durant plus d'un siècle.
L'événement ne tarda pas â démontrer la fragilité dea
succès dont se prévalaient les Chrétiens, A peine Boucicaut
a-t-il disparu que les victoires musulmanes se succèdent sans
interruption : ('hypre et son roi tombent au pouvoir des infi-
dèles (1425-1 i'JG). Ih route du Saint Sépulcre est fermée aux
pèlerins, RUodes est menacée (M î4j. Les efforts des Hospi-
taliers et d'une escadre envovée par le duc de Bourgogne
dons les mnrs du Lovant dégagent l'île, mais n'empêchent pas
Conslantinople, quelques années plus tard (1453), de succom-
ber et d'ouvrir ses portes à Mahomet ii.
La prise de ron.s1antino]jle. comme jadis celle de Saint
.îean d'.Vere. remplit rO<cirlrnt de iorreur et réveille un
instant l'enthousiasme d'autrefois. Philippe le Bon ^février
1454) prononce à Lille le vœu du Faisan; à son exemple, toute
'la noblesse prend la croix, le Saint Siège appelle aux armes
B]a Hongrie et l'Allemagne, mais la première seule s'arme pour
défendre sa frontière menacée. Calixte m et Pie ii sont im-
puissants à entraîner l'Italie dans une ligue générale. Les
Hongrois, cependant, entrent en campagne et, conduits par
leur roi .Toaii Ilunyade, défendent heureusement Belgrade
516
CONCLUSION.
contre lea atiaques des Turcs (1156), tandis que la flotte pon-
tificale remporle f|i]elques succès dans la mer Egée.
Le duc de Bourgogne ae dt^ciile enîîii à 8*acquitl('r de son
vœu ; les cours itiUieunes semblent prèles â le suivre, Venisfî
et Scanderberg ont promis leur concours. La mort de Pio ii
à Ancùne (liGi), à la veille du départ, remet tout on cause;
les coalisés se dispersent» et la liotte bourguignonne se nitiro
â Marseille.
Il faut un nouvel exploit dos Turcs, la prise de Négrepont,
pour grouper un instant, à l'instigation des Vénitiens, dans
une même action, Venise, Florence, le Saint Siège, les rois
d'Aragon et de Naples, les Hospitaliers et ie roi do Perse
(l'iTO); mais l'union de ces puissances ne suffit pas à arrêter
les Ottomans qui mettent le siège devant Ubodes (1480). La
place nVst sauvée fjue parles efforts héroïques de,s chevaliers
et du grand-maître, Pierre d'Aubussoti, qui se couvre de
gloire à leur iète. L'Occid<mt n'a envoyé au secours de Tordn^
menacé (jae quelques cuuibattîmis, venus individuellement
partager le péril de leurs frères d*armes« et des subsides
pécuniaires dont le pape Sixte iv, à Tinstigatiou du mi de
France Louis xi, a prescrit la levée.
La France est toujours au premier rang pour combattre
les Turcs, et défentire l'Occident contre leurs empiétements.
Au xV sièclo elle est tidèle à co vd\e protecteur; Philippe In
Bon et Louis xi s'inspirent de cette politique; Charles viii,
partant pour la conquête du royaume de Naples, rêve, après
l'avoir soumis, de tourner ses armes victorieuses contre
Constantinople, et ce dessein le décide à descendre en Italie.
Ltmis XII, j'i l'appel d'Alexaiidn* vi (1500), envdit* dans la
Méditerranée une escadre, comiiiaadée par I^hilippe di' Clèvos
Ravestein, pour la joindre contre les infidèles aux marines
du pape et du grand-maître de Rhodes. .\ux projets de ligiio
universelle, dont Léon x est l'âme [\')\lj, François i répond
par la promesse d'un corps d'armée considérable, ot la croi-
sade trouve en lui un zélé partisan,
Mais cette promesse est la dernière manifestation de cett<^
tradition séculaire. La lutte contre la maison d'Autriche, en-
Irepriso par François i. amène un chaugcmenl radical dans
la politique frangaiso; les rois irès chrétiens, |Mtiir résister À
Charles Quint et à ses successeurs, s'unissent intimement à
la Porte, et désertent la défense des intérêts calholiqucs eu
CONCLUSÎOX
51'
Orient. Cette mission, abandonnée par la France, est reprise
au xvi** siècle par TEspagne et l'Empire. C'est Charles Quiut
(1530) qui donne Malte aux Hospitaliers, chassés do Rhodes
en 1523; c'est sa marine qui soutionl leurs efforts aux. pre-
miers temps de leur établissem^^nt au centre de la Médi-
terranée; grâce à lui, la Goulefte est emportée (1535) et
l'ordre délivré du redoutable voisinage du corsaire Barbe-
rousse; lui-même déb.irque à deux reprises en Afrique et
tourne ses forces contre Alger [I5'il] et contre El Mahedia
(1550); du côté de la Hongrie il entïvtient avec la plus per-
sévérante opiniAtrcté, contre les Ottomans, la lutte qu'à
son exemple les empereurs d'Allemagne continueront après
liû.
Quand le Croissant menace Malte et réduit l'île aux der-
nières extrémités, le salut vient encore de Philippe n, roi
d'Espagne, et les secours amenés par le vice-roi de Sicile
(septembre 1505) obligent les Turcs à lever le siège et à
n^preudre le chemin de l'Orient. Mais la défaite des meilleures
troupes ottomanes crie vengeance, et Sélim entreprend la
conquête de l'ilo de Chypre. Nicosie et Faïuagonste tombent
en son pouvoir; li's Véuiliens sont, impuissants à arrêter le
iorreul musulman (I5G0). En même temps, l'escadre de
l'ordre est détruite par le cursaii'e Lucoliiali eu vue des
côtes de Sicile (ir»70). Devant rimmirieuce du danger une
ligue générale se forme; elle comprend Venise, le Saint-
Siège, les chevaliers tle Mal(^ et l'Espagne, C-etto dernière
eal à la tète de lu coalition, et Don Juan d'Autriche, frère de
Philippe iT. [ireml \v. commandement supivme de la flotte, la
plus fcirte (|ue la chrélituilè ait jamais rassemblée contre
l'ennemi ctuumun. Lm choc a lieu sur les eotes de Morèe.
dans le golfe de Lépante (7 octobre 1571). La victoire des
alliés est complète ei remf>lit l'Europe entière d'allégresse »»t
il'e.spérance.
La Iiataille de Lépante marque la lin des guerres ivligienses
en Orient; on se méprendrait étrangement en attribuanl ce
résultat au stircès i'tnn]»oi-tè par les (luttes chivtieunes. Quelquo
brillant f|u'il ait pu être, sullisait-il à refouler l'isliimisme? Il
faut chercher ailleurs l'explication de ce fait. Inaugurée \mv
Fran<;oisi, ralliaute politique de la France avec la Porte s'est
développée et consulidée durant prés d'un demi-siedi* ;
après Lépante, elle est assez réelle pour rendre ilésormais
1