Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automatcd qucrying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send aulomated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project andhelping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep il légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search mcans it can bc used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite seveie.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while hclping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at |http : //books . google . com/|
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public cl de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //books .google. com|
» -^ ■%-
» i "te -. ■, '~j
'^i,
%.
^
• **^--!«
•^,
V
M:
'■ -'il ■
:3^
■' • ^ V
>^
!..
• ^ ■ V, f.
1
t-r I
HENKI LORIN
Professeur <le Géographie Coloniale à l'Université de Bordeaux
L'Afrique
à rentrée du vingtième siècle
Le pays et les indigènes
La pénétration européenne
Lettre-Préface de M. Pierre FONCIN,
INSPBCTROR nÉNKRAL DK L'UNIVERSITK
AVEC CARTE
PARIS
Augustin CHALLAMEL, Éditeur
Rue Jacob, 17
Librairie Maritime et Coloniale
4901
n
L'Afrique
à l'entrée du XX"^ siècle
VI PREFACE
obsède depuis des siècles. L'image sainte du roi
Louis flotte encore aux bouches du Nil et sur les
ruines de Carthage. Béthencourt et nos Normands,
avant les Espagnols, firent souche aux Canaries.
Nos Dieppois, avant les Portugais, fondèrent des
comptoirs en Guinée. Et si les Barbaresques, chassés
des montagnes maures de Provence, continuèrent
à dévaster nos rivages méditerranéens, à y répandre
la terreur et à y recruter la chiourme de leurs
galères jusqu'en plein xviii^ siècle, ils ne purent
retenir dans leur bagne de Tunis notre Saint Vin-
cent de Paul et ils eurent l'honneur d'être bom-
bardés par Duquesne, en attendant que, par un
coup décisif, notre armée de 1830 vînt planter
notre drapeau sur la kasba d'Alger. Maïs déjà, à
l'autre bout de Ténorme presqu'île, Richelieu avait
pris possession de Madagascar ; nos huguenots,
chassés par la révocation de l'édit de Nantes, avaient
apporté aux colons hollandais du Cap ce levain de
générosité et de bravoure indomptables qui fer-
mente aujourd'hui dans l'âme héroïque du petit
peuple Boer; et déjà aussi Bonaparte avait conquis
la terre des Pyramides. N'est-il pas vrai que l'Afri-
que, mystérieux aimant, a toujours attiré le génie
de la France?
Rappelez-vous seulement la touchante histoire
de ce jeune Français presque d'hier que connaissent
bien tous les jeunes Français d'aujourd'hui. Au fond
PREFACE VII
d'une vieille, pacifique et molle province, le Poitou,
presque au bord des plaines noyées de TAunis, à
Mauzé s'élève une simple statue qui porte deux
dates : 1799-1838. Ce double millésime enferme
toute la vie de René Gaillié, du premier Européen
qui ait parcouru la Guinée et le Fouta-Djalon, ex-
ploré le haut Niger, visité Tombouctou, traversé de
part en part le Sahara et rejoint ainsi le Maroc. Ce
n'était pourtant qu'un pauvre hère et qu'un igno-
rant que ce René Gaillié. Mais son entreprise révèle
ce que nous appelons aujourd'hui un état d'âme.
Elle marque le mouvement traditionnel et profond
qui entraîne la France vers l'Afrique.
J'ai commencé d'enseigner la géographie à des
écoliers lorsque la carte de l'Afrique intérieure n'é-
tait encore qu'une tache de blanc, et que déjà cette
tache était entamée au sud et à l'est par des explo-
rateurs étrangers. Je n'étais guère plus âgé alors
que mes grands élèves, candidats à Saint-Gyr; nous
allions en été, de bon matin, avant la classe, ap-
prendre l'équitation avec les militaires au champ
de manœuvre et l'on nous permettait de temps à
autre de grandes chevauchées sur les routes pou-
dreuses. Ge qui nous passionnait par dessus tout
c'était le cheval, l'enivrement de l'espace et du mou-
vement; ensuite, c'étaient les nouvelles qui arri-
vaient d'Afrique. Nous professions pour Livingstone
en particulier une religieuse admiration. Mais nous
PREFACE
Ensuite, sur les glaces et les neiges du nord, il
avait bravé les morsures de Thiver, tenu en respect
les armées germaniques en avant de Lille. Il était
revenu de cette guerre sibérienne paralysé des jam-
bes; il ne conservait que le mouvement des bras
et, assis dans un chariot articulé qui lui servait de
table de travail, il allait et venait dans son vaste
cabinet du Palais de la Légion d'honneur. Il se don-
nait ainsi l'illusion du mouvement et sa grande
intelligence était toujours en éveil. Il revoyait par
la pensée son cher Sénégal, sa colonie de prédilec-
tion, son œuvre. Or, cette œuvre, il la savait incom-
plète et devinant l'avenir, penché sur une carte,
il s'obstinait à montrer du doigt le tracé du chemin
de fer qui devait relier le haut-fleuve au Niger. En
quoi il était un précurseur. Ce chemin de fer qu'il
voulait, il est aujourd'hui presque achevé. D'autres
sont en construction ou en projet. L'Afrique est
ainsi faite, avec son rebord montagneux et ses cours
d'eau à cataractes, qu'elle ne peut être définitive-
ment conquise que par les chemins de fer, ces pre-
miers et nécessaires instruments de toute coloni-
sation.
Conquise! Entendons-nous. Il n'y a de conquête
durable que celle des intelligences et des cœurs, et
c'est seulement par la communauté de langue qu'on
peut commencer à se faire entendre d'autrui. Oh!
je sais bien que cela fait sourire, de prétendre ensei-
i'RÉFACf Xï
giier le françslis à de pauvres ndir^. Souriez, mes-
sieurs, à votre aise. Nos voisins d'Angleterre, eux,
se gardent de dépenser leur ironie mal à propos;
ce sont des calculateurs positifs : aussi, partout où
ils sont les maîtres, imposent-ils aux indigènes leurs
missionnaires, leurs, écoles et leur parler britan-
nique, et ils ne se sont pas trouvés jusqu'ici trop
mal de cette métKode. Ils vont plus loin, par habi-
tude d'empiétement; jusque dans nos propres colo-
nies de Guinée, par exemple, ils nous inondent de
trafiquants noirs éduqués à l'anglaise et parlant an-
glais. Messieurs, souriez-vous encore? Le général
Faidherbe, sur ce chapitre, n'entendait pas raillerie
et sur sa prière instante, ce fut un arrêté du gou-
verneur du Sénégal qui, dès 1884, institua à Saint-
Louis un comité officiel de T Alliance française (1).
A quand l'Université de Tombouctou?
Tout ceci, cher monsieur Lorin, était pour vous
démontrer (vous le pressentiez) que votre beau livre
arrive fort à point. J'ajouterai qu'il vous fait grand
honneur. Vous avez ouvert une enquête appro-
(1) N'entamons pas ici cette question de TAlliance fran-
çaise, à propos de l'Afrique ; car j'en dirais trop peu ou
j'aurais trop à en dire. Mieux vaut tout simplement ren-
voyer le lecteur au récent volume « La Langue française
dans le monde » qu'a publié notre association à l'occa-
sion de l'Exposition universelle de 4900. S'adresser à
Paris, 45, rue de Grenelle.
r.
k
XÏï PRÉFACE
fondie ; vous avez voulu nous montrer où en est
l'Afrique actuelle, ce qu'on en connaît, ce qu'il reste
à en mieux savoir ou à y découvrir encore et com-
ment s'y distribuent les forces, les tendances des
puissances rivales. Vous avez réussi. Vous avez
assis cette large étude de géographie économique et
politique sur la base solide de la géographie phy-
sique. Vous êtes de la bonne école. Nous le savions
tous et vous voyez bien que ma préface était su-
perflue. C'est ce que je pensais en commençant à
l'écrire.
Pierre Foncin.
INTRODUCTION
GENERALITES. — DIVISION DE L'AFRIQUE EN
GRANDES RÉGIONS GÉOGRAPHIQUES
Ce livre n*est pas une géographie de l'Afrique ; c'est
une étude; fondée sur la géographie, des problèmes
que pose l'appropriation progressive de l'Afrique noire
par les puissances européennes ; c'est, si l'on veut, un
manuel des questions africaines au début du xx® siècle.
J'en ai cherché les éléments, non seulement dans les
récits des explorateurs, dans les dissertations des géo-
graphes, dans mes notes de voyages, mais aussi dans
toutes les publications, livres, articles, correspondances
où j'ai pu saisir quelques traits de ce tableau vivant dont
les détails se précisent chaque jour sous nos yeux. Je
ne me dissimule pas que ce travail doit présenter des
lacunes; je n'ai pas la prétention, malgré tout le soin
que j'y ai apporté, de n'avoir pas ignoré quelques do-
cuments ; j'espère cependant qu'ils sont en petit nombre
et je remercie d'avance ceux de mes lecteurs qui vou-
draient bien m'adresser des corrections ou des addi-
tions. Mon sujet, par sa mobilité même, commanderait
d'incessantes retouches.
L'Afrique. 1
2 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
J'ai renoncé à chargcer le bas des pages (rindications
bibliographiques ; une bibliographie générale à la fin
du volume eût été trop longue ou incomplète ; je tiens
mes références à la disposition de ceux qui désireraient
les connaître. J'ai transcrit peu de citations, peu de
statistiques, m'ayant paru meilleur d'en tirer les con-
clusions que de les reproduire. J'ai simplifié de mon
mieux l'orthographe des noms propres ; j'écris résolu-
ment un Touareg, des Touaregs. Les puristes écrivent
des Touareg, sans s, mais n'osent cependant pas dire
un Targui, ce qui serait la vraie forme du singulier ;
laissons donc aux grammairiens ces chinoiseries . — Le
croquis sommaire qui accompagne le texte et qui est
destiné à en faciliter la lecture ne saurait dispenser de
l'usage de cartes plus savantes.
On le voit, c'est un ouvrage pratique que j'ai tenté
d'établir; mon but serait atteint si je pouvais rendre
quelques services à tous ceux, nombreux aujourd'hui,
qui veulent se faire une idée des choses d'Afrique, mais
n'ont pas le temps de remonter aux sources; à ceux
aussi qui désirent, dans un cadre tracé d'avance, trou-
ver des points d'appui pour inscrire des études plus
particulières. Et j'ai déjà la confiance d'avoir fait œuvre
utile, puisque mon livre a l'honneur d'une préface de
M. Pierre Foncin, l'un des coloniaux français de la
première heure. Nul patronage ne pouvait m'étre à la
fois une meilleure recommandation et un plus précieux
encouragement. Que M. Pierre Foncin me permette
de lui en témoigner ici ma plus affectueuse gratitude.
INTRODUCTION 3
I
Pour les Européens de la fin du xix^ siècle, c'est
TAfrique qui mérite le mieux le nom de nouveau con-
tinent; à peine, il y a trente ans environ, le pays était-il
reconnu dans le voisinag-e des côtes ; la pénétration
progressive dans Tintérieur nous a révélé l'existence
de populations indig-ènes ignorant TEuropéen, con-
damnées, par la g'éographie même, à des communica-
tions médiocres avec les côtes, par où arrivent les nou-
veautés, et certainement destinées, si l'Europe ne leur
apportait du dehors le ferment d'une évolution nouvelle,
à végéter aux plus bas degrés des types dé l'humanité.
Aujourd'hui, les puissances coloniales se disputent
l'Afrique ; la possession diplomatique d'immenses ter-
ritoires en a précédé la possession effective, on pourrait
presque dire l'exploration ; la conquête s'achève seu-
lement sous nos yeux, et beaucoup d'années ne sont
pas écoulées, depuis que nous pouvons nous faire, des
conditions générales de la géographie africaine, une
idée conforme à la nature des choses. Il a semblé qu'il
ne serait pas sans intérêt de marquer quels sont, au
seuil du xx^ siècle, les débuts de la transformation
qui s'annonce prochaine dans l'Afrique nègre. Gom-
ment est constitué ce pays ? Quelles en sont les popula-
tions indigènes? Gomment l'Europe a-t-elle déjà tenté
et doit-elle continuer de diriger leur progrès, telles
sont les questions que le présent ouvrage voudrait
contribuer à résoudre.
L AFRIQUE A L ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
W
Telle que nous la voyons aujourd'hui, TAfriquc ne
possède de sociétés européennes constituées qu'en son
extrémité méridionale et sur les bords de la Méditer-
ranée. Les g'roupcs du Cap sont les plus anciens; là, le
climat est assez tempéré pour que Timmig-ré d'Europe
puisse, non seulement séjourner sans esprit de retour,
mais encore se livrer au travail de la terre. Des Hollan-
dais, puis des protestants français ont abordé dans
l'Afrique australe dès le xvii® siècle ; un élément nou-
veau a été importé, depuis le commencement duxix* siè-
cle, par la conquête anglaise ; 1» race unifiée des pre-
miers occupants, adaptée au sol par une hérédité déjà
longue, fortifiée encore dans son individualité par les
persécutions anglaises, est celle de ces Boers dont la
résistance et les grandes qualités commandent l'admi-
ration du monde. Ils sont si complètement acclimatés
qu'ils peuvent impunément, en de longs treks qui
durent des mois et des mois, pousser des colonies vi-
vaces jusqu'à la lisière de la zone tropicale. Et, de leurs
luttes récentes, l'idée serait venue à quelques-uns qu'ils
seraient, au besoin, dans l'Afrique noire encore intacte,
les organes les meilleurs de la pénétration européenne.
L'occupation française de l'Algérie-Tunisie a, elle
aussi, provoqué rétablissement en Afrique de nombreux
Européens, d'origines très diverses, Français, Espa-
gnols, Italiens, Maltais, Grecs, etc.. Certains esprits
s'affligent et s'inquiètent que les Français n'aient pas,
dans ce total, une supériorité numérique décisive. Il
est clair que la jeune société algérienne n'est pas pure-
ment française, comme celle de la métropole, mais
INTRODUCTION 5
rêver d'une identité rig-oureuse serait le fait de cette
funeste manie d'assimilation dont il faudrait une bonne
fois nous vacciner. La race européenne de l'Afrique du
Nord, la race yankee d'Afrique, si l'on veut, est mode-
lée d'après les conditions ambiantes ; il n'est pas diffi-
cile d'assurer le bénéfice de sa croissance à la dififusion
de l'action française hors d'Europe ; elle est, comme
les Boers, armée pour la pénétration du continent noir,
dès que la traversée facile de la « mer saharienne »
permettra sa libre expansion vers le sud.
A l'ang-le nord-oriental de l'Afrique, l'Eg-ypte a tou-
jours été liée à l'Europe : les vents étésiens la rappro-
chaient de la Grèce, et c'est à Alexandrie que les arts
et la philosophie des Grecs brillèrent de leur dernier
éclat. La conversion de l'Egypte à l'Islam, dès la mort
du Prophète, la détourna quelque temps de l'Europe,
mais bientôt, devenue l'entrepôt intermédiaire entre les
Indes Orientales et les marchés d'Occident, elle inté-
resse de nouveau les Etats commerçants de l'Europe ;
en 1672, Leibnitz proposait à Louis XIV d'attaquer en
Eg-jpte les Hollandais, « rouliers des mers », et, l'en-
nemi seul ayant chang'é, mais non la raison de chercher
à le vaincre, Bonaparte tenta de frapper l'Ang-leterre en
Eg-ypte. Les événements contemporains ont d'ailleurs
illustré cette vérité, et ceci malgré le percement
de l'isthme de Suez, que l'Egypte tient la clef de la
route maritime des Indes ; à ce titre, nous n'aurions
pas à nous en occuper dans le présent ouvrage, mais
comme elle est aussi devenue, plus récemment, l'un
des fronts d'attaque de la pénétration en Afrique,
l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
■J
bt.
elle devra, d'autre part, solliciter notre attention.
L'Abyssinie, restée chrétienne depuis de long's siè-
cles, constitue en Afrique la dernière exception d'une
société tout au moins apparentée à celle d'Europe ;
préservée par ses montagnes, elle a pu demeurer, sans
grands changements, ce qu'elle devait être au mojen
âge ; stimulée à l'envi, de nos jours, par le zèle con-
current des puissances coloniales, elle s'éveille main-
tenant à des idées et à des ambitions nouvelles ; elle
revendique — et sans doute l'a-t-elle conquis, — le
droit d'intervenir comme partie prenante dans la divi-
sion de l'Afrique. Mais elle n'en est qu'à ses premiers
eflPorts, et le rayonnement de son influence, économique
et politique, est encore très faible.
Partout ailleurs, et sauf les enclaves côtières où
vivent quelques Européens, l'Afrique est le domaine de
tribus indigènes, toutes plus ou moins noires, et dont
l'état social est très primitif, surtout pour celles que
n'a pas touchées la conquête de l'Islam. Il faut avouer
que, telle qu'elle s'est présentée à nos premiers pion,
niers, l'Afrique indigène a paru n'offrir que peu de
ressources, et même être défendue par la nature contre
les tentatives de pénétration : les côtes sont d'un accès
difficile ; le climat, chaud et humide, y rend le séjour
pénible et même dangereux pour les Européens; le sol,
envahi par une végétation puissante, forêt ou brousse,
arrête la marche vers l'intérieur et l'on doit, avant
d'en rien attendre, inventer une méthode non pas en-
core d'exploitation, mais d'études préalables. Quant
aux indigènes, la première impression ne leur est pas
INTRODUCTION
plus favorable ; ils n'ont pas de besoins qu'ils ne satis-
fassent aisément sans presque travailler : à peine vêtus,
nourris de bananes et de manioc, cultivant tout juste
le champ nécessaire à la subsistance de leur famille,
ils ne sont, pour le commerce européen, ni consomma-
teurs, ni producteurs ; je me trompe, ils sont consom-
mateurs et même grands consommateurs d'alcools,
mais les traitants qui les empoisonnent tueront eux-
mêmes leur clientèle, en même temps qu'ils empêchent
l'éducation de ces indigènes, comme auxiliaires d'une
mise en valeur scientifique de leur pays. Ajoutons que
toutes les tribus voisines des côtes ont été, depuis le
xvii^ siècle, épuisées par les commandes des marchands
négriers ; l'alcoolisme et la traite, tels ont été les pre-
miers cadeaux de l'Europe aux nègres de l'Afrique ; on
ne saurait donc être surpris de ne rencontrer à la côte
que des indigènes abâtardis par ces contacts morbides,
et depuis peu d'années seulement, à mesure que la pé-
nétration nous a révélé des races noires plus sauvages,
mais moins corrompues, l'idée s'est fait jour que l'a-
ménagement des points d'ajttaque, sur le littoral, com-
porte une transformation des indigènes, condition
préalable d'une transformation du pays.
Ces dernières explorations européennes ont montré
tous les groupes nègres troublés par une crise intense
qu'a déterminée l'invasion des Arabes ou plutôt de
rislam. Conquérants et prophètes, des chefs musul-
mans ont partout barré le passage aux Européens ;
pendant de longues années, Tippo Tib fut le maître vé-
ritable des pays du Haut-Congo ; el Hadj Omar, que
■•••A^
8 l'aprique X l'entrée du vingtième siècle
Faidherbe rencontra au Sénég'al, plus tard, Ahmadou,
son fils, puis Samory dans le Soudan occidental, ont
procédé de même que Rabah, le vaincu d*hier dans la
région du Chari et les apôtres mahdistes sur le Nil
moyen. L'Islam apporte aux nèg-res, avec une relig'ion
très simple, le principe d'une org'anisation politique ;
il s'est institué, en Afrique, fondateur d'états. Toute-
fois, ses créations portant la marque de ses orig'ines,
ces états sont restés nomades et ne se maintiennent que
par la violence : que l'on se rappelle les exodes d'Ahma-
dou, du Haut-Niger vers Say et de là vers le Tchad ;
ou encore les marches incessantes de Rabah, du Ouadaï
vers le Baghirmi et le Bornou. Si donc l'Islam inau-
gure un état social supérieur à l'anarchie des nègres,
il apparaît presque partout belliqueux et oppresseur,
et n'offre nulle part, s'il est libre de toute surveillance
européenne, les garanties d'une force vraiment civili-
satrice.
Les musulmans, initiés à une vie moins barbare que
celle des nègres, conduits naturellement par leurs mi-
grations à s'occuper de commerce, ont tracé, à travers
la plus grande partie de l'Afrique, un réseau de routes
de caravanes : ceux de l'Afrique orientale sillonnaient
le pays entre le Tanganika et Zanzibar, longtemps pro-
tégés par le sultan de cette île ; ceux de Khartoum
allaient, ainsi que le racontent Schweinfurth et Junker,
chercher l'ivoire et les esclaves du Bahr el Ghazal et
du Haut-Ouellé ; ceux du Ouadaï, des pays du Tchad,
de la Boucle du Niger, franchissant les déserts saha-
riens, commerçaient avec l'Afrique méditerranéenne.
INTRODUCTION 9
Ils assuraient ainsi des relais entre les Européens éta-
blis sur les côtes et les populations négroïdes de l'inté-
rieur ; intermédiaires obli|^és des échangées, ils en ti-
raient les bénéfices et l'arrivée des Européens leur fut
doublement dommag-eable, car ils perdaient la faculté
tout ensemble de faire travailler pour eux les indigènes
asservis et de trafiquer des produits acquis sur place à
bon compte. Voilà pourquoi l'influence musulmane
s*est partout dressée contre la pénétration européenne,
contre les Français au Sénég"al, contre les Ang-lais
dans le Soudan ég*yptien, contre les Belg'es au Congo.
Le fanatisme religieux était sans doute exaspéré par les
progrès des « infidèles », mais il trouvait son meilleur
appui dans la rancune des intérêts menacés.
La conquête, politique et commerciale, de Tlslam a
maintenant reculé devant les derniers venus, devant
ces blancs qui ont la prétention de régénérer l'Afrique
autrement que par la guerre ; le fait accompli s'impose
au fatalisme mahométan avec une force chaque jour
accrue; seul peut-être des grands chefs musulmans de
jadis, Rabah possède encore un reste de puissance ;
mais Ahmadou vit près de nos soldats, presque en
captif, Samory est exilé (1), Tippo Tib mène à Zanzibar
l'existence pacifique d'un commerçant retraité. L'Eu-
rope commence donc, sous nos yeux, à prendre un
contact direct avec les populations noires, païennes ou
islamisées, de l'Afrique intérieure ; mais le mouvement
économique qui s'ensuit est fort peu de chose encore.
(4) Il vient (juin 1900) de mourir à Libreville.
L'Afrique. i .
10
L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
A Texportation, ce sont des produits du pays, cueillis
ou ramassés plutôt que cultivés, le caoutchouc, Thuile
de palme, l'ivoire. Le Sénégal, attaqué depuis plus
long-temps, est entré dans Vàge de l'agriculture ; les
arachides ont fixé et enrichissent sa population indi-
g-ène, non moins que les importateurs européens, mais
cette culture même est bien loin d'avoir atteint tout le
développement qu'on en peut attendre, et partout
ailleurs, on n'en est qu'aux essais agricoles, très près
du littoral.
L'interdiction de la traite a porté un coup décisif au
commerce musulman dont le noir était, dans toute
l'Afrique centrale, à la fois la seule béte de somme et
la principale marchandise ; successivement, toutes les
routes de la traite ont été coupées, vers l'Inde et la
Perse, par les croisières qui surveillaient Zanzibar, vers
l'Eg-ypte, vers Tunis et Alger par la conquête euro-
péenne des côtes de la Méditerranée ; à peine conserve-
t-elle quelques débouchés, de plus en plus précaires,
sur la Tripolitaine et le Maroc : les chefs musulmans
ont perdu, avec la suprématie politique, la liberté du
commerce auquel ils se livraient le plus volontiers.
Leurs marches à travers l'Afrique n'ont pas été, toute-
fois, sans utilité, car ils ont propagé à leur suite di-
verses plantes vivrières comme le riz et certainement
étendu l'aire de l'élevage du bétail ; ils n'ont donc pas
laissé aux Européens venant derrière eux seulement
des ruines à relever, mais aussi des germes de progrès
économique, par l'usage d'un vêtement moins som-
maire, d'une nourriture plus variée, et plus encore
INTRODUCTION 4 1
peut-être par la diffusion d'une religj-ion qui proscrit
les boissons alcooliques.
Quant au commerce intérieur, entre les tribus indi-
gènes, il est très peu actif ; les relations sont à courte
distance, tant que chaque groupe vit aisément de ce que
lui fournit la terre qu'il habite ; on a pu citer sur
rOubanghi des populations de pêcheurs qui expor-
taient le poisson séché à quelques journées de marche
du fleuve, dans la forêt ; ce sont là des exceptions. Com-
ment une circulation commerciale intense serait-elle
possible, entre gens que rien ne sollicite à modifier
leur existence primitive, à travers un pays qui n'est
pas frayé et qui, d'ailleurs, manque souvent d'animaux
porteurs ; sans doute, cette restriction de la vie écono-
mique est plus absolue chez les peuples de l'Afrique
équatoriale que chez ceux du Soudan, déjà modifiés
par l'Islam ; mais, même pour ces derniers, les besoins
sont médiocres, et, de longtemps encore, les marchés
de leurs pays ne feront pas beaucoup monter la de-
mande des produits européens.
Telle est la situation d'ensemble de l'Afrique con-
temporaine ; ce n'est pas beaucoup autre chose encore
qu'une matière première, très rude, à peine dégrossie,
et semblant parfois rebuter, plutôt qu'elle ne le solli-
cite, le travail de l'étranger qui la transformera. Ce
n'est pas, nous l'avons dit, la conquête musulmane qui
peut opérer cette transfiguration ; à l'Europe, si pas-
sionnée aujourd'hui des choses d'Afrique, en reviendra
donc la tâche et plus tard le profit ; mais ce n'esta pas —
et toutes les puissances coloniales l'ont compris, — en
12
L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
semant sur les côtes quelques comptoirs de plus qu'elle
pourra diriger ce mouvement ; la nécessité d'une pé-
nétration rationnelle apparaît donc impérieuse ; pour
vivifier l'Afrique, il faut l'atteindre dans ses parties les
plus saines et les plus actives ; il faut donc l'étudier
méthodiquement dans ses ressources naturelles, dans
ses populations, dans son climat ; sans une connaissance
géog'raphique préalable, on s'exposerait à tous les ris-
ques des essais empiriques condamnés à l'avortement.
Il serait, pour le moment du moins, difficile aux
Européens de s'établir à demeure dans la plupart des
pays récemment découverts de l'Afrique ; certaines ré-
g-ions privilégiées, comme le Fouta-Djalon, l'Ada-
maoua, le Ouadaï peut-être, leur seraient plus accessi-
bles, mais les communications manquent encore pour
les atteindre aisément, et cette pénétration doit être
auparavant préparée par une action sur les indigènes,
auxiliaires indispensables de toute amélioration à l'eu-
ropéenne. Initier les indigènes à une agriculture ra-
tionnelle, c'est les mettre à même de s'enrichir sur
place, et par suite d'acquérir des facultés d'échange qui
leur font défaut aujourd'hui. Le palmier à huile, les
arbres et les lianes dont on tire le caoutchouc sont
px^sque partout exploités par les nègres sans souci de
sacrifier l'avenir au présent ; les Arabes, même des
Européens, plus cupides que prévoyants, encouragent
ces pratiques meurtrières ; d'autres font détruire par
milliers les éléphants pour trafiquer de l'ivoire, alors
que des efforts plus intelligents et moins coûteux sans
doute auraient domestiqué cet animal, qui rendra peut-
INTRODUCTION 13
■
être un jour les mômes services en Afrique que dans
rinde. Des indigènes, convenablement dressés, sauront
mieux ménager les ressources de la terre, ou encore ils
aideront à la prospection des mines, et Tétude de leurs
procédés d'exploitation, pour rudimentaires qu'ils
soient, fournira parfois le moyen de les améliorer en
fonction des conditions locales. Il est superflu d'ajouter
que la vente aux indigènes des armes à feu et des li-
queurs enivrantes sera sévèrement proscrite, si Ton
veut écarter d'eux, autant que possible, les causes de
dégénérescence et de desti*uction.
En même temps que seront élevés ces collaborateurs
africains, des voies de pénétration seront lancées du
littoral vers des points choisis de l'intérieur, soit parce
qu'ils sont, dès maintenant, connus comme des centres
de production indigène, soit parce que la nature, plus
clémente qu'en d'autres endroits de l'Afrique, y laisse-
rait vivre sans danger les Européens. L'idée qui se
présente la première est d'utiliser pour la pénétration
les fleuves, voies naturelles ; mais des explorations
même sommaires démontrent que l'Afrique n'est pas,
sous ce rapport, très bien partagée ; le Nil, qui est l'un
des premiers fleuves du monde par sa longueur, est
tantôt coupé de cataractes, tantôt encombré d'herbes
flottantes, tantôt encore amaigri, au point de n'être plus
navigable, dans la traversée du désert ; le Congo, le
Niger, le Zambèze sont, eux aussi, barrés par des ra-
pides et des voies artificielles devront relier les biefs
navigables aux ports accessibles des côtes. Tandis que
l'Amazone, pendant toute l'année, que le Saint-Lau-
14
L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
rent, pendant six à huit mois, portent la grande navi-
g'ation maritime jusqu'au coeur des deux Amériques,
aucun fleuve d'Afrique n'ofifre de pareilles conditions ;
pour les plus favorisés d'entre eux, le Nig'er-Bénoué
par exemple, des transbordements sont inévitables, le
cours n'étant pas assez rég-ulièrement profond pour les
bâtiments de mer ; et d'ailleurs la plupart, divisés en
biefs peu étendus que séparent des chutes, ne se prête-
raient pas à des transports économiques.
Puisque les fleuves sont insuffisants, il faut y sup-
pléer par des voies créées de toutes pièces, routes ou
plutôt chemins de fer ; des combinaisons ingénieuses
des chemins de fer avec les principaux biefs navigables
réduiront les dépenses ; mais toutes les puissances co-
loniales sont aujourd'hui d'accord sur ce point que les
chemins de fer sont une des pièces essentielles de l'ou-
tillage des jeunes colonies'; on a pu, jadis, reculer de-
vant l'importance des fonds à engager ; personne ne
nie plus que ce sont là des frais de premier établisse-
ment et que particulièrement en Afrique, des colonies
bloquées à la côte sont condamnées à végéter, ne susci-
tant à la puissance souveraine que des occasions de
conflits avec les indigènes de l'intérieur ; tel fut le sort
des colonies portugaises du Zambèze, jusqu'au jour
où, s'appuyant sur des voies d'évacuation déjà fort
avancées, l'Angleterre les atteignit par le sud et s'en
empara.
Les nations européennes se sont, à l'envi, précipitées
sur l'Afrique ; chacune a pris sa part de côtes, se réser-
vant ensuite de déterminer par une série de reconnais-
INTRODUCTION 15
sances hâtives, puis par des traités, sa part d'arrière
pays ; toutes également comprennent la nécessité de
jeter, au plus tôt, des chemins de fer vers l'intérieur ;
le morcellement des côtes, déterminé par ce rush, mul-
tipliera sans doute à Texcès les voies de pénétration,
chaque colonie voulant avoir la sienne et devancer ses
voisines ; déjà le chemin de fer anglais de TOuganda
rend inutile un tracé allemand de la côte au lac Vic-
toria ; les Belges, avec la voie ferrée du Bas-Congo, ne
laisseraient qu'un rôle de doublure au chemin de fer
jadis projeté du Congo français, de Loango à Brazza-
ville ; il semble, au contraire, que, dans l'Afrique occi-
dentale, nous puissions, par la voie Konakry-Niger,
enlever les meilleurs éléments de trafic au chemin de
fer de Sierra-Leone. Mais, le fait seul que certains tra-
vaux seront peut-être entrepris en double montre quel
est, pour la mise en valeur de l'Afrique par l'Europe, la
nécessité de ces voies de pénétration. Un exposé général
de la géographie africaine doit, avant l'étude plus dé-
taillée des régions diverses, déterminer les conditions
d'ensemble que la nature impose à cette prise de pos-
session du continent noir.
II
Par sa position sur le globe, l'Afrique n'est isolée
qu'au sud; 2,500 kilomètres seulement séparent les îles
du Cap- Vert du Brésil et les vents alizés qui pous-
sèrent vers l'Amérique les caravelles de Colomb dimi-
nuent encore, si l'on peut dire, la largeur de l'Atlan-
16
L*AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
tique ; la Méditerranée est un grand lac, dont l'unité
fit jadis celle du monde romain ; entre Tlnde et la côte
orientale d'Afrique, les moussons établirent de toute
antiquité des relations régulières ; les sultans de Zan-
zibar sont orig"inaires de Mascate. Lorsque Vasco de
Gama, doublant le cap de Bonne-Espérance, eut atteint
l'océan Indien par le sud, quelques points de relâche
furent marqués sur la côte africaine, mais l'idée n'est
venue que très tard, dans notre siècle, de s'appuyer
sur ces ports pour s'avancer dans l'intérieur. Et de fait
l'Afrique, massive, présentant à la mer, avec une sur-
face triple de celle de l'Europe, un littoral cependant
moindre, n'a rien qui attire d'emblée les explorateurs ;
il a fallu toute l'âpreté des concurrences contempo-
raines pour provoquer les nations rivales d'Europe à
lui arracher ses secrets.
Une « auge gigantesque »,aux bords relevés du côté
de la mer, telle est la figure que Livingstone nous pro-
pose de l'Afrique, ayant le premier vérifié l'hypothèse,
fondée sur quelques renseignements portugais, d'une
zone lacustre centrale, d'où s'épanchent les principaux
fleuves, qui forcent ensuite, pour arriver à la mer,
une ou plusieurs séries de redressements côtiers. Cette
zone centrale a l'aspect dominant d'un plateau, sur le-
quel s'est répandue en vastes nappes une latérite ferru-
gineuse ; elle se soutient à une altitude peu supérieure
à 1,000 mètres, qui est celle du pays des Rivières,
commun aux sources tributaires de l'Ouellé et du Bahr
el Ghazal, celle aussi de la région marécageuse d'où
sortent, embrouillés les uns dans les autres, les af-
r
INTRODUCTION 17
fluents du Haut-Zambèze et ceux du Kassaï-Congo.
Des mouvements volcaniques ont çà et là dressé des
montag-nes qui commandent le plateau, ou creusé des
effondrements où les eaux s'amassent en lacs.
Les côtes sont bordées de hauteurs qui limitent ordi-
nairement près de la mer l'extension de la zone litto-
rale : au nord, les montagnes de l'Afrique Mineure,
Maroc, Algérie, Tunisie, celles du plateau de Benghazi
(ancienne. Gyrénaïque) ne laissent à leurs pieds qu'une
étroite lisière méditerranéenne ; la plaine saharienne
atteint, il est vrai, la Méditerranée en Tripolitaine et
l'Océan Atlantique, du Maroc au sud du Sénégal, mais
dès la latitude des « Rivières du Sud », les relèvements
proches des côtes réapparaissent : ce sont les monts du
Fouta-Djalon, qui culminent vers 1,350 m., les mon-
tagnes de l'arrière-pays des Achantis, du Dahomey, de
l'Adamaoua ; au fond même du golfe de Guinée, la
pyramide du mont Cameroun (3,000 mètres) ; plus au
Sud, les monts de Cristal, à travers lesquels coulent
rOgooué et le Bas-Congo et qui se prolongent, en mas-
sifs posés sur des plateaux-steppes, jusqu'au cap de
Bonne-Espérance.
Plus nettes encore sont les séries montagneuses de la
côte orientale ; dirigées d'abord d'ouest en est, dans la
colonie du Cap, elles tournent ensuite au nord, montent,
sous le nom de Drakenberge, jusqu'à 3,000 mètres, et
se prolongent par des alignements moins puissants
jusqu'auprès de l'équateur; ici, l'action volcanique fut
particulièrement vive : le Kénia, le Kilimandjaro sont
assez élevés (5,600 et 6,000 m.), pour que tous les cli-
J
RiQUE A l'entrée du vingtième siècle
qu'aux glaces éternelles, s'étapcnt sur leurs
nord, enfin, la mer Rouge s'est effondrée,
1 Tang-anika géant, entre des câtes abruptes,
ief chaotique de l'Abyssinie et celui du sud-
'Arabie (Hadramaout) sont les parties culmi-
teurs littorales descendent dans la mer par
logés et, la houle du large venant s'écraser
mière marche immergée de cet escalier, un
pétuel, improprement appelé barre, assiège
irtoutla cAte d'Afrique. A l'ouest, la mer est
, le mouvement des alizés l'entraînant vers la
icaine, elle n'a quelque vivacité que dans la
termédiaire du contre-courant équatoria), k
orrcspondcnt le littoral plus dentelé et les
les Rivières du Sud. A l'est de l'Afrique,
Madagascar brise les courants d'est en ouest,
ulent autour du cap d'Ambre pourse répandre
nal de Mozambique; des coraux, annonçant
; nouvelle, celle des archipels intertropicaux
ne et de l'Océan Indien, font à la cdte afri-
s au nord, une protection presque ininter-
Lisqu'au cap Guardafui. De ces conditions
: caractère des embouchures, deltas aux bras
et sans profondeur, du Niger, de l'Ogooué,
ze ; celui du Congo seul, moins étalé, offre à
! navigation un accès relativement facile.
)us ces fleuves, peu en amont de leur cmbou-
nt coupés par des rapides à travers les
s câtières.
INTRODUCTION 19
L'Afrique n'est donc guère ouverte aux brises océani-
ques, qui agissent toujours dans le sens de la modéra-
tion et de la multiplicité des climats; continent à peine
ébauché, la monotomie de ses formes géographiques
n'est pas moins caractéristique que la riche diversité de
celles de l'Europe. L'équateur coupe l'Afrique en son
milieu : le cap Bon, pointe la plus septentrionale de là
Tunisie et le cap des Aiguilles, au sud du continent,
sont presque exactement symétriques, aux environs de
35® N. et S. On doit donc supposer à priori que les
mêmes dispositions générales se présentent dans l'un
et l'autre hémisphère, en divergeant à partir de l'équa-
teur; il est bon d'observer cependant que, la plus
grande masse du continent africain étant située au
nord de l'équateur, cette partie de l'Afrique échappera
plus que toute autre aux influences océaniques ; dans le
sud, l'amincissement progressif des terres les soustrait
moins absolument à ces actions bienfaisantes ; aussi le
régime désertique a-t-il moins de prise au sud qu'au
nord de l'Afrique ; des deux côtés de l'équateur, aux
forêts denses succèdent les steppes et les savanes, mais
tandis que le Sahara interpose son immense obstacle
entre les pays de colonisation européenne de la Médi-
terranée et le Soudan, il n'existe au sud de l'équateur
qu'un Sahara réduit, en rigueur de nature comme en
étendue, et les régions de produits tropicaux y sont
liées, presque sans solution de continuité, avec les
territoires déjà colonisés des républiques boers et
du Gap ; la pénétration européenne et la mise en
valeur de l'Afrique noire sont donc beaucoup plus
QUE A L ENTREE
i l'hémisphère austral que dans l'autre,
restrictions faites, la symétrie générale des
graphiques n'en est pas moins apparente,
ime au sud de l'équateur : au centre, c'est
toriale, arrosée par des pluies presque pcr-
puis viennent les steppes de la zone tropi-
LD ré^^imc de pluies périodiques; au deli'i,
scrtiqucs, où la pluie est très rare; plus
es régions tempérées de l'Afrique Mineure
où la modération du climat et la précipî-
snne des pluies ont permis la constitution
iuropéennes,
les plaines équatoriales est beaucoup plus
à l'ouest qu'à l'est de l'Afrique : elle s'an-
la Haute-Gambie, par les forêts qui s'ac-
revcrs occidental du Fouta-Djalon ; elle
ine région littorale, plus ou moins lar^c,
le Guinée, et couvre la majeure partie du
Congo. Elle est arrosée par des pluies ve-
Isnlique, poussées par les vents d'ouest qui
mtre les alizés, suivant dans l'atmosphère
1 contre-courant équatorial dans l'Océan.
LvigateuFs qui vont du Sénégal au Congo
qu'après les ciels clairs de Dakar, ils entrc-
rge de Sierra-Leonc, dans les brumes du
ir 1).
e zone, le phénomène tout d'abord remar-
igeur est la fastidieuse égalité des jours et
pas de crépuscule ni d'aurore, le jour natt
t et disparaît en quelques minutes. La tem-
INTRODUCTION 24
pérature se maintient aussi très constante : elle oscille
peu autour de 28» à la Côte d'Ivoire, autour de 25»-26**
sur le littoral du Cameroun et à Banana, sur les bou-
ches du Congo. Les pluies tombent en toutes saisons,
cependant le mois d'août en est à peu près privé, tandis
que les saisons moyennes, aVril-juillet et septembre-
novembre sont celles des plus grandes précipitations.
La pluie ruisselle ordinairement en averses diluviennes,
vers la fin de la journée ; on a relevé, comme hauteurs
annuelles des pluies, 3"*30 à Freetown (Sierra-Leone),
2^40 à Libreville (Congo français) et seulement 0^726
à Banana, qui est à la limite de la région des savanes ;
le maximum est atteint en territoire allemand, au pied
du mont Cameroun, où l'on a coté 9 mètres d'eau ; la
situation peut d'ailleurs en être comparée à celle de
l'Assam, qui, placé au fond de l'entonnoir que forme le
golfe du Bengale, détient avec 12 mètres le record du
monde. Dans l'intérieur du domaine congolais, on
pourrait prendre pour type le poste de la Nouvelle-
Anvers (Bangala), où il tombe 1™70 de pluie par an. A
noter que, quelle que soit la hauteur des précipitations,
l'air des régions équatoriales est toujours très chargé
de vapeur d'eau : la tension électrique y est très forte,
sans rémissions fréquentes, et ce sont là, pour les Eu-
ropéens, de fort mauvaises conditions hygiéniques :
l'organisme, afiFaibli par une lutte continuelle contre
un milieu déprimant, ralentit toutes ses fonctions, les
combustions sont incomplètes, une anémie générale
s'ensuit, et rend impossible tout effort prolongé.
La zone équatoriale ne s'enfonce dans le continent
22
L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
qu'à la latitude de rOgooué et du moyen Congo ; l'ar-
rière-pays de la Côte d'Ivoire, du Togo allemand, inémc
du Cameroun, appartient à la zone subsoudanienne des
pluies périodiques et des savanes, et il en est de même
du cours inférieur du Congo, depuis la percée des
monts de Cristal. On pourrait limiter exactement la
plaine équatoriale aux bornes de la forêt dense qui en
est l'expression la plus caractéristique ; or, celle-ci ne
forme sur la côte de Guinée qu'une bande d'une épais-
seur très variable, et qui ne dépasserait nulle part
300 kilomètres ; elle est précédée, du côté de la mer,
par une mince langue de sable qui tient emprisonnées
des lagunes allongées, et ne livre passage à la naviga-
tion maritime que par des « graus » sans profondeur.
La forêt dense accable le voyageur sous le poids d'une
tristesse alanguie : le soleil perce à peine ses futaies
toufiPues ; les grands arbres, enserrés dans l'assaut des
lianes, poussent leurs troncs sans branchages très
haut, jusqu'à l'air libre où ils peuvent épanouir leurs
feuilles à la lumière ; le sol, spongieux et couvert de
plantes en décomposition, oppose à la marche cette ré-
sistance molle, qui use les plus robustes courages ; la
vie animale, insectes, oiseaux, singes, est active dans la
forêt, mais silencieuse et comme frappée de mutisme
par la puissance souveraine de la végétation. On com-
prend sans peine que la circulation à travers ces pays
soit extrêmement difficile ; les cours d'eau tracent bien
des allées que couronnent souvent des dômes de ver-
dure, mais des ressauts montagneux les coupent de
cataractes et leur valeur, comme voies de pénétration,
[
INTRODUCTION 23
est à peu près nulle. Quant aux indigènes, ils sont fa-
rouches et belliqueux ; dans une clairière à demi défri-
chée, ils plantent des bananiers, dont la long-ue feuille
annonce partout leur présence ; ou bien, ils élèvent au-
près d'un rapide leurs misérables huttes en roseaux,
et vivent du poisson que les rivières fournissent en
aboadance ; ces populations de la forêt, presque toutes
anthropophages, contribuent à rendre plus pénible en-
core la pénétration européenne dans l'intérieur.
A la côte orientale de l'Afrique, le climat équatorial
n'est représenté que sur une lisière littorale : à peu de
distance de la mer, le sol se hérisse de montagnes, bor-
dures de plateaux peu arrosés. A la latitude de Zanzi-
bar, l'alizé du sud-est amène des pluies d'automne (ou
plutôt de printemps, car il s'agit de l'hémisphère aus-
tral) ; la mousson pluvieuse du nord-est souffle, au
contraire, d'avril à juin. A Dares Salam,la température
est, toute l'année, voisine de 25®, la plure atteint 1^03
de hauteur, mais l'élévation rapide du terrain en bonds
successifs qui le portent au niveau de 1000 mètres,
empêche l'extension des pluies vers l'ouest; il en est de
même, symétriquement, à la côte occidentale de l'In-
doustan, qui est bien arrosée tandis que l'écran des
Gattes ne laisse passer à 100 kilomètres dans l'intérieur
qu'une très faible quantité de pluie. La forêt n'est pas,
à l'est de l'Afrique équatoriale, puissante comme dans
l'ouest ; des bosquets de cocotiers se dressent au bord
même de la mer, mais la végétation dense ne remonte
que le long des fleuves, d'après le type dit delà « forêt-
galerie », Tout le centre du continent africain, même
u
l'aFRIQUE a l'entrée du vingtième SIECLE
SOUS Téquateur, appartient donc au rég'ime tropical des
steppes plutôt qu'à celui des plaines équatoriales ; il
ne reçoit plus de pluies perpétuelles, et, dans la rég'ion
« des Grands Lacs », la végétation forestière ne fait
plus que dessiner en lignes sombres, tranchant sur une
brousse plus claire, tout le réseau de l'hydrographie du
pays.
Les plateaux du centre, de latitude équatoriale, mais
de climat tropical, pourraient être appelés aussi le pays
des lacs, du Nyassa au Victoria ; les forces volcaniques
qui les ont hérissés de montagnes ayant atteint en
Abyssinie leur efiFet maximum, il paraît logique d'y
rattacher cet appendice un peu éloigné vers le nord.
En remontant de la plaine congolaise vers les terrasses
où se forment le Congo et ses grands affluents, on
observe que la permanence des pluies équatoriales
s'atténue graduellement: dans le pays des Rivières, aux
sources de l'Ouellé, Tannée se divise nettement en un
été humide et chaud, pendant lequel tombent les pluies
venues de l'Atlantique, et un hiver sec et plus froid ;
de la forêt dense, on passe à la forêt galerie, aux sa- ,
vanes à taillis, parcourues par des bandes d'éléphants ;
là étaient jadis les territoires de chasse de ces traitants
de Khartoum, dont l'amitié permit à Schweinfurth une
des plus belles explorations scientifiques de notre siècle ;
mais déjà, par les vents du nord-est, la transition s'ac-
cuse entre ces pays tropicaux et les steppes du Nil moyen.
Entre la lisière littorale qui fait face à Zanzibar, et
les grands lacs, l'aspect général est très uniforme : un
INTRODUCTION 25
plateau à gradins, troué çà et là par des cônes rocheux
d'éruption ; peu de pluies, sinon sur les sommets qui
peuvent condenser quelques nuées échappées à la con-
sommation des montag-nes côtières, une végétation de
mimosées, des étangs à efflorescences salines et, par
endroits, de véritables coins de désert : tel est cet
Ounyamouézi, dont Stanley, dans ses voyages de la
côte aux lacs Victoria et Tanganika, nous a donné la
première description. — Au sud, vers le lac Nyassa, la
pénétration des pluies d'été de l'hémisphère austral
(novembre-avril) n'est pas arrêtée si près de la mer par
un relief côtier ; aussi voit-on réapparaître, dans les
pays du Zambèze, la faune exubérante qui en fait l'une
des régions les plus giboyeuses du monde ; c'est un vé-
ritable parc zoologique, un paradis pour le naturaliste
et le chasseur ; pour le géographe, c'est un des châteaux
d'eau de l'Afrique ; Gameron a traversé, le premier,
en l'étudiant très judicieusement, cette zone semi-aqua-
tique d'où naissent les tributaires du Haut-Zambèze et
du Kassaï et qui forme, au flanc sud-ouest du domaine
congolais, comme un pendant au pays des Rivières du
nord-est ; là des fondrières bourbeuses subsistent même
en saison sèche, et la pêche fournit aux indigènes, po-
pulations à moitié lacustres, un élément essentiel de
leur alimentation. Mais déjà les pays du Bas-Zambèzc
font transition vers un Soudan austral.
Quant à l'Abyssinie, elle doit à son altitude générale
de condenser énergiquement les nuages venant de l'est
et môme de l'Atlantique, et qui ruissellent le long de
ses montagnes chaotiq*ues en averses copieuses ; elle
L'Afrique. 2
â6
L* AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIÈCLE
p».
tient étroitement aux plateaux du centre africain, par
sa structure g-éologique et la direction de ses principaux
soulèvements ; elle tient non moins étroitement au
système des montagnes d'e TArabie méridionale, con-
temporaines peut-être comme elle, dans son état actuel,
du cataclysme qui a creusé dans le sol Tégratignure
de la mer Rouge, et coupé la faille du détroit de Bab
el Mandeb. L'étagement de ses plateaux et de ses mon-
tagnes montre rapprochées les conditions climatiques
les plus diverses, depuis la vallée profonde, lourdement
tapie sous un étoufiFant manteau de forêts, jusqu'aux
pâturages alpestres des sommets, souvent couronnés
de neige. Elle ofiFre un résumé, un raccourci des plaines
et des plateaux de l'Afrique équatoriale ; par sa popu-
lation plus civilisée, non moins que par sa nature
J3;'éographique, elle se présente aux Européens comme
un champ d'expériences où l'intelligence de son sou-
verain actuel comprend l'intérêt d'une foule d'essais.
Une zone que l'on pourrait appeler du Soudan et
du Sahara encadre, au nord et au sud, les plaines et
les plateaux des latitudes équatoriales ; d'une altitude
moindre que les plateaux du centre, arrosée par des
pluies moins abondantes ou plutôt moins continuelles
que les plaines du bas-pays équatorial, elle s'étend au
nord sur tout le Soudan proprement dit, jusqu'aux
limites sahariennes, et vient au sud du Zambèze se
souder insensiblement aux parties les plus tempérées
de l'Afrique australe. Les populations indigènes ne de-
mandent plus seulement à la chasse mais au travail du
INTRODUCTION 27
sol les vivres qui leur sont nécessaires ; des plantes
annuelles, comme les céréales, sont cultivées autour
des villages ; au nord de l'équateur, la conquête mu-
sulmane s'est propagée sur ces régions soudaniennes,
où les horizons sont largement ouverts, où cependant
le sol se prête à la fondation d'établissements moins
primitifs que ceux des nègres de la forêt. Et, les mêmes
conditions d'habitat se rencontrant sur les plateaux du
centre, les Arabes de Zanzibar s'étaient, aussi, dévelop-
pés de ce côté jusqu'à la descente des terrasses au delà
desquelles commencent la plaine équatoriale et la forêt.
Au nord de l'équateur, le Soudan et le Sahara sont
juxtaposés en bandes parallèles, dirigées uniformé-
ment d'ouest en est : ce sont d'abord les pays du Sé-
négal, du Niger, du lac Tchad, du Nil jusqu'au con-
fluent de ses tributaires abyssins; c'est, au-dessus d'eux,
le Sahara dont les limites débordent même l'Afrique,
puisqu'il se continue, par delà la mer Rouge, en Arabie
et même, par delà le golfe Persique, jusque sur la rive
gauche de l'Indus ; seules quelques masses monta-
gneuses, comme l'Aïr et le Tibesti, dressent à travers
le désert des îlots de climat soudanien.
Les pluies, au Soudan, viennent du sud-ouest, c'est-
à-dire de l'Atlantique, elles pénètrent jusqu'au Darfour,
et là sur Textrême limite orientale de leur domaine, se
confondent avec celles issues de l'Océan Indien ; elles
tombent en été, pendant une saison de plus en plus
courte du sud au nord ; les fleuves, soumis à des alter-
natives de nourriture abondante et de diète rigoureuse,
présentent donc des crues régulières, dont la hauteur
v
»
28 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
maxime est atteinte vers la fin de Tété ; ces alternatives
des hautes et des basses eaux entravent sur les plus im-
portants d'entre eux la constance de la navigation. Le
Niger, dans la courbe immense qui le porte jusqu'en
Sahara, s'épuise sous la chaleur du désert ; il peut heu-
reusement, soutenu par les eaux d'amont, se replier
jusqu'à une latitude tropicale où, ressaisi par les pluies
périodiques, il greffe comme un rejeton- vigoureux sur
un tronc affaibli ; de même, le Nil n'aurait pas la force
de traverser le Sahara, si le puissant réservoir des lacs
et de l'Abyssinie ne lui ménageait son tribut ; ainsi
vivifié, il constitue, dans l'Afrique orientale, un véri-
table transsaharien fluvial, il féconde la longue oasis
qui suit son cours, et, pour reprendre le mot bien
connu d'Hérodote, « fait présent de l'Egypte » au dé-
sert qui l'enserre.
Le Soudan occidental ne touche guère à la côte atlan-
tique ; les hautes terres du Fouta-Djalon reportent vers
le nord la limite des plaines côtières qu'arrosent des
pluies abondantes et que couvrent d'épaisses forêts ;
sur le littoral, c'est presque aussitôt la nature saha-
rienne qui succède à la nature équatoriale : Dakar a
bien quelques bouquets d'arbres et le nom de cap Vert
montre que les navigateurs, après les plages torrides
du cap Blanc, avaient remarqué le renouveau de vég'é-
tation qui annonce le Soudan, mais Saint-Louis est une
ville sud-algérienne ; Podor est, par son climat estival,
un des enfers du monde, et ce n'est pas sans motif que
l'habitude populaire qualifie encore de « sénégalienne »
une chaleur lourde et sèche. Le Soudan ne se révèle,
INTRODUCTION 29
en effet, que sur les terrasses du moyen Sénégal ; à
Kila, entre Sénég-al et Niger, les pluies commencent
dès février, et donnent au pluviomètre une colonne an-
nuelle de 1™274 ; plus on s'avance dans l'intérieur, et
plus le pays apparaît arrosé, peuplé, cultivé ; de rares
palmiers ne sont plus seuls à se profiler sur les lignes
mornes du paysage ; dès que les pluies ont humecté la
terre, un tapis de verdure ininterrompue repose Tœil
des solitudes rougeâtres du bas fleuve.
Dans l'intérieur, au contraire, c'est par une gamme
de transitions insensibles que, du nord au sud, on
passe de la forêt côtière de Guinée aux sables arides
du Sahara ; immédiatement au nord de la forêt, le
pays, ridé, bossue de mamelons, n'a plus que dans les
fonds une végétation arbustive touffue ; nous retrou-
vons dans les vallées la forêt- galerie, tandis que les
croupes des collines ont l'aspect d'un parc, où les bos-
quets d'arbres alternent avec les cultures, où pointent
parfois des rochers isolés, positions stratégiques qui
commandent les alentours. Des massifs montagneux
plus considérables dominent çà et là les formes plus
adoucies du relief, le Fouta-Djalon et l'Adamaoua, par
exemple ; l'altitude est alors suffisante pour que les
plantes des pays tempérés soient cultivées avec succès
et pour que des colons d'Europe puissent impunéinent
— s'ils n'ont à craindre d'autre ennemi que le climat —
fonder des établissements définitifs ; si ces montagnes
s'élèvent plus au nord, en pays déjà saharien, elles for-
meront des oasis de hauteur, comme celles de l'Air et
du Tibcsti, étapes de la traversée du désert. Une im-
L'Afrique 2.
n
30 l'àfrique à l'entrée du vingtième siècle
mense étendue, d'ouest en est, se développe donc avec
une monotone uniformité : les descriptions sont presque
exactement les mômes, qu'il s'agisse des anciens états
de Samory, découverts par nos officiers, du Haut-Chari,
reconnu d'abord par Maistre, des bords du lac Tchad,
étudiés par Barth, ou des pays du moyen Bahr el Ghazal
où séjourna Schweinfurth.
Sur cette bande tropicale, une autre bande s'appuie,
qui confine au désert : ce sont les pâturag-es à trans-
humance du Kaarta et du Mossi, le Zinder, où l'on
chang-e pour des chameaux les bœufs amenés du sud,
le Ouadaï et le Darfour, dont les eaux, raconte Nachti-
g-al, sont permanentes au sud, avec des galeries où
vivent des éléphants, tandis qu'au nord les oueds suc-
cèdent aux fleuves, les. mimosées à la végétation des
lianes et du caoutchouc, l'autruche à l'éléphant. Tom-
bouctou, bien que tout proche du Niger, appartient à
cette zone nouvelle ; l'élément nègre s'efface de plus en
plus devant l'élément sémitique, venu du nord et du
nord-est ; et l'ignorance de ces conditions a parfois
coûté cher à des expéditions qui, parties du Soudan,
n'avaient pas su changer de tactique au contact de nou-
veaux adversaires.
Quant au Sahara lui-même, il se déploie implacable-
ment sur toute la largeur de l'Afrique, opposant l'ari-
dité de sa nature aux communications entre le Soudan
et le littoral méditerranéen : le désert libyque est aussi
farouche que les pays « de la poudre et de la peur » du
sud algérien ; la vie humaine y serait impossible, si
INTRODUCTION 31
des oasis, où l*eau superficielle réapparaît, ne permet-
taient la culture du sol qui n'est tout autour infécond
que parce qu*il n'est pas arrosé ; dans ces oasis, dont
ils ont souvent asservi la population sédentaire, les
Touaregs nomades viennent se ravitailler, et la soumis-
sion de ces vagabonds est certaine, le jour où quelques
garnisons, placées dans les oasis, tiendront les clefs de
leurs approvisionnements. Quelle que soit donc, au
Sahara, l'hostilité présente de la terre et des hommes,
on peut affirmer sans témérité qu'il n'y a plus là un
obstacle absolu à la pénétration européenne par le nord.
Dans l'hémisphère austral, les conditions ne sont plus
les mêmes ; la côte sud orientale de l'Afrique, bordée
de hautes montagnes, arrête les pluies nées de l'Océan
Indien ; le pays de Natal, par exemple, est très pluvieux ;
les rivières, à la fin de l'été austral, sont des torrents
bourbeux et dévastateurs; la terre, détrempée, s'oppose
à la circulation et, dans les débuts de la récente guerre
du Transvaal, autour deLadysmith, les Anglais en ont
fait la dure expérience (fin de 1899). Mais, derrière ce
rempart, les plateaux des Béchouanas, des Matébélés,
etc. sont plus secs et plus sains ; c'est là que des mis-
sionnaires anglais, établis depuis les voyages de Li-
vingstone, ont trouvé les conditions naturelles les
meilleures pour la fondation de stations prospères, et
leurs travaux d'évangélisation, politique autant que
religieuse, ont dès longtemps préparé l'accaparement
anglais de ces pays dont les Portugais n'avaient rien su
faire. Sur ces plateaux, lentement relevés jusqu'aux
n
32
l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
K
r*-
alignements montag'neux qui bordent l'Atlantique, la
hauteur des pluies diminue d'est en ouest, à proportion
que Ton s'éloigne du réservoir d'approvisionnement,
qui est l'Océan Indien : tandis que Saint-Paul de
Loanda, sur la côte angolaise, n'a que 0™20 de pluie
par an, comme les ports Pacifiques du Chili septen-
trional, le Bihé, assez élevé pour rassembler de très
loin les nuages qui ont franchi les plaines intermé-
diaires, émet vers l'est des sources nombreuses : les
unes, tombant dans l'ancien lac du Congo moyen, sont
devenues les affluents du Congo d'aujourd'hui et sont
par lui ramenées à l'Atlantique ; les autres courent vers
le Zambèze ou vers les bassins sans écoulement du
Kalahari.
Au sud du Zambèze, en effet, la steppe est de plus
en plus aride, à la fois vers le sud et vers l'ouest ; les
terrasses du Transvaal et de l'Orange n'ont guère d'ar-
bres qu'autour des fermes ; la circulation des eaux
est incertaine et pas toujours superficielle : le fleuve
Orange, très considérable par sa longueur, puissant
encore jusqu'à sa sortie des républiques boers, n'est
plus ensuite qu'un filet d'eau, sans cesse appauvri dans
la traversée de plaines brûlantes ; c'est un cours d'eau
grêle, comme la Murraj d'Australie ; près de son em-
bouchure dans l'Atlantique, d'autres fleuves dont les
sources sont moins profondément enfoncées dans le
continent n'atteignent même pas toujours la mer, et
ressemblent aux oueds de l'Afrique Mineure : il est
arrivé qu'on dut importer de l'eau potable à Angra-
Pequena. Le centre de ces plaines australes, entre le
INTRODUCTION 33
tropique et 32<>, forme un véritable désert, le Kalahari ;
les vents alizés et les courants marins conspirent à en
écarter les influences océaniques ; c'est un petit Sa-
hara.
La répartition des zones, tropicale et désertique,
n'est pas ici tout à fait symétrique de celle de l'Afrique
du Nord : tandis qu'au nord le voisinage de l'Asie étend
le domaine du climat continental et laisse aux régions
naturelles une rigueur presque mathématique, ici
l'Océan Indien apporte le correctif de ses eaux : il re-
foule les limites climatiques vers l'ouest, et tord, en
quelque sorte, les régions naturelles pour les appliquer
contre la côte atlantique : un transsaharien qui parti-
rait des régions soudaniennes du Transvaal et de
l'Orange se dirigerait d'est en ouest, vers l'Atlantique,
et non perpendiculairement à l'équateur, comme celui
de l'Afrique septentrionale.
La présente étude n'aura pas à décrire les pays tem-
pérés qui forment déjà, au nord et au sud de l'Afrique,
des succursales de l'Europe ; il faudra montrer seule-
ment comment la transformation de l'Afrique propre
y trouve des points d'appui ; la colonie du Gap et les
républiques boers sont, pour cette œuvre, plus favori-
sées que l'Afrique Mineure, puisqu'elles n'ont devant
elles qu'une miniature de Sahara ; d'autre part, la
proximité de l'Europe réserve peut-être à l'Afrique du
Nord les perspectives d'un développement économique
local plus aisé. Mais nous attarder sur ces régions de
l'Afrique serait sortir du sujet que nous nous sommes
34 l'aphique a l'entrée
proposé ; aussi n'en faist
pour mémoire, afin d'in<i
nos raisons de n'en pas pt
ment.
LIVRE I
LES PLAINES ÉQUATORIALES
CHAPITRE 1er
Les Côtes de Gainée
Dès Tembouchure de la Gasamance, la nature équa-
toriale s'annonce à la côte d'Afrique ; les lianes et ar-
bustes à caoutchouc couvrent le sol d'une vég'étation
serrée, mais la grande forêt n'apparaît cependant sou-
veraine que depuis la hauteur de Libéria ; là, sur les
plaines qui s'allongent au pied du Fouta-Djalon, les
vents d'ouest et de sud-ouest déversent des pluies pres-
que continuelles ; ce n'est pas tant la hauteur absolue
des précipitations annuelles qu'il faut considérer, que
leur répartition très peu variable selon les saisoni^;
l'air étant en eflfet saturé d'humidité sans repos, la vé-
gétation prend une vigueur toujours renouvelée ; elle
s'empare du sol entier avec une ardeur telle que les
plantes les plus fortes montent sur les autres pour s'ou-
vrir un chemin vers la lumière, et qu'un sentier qui
n'est pas sans cesse battu s'efiFace en quelques jours.
6 L*AFRIQqE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
Les missions Eysséric et Blondiaux (1897), plus ré-
cemment celle de MM. Hostains et d*011one ont, dans
cet arrière-pays, déterminé Texacte étendue de la forêt:
elle est larg-e de 300 à 350 kilomètres, et sa frontière
septentrionale est sensiblement dirig-ée dans le sens de
la côte et des soulèvements du Fouta-Djalon.
Une autre masse forestière intense se développe dans
le pays anglais de la Gôte-d'Or, et correspond à une
élévation notable du relief intérieur : une série monta-
gneuse, orientée du sud -ouest au nord-est, accidente
cette côte, où elle forme les falaises d'Accra et du cap
des Trois-Pointes ; elle remonte ensuite vers la moyenne
Volta, coupe ce fleuve de rapides infranchissables et va
s'écraser dans Tarrière-pays soudanien du Dahomey.
Un troisième ressaut montagneux, celui du Cameroun
allemand qui se prolonge jusqu'en Adamaoua, livre
un autre domaine à la forêt dense ; toutes ces hauteurs
sont exposées aux vents atlantiques, et leur altitude
arrête au voisinage de la côte des pluies très fréquentes.
Entre ces groupes forestiers dont la localisation
exprime les diversités de l'orographie intérieure, le
Soudan, avec sa nature de savane, pousse des pointes
vers la mer : le Bandama coule dans un parc ondulé
jusqu'à la hauteur de Thiassalé, la forêt se réduisant
ici à un simple rideau littoral ; de même, dans le Togo
allemand ou le Dahomey français, elle ne dépasse pas
7^ N., et la plaine alluviale des bouches du Niger n'a
d'arbres serrés que le long des bras du delta. Cepen-
dant, l'aspect de la côte, vue de la mer, est partout le
même ; qu'elle soit plate comme à Grand-Bassam ou
LES PLAINES ÉQÛATORlALES 37
redressée comme à Accra, que la forêt couvre une
bande large de 350 ou seulement de 60 kilomètres, le
voyag'eur aperçoit toujours une mince ligne de sable
jaune, puis une teinte verte assez claire, celle des pa-
pyrus et palétuviers qui descendent au bord de la mer
et, par derrière, une teinte sombre, presque noire, qui
est celle de la grande forêt. Il n'estdonc pas téméraire
d'affirmer que la traversée de la forêt s'impose, sur
quelque point de la côte que l'on s'appuie pour percer
vers l'intérieur.
La forêt guinéenne est bien la même que celle de
TArouhimi, sous laquelle Stanley marcha trois mois
sans revoir librement le soleil ; elle est, au progrès des
explorations commerciales et scientifiques, l'un des
obstacles les plus résistants que puisse dresser la na-
ture ; il faut frayer un chemin à la hache, parmi des
lianes géantes et des troncs d'arbres qui entravent tous
les pas; les porteurs indigènes ne sauvent leurs char-
ges, sans cesse fouettées par des branches, qu'au prix
d'une gymnastique infatigable. L'humidité suinte de
partout ; elle imprègne les vêtements et tout l'orga-
nisme, flotte sous bois en une buée tellement épaisse
que, môme aux rares moments où l'on aperçoit les
astres, elle empêche toute observation précise ; les armes
se rouillent, la gélatine des plaques photographiques
se fond dans la moiteur constante de cette étuve ; plu-
sieurs explorateurs racontent l'impression de soulage-
ment et comme de délivrance qui les envahit lorsque,
sortant de ces profondeurs forestières, ils retrouvèrent
dans les savanes la lumière du soleil.
L'Afrique. 3
.^M^i^-^ij
':t-:
38
L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
.%••••=
r
i* ■
if.
».
Un pays aussi sauvage se défend de lui-même contre
toutes les incursions ; il n*est habitable que pour des
populations très primitives, vivant sur elles-mêmes, et
sans communications avec les tribus plus civilisées de
la côte ou du Soudan, et c'est un fait que les indigènes,
découverts dans celte nature inclémente, ignoraient tout
des régions les plus voisines de T Afrique : Samory,
arrivant du nord, n'a pu entamer la forêt; ses Sofas
étaient déconcertés par la rencontre de cette végétation
traîtresse, dans laquelle ils ne trouvaient pas leur
subsistance, tandis que d'invisibles ennemis les cri-
blaient de flèches ; et si nos colonnes du Soudan ont
réussi à les cerner, sans l'aide de troupes venant de la
côte, c'est que la forêt elle-même, bien plus sûrement
que n'eût pu le faire une petite armée, s'opposait à leur
fuite vers le sud. Les naturels de ces régions habitent
des cases rondes, dans des clairières sommairement
défrichées ; l'Islam ne les a pas plus touchés par le nord
que la civilisation européenne par le sud, ils parlent
une langue particulière, et ne connaissent pas l'alcool ;
ils sont anthropophages, non pas, semble-t-il, que ces
pratiques se rattachent à des rites religieux quelcon-
ques, pas davantage par cruauté instinctive, mais sim-
plement parce qu'ils n'ont d'autre chair comestible à
portée que celle de leurs semblables ; tels ces barbares
du moyen Congo, dont les pirogues poursuivaient au
cri de « viande, viande ! » Stanley descendant le fleuve.
Cependant, pressés de tous côtés, il faudra bien que
ces indigènes livrent passage à travers leur pays ; déjà
de petits marchés se sont constitués, sur la lisière nord
LES PLAINES EQUATORIAXES 39
de la forêt, et les négociants bambaras viennent y cher-
cher la kola qu'ils échangent contre de la poudre et des
fusils grossiers ; mais les naturels sont très méfiants,
et jusqu'ici personne n'a pu les amener à composition :
MM. Hostains et d'Ollone ont dû se battre contre eux
pendant six étapes, pour gagner nos postes les plus
méridionaux du Soudan ; ceux qui ont appelé nos sol-
dats contre Samory voyaient en nous, pour cet objet
précis, des auxiliaires inespérés et sans doute ne doit-
on pas accepter sans prudence leur apparente soumis-
sion.
Ce que nous avons dit ci-dessus de la répartition
des forets indique d'ailleurs qu'il ne faut pas juger de
tout l'arrière-pays d'après celui de Libéria ou de la
Vol ta moyenne ; on pourrait sans doute assez facile-
ment déblayer et maintenir libres des couloirs de péné-
tration, là où la bande forestière est large seulement de
quelques dizaines de kilomètres ; au lieu de forcer dès
maintenant, dans leurs sous-bois dangereux, les indi-
gènes qui paraissent encore irréductibles, il faudrait
seulement les écarter des avenues choisies pour les com-
munications avec l'intérieur ; on les concentrerait ainsi
dans des sortes de réserves, et l'appropriation progres-
sive du pays les contraindait peu à peu à sortir de leur
isolement ; mais on devrait aussi prendre garde de les
consigner aux marabouts musulmans, qui s'insinuent
dans les villages comme féticheurs et finiraient par
substituer à l'impuissante anarchie des anthropophages
une cohésion défavorable aux Européens.
On ne peut compter sur les fleuves pour faciliter la
F^^f
-.1
40 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
mise en valeur du pays ; les plus petits sont, pour ainsi
dire, envahis par la végétation, les plus grands ne sont
navigables que par biefs peu longs, entre des rapides :
les chaloupes à vapeur remontent 70 kilomètres sur le
Bandama, 60 sur la Gomoé ; une exception doit être
faite, cependant, pour le Bas-Niger et la Bénoué, qui
offrent à la navigation fluviale près de 1,500 kilomètres
en communication avec la mer; mais le delta du fleuve
est sans profondeur, et les bâtiments de mer n'y peuvent
pas pénétrer. De plus, quoique la libre navigation de
tout le réseau du Niger ait été stipulée par des actes
internationaux, cette voie est pratiquement monopolisée
par les Anglais ; on se rappelle les mauvais procédés
de la Royal Niger Society, naguère concessionnaire de
cette partie de l'Afrique, envers notre explorateur Mi-
zon ; la Royal Niger a été, l'an dernier, rachetée par le
gouvernement anglais, qui voudra bien, peut-être, in-
demniser les ayants-droit de Mizon pour les pertes qui
leur furent alors infligées, et l'on veut espérer que les
garanties inscrites dans les traités seront mieux assu-
rées par lui que par une compagnie à charte ; en atten-
dant, la voie du Niger ne sert qu'aux Anglais de Lagos
et d'Akassa, et les autres cours d'eau côtiers, dont on a
reconnu l'importante extension vers le nord, ne parais-
sent pas utiles à la pénétration au delà de la forêt. Le
problème de l'accès du Soudan par le sud est donc en-
core à peu près intact ; nous verrons mieux, dans un
chapitre ultérieur (1), comment les diverses puissances
(1) Voy. livre lll, chap. m.
LES PLAINKS ÉOUATORIALES 41
qui se partag'ent la côto en préparent la solution.
Dès maintenant, et avant que les travaux entamés en
aient fait le débouché du Soudan, la côte de Guinée est
le centre d'un commerce de plus en plus actif avec
l'Europe, et même des tentatives agricoles y ont été
commencées ; que doit-on penser de ces débuts ? Les
ports sont rares et médiocres sur ce littoral ; aux fa-
laises d'Accra et de Cape Goast Gastle (Gôte-d'Or an-
glaise) correspond bien une mer plus profonde et moins
agitée par le ressac : mais Accra môme ne vaut pas
grand chose, et tout dernièrement (1899), sur un dis-
cours de M. Chamberlain qui faisait briller la perspec-
tive d'atteindre plus facilement les mines d'or de l'ar-
rière-pays, des fonds ont été votés par le Parlement
anglais pour l'améliorer; à Grand-Bassam, sur la Côte
d'Ivoire française, à Kotonou, au Dahomey, le débar-
quement est dangereux, la « barre » bordant le rivage
d'une ligne ininterrompue de brisants ; il faut lancer
jusqu'au delà de cet obstacle des digues à claire-voie,
des wharfsj pour que les allèges des bâtiments de mer
puissent prendre contact avec la terre sans exposer
passagers et marchandises à des bains très peu agréables
dans des eaux infestées de requins. Le wharf de Koto-
nou, construit à l'occasion de notre guerre du Daho-
mey, celui de Grand-Bassam, qui est postérieur et que
d'ailleurs un ras de marée a fort endommagé dans l'été
do 1899, n'ont pas eu tout le succès qu'on en pouvait
attendre, les tarifs d'usage étant beaucoup trop élevés.
Le débarquement à la côte de Guinée reste donc encore
fort difficile; d'après les travaux de la mission Hou-
42 l'afrioue a l'entrée du vingtième siècle
daille (1899) il serait possible d'aménag'er, sans trop
de frais, un port à la Côte d'Ivoire : un canal de 2 kilo-
mètres, creusé à travers le cordon littoral, se jetterait
dans la mer au lieu dit « Trou sans fond » (petit Bas-
sam) et les lagunes intérieures seraient ainsi ouvertes
aux bâtiments de mer.
Accra et Cape Coast Gastle, qui sont des ports relati-
vement accessibles, sont, semble-t-il mal placés pour
commander un chemin de fer de pénétration : leurs en-
virons immédiats, par suite d'un relief assez accusé,
sont envahis par la forêt qui s'étend au loin dans l'in-
térieur ; il vaudrait mieux outiller comme ports des
villages situés à proximité des lagunes, à des longitudes
où la forêt est moins large, où Ton pourrait, par con-
séquent, susciter dès maintenant une certaine activité
commerciale par la navigation intérieure et préparer
tout ensemble une base d*opérations pour ouvrir le
passage vers l'intérieur. Ces lagunes forment, de part
ot d'autre des hauteurs qui accidentent la Gôte-d'Or
anglaise, deux longs chapelets dont l'un appartient
presque en entier à notre colonie de la Côte d'Ivoire,
tandis que le plus oriental touche le Togo allemand,
(i averse notre Dahomey et, par Lagos, se prolonge
jusqu'au delta duNiger; Grand-Lahou, Grand-Bassam,
Assinie pour le premier, le Petit-Popo, Kotonou et sur-
tout Lagos, pour le second, commandent les étroits
passages ou « graus » par où les étangs communiquent
avec le golfe ; malheureusement, ces graus débouchent
on face de la barre, et la mer n'est assez calme, d'après
los observations les plus récentes, qu'en deux points où
LES PLAINES EQUATORTALES 43
le cordon littoral est fermé, au Petit-Bassam relevé par
la mission Houdaillc, et à Palma, à Test de Lagos.
L'idée la plus pratique (et c'est probablement celle qui
sera adoptée pour notre Côte d'Ivoire) serait de creuser
artificiellement, à travers le cordon et les lag'unes, un
chenal donnant accès à un port intérieur bien abrité :
ce serait à peu près le même travail qui a été fait pour
Tunis, à travers le seuil de la Goulette et le lac qui sé-
pare la ville de la mer.
