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Full text of "L'Afrique politique en 1900"

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L'AFRIQUE   POLITIQUE 


EN    1900 


DROITS    DE   REPRODUCTION   ET    DE   TRADUCTION    RESERVES 


E.-L.    BONNEFON 


CAPITAINE    DU     GENIE,     BREVETE     D    ETAT    MAJOR 


L'AFRIQUE  POLITIQUE 


EN  1900 


PARIS 

Henri     CHARLES-LAVAUZELLE 

Éditeur  militaire 
10,  Rue  Danton,  Boulevard  Saint-Germain,  118 


MEME   MAISON  A   LIMOGES 


D" 


PRÉFACE 


Il  n'y  a  pas  longtemps  que  F  «  informe  Afrique  »  est  décou- 
verte, et  déjà  les  ouvrages  parus  sur  le  continent  jadis  mysté- 
rieux remplissent  les  bibliothèques. 

Tantôt,  c'est  le  récit  des  explorateurs,  aux  pages  imprévues, 
aux  aventures  surprenantes,  aux  appréciations  inédites. 

Ici,  c'est  le  livre  d'un  savant  aux  observations  précises,  aux 
déductions  scientifiques  ou  aux  théories  audacieuses. 

Ailleurs,  l'historien  s'attache  à  la  vérité  fugitive  et  propose 
à  l'avenir  les  enseignements  du  passé. 

Partout  le  chercheur  et  le  philosophe  apportent  leur  contri- 
bution à  l'étude  de  l'Afrique  et  essaient  de  percer  les  ténèbres 
qui  voilent  ce  côté  de  la  planète  humaine. 

Mais  ce  qui  n'existe  qu'imparfaitement,  c'est  un  ouvrage 
donnant  la  récapitulation  annuelle  des  faits  les  plus  récents 
en  les  accompagnant  des  appréciations  qui  fixent,  en  quelque 
sorte,  la  conclusion  du  passé  et  la  préface  de  l'avenir.  Un  tel 
ouvrage  serait  assurément  utile,  et  c'est  cette  idée  qui  a  in- 
spiré l'étude  qui  va  suivre. 

Cette  étude  n'a  pas  de  prétentions.  Simple  résumé  des  faits 
les  plus  récents,  recueillis  aux  sources  qui  ont  paru  les  plus 
sûres,  et  réunis  en  un  faisceau  serré  qu'on  pourra  embrasser 
d'un  coup  d'œil,  son  but  est  de  rassembler  les  données  poli- 
tiques et  géographiques  fournies  par  le  labeur  incessant  des 
pionniers  africains  pour  en  tirer  des  conclusions  relatives  à 


L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 


l'avenir  des  sociétés  européennes  fondées  sur  les  divers  points 
du  continent  noir. 

Ailleurs,  on  trouvera  des  notions  historiques  plus  ou  moins 
complètes,  et  nombreux  sont  les  travaux  de  géographie  et 
d'exploration  qui  donnent,  des  pays  africains,  une  idée  sou- 
vent nette,  mais  parfois  seulement  nuageuse. 

Plus  rares  sont  les  appréciations  d'ensemble,  qui  permettent 
de  dégager  des  événements  présents  l'idée  du  lendemain,  de 
prévoir  la  destinée  des  races  et  l'avenir  réservé  aux  colonies 
hâtivement  semées  çà  et  là  sur  la  vaste  étendue  de  l'Afrique. 

Certes,  la  guerre  du  Transvaal  est  de  nature  à  changer  bien 
des  choses  sur  le  continent  noir.  Il  n'a  pas  paru  nécessaire, 
pour  arrêter  cette  étude,  d'attendre  que  toutes  ses  consé- 
quences politiques  se  soient  manifestées.  11  a  semblé  utile,  au 
contraire,  de  fixer  la  situation  de  l'Afrique  au  printemps  de 
1900,  afin  d'établir  un  terme  précis  de  comparaison  qui  per- 
mettra, en  un  moment  quelconque  de  l'avenir,  de  mieux  se 
rendre  compte  du  chemin  parcouru. 

Avant  tout,  et  sur  toutes  les  questions,  on  s'est  placé  au 
point  de  vue  des  avantages  que  la  France  peut  retirer  des 
choses  de  l'Afrique. 

Au  milieu  des  luttes  internationales  et  des  discussions  inté- 
rieures, en  regard  des  hésitations  de  notre  politique,  des  har- 
diesses et  des  empiétements  de  nos  rivaux,  on  a  cherché  à 
discerner  de  quel  côté  se  trouvent  nos  véritables  intérêts,  et 
dans  quelle  direction  il  faut  en  poursuivre  le  succès. 

La  politique  d'un  grand  peuple  doit  être  faite  de  prévoyance 
et  d'esprit  de  suite.  Une  grande  nation,  vraiment  respectueuse 
de  ses  traditions  et  soucieuse  de  son  influence,  doit  travailler 
pour  l'avenir  encore  plus  que  pour  le  présent. 

C'est  dans  cette  idée  que  l'on  a  essayé  de  déterminer 
la  conduite  à  tenir  en  présence  des  situations  que  la  France 
s'est  créées  en  Afrique,  ainsi  que  le  moyen  d'augmenter. 


PREFACE  / 

pour  nos  neveux,  le  patrimoine  constitué  depuis  trop  peu 
de  temps  et  recueilli  ça  et  là,  un  peu  au  hasard  des  événe- 
ments. 

Peut-être  aura-t-on  fait  œuvre  utile  en  contribuant  à  mettre 
davantage  en  lumière  cette  parole  si  vraie  de  Prévost-Paradol  : 
«  L'avenir  de  la  France  est  en  Afrique.  » 

E.-L.  B. 

20  Mars  1900. 


INTRODUCTION 


Derniers  faits  importants  de  l'histoire  africaine.  —  L'expansion  européenne.  — 
La  colonisation,  nécessité  humaine.  —  Rôle  de  l'Amérique  et  de  l'Extrême- 
Orient  à  la  fin  du  xix6  siècle.  —  L'Afrique,  annexe  économique  de  l'Europe.  — 
Lutte  du  fétichisme,  du  mahométisme  et  du  christianisme  en  Afrique.  —  Facultés 
colonisatrices  des  Européens  et  en  particulier  des  Anglais.  —  Mise  en  exploitation 
de  l'Afrique. 


L'Afrique,  tirée  de  sa  léthargie  depuis  un  demi-siècle  à 
peine,  a  vu  se  développer,  par  brusques  soubresauts,  des  évé- 
nements dont  la  répercussion  a  été  profonde  sur  l'orientation 
politique  et  économique  des  peuples  de  l'Europe. 

La  France  s'est  trouvée  mêlée  à  la  plupart  de  ces  événe- 
ments; mais,  de  toutes  les  nations  qui  se  sont  occupées  des 
choses  africaines,  aucune  n'y  a  pris  part  au  même  degré  que 
l'Angleterre.  On  peut  constater,  en  effet,  que  toutes  les  ques- 
tions soulevées  en  Afrique  ont  été  les  conséquences  de  la 
politique  anglaise,  surveillante  attentive  et  jalouse  du  désir 
d'expansion  qui  s'est  emparé,  depuis  vingt  ans,  de  la  plupart 
des  puissances  européennes. 

Poussée  par  des  influences  étrangères  désireuses  de  voir  son 
activité  et  son  attention  détournées  des  choses  de  l'Europe,  la 
France  commença  son  expansion  coloniale  par  la  conquête 
de  la  Tunisie,  bientôt  suivie  de  celle  du  Tonkin.  A  ce  moment, 
le  gouvernement  allemand,  occupé  à  consolider  et  à  équilibrer 
son  édifice  politique,  ne  songeait  pas  encore  à  créer  entre  ses 


10  l'afrique  politique  en  1900 

peuples,  par  l'acquisition  de  colonies  communes,  un  nouveau 
motif  d'unité.  Il  en  était  encore  à  méditer  la  parole  prononcée 
par  le  prince  Bismarck  après  la  guerre  franco-allemande  : 
«  Je  ne  veux  pas  de  colonies  !  Pour  nous  autres  Allemands, 
des  possessions  coloniales  seraient  exactement  ce  qu'est  la 
pelisse  pour  certaines  familles  nobles  de  Pologne  qui  n'ont  pas 
de  chemises.  »  (1871.) 

Mais  les  vœux  politiques,  même  sincèrement  énoncés,  ne 
tiennent  pas  contre  la  nécessité  et  l'enchaînement  des  faits. 

L'Allemagne,  à  force  d'observer  et  d'analyser  l'état  d'esprit 
colonial  des  peuples  voisins,  entraînée  surtout  par  son  déve- 
loppement économique,  finit  par  se  persuader  que  les  raisons 
qui  forçaient  l'expansion  des  autres  s'appliquaient  à  elle-même, 
et  elle  suivit,  mais  de  plus  loin,  l'action  commune. 

L'Italie  l'avait  déjà  précédée,  autant  par  l'inquiétude  que 
lui  causait  l'émigration  de  ses  agriculteurs  que  par  suite  de 
son  désir  de  gagner  l'amitié  de  l'Angleterre,  sa  nouvelle 
alliée. 

La  voie  de  la  Russie  était  tracée  en  Asie.  La  Hollande,  l'Es- 
pagne et  le  Portugal  avaient  assez  à  faire  en  cherchant  à  con- 
server les  épaves  d'un  domaine  colonial  qu'on  s'apprêtait  à 
leur  disputer.  Mais  la  Belgique  ne  tardait  pas  à  entrer  en  scène, 
et  le  roi  Léopold  se  faisait  reconnaître,  au  moment  opportun, 
la  possession  des  immenses  territoires  du  Congo. 

L'expansion  européenne  se  produisait  ainsi  tout  à  coup,  par 
suite  de  causes  multiples,  les  unes  tenant  à  la  nature  même 
de  l'homme,  d'autres  prenant  leur  source  dans  la  situation 
politique  et  économique  créée  dans  le  monde  par  la  guerre  de 
1870-1871;  d'autres  enfin  provenant  de  l'excès  de  civilisation 
de  l'Europe,  de  sa  surproduction  industrielle,  et  de  la  partici- 
pation aux  affaires  européennes  des  pays  d'Amérique  et 
d'Extrême-Orient. 


INTRODICTIOX  11 


11 


La  faim,  qui,  suivant  le  proverbe,  fait  sortir  le  loup  du  bois, 
jette  aussi  les  nations  en  dehors  de  leurs  frontières  habi- 
tuelles. 

Tant  que  les  peuples  sont  restés  isolés,  repliés  sur  eux- 
mêmes,  sans  posséder  les  communications  nécessaires  pour 
entrer  en  contact  intime  et  faciliter  les  échanges  matériels 
et  moraux,  l'humeur  naturellement  vagabonde  des  hommes 
ne  trouvant  guère  à  s'exercer  qu'à  travers  les  mers.  Du  choc 
des  intérêts  et  des  relations  de  toutes  sortes  jaillissaient  des 
civilisations  diverses,  qui  prenaient  naissance  et  se  dévelop- 
paient tout  le  long  du  rivage  des  mers;  tandis  qu'ailleurs, 
livrés  à  un  isolement  plus  complet  encore,  certains  peuples 
orientaient  leur  génie  dans  une  direction  particulariste  et  ne 
demandaient  qu'à  leurs  propres  ressources,  matérielles  et 
morales,  la  satisfaction  de  leurs  besoins  et  la  réalisation  de 
leur  idéal. 

Alors  on  pouvait  diviser  l'humanité  en  deux  groupes  plus 
ou  moins  confondus  de  populations  commerçantes,  les  navi- 
gateurs et  les  agriculteurs  :  les  uns,  poussés  par  la  nécessité 
et  l'espoir  du  gain,  cherchant  à  procurer  à  leurs  semblables  le 
supplément  de  denrées  qu'un  sol  parfois  ingrat  ne  pouvait 
leur  fournir;  les  seconds,  avides  de  recevoir  et  de  transmettre 
par  voie  d'échanges  les  produits  qu'ils  ne  cultivaient  pas  eux- 
mêmes. 

Durant  de  longues  périodes  de  siècles,  l'humanité  vécut 
ainsi  en  casiers  parfois  distincts,  chaque  nation  conservant 
son  individualité  propre  et  sa  civilisation  particulière,  sans 
trop  s'inquiéter  d'établir  par  terre,  avec  les  peuples  voisins, 
des  relations  que  la  précarité  des  voies  de  communication 
rendait  difficiles  à  entretenir. 

Mais  du  jour  où,  sous  des  impulsions  diverses  :  curiosité, 
nécessité,  soif  de  jouissances  et  désir  de  conquêtes,  les  moyens 
de  transport  se  furent  perfectionnés,  les  besoins  de  l'homme 


12  l'afrique  politique  en  1900 

civilisé  augmentèrent  rapidement;  et,  du  contact  des  peuples, 
de  leurs  rapprochements,  de  l'échange  de  leurs  idées  et  de 
l'adaptation  mutuelle  de  leurs  habitudes  naquit  une  civili- 
sation cosmopolite  qui  devait,  par  la  force  des  choses,  devenir 
de  plus  en  plus  raffinée  et  exagérée. 

Peu  à  peu,  les  peuples  que  la  nature  avait  fait  cultivateurs 
devinrent  industriels,  autant  par  désir  d'utiliser,  au  profit  de 
leur  fortune,  leur  main-d'œuvre,  leur  habileté  et  les  produits 
de  leur  sol,  que  par  ]a  nécessité  qui  s'imposait  à  eux  de  s'affran- 
chir des  tributs  économiques  payés  à  l'étranger. 

Plus  tard,  l'appât  du  gain  tiré  des  exportations  détermina, 
par  l'enchaînement  logique  des  faits,  une  surproduction  indus- 
trielle qu'il  fallut  écouler,  et  l'on  vit  naître,  dès  lors,  les  sys- 
tèmes économiques  de  protection  ou  de  liberté  des  échanges, 
qui  tendent  de  plus  en  plus  à  régler,  quoique  diversement,  les 
rapports  extérieurs  des  peuples  civilisés. 

Cette  nécessité  de  satisfaire  à  des  besoins  factices  de  plus 
en  plus  impérieux  amena  l'homme  civilisé,  sous  le  vernis 
duquel  on  retrouve  si  facilement  le  barbare,  à  imposer  par  la 
force  sa  volonté  et  ses  sentiments  égoïstes.  Sous  prétexte  de 
civiliser  les  races  dénommées  «  inférieures  »,  il  ne  songea,  le 
plus  souvent,  qu'à  leur  faire  absorber  les  produits  de  son 
industrie  et  qu'à  exiger  au  rabais,  en  échange  d'une  civi- 
lisation mal  adaptée  et  d'une  valeur  parfois  contesta- 
ble, les  denrées  de  leur  pays  et  même  les  produits  de  leur 
travail. 

Ces  races  primitives  ne  s'y  trompèrent  pas  toujours,  et  les 
révoltes  qui  soulevèrent  souvent,  contre  les  Européens,  les 
peuplades  de  leurs  possessions  africaines  suffisent  à  le  dé- 
montrer. 

Ce  besoin  d'expansion,  qui  s'est  traduit  par  une  sorte  d'in- 
stinct colonisateur  imposé  à  la  plupart  des  peuples  de  l'Europe, 
dérive  donc  directement  de  l'héritage  du  passé  et  des  condi- 
tions politiques  et  économiques  particulières  à  l'ancien  monde. 
11  faut  aussi  se  souvenir  qu'il  a  eu,  comme  nouveau  et  très 
actif  stimulant,  les  relations  multiples  créées  entre  des  socié- 
tés rivales  et  aussi,  pour  beaucoup,  la  crainte  que  certaines 


1NTR0DICTI0N  13 


races  ont  fait  naître  au  sujet  de  l'avenir  des  nations  euro- 
péennes. 


III 


L'Extrême-Orient  et  l'Amérique  constituent,  pour  la  sécu- 
rité économique  sinon  politique  de  l'Europe,  un  danger  qui 
s'affirme  tous  les  jours  plus  menaçant. 

L'Amérique,  agricole  et  industrielle,  ne  fait  plus  mystère, 
depuis  longtemps,  de  son  intention  de  nous  chasser,  lorsque 
son  organisation  économique  sera  achevée,  des  marchés  amé- 
ricains et  de  venir  ensuite  jusqu'en  Europe  faire  concurrence 
à  nos  produits.  La  doctrine  de  Monroe,  considérée  comme  un 
axiome  politique  par  tout  bon  citoyen  des  États-Unis,  est  une 
arme  commerciale  aussi  bien  que  politique,  et  l'exclusion  des 
Européens  du  territoire  américain  est  considérée  comme  devan  t 
être  le  prélude  de  l'invasion  de  l'Europe  par  les  produits 
d'outre- mer.  On  s'est  depuis  longtemps  inquiété  des  symp- 
tômes divers  qui  précèdent  les  grandes  luttes,  et  la  guerre 
hispano-américaine  n'a  été  qu'une  escarmouche  précédant 
des  batailles  plus  décisives. 

Le  danger,  de  ce  côté,  est  au  moins  aussi  redoutable  et 
peut-être  plus  immédiat  que  celui  qu'on  cherche  à  conjurer 
en  Extrême-Orient,  où  les  victoires  du  Japon  et  les  compéti- 
tions européennes  ont  eu  le  double  effet  de  donner  confiance 
aux  Japonais  dans  leurs  destinées,  en  stimulant  en  eux  des 
ambitions  exagérées,  et  de  réveiller  la  torpeur  de  l'empire 
chinois  en  lui  prouvant  qu'après  tout  la  civilisation  euro- 
péenne peut  avoir  de  bons  côtés. 

On  se  rappelle  les  dures  conditions  de  paix  imposées  par  les 
Japonais  à  leurs  voisins  :  le  paiement  d'une  forte  indemnité, 
l'occupation  provisoire  des  pays  conquis,  la  cession  de  For- 
mose  et  des  Pescadores,  l'abandon  de  toute  visée  sur  la  Corée. 

L'orgueil  des  Chinois  abattu  et  leur  dynastie  ébranlée  gra- 
vement, on  a  vu  le  gouvernement  japonais,  bien  placé  pour 
connaître  la  psychologie  de  l'Ame  chinoise,  prendre  une  offen- 


14  l'afriqle  politique  en  1900 

sive  diplomatique  non  moins  énergique  que  son  action  mili- 
taire et  rêver  d'établir  sa  suprématie  en  Chine  sans  montrer 
trop  d'égards  pour  les  intérêts  européens. 

Cette  manifestation  de  la  politique  japonaise,  inattendue  et 
alarmante  pour  l'Europe,  lui  a  imposé  l'obligation  de  sur- 
veiller plus  attentivement  que  jamais  les  faits  et  gestes  de  ce 
peuple  intéressant,  énergique  et  considéré  jusqu'ici  comme 
peu  redoutable. 

Plus  alarmant  encore  est  l'essor  que  menace  de  prendre 
l'industrie  japonaise.  Si  l'empire  du  Soleil-Levant  s'est  senti 
de  taille  à  reconstruire  l'édifice  vermoulu  de  l'empire  chinois, 
et  à  guérir,  pour  en  faire  son  serviteur,  l'homme  malade  de 
l'Extrême-Orient,  il  s'est  montré  également  décidé  à  utiliser 
les  deux  civilisations  qu'il  s'est  données,  celle  de  l'Orient  et 
celle  de  l'Occident,  pour  créer  un  outillage  et  des  moyens 
industriels  dont  la  mise  en  action  s'est  déjà  révélée  par  des 
coups  sensibles  portés  au  commerce  de  l'Europe  (1). 

A  l'heure  actuelle,  les  Japonais  sont  partout  au  delà  des 
Indes.  Ils  cherchent,  tout  autant  que  l'Europe,  à  envahir  la 
Chine  au  point  de  vue  commercial  par  les  procédés  européens, 
comme  ils  l'ont  envahie  militairement  en  mettant  de  côté  les 
préceptes  chinois  qui  les  avaient  si  longtemps  guidés.  «  On  ne 
fait  pas  un  clou  avec  du  bon  fer,  dit  un  proverbe  chinois,  ni 
un  soldat  avec  un  honnête  homme.  »  Les  Japonais  ont  préféré, 
à  cette  maxime  orientale,  les  procédés  occidentaux,  et  le  ré- 
sultat a  été  de  leur  donner  une  écrasante  supériorité  sur  leurs 
voisins.  Profitant  en  même  temps,  dans  l'ordre  industriel,  des 
qualités  de  leur  race,  habituée  à  se  contenter  de  peu  et  à  vivre 
de  maigres  salaires,  ils  se  gardent  de  rien  emprunter  à  l'Occi- 
dent en  ce  qui  concerne  le  bien-être  de  l'ouvrier  et  le  relève- 
ment de  son  moral.  Grâce  à  une  main-d'œuvre  abondante  et 
d'un  bon  marché  inouï,  ils  en  sont  venus  à  menacer,  aux 


(1)  Certains  diplomates  japonais  considèrent  déjà  l'Europe  comme  une  collecti- 
vité vieillie  et  usée.  Le  comte  Okuma  a  prononcé  jadis  les  paroles  suivantes  : 
«  L'Europe  montre  déjà  des  symptômes  de  décrépitude;  le  siècle  prochain  verra 
ses  constitutions  en  morceaux  et  ses  empires  en  ruine.  » 


INTRODUCTION  15 


Indes,  le  commerce  anglais  des  cotonnades.  Leur  houille  va 
jusqu'à  Aden  faire  concurrence  aux  charbons  anglais  et  on 
prévoit  le  jour  où  ils  en  exporteront  jusqu'en  Europe  (1).  Aux 
Philippines  où  leur  nombre  augmente  et  augmentera  sans 
cesse  malgré  l'invasion  américaine,  aux  îles  Sandwich  où 
leurs  20.000  émigrants  ont  réclamé  des  droits  politiques,  en 
Australie  où  ils  sont  accueillis  comme  commerçants  et  comme 
ouvriers,  les  Japonais  transportent  les  procédés  de  la  mère 
patrie  et  se  font  les  propagateurs  de  ses  produits  (2). 

Depuis  longtemps,  ils  sont  arrivés  au  Tonkin,  en  Cochin- 
chine,  à  Java;  ils  ont  établi  au  Siam  des  colonies  agricoles,  et, 
aux  Indes,  des  comptoirs  commerciaux. 

Leurs  compagnies  de  navigation  sont  en  train  de  remplacer 
les  navires  européens  dans  les  mers  de  Chine  et,  depuis  long- 
temps, le  pavillon  japonais  a  fait  son  apparition  dans  les  ports 
européens  (3). 

Pendant  ce  temps,  la  Russie  perfectionne  son  industrie, 
termine  le  transsibérien,  continue  sa  vigoureuse  poussée  en 
Asie,  inquiète  partout  l'Angleterre  et  s'apprête  à  se  donner 
des  débouchés  exclusifs. 


(t)  Aux  Indes,  la  consommation  du  charbon  japonais  a  atteint  11G.000  tonnes 
(1893).  108  kilog.  de  ce  charbon  ont  un  pouvoir  calorifique  égal  à  100  kilog.  de 
Cardiff,  mais  son  prix,  aux  Indes,  est  50  p.  100  moins  cher.  Le  Cardiff  est  devenu, 
en  Extrême-Orient,  un  combustible  de  luxe.  Le  charbon  japonais  va  aux  Etats- 
Fuis  et  jusqu'en  Australie.  A  Singapour,  il  vaut  12  à  13  francs,  alors  que  le  char- 
bon anglais  est  payé  25  francs. 

(2)  Les  cotonnades  anglaises  sont  particulièrement  menacées.  Dans  les  dix  der- 
nières années,  les  exportations  de  cotonnades  entraient  pour  25  p.  100  dans  les 
exportations  générales  de  l'Angleterre,  représentant  un  chifïre  de  1.300  millions. 
L'Inde  absorbait  30  à  40  p.  100  de  ce  chiffre;  elle  s'est  mise  à  lutter  contre  l'An- 
gleterre et  est  en  train  de  ruiner  les  fabricants  du  Lancashire.  Le  Japon,  à  son 
tour,  est  venu  exporter  ses  cotonnades  dans  l'Inde,  dont  il  menace  la  fabrication. 

67  fabriques  du  Lancashire  ont  perdu  environ  10  millions  en  1893,  tandis  que 
37  fabriques  japonaises  donnaient  de  8  à  28  p.  100  de  dividendes  en  employant 
5,780  ouvriers  payés  0  fr.  43  par  jour  et  19,219  ouvrières  payées  0  fr.  21.  Ces  sa- 
laires, payés  en  argent,  ne  représentaient,  au  cours  du  change,  que  0  fr.  22  et 
0  fr.  10  par  jour. 

(3)  L'importation  des  soies,  d'Extrême-Orient  en  France,  est  de  325.225  kilog., 
alors  que  celle  de  tous  les  autres  pays  est  de  285,000  kilog.  Alors  même  que  la 
hausse  de  la  main-d'œuvre  japonaise  ait  été  de  100  pour  100  depuis  18%,  le  kilog. 
de  soie  ne  revient  qu'à  60  francs  au  Japon  tandis  qu'il  est  de  90  francs  en  Fiance. 
(Séance  du  Sénat  du  3  février  1899.) 


16  l'afrique  politique  en  1900 

Tous  ces  indices  sont  autant  de  menaces  pour  l'avenir 
industriel  de  l'Europe  occidentale,  et  la  fermeture  possible 
des  marchés  de  l'Extrême-Orient  aux  objets  manufacturés 
de  l'Occident  crée  aux  nations  européennes  l'obligation  de 
chercher  ailleurs  des  débouchés  nouveaux. 

Telles  sont  les  causes  des  précautions  prises  par  toutes  les 
puissances  occidentales,  en  face  du  réveil  économique  depuis 
longtemps  prévu  de  la  race  jaune,  pour  assurer  la  sauvegarde 
de  leurs  intérêts  matériels  ou  moraux.  Il  n'est  pas  jusqu'aux 
questions  religieuses  qui  ne  viennent  prendre  parti  dans  la 
lutte. 

On  avait  remarqué,  déjà  avant  la  guerre  sino-japonaise, 
les  efforts  tentés  par  le  sultan  de  Constantinople  pour  lier  des 
relations  avec  le  Japon.  La  protection  des  musulmans  qui 
peuplent  les  provinces  méridionales  du  Céleste-Empire,  qui 
en  forment  la  partie  la  plus  énergique  et  qui,  depuis  l'insur- 
rection des  Taïpings,  sont  tenus  en  suspicion  par  les  Chinois, 
fournissait  au  sultan  un  terrain  d'entente  facile  avec  les 
Japonais.  Ainsi  s'expliquent  les  envois  d'ambassadeurs  entre 
deux  pays  qui  semblaient,  au  premier  abord,  n'avoir  rien  de 
commun,  et  le  voyage  de  ce  navire  de  guerre  destiné  à 
montrer  au  Japon  le  pavillon  du  commandeur  des  croyants, 
et  qui  trouva,  pendant  la  traversée,  une  fin  si  tragique. 

Une  action  analogue  a  été  envisagée  par  la  papauté,  qui, 
effrayée  peut-être  de  l'infériorité  numérique  des  diverses 
communautés  chrétiennes  en  regard  des  masses  humaines 
disciplinées  par  les  religions  asiatiques,  cherche  à  grouper, 
dans  une  alliance  commune,  sous  le  patronage  du  pontife 
romain,  les  chrétiens  de  toute  origine  et  de  toute  race. 

C'est  là  une  grande  idée,  digne  du  cerveau  d'un  Léon  XIII; 
mais  ses  conséquences,  si  intéressantes  soient-elles  à  envi- 
sager, ne  sauraient  être  analysées  dans  cette  étude  spéciale 
aux  choses  africaines. 


INTRODl'CTIOX  17 


IV 


De  tous  les  pays  qui  ont,  à  des  époques  diverses,  tenté  les 
navigateurs  et  les  explorateurs,  le  premier  reconnu,  au  moins 
dans  sa  partie  septentrionale,  et  celui  qu'on  a  mis  le  plus  de 
temps  à  explorer  dans  ses  détails,  est  certainement  l'Afrique. 

C'est  cette  partie  du  monde  qui  est  aujourd'hui  désignée 
pour  servir  de  débouché  à  l'Europe,  autant  à  cause  de  sa 
proximité  que  par  suite  de  la  facilité  relative  avec  laquelle 
ses  populations  se  laissent  dominer. 

Dès  les  origines,  «  l'informe  Afrique  »  (1)  a  subi  l'empreinte 
de  l'Europe  après  celle  de  l'Asie.  Des  conquêtes  successive- 
ment entreprises  par  l'Europe  chrétienne  et  par  l'Asie  musul- 
mane devait  naître  fatalement  le  conflit  qui  depuis  long- 
temps déjà  est  passé  à  l'état  aigu.  De  ces  deux  religions 
d'essence  supérieure,  toutes  les  deux  civilisatrices  à  des 
degrés  divers,  le  nègre  fétichiste  subit  d'abord  l'influence  de 
la  religion  musulmane;  et  la  propagation  du  mahométisme 
en  Afrique  eut  pour  premier  effet  de  faire  luire  un  rayon 
civilisateur  sur  cette  «  terre  des  monstres  ». 

On  s'est  demandé  pour  quels  motifs  les  populations  des 
plateaux  du  Soudan  se  distinguent  des  autres  peuplades 
nègres  de  l'Afrique  par  leur  beauté  physique.  On  a  vu,  dans 
ce  fait,  le  résultat  de  la  salubrité  relative  du  pays,  situé  en 
dehors  des  limites  de  la  forêt  dense  dont  les  miasmes  défor- 
ment et  abâtardissent  les  races  autochtones.  Mais  on  y  a 
constaté  aussi  l'effet  produit  par  l'influence  d'une  religion  su- 
périeure telle  que  la  religion  de  Mahomet,  si  souvent  décriée, 
malgré  ses  facilités  d'adaptation  aux  besoins  moraux  et  ma- 
tériels des  peuples  primitifs  et  méridionaux. 

Ce  puissant  instrument  d'une  civilisation  relative  n'a-t-il 
pas  été  capable  de  répandre  une  certaine  grâce  et  un  sourire 


(1)  Elisée  Reclus,  Géographie  universelle. 
Afrique  polit. 


18  l'afrique  politique  en  1900 

particulier  sur  les  branches  de  la  souche  nègre  commune 
qu'il  a  pu  atteindre  et  civiliser?  C'est  ce  qu'ont  pu  constater 
des  explorateurs  tels  que  les  Stanley,  les  Monteil,  les 
Binger,  qui  ont  trouvé  partout  les  peuples  musulmans  de 
l'Afrique  dans  un  état  de  civilisation  plus  avancée  que  les 
races  noires  fétichistes. 

On  ne  peut  s'empêcher  de  remarquer,  en  effet,  que,  là  où  le 
mahométisme  n'a  pas  pénétré,  le  fétichiste  obéit  toujours  à 
des  pratiques  hideuses;  il  tue  et  souvent  dévore  son  ennemi 
vaincu.  Le  musulman  se  contente  de  le  réduire  en  esclavage 
et  de  le  faire  servir  à  ses  besoins  et  à  ses  plaisirs.  Le  chrétien 
relève  l'homme  à  terre  et  lui  rend  sa  liberté. 

L'introduction  du  mahométisme  en  Afrique  a  donc  été,  il 
faut  le  reconnaître,  un  premier  bienfait  pour  les  peuplades 
autochtones  et  fétichistes,  qui  ont  pu,  sous  son  influence, 
acquérir  un  assez  haut  degré  de  civilisation.  Si  les  Arabes 
chasseurs  d'esclaves  ont  soulevé  l'indignation  du  monde 
civilisé,  on  ne  peut  en  rendre  leur  religion  entièrement  res- 
ponsable. 

Aujourd'hui  se  livre  en  Afrique  une  lutte  sans  merci  entre 
les  deux  religions,  lutte  dont  l'issue  ne  saurait  être  douteuse. 
Là-bas  l'ennemi  de  l'Européen  c'est  le  musulman ,  tant  que 
son  fanatisme  ne  saura  pas  s'accommoder  de  transactions 
avec  le  roumi,  et  qui  doit,  ou  disparaître  par  refoulement,  ou 
modifier  sa  religion.  Sur  ce  dernier  point,  il  ne  semble  pas 
que  la  tâche  soit  impossible  et  que  l'on  ne  puisse  arriver  un 
jour  à  faire  vivre  côte  à  côte,  grâce  à  une  réforme  religieuse 
ou  à  un  retour  vers  la  religion  primitive  dégagée  de  fana- 
tisme, des  populations  qu'il  serait  impossible  de  mettre  en  ce 
moment  sur  le  même  pied  d'égalité  ou  même  simplement  au 
contact. 

Jusque-là,  l'Européen  est  condamné  à  conserver  à  l'égard 
du  musulman  l'attitude  du  vainqueur.  Le  temps,  ce  grand 
dissolvant  de  toutes  choses,  aidé  par  la  raison  et  la  fusion  des 
idées,  parviendra  peut-être  à  rapprocher  deux  fractions  hu- 
maines que  les  siècles,  encore  moins  que  les  hommes,  ont 
séparées  de  plus  en  plus  jusqu'à  nos  jours. 


INTRODUCTION  19 


Mahomet,  qui  a  donné  le  Coran  comme  une  loi  immuable,  a 
conseillé  aux  musulmans  de  vivre  en  paix  avec  les  chrétiens. 

Dieu  ne  vous  défend  pas  d'être  bons  et  équitables  envers  ceux 
qui  n'ont  point  combattu  contre  vous  à  cause  de  votre  religion  et 
qui  ne  vous  ont  point  bannis  de  vos  foyers.  Tu  reconnaîtras  que 
ceux  qui  sont  le  plus  disposés  à  aimer  les  fidèles  sont  les  hommes 
qui  se  disent  chrétiens.  [Le  Coran.) 

Déjà,  en  1841,  le  maréchal  Bugeaud  obtenait  des  ulémas  de 
Kairouan  la  consultation  (1)  suivante  : 

Quand  un  peuple  musulman,  dont  le  territoire  a  été  envahi  par 
les  infidèles,  les  a  combattus  aussi  longtemps  qu'il  a  conservé 
l'espoir  de  les  en  chasser,  et  quand  il  est  certain  que  la  continuation 
de  la  guerre  ne  peut  amener  que  misère,  ruine  et  mort  pour  les 
musulmans,  sans  même  chance  de  vaincre  les  infidèles,  ce  peuple, 
tout  en  conservant  l'espoir  de  secouer  leur  joug  avec  l'aide  de  Dieu, 
peut  accepter  de  vivre  sous  leur  domination,  à  la  condition 
expresse  qu'il  conservera  le  libre  exercice  de  sa  religion  et  que  les 
femmes  et  les  filles  seront  respectées. 

Il  y  a  de  nombreuses  années,  la  société  asiatique  de  France 
recevait  d'Abd  el  Kader  un  ouvrage  musulman  qui  contenait 
les  lignes  suivantes  : 

Tous  les  prophètes,  depuis  Adam  jusqu'à  Mahomet,  se  sont  ac- 
cordés sur  les  points  fondamentaux  :  tous  ont  proclamé  l'unité  de 

Dieu  et  l'obligation  de  lui  rendre  un  culte Les  modifications 

survenues  à  diverses  époques  portent  sur  des  principes  de  circon- 
stance, sur  des  dispositions  qui  ont  été  utiles  en  un  moment  et  qui 
ne  le  sont  pas  dans  un  autre On  voit  qu'au  fond  ces  trois  reli- 
gions (chrétienne,  juive,  musulmane)  n'en  font  qu'une,  et  (pie  les 
distances  qui  les  séparent  ne  portent  que  sur  des  points  de  détail. 
On  pourrait  les  comparer  aux  enfants  d'un  même  père  qui  sont  nés 
de  mères  différentes.  Si  les  musulmans  et  les  chrétiens  voulaient 
m'en  croire,  ils  se  mettraient  d'accord  et  se  traiteraient  en  frères 
pour  le  fond  et  pour  la  forme. 


(1)  Par  l'intermédiaire  de  Léon  Roches,  interprète  en  chef  île  l'armée  d'Afrique, 

qui  obtint  des  docteurs  de  Kairouan  la  fettoua  (consultation)  ci-dessus  avec  l'aide 
de  Tedjini  et  de  ses  mokadems  i  19  août  1841  .  De  Kairouan,  Roches  partit,  sous 
l'habit  musulman,  pour  aller  soumettre  la  fettoua  à  l'approbation  des  docteurs  du 
Caire  et  de  La  Mecque-  Il  L'obtint  au  Caire  le6  aovembre  1841  el  à  La  Mecque  en 
janvier  I8i2,  malgré  l'opposition  faite  par  Senoussi  dans  l'assemblée  [medjelès] 
des  ulémas  de  La  Mecque. 


20  l'afrique  politique  en  1900 

Ces  deux  consultations,  qui  semblent  se  compléter  l'une 
l'autre,  sont  assurément  remarquables  :  elles  ont  aussi  le 
mérite  d'ouvrir  un  vaste  cbamp  d'espérances  à  tous  ceux  qui 
ne  croient  pas  à  la  fatale  irréductibilité  de  la  religion  mu- 
sulmane. 


On  peut  dire  que  tous  les  peuples  sont  colonisateurs. 
Gela  résulte  de  l'amour  du  changement,  de  la  curiosité  de 
l'inconnu  et  du  désir  de  bien-être  que  tout  homme  a  au  cœur. 
Les  migrations  des  peuples  antiques  et  l'expansion  coloniale 
moderne  sont,  à  ce  point  de  vue,  des  phénomènes  du  même 
ordre. 

Ce  qui  manque  à  certains  peuples,  ce  sont  les  institutions 
propres  à  activer  l'émigration.  Et  ce  qui  le  démontre,  c'est  que 
les  Français,  après  avoir  été  au  xvne  et  au  xvme  siècle, 
parmi  les  premiers  colonisateurs  du  monde,  paraissent  avoir 
perdu  momentanément  leurs  facultés  migratives.  Or,  les  qua- 
lités de  la  race  sont  restées  les  mêmes  ;  mais,  entre  les  Français 
qui  ont  fondé  les  sociétés  du  Canada  et  de  la  Louisiane,  et  ceux 
du  temps  présent,  il  y  a  la  différence  créée  par  les  institutions 
de  deux  époques  distinctes.  Les  Anglais,  qui  ont  conservé 
précieusement  leurs  traditions,  leurs  lois  et  leurs  mœurs  (l)r 
sont  restés  ce  qu'ils  étaient  autrefois  au  point  de  vue  coloni- 
sateur. Leurs  qualités  de  peuple  migrateur  se  sont  même 
perfectionnées  proportionnellement,  pourrait-on  dire,  au  dé- 
veloppement de  leurs  facultés  commerciales. 

Aujourd'hui,  l'Angleterre  est  beaucoup  moins  une  nation, 
au  sens  élevé  du  mot,  qu'une  agglomération  d'intérêts  parti- 
culiers puissamment  soutenus,  sur  tous  les  points  du  monde, 
par  une  solidarité  qui  fait  le  fond  de  la  politique  anglo- 
saxonne.  La  protection  efficace  dont  jouit  le  citoyen  anglais 


(1)  En  premier  lieu  la  liberté  de  tester. 


INTRODUCTION  21 


envers  et  contre  tous,  mise  en  parallèle  avec  l'indifférence 
que  la  plupart  des  autres  États  manifestent  pour  les  intérêts 
particuliers  de  leurs  nationaux,  est  une  des  raisons  qui  provo- 
quent le  plus  l'émigration  des  Anglais. 

Ceux-ci,  disséminés  en  sociétés  plus  ou  moins  nombreuses 
sur  tous  les  points  du  globe,  sans  jamais  perdre  de  vue  le  sol 
natal  et  les  intérêts  généraux  de  leur  immense  empire,  se 
sont  habitués  peu  à  peu  à  n'être  étrangers  nulle  part  et  à 
considérer  le  monde  comme  une  grande  annexe  de  leur  petite 
patrie. 

C'est  ce  sentiment-  qui  inspirait,  en  juin  1896,  la  conclusion 
suivante  d'un  discours  du  leader  de  l'impérialisme,  M.  Cham- 
berlain : 

L'avenir  de  l'Angleterre  dépendra  surtout  de  la  population  an- 
glaise d'au  delà  des  mers.  Nos  compatriotes  nous  quittent  en 
nombre  de  plus  en  plus  grand  pour  se  rendre  dans  des  pays 
lointains,  et  nous  souhaitons  que  les  terres  où  ils  se  rendent  soient 
aussi  anglaises  que  celle  qu'ils  quittent,  et  qu'eux-mêmes  conti- 
nuent à  entretenir  nos  aspirations  communes  pour  la  grandeur  de 
la  race  britannique.  Les  forces  qui  tendent  à  la  cohésion  de  l'em- 
pire sont  supérieures  à  celles  qui  tendent  à  le  désagréger. 

On  a  dit  maintes  fois  que  tout  succès  d'un  peuple  étranger 
sur  le  terrain  colonial  était  considéré  par  les  Anglais  comme 
un  empiétement  sur  leurs  droits;  et  il  est  juste  de  remarquer 
qu'il  n'a  pas  manqué,  en  Angleterre  même,  d'esprits  éclairés 
et  généreux  pour  dénoncer  ce  travers  du  caractère  britan- 
nique. 

On  rapporte  que  sir  Charles  Dilke,  causant  avec  un  homme 
politique  anglais  des  traités  africains  conclus  en  1894,  se 
serait  écrié  :  «  On  n'a  pas  confiance  en  nous  !  »  Ce  mot  rap- 
pelle la  parole  prononcée  par  Wellington,  en  1818,  au  Con- 
grès d'Aix-la-Chapelle  :  «  Notre  nation  est  honnête,  mais 
nos  diplomates  manquent  de  probité  politique.  » 

L'histoire  de  l'Angleterre  et,  sans  remonter  bien  loin  dans 
le  passé,  les  récents  événements  d" Egypte,  du  Venezuela,  du 
Transvaal,  sans  parler  des  mille  incidents  soulevés  par  la 
politique  britannique,  donnent  à  cette  parole  une  confirma- 


l'afrique  politique  en  1900 


tion  éclatante.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  atteintes  portées  aux 
droits  des  nations  plus  faibles,  telles  que  le  Portugal  et  les 
Boers,  qui  n'aient  soulevé  jusqu'en  Angleterre  l'indignation 
de  la  partie  la  plus  saine  de  la  population. 

On  a  attribué  à  lord  Salisbury,  alors  lord  Cranbourne,  les 
paroles  suivantes,  prononcées  à  propos  des  affaires  du  Dane- 
mark, en  1863  : 

L'Angleterre  a  une  échelle  mobile  pour  sa  politique  étrangère. 
Elle  empoche  sans  mot  dire  les  affronts  des  puissances  de  premier 
ordre,  et  elle  tend  même  l'autre  joue  à  un  nouveau  soufflet.  Elle  se 
tait  et  rumine  son  ressentiment  avec  les  États  ses  égaux.  Au  con- 
traire, avec  les  faibles,  elle  se  plaît  à  tirer  une  vengeance  éclatante 
et  à  leur  demander  compte  de  tous  les  ennuis  dont  elle  n'a  pas  osé 
se  faire  dédommager  par  leurs  auteurs. 

