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Full text of "L'Afrique à l'entrée du vingtième siècle"

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t-r I 



HENKI LORIN 

Professeur <le Géographie Coloniale à l'Université de Bordeaux 



L'Afrique 

à rentrée du vingtième siècle 



Le pays et les indigènes 

La pénétration européenne 



Lettre-Préface de M. Pierre FONCIN, 

INSPBCTROR nÉNKRAL DK L'UNIVERSITK 



AVEC CARTE 



PARIS 

Augustin CHALLAMEL, Éditeur 

Rue Jacob, 17 
Librairie Maritime et Coloniale 

4901 



n 



L'Afrique 



à l'entrée du XX"^ siècle 



VI PREFACE 



obsède depuis des siècles. L'image sainte du roi 
Louis flotte encore aux bouches du Nil et sur les 
ruines de Carthage. Béthencourt et nos Normands, 
avant les Espagnols, firent souche aux Canaries. 
Nos Dieppois, avant les Portugais, fondèrent des 
comptoirs en Guinée. Et si les Barbaresques, chassés 
des montagnes maures de Provence, continuèrent 
à dévaster nos rivages méditerranéens, à y répandre 
la terreur et à y recruter la chiourme de leurs 
galères jusqu'en plein xviii^ siècle, ils ne purent 
retenir dans leur bagne de Tunis notre Saint Vin- 
cent de Paul et ils eurent l'honneur d'être bom- 
bardés par Duquesne, en attendant que, par un 
coup décisif, notre armée de 1830 vînt planter 
notre drapeau sur la kasba d'Alger. Maïs déjà, à 
l'autre bout de Ténorme presqu'île, Richelieu avait 
pris possession de Madagascar ; nos huguenots, 
chassés par la révocation de l'édit de Nantes, avaient 
apporté aux colons hollandais du Cap ce levain de 
générosité et de bravoure indomptables qui fer- 
mente aujourd'hui dans l'âme héroïque du petit 
peuple Boer; et déjà aussi Bonaparte avait conquis 
la terre des Pyramides. N'est-il pas vrai que l'Afri- 
que, mystérieux aimant, a toujours attiré le génie 
de la France? 

Rappelez-vous seulement la touchante histoire 
de ce jeune Français presque d'hier que connaissent 
bien tous les jeunes Français d'aujourd'hui. Au fond 



PREFACE VII 



d'une vieille, pacifique et molle province, le Poitou, 
presque au bord des plaines noyées de TAunis, à 
Mauzé s'élève une simple statue qui porte deux 
dates : 1799-1838. Ce double millésime enferme 
toute la vie de René Gaillié, du premier Européen 
qui ait parcouru la Guinée et le Fouta-Djalon, ex- 
ploré le haut Niger, visité Tombouctou, traversé de 
part en part le Sahara et rejoint ainsi le Maroc. Ce 
n'était pourtant qu'un pauvre hère et qu'un igno- 
rant que ce René Gaillié. Mais son entreprise révèle 
ce que nous appelons aujourd'hui un état d'âme. 
Elle marque le mouvement traditionnel et profond 
qui entraîne la France vers l'Afrique. 

J'ai commencé d'enseigner la géographie à des 
écoliers lorsque la carte de l'Afrique intérieure n'é- 
tait encore qu'une tache de blanc, et que déjà cette 
tache était entamée au sud et à l'est par des explo- 
rateurs étrangers. Je n'étais guère plus âgé alors 
que mes grands élèves, candidats à Saint-Gyr; nous 
allions en été, de bon matin, avant la classe, ap- 
prendre l'équitation avec les militaires au champ 
de manœuvre et l'on nous permettait de temps à 
autre de grandes chevauchées sur les routes pou- 
dreuses. Ge qui nous passionnait par dessus tout 
c'était le cheval, l'enivrement de l'espace et du mou- 
vement; ensuite, c'étaient les nouvelles qui arri- 
vaient d'Afrique. Nous professions pour Livingstone 
en particulier une religieuse admiration. Mais nous 



PREFACE 



Ensuite, sur les glaces et les neiges du nord, il 
avait bravé les morsures de Thiver, tenu en respect 
les armées germaniques en avant de Lille. Il était 
revenu de cette guerre sibérienne paralysé des jam- 
bes; il ne conservait que le mouvement des bras 
et, assis dans un chariot articulé qui lui servait de 
table de travail, il allait et venait dans son vaste 
cabinet du Palais de la Légion d'honneur. Il se don- 
nait ainsi l'illusion du mouvement et sa grande 
intelligence était toujours en éveil. Il revoyait par 
la pensée son cher Sénégal, sa colonie de prédilec- 
tion, son œuvre. Or, cette œuvre, il la savait incom- 
plète et devinant l'avenir, penché sur une carte, 
il s'obstinait à montrer du doigt le tracé du chemin 
de fer qui devait relier le haut-fleuve au Niger. En 
quoi il était un précurseur. Ce chemin de fer qu'il 
voulait, il est aujourd'hui presque achevé. D'autres 
sont en construction ou en projet. L'Afrique est 
ainsi faite, avec son rebord montagneux et ses cours 
d'eau à cataractes, qu'elle ne peut être définitive- 
ment conquise que par les chemins de fer, ces pre- 
miers et nécessaires instruments de toute coloni- 
sation. 

Conquise! Entendons-nous. Il n'y a de conquête 
durable que celle des intelligences et des cœurs, et 
c'est seulement par la communauté de langue qu'on 
peut commencer à se faire entendre d'autrui. Oh! 
je sais bien que cela fait sourire, de prétendre ensei- 



i'RÉFACf Xï 

giier le françslis à de pauvres ndir^. Souriez, mes- 
sieurs, à votre aise. Nos voisins d'Angleterre, eux, 
se gardent de dépenser leur ironie mal à propos; 
ce sont des calculateurs positifs : aussi, partout où 
ils sont les maîtres, imposent-ils aux indigènes leurs 
missionnaires, leurs, écoles et leur parler britan- 
nique, et ils ne se sont pas trouvés jusqu'ici trop 
mal de cette métKode. Ils vont plus loin, par habi- 
tude d'empiétement; jusque dans nos propres colo- 
nies de Guinée, par exemple, ils nous inondent de 
trafiquants noirs éduqués à l'anglaise et parlant an- 
glais. Messieurs, souriez-vous encore? Le général 
Faidherbe, sur ce chapitre, n'entendait pas raillerie 
et sur sa prière instante, ce fut un arrêté du gou- 
verneur du Sénégal qui, dès 1884, institua à Saint- 
Louis un comité officiel de T Alliance française (1). 
A quand l'Université de Tombouctou? 

Tout ceci, cher monsieur Lorin, était pour vous 
démontrer (vous le pressentiez) que votre beau livre 
arrive fort à point. J'ajouterai qu'il vous fait grand 
honneur. Vous avez ouvert une enquête appro- 



(1) N'entamons pas ici cette question de TAlliance fran- 
çaise, à propos de l'Afrique ; car j'en dirais trop peu ou 
j'aurais trop à en dire. Mieux vaut tout simplement ren- 
voyer le lecteur au récent volume « La Langue française 
dans le monde » qu'a publié notre association à l'occa- 
sion de l'Exposition universelle de 4900. S'adresser à 
Paris, 45, rue de Grenelle. 




r. 

k 



XÏï PRÉFACE 

fondie ; vous avez voulu nous montrer où en est 
l'Afrique actuelle, ce qu'on en connaît, ce qu'il reste 
à en mieux savoir ou à y découvrir encore et com- 
ment s'y distribuent les forces, les tendances des 
puissances rivales. Vous avez réussi. Vous avez 
assis cette large étude de géographie économique et 
politique sur la base solide de la géographie phy- 
sique. Vous êtes de la bonne école. Nous le savions 
tous et vous voyez bien que ma préface était su- 
perflue. C'est ce que je pensais en commençant à 
l'écrire. 

Pierre Foncin. 




INTRODUCTION 



GENERALITES. — DIVISION DE L'AFRIQUE EN 
GRANDES RÉGIONS GÉOGRAPHIQUES 

Ce livre n*est pas une géographie de l'Afrique ; c'est 
une étude; fondée sur la géographie, des problèmes 
que pose l'appropriation progressive de l'Afrique noire 
par les puissances européennes ; c'est, si l'on veut, un 
manuel des questions africaines au début du xx® siècle. 

J'en ai cherché les éléments, non seulement dans les 
récits des explorateurs, dans les dissertations des géo- 
graphes, dans mes notes de voyages, mais aussi dans 
toutes les publications, livres, articles, correspondances 
où j'ai pu saisir quelques traits de ce tableau vivant dont 
les détails se précisent chaque jour sous nos yeux. Je 
ne me dissimule pas que ce travail doit présenter des 
lacunes; je n'ai pas la prétention, malgré tout le soin 
que j'y ai apporté, de n'avoir pas ignoré quelques do- 
cuments ; j'espère cependant qu'ils sont en petit nombre 
et je remercie d'avance ceux de mes lecteurs qui vou- 
draient bien m'adresser des corrections ou des addi- 
tions. Mon sujet, par sa mobilité même, commanderait 

d'incessantes retouches. 

L'Afrique. 1 



2 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

J'ai renoncé à chargcer le bas des pages (rindications 
bibliographiques ; une bibliographie générale à la fin 
du volume eût été trop longue ou incomplète ; je tiens 
mes références à la disposition de ceux qui désireraient 
les connaître. J'ai transcrit peu de citations, peu de 
statistiques, m'ayant paru meilleur d'en tirer les con- 
clusions que de les reproduire. J'ai simplifié de mon 
mieux l'orthographe des noms propres ; j'écris résolu- 
ment un Touareg, des Touaregs. Les puristes écrivent 
des Touareg, sans s, mais n'osent cependant pas dire 
un Targui, ce qui serait la vraie forme du singulier ; 
laissons donc aux grammairiens ces chinoiseries . — Le 
croquis sommaire qui accompagne le texte et qui est 
destiné à en faciliter la lecture ne saurait dispenser de 
l'usage de cartes plus savantes. 

On le voit, c'est un ouvrage pratique que j'ai tenté 
d'établir; mon but serait atteint si je pouvais rendre 
quelques services à tous ceux, nombreux aujourd'hui, 
qui veulent se faire une idée des choses d'Afrique, mais 
n'ont pas le temps de remonter aux sources; à ceux 
aussi qui désirent, dans un cadre tracé d'avance, trou- 
ver des points d'appui pour inscrire des études plus 
particulières. Et j'ai déjà la confiance d'avoir fait œuvre 
utile, puisque mon livre a l'honneur d'une préface de 
M. Pierre Foncin, l'un des coloniaux français de la 
première heure. Nul patronage ne pouvait m'étre à la 
fois une meilleure recommandation et un plus précieux 
encouragement. Que M. Pierre Foncin me permette 
de lui en témoigner ici ma plus affectueuse gratitude. 



INTRODUCTION 3 



I 



Pour les Européens de la fin du xix^ siècle, c'est 
TAfrique qui mérite le mieux le nom de nouveau con- 
tinent; à peine, il y a trente ans environ, le pays était-il 
reconnu dans le voisinag-e des côtes ; la pénétration 
progressive dans Tintérieur nous a révélé l'existence 
de populations indig-ènes ignorant TEuropéen, con- 
damnées, par la g'éographie même, à des communica- 
tions médiocres avec les côtes, par où arrivent les nou- 
veautés, et certainement destinées, si l'Europe ne leur 
apportait du dehors le ferment d'une évolution nouvelle, 
à végéter aux plus bas degrés des types dé l'humanité. 

Aujourd'hui, les puissances coloniales se disputent 
l'Afrique ; la possession diplomatique d'immenses ter- 
ritoires en a précédé la possession effective, on pourrait 
presque dire l'exploration ; la conquête s'achève seu- 
lement sous nos yeux, et beaucoup d'années ne sont 
pas écoulées, depuis que nous pouvons nous faire, des 
conditions générales de la géographie africaine, une 
idée conforme à la nature des choses. Il a semblé qu'il 
ne serait pas sans intérêt de marquer quels sont, au 
seuil du xx^ siècle, les débuts de la transformation 
qui s'annonce prochaine dans l'Afrique nègre. Gom- 
ment est constitué ce pays ? Quelles en sont les popula- 
tions indigènes? Gomment l'Europe a-t-elle déjà tenté 
et doit-elle continuer de diriger leur progrès, telles 
sont les questions que le présent ouvrage voudrait 
contribuer à résoudre. 



L AFRIQUE A L ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 



W 



Telle que nous la voyons aujourd'hui, TAfriquc ne 
possède de sociétés européennes constituées qu'en son 
extrémité méridionale et sur les bords de la Méditer- 
ranée. Les g'roupcs du Cap sont les plus anciens; là, le 
climat est assez tempéré pour que Timmig-ré d'Europe 
puisse, non seulement séjourner sans esprit de retour, 
mais encore se livrer au travail de la terre. Des Hollan- 
dais, puis des protestants français ont abordé dans 
l'Afrique australe dès le xvii® siècle ; un élément nou- 
veau a été importé, depuis le commencement duxix* siè- 
cle, par la conquête anglaise ; 1» race unifiée des pre- 
miers occupants, adaptée au sol par une hérédité déjà 
longue, fortifiée encore dans son individualité par les 
persécutions anglaises, est celle de ces Boers dont la 
résistance et les grandes qualités commandent l'admi- 
ration du monde. Ils sont si complètement acclimatés 
qu'ils peuvent impunément, en de longs treks qui 
durent des mois et des mois, pousser des colonies vi- 
vaces jusqu'à la lisière de la zone tropicale. Et, de leurs 
luttes récentes, l'idée serait venue à quelques-uns qu'ils 
seraient, au besoin, dans l'Afrique noire encore intacte, 
les organes les meilleurs de la pénétration européenne. 

L'occupation française de l'Algérie-Tunisie a, elle 
aussi, provoqué rétablissement en Afrique de nombreux 
Européens, d'origines très diverses, Français, Espa- 
gnols, Italiens, Maltais, Grecs, etc.. Certains esprits 
s'affligent et s'inquiètent que les Français n'aient pas, 
dans ce total, une supériorité numérique décisive. Il 
est clair que la jeune société algérienne n'est pas pure- 
ment française, comme celle de la métropole, mais 



INTRODUCTION 5 

rêver d'une identité rig-oureuse serait le fait de cette 
funeste manie d'assimilation dont il faudrait une bonne 
fois nous vacciner. La race européenne de l'Afrique du 
Nord, la race yankee d'Afrique, si l'on veut, est mode- 
lée d'après les conditions ambiantes ; il n'est pas diffi- 
cile d'assurer le bénéfice de sa croissance à la dififusion 
de l'action française hors d'Europe ; elle est, comme 
les Boers, armée pour la pénétration du continent noir, 
dès que la traversée facile de la « mer saharienne » 
permettra sa libre expansion vers le sud. 

A l'ang-le nord-oriental de l'Afrique, l'Eg-ypte a tou- 
jours été liée à l'Europe : les vents étésiens la rappro- 
chaient de la Grèce, et c'est à Alexandrie que les arts 
et la philosophie des Grecs brillèrent de leur dernier 
éclat. La conversion de l'Egypte à l'Islam, dès la mort 
du Prophète, la détourna quelque temps de l'Europe, 
mais bientôt, devenue l'entrepôt intermédiaire entre les 
Indes Orientales et les marchés d'Occident, elle inté- 
resse de nouveau les Etats commerçants de l'Europe ; 
en 1672, Leibnitz proposait à Louis XIV d'attaquer en 
Eg-jpte les Hollandais, « rouliers des mers », et, l'en- 
nemi seul ayant chang'é, mais non la raison de chercher 
à le vaincre, Bonaparte tenta de frapper l'Ang-leterre en 
Eg-ypte. Les événements contemporains ont d'ailleurs 
illustré cette vérité, et ceci malgré le percement 
de l'isthme de Suez, que l'Egypte tient la clef de la 
route maritime des Indes ; à ce titre, nous n'aurions 
pas à nous en occuper dans le présent ouvrage, mais 
comme elle est aussi devenue, plus récemment, l'un 
des fronts d'attaque de la pénétration en Afrique, 



l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 



■J 



bt. 



elle devra, d'autre part, solliciter notre attention. 

L'Abyssinie, restée chrétienne depuis de long's siè- 
cles, constitue en Afrique la dernière exception d'une 
société tout au moins apparentée à celle d'Europe ; 
préservée par ses montagnes, elle a pu demeurer, sans 
grands changements, ce qu'elle devait être au mojen 
âge ; stimulée à l'envi, de nos jours, par le zèle con- 
current des puissances coloniales, elle s'éveille main- 
tenant à des idées et à des ambitions nouvelles ; elle 
revendique — et sans doute l'a-t-elle conquis, — le 
droit d'intervenir comme partie prenante dans la divi- 
sion de l'Afrique. Mais elle n'en est qu'à ses premiers 
eflPorts, et le rayonnement de son influence, économique 
et politique, est encore très faible. 

Partout ailleurs, et sauf les enclaves côtières où 
vivent quelques Européens, l'Afrique est le domaine de 
tribus indigènes, toutes plus ou moins noires, et dont 
l'état social est très primitif, surtout pour celles que 
n'a pas touchées la conquête de l'Islam. Il faut avouer 
que, telle qu'elle s'est présentée à nos premiers pion, 
niers, l'Afrique indigène a paru n'offrir que peu de 
ressources, et même être défendue par la nature contre 
les tentatives de pénétration : les côtes sont d'un accès 
difficile ; le climat, chaud et humide, y rend le séjour 
pénible et même dangereux pour les Européens; le sol, 
envahi par une végétation puissante, forêt ou brousse, 
arrête la marche vers l'intérieur et l'on doit, avant 
d'en rien attendre, inventer une méthode non pas en- 
core d'exploitation, mais d'études préalables. Quant 
aux indigènes, la première impression ne leur est pas 



INTRODUCTION 



plus favorable ; ils n'ont pas de besoins qu'ils ne satis- 
fassent aisément sans presque travailler : à peine vêtus, 
nourris de bananes et de manioc, cultivant tout juste 
le champ nécessaire à la subsistance de leur famille, 
ils ne sont, pour le commerce européen, ni consomma- 
teurs, ni producteurs ; je me trompe, ils sont consom- 
mateurs et même grands consommateurs d'alcools, 
mais les traitants qui les empoisonnent tueront eux- 
mêmes leur clientèle, en même temps qu'ils empêchent 
l'éducation de ces indigènes, comme auxiliaires d'une 
mise en valeur scientifique de leur pays. Ajoutons que 
toutes les tribus voisines des côtes ont été, depuis le 
xvii^ siècle, épuisées par les commandes des marchands 
négriers ; l'alcoolisme et la traite, tels ont été les pre- 
miers cadeaux de l'Europe aux nègres de l'Afrique ; on 
ne saurait donc être surpris de ne rencontrer à la côte 
que des indigènes abâtardis par ces contacts morbides, 
et depuis peu d'années seulement, à mesure que la pé- 
nétration nous a révélé des races noires plus sauvages, 
mais moins corrompues, l'idée s'est fait jour que l'a- 
ménagement des points d'ajttaque, sur le littoral, com- 
porte une transformation des indigènes, condition 
préalable d'une transformation du pays. 

Ces dernières explorations européennes ont montré 
tous les groupes nègres troublés par une crise intense 
qu'a déterminée l'invasion des Arabes ou plutôt de 
rislam. Conquérants et prophètes, des chefs musul- 
mans ont partout barré le passage aux Européens ; 
pendant de longues années, Tippo Tib fut le maître vé- 
ritable des pays du Haut-Congo ; el Hadj Omar, que 



■•••A^ 



8 l'aprique X l'entrée du vingtième siècle 

Faidherbe rencontra au Sénég'al, plus tard, Ahmadou, 
son fils, puis Samory dans le Soudan occidental, ont 
procédé de même que Rabah, le vaincu d*hier dans la 
région du Chari et les apôtres mahdistes sur le Nil 
moyen. L'Islam apporte aux nèg-res, avec une relig'ion 
très simple, le principe d'une org'anisation politique ; 
il s'est institué, en Afrique, fondateur d'états. Toute- 
fois, ses créations portant la marque de ses orig'ines, 
ces états sont restés nomades et ne se maintiennent que 
par la violence : que l'on se rappelle les exodes d'Ahma- 
dou, du Haut-Niger vers Say et de là vers le Tchad ; 
ou encore les marches incessantes de Rabah, du Ouadaï 
vers le Baghirmi et le Bornou. Si donc l'Islam inau- 
gure un état social supérieur à l'anarchie des nègres, 
il apparaît presque partout belliqueux et oppresseur, 
et n'offre nulle part, s'il est libre de toute surveillance 
européenne, les garanties d'une force vraiment civili- 
satrice. 

Les musulmans, initiés à une vie moins barbare que 
celle des nègres, conduits naturellement par leurs mi- 
grations à s'occuper de commerce, ont tracé, à travers 
la plus grande partie de l'Afrique, un réseau de routes 
de caravanes : ceux de l'Afrique orientale sillonnaient 
le pays entre le Tanganika et Zanzibar, longtemps pro- 
tégés par le sultan de cette île ; ceux de Khartoum 
allaient, ainsi que le racontent Schweinfurth et Junker, 
chercher l'ivoire et les esclaves du Bahr el Ghazal et 
du Haut-Ouellé ; ceux du Ouadaï, des pays du Tchad, 
de la Boucle du Niger, franchissant les déserts saha- 
riens, commerçaient avec l'Afrique méditerranéenne. 



INTRODUCTION 9 

Ils assuraient ainsi des relais entre les Européens éta- 
blis sur les côtes et les populations négroïdes de l'inté- 
rieur ; intermédiaires obli|^és des échangées, ils en ti- 
raient les bénéfices et l'arrivée des Européens leur fut 
doublement dommag-eable, car ils perdaient la faculté 
tout ensemble de faire travailler pour eux les indigènes 
asservis et de trafiquer des produits acquis sur place à 
bon compte. Voilà pourquoi l'influence musulmane 
s*est partout dressée contre la pénétration européenne, 
contre les Français au Sénég"al, contre les Ang-lais 
dans le Soudan ég*yptien, contre les Belg'es au Congo. 
Le fanatisme religieux était sans doute exaspéré par les 
progrès des « infidèles », mais il trouvait son meilleur 
appui dans la rancune des intérêts menacés. 

La conquête, politique et commerciale, de Tlslam a 
maintenant reculé devant les derniers venus, devant 
ces blancs qui ont la prétention de régénérer l'Afrique 
autrement que par la guerre ; le fait accompli s'impose 
au fatalisme mahométan avec une force chaque jour 
accrue; seul peut-être des grands chefs musulmans de 
jadis, Rabah possède encore un reste de puissance ; 
mais Ahmadou vit près de nos soldats, presque en 
captif, Samory est exilé (1), Tippo Tib mène à Zanzibar 
l'existence pacifique d'un commerçant retraité. L'Eu- 
rope commence donc, sous nos yeux, à prendre un 
contact direct avec les populations noires, païennes ou 
islamisées, de l'Afrique intérieure ; mais le mouvement 
économique qui s'ensuit est fort peu de chose encore. 

(4) Il vient (juin 1900) de mourir à Libreville. 
L'Afrique. i . 



10 



L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 



A Texportation, ce sont des produits du pays, cueillis 
ou ramassés plutôt que cultivés, le caoutchouc, Thuile 
de palme, l'ivoire. Le Sénégal, attaqué depuis plus 
long-temps, est entré dans Vàge de l'agriculture ; les 
arachides ont fixé et enrichissent sa population indi- 
g-ène, non moins que les importateurs européens, mais 
cette culture même est bien loin d'avoir atteint tout le 
développement qu'on en peut attendre, et partout 
ailleurs, on n'en est qu'aux essais agricoles, très près 
du littoral. 

L'interdiction de la traite a porté un coup décisif au 
commerce musulman dont le noir était, dans toute 
l'Afrique centrale, à la fois la seule béte de somme et 
la principale marchandise ; successivement, toutes les 
routes de la traite ont été coupées, vers l'Inde et la 
Perse, par les croisières qui surveillaient Zanzibar, vers 
l'Eg-ypte, vers Tunis et Alger par la conquête euro- 
péenne des côtes de la Méditerranée ; à peine conserve- 
t-elle quelques débouchés, de plus en plus précaires, 
sur la Tripolitaine et le Maroc : les chefs musulmans 
ont perdu, avec la suprématie politique, la liberté du 
commerce auquel ils se livraient le plus volontiers. 
Leurs marches à travers l'Afrique n'ont pas été, toute- 
fois, sans utilité, car ils ont propagé à leur suite di- 
verses plantes vivrières comme le riz et certainement 
étendu l'aire de l'élevage du bétail ; ils n'ont donc pas 
laissé aux Européens venant derrière eux seulement 
des ruines à relever, mais aussi des germes de progrès 
économique, par l'usage d'un vêtement moins som- 
maire, d'une nourriture plus variée, et plus encore 



INTRODUCTION 4 1 

peut-être par la diffusion d'une religj-ion qui proscrit 
les boissons alcooliques. 

Quant au commerce intérieur, entre les tribus indi- 
gènes, il est très peu actif ; les relations sont à courte 
distance, tant que chaque groupe vit aisément de ce que 
lui fournit la terre qu'il habite ; on a pu citer sur 
rOubanghi des populations de pêcheurs qui expor- 
taient le poisson séché à quelques journées de marche 
du fleuve, dans la forêt ; ce sont là des exceptions. Com- 
ment une circulation commerciale intense serait-elle 
possible, entre gens que rien ne sollicite à modifier 
leur existence primitive, à travers un pays qui n'est 
pas frayé et qui, d'ailleurs, manque souvent d'animaux 
porteurs ; sans doute, cette restriction de la vie écono- 
mique est plus absolue chez les peuples de l'Afrique 
équatoriale que chez ceux du Soudan, déjà modifiés 
par l'Islam ; mais, même pour ces derniers, les besoins 
sont médiocres, et, de longtemps encore, les marchés 
de leurs pays ne feront pas beaucoup monter la de- 
mande des produits européens. 

Telle est la situation d'ensemble de l'Afrique con- 
temporaine ; ce n'est pas beaucoup autre chose encore 
qu'une matière première, très rude, à peine dégrossie, 
et semblant parfois rebuter, plutôt qu'elle ne le solli- 
cite, le travail de l'étranger qui la transformera. Ce 
n'est pas, nous l'avons dit, la conquête musulmane qui 
peut opérer cette transfiguration ; à l'Europe, si pas- 
sionnée aujourd'hui des choses d'Afrique, en reviendra 
donc la tâche et plus tard le profit ; mais ce n'esta pas — 
et toutes les puissances coloniales l'ont compris, — en 



12 



L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 



semant sur les côtes quelques comptoirs de plus qu'elle 
pourra diriger ce mouvement ; la nécessité d'une pé- 
nétration rationnelle apparaît donc impérieuse ; pour 
vivifier l'Afrique, il faut l'atteindre dans ses parties les 
plus saines et les plus actives ; il faut donc l'étudier 
méthodiquement dans ses ressources naturelles, dans 
ses populations, dans son climat ; sans une connaissance 
géog'raphique préalable, on s'exposerait à tous les ris- 
ques des essais empiriques condamnés à l'avortement. 
Il serait, pour le moment du moins, difficile aux 
Européens de s'établir à demeure dans la plupart des 
pays récemment découverts de l'Afrique ; certaines ré- 
g-ions privilégiées, comme le Fouta-Djalon, l'Ada- 
maoua, le Ouadaï peut-être, leur seraient plus accessi- 
bles, mais les communications manquent encore pour 
les atteindre aisément, et cette pénétration doit être 
auparavant préparée par une action sur les indigènes, 
auxiliaires indispensables de toute amélioration à l'eu- 
ropéenne. Initier les indigènes à une agriculture ra- 
tionnelle, c'est les mettre à même de s'enrichir sur 
place, et par suite d'acquérir des facultés d'échange qui 
leur font défaut aujourd'hui. Le palmier à huile, les 
arbres et les lianes dont on tire le caoutchouc sont 
px^sque partout exploités par les nègres sans souci de 
sacrifier l'avenir au présent ; les Arabes, même des 
Européens, plus cupides que prévoyants, encouragent 
ces pratiques meurtrières ; d'autres font détruire par 
milliers les éléphants pour trafiquer de l'ivoire, alors 
que des efforts plus intelligents et moins coûteux sans 
doute auraient domestiqué cet animal, qui rendra peut- 



INTRODUCTION 13 

■ 

être un jour les mômes services en Afrique que dans 
rinde. Des indigènes, convenablement dressés, sauront 
mieux ménager les ressources de la terre, ou encore ils 
aideront à la prospection des mines, et Tétude de leurs 
procédés d'exploitation, pour rudimentaires qu'ils 
soient, fournira parfois le moyen de les améliorer en 
fonction des conditions locales. Il est superflu d'ajouter 
que la vente aux indigènes des armes à feu et des li- 
queurs enivrantes sera sévèrement proscrite, si Ton 
veut écarter d'eux, autant que possible, les causes de 
dégénérescence et de desti*uction. 

En même temps que seront élevés ces collaborateurs 
africains, des voies de pénétration seront lancées du 
littoral vers des points choisis de l'intérieur, soit parce 
qu'ils sont, dès maintenant, connus comme des centres 
de production indigène, soit parce que la nature, plus 
clémente qu'en d'autres endroits de l'Afrique, y laisse- 
rait vivre sans danger les Européens. L'idée qui se 
présente la première est d'utiliser pour la pénétration 
les fleuves, voies naturelles ; mais des explorations 
même sommaires démontrent que l'Afrique n'est pas, 
sous ce rapport, très bien partagée ; le Nil, qui est l'un 
des premiers fleuves du monde par sa longueur, est 
tantôt coupé de cataractes, tantôt encombré d'herbes 
flottantes, tantôt encore amaigri, au point de n'être plus 
navigable, dans la traversée du désert ; le Congo, le 
Niger, le Zambèze sont, eux aussi, barrés par des ra- 
pides et des voies artificielles devront relier les biefs 
navigables aux ports accessibles des côtes. Tandis que 
l'Amazone, pendant toute l'année, que le Saint-Lau- 



14 



L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 



rent, pendant six à huit mois, portent la grande navi- 
g'ation maritime jusqu'au coeur des deux Amériques, 
aucun fleuve d'Afrique n'ofifre de pareilles conditions ; 
pour les plus favorisés d'entre eux, le Nig'er-Bénoué 
par exemple, des transbordements sont inévitables, le 
cours n'étant pas assez rég-ulièrement profond pour les 
bâtiments de mer ; et d'ailleurs la plupart, divisés en 
biefs peu étendus que séparent des chutes, ne se prête- 
raient pas à des transports économiques. 

Puisque les fleuves sont insuffisants, il faut y sup- 
pléer par des voies créées de toutes pièces, routes ou 
plutôt chemins de fer ; des combinaisons ingénieuses 
des chemins de fer avec les principaux biefs navigables 
réduiront les dépenses ; mais toutes les puissances co- 
loniales sont aujourd'hui d'accord sur ce point que les 
chemins de fer sont une des pièces essentielles de l'ou- 
tillage des jeunes colonies'; on a pu, jadis, reculer de- 
vant l'importance des fonds à engager ; personne ne 
nie plus que ce sont là des frais de premier établisse- 
ment et que particulièrement en Afrique, des colonies 
bloquées à la côte sont condamnées à végéter, ne susci- 
tant à la puissance souveraine que des occasions de 
conflits avec les indigènes de l'intérieur ; tel fut le sort 
des colonies portugaises du Zambèze, jusqu'au jour 
où, s'appuyant sur des voies d'évacuation déjà fort 
avancées, l'Angleterre les atteignit par le sud et s'en 
empara. 

Les nations européennes se sont, à l'envi, précipitées 
sur l'Afrique ; chacune a pris sa part de côtes, se réser- 
vant ensuite de déterminer par une série de reconnais- 



INTRODUCTION 15 

sances hâtives, puis par des traités, sa part d'arrière 
pays ; toutes également comprennent la nécessité de 
jeter, au plus tôt, des chemins de fer vers l'intérieur ; 
le morcellement des côtes, déterminé par ce rush, mul- 
tipliera sans doute à Texcès les voies de pénétration, 
chaque colonie voulant avoir la sienne et devancer ses 
voisines ; déjà le chemin de fer anglais de TOuganda 
rend inutile un tracé allemand de la côte au lac Vic- 
toria ; les Belges, avec la voie ferrée du Bas-Congo, ne 
laisseraient qu'un rôle de doublure au chemin de fer 
jadis projeté du Congo français, de Loango à Brazza- 
ville ; il semble, au contraire, que, dans l'Afrique occi- 
dentale, nous puissions, par la voie Konakry-Niger, 
enlever les meilleurs éléments de trafic au chemin de 
fer de Sierra-Leone. Mais, le fait seul que certains tra- 
vaux seront peut-être entrepris en double montre quel 
est, pour la mise en valeur de l'Afrique par l'Europe, la 
nécessité de ces voies de pénétration. Un exposé général 
de la géographie africaine doit, avant l'étude plus dé- 
taillée des régions diverses, déterminer les conditions 
d'ensemble que la nature impose à cette prise de pos- 
session du continent noir. 



II 



Par sa position sur le globe, l'Afrique n'est isolée 
qu'au sud; 2,500 kilomètres seulement séparent les îles 
du Cap- Vert du Brésil et les vents alizés qui pous- 
sèrent vers l'Amérique les caravelles de Colomb dimi- 
nuent encore, si l'on peut dire, la largeur de l'Atlan- 



16 



L*AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 



tique ; la Méditerranée est un grand lac, dont l'unité 
fit jadis celle du monde romain ; entre Tlnde et la côte 
orientale d'Afrique, les moussons établirent de toute 
antiquité des relations régulières ; les sultans de Zan- 
zibar sont orig"inaires de Mascate. Lorsque Vasco de 
Gama, doublant le cap de Bonne-Espérance, eut atteint 
l'océan Indien par le sud, quelques points de relâche 
furent marqués sur la côte africaine, mais l'idée n'est 
venue que très tard, dans notre siècle, de s'appuyer 
sur ces ports pour s'avancer dans l'intérieur. Et de fait 
l'Afrique, massive, présentant à la mer, avec une sur- 
face triple de celle de l'Europe, un littoral cependant 
moindre, n'a rien qui attire d'emblée les explorateurs ; 
il a fallu toute l'âpreté des concurrences contempo- 
raines pour provoquer les nations rivales d'Europe à 
lui arracher ses secrets. 

Une « auge gigantesque »,aux bords relevés du côté 
de la mer, telle est la figure que Livingstone nous pro- 
pose de l'Afrique, ayant le premier vérifié l'hypothèse, 
fondée sur quelques renseignements portugais, d'une 
zone lacustre centrale, d'où s'épanchent les principaux 
fleuves, qui forcent ensuite, pour arriver à la mer, 
une ou plusieurs séries de redressements côtiers. Cette 
zone centrale a l'aspect dominant d'un plateau, sur le- 
quel s'est répandue en vastes nappes une latérite ferru- 
gineuse ; elle se soutient à une altitude peu supérieure 
à 1,000 mètres, qui est celle du pays des Rivières, 
commun aux sources tributaires de l'Ouellé et du Bahr 
el Ghazal, celle aussi de la région marécageuse d'où 
sortent, embrouillés les uns dans les autres, les af- 



r 



INTRODUCTION 17 

fluents du Haut-Zambèze et ceux du Kassaï-Congo. 
Des mouvements volcaniques ont çà et là dressé des 
montag-nes qui commandent le plateau, ou creusé des 
effondrements où les eaux s'amassent en lacs. 

Les côtes sont bordées de hauteurs qui limitent ordi- 
nairement près de la mer l'extension de la zone litto- 
rale : au nord, les montagnes de l'Afrique Mineure, 
Maroc, Algérie, Tunisie, celles du plateau de Benghazi 
(ancienne. Gyrénaïque) ne laissent à leurs pieds qu'une 
étroite lisière méditerranéenne ; la plaine saharienne 
atteint, il est vrai, la Méditerranée en Tripolitaine et 
l'Océan Atlantique, du Maroc au sud du Sénégal, mais 
dès la latitude des « Rivières du Sud », les relèvements 
proches des côtes réapparaissent : ce sont les monts du 
Fouta-Djalon, qui culminent vers 1,350 m., les mon- 
tagnes de l'arrière-pays des Achantis, du Dahomey, de 
l'Adamaoua ; au fond même du golfe de Guinée, la 
pyramide du mont Cameroun (3,000 mètres) ; plus au 
Sud, les monts de Cristal, à travers lesquels coulent 
rOgooué et le Bas-Congo et qui se prolongent, en mas- 
sifs posés sur des plateaux-steppes, jusqu'au cap de 
Bonne-Espérance. 

Plus nettes encore sont les séries montagneuses de la 
côte orientale ; dirigées d'abord d'ouest en est, dans la 
colonie du Cap, elles tournent ensuite au nord, montent, 
sous le nom de Drakenberge, jusqu'à 3,000 mètres, et 
se prolongent par des alignements moins puissants 
jusqu'auprès de l'équateur; ici, l'action volcanique fut 
particulièrement vive : le Kénia, le Kilimandjaro sont 
assez élevés (5,600 et 6,000 m.), pour que tous les cli- 



J 



RiQUE A l'entrée du vingtième siècle 

qu'aux glaces éternelles, s'étapcnt sur leurs 
nord, enfin, la mer Rouge s'est effondrée, 
1 Tang-anika géant, entre des câtes abruptes, 
ief chaotique de l'Abyssinie et celui du sud- 
'Arabie (Hadramaout) sont les parties culmi- 

teurs littorales descendent dans la mer par 
logés et, la houle du large venant s'écraser 
mière marche immergée de cet escalier, un 
pétuel, improprement appelé barre, assiège 
irtoutla cAte d'Afrique. A l'ouest, la mer est 
, le mouvement des alizés l'entraînant vers la 
icaine, elle n'a quelque vivacité que dans la 
termédiaire du contre-courant équatoria), k 
orrcspondcnt le littoral plus dentelé et les 
les Rivières du Sud. A l'est de l'Afrique, 
Madagascar brise les courants d'est en ouest, 
ulent autour du cap d'Ambre pourse répandre 
nal de Mozambique; des coraux, annonçant 
; nouvelle, celle des archipels intertropicaux 
ne et de l'Océan Indien, font à la cdte afri- 
s au nord, une protection presque ininter- 
Lisqu'au cap Guardafui. De ces conditions 
: caractère des embouchures, deltas aux bras 
et sans profondeur, du Niger, de l'Ogooué, 
ze ; celui du Congo seul, moins étalé, offre à 
! navigation un accès relativement facile. 
)us ces fleuves, peu en amont de leur cmbou- 
nt coupés par des rapides à travers les 
s câtières. 



INTRODUCTION 19 

L'Afrique n'est donc guère ouverte aux brises océani- 
ques, qui agissent toujours dans le sens de la modéra- 
tion et de la multiplicité des climats; continent à peine 
ébauché, la monotomie de ses formes géographiques 
n'est pas moins caractéristique que la riche diversité de 
celles de l'Europe. L'équateur coupe l'Afrique en son 
milieu : le cap Bon, pointe la plus septentrionale de là 
Tunisie et le cap des Aiguilles, au sud du continent, 
sont presque exactement symétriques, aux environs de 
35® N. et S. On doit donc supposer à priori que les 
mêmes dispositions générales se présentent dans l'un 
et l'autre hémisphère, en divergeant à partir de l'équa- 
teur; il est bon d'observer cependant que, la plus 
grande masse du continent africain étant située au 
nord de l'équateur, cette partie de l'Afrique échappera 
plus que toute autre aux influences océaniques ; dans le 
sud, l'amincissement progressif des terres les soustrait 
moins absolument à ces actions bienfaisantes ; aussi le 
régime désertique a-t-il moins de prise au sud qu'au 
nord de l'Afrique ; des deux côtés de l'équateur, aux 
forêts denses succèdent les steppes et les savanes, mais 
tandis que le Sahara interpose son immense obstacle 
entre les pays de colonisation européenne de la Médi- 
terranée et le Soudan, il n'existe au sud de l'équateur 
qu'un Sahara réduit, en rigueur de nature comme en 
étendue, et les régions de produits tropicaux y sont 
liées, presque sans solution de continuité, avec les 
territoires déjà colonisés des républiques boers et 
du Gap ; la pénétration européenne et la mise en 
valeur de l'Afrique noire sont donc beaucoup plus 



QUE A L ENTREE 

i l'hémisphère austral que dans l'autre, 
restrictions faites, la symétrie générale des 
graphiques n'en est pas moins apparente, 
ime au sud de l'équateur : au centre, c'est 
toriale, arrosée par des pluies presque pcr- 
puis viennent les steppes de la zone tropi- 
LD ré^^imc de pluies périodiques; au deli'i, 
scrtiqucs, où la pluie est très rare; plus 
es régions tempérées de l'Afrique Mineure 
où la modération du climat et la précipî- 
snne des pluies ont permis la constitution 
iuropéennes, 

les plaines équatoriales est beaucoup plus 
à l'ouest qu'à l'est de l'Afrique : elle s'an- 
la Haute-Gambie, par les forêts qui s'ac- 

revcrs occidental du Fouta-Djalon ; elle 
ine région littorale, plus ou moins lar^c, 
le Guinée, et couvre la majeure partie du 

Congo. Elle est arrosée par des pluies ve- 
Isnlique, poussées par les vents d'ouest qui 
mtre les alizés, suivant dans l'atmosphère 
1 contre-courant équatorial dans l'Océan. 
LvigateuFs qui vont du Sénégal au Congo 
qu'après les ciels clairs de Dakar, ils entrc- 
rge de Sierra-Leonc, dans les brumes du 
ir 1). 

e zone, le phénomène tout d'abord remar- 
igeur est la fastidieuse égalité des jours et 
pas de crépuscule ni d'aurore, le jour natt 
t et disparaît en quelques minutes. La tem- 



INTRODUCTION 24 

pérature se maintient aussi très constante : elle oscille 
peu autour de 28» à la Côte d'Ivoire, autour de 25»-26** 
sur le littoral du Cameroun et à Banana, sur les bou- 
ches du Congo. Les pluies tombent en toutes saisons, 
cependant le mois d'août en est à peu près privé, tandis 
que les saisons moyennes, aVril-juillet et septembre- 
novembre sont celles des plus grandes précipitations. 
La pluie ruisselle ordinairement en averses diluviennes, 
vers la fin de la journée ; on a relevé, comme hauteurs 
annuelles des pluies, 3"*30 à Freetown (Sierra-Leone), 
2^40 à Libreville (Congo français) et seulement 0^726 
à Banana, qui est à la limite de la région des savanes ; 
le maximum est atteint en territoire allemand, au pied 
du mont Cameroun, où l'on a coté 9 mètres d'eau ; la 
situation peut d'ailleurs en être comparée à celle de 
l'Assam, qui, placé au fond de l'entonnoir que forme le 
golfe du Bengale, détient avec 12 mètres le record du 
monde. Dans l'intérieur du domaine congolais, on 
pourrait prendre pour type le poste de la Nouvelle- 
Anvers (Bangala), où il tombe 1™70 de pluie par an. A 
noter que, quelle que soit la hauteur des précipitations, 
l'air des régions équatoriales est toujours très chargé 
de vapeur d'eau : la tension électrique y est très forte, 
sans rémissions fréquentes, et ce sont là, pour les Eu- 
ropéens, de fort mauvaises conditions hygiéniques : 
l'organisme, afiFaibli par une lutte continuelle contre 
un milieu déprimant, ralentit toutes ses fonctions, les 
combustions sont incomplètes, une anémie générale 
s'ensuit, et rend impossible tout effort prolongé. 

La zone équatoriale ne s'enfonce dans le continent 



22 



L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 



qu'à la latitude de rOgooué et du moyen Congo ; l'ar- 
rière-pays de la Côte d'Ivoire, du Togo allemand, inémc 
du Cameroun, appartient à la zone subsoudanienne des 
pluies périodiques et des savanes, et il en est de même 
du cours inférieur du Congo, depuis la percée des 
monts de Cristal. On pourrait limiter exactement la 
plaine équatoriale aux bornes de la forêt dense qui en 
est l'expression la plus caractéristique ; or, celle-ci ne 
forme sur la côte de Guinée qu'une bande d'une épais- 
seur très variable, et qui ne dépasserait nulle part 
300 kilomètres ; elle est précédée, du côté de la mer, 
par une mince langue de sable qui tient emprisonnées 
des lagunes allongées, et ne livre passage à la naviga- 
tion maritime que par des « graus » sans profondeur. 
La forêt dense accable le voyageur sous le poids d'une 
tristesse alanguie : le soleil perce à peine ses futaies 
toufiPues ; les grands arbres, enserrés dans l'assaut des 
lianes, poussent leurs troncs sans branchages très 
haut, jusqu'à l'air libre où ils peuvent épanouir leurs 
feuilles à la lumière ; le sol, spongieux et couvert de 
plantes en décomposition, oppose à la marche cette ré- 
sistance molle, qui use les plus robustes courages ; la 
vie animale, insectes, oiseaux, singes, est active dans la 
forêt, mais silencieuse et comme frappée de mutisme 
par la puissance souveraine de la végétation. On com- 
prend sans peine que la circulation à travers ces pays 
soit extrêmement difficile ; les cours d'eau tracent bien 
des allées que couronnent souvent des dômes de ver- 
dure, mais des ressauts montagneux les coupent de 
cataractes et leur valeur, comme voies de pénétration, 



[ 



INTRODUCTION 23 

est à peu près nulle. Quant aux indigènes, ils sont fa- 
rouches et belliqueux ; dans une clairière à demi défri- 
chée, ils plantent des bananiers, dont la long-ue feuille 
annonce partout leur présence ; ou bien, ils élèvent au- 
près d'un rapide leurs misérables huttes en roseaux, 
et vivent du poisson que les rivières fournissent en 
aboadance ; ces populations de la forêt, presque toutes 
anthropophages, contribuent à rendre plus pénible en- 
core la pénétration européenne dans l'intérieur. 

A la côte orientale de l'Afrique, le climat équatorial 
n'est représenté que sur une lisière littorale : à peu de 
distance de la mer, le sol se hérisse de montagnes, bor- 
dures de plateaux peu arrosés. A la latitude de Zanzi- 
bar, l'alizé du sud-est amène des pluies d'automne (ou 
plutôt de printemps, car il s'agit de l'hémisphère aus- 
tral) ; la mousson pluvieuse du nord-est souffle, au 
contraire, d'avril à juin. A Dares Salam,la température 
est, toute l'année, voisine de 25®, la plure atteint 1^03 
de hauteur, mais l'élévation rapide du terrain en bonds 
successifs qui le portent au niveau de 1000 mètres, 
empêche l'extension des pluies vers l'ouest; il en est de 
même, symétriquement, à la côte occidentale de l'In- 
doustan, qui est bien arrosée tandis que l'écran des 
Gattes ne laisse passer à 100 kilomètres dans l'intérieur 
qu'une très faible quantité de pluie. La forêt n'est pas, 
à l'est de l'Afrique équatoriale, puissante comme dans 
l'ouest ; des bosquets de cocotiers se dressent au bord 
même de la mer, mais la végétation dense ne remonte 
que le long des fleuves, d'après le type dit delà « forêt- 
galerie », Tout le centre du continent africain, même 



u 



l'aFRIQUE a l'entrée du vingtième SIECLE 



SOUS Téquateur, appartient donc au rég'ime tropical des 
steppes plutôt qu'à celui des plaines équatoriales ; il 
ne reçoit plus de pluies perpétuelles, et, dans la rég'ion 
« des Grands Lacs », la végétation forestière ne fait 
plus que dessiner en lignes sombres, tranchant sur une 
brousse plus claire, tout le réseau de l'hydrographie du 
pays. 

Les plateaux du centre, de latitude équatoriale, mais 
de climat tropical, pourraient être appelés aussi le pays 
des lacs, du Nyassa au Victoria ; les forces volcaniques 
qui les ont hérissés de montagnes ayant atteint en 
Abyssinie leur efiFet maximum, il paraît logique d'y 
rattacher cet appendice un peu éloigné vers le nord. 
En remontant de la plaine congolaise vers les terrasses 
où se forment le Congo et ses grands affluents, on 
observe que la permanence des pluies équatoriales 
s'atténue graduellement: dans le pays des Rivières, aux 
sources de l'Ouellé, Tannée se divise nettement en un 
été humide et chaud, pendant lequel tombent les pluies 
venues de l'Atlantique, et un hiver sec et plus froid ; 
de la forêt dense, on passe à la forêt galerie, aux sa- , 
vanes à taillis, parcourues par des bandes d'éléphants ; 
là étaient jadis les territoires de chasse de ces traitants 
de Khartoum, dont l'amitié permit à Schweinfurth une 
des plus belles explorations scientifiques de notre siècle ; 
mais déjà, par les vents du nord-est, la transition s'ac- 
cuse entre ces pays tropicaux et les steppes du Nil moyen. 

Entre la lisière littorale qui fait face à Zanzibar, et 
les grands lacs, l'aspect général est très uniforme : un 



INTRODUCTION 25 

plateau à gradins, troué çà et là par des cônes rocheux 
d'éruption ; peu de pluies, sinon sur les sommets qui 
peuvent condenser quelques nuées échappées à la con- 
sommation des montag-nes côtières, une végétation de 
mimosées, des étangs à efflorescences salines et, par 
endroits, de véritables coins de désert : tel est cet 
Ounyamouézi, dont Stanley, dans ses voyages de la 
côte aux lacs Victoria et Tanganika, nous a donné la 
première description. — Au sud, vers le lac Nyassa, la 
pénétration des pluies d'été de l'hémisphère austral 
(novembre-avril) n'est pas arrêtée si près de la mer par 
un relief côtier ; aussi voit-on réapparaître, dans les 
pays du Zambèze, la faune exubérante qui en fait l'une 
des régions les plus giboyeuses du monde ; c'est un vé- 
ritable parc zoologique, un paradis pour le naturaliste 
et le chasseur ; pour le géographe, c'est un des châteaux 
d'eau de l'Afrique ; Gameron a traversé, le premier, 
en l'étudiant très judicieusement, cette zone semi-aqua- 
tique d'où naissent les tributaires du Haut-Zambèze et 
du Kassaï et qui forme, au flanc sud-ouest du domaine 
congolais, comme un pendant au pays des Rivières du 
nord-est ; là des fondrières bourbeuses subsistent même 
en saison sèche, et la pêche fournit aux indigènes, po- 
pulations à moitié lacustres, un élément essentiel de 
leur alimentation. Mais déjà les pays du Bas-Zambèzc 
font transition vers un Soudan austral. 

Quant à l'Abyssinie, elle doit à son altitude générale 
de condenser énergiquement les nuages venant de l'est 
et môme de l'Atlantique, et qui ruissellent le long de 

ses montagnes chaotiq*ues en averses copieuses ; elle 
L'Afrique. 2 



â6 



L* AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIÈCLE 



p». 



tient étroitement aux plateaux du centre africain, par 
sa structure g-éologique et la direction de ses principaux 
soulèvements ; elle tient non moins étroitement au 
système des montagnes d'e TArabie méridionale, con- 
temporaines peut-être comme elle, dans son état actuel, 
du cataclysme qui a creusé dans le sol Tégratignure 
de la mer Rouge, et coupé la faille du détroit de Bab 
el Mandeb. L'étagement de ses plateaux et de ses mon- 
tagnes montre rapprochées les conditions climatiques 
les plus diverses, depuis la vallée profonde, lourdement 
tapie sous un étoufiFant manteau de forêts, jusqu'aux 
pâturages alpestres des sommets, souvent couronnés 
de neige. Elle ofiFre un résumé, un raccourci des plaines 
et des plateaux de l'Afrique équatoriale ; par sa popu- 
lation plus civilisée, non moins que par sa nature 
J3;'éographique, elle se présente aux Européens comme 
un champ d'expériences où l'intelligence de son sou- 
verain actuel comprend l'intérêt d'une foule d'essais. 



Une zone que l'on pourrait appeler du Soudan et 
du Sahara encadre, au nord et au sud, les plaines et 
les plateaux des latitudes équatoriales ; d'une altitude 
moindre que les plateaux du centre, arrosée par des 
pluies moins abondantes ou plutôt moins continuelles 
que les plaines du bas-pays équatorial, elle s'étend au 
nord sur tout le Soudan proprement dit, jusqu'aux 
limites sahariennes, et vient au sud du Zambèze se 
souder insensiblement aux parties les plus tempérées 
de l'Afrique australe. Les populations indigènes ne de- 
mandent plus seulement à la chasse mais au travail du 



INTRODUCTION 27 

sol les vivres qui leur sont nécessaires ; des plantes 
annuelles, comme les céréales, sont cultivées autour 
des villages ; au nord de l'équateur, la conquête mu- 
sulmane s'est propagée sur ces régions soudaniennes, 
où les horizons sont largement ouverts, où cependant 
le sol se prête à la fondation d'établissements moins 
primitifs que ceux des nègres de la forêt. Et, les mêmes 
conditions d'habitat se rencontrant sur les plateaux du 
centre, les Arabes de Zanzibar s'étaient, aussi, dévelop- 
pés de ce côté jusqu'à la descente des terrasses au delà 
desquelles commencent la plaine équatoriale et la forêt. 

Au nord de l'équateur, le Soudan et le Sahara sont 
juxtaposés en bandes parallèles, dirigées uniformé- 
ment d'ouest en est : ce sont d'abord les pays du Sé- 
négal, du Niger, du lac Tchad, du Nil jusqu'au con- 
fluent de ses tributaires abyssins; c'est, au-dessus d'eux, 
le Sahara dont les limites débordent même l'Afrique, 
puisqu'il se continue, par delà la mer Rouge, en Arabie 
et même, par delà le golfe Persique, jusque sur la rive 
gauche de l'Indus ; seules quelques masses monta- 
gneuses, comme l'Aïr et le Tibesti, dressent à travers 
le désert des îlots de climat soudanien. 

Les pluies, au Soudan, viennent du sud-ouest, c'est- 
à-dire de l'Atlantique, elles pénètrent jusqu'au Darfour, 
et là sur Textrême limite orientale de leur domaine, se 
confondent avec celles issues de l'Océan Indien ; elles 
tombent en été, pendant une saison de plus en plus 
courte du sud au nord ; les fleuves, soumis à des alter- 
natives de nourriture abondante et de diète rigoureuse, 
présentent donc des crues régulières, dont la hauteur 






v 



» 






28 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

maxime est atteinte vers la fin de Tété ; ces alternatives 
des hautes et des basses eaux entravent sur les plus im- 
portants d'entre eux la constance de la navigation. Le 
Niger, dans la courbe immense qui le porte jusqu'en 
Sahara, s'épuise sous la chaleur du désert ; il peut heu- 
reusement, soutenu par les eaux d'amont, se replier 
jusqu'à une latitude tropicale où, ressaisi par les pluies 
périodiques, il greffe comme un rejeton- vigoureux sur 
un tronc affaibli ; de même, le Nil n'aurait pas la force 
de traverser le Sahara, si le puissant réservoir des lacs 
et de l'Abyssinie ne lui ménageait son tribut ; ainsi 
vivifié, il constitue, dans l'Afrique orientale, un véri- 
table transsaharien fluvial, il féconde la longue oasis 
qui suit son cours, et, pour reprendre le mot bien 
connu d'Hérodote, « fait présent de l'Egypte » au dé- 
sert qui l'enserre. 

Le Soudan occidental ne touche guère à la côte atlan- 
tique ; les hautes terres du Fouta-Djalon reportent vers 
le nord la limite des plaines côtières qu'arrosent des 
pluies abondantes et que couvrent d'épaisses forêts ; 
sur le littoral, c'est presque aussitôt la nature saha- 
rienne qui succède à la nature équatoriale : Dakar a 
bien quelques bouquets d'arbres et le nom de cap Vert 
montre que les navigateurs, après les plages torrides 
du cap Blanc, avaient remarqué le renouveau de vég'é- 
tation qui annonce le Soudan, mais Saint-Louis est une 
ville sud-algérienne ; Podor est, par son climat estival, 
un des enfers du monde, et ce n'est pas sans motif que 
l'habitude populaire qualifie encore de « sénégalienne » 
une chaleur lourde et sèche. Le Soudan ne se révèle, 



INTRODUCTION 29 

en effet, que sur les terrasses du moyen Sénégal ; à 
Kila, entre Sénég-al et Niger, les pluies commencent 
dès février, et donnent au pluviomètre une colonne an- 
nuelle de 1™274 ; plus on s'avance dans l'intérieur, et 
plus le pays apparaît arrosé, peuplé, cultivé ; de rares 
palmiers ne sont plus seuls à se profiler sur les lignes 
mornes du paysage ; dès que les pluies ont humecté la 
terre, un tapis de verdure ininterrompue repose Tœil 
des solitudes rougeâtres du bas fleuve. 

Dans l'intérieur, au contraire, c'est par une gamme 
de transitions insensibles que, du nord au sud, on 
passe de la forêt côtière de Guinée aux sables arides 
du Sahara ; immédiatement au nord de la forêt, le 
pays, ridé, bossue de mamelons, n'a plus que dans les 
fonds une végétation arbustive touffue ; nous retrou- 
vons dans les vallées la forêt- galerie, tandis que les 
croupes des collines ont l'aspect d'un parc, où les bos- 
quets d'arbres alternent avec les cultures, où pointent 
parfois des rochers isolés, positions stratégiques qui 
commandent les alentours. Des massifs montagneux 
plus considérables dominent çà et là les formes plus 
adoucies du relief, le Fouta-Djalon et l'Adamaoua, par 
exemple ; l'altitude est alors suffisante pour que les 
plantes des pays tempérés soient cultivées avec succès 
et pour que des colons d'Europe puissent impunéinent 
— s'ils n'ont à craindre d'autre ennemi que le climat — 
fonder des établissements définitifs ; si ces montagnes 
s'élèvent plus au nord, en pays déjà saharien, elles for- 
meront des oasis de hauteur, comme celles de l'Air et 

du Tibcsti, étapes de la traversée du désert. Une im- 
L'Afrique 2. 



n 



30 l'àfrique à l'entrée du vingtième siècle 

mense étendue, d'ouest en est, se développe donc avec 
une monotone uniformité : les descriptions sont presque 
exactement les mômes, qu'il s'agisse des anciens états 
de Samory, découverts par nos officiers, du Haut-Chari, 
reconnu d'abord par Maistre, des bords du lac Tchad, 
étudiés par Barth, ou des pays du moyen Bahr el Ghazal 
où séjourna Schweinfurth. 

Sur cette bande tropicale, une autre bande s'appuie, 
qui confine au désert : ce sont les pâturag-es à trans- 
humance du Kaarta et du Mossi, le Zinder, où l'on 
chang-e pour des chameaux les bœufs amenés du sud, 
le Ouadaï et le Darfour, dont les eaux, raconte Nachti- 
g-al, sont permanentes au sud, avec des galeries où 
vivent des éléphants, tandis qu'au nord les oueds suc- 
cèdent aux fleuves, les. mimosées à la végétation des 
lianes et du caoutchouc, l'autruche à l'éléphant. Tom- 
bouctou, bien que tout proche du Niger, appartient à 
cette zone nouvelle ; l'élément nègre s'efface de plus en 
plus devant l'élément sémitique, venu du nord et du 
nord-est ; et l'ignorance de ces conditions a parfois 
coûté cher à des expéditions qui, parties du Soudan, 
n'avaient pas su changer de tactique au contact de nou- 
veaux adversaires. 



Quant au Sahara lui-même, il se déploie implacable- 
ment sur toute la largeur de l'Afrique, opposant l'ari- 
dité de sa nature aux communications entre le Soudan 
et le littoral méditerranéen : le désert libyque est aussi 
farouche que les pays « de la poudre et de la peur » du 
sud algérien ; la vie humaine y serait impossible, si 



INTRODUCTION 31 

des oasis, où l*eau superficielle réapparaît, ne permet- 
taient la culture du sol qui n'est tout autour infécond 
que parce qu*il n'est pas arrosé ; dans ces oasis, dont 
ils ont souvent asservi la population sédentaire, les 
Touaregs nomades viennent se ravitailler, et la soumis- 
sion de ces vagabonds est certaine, le jour où quelques 
garnisons, placées dans les oasis, tiendront les clefs de 
leurs approvisionnements. Quelle que soit donc, au 
Sahara, l'hostilité présente de la terre et des hommes, 
on peut affirmer sans témérité qu'il n'y a plus là un 
obstacle absolu à la pénétration européenne par le nord. 

Dans l'hémisphère austral, les conditions ne sont plus 
les mêmes ; la côte sud orientale de l'Afrique, bordée 
de hautes montagnes, arrête les pluies nées de l'Océan 
Indien ; le pays de Natal, par exemple, est très pluvieux ; 
les rivières, à la fin de l'été austral, sont des torrents 
bourbeux et dévastateurs; la terre, détrempée, s'oppose 
à la circulation et, dans les débuts de la récente guerre 
du Transvaal, autour deLadysmith, les Anglais en ont 
fait la dure expérience (fin de 1899). Mais, derrière ce 
rempart, les plateaux des Béchouanas, des Matébélés, 
etc. sont plus secs et plus sains ; c'est là que des mis- 
sionnaires anglais, établis depuis les voyages de Li- 
vingstone, ont trouvé les conditions naturelles les 
meilleures pour la fondation de stations prospères, et 
leurs travaux d'évangélisation, politique autant que 
religieuse, ont dès longtemps préparé l'accaparement 
anglais de ces pays dont les Portugais n'avaient rien su 
faire. Sur ces plateaux, lentement relevés jusqu'aux 



n 



32 



l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 



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r*- 



alignements montag'neux qui bordent l'Atlantique, la 
hauteur des pluies diminue d'est en ouest, à proportion 
que Ton s'éloigne du réservoir d'approvisionnement, 
qui est l'Océan Indien : tandis que Saint-Paul de 
Loanda, sur la côte angolaise, n'a que 0™20 de pluie 
par an, comme les ports Pacifiques du Chili septen- 
trional, le Bihé, assez élevé pour rassembler de très 
loin les nuages qui ont franchi les plaines intermé- 
diaires, émet vers l'est des sources nombreuses : les 
unes, tombant dans l'ancien lac du Congo moyen, sont 
devenues les affluents du Congo d'aujourd'hui et sont 
par lui ramenées à l'Atlantique ; les autres courent vers 
le Zambèze ou vers les bassins sans écoulement du 
Kalahari. 

Au sud du Zambèze, en effet, la steppe est de plus 
en plus aride, à la fois vers le sud et vers l'ouest ; les 
terrasses du Transvaal et de l'Orange n'ont guère d'ar- 
bres qu'autour des fermes ; la circulation des eaux 
est incertaine et pas toujours superficielle : le fleuve 
Orange, très considérable par sa longueur, puissant 
encore jusqu'à sa sortie des républiques boers, n'est 
plus ensuite qu'un filet d'eau, sans cesse appauvri dans 
la traversée de plaines brûlantes ; c'est un cours d'eau 
grêle, comme la Murraj d'Australie ; près de son em- 
bouchure dans l'Atlantique, d'autres fleuves dont les 
sources sont moins profondément enfoncées dans le 
continent n'atteignent même pas toujours la mer, et 
ressemblent aux oueds de l'Afrique Mineure : il est 
arrivé qu'on dut importer de l'eau potable à Angra- 
Pequena. Le centre de ces plaines australes, entre le 



INTRODUCTION 33 

tropique et 32<>, forme un véritable désert, le Kalahari ; 
les vents alizés et les courants marins conspirent à en 
écarter les influences océaniques ; c'est un petit Sa- 
hara. 

La répartition des zones, tropicale et désertique, 
n'est pas ici tout à fait symétrique de celle de l'Afrique 
du Nord : tandis qu'au nord le voisinage de l'Asie étend 
le domaine du climat continental et laisse aux régions 
naturelles une rigueur presque mathématique, ici 
l'Océan Indien apporte le correctif de ses eaux : il re- 
foule les limites climatiques vers l'ouest, et tord, en 
quelque sorte, les régions naturelles pour les appliquer 
contre la côte atlantique : un transsaharien qui parti- 
rait des régions soudaniennes du Transvaal et de 
l'Orange se dirigerait d'est en ouest, vers l'Atlantique, 
et non perpendiculairement à l'équateur, comme celui 
de l'Afrique septentrionale. 

La présente étude n'aura pas à décrire les pays tem- 
pérés qui forment déjà, au nord et au sud de l'Afrique, 
des succursales de l'Europe ; il faudra montrer seule- 
ment comment la transformation de l'Afrique propre 
y trouve des points d'appui ; la colonie du Gap et les 
républiques boers sont, pour cette œuvre, plus favori- 
sées que l'Afrique Mineure, puisqu'elles n'ont devant 
elles qu'une miniature de Sahara ; d'autre part, la 
proximité de l'Europe réserve peut-être à l'Afrique du 
Nord les perspectives d'un développement économique 
local plus aisé. Mais nous attarder sur ces régions de 
l'Afrique serait sortir du sujet que nous nous sommes 



34 l'aphique a l'entrée 

proposé ; aussi n'en faist 
pour mémoire, afin d'in<i 
nos raisons de n'en pas pt 
ment. 



LIVRE I 

LES PLAINES ÉQUATORIALES 



CHAPITRE 1er 
Les Côtes de Gainée 

Dès Tembouchure de la Gasamance, la nature équa- 
toriale s'annonce à la côte d'Afrique ; les lianes et ar- 
bustes à caoutchouc couvrent le sol d'une vég'étation 
serrée, mais la grande forêt n'apparaît cependant sou- 
veraine que depuis la hauteur de Libéria ; là, sur les 
plaines qui s'allongent au pied du Fouta-Djalon, les 
vents d'ouest et de sud-ouest déversent des pluies pres- 
que continuelles ; ce n'est pas tant la hauteur absolue 
des précipitations annuelles qu'il faut considérer, que 
leur répartition très peu variable selon les saisoni^; 
l'air étant en eflfet saturé d'humidité sans repos, la vé- 
gétation prend une vigueur toujours renouvelée ; elle 
s'empare du sol entier avec une ardeur telle que les 
plantes les plus fortes montent sur les autres pour s'ou- 
vrir un chemin vers la lumière, et qu'un sentier qui 
n'est pas sans cesse battu s'efiFace en quelques jours. 




6 L*AFRIQqE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

Les missions Eysséric et Blondiaux (1897), plus ré- 
cemment celle de MM. Hostains et d*011one ont, dans 
cet arrière-pays, déterminé Texacte étendue de la forêt: 
elle est larg-e de 300 à 350 kilomètres, et sa frontière 
septentrionale est sensiblement dirig-ée dans le sens de 
la côte et des soulèvements du Fouta-Djalon. 

Une autre masse forestière intense se développe dans 
le pays anglais de la Gôte-d'Or, et correspond à une 
élévation notable du relief intérieur : une série monta- 
gneuse, orientée du sud -ouest au nord-est, accidente 
cette côte, où elle forme les falaises d'Accra et du cap 
des Trois-Pointes ; elle remonte ensuite vers la moyenne 
Volta, coupe ce fleuve de rapides infranchissables et va 
s'écraser dans Tarrière-pays soudanien du Dahomey. 
Un troisième ressaut montagneux, celui du Cameroun 
allemand qui se prolonge jusqu'en Adamaoua, livre 
un autre domaine à la forêt dense ; toutes ces hauteurs 
sont exposées aux vents atlantiques, et leur altitude 
arrête au voisinage de la côte des pluies très fréquentes. 

Entre ces groupes forestiers dont la localisation 
exprime les diversités de l'orographie intérieure, le 
Soudan, avec sa nature de savane, pousse des pointes 
vers la mer : le Bandama coule dans un parc ondulé 
jusqu'à la hauteur de Thiassalé, la forêt se réduisant 
ici à un simple rideau littoral ; de même, dans le Togo 
allemand ou le Dahomey français, elle ne dépasse pas 
7^ N., et la plaine alluviale des bouches du Niger n'a 
d'arbres serrés que le long des bras du delta. Cepen- 
dant, l'aspect de la côte, vue de la mer, est partout le 
même ; qu'elle soit plate comme à Grand-Bassam ou 



LES PLAINES ÉQÛATORlALES 37 

redressée comme à Accra, que la forêt couvre une 
bande large de 350 ou seulement de 60 kilomètres, le 
voyag'eur aperçoit toujours une mince ligne de sable 
jaune, puis une teinte verte assez claire, celle des pa- 
pyrus et palétuviers qui descendent au bord de la mer 
et, par derrière, une teinte sombre, presque noire, qui 
est celle de la grande forêt. Il n'estdonc pas téméraire 
d'affirmer que la traversée de la forêt s'impose, sur 
quelque point de la côte que l'on s'appuie pour percer 
vers l'intérieur. 

La forêt guinéenne est bien la même que celle de 
TArouhimi, sous laquelle Stanley marcha trois mois 
sans revoir librement le soleil ; elle est, au progrès des 
explorations commerciales et scientifiques, l'un des 
obstacles les plus résistants que puisse dresser la na- 
ture ; il faut frayer un chemin à la hache, parmi des 
lianes géantes et des troncs d'arbres qui entravent tous 
les pas; les porteurs indigènes ne sauvent leurs char- 
ges, sans cesse fouettées par des branches, qu'au prix 
d'une gymnastique infatigable. L'humidité suinte de 
partout ; elle imprègne les vêtements et tout l'orga- 
nisme, flotte sous bois en une buée tellement épaisse 
que, môme aux rares moments où l'on aperçoit les 
astres, elle empêche toute observation précise ; les armes 
se rouillent, la gélatine des plaques photographiques 
se fond dans la moiteur constante de cette étuve ; plu- 
sieurs explorateurs racontent l'impression de soulage- 
ment et comme de délivrance qui les envahit lorsque, 
sortant de ces profondeurs forestières, ils retrouvèrent 

dans les savanes la lumière du soleil. 

L'Afrique. 3 



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38 



L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 



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Un pays aussi sauvage se défend de lui-même contre 
toutes les incursions ; il n*est habitable que pour des 
populations très primitives, vivant sur elles-mêmes, et 
sans communications avec les tribus plus civilisées de 
la côte ou du Soudan, et c'est un fait que les indigènes, 
découverts dans celte nature inclémente, ignoraient tout 
des régions les plus voisines de T Afrique : Samory, 
arrivant du nord, n'a pu entamer la forêt; ses Sofas 
étaient déconcertés par la rencontre de cette végétation 
traîtresse, dans laquelle ils ne trouvaient pas leur 
subsistance, tandis que d'invisibles ennemis les cri- 
blaient de flèches ; et si nos colonnes du Soudan ont 
réussi à les cerner, sans l'aide de troupes venant de la 
côte, c'est que la forêt elle-même, bien plus sûrement 
que n'eût pu le faire une petite armée, s'opposait à leur 
fuite vers le sud. Les naturels de ces régions habitent 
des cases rondes, dans des clairières sommairement 
défrichées ; l'Islam ne les a pas plus touchés par le nord 
que la civilisation européenne par le sud, ils parlent 
une langue particulière, et ne connaissent pas l'alcool ; 
ils sont anthropophages, non pas, semble-t-il, que ces 
pratiques se rattachent à des rites religieux quelcon- 
ques, pas davantage par cruauté instinctive, mais sim- 
plement parce qu'ils n'ont d'autre chair comestible à 
portée que celle de leurs semblables ; tels ces barbares 
du moyen Congo, dont les pirogues poursuivaient au 
cri de « viande, viande ! » Stanley descendant le fleuve. 

Cependant, pressés de tous côtés, il faudra bien que 
ces indigènes livrent passage à travers leur pays ; déjà 
de petits marchés se sont constitués, sur la lisière nord 



LES PLAINES EQUATORIAXES 39 

de la forêt, et les négociants bambaras viennent y cher- 
cher la kola qu'ils échangent contre de la poudre et des 
fusils grossiers ; mais les naturels sont très méfiants, 
et jusqu'ici personne n'a pu les amener à composition : 
MM. Hostains et d'Ollone ont dû se battre contre eux 
pendant six étapes, pour gagner nos postes les plus 
méridionaux du Soudan ; ceux qui ont appelé nos sol- 
dats contre Samory voyaient en nous, pour cet objet 
précis, des auxiliaires inespérés et sans doute ne doit- 
on pas accepter sans prudence leur apparente soumis- 
sion. 

Ce que nous avons dit ci-dessus de la répartition 
des forets indique d'ailleurs qu'il ne faut pas juger de 
tout l'arrière-pays d'après celui de Libéria ou de la 
Vol ta moyenne ; on pourrait sans doute assez facile- 
ment déblayer et maintenir libres des couloirs de péné- 
tration, là où la bande forestière est large seulement de 
quelques dizaines de kilomètres ; au lieu de forcer dès 
maintenant, dans leurs sous-bois dangereux, les indi- 
gènes qui paraissent encore irréductibles, il faudrait 
seulement les écarter des avenues choisies pour les com- 
munications avec l'intérieur ; on les concentrerait ainsi 
dans des sortes de réserves, et l'appropriation progres- 
sive du pays les contraindait peu à peu à sortir de leur 
isolement ; mais on devrait aussi prendre garde de les 
consigner aux marabouts musulmans, qui s'insinuent 
dans les villages comme féticheurs et finiraient par 
substituer à l'impuissante anarchie des anthropophages 
une cohésion défavorable aux Européens. 

On ne peut compter sur les fleuves pour faciliter la 



F^^f 



-.1 



40 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

mise en valeur du pays ; les plus petits sont, pour ainsi 
dire, envahis par la végétation, les plus grands ne sont 
navigables que par biefs peu longs, entre des rapides : 
les chaloupes à vapeur remontent 70 kilomètres sur le 
Bandama, 60 sur la Gomoé ; une exception doit être 
faite, cependant, pour le Bas-Niger et la Bénoué, qui 
offrent à la navigation fluviale près de 1,500 kilomètres 
en communication avec la mer; mais le delta du fleuve 
est sans profondeur, et les bâtiments de mer n'y peuvent 
pas pénétrer. De plus, quoique la libre navigation de 
tout le réseau du Niger ait été stipulée par des actes 
internationaux, cette voie est pratiquement monopolisée 
par les Anglais ; on se rappelle les mauvais procédés 
de la Royal Niger Society, naguère concessionnaire de 
cette partie de l'Afrique, envers notre explorateur Mi- 
zon ; la Royal Niger a été, l'an dernier, rachetée par le 
gouvernement anglais, qui voudra bien, peut-être, in- 
demniser les ayants-droit de Mizon pour les pertes qui 
leur furent alors infligées, et l'on veut espérer que les 
garanties inscrites dans les traités seront mieux assu- 
rées par lui que par une compagnie à charte ; en atten- 
dant, la voie du Niger ne sert qu'aux Anglais de Lagos 
et d'Akassa, et les autres cours d'eau côtiers, dont on a 
reconnu l'importante extension vers le nord, ne parais- 
sent pas utiles à la pénétration au delà de la forêt. Le 
problème de l'accès du Soudan par le sud est donc en- 
core à peu près intact ; nous verrons mieux, dans un 
chapitre ultérieur (1), comment les diverses puissances 

(1) Voy. livre lll, chap. m. 



LES PLAINKS ÉOUATORIALES 41 

qui se partag'ent la côto en préparent la solution. 
Dès maintenant, et avant que les travaux entamés en 
aient fait le débouché du Soudan, la côte de Guinée est 
le centre d'un commerce de plus en plus actif avec 
l'Europe, et même des tentatives agricoles y ont été 
commencées ; que doit-on penser de ces débuts ? Les 
ports sont rares et médiocres sur ce littoral ; aux fa- 
laises d'Accra et de Cape Goast Gastle (Gôte-d'Or an- 
glaise) correspond bien une mer plus profonde et moins 
agitée par le ressac : mais Accra môme ne vaut pas 
grand chose, et tout dernièrement (1899), sur un dis- 
cours de M. Chamberlain qui faisait briller la perspec- 
tive d'atteindre plus facilement les mines d'or de l'ar- 
rière-pays, des fonds ont été votés par le Parlement 
anglais pour l'améliorer; à Grand-Bassam, sur la Côte 
d'Ivoire française, à Kotonou, au Dahomey, le débar- 
quement est dangereux, la « barre » bordant le rivage 
d'une ligne ininterrompue de brisants ; il faut lancer 
jusqu'au delà de cet obstacle des digues à claire-voie, 
des wharfsj pour que les allèges des bâtiments de mer 
puissent prendre contact avec la terre sans exposer 
passagers et marchandises à des bains très peu agréables 
dans des eaux infestées de requins. Le wharf de Koto- 
nou, construit à l'occasion de notre guerre du Daho- 
mey, celui de Grand-Bassam, qui est postérieur et que 
d'ailleurs un ras de marée a fort endommagé dans l'été 
do 1899, n'ont pas eu tout le succès qu'on en pouvait 
attendre, les tarifs d'usage étant beaucoup trop élevés. 
Le débarquement à la côte de Guinée reste donc encore 
fort difficile; d'après les travaux de la mission Hou- 



42 l'afrioue a l'entrée du vingtième siècle 

daille (1899) il serait possible d'aménag'er, sans trop 
de frais, un port à la Côte d'Ivoire : un canal de 2 kilo- 
mètres, creusé à travers le cordon littoral, se jetterait 
dans la mer au lieu dit « Trou sans fond » (petit Bas- 
sam) et les lagunes intérieures seraient ainsi ouvertes 
aux bâtiments de mer. 

Accra et Cape Coast Gastle, qui sont des ports relati- 
vement accessibles, sont, semble-t-il mal placés pour 
commander un chemin de fer de pénétration : leurs en- 
virons immédiats, par suite d'un relief assez accusé, 
sont envahis par la forêt qui s'étend au loin dans l'in- 
térieur ; il vaudrait mieux outiller comme ports des 
villages situés à proximité des lagunes, à des longitudes 
où la forêt est moins large, où Ton pourrait, par con- 
séquent, susciter dès maintenant une certaine activité 
commerciale par la navigation intérieure et préparer 
tout ensemble une base d*opérations pour ouvrir le 
passage vers l'intérieur. Ces lagunes forment, de part 
ot d'autre des hauteurs qui accidentent la Gôte-d'Or 
anglaise, deux longs chapelets dont l'un appartient 
presque en entier à notre colonie de la Côte d'Ivoire, 
tandis que le plus oriental touche le Togo allemand, 
(i averse notre Dahomey et, par Lagos, se prolonge 
jusqu'au delta duNiger; Grand-Lahou, Grand-Bassam, 
Assinie pour le premier, le Petit-Popo, Kotonou et sur- 
tout Lagos, pour le second, commandent les étroits 
passages ou « graus » par où les étangs communiquent 
avec le golfe ; malheureusement, ces graus débouchent 
on face de la barre, et la mer n'est assez calme, d'après 
los observations les plus récentes, qu'en deux points où 



LES PLAINES EQUATORTALES 43 

le cordon littoral est fermé, au Petit-Bassam relevé par 
la mission Houdaillc, et à Palma, à Test de Lagos. 
L'idée la plus pratique (et c'est probablement celle qui 
sera adoptée pour notre Côte d'Ivoire) serait de creuser 
artificiellement, à travers le cordon et les lag'unes, un 
chenal donnant accès à un port intérieur bien abrité : 
ce serait à peu près le même travail qui a été fait pour 
Tunis, à travers le seuil de la Goulette et le lac qui sé- 
pare la ville de la mer. 

