Skip to main content

Full text of "La Franc-Maçonnerie et la Révolution française"

See other formats


J-  ^0 


MAURICE    TALMEYR 


LA 


ERANC-MACflNNERIE 


ET    LA 


z  ^ 


m  REVOLUTION  FRANÇAISE 


\ 


T  ROISIÈME     MILLE 


alifornia 

jional 

ility 


Librairie   académique   PERRIN  et    C' 


LA 

FRANG-MACONNERIE 


ET    LA 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


DU  MEME  AUTEUR 


Tableaux  du  siècle  dernier.  —  La  Cité  du  sang.  — 
Un  bourg  de  France.  —  Le  marchand  de  vins.  — 
Chez  les  verriers.  —  L'école  du  Trocadéro.  —  L'âge 
de  l'affiche.  {Couronné  par  l'Académie  française.) 
Un  volume  in-16 3  fr.   50 

Sur  le  Turf.  Un  volume  in-16.  illustré  de  86  repro- 
ductions photographiques 3  fr.  50 


MAURICE   TALMEYR 


LA 

FRANC-MACONNERIE 


ET   LA 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


PARIS 

LIBRAIRIE    ACADÉMIQUE    DIDIER 

PERRIN   ET  C'%  LIBRAIRES-ÉDITEURS 

35,  QUAI   DES    GRANDS-AUGUSTINS,  35 

1904 

Tous  droits  réservés 


Au  Comte  et  à  la  Comtesse 

Boni  de  Castellane 

en  souvenir  de  leur  noble  initiative. 

M.  T. 


207SC86 


LA  FRANC-MACONNERIE 

ET 

LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


Mesdames  et  Messieurs,  quel  a  été,  en 
1789,  en  1792  et  en  1793,  le  rôle  exact  de 
la  Franc-Maçonnerie  dans  la  Révolution 
française  ?  Les  documents  authentiques, 
émanant  de  la  Maçonnerie  elle-même,  ne 
peuvent  pas,  on  le  comprend,  ne  pas  être 
rares  sur  ce  point.  Une  société  secrète  ne 
serait  pas  une  société  secrète,  si  elle  ne  pre- 
nait pas  le  plus  grand  soin  de  cacher  tout  ce 
qui  peut  renseigner  sur  elle,  et  les  témoi- 
gnages positifs,  là  où  par  principe  on  les 
supprime,  ne  peuvent  nécessairement  pas 
abonder.  Néanmoins,  si  le  véritable  témoi- 
gnage nous  fait  souvent  ainsi  défaut,  il  n'en 
est  pas  de  même  de  certains  faits,  singuliè- 

1 


2  L\    l'RAKC-MAÇONNERIE 

rement  saisissants^  et  qui  en  arrivent,  rap- 
prochés les  uns  des  autres,  à  produire  une 
lumière  presque  aussi  probante  que  la  lu- 
mière même  des  documents.  Or  ces  faits-là 
sont  innombrables,  et  la  démonstration  qui  en 
résulte,  c'est  qu'il  n'est  peut-être  pas  une 
seule  des  grandes  journées  de  la  Révolution 
qui  n'ait  pas  été,  plus  ou  moins  longtemps  à 
l'avance,  machinée  et  répétée  dans  les  Lo- 
ges, comme  on  répète  et  comme  on  machine 
une  pièce  dans  un  théâtre...  Suivez  donc 
avec  un  peu  d'attention  les  faits  qui  vont 
vous  être  exposés,  et  vous  verrez,  comme  de 
vos  yeux,  tout  un  grand  pays  violemment 
transformé,  parla  plus  évidente  des  conspira- 
tions, en  une  immense  et  véritable  Loge.  Vous 
le  verrezjeté  par  force  dans  toute  une  succes- 
sion d'épreuves  maçonniques  graduées,  dont 
les  premières  dissimulaient  soigneusement 
le  secret  final,  mais  dont  la  dernière,  dès  le 
début,  avait  toujours  dû  être  le  meurtre  du 
Roi,  pour  aboutir  au  but  suprême  et  caché, 
c*est-à-dire  à  la  destruction  de  la  nationa- 
lité elle-même  ! 


ET    L\    RÉVOLUTIO>    FRANÇAISE  3 

Avant  d'en  arriver  aux  faits  particuliers, 
nous  constaterons  d'abord  un  grand  fait  gé- 
néral, c'est  que  l'histoire  de  la  Révolution  a 
toujours  joui,  jusqu'ici,  du  privilège  singu- 
lier d'être  acceptée  comme  histoire,  sans  que 
personne,  au  fond,  l'ait  jamais  expliquée. 
D'après  les  documents  les  moins  niables,  et 
contrairement  à  une  légende  audacieusement 
fabriquée,  la  nation  française,  comme  masse 
populaire,  en  dehors  d'une  certaine  noblesse, 
d'un  certain  clergé  et  d'une  certaine  bour- 
geoisie, était  alors  profondément  catholique 
et  royaliste.  Au  moment  même  où  on  massa- 
crait les  prêtres,  où  l'on  détruisait  avec  le 
plus  de  rage  tout  ce  qui  était  de  la  Religion 
traditionnelle,  on  avait  dû  renoncer  à  inter- 
dire les  processions  dans  Paris,  où  le  peuple, 
comme  l'établissent  aujourd'hui  les  témoi- 
gnages les  plus  précis,  obligeait,  en  pleine 
Terreur,  les  patrouilles  de  sectionnaires 
à  rendre  dans  la  rue  les  honneurs  au 
saint  Sacrement^.    Quant    au    culte    envers 

1.  Si  un  prêtre  portant  le  viatique  passe  dans  la  rue,  on 
Toit  la  multitude  «  accourir  de  toutes  parts   pour  se  jeter  à 


4 

le  prince,  il  se  prouve  par  les  manifes- 
tations mêmes  dirigées  contre  sa  personne. 
Pendant  deux  ans,  la  Révolution  se  fait  au 
cri  de  Vive  le  Roi!  Ensuite,  la  plupart  même 
des  hommes  et  des  femmes  d'émeute,  soldés 
pour  outrager  le  souverain,  sont  tout  à  coup 
ressaisis,  en  face  de  lui,  de  l'insurmontable 
amour  de  leur  race,  pour  le  descendant  de 
ses  monarques  ^  Toute  leur  exaltation,  en  sa 
présence,  tourne,  comme  en  octobre  1789, 
en  respect  et  en  tendresse.  Que  voit-on,  au 
retour  de  Varennes,  pendant  que  la  famille 
royale  prend   son  repas  ?  On  voit  le    député 


genoux,  tous,  hommes,  femmes,  jeunes  et  vieux,  se  précipi- 
tant en  adoration  ».  Le  jour  où  la  châsse  de  Saint-Leu  est 
portée  en  procession  rue  Saint-Martin,  «  tout  le  monde  se 
prosterne  :  je  n'ai  pas  vu,  dit  un  spectateur  attentif,  un  seul 
homme  qui  n'ait  ôté  son  chapeau.  Au  corps  de  garde  de  la 
section  Mauconseil,  toute  la  force  armée  s'est  mise  sous  les 
armes.  »  En  même  temps,  «  les  citoyennes  des  Halles  se 
concertaient  pour  savoir  s'il  n'y  aurait  pas  moyen  de  tapisser. 
Dans  la  semaine  qui  suit,  elles  obligent  le  comité  révolution- 
naire de  Saint-Eustache  à  autoriser  une  autre  procession,  et, 
cette  fois  encore,  chacun  s'agenouille...  »  (Taine,  la  Conquête 
jacobine^  t.  II,  chap.  m.) 

I.  Voir,  dans  Louis  Blanc,  Histoire  de  la  Révolution 
française^  le  récit  de  l'arrivée  des  femmes  devant  le  Roi,  et 
la  tentative  de  meurtre  sur  Louis  XVI  dans  le  palais  même 
de  Versailles. 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  5 

révolutionnaire  Barnave  se  tenant  respec- 
tueusement debout  derrière  le  Roi,  et  le 
servant  comme  un  valet  de  chambre  !  Et  ce 
sentiment  catholique  et  royaliste,  presque 
général  à  cette  époque,  se  confirme,  de  façon 
certaine,  par  les  chiffres  mêmes  des  élec- 
tions. Dès  1790,  les  ennemis  de  la  Religion 
et  de  la  Monarchie  ne  sont  plus  élus  partout 
que  par  le  dixième,  puis  par  le  quinzième, 
puis  par  le  vingtième  des  électeurs.  Taine 
constate,  à  Paris,  aux  assemblées  primaires 
de  1791,  un  an  déjà  avant  le  10  août,  plus 
de  soixante-quatorze  mille  abstenants  sur 
quatre-vingt-un  mille  deux  cents  inscrits  i  ! 
N'est-il  pas  rigoureusement  vrai,  en  consé- 
quence, que  la  Révolution,  considérée  comme 
mouvement  national,  ne  peutpas  s'expliquer? 
On  comprend  une  nation  comme  l'Amérique, 

1.  «  A  Chartres,  en  mai  1790,  sur  1551  citoyens  actifs,  il  y 
en  a  1447  qui  ne  viennent  pas  aux  assemblées  primaires.  Pour 
la  nomination  du  maire  et  des  officiers  municipaux,  à  Besançon, 
sur  3200  électeurs  inscrits,  on  compte  2141  absents  en  janvier 
1790,  et  2  900  au  mois  de  novembre  suivant.  A  Grenoble,  au 
mois  d'août  et  de  novembre  de  la  même  année,  sur  2500  ins- 
crits, on  compte  plus  de  2000  absents.  A  Limoges,  sur  un 
nombre  à  peu  près  égal  d'inscrits,  il  ne  se  trouve  que  150  vo- 
tants... »,  etc.  (Taine,  la  Conquête  jacobine,  t.  1,  ckap.  ii.) 


6  LÀ    FRANC-MAÇONNERIE 

chez  qui  la  domination  anglaise  est  impopu- 
laire, et  qui  s'en  débarrasse.  On  ne  com- 
prend pas  une  nation  qui  a  la  Religion  et  la 
Monarchie  dans  le  sang,  qui  les  veut,  qui  ne 
veut  qu'elles,  et  qui  les  renverse  avec  fu- 
reur. Et  cette  Révolution-là  est  tellement 
inexplicable  que  tous  les  historiens,  quels 
qu'ils  soient,  renoncent,  en  réalité,  à  l'expli- 
quer, caries  explications  parla  «fatalité»,  la 
«Providence  »,  la  «force  des  choses  »,  le  châ- 
timent divin,  ou  V  «  anarchie  spontanée  », 
les  seules  qu'on  nous  ait  encore  données,  ne 
sont  pas  des  explications.  Nous  sommesdonc 
bien  devant  une  «  inconnue  »,  devant  un  X, 
et  ce  qui  ajoute  encore  à  l'énigme,  ce  sont 
ces  révolutionnaires  en  nombre  infime,  qui 
ne  sont  pas  dix  mille  électeurs  sur  cent  mille, 
qui  ne  représentent  pas  la  France,  et  qui, 
avec  cela,  non  seulement  appellent  leur  révo- 
lution la  Révolution  française,  mais  lui  attri- 
buentencore,  en  outre,  un  caractère  universel. 
Ils  ne  sont  même  pas  la  nation  qu'ils  disent 
être,  ils  prétendent  néanmoins  régenter  toutes 
les  autres    nations  au  nom  de   cette    nation 


ET  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE        7 

qu'ils  ne  sont  pas,  et  personne,  cependant,  ne 
songe  à  leur  demander  comment  ils  se  trou- 
vent ainsi  représenter  tout  le  monde  en  ne 
représentant  personne  !...  Eh  bien,  nous 
allons  le  leur  demander,  et,  s'ils  ne  nous 
répondent  pas  toujours  eux-mêmes,  toute 
une  série  de  faits  nous  répondra  pour  eux... 
Où  en  était,  au  dix-huitième  siècle,  la 
Franc-Maçonnerie  en  France  ?  Elley  daterait, 
exactement,  d'après  ses  propres  annuaires, 
de  soixante-quatre  ans  avant  la  Révolution, 
de  1725,  et  ses  deux  premiers  grands  maîtres 
autaient  été  deux  Anglais,  lord  Derwentwa- 
ter,  et  lord  Harnouester.  Elle  est  ensuite 
présidée  par  un  grand  seigneur  français, 
le  duc  d'Antin,  puis  par  un  prince  du  sang, 
Louis  de  Bourbon,  comte  de  Glermont,  puis, 
de  1771  à  1793,  par  le  duc  de  Chartres,  plus 
tard  duc  d'Orléans,  et,  plus  tard  encore,  Phi- 
lippe-Egalité *.  En  outre,   et  comme    paren- 

1.  Annuaire  du  Grand  Orient  de  France,  pour  l'année 
maçonnique  commençant  le  l«r  mars  1899  (E.-.  Y.-.).  Paris, 
secrétariat  du  Grand  Orient,  rue  Cadet,  n»  16,  liste  chronolo- 
gique des  grands  maîtres  et  des  présidents  de  l'Ordre  en 
France  (Imprimerie  Nouvelle  [Association  ouvrière],  rue 
Cadet,  11.  A.  Mangeot,  directeur). 


8  LA   FRANC-MAÇONNERIE 

thèse,  nous  pouvons  encore  faire  quelques 
remarques  intéressantes.  On  sait  que  la 
première  manifestation  révolutionnaire  du 
tiers  état,  en  1789,  fut  de  s'ériger,  à  Ver- 
sailles, en  Assemblée  nationale^  et  que  la  for- 
mule fameuse  :  déclarer  la  patrie  en  danger 
devait  devenir  sacramentelle  en  1792.  Or,  en 
1771,  à  la  suite  de  graves  crises  intérieures, 
la  Maçonnerie...  se  déclare  en  danger.  Elle 
appelle  à  Paris  des  délégués  de  tous  les  points 
de  la  France,  et  ces  délégués,  dix-huit  ans 
déjà  avant  1789,  se  réunissent...  en  assem- 
blée nationale.  De  plus,  les  premiers  maçons 
établis  en  France,  vers  1723,  étaient  des 
Jacobites^  et  le  grand  club  directeur  de 
la  Révolution  est  le  Club  des  Jacobins.  Gon- 
dorcet,  dans  la  Septième  époque  des  Progrès 
de  r esprit  humain.,  désigne  la  Franc-Maçonne- 
rie comme  une  continuation  mystérieuse  de 
l'Ordre  des  Templiers,  et  Louis  XVI  a  pour 
prison...  le  Temple,  ancien  asile  de  ces  mêmes 
Templiers  ^.  La  grande  assemblée   annuelle 

1.  «  Nous  examinerons  si,  dans  un  temps  où  le  prosélytisme 
philosophique  eût  été  si  dangereux,  il  ne  se  forma  point  de 


ET    L.V    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  9 

des  francs-maçons  s'appelle  le  Couvent^  et  la 
plus  fameuse  assemblée  révolutionnaire  s'ap- 
pellera la  Convention.  La  Maçonnerie,  quand 
elle  avait  à  proscrire  un  adepte,  le  déclarait... 
suspect,  et  chacun  sait  comment,  sous  la 
Terreur,  on  était  déclaré  suspect.  D'après 
Louis  Blanc,  le  récipiendaire,  en  Maçonnerie, 
se  coiffait  d'un  bonnet,  pendant  qu'on  lui 
disait  :  «  Ce  bonnet  vaut  mieux  que  la  cou- 
ronne des  rois...  »  Or,  l'orateur,  au  Club  des 
Jacobins,  se  coiffait  du  bonnet  rouge.  Enfin, 
l'une  des  épreuves  de  la  Franc-Maçonnerie, 
avant  la  Révolution,  consistait  à  faire  opérer 
au  dignitaire  maçonnique  l'exécution  en  effi- 
gie d'un  roi  de  France  sur  un  mannequin 
représentant  Philippe  le  Bel,  le  prince  même 
qui  avait  exterminé  l'Ordre  des  Tem- 
pliers, et  l'acte   suprême    de  la    Révolution 


sociétés  secrètes  destinées  à  perpétuer,  à  répandre  sans  danger, 
parmi  quelques  adeptes,  un  petit  nombre  de  vérités  simples, 
comme  de  sûrs  préservatifs  contre  les  préjugés  dominateurs. 
«  Nous  chercherons  si  l'on  ne  doit  point  placer  au  nombre 
de  ces  sociétés  cet  ordre  célèbre,  contre  lequel  les  papes  et 
les  rois  conspirèrent  avec  tant  de  bassesse  et  qu'ils  détruisirent 
avec  tant  de  barbarie...  »  (Condorcet,  Esquisse  d'un  tableau 
des  progrès  de  Vesprit  humain  :  Septième  époque.) 


10  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

devait  ctre,  de  même,  Texéculion  du  Roi  ^.. 
Doit-on  donner,  d'ailleurs,  à  ces  premières 
remarques  plus  d'importance  qu'elles  n'en 
comportent  ?  Non,  et  ce  sont  peut-être  là  de 
pures  coïncidences.  Mais  nous  pouvons  déjà, 
cependant,  avec  ces  coïncidences,  nous  sen- 
tir dans  une  certaine  atmosphère  -. 

En  somme,  comme  en  témoigne  la  liste  de 
ses  grands  maîtres,  la  Franc-iMaçonnerie, 
dans  la  période  immédiatement  antérieure  à 
la  Révolution,  ne  cesse  pas  de  suivre,  malgré 
ses  crises,  une  marche  ascendante  rapide. 
Elle  devient  à  la  mode,  finit  par  faire  fureur 
et  le  Grand  Orient  en  arrive  à  créer  ces  fa- 
meuses  Loges    cV adoption    où  les    femmes 


1.  «  Il  faut  encore  ici  renouveler  l'épreuve  du  grade  où 
l'initié  se  change  en  assassin  ;  mais  le  Maître  des  Frères  à 
venger  n'est  plus  Hiram,  c'est  Molay,  le  Grand'Maître  des 
Templiers,  et  celui  qu'il  faut  tuer,  c'est  un  roi,  c'est  Philippe 
le  Bel,  sous  qui  Tordre  des  Chevaliers  du  Temple  fut  détruit. 
Au  moment  où  l'adepte  sort  de  l'anire,  portant  la  tête  de  ce 
roi,  il  s'éciie  :  Nekom,  je  l'ai  tué... 

«  Je  n'ai  point  pris  de  connaissances  du  grade  des  Kadosch 
simplement  dans  les  livres  de  M.  Monfjoie  ou  de  M.  Le  Franc, 
je  les  tiens  des  initiés  eux-mêmes...  »  (Barruel,  3/^moires  pour 
servir  à  V/iistoire  du  Jacobinisme,  t.  II,  p.  220.  Hambourg, 
1803.) 

2.  Voir  également   Drumont,  la  France  Juive,  t.  I,  p.  279, 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  11 

étaient  admises.  Les  récipiendaires  femmes, 
nous  apprend  M.  d'Alméras,  auleur  d'une 
récente  histoire  de  Gagliostro,  et  qui  ne  sem- 
ble Tennemi  ni  de  Gagliostro,  ni  des  Loges, 
sont  des  «  actrices,  des  danseuses,  des  bour- 
geoises ou  des  grandes  dames  sans  préju- 
gés ».  Alors,  en  résumé,  la  Franc-Maçonne- 
rie, au  moins  en  apparence,  consiste  surtout 
en  bals,  en  banquets,  en  démonstrations  de 
bienfaisance.  En  1775,  la  duchesse  de  Bour- 
bon recevait  le  litre  de  grande  maîtresse  de 
toutes  les  Loges  d'adoption  de  France,  le  duc 
de  Chartres  l'installait  lui-même  dans  ce  pon- 
tificat féminin,  au  milieu  de  fêles  magnifiques, 
et  on  faisait  une  quête,  à  la  fin  du  banquet,  en 
faveur  «  des  pères  et  mères  retenus  en  pri- 
son pour  n'avoir  pas  payé  les  mois  de  nour- 
rice de  leurs  enfants  )>. 

Telle  est,  pendant  toute  cette  période,  la 
façade  de  la  Franc-Maçonnerie.  Elle  est  à  la 
fois  somptueuse  et  amusante,  avec  la  pro- 
messe d'un  mystère,  probablement  inoffensif, 

1,  Les  Romans  de  l'histoire:  Gagliostro,  par  Heni-i  d'Al- 
méras. Paris,  1904. 