L'aventure  de  Fachoda  fournit  la  confirmation  de  ces  appré- 
ciations, de  même  que  le  développement  en  Chine  du  conflit 
anglo-russe  et  la  guerre  du  Transvaal. 

Il  est  piquant,  en  tous  cas,  de  voir  l'homme  politique  qui 
jadis  dénonçait  au  monde  les  vices  de  la  diplomatie  de  son 
pays  jouer  plus  tard  le  rôle  que  l'on  sait  dans  les  questions 
coloniales  récentes.  Quantum  mutatus.,.1 

Le  chef  du  parti  opposé,  M.  Gladstone,  faisait  profession 
d'idées  analogues  : 

Nous  sommes  impopulaires  dans  le  monde  entier,  disait-il.  Les 
Français  ne  nous  aiment  pas.  Les  Hollandais  nous  haïssent,  et, 
d'ailleurs,  c'est  naturel.  Les  Allemands  nous  ont  montré,  à  propos 
de  l'affaire  du  Transvaal,  comment  ils  étaient  disposés  pour  nous. 
Or,  quand  un  homme  est  délesté  par  tous  ses  voisins,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  se  demander  ce  qu'il  a  fait  pour  le  mériter.  Et  de 
même  je  ne  peux  m'empêcher  de  me  demander  si  cette  impopu- 
larité de  l'Angleterre  n'est  pas,  en  grande  partie,  sa  faute.  Avcz- 
vous  remarqué  que,  ces  temps  derniers,  l'Angleterre  s'est  plusieurs 
fois  soumise  à  un  arbitrage  international  et  que  toutes  les  fois  la 
décision  des  arbitres  a  été  contre  elle?  C'est  là,  pour  moi,  un  sujet 
de  réflexion  des  plus  affligeants  (1). 


(1)  Propos  de  Gladstone,  recueillis  par  M.  Vollemache. 

Le  même  recueil  contient  d'autres  idées  intéressantes  de  Gladstone  : 

h  L'avenir  est,  pour  moi,  un  mystère.  Impossible  de  deviner  ce  qui  va  venir.  » 

u  Ni  la  démocratie  ni  la   science  ne    m'effrayent  autant,   pour  l'avenir,   ipiw 


INTRODUCTION  23 


Sans  parler  des  revirements  de  la  politique  anglaise  dans 
le  conflit  sino-japonais,  de  l'action  diplomatique  engagée  à 
propos  de  l'Egypte,  ces  paroles  reportent  le  souvenir  vers 
les  divers  litiges  soulevés  un  peu  partout,  dans  ces  derniers 
temps,  suivant  les  nécessités  des  intérêts  anglais. 

On  n'a  pas  oublié  l'ultimatum  au  Portugal  et  la  délimitation 
forcée  de  ses  territoires  africains;  le  litige  avec  le  Brésil  au 
sujet  de  l'île  de  la  Trinité;  le  conflit  avec  le  Venezuela,  pour 
les  territoires  aurifères  de  la  Guyane;  le  bombardement  de 
certaines  localités  ottomanes  du  golfe  Persique,  et  bien  d'autres 
actes,  récemment  complétés  par  la  guerre  du  Transvaal. 

La  politique  anglaise,  toujours  renouvelée  des  mêmes  pro- 
cédés, a  valu  à  l'Angleterre  un  empire  africain  dont  on  n'eût 
pas  osé  soupçonner  le  futur  développament,  il  y  a  seulement 
vingt-cinq  ans. 

A  cette  époque,  elle  ne  possédait,  sur  le  continent  africain, 
que  l'étroite  colonie  du  Cap,  avec  quelques  comptoirs  sur  la 
Gambie,  en  Sierra  Leone,  sur  la  côte  de  Guinée,  et  sur  celle 
des  Somalis. 

Ces  possessions  étaient,  en  somme,  de  minime  importance, 
et  l'Angleterre  avait  préféré  porter  ses  regards  vers  d'autres 
régions  plus  renommées  par  leurs  ressources  et  leurs  des- 
tinées commerciales  immédiates. 

Le  développement  des  colonies  anglaises  d'Afrique  a  com- 
mencé le  jour  où,  par  crainte  de  voir  les  Indes  lui  échapper, 
l'Australie  et  le  Canada  s'émanciper,  les  marchés  de  l'Ex- 
trême-Orient passer  aux  mains  de  ses  rivaux,  elle  a  été 
forcée  de  comprendre  la  nécessité  de  créer  de  nouveaux  et 
importants  débouchés  à  son  commerce. 
■  Certaines  de  ces  raisons  ont  également  déterminé  d'autres 


l'amour  de  l'argent.  C'est  là  qu'est,  à  mon  avis,  le  plus  grand  mal  et  le  pire 
danger.  » 

L'expansion  coloniale  ne  saurait  comprendre  M.  Gladstone  parmi  ses  partisans  : 
«  J'ai  toujours  soutenu,  disait-il,  que  nous  sommes  liés  à  nos  colonies  par  des 
liens  d'honneur  et  de  conscience.  Mais  l'idée  que  des  colonies  ajoutent  quoi  que 
ce  soit  à  la  force  de  la  mère  patrie,  c'est  là,  pour  moi,  une  idée  aussi  stupide  que 
les  plus  sombres  superstitions  du  moyen  Age.  » 

Mornons  nous  à  enregistrer  ces  paroles,  suns  rechercher  si  elles  ont  été  con- 
formes aux  actes  des  divers  ministères  présidés  par  M.  Gladstone. 


24  l' AFRIQUE    POLITIQUE   EN    1900 

puissances  européennes,  la  France,  l'Allemagne,  le  Portugal, 
à  créer  des  colonies  africaines  ou  à  augmenter  l'étendue  de 
leurs  possessions,  tandis  que  l'ambition  poussait  l'Italie  en 
Abyssinie  et  que  le  roi  des  Belges  faisait  l'acquisition  du 
Congo. 

Cette  expansion  si  brusque  des  intérêts  européens  en 
Afrique  est  l'œuvre  des  vingt  dernières  années  et  restera 
une  des  caractéristiques  de  la  dernière  partie  du  xixe  siècle. 
Déjà,  avant  la  guerre  du  Transvaal,  les  colonies  étaient  fon- 
dées, les  protectorats  établis,  les  sphères  d'influence  détermi- 
nées, toutes  les  côtes  étaient  occupées,  et  il  semblait  qu'il  n'y 
avait  plus  place,  en  Afrique,  que  pour  les  compétitions  riva- 
les, mais  pacifiques,  de  voisins  mal  délimités. 

L'action  britannique  dans  le  Sud  de  l'Afrique  est  venue 
ouvrir  à  la  diplomatie  des  aperçus  nouveaux  et  créer  des 
inconnues  redoutables. 

Si  le  commerce  de  l'Afrique  a  augmenté  dans  des  propor- 
tions considérables,  il  ne  faut  pas  se  dissimuler  que  nous 
sommes  encore  bien  loin  du  moment  où  le  continent  pourra 
être  livré  tout  entier  aux  entreprises  des  Européens. 

Les  voies  de  communications,  ce  puissant  moyen  de  civi- 
lisation et  de  pacification  que  les  Romains,  nos  maîtres  en 
colonisation,  employaient  avant  tout  autre,  sont  encore  à 
l'état  embryonnaire.  Des  essais  remarquables  ont  cependant 
été  tentés,  mais  on  constatera  que  les  Français  se  sont  mon- 
trés, sur  ce  point  spécial,  bien  plus  timides  que  leurs  rivaux. 

C'est  cependant  dans  les  routes  et  les  chemins  de  fer  que 
l'on  est  d'accord  pour  trouver  le  moyen  le  plus  rapide  et  le 
plus  sûr  de  répandre  les  produits  et  les  idées,  de  faciliter 
l'accès  des  régions  à  conquérir,  de  frapper  l'esprit  des  indi- 
gènes et  de  leur  donner  une  haute  idée  de  la  puissance  ma- 
térielle et  de  la  valeur  intellectuelle,  sinon  morale,  de  leurs 
conquérants. 

Plus  encore  par  les  chemins  de  fer  que  par  la  force,  on 
parviendra  à  faire  reculer  la  barbarie  et  à  prendre  action  sur 
cette  matière  malléable  et  instable  qu'est  la  population  nègre. 


INTRODUCTION  25 


On  verra,  dans  le  cours  de  cette  étude,  que  cette  question  a 
été  envisagée,  au  point  de  vue  français  tout  au  moins,  avec 
des  détails  qui  nous  attireront  peut-être  le  reproche  d'avoir 
été  trop  audacieux  dans  nos  idées.  Ce  reproche  n'est  pas  pour 
nous  déplaire,  car  nous  avons  l'idée  arrêtée  que  bien  du 
temps  et  bien  des  forces  ont  déjà  été  perdus,  et  que,  nous 
trouvant  en  retard  sur  nos  voisins,  nous  devons,  pour  ré- 
tablir 1" équilibre,  doubler  les  étapes  et  redoubler  d'énergie. 

Notre  extension  territoriale,  réalisée  à  la  fois  pour  con- 
server notre  situation  dans  le  monde  et  pour  empêcher  nos 
rivaux  de  prendre  notre  place,  a  attiré  aussi  toute  notre 
attention,  et  nous  l'avons  longuement  envisagée. 

Ainsi  que  l'a  dit  le  général  Philebert,  «  la  solution  géo- 
graphique est  aussi  la  solution  politique,  commerciale,  mili- 
taire. C'est  la  forme  du  terrain  qui  jalonne  les  conditions  de 
prépondérance  et  d'autorité.  » 

Ce  précepte  de  stratégie  coloniale  nous  a  souvent  guidé 
dans  l'étude  de  l'avenir  de  nos  possessions;  et  son  applica- 
tion continue,  réalisée  par  ceux  qui  ont  la  charge  de  nos 
destinées,  serait  de  nature  à  nous  assurer,  sur  le  continent 
noir,  la  grande  situation  que  nous  devons  tenir  autant  de 
nos  traditions  que  des  droits  acquis  par  l'énergie  de  nos 
explorateurs  et  par  le  sang  de  nos  soldats. 


L'AFRIQUE    POLITIQUE 

EN    1900 


ÉTUDE  SUCCESSIVE  DES  RÉGIONS  AFRICAINES 

Les  géographes,  pour  étudier  l'Afrique,  ont  divisé  le  conti- 
nent en  Afrique  septentrionale,  occidentale,  orientale,  cen- 
trale, australe.  Ces  diverses  dénominations  concordent  assez 
peu  avec  la  forme  même  de  cette  partie  du  monde. 

L'Egypte,  par  exemple,  appartient  autant  à  l'Orient  qu'au 
nord  de  l'Afrique,  et  on  ne  sait  trop  s'il  faut  placer  le  Came- 
roun dans  l'Afrique  centrale  ou  occidentale. 

Il  y  a,  pensons-nous,  une  autre  méthode  à  employer  pour 
étudier  l'ensemble  du  continent  :  c'est  de  suivre  ses  côtes,  de 
faire  le  périple  de  ce  bloc  de  territoires  et,  tout  en  conservant 
les  anciennes  divisions,  de  parler  de  l'hinterland  en  même 
temps  que  l'on  envisage  le  littoral. 

Telle  est  la  marche  que  nous  suivrons  dans  notre  étude,  en 
commençant  par  les  pays  les  plus  rapprochés  de  l'Europe, 
c'est-à-dire  par  l'Afrique  septentrionale,  et  en  continuant  par 
les  côtes  occidentales,  australes  et  enfin  orientales. 

On  étudiera  l'Egypte  en  dernier  lieu,  en  la  rattachant  aux 
territoires  orientaux,  tels  que  l'Abyssinie,  avec  lesquels  elle 
a  eu,  de  tout  temps,  des  contingences  politiques  d'un  intérêt 
spécial,  et  on  commencera  immédiatement  par  la  Tripolitaine 
et  le  pays  de  Barka. 


er 


CHAPITRE  r 

AFRIQUE  SEPTENTRIONALE 


Coup  d'œil  très  général  et  très  sommaire  sur  l'Afrique  septentrionale,  partout 
étudiée.  Questions  à  envisager  spécialement  dans  ce  volume. 


L'Afrique  septentrionale,  qui  comprend,  avec  le  Sahara,  les 
pays  africains  baignés  par  la  Méditerranée,  n'est,  de  nos 
jours,  malgré  les  différences  de  coutumes  et  de  religion,  et  à 
cause  de  la  facilité  des  communications  et  de  la  multiplicité 
des  contacts,  qu'une  sorte  de  prolongement  de  l'Europe. 
Parmi  ces  contrées,  le  Sahara  se  distingue,  il  est  vrai,  par  des 
caractères  nettement  tranchés,  des  populations  très  particu- 
lières, une  civilisation  et  une  histoire  encore  peu  connues. 
Mais,  des  cinq  pays  qui  s'étendent  en  bordure  de  la  Méditer- 
ranée, l'Algérie,  la  Tunisie,  l'Egypte,  gravitent  dans  l'orbite 
de  l'Europe;  la  Tripolitaine,  tous  les  jours  plus  investie  et 
plus  fréquentée,  ne  peut  tarder  à  tomber  sous  la  dépendance 
immédiate  d'une  puissance  européenne.  Le  Maroc,  seul,  quoi- 
que fort  entamé,  cherche  à  conserver,  avec  un  soin  jaloux, 
mais  sans  trop  y  réussir,  sauf  dans  l'intérieur,  les  mœurs  d'un 
autre  âge  et  l'isolement  où  il  parait  se  complaire. 

Ces  régions,  déjà  très  étudiées,  et  dont  les  moindres  événe- 
ments sont  chaque  jour  reproduits  et  analysés  par  toute  la 
presse,  nous  paraissent  nécessiter,  dans  l'ensemble  de  notre 
étude,  un  examen  moins  prolongé  que  les  pays  plus  lointains 
et  moins  connus.  On  trouvera  sur  chacun  d'eux  des  ouvrages 


30  l'afrique  politique  en  1900 

spéciaux,  traitant  longuement  les  questions  qui  les  con- 
cernent. Aussi,  nous  nous  bornerons,  pour  ne  pas  agrandir 
indéfiniment  le  cadre  de  cette  étude,  à  envisager  rapidement 
les  derniers  et  plus  importants  événements  qui  s'y  sont 
déroulés.  Mais  nous  insisterons,  par  contre,  d'une  manière 
plus  particulière,  sur  les  relations  de  ces  pays  avec  les  autres 
régions  de  l'Afrique,  et  nous  ferons  une  exception  en  ce  qui 
concerne  les  récents  événements  d'Egypte,  question  brûlante 
qui  passionne  une  partie  de  l'Europe  et  que  nous  étudierons 
en  même  temps  que  l'Abyssinie.Ces  événements,  qui  forment, 
comme  ceux  du  Transvaal,  un  épisode  saillant  de  l'histoire 
de  l'Afrique,  méritent,  en  effet,  d'être  étudiés  à  la  fois  dans 
leur  genèse,  dans  leurs  détails  et  dans  leurs  conséquences. 


TRIP0L1TAIXE  31 


Tripolitaine  et  pays  de  Barka. 


Tripolitaino.  —  Belle  situation.  —  Rivalités  européennes.  —  Relations  avec  le 

Soudan.  —  Intérêts  de  la  France. 

Pays  de  Barka.  —  Son  isolement.  —  Avenir  possible. 


Tripolitaine. 

Comme  tous  les  pays  soumis  à  la  domination  turque,  la 
Tripolitaine  continue  à  se  complaire  dans  un  isolement  relatif 
que  parait  respecter,  pour  le  moment,  l'accord  tacite  des  na- 
tions intéressées. 

Sa  belle  situation,  dans  un  enfoncement  de  la  côte,  les 
relations  de  commerce  et  d'alliances  qu'elle  a  établies  avec  le 
Bornou  et  le  Sahara  central  devraient  en  faire  un  pays  privi- 
légié, pour  peu  qu'une  administration  sage  et  prévoyante  sût 
tirer  parti  de  ses  ressources  et  favoriser  les  éléments  de  pros- 
périté qu'elle  possède. 

A  défaut  de  la  Tunisie,  les  Italiens  ont  depuis  longtemps 
jeté  leur  dévolu  sur  la  Tripolitaine,  et  il  est  certain  qu'au  lieu 
de  tenter  la  fortune  en  Erythrée,  ils  eussent  volontiers  essayé 
de  prendre  pied  à  Tripoli  si  leur  diplomatie  avait  pu  endormir 
la  vigilance  de  la  Turquie,  de  la  France  et  aussi  de  l'Angle- 
terre, qui,  en  raison  de  son  installation  à  Malte,  aime  peut- 
être  mieux  voir  Tripoli  colonie  française  que  possession  ita- 
lienne. 

Cestce  qui  parait  résulter  de  la  Déclaration  franco-anglaise 
du  21  mars  1899,  qui  attribue  à  la  France  l'arrière-pays  de  la 
Tripolitaine,  indispensable  pour  assurer  la  jonction  de  nos 
territoires  africains  et  sur  lequel  ni  la  Porte  ni  l'Italie  n'a- 
vaient de  droits  réels  à  faire  valoir. 


32  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

Cette  Déclaration,  dont  nous  donnons  plus  loin  le  texte  (1), 
et  qui,  avec  la  Convention  du  14  juin  1898,  forme,  pour  l'a- 
venir, la  base  de  nos  droits  africains  vis-à-vis  de  l'Angleterre, 
souleva,  au  premier  moment,  les  protestations  de  la  Turquie 
et  l'émotion  de  l'Italie.  L'opinion  publique  italienne  ne  fut  cal- 
mée, malgré  le  rapprochement  économique  franco-italien  et 
la  présence  de  notre  escadre  aux  fêtes  de  Cagliari,  qu'après  les 
explications  fournies  par  notre  ambassadeur  et  le  discours 
prononcé  au  Sénat,  le  24  avril  1899,  par  le  ministre  des 
affaires  étrangères,  l'amiral  Canevaro.  Il  convient  de  citer  ici 
les  passages  principaux  de  ce  discours,  qui  précise  l'attitude 
de  l'Italie  à  l'égard  de  ce  nouveau  traité  : 

Après  l'occupation  de  la  Tunisie,  il  devint  évident  que  le  dessein 
de  la  France  était  d'étendre  son  influence  au  delà  des  confins  méri- 
dionaux du  be'ylicat,  en  avançant  dans  les  régions  où  l'hinterland 
algérien  se  confond  avec  l'hinterland  tripolitain. 

La  Turquie,  au  contraire,  tandis  qu'il  lui  répugnait  de  négocier 
avec  la  France  pour  ne  pas  définir  clairement  les  limites  de  la  Tri- 
politaine  et  dans  la  crainte  que  les  négociations  ne  pussent  paraître 
la  reconnaissance  de  la  France  sur  la  Tunisie,  ne  faisait  rien  pour 
prendre  possession  de  l'hinterland  tripolitain,  de  sorte  que  la 
France  put,  sans  être  troublée,  continuer  à  étendre  largement  son 
influence  vers  le  Sud. 

La  Convention  anglo-française  du  o  août  1890  ne  précisait  pas  la 
limite  vers  l'Est  entre  le  Soudan  français  et  les  régions  du  Niger; 
toutefois,  on  devait  retenir  que  l'influence  française  pouvait  arriver, 
de  ce  côté,  jusqu'à  la  ligne  de  l'extrémité  sud-ouest  de  la  Tripoli- 
taine,  jusqu'à  Baroua. 

La  Tripolitaine  perdait  ainsi  une  de  ses  voies  de  commerce  avec 
le  centre  de  l'Afrique. 

La  France  déclarait  vouloir  respecter  les  droits  de  la  Turquie  ; 
mais,  au  fond,  cette  expression  impliquait  seulement  le  respect  des 
droits  du  sultan  sur  le  Fezzan  et  non  sur  l'hinterland  de  la  Tripoli- 
taine. 

Une  note  de  la  Porte,  de  novembre  1890,  exagérait  tellement 
l'hinterland  sur  lequel  le  sultan  croyait  avoir  droit  qu'elle  était  de 
nature  à  froisser  les  droits  acquis  selon  la  théorie  même  de  l'hin- 
terland par  la  France,   l'Allemagne  et  l'Angleterre.   Celles-ci  ne 


(1)  Voir  l'Appendice. 


TR1P0L1TA1NE  33 


pouvaient  pas  attacher  d'importance  aux  prétentions  turques  et 
réglèrent  leur  situation  autour  du  lac  Tchad  par  l'accord  du  15 
mars  1894,  délimitant  les  confins  entre  le  Cameroun  et  le  Congo 
français,  et  assurant  pratiquement  à  la  France  la  côte  orientale  et 
septentrionale  du  Tchad. 

Le  prétendu  hinterland  de  la  Turquie  diminuait  considérable- 
ment; la  voie  restait  ouverte  à  la  France  vers  les  régions  du  Nil. 
Aussi,  en  1894,  essaya-t-on  de  rappeler  l'attention  de  la  Turquie 
sur  la  situation  créée  par  l'accord  franco-allemand;  maison  n'obtint 
rien.  Depuis  lors,  il  était  naturel  que  le  Soudan  français  et  le  Congo 
français  cherchassent  à  se  réunir  du  Nord  et  de  l'Est  sur  le  Tchad, 
en  étendant  ainsi  l'influence  française  à  tout  l'hinterland  tripoli- 
tain,  en  traversant  les  routes  des  caravanes  qui  joignent  la  côte  de 
Tripoli  avec  le  centre  de  l'Afrique. 

Effectivement,  la  France  ne  tardait  pas  à  obtenir  de  l'Angleterre 
ce  qu'elle  avait  obtenu  de  l'Allemagne.  Un  troisième  accord  franco- 
anglais,  du  14  juin  1898,  reconnaissait  à  la  France,  comme  incluses 
clans  sa  zone  d'influence,  les  rives  du  nord-est  et  du  sud-est  du 
Tchad  jusqu'au  Chari. 

Ce  rapide  exposé  montre  que  l'Angleterre,  depuis  1890,  indiquait 
qu'elle  se  désintéressait  complètement  relativement  à  l'hinterland 
tripolitain,  tandis  que  la  France  le  voyait  ouvert  devant  elle  sans 
contestation  de  personne.  Pendant  tout  ce  temps,  la  Turquie  se  tai- 
sait, et,  au  lieu  de  faire  d'une  façon  quelconque  acte  de  présence 
dans  les  oasis  principales  de  l'hinterland  tripolitain,  elle  se  préoc- 
cupait uniquement  de  défendre  vers  la  merle  vilayet  qu'elle  croyait 
menacé  par  nous,  s'y  armait  et  s'y  fortifiait,  croyant  à  des  visées 
ambitieuses  de  l'Italie. 

Ainsi  nous  nuisait  ce  fait  que,  loyalement,  ouvertement,  nous  té- 
moignions plus  d'intérêt  à  la  Turquie  que  les  autres  gouvernements. 

Telle  était  la  situation  lorsque  survinrent  la  victoire  anglaise 
d'Omdurman  et  l'arrivée  du  commandant  Marchand  à  Fuchoda, 
faisant  craindre  le  péril  terrible  d'une  guerre  franco-anglaise  qui 
pouvait  être  évitée  seulement  en  délimitant  les  réciproques  sphères 
d'inlluence  en  Afrique,  de  façon  à  satisfaire  les  intérêts  et  l'amour- 
propre  réciproques  des  deux  puissances.  Aussitôt  je  prévis  la  pro- 
babilité d'une  atteinte  portée  définitivement  à  l'hinterland  de  la 
Tripolitaine  et  je  fis  les  démarches  opportunes. 

Mais  il  était  depuis  longtemps  trop  tard. 

Survint  ainsi  soudaine,  mais  non  inattendue,  la  Convention  t\u 
21  mars,  et  quoiqu'elle  engage  seulement  l'Angleterre  et  la  France, 
cependant  elle  causa  une  grande  impression  en  Italie.  Le  gouver- 
nement s'en  préoccupa  également,  bien  que  conscient   qu'il  n'y 

Af.  polit.  3 


34  l'afriqle  politiqub  ex  1900 

avait  pas  faute  ou  imprévoyance  de  sa  part.  Ce  fait  serait  arrivé 
quel  qu'eût  été  le  ministère  au  pouvoir,  car  il  était  la  conséquence 
inéluctable  de  la  politique  suivie  en  Afrique  par  toutes  les  puis- 
sances intéressées  pendant  les  neuf  dernières  années. 

Pour  arriver  à  la  conclusion  finale,  il  manquait  seulement  une 
occasion  propice.  Celle-ci  fut  l'appréhension  d'une  grande  guerre 
qu'on  voulait  éviter  à  tout  prix. 

Et  nous  ne  devons  pas  trop  nous  plaindre  s'il  en  est  résulté  pour 
l'hinterland  tripolitain  un  préjudice  futur  incertain,  que,  d'ailleurs, 
nous  ne  pouvions  pas  empêcher. 

Le  gouvernement  n'a  pas  manqué  de  demander  à  la  France  et  à 
l'Angleterre  d'amicales  explications,  qu'elles  nous  ont  fournies  am- 
plement, de  manière  à  écarter  tout  doute  sur  leurs  intentions  et  en 
les  accompagnant  de  témoignages  d'amitié. 

Les  assurances  qui  ont  été  données  établissent  qu'il  n'y  a  à 
redouter  dans  le  présent  ni  dans  l'avenir  aucune  entreprise  de  la 
France  et  de  l'Angleterre  contre  la  Tripolitaine,  que  rien  ne  sera 
fait  pour  entraver  les  communications  entre  la  Tripolitaine  et  les 
régions  centrales  de  l'Afrique. 

Tripoli  paraît  aujourd'hui  à  l'abri  des  entreprises  italien- 
nes. Au  surplus,  toute  tentative  sur  Tripoli  ne  manquerait 
probablement  pas  de  trouver  la  France  préparée  à  prendre 
des  gages  à  proximité  de  la  Tunisie  et  du  Sahara,  où  Ghada- 
mès  et  Rhat  seraient  entre  nos  mains  d'utiles  positions. 

Ces  deux  localités,  centres  d'un  commerce  important,  sont 
les  points  de  départ  ou  les  lieux  de  passage  de  caravanes  assez 
nombreuses.  Elles  sont  occupées  par  des  garnisons  turques 
isolées  qui  conservent,  au  milieu  de  populations  indépen- 
dantes, l'autorité  tout  au  moins  nominale  des  sultans. 

Leur  rôle,  relativement  important,  sera  examiné  lorsque 
nous  nous  occuperons  du  Sahara  et  de  ses  voies  de  commu- 
nication. 

Tripoli,  malgré  un  port  médiocrement  aménagé,  tient  une 
place  prépondérante  dans  le  commerce  transsaharien.  C'est 
la  principale  place  de  soudure  entre  le  commerce  européen 
et  celui  du  Sahara,  entre  notre  civilisation  et  les  sociétés  du 
Soudan.  Tripoli  possède  un  outillage  spécial  pour  le  commerce 
du  Sahara,  ainsi  qu'un  personnel  habitué  aux  relations  avec 


TRIPOLITAINE  35 


le  Soudan.  C'est  le  point  d'arrivée  de  toutes  les  marchandises 
provenant  des  régions  avoisinant  le  lac  Tchad,  et  c'est  là  que 
leurs  prix  sont  débattus  et  fixés,  comme  dans  une  véritable 
bourse  de  commerce.  Tandis  que  Tripoli  est  une  des  têtes  de 
ligne  du  commerce  du  Sahara  et  le  terminus  de  celui  du  Sou- 
dan central,  Rhat  et  Ghadamès  sont  surtout  des  places  de 
transit  entre  le  Sahara  et  Tripoli,  Gabès  ou  l'Algérie. 

Il  en  est  de  même  de  Mourzouk,  qui  n'est,  en  quelque  sorte, 
qu'un  lieu  de  passage  et  de  ravitaillement  des  caravanes 
venant  du  Bornou. 

Le  mouvement  commercial  entre  Tripoli,  Ghadamès,  Rhat  et  le 
Soudan  n'a  jamais  dépassé,  même  dans  les  années  considérées 
comme  les  plus  favorisées,  le  chiffre  de  10  à  11  millions,  importa- 
tions et  exportations.  Ce  chiffre,  en  1893,  a  atteint  la  somme  de 
7  millions  environ.  Il  s'est  abaissé,  en  1896,  à  5.700.000  francs  en- 
viron (1). 

En  1808,  le  commerce  d'ensemble  de  Tripoli  s'est  élevé  à 
9.500.000  francs  aux  importations,  dont  1.800.000  francs  de 
marchandises  françaises,  et  à  9.938.000  francs  aux  exporta- 
tions, dont  3.500.000  francs  environ  pour  la  France. 

Au  milieu  des  tentatives  qui  sont  faites  par  l'Algérie  et  la 
Tunisie,  aussi  bien  que  par  l'Egypte,  pour  détourner  le  com- 
merce du  Sahara  et  du  Soudan,  l'administration  turque  de 
Tripoli  ne  trouve  d'autre  moyen  que  la  résistance  passive 
pour  conserver  à  ses  négociants  le  monopole  du  commerce 
de  ces  régions. 

Les  protestations  de  la  Turquie  à  l'égard  de  la  Déclaration 
anglo-française  du  21  mars  1899  ont  abouti  cependant  à  l'en- 
voi à  Tripoli,  au  mois  de  mai  suivant,  d'un  nouveau  gouver- 
neur turc  qui  s'est  empressé,  dès  son  arrivée,  de  prêcher  la 
fidélité  au  sultan  et  de  promettre  des  réformes.  En  même 
temps,  les  garnisons  étaient  renforcées;  de  Constantinople  on 
agissait  sur  les  Senoussias  pour  les  pousser  vers  le  Soudan,  et 


(1)  Rapport  du  consul  de  France  à  Tripoli.  Le  commerce  soudanais,  qui   était 
tombé  à  3  millions  et  demi  en  181)7,  s'est  relevé  à  près  de  o  millions  en  1898. 


36  l'afrique  politique  en  1900 

de  Tripoli  on  entrait  en  relations  avec  Rabah,  notre  ennemi 
soudanais.  On  étudiera  plus  loin  le  développement  de  ces 
intrigues. 

On  peut  estimer  aux  quatre  cinquièmes  du  commerce 
transsaharien  la  part  de  la  Tripolitaine.  Aussi,  tous  les 
moyens  sont-ils  bons  pour  empêcher  les  étrangers  de  venir, 
non  seulement  prendre  leur  part  des  transactions,  mais,  sur- 
tout, examiner  les  moyens  de  détourner  le  transit. 

En  1893,  des  négociants  français  firent  des  tentatives  pour 
nouer  des  relations  suivies  avecGhadamès.  Ils  n'eurent  guère 
à  se  louer  de  l'attitude  des  autorités  turques.  On  eût  pu,  dès 
ce  moment,  obtenir  de  la  Porte  l'établissement  d'un  consul 
français  à  Ghadamès  et  l'ouverture  de  ce  marché  à  nos  négo- 
ciants algériens.  On  se  borna,  paraît-il,  à  demander  le  dépla- 
cement d'un  fonctionnaire  turc  hostile  aux  intérêts  français. 

Mais  la  tentative  fut  renouvelée.  Nous  pouvons,  aujour- 
d'hui, obtenir  le  passage  par  Rhat  et  Ghadamès  pour  les  cara- 
vanes venant  de  la  Tunisie  comme  pour  celles  venant  de 
Tripoli. 

Gabès  est  le  point  d'attache  désigné  de  ces  caravanes;  au 
mois  de  mars  1896,  on  a  relevé  l'arrivée  à  Gabès  de  l'une 
d'elles,  venant  de  Rhat  par  Ghadamès. 

La  même  année,  on  a  constaté  l'entrée,  de  ce  côté  de  la 
Tunisie,  d'importants  envois  de  marchandises,  là  où  les 
années  précédentes  il  ne  se  faisait  aucun  trafic. 

L'établissement  de  ces  relations  pacifiques,  qui  se  dévelop- 
pent d'une  manière  lente  mais  continue,  est  un  heureux  pré- 
sage au  point  de  vue  de  la  possibilité  d'attirer  à  nous  et  de  dé- 
velopper la  confiance  entre  les  populations  du  Sahara  et  nos 
indigènes  algériens  et  tunisiens.  L'établissement,  souvent 
conseillé,  de  quelques  habitants  de  Tripoli  dans  nos  posses- 
sions serait  un  moyen  utile  d'augmenter  les  relations  et  d'as- 
surer leur  développement.  Mais,  à  Tripoli  comme  ailleurs, 
quels  que  soient  les  procédés  employés,  ils  devraient  être 
soutenus  par  une  politique  ferme  et  par  l'assurance  que  la 
France  est  décidée  à  ne  laisser  porter  aucune  atteinte,  soit  à 


PAYS   DE   BARKA  37 


son  prestige,  soit  à  la  personne  ou  aux  biens  de  ses  nationaux 
et  de  ses  protégés. 

Nous  aurons  l'occasion  de  reparler  du  pays  de  Tripoli 
lorsque  nous  envisagerons  les  conditions  de  développement 
des  contrées  voisines. 


Pays  de  Barka. 

A  la  Tripoli  taine  se  rattache,  au  point  de  vue  politique, 
l'ancienne  Cyrénaïque,  ou  pays  de  Barka,  contrée  très  diffé- 
rente de  la  région  de  Tripoli. 

C'est  un  plateau  fertile  et  verdoyant  aux  cimes  dépassant 
1.000  mètres,  nommé  par  les  Arabes  «  la  Montagne  Verte  », 
et  dans  lequel  les  anciens  Grecs  mettaient  l'un  des  empla- 
cements supposés  du  jardin  des  Hespérides.  Le  climat  y  est 
analogue  à  celui  de  l'Italie,  et  le  contraste  entre  cette  région 
et  les  pays  sahariens  qui  l'entourent  l'a  fait  considérer  par 
les  nomades  comme  un  lieu  de  délices. 

Ce  pays  est  cependant  l'un  des  moins  peuplés  et  l'un  des 
plus  délaissés  du  littoral  de  la  Méditerranée,  bien  qu'il  com- 
prenne la  vaste  région  heureusement  située  au  nord  de  la 
dépression  qui,  de  la  frontière  d'Egypte,  va,  par  l'oasis  de 
Faredgha  ou  de  Syouah,  rejoindre  la  Grande  Syrte.  On  n'y 
compte  pas  plus  de  300.000  habitants. 

On  sait  combien  étaient  nombreuses,  autrefois,  les  rela- 
tions de  la  Cyrénaïque  avec  le  reste  du  monde  ancien  ;  aussi 
doit-on  s'étonner  que  l'influence  de  l'Europe  n'ait  pas  plus 
puissamment  agi  sur  cette  partie  du  monde  africain  si  rap- 
prochée de  la  Grèce  qu'elle  était  considérée,  sous  les  Ro- 
mains, comme  en  faisant  partie. 

C'est  que  la  Cyrénaïque  n'est,  en  quelque  sorte,  qu'une 
île  sans  débouchés.  Entourée  par  la  mer  et  par  le  désert, 
son  avenir  est  limité  par  le  degré  de  prospérité  que  la  fécon- 
dité de  son  sol  peut  lui  donner.  Elle  n'a  pas,  comme  Ja 
Tunisie,  qui  lui  fait  face,  ou  comme  sa  voisine,  la  Tripoli- 


38  l'afrique  politique  en  1900 

taine,  l'avantage  d'avoir  derrière  elle  tout  un  continent  dont 
elle  est  l'entrepôt.  Elle  aura  peut-être,  dans  l'avenir  comme 
par  le  passé,  quelques  ports  qui  seront  autant  d'escales 
avantageuses  pour  le  commerce;  mais,  ne  se  trouvant  pas 
sur  la  grande  route  des  échanges,  elle  risque  d'être  tou- 
jours éclipsée  par  les  pays  voisins  de  l'Est  et  de  l'Ouest. 

On  a  parlé  à  diverses  reprises  de  l'occupation  du  pays  de 
Barka  par  l'Italie.  Certes,  cette  puissance  y  trouverait 
d'autres  avantages  immédiats,  comme  colonie  de  peuple- 
ment, que  dans  l'Erythrée;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que 
c'est,  au  même  degré  que  Tripoli,  une  dépendance  de  la 
Turquie,  et  qu'à  ce  titre  les  puissances  soucieuses  de  l'inté- 
grité de  l'empire  ottoman  ne  sauraient  souscrire  sans  condi- 
tions à  son  occupation  par  un  tiers. 

La  Déclaration  anglo-française  du  21  mars  1899  arrête  au 
15°  de  latitude  nord  la  délimitation  de  la  sphère  d'influence 
française.  L'Angleterre,  a-t-on  dit,  eût  peut-être  été  bien 
aise  d'aller  plus  loin  et  d'amener  une  brouille,  à  ce  sujet, 
entre  la  France  et  l'Italie.  La  diplomatie  française,  en  tous 
cas,  a  été  sagement  inspirée,  tout  en  réservant  la  solution 
de  la  question  d'Egypte,  de  ne  donner  aucun  motif  de  suspi- 
cion à  la  Turquie  comme  à  l'Italie.  Il  a  été  ainsi  possible  de 
faire  accepter  à  cette  dernière  puissance,  qui,  plus  que  jamais, 
avait,  suivant  l'expression  de  Michelet,  «  mal  à  l'Afrique  », 
ce  que  les  événements  avaient  rendu  indispensable,  tout  en 
lui  laissant  l'espérance  d'une  place  à  prendre  sur  le  littoral 
méditerranéen. 

Il  est  utile  de  rappeler  à  ce  sujet  la  thèse  brillamment 
soutenue  par  M.  Francis  Charmes,  dans  un  article  du  Journal 
des  Débats  : 


Nous  avons  respecté  les  droits  de  la  Porte  et  les  espérances  de 
l'Italie.  Et,  s'il  en  avait  été  autrement,  nous  aurions  eu,  nous  aussi, 
des  réserves  à  faire  sur  un  arrangement  qui  aurait  violé  l'intégrité 
de  l'empire  ottoman  et  blessé  les  sentiments  d'une  nation  amie. 
L'intégrité  de  l'empire  ottoman  est  un  des  principes  de  notre  poli- 
tique, et,  quant  à  l'amitié  de  l'Italie,  nous  avons  suffisamment 
montré  quel  prix  nous  y  attachions  pour  ne  pas  en  relâcher  les 


PAYS    DE   BARKA  39 


liens  au  moment  même  où  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  de  les 
resserrer  d'une  manière  plus  étroite  et  plus  intime. 

Nous  n'avons  jamais  eu  la  plus  petite  ambition  du  côté  de  la 
Tripolitaine. 

Aussi,  n'est-ce  pas  tant  de  la  Tripolitaine  qu'on  parle  dans  les 
journaux  italiens  que  de  son  hinterland  :  on  nous  accuse  de  nous 
en  être  attribué  une  partie.  Il  faudrait,  pourtant,  s'entendre  une 
bonne  fois  sur  le  sens  du  mot  «  hinterland  »,  introduit  depuis 
quelques  années  dans  le  vocabulaire  du  droit  des  gens,  mais  qui 
est  resté  singulièrement  vague  et  imprécis.  Où  finit  l'hinteiiand 
d'un  pays?  Quelle  en  est  l'étendue?  Quelle  en  est  la  direction  nor- 
male? 

Tout  le  monde  parle  de  l'hinterland,  personne  ne  le  définit.  Dans 
le  cas  actuel,  que  doit-on  entendre  parla?  L'hinterland  de  la  Tripo- 
litaine, c'est  le  Fezzan,  et  nous  n'y  avons  pas  touché.  Soit,  dira-t-on  ; 
mais  il  ne  suffit  pas  d'avoir  le  Fezzan  comme  hinterland  de  la  Tri- 
politaine; il  faut  encore  avoir  celui  du  Fezzan,  et,  après  ce  second 
hinterland,  on  en  demandera  un  troisième,  et  ainsi  de  suite  sans 
jamais  s'arrêter.  Nous  sommes  dans  le  désert,  et  on  s'en  aperçoit: 
l'hinterland  ainsi  compris  est  un  mirage  qui  fuit  toujours  devant 
les  yeux.  Eh  bien!  suivons-le.  L'hinterland  de  la  Tripolitaine  n'est 
pas  du  tout  dans  la  direction  du  lac  Tchad  ;  il  ne  s'étend  pas  en 
droite  ligne  du  nord  au  sud,  mais  du  nord  au  sud-est,  entre  les 
montagnes  du  Tibesti  et  le  désert  de  Lybie.  C'est  là  que  sont,  à  tra- 
vers les  terres,  les  racines  profondes  de  la  Tripolitaine. 

Qu'on  nous  pardonne  le  mot  :  la  Cyrénaïque  est  le  bon  morceau 
de  la  Tripolitaine. 

Si  la  Tripolitaine  a  un  avenir,  comme  nous  aimons  à  le  croire,  ce 
sera  grâce  à  la  Cyrénaïque;  or,  la  Déclaration  du  21  mars  ne  s'est 
occupée  de  son  hinterland,  aussi  loin  qu'on  voudra  le  pousser,  que 
pour  l'exclure  formellement  des  régions  dévolues  à  la  France. 

La  ligne  qui  a  été  tracée  de  l'extrémité  méridionale  de  la  Tripo- 
litaine et  du  Fezzan  jusqu'au  M'Bomou  se  divise  en  deux  tronçons 
parfaitement  distincts.  La  coupure  est  au  15°  de  latitude.  Au  sud 
du  15°,  la  France  et  l'Angleterre  ont  pris  des  engagements  réci- 
proques à  l'est  et  à  l'ouest  de  la  ligne.  Nous  abandonnons  les  terri- 
toires de  l'est  à  l'Angleterre,  elle  nous  abandonne  les  lerriloires  de 
l'ouest.  Mais,  au  nord  du  15°,  il  n'en  est  plus  de  même.  La  ligne 
tracée  par  la  Déclaration  borne  nos  possessions  à  l'ouest  ;  à  l'est, 


40  l'afrique  politique  en  1900 


la  Déclaration  est  volontairement  muette,- et  rien  n'est  changé  à 
l'état  de  choses  actuel. 

Inutile  d'ajouter  que  le  gouvernement  anglais  aurait  préféré  le 
contraire.  Il  a  lutté  contre  notre  circonspection  ;  mais  nous  n'avons 
pas  cédé.  Tout  l'hinterland  de  la  Tripolitaine  et  de  la  Cyrénaïque  a 
été  maintenu  aux  détenteurs  actuels  de  la  province  ou  à  leurs  héri- 
tiers, s'ils  doivent  en  avoir.  Et  alors  que  peut-on  nous  reprocher  à 
Constantinople  et  à  Rome?  On  nous  reproche  d'avoir  pris  le  Ka- 
nem,  le  Ouadaï,  le  Borkou,  le  Tibesti  :  c'est  la  vérité.  Mais  ils  ne 
font  pas  partie  de  l'hinterland  de  la  Tripolitaine. 

Qu'on  nous  pardonne  cette  longue  citation;  mais  on  ne 
saurait  mieux  dire,  et  les  Italiens  devraient  être  satisfaits  de 
ces  explications  aussi  bien  que  des  sentiments  que  nous  nour- 
rissons à  leur  égard. 

Telle  qu'elle  est,  la  Cyrénaïque  est  donc  destinée  à  rester, 
au  moins  pour  quelque  temps  encore,  la  proie  convoitée 
par  certains. 

Son  régime  politique  n'est  d'ailleurs  point  nettement  défini. 