Le réseau des lag-unes intérieures se prête à la navi- 
içationpar petits bâtiments ne calant pas plus de i mètre 
à 4™, 10; notre seule Côte d'Ivoire en possède une Ion- 
g-ueur de 500 kilomètres, et la percée de quelques 
isthmes (tels les pangalanes de la côte est de Madag-as- 
car) en ferait un plan d'eau unique, de 2,400 kilomè- 
tres carrés, à la faveur duquel la concentration des pro- 
daîts d'un vaste pays serait facile sur le point désigné 
comme le futur port maritime delà colonie. C'est donc 
par l'aménagement de ces eaux littorales qu'il est pos- 
sible, sans travaux considérables, d'assurer une cir- 
culation intérieure à ces colonies côtières; dans le Togo 
allemand, dans le Lagos anglais, la question se pose 
comme à la Côte d'Ivoire ; au Dahomey, l'amélioration 
serait plus sensible encore, car l'Ouémé que les canon- 
nières remontent jusqu'à Dogba, est accessible par la 
lagune de Porto-Novo. Ces lignes de navigation n'ont 
rien à craindre de la concurrence des voies de terre : il 
serait déraisonnable de tracer et d'entretenir des routes 
dans un pays où l'absence de bêtes de somme les rend 
inutiles ; tout au plus doit-on prévoir quelques presta- 



♦* * w*miu"x jk :^ 



TCnCmEXE SIECLE 



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•ît? .i. • -.2fc*!-î, i%r:nni»î'? mr des races 

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^ • tv^^M-— ; •*i5- K^. UT'^S' ricDrxîs. Daho- 

• -^ -^ »' - ~ -'i.^ îeuaoj<t7 T.,x> Intel- 

•^ ^ î*^ -5- *-r*-: zmair me x:rriotltare 

• -.1 - ^-.* ■ -.-^tiUïr?. isL TT» ÎJK-raickie 

ï^ x-t ■ . - *- ^^ ■ --rs^cT-it-'-ic^ Jii;'^^il>le, — 

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LES PLAINES EQUATORIALES 45 

main des denrées d'échang-e très demandées, qu'ils ré- 
coltent sans travail pénible, du caoutchouc, de la pou- 
dre d'or; ils ont ainsi toutes facilités de se procurer des 
alcools qui les abrutissent rapidement ; ces liqueurs 
grossières sont fabriquées à Rotterdam et à Hambourg; 
des maisons allemandes en font un grand commerce, 
et c'était aussi, malgré de philanthropiques déclara- 
tions, la pratique constante de la compagnie anglaise 
du Niger; on a calculé qu'au prix de fr. 35 le litre, 
vendu sur place, ce « tord-boyaux » rapportait environ 
100 0/0 de profit aux traitants. 

Il faut faire, parmi les indigènes de la côte de Gui- 
née, une heureuse exception pour les Krous qui peu- 
plent les environs du cap des Palmes, en territoire libé- 
rien et français ; ce sont de beaux hommes, bien 
découplés, moins trapus que leurs voisins orientaux ; 
les navires marchands qui doublent le cap des Palmes 
y font souvent une courte escale pour embarquer des 
équipages de Kroumanes ; aussitôt, sur uri coup de 
sifflet de la machine, on voit des barques se détacher 
du rivage, et le vapeur devient, pour quelques heures, 
un bureau de placement flottant, sur lequel les chefs de 
groupes viennent passer marché pour eux et leurs 
hommes ; les Kroumanes, excellents piroguiers, sont 
très recherchés pour piloter les embarcations parmi les 
brisants de la barre; ils font aussi de bons agriculteurs, 
et l'appât du gain les rend très supérieurs aux autres 
noirs de la côte, qui sont flâneurs et indifférents. L'Al- 
lemagne, qui fait aujourd'hui les deux tiers du com- 
merce de Libéria, s'efforce d'obtenir du gouvernement 
L'Afrique. 3. 



44 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE 

lions indigènes pour débroussaillement périodique des 
sentiers suivis par les porteurs ou les bûcherons. 

Encore ce service demande-t-il un certain effort des 
indigènes, et ne sera-t-il pas toujours obtenu sans de 
longs palabres : ces nègres de la côte de Guinée sont de 
très mauvais travailleurs ; ils cultivent autour de leurs 
villages les bananes et le manioc qu'ils consomment 
sur place ; les palmiers leur fournissent les seuls maté- 
riaux qu'ils emploient pour leurs habitations, et leur 
vêtement se réduit à peu près à rien ; les plus indus- 
trieux pèchent le long des fleuves et dans les lagunes, 
qui sont très poissonneuses. La population du littoral 
est très clairsemée, sauf dans le pays des Achantis et 
l'ancien royaume dahoméen, occupés par des races 
d'envahisseurs, dont les rites sanguinaires faisaient 
chaque année, jusqu'à l'arrivée des Européens, d'in- 
nombrables victimes paririi les naturels conquis. Daho- 
méens et Achantis sont d'ailleurs beaucoup plus intel- 
ligents que leurs victimes, ils pratiquent une agriculture 
moins rudimentaire, sont constitués en une hiérarchie 
sociale plus organique et, — conséquence inévitable, — 
ont opposé une résistance beaucoup plus redoutable à 
l'établissement des blancs : la dominaition anglaise est 
encore précaire, dans le pays des Achantis ; la soumis" 
sion des autres populations de la côte, par exemple des 
Tépos, à l'ouest de notre Côte d'Ivoire (juin 1899), n'a 
jamais exigé que des opérations de grande police 
plutôt que de guerre. 

La plupart de ces noirs ont maintenant accepté sans 
protestation le voisinage des Européens ; ils ont sous la 



LES PLAINES EQUATORIALER 45 

main des denrées d'échang-e très demandées, qu'ils ré- 
coltent sans travail pénible, du caoutchouc^ de la pou- 
dre d'or; ils ontainsi toutes facilités de se procurer des 
alcools qui les abrutissent rapidement ; ces liqueurs 
grossières sont fabriquées à Rotterdam et à Hambourg*; 
des maisons allemandes en font un grand commerce, 
et c'était aussi, malgré de philanthropiques déclara- 
tions, la pratique constante de la compagnie anglaise 
du Niger ; on a calculé qu'au prix de fr. 35 le litre, 
vendu sur place, ce « tord-boyaux » rapportait environ 
100 0/0 de profit aux traitants. 

Il faut faire, parmi les indigènes de la côte de Gui- 
née, une heureuse exception pour les Krous qui peu- 
plent les environs du cap des Palmes, en territoire libé- 
rien et français ; ce sont de beaux hommes, bien 
découplés, moins trapus que leurs voisins orientaux; 
les navires marchands qui doublent le cap des Palmes 
y font souvent une courte escale pour embarquer des 
équipages de Kroumanes ; aussitôt, sur uri coup de 
sifflet de la machine, on voit des barques se détacher 
du rivage, et le vapeur devient, pour quelques heures, 
un bureau de placement flottant, sur lequel les chefs de 
groupes viennent passer marché pour eux et leurs 
hommes ; les Kroumanes, excellents piroguiers, sont 
très recherchés pour piloter les embarcations parmi les 
brisants de la barre ; ils font aussi de bons agriculteurs, 
et l'appât du gain les rend très supérieurs aux autres 
noirs de la côte, qui sont flâneurs et indifférents. L'Al- 
lemagne, qui fait aujourd'hui les deux tiers du com- 
merce de Libéria, s'efforce d'obtenir du gouvernement 
L'Afrique. 3. 



46 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

de cette République le droit exclusif d'embaucher les 
Kroumanes ; mais cette prétention a soulevé des protes- 
tations, à Liverpool notamment, parmi des nég'ociants 
opposés à tout monopole, fût-ce celui d'une compag-nic 
ang"laise sur le Bas-Niger. 

Les Ang-lais possèdent, à Sierra-Leone, une pépinière 
d'agents noirs assez instruits, qui sont, sur toute la 
côte, les meilleurs courtiers du commerce européen 
avec les indigènes ; ces correspondants parlent anglais, 
même entre eux; beaucoup, engagés comme chauffeurs 
ou domestiques à bord des paquebots, ont ainsi trouvé 
l'occasion de connaître l'Europe ; ils en reviennent 
transformés, pleins de dédain pour les Africains non 
dégrossis, mais gardant de leurs origines un goût im- 
modéré pour les oripeaux criards ; ils sont d'ailleurs 
intelligents et réussissent dans les affaires commer- 
ciales au point que certains non seulement possèdent 
une flottille à vapeur sur les lagunes, mais encore font 
le commerce directement avec Liverpool. Des métis 
brésiliens, citoyens de la République de Libéria, sont 
seuls capables de leur faire utilement concurrence, 
connaissant comme eux toutes les faiblesses et toutes 
les roueries des noirs avec lesquels ils traitent ; c'est 
dans ce milieu que se recrutaient naguère les ministres 
ou cabécères des royaumes achanti et dahoméen, aux- 
quels les capitaines négriers achetaient les esclaves 
qu'ils allaient vendre en Amérique ; déchus aujour- 
d'hui du bénéfice de ce trafic, ils essaient, à l'exemple 
des Européens, l'exploitation de la forêt ou même 
l'agriculture tropicale. 



LES PLAINES ÉOUATORIALES il 

Là en effet paraît être la fortune, présente et à venir, 
de la côte de Guinée ; jusqu'ici Texploitation forestière 
a manqué de méthode et de prudence ; les factoreries 
de la côte demandaient aux indigènes de leur apporter 
en quantités de Thuile ou des amandes de palme, du 
caoutchouc et, plus récemment, des billes d'acajou, 
mais elles ne s'inquiétaient guère des pratiques de la 
cueillette ni des lieux d'origine. Or, il est maintenant 
établi que l'huile de palme cesse d'être marchande, si 
elle est récoltée à plus de quatre ou cinq jours des 
points d'embarquement : les frais de transport sont, en 
effet, considérables, les charges devant être réparties 
par ballots de 25 à 30 kilogrammes entre des porteurs 
noirs qui ne font guère que 23 kilomètres par jour ; 
ajoutons que l'huile de palme est très mal préparée par 
les indigènes, et qu'il a paru économique d'iniporter à 
Marseille les amandes des palmiers pour les traiter par 
des procédés de meilleur rendement. L'arbre à huile 
croît en abondance à la Côte d'Ivoire, au Dahomey, 
dans le delta du Niger et sur cette côte du fond du 
golfe de Guinée, dont les estuaires sont communément 
appelés les « rivières d'huile » ; mais il a besoin d'une 
température toujours tiède et humide, et il a suffi eh 
1896-1897 d'une sécheresse relative pour diminuer très 
notablement le commerce de Lagos. Au moment de 
nos campagnes du Dahomey, les plus acharnés de nos 
adversaires n'avaient pas trouvé, pour punir les villages 
soumis, de meilleure vengeance que de couper tous 
leurs palmiers ; malgré cette destruction, l'équilibre 
est aujourd'hui rétabli, mais il y aurait danger à con- 



48 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE • 

tinuer rexploitatîon exhaustive des dernières années 
sans s'occuper en môme temps de la reconstitution des 
boisements. Marseille reste le marché principal des 
huiles de palme qu'elle emploie dans la savonnerie. 

Liverpool est au contraire le port où sont débarqués 
presque tous les caoutchoucs de Guinée, ceux du Gong-o 
étant dirigés plutôt sur Anvers ; les négociants de Bor- 
deaux, dont les relations sont très actives avec le Séné- 
gal, s'efforcent en ce moment de les étendre vers le sud 
et de constituer, sur leur place, un marché français des 
caoutchoucs. La plupart des lianes et beaucoup d'ar- 
bustes de la forêt contiennent un suc laiteux dont on 
tire par coagulation un caoutchouc; mais les indigènes, 
intéressés seulement à en récolter le plus possible, 
tranchent ou incisent sans discernement, mêlent les 
sucs de plusieurs espèces et saignent à mort la plupart 
des plantes qu'ils ont touchées ; parfois aussi, pour 
augmenter le poids des boules qu'ils vendent aux trai- 
tants, ils y introduisent des cailloux ou des morceaux 
de bois, si bien qu'on doit éventrer toutes leurs pièces 
avant d'en prendre livraison ; des maisons bien con- 
duites, comme la puissante compagnie française de 
l'Afrique occidentale, arrivent cependant à leur faire 
produire des types uniformes, classés par les acheteurs 
européens, et l'expérience a prouvé qu'une concurrence 
effrénée des factoreries n'encourageait que la paresse et 
la fraude des indigènes, en exagérant beaucoup les 
prix de revient. Quoi qu'il en soit, toutes les colonies 
côtières, • depuis la Casamance jusqu'au Niger et au 
Congo, exportent des quantités de caoutchouc plus im- 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 49 

portantes chaque année ; la demande est très active en 
Europe, les emplois du caoutchouc se multipliant avec 
les prog'rès de Tautomobilisme et de la machinerie 
électrique ; d*où Tintérêt de mieux exploiter les ri- 
chesses encore existantes de l'Afrique équatoriale, et 
surtout d'étudier la culture des plantes à caoutchouc. 
Les forêts guinéennes ont d'immenses réserves de bois 
d'ébénisterie : les récentes études de la mission du che- 
min de fer de la Côte d'Ivoire ont fourni sur ce sujet 
des documents très précis ; en mettant tous les chiffres 
au plus bas, on a calculé que les arbres exploitables 
pour leur bois seulement représentent une valeur de 
2,500 francs par hectare, mais actuellement, faute de 
voies de communication, l'exploitation n'est possible 
qu'à proximité des cours d'eau flottables ; les arbres 
sont abattus par les bûcherons indigènes et sommaire- 
ment débités ; puis les billes sont abandonnées au cou- 
rant de la rivière la plus voisine et l'on en forme en 
aval, dès que l'hydrographie le permet, des trains qui 
descendent jusqu'aux lagunes et aux ports d'embarque- 
ment. Le commerce n'a guère attaqué jusqu'ici que les 
boisements d'acajou, surtout dans le cercle d'Assinie 
(Côte d'Ivoire) et dans la Côte-d'Or anglaise ; Lagos, 
délaissant la récolte du caoutchouc, a récemment suivi 
cet exemple. Ce sont des Sierra-Léonais ou des métis 
libériens qui surveillent, en forêt, les noirs de la côte ; 
les Européens ne sauraient se passer de leur intermé- 
diaire, car le séjour sous bois leur est particulièrement 
pénible, et de plus ils n'ont pas encore réussi à faire 
travailler utilement les naturels du pays sous leurs 



50 l'afrioue a l'entrée du vingtième siècle 

ordres directs. Presque tous ces contre-maîtres noirs 
sont sujets ou protég-és angolais ; c'est une raison de 
plus pour que Tacajou de Guinée soit surtout exporté 
en Angleterre. 

Cependant les Français de la Côte d'Ivoire s'efforcent 
de se rendre plus indépendants ; une maison bordelaise 
de Grand-Bassam inaug'urait en 1898 une scierie mé- 
canique et des ateliers de charpente ; on peut espérer 
que Bordeaux recevra de plus en plus rég-ulièrement 
Tacajou de nos possessions. Les Ang^lais d'Accra ont 
fondé une école professionnelle où les indig'ènes sont 
initiés aux méthodes les plus simples de l'exploitation 
forestière et de la coupe des bois ; c'est ce que font 
maintenant aussi nos missionnaires, dont l'effort mé- 
rite des encourag-ements ; la percée ouverte dans la 
forêt pour le chemin de fer de la Côte d'Ivoire et qui 
n'aura pas moins de 100 mètres de larg'e sur 300 kilo- 
mètres de long", exig'era l'abattag-e d'arbres qui fourni- 
raient au moins 150,000 mètres cubes de bois usuels; 
la voie ferrée en facilitera de proche en proche l'éva- 
cuation sur la côte ; il faut dès maintenant former un 
personnel noir capable, pour ne pas laisser perdre sur 
place cette valeur certainement considérable. 

En même temps qu'à mieux tirer parti de la forêt, 
les colons européens de Guinée se sont occupés d'enri- 
chir le pays par l'agriculture ; les conditions générales 
y paraissent peu favorables : le climat est hostile à 
l'Européen, là surtout où la terre est souvent remuée ; 
l'alimentation qui lui serait nécessaire pour en com- 
battre les influences est, sinon impossible, du moins 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 51 

très dispendieuse ; la viande de boucherie est inconnue 
à la côte, les indigènes n'élevant autour de leurs cases 
que des porcs dont la chair est lourde et peu saine ; on 
a pu conserver à Dabôu quelques vaches, médiocres 
laitières, et des croisements avec les bovidés du Soudan 
mettront un jour, sans doute, à la disposition des fac- 
toreries côtières une race acclimatée, dont la viande et 
le lait adouciront beaucoup les actions maléfiques du 
climat. Mais ce ne sont là que des espérances et, pour 
le moment, la simple surveillance de travaux ag^ricoles 
n'est pas sans dang'ers pour le directeur européen. De 
plus, la main-d'œuvre indigène est rare et paresseuse 
et les défrichements sont très onéreux, car la végétation 
sauvage envahit tout, si l'on ne se décide à l'extirper à 
fond ; on a vu des arbres de quinze mètres de haut dans 
des jardins indigènes abandonnés depuis trois ans. 

Malgré toutes ces difficultés, telles sont les chances 
de rapport des cultures coloniales, telle en est aussi 
l'importance pour améliorer l'état économique et social 
des indigènes, que toutes les colonies côtières en étu- 
dient à l'envi la diffusion : le Togo allemand a fondé un 
parc d'essais à Sebbé, la Côte d'Ivoire, un autre à Da- 
bou ; les Anglais de Lagos et de la Côte-d'Or ont créé 
plusieurs plantations ; la compagnie française de l'A- 
frique occidentale, qui n'a fait longtemps que du com- 
merce, vient d'obtenir une concession qu'elle consacre 
aux cultures de café Libéria, de cacao, de ficus à caout- 
chouc ; des espèces sauvages de café, de vanille ont été 
rencontrées dans la forêt ; il n'est pas douteux qu'on ne 
réussisse à les domestiquer; de môme, le pays produira 



52 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

bientôt le tabac nécessaire aux indigènes, qui mainte- 
nant achètent des tabacs américains en feuilles ; l'exten- 
sion des champs de riz, de maïs voire de coton fixerait 
sur la côte des noirs du Sénégal^ qui sont intelli- 
gents et travailleurs. Enfin, les arbres fruitiers des tro- 
piques, comme le bananier, qui est très commun, con- 
tribueront à la fourniture des marchés d'Europe dès 
que l'on aura découvert un procédé commercial de con- 
servation des fruits pour les longues traversées. 

Ainsi donc, et sans parler des avantages que leur 
vaudra plus tard la sécurité des relations libres avec le 
Soudan, les colonies de la côte de Guinée sont fondées 
à se promettre, dès maintenant, une fortune brillante : 
leur situation financière, quelle que soit leur métropole, 
est prospère, car on ne peut considérer que comme 
frais extraordinaires les dépenses de l'Angleterre pour 
achever la soumission des Achantis. La Côte d'Ivoire, 
le Dahomey, Lagos, le Togo allemand lui-même, mal- 
gré l'étroitesse du débouché littoral que lui réservent 
les traités, présentent des budgets locaux en équilibre ; 
plusieurs sont assez riches pour assurer rétablissement 
des chemins de fer de pénétration. Il semble inutile de 
multiplier les chiffres sur le mouvement commercial 
de toutes ces colonies ; d'année en année, en effet, le 
développement en est plus marqué ; on peut estimer 
toutefois, en combinant les statistiques les plus autori- 
sées, que le total de ce commerce, en 1899, a représenté 
d30 à 150 millions, du cap des Palmes au Cameroun 
allemand exclu : la Gôte-d'Or figure dans cette somme 
pour près du tiers, l'exportation de l'or s'y ajoutant à 



LKS PLAINES ÉQUATORIALES 53 

celle des produits véiçétaux ; le port de Lagos draine 
une Ijonne partie du commerce dahoméen, le port fran- 
çais de Kotonou lui étant fort inférieur. 

En ce qui concerne les pavillons, la prépondérance 
de TAUemagne s'affirme avec éclat, bien que le domaine 
politique des Allemands soit de beaucoup moindre que 
celui des Français ou des Anglais ; le mérite en revient 
à l'activité de la C*« Wôrmann, de Hambourg, à la- 
quelle on pourrait seulement reprocher de ne pas pro- 
hiber l'importation des alcools de traite. La France, 
dont la marine marchande est partout insuffisante pour 
ses propres besoins, doit ajouter ici aux services de 
deux compagnies marseillaises ceux des Allemands et 
des Anglais : un tiers seulement du commerce extérieur 
de la Côte d'Ivoire et du Dahomey lui revient ; il est 
vrai que nos société coloniales montrent, à terre, une 
vitalité très encourageante et, si nous avons abandonné 
le Bas-Niger aux Anglais, du moins la Société fran- 
çaise de l'Afrique occidentale se substitue-t-elle pro- 
g-ressivement à nos rivaux sur la Côte d'Ivoire. La Bel- 
gique, nouvelle recrue dans la carrière coloniale, a 
voulu participer au commerce de la Guinée : depuis la 
fin de 1899, un vapeur mensuel parti d'Anvers dessert 
Dakar, Konakry, Grand-Bassam et descend ensuite 
jusqu'en Angola. 

On sait comment, la côte ayant été d'abord partagée 
entre diverses puissances européennes, toutes les colo- 
nies littorales ont ensuite poussé leur développement 
vers l'intérieur ; la division politique de cet hinterland 
est aujourd'hui terminée, il ne reste qu'à déterminer 



54 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

sur place les frontières fixées par les traités ; aucun 
conflit essentiel n'apparaissant dès lors possible entre 
les copartageants, chacun s'emploie à faire valoir son 
lot. Du cap des Palmes vers l'ouest se succèdent, après 
la République de Libéria, la Côte d'Ivoire française, la 
Gôte-d'Or ang-laise, le Togo allemand, le Dahomey 
français, enfin les établissements anglais de Lagos et 
du Bas-Niger; de ceux-ci, le régime était fort compli- 
qué, jusqu'à ces derniers temps, la souveraineté se di- 
visant entre une compagnie à charte et deux ministères 
britanniques ; aujourd'hui, la compagnie du Niger a 
été rachetée, après un vote du Parlement de Londres 
(juillet 1899); elle perd tout caractère politique pour 
n'être plus qu'une société commerciale ; tous les terri- 
toires anglais ne font plus qu'une colonie, divisée en trois 
sections, Lagos, Nigérie du sud et Nigérie du nord. 
C'est le fameux colonel Lugard qui en est le gouver- 
neur. Son premier soin sera d'ouvrir à la Nigérie ces 
territoires haoussas que nous lui avons libéralement 
attribués en 1890, les croyant dès lors en sa possession ; 
déjà Lagos est relié par télégraphe au fort Taubman- 
Goldie, qui s'était appelé quelque temps fort Arenberg. 
La pénétration vers le nord est d'ailleurs la princi- 
pale préoccupation des pouvairs publics, dans toutes 
les colonies de Guinée : les projets de chemin de fer 
sont à peu près arrêtés à la Côte d'Ivoire et au Dahomey, 
d'après les plans des missions Houdaille et Guyon ; 
les Anglais ont déjà lancé queques kilomètres de rails 
de la Côte d'Or vers Coumassie, et la récente insurrec- 
tion des Achantis aurait pour cause des prestations ma- 



Kfi 



LES PLAINES EQUATORTALlîS 05 

ladroitement imposées pour prolonger cette lig'ne ; une 
autre, au départ de Lag'os, s'enfoncera vers le plateau 
d'Ilorin et le Sokoto. Seul le Togo allemand, qui com- 
munique difficilement avec la mer, n'a pas dressé le 
plan d'une voie de pénétration. Ce sont ces chemins de 
fer qui réaliseront dans la pratique la dislocation du 
Soudan ; elle ne sera qu'un texte de loi tant que des 
communications sûres n'auront pas été ouvertes à tra- 
vers la forêt. 

Si l'on se réfère à l'expérience du chemin de fer du 
Congo, ce seraient nos Sénégalais qui constitueraient le 
meilleur personnel ouvrier pour les grands travaux 
publics en terres équatoriales ; comme nous avons be- 
soin d'eux, tous les premiers, à la Côte d'Ivoire et au 
Dahomey — sans parler de la Guinée française, — il 
sera sans doute utile de régler par quelques décrets 
les conditions de leur engagement par des entreprises 
étrangères, et peut-être serions-nous bien venus à join- 
dre à cette question, dans un esprit tout amical, celle 
du recrutement des Indous pour Madagascar : dans 
l'Afrique occidentale, c'est la France qui tient les meil- 
leures réserves de travailleurs indigènes. Après le che- 
min de fer du Congo, ceux de l'ouest africain seront 
construits avec l'aide de nos Sénégalais, et la côte de 
Guinée, devenue la façade du Soudan, s'enrichira de 
toute la plus-value de son arrière-pays. 



CHAPITRE II 



Le Cameroun allemand et le Congo français 



La plaine équatorîale, sur la côte nord-orientale du 
golfe de Guinée, est interrompue par des soulèvements 
volcaniques dont le principal est le mont Cameroun ; 
on peut aussi considérer que les îles espagpnoles et por- 
tugaises de ce fond du golfe, Fernando-Po et Sao-Tomé 
particulièrement, sont les témoins avancés du mouve- 
ment qui a dressé le mont Cameroun et ses satellites 
jusqu'en Adamaoua ; la plaine couvre cependant la 
plus grande partie du littoral et, par delà le rebord des 
monts de Cristal, dont les mamelons atteignent 900 à 
1000 mètres, réapparaît sur le cours supérieur des af- 
fluents de droite du Congo, pour s'étendre jusqu'au 
pied des terrasses qui formaient jadis la falaise orien- 
tale du grand lac congolais. 

La côte est aujourd'hui bien connue, la région tribu- 
taire du Congo Test également, quoique depuis moins 
longtemps ; il reste à découvrir de proche en proche le 



h 



»• ^ 



LES PLAINES ËQUATORUlLES 4 

pays intermédiaire, c'est-à-dire à répéter sous plusieurs 
latitudes les études de la mission Fourneau-Fondère 
qui vient (1899) de tracer un itinéraire de la Haute- 
Sang-a à Testuaire du Gabon ; ce que Ton en sait déjà 
permet d'affirmer que les forêts y sont moins épaisses 
que dans les plaines adjacentes, et que ces collines cou- 
vertes d'une brousse pauvre en arbres formeraient 
comme une tonsure centrale bordée, de part et d'autre, 
d'une épaisse végétation équatoriale. 

La côte est très marécageuse ; elle reçoit une forte 
quantité de pluie, surtout au pied du mont Cameroun ; 
le pluviomètre accuse en cet endroit, à l'observatoire 
de Bibundi, 9 mètres par an ; dans l'intérieur de la 
colonie allemande, à Yaoundé, on ne cote plus que 
i"^50; à Libreville, port du Congo français, 2«»40; l'ar- 
rière-pays de Cameroun, dont le relief est fort tour- 
menté vers le nord-est et rappellerait le Harz de l'Eu- 
rope centrale, présente, en des points très voisins, des 
différences sensibles de climat : la température moyenne, 
qui oscille à la côte entre 24» et 27°, n'est plus que de 
19**, à 700 mètres d'altitude, et s'abaisse rapidement 
vers les hauts plateaux de l'Adamaoua. La partie méri- 
dionale de la colonie ne serait pas exposée à d'aussi 
grandes diversités climatiques, la plaine littorale s'y 
arrêtant assez vite, au pied de hauteurs de 700 à 800 
mètres, formées de roches anciennes et dont la latérite 
superficielle offrira peut-être un jour des ressources à 
l'exploitation du fer ; c'est là que commencent les monts 
de Cristal, dont les angles émoussés, les profils mous 
de vieilles montagnes laissent passer vers l'intérieur 



60 



L*AFAIQUE A l'eNTRëE DU VINGTIEME SIÈCLE 



déplacement loin de la mer des capitales administra- 
tives ; car, si Libreville est moins malsaine que Came- 
roun, étant appuyée sur des falaises qui rétrécissent 
les lag'unes, l'abondance des pluies et la médiocre cir- 
culation des eaux n'en font pas moins un des postes de 
notre empire colonial les plus caractérisés par la mor- 
talité ou tout au moins la morbidité des résidents eu- 
ropéens. 

La pénétration est plus difficile pour les Allemands 
du Cameroun que pour les Français du Congo : Eug'ène 
Zintg-raff, de 1886 à 1892, a plusieurs fois essayé de 
s'enfoncer vers l'Adamaoua ; il se heurta toujours à des 
populations belliqueuses, habitant un pays montueux 
et perdit un jour, dans un combat, 4 Européens et 170 
soldats noirs. Il faut, encore aujourd'hui, pour attein- 
dre le hinterland de Cameroun, tourner par le Nig-er- 
Bénouéou par le Cong-o et la Sanga ; en 1899, une 
compagnie berlinoise ayant obtenu des territoires, avec 
une sorte de charte, sur la Sannaga supérieure, c'est 
par cette dernière route que partit l'expédition chargée 
de précéder les concessionnaires ; peu auparavant, le 
lieutenant de Carnap avait reconnu l'existence, à la 
lisière nord de la forêt côtière, de centres musulmans 
dont les habitants, vassaux mal soumis du sultan de 
Yola, coupaient toutes les voies de commerce et chas- 
saient l'esclave parmi les tribus indigènes. 

En progressant, ici, d'ouest en est, les Européens 
rencontreront, comme du sud au nord à la côte de Gui- 
née, les marécages du littoral avec une population 
noire, paresseuse et corrompue, puis la forêt dense, sur 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 61 

200 à 300 kilomètres, avec des peuplades sauvages, 
travaillées par des marabouts, enfin la nature souda- 
nicnne, avec des communautés musulmanes plus org'ani- 
quement constituées ; parmi ces indigènes, les premiers 
opposent à l'Européen la résistance de leur fainéantise 
ou de leur rusticité ; les autres, plus affinés, partant 
plus redoutables, pressentent des concurrences écono- 
miques et luttent pour conserver leurs avantages ; les 
Allemands du Cameroun sont mal appuyés pour briser 
ces obstacles : la liberté de la navigation, sur le Niger- 
Bénoué,n'a étéjusqu'ici qu'une promesse diplomatique, 
la voie Gongo-Sanga est tributaire à la fois du Congo 
belge et du Congo français ; quant à créer de toutes 
pièces, sur la côte ou sur les premières hauteurs, une 
base d'opérations et de ravitaillement, ce serait engager 
de grandes dépenses de capitaux et de vies humaines ; 
une lenteur très sage est ici de rigueur. 

Pour les Français du Congo, la marche vers l'arrièrc- 
pays paraît d'abord plus aisée, puisque l'Ogooué et le 
Niari-Kouilou sont partiellement navigables, mais la 
région qu'ils traversent est peu hospitalière, la popu- 
lation indigène des Pahouins, qui ne paraît pas dépour- 
vue d'intelligence, est rebelle à notre action et, pour 
atteindre ensuite le Congo navigable ou ses affluents 
de droite, il faut franchir une plaine encore mal connue 
mais qui semble appartenir au domaine de la forêt 
dense. Voilà pourquoi le réseau navigable des affluents 
du Congo, Sanga, Oubanghi et leurs tributaires, a été 
attaqué jusqu'ici par le sud, soit par la route de portage 

du Niari-Kouilou, beaucoup plus courte que celle de 
L'Afrique. 4 



62 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

rOg-ooué, soil par le Congo lui-même, depuis qu'est 
ouvert le chemin de fer de Matadi à Léopoldville. L'ef- 
fort de M. de Brazza, qui fut un explorateur avant tout, 
a tendu à développer le Congo français en partant de 
cette voie, tout ensemble vers le lac Tchad et vers le 
haut Nil ; notre colonie restait ainsi composée de deux 
tronçons à peu près coupés Tun de l'autre, la côte et le 
versant congolais ; dans l'intervalle, les tribus pahoui- 
nés prélevant des courtages échelonnés sur tous les 
convois en transit, les ports n'étaient alimentés que par 
la zone restreinte immédiatement surveillée par nos 
aju^ents. 

On ne peut s'avancer très loin au nord, sur les af- 
fluents du Congo, sans rencontrer une nature qui n'est 
plus équatoriale ; chez les Sangos et les Yakomas du 
moyen Oubanghi, sous 5» N. environ, l'ivoire et le 
caoutchouc sont encore rassemblés par la traite, mais 
bientôt après, le pays change ; Crampel était arrivé par 
une savane peu arrosée aux limites de la conquête mu- 
sulmane, lorsqu'il fut attiré dans un guet-apens et mas- 
sacré à l'instigation du sultan Snoussi, vassal du Oua- 
daï ; là Dybowski et Maistre ont signalé ces platea.ux 
ferrugineux qui, depuis la côte de Guinée font une 
bordure perpétuelle à la plaine équatoriale ; nous igno- 
rons quelle est au juste l'extension de cette forme de 
relief dans l'intervalle entre les marais de la côte con- 
golaise et les pays forestiers de la Sanga ; à la latitude 
de Niari-Kouilou, la forêt est maîtresse du sol et se 
déploie dans le Mayombe avec une magnifique exubé- 
rance. 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 03 

Deux questions se posent, à Theure présente, avant 
même que Texploration de ces pays intermédiaires soit 
achevée : il s'ag-it de mettre en valeur la côte, d*abord, 
le versant congolais des monts de Cristal ensuite, quitte 
à profiter jusqu'à nouvel ordre des voies d'évacuation 
qui atteig-nent la côte en dehors des limites politiques 
du Congo français et du Cameroun ; parallèlement, 
ces colonies achèveront la reconnaissance de leur hinter- 
land, enfin de s'assurer plus tard des communications 
indépendantes. 

Un excellent exemple nous vient du Cameroun, qui 
se transforme sous nos yeux en colonie de plantations ; 
jusque vers 1889, les factoreries n'ont fait que le com- 
merce d'ivoire au sud, d'huile de palme autour de l'es- 
tuaire ; certes, beaucoup d'argent a été gagné de la 
sorte mais, outre que les réserves d'ivoire ont été fort 
diminuées, les indigènes se sont habitués à détruire 
sans aucun souci de reconstituer les richesses du sol, 
ils sont devenus d'incorrigibles ivrognçs et l'on aura 
beaucoup à faire pour les dresser à seconder l'effort 
européen. Zintgraffa personnellement réagi contre ces 
abus : après avoir consacré plusieurs années à l'explo- 
ration, dégoûté d'ailleurs d'administrer par un conflit 
qui le mit aux prises avec certains fonctionnaires, il se 
fit planteur (1896) et c'est dans les fatigues de cette pro- 
fession nouvelle qu'il mourut (décembre 1897). 

A la môme époque, le gouvernement fonda sur les 
terrains en pente du mont Cameroun une station bota- 
nique, dite de Victoria, dont le directeur du jardin 
d'essais .de Libreville a pu constater, dans un récent 



64 L*AFRIOUE A l'eNTRKE DU VINGTIEME SIÈCLE 

voyag"c, Texcellent outillage et les importants succès ; 
on doit en effet à la station de Victoria d'avoir établi 
que le café, le tabac, mais surtout le cacao viennent 
admirablement dans cette terre volcanique ; sur une 
centaine de kilomètres de profondeur, les plantations 
de cacao prospéreront, le fait est aujourd'hui certain, à 
la plus grande satisfaction des propriétaires... si toute- 
fois on trouve des noirs pour travailler le sol, et c'est 
là cette terrible disette de la main-d'œuvre, qui con- 
damne à la stérilité tant de riches contrées d'Afrique. 
Plusieurs sociétés de plantations se sont, depuis deux 
ans, installées auprès du Cameroun et les mission- 
naires emploient à des travaux de culture la plupart de 
leurs néophytes, contribuant très utilement ainsi à la 
régénération de cette race pourrie. Malgré toutes les 
difficultés, la patience allemande ne se rebute pas et 
les journaux coloniaux de nos voisins annoncent déjà 
le jour où l'empire entier ne consommera que du cacao 
do ses plantations africaines. 

Les îles Portugaises du golfe ont aussi leurs cultures 
tropicales, très récemment développées ; Saô-Tomé, 
vue do la mer, montre sur les pentes inférieures de ses 
collines comme une forêt éclaircie et régulièrement* 
aménagée ; ce sont dos champs de caféiers, de vanilliers, 
do bananiers ; la banane n'est pas seulement destinée 
au dessert des colons, on est parvenu à en faire une fa- 
rine très saine, d'un goût agréable et très utile, sous 
cette forme, à l'alimentation des blancs ; un riche pro- 
priétaire, José Maria do Freitas, avait introduit dans 
los fies dos espèces choisies au Brésil et do nos jours. 



LES PLAINES ÉOUATORIALES 65 

grâce à Tinitiative d'un petit nombre de capitalistes, 
Saô-Tomé et le Prince, tlots de quelques hectares, re- 
présentent autant, pour le commerce extérieur du Por- 
tugal, que les vastes territoires du Mozambique ou de 
l'Angola Ajoutons que TEspagne, depuis la perte de 
ses colonies américaines, s'occupe d'expériences ana- 
logues à Fernando-Po (1). 

Le Congo français n'est pas resté inactif; sur les hau- 
teurs auxquelles est adossée Libreville, il a créé son 
jardin d'essais; ledirecteur est un ancien collaborateur 
de M. de Brazza, qui connaît, pour l'avoir longtemps 
étudiée, la flore congolaise et poursuit méthodique- 
ment des recherches très intéressantes, notammentsur le 
café, les plantes à caoutchouc, la vanille et le quinquina ; 
les missionnaires et les commerçants entourent pres- 
que tous leurs stations d'un jardin potager, où ils font 
venir aisément leurs légumes ; des relégués annamites 
se distinguent aussi par l'excellence de leurs cultures 
maraîchères. Les expériences du jardin d'essais ne 
seront bientôt plus, au Congo français, de simples cu- 
riosités scientifiques ; un grand nombre de concession- 
naires, ainsi que nous le verrons mieux plus bas, 
viennent de découper notre colonie en vastes domaines 
qu'ils devront mettre en valeur ; ces expériences leur en 
fourniront le moyen. 

Nous devons signaler au même titre le succès très 



(4) Une récente convention (juillet 1900) entre la France 
et TEspagne a équitablement réglé un ancien différend de 
frontières sur le Rio Mouni, au nord du Congo français. 
L'Afrique. 4. 



66 



L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 



important, mais encore exceptionnel, obtenu à la mis- 
sion de Fernan Vaz pour la domestication de l'éléphant 
africain : le R. P. Bichet a laborieusement obtenu le 
service le plus rég-ulier et le plus intelligent d'un jeune 
éléphant acheté aux Pahouins de Tintérieur à l'âg'e de 
48 mois: Fritz, c'est le nom de ce quadrupède, est sur- 
tout employé à charrier des poutres de bois ; on estime 
qu'il fait en un jour le travail de vingt nègres ; il est 
si parfaitement dressé que jamais il ne va marauder 
dans les plantations, et attend sans impatience la nour- 
riture qui lui est d^ailleurs libéralement distribuée. 
Pour la construction des voies ferrées, en pays fores- 
tier tout particulièrement, il serait infiniment désira- 
ble de généraliser l'heureuse tentative du P. Bichet. 
Ajoutons enfin qu'un concours agricole, tenu en septem- 
bre 4899 à Libreville, a permis de constater le progrès 
des plantations récentes, surtout de cacao et de café. 
Presque rien encore n'a été fait pour la mise en va- 
leur du versant congolais, où la période de l'explora- 
tion est à peine close ; Brazzaville, qui est notre point 
de départ sur Stanley-Pool, origine du Congo naviga- 
ble, manque d'un chantier pour réparer, sinon pour 
construire, les vapeurs fluviaux du service amont ; 
elle ne consiste guère qu'en une dizaine de bâtiments 
administratifs, posés sur le sommet d'une falaise qui 
domine le Pool ; vers l'est, sont échelonnées la mission 
catholique et quelques factoreries ; mais les cultures 
vivrières autour de Brazzaville suffisent tout juste aux 
besoins locaux, l'approvisionnement du haut pays n'est 
assuré que par importation, et pour les transports flu- 



LES PLAINES ÉQUATORIALES HT 

viaux, force était jusqu'ici d'emprunter des chaloupes 
étrang'ères, le Léon XIII de la mission catholique cons- 
tituant à lui seul toute la flottille française. On com- 
prend que cette indigence ait beaucoup compliqué le 
ravitaillement des colonnes tant soit peu nombreuses, 
celles de Marchand, par exemple ou de Gentil ; le com- 
missaire g-énéral, dans un récent voyage sur TOuban- 
ghi,ena constaté tous les inconvénients et son premier 
souci serait,nous le savons, d y porter remède; l'urgence 
est d'autant plus évidente que, les vapeurs manquant 
pour remorquer les convois, nous devons frapper les 
piroguiers riverains de réquisitions qui les indisposent 
contre nous, et détournent des travaux agricoles une 
partie de la main-d'œuvre, déjà trop rare. 

Entre la côte et Brazzaville, le chemin de fer du 
Congo belge a fait abandonner notre ancienne route 
de portage, qui partait de Loango sur la côte et sui- 
vait la vallée du Niari-Kouilou ; cette voie n'était pas 
très sûre, et l'on se souvient que Marchand dut em- 
ployer la force pour rouvrir les communications de 
Loango avec le Stanley-Pool. Quelle que soit aujour- 
d'hui la bienveillance à notre égard des directeurs du 
chemin de fer belge, pour lesquels aussi bien notre 
clientèle est un appoint précieux, nous ne pouvons ne 
pas prévoir le cas où ces sentiments changeraient et, 
d'une manière ou d'une autre, la nécessité s'impose à 
nous de réunir à la côte française, par une voie indé- 
pendante, les biefs navigables de notre domaine con- 
golais. 

En attendant l'exploitation du pays, les explorations 



68 l'afrioue a l'entrée du vtngtikme siècle 

et fondations do postes militaires nous ont déjà permis 
de relever exactement l'étendue de ce réseau fluvial : 
la Sang'a est navig-able jusqu'à Ouasso pour des em- 
barcations ne calant pas plus de m. 80; il en est 
de même de TOubang-hi, jusqu'aux rapides de Banghi 
ou de l'Eléphant, et sauf la période des plus basses 
eaux, c'est-à-dire le mois d'avril. En amont des 
60 kilomètres des rapides de l'Eléphant ce fleuve est 
accessible jusqu'au poste des Abiras aux chaloupes 
calant m. 60 et capables de forcer leur vitesse jus- 
qu'à 14 nœuds pour vaincre le courant sur certains 
points. Enfin, M. Dyé, lieutenant de vaisseau, qui com- 
mandait la flottille de la mission Marchand, a reconnu 
que des chalands pouvaient atteindre Bangasso, sur le 
Mbomou et que, maigre l'abandon diplomatique du 
Bahr el Ghazal, l'interposition des marais du pays des 
Rivières dirigeait non vers le Nil, mais vers l'Ouellé 
et le Congo la voie naturelle d'évacuation des sultanats 
musulmans de cette contrée. Entre Bangassoet le Stan- 
ley-Pool, le voyage par eau, coupé de quelques por- 
tages, serait d'environ 35 jours à la montée, 16 ou 18 à 
la descente. On est encore mal renseigné sur les con- 
ditions de navigabilité des affluents de droite de l'Ou- 
banghi dont le cours se rapproche du domaine du 
Ghari et du Tchad. Si donc notre réseau navigable ne 
vaut pas celui du Congo belge, il offre cependant des 
ressources très notables à la pénétration, et mérite qu'on 
lui ouvre un accès à la côte, sans sortir du territoire 
français. 

Il ne saurait plus être question de la voie Loango- 



r 



LES PLAINES ÉOUATORIALES 69 

Brazzaville, trop voisine de la ligne belge pour tenter 
une concurrence profitable; on peut môme regretter 
que l'abandon de ce projet ancien ait été trop longtemps 
différé, de sorte qu'une société coloniale, que les tra- 
vaux agricoles auraient dû surtout occuper, s'est vo- 
lontairement restreinte, pour courir moins de risques, 
à ne faire que du portage sur cette route déclassée. 
M. de Brazza comptait tracer une voie mi-terrestre et 
mi-fluviale, de Libreville au Pool, par TOgooué et 
TAlima, qui conflue dans le Congo en amont de Braz- 
zaville. Franceville était Tétape intermédiaire. Des 
études ont été reprises en 1899, par la société du Haut- 
Ogooué, pour fixer avec précision les conditions d'éta- 
blissement de cette route ; elles ont abouti à la certi- 
tude que rOgooué, navigable au centre de son cours, 
ne constituait cependant qu'un tronçon peu considé- 
rable de la voie projetée; c'est plus au nord, semble- 
t-il, qu'il vaudra mieux opérer, et telle paraît être la 
conclusion adoptée, après les travaux de la mission 
Fourneau-Fondère (1899). 

Celle-ci, partie d'Ouasso, sur la Sanga, déboucha sur 
la côte à Libreville ; d'après ses renseignements, le pays 
à l'est des monts de Cristal, peuplé d'indigènes Bako- 
tas, serait partiellement défriché, avec de belles planta- 
tions; les habitants, douxetpeu commerçants, accueil- 
leraient volontiers les blancs ; il en est autrement des 
Pahouins, leurs voisins de l'ouest, dont les tribus sont 
répandues jusque près de Libreville et surveillent ja- 
lousement, pour en percevoir le tribut, toutes les rela- 
tions commerciales qui traversent leur territoire ; une 



70 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

action en force contre ces coupeurs de routes serait d'au- 
tant plus efficace qu'on s'y déciderait plus vite car il est 
douteux que, de bonne grâce, ils laissent passer un 
chemin de fer qui supprimerait leur intermédiaire. 
MM. Fourneau et Pondère déclarent ce chemin de fer 
possible, et calculent qu'il ne coûtera pas plus de 
80.000 à 100.000 francs par kilomètre, pour une voie 
étroite, bien entendu; ils estiment qu'il devrait partir 
de la Mossaka, affluent navig'able de la Sanga, et finir 
sur l'estuaire du Gabon, non pas à Libreville, maissur 
la rive sud, qui est mieux accessible. Voudrait-on dé- 
placer cette capitale ? La routine administrative ne le 
permettrait peut-être pas mais, si les observations de 
MM. Fourneau et Fondère sont confirmées, pourquoi ne 
pas tracerla ligne comme ils l'indiquent, quitte à n'ins- 
taller à son terminus occidental que les bâtiments d'ex- 
ploitation nécessaires ? Quant au prix de revient, qui est 
d'environ moitié moindre que celui du chemin de fer 
du Gong-o belge, il n'est pas sans doute trop bas, si l'on 
tient compte d'abord de l'expérience acquise, ensuite 
de ce fait que deux chantiers pourront être simultané- 
ment ouverts, ravitaillés, l'un par la côte et l'autre par 
la Sang-a, à travers des pays autrement riches et peu- 
plés que les plateaux stériles du bas Congo. On ne sau- 
rait espérer cependant que la colonie du Congo, dont 
le budget manque d'élasticité, puisse sur ses propres 
ressources gager l'emprunt nécessaire à ce travail, et 
peut-être la constatation de cette impuissance a-t-ellc 
été l'une des raisons qui ont fait choisir cette colonie 
pour l'essai d'un régime, nouveau dans nos jeunes pos- 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 71 

sessions, celui des grandes concessions territoriales. 

Les succès de nos voisins du Gong"o belge ont stimulé 
l'activité de nos capitalistes ; depuis deux ans, une vé- 
ritable fièvre congolaise s'est emparée djeux, et plus de 
quarante sociétés sont aujourd'hui constituées dont les 
apports représentent 50 millions, et dont les concessions 
couvrent presque tout le Congo, du moins dans sa ré- 
gion équatoriale; la plus vaste de ces concessions, celle 
dite « des sultanats du haut Oubanghi », englobe tout 
le versant de droite de ce fleuve et du Mbomou, jus- 
qu'à la frontière assignée à la sphère d'influence fran- 
çaise parle traité du 21 mars 1899. Les sociétés sont 
investies par décret pour tout domaine supérieur à 
10.000 hectares ; de 200 à 10.000, le commissaire géné- 
ral a qualité pour délivrer des concessions, à prendre 
sur les enclaves non attribuées par les décrets, c'est-à- 
dire autour de Libreville, de Brazzaville, dieLoango et 
sur le bas Ogooué ; de plus un couloir d'accès, non con- 
cédé, réserve les droits de l'État entre le coude de l'Ou- 
bang-hi et le Ghari. 

Le cahier des charges imposées à toutes ces sociétés 
est à peu près uniforme : il les oblige d'abord à compo- 
ser leur personnel de directeurs et de souscripteurs de 
manière à laisser toujours prédominer l'élément fran- 
çais ; il exige ensuite que des plantes à caoutchouc soient 
plantées ou ensemencées, à mesure que d'autres seront 
détruites par l'exploitation ; il prévoit des redevances 
progressives, soit en espèces, soit sous forme de mise 
en marche de chaloupes fluviales qui assureront les 
services publics ; il stipule enfin le respect des indigènes 



■:-> 




i Z L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 



Cl maintient le droit de l'État français d'exproprier à 
tout moment les parcelles dont il aurait besoin... Cène 
sont là que les clauses générales ; en lisant attentive- 
ment un contrat de concession, on serait surpris de la 
minutie avec loquelle sont réglées des obligations qui 
doivent jouer en pays presque inconnu. 

Nous aurions mauvaise grâce à ne pas louer ici l'ini- 
tiative de notre administration coloniale ; mais peut- 
être n'a-t-elle pas pris assez nettement parti entre le 
désir de hâter la mise en valeur du Congo et celui de 
sauvegarder la suprématie de l'Etat. Son projet d'en- 
semble est très séduisant : intéresser des capitalistes à 
Tœuvre coloniale et. comme prime à la faveur qui leur 
est accordée du fait des concessions, recevoir d'eux des 
subsides dont le montant pourrait gager un emprunt 
destiné aux ti^avaux publics. Mais ceci suppose d'abord 
que les capitalistes en question se proposent de bonne 
foi d'exploiter autre chose que leurs titres, ensuite que 
leurs entreprises agricoles ou industrielles réussiront 
sans mécomptes, enfin que l'administration , sur place 
aussi bien qu'en France, aura la longanimité nécessaire 
pour s'effacer le plus possible derrière eux. 

La première condition sera, sans doute, très généra- 
lement remplie et nous connaissons parmi les conces- 
sionnaires des hommes de la plus parfaite intégrité ; 
le renoncement de l'administration est plus improbable, 
le luxe des détails inscrits aux cahiers des charges eu 
est une première indication ; puis, comment se passe- 
rait-on de ses représentants pour délimiter les conces- 
sions voisines, pour constater le iH*ensemencement des 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 73 

plantes à caoutchouc, vérifier le nombre des chaloupes 
en service, en un mot surveiller la stricte exécution du 
contrat ? Enfin le succès matériel, pour désirable soit- 
il, n'est pas certain, car les terrains concédés sont assu- 
rément très divers et comporteront une long'ue série 
d'expériences avant que soient établies les conditions 
de leur meilleur rendement ; ne serait-il pas cependant 
déplorable que, pour éviter ces tâtonnements de la pre- 
mière heure, les concessionnaires procèdent à un pillag-e 
général du caoutchouc et à un massacre des derniers 
éléphants ? 

Nous craignons aussi que, sous couleur de protéger 
les indigènes, l'administration n'entrave la liberté des 
colons de les employer aux travaux de colonisation ; la 
véritable protection des noirs ne consiste pas à encou- 
rager leur fainéantise, mais simplement à prohiber la 
vente, à leur usage, des alcools et des armes à feu : les 
routes de commerce ne sont pas si nombreuses que 
l'Etat ne soit efficacement muni pour limiter l'impor- 
tation de ces marchandises, d'après le nombre des Eu- 
ropéens établis dans l'intérieur ; la pauvreté de la main- 
d'œuvre noire est assez regrettable pour que l'on évite 
d'en aggraver artificiellement l'insuffisance par des 
scrupules de philanthropie bureaucratique ; on peut en 
effet poser en principe que tout nègre plié au travail, 
fût-ce au prix d'une contrainte initiale, représente non 
seulement une valeur économique supérieure, mais 
encore un meilleur type d'humanité, ceci soit dit sans 
aucunement excuser les brutalités inutiles, qui sèment 

la haine alors qu'une fermeté simplement vigilante as- 
L'Afrique. 5 



74 L*AFR1QUE A L*EXTRÉE DÛ VINGTIEME SIECLE 

sure la paix et l'autorité du blanc. Il serait très fâcheux 
qu'au Congo, en cas de conflit sur les concessions, ce entre 
employeurs et employés •, on autorisât des travailleurs 
nègres à discuter devant un arbitre d'après les usages 
de France. 

Mais, à supposer que gouvernement et administra- 
tion facilitent de leur mieux la tâche des concessionnai- 
res, celle-ci restera très laborieuse, surtout si les inté- 
ressés n*établissent pas une sorte de syndicat pour 
s'aiderles uns lesautres ; la concurrence mutuelle ferait 
monterions les prix, les traitants de Guinée le savent 
par expérience ; pourquoi ne pas s'entendre sur les 
sommes à payer aux indigènes, soit pour leur travail, 
soit pour leurs marchandises ? Pourquoi ne pas arrê- 
ter, d'un commun accord, le nombre des auxiliaires 
disponibles étant probablement inférieur aux besoins, 
que chaque société procéderait aux embauchages se- 
lon quelques règles déterminées ? Pourquoi enfin ne 
pas combiner un service commun de chaloupes et de 
chalands, sur tous les réseaux navigables ? Là sans 
doute serait la résolution la plus conforme aux intérêts 
généraux comme à ceux de chaque participant. 

On objectera peut-être l'exemple de l'Etat indépen- 
dant du Congo dans lequel prospèrent de nombreuses 
sociétés qui paraissent sans lien les unes avec les autres : 
il est bon de savoir qu'en fait toutes ces sociétés sont 
des filiales plus ou moins proches de la puissante com- 
pagnie du chemin de fer; la fortune du Congo belge, 
nous le montrerons dans le chapitre suivant, est due à 
l'unité de vues, à la parfaite discipline de tous ses direc- 



r^ 



LES PLAINES ÉQUA.TORIALES 75 



teurs, politiques ou commerciaux ; le Congo français, 
placé sous un autre régime constitutionnel, n'aura les 
mêmes chances que si tous, administrateurs et colons, 
se rendent collaborateurs d'un même plan d'ensemble, 
et solidairement intéressés aux mômes succès. Quoi 
qu'il en soit, nous venons d'y instituer une expérience 
qui sera très instructive; il convenait d'indiquer ici 
sous quelles réserves elle sera décisive et pourquoi la 
prudence conseille d'en attendre les conclusions, avant 
qu'on n'en pose à nouveau les termes dans une autre 
colonie. 



CHAPITRE III 



L'État indépendant da Congo. 



Etat indépendant d*après la lettre des conventions 
diplomatiques, le Cong-o est, pratiquement, une colonie 
belge; mais par Theureux artifice de sa constitution, 
il est ' à Tabri des vicissitudes parlementaires qui n'é- 
pargnent pas plus la Belgique que les pays voisins 
d'Europe ; il doit son essor rapide et si plein d'ensei- 
gnements à ces avantages politiques, combinés avec 
ceux de sa géographie ; aussi faut-il loyalement recon- 
naître qu^il est fort en avance sur les colonies que nous 
venons d'étudier : la nature Ta doué d'un magnifique 
réseau navigable ; l'industrie des hommes a vaincu tous 
les obstacles pour ouvrir à ce réseau une issue vers la 
mer ; en cette courte formule tiennent les raisons essen- 
tielles de sa supériorité. 

0- 

L*£tat indépendant est issu de l'ancienne « Associa- 
tion internationale africaine ^, et des délibérations du 
congrès de Berlin (15 novembre 1884-26 février 1855); 
des traités intervenus depuis lors avec la France 



LES PLAINES EQUATORIALES 77 

et le Portugal ont exactement défini ses frontières du 
côté de TAtlantique ; sur les plateaux de TAfrique 
centrale, TEtat s*est trouvé limitrophe de TAfrique 
orientale allemande et des colonies anglaises du lac 
Victoria; de ce côté aussi, non sans des difficultés 
diplomatiques dont le récit ne saurait figureren ce livre, 
il a déterminé Textension de son territoire ; dans l'en- 
semble, on peut dire qu'il s'étend sur tout le domaine 
hydrographique du Congo, moins la rive gauche de 
l'estuaire et Je bassin supérieur du Kassaï, qui appar- 
tiennent au Portugal, et tout le pays que limiterait, 
depuis le Stanley-Pool, la ligne d'eau Congo-Ouban- 
^hi-Ouellé, cette région étant dévolue à la France. De 
plus un accès lui est réservé sur le haut Nil par l'en- 
clave de Lado, insérée dans la « sphère d'influence an- 
glaise ». 

La France possède un droit de préemption sur 
l'Etat du Congo ; elle a renoncé à s'en servir contre la 
Belgique, à laquelle le roi Léopold II, souverain de 
l'Etat indépendant, reste donc libre de le léguer ; mais 
c'est là une question très complexe, étroitement liée à 
la politique métropolitaine de la Belgique et dont 
l'étude importe peu ici ; rappelons seulement que l'Etat, 
proclamé le l^r juillet 1885 à Banana sur l'estuaire 
du Congo, s'est déclaré neutre, assumant toutes les 
charges comme tous les privilèges de la neutralité; 
le commerce est librepour toutes les nations, dans toute 
l'étendue de son territoire, et même la zone conven- 
tionnelle du commerce libre englobe sur la côte atlan- 
tique^ de part et d'autre de l'estuaire, des territoires 



78 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

français et portug-ais. Etat souverain, mais tenu, du 
fait même de ses origines, à des oblig-ations interna- 
tionales, le Gonço n'a pas tardé à devenir une colonie 
de la Belgique, ou plutôt du petit état-major d'hommes 
laborieux et avisés qui se sont associés à l'œuvre du 
roi souverain. 

L'Etat du Congo ne s'étend pas seulement sur une 
région de plaines équatoriales ; le fleuve immense qui 
lui donne son nom coule d'abord, en effet, sur les pla- 
teaux de l'Afrique centrale, et de même, finit en pays 
de savanes ; Banana, qui fut, à l'embouchure même, 
la première capitale du pays, n'a que m. 72 de pluie 
annuelle ; à cette latitude, la forêt dense ne pénètre que 
très peu dans l'intérieur, puisque dès l'île de Mateba, 
le fleuve s'étale dans une brousse à baobabs, et que 
même dans les monts de Cristal, qu'il force à 150 kilo- 
mètres en amont de l'Océan, la forêt ne s'accuse pas au 
delà du type de la galerie. Les plateaux du cours su- 
périeur commencent à l'est du Lomami et au sud 
de 5° S. ; l'influence arabe, partie de Zanzibar, s'y est 
propagée et s'y développait vivement, quand les 
troupes de l'Etat sont intervenues pour la rejeter vers 
l'océan Indien ; on peut douter pourtant que, sans cette 
rencontre qui a brisé ses ressorts, elle se fût avancée 
bien loin dans l'ouest : la forêt des plaines équato- 
riales eût arrêté Tippo-Tib à gauche du Lomami, comme 
elle fit Samory dans l'arrière-Libéria. 

Entre les monts de Cristal et les premières terrasses 
occidentales de ces plateaux, une vaste cuvette, à fond 




LES PLAINES EQUATORIALES 79 

très légèrement incliné vers TAtlantiquc, a longtemps 
retenu en un lac les eaux descendues d'amont. A 
cette époque, les monts de Cristal n'envoyaient à la 
mer que de courtes rivières, comme la Sannaga du 
Cameroun ou le Niari de Loango ; Tune de ces rivières 
dcssinaitsans doute le cours qui est aujourd'hui celui du 
grand fleuve; la pression du lac sur les monts de Cris- 
tal aj en effet, rompu la digue de ceux-ci : les eaux 
amassées en arrière s'y sont violemment ouvert un 
passage, dont elles nivellent encore les aspérités et se 
précipitant vers la côte à travers la plaine littorale ont 
fait un estuaire de quelque ancienne vallée eiavahie ; 
dans l'intérieur, la forme de lac est atténuée plutôt 
qu'elle n'a tout à fait disparu : sur le pays, très plat, 
les fleuves s'écrasent en larges méandres, s'enroulent 
autour des moindres éminences, embrouillent autour 
d'îles basses un lacis de bras paresseux ; le Stanley- 
Pool, à la porte même du couloir des monts de Cris- 
tal, le lac Toumba, le lac Léopold II, plus en amont, 
sont autant de témoins pour affirmer que le drainage 
de la cuvette congolaise est encore inachevé : comme 
dans la plaine hongroise en amont des Portes de Fer, 
nous saisissons ici un régime de transition. 

Dans toute cette plaine, la forêt diminue, déployant 
surtout sa fougue à droite et k gauche du fleuve entre 
rOuellé et 4^' S. et d'ouest en est entre l'arrière -pays 
montagneux du Congo français etle cours supérieur de 
l'Arouhimi. Dans ces limites, la végétation esten crois- 
sance ininterrompue toute l'année ; la pluie tombe en 
toutes saisons, mais sans donner, au total, une quantité 



80 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE T}V VINGTIEME SIECLE 

considérable au pluviomètre : 1 m. 50 est la moyenne 
des observations recueillies. Le soleil, au Cong-o, est 
presque toujours voilé de nuag'es ; les matinées, en par- 
ticulier, sont très brumeuses, toutes les lig'nes des 
paysag^es apparaissent molles et comme bouffies, les 
plans font masse les uns sur les autres, dans une con- 
fusion lourde et triste; on en jugera parce fait qu'il est 
rare de trouver un jour vraiment favorable pour la pho- 
tog'raphie ; entre dix heures et midi, la brume s'éclair- 
cit, mais elle se fonce de nouveau vers quatre heures, 
et la fin brutale du jour est très souvent accompag-née 
de pluie ; deux ou trois semaines, dans le trimestre 
janvier-mars, sont seules à peu près exemptes d'averses ; 
d'ailleurs la caractéristique du climat est plutôt la 
constance d'une humidité perpétuelle que la chute abon- 
dante des pluies. 

Sur cette terre spongieuse et couverte d'humus, tout 
profite à la végétation ; les arbres atteignent des tailles 
géantes, et l'on cite des acajous qui dressent leur tête à 
60 mètres du sol ; le baobab, qui est l'hôte des savanes 
plutôt que de la forêt dense, ne pénètre pas dans l'in- 
térieur au delà du Kassaï ; sa carrure massive, l'énor- 
mité de son tronc sur lequel s'embranche un maigre 
feuillage, ses fruits en amande suspendus à une longue 
queue lui donnent la figure disgracieuse d'un gros lé- 
gume posé les racines en l'air. Bien plus esthétiques 
sont les palmiers, dont l'élégante ombrelle dessine à 
toutes les hauteurs leg étages de la forêt, jusqu'à la 
coupole couronnante du fromager,au tronc lisse et droit, 
ou bien encore les fougères, qui s'épanouissent en bou- 



LES PLAINES EQUATORIALES 81 

quets aussi puissants que les arbres de nos climats; des 
lianes tapissent le sol et toutes les colonnes végcétales de 
la forêt, la plupart contiennent diverses variétés de 
caoutchouc, dont la plus commune est fournie par le 
genre Landolphia. 

Les éléphants n'ont pas tous succombé, malgré tous 
les excès de la chasse; même dans le Bas-Congo, ils se 
montrent encore par petits groupes ; ils sont plus nom- 
breux dans l'intérieur, où leurs foulées tracent à travers 
la forêt les sentiers qui descendent aux abreuvoirs na- 
turels des cours d'eau. L'hippopotame est rare en aval 
du Stanley-Pool ; mais, dès ce lac, on le rencontre très 
fréquemment sur tous les fleuves de la plaine ; il attaque 
quelquefois les pirogues, surtout lorsqu'il est blessé ; 
le danger d'un pareil assaut est d'autant plus certain 
que les crocodiles peuplent toutes les rivières ; très peu- 
reux, ils ne sont guère redoutables dans les eaux clai- 
res, mais les alluvions teignent presque toujours les 
courants d'une couleur brune qui dissimule leur ap- 
proche et ne permet pas de s'en protéger; malgré toutes 
les recommandations des thefs de poste, il ne se passe 
pas d'année que des indigènes, puisant de l'eau sans 
précaution, ne soient victimes de ces monstres ; on pré- 
tend que le crocodile, avant de dévorer sa proie, la met 
en réserve dans des cachettes à demi noyées où il revient 
ensuite la chercher et que des malheureux, entraînés 
de la sorte sans blessures mortelles, ont pu s'échapper 
après une rapide immersion ; n'affirmons rien. Les sin- 
ges sont nombreux dans les sous-bois, le gibier de poil 

varié dans les monts de Cristal où les chasseurs ne pé- 
L'Afrique. 5. 



82 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

nètrent guère ; les fleuves sont poissonneux, et sur le 
moyen Oubang-hi, notamment, les tribus riveraines de- 
mandent à la pêche une partie de leur subsistance. Les 
bords des rivières sont infestés de moustiques, dont la 
morsure est particulièrement agaçante sous un climat 
où la lourdeur de la température exaspère toutes les af- 
fections de Tépiderme. La faune sauvage du Congo re- 
cule petit à petit devant l'appropriation du pays ; on pput 
prévoir le jour où le crocodile sera une rareté en aval 
du Stanley-Pool . 

La nature forestière, sur les falaises qui sont les re- 
bords de l'ancien lac congolais, est moins exclusive que 
dans la dépression médiane ; nous avons vu comment 
elle se dégradait insensiblement dans le Congo français, 
sur la Sanga et les affluents de l'Oubanghi ; il en est 
de même sur le Lomani, sur le Loualaba, qui est le 
nom du Congo supérieur, sur toutes les rivières de ter- 
rasses qui forment le groupe du Kassaï ; par cette zone 
de transition, les territoires de l'Etat indépendant 
passent peu à peu des conditions des plaines équatoriales 
à celles des plateaux du centre africain. 

Les populations indigènes sont, en ces pays du moyen 
Congo, très inégalement réparties, pour autant que l'on 
peut inférer d'une exploration encore incomplète ; les 
premières reconnaissances ne permettent pas d'en éta- 
blir exactement la densité, parce qu'elles empruntent 
les voies navigables, alors que les villages indigènes 
sont dans l'intérieur des terres ; il faut, pour se pronon- 
cer avec quelque vraisemblance, un séjour assez pro- 
longé dans un poste, l'activité des relations commer- 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 83 

ciales qui s'y nouent dépendant très étroitement, au 
moins dans les débuts, du peuplement des environs 
immédiats, mais ceci ne donnera que des renseigne- 
ments conjecturaux sur les rég'ions où les Européens 
n'auraient pas de représentants sédentaires : toute la 
bande des monts de Cristal est peu habitée ; les rives de 
rOubang-hi et celles de la Mongalla, dans la partie la 
plus toufiFue delà forêt, compteraient au contraire parmi 
les territoires les plus peuplés de l'Etat; mais là môme 
le chiffre de 20 indigènes au kilomètre carré serait un 
maximum. Sur les terrasses, entre Njangoué et le lac 
Tanganika, sur le haut Kassaï les habitants seraient 
aussi relativement nombreux, mais les razzias des ara- 
bes.Zanzibarites les ont fort éprouvés. 

En aval du Stanley -Pool, on confond tous les indigènes 
sous le nom de Bakongos ; ils sont petits, chétifs, mais 
marcheurs infatigables; en remontant dans l'intérieur, 
on trouve les Batékés dont les groupes les plus impor- 
tants sont sur la rive française etlesBayanzis, leurs voi- 
sins de l'est; la turbulence des Batékés a plusieurs fois 
mis à l'épreuve la patience des administrateurs de 
Brazzaville, ces tribus sont peu dociles, mais sociale- 
ment supérieures aux Bakongos ; elles pratiquent le 
commerce par pirogues entre le Stranley-Poolet le con- 
fluent de l'Oubanghi ; leurs chefs qui arrivèrent parfois 
à de vraies fortunes, prélevaient des péages sur les 
convois d'ivoire et de caoutchouc qu'ils laissaient pas- 
ser vers le bas fleuve. Plus loin encore vivent les Ban- 
galas et les Basokos, qui sont parmi les plus intelligents 
de ces nègres ; de taille moyenne, mais très vigoureux, 



1 



84 L 'AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 



ils sont bons piroguiers et habiles pêcheurs ; ils entrent 
volontiers en guerre contre leurs voisins et leur aspect 
est terrible, avec leur chevelure en casque et la crête à 
trois dents qu'un laborieux tatouage a fait pousser sur 
leur front. Bien disciplinés, ils font des soldats coura- 
geux et de bons auxiliaires pour la direction de nègres 
moins civilisés. Enfin, vers le Kassaï, les Baloundas, 
à cheval sur la frontière du Congo et de l'Angola por- 
tugaise, forment une série de tribus puissantes, qui 
peuplent les terrasses tournées vers la plaine et la lisière 
forestière voisine. 

Ces noirs n'ont entre eux aucune cohésion, bien que 
leur langue se ressemble d'un bout à l'autre de l'État ; 
ils sont divisés en villages, le plus souvent hostiles les 
uns aux autres et retranchés à quelque distance des 
fleuves ; une pêcherie, quartier temporaire au bord de 
l'eau, l'amorce d'un sentier qui s'enfonce sous bois, la 
silhouette de quelques bananiers aperçus dans un cré- 
neau de la forêt, tels sont les indices ordinaires qui an- 
noncent une agglomération. On a dit que jadis des 
états nègres assez bien organisés se seraient formés 
dans la plaine congolaise et ensuite émiettés, soit par 
la guerre civile, soit à l'approche des Arabes et des 
Européens ; ceci ne paraît pas très vraisemblable ; l'is- 
lam, le premier, marchant à la suite des conquérants 
Zanzibarites, a commencé à dégrossir les populations 
noires des terrasses centrales, mais son influence n'avait 
pas pénétré dans la forêt et les prétendus rojaumes 
d'autrefois n'ont sans doute jamais existé que dans 
l'imagination de quelques capitaines négriers. 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 85 

Toutes ces peuplades vivent dans une absolue sauva- 
gerie : leurs cases ou chimbèques sont de simples pail- 
lettes rondes, couvertes de chaume et composées d'une 
seule pièce ; quelques chefs ont fait bâtir par leurs 
captifs des palais du même style, mais élevés d'un étage 
et divisés en appartements ; le vêtement se réduit à un 
double tablier carré, très court, qui tombe devant et 
derrière et qui est suspendu par une ceinture en fibres 
de palmier ; les élégantes se gardent d'allonger leur 
toilette, mais elles la doublent, sur plusieurs épaisseurs, 
ce qui leur donne Tair de porter des morceaux de cri- 
noline. Les bananes et le manioc sont, avec le poisson, 
la nourriture ordinaire de ces nègres ; tous les porteurs 
joignent à leur charge une chicouangue^ c'est-à-dire un 
saucisson de farine de manioc roulé dans des feuilles 
de bananiers ; l'eau est leur boisson quotidienne, mais 
presque tous tirent du palmier une liqueur appelée 
malafou (c'est le lagmi des oasis algériennes), dont ils 
font une consommation désordonnée chaque fois que 
l'occasion s'en offre ; ils boiraient avec avidité tous les 
alcools de traite, si les Européens n'en surveillaient at- 
tentivement l'importation. Gomme les peuples de la 
forêt de Guinée dont nous avons parlé plus haut, ils 
sont anthropophages et l'on ne doit pas en conclure 
qu'ils soient particulièrement cruels ; le jour où l'on 
pourra leur fournir de la viande de boucherie, ces 
pratiques disparaîtront, parce qu'il sera différemment 
pourvu au besoin qu'elles expriment. Mais la solution 
du problème semble encore lointaine, et, même parmi 
les miliciens qui vivent dans le voisinage et sous les 



86 l'Afrique a l'entrée du vingtième siècle 

ordres directs de chefs européens, il n'a pas toujours 
été possible d'empêchei' les scènes de cannibalisme, 
surtout après les batailles. 

Rarement ces indigènes ont offert une résistance pro- 
long-ée à l'établissement des Européens ; les obstacles 
ne se sont dressés devant la conquête belge que sur les 
confins du pays depuis longtemps atteint ou menacé 
par l'expansion arabe; mais dans quelques districts de 
la forêt, les exactions de certains agents de l'État ou des 
compagnies commerciales avaient déterminé des insur- 
rections partielles, qui furent très durement réprimées; 
nous n'avons pas à prendre ici parti dans les querelles 
qui ont retenti jusque dans l'enceinte du parlement de 
Belgique, cependant il ne paraît pas contestable que la 
négligence de quelques villages à fournir leur contin- 
gent de caoutchouc a été punie par des exécutions et 
des violences hors de toute proportion avec les fautes 
commises ; les nègres de la Mongalla, par exemple, 
ne se seraient soulevés qu'après véritable provocation 
par des cruautés impitoyables. Autant il est imprévoyant 
de laisser à ces indigènes la liberté du travail, qui n'est 
pour eux que celle de la paresse, autant il est à la fois 
impolitique et inhumain de les traiter brutalement et 
d'assouvir sur eux des passions de vengeance qu'irrite 
encore l'action énervante du climat équatorial. 

Beaucoup de temps et beaucoup de patience seront 
indispensables pour habituer les noirs de la plaine con- 
golaise à travailler la terre autrement que pour satis- 
faire leurs besoins immédiats ; ils ne pratiquent encore 
aucune industrie, sauf la fabrication de leurs pirogues, 



•r-,- 



LES PLA.INES EQUATORIALES 87 

de quelques tissus grossiers qui composent leur léger 
vêtement et d'armes en fer, lances et couteaux de jet, 
aux formes bizarres et tourmentées, dont on peut voir, 
au musée colonial de Tervueren près de Bruxelles, de 
curieux-échantillons. Sur deux façades de la forêt cqn- 
golaise, ils ont été touchés par les progrès des mar- 
chands musulmans, qui leur apportaient des armes 
nouvelles, adjoignant de proche en proche à leurs troupes 
les tribus déjà soumises pour en soumettre d'autres 
plus éloignées : au nord, dans le domaine de la Sanga 
et de rOubanghi, c'est-à-dire dans ces régions de sou- 
veraineté française par où M. de Brazza développa no- 
tre Congo vers le Tchad ; à l'est, sur les terrasses de 
l'Afrique centrale, où l'Etat indépendant dut diriger 
contre eux la série des «campagnes arabes », à peine 
achevée aujourd'hui. Mais sur le pays que couvrit jadis 
le lac du moyen Congo, ces communautés indigènes 
sont à peu près intactes, et c'est aux Européens que re- 
viendront la tâche et le profit de les transformer pro- 
gressivement. 

La nature aura, pour cette œuvre, très généreusement 
servi les initiateurs, car l'ancien lac congolais ofiFre à la 
pénétration le plus admirable réseau de navigation de 
toute l'Afrique : le Congo lui-même, du Stanley-Pool 
aux Stanley-Falls, coule sur 1600 kilomètres sans un 
seul rapide : son cours est lent, encombré parfois d'îles 
et de bancs de sable, sur lesquels des crocodiles se 
chauflFent au soleil; le confluent de la Koua, comme 
le Stanley-Pool lui-même, a l'allure et les dimensions 
d'un lac fluvial ; la courbe immense que décrit le fleuve 



88 



l'Afrique a l'entrée du vingtième siècle 



allong-e de quelques jours la navigation vers les Falls, 
mais l'inconvénient est bien médiocre, si l'on pense 
aux avantag-es de l'extension plus grande, en ces pays 
non frayés, d'une pareille voie naturelle; peu importe, 
ici, d'aller vite ; il est plus utile de trouver le chemin 
de districts plus étendus, car, sans les fleuves, la circu- 
lation à travers la forêt est trop pénible pour permettre 
un mouvement commercial intense. 

Le groupe hydrographique de la Koua n'a pas moins 
de 1.250 kilomètres navigables sur son bief principal, 
qui emprunte d'ouest en est des sections de la Koua, du 
Kassaï et du Sankourou ; des voies moins longues se 
jetant dans ce bief, ouvrent aux vapeurs fluviaux les 
régions de laLouloua, du lacLéopold II, etc.. Un autre 
affluent de gauche du Congo, le Lomami,est navigable 
sur près de 1.000 kilomètres et l'on peut, en le remon- 
tant, tourner les Stanley-Falls pour s'avancer sans rom- 
pre charge beaucoup plus loin vers le sud ; les voies 
Kassaï-Sankourou et Gongo-Lomami convergent ainsi, 
la seconde formant l'arc et la première la corde, vers 
les savanes des plateaux ; après avoir guidé la conquête 
militaire contre les Arabes zanzibarites, elles sont au- 
jourd'hui comme les deux tiges à partir desquelles s'é- 
panouit la conquête économique. 

Les affluents de droite du Congo sont moins favora- 
bles à la pénétration ; la Sanga (qui coule dans le ter- 
ritoire français) n'est pas navigable en amont d'Ouasso, 
point proposé comme terminus oriental du chemin de 
fer à lancer du Gabon vers l'intérieur ; l'Oubanghi, 
mais seulement jusqu'aux rapides de Zongo, est un 



LES PLAINES ÉQUATORIaLES 89 

beau fleuve, navigable presque toute Tannée ; pour ses 
affluents d'amont, nous avons vu qu'il faudrait combi- 
ner des portages avec le transport par eau. La Mong-alla, 
qui traverse des forêts très riches en caoutchouc, TA- 
rouhimi, sur lequel Stanley vit des pirogues indigènes 
à quarante rameurs, avec bordages incrustés d'ivoire, 
d'autres fleuves encore (et le réseau n'en est pas com- 
plètement reconnu), portent à plus de 15.000 kilomètres 
la longueur des biefs navigables qui confluent vers le 
Stanley-Pool ; l'explorateur Grenfell assure que, dans 
toute la plaine du Congo équatorial, il n'est pas un 
point distant de plus de 160 kilomètres d'une escale 
accessible par eau. 

Mais tous ces germes de prospérité devaient rester 
stériles, tant que l'homme n'avait pas ouvert à ces fleuves 
une porte directe sur l'Atlantique ; sans voie de péné- 
tration, disait énergiquement Stanley, tout le Congo 
ne vaut pas un shellîng ; entre le Stanley-Pool et l'es- 
tuaire, en effet, les eaux d'amont, rassemblées en un 
seul lit, franchissent les monts de Cristal sur 400 à 500 
kilomètres, en deux séries de rapides coupées par un 
bief paisible- ; dès la sortie du Pool, le fleuve précipite 
son cours avec une force telle que parfois des pirogues 
voulant accoster à Léopoldville ont été entraînées et en- 
glouties ; l'estuaire est navigable aux paquebots jus- 
qu'à Matadi, sauf passage très prudent sur le banc de 
Mateba, près Boma et vitesse supérieure à dix nœuds 
pour sortir du « Chaudron d'Enfer », en vue de Matadi. 
Comment vaincre l'obstacle intermédiaire ? Comment 
assurer la traversée permanente de ces mamelons appelés 



90 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

monts de Cristal, qui sont couverts d'une brousse mi- 
sérable et presque déserts ? Stanley, dont le mémorable 
voyag-e fixa Tétendue exacte du cours du Congo, tenta 
le premier de réaliser le progrès qu'il estimait néces- 
saire : parti de Vivi, sur la rive droite du fleuve, en face 
de Matadi, il entreprit la construction d'une route, 
composée de deux portag-es encadrant le bief central 
Isanghila-Manyang'a ; c'était un travail immense, il en 
vint à bout pourtant, et par cette voie mixte deux cha- 
loupes V Association internationale Afncaine et VEn^ 
Avant remontèrent jusqu'au Pool par où, pour la pre- 
mière fois, la vapeur prenait possession de l'Afrique 
équatoriale. 