Le réseau des lag-unes intérieures se prête à la navi-
içationpar petits bâtiments ne calant pas plus de i mètre
à 4™, 10; notre seule Côte d'Ivoire en possède une Ion-
g-ueur de 500 kilomètres, et la percée de quelques
isthmes (tels les pangalanes de la côte est de Madag-as-
car) en ferait un plan d'eau unique, de 2,400 kilomè-
tres carrés, à la faveur duquel la concentration des pro-
daîts d'un vaste pays serait facile sur le point désigné
comme le futur port maritime delà colonie. C'est donc
par l'aménagement de ces eaux littorales qu'il est pos-
sible, sans travaux considérables, d'assurer une cir-
culation intérieure à ces colonies côtières; dans le Togo
allemand, dans le Lagos anglais, la question se pose
comme à la Côte d'Ivoire ; au Dahomey, l'amélioration
serait plus sensible encore, car l'Ouémé que les canon-
nières remontent jusqu'à Dogba, est accessible par la
lagune de Porto-Novo. Ces lignes de navigation n'ont
rien à craindre de la concurrence des voies de terre : il
serait déraisonnable de tracer et d'entretenir des routes
dans un pays où l'absence de bêtes de somme les rend
inutiles ; tout au plus doit-on prévoir quelques presta-
♦* * w*miu"x jk :^
TCnCmEXE SIECLE
x«. !iv iïui ciw?> 3«rar iieanassaiDnnmt périodique des
«««n-.*«*^-ui* -s- lîtr jes wmevrs^ r« Ws bûcherons.
^x* V** .*? H« * > ci? iisBiia»ii»-44î tu certain effort des
'•. c- iv^ ••. Te -'«î:*-^— I vtt» A:a"r«rs obtena sans de
, ■ii:> >«».• ^.*-.'*-^ -«r^ jt ' gr ' jL? iif ji. r:c»? de Gainée sont de
•^^ 3v^..' vi.>- m^xuliï-»ip? , ^:> nltL^^c: antoarde leurs
v,r^ i^ 'ïàuajLK*!^ -^ -t^ TKHiîiit: rxTIs consomment
^ ■ -ivi».- «-^ 3t»..:3..er«' tf^ir 5jamiiîS«ri !*$ senls maté-
*.. ' ^ '" * . .r'i. 7. or -H*ir* iît:l^d>ns, et leur
c> -t- .- -«î -^-v.!.. t yrn yr-s x r*e{L : ^ plvs indus-
--^ .• ' ^-^ îA • , : . rc -"^ V i--»i'-3îs *ç i.LX> Ws laines,
-.1 >^ .'- "^--^ >4:.>*<--I:--*:-rs:*!v .^Jk 7%7f7(£îltîca dv lîttoral
. ^«•-'■.- sta. ;uix£- tf ift-ï^ ^^s Acliantis et
•ît? .i. • -.2fc*!-î, i%r:nni»î'? mr des races
5 « ^^ ^- .• î*^ ^.L«s -sanruB^ir»^ £ûsaîent
r. , .>^-r . jf ^K.-!f t»?r> lliTTOfeiis, d'in-
^ • tv^^M-— ; •*i5- K^. UT'^S' ricDrxîs. Daho-
• -^ -^ »' - ~ -'i.^ îeuaoj<t7 T.,x> Intel-
•^ ^ î*^ -5- *-r*-: zmair me x:rriotltare
• -.1 - ^-.* ■ -.-^tiUïr?. isL TT» ÎJK-raickie
ï^ x-t ■ . - *- ^^ ■ --rs^cT-it-'-ic^ Jii;'^^il>le, —
' ^-^w--^ \- » ~L-_ii.v-^y itUi^ ^»fi£»i«ttihle à
-^ •... .vî^ i. -■- ni-^.jkiuiii £ii£{k£Îse est
-•<^ X •. .^« .5^ .1* 1. -nç.. :!^r fsssLT^e des
'^^ - *-<■*' ~ vî /'i5 -.;-^ ^ixiir $^l^ . n*a
- ^ - -^ . . -es- »- -TTaiiû» rolîcc
>*- "V ,
LES PLAINES EQUATORIALES 45
main des denrées d'échang-e très demandées, qu'ils ré-
coltent sans travail pénible, du caoutchouc, de la pou-
dre d'or; ils ont ainsi toutes facilités de se procurer des
alcools qui les abrutissent rapidement ; ces liqueurs
grossières sont fabriquées à Rotterdam et à Hambourg;
des maisons allemandes en font un grand commerce,
et c'était aussi, malgré de philanthropiques déclara-
tions, la pratique constante de la compagnie anglaise
du Niger; on a calculé qu'au prix de fr. 35 le litre,
vendu sur place, ce « tord-boyaux » rapportait environ
100 0/0 de profit aux traitants.
Il faut faire, parmi les indigènes de la côte de Gui-
née, une heureuse exception pour les Krous qui peu-
plent les environs du cap des Palmes, en territoire libé-
rien et français ; ce sont de beaux hommes, bien
découplés, moins trapus que leurs voisins orientaux ;
les navires marchands qui doublent le cap des Palmes
y font souvent une courte escale pour embarquer des
équipages de Kroumanes ; aussitôt, sur uri coup de
sifflet de la machine, on voit des barques se détacher
du rivage, et le vapeur devient, pour quelques heures,
un bureau de placement flottant, sur lequel les chefs de
groupes viennent passer marché pour eux et leurs
hommes ; les Kroumanes, excellents piroguiers, sont
très recherchés pour piloter les embarcations parmi les
brisants de la barre; ils font aussi de bons agriculteurs,
et l'appât du gain les rend très supérieurs aux autres
noirs de la côte, qui sont flâneurs et indifférents. L'Al-
lemagne, qui fait aujourd'hui les deux tiers du com-
merce de Libéria, s'efforce d'obtenir du gouvernement
L'Afrique. 3.
44 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE
lions indigènes pour débroussaillement périodique des
sentiers suivis par les porteurs ou les bûcherons.
Encore ce service demande-t-il un certain effort des
indigènes, et ne sera-t-il pas toujours obtenu sans de
longs palabres : ces nègres de la côte de Guinée sont de
très mauvais travailleurs ; ils cultivent autour de leurs
villages les bananes et le manioc qu'ils consomment
sur place ; les palmiers leur fournissent les seuls maté-
riaux qu'ils emploient pour leurs habitations, et leur
vêtement se réduit à peu près à rien ; les plus indus-
trieux pèchent le long des fleuves et dans les lagunes,
qui sont très poissonneuses. La population du littoral
est très clairsemée, sauf dans le pays des Achantis et
l'ancien royaume dahoméen, occupés par des races
d'envahisseurs, dont les rites sanguinaires faisaient
chaque année, jusqu'à l'arrivée des Européens, d'in-
nombrables victimes paririi les naturels conquis. Daho-
méens et Achantis sont d'ailleurs beaucoup plus intel-
ligents que leurs victimes, ils pratiquent une agriculture
moins rudimentaire, sont constitués en une hiérarchie
sociale plus organique et, — conséquence inévitable, —
ont opposé une résistance beaucoup plus redoutable à
l'établissement des blancs : la dominaition anglaise est
encore précaire, dans le pays des Achantis ; la soumis"
sion des autres populations de la côte, par exemple des
Tépos, à l'ouest de notre Côte d'Ivoire (juin 1899), n'a
jamais exigé que des opérations de grande police
plutôt que de guerre.
La plupart de ces noirs ont maintenant accepté sans
protestation le voisinage des Européens ; ils ont sous la
LES PLAINES EQUATORIALER 45
main des denrées d'échang-e très demandées, qu'ils ré-
coltent sans travail pénible, du caoutchouc^ de la pou-
dre d'or; ils ontainsi toutes facilités de se procurer des
alcools qui les abrutissent rapidement ; ces liqueurs
grossières sont fabriquées à Rotterdam et à Hambourg*;
des maisons allemandes en font un grand commerce,
et c'était aussi, malgré de philanthropiques déclara-
tions, la pratique constante de la compagnie anglaise
du Niger ; on a calculé qu'au prix de fr. 35 le litre,
vendu sur place, ce « tord-boyaux » rapportait environ
100 0/0 de profit aux traitants.
Il faut faire, parmi les indigènes de la côte de Gui-
née, une heureuse exception pour les Krous qui peu-
plent les environs du cap des Palmes, en territoire libé-
rien et français ; ce sont de beaux hommes, bien
découplés, moins trapus que leurs voisins orientaux;
les navires marchands qui doublent le cap des Palmes
y font souvent une courte escale pour embarquer des
équipages de Kroumanes ; aussitôt, sur uri coup de
sifflet de la machine, on voit des barques se détacher
du rivage, et le vapeur devient, pour quelques heures,
un bureau de placement flottant, sur lequel les chefs de
groupes viennent passer marché pour eux et leurs
hommes ; les Kroumanes, excellents piroguiers, sont
très recherchés pour piloter les embarcations parmi les
brisants de la barre ; ils font aussi de bons agriculteurs,
et l'appât du gain les rend très supérieurs aux autres
noirs de la côte, qui sont flâneurs et indifférents. L'Al-
lemagne, qui fait aujourd'hui les deux tiers du com-
merce de Libéria, s'efforce d'obtenir du gouvernement
L'Afrique. 3.
46 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
de cette République le droit exclusif d'embaucher les
Kroumanes ; mais cette prétention a soulevé des protes-
tations, à Liverpool notamment, parmi des nég'ociants
opposés à tout monopole, fût-ce celui d'une compag-nic
ang"laise sur le Bas-Niger.
Les Ang-lais possèdent, à Sierra-Leone, une pépinière
d'agents noirs assez instruits, qui sont, sur toute la
côte, les meilleurs courtiers du commerce européen
avec les indigènes ; ces correspondants parlent anglais,
même entre eux; beaucoup, engagés comme chauffeurs
ou domestiques à bord des paquebots, ont ainsi trouvé
l'occasion de connaître l'Europe ; ils en reviennent
transformés, pleins de dédain pour les Africains non
dégrossis, mais gardant de leurs origines un goût im-
modéré pour les oripeaux criards ; ils sont d'ailleurs
intelligents et réussissent dans les affaires commer-
ciales au point que certains non seulement possèdent
une flottille à vapeur sur les lagunes, mais encore font
le commerce directement avec Liverpool. Des métis
brésiliens, citoyens de la République de Libéria, sont
seuls capables de leur faire utilement concurrence,
connaissant comme eux toutes les faiblesses et toutes
les roueries des noirs avec lesquels ils traitent ; c'est
dans ce milieu que se recrutaient naguère les ministres
ou cabécères des royaumes achanti et dahoméen, aux-
quels les capitaines négriers achetaient les esclaves
qu'ils allaient vendre en Amérique ; déchus aujour-
d'hui du bénéfice de ce trafic, ils essaient, à l'exemple
des Européens, l'exploitation de la forêt ou même
l'agriculture tropicale.
LES PLAINES ÉOUATORIALES il
Là en effet paraît être la fortune, présente et à venir,
de la côte de Guinée ; jusqu'ici Texploitation forestière
a manqué de méthode et de prudence ; les factoreries
de la côte demandaient aux indigènes de leur apporter
en quantités de Thuile ou des amandes de palme, du
caoutchouc et, plus récemment, des billes d'acajou,
mais elles ne s'inquiétaient guère des pratiques de la
cueillette ni des lieux d'origine. Or, il est maintenant
établi que l'huile de palme cesse d'être marchande, si
elle est récoltée à plus de quatre ou cinq jours des
points d'embarquement : les frais de transport sont, en
effet, considérables, les charges devant être réparties
par ballots de 25 à 30 kilogrammes entre des porteurs
noirs qui ne font guère que 23 kilomètres par jour ;
ajoutons que l'huile de palme est très mal préparée par
les indigènes, et qu'il a paru économique d'iniporter à
Marseille les amandes des palmiers pour les traiter par
des procédés de meilleur rendement. L'arbre à huile
croît en abondance à la Côte d'Ivoire, au Dahomey,
dans le delta du Niger et sur cette côte du fond du
golfe de Guinée, dont les estuaires sont communément
appelés les « rivières d'huile » ; mais il a besoin d'une
température toujours tiède et humide, et il a suffi eh
1896-1897 d'une sécheresse relative pour diminuer très
notablement le commerce de Lagos. Au moment de
nos campagnes du Dahomey, les plus acharnés de nos
adversaires n'avaient pas trouvé, pour punir les villages
soumis, de meilleure vengeance que de couper tous
leurs palmiers ; malgré cette destruction, l'équilibre
est aujourd'hui rétabli, mais il y aurait danger à con-
48 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE •
tinuer rexploitatîon exhaustive des dernières années
sans s'occuper en môme temps de la reconstitution des
boisements. Marseille reste le marché principal des
huiles de palme qu'elle emploie dans la savonnerie.
Liverpool est au contraire le port où sont débarqués
presque tous les caoutchoucs de Guinée, ceux du Gong-o
étant dirigés plutôt sur Anvers ; les négociants de Bor-
deaux, dont les relations sont très actives avec le Séné-
gal, s'efforcent en ce moment de les étendre vers le sud
et de constituer, sur leur place, un marché français des
caoutchoucs. La plupart des lianes et beaucoup d'ar-
bustes de la forêt contiennent un suc laiteux dont on
tire par coagulation un caoutchouc; mais les indigènes,
intéressés seulement à en récolter le plus possible,
tranchent ou incisent sans discernement, mêlent les
sucs de plusieurs espèces et saignent à mort la plupart
des plantes qu'ils ont touchées ; parfois aussi, pour
augmenter le poids des boules qu'ils vendent aux trai-
tants, ils y introduisent des cailloux ou des morceaux
de bois, si bien qu'on doit éventrer toutes leurs pièces
avant d'en prendre livraison ; des maisons bien con-
duites, comme la puissante compagnie française de
l'Afrique occidentale, arrivent cependant à leur faire
produire des types uniformes, classés par les acheteurs
européens, et l'expérience a prouvé qu'une concurrence
effrénée des factoreries n'encourageait que la paresse et
la fraude des indigènes, en exagérant beaucoup les
prix de revient. Quoi qu'il en soit, toutes les colonies
côtières, • depuis la Casamance jusqu'au Niger et au
Congo, exportent des quantités de caoutchouc plus im-
LES PLAINES ÉQUATORIALES 49
portantes chaque année ; la demande est très active en
Europe, les emplois du caoutchouc se multipliant avec
les prog'rès de Tautomobilisme et de la machinerie
électrique ; d*où Tintérêt de mieux exploiter les ri-
chesses encore existantes de l'Afrique équatoriale, et
surtout d'étudier la culture des plantes à caoutchouc.
Les forêts guinéennes ont d'immenses réserves de bois
d'ébénisterie : les récentes études de la mission du che-
min de fer de la Côte d'Ivoire ont fourni sur ce sujet
des documents très précis ; en mettant tous les chiffres
au plus bas, on a calculé que les arbres exploitables
pour leur bois seulement représentent une valeur de
2,500 francs par hectare, mais actuellement, faute de
voies de communication, l'exploitation n'est possible
qu'à proximité des cours d'eau flottables ; les arbres
sont abattus par les bûcherons indigènes et sommaire-
ment débités ; puis les billes sont abandonnées au cou-
rant de la rivière la plus voisine et l'on en forme en
aval, dès que l'hydrographie le permet, des trains qui
descendent jusqu'aux lagunes et aux ports d'embarque-
ment. Le commerce n'a guère attaqué jusqu'ici que les
boisements d'acajou, surtout dans le cercle d'Assinie
(Côte d'Ivoire) et dans la Côte-d'Or anglaise ; Lagos,
délaissant la récolte du caoutchouc, a récemment suivi
cet exemple. Ce sont des Sierra-Léonais ou des métis
libériens qui surveillent, en forêt, les noirs de la côte ;
les Européens ne sauraient se passer de leur intermé-
diaire, car le séjour sous bois leur est particulièrement
pénible, et de plus ils n'ont pas encore réussi à faire
travailler utilement les naturels du pays sous leurs
50 l'afrioue a l'entrée du vingtième siècle
ordres directs. Presque tous ces contre-maîtres noirs
sont sujets ou protég-és angolais ; c'est une raison de
plus pour que Tacajou de Guinée soit surtout exporté
en Angleterre.
Cependant les Français de la Côte d'Ivoire s'efforcent
de se rendre plus indépendants ; une maison bordelaise
de Grand-Bassam inaug'urait en 1898 une scierie mé-
canique et des ateliers de charpente ; on peut espérer
que Bordeaux recevra de plus en plus rég-ulièrement
Tacajou de nos possessions. Les Ang^lais d'Accra ont
fondé une école professionnelle où les indig'ènes sont
initiés aux méthodes les plus simples de l'exploitation
forestière et de la coupe des bois ; c'est ce que font
maintenant aussi nos missionnaires, dont l'effort mé-
rite des encourag-ements ; la percée ouverte dans la
forêt pour le chemin de fer de la Côte d'Ivoire et qui
n'aura pas moins de 100 mètres de larg'e sur 300 kilo-
mètres de long", exig'era l'abattag-e d'arbres qui fourni-
raient au moins 150,000 mètres cubes de bois usuels;
la voie ferrée en facilitera de proche en proche l'éva-
cuation sur la côte ; il faut dès maintenant former un
personnel noir capable, pour ne pas laisser perdre sur
place cette valeur certainement considérable.
En même temps qu'à mieux tirer parti de la forêt,
les colons européens de Guinée se sont occupés d'enri-
chir le pays par l'agriculture ; les conditions générales
y paraissent peu favorables : le climat est hostile à
l'Européen, là surtout où la terre est souvent remuée ;
l'alimentation qui lui serait nécessaire pour en com-
battre les influences est, sinon impossible, du moins
LES PLAINES ÉQUATORIALES 51
très dispendieuse ; la viande de boucherie est inconnue
à la côte, les indigènes n'élevant autour de leurs cases
que des porcs dont la chair est lourde et peu saine ; on
a pu conserver à Dabôu quelques vaches, médiocres
laitières, et des croisements avec les bovidés du Soudan
mettront un jour, sans doute, à la disposition des fac-
toreries côtières une race acclimatée, dont la viande et
le lait adouciront beaucoup les actions maléfiques du
climat. Mais ce ne sont là que des espérances et, pour
le moment, la simple surveillance de travaux ag^ricoles
n'est pas sans dang'ers pour le directeur européen. De
plus, la main-d'œuvre indigène est rare et paresseuse
et les défrichements sont très onéreux, car la végétation
sauvage envahit tout, si l'on ne se décide à l'extirper à
fond ; on a vu des arbres de quinze mètres de haut dans
des jardins indigènes abandonnés depuis trois ans.
Malgré toutes ces difficultés, telles sont les chances
de rapport des cultures coloniales, telle en est aussi
l'importance pour améliorer l'état économique et social
des indigènes, que toutes les colonies côtières en étu-
dient à l'envi la diffusion : le Togo allemand a fondé un
parc d'essais à Sebbé, la Côte d'Ivoire, un autre à Da-
bou ; les Anglais de Lagos et de la Côte-d'Or ont créé
plusieurs plantations ; la compagnie française de l'A-
frique occidentale, qui n'a fait longtemps que du com-
merce, vient d'obtenir une concession qu'elle consacre
aux cultures de café Libéria, de cacao, de ficus à caout-
chouc ; des espèces sauvages de café, de vanille ont été
rencontrées dans la forêt ; il n'est pas douteux qu'on ne
réussisse à les domestiquer; de môme, le pays produira
52 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
bientôt le tabac nécessaire aux indigènes, qui mainte-
nant achètent des tabacs américains en feuilles ; l'exten-
sion des champs de riz, de maïs voire de coton fixerait
sur la côte des noirs du Sénégal^ qui sont intelli-
gents et travailleurs. Enfin, les arbres fruitiers des tro-
piques, comme le bananier, qui est très commun, con-
tribueront à la fourniture des marchés d'Europe dès
que l'on aura découvert un procédé commercial de con-
servation des fruits pour les longues traversées.
Ainsi donc, et sans parler des avantages que leur
vaudra plus tard la sécurité des relations libres avec le
Soudan, les colonies de la côte de Guinée sont fondées
à se promettre, dès maintenant, une fortune brillante :
leur situation financière, quelle que soit leur métropole,
est prospère, car on ne peut considérer que comme
frais extraordinaires les dépenses de l'Angleterre pour
achever la soumission des Achantis. La Côte d'Ivoire,
le Dahomey, Lagos, le Togo allemand lui-même, mal-
gré l'étroitesse du débouché littoral que lui réservent
les traités, présentent des budgets locaux en équilibre ;
plusieurs sont assez riches pour assurer rétablissement
des chemins de fer de pénétration. Il semble inutile de
multiplier les chiffres sur le mouvement commercial
de toutes ces colonies ; d'année en année, en effet, le
développement en est plus marqué ; on peut estimer
toutefois, en combinant les statistiques les plus autori-
sées, que le total de ce commerce, en 1899, a représenté
d30 à 150 millions, du cap des Palmes au Cameroun
allemand exclu : la Gôte-d'Or figure dans cette somme
pour près du tiers, l'exportation de l'or s'y ajoutant à
LKS PLAINES ÉQUATORIALES 53
celle des produits véiçétaux ; le port de Lagos draine
une Ijonne partie du commerce dahoméen, le port fran-
çais de Kotonou lui étant fort inférieur.
En ce qui concerne les pavillons, la prépondérance
de TAUemagne s'affirme avec éclat, bien que le domaine
politique des Allemands soit de beaucoup moindre que
celui des Français ou des Anglais ; le mérite en revient
à l'activité de la C*« Wôrmann, de Hambourg, à la-
quelle on pourrait seulement reprocher de ne pas pro-
hiber l'importation des alcools de traite. La France,
dont la marine marchande est partout insuffisante pour
ses propres besoins, doit ajouter ici aux services de
deux compagnies marseillaises ceux des Allemands et
des Anglais : un tiers seulement du commerce extérieur
de la Côte d'Ivoire et du Dahomey lui revient ; il est
vrai que nos société coloniales montrent, à terre, une
vitalité très encourageante et, si nous avons abandonné
le Bas-Niger aux Anglais, du moins la Société fran-
çaise de l'Afrique occidentale se substitue-t-elle pro-
g-ressivement à nos rivaux sur la Côte d'Ivoire. La Bel-
gique, nouvelle recrue dans la carrière coloniale, a
voulu participer au commerce de la Guinée : depuis la
fin de 1899, un vapeur mensuel parti d'Anvers dessert
Dakar, Konakry, Grand-Bassam et descend ensuite
jusqu'en Angola.
On sait comment, la côte ayant été d'abord partagée
entre diverses puissances européennes, toutes les colo-
nies littorales ont ensuite poussé leur développement
vers l'intérieur ; la division politique de cet hinterland
est aujourd'hui terminée, il ne reste qu'à déterminer
54 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
sur place les frontières fixées par les traités ; aucun
conflit essentiel n'apparaissant dès lors possible entre
les copartageants, chacun s'emploie à faire valoir son
lot. Du cap des Palmes vers l'ouest se succèdent, après
la République de Libéria, la Côte d'Ivoire française, la
Gôte-d'Or ang-laise, le Togo allemand, le Dahomey
français, enfin les établissements anglais de Lagos et
du Bas-Niger; de ceux-ci, le régime était fort compli-
qué, jusqu'à ces derniers temps, la souveraineté se di-
visant entre une compagnie à charte et deux ministères
britanniques ; aujourd'hui, la compagnie du Niger a
été rachetée, après un vote du Parlement de Londres
(juillet 1899); elle perd tout caractère politique pour
n'être plus qu'une société commerciale ; tous les terri-
toires anglais ne font plus qu'une colonie, divisée en trois
sections, Lagos, Nigérie du sud et Nigérie du nord.
C'est le fameux colonel Lugard qui en est le gouver-
neur. Son premier soin sera d'ouvrir à la Nigérie ces
territoires haoussas que nous lui avons libéralement
attribués en 1890, les croyant dès lors en sa possession ;
déjà Lagos est relié par télégraphe au fort Taubman-
Goldie, qui s'était appelé quelque temps fort Arenberg.
La pénétration vers le nord est d'ailleurs la princi-
pale préoccupation des pouvairs publics, dans toutes
les colonies de Guinée : les projets de chemin de fer
sont à peu près arrêtés à la Côte d'Ivoire et au Dahomey,
d'après les plans des missions Houdaille et Guyon ;
les Anglais ont déjà lancé queques kilomètres de rails
de la Côte d'Or vers Coumassie, et la récente insurrec-
tion des Achantis aurait pour cause des prestations ma-
Kfi
LES PLAINES EQUATORTALlîS 05
ladroitement imposées pour prolonger cette lig'ne ; une
autre, au départ de Lag'os, s'enfoncera vers le plateau
d'Ilorin et le Sokoto. Seul le Togo allemand, qui com-
munique difficilement avec la mer, n'a pas dressé le
plan d'une voie de pénétration. Ce sont ces chemins de
fer qui réaliseront dans la pratique la dislocation du
Soudan ; elle ne sera qu'un texte de loi tant que des
communications sûres n'auront pas été ouvertes à tra-
vers la forêt.
Si l'on se réfère à l'expérience du chemin de fer du
Congo, ce seraient nos Sénégalais qui constitueraient le
meilleur personnel ouvrier pour les grands travaux
publics en terres équatoriales ; comme nous avons be-
soin d'eux, tous les premiers, à la Côte d'Ivoire et au
Dahomey — sans parler de la Guinée française, — il
sera sans doute utile de régler par quelques décrets
les conditions de leur engagement par des entreprises
étrangères, et peut-être serions-nous bien venus à join-
dre à cette question, dans un esprit tout amical, celle
du recrutement des Indous pour Madagascar : dans
l'Afrique occidentale, c'est la France qui tient les meil-
leures réserves de travailleurs indigènes. Après le che-
min de fer du Congo, ceux de l'ouest africain seront
construits avec l'aide de nos Sénégalais, et la côte de
Guinée, devenue la façade du Soudan, s'enrichira de
toute la plus-value de son arrière-pays.
CHAPITRE II
Le Cameroun allemand et le Congo français
La plaine équatorîale, sur la côte nord-orientale du
golfe de Guinée, est interrompue par des soulèvements
volcaniques dont le principal est le mont Cameroun ;
on peut aussi considérer que les îles espagpnoles et por-
tugaises de ce fond du golfe, Fernando-Po et Sao-Tomé
particulièrement, sont les témoins avancés du mouve-
ment qui a dressé le mont Cameroun et ses satellites
jusqu'en Adamaoua ; la plaine couvre cependant la
plus grande partie du littoral et, par delà le rebord des
monts de Cristal, dont les mamelons atteignent 900 à
1000 mètres, réapparaît sur le cours supérieur des af-
fluents de droite du Congo, pour s'étendre jusqu'au
pied des terrasses qui formaient jadis la falaise orien-
tale du grand lac congolais.
La côte est aujourd'hui bien connue, la région tribu-
taire du Congo Test également, quoique depuis moins
longtemps ; il reste à découvrir de proche en proche le
h
»• ^
LES PLAINES ËQUATORUlLES 4
pays intermédiaire, c'est-à-dire à répéter sous plusieurs
latitudes les études de la mission Fourneau-Fondère
qui vient (1899) de tracer un itinéraire de la Haute-
Sang-a à Testuaire du Gabon ; ce que Ton en sait déjà
permet d'affirmer que les forêts y sont moins épaisses
que dans les plaines adjacentes, et que ces collines cou-
vertes d'une brousse pauvre en arbres formeraient
comme une tonsure centrale bordée, de part et d'autre,
d'une épaisse végétation équatoriale.
La côte est très marécageuse ; elle reçoit une forte
quantité de pluie, surtout au pied du mont Cameroun ;
le pluviomètre accuse en cet endroit, à l'observatoire
de Bibundi, 9 mètres par an ; dans l'intérieur de la
colonie allemande, à Yaoundé, on ne cote plus que
i"^50; à Libreville, port du Congo français, 2«»40; l'ar-
rière-pays de Cameroun, dont le relief est fort tour-
menté vers le nord-est et rappellerait le Harz de l'Eu-
rope centrale, présente, en des points très voisins, des
différences sensibles de climat : la température moyenne,
qui oscille à la côte entre 24» et 27°, n'est plus que de
19**, à 700 mètres d'altitude, et s'abaisse rapidement
vers les hauts plateaux de l'Adamaoua. La partie méri-
dionale de la colonie ne serait pas exposée à d'aussi
grandes diversités climatiques, la plaine littorale s'y
arrêtant assez vite, au pied de hauteurs de 700 à 800
mètres, formées de roches anciennes et dont la latérite
superficielle offrira peut-être un jour des ressources à
l'exploitation du fer ; c'est là que commencent les monts
de Cristal, dont les angles émoussés, les profils mous
de vieilles montagnes laissent passer vers l'intérieur
60
L*AFAIQUE A l'eNTRëE DU VINGTIEME SIÈCLE
déplacement loin de la mer des capitales administra-
tives ; car, si Libreville est moins malsaine que Came-
roun, étant appuyée sur des falaises qui rétrécissent
les lag'unes, l'abondance des pluies et la médiocre cir-
culation des eaux n'en font pas moins un des postes de
notre empire colonial les plus caractérisés par la mor-
talité ou tout au moins la morbidité des résidents eu-
ropéens.
La pénétration est plus difficile pour les Allemands
du Cameroun que pour les Français du Congo : Eug'ène
Zintg-raff, de 1886 à 1892, a plusieurs fois essayé de
s'enfoncer vers l'Adamaoua ; il se heurta toujours à des
populations belliqueuses, habitant un pays montueux
et perdit un jour, dans un combat, 4 Européens et 170
soldats noirs. Il faut, encore aujourd'hui, pour attein-
dre le hinterland de Cameroun, tourner par le Nig-er-
Bénouéou par le Cong-o et la Sanga ; en 1899, une
compagnie berlinoise ayant obtenu des territoires, avec
une sorte de charte, sur la Sannaga supérieure, c'est
par cette dernière route que partit l'expédition chargée
de précéder les concessionnaires ; peu auparavant, le
lieutenant de Carnap avait reconnu l'existence, à la
lisière nord de la forêt côtière, de centres musulmans
dont les habitants, vassaux mal soumis du sultan de
Yola, coupaient toutes les voies de commerce et chas-
saient l'esclave parmi les tribus indigènes.
En progressant, ici, d'ouest en est, les Européens
rencontreront, comme du sud au nord à la côte de Gui-
née, les marécages du littoral avec une population
noire, paresseuse et corrompue, puis la forêt dense, sur
LES PLAINES ÉQUATORIALES 61
200 à 300 kilomètres, avec des peuplades sauvages,
travaillées par des marabouts, enfin la nature souda-
nicnne, avec des communautés musulmanes plus org'ani-
quement constituées ; parmi ces indigènes, les premiers
opposent à l'Européen la résistance de leur fainéantise
ou de leur rusticité ; les autres, plus affinés, partant
plus redoutables, pressentent des concurrences écono-
miques et luttent pour conserver leurs avantages ; les
Allemands du Cameroun sont mal appuyés pour briser
ces obstacles : la liberté de la navigation, sur le Niger-
Bénoué,n'a étéjusqu'ici qu'une promesse diplomatique,
la voie Gongo-Sanga est tributaire à la fois du Congo
belge et du Congo français ; quant à créer de toutes
pièces, sur la côte ou sur les premières hauteurs, une
base d'opérations et de ravitaillement, ce serait engager
de grandes dépenses de capitaux et de vies humaines ;
une lenteur très sage est ici de rigueur.
Pour les Français du Congo, la marche vers l'arrièrc-
pays paraît d'abord plus aisée, puisque l'Ogooué et le
Niari-Kouilou sont partiellement navigables, mais la
région qu'ils traversent est peu hospitalière, la popu-
lation indigène des Pahouins, qui ne paraît pas dépour-
vue d'intelligence, est rebelle à notre action et, pour
atteindre ensuite le Congo navigable ou ses affluents
de droite, il faut franchir une plaine encore mal connue
mais qui semble appartenir au domaine de la forêt
dense. Voilà pourquoi le réseau navigable des affluents
du Congo, Sanga, Oubanghi et leurs tributaires, a été
attaqué jusqu'ici par le sud, soit par la route de portage
du Niari-Kouilou, beaucoup plus courte que celle de
L'Afrique. 4
62 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
rOg-ooué, soil par le Congo lui-même, depuis qu'est
ouvert le chemin de fer de Matadi à Léopoldville. L'ef-
fort de M. de Brazza, qui fut un explorateur avant tout,
a tendu à développer le Congo français en partant de
cette voie, tout ensemble vers le lac Tchad et vers le
haut Nil ; notre colonie restait ainsi composée de deux
tronçons à peu près coupés Tun de l'autre, la côte et le
versant congolais ; dans l'intervalle, les tribus pahoui-
nés prélevant des courtages échelonnés sur tous les
convois en transit, les ports n'étaient alimentés que par
la zone restreinte immédiatement surveillée par nos
aju^ents.
On ne peut s'avancer très loin au nord, sur les af-
fluents du Congo, sans rencontrer une nature qui n'est
plus équatoriale ; chez les Sangos et les Yakomas du
moyen Oubanghi, sous 5» N. environ, l'ivoire et le
caoutchouc sont encore rassemblés par la traite, mais
bientôt après, le pays change ; Crampel était arrivé par
une savane peu arrosée aux limites de la conquête mu-
sulmane, lorsqu'il fut attiré dans un guet-apens et mas-
sacré à l'instigation du sultan Snoussi, vassal du Oua-
daï ; là Dybowski et Maistre ont signalé ces platea.ux
ferrugineux qui, depuis la côte de Guinée font une
bordure perpétuelle à la plaine équatoriale ; nous igno-
rons quelle est au juste l'extension de cette forme de
relief dans l'intervalle entre les marais de la côte con-
golaise et les pays forestiers de la Sanga ; à la latitude
de Niari-Kouilou, la forêt est maîtresse du sol et se
déploie dans le Mayombe avec une magnifique exubé-
rance.
LES PLAINES ÉQUATORIALES 03
Deux questions se posent, à Theure présente, avant
même que Texploration de ces pays intermédiaires soit
achevée : il s'ag-it de mettre en valeur la côte, d*abord,
le versant congolais des monts de Cristal ensuite, quitte
à profiter jusqu'à nouvel ordre des voies d'évacuation
qui atteig-nent la côte en dehors des limites politiques
du Congo français et du Cameroun ; parallèlement,
ces colonies achèveront la reconnaissance de leur hinter-
land, enfin de s'assurer plus tard des communications
indépendantes.
Un excellent exemple nous vient du Cameroun, qui
se transforme sous nos yeux en colonie de plantations ;
jusque vers 1889, les factoreries n'ont fait que le com-
merce d'ivoire au sud, d'huile de palme autour de l'es-
tuaire ; certes, beaucoup d'argent a été gagné de la
sorte mais, outre que les réserves d'ivoire ont été fort
diminuées, les indigènes se sont habitués à détruire
sans aucun souci de reconstituer les richesses du sol,
ils sont devenus d'incorrigibles ivrognçs et l'on aura
beaucoup à faire pour les dresser à seconder l'effort
européen. Zintgraffa personnellement réagi contre ces
abus : après avoir consacré plusieurs années à l'explo-
ration, dégoûté d'ailleurs d'administrer par un conflit
qui le mit aux prises avec certains fonctionnaires, il se
fit planteur (1896) et c'est dans les fatigues de cette pro-
fession nouvelle qu'il mourut (décembre 1897).
A la môme époque, le gouvernement fonda sur les
terrains en pente du mont Cameroun une station bota-
nique, dite de Victoria, dont le directeur du jardin
d'essais .de Libreville a pu constater, dans un récent
64 L*AFRIOUE A l'eNTRKE DU VINGTIEME SIÈCLE
voyag"c, Texcellent outillage et les importants succès ;
on doit en effet à la station de Victoria d'avoir établi
que le café, le tabac, mais surtout le cacao viennent
admirablement dans cette terre volcanique ; sur une
centaine de kilomètres de profondeur, les plantations
de cacao prospéreront, le fait est aujourd'hui certain, à
la plus grande satisfaction des propriétaires... si toute-
fois on trouve des noirs pour travailler le sol, et c'est
là cette terrible disette de la main-d'œuvre, qui con-
damne à la stérilité tant de riches contrées d'Afrique.
Plusieurs sociétés de plantations se sont, depuis deux
ans, installées auprès du Cameroun et les mission-
naires emploient à des travaux de culture la plupart de
leurs néophytes, contribuant très utilement ainsi à la
régénération de cette race pourrie. Malgré toutes les
difficultés, la patience allemande ne se rebute pas et
les journaux coloniaux de nos voisins annoncent déjà
le jour où l'empire entier ne consommera que du cacao
do ses plantations africaines.
Les îles Portugaises du golfe ont aussi leurs cultures
tropicales, très récemment développées ; Saô-Tomé,
vue do la mer, montre sur les pentes inférieures de ses
collines comme une forêt éclaircie et régulièrement*
aménagée ; ce sont dos champs de caféiers, de vanilliers,
do bananiers ; la banane n'est pas seulement destinée
au dessert des colons, on est parvenu à en faire une fa-
rine très saine, d'un goût agréable et très utile, sous
cette forme, à l'alimentation des blancs ; un riche pro-
priétaire, José Maria do Freitas, avait introduit dans
los fies dos espèces choisies au Brésil et do nos jours.
LES PLAINES ÉOUATORIALES 65
grâce à Tinitiative d'un petit nombre de capitalistes,
Saô-Tomé et le Prince, tlots de quelques hectares, re-
présentent autant, pour le commerce extérieur du Por-
tugal, que les vastes territoires du Mozambique ou de
l'Angola Ajoutons que TEspagne, depuis la perte de
ses colonies américaines, s'occupe d'expériences ana-
logues à Fernando-Po (1).
Le Congo français n'est pas resté inactif; sur les hau-
teurs auxquelles est adossée Libreville, il a créé son
jardin d'essais; ledirecteur est un ancien collaborateur
de M. de Brazza, qui connaît, pour l'avoir longtemps
étudiée, la flore congolaise et poursuit méthodique-
ment des recherches très intéressantes, notammentsur le
café, les plantes à caoutchouc, la vanille et le quinquina ;
les missionnaires et les commerçants entourent pres-
que tous leurs stations d'un jardin potager, où ils font
venir aisément leurs légumes ; des relégués annamites
se distinguent aussi par l'excellence de leurs cultures
maraîchères. Les expériences du jardin d'essais ne
seront bientôt plus, au Congo français, de simples cu-
riosités scientifiques ; un grand nombre de concession-
naires, ainsi que nous le verrons mieux plus bas,
viennent de découper notre colonie en vastes domaines
qu'ils devront mettre en valeur ; ces expériences leur en
fourniront le moyen.
Nous devons signaler au même titre le succès très
(4) Une récente convention (juillet 1900) entre la France
et TEspagne a équitablement réglé un ancien différend de
frontières sur le Rio Mouni, au nord du Congo français.
L'Afrique. 4.
66
L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
important, mais encore exceptionnel, obtenu à la mis-
sion de Fernan Vaz pour la domestication de l'éléphant
africain : le R. P. Bichet a laborieusement obtenu le
service le plus rég-ulier et le plus intelligent d'un jeune
éléphant acheté aux Pahouins de Tintérieur à l'âg'e de
48 mois: Fritz, c'est le nom de ce quadrupède, est sur-
tout employé à charrier des poutres de bois ; on estime
qu'il fait en un jour le travail de vingt nègres ; il est
si parfaitement dressé que jamais il ne va marauder
dans les plantations, et attend sans impatience la nour-
riture qui lui est d^ailleurs libéralement distribuée.
Pour la construction des voies ferrées, en pays fores-
tier tout particulièrement, il serait infiniment désira-
ble de généraliser l'heureuse tentative du P. Bichet.
Ajoutons enfin qu'un concours agricole, tenu en septem-
bre 4899 à Libreville, a permis de constater le progrès
des plantations récentes, surtout de cacao et de café.
Presque rien encore n'a été fait pour la mise en va-
leur du versant congolais, où la période de l'explora-
tion est à peine close ; Brazzaville, qui est notre point
de départ sur Stanley-Pool, origine du Congo naviga-
ble, manque d'un chantier pour réparer, sinon pour
construire, les vapeurs fluviaux du service amont ;
elle ne consiste guère qu'en une dizaine de bâtiments
administratifs, posés sur le sommet d'une falaise qui
domine le Pool ; vers l'est, sont échelonnées la mission
catholique et quelques factoreries ; mais les cultures
vivrières autour de Brazzaville suffisent tout juste aux
besoins locaux, l'approvisionnement du haut pays n'est
assuré que par importation, et pour les transports flu-
LES PLAINES ÉQUATORIALES HT
viaux, force était jusqu'ici d'emprunter des chaloupes
étrang'ères, le Léon XIII de la mission catholique cons-
tituant à lui seul toute la flottille française. On com-
prend que cette indigence ait beaucoup compliqué le
ravitaillement des colonnes tant soit peu nombreuses,
celles de Marchand, par exemple ou de Gentil ; le com-
missaire g-énéral, dans un récent voyage sur TOuban-
ghi,ena constaté tous les inconvénients et son premier
souci serait,nous le savons, d y porter remède; l'urgence
est d'autant plus évidente que, les vapeurs manquant
pour remorquer les convois, nous devons frapper les
piroguiers riverains de réquisitions qui les indisposent
contre nous, et détournent des travaux agricoles une
partie de la main-d'œuvre, déjà trop rare.
Entre la côte et Brazzaville, le chemin de fer du
Congo belge a fait abandonner notre ancienne route
de portage, qui partait de Loango sur la côte et sui-
vait la vallée du Niari-Kouilou ; cette voie n'était pas
très sûre, et l'on se souvient que Marchand dut em-
ployer la force pour rouvrir les communications de
Loango avec le Stanley-Pool. Quelle que soit aujour-
d'hui la bienveillance à notre égard des directeurs du
chemin de fer belge, pour lesquels aussi bien notre
clientèle est un appoint précieux, nous ne pouvons ne
pas prévoir le cas où ces sentiments changeraient et,
d'une manière ou d'une autre, la nécessité s'impose à
nous de réunir à la côte française, par une voie indé-
pendante, les biefs navigables de notre domaine con-
golais.
En attendant l'exploitation du pays, les explorations
68 l'afrioue a l'entrée du vtngtikme siècle
et fondations do postes militaires nous ont déjà permis
de relever exactement l'étendue de ce réseau fluvial :
la Sang'a est navig-able jusqu'à Ouasso pour des em-
barcations ne calant pas plus de m. 80; il en est
de même de TOubang-hi, jusqu'aux rapides de Banghi
ou de l'Eléphant, et sauf la période des plus basses
eaux, c'est-à-dire le mois d'avril. En amont des
60 kilomètres des rapides de l'Eléphant ce fleuve est
accessible jusqu'au poste des Abiras aux chaloupes
calant m. 60 et capables de forcer leur vitesse jus-
qu'à 14 nœuds pour vaincre le courant sur certains
points. Enfin, M. Dyé, lieutenant de vaisseau, qui com-
mandait la flottille de la mission Marchand, a reconnu
que des chalands pouvaient atteindre Bangasso, sur le
Mbomou et que, maigre l'abandon diplomatique du
Bahr el Ghazal, l'interposition des marais du pays des
Rivières dirigeait non vers le Nil, mais vers l'Ouellé
et le Congo la voie naturelle d'évacuation des sultanats
musulmans de cette contrée. Entre Bangassoet le Stan-
ley-Pool, le voyage par eau, coupé de quelques por-
tages, serait d'environ 35 jours à la montée, 16 ou 18 à
la descente. On est encore mal renseigné sur les con-
ditions de navigabilité des affluents de droite de l'Ou-
banghi dont le cours se rapproche du domaine du
Ghari et du Tchad. Si donc notre réseau navigable ne
vaut pas celui du Congo belge, il offre cependant des
ressources très notables à la pénétration, et mérite qu'on
lui ouvre un accès à la côte, sans sortir du territoire
français.
Il ne saurait plus être question de la voie Loango-
r
LES PLAINES ÉOUATORIALES 69
Brazzaville, trop voisine de la ligne belge pour tenter
une concurrence profitable; on peut môme regretter
que l'abandon de ce projet ancien ait été trop longtemps
différé, de sorte qu'une société coloniale, que les tra-
vaux agricoles auraient dû surtout occuper, s'est vo-
lontairement restreinte, pour courir moins de risques,
à ne faire que du portage sur cette route déclassée.
M. de Brazza comptait tracer une voie mi-terrestre et
mi-fluviale, de Libreville au Pool, par TOgooué et
TAlima, qui conflue dans le Congo en amont de Braz-
zaville. Franceville était Tétape intermédiaire. Des
études ont été reprises en 1899, par la société du Haut-
Ogooué, pour fixer avec précision les conditions d'éta-
blissement de cette route ; elles ont abouti à la certi-
tude que rOgooué, navigable au centre de son cours,
ne constituait cependant qu'un tronçon peu considé-
rable de la voie projetée; c'est plus au nord, semble-
t-il, qu'il vaudra mieux opérer, et telle paraît être la
conclusion adoptée, après les travaux de la mission
Fourneau-Fondère (1899).
Celle-ci, partie d'Ouasso, sur la Sanga, déboucha sur
la côte à Libreville ; d'après ses renseignements, le pays
à l'est des monts de Cristal, peuplé d'indigènes Bako-
tas, serait partiellement défriché, avec de belles planta-
tions; les habitants, douxetpeu commerçants, accueil-
leraient volontiers les blancs ; il en est autrement des
Pahouins, leurs voisins de l'ouest, dont les tribus sont
répandues jusque près de Libreville et surveillent ja-
lousement, pour en percevoir le tribut, toutes les rela-
tions commerciales qui traversent leur territoire ; une
70 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
action en force contre ces coupeurs de routes serait d'au-
tant plus efficace qu'on s'y déciderait plus vite car il est
douteux que, de bonne grâce, ils laissent passer un
chemin de fer qui supprimerait leur intermédiaire.
MM. Fourneau et Pondère déclarent ce chemin de fer
possible, et calculent qu'il ne coûtera pas plus de
80.000 à 100.000 francs par kilomètre, pour une voie
étroite, bien entendu; ils estiment qu'il devrait partir
de la Mossaka, affluent navig'able de la Sanga, et finir
sur l'estuaire du Gabon, non pas à Libreville, maissur
la rive sud, qui est mieux accessible. Voudrait-on dé-
placer cette capitale ? La routine administrative ne le
permettrait peut-être pas mais, si les observations de
MM. Fourneau et Fondère sont confirmées, pourquoi ne
pas tracerla ligne comme ils l'indiquent, quitte à n'ins-
taller à son terminus occidental que les bâtiments d'ex-
ploitation nécessaires ? Quant au prix de revient, qui est
d'environ moitié moindre que celui du chemin de fer
du Gong-o belge, il n'est pas sans doute trop bas, si l'on
tient compte d'abord de l'expérience acquise, ensuite
de ce fait que deux chantiers pourront être simultané-
ment ouverts, ravitaillés, l'un par la côte et l'autre par
la Sang-a, à travers des pays autrement riches et peu-
plés que les plateaux stériles du bas Congo. On ne sau-
rait espérer cependant que la colonie du Congo, dont
le budget manque d'élasticité, puisse sur ses propres
ressources gager l'emprunt nécessaire à ce travail, et
peut-être la constatation de cette impuissance a-t-ellc
été l'une des raisons qui ont fait choisir cette colonie
pour l'essai d'un régime, nouveau dans nos jeunes pos-
LES PLAINES ÉQUATORIALES 71
sessions, celui des grandes concessions territoriales.
Les succès de nos voisins du Gong"o belge ont stimulé
l'activité de nos capitalistes ; depuis deux ans, une vé-
ritable fièvre congolaise s'est emparée djeux, et plus de
quarante sociétés sont aujourd'hui constituées dont les
apports représentent 50 millions, et dont les concessions
couvrent presque tout le Congo, du moins dans sa ré-
gion équatoriale; la plus vaste de ces concessions, celle
dite « des sultanats du haut Oubanghi », englobe tout
le versant de droite de ce fleuve et du Mbomou, jus-
qu'à la frontière assignée à la sphère d'influence fran-
çaise parle traité du 21 mars 1899. Les sociétés sont
investies par décret pour tout domaine supérieur à
10.000 hectares ; de 200 à 10.000, le commissaire géné-
ral a qualité pour délivrer des concessions, à prendre
sur les enclaves non attribuées par les décrets, c'est-à-
dire autour de Libreville, de Brazzaville, dieLoango et
sur le bas Ogooué ; de plus un couloir d'accès, non con-
cédé, réserve les droits de l'État entre le coude de l'Ou-
bang-hi et le Ghari.
Le cahier des charges imposées à toutes ces sociétés
est à peu près uniforme : il les oblige d'abord à compo-
ser leur personnel de directeurs et de souscripteurs de
manière à laisser toujours prédominer l'élément fran-
çais ; il exige ensuite que des plantes à caoutchouc soient
plantées ou ensemencées, à mesure que d'autres seront
détruites par l'exploitation ; il prévoit des redevances
progressives, soit en espèces, soit sous forme de mise
en marche de chaloupes fluviales qui assureront les
services publics ; il stipule enfin le respect des indigènes
■:->
i Z L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
Cl maintient le droit de l'État français d'exproprier à
tout moment les parcelles dont il aurait besoin... Cène
sont là que les clauses générales ; en lisant attentive-
ment un contrat de concession, on serait surpris de la
minutie avec loquelle sont réglées des obligations qui
doivent jouer en pays presque inconnu.
Nous aurions mauvaise grâce à ne pas louer ici l'ini-
tiative de notre administration coloniale ; mais peut-
être n'a-t-elle pas pris assez nettement parti entre le
désir de hâter la mise en valeur du Congo et celui de
sauvegarder la suprématie de l'Etat. Son projet d'en-
semble est très séduisant : intéresser des capitalistes à
Tœuvre coloniale et. comme prime à la faveur qui leur
est accordée du fait des concessions, recevoir d'eux des
subsides dont le montant pourrait gager un emprunt
destiné aux ti^avaux publics. Mais ceci suppose d'abord
que les capitalistes en question se proposent de bonne
foi d'exploiter autre chose que leurs titres, ensuite que
leurs entreprises agricoles ou industrielles réussiront
sans mécomptes, enfin que l'administration , sur place
aussi bien qu'en France, aura la longanimité nécessaire
pour s'effacer le plus possible derrière eux.
La première condition sera, sans doute, très généra-
lement remplie et nous connaissons parmi les conces-
sionnaires des hommes de la plus parfaite intégrité ;
le renoncement de l'administration est plus improbable,
le luxe des détails inscrits aux cahiers des charges eu
est une première indication ; puis, comment se passe-
rait-on de ses représentants pour délimiter les conces-
sions voisines, pour constater le iH*ensemencement des
LES PLAINES ÉQUATORIALES 73
plantes à caoutchouc, vérifier le nombre des chaloupes
en service, en un mot surveiller la stricte exécution du
contrat ? Enfin le succès matériel, pour désirable soit-
il, n'est pas certain, car les terrains concédés sont assu-
rément très divers et comporteront une long'ue série
d'expériences avant que soient établies les conditions
de leur meilleur rendement ; ne serait-il pas cependant
déplorable que, pour éviter ces tâtonnements de la pre-
mière heure, les concessionnaires procèdent à un pillag-e
général du caoutchouc et à un massacre des derniers
éléphants ?
Nous craignons aussi que, sous couleur de protéger
les indigènes, l'administration n'entrave la liberté des
colons de les employer aux travaux de colonisation ; la
véritable protection des noirs ne consiste pas à encou-
rager leur fainéantise, mais simplement à prohiber la
vente, à leur usage, des alcools et des armes à feu : les
routes de commerce ne sont pas si nombreuses que
l'Etat ne soit efficacement muni pour limiter l'impor-
tation de ces marchandises, d'après le nombre des Eu-
ropéens établis dans l'intérieur ; la pauvreté de la main-
d'œuvre noire est assez regrettable pour que l'on évite
d'en aggraver artificiellement l'insuffisance par des
scrupules de philanthropie bureaucratique ; on peut en
effet poser en principe que tout nègre plié au travail,
fût-ce au prix d'une contrainte initiale, représente non
seulement une valeur économique supérieure, mais
encore un meilleur type d'humanité, ceci soit dit sans
aucunement excuser les brutalités inutiles, qui sèment
la haine alors qu'une fermeté simplement vigilante as-
L'Afrique. 5
74 L*AFR1QUE A L*EXTRÉE DÛ VINGTIEME SIECLE
sure la paix et l'autorité du blanc. Il serait très fâcheux
qu'au Congo, en cas de conflit sur les concessions, ce entre
employeurs et employés •, on autorisât des travailleurs
nègres à discuter devant un arbitre d'après les usages
de France.
Mais, à supposer que gouvernement et administra-
tion facilitent de leur mieux la tâche des concessionnai-
res, celle-ci restera très laborieuse, surtout si les inté-
ressés n*établissent pas une sorte de syndicat pour
s'aiderles uns lesautres ; la concurrence mutuelle ferait
monterions les prix, les traitants de Guinée le savent
par expérience ; pourquoi ne pas s'entendre sur les
sommes à payer aux indigènes, soit pour leur travail,
soit pour leurs marchandises ? Pourquoi ne pas arrê-
ter, d'un commun accord, le nombre des auxiliaires
disponibles étant probablement inférieur aux besoins,
que chaque société procéderait aux embauchages se-
lon quelques règles déterminées ? Pourquoi enfin ne
pas combiner un service commun de chaloupes et de
chalands, sur tous les réseaux navigables ? Là sans
doute serait la résolution la plus conforme aux intérêts
généraux comme à ceux de chaque participant.
On objectera peut-être l'exemple de l'Etat indépen-
dant du Congo dans lequel prospèrent de nombreuses
sociétés qui paraissent sans lien les unes avec les autres :
il est bon de savoir qu'en fait toutes ces sociétés sont
des filiales plus ou moins proches de la puissante com-
pagnie du chemin de fer; la fortune du Congo belge,
nous le montrerons dans le chapitre suivant, est due à
l'unité de vues, à la parfaite discipline de tous ses direc-
r^
LES PLAINES ÉQUA.TORIALES 75
teurs, politiques ou commerciaux ; le Congo français,
placé sous un autre régime constitutionnel, n'aura les
mêmes chances que si tous, administrateurs et colons,
se rendent collaborateurs d'un même plan d'ensemble,
et solidairement intéressés aux mômes succès. Quoi
qu'il en soit, nous venons d'y instituer une expérience
qui sera très instructive; il convenait d'indiquer ici
sous quelles réserves elle sera décisive et pourquoi la
prudence conseille d'en attendre les conclusions, avant
qu'on n'en pose à nouveau les termes dans une autre
colonie.
CHAPITRE III
L'État indépendant da Congo.
Etat indépendant d*après la lettre des conventions
diplomatiques, le Cong-o est, pratiquement, une colonie
belge; mais par Theureux artifice de sa constitution,
il est ' à Tabri des vicissitudes parlementaires qui n'é-
pargnent pas plus la Belgique que les pays voisins
d'Europe ; il doit son essor rapide et si plein d'ensei-
gnements à ces avantages politiques, combinés avec
ceux de sa géographie ; aussi faut-il loyalement recon-
naître qu^il est fort en avance sur les colonies que nous
venons d'étudier : la nature Ta doué d'un magnifique
réseau navigable ; l'industrie des hommes a vaincu tous
les obstacles pour ouvrir à ce réseau une issue vers la
mer ; en cette courte formule tiennent les raisons essen-
tielles de sa supériorité.
0-
L*£tat indépendant est issu de l'ancienne « Associa-
tion internationale africaine ^, et des délibérations du
congrès de Berlin (15 novembre 1884-26 février 1855);
des traités intervenus depuis lors avec la France
LES PLAINES EQUATORIALES 77
et le Portugal ont exactement défini ses frontières du
côté de TAtlantique ; sur les plateaux de TAfrique
centrale, TEtat s*est trouvé limitrophe de TAfrique
orientale allemande et des colonies anglaises du lac
Victoria; de ce côté aussi, non sans des difficultés
diplomatiques dont le récit ne saurait figureren ce livre,
il a déterminé Textension de son territoire ; dans l'en-
semble, on peut dire qu'il s'étend sur tout le domaine
hydrographique du Congo, moins la rive gauche de
l'estuaire et Je bassin supérieur du Kassaï, qui appar-
tiennent au Portugal, et tout le pays que limiterait,
depuis le Stanley-Pool, la ligne d'eau Congo-Ouban-
^hi-Ouellé, cette région étant dévolue à la France. De
plus un accès lui est réservé sur le haut Nil par l'en-
clave de Lado, insérée dans la « sphère d'influence an-
glaise ».
La France possède un droit de préemption sur
l'Etat du Congo ; elle a renoncé à s'en servir contre la
Belgique, à laquelle le roi Léopold II, souverain de
l'Etat indépendant, reste donc libre de le léguer ; mais
c'est là une question très complexe, étroitement liée à
la politique métropolitaine de la Belgique et dont
l'étude importe peu ici ; rappelons seulement que l'Etat,
proclamé le l^r juillet 1885 à Banana sur l'estuaire
du Congo, s'est déclaré neutre, assumant toutes les
charges comme tous les privilèges de la neutralité;
le commerce est librepour toutes les nations, dans toute
l'étendue de son territoire, et même la zone conven-
tionnelle du commerce libre englobe sur la côte atlan-
tique^ de part et d'autre de l'estuaire, des territoires
78 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
français et portug-ais. Etat souverain, mais tenu, du
fait même de ses origines, à des oblig-ations interna-
tionales, le Gonço n'a pas tardé à devenir une colonie
de la Belgique, ou plutôt du petit état-major d'hommes
laborieux et avisés qui se sont associés à l'œuvre du
roi souverain.
L'Etat du Congo ne s'étend pas seulement sur une
région de plaines équatoriales ; le fleuve immense qui
lui donne son nom coule d'abord, en effet, sur les pla-
teaux de l'Afrique centrale, et de même, finit en pays
de savanes ; Banana, qui fut, à l'embouchure même,
la première capitale du pays, n'a que m. 72 de pluie
annuelle ; à cette latitude, la forêt dense ne pénètre que
très peu dans l'intérieur, puisque dès l'île de Mateba,
le fleuve s'étale dans une brousse à baobabs, et que
même dans les monts de Cristal, qu'il force à 150 kilo-
mètres en amont de l'Océan, la forêt ne s'accuse pas au
delà du type de la galerie. Les plateaux du cours su-
périeur commencent à l'est du Lomami et au sud
de 5° S. ; l'influence arabe, partie de Zanzibar, s'y est
propagée et s'y développait vivement, quand les
troupes de l'Etat sont intervenues pour la rejeter vers
l'océan Indien ; on peut douter pourtant que, sans cette
rencontre qui a brisé ses ressorts, elle se fût avancée
bien loin dans l'ouest : la forêt des plaines équato-
riales eût arrêté Tippo-Tib à gauche du Lomami, comme
elle fit Samory dans l'arrière-Libéria.
Entre les monts de Cristal et les premières terrasses
occidentales de ces plateaux, une vaste cuvette, à fond
LES PLAINES EQUATORIALES 79
très légèrement incliné vers TAtlantiquc, a longtemps
retenu en un lac les eaux descendues d'amont. A
cette époque, les monts de Cristal n'envoyaient à la
mer que de courtes rivières, comme la Sannaga du
Cameroun ou le Niari de Loango ; Tune de ces rivières
dcssinaitsans doute le cours qui est aujourd'hui celui du
grand fleuve; la pression du lac sur les monts de Cris-
tal aj en effet, rompu la digue de ceux-ci : les eaux
amassées en arrière s'y sont violemment ouvert un
passage, dont elles nivellent encore les aspérités et se
précipitant vers la côte à travers la plaine littorale ont
fait un estuaire de quelque ancienne vallée eiavahie ;
dans l'intérieur, la forme de lac est atténuée plutôt
qu'elle n'a tout à fait disparu : sur le pays, très plat,
les fleuves s'écrasent en larges méandres, s'enroulent
autour des moindres éminences, embrouillent autour
d'îles basses un lacis de bras paresseux ; le Stanley-
Pool, à la porte même du couloir des monts de Cris-
tal, le lac Toumba, le lac Léopold II, plus en amont,
sont autant de témoins pour affirmer que le drainage
de la cuvette congolaise est encore inachevé : comme
dans la plaine hongroise en amont des Portes de Fer,
nous saisissons ici un régime de transition.
Dans toute cette plaine, la forêt diminue, déployant
surtout sa fougue à droite et k gauche du fleuve entre
rOuellé et 4^' S. et d'ouest en est entre l'arrière -pays
montagneux du Congo français etle cours supérieur de
l'Arouhimi. Dans ces limites, la végétation esten crois-
sance ininterrompue toute l'année ; la pluie tombe en
toutes saisons, mais sans donner, au total, une quantité
80 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE T}V VINGTIEME SIECLE
considérable au pluviomètre : 1 m. 50 est la moyenne
des observations recueillies. Le soleil, au Cong-o, est
presque toujours voilé de nuag'es ; les matinées, en par-
ticulier, sont très brumeuses, toutes les lig'nes des
paysag^es apparaissent molles et comme bouffies, les
plans font masse les uns sur les autres, dans une con-
fusion lourde et triste; on en jugera parce fait qu'il est
rare de trouver un jour vraiment favorable pour la pho-
tog'raphie ; entre dix heures et midi, la brume s'éclair-
cit, mais elle se fonce de nouveau vers quatre heures,
et la fin brutale du jour est très souvent accompag-née
de pluie ; deux ou trois semaines, dans le trimestre
janvier-mars, sont seules à peu près exemptes d'averses ;
d'ailleurs la caractéristique du climat est plutôt la
constance d'une humidité perpétuelle que la chute abon-
dante des pluies.
Sur cette terre spongieuse et couverte d'humus, tout
profite à la végétation ; les arbres atteignent des tailles
géantes, et l'on cite des acajous qui dressent leur tête à
60 mètres du sol ; le baobab, qui est l'hôte des savanes
plutôt que de la forêt dense, ne pénètre pas dans l'in-
térieur au delà du Kassaï ; sa carrure massive, l'énor-
mité de son tronc sur lequel s'embranche un maigre
feuillage, ses fruits en amande suspendus à une longue
queue lui donnent la figure disgracieuse d'un gros lé-
gume posé les racines en l'air. Bien plus esthétiques
sont les palmiers, dont l'élégante ombrelle dessine à
toutes les hauteurs leg étages de la forêt, jusqu'à la
coupole couronnante du fromager,au tronc lisse et droit,
ou bien encore les fougères, qui s'épanouissent en bou-
LES PLAINES EQUATORIALES 81
quets aussi puissants que les arbres de nos climats; des
lianes tapissent le sol et toutes les colonnes végcétales de
la forêt, la plupart contiennent diverses variétés de
caoutchouc, dont la plus commune est fournie par le
genre Landolphia.
Les éléphants n'ont pas tous succombé, malgré tous
les excès de la chasse; même dans le Bas-Congo, ils se
montrent encore par petits groupes ; ils sont plus nom-
breux dans l'intérieur, où leurs foulées tracent à travers
la forêt les sentiers qui descendent aux abreuvoirs na-
turels des cours d'eau. L'hippopotame est rare en aval
du Stanley-Pool ; mais, dès ce lac, on le rencontre très
fréquemment sur tous les fleuves de la plaine ; il attaque
quelquefois les pirogues, surtout lorsqu'il est blessé ;
le danger d'un pareil assaut est d'autant plus certain
que les crocodiles peuplent toutes les rivières ; très peu-
reux, ils ne sont guère redoutables dans les eaux clai-
res, mais les alluvions teignent presque toujours les
courants d'une couleur brune qui dissimule leur ap-
proche et ne permet pas de s'en protéger; malgré toutes
les recommandations des thefs de poste, il ne se passe
pas d'année que des indigènes, puisant de l'eau sans
précaution, ne soient victimes de ces monstres ; on pré-
tend que le crocodile, avant de dévorer sa proie, la met
en réserve dans des cachettes à demi noyées où il revient
ensuite la chercher et que des malheureux, entraînés
de la sorte sans blessures mortelles, ont pu s'échapper
après une rapide immersion ; n'affirmons rien. Les sin-
ges sont nombreux dans les sous-bois, le gibier de poil
varié dans les monts de Cristal où les chasseurs ne pé-
L'Afrique. 5.
82 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
nètrent guère ; les fleuves sont poissonneux, et sur le
moyen Oubang-hi, notamment, les tribus riveraines de-
mandent à la pêche une partie de leur subsistance. Les
bords des rivières sont infestés de moustiques, dont la
morsure est particulièrement agaçante sous un climat
où la lourdeur de la température exaspère toutes les af-
fections de Tépiderme. La faune sauvage du Congo re-
cule petit à petit devant l'appropriation du pays ; on pput
prévoir le jour où le crocodile sera une rareté en aval
du Stanley-Pool .
La nature forestière, sur les falaises qui sont les re-
bords de l'ancien lac congolais, est moins exclusive que
dans la dépression médiane ; nous avons vu comment
elle se dégradait insensiblement dans le Congo français,
sur la Sanga et les affluents de l'Oubanghi ; il en est
de même sur le Lomani, sur le Loualaba, qui est le
nom du Congo supérieur, sur toutes les rivières de ter-
rasses qui forment le groupe du Kassaï ; par cette zone
de transition, les territoires de l'Etat indépendant
passent peu à peu des conditions des plaines équatoriales
à celles des plateaux du centre africain.
Les populations indigènes sont, en ces pays du moyen
Congo, très inégalement réparties, pour autant que l'on
peut inférer d'une exploration encore incomplète ; les
premières reconnaissances ne permettent pas d'en éta-
blir exactement la densité, parce qu'elles empruntent
les voies navigables, alors que les villages indigènes
sont dans l'intérieur des terres ; il faut, pour se pronon-
cer avec quelque vraisemblance, un séjour assez pro-
longé dans un poste, l'activité des relations commer-
LES PLAINES ÉQUATORIALES 83
ciales qui s'y nouent dépendant très étroitement, au
moins dans les débuts, du peuplement des environs
immédiats, mais ceci ne donnera que des renseigne-
ments conjecturaux sur les rég'ions où les Européens
n'auraient pas de représentants sédentaires : toute la
bande des monts de Cristal est peu habitée ; les rives de
rOubang-hi et celles de la Mongalla, dans la partie la
plus toufiFue delà forêt, compteraient au contraire parmi
les territoires les plus peuplés de l'Etat; mais là môme
le chiffre de 20 indigènes au kilomètre carré serait un
maximum. Sur les terrasses, entre Njangoué et le lac
Tanganika, sur le haut Kassaï les habitants seraient
aussi relativement nombreux, mais les razzias des ara-
bes.Zanzibarites les ont fort éprouvés.
En aval du Stanley -Pool, on confond tous les indigènes
sous le nom de Bakongos ; ils sont petits, chétifs, mais
marcheurs infatigables; en remontant dans l'intérieur,
on trouve les Batékés dont les groupes les plus impor-
tants sont sur la rive française etlesBayanzis, leurs voi-
sins de l'est; la turbulence des Batékés a plusieurs fois
mis à l'épreuve la patience des administrateurs de
Brazzaville, ces tribus sont peu dociles, mais sociale-
ment supérieures aux Bakongos ; elles pratiquent le
commerce par pirogues entre le Stranley-Poolet le con-
fluent de l'Oubanghi ; leurs chefs qui arrivèrent parfois
à de vraies fortunes, prélevaient des péages sur les
convois d'ivoire et de caoutchouc qu'ils laissaient pas-
ser vers le bas fleuve. Plus loin encore vivent les Ban-
galas et les Basokos, qui sont parmi les plus intelligents
de ces nègres ; de taille moyenne, mais très vigoureux,
1
84 L 'AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
ils sont bons piroguiers et habiles pêcheurs ; ils entrent
volontiers en guerre contre leurs voisins et leur aspect
est terrible, avec leur chevelure en casque et la crête à
trois dents qu'un laborieux tatouage a fait pousser sur
leur front. Bien disciplinés, ils font des soldats coura-
geux et de bons auxiliaires pour la direction de nègres
moins civilisés. Enfin, vers le Kassaï, les Baloundas,
à cheval sur la frontière du Congo et de l'Angola por-
tugaise, forment une série de tribus puissantes, qui
peuplent les terrasses tournées vers la plaine et la lisière
forestière voisine.
Ces noirs n'ont entre eux aucune cohésion, bien que
leur langue se ressemble d'un bout à l'autre de l'État ;
ils sont divisés en villages, le plus souvent hostiles les
uns aux autres et retranchés à quelque distance des
fleuves ; une pêcherie, quartier temporaire au bord de
l'eau, l'amorce d'un sentier qui s'enfonce sous bois, la
silhouette de quelques bananiers aperçus dans un cré-
neau de la forêt, tels sont les indices ordinaires qui an-
noncent une agglomération. On a dit que jadis des
états nègres assez bien organisés se seraient formés
dans la plaine congolaise et ensuite émiettés, soit par
la guerre civile, soit à l'approche des Arabes et des
Européens ; ceci ne paraît pas très vraisemblable ; l'is-
lam, le premier, marchant à la suite des conquérants
Zanzibarites, a commencé à dégrossir les populations
noires des terrasses centrales, mais son influence n'avait
pas pénétré dans la forêt et les prétendus rojaumes
d'autrefois n'ont sans doute jamais existé que dans
l'imagination de quelques capitaines négriers.
LES PLAINES ÉQUATORIALES 85
Toutes ces peuplades vivent dans une absolue sauva-
gerie : leurs cases ou chimbèques sont de simples pail-
lettes rondes, couvertes de chaume et composées d'une
seule pièce ; quelques chefs ont fait bâtir par leurs
captifs des palais du même style, mais élevés d'un étage
et divisés en appartements ; le vêtement se réduit à un
double tablier carré, très court, qui tombe devant et
derrière et qui est suspendu par une ceinture en fibres
de palmier ; les élégantes se gardent d'allonger leur
toilette, mais elles la doublent, sur plusieurs épaisseurs,
ce qui leur donne Tair de porter des morceaux de cri-
noline. Les bananes et le manioc sont, avec le poisson,
la nourriture ordinaire de ces nègres ; tous les porteurs
joignent à leur charge une chicouangue^ c'est-à-dire un
saucisson de farine de manioc roulé dans des feuilles
de bananiers ; l'eau est leur boisson quotidienne, mais
presque tous tirent du palmier une liqueur appelée
malafou (c'est le lagmi des oasis algériennes), dont ils
font une consommation désordonnée chaque fois que
l'occasion s'en offre ; ils boiraient avec avidité tous les
alcools de traite, si les Européens n'en surveillaient at-
tentivement l'importation. Gomme les peuples de la
forêt de Guinée dont nous avons parlé plus haut, ils
sont anthropophages et l'on ne doit pas en conclure
qu'ils soient particulièrement cruels ; le jour où l'on
pourra leur fournir de la viande de boucherie, ces
pratiques disparaîtront, parce qu'il sera différemment
pourvu au besoin qu'elles expriment. Mais la solution
du problème semble encore lointaine, et, même parmi
les miliciens qui vivent dans le voisinage et sous les
86 l'Afrique a l'entrée du vingtième siècle
ordres directs de chefs européens, il n'a pas toujours
été possible d'empêchei' les scènes de cannibalisme,
surtout après les batailles.
Rarement ces indigènes ont offert une résistance pro-
long-ée à l'établissement des Européens ; les obstacles
ne se sont dressés devant la conquête belge que sur les
confins du pays depuis longtemps atteint ou menacé
par l'expansion arabe; mais dans quelques districts de
la forêt, les exactions de certains agents de l'État ou des
compagnies commerciales avaient déterminé des insur-
rections partielles, qui furent très durement réprimées;
nous n'avons pas à prendre ici parti dans les querelles
qui ont retenti jusque dans l'enceinte du parlement de
Belgique, cependant il ne paraît pas contestable que la
négligence de quelques villages à fournir leur contin-
gent de caoutchouc a été punie par des exécutions et
des violences hors de toute proportion avec les fautes
commises ; les nègres de la Mongalla, par exemple,
ne se seraient soulevés qu'après véritable provocation
par des cruautés impitoyables. Autant il est imprévoyant
de laisser à ces indigènes la liberté du travail, qui n'est
pour eux que celle de la paresse, autant il est à la fois
impolitique et inhumain de les traiter brutalement et
d'assouvir sur eux des passions de vengeance qu'irrite
encore l'action énervante du climat équatorial.
Beaucoup de temps et beaucoup de patience seront
indispensables pour habituer les noirs de la plaine con-
golaise à travailler la terre autrement que pour satis-
faire leurs besoins immédiats ; ils ne pratiquent encore
aucune industrie, sauf la fabrication de leurs pirogues,
•r-,-
LES PLA.INES EQUATORIALES 87
de quelques tissus grossiers qui composent leur léger
vêtement et d'armes en fer, lances et couteaux de jet,
aux formes bizarres et tourmentées, dont on peut voir,
au musée colonial de Tervueren près de Bruxelles, de
curieux-échantillons. Sur deux façades de la forêt cqn-
golaise, ils ont été touchés par les progrès des mar-
chands musulmans, qui leur apportaient des armes
nouvelles, adjoignant de proche en proche à leurs troupes
les tribus déjà soumises pour en soumettre d'autres
plus éloignées : au nord, dans le domaine de la Sanga
et de rOubanghi, c'est-à-dire dans ces régions de sou-
veraineté française par où M. de Brazza développa no-
tre Congo vers le Tchad ; à l'est, sur les terrasses de
l'Afrique centrale, où l'Etat indépendant dut diriger
contre eux la série des «campagnes arabes », à peine
achevée aujourd'hui. Mais sur le pays que couvrit jadis
le lac du moyen Congo, ces communautés indigènes
sont à peu près intactes, et c'est aux Européens que re-
viendront la tâche et le profit de les transformer pro-
gressivement.
La nature aura, pour cette œuvre, très généreusement
servi les initiateurs, car l'ancien lac congolais ofiFre à la
pénétration le plus admirable réseau de navigation de
toute l'Afrique : le Congo lui-même, du Stanley-Pool
aux Stanley-Falls, coule sur 1600 kilomètres sans un
seul rapide : son cours est lent, encombré parfois d'îles
et de bancs de sable, sur lesquels des crocodiles se
chauflFent au soleil; le confluent de la Koua, comme
le Stanley-Pool lui-même, a l'allure et les dimensions
d'un lac fluvial ; la courbe immense que décrit le fleuve
88
l'Afrique a l'entrée du vingtième siècle
allong-e de quelques jours la navigation vers les Falls,
mais l'inconvénient est bien médiocre, si l'on pense
aux avantag-es de l'extension plus grande, en ces pays
non frayés, d'une pareille voie naturelle; peu importe,
ici, d'aller vite ; il est plus utile de trouver le chemin
de districts plus étendus, car, sans les fleuves, la circu-
lation à travers la forêt est trop pénible pour permettre
un mouvement commercial intense.
Le groupe hydrographique de la Koua n'a pas moins
de 1.250 kilomètres navigables sur son bief principal,
qui emprunte d'ouest en est des sections de la Koua, du
Kassaï et du Sankourou ; des voies moins longues se
jetant dans ce bief, ouvrent aux vapeurs fluviaux les
régions de laLouloua, du lacLéopold II, etc.. Un autre
affluent de gauche du Congo, le Lomami,est navigable
sur près de 1.000 kilomètres et l'on peut, en le remon-
tant, tourner les Stanley-Falls pour s'avancer sans rom-
pre charge beaucoup plus loin vers le sud ; les voies
Kassaï-Sankourou et Gongo-Lomami convergent ainsi,
la seconde formant l'arc et la première la corde, vers
les savanes des plateaux ; après avoir guidé la conquête
militaire contre les Arabes zanzibarites, elles sont au-
jourd'hui comme les deux tiges à partir desquelles s'é-
panouit la conquête économique.
Les affluents de droite du Congo sont moins favora-
bles à la pénétration ; la Sanga (qui coule dans le ter-
ritoire français) n'est pas navigable en amont d'Ouasso,
point proposé comme terminus oriental du chemin de
fer à lancer du Gabon vers l'intérieur ; l'Oubanghi,
mais seulement jusqu'aux rapides de Zongo, est un
LES PLAINES ÉQUATORIaLES 89
beau fleuve, navigable presque toute Tannée ; pour ses
affluents d'amont, nous avons vu qu'il faudrait combi-
ner des portages avec le transport par eau. La Mong-alla,
qui traverse des forêts très riches en caoutchouc, TA-
rouhimi, sur lequel Stanley vit des pirogues indigènes
à quarante rameurs, avec bordages incrustés d'ivoire,
d'autres fleuves encore (et le réseau n'en est pas com-
plètement reconnu), portent à plus de 15.000 kilomètres
la longueur des biefs navigables qui confluent vers le
Stanley-Pool ; l'explorateur Grenfell assure que, dans
toute la plaine du Congo équatorial, il n'est pas un
point distant de plus de 160 kilomètres d'une escale
accessible par eau.
Mais tous ces germes de prospérité devaient rester
stériles, tant que l'homme n'avait pas ouvert à ces fleuves
une porte directe sur l'Atlantique ; sans voie de péné-
tration, disait énergiquement Stanley, tout le Congo
ne vaut pas un shellîng ; entre le Stanley-Pool et l'es-
tuaire, en effet, les eaux d'amont, rassemblées en un
seul lit, franchissent les monts de Cristal sur 400 à 500
kilomètres, en deux séries de rapides coupées par un
bief paisible- ; dès la sortie du Pool, le fleuve précipite
son cours avec une force telle que parfois des pirogues
voulant accoster à Léopoldville ont été entraînées et en-
glouties ; l'estuaire est navigable aux paquebots jus-
qu'à Matadi, sauf passage très prudent sur le banc de
Mateba, près Boma et vitesse supérieure à dix nœuds
pour sortir du « Chaudron d'Enfer », en vue de Matadi.