Le  sultan  da  Constantinople  donne  bien  l'investiture  au 
moutessarif  de  Benghazi;  mais,  en  réalité,  il  n'y  a  d'autre 
autorité  dans  le  pays  que  celle  du  cheikh  des  Senoussias, 
dont  le  délégué  à  Benghazi  a  reçu  le  pouvoir  d'exercer  la 
justice. 

On  repariera  plus  loin  des  Senoussias,  dont  un  des  centres 
de  puissance  est  situé  dans  l'oasis  de  Djerboub,  pays  qui 
dépend  nominalement  de  l'Egypte,  mais  qui  se  rattache 
davantage  à  la  Cyrénaïque.  Entre  les  deux  pays  il  n'existe  d'ail- 
leurs qu'une  frontière  imaginaire,  dont  le  point  dj  départ  est 
au  golfe  de  Saloum.  A  l'intérieur  du  pays  les  populations 
reconnaissent  bien  l'autorité  des  fonctionnaires  turcs,  mais 
ceux-ci  sont  à  la  dévotion  du  cheikh  des  Senoussias.  qui  trou- 
verait à  lever  dans  le  pays  un  grand  nombre  de  partisans. 

Les  points  les  plus  remarquables  di  la  Cyrénaïque  sont  ses 
ports  :  Benghazi,  qui  fait  avec  la  France  un  commerce  assez 
développé;  Derna,  le  golfe  de  Bomba,  désigné  comme  devant 
servir  à  l'établissement  d'un  des  grands  ports  militaires  de 
l'avenir;  Marsa-Soussa,  où  les  Turcs  auraient  l'intention  de 


PAYS    DE    BARKA  41 


créer  un  port  servant  de  débouché  à  une  région  qu'on  peuple 
d'émigrés  musulmans  venus  de  Crète. 

Tobrouk  est  le  port  de  ravitaillement  et  le  débouché  des 
Senoussias  et  de  l'oasis  de  Djerboub. 

Tous  ces  ports  entre  les  mains  d'une  puissance  européenne 
pourraient  prendre  un  certain  développement;  abandonnés 
aux  Turcs,  ils  ne  font  qu'un  commerce  local  de  minime  im- 
portance. 


42  l'afrique  politique  en  1900 


L'ordre  des  Senoussias. 


Historique.  —  Son  expansion.  —  Son  rùle  en  Afrique. 


De  tous  les  ordres  musulmans  auxquels  la  France  se  heurte 
en  Afrique,  un  des  plus  importants,  comme  aussi  des  plus 
irréductibles,  est  celui  des  Senoussias. 

La  fondation  de  l'ordre  des  Senoussias  date  de  1843.  Elle  est 
due  au  cheikh  Senoussi  el  Medjahiri,  originaire  du  Dahra 
algérien,  qui,  réfugié  d'abord  à  La  Mecque,  se  retira  ensuite  en 
Cyrénaïque,  où  il  fonda  sa  première  zaouïa  à  El-Beïda.  Bientôt 
accoururent  autour  de  lui  des  fugitifs  musulmans  de  tous  les 
pays,  qui  augmentèrent  sa  puissance  au  moment  même  où 
son  influence  s'étendait  rapidement  dans  les  pays  environ- 
nants. 

Vers  1855,  se  trouvant  sans  doute  trop  près  de  l'Europe  et 
craignant  la  surveillance  des  Turcs,  il  se  transporta  à  Djer- 
boub,  dans  l'oasis  de  Faredgha,  placée  sous  l'autorité  nomi- 
nale du  khédive,  mais,  en  réalité,  indépendante. 

Là,  le  mahdi  fortifia  sa  puissance,  étendant  partout  en 
Afrique  ses  intelligences  et  le  renom  de  sa  sainteté. 

En  1859,  son  fils  lui  succéda  et  augmenta  encore  l'impor- 
tance de  Djerboub,  où  il  éleva  de  vastes  constructions  servant 
à  la  fois  de  couvents,  de  casernes  pour  3.000  gardes  du  corps, 
d'arsenaux  et  d'entrepôts.  En  relations  avec  l'Europe  par  le 
port  de  Tobrouk,  il  se  procurait  facilement  tous  les  renseigne- 
ments et  toutes  les  armes  nécessaires,  tandis  que,  dans  la  Cyré- 
naïque, les  fonctionnaires  turcs  lui  obéissaient  beaucoup  plus 
qu'au  sultan  et  que,  d'un  signe,  il  aurait  pu  y  lever  une  armée. 

Admirablement  placés  au  point  de  passage  obligé  des  cara- 
vanes de  pèlerins  qui,  du  nord  ou  du  centre  de  l'Afrique,  se 
rendent  à  La  Mecque,  les  Senoussias  se  trouvaient,  par  cela 
même,  en  contact  continuel  avec  les  délégués  du  monde  mu- 


LES   SENOUSSIAS  43 


sulraan  de  l'Afrique  entière  et  pouvaient  ainsi  transmettre, 
rapidement  et  sûrement,  le  mot  d'ordre  à  leurs  affiliés,  dis- 
persés un  peu  partout  dans  le  Soudan,  le  Sahara  et  l'Afrique 
du  Nord. 

C'est  ainsi  que  des  zaouï'a  ou  couvents  se  fondèrent  sur  les 
principales  routes  du  Sahara,  dans  le  but  de  surveiller  et  de 
tenir  au  pouvoir  du  mahdi  de  Djerboub  toutes  les  routes  du 
Soudan. 

En  même  temps,  les  mokaddems  senoussias  parcouraient 
les  pays  musulmans  au  pouvoir  des  infidèles,  pour  prêcher, 
non  point  la  révolte  ouverte,  mais  l'exil  volontaire  et  la  sou- 
mission absolue  aux  ordres  du  cheikh  de  Djerboub. 

Le  but  avoué  des  Senoussias  est,  en  effet,  de  former  une 
confédération  de  tous  les  ordres  religieux  musulmans  et  de 
les  rendre  indépendants  de  toute  autorité  temporelle.  Tout  en 
réprouvant  la  violence,  ils  se  sont  rendus  redoutables  par 
leur  organisation,  leur  discipline  et  leur  solidarité. 

Il  est  vrai  que  la  religion  senoussienne  prescrit  de  refuser 
l'obéissance  au  sultan  s'il  s'écarte  de  la  voie  religieuse;  elle 
défend  de  parler  au  juif  et  au  chrétien,  et,  si  le  chrétien  ou  le 
juif  ne  paie  pas  tribut,  elle  ordonne  de  le  traiter  en  ennemi  et 
même  de  le  tuer.  Il  y  a  peu  de  Senoussias  en  Algérie,  et  ce- 
pendant la  France  est  à  peu  près  la  seule  puissance  jusqu'ici 
combattue  par  eux. 

Aujourd'hui,  les  Senoussias  ont  des  adhérents  partout,  du 
Congo  à  la  Méditerranée  et  du  Sénégal  à  l'Euphrate,  et  l'on 
estime  à  plus  de  deux  millions  le  nombre  des  fidèles  qui 
suivent  la  doctrine,  paient  l'impôt  et  reçoivent  le  mot  d'ordre 
de  leur  cheikh  El  Mahdi  Ou!d  Si  Mohammed  es  Senoussi. 

En  même  temps  que  la  conquête  spirituelle,  les  Senoussias 
faisaient  aussi  la  conquête  réelle  et  complète  de  certains 
pays  africains.  Le  pays  de  Barka  était  presque  immédiatement 
devenu  leur  fief,  ainsi  que  les  oasis  voisines.  Une  zaouï'a  im- 
portante, fondée  à  El-Istat,  dans  l'oasis  de  Koufra.  fut  chargée 
de  surveiller  les  routes  de  l'Egypte  au  Tchad  et  de  Tripoli  à 
Khartoum.  Bientôt  le  Ouadaï  tout  entier,  travaillé  par  des  émis- 
saires, tomba  sous  le  pouvoir  du  madhi,  dont  l'autorité  s'éten- 


44  l'afriquë  politique  en  1900 

dit  également  sur  le  Kanem  et  jusqu'au  delà  du  Baguirmi. 
Mais  il  vint  se  heurter,  dans  le  Soudan  égyptien,  à  l'influence 
d'un  autre  mahdi,  celui  qui  devait  soulever  contre  l'Egypte  le 
Kordofan  et  le  Darfour.  Repoussé  de  ce  côté,  il  continua  sa 
propagande  à  travers  le  Sahara,  fondant  d'importantes 
zaouïas  à  Rhat,  à  Insalah,  et  chercha  à  gagner  spécialement 
les  Touareg,  qui  sont  jusqu'ici  les  maîtres  incontestés  du 
commerce  du  Soudan. 

Actuellement,  les  Senoussias  tiennent  sous  leur  domina- 
tion effective  ou  indirecte  le  Sahara  oriental  avec  la  Cyré- 
naïque,  une  partie  de  la  Trjpolitaine,  le  Kanem  et  le  Ouadaï. 
Mais,  bien  que  leur  influence  s'exerce  puissamment  sur  les 
Touareg,  au  delà  de  la  route  de  Tripoli  au  Tchad,  il  semble 
cependant  que  des  signes  de  décadence  se  soient  déjà  mani- 
festés et  que  la  propagande  ne  soit  plus  aussi  active  que  par  le 
passé. 

Le  voyageur  Duveyrier  disait  des  Senoussias  : 

La  confrérie  est  l'ennemie  irréconciliable  et  absolument  dange- 
reuse de  la  domination  française  dans  le  nord  de  l'Afrique  et  de 
tous  les  projets  tendant  soit  à  étendre  notre  influence,  soit  à  aug- 
menter la  somme  de  nos  counaissances  sur  le  continent  au  nord 
de  l'équateur. 

Bien  d'autres  appréciations  plus  alarmantes  encore  ont  été 
émises  sur  les  visées  du  prophète  et  de  ses  partisans. 

On  a  vu  la  main  des  Senoussias  clans  le  massacre  de  la  mis- 
sion Flatters  et  dans  la  résistance  des  Touareg  à  toute  tenta- 
tive faite  par  la  France  pour  pénétrer  le  Sahara. 

On  leur  a  attribué  la  résistance  de  Laghouat  en  1852,  la  ré- 
volte des  Ouled-Sidi-Cheikh  en  1879-1881,  l'insurrection  de 
Mahmadou  Lamine  au  Sénégal  en  1886,  l'assassinat  de  Dour- 
naux-Duperré  (1874),  de  Flatters  (1881),  de  Palat  (1886). 

La  police  des  Senoussias  est  admirablement  faite.  Tout  visi- 
teur est  signalé  à  Djerboub  longtemps  à  l'avance,  et  des  postes 
de  courriers  à  mehara  sont  organisés  sur  toutes  les  routes 
du  désert. 

Mais  il  faut  reconnaître,  d'un  autre  côté,  que  leurs  progrès, 


LES    SENOUSSIAS  4Î> 


peu  sensibles  dans  le  Sud  algérien,  ont  été  à  peu  près  nuls  en 
Tunisie,  que  les  Touareg-Azdjers  ne  se  sont  point  montrés 
trop  rebelles  à  l'influence  française  et  que,  dans  ces  derniers 
temps,  MM.  Méry,  d'Attanoux  et  Foureau  ont  pu  accomplir 
leurs  missions  sans  trop  d'obstacles  visibles  de  la  part  des 
Senoussias.  Le  colonel  Monteil,  qui  les  a  approchés  le  plus 
près,  en  parle  comme  d'une  secte  purement  religieuse  et  peu 
dangereuse  au  point  de  vue  politique.  Il  signale,  cependant, 
le  fait  que  la  tribu  nomade  des  Ouled-Sliman  est  entièrement 
gagnée  au  nouveau  prophète  et  qu'elle  constitue  un  moyen  de 
propagande  actif  et  énergique  sur  tous  les  pays  voisins  de  la 
route  de  Tripoli  au  Tchad.  D'ailleurs,  n'y  aurait-il  pas  un  in- 
dice de  crainte,  de  la  part  du  mahdi,  dans  ce  fait  qu'il  se 
serait  définitivement  retiré  de  Djerboub  dans  l'oasis  de  Kou- 
fra,  où  il  vient  de  fonder  une  nouvelle  zaouïa,  après  avoir 
installé  son  fils  à  sa  place  à  Djerboub?  Cette  intention  sem- 
blerait dénoter  le  souci  de  reporter  plus  au  Sud,  hors  des 
atteintes  du  roumi,  le  centre  de  la  propagande  religieuse, 
sans  paraître,  cependant,  rien  abandonner  des  conquêtes 
passées. 

L'absence  de  renseignements  sur  ce  personnage  mysté- 
rieux ne  permet  pas  de  tirer  des  conclusions  certaines  au 
sujet  de  son  action  réelle  sur  les  pays  africains  et  de  ses  inten- 
tions futures. 

On  a  prétendu  que  son  changement  de  résidence  lui  avait 
été  inspiré  par  la  politique  anglaise,  désireuse  de  contrecarrer 
l'influence  française  et  de  faire  surveiller  plus  étroitement  les 
routes  du  Soudan  par  les  Senoussias,  mieux  placés  pour  cela 
à  Koufra  qu'à  Djerboub. 

Les  Anglais  paraissent,  en  effet,  avoir  eu  des  intelligences 
particulières  avec  le  cheikh  des  Senoussias.  Tout  récemment, 
à  la  fin  de  1898,  un  voyageur  anglais,  M.  White,  a  pu,  sans  trop 
de  difficultés,  visiter  l'oasis  de  Jupiter  Ammon  et  en  donner 
une  description.  Ces  intelligences  pourraient  bien  ne  pas 
durer  longtemps.  Au  mois  de  novembre  dernier,  on  a  annoncé 
le  départ  du  mahdi  de  Koufra  pour  le  Soudan  occidental;  on 
a  ajouté  qu'il  était  poussé  par  les  Turcs  et  accompagne  de 


46  L' AFRIQUE   POLITIQUE    EN    1900 

nombreux  partisans.  Cette  offensive,  suivant  de  près  l'action 
de  Rabah  contre  le  Baguirmi  et  le  Ouadaï,  la  marche  de  la 
mission  Foureau-Lamy  et  le  massacre  de  la  mission  Breton- 
net,  témoigne  que  des  événements  importants  ne  tarderont 
pas  à  se  produire  aux  environs  du  Tchad. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  divergence  même  des  opinions 
émises  au  sujet  du  prophète  indique  la  nécessité  de  surveil- 
ler ses  agissements  et  de  les  combattre  par  tous  les  moyens 
et,  notamment,  par  la  concurrence  des  sectes  musulmanes 
que  la  France  a  pu  rallier  à  ses  vues  et  à  son  influence. 


TUNISIE  47 


Tunisie. 


Succès  de  la  politique  française  en  Tunisie.  —  Situation  économique  du  pays. 
Son  rôle  méditerranéen.  —  Le  port  de  Bizerte.  —  L'Italie  en  Tunisie. 


Le  succès  de  la  colonisation  française  en  Tunisie  tient  à  de 
très  nombreuses  causes. 

C'est  d'abord  le  régime  autonome,  parfois  réformateur, 
mais,  le  plus  souvent,  sagement  conservateur,  accordé  au 
pays;  l'homogénéité  du  territoire  tunisien,  qui  ne  présente 
point,  comme  en  Algérie,  trois  zones  distinctes,  la  similitude 
de  ces  contrées  avec  certaines  régions  du  sud  de  la  France  et 
la  salubrité  de  son  climat.  C'est  ensuite  l'heureuse  situation 
du  pays,  orienté  vers  deux  bassins  de  la  Méditerranée  et  sus- 
ceptible de  subir  plus  facilement  les  influences  étrangères,  le 
grand  développement  des  côtes,  et,  enfin,  l'existence  d'une 
population  tranquille  et  sans  fanatisme,  qui  sait  vivre  à  côté 
de  l'Européen  et  qui  accueille  avec  un  intérêt  évident  les  ma- 
nifestations multiples  de  la  civilisation. 

Il  semble,  aujourd'hui,  que  la  Tunisie  est  définitivement 
entrée  dans  l'orbite  de  la  France. 

Le  moment  n'est  cependant  pas  encore  venu  où  l'opinion 
italienne,  prise  dans  son  ensemble  et  mise  en  présence  du 
fait  accompli,  reconnaîtra  sans  arrière-pensée  les  bons  effets 
du  protectorat  français  en  Tunisie;  mais  on  constate  que  toute 
année  qui  se  termine  contribue  à  asseoir  plus  solidement  l'in- 
fluence française  dans  ce  pays  (1). 


(1)  Population  civile  française  en  Tunisie  : 

En  1880 708  habitants. 

1891 10.030        — 

1896 10.534        — 

1899 20.000        —         environ. 

Non  compris  les  sujets  français  musulmans  ou  israélites  qui  n'ont  pas  qualité 
de  citoyens  français. 
11  y  a  en  Tunisie  90.000  étrangers,  en  grande  partie  Italiens  et  Maltais. 
La  superficie  de  la  Tunisie  est  de  13  millions  d'hectares,  dont  la  moitié  impro- 
pres à  la  culture. 


48  l'afriqle  politique  en  1900 

On  doit  cet  heureux  résultat  à  la  sagesse  du  régime  poli- 
tique imposé  à  la  Tunisie  et  aux  conséquences  directes  de  la 
tranquillité  ininterrompue  dont  elle  a  joui  depuis  l'occupation 
française. 

Une  rapide  esquisse  des  conditions  économiques  actuelles 
de  la  Régence  donnera  la  mesure  de  sa  prospérité. 

La  loi  du  19  juillet  1890,  qui  a  ouvert  le  marché  français  aux 
produits  tunisiens,  a  donné  un  vif  essor  au  commerce  de  la 
Régence. 

De  5  millions  en  1886,  les  exportations  passaient,  dès  1894, 
à  26  millions.  En  1895,  un  an  environ  avant  la  conclusion  du 
nouveau  traité  italo-tunisien,  le  mouvement  général  des  im- 
portations et  des  exportations  atteignait  85  millions,  dont 
65  millions  pour  la  France,  10  millions  pour  l'Italie,  12  mil- 
lions pour  l'Angleterre  (6  millions  pour  Malte). 

En  1899,  le  commerce  général  s'est  élevé  à  105.211.701  fr., 
dont  55.778.241  pour  les  importations  qui  sont,  comme  les 
exportations,  en  progression  constante. 

Pour  2  millions  d'habitants,  le  budget  tunisien  est  d'environ 
25  millions  (1).  Les  impôts,  qui  rentrent  régulièrement,  chose 
si  rare  en  pays  musulman,  laissent  annuellement  un  excédent 
de  10  p.  100.  On  ne  demande,  d'ailleurs,  au  contribuable  que 
13  francs  environ  par  tète  (90  francs  en  France),  et  l'indigène 
est  heureux  de  recevoir,  en  retour,  des  travaux  publics  dont 
la  dotation,  pendant  les  seize  premières  années  du  protectorat, 
a  dépassé  100  millions. 

Avec  cette  dépense,  qui  n'a  rien  coûté  à  la  France,  on  a 
pu  terminer  à  peu  près  l'outillage  des  côtes,  construire  des 
phares,  achever  les  ports  de  Tunis,  de  Sfax  et  de  Sousse, 
creuser  des  ports  de  pèche,  créer  le  port  de  Bizerte,  qui  n'aura 
pas  coûté  moins  de  12  millions  au  budget  tunisien.  A  l'inté- 
rieur, le  réseau  ferré  a  été  considérablement  augmenté  par  la 
construction  récente  des  lignes  de  Tunis  à  Sousse  (152  kilo- 


(1)  Pour  1899,  le  budget  tunisien  s'est  élevé  à  2't. "33.100  francs  aux  recettes  et  à 
pareil  chiffre  aux  dépenses. 


TUNISIE  49 

mètres),  de  Tunis  à  Zaghouan  (48  kil.),  de  Sousse  à  Moknine. 
La  ligne  de  Sfax  à  Gafsa  (244  kil.)  est  terminée  (1)  et  s'annonce 
comme  devant  changer  la  face  des  régions  traversées,  con- 
trées arides,  autrefois  couvertes  de  forêts  d'oliviers  par  les 
Romains;  les  phosphates  de  Gafsa  qu'elle  déversera  sur  le 
port  de  Sfax,  commencé  en  1896  et  inauguré  en  mai  1899,  sont 
considérés  comme  un  élément  de  richesse  inouïe,  attirant 
dans  un  pays,  jadis  déshérité,  la  main-d'œuvre  européenne  et, 
avec  elle,  toutes  les  ressources  de  la  civilisation  (2). 

Le  voyage  entrepris  en  Tunisie,  au  mois  de  mai  1899, 
par  M.  Krantz,  ministre  des  travaux  publics,  à  l'occasion  de 
l'inauguration  du  monument  de  Jules  Ferry,  cet  illustre 
parmi  nos  coloniaux,  a  pu  donner  lieu  à  des  manifestations 
diverses;  il  aura  toutefois  produit  ce  résultat  de  mettre  davan- 
tage en  lumière  les  effets  obtenus,  non  seulement  par  le  sys- 
tème du  protectorat  qui  assure  au  pays  la  richesse,  le  prestige 
et  une  tranquillité  inconnue  en  Algérie,  par  l'augmentation 
du  commerce  qui  a  triplé  depuis  quinze  ans  et  a  atteint 
90  millions  en  1898,  mais  aussi  par  le  développement  déjà 
prévu  pour  les  travaux  de  l'avenir. 

C'est  ainsi  que  la  ligne  de  Gafsa  à  Tozeur  est  décidée,  ainsi 
qu'un  tronçon  de  Moknine  à  Sfax,  et  que  des  propositions  ont 
été  adressées  à  l'administration  au  sujet  des  lignes  de  Kai- 
rouan  à  Thala  et  de  Pont-du-Fahs  au  Kef. 

Si,  comme  on  l'a  dit,  l'œuvre  de  la  colonisation  est  contenue 


(1)  Le  chemin  de  fer  de  Sfax  à  Gafsa,  commencé  en  septembre  1897,  a  été 
terminé  le  1"  janvier  1899.  Ses  244  kilomètres,  effectués  d'après  la  méthode  em- 
ployée pour  le  Transsibérien,  ont  été  construits  avec  une  vitesse  qui  a  dépassé, 
sur  certains  points,  l.'jOO  mètres  par  jour.  C'est  un  heureux  précédent  pour  le 
Transsaharien. 

(2)  Les  gisements  de  phosphates  s'étendent  de  Tamerza  à  l'oued  Stah,  à  20  kilo 
mètres  ouest  de  Gafsa,  sur  50  kilomètres  de  long  et  10  kilomètres  de  large  et  sur 
une  couche  de  2  à  4  inètres.  Ils  ont  été  découverts,  en  L885,  par  .M.  Thomas,  qui 
en  avait  déjà  signalé  dans  le  sud  de  la  province  d'Alger,  ainsi  qu'à  Téb»ssa.  où 
l'exploitation,  commencée  en  1892,  fournit  200.000  tonnes  par  an.  On  évalue  a 
7  millions  de  tonnes  la  quantité  de  phosphates  existant  dans  la  région  de  Gafsa. 

La  Compagnie  des  phosphates,  au  capital  de  18  millions,  a  reçu,  en  échange  d< 
la  concession  des  gisements  et  de  30.000  hectares  de  terrain,  la  charge  de  con- 
struire le  chemin  de  fer  sans  garantie  ni  subvention  et  l'obligation  de  payer 
1  franc  de  redevance  par  tonne  de  phosphate  exporté'. 

Ai.  polit.  4 


50  l'afrique  politique  en  1900 

presque  en  entier  dans  un  programme  de  travaux  publics,  la 
Tunisie  s'est  vraiment  réservé,  avec  l'aide  de  la  France,  un 
avenir  plein  de  promesses. 

Un  des  événements  politiques  les  plus  importants  de  ces 
dernières  années  a  été,  en  Tunisie,  l'ouverture  du  port  de 
Bizerte  à  la  marine  militaire  et  marchande. 

Le  lac  de  Bizerte  a  12  kilomètres  de  diamètre  avec  des  fonds 
permanents  de  10  à  12  mètres.  Il  est  séparé  de  la  mer  par  une 
langue  de  sable  de  2  kilomètres  de  large,  supportant  des  bat- 
teries dont  les  feux  sont  dirigés  vers  la  haute  mer,  et  percée 
d'une  passe  de  120  mètres  de  large  et  de  9  mètres  de  fond. 
Deux  jetées  de  1  kilomètre  de  long  protègent  l'entrée  du  port 
contre  les  sables,  et  comprennent  un  avant-port  d'une  sur- 
face de  100  hectares. 

Pour  la  première  fois,  en  1895,  nos  cuirassés  ont  pu  pé- 
nétrer dans  ce  vaste  lac  intérieur. 

Ce  fait,  dont  le  retentissement  a  été  profond  en  Italie 
comme  en  Angleterre,  a  eu  pour  résultat  de  nous  créer  une 
situation  militaire  favorable  et  enviée  dans  le  bassin  occi- 
dental de  la  Méditerranée. 

L'Angleterre,  par  Gibraltar,  Malte,  Chypre  et  l'Egypte, 
coupait  à  chaque  pas  les  communications  entre  les  divers 
bassins  de  cette  mer. 

L'Italie,  avec  la  Sicile,  la  Sardaigne  et  Pantelleria,  rêvait 
toujours  de  Bizerte,  qui  lui  eût  permis  d'élever  entre  les 
deux  bassins  de  la  Méditerranée  une  barrière  de  forteresses. 

La  France  a  pu  heureusement  et  sans  complications  mener 
à  bien  une  entreprise  qui  a  pour  résultat  de  rétablir  l'équi- 
libre des  forces  dans  cette  partie  de  l'Afrique.  A  l'occupation 
de  Malte  et  aux  menaças  italiennes,  elle  a  répondu  par  l'amé- 
nagement et  la  fortification  du  port  de  Bizerte,  devenu  non 
seulement  une  rade  de  refuge,  mais  aussi  une  position  offen- 
sive de  premier  ordre.  Relié  par  une  voie  ferrée  au  chemin 
de  fer  de  Tunis  a  Constantine,  le  lac  de  Bizerte,  possédant  des 
communications  assurées  avec  l'intérieur,  débouchant  vers 
la  mer  par  une  passe  fortifiée,  tenu  à  l'abri  de  toute  attaque 


TUNISIE  51 

venant  du  large,  forme  un  des  points  stratégiques  les  plus 
remarquables  de  la  Méditerranée. 

Déjà  utilisé  par  le  commerce,  il  a  vu  son  tonnage  aug- 
menter rapidement,  grâce  à  l'outillage  moderne  dont  il  com- 
mence à  être  doté.  Déjà  il  fait  concurrence  à  Tunis  et  attire 
de  son  côté  les  produits  de  la  vallée  de  la  Medjerdah,  en 
même  temps  qu'il  rend  plus  courte  la  route  de  Marseille  à 
Tunis.  On  peut,  dès  maintenant,  lui  prédire  de  brillantes 
destinées  au  point  de  vue  commercial.  Il  en  est  de  même  au 
point  de  vue  militaire,  après  les  expériences  qui  ont  été  faites 
depuis  le  13  mai  1896,  date  à  laquelle  trois  cuirassés,  deux 
croiseurs  et  sept  torpilleurs  de  haute  mer  sont  entrés  et  ont 
évolué  dans  le  lac,  établissant  ainsi  la  valeur  de  ce  nouveau 
point  d'appui  et  de  l'accroissement  de  puissance  qu'il  donne 
à  la  France  en  Méditerranée.  Le  souvenir  du  voyage  effectué 
en  octobre  1898  par  M.  Lockroy,  ministre  de  la  marine,  est 
encore  présent  à  l'esprit  de  nos  militaires  et  de  nos  marins 
et  fournit  la  preuve  nouvelle  de  toute  l'importance  qu'on 
attache,  dans  nos  sphères  gouvernementales,  au  développe- 
ment du  port  de  Bizerte  (1). 

L'organisation  de  Bizerte  a  été  complétée  au  commence- 
ment de  1899  par  l'envoi  de  renforts  tirés  momentanément  de 
la  métropole  et  par  la  nomination  d'un  capitaine  de  vaisseau 
comme  commandant  de  la  marine  en  Tunisie.  Cet  officier  su- 
périeur relèverait,  en  temps  de  guerre,  du  contre-amiral  com- 
mandant de  la  marine  en  Algérie.  Tout  récemment  la  place  de 
Bizerte  a  reçu  un  gouverneur  militaire  et  il  est  prévu,  pour 
elle,  dans  le  plan  général  de  défense  des  côtes,  un  crédit  de 
38  millions. 


(1)  Les  forces  militaires  françaises  stationnées  en  Tunisie  comprennent  uni- 
division  de  troupes  de  toutes  armes. 

Ces  forces  s'élèvent  à  environ  Li.OOO  hommes  et  sont  à  peine  suffisantes  pour  dé- 
fendre le  pays  contre  les  corps  d'armée  stationnés  en  Sicile  et  dans  l'Italie  méri- 
dionale et  contre  les  10  à  15.000  Anglais  constamment  maintenus  à  Malte. 

La  transformation  progressive  de  Bizerte  en  port  militaire  entraînera  vraisem- 
blablement la  progressive  augmentation  de  ces  effectifs.  Il  faut  y  ajouter  la  garde 
baylicale,  qui  compose  à  elle  seule  toute  l'armée  tunisienne  et  n prend  un  ba- 
taillon d'infanterie,  une  batterie  d'artillerie  et  un  détachement  de  cavalerie. 


l'afriqi'E  politique  en  1900 


Non  moins  important,  dans  les  annales  tunisiennes,  ait 
point  de  vue  à  la  fois  politique  et  économique,  est  le  renou- 
vellement, conclu  le  28  septembre  1896,  pour  une  période  de 
neuf  années,  du  traité  de  commerce  italo-tunisien. 

Le  traité  précédent,  conclu  en  1868  pour  une  période  de 
vingt-huit  ans,  venait  à  expiration  le  1er  octobre  1896,  et  son 
renouvellement  était  pour  l'Italie  un  sujet  de  préoccupations 
que  justifiait  assez  l'importance  des  produits  échangés  autant 
que  les  intérêts  des  nombreux  Italiens  émigrés  en  Tunisie  (1). 
La  question  capitale  à  envisager  était,  pour  la  France,  l'aboli- 
tion des  capitulations,  qui  devait  entraîner,  par  le  fait,  la  re- 
connaissance par  l'Italie  du  protectorat  français.  Ce  résultat 
fut  obtenu  par  des  concessions  consenties  ou  continuées  au 
commerce  italien. 

Le  statu  quo  est  maintenu  pour  le  régime  des  écoles 
italiennes,  de  la  pêche,  du  cabotage.  Des  avantages  sont 
accordés  au  sujet  des  tarifs  douaniers,  et  des  stipulations 
particulières  règlent  les  points  relatifs  à  la  navigation,  le 
traitement  des  sujets  des  deux  nations  en  matière  d'établis- 
sement et  de  trafic,  le  service  consulaire  et  les  extraditions. 

La  Correspondance  de  Vienne,  qui  passe  pour  recevoir  des 
communications  officieuses  de  certains  gouvernements  euro- 
péens, commentait,  en  octobre  1896,  la  conclusion  de  cet 
accord  dans  les  termes  suivants,  en  envisageant  cet  événe- 
ment sous  son  véritable  point  de  vue  : 

Le  point  principal  des  négociations  entamées  à  Paris  concerne 
les  capitulations  existantes  à  Tunis  et  datant  du  temps  de  la  domi- 
nation turque.  Or,  le  gouvernement  français  est  d'avis  que,  main- 
tenant que  l'ordre  règne  à  Tunis,  grâce  à  l'administration  française, 
lesdites  capitulations  n'ont  plus  de  raison  d'être.  L'Autriche-Hon- 
grie, l'Allemagne  et  la  Russie  ont  déjà  renoncé  aux  anciennes  capi- 
tulations, la  première  en  échange  de  la  renonciation  par  la  France 


(1)  En  ce  qui  concerne  seulement  la  culture  de  la  vigne,  le  nombre  des  viticul- 
teurs italiens  a  passé  de  80  à  2~t>  de  1891  à  1898.  Il  vient  de  se  fonder  deux  So 
ciétés  siciliennes  qui  ont  acheté  3.000  hectares  où  vont  être  installées  200  familles 
italiennes. 


TTNISIE  53 


•à  l'application  à  ses  vins  de  la  clause  bien  connue  du  traité  austro- 
italien. 

Ce  qu'il  y  avait  de  plus  difficile  dans  cette  affaire,  c'était  de  mettre 
d'accord  la  France  et  l'Italie,  surtout  alors  que  le  cabinet  Crispi,  en 
raison  de  l'importance  de  la  colonie  italienne  à  Tunis,  ne  voulait 
pas  pendant  longtemps  se  rendre  aux  exigences  de  la  France.  Mais, 
depuis  l'avènement  du  cabinet  di  Rudini  et  surtout  depuis  que  le 
marquis  Visconti  Venosta  se  retrouve  à  la  tête  de  la  Consulta,  les 
dispositions  de  l'Italie  ont  pris  une  tournure  plus  amicale.  En  se 
décidant  à  renoncer  aux  capitulations,  l'Italie  a  certainement  fait 
un  grand  sacrifice  et  a  prouvé  clairement  combien  elle  désire  entre- 
tenir des  relations  amicales  avec  la  France,  dans  l'intérêt  de  la  paix 
européenne.  Dans  le  nouveau  traité  de  commerce  italo-lunisien, 
tous  les  intérêts  et  tous  les  droits  garantis  d'une  manière  générale 
par  les  anciennes  capitulations  devaient  être  spécifiés  et  définis, 
comme  cela  est  d'usage  dans  les  traités  entre  des  puissances  civili- 
sées. Il  y  a  là  l'aveu  tacite  de  l'Italie  que  la  Tunisie  est  traitée  comme 
un  territoire  français  et,  par  là,  parait  éliminée  une  des  divergences 
les  plus  délicates  qui  existaient  entre  les  deux  pays  voisins. 


Deux  années  se  sont  écoulées  depuis  l'accord  italo-tunisien 
conclu  avec  l'espoir  et  sous  la  condition  tacite  de  voir  cesser 
les  revendications  italiennes. 

Il  a  suffi  que  la  France  se  soit  trouvée  engagée  avec  l'An- 
gleterre, dans  le  conflit  de  Fashoda,  pour  qu'un  homme  d'État 
italien  crût  le  moment  venu,  en  octobre  1898,  de  raviver  les 
espérances  de  ses  compatriotes. 

Au  cours  d'un  voyage  accompli  en  Sicile  par  trois  ministres 
de  la  péninsule,  M.  Nasi,  ministre  des  postes  et  télégraphes, 
a  prononcé,  à  Trapani,  en  face  de  la  côte  africaine,  un  dis- 
cours dont  les  idées  furent  désavouées  quelques  jours  plus 
tard,  mais  dont  nous  croyons  devoir  citer  les  passages  es- 
sentiels : 


Ce  qui  doit  être  un  sujet  de  profonde  émotion  pour  l'àme  de  tout 
Italien,  c'est  la  présence  parmi  nous  de  représentants  de  la  colonie 
italienne  de  Tunis.  Mes  collègues  —  qui  ont  pu  recueillir  la  preuve 
que  la  pensée  par  moi  affirmée  plusieurs  fois  dans  le  Parlement 
n'était  pas  l'expression  d'un  vain  sentimentalisme,  ni  le  désir  de 
maintenir  ouverte  une  question  déjà  fermée  —  mes  collègues,  dis- 
je,  peuvent  constater  aujourd'hui  que  cette  colonie  est  une  conti- 


54  l'afrique  politique  en  1900 


nuation  de  notre  patrie  et  que,  si  la  terre  qu'elle  habite  ne  nous 
appartient  pas,  cependant  son  àme  est  à  nous,  et  que  les  nombreux 
et  grands  intérêts  que  nous  avons  là-bas  méritent  respect,  tutelle  et 
défense. 

Il  est  vain  de  récriminer  vis-à-vis  des  faits  accomplis,  mais  le 
passé  ne  doit  pas  être  sans  enseignements  pour  l'avenir.  J'ai  dit  à  la 
Chambre  que,  même  si  le  nombre  de  nos  ressortissants  était 
moindre  ou  tout  à» fait  minime,  les  questions  qui  ont  trait  à 
Tunis  seraient  toujours  d'un  grand  intérêt  italien.  L'histoire  de 
tous  les  temps  enseigne  que  l'Italie  ne  peut  avoir  de  sécurité  si  elle 
n'est  pas  protégée  du  côté  de  la  mer  et  qu'elle  n'y  peut  être  en  sû- 
reté si  notre  défense  n'est  pas  proportionnée  aux  dangers  qui  peu- 
vent surgir  là  où  autrefois  s'élevait  Carthage. 

Nous  nous  réjouissons  avec  vous,  représentants  de  la  colonie 
tunisienne,  que  vous  ayez  conservé  cette  idée  et  ce  sentiment 
italiens. 

Tandis  que  toutes  les  puissances  se  disputent  la  possession  de 
terres  lointaines,  ce  serait  non  seulement  commettre  une  impar- 
donnable erreur,  mais  se  rendre  coupable  de  lèse-patriotisme  que 
d'abandonner  la  défense  de  nos  colonies,  notre  droit  d'exercer  une 
part  d'influence  dans  le  monde  et  d'assurer  à  nos  courants  d'émi- 
gration sécurité,  prospérité  et  respect. 


La  réponse  à  ce  discours  ne  se  fit  pas  longtemps  attendre. 
Peu  de  jours  après  était  signé  à  Paris  le  nouveau  traité  de 
commerce  conclu  entre  la  France  et  l'Italie. 

Cette  esquisse  trop  rapide  suffit  à  montrer  les  remarquables 
résultats  obtenus  en  Tunisie  par  une  politique  prudente  et 
ferme. 

On  a  fait  pressentir  les  conséquences  qui  pouvaient  en 
découler  au  point  de  vue  des  questions  méditerranéennes.  On 
verra  plus  loin  quels  effets  on  peut  en  attendre  en  ce  qui 
concerne  le  développement  de.  l'influence  française  dans  les 
territoires  de  l'intérieur. 


ALGÉRIE  55 


Algérie. 


Condition  actuelle  de  l'Algérie  [commerce,  chemins  de  fer,  population,  etc.).  — 
Les  tendances  séparatistes.  —  Besoins  et  demandes  des  colons.  —  Ce  que  l'Al- 
gérie coûte  à  la  France.  —  L'ordre  des  Tidjania.  —  L'armée  d'Afrique.  —  La 
pénétration  vers  le  Sud. 


L'Algérie,  si  bien  nommée  «  la  France  nouvelle  »  (1),  néces- 
siterait un  ouvrage  spécial.  Il  serait  trop  long  d'analyser  les 
événements  récents  qui  ont  pu  se  passer  dans  cet  intéressant 
pays.  On  n'en  retiendra  que  ce  qui  a  trait  à  sa  situation  d'en- 
semble, à  ses  relations  avec  les  pays  voisins  et  au  rôle  que 
l'Algérie,  prolongement  de  la  France,  pourra  jouer  dans  les 
événements  futurs. 

Quelles  que  soient  les  appréciations,  souvent  intéressées, 
que  l'on  a  portées  sur  notre  colonie,  les  faits  sont  là  pour  dé- 
montrer que  son  développement  prend  tous  les  jours  une 
extension  plus  grande. 

La  France  ne  saurait  trop  se  féliciter  des  résultats  obtenus, 
au  point  de  vue  agricole,  par  la  constitution  des  vignobles 
algériens,  l'exploitation  des  céréales,  l'élevage  des  moutons, 
l'extraction  des  produits  des  mines  et  les  perfectionnements 
des  moyens  de  production  agricoles  et  industriels. 

C'est,  comme  partout  ailleurs,  par  la  construction  d'un  im- 
portant réseau  de  routes  et  de  quelques  voies  ferrées,  encore 
trop  peu  nombreuses,  que  l'on  a  le  plus  développé  la  produc- 
tion et  le  commerce  algériens. 

Dans  son  rapport  distribué  au  Sénat  en  1895,  M.  Labiche, 
rapporteur  de  la  commission  de  l'Algérie,  signalait  les  avan- 
tages inappréciables  que  la  colonie  avait  tirés  du  développe- 
ment de  son  réseau  ferré. 


Il)  Edmond  Aboul. 


56  l'afrique  politique  ex  1900 


En  matière  de  colonisation,  ajoute-t-il,  il  est  difficile  d'espérer 
des  résultats  immédiats;  on  travaille  surtout  pour  l'avenir.  En  ce 
qui  concerne  l'Algérie,  l'avenir  ne  s'est  pas  fait  attendre  bien  long- 
temps. 

En  1865,  époque  où  les  premiers  tronçons  du  réseau  ferré  ont  été 
construits,  le  commerce  général  se  chiffrait  par  265.814.224  francs, 
les  importations  dépassant  les  exportations  de  39  p.  100. 

En  1886,  le  réseau  actuel  étant  presque  entièrement  terminé,  ce 
commerce  atteignait  418.567.014  francs,  les  importations  ne  l'em- 
portant plus  que  de  11  p.  100  sur  les  exportations. 

En  1893,  année  que  nous  avons  signalée  comme  ayant  été  moins 
favorable,  le  chiffre  total  du  commerce  s'élevait  à  432.326.51 6  francs, 
et,  malgré  la  moins-value  de  la  production  algérienne,  l'impor- 
tance des  exportations  ne  le  cédait  encore  que  de  19  p.  100  à  celle 
des  importations. 

En  1890,  les  exportations,  s'élevant  à  293.029.623  francs,  ont  dé- 
passé les  importations,  qui  n'ont  atteint  que  272.947.618  francs  (1). 

M.  Labiche  concluait  en  invitant  le  gouvernement  à  encou- 
rager par  tous  les  moyens  la  construction  des  voies  ferrées  et 
les  procédés  de  colonisation. 

Les  chemins  de  fer,  indispensables  au  point  de  vue  écono- 
mique, ne  sont  pas  moins  nécessaires  en  ce  qui  concerne  l'état 
social  d'une  colonie  qui  doit  se  préoccuper  de  l'absorption  des 
divers  éléments  européens  composant  sa  population  (2). 

Une  page  du  rapport  cité  plus  haut  donne,  malgré  son  opti- 


(i)  D'une  statistique  présentée  au  congrès  de  géographie  d'Alger  par  la  chambre 
de  commerce  de  cette  ville  (mars  1899),  il  résulte  qu'en  1898  les  entrées  dans  le 
port  d'Alger  ont  été  de  4.077  navires  (dont  917  français  et  225  anglais),  représen- 
tant un  tonnage  de  3.430.022  tonnes.  En  1888,  le  mouvement  des  entrées  avait  été 
de  2.529  navires,  avec  un  tonnage  de  1.310.000  tonnes.  En  1898,  les  sorties  ont  été 
de  4.074  navires,  jaugeant  3.437,320  tonnes.  Le  total  des  entrées  et  des  sortie 
pour  1898  atteint  donc  C.8G7.342  tonnes. 