Mais ce n'était pas assez ; outre les frais d'un double 
transbordement, l'entretien de la route g-revait lourde- 
ment le trafic, accaparant des milliers de porteurs dont 
reflPort eût été bien plus utile sous une autre forme ; il 
fallait un chemin de fer et c'est à cette œuvre que se 
consacra le capitaine, aujourd'hui lieutenant-colonel 
Thys, officier d'ordonnance du roi Léopold II. A la 
suite du colonel Thys, on peut poser en principe que 
seul, un chemin de fer constitue une voie de pénétration 
pratique, dans les pays où l'absence de bêtes de somme 
rend impossibles les transports en g'ros ; la voiture auto- 
mobile elle-même, si peu exigeante qu'on la suppose 
en fait de routes, ne pourra sans doute jamais rendre 
ni en force, ni en usage, les services d'une locomotive 
sur rails ; ceci soit dit sans rien contester de ce que les 
progrès de la science apporteront d'innovations dans la 
construction et le chauffage des automobiles ; en pays 



r 



LES PLAINES EQUATORIALES 91 



équatorial, Tessentiel du chemin de fer paraît être le rail 
plutôt que le moteur. C'est ce que le colonel Thys com- 
prit dès le début ; il mit à propager ses idées toute 
Tardeur d'un apôtre et toutes les ressources d'un homme 
d'action ; visites, conférences, brochures, rien ne rebuta 
sa persévérance ; le roi Léopold fut vite gagné par tant 
de confiance et ne cessa jamais d'accorder au colonel le 
concours de sa plus effective protection ; si le souverain 
dut alors vaincre, dans son entourage de famille, des 
résistances très vives, il n'est personne aujourd'hui qui 
ne rende hommage à sa clairvoyante obstination. 

Le chemin de fer du Congo constituant une première 
expérience, il n'est pas surprenant que les plans d'abord 
arrêtés aient été plusieurs fois modifiés en cours d'exé- 
cution, et que peut-être encore des retouches de détail 
soient nécessaires. Mais les grandes lignes du projet 
primitif n'ont jamais varié. Renonçant à profiter du bief 
navigable inséré au cœur des monts de Cristal, Thys 
décida que le chemin de fer monterait, d'un seul bond, 
de Matadi au Stanley-Pool ; il serait établi à voie 
étroite, afin de diminuer les prix de revient, mais 
sans cependant rien marchander pour assurer la soli- 
dité de la construction. Les études préalables furent 
très brèves, et les évaluations alors proposées se sont 
trouvées de beaucoup trop basses; lès difficultés, en 
effet, se sont multipliées devant les directeurs de l'en- 
treprise, médiocrité de la main-d'œuvre indigène, mor- 
talité parmi les ouvriers noirs et les agents euro- 
péens, glissements de terres pendant les pluies, encom- 
brement sur une voie unique qui devait, d'un seul 



1 



92 l'aFRIQUE a l'entrée du vingtième SIECLE 

point de départ mal outillé, ravitailler les chantiers à 
ravancement et les travaux en reprise ; il ne leur a 
même pas manqué d'être vilipendés par des publicistes 
d'Europe et presque acculés à la faillite ; leur bonne 
étoile les sauva pourtant des désastres irrémédiables ; 
la voie ferrée atteig'nit après trois ans son 28* kilo- 
mètre, et le nom de ce col de l'horizon » donné à cette 
crête de la falaise, d'où le rail n'avait plus qu'à ser- 
penter sur le plateau, indique les perspectives meil- 
leures qui s'ouvrirent dès lors, au delà des obstacles 
culminants vaincus. 

En huit ans (1890-1898), le chemin de fer du Cong-o 
a été achevé, entre Matadi sur l'estuaire et Ndolo-Léo- 
poldville sur le Pool, soit environ 450 kilomètres; 
les sommes dépensées en juillet 1898 montaient à 
65 millions de francs, et l'on doit estimer que 5 mil- 
lions au moins ont été ajoutés depuis pour parfaire les 
travaux, encore incomplets sur quelques points ; le 
prix du kilomètre ressort ainsi à plus de 160,000 fr., 
pour une voie de m. 75. Si ce chiffre paraît élevé, que 
l'on n'oublie pas que la voie est très bien établie, avec 
des rails lourds et des traverses métalliques, que tous 
les ponts sont en fer, le principal, celui de l'Inkissi, 
ne mesurant pas moins de 100 mètres, que le relief on- 
dulé du plateau commandait un g-rand nombre de 
rampes et de courbes ; enfin, et ce serait sans doute 
l'explication la meilleure, que la compagnie n'a pu 
éviter les « écoles » d'une première et d'autant plus 
coûteuse initiative. Sans chicaner sottement sur des 
statistiques, mieux vaut examiner quelle sera, pour la 



LES PLAINES EQUATORIALES 93 

mise en valeur de TAfrique congolaise, Tulilité du 
chemin de fer si heureusement terminé. 

Il a tout d'abord drainé tout le haut pays, où avaient 
été accumulés pendant les travaux des stocks considé- 
rables d'ivoire et de caoutchouc ; comme par une bou- 
teille dont le goulot brusquement débouché laisserait 
échapper tout le contenu, comme le Congo lui-même 
s'épancha, aux âges anciens, à travers la percée des 
monts de Cristal, ainsi sur la voie nouvellement ou- 
verte ont afflué tous les produits amassés en amont. De 
là le merveilleux essor financier de la compagnie du 
chemip de fer, dès que la ligne a été livrée ; inaugurée 
solennellement en juillet 1898 — et vraiment l'effort 
accompli méritait cette éclatante consécration, — dès 
Tannée 1898, les recettes brutes en montaient à un mil- 
lion de francs par mois. La hausse des titres de la com- 
pagnie était donc des plus légitimes, et tous les termes 
impayés pendant la période difficile de la construc- 
tion, sont aujourd'hui soldés entre les mains des por- 
teurs. 

Doit-on compter que le trafic maintiendra longtemps 
de pareils bénéfices ? Peut-être est-il sage de prévoir 
quelque tassement, à mesure que s'épuiseront les 
réserves du haut fleuve, cependant l'exploitation nor- 
male restera certainement très rémunératrice, si la 
compagnie, au lieu de considérer son œuvre mainte- 
nant achevée, se persuade qu'elle n'est, au contraire, 
qu'au début, que le chemin de fer n'est pas une fin en 
soi, mais un simple moyen, un moyen de compléter le 
réseau fluvial en le liant à la mer et d'outiller ainsi, en 



94 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE 

vue d'une colonisation méthodique, tout le domaine 
hydrographique du Congo. 

C'est là, nous en avons plus d'un témoignage, la 
pensée de la compagnie, dont les directeurs n'en sont 
plus à faire leurs preuves d'intelligence pratique ; en 
même temps que progressait la ligne du chemin de fer, 
toute une flottille de transports fluviaux étaient lancés 
en amont du Stanley-Pool ; les uns appartiennent à 
l'Etat, les autres à des compagnies particulières ; ils 
étaient en 1899 au nombre d'environ soixante, jaugeant 
de 50 à. 125 tonneaux ; Stanley n'avait amené ses deux 
chaloupes jusqu'au Pool qu'au prix d'une lutte presque 
épique contre la nature; aujourd'hui, le chemin de fer 
porte en deux jours, du paquebot d'Europe jusqu'aux 
eaux navigables de l'intérieur, les pièces de bâtiments 
autrement puissants; d'Anvers aux Stanley-Falls, en 
trois semaires de mer, deux jours de chemin de fer, 
douze à quinze de navigation fluviale, moins d'un mois 
et demi des musées de Flandre au cœur de l'Afrique 
noire, tel est le prestigieux voyage que le touriste le pi us 
débonnaire peut entreprendre, aujourd'hui, tout aussi 
tranquillement que le tour du bois de la Cambre ; et 
des commerçants y vont en hommes d'affaires, en atten- 
dant que des agences y envoient des bandes de gens de 
loisir. 

Que l'on n'aille pas croire, pourtant, que l'on navi- 
gue sur le moyen Congo comme sur les grands fleuves 
d'Amérique, le Mississipi ou le Saint-Laurent : les va- 
peurs en service au delà du Stanley-Pool sont astreints 
à une marche lente et strictement surveillée ; les rivières 



LES PLAINES EQUATORIALES 9S 

étant souvent étalées avec une très faible épaisseur d'eau , 
les types de bateaux ont été spécialement adaptés à ces 
conditions, et ne peuvent donner une grande vitesse ; 
ils ne calent guère plus de m. 50, sont mus par une 
hélice ou plus généralement par une roue d'arrière, à 
palettes ; ils ne marchent que dans la journée, et doi- 
vent encore s'arrêter souvent pour renouveler leur pro- 
vision de combustible, c'est-à-dire de bois : des esca- 
les de ravitaillement sont aménagées à cet effet ; il est 
à souhaiter que les chenaux, partout où les fonds sont 
médiocres, soient balisés pour éviter des échouages, 
accidents encore trop fréquents. Mais si nous faisons 
ressortir ces quelques inconvénients, il n'en faut pas 
moins insister sur la supériorité que ce réseau navi- 
gable assure au Congo belge sur toutes les autres co- 
lonies d'Afrique. 

Les voies affluentes des rivières navigables ne sont à 
l'heure présente que des portages où les marchandises 
circulent à dos de nègre ; dans l'est et le sud-est de 
l'Etat, sur les plateaux, on a pu tenter de domestiquer 
des bêtes de somme, le bœuf et le zèbre ; rien de tel 
n'est possible dans le domaine équatorial du Congo, 
ces animaux paraissant incapables de s'y acclimater ; 
signalons toutefois l'intéressantsuccès de la compagnie 
des produits du Congo, qui a réussi à constituer dans 
l'île de Mateba, près de l'embouchure du fleuve, un 
troupeau de bovidés dont le lait et la viande sont con- 
sommés en amont jusqu'au Stanley-Pool ; un nou- 
veau progrès serait d'en faire aussi des bêtes décharge; 
nous ne croyons pas que rien ait été fait encore, au 



96 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

Cong'o belge, pour la domestication de Féléphant. 

Pour que TÉtat indépendant atteig-ne une prospérité 
durable, il faut qu'il entre résolument dans 1* « âge de 
Tagriculture, » et ne se borne pasà faire du commerce, 
surtout d*après les errements de ses premières années. 
Les éléphants, traqués sans merci, sont de plus en plus 
rares ; aussi le marché de Tivoire, naturellement cons- 
titué à Anvers, n'a-t-il pas beaucoup développé ses af-' 
faires dans les derniers exercices ; la quantité d'ivoire 
que Ton y importe d'Afrique atteignit 245 tonnes, en 
1897 et n'a guère monté depuis; il est vrai qu'il est dif- 
ficile de s'en rendre exactement compte, les négociants 
intéressés ne laissant offrir que des lots limités, de ma- 
nière à maintenir les cours ; mais la compagnie du 
chemin de fer a sagement décidé, ce qui serait une preuve 
de la diminution de l'ivoire, de n'en presque pas faire 
état pour dresser ses prochains budgets. La chasse de 
l'éléphant a été interdite dans tout l'Etat, sauf permis- 
sion spéciale, par un décret du 25 juillet 1889; l'inten- 
tion était>elle de protéger les éléphants, ou seulement 
de réserver là à quelques privilégiés le commerce de l'i- 
voire ? c'est ce qu'il n'est pas très aisé de démêler. 

Le Bas Congo possède, comme la côte de Guinée, de 
nombreux élaïs ou palmiers à huile ; les indigènes re- 
cueillent volontiers les amandes et même fabriquent 
l'huile de palme, que les factoreries leur achètent cou- 
ramment; c'est un travail peu pénible, d'un rendement 
très rémunérateur pour des noirs, mais qu'il est dan- 
gereux d'encourager sans contrôle, si l'on ne veut sa- 
crifier l'avenir au présent. Avec le chemin de fer et les 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 97 

vapeurs fluviaux, la cueillette des amandes de palme 
ne sera plus limitée au bas fleuve ; Télaïs est, en effet, 
très commun sur les bords de rArouhimi,d*où ses pro- 
duits seront dirig'és sur Matadi sans frais trop consi- 
dérables pour en rendre l'exportation impossible. Le 
caoutchouc abonde dans toute la forêt ; on en estime 
l'exportation, pour tout l'Etat, à 2000 tonnes par an, et 
de nombreuses compag^nies de commerce en font l'ob- 
jet unique de leurs transactions ; la môme observation 
s'impose ici qu'à propos de l'élaïs ; il est nécessaire, si 
vastes que l'on suppose les réserves du Congo, de 
rég'ler l'exploitation par les indig'ènes, et d'introduire 
des procédés de plus en plus scientifiques de récolte et 
de coagulation du latex. Divers arbres sont dès main- 
tenant exploités pour leur bois ; un tronçon de chemin 
de fer, long* de 30 kilomètres, a été ouvert de Boma au 
Mayombe, qui est une région d'épaisses forêts (prin- 
temps de 1900). D'autres arbres fournissent des fibres 
textiles, comme le rafia, qui pousse dans les poches les 
plus humides des galeries ; quelques-uns enfin, tels 
que le manguier, l'avocatier, etc.. portent des fruits 
comestibles : presque sauvages encore, ces fruits n'ont 
pas la délicatesse ou la saveur de ceux d'Europe, mais 
ils sont appréciés déjà des résidents européens, dont ils 
varient l'ordinaire, et l'on espère les améliorer par la 
culture, au point de leur ouvrir les marchés métropo- 
litains. 

La compagnie du chemin de fer, pour faciliter l'ex- 
ploitation des produits du haut pays, accorde des tarifs 
de faveur à toutes les marchandises destinées à la cons- 
L'Afrique. 6 



98 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE 

truction et à l'outillage des postes d'âmont. Les blancs 
ne pouvant surveiller les travailleurs noirs s'ils ne se 
trouvent établis dans un confort au moins relatif, on 
comprend qu'elle contribue, par cette concession, au 
prog'rès des cultures coloniales, dont les Européens 
seuls seront long'temps encore les directeurs. L'Etat 
indépendant a tenté des plantations à Léopoldville, à 
Kinchassa sur le Stanley-Pool et dans la plupart de ses 
stations du haut; les deux plus prospères sont Goquil- 
hatville, et la Nouvelle-Anvers, en pays Bang-ala; à 
Coquilhatville, 300 hectares sont défrichés, et pro- 
gressivement complantés en café et cacao ; des jardins 
potagers produisent tous les légumes d'Europe, plus 
charnus peut-être, mais moins fermes et moins appétis- 
sants que ceux de nos climats. Les chefs indigènes, 
depuis un arrêté d'avril 1897, sont obligés de planter 
dans leurs villages telles espèces et en telles quantités 
qu'il leur est prescrit par les agents de l'Etat. 

Le sol fertile du Congo porte, sans les façons multi- 
ples de notre agriculture savante, une belle variété de 
produits dont les uns assurent la subsistance des indi- 
gènes et des résidents étrangers, tandis que d'autres 
sont matière d'exportation ; mais pour tirer parti de 
ces richesses, le blanc ne peut se passer du travailleur 
nègre ; or c'est seulement par la contrainte que l'on a j us- 
qu'ici décidé les nègres congolais au travail. Le che- 
min de fer a multiplié sur la main-d'œuvre noire des 
expériences de toutes sortes ; faute d'auxiliaires recru- 
tés sur place, il a dû s'adresser à des Sénégalais, acces- 
sibles à la tentation de l'argent, vigoureux et très ma- 



LES PLAINES ÉQUÀTORIALES 99 

niables si Ton sait les prendre à la fois par la confiance 
et par la vanité ; lors des fêtes de Tinaug'uration, les 
invités remarquèrent, à toutes les stations, des groupes 
de cases pavoisées aux couleurs françaises : c'étaient les 
villages des ouvriers sénégalais, parmi lesquels beau- 
coup d'anciens tirailleurs, parlant un peu français, 
et se parant aux jours chômés de vieux effets d'uni- 
forme. 

Les Belges ont obtenu des services des Sangos et des 
Bangalas, qui avaient pourtant, en 1877, fait une con- 
duite si peu amicale aux pirogues de Stanley. Ce n'est 
là encore qu'une exception. Les noirs, fixés sur les ex- 
ploitations, sont astreints au travail, mais jamais leur 
effort n'est très intense ; il convient, en ces pays, de 
prendre à rebours le dicton venu des Antilles et de dire 
« flâner comme un nègre ». On a beaucoup parlé der- 
nièrement des « incidents de la Mongalla », c'est-à- 
dire des cruautés de quelques agents européens et d'un 
soulèvement conséquent des riverains de ce fleuve; nous 
ne saurions trop vivement approuver le rapport qui 
fut, à cette occasion, adressé au gouvernement belge 
par M. de Guvelier, secrétaire général des affaires étran- 
gères, pour l'Etat indépendant. Le maintien de l'auto- 
rité, dit M. de Guvelier, n'est pas inconciliable avec les 
devoirs supérieurs de l'humanité ; il convient de répri-. 
mer toute violence contre la personne et les biens des 
indigènes mais, pour substituer au régime de paresse 
générale, de luttes civiles et d'esclavage un état social 
meilleur, il faut aussi proclamer, imposer en cas de 
nécessité, la loi du travail régulier et rémunérateur. 






100 l'Afrique a l'entrée du vingtième siècle 

Et ce sera tout bénéfice pour tous ; l'ouvrier nègre, fixé 
près des Européens, sera initié aux cultures potagères 
et, partout où il sera possible, à Télevage ; ainsi per- 
dra-t-il petit à petit, par la faculté de consommer des 
aliments nouveaux pour lui, le besoin et môme le goût 
de la chair humaine. 

L'Etat indépendant du Congo, malgré les critiques 
qui ne lui ont pas été ménagées, a donc abordé très 
intelligemment les problèmes de la transformation eu- 
ropéenne de l'Afrique ; il a complété le réseau de ses 
communications naturelles par des travaux qui ouvrent 
l'accès facile d'immenses territoires ; il est administré 
de façon telle que la dispersion des efiForts individuels 
n'y fait pas tort à l'unité organique de son développe- 
ment ; il ressemble beaucoup, et ceci n'est pas un re- 
proche, à une vaste maison de commerce, dont les di- 
vers bureaux seraient les compagnies qui s'en partagent 
l'exploitation et dont les directeurs, résidant à Anvers 
et à Bruxelles, ne forment qu'un petit groupe, très co- 
hérent et très obéi. Le « domaine privé » (appartient- 
il personnellement au souverain ou à l'Etat ?) fait, à lui 
seul, plus de la moitié du commerce du caoutchouc et 
les neuf dixièmes de celui de l'ivoire. L'Etat est fort in- 
téressé, de manière ou d'autre, dans plusieurs compa- 
gnies privées. Il y a là une forme administrative et 
politique, souple et solide, dont la hardiesse déconcerte 
notre manie française d'assimilation et d'abstraction : 
l'œuvre n'en est, pour nous-mêmes, que plus curieuse 
et plus instructive. 

En 1897, le mouvement commercial de l'Etat indé- 



r 



LES PLAINES EQUATORIALES 101 



pendant du Congo, alimenté surtout par les régions de 
plaine équatoriale que draine le chemin de fer du bas 
fleuve, a dépassé quarante millions de francs, dont les 
trois quarts représentent les échanges avec la Belgique ; 
il montait en 1899 à 66 millions. Après avoir été pas- 
sionnément discutée, chez nos voisins, la politique con- 
golaise est aujourd'hui admise de tous, du moins en 
principe ; la presse a été gagnée la première et Topiniçn 
la suit ; l'exposition du Congo, à Tervueren, est deve- 
nue pour les Bruxellois une sorte de musée du diman- 
che. Certes, la part de la spéculation doit être faite, 
dans la hausse des valeurs congolaises, mais ce mou- 
vement est aussi fondé en raison sur des progrès accom- 
plis et les initiateurs qui n'ont pas faibli devant les 
déboires de la première heure ont le droit de s'en mon- 
trer fiers. 



L'Afrique. 6. 



CHAPITRE IV 



La côte orientale et Zanzibar. 



La côte orientale de l'Afrique, entre le cap Guarda- 
fui (120 lat. N ) et l'île de Mozambique (15<» lat. S.) n'est 
équatoriale que parsa position géographique ; le climat 
en est différent de celui des rég'ions précédemment étu- 
diées, les pluies y sont périodiques et non perpétuelles, 
enfin l'altitude générale, dès que l'on pénètre dans l'in- 
térieur, est trop considérable pour que la zone maritime 
soit autre chose qu'une étroite lisière. 

La partie centrale de cette zone est bien connue, et 
depuis longtemps; les Arabes deMascate y ont été, dès 
le moyen âge, les précurseurs des Européens établis 
dans notre siècle ; plus tard, c'est autour de Zanzibar 
qu'ont évolué les escadrilles chargées de réprimer la 
traite. Mais nos connaissances sont beaucoup plus ré- 
centes et moins complètes sur les parties nord et sud : 
au nord, la presqu'île des Somalis reste un des coins 
mystérieux de l'Afrique ; elle n'a été traversée que par 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 103 

« 

de rares voyag-eurs, et Tannée 1896 vit le double assas- 
sinat, par les indigènes, du capitaine italien Bottego, 
près des frontières de TAbyssinie et du consul général 
d'Italie à Zanzibar, M. Gecchi, à vingt kilomètres à peine 
de la côte. Dans le sud, les Portugais sont demeurés 
longtemps inactifs ; le cours des rivières littorales qui 
coulent entre Mozambique et le lac Nyassa est encore 
incertain ; Mozambique entre leurs mains n'a été qu'une 
escale sur la route des Indes ; la pénétration de l'Afri- 
que, au départ des côtes portugaises, est dans toute 
l'Afrique l'œuvre de sociétés étrangères ; ici, ce sont des 
capitalistes et même des soldats anglais qui se substi- 
tuent au Portugal, et découvrent, à quelques étapes delà 
côte, un pays que l'indifférence de ses souverains a laissé 
jusqu'à nos jours inconnu. 

Des bouches du Zambèze à la mer Rouge, la côte 
africaine est bordée, à distances variables, de hautes 
terres enserrant des lacs profonds ; ces massifs forment 
dans l'ensemble une longue falaise qui tourne vers la 
mer ses escarpements rapides et dont la direction est 
soulignée par celle des îles côtières, Pemba, Zanzibar 
et Mafia. Le relief intérieur a été remanié par une ac- 
tion volcanique puissante: le Kilimandjaro, gravi pour 
la première fois en 1889 parle docteur Meyer, s'élève, 
jusqu'à 6,130 mètres et présente nettement la forme 
d'un cône d'éruption ; le Kénia, qui culmine à 5,600 
mètres, a été étudié par Mac Kinder en 1898, il a été, 
luiaussi, dressé par le jeu des forces souterraines ; l'al- 
titude de ces deux géants est assez élevée pour que, 
presque exactement sous l'équateur, ils portent des 



lU L^AFKIQUS A l'eSTIHÉB DU VINGTIEME SIECLE 

glaciers: tons les climats du globe s*étagcnt sur leurs 
flancs, depuis les vallées chaudes à forêts touffues jus- 
qu'aux déserts polaires. 

Le Kéoia et le Kilimandjaro sont les citadelles maî- 
tresses de la falaise qui borde la côte mais, de part et 
d^autre de Féquateur, d'autres sommets de haut relief 
accidentent le &ont des plateaux du centre africain : en 
arrière de Z&nzibar, les monts de TOusagara, proches 
de 3,000; entre Mozambique et le lacChiroua, les monts 
Namoulis, qui dépassent â,400 mètres. Au nord de Té- 
quateur, des volcans encadrent la rive méridionale du 
lac Rodolphe ; ils portent le nom de l'explorateur au- 
trichien Téléki, et ont au moins 3000 mètres ; des mon- 
tagnes de même caractère surgissent entre le plateau 
des Somalis et l'Abyssinie, où l'action volcanique, 
particulièrement intense, a laissé un véritable chaos. 

C'est donc une barrière, plus ou moins haute, plus 
ou moins continue, mais d*un aspect général très uni- 
forme qui réduit à une expansion médiocre vers l'inté- 
rieur les influences de TOcéan Indien. La péninsule des 
Somalis est un empâtement isolé vers l'est, un triste 
pays « de discordes, de guerres et de razzias », dit l'I- 
talien Robecchi-Brichetti, l'un des seuls Européens qui 
aient pu s'y aventurer sans dommage ; ces plateaux, 
tour à tour argileux et pierreux, annonceraient la na- 
ture de l'Arabie ; les populations, nomades sur ce sol 
ingrat, accueillent l'étranger avec la plus extrême mé- 
fiance ; très près de la côte, un régime semi-désertique 
de steppes à fleuves temporaires rendrait déjà, sans 
l'hostilité des habitants, la pénétration difficile ; on ne 



LES PLAINES ÉQUATORLVLES 105 

peut donc promettre un brillant avenir aux postes ita- 
liens de la sultanie d'Opia, bloqués sur cette côte peu 
hospitalière. 

Toute Tactivité de relation est concentrée dans la ré- 
gion moyenne de ce littoral, dans les îles et les ports 
continentaux qui constituaient jadis la façade maritime 
des états de Zanzibar ; le courant équatorial du sud, 
qui s'est d'abord enroulé autour de la pointe nord de 
Madagascar, se divise au contact de l'Afrique : une de 
ses branches s'allonge entre Madagascar et la côte 
portugaise, formant le courant du Mozambique, qui 
a creusé le littoral jusqu'à la hauteur de Beira ; l'au- 
tre remonte au nord, vers Bagamoyo, et sans doute 
a contribué à détacher Zanzibar du continent africain, 
Les meilleurs ports seront donc ceux ouverts au nord- 
est, protégés ainsi contre l'envasement par les courants 
marins dominants; d'ailleurs la mer n'est guère active-, 
autour de Zanzibar, la latitude de l'île correspondant 
exactement, entre les moussons et les alizés du sud-est, 
à la région des calmes équatoriaux. 

La plage continentale est précédée de récifs de co- 
. raux ; elle s'allonge, en minces langues de sable, entre 
des lagunes sans profondeur ; des bosquets de coco- 
tiers l'ombragent par places et dans le lointain, vers 
l'ouest, s'estompent les montagnes de l'Ousagara ; les 
facilités d'accès sont très médiocres, en face même de 
Zanzibar : la côte est basse, les coraux ne laissent 
entre eux que des chenaux étroits, et les ports de Ba- 
gamoyo et Dar-es-Salam ne sont que des mouillages ; 
il en est de môme à Zanzibar, capitale et port de l'île 



-T«p " " 



i06 l' AFRIQUE A l' ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 

du môme nom ; les paquebots de mer jettent Tancre à 
près d'un kilomètre du rivage ; seuls les boutres 
arabes accostent à terre. Au nord, en face de Pemba, 
les conditions sont meilleures : ici en effet, les mon- 
tag'nes de l'Ousambara sont toutes proches de la mer, 
et le relief littoral participe de leur structure plus va- 
riée ; Tang'a serait le meilleur port de TAfrique orien- 
tale allemande, avec une rade facile à défendre, acces- 
sible aux navires de guerre ; mais les Anglais ont pris 
une grande avance, au port voisin de Mombasa, tête 
de ligne du chemin de fer de l'Ouganda et qui paraît 
appelé à supplanter Zanzibar même. 

Très vite en arrière de la côte, qui est appelée dans le 
pays Mvima, commence une steppe ondulée, montant 
par échelons jusqu'à 1000 mètres ; le sol est composé 
de roches anciennes, schistes et gneiss avec des affleu- 
rements granitiques ; les érosions, décomposant ces 
couches superficielles, en ont fait un manteau de laté- 
rite qui s'étend fort loin dans l'intérieur ; les fleuves 
se sont foré des vallées encaissées, où se réfugie la vé- 
gétation forestière, car le niveau supérieur des pla- 
teaux est trop peu arrosé pour porter des bois touffus : 
on n'y rencontre que des bouquets d'arbres isolés, bao- 
babs et manguiers ; de hautes graminées couvrent tout 
le reste, grillées en saison sèche, et d'une verdure 
molle pendant les pluies; autour des groupes de cases 
indigènes, un défrichement sommaire, par l'incendie 
de la brousse, a ménagé quelques clairières pour la 
culture du sorgo ; c'est en somme un pays tropical, plu- 
tôt qu'équatorial, dont toutes les conditions géogra- 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 407 

phiques, économiques et même sociales sont réglées 
par la succession des moussons. 

Les moussons soufflent rég'ulièrement entre l'Afri- 
que orientale et Tlnde ; en été, TéchaufiFement des 
masses montagneuses de l'Asie centrale appelle les 
nuages de l'océan Indien, en hiver au contraire ces 
mêmes masses écrasent en quelque sorte et dis- 
persent loin de l'Asie nuages et vents; la côte de 
Zanzibar reçoit alors la mousson du nord-est. Les 
moussons, plus encore que les courants de l'océan 
Atlantique, méritent le nom de vents commerciaux 
(trade winds); c'est parleur action alternative que se 
sont nouées, de toute antiquité, des relations entre la 
côte africaine, l'Inde et le golfe Persique ; la conquête 
musulmane qui, de Zanzibar, a rayonné jusque sur 
le Haut-Congo, partit de Mascate avec les ancêtres des 
sultans aujourd'hui vassaux de l'Angleterre ; sur l'océan 
Indien, régulièrement parcouru par les moussons, des 
bâtiments d'un faible tonnage, de simples boutres, pou- 
vaient sans crainte renoncer au cabotage pour se lan- 
cer en haute mer. 

Les vents qui dominent à Zanzibar viennent de l'est ; 
l'alizé de l'hémisphère austral, qui converge avec la 
mousson pendant l'hiver, arrive seul en été sur la côte, 
car la mousson qui alors a tourné combat et neutralise 
l'alizé de l'hémisphère boréal. La péninsule des Soma- 
lis échappe aux vents pluvieux, qui suivent une direc- 
tion parallèle à celle de sa côte, et glissent sur elle, 
sans pénétrer dans l'intérieur. A la hauteur de Zanzi- 
bar, c'est l'alizé du sud-est qui amène les pluies prin- 



n 



108 L* AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 



cipales, pluies d'été austral, c'est-à-dire des mois d'oc- 
tobre à mars ; la mousson n'est pas aussi pluvieuse 
que l'alizé, car elle ne traverse, entre l'Inde et l'Afrique, 
qu'une étendue d'eau trop médiocre pour s'y approvi- 
sionner comme l'alizé austral, qui arrive sans obstacle 
de la région la plus libre de l'océan Indien. 

La saison des pluies, à la côte, est dite masika, 
Stanley, qui partit à la recherche de Livingstone en 
pleine masika (1870-1871), nous donne la description 
de cette période de l'année : les premières collines, 
jusqu'à l'altitude de 800 mètres, baignent tout entières 
dans la couche pluvieuse ; l'eau ruisselle et forme des 
marais, des fondrières où les bétes de somme s'en- 
foncent et disparaissent souvent ; à chaque pas, la route 
est coupée par des marig-ots où se roulent les hippopo- 
tames, ou par des jongles inextricables autour des- 
quelles bourdonnent les tsetsés ; les chevaux réussissent 
rarement à traverser cette région dangereuse pour arri- 
ver sur les plateaux, dont l'altitude supérieure convient 
mieux à leur santé. 

Gomme nous l'avons dit à propos des forêts de 
l'Afrique occidentale, ce n'est pas tant la forte pré- 
cipitation des pluies, qui déconcerte l'Européen, que 
l'humidité constante et chaude de l'atmosphère : la 
hauteur annuelle des pluies, à Dar-es-Salam , est seu- 
lement d'un mètre; mais, outre qu'on peut la croire 
notablement supérieure sur le relief plus accusé de l'in- 
térieur, la fatigue du voyageur s'aggrave du fait que 
la température oscille peu autour de 30° centigrades, 
sans repos pendant la nuit, avec maximum au mois de 



LES PLAINES ÉQUÀTORIALES i09 

février^ La fièvre règne alors à Tétat endémique, les 
moustiques assaillent l'homme et le condamnent à 
d'atroces insomnies, tandis que la tsetsé fait disparaître 
les chevaux, les ânes et môme les chiens : malgré toute 
la vigueur de sa constitution, Stanley fut très éprouvé 
par la traversée de ce pays malsain. 

La masika entrave donc les communications de la 
côte avec Tintérieur, les voies ferrées ne seraient pas 
à l'abri de ses ravages, si l'on en juge par l'expérience 
récente du chemin de fer en construction vers l'Ougan- 
da : pendant les pluies du début de 1899, des infiltra- 
tions ayant ébranlé les terrains, la plate-forme a glissé 
sur plusieurs points et Ton s'est alors aperçu que les 
premiers devis, qui ne tenaient pas compte d'accidents 
de ce genre, devaient être beaucoup majorés. C'est 
pourtant pendant la saison des pluies que la mousson 
du nord-est amène à Zanzibar les barques de Mascate 
et de l'Inde ; quelque peu troublé maintenant par la 
concurrence européenne, ce mouvement était encore 
fort régulier, il y a quinze ans environ ; après avoir 
chargé l'ivoire et les esclaves arrivés, les uns portant 
l'autre, dans les derniers mois de l'année, les boutres 
relevaient pour la mer d'Oman dès la saute de la mous- 
son, en avril ; ils étaient au nombre de plusieurs mil- 
liers. 

- Au printemps, les pluies cessent ; la température 
s'adoucit, et le soleil n'est plus, voilé que de brumes, 
le matin et le soir ; le thermomètre tombe en juillet 
à 23**; les nuits sont relativement fraîches, la pureté 

plus grande du ciel permettant un rayonnement plus 
L'Afrique. 7 



iiO L*AFIUQCE A L*ENTIŒE DU VINGTIEME SIECLE 

actif. L'Earopéen n*en est pas moins astreint à des pré- 
cautions tris strictes ; l'insolation est redoutable, même 
quand la brume tamise la lumière du soleil ; Zanzibar 
est, en effet, trop proche de l'équateur, pour que Toblî- 
quité des rayons en diminue beaucoup la puissance. 
L*usage du casque colonial est indispensable, tant que 
le soleil reste au-dessus de Thorizon. 

Sur les terrasses de plus en plus élevées de l'intérieur, 
les pluies sont, sinon plus fréquentes qu'à la côte, du 
moins mieux réparties ; dans les monta/ocnes de l'Ou- 
sambara, voisines de Tanga, dans celles de l'Ousagara, 
que deux cents kilomètres de steppes séparent de la 
mer, plus au sud dans les monts Namoulis en arrière 
de Mozambique, l'altitude et la meilleure distribution 
des eaux permettraient aux Européens non seulement 
un séjour de plusieurs années, mais encore des travaux 
agricoles ; il conviendrait toutefois de distinguer mi- 
nutieusement les régions : cette zone littorale des pla- 
teaux est en effet remarquable par les caprices de son 
relief; derrière une colline très arrosée dont les dernières 
pentes orientales sont noyées pendant la masika, des 
bandes de désert altéré toute l'année, contrastent par 
l'aridité stérile de leur sol ; on n'y recueille que m. 30 
de pluie annuelle, en un petit nombre de grosses aver- 
ses ; la température y passe par tous les excès du climat 
continental, sautant de -f- ^° ^ + ^^ dans les vingt- 
quatre heures ; Stanley comparait ces déserts à ceux du 
Colorado et de l'Utah ; l'analogie en serait plus remar- 
quable encore avec la côte occidentale de l'Inde qui est 
symétriquement soumise au même régime de moussons: 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 111 

à Tabri des Ghattes, dont les pentes orientales reçoivent 
2 mètres d'eau, à 150 kilomètres dans Tintérieur, la 
chute annuelle des pluies n'est plus que de m. 40. 

Ces caprices du relief expliquent ceux de la vég'éta- 
tion : les terres sèches sont nues, sauf quand des pluies 
les raniment pour quelques jours ; les rivières inclinées 
vers rOcéan Indien coulent dans des ravins forestiers ; 
sur les mamelons bien exposés à Test, des villag'es in- 
digènes se sont établis, après un incendie qui a détruit 
la brousse ; les arbres fruitiers de l'Afrique équatoriale, 
manguiers et bananiers surtout, entourent leurs cases ; 
les Arabes ont introduit quelques autres espèces, comme 
le figuier, le grenadier, le citronnier, qui les suivent 
partout ; la terre, rouge de débris volcaniques, porte 
de belles récoltes de céréales. 

Mais les indigènes sont à la merci d'une sécheresse 
accidentelle : en 1898-1899, le long des travaux du che- 
min de fer de l'Ouganda, une famine cruelle a décimé 
plusieurs tribus et les autorités anglaises, loin de trou- 
ver sur place les auxiliaires dont elles avaient besoin, 
ont dû pourvoir à la subsistance de ces malheureux 
affamés. Sur ces premiers plateaux, trop souvent im- 
praticables par la mauvaise répartition des pluies, 
quelques groupes de collines heureusement accessibles 
aux influenees marines seront les points d'appui de la 
pénétration européenne ; élevées au-dessus des steppes 
pauvres, elles constituent comme des oasis de hauteur, 
offrant à l'Européen le double avantage d'un sanatorium 
situé parmi des terrains de culture. 

Les fleuves qui tombent dans l'Océan Indien sont des 



4 12 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

cours d'eau médiocres et presque jamais navigables ; 
dans la péninsule des Somalis, ce ne sont que des oueds, 
comme en Arabie ; avec le Djouba commence- la région 
des fleuves permanents, dont les principaux sont, jus- 
qu'au Zambëze, la Tana, le Pangani, le Roufidji et la 
Rovouma; la disposition générale du sol en gradins 
abaissés vers la mer, explique que ces cours d'eau sont 
coupés de rapides jusque très près de leur embouchure : 
Peters a signalé (1889) Jes chutes grandioses dans la 
haute vallée de la Tana ; la mer n'est pas assez forte 
pour disperser les alluvions qui se déposent en deltas 
et s'embrouillent autour de récifs corallifères, comme 
aux bouches de la Roufidji. La navigation maritime ne 
remonte donc nulle part dans les fleuves ; on ne peut 
compter davantage, pour guider la pénétration, sur les 
routes des vallées, qui sont encadrées de marécages et 
souvent dissimulées sous l'épaisse verdure des forêts- 
galeries. 

Le pays, dont la valeur économique était restée jus- 
qu'en ces dernières années nulle pour les Européens, 
était cependant, par la conquête arabe, devenu le centre 
d'un mouvement commercial très notable et même 
d'une agriculture fort supérieure à celle des nègres de 
l'Afrique équatoriale ; la dynastie des sultans do Zan- 
zibar, venue de Mascate, fondait sa souveraineté sur les 
bénéfices d'un commerce armé dont le pays intérieur 
faisait les frais ; des conseillers indous assistaient les 
Arabes, musulmans comme eux pour la plupart, ban- 
quiers et commissionnaires des sultans : Stanley fut 
très heureux d'obtenir, pour recruter sa première cara- 



vi - 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 113 

vane, la protection du ministre indou Tarya-Topan ; il 
remarqua que les forts du sultan, sur la côte du conti- 
nent, étaient confiés à des garnisons de Béloutchis. 

Zanzibar, transformée par ces apports étrangers dont 
la mousson assurait l'incessant renouveau, devint l'en- 
trepôt du commerce entre l'Afrique et l'Inde ; comme 
Gorée, pour les convois d'Amérique, elle servait de 
prison d'attente aux nègres amenés captifs par les trai- 
tants et dont l'évasion était plus difficile dans une fie 
que sur la terre ferme. Et cependant, vivant d'un tra- 
fic brutal de chair humaine, la ville s'était parée de ce 
cachet de confort et d'élégance, qui distingue de loin 
toutes les agglomérations urbaines des Arabes ; elle 
forme un fouillis de maisons basses, à terrasses plates, 
blanches sous l'ardeur crue du soleil ou suintantes 
d'une moiteur grise quand viennent les pluies ; le mur 
mitoyen y est inconnu ; la plupart des habitations, sur- 
tout les plus riches, s'entourent d'un jardin, où l'on 
cultive les fruits chers aux Arabes, l'orange, la gre- 
nade, la figue; des palmiers poussent à l'air libre, dans 
les ruelles, l'ombrelle de leur feuillage, et c'est comme 
un compromis entre la ville et la campagne ; les Indous 
ont, sur le port, des magasins, anciennes geôles de nè- 
gres ; la vie extérieure est peu bruyante, ainsi qu'il est 
ordinaire chez les musulmans, et les portes se ferment 
jalousement sur l'intimité de la famille. 

Le sultan die Zanzibar, aujourd'hui vassal de l'An- 
gleterre, fut jadis un puissant souverain : les lettres 
dont il munit Stanley devaient recommander utilement 
l'explorateur jusque sur les bords du Tanganika ; mais, 



n 



114 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

avant même d'abdiquer son indépendance, il avait dû 
renoncer à la traite qui était la source la plus sûre de 
ses revenus. L'Europe avait déclaré l'immoralité de la 
vente des nègres, et le sultan de Zanzibar l'avait inter- 
dite dans toute l'étendue de ses états ; des croisières, 
anglaise et française, arrêtaient les capitaines négriers 
qui voulaient passer en contrebande ; le zèle des équi- 
pag'es était stimulé par une prime, à tant par tête de 
nègre affranchi. La tâche des stationnaires français ne 
laissait pas d'être délicate, beaucoup de marins arabes 
se réclamant de notre consul et naviguant sous notre 
pavillon ; cependant on n'a jamais sig'nalé de confit 
grave, et l'exportation des nègres, même clandestine, 
cessa peu à peu ; elle est nulle aujourd'hui : tout au 
plus peut-on supposer que certains nègres, domestiques 
prétendus libres à bord des boutres qui partent pour 
l'Inde, reprennent leur condition d'esclaves dès que les 
maîtres sont assurés d'en trafiquer impunément. 

Zanzibar n'est donc plus un marché de « bois d'é- 
bène » ; les convois d'ivoire, attirés vers l'ouest par 
l'Etat indépendant du Congo, se font chaque année 
plus rares, et cependant l'île garde quelque impor- 
tance ; avant que les Européens aient songé à s'enfon- 
cer au cœur de l'Afrique, ils ont tenté de partager avec 
les Arabes les bénéfices du commerce de ces pays, et 
c'est à Zanzibar qu'ils se sont établis. L'île compte 
200,000 habitants, la ville en a 10,000, très divers d'o- 
rigines; mais tous rompus aux conditions climatiques 
de la côte, parlant un dialecte appelé Kisahouéli, sorte 
de sabir qui est compris sur toutes les routes de com- 



LES PLAINES EQUATOKIALES 115 

merce de TAfrique orientale, instruits souvent ou du 
moins dégrossis par la pratique d'une vie assez large ; 
l'Européen trouve dans cette population de précieux 
auxiliaires pour pénétrer parmi les races noires de l'A- 
frique : pour fonder les postes du bas Congo, après 
avoir reconnu le cours moyen de ce fleuve, Stanley revint 
chercher des Zanzibarites, dont quelques-uns avaient 
été les compagnons de son premier voyage. On ne doit 
pas demandera ces indigènes un travail agricole assidu ; 
leur goût ne les intéresse qu'au jardinage et à la culture 
intermittente de quelques arbres ; mais ils n'ont pas 
leurs pareils pour encadrer des porteurs nègres, pour 
explorer, fusil en main, des districts peuplés deréfrac- 
taires, pour faire acte de commandement en sous-ordre 
ou d'énergie aventurière. 

Les Indous et les Gomoriens sont surtout des cour- 
tiers ; très nombreux à Zanzibar, ils avaient jadis, à 
l'abri des postes arabes, des correspondants jusqu'au 
Tanganika ; leur rôle a été beaucoup diminué par l'in- 
trusion des Européens ; aussi, de même qu'A la côte 
orientale de Madagascar, leur sont-ils peu favorables ; 
ce sont eux qui surexcitent chez les musulmans l'esprit 
de défiance et parfois d'insurrection ; le sultan de Zan- 
zibar, depuis qu'il est asservi à l'Angleterre, n'a pas 
toujours été lui-même à l'abri de leurs rancunes. lisse 
font aujourd'hui les intermédiaires entre les importa- 
teurs européens et les indigènes ; ils se livrent au petit 
commerce de détail, pour lequel leur ingénosité vaut 
celle des Chinois, ils y joignent habituellement l'usure. 
Ce sont les juifs de l'Afrique Orientale. 



116 l'àfrique a l'entrée du vingtième siècle 

Quant aux chefs arabes que la conquête européenne 
a dépossédés du droit de piller les pays des lacs, ils 
se sont assagis, par force, et vivent sans protestations, 
sinon sans regrets, de la fortune amassée jadis ; ils 
sont autorisés à garder auprès d'eux, sous le nom de 
serviteurs, des esclaves domestiques qui entretiennent 
leurs jardins ; Tippo-Tib, qui fut Tallié tout-puissant 
de Stanley et de Cameron, le maître de tout le haut 
Congo, mène aujourd'hui tranquille existence à Zanzi- 
bar. La richesse avait élevé ces marchands d'esclaves ; 
ils portaient des vêtements fins, s'entouraient de con- 
fort, presque de luxe, en des maisons spacieuses et 
bien meublées ; mais ils n'avaient pu répandre autour 
d'eux des habitudes d'hygiène et de propreté : la voi- 
rie, à Zanzibar, était si négligée que les épidémies 
frappaient sans merci dans les rangs d'une population 
entassée; les autorités du protectorat anglais ont dû 
réagir avec persévérance pour réformer des pratiques 
d'indifférence invétérée. 

Le pouvoir politique du sultan de Zanzibar n'existe 
plus; ses états, après plusieurs mutilations préalables, 
ont été complètement partagés entre l'Allemagne et 
l'Angleterre, par le traité du 1" juillet 1890 ; il a gardé 
toutefois une certaine autorité religieuse et les Anglais 
tiennent à le montrer, en compagnie de leurs fonction- 
naires, parmi les populations de la côte dont ils ne sont 
pas très sûrs. La convention dn l®' juillet 1890 a été ju- 
gée sévèrement par les coloniaux allemands ; elle laisse 
en efifet à l'Angleterre, non seulement le littoral au nord 
de Tanga, mais encore les îles de Pemba et de Zanzi- 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 117 

bar ; T Allemag^ne n'a que la petite île Mafia, en face du 
delta de la Roufîdji, mais elle s'étend sur l'arrière pays 
assez loin pour atteindre les lacs Victoria, Tanganika 
etNyassa. L'Angleterre qui, en 1862, s'était engagée vis- 
à-vis de la France à respecter l'indépendance du sultan 
de Zanzibar, acquit en 1890 notre consentement, en 
reconnaissant notre protectorat sur Madagascar «avec 
toutes ses conséquences». Il est bon d'ailleurs de rap- 
peler que le régime anglais a laissé subsister à Zanzi- 
bar le privilège des capitulations pour les sujets euro- 
péens. 

Nous avons dit que les Italiens sont établis, mais 
sans grandes chances de progrès, sur la côte orientale 
des Somalis ; les Anglais, dont le domaine s'étend des 
bouches de la Djouba au sud de Mombasa, font porter 
tout leur effort, aujourd'hui, sur la construction du 
chemin de fer de l'Ouganda ; nous parlerons plus lon- 
guement de cette œuvre considérable, lorsque nous au- 
rons étudié les pays du lac Victoria, vers lesquels est 
dirigée la voie ferrée ; disons dès maintenant que Zan- 
zibar n'est plus, pour les Anglais, le point principal de 
l'Afrique orientale ; d'après certains indices, ils ne 
seraient pas éloignés de transférer à Mombasa le siège 
de leur protectorat, ainsi que la résidence du sultan ; 
et peut-être la rétrocession éventuelle à l'Allemagne 
des îles Pemba et Zanzibar aurait-elle été déjà discutée, 
il n'est pas difficile de conjecturer quel genre de com- 
pensation l'Allemagne peut, à l'heure présente, offrir à 
l'Angleterre. 

L'Allemagne, encore peu consciente de sa puissance 
I^'Afrique, 7. 



118 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

hors d'Europe au moment où furent signées les con- 
ventions qui limitent ses possessions d'Afrique, est ici 
beaucoup moins bien partagée que l'Angleterre ; sa 
souveraineté politique est à peine établie au delà des 
côtes ; elle ne dispose pas, aux yeux des indigènes, de 
l'autorité que vaut à l'Angleterre le protectorat du sul- 
tan de Zanzibar ; elle a montré, dans les débuts de son 
administration, quelque inexpérience, quelque incohé- 
rence même, hésitant entre le régime militaire et le 
régime civil; des bandes d'indigènes révoltés tien- 
draient encore la campagne dans le sud de la colonie. 
Il est juste de déclarer, cependant, que depuis deux 
ans environ, le gouvernement et certaines sociétés par- 
ticulières commencent à faire œuvre de colonisation 
effective. Mais la main-d'œuvre. est rare et maladroite : 
les nègres qui appartiennent aux races bantoues et 
sont peut-être au nombre de 3 millions, ont été long- 
temps chassés par les Arabes esclavagistes, et, dans la 
perpétuelle incertitude du lendemain, ont pris l'habi- 
tude de ne cultiver que selon leurs besoins immédiats; 
les Arabes, désœuvrés et ruinés depuis que l'Europe a 
frappé d'interdit le commerce qui les faisait vivre, refu- 
sent de travailler sur les plantations ; quant aux In- 
diens, ce sont des adversaires déclarés, contre lesquels 
il faut défendre aussi bien les Arabes que les commer- 
çants européens ; ils forment un groupe très uni, de 8,000 
à 10.000 personnes, et ne négligent aucunartifice pour 
drainer toute la fortune mobilière circulant autour 
d'eux. Faute de mieux, les Allemands ont essayé de 
fixer sur les plantations côtières des nègres amenés des 



LES PLAINES ÉQUÂTORIÀLES 119 

tribus de Tintérieur ; l'expérience est trop récente 
encore pour qu'on en puisse jug'er les résultats. 

Le trafic de l'ivoire, par la côte de Zanzibar, est au- 
jourd'hui très compromis ; les gisements de houille que 
l'on croit exister vers les sources de la Roufidji sont en- 
core à peine reconnus, et l'exploitation n'en serait pos- 
sible qu'après établissement de voies de communication 
qui aboutiraient sans doute au Nyassa plutôt qu'à la 
côte ; les transports, du Tanganika à Bagamoyo coûtent, 
dans les conditions actuelles, plus de 3.000 fr. par 
tonne ; des produits très riches pourraient seuls sup- 
porter un pareil supplément sur leur prix de revient ; 
c'est donc à l'agriculture, pratiquée aussi près que pos- 
sible de la côte, que les Allemands ont dû songer. Le 
nord-est de la colonie s'y prête heureusement : l'Ousam- 
bara, au relief varié, à la riche terre noire, possède déjà 
plusieurs plantations de café ; des coolies d'Extrême- 
Orient y travaillent à côté des nègres de l'intérieur (Ou- 
nyaouézi) ; les essais ont peu réussi pour le tabac et le 
coton, mais ont été plus encourageants pour la vanille 
et le cacao ; la culture du cocotier, très commun sur la 
côte et l'un des arbres les plus utiles des pays tropicaux, 
larécolte du caoutchouc font l'objet d'études incessantes; 
une station agronomique, spécialement destinée par le 
gouvernement à la région de l'Ousambara, a été fondée 
à Kouaï : les céréales, la pomme de terre y viennent 
bien. 

On espère que, depuis 1.300 mètres d'altitude, le 
paysan d'Europe pourrait travailler aux champs, dans 
l'Ousambara ou surl« massif du Kilimandjaro, si les 



420 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

communications étaient plus faciles avec la côte ; dès 
maintenant, une voie de pénétration est en construction, 
de Tangua vers Korogué, sur la rivière Pangani ; elle 
doit desservir les districts les plus riches de TOusambara 
c'est-à-dire le Handéï, et peut-être remonter jusqu'au 
Kilimandjaro ; mais on voit mal le succès de cette voie 
ferrée, trop près de celle de l'Ouganda qui est déjà fort 
avancée ; les quarante . premiers kilomètres ont coûté 
très cher et ne servent à rien, car le terminus est trop 
loin des plantations. Sans prétendre jamais faire de ce 
tronçon un grand chemin* de fer concurrent de celui de 
l'Ouganda, il est très désirable qu'un groupe décapita- 
listes, par exemple un syndicat des sociétés agricoles 
de Handéï, en achève l'établissement jusqu'àKorogué ; 
ce ne serait qu'une ligne d'intérêt local, mais probable- 
ment rémunératrice, sûrement utile, et pourvue d'un 
bon accès par mer, le port de Tanga. 

La côte, en face de Zanzibar, est moins favorable au 
séjour des Européens; le gouvernement allemand y a 
créé cependant deux stations d'essais agricoles, l'une 
à Dar-es-Salam, l'autre dans le delta de la Roufidji ; 
c'est là, semble-t-il, que l'on étudierait avec le plus de 
chances de succès la domestication de l'éléphant d'Afri- 
que ou l'acclimatation de l'éléphant de l'Inde ; l'échec 
lamentable de l'expérience tentée en 1879 par MM. Car- 
ter et Cadenhead ne saurait décourager de nouveaux 
efforts, car les éléphants alors importés de l'Inde avaient 
été, sans entraînement à la côte, dirigés sur l'intérieur 
du pays, à travers des steppes où ils ne trouvaient même 
pas leur ration de foin. Le zèbre, le mulet rendraient 



r 



LES PLAINES ÉQUATORIALES 121 



aussi des services, si on savait les adapter au climat. 
De telles recherches, pour être moins ambitieuses, se- 
ront plus utiles à TAfrique orientale allemande que des 
travaux dispendieux pour un chemin de fer de la côte 
au Tanganika; nous reviendrons ultérieurement sur 
ces projets, dont l'exécution doit être tout au moins 
ajournée. 

Au sud de la colonie allemande, les Portugais se sont 
enfin décidés à reconnaître Tarrière-pays de Mozambi- 
que ; mais ils n'ont pu se passer de concours étrangers : 
en 1899, sur l'initiative de la compagnie duNyassadont 
la charte fut signée à Lisbonne, mais dont les capitaux 
sont surtout anglais, une petite expédition aux ordres 
du major Spilsbury s'est enfoncée dans l'intérieur, entre 
les ports d'Ibo et de Mozambique ; le premier serait, 
d'après le major Spilsbury, le point de départ d'une 
route et plus tard d'un chemin de fer, vers le centre 
du lac Nyassa; on desservirait ainsi des pays acci- 
dentés, bien arrosés, assez salubres même pour des Eu- 
ropéens, et dont l'avenir agricole serait assuré comme 
celui de l'Ousambara. Mais les indigènes ne sont pas en- 
core soumis ; au mois d'août 1899, des contingents por- 
tugais et anglaisent brûlé plusieurs villages rebelles, à 
l'est du lac Chirona, mais ils n'avaient pas brisé la ré- 
sistance d'un chef nommé Mataka; c'est d'ailleurs sur 
la voie du Chiré et non sur la côte que s'appuyait l'ex- 
pédition. En somme, tout reste à faire au sud de Zan- 
zibar jusqu'à Mozambique ; la côte est mal étudiée, et 
l'intérieur à peine exploré ; mais les Allemands s'infor- 
ment et s'efforcent avec une intelligente persévérance. 



iâ2 l' AFRIQUE A l'entrée DU VINGTIÈME SIÈCLE 

tandis qu'à côté d'eux lesPortug'ais laissent à des étran- 
gers tout le bénéfice de leur traditionnelle inertie. 

Aussi bien, la côte orientale de l'Afrique ne peut-elle 
suffire à nourrir un commerce actif; elle est trop étroite, 
entre la mer et les falaises qui terminent les plateaux 
du centre, elle est trop peu saine pour comporter jamais 
une exploitation intensive ; il faut la considérer, sauf 
quelques districts plus favorisés, comme un obstacle 
à franchir entre la mer et les régions plus riches de 
l'Afrique centrale ; mais dans l'état actuel de nos con- 
naissances géographiques^ on se demande si ces régions 
ne regarderaient pas plutôt vers l'ouest et le sud-est 
que vers la côte de Zanzibar ; leuressor profiterait sur- 
tout au Congo belge et aux colonies portugaises de 
Mozambique ; l'Afrique orientale allemande se trouve- 
rait donc devancée de deux côtés sur les bords du Tan- 
ganika, tandis que, par le chemin de fer de l'Ouganda, 
l'Angleterre se réserverait de desservir ceux du lac Vic- 
toria. 

Cette évolution, que nous croyons probable, n'est pas 
encore consommée ; les Allemands, ne pouvant ruiner 
Zanzibar au profit de Bagamoyo, se sont établis dans 
rtle même capitale du protectorat anglais, et leur obs- 
tination ordinaire leur a déjà conquis une clientèle 
parmi les négociants au détail ; ils n'oublient pas qu'en 
1874, leur commerce, à Zanzibar était triple de celui 
des Anglais, et que le sultan sollicitait leur alliance. 
Mais réussiraient-ils à restaurer leur situation, obtien- 
draient-ils môme de l'Angleterre la possession de Zan- 
zibar qu'ils ne pourront empêcher la décadence écono- 



LES PLAINES EQUATORIALES 123 

mi que de cette place. Au temps des négriers arabes, 

Zanzibar était prospère car, les voies de l'ouest africain 

n'étant pas encore découvertes, elle était l'entrepôt 

naturel d'un trafic par caravanes, s'étendant de proche 

en proche vers les lacs et prolongé par les boutres de 

la mer d'Oman jusque dans l'Inde. La voie ainsi tracée, 

conforme aux indications naturelles des moussons, est 

aujourd'hui déclassée; Mombasa, par le chemin de fer 

de l'Ouganda, commandera des pays dont l'accès serait, 

d'ailleurs, très difficile ; mais Bagamoyo, Zanzibar 

même ne seront plus que les portes d'une impasse cô- 

tière, confinant à l'ouest, par une zone mitoyenne de 

valeur médiocre, avec les plateaux tributaires des routes 

du Ghiré-Zambèze et du Congo. 



LIVRE n 



LES PLATEAUX DU CENTRE 



CHAPITRE 1er 

Les pays du Zambèze. 

Le centre de l'Afrique a la forme générale d'un pla- 
teau à étages, qu'une barrière de hauteurs volcaniques 
précède à Test, du côté de l'Océan Indien, tandis qu'il 
encadre, au sud et au nord, l'ancien lac du Congo ; le 
plateau est traversé de chaînes de montagnes, dont la 
direction apparaît sud-ouest nord-est dans la région du 
Zambèze, puis se redresse vers le nord en remontant 
jusqu'à l'Abyssinie ; ces montagnes entravent la circu- 
lation des eaux, qui s'amassent souvent en lacs ; à la 
hauteur de Zanzibar, elles arrêtent près de la mer la 
pénétration des influences océaniques ; plus au sud leur 
barrière n'est pas assez continue pour intercepter toutes 
les nuées venant de l'est ; l'alizé austral, s'enfonçant 
profondément au-dessus des plateaux du Manicaland 
et du Barotsé, va condenser ses pluies sur les monts du 
Bihé, à quelques étapes de l'Atlantique, et contribue à 



126 l' AFRIQUE A. L*ENTR£E DU VINGTIÈME SIECLE 

nourrir en même temps que le Zambèze les affluents de 
gauche du Kassaï-Congo. Pour la clarté derexpositioa, 
nous diviserons ces plateaux du centre- Afrique en trois 
parties, pays du Zambèze, pays du Congo et du lac 
Tanganika, paysdu lac Victoria et du haut Nil. Un qua- 
trième chapitre rattachera TAbyssinie à ces plateaux, 
dont elle est le bastion avancé vers le nord. 

Les sources les plus occidentales du Zambèze sont 
proches de TOcéan Atlantique, dont moins de quatre 
cents kilomètres les séparent ; elles se développent sur 
un plateau lacustre, où elles s'embrouillent avec celles 
qui vont au Congo par le Kassaï ; un versant monta- 
gneux, la chaîne des Mouchingas, forme le rebord orien- 
tal de ce palier supérieur. Le cours moyen du Zambèze, 
entre ces monts et les hauteurs des Matoppos, de direc- 
tion semblable (sud-ouest nord-est), est le lien d'une 
deuxième région naturelle de niveau inférieur ; une 
troisième comprendrait les pays du bas fleuve, à Test 
des dernières chutes du Zambèze et de son grand affluent 
leChiré. 

L'étage des sources du Zambèze n'a été pénétré que 
récemment ; les Portugais de la côte du Mozambique 
avaient bien recueilli des renseignements indigènes, si- 
gnalant des lacs intérieurs, mais c'est seulement à la 
fin du siècle dernier que LaCerda s'avança jusqu'au lac 
Banguéolo (1798) ; quelques voyages ultérieurs ont mené 
des Européens dans le pays de Lounda, vers les sources 
du Kassaï ; ce fut par Livingstone, puis par Gameron,de 
1867 à 1875, que des connaissances précises nous furent 



r 



LES PLATEAUX DU CENTRE 427 



d'abord communiquées ; depuis, la région a été plu- 
sieurs fois traversée, mais ces deux explorations restent 
fondamentales et nous ne pouvons ici donner Ténuraé- 
ration de celles qui les ont complétées ; disons seule- 
ment que le conflit anglo-portugais de 1891, suivi par 
la renonciation du Portugal à toute prétention de join- 
dre à travers le continent le Mozambique à TÂngola, ou- 
vrit les pays du haut Zambèze à des expéditions an- 
glaises appuyées sur le Gap. 

Il est probable que cet étage supérieur du plateau fut 
jadis le fond d'un lac, qui se serait ensuite épanché par 
une brèche à travers les monts Mouchingas ; l'altitude, 
très peu variée, se soutint à 1,000 mètres environ ; le 
sol est couvert de coquilles fluviatiles, parsemé d'é- 
tangs sans profondeur à la surface desquels, en fin de 
saison sèche (août-septembre), Cameron vit parfois une 
feuille de glace. Le voyageur chemine à travers de vas- 
tes plaines coupées de jongles et de bouquets de bois, 
partiellement noyées pendant les pluies de l'été austral. 
En descendant vers le Kassaï, on rencontre des forêts 
à essences odoriférantes, d'abord attachées aux rives des 
fleuves, puis s'emparant de plus en plus du pays inter- 
médiaire. 

Sur ce plateau presque horizatal, les cours d'eau se 
traînent, incertains de la direction qu'ils doivent pren- 
dre ; il est tout à fait impossible de tracer une frontière 
réservant à tel pays les sources qui vont au Zambèze, 
à tel autre celles qui vont au Congo ; même des riviè- 
res communiquent tantôt avec l'un de ces fleuves, tan- 
tôt avec l'autre, et quand, pendant la saison des pluies. 



428 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

rinoadation est tendue à grande distance, des lacs tem- 
poraires s'écoulent à la fois dans les deux ; plus bas seu- 
lement sont formés les cours d*eau distincts, qui consti- 
tuent les groupes du JCassaï et du Loualaba au nord, 
du Kouang'o ou Tchobé et du Zambèze, au sud, enfin, 
vers le sud-est, du Koubango et des rivières tributaires 
du bassin intérieur appelé lac Ngami. 

La principale source du Zambèze ne viendrait pas, 
comme on Ta cru longtemps, du lac Dilolo mais rece- 
vrait, déjà considérable, le débit de ce marécage ; en 
saison sèche, le fleuve creuse son cours dans un tuf cal- 
caire ; pendant les pluies, il déborde au loin et couvre 
d'immenses prairies ; les crues ont lieu de décembre à 
mars, à la suite des pluies abondantes de Tété austral, 
qui arrivent avec Talizé de TOcéan Indien. Le pays est 
donc semi-aquatique et d'une traversée toujours difficile: 
des fondrières, jamais tout à fait asséchées, obligent à 
d'incessants détours ; les populations indigènes vivent 
dans des habitations surélevées que l'inondation trans- 
forme en flots temporaires. Dans la brousse, si souvent 
envahie par l'eau, une faune particulière, tout amphi- 
bie, s'est développée et par le nombre des espèces, au 
dire des voyageurs portugais Ivens et Gapello, ces 
plateaux africains sont un véritable jardin zoologique : 
les poissons pullulent, dans les étangs souvent rattachés 
aux fleuves ; des bandes d'oiseaux aquatiques, des 
aigles pécheurs en font leur nourriture, les crocodiles 
et les hippopotames se jouent sur les rivages fangeux ; 
dans les parties généralement émergées, vaguent de 
grands troupeaux d'éléphants et d'antilopes. 



LES PLATEAUX DU CENTRE 129 

Les indigènes vivent d'agriculture et de pèche : le sol, 
comme en Gochinchme, porte successivement deux ré- 
coltes, Tune de riz et l'autre de poisson ; tous les vil- 
lages possèdent des engins de pêche ou, plus simple- 
ment divisent le sol inondé par des levées de terre, 
contre lesquelles le poisson s'accumule à la baisse des 
eaux ; au nord-ouest, sur le Kassaï, à Touest, au pied 
des monts du Bihé, au nord-est dans leKatanga, le relief 
est plus varié, la vie économique moins étroitement 
liée au jeu de l'inondation ; là des indigènes travaillent 
le fer, très abondant sous forme d'affleurements d'hé- 
matite ; dans le Balounda, le cuivre paraît commun, 
tous les naturels portant, aux bras et aux jambes, des 
ornements parfois très lourds en fil de laiton ; une 
autre industrie locale est celle de la cire d'abeilles, qui 
est exportée vers la côte d'Angola ; nous quittons ici 
les plateaux de l'Afrique centrale pour nous rapprocher 
de la lisière atlantique. 

Les villages sont de deux types : sur les mamelons, 
ils se tapissent au milieu d'une jongle, protection pres- 
que inexpugnable contre les ennemis du dehors : une 
allée coudée, fermée par des palissades mobiles, est la 
seule issue par où le village communique avec l'exté- 
rieur. En pays d'inondation, les cases sont lacustres, 
montées sur pilotis, avec une barque pour assurer la 
circulation en tous temps. Ces groupes lacustres sont 
sans cesse déplacés, selon les besoins des cultures ou 
les caprices de la crue annuelle : Livingstone parle de 
certains villages que, dix ans plus tard, Serpa Pinto 
ne signale même plUs. 



130 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE 

La traite a décimé ces populations indigènes, chez 
lesquelles venaient se ravitailler des négriers portugais 
de l'Angola , comme les avant-gardes des Arabes du 
haut Congo. Cameron rencontra des traitants portugais 
à partir de Kasongo, c'est-à-dire des plateaux du Loua- 
laba supérieur ; il cite le cas de Tun d'entre eux qui, 
pour s'emparer d'une cinquantaine de femmes, n'avait 
pas détruit moins de dix villages, tuant certainement 
plusieurs cei;itaines d'individus. Ces chasseurs d'esclaves 
ne sont d'ailleurs portugais que de nom ; métis nés k 
la côte et non créoles, ils sont à peine touchés par les 
mœurs européennes et, tout en faisant profession de 
catholicisme, ne se séparent pas de leurs féticheurs ; ils 
sont connus sous le nom de Pomheiros et sont les com- 
missionnaires des commerçants de la côte, qu'ils appro- 
visionnent de cire et d'ivoire comme naguère de «bois 
d'ébène ». 

De même que les Arabes Zanzibarites, les Pombeiros 
s'adjoignaient pour leurs expéditions des auxiliaires 
pris dans les premières tribus rencontrées, qu'ils 
armaient de fusils et dont ils soldaient les services par 
une participation au pillage ; les indigènes, païens, 
n'avaient aucune cohésion politique pour résister à ces 
envahisseurs; les villages vivaient en luttes perpétuelles 
et Ton ne doit attribuer qu'une civilisation toute rela- 
tive aux Barotsés, venus du sud, ainsi qu'à ce royaume 
nègre de Monta- Yanvo dont le souverain ne fut sans 
doute jamais autre chose que les Makokos et autres 
potentats noirs du Congo. Il n'est pas invraisemblable 
qu'un chef indigène, plus intelligent, ait entretenu avec 



LES PLATEAUX DU CENTRE i3i 

les Européens de la côte des relations régulières par 
caravanes, l'idée a pu naître ainsi de la richesse de ses 
états, mais l'imagination des traitants en aura fausse- 
ment conclu trop vite à l'existence d'une société noire, 
org'anique et policée. 

Les pays du haut Zambèse nous apparaissent donc 
fort pauvres et, sauf le cas de la découverte de mines 
considérables, ne méritent pas que l'Européen s'acharne 
à y pénétrer ; la population indigène en est peu nom- 
breuse et misérable ; quelques postes de Pombeiros, 
telles les zérihas du Bahr el Ghazal, sont épars à tra- 
vers cette immensité dont la faune animale demeure la 
souveraire ; ils vivent d'un commerce médiocre et de 
cultures imposées aux naturels des alentours. Les 
Jésuites voulurent jadis fonder une mission sur le 
Zambèze, en amont des chutes Victoria : après quel- 
ques mois d'expérience, ils l'abandonnèrent. Nous ver- 
rons plus bas que des missionnaires protestants ont 
mieux réussi dans le pays des Barotsés. 

On se demande par où les colonies côtières attein- 
draient la région de l'Afrique centrale : il existe sur le 
Zambèze supérieur deux biefs navigables, de 400 et 
de 200 kilomètres, séparés par les rapides de Gonyé ; 
mais comment arriver à ces routes naturelles ? Pour- 
quoi môme s'en préoccuper, puisque les ressources du 
pays ne commandent pas cet efiFort? Une large bande 
de steppes et de montagnes se déploie à l'ouest du Mo- 
zambique et des républiques sud-africainës, elle n'a 
jamais été traversée que par quelques explorateurs ou 
par de lents convois de colons boers ; vaut-il la peine 




432 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

qu'on tente de la couper par une voie artificielle, utili- 
sant ensuite les sections navigables du haut Zambèze ? 
Cela paraît douteux. 

En remontant par le Kassaï ou par son affluent de 
gauche le Kouango, l'entreprise serait sans doute 
moins coûteuse ; on peut craindre qu'elle ne fût pas 
plus utile; l'arrière-pays d'Angola n'est pas une des 
zones de l'Afrique vers lesquelles la pénétration euro- 
péenne doive pour le moment se hâter ; toutefois, et 
pour réserver un avenir très éventuel, l'Allemagne a 
voulu donner à sa colonie du sud-ouest africain un 
point d'appui sur le Zambèze : un mince ruban de ter- 
ritoire allemand s'allonge, entre l'Angola etlaZambézie 
anglaise, vers le bief navigable de Séchéké ; de ce 
point, on pourrait lancer un chemin de fer dans le pa3^s 
des Barotsés, où des oasis de hauteur sont fertiles et 
saines ; mais ce ne sont là que des perspectives très 
lointaines. 

Les monts Mouchingas commencent au sud du Zam- 
bèze dont ils retenaient jadis les eaux en amont sous 
forme de lac; le fleuve, grossi sur sa droite du Tchobé 
ou Kouango, s'étale sur une largeur de plus d'un kilo- 
mètre, lorsqu'il se heurte à la barrière des monts 
Mouchingas ; Livingstone nous a décrit la chute à 
laquelle il donna le nom de la reine Victoria : les 
eaux resserrées entre des rocs abrupts, en un couloir 
de quelques mètres, se précipitent avec un fracas 
de tonnerre dans un entonnoir qui les étrangle en- 
core ; un immense nuage de vapeur s'élève en perma- 
nence au-dessus des cataractes ; on l'aperçoitde l'ouest, 



LES PLATEAUX DU CENTRE 133 

à plus de 30kilomètres ; autour des chutes, le sol, impré- 
gné d'une poussière d'eau toujours renouvelée, porte 
une épaisse végétation forestière, dont la verdure tran- 
che sur la pauvreté des steppes ambiants. Le Zambèze, 
après la chute Victoria, coule du sud-ouest au nord-est, 
au pied de la falaise orientale des monts Mouchingas ; 
ceux-ci se prolongent jusqu'au nord du lac Nyassa, où 
ils atteignent leurs hauteurs culminantes (Mont Waller, 
1660 m., Monts de Livingstone, 2700 m.). Leur pente 
orientale est abrupte, tandis qu'à l'ouest, ils descendent 
en plaines ondulées appelées pays des Barotsés. 

Le Barotséland est composé de savanes, très souvent 
coupées de fondrières, où cependant des missionnaires 
protestants français ont créé la station de Léalouyi ; 
Serpa Pinto trouva l'assistance la plus précieuse auprès 
du révérend Coillard, qui vivait avec sa femme dans 
ce pays sauvage ; une curieuse observation de ce pas- 
teur est relative à la mouche tsetsé, dont le domaine 
diminuerait chaque jour : ce redoutable insecte suit 
les buffles traqués par les chasseurs dans les bois où ils 
se réfugient ; la plaine cultivable et qui paraît salu- 
bre en certains points bien aérés devient donc de moins 
en moins hostile à l'établissement de colons ; peut-être 
des Boers, fuyant la souveraineté anglaise, se fixeraient- 
ils sur la rive gauche du Zambèze, qui appartient au 
Portugal, mais, jusqu'à présent, l'œuvre des mission- 
naires de Léalouyi n'est qu'une exception, et les Euro- 
péens qui ont traversé le pays ne s'y sont pas ar- 
rêtés. 

Plus voisin de la côte orientale, l'étage moyen du 
L'Afrique. 8 



434 L* AFRIQUE A l'entrée DU VINGTIEME SIECLE 

Zambèze est dès à présent mieux reconnu que celui des 
sources, et rentre dans le domaine atteint par la péné- 
tration européenne ; il est limité à Test par la chaîne des 
monts Matoppos, d'où partent en sens inverse des af- 
fluents de droite du Zambèze et des tributaires directs 
de rOcéan Indien, réduction du fleuve Limpopo. Ces 
monts s'élèvent de 150 à 300 mètres sur le plateau dit 
des Matébélés, du Machona, du Manica et, passant sur 
la rive gauche du Zambèze après avoir coupé la vallée 
d'une série de rapides, déterminent sur le Chiré la chute 
Murchisonet s'étalent au delà entre les lacs Nyassa et 
Chiroua ; c'est la rég-ion que l'Angleterre acquit du Por- 
tugal, non sans menaces de guerre, en 1891. Les som- 
mets, granitiques, atteignent, auprès du fort Salisbury, 
1,500 à 1,700 mètres ; comme pour les monts Mouchin- 
gas, leur escarpe est tournée vers l'est, tandis qu'une 
pente plus douce s'incline à l'ouest jusqu'au niveau du 
Zambèze (300-400 mètres) ; le versant oriental, exposé 
aux pluies de l'Océan Indien, est bien arrosé ; mais 
dans l'intérieur, les affluents du Zambèze appauvris 
par la disette de la saison sèche, ne roulent au début 
des pluies qu'un mince filet d'eau ; l'air est calme et le 
climat sain sur les parties les plus hautes du plateau ; 
dans les vallées, la forêt couvre les cours supérieurs, 
mais s'étiole jusqu'à disparaître dans les steppes dé- 
couvertes et desséchées que traverse plus bas le Zam- 
bèze; la faune sauvage est, ici, des plus variées ; non 
seulement les antilopes, les zèbres, les girafes parcou- 
rent les prairies, mais aussi les lions, contre lesquels 
les chasseurs n'ont pas encore été nombreux. 



LES PLATEAUX DU CENTRE 135 

La falaise orientale des monts Matoppos nous a été 
dernièrement révélée comme riche en alluvions auri- 
fères ; des ruines considérables y ont été découvertes, 
en 1871, par TAllemand Garl Mauch, puis long'uement 
étudiées par divers arcliéolog'ues,et surtout par l'Angolais 
Th. Bent, en 1892. Il y a là, près du fort actuel de Vic- 
toria, toute une ancienne cité, Zimbaboué, bâtie en blocs 
de g*ranit; on reconnaît encore un templie,les tours ro- 
bustes d'une forteresse et, fait plus caractéristique, des 
fours qui étaient vraisemblablement destinés au travail 
de l'or ; sur les collines avoisinantes, des fortins cou- 
ronnaient les sommets, et l'on a lieu de croire que 
d'autres ruines, dressées entre Zimbaboué et la mer, 
jalonnaient une route commerciale par où l'or était 
acheminé sur la côte. Beira ou Sofala marquerait l'em- 
placement du port correspondant. 

Les procédés de construction de ces édifices ne per- 
mettent pas de les attribuer aux races noires, qui n'ont 
jamais soupçonné la géométrie ; l'opinion la plus vrai- 
semblable leur assigne une origine arabo-phénicienne , 
Cari Mauch parle à ce propos des états de la reine de 
Saba, contemporaine deSalomon; quoi qu'il en soitde 
ces origoines, les mines d'or de Zimbaboué restèrent 
inconnues des Européens pendant tout le moyen âge et 
jusqu'à nos jours ; sur des renseignements non vérifiés, 
des cartes du xvii® siècle indiquaient bien des g'isements 
aurifères dans l'arrière -pays de Sofala, mais on n'y 
prêta pas plus d'attention que les Portugais du xvi*^ 
siècle à la rencontre par Vasco de Gama, dans ces mers 
de l'Afrique centrale, de boutres arabes transportant de 



136 L* AFRIQUE A l'eNTREE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

la poudre d'or. Très récemment, l'antique pays deZim- 
baboué s*est éveillé à Tespoir d'une nouvelle fortune. 

Les Portugais n'avaient jamais song'é à l'exploration 
de ces plateaux ; à peine avaient-ils remonté le cours du 
Zambè2^ jusqu'à Zoumbo, poste où s'arrête Aujourd'hui 
leur domination politique et où le gouvernement de 
Lisbonne ne fut longtemps représenté que par une es- 
couade de miliciens noirs ; ils ne s'occupaient que de 
traite, leurs agents, indigènes ou métis, s'enfonçaient 
seuls dans l'intérieur et ramenaient à la côte, vers So- 
fala, les convois de bétail humain que les négociants 
dirigeaient ensuite sur les Indes. 

Les monts Matoppos leur auraient été, d'ailleurs, 
disputés par les habitants : une race belliqueuse, les 
Matébélés, s'était en effet emparée de ce pays ; apparen- 
tée aux Zoulous, elle était fort supérieure aux nègres 
indigènes machonas et manicas ; ceux-ci furent violem- 
ment soumis et devinrent les esclaves, les paysans de 
leurs conquérants : tandis que les Matébélés, armés de 
longues lances, pillaient les tribus rebelles à leur domi- 
nation, les Machonas cultivaient pour eux le maïs, le 
millet et le riz ; le grain n'était pas toujours consom- 
mé, on en tirait encore une sorte de bière, boisson forte 
et enivrante, qui coulait à flots au moindre prétexte ; 
dans les ruines de Zimbaboué, des pans de vieilles 
murailles, épaisses de deux à cinq mètres, sont aujour- 
d'hui la palissade géante qui protège des champs de 
céréales. Buluvayo fut la dernière capitale des Matébé- 
lés : le chef Lobengula y possédait un camp fortifié dont il 
ne reste aujourd'hui que des ruines. 



j 



LES PLATEAUX DU CENTRE * 137 

Ce que les Portugais n*ont pas su faire, en partant 
de la côte orientale d'Afrique, d autres Font fait pour 
eux et à leurs dépens : les pionniers anglais venus du 
stid ont atteint les plateaux aurifères et vaincu les Ma- 
tébélés. L'histoire est d'hier et peut être racontée en 
quelques lignes : sur ces monts Matoppos, que l'indif- 
férence des Portugais abandonnait comme terres va- 
cantes, deux forts anglais étaient construits, en septem- 
bre 1890, par de hardis aventuriers qui les appelèrent 
Charter et Salisbury ; inquiet trop tard, le Portugal ne 
trouva que des raisons de sentiment pour protester 
contre le fait accompli ; la clairvoyance de quelques 
coloniaux n'avait pu secouer l'apathie de son gouver- 
nement et la conquête anglaise, avant d'être proclamée 
par un acte diplomatique, avait été préparée sur place 
par les chercheurs d'or et les missionnaires. Mais les 
Matébélés refusèrent de céder leur territoire, abandonné 
par le Portugal aux revendications anglaises ; ils se 
soulevèrent et plusieurs rencontres furent défavorables 
aux Anglais ; on montre encore près de la rivière Chan- 
gani l'endroit où fut surprise et massacrée la troupe 
du major Wilson. Cependant le fameux docteur Jame- 
son vint à bout des indigènes, qui ne purent résister 
aux mitrailleuses Maxim ; en 1893, la paix paraissant 
assurée, des sociétés minières étaient fondées à Bulu- 
vayo, qui devenait la capitale administrative de ces 
districts miniers ; une révolte indigène, vite réprimée 
(1895), n'a pas arrêté l'essor de cette jeune colonie, très 
confiante dans la grandeur de ses destinées. Elle est 

aujourd'hui comprise dans ces vastes territoires de la 
L'Afrique. 8. 