12  LA.    FRANC-MAÇONNERIE 

et  peut-être  même  agréable,  à  rintérieur  de 
la  maison.  Sous  prétexte  de  philanthropie,  on 
s'y  divertit  énormément.  On  s'y  mêle  entre 
gens  de  la  bonne  société  et  de  la  moins 
bonne,  dans  l'illusion  d'une  égalité  sociale 
qui  ne  manque  pas  toujours  de  piment.  On 
se  donne  la  sensation  d'une  vie  en  double  où 
l'on  s'appelle  de  noms  de  guerre,  en  échan- 
geant des  mots  de  passe.  On  se  procure  le 
petit  frisson  d'attendre  quelque  chose  de 
secret  qui  sera  peut-être  défendu.  On  joue 
en  grand,  en  un  mot,  à  ces  jeux  innocents 
qui  ne  le  sont  pas  toujours,  et  un  prodigieux 
enjouement  jette  toute  la  société  dans  ce  jeu- 
là.  Les  plus  honnêtes  gens  s'en  mettent,  et 
Marie-Antoinette  écrit,  à  cette  époque,  à 
Mme  de  Lamballe  :  «  J'ai  lu  avec  grand  inté- 
((  rêt  ce  qui  s'est  fait  dans  les  loges  franc- 
ce  maçonniques  que  vous  avez  présidées,  et 
«  dont  vous  m'avez  tant  amusée.  Je  vois  qu'on 
«  n'y  fait  pas  que  de  jolies  chansons,  et  qu'on 
((  y  fait  aussi  du  bien  K  » 

1.  Publication  Feuillet  de  Conches,  citée   dans  les  Souve- 
nirs du  comte  de  Virieu,  parle  marquis  Costa  de  Beauregard. 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  13 

N'existait-il  donc,  cependant,  aucun  motif 
de  se  méfier?  Si,  et  certains  Etats,  dès  le 
milieu  du  dix-huitième  siècle,  chassaient 
assez  rudement  ces  francs-maçons  qui  s'atta- 
chaient en  France,  avec  une  si  extraordinaire 
activité,  à  amuser  les  Français,  à  les  faire 
danser,  à  chatouiller  leur  frivolité.  Le  pape 
Clément  XII,  en  outre,  avait  lancé  contre 
eux  une  bulle  assez  suggestive,  dans  laquelle 
il  les  comparait  «  aux  voleurs  qui  percent  la 
maison  ^  )).  On  pouvait  donc,  dès  ce  moment- 
là,  ne  pas  déjà  voir  dans  les  Loges  de  simples 
lieux  d'amusements,  comme  la  malheureuse 
Marie-Antoinette,  et  la  vue  seule  des  fêtes 
qui  s'y  donnaient  causait,  d'ailleurs,  à  beau- 
coup de  gens  un  inexprimable  malaise.  Ils  ne 
pouvaient  pas  dire  pourquoi  ils  l'y  ressen- 
taient, mais  ils  l'y  ressentaient,  et  il  suffit, 
pour  s'en  convaincre,  de  lire  certain  passage 
des  Mémoires  de  Barruel.  Il  avait  émigré  à 
Londres  après  1792,  et,  comme  tout  le  monde, 
avant  la  Révolution,  avait  été  sollicité  de 
prendre  part  à  des  réunions  maçonniques. 

1.  Voir  aux  Documents. 


14  L.V    FRANC-MAÇONNERIE 

«  Depuis  plus  de  vingt  ans,  raconte-t-il,  il 
«  était  difficile  de  ne  pas  rencontrer  en  France 
«  quelques-uns  de  ces  hommes  admis  dans  la 
«Société  maçonnique.  Il  s'en  trouvait  dans 
«  mes  connaissances,  et  parmi  ceux-là  plu- 
«  sieurs  dont  l'estime  et  l'amitié  m'étaient 
«  chères.  Avec  tout  le  zèle  ordinaire  aux  jeu- 
ce  nés  adeptes,  ils  me  sollicitaient  de  me  faire 
((  inscrire  dans  leur  confrérie.  Sur  mon  refus 
«  constant,  ils  prirent  le  parti  de  m'enrôler 
«  malgré  moi.  La  partie  fut  liée.  On  m'invite 
«  à  dîner  chez  un  ami  ;  je  me  trouve  seul  pro- 
«  fane  au  milieu  des  maçons...  Le  repas  ter- 
ce  miné,  les  domestiques  renvoyés,  on  pro- 
«  pose  de  se  former  en  loge  et  de  m'initier... 
«Je  persiste  dans  mon  refus,  et  surtout  dans 
«  celui  de  faire  le  serment  de  garder  un 
((  secret  dont  l'objet  m'est  inconnu...  On  me 
«  dispense  du  serment...  Je  résiste  encore... 
«On  insiste...  Je  m'obstine...  Au  lieu  de 
«  répliquer,  on  se  forme  en  loge,  et  alors 
«  commencent  toutes  ces  singeries  et  ces 
«  cérémonies  puériles  que  l'on  trouve  décrites 
«  dans  divers  livres  maçonniques.  Je  cherche 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  15 

«  à  m'échapper;  l'appartement  est  vaste,  la 
«  maison  écartée,  les  domestiques  ont  le  mot, 
(c  toutes  les  portes  sont  fermées...  il  faut 
((  bien  se  résoudre  à  laisser  faire.  On  m'in- 
<c  terroge,  je  réponds  presque  à  tout  en  riant  ; 
«  me  voilà  déclaré  apprenti,  et  tout  de  suite 
(c  compagnon.  Bientôt  même  c'est  un  troi- 
«  sième grade,  c'est  celui  de  maître  qu'il  faut 
«  me  conférer.  Ici,  l'on  me  conduit  dans  une 
«  vaste  saîle...  Jusque-là,  je  ne  voyais  que  jeu 
«  et  puérilité,  mais  je  n'avais  déplu  par 
«aucune  réponse...  Enfin,  survient  cette 
«  question  que  me  fait  gravement  le  Véné- 
«  rable  :  Etes-vous  disposé,  mon  frère,  à  exé- 
«  cuter  tous  les  ordres  du  Grand-Mattre  de  la 
«  Maçonnerie,  quand  même  vous  recevriez  des 
«  ordres  contraires  de  la  part  d'un  roi,  d'an 
«  empereur,  ou  de  quelque  autre  souverain 
«  que  ce  soit  ?  —  Ma  réponse  fut  :  Non  !  —  Le 
«  Vénérable  s'étonne,  et  reprend  :  a  Comment, 
«  non!  Vous  ne  seriez  donc  venu  parmi  nous 
<{  que  pour  trahir  nos  secrets  !  Vous  ne  savez 
«  donc  pas  que  de  tous  nos  glaives  il  n'en  est 
«  pas  un  seul  qui  ne  soit  prêt  à  percer  le  cœur 


16  LA    FRA>'C-MAÇONNERIE 

«  des  traîtres  !  Dans  cette  question,  dans 
«  tout  le  sérieux  et  les  menaces  qui  l'accom- 
«  pagnaient,  je  ne  voyais  encore  qu'un  jeu  ; 
«je  n'en  répondis  pas  moins  négativement... 
«  A  l'exception  du  Vénérable,  tous  les  Frères 
«  gardaient  un  morne  silence,  quoiqu'ils  ne 
«  fissent,  dans  le  fond,  que  s'amuser  de  cette 
«  scène.  Elle  devenait  encore  plus  sérieuse 
«  entre  le  Vénérable  et  moi.  Il  ne  se  rendait 
«  pas,  il  renouvelait  toujours  sa  question... 
«  A  la  fin,  je  me  sens  excédé.  J'avais  les  yeux 
«  bandés,  j'arrache  le  bandeau,  je  le  jette  par 
«  terre,  et,  en  frappant  du  pied,  je  réponds 
«  par  un  iion^  accompagné  de  tout  l'accent  de 
«l'impatience...  A  l'instant,  toute  la  loge 
«  part  de  battements  de  mains  en  signe 
«  d'applaudissement.  Le  Vénérable  donne 
«  alors  des  éloges  à  ma  constance  :  Voilà^ 
«  dit-il^  les  gens  qu'il  nous  faut^  des  Jionimes 
«  de  caractère^  et  qui  sachent  avoir  de  la  fer- 
ameté...  »  Quel  était,  cependant,  quelques 
années  plus  tard,  l'épilogue  de  cette  plaisan- 
terie ?  «  Je  dois,  dit  Barruel,  rendre  cette 
«justice  à  ceux  qui  m'avaient  reçu,  que,  lors 


ET  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE       17 

(c  delà  Révolulion,  ils  se  sont  tous  montrés 
«  bons  royalistes,  à  l'exception  du  Vénérable 
«que  j'ai  vu  donner  à  plein  collier  dans  le 
«  Jacobinisme...  )> 

Une  société  «  maçonniséc  » ,  c'est  donc  bien 
celle  qui  précède  immédiatement  la  Révolu- 
tion. Elle  s'est  «  maçonnisée  w  pour  s'amuser, 
mais  elle  s'est  «  maçonnisée  ».  C'est  l'atmo- 
sphère en  dehors  de  laquelle  il  ne  faut  pas 
même  essayer  de  voir  cette  époque,  sous 
peine  de  n'en  rien  voir  de  vrai.  11  y  a  partout, 
à  ce  moment-là,  comme  dans  la  scène  racon- 
tée par  Barruel,  vingt  ou  trente  francs-ma- 
çons qui  le  sont  par  mode,  ]psir  snobisme ^  par 
besoin  de  fêtes  et  de  plaisir,  et  parmi  eux  un 
certain  «  Frère  «,  qui  a  l'air  d'être  comme  eux, 
mais  qui  n'est  pas  comme  eux,  et  qui  est  là, 
comme  dit  le  Pape,  pourapercer la  maison  », 
pendant  qu'on  s'y  divertit.  Et  le  «  maçonnis- 
me  «,  dès  trente  ou  quarante  ans  avant  1789, 
est  si  bien  déjà  devenu  l'ambiance  générale, 
que  les  philosophes,  en  réalité,  ne  répandent 
pas  simplement  leur  philosophie  par  leurs 
écrits,   mais  se   conjurent   maçonniquemeut 


18  LA    FRANC-MAÇO^'^'ERIE 

pour  la  répandre,  et  dans  le  sens  rigoureux 
du  mot...  Ecoutez  Voltaire  dans  sa  corres- 
pondance :  «  Il  faut,  écrit-il,  agir  en  conju- 
«  rés,  et  non  pas  en  zélés...  Que  les  philo- 
«  sophes  véritables  fassent  une  confrérie 
a  comme  les  Francs-Maçons...  Que  les  mys- 
(c  tères  de  Mithra  ne  soient  pas  divulgués... 
«  Frappez,  et  cachez  votre  main...  »  La  mar- 
grave de  Bareith,  la  princesse  Wilhelmine, 
devient  pour  lui  la  a  sœur  Guillemette  »,  et 
lui  adresse  elle-même  deslettres  commençant 
par  ces  mots  :  «  La  sœur  Guillemette  au 
«  frère  Voltaire.  «Il  avoue  lui-même,  dans  des 
lettres  qui  sont  célèbres,  qu'il  «  rend  le  pain 
bénit  )),  et  qu'il  «  communie  »  par  imposture, 
afin  de  mieux  tromper  les  gens.  A  un  certain 
moment,  il  entreprend  toute  une  intrigue, 
dans  le  but  de  faire  reconstruire  le  Temple 
de  Jérusalem  ^  !  A  un  autre  moment,  il  entre- 
prend encore  une  autre  intrigue,  d'ac- 
cord avec  d'Alembert,  pour  arrivera  décider 


1.  Lettres  à  d'Alembert,  1761, 1763,  1768,  citées  par  Barruel 
dans  les  Mémoires  pour  servir  à  rhistoire  du  Jacobinisme, 

et  lettres  à  Catherine  de  Russie,  1771. 


ET   LA.    RÉVOLUTION    FRANÇALSE  19 

Louis  XV  à  fonder  dans  tout  le  royaume  des 
écoles  professionnelles  gratuites,  où,  sous 
le  couvert  d'an  soi-disant  enseignement  pro- 
fessionnel, on  devait  enseigner  clandestine- 
ment au  peuple  la  révolte  et  la  sédition.  Ber- 
tin,  l'administrateur  de  la  cassette  royale, 
avait  fini  par  se  décider  à  couper  court  à  ce 
complot.  Ilavaitfaituneenquête,  et  qu'avait-il 
découvert  ?  Toute  une  conspiration  de  col- 
porteurs qui  couraient  les  campagnes,  et  y 
vendaient,  à  des  prix  insignifiants,  des  ou- 
vrages incendiaires  dont  on  leur  remettait 
gratuitement  des  quantités  ^.  Des  maîtres 
d'école  étaient  déjà  même  affiliés  à  la  conju- 
ration, et  notamment  dans  les  environs  de 
Liège,  où  ils  lisaient  à  des  enfants,  dans  des 
réunions  secrètes,  des  livres  qu'on  leur  ex- 
pédiait par  ballots.  Et  ces  maîtres  d'école 
étaient  précisément  ceux  qui,  publiquement, 
à  l'exemple  de  Voltaire,  et  comme  par  un  mot 
d'ordre,  accomplissaient  leurs  devoirs  reli- 
gieux avec  la  dévotion  la  plus  démonstrative  ! 

1.  Barruel,  Mémoires,  t.  I^  chap.  xvii. 


20  LA    FRA^'C-MAÇO^'^•ERlE 

Plus  de  vingt  ans  après,  en  1789,  entre  les 
atrocités  de  la  prise  de  la  Bastille  et  celles 
des  massacres  d'octobre,  un  M.  Leroy,  lieu- 
tenant des  chasses  royales,  s'écriait  avec  des 
sanglots,  dans  un  dîner  raconté  par  Barruel, 
et  qui  avait  lieu  chez  M.  d'Angevilliers,  inten- 
dant des  Bâtiments  du  Roi  : 

((  J'étais  le  secrétaire  du  Comité  à  qui  vous 
«  devez  celte  Révolution  et  j'en  mourrai  de 
«  douleur  et  de  remords  !...  Ce  Comilé  se  tenait 
«  chez  le  baron  d'Holbach...  Nos  principaux 
«membres  étaient  d'Alembert,  Turgot,  Gon- 
((  dorcet,  Diderot,  La  Harpe,  et  ce  Lamoignon 
((  qui  s'est  tué  dans  son  parc  !...  La  plupart  de 
((  ces  livres  que  vous  avez  vus  paraître  depuis 
«  longtemps  contre  la  religion,  les  mœurs  etle 
«gouvernement  étaient  notre  ouvrage,  et  nous 
«  les  envoyions  à  des  colporteurs  qui  les  rece- 
«  vaient  pour  rien,  ou  presque  rien,  et  les  ven- 
«  daient  aux  plus  bas  prix...  Voilà  ce  qui  a 
«  changé  ce  peuple,  et  Ta  conduit  au  point 
«  où  vous  le  voyez  aujourd'hui...  Oui,  j'en 
«  mourrai    de  douleur    et    de  remords...   » 

Et  ce  témoignage  de  Barruel,  ces  cris  de 


ET    LA    RÉV0LUT10>'    FRANÇAISE  21 

remords  de  M.  Leroy  au  diner  de  M.  d'An- 
gevilUers,  pourraient-ils  être  contestés? Non! 
Car  voici,  en  date  du  mois  de  mars  1763,  des 
lettres  de  Voltaire  qui  les  confirment  par 
anticipation  : 

((  Pourquoi  les  adorateurs  de  la  raison, 
((  écrivait-il  alors  à  Helvetius,  restent-ils 
((  dans  le  silence  et  dans  la  crainte  ?  Qui  les 
a  empêcherait  cV avoir  chez  eux  une  petite 
«  imprimerie  et  de  donner  des  ouvrages  utiles 
((  et  courts^  dont  leurs  amis  seraient  les  seuls 
«  dépositaires  ?  C'est  ainsi  qu'en  ont  usé  ceux 

a  OUI  ONT  IMPRIMÉ  LES  DERNIÈRES  VOLONTÉS  DE 
u  CE  BON  ET  HONNÊTE  CURE  MeSLIER...  ))  Et  il 

ajoute  :  «  On  oppose  ainsi,  au  Pédagogue 
«  chrétien  et  au  Pensez-y  bien,  de  petits  livres 
((  philosophiques  qu'on  a  soin  de  répandre 
(<  partout  adroitement.  On  ne  les  vend  point, 

«  ON  les  donne  a  des  personnes  AFFIDÉESjQUI 
«  LES  DISTRIBUENT  A  DES  JEUNES  GENS  ET  A  DES 
«   FEMMES...    » 

En  réalité,  la  conjuration  philosophique 
n'avait  que  très  peu  perverti  le  peuple,  et  par 
une  excellente  raison,  c'est  que  le  peuple  ne 


22  LA    FRANC-M.VÇONNERIE 

savait  pas  lire.  Elle  avait  surtout  empoi- 
sonné les  hautes  classes.  Mais  cette  philoso- 
phie qui  est  une  conjuration,  et  qui  machine, 
dans  le  mystère,  avec  des  masques  et  des 
trahisons,  l'application  de  ses  préceptes, 
n'est-elle  pas,  pour  une  époque,  toute  une 
caractérislique  ?  Et  elle  n'est  cependant 
encore  qu'une  demi-conjuration.  Elle  ne 
représente  que  des  préliminaires,  et  c'est 
seulement  avec  l'Illuminisme  que  nous 
allons  voir  entrer  en  scène  la  conjuration 
véritable,  celle  de  la  subversion  sauvage,  et 
où  s'annoncent,  par  avance,  toutes  les  atroci- 
tés de  la  Terreur. 

L'Illuminisme  est  peu  connu,  sinon  même 
presque  inconnu,  et  c'est  pourtant  l'Illumi- 
nisme qui,  en  très  grande  partie,  a  bouleversé 
et  ensanglanté  le  monde,  il  y  a  un  peu  plus 
d'un  siècle.  C'est  encore  la  continuation 
directe  de  l'Illuminisme  qui  le  bouleverse  ou 
qui  le  menace  aujourd'hui,  et  son  fondateur 
est  un  Allemand,  Weishaupt,  professeur  de 
droit  au  collège  d'Ingolstad.  A  Ingolstad 
même,  où  il  professait,  Weishaupt,  en  1776, 


ET    LA    RÉVOLLTION    FRANÇAISE  23 

posait  en  secret  les  fondements  de  la  secte,  et 
voici,  d'après  sa  correspondance,  ses  instruc- 
tions écrites  et  son  code,  ce  qu'était  cette 
association. 

Ecoutez  d'abord  la  doctrine  :  «  La  nature 
«  a  tiré  les  hommes  de  l'état  sauvage  et  les 
((  a  réunis  en  sociétés  civiles.  De  nouvelles 
<c  associations  (c'est-à-dire  les  sociétés  se- 
«  crêtes)  s'offrent  à  un  choix  plus  sage,  et, 
V  par  elles,  nous  revenons  à  l'état  d'où  nous 
«  sommes  sortis  (  c'est-à-dire  à  l'état  sauvage  ) 
«  non  pour  parcourir  de  nouveau  l'ancien 
«  cercle,  mais  pour  mieux  jouir  de  notre 
«destinée...  »  Le  but  et  la  doctrine  de  l'IIlu- 
minisme  sont  donc  bien  clairs,  et  c'est,  en 
propres  termes,  le  retour  à  Tétat  sauvage. 
Nous  en  sommes  sortis,  il  faut  y  revenir,  ne 
plus  en  ressortir,  et  établir  seulement  la  sau- 
vagerie nouvelle,  au  milieu  de  cette  forêt  per- 
fectionnée que  peut  devenir  la  civilisation. 
Ecoutez  maintenant  le  développement  :  «  A 
«l'origine  des  nations  et  des  peuples,  le 
«monde  cessa  d'être  une  grande  famille... 
«le  grand  lien    de   la   nature  fut    rompu... 


24  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

«  Le  nationalisme^  ou  Vamoiir  national^  prit 
«  la  place  de  Vamour  général.  Alors,  ce 
«  fut  une  vertu  de  s'étendre  aux  dépens  de 
«  ceux  qui  ne  se  trouvaient  pas  sous  notre  em- 
«  pire.  Cette  vertu  fut  appelée  patriotisme.,  et 
i(  celui-là  f[ii  appelé  patriote,  qui,  juste  envers 
«  les  siens,  injuste  envers  les  autres,  prenait 
«  pour  des  perfections  les  vices  de  sa  pa- 
«  trie...»  Et  rilluminisme,  en  premier  lieu, 
veut  ainsi  détruire  les  patries,  mais  il  ne 
s'arrête  pas  là,  et  vise  ensuite  ce  qu'il  appelle 
le  localisme,  c'est-à-dire  la  cité,  puis  la 
famille  elle-même  :  «  Et,  dès  lors,  continue 
aWeishaupt,  pourquoi  ne  pas  donner  encore 
«  à  cet  amour  de  la  patrie  des  limites  plus 
«  étroites  ?  Celles  des  citoyens  vivant  dans 
c(  une  même  ville,  ou  bien  celles  des  membres 
«d'une  même  famille?...  Aussi  vit-on  alors 
«  du  patriotisme  naître  le  localisme,  puis 
«  V esprit  de  famille...  Ainsi,  l'origine  des 
«  Etats,  des  gouvernements,  de  la  société 
«  civile,  fut  la  semence  de  la  discorde...  Dimi- 
«  nuez,  retranchez  cet  amour  de  la  patrie,  et 
«les  hommes,  de  nouveau,  apprennent  à  se 


ET    LA   RÉVOLUTION    FRANÇAISE  25 

«connaître  et  à  s'aimer  comme  hommes...  » 
Et  riUuminisme  bénit  maçonniquement  les 
hommes  qui  n'ont  plus  ni  patrie,  ni  cité,  ni 
famille,  ni  lois,  et  dont  les  bandes  errantes 
ne  se  fixent  nulle  part.  Il  conclut  enfin, 
en  s'écriant,  dix  ans  avant  1789:  «  Oui,  les 
<•<  princes  et  les  nations  disparaîtront  de 
«  dessus  la  terre  !  Oui,  il  viendra  ce  temps 
((  où  les  hommes  n'auront  plus  d'autre  loi 
((  que  le  livre  de  la  nature  ;  cette  Révolution 
«  sera  l'ouvrage  des  sociétés  secrètes... 
c(  Tous  les  efforts  des  princes  pour  empê- 
((  cher  nos  projets  sont  pleinement  inutiles. 
«  Cette  étincelle  peut  longtemps  encore  cou- 
ce  ver  sous  la  cendre,  mais  le  iour  de  Tin- 
a  cendie  arrivera  !  »  Et  comment,  par  quels 
procédés,  Weishaupt  va-t-il  conduire  l'Illu- 
minisme  à  son  but  ?  Par  quelles  voies  et  par 
quels  moyens  va-t-il  ramener  l'humanité  à 
l'état  sauvage  ?  C'est  surtout  ici  que  se  ré- 
vèle riUuminisme,  et  le  grand  moyen,  c'est, 
en  tout  et  toujours,  un  profond  secret,  le 
mensonge  et  la  trahison  expressément  or- 
donnés,   ou    la    violence    la   plus    sauvage. 