Comment vaincre l'obstacle intermédiaire ? Comment
assurer la traversée permanente de ces mamelons appelés
90 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
monts de Cristal, qui sont couverts d'une brousse mi-
sérable et presque déserts ? Stanley, dont le mémorable
voyag-e fixa Tétendue exacte du cours du Congo, tenta
le premier de réaliser le progrès qu'il estimait néces-
saire : parti de Vivi, sur la rive droite du fleuve, en face
de Matadi, il entreprit la construction d'une route,
composée de deux portag-es encadrant le bief central
Isanghila-Manyang'a ; c'était un travail immense, il en
vint à bout pourtant, et par cette voie mixte deux cha-
loupes V Association internationale Afncaine et VEn^
Avant remontèrent jusqu'au Pool par où, pour la pre-
mière fois, la vapeur prenait possession de l'Afrique
équatoriale.
Mais ce n'était pas assez ; outre les frais d'un double
transbordement, l'entretien de la route g-revait lourde-
ment le trafic, accaparant des milliers de porteurs dont
reflPort eût été bien plus utile sous une autre forme ; il
fallait un chemin de fer et c'est à cette œuvre que se
consacra le capitaine, aujourd'hui lieutenant-colonel
Thys, officier d'ordonnance du roi Léopold II. A la
suite du colonel Thys, on peut poser en principe que
seul, un chemin de fer constitue une voie de pénétration
pratique, dans les pays où l'absence de bêtes de somme
rend impossibles les transports en g'ros ; la voiture auto-
mobile elle-même, si peu exigeante qu'on la suppose
en fait de routes, ne pourra sans doute jamais rendre
ni en force, ni en usage, les services d'une locomotive
sur rails ; ceci soit dit sans rien contester de ce que les
progrès de la science apporteront d'innovations dans la
construction et le chauffage des automobiles ; en pays
r
LES PLAINES EQUATORIALES 91
équatorial, Tessentiel du chemin de fer paraît être le rail
plutôt que le moteur. C'est ce que le colonel Thys com-
prit dès le début ; il mit à propager ses idées toute
Tardeur d'un apôtre et toutes les ressources d'un homme
d'action ; visites, conférences, brochures, rien ne rebuta
sa persévérance ; le roi Léopold fut vite gagné par tant
de confiance et ne cessa jamais d'accorder au colonel le
concours de sa plus effective protection ; si le souverain
dut alors vaincre, dans son entourage de famille, des
résistances très vives, il n'est personne aujourd'hui qui
ne rende hommage à sa clairvoyante obstination.
Le chemin de fer du Congo constituant une première
expérience, il n'est pas surprenant que les plans d'abord
arrêtés aient été plusieurs fois modifiés en cours d'exé-
cution, et que peut-être encore des retouches de détail
soient nécessaires. Mais les grandes lignes du projet
primitif n'ont jamais varié. Renonçant à profiter du bief
navigable inséré au cœur des monts de Cristal, Thys
décida que le chemin de fer monterait, d'un seul bond,
de Matadi au Stanley-Pool ; il serait établi à voie
étroite, afin de diminuer les prix de revient, mais
sans cependant rien marchander pour assurer la soli-
dité de la construction. Les études préalables furent
très brèves, et les évaluations alors proposées se sont
trouvées de beaucoup trop basses; lès difficultés, en
effet, se sont multipliées devant les directeurs de l'en-
treprise, médiocrité de la main-d'œuvre indigène, mor-
talité parmi les ouvriers noirs et les agents euro-
péens, glissements de terres pendant les pluies, encom-
brement sur une voie unique qui devait, d'un seul
1
92 l'aFRIQUE a l'entrée du vingtième SIECLE
point de départ mal outillé, ravitailler les chantiers à
ravancement et les travaux en reprise ; il ne leur a
même pas manqué d'être vilipendés par des publicistes
d'Europe et presque acculés à la faillite ; leur bonne
étoile les sauva pourtant des désastres irrémédiables ;
la voie ferrée atteig'nit après trois ans son 28* kilo-
mètre, et le nom de ce col de l'horizon » donné à cette
crête de la falaise, d'où le rail n'avait plus qu'à ser-
penter sur le plateau, indique les perspectives meil-
leures qui s'ouvrirent dès lors, au delà des obstacles
culminants vaincus.
En huit ans (1890-1898), le chemin de fer du Cong-o
a été achevé, entre Matadi sur l'estuaire et Ndolo-Léo-
poldville sur le Pool, soit environ 450 kilomètres;
les sommes dépensées en juillet 1898 montaient à
65 millions de francs, et l'on doit estimer que 5 mil-
lions au moins ont été ajoutés depuis pour parfaire les
travaux, encore incomplets sur quelques points ; le
prix du kilomètre ressort ainsi à plus de 160,000 fr.,
pour une voie de m. 75. Si ce chiffre paraît élevé, que
l'on n'oublie pas que la voie est très bien établie, avec
des rails lourds et des traverses métalliques, que tous
les ponts sont en fer, le principal, celui de l'Inkissi,
ne mesurant pas moins de 100 mètres, que le relief on-
dulé du plateau commandait un g-rand nombre de
rampes et de courbes ; enfin, et ce serait sans doute
l'explication la meilleure, que la compagnie n'a pu
éviter les « écoles » d'une première et d'autant plus
coûteuse initiative. Sans chicaner sottement sur des
statistiques, mieux vaut examiner quelle sera, pour la
LES PLAINES EQUATORIALES 93
mise en valeur de TAfrique congolaise, Tulilité du
chemin de fer si heureusement terminé.
Il a tout d'abord drainé tout le haut pays, où avaient
été accumulés pendant les travaux des stocks considé-
rables d'ivoire et de caoutchouc ; comme par une bou-
teille dont le goulot brusquement débouché laisserait
échapper tout le contenu, comme le Congo lui-même
s'épancha, aux âges anciens, à travers la percée des
monts de Cristal, ainsi sur la voie nouvellement ou-
verte ont afflué tous les produits amassés en amont. De
là le merveilleux essor financier de la compagnie du
chemip de fer, dès que la ligne a été livrée ; inaugurée
solennellement en juillet 1898 — et vraiment l'effort
accompli méritait cette éclatante consécration, — dès
Tannée 1898, les recettes brutes en montaient à un mil-
lion de francs par mois. La hausse des titres de la com-
pagnie était donc des plus légitimes, et tous les termes
impayés pendant la période difficile de la construc-
tion, sont aujourd'hui soldés entre les mains des por-
teurs.
Doit-on compter que le trafic maintiendra longtemps
de pareils bénéfices ? Peut-être est-il sage de prévoir
quelque tassement, à mesure que s'épuiseront les
réserves du haut fleuve, cependant l'exploitation nor-
male restera certainement très rémunératrice, si la
compagnie, au lieu de considérer son œuvre mainte-
nant achevée, se persuade qu'elle n'est, au contraire,
qu'au début, que le chemin de fer n'est pas une fin en
soi, mais un simple moyen, un moyen de compléter le
réseau fluvial en le liant à la mer et d'outiller ainsi, en
94 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE
vue d'une colonisation méthodique, tout le domaine
hydrographique du Congo.
C'est là, nous en avons plus d'un témoignage, la
pensée de la compagnie, dont les directeurs n'en sont
plus à faire leurs preuves d'intelligence pratique ; en
même temps que progressait la ligne du chemin de fer,
toute une flottille de transports fluviaux étaient lancés
en amont du Stanley-Pool ; les uns appartiennent à
l'Etat, les autres à des compagnies particulières ; ils
étaient en 1899 au nombre d'environ soixante, jaugeant
de 50 à. 125 tonneaux ; Stanley n'avait amené ses deux
chaloupes jusqu'au Pool qu'au prix d'une lutte presque
épique contre la nature; aujourd'hui, le chemin de fer
porte en deux jours, du paquebot d'Europe jusqu'aux
eaux navigables de l'intérieur, les pièces de bâtiments
autrement puissants; d'Anvers aux Stanley-Falls, en
trois semaires de mer, deux jours de chemin de fer,
douze à quinze de navigation fluviale, moins d'un mois
et demi des musées de Flandre au cœur de l'Afrique
noire, tel est le prestigieux voyage que le touriste le pi us
débonnaire peut entreprendre, aujourd'hui, tout aussi
tranquillement que le tour du bois de la Cambre ; et
des commerçants y vont en hommes d'affaires, en atten-
dant que des agences y envoient des bandes de gens de
loisir.
Que l'on n'aille pas croire, pourtant, que l'on navi-
gue sur le moyen Congo comme sur les grands fleuves
d'Amérique, le Mississipi ou le Saint-Laurent : les va-
peurs en service au delà du Stanley-Pool sont astreints
à une marche lente et strictement surveillée ; les rivières
LES PLAINES EQUATORIALES 9S
étant souvent étalées avec une très faible épaisseur d'eau ,
les types de bateaux ont été spécialement adaptés à ces
conditions, et ne peuvent donner une grande vitesse ;
ils ne calent guère plus de m. 50, sont mus par une
hélice ou plus généralement par une roue d'arrière, à
palettes ; ils ne marchent que dans la journée, et doi-
vent encore s'arrêter souvent pour renouveler leur pro-
vision de combustible, c'est-à-dire de bois : des esca-
les de ravitaillement sont aménagées à cet effet ; il est
à souhaiter que les chenaux, partout où les fonds sont
médiocres, soient balisés pour éviter des échouages,
accidents encore trop fréquents. Mais si nous faisons
ressortir ces quelques inconvénients, il n'en faut pas
moins insister sur la supériorité que ce réseau navi-
gable assure au Congo belge sur toutes les autres co-
lonies d'Afrique.
Les voies affluentes des rivières navigables ne sont à
l'heure présente que des portages où les marchandises
circulent à dos de nègre ; dans l'est et le sud-est de
l'Etat, sur les plateaux, on a pu tenter de domestiquer
des bêtes de somme, le bœuf et le zèbre ; rien de tel
n'est possible dans le domaine équatorial du Congo,
ces animaux paraissant incapables de s'y acclimater ;
signalons toutefois l'intéressantsuccès de la compagnie
des produits du Congo, qui a réussi à constituer dans
l'île de Mateba, près de l'embouchure du fleuve, un
troupeau de bovidés dont le lait et la viande sont con-
sommés en amont jusqu'au Stanley-Pool ; un nou-
veau progrès serait d'en faire aussi des bêtes décharge;
nous ne croyons pas que rien ait été fait encore, au
96 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
Cong'o belge, pour la domestication de Féléphant.
Pour que TÉtat indépendant atteig-ne une prospérité
durable, il faut qu'il entre résolument dans 1* « âge de
Tagriculture, » et ne se borne pasà faire du commerce,
surtout d*après les errements de ses premières années.
Les éléphants, traqués sans merci, sont de plus en plus
rares ; aussi le marché de Tivoire, naturellement cons-
titué à Anvers, n'a-t-il pas beaucoup développé ses af-'
faires dans les derniers exercices ; la quantité d'ivoire
que Ton y importe d'Afrique atteignit 245 tonnes, en
1897 et n'a guère monté depuis; il est vrai qu'il est dif-
ficile de s'en rendre exactement compte, les négociants
intéressés ne laissant offrir que des lots limités, de ma-
nière à maintenir les cours ; mais la compagnie du
chemin de fer a sagement décidé, ce qui serait une preuve
de la diminution de l'ivoire, de n'en presque pas faire
état pour dresser ses prochains budgets. La chasse de
l'éléphant a été interdite dans tout l'Etat, sauf permis-
sion spéciale, par un décret du 25 juillet 1889; l'inten-
tion était>elle de protéger les éléphants, ou seulement
de réserver là à quelques privilégiés le commerce de l'i-
voire ? c'est ce qu'il n'est pas très aisé de démêler.
Le Bas Congo possède, comme la côte de Guinée, de
nombreux élaïs ou palmiers à huile ; les indigènes re-
cueillent volontiers les amandes et même fabriquent
l'huile de palme, que les factoreries leur achètent cou-
ramment; c'est un travail peu pénible, d'un rendement
très rémunérateur pour des noirs, mais qu'il est dan-
gereux d'encourager sans contrôle, si l'on ne veut sa-
crifier l'avenir au présent. Avec le chemin de fer et les
LES PLAINES ÉQUATORIALES 97
vapeurs fluviaux, la cueillette des amandes de palme
ne sera plus limitée au bas fleuve ; Télaïs est, en effet,
très commun sur les bords de rArouhimi,d*où ses pro-
duits seront dirig'és sur Matadi sans frais trop consi-
dérables pour en rendre l'exportation impossible. Le
caoutchouc abonde dans toute la forêt ; on en estime
l'exportation, pour tout l'Etat, à 2000 tonnes par an, et
de nombreuses compag^nies de commerce en font l'ob-
jet unique de leurs transactions ; la môme observation
s'impose ici qu'à propos de l'élaïs ; il est nécessaire, si
vastes que l'on suppose les réserves du Congo, de
rég'ler l'exploitation par les indig'ènes, et d'introduire
des procédés de plus en plus scientifiques de récolte et
de coagulation du latex. Divers arbres sont dès main-
tenant exploités pour leur bois ; un tronçon de chemin
de fer, long* de 30 kilomètres, a été ouvert de Boma au
Mayombe, qui est une région d'épaisses forêts (prin-
temps de 1900). D'autres arbres fournissent des fibres
textiles, comme le rafia, qui pousse dans les poches les
plus humides des galeries ; quelques-uns enfin, tels
que le manguier, l'avocatier, etc.. portent des fruits
comestibles : presque sauvages encore, ces fruits n'ont
pas la délicatesse ou la saveur de ceux d'Europe, mais
ils sont appréciés déjà des résidents européens, dont ils
varient l'ordinaire, et l'on espère les améliorer par la
culture, au point de leur ouvrir les marchés métropo-
litains.
La compagnie du chemin de fer, pour faciliter l'ex-
ploitation des produits du haut pays, accorde des tarifs
de faveur à toutes les marchandises destinées à la cons-
L'Afrique. 6
98 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE
truction et à l'outillage des postes d'âmont. Les blancs
ne pouvant surveiller les travailleurs noirs s'ils ne se
trouvent établis dans un confort au moins relatif, on
comprend qu'elle contribue, par cette concession, au
prog'rès des cultures coloniales, dont les Européens
seuls seront long'temps encore les directeurs. L'Etat
indépendant a tenté des plantations à Léopoldville, à
Kinchassa sur le Stanley-Pool et dans la plupart de ses
stations du haut; les deux plus prospères sont Goquil-
hatville, et la Nouvelle-Anvers, en pays Bang-ala; à
Coquilhatville, 300 hectares sont défrichés, et pro-
gressivement complantés en café et cacao ; des jardins
potagers produisent tous les légumes d'Europe, plus
charnus peut-être, mais moins fermes et moins appétis-
sants que ceux de nos climats. Les chefs indigènes,
depuis un arrêté d'avril 1897, sont obligés de planter
dans leurs villages telles espèces et en telles quantités
qu'il leur est prescrit par les agents de l'Etat.
Le sol fertile du Congo porte, sans les façons multi-
ples de notre agriculture savante, une belle variété de
produits dont les uns assurent la subsistance des indi-
gènes et des résidents étrangers, tandis que d'autres
sont matière d'exportation ; mais pour tirer parti de
ces richesses, le blanc ne peut se passer du travailleur
nègre ; or c'est seulement par la contrainte que l'on a j us-
qu'ici décidé les nègres congolais au travail. Le che-
min de fer a multiplié sur la main-d'œuvre noire des
expériences de toutes sortes ; faute d'auxiliaires recru-
tés sur place, il a dû s'adresser à des Sénégalais, acces-
sibles à la tentation de l'argent, vigoureux et très ma-
LES PLAINES ÉQUÀTORIALES 99
niables si Ton sait les prendre à la fois par la confiance
et par la vanité ; lors des fêtes de Tinaug'uration, les
invités remarquèrent, à toutes les stations, des groupes
de cases pavoisées aux couleurs françaises : c'étaient les
villages des ouvriers sénégalais, parmi lesquels beau-
coup d'anciens tirailleurs, parlant un peu français,
et se parant aux jours chômés de vieux effets d'uni-
forme.
Les Belges ont obtenu des services des Sangos et des
Bangalas, qui avaient pourtant, en 1877, fait une con-
duite si peu amicale aux pirogues de Stanley. Ce n'est
là encore qu'une exception. Les noirs, fixés sur les ex-
ploitations, sont astreints au travail, mais jamais leur
effort n'est très intense ; il convient, en ces pays, de
prendre à rebours le dicton venu des Antilles et de dire
« flâner comme un nègre ». On a beaucoup parlé der-
nièrement des « incidents de la Mongalla », c'est-à-
dire des cruautés de quelques agents européens et d'un
soulèvement conséquent des riverains de ce fleuve; nous
ne saurions trop vivement approuver le rapport qui
fut, à cette occasion, adressé au gouvernement belge
par M. de Guvelier, secrétaire général des affaires étran-
gères, pour l'Etat indépendant. Le maintien de l'auto-
rité, dit M. de Guvelier, n'est pas inconciliable avec les
devoirs supérieurs de l'humanité ; il convient de répri-.
mer toute violence contre la personne et les biens des
indigènes mais, pour substituer au régime de paresse
générale, de luttes civiles et d'esclavage un état social
meilleur, il faut aussi proclamer, imposer en cas de
nécessité, la loi du travail régulier et rémunérateur.
100 l'Afrique a l'entrée du vingtième siècle
Et ce sera tout bénéfice pour tous ; l'ouvrier nègre, fixé
près des Européens, sera initié aux cultures potagères
et, partout où il sera possible, à Télevage ; ainsi per-
dra-t-il petit à petit, par la faculté de consommer des
aliments nouveaux pour lui, le besoin et môme le goût
de la chair humaine.
L'Etat indépendant du Congo, malgré les critiques
qui ne lui ont pas été ménagées, a donc abordé très
intelligemment les problèmes de la transformation eu-
ropéenne de l'Afrique ; il a complété le réseau de ses
communications naturelles par des travaux qui ouvrent
l'accès facile d'immenses territoires ; il est administré
de façon telle que la dispersion des efiForts individuels
n'y fait pas tort à l'unité organique de son développe-
ment ; il ressemble beaucoup, et ceci n'est pas un re-
proche, à une vaste maison de commerce, dont les di-
vers bureaux seraient les compagnies qui s'en partagent
l'exploitation et dont les directeurs, résidant à Anvers
et à Bruxelles, ne forment qu'un petit groupe, très co-
hérent et très obéi. Le « domaine privé » (appartient-
il personnellement au souverain ou à l'Etat ?) fait, à lui
seul, plus de la moitié du commerce du caoutchouc et
les neuf dixièmes de celui de l'ivoire. L'Etat est fort in-
téressé, de manière ou d'autre, dans plusieurs compa-
gnies privées. Il y a là une forme administrative et
politique, souple et solide, dont la hardiesse déconcerte
notre manie française d'assimilation et d'abstraction :
l'œuvre n'en est, pour nous-mêmes, que plus curieuse
et plus instructive.
En 1897, le mouvement commercial de l'Etat indé-
r
LES PLAINES EQUATORIALES 101
pendant du Congo, alimenté surtout par les régions de
plaine équatoriale que draine le chemin de fer du bas
fleuve, a dépassé quarante millions de francs, dont les
trois quarts représentent les échanges avec la Belgique ;
il montait en 1899 à 66 millions. Après avoir été pas-
sionnément discutée, chez nos voisins, la politique con-
golaise est aujourd'hui admise de tous, du moins en
principe ; la presse a été gagnée la première et Topiniçn
la suit ; l'exposition du Congo, à Tervueren, est deve-
nue pour les Bruxellois une sorte de musée du diman-
che. Certes, la part de la spéculation doit être faite,
dans la hausse des valeurs congolaises, mais ce mou-
vement est aussi fondé en raison sur des progrès accom-
plis et les initiateurs qui n'ont pas faibli devant les
déboires de la première heure ont le droit de s'en mon-
trer fiers.
L'Afrique. 6.
CHAPITRE IV
La côte orientale et Zanzibar.
La côte orientale de l'Afrique, entre le cap Guarda-
fui (120 lat. N ) et l'île de Mozambique (15<» lat. S.) n'est
équatoriale que parsa position géographique ; le climat
en est différent de celui des rég'ions précédemment étu-
diées, les pluies y sont périodiques et non perpétuelles,
enfin l'altitude générale, dès que l'on pénètre dans l'in-
térieur, est trop considérable pour que la zone maritime
soit autre chose qu'une étroite lisière.
La partie centrale de cette zone est bien connue, et
depuis longtemps; les Arabes deMascate y ont été, dès
le moyen âge, les précurseurs des Européens établis
dans notre siècle ; plus tard, c'est autour de Zanzibar
qu'ont évolué les escadrilles chargées de réprimer la
traite. Mais nos connaissances sont beaucoup plus ré-
centes et moins complètes sur les parties nord et sud :
au nord, la presqu'île des Somalis reste un des coins
mystérieux de l'Afrique ; elle n'a été traversée que par
LES PLAINES ÉQUATORIALES 103
«
de rares voyag-eurs, et Tannée 1896 vit le double assas-
sinat, par les indigènes, du capitaine italien Bottego,
près des frontières de TAbyssinie et du consul général
d'Italie à Zanzibar, M. Gecchi, à vingt kilomètres à peine
de la côte. Dans le sud, les Portugais sont demeurés
longtemps inactifs ; le cours des rivières littorales qui
coulent entre Mozambique et le lac Nyassa est encore
incertain ; Mozambique entre leurs mains n'a été qu'une
escale sur la route des Indes ; la pénétration de l'Afri-
que, au départ des côtes portugaises, est dans toute
l'Afrique l'œuvre de sociétés étrangères ; ici, ce sont des
capitalistes et même des soldats anglais qui se substi-
tuent au Portugal, et découvrent, à quelques étapes delà
côte, un pays que l'indifférence de ses souverains a laissé
jusqu'à nos jours inconnu.
Des bouches du Zambèze à la mer Rouge, la côte
africaine est bordée, à distances variables, de hautes
terres enserrant des lacs profonds ; ces massifs forment
dans l'ensemble une longue falaise qui tourne vers la
mer ses escarpements rapides et dont la direction est
soulignée par celle des îles côtières, Pemba, Zanzibar
et Mafia. Le relief intérieur a été remanié par une ac-
tion volcanique puissante: le Kilimandjaro, gravi pour
la première fois en 1889 parle docteur Meyer, s'élève,
jusqu'à 6,130 mètres et présente nettement la forme
d'un cône d'éruption ; le Kénia, qui culmine à 5,600
mètres, a été étudié par Mac Kinder en 1898, il a été,
luiaussi, dressé par le jeu des forces souterraines ; l'al-
titude de ces deux géants est assez élevée pour que,
presque exactement sous l'équateur, ils portent des
lU L^AFKIQUS A l'eSTIHÉB DU VINGTIEME SIECLE
glaciers: tons les climats du globe s*étagcnt sur leurs
flancs, depuis les vallées chaudes à forêts touffues jus-
qu'aux déserts polaires.
Le Kéoia et le Kilimandjaro sont les citadelles maî-
tresses de la falaise qui borde la côte mais, de part et
d^autre de Féquateur, d'autres sommets de haut relief
accidentent le &ont des plateaux du centre africain : en
arrière de Z&nzibar, les monts de TOusagara, proches
de 3,000; entre Mozambique et le lacChiroua, les monts
Namoulis, qui dépassent â,400 mètres. Au nord de Té-
quateur, des volcans encadrent la rive méridionale du
lac Rodolphe ; ils portent le nom de l'explorateur au-
trichien Téléki, et ont au moins 3000 mètres ; des mon-
tagnes de même caractère surgissent entre le plateau
des Somalis et l'Abyssinie, où l'action volcanique,
particulièrement intense, a laissé un véritable chaos.
C'est donc une barrière, plus ou moins haute, plus
ou moins continue, mais d*un aspect général très uni-
forme qui réduit à une expansion médiocre vers l'inté-
rieur les influences de TOcéan Indien. La péninsule des
Somalis est un empâtement isolé vers l'est, un triste
pays « de discordes, de guerres et de razzias », dit l'I-
talien Robecchi-Brichetti, l'un des seuls Européens qui
aient pu s'y aventurer sans dommage ; ces plateaux,
tour à tour argileux et pierreux, annonceraient la na-
ture de l'Arabie ; les populations, nomades sur ce sol
ingrat, accueillent l'étranger avec la plus extrême mé-
fiance ; très près de la côte, un régime semi-désertique
de steppes à fleuves temporaires rendrait déjà, sans
l'hostilité des habitants, la pénétration difficile ; on ne
LES PLAINES ÉQUATORLVLES 105
peut donc promettre un brillant avenir aux postes ita-
liens de la sultanie d'Opia, bloqués sur cette côte peu
hospitalière.
Toute Tactivité de relation est concentrée dans la ré-
gion moyenne de ce littoral, dans les îles et les ports
continentaux qui constituaient jadis la façade maritime
des états de Zanzibar ; le courant équatorial du sud,
qui s'est d'abord enroulé autour de la pointe nord de
Madagascar, se divise au contact de l'Afrique : une de
ses branches s'allonge entre Madagascar et la côte
portugaise, formant le courant du Mozambique, qui
a creusé le littoral jusqu'à la hauteur de Beira ; l'au-
tre remonte au nord, vers Bagamoyo, et sans doute
a contribué à détacher Zanzibar du continent africain,
Les meilleurs ports seront donc ceux ouverts au nord-
est, protégés ainsi contre l'envasement par les courants
marins dominants; d'ailleurs la mer n'est guère active-,
autour de Zanzibar, la latitude de l'île correspondant
exactement, entre les moussons et les alizés du sud-est,
à la région des calmes équatoriaux.
La plage continentale est précédée de récifs de co-
. raux ; elle s'allonge, en minces langues de sable, entre
des lagunes sans profondeur ; des bosquets de coco-
tiers l'ombragent par places et dans le lointain, vers
l'ouest, s'estompent les montagnes de l'Ousagara ; les
facilités d'accès sont très médiocres, en face même de
Zanzibar : la côte est basse, les coraux ne laissent
entre eux que des chenaux étroits, et les ports de Ba-
gamoyo et Dar-es-Salam ne sont que des mouillages ;
il en est de môme à Zanzibar, capitale et port de l'île
-T«p " "
i06 l' AFRIQUE A l' ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
du môme nom ; les paquebots de mer jettent Tancre à
près d'un kilomètre du rivage ; seuls les boutres
arabes accostent à terre. Au nord, en face de Pemba,
les conditions sont meilleures : ici en effet, les mon-
tag'nes de l'Ousambara sont toutes proches de la mer,
et le relief littoral participe de leur structure plus va-
riée ; Tang'a serait le meilleur port de TAfrique orien-
tale allemande, avec une rade facile à défendre, acces-
sible aux navires de guerre ; mais les Anglais ont pris
une grande avance, au port voisin de Mombasa, tête
de ligne du chemin de fer de l'Ouganda et qui paraît
appelé à supplanter Zanzibar même.
Très vite en arrière de la côte, qui est appelée dans le
pays Mvima, commence une steppe ondulée, montant
par échelons jusqu'à 1000 mètres ; le sol est composé
de roches anciennes, schistes et gneiss avec des affleu-
rements granitiques ; les érosions, décomposant ces
couches superficielles, en ont fait un manteau de laté-
rite qui s'étend fort loin dans l'intérieur ; les fleuves
se sont foré des vallées encaissées, où se réfugie la vé-
gétation forestière, car le niveau supérieur des pla-
teaux est trop peu arrosé pour porter des bois touffus :
on n'y rencontre que des bouquets d'arbres isolés, bao-
babs et manguiers ; de hautes graminées couvrent tout
le reste, grillées en saison sèche, et d'une verdure
molle pendant les pluies; autour des groupes de cases
indigènes, un défrichement sommaire, par l'incendie
de la brousse, a ménagé quelques clairières pour la
culture du sorgo ; c'est en somme un pays tropical, plu-
tôt qu'équatorial, dont toutes les conditions géogra-
LES PLAINES ÉQUATORIALES 407
phiques, économiques et même sociales sont réglées
par la succession des moussons.
Les moussons soufflent rég'ulièrement entre l'Afri-
que orientale et Tlnde ; en été, TéchaufiFement des
masses montagneuses de l'Asie centrale appelle les
nuages de l'océan Indien, en hiver au contraire ces
mêmes masses écrasent en quelque sorte et dis-
persent loin de l'Asie nuages et vents; la côte de
Zanzibar reçoit alors la mousson du nord-est. Les
moussons, plus encore que les courants de l'océan
Atlantique, méritent le nom de vents commerciaux
(trade winds); c'est parleur action alternative que se
sont nouées, de toute antiquité, des relations entre la
côte africaine, l'Inde et le golfe Persique ; la conquête
musulmane qui, de Zanzibar, a rayonné jusque sur
le Haut-Congo, partit de Mascate avec les ancêtres des
sultans aujourd'hui vassaux de l'Angleterre ; sur l'océan
Indien, régulièrement parcouru par les moussons, des
bâtiments d'un faible tonnage, de simples boutres, pou-
vaient sans crainte renoncer au cabotage pour se lan-
cer en haute mer.
Les vents qui dominent à Zanzibar viennent de l'est ;
l'alizé de l'hémisphère austral, qui converge avec la
mousson pendant l'hiver, arrive seul en été sur la côte,
car la mousson qui alors a tourné combat et neutralise
l'alizé de l'hémisphère boréal. La péninsule des Soma-
lis échappe aux vents pluvieux, qui suivent une direc-
tion parallèle à celle de sa côte, et glissent sur elle,
sans pénétrer dans l'intérieur. A la hauteur de Zanzi-
bar, c'est l'alizé du sud-est qui amène les pluies prin-
n
108 L* AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
cipales, pluies d'été austral, c'est-à-dire des mois d'oc-
tobre à mars ; la mousson n'est pas aussi pluvieuse
que l'alizé, car elle ne traverse, entre l'Inde et l'Afrique,
qu'une étendue d'eau trop médiocre pour s'y approvi-
sionner comme l'alizé austral, qui arrive sans obstacle
de la région la plus libre de l'océan Indien.
La saison des pluies, à la côte, est dite masika,
Stanley, qui partit à la recherche de Livingstone en
pleine masika (1870-1871), nous donne la description
de cette période de l'année : les premières collines,
jusqu'à l'altitude de 800 mètres, baignent tout entières
dans la couche pluvieuse ; l'eau ruisselle et forme des
marais, des fondrières où les bétes de somme s'en-
foncent et disparaissent souvent ; à chaque pas, la route
est coupée par des marig-ots où se roulent les hippopo-
tames, ou par des jongles inextricables autour des-
quelles bourdonnent les tsetsés ; les chevaux réussissent
rarement à traverser cette région dangereuse pour arri-
ver sur les plateaux, dont l'altitude supérieure convient
mieux à leur santé.
Gomme nous l'avons dit à propos des forêts de
l'Afrique occidentale, ce n'est pas tant la forte pré-
cipitation des pluies, qui déconcerte l'Européen, que
l'humidité constante et chaude de l'atmosphère : la
hauteur annuelle des pluies, à Dar-es-Salam , est seu-
lement d'un mètre; mais, outre qu'on peut la croire
notablement supérieure sur le relief plus accusé de l'in-
térieur, la fatigue du voyageur s'aggrave du fait que
la température oscille peu autour de 30° centigrades,
sans repos pendant la nuit, avec maximum au mois de
LES PLAINES ÉQUÀTORIALES i09
février^ La fièvre règne alors à Tétat endémique, les
moustiques assaillent l'homme et le condamnent à
d'atroces insomnies, tandis que la tsetsé fait disparaître
les chevaux, les ânes et môme les chiens : malgré toute
la vigueur de sa constitution, Stanley fut très éprouvé
par la traversée de ce pays malsain.
La masika entrave donc les communications de la
côte avec Tintérieur, les voies ferrées ne seraient pas
à l'abri de ses ravages, si l'on en juge par l'expérience
récente du chemin de fer en construction vers l'Ougan-
da : pendant les pluies du début de 1899, des infiltra-
tions ayant ébranlé les terrains, la plate-forme a glissé
sur plusieurs points et Ton s'est alors aperçu que les
premiers devis, qui ne tenaient pas compte d'accidents
de ce genre, devaient être beaucoup majorés. C'est
pourtant pendant la saison des pluies que la mousson
du nord-est amène à Zanzibar les barques de Mascate
et de l'Inde ; quelque peu troublé maintenant par la
concurrence européenne, ce mouvement était encore
fort régulier, il y a quinze ans environ ; après avoir
chargé l'ivoire et les esclaves arrivés, les uns portant
l'autre, dans les derniers mois de l'année, les boutres
relevaient pour la mer d'Oman dès la saute de la mous-
son, en avril ; ils étaient au nombre de plusieurs mil-
liers.
- Au printemps, les pluies cessent ; la température
s'adoucit, et le soleil n'est plus, voilé que de brumes,
le matin et le soir ; le thermomètre tombe en juillet
à 23**; les nuits sont relativement fraîches, la pureté
plus grande du ciel permettant un rayonnement plus
L'Afrique. 7
iiO L*AFIUQCE A L*ENTIŒE DU VINGTIEME SIECLE
actif. L'Earopéen n*en est pas moins astreint à des pré-
cautions tris strictes ; l'insolation est redoutable, même
quand la brume tamise la lumière du soleil ; Zanzibar
est, en effet, trop proche de l'équateur, pour que Toblî-
quité des rayons en diminue beaucoup la puissance.
L*usage du casque colonial est indispensable, tant que
le soleil reste au-dessus de Thorizon.
Sur les terrasses de plus en plus élevées de l'intérieur,
les pluies sont, sinon plus fréquentes qu'à la côte, du
moins mieux réparties ; dans les monta/ocnes de l'Ou-
sambara, voisines de Tanga, dans celles de l'Ousagara,
que deux cents kilomètres de steppes séparent de la
mer, plus au sud dans les monts Namoulis en arrière
de Mozambique, l'altitude et la meilleure distribution
des eaux permettraient aux Européens non seulement
un séjour de plusieurs années, mais encore des travaux
agricoles ; il conviendrait toutefois de distinguer mi-
nutieusement les régions : cette zone littorale des pla-
teaux est en effet remarquable par les caprices de son
relief; derrière une colline très arrosée dont les dernières
pentes orientales sont noyées pendant la masika, des
bandes de désert altéré toute l'année, contrastent par
l'aridité stérile de leur sol ; on n'y recueille que m. 30
de pluie annuelle, en un petit nombre de grosses aver-
ses ; la température y passe par tous les excès du climat
continental, sautant de -f- ^° ^ + ^^ dans les vingt-
quatre heures ; Stanley comparait ces déserts à ceux du
Colorado et de l'Utah ; l'analogie en serait plus remar-
quable encore avec la côte occidentale de l'Inde qui est
symétriquement soumise au même régime de moussons:
LES PLAINES ÉQUATORIALES 111
à Tabri des Ghattes, dont les pentes orientales reçoivent
2 mètres d'eau, à 150 kilomètres dans Tintérieur, la
chute annuelle des pluies n'est plus que de m. 40.
Ces caprices du relief expliquent ceux de la vég'éta-
tion : les terres sèches sont nues, sauf quand des pluies
les raniment pour quelques jours ; les rivières inclinées
vers rOcéan Indien coulent dans des ravins forestiers ;
sur les mamelons bien exposés à Test, des villag'es in-
digènes se sont établis, après un incendie qui a détruit
la brousse ; les arbres fruitiers de l'Afrique équatoriale,
manguiers et bananiers surtout, entourent leurs cases ;
les Arabes ont introduit quelques autres espèces, comme
le figuier, le grenadier, le citronnier, qui les suivent
partout ; la terre, rouge de débris volcaniques, porte
de belles récoltes de céréales.
Mais les indigènes sont à la merci d'une sécheresse
accidentelle : en 1898-1899, le long des travaux du che-
min de fer de l'Ouganda, une famine cruelle a décimé
plusieurs tribus et les autorités anglaises, loin de trou-
ver sur place les auxiliaires dont elles avaient besoin,
ont dû pourvoir à la subsistance de ces malheureux
affamés. Sur ces premiers plateaux, trop souvent im-
praticables par la mauvaise répartition des pluies,
quelques groupes de collines heureusement accessibles
aux influenees marines seront les points d'appui de la
pénétration européenne ; élevées au-dessus des steppes
pauvres, elles constituent comme des oasis de hauteur,
offrant à l'Européen le double avantage d'un sanatorium
situé parmi des terrains de culture.
Les fleuves qui tombent dans l'Océan Indien sont des
4 12 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
cours d'eau médiocres et presque jamais navigables ;
dans la péninsule des Somalis, ce ne sont que des oueds,
comme en Arabie ; avec le Djouba commence- la région
des fleuves permanents, dont les principaux sont, jus-
qu'au Zambëze, la Tana, le Pangani, le Roufidji et la
Rovouma; la disposition générale du sol en gradins
abaissés vers la mer, explique que ces cours d'eau sont
coupés de rapides jusque très près de leur embouchure :
Peters a signalé (1889) Jes chutes grandioses dans la
haute vallée de la Tana ; la mer n'est pas assez forte
pour disperser les alluvions qui se déposent en deltas
et s'embrouillent autour de récifs corallifères, comme
aux bouches de la Roufidji. La navigation maritime ne
remonte donc nulle part dans les fleuves ; on ne peut
compter davantage, pour guider la pénétration, sur les
routes des vallées, qui sont encadrées de marécages et
souvent dissimulées sous l'épaisse verdure des forêts-
galeries.
Le pays, dont la valeur économique était restée jus-
qu'en ces dernières années nulle pour les Européens,
était cependant, par la conquête arabe, devenu le centre
d'un mouvement commercial très notable et même
d'une agriculture fort supérieure à celle des nègres de
l'Afrique équatoriale ; la dynastie des sultans do Zan-
zibar, venue de Mascate, fondait sa souveraineté sur les
bénéfices d'un commerce armé dont le pays intérieur
faisait les frais ; des conseillers indous assistaient les
Arabes, musulmans comme eux pour la plupart, ban-
quiers et commissionnaires des sultans : Stanley fut
très heureux d'obtenir, pour recruter sa première cara-
vi -
LES PLAINES ÉQUATORIALES 113
vane, la protection du ministre indou Tarya-Topan ; il
remarqua que les forts du sultan, sur la côte du conti-
nent, étaient confiés à des garnisons de Béloutchis.
Zanzibar, transformée par ces apports étrangers dont
la mousson assurait l'incessant renouveau, devint l'en-
trepôt du commerce entre l'Afrique et l'Inde ; comme
Gorée, pour les convois d'Amérique, elle servait de
prison d'attente aux nègres amenés captifs par les trai-
tants et dont l'évasion était plus difficile dans une fie
que sur la terre ferme. Et cependant, vivant d'un tra-
fic brutal de chair humaine, la ville s'était parée de ce
cachet de confort et d'élégance, qui distingue de loin
toutes les agglomérations urbaines des Arabes ; elle
forme un fouillis de maisons basses, à terrasses plates,
blanches sous l'ardeur crue du soleil ou suintantes
d'une moiteur grise quand viennent les pluies ; le mur
mitoyen y est inconnu ; la plupart des habitations, sur-
tout les plus riches, s'entourent d'un jardin, où l'on
cultive les fruits chers aux Arabes, l'orange, la gre-
nade, la figue; des palmiers poussent à l'air libre, dans
les ruelles, l'ombrelle de leur feuillage, et c'est comme
un compromis entre la ville et la campagne ; les Indous
ont, sur le port, des magasins, anciennes geôles de nè-
gres ; la vie extérieure est peu bruyante, ainsi qu'il est
ordinaire chez les musulmans, et les portes se ferment
jalousement sur l'intimité de la famille.
Le sultan die Zanzibar, aujourd'hui vassal de l'An-
gleterre, fut jadis un puissant souverain : les lettres
dont il munit Stanley devaient recommander utilement
l'explorateur jusque sur les bords du Tanganika ; mais,
n
114 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
avant même d'abdiquer son indépendance, il avait dû
renoncer à la traite qui était la source la plus sûre de
ses revenus. L'Europe avait déclaré l'immoralité de la
vente des nègres, et le sultan de Zanzibar l'avait inter-
dite dans toute l'étendue de ses états ; des croisières,
anglaise et française, arrêtaient les capitaines négriers
qui voulaient passer en contrebande ; le zèle des équi-
pag'es était stimulé par une prime, à tant par tête de
nègre affranchi. La tâche des stationnaires français ne
laissait pas d'être délicate, beaucoup de marins arabes
se réclamant de notre consul et naviguant sous notre
pavillon ; cependant on n'a jamais sig'nalé de confit
grave, et l'exportation des nègres, même clandestine,
cessa peu à peu ; elle est nulle aujourd'hui : tout au
plus peut-on supposer que certains nègres, domestiques
prétendus libres à bord des boutres qui partent pour
l'Inde, reprennent leur condition d'esclaves dès que les
maîtres sont assurés d'en trafiquer impunément.
Zanzibar n'est donc plus un marché de « bois d'é-
bène » ; les convois d'ivoire, attirés vers l'ouest par
l'Etat indépendant du Congo, se font chaque année
plus rares, et cependant l'île garde quelque impor-
tance ; avant que les Européens aient songé à s'enfon-
cer au cœur de l'Afrique, ils ont tenté de partager avec
les Arabes les bénéfices du commerce de ces pays, et
c'est à Zanzibar qu'ils se sont établis. L'île compte
200,000 habitants, la ville en a 10,000, très divers d'o-
rigines; mais tous rompus aux conditions climatiques
de la côte, parlant un dialecte appelé Kisahouéli, sorte
de sabir qui est compris sur toutes les routes de com-
LES PLAINES EQUATOKIALES 115
merce de TAfrique orientale, instruits souvent ou du
moins dégrossis par la pratique d'une vie assez large ;
l'Européen trouve dans cette population de précieux
auxiliaires pour pénétrer parmi les races noires de l'A-
frique : pour fonder les postes du bas Congo, après
avoir reconnu le cours moyen de ce fleuve, Stanley revint
chercher des Zanzibarites, dont quelques-uns avaient
été les compagnons de son premier voyage. On ne doit
pas demandera ces indigènes un travail agricole assidu ;
leur goût ne les intéresse qu'au jardinage et à la culture
intermittente de quelques arbres ; mais ils n'ont pas
leurs pareils pour encadrer des porteurs nègres, pour
explorer, fusil en main, des districts peuplés deréfrac-
taires, pour faire acte de commandement en sous-ordre
ou d'énergie aventurière.
Les Indous et les Gomoriens sont surtout des cour-
tiers ; très nombreux à Zanzibar, ils avaient jadis, à
l'abri des postes arabes, des correspondants jusqu'au
Tanganika ; leur rôle a été beaucoup diminué par l'in-
trusion des Européens ; aussi, de même qu'A la côte
orientale de Madagascar, leur sont-ils peu favorables ;
ce sont eux qui surexcitent chez les musulmans l'esprit
de défiance et parfois d'insurrection ; le sultan de Zan-
zibar, depuis qu'il est asservi à l'Angleterre, n'a pas
toujours été lui-même à l'abri de leurs rancunes. lisse
font aujourd'hui les intermédiaires entre les importa-
teurs européens et les indigènes ; ils se livrent au petit
commerce de détail, pour lequel leur ingénosité vaut
celle des Chinois, ils y joignent habituellement l'usure.
Ce sont les juifs de l'Afrique Orientale.
116 l'àfrique a l'entrée du vingtième siècle
Quant aux chefs arabes que la conquête européenne
a dépossédés du droit de piller les pays des lacs, ils
se sont assagis, par force, et vivent sans protestations,
sinon sans regrets, de la fortune amassée jadis ; ils
sont autorisés à garder auprès d'eux, sous le nom de
serviteurs, des esclaves domestiques qui entretiennent
leurs jardins ; Tippo-Tib, qui fut Tallié tout-puissant
de Stanley et de Cameron, le maître de tout le haut
Congo, mène aujourd'hui tranquille existence à Zanzi-
bar. La richesse avait élevé ces marchands d'esclaves ;
ils portaient des vêtements fins, s'entouraient de con-
fort, presque de luxe, en des maisons spacieuses et
bien meublées ; mais ils n'avaient pu répandre autour
d'eux des habitudes d'hygiène et de propreté : la voi-
rie, à Zanzibar, était si négligée que les épidémies
frappaient sans merci dans les rangs d'une population
entassée; les autorités du protectorat anglais ont dû
réagir avec persévérance pour réformer des pratiques
d'indifférence invétérée.
Le pouvoir politique du sultan de Zanzibar n'existe
plus; ses états, après plusieurs mutilations préalables,
ont été complètement partagés entre l'Allemagne et
l'Angleterre, par le traité du 1" juillet 1890 ; il a gardé
toutefois une certaine autorité religieuse et les Anglais
tiennent à le montrer, en compagnie de leurs fonction-
naires, parmi les populations de la côte dont ils ne sont
pas très sûrs. La convention dn l®' juillet 1890 a été ju-
gée sévèrement par les coloniaux allemands ; elle laisse
en efifet à l'Angleterre, non seulement le littoral au nord
de Tanga, mais encore les îles de Pemba et de Zanzi-
LES PLAINES ÉQUATORIALES 117
bar ; T Allemag^ne n'a que la petite île Mafia, en face du
delta de la Roufîdji, mais elle s'étend sur l'arrière pays
assez loin pour atteindre les lacs Victoria, Tanganika
etNyassa. L'Angleterre qui, en 1862, s'était engagée vis-
à-vis de la France à respecter l'indépendance du sultan
de Zanzibar, acquit en 1890 notre consentement, en
reconnaissant notre protectorat sur Madagascar «avec
toutes ses conséquences». Il est bon d'ailleurs de rap-
peler que le régime anglais a laissé subsister à Zanzi-
bar le privilège des capitulations pour les sujets euro-
péens.
Nous avons dit que les Italiens sont établis, mais
sans grandes chances de progrès, sur la côte orientale
des Somalis ; les Anglais, dont le domaine s'étend des
bouches de la Djouba au sud de Mombasa, font porter
tout leur effort, aujourd'hui, sur la construction du
chemin de fer de l'Ouganda ; nous parlerons plus lon-
guement de cette œuvre considérable, lorsque nous au-
rons étudié les pays du lac Victoria, vers lesquels est
dirigée la voie ferrée ; disons dès maintenant que Zan-
zibar n'est plus, pour les Anglais, le point principal de
l'Afrique orientale ; d'après certains indices, ils ne
seraient pas éloignés de transférer à Mombasa le siège
de leur protectorat, ainsi que la résidence du sultan ;
et peut-être la rétrocession éventuelle à l'Allemagne
des îles Pemba et Zanzibar aurait-elle été déjà discutée,
il n'est pas difficile de conjecturer quel genre de com-
pensation l'Allemagne peut, à l'heure présente, offrir à
l'Angleterre.
L'Allemagne, encore peu consciente de sa puissance
I^'Afrique, 7.
118 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
hors d'Europe au moment où furent signées les con-
ventions qui limitent ses possessions d'Afrique, est ici
beaucoup moins bien partagée que l'Angleterre ; sa
souveraineté politique est à peine établie au delà des
côtes ; elle ne dispose pas, aux yeux des indigènes, de
l'autorité que vaut à l'Angleterre le protectorat du sul-
tan de Zanzibar ; elle a montré, dans les débuts de son
administration, quelque inexpérience, quelque incohé-
rence même, hésitant entre le régime militaire et le
régime civil; des bandes d'indigènes révoltés tien-
draient encore la campagne dans le sud de la colonie.
Il est juste de déclarer, cependant, que depuis deux
ans environ, le gouvernement et certaines sociétés par-
ticulières commencent à faire œuvre de colonisation
effective. Mais la main-d'œuvre. est rare et maladroite :
les nègres qui appartiennent aux races bantoues et
sont peut-être au nombre de 3 millions, ont été long-
temps chassés par les Arabes esclavagistes, et, dans la
perpétuelle incertitude du lendemain, ont pris l'habi-
tude de ne cultiver que selon leurs besoins immédiats;
les Arabes, désœuvrés et ruinés depuis que l'Europe a
frappé d'interdit le commerce qui les faisait vivre, refu-
sent de travailler sur les plantations ; quant aux In-
diens, ce sont des adversaires déclarés, contre lesquels
il faut défendre aussi bien les Arabes que les commer-
çants européens ; ils forment un groupe très uni, de 8,000
à 10.000 personnes, et ne négligent aucunartifice pour
drainer toute la fortune mobilière circulant autour
d'eux. Faute de mieux, les Allemands ont essayé de
fixer sur les plantations côtières des nègres amenés des
LES PLAINES ÉQUÂTORIÀLES 119
tribus de Tintérieur ; l'expérience est trop récente
encore pour qu'on en puisse jug'er les résultats.
Le trafic de l'ivoire, par la côte de Zanzibar, est au-
jourd'hui très compromis ; les gisements de houille que
l'on croit exister vers les sources de la Roufidji sont en-
core à peine reconnus, et l'exploitation n'en serait pos-
sible qu'après établissement de voies de communication
qui aboutiraient sans doute au Nyassa plutôt qu'à la
côte ; les transports, du Tanganika à Bagamoyo coûtent,
dans les conditions actuelles, plus de 3.000 fr. par
tonne ; des produits très riches pourraient seuls sup-
porter un pareil supplément sur leur prix de revient ;
c'est donc à l'agriculture, pratiquée aussi près que pos-
sible de la côte, que les Allemands ont dû songer. Le
nord-est de la colonie s'y prête heureusement : l'Ousam-
bara, au relief varié, à la riche terre noire, possède déjà
plusieurs plantations de café ; des coolies d'Extrême-
Orient y travaillent à côté des nègres de l'intérieur (Ou-
nyaouézi) ; les essais ont peu réussi pour le tabac et le
coton, mais ont été plus encourageants pour la vanille
et le cacao ; la culture du cocotier, très commun sur la
côte et l'un des arbres les plus utiles des pays tropicaux,
larécolte du caoutchouc font l'objet d'études incessantes;
une station agronomique, spécialement destinée par le
gouvernement à la région de l'Ousambara, a été fondée
à Kouaï : les céréales, la pomme de terre y viennent
bien.
On espère que, depuis 1.300 mètres d'altitude, le
paysan d'Europe pourrait travailler aux champs, dans
l'Ousambara ou surl« massif du Kilimandjaro, si les
420 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
communications étaient plus faciles avec la côte ; dès
maintenant, une voie de pénétration est en construction,
de Tangua vers Korogué, sur la rivière Pangani ; elle
doit desservir les districts les plus riches de TOusambara
c'est-à-dire le Handéï, et peut-être remonter jusqu'au
Kilimandjaro ; mais on voit mal le succès de cette voie
ferrée, trop près de celle de l'Ouganda qui est déjà fort
avancée ; les quarante . premiers kilomètres ont coûté
très cher et ne servent à rien, car le terminus est trop
loin des plantations. Sans prétendre jamais faire de ce
tronçon un grand chemin* de fer concurrent de celui de
l'Ouganda, il est très désirable qu'un groupe décapita-
listes, par exemple un syndicat des sociétés agricoles
de Handéï, en achève l'établissement jusqu'àKorogué ;
ce ne serait qu'une ligne d'intérêt local, mais probable-
ment rémunératrice, sûrement utile, et pourvue d'un
bon accès par mer, le port de Tanga.
La côte, en face de Zanzibar, est moins favorable au
séjour des Européens; le gouvernement allemand y a
créé cependant deux stations d'essais agricoles, l'une
à Dar-es-Salam, l'autre dans le delta de la Roufidji ;
c'est là, semble-t-il, que l'on étudierait avec le plus de
chances de succès la domestication de l'éléphant d'Afri-
que ou l'acclimatation de l'éléphant de l'Inde ; l'échec
lamentable de l'expérience tentée en 1879 par MM. Car-
ter et Cadenhead ne saurait décourager de nouveaux
efforts, car les éléphants alors importés de l'Inde avaient
été, sans entraînement à la côte, dirigés sur l'intérieur
du pays, à travers des steppes où ils ne trouvaient même
pas leur ration de foin. Le zèbre, le mulet rendraient
r
LES PLAINES ÉQUATORIALES 121
aussi des services, si on savait les adapter au climat.
De telles recherches, pour être moins ambitieuses, se-
ront plus utiles à TAfrique orientale allemande que des
travaux dispendieux pour un chemin de fer de la côte
au Tanganika; nous reviendrons ultérieurement sur
ces projets, dont l'exécution doit être tout au moins
ajournée.
Au sud de la colonie allemande, les Portugais se sont
enfin décidés à reconnaître Tarrière-pays de Mozambi-
que ; mais ils n'ont pu se passer de concours étrangers :
en 1899, sur l'initiative de la compagnie duNyassadont
la charte fut signée à Lisbonne, mais dont les capitaux
sont surtout anglais, une petite expédition aux ordres
du major Spilsbury s'est enfoncée dans l'intérieur, entre
les ports d'Ibo et de Mozambique ; le premier serait,
d'après le major Spilsbury, le point de départ d'une
route et plus tard d'un chemin de fer, vers le centre
du lac Nyassa; on desservirait ainsi des pays acci-
dentés, bien arrosés, assez salubres même pour des Eu-
ropéens, et dont l'avenir agricole serait assuré comme
celui de l'Ousambara. Mais les indigènes ne sont pas en-
core soumis ; au mois d'août 1899, des contingents por-
tugais et anglaisent brûlé plusieurs villages rebelles, à
l'est du lac Chirona, mais ils n'avaient pas brisé la ré-
sistance d'un chef nommé Mataka; c'est d'ailleurs sur
la voie du Chiré et non sur la côte que s'appuyait l'ex-
pédition. En somme, tout reste à faire au sud de Zan-
zibar jusqu'à Mozambique ; la côte est mal étudiée, et
l'intérieur à peine exploré ; mais les Allemands s'infor-
ment et s'efforcent avec une intelligente persévérance.
iâ2 l' AFRIQUE A l'entrée DU VINGTIÈME SIÈCLE
tandis qu'à côté d'eux lesPortug'ais laissent à des étran-
gers tout le bénéfice de leur traditionnelle inertie.
Aussi bien, la côte orientale de l'Afrique ne peut-elle
suffire à nourrir un commerce actif; elle est trop étroite,
entre la mer et les falaises qui terminent les plateaux
du centre, elle est trop peu saine pour comporter jamais
une exploitation intensive ; il faut la considérer, sauf
quelques districts plus favorisés, comme un obstacle
à franchir entre la mer et les régions plus riches de
l'Afrique centrale ; mais dans l'état actuel de nos con-
naissances géographiques^ on se demande si ces régions
ne regarderaient pas plutôt vers l'ouest et le sud-est
que vers la côte de Zanzibar ; leuressor profiterait sur-
tout au Congo belge et aux colonies portugaises de
Mozambique ; l'Afrique orientale allemande se trouve-
rait donc devancée de deux côtés sur les bords du Tan-
ganika, tandis que, par le chemin de fer de l'Ouganda,
l'Angleterre se réserverait de desservir ceux du lac Vic-
toria.
Cette évolution, que nous croyons probable, n'est pas
encore consommée ; les Allemands, ne pouvant ruiner
Zanzibar au profit de Bagamoyo, se sont établis dans
rtle même capitale du protectorat anglais, et leur obs-
tination ordinaire leur a déjà conquis une clientèle
parmi les négociants au détail ; ils n'oublient pas qu'en
1874, leur commerce, à Zanzibar était triple de celui
des Anglais, et que le sultan sollicitait leur alliance.
Mais réussiraient-ils à restaurer leur situation, obtien-
draient-ils môme de l'Angleterre la possession de Zan-
zibar qu'ils ne pourront empêcher la décadence écono-
LES PLAINES EQUATORIALES 123
mi que de cette place. Au temps des négriers arabes,
Zanzibar était prospère car, les voies de l'ouest africain
n'étant pas encore découvertes, elle était l'entrepôt
naturel d'un trafic par caravanes, s'étendant de proche
en proche vers les lacs et prolongé par les boutres de
la mer d'Oman jusque dans l'Inde. La voie ainsi tracée,
conforme aux indications naturelles des moussons, est
aujourd'hui déclassée; Mombasa, par le chemin de fer
de l'Ouganda, commandera des pays dont l'accès serait,
d'ailleurs, très difficile ; mais Bagamoyo, Zanzibar
même ne seront plus que les portes d'une impasse cô-
tière, confinant à l'ouest, par une zone mitoyenne de
valeur médiocre, avec les plateaux tributaires des routes
du Ghiré-Zambèze et du Congo.
LIVRE n
LES PLATEAUX DU CENTRE
CHAPITRE 1er
Les pays du Zambèze.
Le centre de l'Afrique a la forme générale d'un pla-
teau à étages, qu'une barrière de hauteurs volcaniques
précède à Test, du côté de l'Océan Indien, tandis qu'il
encadre, au sud et au nord, l'ancien lac du Congo ; le
plateau est traversé de chaînes de montagnes, dont la
direction apparaît sud-ouest nord-est dans la région du
Zambèze, puis se redresse vers le nord en remontant
jusqu'à l'Abyssinie ; ces montagnes entravent la circu-
lation des eaux, qui s'amassent souvent en lacs ; à la
hauteur de Zanzibar, elles arrêtent près de la mer la
pénétration des influences océaniques ; plus au sud leur
barrière n'est pas assez continue pour intercepter toutes
les nuées venant de l'est ; l'alizé austral, s'enfonçant
profondément au-dessus des plateaux du Manicaland
et du Barotsé, va condenser ses pluies sur les monts du
Bihé, à quelques étapes de l'Atlantique, et contribue à
126 l' AFRIQUE A. L*ENTR£E DU VINGTIÈME SIECLE
nourrir en même temps que le Zambèze les affluents de
gauche du Kassaï-Congo. Pour la clarté derexpositioa,
nous diviserons ces plateaux du centre- Afrique en trois
parties, pays du Zambèze, pays du Congo et du lac
Tanganika, paysdu lac Victoria et du haut Nil. Un qua-
trième chapitre rattachera TAbyssinie à ces plateaux,
dont elle est le bastion avancé vers le nord.
Les sources les plus occidentales du Zambèze sont
proches de TOcéan Atlantique, dont moins de quatre
cents kilomètres les séparent ; elles se développent sur
un plateau lacustre, où elles s'embrouillent avec celles
qui vont au Congo par le Kassaï ; un versant monta-
gneux, la chaîne des Mouchingas, forme le rebord orien-
tal de ce palier supérieur. Le cours moyen du Zambèze,
entre ces monts et les hauteurs des Matoppos, de direc-
tion semblable (sud-ouest nord-est), est le lien d'une
deuxième région naturelle de niveau inférieur ; une
troisième comprendrait les pays du bas fleuve, à Test
des dernières chutes du Zambèze et de son grand affluent
leChiré.
L'étage des sources du Zambèze n'a été pénétré que
récemment ; les Portugais de la côte du Mozambique
avaient bien recueilli des renseignements indigènes, si-
gnalant des lacs intérieurs, mais c'est seulement à la
fin du siècle dernier que LaCerda s'avança jusqu'au lac
Banguéolo (1798) ; quelques voyages ultérieurs ont mené
des Européens dans le pays de Lounda, vers les sources
du Kassaï ; ce fut par Livingstone, puis par Gameron,de
1867 à 1875, que des connaissances précises nous furent
r
LES PLATEAUX DU CENTRE 427
d'abord communiquées ; depuis, la région a été plu-
sieurs fois traversée, mais ces deux explorations restent
fondamentales et nous ne pouvons ici donner Ténuraé-
ration de celles qui les ont complétées ; disons seule-
ment que le conflit anglo-portugais de 1891, suivi par
la renonciation du Portugal à toute prétention de join-
dre à travers le continent le Mozambique à TÂngola, ou-
vrit les pays du haut Zambèze à des expéditions an-
glaises appuyées sur le Gap.
Il est probable que cet étage supérieur du plateau fut
jadis le fond d'un lac, qui se serait ensuite épanché par
une brèche à travers les monts Mouchingas ; l'altitude,
très peu variée, se soutint à 1,000 mètres environ ; le
sol est couvert de coquilles fluviatiles, parsemé d'é-
tangs sans profondeur à la surface desquels, en fin de
saison sèche (août-septembre), Cameron vit parfois une
feuille de glace. Le voyageur chemine à travers de vas-
tes plaines coupées de jongles et de bouquets de bois,
partiellement noyées pendant les pluies de l'été austral.
En descendant vers le Kassaï, on rencontre des forêts
à essences odoriférantes, d'abord attachées aux rives des
fleuves, puis s'emparant de plus en plus du pays inter-
médiaire.
Sur ce plateau presque horizatal, les cours d'eau se
traînent, incertains de la direction qu'ils doivent pren-
dre ; il est tout à fait impossible de tracer une frontière
réservant à tel pays les sources qui vont au Zambèze,
à tel autre celles qui vont au Congo ; même des riviè-
res communiquent tantôt avec l'un de ces fleuves, tan-
tôt avec l'autre, et quand, pendant la saison des pluies.
428 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
rinoadation est tendue à grande distance, des lacs tem-
poraires s'écoulent à la fois dans les deux ; plus bas seu-
lement sont formés les cours d*eau distincts, qui consti-
tuent les groupes du JCassaï et du Loualaba au nord,
du Kouang'o ou Tchobé et du Zambèze, au sud, enfin,
vers le sud-est, du Koubango et des rivières tributaires
du bassin intérieur appelé lac Ngami.
La principale source du Zambèze ne viendrait pas,
comme on Ta cru longtemps, du lac Dilolo mais rece-
vrait, déjà considérable, le débit de ce marécage ; en
saison sèche, le fleuve creuse son cours dans un tuf cal-
caire ; pendant les pluies, il déborde au loin et couvre
d'immenses prairies ; les crues ont lieu de décembre à
mars, à la suite des pluies abondantes de Tété austral,
qui arrivent avec Talizé de TOcéan Indien. Le pays est
donc semi-aquatique et d'une traversée toujours difficile:
des fondrières, jamais tout à fait asséchées, obligent à
d'incessants détours ; les populations indigènes vivent
dans des habitations surélevées que l'inondation trans-
forme en flots temporaires. Dans la brousse, si souvent
envahie par l'eau, une faune particulière, tout amphi-
bie, s'est développée et par le nombre des espèces, au
dire des voyageurs portugais Ivens et Gapello, ces
plateaux africains sont un véritable jardin zoologique :
les poissons pullulent, dans les étangs souvent rattachés
aux fleuves ; des bandes d'oiseaux aquatiques, des
aigles pécheurs en font leur nourriture, les crocodiles
et les hippopotames se jouent sur les rivages fangeux ;
dans les parties généralement émergées, vaguent de
grands troupeaux d'éléphants et d'antilopes.
LES PLATEAUX DU CENTRE 129
Les indigènes vivent d'agriculture et de pèche : le sol,
comme en Gochinchme, porte successivement deux ré-
coltes, Tune de riz et l'autre de poisson ; tous les vil-
lages possèdent des engins de pêche ou, plus simple-
ment divisent le sol inondé par des levées de terre,
contre lesquelles le poisson s'accumule à la baisse des
eaux ; au nord-ouest, sur le Kassaï, à Touest, au pied
des monts du Bihé, au nord-est dans leKatanga, le relief
est plus varié, la vie économique moins étroitement
liée au jeu de l'inondation ; là des indigènes travaillent
le fer, très abondant sous forme d'affleurements d'hé-
matite ; dans le Balounda, le cuivre paraît commun,
tous les naturels portant, aux bras et aux jambes, des
ornements parfois très lourds en fil de laiton ; une
autre industrie locale est celle de la cire d'abeilles, qui
est exportée vers la côte d'Angola ; nous quittons ici
les plateaux de l'Afrique centrale pour nous rapprocher
de la lisière atlantique.
Les villages sont de deux types : sur les mamelons,
ils se tapissent au milieu d'une jongle, protection pres-
que inexpugnable contre les ennemis du dehors : une
allée coudée, fermée par des palissades mobiles, est la
seule issue par où le village communique avec l'exté-
rieur. En pays d'inondation, les cases sont lacustres,
montées sur pilotis, avec une barque pour assurer la
circulation en tous temps. Ces groupes lacustres sont
sans cesse déplacés, selon les besoins des cultures ou
les caprices de la crue annuelle : Livingstone parle de
certains villages que, dix ans plus tard, Serpa Pinto
ne signale même plUs.
130 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE
La traite a décimé ces populations indigènes, chez
lesquelles venaient se ravitailler des négriers portugais
de l'Angola , comme les avant-gardes des Arabes du
haut Congo. Cameron rencontra des traitants portugais
à partir de Kasongo, c'est-à-dire des plateaux du Loua-
laba supérieur ; il cite le cas de Tun d'entre eux qui,
pour s'emparer d'une cinquantaine de femmes, n'avait
pas détruit moins de dix villages, tuant certainement
plusieurs cei;itaines d'individus. Ces chasseurs d'esclaves
ne sont d'ailleurs portugais que de nom ; métis nés k
la côte et non créoles, ils sont à peine touchés par les
mœurs européennes et, tout en faisant profession de
catholicisme, ne se séparent pas de leurs féticheurs ; ils
sont connus sous le nom de Pomheiros et sont les com-
missionnaires des commerçants de la côte, qu'ils appro-
visionnent de cire et d'ivoire comme naguère de «bois
d'ébène ».
De même que les Arabes Zanzibarites, les Pombeiros
s'adjoignaient pour leurs expéditions des auxiliaires
pris dans les premières tribus rencontrées, qu'ils
armaient de fusils et dont ils soldaient les services par
une participation au pillage ; les indigènes, païens,
n'avaient aucune cohésion politique pour résister à ces
envahisseurs; les villages vivaient en luttes perpétuelles
et Ton ne doit attribuer qu'une civilisation toute rela-
tive aux Barotsés, venus du sud, ainsi qu'à ce royaume
nègre de Monta- Yanvo dont le souverain ne fut sans
doute jamais autre chose que les Makokos et autres
potentats noirs du Congo. Il n'est pas invraisemblable
qu'un chef indigène, plus intelligent, ait entretenu avec
LES PLATEAUX DU CENTRE i3i
les Européens de la côte des relations régulières par
caravanes, l'idée a pu naître ainsi de la richesse de ses
états, mais l'imagination des traitants en aura fausse-
ment conclu trop vite à l'existence d'une société noire,
org'anique et policée.
Les pays du haut Zambèse nous apparaissent donc
fort pauvres et, sauf le cas de la découverte de mines
considérables, ne méritent pas que l'Européen s'acharne
à y pénétrer ; la population indigène en est peu nom-
breuse et misérable ; quelques postes de Pombeiros,
telles les zérihas du Bahr el Ghazal, sont épars à tra-
vers cette immensité dont la faune animale demeure la
souveraire ; ils vivent d'un commerce médiocre et de
cultures imposées aux naturels des alentours. Les
Jésuites voulurent jadis fonder une mission sur le
Zambèze, en amont des chutes Victoria : après quel-
ques mois d'expérience, ils l'abandonnèrent. Nous ver-
rons plus bas que des missionnaires protestants ont
mieux réussi dans le pays des Barotsés.
On se demande par où les colonies côtières attein-
draient la région de l'Afrique centrale : il existe sur le
Zambèze supérieur deux biefs navigables, de 400 et
de 200 kilomètres, séparés par les rapides de Gonyé ;
mais comment arriver à ces routes naturelles ? Pour-
quoi môme s'en préoccuper, puisque les ressources du
pays ne commandent pas cet efiFort? Une large bande
de steppes et de montagnes se déploie à l'ouest du Mo-
zambique et des républiques sud-africainës, elle n'a
jamais été traversée que par quelques explorateurs ou
par de lents convois de colons boers ; vaut-il la peine
432 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
qu'on tente de la couper par une voie artificielle, utili-
sant ensuite les sections navigables du haut Zambèze ?
Cela paraît douteux.
En remontant par le Kassaï ou par son affluent de
gauche le Kouango, l'entreprise serait sans doute
moins coûteuse ; on peut craindre qu'elle ne fût pas
plus utile; l'arrière-pays d'Angola n'est pas une des
zones de l'Afrique vers lesquelles la pénétration euro-
péenne doive pour le moment se hâter ; toutefois, et
pour réserver un avenir très éventuel, l'Allemagne a
voulu donner à sa colonie du sud-ouest africain un
point d'appui sur le Zambèze : un mince ruban de ter-
ritoire allemand s'allonge, entre l'Angola etlaZambézie
anglaise, vers le bief navigable de Séchéké ; de ce
point, on pourrait lancer un chemin de fer dans le pa3^s
des Barotsés, où des oasis de hauteur sont fertiles et
saines ; mais ce ne sont là que des perspectives très
lointaines.
Les monts Mouchingas commencent au sud du Zam-
bèze dont ils retenaient jadis les eaux en amont sous
forme de lac; le fleuve, grossi sur sa droite du Tchobé
ou Kouango, s'étale sur une largeur de plus d'un kilo-
mètre, lorsqu'il se heurte à la barrière des monts
Mouchingas ; Livingstone nous a décrit la chute à
laquelle il donna le nom de la reine Victoria : les
eaux resserrées entre des rocs abrupts, en un couloir
de quelques mètres, se précipitent avec un fracas
de tonnerre dans un entonnoir qui les étrangle en-
core ; un immense nuage de vapeur s'élève en perma-
nence au-dessus des cataractes ; on l'aperçoitde l'ouest,
LES PLATEAUX DU CENTRE 133
à plus de 30kilomètres ; autour des chutes, le sol, impré-
gné d'une poussière d'eau toujours renouvelée, porte
une épaisse végétation forestière, dont la verdure tran-
che sur la pauvreté des steppes ambiants. Le Zambèze,
après la chute Victoria, coule du sud-ouest au nord-est,
au pied de la falaise orientale des monts Mouchingas ;
ceux-ci se prolongent jusqu'au nord du lac Nyassa, où
ils atteignent leurs hauteurs culminantes (Mont Waller,
1660 m., Monts de Livingstone, 2700 m.). Leur pente
orientale est abrupte, tandis qu'à l'ouest, ils descendent
en plaines ondulées appelées pays des Barotsés.
Le Barotséland est composé de savanes, très souvent
coupées de fondrières, où cependant des missionnaires
protestants français ont créé la station de Léalouyi ;
Serpa Pinto trouva l'assistance la plus précieuse auprès
du révérend Coillard, qui vivait avec sa femme dans
ce pays sauvage ; une curieuse observation de ce pas-
teur est relative à la mouche tsetsé, dont le domaine
diminuerait chaque jour : ce redoutable insecte suit
les buffles traqués par les chasseurs dans les bois où ils
se réfugient ; la plaine cultivable et qui paraît salu-
bre en certains points bien aérés devient donc de moins
en moins hostile à l'établissement de colons ; peut-être
des Boers, fuyant la souveraineté anglaise, se fixeraient-
ils sur la rive gauche du Zambèze, qui appartient au
Portugal, mais, jusqu'à présent, l'œuvre des mission-
naires de Léalouyi n'est qu'une exception, et les Euro-
péens qui ont traversé le pays ne s'y sont pas ar-
rêtés.
Plus voisin de la côte orientale, l'étage moyen du
L'Afrique. 8
434 L* AFRIQUE A l'entrée DU VINGTIEME SIECLE
Zambèze est dès à présent mieux reconnu que celui des
sources, et rentre dans le domaine atteint par la péné-
tration européenne ; il est limité à Test par la chaîne des
monts Matoppos, d'où partent en sens inverse des af-
fluents de droite du Zambèze et des tributaires directs
de rOcéan Indien, réduction du fleuve Limpopo. Ces
monts s'élèvent de 150 à 300 mètres sur le plateau dit
des Matébélés, du Machona, du Manica et, passant sur
la rive gauche du Zambèze après avoir coupé la vallée
d'une série de rapides, déterminent sur le Chiré la chute
Murchisonet s'étalent au delà entre les lacs Nyassa et
Chiroua ; c'est la rég-ion que l'Angleterre acquit du Por-
tugal, non sans menaces de guerre, en 1891. Les som-
mets, granitiques, atteignent, auprès du fort Salisbury,
1,500 à 1,700 mètres ; comme pour les monts Mouchin-
gas, leur escarpe est tournée vers l'est, tandis qu'une
pente plus douce s'incline à l'ouest jusqu'au niveau du
Zambèze (300-400 mètres) ; le versant oriental, exposé
aux pluies de l'Océan Indien, est bien arrosé ; mais
dans l'intérieur, les affluents du Zambèze appauvris
par la disette de la saison sèche, ne roulent au début
des pluies qu'un mince filet d'eau ; l'air est calme et le
climat sain sur les parties les plus hautes du plateau ;
dans les vallées, la forêt couvre les cours supérieurs,
mais s'étiole jusqu'à disparaître dans les steppes dé-
couvertes et desséchées que traverse plus bas le Zam-
bèze; la faune sauvage est, ici, des plus variées ; non
seulement les antilopes, les zèbres, les girafes parcou-
rent les prairies, mais aussi les lions, contre lesquels
les chasseurs n'ont pas encore été nombreux.
LES PLATEAUX DU CENTRE 135
La falaise orientale des monts Matoppos nous a été
dernièrement révélée comme riche en alluvions auri-
fères ; des ruines considérables y ont été découvertes,
en 1871, par TAllemand Garl Mauch, puis long'uement
étudiées par divers arcliéolog'ues,et surtout par l'Angolais
Th. Bent, en 1892. Il y a là, près du fort actuel de Vic-
toria, toute une ancienne cité, Zimbaboué, bâtie en blocs
de g*ranit; on reconnaît encore un templie,les tours ro-
bustes d'une forteresse et, fait plus caractéristique, des
fours qui étaient vraisemblablement destinés au travail
de l'or ; sur les collines avoisinantes, des fortins cou-
ronnaient les sommets, et l'on a lieu de croire que
d'autres ruines, dressées entre Zimbaboué et la mer,
jalonnaient une route commerciale par où l'or était
acheminé sur la côte. Beira ou Sofala marquerait l'em-
placement du port correspondant.
Les procédés de construction de ces édifices ne per-
mettent pas de les attribuer aux races noires, qui n'ont
jamais soupçonné la géométrie ; l'opinion la plus vrai-
semblable leur assigne une origine arabo-phénicienne ,
Cari Mauch parle à ce propos des états de la reine de
Saba, contemporaine deSalomon; quoi qu'il en soitde
ces origoines, les mines d'or de Zimbaboué restèrent
inconnues des Européens pendant tout le moyen âge et
jusqu'à nos jours ; sur des renseignements non vérifiés,
des cartes du xvii® siècle indiquaient bien des g'isements
aurifères dans l'arrière -pays de Sofala, mais on n'y
prêta pas plus d'attention que les Portugais du xvi*^
siècle à la rencontre par Vasco de Gama, dans ces mers
de l'Afrique centrale, de boutres arabes transportant de
136 L* AFRIQUE A l'eNTREE DU VINGTIÈME SIÈCLE
la poudre d'or. Très récemment, l'antique pays deZim-
baboué s*est éveillé à Tespoir d'une nouvelle fortune.
Les Portugais n'avaient jamais song'é à l'exploration
de ces plateaux ; à peine avaient-ils remonté le cours du
Zambè2^ jusqu'à Zoumbo, poste où s'arrête Aujourd'hui
leur domination politique et où le gouvernement de
Lisbonne ne fut longtemps représenté que par une es-
couade de miliciens noirs ; ils ne s'occupaient que de
traite, leurs agents, indigènes ou métis, s'enfonçaient
seuls dans l'intérieur et ramenaient à la côte, vers So-
fala, les convois de bétail humain que les négociants
dirigeaient ensuite sur les Indes.