2   En  1840,  on  ne  comptait  encore  qu'une  population  rurale  de  1.580  individus, 
qui  exploitaient  une  superficie  de  2.743  hectares.  En  1891,  les  Européens,  sans 
compter  l'armée,  étaient  en  Algérie  au  nombre  de  483.475,  dont  267.672  Français. 
Voici  les  résultats  du  recensement  de  1896  : 

Français 317.937)   „ 

Européens 210.210  ]  ol1  ' 

Marocains,  Tunisiens 17.022 

Israélites 48.763 

Indigènes 3.71Î3.60G 

Total 4:359.538 


ALGÉRIE  57 

misme,  une  idée  assez  nette  de  cette  dernière  question,  qui 
préoccupe  les  esprits,  en  France  comme  en  Algérie. 

De  1886  à  1891,  la  population  française  a  progressé  de 
48.601  personnes,  et  la  population  étrangère  de  12.600  seule- 
ment. Cette  différence  doit  êtra  attribuée,  d'après  M.  Labiche, 
d'une  part  à  l'émigration,  d'autre  part  aux  naturalisations. 

Les  inquiétudes  parfois  manifestées  sur  le  développement  de 
l'immigration  des  étrangers  en  Algérie  n'ont  pas  de  raison  d'être; 
on  peut,  en  effet,  se  rendre  bien  vite  compte  que  l'esprit  français 
agit  d'une  manière  prépondérante  sur  la  masse  des  étrangers  qui 
sont  venus  collaborer  avec  nos  nationaux  à  l'œuvre  de  coloni- 
sation. 

La  loi  du  26  juin  1889  sur  la  naturalisation  a  produit  des  effets 
remarquables  :  c'est  la  règle  générale  que  les  fils  d'étrangers,  sur- 
tout dans  la  population  espagnole,  de  beaucoup  la  plus  nombreuse 
en  Algérie,  acceptent  l'obligation  du  service  militaire,  sans  hési- 
tation, tout  naturellement  pourrait-on  dire,  et  deviennent  ainsi 
Français.  Les  exceptions  sont  rares.  Le  plus  grand  nombre,  pour 
ne  pas  dire  la  presque  totalité  des  fils  d'étrangers,  encore  aujour- 
d'hui à  l'âge  de  minorité,  seront  alors,  depuis  longtemps,  devenus 
Français,  et,  avec  eux,  les  enfants  qui  naîtront  d'eux. 

Les  étrangers  établis  dans  la  colonie  sont,  au  surplus,  il  faut  bien 
le  reconnaître,  des  auxiliaires  utiles  et  même,  dans  l'état  actuel  des 
choses,  des  auxiliaires  indispensables  de  la  colonisation  française. 

Dans  la  province  d'Oran,  les  Espagnols  sont  les  ouvriers  précieux 
d'une  industrie  considérable  qui  permet  de  tirer  parti  de  ces 
immenses  territoires  où  ne  pousse  que  l'alfa,  de  ce  qu'on  a  appelé 
la  «  mer  d'alfa  ».  C'est  à  ces  mêmes  Espagnols  qu'il  faut  également 
attribuer  la  plus  grosse  part  dans  les  cultures  irriguées  qui  font  la 
fortune  des  plaines  du  Sud  de  la  Mina  et  de  l'Habra,  comme  les 
cultures  maraîchères,  si  florissantes  sur  certains  points  du  littoral, 
sont  l'œuvre  d'émigrants  des  Baléares,  de  l'Italie  méridionale,  de 
la  Sicile. 

Ces  constatations  sont  justes  dans  leur  ensemble.  Mais  beau- 
coup d'Algériens  ne  se  font  pas  faute  de  protester  contre  la 
concurrence  de  la  main-d'œuvre  étrangère  et  d'émettre  des 
craintes  sur  le  danger  que  fait  courir  à  la  prédominance  fran- 
çaise l'existence  des  groupements  espagnols  et  italiens  de  la 
colonie.  On  est  parti  de  là  pour  attaquer  la  loi  de  1889  et  de- 
mander sa  suppression  ou  sa  modification.  Il  est  certain  que 


58  l'afrique  politique  en  1900 

l'état  des  choses  existant  actuellement  est  digne  d'attirer  l'at- 
tention du  législateur,  aussi  bien  en  ce  qui  concerne  la  ques- 
tion israélite,  quil  est  impossible  de  nier,  qu'en  ce  qui  touche 
celle  des  étrangers,  bien  moins  aiguë,  mais  non  moins  impor- 
tante. 


Tous  ces  éléments  ép  irs  ont  fait  redouter  la  formation  d'une 
population  aux  allures  particulières,  avant  tout  algérienne, 
c'est-à-dire  plus  dévouée  à  ses  intérêts  immédiats  qu'aux 
intérêts  généraux  de  l'Algérie  et  de  la  France. 

Cette  crainte  pourrait  être  fondée  si  la  métropole  se  refusait 
obstinément  à  donner  à  l'Algérie  la  part  de  libertés  qui  lui  est 
nécessaire.  Mais,  quelles  que  soient  les  tendances  de  la  popu- 
lation algérienne  d'origine  européenne,  on  doit  observer  qu'en 
raison  du  nombre  des  indigènes  qui  ne  sauraient  s'assimiler 
pour  le  moment,  de  la  proximité  de  la  mère  patrie  et,  surtout, 
de  la  nécessité  de  recourir  à  l'armée  de  la  métropole  pour 
assurer  l'existence  de  la  colonie,  celle-ci  ne  peut  songer  à 
manifester  les  sentiments  d'autonomie  qu'on  lui  prête,  autre- 
ment qu'en  demandant  l'augmentation  progressive  et  lente  de 
ses  prérogatives. 

Il  est  un  fait  remarquable  que  l'histoire  met  en  lumière  et 
qui  est  digne  de  fixer  l'attention  :  c'est  le  peu  d'aptitude  que 
les  populations  du  nord  de  l'Afrique  ont  montré,  pendant  le 
cours  des  siècles,  à  se  gouverner  elles-mêmes. 

A  part  quelques  petites  sociétés  particulières,  telles  que 
celles  qui  occupent  des  massifs  montagneux  comme  la  Ka- 
bylie  et  le  Riff,  lensemble  du  pays  a  toujours  été  conquis, 
dominé  et  même  converti  par  le  premier  passant  venu.  Il 
faut  remonter  aux  rois  numides  pour  trouver  les  traces  d'un 
gouvernement  un  peu  important  d'autochtones  indépendants. 

Depuis  lors,  les  Carthaginois,  les  Romains,  les  Barbares, 
les  Arabes,  les  Turcs  et,  enfin,  les  Français  ont  successive- 
ment imposé  leur  domination  à  des  populations  qui,  prises 
dans  le  détail,  montrent  cependant  des  qualités  guerrières 
remarquables. 


ALGÉRIE  59 

Il  faut  en  chercher  la  raison  dans  la  configuration  du  pays, 
qui  ne  se  prête  pas  à  la  constitution  d'une  nationalité  particu- 
lière et  vivace. 

Sur  les  côtes,  pas  de  ports  naturels  commodes  et  sûrs,  — 
terra  infelix  carenis  —  sauf  Bizerte,  placée  d'ailleurs  dans  une 
situation  excentrique,  et  qui,  par  suite  de  la  déviation  des 
grands  courants  commerciaux,  ne  peut  guère  espérer,  malgré 
les  imposants  souvenirs  légués  par  Garthage,  recueillir,  au 
point  de  vue  social,  l'héritage  de  l'antique  métropole. 

Au  Sud,  le  Sahara,  cette  autre  mer  vaste  et  continue,  aux 
rares  archipels,  se  laisse  pénétrer  par  les  explorateurs  et  les 
commerçants,  mais  ne  possédera  jamais  que  de  petits  grou- 
pements organisés,  vivant  séparément  et  probablement  inca- 
pables de  se  fondre  entre  eux  ou  avec  les  voisins. 

Entre  la  mer  et  le  Sahara,  une  série  d'escaliers  à  peu  près 
parallèles  à  la  côte,  séparant  le  pays  en  zones  trop  étroites,  le 
divisant  en  plusieurs  casiers  distincts,  déterminés  par  les 
érosions  transversales  des  oueds  et  par  les  soulèvements  de 
quelques  massifs  jetés  çà  et  là.  Dans  ces  casiers  se  sont  déve- 
loppées des  populations  qui,  indépendantes  ou  conquises,  ont 
conservé  des  caractères  les  distinguant,  à  la  fois,  des  agglo- 
mérations voisines  et  des  conquérants  de  passage. 

Ces  caractères  expliquent  les  différences  persistantes  obser- 
vées entre  les  nations  arabe  et  kabyle,  qui,  sans  se  mélanger 
ni  se  superposer,  ont  donné  elles-mêmes  naissance  à  d'autres 
groupes  particuliers. 

L'extrême  diffusion  des  moyens  de  communication  pourra 
seule  apporter  un  remède  à  cet  état  de  choses,  créé  par  des 
causes  primordiales  qui  ont  marqué  d'une  empreinte  particu- 
lière les  quatre  provinces  françaises  de  l'Afrique  du  Nord  et 
ont  fait  naître  les  caractères  bien  tranchés  qui  les  distinguent 
entre  elles. 


Pour  les  mêmes  causes,  la  conquête  et  la  défense  de  ces 
pays  doit  s'envisager  par  théâtres  d'opérations  distincts. 
On  n'y  trouve  pas,  en  effet,  comme  dans  la  plupart  des  pays 


60  l'afriqle  politique  en  1900 

de  l'Europe,  un  objectif  décisif  ou  un  massif  formant  réduit, 
dont  la  conquête  entraîne  celle  du  pays  tout  entier;  on  y 
constate,  au  contraire,  plusieurs  échiquiers  correspondant  à 
des  réduits  distincts  et  obligeant  le  conquérant  à  procéder 
par  approches  successives  et  par  opérations  séparées  et  par- 
fois divergentes.  L'histoire  de  nos  expéditions  en  Algérie  est 
là  pour  démontrer  ce  fait  que  l'avenir  ne  peut  manquer  d'en- 
registrer de  nouveau  (1). 

Il  résulte  de  là  qu'on  trouverait  difficilement,  dans  l'Afrique 
du  Nord,  les  éléments  naturels  qui  concourent  d'habitude  à 
la  formation  d'une  grande  nation,  en  admettant  même  que  les 
peuples  qui  l'occupent  soient  capables  de  se  fondre  en  un  tout 
homogène. 

Trop  de  raisons  s'opposent  à  une  fusion,  même  éloignée, 
entre  musulmans  et  chrétiens.  Le  mélange,  plus  facile,  qui 
est  en  train  de  s'opérer  entre  Européens  de  nationalités  diffé- 
rentes amènera  sans  doute,  comme  on  l'a  dit  plus  haut, 
l'avènement  d'une  société  mixte  dont  le  caractère  général 
dérivera,  avec  prédominance  des  mœurs  et  des  idées  fran- 
çaises, des  tendances  particulières  aux  trois  peuples  qu'on 
a  appelés  des  nations  latines. 

Quelles  seraient  les  conditions  d'existence  d'une  pareille 
minorité  livrée  à  elle-même,  en  présence  d'une  masse  indi- 
gène pour  longtemps  encore  irréductible  et  mécontente? 


(1)  Si  Anvers  a  pu  être  un  pistolet  armé  au  cœur  de  l'Angleterre,  Gibraltar  et 
Malte  sont  deux  canons  braqués  sur  l'Algérie.  A  Malte,  l'Angleterre  entrelient  de 
10  à  15.000  hommes.  A  Gibraltar  sont  des  réserves  en  quantité  indéterminée.  Ces 
forces  peuvent  être  jetées,  en  moins  de  vingt-quatre  heures,  soit  sur  Raschgoun, 
soit  sur  Bizerte.  D'où  la  nécessité  d'entretenir  dans  l'Afrique  du  Nord  une  armée 
«ntière  et,  pour  ce  qui  a  trait  au  temps  présent,  l'obligation  de  lui  conserver  les 
quelques  renforts  envoyés  de  France  au  début  de  1899  et  trop  tôt  rappelés,  quoi- 
qu'on partie.  D'où  aussi  la  nécessité  de  surveiller  étroitement  les  tentatives  déjà 
manifestées  par  les  Anglais  d'établir  des  postes  stratégiques  en  Sicile,  en  Sardai- 
gne  et  aux  Baléares.  Que  l'on  n'oublie  pas  cette  parole,  prononcée  par  un  agent 
étranger,  en  Algérie,  —  et  non  des  moindres  :  «  L'Angleterre  ambitionne  l'Al- 
gérie! »  Le  mot  a  été  dit  au  moment  de  la  tension  politique  de  décembre  1898. 

Il  u'est  pas  inutile  de  rappeler  à  ce  sujet  que  le  projet  de  défense  coloniale, 
soumis  au  Parlement,  prévoit  une  dépense  de  t  millions  pour  organiser  la  dé- 
fense mobile  navale  au  cap  Matifou  et  à  Mers-el-Kébir  et  pour  allonger  la  forme 
de  radoub  d'Alger. 


ALGÉRIE  61 

La  réponse  ne  saurait  être  douteuse,  pas  plus  que  la  con- 
clusion des  constatations  qui  précèdent. 

Les  difficultés  que  la  nature  a  opposées  à  la  création  d'une 
nationalité  puissante  clans  l'Afrique  méditerranéenne,  diffi- 
cultés encore  aggravées  par  l'existence  d'une  mosaïque  de 
peuples  à  tendances  et  à  religions  différentes,  s'opposent  plus 
efficacement  que  la  force  aux  idées  séparatistes  émises  par 
certains  et  récemment  reproduites  pendant  les  crises  de  la  vie 
publique  algérienne. 

Si,  à  la  faveur  d'événements  quelconques,  une  séparation 
venait  à  se  produire  entre  la  métropole  et  la  colonie,  la  ques- 
tion de  l'indépendance  de  celle-ci  se  poserait  immédiatement, 
et  il  ne  faudrait  pas  de  longues  années  pour  constater  qu'elle 
ne  se  serait  affranchie  d'une  tutelle  naturelle  et  bénigne  que 
pour  retomber  lourdement  sous  la  dépendance  économique 
ou  politique  de  protecteurs  plus  exigeants. 


L'exposé  et  l'analyse  des  besoins,  des  demandes  et  des  dé- 
sirs des  colons  algériens  exigerait  des  volumes  entiers.  On 
se  bornera  ici  à  préciser  les  principaux,  dont  l'énoncé  seul 
jette  un  jour  assez  vif  sur  les  conditions  actuelles  de  la  colo- 
nie. Nous  le  trouvons  dans  le  résumé  suivant,  exposé  par 
M.  Etienne,  député  d'Oran,  à  l'occasion  du  vote  du  budget  de 
1899,  au  rapporteur  du  budget  de  l'Algérie  (décembre  1898)  : 


1°  Utilité  de  rattacher  l'Algérie  au  ministère  des  colonies; 

2°  Loi  de  1889  sur  la  nationalité  ; 

3°  Décret  Crémieux;  abrogation  de  la  loi  de  1889  et  du  décret 
Crémieux,  mais,  pour  l'avenir,  sans  etïel  rétroactif; 

4°  Police  des  grandes  villes  algériennes  à  placer  sous  l'autorité 
exclusive  des  préfets; 

o°  Jury  algérien;  création  de  cours  d'appel  à  Oran  et  à  Constan- 
tine; 

6°  Politique  à  suivre  dans  le  Sud  pour  l'occupation  du  Touat; 

7°  Rapports  avec  le  Maroc;  expansion  pacifique; 

8°  Création  de  points  d'appui  et  de  ports  de  refuge,  tels  que  Mers- 
el-Kebir,  Arzew  et  Raschgoun; 

9°  Création  de  centres  et  suppression  des  formalités  pour  abrège 


02  l'afriqle  politique  en  1900 


les  délais  trop  longs;  60  hectares  à  accorder  à  chaque  coloo  au  lieu 
de  3o;  maintien  du  système  des  concessions  et  des  ventes; 

10°  Création  de  routes,  conduites  d'eau,  canaux,  barrages,  plan- 
tations d'arbres  et  reboisement; 

11°  Autorisation  à  accorder  au  gouverneur  pour  traiter  directe- 
ment des  achats  de  terres  aux  indigènes  pour  la  création  et  l'agran- 
dissement des  centres,  et  pour  statuer  sur  la  désatïectation  des 
dotations  communales; 

12°  Seconder  le  renouvellement  du  privilège  de  la  Banque  de 
l'Algérie  (ces  pouvoirs  appartiennent  actuellement  au  ministre); 
création  des  caisses  agricoles; 

13°  Accorder  à  l'Algérie  le  privilège  des  bouilleurs  de  cru,  comme 
en  France; 

14°  Réduction  des  tarifs  de  chemins  de  fer; 

15°  Rachat  des  Compagnies  de  chemins  de  fer  algériens;  consti- 
tution de  deux  réseaux  au  lieu  de  cinq  actuellement  existants; 
question  des  gares  et  des  haltes  à  construire  ; 

16°  Question  du  phylloxéra; 

17°  Forêts  de  chênes-liège  à  exploiter; 

18°  Chemins  de  fer  de  pénétration  d'Aïn-Sefra  à  Djenien-bou- 
Resg  et  prolongements;  le  Transsaharien;  ligne  d'Aïn-Temouchent 
à  Marnia  et  de  Tlemcen  à  Raschgoun; 

19°  Question  de  la  sécurité;  déplacement  des  tribus  d'un  dépar- 
tement dans  les  autres;  augmentation  des  brigades  de  gendarme- 
rie; 

20°  Impôts  arabes;  réformes  à  introduire  conformément  au  rap- 
port Clamageran  au  Sénat; 

21°  Enseignement  des  indigènes  devant  porter  uniquement  sur 
la  langue  française;  procédés  de  culture  à  leur  apprendre; 

22°  Multiplier  les  soins  médicaux  dans  les  tribus  et  rendre  la 
vaccination  obligatoire;  créer  des  ambulances  dans  les  tribus; 

23°  Création  de  points  d'eau  dans  le  Sud  ; 

24°  Colonisation  française  sur  les  hauts  plateaux  ; 

2o°  Établissement  du  homestead  pour  les  indigènes  et  les  colons; 

26°  Création  de  chambres  d'agriculture  par  décret. 

Notre  programme  serait  plus  simple.  A  notre  avis,  l'Algérie 
ne  pourra  se  développer  largement  et  sans  entraves  qu'à  la 
condition  de  calquer  son  régime  sur  celui  que  l'Angleterre 
accorde  à  ses  grandes  colonies  :  Canada,  Cap,  Australie. 

Il  est  question  de  lui  accorder  l'autonomie  de  son  budget, 
réforme  indispensable  à  l'essor  de  toute  colonie.  Qu'on  aille 
plus  loin  encore  dans  cette  voie  féconde  et  bientôt  les  W.  Lau- 


ALGÉRIE  63 

rier  et  les  Cicil  Rhodes  naîtront  en  Algérie,  ad   majorera 
Galliœ  gloriam! 


Combien  l'Algérie  coùte-t-elle  à  la  France? 

Entre  les  affirmations  contraires  des  parties  intéressées  à 
rejeter  du  budget  de  la  métropole  sur  celui  de  la  colonie,  ou 
inversement,  des  dépenses  régulièrement  afférentes  à  l'un  ou 
à  l'autre  pays,  on  peut  cependant  se  faire  une  opinion  à  peu 
près  exacte.  Au  budget  de  1899,  on  a  demandé  pour  l'Algérie 
une  subvention  de  73.370.449  francs,  soit  une  différence  en 
moins,  sur  l'exercice  1898,  de  368.513  francs. 

Lors  du  vote  du  budget  de  1897,  on  a  indiqué  le  chiffre 
d'une  vingtaine  de  millions  comme  étant  le  montant  du  dé- 
ficit du  budget  algérien.  On  en  a  déduit  que  ce  déficit  devrait 
être  comblé  par  un  relèvement  des  impôts  dans  la  colonie,  et 
un  calcul  approximatif  a  paru  faire  ressortir  que  l'échelle  des 
taxes  françaises  appliquées  à  l'Algérie  augmenterait  ses  re- 
cettes de  44  millions. 

Il  était  évident  que  ces  affirmations  soulèveraient  des  pro- 
testations. Bien  que  les  chiffres  ci-dessus  n'aient  pas  été  con- 
testés, les  Algériens  ont  expliqué  que  les  20  millions  de 
déficit  correspondaient,  à  peu  près  exactement,  au  montant 
de  la  garantie  d'intérêts  payée  aux  Compagnies  de  chemins 
de  fer.  Cette  garantie  d'intérêts  tend  à  diminuer  tous  les 
ans,  par  suite  des  recettes  croissantes  des  voies  ferrées,  et 
l'on  sait  que,  dès  1899,  la  Compagnie  du  P.-L.-M.  algérien 
n'en  réclame  plus.  On  doit  conclure  de  là  que,  dans  un 
certain  avenir,  les  recettes  de  l'Algérie  réussiront  à  couvrir 
entièrement  ses  dépenses. 

Quant  à  l'augmentation  des  impôts  en  Algérie,  on  ne  sau- 
rait l'envisager  rigoureusement  avant  quelques  années,  sous 
peine  de  causer  de  graves  préjudices  à  une  industrie  et  à  un 
commerce  naissants.  Le  chiffre  de  44  millions  précité  doit, 
d'ailleurs,  être  considéré  comme  un  maximum  que  des  dis- 
cussions sérieuses  ont  ramené  à  28  et  même  à  11  millions 
seulement. 


64  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

Cette  différence  de  traitement  s'explique  facilement  par  la 
différence  de  richesse  entre  la  métropole  et  la  colonie,  qui 
interdit  l'adoption  du  même  régime  d'impôts. 

D'ailleurs,  comment  espérer  attirer  de  nouveaux  colons 
français  en  Algérie  si  on  ne  leur  fait  pas  entrevoir  un  ré- 
gime de  faveur? 


Il  serait  intéressant  de  rechercher,  par  contre,  ce  que  l'Al- 
gérie rapporte  à  la  France.  On  ne  saurait  mieux  faire  à  cet 
égard  que  de  citer  le  passage  suivant  du  discours  prononcé 
par  M.  Laferriére,  le  11  décembre  1899,  lors  de  l'ouverture  de 
la  session  du  conseil  supérieur  de  gouvernement  : 

En  ce  qui  concerne  la  situation  matérielle  de  la  colonie  —  et  si 
Ton  fait  abstraction  de  la  dépression  passagère  que  la  mauvaise  ré- 
colte de  1899  aura  produite  —  les  derniers  résultats  constatés  sont 
des  plus  satisfaisants. 

Le  mouvement  général  des  échanges,  qui  était  de  572  millions  en 
1897,  s'est  élevé  l'année  suivante  à  588  millions,  dont  plus  des 
trois  quarts,  457  millions,  sont  des  échanges  avec  la  métropole. 

Pour  la  première  fois  les  exportations  dAlgérie  en  France 
(232  millions)  ont  dépassé  les  importations  de  France  en  Algérie 
(225  millions),  de  sorte  que  notre  compte  commercial  avec  la  mé- 
tropole non  seulement  se  balance,  mais  présente  un  solde  créditeur 
de  7  millions. 

Il  serait  intéressant  d'évaluer  combien  ces  457  millions  de  mar- 
chandises circulant  entre  la  France  et  l'Algérie  rapportent  au 
Trésor,  soit  à  raison  des  recettes  dont  les  compagnies  de  transports 
peuvent  avoir  à  tenir  compte  à  l'État,  soit  par  les  droits  directe- 
ment perçus  sur  les  connaissements,  lettres  de  voiture,  correspon- 
dances postales  ou  télégraphiques  auxquelles  ces  échanges  donnent 
lieu.  Si  ces  calculs  étaient  possibles,  ils  montreraient  qu'un  élé- 
ment appréciable  vient  ainsi  s'ajouter  aux  recettes  que  le  Trésor 
effectue  dans  la  colonie  et  contribuent  à  atténuer  les  sacrifices  qu'il 
fait  pour  elle. 

Ces  sacrifices  s'atténuent  d'ailleurs  chaque  année  par  la  seule 
progression  des  recettes  prévues  au  budget.  Cette  progression  qui, 
depuis  une  période  déjà  longue,  a  été  d'environ  1  million  et  demi 
par  an,  sera  cette  année  de  plus  de  4  millions. 

Ce  rapide  exposé  de  la  prospérité  algérienne,  tous  les  jours 


ALGÉRIE  65 

grandissante,  suffit  à  démontrer  l'importance  que  la  France 
doit  attacher  au  développement  de  sa  colonie. 


L'année  1897  a  été  marqués,  en  Algérie,  par  un  événement 
religieux  qui  a  donné  aux  indigènes  l'occasion  d'affirmer 
d'une  manière  tout  au  moins  officielle  leurs  sentiments  de 
loyalisme  à  l'égard  de  la  France.  A  cet  égard,  il  ne  saurait 
passer  inaperçu. 

Le  20  avril  1897,  mourait,  à  Guemar,  dans  l'oued  Sauf,  Si 
Ahmed  ben  Mohamed  Tedjini,  chef  suprême  de  la  confrérie 
religieuse  des  Tidjania,  dont  les  ramifications  s'étendent  jus- 
que dans  le  centre  de  l'Afrique.  A  l'occasion  de  ce  décès,  une 
cérémonie  fut  organisée,  le  4  mai  suivant,  dans  la  grande 
mosquée  d'Alger,  et  là,  en  présence  des  autorités  françaises 
et  des  chefs  religieux  arabes,  le  grand  muphti,  après  avoir 
prononcé  l'oraison  funèbre  du  défunt,  protesta  de  ses  senti- 
ments de  loyauté  et  de  dévouement  à  la  France.  La  réponse 
du  gouverneur  général,  M.  Cambon,  mérite  d'être  citée  : 

Je  vous  remercie  des  paroles  que  vous  venez  de  prononcer.  Je  les 
transmettrai  à  M.  le  Président  de  la  République. 

Nous  sommes  venus  ici  pour  nous  associer  aux  sentiments  que 
vous  avez  éprouvés  en  apprenant  la  mort  de  Si  Ahmed  Tedjini, 
chef  de  l'ordre  des  Tidjania.  Cet  ordre  considérable,  dont  les  mem- 
bres dominent  en  Tunisie,  jusqu'au  Bornou  et  au  Sokoto,  s'est  tou- 
jours montré  dévoué  à  la  France. 

Dès  1838,  le  père  de  celui  que  vous  pîeurez  aima  mieux  voir  sa 
ville  prise,  sa  zaouïa  ruinée,  ses  palmiers  coupés  que  de  s'accom- 
moder avec  le  plus  grand  de  nos  ennemis  et.  jusque  clans  cette 
extrémité,  refusa  de  se  rencontrer  avec  lui.  Son  lils,  Si  Ahmed 
Tedjini,  après  un  moment  d'erreur,  ne  cessa  depuis  de  nous  donner 
des  témoignages  de  son  active  fidélité. 

Un  de  ses  mokaddems,  Abd  el  Kader  ben  Hameïda,  accompa- 
gnait le  colonel  Flatters  et  fut  massacré  avec  lui.  J'ai  pu  éprouver 
moi-même  combien  le  concours  de  Tedjini  nous  était  assuré  dans 
les  lointaines  régions  qui  s'étendent  jusqu'au  Niger. 

Il  avait  épousé  une  Française.  Il  vivait  à  Kourdann,  et  là  où  ne 
se  trouvait,  il  y  a  quelques  années,  qu'une  source  perdue,  des  jar- 
dins, des  prairies,  d'immenses  plantations  avaient  remplacé  le 
sable.  Il  projetait,  pour  les  pèlerins  qui  viennent  en  foule  à  sa  zaouïa, 

Afr.  polit.  5 


66  l'afriquk  politique  en  1900 


la  création  d'un  hospice  qu'il  voulait  confier  aux  Pères  Blancs.  Il 
servait  la  civilisation  par  son  exemple  et  lui  préparait  la  route. 

Je  ne  doute  pas  que  les  successeurs  de  Si  Ahmed  Tedjini  ne  con- 
tinuent ces  traditions  de  dévouement  qui  remontent  déjà  à  près  de 
soixante  années.  Ils  trouveront  partout,  pour  leurs  fidèles,  la  pro- 
tection et  la  hienveillance  de  la  République.  La  France  connaît  ses 
serviteurs:  elle  les  aime  et  elle  les  défend;  et  aujourd'hui,  nous 
sommes  venus  près  de  vous  pour  montrer  qu'elle  sait  honorer  leur 
loyauté. 

Mohammed  ben  Belkassem  prit  ensuite  la  parole  au  nom 
de  son  oncle,  le  marabout  d'El-Hamel,  cheikh  de  l'ordre  des 
Rahmanya,  et  s'exprima  ainsi  : 

La  mort  de  ce  défunt  ne  frappe  pas  seulement  les  frères  de  son 
ordre:  elle  attriste  en  même  temps  tous  les  membres  des  autres 
confréries  algériennes,  ainsi  que  le  montre  notre  présence  ici,  sans 
distinction  de  secte. 

Le  fait  de  vous  être  associé  à  cette  imposante  cérémonie  comp- 
tera, Monsieur  le  Gouverneur  général,  parmi  les  actes  de  votre 
gouvernement  dont  le  souvenir  restera  éternellement  gravé  dans 
les  cœurs  de  tous  les  musulmans. 

Ce  ne  sont  là,  il  est  vrai,  que  des  paroles  officielles.  Mais, 
quand  on  réfléchit,  d'une  part,  à  la  fidélité  constante  de  l'or- 
dre des  Tidjania  et,  d'autre  part,  aux  sentiments  de  loyauté 
proclamés  par  les  sectes  musulmanes  plus  récemment  ralliées 
à  notre  cause,  on  se  prend  à  ne  plus  désespérer  de  la  possi- 
bilité d'amener  des  rapprochements  de  plus  en  plus  intimes 
entre  Européens  et  musulmans,  sous  la  réserve,  toutefois,  du 
respect  réciproque  des  intérêts,  des  mœurs  et  des  croyances. 
Les  indigènes  se  rendent  d'ailleurs  compte,  chaque  jour  da- 
vantage, que  nous  sommes  «  les  gardiens  de  Dieu  »  en  Afri- 
que, et  l'inauguration  récente  du  monument  du  cardinal  La- 
vigerie  à  Biskra,  en  février  1900,  n'a  suscité  dans  leurs 
esprits  que  du  respect  et  même  de  la  sympathie. 


L'armée  française  d'Afrique,  héritière  des  gloires  de  la  con- 
quête, comprend  un  effectif  total  de  plus  de  55.000  hommes, 
répartis  en  39  bataillons  d'infanterie  (zouaves,   tirailleurs, 


ALGÉRIE  67 


infanterie  légère,  compagnies  de  discipline  et  régiments  étran- 
gers), 37  escadrons  (chasseurs  d'Afrique  et  spahis),  15  bat- 
teries, 5  compagnies  du  génie,  9  compagnies  du  train,  5  com- 
pagnies de  gendarmerie  et  divers  corps  accessoires.  Avec  les 
troupes  de  Tunisie,  l'effectif  total  s'élève  à  environ  70.000  hom- 
mes et  serait  porté  à  100.000  hommes  environ  par  la  mobilisa- 
tion des  réserves. 

Ces  ressources  pourraient  encore  être  augmentées  en  fai- 
sant un  plus  large  appel  au  recrutement  des  indigènes.  Mais 
on  ne  saurait  guère  compter,  ainsi  qu'on  l'a  prétendu  parfois, 
sur  l'organisation  de  réserves  indigènes  pour  augmenter  dans 
de  fortes  proportions  l'effectif  du  temps  de  guerre.  Cela  tient 
à  la  nature  même  et  aux  habitudes  de  l'indigène,  qui  doit, 
pour  entrer  dans  les  régiments  de  tirailleurs,  contracter  un 
engagement  de  quatre  ans. 

A  l'issue  de  cet  engagement,  ou  bien  il  quitte  l'armée,  faute 
de  goûts  militaires  suffisants,  et  l'on  ne  pourrait  guère  plus 
compter  sur  lui  comme  réserviste,  ou  bien,  le  plus  souvent,  il 
rentre  dans  ses  foyers  pour  quelque  temps,  puis  revient  con- 
tracter un  nouveau  rengagement  de  quatre  ans  ou  des  renga- 
gements successifs  dans  l'espoir  d'obtenir  une  retraite  qu'on 
ne  lui  donne  qu'au  bout  de  vingt-cinq  ans  de  service.  A  ce 
moment,  l'indigène  qui  s'est  engagé  aux  environs  de  sa  ving- 
tième année  atteint  45  ans;  c'est  un  homme  rompu  à  la  disci- 
pline et  capable  d'un  profond  dévouement;  mais  il  est  déjà 
presque  toujours  usé  pour  la  guerre  de  campagne  et  est  vrai- 
ment mur  pour  la  retraite.  Bien  que  les  tirailleurs  qui  quittent 
le  service  après  quatre  ou  huit  ans  soient  relativement  nom- 
breux, il  serait  illusoire  de  compter  sur  un  très  grand  nombre 
de  réservistes  indigènes. 

Aussi,  certains  militaires  ont  pensé  à  recourir  aux  res- 
sources de  la  population  indigène,  non  plus  en  organisant 
le  système  des  réserves,  mais  plutôt  en  établissant  un  sys- 
tème de  milices,  c'est-à-dire  en  demandant  à  chaque  tribu 
un  contingent  déterminé.  Ce  système  offrirait  le  double 
avantage  de  donner  un  recrutement  d'hommes  choisis  et 


08  l'afrique  politique  en  1900 

d'enlever  à  l'insurrection  éventuelle  des  éléments  précieux 
servant  à  la  fois  d'otages  et  de  soldats. 

Cette  préoccupation  et  les  discussions  qu'elle  a  engendrées 
montrent  qu'on  a,  dans  les  sphères  militaires,  le  sentiment 
très  vif  de  la  valeur  des  races  kabyle  et  arabe  et  des  res- 
sources de  premier  ordre  que  le  recrutement  indigène,  s'il 
était  développé,  pourrait  fournir,  non  seulement  à  la  défense 
de  notre  empire  africain,  mais  aussi  à  nos  entreprises  colo- 
niales et  au  développement  de  notre  pénétration  en  Afrique. 


Le  problème  de  la  pénétration  s'est  posé  de  plusieurs  fa- 
çons, suivant  le  but  qu'on  a  voulu  atteindre. 

On  l'étudiera  plus  loin  et  dans  son  ensemble.  Mais,  avant  de 
l'envisager,  il  convient  d'indiquer  rapidement  quelle  est  la 
situation  de  la  France  dans  le  Sud  algérien. 

Trois  voies  ferrées  en  exécution  ou  en  projet  s'allongent  sur 
la  carte  comme  autant  de  tentacules  vers  le  Sahara.  Ce  sont 
les  lignes  d'Oran  à  Aïn-Sefra,  poussée  sur  Djenien-bou- 
Resgh;  d'Alger  à  Laghouat,  qui  s'arrête  à  Berrouaghia;  de 
Constantine  à  Biskra,  qu'on  demande  depuis  longtemps  à 
prolonger  sur  Tonggourt  et  Ouargla. 

Dans  son  discours,  déjà  cité,  du  11  décembre  dernier,  M. 
Laferrière  consacre  un  important  passage  à  la  question  des 
lignes  de  pénétration  : 

Si,  maintenant,  nous  jetons  les  yeux  sur  l'ensemble  du  réseau 
d'intérêt  général,  nous  constatons,  non  sans  regret,  qu'il  reste  sta- 
tionnaire  depuis  plusieurs  années,  —  non  au  point  de  vue  des  re- 
cettes, qui  ont  augmenté  déplus  de  7  millions  depuis  1893,  —  mais 
au  point  de  vue  de  l'étendue  exploitée,  qui  n'a  pas  augmenté  de- 
puis cette  époque  et  qui  reste  limitée  à  2.90o  kilomètres. 

Il  est  juste  de  reconnaître  que  plusieurs  lignes  d'intérêt  général 
sont  à  l'élude,  et  quelques-unes  prêtes  pour  l'exécution  :  tel  est  le 
chemin  de  fer  de  Tlemcen  à  Maghnia  et  à  la  frontière  du  Maroc; 
telle  aussi  la  ligne  de  Biskra  à  Ouargla  qui  inaugurera  une  nou- 
velle forme  de  concession  combinant  l'exploitation  d'un  chemin  de 
fer  avec  la  mise  en  valeur  d'une  partie  des  territoires  traversés. 

J'aurais  voulu  pouvoir  mentionner  parmi  les  entreprises  les  plus 
prochaines  le  chemin  de  fer  de  Berrouaghia  à  Laghouat,  que  tant 


ALGÉRIE  69 


de  mécomptes  ont  retardé.  Le  gouvernement  général  et  le  dépar- 
tement d'Alger  ont  multiplié  leurs  démarches  pour  hâter  son  exé- 
cution. J'espère  qu'elles  ne  seront  pas  infructueuses,  surtout  si  le 
conseil  supérieur  veut  bien  y  joindre  l'autorité  de  ses  vœux 

Nous  avons  été  plus  favorisés  à  l'ouest  de  la  colonie  :  le  chemin 
de  fer  du  Sud  oranais,  longtemps  arrêté  à  Aïn-Sefra,  est  à  la  veille 
d'atleindre  Djenien-bou-Rezg,  à  plus  de  500  kilomètres  de  la  mer. 
De  là,  et  sans  aucune  interruption  des  travaux,  il  sera  poussé  à 
31  kilomètres  plus  loin,  à  notre  nouveau  poste  de  Zouhia,  à  qui  j'ai 
donné,  il  y  a  un  an.  le  nom  du  grand  explorateur  français  Du- 
veyrier.  Nous  n'aurons  plus  alors  qu'à  franchir  le  col  qui  sépare 
celte  région  de  celle  de  l'Oued-Zousfïana  pour  assurer  de  ce  côté 
notre  pénétratiou  saharienne  et  un  facile  accès  vers  les  populeuses 
oasis  du  Touat.  Aussi  ai  je  cru  devoir  solliciter  du  gouvernement 
l'autorisation  de  pouvoir  mettre  à  l'étude  ce  nouveau  tronçon  de 
voie  ferrée. 

Pour  assurer  la  construction  de  ces  lignes,  réaliser  la  prise 
de  possession  éventuelle  des  oasis  du  Sud,  mettre  un  terme 
aux  incursions  et  aux  déprédations  des  coureurs  arabes, 
touareg  ou  marocains,  trois  postes,  sans  compter  Fort-Lalle- 
mand  dans  le  Sud  constantinois,  ont  été  occupés  et  fortifiés 
dans  ces  derniers  temps. 

Hassi-Inifel,  dans  le  haut  oued  Mya,  signalé  depuis  long- 
temps comme  un  point  indispensable  pour  assurer  la  sur- 
veillance du  pays,  fut  occupé  et  organisé  dès  le  milieu  de 
1892.  Puis,  à  la  suite  de  l'émotion  produite  au  Touat  par  cette 
occupation  et  afin  de  bien  fixer  nos  intentions  dans  l'esprit 
des  indigènes,  l'organisation  de  deux  autres  postes  fortifiés 
fut  décidée  :  Hassi-el-Homeur  (fort  Mac-Manon),  commencé 
en  1893,  sur  la  route  de  Timmimoun,  et  Hassi-Chebbaba  (fort 
Mtribel),  dans  la  direction  d'Insalah. 

Ces  bordjs  sont  constitués  par  une  enceinte  carrée,  crénelée 
et  bastionnée,  contenant,  sur  une  de  ses  faces,  une  entrée  orga- 
nisée défensivement  et,  sur  chacune  des  trois  autres,  un  pa- 
villon pour  le  logement  et  le  matériel  de  la  garnison. 

Ils  sont  gardés  par  un  certain  nombre  d'hommes  de  troupes 
sahariennes,  troupes  essentiellement  mobiles,  composées 
d'indigènes  encadrés  par  des  Français,  connaissant  le  pays  et 


70  L' AFRIQUE   POLITIQUE  EN    1900 

ses  habitants,  et  dont  l'organisation,  décidée  en  1895,  a  fait 
faire  un  grand  pas  à  la  question  de  la  pénétration  française 
vers  le  Sud.  Tout  récemment,  pour  assurer  le  ravitaillement 
de  la  mission  Foureau-Lamy,  un  poste  a  été  établi  à  Temas- 
sinin,  à  environ  1.000  kilomètres  de  la  côte.  Nous  aurons 
l'occasion  d'en  reparler  à  propos  de  la  pénétration  du 
Sahara  (1). 


Le  récent  discours  de  M.  Laferrière  contenait  tout  un  plan 
d'occupation  et  de  pénétration  sahariennes  : 

Après  la  mission  Foureau-Lamy  qui  a  traversé  le  Sahara  tout 
entier,  escortée  de  forces  algériennes  qui  ont  partagé  avec  elle  l'hon- 
neur de  porter  notre  drapeau  dans  l'Air  et  jusqu'au  Tchad,  nous 
venons  d'assister  au  départ  de  la  mission  dirigée  par  M.  le  profes- 
seur Flamant Cette  mission  sera  bientôt  suivie  d'une 

importante  expédition  scientifique  et  commerciale  qui  s'organise 
en  France  pour  explorer  la  région  du  Hoggar  et  les  gisements 
miniers  qu'on  espère  y  découvrir. 

Oui,  protection  est  due  à  tous  ces  pionniers  de  la  science  et  de  la 
civilisation  :  non  seulement  une  protection  passagère  pendant  le 
parcours  des  régions  les  plus  mal  hantées,  mais  encore  une  protection 
permanente  qui  ne  peut  résulter  que  d'une  bonne  police  du  Sahara, 
assurée  par  l'occupation  des  points  géographiques  et  stratégiques 
qui  commandent  la  zone  dangereuse. 

Cette  mesure  suffirait  sans  doute  pour  que  les  agres- 
seurs se  résignent  à  demander  l'aman,  ainsi  qu'un  dissident  plus. 


(I)  On  s'est  occupé,  depuis  1896,  d'assurer  les  communications  télégraphiques 
transversales  de  nos  postes  du  Sud  et  de  perfectionner  le  réseau  optique  qui 
couvre  l'Algérie  de  ses  cinquante-sept  postes. 

Les  lignes  électriques  nouvelles  récemment  créées  sont,  dans  l'ordre  de  leur 
établissement,  celles  de  : 

1°  Biskra  -  Touggourt  -  Ouargla  -Ghardaîa  ; 

2°  Djenienbou-Resgh  -  Ain  Sefra  -  Géry  ville  ; 

3°  Géryville-Aflou-El-Ousseukh; 

4°  Biskra -El-Oued-Tozeur,  tout  récemment  terminée  et  déjà  prolongée  jusqu'à 
Gabès. 

o°  El  G oléa  -  Fort-Miribel  (février-mars  1900)  avec  prolongement  probable  sur 
Insalah. 

Ces  lignes  complètent  notre  réseau  algérien  et  donnent  la  possibilité  d'établir, 
dans  le  sens  transversal,  des  communications  rapides,  à  la  lisière  du  désert,  de  la. 
Méditerranée  à  la  frontière  du  Maroc. 


ALGÉRIE  71 


illustre  vient  tout  récemment  de  le  faire  dans  une  autre  région  du 
Sud.  En  cas  de  résistance,  ils  seraient  facilement  rejetés  au  delà  de 
la  ligne  de  protection  et  d'expansion  sahariennes  que  cette  occupa- 
tion permettrait  d'établir. 