26  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

dès  qu'elle  est  devenue  possible.  L'illu- 
ministe  peut  avoir  tous  les  vices,  mais 
ne  doit  jamais  se  montrer,  en  même  temps, 
que  sous  le  plus  parfait  extérieur  d'honora- 
bilité et  de  vertu.  «  Appliquez-vous,  prescrit 
<(  Weishaupt  dans  son  code,  à  la  perfection 
«  intérieure  et  extérieure.  »  Et  qu'entend-il 
par  cette  double  perfection  ?  Il  l'explique 
suffisamment  dans  le  triple  précepte  que 
voici  :  ((  Tais-toi,  sois  parfait,  masque-toi.  » 
Il  organise  ainsi  tout  un  système  de  recrute- 
ment clandestin,  et  le  fait  exercer  par  des 
«  Frères  »  qu'il  appelle  du  nom  significatif  de 
«  Frères  insinuants  ».  Il  projette  aussi  un  or- 
dre de  femmes,  et  il  le  formule  comme  il  suit  : 
«Cet  ordre  aura  deux  classes  a3^ant  chacune 
ce  leur  secret  à  part;  la  première  sera  compo- 
<c  sée  de  femmes  vertueuses,  et  la  seconde  de 
«  femmes  légères...  »  De  même,  il  s'ingénie 
avec  le  plus  grand  soin  à  bien  attribuer 
aux  adeptes  le  rôle  qui  leur  convient  spécia- 
lement. «Attachez-vous,  prescrit-il  aux  Frères 
«  insinuants,  à  des  hommes  bien  faits,  beaux 
«  garçons.  Quand  on  sait  les  former,  ils  sont 


ET  L.V  RÉVOLUTION  FRANÇAISE       27 

«  plus  propres  aux  négociations.  Ils  ne  sont 
«  pas  de  ceux  qu'on  peut  charger  d'une  émeute 
«  ou  du  soin  de  soulever  le  peuple^  mais  c'est 
«  pour  cela  aussi  qu'il  faut  savoir  choisir  son 
«  monde...  »  Et  où  va-t-il  recruter  ses  adep- 
tes? Partout,  mais  surtout  dans  les  mondes 
où  l'on  ne  se  doute  pas  qu'il  puisse  en  avoir, 
et  il  ordonne  :  «  Vous  devez  sans  cesse  former 
((de  nouveaux  plans  afin  de  voir  comment 
«  on  peut,  dans  vos  provinces,  s'emparer  de 
((  l'éducation  publique,  du  gouvernement 
((ecclésiastique,  des  chaires  d'enseignement 
((  et  de  prédication...  »  Et  comment  se  fait  un 
adepte  ?  L'adepte  prend  d'abord  un  nom 
secret,  approprié  à  son  caractère,  et  qu'il 
portera  dans  l'Ordre.  Ensuite,  on  lui  fait 
faire,  par  écrit,  la  confession  détaillée  de 
toute  sa  vie,  et  on  garde  toujours  cette  con- 
fession écrite,  par  laquelle  on  le  tient  pour 
l'avenir.  Puis,  sans  qu'il  s'en  doute,  on  l'en- 
toure d'espions,  appelés  ((  Frères  scruta- 
teurs »,  et  Weishaupt,  ici,  adresse  à  ces 
((  scrutateurs  »  environ  quinze  cents  ques- 
tions sur  les  goûts,  les  relations,  la  vie,  les 


28  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

vices,  et  les  moindres  habitudes  de  Tespion- 
né.  Il  va  jusqu'à  leur  enjoindre  de  savoirs  s'il 
(c  est  dormeur,  s'il  rêve  et  s'il  parle  en  rêvant, 
«  s'il  est  facile  ou  difficile  à  réveiller,  et  quelle 
«impression  fait  sur  lui  un  réveil  subit». 
Et  quel  personnage  pourra  être,  dans  la  vie, 
l'illuministe  éprouvé  par  toutes  ces  épreuves? 
a  II  pourra,  stipule  le  code,  avoir  l'air  de  rem- 
«  plir  quelque  fonction  publique,  en  faveur 
«  de  ces  mêmes  puissances  dont  la  destruc- 
((  tien  doit  être  son  unique  objet.  »  Et  Weis- 
haupt  conclut  textuellement  :  a  Ainsi,  tous 
«  les  membres  de  ces  sociétés  tendant  au 
((  même  but,  s'appuyantles  uns  sur  les  autres, 
«  et  dont  le  vœu  est  une  révolution  univer- 
«  selle,  doivent  chercher  à  dominer  invisible- 
«  ment,  et  sans  apparence  de  moyens  violents, 
((  sur  les  hommes  de  tout  étal,  de  toute  nation, 
a  de  toute  religion,  souffler  partout  un  môme 
«  esprit  dans  le  plus  grand  silence  et  avec 
«  toute  l'activité  possible...»  Puis,  il  ajoute  : 
«  Cet  empire  une  fois  établi  par  l'union  et  la 
«  multitude  des  adeptes,  que  la  force  succède 
«  à  l'empire  invisible  !  Liez  les  mains  à  tous 


ET    LA  lŒVOLUTIO>'    FRA>CAISE  29 

«  ceux  qui  résistent  l Subjuguez^  étouffez  la  mé- 
(i  chaiiceté  dans  son  germe  !  Ecrasez  tout  ce 
c(  qui  reste  d'hommes  que  vous  n'aurez  pas  pu 
«  convaincre  /...  »  Et  quelle  physionomie, 
avec  tout  cela,  Weishaupt  veut-il  habituel- 
lement, dans  le  monde  et  la  société,  à  cet 
illuministe  qui  doit  si  sauvagement  travailler 
à  les  détruire  ?  Ecoutez  bien  encore  :  «  Il 
«  aura  l'air  d'un  homme  qui  ne  cherche  que 
«  le  repos  et  qui  s'est  retiré  des  affaires  ^..  » 
Eh  bien,  rilluminisme  correspondait  si 
bien,  à  Tépoque  où  il  apparut,  à  tout  ce 
qui  était  le  fond  de  toute  Franc-Maçonne- 
rie, qu'il  absorbait  et  fondait  en  lui,  de 
1780  à  1789,  presque  toutes  les  Loges  du 
monde  entier,  et  passait  pour  y  compter,  dès 
1782,  environ  trois  millions  d'adeptes.  L'im- 
mense majorité,  d'ailleurs,  ignorait  absolu- 
ment toutes  ces  instructions  et  tout  ce  code 
de  brigands.  Elle  ignorait  encore  bien  davan- 
tage ce  qui  n'y  était  même  plus  écrit.  Mais 
un  vaste  mouvement  illuministe  n'en  entraî- 

1.  Voir,   aux  Documents,   le  code  et  les   instructions   Je 
Weishaupt. 


30  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

nait  pas  moins  les  Loges  de  tous  les  pays, 
comme  un  mouvement  maçonnique  avait  déjà, 
précédemment,  entraîné  la  société,  et  Weis- 
haupt,  en  1781,  convoquait  pour  l'année  sui- 
vante, à  Wilhelmsbad,  un  grand  congrès  de 
la  Franc-Maçonnerie  universelle,  où  les  dé- 
légations arrivaient  en  masse,  de  France,  de 
Belgique,  de  Suède,  d'Italie,  d'Angleterre, 
d'Espagne,  d'Amérique,  de  tous  les  points 
du  globe  !  Est-il  exact,  comme  on  l'a  dit, 
qu'on  ait  arrêté,  dix  ans  d'avance,  dans  cette 
tenue  de  Wilhemsbad,  la  mise  à  mort  de 
Louis  XVI  et  presque  toute  la  Terreur  ?  On 
peut  affirmer,  dans  tous  les  cas,  que,  trois 
ans  plus  tard,  la  mort  du  roi  de  Suède  et 
celle  de  Louis  XVI  étaient  décidées  dans  une 
tenue  de  Francfort,  en  1785,  comme  l'atteste 
une  lettre  du  cardinal  Mathieu,  archevêque 
de  Besançon,  rappelée  et  citée  dans  la  France 
juive,  de  Drumont  : 

((  Il  y  a  dans  mon  pays,  écrit  le  cardinal 
«Mathieu  à  la  date  du  7  avril  1875,  un  détail 
«  que  je  puis  vous  donner  comme  certain.  Il 
«y  eut  à  Francfort,  en  1785,  une  assemblée 


I^^y^. ..-, 


OLUTION    FRA^ÇAISE  31 

^*^(  de  Franc-Maçons  ou  furent  convoqués  deux 
«  hommes  considérables  de  Besançon,  qui 
«  faisaient  partie  de  la  Société,  M.  de  Rey- 
«  mond,  inspecteur  des  postes,  et  M.  Maire 
((de  Bouligney,  président  du  Parlement.  Dans 
((Cette  réunion  le  meurtre  du  roi  de  Suède  et 
<(  celui  de  Louis  XVI  furent  résolus.  MM.  de 
((  Reymond  et  de  Bouligney  revinrent  conster- 
((  nés,  en  se  promettant  de  ne  jamais  remettre 
((  les  pieds  dans  une  Loge,  et  de  se  garder 
<(  le  secret.  Le  dernier  survivant  Ta  dit  à 
((  M.  Bourgon...  Vous  avez  pu  en  entendre 
((  parler  ici,  car  il  a  laissé  une  grande  répu- 
((  tation  de  probité,  de  droiture  et  de  fermeté 
«  parmi  nous.  Je  l'ai  beaucoup  connu,  et 
((  pendant  bien  longtemps,  car  je  suis  à 
((  Besançon  depuis  quarante-deux  ans.  » 

Ce  qu'on  sait  aussi,  et  avec  certitude,  c'est 
que  la  réunion  de  Wilhemsbad,  en  1782, 
avait  un  épilogue  dans  le  genre  des  révéla- 
tions désespérées  du  malheureux  M.  Leroy. 
Le  comte  de  Virieu,  sur  qui  les  lUuministes 
avaient  cru  pouvoir  compter,  et  qui  avait  fait 
partie   de  la  délégation    française,   revenait 


32  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

terrifié  du  Congrès,  déclarait  quitter  la  secte, 
et   disait  au  baron  de  Gilliers  : 

((  Je  ne  vous  révélerai  pas  ce  qui  s' est  passé  ; 
ce  que  je  puis  seulement  vous  dire,  c'est  que 
tout  ceci  est  autrement  sérieux  que  vous  ne 
pensez.  La  conspiration  qui  se  trame  est  si 
bien  ourdie  quHl  sera  pour  ainsi  dire  impos- 
sible à  la  Monarchie  et  à  V Eglise  d'y  échap- 
per 1.  y> 

Et  le  comte  de  Yirieu  n'était  jDas  le  seul 
terrifié  par  ces  assises  et  qui  se  relirait  alors 
de  la  Maçonnerie  avec  épouvante.  D'autres 
faisaient  comme  lui,  et  le  marquis  Costa  de 
Beauregard  raconte,  dans  le  Roman  d^un 
Royaliste^  la  fin  tragique  d'un  de  ceux-là,  du 
vicomte  de  Wall,  ami  des  Yirieu  et  des 
Rohan-Chabot.  Le  vicomte  de  Wall  reçoit  un 
jour  une  lettre  à  laquelle  il  se  trouble, 
déclare  qu'il  s'agit  d'un  rendez-vous  à  Fon- 
tainebleau, s'y  rend,  et  s'y  rencontre,  en  effet, 
avec  des  individus  qu'on  devine  allemands  à 
leur  façon  de  parler.    Puis,  on  déjeune,  on 

1.  Marquis  Costa  de  Beauregard,  le  Roman  d'un  Royaliste: 
Souvenirs  du  comte  de  Virieu,  p.  44.  , 


ET    LA    REVOLUTIO^•    FRA>ÇAISE  33 

part  pour  la  forêt,  et  personne  n'en  revient. 
Fatigué  d'attendre,  le  cocher  du  vicomte,  au 
bout  de  quatre  jours,  retourne  seul  à  Paris,  et 
le  chien  d'un  garde,  quelques  semaines  plus 
tard,  découvrait  sous  un  tas  de  feuilles  sèches, 
dans  un  fossé  de  la  forêt,  un  cadavre  enve- 
loppé dans  un  manteau...  C'était  celui  de 
M.  de  Wall! 

Enfin,  c'est  également  encore  à  cette  épo- 
que que  l'écrivain  Cazotte,  qui  avait  appartenu 
aux  Illuministes  français,  faisait  un  soir,  dans 
un  diner,  cette  soi-disant  prophétie  dont  la 
réalisation  devait, évidemment,  comporter  une 
part  de  coïncidence,  mais  qui  était  aussi,  avant 
tout,commecellesdeCagliostro,  et  sans  aucun 
doute  possible,  de  l'information  anticipée.  11 
disait  aux  convives  qui  s'en  amusaient  beau- 
coup, trois  ou  quatre  ans  avant  1789  :  «  Vous, 
«  Monsieur  Bailly,  et  vous,  Monsieur  de  Ma- 
<(  lesherbes,  vous  mourrez  sur  l'échafaud... 
«  Vous,  Madame,  on  vous  conduira  en  char- 
ge rette,  les  mains  liées  derrière  le  dos,  à  la 
«  place  des  exécutions.  —  Mais,  Monsieur  le 
<i  prophète,  lui  répondait  en  riant  la  duchesse 


34  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

«  de  Grammont,  ne  me  laisserez-vous  pas 
«  au  moins  un  confesseur?  —  Non,  Madame, 
((  non,  lui  répondait  Gazotte  énigmatique, 
((  non,  vous  n'en  aurez  pas,  et  le  dernier  sup- 
((  plicié  qui  en  aura  un,  ce  sera  le  roi  ^  !...  » 

Nous  voici  donc  arrivés  à  la  Révolution 
même,  à  cette  série  de  journées  tragiques 
que  les  historiens  n'expliquent  pas,  mais  que 
nous  allons  peut-être,  à  présent,  voir  s'ex- 
pliquer à  la  lumière  des  Loges... 

Quel  est,  en  France  et  à  Paris,  à  la  veille 
même  de  1789,  l'état  de  la  Franc-Maçonnerie  ? 
Nous  constatons  ici  un  certain  nombre  de 
faits  d'une  importance  capitale.  Premier  fait  : 
la  statistique  même  des  Loges  en  1787,  que 
nous  fournit  Barruel,  et  que  voici  :  «  En 
«  France  seulement,  le  tableau  de  la  corres- 
«  pondance  du  Grand-Maître,  le  duc  Philippe 
«  d'Orléans,  ne  nous  montre  pas  moins  de 
«  deux  cent  quatre-vingt-deux  villes  ayant 
((  chacune  des  Loges  régulières.  Dans  Paris 
<(  seulement,  on   en    comptait  quatre-vingt - 

1.  Louis  Blanc,  Histoire  de  la  Révolution  française,  liv.  I, 
cliap.  m  :  Les  révolutionnaires  mystiques. 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  35 

«  une...,  seize  à  Lyon...,  sept  à  Bordeaux..., 
«cinq  à  Nantes...,  six  à  Marseille...,  dix  à 
«  Montpellier...,  dix  à  Toulouse...  Et  le  même 
«  lableau  des  correspondances,  imprimé  pour 
«  l'usage  des  Frères,  nous  montre  dirigées 
c(  par  le  même  Grand-Maître,  les  Loges  de 
«  Ghambéry  en  Savoie,  de  Locle  en  Suisse, 
«  de  Bruxelles  dans  le  Brabant,  de  Cologne, 
«  de  Liège,  de  Spa'i...  »  Et  toutes  ces  Loges 
sont  reliées  les  unes  aux  autres.  Un  seul  mot 
d'ordre,  lancé  de  Paris,  est  porté  à  toutes,  où 
chaque  vénérable  est  engagé  par  serment  à 
le  faire  exécuter.  C'est  la  centralisation  ma- 
çonnique, précédant  la  centralisation  révolu- 
tionnaire, et  manœuvrant  déjà  comme  un 
immense  mécanisme...  Second  fait:  nous 
trouvons,  dans  les  Loges  de  Paris,  tous  les 
hommes  que  nous  retrouverons,  deux  ou  trois 
ans  plus  tard,  dans  les  clubs,  les  émeutes,  les 
comités,  les  journaux  et  les  assemblées.  C'est 
la  Loge  des  Neuf  sœurs  où  nous  voyons  Con- 
dorcet,  Brissot,  Garai,  Bailly,  Camille  Des- 
moulins, Fourcroy,  Danton,  Chénier,  Lamet- 

1.  Barrue],  Mémoires,  t.  V,  chap.  xi. 


36  LA    iRA^'C-MÂÇO^'NERIE 

trie,  Champfort,  Rabaud-Saint-Elienne.  C'est 
la  Loge  la  Candeur^   ou  nous   rencontrons 
Lafayetle,  les  frères  Lameth,  Laclos,  Sillery, 
le  duc  d'Aiguillon,  et  le  fameux  docteur  Guil- 
lotin.  Ce  sont  encore  d'autres  Loges  où  nous 
rencontrerons    également    Fauchet,    Sieyès, 
dom  Gerle,  Carra,  Chabot,  Pélion,  Barnave, 
Guadet,  Mirabeau,  Duport,  Pastoret,  Marat, 
Robespierre,    et,     avec    eux,    une     quantité 
considérable   de  grands   seigneurs,    le   duc 
de  la  Rochefoucauld,  le  prince  de  Broglie,  le 
comte  de  Castellane,  le  comte  d'Aumont,  le 
vicomte  de  Noailles,  le  comte  de  Praslin,  le 
marquis  de  Montalembert,  le  vicomte  de  Da- 
mas, le   comte  de  Montmorin...  Tous  aussi, 
un  peu  plus  tard,  joueront  le  rôle  le  plus  en 
vue,  au    début  du  drame    révolutionnaire... 
Troisième  fait  :   toutes  ces  Loges,   à  Paris 
et  dans  toute  la  France,  ont  été  illuminisées 
par  l'intermédiaire  de  la  Loge  les  Amis  réu^ 
nis^  installée  rue  de  la  Sourdière,  et  présidée 
par  Savalette  de  Lange.  Ce  Savalette  de  Lange 
est   garde  du  Trésor   royal   de  Louis   XVI, 
mais  se  révélera  ensuite,  lorsque  le  moment 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANXAISE  37 

sera  venu,  subitement  terroriste  ^.  Toutes 
ces  Loges  avaient  donc  bien  pour  mot 
d'ordre  l'une  des  prescriptions  maîtresses  du 
codeilluministe  :  «  Le  frère  illuminis  te  pourra 
avoir  Vair  de  remplir  quelque  fonction  pU' 
blique    en  faveur   de    ces  mêmes  puissances 


1.  «...  Sous  ce  Grand  Orient,  une  Loge  plus  spécialement 
chargée  de  la  correspondance  étrangère  était,  à  Paris,  la 
Loge  appelée  des  Amis  Réunis.  Dans  celle-ci,  se  distinguait 
surtout  le  fameux  révolutionnaire  Savalette  de  Lange.  Cet 
adepte,  chargé  de  la  Garde  du  Trésor  Royal,  c'est-à-dire 
honoré  de  toute  la  confiance  qu'aurait  pu  mériter  le  sujet  le 
plus  fidèle,  était  en  même  temps  l'homme  de  tous  les  mys- 
tères, de  toutes  les  Loges  et  de  tous  les  complots.  Pour  les 
réunir  tous,  il  avait  fait  de  sa  Loge  le  mélange  de  tous  les 
Systèmes  sophistiques,  martinistes  et  maçonniques.  Mais 
pour  en  imposer  davantage  au  public,  il  en  avait  fait  aussi 
en  quelque  sorte  la  Loge  des  plaisirs  et  du  luxe  de  l'Aristo- 
cratie. Une  musique  mélodieuse,  les  concerts  et  les  bals  y 
appelaient  les  Frères  du  haut  parage  ;  ils  y  accouraient  en 
pompeux  équipage.  Les  alentours  étaient  munis  de  gardes, 
pour  que  la  multitude  des  voitjires  ne  causât  point  de  désor- 
dre. C'était  en  quelque  sorte  sous  les  auspices  du  Roi  même 
que  ces  fêtes  se  célébraient.  La  Loge  était  brillante,  les  Crésus 
de  la  Maçonnerie  fournissaient  aux  dépenses  de  l'orchestre, 
des  flambeaux,  des  rafraîchissements,  et  de  tous  les  plaisirs 
qu'ils  croyaient  être  le  seul  objet  de  leurs  réunions  ;  mais, 
tandis  que  les  Frères,  avec  leurs  adeptes  femelles,  ou  dan- 
saient, ou  chantaient,  dans  la  salle  commune,  les  douceurs  de 
leur  égaUté  et  de  leur  liberté,  ils  ignoraient  qu'au-dessus  d'eux 
était  un  comité  secret,  où  tout  se  préparait  pour  étendre 
bientôt  ce'te  égalité  au  delà  de  la  Loge,  sur  les  rangs  et  les 
fortunes,  sur  les  châteaux  et  les  chaumières,  sur  les  marquis 
et  les  bourgeois...  »  (Barruel,  Mémoires^  t.  V,  chap.  xi.) 


38  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

dont  la  destruction  est  son  unique  objet...  » 
Quatrième  fait,  et  qui  est  peut-être  le  plus 
saisissant  :  une  modification  capitale  est  in- 
troduite, à  cette  époque,  dans  le  recrute- 
ment maçonnique.  Les  Loges,  jusque-là,  ne 
s'affiliaient  que  des  hommes  d'un  certain 
rang,  des  nobles,  des  artistes,  des  écrivains, 
des  négociants,  des  bourgeois,  ou  même 
des  petits  bourgeois,  mais  ne  descendaient 
jamais  plus  bas.  Tout  à  coup,  en  1787,  elles 
s'affilient  des  crocheteurs,  des  portefaix, 
des  rôdeurs,  des  flotteurs  de  bois,  des  «  tape- 
dur  )),  et  toutes  sortes  de  brigands  de  rues 
ou  de  grands  chemins,  d'assassins  et  de  mal- 
faiteurs de  profession.  Subitement  aussi, 
on  reçoit  en  masse,  par  ordre  du  grand  maî- 
tre le  duc  d'Orléans,  des  multitudes  de  gar- 
des-françaises, et  leurs  officiers,  francs- 
maçons  de  longue  date,  quittent  même  alors 
les  Loges,  pour  ne  pas  s'y  rencontrer,  sur  le 
pied  de  l'égalité,  avec  leurs  subordonnés  ^. 