Les monts Matoppos leur auraient été, d'ailleurs,
disputés par les habitants : une race belliqueuse, les
Matébélés, s'était en effet emparée de ce pays ; apparen-
tée aux Zoulous, elle était fort supérieure aux nègres
indigènes machonas et manicas ; ceux-ci furent violem-
ment soumis et devinrent les esclaves, les paysans de
leurs conquérants : tandis que les Matébélés, armés de
longues lances, pillaient les tribus rebelles à leur domi-
nation, les Machonas cultivaient pour eux le maïs, le
millet et le riz ; le grain n'était pas toujours consom-
mé, on en tirait encore une sorte de bière, boisson forte
et enivrante, qui coulait à flots au moindre prétexte ;
dans les ruines de Zimbaboué, des pans de vieilles
murailles, épaisses de deux à cinq mètres, sont aujour-
d'hui la palissade géante qui protège des champs de
céréales. Buluvayo fut la dernière capitale des Matébé-
lés : le chef Lobengula y possédait un camp fortifié dont il
ne reste aujourd'hui que des ruines.
j
LES PLATEAUX DU CENTRE * 137
Ce que les Portugais n*ont pas su faire, en partant
de la côte orientale d'Afrique, d autres Font fait pour
eux et à leurs dépens : les pionniers anglais venus du
stid ont atteint les plateaux aurifères et vaincu les Ma-
tébélés. L'histoire est d'hier et peut être racontée en
quelques lignes : sur ces monts Matoppos, que l'indif-
férence des Portugais abandonnait comme terres va-
cantes, deux forts anglais étaient construits, en septem-
bre 1890, par de hardis aventuriers qui les appelèrent
Charter et Salisbury ; inquiet trop tard, le Portugal ne
trouva que des raisons de sentiment pour protester
contre le fait accompli ; la clairvoyance de quelques
coloniaux n'avait pu secouer l'apathie de son gouver-
nement et la conquête anglaise, avant d'être proclamée
par un acte diplomatique, avait été préparée sur place
par les chercheurs d'or et les missionnaires. Mais les
Matébélés refusèrent de céder leur territoire, abandonné
par le Portugal aux revendications anglaises ; ils se
soulevèrent et plusieurs rencontres furent défavorables
aux Anglais ; on montre encore près de la rivière Chan-
gani l'endroit où fut surprise et massacrée la troupe
du major Wilson. Cependant le fameux docteur Jame-
son vint à bout des indigènes, qui ne purent résister
aux mitrailleuses Maxim ; en 1893, la paix paraissant
assurée, des sociétés minières étaient fondées à Bulu-
vayo, qui devenait la capitale administrative de ces
districts miniers ; une révolte indigène, vite réprimée
(1895), n'a pas arrêté l'essor de cette jeune colonie, très
confiante dans la grandeur de ses destinées. Elle est
aujourd'hui comprise dans ces vastes territoires de la
L'Afrique. 8.
138 l' AFRIQUE A L*ENTRÉ£ DU VINGTIÈME SIECLE
Rhodésia qui doivent leur nom à Gécil Rhodes, le
« Napoléon du Cap ».
L'établissement des Anglais dans la Manicaland a été
favorisé par la douceur du climat ; la température,
chaude pendant le jo\ir, tombe pendant la nuit à 8° ou
même 6°, dépression très utile au repos de Torganisme,
qu'éprouve la constance plutôt que l'intensité de la
chaleur ; le plateau de Salisbury, rafraîchi par la brise,
est d'un séjour agréable ; des Jésuites français ont une
mission à Buluvayo qui, comme il arrive souvent en
pays miniers, s'est donné en quelques années des mo-
numents de grande ville ; la célèbre Chartered Compor
ny a concédé des lots de colonisation à des pionniers,
autour du fort Salisbury sur la rivière Mazoé ; les in-
digènes sont employés aux travaux des mines et bien
changés depuis l'époque du raid de 1890, où ils voyaient
pour la première fois des blancs montés à cheval ; les
lions qui étaient alors très nombreux dans le Manica,
se sont peu à peu réfugiés dans des steppes plus désertes
et l'on ne parle plus couramment, comme au début de
la conquête, de chevaux emportés ou de dormeurs atta-
qués par eux.
L'arrivée des Européens par le sud a été comme une
violence à la géographie de ce pays, dont les relations
naturelles sont avec la côte de Beira ; entre le fort Salis-
bury et Mafeking, le chemin de fer encore inachevé ne
comptera pas moins de i.500 kilomètres de rails, à tra-
vers un plateau sans eau, sans bois, piqueté çà et là sur
les fonds plus humides de bouquets de baobabs et de
cocotiers ; déjà cependant le télégraphe a été lancé jus-
LES PLATEAUX DU CENTRE 139
qu'à Salisburj^ pénétrant à 3.000 kilomètres de Cape-
tow^n ; mais la voie ferrée Mareking-Buluvayo-Salis-
bury serait un tronçon bien peu fréquenté de la route
« impériale » du Cap au Caire.
On peut même douter qu'elle soit utile à la fortune
de laRhodesia; celle-ci ne manque pas, en effet, de faci-
lités pour communiquer avec l'Océan Indien ; déjà la
compagnie à charte possède un wharf à Beira,et le che-
min de fer qui part de ce port vers l'intérieur, utile aux
seuls Anglais du Manica, vient (mai 1899) d'atteindre le
fort Salisbury. Les Portugais (de récents événements
l'ont prouvé) sont sans rancune et n'ont rien à refuser
aux ((anciens amis > qui les ontsi prestement dépouillés
en 1891 ; on peut donc affirmer que dès maintenant le
chemin de fer consacre l'annexion par rAngleterre,efifec-
tive sinon officielle, de toute la province de Beira. Celle-
ci n'a guère d'autre valeur que d'être le vestibule d'une
contrée plus riche; elle est médiocrement arrosée, peu
habitée ; la côte est basse et sablonneuse ; Sofala n'est
plus même accessible aux bâtiments de mer, et quant
à Beira, ce n'est qu'avec d'infinies précautions que les
paquebots y prennent leur mouillage, dans une baie
qu'encombrent les alluvions ^e la rivière Pangoué ; le
point de départ du chemin de fer n'est pas encore à
Beira même, mais à une trentaine de kilomètres en
amont, au point où cesse la navigation sur la Pangoué ;
mais cette pauvre ville deviendrait riche, le jour où elle
commanderait un transit facile avec les districts auri-
fères de l'intérieur. On sait comment les Anglais, lors-
qu'ils réglèrent le conflit de 1891 avec le Portugal, im-
140 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
posèrent à leur faible adversaire Tobligation de leur
laisser le libre usage de toutes les voies de pénétration,
et comment ils ont libéralement interprété ce texte, pen-
dant la g^uerre du Transvaal, en empruntant le chemin
de fer de Beira pour les troupes et le matériel militaire
du général Carrington.
Après les rapides qui marquent son passage au tra-
vers des monts Matoppos, le Zambèze entre dans la
plaine alluviale de son cours inférieur; il est à 160 mè-
tres d'altitude, lorsqu'il passe devant le poste portugais
de Tété ; son confluent avec le Chiré n'est qu'un vaste
marécage, annonçant les coulées paresseuses et mobiles
de son delta. Les deux fleuves, réunis, sont encombrés
d'îles et bordés de roseaux, ils s'étalent sur plusieurs
kilomètres de large, mais le chenal de navigation, très
peu fixe, n'a guère que deux mètres de profondeur ; la
barre n'aurait jamais moins de trois mètres d'eau, mais
elle est changeante et dangereuse ; aussi le port de Qui-
limané^ entouré de lagunes pestilentielles, n'a-t-il que
peu de valeur ; il suffisait jadis aux boutres arabes qui
venaient y chercher des esclaves, mais la navigation
moderne ne s'en accommode plus, et de grands travaux
seraient nécessaires : le Zambèze, qui finit dans l'Océan
par un delta mal frayé, apparaît donc très inférieur au
Congo ; les produits naturels de ses rives ne sont pas
assez riches pour que les Européens s'intéressent à les
recueillir; on a jadis tenté d'y cultiver l'opium, mais
sans succès.
Malgré ces obstacles littoraux, la voie du Chiré est
LES PLATEAUX DU CENTRE 141
intéressante parce que sauf Tinterruption des chutes
Murchison, elle ouvre Taccès du lac Nyassa dont les
bords sont plus fertiles, doués d'un climat meilleur, et
déjà parsemés d'établissements européens. Le lac Nyassa,
sorte de boutonnière d'origine volcanique, s'étend sur
600 kilomètres en latitude, et sur 50 environ en longi-
tude ; comme forme et direction, il ressemble au Tan-
ganika; sa profondeur serait pourtant moindre (150
mètres) ; il a été longuement exploré par Livingstone
en 1859, et depuis lors des missionnaires écossais se
sont installés auprès ; il est encadré par des montagnes
dont l'escarpement est accusé surtout au nord et au sud-
est ; celles du nord sont le prolongement des monts
Mouchingas ; celles du sud, moins abruptes, conti-
nuent les monts Matoppos et se soudent aux monts
Namoulis; elles sont entaillées par la vallée du Ghiré et
de leurs pentes orientales s'échappent de grosses ri-
vières, encore mal connues, qui finissent dans l'Océan
Indien entre Mozambique et les bouches de la Rovou-
ma ; nous avons, dans le précédent chapitre, indiqué
les tentatives coloniales dont ces pays sont aujourd'hui
le théâtre.
Des pointements de grès carbonifères ont été relevés
sur la rive o^ccidentale du Nyassa : s'ils recelaient des
mines exploitables, ce serait une bonne fortune excep-
tionnelle par toute l'Afrique centrale, qui manque de
combustible minéral : ces gisements, proches d'une
voie navigable que des compléments artificiels ren-
draient l'une des meilleures de TAfrique, seraient ap-
pelés à ravitailler tous les pays du Zambèze et sans doute
142 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
une partie de ceux du Gong'o : la navigation du Chiré
n*est entièrement arrêtée que par les chutes Murchison;
en aval de ce point, le fleuve entre dans la plaine du bas
Zambèze, le cours tranquille de ses eaux n*est préci-
pité que dans la traversée d'un massif forestier isolé,
mais il n'y a pas là de rapide infranchissable.
La Gompa/w^nie anglaise des Lacs, fondée en 4878, a
pris possession du pays, qui était alors portugais, mais
qui fut annexé aux territoires anglais du Cap en
1891 ; il est intéressant de remarquer que la nouvelle
frontière, abandonnant au Portugal la zone de steppes
pauvres où coule le Zambèze, ainsi que les marais du
confluent du Chiré, englobe dans la zone anglaise, au
nord et au sud du fleuve, tous les plateaux plus élevés
et plus sains ; toutle cours du Chiré, jusqu'au moment
où il débouche dans les alluvions, est ainsi réservé à
l'Angleterre, dont le domaine pénètre comme un coin
dans les terres laissées au Portugal. C'est dans cette
enclave que les missionnaires écossais ont fondé leurs
stations les plus prospères ; ils ont trouvé là un climat
chaud, mais salubre par suite de la grande pureté de
l'air; une population indigène docile et pacifique, les
Manyangas, qu'ils ont aussitôt formés à la culture des
plantes vivrières, du tabac et du coton. Leur capitale,
Blantyre, est située à 1,000 mètres d'altitude, c'est en
même temps le centre administratif de la compagnie
des Lacs. On y a heureusement introduit diverses cul-
tures tropicales, notamment celles du sucre et du café ;
les Européens vivent facilement sur ces plateaux ; la
voie d'évacuation Ghiré-Zambèze étant toute voisine,
LES PLATEAUX DU CENTRE 143
on doit considérer que ces bords méridionaux du lac
Nyassa sont une des régions d'avenir de la colonisation
européenne dans l'Afrique tropicale.
Le Nyassa occupe la partie centrale d'une route
mixte, terrestre et navigable, de la côte africaine de
l'est au lac Tanganika ; une route charretière, appe-
lée Stevenson du nom du riche donateur qui en paya
les frais, le relie à la pointe méridionale de ce dernier
lac ; plus bas, les chutes Murchison sont tournées par
un portage bien établi ; des chaloupes à vapeur sont à
flot dans le bief intermédiaire puis, en aval des chutes
sur le Ghiré et le Zambèse ; par cette voie, très sûre,
le Tanganika n'est qu'à 40 jours de Londres.
Ainsi est-il établi que l'Angleterre, à l'exclusion du
Portugal, dont elle ne fait que traverser les territoires,
est maîtresse de la pénétration vers les plateaux culti-
vables du Nyassa comme vers les districts miniers du
Manicaland. Un chemin de fer, remplaçant la route
Stevenson, longerait au sud la frontière assignée entre
l'Afrique orientale allemande et les pays protégés de
l'Angleterre ; ce serait alors l'annexion économique aux
pays du Nyassa de ceux du lac Tanganika ; c'est dire
que l'Afrique australe anglaise atteindrait de sa con-
currença une région considérable de l'Etat indépendant
du Congo. On s'étonne que de pareilles ressources
soient restées ignorées des Portugais, ou du moins
qu'ils n'aient jamais rien fait pour en tirer parti ; mais
qu'attendre d'un gouvernement qui jusqu'en 1878 a
toléré dans ses colonies d'Afrique l'exercice à peine clan-
destin de la traite des nègres, sans penser à y encoura-
144 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
^erd*autres commerces, et pour lequel, jusqu'en 1752,
le Mozambique releva de Goa, dans Tlnde ? Une telle
inertie condamnait à la stérilité les travaux de quelques
explorateurs portugais contemporains, gens d'audrxe
et de clairvoyance, que Ton a cru suffisamment hono-
rer à Lisbonne en associant les souvenirs rapportés de
leurs voyages aux trophées des temps héroïques de
Vasco de Gama.
r
CHAPITRE II
La région du Haut-Congo et du lac Tanganika.
Nous avons, dans un précédent chapitre, décrit la
barrière montag-neuse qui, peu en arrière de la côte
zanzibarite, oppose sa falaise aux vents et aux pluies
de Tocéan Indien ; dans les monts Mambouas, qui do-
minent rOusagara, elle atteint 3000 mètres, chiffre
sensiblement supérieur aux évaluations de Stanley.
Plus loin vers Touest, se développent deux étages de
plateaux, dont Tun embrasse tous les pays lacustres du
Tanganika et des sources du Congo, et l'autre forme
une terrasse moins haute qui encadre immédiatement,
comme les gr.adins d'un cirque, la contrée du Congo
équatorial antérieurement étudiée. La pente générale,
inclinée d'est en ouest, est très faible, les plateaux
s'abaissent vers l'ancien lac congolais plutôt par degrés
abrupts que par une descente lentement ménagée.
L'étage supérieur porte différents noms : à l'est du
Tanganika, c'est l'Ounyamouézi, parcouru par Stanley,
L'Afrique. 9
446 l'afrique a l^enthée du vingtième siècle
traversé depuis assez souvent jusqu'au jour où les
routes de Touest, par le bas Congo, furent préférées ;
à l'ouest de Tanganika, ce sont le Manyéma et le Ka-
tang'a, plus récemment reconnus, et qui viennent se
souder aux régions du Lounda et du Barotsé, d'où
partent les affluents du Kassaï et du Zambèze. L'aspect
d'ensemble en est très uniforme, l'altitude peu variée ;
ainsi Tabora, station étape entre la côte orientale et le
Tanganika, est située à 1240 mètres; le lac Bangouéolo,
que traverse le Louapoula, est à 1145 ; une légère re-
montée vers l'ouest, dans la direction des monts du
Bihé qui bordent l'Atlantique, est indiquée par la hau-
teur des sources du Zambèze (lac Dilolo, 1445 mètres),
et du Kassaï (1500 mètres). Et rien ne pourrait, mieux
que ces chiffres, illustrer l'expression de Livingstone,
qui qualifie l'Afrique centrale d'auge gigantesque ; ces
plateaux sont inscrits en effet entre deux redressements
littoraux, dont le commandement, de part et d'autre,
dépasse 1000 mètres.
On aurait tort de croire, cependant, que le relief in-
térieur ne soit pas, çà et là, bossue par des soulève-
ments montagneux comme dans les pays du Zambèze,
nous en trouvons ici deux principaux, grientés égale-
ment du sud-ouest au nord-est et redressés au nord
franc aux approches de l'équateur. Tous deux se dé-
ploient à l'est du Tanganika, les monts Mitoumbas ve-
nant se briser contre la faille elle-même où sont amas-
sées les eaux de ce lac, les monts Bambarés marquant
la limite où ce premier étage des plateaux tombe sur
les terrasses inférieures.
LES PLATEAUX DU CENTRE 147
L'Ounyamouézi est rhinterland de l'Afrique orien-
tale allemande ; c'est une steppe dont le sol se compose
de roches anciennes, granits et schistes cristallins, tra-
versées en maints endroits par des percées basaltiques ;
elle n'est pas fertile, encombrée seulement d'une végé-
tation de hautes graminées à travers lesquelles la mar-
che des caravanes ne serait signalée que par l'ondula-
tion des tiges au spectateur placé sur un sommet dé-
couvert. Parfois un terreau noir s'étend sur le granit
superficiel, qui n'apparaît plus qu'en buttes isolées et,
protégeant les eaux d'infiltration contre la voracité du
soleil, les garde à une faible profondeur pour des
cultures de légumes et de sorgo ; ailleurs, au contraire,
ce sont ces « plaines ardentes » dont parle Cameron, où
des indigènes exploitent le sel déposé en efflôrescences
comme sur les chotts d'Algérie et creusant des citernes
pour ne pas laisser perdre une goutte des pluies très
rares et vite évaporées.
La circulation fluviale est pauvre et irrégulière ; le
climat est continental, et les pluies ne tombent qu'en
été (austral), de novembre à mai ; elles ne sont préci-
pitées que sur les sommets assez élevés pour participer,
malgré l'obstacle du relèvement côtier, à la condensa-
tion des nuages venus de l'est ; ainsi sont déterminées
les positions d'oasis de hauteur, qui surgissent en
cônes de végétation plus fraîche au-dessus de la brousse
pauvre des steppes ; entre ces mamelons se traînent
des cours d'eau paresseux, enfouis sous des haies épi-
neuses, pendant la saison sèche, bourbiers mouvants
quand viennent les pluies : le Malagarazi, grossi du
148 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
Gombé, réunît ces misérables rivières pour les con-
duire au lac Tang'anika ; ce sont moins des fleuves que
des marigots, hantés par les crocodiles et les hippopo-
tames, d'autant plus difficiles à franchir que les limites
en sont moins précises, car une éponge de plantes
aquatiques en masque souvent les abords. Ces ravins
sont creusés dans l'épaisseur des plateaux, l'air y est
stagnant, la fièvre ordinaire, les indigènes eux-mêmes
ne font que les traverser, sauf quand ils y trouvent du
sel.
L'Ounyamouézi est peu habité ; les graminées gros-
sières, les mimosées des jongles ne fourniraient à
l'homme qu'une nourriture insuffisante ; les groupes
de population, encore resserrés par la conquête arabe,
sont donc peu nombreux et presque tout le pays est
abandonné à la faune sauvage qui est riche et variée,
antilopes, zèbres, girafes, éléphants et même lions dans
les parties plus montagneuses ; c'est la chasse de l'élé-
phant qui attira les Arabes de Zanzibar de proche en
proche dans l'intérieur ; mais quoiqu'on ait observé
dans les dernières années une reprise du commerce de
l'ivoire par les ports allemands de la côte, il est certain
que la décadence en est profonde depuis l'époque des
voyages de Stanley et de Gameron : la cause en est la
disparition progressive de l'éléphant, ainsi que la con-
currence des voies d'évacuation du Congo belge.
Quelques districts, parmi cette steppe sans avenir, se
dressent comme des îlots de cultures et de population ;
c'est là que les indigènes se sont rassemblés autour des
traitants arabes et des centres urbains se sont ainsi
LES PLATEAUX DU CENTRE 149
constitués, dont les explorateurs de rOunyamouézi
comme ceux du haut Congo remarquèrent plus d'une
fois la prospérité ; les Arabes avaient propagé derrière
eux le figuier, le grenadier ; les nègres soumis et deve-
nus leurs ouvriers agricoles avaient multiplié les champs
de maïs, de millet et de sorgo ; le froment même
ne leur était pas inconnu et des laboureurs de TOu-
nyamouézi, formés dans les établissements arabes,
avaient entrepris à leur compte le défrichement de
quelques coins de la steppe. Déjà dégrossis par le con-
tact des Arabes, convertis parfois à Tislam, ces noirs
seraient, pour les Européens, des auxiliaires moins
inhabiles que ceux du bas Congo. Mais il reste à dé-
terminer ce que vaut exactement leur pays ; les appa-
rences ne sont guère favorables, à part ces « oasis de
hauteur » dont il faudrait restaurer la fortune, atteinte
par la déchéance des Arabes, Tabora par exemple ou
le Kondéland, au nord du lac Nyassa.
La Katanga est la région des sources du Congo, ou
plutôt, si Ton se range àThypothèse de M. A.-J. Wau-
ters, de fleuves que la dégradation des monts Mitoum-
bas annexa au domaine congolais, qui en était d'abord
distinct. Les deux lignes montagneuses des Mitoumbas
et des Bambarés dessinent à la surface du Katanga une
double crête qui se réduit à une seule sur les bords
nord-occidentaux du lacTanganika.il convient de rap-
peler ici ce que nous avons dit plus haut des monts
Mouchingas ; ils viennent culminer entre les lacs Nyassa
et Tanganika et rejettent vers Touest les sources du
152 l' AFRIQUE A l'rNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
loirs analog'ues déversant comme le Louapoula d'an-
ciens lacs maintenant épuisés ; plus au nord la Loukou^a
par une autre faille peut-être plus récente, conduit les
eaux du Tang-anika à Tartère maîtresse du Congo.
La vallée du Lubudi-Congo est un marécag-e où les
confluents, en particulier, forment des deltas vaseux
sur un sol à peine incliné ; après avoir longé les monts
Mitoumbas, elle s'engage dans les replis d'un plateau
dont le redressement au nord-ouest est la chaîne des
monts Bambarés et qui forme près du Tanganika le
pays mamelonné dit Manyéma ; les monts Bambarés
opposent au Congo, grossi de tous ses tributaires des
hauts plateaux, une résistance dont il a peine à triom-
pher :' sur 125 kilomètres, le fleuve, coupé de nombreuses
cataractes, est innavigable, tandis qu'en amont la navi-
gation par pirogues et chaloupes à vapeur est possible
sur 560 kilomètres ; dans les rapides, appelés chutes
Hinde du nom de l'explorateur qui les a reconnus, le
Congo est parfois rétréci jusqu'à cent mètres, les eaux
se précipitent en un bouillonnement tumultueux, et
creusent sans cesse leur lit à travers les roches ; la ma-
gnifique horreur de ce passage l'a fait appeler aussi la
porte d'Enfer. Les monts Bambarés sont franchis de
môme, mais au prix d'une lutte moins grandiose, par
le Lomami né sur leur flanc méridional, et qui peu
après les gorges de Zoungou pénètre dans la plaine
équatoriale du moyen Congo ; vers le sud-ouest, ils
s'écrasent s lir le plateau du hautKassaïet disparaissent
dans le Lounda, région des sources de ce fleuve et du
Zambèze.
LES PLATEAUX DU CENTRE 153
Entre rOunyamouézi d'une part, le Katanga et leMa-
nyéma de Tautre, le lac Tanganika présente nettement
les caractères d'un accident géologique; ce sont les
mêmes forces qui ont dressé les sommets volcaniques
des Viroungous et des Yomalenas et creusé cette longue
faille, où s'étalent du sud au nord les eaux des lacs Tan-
ganika, Kivou, Albert-Edouard et Albert; là est la ligne
occidentale des actions volcaniques, une ligne plus
orientale étant marquée par une série de petits lacs, du
Nyassa au Rodolphe, et par les masses éruptives du
Kénia et du Kilimandjaro : la figure d'ensemble de
ces manifestations serait celle de tenailles dont le Nyassa
serait le pivot et dont les bras, représentés par les deux
lignes ci-dessus indiquées, enserreraient le lac Victoria
pour se refermer vers le lac Albert.
Le Tanganika mesure 650 kilomètres en latitude, sur
une largeur qui varie de 30 à 80 ; il est très peu profond
(au delà de 600 mètres), et ses tempêtes sont redouta-
bles. Livingstone croyait obstinément qu'il se déversait
dans le Nil et, malgré toutes les probabilités recueillies
en compagnie de Stanley, persistait à considérer la
Roussizi qui arrive au nord dans le Tanganika comme
un émissaire alors que c'est en fait (Stanley en fit la
preuve irréfutable) un affluent. L'examen des rives du
Tanganika fait supposer que le niveau de ses eaux a
baissé très notablement au sud, tandis qu'il se serait re-
levé, au nord. Stanley a émis l'hypothèse qu'un effon-
drement, ayant beaucoup accru vers le nord les dimen-
sions de l'auge à remplir, les eaux du sud s'y précipi-
tèrent ; du même coup, la Loukouga,qui déversait jadis
L'Afrique. 9.
154 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
le lac du sud dans le Congo devînt un canal à cours
incertain, encombré de roseaux, et dont Tapparence
paresseuse expliquait l'entêtement de Livingstone à
chercher ailleurs l'émissaire du Tanganika. Depuis les
observations de Stanley, il semble que la Loukouga ait
creusé sa vallée,, et que son caractère de chenal de dé -
charge s'accuse de plus en plus nettement ; on connaît
aujourd'hui les gorges de Mitouanzi par lesquelles elle
franchit les monts Mitoumbas pour s'engager sur les
plateaux du Manyéma.
L'embouchure de la Roussizi, à la pointe nord du
Tanganika, est à demi dissimulée sous des papyrus;
elle est donc difficile à franchir pour les bateaux ; en
amont de cette barre végétale, la Roussizi est naviga-
ble sur une centaine de kilomètres, puis des rapides
interdisent aux chaloupes le passage vers le lac Kivou;
celui-ci est beaucoup plus élevé que le Tanganika (près
de 1500 mètres) ; il est entouré de hautes montagnes,
et ne reçoit que de minces affluents; il est reconnu que
là s'arrête la ligne des eaux qui, par le Tanganika et
le Congo, descendent vers l'Atlantique : le lac Albert-
Edouard, tout proche du lac Kivou, dont le sépare la
masse volcanique dès monts Viroungous, est tributaire
du Nil. Les falaises qui bordent à l'ouest le lac Kivou,
n'étant protégées par aucun écran de ce côté, sont
atteintes par les pluies atlantiques ; sur leurs pentes
inférieures commencent, avec la vallée de la Looua, les
conditions équatoriales de l'ancien lac congolais et de
la grande forêt.
LES PLATEAUX DU CENTRE 155
Au delà des monts Bambarés, les plateaux forment
un second étage, élevé de 500 à 1000 mètres et douce-
ment raccordé à l'étage supérieur par un glacis relevé
vers les sources du Kassaï; ce second étage est une
savane, où la végétation diffère sensiblement de celle
de Test ; il finit à l'ouest par une chute brusque d'une
centaine de mètres, qui brise tous les cours d'eau
affluents du Kassaï par une série de rapides ; au-des-
sous commence la navigation en plaine, qui n'est plus
interrompue jusqu'à la traversée des monts de Cristal.
Redressées au nord, comme les monts Mitoumbas
dont elles suivent la direction, ces terrasses encadrent
le Lomami et le Congo, celui-ci depuis les chutes
Hinde jusqu'aux Stanley-Falls (631 m.) ; il y a là un
bief navigable de 530 kilomètres, le long duquel on
observe la transition de la forêt galerie à la forêt do-
minante. A Nyangoué, qui était au temps des Arabes
un marché considérable, le Congo peut porter de
grosses chaloupes fluviales ; sa profondeur, qui atteint
parfois8m. 50, ne descendrait pas au-dessous de 2 m. 50.
Mais les Stanley-Falls arrêtent en aval toute naviga-
tion ; ils se composent de sept cataractes reliées par
des rapides intermédiaires dont Stanley détermina la
chute voisine de 3 mètres par kilomètre. Au pied de la
septième cataracte, le fleuve est à 460 mètres et sa
pente est dès lors insensible jusqu'au Stanley-Pool
(0 m. 15 par kilomètre).
Tandis que le bassin supérieur du Kassaï est encore
peu connu, les Belges ont exploré tous les pays du
haut Congo, qui avaient été touchés par la conquête
156 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
arabe et qu'ils achèvent en ce moment de rattacher à la
direction économique de l'Europe ; la traite a fait de
g'rands ravages parmi les anciennes populations indi-
gènes, et, comme dans toute l'Afrique noire, ce sont
les tribus soumises les premières, armées ensuite par
les envahisseurs, qui poussaient dans l'intérieur les
expéditions d 'avant-garde : Msiri, qui fut roi de Ka-
tanga, venait de l'Ounyamouézi ; lui-même et ses lieu-
tenants étaient convertis à l'islam . Avant cette transfor-
mation, qui leur coûtait cher, les naturels étaient
très farouches ; autour de villages aux huttes coniques,
entourés d'une fortification de plantes épineuses, les
hommes se livraient à la chasse et à la pêche, les femmes
cultivaient le sorgo ou fabriquaient avec le grain mois-
sonné de la farine et de la bière ; quelques artisans,
habiles, travaillaient le fer et le cuivre qui abondent
de tous côtés. Pour tout vêtement, hommes et femmes
portaient des peaux de bêtes, avec des colliers de dents;
au contact des Arabes, ils apprirent à s'habiller davan-
tage, et des ballots d'étofifes européennes, importés
par Zanzibar,leur étaient vendus en échange de l'ivoire
ou des esclaves qu'ils allaient enlever dans les vil-
lages voisins.
Les marchés arabes s'étendaient en une ligne d'étapes
de Zanzibar au delà du Tanga'nika; Nyangoué sur le
haut Congo, Kasongo plus à l'ouest encore étaient, au
moment de l'occupation belge, les points d'appui extrê-
mes de l'expansion arabe; Tabora ou plus exactement
Kouihara, dans l'Ounyamouézi, Oudjiji et Karéma sur
le Tanganika, étaient les stations intermédiaires. De
LES PLATEAUX DU CENTRE 157
Tune à l'autre, la circulation n'était pas toujours sûre,
et les traitants se g'roupaient en caravanes armées : il
arrivait en effet que des chefs vaincus, après une appa-
rente soumission, tournaient contre les Arabes les
armes reçues d'eux ou prétendaient razzier pour leur
propre compte les malheureux habitants : c'est ainsi
qu*à l'époque des voyages de Stanley, un certain Mi-
rambo tenait la campag-ne contre les Arabes entre le
Victoria et le Tang'anika ; après cinq ans de luttes et
de pillages, il fit la paix avec ses adversaires, non sans
avoir, par ses attaques sur les caravanes, fait doubler
le prix de l'ivoire à Zanzibar; Stanley le rencontra,
lorsque la paix était déjà conclue ; c'était, nous dit-il,
un beau nègre de six pieds de haut, qui ne manquait
ni d'allure, ni d'intelligence. A son exemple, beaucoup
de roitelets indigènes s'embusquaient sur les routes
des Arabes pour prélever des droits de péage, et nous
avons vu que certains allaient s'établir au loin, avec
quelques bandes de partisans, jusque dans le Ka-
tanga.
Le commerce arabe était donc grevé de frais de trans-
port considérables, et ne pouvait s'intéresser qu'à des
produits riches, c'est-à-dire, presque uniquement à l'i-
voire ; de Zanzibar, le personnel des caravanes, diminué
par la vente d'une partie des porteurs, rapportait dans
l'intérieur des armes et des munitions pour ravitailler
le§ étapes, quelques ballots d'étoffes et de bimbeloterie
pour acheter l'ivoire aux chasseurs nègres. Autour des
stations, les plantes vivrières étaient cultivées sans
grands frais par des captifs : le gouverneur arabe de
n
158 l'aFRIQUE à l'entrée du vingtième SIECLE
Kouihara, Séid Ibn Sélim, logea, successivement dans
sa maison, confortable et bien approvisionnée, Livings-
tone, Stanley, Gameron ; auprès, les lég^umes et même
le blé poussaient en abondance ; Oudjiji était de même
entouré de jardins, les notables Arabes y vivaient lar-
gement ; le pain de froment figurait à leur ordinaire,
plusieurs maisons étaient ornées de solives sculptées et
les magasins regorgeaientd*ivoire ; Stanley calcule que
la fortune du plus riche de ces négociants en marchan-
dises, esclaves et biens fonciers devait représenter sur
place environ cent mille francs. De là le luxe de ces
traitants arabes, leurs vêtements de toile fine ou même
de soie, leurs armes rehaussées d'incrustations ; une
quinzaine d'années après le passage de Gameron et de
Stanley, le D' Hinde qui prit part aux « campagnes
arabes » de l'État du Gongo constatait l'air d'aisance
des villes arabes évacuées devant les Européens.
Tippo Tib fut, pendant des années, le type par excel-
lence de ces chefs arabes ; sa résidence habituelle était
Nyangoué, dont les maisons,posées sur deux collines de
la rive droite du Gongo, étaient disposées entre des ri-
zières. Très noir de peau, mais de belle prestance et de
grand accueil, rompu aux raffinements de la politesse
arabe, Tippo Tib vivait en sultan, très polygame, au
milieu d'une armée d'esclaves cultivateurs ; la plupart
de ceux-ci étaient originaires du Manyéma, région de
bons paysans ; ils travaillaient la terre ou servaient de
porteurs pour les caravanes ; rarement le maître les
vendait ; il les nourrissait en fermier prudent, qui sait
ce que valent ses bêtes domestiques, mais ne les dis-
LES PLATEAUX DU CENTRE 159
pensait pas de porter autour du cou la fourche, insigne
de leur servitude.
Le pays de Nyangoué était très populeux, le marché
attirait deux à trois mille indigènes ; on y vendait des
vivres, du sel, du cuivre, et les seuls produits de l'in-
dustrie indigène, des poteries et des instruments enfer ;
dans le Manjéma, la houe en fer est encore aujourd'hui
l'unité monétaire, tandis que dans le Katanga l'on se
sert d'une monnaie de cuivre, petits lingots en croix de
Saint-André. Tippo Tib était un négociant avisé, qui
sut fort bien tirer parti du désir de Stanley de descen-
dre le Congo en partant de Nyangoué : des populations
belliqueuses avaient plusieurs fois, de ce côté, forcé les
Arabes à la retraite et pourtant, comme on les disait très
riches en ivoire, il eût été précieux d'entrer en relations
avec elles : Tippo Tib se fit payer par Stanley pour lui
faire escorte le long du fleuve ; il bénéficiait ainsi de
l'exploration du pays par les blancs et de l'étonnement
ou leur présence jetait les indigènes. Avant de se subs-
tituer aux chefs arabes sur le haut Congo, l'Etat indé-
pendant a dû d'abord s'entendre avec Tippo Tib.
La prise de possession dé Tarrière-pays du Congo
belge est encore à peine achevée ; en 1885, le lieutenant
van Gèle avait fondé en aval des Stanley-Falls un poste
de l'État, mais l'année suivante ce poste était pillé, deux
Européens tués ; Tippo Tib fut d'abord déclaré respon-
sable ; puis, comme il fallait temporiser, l'Etat l'ad-
mit à se disculper et l'institua son représentant aux
Falls, en attendant de pouvoir l'en expulser. Les « cam-
pagnes arabes », dont le directeur fui surtout le baron
i(>0 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
Dhanis, commencèrent en 1892 ; les Belges s'appuyaient
à la fois sur le Congo (camp de Basoko, en aval des
Falls) et sur le Sankouron (camp de Lusambo). En fé-
vrier 1894, après la prise de Njangoué et de Kasongo,
les troupes de rËtatatteignaientleTanganika.Lescliefs
arabes, parents ou vassaux de Tippo Tib, étaient vaincus,
certains pris et fusillés comme rebelles, et Ton pouvait
regarder comme close Tère de la domination arabe sur
le haut Congo.
Ce n'est pas toutefois sans luttes que les Belges Font
remplacée : leurs auxiliaires noirs, durement traités,
lancés à la guerre de pillage par des chefs blancs qui
ne les tenaient pas bien en mains, se sont soulevés dès
qu'ils ont vu les campagnes arabes terminées ; peut-être
eut-on le tort de vouloir les employer à de nouvelles
expéditions loin de leur pays d'origine : ces Batétélas,
nègres grands et vigoureux des environs de Nyangoué,
ont tenu en échec pendant deux ans les troupes fidèles
de l'Etat, entre le Tanganika et le Congo ; ils sont à
peu près partout vaincus aujourd'hui ; mais leur sou-
mission est encore précaire ; une politique prudente et
souple fera seule du Manyéma le pays d'exploitation
minière et agricole que ses ressources semblent pro-
mettre. Quant aux indigènes du Katanga, population
moins dense que celle du Manyéma, leurs mœurs plus
primitives assurent plus de facilités à l'établissement
des Européens.
Quelles sont donc, dans ces régions du haut Congo
et du Tanganika, les points vers lesquels doit se porter
LES PLATEAUX DU CENTRE 161
l'effort de la pénétration ? Ni les savanes du Kassaï su-
périeur, ni les plateaux de Test, mais seulement le Ma-
nyéma et le Katang'a. Les Allemands de T Afrique orien-
tale n*ont pas d'abord voulu se rendre à cette évidence,
comme s'ils pouvaient ressusciter à leur profit le com-
merce des caravanes arabes, en poussant un chemin de
fer de la côte vers le Tang'anika ou le Nyassa : de Dar-es-
Salam au Tanganika, cette voie ferrée se déroulerait
sur près de 1800 kilomètres, par Tabora et Oudjiji ; le
g-ouvernement allemand, d'accord avec des sociétés de
colonisation et de banque, avait fait procéder aux pre-
mières études de cette ligne ; les frais en furent évalués
à 90 millions de francs, et Ton ne disait pas sur quel
trafic local on pourrait gag'er l'emprunt de cette somme,
qui serait sans doute beaucoup dépassée. Le désir de
faire concurrence au^chemin de fer anglais de l'Ouganda
n'excuserait pas une telle prodigalité. On agirait plus
sagement en débroussaillant des pistes assez larges pour
des charrois, surtout si la domestication de l'éléphant
était en même temps étudiée pour en faire une bête de
somme et de trait, et si l'on reprenait les tentatives de
la London missionary Society pour diriger des chars à
bœufs de la côte sur le Tanganika.
Au mois d'octobre 1899, le conseil colonial allemand
pourtant émit un avis favorable à la construction d'un
grand chemin de fer de pénétration : de Bagamoyo ou
Dar-es Salam, il irait à Tabora, par les hauteurs de
l'Ousagara et de Mpapoua, dont l'altitude permet le sé-
jour des Européens ; à Tabora il se bifurquerait,
d'une part sur Oudjiji, d'autre part sur Kamoga (sud du
1
162 l' AFRIQUE A l'enTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
lac Victoria) ; cette opinion lancée par des publicîstes
et des coloniaux en chambre a été vivement combattue
par des adversaires d'expérience, le D' Hans Meyer et
Schweinfurth ; ils ont fort bien montré que l'idée n'avait
rien de pratique ; si jamais un chemin de fer doit tra-
verser de part en part l'Afrique orientale allemande,
c'est celui qui relierait à la côte les districts houillers
deLangenbourg", au nord du Nyassa ; le cours inférieur
de la Roufidji se prêterait peut-être à des améliorations
suffisantes pour un service de batellerie fluviale qui rac-
courcirait d'autant le tracé du chemin de fer, mais il
resterait, et la dépense serait considérable, à entretenir
un port dans le delta de ce fleuve. Sur le lac Nyassa, les
Allemands ont trois barques à vapeur ; mais il ne faut
pas oublier que la houille de Langenbourg serait éco-
nomiquement amenée dans les ports de l'Océan Indien,
si seulement un chemin de fer local, un simple Decau-
ville, remplaçait le portage des chutes Murchison.
Depuis 1876, date de la conférence géographique in-
ternationale de Bruxelles, les pays qui forment aujour-
d'hui le hinterland allemand avaient été parcourus par
les explorateurs de 1' « Association internationale afri-
caine », et par des missionnaires français et anglais.
En 1878, le pape y constituait des domaines spirituels
pour les Pères Blancs du cardinal Lavigerie ; Wissmann,
en 1882, trouvait ces Pères bien établis à Tabora ; de là,
ils s'avancèrent sur Oudjiji, où l'un des leurs fut assas-
siné en 1881, et môme passèrent sur la rive occidentale
du Tanganika. En même temps, le comité belge de
l'Association internationale faisait fonder par le lieute-
LES PLATEAUX DU CENTRE 163
nant Cambîer le poste de Karéma, sur le lac (1879) ; un
riche industriel de Leeds, M. Arthington, donnait à la
London Missionary Society 3.000 livres sterling* pour
étudier la navigation du Tanganika ; dès 1880, les pas-
teurs de cette association y possédaient un canot en
acier, et recevaient de la compagnie anglaise des Lacs,
par la voie du Nyassa, les pièces d'une chaloupe à va-
peur
Toute cette activité tomba, le jour où Ton put employer
la voie du Congo découverte par Stanley : les Pères
Blancs décidaient, en 1883, de ravitailler leurs postes
du Tanganika par les routes congolaises ; le lieute-
nant Cambier ne touchait plus à Zanzibar que pour
y recruter des auxiliaires destinés à l'exploration du
bas Gongo ; il ne restait de tout le mouvement parti
de la côte orientale que des stations mortes sur des routes
abandonnées ; ce fut une délivrance lorsque les troupes
de l'Etat indépendant rejoignirent sur les bords du Tan-
ganika (février 1894) les miliciens de Storms et de Jac-
ques, laissés là-bas en sentinelles perdues des sociétés
antiesclavagistes. L'Allemagne n'a donc hérité que d'un
pays pauvre, bloqué entre des routes qui échappent à
son contrôle ; le chemin de fer qu'elle construirait vers
le Tanganika serait pour elle une sorte de transsaharien,
avec cette différence qu'il finirait en cul-de-sac au seuil
de pays non allemands.
Les conditions seraient tout autres si, par un accord
avec l'Etat in dépendant, l'Allemagne pouvait réserver à
ce chemin de fer, prolongé vers Nyangoué sur la rive
occidentale du Tanganika, l'évacuation des produits co-
164 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
loniaux et des minerais du Manyéma et du Katanga ;
r Afrique orientale allemande serait alors un vestibule,
et non plus une impasse ; déjà une entente de ce genre
paraît établie pour une lig'ne télégraphique commune
dontrimportance serait européenne, car elle pourrait,en
s'augmentant de sections terrestres et de câbles de lon«
gueur médiocre, soustraire au monopole des compa-
gnies anglaises une notable partie de l'Afrique, du Sé-
négal à Madagascar. Mais il n'existe encore aucun in-
dice qu'un tel projet soitàTétude pour une voie ferrée ;
plus probablement môme, TEtat indépendant s'effor-
cera de conserver pour lui le monopole des transports
sur toute l'étendue de son domaine.
Le Manyéma et le Katanga n'en sont pas l'une des
parties les moins riches. Le Katanga est un pays mi-
nier, avec des gisements de fer, de cuivre, de sel, des
sources thermales et minérales ; les érosions ont mis à
nu des collines entières de minerai de fer, dont l'exploi-
tation ne comporterait de la sorte qu'un travail facile,
à ciel ouvert ; les principaux gîtes de cuivre (malachite)
sont situés en arrière des monts Mitoumbas, dans les
bassins où s'étalent la Loufila et le Nzilo ; les indigè-
nes savent extraire ces minerais et fabriquer quelques
objets : des anneaux d'ornement et des croix en cuivre,
ces dernières servant de monnaie.
Une compagnie belge du Katanga fut constituée dès
1891 ; toutes les explorations ont démontré que les
mines du Katanga seraient d'un rendement rémunéra-
teur, si les voies d'accès en devenaient plus faciles ;
quant au Manyéma, sur la surface duquel les pluies
LES PLATEAUX DU CENTRE 165
ont étalé des alluvions volcaniques, précipitées des
monts Mitoumbas, ce serait le grenier du pays des mi-
nes ; le recul des traitants arabes, la suppression des
razzias, la pacification des Batétélas, qui sont une des
races noires les moins grossières de l'Afrique centrale,
rendront sans doute à ces champs fertiles leur popula-
tion dense et leur productivité d'antan ; il nous paraît
qu'il y a là une condition essentielle de la mise en ex-
ploitation des mines du Katanga.
Uneautre question, non moins importante, est celle des
communications : les deux routes fluviales du Gongo-
Lomami et du Kassaï-Sankouron-Lubefou convergent
vers le nord du Batétéla, l'une au prix d'une courbe
immense vers le nord, l'autre presque directement en
suivant le 4^ parallèle: 300 à 400 kilomètres de chemin
de fer relieraient le point extrême de la navigation du
Lubéfou à Nyangoué, coupant le bief navigable du Lo-
mami par un pont ou par un bac ; mieux vaudrait en-
core, de ce dernier point, l'incliner au sud-est, pour
n'atteindre le Congo qu'en amont des chutes Hinde, et
disposer ainsi au terminus du rail d'un bief navigable
de plus de 500 kilomètres sur le Lubudi ; à supposer
qu'on ne voulût ou ne pût sans frais excessifs tracer une
voie ferrée à travers les monts Mitoumbas, les minerais
se trouveraient à moins de 300 kilomètres de leur point
d'embarquement sur le Lubudi, et le climat, du Ka-
tanga permettrait, sur ce dernier tronçon, d'organiser
des charrois à bœufs.
Tous ces projets sont encore incomplètement étudiés,
mais tout concourt à prouver que vers l'ouest, par des
166 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
compléments artificiels au réseau navigable du Cong-ô,
on trouvera des voies d'accès vers ces plateaux du cea-
tre de TAfrique. L'État indépendant n'a rien à craindre
de la concurrence de l'Afrique orientale allemande ;
mais il ne doit pas oublier que l'Angleterre émit jadis
la prétention de rattacher le Katanga à ses possessions
du Zambèze, et là, le long de ces cours d'eau zambéziens
mal connus encore dont les sources voisinent avec celles
des tributaires du Congo, les ingénieurs pourraient
bien découvrir un passage pour une voie ferrée affluents
du Zambèze ; certes, la navigation de ce fleuve ne
vaut pas celle du Congo, mais la moindre distance des
ports maritimes, le nombre peut-être réduit des trans-
bordements à l'intérieur seraient des arguments à dis-
cuter en faveur de cette route nouvelle ; l'hydrographie
des pays entre Zambèze et Congo n'est pas tellement
nette qu'elle réserve évidemment à ce dernier fleuve le
commandement économique de tout son bassin supé-
rieur.
CHAPITRE III
Le pays du lac Victoria et du Haut-Nil.
Les pays du lac Victoria et du Haut-Nil continuent
les plateaux de l'Afrique orientale allemande, avec les
mêmes manifestations volcaniques ; le lac Victoria est
le fond du cirque, la cuvette où s'amassent les eaux
tombées sur le plateau ; les lacs qui l'entourent sont
d'une autre orig'ine, creusés dans les sillons du sol
plissé par les soulèvements volcaniques : lacs Albert et
Albert-Edouard à l'ouest, lac Rodolphe au nord-est.
Une falaise abrupte, haute de 250 mètres, se dresse à
peu de distance de la côte bornant à quelques kilo-
mètres le cours inférieur navigable des fleuves qui
tombent des montagnes de l'intérieur ; celles-ci s'enlè-
vent sur un plateau lentement incliné vers la falaise
littorale, et dont l'altitude est de 1700 mètres à SOO kil.
de la mer ; les plus puissantes sont les cônes éruptifs,
déjà décrits, du Kénia et du Kilimandjaro. La ressem-
blance est fidèle, entre cette partie du plateau et celle
168 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
que, plus au sud, Stanley parcourut entre Zanzibar et
le Tanganika ; ce sont les mêmes steppes pauvres, avec
quelques bas-fonds où poussent des bouquets de bois,
des eaux rares et temporaires, des paquets de jongles
formant barrière et servant de refuge à de nombreux
lions; Stanley a coté 1702 mètres, ailleurs 1717, en des
points d'où les vallées fluviales divergent vers la côte
et vers le lac Victoria ; la même altitude (1702 mètres)
était relevée par lui entre les lacs Albert et Victoria : le
modelé général du sol est donc peu varié, et les hau-
teurs qui le diversifient prennent le caractère très net
d'accidents.
De cet étage culminant de 1700 mètres, qui embrasse
tout le pourtour du lac Victoria, le plateau s'abaisse
d'un mouvement continu vers l'ouest ; mais il est tra-
versé par des massifs volcaniques dont plusieurs enca-
drent le Victoria et ont sans doute contribué à le for-
mer, en attirant sur leurs pentes les pluies de l'Océan
Indien : à l'est du lac Victoria, entre le Kénia et le
Kilimandjaro surgissent deux escarpements rapides ;
le plus oriental, dit des monts Kikuyu, monte à
2500 mètres ; celui des monts de Maou, séparé du pré-
cédent par une vallée à chapelet de lacs, dépasse
3000 mètres ; plusieurs cratères en éruption y ont été
observés, et l'on doit sans doute rattacher à l'aligne-
ment des monts Maou, qui se tord vers le nord-ouest,
la haute cime de l'Elgon (4260 m.) et les ressauts à
travers lesquels le Nil se fraie un passage pénible,
entre le lac Victoria et le lac Albert ; pour reprendre
une comparaison employée dans le précédent chapitre,
LES PLATEAUX DU CENTRE 469
le bras occidental des tenailles vient ici s'appuyer sur
le bras oriental. Continués au nord, les escarpements
Kikuyu et Maou se prolongent de part et d'autre du lac
Rodolphe, et celui-ci peut être considéré comme faisant
suite à la vallée lacustre qui se développe entre eux.
La connaissance de ces hauteurs est très récente, elles
n'ont été étudiées en détail qu'en vue des fravaux du
chemin de fer de TOug'anda. Les montagnes situées à
l'ouest du Victoria ifigurent depuis plus longtemps sur
nos cartes : là, le massif le plus considérable est celui
du Ruvenzori, dont Stanley avait aperçu les hautes
cimes, mais sans trouver des compagnons indigènes
pour s'en approcher comme il l'aurait voulu ; nous
savons aujourd'hui que les monts du Ruvenzori s'élè-
vent jusqu'à 5500 mètres, comparables par conséquent
au Kénia et au Kilimandjaro, qui sont les géants de
l'Afrique ; couverts d'épais glaciers, dressés majestueu-
sement au sud du lac Albert, entourés par les indigènes
d'une terreur superstitieuse qui explique les difficultés
opposées à la curiosité de Stanley, ils s'abaissent au nord-
est, poussant des éperons qui se rapprochent de ceux
de l'Elgon et ferment au nord le cirque du lac Victoria;
la vallée du Nil, entre les deux lacs, est coupée deux fois
par des rapides, la chute Ripon presque à la sortie du
lac Victoria et plus bas la chute Murchison, qui tombe
de 40 mètres d'un seul trait.
Les terrasses qui dominent le nor 1-ouest du lac sont
l'Ouganda, région fertile et peuplée ; le pays plus acci-
denté entre le Victoria et l'Albert est appelé Ounyoro ; le
relief en est tourmenté, plusieurs cimes des monts Ru-
L'Afrique. 10
172 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
Tun au-dessus de Tautre à 940 et 660 mètres, ils pro-
long'ent vers le nord lafailleoù coulent, en sens inverse,
les eaux du Kivu et du Tanganika ; leur forme est ana-
logue, sauf qu'ici les escarpements les plus abrupts
sont ceux de la rive orientale ; le lac Albert repose au
fond d'une déchirure de 500 mètres ; la plus basse fa-
laise des monts Ruvenorzi le serre de si près que les
indigènes hissent avec des cordes en haut d'une falaise
de 20 mètres le sel recueilli par des piroguiers sur la
lisière du lac.
Très vite à l'ouest réapparaissent les terrasses qui cor-
respondent à celles du moyen Congo et se continuent
vers le Tchad jusqu'aux sources du Ghari : le relief cul-
minant porte alors le nom de monts Baghinzés qui
s'entend moins d'une chaîne de montagnes que d'un
plateau mamelonné à pente indécise vers l'Ouellé et le
Bahr el Ghazal ; les Baghinzés sont une zone de savanes,
avec des vallées à galeries forestières ; ils descendent
par des gradins de 1300 à 500 mètres, vers le nord-est
et le sud-ouest. Schweinfurth et Junker ont savamment
exploré cette région, le premier surtout qui put pro-
fiter de ses excellentes relations avec les traitants mu-
sulmans de Khartoum, à l'époque où leur commerce
était en pleine prospérité (1868-1871). S'il y eut là, jadis,
des montagnes élevées, elles ont été nivelées parles éro-
sions ; quelques cônes de gneiss, isolés, dressés de
300 à 400 mètres aù-dcssus du niveau moyen du sol, en
portent seuls témoignage aujourd'hui.
Schweinfurth a établi qu'il n'y avait pas de commu-
nication eùtre l'Ouellé et le lac Albert, qu'il appelle lac
- j
LES PLATEAUX DU CENXaE 173
de Baker ; s'il ig-nore que TOuellé finit dans le Con^s^o
et Je représente comme la source du Ghari, il a du
moins très exactement observé qu'il n'existe dans les
monts Bag-hinzés aucun obstacle orographique, aucun
faite de séparation entre les tributaires de TOuellé et
ceux du Bahr el Ghazal ; il a passé de l'un à l'autre
domaine sans même s'en apercevoir, cheminant tou-
jours sur les mêmes croupes, entre lesquelles une
hydrographie capricieuse distribue les eaux dans l'une
ou l'autre direction ; les sources de l'Ouellé, dont la
principale est la grosse rivière Kibali, sont à 1200 m.
d'altitude, et c'est à peine si l'on trouverait des som-
mets de 1500 mètres dans la région des Baghinzés ; de
là vers le lac Albert, il n'existe qu'un dos de pays ; du
côté de l'ouest aussi la pente est très faible, puisque le
confluent duMbomou et de l'Ouellé-Kibali, à 1300 kil.
plus bas, est à 438 mètres, soit une descente moyenne
inférieure à 60 centimètres par kilomètre.
Tandis que les pluies qui alimentent le lac Victoria
viennent surtout de l'Océan Indien, les monts Baghinzés
appartiennent à la zone des pluies atlantiques, appor-
tées par les vents du sud-ouest ; l'hiver est sec et relati-
vement frais (de 16» à 22°), l'été plus chaud (25®) et
très pluvieux, avec une con&tance de l'humidité tou-
jours plus grande à mesure que l'on s'approche de
l'équateur; il souffle parfois, même en saison pluvieuse,
des rafales de vent du nord-est, qui nettoient et rafraî-
chissent l'atmosphère. Ces observations s'appliquent
au Bahr cl Ghazal comme à l'Ouellé, fleuves dont la
géographie fait un domaine unique, malgré les divl-
L'Afrique. i 0.
L.
174 l' AFRIQUE À L*ENTRéE DU VINGTIEME SIECLE
sioDs imaginées par la politique suivant le système
suranné des «lignes départage des eaux». La saison
des pluies commence en avril ; alors la végétation, assou-
pie pendant les sécheresses de l'hiver, se réveille et la
steppe se couvre de fleurs soudainement, comme par
un contact électrique ; les rivières sont atteintes par la
crue deux mois plus tard, et les eaux restent hautes
jusqu'en novembre; il en est ainsi du Kibali, source
de rOuellé, comme du Soueh et du Vaou, qui vont au
Bahr el Ghazal.
Les terrasses marécageuses des monts Baghinzés sont
un obstacle très difficile à franchir entre le Nil moyen
et rOuellé ; c'est là probablement que durent s'arrêter
les deux centurions envoyés par l'empereur Néron à la
recherche des sources du Nil ; tout récemment, on n'a
pas oublié au prix de quelles fatigues la mission Mar-
chand put atteindre le Nil navigable vers Fachoda : le
rapport du lieutenant de vaisseau Dyé est, à cet égard,
très instructif : tous les fleuves sont encombrés d'îles
flottantes^ de forêts de roseaux à travers lesquels
les barques n'avancent que poussées à la perche, et
menacent de s'envaser à tout instant; ces embâcles
constituent le sett, barrière d'herbes aquatiques, assez
solides parfois pour porter un homme, mais plus sou-
vent trop molles et qu'il vaut mieux assurément essayer
de tourner par la terre ferme que de couper par une
navigation toujours précaire.
Les traitants arabes profitaient, pour remonter en
barque jusqu'à Mechra-er-Rek, des hautes eaux qui
entraînaient une partie du sett; de là leur commerce
r."
LES PLATEAUX DU CENTRE 175
se faisait par caravanes, et leurs zérihaSy entrepôts de
munitions et de marchandises, étaient toujours posées
sur des mamelons, hors de portée des inondations. Le
sett a été reconnu sur le Bahr el Djebel ou Nil propre,
en amont de Fachoda, comme sur le Bhar el Ghazal ;
on Ta observé, bien qu'en moindres proportions, sur le
Sobat, affluent de droite du Bahr el Djebel, c*est donc
un trait général de toute l'hydrographie du Haut-Nil ;
*a pénétration européenne ne peut pas n'en pas tenir
g-rand compte.
Ces immenses marais, formant au nord des monta-
gnes volcaniques qui enserrent la Victoria une régiô n
à faible pente, où les eaux circulent mal, permettent
l'hypothèse d'un ancien lac qui, par rapport aux terras-
ses de rOuellé et du Bahr el Ghazal, serait symétrique
de Tex-lac congolais ; il se serait vidé par le nord, per-
çant une issue très élargie aujourd'hui et dont le cadre
est encore visible, entre les plateaux du Kordofan et
les hauteurs de l'Abyssinie ; mais, les pluies étant
ici moins abondantes que sur le moyen Congo, la lutte
se serait engagée, pour ainsi dire, entre la végétation
et les fleuves, dont le cours n'est pas assez puissant
pour emporter tous les débris et empêcher la croissance
des plantes au milieu môme de leur lit.
La valeur économique des hautes terrasses n'est sans
doute pas très grande ; les traitants arabes, chez lesquels
séjourna Schweinfurth se plaignaient déjà que leur
commerce devînt difficile ; l'ivoire se faisant plus rare,
le transport aux points d'embarquement sur le Nil ne
laissa presque plus de bénéfices du jour où, l'Egypte
476 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
interdisant la vente libre des esclaves, les porteurs d'i-
voire n'étaient plus eux-mêmes une marchandise. La
conquête égyptienne aggrava ces conditions ; Junker a
pu (4875-1878) constater une réelle décadence depuis le
passage de Schweinfurth ; les fonctionnaires égyptiens,
se regardant comme des exilés en ces pays perdus, ne
s*occupaientque d'amasser un pécule, sans souci de mo-
lester les habitants ; les commerçants arabes, qui rési-
daient de longues années au milieu des mêmes tribus
indigènes, étaient plus intéressés à les ménager, afin
d'en vivre plus longtemps.
Les peuplades nègres les plus importantes du Bahr
el Ghazal, les Ghillouks, les Dinkas ont ainsi perdu
beaucoup de leurs richesses. Les Ghillouks sont sur-
tout des pêcheurs, ils habitent les bords du Bahrel
Ghazal et du Nil en aval de Fachoda ; très nombreux
et peu outillés pour se défendre, ils étaient sans cesse
razziés, dans les débuts de la domination égyptienne,
par des cavaliers baggaras, poussant des pointes de-
puis les limites du désert. Les Dinkas, nous dit Schwein-
furth, sont une véritable race de marais, aux jambes
longues et grêles, aux pieds larges et plats ; ils vivent
entièrement nus, se couvrant seulementde cendres pour
prévenir les piqûres des moustiques ; ils arrachent leurs
incisives inférieures, de sorte que celles du haut crois-
sent démesurément et donnent à leur visage une expres-
sion hideuse et féroce. Il n'y a pas, semble-t-il, beau-
coup à espérer du bétail des Dinkas ; il est petit et
maigre; les aliments dont il se nourrit, très aqueux et
privés de sol, le prédisposent aux affections vermiculai-
LES PLATEAUX DU CENTRE 177
res; il n'est employé ni pour les transports ni pour le
travail du sol ; il ne sert même pas ordinairement pour
la boucherie ; des soins prolongés, une sélection labo-
rieuse seraient nécessaires pour régénérer cette race.
Pour la subsistance des habitants le sol, en pays non
inondé, offre plus de ressources: le maïs, le sorg-o y
viennent très vite, ainsi que le tabac et les légumes
d'Europe ; le blé remonte le long du Nil jusqu'à Fa-
cboda.
Lorsqu'on descend vers l'Ouellé, on rencontre des
indigènes assez différents, les Mombouttous et les
Nyamnyams avec quelques tribus de Pygmées ; ces
noirs, les derniers atteints par la conquête arabe, sont
encore païens pour la plupart; ils ignorent l'usage des
céréales, n'ont pas de bétail et consomment surtout des
ignames et du manioc ; les bananiers apparaissent au-
tour de leurs villages, par grandes plantations et de
même quelques élaïs, dont c'est là le dernier habitat
vers le nord. Chasseurs, vêtus de peaux de bêtes, ces
Nyamnyams sont anthropophages, comme tous les
nègres de la forêt congolaise ; par leur pays se fait la
transition vers les conditions des plaines équatoriales.
Quelques sultanats, d'origine arabe, se sont constitués
dans les hautes vallées de l'Ouellé : celui de Tamboura,
laissé à la région d'influence anglaise parle traité de
mars 1899, ceux de Rafaï, Zémio, Bangasso dont les
territoires sont partagés entre la France et l'Etat indé-
pendant du Congo ; ils ont encore de grandes réserves
d'ivoire et d'immenses forêts à caoutchouc ; ce serait la
seule partie de ces terrasses dont l'accès facile offrirait
178 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
des ressources à la pénétration européenne ; mais nous
avons dit qu'ils paraissent, jusqu'à plus ample informé,
relever des voies d'évacuation du Cong'o et non du Nil.
Schweinfurth a bien aussi remarqué, sur l'étage supé-
rieur des monts Baghinzés, des tribus, dites Djours,
qui fabriquent des armes et ornements, avec le fer qui
affleure à chaque pas ; mais on ne voit pas qu'il y ait
là, de longtemps au moins, les éléments d'une indus-
trie européenne.
Bien plus intéressants que ces plateaux de l'Ouellé
et du Bahr el Ghazal sont, dans l'enceinte volcapique où
s'étale le lac Victoria, l'Ouganda et l'Ounyoro. Speke
et surtout Stanley nous ont les premiers décrit l'Ou-
ganda comme un pays riche et déjà préparé par une
civilisation assez remarquable, à solliciter l'elBFort des
Européens. L'Ouganda et même plus à l'ouest l'Ou-
nyoro ont reçu de la côte orientale d'Afrique les in-
fluences arabes d'abord, chrétiennes ensuite,leurs rela-
tions naturelles sont tournées vers l'Océan Indien, bien
que le cours du Nil semble les rattacher à l'Egypte ; il
a fallu, pour les lier politiquement au Soudan égyptien,
des expéditions militaires venues du nord ; aujourd'hui
l'Angleterre qui les a conquises, remplaçant à son pro-
fit la suzeraineté de l'Egypte, reconnaît cette vérité géo-
graphique et lui donne une sanction pratique, en cons-
truisant le chemin de fer de Mombasa au lac Victoria.
Stanley fut pendant plusieurs mois, en 1875, l'hôte
du roi d'Ouganda Mtésa. Converti à l'islam, après un
avènement cruel et quelques années d'un despotisme
— ^.
LES PLATEAUX DU CENTRE 179
sangiiinaire, Mtésa faisait alors fîg'ure de souverain
très policé ; ses mœurs étaient adoucies, sa sobriété,
digne d'éloges. Il était entouré d'une hiérarchie de di-
gnitaires, sur lesquels son pouvoir était absolu ; il dis-
posait d'une armée et d'une flotte ; les soldats armés de
mousquets, môme de quelques obusiers, traversaient
le Victoria sur de grands canots peints en rouge, et
conduits par cinquante rameurs : dans une campagne
contre ses voisins . de l'est, les Oussogas, Mtésa avait
mis en mouvement, tant par terre que sur le lac, cent
cinquante mille hommes, avec deux cent trente barques
de guerre.
Ces chiffres indiquent que l'Ouganda est un pays dé
population dense ; Mtésa aurait eu plus de deux mil-
lions de sujets ou tributaires, et l'aisance paraissait
générale autour de lui ; tous les gens de l'Ouganda sont
vêtus, et les principaux, avec recherche. Mtésa lui-
même habitait sur une colline une grande hutte en paille
à toit conique, mesurant vingt mètres de long sur six
de large et huit de hauteur au sommet ; il savait don-
ner des réceptioas somptueuses, qu'il présidait non sans
majesté ; des chefs vassaux, élevés par sa faveur, gou-
vernaient en son nom des provinces organisées ; tous les
notables, autour de lui, parlaient et écrivaient l'arabe ;
Tori, l'homme de confiance de l'empereur, était de Zan-
zibar.
Les naturels de l'Ouganda sont de beaux hommes,
d'une taille moyenne supérieure à celle des Européens ;
paysans vigoureux, ils vivent largement du produit dô
leurs cultures ; des enclos palissades, autour de leurs
180 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
cases, sont plantés en lég'umes et en bananiers ; de ce
dernier arbre, ils tirent une farine, une boisson, des
médicaments, des cordag;;es, des matériaux de cons-
truction ; ils cultivent aussi, mais en moindres quanti-
tés, des céréales (riz et maïs) et possèdent de grands
troupeaux ; leur nourriture est donc confortable et va-
riée, leurs habitations sont aussi plus soignées que
celles des peuplades africaines, ornées de trophées d'i-
voire et tendues de peaux. L'Ouganda nous apparaît
ainsi comme une exception de civilisation dans l'Afri-
que noire ; on pourrait peut être le comparer à PAbys-
sinie et, dès le retour de Stanle}^ l'attention des Euro-
péens s'arrêta sur ces régions dont il disait merveille.
Les explorations postérieures ont confirmé en les
précisant toutes les informations de Stanley ; non seu-
lement l'Ouganda est un pays fertile, habité par une
population dense et intelligente, mais c'était alors un
état indigène, politiquement constitué; des expéditions
avaient montré la valeur de ses armées contre les gens
de rOunyoro,possesseurs de salines et ceux du Rouanda,
leurs voisins du sud. Des missionnaires protestants, dès
1875, et des Pères Blancs, catholiques, depuis 1879,
s'établirent dans l'Ouganda, où les uns et les autres
firent de nombreux prosélytes ; Stanley déclare avoir
converti Mtésa au protestantisme et rien n'est moins
invraisemblable ; mais il est aussi notoire que le P.
Lourdel,desPP. Blancs, acquit ensuite sur ce souverain,
dont il devint le médecin, une très grande influence ;
des chapelles des deux cultes s'élevèrent, et l'Ouganda
fut bientôt partagé en deux factions chrétiennes, les
LES pLateaû^ Dû centre 181
protestants liant parti avec les musulmans de Zanzibar,
parce que ceux-ci passaient pour les alliés de TAujo^le-
terre: en fait, de 1870 à 1888, le sultan Saïd Bargach
fut étroitement surveillé par le consul anglais de Zan-
zibar,M. JohnKirk, et sa protection permit aux pasteurs
de la London missionary Society de s'avancer jusqu'à
Oudjiji sur le Tang-anika et jusqu'à Kag-éhyijau sud du
Victoria qu'ils traversèrent ensuite pour gag-ner l'Ou-
g-anda.
Nous n'avons ici qu'à résumer cespag-es de l'histoire
contemporaine : la fondation, en 1885, de l'Impérial
British East Africa G» (Ibea), dont sir William Makin-
non était le président, livrait à l'Angleterre, sous le
nom de cette société, tous les territoires du Haut-Nil.
L'Ibea fit, avec la Société de g-éographie de Londres
(aidée pour la forme d'une subvention du gouverne-
ment égyptien), les frais du voyage de Stanley à la
« délivrance » d'Emin Pacha. Ce savant allemand, de-
venu fonctionnaire égyptien sur le haut Nil, avait été
en effet coupé de la basse Egypte par l'insurrection
mahdiste^ et Ton pouvait craindre qu'il ne fondât au
nord des lacs un Etat indépendant contre lequel la pé-
nétration européenne viendrait se briser. Emin, sauvé
peut-être malgré lui, descendit à Zanzibar, mais les
Allemands de la côte orientale n'étaient pas restés inac-
tifs. Peters était déjà parti pour l'Ouganda qu'il se
proposait de placer sous le protectorat allemand, lorsque
l'Angleterre et l'Allemagne signèrent le traité du 14 juin
1890, qui laissait à la première tout le nord et l'ouest
du lac Victoria, c'est-à-dire précisément l'Ouganda.
L'Afrique. 1 1
> ._ . _>
182 L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
Suivant Tusag'e, Tlbea, compagnie à charte, précéda
le g-ouvernement anglais : avec des troupes comman-
dées par le capitaine Lugard, elle établit violemment
sa souveraineté sur les riches territoires de l'Ouganda;
les catholiques furent décimés, mitraillés par des ca-
nons Maxim, et Lugard, malgré l'inutile cruauté de sa
campagne, fut couvert d'éloges par l'Angleterre. Les
Pères Blancs ont subi de ce fait des dommages consi-
dérables, leurs chrétientés dispersées, leurs champs ra-
vagés, leurs maisons détruites ; on voudrait apprendre
qu'ils ont été du moins indemnisés de cette violente
expropriation. En mars 1893, la prise de possession
par ribea était un fait accompli ; le gouvernement an-
glais accepta de se substituer à la compagnie, qui fai-
sait valoir les sacrifices consentis pour asseoir sur le
Haut-Nil la domination britannique. Sir Gerald Portai,
nommé commissaire général extraordinaire de laReinè
en Ouganda, s'occupa tout aussitôt de réorganiser le
pays, où le pouvoir des anciennes dynasties était brisé ;
il enrôla dans une nouvelle milice beaucoup des sol-
dats d'Emin Pacha, et l'intention de l'Angleterre fut
dès lors proclamée, d'outiller fortement l'Ouganda,
région riche, assez élevée et tempérée pour que les
Européens puissent y vivre, château d'eau qui tient à
merci les inondations du Nil et forte citadelle sur la
route future du Gap au Caire.
La question qui se posait dès lors la première était
celle des voies de communication de l'Ouganda ; deux
directions étaient possibles, celle du Nil et celle de la
côte orientale. Les difficultés les plus grandes ont été
LES PLATEAUX DU CENTRE 183
rencontrées du côté du Nil ; il a d'abord fallu soumettre
lestribus belliqueuses de FOunyoro, contre lesquelles
le colonel Colville a conduit plusieurs expéditions :
ces indigènes pouvaient, en effet, descendre de leurs
montagnes sur le Nil, entre les lacs Albert et Victo-
ria, et paralyser l'essor de la colonie nouvelle vers le
nord.
Mais, ceci fait, il reste à vaincre le Nil lui-môme :
large de 500 mètres à la sortie /iu lac Victoria, le fleuve
est, nous l'avons vu, coupé par deux cataractes jus-
qu'au lac Albert ; il tombe dans l'intervalle d'environ
300 mètres, et ne serait guère utile à la navigation. En
aval du lac Albert, il a 2000 mètres de large, il est
alors profond de 5 à 12 mètres, et son cours est libre
de tous obstacles jusqu'à Doufilé. Ici commencent les
rapides et les îles flottantes, qui interrompent la navi-
gation : ces barrières végétales sont quelquefois assez
solides pour servir de ponts aux caravanes ; les indi-
gènes riverains campent alors sur ces radeaux naturels,
dont ils creusent le sol pour pêcher ou pour puiser de
l'eau. Deux expéditions infructueuses, aux ordres du
major Martyr, ont essayé de débloquer TOuganda par
le nord ; le concours des autorités de l'Etat indépen-
dant du Congo, établies à Lado, n'a pas suffi pour en
assurer le succès ; de même, le colonel Mac Donald,
qui a tenté de pénétrer droit au nord au départ du lac
Victoria, s'est heurté à des populations hostiles qu'il
n'a pu soumettre.
Pour triompher de tous ces obstacles, le gouverne-
ment anglais a résolu de renforcer le corps d'occupation
184 l' AFRIQUE A l'eNTREE DU VINGTIEME SIÈCLE
de rOuganda. Sir Harry Johnston a été nommé à la fin
de 1899 au commandement général des troupes ainsi
qu'à la direction administrative du protectorat. Le ma-
jor Martyr a dû reprendre sa tentative pour descendre
le Nil et joindre le lac Victoria à Fachoda; en même
temps, d'autres officiers devaient balayer tous les pays
de la rive droite du haut Nil, en s'appuyantsurce fleuve
et suivre ainsi parallèlement, à Test, la marche du ma-
jor Martyr; cette dernière campagne aurait pour but
d'étudier le tracé d'un futur chemin de fer entre le lac
Victoria et le bief facilement navigable du Nil (région
de Fachoda), pour le cas où il serait reconnu qu'il est
pratiquement inutile de s'entêter à percer le sett ; et si
cette barrière s'étend sur 270 kilomètres, comme le croit
sir William Garstin, ministre des travaux publics en
Egypte, c'est évidemment au projet de chemin de fer
qu'il en faudra venir.
Une telle voie, suppléante du haut Nil, serait en com-
munications aisées, par les steamers du lac Victoria,
avec le chemin de fer de l'Ouganda, dont les travaux
sont dès maintenant (avril 1900) plus qu'à moitié achevés,
il est vrai qu'on arrive seulement à la partie la plus pé-
nible du tracé de ce chemin de fer, dont l'établissement
est un des actes les plus importants de la pénétration
européenne de l'Afrique. Il est construit par le gouver-
nement impérial, et l'on doit remarquer que la largeur
adoptée est celle des voies de l'Inde (1 m.).
A la fin de 1899, le rail atteignait la station de Nai-
robé, par 1.700 mètres d'altitude, à. 525 kilomètres du
port de Mombasa, son point de départ. La hauteur de
LES PLATEAUX DU CENTRE 185
cette station est assez grande pour que le personnel eu-
ropéen ne souffre pas du climat équatorial et les ingé-
nieurs étaient justement pressés d'atteindre ce point, car
le bas pays est très fiévreux et manque d'eau potable ; à
Nairobé, au contraire, Teau pure est abondante, des
jardins potagers seront facilement créés et Tune des
plus grosses difficultés, l'installation d'un sanatorium
à portée des chantiers, se trouve ainsi levée. Les indi-
g'ènes, après avoir énergiquement refusé de s'enrôler
comme ouvriers, après avoir môme tenté des coups de
mains sur les convois et les magasins d'approvisionne-
ments, paraissent aujourd'hui domptés; ce sont des
montagnards Massais, vigoureux et turbulents, qu'il a
fallu manier avec beaucoup de prudence et que surveille
efficacement aujourd'hui la garnison indienne du fort
Smith, au delà de Nairobé.
La voie commence maintenant à gravir les escarpe-
ments des monts Kikuyu, sur lesquels elle doit attein-
dre 2366 mètres ; un peu plus loin, elle devra franchir
les monts Maou à 2530, et l'intervalle entre ces deux
crêtes, très abruptes à l'est, est un plateau marécageux
de 1800 mètres; on voit que des travaux d'art multiples
seront nécessaires, mais la hâte des Anglais à terminer
est telle qu'ils ne reculeront devant aucune audace, de-
vant aucune dépense ; le parlement avait déjà voté 75
millions de francs pour le chemin de fer de l'Ouganda ;
tout récemment il adoptait aune très forte majorité un
crédit supplémentaire de près de 50 millions (30 avril
1900) ; comme Nairobé se trouve à peu près à moitié
chemin et que la traversée des monts Kikuyu et Maou
186 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
s'annonce très coûteuse, on peut prévoir que la carte à
payer montera beaucoup plus haut. Le tracé n'est pas
encore définitif à l'ouest des monts Maou ; selon les der-
niers renseignements, le lac Victoria serait atteint en un
point appelé Port Florence, à l'extrémité orientale d'une
baie rocheuse, aux eaux profondes, qui s'allonge vers
l'est.
Les ingénieurs n'ont pu recruter sur place la main-
d'œuvre nécessaire ; mais l'Angleterre possède à proxi-
mité de ces chantiers un réservoir d'hommes inépui-
sable. L'Inde, surtout le Pendjab, a fourni au chemin
de fer jusqu'à 13.000 ouvriers. L'entretien d'un tel
nombre d'hommes en un pays pauvre et peuplé seule-
ment d'adversaires a compliqué beaucoup les débuts
des travaux ; la famine, en 1899, a désolé toute la con-
trée, et les constructeurs ont dû, pour éviter le pillage
de leurs camps, nourrir en plus de leur personnel des
tribus entières d'indigènes affamés ; les maladies,
ulcères, dyssenterie, scorbut ont décimé les équipes ;
plusieurs hommes, à l'approche des montagnes, ont
été enlevés par des lions ; sur les nouvelles venant de
leurs compatriotes, les terrassiers indous ne voulaient
plus partir de chez eux.
Aujourd'hui, les convois circulent jusqu'à Nairobé,
bien que la voie, trop rapidement posée, demande
d'incessantes réparations ; les pluies de 1898 en avaient
emporté plusieurs kilomètres ; les ponts sont encore en
bois, en attendant qu'on les fasse en fer, mais ce pro-
visoire suffit à une exploitation encore peu intense ; le
bois est assez abondant sur le parcours pour qu'il soit
LES PLATEAUX DU CENTRE 187
inutile d'importer du combustible ; les indig'ènes s'ha-
bituent peu à peu à le couper et entasser selon les indi-
cations qui leur sont fournies. Le matériel de traction,
emprunté à l'Inde, est vieux et d'usag-e médiocre, mais
il paraît économique de ne pas en affecter de meilleur
à une lig'ne qu'il faudra retoucher en sous-œuvre avant
d'en avoir fait un instrument définitif. La section
Mombasa-Nairobé a coûté jusqu'ici à peu près 72,000 fr.
le kilomètre; c'est un chiffre très bas, et dont il y
aurait lieu de s'étonner si l'on ne savait que l'on a voulu
passer d'abord, quitte à terminer ensuite. L'aménage-
ment nécessaire du port de Mombasa viendra encore
aug'menter la dépense totale. On a dit récemment au
parlement ang>lais — il est vrai que c'était la préface
d'un appel de fonds — que la section exploitée cou-
vrait déjà ses frais.