Cette  ligne  reporterait  à  trois  degrés  au  Sud  celle  qu'on  avait 
provisoirement  tracée  en  jalonnant  le  désert  de  quelques  bordjs 
isolés  les  uns  des  autres  et  trop  facilement  tournés  par  quiconque 
veut  passer  outre.  Elle  aurait  derrière  elle  le  massif  du  Tadmait 
qui  cesserait  d'être  un  obstacle  pour  devenir  un  point  d'appui  ;  elle 
serait  adossée  sur  un  parcours  de  près  de  trois  cents  kilomètres 
aux  oasis  qui  forment  sur  ce  point  la  verte  lisière  du  Sahara  algé- 
rien. Reliée  à  l'est  à  Temassinin  que  sa  position  au  croisement  de 
plusieurs  roules  de  caravanes  avait  désignée  comme  point  de  départ 
de  la  mission  Foureau-Lamy,  appuyée  à  l'ouest  à  l'Oued-Saoura, 
elle  serait  à  la  fois  une  ligne  stratégique  et  politique. 

Elle  le  serait  plus  encore,  car  elle  offrirait  une  base  d'opérations 
et  de  ravitaillements,  soit  aux  explorateurs,  soit  aux  entreprises 
industrielles  et  commerciales  qui  auraient  le  Sahara  pour  objectif. 

Ces  paroles,  vraiment  françaises,  allaient  bientôt  être  sui- 
vies d'un  événement  attendu  impatiemment  depuis  des  an- 
nées :  l'occupation  d'Insaiah. 

La  mission  Flamant,  partie  d'Ouargla  le  28  novembre, 
escortée  par  le  capitaine  Pein  et  130  goumiers,  arrivait  le 
9  décembre  à  Hassi-Inifel  et  le  26  décembre  à  Foggaret-ez- 
Zoua,  où  elle  était  bien  accueillie.  Le  surlendemain,  près 
d'Iguesten,  elle  était  attaquée  par  1.200  indigènes  d'Insaiah, 
leur  tuait  oO  hommes  et  en  blessait  64  parmi  lesquels  El- 
Mahdi-Badjouda,  notre  principal  ennemi,  et  plusieurs  notables 
du  parti  antifrançais  du  Tidikelt  qui  restaient  entre  nos  mains. 

A  cette  nouvelle,  l'escadron  de  spahis  sahariens  du  capi- 
taine Germain,  qui  se  tenait  à  portée  de  la  mission  prêt  à  la 
secourir,  rejoignait  le  capitaine  Pein  et  s'installait  avec  lui 
dans  la  casbah  d'Insaiah. 

Les  deux  officiers  réunissaient  ainsi  192  combattants.  Le 
5  janvier  ils  étaient  attaqués  par  2.000  indigènes  auxquels  ils 
tuaient  150  hommes  et  en  blessaient  200.  Ce  succès  amenait 
immédiatement  la  soumission  de  tout  le  pays. 

Le  13  janvier  un  premier  renfort  de  goumiers  arrivait  à 
Insalah,  suivi,  le  18,  par  les  200  tirailleurs  du  commandant 


72  l'afriqoe  politique  en  1900 

Baumgarten,  venus  de  Miribel  et  cleMac-Mahon.  On  pouvait 
dès  lors  s'implanter  solidement  dans  le  pays  en  attendant 
une  colonne  plus  importante,  en  formation  à  El-Goléa,  d'où 
elle  arrivait  le  15  mars.  En  même  temps  une  ligne  télégra- 
phique optique,  bientôt  suivie  par  une  ligne  électrique,  était 
poussée  jusqu'à  Miribel. 


Cette  occupation,  obtenue  sans  coup  férir,  grâce  aux  habiles 
dispositions  prises  par  le  gouverneur  général  et  à  l'énergie 
des  capitaines  Pein  et  Germain,  mettait  fin  à  nos  hésitations 
sahariennes  et  annonçait  une  politique  plus  active  que 
M.  Laferrière  allait,  le  2  février,  affirmer  à  l'inauguration  de 
la  ligne  de  Djenien-bou-Rezgh.  En  raison  de  la  situation  poli- 
tique de  l'Europe,  le  moment  est  heureusement  choisi,  le 
Maroc  ne  paraît  guère  en  état  de  s'opposer  à  nos  entreprises 
et  tout  permet  d'augurer  de  féconds  résultats  de  l'action 
engagée  par  les  deux  colonnes  qui,  d'EI-Goléa  et  de  Djenien- 
bou-Rezgh,  se  dirigent  sur  le  Touat. 


Telle  est,  très  sommairement  exposée  par  ses  côtés  prin- 
cipaux, la  situation  actuelle  en  Algérie.  On  n'a  pas  voulu, 
pour  ne  pas  agrandir  démesurément  le  cadre  de  cet  ouvrage, 
étudier  plus  profondément  les  questions  de  race,  de  religion, 
d'administration  et  de  politique  intérieure,  importantes, 
cependant,  à  envisager  lorsqu'on  entreprend  l'étude  des 
choses  d'Algérie.  Il  a  paru  suffisant  d'appeler  l'attention 
sur  quelques  faits  permanents  et  sur  quelques  récents  événe- 
ments, afin  de  poser  des  bases  pour  l'étude  de  la  pénétration 
du  Sahara,  qu'on  pourra  désormais  entreprendre  et  exposer 
plus  loin  d'une  manière  générale. 


MAROC  73 


Maroc. 


Condition  actuelle  du  Maroc.  —  Compétitions  européennes.  —  Le  changement 
de  règne.  —  Intérêts  de  la  France.  —  Importance  politique  cl  stratégique  du 
Maroc. 


Un  des  événements  les  plus  remarquables  survenus  au 
Maroc  dans  ces  derniers  temps  a  été  le  changement  de  règne 
qui  s'est  produit  au  moment  même  où  la  guerre  menaçait 
d'éclater  entre  ce  pays  et  l'Espagne. 

On  se  souvient  des  efforts  faits  parles  Espagnols  pour  main- 
tenir leur  situation  sur  la  côte  de  la  Méditerranée,  en  face  des 
tribus  du  Riff,  fanatiques  et  hostiles  à  toute  domination.  Les 
événements  de  Melilla  nécessitèrent  l'envoi  d'une  petite  ar- 
mée, et  l'on  crut  un  moment,  en  Europe,  que  l'Espagne  allait 
donner  le  signal  du  démembrement  de  l'empire  marocain. 

Déjà  la  rade  de  Tanger  voyait  accourir  des  vaisseaux  de 
guerre  représentant  la  plupart  des  flottes  de  l'Europe,  et  cha- 
cune des  nations  intéressées  au  partage  de  ces  régions  prenait 
ses  dispositions  pour  prélever  un  lambeau  des  territoires  con- 
voités. 

La  sagesse  de  l'Espagne  et  la  cordiale  entente  qu'elle  noua 
à  cette  occasion  avec  la  France  réussirent  à  contrecarrer  les 
visées  intéressées  de  l'Angleterre,  de  l'Allemagne  et  de  l'Italie. 
Le  Maroc  put  continuer  à  vivre,  mais  il  dut  fournir  des  ga- 
ranties à  l'Espagne  et  lui  payer  une  contribution  de  guerre 
dont  le  dernier  versement  ne  fut  exécuté  qu'en  juin  1896. 

Ces  concessions  étaient  à  peine  proportionnées  aux  dé- 
penses et  aux  efforts  faits  par  l'Espagne  pour  maintenir  ses 
droits  sur  la  côte  du  Maroc.  Mais  nos  voisins,  alors  aux  prises 
avec   les   difficultés  qui   devaient   aboutir   à    l'abandon    de 


74  L' AFRIQUE   POLITJQL'E   EX    1900 

Cuba,  ne  jugèrent  pas  à  propos  de  s'engager  à  fond  au  Maroc, 
surtout  vis-à-vis  des  puissances  européennes  mises  en  éveil 
et  prêtes  à  profiter  immédiatement  de  tout  désastre  infligé  aux 
Marocains  et  de  tout  prétexte  fourni  à  leur  intervention. 

L'Espagne  jugea  plus  opportun  de  laisser  les  choses  dans  le 
statu  quo  et  de  remettre  à  des  temps  plus  favorables  la  réali- 
sation de  ses  visées  sur  le  Maroc. 

La  France,  de  son  côté,  ayant  tout  à  craindre  de  l'appétit 
de  ses  rivaux,  ne  fit  aucune  difficulté  de  se  ranger  à  l'avis  du 
cabinet  espagnol.  Grâce  à  cette  entente  et  aux  mesures  éner- 
giques prises  par  le  nouveau  sultan,  la  paix  fut  rétablie,  et 
l'influence  française  et  espagnole  fut  consolidée  à  la  cour  de 
Fez. 

Aujourd'hui,  le  Maroc  ne  maintient  encore  son  indépen- 
dance que  grâce  au  jeu  de  bascule,  cher  aux  gouvernements 
d'Orient,  qui  lui  permet  de  mettre  aux  prises  la  rivalité  des 
divers  représentants  de  l'Europe.  Autant  le  sultan  songe  peu 
à  résister  sérieusement  à  toute  démarche  collective  des  con- 
suls, autant  il  s'ingénie,  à  l'exemple  du  sultan  de  Constanti- 
nople,  et  d'ailleurs  avec  succès,  à  opposer  les  uns  aux  autres 
les  intérêts  particuliers  et  les  demandes  isolées.  C'est  tantôt 
l'un,  tantôt  l'autre  des  ambassadeurs  européens  qui  s'enor- 
gueillit dune  concession  arrachée  ou  d'une  réparation 
obtenue. 

Mais  ces  succès  de  détail  n'ont  qu'une  importance  très  rela- 
tive, surtout  en  ce  moment  où  la  récente  intronisation  du 
nouveau  sultan,  successeur  de  Mouley  Hassan,  oblige  la  cour 
chérifienne  à  ne  pas  trop  se  fier  à  la  fidélité  de  tribus  toujours 
turbulentes  et  à  concentrer  toute  son  attention  sur  les  ques- 
tions intérieures  et  sur  la  consolidation  du  nouveau  règne. 

Ce  changement  de  règne  ne  s'est  pas  effectué  sans  de  grosses 
difficultés.  Geiles-ci  menaçaient  même,  dès  le  début,  d'être 
bien  plus  considérables  qu'elles  ne  l'ont  été  en  réalité.  La 
mort  de  Mouley  Hassan,  survenue  pendant  les  négociations 
avec  l'Espagne,  fit  craindre,  un  moment,  une  explosion  de 
compétitions.  Mais  les  sombres  prévisions  qui  accueillirent 
cette  nouvelle  ne  se  réalisèrent  pas,  et  la  transmission  du 


MAROC  75 

pouvoir  put  s'effectuer  sans  trop  de  difficultés,  mais  non  sans 
troubles  intérieurs. 

Les  tribus  marocaines,  qui  ne  reconnaissent  pas  toujours 
volontiers  l'autorité  du  sultan  et  qui  ne  lui  paient  l'impôt  que 
lorsqu'il  vient  le  réclamer  à  la  tête  d'une  armée,  crurent  le 
moment  venu  de  s'affranchir  de  l'obéissance  réclamée  par  un 
prince  jeune  et  sans  expérience. 

Ce  fut  aussi  le  moment  choisi  par  les  ministres  européens 
pour  renouveler  leurs  réclamations  et  recommencer  leurs 
compétitions. 

C'était,  d'un  côté,  l'indemnité  due  à  l'Espagne  dont  le 
paiement  sa  trouvait  en  retard;  ailleurs,  les  réclamations  de 
l'Allemagne  au  sujet  de  violences  exercées  sur  ses  natio- 
naux; enfin,  les  exigences  de  l'Angleterre  et  de  l'Italie. 

Il  faut  reconnaître  qu'au  milieu  de  toutes  ces  difficultés,  les 
conseillers  de  Mouley  Abd  el  Aziz  ont  su  déployer  de  l'énergie 
et  de  l'habileté. 

La  répression  des  révoltés  s'est  effectuée,  quoique  avec  len- 
teur, et  quelques  concessions,  prudemment  ménagées,  ont 
apaisé  les  exigences  étrangères.  On  signalait  encore,  au  mois 
de  janvier  1900,  la  répression  sanglante  d'une  rébellion  des 
tribus  de  Mesfioua,  à  l'est  de  Marakech. 

Une  des  plus  importantes  parmi  les  révoltes  intérieures 
a  été  celle  du  Tafilalet,  provoquée,  à  la  fin  de  1898,  par  un 
conflit  entre  le  sultan  et  son  oncle  Mouley-Rechid,  gouver- 
neur du  pays.  Après  des  vicissitudes  diverses  et  de  longs 
pourparlers,  la  rébellion  fut  apaisée,  au  moins  momentané- 
ment, et,  comme  d'habitude  en  pays  marocain,  par  des  con- 
cessions réciproques. 

-  Cette  révolte  tirait  surtout  sa  gravité  de  ce  fait  que  certains 
chefs  religieux  combattaient  l'Empereur  en  lui  reprochant  de 
ne  pas  réunir  les  conditions  exigées  par  le  Coran,  et  aussi  de 
ce  que  le  Tafilalet  est  le  berceau  de  la  famille  impériale  et  le 
point  de  départ  de  plusieurs  invasions  qui  se  sont  autrefois 
déversées  sur  le  Moghreb.  Toute  insurrection  dans  ce  pays 
prépare  ou  mûrit  les  rébellions  voisines  et  cause  des  alarmes 
justifiées  à  la  cour  de  Fez  et  bien  au  delà  du  Maroc. 


76  L' AFRIQUE   POLITIQUE  EN    1900 

Cinq  puissances  européennes  se  disputent  l'influence  dans 
l'empire  du  Maroc  :  la  France,  l'Allemagne,  l'Angleterre, 
l'Espagne  et  l'Italie,  cette  dernière  beaucoup  moins  à  cause 
des  intérêts  peu  importants  qu'y  possèdent  ses  nationaux  que 
par  suite  de  son  désir  de  surveiller  le  maintien  de  l'équilibre 
méditerranéen  et  de  se  créer,  autant  que  possible,  des  titres  à 
faire  valoir  au  jour  du  partage  éventuel. 

L'Allemagne  a  vu,  depuis  plusieurs  années,  son  commerce 
augmenter  au  Maroc.  Ses  négociants,  ses  industriels  ont  en- 
tamé, ici  comme  ailleurs,  la  lutte  commerciale  avec  les  autres 
nations,  et  sa  diplomatie  a  secondé  son  action  économique. 
On  a  parlé  récemment  de  la  cession  à  l'Allemagne  de  divers 
points  de  la  côte  atlantique.  Il  ne  paraît  pas  que  ces  bruits 
aient  eu  un  fondement  sérieux,  car  ils  n'ont  pas  été  suivis 
d'effet;  quoi  qu'il  en  soit,  la  protection  énergique  donnée  aux 
négociants  allemands  et  l'envoi  de  missions  auprès  du  sultan 
sont  la  pour  montrer  le  désir  de  l'Allemagne  de  ne  point 
laisser  régler  sans  elle  la  question  marocaine. 

On  a  déjà  envisagé  le  rôle  de  l'Espagne.  Portés  à  considérer 
le  Maroc  comme  le  prolongement  de  leur  territoire  et  ses 
habitants  comme  les  descendants  de  ces  Maures  qui  tinrent  si 
longtemps  la  péninsule  sous  leur  domination,  les  Espagnols 
considèrent  toute  expédition  au  sud  de  Gibraltar  comme  une 
sorte  de  croisade  destinée  à  venger  leurs  ancêtres.  Les  Maro- 
cains sont  vraiment  leurs  ennemis  héréditaires,  et  toute  con- 
quête au  Maroc  est  une  sorte  de  réparation  du  passé.  C'est 
dans  ces  sentiments  intimes  de  l'âme  espagnole  qu'il  faut 
chercher  l'origine  des  guerres  qui  ont  donné  à  l'Espagne  ses 
possessions  marocaines.  C'est  de  là  que  dérivait  cette  idée 
que  le  Maroc  est  un  champ  réservé  aux  conquêtes  espagnoles 
et  un  terrain  interdit  aux  autres  peuples. 

Après  de  longues  et  patientes  années  passées  à  consolider 
ses  conquêtes  au  Maroc  et  à  surveiller,  avec  une  attention 
constante,  les  desseins  de  ses  rivaux,  l'Espagne  se  trouve, 
aujourd'hui,  à  la  suite  de  la  guerre  américaine  et  de  ses  dis- 
sensions intérieures,  dans  l'impossibilité  finale  de  s'opposer 
aux  tentatives  de  ses  adversaires.  En  d'autres  temps,  elle  eût 


MAROC  77 

pu  prendre  l'initiative  d'un  partage  à  deux  et  s'entendre  avec 
la  France  pour  ouvrir  le  règlement  de  cet  héritage.  Demain, 
elle  sera  forcée  d'assister,  les  mains  liées,  à  l'action  qui  s'ac- 
complira à  ses  portes,  sans  trop  savoir  si  l'on  voudra  bien 
tenir  compte  de  ses  droits  et  de  ses  traditions  (1). 

La  France  n'a  pas  à  se  réjouir  de  ce  nouvel  état  de  choses; 
elle  doit  plutôt  y  voir  la  preuve  qu'il  n'y  a  rien  à  gagner  à  re- 
tarder indéfiniment  la  solution  des  questions  déjà  mûres  et 
que,  faute  d'être  réglées  par  elle,  ces  questions  pourraient 
finir  par  être  résolues  sans  elle. 

Au  Maroc,  comme  partout,  la  politique  anglaise  s'est  fait, 
dans  ces  derniers  temps,  remarquer  par  son  habileté  et  sa 
décision.  Depuis  quelque  temps,  un  syndicat  anglais,  opérant 
sous  le  nom  de  Compagnie  de  l'Afrique  Nord-Ouest,  avait 
établi  des  comptoirs  au  cap  Juby,  lorsqu'en  1895  le  gouver- 
nement marocain,  désireux  de  faire  constater  ses  droits, 
acheta  les  établissements  de  la  Compagnie  et,  malgré  les 
revendications  de  l'Espagne,  fit  reconnaître  par  l'Angleterre 
sa  souveraineté  sur  les  territoires  situés  entre  l'oued  Draa  et 
le  cap  Bojador.  Mais,  par  le  même  traité,  il  reconnaissait  lui- 
même  aux  Anglais  un  droit  de  préemption  sur  ce  territoire. 

Depuis  lors,  un  port  marocain  a  été  ouvert  au  cap  Juby. 
Mais  les  tentatives  anglaises  ont  repris  sur  d'autres  points.  En 
1897,  un  autre  syndicat  se  formait.  C'était  le  Globe  Venture  Syn- 
dicale, qui  affréta  le  navire  belge  la  Tourmaline,  pour  faire 
du  commerce,  surtout  celui  des  armes,  sur  la  côte  du  Sous. 

Bien  accueillis  par  les  habitants,  les  Anglais  furent  dis- 
persés, au  commencement  de  1898,  par  les  forces  marocaines, 
et  quelques-uns,  faits  prisonniers,  furent  amenés  à  Tanger  et 
remis  au  consul  d'Angleterre,  après  engagement  pris  par 
ce  dernier  de  les  faire  passer  en  jugement. 


(1)  L'Espagne  a  essayé  depuis  longtemps,  mais  sans  succès,  malgré  l'occupation 
de  l'enclave  d'Uni,  d'étendre  ses  possessions  au  nord  du  cap  Bojador.  Au  mois  de 
janvier  1900  on  s'est  plaint,  aux  Coites,  de  ce  que  le  .Maroc  s'est  toujours  refusé 
de  mettre  l'Espagne  en  possession  du  port  de  Santa-Cruz-de-la-Mar-Pequena,  qui 
lui  a  été  reconnu,  en  1861,  par  le  traité  de  Oued-el-Raz.  Celle  question  va  faire 
l'objet  de  nouvelles  revendications  auprès  du  sultan. 


78  l'Afrique  politique  en  1900 

Leur  chef,  le  major  Spilsbury,  fut,  en  effet,  traduit  devant 
le  jury  à  Gibraltar  et  acquitté,  après  des  débats  qui  révélè- 
rent des  faits  intéressants  sur  le  rôle  joué  dans  cette  affaire 
par  les  autorités  anglaises.  C'est  un  nouvel  exemple,  ajouté 
à  tant  d'autres,  du  système  d'immixtion  commerciale  em- 
ployé par  l'Angleterre  et  ordinairement  suivi,  quand  la  proie 
est  assurée,  d'une  intervention  diplomatique  et  militaire. 

La  France  est  placée,  au  Maroc,  au  point  de  vue  immédiat, 
en  face  de  deux  questions  principales  :  l'extension  de  son  in- 
fluence par  l'intermédiaire  de  son  protégé,  le  chérif  d'Ouazzan, 
chef  religieux  dont  l'autorité  est  reconnue  en  Algérie  comme 
au  Maroc,  et  le  règlement  de  la  question  de  frontières  à 
laquelle  se  rattache  l'affaire  du  Touat  qui  est  en  train  de  se 
liquider  à  notre  satisfaction. 

La  question  du  Touat  est  née,  on  peut  le  dire,  du  désir  de  la 
France  de  ne  pas  procéder  brusquement  à  son  extension  vers 
le  Sud  et  de  la  crainte  de  faire  naître  trop  tôt  des  complica- 
tions dangereuses. 

Avant  que  le  Maroc  eût  cessé  de  se  montrer  rebelle  à  l'in- 
fluence française,  les  questions  de  frontières  se  réglaient  sur 
place,  entre  autorités  locales,  sans  bruit  et  sans  secousses. 
Les  événements  de  1870  ont  eu  leur  répercussion  jusque  sur 
nos  frontières  d'Algérie. 

Depuis  lors,  en  effet,  sous  des  influences  diplomatiques 
diverses,  le  gouvernement  marocain,  au  lieu  de  laisser  faire, 
comme  par  le  passé,  la  police  des  frontières  par  l'autorité 
française,  et  de  régler  à  l'amiable  et  suivant  les  usages  cons- 
tants des  nomades,  les  litiges  habituels,  s'est  efforcé  de  trans- 
porter ces  questions  sur  le  terrain  politique,  où  il  n'a  cessé, 
suivant  la  coutume  orientale,  de  soulever  des  contestations 
et  de  créer  des  malentendus. 

C'est  ainsi  que  prit  naissance  la  question  de  Djenien-bou- 
Resgh,  occupé  par  nos  troupes  en  1885.  Après  des  pourparlers, 
le  Maroc  reconnut,  en  novembre  1885,  la  légitimité  de  cette 
occupation,  mais  il  attendit  un  an  pour  la  notifier  aux  popu- 
lations des  environs. 


MAROC  79 

Aujourd'hui,  les  questions  du  Sud  ne  se  règlent  plus  sur 
place;  c'est  à  Tanger  et  à  Fez  qu'il  faut,  pour  les  moindres 
faits,  entamer  d'interminables  négociations.  Encouragé  par 
notre  condescendance,  le  gouvernement  marocain  ne  tarda 
pas  à  élever  des  prétentions  sur  des  territoires  situés  au  Sud 
même  de  l'Algérie. 

Jadis,  on  eût  coupé  court,  par  une  occupation  au  moins 
momentanée,  à  des  prétentions  injustifiées.  On  s'avisa  de 
négocier  :  pendant  ce  temps,  le  sultan  du  Maroc  intervenait 
au  Touat,  y  affirmait  ses  droits  religieux  et  politiques  et  y 
installait  des  caïds.  L'autorité  marocaine  était  reconnue  et 
les  négociations  continuèrent. 

Il  faut  bien  reconnaître  qu'aucune  nécessité  urgente  ne 
poussait  la  France  à  brusquer  les  choses  et  à  provoquer  un 
dénouement  qui,  par  la  force  des  circonstances,  devait  s'im- 
poser avant  longtemps. 

Depuis  quelque  temps,  l'attention  s'était  d'ailleurs  reportée 
plus  au  Nord,  du  côté  du  littoral,  où  les  Kabyles  du  Rifï  ne 
cessent  de  s'agiter,  depuis  l'avènement  de  Mouley  Abd  el  Aziz, 
et  de  faire  acte  d'indépendance  et  de  brigandage.  Sur  les 
côtes,  en  1896  et  1897,  des  bateaux  de  commerce  appartenant 
au  Portugal,  à  la  France,  à  l'Espagne,  à  l'Italie  furent  pris  et 
pillés  par  les  pirates  rifïains.  Des  indemnités  demandées  au 
Maroc  furent  payées  et  le  nouveau  sultan,  poussé  surtout  par 
l'Espagne,  dont  les  possessions  étaient  menacées,  dut  pro- 
mettre l'envoi  d'une  expédition  pour  châtier  les  rebelles. 
Quelques  troupes  ont  été  envoyées,  en  effet,  vers  le  Rifï,  où 
l'action  marocaine  est  en  train,  en  ce  moment,  de  s'exercer 
péniblement. 

Du  côté  de  la  frontière  française,  des  événements  assez 
graves  se  sont  produits  en  1897,  1898  et  1899.  L'ambassade 
marocaine  qui  fut  envoyée  en  France  en  mai  1897,  et  qui  y 
fut  reçue  avec  de  grands  honneurs,  n'avait  pas  encore  quitté 
Tanger  que  des  troubles  graves  éclataient  entre  l'amel 
d'Oudjda  et  ses  administrés,  toujours  pour  des  questions 
d'impôts.  Les  tribus  kabyles  des  environs,  après  avoir  obligé 


80  l'afrique  politique  en  1900 

l'amel  à  se  réfugier  dans  Oudjda,  vinrent  l'y  assiéger  et  se 
livrèrent,  en  territoire  français,  à  des  déprédations  qui  ame- 
nèrent des  escarmouches  avec  nos  troupes  et  nos  auxiliaires. 

La  situation  de  l'amel  était  des  plus  critiques,  lorsque,  à 
défaut  de  troupes,  le  sultan  lui  expédia  un  chef  religieux, 
qui,  à  force  de  diplomatie  et  en  promettant  aux  rebelles  une 
remise  d'impôts,  réussit  à  les  calmer. 

Les  troubles  ont,  d'ailleurs,  repris  dans  le  courant  des  années 
1898  et  1899,  et,  malgré  le  débarquement,  au  mois  de  novembre 
1898,  à  l'embouchure  du  Kiss,  la  rivière  frontière,  d'un  déta- 
chement de  soldats  marocains  venus  de  Tanger  pour  soutenir 
l'autorité  du  sultan,  ils  se  continuèrent  et  durent  encore. 

Tous  ces  incidents  de  frontières  nous  obligent  à  une  atten- 
tion continuelle,  mettent  nos  troupes  en  mouvement  et 
donnent  lieu  à  de  constantes  réclamations  à  la  cour  de  Fez. 
Les  tribus  marocaines,  réduites  d'ailleurs  à  un  état  de  misère 
navrant,  sont  hors  d'état  de  payer  les  contributions  réclamées 
par  leurs  autorités,  et  lorsque,  comme  au  printemps  de  1898, 
elles  sont  poussées  sur  notre  territoire  par  la  famine,  elles 
donnent  à  nos  indigènes  algériens  l'occasion  d'établir  une 
comparaison  suggestive  entre  les  résultats  amenés  par  des 
guerres  continuelles  et  les  bienfaits  de  la  paix  française. 

La  France,  on  l'a  déjà  dit,  n'a  pas  un  intérêt  immédiat  à 
voir  se  résoudre  la  question  marocaine.  Son  rôle  paraît 
devoir  se  borner,  de  ce  côté,  à  un  état  de  défensive  et  de  vigi- 
lance diplomatique,  tout  en  se  tenant  prête  à  répondre,  par 
une  action  énergique,  précise  et  décisive,  à  toute  entreprise 
tentée  par  une  puissance  quelconque  sur  les  domaines  de 
l'homme  malade  de  l'Occident  (1). 


(1)  Il  convient  cependant  de  rappeler  ici  le  vœu  émis,  le  23  novembre  1899,  par 
la  Société  de  géographie  d'Alger  : 

«  La  Société  de  géographie  appelle  l'attention  des  sociétés  françaises  de  géogra- 
phie, des  associations  pour  les  études  coloniales  et  du  public  français  sur  l'intérêt 
considérable  qu'il  y  aurait  à  placer  immédiatement  l'empire  du  Maroc  sous  le 
protectorat  de  la  France. 

»  Le  protectorat  d'une  puissance  européenne  s'impose  aujourd'hui.  La  France 
est  seule  à  pouvoir  le  réaliser  dans  les  meilleures  conditions,  avec  les  moyens 
dont  l'Algérie  peut  disposer  de  suite  dans  ce  but,  et  le  régime  nouveau  serait 
favorablement  accueilli  par  le  sultan  et  par  son  peuple.  » 


MAROC  81 

La  diminutio  capitis  subie  récemment  par  l'Espagne  oblige 
cette  puissance  à  une  expectative  semblable,  favorable  à  nos 
intérêts;  et  il  y  a  lieu,  semble-t-il,  d'accueillir  avec  satisfac- 
tion la  nouvelle  de  la  réception  cordiale  qui  vient  d'être  faite 
par  le  sultan  du  Maroc  à  l'ambassade  russe  envoyée  auprès  de 
lui,  au  mois  de  mai  1899. 

Le  Maroc,  puissance  religieuse  avant  tout,  dernier  vestige 
des  royaumes  musulmans  indépendants  du  nord  de  l'Afrique, 
cherche  naturellement  à  réunir  dans  son  orbite  toutes  les 
tribus  de  même  religion  qui  gravitent  autour  de  lui.  Il  n'y  a 
pas  longtemps  que  l'empereur  du  Maroc  était  écouté  et  obéi 
jusqu'à  Tombouctou  et  jusqu'aux  rives  du  Sénégal.  Mais,  d'un 
côté,  l'activité  française  et,  de  l'autre,  l'esprit  turbulent  des 
tribus  sahariennes,  retenues  seulement  par  l'ascendant  reli- 
gieux des  envoyés  du  sultan,  eurent  vite  fait  de  détacher  du 
Maroc  les  populations  les  plus  éloignées. 

La  limite  entre  l'Algérie  et  le  Maroc  a  été  tracée,  d'un  com- 
mun accord,  de  la  mer  à  Teniet-Sassy,  vers  le  chott  El-Gharbi. 
Au  sud  de  ce  point,  il  n'y  a  pas  de  frontière  entre  les  deux  pays. 
La  France  n'y  reconnaît  aucun  droit  au  Maroc,  sauf  le  droit 
du  premier  occupant. 

Les  droits  que  les  Marocains  revendiquent,  ils  les  tiennent 
de  conquêtes  passées  et  d'une  occupation  aujourd'hui  tombée 
dans  l'oubli;  celle-ci  s'exerçait  autrefois  aussi  bien  sur  le 
Touat  que  sur  les  peuplades  musulmanes  qui  parcourent  le 
Sahara  entre  l'Atlas,  l'Océan  et  le  Niger. 

Quelques-unes  de  ces  tribus  paient  encore  une  redevance 
au  sultan  de  Fez,  mais  presque  toutes  oublient  leur  ancienne 
sujétion  pour  ne  plus  se  reconnaître  que  ses  subordonnés  spi- 
rituels. 

Le  Maroc  surveille  cependant  avec  jalousie,  comme  on  l'a 
vu,  l'accès  de  ses  côtes  et  cherche  à  s'opposer  à  toute  prise  de 
possession,  de  la  part  des  étrangers,  d'un  point  quelconque  de 
son  littoral. 

Un  coup  d'oeil  jeté  sur  la  carte  d'ensemble  de  l'Afrique  ré- 

Afr.  polit.  6 


l'afrique  politique  ex  1900 


vêle  immédiatement  l'importance  politique  et  stratégique  du 
Maroc.  Ce  n'est  pas  seulement  à  cause  de  sa  situation  sur  l'une 
des  rives  du  détroit  de  Gibraltar  et  de  l'importance  de  ses 
deux  façades  maritimes  que  les  débris  du  Maroc  sont  si  con- 
voités par  diverses  puissances;  c'est  aussi  par  ce  fait  que  ce 
pays  se  trouve  au  point  de  transition  de  deux  continents,  de 
deux  inondes  différents,  et  que  sa  position  à  l'angle  nord- 
ouest  de  l'Afrique  lui  donne  un  rôle  privilégié  dans  la  future 
répartition  du  commerce  et  des  influences. 

Le  Maroc  au  pouvoir  exclusif  de  l'Espagne  ou  de  l'Angle- 
terre, c'est  la  Méditerranée  fermée  brusquement  sinon  au 
commerce  général,  tout  au  moins  aux  libres  mouvements  de 
nos  flottes.  C'est  la  France  définitivement  coupée  en  deux  au 
point  de  vue  de  ses  communications  maritimes  entre  ses  côtes 
de  l'Océan  et  de  la  Méditerranée. 

Le  Maroc  ou  ses  côtes  septentrionales  aux  Anglais,  c'est, 
avec  la  possession  de  l'Egypte  et  du  Cap,  l'enserrement  plus 
étroit  du  continent  entre  les  sommets  de  l'immense  triangle 
africain,  tous  au  pouvoir  de  l'Angleterre.  Celle-ci,  possédant 
déjà  le  fond  de  ses  golfes  principaux,  ceux  de  Guinée,  de  Zan- 
zibar, de  Zeïlah  avec  Aden,  jouirait  alors  d'une  influence 
prépondérante  sur  toutes  les  côtes  intermédiaires.  Ce  serait 
l'achèvement  de  l'investissement  de  l'Afrique,  et  on  comprend 
de  reste  que  catte  perspective,  si  favorablement  envisagée  par 
les  Anglais,  ne  soit  pas  du  goût  des  autres  nations  euro- 
péennes qui  ont  des  intérêts  au  delà  de  la  Méditerranée. 

Telle  est  la  raison  des  luttes  apparentes  ou  cachées  qui  se 
livrent  autour  du  trône  du  sultan  du  Maroc;  tel  est  aussi  le 
motif  qui  doit  poussjr  la  France  à  surveiller  avec  une  extrême 
attention  les  intrigues  étrangères  dans  ce  coin  de  l'Afrique, 
à  n'y  permettre  aucune  atteinte  à  son  prestige,  et  à  se  tenir 
prête  à  y  prévenir,  par  la  force  ou  la  diplomatie,  toute  inter- 
vention étrangère.  C'est  une  nécessité  vitale  pour  son  empire 
d'Afrique.  D'ailleurs,  les  événements  se  précipitent,  et  une 
solution,  là  comme  autre  part,  interviendra  peut-être  à  bref 
délai. 


LK    SAHARA  83 


Le  Sahara. 


Le  Sahara  obstacle  relatif.  —  Description  sommaire.  —  Les  Touareg.  —  Expan- 
sion française.  —  Projet  d'expédition  du  gênerai  Philebert.  —  Les  Transsaha- 
riens. —  Routes  du  Sahara.  —  Les  chemins  de  fer  de  l'avenir. 


Plus  on  connaît  le  Sahara  et  moins  on  est  effrayé  de  l'ob- 
stacle qu'il  oppose  à  la  pénétration. 

C'est,  évidemment,  en  l'état  actuel  des  choses,  une  for- 
midable barrière;  mais,  si  elle  a  de  tous  temps  arrêté  les 
migrations  des  peuples  et  partagé  l'Afrique  en  deux  parties 
sans  contacts  intimes,  les  infiltrations  continuelles  qui  se 
sont  produites,  d'un  bord  à  l'autre  de  son  immense  surface, 
servent  à  démontrer  qu'il  n'est  point  aussi  inhabitable  qu'on 
l'a  cru  jusqu'ici. 

Le  Sahara  est  une  réunion  confuse  de  déserts  et  de  régions 
habitées.  Ses  limites  elles-mêmes  ont  varié  avec  les  apprécia- 
tions des  géographes.  Les  uns  lui  donnent  pour  limites 
l'Océan,  l'Atlas,  la  Méditerranée,  le  plateau  de  Barka,  le  Nil, 
une  ligne  allant  de  Khartoum  au  Tchad  et  à  Tombouctou, 
puis  le  cours  du  Niger  et  du  Sénégal;  d'autres  le  rejettent 
en  dehors  des  limites  des  États  riverains  de  la  Méditerranée 
et  de  ceux  du  Soudan. 

Du  Nil  à  l'Océan,  sur  5.000  kilomètres,  et  de  l'Atlas  au  Sou- 
dan, sur  1.500  kilomètres,  le  Sahara  donne  asile  à  500.000 
habitants  environ  sur  une  superficie  de  7  à  «S  millions  de  kilo- 
mètres carrés  et  à  une  altitude  moyenne  de  350  mètres. 

Ce  qui  donne  à  l'immense  étendue  du  Sahara  son  caractère 
d'unité,  malgré  la  différence  du  relief,  c'est  la  rareté  ou  le  manque 
absolu  d'eau  vive  dans  toutes  les  parties  du'territoire,  à  l'exception 
des  régions  de  montagnes  dont  les  hauts  sommets  pénètrent  dans 
les  couches  supérieures  de  l'air.  Ce  n'est  pas  dans  le  sol  lui-même, 
c'est  dans  les  régions  aériennes  qu'il  faut  chercher  l'origine  du 
Sahara. 


84  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 


Ces  étendues  blanches  qui  partagent  en  deux  le  continent  afri- 
cain  ne  sont  pour  ainsi  dire  qu'un  rellet  du  ciel  qui  les  éclaire. 

Évidemment,  le  grand  désert  africain  est  dû  à  ces  mêmes  causes 
qui  ont  amené  la  formation  d'autres  déserts  dans  le  continent 
d'Asie. 

Le  Sahara  prolonge  seulement  vers  l'ouest  la  zone  des  territoires 
presque  entièrement  dépourvus  de  végétation  arborescente  qui  tra- 
verse la  Mongolie,  le  Touran,  l'Iran  et  l'Arabie. 

C'est  à  la  sécheresse  des  vents  qu'est  due  l'existence  de  cette 
longue  bande  de  déserts,  d'environ  12.500  kilomètres,  traversant 
obliquement  tout  l'ancien  monde  avec  ses  bandes  parallèles  de 
steppes  et  d'avant-déserts.  Humboldt  a  donné  à  l'ensemble  des  dé- 
serts d'Asie  et  d'Afrique  le  nom  de  «  lit  des  vents  polaires  », 
comme  si  les  courants  aériens  qui,  dans  la  zone  tropicale,  de- 
viennent les  vents  alizés,  suivaient  régulièrement,  à  travers  les 
deux  continents,  le  chemin  indiqué  par  la  traînée  blanche  des 
sables.  11  n'en  est  pas  tout  à  fait  ainsi (Elisée  Reclus.) 

Le  savant  géographe  qui  a  écrit  ces  lignes  soutient,  comme 
M.  l'ingénieur  Rolland,  que  le  Sahara  n'est  point  un  fond  de 
mer  desséchée,  car,  «  en  dehors  du  Sahara  berbère,  on  n'a 
pas  trouvé  de  débris  d'origine  marine  dans  les  autres  régions 
du  désert  :  craies  et  roches  arénacées,  granits,  gneiss,  por- 
phyres et  basaltes,  qui  font  saillie  sur  la  surface  inégale  du 
Sahara,  ne  portent  d'autres  traces  que  celles  de  l'action  des 
airs,  des  pluies  et  du  soleil  ». 

D'autres  géographes  ont  l'opinion  contraire,  basée  sur 
l'existence  des  salines  parsemées  dans  le  désert,  et  le  colonel 
Monteil  n'a  pu  expliquer  la  formation  des  dalhoh  du  Soudan, 
immenses  lits  de  fleuves  aujourd'hui  à  sec,  que  par  l'hypo- 
thèse d'une  mer  saharienne  brusquement  déversée  dans 
l'Atlantique,  à  la  suite  du  soulèvement  qui  s'étend  encore  de 
l'Ouganda  au  Touat. 

Peut-être  la  vérité  se  trouve-t-elle  entre  les  opinions  ex- 
trêmes. 

On  peut  imaginer  que  le  Sahara  fut  un  vaste  lac  salé  très 
peu  profond,  desséché  par  l'action  simultanée  des  soulè- 
vements géologiques  et  des  éléments  aériens,  et  dont  la 
surface,  ravagée  ensuite  pendant  de  longs  siècles  par  les 
météores,  n'a  conservé  aucune  trace  des  dépôts  sédimen- 


SAHARA  85 

taires  que  le  vent  a  pu  réduire  en  poussière  et  disperser  de 
tous  côtés. 

Les  futures  explorations  du  Sahara  et  les  observations 
scientifiques  que  l'avenir  nous  réserve  donneront  sans  doute, 
un  jour,  la  solution  de  ce  problème. 

La  seule  population  du  Sahara  qui,  par  le  nombre,  sinon 
par  la  puissance,  soit  digne  d'intérêt,  est  celle  des  Touareg. 

Leur  origine  se  perd  dans  les  légendes.  Ils  seraient  de  race 
berbère  et  on  a  trouvé  sur  leur  territoire  des  silex  taillés  et 
autres  instruments  de  pierre.  Le  terme  arabe  «  Touareg  »,  qui 
signifie  les  «  abandonnés  »  de  Dieu,  à  cause  du  temps  qu'ils 
mirent  à  adopter  la  religion  de  Mahomet,  n'est  pas  le  nom 
que  ces  populations  se  donnent  à  elles-mêmes.  Elles  s'ap- 
pellent Imoghah,  Imajirhen,  Imocharh,  etc.,  termes  dont  le 
radical  éveille  l'idée  d'indépendance. 

Elisée  Reclus  les  divise  en  quatre  tribus  ou  confédérations  : 
celles  des  Azdjers  et  des  Hoggars  ou  Touareg  du  Nord;  celles 
des  Kel-Owi  et  des  Aouelimiden  ou  Touareg  du  Sud. 

Ce  sont  les  Azdjers,  qui  habitent  entre  Rhat  et  l'Igharghar, 
qui  se  sont  montrés  les  moins  sauvages  et  les  plus  hospita- 
liers; parmi  eux,  la  tribu  dominante  est  celle  des  Oraghen;  la 
plus  civilisée  est  celle  des  Ifoghas,  l'alliée  des  Français. 

Les  Hoggars  constituent  une  confédération  guerrière  habi- 
tant une  région  montagneuse  entre  les  Azdjers  et  le  Touat.  Ils 
sont  au  nombre  d'environ  30.000,  divisés  en  une  trentaine  de 
tribus. 

Les  uns  et  les  autres  portent  le  costume  des  anciens  Gau- 
lois et  quelques-uns  ont  les  yeux  bleus.  Leurs  armes  habi- 
tuelles sont  le  glaive,  la  lance  et  le  fusil,  «  l'arme  de  la  traî- 
trise ».  On  sait  que  leur  principale  industrie  est  la  guerre  et  le 
pillage,  ou  la  mise  à  rançon  des  caravanes  qui  sont  obligées 
d'emprunter  leur  territoire. 

Les  Kel-Owi  habitent  l'Air  ou  Asben  et  les  régions  voisines: 
ils  se  sont  fortement  mélangés  avec  la  race  noire  et  ont  des 
relations  suivies  avec  les  Haoussas. 

Les  Aouelimiden  occupent  le  Sahara  entre  les  Hoggars  et 


86  l'afrique  politique  en  1900 

le  Niger:  ils  ont  même  fortement  empiété  au  sud  du  fleuve  et 
se  divisent  en  de  nombreuses  tribus  qui  dominent  les  envi- 
rons de  Tombouctou. 