Ainsi,   la    Franc-Maçonnerie     au    dernier 
degré  de  l'extension,  de  la  puissance  et  de  la 

1.  Barruel,  Mémoires,  t.  V,  chap.  ii,  p.  97. 


ET    LA    RÉVOLUTIO>'    FRANÇAISE  39 

centralisation,  les  Loges  de  Paris  réunissant 
les  hommes  qui  seront  tous  également  ceux 
de  la  Révolution,  ces  Loges  ralliées  à  TIllu- 
minisme  qui  poursuit,  par  la  conjuration,  le 
retour  à  l'état  sauvage  et  la  destruction  des 
nationalités,  enfin  les  bandits  et  les  assassins 
de  métier  tout  à  coup  recrutés  comme  «  Frè- 
res», de  même  qu'un  grand  nombre  de  sol- 
dats :  voilà  exactement  où  nous  en  sommes, 
au  moment  où  vont  se  succéder,  avec  une  pré- 
cipitation et  une  rapidité  sans  précédents, 
comme  les  tableaux  machinés  d'un  opéra, 
l'apparition  du  Club  des  Jacobins,  la  prise  de 
la  Bastille,  les  incendies  des  châteaux,  les 
paniques  de  la  province,  les  journées  d'Octo- 
bre, le  20  juin,  le  10  août,  les  massacres  de 
Septembre,  puis  l'emprisonnement  du  Roi,  sa 
condamnation  et  sa  mort. 

Et,  d'abord,  le  Club  des  Jacobins...  Qu'est- 
ce  exactement,  que  le  Club  des  Jacobins  ? 
Le  Club  des  Jacobins,  avec  son  club  cen- 
tral à  Paris,  et  ses  clubs  correspondants 
de  la  province,  c'est  la  Franc-Maçonnerie 
elle-même,  avec  ses  deux  cent  quatre-vingt- 


40  LA    FRA^C-MAÇONNERIE 

deux  villes  déjà  fédérées  en  Loges.  Le  Club 
lenait-il  vraiment,  par  une  intention  mysté- 
rieuse, à  s'appeler  le  Club  des  Jacobins, 
et  choisissait-il,  à  cet  effet,  l'ancien  cou- 
vent des  Jacobins,  parce  que  les  premiers 
iVancs-maçons  de  France  avait  été  des  jaco- 
bites?  Ce  n'est  peut-être  là,  encore  une  fois, 
qu'une  coïncidence,  mais  la  coïncidence 
existe  :  Jacobites^  Jacobins.  Quant  aux  sta- 
tuts, aux  règlements,  aux  usages,  comme  à 
certaines  particularités  de  vocabulaire,  le 
Club  des  Jacobins  reproduit  rigoureuse- 
ment la  Franc-Maçonnerie.  C'est  le  même 
mode  d'admission,  la  même  organisation 
intérieure,  les  mêmes  ramifications  exté- 
rieures, les  mêmes  engagements  imposés  et 
pris,  le  même  système  mécanique  de  trans- 
mission d'ordres  et  de  mots  d'ordre.  Dans 
certains  cas,  on  l'a  vu,  la  Maçonnerie  vous 
déclarait  suspect,  et  ce  terrible  mot  de  suspect, 
sous  la  Révolution,  partira  des  Jacobins.  Un 
autre  usage  des  Loges,  nous  l'avons  déjà  vu 
aussi,  était  de  déclarer  la  Maçonnerie  eîi 
danger,   et    les    Jacobins   y    déclareront    la 


ET    LA    RÉyOLUTIO>'    FR.V>'CATSE  41 

patrie...  Un  autre  usage  encore,  en  Maçon- 
nerie, était  de  coifFer  le  récipiendaire  d'un 
bonnet,  et  l'usage,  aux  Jacobins,  sera  de 
mettre  le  bonnet  rouge. 

Voilà  donc  déjà  les  Jacobins  expliqués 
autrement  que  par  la  force  des  choses  et 
par  la  spontanéité...  Passons  maintenant  au 
14  juillet,  aux  paniques,  aux  massacres  et  à 
la  mort  du  Roi. 

«  Le  14  juillet,  raconte  Louis  Blanc,  un 
«  inconnu,  à  la  pointe  du  jour,  se  présentait 
«  au  baron  de  Besenval.  «  Monsieur  le  baron, 
((  lui  dit-il  d'une  voix  brève,  aujourd'hui  les 
«  barrières  seront  brûlées...  N'essayez  pas 
((  de  l'empêcher. Vous  sacrifieriez  des  hommes 
«  sans  éteindre  un  flambeau  i...  »  Et  tout  se 
passait,  en  efTet,  comme  l'avait  dit  l'inconnu. 
Brusquement,  toutes  les  barrières  flambent, 
des  bandes  sortent  de  différents  côtés,  toutes 
avec  la  même  cocarde,  les  soldats  quittent  en 
masse  leurs  garnisons,  et  tout  le  monde  crie  : 
A  la   Bastille!   En  même   temps,   Paris   est 

1,  Louis  Blanc,  Histoire  de  la  Révolution  française. 


42  LA    fRANC-MAÇO^^TN•ERIE 

soudainement  dépavé,  couvert  de  barricades, 
entouré  d'une  ceinture  d'incendies,  et  la 
Bastille  est  prise  d'assaut,  ses  défenseurs 
sont  massacrés,  son  gouverneur  assassiné, 
à  la  stupéfaction  du  public  dont  l'immense 
majorité  ne  comprit  alors  absolument  rien 
à  cette  foudroyante  surprise. 

Après  le  14  juillet,  il  se  produit,  simultané- 
ment d'un  bout  du  royaume  à  l'autre,  à  Test, 
à  l'ouest,  au  nord,  au  midi,  dans  des  locali- 
tés séparées  les  unes  des  autres  par  cent  cin- 
quante et  deux  cents  lieues,  une  extraordi- 
naire épidémie  d'épouvante,  dont  le  récit  le 
plus  circonstancié  et  le  plus  dramatique  est 
celui  de  M.  Funck  Brentano  dans  son  livre 
les  Brigands  :  «  Une  rumeur  effrayante, 
«  raconte  M.  Funck-Brentano,  se  répandit  sur 
«  tous  les  points  du  territoire  :  les  brigands, 
«  disait-on,  arrivent,  ils  pillent  les  demeures, 
«  incendient  les  récoltes,  égorgent  les  feni- 
«  mes  et  les  enfants...  Dans  certaines  provin- 
«  ces,  celles  de  l'Ouest  que  baigne  la  mer, 
«  ce  ne  fut  pas  l'arrivée  des  brigands  qui  fut 
«  annoncée,   mais  une    invasion    anglaise... 


ET    LA.    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  43 

«  Les  Anglais,  disait-on,  s'avançaient  dans  le 
«pays,  pillant,  saccageant,  égorgeant...  En 
«  Dauphiné,  on  parla  d'une  invasion  de 
«  Savoyards;  en  Lorraine  et  en  Champagne, 
i<  c'étaient  des  reîtres  et  des  lansquenets 
«  d'Allemagne  qui  avaient  franchi  la  frontière, 
«  féroces  comme  au  temps  des  guerres  de 
«  religion^...  »  A  Angoulême,  on  annonce 
l'arrivée  de  quinze  mille  bandits.  A  Saint- 
Etienne-de-Forez,  on  en  annonce  quatre 
mille.  A  Libourne,  l'effroi  propagé  est  tel 
qu'on  renforce  les  milices.  Dans  le  Limou- 
sin, on  répand  subitement  le  bruit  que  tous 
les  bourgs  et  toutes  les  villes  sont  en  feu. 
Dans  l'Orléanais,  les  paysans  sont  tellement 
affolés  qu'ils  s'arment  tous  de  faux  et  de 
fourches,  et  s'enfuient  de  tous  les  côtés...  Et 
pas  une  contrée,  pas  une  ville,  pas  une  loca- 
lité, n'échappe  à  ce  cri  subit,  poussé  dans 
les  trente-six  heures,  sur  tous  les  points  du 
territoire  :  les  brigands  !  ou  :  les  Anglais  ! 
ou  :  les  Savoyards  !  ou  :  les  Allemands  .'Par- 
tout, au  même  moment,  la  France   est    tout 

1.  Frantz  Funck-BrentanCi,  les  Brigands. 


44  L\    FRANC-MAÇONNERIE 

entière  affolée,  terrifiée,  tordue  d'épouvante, 
par  un  cri  qui  part  comme  d'une  seule  bou- 
che, par  un  procédé  identique  sur  toute  la 
surface  du  pays. 

Et  les  assassinats  de  Foullon  et  de  Ber- 
lier!...  Ecoutons  encore  Louis  Blanc  :  «  Le 
«  20  juillet,  Foullon  est  à  la  campagne,  chez 
c(  M.  de  Sartines,  à  Viry,  près  de  Fontaine- 
ce  bleau...  Il  avait  laissé  l'ordre  qu'on  lui 
«  envoyât  ses  lettres...  Mais  la  haine  qui 
(c  poursuivait  Foullon  était  tellement  répan- 
«  due,  qu'au  lieu  de  lui  remettre  les  lettres, 
«  on  courut  les  porter  au  syndic  du  village. 
((  Aussitôt,  le  toscin  sonne  ;  les  paysans  ac- 
(c  courent;  Foullon  est  découvert  et  arrêté...  » 
Ici,  on  ne  peut  vraiment  pas  ne  pas  faire  une 
réflexion.  Même  en  1789,  pour  qu'on  arrête 
aussi  résolument,  avec  autant  de  méthode, 
de  décision,  de  calme  et  de  diligence,  un 
homme  contre  qui  aucune  espèce  de  mandat 
n'est  lancé,  il  faut  un  peu  plus  qu'une  haine 
vague,  si  forte  qu'on  la  suppose;  il  faut  un 
ordreocculte. Existait-il  donc  unordreocculte 
lancé  contre  Foullon? Et  qui  donc  l'avait  lan- 


ET    LA    RÉVOLL'TION    FRANÇAISE  45 

cé?...  Mais  poursuivons...  Foullon,  qui  a 
soixante-quatorze  ans,  est  attaché  derrière 
une  charrette,  amené  à  Paris,  et  là,  continue 
Louis  Blanc,  vers  six  heures  du  malin,  «  il 
«  montait  les  marches  de  l'Hôtel  de  ville.  Ce 
«fut  un  grand  sujet  de  trouble  pour  les 
«  membres  du  Comité  permanent...  »  Et  le 
Comité  décide  «  qu'il  sera  transporté  secrè- 
cc  tement,  à  l'entrée  de  la  nuit,  dans  les  pri- 
«  sons  de  l'abbaye  Saint-Germain  ».  Mais, 
par  un  phénomène  à  noter,  l'arrestation 
de  Foullon  est  instantanément  connue  de 
tout  Paris.  Et  Louis  Blanc  poursuit  :  «  La 
«  place  de  Grève  ne  tarda  pas  à  se  couvrir 
«  de  groupes  que  paraissaient  exciter  des 
«  personnages  d'un  extérieur  élégant,  des 
«  hommes  du  monde.  On  se  mit  à  crier  : 
«  Foullon  !  Foullon  !  Nous  voulons  voir 
«  Foullon  .^..  »  A  l'aspect  de  ce  visage,  que 
((  la  vieillesse  marquait  de  son  empreinte,  la 
«  foule  se  calma,  et  déjà  elle  semblait  pen- 
ce cher  vers  la  pitié,  lorsque  tout  à  coup  un 
«  cri  s'élève  :  Qu'on  V amène  et  quil  soit  jugél 
«  Au  même  instant  une  bande  de  furieux  pé- 


46  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

«  nètre  dans  l'Hôtel  de  ville,  les  sentinelles 
u  sont  culbutées,  les  barrières  brisées,  la  salle 
c(  du  Comité  permanent  est  envahie  i...  »  Et 
Foullon  est  d'abord  martyrisé,  puis  pendu, 
puis     abominablement   mutilé,    non   par  la 
foule,    mais    au   contraire  malgré  la   foule, 
et  par  un  petit  groupe  de  frénétiques  qui  ont 
toutes  les  apparences  d'être  des  frénétiques 
professionnels... 

EtBertier?...  Arrêté,  supplicié,  et  massacré 
le  même  jour,  son  cas  est  peut-être  encore 
plus  concluant.  Bertier  est  à  Gompiègne,  et 
y  traverse  tranquillement  une  rue,  quand 
deux  maçons  sautent  d'un  échafaudage,  le 
saisissent,  et  déclarent  qu'ils  ont  Vordre  de 
Varrêter.  Puis,  il  est  aussi  ramené  à  Paris,  où 
une  charrette^,  préparée  d'avance,  l'attend  à 
la  barrière,  avec  des  inscriptions  infamantes. 
Il  est  ensuite  égorgé  dans  des  conditions 
encore  plus  horribles  que  Foullon^... 

Eh  bien,    dans   cette  prise   de  la  Bastille, 
dans  cette  terreur  répandue  en  même  temps, 

1.  Louis  Blanc,  Histoire  de  la  Révolution  française. 

2.  Id.,  Ihid. 


ET    L\    RÉVOLUTIO>'    FRANÇAISE  47 

et  comme  mécaniquement,  dans  toute  la  pro- 
vince, dans  les  arrestations  et  les  supplices 
du  malheureux  Foullon  et  du  malheureux 
Bertier,  est-ce  que  nous  ne  sentons  pas 
quelque  chose  qui  ne  s'explique  pas,  mais 
qu'un  rien  pourrait  expliquer?  Si  !  Et  les 
choses  s'éclaircissent  déjà,  pour  les  pani- 
ques de  la  province,  qyand  on  veut  bien 
seulement  se  rappeler  les  deux  cent  quatre- 
vingt-deux  villes  reliées  en  Loges  sur  tous 
les  points  de  la  France.  Ensuite,  et  pour  tout 
le  reste,  comme  pour  les  paniques  elles- 
mêmes,  l'énigme  se  dévoile  entièrement, 
sans  qu'il  en  reste  une  ombre,  en  lisant  les 
souvenirs  de  Bertrand  de  MoUeville,  qui  avait 
été  ministre  de  Louis  XVI.  On  n'a  absolu- 
ment plus  rien  à  apprendre,  après  la  page 
révélatrice  que  voici  :  «  Mirabeau  était  aussi 
«  initié  dans  le  secret  des  factions  secondai- 
((  res,  et  tous  ces  mystères,  dont  la  connais- 
«  sance  donnait  la  clé  de  plusieurs  événe- 
«  ments  importants  qu'on  avait  jusqu'alors 
«  attribués  au  hasard,  furent  dévoilés,  non 
((  seulement  à  M.  de  Montmorin,  mais  au  roi 


48  LA    FRANC-MAÇO'NERIE 

«  et  à  la  reine,  dans  plusieurs  entretiens  se- 
«  crets  que  Leurs  Majestés  eurent  avec  Mira- 
<(  beau  lui-même.  Il  leur  apprit,  entre  autres 
«  choses,  que  le  système  de  la  Terreur,  qui  a 
«  réellement  opéré  la  Révolution,  avait  pris 
«  naissance  dans  la  faction  philanthropique. 
«  Ces  comités  se  tenaient  tantôt  chez  le  duc 
«  de  la  Rochefoucauld,  tantôt  dans  la  petite 
((  maison  du  duc  d'Aumont,  près  de  Versail- 
«  les...  Adrien  Duport  était   admis  dans  les 
((  conciliabules  les  plus  secrets  de  cette  fac- 
«  tion  philosophique,  s'était  chargé  de  la  ré- 
((  daclion    des    plans,  et    lut   un   mémoire... 
«  Après  de  longues  discussions  sur  ce  mé- 
«  moire,  M.  de  Lafayette  prit  la  parole,  et  dit 
«  à  Adrien    Duport  :  «   Voilà  sans  cloute  un 
«  très  grand  plan,  mais  quels  sont  vos  moyens 
«  d' exécution  P  En  connaissez-vous  qui  soient 
«  capables  de  vaincre  toutes  les  résistances 
<(  auxquelles  il  faut    s'attendre?   Vous    n'en 
<(  indiquez  aucun.  —  Il  est  vrai  que  je  nen  ai 
i(.  point  encore  parlé.,  répondit  Adrien  Duport 
«  en  poussant  un  profond  soupir,  j'y  ai  beau- 
«  coup  réfléchi,  j'en  connais  de  sûrs,  mais  ils 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  49 

((  sont  d'une  telle  nature  que  je  frémis  moi- 
((  même  d'y  penser...  »  Après  que  l'Assem- 
«  blée,  dont  il  avait  ainsi  excité  la  curiosité, 
((  lui  eut  donné  toutes   les  assurances  qu'il 
«  désirait,  il  feignit  encore  d'hésiter  à  s'ex- 
c(  pliquer.  «  Je  n  oserai  jamais^  reprit-il  sur 
((  le  ton  le  plus  hypocrite,  vous  proposer  des 
«  moyens  qui  blesseront  votre  humanité...  Ce- 
^(^  pendant  si  vous  V exigez  absolument.  —  Oui^ 
ii<  oui.,  nous  l'exigeons.  —  Eh  !  bien,  Messieurs, 
«je  vais  vous  obéir...  Des  événements  im- 
«  prévus  nous  ont  précipités,  malgré  nous, 
((  dans  une   révolution  qui  produira  les  plus 
«  grands  crimes...  Elle  est  trop  avancée  pour 
«  qu'on  puisse  rétrograder...  Or,  ce  n'est  que 
((  par  les  moyens  de  terreur  qu'on  parvient  à 
«  se  mettre  à  la  tête    d'une  révolution...   Il 
«  faut  donc,  quelque  répugnance  que  nous  y 
«  ayons  tous,  se  résigner  au  sacrifice  de  quel- 
ce  ques personnes  marquantes...  wEtil  fît  pres- 
«  sentir  que  Foullon  devait  naturellement  être 
«  la  première  victime,  parce  que  depuis  quel- 
((   que  temps,  disait-il,   on  parlait  beaucoup 
«  de  lui  pour  le  ministère  des  Finances,  et 


50  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

«  que  tout  le  monde  était  convaincu  que  sa 
«  première  opération  serait  la  banqueroute... 
«  Il  désigna  ensuite  l'intendant  de  Paris,  Ber- 
«  lier.  c(  //  11' y  a  qu'un  cri^  dit-il,  contre  les 
((  intendants  :  ils poujT aient  mettre  de  grandes 
c(  entraves  à  la  Révolution  dans  les  provinces. 
«  M.  Bertier  est  généralement  détesté  ;  on  ne 
i(  peut  pas  empêcher  quHl  soit  massacré  :  son 
«  sort  intimidera  ses  confrères^  ils  seront  sou- 
a  pies  comme  des  gants...  w  Le  duc  de  la  Ro- 
((  chefoucauld  fut  très  frappé  des  réflexions 
«  d'Adrien  Duport,  et  finit,  comme  tous  les 
«  autres  membres  du  Comité,  par  adopter  le 
((  plan  et  les  moyens  d'exécution  qu'il  propo- 
<(  sait.  Des  instructions  conformes  à  ce  plan 
(c  furent  données  aux  principaux  agents  du 
«  Département  des  Insurrections,  qui  était 
«  déjà  organisé  1...  »  Or,  précisément  quel- 
ques jours  après,  on  incendiait  les  barrières 
de  Paris,  on  prenait  la  Bastille,  on  mas- 
sacrait de  Launay,  on  massacrait  Flesselle, 
on  massacrait    Foullon,  on  massacrait  Ber- 

l.  Bertrand  de  Molleville,  Histoire  de  la  Révolution,  t.  IV. 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  51 

lier,   on  répandait  en  une  semaine  la  pani- 
que dans  toute  la  France  '. 

Et  qu'était,  exactement,  cette  faction  que 
Bertrand  de  Molleville  désigne  sous  ce  nom 
de  faction  philanthropique?  Cette  faction 
rentrait  elle-même  dans  un  club  qui  s'inti- 
tulait Club  de  la  Propagande,  et  sur  lequel 
la  note  ci-après,  publiée  dans  l'ouvrage  les 
Sociétés  secrètes  et  la  Société  ^^v  le  P.  Des- 
champs, était  retrouvée  un  jour  dans  les  pa- 
piers du  cardinal  de  Bernis  :  «  Liste  des  hono- 
«  râbles  membres  qui  composent  le  club  de 
«  la  Propagande.  Ce  club  a  pour  but  comme 
c(  chacun  sait,  non  de  consolider  la  Révolu- 
«  tion  en  France,  mais  de  l'introduire  chez 
«  tous  les  autres  peuples  de  l'Europe,  et  de 

1.  11  est  juste  de  rappeler  ici  que  le  duc  de  la  Rochefou- 
cauld, évidemment  abusé,  comme  tous  les  grands  seigneurs 
de  cette  époque,  sur  ce  que  les  Loges  se  réservaient  de  faire 
dans  leurs  «  arrière-secrets  »,  s'opposa,  avec  le  plus  rare 
courage,  dès  1791,  à  tous  les  crimes  qui  suinrent  les  pre- 
iqjères  violences  de  1789.  On  sait  comment  il  fut  massacré 
en  province,  après  avoir  donné  sa  démission  de  l'Assemblée. 
Il  mourut,  évidemment  victime  de  ces  mêmes  Loges  dont  il 
avait  fait  partie,  et  qui  frappaient,  en  lui,  l'adepte  qui  avait 
refusé  de  les  suivre  jusqu'au  bout.  Lire  les  Gentilshommes 
démocrates,  par  le  marquis  de  Castellane.  Paris,  Plon-Nour- 
rit. 