Ceci d'ailleurs ne serait pas exact que les Anglais
n'en poursuivraient pas moins avec obstination l'achè-
vement d'une tâche essentiellement impériale : depuis
février 1900, le télégraphe atteint les chutes Ripon, sur
le haut Nil ; par le chemin de fer de Mombasa au Vic-
toria, toute l'Afrique orientale, et toute la haute vallée
du Nil tombent dans la dépendance de l'Inde ; les
troupes d'occupation sont indiennes ; là, plus encore
que dans leur pays d'origine, elles sont bien en mains
de leurs officiers blancs et capables de défier toute
opposition des indigènes ; elles pourraient prendre
l'Egypte à revers, dès que le réseau des communica-
tions rapides par le Nil sera lié à la voie ferrée de
l'Ouganda. Plus de la moitié du commerce de l'Afrique
488 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
Orientale ang-laise se fait aujourd'hui vers Tlnde, grains
(riz surtout) à l'importation, ivoire et caoutcliouc à
Texportation. Enfin, il ne saurait être indifférent à
TAng'leterre d'ouvrir des pays riches comme ceux du
lac Victoria à ces commerçants de l'Inde, détaillants et
banquiers, qui sont les agents les plus actifs delà trans-
formation économique dans toute l'Afrique orientale.
Le chemin de fer de l'Ouganda commandera l'ex-
ploitation des forêts côtières et des rives fertiles du lac
Victoria, môme des parties que les traités ont dévolues
à la domination politique de l'Allemagne ; il tiendra
suspendue sur l'Egypte la perpétuelle menace d'une
invasion par la vallée du Nil ; il assurera jusqu'au
cœur de l'Afrique la pénétration du commerce britan-
nique ; c'est une de ces œuvres dont la conception et la
mise au jour forcent l'admiration des plus indifférents.
CHAPITRE IV
L'Abyssinie.
Les plateaux d'Abyssinie, que la région mal connue
encore du lac Rodolphe rattache à ceux de l'Afrique
centrale, sont une masse puissante de hautes terres,
dont l'altitude plutôt que la latitude règle le climat et
qui, par les formes tourmentées de leur relief, par la
fertilité d'une partie de leur sol, par les qualités de la
population qui les habite méritent d'attirer particuliè-
rement l'attention de l'Europe.
On s'est demandé longtemps si le lac Rodolphe était
en communication avec le réseau du Nil ; il est établi
aujourd'hui, par les voyages de Téléki et von Hôhnel
(1887-1888) et ceux deDonaldson Smith (1895-99), que
cette communication n'existe pas : le lac Stéfanie, le lac
Rodolphe, le lac Raringo et quelques autres moins im-
portants s'allongent au fond d'une même faille volcani-
que, dont l'origine paraît être dans la plaine lacustre in-
sérée entre les monts Kikuyu et Maou, par 1800 mètres ;
L'Afrique. 11.
i90 l' AFRIQUE A L* ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
le lac Rodolphe marquerait, par 400 mètres, le point le
plus bas de cette dépression ; des eaux lui arrivent du
sud et du nord, ces dernières en une grande vallée,
celle de TOmo, dont les sources sont à 1800 mètres
dans le pays galla. Cette coupure volcanique fait penser
à celle de la mer Morte, dont on peut d'ailleurs remar-
quer la direction presque parallèle.
Les lacs Rodolphe, Stéfanie, etc.. sont évidés dans
un plateau de 800 à 900 mètres, où les rivières s'en-
g-oufifrent en des cluses profondes; un redressement
très abrupt les borde à Test, dominant la plaine com-
pacte des Somalis, que parcourent des fleuves tempo-
raires et des tribus nomades ; à Touest au contraire
le pays g'alla descend en terrasses vers le Sobat et le
Nil ; des populations chillouks apparaissent dans les
vallées, de plus en plus denses à mesure que le sol
s'abaisse et s'écrase ; le volcanisme a encore poussé, ça
et là, des bastions isolés de g-ranit mais ce n*est plus
une chaîne continue, comme à Test du lac Rodolphe.
Ces observations géographiques prendront toute leur
valeur, si Ton se rappelle ce que nous avons dit dans
le précédent chapitre de la navigation difficile du Nil
moyen ; le chemin de fer de TOug'anda, les monts
Kikuyu franchis, atteint Tamorce de la dépression du
lac Rodolphe ; par là, il pourrait un jour émettre un
embranchement qui tournerait tout le haut Nil et vien-
drait, par la vallée du Sobat, joindre à Fachoda des
eaux plus navigables; le tracé paraît plus aisé que
celui qui partirait droit au nord, des rives du lac Victo-
ria. La question des frontières n'est pas encore réglée
LES PLATEAUX DU CENTRE 491
entre l'Abyssiiiie et T Afrique orientale anglaise, mais il
y a tout lieu de croire que l'Angleterre entendra se ré-
server la possession totale des régions qu'emprunterait
cette voie nouvelle.
Dans le pays galla, sur les vallées tributaires du lac
Rodolphe, le niveau général se relève ; l'une des capi-
tales des Gallas, Bonga, est située à 1850 mètres, au
milieu des pâturages qu'arrose le Godjeb, l'une des
sources de l'Omo ; les Gallas sont apparentés aux nègres
de l'Afrique centrale, ils élèvent de beaux chevaux et
sont en général convertis à l'islam ; braves et belli-
queux, ils sont très redoutés de leurs voisins ; bien
qu'aujourd'hui le négus d'Abyssinie Ménélik ait
placé dans le Choa, limitrophe des Gallas, le siège de
son empire, ces populations ne lui sont pas absolument
fidèles, ce sont des alliés plutôt que des sujets, et là
peut être un motif d'intervention pour une puissance
européenne qui voudrait, par exemple, tenir l'Abyssi-
nie à l'écart des voies du Nil.
La bordure volcanique du pays galla est la même
que celle qui, plus au nord se dresse sur la lisière
orientale des plateaux abyssins, et vient butter ensuite
contre la faille d'efiPondrement de la mer Rouge ; on y
distingue des sommets très élevés, les monts Téléki
près du lac Rodolphe (3000 m.), le Ouocho(4000 m.),
le Sahalou (3900 m.). Un peu au nord de cette dernière
montagne, la chaîne émet vers le nord-est un contre-
fort qui porte les plateaux de Harrar et paraît lié
aux montagnes de l'Hadramaout (Arabie) : en vue
même du marché de Harrar (1850 m.), se dresse le
192 l' AFRIQUE A l' ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE
mont Moulata, qui dépassse 3000 mètres ; la côte afri»-
caîne du golfe d'Aden est hérissée de falaises depuis
la baie de Tadjoura jusqu'au cap Guardafui; celui-
ci tombe presque directement dans TOcéan Indien
d'une hauteur de 1520 mètres, les établissements an-
glais de la côte de Berbera sont bloqués contre la mer
par la chute toute proche de ces falaises/, au lar^e
môme du cap Guardafui, des fies étalées d'ouest en est
continuent jusqu'à Socotora cette série montagneuse
dont le relief disparaît ensuite sous l'océan.
La chaîne bordière de l'Abjssinie est séparée des
monts du Harrar par la vallée longitudinale de rAouach,
qui prolonge vers le nord la dépression du lac Rodolphe ;
elle s'enlève au-dessus de cette vallée sous forme d'un
talus compact, à peine ébréché par des ravins à cascades
intermittentes ; elle atteint 2,700 mètres auprès d'An-
kober, l'une des capitales du Ghoa, et ne présente pour
descendre directement à la côte que des cols très peu
creusés (2,000 m. à l'est de Magdala). Coupée en bi-
seau par la côte de la mer Rouge, elle se brise autour
de Massaouah en un nombreux archipel, et serre de très
près le rivage, dans la colonie italienne de l'Erythrée ;
les flots de la baie d'Adulis sont composés de roches
volcaniques, avec une ceinture de coraux ; une plage de
sable, étroite et brûlante, sépare la mer des premières
falaises, sur lesquelles les Européens placent leurs ha-
bitations.
L'Aouach, né dans les montagnes bien arrosées du
Ghoa, s'épuise en aval pour traverser un désert aride ;
après 800 kilomètres, il finit par des chotts, sans même
LES PLATEAUX DU CENTRE 193
arriver à la mer ; les eaux qu'il apporte du haut lui
sont disputées pour Tirrig-ation de ses rives ; les com-
merçaiitsqui le traversent, venant du Harrarvers leChoa,
sont montés à chameaux ; ces plaines dénudées, que
tachent de loin en loin des paquets de g'enévriers, sont
exposées à toutes les variations du climat continental :
le thermomètre y saute de 20 et 25 degrés, entre le jour
et la nuit. Les caractères désertiques s'accusent plus net-
tement encore au-delà des chotts qui terminent l'Aouach :
les Danakils ou Afars, seuls habitants de ces sables,
sont des nomades vivant de pauvres troupeaux et pil-
lant partout où l'occasion s'en ofiFre ; leur sol, trop sec
pour qu'ils se livrent jamais à une agriculture régu-
lière, forme une zone d'isolement entre la mer Rouge
et les plateaux plus sains et plus riches de l'Abyssinie ;
les caravanes Tévitentetle tournent,gagnant de Djibouti
ou de Zeila le Harrar et de là remontant au sud-ouest,
vers les sources de l'Aouach.
Les Italiens ont tenu à pousser leur frontière sur la
côte des Danakils jusqu'à l'îlot de Raheita ; ils y pos-
sèdent le petit port d'Assab, sur une baie où débouche
un oued. Un différend s'était récemment élevé entre eux
et la France, à propos de ces parages de Raheita ; s'il
ne s^agit que de quelques lieues de côtes, l'incident
peut être, sans inconvénient pour nous, réglé dans le
sens des concessions les plus libérales, car aucun de ces
ports n'a de valeur comme tête d'une voie de pénétra-
tion ; la seule question intéressante est ici de savoirdans
quelle mesure la possession de tel ou tel promontoire
faciliterait la surveillance du détroit de Bal el Mandeb.
194 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
Les plateaux abyssins sont, en arrière des monta-
gnes volcaniques qui les bornent à Test, une haute for-
teresse dont le niveau moyen serait 2,500 mètres ; la
connaissance en a été acquise par diverses explorations,
mais surtout par celles d'Antoine d'Abbadie qui de
1837 à 1848 les sillonna de ses itinéraires. Des pâtu-
rages couvrent la plus grande partie de TAbjssinie ;
les pluies, tombant avec violence sur cet empâtement
montagneux dont Taltitude les attire ont raviné le sol.
que des vallées profondes découpent en prismes de toutes
tailles ; des éruptions volcaniques ont dresisé des relè-
vements puissants, et de toutes ces actions combinées
résulte le relief confus et Taspect chaotique de TAbjssi-
nie ; un seul trait géographique général doit être noté,
c'est que la pente d'ensemble est inclinée à l'ouest et
que, par conséquent, presque toutes les eaux de TAbys-
sinie vont au Nil.
Trois principaux massifs volcaniques s'alignent du
nord au sud des plateaux abyssins : le Sémen ou Ras-
Dachan, dont l'altitude moyenne est de 3000 mètres etle
point culminant de 4,620 ; le Beghemeder, qui a 4,200
mètres et les monts du Godjam, qui arrivent à 4,100;
plus à l'ouest, en descendant vers le Nil, des pitons
granitiques et d'une hauteur beaucoup moindre indi-
quent cependant la continuité de l'efiPort volcanique ;
les pentes supérieures^ de toutes ces montagnes sont
très raides, la neige qui les couvre souvent ne peut s'y
maintenir, et des torrents d'eau glacée ruissellent alors
jusque dans les plaines. On doit observer d'ailleurs que
la hauteur relative des plus fiers sommets del'Abyssi-
LES PLATEAUX DU CENTRE 195
nie, posés sur un socle très élevé lui-même, n'est pas
considérable; elle suffit cependant pour déterminer des
zones climatiques tout à fait distinctes, et c'est la vé-
g-étation des grandes Alpes que Ton trouve à 500 ou
600 mètres au-dessus de cultures presque tropicales.
Les montag'nes d'Abyssinie attirent de tous côtés les
nuag'es chargés de pluie : en hiver, ce sont ceux de la
Méditerranée, que les vents étésiens ont lancés d'Europe
en Egypte ; en été, arrivent ceux de l'Océan Indien, les
plus humides, et dont l'apport est le facteur principal
des crues de tous les tributaires du Nil ; il pleut donc à
peu près en toutes saisons, en Abyssinie, mais le régime
tropical l'emporte, par la plus grande précipitation
des pluies d'été ; le Nil, soutenu en tous temps par ses
affluents abyssins, leur doit ses premières crues de la
fin du printemps.
Deux cours d'eau lui amènent les eaux de l'Abyssinie :
le Takazzé, qui prend en aval le nom d'Atbara et TAbaï
ou Nil bleu, déversoir des plateaux amharas et du lac
Tana. Les vallées de ces fleuves s'enroulent en sillons
profonds autour des massifs volcaniques ; elles rassem-
blent ainsi les eaux tombées sur l'Abyssinie presque en-
tière et n'arrivent sur les terrasses qui encadrent la
plaine nilotique qu'après de longues courbes, par les-
quelles elles plongent au cœur du relief. On pourrait
soutenir qu'à l'origine elles étaient les vraies sources du
Nil et que, postérieurement, un autre Nil se joignit à
elles, celui du Victoria et de Fachoda, longtemps retenu
sous forme de lac bien en amont de Khartoum.
Les vallés du Takazzé et de l'Abaï découpent le pays
196 L* AFRIQUE A l'ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
en groupes isolés les uns des autres, et en expliquent
ainsi le morcellement historique ; au nord du Takazzé,
c'est le Tigré, avec Adoua pour capitale, le district le
plus voisin de la mer Rouge et dont les relations avec
la baie d' Adulis (Massaouah) sont certainement ancien-
nes ; au centre, les sources de TAbaï convergent vers le
lac Tana, qui est le lien des pays amharas et du God-
jam ; Gondar en est la ville principale ; au sud de TAbaï
enfin se développe le Ghoa, où réside actuellement le
négus Ménélik, et dont les communications avec la côte
orientale descendent, en tournant les steppes des Dana-
kilssur Djibouti ou Zeila, Le Harrar, comme le Galla,
est excentrique à TAbyssinie proprement dite ; mais,
comme aussi le Galla, sa position le condamnait à re-
connaître le pouvoir d'un état militaire, appuyé sur le
Ghoa.
L'altitude permet d'établir quelques divisions cli-
matiques dans ce pays si morcelé par la nature : les
deux zones extrêmes, au-dessus de 2500 mètres et au-
dessous de 1400 sont les moins peuplées et c'est la zone
moyenne qui est celle des agglomérations principales
et des cultures les plus importantes. Au-dessus de
2500 mètres, toute l'Abyssinie dut jadis être boisée,
mais les forêts ont été dévastées pour les constructions
ou même incendiées pour étendre les pâturages, elles
sont donc réduites à des taches sporadiques, sur les
pentes les moins accessibles ; on appelle déga cette haute
région dont les plateaux portent quelques champs de
céréales, orge et blé, mais servent surtout à l'élevag'e
du bétail.
LES PLATEAUX DU CENTRE
197
Entre 1400 et 2500 mètres, la voina-déga doit son
cm à la culture de la vig-ne qui, naguère, y fut pros-
^^re, mais fut ensuite ravagée par Toïdium ; là, tous
ï% fruits d'Europe viennent en abondance et, des mon-
des volcaniques, les pluies détachent sans cesse des
lies qui font de la terre des bassins une des plus
feHgi^^s du monde; autour du lac Tana, par 1900 mètres
d'sHfe^de, les céréales viennent à côté du caféier et du
jier ; la température est chaude, mais nullement
ortable pour des Européens, elle oscille entre 14"
avec un repos très marqué pendant les nuits. La
-déga, balayée par des vents continuels, est saine ;
ux, trouvant partout des pentes, s'écoulent régn-
ent et n'empoisonnent pas l'air de miasmes pes-
els ; bien que la pluie ne manque en aucune sai-
si pendant l'été, période pluvieuse par excel-
ue se développe plus vig'oureusement la végéta-
hiver est relativement sec, et vers la fin de mars,
ue les vents tournent du nord au sud-est, la vé-
n altérée prend des teintes de roussi. Les races
aux domestiques sont celles de l'Europe, chevaux,
ns et bœufs ; l'élevage en grand serait facile en
ant toutefois le soin d'amasser des fourrages pour
enir une sécheresse excessive de printemps,
es basses vallées, au-dessous de 1400 mètres, appar-
nent au climat tropical et forment la région appelée
la. Ce sont des couloirs encaissés, où l'on ne respire
'un air chaud et saturé de vapeur d'eau ; la tempé-
rature constamment tendue, y arrive souvent à 40® ; aussi
Ja faune sauvage s'y développe-t-elle librement, loin de
198 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
tout grouperaent humain. Dans l'épaisse g-alerie fores-
tière qui accompagne les fleuves, on trouve des palmiers,
des arbres et des lianes à caoutchouc; les hippopotames
et les éléphants peuplent les fonds humides, et sur les
pentes moins arrosées on rencontre des buffles, des san-
gliers et même des lions ; le léopard, très commun en
Abyssinie, habite aussi bien la kolla que la déga, jus-
qu'à plus de 3.000 mètres. Les vallées de la kolla des-
cendent jusqu'à la limite où s'arrêtent les pluies tropi-
cales ; en se rapprochant du Nil, elles dépouillent in-
sensiblement leur manteau de forêts, le sol s'écrase sous
leurs rives, et l'aspect général du pays tend vers celui
de la steppe. Les vallées tributaires du lac Rodolphe
conservent sur tout leur parcours les caractères tropi-
caux, et quant à celles qui tombent sur la falaisB orien-
tale, dans la direction de la mer Rouge, ce ne sont que
des précipices où s'accroche une végétation de lentis-
ques et d'acacias.
Lia population de l'Abyssinie, protégée par la nature
même contre les invasions passagères du dehors, pré-
sente encore de nombreux types d'une race aborigène
très ancienne, des nègres crépus d'un noir très foncé ;
mais des éléments d'importation s'y sont mêlés ; le pays
ne se prête pas à la circulation de tribus nomades, mais
il invite, au contraire, à un établissement définitif les
étrangers qui l'ont une fois connu. Les habitants du
nord. Tigré et Amhara, seraient d'origine sémitique;
les Ghoans, venus du sud, seraient plutôt de sanggalla;
auprès du lac Tana, vitune nombreuse colonie de juifs
appelés Felachas, qui s'adonnent non pas au commerce,
LES PLATEAUX DU CENTRE 199
comme la plupart de leurs corelig'ionnaires, mais au
travail des métaux et même à Tagriculture. Enfin des
races mixtes vivent sur le pourtour des plateaux : à
Touest, sur le Sobat, des métis de Tigréens et de nègres,
acclimatés à la température étouffante des koUas ; au
nord, vers le désert, des demi-bédouins, les Beni-Amers,
parmi lesquels les chefs brigands ont toujours trouvé
leurs meilleurs auxiliaires pour la chasse à l'homme
dans les plaines du bas pays.
Les caractères de la race blanche, de même que le
christianisme copte sont de plus en plus ordinaires à
mesure que Ton s'élève dans les classes de la popula-
tion; en sens inverse, ce sont les caractères négroïdes
qui prévalent, avec la religion musulmane ; la majo-
rité des sujets du négus appartiennent à cette dernière
croyance, qui a été cependant persécutée naguère par
l'empereur Théodoros ; l'islam arrive du sud, par les
Gallas, qui l'ont sans doute eux-mêmes reçu par l'in-
termédiaire des Arabes de Zanzibar.
Quant au christianisme, il est fort ancien, et le sou-
verain d'Abyssinie était certainement ce fameux prêtre
Jean, chef d'une nation chrétienne, que des aventuriers
du moyen âge cherchèrent jusque dans l'Asie centrale,
pour collaborer contre les Turcs au mouvement des croi-
sades. Le rite copte, qui est celui de l'aristocratie abys-
sine, se rapproche du rite orthodoxe grec ; l'Eglise
d'Abyssinie est rattachée pour la forme à un patriarche
d'Alexandrie, mais en fait ne relève que d'elle-même ;
les pratiques religieuses, les coutumes de la vie monas-
tique, Tart même dont témoignent en Abyssinie nom-
200 l' AFRIQUE A l'eNTREE DU VINGTIÈME SIÈCLE
bre d'églises et de couvents s'inspirent de traditions
byzantines. Les prédicateurs catholiques et protestants
sont assez mal accueillis par les négus, qui semblent
craindre en eux les précurseurs d'une prise de posses-
sion européenne ; mais la ressemblance des cultes fa-
vorise au contraire l'essor des relations avec les peuples
orthodoxes, et ceci n'est pas ignoré en Russie.
L'Abyssinie, par sa géographie et son histoire, se di-
vise en trois régions naturelles, le Tigré, l'Amhara et
le Choa. Le Tigré, au nord, fut certainement connu des
Grecs ou du moins des Alexandrins, comme le prou-
vent des inscriptions recueillies auprès d'Adoua ; des
plateaux et des cîmes rocheuses du Ras Dachan^ le Ti-
gré s'abaisse au nord-ouest par la haute vallée du Ma-
rcb, qui devient plus bas l'oued de Kassala. Adoua,
Axoum, la cité du couronnement des empereurs, en
sont les villes principales ; des falaises rapides tombent
sur la plaine littorale de Massaoua, suivies à l'intérieur
par une sorte de chemin couvert que gardent les posi-
tions de Sénafé et d'Asmara.De ce côté, l'accès despla-
teaux est très difficile, les troupes italiennes en souffri-
rent durement et cependant un établissement à la côte
ne se suffit pas, car le sol n'est arrosé et fertile qu'au-
dessus' de 1400 ou 1500 mètres, vers les sources du Ma-
rcb, dans le district appelé l'Oculé-Kousaï.
Le pays amhara commence au sud du cafion où coule
le Takazzé ; c'est là que le négus Théodoros avait ses
châteaux, au milieu des jardins qui entourent le lac
Tana. Gondar est une ville aujourd'hui déclassée, un
LES PLATEAUX DU CENTRE 201
ëparpillement de hameaux coupés de cultures ; elle
pourrait reconquérir sa fortune si les vicissitudes de la
politique ou de la guerre déplaçaient une fois de plus
les capitales de l'Abyssinie ; les falaises qui se dressent
au sud-est du lacTana, près du port de Korata, ont des
assises de grès rouge qui furent jadis exploitées et per-
mettraient de construire des palais à Teuropéenne. Mag-
dala, sur le revers occidental de la chaîne bordière,
garde Taccès de TAmbara, comme Asmara et Sénafé
celui du Tigré. Le Godjam, aux riches alluvions volca-
niques, est une dépendance méridionale de TAmhara ;
il forme une presqu'île, entourée de toutes parts, sauf
à l'ouest, par la courbe de TAbaï ; les vallées supérieures
des affluents de ce fleuve seraient très fertiles, notam-
ment pour le café et le coton ; les forêts en ont été moins
décimées que celles de TAmbara.
Le Ghoa s'étend sur des montagnes au relief très ac-
cidenté ; parmi des cratères, des nappes de laves et
des geysers, les rivières se sont creusé des sillons pro-
fonds de 400 à 500 mètres ; des pâturages couvrent les
bassins et les plateaux ; des bois, encore très épais sur
les pentes orientales, sont peuplés de grands animaux,
antilopes, léopards, singes de taille presque humaine ;
à 50 kilomètres d'Addis-Ababa, capitale actuelle de
Ménélik, il est encore possible de trouver des lions. Au-
jourd'hui, le Choaest la province souveraine de. l'Abys-
sinie, parce que là réside le négus, qui paraît avoir lié
partie avec ses voisins Gallas et s'appuyer sur eux, malgré
l'opposition d'autres musulmans du Harrar, pour nouer
des relations régulières avec la côte de la mer Rouge.
â02 L* AFRIQUE A L^EMTREE DU VINGTIEME SIECLE
Le commerce ne peut encore porter que sur des pro-
duits riches, car les communications avec Djibouti et
Zeila sont longues et peu sûres ; le Ghoa exporte dès
maintenant Tor, la civette, le café ; sur rinvitalion de
Ménéliket les encouragements par lui prodigués à quel-
ques résidents européens, le Choa devient un pays
agricole, où sont pratiquées les cultures vivrières d'Eu-
rope, céréales, fruits de table, pomme de terre, celle-ci
en rapide progrès. L'élevage fut compromis dernière-
ment par une épizootie violente ; il est en reprise au-
jourd'hui, particulièrement sur les chevaux ; les peaux
brutes de bœufs et de moutons sont l'objet d'un com-
merce notable avec l'Europe.
Mais tout l'avenir des cultures est compromis par
l'imprévoyante folie du déboisement : des montagnes
entières ont été rasées, pour la construction des villes
royales et pour les divers usages domestiques d'une po-
pulation toujours nombreuse autour du négus ; c'est
aux dépens de la forêt, et sans épargner les arbres en
voie de croissance, que le cultivateur indigène agrandit
ses champs ; il abat ou incendie au hasard, sans se
rendre compte que la végétation arbustive est ainsi dis-
qualifiée, car lesespècesqui revivent après ces épreuves
sont de plus en plus inférieures. Dans l'entourage même
du négus, on ne paraît pas comprendre les dangers du
déboisetnent,et l'on bâtit sans cesse, déplaçant les mai-
sons de proche en proche, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus
de bois dans le pays. Entotto, qui fut quelque temps la
résidence de l'empereur, est aujourd'hui abandonnée
pour Addis-Ababa, située un peu au sud, et qui n'était
LES PLATEAUX DU CENTRE 203
ra_éme pas portée sur des cartes récentes ; à l'exemple
du souverain, les paysans abyssins ne vivent pas long-
temps sur les mêmes terres; leurs groupes de paillottes,
d'abord ramassés au pied des mamelons du plateau,
remontent les vallées à mesure que la disparition des
arbres livre les pentes déboisées aux ravages des eaux
de ruissellement.
Le négus Ménélik est aujourd'hui populaire en Eu-
rope; on le sait très accessible à tous les progrès de la
civilisation, curieux de toutes les nouveautés, sensible
même à l'opinion des « occidentaux », surtout depuis
que ses succès sur les Italiens l'ont classé parmi les
souverains dont l'amitié n'est pas indifférente ; on le
dit intelligent, actif, habile même en plusieurs mé-
tiers manuels, horloger, armurier à ses heures, comme
Louis XVL était serrurier. Le régime politique de
l'Abyssinie est celui d'une féodalité militaire, dont les
chefs ou ras sont les vassaux du roi des rois, le négus.
L'armée, instruite par des officiers étrangers, surtout
russes et français, pourvue de fusils et même de
canons modernes, serait capable non seulement d'assu-
rer l'indépendance du pays, mais encore d'intervenir
dans le règlement de toutes les questions est-afri-
caines.
On peut craindre seulement que la cohésion poli-
tique de l'Abyssinie ne soit pas indissol<uble : l'union
des ras ne repose que sur la puissance et l'autorité
personnelle du premier d'entre eux ; des incidents ré-
cents ont montré que Ménélik lui-même devait parfois
rappeler à l'obéissance quelques grands feudataires
204 L*AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
trop indépendants. De là les principes qui doivent
g'uider, en Abyssinie, Faction européenne : aider à la
concentration de plus en plus énerg-ique de toutes les
forces militaires et administratives entre les mains du
seul négus ; dans ce dessein, le décider à maintenir le
siège de son pouvoir rapproché de ports par où les
communications avec ses alliés lui seront assurées, et
ceci suppose rétablissement de routes de pénétration.
Les rôles de conseillers, d'ingénieurs et de fonction-
naires ne sont pas les seuls que, dans le moment pré-
sent^ des résidents européens peuvent assumer en Abys-
sinie ; la population totale n'est pas telle (15 millions
d'habitants sur une surface au moins quadruple de la
France) que des terres fertiles ne soient vacantes pour
des entreprises agricoles, cultures vivrières pour usages
indigènes ou cultures riches pour l'exportation. Les
procédés des paysans abyssins sont encore très rudi-
mentaires, mais la civilisation ambiante est déjà suf-
fisante pour leur faire apprécier des améliorations qui
satisferaient des besoins supérieurs. Par contre, l'Eu-
ropéen n'aurait pas grandes chances de s'enrichir
dans le commerce ; les trafiquants indigènes, carava-
niers ou détaillants, dont il devrait faire ses intermé-
diaires, sont assez experts déjà pour se passer de lui ;
c'est dans les ports seulement que des maisons d'appro-
visionnement, traitant directement avec des correspon-
dants indigènes, établiront utilement des magasins de
gros.
Le développement de ces relations de commerce,
LES PLATEAUX DU CENTRE 205
comme raffermissement de Tautorilé du négus, n'est
possible qu'à Taide de communications faciles avec des
pays d'occupation européenne ; par où donc arriver en
Abyssinie ? La voie du Nil ne saurait être recomman-
dée : l'expédition Marchand, rentrant de Fachoda par
l'est, a pu constater les difficultés de la circulation à
travers les pays du Sobat, de moins en moins peuplés
vers les plateaux ; de plus les Abyssins, habitués sur
leurs hauteurs à un climat tempéré, résistent mal aux
chaleurs humides des koUas inférieures. D'autre part
les voies remontant de Berber ou de Khartoum, par
l'Atbara-Takazzé ou l'Abaï traverseraient d'abord des
steppes presque désertes, où les seules agglomérations,
telle Kassala, sont des oasis, et n'arriveraient ensuite
au Choa qu'au prix de travaux d'art considérables
sur toute l'étendue des plateaux.
C'est donc par la côte de la mer Rouge que l'Abys-
sinie sera liée aux grandes routes commerciales indo-
européennes; le Tigré serait peut-être desservi par
Massaoua, ressortissant ainsi à l'Erythrée italienne;
le Choa et plus tard l'Amhara seront atteints au départ
de la baie de Djibouti. La côte italienne de Massaoua
n'est plus ce qu'avaient espéré les mégalomanes de
l'école de M. Grîspi, la façade d'une vaste colonie, en-
globant sous son protectorat l'Abyssinie tout entière, et
pour laquelle on avait exhumé le vieux nom de la mer
Rouge pour en faire 1' « empire d'Erythrée )).Les établis-
sements italiens s'arrêtent en arrière de la plage de Mas-
saoua» aux premières pentes des falaises abyssines;
la baie d'Adulis, dont cette ville est le port, fait quel-
L'Afrique. 12
206 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE.
que commerce de corail, de perles et d'écaillés de tor-
tue ; mais ce sont moins des Italiens qui en profitent,
que des Grecs et des Banyans de Bombay ; les Euro-
péens se réfugient à Saati, qui est un sanatorium plus
frais que rétouffante Massaoua, où il fallut quelques
jours, au moment de l'occupation italienne, importer
Teau potable. La construction d'un chemin de fer de
Massaoua vers la passe d'Asmara, les territoires agri-
coles de rOculé-Kouzaï et les vieilles capitales du
Tig-ré, Adoua et Axoum serait sans doute la meilleure
revanche des Italiens jadis malmenés par les troupes du
négus ; mais les frais en seraient assurément très éle-
vés, et Ton s'est borné jusqu'ici à établir un tronçon
de 27 kilomètres, entre Massaoua et Saati. Quant au
port italien d'Assab, nous avons dit plus haut qu'il n'a
aucune valeur pour la pénétration.
Il en est tout autrement de la baie de Tadjoura, co-
lonie française dont la première capitale, Obock, a été
transférée sur la rive méridionale, à Djibouti. Depuis
plusieurs années, cette dernière position dispute au port
anglais de Zeila le débouché du pays de Harrar, et
semble avoir aujourd'hui résolument pris l'avance par
la construction rapide d'un chemin de fer vers l'inté-
rieur. Sur la route de Djibouti à Harrar, après une
plaine côtière sans eau, le sol s'élève très vite jusqu'à
1000 mètres; il monte ensuite, plus lentement jusqu'à
des cols situés à 2,300, d'où les caravanes descendent
sur les plateaux bien arrosés de Harrar (1800 m^).
Le Harrar est une contrée fertile, peuplée de musul-
mans commerçants et cultivateurs ; la ville du même
LES PLATEAUX DU CENTRE 207
nom est Tun des plus importants marchés de toute l'A-
frique noire ; on y vend des bananes, du sucre de can-
nes, du café qui est importé en Europe sous le nom de
moka ; des maisons à terrasses, appartenant aux prin-
cipaux négociants, dominent les cases en chaume des
travailleurs indigènes ; la population fixe dépasse
40,000 habitants. De là partent sur Zeila ou sur Dji-
bouti des convois de mulets et de chameaux : la traver-
sée du pays intermédiaire, parcouru par des Issas pil-
lards, n'était pas sansdang-er jusqu'à ces derniers temps ;
mais il en sera des Issas comme des Massaïs de l'Ou-
ganda, transformés petit à petit par le chemin de fer.
Le Harrar, menacé par les Egyptiens, puis par les
Anglais, a été conquis en 1887 par l'Abyssinie ; au
commencement de 1900, le négus a resserré les liens de
cette dépendance, en écrasant une insurrection de mu-
sulmans dissidents, au sud-est de Harrar (Ogaden).
Les steppes de la vallée de l'Aouach séparent le Harrar de
l'Abyssinie proprement dite, mais le chemin de fer aura
bientôt assuré la traversée rapide de ces deux bandes
désertiques qui encadrent à l'est et à. l'ouest les oasis de
hauteur du Harrar.
Djibouti, née d'hier, a déjà 6000 habitants, sanscomp-
ter les ouvriers du chemin de fer, dont le nombre a
monté jusqu'à 2000 ; des constructions de style arabe
abritent le gouvernement, les divers services publics et
des magasins dont certains représentent « l'article de
Paris » et les modes françaises ; de récents travaux as-
surent l'approvisionnement en eau de source. Le che-
min de fer, concédé par le négus Ménélik à une com-
208 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
pagnie française, doit atteindre Addis-Ababa en passant
par Harrar ; le tracé est, au printemps de 1900, levé
jusqu'à cette ville, et les études poussées beaucoup plus
avant; lalong'ueur totale sera d'environ 1,000 kilomè-
tres, et cette voie conduira facilement à la côte le café,
le bétail, les laines du Ghoa. Le chemin de fer est pré-
cédé, vers la capitale de Ménélik, d'un service télégra-
phique et même téléphonique ; le rail est posé aujour-
d'hui (juin 1900) sur 100 kilomètres, l'inauguration
d'un beau viaduc en fer (2 avril) a été l'occasion d'une
fête où de riches Arabes, longtemps incrédules et enfin
convaincus, ont offert du riz et des dattes aux guerriers
Issas, fort assagis par ce spectacle qui prouve la puis-
sance des blancs ; dès maintenant, ' l'exploitation peut
être commencée et couvrira largement ses frais.
Une fois parvenu sur les plateaux, après avoir franchi
les falaises de la chaîne bordière de l'Abyssinie, le che-
min de fer pourra sans doute se prolonger au nord vers
Magdala et le lac Tana ; il atteindrait ainsi le cœur
môme de l'Abyssinie historique, et le rayon de com-
mandement de la baie de Tadjoura serait augmenté
d'autant. Tête de ligne d'un chemin de fer de pénétra-
tion, point de relâche, en face d'Aden, sur la route des
Indes et de Madagascar, Djibouti doitêtreundes points
d'appui de l'action française dans l'Afrique orientale ;
un dépôt de charbon, un outillage de port y sont néces-
saires ; il y faut un atterrissage pour un câble français,
remplaçant le tronçon qui la relie au réseau sous-marin
anglais à Périm,'et quelques défenses militaires. Toute
l'Abyssinie méridionale aura ainsi sur la mer Rouge
LES PLA.TEAUX DU CENTRE 209
un accès bien aménagé; ses relations toujours plus ac-
tives avec l'Europe empruntant le territoire d'une co-
lonie française, on peut espérer que la France en retien-
dra pour elle la meilleure part.
L'Afrique. 12.
LAMMà**aM
"T*^
LIVRE m
LE SOUDAN ET LE SAHARA
CHAPITRE 1er
Le Soudan égyptien, TEgypte et le Nil
I
Le Nil dont la pente est insensible de Ouadelaï
(670 m.) à Khartoum (378 m.) se heurte en aval de
cette dernière ville, au relèvement des steppes deBayou-
da, qui prolongent les plateaux du Darfour et du Kor-
dofan ; ceux-ci se relèvent lentement au sud-ouest
pour se souder au pays des Rivières ; sur l'autre rive
du Nil, à Test, les plateaux abyssins descendent en
terrasses vers le fleuve. L'ensemble de ce double cadre
et de la plaine fluviale qu'il entoure forme le Soudan
Egyptien.
Sur les glacis extérieurs de l'Abyssinie, des monta-
gnes volcaniques, profondément sillonnées par les éro-
sions, constituent la région des Bertas ; les vallées
moyennes de TAbaï et du Takazzé sont fertiles, peu-
plées par de nombreux indigènes d'origine galla, très
212 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
bons agriculteurs ; si Ton s'avance vers la mer Rouge,
•on rencontre des rivières qui s'atrophient dans les
sables : le Mareb n'atteint pas toujours Kassala, le
Barka disparaît à Tokar sans arriver à la côte ; le coton
et le tabac sont cultivés sur leur cours supérieur, puis
ces fleuves traversent une savane à g-rands fauves, plus
bas enfin ils touchent la steppe et leurs eaux ne se ré-
vèlent plus que par des chapelets d'oasis. Des alluvions
aurifères ont été découvertes à la chute des dernières
falaises abyssines, sur l'Abaï ; les indigènes Beni-
Chongouls les lavaient nag-uère, en tirant de quoi rému-
nérer leur travail rudimentaire ; mais le gouverne-
ment égyptien, qui voulut les reprendre à son compte,
fut obligé d'y renoncer : ici comme en tant d'autres
régions de l'Afrique, au Soudan occidental par exem-
ple (ou encore et sous réserve des explorations ulté-
rieures, à Madagascar) la teneur en or des alluvions est
trop faible pour supporter les frais d'une exploitation
industrielle.
Les fleuves affluents du Nil sont encaissés dans un
plateau de moins en moins arrosé, parsemé de bao-
babs, avec quelques saillies granitiques, dont l'altitude
va jusqu'à 800 mètres ; les oasis de Kassala sont domi-
nées de 300 mètres environ par une de ces buttes, dont
le sommet rocheux et ras apparaît de loin, cerclé d'une
ceinture sombre de palmiers. Le pays, si l'on peut
ainsi dire, tourne le dos à la mer Rouge, dont il est
séparé par une série de falaises d'un millier de mètres;
on franchit ce bourrelet à 900 mètres sur la route de
Souakim à Berber.
J
LE SOUDAN ET LE SAHARA 213
Cette route marque bien une limite géographique,
et dans l'histoire même elle a joué un grand rôle : c'est
par elle que Tislam est remonté le long des vallées abys-
sines, attaquant peu à peu les populations. gallas qui
occupent les terrasses inférieures de TAbyssinie, lon-
geant d'autre part les remparts du Bayouda pour ga-
gner Khartoum, le Darfour et pénétrer dans l'Afrique
centrale ; Souakim, dans la vie religieuse de l'islam
contemporain, est encore une des cités les plus impor-
tantes ; là s'embarquent, pour Djedda et la Mecque,
tous les musulmans qui arrivent de l'ouest, venant
quelquefois du Tchad ou môme des bords du Niger ;
Souakim est donc un point singulier sur une grande
voie des pèlerinages musulmans. C'était naguère un
port de chargement pour les esclaves, capturés par
les traitants arabes parmi les pacifiques agriculteurs
des plaines nilotiques.
Le mélange des races, arabes et nègres, s'est fait le
long de cette route et de ses prolongements : les
savanes sont peuplées de pasteurs demi-nomades,
pillards et belliqueux, lesBaggaras, lesChoukourichs,
les Beni-Amers ; le type sémitique s'accuse à mesure
qu'on est plus près de la mer Rouge, c'est-à-dire des
ports d'accès des Arabes ; au contraire, si l'on remonte
le Nil vers Fachoda, ce sont des nègres de mieux en
mieux caractérisés, des Chillouks, des Bertas qui sont
sédentaires, agriculteurs ou pécheurs ; on sait qu'ils
ont soutenu des luttes contre des caravanes de pèlerins
musulmans, qui ne dédaignaient pas plus que les croi-
sés du moyen âge de se détourner pour s'enrichir au
214 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
passag'e ; on observe cependant que la plupart de leurs
chefs sont fortement métissés d'arabes.
Pendant longtemps, Souakim a été le port du Sou-
dan Egyptien, car la voie du Nil, couloir coupé de ca-
taractes en plein désert, était trop longue et peu fréquen-
tée : le Sahara interposait, ici comme dans TAfrique
Occidentale, un obstacle rarement franchi ; ces condi-
tions sont aujourd'hui transformées par l'établissement
du chemin de fer de Khartoum ; mais Schw^einfurth et
Junkeront encore débarqué à Souakim, et suivi vers le
Haut-Nil la route historique ; tous deux avaient cepen-
dant préparé leurs équipements dans le delta du Nil ;
Schw^einfurth avait des lettres du Khédive pour les mar-
chands de Khartoum : il passa par où passaient alors
les traitants, leurs marchandises et leurs courriers.
Souakim, tête de cette ligne de pénétration, est par-
tagée en deux quartiers, l'un sur une île de coraux,
l'autre sur la terre ferme ; le climat en est brûlant comme
celui de Massaoua, la plage de sable, dont l'aveuglante
réverbération fatigue beaucoup la vue chez les Euro-
péens, est également étroite et relevée par une falaise
où se nichent les habitations les moins désagréables;
le port est retranché au fond d'un chenal dont la navi-
gation est plus facile que l'accès, tortueux à travers les
récifs de coraux; la population, mélangée de Grecs,
d'Arabes, d'Indous et de quelques résidents européens,
est d'environ 12.000 habitants ; une chaussée, portant
un petit railway, rattache l'île au continent.
Dans l'intérieur, telle Saati près de Massaouah, des
oasis sont posées au-dessus des fonds où disparaissent
LE SOUDAN ET LE SAHARA 51115
les eaux venues d*amont, celles d*El Teb sur le Barka,
celles de Sinkat, étape sur la route de Berber ; la salu-
brité de ces dernières est la meilleure ; Tair lourd et
humide d'El Teb est plus malsain pour les Européens
que la chaleur sèche de la côte ; Sinkat doit sa supério-
rité à sa plus grande altitude ; elle est perchée sur la
falaise, tandis qu'El Teb est en plaine, à l'issue d'une
vallée encaissée qui n'arrive pas jusqu'à la mer. Entre
Souakim et Berber, le paysage est saharien : plateaux
de sable, mamelons couverts d'une herbe pauvre et
grise, bouquets de gommiers, les palmiers en groupes
autour des puits ; les caravanes sont montées à cha-
meaux.
Berber, à la rencontre de cette route et du Nil, occupe
la position naturellement indiquée d'une grande ville ;
elle est située à 350 mètres d'altitude, entre les sixième
et cinquième cataractes du fleuve ; elle ne commande
donc sur celui-ci qu'un bief de peu d'étendue, mais qui,
en fait, s'allonge beaucoup vers le sud par le confluent
del'Atbara ; la vallée de cette rivière, irrégulière au mi-
lieu des steppes, conduit sur les oasis du groupe de Kas-
sala ; la position de Berber, à droite du fleuve marque,
comme celle du Caire, que la ville attend ses ravitaille-
ments surtout des pays de l'est ; elle abrite ainsi ses en-
trepôts contre les bandes nomades qui vagabondent sur
les plateaux de Bayouda ; ses maisons à terrasses sont
entourées de jardins, les riches traitants arabes y vi-
vaient jadis bourgeoisement, avec ce confort de vête-
ment et de table, cette largesse d'hospitalité qui sont si
remarquées, auprès de l'indigence nègre, par les voya-
âl6 L^ AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIÈCLE
geurs étrangers; plusieurs puissances européennes, à
Tépoque de la grandeur du Soudan égyptien, étaient
représentées à Berber par des consuls.
Le Nil soudanienfinità Berber; déjàdepuislasixième
cataracte, il est entré dans la steppe de Bajouda, pla-
teau sableux dont Taltitude atteint 1000 mètres ; aussi
de toute antiquitéy eut-il là une ville importante, mar-
ché de jonction entre les routes qui descendent du Haut-
Nil et de TAbyssinie et le commun tronçon qui les pro-
longe vers un port de la mer Rouge : à côté de Metam-
meh-Chendi, double entrepôt qui assure aujourd'hui
le passage d'une riveàTautre, les ruines de Méroé dres-
sent leurs pyramides, témoins de Tantique civilisation
égyptienne. Strabon fait de Méroé la capitale du pays
qu'il appelle Ethiopie, et qui englobe le Soudan Egyp-
tien et TAbyssinie ; il rapporte qu'elle possède des mi-
nes de cuivre, de fer, d'or et de pierres précieuses, ainsi
que de sel gemme ; en quoi il se trompe, mais atteste
indirectement les relations antiques de Méroé avec
TAbyssinie et le pays des Rivières d'où ces minerais ve-
naient assurément.
De Lado à Khartoum, où le Nil bleu des plateaux
amharas conflue dans le Nil de Fachoda, on compte
sur celui-ci 1 ,620 kilomètres ; mais nous avons noté,
en amont de Fachoda, qui est à peu près à mi-chemin,
l'obstacle presque permanent du sett. Le Nil, dans cette
immense plaine, reste soumis au régime des pluies
d'été ; la saison pluvieuse est, du sud au nord, déplus
en plus brève : à Khartoum, où elle est appelée kharif\
elle dure seulement de juin à septembre, développant
LE SOUDAN ET LE SAHARA Si 7
tous les miasmes et débîlîtantla santé des Européens les
plus robustes ; la température moyenne de Khartoum
est très élevée, voisine de 28®, elle ne baisse pas beau-
coup en hiver, sauf pendant quelques journées où le
vent du nord, tombant des plateaux refroidis deBayouda,
la balaie de rafales rafraîchissantes, sorte de mistral
toujours bien accueilli.
La plaine nilotique est entièrement couverte d*allu-
vions épaisses ; sur la rive g'auche, des alignements de
collines annoncent et précèdent les plateaux du Kor-
dofan ; à droite au contraire, les alluvions sont plus
largement étalées, et la population indigène, rompue
aux conditions d'une agriculture très spéciale, s'y presse
en tribus nombreuses, plus ou moins modifiées par
l'invasion de l'islam ; les collines de la rive gauche sont
parcourues par lesBaggaras, arrosées seulement d'eaux
temporaires et très pauvres ; de môme , dans « l'île de
Méroé » , vieux nom du pays qu'entourent de trois côtés
le grand Nil, l'Atbara et le Nil bleu, les parties hautes
sont une région de transition entre le désert et la plaine
nilotique, avec des troupeaux transhumants de chevaux
et de chameaux, des mimosées et des indigènes demi-
nomades groupés autour de chefs musulmans.
La plaine du Nil, habitée par des nègres cultivateurs,
est beaucoup plus riche ; le long du fleuve, avant l'in-
surrection mahdiste, le gouvernement égyptien avait
tenté des plantations de coton, de bananes, de canne à
sucre ; Sennaar, ville aujourd'hui déchue du Nil blanc,
posséda sous Méhémet Ali plusieurs usines sucrières.
Mais, avant même les Mahdistes, ce sont les conque-^
L'Afrique. 13
218 l' AFRIQUE A l'entrée du vingtièke siècle
rants égyptiens eux-mêmes qui épuisèrent le Soudan ni-
lotiquc ; les indigènes leur étateot moins des auxiliaires
de culture que des esclaves à chasser cl diriger pour la
vente sur les marchés du delta ou de l'Arabie; de proche
en proche, les traitants de Khartoum s'enfoncèrent dans
le pays des Rivières, précédantle gouvernement égyp-
tien qui, faute de pouvoir les détruire, en faisait ses
fonctionnaires ; les zéribas s'avançaient ainsi de Khar-
toum vers le sud-ouest ; chacune d'elles, avec ses habi-
tations de mattre presque luxueuses, sa ceinture de
champs cultivés par des captifs, ses magasins d'ivoire,
représentait la ruine de tout un district indigène et la
pert« de plusieurs centaines d'existences. Aussi les po-
pulations noires ont-elles été facilement gagnées par
les Mahdistes, dont le chef se présentait comme le ven-
geur contre les oppresseurs égyptiens ; c'est sur le Nil,
entre Khartoum et Fachoda, que le Mahdi remporta en
1882 ses premiers succès.
Khartoum, dans l'intérieur du confluent des deux
Nils, était au temps de Schweinfurth la capitale des né-
gociants arabes disséminés dans le haut pays ; de là, le
service du fleuve était fait jusqu'à Mechra-er-Rek par
de grandes pirogues en bois d'acacia, montées par une
trcniaine de rameurs et de gabiers, car on allait sou-
à la voile ; en 1876, Gordon ayant pris en mains
lînistration de ces provinces, Junker vit des chalou-
vapeur remonter régulièrement le fleuve, sauf au
de juillet pendantlequel les eaux sont très basses.
■ives du Nil, pastorales et agricoles, ont été dé-
léesde leursarbres, pourla construction des piro-
LE SOUDAN ET LE SAHARA 219
^ues d'abord, pour la chauffe des machines, ensuite ;
pour en trouver des bosquets encore compacts, il faut
remonter jusque chez les Chillouks, près de Fachoda.
Gordon, en faisant la guerre à Tesclavag-e, avait porté
un coup à la prospérité de Khartoum ; la ville n'était
plus, en 1882, riche, industrieuse et presque gaie,
comme quelques années auparavant ; sa population cos-
mopolite, mêlée d'Arabes, de Grecs, d'Italiens, était en
voie de diminution. La conquête mahdiste acheva cette
décadence ; toutes les voies du commerce soudanien
étaient coupées désormais sur le Nil moyen, la chute
de Khartoum et la mort héroïque de Gordon (janvier
1885) livrèrent pour près de quinze ans tout le Soudan
égyptien au pillage et à l'anarchie ; nous dirons plus
loin comment ses nouveaux maîtres, le mahdîsme enfin
vaincu, s'occupent de restaurer sa fortune d'autrefois.
Le mouvement mahdiste s'est surtout développé à
partir des plateaux du Darfour et du Kordofan qui se
dressent à gauche de la plaine du Nil. Depuis le fleuve,
qui esta 400 mètres environ, le sol se relève lentement
vers l'est ; El Obéid, capitale du Kordofan, est à 580 mè-
tres ; El Fâcher, capitale du Darfour, à 720 ; cette der-
nière ville est située au pied des monts Marras, dont les
sommets culminants, supérieurs à 1800 mètres, attirent
quelques nuages suffisants pour former vers le Nil ou
vers le Tchad des cours d'eau temporaires.
Pays de steppes, le Kordofan offre une altitude
moyenne de 500 mètres ; il est traversé par des aligne-
ments montagneux de même que les terrasses occiden-
220 L*AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIÈCLE
taies des plateaux d'Abyssinie ; Tune de ces saillies do-
minantes, en vue même d'El Obéid, atteint 850 mètres ;
il tombe sur le Kordofan 0™,35 de pluie, entre juin et
octobre; le reste de Tannée est entièrementsec et la tem-
pérature, toujours élevée, oscille peu aux environs de
30°. Nachtig'al, qui suivit en 1874 la route des pèlerins
musulmans à travers le Darfour et le Kordofan, a observé
qu'en ces régions se marque du nord au sud toute la
g'amme des transitions entre le Soudan et le Sahara; le
sud voit déjà des bœufs porteurs, tandis que dans le
nord apparaissent des autruches, de plus en plus rares
par suite de l'acharnement des chasseurs.
El Obéid, ville principale du Kordofan, est le centre
de ralliement, la mosquée commune et le marché de
tous les nomades de la rég'ion ; c'est là que le Mahdi,
Mohamed Ahmed, qui était né à Dongola, établit en
4883 le siège de son empire, après avoir soumis par la
famine la ville qu'il n'avait pu prendre d'assaut. Vai-
nement, Hicks-pacha, vainqueur d'indigènes révoltés
dans le Sennaar, voulut renverser le nouveau souverain
du Kordofan : dans les mêmes parages où avait été ga-
gnée en 4821 la bataille qui soumit le Kordofan à
l'Egypte, ses dix mille hommes furent cernés, dispersés
ou anéantis (novembre 4883) ; peu de temps après, Sla-
lin-bey, coupé de ses communications avec le Nil, était
forcé de céder le Darfour aux Mahdistes ; il avait un
instant compté pour résister sur les montagnards du
Marra, très hostiles aux Arabes, mais cet espoir fut
déçu.
Le Mahdi avait, en effet, trouvé dans la population
LE SOUDAN ET LE SAHARA 221
de Kordofan des auxiliaires redoutés de tons les sé-
dentaires : depuis longtemps les Bagts^aras nomades,
dressés à la vie de chameliers à travers la steppe, fai-
saient métier de conduire des caravanes d'esclaves vers
la basse Egypte, de concert avec certains fonctionnaires,
et malgré l'opposition des représentants européens du
Khédive ; musulmans fanatiques, il ne fat pas difficile
de les décider à la guerre sainte, qui leur assurerait le
mérite et le profit de piller des infidèles. Et, comme
pour montrer sur quels soldats il s'appuvait et que son
empire était aussi bien qu'eux nomade, le Mahdi donna
l'ordre d'évacuer les maisons en briques qui formaient,
disséminées parmi des champs, l'agglomération d'El
Obéid ; on le remplaça par des tentes, la ville par un
campement.
En arrière du Kordofan, le Darfour se compose d'un
groupe d'oasis de hauteur étagées sur les monts Marras;
la route des caravanes et des pèlerins franchit entre le
Ouadaï et le Darfour un col à 1050 mètres ; sur ces mon-
tagnes, bien étudiées par Nachtigal, tombent en été des
pluies qui viennent de l'Atlantique et forment des oueds,
plus puissants à l'ouest qu'à l'est ; sur le flanc oriental
des Marras, vers le Nil, le pays est sablonneux, les
oueds n'atteignent qu'en des saisons exceptionnelles le
lit collecteur du Bahr el Arab; mais les vallées supé-
rieures de ces cours d'eau, enrichies par lés allu viens
descendues des sommets, portent de belles moissons de
céréales et seraient propres à la culture du coton ; on y
relève des traces ferrugineuses ; malheureusement, le
climat lourd ethumidede cescouloirs, analogueà celui
2ii l' AFRIQUE A l'entrée du VINGTIÈME SIÈCLE
des kollas abyssines, est très défavorable & l'établisse-
ment des étrangers.
Autour des montagnes, et de moins en moins arro-
sée à proportion qu'elle s'en éloigne, la savane couvre
tout le Darfour ; vers le nord, poussent des baobabs
dont les troacs sont évidés par les indigènes pour
conserver l'eau trop rare des pluies ; le dattier ; avec
son cortège d'arbuslas à piquants, annonce l'approcbc
du Sahara ; des chameaux sont les seules bétes
domestiques et le type arabe domine dans la popu-
lation. En descendant vers le Bahr el Arab et le Dar
Fertit, on atteint l'habitat des tribus négroTdes sur les-
quelles les traitants des zéribas prélcvaïentleurs escla-
ves ; on rencontre des bœufs, ainsi que des cultures
soudaniennes de blé de Turquie, d'oignons, de tabac,
d'arbres k fruits.
Tout le Soudan Egyptien, par le traité du 21 mars
1899, a été abandonné par la France à la « sphère d'in-
fluence anglaise ». La réoccupation par les Anglo-
Egyptiens n'est pas encore achevée, bien que les der-
nières garnisons françaises établies par ia mission
Marchand dans le Bahr el Ghazal soient maintenant
rapatriées, mais il n'est que juste de reconnaître avec
quelle persévérance inéttodique les Anglais ont pro-
cédé à la destruction progressive de l'empiremahdiste;
ils n'y ont pas consacré moins de trois campagnes
(1896-1899), s' étant assurés entre temps de la posses-
sion de Kassala, cédée par les Italiens et d'où leurs
troupes gardent les terrasses septentrionales de l'Abjs-
sinie, tout en coDfa:=.'t 1** e: ^Lï^x^n^tî ke* -c-» no-
mades de la steppe, «itr* la ^3-1* *« it NC îtc l>5C .
La marche des armées v-hlajiî dï ïri-ri a t:* i=:=.f-
diatement siÛTie de la C'i'^^tTm^in czjï ch^s^ de
fer qui double le Nil da&s la rèsi'^n des cataracîciSs. et
atteint aujonrdliaî KharM-am; d.kis5> S'êté d-e I8d^. lird
Kitchener enlevait K]iai1<>iuB, oa p]a^>t Omdurman.
la citadelle constmile par le JlaLii sur la rive srao^^he
du Nil y à portée des secours da Kordo£ui ; le % août
suivant, ce général inansnraît le pont métallique de
400 mètres lancé pour le chemin de fer sur FAtbara : le
4 janvier 1900, le chemin de fer d'Ouadi-Halfa àKhar-
toum était livré au service public, et Ton annonçait la
prochaine ouverture, dansTanciennecapitale mahdiste,
d'un vaste hôtel moderne, où seraient reçus les tou-
ristes de MM. Thos, Cook et fils.
Le chemin de fer du Soudan égyptien est à voie d'un
mètre ; il a été construit sous la direction des autorités
militaires anglaises, et très rapidement poussé, malgré
les tornades de sable qui, dans la traversée delà steppe,
emportaient parfois 20 kilomètres de voie déjà posée.
Mais là ne s'est pas bornée l'activité anglaise : le
10 juillet 1899, lord Cromer signait avec le ministre
des affaires étrangères du Khédive un traité par lequel
Souakim, port naturel du Soudan égyptien, est sous-
traite au régime des capitulations. En même temps, le
colonel Wingate préparait contre les Mahdistes retirés
dans le Kordofan un raid des plus audacieux : il eut la
chance, après avoir battu le chef Ahmed Fédil, de tom-
ber à rimproviste sur le Mahdi luî-m^me, qui se fit
224 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
bravement tuer au milieu de ses fidèles compagnons
(nov. 1899) ; le Kordofan était conquis. Enfin, des
études étaient commencées, de concert avec les auto-
rités de rOugpanda, pour ouvrir un passage perma-
nent à travers \e sett du haut Nil, dont l'interposition
est non seulement un obstacle pour les communica-
tions, mais encore un danger pour la régularité des
crues en Egypte. Il reste encore à soumettre le Darfour,
où pourraient bien se réfugier, autour de Rabah (1),
tous les mécontents pressés entre les Français du Chariet
les Anglais du Kordofan. On a proposé à cet effet de lan-
cer un chemin de fer, de Dongola sur El Fâcher, par la
vallée de l'oued Melek que suivaient jadis les cara-
vanes.
Sir William Garstin, ministre des travaux publics en
Egypte, est très pessimiste sur l'avenir économique
du Soudan Egyptien; il faudrait d'abord cinquante ans
pour réparer les maux de longues guerres ; tout le pays
en amont de Khartoum aurait peu de valeur, sauf les
rives mômes du Nil, dans la mesure où l'irrigation
pourrait les atteindre ; encore doit-on remarquer que
la population y est devenue rare, et que le climat en est
fiévreux. Cette opinion, particulièrement compétente,
n'a pas arrêté la marche de l'appropriation anglaise : si
lord Gromer n'est guère plus enthousiaste sur le Sou-
dan que sir William Garstin, il parle déjà de nouveaux
(1) Des nouvelles arrivées en France pendant Timpression
de ce livre (juillet 1900) ont annoncé la mort de Rabah,
vaincu par la mission Gentil.
LE SOUDAN ET LE SAHARA 225
chemins de fer, l'un de Souakim à Berber, rétablissant
vers un port tout anglais l'antique voie commerciale,
imposant une surveillance et un péag'e à tous les pèle-
rins musulmans de l'Afrique soudanienne, l'autre, plus
particulièrement stratégique du Nil navigable vers les
frontières de l'Abjssinie. On peut prévoir le jour où ce
dernier se joindrait, dans la vallée du Sobat, aux pro-
longements des lignes de l'Ouganda, tels que nous les
indiquions dans un chapitre précédent. Peut-être alors
les Chillouks, descendus à la faveur de la paix au delà
de Fachoda ou des Indiens amenés par l'Ouganda au-
ront-ils apporté sur le Nil moyen ce supplément néces-
saire de main-d'œuvre, qui permettrait de reprendre
avec chances de succès les tentatives de cultures colo-
niales jadis abandonnées par le gouvernementégyptien.
En attendant on ne doit pas oublier que le mahdisme
avait contribué à détourner au sud, du côté du Congo,
le commerce issu du pays des Rivières et des monts
Baghinzés ; pour renverser ce courant, il ne faudra pas
moins que des avantages très notables de circulation
vers le Bahr el Ghazal et le Nil ; ceci suppose à travers
le sett des travaux à peine ébauchés encore ; ce n'est
pas de longtemps, semble-t-il, que l'on pourra conseil-
ler aux capitaux de colonisation de s'engager dans le
Soudan égyptien.
II
Le confluent du Nil et l'Atbara marque à peu près
la limite de la nature tropicale et du Sahara ; l'Atbara
L'Afrique. ^3.
236 l' AFRIQUE A l'entrée du vingtième siècle
lui-même est parfois trop faible poursetratner jusqu'au
Nil, tandis qu'il a de temps en temps des crues furieu-
ses, comme celle qui emporta, dans l'été de 1899, le
pontprovisoiredu chemin de fer. La steppe de Bayouda
n'est pas encore le désert véritable, puisqu'on y trouve
d des pAturag^es permanents et des girafes; elle
nient plutôt à cette zone des mimosées qui, de
it à l'est de l'Afrique, se déploie comme une bande
;rrompue au sud du Sahara. Mais, au delà de
steppe, c'est le désert dans toute son aridité ; les
s parUes dont la stérilité n'est pasabsolue sont les
aj^es du littoral de la mer Roug'e, assez élevées
condenser quelques pluies, et la vallée du Nil, ir-
e parle fleuve. Celle-ci, deKhartoum au Caire, n'a
loias de 2,700 kilomètres, soit une longueur com-
lie à celle du Danube (2,850 kilomètres). Elle dé-
travers la Nubie une courbe immense, en forme
circonstance qui ne nuit guère à la navigation,
[ue ces méandres se développent dans la région peu
des cataractes, mais qui par contre accroEtnolable-
la surface cultivable des terres ainsi gagnées sur
sert.
Sahara égyptien est un plateau relevé d'ouest en
ippelé Libjque à l'ouest du Nil, Arabique è l'est
Qeuve et terminé le long de la mer Rouge par un
sscment qui tombe à pic sur la cdte ; le rebord
tal, granitique, monte jusqu'à 2000 mètres; ilcor-
lod à des profondeurs marines qui, très près du
e, atteignent 200 mètres ; quelques coupures ou-
, à des havres littoraux des routes de pénétration
LE SOUDAN ET LE SAHARA 2S7
vers le Nil, celle de Kosséir, dont Keneh, sur la rive
droite du fleuve, est éloigné seulement de iOO kilomè-
tres ; celle de Bérénice, dont le port abandonné au jour-
d'hui fut à l'époque alexandrine le point de départ
d'échanges actifs avec Sjène (Assouan), en aval de la
première cataracte. Ces montagnes sont arrosées par
quelques pluies venues du nord en hiver, venues du sud
en été ; elles ont des pâturages ramassés autour des
points d'eau.
La vallée du Nil est creusée dans le désert, dont la
falaise domine le cours de 50 à 350 mètres ; le sol su-
perficiel du plateau, formé de grès délités par les éro*
sions, est traversé de dunes que le vent accumule sur
les moindres obstacles, et aussi de quelques aligne-
ments volcaniques, qui déterminent les rapides appe-
lés, d'un nom qui ne les qualifie pas tous exactement,
des cataractes. Le climat du plateau est celui de tout le
Sahara, continental, très sec, au point que les corps
abandonnés à l'air libre se momifient sans se corrom-
pre ; l'atmosphère est pure, sauf pendant les tempêtes
de sable qui la chargent d'une impalpable poussière
rougeâtre, assez fine pour pénétrer dans les milieux
les mieux clos, assez épaisse pour embrumer l'horizon
et voiler le soleil. Les nomades du désert arabique sont
des Bagarras et des Bedjas, pasteurs chameliers, diffi-
ciles à saisir, donc à soumettre. Les steppes libyques
sont encore un des coins les moins explorés de l'Afri-
que ; on y rencontre vers l'ouest des groupes d'oasis,
celles de Koufra qui sont rattachées à la Tripolitaine,
celles de Sioua qui appartiennent à l'Egypte et qui.
228 l\frique a l'entrée du vingtième siècle
évidées à 33 mètres au-dessous du niveau de la Médi-
terranée, reçurent peut-être autrefois une dérivation
du Nil.
Le désert de Libye est séparé de la Méditerranée
par le petit plateau de Barca (ancienne Cyrénaïque),
dont la hauteur est de 500 mètres et dont le climat
correspond à celui de l'Afrique mineure. Cyrène fut,
dans Tantiquité, une ville prospère ; les Turcs, maîtres
de la Tripolitaine, ont longtemps oublié mais semblent
se soucier maintenant de restaurer cette fortune au pro-
fit de Benghazi. Mais la Cyrénaïque n'est qu'une ile
tempérée : elle est cernée de tous côtés par le désert,
qui la presse contre la mer et ne présente, sur les routes
des oasis du Fezzan (500 mètres) qu'un petit nombre
de gîtes d'étape autour des puits.
Le Sahara égyptien, prolongé vers l'ouest par l'ar-
rière Tripolitaine, est donc un pays très pauvre ; on
n'y a jamais exploité que quelques carrières, quand
on avait la chance d'en rencontrer près de la mer ou
près du Nil : les porphyres de Kosséir étaient impor-
tés dans la basse Egypte par la mer Rouge et les
canaux des Pharaons ; dans les assises calcaires de
Syène ont été taillés les temples de Philé et les colosses
de Thèbes ; de même les carrières dont on aperçoit en-
core, à l'est du Caire, les escaliers blancs, ont bâti
Memphis et ses pyramides, puis les monuments arabes
du Caire lui-même. Mais ce ne sont là que des exceptions,
et le désert d'Egypte ne vaudrait rien, si la vallée du
Nil n'y était insérée.
Depuis le sett jusqu'en aval du Khartoum, le Nil
LE SOUDAN ET LE SAHARA 229
coule tranquille entre des rives de plaine ; mais de
Khartoumà Assouan, sa pente est beaucoup plus incli-
née, et des cataractes ou g'roupes de rapides le coupent
en six endroits di£Férents ; la navigation n'y est pas
absolument interrompue, mais le cours s'y précipite
entre des rochers déchiquetés à travers lesquels la cir-
culation est dang'ereuse ; un des passages les plus ca-
ractéristiques est celui de Dong-ola, dit troisième cata-
racte : là, le Nil est divisé entre les flots d'un nombreux
archipel, dont le principal, Argo, porte des bois et des
cultures ; ce sont, dans la longue oasis qu'est la vallée
du Nil elle-même, des taches de verdure plus intense
et plus stable. Ces rapides étaient-ils autrefois de vraies
cataractes ? Il semble bien que le fleuve, depuis l'ori-
gine de l'époque historique, a creusé son lit ; des ins-
criptions, des niveaux relevés sur divers points en
portent témoignage.
Le climat de l'oasis nilotique est, comme celui de
toutes les oasis, plus humide et plus fiévreux que celui
des steppes ambiantes ; mais la population y est plus
nombreuse, les terres cultivables sollicitant à la vie sé-
dentaire. Ces Nubiens sont des nègres vigoureux, très
noirs, de haute taille et de belle prestance, bien diffé-
rents des fellas de la basse Egypte, agriculteurs comme
eux, mais plus petits, de teint olivâtre et de visage
moins arrondi ; la vallée dont ils cultivent une partie
est large de quatre à cinq kilomètres, entre les falaises
du désert ; parfois elle forme des bassins qui s'étalent
sur 12 à 15 kilomètres, et devenaient les marchés et les
centres politiques des biefs avoisinants : ainsi Mé-
230 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
raouî etDongolafurenllong'teinps les capitales de deux
états, Tun musulman, Tautre chrétien. Aujourd'hui
tous les Nubiens sont musulmans ; c'est parmi eux que
les marchands de Khartoum recrutaient leurs meilleurs
auxiliaires, pour leurs razzias d'ivoire et d'esclaves dans
le haut pays ; cette carrière leur étant maintenant fer-
mée, les Nubiens émigrent dans les villes du delta, où
ils se placent comme domestiques; les plus intellig^ents
deviennent interprètes, ou s'engagent pour figurer en
Europe les nègres d'Afrique, rôle qui comporte d'assez
nombreux emplois.
Nous n'aurions pas à nous occuper, dans le présent
ouvrage, du Nil inférieur et de l'Egypte proprement
dite, si l'Egypte n'était, suivant le mot d'Hérodote, un
présent du Nil, si sa vie entière n'était réglée par les
vicissitudes de ce fleuve de l'Afrique tropicale. L'Egypte
historique commence au-dessous de la chute d'Assouan
(Syène) ; depuis cette dernière cataracte, le Nil coule
lentement, sans rencontrer d'autre barrière ; Thèbes,
la ville aux ruines majestueuses, s'élevait un peu au-
dessous de Syène, à l'origine d'un bassin fertile ; plus
bas, depuis Siout (70 m.) on peut dire que la région
deltaïque commence ; des dérivations étendent à gau-
che la zone d'irrigation et les eaux pénètrent même dans
une dépression naturelle, le Fayoum, dont l'ancien lac
Moeris était sans doute une partie aménagée par
l'homme.
Le delta, sans cesse remanié, gagne sur la Méditer-
ranée plus de deux mètres par an ; les anciens comp-
taient sept bouches; deux seulement sont, de nos jours.
LE SOUDAN ET LE SAHARA 231
autre chose que des chenaux temporaires, celles de Ro-
sette (ouest) et de Damiette (est). Encore celles-ci ne
sont-elles pas accessibles aux navires de mer ; le Nil,
qui est un véritable transsaharien fluvial, finit donc
par une sorte d'impasse. Il serait certainement possible
d'améliorer le cours, dans la rég^ion des cataractes, mais
on n'entrevoit pas encore le jour où, le delta ainsi trans-
formé, le Nil serait, comme le Saint-Laurent, sillonné
jusqu'au cœur du continent par des steamers venant
directement d'Europe ; tel que la nature l'a fait il ne
peut offrir que des sections navig-ables, sur la voie ég-yp-
tienne de pénétration au Soudan.
On peut même se demander s'il n'y aurait pas intérêt,
renonçant à le corriger pour en faire une grande voie
navigable, à l'utiliser seulement comme un gigan-
tesque canal d'irrigation. Et en effet, toute fertilité,
dans la basse Egypte, procède de l'eau du Nil : que vau-
draient, pour les récoltes, les 200 millimètres de pluie
qui tombent chaque hiver à Alexandrie, les 34 milli-
mètres du Caire ? Aussi, tandis que les steppes qui en-
cadrent le Nil sont à peine parcourues par quelques
tribus nomades, une population très dense se presse-t-
elle dans la vallée inférieure du fleuve et dans le delta ;
on l'évalue à 250 habitants au kilomètre carré, chiffre
qui n'est atteint en Europe que dans quelques cantons
de Flandre ou de Saxe et qui est ici la moyenne sur
30.000 kilomètres carrés, soit à peu près la superficie de
toute la Belgique ; encore doit-on dire que la popula-
tion de la basse Egypte est en voie de rapide dévelop-
pement.
i---W» r-
232 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
On sait, sans qu'il soit nécessaire d'y insister, que
toute l'économie de l'Egpypte dépend de la crue annuelle
du Nil ; les impôts, comme les récoltes, varient selon la
hauteur atteinte par les eaux du fleuve ; l'arrivée de
l'inondation est anxieusement guettée chaque année
par les fellas ; on l'annonce de loin, on la célèbre so-
lennellement au Caire et Bonaparte avait compris qu'il
ne pouvait mieux prouver son désir de régénérer l'Ei-
gypte qu'en présidant cette fête populaire. Le «Nil
vert » arrive vers le 10 juin à la pointe du delta, chargé
des débris végétaux des forêts équatoriales ; en juillet,
c'est le « Nil rouge », teint des alluvions volcaniques que
TAbaï et l'Atbara lui apportent d'Abyssinie ; la crue
atteint son maximum en octobre ; puis la baisse est ra-
pide. En décembre, sur les berges évacuées par les
eaux, on commence les semailles, pour récolter en avril.
Les oscillations du niveau du Nil sont de moins en
moins amples, d'amont en aval; elles atteignent en
moyenne i5 mètres àAssouan, et 7 au Caire.
L'homme ne reste pas spectateur inactif de cette évo-
lution annuelle ; la nécessité de ne pas perdre, pour les
terres cultivées, le bénéfice d'une seule crue l'a peu à
peu conduit à substituer l'irrigation canalisée à l'inon-
dation libre par les eaux du fleuve ; il assure ainsi la ré-
gularité des moissons. Mais, s'il est intéressant, dans
la basse Egypte, de profiter au mieux des crues telles
qu'elles se présentent, il n'est pas moins utrle d'en ré-
gler le débit par des travaux sur le haut fleuve, car le
Soudan Egyptien commande tout le cours inférieur du
Nil. Les Anglais, dont l'influence politique domine au-
r
LE SOUDAN ET LE SAHARA 233
jourd'hui sur le Nil tout entier, n'ont pas manqué de
dresser un plan général pour l'amélioration de son ré-
g-iiiie. Ils ont judicieusement accaparé tous les postes de
directeurs du service des irrigations, et tiennent ainsi
les clefs de la fortune de l'Egypte.
Leur idée principale paraît être celle que nous indi-
quions tout à l'heure, de considérer le Nil comme un
chenal naturel mais encore imparfait qui conduit jus-
qu'en Egypte les eaux tombées sous l'équateur, et de
tie s'en servir qu'accessoirement comme voie de péné-
tration. Ils ont aujourd'hui renoncé au système des
barrages sur le cours principal : outre le prix de ces
travaux, très élevé pour un fleuve aussi large que le
Nil, les constructions les plus soignées ne sont pas ga-
ranties contre le choc d'une crue exceptionnelle, et les
désastres survenus dans notre province d'Oran, par
exemple, ont montré les dangers de cette pratique ; on
bâtit aujourd'hui des réservoirs latéraux, d'après les
traditions excellentes des ingénieurs antiques du lac
Moeris: le fleuve emplit, lorsqu'il monte au-dessus d'un
certain niveau, ces bassins d'approvisionnement ; un
simple jeu de vannes emmagasine ainsi, pour les temps
de disette, un lac artificiel dont le courant ravivera le
fleuve affaibli.
De grands travaux ont été entrepris pour relever le
plan d'eau du Nil à Assouan ; les archéologues craigni-
rent un instant que le souci du progrès moderne l'em-
portât sur le respect des plus belles ruines de l'Egypte ;
l'un des projets étudiés aurait, en effet, noyé l'île de
Philé; si riche en monuments anciens ; mais leurs do-
234 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
léances furent écoutées, et Philé restera intacte. Beau-
coup plus loin, sur le haut Nil, nous avons dit que les
Anglais se préoccupaient de percer le sett, qui forme une
série de barrages puissants et capricieux. Déjà des ré-
sultats appréciables ont été obtenus : bien qu'en 1899
la crue du Nil ait été Tune des plus faibles des vingt der-
nières années, la surface irriguée et ensemencée a été
supérieure à celle des campagnes précédentes, et seule
la récolte du riz, qui demande beaucoup d'eau, a souf-
fert de cette sécheresse relative.
Des progrès du régime du Nil dépendra la diffusion,
dans la basse Egypte et le delta, de cultures riches telles
que le coton et la canne à sucre ; la terre, bien arrosée,
peut, sous ce climat très chaud, porter deux ou trois ré-
coltes par an, ou communiquer une vigueur inusitée
aux plantes dont la croissance n'est pas annuelle. Et
ces plus-values de l'agriculture se traduisent par une
plus grande richesse des habitants, par le développe-
ment du commerce, par la paix mieux assurée, par le
crédit international de l'Egypte plus solide. Ce sont, il
ne faut pas l'oublier, des ingénieurs français qui ont
les premiers indiqué la nécessité des travaux aujour-
d'hui dirigés par l'Angleterre, et dont l'exécution n'est
pas liée nécessairement au maintien de telle ou telle
domination européenne en Egypte ; il est vrai par con-
tre que les maîtres européens de l'Egypte seront les
premiers à en profiter.