Ces  quatre  confédérations  occupent  tout  le  centre  du  Sahara,, 
sur  une  superficie  égale  à  trois  ou  quatre  fois  celle  de  la  France 
et  qui  contient  des  régions  très  différentes,  mélange  de  déserts 
arides,  de  montagnes  parfois  arrosées  et  boisées  et  d'oasis 
cultivées. 

A  l'est,  dans  le  Sahara  oriental,  on  ne  trouve,  en  dehors  de 
la  Tripolitaine,  que  les  Oulad-Sliman,  nomades  pillards,  pro- 
pagateurs de  la  doctrine  des  Senoussias,  les  populations  Tou- 
bous  et  celles  des  oasis  de  Koufra  et  du  Borkou. 

A  l'ouest,  dans  le  Sahara  occidental,  vivent,  sur  le  littoralr 
quelques  tribus  berbères  et,  à  l'intérieur,  les  Arabas  Bérabich 
et  Kounta,  ces  derniers,  marabouts  renommés  pour  leur  sa- 
gesse, dispersés  partout  et  paraissant  jouir  d'une  certaine 
influence  sur  les  Hoggars;  puis,  les  Oulad-bou-Sba,  grands 
pillards,  les  Oulad-Delim,  les  Berbères  de  l'Adrar,  dominés 
par  les  Yahia-ben-Othman,  et  les  Maures  riverains  du  Sénégal. 
Toutes  ces  populations,  très  divisées  entre  elles,  sont  en 
partie  dominées  par  les  Français  du  Sénégal,  qui  ont  déjà 
imposé  leur  protectorat  à  celles  de  l'Adrar. 

On  voit,  par  cette  rapide  énumération,  que  les  seules  popu- 
lations qui  tiennent  réellement  le  Sahara  et  qui  présentent 
quelque  cohésion  sont  les  Touareg. 

Qui  est  maître  des  Touareg  est  maître  du  Sahara  et  de  ses 
routes.  Celui  qui  a  intérêt  à  dominer  ce  pays,  et  c'est  le  cas  de 
la  France,  doit  donc,  ainsi  que  l'enseignent  toutes  les  tac- 
tiques, s'attaquer  au  point  fort,  dont  la  chute  entraîne  la  pos- 
session de  tous  les  autres. 

C'est  aujourd'hui  sur  les  Touareg  que  doit  porter  l'action 
française.  Et  le  temps  est  d'autant  mieux  venu  de  la  faire 
sentir  que  ceux-ci  se  trouvent  tous  les  jours  dans  la  dépen- 
dance plus  étroite  des  Senoussias.  depuis  que  leur  mahdi. 
poussé,  dit-on,  par  les  Anglais,  a  transporté  plus  près  du 
centre  du  Sahara,  dans  l'oasis  de  Koufra,  le  siège  de  son  in- 
fluence. De  là  il  aurait,  paraît-il.  signifié  tout  récemment  aux 


SAHARA  87 

Touareg  de  refuser  tout  passage  aux  étrangers  quels  qu'ils 
soient. 

Il  y  a  près  de  quarante  ans,  dès  la  fin  de  la  conquête  de  l'Al- 
gérie, le  maréchal  Randon  était  déjà  d'avis  de  commencer 
l'œuvre  de  pénétration  et  d'ouvrir  vers  le  Sud  l'ère  des  expé- 
ditions militaires.  Cet  avis  ne  fut  pas  partagé  et,  malgré  l'opi- 
nion de  beaucoup  d'officiers  d'Afrique  qui  sentaient  que  la 
résistance  à  notre  action  avait  son  principal  point  d'appui 
vers  le  sud  de  la  colonie,  aucune  suite  ne  fut  donnée  aux  pro- 
positions venues  d'Algérie. 

Que  vous  le  vouliez  ou  non,  disait  alors  le  général  Margueritte, 
la  force  des  choses,  comme  l'expérience  l'a  prouve,  vous  poussera 
en  avant  et  vous  obligera  à  marcher.  Vous  irez,  bon  gré  mal  gré, 
jusqu'au  poiut  d'où  vous  assurerez  l'ordre,  la  paix  et  le  libre  transit 
des  caravanes. 

Parole  de  prévoyance  et  d'expérience  qui  pourrait  s'appli- 
quer encore  aujourd'hui  à  l'Algérie  comme  au  Soudan  et  qui 
nous  dicte  le  programme  que  nous  devons  appliquer  au  centre 
comme  au  sud  du  Sahara. 

Depuis  une  quinzaine  d'années,  les  routes  qui  avaient  été 
ouvertes  devant  Duveyrier  et  quelques  autres  voyageurs  se 
sont  refermées  à  la  suite  de  la  propagande  des  Senoussias  (1), 
de  la  jalousie  des  négociants  musulmans  de  Ghadamès.  pous- 
sés par  les  Anglais  et  les  Italiens,  et  de  ceux  d'In-Salah,  sou- 
tenus par  le  Maroc. 

Divers  événements,  survenus  dans  ces  derniers  temps,  ont 
aussi  contribué  à  arrêter  la  pénétration  vers  le  Sud.  Ce  sont 
les  pillages  continuels  des  Touareg,  l'insurrection  de  Bou- 
Amama,  le  massacre  de  la  mission  du  colonel  Flatters,  du 
lieutenant  Palat  et,  tout  récemment  (8  juin  189G),  de  la 
mission  de  Mores. 

Le  marquis  de  Mores,  parti  de  Tunis  pour  Rhat  et,  de  là, 
pour  le  Soudan,  en  mission  à  la  fois  politique  et  commerciale, 


(1)  Dès  1897,  on  a  reçu  en  Algérie,  par  la  voie  d'Ain  S,  fia,  <lr<  lettres  apportées 
de  Tombouctou  par  caravane. 


l'aerique  politique  en  1900 


emmenait  avec  lui  quelques  commerçants  et  une  escorte  de 
cinq  hommes  seulement.  A  150  kilomètres  au  sud  du  dernier 
poste  français  en  Tunisie,  près  de  Sinaoun,  sur  la  route  de  Gha- 
damès, dans  le  pays  de  la  peur,  il  tomba  dans  une  embuscade 
et  fut  tué  avec  presque  tous  ses  compagnons. 

Ce  désastre  a  été  attribué  à  diverses  causes  :  d'abord  l'an- 
nonce que  la  mission  portait  avec  elle  de  grandes  richesses, 
qu'elle  allait  essayer  d'établir  des  relations  avec  Rhat,  la 
rivale  de  Ghadamès,  enfin,  l'état  politique  du  Sahara. 

C'était,  en  elïet,  le  moment  où  Rabah  était  victorieux  au 
Soudan,  où  l'entrée  des  Français  à  Tombouctou  était  connue 
dans  le  Sahara,  ainsi  que  les  craintes  des  gens  du  Touat  de 
voir  arriver  une  colonne  française.  Enfin,  les  entreprises  des 
Anglais  au  Soudan  avaient  fait  craindre  aux  Touareg  de  voir 
le  commerce  du  sel  passer  aux  mains  de  l'Angleterre,  qui 
l'aurait  fourni  au  Soudan  par  la  voie  du  Niger. 

Remarquons  que  cette  dernière  crainte  est,  au  contraire, 
de  nature  à  rallier  les  Touareg  à  notre  désir  de  créer  un 
mode  de  transport  rapide  entre  leur  pays  et  le  Soudan. 

Le  massacre  de  la  mission  de  Mores  paraît  avoir  été  le  fait 
de  coupeurs  de  route  ordinaires,  soudoyés  peut-être  par  les 
négociants  de  Ghadamès  et  par  d'autres  intéressés,  mais  non 
la  suite  d'un  complot  politique  dans  lequel  auraient  trempé 
les  Azdjers. 

La  crainte  des  représailles,"  qui  fut  la  conséquence  de  ces 
événements,  eut  pour  efïet  de  rendre  les  Touareg  moins  ac- 
cueillants et  de  rapprocher  du  Maroc  les  tribus  du  Touat  et 
des  régions  voisines.  Dans  ces  dernières  années  cependant,  la 
mission  de  MM.  d'Attanoux  et  Foureau  a  pu  pénétrer  chez  les 
Azdjers  et  essayer  de  renouer  les  relations  d'amitié  consacrées 
par  le  traité  de  Ghadamès. 

On  a  reconnu  que  les  dispositions  des  chefs  azdjers  étaient 
toujours  favorables,  que  le  massacre  de  la  mission  du  marquis 
de  Mores  ne  leur  était  pas  imputable  et  qu'il  serait  possible, 
avec  quelque  esprit  politique,  de  nouer  avec  leurs  tribus  des 
relations  commerciales  suivies. 

Mais,  s'il  est  possible  de  s'entendre  avec  les  Azdjers,  il  n'en 


SAHARA  89 

est  pas  de  même  du  côté  des  Hoggars.  Cette  race  de  guerriers 
et  de  pillards,  plus  encore  que  le  reste  des  populations  musul- 
manes de  l'Algérie,  ne  nous  a  jamais  laissés  faire  un  pas  en 
avant  sans  une  lutte  acharnée.  «  Pour  pénétrer  le  Sahara,  dit 
encore  le  général  Margueritte,  il  faut  la  force  ;  le  peuple  mu- 
sulman ne  nous  a  jamais  laissés  faire  un  pas  en  avant  sans 
avoir  l'excuse  de  céder  à  la  force.  » 

C'est  en  se  fondant  sur  cette  opinion  et  sur  son  expérience 
personnelle  que  le  général  Philebert  proposait,  dès  1886,  un 
projet  de  mission  dont  le  triple  but  était  : 

1°  De  venger  le  massacre  de  la  mission  Flatters,  dont  l'im- 
punité était  très  défavorablement  appréciée  dans  tout  le 
Sahara; 

2°  De  faire  échec  aux  Senoussias,  qui  venaient  d'installer 
leurs  zaouias  à  Rhat  et  à  Insalah; 

3°  D'imposer  la  paix  aux  Hoggars  et  de  saisir  un  point  d'où 
la  protection  et  le  libre  parcours  des  caravanes  fussent  as- 
surés. 

Ce  devait  être  une  mission  armée  se  présentant  sous  des 
dehors  pacifiques,  mais  possédant  une  organisation  suffisante 
pour  s'imposer  par  la  force.  Elle  se  serait  composée  de  1.500 
fusils,  1  batterie,  100  cavaliers  et  2.000  chameaux  portant 
100  jours  de  vivres  et  conduits  par  450  convoyeurs. 

Son  point  de  départ  eût  été  Metlili;  son  objectif  Idelès,  sur 
l'Igharghar,  où  la  colonne  se  fût  établie  et  ravitaillée.  De  là 
elle  se  fût  rendue  à  la  Sebkha  d'Amadghor  pour  y  construire 
un  fort,  y  saisir  les  salines  et  y  faire  revivre  l'ancien  marché 
signalé  par  Duveyrier.  L'expédition,  partant  le  15  octobre  de 
Metlili,  eût  atteint  Amadghor  le  1er  février  suivant  et  serait 
rentrée  fin  avril  pour  éviter  la  chaleur  de  l'été. 

Exposé  dans  ses  détails  avec  la  haute  compétence  de  l'au- 
teur, ce  projet  séduit  par  la  simplicité  relative  des  moyens 
mis  en  œuvre  autant  que  par  l'importance  des  résultats  à 
obtenir. 

Idelès  est  en  effet  une  localité  du  pays  des  Hoggars  qui 


90  l'afrique  politique  en  1900 

possède,  à  environ  1.500  mètres  d'altitude,  de  l'eâu  excel- 
lente en  abondance;  son  climat  est  réputé  meilleur  que  celui 
de  Laghouat  et  d'Ouargla. 

Quant  à  la  Sebkha  d'Amadghor,  c'est  un  des  points  straté- 
giques les  plus  remarquables  du  Sahara,  et  l'existence  de 
l'ancien  marché,  signalé  par  Duveyrier  au  temps  où  les 
Touareg  étaient  réunis  en  une  seule  nation,  en  marque  toute 
l'importance.  C'est  là  que  les  Kel-Owi  venaient  s'approvi- 
sionner du  sel  qu'ils  vont  aujourd'hui  chercher  dans  l'oasis 
de  Bilmu.  C'est  aussi  le  point-limite  du  parcours  des  Azdjers 
et  des  Hoggars,  aussi  bien  qu'une  dépression  remarquable 
entre  le  Tassili  et  le  massif  des  Hoggars,  entre  le  bassin  de 
l'Igharghar  et  le  bassin  des  fleuves  sahariens  qui  coulaient 
autrefois  vers  le  Niger. 

Pour  y  parvenir,  on  devait  négocier  encore  plus  que 
combattre,  s'assurer  l'amitié  et,  s'il  est  possible,  la  coopé- 
ration des  Azdjers  ennemis  des  Hoggars,  gagner  les  chefs  des 
Hoggars  ou  soutenir  les  prétentions  de  certains  autres  chefs 
dépossédés,  enfin  nouer  des  intelligences  avec  les  Aouelimi- 
den  pour  empêcher  la  retraite  des  Hoggars  au  cas  où  ils  vou- 
draient en  venir  aux  mains  avec  nous. 

Ce  programme,  on  le  voit,  vise  avant  tout  la  soumission  des 
Touareg,  car  le  général  Philebert  fait  remarquer,  dans  son 
projet  de  188G,  que  la  question  du  Touat  et  la  possession  d'In- 
salah  dépendent  avant  tout  de  la  chute  de  la  puissance  des 
Touareg.  Il  estimait,  sans  doute  à  tort,  que  l'attaque  d'Insalah 
serait  de  nature  à  faire  naître  des  complications  avec  le  Maroc 
et  même  avec  l'Espagne.  Or,  on  se  rappelle  que,  depuis  188G,  le 
gouvernement  français  a  nié  hautement  les  prétentions  du 
Maroc  sur  le  Touat. 

La  question  a  donc  pris  une  tournure  nouvelle,  surtout  en 
ce  moment  où  le  Maroc  subit  un  recul  d'influence  et  où  M.  le 
gouverneur  général  de  l'Algérie  vient  de  démontrer  que  l'oc- 
cupation du  Touat  n'était,  comme  on  l'a  dit,  qu'une  question 
de  police  saharienne. 

Le  Touat,  mot  berbère  signifiant  «  les  oasis  »,  est  une  vaste 


SAHARA  91 

dépression  couverte  de  palmiers  et  qui  comprend  sous  sa  dé- 
nomination le  Gourara,  le  Tidikelt  et  diverses  autres  vallées. 
Sa  vallée  maîtresse  est  celle  de  l'oued  Messaoura,  dont  les 
eaux  se  perdent  dans  le  sable,  en  amont  du  Touat,  et  qui  de- 
vait être,  autrefois,  un  affluent  du  Niger. 

Le  Touat,  centre  d'un  commerce  important  avec  le  Maroc, 
l'Algérie,  les  Touareg,  Tombouctou,  joue,  à  l'ouest  du  massif 
des  Hoggars,  le  même  rôle  que  la  région  d'Amadghor  à 
lest.  C'est  une  région  dont  le  rôle  stratégique  s'exerce  à  la 
fois  sur  les  Hoggars  et  le  Maroc  et  qui,  entre  nos  mains,  de- 
viendra le  centre  du  rayonnement  de  la  puissance  française 
vers  l'ouest  et  vers  le  sud. 

Si  Insalah  et  les  nombreux  villages  qui  l'entourent  ont  une 
grande  importance  au  point  de  vue  des  routes  de  caravanes 
qui  y  aboutissent,  nous  devons  signaler  aussi,  plus  à  l'est, 
entre  le  pays  des  Chaambas  et  celui  des  Hoggars,  la  localité 
d'Amguid,  revendiquée  par  les  uns  et  les  autres.  On  y  trouve 
de  l'eau  courante,  des  terrains  cultivés,  et,  de  là,  une  route 
mène  à  Tombouctou  par  Timissao,  ville  autrefois  importante 
où  l'on  trouve  encore  les  restes  d'un  fort  marocain. 

L'attention  se  porte  d'ailleurs  de  plus  en  plus  vers  le  Sud 
algérien.  On  a  vu,  lorsqu'on  a  parlé  de  l'Algérie,  que  la  ques- 
tion des  trois  chemins  de  fer  de  Djenlen-bou-Resgh,  de  La- 
ghouat  et  de  Ouargla  était  à  l'ordre  du  jour,  et  que  la  créa- 
tion des  troupes  sahariennes  et  la  construction  des  forts 
Miribel,  Mac-Manon  et  d'Hassi-Inifel  dénotaient  la  volonté 
de  mettre  fin  aux  incursions  des  nomades  et  de  pousser  plus 
avant  vers  le  Sud.  On  sent,  en  Algérie,  que  le  moment  est 
venu  de  consolider  définitivement  notre  puissance  en  ces  ré- 
gions. Aussi  a-t-on  noté  avec  plaisir  le  plan  d'occupation 
récemment  exposé  par  M.  Laferrière  au  conseil  supérieur  de 
gouvernement,  et  appris  avec  soulagement  le  succès  de  nos 
entreprises  au  Touat. 

Tous  les  projets  d'extension  vers  le  sud  n'ont  au  fond 
d'autre  objet  que  d'ouvrir  les  routes  du  Soudan,  et  de  pré- 


92  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

parer  le  moyen  de  pousser  vers  le  sud  le  Transsaharien  pro- 
jeté depuis  si  longtemps. 

C'est  cette  idée  qui  a  provoqué  l'envoi  de  la  mission 
Foureau-Lamy,  tout  autant  que  le  désir  de  placer  l'Angle- 
terre vis-à-vis  du  fait  accompli  en  ce  qui  concerne  la  jonc- 
tion de  nos  possessions  soudanaises  et  congolaises. 

Le  commandant  Lamy,  des  tirailleurs  algériens,  et  l'explo- 
rateur Foureau,  chef  de  mission,  quittaient  Biskra  au  mois 
d'octobre  1898,  avec  180  tirailleurs,  deux  pièces,  un  déta- 
chement du  génie  et  un  millier  de  chameaux.  Le  18  no- 
vembre, ils  atteignaient  Temassinin,  précédés  par  le  capi- 
taine Pein  et  le  lieutenant  de  Thézilliat,  qui,  chargés  du 
ravitaillement,  y  construisaient  un  fort.  Le  25  novembre,  la 
mission  quittait  Temassinin,  arrivait  à  Tikhammar,  à  70  kilo- 
mètres au  nord  de  la  Sebkha  d'Amadghor,  le  20  décembre, 
à  Afara  le  1er  janvier  1899,  et  à  Tadent  le  17  janvier. 

De  Tadent,  MM.  Foureau  et  Lamy,  accompagnés  par  trente 
Chaambas,  allaient  visiter,  à  140  kilomètres  de  là,  le  point 
nommé  Tadjenout  et  non  Bir-el-Gharama,  où  fut  massacrée 
la  mission  Flatters  et  où  ils  ne  trouvèrent  aucun  vestige  du 
désastre. 

La  mission  repartait  de  Tadent  le  26  janvier  et,  après  la 
pénible  traversée  du  Tanezrouft,  atteignait  Assiou  le  1er  fé- 
vrier et,  le  lendemain,  In-Azaoua,  où  était  construit  le  fort 
Flatters. 

Peu  après,  elle  en  repartait  pour  l'Air,  à  dix  jours  de 
marche,  où  elle  doit  séjourner  et  où  sera  établie,  sans  doute, 
une  sérieuse  base  d'opérations. 

Pendant  ce  temps,  le  capitaine  Pein  poussait  une  pointe 
à  deux  jours  d'Amguid,  rentrait  à  Temassinin  le  7  décembre 
et  en  repartait  le  31  pour  organiser  la  ligne  d'étapes. 

Suivant  une  autre  route  que  celle  de  la  mission,  il  gagnait 
successivement  Tikhammar,  puis  Afara  et,  enfin,  Tadent.  où 
il  recueillait  le  lieutenant  de  Thézilliat,  qui  rentrait  d'accom- 
pagner un  convoi  à  Assiôu.  Il  revenait  ensuite,  par  la  Sebkha 
d'Amadghor  et  Amguid,  à  Temassinin,  et,  enfin,  le  27  mars, 
il  rentrait  à  Ouargla. 


SAHARA.  93 

Toutes  ces  marches  ont  été  accomplies  au  milieu  d'un  pays 
où  les  Touareg  avaient  fait  le  vide  et  ne  s'étaient  pas  montrés; 
pays  difficile  parfois,  où  l'on  rencontre  des  montagnes  éle- 
vées, et  où  la  ligne  de  partage  des  eaux  de  la  Méditerranée 
fut  franchie  à  1.3S2  mètres  d'altitude. 

Des  correspondances  déjà  reçues  de  la  mission,  il  résulte 
cependant  ce  fait  que  le  pays,  bien  que  l'eau  y  soit  rare, 
ne  s'oppose  en  rien,  malgré  les  difficultés  qu'on  y  rencontre, 
à  l'établissement  d'une  voie  ferrée,  d'un  tracé  même  facile. 
Les  renseignements  ultérieurs  fournis  par  la  mission  nous 
fixeront  entièrement  au  sujet  d'un  itinéraire  que  l'on  con- 
sidère de  plus  en  plus  comme  devant  être  suivi  par  le  pre- 
mier des  Transsahariens  à  exécuter. 

Les  bruits  fâcheux  répandus  sur  la  mission  au  moment  de 
la  déclaration  de  guerre  du  Transvaal  ont  été  heureusement 
démentis.  Après  avoir  eu  quelques  difficultés  de  ravitaille- 
ment à  surmonter  dans  l'Air,  la  mission  a  pu  poursuivre  sa 
marche  en  avant,  entrer  à  Zinder  au  mois  de  décembre  1899, 
et  continuer  vers  le  Tchad. 

Pendant  ce  temps,  les  missions  Voulet -Chanoine  et  Gentil- 
Bretonnet,  avec  lesquelles  la  jonction  avait  été  projetée  aux 
environs  du  Tchad,  subissaient  des  destins  divers. 

M.  Bretonnet,  après  avoir  soutenu  contre  les  masses  de  Ra- 
bah  une  lutte  héroïque  et  disproportionnée,  était  massacré 
avec  ses  compagnons  et  ses  30  Sénégalais.  Cet  événement 
découvrait  la  mission  Gentil  et  empêchait,  tout  au  moins  mo- 
mentanément, sa  marche  en  avant. 

Le  lieutenant  Pallier,  après  avoir  déployé  son  énergie  à 
s'assurer  de  la  succession  des  capitaines  Voulet  et  Chanoine, 
s'emparait  de  Zinder,  qu'il  faisait  occuper  par  2(10  tirailleurs, 
avant  de  rentrer  au  Soudan. 

C'est  là,  il  est  vrai,  une  étape  de  plus  vers  notre  objectif; 
mais  ces  événements  n'ont  pas  été  sans  diminuer  les  chances 
de  la  mission  Foureau-Lamy.  dont  les  forces,  jugées  déjà  à 
peine  suffisantes,  ont  à  remplir  une  tâche  aussi  glorieuse  que 
difficile. 

11  nous  reste  à  signaler,  en  terminant  ce  chapitre,  la  mis- 


94  l'afrique  poljtiqie  ex  1900 

sion  saharienne,  organisée  par  le  Matin  sous  la  direction  de 
M.  Blanchet,  pour  étudier  le  tracé  du  Transsaharien.  Cette 
mission  a  déjà  commencé  au  nord  du  Sénégal  une  étude  pré- 
liminaire à  ses  opérations  principales,  qui  s'exécuteront  dans 
le  Sud  algérien  à  l'automne  de  1900. 


LES  TRANSSAHARIENS 


De  très  nombreux  projets  de  voie  ferrée  se  dirigeant  de  la 
Méditerranée  vers  le  Soudan  ont  été  déjà  élaborés.  Leurs 
points  de  départ  se  trouvent  en  Algérie  et  en  Tripolitaine. 

Dès  1885,  le  voyageur  Rohlfs  conseillait  à  l'Italie  de  prendre 
possession  de  Tripoli.  «  Qui  possède  Tripoli  possède  le  Sou- 
dan! »  s'écriait-il,  et  il  faisait  valoir  les  avantages  d'une  voie 
ferrée  qui.  partant  de  Tripoli  ou  du  port  de  Braïga,  près  de 
la  Cyrénaïque,  se  dirigerait  sur  Mourzouk  et  de  là  sur  le 
Tchad  par  la  route  des  caravanes.  Ce  tracé,  jalonné  par  de 
nombreuses  oasis,  ne  présenterait  point  de  grandes  difficultés 
et  utiliserait  la  distance  la  plus  courte  de  la  Méditerranée  au 
Soudan. 

Plus  à  l'ouest,  outre  le  tracé  Rolland-Philebert,  qui  est  un 
des  plus  récents  et  des  mieux  étudiés,  on  a  proposé  les 
tracés  suivants,  issus,  pour  la  plupart,  d'El-Goléa,  cette  loca- 
lité ayant  été  préalablement  reliée  à  Alger  ou  à  Constantine. 

Tnicé  Largeau  :  El-Goléa,  Insalah  et,  de  là,  d'un  côté  sur 
Rhat  et  Kouka,  et  de  l'autre  sur  le  Touat  et  Tombouctou. 

Tracé  Duponchel :  El-Goléa,  Insalah,  le  Touat,  Tombouctou, 
Médine,  Saint-Louis. 

Tracé  Pouyanne  :  El-Goléa,  Insalah,  le  Touat,  Inzize,  Te- 
missao,  puis  d'un  côté  sur  Tombouctou  et  de  l'autre,  en 
aval,  sur  Igomaren. 


LES   TRANSSAHARIENS  95 


Tracé  Déporter:  Alger,  El-Goléa,  Insalah,  Assiou,  Agadès, 
Kano,  avec  bifurcation  au  nord  d'Assiou,  vers  le  Bouroum. 

Tracé  Broussais  :  Alger,  Insalah,  Bouroum,  avec  embran- 
chement de  l'Adrar  vers  le  Tchad. 

Tracé  Bouty-Sabatier  :  Djenien-bou-Resgh,  oued  Messaoura, 
Taourirt,  Tosaye  (Niger). 

Tracé  Mairette:  Aïn-Sefra,  Igli,  Taourirt,  Bouroum. 

Tracé  Mac  Costhy  :  A  diriger  vers  le  point  du  Niger  où  se 
fera  le  partage  des  routes  entre  le  Sénégal,  le  Dahomey  et  le 
Tchad. 

Tracé  Kramer:  Aïn-Sefra,  Touat,  Tombouctou. 

Tracé  Beau  de  Bâchas  :  Alger,  Temassinin,  Idelès,  l'Air  et, 
de  là,  d'un  côté  sur  Kouka  et  de  l'autre  sur  Sokoto  et  Boussa. 

Tracé  Soleillct  :  Alger,  Laghouat,  El-Goléa,  Insalah,  Inzize, 
Tombouctou,  Médine,  Saint-Louis. 

Tracé  Bolland-Philebert  (1890)  :  Biskra,  Ouargla,  Mokhanza, 
Aïn-Taïba,  El-Biod,  Amguid,  avec  deux  bifurcations  :  sur  le 
Tchad  par  Amadghor,  Bir-el-Gharoum,  Assiou,  Kouka,  avec 
variante  par  Bilma  et  Mosena;  sur  le  Niger  par  Timissao  et 
Bouroum. 

Tracé  /'.  leroy-Beaulicu  (1898)  :  Biskra.  Ouargla,  Amguid, 
Zinder. 

Chacun  de  ces  tracés,  et  nous  en  omettons,  répond  à  une 
idée  spéciale  et  aussi  à  des  besoins  différents  ;  nous  n'avons 
à  nous  occuper  ici  que  de  l'idée  française. 

Aussi,  pénétré  de  la  nécessité  du  Transsaharieu  au  point 
de  vue  national,  on  serait  tenté  de  dire,  avec  M.  Edmond 
Blanc,  que  le  meilleur  transsaharien  est  celui  qui  se  fera. 
Mais  il  faut  se  souvenir  que,  depuis  que  cette  parole  a  été 
prononcée,  les  événements  ont  marché,  le  problème  s'est 
posé  avec  des  données  de  plus  en  plus  précises,  et  la  nécessité 
d'une  voie  de  communication  rapide  dans  une  direction  dé- 
terminée s'est  tous  les  jours  affirmée  davantage. 

Tout  récemment,  sous  la  pression  des  événements  du  haut 
Nil,  M.  Paul  Leroy-Beaulicu,  dans  des  pages  émues,  poussait 
son  vigoureux  cri  d'alarme  et  développait  les  grandes  lignes 


96  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EX    1900 

du  Transsaharien  nécessaire.  Peu  après,  le  gouverneur  gé- 
néral de  l'Algérie  admettait  l'obligation  de  construire  les 
voies  sahariennes,  amorces  des  futurs  transsahariens.  Pres- 
que au  même  moment,  s'ouvrait  le  Congrès  de  géographie 
d'Alger,  le  Congrès  du  Transsaharien,  ainsi  qu'on  l'a  appelé. 
Là,  dans  des  discussions  étendues  et  parfois  passionnées, 
toutes  les  opinions  se  sont  produites  pour  mettre  en  lumière 
tantôt  les  intérêts  généraux  du  pays,  tantôt  les  rivalités 
locales,  aussi  bien  que  pour  soulever  discrètement  le  voile 
qui  cache  les  inquiétudes  étrangères  et  le  secret  désir  de 
voir  avorter  toute  tentative  d'exécution  immédiate.  On  y  a 
même  prononcé,  à  voix  basse,  le  terme  d'enterrement  défi- 
nitif du  projet.  Qu'on  se  rassure.  On  n'enterre  pas  aussi  faci- 
lement une  grande  idée  française.  Les  faits,  dans  un  avenir 
prochain,  espérons-le,  se  chargeront  de  répondre. 

Tout  a  été  dit  sur  le  Transsaharien.  Qu'on  l'ait  discuté  au 
point  de  vue  commercial,  cela  était  nécessaire.  Il  est  incom- 
préhensible qu'on  le  discute  encore  au  point  de  vue  straté- 
gique et  politique.  Ce  sera,  suivant  l'heureuse  expression  de 
M.  Paul  Leroy-Beaulieu,  notre  porte-respect  à  l'égard  des 
Anglais,  l'arme  qui  nous  évitera  de  futures  capitulations. 

Il  s'agit,  en  effet,  avant  tout,  de  conserver  et  de  défendre 
notre  Afrique.  Et  l'on  ne  peut  y  parvenir  qu'en  se  donnant 
la  possibilité  de  déverser  à  ses  extrémités  le  trop  plein  da 
forces  que  possède  l'Algérie.  C'est  en  Algérie,  voisine  de  la 
France,  que  se  trouve  notre  base  d'opérations  africaine.  C'est 
de  là  qu'il  nous  faut,  par  les  moyens  les  plus  rapides,  diriger 
nos  forces,  défensives  d'abord,  mais  aptes  à  l'offensive,  sur 
les  points  faibles  ou  dangereux  des  territoires  étrangers. 

En  pareil  cas,  la  question  politique  prime  toutes  les  autres. 
La  question  commerciale  sera  plus  tard  résolue.  Est-ce  que 
les  Anglais  s'en  préoccupent  lorsqu'ils  font  suivre  par  le  rail 
toutes  leurs  expéditions  coloniales  sans  exception?  Nous  en 
avons  eu  la  preuve  en  Afghanistan,  dans  l'Achantiland,  dans 
l'Est  africain.  Ils  viennent  encore  de  nous  en  donner  un 
exemple    remarquable   au    Soudan    égyptien,  où  800  kilo- 


AFRIQUE  NORD  OUEST 


Les  chemins  de  fer  de  l'avenir. 


/ 
Ayù  R  A  fi 


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-^——  Lianes  construites 

+  -H++   Lignes  d'intérêt  immédiat 

Lignes   futures 


2000    Kil. 


Afr.  polit. 


98  l'afrique  politique  en  1900 

mètres  de  voie  ferrée  ont  été  construits,  dit-on,  pour  30  mil- 
lions. D'après  leur  système,  le  chemin  de  fer  fait  la  conquête, 
crée  le  commerce,  et  le  commerce  accompagne  ensuite  le 
chemin  de  fer.  Telle  est  la  vérité. 

Il  faut  s'inspirer  de  ces  principes  et  se  dire  résolument  que 
le  Transsaharien  doit  être,  avant  tout,  stratégique  et  poli- 
tique. Dès  lors,  arrière  les  rivalités  locales!  C'est  là  une  ques- 
tion de  vie  nationale. 

Les  chemins  de  fer  sahariens,  mis  en  avant  par  M.  Lafer- 
rière,  constituent  une  œuvre  algérienne;  le  Transsaharien 
est  une  œuvre  française  à  exécuter  par  la  métropole. 

Le  Transsaharien  est  donc  nécessaire.  Mais  quel  est  celui 
qu'il  faut  choisir  parmi  tous  les  tracés  proposés? 

Pour  le  déterminer,  nous  allons  essayer  de  jeter  les  bases 
logiques  du  futur  réseau  Nord-Africain.  Mis  en  présence  du 
lot  qui  leur  a  été  réservé  en  Afrique,  les  Français  de  nos 
jours  ont  le  devoir  de  prévoir  largement  l'avenir,  en  vue  de 
constituer  fortement  l'empire  africain,  qui  sera  plus  tard  le 
principal,  sinon  le  seul,  de  nos  débouchés. 

Il  s'agit  ici,  en  définitive,  d'esquisser  une  vue  d'ensemble 
du  réseau  qui,  mis  à  exécution  avec  persévérance,  servira  à 
lier  plus  étroitement  le  faisceau  de  nos  possessions  et  à  leur 
donner  la  possibilité  de  desservir  les  régions  principales 
en  attendant  que  leur  développement  progressif  permette 
d'y  créer  les  lignes  secondaires.  Cela  fait,  il  nous  sera 
possible  de  déterminer  l'ordre  d'urgence  à  adopter  pour 
l'exécution  des  futurs  Transsahariens. 

La  première  des  questions  à  envisager  est  celle  des  routes 
actuellement  suivies  par  les  caravanes. 

Sans  compter  les  voies  transversales  qui  les  relient  entre 
elles,  les  routes  les  plus  fréquentées  du  Sahara  suivent  les 
directions  ci-après  : 

1°  Ouadaï,  Borkou,  Koufra,  basse  Egypte  ou  Cyrénaïque; 

2°  Tchad,  Mourzouk,  Tripoli,  avec  embranchements  d'un 
côté  sur  Rhat  et  Ghadamès,  de  l'autre  sur  le  pays  de 
Barka; 


LES  TRANSSAHARIENS  99 

3°  D'Agadès  partent  cinq  routes:  sur  Kouka,  Kano,  Sokoto, 
Gogo  sur  le  Niger,  et  sur  Assiou.  De  ce  point  des  routes 
mènent  à  Rhat.  Amguid  etlnsalah; 

4°  De  Gogo  à  Timissao  et  Insalah; 

5°  De  Tombouctou  à  Arouan,  Taoudeni,  Insalah.  D"  Arouan 
partent  des  routes  qui,  à  travers  le  Tanezrouft,  doivent 
aboutir  chez  les  Hoggars. 

De  Taoudeni,  deux  routes  se  dirigent,  par  Eglif,  l'une  sur 
El-Harib,  l'autre  sur  Ifni  ; 

6°  Du  Sénégal  à  l'Adrar  et  de  là  au  Maroc. 

Ces  routes  nous  indiquent  le  chemin  à  faire  suivre  aux 
voies  ferrées  de  l'avenir. 

Actuellement,  trois  chemins  de  fer  algériens  amorcent  les 
futures  lignes  transsahariennes,  et  les  trois  provinces  de  la 
colonie  sont  toujours  en  rivalité  aiguë  pour  obtenir  le  pro- 
longement immédiat,  vers  le  Sahara,  de  la  ligne  que  cha- 
cune possède. 

En  s'élevant  au-dessus  de  ces  rivalités,  l'homme  indépen- 
dant peut  se  faire  une  opinion  fondée  sur  l'étude  du  pays  et 
sur  celle  des  nécessités  géographiques. 

Si  de  l'Algérie  on  veut  atteindre  le  Niger  et  le  Congo,  l'exa- 
men de  la  carte  montre  que  le  passage  vers  le  Sud  est  barré 
par  deux  massifs  montagneux  :  le  Tassili  des  Azdjers  et  le 
massif  des  Hoggars.  Entre  ces  massifs,  ou  auprès  d'eux,  se 
trouvent  les  deux  dépressions  du  Touat  et  d'Amadghor, 
suivies  de  tout  temps  par  les  caravanes  et  qui  offrent  les  com- 
modités les  plus  grandes  pour  le  passage  des  voies  ferrées,  en 
même  temps  que  les  plus  grands  avantages  stratégiques. 

Donc,  en  dehors  de  toute  considération  de  parti,  puisque 
les  voies  ferrées  de  l'avenir  doivent  traverser  ces  dépressions, 
considérons-les  provisoirement  chacune  comme  le  point  de 
départ  d'une  ligne  à  diriger  vers  le  Soudan. 

Du  Touat,  le  point  du  Soudan  le  plus  rapproché  est  Tom- 
bouctou; c'est  également  le  point  le  plus  facile  à  atteindre  par 
une  voie  ferrée  qui,  passant  à  l'ouest  du  massif  des  Hoggars, 
suivrait,  par  les  vallées  qui  descendent  vers  le  Niger,  la  route 


100  l'afriqle  politique  ex  1900 

actuelle  des  caravanes,  par  Taoudeni  et  Arouan.  Or,  des  trois 
lignes  algériennes,  c'est  évidemment  celle  de  la  province 
d'Oran  qui,  aboutissant  à  Djenien-bou-Resgh,  peut,  le  plus 
facilement  et  dans  le  délai  le  plus  rapproché,  atteindre  le 
Touat.  C'est,  en  outre,  la  ligne  la  plus  courte  qui  aboutisse  à 
la  Méditerranée.  A  ces  divers  points  de  vue,  on  peut  dire,  en 
toute  logique,  que,  pour  atteindre  Tombouctou,  la  ligne  la 
plus  avantageuse  est  celle  d'Oran -Touat -Tombouctou. 

De  la  dépression  d'Amadghor,  les  pays  soudanais  les  plus 
faciles  à  atteindre  sont  les  marchés  de  Zinder  et  de  Kano,  et  le 
Tchad.  Par  la  rive  orientale  du  Tchad  on  atteindrait  ensuite, 
en  remontant  le  Chari,  le  coude  de  l'Oubangui  vers  son  con- 
fluent avec  le  Congo.  Les  deux  directions  de  Kano  et  du  Tchad 
passent  par  l'Air,  centre  des  populations  Kel-Owi  sédentaires. 

Si  maintenant  on  regarde  vers  le  Nord,  la  ligne  la  plus 
courte  pour  gagner  la  mer  d'Algérie  en  partant  d'Amadghor 
est  la  ligne  Temassinin-Ouargla-Philippeville.  Donc,  toutes 
considérations  de  politique  intérieure  mises  à  part,  une 
deuxième  ligne  transsaharienne  serait  celle  de  Philippeville  - 
Constantine- Ouargla-Temassinin- Amadghor -l'Air ;  de  là, 
vers  le  Niger  et  le  Soudan  d'un  côté,  et,  de  l'autre,  vers  le 
Tchad  et  le  Congo. 

Entre  ces  deux  lignes,  le  département  d'Alger  se  trouverait, 
en  apparence,  sacrifié  (1);  il  y  aurait  moyen  de  lui  offrir  une 
compensation  en  traçant  convenablement  la  ligne  d'Oran - 
Tombouctou.  De  Djenien-bou-Resgh  à  Tombouctou,  la  ligne 
droite  passe  un  peu  en  dehors  du  Touat  et  laisse  Insalah  à 
300  kilomètres  à  l'est.  Pour  ne  pas  imposer  à  la  voie  un  trop 


(I)  Les  Algériens  eux-mêmes  comprennent  qu'il  faut  enfin  aboutir  et  qu'il  est 
nécessaire  de  faire  taire  les  querelles  locales  pour  concentrer  noire  attention  et 
nos  forces  sur  une  des  lignes  projetées.  En  décembre  1898,  la  cbambre  de  com- 
merce d'Alger,  faisant  acte  d'une  profonde  sagesse  politique,  a  voté  une  résolu- 
tion demandant  la  construction  immédiate  du  Transsaharien  par  Ouargla,  mais 
émettant,  en  môme  temps,  le  vœu  de  l'achèvement  de  la  ligne  do  Berrouaghia  à 
Laghouat.  Cette  dernière  voie  pourrait  être  achevée  en  moins  de  deux  ans,  à  la 
condition  d'employer  la  méthode  russe  et  de  détacher  en  Algérie  deux  de  nos 
compagnies  de  sapeurs  de  chemins  de  fer.  De  nouvelles  démarches  viennent  d'être 
faites  au  mois  d'août  1890,  par  les  délégués  de  l'Algérie  auprès  des  membres  du 
Gouvernement. 


LES    TRANSSAHARIENS  101 


grand  détour,  on  lui  laisserait  suivre  le  cours  du  Massaoura. 
Elle  desservirait  ainsi  le  Touat  occidental,  et,  arrivée  à  hau- 
teur d'Insalah,  à  environ  150  kilomètres  de  cette  localité,  elle 
irait  rejoindre  Taoudeni  et  Tombouctou  par  la  route  des  cara- 
vanes. 

La  ligne  d'Oran  à  Tombouctou  tenue  ainsi  hors  de  por- 
tée des  Hoggars,  on  pourrait  prolonger  la  voie  ferrée  Alger  - 
Laghouat  sur  El-Goléa  et  Insalah,  lui  donnant  ainsi  à  desser- 
vir le  Touat  occidental  et  le  territoire  des  Hoggars,  avec,  plus 
tard,  la  faculté  de  la  relier,  à  travers  le  Touat,  à  la  ligne  de 
Tombouctou. 

Du  côté  du  Tchad,  pour  nous  maintenir  sur  ie  terrain  des 
actes  diplomatiques  qui  laissent  le  Sokoto  dans  la  sphère 
d'influence  anglaise  et  pour  ne  pas  emprunter  les  territoires 
allemands  du  Tchad,  la  voie  ferrée  se  dirigerait  de  l'Air,  d'un 
côté  sur  le  Chari  par  la  rive  orientale  du  Tchad,  de  l'autre  sur 
Zinder,  un  des  marchés  du  Bornou,  et  enfin  sur  Say,  où  elle 
se  raccorderait  au  réseau  soudanais  constitué  par  les  artères 
Say-Cotonou,  Say-Bamako  et  Tombouctou-Kong-Côte  d'Ivoire. 

Plus  tard,  on  aurait  à  étudier  des  embranchements  sur 
Figuig,  l'oued  Dràa,  l'Adrar  et  le  Sénégal  et,  à  l'Est,  de  Temas- 
sinin  sur  Ghadamès  et  Gabès. 

Nous  sommes  donc  conduits,  par  la  logique  même  des  faits, 
à  définir  deux  Transsahariens  bien  distincts,  correspondant  à 
deux  idées  spéciales.  Lequel  est  le  plus  nécessaire? 

C'est  incontestablement  celui  du  Tchad.  «  Ce  serait  une 
folie,  disait  Schirmer,  de  construire  un  chemin  de  fer  gigan- 
tesque de  2.600  kilomètres  pour  atteindre  Tombouctou.  Mais 
restent  les  royaumes  du  Tchad.  Ceux-là  sont  riches.  » 

Il  y  a  quelques  années  seulement,  la  discussion  était  encore 
possible.  Après  Fachoda,  la  question  est  résolue. 