52  LA  iRÂ^'C-MAÇo^^^ERfE 

((  culbuter  tous  les  gouvernements  actuelle- 
ce  ment  établis.  »  Et  la  note  donne  une  longue 
suite  de  noms,  où  nous  retrouvons  notam- 
ment :  le  duc  de  la  Rochefoucauld,  le  duc 
d'Aumont,  Lafayetle,  Mirabeau,  Adrien  Du- 
port,  Garât,  Condorcet,  Clavières,  Barnave, 
Chapelier,  Pétion,  les  frères  Lameth,  Héraut 
de  Séchelles,  Robespierre,  Fournier  l'Amé- 
ricain, Boyle,  Irlandais  ;  de  Saint-Severanda, 
Espagnol  ;  Verne,  Suisse  ;  l'abbé  Grégoire, 
Barrère,  l'abbé  Fauchet,  Germain,  beau- 
frère  de  Necker^...  Et  tous  ces  noms?  Tous 
ces  noms  sont  les  noms  mêmes  des  Loges 
du  monde  entier,  depuis  celles  de  Paris 
jusqu'à  celles  d'Amérique,  en  passant  par 
cellesde  Suisse,  d'Irlande  et  d'Espagne.  C'est 
le  syndicat  parisien  de  la  Franc-Maçonnerie 
universelle,  et  qui  met  en  pratique,  par  la 
Terreur,  le  précepte  illuministe  :  «  Que  la 
force  succède  à  l'empire  invisible!  Ecraseztout 
ce  qui  reste  cVliommes  que  vous  n'aurez  pas 
convaincus  \...   IJ étincelle  peut  couver  long- 

l.  Le  P.   Deschamps,    les  Sociétés  secrètes  et  la  Sociétéj 
l.  I,  p.  546  et  suiv.  Voir  aux  Documents. 


ET    L\    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  53 

temps  sous  la  cendre^  mais  le  jour  de  l'incen- 
die arriverai.,.  »  Le  jour  de  l'incendie  était 
arrivé,  et  si,  après  tout  cela,  on  pouvait  encore 
avoir  un  doute  sur  l'état  de  collaboration  ré- 
gulière où  se  trouvaient  les  chefs  de  la  con- 
juration maçonnique  avec  les  incendiaires  et 
les  assassins  de  profession,  il  faudrait  encore 
lire  ces  souvenirs  de  Barruel  :  «  J'en  suis 
{(  fâché,  mais  je  ne  puis  le  taire  ;  les  honnêtes 
((  francs-maçons  en  frémiront,  mais  il  faut 
(!  bien  qu'ils  sachent  à  quels  monstres  leurs 
((  loges  avaient  été  ouvertes.  Dans  tout  mo- 
«  ment  d'émeute,  soit  à  l'Hôtel  de  ville,  soit 
ce  aux  Carmes,  les  vrais  signes  de  ralliement, 
u  le  vrai  moyen  de  fraterniser  avec  les  bri- 
«  gands,étaientles  signes  maçonniques.  Dans 
«  l'instant  des  massacres  même,  les  bour- 
«  reaux  tendaient  la  main  en  francs-maçons 
«  à  ceux  des  simples  spectateurs  qui  les  ap- 
('  prochaient...  J'ai  vu  un  homme  du  bas 
«  peuple  qui  m'a  lui-même  répété  la  manière 
«  maçonnique  dont  les  bourreaux  lui  présen- 
ce talent  la  main,  et  qui  fut  repoussé  par  eux 
«  avec  mépris,  parce  qu'il  ne   savait  pas  ré- 


54  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

«  pondre,  tandis  que  d'autres  plus  instruits 
«  étaient  au  même  signe  accueillis  d'un  sou- 
«  rire  au  milieu  du  carnage  ^...  « 

Il  faut  abréger...  Mais  toute  la  Révolution, 
ou  presque  toute  la  R.évolution,  et,  dans  la 
Révolution,  presque  toute  journée  révolution- 
naire, s'explique  ainsi  par  une  permanente 
conjuration  des  Loges,  où  rien  n'est  aussi 
complètement  absent  que  la  spontanéité,  et  où 
les  deux  moyens  de  machination,  selon  les 
prescriptions  exactes  de  Weishaupt,  ne  ces- 

1.  «  ...  J'ai  vu  même  un  abbé  que  ce  signe  maçonnique 
sauva  des  brigands  à  l'Hôtel  de  ville.  Il  est  vrai  que  sa  science 
maçonnique  lui  eût  été  inutile  sans  son  déguisement  ;  car  les 
brigands  auxquels  il  avait  échappé  le  recherchèrent  quand 
on  leur  dit  que  c'était  un  abbé  !  Il  est  vrai  encore  que  le  signe 
maçonnique  eût  été  fort  inutile  aux  «  Frères  »  reconnus  pour 
ce  qu'on  appelait  des  «  Aristocrates  »  ;  mais  les  abbés  et  les 
aristocrates  maçons  ne  pouvaient  que  mieux  y  reconnaître 
combien  ils  avaient  été  dupes  de  la  fraternité  des  arrière- 
secrets...  »  (Barruel,  Mémoires,  t.  V,  chap.  xii.) 

«...  Quelques-uns  de  ces  brigands  habituellement  soudoyés 
pour  l'insurrection  du  jour  se  retiraient  chez  eux  sur  les  dix  et 
onze  heures  du  soir  ;  j'entendis  leurs  adieux  ;  ils  se  les  faisaient 
hautement  en  ces  termes  :  «  Ça  n'a  pas  ^ndl  été  aujourd'hui  ; 
adieu  donc  ;  mais  nous  com^ptons  sur  toi  demain.  —  Oui, 
demain  ;  à  quelle  heure  ?  —  A  l'ouverture  de  V Assemblée. 
—  Chez  qui  V ordre  ?  —  Mais,  chez  Miraheau,  Chapelier,  ou 
Barnave,  à  l'ordinaire...  »  Jusquesà  ce  moment,  j'avais  douté 
de  l'audience  que  ces  législateurs  donnaient  chaque  jour  aux 
brigands...  »  (Barruel,  J&id.) 


ET  LA  RÉVOLUTION  FRANÇAISE       55 

sent  jamais  d'être,  un  seul  instant,  la  trahi- 
son la  plus  prodigieusement  répandue,  et  la 
plus  sauvage  violence.  Les  faits  de  trahison 
rempliraient  des  volumes.  Quoique  servis 
encore  par  quelques  fidélités  admirables, 
comme  par  celle  de  Mandat  qui  ne  fut  certai- 
nement massacré  que  parce  qu'il  était  fidèle, 
le  Roi  et  la  Reine  étaient,  en  réalité,  tout 
entourés  et  tout  enveloppés  de  traîtres.  C'est 
ce  Savalette  de  Lange,  si  judicieusement 
placé  à  l'emploi  de  garde  du  Trésor  royal\ 
C'est  le  ministre  Necker,  que  toute  une  cons- 
piration en  règle  impose  à  Louis  XVI,  et  qui 
n'est  mis  là  que  pour  le  perdre  !  C'est  cette 
femme  Rochereuil  qui  joue,  avec  tant  de 
démonstrations  larmoyantes,  la  comédie  du 
dévouement  à  la  Reine  afin  de  se  faire  atta- 
cher de  plus  près  à  sa  personne,  et  qui  vient 
dénoncer  en  secret,  au  Comité  des  re- 
cherches, tous  les  préparatifs  de  la  fuite  à 
Varennes!  C'est  Mme  Necker  elle-même^  la 
femme  du  ministre  en  fonction,  et  qui  écrit 
à  son  frère,  le  franc-maçon  Germain,  au  mo- 
ment des  massacres  d'Octobre,  pendant  les- 


56  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

quels  les  bandes  des  massacreurs  envahis- 
sent le  château  de  Versailles  pour  y  tuer 
le  Roi  et  la  Reine  :  «.  Soyez  tranquille^  tout 
ira  bien  ^.  » 

Et  il  s'agit,  en  effet,  de  tuer  le  Roi,  tout 
a  toujours  été  là.  Mais  le  meurtre  du  Roi 
n'est  pas  encore  facile,  il  est  encore  trop 
défendu  par  l'air  et  la  terre  mêmes  du 
royaume.  Néanmoins,  on  y  arrivera,  c'est  une 
question  d'entraînement,  et  les  Loges  s'en 
chargent.  Elles  ont  toujours  tout  réglé,  dès 
1789,  depuis  ce  17  juillet  où  Louis  XVI,  à  son 
arrivée  à  l'Hôtel  de  ville,  avait  déjà  vu  un 
bataillon  former  au-dessus  de  sa  tète  ce 
que  le  rituel  maçonnique  appelle  la  Voûte 
d'acier^  et  elles  régleront  tout,  jusqu'à 
l'exécution,  qui  sera  encore  elle-même  la 
réalisation  d'un  autre  rite  !  Elles  font  ainsi 
les  5  et  6  octobre,  où  le  Roi  échappe,  puis  le 
20  juin,  où  il  échappe  encore,  puis  le  10  août, 
où  il  n'échappe  plus,  mais  où  il  s'en  faut 
de  peu!  Il  s'en  faut  même  de  si  peu  que  la 

1.  Barruel,  Mémoires,  t.  V,  p.  125  et  12G. 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  57 

Révolution,  qui  écrase  enfin  le  Roi,  manque, 
ce  jour-là,  d'être  écrasée  par  lui,  et  un  témoi- 
gnage capital,  que  pas  un  historien  n'a  rele- 
vé, mais  qui  semble  des  plus  sérieux,  doit 
être  signalé  ici.  Que  Louis  XVI  n'eût  pas 
envoyé,  de  l'Assemblée,  l'ordre  de  cesser  le 
feu  aux  défenseurs  des  Tuileries,  et  il  n'est 
plus  douteux,  aujourd'hui,  que  la  Révolu- 
tion était  perdue.  Au  lieu  d'élre  ce  qu'elle 
est  devenue,  elle  n'eût  plus  été  qu'une  crise 
comme  en  avait  déjà  traversées  la  Monar- 
chie !  Que  Louis  XVI,  d'ailleurs,  ait  pu 
envoyer  cet  ordre,  qui  était  sa  perte  certaine, 
à  la  minute  précise  où  sa  victoire  ne  pouvait 
plus  faire  de  doute,  personne  ne  l'a  jamais 
compris,  même  en  sachant  jusqu'où  sa 
faiblesse  pouvait  aller  î  Napoléon,  qui  assis- 
tait à  l'affaire,  en  était  encore  confondu 
d'étonnement  à  Sainte-Hélène.  Il  en  poussait 
encore  une  exclamation  de  stupeur  quand 
il  y  pensait  dans  son  île,  et  c'est  surtout  ici 
que  les  historiens,  pour  expliquer  l'inexpli- 
cable, en  appellent  tous  à  des  raisons  mysti- 
ques. Or,  d'après  le  témoignage   du  député 


58  LA    FRA^'C-MAÇONNERIE 

Ghoudieu,  plus  tard  conventionnel  et  régicide, 
témoignage  que  contiennent  ses  Mémoires 
récemment  publiés,  il  est  permis  de  croire 
que  Louis  XVI  n'a  jamais  donné  l'ordre  qui 
tua,  ce  jour-là,  la  monarchie  française,  et  que 
non  seulement  il  ne  Ta  pas  donné,  mais  qu'il 
refusa  même,  par  son  geste,  d'ordonner  autre 
chose  que  la  résistance  à  outrance.  Et  Ghou- 
dieu, en  effet,  déclare  solennellement  :  «  Le 
«  Roi  n'a  point  dit,  en  entendant  le  premier 
«  coup  de  canon  :  r avais  défendu  de  tirei\  et 
«  je  puis  attester  au  contraire  que  je  l'ai  vu 
«  saisir  le  fusil  d'un  de  nos  grenadiers  qui 
«  était  de  faction  à  la  porte  de  la  loge  du 
«  Logographe.  Il  se  croyait  si  sûr  de  la  vie* 
(c  toire  /...  Je  venais  de  rentrer  dans  l'Assem- 
«  blée,  et  placé  près  de  la  tribune,  en  face  de 
((  la  loge  du  Logographe,  je  puis  assurer  que 
«  personne  ne  s'est  approché  du  Roi,  et  que 
«  ni  M.  d'Hervilly,  ni  qui  que  ce  soit,  n'a  pu 
«  recevoir  Tordre  de  faire  cesser  le  feu  M...  » 
Mais  cet  ordre  «de  cesser  le  feu»,  peut-on 

1.  Victor  Barrucand,  Mémoires  et  notes  de  Choudieu,  p.  148. 
Paris,  Plon-Nourrit,  1897. 


ET    L.V    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  59 

cependant  objecter,  se  trouve  au  Musée  Car- 
navalet, écrit  de  la  main  même  du  Roi?  Eh 
bien,  non,  il  ne  s'y  trouve  pas,  et  le  seul 
ordre  qu'on  puisse  y  voir,  non  pas  écrit  de  la 
main  de  Louis  XYI,  mais  simplement  signé 
de  lui,  c'est  Pordre  donné  aux  Suisses  sur- 
vivants, une  fois  l'afTaire  terminée,  et  quand 
il  n'y  avait  plus  rien  à  espérer,  de  «  déposer 
leurs  armes  »  et  de  «  se  retirer  dans  leur 
caserne  ^  ». 

Et  qui  donc,  en  ce  cas,  venait  ainsi,  en 
pleine  lutte,  apporter  l'ordre  de  ne  plus  tirer, 
et  l'apporter,  au  nom  du  Roi,  aux  défen- 
seurs qui  ne  pouvaient  en  croire  leurs  oreil- 
les? Qui  donc,  dans  un  semblable  moment, 
et  quand  un  ordre  pareil,  en  raison  de  son 
invraisemblance,  ne  pouvait  être  cru  qu'à  la 
condition  d'être  apporté  par  un  de  ces  servi- 
teurs qu'on  n'a  pas  le  droit  de  suspecter, 
qui  donc  bien  pouvait  être  ce  serviteur-là  ?... 
Est-ce  M.  d'Hervilly ?...  Est-ce  un  autre?... 
On  ne  peut  rien  dire  !  Mais  il  y  avait  déjà  un 

1.  Voir,  aux  Documents,  io\xt  ce  qui  a  trait  à  cet  ordre  signé 
qu'on  trouve  au  Musée  Carnavalet. 


60  LA    FRA>'C -MAÇONNERIE 

Savalette  de  Lange  à  la  garde  du  Trésor. 
Gomment  ne  pas  supposer  qu'il  y  en  avait 
d'autres  ailleurs,  et  que  Tordre  dont  la  Mo- 
narchie est  morle  a  été  traîtreusement  et  faus- 
sement donné  par  un  de  ceux-là?  Gomment, 
dans  tous  les  cas,  puisque  nous  avons  l'or- 
dre signé  de  déposer  les  armes  après  la 
lutte,  n'avons-nous  pas  celui  de  cesser  de 
se  défendre  en  pleine  action? 

Et  que  va-t-il  se  passer  ensuite  pour  la 
personne  même  du  Roi?  L'Assemblée  est 
dominée  par  la  Franc-Maçonnerie,  mais 
n'est  pas  la  Franc-Maçonnerie  elle-même, 
et  n'a  jamais  voté,  comme  on  le  croit,  et 
comme  on  nous  l'a  toujours  faussement 
enseigné,  l'emprisonnement  du  Roi  au 
Temple  !  Non  !  Elle  vote  qu'il  logera  au 
Luxembourg.  Mais  la  Gommune  insurrec- 
tionnelle est  là,  clandestinement  nommée 
par  les  Loges  pendant  la  nuit.  Elle  déclare 
le  Luxembourg  difficile  à  garder,  propose  le 
palais  du  Temple,  et  où  met-elle  le  Roi,  dès 
l'arrivée  au  Temple  ?  Dans  le  palais,  qui  est 
un  séjour  princier,  et  l'un  de  ceux  du  comte 


ET    LA    RÉYOLL'TION    FRANÇAISE  61 

d'Artois?  Non,  dans  la  tour  !  L'Assemblée, 
en  fait,  a  cru  voter  le  palais,  mais  un  pouvoir 
occulte,  plus  fort  qu'elle,  se  moque  de  son 
vote,  et,  contrairement  à  ce  vote,  met  le  Roi 
dans  la  prison,  et  dans  la  prison  même  des 
anciens  Templiers  ^  !  Et  que  se  passe-t-il  à 
ce  moment  même  ?  Il  se  passe  cette  chose 
étrange,  rapportée  par  Barruel,  qui  l'a  vue,  et 
qui  nous  dit  ce  qu'il  a  vu,  c'est  qu'aussitôt  le 
séjour  du  Roi  au  Temple  décidé,  un  grand 
nombre  de  francs-maçons  se  répandent  dans 
Paris,  et  crient  partout,  à  la  stupeur  générale, 
en  se  livrant  à  des  transports  de  joie  :  a  Le  Roi 
est  arrêté^  tous  les  hommes  sont  maintenant 
égaux  et  libres  !  Nous  n  avons  plus  de  secret  ! 
Nos  mystères  sont  accomplis  !  La  France 
entière  n'est  plus  qu'une  grande  Loge  !  Les 
Français  sont  tous  francs-maçons  j  etVunivers 
entier  le  sera  bientôt '^ ! ->•>  Le  meurtre  même 
du  Roi,  cependant,  n'est  pas  encore  accom- 
pli, mais  il  va  l'être,  et  dans  des  conditions 


1.  G.   Lenôtre,  Marie- Antoinette,    p.    31    et   suiv.  Paris, 
Perrin. 

2.  Barruel,  Mémoires. 


62  LA    FRANC-MAÇO>'>'ERIE 

identiques  à  celles  de  l'emprisonnement.  Car 
jamais,  contrairement  encore  à  tout  ce  qu'on 
nous  a  toujours  appris,  jamais  la  Convention 
elle-même  n'a  volé  la  mort  de  Louis  XVI  ! 
Dans  un  article  publié  par  la  Revue  de  la  Ré- 
volution, et  resté  malheureusement  trop  peu 
répandu,  comme  tout  ce  que  les  partisans  de 
l'ordre  devraient,  au  contraire,  répandre  à 
profusion,  un  homme  dont  les  travaux  et  les 
recherches  sur  la  question  sont  considéra- 
bles depuis  déjà  vingt  ans,  M.  Gustave  Bord, 
relève,  un  à  un,  tous  les  votes  des  membres 
de  l'Assemblée,  et  le  vote  de  la  mort  par  la 
majorité,  d'après  les  chiffres  mêmes  du  Moni- 
teur^ n'a  jamais  été  qu'un  mensonge  ^  !  Le 
roi  de  France,  en  réalité,  n'a  jamais  été 
condamné  qu'à  Francfort.  Jamais,  si  stupé- 
fiant que  cela  semble,  ce  vote  de  mort  n'a 
réellement  existé!  Jamais  il  n'a  été  qu'un 
vote  inventé,  fabriqué,  et  en  voici  la  preuve, 
telle  qu'on  ne  peut  pas   la  contester  !  Pour 


1.  Bord  et  d'Héricault,  Revue  de  la  Révolution,  t.  III, 
1885.  La  Vérité  sur  la  condamnation  de  Louis  XVI  (article 
de  Gustave  Bord). 