138 l' AFRIQUE A L*ENTRÉ£ DU VINGTIÈME SIECLE 

Rhodésia qui doivent leur nom à Gécil Rhodes, le 
« Napoléon du Cap ». 

L'établissement des Anglais dans la Manicaland a été 
favorisé par la douceur du climat ; la température, 
chaude pendant le jo\ir, tombe pendant la nuit à 8° ou 
même 6°, dépression très utile au repos de Torganisme, 
qu'éprouve la constance plutôt que l'intensité de la 
chaleur ; le plateau de Salisbury, rafraîchi par la brise, 
est d'un séjour agréable ; des Jésuites français ont une 
mission à Buluvayo qui, comme il arrive souvent en 
pays miniers, s'est donné en quelques années des mo- 
numents de grande ville ; la célèbre Chartered Compor 
ny a concédé des lots de colonisation à des pionniers, 
autour du fort Salisbury sur la rivière Mazoé ; les in- 
digènes sont employés aux travaux des mines et bien 
changés depuis l'époque du raid de 1890, où ils voyaient 
pour la première fois des blancs montés à cheval ; les 
lions qui étaient alors très nombreux dans le Manica, 
se sont peu à peu réfugiés dans des steppes plus désertes 
et l'on ne parle plus couramment, comme au début de 
la conquête, de chevaux emportés ou de dormeurs atta- 
qués par eux. 

L'arrivée des Européens par le sud a été comme une 
violence à la géographie de ce pays, dont les relations 
naturelles sont avec la côte de Beira ; entre le fort Salis- 
bury et Mafeking, le chemin de fer encore inachevé ne 
comptera pas moins de i.500 kilomètres de rails, à tra- 
vers un plateau sans eau, sans bois, piqueté çà et là sur 
les fonds plus humides de bouquets de baobabs et de 
cocotiers ; déjà cependant le télégraphe a été lancé jus- 



LES PLATEAUX DU CENTRE 139 

qu'à Salisburj^ pénétrant à 3.000 kilomètres de Cape- 
tow^n ; mais la voie ferrée Mareking-Buluvayo-Salis- 
bury serait un tronçon bien peu fréquenté de la route 
« impériale » du Cap au Caire. 

On peut même douter qu'elle soit utile à la fortune 
de laRhodesia; celle-ci ne manque pas, en effet, de faci- 
lités pour communiquer avec l'Océan Indien ; déjà la 
compagnie à charte possède un wharf à Beira,et le che- 
min de fer qui part de ce port vers l'intérieur, utile aux 
seuls Anglais du Manica, vient (mai 1899) d'atteindre le 
fort Salisbury. Les Portugais (de récents événements 
l'ont prouvé) sont sans rancune et n'ont rien à refuser 
aux ((anciens amis > qui les ontsi prestement dépouillés 
en 1891 ; on peut donc affirmer que dès maintenant le 
chemin de fer consacre l'annexion par rAngleterre,efifec- 
tive sinon officielle, de toute la province de Beira. Celle- 
ci n'a guère d'autre valeur que d'être le vestibule d'une 
contrée plus riche; elle est médiocrement arrosée, peu 
habitée ; la côte est basse et sablonneuse ; Sofala n'est 
plus même accessible aux bâtiments de mer, et quant 
à Beira, ce n'est qu'avec d'infinies précautions que les 
paquebots y prennent leur mouillage, dans une baie 
qu'encombrent les alluvions ^e la rivière Pangoué ; le 
point de départ du chemin de fer n'est pas encore à 
Beira même, mais à une trentaine de kilomètres en 
amont, au point où cesse la navigation sur la Pangoué ; 
mais cette pauvre ville deviendrait riche, le jour où elle 
commanderait un transit facile avec les districts auri- 
fères de l'intérieur. On sait comment les Anglais, lors- 
qu'ils réglèrent le conflit de 1891 avec le Portugal, im- 



140 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

posèrent à leur faible adversaire Tobligation de leur 
laisser le libre usage de toutes les voies de pénétration, 
et comment ils ont libéralement interprété ce texte, pen- 
dant la g^uerre du Transvaal, en empruntant le chemin 
de fer de Beira pour les troupes et le matériel militaire 
du général Carrington. 

Après les rapides qui marquent son passage au tra- 
vers des monts Matoppos, le Zambèze entre dans la 
plaine alluviale de son cours inférieur; il est à 160 mè- 
tres d'altitude, lorsqu'il passe devant le poste portugais 
de Tété ; son confluent avec le Chiré n'est qu'un vaste 
marécage, annonçant les coulées paresseuses et mobiles 
de son delta. Les deux fleuves, réunis, sont encombrés 
d'îles et bordés de roseaux, ils s'étalent sur plusieurs 
kilomètres de large, mais le chenal de navigation, très 
peu fixe, n'a guère que deux mètres de profondeur ; la 
barre n'aurait jamais moins de trois mètres d'eau, mais 
elle est changeante et dangereuse ; aussi le port de Qui- 
limané^ entouré de lagunes pestilentielles, n'a-t-il que 
peu de valeur ; il suffisait jadis aux boutres arabes qui 
venaient y chercher des esclaves, mais la navigation 
moderne ne s'en accommode plus, et de grands travaux 
seraient nécessaires : le Zambèze, qui finit dans l'Océan 
par un delta mal frayé, apparaît donc très inférieur au 
Congo ; les produits naturels de ses rives ne sont pas 
assez riches pour que les Européens s'intéressent à les 
recueillir; on a jadis tenté d'y cultiver l'opium, mais 
sans succès. 

Malgré ces obstacles littoraux, la voie du Chiré est 



LES PLATEAUX DU CENTRE 141 

intéressante parce que sauf Tinterruption des chutes 
Murchison, elle ouvre Taccès du lac Nyassa dont les 
bords sont plus fertiles, doués d'un climat meilleur, et 
déjà parsemés d'établissements européens. Le lac Nyassa, 
sorte de boutonnière d'origine volcanique, s'étend sur 
600 kilomètres en latitude, et sur 50 environ en longi- 
tude ; comme forme et direction, il ressemble au Tan- 
ganika; sa profondeur serait pourtant moindre (150 
mètres) ; il a été longuement exploré par Livingstone 
en 1859, et depuis lors des missionnaires écossais se 
sont installés auprès ; il est encadré par des montagnes 
dont l'escarpement est accusé surtout au nord et au sud- 
est ; celles du nord sont le prolongement des monts 
Mouchingas ; celles du sud, moins abruptes, conti- 
nuent les monts Matoppos et se soudent aux monts 
Namoulis; elles sont entaillées par la vallée du Ghiré et 
de leurs pentes orientales s'échappent de grosses ri- 
vières, encore mal connues, qui finissent dans l'Océan 
Indien entre Mozambique et les bouches de la Rovou- 
ma ; nous avons, dans le précédent chapitre, indiqué 
les tentatives coloniales dont ces pays sont aujourd'hui 
le théâtre. 

Des pointements de grès carbonifères ont été relevés 
sur la rive o^ccidentale du Nyassa : s'ils recelaient des 
mines exploitables, ce serait une bonne fortune excep- 
tionnelle par toute l'Afrique centrale, qui manque de 
combustible minéral : ces gisements, proches d'une 
voie navigable que des compléments artificiels ren- 
draient l'une des meilleures de TAfrique, seraient ap- 
pelés à ravitailler tous les pays du Zambèze et sans doute 




142 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

une partie de ceux du Gong'o : la navigation du Chiré 
n*est entièrement arrêtée que par les chutes Murchison; 
en aval de ce point, le fleuve entre dans la plaine du bas 
Zambèze, le cours tranquille de ses eaux n*est préci- 
pité que dans la traversée d'un massif forestier isolé, 
mais il n'y a pas là de rapide infranchissable. 

La Gompa/w^nie anglaise des Lacs, fondée en 4878, a 
pris possession du pays, qui était alors portugais, mais 
qui fut annexé aux territoires anglais du Cap en 
1891 ; il est intéressant de remarquer que la nouvelle 
frontière, abandonnant au Portugal la zone de steppes 
pauvres où coule le Zambèze, ainsi que les marais du 
confluent du Chiré, englobe dans la zone anglaise, au 
nord et au sud du fleuve, tous les plateaux plus élevés 
et plus sains ; toutle cours du Chiré, jusqu'au moment 
où il débouche dans les alluvions, est ainsi réservé à 
l'Angleterre, dont le domaine pénètre comme un coin 
dans les terres laissées au Portugal. C'est dans cette 
enclave que les missionnaires écossais ont fondé leurs 
stations les plus prospères ; ils ont trouvé là un climat 
chaud, mais salubre par suite de la grande pureté de 
l'air; une population indigène docile et pacifique, les 
Manyangas, qu'ils ont aussitôt formés à la culture des 
plantes vivrières, du tabac et du coton. Leur capitale, 
Blantyre, est située à 1,000 mètres d'altitude, c'est en 
même temps le centre administratif de la compagnie 
des Lacs. On y a heureusement introduit diverses cul- 
tures tropicales, notamment celles du sucre et du café ; 
les Européens vivent facilement sur ces plateaux ; la 
voie d'évacuation Ghiré-Zambèze étant toute voisine, 



LES PLATEAUX DU CENTRE 143 

on doit considérer que ces bords méridionaux du lac 
Nyassa sont une des régions d'avenir de la colonisation 
européenne dans l'Afrique tropicale. 

Le Nyassa occupe la partie centrale d'une route 
mixte, terrestre et navigable, de la côte africaine de 
l'est au lac Tanganika ; une route charretière, appe- 
lée Stevenson du nom du riche donateur qui en paya 
les frais, le relie à la pointe méridionale de ce dernier 
lac ; plus bas, les chutes Murchison sont tournées par 
un portage bien établi ; des chaloupes à vapeur sont à 
flot dans le bief intermédiaire puis, en aval des chutes 
sur le Ghiré et le Zambèse ; par cette voie, très sûre, 
le Tanganika n'est qu'à 40 jours de Londres. 

Ainsi est-il établi que l'Angleterre, à l'exclusion du 
Portugal, dont elle ne fait que traverser les territoires, 
est maîtresse de la pénétration vers les plateaux culti- 
vables du Nyassa comme vers les districts miniers du 
Manicaland. Un chemin de fer, remplaçant la route 
Stevenson, longerait au sud la frontière assignée entre 
l'Afrique orientale allemande et les pays protégés de 
l'Angleterre ; ce serait alors l'annexion économique aux 
pays du Nyassa de ceux du lac Tanganika ; c'est dire 
que l'Afrique australe anglaise atteindrait de sa con- 
currença une région considérable de l'Etat indépendant 
du Congo. On s'étonne que de pareilles ressources 
soient restées ignorées des Portugais, ou du moins 
qu'ils n'aient jamais rien fait pour en tirer parti ; mais 
qu'attendre d'un gouvernement qui jusqu'en 1878 a 
toléré dans ses colonies d'Afrique l'exercice à peine clan- 
destin de la traite des nègres, sans penser à y encoura- 



144 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

^erd*autres commerces, et pour lequel, jusqu'en 1752, 
le Mozambique releva de Goa, dans Tlnde ? Une telle 
inertie condamnait à la stérilité les travaux de quelques 
explorateurs portugais contemporains, gens d'audrxe 
et de clairvoyance, que Ton a cru suffisamment hono- 
rer à Lisbonne en associant les souvenirs rapportés de 
leurs voyages aux trophées des temps héroïques de 
Vasco de Gama. 



r 



CHAPITRE II 

La région du Haut-Congo et du lac Tanganika. 

Nous avons, dans un précédent chapitre, décrit la 
barrière montag-neuse qui, peu en arrière de la côte 
zanzibarite, oppose sa falaise aux vents et aux pluies 
de Tocéan Indien ; dans les monts Mambouas, qui do- 
minent rOusagara, elle atteint 3000 mètres, chiffre 
sensiblement supérieur aux évaluations de Stanley. 
Plus loin vers Touest, se développent deux étages de 
plateaux, dont Tun embrasse tous les pays lacustres du 
Tanganika et des sources du Congo, et l'autre forme 
une terrasse moins haute qui encadre immédiatement, 
comme les gr.adins d'un cirque, la contrée du Congo 
équatorial antérieurement étudiée. La pente générale, 
inclinée d'est en ouest, est très faible, les plateaux 
s'abaissent vers l'ancien lac congolais plutôt par degrés 
abrupts que par une descente lentement ménagée. 

L'étage supérieur porte différents noms : à l'est du 

Tanganika, c'est l'Ounyamouézi, parcouru par Stanley, 
L'Afrique. 9 



446 l'afrique a l^enthée du vingtième siècle 

traversé depuis assez souvent jusqu'au jour où les 
routes de Touest, par le bas Congo, furent préférées ; 
à l'ouest de Tanganika, ce sont le Manyéma et le Ka- 
tang'a, plus récemment reconnus, et qui viennent se 
souder aux régions du Lounda et du Barotsé, d'où 
partent les affluents du Kassaï et du Zambèze. L'aspect 
d'ensemble en est très uniforme, l'altitude peu variée ; 
ainsi Tabora, station étape entre la côte orientale et le 
Tanganika, est située à 1240 mètres; le lac Bangouéolo, 
que traverse le Louapoula, est à 1145 ; une légère re- 
montée vers l'ouest, dans la direction des monts du 
Bihé qui bordent l'Atlantique, est indiquée par la hau- 
teur des sources du Zambèze (lac Dilolo, 1445 mètres), 
et du Kassaï (1500 mètres). Et rien ne pourrait, mieux 
que ces chiffres, illustrer l'expression de Livingstone, 
qui qualifie l'Afrique centrale d'auge gigantesque ; ces 
plateaux sont inscrits en effet entre deux redressements 
littoraux, dont le commandement, de part et d'autre, 
dépasse 1000 mètres. 

On aurait tort de croire, cependant, que le relief in- 
térieur ne soit pas, çà et là, bossue par des soulève- 
ments montagneux comme dans les pays du Zambèze, 
nous en trouvons ici deux principaux, grientés égale- 
ment du sud-ouest au nord-est et redressés au nord 
franc aux approches de l'équateur. Tous deux se dé- 
ploient à l'est du Tanganika, les monts Mitoumbas ve- 
nant se briser contre la faille elle-même où sont amas- 
sées les eaux de ce lac, les monts Bambarés marquant 
la limite où ce premier étage des plateaux tombe sur 
les terrasses inférieures. 



LES PLATEAUX DU CENTRE 147 

L'Ounyamouézi est rhinterland de l'Afrique orien- 
tale allemande ; c'est une steppe dont le sol se compose 
de roches anciennes, granits et schistes cristallins, tra- 
versées en maints endroits par des percées basaltiques ; 
elle n'est pas fertile, encombrée seulement d'une végé- 
tation de hautes graminées à travers lesquelles la mar- 
che des caravanes ne serait signalée que par l'ondula- 
tion des tiges au spectateur placé sur un sommet dé- 
couvert. Parfois un terreau noir s'étend sur le granit 
superficiel, qui n'apparaît plus qu'en buttes isolées et, 
protégeant les eaux d'infiltration contre la voracité du 
soleil, les garde à une faible profondeur pour des 
cultures de légumes et de sorgo ; ailleurs, au contraire, 
ce sont ces « plaines ardentes » dont parle Cameron, où 
des indigènes exploitent le sel déposé en efflôrescences 
comme sur les chotts d'Algérie et creusant des citernes 
pour ne pas laisser perdre une goutte des pluies très 
rares et vite évaporées. 

La circulation fluviale est pauvre et irrégulière ; le 
climat est continental, et les pluies ne tombent qu'en 
été (austral), de novembre à mai ; elles ne sont préci- 
pitées que sur les sommets assez élevés pour participer, 
malgré l'obstacle du relèvement côtier, à la condensa- 
tion des nuages venus de l'est ; ainsi sont déterminées 
les positions d'oasis de hauteur, qui surgissent en 
cônes de végétation plus fraîche au-dessus de la brousse 
pauvre des steppes ; entre ces mamelons se traînent 
des cours d'eau paresseux, enfouis sous des haies épi- 
neuses, pendant la saison sèche, bourbiers mouvants 
quand viennent les pluies : le Malagarazi, grossi du 



148 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

Gombé, réunît ces misérables rivières pour les con- 
duire au lac Tang'anika ; ce sont moins des fleuves que 
des marigots, hantés par les crocodiles et les hippopo- 
tames, d'autant plus difficiles à franchir que les limites 
en sont moins précises, car une éponge de plantes 
aquatiques en masque souvent les abords. Ces ravins 
sont creusés dans l'épaisseur des plateaux, l'air y est 
stagnant, la fièvre ordinaire, les indigènes eux-mêmes 
ne font que les traverser, sauf quand ils y trouvent du 
sel. 

L'Ounyamouézi est peu habité ; les graminées gros- 
sières, les mimosées des jongles ne fourniraient à 
l'homme qu'une nourriture insuffisante ; les groupes 
de population, encore resserrés par la conquête arabe, 
sont donc peu nombreux et presque tout le pays est 
abandonné à la faune sauvage qui est riche et variée, 
antilopes, zèbres, girafes, éléphants et même lions dans 
les parties plus montagneuses ; c'est la chasse de l'élé- 
phant qui attira les Arabes de Zanzibar de proche en 
proche dans l'intérieur ; mais quoiqu'on ait observé 
dans les dernières années une reprise du commerce de 
l'ivoire par les ports allemands de la côte, il est certain 
que la décadence en est profonde depuis l'époque des 
voyages de Stanley et de Gameron : la cause en est la 
disparition progressive de l'éléphant, ainsi que la con- 
currence des voies d'évacuation du Congo belge. 

Quelques districts, parmi cette steppe sans avenir, se 
dressent comme des îlots de cultures et de population ; 
c'est là que les indigènes se sont rassemblés autour des 
traitants arabes et des centres urbains se sont ainsi 



LES PLATEAUX DU CENTRE 149 

constitués, dont les explorateurs de rOunyamouézi 
comme ceux du haut Congo remarquèrent plus d'une 
fois la prospérité ; les Arabes avaient propagé derrière 
eux le figuier, le grenadier ; les nègres soumis et deve- 
nus leurs ouvriers agricoles avaient multiplié les champs 
de maïs, de millet et de sorgo ; le froment même 
ne leur était pas inconnu et des laboureurs de TOu- 
nyamouézi, formés dans les établissements arabes, 
avaient entrepris à leur compte le défrichement de 
quelques coins de la steppe. Déjà dégrossis par le con- 
tact des Arabes, convertis parfois à Tislam, ces noirs 
seraient, pour les Européens, des auxiliaires moins 
inhabiles que ceux du bas Congo. Mais il reste à dé- 
terminer ce que vaut exactement leur pays ; les appa- 
rences ne sont guère favorables, à part ces « oasis de 
hauteur » dont il faudrait restaurer la fortune, atteinte 
par la déchéance des Arabes, Tabora par exemple ou 
le Kondéland, au nord du lac Nyassa. 

La Katanga est la région des sources du Congo, ou 
plutôt, si Ton se range àThypothèse de M. A.-J. Wau- 
ters, de fleuves que la dégradation des monts Mitoum- 
bas annexa au domaine congolais, qui en était d'abord 
distinct. Les deux lignes montagneuses des Mitoumbas 
et des Bambarés dessinent à la surface du Katanga une 
double crête qui se réduit à une seule sur les bords 
nord-occidentaux du lacTanganika.il convient de rap- 
peler ici ce que nous avons dit plus haut des monts 
Mouchingas ; ils viennent culminer entre les lacs Nyassa 
et Tanganika et rejettent vers Touest les sources du 



152 l' AFRIQUE A l'rNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

loirs analog'ues déversant comme le Louapoula d'an- 
ciens lacs maintenant épuisés ; plus au nord la Loukou^a 
par une autre faille peut-être plus récente, conduit les 
eaux du Tang-anika à Tartère maîtresse du Congo. 

La vallée du Lubudi-Congo est un marécag-e où les 
confluents, en particulier, forment des deltas vaseux 
sur un sol à peine incliné ; après avoir longé les monts 
Mitoumbas, elle s'engage dans les replis d'un plateau 
dont le redressement au nord-ouest est la chaîne des 
monts Bambarés et qui forme près du Tanganika le 
pays mamelonné dit Manyéma ; les monts Bambarés 
opposent au Congo, grossi de tous ses tributaires des 
hauts plateaux, une résistance dont il a peine à triom- 
pher :' sur 125 kilomètres, le fleuve, coupé de nombreuses 
cataractes, est innavigable, tandis qu'en amont la navi- 
gation par pirogues et chaloupes à vapeur est possible 
sur 560 kilomètres ; dans les rapides, appelés chutes 
Hinde du nom de l'explorateur qui les a reconnus, le 
Congo est parfois rétréci jusqu'à cent mètres, les eaux 
se précipitent en un bouillonnement tumultueux, et 
creusent sans cesse leur lit à travers les roches ; la ma- 
gnifique horreur de ce passage l'a fait appeler aussi la 
porte d'Enfer. Les monts Bambarés sont franchis de 
môme, mais au prix d'une lutte moins grandiose, par 
le Lomami né sur leur flanc méridional, et qui peu 
après les gorges de Zoungou pénètre dans la plaine 
équatoriale du moyen Congo ; vers le sud-ouest, ils 
s'écrasent s lir le plateau du hautKassaïet disparaissent 
dans le Lounda, région des sources de ce fleuve et du 
Zambèze. 



LES PLATEAUX DU CENTRE 153 

Entre rOunyamouézi d'une part, le Katanga et leMa- 
nyéma de Tautre, le lac Tanganika présente nettement 
les caractères d'un accident géologique; ce sont les 
mêmes forces qui ont dressé les sommets volcaniques 
des Viroungous et des Yomalenas et creusé cette longue 
faille, où s'étalent du sud au nord les eaux des lacs Tan- 
ganika, Kivou, Albert-Edouard et Albert; là est la ligne 
occidentale des actions volcaniques, une ligne plus 
orientale étant marquée par une série de petits lacs, du 
Nyassa au Rodolphe, et par les masses éruptives du 
Kénia et du Kilimandjaro : la figure d'ensemble de 
ces manifestations serait celle de tenailles dont le Nyassa 
serait le pivot et dont les bras, représentés par les deux 
lignes ci-dessus indiquées, enserreraient le lac Victoria 
pour se refermer vers le lac Albert. 

Le Tanganika mesure 650 kilomètres en latitude, sur 
une largeur qui varie de 30 à 80 ; il est très peu profond 
(au delà de 600 mètres), et ses tempêtes sont redouta- 
bles. Livingstone croyait obstinément qu'il se déversait 
dans le Nil et, malgré toutes les probabilités recueillies 
en compagnie de Stanley, persistait à considérer la 
Roussizi qui arrive au nord dans le Tanganika comme 
un émissaire alors que c'est en fait (Stanley en fit la 
preuve irréfutable) un affluent. L'examen des rives du 
Tanganika fait supposer que le niveau de ses eaux a 
baissé très notablement au sud, tandis qu'il se serait re- 
levé, au nord. Stanley a émis l'hypothèse qu'un effon- 
drement, ayant beaucoup accru vers le nord les dimen- 
sions de l'auge à remplir, les eaux du sud s'y précipi- 
tèrent ; du même coup, la Loukouga,qui déversait jadis 
L'Afrique. 9. 



154 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

le lac du sud dans le Congo devînt un canal à cours 
incertain, encombré de roseaux, et dont Tapparence 
paresseuse expliquait l'entêtement de Livingstone à 
chercher ailleurs l'émissaire du Tanganika. Depuis les 
observations de Stanley, il semble que la Loukouga ait 
creusé sa vallée,, et que son caractère de chenal de dé - 
charge s'accuse de plus en plus nettement ; on connaît 
aujourd'hui les gorges de Mitouanzi par lesquelles elle 
franchit les monts Mitoumbas pour s'engager sur les 
plateaux du Manyéma. 

L'embouchure de la Roussizi, à la pointe nord du 
Tanganika, est à demi dissimulée sous des papyrus; 
elle est donc difficile à franchir pour les bateaux ; en 
amont de cette barre végétale, la Roussizi est naviga- 
ble sur une centaine de kilomètres, puis des rapides 
interdisent aux chaloupes le passage vers le lac Kivou; 
celui-ci est beaucoup plus élevé que le Tanganika (près 
de 1500 mètres) ; il est entouré de hautes montagnes, 
et ne reçoit que de minces affluents; il est reconnu que 
là s'arrête la ligne des eaux qui, par le Tanganika et 
le Congo, descendent vers l'Atlantique : le lac Albert- 
Edouard, tout proche du lac Kivou, dont le sépare la 
masse volcanique dès monts Viroungous, est tributaire 
du Nil. Les falaises qui bordent à l'ouest le lac Kivou, 
n'étant protégées par aucun écran de ce côté, sont 
atteintes par les pluies atlantiques ; sur leurs pentes 
inférieures commencent, avec la vallée de la Looua, les 
conditions équatoriales de l'ancien lac congolais et de 
la grande forêt. 



LES PLATEAUX DU CENTRE 155 

Au delà des monts Bambarés, les plateaux forment 
un second étage, élevé de 500 à 1000 mètres et douce- 
ment raccordé à l'étage supérieur par un glacis relevé 
vers les sources du Kassaï; ce second étage est une 
savane, où la végétation diffère sensiblement de celle 
de Test ; il finit à l'ouest par une chute brusque d'une 
centaine de mètres, qui brise tous les cours d'eau 
affluents du Kassaï par une série de rapides ; au-des- 
sous commence la navigation en plaine, qui n'est plus 
interrompue jusqu'à la traversée des monts de Cristal. 

Redressées au nord, comme les monts Mitoumbas 
dont elles suivent la direction, ces terrasses encadrent 
le Lomami et le Congo, celui-ci depuis les chutes 
Hinde jusqu'aux Stanley-Falls (631 m.) ; il y a là un 
bief navigable de 530 kilomètres, le long duquel on 
observe la transition de la forêt galerie à la forêt do- 
minante. A Nyangoué, qui était au temps des Arabes 
un marché considérable, le Congo peut porter de 
grosses chaloupes fluviales ; sa profondeur, qui atteint 
parfois8m. 50, ne descendrait pas au-dessous de 2 m. 50. 
Mais les Stanley-Falls arrêtent en aval toute naviga- 
tion ; ils se composent de sept cataractes reliées par 
des rapides intermédiaires dont Stanley détermina la 
chute voisine de 3 mètres par kilomètre. Au pied de la 
septième cataracte, le fleuve est à 460 mètres et sa 
pente est dès lors insensible jusqu'au Stanley-Pool 
(0 m. 15 par kilomètre). 

Tandis que le bassin supérieur du Kassaï est encore 
peu connu, les Belges ont exploré tous les pays du 
haut Congo, qui avaient été touchés par la conquête 




156 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

arabe et qu'ils achèvent en ce moment de rattacher à la 
direction économique de l'Europe ; la traite a fait de 
g'rands ravages parmi les anciennes populations indi- 
gènes, et, comme dans toute l'Afrique noire, ce sont 
les tribus soumises les premières, armées ensuite par 
les envahisseurs, qui poussaient dans l'intérieur les 
expéditions d 'avant-garde : Msiri, qui fut roi de Ka- 
tanga, venait de l'Ounyamouézi ; lui-même et ses lieu- 
tenants étaient convertis à l'islam . Avant cette transfor- 
mation, qui leur coûtait cher, les naturels étaient 
très farouches ; autour de villages aux huttes coniques, 
entourés d'une fortification de plantes épineuses, les 
hommes se livraient à la chasse et à la pêche, les femmes 
cultivaient le sorgo ou fabriquaient avec le grain mois- 
sonné de la farine et de la bière ; quelques artisans, 
habiles, travaillaient le fer et le cuivre qui abondent 
de tous côtés. Pour tout vêtement, hommes et femmes 
portaient des peaux de bêtes, avec des colliers de dents; 
au contact des Arabes, ils apprirent à s'habiller davan- 
tage, et des ballots d'étofifes européennes, importés 
par Zanzibar,leur étaient vendus en échange de l'ivoire 
ou des esclaves qu'ils allaient enlever dans les vil- 
lages voisins. 

Les marchés arabes s'étendaient en une ligne d'étapes 
de Zanzibar au delà du Tanga'nika; Nyangoué sur le 
haut Congo, Kasongo plus à l'ouest encore étaient, au 
moment de l'occupation belge, les points d'appui extrê- 
mes de l'expansion arabe; Tabora ou plus exactement 
Kouihara, dans l'Ounyamouézi, Oudjiji et Karéma sur 
le Tanganika, étaient les stations intermédiaires. De 



LES PLATEAUX DU CENTRE 157 

Tune à l'autre, la circulation n'était pas toujours sûre, 
et les traitants se g'roupaient en caravanes armées : il 
arrivait en effet que des chefs vaincus, après une appa- 
rente soumission, tournaient contre les Arabes les 
armes reçues d'eux ou prétendaient razzier pour leur 
propre compte les malheureux habitants : c'est ainsi 
qu*à l'époque des voyages de Stanley, un certain Mi- 
rambo tenait la campag-ne contre les Arabes entre le 
Victoria et le Tang'anika ; après cinq ans de luttes et 
de pillages, il fit la paix avec ses adversaires, non sans 
avoir, par ses attaques sur les caravanes, fait doubler 
le prix de l'ivoire à Zanzibar; Stanley le rencontra, 
lorsque la paix était déjà conclue ; c'était, nous dit-il, 
un beau nègre de six pieds de haut, qui ne manquait 
ni d'allure, ni d'intelligence. A son exemple, beaucoup 
de roitelets indigènes s'embusquaient sur les routes 
des Arabes pour prélever des droits de péage, et nous 
avons vu que certains allaient s'établir au loin, avec 
quelques bandes de partisans, jusque dans le Ka- 
tanga. 

Le commerce arabe était donc grevé de frais de trans- 
port considérables, et ne pouvait s'intéresser qu'à des 
produits riches, c'est-à-dire, presque uniquement à l'i- 
voire ; de Zanzibar, le personnel des caravanes, diminué 
par la vente d'une partie des porteurs, rapportait dans 
l'intérieur des armes et des munitions pour ravitailler 
le§ étapes, quelques ballots d'étoffes et de bimbeloterie 
pour acheter l'ivoire aux chasseurs nègres. Autour des 
stations, les plantes vivrières étaient cultivées sans 
grands frais par des captifs : le gouverneur arabe de 



n 



158 l'aFRIQUE à l'entrée du vingtième SIECLE 



Kouihara, Séid Ibn Sélim, logea, successivement dans 
sa maison, confortable et bien approvisionnée, Livings- 
tone, Stanley, Gameron ; auprès, les lég^umes et même 
le blé poussaient en abondance ; Oudjiji était de même 
entouré de jardins, les notables Arabes y vivaient lar- 
gement ; le pain de froment figurait à leur ordinaire, 
plusieurs maisons étaient ornées de solives sculptées et 
les magasins regorgeaientd*ivoire ; Stanley calcule que 
la fortune du plus riche de ces négociants en marchan- 
dises, esclaves et biens fonciers devait représenter sur 
place environ cent mille francs. De là le luxe de ces 
traitants arabes, leurs vêtements de toile fine ou même 
de soie, leurs armes rehaussées d'incrustations ; une 
quinzaine d'années après le passage de Gameron et de 
Stanley, le D' Hinde qui prit part aux « campagnes 
arabes » de l'État du Gongo constatait l'air d'aisance 
des villes arabes évacuées devant les Européens. 

Tippo Tib fut, pendant des années, le type par excel- 
lence de ces chefs arabes ; sa résidence habituelle était 
Nyangoué, dont les maisons,posées sur deux collines de 
la rive droite du Gongo, étaient disposées entre des ri- 
zières. Très noir de peau, mais de belle prestance et de 
grand accueil, rompu aux raffinements de la politesse 
arabe, Tippo Tib vivait en sultan, très polygame, au 
milieu d'une armée d'esclaves cultivateurs ; la plupart 
de ceux-ci étaient originaires du Manyéma, région de 
bons paysans ; ils travaillaient la terre ou servaient de 
porteurs pour les caravanes ; rarement le maître les 
vendait ; il les nourrissait en fermier prudent, qui sait 
ce que valent ses bêtes domestiques, mais ne les dis- 



LES PLATEAUX DU CENTRE 159 

pensait pas de porter autour du cou la fourche, insigne 
de leur servitude. 

Le pays de Nyangoué était très populeux, le marché 
attirait deux à trois mille indigènes ; on y vendait des 
vivres, du sel, du cuivre, et les seuls produits de l'in- 
dustrie indigène, des poteries et des instruments enfer ; 
dans le Manjéma, la houe en fer est encore aujourd'hui 
l'unité monétaire, tandis que dans le Katanga l'on se 
sert d'une monnaie de cuivre, petits lingots en croix de 
Saint-André. Tippo Tib était un négociant avisé, qui 
sut fort bien tirer parti du désir de Stanley de descen- 
dre le Congo en partant de Nyangoué : des populations 
belliqueuses avaient plusieurs fois, de ce côté, forcé les 
Arabes à la retraite et pourtant, comme on les disait très 
riches en ivoire, il eût été précieux d'entrer en relations 
avec elles : Tippo Tib se fit payer par Stanley pour lui 
faire escorte le long du fleuve ; il bénéficiait ainsi de 
l'exploration du pays par les blancs et de l'étonnement 
ou leur présence jetait les indigènes. Avant de se subs- 
tituer aux chefs arabes sur le haut Congo, l'Etat indé- 
pendant a dû d'abord s'entendre avec Tippo Tib. 

La prise de possession dé Tarrière-pays du Congo 
belge est encore à peine achevée ; en 1885, le lieutenant 
van Gèle avait fondé en aval des Stanley-Falls un poste 
de l'État, mais l'année suivante ce poste était pillé, deux 
Européens tués ; Tippo Tib fut d'abord déclaré respon- 
sable ; puis, comme il fallait temporiser, l'Etat l'ad- 
mit à se disculper et l'institua son représentant aux 
Falls, en attendant de pouvoir l'en expulser. Les « cam- 
pagnes arabes », dont le directeur fui surtout le baron 



i(>0 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

Dhanis, commencèrent en 1892 ; les Belges s'appuyaient 
à la fois sur le Congo (camp de Basoko, en aval des 
Falls) et sur le Sankouron (camp de Lusambo). En fé- 
vrier 1894, après la prise de Njangoué et de Kasongo, 
les troupes de rËtatatteignaientleTanganika.Lescliefs 
arabes, parents ou vassaux de Tippo Tib, étaient vaincus, 
certains pris et fusillés comme rebelles, et Ton pouvait 
regarder comme close Tère de la domination arabe sur 
le haut Congo. 

Ce n'est pas toutefois sans luttes que les Belges Font 
remplacée : leurs auxiliaires noirs, durement traités, 
lancés à la guerre de pillage par des chefs blancs qui 
ne les tenaient pas bien en mains, se sont soulevés dès 
qu'ils ont vu les campagnes arabes terminées ; peut-être 
eut-on le tort de vouloir les employer à de nouvelles 
expéditions loin de leur pays d'origine : ces Batétélas, 
nègres grands et vigoureux des environs de Nyangoué, 
ont tenu en échec pendant deux ans les troupes fidèles 
de l'Etat, entre le Tanganika et le Congo ; ils sont à 
peu près partout vaincus aujourd'hui ; mais leur sou- 
mission est encore précaire ; une politique prudente et 
souple fera seule du Manyéma le pays d'exploitation 
minière et agricole que ses ressources semblent pro- 
mettre. Quant aux indigènes du Katanga, population 
moins dense que celle du Manyéma, leurs mœurs plus 
primitives assurent plus de facilités à l'établissement 
des Européens. 

Quelles sont donc, dans ces régions du haut Congo 
et du Tanganika, les points vers lesquels doit se porter 



LES PLATEAUX DU CENTRE 161 

l'effort de la pénétration ? Ni les savanes du Kassaï su- 
périeur, ni les plateaux de Test, mais seulement le Ma- 
nyéma et le Katang'a. Les Allemands de T Afrique orien- 
tale n*ont pas d'abord voulu se rendre à cette évidence, 
comme s'ils pouvaient ressusciter à leur profit le com- 
merce des caravanes arabes, en poussant un chemin de 
fer de la côte vers le Tang'anika ou le Nyassa : de Dar-es- 
Salam au Tanganika, cette voie ferrée se déroulerait 
sur près de 1800 kilomètres, par Tabora et Oudjiji ; le 
g-ouvernement allemand, d'accord avec des sociétés de 
colonisation et de banque, avait fait procéder aux pre- 
mières études de cette ligne ; les frais en furent évalués 
à 90 millions de francs, et Ton ne disait pas sur quel 
trafic local on pourrait gag'er l'emprunt de cette somme, 
qui serait sans doute beaucoup dépassée. Le désir de 
faire concurrence au^chemin de fer anglais de l'Ouganda 
n'excuserait pas une telle prodigalité. On agirait plus 
sagement en débroussaillant des pistes assez larges pour 
des charrois, surtout si la domestication de l'éléphant 
était en même temps étudiée pour en faire une bête de 
somme et de trait, et si l'on reprenait les tentatives de 
la London missionary Society pour diriger des chars à 
bœufs de la côte sur le Tanganika. 

Au mois d'octobre 1899, le conseil colonial allemand 
pourtant émit un avis favorable à la construction d'un 
grand chemin de fer de pénétration : de Bagamoyo ou 
Dar-es Salam, il irait à Tabora, par les hauteurs de 
l'Ousagara et de Mpapoua, dont l'altitude permet le sé- 
jour des Européens ; à Tabora il se bifurquerait, 
d'une part sur Oudjiji, d'autre part sur Kamoga (sud du 



1 



162 l' AFRIQUE A l'enTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

lac Victoria) ; cette opinion lancée par des publicîstes 
et des coloniaux en chambre a été vivement combattue 
par des adversaires d'expérience, le D' Hans Meyer et 
Schweinfurth ; ils ont fort bien montré que l'idée n'avait 
rien de pratique ; si jamais un chemin de fer doit tra- 
verser de part en part l'Afrique orientale allemande, 
c'est celui qui relierait à la côte les districts houillers 
deLangenbourg", au nord du Nyassa ; le cours inférieur 
de la Roufidji se prêterait peut-être à des améliorations 
suffisantes pour un service de batellerie fluviale qui rac- 
courcirait d'autant le tracé du chemin de fer, mais il 
resterait, et la dépense serait considérable, à entretenir 
un port dans le delta de ce fleuve. Sur le lac Nyassa, les 
Allemands ont trois barques à vapeur ; mais il ne faut 
pas oublier que la houille de Langenbourg serait éco- 
nomiquement amenée dans les ports de l'Océan Indien, 
si seulement un chemin de fer local, un simple Decau- 
ville, remplaçait le portage des chutes Murchison. 

Depuis 1876, date de la conférence géographique in- 
ternationale de Bruxelles, les pays qui forment aujour- 
d'hui le hinterland allemand avaient été parcourus par 
les explorateurs de 1' « Association internationale afri- 
caine », et par des missionnaires français et anglais. 
En 1878, le pape y constituait des domaines spirituels 
pour les Pères Blancs du cardinal Lavigerie ; Wissmann, 
en 1882, trouvait ces Pères bien établis à Tabora ; de là, 
ils s'avancèrent sur Oudjiji, où l'un des leurs fut assas- 
siné en 1881, et môme passèrent sur la rive occidentale 
du Tanganika. En même temps, le comité belge de 
l'Association internationale faisait fonder par le lieute- 



LES PLATEAUX DU CENTRE 163 

nant Cambîer le poste de Karéma, sur le lac (1879) ; un 
riche industriel de Leeds, M. Arthington, donnait à la 
London Missionary Society 3.000 livres sterling* pour 
étudier la navigation du Tanganika ; dès 1880, les pas- 
teurs de cette association y possédaient un canot en 
acier, et recevaient de la compagnie anglaise des Lacs, 
par la voie du Nyassa, les pièces d'une chaloupe à va- 
peur 

Toute cette activité tomba, le jour où Ton put employer 
la voie du Congo découverte par Stanley : les Pères 
Blancs décidaient, en 1883, de ravitailler leurs postes 
du Tanganika par les routes congolaises ; le lieute- 
nant Cambier ne touchait plus à Zanzibar que pour 
y recruter des auxiliaires destinés à l'exploration du 
bas Gongo ; il ne restait de tout le mouvement parti 
de la côte orientale que des stations mortes sur des routes 
abandonnées ; ce fut une délivrance lorsque les troupes 
de l'Etat indépendant rejoignirent sur les bords du Tan- 
ganika (février 1894) les miliciens de Storms et de Jac- 
ques, laissés là-bas en sentinelles perdues des sociétés 
antiesclavagistes. L'Allemagne n'a donc hérité que d'un 
pays pauvre, bloqué entre des routes qui échappent à 
son contrôle ; le chemin de fer qu'elle construirait vers 
le Tanganika serait pour elle une sorte de transsaharien, 
avec cette différence qu'il finirait en cul-de-sac au seuil 
de pays non allemands. 

Les conditions seraient tout autres si, par un accord 
avec l'Etat in dépendant, l'Allemagne pouvait réserver à 
ce chemin de fer, prolongé vers Nyangoué sur la rive 
occidentale du Tanganika, l'évacuation des produits co- 



164 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

loniaux et des minerais du Manyéma et du Katanga ; 
r Afrique orientale allemande serait alors un vestibule, 
et non plus une impasse ; déjà une entente de ce genre 
paraît établie pour une lig'ne télégraphique commune 
dontrimportance serait européenne, car elle pourrait,en 
s'augmentant de sections terrestres et de câbles de lon« 
gueur médiocre, soustraire au monopole des compa- 
gnies anglaises une notable partie de l'Afrique, du Sé- 
négal à Madagascar. Mais il n'existe encore aucun in- 
dice qu'un tel projet soitàTétude pour une voie ferrée ; 
plus probablement môme, TEtat indépendant s'effor- 
cera de conserver pour lui le monopole des transports 
sur toute l'étendue de son domaine. 

Le Manyéma et le Katanga n'en sont pas l'une des 
parties les moins riches. Le Katanga est un pays mi- 
nier, avec des gisements de fer, de cuivre, de sel, des 
sources thermales et minérales ; les érosions ont mis à 
nu des collines entières de minerai de fer, dont l'exploi- 
tation ne comporterait de la sorte qu'un travail facile, 
à ciel ouvert ; les principaux gîtes de cuivre (malachite) 
sont situés en arrière des monts Mitoumbas, dans les 
bassins où s'étalent la Loufila et le Nzilo ; les indigè- 
nes savent extraire ces minerais et fabriquer quelques 
objets : des anneaux d'ornement et des croix en cuivre, 
ces dernières servant de monnaie. 

Une compagnie belge du Katanga fut constituée dès 
1891 ; toutes les explorations ont démontré que les 
mines du Katanga seraient d'un rendement rémunéra- 
teur, si les voies d'accès en devenaient plus faciles ; 
quant au Manyéma, sur la surface duquel les pluies 



LES PLATEAUX DU CENTRE 165 

ont étalé des alluvions volcaniques, précipitées des 
monts Mitoumbas, ce serait le grenier du pays des mi- 
nes ; le recul des traitants arabes, la suppression des 
razzias, la pacification des Batétélas, qui sont une des 
races noires les moins grossières de l'Afrique centrale, 
rendront sans doute à ces champs fertiles leur popula- 
tion dense et leur productivité d'antan ; il nous paraît 
qu'il y a là une condition essentielle de la mise en ex- 
ploitation des mines du Katanga. 

Uneautre question, non moins importante, est celle des 
communications : les deux routes fluviales du Gongo- 
Lomami et du Kassaï-Sankouron-Lubefou convergent 
vers le nord du Batétéla, l'une au prix d'une courbe 
immense vers le nord, l'autre presque directement en 
suivant le 4^ parallèle: 300 à 400 kilomètres de chemin 
de fer relieraient le point extrême de la navigation du 
Lubéfou à Nyangoué, coupant le bief navigable du Lo- 
mami par un pont ou par un bac ; mieux vaudrait en- 
core, de ce dernier point, l'incliner au sud-est, pour 
n'atteindre le Congo qu'en amont des chutes Hinde, et 
disposer ainsi au terminus du rail d'un bief navigable 
de plus de 500 kilomètres sur le Lubudi ; à supposer 
qu'on ne voulût ou ne pût sans frais excessifs tracer une 
voie ferrée à travers les monts Mitoumbas, les minerais 
se trouveraient à moins de 300 kilomètres de leur point 
d'embarquement sur le Lubudi, et le climat, du Ka- 
tanga permettrait, sur ce dernier tronçon, d'organiser 
des charrois à bœufs. 

Tous ces projets sont encore incomplètement étudiés, 
mais tout concourt à prouver que vers l'ouest, par des 



166 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

compléments artificiels au réseau navigable du Cong-ô, 
on trouvera des voies d'accès vers ces plateaux du cea- 
tre de TAfrique. L'État indépendant n'a rien à craindre 
de la concurrence de l'Afrique orientale allemande ; 
mais il ne doit pas oublier que l'Angleterre émit jadis 
la prétention de rattacher le Katanga à ses possessions 
du Zambèze, et là, le long de ces cours d'eau zambéziens 
mal connus encore dont les sources voisinent avec celles 
des tributaires du Congo, les ingénieurs pourraient 
bien découvrir un passage pour une voie ferrée affluents 
du Zambèze ; certes, la navigation de ce fleuve ne 
vaut pas celle du Congo, mais la moindre distance des 
ports maritimes, le nombre peut-être réduit des trans- 
bordements à l'intérieur seraient des arguments à dis- 
cuter en faveur de cette route nouvelle ; l'hydrographie 
des pays entre Zambèze et Congo n'est pas tellement 
nette qu'elle réserve évidemment à ce dernier fleuve le 
commandement économique de tout son bassin supé- 
rieur. 



CHAPITRE III 
Le pays du lac Victoria et du Haut-Nil. 

Les pays du lac Victoria et du Haut-Nil continuent 
les plateaux de l'Afrique orientale allemande, avec les 
mêmes manifestations volcaniques ; le lac Victoria est 
le fond du cirque, la cuvette où s'amassent les eaux 
tombées sur le plateau ; les lacs qui l'entourent sont 
d'une autre orig'ine, creusés dans les sillons du sol 
plissé par les soulèvements volcaniques : lacs Albert et 
Albert-Edouard à l'ouest, lac Rodolphe au nord-est. 

Une falaise abrupte, haute de 250 mètres, se dresse à 
peu de distance de la côte bornant à quelques kilo- 
mètres le cours inférieur navigable des fleuves qui 
tombent des montagnes de l'intérieur ; celles-ci s'enlè- 
vent sur un plateau lentement incliné vers la falaise 
littorale, et dont l'altitude est de 1700 mètres à SOO kil. 
de la mer ; les plus puissantes sont les cônes éruptifs, 
déjà décrits, du Kénia et du Kilimandjaro. La ressem- 
blance est fidèle, entre cette partie du plateau et celle 



168 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

que, plus au sud, Stanley parcourut entre Zanzibar et 
le Tanganika ; ce sont les mêmes steppes pauvres, avec 
quelques bas-fonds où poussent des bouquets de bois, 
des eaux rares et temporaires, des paquets de jongles 
formant barrière et servant de refuge à de nombreux 
lions; Stanley a coté 1702 mètres, ailleurs 1717, en des 
points d'où les vallées fluviales divergent vers la côte 
et vers le lac Victoria ; la même altitude (1702 mètres) 
était relevée par lui entre les lacs Albert et Victoria : le 
modelé général du sol est donc peu varié, et les hau- 
teurs qui le diversifient prennent le caractère très net 
d'accidents. 

De cet étage culminant de 1700 mètres, qui embrasse 
tout le pourtour du lac Victoria, le plateau s'abaisse 
d'un mouvement continu vers l'ouest ; mais il est tra- 
versé par des massifs volcaniques dont plusieurs enca- 
drent le Victoria et ont sans doute contribué à le for- 
mer, en attirant sur leurs pentes les pluies de l'Océan 
Indien : à l'est du lac Victoria, entre le Kénia et le 
Kilimandjaro surgissent deux escarpements rapides ; 
le plus oriental, dit des monts Kikuyu, monte à 
2500 mètres ; celui des monts de Maou, séparé du pré- 
cédent par une vallée à chapelet de lacs, dépasse 
3000 mètres ; plusieurs cratères en éruption y ont été 
observés, et l'on doit sans doute rattacher à l'aligne- 
ment des monts Maou, qui se tord vers le nord-ouest, 
la haute cime de l'Elgon (4260 m.) et les ressauts à 
travers lesquels le Nil se fraie un passage pénible, 
entre le lac Victoria et le lac Albert ; pour reprendre 
une comparaison employée dans le précédent chapitre, 



LES PLATEAUX DU CENTRE 469 

le bras occidental des tenailles vient ici s'appuyer sur 
le bras oriental. Continués au nord, les escarpements 
Kikuyu et Maou se prolongent de part et d'autre du lac 
Rodolphe, et celui-ci peut être considéré comme faisant 
suite à la vallée lacustre qui se développe entre eux. 

La connaissance de ces hauteurs est très récente, elles 
n'ont été étudiées en détail qu'en vue des fravaux du 
chemin de fer de TOug'anda. Les montagnes situées à 
l'ouest du Victoria ifigurent depuis plus longtemps sur 
nos cartes : là, le massif le plus considérable est celui 
du Ruvenzori, dont Stanley avait aperçu les hautes 
cimes, mais sans trouver des compagnons indigènes 
pour s'en approcher comme il l'aurait voulu ; nous 
savons aujourd'hui que les monts du Ruvenzori s'élè- 
vent jusqu'à 5500 mètres, comparables par conséquent 
au Kénia et au Kilimandjaro, qui sont les géants de 
l'Afrique ; couverts d'épais glaciers, dressés majestueu- 
sement au sud du lac Albert, entourés par les indigènes 
d'une terreur superstitieuse qui explique les difficultés 
opposées à la curiosité de Stanley, ils s'abaissent au nord- 
est, poussant des éperons qui se rapprochent de ceux 
de l'Elgon et ferment au nord le cirque du lac Victoria; 
la vallée du Nil, entre les deux lacs, est coupée deux fois 
par des rapides, la chute Ripon presque à la sortie du 
lac Victoria et plus bas la chute Murchison, qui tombe 
de 40 mètres d'un seul trait. 

Les terrasses qui dominent le nor 1-ouest du lac sont 
l'Ouganda, région fertile et peuplée ; le pays plus acci- 
denté entre le Victoria et l'Albert est appelé Ounyoro ; le 

relief en est tourmenté, plusieurs cimes des monts Ru- 
L'Afrique. 10 




172 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

Tun au-dessus de Tautre à 940 et 660 mètres, ils pro- 
long'ent vers le nord lafailleoù coulent, en sens inverse, 
les eaux du Kivu et du Tanganika ; leur forme est ana- 
logue, sauf qu'ici les escarpements les plus abrupts 
sont ceux de la rive orientale ; le lac Albert repose au 
fond d'une déchirure de 500 mètres ; la plus basse fa- 
laise des monts Ruvenorzi le serre de si près que les 
indigènes hissent avec des cordes en haut d'une falaise 
de 20 mètres le sel recueilli par des piroguiers sur la 
lisière du lac. 

Très vite à l'ouest réapparaissent les terrasses qui cor- 
respondent à celles du moyen Congo et se continuent 
vers le Tchad jusqu'aux sources du Ghari : le relief cul- 
minant porte alors le nom de monts Baghinzés qui 
s'entend moins d'une chaîne de montagnes que d'un 
plateau mamelonné à pente indécise vers l'Ouellé et le 
Bahr el Ghazal ; les Baghinzés sont une zone de savanes, 
avec des vallées à galeries forestières ; ils descendent 
par des gradins de 1300 à 500 mètres, vers le nord-est 
et le sud-ouest. Schweinfurth et Junker ont savamment 
exploré cette région, le premier surtout qui put pro- 
fiter de ses excellentes relations avec les traitants mu- 
sulmans de Khartoum, à l'époque où leur commerce 
était en pleine prospérité (1868-1871). S'il y eut là, jadis, 
des montagnes élevées, elles ont été nivelées parles éro- 
sions ; quelques cônes de gneiss, isolés, dressés de 
300 à 400 mètres aù-dcssus du niveau moyen du sol, en 
portent seuls témoignage aujourd'hui. 

Schweinfurth a établi qu'il n'y avait pas de commu- 
nication eùtre l'Ouellé et le lac Albert, qu'il appelle lac 



- j 



LES PLATEAUX DU CENXaE 173 

de Baker ; s'il ig-nore que TOuellé finit dans le Con^s^o 
et Je représente comme la source du Ghari, il a du 
moins très exactement observé qu'il n'existe dans les 
monts Bag-hinzés aucun obstacle orographique, aucun 
faite de séparation entre les tributaires de TOuellé et 
ceux du Bahr el Ghazal ; il a passé de l'un à l'autre 
domaine sans même s'en apercevoir, cheminant tou- 
jours sur les mêmes croupes, entre lesquelles une 
hydrographie capricieuse distribue les eaux dans l'une 
ou l'autre direction ; les sources de l'Ouellé, dont la 
principale est la grosse rivière Kibali, sont à 1200 m. 
d'altitude, et c'est à peine si l'on trouverait des som- 
mets de 1500 mètres dans la région des Baghinzés ; de 
là vers le lac Albert, il n'existe qu'un dos de pays ; du 
côté de l'ouest aussi la pente est très faible, puisque le 
confluent duMbomou et de l'Ouellé-Kibali, à 1300 kil. 
plus bas, est à 438 mètres, soit une descente moyenne 
inférieure à 60 centimètres par kilomètre. 

Tandis que les pluies qui alimentent le lac Victoria 
viennent surtout de l'Océan Indien, les monts Baghinzés 
appartiennent à la zone des pluies atlantiques, appor- 
tées par les vents du sud-ouest ; l'hiver est sec et relati- 
vement frais (de 16» à 22°), l'été plus chaud (25®) et 
très pluvieux, avec une con&tance de l'humidité tou- 
jours plus grande à mesure que l'on s'approche de 
l'équateur; il souffle parfois, même en saison pluvieuse, 
des rafales de vent du nord-est, qui nettoient et rafraî- 
chissent l'atmosphère. Ces observations s'appliquent 
au Bahr cl Ghazal comme à l'Ouellé, fleuves dont la 

géographie fait un domaine unique, malgré les divl- 
L'Afrique. i 0. 



L. 



174 l' AFRIQUE À L*ENTRéE DU VINGTIEME SIECLE 

sioDs imaginées par la politique suivant le système 
suranné des «lignes départage des eaux». La saison 
des pluies commence en avril ; alors la végétation, assou- 
pie pendant les sécheresses de l'hiver, se réveille et la 
steppe se couvre de fleurs soudainement, comme par 
un contact électrique ; les rivières sont atteintes par la 
crue deux mois plus tard, et les eaux restent hautes 
jusqu'en novembre; il en est ainsi du Kibali, source 
de rOuellé, comme du Soueh et du Vaou, qui vont au 
Bahr el Ghazal. 

Les terrasses marécageuses des monts Baghinzés sont 
un obstacle très difficile à franchir entre le Nil moyen 
et rOuellé ; c'est là probablement que durent s'arrêter 
les deux centurions envoyés par l'empereur Néron à la 
recherche des sources du Nil ; tout récemment, on n'a 
pas oublié au prix de quelles fatigues la mission Mar- 
chand put atteindre le Nil navigable vers Fachoda : le 
rapport du lieutenant de vaisseau Dyé est, à cet égard, 
très instructif : tous les fleuves sont encombrés d'îles 
flottantes^ de forêts de roseaux à travers lesquels 
les barques n'avancent que poussées à la perche, et 
menacent de s'envaser à tout instant; ces embâcles 
constituent le sett, barrière d'herbes aquatiques, assez 
solides parfois pour porter un homme, mais plus sou- 
vent trop molles et qu'il vaut mieux assurément essayer 
de tourner par la terre ferme que de couper par une 
navigation toujours précaire. 

Les traitants arabes profitaient, pour remonter en 
barque jusqu'à Mechra-er-Rek, des hautes eaux qui 
entraînaient une partie du sett; de là leur commerce 



r." 



LES PLATEAUX DU CENTRE 175 

se faisait par caravanes, et leurs zérihaSy entrepôts de 
munitions et de marchandises, étaient toujours posées 
sur des mamelons, hors de portée des inondations. Le 
sett a été reconnu sur le Bahr el Djebel ou Nil propre, 
en amont de Fachoda, comme sur le Bhar el Ghazal ; 
on Ta observé, bien qu'en moindres proportions, sur le 
Sobat, affluent de droite du Bahr el Djebel, c*est donc 
un trait général de toute l'hydrographie du Haut-Nil ; 
*a pénétration européenne ne peut pas n'en pas tenir 
g-rand compte. 

Ces immenses marais, formant au nord des monta- 
gnes volcaniques qui enserrent la Victoria une régiô n 
à faible pente, où les eaux circulent mal, permettent 
l'hypothèse d'un ancien lac qui, par rapport aux terras- 
ses de rOuellé et du Bahr el Ghazal, serait symétrique 
de Tex-lac congolais ; il se serait vidé par le nord, per- 
çant une issue très élargie aujourd'hui et dont le cadre 
est encore visible, entre les plateaux du Kordofan et 
les hauteurs de l'Abyssinie ; mais, les pluies étant 
ici moins abondantes que sur le moyen Congo, la lutte 
se serait engagée, pour ainsi dire, entre la végétation 
et les fleuves, dont le cours n'est pas assez puissant 
pour emporter tous les débris et empêcher la croissance 
des plantes au milieu môme de leur lit. 

La valeur économique des hautes terrasses n'est sans 
doute pas très grande ; les traitants arabes, chez lesquels 
séjourna Schweinfurth se plaignaient déjà que leur 
commerce devînt difficile ; l'ivoire se faisant plus rare, 
le transport aux points d'embarquement sur le Nil ne 
laissa presque plus de bénéfices du jour où, l'Egypte 




476 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

interdisant la vente libre des esclaves, les porteurs d'i- 
voire n'étaient plus eux-mêmes une marchandise. La 
conquête égyptienne aggrava ces conditions ; Junker a 
pu (4875-1878) constater une réelle décadence depuis le 
passage de Schweinfurth ; les fonctionnaires égyptiens, 
se regardant comme des exilés en ces pays perdus, ne 
s*occupaientque d'amasser un pécule, sans souci de mo- 
lester les habitants ; les commerçants arabes, qui rési- 
daient de longues années au milieu des mêmes tribus 
indigènes, étaient plus intéressés à les ménager, afin 
d'en vivre plus longtemps. 

Les peuplades nègres les plus importantes du Bahr 
el Ghazal, les Ghillouks, les Dinkas ont ainsi perdu 
beaucoup de leurs richesses. Les Ghillouks sont sur- 
tout des pêcheurs, ils habitent les bords du Bahrel 
Ghazal et du Nil en aval de Fachoda ; très nombreux 
et peu outillés pour se défendre, ils étaient sans cesse 
razziés, dans les débuts de la domination égyptienne, 
par des cavaliers baggaras, poussant des pointes de- 
puis les limites du désert. Les Dinkas, nous dit Schwein- 
furth, sont une véritable race de marais, aux jambes 
longues et grêles, aux pieds larges et plats ; ils vivent 
entièrement nus, se couvrant seulementde cendres pour 
prévenir les piqûres des moustiques ; ils arrachent leurs 
incisives inférieures, de sorte que celles du haut crois- 
sent démesurément et donnent à leur visage une expres- 
sion hideuse et féroce. Il n'y a pas, semble-t-il, beau- 
coup à espérer du bétail des Dinkas ; il est petit et 
maigre; les aliments dont il se nourrit, très aqueux et 
privés de sol, le prédisposent aux affections vermiculai- 



LES PLATEAUX DU CENTRE 177 

res; il n'est employé ni pour les transports ni pour le 
travail du sol ; il ne sert même pas ordinairement pour 
la boucherie ; des soins prolongés, une sélection labo- 
rieuse seraient nécessaires pour régénérer cette race. 
Pour la subsistance des habitants le sol, en pays non 
inondé, offre plus de ressources: le maïs, le sorg-o y 
viennent très vite, ainsi que le tabac et les légumes 
d'Europe ; le blé remonte le long du Nil jusqu'à Fa- 
cboda. 

Lorsqu'on descend vers l'Ouellé, on rencontre des 
indigènes assez différents, les Mombouttous et les 
Nyamnyams avec quelques tribus de Pygmées ; ces 
noirs, les derniers atteints par la conquête arabe, sont 
encore païens pour la plupart; ils ignorent l'usage des 
céréales, n'ont pas de bétail et consomment surtout des 
ignames et du manioc ; les bananiers apparaissent au- 
tour de leurs villages, par grandes plantations et de 
même quelques élaïs, dont c'est là le dernier habitat 
vers le nord. Chasseurs, vêtus de peaux de bêtes, ces 
Nyamnyams sont anthropophages, comme tous les 
nègres de la forêt congolaise ; par leur pays se fait la 
transition vers les conditions des plaines équatoriales. 
Quelques sultanats, d'origine arabe, se sont constitués 
dans les hautes vallées de l'Ouellé : celui de Tamboura, 
laissé à la région d'influence anglaise parle traité de 
mars 1899, ceux de Rafaï, Zémio, Bangasso dont les 
territoires sont partagés entre la France et l'Etat indé- 
pendant du Congo ; ils ont encore de grandes réserves 
d'ivoire et d'immenses forêts à caoutchouc ; ce serait la 
seule partie de ces terrasses dont l'accès facile offrirait 



178 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

des ressources à la pénétration européenne ; mais nous 
avons dit qu'ils paraissent, jusqu'à plus ample informé, 
relever des voies d'évacuation du Cong'o et non du Nil. 
Schweinfurth a bien aussi remarqué, sur l'étage supé- 
rieur des monts Baghinzés, des tribus, dites Djours, 
qui fabriquent des armes et ornements, avec le fer qui 
affleure à chaque pas ; mais on ne voit pas qu'il y ait 
là, de longtemps au moins, les éléments d'une indus- 
trie européenne. 

Bien plus intéressants que ces plateaux de l'Ouellé 
et du Bahr el Ghazal sont, dans l'enceinte volcapique où 
s'étale le lac Victoria, l'Ouganda et l'Ounyoro. Speke 
et surtout Stanley nous ont les premiers décrit l'Ou- 
ganda comme un pays riche et déjà préparé par une 
civilisation assez remarquable, à solliciter l'elBFort des 
Européens. L'Ouganda et même plus à l'ouest l'Ou- 
nyoro ont reçu de la côte orientale d'Afrique les in- 
fluences arabes d'abord, chrétiennes ensuite,leurs rela- 
tions naturelles sont tournées vers l'Océan Indien, bien 
que le cours du Nil semble les rattacher à l'Egypte ; il 
a fallu, pour les lier politiquement au Soudan égyptien, 
des expéditions militaires venues du nord ; aujourd'hui 
l'Angleterre qui les a conquises, remplaçant à son pro- 
fit la suzeraineté de l'Egypte, reconnaît cette vérité géo- 
graphique et lui donne une sanction pratique, en cons- 
truisant le chemin de fer de Mombasa au lac Victoria. 

Stanley fut pendant plusieurs mois, en 1875, l'hôte 
du roi d'Ouganda Mtésa. Converti à l'islam, après un 
avènement cruel et quelques années d'un despotisme 



— ^. 



LES PLATEAUX DU CENTRE 179 

sangiiinaire, Mtésa faisait alors fîg'ure de souverain 
très policé ; ses mœurs étaient adoucies, sa sobriété, 
digne d'éloges. Il était entouré d'une hiérarchie de di- 
gnitaires, sur lesquels son pouvoir était absolu ; il dis- 
posait d'une armée et d'une flotte ; les soldats armés de 
mousquets, môme de quelques obusiers, traversaient 
le Victoria sur de grands canots peints en rouge, et 
conduits par cinquante rameurs : dans une campagne 
contre ses voisins . de l'est, les Oussogas, Mtésa avait 
mis en mouvement, tant par terre que sur le lac, cent 
cinquante mille hommes, avec deux cent trente barques 
de guerre. 

Ces chiffres indiquent que l'Ouganda est un pays dé 
population dense ; Mtésa aurait eu plus de deux mil- 
lions de sujets ou tributaires, et l'aisance paraissait 
générale autour de lui ; tous les gens de l'Ouganda sont 
vêtus, et les principaux, avec recherche. Mtésa lui- 
même habitait sur une colline une grande hutte en paille 
à toit conique, mesurant vingt mètres de long sur six 
de large et huit de hauteur au sommet ; il savait don- 
ner des réceptioas somptueuses, qu'il présidait non sans 
majesté ; des chefs vassaux, élevés par sa faveur, gou- 
vernaient en son nom des provinces organisées ; tous les 
notables, autour de lui, parlaient et écrivaient l'arabe ; 
Tori, l'homme de confiance de l'empereur, était de Zan- 
zibar. 

Les naturels de l'Ouganda sont de beaux hommes, 
d'une taille moyenne supérieure à celle des Européens ; 
paysans vigoureux, ils vivent largement du produit dô 
leurs cultures ; des enclos palissades, autour de leurs 



180 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

cases, sont plantés en lég'umes et en bananiers ; de ce 
dernier arbre, ils tirent une farine, une boisson, des 
médicaments, des cordag;;es, des matériaux de cons- 
truction ; ils cultivent aussi, mais en moindres quanti- 
tés, des céréales (riz et maïs) et possèdent de grands 
troupeaux ; leur nourriture est donc confortable et va- 
riée, leurs habitations sont aussi plus soignées que 
celles des peuplades africaines, ornées de trophées d'i- 
voire et tendues de peaux. L'Ouganda nous apparaît 
ainsi comme une exception de civilisation dans l'Afri- 
que noire ; on pourrait peut être le comparer à PAbys- 
sinie et, dès le retour de Stanle}^ l'attention des Euro- 
péens s'arrêta sur ces régions dont il disait merveille. 
Les explorations postérieures ont confirmé en les 
précisant toutes les informations de Stanley ; non seu- 
lement l'Ouganda est un pays fertile, habité par une 
population dense et intelligente, mais c'était alors un 
état indigène, politiquement constitué; des expéditions 
avaient montré la valeur de ses armées contre les gens 
de rOunyoro,possesseurs de salines et ceux du Rouanda, 
leurs voisins du sud. Des missionnaires protestants, dès 
1875, et des Pères Blancs, catholiques, depuis 1879, 
s'établirent dans l'Ouganda, où les uns et les autres 
firent de nombreux prosélytes ; Stanley déclare avoir 
converti Mtésa au protestantisme et rien n'est moins 
invraisemblable ; mais il est aussi notoire que le P. 
Lourdel,desPP. Blancs, acquit ensuite sur ce souverain, 
dont il devint le médecin, une très grande influence ; 
des chapelles des deux cultes s'élevèrent, et l'Ouganda 
fut bientôt partagé en deux factions chrétiennes, les 



LES pLateaû^ Dû centre 181 

protestants liant parti avec les musulmans de Zanzibar, 
parce que ceux-ci passaient pour les alliés de TAujo^le- 
terre: en fait, de 1870 à 1888, le sultan Saïd Bargach 
fut étroitement surveillé par le consul anglais de Zan- 
zibar,M. JohnKirk, et sa protection permit aux pasteurs 
de la London missionary Society de s'avancer jusqu'à 
Oudjiji sur le Tang-anika et jusqu'à Kag-éhyijau sud du 
Victoria qu'ils traversèrent ensuite pour gag-ner l'Ou- 
g-anda. 

Nous n'avons ici qu'à résumer cespag-es de l'histoire 
contemporaine : la fondation, en 1885, de l'Impérial 
British East Africa G» (Ibea), dont sir William Makin- 
non était le président, livrait à l'Angleterre, sous le 
nom de cette société, tous les territoires du Haut-Nil. 
L'Ibea fit, avec la Société de g-éographie de Londres 
(aidée pour la forme d'une subvention du gouverne- 
ment égyptien), les frais du voyage de Stanley à la 
« délivrance » d'Emin Pacha. Ce savant allemand, de- 
venu fonctionnaire égyptien sur le haut Nil, avait été 
en effet coupé de la basse Egypte par l'insurrection 
mahdiste^ et Ton pouvait craindre qu'il ne fondât au 
nord des lacs un Etat indépendant contre lequel la pé- 
nétration européenne viendrait se briser. Emin, sauvé 
peut-être malgré lui, descendit à Zanzibar, mais les 
Allemands de la côte orientale n'étaient pas restés inac- 
tifs. Peters était déjà parti pour l'Ouganda qu'il se 
proposait de placer sous le protectorat allemand, lorsque 
l'Angleterre et l'Allemagne signèrent le traité du 14 juin 
1890, qui laissait à la première tout le nord et l'ouest 

du lac Victoria, c'est-à-dire précisément l'Ouganda. 
L'Afrique. 1 1 



> ._ . _> 



182 L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 

Suivant Tusag'e, Tlbea, compagnie à charte, précéda 
le g-ouvernement anglais : avec des troupes comman- 
dées par le capitaine Lugard, elle établit violemment 
sa souveraineté sur les riches territoires de l'Ouganda; 
les catholiques furent décimés, mitraillés par des ca- 
nons Maxim, et Lugard, malgré l'inutile cruauté de sa 
campagne, fut couvert d'éloges par l'Angleterre. Les 
Pères Blancs ont subi de ce fait des dommages consi- 
dérables, leurs chrétientés dispersées, leurs champs ra- 
vagés, leurs maisons détruites ; on voudrait apprendre 
qu'ils ont été du moins indemnisés de cette violente 
expropriation. En mars 1893, la prise de possession 
par ribea était un fait accompli ; le gouvernement an- 
glais accepta de se substituer à la compagnie, qui fai- 
sait valoir les sacrifices consentis pour asseoir sur le 
Haut-Nil la domination britannique. Sir Gerald Portai, 
nommé commissaire général extraordinaire de laReinè 
en Ouganda, s'occupa tout aussitôt de réorganiser le 
pays, où le pouvoir des anciennes dynasties était brisé ; 
il enrôla dans une nouvelle milice beaucoup des sol- 
dats d'Emin Pacha, et l'intention de l'Angleterre fut 
dès lors proclamée, d'outiller fortement l'Ouganda, 
région riche, assez élevée et tempérée pour que les 
Européens puissent y vivre, château d'eau qui tient à 
merci les inondations du Nil et forte citadelle sur la 
route future du Gap au Caire. 

La question qui se posait dès lors la première était 
celle des voies de communication de l'Ouganda ; deux 
directions étaient possibles, celle du Nil et celle de la 
côte orientale. Les difficultés les plus grandes ont été 



LES PLATEAUX DU CENTRE 183 

rencontrées du côté du Nil ; il a d'abord fallu soumettre 
lestribus belliqueuses de FOunyoro, contre lesquelles 
le colonel Colville a conduit plusieurs expéditions : 
ces indigènes pouvaient, en effet, descendre de leurs 
montagnes sur le Nil, entre les lacs Albert et Victo- 
ria, et paralyser l'essor de la colonie nouvelle vers le 
nord. 

Mais, ceci fait, il reste à vaincre le Nil lui-môme : 
large de 500 mètres à la sortie /iu lac Victoria, le fleuve 
est, nous l'avons vu, coupé par deux cataractes jus- 
qu'au lac Albert ; il tombe dans l'intervalle d'environ 
300 mètres, et ne serait guère utile à la navigation. En 
aval du lac Albert, il a 2000 mètres de large, il est 
alors profond de 5 à 12 mètres, et son cours est libre 
de tous obstacles jusqu'à Doufilé. Ici commencent les 
rapides et les îles flottantes, qui interrompent la navi- 
gation : ces barrières végétales sont quelquefois assez 
solides pour servir de ponts aux caravanes ; les indi- 
gènes riverains campent alors sur ces radeaux naturels, 
dont ils creusent le sol pour pêcher ou pour puiser de 
l'eau. Deux expéditions infructueuses, aux ordres du 
major Martyr, ont essayé de débloquer TOuganda par 
le nord ; le concours des autorités de l'Etat indépen- 
dant du Congo, établies à Lado, n'a pas suffi pour en 
assurer le succès ; de même, le colonel Mac Donald, 
qui a tenté de pénétrer droit au nord au départ du lac 
Victoria, s'est heurté à des populations hostiles qu'il 
n'a pu soumettre. 

Pour triompher de tous ces obstacles, le gouverne- 
ment anglais a résolu de renforcer le corps d'occupation 



184 l' AFRIQUE A l'eNTREE DU VINGTIEME SIÈCLE 

de rOuganda. Sir Harry Johnston a été nommé à la fin 
de 1899 au commandement général des troupes ainsi 
qu'à la direction administrative du protectorat. Le ma- 
jor Martyr a dû reprendre sa tentative pour descendre 
le Nil et joindre le lac Victoria à Fachoda; en même 
temps, d'autres officiers devaient balayer tous les pays 
de la rive droite du haut Nil, en s'appuyantsurce fleuve 
et suivre ainsi parallèlement, à Test, la marche du ma- 
jor Martyr; cette dernière campagne aurait pour but 
d'étudier le tracé d'un futur chemin de fer entre le lac 
Victoria et le bief facilement navigable du Nil (région 
de Fachoda), pour le cas où il serait reconnu qu'il est 
pratiquement inutile de s'entêter à percer le sett ; et si 
cette barrière s'étend sur 270 kilomètres, comme le croit 
sir William Garstin, ministre des travaux publics en 
Egypte, c'est évidemment au projet de chemin de fer 
qu'il en faudra venir. 

Une telle voie, suppléante du haut Nil, serait en com- 
munications aisées, par les steamers du lac Victoria, 
avec le chemin de fer de l'Ouganda, dont les travaux 
sont dès maintenant (avril 1900) plus qu'à moitié achevés, 
il est vrai qu'on arrive seulement à la partie la plus pé- 
nible du tracé de ce chemin de fer, dont l'établissement 
est un des actes les plus importants de la pénétration 
européenne de l'Afrique. Il est construit par le gouver- 
nement impérial, et l'on doit remarquer que la largeur 
adoptée est celle des voies de l'Inde (1 m.). 

A la fin de 1899, le rail atteignait la station de Nai- 
robé, par 1.700 mètres d'altitude, à. 525 kilomètres du 
port de Mombasa, son point de départ. La hauteur de 



LES PLATEAUX DU CENTRE 185 

cette station est assez grande pour que le personnel eu- 
ropéen ne souffre pas du climat équatorial et les ingé- 
nieurs étaient justement pressés d'atteindre ce point, car 
le bas pays est très fiévreux et manque d'eau potable ; à 
Nairobé, au contraire, Teau pure est abondante, des 
jardins potagers seront facilement créés et Tune des 
plus grosses difficultés, l'installation d'un sanatorium 
à portée des chantiers, se trouve ainsi levée. Les indi- 
g'ènes, après avoir énergiquement refusé de s'enrôler 
comme ouvriers, après avoir môme tenté des coups de 
mains sur les convois et les magasins d'approvisionne- 
ments, paraissent aujourd'hui domptés; ce sont des 
montagnards Massais, vigoureux et turbulents, qu'il a 
fallu manier avec beaucoup de prudence et que surveille 
efficacement aujourd'hui la garnison indienne du fort 
Smith, au delà de Nairobé. 

La voie commence maintenant à gravir les escarpe- 
ments des monts Kikuyu, sur lesquels elle doit attein- 
dre 2366 mètres ; un peu plus loin, elle devra franchir 
les monts Maou à 2530, et l'intervalle entre ces deux 
crêtes, très abruptes à l'est, est un plateau marécageux 
de 1800 mètres; on voit que des travaux d'art multiples 
seront nécessaires, mais la hâte des Anglais à terminer 
est telle qu'ils ne reculeront devant aucune audace, de- 
vant aucune dépense ; le parlement avait déjà voté 75 
millions de francs pour le chemin de fer de l'Ouganda ; 
tout récemment il adoptait aune très forte majorité un 
crédit supplémentaire de près de 50 millions (30 avril 
1900) ; comme Nairobé se trouve à peu près à moitié 
chemin et que la traversée des monts Kikuyu et Maou 



186 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

s'annonce très coûteuse, on peut prévoir que la carte à 
payer montera beaucoup plus haut. Le tracé n'est pas 
encore définitif à l'ouest des monts Maou ; selon les der- 
niers renseignements, le lac Victoria serait atteint en un 
point appelé Port Florence, à l'extrémité orientale d'une 
baie rocheuse, aux eaux profondes, qui s'allonge vers 
l'est. 

Les ingénieurs n'ont pu recruter sur place la main- 
d'œuvre nécessaire ; mais l'Angleterre possède à proxi- 
mité de ces chantiers un réservoir d'hommes inépui- 
sable. L'Inde, surtout le Pendjab, a fourni au chemin 
de fer jusqu'à 13.000 ouvriers. L'entretien d'un tel 
nombre d'hommes en un pays pauvre et peuplé seule- 
ment d'adversaires a compliqué beaucoup les débuts 
des travaux ; la famine, en 1899, a désolé toute la con- 
trée, et les constructeurs ont dû, pour éviter le pillage 
de leurs camps, nourrir en plus de leur personnel des 
tribus entières d'indigènes affamés ; les maladies, 
ulcères, dyssenterie, scorbut ont décimé les équipes ; 
plusieurs hommes, à l'approche des montagnes, ont 
été enlevés par des lions ; sur les nouvelles venant de 
leurs compatriotes, les terrassiers indous ne voulaient 
plus partir de chez eux. 

Aujourd'hui, les convois circulent jusqu'à Nairobé, 
bien que la voie, trop rapidement posée, demande 
d'incessantes réparations ; les pluies de 1898 en avaient 
emporté plusieurs kilomètres ; les ponts sont encore en 
bois, en attendant qu'on les fasse en fer, mais ce pro- 
visoire suffit à une exploitation encore peu intense ; le 
bois est assez abondant sur le parcours pour qu'il soit 



LES PLATEAUX DU CENTRE 187 

inutile d'importer du combustible ; les indig'ènes s'ha- 
bituent peu à peu à le couper et entasser selon les indi- 
cations qui leur sont fournies. Le matériel de traction, 
emprunté à l'Inde, est vieux et d'usag-e médiocre, mais 
il paraît économique de ne pas en affecter de meilleur 
à une lig'ne qu'il faudra retoucher en sous-œuvre avant 
d'en avoir fait un instrument définitif. La section 
Mombasa-Nairobé a coûté jusqu'ici à peu près 72,000 fr. 
le kilomètre; c'est un chiffre très bas, et dont il y 
aurait lieu de s'étonner si l'on ne savait que l'on a voulu 
passer d'abord, quitte à terminer ensuite. L'aménage- 
ment nécessaire du port de Mombasa viendra encore 
aug'menter la dépense totale. On a dit récemment au 
parlement ang>lais — il est vrai que c'était la préface 
d'un appel de fonds — que la section exploitée cou- 
vrait déjà ses frais. 