Qu'on  jette  les  yeux  sur  ce  que  les  Anglais  nous  ont  laissé 
de  territoire  africain.  Le  point  faible,  quoique  dominant,  de 
cet  empire  déchiqueté  et  déséquilibré  est  au  Tchad.  C'est  là  le 
résultat  de  faits  récents,  dont  les  conséquences  se  feront  long- 
temps sentir  et  qui  nous  dictent  les  résolutions  à  prendre. 


102  l'afrique  politique  ex  1900 

C'est  vers  le  Tchad  que  doit  être  dirigé  notre  effort  défensif. 
C'est  aussi  de  ce  côté  que  doit  porter  notre  offensive,  car,  s'il 
est  vrai  que  l'on  ne  se  défend  bien  qu'en  attaquant,  il  est  non 
moins  certain  que  c'est  en  partant  du  Tchad  que  nous  pour- 
rons porter  les  coups  les  plus  rapides  et  les  plus  décisifs  à  nos 
adversaires  de  l'Est  ou  de  l'Ouest. 

Un  Transsaharien  dirigé  sur  un  point  autre  que  le  Tchad 
serait  donc,  comme  le  dit  M.  P.  Leroy-Beaulieu,  un  anachro- 
nisme. D'ailleurs,  notre  Sénégal-Soudan  possède  aujourd'hui 
des  forces  suffisantes  pour  sa  défense,  et  il  est  inutile,  pour  le 
moment,  de  renforcer  ce  point  fort  de  notre  empire. 

Le  but  immédiat  est  donc  le  Tchad,  d'où,  en  suivant  la  rive 
orientale,  à  une  distance  assez  grande,  le  tracé  se  dirigera 
vers  Massenya  et  l'Oubangui.  Le  point  de  départ  sur  la  Médi- 
terranée doit  être  le  port  le  plus  rapproché  de  Marseille.  C'est 
Philippeville.  Le  tracé  intermédiaire ,  autant  que  possible 
direct  comme  une  voie  romaine,  passera  par  Biskra,  Tug- 
gourt,  Temassinin,  Tadent,  l'Air,  pour  se  diriger  de  là  sur  le 
Tchad,  sur  Zinder,  sur  Say. 

On  voit  que  ce  tracé  se  rapproche  assez  de  Rhat  et  de  Gha- 
damès  pour  englober  dans  sa  sphère  d'action  ces  deux  en- 
claves turques.  Passant  entre  les  deux  grandes  tribus  toua- 
reg, nos  amis  les  Azdjers  et  nos  ennemis  les  Hoggars,  il  les 
divise,  les  sépare  davantage  et  permet  d'agir  sur  elles  par  ac- 
tion directe  a  courte  distance. 

On  doit  arriver  à  ce  résultat  de  constituer  les  Azdjers  gar- 
diens, sous  leur  responsabilité  collective,  du  chemin  de  fer 
d'Ouargla  à  l'Air,  en  leur  donnant,  si  c'est  nécessaire,  la  pré- 
pondérance sur  les  Hoggars,  qu'ils  surveilleront  et  exploite- 
ront à  notre  profit. 

De  l'Air  au  Tchad  et  au  delà,  le  rôle  de  la  voie  ferrée  a  été 
défini  plus  haut.  De  l'Aïr  à  Zinder,  d'un  côté,  et  à  Say,  de 
l'autre,  on  aura  deux  lignes  d'investissement  du  Soudan  an- 
glais; en  même  temps,  une  ligne  de  jonction,  celle  de  Sayr 
reliant  l'Algérie  au  Soudan,  permettra,  pour  un  temps,  de 
remplacer  la  voie  d'Oran  à  Tombouctou. 


LES    TRANSSAHARIENS  103 

Tel  doit  être  notre  programme  immédiat,  qui  aura  pour 
nombreux  et  féconds  résultats  : 

1°  De  créer  la  possibilité  de  jeter  en  moins  de  vingt  jours 
10.000  Algériens  sur  le  Tchad,  menaçant  Khartoum  et  pou- 
vant agir  sur  les  Soudans  anglais  et  allemand  en  combinant 
leurs  efforts  avec  les  troupes  de  notre  Soudan; 

2°  De  nous  donner  un  point  central  de  puissance  dans  l'Air, 
véritable  réservoir  de  nos  forces  et  de  nos  moyens  d'action  sur 
tous  les  Soudans; 

3°  De  constituer  une  vaste  région  menaçante  pour  le  Niger 
anglais,  celle  d'entre  Aïr-Say,  jalonnée  par  des  postes  qu'il 
faudra  rares  et  très  forts; 

4°  De  placer  à  Say  ou  environs  le  centre  offensif  du  Soudan 
français  sur  le  Sokoto-Bornou.  Là,  certains  établissements  mi- 
litaires s'imposeront.  Ce  sera  un  des  points  de  soudure  de  nos 
empires  algérien  et  soudanais,  de  même  qu'au  Tchad  se 
trouve  la  soudure  de  notre  Afrique  du  Nord  et  de  nos  terri- 
toires congolais. 

Plus  tard,  il  y  aura  lieu  de  compléter  ce  réseau  et  de  par- 
venir, dans  un  délai  rapproché,  à  la  réalisation  du  programme 
indiqué  par  la  carte  ci-jointe. 

Ce  programme  donne  à  Alger,  métropole  africaine,  deux: 
transsahariens  divergeant  vers  nos  deux  centres  de  puis- 
sance :  Sénégal-Soudan  et  Tchad-Congo.  Des  transversales 
joignent  les  deux  lignes  principales  :  l'une  près  des  points  de 
départ  :  Touat-Ouargla-Gabès;  l'autre  à  l'arrivée  au  Soudan  : 
Say-Aïr-Tchad.  La  mer,  qui  relie  les  points  de  départ,  Oran- 
Alger-Philippaville,  relie  aussi  les  points  extrêmes  depuis  la 
côte  occidentale  d'Afrique  jusqu'à  l'embouchure  du  Congo. 

En  sorte  que,  l'Algérie  devenue  réellement  ïemporium  de 
tout  le  commerce  de  cette  partie  du  continent,  sera  plus  que 
jamais  la  tête  de  notre  puissance  africaine. 

Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  des  moyens  d'exécution. 
On  a  diversement  évalué  le  prix  de  revient  du  Transsaharien, 
même  avant  d'en  avoir  établi  le  tracé  tout  au  moins  approxi- 
matif. 


104  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

En  choisissant  décidément  le  tracé  Biskra-Temassinin-Aïr, 
et  de  l'Air  au  Tchad,  à  Zinder  et  à  Say,  nous  nous  donnons  la 
possibilité  de  nous  dégager  des  abstractions  et  de  soumettra 
ce  tracé  à  une  analyse  rapide.,  résumée  d'une  étude  plus  com- 
plète des  procédés  d'exécution  et  du  prix  de  revient  (1). 

Les  procédés  d'exécution  seront  ceux  déjà  employés  pour 
les  chemins  de  fer  transcontinentaux  ou  désertiques,  aux 
États-Unis,  au  Canada,  en  Australie,  en  Transcaspie,  en  Si- 
bérie, sur  le  haut  Nil  et  dans  le  Sud  africain  rhodésien. 

On  emploiera  la  direction  et  les  méthodes  militaires  pour 
obtenir  la  rapidité,  l'unité  d'action,  le  prestige,  l'économie. 

II  ne  s'agira  plus  d'enquêtes  et  d'expropriations.  Il  s'agira 
d'un  chemin  de  fer  de  conquête  à  faire  exécuter  par  la  main- 
d'œuvre  militaire  et  pénitentiaire,  dirigée  par  nos  sapeurs  de 
chemin  de  fer,  main-d'œuvre  peu  payée,  sinon  gratuite  et. 
imposée  :  c'est  là  une  idée  qui  nous  choque  et  qui  nulle  part 
n'a  gêné  les  Anglais. 

La  voie,  à  largeur  de  lm,055,  permettra  de  franchir  de  fortes 
rampes  et  des  courbes  serrées,  tout  en  donnant  l'avantage 
d'un  poids  moindre  de  matériel  à  transporter,  d'une  réduction 
dans  l'effectif  des  travailleurs  et  d'un  rendement  très  suffi- 
sant. Elle  sera  d'ailleurs  entièrement  métallique,  les  traverses 
en  bois  ne  durant  pas  dans  le  Sahara. 

La  construction  se  fera  par  la  méthode  bien  connue  de  nos 
officiers  du  génie  :  un  train,  portant  et  logeant  les  travailleurs 
et  le  matériel,  et  précédé  à  longue  distance  par  le  groupe  de 
construction  de  la  plate-forme,  s'avance  jusqu'à  l'extrémité  du 
rail.  Le  matériel,  rails  et  traverses,  est  assemblé,  posé  par 
parties  successives,  et  la  locomotive  continue  à  avancer  en  se 
tenant  toujours  en  tête  du  rail.  Des  expériences  nombreu- 
ses, aujourd'hui  acquises,  permettent  de  compter  sur  un 
avancement  minimum  de  1.600  mètres  par  jour  dès  le  début 
des  travaux. 

La  voie  suivra  le  terrain,  sans  ouvrages  d'art.  On  la  recti- 


(1)  Voir  le  Transsaharien  par  la  main-d'œuvre  militaire,  par  l'auteur.  Chez 
Lavauzelle,  1900. 


LES    TRANSSAHARIENS  105 


fiera  plus  tard,  lorsqu'on  aura  construit  les  ouvrages  d'art 
indispensables. 

Le  travail  ainsi  entrepris  donnerait  environ  40  kilomètres  de 
voie  par  mois,  soit  400  kilomètres  par  an.  Il  faudrait  environ  : 

Six  ans  pour  aller  de  Biskra  à  l'Aïr  (2.400  kilomètres); 

Deux  ans  et  dami  pour  aller  de  l'Air  à  Mao  (Tchad) 
(1.000  kilomètres); 

Trois  ans  pour  aller  de  Mao  à  l'Oubangui  (1.300  kilomètres); 

Un  an  et  demi  pour  aller  de  l'Aïr  à  Zinder  (500  kilomètres); 

Daux  ans  et  demi  pour  aller  de  l'Aïr  à  Say  (900  kilomètres). 

Déduction  faite  du  tronçon  de  Mao  à  l'Oubangui,  qui  pour- 
rait, peut-être,  s'exécuter  séparément  en  partant  de  notre  co- 
lonie du  Congo,  il  faudrait  environ  huit  ans  pour  terminer  le 
réseau  partant  de  l'Aïr  vers  Biskra-Mao-Zinder  et  Say. 

Tous  ces  chiffres  paraissent  être  largement  calculés  et  pour- 
ront, par  l'habitude  de  la  construction,  être  sensiblement 
réduits. 

Quant  aux  dépenses,  elles  peuvent  être  ramenées  aux  trois 
termes  suivants  :  personnel,  matériel,  transports.  En  pré- 
sence des  renseignements  précis  fournis  par  la  première 
partie  de  la  mission  Foureau-Lamy,  il  est  possible  de  fixer 
le  détail  des  frais  à  attribuer  à  l'une  ou  à  l'autre  de  ces  trois 
catégories  de  dépenses.  La  vitesse  de  construction  aura  aussi 
une  influence  capitale  sur  la  dépense  totale.  Si  l'on  se  reporte 
à  l'étude  citée  plus  haut,  on  verra  qu'en  serrant  de  près  le 
problème  et  en  calculant  largement  les  dépenses,  on  arrive, 
en  moyenne,  au  chiffre  probable  de  44.000  francs  par  kilomè- 
tre. Le  prix  du  réseau  aur  quatre  branches  :  Aïr-Biskra-Mao- 
Zinder-Say,  d'une  longueur  totale  de  4.800  kilomètres,  s'élè- 
verait dès  lors  à  210  millions.  Nous  pouvons  prendre  ce  chiffre 
comme  une  première  et  large  approximation,  en  attendant 
que  les  études  en  cours  permettent  de  préciser  davantage  les 
éléments  du  problème.  C'est  à  peu  près  le  crédit  récemment 
alloué  à  l'Indo-Chine  française  pour  la  construction  de  ses 
voies  ferrées.  Ce  n'est  que  le  double  du  prix  de  l'Exposition 
universelle  de  1900.  Pour  notre  empire  africain,  qui  est  à  nos 
portes,  où  gît  notre  avenir,  que  ne  devrait-on  pas  faire! 


CHAPITRE  II 

AFRIQUE  OCCIDENTALE 


Nous  placerons  dans  ce  chapitre  l'étude  des  pays  de 
l'Afrique  occidentale  française  et  des  colonies  européennes 
de  la  côte  de  Guinée. 

Nous  étudierons  ensuite,  dans  le  chapitre  suivant,  l'hin- 
terland  de  ces  régions,  formé  par  le  Soudan  entre  le  Sénégal 
et  le  Nil. 


108  l'afrique  politique  en  1900 


Afrique  occidentale  française. 


Organisation  récente.  —  Avantages  et  inconvénients.  —  Centralisation.  —  Déli- 
mitation. —  Enclaves  étrangères.  — -  Débouchés  et  voies  ferrées  à  créer. 


Le  décret  du  16  juin  1895  plaçait  nos  colonies  de  1* Afrique 
occidentale  sous  l'autorité  d'un  gouverneur  général,  qui  était 
en  même  temps  gouverneur  de  la  colonie  du  Sénégal. 

Ce  haut  fonctionnaire  réunissait  sous  sa  direction  le  Séné- 
gal, le  Soudan,  la  Guinée  française  et  la  Côte  d'Ivoire.  Le  Daho- 
mey continuait  à  dépendre  d'un  gouverneur  spécial,  qui  était 
cependant  tenu  d'adresser  ampliation  de  ses  rapports  au  gou- 
vernement général  de  l'Afrique  occidentale,  où  se  trouvaient 
centralisés  les  pouvoirs  civils  et  militaires. 

Cette  organisation,  qui  groupait  nos  colonies  de  l'Afrique 
occidentale  dans  la  main  du  même  chef,  était  de  nature  à  faire 
cesser  les  rivalités  qui  se  sont  souvent  manifestées  entre  les 
gouverneurs  de  ces  colonies,  au  grand  détriment  de  l'expan- 
sion française  dans  ces  régions.  Elle  permettait  aussi  d'es- 
pérer une  unité  de  vues  plus  complète  facilitant  le  développe- 
ment de  notre  influence  et  s'opposant  plus  efficacement  aux 
empiétements  de  nos  rivaux. 

Enfin,  la  coordination  des  affaires  et  leur  transmission  simul- 
tanée au  ministère  des  colonies  permettaient  une  plus  grande 
liaison  des  efforts  et  une  plus  grande  rapidité  des  solutions. 

On  a  reproché  à  cette  nouvelle  organisation  de  grouper  des 
colonies  fort  éloignées  et  n'ayant  aucun  lien  commun,  d'obli- 
ger le  gouverneur  général  à  des  voyages  incessants,  d'entraver 
l'initiative  des  gouverneurs  en  sous-ordre,  enfin  de  favoriser, 
aux  dépens  des  autres  colonies,  le  Sénégal,  placé  directement 
sous  les  ordres  du  gouverneur  général. 

Certaines  de  ces  critiques  étaient  fondées.  Il  eût  peut-être 


AFRIQUE   OCCIDENTALE   FRANÇAISE  109 

été  préférable  de  voir  le  Sénégal  doté  d'un  gouverneur  par- 
ticulier, et  Dakar,  future  capitale  de  l'Afrique  occidentale, 
devenir  la  résidence  du  gouverneur  général.  Mais  nous  ne 
devons  pas  oublier  que  les  réformes  ne  valent  que  par  les 
hommes  qui  savent  les  appliquer.  A  ce  titre,  l'idée  de  grouper 
nos  colonies  de  l'Ouest  africain  sous  la  main  d'un  gouverneur 
unique  nous  paraît  être  une  idée  féconde  qui  ne  peut  man- 
quer, si  elle  est  bien  appliquée,  de  produire  d'heureux  ré- 
sultats. 

Sous  le  régime  du  décret  du  16  juin  1895  et  grâce  à  l'habile 
direction  du  général  de  Trentinian,  le  Soudan  français  a  pu, 
pendant  plusieurs  années,  s'acheminer  vers  de  brillantes 
destinées,  sans  nécessiter  d'autres  expéditions  que  quelques 
opérations  de  police  heureusement  et  sagement  conduites. 

Le  décret  du  17  octobre  1899  (1),  promulgué  dans  des  cir- 
constances troublées  et  sous  l'influence  de  préoccupations  du 
moment,  rattache  aux  colonies  voisines,  Sénégal,  Guinée, 
Côte-d'Ivoire,  Dahomey,  les  portions  du  Soudan  les  plus 
voisines,  et  constitue  le  reste  du  Soudan  en  deux  territoires 
militaires  placés  sous  l'action  directe  du  gouverneur  général. 

Ce  décret,  ardemment  désiré  au  Sénégal,  a  été  longuement 
discuté  et  critiqué.  Il  est  à  désirer  que  les  résultats  à  venir 
confirment  les  succès  déjà  acquis  au  Soudan.  Mais  on  ne 
saurait  passer  sous  silence,  parmi  tant  d'opinions  déjà 
énoncées,  la  protestation  adressée  au  Ministre  des  colonies 
par  un  groupe  de  négociants  dont  plusieurs,  habitant  le  Sé- 
négal, se  trouvaient  particulièrement  bien  placés  pour  appré- 
cier les  futurs  effets  du  nouveau  régime. 

Cette  protestation  se  termine  par  les  lignes  suivantes  : 

En  attendant  que  le  moment  soit  venu  de  rendre  cette  organisa- 
tion définitive,  l'état  actuel  des  choses  doit,  à  notre  sens,  être  pro- 
visoirement maintenu,  parce  que  ce  n'est  que  grâce  à  l'ascendant 
exercé  sur  les  noirs  par  une  autorité  vigilante  et  énergique,  avec 
les  petites  forces  consacrées  au  maintien  de  la  paix  et  de  la  sécurité 


(1)  Voir  à  l'appendice. 


UO  l'Afrique  politique  ex  1900 


dans  un  pays  aussi  vaste  que  le  Soudan,  ce  n'est  que  grâce  à  cette 
organisation  militaire,  encore  indispensable  dans  un  pays  soumis 
d'hier  à  peine,  que  les  hommes  que  nos  maisons  emploient  peu- 
vent circuler  sans  péril  et  sans  crainte  dans  la  région  entière. 
L'indigène  ne  comprend  pas  les  raffinements  administratifs,  qui 
nous  sont  familiers  ;  et  dès  qu'il  ne  se  verra  plus  commandé  par 
les  soldats  qui  l'ont  vaincu,  il  reprendra  immédiatement  ses 
instincts  naturels  —  pillards,  meurtriers  et  anarchiques  —  maî- 
trisés présentement,  mais  pas  extirpés.  Et  l'on  se  trouvera  en  face 
d'une  situation  analogue  à  celle  qui  s'est  produite  à  Madagascar, 
quand,  peu  de  temps  après  la  conquête  matérielle,  on  a  voulu 
substituer  une  autorité  civile  et  morcelée  à  l'action  militaire  :  on 
aura  une  insurrection  du  Soudan. 

Espérons  que  ces  sombres  prédictions  ne  se  réaliseront 
pas,  dût-on  pour  cela  apporter  au  nouveau  décret  des  modi- 
fications et  des  tempéraments  de  nature  à  satisfaire  les 
intérêts  du  commerce  français. 

L'Afrique  occidentale  française  contient  plusieurs  enclaves 
appartenant  à  diverses  nations.  Là,  comme  partout  ailleurs, 
nous  trouvons  au  premier  rang  les  Anglais. 

Ces  enclaves  sont  au  nombre  de  six  : 

La  Gambie  anglaise; 

La  Guinée  portugaise; 

La  colonie  anglaise  du  Sierra-Leone; 

La  République  de  Libéria; 

La  colonie  anglaise  de  Cape-Coast  (Achantiland); 

Le  Togoland  allemand. 

Nous  les  étudierons  chacune  en  leur  temps.  Il  faut  cepen- 
dant remarquer,  sans  plus  tarder,  que  ces  diverses  enclaves 
occupent  sur  l'Océan  une  étendue  de  côtes  considérable  et 
qu'elles  comptent,  pour  développer  leur  vie  commerciale,  sur 
la  nécessité  où  se  trouveront  les  pays  français  de  l'intérieur 
de  chercher  à  travers  leurs  territoires  les  débouchés  les  plus 
courts,  les  plus  rapides  et  les  plus  économiques.  De  là  ressort 
plus  clairement  encore  la  nécessité  de  concentrer  les  efforts, 
afin  de  lutter  contre  cette  prétention  de  nos  rivaux  de  com- 


AFRIQUE   OCCIDENTALE   FRANÇAISE  111 

mander  nos  débouchés.  Il  est  nécessaire  qu'au  moyen  de  com- 
munications judicieusement  établies,  d'après  un  plan  d'en- 
semble bien  conçu,  nous  nous  affranchissions  des  entraves 
créées  par  l'existence  des  deux  barrages  formés,  d'une  part, 
par  la  colonie  de  Sierra-Leone  et  la  Libéria  et,  d'autre  part, 
par  l'Achantiland  et  le  Togoland. 

D'ailleurs,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  le  temps  sera 
bientôt  venu  où  il  faudra  envisager  de  haut  la  question  des 
voies  ferrées  et  doter  ces  nouveaux  territoires,  non  pas  de 
lignes  jetées  au  hasard  des  besoins  ou  des  intrigues  du  mo- 
ment, mais  de  grands  troncs  destinés  à  jouer  le  rôle  de  collec- 
teurs par  rapport  aux  diverses  voies  terrestres  ou  fluviales 
actuellement  existantes. 

Ces  grandes  lignes  joindront  ainsi  les  points  d'attache 
des  voies  ferrées  de  moindre  importance  qui,  semblables  à 
des  artères  secondaires,  feront  pénétrer  la  vie,  par  le  com- 
merce et  l'influence  française,  au  cœur  de  ces  pays  si  favorisés 
par  la  nature. 

C'est  là  une  question  vitale  sur  laquelle  on  ne  saurait  trop 
attirer  l'attention  et  dont  nous  avons  d'ailleurs  parlé  lorsque 
nous  avons  envisagé  la  liaison,  depuis  longtemps  désirée,  de 
l'Algérie  avec  le  Sénégal  et  le  Soudan. 


112  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 


Sénégal. 


Développement  et  régime  de  la  colonie.  —  Les  Maures  de  la  rive  droite  du  Sé- 
négal. —  Divisions  administratives.  —  Dakar,  future  capitale.  —  Occupation 
militaire. 


Le  Sénégal,  une  de  nos  plus  anciennes  colonies,  a  pris, 
dans  ces  dernières  années,  un  développement  de  plus  en 
plus  accentué.  Il  faut  l'attribuer  à  l'heureuse  situation  de  ce 
pays,  placé  à  l'extrémité  occidentale  de  l'Afrique,  autant 
qu'à  ce  fait  qu'il  sert  actuellement  de  débouché  au  Soudan 
français. 

Grâce  au  chemin  de  fer  de  Dakar  à  Saint-Louis,  au  cours 
inférieur  du  Sénégal,  navigable  une  grande  partie  de  l'année, 
et  à  la  voie  ferrée  de  Kayes  à  Badoumbé  qu'on  est  en  train  de 
pousser  jusqu'au  Niger,  nous  posséderons  avant  peu  une 
voie  de  communication  continue,  et  relativement  commode 
et  rapide,  entre  Tombouctou  et  Dakar,  point  de  relâche  de 
huit  lignes  de  paquebots  appartenant  à  diverses  nationalités. 

Et  cependant,  malgré  ces  avantages  et  l'extension  toujours 
croissante  de  ses  relations,  le  Sénégal  ne  peut  se  défendre,  et 
avec  raison,  d'une  certaine  inquiétude  à  la  pensée  que  tout 
le  commerce  du  Soudan  pourrait  être  détourné  par  une  voie 
ferrée  remontant  le  Niger  et  aboutissant  en  un  point  favo- 
rable de  la  Guinée  française-. 

Ce  projet,  déjà  mis  en  avant  par  le  capitaine  Brosselard- 
Faidherbe  et  établi  dans  ses  détails  par  le  capitaine  du  génie 
Salesses,  est  en  ce  moment  en  bonne  voie  d'exécution.  Lors- 
qu'il aura  été  réalisé,  le  Sénégal  devra  se  créer  d'autres  res- 
sources et  chercher,  dans  son  propre  développement,  une 
compensation  lui  permettant  de  lutter  contre  la  concurrence 
qui  aura  pour  effet  d'éloigner  de  son  territoire  une  partie  du 
transit  du  Soudan. 


SÉNÉGAL  113 

On  a  déjà  pensé  à  obvier  à  ces  inconvénients  en  reliant 
Dakar  à  Timbo  (800  kilomètres)  par  une  voie  ferrée.  Mais  ce 
projet  est  trop  grandiose  pour  être  exécuté  avant  d'autres 
lignes  dune  utilité  beaucoup  plus  immédiate. 

Pour  le  moment,  Saint-Louis  est  le  siège  du  gouvernement 
général  de  l'Afrique  occidentale,  Dakar  le  port  le  plus  fré- 
quenté de  toute  la  côte,  et  Rufisque  le  centre  du  commerce 
des  arachides. 

Les  populations,  longtemps  turbulentes  et  aujourd'hui  pa- 
cifiées, se  livrent  avec  confiance  à  la  culture  et  au  commerce, 
tandis  que  nos  écoles  se  remplissent  et  que  la  langue  fran- 
çaise se  répand  tous  les  jours  davantage  (1). 

Le  régime  civil  n'est  pas  partout  établi  dans  la  colonie. 
Dans  certaines  régions,  troublées  jusqu'à  ces  derniers  temps, 
on  a  maintenu  le  régime  de  l'administration  militaire,  sous 
la  direction  d'officiers  de  l'infanterie  de  marine. 

La  Casamance  et  ses  territoires  constituent  également  un 
district  rattaché  au  Sénégal,  qui  est  complètement  pacifié  et 
dont  les  indigènes  ont  accepté,  depuis  deux  ans,  le  principe 
de  l'impôt  personnel,  grâce  à  l'influence  que  nous  a  donnée 
le  poste  installé,  en  1895,  à  Handallahi. 

Il  y  a  lieu  de  signaler,  dans  cette  région,  l'ouverture  ré- 
cente, motivée  par  l'extension  du  commerce,  de  plusieurs 
bureaux  télégraphiques  rattachant  la  vallée  de  la  Casamance 
au  réseau  général.  Dès  la  fin  de  1896,  la  longueur  des  fils 
posés  à  partir  de  Sedhiou  atteignait  plus  de  500  kilomètres. 
Dans  le  Bondou,  on  avait  construit  200  kilomètres  de  lignes, 
ouvrant  ainsi  la  voie  aux  lignes  qui  relient  au  Sénégal  le 
Soudan,  la  Guinée,  la  Côte  d'Ivoire  et  le  Dahomey  et  forment 
un  réseau  de  8.000  kilomètres. 

Le  24  février  1899,  a  été  terminée  la  ligne  télégraphique 
de  Louga  à  Richard-Toll,  longue  de  119  kilomètres  et  exé- 
cutée en  dix-sept  jours,  à  raison  de  6  kilom.  500  par  jour. 


(1)  Parmi  les  produits  exportés  du  Sénégal  en  1895,  on  cite  les  suivants,  qui 
sont  les  plus  importants  :  arachides,  7.500.000  francs;  caoutchouc,  580.000 francs; 
gommes,  2.500.000  francs  ;  or,  98.000  francs. 

Afr.  polit.  8 


114  L'AFRIQUE    POLITIQUE   EN    1900 

La  colonie  du  Sénégal  commence  au  cap  Blanc,  dont  l'hin- 
terland  est  occupé  par  de  nombreuses  tribus  maures.  La 
principale  de  ces  agglomérations,  toutes  de  faible  densité, 
occupe  le  pays  de  l'Adrar,  gouverné  par  le  roi  Soueyd- 
Ahmet-Ould-Aïda,  qui  a  accepté,  le  8  août  1892,  un  traité 
de  protectorat,  aux  termes  duquel  la  France  s'interdit  cepen- 
dant toute  ingérence  dans  les  affaires  intérieures  du  pays. 

Plus  au  Sud,  vers  les  rives  du  Sénégal,  les  Maures  ont 
accepté  depuis  plus  longtemps  notre  domination  à  cause  de 
l'obligation  où  ils  se  trouvent  de  venir,  sur  les  rives  du  Sé- 
négal, demander  à  nos  postes  de  commerce  une  partie  des 
denrées  qui  leur  sont  indispensables. 

Depuis  1896,  le  pays  était  troublé,  de  ce  côté,  par  les  luttes 
incessantes  survenues  entre  les  Ouled-Abeiri  et  les  Djeidouba, 
soutenus,  les  premiers  par  les  Trarza,  les  seconds  par  les 
Brakna.  Ces  luttes,  qui  supprimaient  le  commerce,  avaient 
pu  être  arrêtées,  au  début  de  1897,  par  notre  intervention,  et 
une  convention  de  paix  avait  été  signée  à  Saint-Louis.  Mais  la 
guerre  avait  repris  depuis  lors  et  nécessité  Tinter vention  du 
gouverneur  général,  qui,  dans  un  grand  palabre  tenu  à  Dagana 
le  23  mai  1898,  réussit  à  concilier  les  intérêts  opposés. 

Il  a  été  convenu,  conformément  aux  traités  existants,  que 
les  Brakna  restent  responsables  de  l'escale  de  Podor  et  les 
Trarza  de  l'escale  de  Dagana  ;  leur  frontière  est  délimitée,  et 
ils  s'engagent  à  assurer  la  liberté  des  routes  et  le  commerce 
par  caravanes. 

Toute  cette  contrée  au  nord  du  fleuve  ne  va  pas  tarder,  sous 
le  nom  de  Mauritanie  occidentale,  à  former  un  territoire  placé 
sous  les  ordres  d'un  administrateur  spécial. 

Quant  au  pays  compris  dans  la  boucle  du  Sénégal  jusqu'à 
la  Gambie  anglaise,  il  est  depuis  longtemps  pacifié,  et  il  se 
développe  rapidement,  grâce  à  une  paix  qui,  depuis  des 
siècles,  était  inconnue  aux  habitants  de  ces  régions. 

Le  Sénégal  est  divisé  en  deux  arrondissements  :  Saint- 
Louis  et  Dakar-Gorée.  Il  comprend  aussi  des  territoires  d'ad- 
ministration directe,  ou  pays  possédés,  et  des  pays  de  protec- 


SÉNÉGAL  115 

torat.  Ces  divers  territoires  sont  distribués  en  un  certain 
nombre  de  cercles,  qui  sont  : 

Le  cercle  de  Saint-Louis,  comprenant  divers  pays  protégés; 

Le  cercle  de  Dagana,  avec  les  protectorats  de  Dimar  et  du 
Oualo  oriental; 

Les  cercles  de  Podor  et  de  Kaëdi  ; 

Le  cercle  de  Dakar-Thiès,  avec  les  protectorats  du  Cayor, 
du*  Baol  et  de  Serrères  ; 

Le  cercle  de  Sine-et-Saloum,  avec  les  protectorats  du  même 
nom  ; 

Le  cercle  de  la  Casamance  (Sedhiou  et  basse  Casamance) 
avec  deux  administrateurs,  à  Sedhiou  et  Carabane,  et  divers 
protectorats. 

Les  pays  de  la  rive  droite  du  Sénégal,  ou  pays  des  Maures 
Trarzas,  Braknas,  Oulad-Ely,  Oulad-Aïd,  Dowich,  sont  ratta- 
chés pour  le  moment  à  la  direction  des  affaires  politiques  de 
Saint-Louis. 

Le  décret  du  17  octobre  1899  attribue  en  outre  au  Sénégal 
les  cercles  de  Kayes,  Bafoulabé,  Kita,  Salandougou,  Bamako, 
Ségou,  Djenné,  Nioro,  Gombou,  Sokolo  et  Bougouni. 

En  même  temps  les  budgets  de  ces  cercles  ainsi  que  ceux 
des  deux  territoires  militaires  conservés  au  Soudan  sont 
incorporés  au  budget  du  Sénégal  (1). 

Le  budget  local,  pour  l'année  1899,  s'est  élevé  à  4.378.865  fr. 
La  subvention  demandée  à  la  métropole,  pour  la  même  année, 
a  été  de  3.929.367  francs. 

Le  port  de  Dakar  est  de  création  récente,  mais  il  tend  à 
prendre  tous  les  jours  un  plus  grand  développement.  Il  est 
vaste  et  son  entrée  ne  présente  aucune  difficulté.  Il  est  signalé 
aux  navires  par  le  phare  des  Manuelles  ou  du  cap  Vert,  de 
1er  ordre,  à  feu  tournant,  élevé  à  113  mètres  d'altitude  et  lan- 
çant ses  rayons  à  30  milles  en  mer.  Il  possède  deux  dépôts  de 
charbon,  et  les  navires  peuvent  y  refaire  leurs  approvisionne- 
ments (au  prix  d'environ  40  francs  la  tonne).  Enfin,  on  y 


(1)  Voir  à  l'appendice. 


116  L'AFRIQUE   POLITIQUE    EN    1900 

trouve  des  ateliers  de  réparations  pour  les  navires.  De  grands 
travaux,  évalués  à  14  millions,  et  devant  durer  cinq  ans,  sont 
entrepris  pour  améliorer  le  port  récemment  devenu  l'un  des 
points  d'appui  de  la  flotte,  et  en  faire  le  meilleur  point  de 
relâche  de  la  côte  occidentale  d'Afrique. 

Au  point  de  vue  militaire,  les  limites  du  point  d'appui  de 
Dakar  partent  du  cap  Rouge,  passent  à  5  kilomètres  au  delà 
de  Thiès,  rejoignent  le  marigot  de  Tanina  et  aboutissent  à 
60  kilomètres  du  cap  Vert. 

Dans  son  discours  du  3  décembre  1898  au  conseil  général 
du  Sénégal,  M.  Chaudié,  gouverneur  général,  a  signalé  les 
travaux  importants  à  exécuter  au  Sénégal  :  l'amélioration  du 
service  des  eaux  de  Saint-Louis,  Dakar  et  Rufisque;  la  con- 
struction de  routes  autour  de  ces  trois  villes  ;  l'établissement 
d'un  wharf  à  Saint-Louis  et  le  déplacement  de  la  gare,  la  con- 
struction du  port  militaire  de  Dakar  et  d'un  chemin  de  fer  de 
pénétration  au  Baol,  etc. 

Il  terminait  son  exposé  de  la  situation  par  les  paroles  sui- 
vantes : 


J'ai  terminé,  Messieurs;  qu'il  me  soit  cependant  permis,  après 
vous  avoir  exposé  tant  de  choses  à  faire,  de  vous  marquer  ici  les 
événements  mémorables  qui,  ayant  modifié  si  heureusement  et  si 
profondément  la  situation  politique  du  Soudan,  ne  peuvent  man- 
quer d'avoir  la  répercussion  la  plus  favorable  sur  nos  propres 
affaires.  La  prise  de  Sikasso,  la  mort  du  fama  Babemba,  la  des- 
truction de  la  puissance  de  Samory,  tombé  lui-même  entre  nos 
mains,  sont  des  événements  qui  doivent  faire  époque  dans  l'his- 
toire de  l'Afrique  occidentale. 

Désormais,  on  peut  regarder  comme  irrévocablement  vaincues 
les  dernières  résistances  des  populations  indigènes  et  définitive- 
ment close  l'ère  des  expéditions  guerrières.  Toute  notre  énergie  va 
se  tourner  vers  les  œuvres  de  la  paix. 

Les  travaux  du  chemin  de  fer  du  Sénégal  au  Niger  seront  poussés 
avec  un  redoublement  d'activité,  et  l'achèvement  du  réseau  télé- 
graphique qui  doit  joindre  Saint-Louis  aux  chefs-lieux  de  toutes 
les  colonies  françaises  de  l'Afrique  occidentale  se  poursuit  rapide- 
ment. Déjà  les  lignes  du  Sénégal  et  du  Soudan  vont,  d'un  moment 
à  l'autre,  être  raccordées  avec  celles  du  Dahomey. 


SÉNÉGAL  117 


On  peut  présager,  à  bref  délai,  la  jonction  du  Soudan  à  la  Côte 
d'Ivoire. 

Plus  près  de  nous,  au  sud  de  la  Gambie,  notre  infatigable  direc- 
teur du  service  des  postes  et  télégraphes  travaille  à  la  ligne  qui 
nous  reliera  incessamment,  d'une  manière  directe  et  sûre,  à  Kona- 
kry,  par  Sine,  Handaliahi  et  Boké. 

Ainsi,  en  moins  de  trois  ans,  aura  été  accompli  l'achèvement 
d'une  entreprise  dont  le  succès,  il  y  a  quelques  années,  aurait  paru 
purement  chimérique. 


Au  nombre  des  futurs  produits  du  Sénégal  et  du  Soudan,  il 
faut  citer  l'or,  qui  se  trouve  partout  en  abondance  dans  les 
terrains  d'alluvions  des  affluents  du  Sénégal.  «  Le  sol  tout  en- 
tier du  Bambouk  est  un  immense  placer  d'or  (capitaine  du 
génie  Ancelle)  ».  On  trouve  aussi  l'or  en  quantité  dans  le 
Bouré.  Plus  on  se  rapproche  de  la  Falémé,  plus  l'abondance 
de  la  poudre  d'or  et  la  grosseur  des  pépites  augmentent.  Le 
docteur  Karl  Futterer  n'hésite  pas  à  déclarer  que  «  si  l'Angle- 
terre avait  eu  le  Soudan,  elle  ne  se  serait  jamais  portée  sur  le 
Transvaal  et  l'Australie.  »  (L'Afrique  et  sa  production  aurifère, 
parK.  Futterer.) 

Nous  devons  terminer  cette  rapide  esquisse  des  conditions 
actuelles  du  Sénégal  en  indiquant  quel  est,  actuellement, 
l'état  de  nos  forces  militaires  dans  le  pays. 

Les  troupes  qui  occupent  le  Sénégal  sont  sous  les  ordres 
d'un  commandant  supérieur  des  troupes. 

Elles  comprennent  : 

Infanterie.  —  1°  Le  14e  régiment  d'infanterie  de  marine,  à 

3  bataillons  de  4  compagnies; 

2°  1  régiment  de  tirailleurs  sénégalais,  à  3  bataillons  de 

4  compagnies  de  150  hommes; 

Les  8  premières  compagnies  tiennent  garnison  au  Sénégal 
■et  dépendances; 

3°  1  compagnie  de  disciplinaires  des  colonies. 

Cavalerie.  —  1  escadron  de  spahis  sénégalais  (rattaché  au 
1er  régiment  de  spahis). 

Artillerie.  —  1  direction  d'artillerie,  1  détachement  d'où- 


118  l'afrique  politique  en  1900 

vriers  (70  hommes),  1  compagnie  de  conducteurs  d'artillerie 
(100  hommes),  2  batteries. 

Mentionnons  également  les  services  administratifs,  le  ser- 
vice de  santé.  Deux  conseils  de  guerre  (à  Saint-Louis  et  Da- 
kar) et  un  conseil  de  revision  (Saint-Louis). 

L'insalubrité  du  Sénégal  a  été  fort  exagérée.  Pendant  six 
mois  de  l'année,  de  décembre  à  mai,  le  climat  est  sec  et  assez 
frais,  mais  il  souffle  souvent  un  vent  d'Est  désagréable  et  fati- 
gant. Pendant  cette  saison,  entièrement  privée  de  pluies,  la 
température  varie  de  11°  le  matin  à  25°  dans  la  journée. 

Elle  se  tient,  au  contraire,  entre  27  et  30°  (40°  au  soleil)  pen- 
dant la  saison  des  pluies  qui  dure  du  mois  de  mai  au  mois  de 
décembre.  C'est  la  saison  la  plus  dangereuse  pour  les  Euro- 
péens qui,  par  contre,  supportent  bien  la  saison  sèche. 


GUINEE   FRANÇAISE  119 


Guinée  française. 


Occupation  du  Fouta-Djallon.  —  Délimitation  avec  la  Sierra-Leonc.  —  Population. 
Commerce.  —  Administration. 


La  Guinée  française  ou  «  Rivières  du  Sud  »,  interposée 
entre  la  Gainée  portugaise  et  la  colonie  anglaise  de  Sierra- 
Leone,  sert  de  débouché  immédiat  au  massif  du  Fouta-Djallon 
et,  par  sa  proximité  du  bassin  du  haut  Niger,  est  destinée 
sans  doute  à  un  avenir  brillant. 

C'est  au  Fouta-Djallon  que  s'est  produit,  en  1896,  un  évé- 
nement important  :  l'occupation  de  Timbo  et  l'installation, 
dans  cette  ville,  d'un  résident  français. 

Voici  dans  quels  termes  le  gouverneur  général  annonçait, 
en  avril  1896,  aux  populations  de  son  gouvernement,  la  réus- 
site d'une  première  tentative  faite  pour  obtenir  la  reconnais- 
sance du  protectorat  français  à  Timbo  : 

Le  Gouverneur  général  est  heureux  de  porter  à  la  connaissance 
des  habitants  de  l'Afrique  occidentale  française  que  la  ville  de 
Timbo,  capitale  du  Fouta-Djallon,  a  été  occupée  sans  coup  férir 
le  18  mars.  A  son  arrivée  devant  la  ville,  M.  de  Beckman,  admi- 
nistrateur principal  des  colonies,  a  été  accueilli  par  Bokar-Biro, 
avec  ses  frères,  ses  fils  et  une  suite  nombreuse  accompagnée  de 
l'almamy.  M.  de  Beckman  et  le  capitaine  Aumar,  à  la  tête  de  ses 
tirailleurs,  ont  traversé  toute  la  ville  et  sont  ailes  occuper  un 
groupe  de  cases  situées  à  proximité  et  préparées  pour  les  re- 
cevoir. 

Dans  l'entrevue  qui  a  suivi,  M.  de  Beckman,  en  présence  des  no- 
tables et  des  anciens,  a  exposé  à  Bokar-Biro  le  but  de  sa  mission, 
et  l'intention  formelle  du  Gouvernement  français  d'assurer  la  paix 
du  Fouta-Djallon  par  l'institution  d'un  résident  français  à  Timbo. 

Bokar-Biro  a  répondu  en  exprimant  devant  tous  son  entente  com- 
plète avec  les  Français. 

Cette  occupation,  qui  paraissait  définitive,  produisit  une 


120  l'afrique  politique  en  1900 


certaine  impression,  en  raison  de  la  facilité  avec  laquelle  elle 
s'était  accomplie.  Mais  cette  impression  fut  de  courte  durée. 

Le  Fouta-Djallon,  appelé  aussi  «  Suisse  africaine  »,  est  le 
nœud  orographique  de  l'Afrique  occidentale.  C'est  un  pays 
riche,  bien  arrosé  et  jouissant,  par  suite  de  son  altitude, 
d'un  climat  assez  sain  pour  permettre  l'acclimatement  des 
Européens.  Il  est  habité  par  une  population  d'environ 
400.000  musulmans,  les  Peulhs,  race  énergique,  la  plus 
intelligente  de  ces  contrées,  et  qui  paraît  être  d'origine 
berbère. 