ET    L\    RÉVOLUTIOxN    FRANÇAISE  63 

siéger  et  voter  à  la  Convention,  pour  faire 
partie  du  tribunal  qu'elle  prétendait  con- 
stituer, il  fallait  trois  conditions  :  être  âgé 
de  vingt-cinq  ans,  français,  et  avoir  été  inscrit 
comme  représentant.  Or,  parmi  les  votants 
qui  votent  la  mort,  on  en  trouve  un  qui  n'a 
pas  vingt-cinq  ans,  un  autre  qui  n^est  pas 
français,  cinq  autres  qui  ne  sont  pas  inscrits. 
Saint-Just  est  né  le  25  août  1769,  et  n'a  que 
vingt-trois  ans  et  demi.  Le  journaliste  Robert 
est  belge,  non  naturalisé,  et  les  votants 
Hourrier-Eloy  et  Dufestel,  de  la  Somme, 
Bertrand  de  l'Hosdiesnière,  de  l'Orne,  et 
Lequinio,  du  Morbihan,  ne  sont  pas  inscrits 
comme  députés.  En  outre,  et  la  fraude  de- 
vient encore  ici  plus  grossière,  les  départe- 
ments, à  cette  époque,  en  même  temps  que 
des  députés,  nommaient  des  suppléants  des- 
tinés à  les  remplacer,  mais  qui  ne  pouvaient 
et  ne  devaient  voter,  bien  entendu,  que  dans 
le  cas  où  les  députés  ne  votaient  pas.  Or,  le  dé- 
puté Lanthenas,  élu  par  la  Haute-Loire,  vote 
comme  représentant  de  Rhône-et-Loire.  Et 
pourquoi  ?  Uniquement  afin  de  permettre  à 


64  LA    FRANC-MAr.ONI>ERIE 

son  suppléant  de  voter  à  sa  place  comme 
suppléant  delà  Haute-Loire,  etde  pouvoir  s'at- 
tribuer ainsi,  pour  voter  la  mort,  deux  voix, 
au  lieu  d'une,  sans  aucun  droit,  sans  aucune 
espèce  de  motif!  De  même.  Barras  vote  la  mort 
comme  suppléant  de  Dubois-Grancé,  porté 
député  du  Var.  Or,  Dubois-Grancé  n'était  pas 
encore  député  du  Var  à  cette  époque,  et 
Barras,  par  conséquent,  vote  comme  sup- 
pléant d'un  député  qui  n'existe  pas!  Et  il 
n'est  pas  le  seul  suppléant  qui  agit  ainsi.  Le 
suppléant  Pinet,  de  la  Dordogne,  et  le  sup- 
pléant Monod,  du  Doubs,  votent  de  la  même 
façon.  Ils  votent  de  leur  chef,  en  ne  sup- 
pléant personne  !  Enfin,  trois  conventionnels, 
Ducos,  Salicetti  et  Garnier  s'étaient  récusés 
d'eux-mêmes  comme  juges  au  début  du  pro- 
cès. Mais  rheure  du  vote  arrive,  le  vote  s'an- 
nonce comme  douteux,  et  ils  viennent  alors 
voter  quand  même,  ils  viennent  voter  la 
mort!  Gombien  donc,  en  négligeant  d'ail- 
leursquantité  d'autres  forfaitures,  constatons- 
nous  de  voix  qui  sont  simplement  de  fausses 
voix? Nous  en  constatons  quatorze  !  Etàcom- 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  65 

bien  de  voix  la  mort  élait-elle  officiellement 
votée?  A  une  voix  de  majorité!  La  majorité 
absolue  était  de  trois  cent  soixante  et  une 
voix,  et  le  vote  pour  la  mort  réunissait  trois 
cent  soixante  et  une  voix!...  La  Convention, 
en  réalité,  l'avait  donc  bien  elle-même 
repoussée,  et  par  treize  voix  de  majorité, 
mais  n'osait  pas  plus  protester  contre  une 
condamnation  non  prononcée  que  la  Légis- 
lative n'avait  osé  réclamer  contre  un  empri- 
sonnement non  voté..  Et  ainsi,  de  même  que 
l'ordre  de  cesser  le  feu  est  apporté  sans  avoir 
jamais  été  donné,  de  même  que  Tempri- 
sonnement  est  décidé  par  un  pouvoir  qui 
n'a  jamais  été  la  Législative,  et  contraire- 
ment au  vote  de  la  Législative,  la  mort  est 
également  décidée  par  un  pouvoir  qui  n'a 
jamais  été  la  Convention,  et  contrairement 
au  vote  de  la  Convention  !  Et  quel  est  ce 
pouvoir?  Un  membre  de  la  Commune  insur- 
rectionnelle elle-même  va  nous  le  dire,  le 
municipal  Goret,  qui  déclare  en  toutes  lettres 
dans  une  relation  écrite  :  «  Qui  avait  fait 
«  prendre  toutes  ces  précautions  ?  Je  l'ignore, 


66  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

«  je  ne  les  ai  pas  entendu  délibérer  dans  le 
(c  Conseil,  et  j'ai  toujours  pensé  qu'un  parti 
«  occulte  et  puissant  mettait  la  main  à  tout 
«  cela,  à  rinsu  de  ce  Conseil,  et  même  du 
((  maire  qui  le  présidait  ^.  »  Et  nous  arrivons 
ainsi  à  ce  21  janvier  1793,  où,  au  milieu  d'un 
déploiement  de  force  armée  comme  on  n'en 
avait  encore  jamais  vu,  dans  une  ville  où,  sur 
quatre-vingt  mille  citoyens  réguliers,  il  n'y  en 
a  pas  deux  mille  voulant  la  mort  du  Roi,  on 
fait  cependant  tomber  la  tête  du  Roi,  comme 
on  exécutait  déjà  symboliquement,  depuis 
plus  de  trente  ans,  dans  les  Loges,  le  manne- 
quin de  Philippe  le  Bel  ! 

Eh!  l)ien,  Mesdames  et  Messieurs,  est-ce 
qu'une  conclusion  ne  s'impose  pas  après  ces 
faits?...  Si  la  Révolution,  que  personne  ne 
confond  avec  l'évolution,  n'est  pas  le  grand 
mouvementhumain  auquel  beaucoup  d'honnê- 
tes gens  ont  cru  et  croient  encore,  si  elle  n'est 
pas  ce  grand  fait  social  provenant  naturelle- 
ment d'intérêts  et  de  besoins  profonds,  et  si, 

1.  G.  Lenôtre,   Marie-Antoinette.  Relation  du  municipal 
Goret.  Paris,  Perrin. 


ET    LA.    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  67 

au  contraire,  elle  n'a  jamais  été  qu'un  hlaf 
immense,  dirigé  et  lancé  contre  le  Christia- 
nisme universel,  tous  nos  malaises  moraux, 
toutes  nos  perturbations,  se  comprennent  et 
s'expliquent.  Sinon,  ils  ne  se  comprennent 
pas,  et  ne  peuvent  sérieusement  se  déduire 
de  rien.  Ou  la  Révolution  est  un  mouvement 
naturel,  providentiel,  et  le  trouble  ne  peut 
pas  être  toujours  d'autant  plus  grand  que  les 
progrès  des  idées  révolutionnaires  sont  plus 
grands  eux-mêmes  !  Ou  la  Révolution  n'est 
bien  que  l'artifice  et  la  machination  de 
voleurs  qui  «  percent  la  maison  »,  et  le  trou- 
ble, alors,  se  comprend.  Tout  s'explique  et 
tout  s'éclaire...  Enfin,  et  ce  sera  notre  der- 
nier mot,  nous  voyons  peut-être  aussi  main- 
tenant que  l'histoire  de  la  Révolution  est 
à  faire,  et  que  nous  ne  la  savons  pas,  que  nous 
n'en  savons  rien.  Nous  avons  donc  un  devoir 
tout  indiqué,  c'est  de  l'apprendre,  d'abord 
pour  la  savoir,  et  pour  pouvoir  ensuite  l'en- 
seigner à  la  France  ! 


DOCUMENTS 


BULLE  D'EXGOMMUx\ICATION 

DU  PAPE  CLÉMENT  XII  ^ 

CONTRE     LES     FRANCS-MAÇONS 

«  La  divine  Providence  nous  ayant  placé,  malgré 
notre  indignité,  dans  la  chaire  la  plus  élevée  de 
l'apostolat,  pour  y  veiller  sans  cesse  à  la  sûreté 
du  troupeau  qui  nous  est  confié,  nous  avons  donné 
tous  nos  soins,  autant  que  le  secours  d'en  haut 
nous  l'a  permis,  et  toute  notre  application,  à 
opposer  au  vice  et  à  l'erreur  une  barrière  qui  en 
arrête  le  progrès,  à  conserver  spécialement  l'in- 
tégrité de  la  religion  orthodoxe,  et  à  éloigner 
des  fidèles,  dans  ces  temps  difficiles,  tout  ce  qui 
pourrait  être  pour  eux  une  occasion  de  trouble. 

«  Nous  avons  appris,  et  le  bruit  public  ne  nous 
a  pas  permis  d'en  douter,  qu'il  s'était  formé  une 
certaine  société  assemblée  ou  association,  sous  le 
nom  de  francs-maçons  ou  liheri  niuratori^  ou 
sous  une  appellation  équivalente  suivant  la  diver- 
sité des  langues,  dans  laquelle  sont  admises  indif- 
féremment des  personnes  de  toute  religion  et  de 
toute  secte,  qui,  sous  les  dehors  affectés  d'une 
probité  naturelle  qu'on  exige  et  dont  on  se  con- 
tente, se  sont  établi  certaines  lois,  certains  statuts 

1.  Cité  par  M.  Henri  d' Aimeras,  dans  Cagliostro. 


70  LA    FR.VNC-MAÇONNERIE 

qui  les  lient  les  unes  les  autres  et  qui,  en  parti- 
culier, les  obligent,  sous  les  plus  grièves  peines, 
en  vertu  d'un  serment  prêté  sur  les  saintes  Ecri- 
tures, de  garder  un  secret  inviolable  sur  tout  ce 
qui  se  passe  dans  leurs  assemblées. 

«  Mais,  comme  le  crime  se  découvre  lui-même, 
et  que,  malgré  les  précautions  qu'il  prend  pour 
se  cacher,  il  se  trahit  par  l'éclat  qu'il  ne  peut 
arrêter,  cette  société,  ces  assemblées  sont  deve- 
nues si  suspectes  aux  fidèles,  que  tout  homme  de 
bien  regarde  aujourd'hui  comme  un  signe  peu 
équivoque  de  perversion  quiconque  s'y  fait  adop- 
ter. Si  leurs  actions  étaient  irréprochables,  ils 
ne  se  déroberaient  pas  avec  tant  de  soin  h  la 
lumière.  De  là  vient  que,  depuis  longtemps,  la 
plupart  des  princes  les  ont  sagement  proscrites, 
ces  sociétés,  de  leurs  Etats.  Ils  ont  regardé  ces 
sortes  de  gens  comme  ennemis  de  la  sûreté  pu- 
blique. 

((  Ayant  donc  mûrement  réfléchi  sur  les  grands 
maux  qui  naissent  pour  l'ordinaire  de  ces  asso- 
ciations toujours  nuisibles  à  la  tranquillité  de 
l'Etat  et  au  salut  des  âmes,  et  qui,  à  ce  titre,  ne 
peuvent  s'accorder  avec  les  lois  civiles  et  cano- 
niques; instruit  d'ailleurs  par  la  parole  de  Dieu 
même,  qu'en  qualité  de  serviteur  prudent  et 
fidèle,  choisi  pour  gouverner  le  troupeau  du  Sei- 
gneur, nous  devons  être  continuellement  en 
garde  contre  des  gens  de  ce  caractère,  de  peur 
qii  a  V exemple  du  \o\eur,  ils  ne  pej'cent  la  mai- 
son, et  que,  comme  autant  de  renards,  ils  ne  se 
jettent  dans  la  vigne,  et  ne  portent  partout  la 
désolation,  c'est-à-dire  qu'ils  ne  séduisent  les 
simples  et  ne  blessent  en  secret  de  leurs  flèches 
les  âmes  innocentes. 

((  Enfin,  voulant  arrêter  le  cours  de  cette  per- 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  71 

version,  et  interdire  une  voie  qui  donnerait  lieu 
de  se  laisser  aller  impunément  à  bien  des  iniquités, 
et  pour  plusieurs  autres  raiso?is  à  nous  con- 
nues qui  sont  également  justes  et  hien  fondées^ 
après  en  avoir  délibéré  avec  nos  vénérables  frères 
les  cardinaux  de  la  sainte  Église  romaine,  et  de 
leur  avis,  et  même  aussi  de  notre  propre  mouve- 
ment et  connaissance  certaine,  et  de  toute  la  plé- 
nitude de  notre  puissance  apostolique,  nousavons 
résolu  de  condamner  et  de  défendre,  comme  de 
fait  nous  condamnons  et  défendons  par  notre 
présente  constitution  et  à  perpétuité,  les  susdites 
sociétés,  assemblées  de  francs-maçons,  ou  dési- 
gnées sous  un  autre  nom  quel  qu'il  soit. 

«  C'est  pourquoi  nous  défendons  très  expres- 
sément et  en  vertu  de  la  sainte  obéissance,  à  tous 
les  fidèles,  soit  laïques,  soit  clercs  séculiers  ou 
réguliers,  y  compris  ceux  qui  doivent  être  spé- 
cialement nommés,  de  quelque  état,  grade,  con- 
dition et  prééminence  qu'ils  soient,  d'entrer, 
pour  quelque  cause  et  sous  quelque  prétexte  que 
ce  soit,  dans  les  sociétés  ci-dessus  mentionnées 
de  francs-maçons;  de  favoriser  leur  accroisse- 
ment; de  les  recevoir  ou  cacher  chez  soi  ou  ail- 
leurs; de  s'y  faire  associer,  d'y  assister,  de  faci- 
liter leurs  assemblées,  de  leur  fournir  quoi  que 
ce  soit;  de  les  aider  de  conseils;  de  leur  prêter 
secours  et  faveur  en  public  ou  en  secret;  d'agir 
directement  ou  indirectement  par  soi  ou  par 
autrui;  d'exhorter,  de  solliciter,  d'induire,  d'en- 
gager quelqu'un  h  se  faire  adopter  dans  ces  so- 
ciétés, à  y  assister,  à  les  aider  de  quelque  manière 
que  ce  puisse  être,  et  à  les  fomenter. 

«Nous  leur  ordonnons,  au  contraire,  de  s'inter- 
dire entièrement  ces  associations  ou  assemblées, 
sous  peine  d'excommunication  qui  sera  encourue 


72  LA    FRANC-MAÇO^'NERIE 

par  le  seul  fait  et  sans  autre  déclaration  par  les 
contrevenants  dont  nous  avons  fait  mention,  de 
laquelle  excommunication  ils  ne  pourront  être 
absous  que  par  nous  ou  par  le  Souverain  Pontife 
pour  lors  régnant,  si  ce  n'est  à  l'article  de  la 
mort. 

((  Voulons  de  plus  et  ordonnons  que  les  évê- 
ques,  prélats,  supérieurs  et  autres  ordinaires 
des  lieux,  de  même  que  les  inquisiteurs,  procè- 
dent contre  les  contrevenants,  de  quelque  grade, 
condition,  ordre,  dignité  et  prééminence  qu'ils 
soient;  qu'ils  travaillent  à  les  réprimer  et  qu'ils 
les  punissent  des  peines  qu'ils  méritent,  à  titre 
de  gens  très  suspects  d'hérésie. 

c(  A  cet  effet,  nous  donnons  à  tous  et  à  chacun 
d'eux  le  pouvoir  de  les  poursuivre  et  de  les  punir 
selon  les  voies  de  droit,  et  d'avoir  recours,  s'il 
en  est  besoin,  au  bras  séculier. 

((  Voulons  aussi  que  les  copies  de  la  présente 
constitution  aient  la  même  lorce  que  l'original, 
dès  qu'elles  seront  munies  de  la  souscription  d'un 
notaire  public,  et  du  sceau  de  quelque  personne 
constituée  en  dignité  ecclésiastique. 

((  Que  personne,  au  reste,  ne  soit  assez  témé- 
raire pour  oser  attaquer  ou  contredire  la  présente 
déclaration,  condamnation,  défense  et  interdic- 
tion. Si  quelqu'un  portait  jusqu'à  ce  point  la 
hardiesse,  qu'il  sache  qu'il  encourra  l'indigna- 
tion de  Dieu  et  de  ses  bienheureux  apôtres  saint 
Pierre  et  saint  Paul. 

«  Donné  h  Rome,  h  Sainte-Marie-Majeure,  l'an 
depuis  l'incarnation  de  Jésus-Christ  1738,  le  4 
des  Kalendes  de  mai,  de  notre  pontificat  le  hui- 
tième. » 


WEISHAUPT  ET  L'ILLUMINISME 

Extraits  des  Mémoires  pour  servir  à  Phistoire 
du  Jacobinisme,  par  l'abbé  Barruel.  Hambourg, 
chez  P.  Fauche,  1803: 

((  ...C'est  ici  que  je  dois  au  public  un  compte 
spécial  des  ouvrages  dont  je  tire  mes  preuves. 
Pour  satisfaire  à  cette  obligation,  je  vais  don- 
ner la  liste  des  principaux,  avec  une  notice  suf- 
fisante pour  qu'on  juge  de  leur  authenticité. 

«  1°  La  première  de  ces  productions  est  le 
recueil  intitulé  :  Partie  des  écrits  originaux  de 
la  Secte  Illuminée,  découverts  à  Landshut,  lors 
des  recherches  faites  chez  le  ci-devant  Conseiller 
de  la  Régente,  sieur  Zwach,  les  il  et  12  octo- 
bre 1786,  et  imprimée  par  ordre  de  Son  Altesse 
Electorale.  Munich,  chez  Ant.  François^  Im- 
p rim e u r  de  la  Cour  ^ . 

((  2°  Le  second  est  un  supplément  à  ces  Ecrits 
originaux,  contenant  surtout  ceux  qui  ont  été 
trouvés  lors  de  la  visite  laite  encore  au  château 
de  Sandersdorf,  fameux  repaire  d'Illuminés,  par 
ordre  de  Son  Altesse  Electorale.  Munich,  1787. 

((  Dans  ces  deux  volumes,  se  trouve  réuni 
tout  ce  qui  peut  porter  à  l'évidence  la  conspi- 
ration la  plus  caractérisée...  En  tête  du  premier 
volume  el  sur  le  frontispice  du  second,  se  trouve 
un  avertissement  bien  remarquable,  donné  par 

1.  Weishaupt  et  ses  adeptes  furent  condamnés  à  Munich 
quelques  années  avant  la  Révolution  française,  et  c'est  dans 
les  pièces  mêmes  de  leurs  procès  que  Barruel  a  puisé  ses 
preuves. 


74  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

l'ordre  de  l'Electeur,  et  conçu  en  ces  termes  : 
Ceux  qui  auraient  quelques  doutes  sur  l authen- 
ticité de  ce  Recueil,  n'ont  qu'à  s'annoncer  aux 
arc1ii<^es  secrètes  de  Munich,  oii  on  a  ordre  de 
leur  montrer  les  pièces  originales . 

«  3°  Le  Véritable  Illuminé,  contenant  la  pré- 
paration, le  noviciat,  le  grade  Minerval,  ceux 
du  petit  Illuminé  et  de  l'Illuminé  majeur... 

«  5°  Derniers  travaux  de  Spartacus  et  de  Phi- 
Ion  *.  Après  les  Ecrits  originaux,  cet  ouvrage 
est  le  plus  important  qui  ait  paru  sur  l'Illumi- 
nisme.  Il  en  contient  les  deux  grades  les  plus 
remarquables,  par  les  mystères  que  la  secte  y 
déploie,  et  par  les  lois  qu'elle  y  donne  aux  adep- 
tes. 

«  6^  Le  même  Editeur  a  fait  une  Histoire  criti- 
que  des  Grades  de  l' Uluniinisme ,  ouvrage  encore 
précieux,  où  tout  est  prouvé  et  démontré  par  les 
lettres  mêmes  des  grands  adeptes. 

«  8"  Dépositions  remarquables  sur  les  Illumi- 
nés. Il  existe  trois  de  ces  dépositions  juridiques 
et  confirmées  par  serment.  Elles  sont  signées  : 
1°  par  M.  Cosandey,  chanoine  et  professeur  à 
Munich  ;  2^  par  M.  Renner,  prêtre  et  professeur 
à  la  même  Académie  ;  3^  par  Utzschmider,  con- 
seiller de  la  Chambre  Electorale  ;  4^ par  M.  Geor- 
ges Grûmberg,  membre  de  l'Académie  des  Scien- 
ces et  professeur  de  Mathématiques...  »  (T.  ÏII, 
observations  préliminaires.) 


1.  Spartacus  était  le  nom  maçonnique  de  Weisliaupt  lui- 
même,  et  Philon  celui  d'un  de  ses  principaux  lieutenants,  le 
baron  Knigge. 


ÉPISODE  DE  LA  VIE  DE  WEISHAUPT 


«  ...  Qu'on  lise  donc  d'abord  cette  lettre  de 
Weishaupt  à  son  adepte  Hertel,  la  troisième  dans 
le  second  volume  des  Ecrits  oiimnaux  des  lUu- 
minés  de  Bavière.  ((  A  présent,  dit  Weishaupt  à 
((  cet  adepte,  que  je  vous  dise,  dans  la  plus  intime 
«confidence,  la  situation  de  mon  cœur...  Me 
((  voilà  en  danger  de  perdre  mon  honneur,  et  cette 
((  réputation  qui  me  donnait  tant  à^ autorité  sur 
«  notre  monde.  Ma  belle-sœur  est  enceinte.  Je  l'ai 
«  envoyée  à  Munich  pour  obtenir  dispense  et 
«  l'épouser.  Mais  si  la  dispense  n'arrive  pas, 
«  que  ferai-je  ?  Comment  rétablirai-je  l'honneur 
«  d'une  personne  dont  j'ai  fait  tout  le  crime  ? 
((  Nous  açons  déjà  tenté  bien  des  choses  pour 
a  arracher  l'enfant;  elle  était  elle-même  réso- 
«  lue  à  tout  ;  mais  Euriphon  (?)  est  trop  timide, 
«  et  je  ne  vois  guère  d'autre  expédient.  Si  j'é- 
«  tais  sûr  du  silence  de  Celse  (de  Buder,  profes- 
«  seur  à  Munich^  celui-là  pourrait  bien  m'aider  ; 
«  il  me  l'avait  déjà  promis  il  y  a  trois  ans.  Je 
«  ne  sais  quel  démon...  »  Ici,  l'honnêteté  ne 
nous  permet  pas  de  traduire  les  expressions  qui 
montrent  dans  Weishaupt  la  plus  détestable  ha- 
bitude. Il  continue  sa  confidence,  en  disant  : 
<(  Jusques  à  ce  moment,  personne  n'en  sait  rien, 
«  si  ce  n'est  Euriphon...  »  Malgré  sa  répugnance 
à  faire  à  Caton  (Swack,  conseiller  aulique)  les 
mêmes  confidences,  Weishaupt  se  voit  réduit  a 
lui  en  écrire,  et,  après  l'expression  qui  dénote 
encore  l'infâme  habitude,  voici  les  termes  exprès 


76  LA.    FRANC-MAÇONNERIE 

de  ce  monstrueux  hypocrite  :  «  Ce  qui  me  fâche 
«  le  plus,  dans  tout  ceci,  c^est  que  je  perds  en 
«  grande  partie  mon  autorité  sur  nos  ^ens  ;  c'est 
((  de  leur  avoir  montré  un  côté  faible,  à  l'abri  du- 
((  quel  ils  ne  manqueront  pas  de  se  mettre,  quand 
a  je  leur  prêcherai  morale,  et  les  exhorterai  à  la 
((  vertu  et  à  l'honnêteté  ..  »  [Mémoires  pour  ser^ 
vir  à  l'histoire  du  Jacobinisme,  t.  III,  chap.  I*^) 


LE  CODE,  LE   SYSTEME,  LES   MYSTÈRES 

ET    LES    INSTRUCTIONS    DE    WEISHAUPT 

«...  Par  le  nom  de  Frère  Insinuant,  il  faut 
entendre  ici  l'Illuminé  travaillant  à  gagner  des 
sujets  à  son  Ordre...  Pour  apprendre  à  connaî- 
tre les  sujets  qu'il  peut  enrôler,  tout  Illuminé 
doit  commencer  par  se  munir  de  tablettes  en 
forme  de  journal,  Diarium.  Espion  assidu  de 
tout  ce  qui  l'entoure,  il  observera  continuelle- 
ment les  personnes  avec  lesquelles  il  se  trouve  ; 
amis,  parents,  ennemis,  indifférents,  tous,  sans 
exception,  seront  l'objet  de  ses  recherches  ;  il 
tâchera  de  découvrir  leur  côté  fort,  leur  côté  fai- 
ble, leurs  passions,  leurs  préjugés,  leurs  liaisons, 
leurs  actions  surtout,  leurs  intérêts,  leur  fortune, 
en  un  mot  tout  ce  qui  peut  donner  sur  eux  les 
connaissances  les  plus  détaillées  ;  chaque  jour  il 
marquera  sur  ses  tablettes  ce  qu'il  a  observé  en 
ce  genre. 

c(  Cet  espionnage,  devoir  constant  et  assidu 
de  tout  Illuminé,  aura  deux  avantages  :  l'un  gé- 
néral pour  l'Ordre  et  ses  supérieurs,  et  l'autre 
pour  l'adepte.  Chaque  mois,  il  fera  deux  fois  le 
relevé  de  ses  observations  ;  il  en  transmettra 
l'ensemble  à  ses  supérieurs  ;  et  l'Ordre  sera  in- 
struit par  là  quels  sont,  dans  chaque  ville  ou 
chaque  bourg,  les  hommes  de  qui  ils  doivent 
espérer  la  protection  ou  redouter  l'opposition. 
Il  saura  tous  les  moyens  à  prendre  pour  gagner 


78  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

les  uns  OU  écarter  les  autres.  Quant  à  l'adepte 
Insinuant,  il  en  connaîtra  mieux  les  sujets  dont 
il  peut  proposer  la  réception,  et  ceux  qu'il  croit 
devoir  exclure.  Dans  les  notes  qu'il  envoie  cha- 
que mois,  il  ne  manquera  pas  d'exposer  les 
raisons  de  l'un  ou  de  l'autre...  »  {Ecrits  origi- 
naux, réforme  des  Statuts,  articles  9,^  13  et 
suite;  Instruction  pour  les  Insinuants,  section  xi, 
n"  1  ;  pour  les  Insinués,  n'*^!,  3,  5,  etc.  Lettre4, 
à  Ajax.) 