Ceci d'ailleurs ne serait pas exact que les Anglais 
n'en poursuivraient pas moins avec obstination l'achè- 
vement d'une tâche essentiellement impériale : depuis 
février 1900, le télégraphe atteint les chutes Ripon, sur 
le haut Nil ; par le chemin de fer de Mombasa au Vic- 
toria, toute l'Afrique orientale, et toute la haute vallée 
du Nil tombent dans la dépendance de l'Inde ; les 
troupes d'occupation sont indiennes ; là, plus encore 
que dans leur pays d'origine, elles sont bien en mains 
de leurs officiers blancs et capables de défier toute 
opposition des indigènes ; elles pourraient prendre 
l'Egypte à revers, dès que le réseau des communica- 
tions rapides par le Nil sera lié à la voie ferrée de 
l'Ouganda. Plus de la moitié du commerce de l'Afrique 



488 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

Orientale ang-laise se fait aujourd'hui vers Tlnde, grains 
(riz surtout) à l'importation, ivoire et caoutcliouc à 
Texportation. Enfin, il ne saurait être indifférent à 
TAng'leterre d'ouvrir des pays riches comme ceux du 
lac Victoria à ces commerçants de l'Inde, détaillants et 
banquiers, qui sont les agents les plus actifs delà trans- 
formation économique dans toute l'Afrique orientale. 
Le chemin de fer de l'Ouganda commandera l'ex- 
ploitation des forêts côtières et des rives fertiles du lac 
Victoria, môme des parties que les traités ont dévolues 
à la domination politique de l'Allemagne ; il tiendra 
suspendue sur l'Egypte la perpétuelle menace d'une 
invasion par la vallée du Nil ; il assurera jusqu'au 
cœur de l'Afrique la pénétration du commerce britan- 
nique ; c'est une de ces œuvres dont la conception et la 
mise au jour forcent l'admiration des plus indifférents. 



CHAPITRE IV 
L'Abyssinie. 

Les plateaux d'Abyssinie, que la région mal connue 
encore du lac Rodolphe rattache à ceux de l'Afrique 
centrale, sont une masse puissante de hautes terres, 
dont l'altitude plutôt que la latitude règle le climat et 
qui, par les formes tourmentées de leur relief, par la 
fertilité d'une partie de leur sol, par les qualités de la 
population qui les habite méritent d'attirer particuliè- 
rement l'attention de l'Europe. 

On s'est demandé longtemps si le lac Rodolphe était 
en communication avec le réseau du Nil ; il est établi 
aujourd'hui, par les voyages de Téléki et von Hôhnel 
(1887-1888) et ceux deDonaldson Smith (1895-99), que 
cette communication n'existe pas : le lac Stéfanie, le lac 
Rodolphe, le lac Raringo et quelques autres moins im- 
portants s'allongent au fond d'une même faille volcani- 
que, dont l'origine paraît être dans la plaine lacustre in- 
sérée entre les monts Kikuyu et Maou, par 1800 mètres ; 
L'Afrique. 11. 



i90 l' AFRIQUE A L* ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

le lac Rodolphe marquerait, par 400 mètres, le point le 
plus bas de cette dépression ; des eaux lui arrivent du 
sud et du nord, ces dernières en une grande vallée, 
celle de TOmo, dont les sources sont à 1800 mètres 
dans le pays galla. Cette coupure volcanique fait penser 
à celle de la mer Morte, dont on peut d'ailleurs remar- 
quer la direction presque parallèle. 

Les lacs Rodolphe, Stéfanie, etc.. sont évidés dans 
un plateau de 800 à 900 mètres, où les rivières s'en- 
g-oufifrent en des cluses profondes; un redressement 
très abrupt les borde à Test, dominant la plaine com- 
pacte des Somalis, que parcourent des fleuves tempo- 
raires et des tribus nomades ; à Touest au contraire 
le pays g'alla descend en terrasses vers le Sobat et le 
Nil ; des populations chillouks apparaissent dans les 
vallées, de plus en plus denses à mesure que le sol 
s'abaisse et s'écrase ; le volcanisme a encore poussé, ça 
et là, des bastions isolés de g-ranit mais ce n*est plus 
une chaîne continue, comme à Test du lac Rodolphe. 

Ces observations géographiques prendront toute leur 
valeur, si Ton se rappelle ce que nous avons dit dans 
le précédent chapitre de la navigation difficile du Nil 
moyen ; le chemin de fer de TOug'anda, les monts 
Kikuyu franchis, atteint Tamorce de la dépression du 
lac Rodolphe ; par là, il pourrait un jour émettre un 
embranchement qui tournerait tout le haut Nil et vien- 
drait, par la vallée du Sobat, joindre à Fachoda des 
eaux plus navigables; le tracé paraît plus aisé que 
celui qui partirait droit au nord, des rives du lac Victo- 
ria. La question des frontières n'est pas encore réglée 




LES PLATEAUX DU CENTRE 491 

entre l'Abyssiiiie et T Afrique orientale anglaise, mais il 
y a tout lieu de croire que l'Angleterre entendra se ré- 
server la possession totale des régions qu'emprunterait 
cette voie nouvelle. 

Dans le pays galla, sur les vallées tributaires du lac 
Rodolphe, le niveau général se relève ; l'une des capi- 
tales des Gallas, Bonga, est située à 1850 mètres, au 
milieu des pâturages qu'arrose le Godjeb, l'une des 
sources de l'Omo ; les Gallas sont apparentés aux nègres 
de l'Afrique centrale, ils élèvent de beaux chevaux et 
sont en général convertis à l'islam ; braves et belli- 
queux, ils sont très redoutés de leurs voisins ; bien 
qu'aujourd'hui le négus d'Abyssinie Ménélik ait 
placé dans le Choa, limitrophe des Gallas, le siège de 
son empire, ces populations ne lui sont pas absolument 
fidèles, ce sont des alliés plutôt que des sujets, et là 
peut être un motif d'intervention pour une puissance 
européenne qui voudrait, par exemple, tenir l'Abyssi- 
nie à l'écart des voies du Nil. 

La bordure volcanique du pays galla est la même 
que celle qui, plus au nord se dresse sur la lisière 
orientale des plateaux abyssins, et vient butter ensuite 
contre la faille d'efiPondrement de la mer Rouge ; on y 
distingue des sommets très élevés, les monts Téléki 
près du lac Rodolphe (3000 m.), le Ouocho(4000 m.), 
le Sahalou (3900 m.). Un peu au nord de cette dernière 
montagne, la chaîne émet vers le nord-est un contre- 
fort qui porte les plateaux de Harrar et paraît lié 
aux montagnes de l'Hadramaout (Arabie) : en vue 
même du marché de Harrar (1850 m.), se dresse le 



192 l' AFRIQUE A l' ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE 

mont Moulata, qui dépassse 3000 mètres ; la côte afri»- 
caîne du golfe d'Aden est hérissée de falaises depuis 
la baie de Tadjoura jusqu'au cap Guardafui; celui- 
ci tombe presque directement dans TOcéan Indien 
d'une hauteur de 1520 mètres, les établissements an- 
glais de la côte de Berbera sont bloqués contre la mer 
par la chute toute proche de ces falaises/, au lar^e 
môme du cap Guardafui, des fies étalées d'ouest en est 
continuent jusqu'à Socotora cette série montagneuse 
dont le relief disparaît ensuite sous l'océan. 

La chaîne bordière de l'Abjssinie est séparée des 
monts du Harrar par la vallée longitudinale de rAouach, 
qui prolonge vers le nord la dépression du lac Rodolphe ; 
elle s'enlève au-dessus de cette vallée sous forme d'un 
talus compact, à peine ébréché par des ravins à cascades 
intermittentes ; elle atteint 2,700 mètres auprès d'An- 
kober, l'une des capitales du Ghoa, et ne présente pour 
descendre directement à la côte que des cols très peu 
creusés (2,000 m. à l'est de Magdala). Coupée en bi- 
seau par la côte de la mer Rouge, elle se brise autour 
de Massaouah en un nombreux archipel, et serre de très 
près le rivage, dans la colonie italienne de l'Erythrée ; 
les flots de la baie d'Adulis sont composés de roches 
volcaniques, avec une ceinture de coraux ; une plage de 
sable, étroite et brûlante, sépare la mer des premières 
falaises, sur lesquelles les Européens placent leurs ha- 
bitations. 

L'Aouach, né dans les montagnes bien arrosées du 
Ghoa, s'épuise en aval pour traverser un désert aride ; 
après 800 kilomètres, il finit par des chotts, sans même 



LES PLATEAUX DU CENTRE 193 

arriver à la mer ; les eaux qu'il apporte du haut lui 
sont disputées pour Tirrig-ation de ses rives ; les com- 
merçaiitsqui le traversent, venant du Harrarvers leChoa, 
sont montés à chameaux ; ces plaines dénudées, que 
tachent de loin en loin des paquets de g'enévriers, sont 
exposées à toutes les variations du climat continental : 
le thermomètre y saute de 20 et 25 degrés, entre le jour 
et la nuit. Les caractères désertiques s'accusent plus net- 
tement encore au-delà des chotts qui terminent l'Aouach : 
les Danakils ou Afars, seuls habitants de ces sables, 
sont des nomades vivant de pauvres troupeaux et pil- 
lant partout où l'occasion s'en ofiFre ; leur sol, trop sec 
pour qu'ils se livrent jamais à une agriculture régu- 
lière, forme une zone d'isolement entre la mer Rouge 
et les plateaux plus sains et plus riches de l'Abyssinie ; 
les caravanes Tévitentetle tournent,gagnant de Djibouti 
ou de Zeila le Harrar et de là remontant au sud-ouest, 
vers les sources de l'Aouach. 

Les Italiens ont tenu à pousser leur frontière sur la 
côte des Danakils jusqu'à l'îlot de Raheita ; ils y pos- 
sèdent le petit port d'Assab, sur une baie où débouche 
un oued. Un différend s'était récemment élevé entre eux 
et la France, à propos de ces parages de Raheita ; s'il 
ne s^agit que de quelques lieues de côtes, l'incident 
peut être, sans inconvénient pour nous, réglé dans le 
sens des concessions les plus libérales, car aucun de ces 
ports n'a de valeur comme tête d'une voie de pénétra- 
tion ; la seule question intéressante est ici de savoirdans 
quelle mesure la possession de tel ou tel promontoire 
faciliterait la surveillance du détroit de Bal el Mandeb. 



194 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

Les plateaux abyssins sont, en arrière des monta- 
gnes volcaniques qui les bornent à Test, une haute for- 
teresse dont le niveau moyen serait 2,500 mètres ; la 
connaissance en a été acquise par diverses explorations, 
mais surtout par celles d'Antoine d'Abbadie qui de 
1837 à 1848 les sillonna de ses itinéraires. Des pâtu- 
rages couvrent la plus grande partie de TAbjssinie ; 
les pluies, tombant avec violence sur cet empâtement 
montagneux dont Taltitude les attire ont raviné le sol. 
que des vallées profondes découpent en prismes de toutes 
tailles ; des éruptions volcaniques ont dresisé des relè- 
vements puissants, et de toutes ces actions combinées 
résulte le relief confus et Taspect chaotique de TAbjssi- 
nie ; un seul trait géographique général doit être noté, 
c'est que la pente d'ensemble est inclinée à l'ouest et 
que, par conséquent, presque toutes les eaux de TAbys- 
sinie vont au Nil. 

Trois principaux massifs volcaniques s'alignent du 
nord au sud des plateaux abyssins : le Sémen ou Ras- 
Dachan, dont l'altitude moyenne est de 3000 mètres etle 
point culminant de 4,620 ; le Beghemeder, qui a 4,200 
mètres et les monts du Godjam, qui arrivent à 4,100; 
plus à l'ouest, en descendant vers le Nil, des pitons 
granitiques et d'une hauteur beaucoup moindre indi- 
quent cependant la continuité de l'efiPort volcanique ; 
les pentes supérieures^ de toutes ces montagnes sont 
très raides, la neige qui les couvre souvent ne peut s'y 
maintenir, et des torrents d'eau glacée ruissellent alors 
jusque dans les plaines. On doit observer d'ailleurs que 
la hauteur relative des plus fiers sommets del'Abyssi- 



LES PLATEAUX DU CENTRE 195 

nie, posés sur un socle très élevé lui-même, n'est pas 
considérable; elle suffit cependant pour déterminer des 
zones climatiques tout à fait distinctes, et c'est la vé- 
g-étation des grandes Alpes que Ton trouve à 500 ou 
600 mètres au-dessus de cultures presque tropicales. 

Les montag'nes d'Abyssinie attirent de tous côtés les 

nuag'es chargés de pluie : en hiver, ce sont ceux de la 

Méditerranée, que les vents étésiens ont lancés d'Europe 

en Egypte ; en été, arrivent ceux de l'Océan Indien, les 

plus humides, et dont l'apport est le facteur principal 

des crues de tous les tributaires du Nil ; il pleut donc à 

peu près en toutes saisons, en Abyssinie, mais le régime 

tropical l'emporte, par la plus grande précipitation 

des pluies d'été ; le Nil, soutenu en tous temps par ses 

affluents abyssins, leur doit ses premières crues de la 

fin du printemps. 

Deux cours d'eau lui amènent les eaux de l'Abyssinie : 
le Takazzé, qui prend en aval le nom d'Atbara et TAbaï 
ou Nil bleu, déversoir des plateaux amharas et du lac 
Tana. Les vallées de ces fleuves s'enroulent en sillons 
profonds autour des massifs volcaniques ; elles rassem- 
blent ainsi les eaux tombées sur l'Abyssinie presque en- 
tière et n'arrivent sur les terrasses qui encadrent la 
plaine nilotique qu'après de longues courbes, par les- 
quelles elles plongent au cœur du relief. On pourrait 
soutenir qu'à l'origine elles étaient les vraies sources du 
Nil et que, postérieurement, un autre Nil se joignit à 
elles, celui du Victoria et de Fachoda, longtemps retenu 
sous forme de lac bien en amont de Khartoum. 
Les vallés du Takazzé et de l'Abaï découpent le pays 



196 L* AFRIQUE A l'ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

en groupes isolés les uns des autres, et en expliquent 
ainsi le morcellement historique ; au nord du Takazzé, 
c'est le Tigré, avec Adoua pour capitale, le district le 
plus voisin de la mer Rouge et dont les relations avec 
la baie d' Adulis (Massaouah) sont certainement ancien- 
nes ; au centre, les sources de TAbaï convergent vers le 
lac Tana, qui est le lien des pays amharas et du God- 
jam ; Gondar en est la ville principale ; au sud de TAbaï 
enfin se développe le Ghoa, où réside actuellement le 
négus Ménélik, et dont les communications avec la côte 
orientale descendent, en tournant les steppes des Dana- 
kilssur Djibouti ou Zeila, Le Harrar, comme le Galla, 
est excentrique à TAbyssinie proprement dite ; mais, 
comme aussi le Galla, sa position le condamnait à re- 
connaître le pouvoir d'un état militaire, appuyé sur le 
Ghoa. 

L'altitude permet d'établir quelques divisions cli- 
matiques dans ce pays si morcelé par la nature : les 
deux zones extrêmes, au-dessus de 2500 mètres et au- 
dessous de 1400 sont les moins peuplées et c'est la zone 
moyenne qui est celle des agglomérations principales 
et des cultures les plus importantes. Au-dessus de 
2500 mètres, toute l'Abyssinie dut jadis être boisée, 
mais les forêts ont été dévastées pour les constructions 
ou même incendiées pour étendre les pâturages, elles 
sont donc réduites à des taches sporadiques, sur les 
pentes les moins accessibles ; on appelle déga cette haute 
région dont les plateaux portent quelques champs de 
céréales, orge et blé, mais servent surtout à l'élevag'e 
du bétail. 



LES PLATEAUX DU CENTRE 



197 



Entre 1400 et 2500 mètres, la voina-déga doit son 
cm à la culture de la vig-ne qui, naguère, y fut pros- 
^^re, mais fut ensuite ravagée par Toïdium ; là, tous 
ï% fruits d'Europe viennent en abondance et, des mon- 
des volcaniques, les pluies détachent sans cesse des 
lies qui font de la terre des bassins une des plus 
feHgi^^s du monde; autour du lac Tana, par 1900 mètres 
d'sHfe^de, les céréales viennent à côté du caféier et du 
jier ; la température est chaude, mais nullement 
ortable pour des Européens, elle oscille entre 14" 
avec un repos très marqué pendant les nuits. La 
-déga, balayée par des vents continuels, est saine ; 
ux, trouvant partout des pentes, s'écoulent régn- 
ent et n'empoisonnent pas l'air de miasmes pes- 
els ; bien que la pluie ne manque en aucune sai- 
si pendant l'été, période pluvieuse par excel- 
ue se développe plus vig'oureusement la végéta- 
hiver est relativement sec, et vers la fin de mars, 
ue les vents tournent du nord au sud-est, la vé- 
n altérée prend des teintes de roussi. Les races 
aux domestiques sont celles de l'Europe, chevaux, 
ns et bœufs ; l'élevage en grand serait facile en 
ant toutefois le soin d'amasser des fourrages pour 
enir une sécheresse excessive de printemps, 
es basses vallées, au-dessous de 1400 mètres, appar- 
nent au climat tropical et forment la région appelée 
la. Ce sont des couloirs encaissés, où l'on ne respire 
'un air chaud et saturé de vapeur d'eau ; la tempé- 
rature constamment tendue, y arrive souvent à 40® ; aussi 
Ja faune sauvage s'y développe-t-elle librement, loin de 



198 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

tout grouperaent humain. Dans l'épaisse g-alerie fores- 
tière qui accompagne les fleuves, on trouve des palmiers, 
des arbres et des lianes à caoutchouc; les hippopotames 
et les éléphants peuplent les fonds humides, et sur les 
pentes moins arrosées on rencontre des buffles, des san- 
gliers et même des lions ; le léopard, très commun en 
Abyssinie, habite aussi bien la kolla que la déga, jus- 
qu'à plus de 3.000 mètres. Les vallées de la kolla des- 
cendent jusqu'à la limite où s'arrêtent les pluies tropi- 
cales ; en se rapprochant du Nil, elles dépouillent in- 
sensiblement leur manteau de forêts, le sol s'écrase sous 
leurs rives, et l'aspect général du pays tend vers celui 
de la steppe. Les vallées tributaires du lac Rodolphe 
conservent sur tout leur parcours les caractères tropi- 
caux, et quant à celles qui tombent sur la falaisB orien- 
tale, dans la direction de la mer Rouge, ce ne sont que 
des précipices où s'accroche une végétation de lentis- 
ques et d'acacias. 

Lia population de l'Abyssinie, protégée par la nature 
même contre les invasions passagères du dehors, pré- 
sente encore de nombreux types d'une race aborigène 
très ancienne, des nègres crépus d'un noir très foncé ; 
mais des éléments d'importation s'y sont mêlés ; le pays 
ne se prête pas à la circulation de tribus nomades, mais 
il invite, au contraire, à un établissement définitif les 
étrangers qui l'ont une fois connu. Les habitants du 
nord. Tigré et Amhara, seraient d'origine sémitique; 
les Ghoans, venus du sud, seraient plutôt de sanggalla; 
auprès du lac Tana, vitune nombreuse colonie de juifs 
appelés Felachas, qui s'adonnent non pas au commerce, 



LES PLATEAUX DU CENTRE 199 

comme la plupart de leurs corelig'ionnaires, mais au 
travail des métaux et même à Tagriculture. Enfin des 
races mixtes vivent sur le pourtour des plateaux : à 
Touest, sur le Sobat, des métis de Tigréens et de nègres, 
acclimatés à la température étouffante des koUas ; au 
nord, vers le désert, des demi-bédouins, les Beni-Amers, 
parmi lesquels les chefs brigands ont toujours trouvé 
leurs meilleurs auxiliaires pour la chasse à l'homme 
dans les plaines du bas pays. 

Les caractères de la race blanche, de même que le 
christianisme copte sont de plus en plus ordinaires à 
mesure que Ton s'élève dans les classes de la popula- 
tion; en sens inverse, ce sont les caractères négroïdes 
qui prévalent, avec la religion musulmane ; la majo- 
rité des sujets du négus appartiennent à cette dernière 
croyance, qui a été cependant persécutée naguère par 
l'empereur Théodoros ; l'islam arrive du sud, par les 
Gallas, qui l'ont sans doute eux-mêmes reçu par l'in- 
termédiaire des Arabes de Zanzibar. 

Quant au christianisme, il est fort ancien, et le sou- 
verain d'Abyssinie était certainement ce fameux prêtre 
Jean, chef d'une nation chrétienne, que des aventuriers 
du moyen âge cherchèrent jusque dans l'Asie centrale, 
pour collaborer contre les Turcs au mouvement des croi- 
sades. Le rite copte, qui est celui de l'aristocratie abys- 
sine, se rapproche du rite orthodoxe grec ; l'Eglise 
d'Abyssinie est rattachée pour la forme à un patriarche 
d'Alexandrie, mais en fait ne relève que d'elle-même ; 
les pratiques religieuses, les coutumes de la vie monas- 
tique, Tart même dont témoignent en Abyssinie nom- 



200 l' AFRIQUE A l'eNTREE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

bre d'églises et de couvents s'inspirent de traditions 
byzantines. Les prédicateurs catholiques et protestants 
sont assez mal accueillis par les négus, qui semblent 
craindre en eux les précurseurs d'une prise de posses- 
sion européenne ; mais la ressemblance des cultes fa- 
vorise au contraire l'essor des relations avec les peuples 
orthodoxes, et ceci n'est pas ignoré en Russie. 

L'Abyssinie, par sa géographie et son histoire, se di- 
vise en trois régions naturelles, le Tigré, l'Amhara et 
le Choa. Le Tigré, au nord, fut certainement connu des 
Grecs ou du moins des Alexandrins, comme le prou- 
vent des inscriptions recueillies auprès d'Adoua ; des 
plateaux et des cîmes rocheuses du Ras Dachan^ le Ti- 
gré s'abaisse au nord-ouest par la haute vallée du Ma- 
rcb, qui devient plus bas l'oued de Kassala. Adoua, 
Axoum, la cité du couronnement des empereurs, en 
sont les villes principales ; des falaises rapides tombent 
sur la plaine littorale de Massaoua, suivies à l'intérieur 
par une sorte de chemin couvert que gardent les posi- 
tions de Sénafé et d'Asmara.De ce côté, l'accès despla- 
teaux est très difficile, les troupes italiennes en souffri- 
rent durement et cependant un établissement à la côte 
ne se suffit pas, car le sol n'est arrosé et fertile qu'au- 
dessus' de 1400 ou 1500 mètres, vers les sources du Ma- 
rcb, dans le district appelé l'Oculé-Kousaï. 

Le pays amhara commence au sud du cafion où coule 
le Takazzé ; c'est là que le négus Théodoros avait ses 
châteaux, au milieu des jardins qui entourent le lac 
Tana. Gondar est une ville aujourd'hui déclassée, un 



LES PLATEAUX DU CENTRE 201 

ëparpillement de hameaux coupés de cultures ; elle 
pourrait reconquérir sa fortune si les vicissitudes de la 
politique ou de la guerre déplaçaient une fois de plus 
les capitales de l'Abyssinie ; les falaises qui se dressent 
au sud-est du lacTana, près du port de Korata, ont des 
assises de grès rouge qui furent jadis exploitées et per- 
mettraient de construire des palais à Teuropéenne. Mag- 
dala, sur le revers occidental de la chaîne bordière, 
garde Taccès de TAmbara, comme Asmara et Sénafé 
celui du Tigré. Le Godjam, aux riches alluvions volca- 
niques, est une dépendance méridionale de TAmhara ; 
il forme une presqu'île, entourée de toutes parts, sauf 
à l'ouest, par la courbe de TAbaï ; les vallées supérieures 
des affluents de ce fleuve seraient très fertiles, notam- 
ment pour le café et le coton ; les forêts en ont été moins 
décimées que celles de TAmbara. 

Le Ghoa s'étend sur des montagnes au relief très ac- 
cidenté ; parmi des cratères, des nappes de laves et 
des geysers, les rivières se sont creusé des sillons pro- 
fonds de 400 à 500 mètres ; des pâturages couvrent les 
bassins et les plateaux ; des bois, encore très épais sur 
les pentes orientales, sont peuplés de grands animaux, 
antilopes, léopards, singes de taille presque humaine ; 
à 50 kilomètres d'Addis-Ababa, capitale actuelle de 
Ménélik, il est encore possible de trouver des lions. Au- 
jourd'hui, le Choaest la province souveraine de. l'Abys- 
sinie, parce que là réside le négus, qui paraît avoir lié 
partie avec ses voisins Gallas et s'appuyer sur eux, malgré 
l'opposition d'autres musulmans du Harrar, pour nouer 
des relations régulières avec la côte de la mer Rouge. 



â02 L* AFRIQUE A L^EMTREE DU VINGTIEME SIECLE 

Le commerce ne peut encore porter que sur des pro- 
duits riches, car les communications avec Djibouti et 
Zeila sont longues et peu sûres ; le Ghoa exporte dès 
maintenant Tor, la civette, le café ; sur rinvitalion de 
Ménéliket les encouragements par lui prodigués à quel- 
ques résidents européens, le Choa devient un pays 
agricole, où sont pratiquées les cultures vivrières d'Eu- 
rope, céréales, fruits de table, pomme de terre, celle-ci 
en rapide progrès. L'élevage fut compromis dernière- 
ment par une épizootie violente ; il est en reprise au- 
jourd'hui, particulièrement sur les chevaux ; les peaux 
brutes de bœufs et de moutons sont l'objet d'un com- 
merce notable avec l'Europe. 

Mais tout l'avenir des cultures est compromis par 
l'imprévoyante folie du déboisement : des montagnes 
entières ont été rasées, pour la construction des villes 
royales et pour les divers usages domestiques d'une po- 
pulation toujours nombreuse autour du négus ; c'est 
aux dépens de la forêt, et sans épargner les arbres en 
voie de croissance, que le cultivateur indigène agrandit 
ses champs ; il abat ou incendie au hasard, sans se 
rendre compte que la végétation arbustive est ainsi dis- 
qualifiée, car lesespècesqui revivent après ces épreuves 
sont de plus en plus inférieures. Dans l'entourage même 
du négus, on ne paraît pas comprendre les dangers du 
déboisetnent,et l'on bâtit sans cesse, déplaçant les mai- 
sons de proche en proche, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus 
de bois dans le pays. Entotto, qui fut quelque temps la 
résidence de l'empereur, est aujourd'hui abandonnée 
pour Addis-Ababa, située un peu au sud, et qui n'était 



LES PLATEAUX DU CENTRE 203 

ra_éme pas portée sur des cartes récentes ; à l'exemple 
du souverain, les paysans abyssins ne vivent pas long- 
temps sur les mêmes terres; leurs groupes de paillottes, 
d'abord ramassés au pied des mamelons du plateau, 
remontent les vallées à mesure que la disparition des 
arbres livre les pentes déboisées aux ravages des eaux 
de ruissellement. 

Le négus Ménélik est aujourd'hui populaire en Eu- 
rope; on le sait très accessible à tous les progrès de la 
civilisation, curieux de toutes les nouveautés, sensible 
même à l'opinion des « occidentaux », surtout depuis 
que ses succès sur les Italiens l'ont classé parmi les 
souverains dont l'amitié n'est pas indifférente ; on le 
dit intelligent, actif, habile même en plusieurs mé- 
tiers manuels, horloger, armurier à ses heures, comme 
Louis XVL était serrurier. Le régime politique de 
l'Abyssinie est celui d'une féodalité militaire, dont les 
chefs ou ras sont les vassaux du roi des rois, le négus. 
L'armée, instruite par des officiers étrangers, surtout 
russes et français, pourvue de fusils et même de 
canons modernes, serait capable non seulement d'assu- 
rer l'indépendance du pays, mais encore d'intervenir 
dans le règlement de toutes les questions est-afri- 
caines. 

On peut craindre seulement que la cohésion poli- 
tique de l'Abyssinie ne soit pas indissol<uble : l'union 
des ras ne repose que sur la puissance et l'autorité 
personnelle du premier d'entre eux ; des incidents ré- 
cents ont montré que Ménélik lui-même devait parfois 
rappeler à l'obéissance quelques grands feudataires 



204 L*AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

trop indépendants. De là les principes qui doivent 
g'uider, en Abyssinie, Faction européenne : aider à la 
concentration de plus en plus énerg-ique de toutes les 
forces militaires et administratives entre les mains du 
seul négus ; dans ce dessein, le décider à maintenir le 
siège de son pouvoir rapproché de ports par où les 
communications avec ses alliés lui seront assurées, et 
ceci suppose rétablissement de routes de pénétration. 
Les rôles de conseillers, d'ingénieurs et de fonction- 
naires ne sont pas les seuls que, dans le moment pré- 
sent^ des résidents européens peuvent assumer en Abys- 
sinie ; la population totale n'est pas telle (15 millions 
d'habitants sur une surface au moins quadruple de la 
France) que des terres fertiles ne soient vacantes pour 
des entreprises agricoles, cultures vivrières pour usages 
indigènes ou cultures riches pour l'exportation. Les 
procédés des paysans abyssins sont encore très rudi- 
mentaires, mais la civilisation ambiante est déjà suf- 
fisante pour leur faire apprécier des améliorations qui 
satisferaient des besoins supérieurs. Par contre, l'Eu- 
ropéen n'aurait pas grandes chances de s'enrichir 
dans le commerce ; les trafiquants indigènes, carava- 
niers ou détaillants, dont il devrait faire ses intermé- 
diaires, sont assez experts déjà pour se passer de lui ; 
c'est dans les ports seulement que des maisons d'appro- 
visionnement, traitant directement avec des correspon- 
dants indigènes, établiront utilement des magasins de 
gros. 

Le développement de ces relations de commerce, 



LES PLATEAUX DU CENTRE 205 

comme raffermissement de Tautorilé du négus, n'est 
possible qu'à Taide de communications faciles avec des 
pays d'occupation européenne ; par où donc arriver en 
Abyssinie ? La voie du Nil ne saurait être recomman- 
dée : l'expédition Marchand, rentrant de Fachoda par 
l'est, a pu constater les difficultés de la circulation à 
travers les pays du Sobat, de moins en moins peuplés 
vers les plateaux ; de plus les Abyssins, habitués sur 
leurs hauteurs à un climat tempéré, résistent mal aux 
chaleurs humides des koUas inférieures. D'autre part 
les voies remontant de Berber ou de Khartoum, par 
l'Atbara-Takazzé ou l'Abaï traverseraient d'abord des 
steppes presque désertes, où les seules agglomérations, 
telle Kassala, sont des oasis, et n'arriveraient ensuite 
au Choa qu'au prix de travaux d'art considérables 
sur toute l'étendue des plateaux. 

C'est donc par la côte de la mer Rouge que l'Abys- 
sinie sera liée aux grandes routes commerciales indo- 
européennes; le Tigré serait peut-être desservi par 
Massaoua, ressortissant ainsi à l'Erythrée italienne; 
le Choa et plus tard l'Amhara seront atteints au départ 
de la baie de Djibouti. La côte italienne de Massaoua 
n'est plus ce qu'avaient espéré les mégalomanes de 
l'école de M. Grîspi, la façade d'une vaste colonie, en- 
globant sous son protectorat l'Abyssinie tout entière, et 
pour laquelle on avait exhumé le vieux nom de la mer 
Rouge pour en faire 1' « empire d'Erythrée )).Les établis- 
sements italiens s'arrêtent en arrière de la plage de Mas- 
saoua» aux premières pentes des falaises abyssines; 

la baie d'Adulis, dont cette ville est le port, fait quel- 
L'Afrique. 12 




206 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE. 

que commerce de corail, de perles et d'écaillés de tor- 
tue ; mais ce sont moins des Italiens qui en profitent, 
que des Grecs et des Banyans de Bombay ; les Euro- 
péens se réfugient à Saati, qui est un sanatorium plus 
frais que rétouffante Massaoua, où il fallut quelques 
jours, au moment de l'occupation italienne, importer 
Teau potable. La construction d'un chemin de fer de 
Massaoua vers la passe d'Asmara, les territoires agri- 
coles de rOculé-Kouzaï et les vieilles capitales du 
Tig-ré, Adoua et Axoum serait sans doute la meilleure 
revanche des Italiens jadis malmenés par les troupes du 
négus ; mais les frais en seraient assurément très éle- 
vés, et Ton s'est borné jusqu'ici à établir un tronçon 
de 27 kilomètres, entre Massaoua et Saati. Quant au 
port italien d'Assab, nous avons dit plus haut qu'il n'a 
aucune valeur pour la pénétration. 

Il en est tout autrement de la baie de Tadjoura, co- 
lonie française dont la première capitale, Obock, a été 
transférée sur la rive méridionale, à Djibouti. Depuis 
plusieurs années, cette dernière position dispute au port 
anglais de Zeila le débouché du pays de Harrar, et 
semble avoir aujourd'hui résolument pris l'avance par 
la construction rapide d'un chemin de fer vers l'inté- 
rieur. Sur la route de Djibouti à Harrar, après une 
plaine côtière sans eau, le sol s'élève très vite jusqu'à 
1000 mètres; il monte ensuite, plus lentement jusqu'à 
des cols situés à 2,300, d'où les caravanes descendent 
sur les plateaux bien arrosés de Harrar (1800 m^). 

Le Harrar est une contrée fertile, peuplée de musul- 
mans commerçants et cultivateurs ; la ville du même 



LES PLATEAUX DU CENTRE 207 

nom est Tun des plus importants marchés de toute l'A- 
frique noire ; on y vend des bananes, du sucre de can- 
nes, du café qui est importé en Europe sous le nom de 
moka ; des maisons à terrasses, appartenant aux prin- 
cipaux négociants, dominent les cases en chaume des 
travailleurs indigènes ; la population fixe dépasse 
40,000 habitants. De là partent sur Zeila ou sur Dji- 
bouti des convois de mulets et de chameaux : la traver- 
sée du pays intermédiaire, parcouru par des Issas pil- 
lards, n'était pas sansdang-er jusqu'à ces derniers temps ; 
mais il en sera des Issas comme des Massaïs de l'Ou- 
ganda, transformés petit à petit par le chemin de fer. 

Le Harrar, menacé par les Egyptiens, puis par les 
Anglais, a été conquis en 1887 par l'Abyssinie ; au 
commencement de 1900, le négus a resserré les liens de 
cette dépendance, en écrasant une insurrection de mu- 
sulmans dissidents, au sud-est de Harrar (Ogaden). 
Les steppes de la vallée de l'Aouach séparent le Harrar de 
l'Abyssinie proprement dite, mais le chemin de fer aura 
bientôt assuré la traversée rapide de ces deux bandes 
désertiques qui encadrent à l'est et à. l'ouest les oasis de 
hauteur du Harrar. 

Djibouti, née d'hier, a déjà 6000 habitants, sanscomp- 
ter les ouvriers du chemin de fer, dont le nombre a 
monté jusqu'à 2000 ; des constructions de style arabe 
abritent le gouvernement, les divers services publics et 
des magasins dont certains représentent « l'article de 
Paris » et les modes françaises ; de récents travaux as- 
surent l'approvisionnement en eau de source. Le che- 
min de fer, concédé par le négus Ménélik à une com- 



208 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

pagnie française, doit atteindre Addis-Ababa en passant 
par Harrar ; le tracé est, au printemps de 1900, levé 
jusqu'à cette ville, et les études poussées beaucoup plus 
avant; lalong'ueur totale sera d'environ 1,000 kilomè- 
tres, et cette voie conduira facilement à la côte le café, 
le bétail, les laines du Ghoa. Le chemin de fer est pré- 
cédé, vers la capitale de Ménélik, d'un service télégra- 
phique et même téléphonique ; le rail est posé aujour- 
d'hui (juin 1900) sur 100 kilomètres, l'inauguration 
d'un beau viaduc en fer (2 avril) a été l'occasion d'une 
fête où de riches Arabes, longtemps incrédules et enfin 
convaincus, ont offert du riz et des dattes aux guerriers 
Issas, fort assagis par ce spectacle qui prouve la puis- 
sance des blancs ; dès maintenant, ' l'exploitation peut 
être commencée et couvrira largement ses frais. 

Une fois parvenu sur les plateaux, après avoir franchi 
les falaises de la chaîne bordière de l'Abyssinie, le che- 
min de fer pourra sans doute se prolonger au nord vers 
Magdala et le lac Tana ; il atteindrait ainsi le cœur 
môme de l'Abyssinie historique, et le rayon de com- 
mandement de la baie de Tadjoura serait augmenté 
d'autant. Tête de ligne d'un chemin de fer de pénétra- 
tion, point de relâche, en face d'Aden, sur la route des 
Indes et de Madagascar, Djibouti doitêtreundes points 
d'appui de l'action française dans l'Afrique orientale ; 
un dépôt de charbon, un outillage de port y sont néces- 
saires ; il y faut un atterrissage pour un câble français, 
remplaçant le tronçon qui la relie au réseau sous-marin 
anglais à Périm,'et quelques défenses militaires. Toute 
l'Abyssinie méridionale aura ainsi sur la mer Rouge 



LES PLA.TEAUX DU CENTRE 209 

un accès bien aménagé; ses relations toujours plus ac- 
tives avec l'Europe empruntant le territoire d'une co- 
lonie française, on peut espérer que la France en retien- 
dra pour elle la meilleure part. 



L'Afrique. 12. 



LAMMà**aM 






"T*^ 



LIVRE m 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 



CHAPITRE 1er 



Le Soudan égyptien, TEgypte et le Nil 



I 



Le Nil dont la pente est insensible de Ouadelaï 
(670 m.) à Khartoum (378 m.) se heurte en aval de 
cette dernière ville, au relèvement des steppes deBayou- 
da, qui prolongent les plateaux du Darfour et du Kor- 
dofan ; ceux-ci se relèvent lentement au sud-ouest 
pour se souder au pays des Rivières ; sur l'autre rive 
du Nil, à Test, les plateaux abyssins descendent en 
terrasses vers le fleuve. L'ensemble de ce double cadre 
et de la plaine fluviale qu'il entoure forme le Soudan 
Egyptien. 

Sur les glacis extérieurs de l'Abyssinie, des monta- 
gnes volcaniques, profondément sillonnées par les éro- 
sions, constituent la région des Bertas ; les vallées 
moyennes de TAbaï et du Takazzé sont fertiles, peu- 
plées par de nombreux indigènes d'origine galla, très 



212 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

bons agriculteurs ; si Ton s'avance vers la mer Rouge, 
•on rencontre des rivières qui s'atrophient dans les 
sables : le Mareb n'atteint pas toujours Kassala, le 
Barka disparaît à Tokar sans arriver à la côte ; le coton 
et le tabac sont cultivés sur leur cours supérieur, puis 
ces fleuves traversent une savane à g-rands fauves, plus 
bas enfin ils touchent la steppe et leurs eaux ne se ré- 
vèlent plus que par des chapelets d'oasis. Des alluvions 
aurifères ont été découvertes à la chute des dernières 
falaises abyssines, sur l'Abaï ; les indigènes Beni- 
Chongouls les lavaient nag-uère, en tirant de quoi rému- 
nérer leur travail rudimentaire ; mais le gouverne- 
ment égyptien, qui voulut les reprendre à son compte, 
fut obligé d'y renoncer : ici comme en tant d'autres 
régions de l'Afrique, au Soudan occidental par exem- 
ple (ou encore et sous réserve des explorations ulté- 
rieures, à Madagascar) la teneur en or des alluvions est 
trop faible pour supporter les frais d'une exploitation 
industrielle. 

Les fleuves affluents du Nil sont encaissés dans un 
plateau de moins en moins arrosé, parsemé de bao- 
babs, avec quelques saillies granitiques, dont l'altitude 
va jusqu'à 800 mètres ; les oasis de Kassala sont domi- 
nées de 300 mètres environ par une de ces buttes, dont 
le sommet rocheux et ras apparaît de loin, cerclé d'une 
ceinture sombre de palmiers. Le pays, si l'on peut 
ainsi dire, tourne le dos à la mer Rouge, dont il est 
séparé par une série de falaises d'un millier de mètres; 
on franchit ce bourrelet à 900 mètres sur la route de 
Souakim à Berber. 





J 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 213 

Cette route marque bien une limite géographique, 
et dans l'histoire même elle a joué un grand rôle : c'est 
par elle que Tislam est remonté le long des vallées abys- 
sines, attaquant peu à peu les populations. gallas qui 
occupent les terrasses inférieures de TAbyssinie, lon- 
geant d'autre part les remparts du Bayouda pour ga- 
gner Khartoum, le Darfour et pénétrer dans l'Afrique 
centrale ; Souakim, dans la vie religieuse de l'islam 
contemporain, est encore une des cités les plus impor- 
tantes ; là s'embarquent, pour Djedda et la Mecque, 
tous les musulmans qui arrivent de l'ouest, venant 
quelquefois du Tchad ou môme des bords du Niger ; 
Souakim est donc un point singulier sur une grande 
voie des pèlerinages musulmans. C'était naguère un 
port de chargement pour les esclaves, capturés par 
les traitants arabes parmi les pacifiques agriculteurs 
des plaines nilotiques. 

Le mélange des races, arabes et nègres, s'est fait le 
long de cette route et de ses prolongements : les 
savanes sont peuplées de pasteurs demi-nomades, 
pillards et belliqueux, lesBaggaras, lesChoukourichs, 
les Beni-Amers ; le type sémitique s'accuse à mesure 
qu'on est plus près de la mer Rouge, c'est-à-dire des 
ports d'accès des Arabes ; au contraire, si l'on remonte 
le Nil vers Fachoda, ce sont des nègres de mieux en 
mieux caractérisés, des Chillouks, des Bertas qui sont 
sédentaires, agriculteurs ou pécheurs ; on sait qu'ils 
ont soutenu des luttes contre des caravanes de pèlerins 
musulmans, qui ne dédaignaient pas plus que les croi- 
sés du moyen âge de se détourner pour s'enrichir au 




214 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

passag'e ; on observe cependant que la plupart de leurs 
chefs sont fortement métissés d'arabes. 

Pendant longtemps, Souakim a été le port du Sou- 
dan Egyptien, car la voie du Nil, couloir coupé de ca- 
taractes en plein désert, était trop longue et peu fréquen- 
tée : le Sahara interposait, ici comme dans TAfrique 
Occidentale, un obstacle rarement franchi ; ces condi- 
tions sont aujourd'hui transformées par l'établissement 
du chemin de fer de Khartoum ; mais Schw^einfurth et 
Junkeront encore débarqué à Souakim, et suivi vers le 
Haut-Nil la route historique ; tous deux avaient cepen- 
dant préparé leurs équipements dans le delta du Nil ; 
Schw^einfurth avait des lettres du Khédive pour les mar- 
chands de Khartoum : il passa par où passaient alors 
les traitants, leurs marchandises et leurs courriers. 

Souakim, tête de cette ligne de pénétration, est par- 
tagée en deux quartiers, l'un sur une île de coraux, 
l'autre sur la terre ferme ; le climat en est brûlant comme 
celui de Massaoua, la plage de sable, dont l'aveuglante 
réverbération fatigue beaucoup la vue chez les Euro- 
péens, est également étroite et relevée par une falaise 
où se nichent les habitations les moins désagréables; 
le port est retranché au fond d'un chenal dont la navi- 
gation est plus facile que l'accès, tortueux à travers les 
récifs de coraux; la population, mélangée de Grecs, 
d'Arabes, d'Indous et de quelques résidents européens, 
est d'environ 12.000 habitants ; une chaussée, portant 
un petit railway, rattache l'île au continent. 

Dans l'intérieur, telle Saati près de Massaouah, des 
oasis sont posées au-dessus des fonds où disparaissent 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 51115 

les eaux venues d*amont, celles d*El Teb sur le Barka, 
celles de Sinkat, étape sur la route de Berber ; la salu- 
brité de ces dernières est la meilleure ; Tair lourd et 
humide d'El Teb est plus malsain pour les Européens 
que la chaleur sèche de la côte ; Sinkat doit sa supério- 
rité à sa plus grande altitude ; elle est perchée sur la 
falaise, tandis qu'El Teb est en plaine, à l'issue d'une 
vallée encaissée qui n'arrive pas jusqu'à la mer. Entre 
Souakim et Berber, le paysage est saharien : plateaux 
de sable, mamelons couverts d'une herbe pauvre et 
grise, bouquets de gommiers, les palmiers en groupes 
autour des puits ; les caravanes sont montées à cha- 
meaux. 

Berber, à la rencontre de cette route et du Nil, occupe 
la position naturellement indiquée d'une grande ville ; 
elle est située à 350 mètres d'altitude, entre les sixième 
et cinquième cataractes du fleuve ; elle ne commande 
donc sur celui-ci qu'un bief de peu d'étendue, mais qui, 
en fait, s'allonge beaucoup vers le sud par le confluent 
del'Atbara ; la vallée de cette rivière, irrégulière au mi- 
lieu des steppes, conduit sur les oasis du groupe de Kas- 
sala ; la position de Berber, à droite du fleuve marque, 
comme celle du Caire, que la ville attend ses ravitaille- 
ments surtout des pays de l'est ; elle abrite ainsi ses en- 
trepôts contre les bandes nomades qui vagabondent sur 
les plateaux de Bayouda ; ses maisons à terrasses sont 
entourées de jardins, les riches traitants arabes y vi- 
vaient jadis bourgeoisement, avec ce confort de vête- 
ment et de table, cette largesse d'hospitalité qui sont si 
remarquées, auprès de l'indigence nègre, par les voya- 



âl6 L^ AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIÈCLE 

geurs étrangers; plusieurs puissances européennes, à 
Tépoque de la grandeur du Soudan égyptien, étaient 
représentées à Berber par des consuls. 

Le Nil soudanienfinità Berber; déjàdepuislasixième 
cataracte, il est entré dans la steppe de Bajouda, pla- 
teau sableux dont Taltitude atteint 1000 mètres ; aussi 
de toute antiquitéy eut-il là une ville importante, mar- 
ché de jonction entre les routes qui descendent du Haut- 
Nil et de TAbyssinie et le commun tronçon qui les pro- 
longe vers un port de la mer Rouge : à côté de Metam- 
meh-Chendi, double entrepôt qui assure aujourd'hui 
le passage d'une riveàTautre, les ruines de Méroé dres- 
sent leurs pyramides, témoins de Tantique civilisation 
égyptienne. Strabon fait de Méroé la capitale du pays 
qu'il appelle Ethiopie, et qui englobe le Soudan Egyp- 
tien et TAbyssinie ; il rapporte qu'elle possède des mi- 
nes de cuivre, de fer, d'or et de pierres précieuses, ainsi 
que de sel gemme ; en quoi il se trompe, mais atteste 
indirectement les relations antiques de Méroé avec 
TAbyssinie et le pays des Rivières d'où ces minerais ve- 
naient assurément. 

De Lado à Khartoum, où le Nil bleu des plateaux 
amharas conflue dans le Nil de Fachoda, on compte 
sur celui-ci 1 ,620 kilomètres ; mais nous avons noté, 
en amont de Fachoda, qui est à peu près à mi-chemin, 
l'obstacle presque permanent du sett. Le Nil, dans cette 
immense plaine, reste soumis au régime des pluies 
d'été ; la saison pluvieuse est, du sud au nord, déplus 
en plus brève : à Khartoum, où elle est appelée kharif\ 
elle dure seulement de juin à septembre, développant 



LE SOUDAN ET LE SAHARA Si 7 

tous les miasmes et débîlîtantla santé des Européens les 
plus robustes ; la température moyenne de Khartoum 
est très élevée, voisine de 28®, elle ne baisse pas beau- 
coup en hiver, sauf pendant quelques journées où le 
vent du nord, tombant des plateaux refroidis deBayouda, 
la balaie de rafales rafraîchissantes, sorte de mistral 
toujours bien accueilli. 

La plaine nilotique est entièrement couverte d*allu- 
vions épaisses ; sur la rive g'auche, des alignements de 
collines annoncent et précèdent les plateaux du Kor- 
dofan ; à droite au contraire, les alluvions sont plus 
largement étalées, et la population indigène, rompue 
aux conditions d'une agriculture très spéciale, s'y presse 
en tribus nombreuses, plus ou moins modifiées par 
l'invasion de l'islam ; les collines de la rive gauche sont 
parcourues par lesBaggaras, arrosées seulement d'eaux 
temporaires et très pauvres ; de môme , dans « l'île de 
Méroé » , vieux nom du pays qu'entourent de trois côtés 
le grand Nil, l'Atbara et le Nil bleu, les parties hautes 
sont une région de transition entre le désert et la plaine 
nilotique, avec des troupeaux transhumants de chevaux 
et de chameaux, des mimosées et des indigènes demi- 
nomades groupés autour de chefs musulmans. 

La plaine du Nil, habitée par des nègres cultivateurs, 
est beaucoup plus riche ; le long du fleuve, avant l'in- 
surrection mahdiste, le gouvernement égyptien avait 
tenté des plantations de coton, de bananes, de canne à 
sucre ; Sennaar, ville aujourd'hui déchue du Nil blanc, 
posséda sous Méhémet Ali plusieurs usines sucrières. 

Mais, avant même les Mahdistes, ce sont les conque-^ 
L'Afrique. 13 



218 l' AFRIQUE A l'entrée du vingtièke siècle 

rants égyptiens eux-mêmes qui épuisèrent le Soudan ni- 
lotiquc ; les indigènes leur étateot moins des auxiliaires 
de culture que des esclaves à chasser cl diriger pour la 
vente sur les marchés du delta ou de l'Arabie; de proche 
en proche, les traitants de Khartoum s'enfoncèrent dans 
le pays des Rivières, précédantle gouvernement égyp- 
tien qui, faute de pouvoir les détruire, en faisait ses 
fonctionnaires ; les zéribas s'avançaient ainsi de Khar- 
toum vers le sud-ouest ; chacune d'elles, avec ses habi- 
tations de mattre presque luxueuses, sa ceinture de 
champs cultivés par des captifs, ses magasins d'ivoire, 
représentait la ruine de tout un district indigène et la 
pert« de plusieurs centaines d'existences. Aussi les po- 
pulations noires ont-elles été facilement gagnées par 
les Mahdistes, dont le chef se présentait comme le ven- 
geur contre les oppresseurs égyptiens ; c'est sur le Nil, 
entre Khartoum et Fachoda, que le Mahdi remporta en 
1882 ses premiers succès. 

Khartoum, dans l'intérieur du confluent des deux 
Nils, était au temps de Schweinfurth la capitale des né- 
gociants arabes disséminés dans le haut pays ; de là, le 
service du fleuve était fait jusqu'à Mechra-er-Rek par 
de grandes pirogues en bois d'acacia, montées par une 
trcniaine de rameurs et de gabiers, car on allait sou- 
à la voile ; en 1876, Gordon ayant pris en mains 
lînistration de ces provinces, Junker vit des chalou- 
vapeur remonter régulièrement le fleuve, sauf au 
de juillet pendantlequel les eaux sont très basses. 
■ives du Nil, pastorales et agricoles, ont été dé- 
léesde leursarbres, pourla construction des piro- 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 219 

^ues d'abord, pour la chauffe des machines, ensuite ; 
pour en trouver des bosquets encore compacts, il faut 
remonter jusque chez les Chillouks, près de Fachoda. 
Gordon, en faisant la guerre à Tesclavag-e, avait porté 
un coup à la prospérité de Khartoum ; la ville n'était 
plus, en 1882, riche, industrieuse et presque gaie, 
comme quelques années auparavant ; sa population cos- 
mopolite, mêlée d'Arabes, de Grecs, d'Italiens, était en 
voie de diminution. La conquête mahdiste acheva cette 
décadence ; toutes les voies du commerce soudanien 
étaient coupées désormais sur le Nil moyen, la chute 
de Khartoum et la mort héroïque de Gordon (janvier 
1885) livrèrent pour près de quinze ans tout le Soudan 
égyptien au pillage et à l'anarchie ; nous dirons plus 
loin comment ses nouveaux maîtres, le mahdîsme enfin 
vaincu, s'occupent de restaurer sa fortune d'autrefois. 

Le mouvement mahdiste s'est surtout développé à 
partir des plateaux du Darfour et du Kordofan qui se 
dressent à gauche de la plaine du Nil. Depuis le fleuve, 
qui esta 400 mètres environ, le sol se relève lentement 
vers l'est ; El Obéid, capitale du Kordofan, est à 580 mè- 
tres ; El Fâcher, capitale du Darfour, à 720 ; cette der- 
nière ville est située au pied des monts Marras, dont les 
sommets culminants, supérieurs à 1800 mètres, attirent 
quelques nuages suffisants pour former vers le Nil ou 
vers le Tchad des cours d'eau temporaires. 

Pays de steppes, le Kordofan offre une altitude 
moyenne de 500 mètres ; il est traversé par des aligne- 
ments montagneux de même que les terrasses occiden- 



220 L*AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIÈCLE 

taies des plateaux d'Abyssinie ; Tune de ces saillies do- 
minantes, en vue même d'El Obéid, atteint 850 mètres ; 
il tombe sur le Kordofan 0™,35 de pluie, entre juin et 
octobre; le reste de Tannée est entièrementsec et la tem- 
pérature, toujours élevée, oscille peu aux environs de 
30°. Nachtig'al, qui suivit en 1874 la route des pèlerins 
musulmans à travers le Darfour et le Kordofan, a observé 
qu'en ces régions se marque du nord au sud toute la 
g'amme des transitions entre le Soudan et le Sahara; le 
sud voit déjà des bœufs porteurs, tandis que dans le 
nord apparaissent des autruches, de plus en plus rares 
par suite de l'acharnement des chasseurs. 

El Obéid, ville principale du Kordofan, est le centre 
de ralliement, la mosquée commune et le marché de 
tous les nomades de la rég'ion ; c'est là que le Mahdi, 
Mohamed Ahmed, qui était né à Dongola, établit en 
4883 le siège de son empire, après avoir soumis par la 
famine la ville qu'il n'avait pu prendre d'assaut. Vai- 
nement, Hicks-pacha, vainqueur d'indigènes révoltés 
dans le Sennaar, voulut renverser le nouveau souverain 
du Kordofan : dans les mêmes parages où avait été ga- 
gnée en 4821 la bataille qui soumit le Kordofan à 
l'Egypte, ses dix mille hommes furent cernés, dispersés 
ou anéantis (novembre 4883) ; peu de temps après, Sla- 
lin-bey, coupé de ses communications avec le Nil, était 
forcé de céder le Darfour aux Mahdistes ; il avait un 
instant compté pour résister sur les montagnards du 
Marra, très hostiles aux Arabes, mais cet espoir fut 
déçu. 

Le Mahdi avait, en effet, trouvé dans la population 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 221 

de Kordofan des auxiliaires redoutés de tons les sé- 
dentaires : depuis longtemps les Bagts^aras nomades, 
dressés à la vie de chameliers à travers la steppe, fai- 
saient métier de conduire des caravanes d'esclaves vers 
la basse Egypte, de concert avec certains fonctionnaires, 
et malgré l'opposition des représentants européens du 
Khédive ; musulmans fanatiques, il ne fat pas difficile 
de les décider à la guerre sainte, qui leur assurerait le 
mérite et le profit de piller des infidèles. Et, comme 
pour montrer sur quels soldats il s'appuvait et que son 
empire était aussi bien qu'eux nomade, le Mahdi donna 
l'ordre d'évacuer les maisons en briques qui formaient, 
disséminées parmi des champs, l'agglomération d'El 
Obéid ; on le remplaça par des tentes, la ville par un 
campement. 

En arrière du Kordofan, le Darfour se compose d'un 
groupe d'oasis de hauteur étagées sur les monts Marras; 
la route des caravanes et des pèlerins franchit entre le 
Ouadaï et le Darfour un col à 1050 mètres ; sur ces mon- 
tagnes, bien étudiées par Nachtigal, tombent en été des 
pluies qui viennent de l'Atlantique et forment des oueds, 
plus puissants à l'ouest qu'à l'est ; sur le flanc oriental 
des Marras, vers le Nil, le pays est sablonneux, les 
oueds n'atteignent qu'en des saisons exceptionnelles le 
lit collecteur du Bahr el Arab; mais les vallées supé- 
rieures de ces cours d'eau, enrichies par lés allu viens 
descendues des sommets, portent de belles moissons de 
céréales et seraient propres à la culture du coton ; on y 
relève des traces ferrugineuses ; malheureusement, le 
climat lourd ethumidede cescouloirs, analogueà celui 



2ii l' AFRIQUE A l'entrée du VINGTIÈME SIÈCLE 

des kollas abyssines, est très défavorable & l'établisse- 
ment des étrangers. 

Autour des montagnes, et de moins en moins arro- 
sée à proportion qu'elle s'en éloigne, la savane couvre 
tout le Darfour ; vers le nord, poussent des baobabs 
dont les troacs sont évidés par les indigènes pour 
conserver l'eau trop rare des pluies ; le dattier ; avec 
son cortège d'arbuslas à piquants, annonce l'approcbc 
du Sahara ; des chameaux sont les seules bétes 
domestiques et le type arabe domine dans la popu- 
lation. En descendant vers le Bahr el Arab et le Dar 
Fertit, on atteint l'habitat des tribus négroTdes sur les- 
quelles les traitants des zéribas prélcvaïentleurs escla- 
ves ; on rencontre des bœufs, ainsi que des cultures 
soudaniennes de blé de Turquie, d'oignons, de tabac, 
d'arbres k fruits. 

Tout le Soudan Egyptien, par le traité du 21 mars 
1899, a été abandonné par la France à la « sphère d'in- 
fluence anglaise ». La réoccupation par les Anglo- 
Egyptiens n'est pas encore achevée, bien que les der- 
nières garnisons françaises établies par ia mission 
Marchand dans le Bahr el Ghazal soient maintenant 
rapatriées, mais il n'est que juste de reconnaître avec 
quelle persévérance inéttodique les Anglais ont pro- 
cédé à la destruction progressive de l'empiremahdiste; 
ils n'y ont pas consacré moins de trois campagnes 
(1896-1899), s' étant assurés entre temps de la posses- 
sion de Kassala, cédée par les Italiens et d'où leurs 
troupes gardent les terrasses septentrionales de l'Abjs- 



sinie, tout en coDfa:=.'t 1** e: ^Lï^x^n^tî ke* -c-» no- 
mades de la steppe, «itr* la ^3-1* *« it NC îtc l>5C . 

La marche des armées v-hlajiî dï ïri-ri a t:* i=:=.f- 
diatement siÛTie de la C'i'^^tTm^in czjï ch^s^ de 
fer qui double le Nil da&s la rèsi'^n des cataracîciSs. et 
atteint aujonrdliaî KharM-am; d.kis5> S'êté d-e I8d^. lird 
Kitchener enlevait K]iai1<>iuB, oa p]a^>t Omdurman. 
la citadelle constmile par le JlaLii sur la rive srao^^he 
du Nil y à portée des secours da Kordo£ui ; le % août 
suivant, ce général inansnraît le pont métallique de 
400 mètres lancé pour le chemin de fer sur FAtbara : le 
4 janvier 1900, le chemin de fer d'Ouadi-Halfa àKhar- 
toum était livré au service public, et Ton annonçait la 
prochaine ouverture, dansTanciennecapitale mahdiste, 
d'un vaste hôtel moderne, où seraient reçus les tou- 
ristes de MM. Thos, Cook et fils. 

Le chemin de fer du Soudan égyptien est à voie d'un 
mètre ; il a été construit sous la direction des autorités 
militaires anglaises, et très rapidement poussé, malgré 
les tornades de sable qui, dans la traversée delà steppe, 
emportaient parfois 20 kilomètres de voie déjà posée. 
Mais là ne s'est pas bornée l'activité anglaise : le 
10 juillet 1899, lord Cromer signait avec le ministre 
des affaires étrangères du Khédive un traité par lequel 
Souakim, port naturel du Soudan égyptien, est sous- 
traite au régime des capitulations. En même temps, le 
colonel Wingate préparait contre les Mahdistes retirés 
dans le Kordofan un raid des plus audacieux : il eut la 
chance, après avoir battu le chef Ahmed Fédil, de tom- 
ber à rimproviste sur le Mahdi luî-m^me, qui se fit 



224 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

bravement tuer au milieu de ses fidèles compagnons 
(nov. 1899) ; le Kordofan était conquis. Enfin, des 
études étaient commencées, de concert avec les auto- 
rités de rOugpanda, pour ouvrir un passage perma- 
nent à travers \e sett du haut Nil, dont l'interposition 
est non seulement un obstacle pour les communica- 
tions, mais encore un danger pour la régularité des 
crues en Egypte. Il reste encore à soumettre le Darfour, 
où pourraient bien se réfugier, autour de Rabah (1), 
tous les mécontents pressés entre les Français du Chariet 
les Anglais du Kordofan. On a proposé à cet effet de lan- 
cer un chemin de fer, de Dongola sur El Fâcher, par la 
vallée de l'oued Melek que suivaient jadis les cara- 
vanes. 

Sir William Garstin, ministre des travaux publics en 
Egypte, est très pessimiste sur l'avenir économique 
du Soudan Egyptien; il faudrait d'abord cinquante ans 
pour réparer les maux de longues guerres ; tout le pays 
en amont de Khartoum aurait peu de valeur, sauf les 
rives mômes du Nil, dans la mesure où l'irrigation 
pourrait les atteindre ; encore doit-on remarquer que 
la population y est devenue rare, et que le climat en est 
fiévreux. Cette opinion, particulièrement compétente, 
n'a pas arrêté la marche de l'appropriation anglaise : si 
lord Gromer n'est guère plus enthousiaste sur le Sou- 
dan que sir William Garstin, il parle déjà de nouveaux 



(1) Des nouvelles arrivées en France pendant Timpression 
de ce livre (juillet 1900) ont annoncé la mort de Rabah, 
vaincu par la mission Gentil. 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 225 

chemins de fer, l'un de Souakim à Berber, rétablissant 
vers un port tout anglais l'antique voie commerciale, 
imposant une surveillance et un péag'e à tous les pèle- 
rins musulmans de l'Afrique soudanienne, l'autre, plus 
particulièrement stratégique du Nil navigable vers les 
frontières de l'Abjssinie. On peut prévoir le jour où ce 
dernier se joindrait, dans la vallée du Sobat, aux pro- 
longements des lignes de l'Ouganda, tels que nous les 
indiquions dans un chapitre précédent. Peut-être alors 
les Chillouks, descendus à la faveur de la paix au delà 
de Fachoda ou des Indiens amenés par l'Ouganda au- 
ront-ils apporté sur le Nil moyen ce supplément néces- 
saire de main-d'œuvre, qui permettrait de reprendre 
avec chances de succès les tentatives de cultures colo- 
niales jadis abandonnées par le gouvernementégyptien. 
En attendant on ne doit pas oublier que le mahdisme 
avait contribué à détourner au sud, du côté du Congo, 
le commerce issu du pays des Rivières et des monts 
Baghinzés ; pour renverser ce courant, il ne faudra pas 
moins que des avantages très notables de circulation 
vers le Bahr el Ghazal et le Nil ; ceci suppose à travers 
le sett des travaux à peine ébauchés encore ; ce n'est 
pas de longtemps, semble-t-il, que l'on pourra conseil- 
ler aux capitaux de colonisation de s'engager dans le 
Soudan égyptien. 



II 



Le confluent du Nil et l'Atbara marque à peu près 
la limite de la nature tropicale et du Sahara ; l'Atbara 
L'Afrique. ^3. 



236 l' AFRIQUE A l'entrée du vingtième siècle 

lui-même est parfois trop faible poursetratner jusqu'au 
Nil, tandis qu'il a de temps en temps des crues furieu- 
ses, comme celle qui emporta, dans l'été de 1899, le 
pontprovisoiredu chemin de fer. La steppe de Bayouda 
n'est pas encore le désert véritable, puisqu'on y trouve 

d des pAturag^es permanents et des girafes; elle 

nient plutôt à cette zone des mimosées qui, de 
it à l'est de l'Afrique, se déploie comme une bande 
;rrompue au sud du Sahara. Mais, au delà de 
steppe, c'est le désert dans toute son aridité ; les 
s parUes dont la stérilité n'est pasabsolue sont les 
aj^es du littoral de la mer Roug'e, assez élevées 
condenser quelques pluies, et la vallée du Nil, ir- 
e parle fleuve. Celle-ci, deKhartoum au Caire, n'a 
loias de 2,700 kilomètres, soit une longueur com- 
lie à celle du Danube (2,850 kilomètres). Elle dé- 
travers la Nubie une courbe immense, en forme 
circonstance qui ne nuit guère à la navigation, 
[ue ces méandres se développent dans la région peu 
des cataractes, mais qui par contre accroEtnolable- 
la surface cultivable des terres ainsi gagnées sur 
sert. 

Sahara égyptien est un plateau relevé d'ouest en 
ippelé Libjque à l'ouest du Nil, Arabique è l'est 
Qeuve et terminé le long de la mer Rouge par un 
sscment qui tombe à pic sur la cdte ; le rebord 
tal, granitique, monte jusqu'à 2000 mètres; ilcor- 
lod à des profondeurs marines qui, très près du 
e, atteignent 200 mètres ; quelques coupures ou- 
, à des havres littoraux des routes de pénétration 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 2S7 

vers le Nil, celle de Kosséir, dont Keneh, sur la rive 
droite du fleuve, est éloigné seulement de iOO kilomè- 
tres ; celle de Bérénice, dont le port abandonné au jour- 
d'hui fut à l'époque alexandrine le point de départ 
d'échanges actifs avec Sjène (Assouan), en aval de la 
première cataracte. Ces montagnes sont arrosées par 
quelques pluies venues du nord en hiver, venues du sud 
en été ; elles ont des pâturages ramassés autour des 
points d'eau. 

La vallée du Nil est creusée dans le désert, dont la 
falaise domine le cours de 50 à 350 mètres ; le sol su- 
perficiel du plateau, formé de grès délités par les éro* 
sions, est traversé de dunes que le vent accumule sur 
les moindres obstacles, et aussi de quelques aligne- 
ments volcaniques, qui déterminent les rapides appe- 
lés, d'un nom qui ne les qualifie pas tous exactement, 
des cataractes. Le climat du plateau est celui de tout le 
Sahara, continental, très sec, au point que les corps 
abandonnés à l'air libre se momifient sans se corrom- 
pre ; l'atmosphère est pure, sauf pendant les tempêtes 
de sable qui la chargent d'une impalpable poussière 
rougeâtre, assez fine pour pénétrer dans les milieux 
les mieux clos, assez épaisse pour embrumer l'horizon 
et voiler le soleil. Les nomades du désert arabique sont 
des Bagarras et des Bedjas, pasteurs chameliers, diffi- 
ciles à saisir, donc à soumettre. Les steppes libyques 
sont encore un des coins les moins explorés de l'Afri- 
que ; on y rencontre vers l'ouest des groupes d'oasis, 
celles de Koufra qui sont rattachées à la Tripolitaine, 
celles de Sioua qui appartiennent à l'Egypte et qui. 




228 l\frique a l'entrée du vingtième siècle 

évidées à 33 mètres au-dessous du niveau de la Médi- 
terranée, reçurent peut-être autrefois une dérivation 
du Nil. 

Le désert de Libye est séparé de la Méditerranée 
par le petit plateau de Barca (ancienne Cyrénaïque), 
dont la hauteur est de 500 mètres et dont le climat 
correspond à celui de l'Afrique mineure. Cyrène fut, 
dans Tantiquité, une ville prospère ; les Turcs, maîtres 
de la Tripolitaine, ont longtemps oublié mais semblent 
se soucier maintenant de restaurer cette fortune au pro- 
fit de Benghazi. Mais la Cyrénaïque n'est qu'une ile 
tempérée : elle est cernée de tous côtés par le désert, 
qui la presse contre la mer et ne présente, sur les routes 
des oasis du Fezzan (500 mètres) qu'un petit nombre 
de gîtes d'étape autour des puits. 

Le Sahara égyptien, prolongé vers l'ouest par l'ar- 
rière Tripolitaine, est donc un pays très pauvre ; on 
n'y a jamais exploité que quelques carrières, quand 
on avait la chance d'en rencontrer près de la mer ou 
près du Nil : les porphyres de Kosséir étaient impor- 
tés dans la basse Egypte par la mer Rouge et les 
canaux des Pharaons ; dans les assises calcaires de 
Syène ont été taillés les temples de Philé et les colosses 
de Thèbes ; de même les carrières dont on aperçoit en- 
core, à l'est du Caire, les escaliers blancs, ont bâti 
Memphis et ses pyramides, puis les monuments arabes 
du Caire lui-même. Mais ce ne sont là que des exceptions, 
et le désert d'Egypte ne vaudrait rien, si la vallée du 
Nil n'y était insérée. 

Depuis le sett jusqu'en aval du Khartoum, le Nil 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 229 

coule tranquille entre des rives de plaine ; mais de 
Khartoumà Assouan, sa pente est beaucoup plus incli- 
née, et des cataractes ou g'roupes de rapides le coupent 
en six endroits di£Férents ; la navigation n'y est pas 
absolument interrompue, mais le cours s'y précipite 
entre des rochers déchiquetés à travers lesquels la cir- 
culation est dang'ereuse ; un des passages les plus ca- 
ractéristiques est celui de Dong-ola, dit troisième cata- 
racte : là, le Nil est divisé entre les flots d'un nombreux 
archipel, dont le principal, Argo, porte des bois et des 
cultures ; ce sont, dans la longue oasis qu'est la vallée 
du Nil elle-même, des taches de verdure plus intense 
et plus stable. Ces rapides étaient-ils autrefois de vraies 
cataractes ? Il semble bien que le fleuve, depuis l'ori- 
gine de l'époque historique, a creusé son lit ; des ins- 
criptions, des niveaux relevés sur divers points en 
portent témoignage. 

Le climat de l'oasis nilotique est, comme celui de 
toutes les oasis, plus humide et plus fiévreux que celui 
des steppes ambiantes ; mais la population y est plus 
nombreuse, les terres cultivables sollicitant à la vie sé- 
dentaire. Ces Nubiens sont des nègres vigoureux, très 
noirs, de haute taille et de belle prestance, bien diffé- 
rents des fellas de la basse Egypte, agriculteurs comme 
eux, mais plus petits, de teint olivâtre et de visage 
moins arrondi ; la vallée dont ils cultivent une partie 
est large de quatre à cinq kilomètres, entre les falaises 
du désert ; parfois elle forme des bassins qui s'étalent 
sur 12 à 15 kilomètres, et devenaient les marchés et les 
centres politiques des biefs avoisinants : ainsi Mé- 



230 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

raouî etDongolafurenllong'teinps les capitales de deux 
états, Tun musulman, Tautre chrétien. Aujourd'hui 
tous les Nubiens sont musulmans ; c'est parmi eux que 
les marchands de Khartoum recrutaient leurs meilleurs 
auxiliaires, pour leurs razzias d'ivoire et d'esclaves dans 
le haut pays ; cette carrière leur étant maintenant fer- 
mée, les Nubiens émigrent dans les villes du delta, où 
ils se placent comme domestiques; les plus intellig^ents 
deviennent interprètes, ou s'engagent pour figurer en 
Europe les nègres d'Afrique, rôle qui comporte d'assez 
nombreux emplois. 

Nous n'aurions pas à nous occuper, dans le présent 
ouvrage, du Nil inférieur et de l'Egypte proprement 
dite, si l'Egypte n'était, suivant le mot d'Hérodote, un 
présent du Nil, si sa vie entière n'était réglée par les 
vicissitudes de ce fleuve de l'Afrique tropicale. L'Egypte 
historique commence au-dessous de la chute d'Assouan 
(Syène) ; depuis cette dernière cataracte, le Nil coule 
lentement, sans rencontrer d'autre barrière ; Thèbes, 
la ville aux ruines majestueuses, s'élevait un peu au- 
dessous de Syène, à l'origine d'un bassin fertile ; plus 
bas, depuis Siout (70 m.) on peut dire que la région 
deltaïque commence ; des dérivations étendent à gau- 
che la zone d'irrigation et les eaux pénètrent même dans 
une dépression naturelle, le Fayoum, dont l'ancien lac 
Moeris était sans doute une partie aménagée par 
l'homme. 

Le delta, sans cesse remanié, gagne sur la Méditer- 
ranée plus de deux mètres par an ; les anciens comp- 
taient sept bouches; deux seulement sont, de nos jours. 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 231 

autre chose que des chenaux temporaires, celles de Ro- 
sette (ouest) et de Damiette (est). Encore celles-ci ne 
sont-elles pas accessibles aux navires de mer ; le Nil, 
qui est un véritable transsaharien fluvial, finit donc 
par une sorte d'impasse. Il serait certainement possible 
d'améliorer le cours, dans la rég^ion des cataractes, mais 
on n'entrevoit pas encore le jour où, le delta ainsi trans- 
formé, le Nil serait, comme le Saint-Laurent, sillonné 
jusqu'au cœur du continent par des steamers venant 
directement d'Europe ; tel que la nature l'a fait il ne 
peut offrir que des sections navig-ables, sur la voie ég-yp- 
tienne de pénétration au Soudan. 

On peut même se demander s'il n'y aurait pas intérêt, 
renonçant à le corriger pour en faire une grande voie 
navigable, à l'utiliser seulement comme un gigan- 
tesque canal d'irrigation. Et en effet, toute fertilité, 
dans la basse Egypte, procède de l'eau du Nil : que vau- 
draient, pour les récoltes, les 200 millimètres de pluie 
qui tombent chaque hiver à Alexandrie, les 34 milli- 
mètres du Caire ? Aussi, tandis que les steppes qui en- 
cadrent le Nil sont à peine parcourues par quelques 
tribus nomades, une population très dense se presse-t- 
elle dans la vallée inférieure du fleuve et dans le delta ; 
on l'évalue à 250 habitants au kilomètre carré, chiffre 
qui n'est atteint en Europe que dans quelques cantons 
de Flandre ou de Saxe et qui est ici la moyenne sur 
30.000 kilomètres carrés, soit à peu près la superficie de 
toute la Belgique ; encore doit-on dire que la popula- 
tion de la basse Egypte est en voie de rapide dévelop- 
pement. 



i---W» r- 



232 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

On sait, sans qu'il soit nécessaire d'y insister, que 
toute l'économie de l'Egpypte dépend de la crue annuelle 
du Nil ; les impôts, comme les récoltes, varient selon la 
hauteur atteinte par les eaux du fleuve ; l'arrivée de 
l'inondation est anxieusement guettée chaque année 
par les fellas ; on l'annonce de loin, on la célèbre so- 
lennellement au Caire et Bonaparte avait compris qu'il 
ne pouvait mieux prouver son désir de régénérer l'Ei- 
gypte qu'en présidant cette fête populaire. Le «Nil 
vert » arrive vers le 10 juin à la pointe du delta, chargé 
des débris végétaux des forêts équatoriales ; en juillet, 
c'est le « Nil rouge », teint des alluvions volcaniques que 
TAbaï et l'Atbara lui apportent d'Abyssinie ; la crue 
atteint son maximum en octobre ; puis la baisse est ra- 
pide. En décembre, sur les berges évacuées par les 
eaux, on commence les semailles, pour récolter en avril. 
Les oscillations du niveau du Nil sont de moins en 
moins amples, d'amont en aval; elles atteignent en 
moyenne i5 mètres àAssouan, et 7 au Caire. 

L'homme ne reste pas spectateur inactif de cette évo- 
lution annuelle ; la nécessité de ne pas perdre, pour les 
terres cultivées, le bénéfice d'une seule crue l'a peu à 
peu conduit à substituer l'irrigation canalisée à l'inon- 
dation libre par les eaux du fleuve ; il assure ainsi la ré- 
gularité des moissons. Mais, s'il est intéressant, dans 
la basse Egypte, de profiter au mieux des crues telles 
qu'elles se présentent, il n'est pas moins utrle d'en ré- 
gler le débit par des travaux sur le haut fleuve, car le 
Soudan Egyptien commande tout le cours inférieur du 
Nil. Les Anglais, dont l'influence politique domine au- 



r 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 233 

jourd'hui sur le Nil tout entier, n'ont pas manqué de 
dresser un plan général pour l'amélioration de son ré- 
g-iiiie. Ils ont judicieusement accaparé tous les postes de 
directeurs du service des irrigations, et tiennent ainsi 
les clefs de la fortune de l'Egypte. 

Leur idée principale paraît être celle que nous indi- 
quions tout à l'heure, de considérer le Nil comme un 
chenal naturel mais encore imparfait qui conduit jus- 
qu'en Egypte les eaux tombées sous l'équateur, et de 
tie s'en servir qu'accessoirement comme voie de péné- 
tration. Ils ont aujourd'hui renoncé au système des 
barrages sur le cours principal : outre le prix de ces 
travaux, très élevé pour un fleuve aussi large que le 
Nil, les constructions les plus soignées ne sont pas ga- 
ranties contre le choc d'une crue exceptionnelle, et les 
désastres survenus dans notre province d'Oran, par 
exemple, ont montré les dangers de cette pratique ; on 
bâtit aujourd'hui des réservoirs latéraux, d'après les 
traditions excellentes des ingénieurs antiques du lac 
Moeris: le fleuve emplit, lorsqu'il monte au-dessus d'un 
certain niveau, ces bassins d'approvisionnement ; un 
simple jeu de vannes emmagasine ainsi, pour les temps 
de disette, un lac artificiel dont le courant ravivera le 
fleuve affaibli. 

De grands travaux ont été entrepris pour relever le 
plan d'eau du Nil à Assouan ; les archéologues craigni- 
rent un instant que le souci du progrès moderne l'em- 
portât sur le respect des plus belles ruines de l'Egypte ; 
l'un des projets étudiés aurait, en effet, noyé l'île de 
Philé; si riche en monuments anciens ; mais leurs do- 



234 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

léances furent écoutées, et Philé restera intacte. Beau- 
coup plus loin, sur le haut Nil, nous avons dit que les 
Anglais se préoccupaient de percer le sett, qui forme une 
série de barrages puissants et capricieux. Déjà des ré- 
sultats appréciables ont été obtenus : bien qu'en 1899 
la crue du Nil ait été Tune des plus faibles des vingt der- 
nières années, la surface irriguée et ensemencée a été 
supérieure à celle des campagnes précédentes, et seule 
la récolte du riz, qui demande beaucoup d'eau, a souf- 
fert de cette sécheresse relative. 

Des progrès du régime du Nil dépendra la diffusion, 
dans la basse Egypte et le delta, de cultures riches telles 
que le coton et la canne à sucre ; la terre, bien arrosée, 
peut, sous ce climat très chaud, porter deux ou trois ré- 
coltes par an, ou communiquer une vigueur inusitée 
aux plantes dont la croissance n'est pas annuelle. Et 
ces plus-values de l'agriculture se traduisent par une 
plus grande richesse des habitants, par le développe- 
ment du commerce, par la paix mieux assurée, par le 
crédit international de l'Egypte plus solide. Ce sont, il 
ne faut pas l'oublier, des ingénieurs français qui ont 
les premiers indiqué la nécessité des travaux aujour- 
d'hui dirigés par l'Angleterre, et dont l'exécution n'est 
pas liée nécessairement au maintien de telle ou telle 
domination européenne en Egypte ; il est vrai par con- 
tre que les maîtres européens de l'Egypte seront les 
premiers à en profiter. 

Gomme voie de pénétration le Nil, sans être déclassé, 
n'a pas l'importance d'une route uniformément facile : 
en aval de la première cataracte et jusqu'à la pointe du 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 235 

delta, il est navig-able pour de grands vapeurs fluviaux, 
et chaque année de nombreuses caravanes de touristes 
— fret principal des entrepreneurs — vont ainsi visiter 
Siout, les ruines de Thèbes et Louqsor, Assouan et 
Tfle de Philé. La navigation sur le bief des cataractes, 
d'Assouan à Khartoum, n'est pas strictement impossi- 
ble aux hautes eaux, pour des chaloupes de calaison 
médiocre (0"*,70), mais elle est pratiquement interdite 
aux transports de commerce, car elle est trop dange- 
reuse et de plus très longue, à cause des détours du 
fleuve. En amont de Khartoum, on pourra,si jamais le 
sett est vaincu, s'avancer jusque près du lac Albert; 
déjà les Anglais ont en aval deFachoda une flottille de 
chalands et de canonnières à une roue d'arrière; on se 
rappelle que ces embarcations coopérèrent utilement à 
l'occupation de Khartoum. Mais d'ores et déjà le Nil 
des cataractes est abandonné pour le chemin de fer 
d'Ouadi-Halfa à Khartoum, sur lequel se greflFera tôt ou 
tard l'embranchement Berber-Souakim ; le haut Nil, 
en amont du sett, ressortira plus tôt peut-être à l'Afri- 
que orientale anglaise qu'aux voies de l'Egypte. 