Gomme voie de pénétration le Nil, sans être déclassé,
n'a pas l'importance d'une route uniformément facile :
en aval de la première cataracte et jusqu'à la pointe du
LE SOUDAN ET LE SAHARA 235
delta, il est navig-able pour de grands vapeurs fluviaux,
et chaque année de nombreuses caravanes de touristes
— fret principal des entrepreneurs — vont ainsi visiter
Siout, les ruines de Thèbes et Louqsor, Assouan et
Tfle de Philé. La navigation sur le bief des cataractes,
d'Assouan à Khartoum, n'est pas strictement impossi-
ble aux hautes eaux, pour des chaloupes de calaison
médiocre (0"*,70), mais elle est pratiquement interdite
aux transports de commerce, car elle est trop dange-
reuse et de plus très longue, à cause des détours du
fleuve. En amont de Khartoum, on pourra,si jamais le
sett est vaincu, s'avancer jusque près du lac Albert;
déjà les Anglais ont en aval deFachoda une flottille de
chalands et de canonnières à une roue d'arrière; on se
rappelle que ces embarcations coopérèrent utilement à
l'occupation de Khartoum. Mais d'ores et déjà le Nil
des cataractes est abandonné pour le chemin de fer
d'Ouadi-Halfa à Khartoum, sur lequel se greflFera tôt ou
tard l'embranchement Berber-Souakim ; le haut Nil,
en amont du sett, ressortira plus tôt peut-être à l'Afri-
que orientale anglaise qu'aux voies de l'Egypte.
Aujourd'hui, de quelque côté que l'on cherche des
issues (et sauf les concurrences congolaises par le pays
des Rivières), tous les débouchés des régions nilotiquos
appartiennent à l'Angleterre, en môme temps que toute
la ligne d'eau le long de laquelle on peut surveiller
l'Egypte et, de fait, la gouverner. Nous n'avons pas à
examiner ici si cette situation est provisoire ou défini-
tive ; nous notons seulement que l'Egypte est le seul
pays d'Afrique qui dépende d'un maître fortement
236 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
établi au Soudan. Après les fautes de notre diplomatie
et de notre parlement en 1882, quelques hommes d'Etat,
chez nous, s'en sont doutés ; mais on pourrait leur re-
procher, puisqu'ils connaissaient la géographie de cette
partie de l'Afrique, de n'avoir pas prévu le cas où d'au-
tres, mieux outillés sur place, la connaîtraient aussi.
CHAPITRE II
Les Pays du lac Tchad.
Les pays du Tchad sont une des rég-ions les plus ré-
cemment explorées de TÀfrique ; depuis les voyag'cs
d'Oudney, Denhamet Glapperton (4822-24) et ceux de
Barth (1850) dont la relation reste un modèle de préci-
sion scientifique, rien ne fut gagné jusqu'à ceux de
Nachtig-al (1873). Plus tard, ces itinéraires furent liés à
ceux du moyen Niger (Monteil, 1891) et du Congo (Mi-
zon, 1891) ; presque rien encore, malgré les prétentions
anglaises consacrées par le traité de 1890, n'a été fait
pour rattacher le domaine du Tchad à ceux du Niger
inférieur et de Bénoué ; mais, la jonction sur les bords
du Tchad des missions françaises, Foureau-Lamy, ve-
nue d'Algérie, Meynier-Joalland, arrivant du Soudan,
et Gentil, partie du Congo (1900) sera, nous devons
l'espérer, le principe d'une plus exacte connaissance et
d'une occupation progressive de toute cette partie de
l'Afrique.
238 l'afrique a l'enïrée du vingtième siècle
Depuis longtemps, des relations sont établies, du
Tchad à la Méditerranée et au Nil par les caravanes de
musulmans : pèlerins allant à la Mecque, par le Ouadaï,
le Darfour et le Kordofan, négociants traversant le
Sahara pour vendre les produits soudaniensàTripoliou
Benghazi, de nombreux voyageurs indigènes mettaient
ces districts reculés de l'Afrique en communication avec
le reste du monde ;les rappo]:ts étaient beaucoup moins
actifs entre le Tchad et le golfe de Guinée, les conditions
géographiques étant très différentes sur ce littoral fo-
restier qui manque de botes de somme.
I
Entre les monts du Tibesti au nord-ouest, TAïr au
nord, les massifs de TAdamaoua et de Yacoba au sud,
dans les plateaux des steppes subsahariennes, une dé-
pression est creusée, dont le lac Tchad occupe la partie
inférieure, réduit de nos jours à une étendue diminuée,
tandis qu'il s'étalait jadis par le Bahr el Ghazal jusqu'au
fond, aujourd'hui desséché, du Bodélé. Vers le Tchad
convergent les eaux tombées sur les pentes occidentales
des monts Marras et les terrasses du Ouadaï, et celles
qui, par le Ghari-Logone drainent le seuil de liaison
avec le domaine du Congo. L'Adamaoua s'épanche di-
rectement dans l'Atlantique, parla Bénoué et le Niger ;
à l'ouest et au nord, le Tchad reçoit des oueds formés
dans le Bornou et le Zinder.
Les monts du Tibesti ont été reconnus par Nachtigal ;
ils se composent de deux massifs volcaniques, dressés
LE SOUDAN ET LE SAHARA 239
sur un socle de granit : le Koussi, à Test, a 2,600 mè-
tres ; le Tarso, à Touest, atteint 2,700 ; la direction du
soulèvement est du sud-est au nord-ouest, il se prolonge
par les plateaux du Tassili et se rattache très vraisem-
blablement à la région montagneuse dite Anahef, que
la missionFoureau-Lamy traversait à 1,350 mètres d'al-
titude moyenne, ainsi qu'aux massifs du Hoggar ; les
monts du Tibesti sont encadrés entre deux routes de
caravanes, celle du Ouadaï à Benghazi par les oasis de
Koufra, et celle du Tchad à Tripoli, par Bilma et les
oasis du Fezzan ; cette dernière franchit le faîte à Té-
tape de Tummo, par 840 mètres. Le Tibesti, touché par
les pluies atlantiques, a quelques pâturages et une po-
pulation de chameliers, tous musulmans qui louent et
conduisent leurs animaux pour la traversée du désert.
Les terrasses du Borkou et du Ouadaï s'appuient sur
le revers occidental des monts du Tibesti et des Marras ;
elles se soutiennent à 400 ou 500 mètres, traversées de
loin en loin par des redressements isolés, suivant le
type déjà étudié des pays du Nil moyen. Les fleuves nés
des Marras n'ont pas la force d'arriver jusqu'au Ghari,
dont le cours annonce la région des eaux permanentes :
le Batha, le Bahr esSalamat se terminent par des lagu-
nes salines. Nachtigal, ayant entendu parler de rivières
qui coulaient vers l'ouest, au sud de ces steppes peu
arrosées, les rattachait à l'Ouellé de Schweinfurth,
mais en admettant aussi l'hypothèse de cet explorateur
que l'Ouellé et le Ghari ne faisaientqu'un ;il ne se trom-
pait donc qu'à moitié, car c'est assurément le Ghari que
désignaient ses renseignements ; il ne put les vérifier
'■«---■ • -ar ■
240 l' AFRIQUE A l'eNTREE DU VINGTIEME SIECLE
par lui-môme, forcé par Fattitude peu amicale des ha-
bitants puis par une attaque, de paludisme de quitter le
Ouadaï pour passer au Darfour.
Le Ouadaï est peuplé de cultivateurs nèg'res et de
pasteurs arabes, musulmans ou islamisés ; les carava-
nes de Benghazi portaient jadis à la Méditerranée Ti-
voire, la gomme, les plumes d'autruche et traînaient
souvent à travers le désert des convois d'esclaves ; ceux-
ci étaient enlevés dans le Dar Rounga et le Dar Fertit,
en échange de paniers de sel venu de Bilma. Les Arabes
du Ouadaï sont belliqueux et peu favorables aux Euro-
péens : Vogel, l'un des' compagnons de Barth, fut as-
sassiné par eux en 1855 ; Nachtigal, bien que protégé
quelque temps par le sultan, dut abréger son séjour et
modifier ses itinéraires. L'armée du Ouadaï, qui des-
cendait pour razzier dans le Kanemetle Baghirmi, au-
rait alors compté jusqu'à 7000 hommes, et la population
totale atteindrait aujourd'hui 8 millions d'habitants.
Abech, capitale du pajs, est posée sur le flanc d'une
butte, autour de puits abondants ; elle a longtemps
passé pour un foyer de fanatisme musulman.
Dans l'état de trouble, conséquent pour toute la ré-
gion du Tchad des conquêtes, puis des récents échecs
de Rabah, il est difficile de dire avec précision quelles
sont aujourd'hui les conditions d'accès du Ouadaï;
les informations recueillies par la mission Gentil-Bre-
tonnet tendent à le représenter comme beaucoup moins
aride que le Darfour, les pluies d'été croissent rapide-
ment du nord au sud, les pentes méridionales se prê-
teraient sans doute à la culture du coton.
LE SOUDAN ET LE SAHARA 241
Le Ouadaï s'incline doucement, par le Dar Roung-a
et le Baghirmi, vers les vallées tributaires du Ghari ;
au nord-ouest, il finit probablement par une falaise
plus abrupte, tombant sur la dépression du Bahr el
Ghazal et du Bodélé. C'est encore Nachtigal, qui a
constaté l'existence de cette ancienne expansion du
Tchad, et observé que le Bahr el Ghazal est un effluent
et non un affluent de ce lac ; en temps ordinaire, ce
chenal est à sec ; mais par les crues exceptionnelles, le
Tchad y déborde et^'avance vers les steppes d'Egaï et
du Bodélé, dont le niveau est inférieur de 80 mètres
au sien. Ces fonds, rafraîchis par des infiltrations sou-
terraines, sont toujours humides ; ils seraient particu-
lièrement favorables à l'élevage du chameau. Mais ils
sont à peine habités aujourd'hui.
A partir de cette dépression vers le nord et l'ouest,
le sol se relève par une pente insensible jusque vers
700 mètres ; c'est l'altitude moyenne du plateau sur
lequel se dressent les soulèvements montagneux de
l'Aïr et du Tibesti ; Agadès est à 750 mètres, Rhat à
730 mètres; les sommets de l'Aïr culminent à 1800
mètres. Le Tchad est ainsi entouré de ce côté par une
zone de plateaux ondulés sur lesquels les limites géo-
g-raphiques, très peu précises, sont déterminées, non
par les accidents du relief, mais par la précipitation
des pluies qui diminuent normalement du sud au
nord : à Zinder, où fut assassiné en 1898 le capitaine
Casemajou, où s'établit, en juillet 1899, la mission
Joalland-Meynier, le dattier des oasis sahariennes se
dresse au-dessus de champs de blé ; les transports se
L'Afrique. 14
242 L* AFRIQUE A L 'ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
font par chameaux et, sur près de 200 kilomètres dans
la direction du Tchad, on ne trouve aucun point d'eau.
Des cultivateurs nègres travaillent le sol pour nourrir
leurs maîtres, les Touarejocs Kélouis. Un peu plus au
sud, dans le Sokoto, les conditions changent, et les ca-
ravanes remplacent leurs chameaux par des bœufs. Sur
cette frontière septentrionale des pays haoussas, les
eaux dissimulent sous terre une partie de leur cours,
qu'elles aillent au Niger ou au Tchad.
Sur la rive septentrionale du Tchad, le Kanem fut
jadis un centre de puissance musulmane ; des luttes
furent longtemps soutenues, entre les indigènes, nègres
cultivateurs comme ceux du Zinder, et les Touaregs
Kélouis ; devant les razzias de ces nomades, beaucoup
de naturels se sont retirés dans le Bornou et dans les
îles du Tchad, où ils pratiquent l'élevage et la pèche,
sans préjudice du pillage de tous les riverains qu'ils
peuvent surprendre.
Le lac Tchad, à 270 mètres d'altitude, n'est autre
chose qu'une inondation permanente de hauteur va-
riable et dont les rives participent de la double nature
saharienne et soudanienne : assailli au nord par des
dunes de sable, il n'a partout ailleurs que des rivages
vaseux et indécis ; l'apport du Ghari compense l'évapo-
ration et le Tchad, bien que très diminué pendant la
période des sécheresses, en hiver et au printemps, con-
serve toujours une épaisseur d'eau de quelques pieds :
nulle part il n'aurait plus de six mètres de profondeur ;
partout il est encombré de roseaux, de bancs d'allu-
vions à peine émergés, sauf au sud-ouest où des îlots
LE SOUDAN ET LE SAHARA 243
plus stables servent de refag'es à une population de
pirates ; un courant très faible pousse les eaux vers la
rive occidentale, dont il envase les ports. Le Tchad
n'est donc pas une vaste mer, dont la possession per-
mettrait la circulation entre des rivages d'accès facile ;
c'est beaucoup plutôt un immense marécage, zone
d'isolement entre les contrées littorales, réservée par la
nature aux ébats des hippopotames et des caïmans ; il
est douteux que jamais le commerce puisse organiser
une navigation pratique sur ce bourbier*
A Test et au sud du Tchad, le Baghirmi et le Bor-
nou sont des pays mieux arrosés et plus peuplés :
Barth y releva 1 mètre de pluie annuelle, tombant sur-
tout entre juin et septembre ; c'est à la fin de cette sai-
son que le lac Tchad atteint sa plus grande extension.
Insensiblement, vers le sud, la savane succède à la
steppe, puis se fonce de forêts galeries, de plus en plus
développées dans les vallées fluviales ; sur les prairies,
que percent des pointements granitiques, paissent des
chevaux et des bœufs ; on passe ainsi du domaine du
Tchad dans celui de TOubanghi et de la Sanga, tri-
butaires du Congo ; le relief plus accidenté de l'Ada-
maoua offre des conditions encore meilleures à la vie
d'éleveurs sédentaires ; là s'était constitué l'un des Etats
musulmans les plus puissants et les mieux policés de
l'Afrique centrale.
Comme l'Adamaoua fait barrière entre les bords du
Tchad et le golfe de Guinée, le lac n'est accessible
qu'en tournant ces massifs, soit par les pays haoussas
à l'ouest, soit — et c'est ce qu'ont d'abord tenté nos
244 L*AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
explorateurs, — parle Ghari à Test.!! semble bien que la
vallée de la Bénoué ouvre à travers les monts de TAda-
maoua une route qui est continuée vers le Logone,
branche du Ghari, par une dépression facile à suivre ;
c'est là peut-être la voie de pénétration de l'avenir ;
pour le moment, elle est encore trop peu connue, du
moins sur le versant du Tchad.
Le Ghari rassemble pour les conduire au Tchad
toutes les eaux d'un vaste domaine, qui s'étend des
terrasses du Ouadaï aux montag'nes de l'Adamaoua ;
le seuil de jonction entre son réseau et celui du Gong'o a
été le front d'attaque de la conquête française, s'avan-
çant de la Sang-a et de l'Oubanghi sur le Tchad. G'est
là qu'auparavant les Arabes ou les noirs islamisés du
Ouadaï et du Baghirmi pénétraient vers le sud, jusqu'à
la limite des forêts équatoriales, dans leurs chasses à
l'ivoire et à l'esclave, et rien n'est plus instructif, pour
connaître ces pays, que de résumer l'histoire de leur
retraite devant les progrès français.
Bien que les pays du Ghari, comme ceux du Tchad,
aient été d'abord reconnus par des voyageurs fran-
çais, des traités sont intervenus pour les partager,
avant même que les découvertes fussent achevées, entre
la France d'une part, l'Allemagne et l'Angleterre de
l'autre : la convention de février 1894 porte le Game-
roun allemand jusqu'à la rive gauche du bas Ghari et
jusqu'au littoral méridional du lac Tchad; il lui aban-
donne tout l'Adamaoua; le territoire français garde
seulement, avec le cours supérieur de la Bénoué, une
amorce sur la route navigable du bas Niger. La con-
LE SOUDAN ET LE SAHARA 245
vention de mars 1899 avec TAngleterre nous laisse le
Ouadaï et la Kanem, c'est-à-dire la partie saharienne
des rives du Tchad. Cependant, bien qu'il ait été privé
de la sorte de régions auxquelles il pouvait prétendre,
le Congo français n'a cessé de 'se développer vers le
nord, et le Léon Blotj de la mission Gentil, fut le pre-
mier vapeur européen qui flotta sur le Tchad (novem-
bre 1897).
Deux routes de pénétration furent successivement
étudiées, l'une par l'Oubanghi, l'autre par la Sanga.
Crampel, partant de Banghi, essaya de tracer la pre-
mière (1890-1891). 11 s'était avancé à 500 kilomètres au
nord de l'Oubanghi, dans une savane à marigots, où
les arbres ne se montraient plus qu'en bouquets dis-
persés ; il se hâtait vers le nord, sur l'avis qu'il ren-
contrerait bientôt des populations musulmanes, ainsi
que des bêtes de somme dont il avait grand besoin ;
cette rencontre eut lieu, en effet, mais le perdit car,
trahi par ses guides, il fut cerné et assassiné sur l'ordre
du sultan Snoussi, vassal du Ouadaï. M. Dvbowski, dont
l'expédition était destinée à soutenir celle de Crampel , du t
se borner à le venger ; après une marche pénible vers
le nord, il infligea une défaite à des musulmans au-
teurs ou complices du massacre de Crampel et revint
en arrière (1891-1892). L'année suivante, M. Maistre
était plus heureux : il arrivait au Gribinghi, branche
du Chari, et nouait des relations avec des envoyés du
sultan de Baghirmi : mais faute de provisions suffi-
santes pour descendre jusqu'au lac Tchad, dont il sup-
posait justement avoir atteint les tributaires, il dut se
L'Afrique. 14.
246 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
replier sur l'Adainâoua et regagner le bas Niger. Il
observa que les pays du Gribinghi, où vaguent encore
des bandes d'éléphants, présentent une végétation tropi-
cale de plus en plus atténuée vers le nord.
La voie de la Sanga était en même temps attaquée,
sous la direction de M. de Brazza, au départ du poste
de Ouasso, qui date de 1891 ; sur les bords de cette
rivière, en 1892, Mizon descendant de TAdamaoua ren-
contrait JM. de Brazza lui-même, mais le bénéfice de
son voyage ne devait pas rester à la France ; puis d'au-
tres postes étaient fondés sur la Sanga et ses affluents,
Bania, Gaza, Carnot. En 1894, la mission Glozel dé-
couvrait qu'entre les sources de l'Ouom, branche du
Logone, et d'autres qui allaient certainement au Congo,
le portage n'était que de 100 kilomètres. Mais ces
tentatives perdirent beaucoup de leur intérêt, le jour
où l'Adamaoua fut abandonné à l'Allemagne ; les
hautes vallées de la Sanga et de ses affluents, tapissées
d'épaisses galeries forestières, devenaient dès lors des
impasses qu'il était inutile d'ouvrir au nord ; elles ne
prendront leur valeur que par l'exploitation du caout-
chouc, dont elles sont très riches, et surtout lorsque le
chemin de fer d'Ouasso à Libreville en permettra Tao
cès indépendant par le territoire français.
Depuis la fin de 1895, la pénétration du Congo vers
le Tchad a été poursuivi©, par la route de Crampel : lia
première mission Gentil a établi qu'un portage de 150
kilomètres séparait la porte deKrébedjé, sur un sous-
affluent de l'Oubanghi, de celui de Gribinghi, tête de
la navigation de la rivière de ce nom. C'est à Gribinghi
LE SOUDAN ET LE SAHARA 247
que fut monté le Léon Blot, transporté par morceaux
depuis Krébédjé ; le vaillant petit vapeur descendit le
Gribinghi, puis le Ghari ; une halte très courte laissa au
chef de la mission le temps de pousser jusqu'à Massé-
nia, capitale du Baghirmi, dont le sultan sollicitait le
protectorat de la France, car son adversaire, Rabah,
était alors établi dans le Bornou ; le Léon Blot ne fit
qu'un raid rapide jusqu'à l'entrée du Tchad.
Par ce voyage nous sont parvenus les premiers ren-
seignements authentiques sur le Ghari : c'est une belle
rivière, au cours régulier, profonde de 2 à 3 mètres de-
puis le confluent du Gribinghi, offrant donc de remar-
quables facilités à la navigation ; mais, près de son
embouchure dans le Tchad, elle tourne au marécage ;
ses alluvions se déposent en un delta de 100 kilomètres
de front ; des coulées de boue, dégageant des miasmes
empestés, restent à découvert dès que les eaux baissent;
de plus, le combustible manque sur ses rives, de moins
en moins boisées vers le nord ; on reconnaît à ce trait
nouveau le passage des régions tropicales aux régions
sahariennes. Pour ces diverses raisons, nous croyons
que l'effort de la pénétration française devrait désormais
porter sur les affluents du Ghari et les terrasses du
Ouadaï plutôt que sur le delta fangeux et improductif
qui s'épanouit dans le lac Tchad.
La nécessité en paraît même urgente, si nous voulons
en finir vite avec la « question de Rabah ». Ce chef bri-
gand est un ancien esclave de ce Ziber, qui fut marchand
d'esclaves et sultan du Darfour et qui est aujourd'hui
retenu prisonnier au Gaire. Entraînant à sa suite une
248 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINiGTlÊME SIÈCLE
armée de nomades fanatiques, Rabah s'est avancé
d'est en ouest, a d'abord conquis le Dar Rounga, puis
traversé le Baghirmi et finalement occupé le Bornou.
Dès la retraite de la première mission Gentil, Rabah,
retournant sur ses pas, envahit le Baghirmi dont le
sultan recula au sud, pour rallier les postes français du
Gribing-hi; il occupe alors tout le moyen Chari, inter-
cepte au passage la mission commerciale de Béhagle,
dont le chef reste captif entre ses mains.
Cependant tous les souverains indigènes se sont coa-
lisés contre Rabah : Snoussi, le meurtrier de Crampel,
le sultan du Ouadaï, celui du Baghirmi demandent à
marcher avec des troupes françaises contre Tennemi
commun. La deuxième mission Gentil, précédée par
Tavant-garde de Bretonnet, doit coaliser toutes ces bon-
nes volontés et rouvrir la route du Tchad. Bretonnet,
parti à la fin de 1898, était monté directement au Gri-
binghi puis avait choisi, pour s'y fortifier, un confluent
sur le Chari ; mais telle était l'indigence de notre flot-
tille sur le Congo et l'Oubanghi, qu'il ne fut pas pos-
sible, malgré ses instances pressantes, de lui envoyer
des renforts. Assailli, en août 1899, par l'armée de
Rabah, forte de 8000 hommes, il ne put que faire une
résistance qui coûta cher à ses adversaires ; finalement
il fut débordé et tué avec toute sa troupe.
M. Gentil, revenu pendant ce temps, rassemblait sur
le haut Chari toutes les troupes disponibles de la colo-
nie du Congo, un peu plus de 300 combattants. Or Ra-
bah n'avait pas moins de 2,500 fusils, et trois canons,
pris à Bretonnet avec leurs munitions. Malgré la faiblesse
LE SOUDAN ET LE SAHARA 249
de ces effectifs, dès que la saison sèche fut établie,
M. Gentil marcha au nord ; une bataille sang-lante nous
livra Kouno, la forteresse que Rabah avait occupée
après Bretonnet ; le chef noir,ayant perdu 3000 hommes,
s*est enfui presque seul vers le Ouadaï et les officiers
français regrettent de n'avoir pas disposé de quelques
cavaliers pour entraver sa fuite et sans doute s'emparer
de sa personne (décembre 1899). A la suite de cette vic-
toire, le sultan du Baghirmi est rentré dans sa capitale,
et bientôt après les trois missions Gentil, Meynier-Joal-
land et Foureau-Lamy étaient réunies au sud-est du lac
Tchad, réalisant ainsi l'espérance qui guidait depuis
1890 les directeurs de notre politique africaine (i).
Une étude attentive des documents rapportés par ces
trois missions établira si le lac Tchad doit rester le pôle
d'attraction de toutes nos eolonies africaines, si c'est
un carrefour de routes ou un obstacle à tourner. Mais
déjà de grands résultats sont acquis : si l'onadmet que
les dispositions nécessaires seront ou sont déjà prises
pour interdire à Rabah tout retour offensif sur leChari,
nous n'avons plus à tenter qu'un dernier effort pour
occuper le Ouadaï et porter ainsi notre domaine afri-
cain jusqu'aux limites reconnues par les traités. Or,
nous n'avons, pour y pourvoir, d'autre base d'opéra-
tions que le Congo ; nous devons donc outiller cette co-
lonie au plus tôt, et sans attendre une participation de
l'Etat aux bénéfices très hypothétiques des concession-
(1) Une note ajoutée au précédent chapitre, a signalé la
défaite et la mort de Kabah, annoncée en France en juil-.
let 1900, penda,nt Vimpression de ce livre.
250 L 'AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
naires entre lesquels elle est partagée ; les réseaux na-
vigables du Ghari et du Congo sont faciles à réunir ;
par là, nous pouvons dès maintenant resserrer la cohé-
sion de notre domaine ; mais de longtemps on ne peut
prévoir des communications artificielles assurées, du
Ouadaï au moyen Niger, à travers les steppes que les
conventions nous ont laissées de part et d'autre du lac
Tchad.
II
L'Angleterre et l'Allemagne se sont attribué les meil-
leures parties des pays du Tchad, c'est-à-dire le Bor-
nou et l'Adamaoua ; la première y a joint le Haoussa,
dernier étage de la nature soudanienne entre le golfe de
Guinée et le désert. Un vaste soulèvement de hautes
terres, dont l'Adamaoua n'occupe que le flanc oriental,
se dresse entre le Tchad et la côte atlantique et borne
très nettement au nord la zone du climat équatorial :
le palmier à huile remonte le long du Niger jusqu'à
Egga, sur la Bénoué, dirigée dans le sens des vents
pluvieux de Touest, il va jusqu'au Mouri. Barrière op-
posée à la pénétration des influences maritimes, les mon-
tagnes de l'Adamaoua s'abaissent en ondulations plus
molles vers le Ghari et le Tchad.
L'altitude moyenne de ces hauteurs, ou la forme de
plateau domine, est de 800 à 1200 mètres ; comme dans
les monts du Tibesti, des alignements volcaniques jail-
lissent au-dessus d'un soubassement de granit, élevant
leurs sommets jusqu'à 2000 mètres j il est remarquable
LE SOUDAN ET* LE SAHAHA ^51
que la direction en soulig'ne exactement celle du Ti-
bestî, comme de la côte de Sierra-Leone et des chaînes
du Fouta-Djalon ; les volcans du Gameroum, les îles
espagnoles et portugaises du golfe de Guinée doivent
être rattachées aux mêmes soulèvements, dont les ma-
nifestations se montrent ainsi sur toute TAfrique occi-
dentale.
L'Adamaoua est ici le centre hydrographique le plus
puissant, offrant avec le Fouta-Djallon beaucoup de
ressemblances ; il envoie des sources à la Bénoué, au
LiOgone, à la Sang'a et directement à TAtlantique, par
les rivières du Cameroun allemand. Plus au nord, les
escarpements du Mouri dominent la Bénoué, et plus
loin encore, les monts Sarandas dispersent leurs eaux
vers la Bénoué, le Niger et le Tchad. Ces derniers, re-
connus par G. Rohlfs, dominent d'environ 600 mètres
les fertiles plateaux de Saria (1200-1500 mètres) ; les
sommets sont boisés, des cascades d'eau vive répandent
de tous côtés la fraîcheur, et ce pays alpestre, sain par
son altitude et par la richesse de sa circulation fluviale
paraît destiné à un avenir de colonisation agricole et
pastorale : comme le Fouta-Djalon à Touest, ce serait
un futur grenier d'abondance, en même temps qu'un
'sanatorium pour les Européens établis à la côte de
Guinée.
L'explorateur français Mizon, qui vécut six mois à
Yola, sur la haute Bénoué, put étudier à loisir le climat
de ces plateaux ; l'été y est très pluvieux ; à la fin de
l'automne, la sécheresse commence, avec un vent pou-
dreux, appelé harmattan, qui arrive des steppes du
âSS lVfrique a l'entrée du vingtième siècle
nord ; le harmattan est le symétrique du sirocco de T Afri-
que Mineure, issu comme lui du Sahara ; quand il souf-
fle, Tair est embrasé, Thorizon embrumé d'une pous-
sière roug-eâtre. Les hivers sont rigoureux; Mizon a vu
de la glace en janvier 1892 ; des indigènes qui accom-
pagnaient le voyageur allemand ZintgrafiF moururent
de froid dans TAdamaoua, par 4-6**. Mais ces condi-
tions, très pénibles pour eux, sont au contraire beaucoup
plus favorables aux Européens que Thumidité chaude et
sans répit de la côte.
Dans les vallées plus basses, le climat est différent ;
la violence des érosions a foré des failles profondes,
dont le lit est tapissé d'alluvions : celle de la Bénoué,
par exemple, est encadrée entre des falaises abruptes,
mais les rives du fleuve sont marécageuses, et les vil-
lages indigènes se placent un peu à l'écart ; la végéta-
tion des fonds est tout équatoriale, avec des papyrus,
des palmiers à huile, des bananiers.
Deux dépressions principales traversent les monta-
gnes de l'Adamaoua et leurs prolongements : celle de
la Bénoué et celle du Niger, car ce fleuve lui-même,
après un cours de plaine, coule dans une vallée resser-
rée et coupée de rapides, de Boussa à Lokodja ; tandis
qu'à Rabba, à peu près au milieu de ce bief, son
niveau est à 170 mètres, le plateau ambiant est à 400 m. ;
un promontoire domine, à l'ouest de Lokodja, le con-
fluent du Niger et de la Bénoué. Cette dernière serait
par ses sources très voisine du Logone ; les marais de
Toubouri partagent peut-être leurs eaux entre le Tchad
et le golfe de Guinée : mais, cette hypothèse ne serait-
Le soudai^ Et LE sahaHà 25â
elle pas vérifiée qu'il n'en faudrait pas moins remar-
quer la valeur du couloir de la Bénoué comme voie
de pénétration directe du bas Nig-er au Bornou. Après
un cours sinueux dans les brèches de TAdamaoua,
jusqu'à Yola, la Bénoué s'étale dans une plaine qu'é-
trang-lent, de loin en loin, des ressauts montag-neux.
En aval de son confluent avec la Bénoué, le Niger
arrose la zone équatoriale du delta et des « rivières
d'huile»^ que nous avons décrite dans un chapitre pré-
cédent (i).
L'Adamaoua, qui fut jadis une dépendance assez
libre du Sokoto, est un état musulman, que sa consti-
tution politique et sociale place parmi les plus avan-
cés de l'Afrique. Il est habité par deux classes très dis-
tinctes de populations : dans les vallées vivent des
nègres cultivateurs et pécheurs, parmi lesquels résident
quelques Haoussas, commerçants ; la terre est fertile,
Mizon obtint très vite, dans son jardin d'Yola, tous les
lég'umes d'Europe ; les indigènes cultivent le maïs, le
riz, les arachides. Mais la race souveraine est celle des
Foulas ou Peuls, et ceci est un nouveau trait de res-
semblance de l'Adamaoua avec le Fouta Djalon. Les
Foulas occupent tous les plateaux à pâturages, qui
sont la véritable richesse du pays ; leurs fermes sont
des hameaux palissades, avec bâtiments distincts pour
l'exploitation et l'habitation des maîtres ; ils ont des
troupeaux de bœufs, d'ânes et de chevaux ; les nègres
(i) Livre I, chapitre i.
L'Afrique. 15
' 254 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
du bas^ pays sont ordinairement leurs captifs, et tra-
vaillent pour eux.
Les Foulas sont musulmans ; c'est par eux que Tis-
lam se propage vers les bouches du Niger comme vers
le Congo ; leurs déplacements ont toujours le caractère
d'expéditions de guerre ; ils pillent les villages indi-
gènes, soit pour en voler les provisions, soit pour
recruter leur personnel de service ; la plupart des tri-
bus nègres, mal armées, sans cohésion entre elles, se
sont soumises ; quelques-unes cependant ont résisté, et
se sont alors réfugiées sur les hauts sommets, aux ro-
chers inaccessibles ; Mizon fut témoin d'un exode de ce
genre, devant les soldats du sultan d'Yola : ainsi les
Berbères du sud tunisien, pour laisser passer le flot
des invasions arabes, refluaient des plaines sur les
falaises des ksours. La domination des Foulas repose
sur la force ; aussi les indigènes vaincus, habitués à
tout craindre des étrangers qui pénètrent dans leur
pays, font-ils un accueil peu empressé aux Européens;
les Allemands se heurtent, dans Tarrière-pays du
Cameroun, à des difficultés qui n'ont probablement
pas d'autre origine.
Il faudrait, pour rassurer ces noirs, l'établissement
d'un protectorat européen effectif sur le sultan de l'A-
damaoua et ses principaux feudataires ; l'Allemagne et
l'Angleterre, qui se sont partagé diplomatiquement le
pays, n'en ont pas encore commencé l'occupation. L'ar-
mée de l'Adamaoua n'est pas sans valeur ; le sultan
Zoubir, dont Mizon n'obtint un traité qu'à son deuxième
voyage (1893), avait alors plusieurs escadrons de cava-
LE SOUDAN KT LE SAHARA
liers cuirassés ; sans doute de telles défenses ne seraient
d'aucun usag'e contre les armes à feu, mais elles assu-
raient une impunité presque absolue aux fourrageurs
musulmans qui pouvaient braver sans crainte les flèches
et les lances des nèg^res.
Yola, capitale de rAdamaona, a été comprise dans la
sphère d'influence ang>laise parle traité anglo-allemand
du 15 novembre 1893. La navigation sur la Bénoué ne
remonte jusqu'à cette ville qu'aux crues, et l'on n'a pas
oublié que Mizon se trouva bloqué par les basses eaux
à la hauteur de Mouri. Les Allemands n'ont un port
qu'en amont de Yola (Garoua) et les Anglais gardent
ainsi la surveillance presque exclusive d'une voie navi-
gable qui pénètre à plus de quinze cents kilomètres
dans l'intérieur de l'Afrique. Ils auront, il est vrai, à
faire accepter leur autorité sur la Bénoué, où la Royal
Niger Society, aujourd'hui rachetée par le gouverne-
ment impérial, n'avait jamais eu que des pontons entre-
pôts, tolérés par les chefs riverains ; de plus Yola est
entourée de marécag>es, et très malsaine.
Dans la partie méridionale de l'Adamaoua, qui leur
est attribuée, les Allemands devront prendre possession
des hautes citadelles des Foulas, Ngaoundéré parexem-
ple, grand marché d'esclaves, ainsi que de coton, d'in-
digo et d'ivoire ; mais si leur établissement politique
doit être contesté par les Foulas, il est sûr aussi que les
Haoussas commerçants ne se laisseront pas volontiers
déposséder de leur monopole. On ne pourrait lutter con-
tre leur concurrence que par des voies de communica-
tion faciles avec la côte : or tout le domaine de la Sanga
256 L*AFR1QUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIÈCLE
ressort au Congo français, môme la place forte de
Koundé, qu'habitent des musulmans de TAdamaoua ;
les routes ne sont pas dégagées, du littoral à TAda-
maoua par Tintérieurde la colonie allemande. Les pla-
teaux de Ngaoundéré seraient pourtant favorables à des
cultures riches, comme celle du coton mais tout déve-
loppement agricole de ce pays ne profiterait qu'à la voie
anglaise Niger-Bénoué ; il faudrait au moins que la na-
vigation en fût maintenue libre, conformément aux
traités. Quant au projet d'un chemin de fer de pénétra-
tion dans le territoire allemand du Cameroun, il n'a
pas été encore étudié sur place et la ligne ne comman-
derait pas, selon toute vraisemblance, un pays assez riche
pour payer les dépenses de construction.
Les régions ondulées qui, appuyées sur les monts de
l'Adamaoua et de Saria, entourent le Tchad à l'ouest et
au sud-ouest sont le Haoussa (Sokoto) et le Bornou ; le
Niger n'en forme pas la limite occidentale, car le Bor-
gou,dansrarrière-Dahomey,présente les mêmes aspects.
Il n'y a pas, entre le Tchad et le Niger, de faîte continu,
seulement quelques rochers, dépouillés par les érosions,
qui servent d'acropoles aux villes principales. Sur ce
sol peu incliné, la circulation des eaux est paresseuse
et incertaine : en été, l'inondation couvre la plaine de
Sokoto; des marais stagnants, autour deKano, rendent
ce district très insalubre. Le niveau moyen des plateaux
est une savane pauvre en haute futaie, ouvrant cepen-
dant vers le sud-ouest quelques cirques où les pluies
s'engouffrent et dont la verdure résiste à la saison sèche;
LE SOUDJLX ET L£ RAWARA 257
l'arbre à beurre, le baobab, espèces soudanîeQDes, sont
les arbres les plus commuus.
Le Haoussa et le Bomou ont une population assez
dense, dont le mouvement déjà ancien du commerce
et les g'uerres continuelles ont métissé tous les éléments :
des nègres Kanouris sont les cultivateurs, en force sur-
tout dans le Bomou, hommes musclés et trapus ; quel-
ques tribus, réfugiées dans les îles du Tchad et le delta
du Chari, seraient encore très sanvag^es, païennes et
réfractaîres à l'islam que les Foulas leur apportaient vio-
lemment ; ce sont d'ailleurs les seuls agriculteurs qui
résistent au climat paludéen des bords méridionaux du
Tchad ; des Kanouris, plus instruits, sont coupés au-
tour de Kano en villag-es industriels; quelques-uns tra-
vaillent les métaux, tissent et teignent les étoffes et
fabriquent des poteries si réputées que l'on en expédie
des charges, par caravanes, jusque dans le sud maro-
cain ; d'autres cultivent le manioc, le riz, le coton, quel-
ques lég'umes.
Les Foulas sont des demi-nomades venus du nord-
est, branche probablement détachée du tronc sémitique ;
ils se distinguent par leur intelligence et leur aptitude
à rélevage ; pasteurs de chameaux à lalimitedu désert,
ils élèvent des bœufs et des chevaux dans le Bornou et
le Sokoto. Avec eux peut-être sont venus de l'Afrique
méditerranéenne des traitants armés, qui se sont fixés
dans le pays, y ont fait souche, et sont devenus souvent,
comme dans le Kanem, les chefs politiques. Mizon a
trouvé auprès du sultan d* Yola des négociants de Tunis
et d'Alexandrie.
258 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE
Les Haoussas,dont il est difficilede préciser rorigine,
tant ils paraissent rassembler de traits divers, sont des
marchands dont le domaine commercial s'étend des li-
mites du Sahara au littoral de la Guinée ; ils ont des
colonies sur le bas Niger et jusqu'à Kong- ; ce sont des
nègres de petite taille, alertes, actifs et qui ont adopté
la religion musulmane des Foulas ; peu attachés au sol,
aventureux, ils s'engagent volontiers sous des officiers
européens pour des expéditions de guerre ; les colonies
anglaises de la côte de Guinée recrutent leurs soldats
parmi les Haoussas : les géants ouolofs et sérères de
nos régiments sénégalais affectent de mépriser ces ti-
railleurs qui ne leur vont pas à L'épaule, mais n'en mon-
trent pas moins delà bravoure et même de la discipline.
Le Bornou occupe les rives méridionales du Tchad,
et de là remonte vers l'Adamaoua par des terrasses sur-
montées de soulèvements volcaniques (monts Mendifs,
monts Holmas, 2000 m.). Nachtigal nous décrit comme
une grande ville Kouka, la capitale ; il y aurait 50.000
habitants fixes, c'est-à-dire que Koukd serait une des
premières agglomérations urbaines de l'Afrique nègre;
on y observe la transition entre les huttes en chaume,
qui sont les habitations des noirs du centre africain, et
les maisons d'argile, à toits plats qui sont celles des
Arabes. Kouka fut jadis un grand marché ; Barth y vit
circuler les monnaies les plus disparates, des écus d'ar-
gent à l'effigie de Marie-Thérèse et des coquillages
(cauris) ; on y échangeait contre du sel et des armes,
importations du Sahara et de la Tripolitaine, de l'ivoire
et des esclaves ; les troubles qui ont suivi l'entrée de
LE SOUDAN ET LE SAHARA 259
Rabah dans le Bornou, la difficulté toujours croissante
de la vente des esclaves ont fait perdre à Kouka beau-
coup de sa valeur comme entrepôt d'un trafic transsa-
harien.
Rabah s'était établi au Bornou vers 1893, et depuis
lors jusqu'en 1899, Dikoa, au sud du Tchad, fut sa ré-
sidence ; il vivait là en pays peuplé de Kanouris qui
cultivaient le coton et Tindig-o, et savaient en fabriquer
des étoffes teintes ; à Dikoa, Rabah serait entré en rela-
tions par la Bénoué avec les autorités anglaises du bas
Nig'er ; il recevaitdifficilement par les voies sahariennes
les armes nécessaires au maintien de son autorité ; des
journaux anglais parlèrent alors d'une alliance à con-
clure avec ce chef brigand, afin de le détourner du So-
koto, réservé à l'influence anglaise, fût-ce sur les ré-
gions d'influence allemande ou française. Ces sugges-
tiens ne furent pas écoutées, et l'on sait que Rabah,
vaincu par les missions françaises du Congo, tué dans
sa dernière rencontre avec la mission Gentil, vient enfin
de terminer son aventureuse carrière.
Le Bornou se reconstitue sans doute tel qu'il était
avant la conquête de Rabah, état musulman policé, avec
une armée régulière de fantassins, de cavaliers cuiras-
sés et môme de quelques pièces d'artillerie : les Euro-
péens qui voudraient le soumettre pourraient donc ren-
contrer quelque résistance, à moins de préparer l'ac-
tion militaire par une habile diplomatie. Kouka est
dévolue à l'Angleterre, Dikoa à l'Allemagne. Les com-
munications les plus rapides de Bornou avec la côte
doivent tourner le Tchad, emprunter au terri tpire aile-
260 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
mand et français la voie du Logone et se souder enfin
à la route de la Bénoué, qui est anglaise ; une ligne di-
recte de Kouka sur Yola devrait franchir plusieurs ali-
gnements de hautes montagnes et serait fort dispen-
dieuse.
Le Sokoto est au carrefour des routes du Sahara et
du Soudan; il a de grandes villes, ou plutôt dévastes
enceintes, englobant des villages et des cultures, Kano,
Katsena, Sokoto ; Barth fut frappé de Tindustrieuse ac^
tivité de Kano ; mais ce marché manque de voies d'ac-
cès naturelles, et ne peut dès lors devenir un centre de
commerce européen. lien est autrement de Sokoto, dont
la rivière, affluente du Niger, est navigable pendant les
crues au moins depuis Argoungou ; aussi les Anglais,
dans le traité de 1898, ont-il tenu à posséder Gomba^
au confluent de cette rivière, rejetant la frontière fran-
çaise sur le Niger en amont, jusqu'à un point d'où la
pénétration à l'est ne sera jamais qu'artificielle. Si,
comme on l'induit des industries indigènes, il existe
dans les collines au sud de Sokoto des mines exploita-
bles de fer et d'étain, ce coin du Haoussa deviendra l'un
des plus riches de l'Afrique ; sur les bords de la rivière
de Sokoto, sur les rives et dans les îles du Niger habite
une population dense, où l'on trouverait la main-d'œu-
vre nécessaire ; les éleveurs de chevaux du Gando et
du Borgou, pays aux mamelons verts et bien arrosés,
fourniraient les bêtes de somme.
Mais le Sokoto n'est pas encore approprié par les
Européens ; il s'est fermé aux tentatives aussi bien an-
glaises que françaises, et l'on se demande s'il ne faudra
LE SOUDAN ET LE SAHARA 261
pas l'ouvrir par la force : il aurait une armée nombreuse ;
où l'on compte 30,000 cavaliers ; sans doute, sa souve-
raineté n'est plus eflfective aujourd'hui, surtout depuis
le passage de Rabah, sur le Bornou et l'Adamaoua ;
mais sa puissance militaire n'en paraît pas moins redou -
table. Au colonel Lug-ard, qui gouverne les territoires
anglais, récemment réorganisés, du bas Niger, d'en
hâter lasoumission(i). Quant à la France, qui possède
du Niger au Tchad la bande des steppes subsahariennes,
exposées aux pillages des Touaregs, elle ne peut que
s'établir fortement dans les oasis principales, celles de
Zinder, par exemple, et prévenir ainsi toute attaque de
SCS possessions, du nord comme du sud.
Les rapides du Niger, entre Boussaetle confluent de
la Bénoué ont décidé les autorités anglaises à étudier
un chemin de fer de Lagos au Sokoto, qui franchirait
le Niger à Rabba ; les 60 premiers kilomètres en sont
actuellement construits, jusqu'à la station d'Abéokouta;
i^ télégraphe précède le chemin de fer. Nous parle-
rons dans le chapitre suivant de la voie ferrée projetée
à travers le Dahomey français ; quant au tracé d'un
transsaharien qui descendrait sur Zinder par la route de
la mission Foureau-Lamy, nous croyons, jusqu'à plus
ample informé, qu'il vaudrait mieux lui substituer une
ligne Say-Zinder-Tchad qui serait bien, elle aussi,
transsaharienne, et qui aurait l'avantage de rattacher à
nos possessions de l'Afrique occidentale tout ce que les
traités nous ont laissé à l'est du Niger.
(i) Les Anglais viendraient d'occuper les plateaux de
Saria (août 1900).
L'Afrique. 15.
264 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
de TAfrique, les bienfaisants phénomènes de la crue du
Nil. Entre Ség'ou et Koriumé, port de Tombouctou, la
pente du Nig'er est insensible, 20 mètres sur 600 kilo-
mètres environ; les pluies d'été qui tombent sur le
Fouta-Djalon grossissent le fleuve qui, en septembre,
monte de 5 ou 6 mètres devant Bammakou ; en aval,
les eaux se dispersent et s'écrasent ; des chapelets de
marigots deviennent des bras actifs et de vastes maré-
cages se tendent sur les deux rives ; le lac Faguibine,
au nord-ouest de Tombouctou, est alors atteint par le
Niger, mais le cours du fleuve est si lent que cette crue
n'a lieu qu'en janvier seulement.
Le lac Débo est formé par le double apport du Niger
et de son affluent de gauche, le Bani ou Mayel-Balevelf
il repose sur la marche supérieure d'une sorte d'escalier
lacustre, comme le lac Faguibine ; c'est que là les eaux
du fleuve ont dû s'amasser longtemps contre la falaise
saharienne, avant de s'ouvrir vers l'est une issue qui
a drainé un grand lac ancien et l'a réparti d'après la
division actuelle. La pente trop faible de la plaine n'a
pas permis le dessin d'une vallée nettement tracée ; aussi
la navigation sur ce bief du Niger est-elle toujours in-,
certaine; le fleuve n'a donc pas la stabilité d'une voie de
communication définitive ; jusqu'à ce que des travaux
aient régularisé son cours, la batellerie sera sans cesse
exposée à des caprices qui en entraveront le progrès.
Cet inconvénient est compensé par la fertilité de la
zone inondée : les indigènes avaient grand soin de ca-
cher aux voyageurs étrangers la source de leurs ri-
chesses : René Caillié, Barth, Lenz, ont ainsi passé très
LE SOUDAN ET LE SAHARA 265
près des lacs de Tombouctou sans même en entendre
parler ; Texistence en fut pour la première fois soup-
çonnée par des officiers de la province d'Oran sur des
renseignements apportés du sud par des caravanes ;
mais c'est seulement depuis l'occupation française qu'ont
été vérifiées ces informations. La présence de nos trou-
pes a été favorablement accueillie par les cultivateurs
indig'ènes : ici comme en Ëg'jpte, comme dans les oasis
du sud algérien, les populations sédentaires avaient été
asservies par des nomades qui les obligeaient à cultiver ;
nos soldats ont affranchi les noirs de Tombouctou de
la tutelle brutale des Touaregs, comme Bonaparte déli-
vra les Fellas de celle des Mamelouks.
La région d'inondation de Tombouctou est l'entre-
pôt naturel de ravitaillement de toute la partie saha-
rienne de l'Afrique occidentale ; les indigènes y cul-
tivent le mil et les arachides ; sur les terres couvertes
par les eaux, le poisson se répand en telles quantités
que ce sol, comme celui de la Cochinchine et du haut
Zambèze, a deux récoltes par an, l'une de poisson et
l'autre de riz ; sur les terres ordinairement émergées
paissent des troupeaux de moutons et de bœufs à bosse ;
ce sont là, presque sans travail, des éléments qui suf-
fisent à Talimentation des riverains et même de leurs
maîtres nomades. Une agriculture plus méthodique
introduira autour de Tombouctou des plantes nou-
velles. Je blé, le coton, l'indigo, peut-êtrie, comme dans
le delta du Nil, la canne à sucre. On doit souhaiter
prochain le jour où l'un des principaux services publics
du Soudan français sera celui des irrigations du Niger.
266 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
Les premiers essais de cultures coloniales autour de
Tombouctou sont encourageants et quant au blé, en
particulier, laissent espérer que ces pays deviendront
l'un des greniers de l'Afrique occidentale pour les rési-
dents européens, très sensibles à la privation du pain
blanc.
Leur richesse en a fait, dès longtemps, l'emplace-
ment d'un marché d'échanges, et parla s'explique l'an-
cienne fortune de Tombouctou. Cette ville, bâtie sur
un promontoire de la falaise saharienne, à 245 mètres
d'altitude, n'a de communications fluviales avec le
Niger que pendant les crues ; la population en était éva-
luée par Barth à 13.000 habitants (1853), et Lenz allait
même jusqu'à 20.000(1880). Les documents, beaucoup
plus précis depuis l'occupation française, sont unani-
mes pour réduire très notablement ces chiffres ; Tom-
bouctou n'a pas plus de 6.000 habitants fixes aujour-
d'hui ; elle connut certainement des jours de pros-
périté plus grande, mais les guerres perpétuelles, les
pillages des Touaregs et plus récemment la crise éco-
nomique déterminée par la conquête française ont
diminué la valeur de son marché ; il nous appartient
d'en refaire, par la paix, ce qu'il fut jadis et même
beaucoup mieux.
Ville d'aspect arabe, avec ses maisons à terrasses
plates et ses mosquées, Tombouctou n'est plus dans le
Soudan, mais plutôt dans le sud algérien ; plie est
l'étape nécessaire entre le Soudan et le Sahara : des
caravanes et des bateliers, ceux-ci sur de grandes piro-
gues de 100 tonnes, lui apportent du sud l'or, le beurre
LE SOUDAN ET LE SAHARA 267
de karité, la kola, les grains du haut Macîna, quelques
objets tissés de Kongc ; du nord, arrivent sur des cha-
meaux le sel de Tichit et Taoudénit ainsi que des
étofiPes, anglaises et allemandes, débarquées à Moga-
dor. Nourris par les cultivateurs nègres du pays à inon-
dations, enrichis par la commission sur d'aussi nom-
breuses et diverses marchandises, les négociants de
Tombouctou vivaient confortablement, leurs besoins
étaient ceux des Arabes riches, et leur ville s'était éle-
vée jusqu'à l'industrie : Tombouctou travaille encore
le coton et les cuirs, fabrique des bijoux, des armes,
de la poterie ; elle a dû sans doute à ses ouvriers la
réputation de cité luxueuse dont elle jouissait dans
tout le monde de l'islam.
Les plateaux autour de Tombouctou participent de
l'aridité saharienne au nord et de la végétation souda-
nienne au sud ; ils sont peu accidentés et portent, dans
les endroits les moins secs, des champs de mil, partout
ailleurs des gommiers et de maigres pâturages; sur
les premières pentes qui montent vers le Mossi, des
Peuls élèvent le cheval, tandis que, plus près de Tom-
bouctou, le chameau résiste seul au climat; les che-
vaux du Yatcnga sont connus dans tout le Soudan, ils
étaient jadis très recherchés des chefs indigènes comme
Tiéba et Samory. De même que le Yatenga, le Liptako,
qui s'incline vers le Niger au nord-est du Mossi, élève
des chevaux et des ânes ; mais le sol n'est pas encore
assez arrosé pour d'autres espèces domestiques : Mon-
teil dut remplacer par des ânes tous les bœufs qu'il
avait amenés de l'ouest.
268 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
Pendant 400 kilomètres, le Niger longe, au-dessous
de Tombouctou, la falaise saharienne ; il a 2 à 3 kilo-
mètres de large, mais peu de profondeur; il se traîne
entre des rives sèches, vite saisies par le régime déser-
tique, et n'entretient de verdure que dans les îles dont
il est coupé ; le lieutenant de vaisseau Hourst est, depuis
Barth, le seul Européen qui ait encore étudié cette par-
tie du cours du Niger, mais ses études sont assez pré-
cises et complètes pour que l'on puisse affirmer le peu
d'intérêt de la navigation, entre Tombouctou et les
rapides d'Ansongo ; il n'y a là que des campements
plutôt que des villes, telRhergo qui tenta vainement de
remplacer Tombouctou après la conquête française.
La population des deux rives est mêlée d'indigènes
sonrhaïs et de Touaregs ; ceux-ci sont assurément
supérieurs, guerriers, monogames, assez instruits ; ils
ont abattu un empire sonrhaï qui s'étendit sur tout le
moyen Niger ; les nègres, vaincus et asservis, cultivent
pour eux les îles du fleuve ou paissent des troupeaux
de bœufs et de moutons sur les rives fréquemment
inondées, qui font de la vallée du Niger une oasis dé-
ployée dans le désert. M. Hourst avait réussi à se con-
cilier l'amitié de Madidou, chef des Touaregs Aouellimi-
dens (mars 1896) ; il lui avait fait présent d'un collier
de pièces d'argent pour sa femme, et pour lui-même
d'une selle et d'un portrait du « sultan des Français »,
M. Félix Faure ! Ces libéralités, de même que le souve-
nir de Barth, dont Hourst se disait le neveu, permirent
à la petite expédition (elle ne comptait que cinq blancs)
de descendre sans encombre le moyen Niger. Mais dç-
r
LE SOUDAN ET LE SAHARA 2G9
puis, les Touaregs de Madidon se sont montrés moins
dociles et, comme ils disposent d'un nombre considé-
rable de guerriers, 90.000 à 25.000 d'après M. Hourst
lui-même, il serait imprudent de s'aventarer parmi
eux loin d'une base solide d'opérations. Pour les
Aouellimidens comme pour les autres groupes toua-
reg's, il faudrait procéder par une occupation couver-
g-ente, à la fois du nord et du sud, de toutes les oasis
du Sahara.
La rive droite du moyen Niger se relève au sud vers
le Mossi qui est l'étage dominant des plateaux de la
boucle, en même temps que le centre hydrographique
d'où naissent les tributaires de la Volta. Jusqu'au
Bagoé, l'aspect général est assez uniforme ; à l'ouest
de cette rivière, le reliefplus accidenté annonce le Fouta-
Djalon. Les plateaux descendent vers la côte de Guinée
en trois marches principales ; le Mossi, qui occupe la
plus haute, se maintient à 800 mètres d'altitude ; au-
dessous, le Sikasso, le Gourounsi, le Gourma en ont
400 à 500 ; plus bas se développent les savanes de
Kong, du Gondja, de l'arrière Dahomey (300 à 400m.),
celles-ci se liant aux mamelons du Borgou et du Soko-
to ; sur la côte enfin, les plaines littorales mettent leur
frange de forêts, de largeur variable, au bord des der-
nières terrasses du Soudan.
Sur ces divers étages s'enlèvent des chaînes orientées
du nord-est au sud-ouest, composées de grès et de
granit et dont l'escarpement le plus raid e est uniformé-
ment tourné au sud : une première ligne commence
270 l'aFRIQUE a l'entrée du vingtième SIECLE
près de Sikasso ; elle atteint, sous le nom de monts
Naouris, une altitude de 1800 mètres et vient embar-
rasser le Nig-er qui la traverse par les rapides d'An-
songo ; plus au nord, des ressauts secondaires comme
les monts Homboris (1000 mètres) en sont une re-
production réduite. Les montagnes de Bondoukou
(700 à 800 mètres) courbent à Test la Volta noire et
l'amènent à rejoindre la Volta blanche auprès de
Salaga. Au sud enfin, lés rochers du cap des Trois
Pointes sur la Gôte-d'Or anglaise sont l'amorce d'une
troisième série appelée monts Akouapens (500-600 m.),
qui couvre le pays des Achantis, traverse le Togo alle-
mand et vient s'efiPacer dans l'hinterland du Dahomey
et de Lagos, où ses derniers ressauts contribuent à cou-
per le Niger de rapides entre Boussa et Lokodja.
Le régime général est celui des pluies d'été, tombant
de juillet à novembre, et naturellement plus intenses
autour des montagnes dominantes : ainsi la Voltanoire,
le Gomoé, plusieurs affluents du Mayel-Balevel ont des
sources voisines autour des hauteurs de Sikasso. Quand
on descend vers le sud, on remarque une accalmie des
pluies pendant le mois d'août, puis aussi celui de juil-
let ; le début de la saison pluvieuse est alors reporté au
printemps, et quand on atteint la côte de Guinée, on
note une succession annuelle de quatre saisons, tour à
tour sèches et pluvieuses, ainsi que nous l'avons in-
diqué dans un chapitre précédent.
Le Mossi est aujourd'hui bien connu ; la mission
Voulet-Ghanoinc (1896-1897) y établit définitivement la
souveraineté française ; il avait été traversé auparavant
r
LE SOUDAN. ET LE SAHARA 274
par Binger, Monteil et le docteur Crozat ; on en évalue
l'étendue à 100.000 kilomètres carrés, et la population,
d'après Voulet, à 4 millions d'habitants ; ce chifiFre pa-
raît trop élevé ; leMossi est cependant, à n'en pas dou-
ter, une des régions les plus peuplées de l'Afrique
occidentale. Touchant au nord aux prairies du Macina
et aux territoires de parcours des Touaregs, le Mossi a
reçu de ce côté des apports ethniques qui ont modifié les
races indigènes ; dans l'est, plus accidenté et plus régu-
lièrement arrosé que l'ouest, des colonies de Peuls
élèvent le bœuf et le mouton. Les naturels sont surtout
agriculteurs ; ils cultivent le maïs, le tabac, le coton et
d'autres plantes textiles, les récoltes ont lieu en décem-
bre, au commencement de la saison sèche ; les plus in-
dustrieux fabriquent des étoiffes pour usages locaux ;
ces indigènes sont apparentés aux Mandingues du haut
Niger, et restent pour la plupart fétichistes, malgré la
propagande musulmane des marchands de Tombouctou
et du Haoussa.
Le Mossi était parvenu, lorsque la France en prit
possession, à une civilisation comparable à celle du So-
koto : une hiérarchie de nabas ou chefs de villages avait
étendu sa domination sur tous les indigènes ; ces petits
souverains relevaient du naba d'Ouagadougou, mais
la guerre entre eux était chronique ; ils étaient venus
des pays sonrhaïs, chassés sans doute par les incursions
des Touaregs, mais gardant de la lutte contre les en-
vahisseurs une certaine vigueur qu'ils déployèrent
contre les populations plus pacifiques du Mossi ; auprès
d'eux résidaient des marchands musulmans, conseillers
272 L 'AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE
et fournisseurs tout ensemble, et dontrinfluence s'exerça
contre nous jusqu'à l'occupation d'Ouag'adougou. Les
nabas ne sont plus maintenant entre nos mains quedes
intermédiaires sans pouvoir propre ; les traitants se
sont ralliés à nous car, si les razzias d'antan ne sont
plus possibles, ils savent se décider aux transactions
plus régulières que développe la pacification.
Au sud du Mossi, la végétation arbustive est plus
ordinaire ; d'après le capitaine Quiquandon, qui futré-
sident de France à Sikasso, capitale deTiéba, cette ville
s'élève à 485 mètres, dans un pays fertile ; les céréales
et le coton y sont cultivés, ainsi que le bananier que l'on
ne rencontre pas plus au nord. Le bétail indigène est
nombreux, et l'on trouve parmi les habitants d'excel-
lents forgerons. Sikasso, avec 10.000 habitants environ,
est un marché où l'on échange le sel du nord contre les
marchandises européennes qui arrivent par le Sénégal
et par la côte du sud. Le régime politique institué par
Tiéba reposait, comme au Mossi,sur l'alliance de ce chef
avec les marchands musulmans, aux dépens d'indigè-
nes artisans et cultivateurs ; inquiets d'abord du voisi-
nage de Samory, ces traitants ou dioulas firent d'abord
solliciter par Tiéba la protection française; mais quand
Samory se fut éloigné au sud-ouest, ils poussèrent
Bemba, frère et successeur de Tiéba, à secouer cette tu-
telle; une expédition assez pénible, un assaut meurtrier
de Sikasso furent nécessaires pour vaincre ces résistan-
ces (avril-mai 4898).
D'un relief plus varié que le Sikasso, le Gourounsi
reçoit aussi des pluies plus abondantes ; au lieu des
r
LE SOUDAN ET LE SAHARA 273
cultures du pays de Tiéba, c'est une brousse sur un chaos
de chaînons granitiques, qui enserrent des vallées pro-
fondes et marécageuses, avec des forêts et des éléphants ;
la Volta blanche le traverse par un couloir encaissé.
La population en est farouche ; les routes de commerce
des dioulas évitent les rivières pour circuler sur les faî-
tes intermédiaires, plus découverts et moins fiévreux.
Le Gourounsiest aujourd'hui partagé entre notre Afri-
que occidentale et la Gôte-d'Or anglaise.
Le Gourma couvre Thinterland du Togo allemand et
du Dahomey français, entre lesquels il a été divisé ; il
est moins sauvage que le Gourounsi, et descend par des
étages de prairies vers le Niger de Say ; la pluralité des
races qui l'habitent est peut-être exprimée par ce fait
singulier que plusieurs autorités locales commandent
ensemble dans la même agglomération, à Noungou
(ou Fada n'Gourma), à Sansanné-Mango. Les Peuls
sont de plus en plus nombreux vers le Niger et là,
comme partout, s'adonnent de préférence à l'élevage ;
ce sont à peu près les conditions du Sokoto, sauf que
l'islam n'a pas eu le temps, de ce côté du Niger, de fon-
der des états aussi bien constitués que dans l'est.
L'étage inférieur des plateaux présente tour à tour
une savane plate, de végétation pauvre, coupée de nap-
pes ferrugineuses et de vallées profondes, et des ma-
melons mieux arrosés sur lesquels se pressent les cul-
tures et les populations. Le pays de KcKig n'a que des eaux
rares, il est exposé à de fortes chaleurs, surtout avant
le commencement des pluies (avril) ; il est traversé par
des coupures à bords abrupts dans lesquelles coulent
274 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
le Gomoé et le Bandama ; les alluvions aurifères j sont
nombreuses, mais le manque d*eau en fendrait l'exploi-
tation difficile. La poudre d'or est une monnaie ordi-
naire des indigènes qui n'en connaissent pas la valeur,
puisqu'ils se servent aussi couramment de cauris.
Lorsque M. Bing-er traversa Kong-, en 1888, il j vit
un important marché d'objets indig'ènes et même euro-
péens, ces derniers arrivant de la côte ; Kong" avait
alors 12.000 à 15.000 habitants, fabriquait des tissus de
coton, des étoffes teintes, de la ferronnerie, de la van-
nerie, cette dernière industrie étantconfiée aux femmes;
des cultures épuisantes avaient appauvri le sol des en-
virons, mais l'aisance paraissait encore générale... Le
passage des sofas de Samorj anéantit cette prospérité ;
lorsque, en 1898, nos troupes réoccupèrent Kong, elles
trouvèrent une population décimée, des champs partout
en friche, toute une œuvre à refaire.
En avançant de Kong vers la Volta le pays devient
plus forestier et plus marécageux ; c'est le Gondja, qui
correspond au Gourounsi et aux montagnes de Bon-
doukou ; là, l'or est particulièrement abondant ; les in-
digènes sont tous munis d'une petite balance pour peser
la poudre et d'un aimant pour en extraire les parcelles
de fer ; mais l'argent monnayé paraît pour eux de plus
de valeur qu'un même poids d'or. Bondoukou a été
laissé à la France, et l'on peut croire qu'il serait inté-
ressant d'étudier une région où l'or est si commun,
mais si l'eau n'y manque pas pour l'exploitation, comme
à Kong ; le Gondja est aussi insalubre que la côte, dont
il annonce la nature équatoriale ; le séjour des Euro-
LE SOUDAN ET LE SAHARA 275
péens y serait très pénible, fût-ce pour dirig-er des tra-
vaux miniers sans y participer eux-mêmes.
Dans Tarrière Tog^o, au contraire, et surtout dans
l'arrière Dahomey, les collines sont mieux aérées, lacir-
culation des eaux plus régulière, donc la salubrité meil-
leure ; Abomey,qui n'est guère qu'à cent kilomètres de
la mer, est 3ituée à 325 mètres d'altitude, entourée de
belles avenues d'arbres et de champs cultivés ; les cruau-
tés de l'ancienne monarchie de Behanzin n'excluaient
pas une certaine civilisation et, dans l'énergie môme de
la résistance qui fut opposée à nos troupes, on saisit
une preuve des qualités réelles des indigènes dahoméens;
leurs cultures sont soignées, leurs cases propres ; ils
s'habillent plus complètement que la plupart des nègres;
de plus comme le rideau de la forêt littorale est ici très
peu épais, le Dahomey apparaît comme une des parties
de la côte qu'il est le plus aisé de relier rapidement à
son hinterland. Au nord, vers le Niger, les savanes pas-
torales succèdent aux terrasses plus arrosées où seront
possibles les cultures coloniales ; la population indigène
des Mahis, qui se compose de bons agriculteurs, fait
place à des Peuls, dont les fermes palissadées rappel-
lent celles de l' Adamaoua et du Fouta-Dj alon . L'islam est
propagé par les marchands haoussas, et aussi par des
cavaliers baribas, pirates plutôt que caravaniers, qui
ont été les derniers adversaires de l'action française.
L'ensemble des plateaux de la boucle du Niger ren-
ferme donc en abondance des produits riches, comme
la kola, le beurre de karité, le coton, etc.. sans parler
de races d'animaux domestiques, comme les bœufs du
^76 l'afRIQUE a L^ENTHÉE Dt7 VINGTIÈME SIECLE
Mossi et les chevaux du Yatenga et du Borgou. Mais
cette région a été profondément troublée, presque sous
les yeux des conquérants européens, par des envahis-
seurs musulmans: Faidherbe dut lutter contre ËlHadj
Omar, puis les successeurs de Faidherbe contre Ahma-
dou, Tun des fils de ce prophète ; sur le haut Niger,
Samory vécut plusieurs années de pillage, bernant la
confiante naïveté qui nous le faisait accepter pour un
souverain civilisé ; ailleurs, c'étaient les cavaliers bari-
bas du pays Mahi, ou les Zabermabés, vaincus par Cha-
noine avec Taide des indigènes du Gourounsi. Nous
avons donc surpris le Soudan en pleine crise, avant que
l'islam, qui l'attaquait de toutes parts, eût le loisir d'y
fonder solidement les états qu'il ébauchait à peine. On
doit tenir grand compte de ce fait, si Ton veut compren-
dre les causes de sa médiocre valeur actuelle et les con-
ditions de sa régénération pour l'avenir.
Dans l'insécurité générale de cette conquête en mar-
che, les transactions commerciales avaient été réduites,
presque partout, à des échanges locaux ; les caravanes
de dioulas n'osaient plus s'aventurer du Bagoé jusqu'à
Kong, lorsque les sofas de Samory tenaient cette place ;
il n'y avait donc plus, lors de l'arrivée des Européens,
de grands courants commerciaux : quelques charges de
kola, du sud au nord, quelques sacs de sel, en sens in-
verse, et c'était tout. Kong, dévastée par Samory, n'en-
voyait plus sur le moyen Niger ses tissus teints. Par con-
tre, dès l'occupation française du Macina,des bestiaux et
des grains descendirent par caravanes ou par piro-
gues sur Tombouctou ; cette ville reçut même bien-
LE SOUDAN ET LE SAUAHA ill
tôt des convois de bœufs amenés du Fouta-Djalon.
Quant aux relations entre la côte de Guinée et l'inté-
rieur, on peut dire qu'elles n'existaient pas : la forêt
dressait sur toutes les routes possibles son obstacle de-
vant les dioulas indigènes ; elle était peuplée d'habi-
tants sauvages, anthropophages, hostiles aux musul-
mans du Soudan comme aux Européens du littoral ; les
TTiarchands haoussas devaient déposer leurs marchan-
dises sur la lisière de la forêt, dans les ports extrêmes
du Soudan ; de là les naturels des bois les emportaient
dans leurs clairières. Si, parmi les populations côtières,
quelques-unes paraissaient plus avancées, c'étaient des
tribus féroces, les Achantis et les Dahoméens ; ainsi la
zone d'action des ports européens de Guinée n'était-elle
qu'une mince bande côtière : seule Accra recevait par
plusieurs séries d'intermédiaires une petite quantité de
poudre d'or, originaire du Gondja.
Lorsque M. Binger, après son mémorable voyage du
Sénégal à la Côte d'Ivoire, était gouverneur de cette der-
nière colonie, il essaya bien de nouer des communica-
tions avec l'intérieur : le lieutenant Braulot (qui devait
plus tard mourir victime d'une perfidie de Samory)
était bien accueilli par les chefs musulmans de l'inté-
rieur ; en même temps, le capitaine Marchand poussait
jusqu'à Kong, à travers le large couloir de plaine du
Baoulé ; par ses soins, des groupes de dioulas étaient
prêts à descendre à la côte par cette voie toute nouvelle
pour eux ; quelques-uns s'étaient aventurés déjà, tous
les chefs des stations intermédiaires, catéchisés par
Marchand, leur assuraient libre passage, et le capitaine
L'Afrique. 16
r
-9^^vr
278 L*AFRIQUE A L*ENTRÉB DtJ VINGTIEME SIECLE
croyait dès lors avoir ouvert la mer au Soudan (1893-
94)... Vain espoir: Samorj, rejeté par nos colonnes,
refluait à Test, il arrivait au Baoulé, saccageait le
pays de Kong* et la forêt refermait derrière la côte d*I-
voire sa barrière un instant écartée. A peine commence-
t-on aujourd'hui, Samory vaincu enfin, à relever ces
ruines.
On peut donc dire que les pays de la boucle du Ni-
ger, à la fin du xix® siècle, ne sont encore atteints di-
rectement par aucune voie de pénétration européenne,
mais les partages politiques entre les puissances colo-
niales sont enfin terminés ; les derniers dissidents in-
digènes sont réduits, à l'exception des Achantis que des
violences maladroites ont encore soulevés cette année
même (1900) contre les autorités anglaises de la Côte-
d'Or. Cette insurrection n'étant d'ailleurs qu'un incident
tout local et que l'on doit souhaiter promptement clos,
le moment est venu d'organiser les communications
extérieures de tout l 'arrière-pays ; on s'en occupe acti-
vement, chez nous surtout, car les conventions ont ré-
servé la plus grande partie de ce domaine à la France,
dont les territoires entièrement occupés aujourd'hui ne
laissent à l'Allemagne et à l'Angleterre que l'enclave
littorale du Togo et de la Côte-d'Or.
Gomment ouvrir ces régions à l'Europe et quelles en
sont les parties qu'il convient d'atteindre les pre-
mières ?
Les bords du Niger ne présentent d'intérêt qu'en
amont de Tombouctou ; là notre œuvre doit être d'abord
LE SOUDAN ET LE SAHARA 279
politique, car les cultivateurs indigènes, forcés de céder
aux nomades armés la meilleure partie de leurs ré-
coltes, mènent une vie misérable au milieu de leurs
riches moissons ; une occupation vigilante et prolongée,
garantissant à chacun les produits de son travail, est
donc la condition primordiale d'un progrès économi-
que, d'ailleurs assuré. Mais les communications par
le Niger sont précaires au-dessous de Ségou et de San-
sanding ; le cours navigable est incertain ; le combus-
tible manque pour les chaudières : les arbres se font
de plus en plus rares sur les dunes, percées de cou-
poles de granit, qui portent quelques villages de pê-
cheurs indigènes, à l'abri des inondations. En 1887,
le lieutenant de vaisseau Gàron atteignit à grand peine
Koriumé, port de Tombouctou ; à son retour, il fut
assailli dans le lac Débo par une tornade dangereuse, et
l'accès des rives, marécageuses, infestées de nuées de
moustiques, lui parut très difficile. On pourra cepen-
dant, selon toute vraisemblance, utiliser régulièrement
le Niger jusqu'à Tombouctou pour des transports par
chalands plats, remorqués par des chaloupes à faible
tirant d'eau et dont l'un servirait de tender d'approvi-
sionnement pour la machine.
La région vraiment fertile du Soudan français est la
zone centrale, celle des plateaux ondulés où les cul-
tures coloniales seront tentées avec succès, celle où
réapparaissent, au sud des steppes à pâturages insta-
bles, les pluies régulières et les groupes plus denses
et plus fixes de population ; le haut Niger, les anciens
Romaines de Çainory se rattachant naturellement aux
280 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
voies d'évacuation du Sénégal et de la Guinée fran-
çaise, il en sera question dans le chapitre suivant;
comment le Mossi et le Kong, le Sikasso, le Gourma,
pour ne parler que des territoires français, ressortiront-
ils à la côte méridionale et aux routes de l'ouest, voilà
ce que nous devons étudier ici.
Par l'hydrographie, ces pays appartiennent au ver-
sant du golfe de Guinée, mais aucune communication
ne les y relie, tandis que, bien au contraire, divers
obstacles les en séparent : les fleuves ne sont naviga-
bles que sur des biefs très courts, et les vallées s'oppo-
sent aux relations, plutôt qu'elles ne les favorisent : en
été, les cours d'eau sont assez grossis par les pluies
pour que les pirogues franchissent les rapides ; mais
en cette même saison, des marais sans profondeur se
forment sur les marches du plateau, le chenal s'y dé-
place et les embarcations risquent à tout instant de
s'échouer ; aussi les sentiers indigènes courent-ils,
sans distinction de saison, sur les parties émergées ;
c'est sur leurs traces que, renonçant résolument à l'em-
ploi des voies fluviales, on est aujourd'hui décidé à
lancer des chemins de fer. Même la route Bandama-
Bagoé, dont Marchand attendait beaucoup, n'ofifre pas
les ressources qu'il en espérait, et cependant de ce côté
le portage par terre serait réduit au minimum entre les
affluents du Niger et les tributaires du golfe de Gui-
née, mais la navigation du Bagoé par pirogues indi-
gènes ne commence qu'à la hauteur de Sikasso ; elle se
joint à celle du Niger dans le lac Débo.
En attendant que les communications SQÎeat ré^u-
LE SOUDAN ET LE SAHARA 281
Hères du Soudan vers la côte, nos représentants se sont
occupés d'en assurer au moins la circulation inté*
rieure ; un rapport du commandant Destenave signa-
lait qu'en 1898 la pacification des «pays de la boucle»
était complète ; des commerçants indig-ènes venus de
Saint-Louis, de Kayes et de Médine s'établissaient jus -
qu'à Ouagadougou, centre de notre administration ;
des négociants européens visitaient les marchés du
pays, résolus à y fonder des comptoirs. Deux pistes,
munies de gîtes d'étapes, sont maintenant tracées en
croix à travers le Soudan français ; l'une va du lac
Débo à l'arrière-Dahomey, par le Yatenga, le Mossi et
le Gourma (900 kilomètres) ; l'autre suit la corde de
l'arc du Niger, sur 800 kilomètres, entre Mopti et Say
par le Macina méridional et le Liptako ; ces pistes, sim-
plement débroussaillées par des prestataires indigènes,
se prêtent à la circulation d'animaux de bât et de voi-
tures Lefèvre.
Dans tout le Soudan, le développement méthodique
de l'élevage doit fournir au commerce les bêtes de
somme dont il a besoin ; c'est un notable avantage sur
les pays équatoriaux, où le service du portage dé-
tournera nombre d'indigènes de l'agriculture, jusqu'à
ce que des voies de pénétration artificielles aient été
créées. Or la main-d'œuvre des Soudanais est déjà for-
mée pour l'agriculture, les régions de Kong et de
Sikasso sont peuplées de paysans qui produiront volon-
tiers au delà de leurs besoins immédiats dès qu'ils
seront certains de ne pas travailler pour des chefs pil-
lards, comme Bemba ou Samory. Le capitaine Péroz
L'Afrique. 16.
282 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
raconte que celui-ci faisait cultiver par des captifs les
environs de ses résidences, Kankan, Bissandougou et
qu'il existait autour de ces villages des champs d'oran-
gers fort bien entretenus. Le Soudan se trouve donc
placé dans des conditions favorables pour que la « paix
française » y soit rapidement féconde.
Cet essor sera plus vif encore si des portes lui sont
ouvertes sur la mer de Guinée et c'est la France qui doit
le diriger. La colonie allemande du Togo n'a qu'une
frontière littorale très étroite, étranglée entre la Côte-
d'Or anglaise et le Dahomey français ; les rivières for-
mées dans la région montagneuse de Bismarckbourgf
vont à la Volta, dont l'embouchure est anglaise ; un
chemin de fer ne franchirait pas sans de grands frais
cette zone pluvieuse et forestière qui s'abaisse vers le
nord en prairies d'élevage, habitées par des groupes de
pasteurs peuls. Quant à la pénétration anglaise, elle
serait moins contrariée par la nature, puisque l'ouest
de la colonie n'est pas barré par des chaînes de monta-
gnes ; mais l'hostilité des Achantis n'est pas encore
vaincue, et c'est sans doute à cette difficulté qu'il faut
attribuer l'arrêt des travaux du chemin de fer de Segondi
à Coumassie, malgré les subsides récemment votés par
le Parlement. Au début de 1900, une soixantaine de ki-
lomètres étaient construitsjusqu'àTarqua,dans un dis-
trict minier ; les plans de deux autres tronçons étaient
arrêtés au départ d'Accra et d'Apam.