«  Tandis  qu'il  est  ainsi  tout  occupé  à  connaître 
les  autres,  le  Frère  Insinuant  se  gardera  bien  de 
se  faire  connaître  lui-même  comme  Illuminé.  La 
loi  est  expresse  pour  tous  les  Frères;  elle  est 
spécialement  requise  pour  le  succès  des  Enrô- 
leurs.  C'est  à  eux  aussi  que  le  Législateur  recom- 
mande tout  cet  extérieur  de  vertu,  de  perfection, 
et  le  soin  d'éviter  les  scandales,  dont  la  suite 
serait  de  les  priver  de  leur  autorité  sur  les  es- 
prits. [Ecj'its  originaux,  t.  II,  lettres  1  et  9.) 

C'est  pour  les  Frères  Enrôleurs  surtout  que  la 
loi  porte  :  aAppIiquez-çous  à  V art  de  cous  contre- 
faire, de  vous  cacher,  de  cous  masquer,  en  ob- 
servant les  autres,  pour  pénétrer  dans  leur  inté- 
rieur... w  [Ecî'its  originaux,  t.  I.  p.  40,  n*^^  5, 
6  et  8.) 


PLAN  D'UN  ORDRE   DE    FEMME 


«  Cet  ordre  aura  deux  classes,  formant  chacune 
leur  société,  ayant  même  chacune  leur  secret  à 
part.  La  première  sera  composée  de  femmes  i^er- 
tueuses;  la  seconde  de  femmes  ç^olages,  légères, 
çoluptueuses. 

«  Les  Freines,  chargés  de  les  diriger,  leur  feront 
parvenir  leuj^s  leçons,  sans  se  laisser  connaître. 
Ils  conduiront  les  premières  par  la  lecture  des 
bons  Usures,  et  les  autres  en  les  formant  à  l'art  de 
satisfaire  secrètement  leurs  passions. 

«  A  ce  projet  est  joint  un  préliminaire  dési- 
gnant en  ces  termes  l'objet  et  l'utilité  des  Sœurs 
Illuminées  :  «  L' avantage  que  Von  peut  se  pro- 
mettre de  cet  Ordre,  serait  de  procurer  au  véri- 
table Ordre  d'abord  tout  l'argent  que  les  Sœurs 
commenceraient  par  payer,  et  ensuite  tout  celui 
qu  elles  promettraient  de  payer  pour  les  secrets 
qu'on  aurait  à  leur  apprendre.  Cet  établissement 
servirait  de  plus  à  satisfaire  ceux  des  Frères  qui 
ont  du  penchant  pour  les  plaisirs.  »  [Ecrits  origi- 
naux, t.  I,  section  v.) 


INSTRUCTIONS    ET    PRECEPTES    DIVERS 

«  ...  Le  Frère  Insinuant  est  encore  averti  qu'il 
faut  à  rOrdre  des  Artistes,  des  Ouvriers  en  tout 
genre,  des  Peintres,  des  Graveurs,  des  Orfèvres, 
des  Serruriers,  mais  surtout  des  Libraires^  des 
Maîtres  de  poste  ^  et  des  Maîtres  d'école.  Il 
saura  par  la  suite  l'usage  que  V Illumiîiisme  doit 
faire  de  tout  ce  monde-là.  [Instructions^  n^  4.) 

«  Dans  cette  multitude  il  est  un  choix  à  faire, 
souvent  indiqué  par  le  Législateur.  «  Cherchez- 
moi,  par  exemple,  dit-il  à  ses  Enrôleurs, 
des  jeunes  gens  adroits,  déliés.  Il  nous  faut 
des  adeptes  insinuants,  intrigants,  féconds  en  res- 
sources, hardis,  entreprenants .  Il  nous  les  faut 
inflexibles,  souples,  obéissants,  dociles,  sociables. 
Cherchez-moi  encore  de  ces  hommes  puissants, 
nobles"^,  riches.^  savants.  N'épargnez  rien  pour 
m' avoir  ces  gens-là.  Si  les  deux  ne  vont  pas,  fai- 
tes marcher  l'Enfer  !  »  (Lettre  3,  à  Ajax.) 

«  Enfin,  ceux-là  surtout  qui  ont  éprouvé  le 
malheur,  non  par  de  simples  accidents,  mais 
par  cjuelque  injustice,  c'est-à-dire  ceux-là  quon 
peut  le  plus  certainement  compter  parmi  les  mé^ 
contents  ;   voilà  les   hommes  qu'il  faut    appeler 

1.  Quand  on  songe  à  l'arrestation  de  Tarennes,  la  coïnci- 
dence est  curieuse... 

2.  La  Franc-Maçonnerie,  en  France,  au  moment  de  la 
Révolution,  comptait,  en  effet,  la  plus  grande  partie  de  la 
noblesse. 


L\    FRA>C-MAÇONNERIE  81 

dans  le  sein  de  rilluminisme  comme  dans  leur 
asile...  ))  [Instruction  des  Supérieurs  locaux^ 
lettre  H.) 

c(  Malheureux,  et  doublement  malheureux,  le 
jeune  homme  que  les  Illuminés  ont  en  vain  es- 
sayé d'entraîner  dans  leur  secte  !  S'il  échappe  à 
leurs  pièges,  qu'il  ne  se  flatte  pas  au  moins 
d'échapper  à  leur  haine,  et  qu'il  se  cache  bien  ! 
Ce  n'est  pas  une  vengeance  commune  que  celle 
des  sociétés  secrètes.  C'est  le  feu  souterrain  de 
la  rage.  Elle  est  irréconciliable  ;  rarement  cesse- 
t-elle  de  poursuivre  ses  victimes,  jusqu'à  ce 
qu'elle  ait  eu  le  plaisir  de  les  voir  immolées...  » 
(Hoffmann,  Avis  importants,  t.  II,  préface.) 

«  La  loi  de  l'Ordre  est  invariable,  h  l'égard 
des  hommes  surtout,  dont  l'Illuminisme  redoute 
les  talents.  Il  faut,  ou  les  gagner,  ou  les  perdre 
DANS  l'opixion  PUBLIQUE.  [Code.  Instruction  pour 
le  Régent  Illuminé,  n°  15.) 

«...  Etes-vousprêt  h  faire  ce  que  l'Ordre  exige 
des  Frères  dans  ce  grade,  en  statuant  que  cha- 
cun de  nous  prenne  l'engagement  de  donner, 
chaque  mois,  açis  à  nos  Supérieurs  des  emplois, 
du  serifice,  des  bénéfices  et  autres  dignités  sem~ 
blables  dont  nous  pouvons  disposer,  ou  procurer 
la  possession  par  notre  recommandation,  afin  que 
nos  Supérieurs  aient  par  là  l occasion  de  pré- 
senter pour  ces  emplois  les  dignes  sujets  de  notre 
Ordre  ?...  Frère,  vous  le  voyez,  c'est  ainsi  qu'a- 
près avoir  éprouvé  les  meilleurs  des  hommes, 
nous  cherchons  peu  à  peu  à  les  récompenser, 
à  leur  servir  d'appui,  afin  de  donner  insensible- 
ment au  monde  une  nouvelle  forme...  O  mon 
ami  !  ô  frère  !    ô    mon    fils  !   quand,    assemblés 


82  LÀ    FRA>'C-MAÇONNERIE 

ici  loin  des  profanes,  nous  considérons  à  quel 
point  le  monde  est  livré  aux  méchants,  combien 
les  persécutions,  le  malheur,  sont  le  partage  de 
l'honnête  homme,  à  ce  spectacle,  pourrions- 
nous  donc  nous  taire,  nous  contenter  de  soupi- 
rer ?  Ne  chercherions-nous  pas  à  secouer  le  joug  ? 
—  Non,  frère,  reposez-vous  en  nous.  Cherchez 
des  coopérateurs  fidèles,  non  pas  dans  le  tumulte 
et  les  orages  ;  ils  sont  cachés  dans  les  ténèbres. 
Protégés  par  les  ombres  de  la  nuit,  c'est  là  que 
solitaires,  silencieux  ou  rassemblés  en  cercles 
peu  nombreux,  enfants  dociles,  ils  poursuii^ent  le 
Grand  Œus>re  sous  la  conduite  de  leur  chef\ 

«...  Mais,  dans  ce  grand  projet,  les  Prêtres  et 
les  Princes  nous  résistent  ;  nous  avons  contre 
nous  les  constitutions  politiques  des  peuples. 
Que  faire  en  cet  état  de  choses  ?. ..  Il  faut  insen- 
siblement lier  les  mains  aux  protecteurs  du  dés' 
ordre  et  les  gouverner  sans  paraître  les  domi- 
ner. En  un  mot,  il  faut  établir  un  régime  domi- 
nateur universel...  Autour  des  Puissances  de  la 
tarre  il  faut  rassembler  une  légion  d'hommes  in- 
fatigables, et  dirigeant  partout  leurs  travaux^ 
suivant  le  plan  de  ï Ordre,  pour  le  bonheur  de 
V humanité...  Mais  tout  cela  doit  se  faire  en 
silence  ;  nos  Frères  doivent  se  soutenir  mutuel- 
lement, secourir  les  bons  dans  l'oppression,  et 
chercher  à  gagner  toutes  les  places  qui  donnent 
de  la  puissance,  pour  le  bien  de  la  chose...  Vous 
voyez,  frères,  un  vaste  champ  s'ouvrir  à  votre 
activité.  Rendez-vous  notre  digne  coopérateur, 
en  nous  secondant  de  toutes  vos  forces.  Il  n*est 
point  avec  nous  de  travaux  sans  récompense... 

«...  Mais  enfin  sais-tu  même  ce  que  c'est  que 
les  sociétés  secrètes,  quelles  places  elles  tiennent, 
cl  quel  rôle  elles  jouent  dans  les  événements  de 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  83 

ce  monde  ?  Les  prends-tu  pour  des  apparitions 
insignifiantes  et  passagères  ?0  frère,  Dieu  et  la 
Nature,  disposant  chaque  chose  pour  le  temps  et 
les  lieux  convenables,  ont  leur  but  admirable,  et 
ils  se  servent  de  ces  sociétés  secrètes,  comme 
d'un  moyen  unique,  indispensable,  pour  nous  y 
conduire  !  Ecoute,  et  sois  rempli  d'admiration. 
C'est  ici  le  point  de  vue  auquel  tend  toute  la 
morale,  c'est  d'ici  que  dépend  l'intelligence  du 
droit  des  sociétés  secrètes,  et  celle  de  toute  notre 
doctrine,  de  toutes  nos  idées  sur  le  bien  et  sur 
le  mal,  sur  le  juste  et  l'injuste.  Te  voilà  entre  le 
monde  passé  et  le  monde  avenir.  Jette  un  coup 
d'œil  hardi  sur  le  passé  ;  h  l'instant  les  dix  mille 
verrous  de  l'avenir  tombent,  et  toutes  ses  portes 
sont  ouvertes  pour  toi  !  Tu  verras  la  richesse 
inépuisable  de  Dieu  et  de  la  Nature,  la  dégrada- 
tion et  la  dignité  de  l'homme.  Tu  verras  le  monde 
et  le  genre  humain  dans  sa  jeunesse,  sinon  dans 
son  enfance,  là  où  tu  avais  cru  le  trouver  dans  la 
décrépitude,  voisin  de  sa  ruine  et  de  son  igno- 
minie !... 

«  ...  Le  premier  âge  du  genre  humain  est  ce- 
lui de  la  nature  sauvage  et  grossière.  La  famille 
est  la  seule  société  ;  la  faim,  la  soif  faciles  à  con- 
tenter, un  abri  contre  l'injure  des  saisons,  sont 
les  seuls  besoins  de  cette  période.  En  cet  état, 
V homme  jouissait  des  deux  biens  les  plus  estima- 
blés,  l'ÉGALiTÉ  ET  LA  LIBERTÉ  ;  H en  jouissait  daus 
toute  leur  plénitude  ;  il  en  aurait  joui  pour 
toujours  s'il  açait  voulu  suivre  la  route  que 
lui  indiquait  la  Nature,..  Bientôt,  se  développe 
dans  les  hommes  un  germe  malheureux  ;  et  leur 
repos,  leur  félicité  originaires  disparaissent.  A 
mesure  que  les  familles  se  multipliaient,  les 
moyens  nécessaires  à  leur  entretien  commencé- 


84  LA    FRANC-MAÇONNERIE 

rent  à  manquer  ;  la  ^ie  nomade  on  errante  cessa, 
la  propriété  naquit.  Les  hommes  se  choisirent 
une  demeure  fixe...  Le  langage  se  développa.  En 
vivant  ensemble,  les  hommes  commencèrent  à 
mesurer  leurs  forces  les  uns  contre  les  autres,  à 
distinguer  les  faibles  et  les  forts.  Ici,  sans  doute, 
ils  virent  comment  ils  pourraient  s'entr'aider  ; 
comment  la  prudence  et  la  force  d'un  individu 
pourraient  gouverner  diverses  familles  rassem- 
blées, et  pourvoir  h  la  sûreté  de  leurs  champs 
contre  l'invasion  de  l'ennemi  ;  /nais  ici  la  liberté 
fut  ruinée  dans  sa  base,  et  /'égalité  disparut... 

«...  C'est  pour  cela  que  les  sauvages  sont  au 
suprême  degré  les  plus  éclairés  des  hommes^  et 
peut-être  aussi  les  seuls  libres...  Nous  avons  eu 
la  liberté,  et  nous  l'avons  perdue  pour  la  retrouver 
et  pour  ne  plus  la  perdre,  pour  apprendre  de  sa 
privation  même  l'art  de  mieux  en  jouir... 

«...  Laissez  les  hommes  aux  vues  bornées  rai- 
sonner et  conclure  à  leur  manière  ;  ils  concluront 
encore;  la  nature  agira.  Inexorable  à  toutes  leurs 
prétentions  intéressées,  elle  s'avance,  et  rien  ne 
peut  suspendre  son  cours  majestueux... 

«...  Celui  qui  veut  rendre  les  hommes  libres, 
celui-là  leur  apprend  à  se  passer  des  choses  dont 
l'acquisition  n'est  pas  en  leur  pouvoir...  Il  les 
éclaire,  il  leur  donne  de  V audace...  Si  vous  ne 
pouvez  pas  donner  à  la  fois  ce  degré  de  lumière 
à  tous  les  hommes,  commencez  au  moins  par 
vous  éclairer  vous-mêmes,  par  vous  rendre  meil- 
leurs. Servez,  aidez-vous,  appuyez-vous  mutuel- 
lement, augmentez  votre  nombre,  rendez-vous 
au  moins  vous-mêmes  indépendants...  Etes-i>ous 
devenus  nombreux  à  un  certainpoint?  Vous  êtes- 
vous  fortifiés  par  votre  union?  Nliésitez  plus; 
commencez  à  vous    rendre   puissants  et  formi- 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  85 

DABLES  AUX  MÉCHANTS  !  Par  celaseulquc  woks  êtes 
assez  nombrei/a:  pour  parler  de  force,  et  que  cous 
en  parlez^  par  cela  seul,  les  méchants,  les  pro- 
fanes COMMENCENT  A    TREMBLER.  Pour  nC  paS  SUC~ 

comber  au  nombre  plusieurs  deviennent  bons 
d'eux-mêmes,  et  se  rangent  sous  vos  drapeaux. 
Bientôt  vous  êtes  assez  forts  pour  lier  les  mains 
aux  autres,  pour  les  subjuguer,  et  étouffer  la 
MÉCHANCETÉ  DANS  SON  GERME  !...  Commcnce  d'abord 
par  toi-même;  tourne-toi  ensuite  vers  ton  voisin; 
vous  deux  éclairez-en  un  troisième,  un  quatrième, 
et  que  ceux-ci  étendent,  multiplient  de  même  les 
enfants  de  la  lumière,  jusqu'à  ce  cjue  le  nombre 
et  la  force  nous  donnent  la  puissance!...  «  [Code 
Illuminé,  5^,  6^  et  7*^  parties.  Cité  et  traduit 
par  Barruel,  t.  III,  chap.  iv,  v,  vi,  vu,  viii, 
,x.) 

c(  Aussi,  la  vraie  morale  n'est-elle  autre  chose 
que  l'art  d'apprendre  aux  hommes  à  devenir 
majeurs,  à  secouer  le  joug  de  la  tutelle,  à  se 
mettre  dans  l'âge  de  leur  virilité,  à  se  passer 
de  Princes  ou  de  Gouverneurs..,  w  (Discours  de 
l'Hiérophante  à  l'Initié  sur  les  Petits  Mystères 
de  rilluminisme.  Barruel,  t.  III.) 

«  Ces  sociétés  mystérieuses,  quand  même 
elles  n'arriveraient  pas  à  notre  but,  nous  prépa- 
rent les  voies...  Elles  rendent  les  hommes  plus 
indifïerents  sur  l'intérêt  des  Gouvernements  ;  elles 
enlèvent  à  l'Eglise  et  à  l'Etat  ses  meilleures 
têtes  et  les  plus  laborieuses...  Par  cela  seul,  elles 
minent,  sapent  les  fondements  des  Etats,  quand 
même  elles  rien  auraient  pas  le  projet...  y)  (Dis- 
cours de  l'Hiérophante.  Barruel.) 


S6  LA    IRA^G-MAÇONISERIE 

((  ...  On  croirait  que  ce  grade  (celui  d'Epopte 
Illuminé)  est  le  plus  grand,  le  plus  sublime  ; 
j'en  ai  cependant  encore  trois  infiniment  plus 
importants^  que  je  réserve  pour  nos  grands 
mystères.  Mais  je  les  garde  chez  moi... 

«...  Au-dessus  du  grade  de  Régent,  j'en  ai 
composé  quatre  autres^  et  même  auprès  du 
moindre  de  ces  quatre  notre  grade  de  prêtres 
ne  sera  quunjeu  d'enfant...  ))  [Ecrits  originaux, 
t.  II,  lettres  15,  16  et  24,  à  Caton.  Barruel.) 

«...  Il  faut  que  notre  machine  soit  si  parfaite 
dans  sa  simplicité,  qu'un  enfant  même  puisse  la 
diriger...  »  (Lettres  à  Caton,  mars  et  février 
1781.  Barruel.) 

«...  Dans  ce  monde  de  la  littérature,  certains 
genres  dominent  dans  leur  temps,  suivant  la 
mode,  et  font  l'admiration  des  tètes  faibles. 
Tantôt  ce  sont  les  productions  de  l'enthousiasme 
religieux,  tantôt  c'est  l'esprit  sentimental, 
d'autres  fois  l'esprit  philosophique  ;  d'autres  fois 
encore,  ce  sont  des  pastorales,  des  romans  de 
chevalerie,  des  poèmes,  des  odes  qui  inondent 
le  public.  Il  faut  travailler  à  mettre  aussi  à  la 
mode  ces  principes  de  notre  Ordre,  qui  tendent 
au  bonheur  du  genre  humain... 

«...  Il  faut  gagner  à  nos  principes  la  faveur 
de  la  mode,  afin  que  les  jeunes  écrivains  les  ré- 
pandent  dans  le  peuple  et  nous  sers^ent  sans  le 
couloir.. . 