Aujourd'hui, de quelque côté que l'on cherche des 
issues (et sauf les concurrences congolaises par le pays 
des Rivières), tous les débouchés des régions nilotiquos 
appartiennent à l'Angleterre, en môme temps que toute 
la ligne d'eau le long de laquelle on peut surveiller 
l'Egypte et, de fait, la gouverner. Nous n'avons pas à 
examiner ici si cette situation est provisoire ou défini- 
tive ; nous notons seulement que l'Egypte est le seul 
pays d'Afrique qui dépende d'un maître fortement 



236 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

établi au Soudan. Après les fautes de notre diplomatie 
et de notre parlement en 1882, quelques hommes d'Etat, 
chez nous, s'en sont doutés ; mais on pourrait leur re- 
procher, puisqu'ils connaissaient la géographie de cette 
partie de l'Afrique, de n'avoir pas prévu le cas où d'au- 
tres, mieux outillés sur place, la connaîtraient aussi. 



CHAPITRE II 
Les Pays du lac Tchad. 

Les pays du Tchad sont une des rég-ions les plus ré- 
cemment explorées de TÀfrique ; depuis les voyag'cs 
d'Oudney, Denhamet Glapperton (4822-24) et ceux de 
Barth (1850) dont la relation reste un modèle de préci- 
sion scientifique, rien ne fut gagné jusqu'à ceux de 
Nachtig-al (1873). Plus tard, ces itinéraires furent liés à 
ceux du moyen Niger (Monteil, 1891) et du Congo (Mi- 
zon, 1891) ; presque rien encore, malgré les prétentions 
anglaises consacrées par le traité de 1890, n'a été fait 
pour rattacher le domaine du Tchad à ceux du Niger 
inférieur et de Bénoué ; mais, la jonction sur les bords 
du Tchad des missions françaises, Foureau-Lamy, ve- 
nue d'Algérie, Meynier-Joalland, arrivant du Soudan, 
et Gentil, partie du Congo (1900) sera, nous devons 
l'espérer, le principe d'une plus exacte connaissance et 
d'une occupation progressive de toute cette partie de 
l'Afrique. 



238 l'afrique a l'enïrée du vingtième siècle 

Depuis longtemps, des relations sont établies, du 
Tchad à la Méditerranée et au Nil par les caravanes de 
musulmans : pèlerins allant à la Mecque, par le Ouadaï, 
le Darfour et le Kordofan, négociants traversant le 
Sahara pour vendre les produits soudaniensàTripoliou 
Benghazi, de nombreux voyageurs indigènes mettaient 
ces districts reculés de l'Afrique en communication avec 
le reste du monde ;les rappo]:ts étaient beaucoup moins 
actifs entre le Tchad et le golfe de Guinée, les conditions 
géographiques étant très différentes sur ce littoral fo- 
restier qui manque de botes de somme. 



I 



Entre les monts du Tibesti au nord-ouest, TAïr au 
nord, les massifs de TAdamaoua et de Yacoba au sud, 
dans les plateaux des steppes subsahariennes, une dé- 
pression est creusée, dont le lac Tchad occupe la partie 
inférieure, réduit de nos jours à une étendue diminuée, 
tandis qu'il s'étalait jadis par le Bahr el Ghazal jusqu'au 
fond, aujourd'hui desséché, du Bodélé. Vers le Tchad 
convergent les eaux tombées sur les pentes occidentales 
des monts Marras et les terrasses du Ouadaï, et celles 
qui, par le Ghari-Logone drainent le seuil de liaison 
avec le domaine du Congo. L'Adamaoua s'épanche di- 
rectement dans l'Atlantique, parla Bénoué et le Niger ; 
à l'ouest et au nord, le Tchad reçoit des oueds formés 
dans le Bornou et le Zinder. 

Les monts du Tibesti ont été reconnus par Nachtigal ; 
ils se composent de deux massifs volcaniques, dressés 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 239 

sur un socle de granit : le Koussi, à Test, a 2,600 mè- 
tres ; le Tarso, à Touest, atteint 2,700 ; la direction du 
soulèvement est du sud-est au nord-ouest, il se prolonge 
par les plateaux du Tassili et se rattache très vraisem- 
blablement à la région montagneuse dite Anahef, que 
la missionFoureau-Lamy traversait à 1,350 mètres d'al- 
titude moyenne, ainsi qu'aux massifs du Hoggar ; les 
monts du Tibesti sont encadrés entre deux routes de 
caravanes, celle du Ouadaï à Benghazi par les oasis de 
Koufra, et celle du Tchad à Tripoli, par Bilma et les 
oasis du Fezzan ; cette dernière franchit le faîte à Té- 
tape de Tummo, par 840 mètres. Le Tibesti, touché par 
les pluies atlantiques, a quelques pâturages et une po- 
pulation de chameliers, tous musulmans qui louent et 
conduisent leurs animaux pour la traversée du désert. 
Les terrasses du Borkou et du Ouadaï s'appuient sur 
le revers occidental des monts du Tibesti et des Marras ; 
elles se soutiennent à 400 ou 500 mètres, traversées de 
loin en loin par des redressements isolés, suivant le 
type déjà étudié des pays du Nil moyen. Les fleuves nés 
des Marras n'ont pas la force d'arriver jusqu'au Ghari, 
dont le cours annonce la région des eaux permanentes : 
le Batha, le Bahr esSalamat se terminent par des lagu- 
nes salines. Nachtigal, ayant entendu parler de rivières 
qui coulaient vers l'ouest, au sud de ces steppes peu 
arrosées, les rattachait à l'Ouellé de Schweinfurth, 
mais en admettant aussi l'hypothèse de cet explorateur 
que l'Ouellé et le Ghari ne faisaientqu'un ;il ne se trom- 
pait donc qu'à moitié, car c'est assurément le Ghari que 
désignaient ses renseignements ; il ne put les vérifier 



'■«---■ • -ar ■ 



240 l' AFRIQUE A l'eNTREE DU VINGTIEME SIECLE 

par lui-môme, forcé par Fattitude peu amicale des ha- 
bitants puis par une attaque, de paludisme de quitter le 
Ouadaï pour passer au Darfour. 

Le Ouadaï est peuplé de cultivateurs nèg'res et de 
pasteurs arabes, musulmans ou islamisés ; les carava- 
nes de Benghazi portaient jadis à la Méditerranée Ti- 
voire, la gomme, les plumes d'autruche et traînaient 
souvent à travers le désert des convois d'esclaves ; ceux- 
ci étaient enlevés dans le Dar Rounga et le Dar Fertit, 
en échange de paniers de sel venu de Bilma. Les Arabes 
du Ouadaï sont belliqueux et peu favorables aux Euro- 
péens : Vogel, l'un des' compagnons de Barth, fut as- 
sassiné par eux en 1855 ; Nachtigal, bien que protégé 
quelque temps par le sultan, dut abréger son séjour et 
modifier ses itinéraires. L'armée du Ouadaï, qui des- 
cendait pour razzier dans le Kanemetle Baghirmi, au- 
rait alors compté jusqu'à 7000 hommes, et la population 
totale atteindrait aujourd'hui 8 millions d'habitants. 
Abech, capitale du pajs, est posée sur le flanc d'une 
butte, autour de puits abondants ; elle a longtemps 
passé pour un foyer de fanatisme musulman. 

Dans l'état de trouble, conséquent pour toute la ré- 
gion du Tchad des conquêtes, puis des récents échecs 
de Rabah, il est difficile de dire avec précision quelles 
sont aujourd'hui les conditions d'accès du Ouadaï; 
les informations recueillies par la mission Gentil-Bre- 
tonnet tendent à le représenter comme beaucoup moins 
aride que le Darfour, les pluies d'été croissent rapide- 
ment du nord au sud, les pentes méridionales se prê- 
teraient sans doute à la culture du coton. 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 241 

Le Ouadaï s'incline doucement, par le Dar Roung-a 
et le Baghirmi, vers les vallées tributaires du Ghari ; 
au nord-ouest, il finit probablement par une falaise 
plus abrupte, tombant sur la dépression du Bahr el 
Ghazal et du Bodélé. C'est encore Nachtigal, qui a 
constaté l'existence de cette ancienne expansion du 
Tchad, et observé que le Bahr el Ghazal est un effluent 
et non un affluent de ce lac ; en temps ordinaire, ce 
chenal est à sec ; mais par les crues exceptionnelles, le 
Tchad y déborde et^'avance vers les steppes d'Egaï et 
du Bodélé, dont le niveau est inférieur de 80 mètres 
au sien. Ces fonds, rafraîchis par des infiltrations sou- 
terraines, sont toujours humides ; ils seraient particu- 
lièrement favorables à l'élevage du chameau. Mais ils 
sont à peine habités aujourd'hui. 

A partir de cette dépression vers le nord et l'ouest, 

le sol se relève par une pente insensible jusque vers 

700 mètres ; c'est l'altitude moyenne du plateau sur 

lequel se dressent les soulèvements montagneux de 

l'Aïr et du Tibesti ; Agadès est à 750 mètres, Rhat à 

730 mètres; les sommets de l'Aïr culminent à 1800 

mètres. Le Tchad est ainsi entouré de ce côté par une 

zone de plateaux ondulés sur lesquels les limites géo- 

g-raphiques, très peu précises, sont déterminées, non 

par les accidents du relief, mais par la précipitation 

des pluies qui diminuent normalement du sud au 

nord : à Zinder, où fut assassiné en 1898 le capitaine 

Casemajou, où s'établit, en juillet 1899, la mission 

Joalland-Meynier, le dattier des oasis sahariennes se 

dresse au-dessus de champs de blé ; les transports se 
L'Afrique. 14 



242 L* AFRIQUE A L 'ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

font par chameaux et, sur près de 200 kilomètres dans 
la direction du Tchad, on ne trouve aucun point d'eau. 
Des cultivateurs nègres travaillent le sol pour nourrir 
leurs maîtres, les Touarejocs Kélouis. Un peu plus au 
sud, dans le Sokoto, les conditions changent, et les ca- 
ravanes remplacent leurs chameaux par des bœufs. Sur 
cette frontière septentrionale des pays haoussas, les 
eaux dissimulent sous terre une partie de leur cours, 
qu'elles aillent au Niger ou au Tchad. 

Sur la rive septentrionale du Tchad, le Kanem fut 
jadis un centre de puissance musulmane ; des luttes 
furent longtemps soutenues, entre les indigènes, nègres 
cultivateurs comme ceux du Zinder, et les Touaregs 
Kélouis ; devant les razzias de ces nomades, beaucoup 
de naturels se sont retirés dans le Bornou et dans les 
îles du Tchad, où ils pratiquent l'élevage et la pèche, 
sans préjudice du pillage de tous les riverains qu'ils 
peuvent surprendre. 

Le lac Tchad, à 270 mètres d'altitude, n'est autre 
chose qu'une inondation permanente de hauteur va- 
riable et dont les rives participent de la double nature 
saharienne et soudanienne : assailli au nord par des 
dunes de sable, il n'a partout ailleurs que des rivages 
vaseux et indécis ; l'apport du Ghari compense l'évapo- 
ration et le Tchad, bien que très diminué pendant la 
période des sécheresses, en hiver et au printemps, con- 
serve toujours une épaisseur d'eau de quelques pieds : 
nulle part il n'aurait plus de six mètres de profondeur ; 
partout il est encombré de roseaux, de bancs d'allu- 
vions à peine émergés, sauf au sud-ouest où des îlots 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 243 

plus stables servent de refag'es à une population de 
pirates ; un courant très faible pousse les eaux vers la 
rive occidentale, dont il envase les ports. Le Tchad 
n'est donc pas une vaste mer, dont la possession per- 
mettrait la circulation entre des rivages d'accès facile ; 
c'est beaucoup plutôt un immense marécage, zone 
d'isolement entre les contrées littorales, réservée par la 
nature aux ébats des hippopotames et des caïmans ; il 
est douteux que jamais le commerce puisse organiser 
une navigation pratique sur ce bourbier* 

A Test et au sud du Tchad, le Baghirmi et le Bor- 
nou sont des pays mieux arrosés et plus peuplés : 
Barth y releva 1 mètre de pluie annuelle, tombant sur- 
tout entre juin et septembre ; c'est à la fin de cette sai- 
son que le lac Tchad atteint sa plus grande extension. 
Insensiblement, vers le sud, la savane succède à la 
steppe, puis se fonce de forêts galeries, de plus en plus 
développées dans les vallées fluviales ; sur les prairies, 
que percent des pointements granitiques, paissent des 
chevaux et des bœufs ; on passe ainsi du domaine du 
Tchad dans celui de TOubanghi et de la Sanga, tri- 
butaires du Congo ; le relief plus accidenté de l'Ada- 
maoua offre des conditions encore meilleures à la vie 
d'éleveurs sédentaires ; là s'était constitué l'un des Etats 
musulmans les plus puissants et les mieux policés de 
l'Afrique centrale. 

Comme l'Adamaoua fait barrière entre les bords du 
Tchad et le golfe de Guinée, le lac n'est accessible 
qu'en tournant ces massifs, soit par les pays haoussas 
à l'ouest, soit — et c'est ce qu'ont d'abord tenté nos 



244 L*AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

explorateurs, — parle Ghari à Test.!! semble bien que la 
vallée de la Bénoué ouvre à travers les monts de TAda- 
maoua une route qui est continuée vers le Logone, 
branche du Ghari, par une dépression facile à suivre ; 
c'est là peut-être la voie de pénétration de l'avenir ; 
pour le moment, elle est encore trop peu connue, du 
moins sur le versant du Tchad. 

Le Ghari rassemble pour les conduire au Tchad 
toutes les eaux d'un vaste domaine, qui s'étend des 
terrasses du Ouadaï aux montag'nes de l'Adamaoua ; 
le seuil de jonction entre son réseau et celui du Gong'o a 
été le front d'attaque de la conquête française, s'avan- 
çant de la Sang-a et de l'Oubanghi sur le Tchad. G'est 
là qu'auparavant les Arabes ou les noirs islamisés du 
Ouadaï et du Baghirmi pénétraient vers le sud, jusqu'à 
la limite des forêts équatoriales, dans leurs chasses à 
l'ivoire et à l'esclave, et rien n'est plus instructif, pour 
connaître ces pays, que de résumer l'histoire de leur 
retraite devant les progrès français. 

Bien que les pays du Ghari, comme ceux du Tchad, 
aient été d'abord reconnus par des voyageurs fran- 
çais, des traités sont intervenus pour les partager, 
avant même que les découvertes fussent achevées, entre 
la France d'une part, l'Allemagne et l'Angleterre de 
l'autre : la convention de février 1894 porte le Game- 
roun allemand jusqu'à la rive gauche du bas Ghari et 
jusqu'au littoral méridional du lac Tchad; il lui aban- 
donne tout l'Adamaoua; le territoire français garde 
seulement, avec le cours supérieur de la Bénoué, une 
amorce sur la route navigable du bas Niger. La con- 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 245 

vention de mars 1899 avec TAngleterre nous laisse le 
Ouadaï et la Kanem, c'est-à-dire la partie saharienne 
des rives du Tchad. Cependant, bien qu'il ait été privé 
de la sorte de régions auxquelles il pouvait prétendre, 
le Congo français n'a cessé de 'se développer vers le 
nord, et le Léon Blotj de la mission Gentil, fut le pre- 
mier vapeur européen qui flotta sur le Tchad (novem- 
bre 1897). 

Deux routes de pénétration furent successivement 
étudiées, l'une par l'Oubanghi, l'autre par la Sanga. 
Crampel, partant de Banghi, essaya de tracer la pre- 
mière (1890-1891). 11 s'était avancé à 500 kilomètres au 
nord de l'Oubanghi, dans une savane à marigots, où 
les arbres ne se montraient plus qu'en bouquets dis- 
persés ; il se hâtait vers le nord, sur l'avis qu'il ren- 
contrerait bientôt des populations musulmanes, ainsi 
que des bêtes de somme dont il avait grand besoin ; 
cette rencontre eut lieu, en effet, mais le perdit car, 
trahi par ses guides, il fut cerné et assassiné sur l'ordre 
du sultan Snoussi, vassal du Ouadaï. M. Dvbowski, dont 
l'expédition était destinée à soutenir celle de Crampel , du t 
se borner à le venger ; après une marche pénible vers 
le nord, il infligea une défaite à des musulmans au- 
teurs ou complices du massacre de Crampel et revint 
en arrière (1891-1892). L'année suivante, M. Maistre 
était plus heureux : il arrivait au Gribinghi, branche 
du Chari, et nouait des relations avec des envoyés du 
sultan de Baghirmi : mais faute de provisions suffi- 
santes pour descendre jusqu'au lac Tchad, dont il sup- 
posait justement avoir atteint les tributaires, il dut se 
L'Afrique. 14. 




246 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

replier sur l'Adainâoua et regagner le bas Niger. Il 
observa que les pays du Gribinghi, où vaguent encore 
des bandes d'éléphants, présentent une végétation tropi- 
cale de plus en plus atténuée vers le nord. 

La voie de la Sanga était en même temps attaquée, 
sous la direction de M. de Brazza, au départ du poste 
de Ouasso, qui date de 1891 ; sur les bords de cette 
rivière, en 1892, Mizon descendant de TAdamaoua ren- 
contrait JM. de Brazza lui-même, mais le bénéfice de 
son voyage ne devait pas rester à la France ; puis d'au- 
tres postes étaient fondés sur la Sanga et ses affluents, 
Bania, Gaza, Carnot. En 1894, la mission Glozel dé- 
couvrait qu'entre les sources de l'Ouom, branche du 
Logone, et d'autres qui allaient certainement au Congo, 
le portage n'était que de 100 kilomètres. Mais ces 
tentatives perdirent beaucoup de leur intérêt, le jour 
où l'Adamaoua fut abandonné à l'Allemagne ; les 
hautes vallées de la Sanga et de ses affluents, tapissées 
d'épaisses galeries forestières, devenaient dès lors des 
impasses qu'il était inutile d'ouvrir au nord ; elles ne 
prendront leur valeur que par l'exploitation du caout- 
chouc, dont elles sont très riches, et surtout lorsque le 
chemin de fer d'Ouasso à Libreville en permettra Tao 
cès indépendant par le territoire français. 

Depuis la fin de 1895, la pénétration du Congo vers 
le Tchad a été poursuivi©, par la route de Crampel : lia 
première mission Gentil a établi qu'un portage de 150 
kilomètres séparait la porte deKrébedjé, sur un sous- 
affluent de l'Oubanghi, de celui de Gribinghi, tête de 
la navigation de la rivière de ce nom. C'est à Gribinghi 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 247 

que fut monté le Léon Blot, transporté par morceaux 
depuis Krébédjé ; le vaillant petit vapeur descendit le 
Gribinghi, puis le Ghari ; une halte très courte laissa au 
chef de la mission le temps de pousser jusqu'à Massé- 
nia, capitale du Baghirmi, dont le sultan sollicitait le 
protectorat de la France, car son adversaire, Rabah, 
était alors établi dans le Bornou ; le Léon Blot ne fit 
qu'un raid rapide jusqu'à l'entrée du Tchad. 

Par ce voyage nous sont parvenus les premiers ren- 
seignements authentiques sur le Ghari : c'est une belle 
rivière, au cours régulier, profonde de 2 à 3 mètres de- 
puis le confluent du Gribinghi, offrant donc de remar- 
quables facilités à la navigation ; mais, près de son 
embouchure dans le Tchad, elle tourne au marécage ; 
ses alluvions se déposent en un delta de 100 kilomètres 
de front ; des coulées de boue, dégageant des miasmes 
empestés, restent à découvert dès que les eaux baissent; 
de plus, le combustible manque sur ses rives, de moins 
en moins boisées vers le nord ; on reconnaît à ce trait 
nouveau le passage des régions tropicales aux régions 
sahariennes. Pour ces diverses raisons, nous croyons 
que l'effort de la pénétration française devrait désormais 
porter sur les affluents du Ghari et les terrasses du 
Ouadaï plutôt que sur le delta fangeux et improductif 
qui s'épanouit dans le lac Tchad. 

La nécessité en paraît même urgente, si nous voulons 
en finir vite avec la « question de Rabah ». Ce chef bri- 
gand est un ancien esclave de ce Ziber, qui fut marchand 
d'esclaves et sultan du Darfour et qui est aujourd'hui 
retenu prisonnier au Gaire. Entraînant à sa suite une 



248 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINiGTlÊME SIÈCLE 

armée de nomades fanatiques, Rabah s'est avancé 
d'est en ouest, a d'abord conquis le Dar Rounga, puis 
traversé le Baghirmi et finalement occupé le Bornou. 
Dès la retraite de la première mission Gentil, Rabah, 
retournant sur ses pas, envahit le Baghirmi dont le 
sultan recula au sud, pour rallier les postes français du 
Gribing-hi; il occupe alors tout le moyen Chari, inter- 
cepte au passage la mission commerciale de Béhagle, 
dont le chef reste captif entre ses mains. 

Cependant tous les souverains indigènes se sont coa- 
lisés contre Rabah : Snoussi, le meurtrier de Crampel, 
le sultan du Ouadaï, celui du Baghirmi demandent à 
marcher avec des troupes françaises contre Tennemi 
commun. La deuxième mission Gentil, précédée par 
Tavant-garde de Bretonnet, doit coaliser toutes ces bon- 
nes volontés et rouvrir la route du Tchad. Bretonnet, 
parti à la fin de 1898, était monté directement au Gri- 
binghi puis avait choisi, pour s'y fortifier, un confluent 
sur le Chari ; mais telle était l'indigence de notre flot- 
tille sur le Congo et l'Oubanghi, qu'il ne fut pas pos- 
sible, malgré ses instances pressantes, de lui envoyer 
des renforts. Assailli, en août 1899, par l'armée de 
Rabah, forte de 8000 hommes, il ne put que faire une 
résistance qui coûta cher à ses adversaires ; finalement 
il fut débordé et tué avec toute sa troupe. 

M. Gentil, revenu pendant ce temps, rassemblait sur 
le haut Chari toutes les troupes disponibles de la colo- 
nie du Congo, un peu plus de 300 combattants. Or Ra- 
bah n'avait pas moins de 2,500 fusils, et trois canons, 
pris à Bretonnet avec leurs munitions. Malgré la faiblesse 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 249 

de ces effectifs, dès que la saison sèche fut établie, 
M. Gentil marcha au nord ; une bataille sang-lante nous 
livra Kouno, la forteresse que Rabah avait occupée 
après Bretonnet ; le chef noir,ayant perdu 3000 hommes, 
s*est enfui presque seul vers le Ouadaï et les officiers 
français regrettent de n'avoir pas disposé de quelques 
cavaliers pour entraver sa fuite et sans doute s'emparer 
de sa personne (décembre 1899). A la suite de cette vic- 
toire, le sultan du Baghirmi est rentré dans sa capitale, 
et bientôt après les trois missions Gentil, Meynier-Joal- 
land et Foureau-Lamy étaient réunies au sud-est du lac 
Tchad, réalisant ainsi l'espérance qui guidait depuis 
1890 les directeurs de notre politique africaine (i). 

Une étude attentive des documents rapportés par ces 
trois missions établira si le lac Tchad doit rester le pôle 
d'attraction de toutes nos eolonies africaines, si c'est 
un carrefour de routes ou un obstacle à tourner. Mais 
déjà de grands résultats sont acquis : si l'onadmet que 
les dispositions nécessaires seront ou sont déjà prises 
pour interdire à Rabah tout retour offensif sur leChari, 
nous n'avons plus à tenter qu'un dernier effort pour 
occuper le Ouadaï et porter ainsi notre domaine afri- 
cain jusqu'aux limites reconnues par les traités. Or, 
nous n'avons, pour y pourvoir, d'autre base d'opéra- 
tions que le Congo ; nous devons donc outiller cette co- 
lonie au plus tôt, et sans attendre une participation de 
l'Etat aux bénéfices très hypothétiques des concession- 

(1) Une note ajoutée au précédent chapitre, a signalé la 
défaite et la mort de Kabah, annoncée en France en juil-. 
let 1900, penda,nt Vimpression de ce livre. 



250 L 'AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

naires entre lesquels elle est partagée ; les réseaux na- 
vigables du Ghari et du Congo sont faciles à réunir ; 
par là, nous pouvons dès maintenant resserrer la cohé- 
sion de notre domaine ; mais de longtemps on ne peut 
prévoir des communications artificielles assurées, du 
Ouadaï au moyen Niger, à travers les steppes que les 
conventions nous ont laissées de part et d'autre du lac 
Tchad. 



II 



L'Angleterre et l'Allemagne se sont attribué les meil- 
leures parties des pays du Tchad, c'est-à-dire le Bor- 
nou et l'Adamaoua ; la première y a joint le Haoussa, 
dernier étage de la nature soudanienne entre le golfe de 
Guinée et le désert. Un vaste soulèvement de hautes 
terres, dont l'Adamaoua n'occupe que le flanc oriental, 
se dresse entre le Tchad et la côte atlantique et borne 
très nettement au nord la zone du climat équatorial : 
le palmier à huile remonte le long du Niger jusqu'à 
Egga, sur la Bénoué, dirigée dans le sens des vents 
pluvieux de Touest, il va jusqu'au Mouri. Barrière op- 
posée à la pénétration des influences maritimes, les mon- 
tagnes de l'Adamaoua s'abaissent en ondulations plus 
molles vers le Ghari et le Tchad. 

L'altitude moyenne de ces hauteurs, ou la forme de 
plateau domine, est de 800 à 1200 mètres ; comme dans 
les monts du Tibesti, des alignements volcaniques jail- 
lissent au-dessus d'un soubassement de granit, élevant 
leurs sommets jusqu'à 2000 mètres j il est remarquable 



LE SOUDAN ET* LE SAHAHA ^51 

que la direction en soulig'ne exactement celle du Ti- 
bestî, comme de la côte de Sierra-Leone et des chaînes 
du Fouta-Djalon ; les volcans du Gameroum, les îles 
espagnoles et portugaises du golfe de Guinée doivent 
être rattachées aux mêmes soulèvements, dont les ma- 
nifestations se montrent ainsi sur toute TAfrique occi- 
dentale. 

L'Adamaoua est ici le centre hydrographique le plus 
puissant, offrant avec le Fouta-Djallon beaucoup de 
ressemblances ; il envoie des sources à la Bénoué, au 
LiOgone, à la Sang'a et directement à TAtlantique, par 
les rivières du Cameroun allemand. Plus au nord, les 
escarpements du Mouri dominent la Bénoué, et plus 
loin encore, les monts Sarandas dispersent leurs eaux 
vers la Bénoué, le Niger et le Tchad. Ces derniers, re- 
connus par G. Rohlfs, dominent d'environ 600 mètres 
les fertiles plateaux de Saria (1200-1500 mètres) ; les 
sommets sont boisés, des cascades d'eau vive répandent 
de tous côtés la fraîcheur, et ce pays alpestre, sain par 
son altitude et par la richesse de sa circulation fluviale 
paraît destiné à un avenir de colonisation agricole et 
pastorale : comme le Fouta-Djalon à Touest, ce serait 
un futur grenier d'abondance, en même temps qu'un 
'sanatorium pour les Européens établis à la côte de 
Guinée. 

L'explorateur français Mizon, qui vécut six mois à 
Yola, sur la haute Bénoué, put étudier à loisir le climat 
de ces plateaux ; l'été y est très pluvieux ; à la fin de 
l'automne, la sécheresse commence, avec un vent pou- 
dreux, appelé harmattan, qui arrive des steppes du 



âSS lVfrique a l'entrée du vingtième siècle 

nord ; le harmattan est le symétrique du sirocco de T Afri- 
que Mineure, issu comme lui du Sahara ; quand il souf- 
fle, Tair est embrasé, Thorizon embrumé d'une pous- 
sière roug-eâtre. Les hivers sont rigoureux; Mizon a vu 
de la glace en janvier 1892 ; des indigènes qui accom- 
pagnaient le voyageur allemand ZintgrafiF moururent 
de froid dans TAdamaoua, par 4-6**. Mais ces condi- 
tions, très pénibles pour eux, sont au contraire beaucoup 
plus favorables aux Européens que Thumidité chaude et 
sans répit de la côte. 

Dans les vallées plus basses, le climat est différent ; 
la violence des érosions a foré des failles profondes, 
dont le lit est tapissé d'alluvions : celle de la Bénoué, 
par exemple, est encadrée entre des falaises abruptes, 
mais les rives du fleuve sont marécageuses, et les vil- 
lages indigènes se placent un peu à l'écart ; la végéta- 
tion des fonds est tout équatoriale, avec des papyrus, 
des palmiers à huile, des bananiers. 

Deux dépressions principales traversent les monta- 
gnes de l'Adamaoua et leurs prolongements : celle de 
la Bénoué et celle du Niger, car ce fleuve lui-même, 
après un cours de plaine, coule dans une vallée resser- 
rée et coupée de rapides, de Boussa à Lokodja ; tandis 
qu'à Rabba, à peu près au milieu de ce bief, son 
niveau est à 170 mètres, le plateau ambiant est à 400 m. ; 
un promontoire domine, à l'ouest de Lokodja, le con- 
fluent du Niger et de la Bénoué. Cette dernière serait 
par ses sources très voisine du Logone ; les marais de 
Toubouri partagent peut-être leurs eaux entre le Tchad 
et le golfe de Guinée : mais, cette hypothèse ne serait- 




Le soudai^ Et LE sahaHà 25â 

elle pas vérifiée qu'il n'en faudrait pas moins remar- 
quer la valeur du couloir de la Bénoué comme voie 
de pénétration directe du bas Nig-er au Bornou. Après 
un cours sinueux dans les brèches de TAdamaoua, 
jusqu'à Yola, la Bénoué s'étale dans une plaine qu'é- 
trang-lent, de loin en loin, des ressauts montag-neux. 
En aval de son confluent avec la Bénoué, le Niger 
arrose la zone équatoriale du delta et des « rivières 
d'huile»^ que nous avons décrite dans un chapitre pré- 
cédent (i). 

L'Adamaoua, qui fut jadis une dépendance assez 
libre du Sokoto, est un état musulman, que sa consti- 
tution politique et sociale place parmi les plus avan- 
cés de l'Afrique. Il est habité par deux classes très dis- 
tinctes de populations : dans les vallées vivent des 
nègres cultivateurs et pécheurs, parmi lesquels résident 
quelques Haoussas, commerçants ; la terre est fertile, 
Mizon obtint très vite, dans son jardin d'Yola, tous les 
lég'umes d'Europe ; les indigènes cultivent le maïs, le 
riz, les arachides. Mais la race souveraine est celle des 
Foulas ou Peuls, et ceci est un nouveau trait de res- 
semblance de l'Adamaoua avec le Fouta Djalon. Les 
Foulas occupent tous les plateaux à pâturages, qui 
sont la véritable richesse du pays ; leurs fermes sont 
des hameaux palissades, avec bâtiments distincts pour 
l'exploitation et l'habitation des maîtres ; ils ont des 
troupeaux de bœufs, d'ânes et de chevaux ; les nègres 



(i) Livre I, chapitre i. 

L'Afrique. 15 



' 254 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

du bas^ pays sont ordinairement leurs captifs, et tra- 
vaillent pour eux. 

Les Foulas sont musulmans ; c'est par eux que Tis- 
lam se propage vers les bouches du Niger comme vers 
le Congo ; leurs déplacements ont toujours le caractère 
d'expéditions de guerre ; ils pillent les villages indi- 
gènes, soit pour en voler les provisions, soit pour 
recruter leur personnel de service ; la plupart des tri- 
bus nègres, mal armées, sans cohésion entre elles, se 
sont soumises ; quelques-unes cependant ont résisté, et 
se sont alors réfugiées sur les hauts sommets, aux ro- 
chers inaccessibles ; Mizon fut témoin d'un exode de ce 
genre, devant les soldats du sultan d'Yola : ainsi les 
Berbères du sud tunisien, pour laisser passer le flot 
des invasions arabes, refluaient des plaines sur les 
falaises des ksours. La domination des Foulas repose 
sur la force ; aussi les indigènes vaincus, habitués à 
tout craindre des étrangers qui pénètrent dans leur 
pays, font-ils un accueil peu empressé aux Européens; 
les Allemands se heurtent, dans Tarrière-pays du 
Cameroun, à des difficultés qui n'ont probablement 
pas d'autre origine. 

Il faudrait, pour rassurer ces noirs, l'établissement 
d'un protectorat européen effectif sur le sultan de l'A- 
damaoua et ses principaux feudataires ; l'Allemagne et 
l'Angleterre, qui se sont partagé diplomatiquement le 
pays, n'en ont pas encore commencé l'occupation. L'ar- 
mée de l'Adamaoua n'est pas sans valeur ; le sultan 
Zoubir, dont Mizon n'obtint un traité qu'à son deuxième 
voyage (1893), avait alors plusieurs escadrons de cava- 



LE SOUDAN KT LE SAHARA 



liers cuirassés ; sans doute de telles défenses ne seraient 
d'aucun usag'e contre les armes à feu, mais elles assu- 
raient une impunité presque absolue aux fourrageurs 
musulmans qui pouvaient braver sans crainte les flèches 
et les lances des nèg^res. 

Yola, capitale de rAdamaona, a été comprise dans la 
sphère d'influence ang>laise parle traité anglo-allemand 
du 15 novembre 1893. La navigation sur la Bénoué ne 
remonte jusqu'à cette ville qu'aux crues, et l'on n'a pas 
oublié que Mizon se trouva bloqué par les basses eaux 
à la hauteur de Mouri. Les Allemands n'ont un port 
qu'en amont de Yola (Garoua) et les Anglais gardent 
ainsi la surveillance presque exclusive d'une voie navi- 
gable qui pénètre à plus de quinze cents kilomètres 
dans l'intérieur de l'Afrique. Ils auront, il est vrai, à 
faire accepter leur autorité sur la Bénoué, où la Royal 
Niger Society, aujourd'hui rachetée par le gouverne- 
ment impérial, n'avait jamais eu que des pontons entre- 
pôts, tolérés par les chefs riverains ; de plus Yola est 
entourée de marécag>es, et très malsaine. 

Dans la partie méridionale de l'Adamaoua, qui leur 
est attribuée, les Allemands devront prendre possession 
des hautes citadelles des Foulas, Ngaoundéré parexem- 
ple, grand marché d'esclaves, ainsi que de coton, d'in- 
digo et d'ivoire ; mais si leur établissement politique 
doit être contesté par les Foulas, il est sûr aussi que les 
Haoussas commerçants ne se laisseront pas volontiers 
déposséder de leur monopole. On ne pourrait lutter con- 
tre leur concurrence que par des voies de communica- 
tion faciles avec la côte : or tout le domaine de la Sanga 



256 L*AFR1QUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIÈCLE 

ressort au Congo français, môme la place forte de 
Koundé, qu'habitent des musulmans de TAdamaoua ; 
les routes ne sont pas dégagées, du littoral à TAda- 
maoua par Tintérieurde la colonie allemande. Les pla- 
teaux de Ngaoundéré seraient pourtant favorables à des 
cultures riches, comme celle du coton mais tout déve- 
loppement agricole de ce pays ne profiterait qu'à la voie 
anglaise Niger-Bénoué ; il faudrait au moins que la na- 
vigation en fût maintenue libre, conformément aux 
traités. Quant au projet d'un chemin de fer de pénétra- 
tion dans le territoire allemand du Cameroun, il n'a 
pas été encore étudié sur place et la ligne ne comman- 
derait pas, selon toute vraisemblance, un pays assez riche 
pour payer les dépenses de construction. 

Les régions ondulées qui, appuyées sur les monts de 
l'Adamaoua et de Saria, entourent le Tchad à l'ouest et 
au sud-ouest sont le Haoussa (Sokoto) et le Bornou ; le 
Niger n'en forme pas la limite occidentale, car le Bor- 
gou,dansrarrière-Dahomey,présente les mêmes aspects. 
Il n'y a pas, entre le Tchad et le Niger, de faîte continu, 
seulement quelques rochers, dépouillés par les érosions, 
qui servent d'acropoles aux villes principales. Sur ce 
sol peu incliné, la circulation des eaux est paresseuse 
et incertaine : en été, l'inondation couvre la plaine de 
Sokoto; des marais stagnants, autour deKano, rendent 
ce district très insalubre. Le niveau moyen des plateaux 
est une savane pauvre en haute futaie, ouvrant cepen- 
dant vers le sud-ouest quelques cirques où les pluies 
s'engouffrent et dont la verdure résiste à la saison sèche; 



LE SOUDJLX ET L£ RAWARA 257 

l'arbre à beurre, le baobab, espèces soudanîeQDes, sont 
les arbres les plus commuus. 

Le Haoussa et le Bomou ont une population assez 
dense, dont le mouvement déjà ancien du commerce 
et les g'uerres continuelles ont métissé tous les éléments : 
des nègres Kanouris sont les cultivateurs, en force sur- 
tout dans le Bomou, hommes musclés et trapus ; quel- 
ques tribus, réfugiées dans les îles du Tchad et le delta 
du Chari, seraient encore très sanvag^es, païennes et 
réfractaîres à l'islam que les Foulas leur apportaient vio- 
lemment ; ce sont d'ailleurs les seuls agriculteurs qui 
résistent au climat paludéen des bords méridionaux du 
Tchad ; des Kanouris, plus instruits, sont coupés au- 
tour de Kano en villag-es industriels; quelques-uns tra- 
vaillent les métaux, tissent et teignent les étoffes et 
fabriquent des poteries si réputées que l'on en expédie 
des charges, par caravanes, jusque dans le sud maro- 
cain ; d'autres cultivent le manioc, le riz, le coton, quel- 
ques lég'umes. 

Les Foulas sont des demi-nomades venus du nord- 
est, branche probablement détachée du tronc sémitique ; 
ils se distinguent par leur intelligence et leur aptitude 
à rélevage ; pasteurs de chameaux à lalimitedu désert, 
ils élèvent des bœufs et des chevaux dans le Bornou et 
le Sokoto. Avec eux peut-être sont venus de l'Afrique 
méditerranéenne des traitants armés, qui se sont fixés 
dans le pays, y ont fait souche, et sont devenus souvent, 
comme dans le Kanem, les chefs politiques. Mizon a 
trouvé auprès du sultan d* Yola des négociants de Tunis 
et d'Alexandrie. 



258 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIÈCLE 

Les Haoussas,dont il est difficilede préciser rorigine, 
tant ils paraissent rassembler de traits divers, sont des 
marchands dont le domaine commercial s'étend des li- 
mites du Sahara au littoral de la Guinée ; ils ont des 
colonies sur le bas Niger et jusqu'à Kong- ; ce sont des 
nègres de petite taille, alertes, actifs et qui ont adopté 
la religion musulmane des Foulas ; peu attachés au sol, 
aventureux, ils s'engagent volontiers sous des officiers 
européens pour des expéditions de guerre ; les colonies 
anglaises de la côte de Guinée recrutent leurs soldats 
parmi les Haoussas : les géants ouolofs et sérères de 
nos régiments sénégalais affectent de mépriser ces ti- 
railleurs qui ne leur vont pas à L'épaule, mais n'en mon- 
trent pas moins delà bravoure et même de la discipline. 

Le Bornou occupe les rives méridionales du Tchad, 
et de là remonte vers l'Adamaoua par des terrasses sur- 
montées de soulèvements volcaniques (monts Mendifs, 
monts Holmas, 2000 m.). Nachtigal nous décrit comme 
une grande ville Kouka, la capitale ; il y aurait 50.000 
habitants fixes, c'est-à-dire que Koukd serait une des 
premières agglomérations urbaines de l'Afrique nègre; 
on y observe la transition entre les huttes en chaume, 
qui sont les habitations des noirs du centre africain, et 
les maisons d'argile, à toits plats qui sont celles des 
Arabes. Kouka fut jadis un grand marché ; Barth y vit 
circuler les monnaies les plus disparates, des écus d'ar- 
gent à l'effigie de Marie-Thérèse et des coquillages 
(cauris) ; on y échangeait contre du sel et des armes, 
importations du Sahara et de la Tripolitaine, de l'ivoire 
et des esclaves ; les troubles qui ont suivi l'entrée de 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 259 

Rabah dans le Bornou, la difficulté toujours croissante 
de la vente des esclaves ont fait perdre à Kouka beau- 
coup de sa valeur comme entrepôt d'un trafic transsa- 
harien. 

Rabah s'était établi au Bornou vers 1893, et depuis 
lors jusqu'en 1899, Dikoa, au sud du Tchad, fut sa ré- 
sidence ; il vivait là en pays peuplé de Kanouris qui 
cultivaient le coton et Tindig-o, et savaient en fabriquer 
des étoffes teintes ; à Dikoa, Rabah serait entré en rela- 
tions par la Bénoué avec les autorités anglaises du bas 
Nig'er ; il recevaitdifficilement par les voies sahariennes 
les armes nécessaires au maintien de son autorité ; des 
journaux anglais parlèrent alors d'une alliance à con- 
clure avec ce chef brigand, afin de le détourner du So- 
koto, réservé à l'influence anglaise, fût-ce sur les ré- 
gions d'influence allemande ou française. Ces sugges- 
tiens ne furent pas écoutées, et l'on sait que Rabah, 
vaincu par les missions françaises du Congo, tué dans 
sa dernière rencontre avec la mission Gentil, vient enfin 
de terminer son aventureuse carrière. 

Le Bornou se reconstitue sans doute tel qu'il était 
avant la conquête de Rabah, état musulman policé, avec 
une armée régulière de fantassins, de cavaliers cuiras- 
sés et môme de quelques pièces d'artillerie : les Euro- 
péens qui voudraient le soumettre pourraient donc ren- 
contrer quelque résistance, à moins de préparer l'ac- 
tion militaire par une habile diplomatie. Kouka est 
dévolue à l'Angleterre, Dikoa à l'Allemagne. Les com- 
munications les plus rapides de Bornou avec la côte 
doivent tourner le Tchad, emprunter au terri tpire aile- 



260 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

mand et français la voie du Logone et se souder enfin 
à la route de la Bénoué, qui est anglaise ; une ligne di- 
recte de Kouka sur Yola devrait franchir plusieurs ali- 
gnements de hautes montagnes et serait fort dispen- 
dieuse. 

Le Sokoto est au carrefour des routes du Sahara et 
du Soudan; il a de grandes villes, ou plutôt dévastes 
enceintes, englobant des villages et des cultures, Kano, 
Katsena, Sokoto ; Barth fut frappé de Tindustrieuse ac^ 
tivité de Kano ; mais ce marché manque de voies d'ac- 
cès naturelles, et ne peut dès lors devenir un centre de 
commerce européen. lien est autrement de Sokoto, dont 
la rivière, affluente du Niger, est navigable pendant les 
crues au moins depuis Argoungou ; aussi les Anglais, 
dans le traité de 1898, ont-il tenu à posséder Gomba^ 
au confluent de cette rivière, rejetant la frontière fran- 
çaise sur le Niger en amont, jusqu'à un point d'où la 
pénétration à l'est ne sera jamais qu'artificielle. Si, 
comme on l'induit des industries indigènes, il existe 
dans les collines au sud de Sokoto des mines exploita- 
bles de fer et d'étain, ce coin du Haoussa deviendra l'un 
des plus riches de l'Afrique ; sur les bords de la rivière 
de Sokoto, sur les rives et dans les îles du Niger habite 
une population dense, où l'on trouverait la main-d'œu- 
vre nécessaire ; les éleveurs de chevaux du Gando et 
du Borgou, pays aux mamelons verts et bien arrosés, 
fourniraient les bêtes de somme. 

Mais le Sokoto n'est pas encore approprié par les 
Européens ; il s'est fermé aux tentatives aussi bien an- 
glaises que françaises, et l'on se demande s'il ne faudra 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 261 

pas l'ouvrir par la force : il aurait une armée nombreuse ; 
où l'on compte 30,000 cavaliers ; sans doute, sa souve- 
raineté n'est plus eflfective aujourd'hui, surtout depuis 
le passage de Rabah, sur le Bornou et l'Adamaoua ; 
mais sa puissance militaire n'en paraît pas moins redou - 
table. Au colonel Lug-ard, qui gouverne les territoires 
anglais, récemment réorganisés, du bas Niger, d'en 
hâter lasoumission(i). Quant à la France, qui possède 
du Niger au Tchad la bande des steppes subsahariennes, 
exposées aux pillages des Touaregs, elle ne peut que 
s'établir fortement dans les oasis principales, celles de 
Zinder, par exemple, et prévenir ainsi toute attaque de 
SCS possessions, du nord comme du sud. 

Les rapides du Niger, entre Boussaetle confluent de 
la Bénoué ont décidé les autorités anglaises à étudier 
un chemin de fer de Lagos au Sokoto, qui franchirait 
le Niger à Rabba ; les 60 premiers kilomètres en sont 
actuellement construits, jusqu'à la station d'Abéokouta; 
i^ télégraphe précède le chemin de fer. Nous parle- 
rons dans le chapitre suivant de la voie ferrée projetée 
à travers le Dahomey français ; quant au tracé d'un 
transsaharien qui descendrait sur Zinder par la route de 
la mission Foureau-Lamy, nous croyons, jusqu'à plus 
ample informé, qu'il vaudrait mieux lui substituer une 
ligne Say-Zinder-Tchad qui serait bien, elle aussi, 
transsaharienne, et qui aurait l'avantage de rattacher à 
nos possessions de l'Afrique occidentale tout ce que les 
traités nous ont laissé à l'est du Niger. 

(i) Les Anglais viendraient d'occuper les plateaux de 
Saria (août 1900). 

L'Afrique. 15. 



264 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

de TAfrique, les bienfaisants phénomènes de la crue du 
Nil. Entre Ség'ou et Koriumé, port de Tombouctou, la 
pente du Nig'er est insensible, 20 mètres sur 600 kilo- 
mètres environ; les pluies d'été qui tombent sur le 
Fouta-Djalon grossissent le fleuve qui, en septembre, 
monte de 5 ou 6 mètres devant Bammakou ; en aval, 
les eaux se dispersent et s'écrasent ; des chapelets de 
marigots deviennent des bras actifs et de vastes maré- 
cages se tendent sur les deux rives ; le lac Faguibine, 
au nord-ouest de Tombouctou, est alors atteint par le 
Niger, mais le cours du fleuve est si lent que cette crue 
n'a lieu qu'en janvier seulement. 

Le lac Débo est formé par le double apport du Niger 
et de son affluent de gauche, le Bani ou Mayel-Balevelf 
il repose sur la marche supérieure d'une sorte d'escalier 
lacustre, comme le lac Faguibine ; c'est que là les eaux 
du fleuve ont dû s'amasser longtemps contre la falaise 
saharienne, avant de s'ouvrir vers l'est une issue qui 
a drainé un grand lac ancien et l'a réparti d'après la 
division actuelle. La pente trop faible de la plaine n'a 
pas permis le dessin d'une vallée nettement tracée ; aussi 
la navigation sur ce bief du Niger est-elle toujours in-, 
certaine; le fleuve n'a donc pas la stabilité d'une voie de 
communication définitive ; jusqu'à ce que des travaux 
aient régularisé son cours, la batellerie sera sans cesse 
exposée à des caprices qui en entraveront le progrès. 

Cet inconvénient est compensé par la fertilité de la 
zone inondée : les indigènes avaient grand soin de ca- 
cher aux voyageurs étrangers la source de leurs ri- 
chesses : René Caillié, Barth, Lenz, ont ainsi passé très 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 265 

près des lacs de Tombouctou sans même en entendre 
parler ; Texistence en fut pour la première fois soup- 
çonnée par des officiers de la province d'Oran sur des 
renseignements apportés du sud par des caravanes ; 
mais c'est seulement depuis l'occupation française qu'ont 
été vérifiées ces informations. La présence de nos trou- 
pes a été favorablement accueillie par les cultivateurs 
indig'ènes : ici comme en Ëg'jpte, comme dans les oasis 
du sud algérien, les populations sédentaires avaient été 
asservies par des nomades qui les obligeaient à cultiver ; 
nos soldats ont affranchi les noirs de Tombouctou de 
la tutelle brutale des Touaregs, comme Bonaparte déli- 
vra les Fellas de celle des Mamelouks. 

La région d'inondation de Tombouctou est l'entre- 
pôt naturel de ravitaillement de toute la partie saha- 
rienne de l'Afrique occidentale ; les indigènes y cul- 
tivent le mil et les arachides ; sur les terres couvertes 
par les eaux, le poisson se répand en telles quantités 
que ce sol, comme celui de la Cochinchine et du haut 
Zambèze, a deux récoltes par an, l'une de poisson et 
l'autre de riz ; sur les terres ordinairement émergées 
paissent des troupeaux de moutons et de bœufs à bosse ; 
ce sont là, presque sans travail, des éléments qui suf- 
fisent à Talimentation des riverains et même de leurs 
maîtres nomades. Une agriculture plus méthodique 
introduira autour de Tombouctou des plantes nou- 
velles. Je blé, le coton, l'indigo, peut-êtrie, comme dans 
le delta du Nil, la canne à sucre. On doit souhaiter 
prochain le jour où l'un des principaux services publics 
du Soudan français sera celui des irrigations du Niger. 



266 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

Les premiers essais de cultures coloniales autour de 
Tombouctou sont encourageants et quant au blé, en 
particulier, laissent espérer que ces pays deviendront 
l'un des greniers de l'Afrique occidentale pour les rési- 
dents européens, très sensibles à la privation du pain 
blanc. 

Leur richesse en a fait, dès longtemps, l'emplace- 
ment d'un marché d'échanges, et parla s'explique l'an- 
cienne fortune de Tombouctou. Cette ville, bâtie sur 
un promontoire de la falaise saharienne, à 245 mètres 
d'altitude, n'a de communications fluviales avec le 
Niger que pendant les crues ; la population en était éva- 
luée par Barth à 13.000 habitants (1853), et Lenz allait 
même jusqu'à 20.000(1880). Les documents, beaucoup 
plus précis depuis l'occupation française, sont unani- 
mes pour réduire très notablement ces chiffres ; Tom- 
bouctou n'a pas plus de 6.000 habitants fixes aujour- 
d'hui ; elle connut certainement des jours de pros- 
périté plus grande, mais les guerres perpétuelles, les 
pillages des Touaregs et plus récemment la crise éco- 
nomique déterminée par la conquête française ont 
diminué la valeur de son marché ; il nous appartient 
d'en refaire, par la paix, ce qu'il fut jadis et même 
beaucoup mieux. 

Ville d'aspect arabe, avec ses maisons à terrasses 
plates et ses mosquées, Tombouctou n'est plus dans le 
Soudan, mais plutôt dans le sud algérien ; plie est 
l'étape nécessaire entre le Soudan et le Sahara : des 
caravanes et des bateliers, ceux-ci sur de grandes piro- 
gues de 100 tonnes, lui apportent du sud l'or, le beurre 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 267 

de karité, la kola, les grains du haut Macîna, quelques 
objets tissés de Kongc ; du nord, arrivent sur des cha- 
meaux le sel de Tichit et Taoudénit ainsi que des 
étofiPes, anglaises et allemandes, débarquées à Moga- 
dor. Nourris par les cultivateurs nègres du pays à inon- 
dations, enrichis par la commission sur d'aussi nom- 
breuses et diverses marchandises, les négociants de 
Tombouctou vivaient confortablement, leurs besoins 
étaient ceux des Arabes riches, et leur ville s'était éle- 
vée jusqu'à l'industrie : Tombouctou travaille encore 
le coton et les cuirs, fabrique des bijoux, des armes, 
de la poterie ; elle a dû sans doute à ses ouvriers la 
réputation de cité luxueuse dont elle jouissait dans 
tout le monde de l'islam. 

Les plateaux autour de Tombouctou participent de 
l'aridité saharienne au nord et de la végétation souda- 
nienne au sud ; ils sont peu accidentés et portent, dans 
les endroits les moins secs, des champs de mil, partout 
ailleurs des gommiers et de maigres pâturages; sur 
les premières pentes qui montent vers le Mossi, des 
Peuls élèvent le cheval, tandis que, plus près de Tom- 
bouctou, le chameau résiste seul au climat; les che- 
vaux du Yatcnga sont connus dans tout le Soudan, ils 
étaient jadis très recherchés des chefs indigènes comme 
Tiéba et Samory. De même que le Yatenga, le Liptako, 
qui s'incline vers le Niger au nord-est du Mossi, élève 
des chevaux et des ânes ; mais le sol n'est pas encore 
assez arrosé pour d'autres espèces domestiques : Mon- 
teil dut remplacer par des ânes tous les bœufs qu'il 
avait amenés de l'ouest. 



268 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

Pendant 400 kilomètres, le Niger longe, au-dessous 
de Tombouctou, la falaise saharienne ; il a 2 à 3 kilo- 
mètres de large, mais peu de profondeur; il se traîne 
entre des rives sèches, vite saisies par le régime déser- 
tique, et n'entretient de verdure que dans les îles dont 
il est coupé ; le lieutenant de vaisseau Hourst est, depuis 
Barth, le seul Européen qui ait encore étudié cette par- 
tie du cours du Niger, mais ses études sont assez pré- 
cises et complètes pour que l'on puisse affirmer le peu 
d'intérêt de la navigation, entre Tombouctou et les 
rapides d'Ansongo ; il n'y a là que des campements 
plutôt que des villes, telRhergo qui tenta vainement de 
remplacer Tombouctou après la conquête française. 

La population des deux rives est mêlée d'indigènes 
sonrhaïs et de Touaregs ; ceux-ci sont assurément 
supérieurs, guerriers, monogames, assez instruits ; ils 
ont abattu un empire sonrhaï qui s'étendit sur tout le 
moyen Niger ; les nègres, vaincus et asservis, cultivent 
pour eux les îles du fleuve ou paissent des troupeaux 
de bœufs et de moutons sur les rives fréquemment 
inondées, qui font de la vallée du Niger une oasis dé- 
ployée dans le désert. M. Hourst avait réussi à se con- 
cilier l'amitié de Madidou, chef des Touaregs Aouellimi- 
dens (mars 1896) ; il lui avait fait présent d'un collier 
de pièces d'argent pour sa femme, et pour lui-même 
d'une selle et d'un portrait du « sultan des Français », 
M. Félix Faure ! Ces libéralités, de même que le souve- 
nir de Barth, dont Hourst se disait le neveu, permirent 
à la petite expédition (elle ne comptait que cinq blancs) 
de descendre sans encombre le moyen Niger. Mais dç- 



r 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 2G9 

puis, les Touaregs de Madidon se sont montrés moins 
dociles et, comme ils disposent d'un nombre considé- 
rable de guerriers, 90.000 à 25.000 d'après M. Hourst 
lui-même, il serait imprudent de s'aventarer parmi 
eux loin d'une base solide d'opérations. Pour les 
Aouellimidens comme pour les autres groupes toua- 
reg's, il faudrait procéder par une occupation couver- 
g-ente, à la fois du nord et du sud, de toutes les oasis 
du Sahara. 

La rive droite du moyen Niger se relève au sud vers 
le Mossi qui est l'étage dominant des plateaux de la 
boucle, en même temps que le centre hydrographique 
d'où naissent les tributaires de la Volta. Jusqu'au 
Bagoé, l'aspect général est assez uniforme ; à l'ouest 
de cette rivière, le reliefplus accidenté annonce le Fouta- 
Djalon. Les plateaux descendent vers la côte de Guinée 
en trois marches principales ; le Mossi, qui occupe la 
plus haute, se maintient à 800 mètres d'altitude ; au- 
dessous, le Sikasso, le Gourounsi, le Gourma en ont 
400 à 500 ; plus bas se développent les savanes de 
Kong, du Gondja, de l'arrière Dahomey (300 à 400m.), 
celles-ci se liant aux mamelons du Borgou et du Soko- 
to ; sur la côte enfin, les plaines littorales mettent leur 
frange de forêts, de largeur variable, au bord des der- 
nières terrasses du Soudan. 

Sur ces divers étages s'enlèvent des chaînes orientées 
du nord-est au sud-ouest, composées de grès et de 
granit et dont l'escarpement le plus raid e est uniformé- 
ment tourné au sud : une première ligne commence 




270 l'aFRIQUE a l'entrée du vingtième SIECLE 

près de Sikasso ; elle atteint, sous le nom de monts 
Naouris, une altitude de 1800 mètres et vient embar- 
rasser le Nig-er qui la traverse par les rapides d'An- 
songo ; plus au nord, des ressauts secondaires comme 
les monts Homboris (1000 mètres) en sont une re- 
production réduite. Les montagnes de Bondoukou 
(700 à 800 mètres) courbent à Test la Volta noire et 
l'amènent à rejoindre la Volta blanche auprès de 
Salaga. Au sud enfin, lés rochers du cap des Trois 
Pointes sur la Gôte-d'Or anglaise sont l'amorce d'une 
troisième série appelée monts Akouapens (500-600 m.), 
qui couvre le pays des Achantis, traverse le Togo alle- 
mand et vient s'efiPacer dans l'hinterland du Dahomey 
et de Lagos, où ses derniers ressauts contribuent à cou- 
per le Niger de rapides entre Boussa et Lokodja. 

Le régime général est celui des pluies d'été, tombant 
de juillet à novembre, et naturellement plus intenses 
autour des montagnes dominantes : ainsi la Voltanoire, 
le Gomoé, plusieurs affluents du Mayel-Balevel ont des 
sources voisines autour des hauteurs de Sikasso. Quand 
on descend vers le sud, on remarque une accalmie des 
pluies pendant le mois d'août, puis aussi celui de juil- 
let ; le début de la saison pluvieuse est alors reporté au 
printemps, et quand on atteint la côte de Guinée, on 
note une succession annuelle de quatre saisons, tour à 
tour sèches et pluvieuses, ainsi que nous l'avons in- 
diqué dans un chapitre précédent. 

Le Mossi est aujourd'hui bien connu ; la mission 
Voulet-Ghanoinc (1896-1897) y établit définitivement la 
souveraineté française ; il avait été traversé auparavant 



r 



LE SOUDAN. ET LE SAHARA 274 

par Binger, Monteil et le docteur Crozat ; on en évalue 
l'étendue à 100.000 kilomètres carrés, et la population, 
d'après Voulet, à 4 millions d'habitants ; ce chifiFre pa- 
raît trop élevé ; leMossi est cependant, à n'en pas dou- 
ter, une des régions les plus peuplées de l'Afrique 
occidentale. Touchant au nord aux prairies du Macina 
et aux territoires de parcours des Touaregs, le Mossi a 
reçu de ce côté des apports ethniques qui ont modifié les 
races indigènes ; dans l'est, plus accidenté et plus régu- 
lièrement arrosé que l'ouest, des colonies de Peuls 
élèvent le bœuf et le mouton. Les naturels sont surtout 
agriculteurs ; ils cultivent le maïs, le tabac, le coton et 
d'autres plantes textiles, les récoltes ont lieu en décem- 
bre, au commencement de la saison sèche ; les plus in- 
dustrieux fabriquent des étoiffes pour usages locaux ; 
ces indigènes sont apparentés aux Mandingues du haut 
Niger, et restent pour la plupart fétichistes, malgré la 
propagande musulmane des marchands de Tombouctou 
et du Haoussa. 

Le Mossi était parvenu, lorsque la France en prit 
possession, à une civilisation comparable à celle du So- 
koto : une hiérarchie de nabas ou chefs de villages avait 
étendu sa domination sur tous les indigènes ; ces petits 
souverains relevaient du naba d'Ouagadougou, mais 
la guerre entre eux était chronique ; ils étaient venus 
des pays sonrhaïs, chassés sans doute par les incursions 
des Touaregs, mais gardant de la lutte contre les en- 
vahisseurs une certaine vigueur qu'ils déployèrent 
contre les populations plus pacifiques du Mossi ; auprès 
d'eux résidaient des marchands musulmans, conseillers 



272 L 'AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE 

et fournisseurs tout ensemble, et dontrinfluence s'exerça 
contre nous jusqu'à l'occupation d'Ouag'adougou. Les 
nabas ne sont plus maintenant entre nos mains quedes 
intermédiaires sans pouvoir propre ; les traitants se 
sont ralliés à nous car, si les razzias d'antan ne sont 
plus possibles, ils savent se décider aux transactions 
plus régulières que développe la pacification. 

Au sud du Mossi, la végétation arbustive est plus 
ordinaire ; d'après le capitaine Quiquandon, qui futré- 
sident de France à Sikasso, capitale deTiéba, cette ville 
s'élève à 485 mètres, dans un pays fertile ; les céréales 
et le coton y sont cultivés, ainsi que le bananier que l'on 
ne rencontre pas plus au nord. Le bétail indigène est 
nombreux, et l'on trouve parmi les habitants d'excel- 
lents forgerons. Sikasso, avec 10.000 habitants environ, 
est un marché où l'on échange le sel du nord contre les 
marchandises européennes qui arrivent par le Sénégal 
et par la côte du sud. Le régime politique institué par 
Tiéba reposait, comme au Mossi,sur l'alliance de ce chef 
avec les marchands musulmans, aux dépens d'indigè- 
nes artisans et cultivateurs ; inquiets d'abord du voisi- 
nage de Samory, ces traitants ou dioulas firent d'abord 
solliciter par Tiéba la protection française; mais quand 
Samory se fut éloigné au sud-ouest, ils poussèrent 
Bemba, frère et successeur de Tiéba, à secouer cette tu- 
telle; une expédition assez pénible, un assaut meurtrier 
de Sikasso furent nécessaires pour vaincre ces résistan- 
ces (avril-mai 4898). 

D'un relief plus varié que le Sikasso, le Gourounsi 
reçoit aussi des pluies plus abondantes ; au lieu des 




r 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 273 

cultures du pays de Tiéba, c'est une brousse sur un chaos 
de chaînons granitiques, qui enserrent des vallées pro- 
fondes et marécageuses, avec des forêts et des éléphants ; 
la Volta blanche le traverse par un couloir encaissé. 
La population en est farouche ; les routes de commerce 
des dioulas évitent les rivières pour circuler sur les faî- 
tes intermédiaires, plus découverts et moins fiévreux. 
Le Gourounsiest aujourd'hui partagé entre notre Afri- 
que occidentale et la Gôte-d'Or anglaise. 

Le Gourma couvre Thinterland du Togo allemand et 
du Dahomey français, entre lesquels il a été divisé ; il 
est moins sauvage que le Gourounsi, et descend par des 
étages de prairies vers le Niger de Say ; la pluralité des 
races qui l'habitent est peut-être exprimée par ce fait 
singulier que plusieurs autorités locales commandent 
ensemble dans la même agglomération, à Noungou 
(ou Fada n'Gourma), à Sansanné-Mango. Les Peuls 
sont de plus en plus nombreux vers le Niger et là, 
comme partout, s'adonnent de préférence à l'élevage ; 
ce sont à peu près les conditions du Sokoto, sauf que 
l'islam n'a pas eu le temps, de ce côté du Niger, de fon- 
der des états aussi bien constitués que dans l'est. 

L'étage inférieur des plateaux présente tour à tour 
une savane plate, de végétation pauvre, coupée de nap- 
pes ferrugineuses et de vallées profondes, et des ma- 
melons mieux arrosés sur lesquels se pressent les cul- 
tures et les populations. Le pays de KcKig n'a que des eaux 
rares, il est exposé à de fortes chaleurs, surtout avant 
le commencement des pluies (avril) ; il est traversé par 
des coupures à bords abrupts dans lesquelles coulent 



274 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

le Gomoé et le Bandama ; les alluvions aurifères j sont 
nombreuses, mais le manque d*eau en fendrait l'exploi- 
tation difficile. La poudre d'or est une monnaie ordi- 
naire des indigènes qui n'en connaissent pas la valeur, 
puisqu'ils se servent aussi couramment de cauris. 

Lorsque M. Bing-er traversa Kong-, en 1888, il j vit 
un important marché d'objets indig'ènes et même euro- 
péens, ces derniers arrivant de la côte ; Kong" avait 
alors 12.000 à 15.000 habitants, fabriquait des tissus de 
coton, des étoffes teintes, de la ferronnerie, de la van- 
nerie, cette dernière industrie étantconfiée aux femmes; 
des cultures épuisantes avaient appauvri le sol des en- 
virons, mais l'aisance paraissait encore générale... Le 
passage des sofas de Samorj anéantit cette prospérité ; 
lorsque, en 1898, nos troupes réoccupèrent Kong, elles 
trouvèrent une population décimée, des champs partout 
en friche, toute une œuvre à refaire. 

En avançant de Kong vers la Volta le pays devient 
plus forestier et plus marécageux ; c'est le Gondja, qui 
correspond au Gourounsi et aux montagnes de Bon- 
doukou ; là, l'or est particulièrement abondant ; les in- 
digènes sont tous munis d'une petite balance pour peser 
la poudre et d'un aimant pour en extraire les parcelles 
de fer ; mais l'argent monnayé paraît pour eux de plus 
de valeur qu'un même poids d'or. Bondoukou a été 
laissé à la France, et l'on peut croire qu'il serait inté- 
ressant d'étudier une région où l'or est si commun, 
mais si l'eau n'y manque pas pour l'exploitation, comme 
à Kong ; le Gondja est aussi insalubre que la côte, dont 
il annonce la nature équatoriale ; le séjour des Euro- 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 275 

péens y serait très pénible, fût-ce pour dirig-er des tra- 
vaux miniers sans y participer eux-mêmes. 

Dans Tarrière Tog^o, au contraire, et surtout dans 
l'arrière Dahomey, les collines sont mieux aérées, lacir- 
culation des eaux plus régulière, donc la salubrité meil- 
leure ; Abomey,qui n'est guère qu'à cent kilomètres de 
la mer, est 3ituée à 325 mètres d'altitude, entourée de 
belles avenues d'arbres et de champs cultivés ; les cruau- 
tés de l'ancienne monarchie de Behanzin n'excluaient 
pas une certaine civilisation et, dans l'énergie môme de 
la résistance qui fut opposée à nos troupes, on saisit 
une preuve des qualités réelles des indigènes dahoméens; 
leurs cultures sont soignées, leurs cases propres ; ils 
s'habillent plus complètement que la plupart des nègres; 
de plus comme le rideau de la forêt littorale est ici très 
peu épais, le Dahomey apparaît comme une des parties 
de la côte qu'il est le plus aisé de relier rapidement à 
son hinterland. Au nord, vers le Niger, les savanes pas- 
torales succèdent aux terrasses plus arrosées où seront 
possibles les cultures coloniales ; la population indigène 
des Mahis, qui se compose de bons agriculteurs, fait 
place à des Peuls, dont les fermes palissadées rappel- 
lent celles de l' Adamaoua et du Fouta-Dj alon . L'islam est 
propagé par les marchands haoussas, et aussi par des 
cavaliers baribas, pirates plutôt que caravaniers, qui 
ont été les derniers adversaires de l'action française. 

L'ensemble des plateaux de la boucle du Niger ren- 
ferme donc en abondance des produits riches, comme 
la kola, le beurre de karité, le coton, etc.. sans parler 
de races d'animaux domestiques, comme les bœufs du 



^76 l'afRIQUE a L^ENTHÉE Dt7 VINGTIÈME SIECLE 

Mossi et les chevaux du Yatenga et du Borgou. Mais 
cette région a été profondément troublée, presque sous 
les yeux des conquérants européens, par des envahis- 
seurs musulmans: Faidherbe dut lutter contre ËlHadj 
Omar, puis les successeurs de Faidherbe contre Ahma- 
dou, Tun des fils de ce prophète ; sur le haut Niger, 
Samory vécut plusieurs années de pillage, bernant la 
confiante naïveté qui nous le faisait accepter pour un 
souverain civilisé ; ailleurs, c'étaient les cavaliers bari- 
bas du pays Mahi, ou les Zabermabés, vaincus par Cha- 
noine avec Taide des indigènes du Gourounsi. Nous 
avons donc surpris le Soudan en pleine crise, avant que 
l'islam, qui l'attaquait de toutes parts, eût le loisir d'y 
fonder solidement les états qu'il ébauchait à peine. On 
doit tenir grand compte de ce fait, si Ton veut compren- 
dre les causes de sa médiocre valeur actuelle et les con- 
ditions de sa régénération pour l'avenir. 

Dans l'insécurité générale de cette conquête en mar- 
che, les transactions commerciales avaient été réduites, 
presque partout, à des échanges locaux ; les caravanes 
de dioulas n'osaient plus s'aventurer du Bagoé jusqu'à 
Kong, lorsque les sofas de Samory tenaient cette place ; 
il n'y avait donc plus, lors de l'arrivée des Européens, 
de grands courants commerciaux : quelques charges de 
kola, du sud au nord, quelques sacs de sel, en sens in- 
verse, et c'était tout. Kong, dévastée par Samory, n'en- 
voyait plus sur le moyen Niger ses tissus teints. Par con- 
tre, dès l'occupation française du Macina,des bestiaux et 
des grains descendirent par caravanes ou par piro- 
gues sur Tombouctou ; cette ville reçut même bien- 



LE SOUDAN ET LE SAUAHA ill 

tôt des convois de bœufs amenés du Fouta-Djalon. 

Quant aux relations entre la côte de Guinée et l'inté- 
rieur, on peut dire qu'elles n'existaient pas : la forêt 
dressait sur toutes les routes possibles son obstacle de- 
vant les dioulas indigènes ; elle était peuplée d'habi- 
tants sauvages, anthropophages, hostiles aux musul- 
mans du Soudan comme aux Européens du littoral ; les 
TTiarchands haoussas devaient déposer leurs marchan- 
dises sur la lisière de la forêt, dans les ports extrêmes 
du Soudan ; de là les naturels des bois les emportaient 
dans leurs clairières. Si, parmi les populations côtières, 
quelques-unes paraissaient plus avancées, c'étaient des 
tribus féroces, les Achantis et les Dahoméens ; ainsi la 
zone d'action des ports européens de Guinée n'était-elle 
qu'une mince bande côtière : seule Accra recevait par 
plusieurs séries d'intermédiaires une petite quantité de 
poudre d'or, originaire du Gondja. 

Lorsque M. Binger, après son mémorable voyage du 
Sénégal à la Côte d'Ivoire, était gouverneur de cette der- 
nière colonie, il essaya bien de nouer des communica- 
tions avec l'intérieur : le lieutenant Braulot (qui devait 
plus tard mourir victime d'une perfidie de Samory) 
était bien accueilli par les chefs musulmans de l'inté- 
rieur ; en même temps, le capitaine Marchand poussait 
jusqu'à Kong, à travers le large couloir de plaine du 
Baoulé ; par ses soins, des groupes de dioulas étaient 
prêts à descendre à la côte par cette voie toute nouvelle 
pour eux ; quelques-uns s'étaient aventurés déjà, tous 
les chefs des stations intermédiaires, catéchisés par 

Marchand, leur assuraient libre passage, et le capitaine 
L'Afrique. 16 



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-9^^vr 



278 L*AFRIQUE A L*ENTRÉB DtJ VINGTIEME SIECLE 

croyait dès lors avoir ouvert la mer au Soudan (1893- 
94)... Vain espoir: Samorj, rejeté par nos colonnes, 
refluait à Test, il arrivait au Baoulé, saccageait le 
pays de Kong* et la forêt refermait derrière la côte d*I- 
voire sa barrière un instant écartée. A peine commence- 
t-on aujourd'hui, Samory vaincu enfin, à relever ces 
ruines. 

On peut donc dire que les pays de la boucle du Ni- 
ger, à la fin du xix® siècle, ne sont encore atteints di- 
rectement par aucune voie de pénétration européenne, 
mais les partages politiques entre les puissances colo- 
niales sont enfin terminés ; les derniers dissidents in- 
digènes sont réduits, à l'exception des Achantis que des 
violences maladroites ont encore soulevés cette année 
même (1900) contre les autorités anglaises de la Côte- 
d'Or. Cette insurrection n'étant d'ailleurs qu'un incident 
tout local et que l'on doit souhaiter promptement clos, 
le moment est venu d'organiser les communications 
extérieures de tout l 'arrière-pays ; on s'en occupe acti- 
vement, chez nous surtout, car les conventions ont ré- 
servé la plus grande partie de ce domaine à la France, 
dont les territoires entièrement occupés aujourd'hui ne 
laissent à l'Allemagne et à l'Angleterre que l'enclave 
littorale du Togo et de la Côte-d'Or. 

Gomment ouvrir ces régions à l'Europe et quelles en 
sont les parties qu'il convient d'atteindre les pre- 
mières ? 

Les bords du Niger ne présentent d'intérêt qu'en 
amont de Tombouctou ; là notre œuvre doit être d'abord 




LE SOUDAN ET LE SAHARA 279 

politique, car les cultivateurs indigènes, forcés de céder 
aux nomades armés la meilleure partie de leurs ré- 
coltes, mènent une vie misérable au milieu de leurs 
riches moissons ; une occupation vigilante et prolongée, 
garantissant à chacun les produits de son travail, est 
donc la condition primordiale d'un progrès économi- 
que, d'ailleurs assuré. Mais les communications par 
le Niger sont précaires au-dessous de Ségou et de San- 
sanding ; le cours navigable est incertain ; le combus- 
tible manque pour les chaudières : les arbres se font 
de plus en plus rares sur les dunes, percées de cou- 
poles de granit, qui portent quelques villages de pê- 
cheurs indigènes, à l'abri des inondations. En 1887, 
le lieutenant de vaisseau Gàron atteignit à grand peine 
Koriumé, port de Tombouctou ; à son retour, il fut 
assailli dans le lac Débo par une tornade dangereuse, et 
l'accès des rives, marécageuses, infestées de nuées de 
moustiques, lui parut très difficile. On pourra cepen- 
dant, selon toute vraisemblance, utiliser régulièrement 
le Niger jusqu'à Tombouctou pour des transports par 
chalands plats, remorqués par des chaloupes à faible 
tirant d'eau et dont l'un servirait de tender d'approvi- 
sionnement pour la machine. 

La région vraiment fertile du Soudan français est la 
zone centrale, celle des plateaux ondulés où les cul- 
tures coloniales seront tentées avec succès, celle où 
réapparaissent, au sud des steppes à pâturages insta- 
bles, les pluies régulières et les groupes plus denses 
et plus fixes de population ; le haut Niger, les anciens 
Romaines de Çainory se rattachant naturellement aux 




280 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

voies d'évacuation du Sénégal et de la Guinée fran- 
çaise, il en sera question dans le chapitre suivant; 
comment le Mossi et le Kong, le Sikasso, le Gourma, 
pour ne parler que des territoires français, ressortiront- 
ils à la côte méridionale et aux routes de l'ouest, voilà 
ce que nous devons étudier ici. 

Par l'hydrographie, ces pays appartiennent au ver- 
sant du golfe de Guinée, mais aucune communication 
ne les y relie, tandis que, bien au contraire, divers 
obstacles les en séparent : les fleuves ne sont naviga- 
bles que sur des biefs très courts, et les vallées s'oppo- 
sent aux relations, plutôt qu'elles ne les favorisent : en 
été, les cours d'eau sont assez grossis par les pluies 
pour que les pirogues franchissent les rapides ; mais 
en cette même saison, des marais sans profondeur se 
forment sur les marches du plateau, le chenal s'y dé- 
place et les embarcations risquent à tout instant de 
s'échouer ; aussi les sentiers indigènes courent-ils, 
sans distinction de saison, sur les parties émergées ; 
c'est sur leurs traces que, renonçant résolument à l'em- 
ploi des voies fluviales, on est aujourd'hui décidé à 
lancer des chemins de fer. Même la route Bandama- 
Bagoé, dont Marchand attendait beaucoup, n'ofifre pas 
les ressources qu'il en espérait, et cependant de ce côté 
le portage par terre serait réduit au minimum entre les 
affluents du Niger et les tributaires du golfe de Gui- 
née, mais la navigation du Bagoé par pirogues indi- 
gènes ne commence qu'à la hauteur de Sikasso ; elle se 
joint à celle du Niger dans le lac Débo. 

En attendant que les communications SQÎeat ré^u- 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 281 

Hères du Soudan vers la côte, nos représentants se sont 
occupés d'en assurer au moins la circulation inté* 
rieure ; un rapport du commandant Destenave signa- 
lait qu'en 1898 la pacification des «pays de la boucle» 
était complète ; des commerçants indig-ènes venus de 
Saint-Louis, de Kayes et de Médine s'établissaient jus - 
qu'à Ouagadougou, centre de notre administration ; 
des négociants européens visitaient les marchés du 
pays, résolus à y fonder des comptoirs. Deux pistes, 
munies de gîtes d'étapes, sont maintenant tracées en 
croix à travers le Soudan français ; l'une va du lac 
Débo à l'arrière-Dahomey, par le Yatenga, le Mossi et 
le Gourma (900 kilomètres) ; l'autre suit la corde de 
l'arc du Niger, sur 800 kilomètres, entre Mopti et Say 
par le Macina méridional et le Liptako ; ces pistes, sim- 
plement débroussaillées par des prestataires indigènes, 
se prêtent à la circulation d'animaux de bât et de voi- 
tures Lefèvre. 

Dans tout le Soudan, le développement méthodique 
de l'élevage doit fournir au commerce les bêtes de 
somme dont il a besoin ; c'est un notable avantage sur 
les pays équatoriaux, où le service du portage dé- 
tournera nombre d'indigènes de l'agriculture, jusqu'à 
ce que des voies de pénétration artificielles aient été 
créées. Or la main-d'œuvre des Soudanais est déjà for- 
mée pour l'agriculture, les régions de Kong et de 
Sikasso sont peuplées de paysans qui produiront volon- 
tiers au delà de leurs besoins immédiats dès qu'ils 
seront certains de ne pas travailler pour des chefs pil- 
lards, comme Bemba ou Samory. Le capitaine Péroz 
L'Afrique. 16. 




282 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 



raconte que celui-ci faisait cultiver par des captifs les 
environs de ses résidences, Kankan, Bissandougou et 
qu'il existait autour de ces villages des champs d'oran- 
gers fort bien entretenus. Le Soudan se trouve donc 
placé dans des conditions favorables pour que la « paix 
française » y soit rapidement féconde. 

Cet essor sera plus vif encore si des portes lui sont 
ouvertes sur la mer de Guinée et c'est la France qui doit 
le diriger. La colonie allemande du Togo n'a qu'une 
frontière littorale très étroite, étranglée entre la Côte- 
d'Or anglaise et le Dahomey français ; les rivières for- 
mées dans la région montagneuse de Bismarckbourgf 
vont à la Volta, dont l'embouchure est anglaise ; un 
chemin de fer ne franchirait pas sans de grands frais 
cette zone pluvieuse et forestière qui s'abaisse vers le 
nord en prairies d'élevage, habitées par des groupes de 
pasteurs peuls. Quant à la pénétration anglaise, elle 
serait moins contrariée par la nature, puisque l'ouest 
de la colonie n'est pas barré par des chaînes de monta- 
gnes ; mais l'hostilité des Achantis n'est pas encore 
vaincue, et c'est sans doute à cette difficulté qu'il faut 
attribuer l'arrêt des travaux du chemin de fer de Segondi 
à Coumassie, malgré les subsides récemment votés par 
le Parlement. Au début de 1900, une soixantaine de ki- 
lomètres étaient construitsjusqu'àTarqua,dans un dis- 
trict minier ; les plans de deux autres tronçons étaient 
arrêtés au départ d'Accra et d'Apam. 