En territoire français, les travaux porteront sur deux
lignes de pénétration, l'une partant de la Côte d'Ivoire,
l'autre du Dahomey; les deux tracés ont été étudiés
r
LE SOUDAN ET LE SAHARA 283
pendant Tannée 1899. Le chemin de fer du Dahomey
doit relier Kotonou au Niger ; il peut être entrépris, si
Ton ne préfère leconfier à des compagnies particulières,*
par la colonie elle-même, dont le budget de 1899 lais-
sait un excédent de 800.000 francs ; il traverse le pays
d'Allada, propre à toutes les cultures tropicales, puis
celui d'Abomey où commencent les collines à produits
plus variés ; il s'enfonce ensuite dans les savanes des
Mahis, dans le Borgou et atteindra le Niger, après un
• parcours d'environ 700 kilomètres, en un point non en-
core déterminé. Les études sont complètes sur les 360
premiers kilomètres, et le coût en est estimé par le com-
mandant Guyon, chef de la mission, à 65.000 francs
par kilomètre ; la main-d'œuvre pour les terrassements
serait obtenue sur place, après entente avec les chefs
indigènes, et cette prévision a permis de proposer un
prix de revient qui paraît bas ; souhaitons qu'il n'y ait
pas de mécomptes sur ce point non plus que sur l'es-
timation très optimiste des recettes immédiates ; il est
clair qu'il faut au plus tôt, môme au prix de sacrifices
temporaires, affranchir les indigènes et les colons agri-
culteurs des servitudes du portage, et ceci n'est possible
que par la construction rapide du chemin de fer.
La ligne de la Côte d'Ivoire a été levée parla mission
du capitaine Houdaille : elle partira d'un port nouveau,
aménagé sur la lagune de Grand Bassam, à l'ouest de
cette ville qui sera probablement évacuée ; elle s'enfon-
cera dans l'intérieur jusqu'à 300 kilomètres environ de
la côte et sera ultérieurement prolongée sur Kong ; de
là, on peut souhaiter qu'une extension nouvelle la con-
284 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
duise jusqu'à Sikasso et au terminus navigable du Ba-
goé. Le prix kilométrique serait de 60.000 à 80.000 fr.;
•
Texploitation de la forêt côtière permettrait certaine-
ment, dès les débuts, un trafic suffisant pour couvrir
les frais d'exploitation. Une observation du lieutenant
Macaire, adjoint au chef de la mission, est particulière-
mont intéressante : c'est celle des chutes de la Gomoé
dont on pourrait emprunter la force hydraulique soit
pour le chemin de fer lui-môme, soit pour des travaux
forestiers. Le seul moyen pratique d'employer ces ri-
vières sauvag'es ne serait-il pas, en effet, de discipliner
leur effort en le communiquant à des machines, ce qui
est maintenant possible même à grande distance ?
A l'ouest, les chemins de fer de Kayes à Koulikoro et
Kouroussa à Konakry relieront le Niger au Sénégal et
à la Guinée française. Une autre voie serait utile pour
assurer la cohésion de tout notre empire de l'Afrique
occidentale : c'est celle qui traverserait d'ouest en est
tout le Soudan, de Sikasso à Say, par exemple, avec
prolongement éventuel parle transsaharien Say-Zinder-
Tchad ; elle prendrait contact avec les voies de la Côte
d'Ivoire et du Dahomey et serait facilement reliée, d'au-
tre part, au réseau du Sénégal ; elle suppléerait à l'in-
suffisance du moyen Niger comme voie navigable;
lorsque le transsaharien venant du nord y serait soudé,
de manière quelconque, le domaine de la France dans
l'Afrique occidentale serait entièrement frayé, capable
d'une plus-value immense, et fortement outillé pour dé-
fier tous ses ennemis.
Le ministère des colonies, par le décret du 17 octobre
r
LE SOUDAN ET LE SÀUaRA 285
1899, dit de dislocation du Soudan, a voulu dès main-
tenant assigner à chacune de nos colonies côtières la
part des régions soudaniennes qu'elle devra desservir
un jour ; il n*a conservé, au nord et à Test, que deux
territoires militaires (1), dont les chefs sont étroitement
soumis au gouverneur général de T Afrique Occidentale.
Ce décret a devancé des réalités souhaitables, mais en-
core contingentes : ni le Dahomey ni surtout la Côte
d'Ivoire ne sont encore les débouchés maritimes de leur
arrière-pays, et la situation ne sera pas diflFérente jus-
qu'à l'achèvement des chemins de fer de pénétration.
Il faut espérer que ceux-ci seront établis sans tarder ;
ouvrant les uns aux autres des pays de productions dif-
férentes, ils seront d'une utilité commerciale et, pour-
rait-on dire, sociale supérieure à celle delà voie Kayes-
Niger et prolongements, le long de laquelle la nature
est peu variée. Mais si Ton a toutes raisons d'en hâter
les travaux, on ne doit pas oublier que ce n'est là, pour
la France, qu'une partie de l'œuvre nécessaire; la for-
mule administrative, unité ou dislocation, importe peu;
le tout est que la multiplicité des intérêts particuliers
ne laisse pas perdre de vue les plans d'ensemble qui
doivent guider le progrès des possessions françaises
de l'Afrique du Nord.
(1) Un troisième territoire militaire vient (juillet 1900)
d'être créé dans les pays à Test du Niger.
CHAPITRE IV
Le Soudan occidental et le Sénégal.
Sous le nom de Soudan occidental, on peut compren-
dre les pays du Haut Nig-er et du Sénégal et la façade
atlantique correspondante, c'est-à-dire la côte africaine
depuis le fleuve Sénégal jusqu'au Cap des Palmes ; la
succession des zones géographiques y est, du nord au
sud, la même que dans la boucle du Niger : le Kaarta
sur la rive droite du Sénégal, le Ferlo sur sa rive gau-
che, le littoral du Cayor jusqu'au Cap Vert appartien-
nent à la nature saharienne ; le Niger et le Sénégal,
dans leurs vallées supérieures, arrosentun pays monta-
gneux et pittoresque, dont l'expression la plus carac-
téristique est le Fouta-Djalon ; la côte enfin, dès
l'embouchure de la Gambie, est exposée aux pluies
équatoriales et tout l'arrière-pays se couvre de forêts,
aussi denses en territoire libérien que dans la colonie
française voisine de la Côte d'Ivoire.
Nous avons dit que le Niger, entre Ségou et Tombouç-
r
LE SOUDAN ET LE SAHARA ^8?
tou, poussait en plein désert une large oasis; on retrou-
vera donc, à Touest de cette plaine lacustre, les eaux
temporaires, la végétation pauvre et la population no-
made des frontières géographiques du Sahara. Le
Kaarta servit de refuge aux Toucouleurs d'Ahmadou
chassés de Ségou. La campagne du colonel Archinard,
qui pacifia non sans peine ce pays inhospitalier fut une
expédition de découverte en môme temps que de guerre;
les steppes du Kaarta ressemblent à celles du sud algé-
rien ; les cours d'eau sont des oueds, au lit générale-
ment sec, mais raviné de loin en loin par des trombes
diluviennes ; il faut des ponts fort élevés au-dessus des
vallées pour en assurer le passage en toutes saisons.
Quelques villages ou plutôt campements sont serrés
autour des puits : celui d'Ouossébogou fut défendu avec
acharnement par les Toucouleurs contre la colonne
Archinard, qui avait dû emporter dans ses fourgons une
provision d*eau potable (avril 1890).
Nioro, Tancienne capitale d*Ahmadou, est dans une
oasis, un groupe de maisons à toits plats qu'entourent
des champs de mil et des jardins potagers ; les Maures
nomades tiennent leurs marchés au dehors, couchant
pêle-mêle avec leurs chameaux dans des enclos qui rap-
pellent les fondouks de l'Afrique du nord. Une ligne
tirée de Ségou à Koniakary, au nord deKayes, marque
à peu près exactement la limite septentrionale des eaux
permanentes ; là finit l'Afrique noire, habitée par des
cultivateurs bambaras. Les Toucouleurs sont des métis
de Maures et de Bambaras, musulmans, guerriers et
pillards ; les moins malfaisants sont des pasteurs, qui
à88 l' AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
promènent selon la saison, sèche ou pluvieuse, des
troupeaux de chameaux, avec quelques chevaux au voi-
sinag'e du Sénég'al et du Niger. Depuis la conquête
française du Kaarta, quelques-uns ont quitté ce pays
pour les bords du bas Sénégal ou de la Gambie où ils
sont bateliers et parfois cultivateurs ; d'autres s'eng-a-
gent dans nos régiments de tirailleurs, et font de bons
soldats.
Un plateau relevé d*ouest en est porte les nombreuses
sources qui forment le Sénégal en amont de Bafoulabé
(140 m.) ; il vient se terminer sur le Niger par une fa-
laise dont ce fleuve comble le fossé extérieur, de Siguiri
à Ségou ; il se diversifie vers le sud pour passer au relief
de montagnes du Dinguiraj et du Fouta-Djalon. Ba-
foulabé, marché paisible aujourd'hui, est heureusement
située au confluent du Bakhoy et du Bafing, sources
principales du Sénégal ; elle a des paillottes indigènes
et des maisons européennes, et tout autour une plaine
d'alluvions produit abondamment le riz, le mil, le maïs,
l'arbre à beurre ; elle reçoit aussi l'or du Bambouk et
du Bouré.
La plaine au fond de laquelle coulent le Bakhoy et
le Bafing est élevée de 350 mètres et dominée par des
masses tabulaires, dont le meilleur type est celle de
Kita (600 mètres) ; nous avons fait de Kita notre
étape de repos, à mi-chemin entre le Sénégal et le
Niger; un camp retranché y est établi, ainsi qu'un
sanatorium, à côté d'une belle source jamais tarie. Le
paysage est plus tropical que dans le Kaarta ; des bou-
quets d'arbres, des jongles parsèment le sol ; des élé-
t£ SOUDAN ET LE SlAHARA ^89
phants, des antilopes vivent autour des marigots ; çà et
là, des forêts épaisses, sur un relief très tourmenté, en-
travent la circulation : dans Tune d'elles, la mission
Galliéni fut attaquée en 1880 par les Bambaras du
Bélédougou soumis depuis par la colonne Borgnis-
Desbordes. Ces Bambaras comptent aujourd'hui parmi
nos meilleurs auxiliaires ; paysans sédentaires, ils
savent cultiver le coton et travailler le fer; ils sont
assez réfractaires à la prédication de Tislam.
La falaise du plateau vient tomber très près du Niger,
en deux ou trois bonds dont le dernier presque toujours
brusque est de 20 mètres ; les pays qui bordent ainsi le
fleuve, sur les hauteurs, sont le Bouré et le Manding
dont les indigènes se livrent depuis longtemps à l'ex-
traction de l'or : d'après les indications de leurs sor-
ciers, ils creusent des puits de 25 à 40 mètres, d'où la
terre aurifère est montée au jour par un système pri-
mitif de cordes et de calebasses ; des. lavages répétés
isolent après un long travail quelques grains de poudre
d'or. Les Mandingues ou Malinkés ne lavent pas l'or
toute l'année, mais seulement dans l'intervalle de leurs
travaux agricoles ; ils le vendent à des marchands mu-
sulmans, qui vont ensuite par caravanes de vingt à
soixante, avec une centaine d'ânes, le revendre à Mé-
dine et à Bafoulabé, d'où ils rapportent en échange du
sel, de la poudre, des étoffes, etc.. La teneur en or
des alluvions exploitées ne serait pas suffisante pour
rémunérer une industrie minière à l'européenne ; on
estime que la production annuelle de l'or, dans le
Bouré, ne dépasserait pas une valeur de 200.000 francs,
L'Afrique. 17
âOÔ L*AFRIQUÉ A L*ENTR^E Dt) VINGTIEME SiÈcLË
correspondant à 500.000 francs après transport sur les
marchés d'Europe.
Au pied de la falaise, dont il est éloig-né de 3 à
30 kilomètres, le Niger est large de 400 à 2000 mètres ;
Siguiri, Kangaba, Bammakou, Koulikoro en sont les
principales positions. Siguiri commande les confluents
d'où Ton remonte soit vers les villes jadis occupées par
Samorj, Kankan et Bissandougou, soit vers le Dingui-
rayet le Fouta-Djalon. Dans ce pays qui fut longtemps
pillé par les sofas, la paix est aujourd'hui revenue, et
l'abondance ; on exploite l'or, l'ivoire, et aussi le caout-
chouc et la kola. Le Niger, qui déborde tous les ans,
couvre et découvre alternativement de riches terres
d'alluvions, où le riz et le mil viennent presque sans
culture; les villages indigènes sont placée sur des
monticules, hors de la zone d'inondation ; la vie ani-
male est représentée surtout par d'innombrables hippo-
potames ; le fleuve est très poissonneux, des corpora-
tions de somomos pêcheurs existent dans tous les grou-
pements indigènes.
Bammakou est le point où la colonne Borgnis-Des-
bordes atteignit le Niger, après de terribles fatigues,
le i^"^ février 1883 ; un fort y fut rapidement élevé,
pour surveiller la population assez dense et très mé-
langée qui occupe les deux rives du fleuve ; à ce
moment, notre ligne de ravitaillement n'était même
pas assurée, Ahmadou ni Samorj n'étaient vaincus
et le raid du colonel Desbordes était d'une extrême
audace. Aujourd'hui, le touriste le plus pacifique
peut circuler sans crainte du Sénégal au Niger, sur
Lfi SOUDAN ET LE SAHARA 291
une route fréquentée et pourvue de gttes d'étape.
On espérait, en 1883, faire de Bammakou le point
de départ de la navig-ation du Nig'er ; on s'était trom-
pé : à 6 kilomètres plus bas, le fleuve tombe brus-
quement de plus d*un mètre ; puis il franchit d'autres
rapides, rendus plus dangereux par les troncs d'arbres
que son cours entraîne, et n'est définitivement libre
qu'à Koulikoro ; ces rapides ne sont pas un obstacle
absolu ; des piroguiers hardis peuvent les sauter aux
hautes eaux, mais la circulation commerciale ne sau-
rait s'accommoder de risques pareils ; il a donc fallu
reporter à Koulikoro (70 kilomètres aval de Bamma-
kou) l'amorce de la navigation sur le moyen Niger ; de
là, on ne rencontrerait plus de barrière jusqu'à Anson-
go, mais nous avons dit ci-dessus quel médiocre inté-
rêt économique présentait le Niger au-dessous de
Tombouctou. Quant au bief amont Bammakou-Sigui-
ri, on ne peut affirmer qu'il soit en tout temps navi-
gable, le fleuve est encombré d'îles boisées, de bancs
de sable, sur lesquels les échouages seraient fréquents ;
une flottille de remorqueurs et de chalands pourrait
cependant s'en servir une partie de l'année ; certaines
passes sont, de loin en loin, très faciles : à Touréla le
fleuve est, aux basses eaux, large de 700 mètres et pro-
fond de 5 mètres, mais ce sont là des exceptions.
A Koulikoro, le Niger s'étend sur 2 kilomètres et
forme une belle voie jusqu'aux marais du lac Débo ;
la falaise de sa rive gauche s'efiFace insensiblement, la
pente est réduite à 0"™06 par kilomètre, le pays est très
peuplé surtout entre le Niger et son affluent de droite
â92 L^AFRIQUE A L*ENTREË DU VINGTIEME SIECLE
le Bani ; Nyamina, Ségou, Sansanding^, Djenné en sont
les villes principales ; le Baninko, qui est la presqu'île
entre les deux cours d*eau, est couvert de cultures,
céréales, arbre à beurre, cotonnier; les indig-ènes ont
de beaux troupeaux de moutons et élèvent des abeilles
pour le miel et la cire. L'occupation française a brisé
la puissance des Toucouleurs, qui s'imposaient par la
force aux naturels bambaras ; ceux-ci firent le meilleur
accueil, dès 1887, au lieutenant de vaisseau Garon,
mais c'est seulement en 1890 que la colonne Archinard
s'empara de Ség-ou, capitale des Toucouleurs d'Ahma-
dou. La France a remplacé ces maîtres brutaux par
des chefs indigènes fidèles, dont plusieurs sont deve-
nus d'excellents collaborateurs. Entre tous se distingue
Mademba-Saye, fama de Sansanding, ancien télégra-
phiste militaire, qui a multiplié dans sa circonscription
les essais agricoles (tabac, coton, caoutchouc) et dont
les correspondances, écrites en fort bon français, sont
accueillies avec plaisir dans les revues métropoli-
taines. Une expérience des plus intéressantes et qui a
bien réussi est celle des moulins de Koulikoro.
Le Ouassoulou, situé entre le haut Niger et le Bagoé,
fut longtemps le centre de la puissance de Samory; c'est
un plateau ridé, aux mamelons verdoyants, un des coins
du Soudan occidental qui paraissent promis au plus bel
avenir; les sofas avaient bien souvent brûlé des villages
du Ouassoulou, que nos colonnes trouvèrent en ruines
et semés d'ossuaires ; mais les lougans ou champs
du maître étaient habilement cultivés, et Samory tou-
LE SOUDAN ET LE SAHARA 293
chait en nature des rentes considérables. La prospérité
agricole de cette contrée renaît sous nos jeux ; Kankan
est maintenant un marché fréquenté par 5.000 indigènes.
De là, nos postes se sont avancés vers la forêt qui sépare
les prairies soudaniennes de la côte de Guinée, éten-
dant à chaque étape nouvelle la zone régénérée par la
paix.
Or il est aujourd'hui bien établi que les populations
indigènes ainsi délivrées sont essentiellement agricoles;
le Bambara surtout est un paysan qui aime la terre ; il
sarcle ses champs, taille ses cotonniers, connaît des as-
solements et même Tusage des engrais ; les noirs de la
haute Volta sont jardiniers plutôt que laboureurs, et
leurs arbres fruitiers, manguiers, kolatiers, papayers,
orangers, etc., sontbien soignés. Le Soudan occidental
est donc un pays d'élection pour les cultures coloniales,
et nous ne saurions trop encourager les essais qui en
seront tentés. Le général de Trentinian, dont la mission
a pris fin prématurément, mais dont les idées survi-
vront sans doute, s'était entouré de spécialistes, dont le
rôle était de dresser l'inventaire économique du Sou-
dan et d'en préparer la mise en valeur, surtout par
l'agriculture.
Tout le domaine du Niger, du Ouassoulou au Ma-
cina, produit du coton; des chambres de commerce de
France avaient, en 1898, examiné avec intérêt des échan-
tillons qui leur en furent soumis. Une expérience plus
complète fut instituée en 1899 par MM. Fossat et Cheva-
lier, membre de la mission Trentinian : elle établit que
le coton indigène, très irrégulièrement cultivé selon les
294 L AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
districts, supporte mal le transport par les voitures Le-
fèvre dont il faudra bien se servir plusieurs années en-
core, jusqu'à Tachèvement du chemin de fer de Kayes
au Niger ; de plus, il a les soies courtes, ce qui en di-
minue le prix marchand. Mais il n'est pas douteux
qu'on ne puisse l'améliorer : les différences mômes entre
les diverses variétés locales le prouvent, la main-d'œu-
vre ne demande qu'une éducation complémentaire, le
sol étant certainement favorable. Il serait împrudentde
risquer des chiffres, tout concourt cependant à démon-
trer que le colon français qui exploiterait au Soudan des
plantations de cotonniers trouverait là un emploi très
rémunérateur de ses capitaux. Le développement pro-
gressif des chemins de fer de pénétration sera le
meilleur stimulant pour cette culture, car le coton n'est
pas un produit riche comme l'ivoire et le caoutchouc,
qui supportent des frets onéreux... Déjà le Soudan occi-
dental est bien près de récolter les grains et d'élever le
bétail nécessaires à la subsistance des résidents euro-
péens, dont le séjour est ainsi facilité ; la culture du
coton, bien dirigée, lui donnera une puissance d'expor-
tation toute nouvelle ; les indigènes, enrichis ainsi par
le travail du sol, deviendront des consommateurs pour
les denrées d'Europe.
Le pays, des sources de la Gambie, du Sénégal et du
Niger, est montagneux, exposé aux pluies abondantes
qui arrivent de l'Atlantique, et descend en gradins fo-
restiers vers la côte de Guinée : c'est le Dinguiray et
le Fouta-Djalon. Le Dinguiray est un plateau élevé de
LE SOUDAN ET LE SAHARA 295
■
500 mètres et très remué, d*oùles eaux ruissellent vers
les brèches du Bafing" et du Tankisso, affluent de gfau-
che du Nigper ; les vallées sont encaissées et difficiles à
franchir, les rivières souvent coupées par des chutes de
iO à 15 mètres. Malgré les caprices de ce relief, le Din-
g-uiray est bien cultivé partout où la raideur des pentes
ne s*y oppose pas absolument. La capitale, Dinguiray,
est surveillée par un tata fortifié, à plusieurs enceintes,
dont la construction remonte à El Hadj Omar. L'isla-
misme a été imposé aux indigènes par les Toucouleurs,
aujourd'hui dociles sous les administrateurs français ;
des Bambaras, des Malinkés, des Peuls se partagent le
soi.
La vallée de la Falémé continue au nord-ouest ce
pays de transition, première terrasse extérieure du
Fouta-Djalon. La rivière, qui a creusé son lit de 5 à
6 mètres dans des alluvions, atteint en plaine une lar-
g'eur de 300 mètres ; elle a peu d'eau en hiver, et se
brise à plusieurs reprises contre des arêtes de grès
rouge, mêlé d'oxyde de fer. En remontant son cours,
depuis le Bondou, au confluent avec le Sénégal, on
voit se succéder les arbres subsahariens, puis des
espèces plus tropicales, les mimosées, les ficus, les
fromag-ers ; sur ce revers nord-occidental du Fouta-
Djalon, les eaux hésitent entre la Falémé et la Gam-
bie, celle-ci constituant avec son affluent le Niéri-Ko la
meilleure voie de pénétration directe de la coteau moyen
Sénég-al. Petit à petit, la brousse à termitières et ruches
d'abeilles devient la forêt, avec d'épais revêtements
de lianes; la population est assez clairsemée, par
^
296 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
contre le gibier abonde, antilopes et même lions.
Entre la Falémé supérieure et le Sénégal, les som-
mets culminants du plateau atteignent 700 mètres ; de
là tombent de part et d'autre de petites vallées fertiles
où se blottissent les villages de cultivateurs fétichistes,
tandis que les routes des commerçants musulmans
courent au-dessus des galeries forestières, sur le pla-
teau. Les alluvions précipitées dans les fonds sont sou-
vent aurifères, dans le Bambouk en particulier ; l'or,
lavé par les riverains, est envoyé sur Médine puis sur
le bas Sénégal, où des ouvriers indigènes en font,
d'après des modèles qu'il serait aisé de varier, des
bijoux appréciés même des Européens,
Ces pays accidentés, Dinguiray, Bambouk, Bondou
sont disposés en couronne autour du Fouta-Djalon pro-
prement dit. Une erreur ancienne portait jusqu'à
3.000 mètres l'altitude des montagnes du Fouta-Djalon ;
ceci s'explique par ce fait que les massifs surgissant
près de la côte, leur hauteur relative est presque la
môme que leur hauteur absolue pour le voyageur qui
les aperçoit de l'ouest. Mais en réalité les sommets
culminants ne dépassent guère 4300 mètres. L'axe
principal de soulèvement, orienté du nord-ouest au
sud-est est sensiblement parallèle à la côte, dont la
révolution est certainement en correspondance; les
pointements sont granitiques, le reste composé sur-
tout degrés éboulés et remaniés par des jaillissements
pu des épanchements superficiels de matières ferrugi-
HM.^.
LE SOUDAN ET LE SAHARA 297
neuses. Une argile grasse comble les plaines qui se dé-
veloppent sur l'un et l'autre versant.
Les hauteurs du Fouta-Djalon sont en somme mé-
diocres, mais par leur exposition aux vents pluvieux
de l'Atlantique et la variété de leur relief, elles jouent
un rôle prépondérant dans l'hydrographie de l'Afrique
occidentale ; elles émettent des sources de tous côtés,
le Niger, le Bafing, la Gambie, les Rivières du sud ;
leur chute est mieux ménagée au nord qu'au sud, où
elles tombent en deux ou trois bonds de plus de
700 mètres : la circulation est très pénible sur ces
éclats de conglomérats ferrugineux. Les monts Tem-
biko et Daro, qui dominent la source du Niger, sont
les plus hauts du Fouta-Djalon; ils s'élèvent jusqu'à
1320 mètres; au delà, autant que nos connaissances
nous permettent de les décrire (et l'arrière-pays de
Libéria est encore fort mal étudié) , des plateaux
moins accidentés continuent le Fouta-Djalon vers le
sud-est et le Ouassoulou.
Dans son ensemble, cette région est formée de val-
lées cultivées, entre des chaos peu praticables; les
eaux courantes, toujours vives, nivellent peu à peu le
sol, comblent les dépressions des débris qu'elles préci-
pitent des sommets ; çà et là, les pentes s'arrêtent
contre des paliers horizontaux, où l'hydrographie n'est
pas encore dessinée. Ce sont les ^aoi^aîs, au sol rugueux
de scories, souvent noyés sous une couche d'eau
stagnante et bourbeuse, coupés de fourrés d'épines et
soigneusement évités par les rojutes de commerce. Au
dessus, sur les mamelons élevés, couverts de pâtu-
L'Afrique. ^ "^ 17.
^f
298 L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIÈME SIECLE
rages, se groupent les plus riches et les plus propres
des villages indigènes, signalés de loin par les cônes
de leurs mosquées.
Le climat du Fouta-Djalon est plus tempéré que ce-
lui des plaines ambiantes : à la fin de la saison sèche,
en février-mars, le thermomètre n'y dépasse guère 25",
tandis que sur la côte il monte à 40*; la fraîcheur rela-
tive des nuits entretient l'équilibre de l'organisme ;
l'usage des vêtements et couvertures de laine est indis-
pensable, la température baissant alors jusqu'à -|- 6®.
A la fin de mars, les vents du nord-est tournent au sud-
ouest et se chargent de pluies ; avril-août est la grande
saison pluvieuse, mais il tombe aussi des orages à toute
époque de l'année. Presque partout les pentes sont suf-
fisantes pour assurer le drainage des eaux ; le palu-
disme n'est donc à craindre que sur les baovals, qui
sont précisément les parties les moins fertiles.
Les Peuls ou Foulas, parents de ceux de l'Adamaoua,
sont la race dominante du Fouta-Djalon qu'ils ontcoD-
quis à la fin du dix-huitième siècle sur les indigènes
malinkés ; très prolifiques, ils achèvent ainsi d'asseoir
leur puissance. Le type peul est plus fin que celui du nè-
gT2 ; la face allongée, le teint moins noir,le regard droit
et intelligent le rapprocheraient du type sémitique ; le
Peul s'habille avec soin, drape coquettement la pièce d'é-
toffe blanche dont il s'enveloppe ; musulman, mais sans
fanatisme depuis qu'il est fixé sur le sol de sa conquête,
il est cependant méfiant des nouveautés européennes :
nos premiers explorateurs rencontrèrent à Timbo des
gens peu empressés, sinon tout à fait malveillants ; il
r
LE SOUDAN ET LE SAIIAR.V 299
faut beaucoup de doigté pour manier ces populations,
qui ne manquent pas de fierté.
Le Peul habite surles hauteurs: Labé, Timbo, Fou-
g'oumba, gros villages, à 800 mètres d'altitude environ,
sont surtout des centres politiques et religieux, avec
leurs missidas (mosquées) couronnées d*un éteignoir
de chaume ; les fermes particulières se dispersent à l'en-
trée des vallons, où le voyageur retrouve presque les
impressions d'un pays pastoral d'Europe. Les aborigè-
nes, ouvriers agricoles, sont logés dans des hameaux
spéciaux, appelés roundés. La plupart sont des travail-
leurs dociles, cependant quelques-uns, réfractaires à
toute domination, se sont réfugiés sur les éboulis des
pentes orientales, où ils font métier de guetter et de
piller les caravanes.
Le riz ne peut venir sur les hauts plateaux; mais on
y cultive les arbres fruitiers, tels qu'orangers et bana-
niers, les légumes, une sorte de vigne qui laisserait es-
pérer l'acclimatation du vignoble français. La faune
sauvage est riche dans les forêts où l'on trouve encore
des lions ; les plantes à caoutchouc sont très abondantes .
Mais c'est surtout comme éleveur que le Peul se distin-
gue; les hommes surveillent l'alimentation et la repro-
duction du bétail, tandis que les femmes connaissent
tous les emplois du lait pour les usages domestiques.
L'instruction est moins rare chez les Peuls que chez les
nègres du bas pays : chaque village a son école arabe,
régulièrement fréquentée par les enfants.
De leurs citadelles naturelles, les Peuls descendent
souvent, par groupes armés, pour faire le commerce à
300 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
la côte ou dans les plaines du nord ; depuis roccupation
française du moyen Nig-er, ils acheminent régulièrement
des convois de bœufs sur nos postes, et sont même en
correspondance avec des marchands de Tombouctou ;
de la côte ou de Bakel ils importent du sel et des armes,
en échange de bestiaux, de fruits ou de caoutchouc.
Freetown, dans la colonie anglaise de Sierra-Leone, fut
longtemps leur port de ravitaillement au sud, mais
Konakry, capitale de la Guinée française, attire déplus
en plus les caravanes ; le chemin de fer en construction
de Konakry au Niger achèvera de déclasser à son profit
les routes de la Guinée.
Quelles que soient les ressources et la salubrité du
Fouta-Djalon, l'établissement de nombreux colons eu-
ropéens n*y paraît pas possible, en raison du caractère
des Peuls. Nous croyons que les premiers résidents de-
vront être des commerçants ; car, dans ce pays peuplé
d'habitants intelligents et presque riches, il serait pos-
sible de placer beaucoup de produits européens ; les
cases des Peuls, leur mobilier, leurs vêtements sont de
gens qui saisiront volontiers les occasions de les amé-
liorer encore. Quelques Européens, habitant au milieu
d'eux,leur apprendraientà mieux récolterle caoutchouc;
non seulement le Fouta-Djalon, mais toutes les vallées
du haut Niger et du haut Sénégal abondent en caout-
chouc ; l'indigène gaspille ces richesses, ig-norant les
bonnes méthodes pour inciser les plantes et coag^ulerle
latex; mais déjà nos officiers ont institué à Kouroussa
des écoles professionnelles où ces méthodes sont ensei-
g-nées ; il ne serait sans doute pas difficile d'introduire
chez les Pauls du Fonta-Djalon quelques coun; prati-
ques du même centre. Des comptoirs français installés
dans les Tillages principaux etn'acdietantaux indijsrènes
que du caoutchouc bien préparé axMjuerraient leurs
proTisions à bon compte et propagreraienlles procédés
d^une meilleure exploitation. Mais pour que ce com-
merce soit posâble et profitaLle. iJ faut d'aliord que le
Fonta-Djalon comjnunique aisément avec les ports d'é-
yacuation, et otâ pose la question du dmniu de fer de
pénétration.
Les rivières issues de ces hauteurs ne sont pas navi-
gables vers le Nipper eî le Séné^ral ; celles qui voDt di-
rectement à l'Atlantique ne valent pas mieux mais la
côte, découpée en {U'ofonds estuaires, présente de bons
abris et porte assez avant dans Tintérieur la navigation
maiitime ; c'est donc de ce côté qu'il £aut chercher le
tracé du chemin de fer. Et d'abord, quels sont les carac-
tères de cette côte ?
Elle court sur 1500 kilomètres, de la Gambie au cap
des Palmes, déchiquetée, bordée d'îles à traces volcani-
ques jusqu'au delà de Freetoivn, puis plus monotone,
presque rectiligne, soulignée de lagunes,telle qu'elle se
continuera sur le g-olfe de Guinée. Elle est assaillie par
le contre-courant équatorial, qui détermine de fortes
marées (6 mètres au Rio Nunez) et empiète progressi-
vement sur la terre ferme : dans la Guinée portugaise,
où la mer a certainement gagné sur le rivage, on ren-
contre des hippopotames très près du littoral. Ces ter-
rasses méridionales du Fouta-Djalon sont insalubres,
très pluvieuses de mai à novembre, sauf une période de
302 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
sécheresse relative en août, balayées en hiver par un
vent de nord-est qui, descendant des plateaux, s'enfonce
dans les vallées et chasse devant lui des miasmes iic
fièvre. Freetown, malgré Taspect pittoresque de son ca-
dre de verdure tropicale, est une des villes les plus mal-
saines de r Afrique Occidentale.
Si les estuaires des<( Rivières du sud » sont depuis long-
temps connus des négriers et par eux des géographes,
il en est autrement de Tarrière-pays, resté mystérieux
jusqu'à ces dernières années, tout récemment relié par
des itinéraires au Fouta-Djalon et au Soudan. Les fac-
toreries côtières achètent aux habitants le caoutchouc,
la kola et, depuis la latitude de Libéria, l'huile de
palme ; les fonds débroussaillés sont plantés en rizières,
une haute brousse, épaissie en forêts sur les bords des
rivières, couvre tout le pays. La température est plus
uniformément chaude que dans le Fouta-Djalon ; les
indigènes construisent leurs cases plus légèrement que
les Peuls, qui ont à se garer contre le froid des nuits.
L'islam n'a pas beaucoup pénétré ces populations, re-
foulées vers la mer par les envahisseurs du Fouta-Dja-
lon et peu à peu adaptées à un milieu très différent.
Les Européens du littoral y recruteraient assez aisément
des auxiliaires pour les cultures tropicales, mais les
administrateurs doivent montrer une grande prudence,
car ces tribus, plus travailleuses, sont moins dociles que
les nègres des pays équatoriaux : à Sierra-Leohe, en
1898, sur l'établissement d'une taxe de huttes maladroi-
tement perçue, les indigènes se soulevèrent et la ré-
pression coûta cher aux Anglais.
LE SOUDAN ET LE SAHARA 303
Les estuaires de la Gasamance, du Rio Grande, des
deux Scarçies et d'autres rivières analogues n'ofiFrent à
la pénétration que des impasses, bloquées à 100 kilo-
mètres en amont par des rapides infranchissables ; au
sud de Tîle de Sherbro, les indentations du rivage ces-
sent, et l'accès est plus difficile encore ; la mer littorale
est moins profonde, la barre qui assiège toute la côte de
Guinée commence devant Libéria. Le territoire de cette
république nègre n'est prolongé dans l'intérieur que
par une fiction diplomatique ; l'administration libé-
rienne ne régit en fait que les tribus les plus voisines
de la mer. Tout l'arrière-pays est inconnu, surtout des
Libériens ; la mission Hostains-d'Ollone a démontré que
le Gavally, assigné comme frontière franco-libérienne,
s'enfonçait à l'ouest beaucoup plus qu'on ne le croyait
autrefois. Commercialement, Libéria est presque une
colonie allemande, les Allemands ayant obtenu le mo-
nopole de l'exploitation du caoutchouc et du recrute-
ment des bateliers Krous.
Si l'on excepte la colonie portugaise de la Guinée,
dont le commerce est fait surtout par des maisons de
Bordeaux, la France et l'Angleterre restent les seules
puissances coloniales en présence sur la côte qui cor-
respond au Fouta-Djalon. Les traités ayant garanti à la
France tout le domaine du Sénégal et du Niger, Sierra-
Leone n'a plus les mômes perspectives d'avenir que la
Guinée française; elle possède, cependant, par la vallée
de la petite Scarcie et le seuil de Falaba la route la
plus courte de la mer au Niger supérieur. Mais là n'est
304 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
plus pour rAngleterre la grande utilité de cette colo-
nie : Sîerra-Leone devient Técole où se forment les
auxiliaires noirs du commerce anglais pour toute la
côte d'Afrique ; jadis envoyés au Fouta-Djalon, ces col-
laborateurs s'en retirent aujourd'hui que la France pa-
raît en position de leur disputer cette carrière avec
avantage ; ils vont s'engager à la Gôte-d'Or, dans la
Nigérie anglaise, et jusqu'au Congo.
Bien que réduite à une enclave côtière, Sierra-Leone
a commencé (fin de 1895) à construire un chemin de fer
de pénétration ; les travaux ont été entravés par la qua-
lité du terrain très dur, par la multiplicité des brèches
fluviales, qu'on doit franchir au moyen de viaducs, par
la cherté de la main-d'œuvre. Pour les 35 premiers
kilomètres, le prix de revient kilométrique s'est élevé à
130.000 francs, la voie étant cependant de 0™80 seu-
lement ; il s'est abaissé ensuite à 120.000 francs. La
ligne est ouverte aujourd'hui, au départ de Freetovirn,
sur près de 90 kilomètres. La décision prise par notre
colonie de Guinée de construire la voie ferrée Konakry-
Timbo-Kouroussa, qui sera toute en territoire français,
détournera probablement le gouvernement anglais de
pousser beaucoup plus loin la ligne de Sierra-Leone.
La Guinée française compte parmi nos plus jeunes
colonies, comme parmi les plus prospères ; il n'est que
juste de citer le nom de M. le gouverneur Ballay, qui
a été l'infatigable directeur de cette fortune. La capitale,
Konakry, n'existait pas avant 1889 ; on chassait la
panthère dans les fourrés de l'île où elle s'élève main-
tenant ; elle a 10.000 habitants aujourd'hui, dont quel-i
LE SOUDAN ET LE SAHARA 305
c|ues centaines d'Européens ; son commerce a doublé,
de 1895 à 1898, aux dépens de Freetown ; tous les
grands paquebots de la côte touchent à Konakry, que
des travaux plus considérables achèvent d'outiller.
Non seulement la colonie couvre ses dépenses, mais
elle est assez riche pour consacrer sur ses excédents
une grosse annuité (400.000 francs) aux travaux du
chemin de fer du Fouta-Djalon. Elle ne néglige cepen-
dant pas les améliorations agricoles : son sol convient
au café, au bananier, au cacao ; un jardin d'essais a
été créé à Konakry ; plusieurs particuliers ou sociétés
commerciales ont donné l'exemple de planter de vastes
domaines. Déjà l'on obtient un concours utile de la
main-d'œuvre locale, une capitation sur les indigènes,
établie en 1897, a toujours été levée depuis sans pro-
testations.
Mais la Guinée française veut devenir le débouché
du Fouta-Djalon et des pays du haut Niger ; elle s'oc-
cupe donc avec une activité toute spéciale de ses voies
de pénétration : M. Olivier de Sanderval, l'un des pre-
miers explorateurs du Fouta-Djalon (1879-1881), avait
proposé un chemin de fer qui partirait de Boké, au
fond de l'estuaire du Rio-Nunez, à 60 kilomètres de la
mer. Le projet du capitaine Salesses a été préféré ; le
chemin de fer suivra- d'abord, mais sans se confondre
avec elle, une route préalablement établie de Konakry
vers Timbo, large de 5 mètres, et dont plus de lOOkil.
étaient ouverts lorsqu'est intervenu le décret réglant la
construction de la voie ferrée (août 1899). Le tracé,
levé par le capitaine Salesses, puis, pour des variantes
306 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
de détail, par l'adjoint du g'énieNaudé, est aujourd'hui
complètement fixé : la voie sera longue d'environ
600 kilomètres, de la côte au Nig-er ; elle atteindra par
un embranchement Timbo, capitale du Fouta-Djalon.
Les travaux, commencés au printemps de 1900, sous
la direction de M. Salesses, seront vivement poussés et
dans trois ans, selon toutes vraisemblances, le premier
tronçon atteindra le Fouta-Djalon. Le prix de revient
est estimé par le directeur à un maximum de 80.000
francs par kilomètre, avec la voie étroite qui a été
adoptée. Ce chiflFre est très inférieur à celui de Sierra -
Leone, mais les travaux d'art sont peu nombreux sur la
ligne française, et les indigènes, mieux disposés, vien-
dront plus volontiers sur les chantiers.
Le chemin de fer du Fouta-Djalon paraît appelé à
drainer un trafic considérable ; le commerce existant
représenterait un mouvement de 5 millions de francs
dans l'intérieur de la colonie ; plusieurs maisons fran-
çaises, s'enfonçant loin delà côte, fondent des comptoirs
sur le tracé d'amont, pour recevoir à meilleur compte
les produits des indigènes. Il faudra prendre garde de
ne pas solliciter ceux-ci à ne récolter que le caoutchouc ;
une concurrence déréglée entre traitants français en a
fait monter le prix tandis que la qualité déclinait ; les
cultures inaugurées depuis quelques mois seront le
correctif nécessaire de ces pratiques trop exclusives.
Déjà les Peuls du Fouta-Djalon sont en relations sui-
vies avec Konakry : notre résident, M. Noirot, put arri-
ver jusqu'à Timbo, en 1898, avec deux charrettes
à bœufs chargées de ses bagages et s'avançant sur .
LE SOUDAN ET LE SAHARA 307
les pistes îndig'ènes d*une vingtaine de kilomètres par
jour; il apprend depuis à ses administrés le labourage
avec des bœufs. Après les belles explorations du
Dr Maclaud (1897-1899), il est établi par de nom-
breuses observations que le Fouta doit devenir le plus
riche pays delà côte occidentale d'Afrique; le chemin
de fer qui le reliera, d'un côté à Konakry, de l'autre au
Niger, est donc assuré d'un brillant avenir, et la Guinée
française, qui le construit, aura un titre de plus à être
citée comme un exemple parmi les colonies modernes.
Mais ce chemin de fer est nécessaire pour lui rései*ver
le commerce de tout son arrière pays, car jusqu'ici
les tentatives de ravitailler par Konakry les postes du
Soudan méridional ont toujours échoué.
Le Sénégal, qui est encore la seule porte pratique-
ment ouverte du Soudan occidental sur la mer, se
compose de steppes subdésertiques, traversés par la
vallée d'un fleuve à inondations et bordés sur la mer
d'une lisière transformée par l'agriculture, le Cayor.
Dakar, ou plutôt l'île de Gorée, prison naturelle gar-
dée par des requins, ne fut longtemps qu'un entre-
pôt pour les négriers. Après l'abolition de la traite,
les négociants se mirent à exporter de la gomme,
mais c'est seulement par l'introduction de l'agricul-
ture que la France a fixé les indigènes et fondé sa sou-
veraineté durable sur ce pays. Le mérite en revient
à quelques Bordelais, et notamment à M. Hilairc
Maurel, dont le prénom désigne encore, dans toute
l'Afrique occidentale, la houe qui. est l'instrument
308 l'aFRIQUE a l'entrée du vingtième SIECLE
de travail ordinaire du paysan noir. Aujourd'hui, la
charrue se substitue à Thilaire pour la culture des
arachides; le chemin de fer de Dakar à Saint-Louis* tra-
verse paisiblement, près de Thiès, l'ancien « ravin des
voleurs ».
La côte sénég'alaise, jusqu'au Cap- Vert, est toute
saharienne, mais les indigènes, Ouolofs et Sérères, en
ont fait un i^^'renier d'abondance, où ils récoltent des
plantes vivrières, du coton, des arachides, où ils élèvent
des bœufs, des moutons et tous les animaux de basse-
coUr. Nous avons d'abord, au temps de Faidherbe,
protégé ces nègres, vrais colosses noirs, contre les
Maures du nord, plus petits, mais guerriers pillards,
effrayants à voir aveclabroussaille de cheveux flottants
qui auréole leur tête. Cette protection a été féconde ; au-
jourd'hui Ouolofs et Sérères sont de bons paysans, dont
les enfants commencent à fréquenter nos écoles, et les
Maures, assagis par la présence de quelques garnisons
sur la côte et sur le bas fleuve, sont devenus d'actifs
correspondants pour les négociants français.
Au sud du Sénégal, avec la Gambie, enclave an-
glaise exploitée par des Français, et la Casamance, la
nature change ; le pays, plus ondulé, plus boisé que
le Sénégal, reçoit en été des pluies abondantes; les
rizières de Sedhiou, sur la Casamance, sont sous l'eau
de juin à novembre ; les villages indigènes sont posés
sur des buttes émergées ; les factoreries européennes
sont entourées de bananiers, d'orangers, de plantations
de cacao, de café, de kola; les vallées fluviales sont cou-
vertes d'une végétation dense, avec des palmiers, des
LE SOUDAN ET LE SAHARA 309
arbres et des lianes à caoutchouc ; dans Tintérieur le
sol se relève sensiblement vers le Bondou ; les élé-
phants et les lions sont les maîtres de la brousse ma-
récageuse et peu habitée. C'est là qu'en 1888, après deux
campagnes dirigées par le lieutenant-colonel Galliéni,
le Mahmadou Lamine, prophète fanatique, fut atteint
et tué par des indigènes alliés. On a quelquefois parlé
d'un échange avec r Angleterre, qui nous céderait la Gam-
bie pour d'autres possessions à déterminer ; ce fleuve
présente en eflFet un long estuaire navigable, dont les ra-
mifications d'amont se tendent vers le moyen Sénégal ;
par Kayes et la Gambie, le Soudan français aurait sur
la mer une voie d'accès toute soudanienne, bien diffé-
rente de la voie intermittente du Sénégal.
Le fleuve Sénégal finit par un delta que la flèche de
sable appelée « langue de Barbarie » sépare de la mer.
Saint-Louis, capitale administrative de nos établisse-
ments, commande le grau de communication avec l'O-
céan ; c'est une ville de 20,000 habitants (1 500 Européens) ,
dont le quartier principal est dans une île du fleuve ; la
barre, en déplacement incessant, d'une hauteur d'eau
variable, interdit parfois aux bâtiments de mer l'entrée
du Sénégal ; cependant, sous la réserve qu'il faut sou-
vent attendre une marée favorable pour la franchir, on
peut dire que le Sénégal est navigable sur 350 kilomè-
tres jusqu'à Podor, pour des navires calant 3 mètres et
ceci toute l'année, même aux plus basses eaux.
Gomme celles du moyen Niger et du Nil, la vallée du
bas Sénégal est une longue oasis, à pente très peu in-
clinée, 67 mètres sur 1000 kilomètres, du pied des ca-
310 L* AFRIQUE A L*ENTRÉÉ DU VINGTIEME SIÈCLE
taractes de Médine au niveau de TAtlantique ; c'est le
couloir de refuge des cultures et des populations fixes,
tandis que sur les deux rives, les Maures nomades par-
courent les steppes. Les postes occupés sur le fleuve
sont les escales où, pendant la saison sèche, les Maures
apportent la gomme ; lorsque viennent les pluies et la
crue, de grands steamers, calant jusqu'à 6 mètres, vien-
nent enlever ces approvisionnements ; en échange, ils
apportent des cotonnades, du sucre, de la poudre, des
denrées agricoles, des gourdes (pièces de 5 francs).
La vallée du fleuve, d'abord oasis, se distingue de
moins en moins desrives, à mesure qu'on s'enfonce dans
l'intérieur ; du littoral, qui ressemble au Sahara, Ton
passe par une gradation insensible, à la nature tropi-
cale; mais même dans le bas pajs, la plaine ou coule
le fleuve, noyée par des inondations annuelles, est très
fertile ; les indigènes cultivent le mil et les légumes,
élèvent des moutons ; d'innombrables oiseaux au plu-
mage éclatant volètent dans les arbrisseaux des rives,
des crocodiles se chauffent au soleil sur les bancs de
sable ; pourtrouver des hippopotames, il faut remonter
au delà de Kayes.
Le régime du Sénégal est réglé par la précipitation
des pluies d'été du Soudan ; tandis que Saint-Louis n'a
que 0™40 de pluie annuelle, on a relevé 0,55 à Bakel et
ln™27 à Kita. La crue culmine à Bakel au mois de sep-
tembre, par 44 ou 15 mètres ; elle s'étale en aval sur une
surface élargie, monte de 9 mètres à Matam et de 6 à
Podor ; à Saint-Louis, elle est insensible ; le pays prend
alors un aspect nouveau, les étangs et les marigots des
LE SOUDAN ET LE SAHARA 311
rîves sont confondus avec le fleuve qui s'étend parfois
sur 30 kilomètres ; un courant jaunâtre, charg-é d'allu-
vions, Toule vers la mer ; le cours inférieur, quela marée
domine aux basses eaux, perd toute salure; des vapeurs
charg-és de 1800 tonnes montent sans obstacles jusqu'à
Kayes. Quand les eaux baissent, les noirs reviennent
en hâte semer sur les terres eng-raissées ou récolter le
riz sur celles qu'ils ont disposées pour recueillir l'inon-
dation. Mais alors la grande navigation s'arrête ; en mai
et juin, les chalands calant 0™, 60 atteignent très péni-
blement Matam ; sans une crue exceptionnellement
précoce, Faidherbe, en juillet 1857, n'aurait pu secourir
Médine, assiégée par El Hadj Omar.
Kayes est au point terminus de la navigation d'été ;
ville de casernes et de bâtiments administratifs où s'ins-
tallent depuis quelques années des commerçants, parmi
des noirs mandingues, paysans et môme ouvriers ha-
biles pour le travail du bois d'ébène, des cuirs, de l'or
et de l'argent ; Médine, en amont de rapides assez dan-
gereux, est restée un grand marché indigène, mais c'est
à Kayes que le chemin de fer du Soudan prend contact
avec le Sénégal. A défaut d'une belle voie navigable, la
vallée de ce fleuve peut devenir un riche pays agricole ;
elle doit non seulement fournir les vivres frais, grains
et viande, nécessaires aux résidents européens, mais
encore nourrir les nomades des steppes ambiantes qui,
par des relations plus fréquentes avec les sédentaires
enrichis, se formeront à leur tour au goût des produits
européens. Ce pays atteindrait même un notable déve-
loppement industriel (minoterie, briqueterie, etc.), le
312 L^FRIQUE A l'entrée DU VINGTIÈME SIÈCLE
jour OÙ Tusag'e des machines à lalcool serait assez pra-
tique pour encourager la diffusion de certaines cultu-
res.
Le chemin de fer en construction de Kajes à Bamma-
kou, commencé en 1880, fut d'abord célèbre par les
mécomptes du début de la construction ; après une lon-
gue période d'inactivité, les travaux ont été repris ; la
voie étroite, établie par les soins du génie militaire, at-
teint aujourd'hui le viaduc deToukouto, à 237 kilomè-
tres de Kayes où elle franchit le Bakhoj, large de 350
mètres ; la voie sera l'an prochain à Kita ; l'arrivée au
Niger est prévue pour 1904 ; la longueur totale dépas-
sera 530 kilomètres. En attendant, une route praticable
aux voitures Lefèvre précède le chemin de fer, et, au
début de l'année 1900, M. Chaudié, gouverneur général
de l'Afrique Occidentale, y a circulé sur les automobi-
les d'un service récemment inauguré. Tout le pays in-
termédiaire est très tranquille, et dès maintenant on
peut dire que la pénétration européenne atteint effecti-
vement le Niger par le Sénégal.
Il serait utile, pour l'assurer dans des conditions de
stabilité meilleures, de doubler par une voie artificielle
la route temporaire du Sénégal. La meilleure, comme
nous le disons plus haut, serait celle deBakel ou plutôt
encore de Kayes à la Gambie navigable, mais ce tracé
doit être écarté, puisque la Gambie est colonie anglaise.
Une autre traverserait directement le Ferlo, pour se sou-
der à la ligne ferrée du Gayor ; le Ferlo est un pays
très peu arrosé, mais où l'on trouverait de l'eau en
creusant des puits ; une mission du génie, détachée de
\
LE SODDÀN ËT LË âAHAtlA 3i!)
celle delaGuinée française, doit, en 1901,étudierdetrès
près ce projet ; il n'est pas douteux que rétablissement
d'un chemin de fer ne serait pas plus difficile dans le
Ferlo que dans le sud algérien ou dans la Nubie égyp-
tienne. Dès maintenant, Tamorce occidentale s'avance
vers le Baol, district riche en arachides.
Dakar, où la nature a dessiné l'emplacement du vrai
port du Sénégal, serait alors le débouché immédiat de
tout le haut pays et non plus seulement du Gayor ; il est
indispensable (et ces travaux sont en cours d'exécution)
d'en améliorer l'outillage commercial ; Dakar, on ne
doit pas l'oublier, est une étape nécessaire sur la route
maritime de l'Europe à l'Amérique du Sud ; nous de-
vons donc y organiser, non seulement un point d'appui
pour notre flotte de guerre, mais encore un port de
ravitaillement et de radoub pour la marine marchande.
On a compris d'ailleurs, en France comme au Séné-
gal, que cette colonie peut attendre beaucoup encore
des progrès de son agriculture : des embranchements
lancés à l'est du chemin de fer du Cayor étendront la
surface conquise pour la culture des arachides ; le
Fcrlo, pauvre en eaux courantes, possède par contre
des forêts de gommiers encore inexploitées ; des chefs
indigènes, adroitement intéressés au progrès de leurs
administrés, répandent parmi eux l'usage de la charrue
française ; le Conseil général de la colonie encourage
par des primes les plantations d'arbres ou de lianes à
caoutchouc; des fermes modèles, dont une complétée
par un haras, une station d'essais agricoles ont été ré-
cemrfient créées; la mission catholique deThiès possède
L'Afrique. 18
344 L*AFRIQUE A l'eNTREE DÛ VlNGtlEME SIÈCLE
des champs d'expériences où Ton a réussi, depuis 1894,
des cultures de caoutchouc.
Quels que soient les récents progrès du Sénégal, il
reste beaucoup à faire : une exploration méthodique des
régions à gommiers, dans le nord-est en particulier, serait
très désirable et certainement accroîtrait le commerce
de produits très demandés en Europe ; il ne faudrait pas
non plus négliger la côte de la baie d'Arguin (1), où,
sur des bancs peu immergés» les poissons comestibles
se pressent plus nombreux qu'à Terre-Neuve. Ainsi,
sans môme parler du transit du Soudan, dont il com-
mandera longtemps la plus grande partie, le Sénégal
s'enrichirait par lui même. Quarante années d'occupa-
tion française en ont déjà modifié et, au sens plein du
mot, civilisé les indigènes. Il y a donc là mieux que des
espérances, et la France, considérant l'œuvre accomplie,
peut la continuer avec confiance, ayant montré, dans
cette Afrique Occidentale, qu'elle soutient la comparai-
son avec les meilleurs peuples colonisateurs.
(1) L'échec réccDt de la mission Blanchet dans TAdrar
(printemps de 1900) indique qu'il serait encore nécessaire
de mieux asseoir notre autorité sur les indigènes du nord
du Sénégal.
CHAPITRE V
Le Sahara et les projeta de Transsaharien.
Nous avons, dans un précédent chapitre, étudié le
Sahara égyptien et montré comment la voie naturelle
du Nil y était dès k présent doublée d*une voie artifi-
cielle, le chemin de fer d'Ouadi-Halfa à Khartoum ; la
traversée du Sahara central et occidental, moins favo-
risée par la nature, n'est pas davantag'e assurée encore
par les travaux des hommes.
Le Sahara, moins la partie égyptienne et les oasis
turques du sud tripolitain jusqu'au Fezzan, appartient
tout entier à la France (1); ce sont ces « terres légères »,
où l'humour de lord Salisbury déclarait un jour que le
coq gaulois pourrait g'ratter à l'aise. Certes, le Sahara est
une des parties les plus déshéritées de toute l'Afrique,
mais les traités nous en ayant réservé la jouissance ex-
(4) Il convient d'excepter encore une partie de la région
occidentale, récemment reconnue par la France à la colo-
nie espagnole du Rio de Oro (juin 1900).
316 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE
clusive, il convient d'en étudier les conditions et de re-
chercher s'il vaut la peine, à travers ce désert intermé-
diaire, de lancer un chemin de fer qui consacrera l'unité,
purement diplomatique encore., du domaine français
en Afrique.
En l'état présent, le Sahara est essentiellement un
obstacle, entre l'Afrique méditerranéenne, centre de
rayonnement de la colonisation française, et l'Afrique
occidentale française en voie de constitution ; quelles
sont exactement la nature et les dimensions de cet obs-
tacle, voilà ce que nous devons déterminer tout d'abord.
On a souvent représenté le Sahara comme une plaine
uniformément sablonneuse ; le terme courant,« ancienne
mer saharienne », faisait croire de plus à une dépres-
sion g-énérale, et cette formule n'a pas peu contribué
au projet d'inonder telle ou telle partie de désert par
une invasion de la Méditerranée. En fait, le Sahara est
un plateau dont l'élévation moyenne (450 mètres) est
celle de la Bavière ou de la Nouvelle-Gastille ; son re-
lief est varié, avec des nappes de roches sédimentaires,
trouées par des massifs volcaniques (Air, Tibesti,Adrar)
et des lits fluviaux profondément creusés par des cours
d'eau devenus temporaires.
Le Sahara commence au nord du Soudan, par la
bande des mimosées du Ferlo, du moyen Niger, du
Ouadaï ; il finit, au sud des plateaux de l'Afrique Mi-
neure, par une région analogue de steppes ; il touche
à la mer par deux façades, entre le Sénégal et le Maroc,
entre la Tunisie et l'Egypte (sauf l'exception de la pé-
ninsule de Benghazi) ; il s'étend donc environ dç i5« à
LE SOUDAN ET LE SAUAllA 317
sa-» de latitude nord, de 48» lon^. 0. à 20* long. E. du
méridien de Paris.
La raison essentielle de Taridité du Sahara est Tab-
sence des pluies, qui procède elle-même de causes d'or-
dre atmosphérique. Les vents alizés soufflant vers TAt-
lantique, dessèchent le sol sans jamais lui apporter de
pluies compensatoires ; si parfois, en été, des vents char-
gés d'humidité arrivent au Sahara, du golfe de Guinée
ou des rives méditerranéennes, ils sont aussi tôt absorbés
par les hautes régions de l'atmosphère où ils s'évapo-
rent sans se condenser ; de plus ceux qui viennent de
l'Atlantique moyen, en tournant les plateaux espagnols,
abandonnent presque toute leur vapeur d'eau le long des
montagnes de l'Afrique Mineure ; ceux qui ont seule-
ment traversé la Méditerranée n'ont pas eu le temps de
s'y approvisionner ; ceux enfin qui se sont alimentés
dans le golfe de Guinée ne pénètrent guère au delà du
Mossi, et déterminent la fraîcheur relative de, la zone
subsaharienne où réapparaissentles eaux permanentes.
Le climat saharien est donc dominé par le phénomène
principal de la rareté de la vapeur en suspension dans
l'air : de là force de l'insolation, intensité du rayonne-
ment nocturne, grande amplitude des oscillations de la
température. On a relevé en terrain découvert, au soleil,
10^ et dans la nuit, — 5**. L'oscillation moyenne dans les
vingt-quatre heuresestde 17**à Biskra, où elle atteignit
le maximum de 38**. La sécheresse presque absolue de
l'atmosphère en explique la parfaite limpidité ; le voya-
geur européen, non habitué, se trompe à tout instant
sur l'appréciation des proportions et des distances ; il
L'Afrique. i8.
318 l' AFRIQUE A l' ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE
doit se préraunirsans cesse contre les brusques varia-
tions de la température et ne manquera pas de remar-
quer que les Touaregs, seuls habitants des steppes sa-
hariennes, sont chaudement vêtus.
Le sol superficiel, exposé toujours à des chaleurs
brûlantes succédant à des températures g-laciales, s'é-
miette sous Teflfort de ces variations ; comme Teau man-
que, il n'existe aucune végétation pour le fixer, et ses
débris sont le jouet du vent : nous avons déjà décrit les
wenis plombés qui soufflent du désert, sirocco deTAfri-
que Mineure, harmattan de la côte de Guinée, plus effi-
caces que les pluies elles-mêmes, par le frottement de
leurs poussières, pour déchausser les routes empier-
rées.
Les vents, jouant librement dans le Sahara, ont con-
tribué à modeler le pays : la moindre saillie du sol de-
vient le point d'appui d'une dune ou erg, qui grandit
sur elle-même, et s'avance dans la direction du vent :
VErg (Iguidi en berbère) couvre donc une notable par-
tie du Sahara ; ce n'est pas la plus hostile à l'homme,
car ses sables, comme une éponge, abritent contre la
voracité du soleil les pluies qui tombent de temps en
temps ; son relief varié forme quelques vallons où l'on
trouve de l'herbe, parfois des arbustes avec un peu
d'ombre. La forme la plus redoutable du sol saharien,
c'est le plateau pierreux appelé hamada, au dallage
poli par les vents, trop compact pour offrir un refuge
à l'eau qu'évapore rapidement la chaleur solaire. La
dune n'est pas absolument inhabitée ; des nomades y
trouvent de loin en loin les pâturages nécessaires à
LE SOUDAN ET LE SAHARA 319
leur bétail, parfois la terre j permet quelques cultures
rudimentaires, comme au sud du Maroc, dans le lit
de rOued Draa ; la hamada, au contraire, n'est jamais
que traversée, même par les nomades, car elle n'ofiFre
aucunes ressources.
Il ne faudrait pas croire que le Sahara, bien que très
rarement arrosé, soit tout à fait privé de pluies ; les
massifs volcaniques sont assez élevés pour conden-
ser quelques nuages : l'Air, comme le Tibesti, reçoit
des pluies d'été, apportées par la mousson du golfe de
Guinée ; dans les montagnes du Hoggar, Duveyrier
entendit raconter qu'on avait vu de la neige. Mais,
même dans les régions plus plates, il tombe quelque-
fois des pluies accidentelles : Flatters en observa sept
jours, du 1*' avril au 2 mai 1880; elles sont souvent
conséquentes de cyclones, dont l'action se traduit par
un brusque refoidissement de l'atmosphère. Elles tom-
bent par averses diluviennes, après lesquelles le ciel
redevient immédiatement pur.
Ces eaux violentes ont profondément raviné le sol,
forant les vallées, comme celle de l'Igharghar, entre
des berges abruptes ; on a vu, dans le Tibesti comme
dans le sud-algérien, des oueds subitement grossis en-
traîner des bestiaux, des hommes, même des maisons
et des champs; au printemps de 1898, une petite co-
lonne française qui manœuvrait au sud de Laghouat
fut ainsi surprise : cheminant dans un ravin d'oued à
sec, pour avoir un peu d'ombre, elle fut brusquement
atteinte par un flot bourbeux et torrentiel ; les soldats
étaient heureusement assez nombreux pour former, en
320 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
se prenant par le bras, un barrage qui ne fut pas ren-
versé ; la trombe passa, n'ayant pas monté plus haut
que leurs poitrines.
Le sol du Sahara n'est pas infertile par lui-même ;
partout où Teau reparaît, la végétation Taccompagne,
et des oasis se forment ; il convient de distinguer les
oasis qui entourent les points du plateau qui sont arro-
sés en permanence par des eaux superficielles et celles
que l'altitude des massifs montagneux a constituées et
maintient par la condensation de nuées appelées de
loin ; au premier groupe appartiennent les oasis
d'Ouargla (167 m.), du Touat (Insalah, 137 m.), de
Tindouf ; au deuxième, celles de TAir et du Tibesti
(1.400 à 1.800 m.). Les oasis sont les entrepôts de ravi-
taillement et les étapes de la circulation à travers le
Sahara; si, toute question d'origine géographique écar-
tée, on compare le Sahara à une mer, les oasis en sont
les îles, et le chameau mérite exactement son surnom
de « vaisseau du désert ».
La faune et la flore sahariennes, du moins celles qui
sont utiles à l'homme, sont rares en dehors des oasis ;
on a remarqué que les plantes réduisent toutes leurs sur-
faces d'évaporation, enfoncent dans le sol des racines
puissantes, poussent une tige robuste et vite ligneuse ;
les animaux ont peu de toison, leurs membres moteurs
sont très développés, tous leurs organes constitués pour
résister longtemps à la soif; le chameau, bète de
somme et de selle des Touaregs, en offre le meilleur
type : il porte jusqu'à 250 kilogrammes et fournit des
étapes de 70 à 80 kilomètres ; il peut passer deux ou
LE SOUDAN ET LE SAHARA 321
«
trois jours sans boire ; mais, en arrivant à la lisière
méridionale du Sahara, il est atteint par le climat plus
humide etnerendplus aucun service. L'élevag'e ration-
nel du chameau de san^ ou méhari doit faire dès
maintenant Tobjet d'études, puisque cet animal est
indispensable aux maîtres qui voudront assurer la po-
lice du Sahara.
Les populations sahariennes sont berbères ou nèi^cres ;
les Touaregs sont des Berbères, contraints à la vie no-
miade par les invasions arabes qui les ont dépossédés
de leurs champs dans le nord, et peu à peu adaptés à
des conditions nouvelles ; si la plupart d'entre eux com-
prennent et souvent môme écrivent l'arabe, ils se ser-
vent ordinairement d'un autre dialecte, qui serait le
vieux berbère et dont l'écriture emploie des caractères
carrés, tout différents de ceux des Arabes. Ils montent
leurs chameaux, tandis que les indigènes de l'Afrique
Mineure les conduisent plus souvent à pied, ou bien
assis sur des bourricots. Ils sont grands, noirs de
peau, ce qui indique un métissage nègre ; ils portent la
tôte coiffée d'un turban, la figure presque enveloppée
d'un voile qui abrite leur bouche et leurs oreilles con-
tre les poussières du désert. Leurs armes consistent en
lances, poignards et longs fusils, ceux-ci de beaucoup
les moins dangereux.
Les Touaregs sont la race militaire du Sahara ; leurs
razzias s'étendent sur toutes les oasis, sans souci des
longues distances à parcourir; ils montrent, dans ces
expéditions, que leurs besoins les plus impérieux com-
mandent, une endurance extraordinaire, littéralement
322 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
«
comparable à celle de leurs chameaux. Ils ne forment
pas de groupes politiques, à proprement parler : on
aurait tort d'attacher une valeur stricte au mot confé-
dération, souvent employé pour désigner leurs grou-
pements ; ils sont divisés en familles, d'après l'antique
constitution patriarcale, et la condition de la femme
est chez eux meilleure que chez les autres musulmans
de l'Afrique du nord. On ne doit pas dire que le Toua-
reg est fanatique : s'il montre une très grande hostilité
contre les Européens, c'est que ceux-ci s'établissent dans
les oasis d'où il tire sa subsistance et s'opposent aux
razzias sans lesquelles il ne vivrait pas.
Les cultivateurs des oasis sont des nègres, race dont
on retrouve les représentants jusqUe dans le centre du
Maroc; il est possible que nègres et berbères, tou-
jours en guerre, aient tour à tour avancé puis reflué à
travers le Sahara ; les sédentaires, trop occupés à leurs
travaux pour s'occuper à leur défense, en confiaient le
soin à des nomades qui devenaient ensuite leurs suze-
rains ; leur condition générale est aujourd'hui celle de
serfs des Touaregs ; ils résistent mieux que ces derniers
• à la chaleur moite des oasis, et comme ils sont proli-
fiques et ne prennent aucun soin des enfants du pre-
mier âge, une sélection naturelle très rigoureuse
assure la perpétuité de l'espèce parles individus les
plus sains. Mais, paresseux à la façon de quiconque
craint de ne travailler que pour autrui, ils produisent
à peine assez pour suffire à leurs besoins et à ceux
de leurs maîtres ; toutes les observations paraissent
copçorder sur le fait que les oasis rçculent de-
Le âOÙDAN ET LE SAHAltÀ 5^3
vant le désert, faute d'aménagements persévérants.
Le dattier est Tarbre le plus précieux des oasis ; il
prospère <c les pieds dans Teau et la tête dans le feu » ;
c'est lui qui fournit aux indigènes les fruits qu'ils
consomment en quantités, soit frais, soit piles en une
sorte de pâte, soit enfin associés à la farine, au lait et au
miel dans des pâtisseries qui ne manquent pas toujours
de finesse. Trop vieux pour porter des fruits, le dattier
est abattu pour servir aux constructions : dans le sud
algérien ou tunisien, les architectes des oasis bâtissent
des cases en torchis, renforcées par des troncs à peine
équarris. A l'ombre du dattier, d'autres cultures sont
possibles, les arbres fruitiers, les céréales ; trois ou
quatre étages de végétation s'abritent ainsi sous les
dattiers.
La propriété dans les oasis est très morcelée, la terre
cultivable ayant une valeur d'autant plus grande
qu'elle est plus rare au milieu du désert ; on cite des
domaines de l'oasis de Gabès qui, en pleine exploita-
tion, sont vendus 15.000 francs l'hectare. La distribu-
tion de l'eau y est, comme en Egypte, réglée de la façon
la plus minutieuse par les habitants ; de cette obliga-
tion môme naît une certaine vie politique ; le paysan
des oasis est relativement instruit, il sera susceptible
de progrès, tandis que le Touareg nomade est insen-
sible à toute idée de changement. C'est là pour nous
une raison de plus d'occuper de proche en proche
toutes les oasis sahariennes ; elles seules représentent à
la fois les positions stratégiques et les centres écono-
miques du Sahara. Le reste contient sûrement du sel,
3â4 L* AFRIQUE A L^EÎÎtRÉË Dl) VlKGtiEBtE SIECLE
exploité par les indig-ènes à Bilma, Tichit, Taoudenît,
et qui est un des objets principaux du commerce local ;
peut-être découvrirait-on des gpisements de nitrates ou
même de pierres précieuses ; mais l'exploitation n'en
serait jamais possible qu'appuyée sur les oasis.
Les populations nomades du Sahara ne produisant
pas les subsistances qui leur sont nécessaires, un mou-
vement commercial est né dans Fintérieur même du
désert; il faut distingpuer, dans ce commerce, ce qui est
saharien et ce qui est transsaharien : le commerce
saharien va des oasis aux ports septentrionaux du dé-
sert, Tripoli, Ouargla, Tindouf et Mog^ador, ou bien
encore de ces mômes fies centrales aux ports méridio-
naux, Abech, Kouka, Zinder, Tombouctou. Les cara-
vaniers touaregs transportent sur leurs chameaux le sel
de Bilma et de Tichit jusque dans les pays du Nig-er,
ou des dioulas soudaniens le reçoivent d'eux pour
l'acheminer au sud ; en échange, ils achètent des grains,
car la récolte des oasis n'est pas toujours suffisante, des
esclaves, des étoffes. Au nord, la datte est la seule den-
rée d'exportation des oasis; les caravanes de retour
ramènent des moutons, des grains, de la poudre et des
armes. Le commerce saharien est régulier, mais peu
considérable.
Le commerce transsaharien est celui qui importe
dans les pays méditerranéens, en traversant le désert
tout entier, les produits tropicaux et subtropicaux du
Soudan, l'ivoire, les peaux brutes, le natron, les plumes
d'autruche; il fallait jadis ajouter les esclaves, mais
i<
LE SOUDAN ET L£ SAHARA 32S
aujourd'hui, même par le Maroc, la traite est clandes-
tine et peu active. On prétend que le mouvement du
commerce transsaharien représenta, vers le milieu du
xix' siècle, 50 à 60 millions par an. Ce chiffre est sans
doute beaucoup trop élevé ; certes, il est intervenu de-
puis cinquante ans bien des perturbations qui ont dimi-
nué le commerce transsaharien : la conquête française
de plusieurs des ports du nord, l'invasion des bandes
de Rabah dans les ports orientaux du sud, en même
temps que Feutrée de nos troupes à Tombouctou. Mais
tout cela suffirait-il pour expliquer que le commerce
filt réduit de plus des trois quarts, les statistiques les
plus récentes ne pouvant guère l'évaluer à plus d'une
douzaine de millions ?
Il est sûr cependant que d'anciennes routes transsa-
hariennes sont aujourd'hui abandonnées, toutes celles
qui aboutissaient dans des ports maintenant français ;
Beng'hazi, mais surtout Tripoli et Tindouf ont gardé
le presque monopole des relations directes avec le Sou-
dan. Les caravanes qui arrivent à Tindouf viennent de
Tombouctou ; elles atteignent la côte en trois points,
Mogador, Ifni où les Espagnols ont un établissement et
le cap Jubyoù les Anglais avaient jadis des factoreries.
Encore ces voies occidentales ont-elles beaucoup perdu
depuis que les Français sont à Tombouctou et empê-
chent la traite.
Le Maroc, n'exerce plus qu'une faible attraction sur
les produits soudaniens ; l'Espagne et l'Angleterre
avaient tenté de détourner les caravanes à leur profit,
de Mogador vers leurs comptoirs installés plus au sud.
L'Afrique. 19
326 L* AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
Il ne semble pas qu'elles y aient beaucoup réussi, les
routes étant coupées près delà mer par des nomades hos-
tiles qu'il faudrait vaincre d'abord.
Les routes de Test sont aujourd'hui les plus fréquen-
tées ; parGhat,Ghadamès, Mourzouk, toutes convergent
sur Tripoli, véritable marché du commerce transsaha-
rien. Tripoli est encore en plein désert, ce n'est qu'une
oasis au bord de la mer, mais elle est outillée pour les
relations avec l'intérieur ; sa population mélangée d'A-
rabes, de Juifs, de Maltais, de Grecs, d'Européens est
assez composite pour qu'il s'y trouve des correspondants
toujours informés à la fois des offres de l'Europe et des
demandes des nomades ; si l'on porte à 12 millions le
chiffre total du mouvement transsaharien, il faut en
assigner au moini^ 10, soit les 5/6, au port de Tripoli ;
des caravanes à courte distance, se soudant les unes aux
autres, tendraient d'ailleurs à remplacer les anciennes
caravanes vraiment transsahariennes.
Gabès, dans le sud tunisien, essaie aujourd'hui de
faire concurrence à Tripoli ; elle a créé un entrepôt des
produits de consommation courante dans le Sahara et
jusqu'à la lisière du Soudan ; elle cherche à fournir aux
caravaniers qui lui apportent leurs dattes du sucre,
des étoffes, etc.. Déjà les résultats sont notables, mais
Tripoli n'est pas encore évincée ; il en serait autrement
si les bâtiments de mer trouvaient auprès de Gabès un
port meilleur que celui de Tripoli, mais le mouillage
actuel est médiocre et l'outillage de port à peu prés
nul.
r
LE SOUDAN ET LE SAHARA
327
Le Sahara, disait le traité franco-marocain de 4845,
n'est à personne ; c'est le pays « de la poudre et de la
peur ». Seules les oasis dont le nom est spécifié dans
les conventions diplomatiques appartiennent à tel ou
tel : ainsi nous avons en 1845 laissé Fig-uig au Maroc,
faute qu'explique l'ignorance des négociateurs de la
convention qui suivit la bataille de Tlsly, de même
Ghadamès et Ghat relèvent de^la Tripolitaine, bien que
situées dans l'arrière-pays tunisien, et sont gardées par
des garnisons turques, presque prisonnières parmi les
nomades indépendants. Après avoir longtemps déclaré,
au Parlement et dans les journaux, que l'occupation
du Touat était affaire « de police algérienne », nous
avons enfin résolu de donner à nos droits une sanction
pratique et' toutes ces oasis seront avant longtemps aux
mains de nos soldats. D'autre part, la mission Foureau-
Lamy vient de traverser le désert de part en part, du
sud algérien au Tchad, suivant d'abord la route de
Fiatters, dépassant dans l'Anahef le point où celui-ci
fut massacré, atteignant ensuite les oasis de hauteur de
l'Air, joignant enfin à Zinder les itinéraires de la mis-
sion Joalland-Meynier.
De ces faits récents, deux conclusions se dégagent :
l'une, la possibilité de passer à travers les groupes
Touaregs, à condition d'agir en force et avec prudence ;
l'autre, la facilité d'occuper sur les sédentaires les oasis
principales qui tiennent les clefs de toutes les routes
transsahariennes. La « question touareg » se ramène
donc à celle de l'occupation progressive des oasis ; les
nomades pillards deviendront des caravaniers paisibles
328 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
le jour où il leur sera démontré que toute autre conduite
les laisserait mourir de faim et surtout de soif. La pos-
session de Ghadamès par les Turcs est assurément un
obstacle à la diffusion de Tinfluence française, car les
Ghadamsiens ont toutes leurs relations avec Tripoli ; ils
sont les principaux bénéficiaires du commerce entre le
Tchad et la Méditerranée, et possèdent des agents à
Ghat comme dans les oasis du Touat. Notre action de-
vrait donc viser soit à faire de celles-ci le port princi-
pal du nord saharien, soit à obtenir du gouvernement
turc des facilités de séjour pour les commerçants pro-
tégés français qui s'établiront à Ghadamès.
Par le sud aussi, nous commençons à cerner le Sa-
hara ; des communications par courriers,exceptionnelles
encore mais symptomatiques, ont été établies entre
Tombouctou et nos postes du sud oranais ; le gouver-
nement de l'Afrique occidentale française a constitué en
1899 une province de la Mauritanie dont les adminis-
trateurs devront évidemment lier partie avec ceux du
sud algérien. Contraints donc, par la nature même, à
pratiquer de deux côtés une politique saharienne, nous
devons nous demander s'il ne serait pas possible d'as-
surer à notre action une direction unique (les Russes
ont bien, en Sibérie, un « gouvernement des steppes >),
et pour cela de créer l'instrument de communication qui
nous manque encore, le chemin de fer transsaharien ;
si de plus, cet instrument une fois créé, tout notre em-
pire africain n'en serait pas de beaucoup supérieur à ce
qu'il est aujourd'hui.