«...  Il  faut  aussi,  pour  échauffer  les  têtes,  j^re- 
cher  avec  la  plus  grande  chaleur  l'intérêt  génc- 
rai  de  U Humanité... 

«  ...  Vous  AUREZ  SOIN  QUE  LES  ÉCRITS  DE  NOS 
ADEPTES  SOIENT  EXALTES  DANS    LE  PUBLIC   ;     VOUS    FE^ 


ET  LA  RÉVOLUTION  fRAÎs'ÇAISE       87 

REZ  EMBOUCHER  LA  TROMPETTE  EN  LEUR  FAVEUR, 
ET  VOUS  PRENDREZ  CARDE  QUE  LES  JOURNALISTES  NE 

RENDENT  PAS  NOS  ÉCRIVAINS  SUSPECTS...  ;)  [Instruc- 
tion pou?'  le  grade  d'Epopte  Illuminé,  Barruel, 
t.  III. ^ 

«...  Lorsqu'un  écrivain  annonce  des  princi- 
pes qui  sont  vrais,  mais  qui  n'entrent  pas  en- 
core dans  notre  plan  d'éducation  pour  le  monde 
ou  bien  des  principes  dont  la  publication  est 
prématurée,  il  faut  chercher  à  gagner  cet  au- 
teur. Si  nous  ne  pouvons  pas  le  gagner  et  EN 
FAIRE    UN  ADEPTE,   IL  FAUT    LE   DÉCRIER... 

«...  Si  un  Régent  croyait  venir  h  bout  de  faire 

SUPPRIMER  les  maisons  RELIGIEUSES,  ET  APPLIQUER 
LEURS  BIENS  A  NOTRE  OBJET,  PAR  EXEMPLE  A  l'eN- 
TRETIEN  DE  MAITRES  d'ÉCOLE  CONVENABLES  POUR 
LES  CAMPAGNES,  CES  SORTES  DE  PROJETS  SERAIENT 
SPÉCIALEMENT   BIENVENUS  DES  SUPÉRIEURS... 

«...  Quand,  parmi  nos  adeptes,  il  se  trouve 
un  homme  de  mérite,  mais  peu  connu,  et  même 
entièrement  ignoré  du  public,  n'épargnons  rien 
pour  l'élever,  pour  lui  donner  de  la  célébrité... 
Que  nos  frères  inconnus  soient  avertis  d'enfler 
partout  en  sa  faveur  les  trompettes  de  la  Renom- 
mée... »  [Instructions  du  Régent,  ou  Prince  Illu- 
miné. Cité  par  Barruel,   t.    III,    chap.  xv.  ) 

«...  Celui-là  sera  infâme,  qui  aura  ç>iolé  le 
serment  fait  sur  Ihonneur  de  ma  société.  De 
quelque  rang  quil  soit,  il  sera  proclamé  infâme 
dans  tout  l'ordre  ;  il  le  sera  sans  rémission  et 
sans  espoir!  Je  ceux  qu'ils  en   soient  prévenus; 

qu'ils  pèsent  MUREMENT  COMBIEN  IL  EST    TERRIBLE, 

ce  serment  fait  sur  mon  Ordre;  je  veux  (juon 
leur  en  présente   clairement    et  viçement  toutes 


88  LA    FRANC-MAÇONNERIE  • 

les  suites,..    »  [Ecrits  originaux^  t.  II,    lettre  8, 
à  Caton.) 

Extraits  de  :  les  Sociétés  secrètes  et  la  So- 
ciété, par  le  P.  Deschamps  (t.  I,  p.  546  et  suiv.)  : 

«...  Les  convents  généraux  de  la  Maçonnerie, 
convoqués  à  Paris  par  le  comité  directeur  des 
Philalèthes,  supérieurs  réguliers  des  Très-Véné- 
rables loges  des  Amis  Réunis  à  l'Orient  de  Pa- 
ris, s'y  étaient  réunis.  Leurs  comités  secrets  y 
avaient  traité  et  des  articles  spécifiés  dans  la 
circulaire  de  convocation,  et  de  ceux  qu'elle  in- 
diquait sous  le  nom  de  travaux  plus  importants, 
que  la  prudence  défendait  de  confier  au  papier 
et  moins  encore  à  T impression.  Un  club  ou 
loge  de  propagande,  se  forma  pour  l'exécution. 
Nous  avons  vu,  dans  le  chapitre  précédent,  com- 
ment en  parle  Bertrand  de  Molleville,  dans  son 
histoire  de  la  Révolution,  et  comment  son  co- 
mité y  arrêta  la  Terreur  comme  moyen  d'attein- 
dre le  but.  Son  objet  et  la  liste  de  ses  principaux 
membres  sont  indiqués  dans  des  papiers  trou- 
vés chez  le  cardinal  de  Bernis. 

«  Liste  des  honorables  membres  qui  composent 
le  club  de  la  propagande,  lequel  s'assemble  rue 
de  Richelieu,  26,  à  Paris  : 

«  Ce  club  a  pour  but,  comme  chacun  sait,  non 
seulement  de  consolider  la  Révolution  en  France, 
mais  de  l'introduire  chezMous  les  autres  peuples 
de  l'Europe  et  de  culbuter  tous  les  gouvernements 
actuellement  établis.  Les  statuts  ont  été  imprimés 
séparément.  Le  23  mars  1199,  il  y  avait  en  caisse 
1  500  000  francs  dont  M.  le  Duc  d'Orléans  avait 
fourni  kOO  000;  le  surplus  avait  été  donné  par  les 
honorables  membres  à  leur  réception.  Ces  fonds 
sont  destinés  à  payer  les   voyages    des   mission- 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  89 

naires  qu'on  nomme  apôtj^es,  et  les  brochures 
incendiaires  que  Von  compose  pour  parvenir  à  un 
but  aussi  salutaire.  Toutes  les  affaires  tant  inter- 
nes qu  étrangères,  sont  préparées  et  proposées 
au  club  par  un  comité  de  quinze  personnes  présidé 
par  M.  Tabbé  Sieyès.  )) 

«  Voici  les  principaux  noms  de  cette  liste  :  l'abbé 
Sieyès,  l'abbé  Pérochet,  le  duc  de  Biron,  l'abbé 
d'Espagnac,  d'Espagnac,  conseiller  au  Parle- 
ment ;  le  comte  de  Praslin,  le  comte  de  Castel- 
lane,  le  prince  deBroglie,  le  vicomte  deRocham- 
beau  fils,  le  duc  d'Aumont,  Lacretelle,  avocat  ; 
Garât  l'aîné,  Garât  le  cadet,  le  marquis  de  Con- 
dorcet,  Claviérès,  Genevois,  Du  Roveray,  id.,  le 
comte  de  Mirabeau,  Barnave,  Chapelier,  Duport, 
Targes,Pétionde  Villeneuve,  Charles  de  Lameth, 
Alexandre  de  Lameth,  Théodore  de  Lameth,  le 
comte  de  Tessé,  le  marquis  de  Latour-Maubourg, 
l'abbé  de  Pampelonne,  Boissy  d'Anglas  d'Anno- 
nay,  Freteau,  Poullain  de  Bellancourt,  baron  de 
Giliey  à  Valence,  le  comte  de  Crillon,  d'André, 
de  Toulongeon,  le  vicomte  de  Beauharnais,  le 
vicomte  des  Androuins,  le  marquis  de  Blaçon, 
Derambure,  Lancosne,  Salomon  de  Montélimar, 
Garnon  fils,  du  Vivarais,  Lord  Stanhope,  de 
Fontenay,  gendre  de  M.  de  Cabarrus  ;  Maptel  et 
Dinocham,  journalistes,  Hérault,  avocat  général 
du  Parlement. 

«  Après  ces  noms,  il  y  a  un  long  intervalle  en 
blanc,  —  ces  noms  étaient-ils  ceux  des  membres 
des  comités  ordinaires  ?  —  puis,  à  la  tête  d'une 
autre  page,  la  liste  continue  :  le  duc  de  la  Roche- 
foucauld, Dupont  de  Nemours,  Robespierre,  le 
vicomte  de  Noailles,  Fournier  l'Américain,  Pigre 
de  Montalinge,  Boyle,  irlandais  ;  Okard,  id.; 
O'  Konnor,  id.  ;  de  Saint-Séveranda,  espagnol  ;  le 


90  LA    FRANC-MAÇONKERIE 

vicomte  de  Narbonne,  le  docteur  Price,  Benar- 
vidès,  espagnol  ;  d'Aguilar,  le  marquis  de  Sali- 
lieu,  Fontana,  de  Langeron  fils,  le  vicomte  de 
Damas,  Guillaume,  avocat  ;  l'abbé  Grégoire,  le 
duc  de  Liancourt,  le  comte  de  Montmorin,  mi- 
nistre des  affaires  étrangères  ;  Williams  Howard, 
le  baron  d'Oyoso,  Barrère  de  Vieuzac,  Verne, 
ministre  genevois;  Germain  et  Julien,  trésoriers 
du  club,  l'abbé  de  la  Roche,  Cabanis,  médecin 
à  Paris  ;  Garau-Coulon,  Laborde  père,  Laborde 
de  Méreville,  Grétry,  musicien;  Dugazon,  comé- 
dien; le  marquis  de  Montalembert,  Garneri,  im- 
primeur du  club  ;  Volland(ou  VouUand),  libraire 
pour  les  envois  ;  le  comte  de  Kersaint,  Chate- 
nai-Lanti,  Volney,  le  curé  de  Souppe,  Dillon, 
curé  du  vieux  Poussange  ;  Pascal,  prieur  de  Co- 
lombiers ;  comte  de  Croix,  le  marquis  de  la  Coste, 
Cham fort  (secrétaire  de  Talleyrand,  rédacteur  du 
Mercu/'e)  ;  Bureau  de  Puzi,  baron  d'Allarde,Thou- 
ret,  avocat  ;  comte  de  la  Marck,  Anson,  l'abbé  de 
Saint-Nom,  Violti,  musicien  ;  Gorsas,  ValdecDe- 
lessart,  Nompère  deChampagny,  Rabaudh  Uzès, 
Beaumarchais,  Chambon  fils  h  Montpellier,  Mor- 
veaux  à  Dijon,  Ernout  à  Lons-le-Saunier,  Rœ- 
derer,  Jurinne  Duluc  à  Lyon,  libraire  et  im- 
primeur chargé  de  l'envoi  de  livres  en  pays 
étrangers  ;  Delly  d'Agier  à  Romans,  Grimm, 
Lachenay  à  Montélimar,  chargé  des  envois  en 
Espagne  ;  Lachapelle,  aide  de  camp  de  M.  de 
Lafayette  ;  Gouvion,  major-général  de  la  Garde- 
Nationale  ;  Salle,  médecin;  Lecoulteux,  Lecoul- 
teux  de  la  Noraye,  Populus,  Martineau,  Goupil 
de  Préfen,  Vandermonde,  de  l'Académie;  Gen- 
ton  en  Vivarais,  l'abbé  Noël,  l'abbé  Fauchet,  le 
comte  d'Aubusson,  le  comtede  Choiseul-Gouffier, 
Nérac  à   Bordeaux,  chargé   des  Colonies  et  du 


ET    LA    RÉVOLUTION    FRANÇAISE  91 

Mexique,  Regnanld  de  Saint-Jean-d'Angely... 
«  Tous  ces  noms,  la  plupart  du  moins,  figu- 
raient déjà  dans  les  loges  de  Paris,  des  provinces 
et  de  l'étranger  :  et  ceux  qui  les  portaient  en 
France  marquèrent  bientôt  activement,  et  dans 
la  Révolution  française,  et  dans  les  majorités  de 
ses  assemblées...  » 


LE    10    AOUT 


Extraits  des  Mémoires  et  papiers  de  Choudieu, 
recueillis  par  Victor  Barrucaud.  Paris,  Plon- 
Nourrit,    1897  : 

((  Tout  ce  qui  fut  trouvé  dans  le  Château  fut 
passé  au  fil  de  l'épée.  Ceux  qui  étaient  réunis 
aux  faux  Suisses,  qui  occupaient  la  galerie  des 
tableaux,  se  sauvèrent  par  le  jardin  de  l'Infante 
où  Santerre  avait  oublié  de  placer  un  poste. 

(f  Le  reste  des  Suisses  ayanl  Bachmann  pour 
chef  se  retira  en  assez  bon  ordre  par  le  jardin  des 
Tuileries  et  se  dirigea  sur  l'Assemblée.  Instruit 
de  ce  mouvement,  je  rentrais  avec  Ducos  de  la 
Gironde  dans  l'Assemblée  par  la  terrasse  des 
Feuillants,  et  je  n'eus  que  le  temps  de  rassem- 
bler à  la  hâte  quelques-uns  des  grenadiers  qui 
formaient  notre  garde,  et  dont  j'avais  la  direc- 
tion comme  membre  du  comité  militaire  de  l'As- 
semblée chargé  de  la  surveillance  de  la  force 
armée.  Je  me  plaçai  sur  les  marches  de  l'escalier 
pour  en  défendre  l'entrée. 

(c  Peu  d'instants  après,  arriva  Bachmann,  l'épée 
à  la  main,  suivi  de  sa  troupe.  «  Monsieur,  lui 
((  dis-je,  vous  êtes  déjà  coupable  d'avoir  violé  l'en- 
«  ceinte  de  l'Assemblée,  mais  vous  ne  parviendrez 
«  jusqu'à  elle  qu'après  nous  avoir  passé  sur  le 
((  corps.  »  Chabot,  et  un  autre  membre  du  comité 
de  Sûreté  générale,  dont  je  ne  me  rappelle  pas 
le  nom,  placés  de  chaque  côté  de  la  rampe,  criè- 
rent à  Bachmann  en   lui  présentant  chacun  un 


LA    FRANC-MACONNERIE  93 

pistolet,  qu'il  était  mort  s'il  faisait  un  pas  de 
plus.  «  Monsieur,  me  dit  alors  Bachmann,  je 
«  sais  tout  le  respect  que  je  dois  à  l'Assemblée, 
«  mais,  comme  militaire,  j'ai  reçu  l'ordre  du  Roi 
((  de  me  rendre  près  de  sa  personne,  et  je  ne  me 
«  retirerai  que  lorsque  le  Roi  l'aura  ordonné.  « 

«  Au  même  instant,  d'Abancourt,  ministre  de  la 
guerre,  averti  par  les  généraux  WietingofF  et 
Menou,  qui  avaient  suivi  le  Roi  et  qui  s'étaient 
placés  au  milieu  de  nous,  accourut  pour  savoir 
la  cause  du  tumulte  qui  se  passait  dans  Tesca- 
lier.  Sur  l'observation  que  je  lui  fis  que  Bach- 
mann ne  voulait  se  retirer  que  sur  un  ordre  écrit 
de  la  main  du  Roi,  d'Abancourt  retourna  vers  le 
monarque,  et  revint  de  suite  avec  Tordre  écrit 
que  demandait  Bachmann...  » 

TEXTE   DE    l'ordre   ÉCRIT    DU    Roi 

Le  Roi  ordonne  aux  Suisses  de  déposer  à  V in- 
stant leurs  armes ^  et  de  se  retirer  dans  leurs 
casernes. 

Signé  :  Louis. 

C'est  le  texte  de  cet  ordre  qu^on  voit  au  Musée 
Carnavalet.  L'ordre  n'est  pas  de  la  main  du  Roi 
qui  l'a  seulement  signé. 

On  lit  dans  la  Vérité  française  du  2  avril 
1904  : 

«  Louis   XVI   ET   LES   SuiSSES,   LE    10  AOUT   1792 

«  Dans  la  Fé/iVé  du  30  mars,  M.  Paul  Tailliez, 
rendant  compte  d'une  excellente  conférence  faite 
par  M.Maurice  Talmeyr  sur  le  Rôle  de  la  Franc- 


94  L\    FRANC-MAÇONNERIE 

Maçonnerie  clans  la  Résolution  française ,  dit,  au 
cours  de  son  énumération  des  forfaits  de  la 
secte  : 

«  ...C'est,  le  10  août,  l'ordre  donné  aux  défen- 
seurs des  Tuileries  de  c<  cesser  le  feu  »  alors  que 
le  Roi,  au  témoignage  de  Choudieu,  plus  tard 
régicide,  ne  donna  point  cet  ordre  et  prescrivit, 
au  contraire,  la  résistance  à  outrance,  laquelle 
eût  sulfi  à  réduire  à  une  crise  passagère  une 
Révolution  incalculable   en  ses  conséquences... 

«Le  témoignage  du  régicide  Choudieu  ne  peut 
rien  en  face  de  l'ordre  écrit,  hélas  !  de  la  main 
du  Roi  et  dont  l'original  se  trouve  au  Musée 
Carnavalet,  sous  une  vitrine  placée  dans  la 
chambre  voisine  de  l'oratoire  de  Mme  de  Sévi- 
gné. 

«  H.  de  L.   » 

«  Je  puis  ajouter  à  cette  communication  de  no- 
tre ami,  que  le  document  en  question  a  été  cédé, 
vers  1883,  au  Musée  Carnavalet,  par  le  baron 
Pfyffer  d'Altishofen,  héritier  des  Tûrler. 

((  H. -G.  FiiOMM.  » 

On  voit  que  MM.  H.  de  L.  et  H. -G.  Fromm 
commettaient  une  erreur,  facile  à  expliquer, 
d'ailleurs. 


Imp.  J.  Dumoulin,  à  Paris.  —  451-04. 


University  of  Callfornia 

SOUTHERN  REGIONAL  LIBRARY  FACILITY 

Return  this  material  to  the  library 

from  which  it  was  borrowed. 


mnmq 

^tC'D  LD-URL 


A     000  037  732     5 


j 


LIBRAIRIE    ACADEMIQUE    PERRIN    ET    C" 

Paul    COPIN-ALBANGELLT 

La  Franc-Maçonnerie  et  la  question  religieuse.  1  brochure 
in-16 1  fr. 

Maurice   ÏALMEYR 

La  Franc-Maçonnerie  et  la  Révolution  française.  I  brochure 
in-lG 1   fr. 

P.    M.    LFaNERVIEN 
Le   Cléricalisme  maçonnique.    1   brochure  in-16 1  fr. 

Georges   GUYAU 

La  Franc-Maçonnerie  en  France,  t   brochure  in-16 0  fr,  50 

Autour  du  Catholicisme  social.  1"  série  :  Néo-catholiques,  solidaristes, 
catholiques  sociaux.  —  Le  cardinal  Mannin^f.  —  Le  comte  de  Mun.  — 
Aspects  sociaux  du  catholicisme  :  Communion  de  Saints,  Apostolat.  —  Anne 
de  Xainctonge.  —  Convergences  vers  le  Catholicisme  social.  —  Les  Saint- 
Simoniens.  —  Le  Radicalisme  italien.  —  Les  Congrès  catholiques  sociaux. 

4«  édition  revue.  1  volume  in-16 3  fr.  50 

Autour  du  Catholicisme  social.  2«  série  :  La  Démocratie  chrétienne. 

—  Le  Monastère  au  Moyen  âge.  —  Figurines  franciscaines.  —  Léon  Ollé- 
Laprune.  —  Charles  Lecour-Grandmaison.  —  Les  Congrès  catholiques 
sociaux.  —  Le  Devoir  d'aujourd'hui.  —  L'Eglise  et  les  courants  politiques 
du  Siècle.  2'^  édition.  1  volume  in-16 3  fr.  50 

Paul  NOURRISSON 

Le  Club  des  Jacobins  sous  la  troisième  république.  —  Études  sur 
la  Franc-Maçonnerie  contemporaine.  1  volume  in-16 3  fr.  50 

Les  Jacobins  au  Pouvoir.  —  Nouvelles  études  sur  la  Franc-Maçonnerie 
contemporaine.   1   volume  in-16 3  fr.  50 

Ferdinand  BRUNETIÈRE,  de  l'Académie  française. 

Discours  de  combat.  —  Première  série.  —  La  renaissance  de  l'idéalisme. 

—  L'art  et  la  morale.  —  L'idée  de  patrie.  —  Les  ennemis  de  l'âme 
française.  —  La  nation  et  l'armée.  —  Le  génie  latin.  —  Le  besoin  de 
croire.  10"^  édition.  1  volume  in-16 3  fr.  50 

Discours  de  combat.  —  Nouvelle  série.  —  Les  raisons  actuelles  de 
croire.  —  L'idée  de  solidarité.  —  L'action  catholique.  —  L'œuvre  de  Calvin. 

—  Les  motifs  d'espérer.  —  L'œuvre  critique  de  Taine.  —  Le  progrès 
religieux.  8*^  édition.  1  volume  in-16 3  fr.  50 

Antoine  BAUMANN 

La  Religion  positive.    1    volume  in-16 3  fr.  50 

Le  Programme  politique  du  Positivisme.  1  brochure  in-lC. . .       1  fr. 

Charles  BENOIST 

Sophismes  politiques  de  ce  temps.  —  Étude  sur  les  principes,  les 
formes  et  les  procédés  de  gouvernement.  1  volume  in-16 3  fr.  50 

EMILE  P1ERRET 
Le    lielèvernent    imtional.    La    Patrie    en    danger;  —    I.   Finances.   — 
II.  Commerce,  Marine   marchande  et  Colonies.  —  III.  Affaires  étrangères. 

—  IV.  Marine.  —  V.  Armée.  —  VI.  Instruction  publique.  —  VII.  L'Intérieur. 
— ■  VHI.  Le  Conseil  municipal  de  Paris.  —  IX.  La  Chambre  des  Députés. 
L'Affaire  Dreyfus.  \  volume  in-16,  avec  une  préface  de  François 
Coppée .S  fr.  50 

Le  Relèvement  national.  L'Esprit  moderne.  1  volume  in-16 "^  ^^    -" 

Univers: 


Taris.  —  liii|i.  K.  f, \rioMONr  et  ('.«>,  rue  de  Seine,  57. 


Soutl 
Llbr