En territoire français, les travaux porteront sur deux 
lignes de pénétration, l'une partant de la Côte d'Ivoire, 
l'autre du Dahomey; les deux tracés ont été étudiés 



r 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 283 



pendant Tannée 1899. Le chemin de fer du Dahomey 
doit relier Kotonou au Niger ; il peut être entrépris, si 
Ton ne préfère leconfier à des compagnies particulières,* 
par la colonie elle-même, dont le budget de 1899 lais- 
sait un excédent de 800.000 francs ; il traverse le pays 
d'Allada, propre à toutes les cultures tropicales, puis 
celui d'Abomey où commencent les collines à produits 
plus variés ; il s'enfonce ensuite dans les savanes des 
Mahis, dans le Borgou et atteindra le Niger, après un 
• parcours d'environ 700 kilomètres, en un point non en- 
core déterminé. Les études sont complètes sur les 360 
premiers kilomètres, et le coût en est estimé par le com- 
mandant Guyon, chef de la mission, à 65.000 francs 
par kilomètre ; la main-d'œuvre pour les terrassements 
serait obtenue sur place, après entente avec les chefs 
indigènes, et cette prévision a permis de proposer un 
prix de revient qui paraît bas ; souhaitons qu'il n'y ait 
pas de mécomptes sur ce point non plus que sur l'es- 
timation très optimiste des recettes immédiates ; il est 
clair qu'il faut au plus tôt, môme au prix de sacrifices 
temporaires, affranchir les indigènes et les colons agri- 
culteurs des servitudes du portage, et ceci n'est possible 
que par la construction rapide du chemin de fer. 

La ligne de la Côte d'Ivoire a été levée parla mission 
du capitaine Houdaille : elle partira d'un port nouveau, 
aménagé sur la lagune de Grand Bassam, à l'ouest de 
cette ville qui sera probablement évacuée ; elle s'enfon- 
cera dans l'intérieur jusqu'à 300 kilomètres environ de 
la côte et sera ultérieurement prolongée sur Kong ; de 
là, on peut souhaiter qu'une extension nouvelle la con- 



284 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

duise jusqu'à Sikasso et au terminus navigable du Ba- 
goé. Le prix kilométrique serait de 60.000 à 80.000 fr.; 

• 

Texploitation de la forêt côtière permettrait certaine- 
ment, dès les débuts, un trafic suffisant pour couvrir 
les frais d'exploitation. Une observation du lieutenant 
Macaire, adjoint au chef de la mission, est particulière- 
mont intéressante : c'est celle des chutes de la Gomoé 
dont on pourrait emprunter la force hydraulique soit 
pour le chemin de fer lui-môme, soit pour des travaux 
forestiers. Le seul moyen pratique d'employer ces ri- 
vières sauvag'es ne serait-il pas, en effet, de discipliner 
leur effort en le communiquant à des machines, ce qui 
est maintenant possible même à grande distance ? 

A l'ouest, les chemins de fer de Kayes à Koulikoro et 
Kouroussa à Konakry relieront le Niger au Sénégal et 
à la Guinée française. Une autre voie serait utile pour 
assurer la cohésion de tout notre empire de l'Afrique 
occidentale : c'est celle qui traverserait d'ouest en est 
tout le Soudan, de Sikasso à Say, par exemple, avec 
prolongement éventuel parle transsaharien Say-Zinder- 
Tchad ; elle prendrait contact avec les voies de la Côte 
d'Ivoire et du Dahomey et serait facilement reliée, d'au- 
tre part, au réseau du Sénégal ; elle suppléerait à l'in- 
suffisance du moyen Niger comme voie navigable; 
lorsque le transsaharien venant du nord y serait soudé, 
de manière quelconque, le domaine de la France dans 
l'Afrique occidentale serait entièrement frayé, capable 
d'une plus-value immense, et fortement outillé pour dé- 
fier tous ses ennemis. 

Le ministère des colonies, par le décret du 17 octobre 




r 



LE SOUDAN ET LE SÀUaRA 285 

1899, dit de dislocation du Soudan, a voulu dès main- 
tenant assigner à chacune de nos colonies côtières la 
part des régions soudaniennes qu'elle devra desservir 
un jour ; il n*a conservé, au nord et à Test, que deux 
territoires militaires (1), dont les chefs sont étroitement 
soumis au gouverneur général de T Afrique Occidentale. 
Ce décret a devancé des réalités souhaitables, mais en- 
core contingentes : ni le Dahomey ni surtout la Côte 
d'Ivoire ne sont encore les débouchés maritimes de leur 
arrière-pays, et la situation ne sera pas diflFérente jus- 
qu'à l'achèvement des chemins de fer de pénétration. 
Il faut espérer que ceux-ci seront établis sans tarder ; 
ouvrant les uns aux autres des pays de productions dif- 
férentes, ils seront d'une utilité commerciale et, pour- 
rait-on dire, sociale supérieure à celle delà voie Kayes- 
Niger et prolongements, le long de laquelle la nature 
est peu variée. Mais si Ton a toutes raisons d'en hâter 
les travaux, on ne doit pas oublier que ce n'est là, pour 
la France, qu'une partie de l'œuvre nécessaire; la for- 
mule administrative, unité ou dislocation, importe peu; 
le tout est que la multiplicité des intérêts particuliers 
ne laisse pas perdre de vue les plans d'ensemble qui 
doivent guider le progrès des possessions françaises 
de l'Afrique du Nord. 

(1) Un troisième territoire militaire vient (juillet 1900) 
d'être créé dans les pays à Test du Niger. 



CHAPITRE IV 
Le Soudan occidental et le Sénégal. 

Sous le nom de Soudan occidental, on peut compren- 
dre les pays du Haut Nig-er et du Sénégal et la façade 
atlantique correspondante, c'est-à-dire la côte africaine 
depuis le fleuve Sénégal jusqu'au Cap des Palmes ; la 
succession des zones géographiques y est, du nord au 
sud, la même que dans la boucle du Niger : le Kaarta 
sur la rive droite du Sénégal, le Ferlo sur sa rive gau- 
che, le littoral du Cayor jusqu'au Cap Vert appartien- 
nent à la nature saharienne ; le Niger et le Sénégal, 
dans leurs vallées supérieures, arrosentun pays monta- 
gneux et pittoresque, dont l'expression la plus carac- 
téristique est le Fouta-Djalon ; la côte enfin, dès 
l'embouchure de la Gambie, est exposée aux pluies 
équatoriales et tout l'arrière-pays se couvre de forêts, 
aussi denses en territoire libérien que dans la colonie 
française voisine de la Côte d'Ivoire. 

Nous avons dit que le Niger, entre Ségou et Tombouç- 



r 



LE SOUDAN ET LE SAHARA ^8? 



tou, poussait en plein désert une large oasis; on retrou- 
vera donc, à Touest de cette plaine lacustre, les eaux 
temporaires, la végétation pauvre et la population no- 
made des frontières géographiques du Sahara. Le 
Kaarta servit de refuge aux Toucouleurs d'Ahmadou 
chassés de Ségou. La campagne du colonel Archinard, 
qui pacifia non sans peine ce pays inhospitalier fut une 
expédition de découverte en môme temps que de guerre; 
les steppes du Kaarta ressemblent à celles du sud algé- 
rien ; les cours d'eau sont des oueds, au lit générale- 
ment sec, mais raviné de loin en loin par des trombes 
diluviennes ; il faut des ponts fort élevés au-dessus des 
vallées pour en assurer le passage en toutes saisons. 
Quelques villages ou plutôt campements sont serrés 
autour des puits : celui d'Ouossébogou fut défendu avec 
acharnement par les Toucouleurs contre la colonne 
Archinard, qui avait dû emporter dans ses fourgons une 
provision d*eau potable (avril 1890). 

Nioro, Tancienne capitale d*Ahmadou, est dans une 
oasis, un groupe de maisons à toits plats qu'entourent 
des champs de mil et des jardins potagers ; les Maures 
nomades tiennent leurs marchés au dehors, couchant 
pêle-mêle avec leurs chameaux dans des enclos qui rap- 
pellent les fondouks de l'Afrique du nord. Une ligne 
tirée de Ségou à Koniakary, au nord deKayes, marque 
à peu près exactement la limite septentrionale des eaux 
permanentes ; là finit l'Afrique noire, habitée par des 
cultivateurs bambaras. Les Toucouleurs sont des métis 
de Maures et de Bambaras, musulmans, guerriers et 
pillards ; les moins malfaisants sont des pasteurs, qui 



à88 l' AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 

promènent selon la saison, sèche ou pluvieuse, des 
troupeaux de chameaux, avec quelques chevaux au voi- 
sinag'e du Sénég'al et du Niger. Depuis la conquête 
française du Kaarta, quelques-uns ont quitté ce pays 
pour les bords du bas Sénégal ou de la Gambie où ils 
sont bateliers et parfois cultivateurs ; d'autres s'eng-a- 
gent dans nos régiments de tirailleurs, et font de bons 
soldats. 

Un plateau relevé d*ouest en est porte les nombreuses 
sources qui forment le Sénégal en amont de Bafoulabé 
(140 m.) ; il vient se terminer sur le Niger par une fa- 
laise dont ce fleuve comble le fossé extérieur, de Siguiri 
à Ségou ; il se diversifie vers le sud pour passer au relief 
de montagnes du Dinguiraj et du Fouta-Djalon. Ba- 
foulabé, marché paisible aujourd'hui, est heureusement 
située au confluent du Bakhoy et du Bafing, sources 
principales du Sénégal ; elle a des paillottes indigènes 
et des maisons européennes, et tout autour une plaine 
d'alluvions produit abondamment le riz, le mil, le maïs, 
l'arbre à beurre ; elle reçoit aussi l'or du Bambouk et 
du Bouré. 

La plaine au fond de laquelle coulent le Bakhoy et 
le Bafing est élevée de 350 mètres et dominée par des 
masses tabulaires, dont le meilleur type est celle de 
Kita (600 mètres) ; nous avons fait de Kita notre 
étape de repos, à mi-chemin entre le Sénégal et le 
Niger; un camp retranché y est établi, ainsi qu'un 
sanatorium, à côté d'une belle source jamais tarie. Le 
paysage est plus tropical que dans le Kaarta ; des bou- 
quets d'arbres, des jongles parsèment le sol ; des élé- 



t£ SOUDAN ET LE SlAHARA ^89 

phants, des antilopes vivent autour des marigots ; çà et 
là, des forêts épaisses, sur un relief très tourmenté, en- 
travent la circulation : dans Tune d'elles, la mission 
Galliéni fut attaquée en 1880 par les Bambaras du 
Bélédougou soumis depuis par la colonne Borgnis- 
Desbordes. Ces Bambaras comptent aujourd'hui parmi 
nos meilleurs auxiliaires ; paysans sédentaires, ils 
savent cultiver le coton et travailler le fer; ils sont 
assez réfractaires à la prédication de Tislam. 

La falaise du plateau vient tomber très près du Niger, 
en deux ou trois bonds dont le dernier presque toujours 
brusque est de 20 mètres ; les pays qui bordent ainsi le 
fleuve, sur les hauteurs, sont le Bouré et le Manding 
dont les indigènes se livrent depuis longtemps à l'ex- 
traction de l'or : d'après les indications de leurs sor- 
ciers, ils creusent des puits de 25 à 40 mètres, d'où la 
terre aurifère est montée au jour par un système pri- 
mitif de cordes et de calebasses ; des. lavages répétés 
isolent après un long travail quelques grains de poudre 
d'or. Les Mandingues ou Malinkés ne lavent pas l'or 
toute l'année, mais seulement dans l'intervalle de leurs 
travaux agricoles ; ils le vendent à des marchands mu- 
sulmans, qui vont ensuite par caravanes de vingt à 
soixante, avec une centaine d'ânes, le revendre à Mé- 
dine et à Bafoulabé, d'où ils rapportent en échange du 
sel, de la poudre, des étoffes, etc.. La teneur en or 
des alluvions exploitées ne serait pas suffisante pour 
rémunérer une industrie minière à l'européenne ; on 
estime que la production annuelle de l'or, dans le 
Bouré, ne dépasserait pas une valeur de 200.000 francs, 
L'Afrique. 17 



âOÔ L*AFRIQUÉ A L*ENTR^E Dt) VINGTIEME SiÈcLË 

correspondant à 500.000 francs après transport sur les 
marchés d'Europe. 

Au pied de la falaise, dont il est éloig-né de 3 à 
30 kilomètres, le Niger est large de 400 à 2000 mètres ; 
Siguiri, Kangaba, Bammakou, Koulikoro en sont les 
principales positions. Siguiri commande les confluents 
d'où Ton remonte soit vers les villes jadis occupées par 
Samorj, Kankan et Bissandougou, soit vers le Dingui- 
rayet le Fouta-Djalon. Dans ce pays qui fut longtemps 
pillé par les sofas, la paix est aujourd'hui revenue, et 
l'abondance ; on exploite l'or, l'ivoire, et aussi le caout- 
chouc et la kola. Le Niger, qui déborde tous les ans, 
couvre et découvre alternativement de riches terres 
d'alluvions, où le riz et le mil viennent presque sans 
culture; les villages indigènes sont placée sur des 
monticules, hors de la zone d'inondation ; la vie ani- 
male est représentée surtout par d'innombrables hippo- 
potames ; le fleuve est très poissonneux, des corpora- 
tions de somomos pêcheurs existent dans tous les grou- 
pements indigènes. 

Bammakou est le point où la colonne Borgnis-Des- 
bordes atteignit le Niger, après de terribles fatigues, 
le i^"^ février 1883 ; un fort y fut rapidement élevé, 
pour surveiller la population assez dense et très mé- 
langée qui occupe les deux rives du fleuve ; à ce 
moment, notre ligne de ravitaillement n'était même 
pas assurée, Ahmadou ni Samorj n'étaient vaincus 
et le raid du colonel Desbordes était d'une extrême 
audace. Aujourd'hui, le touriste le plus pacifique 
peut circuler sans crainte du Sénégal au Niger, sur 



Lfi SOUDAN ET LE SAHARA 291 

une route fréquentée et pourvue de gttes d'étape. 

On espérait, en 1883, faire de Bammakou le point 
de départ de la navig-ation du Nig'er ; on s'était trom- 
pé : à 6 kilomètres plus bas, le fleuve tombe brus- 
quement de plus d*un mètre ; puis il franchit d'autres 
rapides, rendus plus dangereux par les troncs d'arbres 
que son cours entraîne, et n'est définitivement libre 
qu'à Koulikoro ; ces rapides ne sont pas un obstacle 
absolu ; des piroguiers hardis peuvent les sauter aux 
hautes eaux, mais la circulation commerciale ne sau- 
rait s'accommoder de risques pareils ; il a donc fallu 
reporter à Koulikoro (70 kilomètres aval de Bamma- 
kou) l'amorce de la navigation sur le moyen Niger ; de 
là, on ne rencontrerait plus de barrière jusqu'à Anson- 
go, mais nous avons dit ci-dessus quel médiocre inté- 
rêt économique présentait le Niger au-dessous de 
Tombouctou. Quant au bief amont Bammakou-Sigui- 
ri, on ne peut affirmer qu'il soit en tout temps navi- 
gable, le fleuve est encombré d'îles boisées, de bancs 
de sable, sur lesquels les échouages seraient fréquents ; 
une flottille de remorqueurs et de chalands pourrait 
cependant s'en servir une partie de l'année ; certaines 
passes sont, de loin en loin, très faciles : à Touréla le 
fleuve est, aux basses eaux, large de 700 mètres et pro- 
fond de 5 mètres, mais ce sont là des exceptions. 

A Koulikoro, le Niger s'étend sur 2 kilomètres et 
forme une belle voie jusqu'aux marais du lac Débo ; 
la falaise de sa rive gauche s'efiFace insensiblement, la 
pente est réduite à 0"™06 par kilomètre, le pays est très 
peuplé surtout entre le Niger et son affluent de droite 




â92 L^AFRIQUE A L*ENTREË DU VINGTIEME SIECLE 

le Bani ; Nyamina, Ségou, Sansanding^, Djenné en sont 
les villes principales ; le Baninko, qui est la presqu'île 
entre les deux cours d*eau, est couvert de cultures, 
céréales, arbre à beurre, cotonnier; les indig-ènes ont 
de beaux troupeaux de moutons et élèvent des abeilles 
pour le miel et la cire. L'occupation française a brisé 
la puissance des Toucouleurs, qui s'imposaient par la 
force aux naturels bambaras ; ceux-ci firent le meilleur 
accueil, dès 1887, au lieutenant de vaisseau Garon, 
mais c'est seulement en 1890 que la colonne Archinard 
s'empara de Ség-ou, capitale des Toucouleurs d'Ahma- 
dou. La France a remplacé ces maîtres brutaux par 
des chefs indigènes fidèles, dont plusieurs sont deve- 
nus d'excellents collaborateurs. Entre tous se distingue 
Mademba-Saye, fama de Sansanding, ancien télégra- 
phiste militaire, qui a multiplié dans sa circonscription 
les essais agricoles (tabac, coton, caoutchouc) et dont 
les correspondances, écrites en fort bon français, sont 
accueillies avec plaisir dans les revues métropoli- 
taines. Une expérience des plus intéressantes et qui a 
bien réussi est celle des moulins de Koulikoro. 

Le Ouassoulou, situé entre le haut Niger et le Bagoé, 
fut longtemps le centre de la puissance de Samory; c'est 
un plateau ridé, aux mamelons verdoyants, un des coins 
du Soudan occidental qui paraissent promis au plus bel 
avenir; les sofas avaient bien souvent brûlé des villages 
du Ouassoulou, que nos colonnes trouvèrent en ruines 
et semés d'ossuaires ; mais les lougans ou champs 
du maître étaient habilement cultivés, et Samory tou- 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 293 

chait en nature des rentes considérables. La prospérité 
agricole de cette contrée renaît sous nos jeux ; Kankan 
est maintenant un marché fréquenté par 5.000 indigènes. 
De là, nos postes se sont avancés vers la forêt qui sépare 
les prairies soudaniennes de la côte de Guinée, éten- 
dant à chaque étape nouvelle la zone régénérée par la 
paix. 

Or il est aujourd'hui bien établi que les populations 
indigènes ainsi délivrées sont essentiellement agricoles; 
le Bambara surtout est un paysan qui aime la terre ; il 
sarcle ses champs, taille ses cotonniers, connaît des as- 
solements et même Tusage des engrais ; les noirs de la 
haute Volta sont jardiniers plutôt que laboureurs, et 
leurs arbres fruitiers, manguiers, kolatiers, papayers, 
orangers, etc., sontbien soignés. Le Soudan occidental 
est donc un pays d'élection pour les cultures coloniales, 
et nous ne saurions trop encourager les essais qui en 
seront tentés. Le général de Trentinian, dont la mission 
a pris fin prématurément, mais dont les idées survi- 
vront sans doute, s'était entouré de spécialistes, dont le 
rôle était de dresser l'inventaire économique du Sou- 
dan et d'en préparer la mise en valeur, surtout par 
l'agriculture. 

Tout le domaine du Niger, du Ouassoulou au Ma- 
cina, produit du coton; des chambres de commerce de 
France avaient, en 1898, examiné avec intérêt des échan- 
tillons qui leur en furent soumis. Une expérience plus 
complète fut instituée en 1899 par MM. Fossat et Cheva- 
lier, membre de la mission Trentinian : elle établit que 
le coton indigène, très irrégulièrement cultivé selon les 



294 L AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

districts, supporte mal le transport par les voitures Le- 
fèvre dont il faudra bien se servir plusieurs années en- 
core, jusqu'à Tachèvement du chemin de fer de Kayes 
au Niger ; de plus, il a les soies courtes, ce qui en di- 
minue le prix marchand. Mais il n'est pas douteux 
qu'on ne puisse l'améliorer : les différences mômes entre 
les diverses variétés locales le prouvent, la main-d'œu- 
vre ne demande qu'une éducation complémentaire, le 
sol étant certainement favorable. Il serait împrudentde 
risquer des chiffres, tout concourt cependant à démon- 
trer que le colon français qui exploiterait au Soudan des 
plantations de cotonniers trouverait là un emploi très 
rémunérateur de ses capitaux. Le développement pro- 
gressif des chemins de fer de pénétration sera le 
meilleur stimulant pour cette culture, car le coton n'est 
pas un produit riche comme l'ivoire et le caoutchouc, 
qui supportent des frets onéreux... Déjà le Soudan occi- 
dental est bien près de récolter les grains et d'élever le 
bétail nécessaires à la subsistance des résidents euro- 
péens, dont le séjour est ainsi facilité ; la culture du 
coton, bien dirigée, lui donnera une puissance d'expor- 
tation toute nouvelle ; les indigènes, enrichis ainsi par 
le travail du sol, deviendront des consommateurs pour 
les denrées d'Europe. 

Le pays, des sources de la Gambie, du Sénégal et du 
Niger, est montagneux, exposé aux pluies abondantes 
qui arrivent de l'Atlantique, et descend en gradins fo- 
restiers vers la côte de Guinée : c'est le Dinguiray et 
le Fouta-Djalon. Le Dinguiray est un plateau élevé de 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 295 

■ 

500 mètres et très remué, d*oùles eaux ruissellent vers 
les brèches du Bafing" et du Tankisso, affluent de gfau- 
che du Nigper ; les vallées sont encaissées et difficiles à 
franchir, les rivières souvent coupées par des chutes de 
iO à 15 mètres. Malgré les caprices de ce relief, le Din- 
g-uiray est bien cultivé partout où la raideur des pentes 
ne s*y oppose pas absolument. La capitale, Dinguiray, 
est surveillée par un tata fortifié, à plusieurs enceintes, 
dont la construction remonte à El Hadj Omar. L'isla- 
misme a été imposé aux indigènes par les Toucouleurs, 
aujourd'hui dociles sous les administrateurs français ; 
des Bambaras, des Malinkés, des Peuls se partagent le 
soi. 

La vallée de la Falémé continue au nord-ouest ce 
pays de transition, première terrasse extérieure du 
Fouta-Djalon. La rivière, qui a creusé son lit de 5 à 
6 mètres dans des alluvions, atteint en plaine une lar- 
g'eur de 300 mètres ; elle a peu d'eau en hiver, et se 
brise à plusieurs reprises contre des arêtes de grès 
rouge, mêlé d'oxyde de fer. En remontant son cours, 
depuis le Bondou, au confluent avec le Sénégal, on 
voit se succéder les arbres subsahariens, puis des 
espèces plus tropicales, les mimosées, les ficus, les 
fromag-ers ; sur ce revers nord-occidental du Fouta- 
Djalon, les eaux hésitent entre la Falémé et la Gam- 
bie, celle-ci constituant avec son affluent le Niéri-Ko la 
meilleure voie de pénétration directe de la coteau moyen 
Sénég-al. Petit à petit, la brousse à termitières et ruches 
d'abeilles devient la forêt, avec d'épais revêtements 
de lianes; la population est assez clairsemée, par 



^ 



296 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

contre le gibier abonde, antilopes et même lions. 
Entre la Falémé supérieure et le Sénégal, les som- 
mets culminants du plateau atteignent 700 mètres ; de 
là tombent de part et d'autre de petites vallées fertiles 
où se blottissent les villages de cultivateurs fétichistes, 
tandis que les routes des commerçants musulmans 
courent au-dessus des galeries forestières, sur le pla- 
teau. Les alluvions précipitées dans les fonds sont sou- 
vent aurifères, dans le Bambouk en particulier ; l'or, 
lavé par les riverains, est envoyé sur Médine puis sur 
le bas Sénégal, où des ouvriers indigènes en font, 
d'après des modèles qu'il serait aisé de varier, des 
bijoux appréciés même des Européens, 



Ces pays accidentés, Dinguiray, Bambouk, Bondou 
sont disposés en couronne autour du Fouta-Djalon pro- 
prement dit. Une erreur ancienne portait jusqu'à 
3.000 mètres l'altitude des montagnes du Fouta-Djalon ; 
ceci s'explique par ce fait que les massifs surgissant 
près de la côte, leur hauteur relative est presque la 
môme que leur hauteur absolue pour le voyageur qui 
les aperçoit de l'ouest. Mais en réalité les sommets 
culminants ne dépassent guère 4300 mètres. L'axe 
principal de soulèvement, orienté du nord-ouest au 
sud-est est sensiblement parallèle à la côte, dont la 
révolution est certainement en correspondance; les 
pointements sont granitiques, le reste composé sur- 
tout degrés éboulés et remaniés par des jaillissements 
pu des épanchements superficiels de matières ferrugi- 



HM.^. 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 297 

neuses. Une argile grasse comble les plaines qui se dé- 
veloppent sur l'un et l'autre versant. 

Les hauteurs du Fouta-Djalon sont en somme mé- 
diocres, mais par leur exposition aux vents pluvieux 
de l'Atlantique et la variété de leur relief, elles jouent 
un rôle prépondérant dans l'hydrographie de l'Afrique 
occidentale ; elles émettent des sources de tous côtés, 
le Niger, le Bafing, la Gambie, les Rivières du sud ; 
leur chute est mieux ménagée au nord qu'au sud, où 
elles tombent en deux ou trois bonds de plus de 
700 mètres : la circulation est très pénible sur ces 
éclats de conglomérats ferrugineux. Les monts Tem- 
biko et Daro, qui dominent la source du Niger, sont 
les plus hauts du Fouta-Djalon; ils s'élèvent jusqu'à 
1320 mètres; au delà, autant que nos connaissances 
nous permettent de les décrire (et l'arrière-pays de 
Libéria est encore fort mal étudié) , des plateaux 
moins accidentés continuent le Fouta-Djalon vers le 
sud-est et le Ouassoulou. 

Dans son ensemble, cette région est formée de val- 
lées cultivées, entre des chaos peu praticables; les 
eaux courantes, toujours vives, nivellent peu à peu le 
sol, comblent les dépressions des débris qu'elles préci- 
pitent des sommets ; çà et là, les pentes s'arrêtent 
contre des paliers horizontaux, où l'hydrographie n'est 
pas encore dessinée. Ce sont les ^aoi^aîs, au sol rugueux 
de scories, souvent noyés sous une couche d'eau 
stagnante et bourbeuse, coupés de fourrés d'épines et 
soigneusement évités par les rojutes de commerce. Au 

dessus, sur les mamelons élevés, couverts de pâtu- 
L'Afrique. ^ "^ 17. 




^f 



298 L AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIÈME SIECLE 

rages, se groupent les plus riches et les plus propres 
des villages indigènes, signalés de loin par les cônes 
de leurs mosquées. 

Le climat du Fouta-Djalon est plus tempéré que ce- 
lui des plaines ambiantes : à la fin de la saison sèche, 
en février-mars, le thermomètre n'y dépasse guère 25", 
tandis que sur la côte il monte à 40*; la fraîcheur rela- 
tive des nuits entretient l'équilibre de l'organisme ; 
l'usage des vêtements et couvertures de laine est indis- 
pensable, la température baissant alors jusqu'à -|- 6®. 
A la fin de mars, les vents du nord-est tournent au sud- 
ouest et se chargent de pluies ; avril-août est la grande 
saison pluvieuse, mais il tombe aussi des orages à toute 
époque de l'année. Presque partout les pentes sont suf- 
fisantes pour assurer le drainage des eaux ; le palu- 
disme n'est donc à craindre que sur les baovals, qui 
sont précisément les parties les moins fertiles. 

Les Peuls ou Foulas, parents de ceux de l'Adamaoua, 
sont la race dominante du Fouta-Djalon qu'ils ontcoD- 
quis à la fin du dix-huitième siècle sur les indigènes 
malinkés ; très prolifiques, ils achèvent ainsi d'asseoir 
leur puissance. Le type peul est plus fin que celui du nè- 
gT2 ; la face allongée, le teint moins noir,le regard droit 
et intelligent le rapprocheraient du type sémitique ; le 
Peul s'habille avec soin, drape coquettement la pièce d'é- 
toffe blanche dont il s'enveloppe ; musulman, mais sans 
fanatisme depuis qu'il est fixé sur le sol de sa conquête, 
il est cependant méfiant des nouveautés européennes : 
nos premiers explorateurs rencontrèrent à Timbo des 
gens peu empressés, sinon tout à fait malveillants ; il 



r 



LE SOUDAN ET LE SAIIAR.V 299 

faut beaucoup de doigté pour manier ces populations, 
qui ne manquent pas de fierté. 

Le Peul habite surles hauteurs: Labé, Timbo, Fou- 
g'oumba, gros villages, à 800 mètres d'altitude environ, 
sont surtout des centres politiques et religieux, avec 
leurs missidas (mosquées) couronnées d*un éteignoir 
de chaume ; les fermes particulières se dispersent à l'en- 
trée des vallons, où le voyageur retrouve presque les 
impressions d'un pays pastoral d'Europe. Les aborigè- 
nes, ouvriers agricoles, sont logés dans des hameaux 
spéciaux, appelés roundés. La plupart sont des travail- 
leurs dociles, cependant quelques-uns, réfractaires à 
toute domination, se sont réfugiés sur les éboulis des 
pentes orientales, où ils font métier de guetter et de 
piller les caravanes. 

Le riz ne peut venir sur les hauts plateaux; mais on 
y cultive les arbres fruitiers, tels qu'orangers et bana- 
niers, les légumes, une sorte de vigne qui laisserait es- 
pérer l'acclimatation du vignoble français. La faune 
sauvage est riche dans les forêts où l'on trouve encore 
des lions ; les plantes à caoutchouc sont très abondantes . 
Mais c'est surtout comme éleveur que le Peul se distin- 
gue; les hommes surveillent l'alimentation et la repro- 
duction du bétail, tandis que les femmes connaissent 
tous les emplois du lait pour les usages domestiques. 
L'instruction est moins rare chez les Peuls que chez les 
nègres du bas pays : chaque village a son école arabe, 
régulièrement fréquentée par les enfants. 

De leurs citadelles naturelles, les Peuls descendent 
souvent, par groupes armés, pour faire le commerce à 



300 L* AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

la côte ou dans les plaines du nord ; depuis roccupation 
française du moyen Nig-er, ils acheminent régulièrement 
des convois de bœufs sur nos postes, et sont même en 
correspondance avec des marchands de Tombouctou ; 
de la côte ou de Bakel ils importent du sel et des armes, 
en échange de bestiaux, de fruits ou de caoutchouc. 
Freetown, dans la colonie anglaise de Sierra-Leone, fut 
longtemps leur port de ravitaillement au sud, mais 
Konakry, capitale de la Guinée française, attire déplus 
en plus les caravanes ; le chemin de fer en construction 
de Konakry au Niger achèvera de déclasser à son profit 
les routes de la Guinée. 

Quelles que soient les ressources et la salubrité du 
Fouta-Djalon, l'établissement de nombreux colons eu- 
ropéens n*y paraît pas possible, en raison du caractère 
des Peuls. Nous croyons que les premiers résidents de- 
vront être des commerçants ; car, dans ce pays peuplé 
d'habitants intelligents et presque riches, il serait pos- 
sible de placer beaucoup de produits européens ; les 
cases des Peuls, leur mobilier, leurs vêtements sont de 
gens qui saisiront volontiers les occasions de les amé- 
liorer encore. Quelques Européens, habitant au milieu 
d'eux,leur apprendraientà mieux récolterle caoutchouc; 
non seulement le Fouta-Djalon, mais toutes les vallées 
du haut Niger et du haut Sénégal abondent en caout- 
chouc ; l'indigène gaspille ces richesses, ig-norant les 
bonnes méthodes pour inciser les plantes et coag^ulerle 
latex; mais déjà nos officiers ont institué à Kouroussa 
des écoles professionnelles où ces méthodes sont ensei- 
g-nées ; il ne serait sans doute pas difficile d'introduire 



chez les Pauls du Fonta-Djalon quelques coun; prati- 
ques du même centre. Des comptoirs français installés 
dans les Tillages principaux etn'acdietantaux indijsrènes 
que du caoutchouc bien préparé axMjuerraient leurs 
proTisions à bon compte et propagreraienlles procédés 
d^une meilleure exploitation. Mais pour que ce com- 
merce soit posâble et profitaLle. iJ faut d'aliord que le 
Fonta-Djalon comjnunique aisément avec les ports d'é- 
yacuation, et otâ pose la question du dmniu de fer de 
pénétration. 

Les rivières issues de ces hauteurs ne sont pas navi- 
gables vers le Nipper eî le Séné^ral ; celles qui voDt di- 
rectement à l'Atlantique ne valent pas mieux mais la 
côte, découpée en {U'ofonds estuaires, présente de bons 
abris et porte assez avant dans Tintérieur la navigation 
maiitime ; c'est donc de ce côté qu'il £aut chercher le 
tracé du chemin de fer. Et d'abord, quels sont les carac- 
tères de cette côte ? 

Elle court sur 1500 kilomètres, de la Gambie au cap 
des Palmes, déchiquetée, bordée d'îles à traces volcani- 
ques jusqu'au delà de Freetoivn, puis plus monotone, 
presque rectiligne, soulignée de lagunes,telle qu'elle se 
continuera sur le g-olfe de Guinée. Elle est assaillie par 
le contre-courant équatorial, qui détermine de fortes 
marées (6 mètres au Rio Nunez) et empiète progressi- 
vement sur la terre ferme : dans la Guinée portugaise, 
où la mer a certainement gagné sur le rivage, on ren- 
contre des hippopotames très près du littoral. Ces ter- 
rasses méridionales du Fouta-Djalon sont insalubres, 
très pluvieuses de mai à novembre, sauf une période de 



302 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

sécheresse relative en août, balayées en hiver par un 
vent de nord-est qui, descendant des plateaux, s'enfonce 
dans les vallées et chasse devant lui des miasmes iic 
fièvre. Freetown, malgré Taspect pittoresque de son ca- 
dre de verdure tropicale, est une des villes les plus mal- 
saines de r Afrique Occidentale. 

Si les estuaires des<( Rivières du sud » sont depuis long- 
temps connus des négriers et par eux des géographes, 
il en est autrement de Tarrière-pays, resté mystérieux 
jusqu'à ces dernières années, tout récemment relié par 
des itinéraires au Fouta-Djalon et au Soudan. Les fac- 
toreries côtières achètent aux habitants le caoutchouc, 
la kola et, depuis la latitude de Libéria, l'huile de 
palme ; les fonds débroussaillés sont plantés en rizières, 
une haute brousse, épaissie en forêts sur les bords des 
rivières, couvre tout le pays. La température est plus 
uniformément chaude que dans le Fouta-Djalon ; les 
indigènes construisent leurs cases plus légèrement que 
les Peuls, qui ont à se garer contre le froid des nuits. 
L'islam n'a pas beaucoup pénétré ces populations, re- 
foulées vers la mer par les envahisseurs du Fouta-Dja- 
lon et peu à peu adaptées à un milieu très différent. 
Les Européens du littoral y recruteraient assez aisément 
des auxiliaires pour les cultures tropicales, mais les 
administrateurs doivent montrer une grande prudence, 
car ces tribus, plus travailleuses, sont moins dociles que 
les nègres des pays équatoriaux : à Sierra-Leohe, en 
1898, sur l'établissement d'une taxe de huttes maladroi- 
tement perçue, les indigènes se soulevèrent et la ré- 
pression coûta cher aux Anglais. 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 303 

Les estuaires de la Gasamance, du Rio Grande, des 
deux Scarçies et d'autres rivières analogues n'ofiFrent à 
la pénétration que des impasses, bloquées à 100 kilo- 
mètres en amont par des rapides infranchissables ; au 
sud de Tîle de Sherbro, les indentations du rivage ces- 
sent, et l'accès est plus difficile encore ; la mer littorale 
est moins profonde, la barre qui assiège toute la côte de 
Guinée commence devant Libéria. Le territoire de cette 
république nègre n'est prolongé dans l'intérieur que 
par une fiction diplomatique ; l'administration libé- 
rienne ne régit en fait que les tribus les plus voisines 
de la mer. Tout l'arrière-pays est inconnu, surtout des 
Libériens ; la mission Hostains-d'Ollone a démontré que 
le Gavally, assigné comme frontière franco-libérienne, 
s'enfonçait à l'ouest beaucoup plus qu'on ne le croyait 
autrefois. Commercialement, Libéria est presque une 
colonie allemande, les Allemands ayant obtenu le mo- 
nopole de l'exploitation du caoutchouc et du recrute- 
ment des bateliers Krous. 

Si l'on excepte la colonie portugaise de la Guinée, 
dont le commerce est fait surtout par des maisons de 
Bordeaux, la France et l'Angleterre restent les seules 
puissances coloniales en présence sur la côte qui cor- 
respond au Fouta-Djalon. Les traités ayant garanti à la 
France tout le domaine du Sénégal et du Niger, Sierra- 
Leone n'a plus les mômes perspectives d'avenir que la 
Guinée française; elle possède, cependant, par la vallée 
de la petite Scarcie et le seuil de Falaba la route la 
plus courte de la mer au Niger supérieur. Mais là n'est 




304 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

plus pour rAngleterre la grande utilité de cette colo- 
nie : Sîerra-Leone devient Técole où se forment les 
auxiliaires noirs du commerce anglais pour toute la 
côte d'Afrique ; jadis envoyés au Fouta-Djalon, ces col- 
laborateurs s'en retirent aujourd'hui que la France pa- 
raît en position de leur disputer cette carrière avec 
avantage ; ils vont s'engager à la Gôte-d'Or, dans la 
Nigérie anglaise, et jusqu'au Congo. 

Bien que réduite à une enclave côtière, Sierra-Leone 
a commencé (fin de 1895) à construire un chemin de fer 
de pénétration ; les travaux ont été entravés par la qua- 
lité du terrain très dur, par la multiplicité des brèches 
fluviales, qu'on doit franchir au moyen de viaducs, par 
la cherté de la main-d'œuvre. Pour les 35 premiers 
kilomètres, le prix de revient kilométrique s'est élevé à 
130.000 francs, la voie étant cependant de 0™80 seu- 
lement ; il s'est abaissé ensuite à 120.000 francs. La 
ligne est ouverte aujourd'hui, au départ de Freetovirn, 
sur près de 90 kilomètres. La décision prise par notre 
colonie de Guinée de construire la voie ferrée Konakry- 
Timbo-Kouroussa, qui sera toute en territoire français, 
détournera probablement le gouvernement anglais de 
pousser beaucoup plus loin la ligne de Sierra-Leone. 

La Guinée française compte parmi nos plus jeunes 
colonies, comme parmi les plus prospères ; il n'est que 
juste de citer le nom de M. le gouverneur Ballay, qui 
a été l'infatigable directeur de cette fortune. La capitale, 
Konakry, n'existait pas avant 1889 ; on chassait la 
panthère dans les fourrés de l'île où elle s'élève main- 
tenant ; elle a 10.000 habitants aujourd'hui, dont quel-i 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 305 

c|ues centaines d'Européens ; son commerce a doublé, 
de 1895 à 1898, aux dépens de Freetown ; tous les 
grands paquebots de la côte touchent à Konakry, que 
des travaux plus considérables achèvent d'outiller. 
Non seulement la colonie couvre ses dépenses, mais 
elle est assez riche pour consacrer sur ses excédents 
une grosse annuité (400.000 francs) aux travaux du 
chemin de fer du Fouta-Djalon. Elle ne néglige cepen- 
dant pas les améliorations agricoles : son sol convient 
au café, au bananier, au cacao ; un jardin d'essais a 
été créé à Konakry ; plusieurs particuliers ou sociétés 
commerciales ont donné l'exemple de planter de vastes 
domaines. Déjà l'on obtient un concours utile de la 
main-d'œuvre locale, une capitation sur les indigènes, 
établie en 1897, a toujours été levée depuis sans pro- 
testations. 

Mais la Guinée française veut devenir le débouché 
du Fouta-Djalon et des pays du haut Niger ; elle s'oc- 
cupe donc avec une activité toute spéciale de ses voies 
de pénétration : M. Olivier de Sanderval, l'un des pre- 
miers explorateurs du Fouta-Djalon (1879-1881), avait 
proposé un chemin de fer qui partirait de Boké, au 
fond de l'estuaire du Rio-Nunez, à 60 kilomètres de la 
mer. Le projet du capitaine Salesses a été préféré ; le 
chemin de fer suivra- d'abord, mais sans se confondre 
avec elle, une route préalablement établie de Konakry 
vers Timbo, large de 5 mètres, et dont plus de lOOkil. 
étaient ouverts lorsqu'est intervenu le décret réglant la 
construction de la voie ferrée (août 1899). Le tracé, 
levé par le capitaine Salesses, puis, pour des variantes 



306 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

de détail, par l'adjoint du g'énieNaudé, est aujourd'hui 
complètement fixé : la voie sera longue d'environ 
600 kilomètres, de la côte au Nig-er ; elle atteindra par 
un embranchement Timbo, capitale du Fouta-Djalon. 
Les travaux, commencés au printemps de 1900, sous 
la direction de M. Salesses, seront vivement poussés et 
dans trois ans, selon toutes vraisemblances, le premier 
tronçon atteindra le Fouta-Djalon. Le prix de revient 
est estimé par le directeur à un maximum de 80.000 
francs par kilomètre, avec la voie étroite qui a été 
adoptée. Ce chiflFre est très inférieur à celui de Sierra - 
Leone, mais les travaux d'art sont peu nombreux sur la 
ligne française, et les indigènes, mieux disposés, vien- 
dront plus volontiers sur les chantiers. 

Le chemin de fer du Fouta-Djalon paraît appelé à 
drainer un trafic considérable ; le commerce existant 
représenterait un mouvement de 5 millions de francs 
dans l'intérieur de la colonie ; plusieurs maisons fran- 
çaises, s'enfonçant loin delà côte, fondent des comptoirs 
sur le tracé d'amont, pour recevoir à meilleur compte 
les produits des indigènes. Il faudra prendre garde de 
ne pas solliciter ceux-ci à ne récolter que le caoutchouc ; 
une concurrence déréglée entre traitants français en a 
fait monter le prix tandis que la qualité déclinait ; les 
cultures inaugurées depuis quelques mois seront le 
correctif nécessaire de ces pratiques trop exclusives. 
Déjà les Peuls du Fouta-Djalon sont en relations sui- 
vies avec Konakry : notre résident, M. Noirot, put arri- 
ver jusqu'à Timbo, en 1898, avec deux charrettes 
à bœufs chargées de ses bagages et s'avançant sur . 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 307 

les pistes îndig'ènes d*une vingtaine de kilomètres par 
jour; il apprend depuis à ses administrés le labourage 
avec des bœufs. Après les belles explorations du 
Dr Maclaud (1897-1899), il est établi par de nom- 
breuses observations que le Fouta doit devenir le plus 
riche pays delà côte occidentale d'Afrique; le chemin 
de fer qui le reliera, d'un côté à Konakry, de l'autre au 
Niger, est donc assuré d'un brillant avenir, et la Guinée 
française, qui le construit, aura un titre de plus à être 
citée comme un exemple parmi les colonies modernes. 
Mais ce chemin de fer est nécessaire pour lui rései*ver 
le commerce de tout son arrière pays, car jusqu'ici 
les tentatives de ravitailler par Konakry les postes du 
Soudan méridional ont toujours échoué. 

Le Sénégal, qui est encore la seule porte pratique- 
ment ouverte du Soudan occidental sur la mer, se 
compose de steppes subdésertiques, traversés par la 
vallée d'un fleuve à inondations et bordés sur la mer 
d'une lisière transformée par l'agriculture, le Cayor. 
Dakar, ou plutôt l'île de Gorée, prison naturelle gar- 
dée par des requins, ne fut longtemps qu'un entre- 
pôt pour les négriers. Après l'abolition de la traite, 
les négociants se mirent à exporter de la gomme, 
mais c'est seulement par l'introduction de l'agricul- 
ture que la France a fixé les indigènes et fondé sa sou- 
veraineté durable sur ce pays. Le mérite en revient 
à quelques Bordelais, et notamment à M. Hilairc 
Maurel, dont le prénom désigne encore, dans toute 
l'Afrique occidentale, la houe qui. est l'instrument 



308 l'aFRIQUE a l'entrée du vingtième SIECLE 

de travail ordinaire du paysan noir. Aujourd'hui, la 
charrue se substitue à Thilaire pour la culture des 
arachides; le chemin de fer de Dakar à Saint-Louis* tra- 
verse paisiblement, près de Thiès, l'ancien « ravin des 
voleurs ». 

La côte sénég'alaise, jusqu'au Cap- Vert, est toute 
saharienne, mais les indigènes, Ouolofs et Sérères, en 
ont fait un i^^'renier d'abondance, où ils récoltent des 
plantes vivrières, du coton, des arachides, où ils élèvent 
des bœufs, des moutons et tous les animaux de basse- 
coUr. Nous avons d'abord, au temps de Faidherbe, 
protégé ces nègres, vrais colosses noirs, contre les 
Maures du nord, plus petits, mais guerriers pillards, 
effrayants à voir aveclabroussaille de cheveux flottants 
qui auréole leur tête. Cette protection a été féconde ; au- 
jourd'hui Ouolofs et Sérères sont de bons paysans, dont 
les enfants commencent à fréquenter nos écoles, et les 
Maures, assagis par la présence de quelques garnisons 
sur la côte et sur le bas fleuve, sont devenus d'actifs 
correspondants pour les négociants français. 

Au sud du Sénégal, avec la Gambie, enclave an- 
glaise exploitée par des Français, et la Casamance, la 
nature change ; le pays, plus ondulé, plus boisé que 
le Sénégal, reçoit en été des pluies abondantes; les 
rizières de Sedhiou, sur la Casamance, sont sous l'eau 
de juin à novembre ; les villages indigènes sont posés 
sur des buttes émergées ; les factoreries européennes 
sont entourées de bananiers, d'orangers, de plantations 
de cacao, de café, de kola; les vallées fluviales sont cou- 
vertes d'une végétation dense, avec des palmiers, des 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 309 

arbres et des lianes à caoutchouc ; dans Tintérieur le 
sol se relève sensiblement vers le Bondou ; les élé- 
phants et les lions sont les maîtres de la brousse ma- 
récageuse et peu habitée. C'est là qu'en 1888, après deux 
campagnes dirigées par le lieutenant-colonel Galliéni, 
le Mahmadou Lamine, prophète fanatique, fut atteint 
et tué par des indigènes alliés. On a quelquefois parlé 
d'un échange avec r Angleterre, qui nous céderait la Gam- 
bie pour d'autres possessions à déterminer ; ce fleuve 
présente en eflFet un long estuaire navigable, dont les ra- 
mifications d'amont se tendent vers le moyen Sénégal ; 
par Kayes et la Gambie, le Soudan français aurait sur 
la mer une voie d'accès toute soudanienne, bien diffé- 
rente de la voie intermittente du Sénégal. 

Le fleuve Sénégal finit par un delta que la flèche de 
sable appelée « langue de Barbarie » sépare de la mer. 
Saint-Louis, capitale administrative de nos établisse- 
ments, commande le grau de communication avec l'O- 
céan ; c'est une ville de 20,000 habitants (1 500 Européens) , 
dont le quartier principal est dans une île du fleuve ; la 
barre, en déplacement incessant, d'une hauteur d'eau 
variable, interdit parfois aux bâtiments de mer l'entrée 
du Sénégal ; cependant, sous la réserve qu'il faut sou- 
vent attendre une marée favorable pour la franchir, on 
peut dire que le Sénégal est navigable sur 350 kilomè- 
tres jusqu'à Podor, pour des navires calant 3 mètres et 
ceci toute l'année, même aux plus basses eaux. 

Gomme celles du moyen Niger et du Nil, la vallée du 
bas Sénégal est une longue oasis, à pente très peu in- 
clinée, 67 mètres sur 1000 kilomètres, du pied des ca- 



310 L* AFRIQUE A L*ENTRÉÉ DU VINGTIEME SIÈCLE 

taractes de Médine au niveau de TAtlantique ; c'est le 
couloir de refuge des cultures et des populations fixes, 
tandis que sur les deux rives, les Maures nomades par- 
courent les steppes. Les postes occupés sur le fleuve 
sont les escales où, pendant la saison sèche, les Maures 
apportent la gomme ; lorsque viennent les pluies et la 
crue, de grands steamers, calant jusqu'à 6 mètres, vien- 
nent enlever ces approvisionnements ; en échange, ils 
apportent des cotonnades, du sucre, de la poudre, des 
denrées agricoles, des gourdes (pièces de 5 francs). 

La vallée du fleuve, d'abord oasis, se distingue de 
moins en moins desrives, à mesure qu'on s'enfonce dans 
l'intérieur ; du littoral, qui ressemble au Sahara, Ton 
passe par une gradation insensible, à la nature tropi- 
cale; mais même dans le bas pajs, la plaine ou coule 
le fleuve, noyée par des inondations annuelles, est très 
fertile ; les indigènes cultivent le mil et les légumes, 
élèvent des moutons ; d'innombrables oiseaux au plu- 
mage éclatant volètent dans les arbrisseaux des rives, 
des crocodiles se chauffent au soleil sur les bancs de 
sable ; pourtrouver des hippopotames, il faut remonter 
au delà de Kayes. 

Le régime du Sénégal est réglé par la précipitation 
des pluies d'été du Soudan ; tandis que Saint-Louis n'a 
que 0™40 de pluie annuelle, on a relevé 0,55 à Bakel et 
ln™27 à Kita. La crue culmine à Bakel au mois de sep- 
tembre, par 44 ou 15 mètres ; elle s'étale en aval sur une 
surface élargie, monte de 9 mètres à Matam et de 6 à 
Podor ; à Saint-Louis, elle est insensible ; le pays prend 
alors un aspect nouveau, les étangs et les marigots des 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 311 

rîves sont confondus avec le fleuve qui s'étend parfois 
sur 30 kilomètres ; un courant jaunâtre, charg-é d'allu- 
vions, Toule vers la mer ; le cours inférieur, quela marée 
domine aux basses eaux, perd toute salure; des vapeurs 
charg-és de 1800 tonnes montent sans obstacles jusqu'à 
Kayes. Quand les eaux baissent, les noirs reviennent 
en hâte semer sur les terres eng-raissées ou récolter le 
riz sur celles qu'ils ont disposées pour recueillir l'inon- 
dation. Mais alors la grande navigation s'arrête ; en mai 
et juin, les chalands calant 0™, 60 atteignent très péni- 
blement Matam ; sans une crue exceptionnellement 
précoce, Faidherbe, en juillet 1857, n'aurait pu secourir 
Médine, assiégée par El Hadj Omar. 

Kayes est au point terminus de la navigation d'été ; 
ville de casernes et de bâtiments administratifs où s'ins- 
tallent depuis quelques années des commerçants, parmi 
des noirs mandingues, paysans et môme ouvriers ha- 
biles pour le travail du bois d'ébène, des cuirs, de l'or 
et de l'argent ; Médine, en amont de rapides assez dan- 
gereux, est restée un grand marché indigène, mais c'est 
à Kayes que le chemin de fer du Soudan prend contact 
avec le Sénégal. A défaut d'une belle voie navigable, la 
vallée de ce fleuve peut devenir un riche pays agricole ; 
elle doit non seulement fournir les vivres frais, grains 
et viande, nécessaires aux résidents européens, mais 
encore nourrir les nomades des steppes ambiantes qui, 
par des relations plus fréquentes avec les sédentaires 
enrichis, se formeront à leur tour au goût des produits 
européens. Ce pays atteindrait même un notable déve- 
loppement industriel (minoterie, briqueterie, etc.), le 



312 L^FRIQUE A l'entrée DU VINGTIÈME SIÈCLE 

jour OÙ Tusag'e des machines à lalcool serait assez pra- 
tique pour encourager la diffusion de certaines cultu- 
res. 

Le chemin de fer en construction de Kajes à Bamma- 
kou, commencé en 1880, fut d'abord célèbre par les 
mécomptes du début de la construction ; après une lon- 
gue période d'inactivité, les travaux ont été repris ; la 
voie étroite, établie par les soins du génie militaire, at- 
teint aujourd'hui le viaduc deToukouto, à 237 kilomè- 
tres de Kayes où elle franchit le Bakhoj, large de 350 
mètres ; la voie sera l'an prochain à Kita ; l'arrivée au 
Niger est prévue pour 1904 ; la longueur totale dépas- 
sera 530 kilomètres. En attendant, une route praticable 
aux voitures Lefèvre précède le chemin de fer, et, au 
début de l'année 1900, M. Chaudié, gouverneur général 
de l'Afrique Occidentale, y a circulé sur les automobi- 
les d'un service récemment inauguré. Tout le pays in- 
termédiaire est très tranquille, et dès maintenant on 
peut dire que la pénétration européenne atteint effecti- 
vement le Niger par le Sénégal. 

Il serait utile, pour l'assurer dans des conditions de 
stabilité meilleures, de doubler par une voie artificielle 
la route temporaire du Sénégal. La meilleure, comme 
nous le disons plus haut, serait celle deBakel ou plutôt 
encore de Kayes à la Gambie navigable, mais ce tracé 
doit être écarté, puisque la Gambie est colonie anglaise. 
Une autre traverserait directement le Ferlo, pour se sou- 
der à la ligne ferrée du Gayor ; le Ferlo est un pays 
très peu arrosé, mais où l'on trouverait de l'eau en 
creusant des puits ; une mission du génie, détachée de 



\ 



LE SODDÀN ËT LË âAHAtlA 3i!) 

celle delaGuinée française, doit, en 1901,étudierdetrès 
près ce projet ; il n'est pas douteux que rétablissement 
d'un chemin de fer ne serait pas plus difficile dans le 
Ferlo que dans le sud algérien ou dans la Nubie égyp- 
tienne. Dès maintenant, Tamorce occidentale s'avance 
vers le Baol, district riche en arachides. 

Dakar, où la nature a dessiné l'emplacement du vrai 
port du Sénégal, serait alors le débouché immédiat de 
tout le haut pays et non plus seulement du Gayor ; il est 
indispensable (et ces travaux sont en cours d'exécution) 
d'en améliorer l'outillage commercial ; Dakar, on ne 
doit pas l'oublier, est une étape nécessaire sur la route 
maritime de l'Europe à l'Amérique du Sud ; nous de- 
vons donc y organiser, non seulement un point d'appui 
pour notre flotte de guerre, mais encore un port de 
ravitaillement et de radoub pour la marine marchande. 
On a compris d'ailleurs, en France comme au Séné- 
gal, que cette colonie peut attendre beaucoup encore 
des progrès de son agriculture : des embranchements 
lancés à l'est du chemin de fer du Cayor étendront la 
surface conquise pour la culture des arachides ; le 
Fcrlo, pauvre en eaux courantes, possède par contre 
des forêts de gommiers encore inexploitées ; des chefs 
indigènes, adroitement intéressés au progrès de leurs 
administrés, répandent parmi eux l'usage de la charrue 
française ; le Conseil général de la colonie encourage 
par des primes les plantations d'arbres ou de lianes à 
caoutchouc; des fermes modèles, dont une complétée 
par un haras, une station d'essais agricoles ont été ré- 
cemrfient créées; la mission catholique deThiès possède 
L'Afrique. 18 



344 L*AFRIQUE A l'eNTREE DÛ VlNGtlEME SIÈCLE 

des champs d'expériences où Ton a réussi, depuis 1894, 
des cultures de caoutchouc. 

Quels que soient les récents progrès du Sénégal, il 
reste beaucoup à faire : une exploration méthodique des 
régions à gommiers, dans le nord-est en particulier, serait 
très désirable et certainement accroîtrait le commerce 
de produits très demandés en Europe ; il ne faudrait pas 
non plus négliger la côte de la baie d'Arguin (1), où, 
sur des bancs peu immergés» les poissons comestibles 
se pressent plus nombreux qu'à Terre-Neuve. Ainsi, 
sans môme parler du transit du Soudan, dont il com- 
mandera longtemps la plus grande partie, le Sénégal 
s'enrichirait par lui même. Quarante années d'occupa- 
tion française en ont déjà modifié et, au sens plein du 
mot, civilisé les indigènes. Il y a donc là mieux que des 
espérances, et la France, considérant l'œuvre accomplie, 
peut la continuer avec confiance, ayant montré, dans 
cette Afrique Occidentale, qu'elle soutient la comparai- 
son avec les meilleurs peuples colonisateurs. 

(1) L'échec réccDt de la mission Blanchet dans TAdrar 
(printemps de 1900) indique qu'il serait encore nécessaire 
de mieux asseoir notre autorité sur les indigènes du nord 
du Sénégal. 



CHAPITRE V 
Le Sahara et les projeta de Transsaharien. 

Nous avons, dans un précédent chapitre, étudié le 
Sahara égyptien et montré comment la voie naturelle 
du Nil y était dès k présent doublée d*une voie artifi- 
cielle, le chemin de fer d'Ouadi-Halfa à Khartoum ; la 
traversée du Sahara central et occidental, moins favo- 
risée par la nature, n'est pas davantag'e assurée encore 
par les travaux des hommes. 

Le Sahara, moins la partie égyptienne et les oasis 
turques du sud tripolitain jusqu'au Fezzan, appartient 
tout entier à la France (1); ce sont ces « terres légères », 
où l'humour de lord Salisbury déclarait un jour que le 
coq gaulois pourrait g'ratter à l'aise. Certes, le Sahara est 
une des parties les plus déshéritées de toute l'Afrique, 
mais les traités nous en ayant réservé la jouissance ex- 

(4) Il convient d'excepter encore une partie de la région 
occidentale, récemment reconnue par la France à la colo- 
nie espagnole du Rio de Oro (juin 1900). 



316 l' AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE 

clusive, il convient d'en étudier les conditions et de re- 
chercher s'il vaut la peine, à travers ce désert intermé- 
diaire, de lancer un chemin de fer qui consacrera l'unité, 
purement diplomatique encore., du domaine français 
en Afrique. 

En l'état présent, le Sahara est essentiellement un 
obstacle, entre l'Afrique méditerranéenne, centre de 
rayonnement de la colonisation française, et l'Afrique 
occidentale française en voie de constitution ; quelles 
sont exactement la nature et les dimensions de cet obs- 
tacle, voilà ce que nous devons déterminer tout d'abord. 

On a souvent représenté le Sahara comme une plaine 
uniformément sablonneuse ; le terme courant,« ancienne 
mer saharienne », faisait croire de plus à une dépres- 
sion g-énérale, et cette formule n'a pas peu contribué 
au projet d'inonder telle ou telle partie de désert par 
une invasion de la Méditerranée. En fait, le Sahara est 
un plateau dont l'élévation moyenne (450 mètres) est 
celle de la Bavière ou de la Nouvelle-Gastille ; son re- 
lief est varié, avec des nappes de roches sédimentaires, 
trouées par des massifs volcaniques (Air, Tibesti,Adrar) 
et des lits fluviaux profondément creusés par des cours 
d'eau devenus temporaires. 

Le Sahara commence au nord du Soudan, par la 
bande des mimosées du Ferlo, du moyen Niger, du 
Ouadaï ; il finit, au sud des plateaux de l'Afrique Mi- 
neure, par une région analogue de steppes ; il touche 
à la mer par deux façades, entre le Sénégal et le Maroc, 
entre la Tunisie et l'Egypte (sauf l'exception de la pé- 
ninsule de Benghazi) ; il s'étend donc environ dç i5« à 



LE SOUDAN ET LE SAUAllA 317 

sa-» de latitude nord, de 48» lon^. 0. à 20* long. E. du 
méridien de Paris. 

La raison essentielle de Taridité du Sahara est Tab- 
sence des pluies, qui procède elle-même de causes d'or- 
dre atmosphérique. Les vents alizés soufflant vers TAt- 
lantique, dessèchent le sol sans jamais lui apporter de 
pluies compensatoires ; si parfois, en été, des vents char- 
gés d'humidité arrivent au Sahara, du golfe de Guinée 
ou des rives méditerranéennes, ils sont aussi tôt absorbés 
par les hautes régions de l'atmosphère où ils s'évapo- 
rent sans se condenser ; de plus ceux qui viennent de 
l'Atlantique moyen, en tournant les plateaux espagnols, 
abandonnent presque toute leur vapeur d'eau le long des 
montagnes de l'Afrique Mineure ; ceux qui ont seule- 
ment traversé la Méditerranée n'ont pas eu le temps de 
s'y approvisionner ; ceux enfin qui se sont alimentés 
dans le golfe de Guinée ne pénètrent guère au delà du 
Mossi, et déterminent la fraîcheur relative de, la zone 
subsaharienne où réapparaissentles eaux permanentes. 

Le climat saharien est donc dominé par le phénomène 
principal de la rareté de la vapeur en suspension dans 
l'air : de là force de l'insolation, intensité du rayonne- 
ment nocturne, grande amplitude des oscillations de la 
température. On a relevé en terrain découvert, au soleil, 
10^ et dans la nuit, — 5**. L'oscillation moyenne dans les 
vingt-quatre heuresestde 17**à Biskra, où elle atteignit 
le maximum de 38**. La sécheresse presque absolue de 
l'atmosphère en explique la parfaite limpidité ; le voya- 
geur européen, non habitué, se trompe à tout instant 

sur l'appréciation des proportions et des distances ; il 
L'Afrique. i8. 



318 l' AFRIQUE A l' ENTRÉE DU VINGTIEME SIÈCLE 

doit se préraunirsans cesse contre les brusques varia- 
tions de la température et ne manquera pas de remar- 
quer que les Touaregs, seuls habitants des steppes sa- 
hariennes, sont chaudement vêtus. 

Le sol superficiel, exposé toujours à des chaleurs 
brûlantes succédant à des températures g-laciales, s'é- 
miette sous Teflfort de ces variations ; comme Teau man- 
que, il n'existe aucune végétation pour le fixer, et ses 
débris sont le jouet du vent : nous avons déjà décrit les 
wenis plombés qui soufflent du désert, sirocco deTAfri- 
que Mineure, harmattan de la côte de Guinée, plus effi- 
caces que les pluies elles-mêmes, par le frottement de 
leurs poussières, pour déchausser les routes empier- 
rées. 

Les vents, jouant librement dans le Sahara, ont con- 
tribué à modeler le pays : la moindre saillie du sol de- 
vient le point d'appui d'une dune ou erg, qui grandit 
sur elle-même, et s'avance dans la direction du vent : 
VErg (Iguidi en berbère) couvre donc une notable par- 
tie du Sahara ; ce n'est pas la plus hostile à l'homme, 
car ses sables, comme une éponge, abritent contre la 
voracité du soleil les pluies qui tombent de temps en 
temps ; son relief varié forme quelques vallons où l'on 
trouve de l'herbe, parfois des arbustes avec un peu 
d'ombre. La forme la plus redoutable du sol saharien, 
c'est le plateau pierreux appelé hamada, au dallage 
poli par les vents, trop compact pour offrir un refuge 
à l'eau qu'évapore rapidement la chaleur solaire. La 
dune n'est pas absolument inhabitée ; des nomades y 
trouvent de loin en loin les pâturages nécessaires à 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 319 

leur bétail, parfois la terre j permet quelques cultures 
rudimentaires, comme au sud du Maroc, dans le lit 
de rOued Draa ; la hamada, au contraire, n'est jamais 
que traversée, même par les nomades, car elle n'ofiFre 
aucunes ressources. 

Il ne faudrait pas croire que le Sahara, bien que très 
rarement arrosé, soit tout à fait privé de pluies ; les 
massifs volcaniques sont assez élevés pour conden- 
ser quelques nuages : l'Air, comme le Tibesti, reçoit 
des pluies d'été, apportées par la mousson du golfe de 
Guinée ; dans les montagnes du Hoggar, Duveyrier 
entendit raconter qu'on avait vu de la neige. Mais, 
même dans les régions plus plates, il tombe quelque- 
fois des pluies accidentelles : Flatters en observa sept 
jours, du 1*' avril au 2 mai 1880; elles sont souvent 
conséquentes de cyclones, dont l'action se traduit par 
un brusque refoidissement de l'atmosphère. Elles tom- 
bent par averses diluviennes, après lesquelles le ciel 
redevient immédiatement pur. 

Ces eaux violentes ont profondément raviné le sol, 
forant les vallées, comme celle de l'Igharghar, entre 
des berges abruptes ; on a vu, dans le Tibesti comme 
dans le sud-algérien, des oueds subitement grossis en- 
traîner des bestiaux, des hommes, même des maisons 
et des champs; au printemps de 1898, une petite co- 
lonne française qui manœuvrait au sud de Laghouat 
fut ainsi surprise : cheminant dans un ravin d'oued à 
sec, pour avoir un peu d'ombre, elle fut brusquement 
atteinte par un flot bourbeux et torrentiel ; les soldats 
étaient heureusement assez nombreux pour former, en 



320 L* AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

se prenant par le bras, un barrage qui ne fut pas ren- 
versé ; la trombe passa, n'ayant pas monté plus haut 
que leurs poitrines. 

Le sol du Sahara n'est pas infertile par lui-même ; 
partout où Teau reparaît, la végétation Taccompagne, 
et des oasis se forment ; il convient de distinguer les 
oasis qui entourent les points du plateau qui sont arro- 
sés en permanence par des eaux superficielles et celles 
que l'altitude des massifs montagneux a constituées et 
maintient par la condensation de nuées appelées de 
loin ; au premier groupe appartiennent les oasis 
d'Ouargla (167 m.), du Touat (Insalah, 137 m.), de 
Tindouf ; au deuxième, celles de TAir et du Tibesti 
(1.400 à 1.800 m.). Les oasis sont les entrepôts de ravi- 
taillement et les étapes de la circulation à travers le 
Sahara; si, toute question d'origine géographique écar- 
tée, on compare le Sahara à une mer, les oasis en sont 
les îles, et le chameau mérite exactement son surnom 
de « vaisseau du désert ». 

La faune et la flore sahariennes, du moins celles qui 
sont utiles à l'homme, sont rares en dehors des oasis ; 
on a remarqué que les plantes réduisent toutes leurs sur- 
faces d'évaporation, enfoncent dans le sol des racines 
puissantes, poussent une tige robuste et vite ligneuse ; 
les animaux ont peu de toison, leurs membres moteurs 
sont très développés, tous leurs organes constitués pour 
résister longtemps à la soif; le chameau, bète de 
somme et de selle des Touaregs, en offre le meilleur 
type : il porte jusqu'à 250 kilogrammes et fournit des 
étapes de 70 à 80 kilomètres ; il peut passer deux ou 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 321 



« 



trois jours sans boire ; mais, en arrivant à la lisière 
méridionale du Sahara, il est atteint par le climat plus 
humide etnerendplus aucun service. L'élevag'e ration- 
nel du chameau de san^ ou méhari doit faire dès 
maintenant Tobjet d'études, puisque cet animal est 
indispensable aux maîtres qui voudront assurer la po- 
lice du Sahara. 

Les populations sahariennes sont berbères ou nèi^cres ; 
les Touaregs sont des Berbères, contraints à la vie no- 
miade par les invasions arabes qui les ont dépossédés 
de leurs champs dans le nord, et peu à peu adaptés à 
des conditions nouvelles ; si la plupart d'entre eux com- 
prennent et souvent môme écrivent l'arabe, ils se ser- 
vent ordinairement d'un autre dialecte, qui serait le 
vieux berbère et dont l'écriture emploie des caractères 
carrés, tout différents de ceux des Arabes. Ils montent 
leurs chameaux, tandis que les indigènes de l'Afrique 
Mineure les conduisent plus souvent à pied, ou bien 
assis sur des bourricots. Ils sont grands, noirs de 
peau, ce qui indique un métissage nègre ; ils portent la 
tôte coiffée d'un turban, la figure presque enveloppée 
d'un voile qui abrite leur bouche et leurs oreilles con- 
tre les poussières du désert. Leurs armes consistent en 
lances, poignards et longs fusils, ceux-ci de beaucoup 
les moins dangereux. 

Les Touaregs sont la race militaire du Sahara ; leurs 
razzias s'étendent sur toutes les oasis, sans souci des 
longues distances à parcourir; ils montrent, dans ces 
expéditions, que leurs besoins les plus impérieux com- 
mandent, une endurance extraordinaire, littéralement 



322 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

« 

comparable à celle de leurs chameaux. Ils ne forment 
pas de groupes politiques, à proprement parler : on 
aurait tort d'attacher une valeur stricte au mot confé- 
dération, souvent employé pour désigner leurs grou- 
pements ; ils sont divisés en familles, d'après l'antique 
constitution patriarcale, et la condition de la femme 
est chez eux meilleure que chez les autres musulmans 
de l'Afrique du nord. On ne doit pas dire que le Toua- 
reg est fanatique : s'il montre une très grande hostilité 
contre les Européens, c'est que ceux-ci s'établissent dans 
les oasis d'où il tire sa subsistance et s'opposent aux 
razzias sans lesquelles il ne vivrait pas. 

Les cultivateurs des oasis sont des nègres, race dont 
on retrouve les représentants jusqUe dans le centre du 
Maroc; il est possible que nègres et berbères, tou- 
jours en guerre, aient tour à tour avancé puis reflué à 
travers le Sahara ; les sédentaires, trop occupés à leurs 
travaux pour s'occuper à leur défense, en confiaient le 
soin à des nomades qui devenaient ensuite leurs suze- 
rains ; leur condition générale est aujourd'hui celle de 
serfs des Touaregs ; ils résistent mieux que ces derniers 
• à la chaleur moite des oasis, et comme ils sont proli- 
fiques et ne prennent aucun soin des enfants du pre- 
mier âge, une sélection naturelle très rigoureuse 
assure la perpétuité de l'espèce parles individus les 
plus sains. Mais, paresseux à la façon de quiconque 
craint de ne travailler que pour autrui, ils produisent 
à peine assez pour suffire à leurs besoins et à ceux 
de leurs maîtres ; toutes les observations paraissent 
copçorder sur le fait que les oasis rçculent de- 



Le âOÙDAN ET LE SAHAltÀ 5^3 

vant le désert, faute d'aménagements persévérants. 
Le dattier est Tarbre le plus précieux des oasis ; il 
prospère <c les pieds dans Teau et la tête dans le feu » ; 
c'est lui qui fournit aux indigènes les fruits qu'ils 
consomment en quantités, soit frais, soit piles en une 
sorte de pâte, soit enfin associés à la farine, au lait et au 
miel dans des pâtisseries qui ne manquent pas toujours 
de finesse. Trop vieux pour porter des fruits, le dattier 
est abattu pour servir aux constructions : dans le sud 
algérien ou tunisien, les architectes des oasis bâtissent 
des cases en torchis, renforcées par des troncs à peine 
équarris. A l'ombre du dattier, d'autres cultures sont 
possibles, les arbres fruitiers, les céréales ; trois ou 
quatre étages de végétation s'abritent ainsi sous les 
dattiers. 

La propriété dans les oasis est très morcelée, la terre 
cultivable ayant une valeur d'autant plus grande 
qu'elle est plus rare au milieu du désert ; on cite des 
domaines de l'oasis de Gabès qui, en pleine exploita- 
tion, sont vendus 15.000 francs l'hectare. La distribu- 
tion de l'eau y est, comme en Egypte, réglée de la façon 
la plus minutieuse par les habitants ; de cette obliga- 
tion môme naît une certaine vie politique ; le paysan 
des oasis est relativement instruit, il sera susceptible 
de progrès, tandis que le Touareg nomade est insen- 
sible à toute idée de changement. C'est là pour nous 
une raison de plus d'occuper de proche en proche 
toutes les oasis sahariennes ; elles seules représentent à 
la fois les positions stratégiques et les centres écono- 
miques du Sahara. Le reste contient sûrement du sel, 



3â4 L* AFRIQUE A L^EÎÎtRÉË Dl) VlKGtiEBtE SIECLE 

exploité par les indig-ènes à Bilma, Tichit, Taoudenît, 
et qui est un des objets principaux du commerce local ; 
peut-être découvrirait-on des gpisements de nitrates ou 
même de pierres précieuses ; mais l'exploitation n'en 
serait jamais possible qu'appuyée sur les oasis. 

Les populations nomades du Sahara ne produisant 
pas les subsistances qui leur sont nécessaires, un mou- 
vement commercial est né dans Fintérieur même du 
désert; il faut distingpuer, dans ce commerce, ce qui est 
saharien et ce qui est transsaharien : le commerce 
saharien va des oasis aux ports septentrionaux du dé- 
sert, Tripoli, Ouargla, Tindouf et Mog^ador, ou bien 
encore de ces mômes fies centrales aux ports méridio- 
naux, Abech, Kouka, Zinder, Tombouctou. Les cara- 
vaniers touaregs transportent sur leurs chameaux le sel 
de Bilma et de Tichit jusque dans les pays du Nig-er, 
ou des dioulas soudaniens le reçoivent d'eux pour 
l'acheminer au sud ; en échange, ils achètent des grains, 
car la récolte des oasis n'est pas toujours suffisante, des 
esclaves, des étoffes. Au nord, la datte est la seule den- 
rée d'exportation des oasis; les caravanes de retour 
ramènent des moutons, des grains, de la poudre et des 
armes. Le commerce saharien est régulier, mais peu 
considérable. 

Le commerce transsaharien est celui qui importe 
dans les pays méditerranéens, en traversant le désert 
tout entier, les produits tropicaux et subtropicaux du 
Soudan, l'ivoire, les peaux brutes, le natron, les plumes 
d'autruche; il fallait jadis ajouter les esclaves, mais 



i< 



LE SOUDAN ET L£ SAHARA 32S 

aujourd'hui, même par le Maroc, la traite est clandes- 
tine et peu active. On prétend que le mouvement du 
commerce transsaharien représenta, vers le milieu du 
xix' siècle, 50 à 60 millions par an. Ce chiffre est sans 
doute beaucoup trop élevé ; certes, il est intervenu de- 
puis cinquante ans bien des perturbations qui ont dimi- 
nué le commerce transsaharien : la conquête française 
de plusieurs des ports du nord, l'invasion des bandes 
de Rabah dans les ports orientaux du sud, en même 
temps que Feutrée de nos troupes à Tombouctou. Mais 
tout cela suffirait-il pour expliquer que le commerce 
filt réduit de plus des trois quarts, les statistiques les 
plus récentes ne pouvant guère l'évaluer à plus d'une 
douzaine de millions ? 

Il est sûr cependant que d'anciennes routes transsa- 
hariennes sont aujourd'hui abandonnées, toutes celles 
qui aboutissaient dans des ports maintenant français ; 
Beng'hazi, mais surtout Tripoli et Tindouf ont gardé 
le presque monopole des relations directes avec le Sou- 
dan. Les caravanes qui arrivent à Tindouf viennent de 
Tombouctou ; elles atteignent la côte en trois points, 
Mogador, Ifni où les Espagnols ont un établissement et 
le cap Jubyoù les Anglais avaient jadis des factoreries. 
Encore ces voies occidentales ont-elles beaucoup perdu 
depuis que les Français sont à Tombouctou et empê- 
chent la traite. 

Le Maroc, n'exerce plus qu'une faible attraction sur 

les produits soudaniens ; l'Espagne et l'Angleterre 

avaient tenté de détourner les caravanes à leur profit, 

de Mogador vers leurs comptoirs installés plus au sud. 

L'Afrique. 19 



326 L* AFRIQUE A L^ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 

Il ne semble pas qu'elles y aient beaucoup réussi, les 
routes étant coupées près delà mer par des nomades hos- 
tiles qu'il faudrait vaincre d'abord. 

Les routes de Test sont aujourd'hui les plus fréquen- 
tées ; parGhat,Ghadamès, Mourzouk, toutes convergent 
sur Tripoli, véritable marché du commerce transsaha- 
rien. Tripoli est encore en plein désert, ce n'est qu'une 
oasis au bord de la mer, mais elle est outillée pour les 
relations avec l'intérieur ; sa population mélangée d'A- 
rabes, de Juifs, de Maltais, de Grecs, d'Européens est 
assez composite pour qu'il s'y trouve des correspondants 
toujours informés à la fois des offres de l'Europe et des 
demandes des nomades ; si l'on porte à 12 millions le 
chiffre total du mouvement transsaharien, il faut en 
assigner au moini^ 10, soit les 5/6, au port de Tripoli ; 
des caravanes à courte distance, se soudant les unes aux 
autres, tendraient d'ailleurs à remplacer les anciennes 
caravanes vraiment transsahariennes. 

Gabès, dans le sud tunisien, essaie aujourd'hui de 
faire concurrence à Tripoli ; elle a créé un entrepôt des 
produits de consommation courante dans le Sahara et 
jusqu'à la lisière du Soudan ; elle cherche à fournir aux 
caravaniers qui lui apportent leurs dattes du sucre, 
des étoffes, etc.. Déjà les résultats sont notables, mais 
Tripoli n'est pas encore évincée ; il en serait autrement 
si les bâtiments de mer trouvaient auprès de Gabès un 
port meilleur que celui de Tripoli, mais le mouillage 
actuel est médiocre et l'outillage de port à peu prés 
nul. 



r 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 



327 



Le Sahara, disait le traité franco-marocain de 4845, 
n'est à personne ; c'est le pays « de la poudre et de la 
peur ». Seules les oasis dont le nom est spécifié dans 
les conventions diplomatiques appartiennent à tel ou 
tel : ainsi nous avons en 1845 laissé Fig-uig au Maroc, 
faute qu'explique l'ignorance des négociateurs de la 
convention qui suivit la bataille de Tlsly, de même 
Ghadamès et Ghat relèvent de^la Tripolitaine, bien que 
situées dans l'arrière-pays tunisien, et sont gardées par 
des garnisons turques, presque prisonnières parmi les 
nomades indépendants. Après avoir longtemps déclaré, 
au Parlement et dans les journaux, que l'occupation 
du Touat était affaire « de police algérienne », nous 
avons enfin résolu de donner à nos droits une sanction 
pratique et' toutes ces oasis seront avant longtemps aux 
mains de nos soldats. D'autre part, la mission Foureau- 
Lamy vient de traverser le désert de part en part, du 
sud algérien au Tchad, suivant d'abord la route de 
Fiatters, dépassant dans l'Anahef le point où celui-ci 
fut massacré, atteignant ensuite les oasis de hauteur de 
l'Air, joignant enfin à Zinder les itinéraires de la mis- 
sion Joalland-Meynier. 

De ces faits récents, deux conclusions se dégagent : 
l'une, la possibilité de passer à travers les groupes 
Touaregs, à condition d'agir en force et avec prudence ; 
l'autre, la facilité d'occuper sur les sédentaires les oasis 
principales qui tiennent les clefs de toutes les routes 
transsahariennes. La « question touareg » se ramène 
donc à celle de l'occupation progressive des oasis ; les 
nomades pillards deviendront des caravaniers paisibles 



328 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

le jour où il leur sera démontré que toute autre conduite 
les laisserait mourir de faim et surtout de soif. La pos- 
session de Ghadamès par les Turcs est assurément un 
obstacle à la diffusion de Tinfluence française, car les 
Ghadamsiens ont toutes leurs relations avec Tripoli ; ils 
sont les principaux bénéficiaires du commerce entre le 
Tchad et la Méditerranée, et possèdent des agents à 
Ghat comme dans les oasis du Touat. Notre action de- 
vrait donc viser soit à faire de celles-ci le port princi- 
pal du nord saharien, soit à obtenir du gouvernement 
turc des facilités de séjour pour les commerçants pro- 
tégés français qui s'établiront à Ghadamès. 

Par le sud aussi, nous commençons à cerner le Sa- 
hara ; des communications par courriers,exceptionnelles 
encore mais symptomatiques, ont été établies entre 
Tombouctou et nos postes du sud oranais ; le gouver- 
nement de l'Afrique occidentale française a constitué en 
1899 une province de la Mauritanie dont les adminis- 
trateurs devront évidemment lier partie avec ceux du 
sud algérien. Contraints donc, par la nature même, à 
pratiquer de deux côtés une politique saharienne, nous 
devons nous demander s'il ne serait pas possible d'as- 
surer à notre action une direction unique (les Russes 
ont bien, en Sibérie, un « gouvernement des steppes >), 
et pour cela de créer l'instrument de communication qui 
nous manque encore, le chemin de fer transsaharien ; 
si de plus, cet instrument une fois créé, tout notre em- 
pire africain n'en serait pas de beaucoup supérieur à ce 
qu'il est aujourd'hui. 