La valeur stratégique du transsaharien n'est pas con-
LE SOUDAN ET LE SAHARA 329
testable : la facilité d'étendre à tout le Soudan le champ
de manœuvre et de défense de nos troupes d'Alg-érie-
Tunisie apporterait évidemment un renfort puissant à
l'autorité de la politique française, et pas seulement en
Afrique. Quant à l'intérêt commercial du transsaharien,
il est pour le moment des plus minimes ; l'exploration
géologique révélera peut-être un jour des richesses mi-
nières inconnues; il serait fou d'en escompter dès main-
tenant le transport. Le trafic transsaharien ne représen-
terait pas davantage un fret rémunérateur; médiocre
en lui-même, il sera disputé de plus en plus vivement
auxanciennes routes méditerranéennes par les chemins
de fer du golfe de Guinée. Nous ne disons rien des ques-
tions techniques car, l'hostilité des Touaregs brisée par
l'occupation des oasis, le transsaharien ne sera pas plus
difficile à construire que les chemins de fer désertiques
de Nubie, de Transcaspie, etc.. Mais il paraîtrait illu-
soire de compter, avant longtemps, sur une exploitation
couvrant ses frais.
L'œuvre n'en doit pas moins, selon nous, être entre-
prise, et le plus tôt possible. Gomme le dit très juste-
ment M. Paul Leroy-Beaulieu, qui en est le plus ardent
protagoniste, c'est une œuvre impériale et comme telle
l'étude doit en être soustraite aux rivalités administra-
tives et personnelles qui la réduiraient, dans chaque
département algérien, aux proportions d'une réclame
électorale. Il est intéressant que nous puissions régler
par l'intérieur, au moyen de communications indépen-
dantes, toutes nos affaires africaines. Nous verrions
aussi de réels avantages à ce que des échanges sinon
330 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
encore de produits, du moins de populations, fussent fa-
ciles entre l'Afrique Mineure et le Soudan : les nègres
sont recherchés de nos colons niéditerranéens pour tous
les travaux de force, terrassements, défrichements, etc. ;
d'autre part, devant une race prolifique et vigoureuse
comme celle des Français d'Afrique, il ne peut qu'être
avantageux d'ouvrir des carrières nouvelles à l'esprit
d'entreprise et môme d'aventure ; seule une observation
incomplète ou ignorante des rudiments de la démogra-
phie chiffrerait cette expansion au dehors par une perte
pour le pays d'origine.
Nous désirons donc et nous estimons très utile la
construction du Transsaharien. Quel en sera le tracé ?
La réponse définitive ne pourrait encore être faite. Ce-
pendant ici quelques réflexions s'imposent : les oasis
du Touat sont presque à mi-chemin entre la Méditer-
ranée et le Niger ; là croyons-nous doit être le point de
départ de la ligne transsaharienne, et jusque-là, par
conséquent, doivent être dès maintenant poussés les che-
mins de fer algériens. Nous en souhaiterions l'exten-
sion par deux voies convergentes, l'une de Biskra sur
Insalah, par Touggourt, Ouargla (section déjà décidée
en principe) et la vallée de l'oued Mia ; l'autre de
Djenien-bou-Rezg, par Igli, l'oued Saoura et les oasis
du Gourara. La chambre de commerce d'Alger, en dé-
cembre 1898, a donné l'exemple d'une initiative déga-
gée des concurrences locales en adoptant le tracé Bis-
kra-Ouargla.
Du Touat, il paraît indiqué de se diriger sur Tom-
bouctou, qui est accessible du sud par une voie fluviale,
r
LE SOUDAN ET LE SAHARA 331
reliée à toutes les communications de TAfrique occi-
dentale et dont les environs produisent toutes les den-
rées nécessaires à l'alimentation des postes du désert ;
ce tracé aurait de plus Tavantage de passer à proximité
des salines de Taoudériit; il s'emparerait donc d'un
des seuls trafics connus des caravanes sahariennes d'au-
jourd'hui. En suivant la route de la mission Foureau-
Lamy, le chemin de fer serait beaucoup plus long* et
viendrait finir en cul-de-sac à Zinder, sauf prolong'e-
ment jusqu'au Tchad. Nous considérons d'ailleurs que
la voie Touat-Tombouctou n'est qu'une partie du trans-
saharien, la seconde devant, comme nous l'avons dit
plus haut, relier Say à un port du lac Tchad, accessible
par le Ghari ; de ce fleuve, un autre chemin de fer ga-
gnerait le réseau navigable du Congo ou de la Sanga
et la voie d'Ouasso à Libreville assurerait la circula-
tion sur le dernier tronçon d'une voie mixte, exclusive-
ment française, de la Méditerranée au Gabon.
On pourra taxer d'utopique ce plan qui lance des che-
mins de fer parmi des pays à peine découverts. Déjà
cependant le gouverneur général de l'Afrique occiden-
tale a parlé (mai 1900) de prolonger nos lignes télé-
graphiques de Say au Tchad et de Tombouctou au
Touat. Nous ne disons pas que notre programme puisse
être réalisé en quelques années ; nous croyons cepen-
dant qu'il tient compte des observations les plus ré-
centes sur la géographie de l'Afrique occidentale, et
que dès maintenant, un projet d'ensemble devrait être
établi pour la pénétration et la mise en valeur de tout
notre domaine d'Afrique : les chemins de fer sahariens,
334 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
« grands frais d'ouest » ; la ville même de Gapetown
est sensiblement à la latitude de Santiago du Chili
et de Buenos-Ayres ; aussi, tandis qu'en cette extrémité
méridionale de l'Afrique on voit seulement commen-
cer la zone du climat tempéré avec pluies abondantes,
toute la côte chilienne au sud de Valdivia appartient
au domaine de ces conditions géographiques, elle est
richement articulée, pourvue de baies et d'archipels ;
le littoral de l'Afrique australe, au contraire, est mono-
tone et compact, surtout entre le Cap et l'Angola por-
tugaise, c'est-à-dire dans la colonie allemande dite du
Sud-ouest africain.
C'est qu'en cette partie, en effet, dominent les vents
alizés, qui entraînent vers le nord-ouest toute l'humi-
dité de l'Océan ; au nord, la transition est sensible vers
le régime subéquatorial qui est celui du Bas-Congo,
hiver et été secs, pluie dans les saisons moyennes ; au
sud, ce sont les vents d'ouest avec pluies d'hiver ; des
nuées arrivent bien parfois, et même en toutes saisons,
du nord ou du sud, sur la baie de la Baleine, mais elles
ne s'y condensent pas ; ainsi en est-il dans le Sahara
des brumes de la Méditerranée ou du golfe de Guinée,
qui sont absorbées .et s'envolent en fumée dans une
atmosphère calcinée.
La chaleur, qui pourrait paraître excessive à ne con-
sidérer que cette rareté des pluies, est tempérée par
un courant marin froid qui remonte la côte du sud au
nord, semblable au courant de Humboldt de l'Amé-
rique australe : à Saint-Paul de Loanda la tempéra-
ture oscille de 19<» à 25°, atteignant par exception
l'afrique australe 335
38o ou tombant jusqu'à 14o. Sur la baie de la Baleine,
le thermomètre est stable entre 14© et 18°. Le courant
marin préserve cette côte des excès du climat conti-
nental, auxquels elle serait exposée par le régime
de ses pluies. Elle n'est donc pas malsaine et, si Teau
y était moins rare, offrirait par ailleurs des con-
ditions assez favorables à l'établissement des Euro-
péens.
Malheureusem-ent, l'accès du littoral est difficile, les
indentations rares, golfes largement ouverts ou pro-
montoires arrondis ; deux ou trois abris seulement
sont mieux situés, défendus contre le courant côtier par
des caps qui s'avancent au nord-ouest, baies de Saint-
Paul de Loanda, de la Baleine, d'Angra Pequena ; en-
core les mouillages y sont-ils médiocres. Sur le bord
de la mer, le sol se relève en dunes sablonneuses, dont
la dernière falaise tombe d'une vingtaine de mètres ;
les rivières qui arrivent de l'intérieur percent avec peine
ces obstacles mous ; elles s'épuisent parfois contre eux
sans pouvoir atteindre la côte, ou roulent un mince
filet au fond de brèches abruptes.
Les embouchures sont obstruées par des alluvions :
non seulement le courant venant du sud les ferme
toutes d'une barre qui s'allonge vers le nord, mais en-
core, on a observé un mouvement des eaux de la mer
qui porte les couches profondes vers la surface et par
conséquent ronge le rivage de bas en haut, le souli-
gnant d'une rangée parallèle de bancs peu immergés.
Les fleuves n'offrent donc sur aucun point des voies de
pénétration naturelles ; leurs vallées, pauvrement arro-
336 L*AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
sées, ne sont que des bas-fonds où la végétation pousse
moins maigre qu'aux alentours, où peut-être le travail
de rhomme acclimaterait certaines cultures ; mais
Teau potable manque pour les résidents, à plus forte
raison pour le ravitaillement des vaisseaux de passage.
La flore littorale est très indigente ; rien n*invite sur
ces rivages à un séjour prolongé, aussi les Portugais
n'y ont-ils eu pendant longtemps que des escales pour la
traite, habitées le moins longtemps possible par quel-
ques gouverneurs et négociants, tous également pressés
de s'enrichir par le seul commerce qui fût alors prati-
qué. La côte, à partir de Mossamédès, est poissonneuse
et par là ressemblerait à la côte saharienne du nord du
Sénégal, si des espèces nouvelles n'y apparaissaient,
phoques et môme baleines ; sur les fies qui entourent
la baie d'Angra Pequeila sont déposés de grands amas
de guano, analogie nouvelle avec les îles du Pacifique
sud-américain.
En arrière de la côte, l'intérieur du pays forme un
plateau étage, dont les paliers sont, surtout au sud,
pierreux et dépourvus de toute végétation. A 200 kilo-
mètres de la mer, on rencontre des montagnes s'élevant
à plus de 2000 mètres ; elles ne forment pas de chaîne
continue, mais plutôt des massifs, dressés sur l'étag-e
culminant du plateau ; les principaux sont le Bihé, en
arrière de Saint-Philippe de Benguéla (2300 m.), les
monts Chellas, à la hauteur de Mossamédès et plus au
sud, dans l'aride Damaraland, les monts Omatokos,
avec des oasis de hauteur suspendues à 2600 mètres.
De tous ces districts montagneux, le Bihé est le mieux
L*ÀFRIQUE AUSTRALE 337
arrosé : il lui arrive au printemps quelques pluies atlan-
tiques d*ouest ; dans Tété austral, de décembre à mars
il condense les nuées plus abondantes qui arrivent
de rOcéan Indien par dessus les plateaux du Zam-
bèze.
Les fleuves de cette côte sont tous misérables ; les
seuls qui se traînent jusqu'à la mer se nourrissent dans
le Bihé, par des sources situées à 1600 mètres : le
Couanza, le Counéné ; leur cours n'est complet que pen-
dant Tété austral ; ils sont capricieux et coupés de ra-
pides : à 200 kilomètres de son embouchure, le Couanza
se brise aux chutes de Living-stone. Plus au sud, dans
la colonie allemande, les fleuves permanents n'existent
plus, ce sont des oueds, au lit encaissé, caillouteux et
desséché pendant la plus grande partie de l'année, brus-
quement envahi après un orage par un torrent furieux
qui s'écoule en quelques instants ; la course de ces eaux
est tellement rapide que l'agriculture n'en pourrait tirer
parti sans de coûteux ménagements.
Le fleuve Orange, dont le cours inférieur marque
la frontière entre les possessions allemandes et anglai-
ses, arrive à la mer après plus de 2000 kilomètres ;
bien que soutenu par des sources abondantes, il est déjà
fort affaibli à son confluent avec le Vaal, et finit ensuite
par une mince bande d'eau, paresseuse et presque dis-
simulée dans la largeur d'un lit trop grand ; on se de-
mande quelles crues furieuses ont dû le gonfler de
temps en temps, pour lui ouvrir la cluse par laquelle
il franchit les montagnes littorales.
Dans les vallées où les alluvions se sont amassées, la
1
338 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
vég-étation est permanente ; le plateau n'a pas assez de
pluies pour porter des prairies stables ; par contre les
hauteurs dominantes, qui rassemblent les nuées plu-
vieuses, se dressent sur l'aridité ambiante comme des
châteaux de verdure. Ces hauteurs sont donc les seules
parties vivantes du pays ; ce sont les centres qu'il faut
atteindre ; quelques-unes ne se recommandent pas seu-
lement par les facilités qu'elles offrent aux cultures
coloniales ; elles ont encore des mines, surtout de cui-
vre, comme au Chili : mines d'Otavi, dans le Daraara-
land, mines de Spring^bock au nord-ouest de la colonie
du Cap.
Des montagnes qui accidentent l'étage supérieur du
plateau, le sol s'abaisse vers le Zambèzeet le Kalahari ;
les eaux courantes se font de plus en plus rares du nord
au sud ; le Bihé envoie des rivières bien alimentées au
Zambèze ; mais d'autres vont se perdre dans la steppe
sans écoulement du lac Ngami ; d'autres encore, coulant
plus directement au sud, ne descendent pas si loin et
s'arrêtent à la frontière nord du Damaraland dans une
lagune saline appelée lac Etocha. Le versant oriental
des montagnes, dans la colonie allemande, est d'aspect
désertique, l'eau se perdant sous le sable dès l'origine
des vallées ; un oued affluent de l'Orange, l'Hygap,
dessine l'artère principale de ce réseau rarement super-
ficiel. Au delà du fleuve Orange, les vents d'ouest ap-
portent des pluies plus régulières, les prairies sont
plus fixes ; ces steppes de Tintérieur sont analogues à
celles du sud algérien, et l'élevage y serait possible ;
mais le manque de communications avec la côte empê-
L*AFRIQUE AUSTRALE 339
chera longtemps encore une mise en valeur quelconque
de ces régions déshéritées.
i
Entre Tembouchure du Congo et celle du fleuve
Orange, le Portugal et T Allemagne se partagent la
côte atlantique de l'Afrique. Les Portugais se sont
longtemps bornés à l'occupation de quelques postes
côtiers, constituant leur colonie d'Angola ; dans Tinté-
rieur, des expéditions commerciales dues à l'initiative
de négociants plus actifs, des explorations plus scien-
tifiques, remarquables môme, comme celles de Serpa-
.Pinto (1877-1879), d'Ivenset Gapello (1884-1885) n'ont
guère profité à l'extension du domaine réellement por-
tugais, car l'indifiPérente mollesse du gouvernement a
toujours négligé d'en tirer parti.
La population de la côte, la seule sur laquelle l'au-
torité portugaise soit organiquement établie, a été très
mélangée par les apports de trois siècles de traite ;
l'esclavage n'a été officiellement aboli dans l'Angola
qu'en 1878 et peut-être ne serait-il pas impossible, au-
jourd'hui encore, de trouver dans le Bihé des proprié-
taires fonciers dont les a domestiques » ressemblent
fort aux anciens esclaves, — ce qui veut dire qu'ils tra-
vaillent pour leurs maîtres, et nullement qu'ils sont l'ob-
jet de mauvais traitements. Les croisements de races
ont donc été fréquents, et les métis Pomheiros sont la
classe la plus nombreuse de la colonie ; caravaniers
et commerçants, ils allaient autrefois chasser jusqu'au-
près des lacs pour le compte des capitaines négriers ;
leurs captifs rapportaient du miel, de la cire, un peu
340 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
d'ivoire. Cameron en rencontra plusieurs groupes sur
le haut Zambèze. L'abolition de la traite les a privés
de leur moyen principal d'existence; mais ils se trans-
forment sous nos yeux, et deviennent pour les pro-
priétaires planteurs des courtiers appréciés.
Peu de Portugais d'origine se livrent à la culture :
la métropole pourvoit les emplois publics de fonction-
naires qui ne sont pas une élite, et les forçats repré-
sentent plus piètrement encore l'élément blanc; des
évadés s'enfuient dans l'intérieur où parfois, oubliés
des autorités trop faibles pour les poursuivre, ils fon-
dent des exploitations agricoles et font souche d'hon--
notes Pombôiros. Des créoles brésiliens, depuis une
soixantaine d'années, sont venus s'établir dans l'An-
gola et y ont introduit les cultures tropicales ; les plus
belles plantations sont entre leurs mains ; leur exemple
a stimulé les Portugais d'Europe, dont un petit groupe
montre une intelligente énergie. Quant aux entre-
prises de transport et de travaux publics, même sous
des noms déguisés en portugais, elles sont toutes
étrangères. La maison la plus confortable de Saint-
Paul est celle de la compagnie anglaise du câble.
Les habitants des villes côtières, et môme parfois les
Pombeiros de l'intérieur passent pour convertis au ca-
tholicisme ; mais, d'après les missionnaires qui vivent
au milieu d'eux, leur religion est fort intermittente.
Ce que l'on peut remarquer avec curiosité, c'est que
ces établissements portugais d'Angola, comme ceux
du Gap Vert ou de Mozambique, n'ont rien qui les dif-
férencie immédiatement des villes métropolitaines ;
l'afrique australe 341
même architecture, mômes couleurs lavées sur les fa-
çades des maisons, mômes costumes, au point que le
casque colonial est une rareté qui dénonce un étran-
ger : une hérédité de quatre siècles a modelé cette race
mixte sur le climat africain. Pour trouver des nègres
purs, il faut pénétrer loin dans l'intérieur, jusque chez
les forg'erons Loundas du haut Kassaï.
La valeur économique de rAng'ola est actuellement
médiocre, car la crise qui a suivi l'abolition de la traite
n'est pas encore résolue ; le nord de la colonie appar-
tient à la région congolaise ; des factoreries, en bor-
dure de la rive gauche du Congo, de Noki au cap San
Antonio, font le commerce de l'huile de palme et du
caoutchouc. Mais plus au sud les ports, appauvris par
la suppression de la traite, ne vaudront à peu près
rien tant que des cultures coloniales n'auront pas été
développées à l'intérieur, et des voies de communica-
tion ouvertes jusqu'à la côte. Quelle quantité de fret
peuvent représenter la cire, l'ivoire et quelques charges
de caoutchouc apportées à dos d'homme ?
Or l'Angola possède des districts certainement riches,
des vallées alluviales, des hauteurs bien arrosées, dont
on commence à cultiver le sol ; telles sont, en remontant
de Saint-Paul de Loanda, les vallées de la Kouanza et
delà Lucalla, son affluent de droite, surtout dans la
région d'Ambaca ; le climat y est trop humide pour les
Européens, l'air circule mal et le paludisme est redou-
table ; ce sont des Brésiliens qui s'y sont installés, re-
trouvant presque exactement les conditions des terres
342 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
à café de leur pays ; outre le caféier, ils ont planté du
tabac et des arachides.
Les plateaux du Bihé, par 1600 mètres d'altitude, sont
plus sains pour les Européens ; il existe à Belmonte
quelques belles exploitations, sur un sol fertile ; Capello
et Ivens y avaient obtenu en deux mois tous les lég'u-
mes des climats tempérés ; peut-être ces districts pos-
séderaient-ils aussi des gisements de cuivre. Au sud,
les hauteurs de Huillasont favorables à la canne à sucre,
tandis que les savanes qui en descendent vers le lac
Ëtocha sont propres à Télevag^e; des Boers, arrivés par
lentes étapes de l'Orange et du Transvaal y ont fondé
quelques fermes, à l'image de celles de leur pays : mai-
sons très distantes les unes des autres, troupeaux tou-
jours poussés sur de nouveaux pâturages que Ton ne
cherche pas à renouveler artificiellement, en un mot,
élevage extensif qui convient à d'immenses espaces peu
habités.
Mais la côte est mal outillée pour devenir le point de
départ d'un grand commerce; à Saint-Paul, les paque-
bots mouillent très loin de terre, on doit débarquer sur
des mahonnes plates passagers et marchandises et le
déchargement à terre n'est pas moins compliqué. Le
mouillage est meilleur à Mossamédès ; mais c'est dans
la baie des Tigres, non loin de la frontière de la colo-
nie allemande que l'on trouve le port naturel le mieux
disposé : une longue et mince péninsule le couvre à
l'ouest. Rien encore n'a été fait pour profiter de ces
avantages ; mais les Allemands paraissent décidés à
incorporer la baie des Tigres dans le Damaralaud, le
L* AFRIQUE AUSTRALE 343
jour OÙ les colonies portug'aises d'Afrique seraient une
fois de plus remaniées au profit de nouveaux posses-
seurs ; on a prétendu que l'acquisition de la baie des
Tigres était spécifiée dans le traité secret conclu en 1898
entre TAllemagne et TAngleterre ; ce serait, avec un
chemin de fer de pénétration, le meilleur point d'atta-
que des plateaux de Huilla et de Handa, sur les hautes
vallées tributaires du Gounéné.
Les chemins de fer de pénétration sont peu avancés en-
core dans l'Angola portugaise; des voies sont projetées
de Mossamédès sur Huilla, de Benguéla sur le Bihé,
par la vallée de la Catombella ; une seule est exploitée,
celle de Saint-Paul à Ambaca, qui doit être prolongée
jusqu'à Malangé, en pays producteur de café, et plus
tard jusqu'aux districts à caoutchouc du haut Kassaï ;
les capitaux engagés dans ces entreprises sont surtout
belges, anglais et français; la plupart des ingénieurs et
directeurs ne sont pas davantage portugais ; seul le per-
sonnel subalterno est rec^uté sur place. Le prix de re-
vient du chemin de fer de Saint-Paul, qui est à voie
étroite, s'est élevé à 110,000 francs par kilomètre; la
mauvaise qualité de la main-d'œuvre indigène explique
ce haut prix.
Il est en effet difficile de trouver en Angola de bons
travailleurs ; les nègres demi-civilisés de la côte sont
les plus paVesseux, ils passent des journées entières à
jouer, boire ou vagabonder dans les rues. Ceux de Ga-
binda, petite enclave portugaise au nord de l'embou-
chure du Gongo, sont les meilleurs ouvriers ; ils sont
sensibles à l'attrait du gain, comme les Loangos, leurs
344 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
voisins du Cong-o français. L'indigence de la main-
d'œuvre n'est pas un des moindres obstacles au déve-
loppement de la colonisation de l'Angcola. L'insoucieuse
g-aieté des Portugais ne s'en inquiète guère ; des Brési-
liens, des Madériens, des Boersse substituent aux maî-
tres politiques du pays partout où l'agriculture est
appelée à prospérer ; des Européens non portugais mo-
nopolisent les entreprises publiques, et font les cinq
sixièmes du commerce de l'Angola.
La colonie allemande du Sud-ouest africain s'étend
sur la côte de l'embouehure du Counéné à celle de
rOrange. Les races indigènes sont ici moins mélangées
que dans l'Angola portugaise, l'occupation européenne
étant beaucoup plus récente : en 1883 seulement,M. Lû-
deritz planta le pavillon allemand sur le littoral de la
baie d'Angra Pequefia; c'était la première fois alors que
l'Allemagne prenait position hors d'Europe. Elle ren-
contra dans l'Afrique du sud-ouest des nègres de diver-
ses races : au nord, les Ovambos, pasteurs delà steppe,
nomades autour du lac Etocha, mais dont quelques
tribus sont fixées et cultivent le sol dans le district plus
montagneux dit Upingtonia ; près de la côte, les Herre-
ros, agriculteurs, paysans robustes et qui furent d'a-
bord peu accessibles à l'Européen. Au sud, sur les
frontières de la colonie du Cap, vivent des Hottentots,
plus petits et moins noirs ; ce sontlesplus dégradés de
tous ces indigènes ; bien que souvent convertis au pro-
testantisme par le voisinage des Hollandais du Cap, et
parlant une sorte de patois bas-allemand, ils tombent
l'afrique australe 345
au dernier degré de Téchelle humaine, et disparaissent
rapidement par la débauche et Tivrognerie. Ils ont ce-
pendant opposé aux Allemands une vive résistance et
ne sont encore qu'imparfaitement soumis. Des métis de
Hollandais et de femmes hottentotes, appelés Bastards,
seront les meilleurs auxiliaires de la colonisation ; ils
ressemblent aux Griquasdu fleuve Orange.
Les Allemands avaient pensé ouvrir leur colonie
sud-africaine au peuplement européen ; nous avons re-
marqué^ en effet, que le climat n*était pas malsain mais
il faut d'abord aménager le pays pour parer aux inconvé-
nients de son excessive sécheresse ; des essais de forage
de puits artésiens n'ont pas réussi ; force est donc, avant
de coloniser la côte, d'organiser au plus vite la péné-
tration vers les plateaux moins arides de l'intérieur ;
c'est là qu'a été placée la capitale administrative de la
colonie, Windhoek, dominée par des cimes verdoyantes
de 2.000 mètres. Le climat sec mais tempéré, avec dé-
pression sensible pendant la nuit, est salubre, comme
celui des plateaux du Manica ; l'air y est remarquable-
ment pur. Mais là aussi, les colons doivent user de
l'eau avec parcimonie, alors que l'irrigation seule en-
richirait leurs terres ; ils ne pratiquent que l'élevage
extensif, et le développement des cultures est impos-
sible jusqu'au moment où la circulation des eaux sera
régularisée. Dans l'état actuel, le chemin de fer cons-
truit de Windhoek au port de Tsoamund n'est utile que
pour éviter aux blancs un séjour prolongé sur la côte
et daas les dunes brûlantes du littoral ; il n'a encore
aucune valeur commerciale.
346 L*AFIlIQtJE A L*ENTllÉE DU VINGTIÈME SIECLE
Les événements politiques qui se déroulent dans
l'Afrique du sud ont sug'géré à quelques publfcistes
l'idée d'ofiFrir des terres de colonisation aux Boers qui
ne voudraient pas accepter la souveraineté britan-
nique : le Sud-ouest africain allemand, mieux que toute
autre partie de l'Afrique, conviendrait à cet établisse-
ment ; jadis, les cartographes allemands eng-lobaient
sous une même couleur les colonies allemandes de
l'Afrique australe et les républiques des Boers ; la lan-
g-ue de ceux-ci est, en effet, un dialecte bas-allemand ;
ils sont protestants, comme la majorité des Allemands
du nord. Les steppes orientales du Damara et du Na-
maqua ressemblent à celles du Transvaal et de TOrang-e ;
les Boers, acclimatés à ces conditions, les colonise-
raient certainement comme ils ont fait celles de l'Orange
et du Vaal. Il peut y avoir là, pour le développement
économique de ces possessions allemandes, un renfort
précieux. Mais la politique interviendra peut-être pour
leur refuser le concours de cette immigration.
Jusqu'ici, de grandes compagnies coloniales ont
seules commencé la mise en valeur du pays ; leur
œuvre n'en est qu'à des débuts modestes. Cinq de ces
compagnies sont allemandes ; elles ont, après beau-
coup de promesses, installé dans des fermes quelques
colons boers et quelques dizaines de soldats allemands,
libérés après un service militaire dans la colonie ; elles
s'occupent surtout d'élevage et se sont assuré des dé-
bouchés au Gap pour l'exportation du bétail ; elles au-
raient songé à tenter l'élève de l'autruche, mais la
valeur des plumes a beaucoup baissé sur les marchés
L*AFRIQUE AUSTRALE 347
de l*Europe et les fermiers du Gap restreigcnent plutôt
qu'ils n'agrandissent leurs autrucheries ; dans TOvam-
bo du sud, la canne à sucre trouverait un terrain favo-
rable.
Mais tout progrès agricole est subordonné à l'irriga-
tion du sol et à l'établissement de voies de communica-
tion des plateaux intérieurs vers la côte. Il est notable,
de plus, que les Ang-lais se sont réservé les îles à
guano et le monopole de la pêche des phoques ; de
même, une compag-nie anglaise possède au nord de
Windhoek la mine de cuivre d'Otavi, qu'elle compte re-
lier par un embranchement à la voie ferrée Windhoek-
Tsoamund. Au sud du fleuve Orange, dans le terri-
toire de la colonie du Gap, les mines de cuivre de
Springbock, exploitées depuis environ quarante ans
par les Anglais, ont leur chemin de fer particulier et
leur point d'embarquement, Port-Nolloth. G'est dans
le nord-ouest de la colonie du Gap le seul district de la
côte atlantique que les Anglais n'aient pas abandonné
aux indigènes ; on voit qu'ils se sont avancés au delà
du fleuve Orange et qu'ils y ont gardé leurs positions,
bien que la souveraineté territoriale ait passé aux
Allemands. Pour ceux-ci, le sud-ouest africain est la
plus pauvre et la moins peuplée des colonies.
CHAPITRE II
Les possessions anglaises. — Anglais et Boers.
L'Afrique australe sfUgclaise n'est déjà plus l'Afrique
proprement dite ; tropicale seulement à l'est sur le lit-
toral de l'Océan Indien, elle appartient par ses terri-
toires méridionaux à la zone tempérée ; touchée par
des Européens en même temps que les côtes d'Afrique
restées portugaises, elle a, de plus, été habitée par eux
depuis le milieu du dix-septième siècle ; aussi l'appro-
priation par l'Europe est-elle singulièrement avancée.
Nous ne parlerons pas ici de la colonie du Gap elle-
même, pays de climat et de peuplement presque euro-
péens. La question indigène ne s'y pose même plus,
mais seulement celle très difiFérente de la coexistence
de deux races européennes peu sympathiques l'une à
l'autre, les Anglais et les Boers ou paysans hollandais.
Pas plus que nous n'avons étudié l'Afrique Mineure,
nous n'étudierons donc la colonie du Gap, autre suc-
cursale de l'Europe en pays africain ; nous limiterons
^
l' AFRIQUE AUSTRALE • 349
notre enquête aux côtes tropicales de Test, ainsi qu'aux
plateaux-steppes de colonisation plus récente, qui sont
aujourd'hui le théâtre de la lutte sang-lante des Anglais
et des Boers.
L'Afrique australe, au nord de 30<> S. reproduit très
exactement la forme d'aug-e que lui assignait Living-
stone : au bord de l'océan Indien s'élèvent de hautes
chaînes dépassant 3.000 mètres ; sur celles-ci s'ap-
puient des plateaux intérieurs, inclinés vers le fleuve
Orange ou vers le lac Ngami, puis relevés dans la di-
rection de l'ouest jusqu'aux montagnes de l'Afrique
sud-occidentale allemande; au sud, les plateaux cen-
traux sont barrés par des alignements de hauteurs,
dirigés d'ouest en est, qui accidentent la colonie du
Gap, la divisent à peu près comme l'Afrique Mineure,
en marches encadrées de montagnes, et finissent par
un Tell au relief varié.
Les Drakenberge sont le rebord oriental des pla-
teaux de l'Orange et du Transvaal ; ils se composent
de granits, avec des filons de quartz aurifère ; formés
de plusieurs séries parallèles, ils tombent vers la mer
en trois terrasses principales dont les fortes pluies de
rOcéan Indien attaquent sans cesse et font reculer l'es-
carpe vers l'intérieur. Le massif culminant (3000 à
3150 m.) est la borne centrale qui relie les deux séries
les plus considérables ; il porte le Mont aux Sources,
ai^si appelé parce qu'il est le château d'eau de toute la
région : le fleuve Orange en part au sud : ses affluents
le Caledon, le Zand, le Vaal en sortent en éventail à
L'Afrique. 20
350 L*AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGtlÈME SIECLE
Touest et au nord ; vers Test enfin, il envoie la Tug'ela
à Tocéan Indien. Les Drakenberg-e s'abaissent au nord,
dans le Transvaal : le mont Mauch au pied duquel
passe le chemin de fer de Lourenço-Marquez à Pretoria
n'a plus que 2660 mètres ; au delà, l'éperon du Zout-
pansberg (1370 m.) détermine la courbe du Limpopo ;
puis le relief s'efface et le sol largement ondulé ne se
relève qu'en arrière de Beira, dans la rég'ion déjà étu-
diée des Matébélés et du Manica.
La côte qui correspond à ces montagnes est rocheuse
jusqu'au nord de Durban ; elle laisse passer de petits
fleuves, coupés de cluses et de rapides, le Kei, le Saint-
John, la Tugela; au nord, une plage basse annonce le
littoral du Mozambique : lagunes allongées et séparées
de la mer par une langue de sable, havres sans pro-
fondeur, communiquant avec l'Océan par des graus
mobiles; de là, l'importance des rares positions par
où cette côte est accessible, la baie de Sainte-Lucie
et surtout celle de Lourenço-Marquez ou baie Delagoa.
La baie de Sainte-Lucie avait été occupée en 1884 par
M. Lûderitz; mais l'Angleterre, un peu brutalement
avisée par Bismark que les territoires du sud-ouest
africain étaient possession allemande, obtint alors que
par compensation Lûderitz lui abandonnât Sainte-
Lucie ; elle continuait ainsi son mouvement tournant
pour couper de la mer les républiques boers. La baie
Delagoa, jadis revendiquée par des négociants du Cap
et de Natal, fut laissée à la colonie portugaise du Mo-
zambique par un arbitrage célèbre du maréchal de
Mac-Mahon (1875) ; elle contient le seul bon abri de
l'Afrique australe 351
cette côte, Lourenço-Marquez : un chenal de 5 à 6 m.
de profondeur donne entrée dans une rade paisible, et
qu'il serait facile d'outiller en vue d'un grand com-
merce si les terres d'alluvions qui l'entourent n'étaient
marécag-euses et malsaines.
Malg-ré cet inconvénieiit, Lourenço-Marquez, seul
port non encore angolais de l'Afrique australe (car on
n'en peut dire autant de Beira, malgré la souveraineté
nominale du Portugal), a joué un rôle considérable
pendant la guerre anglo-boer; par là seulement, le
Transvaal communiquait librement avec l'extérieur.
Le port n'est pas destiné d'ailleurs à ne voir que l'acti-
vité passagère d'une année de crise : il est à portée des
gisements houillers reconnus importants de Middel-
burg qui, non seulement fournissent le combustible
aux chemins de fer de Pretoria, mais encore ravitail-
lent les paquebots qui touchent à Lourenço-Marquez,
au prix moyen de 30 francs la tonne, rendue à bord.
La Compagnie de navigation allemande de l'Afrique
occidentale a, de toutes celles qui touchent à la baie
Delagoa, tiré de ces facilités le plus d'avantages :
grâce à la modicité de ses frets, grâce à la solidarité
intelligente de ses affréteurs, cette compagnie a donné
aux afiPaires allemandes dans les pays boers une exten-
sion qui inquiète les Anglais eux-mêmes. La société
française des Chargeurs-Réunis relie le Havre et Bor-
deaux à la baie Delagoa, par le Cap, mais il n'existe
pas de service français sur Lourenço-Marquez au départ
de Marseille.
La zone littorale, en arrière de Lourenço-Marquez,
352 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
est plate et pauvre ; sur une centaine de kilomètres, le
chemin de fer de Pretoria court en plaine, parmi des
jongles et des marais infestés par la tsetsé ; c'est pour-
quoi le chemin de fer était nécessaire à la pénétration,
les bétes de somme ne pouvant descendre jusqu'à la
côte. Au delà de la plaine, la voie gravit des rampes
qui l'amènent au sud du mont Mauch, dans des dis-
tricts houillers et aurifères.
Cette côte, exposée aux pluies de l'océan Indien, est
humide surtout pendant l'été austral, de novembre à
février; on n'a pas oublié les souffrances qu'endura,
du fait de ces orages diluviens, l'armée anglaise du
Natal en 1899-1900. Durban n'a cependant que 1 m. 10
de pluie annuelle, mais la température s'y maintenant
aux environs de 20®, toute l'eau qui tombe profite à
une végétation toujours en croissance, et la flore du
Natal est toute tropicale : dans les vallées ouvertes sur
l'océan Indien, au sol épais d'alluvions superficielles,
on cultive le café, la canne à sucre ; sur les premières
collines, des plantations de thé, plus récentes, ont bien
réussi ; enfin les hautes ombrelles des palmiers donnent
à cette végétation son cachet africain. Durban est entou-
réedemagnifiques jardins. En pénétrant dans l'intérieur,
le climat est plus sec et plus continental ; les cultures
tropicales disparaissent pour faire place à l'élevage ;
des plateaux ondulés, herbeux, remontent par Pieterma-
ritzbourg (600 m.), Ladysmith, Newcastle vers le Mont
aux Sources et les passes qui débouchent à 1700 m. sur
les terrasses beaucoup moins arrosées des pays boers.
Les indigènes du littoral oriental ont été transfor-
l' AFRIQUE AUSTRALE 353
mes par le contact des Européens. Remarquons ici, et
cette observation est g-énérale pour toute l'Afrique du
sud, que la pénétration « humaine » est beaucoup
moins difficile de ce côté que dans l'Afrique Mineure,
les nègres n'ayant aucun org'anisme politique ni reli»
g'ieux ; rien chez eux ne ressemble au bloc de résis-
tance que dresse partout Tislam ; certains ont fait
preuve de qualités militaires, d'amour de l'indépen-
dance, comme les Zoulous ; mais l'anarchie normale
des nègres n'étant corrigée par aucun ferment de cohé-
sion, ces oppositions sont toujours restées sporadiques,
et la victoire militaire des Européens leur a ouvert im-
médiatement l'accès des sociétés locales. S'il devait
jamais surgir une « question indigène» dans l'Afrique
du sud, elle se poserait donc non pas dans les mêmes
termes qu'en Algérie ou en Tunisie, mais comme aux
Etats-Unis, entre blancs et gens de couleur, tous éle-
vés à peu près de môme. Or, au Natal seulement, on
peut estimer la population à 400.000 noirs au moins
contre 40.000 blancs.
Les Gafres et Basoutos qui peuplent les terrasses
orientales des Drakenberge sont fort différents des sau-
vages de l'Afrique équatoriale ; ils sont attachés au sol,
cultivent des céréales, voire pour l'exportation, élèvent
du bétail pour en faire le commerce, et promènent mé-
thodiquement leurs troupeaux transhumants de l'un à
l'autre versant des montagnes; en relations depuis le
XVII® siècle avec des réfugiés hollandais et français,
tous protestants, ils ont adopté la religion de ces
immigrants et la langue hollandaise que parlaient
L'Afrique. 20.
354 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
le plus grand nombre d'entre eux; mais, depuis une
cinquantaine d'années, ils apprennent plus volontiers
l'anglais qui est l'idiome commercial de toute l'Afri-
que du sud. Une race de métis, les Griquas, s'est formée,
partagée entre deux territoires qui encadrent l'Etat
d'Orange. Gafres etBasoutos sont aujourd'hui de soli-
des paysans, dont beaucoup de propriétaires ; nombre
d'entre eux lisent et écrivent le hollandais et l'anglais ;
ils envoient leurs enfants à l'école, et possèdent môme
des journaux.
Les Zoulous, parents des Matébélés que soumirent
si péniblement les troupes anglaises, n'ont été vaincus
qu'après une dure campagne, en 1879 ; eux aussi re-
noncent à leurs instincts de rapine ; mais leur pays ne se
prêtant guère à la culture, ils pratiquent surtout l'éle-
vage ; leurs bestiaux contribuent dès maintenant à
l'alimentation des Européens de l'Afrique australe ; des
troupeaux sont acheminés par les cols de la montagne
vers les pays miniers du Transvaal.
Les Anglais se sont progressivement emparés de
tout ce littoral ; évincés de Lourenço-Marquez en 1875,
ils occupaient peu après le Zoulouland ; d'abord ils pré-
tendirent s'opposer à la construction du chemin de fer
de Pretoria à la baie Delagoa, dont les capitaux étaient
pourtant anglais et américains ; puis le gouvernement
portugais ayant confisqué cette ligne, ils espérèrent le
faire condamner à des dommages intérêts - dont ils
le tiendraient quitte en occupant la baie Delagoa; les
arbitres suisses saisis du différend n'ont condamné le
Portugal qu'à des compensations beaucoup moins oné-
l' AFRIQUE AUSTRALE 355
reuses, et qui furent immédiatement réigrlées (avril
1900).
Ce sont des négociants de Natal qui ont étendu peu
à peu la domination anglaise jusqu'à la colonie du
Gap d'une part, jusqu'aux Drakenberge de l'autre.
Natal fut la première république fondée par les Boers
émigrés du Cap, mais ils en furent bientôt chassés par
les Anglais, et passèrent à l'ouest des Drakenberge
(1840-1842). Le Natal, devenu le foyer de l'action an-
glaise, a rayonné sur les pays des Basoutos, des Cafres
et des Griquas de l'est, annexés définitivement en 1885.
Les Anglais sont ainsi les maîtres de toutes les voies
de pénétration qui relient les plateaux boers à la côte
orientale : la possession même de la baie Delagoa leur
est indifférente, puisque les districts aurifères les plus
riches, ceux de Johannesbourg, communiquent direc-
tement avec Durban par une voie ferrée qui dessert
Pietermaritzbourg, Ladysmith et Newcastle. Si la po-
litique internationale leur interdit l'annexion de la
baie Delagoa, c'est sur Durban qu'ils concentreront
leurs efforts, et Lourenço-Marquez ne gardera le
débouché que d'un district aurifère de moindre im-
portance, avec celui des houillères que nous avons
signalées.
Au delà des Drakenberge, sur les terrasses qui s'in-
clinent à l'ouest, les Boers avaient constitué les deux
Républiques dont le sort se joue à l'heure où ces lignes
sont écrites, l'Etat libre d'Orange et la République sud-
Africaine ou Transvaal. La hauteur moyenne de ces
plateaux est de 1.300 à 1.400 mètres, les terres les plus
356 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
fertiles sont à Test, dans les districts montagneux.
L'abri des Drakenberg-e les prive des pluies de TOcéan
indien, et le climat en est continental ; en saison sèche
surtout, c'est-à-dire dans les mois de l'hiver austral
(juin à septembre), les nuits sont froides; le thermo-
mètre tombe alors jusqu'à — 5® à Johannesbourg. Les
journées sont par contre brûlantes, surtout quand
souffle le vent de nord-est, qui arrive des steppes du
Kalahari.
Des terrasses supérieures, le sol descend à l'ouest
vers le pays des Bechuanas; la saison des pluies est
alors de plus en plus courte; Pretoria, située à 1.360
mètres dans un cirque ouvert au nord, n'a que m. 60
de pluies annuelles ; tout autour, et surtout au sud-
ouest, se déploie le veldt, plateau aux vastes horizons,
sans arbres, sauf ceux qui indiquent de loin les villages
ouïes habitations isolées. La surface n'en est pas plane,
mais au contraire accidentée par des mamelons d'où
jaillissent parfois, comme des forts naturels, des blocs
de granit : ce sont les kopjeSy entre lesquels les pans
sont des bassins plats, gardant en saison sèche un fond
d'humidité. Les lits des rivières sont encaissés et for-
ment en toutes saisons des obstacles ; les charrois des-
cendent péniblement sur la tranche de leurs berges.
Le nom de fontein ou source, très commun dans la
nomenclature géographique locale, exprime (comme
hir en pays arabe) l'importance des points d'eau.
Deux réseaux drainent les plateaux boers, ceux du
fleuve Orange et du Limpopo ; le Limpopo qui naît des
collines de Pretoria n'a que très peu d'eau ; il ne mérite
l' AFRIQUE AUSTRALE 357
plus g-uère aujourd'hui le nom de rivière des crocodiles,
ces animaux disparaissant à mesure que les bords du
fleuve sont plus fréquentés par les pasteurs. L'Orang-e,
ainsi que son affluent le Vaal, n*est actif que dans son
cours supérieur, notamment dans le pays des Basoutos ;
tous deux arrivent épuisés déjà dans le district diamanti-
fère des Griquas, où ils se réunissent, puis ils rampent
lourdement à la surface du plateau. Très indig^ents
pendant la majeure partie de Tannée, TOrange et le
Vaal sont exposés à des crues d'été (novembre-avril),
foudroyantes et destructrices : ils débordent alors du
sillon au fond duquel ils se dissimulent d'ordinaire.
Les steppes de l'Orang-e et du Transvaal sont, par
rheureuse combinaison de leur altitude et de leur lati-
tude, un pays tempéré où l'Européen séjourne aisé-
ment et qui est déjà très approprié par les nombreux
descendants des colons du xvn® siècle. La faune sau-
vage, éléphants, autruches, antilopes, léopards, bat en
retraite vers le nord. Les indigènes noirs, après avoir
soutenu des guerres sanglantes contre les trekkers hol-
landais, chassés du Cap et de Natal par la conquête
anglaise, sont aujourd'hui les auxiliaires ou même les
imitateurs indépendants des fermiers blancs. Chaque
famille de Boers possède un certain nombre de servi-
teurs cafres, vivant souvent en famille eux-mêmes, et
ne paraissant pas se souvenir des luttes d'antan. On ne
saurait oublier cependant que les blancs circulent tou-
jours armés à travers leurs domaines, et que leur coup
de fusil manque rarement son but. Cette précaution
explique peut-être la soumission des nègres ; si les
358 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
Anglais, pour conquérir les républiques boers, pré-
tendent désarmer tous les blancs qui les auront com-
battus, on peut se demander comment ils assureront
leur sécurité parmi des nègres huit ou dix fois plus
nombreux.
Les Boers, protestants d'orig^ine hollandaise et fran-
çaise, avaient fondé la colonie du Cap, dont les Anglais,
après un échec en 1780, s'emparèrent définitivement
en 1795. Impatients d'une autorité qui ne leur épar-
gnait aucune vexation, ils tentèrent d'abord un soulè-
vement (1815); vaincus, durement châtiés, ils partirent
en un premier exode ou trek pour le Natal ; refoulés
encore, ils fondèrent de l'autre côté des Drakenberge
leurs deux républiques. Il n'entre pas dans le plan de
ce livre de raconter comment les Anglais, après les
avoir laissés en paix tant que les indigènes des plateaux
résistaient encore, se sont, surtout depuis la découverte
des mines d'or, obstinés à détruire l'indépendance de
ces petits Etats. La campagne de 1899-1900 n'est
qu'une réédition amplifiée du fameux raid de Jamcson
en janvier 1896. Nous montrerons seulement ici com-
ment les Boers ont commencé la mise en valeur de
cette partie de l'Afrique australe et comment il paraît
nécessaire de conserver leur aide pour en continuer le
progrès.
Race endurante et prolifique, formée à la vie de plein
air, les Boers sont essentiellement des paysans ; autour
de leurs fermes s'étendent d'immenses plaines dont les
parties les plus proches seules sont défrichées ; ils j
cultivent assez de céréales pour en fournir aux Buro-
.j
r
L*AFRIQUE AUSTRALE 3S9
péens du Natal, pays trop humide et chaud pour le blé ;
ils ont des champs de tabac et des arbres fruitiers.
Mais, plus volontiers qu'à la culture, ils se livrent à
Télevag-e, cavaliers intrépides g'alopant sur de petits
cKevaux sobres et résistants au milieu de leurs trou-
peaux de bœufs ; les bœufs sont pour eux des animaux
de boucherie et de trait : ils les attellent par huit, dix
couples ou plus, suivant les difficultés de la route, à de
lourds chariots à roues pleines, véritables maisons
roulantes, où les familles s'entassent pour des treks
qui durent des mois, avec leurs provisions et leur mo-
bilier ; des roulottes du môme type servaient jadis,
avant les chemins de fer, aux marchands juifs qui ve-
naient du Cap, une fois Tan, visiter la clientèle des
Républiques.
On a pu reprocher aux Boers de n'avoir pas encou-
rag-é l'exploitation industrielle de leur pays, d'avoir,
par exemple, entravé l'exttaction de l'or par des mono-
poles onéreux ; leurs « paysanneries » sont le fait bien
excusable de ruraux qui se trouvaient aux prises, tout
d'un coup, avec les financiers les plus hardis du
monde, et qui dans les nouveaux venus, dans les
uitlanders voyaient surtout des intrus bruyants et des
agents d'expropriation. Et peut-être leur défiance ins-
tinctive de ces étrangers n'était-elle pas une erreur,
puisque, Pretoria à peine conquise, des publicistes an-
glais se demandaient déjà comment on assurerait la
protection des citoyens des Républiques contre les inso-
lences de cette population flottante et souvent suspecte.
Le malheur des Boers est venu de ce que leur sol
360 L* AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE
est trop riche ; dès 1867, des diamants étaient trouvés
entre le Vaal et TOrange, dans le district où se déploya
depuis le génie d'affaires de M. Gecil Rhodes, où na-
quit la ville de Kimberley, peuplée aujourd'hui de
plus de 20.000 habitants : en 1880, les Anglais obli-
geaient l'Etat d'Orange, contre une indemnité qu'il ne
put refuser, à leur céder les mines de diamants. L'or a
été découvert dans les monts Mauch en 1868; ce district
est aujourd'hui bien dépassé par le Rand, où Johannes-
bourg fondée en 1887, comptait avant la guerre anglo-
boer plus de 100.000 habitants, tous vivant directe-
ment ou indirectement du travail des mines. Qu'étaient,
auprès de ces cités toutes modernes, les rustiques capi-
tales occupées par les armées anglaises, Bloemfontein,
Pretoria, gros bourgs de quelques milliers d'habi-
tants ?
Le Rand est un des pays aurifères les plus riches du
monde ; on y exploite soit des alluvions superficielles,
soit dans les deep levels des filons de quartz. Des gise-
ments voisins de houille permettent l'usage économi-
que des machines les plus parfaites. Les travailleurs
et employés des naines, embrigadés par des sociétés
financières dont l'action est puissante, même fort loin
du Rand, n'ont plus la liberté d'allures des premiers
prospecteurs ; après la période tumultueuse du rws/i,
est venue l'ère plus calme des travaux réguliers. Les
manœuvres au service des compagnies minières sont
surtout des noirs ; les contremaîtres, les employés sont
des Européens de toutes nationalités mais surtout an-
glais ou assimilés par l'usage de la langue anglaise;
r
l'âfIuqùe âVstAale 361
autour d^ettx gravitent des commerçants de tous ordres,
de toutes origines et de toutes «respectabilités».
Les Boers ont presque tous refusé de s'associer à
l'exploitation des mines ; ils sont restés paysans ; la
persistance de ce caractère fait de leur race un élé-
ment nécessaire à la prospérité de TAfrique australe et
surtout des districts miniers : ce ne sont pas seulement
les monopoles institués par les Républiques qui pe-
saient sur rindustrie aurifère au Transvaal ; c'est aussi
la cherté des vivres, le pays ne produisant pas en quan-
tités suffisantes les grains, le bétail, les légumes néces-
saires à la subsistance du personnel européen des mines.
La disparition des Boers ou,ce qui reviendrait au même,
une politique oppressive qui les réduirait à la haine
héréditaire contre leurs vainqueurs compenserait, au
détriment de l'exploitation économique des mines, quel-
ques réformes administratives ; et nous ne disons rien
des frais de la guerre, qu'il faudra bien amortir sur les
ressources existantes, c'est-à-dire sur les mines elles-
mômes.
Nous croyons donc qu'une solution du conflit actuel,
pour être équitable et politique tout ensemble, pour ne
pas grever l'avenir de ce pays de charges imprudentes,
devrait tenir grand compte de cet incoercible désir d'in-
dépendance pour lequel les Boers ont si vaillamment tenu
tête, un contre dix, aux armées anglaises; la possession
des mines du Rdnd et de toutes les voies qui en com-
mandent l'accès pourrait suffire aux appétits britanni-
ques ; dans les montagnes du nord et de l'est du Trans-
vaal, communiquant avec la mer parLourenço-Marquez,
L'Afrique. 21
36â L* AFRIQUE À L^ENTKÉE 1>U VINGTIEME SIECLE
il y aurait place encore pour un Etat libre, dont les
paysans travailleraient le sol pour nourrir les mineurs l
du Rand. Mais se trouvera-t-il en Angleterre des voix
assez puissantes pour prêcher avec succès ces idées de
justice ? L'Europe saura-t-elle oublier ses divisions pour
faire comprendre à l'Angleterre qu'un impérialisme
trop violent compromettrait tout ensemble sa souverai- !
neté politique et l'essor économique de TAfrique du
sud?
La colonie anglaise du Cap s'avance, à l'ouest des
pays boers, jusque dans les régions du Zambèze, où elle
se soude au domaine des Compagnies à charte ; elle com-
prend là des terrasses, qui commencent aux monts Kar-
rees et sont appelées, au delà du fleuve Orange, le
Bechuanaland. L'aspect général est d'un plateau gra-
nitique, élevé de 800 mètres dans sa partie méridionale,
que traverse l'Orange, puis redressé par un dôme qui
arrête à l'ouest les dernières pluies de l'Océan Indien
et marque nettement une ligne de séparation entre les
eaux permanentes du Yaal ou du Limpopo et les oueds
du Kalahari. Kuruman occupe la position culminante
de ce dôme ; le chemin de fer de Kimberley à Mafekin^
et Buluvayo court sur le palier le plus haut de ce relief
aux formes écrasées.
Le climat du Bechuanaland est plus continental que
celui des républiques boers; les pluies y sont rares, le
rayonnement nocturne intense ; l'humidité rassemblée
dans les fonds y dépose des efflorescences salines, et
ces vleys ressemblent aux sebkhas des plateaux al
L*AFRIQUE AUSTRALE 363
rîens. Là poussent quelques bouquets d'arbres, parmi
des pâturages où vivent des troupeaux de chèvres et
des autruches ; une brousse basse, avec des paquets d'é-
pines couvre le reste du sol, qui descend par une pente
insensible vers le Kalahari et le Zambèze.
La partie orientale du Bechuanaland, la plus élevée,
est aussi la plus salubre ; par son altitude, parla pureté
de son air elle est comparable au Manica. Partout où
Teau paraît à la surface, des cultures sont possibles, et
le séjour offre des conditions très favorables à la santé
des Européens : des missionnaires protestants ont fondé
dans ces steppes des stations qui ont été les étapes de la
conquête anglaise : ils sont à Mafeking", bourgade de
fermiers blancs et de pasteurs cafres, à Vrybourg, à
Chochong. Livingstone avait le premier signalé la dou-
ceur et même le charme de ce climat du Bechuanaland
oriental ; il ne paraît pas que le domaine s'en étende
jusqu'au Kalahari qui, moins élevé, se trouve exposé à
tous les excès du régime désertique.
C'est encore Livingstone qui, en 1849, étudia le pre-»
mier ce Sahara de l'Afrique australe ; les eaux tombées
du Bihé, par le Koubango, se terminent en des lagunes
saumâtres, le lac Ngami et les Makarikaris ; peut-être
des dérivations souterraines en conduisent-elles une
partie au Tch'obé ou au Zambèze, mais il n'y aura pas
lieu de rechercher ces vallées encore ignorées jusqu'au
jour où la colonisation attaquera les plaines septentrio-
nales du Kalahari pour en faire un pays d'élevage.
Suivant toutes les probabilités (car l'ouest de ces step-
pes est encore à peine exploré), le désert s'accuse avec
364 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
une rig'ueur de plus en plus précise vers la frontière
allemande du Damaraland. La traversée n'en est possi-
ble pour les bétes de somme que pat* la présence d'un
melon très aqueux, qui leur fournità la fois un aliment
et une boisson.
Le Bechuanaland est peu habité : les Bechuanas
sont des pasteurs nomades, apparentés aux Basoutos
et aux Zoulous. convertis pour la plupart au protes-
tantisme et qui s'assimilent rapidement les coutumes
européennes; de plus en plus, ils se fixent dans les cen-
tres où des blancs sontétablis, ayant compris l'intérêt de
se rapprocher d'eux pour faire commerce de leur
bétail ; ils construisent des huttes circulaires, coiffées
d'un cône de paille ; il n'est pas douteux que, partout
où l'eau superficielle sera suffisante, ces indig-ènes
sauront cultiver les céréales, développant pour le bien
des Européens de l'Afrique du sud les expériences ten-
tées en petit par les missionnaires.
A l'ouest des Bechuanas vivent des nèg'res infé-
rieurs, les Bushmen ou Hottentots, petits, d'un noir
tirant sur le jaune, chasseurs et très sauvages ; coinme
la faune des grands animaux, éléphants, girafes, anti-
lopes,., ils reculent devant l'appropriation européenne
et sont en voie de disparition : tout au contraire, les
indigènes supérieurs non seulement résistent, mais se
multiplient en môme temps qu'ils s'instruisent ; il en
est des Bechuanas comme des Gafres. Et ce progrès
n'a pas échappé au gouvernement britannique qui
ayant occupé le Bechuanaland en 1885 pour séparer
les républiques boers de la côte atlantique allemande,
l' AFRIQUE AUSTRALE 365
s'efforce, en donnant à ces noirs une éducation tout
anglaise, de se réserver le bénéfice de leur collabora-
tion.
• A l'heure présente, la valeur économique de ces
annexes de la colonie du Gap est médiocre ; on a dé-
couvert des diamants près de Vrybourg, du fer au nord-
est de Chochong- ; mais il ne paraît pas que les mines
déjà exploitées soient près d'être épuisées et que l'on
doive s'attaquer à ces nouveaux gisements d'accès
moins facile. Le Bechuana restera sans doute long-
temps encore un pays d'élevage et peut-être de cultures ;
nous avons dit que les autrucheries dépassaient peu les
plateaux du Karou, les demandes du commerce ne
s'étant pas assez multipliées pour encourager des créa-
tions nouvelles plus au nord ; on peut, par contre, remar-
quer que les négociants achètent plus volontiers les
toisons de chèvre, pour la fabrique des tissus dits
mohairs. Le bétail indigène, qui déjà fournit des bêtes
de somme, sera facilement dressé au travail agricole,
et le sol du Bechuana, remué par des façons convena-
bles, est capable déporter de belles moissons. L'amélio-
ration de l'élevage, par la culture de plantes fourragères
notamment, est ici, comme dans l'Afrique Mineure, la
question fondamentale ; encore le Kalahari est -il
moins désertique que le Sahara : auprès des lacs salins,
les indigènes ont tant d'animaux de boucherie qu'ils
néglig'ent la pêche, pourtant peu laborieuse, alors que
quelques degrés plus au nord, sur le Zambèze, les
riverains s'y adonnent habituellement, faute de bétail.
21.
366 I.' AFRIQUE A l'entrée du vingtième siècle
L'occupation progressive de l'Afrique australe parles
Ang;laisa donc révélé que cette partie du continent noir
se prêterait à la constitution d'une société policée, dans
laquelle les nègres pourraient figurer, sans avoir passé
par l'esclavage ; on aurait tort cependant d'en tirer des
conclusions en ce qui concerne l'Afrique équatoriale et
tropicale, où l'établissement de la race blanche, éduca-
trice nécessaire, est interdit par le climat. Il est inté-
ressant d'indiquer, en terminant, comment les Anglais,
qui sont la minorité du nombre, ont réussi cependant
à marquer ce coin d'Afrique de l'empreinte anglo-
saxonne : d'un mot, ils se sont emparés de tout le
mouvement économique.
Ils ont construit des chemins de fer; le réseau de
"Afrique australe, en comprenant les lignes des répu-
liques boers, dépasse 8.000 kilomètres : on compte,
u départ du Cap, i.030 kilomètres de rails jusqu'à
iimberley, 1,400 jusqu'à Mafeking, 2.100 jusqu'à Bu-
ivajo, terminus actuel. De là le télégraphe, précé-
ant la voie ferrée, atteint fort Salisbuiy, où finissent
! télégraphe et le chemin de fer de Beira. A l'est de
me Tnain-line s'étend la région industrielle des
lines, déjà exploitée ; à l'ouest, la steppe k transfor-
ler peu à peu par l'agriculture et l'élevage. Or tout le
avai) industriel est dirigé par les Anglais ; l'agrîcul-
ire est pratiquée surtout par les Afrikanders et les
idigènes, mais elle n'a d'avenir que pour nourrir les
uvriers et employés de l'industrie ; les voies de trans-
ort appartiennent à des sociétés anglaises.
De plus, la langue anglaise est celle du i
l'afrique australe 367
dans toute l'Afrique australe, môme en pays boer ; les
missionnaires protestants, avant-garde des adminis-
trateurs et des financiers, enseignent aux indigènes
l'ang-lais, avec quelques métiers ; ils y joignent des no-
tions meilleures d'agriculture et d'élevage. Certes la
lang>ue anglaise, avec la simplicité de sa grammaire,
est de celles dont l'usage courant s'acquiert le plus
vite ; mais tous les succès obtenus ne sont pas dus seu-
lement à cet avantage ; il en revient une part au sys-
tème des Anglais d'imposer toujours leur langue
comme instrument des échanges, et cela par la raideur
de leur caractère, plus encore que par des règlements
d'administration.
Voilà comment, quel que soit d'ailleurs l'avenir po-
litique réservé à l'Afrique australe, colonie, confédéra-
tion associée à l'Angleterre ou république indépendante,
ce pays représentera longtemps encore une région d'ex-
pansion anglaise. La perspective est lointaine du jour
où la minorité anglaise qui représente la direction et
les capitaux sera noyée dans une population composite
de sang surtout hollandais et nègre, devenue habile aux
occupations industrielles et financières comme à l'a-
griculture, et capable de prendre sa revanche de domi-
nation contre ceux qui auront été, souvent par la violence
ses maîtres et ses initiateurs.
21..
CONCLUSION
Nous ayons,au cours de cet ouvrage, étudié toutes les
parties deTAfriqueGÙ les nègres indigcènes se trouvent
en contact avec les Européens ; nous avons dit comment,
à travers tout le continent hier mystérieux, un mouve-
ment se dessine, qui entraîne à une vie sociale certaine-
ment supérieure ces populations encore voisines de Tétat
de barbarie.
Les nations coloniales de l'Europe se sont partagé
l'Afrique noire, presque avant de la connaître ; mais il
est clair aujourd'hui que tout progrès y est impossible,
si leur intervention n'est pas active, si même elle n'est
brutale, au besoin, pour organiser l'anarchie indigène,
pour arrêter, partout où elles stérilisent le sol et les
hommes, les déprédations des prophètes musulmans.
Faire régner la paix, fût-ce d'abord au prix de la
guerre (mais ceci ne s'applique qu'à la guerre contre
des noirs), régénérer par l'agriculture les pays pacifiés,
les ouvrir par des chemins de fer à la pénétration éco-
nomique des peuples civilisés, tel est le plan nécessaire.
Les contraintes inévitables du début ne doivent pas alar-
mer les philanthropes : que l'on empêche seulement
l'afrique australe 369
l'assassinat des indigènes par Talcool et les armes d'im-
portation, et Taction européenne en Afrique sera bien-
faisante.
Nous trouvons là-bas, sur des terres à cultiver, des
races véritablement mineures qui ne sauraient arri-
ver à l'état adulte sans une tutelle ferme et prévoyante ;
de cette tutelle, l'échéance est plus ou moins proche
selon que le premier contact avec l'Europe est plus ou
moins ancien, mais le principe môme n'en est pas con-
testable.
C'est l'Europe qui a commencé la transformation de
l'Afrique; elle seule est capable d'en surveiller et d'en
hâter l'évolution.
L'Afrique. 21.
TABLE DES MATIÈRES
Lettre-Préface
Introduction. — Généralités ; division de TAfrique
en grandes régions géographiques. — I. La décou-
verte récente de l'Afrique par les Européens. Les
sociétés déjà constituées: Afrique mineure, Afri-
que australe, Egypte. — L'Afrique nègre et l'in-
vasion de l'Islam. Conditions générales de la pé-
nétration européenne ; nécessité de créer des voies
artificielles. — II. Configuration d'ensemble de
l'Afrique. Caractère massif de ce continent. —
Zone des plaines équatoriales ; les pluies et la
forêt. — Zone des plateaux du Centre : pays du
Zambèze et des grands lacs ; annexe de l'Abyssi-
nîe. — Zone du Soudan et du Sahara : 1* dans
l'hémisphère nord : Soudan et Sahara proprement
dits ; 2^ dans l'hémisphère sud : terrasses de l'Afri-
que australe et Kalahari
LIVRE I
LES PLAINES ÉQUATORIALES
Chapitre I. Les côtes de Guinée. — Relief de la
côte et distribution de la forêt ; les noirs anthro-
1
372 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE
pophages. — Les ports d'accès; les lagunes cô-
tières ; les populations du littoral ; les Krous et les
Sierra-Léonais. — Le commerce : huile de palme,
bois, etc.. Essais agricoles. — Division politique
et projets de pénétration vers le Soudan. ... 3o
Chapitre IL Le Gameronn allemand et le Congo
français. — La côte, les estuaires de Cameroun et
du Gabon. Difficultés de la pénétration directe.
— Les plateaux intérieurs et le versant congolais.
— Les cultures coloniales au Cameroun et dans
les îles portugaises du golfe; essais dans le Congo
français. — Les voies navigables de Tintérieur :
Congo, Oubanghi, Sanga; projet de chemin de
fer de la Sanga au Gabon. — Les concessions au
Congo français 56
Chapitre IIL L'Etat indépendant du Congo. — Ori-
gines et constitution de l'Etat. — L'ancien lac du
Congo moyen. La forêt ; la faune. Les popula-
tions indigènes; densité, coutumes, relations avec
les Européens. — Le réseau navigable du Congo.
La route de Stanley et le chemin de fer du Bas-
Congo. L'outillage du Haut-Fleuve. — Essais
agricoles. — La main-d'œuvre des nègres ... 76
Chapitre IV. La Côte orientale et Zanzibar. — Etroi-
tesse de la bande littorale. — La péninsule des
Somalis. — Zanzibar ; les îles ; la côte ou Mrima.
Moussons. Les pluies ; les boutres arabes et le
commerce indigène. — Les premières terrasses de
l'intérieur ; les fleuves. — Les Arabes de Zanzibar ;
Indous et Comoriens. — Etablissements européens,
italiens^ allemands et anglais. — Les cultures co-
loniales dans rOusambara. — Le nord du Mo-
zambique portugais et les sociétés étrangères. —
Médiocre avenir économique de la côte de Zanzibar. 102
TABLE DES MATIÈRES 373
LIVRE II
LES PLATEAUX DU CENTRE
Chapitre I. Les pays du Zambèze. — Division géné-
rale. — L'étage lacustre des sources ; pauvreté
■ du sol; populations semi-aquatiques. — L'étage
moyen ; chutes Victoria, Barotséland ; plateaux
des Matébélés et du Manica ; gisements aurifères.
Etablissements des Anglais : la Chartered Com-
pany, Le chemin de fer deBeira au fort Salisbury.
— Les plaines du Bas-Zambèze. Le Chiré et le lac
Nyassa. — La Compagnie anglaise des lacs et la
colonisation agricole. — Toutes les voies de péné-
tration des pays du Zambèze appartiennent à l'An-
gleterre 425
Chapitre II. La région dn Hant-Gongo et dn lac
Tanganika. — Les terrasses supérieures : Ounya-
mouézi ; pluies et circulation des eaux; oasis de
hauteur. — Katanga et Manyéma ; les tributaires
du Haut-Congo ; les chutes Hinde ; le lac Tanga-
nika et le lac Kivu. — L'étage inférieur des ter-
rasses congolaises. Le Congo et les Stanley-falls.
Les indigènes et les marchés arabes. Tippo-Tib.
Prise de possession par l'Etat indépendant du
Congo. — Les voies de pénétration : projets de
chemins de fer dans l'Afrique orientale allemande ;
concurrence des routes du Congo et du Zambèze ;
projets belges et anglais 445
Chapitre III. Les pays du lac Victoria et dn Hant-
Nil. — Le volcanisme autour du lac Victoria. Les
monts Baghinzés, aux sources de l'Ouellé et du
Bahr^el-Ghazal, Le « pays des Rivières ». Déca-
dence du commerce des traitants de Khartoum.
Population des Chillouks et des Dinkas. Les sul-
374 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle
tanats du Haut-Ouellé. — L'Ounyoro et l'Ouganda.
Civilisation indigène ; prédications concurrentes
de missionnaires catholiques et protestants. —
Ulbea et la conquête anglaise. — Les voies de pé-
nétration vers rOuganda : le Haut-Nil. — Le che-
min de fer de la Côte orientale. L'i^frique orien-
tale anglaise et Tlnde i67
Chapitre IV. L'Abyssinie. — Les pays gallas et le
lac Rodolphe; prolongements possibles du che-
min de fer de l'Ouganda. — Le relief oriental des
plateaux abyssins; les monts du Harrar.La vallée
de l'Aouach ; les Danakils. — Les plateaux abys-
sins. Massifs volcaniques^ cours d'eau ; divisions
climatiques : la Déga, la Votna-Déga, la Kolla, Les
populations musulmanes et coptes. — Le Tigré,
l'Amhara, le Choa. — Le déboisement. — Consti-
tution politique ; le négus Ménélik. — Les com-
munications : la côte italienne et le port de Mas-
saoua. Les possessions françaises de la baie de
Tadjoura ; le chemin de fer du Harrar .... 489
LIVRE III
LE SOUDAN ET LE SAHARA
Chapitre I. Le Soudan égyptien, l'Egypte et le Nil.
— I. Le Soudan égyptien et la route de Souakim;
le Nil soudanien^ Berber, ruines de Méroé, Khar-
toum. Les noirs cultivateurs de la plaine du Nil;
les commerçants arabes. — Les plateaux à l'ouest
du Nil : Kordofan et Darfour. Le mahdisme. —
L'occupation progressive par les Anglais. Le che-
min de fer d'Ouadi-Halfa à Khartoum. Faible va-
leur économique du Soudan égyptien.
II. Le Sahara égyptien. Montagnes littorales de
la mer Rouge ; désert libyque, plateau de Barca
TABLE DES MATIERES 375
(Cyrénaïque). Vallée du Nil ; les cataractes. Les
« Nubiens ». — Le Nil inférieur. Ce qu'il vaut
comme voie de pénétration. — L'Egypte « présent
du Nil ». Régime des crues; les irrigations. —
Les Anglais établis dans tout le domaine du Nil. 211
Chapitre IL Les pays du lac Tchad. — Connais-
sance récente ; configuration générale. — I. Au
nord et au nord-ouest du Tchad. Les monts du Ti-
besti ; le Ouadaï et le Borkou ; le Zinder et le Ka-
nem. — Le lac Tchad, vaste marécage. — A Test
du lac, le Baghirmi. — La pénétration au départ
du Congo français, par TOubanghi et par la
Sanga. Le réseau navigable du Chari. La lutte
contre Rabah. Rencontre de missions françaises
auprès du lac Tchad.
II. Au sud et à Touest du Tchad. Les monta-
gnes et plateaux de TAdamaoua ; dépressions des
vallées, Bénoué, Niger. Constitution sociale et
politique de TAdamaoua : nègres et Foulas. Par-
tage anglo-allemand. Difficultés de la pénétra-
tion en territoire allemand. La voie anglaise Ni-
ger-Bénoué. — Le Bornou et le Haoussa (Sokoto)i
Les commerçants haoussas. Communications dif-
ficiles du Bornou avec le golfe de Guinée. Accès
du Sokoto par le Niger. Projets de chemins de fer. 237
Chapitre III. Les pays de la Boucle du Niger. —
Valeur géographique de cette désignation. — Le
moyen Niger: zone d'inondation de Tombouctou,
plus utile aux cultures qu'à la navigation. Le
marché de Tombouctou ; Sonrhaïs et Touaregs. —
Les plateaux soudaniens ; alignements monta-
gneux ; pluies d'été. Etage supérieur : le Mossi.
— Etage moyen : le Sikasso, le Gourounsi, le
Gourma. — Etage inférieur : les pays de Kong, le
Gondja et les mines d'or; Tarrière-Dahomey et les
376 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE
cultures. — L'Islam dans la « Boucle du Niger ».
Le commerce indigène. — Partages européens.
La pénétration ; les régions à atteindre. Aména-
gement de la circulation intérieure^ routes, bêtes
de somme. — Les chemins de fer français du Sou-
dan à la côte de Guinée. La « dislocation » du
Soudan français 262
Chapitre IV. Le Soudan occidental et le Sénégal. —
La zone saharienne : le Kaarta. — Les plateaux
supérieurs du Sénégal et du Niger; les Bambaras,
les Mandingues. Positions principales sur le Ni-
ger; la navigation. — A Test du Niger: le Ouas-
soulou. Les cultures coloniales du Soudan occi-
dental ; le coton. — Le Dinguiray et le Fouta-
Djalon. Relief varié, climat tempéré ; les Peuls ;
agriculture et élevage, commerce indigène. Con-
ditions de rétablissement des Européens. La pé-
nétration : caractères de la côte atlantique: La
République de Libéria; Sierra-Leone ; — la Gui-
née française et le chemin de fer de Konakry au
Niger. — Le Sénégal ; côte saharienne du Cayor;
côte tropicale depuis la Gambie ; — le fleuve Sé-
négal ; les crues annuelles ; agriculture et naviga-
tion ; — le chemin de fer de Kayes au Niger; pro-
longements possibles vers la côte. — Avenir du
Sénégal français 286
Chapitre V. Le Sahara et les projets de Transsaha-
rien. — L'obstacle saharien ; extension; caractères
géographiques : absence de pluies ; vents ; Terg
et la hamada ; oasis de plaine et oasis de hauteur; **
— les Touaregs ; les cultivateurs nègres des oasis;
productions des oasis; le commerce et les cara-
vanes du Sahara. — Le commerce transsaharien ; le
marché de Tripoli. — L'occupation progressive
des oasis par la France. — Le chemin de fer trans-
TABLE DES MATIEHES 377
saharien : caractère « impérial » de cette œuvre.
Projets de tracé ; prolongements soudanîens ;
constitution définitive du domaine français en
Afrique 315
LIVRE IV
L^ AFRIQUE AUSTRALE
Chapitre I. Les colonies atlantiques. — Sécheresse
de la côte; difficultés d'accès. — Plateaux de Tin-
térieur ; pauvreté de la circulation fluviale. —
L'Angola portugaise. Métis Pombeiros, créoles et
Portugais. Régions cultivables. Ports et voies .
de pénétration. — Le Sud-ouest africain alle-
mand. Indigènes et colons ; la colonie ne se prête
pas encore au peuplement européen. Compagnies
coloniales. Irrigation, voies de communication.
— Positions anglaises sur la côte ...... 333
Chapitre II. Les possessions anglaises. Anglais et
Boers. — Structure géographique générale. — Les
Drakenberge et la côte sud-orientale. Baies de
Sainte-Lucie et Delagoa. Le Natal. Productions
tropicales. Populations noires et blanches. Métis
griquas. Poussée des colonies anglaises sur la
côte orientale; voies de pénétration. — Les pla-
teaux des Boers. Orange et Limpopo. Popula-
tions : indigènes, boers et uitlanders. Districts
aurifères. Nécessité d'une race de paysans à côté
des mineurs. — Le Bechuanaland et le Kalahari.
Stations de missionnaires ; populations indi-
gènes ; élevage. — L'occupation anglaise : chemins
de fer, éducation anglaise des indigènes. . . 348
Table des matières 371
t
L*j 1
10*
4
^
&^.
' ■'i E fF J àla.Franai 'T J rila.Th'yuiE
Wl
\.J'y y
r
AiiiisTix CHALLAMEL, Editeitr
17, RUE JACOB — PARIS
Libraire Maritime et Coloniale
L'Hiver à Alger, par Ch. Desprez, in-18, 5*iéditioii revue et
corrigée 3 fr. 50
Au Pays du Bleu, Biskra et les Oasis environnantes, par
l'abbé J. HuRABiELLE, ancien secrétaire du cardinal Lavigerie,
in-18 3 fr. 50
De rOranie au Gourara. Notes de voyage, par G.-B.-M. Fla-
mand, in-8 orné de 17 photogravures et dessins et d'une
carte. .....' 7 fr. 50
Tunis et Kairouan, par P. Fagault, in-18 ... 3 fr. 50
Voyage dans le sud de la Tunisie^ par Y. Mayet. membre
de la mission scientifique d'exploration de la Tunisie, in-18,
2e édition revue et augmentée 3 Ir. 50
De Saint-Louis à Sierra-Léone. Huit ans <le navigation dans
les rivières «lu Sud, par le capitaine Bouteiller, in-18 avec
carte 3 fr. 50
Conquête du Foutah-Djallon, par le comte d^: Sanderval,
in-8 illustré do 200 gravures, photographies de l'auteur et
d'une carte 12 fr. »
La Guinée Française. Gonakry et Rivières du Sud, par Aspe-
Fleukimoîst, conseiller du commerce extérieur, in-18 avec
2 cartes et des annexes 5 fr. »
Douze Leçons à la Sorbonne sur Madagascar, son état
actuel, ses ressources, son avenir, par J..- B. Piolet;
in-8 6 fr. »
Madagascar. Impressions de voyage, par M. Chabau», in-18.
3 fr. oO
L'Ile Bourbon. Simples renseignements, parE. Pajot, in-18.
. . . . . . . 4 fr, »
L'Ile de France légendaire, par H. de Rauville, in-18. . .
3 fr. 50
oiJON, imprimerie darantiere.
3A
t