La valeur stratégique du transsaharien n'est pas con- 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 329 

testable : la facilité d'étendre à tout le Soudan le champ 
de manœuvre et de défense de nos troupes d'Alg-érie- 
Tunisie apporterait évidemment un renfort puissant à 
l'autorité de la politique française, et pas seulement en 
Afrique. Quant à l'intérêt commercial du transsaharien, 
il est pour le moment des plus minimes ; l'exploration 
géologique révélera peut-être un jour des richesses mi- 
nières inconnues; il serait fou d'en escompter dès main- 
tenant le transport. Le trafic transsaharien ne représen- 
terait pas davantage un fret rémunérateur; médiocre 
en lui-même, il sera disputé de plus en plus vivement 
auxanciennes routes méditerranéennes par les chemins 
de fer du golfe de Guinée. Nous ne disons rien des ques- 
tions techniques car, l'hostilité des Touaregs brisée par 
l'occupation des oasis, le transsaharien ne sera pas plus 
difficile à construire que les chemins de fer désertiques 
de Nubie, de Transcaspie, etc.. Mais il paraîtrait illu- 
soire de compter, avant longtemps, sur une exploitation 
couvrant ses frais. 

L'œuvre n'en doit pas moins, selon nous, être entre- 
prise, et le plus tôt possible. Gomme le dit très juste- 
ment M. Paul Leroy-Beaulieu, qui en est le plus ardent 
protagoniste, c'est une œuvre impériale et comme telle 
l'étude doit en être soustraite aux rivalités administra- 
tives et personnelles qui la réduiraient, dans chaque 
département algérien, aux proportions d'une réclame 
électorale. Il est intéressant que nous puissions régler 
par l'intérieur, au moyen de communications indépen- 
dantes, toutes nos affaires africaines. Nous verrions 
aussi de réels avantages à ce que des échanges sinon 



330 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

encore de produits, du moins de populations, fussent fa- 
ciles entre l'Afrique Mineure et le Soudan : les nègres 
sont recherchés de nos colons niéditerranéens pour tous 
les travaux de force, terrassements, défrichements, etc. ; 
d'autre part, devant une race prolifique et vigoureuse 
comme celle des Français d'Afrique, il ne peut qu'être 
avantageux d'ouvrir des carrières nouvelles à l'esprit 
d'entreprise et môme d'aventure ; seule une observation 
incomplète ou ignorante des rudiments de la démogra- 
phie chiffrerait cette expansion au dehors par une perte 
pour le pays d'origine. 

Nous désirons donc et nous estimons très utile la 
construction du Transsaharien. Quel en sera le tracé ? 
La réponse définitive ne pourrait encore être faite. Ce- 
pendant ici quelques réflexions s'imposent : les oasis 
du Touat sont presque à mi-chemin entre la Méditer- 
ranée et le Niger ; là croyons-nous doit être le point de 
départ de la ligne transsaharienne, et jusque-là, par 
conséquent, doivent être dès maintenant poussés les che- 
mins de fer algériens. Nous en souhaiterions l'exten- 
sion par deux voies convergentes, l'une de Biskra sur 
Insalah, par Touggourt, Ouargla (section déjà décidée 
en principe) et la vallée de l'oued Mia ; l'autre de 
Djenien-bou-Rezg, par Igli, l'oued Saoura et les oasis 
du Gourara. La chambre de commerce d'Alger, en dé- 
cembre 1898, a donné l'exemple d'une initiative déga- 
gée des concurrences locales en adoptant le tracé Bis- 
kra-Ouargla. 

Du Touat, il paraît indiqué de se diriger sur Tom- 
bouctou, qui est accessible du sud par une voie fluviale, 



r 



LE SOUDAN ET LE SAHARA 331 

reliée à toutes les communications de TAfrique occi- 
dentale et dont les environs produisent toutes les den- 
rées nécessaires à l'alimentation des postes du désert ; 
ce tracé aurait de plus Tavantage de passer à proximité 
des salines de Taoudériit; il s'emparerait donc d'un 
des seuls trafics connus des caravanes sahariennes d'au- 
jourd'hui. En suivant la route de la mission Foureau- 
Lamy, le chemin de fer serait beaucoup plus long* et 
viendrait finir en cul-de-sac à Zinder, sauf prolong'e- 
ment jusqu'au Tchad. Nous considérons d'ailleurs que 
la voie Touat-Tombouctou n'est qu'une partie du trans- 
saharien, la seconde devant, comme nous l'avons dit 
plus haut, relier Say à un port du lac Tchad, accessible 
par le Ghari ; de ce fleuve, un autre chemin de fer ga- 
gnerait le réseau navigable du Congo ou de la Sanga 
et la voie d'Ouasso à Libreville assurerait la circula- 
tion sur le dernier tronçon d'une voie mixte, exclusive- 
ment française, de la Méditerranée au Gabon. 

On pourra taxer d'utopique ce plan qui lance des che- 
mins de fer parmi des pays à peine découverts. Déjà 
cependant le gouverneur général de l'Afrique occiden- 
tale a parlé (mai 1900) de prolonger nos lignes télé- 
graphiques de Say au Tchad et de Tombouctou au 
Touat. Nous ne disons pas que notre programme puisse 
être réalisé en quelques années ; nous croyons cepen- 
dant qu'il tient compte des observations les plus ré- 
centes sur la géographie de l'Afrique occidentale, et 
que dès maintenant, un projet d'ensemble devrait être 
établi pour la pénétration et la mise en valeur de tout 
notre domaine d'Afrique : les chemins de fer sahariens, 



334 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

« grands frais d'ouest » ; la ville même de Gapetown 
est sensiblement à la latitude de Santiago du Chili 
et de Buenos-Ayres ; aussi, tandis qu'en cette extrémité 
méridionale de l'Afrique on voit seulement commen- 
cer la zone du climat tempéré avec pluies abondantes, 
toute la côte chilienne au sud de Valdivia appartient 
au domaine de ces conditions géographiques, elle est 
richement articulée, pourvue de baies et d'archipels ; 
le littoral de l'Afrique australe, au contraire, est mono- 
tone et compact, surtout entre le Cap et l'Angola por- 
tugaise, c'est-à-dire dans la colonie allemande dite du 
Sud-ouest africain. 

C'est qu'en cette partie, en effet, dominent les vents 
alizés, qui entraînent vers le nord-ouest toute l'humi- 
dité de l'Océan ; au nord, la transition est sensible vers 
le régime subéquatorial qui est celui du Bas-Congo, 
hiver et été secs, pluie dans les saisons moyennes ; au 
sud, ce sont les vents d'ouest avec pluies d'hiver ; des 
nuées arrivent bien parfois, et même en toutes saisons, 
du nord ou du sud, sur la baie de la Baleine, mais elles 
ne s'y condensent pas ; ainsi en est-il dans le Sahara 
des brumes de la Méditerranée ou du golfe de Guinée, 
qui sont absorbées .et s'envolent en fumée dans une 
atmosphère calcinée. 

La chaleur, qui pourrait paraître excessive à ne con- 
sidérer que cette rareté des pluies, est tempérée par 
un courant marin froid qui remonte la côte du sud au 
nord, semblable au courant de Humboldt de l'Amé- 
rique australe : à Saint-Paul de Loanda la tempéra- 
ture oscille de 19<» à 25°, atteignant par exception 



l'afrique australe 335 

38o ou tombant jusqu'à 14o. Sur la baie de la Baleine, 
le thermomètre est stable entre 14© et 18°. Le courant 
marin préserve cette côte des excès du climat conti- 
nental, auxquels elle serait exposée par le régime 
de ses pluies. Elle n'est donc pas malsaine et, si Teau 
y était moins rare, offrirait par ailleurs des con- 
ditions assez favorables à l'établissement des Euro- 
péens. 

Malheureusem-ent, l'accès du littoral est difficile, les 
indentations rares, golfes largement ouverts ou pro- 
montoires arrondis ; deux ou trois abris seulement 
sont mieux situés, défendus contre le courant côtier par 
des caps qui s'avancent au nord-ouest, baies de Saint- 
Paul de Loanda, de la Baleine, d'Angra Pequena ; en- 
core les mouillages y sont-ils médiocres. Sur le bord 
de la mer, le sol se relève en dunes sablonneuses, dont 
la dernière falaise tombe d'une vingtaine de mètres ; 
les rivières qui arrivent de l'intérieur percent avec peine 
ces obstacles mous ; elles s'épuisent parfois contre eux 
sans pouvoir atteindre la côte, ou roulent un mince 
filet au fond de brèches abruptes. 

Les embouchures sont obstruées par des alluvions : 
non seulement le courant venant du sud les ferme 
toutes d'une barre qui s'allonge vers le nord, mais en- 
core, on a observé un mouvement des eaux de la mer 
qui porte les couches profondes vers la surface et par 
conséquent ronge le rivage de bas en haut, le souli- 
gnant d'une rangée parallèle de bancs peu immergés. 
Les fleuves n'offrent donc sur aucun point des voies de 
pénétration naturelles ; leurs vallées, pauvrement arro- 



336 L*AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

sées, ne sont que des bas-fonds où la végétation pousse 
moins maigre qu'aux alentours, où peut-être le travail 
de rhomme acclimaterait certaines cultures ; mais 
Teau potable manque pour les résidents, à plus forte 
raison pour le ravitaillement des vaisseaux de passage. 

La flore littorale est très indigente ; rien n*invite sur 
ces rivages à un séjour prolongé, aussi les Portugais 
n'y ont-ils eu pendant longtemps que des escales pour la 
traite, habitées le moins longtemps possible par quel- 
ques gouverneurs et négociants, tous également pressés 
de s'enrichir par le seul commerce qui fût alors prati- 
qué. La côte, à partir de Mossamédès, est poissonneuse 
et par là ressemblerait à la côte saharienne du nord du 
Sénégal, si des espèces nouvelles n'y apparaissaient, 
phoques et môme baleines ; sur les fies qui entourent 
la baie d'Angra Pequeila sont déposés de grands amas 
de guano, analogie nouvelle avec les îles du Pacifique 
sud-américain. 

En arrière de la côte, l'intérieur du pays forme un 
plateau étage, dont les paliers sont, surtout au sud, 
pierreux et dépourvus de toute végétation. A 200 kilo- 
mètres de la mer, on rencontre des montagnes s'élevant 
à plus de 2000 mètres ; elles ne forment pas de chaîne 
continue, mais plutôt des massifs, dressés sur l'étag-e 
culminant du plateau ; les principaux sont le Bihé, en 
arrière de Saint-Philippe de Benguéla (2300 m.), les 
monts Chellas, à la hauteur de Mossamédès et plus au 
sud, dans l'aride Damaraland, les monts Omatokos, 
avec des oasis de hauteur suspendues à 2600 mètres. 
De tous ces districts montagneux, le Bihé est le mieux 



L*ÀFRIQUE AUSTRALE 337 

arrosé : il lui arrive au printemps quelques pluies atlan- 
tiques d*ouest ; dans Tété austral, de décembre à mars 
il condense les nuées plus abondantes qui arrivent 
de rOcéan Indien par dessus les plateaux du Zam- 
bèze. 

Les fleuves de cette côte sont tous misérables ; les 
seuls qui se traînent jusqu'à la mer se nourrissent dans 
le Bihé, par des sources situées à 1600 mètres : le 
Couanza, le Counéné ; leur cours n'est complet que pen- 
dant Tété austral ; ils sont capricieux et coupés de ra- 
pides : à 200 kilomètres de son embouchure, le Couanza 
se brise aux chutes de Living-stone. Plus au sud, dans 
la colonie allemande, les fleuves permanents n'existent 
plus, ce sont des oueds, au lit encaissé, caillouteux et 
desséché pendant la plus grande partie de l'année, brus- 
quement envahi après un orage par un torrent furieux 
qui s'écoule en quelques instants ; la course de ces eaux 
est tellement rapide que l'agriculture n'en pourrait tirer 
parti sans de coûteux ménagements. 

Le fleuve Orange, dont le cours inférieur marque 
la frontière entre les possessions allemandes et anglai- 
ses, arrive à la mer après plus de 2000 kilomètres ; 
bien que soutenu par des sources abondantes, il est déjà 
fort affaibli à son confluent avec le Vaal, et finit ensuite 
par une mince bande d'eau, paresseuse et presque dis- 
simulée dans la largeur d'un lit trop grand ; on se de- 
mande quelles crues furieuses ont dû le gonfler de 
temps en temps, pour lui ouvrir la cluse par laquelle 
il franchit les montagnes littorales. 

Dans les vallées où les alluvions se sont amassées, la 



1 



338 L 'AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

vég-étation est permanente ; le plateau n'a pas assez de 
pluies pour porter des prairies stables ; par contre les 
hauteurs dominantes, qui rassemblent les nuées plu- 
vieuses, se dressent sur l'aridité ambiante comme des 
châteaux de verdure. Ces hauteurs sont donc les seules 
parties vivantes du pays ; ce sont les centres qu'il faut 
atteindre ; quelques-unes ne se recommandent pas seu- 
lement par les facilités qu'elles offrent aux cultures 
coloniales ; elles ont encore des mines, surtout de cui- 
vre, comme au Chili : mines d'Otavi, dans le Daraara- 
land, mines de Spring^bock au nord-ouest de la colonie 
du Cap. 

Des montagnes qui accidentent l'étage supérieur du 
plateau, le sol s'abaisse vers le Zambèzeet le Kalahari ; 
les eaux courantes se font de plus en plus rares du nord 
au sud ; le Bihé envoie des rivières bien alimentées au 
Zambèze ; mais d'autres vont se perdre dans la steppe 
sans écoulement du lac Ngami ; d'autres encore, coulant 
plus directement au sud, ne descendent pas si loin et 
s'arrêtent à la frontière nord du Damaraland dans une 
lagune saline appelée lac Etocha. Le versant oriental 
des montagnes, dans la colonie allemande, est d'aspect 
désertique, l'eau se perdant sous le sable dès l'origine 
des vallées ; un oued affluent de l'Orange, l'Hygap, 
dessine l'artère principale de ce réseau rarement super- 
ficiel. Au delà du fleuve Orange, les vents d'ouest ap- 
portent des pluies plus régulières, les prairies sont 
plus fixes ; ces steppes de Tintérieur sont analogues à 
celles du sud algérien, et l'élevage y serait possible ; 
mais le manque de communications avec la côte empê- 



L*AFRIQUE AUSTRALE 339 

chera longtemps encore une mise en valeur quelconque 
de ces régions déshéritées. 

i 

Entre Tembouchure du Congo et celle du fleuve 
Orange, le Portugal et T Allemagne se partagent la 
côte atlantique de l'Afrique. Les Portugais se sont 
longtemps bornés à l'occupation de quelques postes 
côtiers, constituant leur colonie d'Angola ; dans Tinté- 
rieur, des expéditions commerciales dues à l'initiative 
de négociants plus actifs, des explorations plus scien- 
tifiques, remarquables môme, comme celles de Serpa- 
.Pinto (1877-1879), d'Ivenset Gapello (1884-1885) n'ont 
guère profité à l'extension du domaine réellement por- 
tugais, car l'indifiPérente mollesse du gouvernement a 
toujours négligé d'en tirer parti. 

La population de la côte, la seule sur laquelle l'au- 
torité portugaise soit organiquement établie, a été très 
mélangée par les apports de trois siècles de traite ; 
l'esclavage n'a été officiellement aboli dans l'Angola 
qu'en 1878 et peut-être ne serait-il pas impossible, au- 
jourd'hui encore, de trouver dans le Bihé des proprié- 
taires fonciers dont les a domestiques » ressemblent 
fort aux anciens esclaves, — ce qui veut dire qu'ils tra- 
vaillent pour leurs maîtres, et nullement qu'ils sont l'ob- 
jet de mauvais traitements. Les croisements de races 
ont donc été fréquents, et les métis Pomheiros sont la 
classe la plus nombreuse de la colonie ; caravaniers 
et commerçants, ils allaient autrefois chasser jusqu'au- 
près des lacs pour le compte des capitaines négriers ; 
leurs captifs rapportaient du miel, de la cire, un peu 



340 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

d'ivoire. Cameron en rencontra plusieurs groupes sur 
le haut Zambèze. L'abolition de la traite les a privés 
de leur moyen principal d'existence; mais ils se trans- 
forment sous nos yeux, et deviennent pour les pro- 
priétaires planteurs des courtiers appréciés. 

Peu de Portugais d'origine se livrent à la culture : 
la métropole pourvoit les emplois publics de fonction- 
naires qui ne sont pas une élite, et les forçats repré- 
sentent plus piètrement encore l'élément blanc; des 
évadés s'enfuient dans l'intérieur où parfois, oubliés 
des autorités trop faibles pour les poursuivre, ils fon- 
dent des exploitations agricoles et font souche d'hon-- 
notes Pombôiros. Des créoles brésiliens, depuis une 
soixantaine d'années, sont venus s'établir dans l'An- 
gola et y ont introduit les cultures tropicales ; les plus 
belles plantations sont entre leurs mains ; leur exemple 
a stimulé les Portugais d'Europe, dont un petit groupe 
montre une intelligente énergie. Quant aux entre- 
prises de transport et de travaux publics, même sous 
des noms déguisés en portugais, elles sont toutes 
étrangères. La maison la plus confortable de Saint- 
Paul est celle de la compagnie anglaise du câble. 

Les habitants des villes côtières, et môme parfois les 
Pombeiros de l'intérieur passent pour convertis au ca- 
tholicisme ; mais, d'après les missionnaires qui vivent 
au milieu d'eux, leur religion est fort intermittente. 
Ce que l'on peut remarquer avec curiosité, c'est que 
ces établissements portugais d'Angola, comme ceux 
du Gap Vert ou de Mozambique, n'ont rien qui les dif- 
férencie immédiatement des villes métropolitaines ; 



l'afrique australe 341 

même architecture, mômes couleurs lavées sur les fa- 
çades des maisons, mômes costumes, au point que le 
casque colonial est une rareté qui dénonce un étran- 
ger : une hérédité de quatre siècles a modelé cette race 
mixte sur le climat africain. Pour trouver des nègres 
purs, il faut pénétrer loin dans l'intérieur, jusque chez 
les forg'erons Loundas du haut Kassaï. 

La valeur économique de rAng'ola est actuellement 
médiocre, car la crise qui a suivi l'abolition de la traite 
n'est pas encore résolue ; le nord de la colonie appar- 
tient à la région congolaise ; des factoreries, en bor- 
dure de la rive gauche du Congo, de Noki au cap San 
Antonio, font le commerce de l'huile de palme et du 
caoutchouc. Mais plus au sud les ports, appauvris par 
la suppression de la traite, ne vaudront à peu près 
rien tant que des cultures coloniales n'auront pas été 
développées à l'intérieur, et des voies de communica- 
tion ouvertes jusqu'à la côte. Quelle quantité de fret 
peuvent représenter la cire, l'ivoire et quelques charges 
de caoutchouc apportées à dos d'homme ? 

Or l'Angola possède des districts certainement riches, 
des vallées alluviales, des hauteurs bien arrosées, dont 
on commence à cultiver le sol ; telles sont, en remontant 
de Saint-Paul de Loanda, les vallées de la Kouanza et 
delà Lucalla, son affluent de droite, surtout dans la 
région d'Ambaca ; le climat y est trop humide pour les 
Européens, l'air circule mal et le paludisme est redou- 
table ; ce sont des Brésiliens qui s'y sont installés, re- 
trouvant presque exactement les conditions des terres 



342 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

à café de leur pays ; outre le caféier, ils ont planté du 
tabac et des arachides. 

Les plateaux du Bihé, par 1600 mètres d'altitude, sont 
plus sains pour les Européens ; il existe à Belmonte 
quelques belles exploitations, sur un sol fertile ; Capello 
et Ivens y avaient obtenu en deux mois tous les lég'u- 
mes des climats tempérés ; peut-être ces districts pos- 
séderaient-ils aussi des gisements de cuivre. Au sud, 
les hauteurs de Huillasont favorables à la canne à sucre, 
tandis que les savanes qui en descendent vers le lac 
Ëtocha sont propres à Télevag^e; des Boers, arrivés par 
lentes étapes de l'Orange et du Transvaal y ont fondé 
quelques fermes, à l'image de celles de leur pays : mai- 
sons très distantes les unes des autres, troupeaux tou- 
jours poussés sur de nouveaux pâturages que Ton ne 
cherche pas à renouveler artificiellement, en un mot, 
élevage extensif qui convient à d'immenses espaces peu 
habités. 

Mais la côte est mal outillée pour devenir le point de 
départ d'un grand commerce; à Saint-Paul, les paque- 
bots mouillent très loin de terre, on doit débarquer sur 
des mahonnes plates passagers et marchandises et le 
déchargement à terre n'est pas moins compliqué. Le 
mouillage est meilleur à Mossamédès ; mais c'est dans 
la baie des Tigres, non loin de la frontière de la colo- 
nie allemande que l'on trouve le port naturel le mieux 
disposé : une longue et mince péninsule le couvre à 
l'ouest. Rien encore n'a été fait pour profiter de ces 
avantages ; mais les Allemands paraissent décidés à 
incorporer la baie des Tigres dans le Damaralaud, le 



L* AFRIQUE AUSTRALE 343 

jour OÙ les colonies portug'aises d'Afrique seraient une 
fois de plus remaniées au profit de nouveaux posses- 
seurs ; on a prétendu que l'acquisition de la baie des 
Tigres était spécifiée dans le traité secret conclu en 1898 
entre TAllemagne et TAngleterre ; ce serait, avec un 
chemin de fer de pénétration, le meilleur point d'atta- 
que des plateaux de Huilla et de Handa, sur les hautes 
vallées tributaires du Gounéné. 

Les chemins de fer de pénétration sont peu avancés en- 
core dans l'Angola portugaise; des voies sont projetées 
de Mossamédès sur Huilla, de Benguéla sur le Bihé, 
par la vallée de la Catombella ; une seule est exploitée, 
celle de Saint-Paul à Ambaca, qui doit être prolongée 
jusqu'à Malangé, en pays producteur de café, et plus 
tard jusqu'aux districts à caoutchouc du haut Kassaï ; 
les capitaux engagés dans ces entreprises sont surtout 
belges, anglais et français; la plupart des ingénieurs et 
directeurs ne sont pas davantage portugais ; seul le per- 
sonnel subalterno est rec^uté sur place. Le prix de re- 
vient du chemin de fer de Saint-Paul, qui est à voie 
étroite, s'est élevé à 110,000 francs par kilomètre; la 
mauvaise qualité de la main-d'œuvre indigène explique 
ce haut prix. 

Il est en effet difficile de trouver en Angola de bons 
travailleurs ; les nègres demi-civilisés de la côte sont 
les plus paVesseux, ils passent des journées entières à 
jouer, boire ou vagabonder dans les rues. Ceux de Ga- 
binda, petite enclave portugaise au nord de l'embou- 
chure du Gongo, sont les meilleurs ouvriers ; ils sont 
sensibles à l'attrait du gain, comme les Loangos, leurs 




344 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

voisins du Cong-o français. L'indigence de la main- 
d'œuvre n'est pas un des moindres obstacles au déve- 
loppement de la colonisation de l'Angcola. L'insoucieuse 
g-aieté des Portugais ne s'en inquiète guère ; des Brési- 
liens, des Madériens, des Boersse substituent aux maî- 
tres politiques du pays partout où l'agriculture est 
appelée à prospérer ; des Européens non portugais mo- 
nopolisent les entreprises publiques, et font les cinq 
sixièmes du commerce de l'Angola. 

La colonie allemande du Sud-ouest africain s'étend 
sur la côte de l'embouehure du Counéné à celle de 
rOrange. Les races indigènes sont ici moins mélangées 
que dans l'Angola portugaise, l'occupation européenne 
étant beaucoup plus récente : en 1883 seulement,M. Lû- 
deritz planta le pavillon allemand sur le littoral de la 
baie d'Angra Pequefia; c'était la première fois alors que 
l'Allemagne prenait position hors d'Europe. Elle ren- 
contra dans l'Afrique du sud-ouest des nègres de diver- 
ses races : au nord, les Ovambos, pasteurs delà steppe, 
nomades autour du lac Etocha, mais dont quelques 
tribus sont fixées et cultivent le sol dans le district plus 
montagneux dit Upingtonia ; près de la côte, les Herre- 
ros, agriculteurs, paysans robustes et qui furent d'a- 
bord peu accessibles à l'Européen. Au sud, sur les 
frontières de la colonie du Cap, vivent des Hottentots, 
plus petits et moins noirs ; ce sontlesplus dégradés de 
tous ces indigènes ; bien que souvent convertis au pro- 
testantisme par le voisinage des Hollandais du Cap, et 
parlant une sorte de patois bas-allemand, ils tombent 



l'afrique australe 345 

au dernier degré de Téchelle humaine, et disparaissent 
rapidement par la débauche et Tivrognerie. Ils ont ce- 
pendant opposé aux Allemands une vive résistance et 
ne sont encore qu'imparfaitement soumis. Des métis de 
Hollandais et de femmes hottentotes, appelés Bastards, 
seront les meilleurs auxiliaires de la colonisation ; ils 
ressemblent aux Griquasdu fleuve Orange. 

Les Allemands avaient pensé ouvrir leur colonie 
sud-africaine au peuplement européen ; nous avons re- 
marqué^ en effet, que le climat n*était pas malsain mais 
il faut d'abord aménager le pays pour parer aux inconvé- 
nients de son excessive sécheresse ; des essais de forage 
de puits artésiens n'ont pas réussi ; force est donc, avant 
de coloniser la côte, d'organiser au plus vite la péné- 
tration vers les plateaux moins arides de l'intérieur ; 
c'est là qu'a été placée la capitale administrative de la 
colonie, Windhoek, dominée par des cimes verdoyantes 
de 2.000 mètres. Le climat sec mais tempéré, avec dé- 
pression sensible pendant la nuit, est salubre, comme 
celui des plateaux du Manica ; l'air y est remarquable- 
ment pur. Mais là aussi, les colons doivent user de 
l'eau avec parcimonie, alors que l'irrigation seule en- 
richirait leurs terres ; ils ne pratiquent que l'élevage 
extensif, et le développement des cultures est impos- 
sible jusqu'au moment où la circulation des eaux sera 
régularisée. Dans l'état actuel, le chemin de fer cons- 
truit de Windhoek au port de Tsoamund n'est utile que 
pour éviter aux blancs un séjour prolongé sur la côte 
et daas les dunes brûlantes du littoral ; il n'a encore 
aucune valeur commerciale. 



346 L*AFIlIQtJE A L*ENTllÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

Les événements politiques qui se déroulent dans 
l'Afrique du sud ont sug'géré à quelques publfcistes 
l'idée d'ofiFrir des terres de colonisation aux Boers qui 
ne voudraient pas accepter la souveraineté britan- 
nique : le Sud-ouest africain allemand, mieux que toute 
autre partie de l'Afrique, conviendrait à cet établisse- 
ment ; jadis, les cartographes allemands eng-lobaient 
sous une même couleur les colonies allemandes de 
l'Afrique australe et les républiques des Boers ; la lan- 
g-ue de ceux-ci est, en effet, un dialecte bas-allemand ; 
ils sont protestants, comme la majorité des Allemands 
du nord. Les steppes orientales du Damara et du Na- 
maqua ressemblent à celles du Transvaal et de TOrang-e ; 
les Boers, acclimatés à ces conditions, les colonise- 
raient certainement comme ils ont fait celles de l'Orange 
et du Vaal. Il peut y avoir là, pour le développement 
économique de ces possessions allemandes, un renfort 
précieux. Mais la politique interviendra peut-être pour 
leur refuser le concours de cette immigration. 

Jusqu'ici, de grandes compagnies coloniales ont 
seules commencé la mise en valeur du pays ; leur 
œuvre n'en est qu'à des débuts modestes. Cinq de ces 
compagnies sont allemandes ; elles ont, après beau- 
coup de promesses, installé dans des fermes quelques 
colons boers et quelques dizaines de soldats allemands, 
libérés après un service militaire dans la colonie ; elles 
s'occupent surtout d'élevage et se sont assuré des dé- 
bouchés au Gap pour l'exportation du bétail ; elles au- 
raient songé à tenter l'élève de l'autruche, mais la 
valeur des plumes a beaucoup baissé sur les marchés 



L*AFRIQUE AUSTRALE 347 

de l*Europe et les fermiers du Gap restreigcnent plutôt 
qu'ils n'agrandissent leurs autrucheries ; dans TOvam- 
bo du sud, la canne à sucre trouverait un terrain favo- 
rable. 

Mais tout progrès agricole est subordonné à l'irriga- 
tion du sol et à l'établissement de voies de communica- 
tion des plateaux intérieurs vers la côte. Il est notable, 
de plus, que les Ang-lais se sont réservé les îles à 
guano et le monopole de la pêche des phoques ; de 
même, une compag-nie anglaise possède au nord de 
Windhoek la mine de cuivre d'Otavi, qu'elle compte re- 
lier par un embranchement à la voie ferrée Windhoek- 
Tsoamund. Au sud du fleuve Orange, dans le terri- 
toire de la colonie du Gap, les mines de cuivre de 
Springbock, exploitées depuis environ quarante ans 
par les Anglais, ont leur chemin de fer particulier et 
leur point d'embarquement, Port-Nolloth. G'est dans 
le nord-ouest de la colonie du Gap le seul district de la 
côte atlantique que les Anglais n'aient pas abandonné 
aux indigènes ; on voit qu'ils se sont avancés au delà 
du fleuve Orange et qu'ils y ont gardé leurs positions, 
bien que la souveraineté territoriale ait passé aux 
Allemands. Pour ceux-ci, le sud-ouest africain est la 
plus pauvre et la moins peuplée des colonies. 



CHAPITRE II 

Les possessions anglaises. — Anglais et Boers. 

L'Afrique australe sfUgclaise n'est déjà plus l'Afrique 
proprement dite ; tropicale seulement à l'est sur le lit- 
toral de l'Océan Indien, elle appartient par ses terri- 
toires méridionaux à la zone tempérée ; touchée par 
des Européens en même temps que les côtes d'Afrique 
restées portugaises, elle a, de plus, été habitée par eux 
depuis le milieu du dix-septième siècle ; aussi l'appro- 
priation par l'Europe est-elle singulièrement avancée. 

Nous ne parlerons pas ici de la colonie du Gap elle- 
même, pays de climat et de peuplement presque euro- 
péens. La question indigène ne s'y pose même plus, 
mais seulement celle très difiFérente de la coexistence 
de deux races européennes peu sympathiques l'une à 
l'autre, les Anglais et les Boers ou paysans hollandais. 
Pas plus que nous n'avons étudié l'Afrique Mineure, 
nous n'étudierons donc la colonie du Gap, autre suc- 
cursale de l'Europe en pays africain ; nous limiterons 



^ 



l' AFRIQUE AUSTRALE • 349 

notre enquête aux côtes tropicales de Test, ainsi qu'aux 
plateaux-steppes de colonisation plus récente, qui sont 
aujourd'hui le théâtre de la lutte sang-lante des Anglais 
et des Boers. 

L'Afrique australe, au nord de 30<> S. reproduit très 
exactement la forme d'aug-e que lui assignait Living- 
stone : au bord de l'océan Indien s'élèvent de hautes 
chaînes dépassant 3.000 mètres ; sur celles-ci s'ap- 
puient des plateaux intérieurs, inclinés vers le fleuve 
Orange ou vers le lac Ngami, puis relevés dans la di- 
rection de l'ouest jusqu'aux montagnes de l'Afrique 
sud-occidentale allemande; au sud, les plateaux cen- 
traux sont barrés par des alignements de hauteurs, 
dirigés d'ouest en est, qui accidentent la colonie du 
Gap, la divisent à peu près comme l'Afrique Mineure, 
en marches encadrées de montagnes, et finissent par 
un Tell au relief varié. 

Les Drakenberge sont le rebord oriental des pla- 
teaux de l'Orange et du Transvaal ; ils se composent 
de granits, avec des filons de quartz aurifère ; formés 
de plusieurs séries parallèles, ils tombent vers la mer 
en trois terrasses principales dont les fortes pluies de 
rOcéan Indien attaquent sans cesse et font reculer l'es- 
carpe vers l'intérieur. Le massif culminant (3000 à 
3150 m.) est la borne centrale qui relie les deux séries 
les plus considérables ; il porte le Mont aux Sources, 
ai^si appelé parce qu'il est le château d'eau de toute la 
région : le fleuve Orange en part au sud : ses affluents 

le Caledon, le Zand, le Vaal en sortent en éventail à 
L'Afrique. 20 



350 L*AFRIQUE A L*ENTRÉE DU VINGtlÈME SIECLE 

Touest et au nord ; vers Test enfin, il envoie la Tug'ela 
à Tocéan Indien. Les Drakenberg-e s'abaissent au nord, 
dans le Transvaal : le mont Mauch au pied duquel 
passe le chemin de fer de Lourenço-Marquez à Pretoria 
n'a plus que 2660 mètres ; au delà, l'éperon du Zout- 
pansberg (1370 m.) détermine la courbe du Limpopo ; 
puis le relief s'efface et le sol largement ondulé ne se 
relève qu'en arrière de Beira, dans la rég'ion déjà étu- 
diée des Matébélés et du Manica. 

La côte qui correspond à ces montagnes est rocheuse 
jusqu'au nord de Durban ; elle laisse passer de petits 
fleuves, coupés de cluses et de rapides, le Kei, le Saint- 
John, la Tugela; au nord, une plage basse annonce le 
littoral du Mozambique : lagunes allongées et séparées 
de la mer par une langue de sable, havres sans pro- 
fondeur, communiquant avec l'Océan par des graus 
mobiles; de là, l'importance des rares positions par 
où cette côte est accessible, la baie de Sainte-Lucie 
et surtout celle de Lourenço-Marquez ou baie Delagoa. 

La baie de Sainte-Lucie avait été occupée en 1884 par 
M. Lûderitz; mais l'Angleterre, un peu brutalement 
avisée par Bismark que les territoires du sud-ouest 
africain étaient possession allemande, obtint alors que 
par compensation Lûderitz lui abandonnât Sainte- 
Lucie ; elle continuait ainsi son mouvement tournant 
pour couper de la mer les républiques boers. La baie 
Delagoa, jadis revendiquée par des négociants du Cap 
et de Natal, fut laissée à la colonie portugaise du Mo- 
zambique par un arbitrage célèbre du maréchal de 
Mac-Mahon (1875) ; elle contient le seul bon abri de 



l'Afrique australe 351 

cette côte, Lourenço-Marquez : un chenal de 5 à 6 m. 
de profondeur donne entrée dans une rade paisible, et 
qu'il serait facile d'outiller en vue d'un grand com- 
merce si les terres d'alluvions qui l'entourent n'étaient 
marécag-euses et malsaines. 

Malg-ré cet inconvénieiit, Lourenço-Marquez, seul 
port non encore angolais de l'Afrique australe (car on 
n'en peut dire autant de Beira, malgré la souveraineté 
nominale du Portugal), a joué un rôle considérable 
pendant la guerre anglo-boer; par là seulement, le 
Transvaal communiquait librement avec l'extérieur. 
Le port n'est pas destiné d'ailleurs à ne voir que l'acti- 
vité passagère d'une année de crise : il est à portée des 
gisements houillers reconnus importants de Middel- 
burg qui, non seulement fournissent le combustible 
aux chemins de fer de Pretoria, mais encore ravitail- 
lent les paquebots qui touchent à Lourenço-Marquez, 
au prix moyen de 30 francs la tonne, rendue à bord. 
La Compagnie de navigation allemande de l'Afrique 
occidentale a, de toutes celles qui touchent à la baie 
Delagoa, tiré de ces facilités le plus d'avantages : 
grâce à la modicité de ses frets, grâce à la solidarité 
intelligente de ses affréteurs, cette compagnie a donné 
aux afiPaires allemandes dans les pays boers une exten- 
sion qui inquiète les Anglais eux-mêmes. La société 
française des Chargeurs-Réunis relie le Havre et Bor- 
deaux à la baie Delagoa, par le Cap, mais il n'existe 
pas de service français sur Lourenço-Marquez au départ 
de Marseille. 

La zone littorale, en arrière de Lourenço-Marquez, 



352 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

est plate et pauvre ; sur une centaine de kilomètres, le 
chemin de fer de Pretoria court en plaine, parmi des 
jongles et des marais infestés par la tsetsé ; c'est pour- 
quoi le chemin de fer était nécessaire à la pénétration, 
les bétes de somme ne pouvant descendre jusqu'à la 
côte. Au delà de la plaine, la voie gravit des rampes 
qui l'amènent au sud du mont Mauch, dans des dis- 
tricts houillers et aurifères. 

Cette côte, exposée aux pluies de l'océan Indien, est 
humide surtout pendant l'été austral, de novembre à 
février; on n'a pas oublié les souffrances qu'endura, 
du fait de ces orages diluviens, l'armée anglaise du 
Natal en 1899-1900. Durban n'a cependant que 1 m. 10 
de pluie annuelle, mais la température s'y maintenant 
aux environs de 20®, toute l'eau qui tombe profite à 
une végétation toujours en croissance, et la flore du 
Natal est toute tropicale : dans les vallées ouvertes sur 
l'océan Indien, au sol épais d'alluvions superficielles, 
on cultive le café, la canne à sucre ; sur les premières 
collines, des plantations de thé, plus récentes, ont bien 
réussi ; enfin les hautes ombrelles des palmiers donnent 
à cette végétation son cachet africain. Durban est entou- 
réedemagnifiques jardins. En pénétrant dans l'intérieur, 
le climat est plus sec et plus continental ; les cultures 
tropicales disparaissent pour faire place à l'élevage ; 
des plateaux ondulés, herbeux, remontent par Pieterma- 
ritzbourg (600 m.), Ladysmith, Newcastle vers le Mont 
aux Sources et les passes qui débouchent à 1700 m. sur 
les terrasses beaucoup moins arrosées des pays boers. 

Les indigènes du littoral oriental ont été transfor- 



l' AFRIQUE AUSTRALE 353 

mes par le contact des Européens. Remarquons ici, et 
cette observation est g-énérale pour toute l'Afrique du 
sud, que la pénétration « humaine » est beaucoup 
moins difficile de ce côté que dans l'Afrique Mineure, 
les nègres n'ayant aucun org'anisme politique ni reli» 
g'ieux ; rien chez eux ne ressemble au bloc de résis- 
tance que dresse partout Tislam ; certains ont fait 
preuve de qualités militaires, d'amour de l'indépen- 
dance, comme les Zoulous ; mais l'anarchie normale 
des nègres n'étant corrigée par aucun ferment de cohé- 
sion, ces oppositions sont toujours restées sporadiques, 
et la victoire militaire des Européens leur a ouvert im- 
médiatement l'accès des sociétés locales. S'il devait 
jamais surgir une « question indigène» dans l'Afrique 
du sud, elle se poserait donc non pas dans les mêmes 
termes qu'en Algérie ou en Tunisie, mais comme aux 
Etats-Unis, entre blancs et gens de couleur, tous éle- 
vés à peu près de môme. Or, au Natal seulement, on 
peut estimer la population à 400.000 noirs au moins 
contre 40.000 blancs. 

Les Gafres et Basoutos qui peuplent les terrasses 
orientales des Drakenberge sont fort différents des sau- 
vages de l'Afrique équatoriale ; ils sont attachés au sol, 
cultivent des céréales, voire pour l'exportation, élèvent 
du bétail pour en faire le commerce, et promènent mé- 
thodiquement leurs troupeaux transhumants de l'un à 
l'autre versant des montagnes; en relations depuis le 
XVII® siècle avec des réfugiés hollandais et français, 
tous protestants, ils ont adopté la religion de ces 

immigrants et la langue hollandaise que parlaient 
L'Afrique. 20. 



354 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

le plus grand nombre d'entre eux; mais, depuis une 
cinquantaine d'années, ils apprennent plus volontiers 
l'anglais qui est l'idiome commercial de toute l'Afri- 
que du sud. Une race de métis, les Griquas, s'est formée, 
partagée entre deux territoires qui encadrent l'Etat 
d'Orange. Gafres etBasoutos sont aujourd'hui de soli- 
des paysans, dont beaucoup de propriétaires ; nombre 
d'entre eux lisent et écrivent le hollandais et l'anglais ; 
ils envoient leurs enfants à l'école, et possèdent môme 
des journaux. 

Les Zoulous, parents des Matébélés que soumirent 
si péniblement les troupes anglaises, n'ont été vaincus 
qu'après une dure campagne, en 1879 ; eux aussi re- 
noncent à leurs instincts de rapine ; mais leur pays ne se 
prêtant guère à la culture, ils pratiquent surtout l'éle- 
vage ; leurs bestiaux contribuent dès maintenant à 
l'alimentation des Européens de l'Afrique australe ; des 
troupeaux sont acheminés par les cols de la montagne 
vers les pays miniers du Transvaal. 

Les Anglais se sont progressivement emparés de 
tout ce littoral ; évincés de Lourenço-Marquez en 1875, 
ils occupaient peu après le Zoulouland ; d'abord ils pré- 
tendirent s'opposer à la construction du chemin de fer 
de Pretoria à la baie Delagoa, dont les capitaux étaient 
pourtant anglais et américains ; puis le gouvernement 
portugais ayant confisqué cette ligne, ils espérèrent le 
faire condamner à des dommages intérêts - dont ils 
le tiendraient quitte en occupant la baie Delagoa; les 
arbitres suisses saisis du différend n'ont condamné le 
Portugal qu'à des compensations beaucoup moins oné- 



l' AFRIQUE AUSTRALE 355 

reuses, et qui furent immédiatement réigrlées (avril 
1900). 

Ce sont des négociants de Natal qui ont étendu peu 
à peu la domination anglaise jusqu'à la colonie du 
Gap d'une part, jusqu'aux Drakenberge de l'autre. 
Natal fut la première république fondée par les Boers 
émigrés du Cap, mais ils en furent bientôt chassés par 
les Anglais, et passèrent à l'ouest des Drakenberge 
(1840-1842). Le Natal, devenu le foyer de l'action an- 
glaise, a rayonné sur les pays des Basoutos, des Cafres 
et des Griquas de l'est, annexés définitivement en 1885. 
Les Anglais sont ainsi les maîtres de toutes les voies 
de pénétration qui relient les plateaux boers à la côte 
orientale : la possession même de la baie Delagoa leur 
est indifférente, puisque les districts aurifères les plus 
riches, ceux de Johannesbourg, communiquent direc- 
tement avec Durban par une voie ferrée qui dessert 
Pietermaritzbourg, Ladysmith et Newcastle. Si la po- 
litique internationale leur interdit l'annexion de la 
baie Delagoa, c'est sur Durban qu'ils concentreront 
leurs efforts, et Lourenço-Marquez ne gardera le 
débouché que d'un district aurifère de moindre im- 
portance, avec celui des houillères que nous avons 
signalées. 

Au delà des Drakenberge, sur les terrasses qui s'in- 
clinent à l'ouest, les Boers avaient constitué les deux 
Républiques dont le sort se joue à l'heure où ces lignes 
sont écrites, l'Etat libre d'Orange et la République sud- 
Africaine ou Transvaal. La hauteur moyenne de ces 
plateaux est de 1.300 à 1.400 mètres, les terres les plus 



356 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

fertiles sont à Test, dans les districts montagneux. 
L'abri des Drakenberg-e les prive des pluies de TOcéan 
indien, et le climat en est continental ; en saison sèche 
surtout, c'est-à-dire dans les mois de l'hiver austral 
(juin à septembre), les nuits sont froides; le thermo- 
mètre tombe alors jusqu'à — 5® à Johannesbourg. Les 
journées sont par contre brûlantes, surtout quand 
souffle le vent de nord-est, qui arrive des steppes du 
Kalahari. 

Des terrasses supérieures, le sol descend à l'ouest 
vers le pays des Bechuanas; la saison des pluies est 
alors de plus en plus courte; Pretoria, située à 1.360 
mètres dans un cirque ouvert au nord, n'a que m. 60 
de pluies annuelles ; tout autour, et surtout au sud- 
ouest, se déploie le veldt, plateau aux vastes horizons, 
sans arbres, sauf ceux qui indiquent de loin les villages 
ouïes habitations isolées. La surface n'en est pas plane, 
mais au contraire accidentée par des mamelons d'où 
jaillissent parfois, comme des forts naturels, des blocs 
de granit : ce sont les kopjeSy entre lesquels les pans 
sont des bassins plats, gardant en saison sèche un fond 
d'humidité. Les lits des rivières sont encaissés et for- 
ment en toutes saisons des obstacles ; les charrois des- 
cendent péniblement sur la tranche de leurs berges. 
Le nom de fontein ou source, très commun dans la 
nomenclature géographique locale, exprime (comme 
hir en pays arabe) l'importance des points d'eau. 

Deux réseaux drainent les plateaux boers, ceux du 
fleuve Orange et du Limpopo ; le Limpopo qui naît des 
collines de Pretoria n'a que très peu d'eau ; il ne mérite 



l' AFRIQUE AUSTRALE 357 

plus g-uère aujourd'hui le nom de rivière des crocodiles, 
ces animaux disparaissant à mesure que les bords du 
fleuve sont plus fréquentés par les pasteurs. L'Orang-e, 
ainsi que son affluent le Vaal, n*est actif que dans son 
cours supérieur, notamment dans le pays des Basoutos ; 
tous deux arrivent épuisés déjà dans le district diamanti- 
fère des Griquas, où ils se réunissent, puis ils rampent 
lourdement à la surface du plateau. Très indig^ents 
pendant la majeure partie de Tannée, TOrange et le 
Vaal sont exposés à des crues d'été (novembre-avril), 
foudroyantes et destructrices : ils débordent alors du 
sillon au fond duquel ils se dissimulent d'ordinaire. 

Les steppes de l'Orang-e et du Transvaal sont, par 
rheureuse combinaison de leur altitude et de leur lati- 
tude, un pays tempéré où l'Européen séjourne aisé- 
ment et qui est déjà très approprié par les nombreux 
descendants des colons du xvn® siècle. La faune sau- 
vage, éléphants, autruches, antilopes, léopards, bat en 
retraite vers le nord. Les indigènes noirs, après avoir 
soutenu des guerres sanglantes contre les trekkers hol- 
landais, chassés du Cap et de Natal par la conquête 
anglaise, sont aujourd'hui les auxiliaires ou même les 
imitateurs indépendants des fermiers blancs. Chaque 
famille de Boers possède un certain nombre de servi- 
teurs cafres, vivant souvent en famille eux-mêmes, et 
ne paraissant pas se souvenir des luttes d'antan. On ne 
saurait oublier cependant que les blancs circulent tou- 
jours armés à travers leurs domaines, et que leur coup 
de fusil manque rarement son but. Cette précaution 
explique peut-être la soumission des nègres ; si les 



358 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

Anglais, pour conquérir les républiques boers, pré- 
tendent désarmer tous les blancs qui les auront com- 
battus, on peut se demander comment ils assureront 
leur sécurité parmi des nègres huit ou dix fois plus 
nombreux. 

Les Boers, protestants d'orig^ine hollandaise et fran- 
çaise, avaient fondé la colonie du Cap, dont les Anglais, 
après un échec en 1780, s'emparèrent définitivement 
en 1795. Impatients d'une autorité qui ne leur épar- 
gnait aucune vexation, ils tentèrent d'abord un soulè- 
vement (1815); vaincus, durement châtiés, ils partirent 
en un premier exode ou trek pour le Natal ; refoulés 
encore, ils fondèrent de l'autre côté des Drakenberge 
leurs deux républiques. Il n'entre pas dans le plan de 
ce livre de raconter comment les Anglais, après les 
avoir laissés en paix tant que les indigènes des plateaux 
résistaient encore, se sont, surtout depuis la découverte 
des mines d'or, obstinés à détruire l'indépendance de 
ces petits Etats. La campagne de 1899-1900 n'est 
qu'une réédition amplifiée du fameux raid de Jamcson 
en janvier 1896. Nous montrerons seulement ici com- 
ment les Boers ont commencé la mise en valeur de 
cette partie de l'Afrique australe et comment il paraît 
nécessaire de conserver leur aide pour en continuer le 
progrès. 

Race endurante et prolifique, formée à la vie de plein 
air, les Boers sont essentiellement des paysans ; autour 
de leurs fermes s'étendent d'immenses plaines dont les 
parties les plus proches seules sont défrichées ; ils j 
cultivent assez de céréales pour en fournir aux Buro- 



.j 



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L*AFRIQUE AUSTRALE 3S9 

péens du Natal, pays trop humide et chaud pour le blé ; 
ils ont des champs de tabac et des arbres fruitiers. 
Mais, plus volontiers qu'à la culture, ils se livrent à 
Télevag-e, cavaliers intrépides g'alopant sur de petits 
cKevaux sobres et résistants au milieu de leurs trou- 
peaux de bœufs ; les bœufs sont pour eux des animaux 
de boucherie et de trait : ils les attellent par huit, dix 
couples ou plus, suivant les difficultés de la route, à de 
lourds chariots à roues pleines, véritables maisons 
roulantes, où les familles s'entassent pour des treks 
qui durent des mois, avec leurs provisions et leur mo- 
bilier ; des roulottes du môme type servaient jadis, 
avant les chemins de fer, aux marchands juifs qui ve- 
naient du Cap, une fois Tan, visiter la clientèle des 
Républiques. 

On a pu reprocher aux Boers de n'avoir pas encou- 
rag-é l'exploitation industrielle de leur pays, d'avoir, 
par exemple, entravé l'exttaction de l'or par des mono- 
poles onéreux ; leurs « paysanneries » sont le fait bien 
excusable de ruraux qui se trouvaient aux prises, tout 
d'un coup, avec les financiers les plus hardis du 
monde, et qui dans les nouveaux venus, dans les 
uitlanders voyaient surtout des intrus bruyants et des 
agents d'expropriation. Et peut-être leur défiance ins- 
tinctive de ces étrangers n'était-elle pas une erreur, 
puisque, Pretoria à peine conquise, des publicistes an- 
glais se demandaient déjà comment on assurerait la 
protection des citoyens des Républiques contre les inso- 
lences de cette population flottante et souvent suspecte. 
Le malheur des Boers est venu de ce que leur sol 






360 L* AFRIQUE A L ENTREE DU VINGTIEME SIECLE 

est trop riche ; dès 1867, des diamants étaient trouvés 
entre le Vaal et TOrange, dans le district où se déploya 
depuis le génie d'affaires de M. Gecil Rhodes, où na- 
quit la ville de Kimberley, peuplée aujourd'hui de 
plus de 20.000 habitants : en 1880, les Anglais obli- 
geaient l'Etat d'Orange, contre une indemnité qu'il ne 
put refuser, à leur céder les mines de diamants. L'or a 
été découvert dans les monts Mauch en 1868; ce district 
est aujourd'hui bien dépassé par le Rand, où Johannes- 
bourg fondée en 1887, comptait avant la guerre anglo- 
boer plus de 100.000 habitants, tous vivant directe- 
ment ou indirectement du travail des mines. Qu'étaient, 
auprès de ces cités toutes modernes, les rustiques capi- 
tales occupées par les armées anglaises, Bloemfontein, 
Pretoria, gros bourgs de quelques milliers d'habi- 
tants ? 

Le Rand est un des pays aurifères les plus riches du 
monde ; on y exploite soit des alluvions superficielles, 
soit dans les deep levels des filons de quartz. Des gise- 
ments voisins de houille permettent l'usage économi- 
que des machines les plus parfaites. Les travailleurs 
et employés des naines, embrigadés par des sociétés 
financières dont l'action est puissante, même fort loin 
du Rand, n'ont plus la liberté d'allures des premiers 
prospecteurs ; après la période tumultueuse du rws/i, 
est venue l'ère plus calme des travaux réguliers. Les 
manœuvres au service des compagnies minières sont 
surtout des noirs ; les contremaîtres, les employés sont 
des Européens de toutes nationalités mais surtout an- 
glais ou assimilés par l'usage de la langue anglaise; 



r 



l'âfIuqùe âVstAale 361 

autour d^ettx gravitent des commerçants de tous ordres, 
de toutes origines et de toutes «respectabilités». 

Les Boers ont presque tous refusé de s'associer à 
l'exploitation des mines ; ils sont restés paysans ; la 
persistance de ce caractère fait de leur race un élé- 
ment nécessaire à la prospérité de TAfrique australe et 
surtout des districts miniers : ce ne sont pas seulement 
les monopoles institués par les Républiques qui pe- 
saient sur rindustrie aurifère au Transvaal ; c'est aussi 
la cherté des vivres, le pays ne produisant pas en quan- 
tités suffisantes les grains, le bétail, les légumes néces- 
saires à la subsistance du personnel européen des mines. 
La disparition des Boers ou,ce qui reviendrait au même, 
une politique oppressive qui les réduirait à la haine 
héréditaire contre leurs vainqueurs compenserait, au 
détriment de l'exploitation économique des mines, quel- 
ques réformes administratives ; et nous ne disons rien 
des frais de la guerre, qu'il faudra bien amortir sur les 
ressources existantes, c'est-à-dire sur les mines elles- 
mômes. 

Nous croyons donc qu'une solution du conflit actuel, 
pour être équitable et politique tout ensemble, pour ne 
pas grever l'avenir de ce pays de charges imprudentes, 
devrait tenir grand compte de cet incoercible désir d'in- 
dépendance pour lequel les Boers ont si vaillamment tenu 
tête, un contre dix, aux armées anglaises; la possession 
des mines du Rdnd et de toutes les voies qui en com- 
mandent l'accès pourrait suffire aux appétits britanni- 
ques ; dans les montagnes du nord et de l'est du Trans- 
vaal, communiquant avec la mer parLourenço-Marquez, 
L'Afrique. 21 



36â L* AFRIQUE À L^ENTKÉE 1>U VINGTIEME SIECLE 

il y aurait place encore pour un Etat libre, dont les 
paysans travailleraient le sol pour nourrir les mineurs l 
du Rand. Mais se trouvera-t-il en Angleterre des voix 
assez puissantes pour prêcher avec succès ces idées de 
justice ? L'Europe saura-t-elle oublier ses divisions pour 
faire comprendre à l'Angleterre qu'un impérialisme 
trop violent compromettrait tout ensemble sa souverai- ! 
neté politique et l'essor économique de TAfrique du 
sud? 

La colonie anglaise du Cap s'avance, à l'ouest des 
pays boers, jusque dans les régions du Zambèze, où elle 
se soude au domaine des Compagnies à charte ; elle com- 
prend là des terrasses, qui commencent aux monts Kar- 
rees et sont appelées, au delà du fleuve Orange, le 
Bechuanaland. L'aspect général est d'un plateau gra- 
nitique, élevé de 800 mètres dans sa partie méridionale, 
que traverse l'Orange, puis redressé par un dôme qui 
arrête à l'ouest les dernières pluies de l'Océan Indien 
et marque nettement une ligne de séparation entre les 
eaux permanentes du Yaal ou du Limpopo et les oueds 
du Kalahari. Kuruman occupe la position culminante 
de ce dôme ; le chemin de fer de Kimberley à Mafekin^ 
et Buluvayo court sur le palier le plus haut de ce relief 
aux formes écrasées. 

Le climat du Bechuanaland est plus continental que 
celui des républiques boers; les pluies y sont rares, le 
rayonnement nocturne intense ; l'humidité rassemblée 
dans les fonds y dépose des efflorescences salines, et 
ces vleys ressemblent aux sebkhas des plateaux al 



L*AFRIQUE AUSTRALE 363 

rîens. Là poussent quelques bouquets d'arbres, parmi 
des pâturages où vivent des troupeaux de chèvres et 
des autruches ; une brousse basse, avec des paquets d'é- 
pines couvre le reste du sol, qui descend par une pente 
insensible vers le Kalahari et le Zambèze. 

La partie orientale du Bechuanaland, la plus élevée, 
est aussi la plus salubre ; par son altitude, parla pureté 
de son air elle est comparable au Manica. Partout où 
Teau paraît à la surface, des cultures sont possibles, et 
le séjour offre des conditions très favorables à la santé 
des Européens : des missionnaires protestants ont fondé 
dans ces steppes des stations qui ont été les étapes de la 
conquête anglaise : ils sont à Mafeking", bourgade de 
fermiers blancs et de pasteurs cafres, à Vrybourg, à 
Chochong. Livingstone avait le premier signalé la dou- 
ceur et même le charme de ce climat du Bechuanaland 
oriental ; il ne paraît pas que le domaine s'en étende 
jusqu'au Kalahari qui, moins élevé, se trouve exposé à 
tous les excès du régime désertique. 

C'est encore Livingstone qui, en 1849, étudia le pre-» 
mier ce Sahara de l'Afrique australe ; les eaux tombées 
du Bihé, par le Koubango, se terminent en des lagunes 
saumâtres, le lac Ngami et les Makarikaris ; peut-être 
des dérivations souterraines en conduisent-elles une 
partie au Tch'obé ou au Zambèze, mais il n'y aura pas 
lieu de rechercher ces vallées encore ignorées jusqu'au 
jour où la colonisation attaquera les plaines septentrio- 
nales du Kalahari pour en faire un pays d'élevage. 
Suivant toutes les probabilités (car l'ouest de ces step- 
pes est encore à peine exploré), le désert s'accuse avec 



364 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

une rig'ueur de plus en plus précise vers la frontière 
allemande du Damaraland. La traversée n'en est possi- 
ble pour les bétes de somme que pat* la présence d'un 
melon très aqueux, qui leur fournità la fois un aliment 
et une boisson. 

Le Bechuanaland est peu habité : les Bechuanas 
sont des pasteurs nomades, apparentés aux Basoutos 
et aux Zoulous. convertis pour la plupart au protes- 
tantisme et qui s'assimilent rapidement les coutumes 
européennes; de plus en plus, ils se fixent dans les cen- 
tres où des blancs sontétablis, ayant compris l'intérêt de 
se rapprocher d'eux pour faire commerce de leur 
bétail ; ils construisent des huttes circulaires, coiffées 
d'un cône de paille ; il n'est pas douteux que, partout 
où l'eau superficielle sera suffisante, ces indig-ènes 
sauront cultiver les céréales, développant pour le bien 
des Européens de l'Afrique du sud les expériences ten- 
tées en petit par les missionnaires. 

A l'ouest des Bechuanas vivent des nèg'res infé- 
rieurs, les Bushmen ou Hottentots, petits, d'un noir 
tirant sur le jaune, chasseurs et très sauvages ; coinme 
la faune des grands animaux, éléphants, girafes, anti- 
lopes,., ils reculent devant l'appropriation européenne 
et sont en voie de disparition : tout au contraire, les 
indigènes supérieurs non seulement résistent, mais se 
multiplient en môme temps qu'ils s'instruisent ; il en 
est des Bechuanas comme des Gafres. Et ce progrès 
n'a pas échappé au gouvernement britannique qui 
ayant occupé le Bechuanaland en 1885 pour séparer 
les républiques boers de la côte atlantique allemande, 



l' AFRIQUE AUSTRALE 365 

s'efforce, en donnant à ces noirs une éducation tout 
anglaise, de se réserver le bénéfice de leur collabora- 
tion. 

• A l'heure présente, la valeur économique de ces 
annexes de la colonie du Gap est médiocre ; on a dé- 
couvert des diamants près de Vrybourg, du fer au nord- 
est de Chochong- ; mais il ne paraît pas que les mines 
déjà exploitées soient près d'être épuisées et que l'on 
doive s'attaquer à ces nouveaux gisements d'accès 
moins facile. Le Bechuana restera sans doute long- 
temps encore un pays d'élevage et peut-être de cultures ; 
nous avons dit que les autrucheries dépassaient peu les 
plateaux du Karou, les demandes du commerce ne 
s'étant pas assez multipliées pour encourager des créa- 
tions nouvelles plus au nord ; on peut, par contre, remar- 
quer que les négociants achètent plus volontiers les 
toisons de chèvre, pour la fabrique des tissus dits 
mohairs. Le bétail indigène, qui déjà fournit des bêtes 
de somme, sera facilement dressé au travail agricole, 
et le sol du Bechuana, remué par des façons convena- 
bles, est capable déporter de belles moissons. L'amélio- 
ration de l'élevage, par la culture de plantes fourragères 
notamment, est ici, comme dans l'Afrique Mineure, la 
question fondamentale ; encore le Kalahari est -il 
moins désertique que le Sahara : auprès des lacs salins, 
les indigènes ont tant d'animaux de boucherie qu'ils 
néglig'ent la pêche, pourtant peu laborieuse, alors que 
quelques degrés plus au nord, sur le Zambèze, les 
riverains s'y adonnent habituellement, faute de bétail. 

21. 



366 I.' AFRIQUE A l'entrée du vingtième siècle 

L'occupation progressive de l'Afrique australe parles 
Ang;laisa donc révélé que cette partie du continent noir 
se prêterait à la constitution d'une société policée, dans 
laquelle les nègres pourraient figurer, sans avoir passé 
par l'esclavage ; on aurait tort cependant d'en tirer des 
conclusions en ce qui concerne l'Afrique équatoriale et 
tropicale, où l'établissement de la race blanche, éduca- 
trice nécessaire, est interdit par le climat. Il est inté- 
ressant d'indiquer, en terminant, comment les Anglais, 
qui sont la minorité du nombre, ont réussi cependant 
à marquer ce coin d'Afrique de l'empreinte anglo- 
saxonne : d'un mot, ils se sont emparés de tout le 
mouvement économique. 

Ils ont construit des chemins de fer; le réseau de 
"Afrique australe, en comprenant les lignes des répu- 
liques boers, dépasse 8.000 kilomètres : on compte, 
u départ du Cap, i.030 kilomètres de rails jusqu'à 
iimberley, 1,400 jusqu'à Mafeking, 2.100 jusqu'à Bu- 
ivajo, terminus actuel. De là le télégraphe, précé- 
ant la voie ferrée, atteint fort Salisbuiy, où finissent 
! télégraphe et le chemin de fer de Beira. A l'est de 
me Tnain-line s'étend la région industrielle des 
lines, déjà exploitée ; à l'ouest, la steppe k transfor- 
ler peu à peu par l'agriculture et l'élevage. Or tout le 
avai) industriel est dirigé par les Anglais ; l'agrîcul- 
ire est pratiquée surtout par les Afrikanders et les 
idigènes, mais elle n'a d'avenir que pour nourrir les 
uvriers et employés de l'industrie ; les voies de trans- 
ort appartiennent à des sociétés anglaises. 
De plus, la langue anglaise est celle du i 



l'afrique australe 367 

dans toute l'Afrique australe, môme en pays boer ; les 
missionnaires protestants, avant-garde des adminis- 
trateurs et des financiers, enseignent aux indigènes 
l'ang-lais, avec quelques métiers ; ils y joignent des no- 
tions meilleures d'agriculture et d'élevage. Certes la 
lang>ue anglaise, avec la simplicité de sa grammaire, 
est de celles dont l'usage courant s'acquiert le plus 
vite ; mais tous les succès obtenus ne sont pas dus seu- 
lement à cet avantage ; il en revient une part au sys- 
tème des Anglais d'imposer toujours leur langue 
comme instrument des échanges, et cela par la raideur 
de leur caractère, plus encore que par des règlements 
d'administration. 

Voilà comment, quel que soit d'ailleurs l'avenir po- 
litique réservé à l'Afrique australe, colonie, confédéra- 
tion associée à l'Angleterre ou république indépendante, 
ce pays représentera longtemps encore une région d'ex- 
pansion anglaise. La perspective est lointaine du jour 
où la minorité anglaise qui représente la direction et 
les capitaux sera noyée dans une population composite 
de sang surtout hollandais et nègre, devenue habile aux 
occupations industrielles et financières comme à l'a- 
griculture, et capable de prendre sa revanche de domi- 
nation contre ceux qui auront été, souvent par la violence 
ses maîtres et ses initiateurs. 



21.. 



CONCLUSION 



Nous ayons,au cours de cet ouvrage, étudié toutes les 
parties deTAfriqueGÙ les nègres indigcènes se trouvent 
en contact avec les Européens ; nous avons dit comment, 
à travers tout le continent hier mystérieux, un mouve- 
ment se dessine, qui entraîne à une vie sociale certaine- 
ment supérieure ces populations encore voisines de Tétat 
de barbarie. 

Les nations coloniales de l'Europe se sont partagé 
l'Afrique noire, presque avant de la connaître ; mais il 
est clair aujourd'hui que tout progrès y est impossible, 
si leur intervention n'est pas active, si même elle n'est 
brutale, au besoin, pour organiser l'anarchie indigène, 
pour arrêter, partout où elles stérilisent le sol et les 
hommes, les déprédations des prophètes musulmans. 

Faire régner la paix, fût-ce d'abord au prix de la 
guerre (mais ceci ne s'applique qu'à la guerre contre 
des noirs), régénérer par l'agriculture les pays pacifiés, 
les ouvrir par des chemins de fer à la pénétration éco- 
nomique des peuples civilisés, tel est le plan nécessaire. 
Les contraintes inévitables du début ne doivent pas alar- 
mer les philanthropes : que l'on empêche seulement 




l'afrique australe 369 

l'assassinat des indigènes par Talcool et les armes d'im- 
portation, et Taction européenne en Afrique sera bien- 
faisante. 

Nous trouvons là-bas, sur des terres à cultiver, des 
races véritablement mineures qui ne sauraient arri- 
ver à l'état adulte sans une tutelle ferme et prévoyante ; 
de cette tutelle, l'échéance est plus ou moins proche 
selon que le premier contact avec l'Europe est plus ou 
moins ancien, mais le principe môme n'en est pas con- 
testable. 

C'est l'Europe qui a commencé la transformation de 
l'Afrique; elle seule est capable d'en surveiller et d'en 
hâter l'évolution. 



L'Afrique. 21. 



TABLE DES MATIÈRES 



Lettre-Préface 



Introduction. — Généralités ; division de TAfrique 
en grandes régions géographiques. — I. La décou- 
verte récente de l'Afrique par les Européens. Les 
sociétés déjà constituées: Afrique mineure, Afri- 
que australe, Egypte. — L'Afrique nègre et l'in- 
vasion de l'Islam. Conditions générales de la pé- 
nétration européenne ; nécessité de créer des voies 
artificielles. — II. Configuration d'ensemble de 
l'Afrique. Caractère massif de ce continent. — 
Zone des plaines équatoriales ; les pluies et la 
forêt. — Zone des plateaux du Centre : pays du 
Zambèze et des grands lacs ; annexe de l'Abyssi- 
nîe. — Zone du Soudan et du Sahara : 1* dans 
l'hémisphère nord : Soudan et Sahara proprement 
dits ; 2^ dans l'hémisphère sud : terrasses de l'Afri- 
que australe et Kalahari 

LIVRE I 
LES PLAINES ÉQUATORIALES 

Chapitre I. Les côtes de Guinée. — Relief de la 
côte et distribution de la forêt ; les noirs anthro- 



1 



372 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIEME SIECLE 

pophages. — Les ports d'accès; les lagunes cô- 
tières ; les populations du littoral ; les Krous et les 
Sierra-Léonais. — Le commerce : huile de palme, 
bois, etc.. Essais agricoles. — Division politique 
et projets de pénétration vers le Soudan. ... 3o 

Chapitre IL Le Gameronn allemand et le Congo 
français. — La côte, les estuaires de Cameroun et 
du Gabon. Difficultés de la pénétration directe. 

— Les plateaux intérieurs et le versant congolais. 

— Les cultures coloniales au Cameroun et dans 
les îles portugaises du golfe; essais dans le Congo 
français. — Les voies navigables de Tintérieur : 
Congo, Oubanghi, Sanga; projet de chemin de 
fer de la Sanga au Gabon. — Les concessions au 
Congo français 56 

Chapitre IIL L'Etat indépendant du Congo. — Ori- 
gines et constitution de l'Etat. — L'ancien lac du 
Congo moyen. La forêt ; la faune. Les popula- 
tions indigènes; densité, coutumes, relations avec 
les Européens. — Le réseau navigable du Congo. 
La route de Stanley et le chemin de fer du Bas- 
Congo. L'outillage du Haut-Fleuve. — Essais 
agricoles. — La main-d'œuvre des nègres ... 76 

Chapitre IV. La Côte orientale et Zanzibar. — Etroi- 
tesse de la bande littorale. — La péninsule des 
Somalis. — Zanzibar ; les îles ; la côte ou Mrima. 
Moussons. Les pluies ; les boutres arabes et le 
commerce indigène. — Les premières terrasses de 
l'intérieur ; les fleuves. — Les Arabes de Zanzibar ; 
Indous et Comoriens. — Etablissements européens, 
italiens^ allemands et anglais. — Les cultures co- 
loniales dans rOusambara. — Le nord du Mo- 
zambique portugais et les sociétés étrangères. — 
Médiocre avenir économique de la côte de Zanzibar. 102 



TABLE DES MATIÈRES 373 

LIVRE II 
LES PLATEAUX DU CENTRE 

Chapitre I. Les pays du Zambèze. — Division géné- 
rale. — L'étage lacustre des sources ; pauvreté 
■ du sol; populations semi-aquatiques. — L'étage 
moyen ; chutes Victoria, Barotséland ; plateaux 
des Matébélés et du Manica ; gisements aurifères. 
Etablissements des Anglais : la Chartered Com- 
pany, Le chemin de fer deBeira au fort Salisbury. 
— Les plaines du Bas-Zambèze. Le Chiré et le lac 
Nyassa. — La Compagnie anglaise des lacs et la 
colonisation agricole. — Toutes les voies de péné- 
tration des pays du Zambèze appartiennent à l'An- 
gleterre 425 

Chapitre II. La région dn Hant-Gongo et dn lac 
Tanganika. — Les terrasses supérieures : Ounya- 
mouézi ; pluies et circulation des eaux; oasis de 
hauteur. — Katanga et Manyéma ; les tributaires 
du Haut-Congo ; les chutes Hinde ; le lac Tanga- 
nika et le lac Kivu. — L'étage inférieur des ter- 
rasses congolaises. Le Congo et les Stanley-falls. 
Les indigènes et les marchés arabes. Tippo-Tib. 
Prise de possession par l'Etat indépendant du 
Congo. — Les voies de pénétration : projets de 
chemins de fer dans l'Afrique orientale allemande ; 
concurrence des routes du Congo et du Zambèze ; 
projets belges et anglais 445 

Chapitre III. Les pays du lac Victoria et dn Hant- 
Nil. — Le volcanisme autour du lac Victoria. Les 
monts Baghinzés, aux sources de l'Ouellé et du 
Bahr^el-Ghazal, Le « pays des Rivières ». Déca- 
dence du commerce des traitants de Khartoum. 
Population des Chillouks et des Dinkas. Les sul- 



374 l'afrique a l'entrée du vingtième siècle 

tanats du Haut-Ouellé. — L'Ounyoro et l'Ouganda. 
Civilisation indigène ; prédications concurrentes 
de missionnaires catholiques et protestants. — 
Ulbea et la conquête anglaise. — Les voies de pé- 
nétration vers rOuganda : le Haut-Nil. — Le che- 
min de fer de la Côte orientale. L'i^frique orien- 
tale anglaise et Tlnde i67 

Chapitre IV. L'Abyssinie. — Les pays gallas et le 
lac Rodolphe; prolongements possibles du che- 
min de fer de l'Ouganda. — Le relief oriental des 
plateaux abyssins; les monts du Harrar.La vallée 
de l'Aouach ; les Danakils. — Les plateaux abys- 
sins. Massifs volcaniques^ cours d'eau ; divisions 
climatiques : la Déga, la Votna-Déga, la Kolla, Les 
populations musulmanes et coptes. — Le Tigré, 
l'Amhara, le Choa. — Le déboisement. — Consti- 
tution politique ; le négus Ménélik. — Les com- 
munications : la côte italienne et le port de Mas- 
saoua. Les possessions françaises de la baie de 
Tadjoura ; le chemin de fer du Harrar .... 489 

LIVRE III 

LE SOUDAN ET LE SAHARA 

Chapitre I. Le Soudan égyptien, l'Egypte et le Nil. 
— I. Le Soudan égyptien et la route de Souakim; 
le Nil soudanien^ Berber, ruines de Méroé, Khar- 
toum. Les noirs cultivateurs de la plaine du Nil; 
les commerçants arabes. — Les plateaux à l'ouest 
du Nil : Kordofan et Darfour. Le mahdisme. — 
L'occupation progressive par les Anglais. Le che- 
min de fer d'Ouadi-Halfa à Khartoum. Faible va- 
leur économique du Soudan égyptien. 

II. Le Sahara égyptien. Montagnes littorales de 
la mer Rouge ; désert libyque, plateau de Barca 



TABLE DES MATIERES 375 

(Cyrénaïque). Vallée du Nil ; les cataractes. Les 
« Nubiens ». — Le Nil inférieur. Ce qu'il vaut 
comme voie de pénétration. — L'Egypte « présent 
du Nil ». Régime des crues; les irrigations. — 
Les Anglais établis dans tout le domaine du Nil. 211 

Chapitre IL Les pays du lac Tchad. — Connais- 
sance récente ; configuration générale. — I. Au 
nord et au nord-ouest du Tchad. Les monts du Ti- 
besti ; le Ouadaï et le Borkou ; le Zinder et le Ka- 
nem. — Le lac Tchad, vaste marécage. — A Test 
du lac, le Baghirmi. — La pénétration au départ 
du Congo français, par TOubanghi et par la 
Sanga. Le réseau navigable du Chari. La lutte 
contre Rabah. Rencontre de missions françaises 
auprès du lac Tchad. 

II. Au sud et à Touest du Tchad. Les monta- 
gnes et plateaux de TAdamaoua ; dépressions des 
vallées, Bénoué, Niger. Constitution sociale et 
politique de TAdamaoua : nègres et Foulas. Par- 
tage anglo-allemand. Difficultés de la pénétra- 
tion en territoire allemand. La voie anglaise Ni- 
ger-Bénoué. — Le Bornou et le Haoussa (Sokoto)i 
Les commerçants haoussas. Communications dif- 
ficiles du Bornou avec le golfe de Guinée. Accès 
du Sokoto par le Niger. Projets de chemins de fer. 237 

Chapitre III. Les pays de la Boucle du Niger. — 
Valeur géographique de cette désignation. — Le 
moyen Niger: zone d'inondation de Tombouctou, 
plus utile aux cultures qu'à la navigation. Le 
marché de Tombouctou ; Sonrhaïs et Touaregs. — 
Les plateaux soudaniens ; alignements monta- 
gneux ; pluies d'été. Etage supérieur : le Mossi. 
— Etage moyen : le Sikasso, le Gourounsi, le 
Gourma. — Etage inférieur : les pays de Kong, le 
Gondja et les mines d'or; Tarrière-Dahomey et les 



376 l' AFRIQUE A l'eNTRÉE DU VINGTIÈME SIECLE 

cultures. — L'Islam dans la « Boucle du Niger ». 
Le commerce indigène. — Partages européens. 
La pénétration ; les régions à atteindre. Aména- 
gement de la circulation intérieure^ routes, bêtes 
de somme. — Les chemins de fer français du Sou- 
dan à la côte de Guinée. La « dislocation » du 
Soudan français 262 

Chapitre IV. Le Soudan occidental et le Sénégal. — 
La zone saharienne : le Kaarta. — Les plateaux 
supérieurs du Sénégal et du Niger; les Bambaras, 
les Mandingues. Positions principales sur le Ni- 
ger; la navigation. — A Test du Niger: le Ouas- 
soulou. Les cultures coloniales du Soudan occi- 
dental ; le coton. — Le Dinguiray et le Fouta- 
Djalon. Relief varié, climat tempéré ; les Peuls ; 
agriculture et élevage, commerce indigène. Con- 
ditions de rétablissement des Européens. La pé- 
nétration : caractères de la côte atlantique: La 
République de Libéria; Sierra-Leone ; — la Gui- 
née française et le chemin de fer de Konakry au 
Niger. — Le Sénégal ; côte saharienne du Cayor; 
côte tropicale depuis la Gambie ; — le fleuve Sé- 
négal ; les crues annuelles ; agriculture et naviga- 
tion ; — le chemin de fer de Kayes au Niger; pro- 
longements possibles vers la côte. — Avenir du 
Sénégal français 286 

Chapitre V. Le Sahara et les projets de Transsaha- 
rien. — L'obstacle saharien ; extension; caractères 
géographiques : absence de pluies ; vents ; Terg 
et la hamada ; oasis de plaine et oasis de hauteur; ** 

— les Touaregs ; les cultivateurs nègres des oasis; 
productions des oasis; le commerce et les cara- 
vanes du Sahara. — Le commerce transsaharien ; le 
marché de Tripoli. — L'occupation progressive 
des oasis par la France. — Le chemin de fer trans- 



TABLE DES MATIEHES 377 

saharien : caractère « impérial » de cette œuvre. 
Projets de tracé ; prolongements soudanîens ; 
constitution définitive du domaine français en 
Afrique 315 

LIVRE IV 

L^ AFRIQUE AUSTRALE 

Chapitre I. Les colonies atlantiques. — Sécheresse 
de la côte; difficultés d'accès. — Plateaux de Tin- 
térieur ; pauvreté de la circulation fluviale. — 
L'Angola portugaise. Métis Pombeiros, créoles et 
Portugais. Régions cultivables. Ports et voies . 
de pénétration. — Le Sud-ouest africain alle- 
mand. Indigènes et colons ; la colonie ne se prête 
pas encore au peuplement européen. Compagnies 
coloniales. Irrigation, voies de communication. 
— Positions anglaises sur la côte ...... 333 

Chapitre II. Les possessions anglaises. Anglais et 
Boers. — Structure géographique générale. — Les 
Drakenberge et la côte sud-orientale. Baies de 
Sainte-Lucie et Delagoa. Le Natal. Productions 
tropicales. Populations noires et blanches. Métis 
griquas. Poussée des colonies anglaises sur la 
côte orientale; voies de pénétration. — Les pla- 
teaux des Boers. Orange et Limpopo. Popula- 
tions : indigènes, boers et uitlanders. Districts 
aurifères. Nécessité d'une race de paysans à côté 
des mineurs. — Le Bechuanaland et le Kalahari. 
Stations de missionnaires ; populations indi- 
gènes ; élevage. — L'occupation anglaise : chemins 
de fer, éducation anglaise des indigènes. . . 348 

Table des matières 371 



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AiiiisTix CHALLAMEL, Editeitr 

17, RUE JACOB — PARIS 

Libraire Maritime et Coloniale 



L'Hiver à Alger, par Ch. Desprez, in-18, 5*iéditioii revue et 
corrigée 3 fr. 50 

Au Pays du Bleu, Biskra et les Oasis environnantes, par 
l'abbé J. HuRABiELLE, ancien secrétaire du cardinal Lavigerie, 
in-18 3 fr. 50 

De rOranie au Gourara. Notes de voyage, par G.-B.-M. Fla- 
mand, in-8 orné de 17 photogravures et dessins et d'une 
carte. .....' 7 fr. 50 

Tunis et Kairouan, par P. Fagault, in-18 ... 3 fr. 50 

Voyage dans le sud de la Tunisie^ par Y. Mayet. membre 

de la mission scientifique d'exploration de la Tunisie, in-18, 
2e édition revue et augmentée 3 Ir. 50 

De Saint-Louis à Sierra-Léone. Huit ans <le navigation dans 
les rivières «lu Sud, par le capitaine Bouteiller, in-18 avec 
carte 3 fr. 50 

Conquête du Foutah-Djallon, par le comte d^: Sanderval, 
in-8 illustré do 200 gravures, photographies de l'auteur et 
d'une carte 12 fr. » 

La Guinée Française. Gonakry et Rivières du Sud, par Aspe- 
Fleukimoîst, conseiller du commerce extérieur, in-18 avec 
2 cartes et des annexes 5 fr. » 

Douze Leçons à la Sorbonne sur Madagascar, son état 

actuel, ses ressources, son avenir, par J..- B. Piolet; 
in-8 6 fr. » 

Madagascar. Impressions de voyage, par M. Chabau», in-18. 
3 fr. oO 

L'Ile Bourbon. Simples renseignements, parE. Pajot, in-18. 
. . . . . . . 4 fr, » 

L'Ile de France légendaire, par H. de Rauville, in-18. . . 

3 fr. 50 



oiJON, imprimerie darantiere. 



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