Cette  région  a  été  visitée  souvent  par  des  missions  pa- 
cifiques et  traversée  par  nos  colonnes,  notamment  en  1881, 
1887  et  1890. 

Isolé  des  États  de  Samory  et  de  la  colonie  de  Sierra-Leone, 
à  la  suite  des  campagnes  des  colonels  Archinard,  Humbert  et 
Combes,  le  Fouta-Djallon  ne  pouvait  manquer  de  tomber  en 
notre  possession  dans  un  temps  plus  ou  moins  éloigné. 

Au  point  de  vue  politique,  le  pays  est  divisé  entre  deux 
almamys;  le  traité  passé  par  le  docteur  Bayol,  en  1881,  ré- 
glait nos  rapports  avec  ces  deux  chefs.  Depuis  lors,  les  rela- 
tions entre  les  autorités  françaises  et  les  almamys  du  Fouta 
étaient  devenues,  sinon  hostiles,  au  moins  assez  tendues,  et, 
dans  ces  derniers  temps,  la  situation  devint  telle  qu'une  expé- 
dition parut  nécessaire  à  bref  délai.  On  crut  pouvoir  la  rem- 
placer par  des  négociations  et  résoudre  la  question  par  le 
traité  du  13  avril  1896,  qui  suivit  l'occupation  relatée  ci- 
dessus. 

Mais,  peu  de  temps  après,  Bokar-Biro,  étant  parvenu,  sui- 
vant les  usages  du  pays,  au  terme  de  ses  fonctions  d'al- 
mamy  (1),  résolut  de  soutenir  le  candidat  hostile  à  la  France. 
Une  expédition  fut  alors  décidée  et  confiée  au  capitaine 
Aumar. 

Trois  compagnies  étaient  mises  à  sa  disposition  : 


(1)  Pour  éviter  les  guerres  civiles,  il  avait  été  établi  que  chacune  des  deux  dy- 
nasties rivales  des  Sorya  et  des  Alfaya  régnerait  alternativement  pendant  deux 
ans. 


GUINÉE   FRANÇAISE  121 


La  8e  compagnie  de  tirailleurs  sénégalais  (Ouassou)  ; 

La  3e  compagnie  de  tirailleurs  soudanais  (Faranah  et  Son- 
goya)  ; 

La  2e  compagnie  de  tirailleurs  soudanais  (Kouroussa  et 
Toumanea). 

Le  capitaine  Aumar  coupa  la  retraite  à  Bokar-Biro,  vers  la 
Sierra-Leone,  en  faisant  occuper  la  frontière  par  des  postes 
fournis  par  la  3e  compagnie.  Puis  il  porta  la  2e  compagnie  de 
Toumanea  sur  Sokatora,  à  12  kilomètres  de  Timbo,  et  lui 
prescrivit  de  se  trouver  à  Timbo  le  1er  novembre  1896. 

En  même  temps,  il  ordonnait  à  la  8e  compagnie  d'être  à 
Séré,  à  quelques  kilomètres  de  Timbo,  le  30  octobre.  Lui- 
même  partait  de  Songoya  avec  le  reste  de  la  3e  compagnie, 
était  rejoint  en  route  par  Oumarou-Bademba,  le  futur  al- 
mamy,  et  ses  partisans,  et  ralliait  la  8e  compagnie  à  Séré, 
le  31  octobre.  Le  lendemain,  il  entrait  à  Timbo,  où  le  rejoi- 
gnait, le  soir  même,  la  2e  compagnie. 

Bokar-Biro  s'était  enfui,  poursuivi  par  nos  reconnaissances. 

Le  capitaine  Mùller,  de  la  8e  compagnie,  marcha  vers  lui 
avec  80  hommes,  l'atteignit,  le  14  novembre,  à  Poredaka,  au 
nord-ouest  de  Timbo,  attaqua  ses  800  hommes,  en  tua  150  et 
n'eut  lui-même  que  trois  blessés.  Bokar-Biro,  poursuivi  par 
nos  partisans,  était  bientôt  atteint,  et  sa  tête  était  apportée  à 
Timbo  le  20  novembre. 

Oumarou-Bademba  fut  solennellement  proclamé  almamy, 
le  10  décembre  1896,  par  notre  résident,  M.  de  Beckman,  sous 
le  protectorat  français  (1). 

Comme  conséquence  de  l'organisation  effective  de  ce  pro- 
tectorat, nos  établissements  de  la  Guinée  vont  se  trouver 
directement  reliés  (2)  à  nos  postes  du  haut  Niger,  de  manière 


(1)  En  novembre  1897,  un  frère  de  Bokar-Biro  a  assassiné  l'almamy  Sori-Yelli, 
de  la  famille  des  Sorya.  On  dut  envoyer  une  section  de  tirailleurs,  qui  fit  justice 
de  lassassin. 

(2)  Le  28  janvier  1897,  Timbo  était  relié  à  Konakry  par  une  ligne  télégraphique. 
Une  autre  ligne  relie  Kouroussa  à  Faranah  et  Konakry. 

Le  réseau,  construit  en  trois  ans  par  la  colonie,  a  atteint  une  longueur  de 
900  kilomètres. 


122  l'afrique  politique  ex  1900 

à  faciliter  davantage  les  relations  entre  nos  deux  groupes  de 
possessions,  jadis  isolés  l'un  de  l'autre. 

C'est  en  même  temps  un  coup  droit  porté  à  la  colonie  an- 
glaise de  Sierra-Leone,  qui,  jusqu'ici,  avait  eu  pour  ainsi  dire 
le  monopole  du  commerce  avec  les  contrées  du  haut  Niger. 

Celles-ci  sont  déjà  avantageusement  desservies  par  les 
comptoirs  de  la  Guinée  française.  Le  port  de  Konakry  voit  sa 
prospérité  augmenter  rapidement.  Grâce  à  son  aménagement 
et  aux  nouvelles  voies  de  communication,  les  caravanes  du 
Nord  et  de  l'Est,  qui,  auparavant,  se  dirigeaient  sur  la  Sierra- 
Leone,  sont  aujourd'hui  ramenées  vers  Konakry,  où  les 
magasins  sont  devenus  insuffisants.  Les  paquebots  d'Anvers 
viennent  eux-mêmes  d'abandonner  le  port  de  Freetown  pour 
celui  de  Konakry. 

L'occupation  de  Timbo  sert  de  préliminaire  à  l'ouverture 
des  voies  de  communication  à  créer  entre  la  Guinée  française 
et  le  haut  Niger.  Déjà  une  route  relie  Konakry  et  Boké  au 
Fouta-Djallon,  et,  sous  la  direction  du  capitaine  du  génie 
Salesses,  on  a  étudié  le  tracé  d'un  chemin  de  fer  partant  de 
Konakry  et  aboutissant  à  Kardamania,  à  30  kilomètres  en  aval 
de  Kouroussa,  sur  le  Niger,  en  passant  par  la  région  de  Timbo. 
Le  tracé,  de  550  kilomètres  de  long,  à  pente  maxima  de 
25  millimètres  et  à  courbes  minima  de  75  mètres  dans  la 
vallée  de  la  Benty,  atteint  son  point  culminant  à  800  mètres 
d'altitude  au  col  de  Koumi,  près  de  Timbo.  Les  travaux  vien- 
nent d'être  commencés,  et  l'on  se  propose  de  les  poursuivre 
avec  activité  en  suivant  le  projet  présenté  par  le  capitaine 
Salesses,  après  la  brillante  reconnaissance  exécutée  par  cet 
officier  entre  Konakry  et  le  Niger.  Par  décret  du  18  août  1899 
la  colonie  a  été  autorisée  à  emprunter  8  millions  pour  assurer 
l'exécution  rapide  de  cette  voie  ferrée. 

Pendant  longtemps,  il  a  été  difficile  de  s'entendre  avec  le 
gouvernement  anglais  au  sujet  de  la  délimitation  de  nos  terri- 
toires et  de  la  colonie  de  Sierra-Leone.  Malgré  la  convention 
du  10  août  1881,  qui  posait  le  principe  de  la  délimitation  des 
colonies  de  la  Côte  de  l'Or  et  de  la  Sierra-Leone,  les  Anglais 


GUINÉE    FRANÇAISE  123 


ne  tenaient  guère  à  régler  ces  questions  de  frontières  tant  que 
la  lutte  de  Samory  contre  la  France  n'aurait  pas  pris  fin  par  la 
défaite  de  l'un  ou  le  découragement  de  l'autre.  La  Sierra- 
Leone  vivait,  en  effet,  principalement  du  commerce  des  armes 
à  feu  et  des  spiritueux  fournis  à  Samory,  et  toute  délimitation 
ayant  pour  objet  de  renfermer  la  colonie  dans  des  limites  pré- 
cises aurait  eu,  du  même  coup,  pour  effet  de  porter  le  plus 
grand  préjudice  au  commerce  anglais. 

En  1892,  cependant,  le  capitaine  Kenny,  du  côté  anglais,  et 
l'administrateur  Lamendon,  du  côté  français,  furent  délégués 
pour  régler  sur  place  la  question  de  frontière.  Le  capitaine 
Kenny  ayant  refusé  de  s'entendre  avec  son  collègue  français, 
on  put  craindre  que  la  délimitation  ne  fût  indéfiniment 
retardée.  Mais,  après  la  défaite  et  l'exode  de  Samory,  après  le 
malheureux  incident  de  frontière  qui  amena  entre  les  troupes 
anglaises  et  françaises  la  collision  où  périt  le  lieutenant  Marix, 
les  Anglais  ne  se  refusèrent  plus  à  admettre  une  délimitation 
effective.  D'ailleurs,  les  Français  avaient  mis  à  profit  le  temps 
perdu,  et  les  officiers  envoyés  par  le  colonel  Combes  avaient 
pu  opérer,  sur  le  terrain,  des  levés  qui  servirent  de  base  à  une 
discussion  plus  précise. 

Par  une  convention  datée  du  21  janvier  1895,  une  ligne  de 
démarcation  fut  établie  sur  la  carte. 

La  France  restait  maîtresse  de  tout  le  bassin  du  Niger  et 
gardait  le  poste  d'Érimankoro,  ainsi  que  les  routes  reliant  nos 
postes  littoraux  au  Fouta-Djallon. 

Cette  convention  ne  laissa  pas  de  soulever,  dans  la  colonie 
de  Sierra-Leone,  des*  critiques  nombreuses,  qui  eurent  pour 
résultat  de  retarder  considérablement  l'envoi  de  la  commis- 
sion désignée  pour  procéder  au  tracé  définitif  de  la  frontière. 

Cette  commission  put  cependant  partir  de  Freetown  le 
16  décembre  1895  pour  Tembi-Koundo,  près  des  sources  du 
Niger,  où  elle  arrivait  le  13  janvier  1896. 

La  mission  française  était  composée  du  capitaine  Passage, 
de  l'infanterie  de  marine,  et  de  deux  lieutenants;  la  mission 
anglaise,  du  lieutenant-colonel  Trotter,  chef  de  la  section  topo- 
graphique  du  War-Office,  et  de  trois  capitaines.  Les  travaux, 


124  L' AFRIQUE   POLITIQUE    EN    1900 

rapidement  conduits,  permirent  de  fixer  définitivement  les 
limites  de  la  Sierra-Leone,  d'après  les  bases  posées  par  les 
arrangements  intervenus  entre  les  deux  gouvernements 
les  10  août  1889,  21  juin  1891  et  21  janvier  1895.  Le  premier 
de  ces  arrangements  avait  déjà  délimité  la  Gambie  anglaise, 
ainsi  qu'on  lindiquera  à  propos  de  cette  colonie. 

Cette  délimitation,  jointe  à  celle  qui  a  imposé  à  la  Répu- 
blique de  Libéria  des  limites  déterminées,  a  eu  pour  effet  de 
préciser  et  de  resserrer  la  zone  d'action  de  nos  rivaux  et  de 
permettre  à  l'activité  française  de  s'exercer  largement  sur  des 
territoires  reconnus  comme  siens  et  sans  crainte  de  contesta- 
tions futures. 

La  population  de  la  Guinée  française  proprement  dite  s'élève 
à  environ  48.000  habitants.  Celle  du  Fouta-Djallon  est  d'envi- 
ron 400.000  habitants. 

La  subvention  demandée  à  la  métropole,  pour  les  dépenses 
de  la  colonie,  s'élève,  pour  1899,  à  900.000  francs. 

Le  mouvement  commercial  de  la  Guinée  augmente  sans 
cesse.  De  2.700.000  francs  en  1888,  il  a  passé,  dès  1892,  à 
10.400.000  francs,  dont  6.100.000  francs  pour  les  importa- 
tions. Les  relations  avec  le  Fouta-Djallon  ont  encore  activé 
les  échanges,  qui  tendent  de  plus  en  plus  à  abandonner  la 
voie  de  Sierra-Leone  pour  prendre  celle  de  Konakry. 

Le  transit  par  Sierra-Leone,  qui,  en  1896,  était  de  46  p.  100 
du  commerce  total,  tombait  à  3,50  p.  100  en  1898. 

Les  territoires  qui  forment  la  Guinée  française  sont  des 
pays  de  protectorat,  sauf  l'île  de  Tombo,  annexée  en  1888,  et 
qui  contient  Konakry,  chef-lieu  de  nos  établissements. 

Ils  sont  divisés  en  cinq  cercles  possédant  chacun  un  admi- 
nistrateur : 

1°  Ile  de  Tombo,  chef-lieu  Konakry,  résidence  du  gouverneur; 

2°  Cercle  de  Rio-Nunez,  chef-lieu  Boké; 

3°  Cercle  de  Rio-Pongo,  chef-lieu  Boffa  ; 

4°  Cercle  de  la  Dubreka,  chef-lieu  Dubreka; 

5°  Cercle  de  la  Mellacorée,  chef-lieu  Bentv. 


GUINÉE  FRANÇAISE  125 


En  outre,  le  décret  du  17  octobre  1899,  relatif  à  la  réorgani- 
sation de  l'Afrique  occidentale,  a  attribué  à  la  Guinée  fran- 
çaise les  territoires  suivants  détachés  du  Soudan  : 

Cercles  de  Dinguiray,  Siguiri,  Kouroussa,  Kankan,  Kissi- 
dougou  et  Beyla. 

L'importance  de  ces  territoires  est  grande,  non  seulement 
par  suite  de  leur  étendue  et  de  leur  commerce,  mais  surtout 
par  la  situation  du  massif  du  Fouta-Djallon.  Remarquable  à 
des  titres  divers,  ce  massif,  nœud  hydrographique  important, 
est  destiné  à  servir  de  sanatorium  à  nos  colons  et  surtout  de 
réduit  défensif  à  toutes  nos  possessions  à  l'ouest  du  Niger. 
Timbo  sera  probablement  une  des  grandes  villes  de  l'avenir; 
il  suffît  de  jeter  les  yeux  sur  la  carte  pour  prévoir  son 
rôle  militaire  futur,  au  cas  où  un  ennemi,  venu  de  l'Atlan- 
tique, aurait  réussi  à  prendre  pied  sur  les  côtes  et  à  menacer 
sérieusement  l'intérieur  de  nos  possessions.  Au  point  de  vue 
militaire,  aussi  bien  qu'au  point  de  vue  topographique,  le 
Fouta-Djallon  peut  être  considéré  comme  un  des  nœuds  prin- 
cipaux de  l'Afrique  occidentale. 


126  l'afrique  politique  en  1900 


Côte  d'Ivoire. 


Généralités.  —  Situation  de  la  colonie.  —  Campagnes  contre  Samory.  —  Délimi- 
tation avec  le  Libéria  et  la  Côte  d'Or.  —  Chemin  de  fer  de  Kong. 


La  Côte  d'Ivoire  s'étend,  avec  une  façade  de  600  kilomètres 
sur  l'Océan,  entre  la  République  de  Libéria  et  la  colonie  an- 
glaise de  Cape-Goast  (Achantiland). 

Son  gouverneur  réside  à  Grand-Bassam,  chef-lieu  de  la  co- 
lonie, qui  va  être  transféré  à  bref  délai,  en  raison  de  son  climat, 
à  Abidjean  (Bingerville),  où  un  port  intérieur  va  être  créé  en 
face  de  Petit-Bassam  et  mis  en  communication  avec  la  mer. 
Les  travaux  doivent  être  entrepris  dès  1901. 

La  Côte  d'Ivoire  est  habitée  par  deux  races  distinctes  :  les 
Ochnis  et  les  Agnis,  qui  se  subdivisent  en  nombreuses  tribus; 
l'une  des  plus  importantes  est  celle  des  Kroumens,  ou  hom- 
mes de  Krou,  qui  ont  fourni  de  nombreux  travailleurs  au 
chemin  de  fer  du  Congo  et  qui  occupent  une  certaine  étendue 
de  côtes,  tant  sur  le  territoire  de  la  Côte  d'Ivoire  que  sur 
celui  de  la  République  de  Libéria. 

A  l'est  du  Cavally  et  de  la  nouvelle  frontière  de  la  Répu- 
blique de  Libéria  s'étendent  de  vastes  contrées,  encore  presque 
inexplorées,  tandis  que,  dans  l'hinterland  de  Grand-Bassam  et 
de  Grand-Lahou,  se  trouvent  des  pays,  tels  que  le  Baoulé,  l'In- 
démé  et  surtout  le  Djimini,  qu'on  peut  citer,  d'après  le  colonel 
Monteil,  parmi  les  plus  fertiles  du  monde. 

L'importance  de  la  Côte  d'Ivoire  a  été  mise  en  lumière  par 
l'exploration  du  capitaine  Binger  dans  la  boucle  du  Niger, 
suivie  de  plusieurs  autres  missions,  parmi  lesquelles  il  faut 
citer  :  celles  du  capitaine  Marchand  et  du  capitaine  Manet;  la 
mission,  toute  récente,  du  lieutenant  Blondiaux  (mai  1897- 
janvier  1898)  dans  le  haut  Cavally,  qui  a  démontré  que  les 


cote  d'ivoire  127 


rivières  du  Soudan  méridional  appartiennent  au  bassin  de  la 
Sassandra  et  non  du  Cavally;  l'exploration  de  MM.  Pauly  et 
Bailly-Forfillère,  si  malheureusement  terminée  (voir  le  cha- 
pitre Libéria)  le  16  mai  1898. 

Plus  récemment,  le  25  novembre  1898,  partait  de  Marseille 
une  nouvelle  mission,  confiée  à  M.  Hostains  et  aux  lieute- 
nants d'Ollone  et  Macassé  et  chargée  de  déterminer  le  cours 
du  haut  Cavally.  La  mission  devait  fonder  un  poste  à  Taté, 
à  50  kilomètres  de  la  mer,  au  point  où  le  Cavally  cesse  d'être 
navigable,  puis  se  diriger  sur  Grabo,  Graoro  et  le  pays  des 
Pagnons  anthropophages. 

Le  même  jour  s'embarquait,  à  Marseille,  la  mission  du  capi- 
taine du  génie  Houdaille,  chargée  de  l'étude  de  voies  ferrées 
sur  le  territoire  de  la  Côte  d'Ivoire.  On  en  reparlera  plus  loin. 

Abandonnée  en  1872,  par  suite  de  nécessités  budgétaires, 
la  @ôte  d'Ivoire  fut  de  nouveau  occupée  en  1889  et  reçut  un 
résident.  Le  décret  du  10  mars  1893  consacra  l'autonomie  de 
la  colonie,  qui  s'étendit  jusqu'au  Cavally.  Dès  le  mois  d'avril 
1893,  un  administrateur  était  installé  à  Bettié,  à  environ 
100  kilomètres  au  nord  de  Grand-Bassam,  et  le  colonel  Mon- 
teil  créait,  en  1894,  les  postes  de  Tiassalé,  Toumodi,  Kouadio 
Kofi  et  Satama,  à  environ  100  kilomètres  de  Kong. 

Le  décret  récent  du  17  octobre  1899  a  attribué  à  la  Côte 
d'Ivoire  les  cercles  d'Odjenné,  Kong  et  Bouna  qui  arrondis- 
sent sensiblement  son  domaine  primitif  au  détriment  du  Sou- 
dan français.  Constatons  que  la  Côte  d'Ivoire,  depuis  longtemps 
troublée  par  des  révoltes  continuelles  et  peu  réprimées,  n'avait 
nul  besoin  de  ces  adjonctions  pour  ajouter  à  ses  difficultés. 

Le  commerce  de  la  colonie  s'accroît  chaque  année.  En  1898, 
les  exportations  ont  atteint  5.047.156  francs,  —  en  progrès  de 
328.500  francs  —  entièrement  réservées  à  la  France  et  à  ses 
colonies  ;  les  importations  se  sont  élevées  à  5.598.742  francs,  — 
en  progrès  de  plus  de  900.000  francs  —  dont  1.045.146  francs 
pour  la  France. 

De  riches  gisements  aurifères  ont  été  découverts  sur  les 


428  l'afrique  politique  en  1899 

rives  de  la  Comoé  et  l'exploitation  forestière  prend  une  rapide 
extension.  Depuis  l'entente  intervenue  avec  la  Compagnie  de 
Kong,  à  laquelle  on  a  dû  supprimer  le  monopole  du  commerce 
des  bois,  celui-ci  a  quintuplé.  Mais,  en  retour,  la  Compagnie  a 
reçu  une  concession  de  300.000  hectares  et  une  somme  de 
1.300.000  francs,  payable  par  la  colonie  et  par  annuités  de 
125.000  francs.  Par  contre,  la  Compagnie  est  chargée,  à  ses 
frais,  des  études  du  chemin  de  fer  de  Grand-Bassam  à  Kong, 
au  sujet  duquel  elle  conserve  un  droit  d'option. 

L'hinterland  de  la  Côte  d'Ivoire  a  été  le  théâtre  des  derniers 
épisodes  de  la  lutte  entreprise,  depuis  1878,  contre  Samory. 

Samory  est  né  à  Sanankoro  (haut  Niger)  vers  1837.  Fils  d'un 
marchand,  il  suivit  en  captivité  sa  mère,  faite  prisonnière  au 
cours  d'une  razzia  et  travailla  pour  la  délivrer.  Puis  il  revint  à 
Bissandougou,  où  il  s'enrichit  par  le  commerce  et  où,  après 
avoir  battu,  en  1873,  un  de  ses  compétiteurs,  il  fut  choisi 
comme  souverain.  Son  prestige  lui  attira  une  foule  de  parti- 
sans, avec  lesquels  il  commença  ses  conquêtes  dans  la  vallée 
du  Niger  dès  1878.  C'est  vers  cette  époque  qu'il  entra  en  con- 
tact avec  les  Français. 

En  1881,  le  colonel  Combes  linvite  à  ne  pas  passer  le  Niger; 
mais  Samory  n'en  tient  nul  compte  et  vient  assiéger  et  dé- 
truire Keniéra  avant  que  le  colonel  Borgnis-Desbordes,  arrivé 
devant  la  ville  seulement  en  février  1882,  ait  pu  la  secourir. 
Samory  s'était  rejeté  vers  le  Sud,  d'où  il  continuait  à  menacer 
nos  postes.  En  1883,  il  s'attaque  à  notre  ligne  d'étapes  de 
Kayes  à  Bamako,  nous  livre  plusieurs  combats,  puis  semble 
vouloir  faire  la  paix  avec  nous. 

Son  système  de  domination  n'est  d'ailleurs  édifié  que 
sur  une  série  de  pillages  qui  lui  procurent  ses  vivres,  ses 
esclaves  et  même  ses  soldats.  Partout  où  il  passe,  il  ne  laisse 
que  des  ruines,  et  ses  facultés  administratives  ne  se  manifes- 
tent que  dans  l'organisation  de  son  armée.  Pour  être  tran- 
quilles en  Sierra-Leone,  les  Anglais  lui  fournissent  des  armes 
et  des  munitions,  et  il  espère,  en  négociant  avec  nous,  se  faire 
payer   la  paix  qu'il  violera  le  lendemain.  Aussi  ne  fait-il 


côte  d'ivoire  129 


aucune  difficulté  d'envoyer  à  Paris  son  fils  Karamoko  et  de 
signer  avec  nous  des  traités  qu'il  n'exécute  pas.  Diplomate 
aussi  habile  que  bon  général,  il  conclut  une  ligue  avec  deux 
de  nos  ennemis,  le  sultan  de  Ségou,  Ahmadou,  et  Abd  el 
Boubakar,  le  chef  du  Fouta,  et  nous  oblige  à  briser  cette 
alliance  en  plusieurs  campagnes  mémorables. 

Les  années  de  1889  à  1893  sont  marquées  par  des  opérations 
qui  forment  une  suite  d'épopées  auxquelles  les  colonels  Archi- 
nard,  Humbert  et  Combes  attachent  leurs  noms. 

Chassé  du  haut  Niger,  Samory  se  jette  vers  le  Sud-Est.  Tou- 
jours obligé  de  s'appuyer,  pour  avoir  des  armes,  sur  une  co- 
lonie européenne,  il  ne  quitte  les  Anglais  de  la  Sierra-Leone 
que  pour  aller  se  tailler  un  nouvel  empire  aux  confins  de  la 
nouvelle  colonie  anglaise  de  l'Achantiland.  Son  entrée  à  Kong 
porte  un  coup  sensible  à  notre  prestige.  Aussi  envoie-t-on 
contre  lui,  en  1893-94,  le  colonel  Monteil,  qui  est  rappelé  du 
Congo  pour  lui  être  opposé. 

A  ce  moment,  Samory,  suivi  par  une  foule  de  captifs, 
véritable  chef  d'un  empire  ambulant,  avait  été  signalé  par  le 
capitaine  Marchand,  alors  en  mission  dans  le  haut  Cavally, 
marchant  vers  l'Est,  dans  la  direction  de  Kong  ou,  peut-être 
même,  de  nos  possessions  de  l'intérieur  de  la  Côte  d'Ivoire.  Il 
avait  déjà  atteint  le  Djimini  et  l'occupait  en  partie  lorsque  le 
colonel  Monteil  arriva  au  contact  de  ses  sofas. 

Ce  fut  un  spectacle  d'un  haut  intérêt  que  celui  qui  fut  alors 
fourni  par  ces  deux  adversaires,  aussi  habiles  comme  chefs 
que  comme  diplomates  :  l'un  récemment  vaincu  et  ayant 
encore  tout  à  craindre  et  tout  à  sauver,  l'autre  obligé  de 
masquer,  par  son  habileté  et  sa  valeur  française,  l'infériorité 
de  ses  forces  et  la  difficulté  de  ses  opérations. 

a  Tu  voudrais  que  je  quitte  ce  pays,  qui  est  le  plus  beau  du 
monde!  »  répondait  Samory  aux  sommations  qui  lui  étaient 
faites  d'évacuer  le  Djimini.  Il  allait  en  être  chassé,  après  plu- 
sieurs brillants  engagements  où,  de  part  et  d'autre,  furent 
déployées  des  qualités  militaires  remarquables;  lorsque,  à 
Satama,  le  18  mars  1894,  un  ordre  de  rappel  fut  notifié  au 
colonel  Monteil.  Celui-ci  avait  déjà  poussé  jusqu'à  Dioulassou, 

Air.  polit.  9 


130  l'afrique  politique  en  1900 

à  une  centaine  de  kilomètres  de  Kong,  et  avait  failli  enlever, 
après  une  marche  rapide,  la  smala  de  ce  nouvel  Abd  el  Kader. 

La  retraite  fut  difficile.  Samory,  ardent  a  la  poursuite,  fut 
cependant  obligé  de  s'arrêter  devant  les  coups  répétés  que 
Monteil,  quoique  blessé,  ne  cessait  de  lui  porter.  Elle  fut  aussi 
pénible  pour  le  prestige  français,  tandis  qu'elle  augmentait 
l'autorité  de  Samory  et  le  laissait  maître  incontesté,  pour  le 
moment,  de  la  région  de  Kong. 

Depuis  lors,  Samory  essaya  de  continuer  à  subsister  entre 
les  Français  du  Soudan  et  de  la  Côte  d'Ivoire  et  les  Anglais 
de  l'Achantiland,  négociant  avec  les  uns  et  les  autres  et  trom- 
pant tout  le  monde.  C'est  alors  que  furent  envoyées  à  Samory 
les  missions  anglaises  du  capitaine  Houston  (printemps  1896), 
de  sir  Maxwell  (automne  1896)  et  du  lieutenant  Henderson 
(janvier-mai  1897).  On  connaît  le  sort  de  cette  dernière  dont 
on  reparlera  plus  loin.  N'ayant  pu  atteindre  Samory  parla  Côte 
d'Ivoire,  on  chercha  à  l'entamer  par  le  Nord,  au  moyen  de 
nos  troupes  du  Soudan. 

Après  la  prise  d'Ouaghadougou  et  l'établissement  du  pro- 
tectorat français  sur  le  Mossi,  des  colonnes  avaient  été  pous- 
sées vers  le  Sud,  et  l'une  d'elles,  commandée  par  le  lieutenant 
Voulet,  s'était  trouvée  en  contact,  à  Sati,  en  novembre  1896, 
avec  les  sofas  de  Samory,  qui  commençaient  à  entamer  le 
Gourou nsi.  A  ce  moment,  l'almamy,  engagé  entre  les  co- 
lonnes anglaises  de  l'Achantiland  et  nos  troupes,  s'était  retiré 
sur  la  rive  droite  de  la  Volta  noire,  où  il  occupait,  près  de  nos 
postes,  une  partie  du  Lobi.  Il  avait  envoyé  au  commandant 
Caudrelier,  qui  administrait  la  région,  des  émissaires  pour 
lui  annoncer  son  désir  de  vivre  en  paix.  Ses  ouvertures  furent 
accueillies,  et  il  fut  convenu  qu'il  évacuerait  Bouna,  que  le 
capitaine  Braulot  reçut  l'ordre  d'occuper  avec  une  compagnie 
indigène.  Celui-ci  était  en  marche  lorsque,  près  de  Bouna,  le 
20  août  1897,  il  fut  traîtreusement  attaqué  par  Sarankemory, 
un  des  fils  de  Samory.  qui  le  tua  et  détruisit  presque  entière- 
ment sa  colonne. 

Samory  n'avait  plus  qu'un  an  a  attendre  son  châtiment. 

Le  commandant  Caudrelier  descendait  vers  le  Sud  et  faisait 


côte  d'ivoire  131 


occuper  Bondoukou  et  Kong,  dont  on  se  rappelle  l'héroïque 
défense,  exécutée  par  le  lieutenant  Demars,  en  face  de  2.000 
sofas  de  Samory. 

.  Plus  tard,  dès  que  le  commandant  Pineau,  chargé  par  le 
lieutenant-colonel  Audéoud,  lieutenant-gouverneur  du  Sou- 
dan par  intérim,  de  faire  tomber  Sikasso,  se  fut  acquitté  de  sa 
tâche  (1er  mai  1898),  il  se  retourna  vers  le  Sud,  à  la  fois  pour 
poursuivre  les  fugitifs  de  Sikasso  et  pour  ravitailler  Kong. 
Bientôt  il  se  heurta  aux  sofas  de  Samory,  les  refoula  et  se  porta 
sur  le  Djimini  et  le  Diamala,  où  Bouaké  fut  occupé  tandis  que 
nos  contingents  de  la  Côte  d'Ivoire  renforçaient  Bondoukou. 

A  ce  moment,  deux  lignes  de  postes  jalonnaient  nos  commu- 
nications entre  le  Soudan  et  la  Côte  d'Ivoire  :  l'une,  le  long  de 
la  Bandama,  avecKhemoko,  Diamrikoro.  Kong,  Bouaké,  Koua- 
diokofi,  Toumodi,  Tiassalé;  l'autre,  le  long  de  la  Comoé,  avec 
Lokkoso,  Bouna,  Bondoukou,  Assikasso,  où  l'ordre  venait 
d'être  troublé  par  les  indigènes  anglais,  et  Grand-Bassam. 

Engagé  au  milieu  de  cette  toile  d'araignée,  Samory,  crai- 
gnant continuellement  nos  attaques,  se  décida  à  un  nouvel 
exode. 

Abandonnant  la  région  de  Kong,  il  se  rejeta  vers  l'ouest  à 
la  fin  de  mai  1898  et  fut  rejoint  par  son  lieutenant,  Bilali,  qui 
venait,  avec  ses  2.000  sofas,  de  se  faire  battre  à  Tiémou  par 
le  commandant  Pineau,  en  cherchant  à  menacer  Tombougou, 
un  de  nos  postes  du  Soudan  méridional. 

Samory,  continuant  sa  marche  avec  50.000  émigrants  en- 
viron, dont  10.000  à  12.000  sofas,  et  cherchant  à  échapper  au 
commandant  Pineau,  alla  se  heurter  aux  troupes  du  comman- 
dant de  Lartigue,  qui  administrait,  à  Odjenné,  le  Soudan  mé- 
ridional. 

La  colonne  du  lieutenant-colonel  Bertin  cherchait  alors  à 
occuper  Tiémou.  pour  relier  nos  postes  du  Soudan  méri- 
dional à  ceux  de  la  ligne  de  la  Bandama. 

Le  20  juin,  Samory  abordait  la  Sassandra  et  la  traversait. 
Le  commandant  de  Lartigue,  avec  250  hommes,  atteignait,  le 
20  juillet,  à  Doué,  au  sud  de  Mgaoué,  une  troupe  de 4.000  sofas, 
qu'il  repoussa  d'abord,  mais  devant  laquelle  il  dut  ensuite  se 


132  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

retirer  sur  Touba.  A  ce  moment  Samory  S3  trouvait  à  Tounga- 
radougou,  sur  la  rive  droite  du  Bafing,  où  il  vivait  péniblement 
de  razzias  exécutées  sur  les  Ouobès  et  les  Dioulas,  anthropo- 
pliages de  la  forêt  dense,  qui  demandèrent  notre  intervention. 

Le  commandant  de  Lartigue  fit  surveiller  et  harceler  Sa- 
mory par  de  petites  colonnes  légères,  restant  lui-même  avec 
le  gros  de  ses  forces  à  Beyla.  Une  de  ces  colonnes,  compre- 
nant à  peine  200  hommes,  commandée  par  le  lieutenant 
Wœlfïel  et  soutenue  par  la  compagnie  du  capitaine  Gaden, 
apprenant  qu'un  fort  groupe  de  sofas  allait  traverser  le  Ca- 
vally,  à  60  kilomètres  au  sud  de  N'Zô,  se  mit  à  sa  poursuite, 
l'atteignit,  le  9  septembre,  à  Tiafeso,  l'accula  à  un  marigot  et 
fit  mettre  bas  les  armes  à  2.000  sofas. 

Le  reste  de  la  bande,  poursuivi  par  nos  troupes,  fut  sou- 
tenu par  Sarankemory,  qui,  après  six  heures  d'un  combat 
où  Bilali  trouva  la  mort,  fut  mis  en  fuite.  Les  trophées  de 
cette  journée  furent  5.000  prisonniers  et  une  grande  quantité 
d'armes  et  de  munitions.  Peu  après,  20.000  fugitifs  faisaientleur 
soumission.  Toutes  ces  opérations  nous  coûtaient  un  seul  blessé. 

Samory  ne  tardait  pas  à  nous  faire  des  offres  de  soumission 
qui  furent  repoussées.  Des  défections  se  produisaient  parmi 
ses  sofas;  traqué  par  nos  troupes  et  par  les  populations  de 
la  contrée,  il  était  menacé  de  la  famine;  à  moins  de  circon- 
stances exceptionnelles,  il  ne  pouvait  manquer  de  tomber 
entre  nos  mains.  Après  le  combat  de  Tiafeso,  il  s'était  enfui 
vers  l'Est,  puis  s'était  replié  dans  les  montagnes,  au  sud  de 
Doué.  Le  commandant  de  Lartigue  rassembla  ses  forces  (deux 
compagnies)  à  Fanha  et  les  lança  sur  Samory,  qu'elles  attei- 
gnirent le  29  septembre  à  Guélémou  et  qu'elles  firent  prison- 
nier avec  le  reste  de  ses  sofas,  ses  femmes  et  ses  fils,  y  com- 
pris Sarankemory  et  Moktar. 

Ces  opérations,  exécutées,  malgré  la  saison,  avec  une  vi- 
gueur remarquable,  ont  eu  un  énorme  retentissement  dans 
tout  le  Soudan  occidental,  dont  la  pacification  doit  être,  au- 
jourd'hui, considérée  comme  terminée.  Nous  avons  tenu  à 
les  rapporter  dans  leur  ensemble,  en  raison  de  la  grande 
importance  de  cet  événement  et  de  l'influence  salutaire  que 


côte  d'ivoire  133 


n'ont  pas  manqué  d'exercer,  dans  toutes  ces  régions,  la  dé- 
faite et  la  capture  de  notre  vieil  ennemi,  qu'on  a  été  jusqu'à 
surnommer  le  Napoléon  noir  (1). 


(1)  Le  Journal  officiel  de  l'Afrique  occidentale  française  a  publié,  le  24  novem- 
bre, le  rapport  du  gouverneur  général  sur  les  opérations  de  la  colonne  qui  a  dé- 
truit l'armée  de  Sainory. 

«  Le  11  septembre  dernier,  après  l'affaire  de  Tiaféso,  le  capitaine  Gaden  et  le 
lieutenant  Wœlffel  se  portaient  sur  N'Zô,  où  le  chef  de  bataillon  de  Lartigue, 
commandant  la  région  sud,  les  rejoignait,  le  17,  par  Fanha,  avec  un  renfort  de 
125  fusils.  Les  renseignements  recueillis  dans  le  pays  faisaient  présumer  que 
Samory,  avec  les  débris  de  ses  forces,  cherchait  encore  à  passer  le  Cavally  pour 
gagner  le  pays  libérien.  L'état  des  chemins,  rendus  extrêmement  difficiles  par  l'hi- 
vernage et  jonchés  de  cadavres  que  laissaient  derrière  elles  les  bandes  en  déroute 
de  l'almamy,  empêchant  la  marche  d'une  colonne  quelque  peu  importante,  le 
commandant  dut  se  contenter  de  former,  pour  continuer  la  poursuite,  une  solide 
reconnaissance  de  215  fusils  dirigée  par  le  capitaine  Gouraud,  assisté  des  capi- 
taine Gaden,  lieutenant  Jacquin,  lieutenant  Mangin,  docteur  Boyé,  adjudant  Brail, 
sergents  Maire,  Bratières  et  Lafon.  D'autre  part,  des  instructions  très  précises 
étaient  données  aux  postes  et  détachements  de  la  région  pour  que  Samory  ne  pût 
s'échapper  et  le  commandant  de  Lartigue,  avec  200  tirailleurs,  assisté  du  lieute- 
nant Wœlffel,  des  sergents  Tanières,  Ariste  et  Berthet,  se  tenait  prêt  à  fermer 
aux  bandes  les  routes  du  Sud  et  de  l'Ouest. 

))  La  reconnaissance  se  mit  en  route  le  24  septembre  ;  le  26,  elle  ramassait,  à 
Deniféso,  une  centaine  de  fugitifs  errants  et  abrutis  par  les  souffrances.  L'état  du 
pays  était  d'une  indicible  horreur;  dans  les  chemins  défoncés,  coupés  de  marigots 
vaseux,  l'air  était  empesté  par  les  émanations  des  cadavres  abandonnés;  tous  les 
villages,  sans  exception,  où  trois  mois  auparavant  les  bandes  féroces  de  Samory 
avaient  promené  la  terreur,  étaient  à  l'état  de  ruines  lamentables,  le  plus  souvent 
complètement  rasés,  encombrés  d'ossements,  de  cadavres  décomposés,  au  milieu 
desquels  restaient  encore  quelques  habitants  hébétés  et  décharnés. 

»  Guidée  par  un  sofa  fait  prisonnier  dans  la  brousse,  la  reconnaissance  poursuit 
sa  route  et  arrive  le  28  dans  un  immense  campement  que  l'almamy  et  tous  les 
siens  n'ont  quitté  que  trois  jours  auparavant.  Ayant  appris  là,  par  de  vieilles  cap- 
tives abandonnées,  que  Samory  s'était  dirigé  vers  le  Nord,  1»'  capitaine  Gouraud 
en  informe  aussitôt  le  commandant  de  Lartigue,  et  s'engage  résolument  sur  la 
piste  des  bandes.  Un  autre  sofa  déserteur  fournit  des  renseignements  précieux  : 
Samory  n'est  qu'à  une  quinzaine  de  kilomètres  en  avant,  près  du  lieu  appelé  Gué- 
lémou;  les  bandes  sont  complètement  désorganisées,  sans  aucun  service  de  sûreté, 
sauf  une  petite  arrière-garde  commandée  par  Maeé-Amara,  (ils  de  l'almamy. 
Dans  ces  conditions,  le  capitaine  Gouraud,  avec  un  remarquable  esprit  d'initiative, 
décide  de  risquer  un  coup  d'audace  et  de  surpri-i'  en  essayant  de  pénétrer  dans  le 
camp  même  de  Samory,  pour  s'emparer  de  sa  personne.  Des  ordres  minutieux 
sont  donnés  pour  l'exécution  do  ce  plan  et  en  assurer  la  réussite  complète. 

«  Le  29,  au  petit  jour,  le  bivouac  est  levé;  l'arrière-garde  de  .Maeé-Amara, 
tournée  par  l'escouade  du  caporal  Fodé-Sankaré,  est  enlevée  sans  coup  férir; 
vers  8  heures,  le  lieutenant  Jacquin  et  le  sergenl  Bratières,  avec  une  section, 
atteignent  et  traversent  les  premières  huttes  du  campement,  où  une  foule  sans 
firmes,  plus  étonnée  que  craintive,  les  regarde  défiler,  pendant  que  les  tirailleurs, 
tout  en  passant,  crient  à  ces  gens  de  se  rassurer  et  de  se  taire.  La  section  traverse 
de  même  le  village  des  femmes  et  débouche  brusquement  au  beau  milieu  de  l'im- 
mense campement  de  l'almamy.  La  surprise  est  complète. 

»  Prévenu  par  la  rumeur  qui  s'est  élevée  dans  le  camp  à  l'apparition  des  tirait- 


134  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

Samory,  dirigé  sur  Kayes  et  Saint-Louis,  a  été  embarqué 
pour  le  Congo,  avec  Sarankémory,  et  interné  dans  un  de  nos 
postes  de  l'Ogooué,  à  N'Djolé. 

La  délimitation  de  la  Côte  d'Ivoire,  du  côté  de  la  colonie  de 


leurs,  Samory,  qui  lisait  le  Coran  devant  sa  case,  s'est  enfui  précipitamment  et, 
dans  son  saisissement,  n'a  pas  eu  le  temps  de  prendre  une  arme  dans  sa  case,v  où 
se  trouvaient  pourtant  plusieurs  fusils  et  un  revolver  chargés. 

»  Au  bout  de  quelques  minutes  de  course,  le  caporal  auxiliaire  Faganda  Toun- 
kara  aperçoit  le  premier  l'almamy,  reconnaissable  à  sa  haute  taille  et  à  sa  ché- 
chia rouge  serrée  d'un  turban  blanc,  qui  fuit  à  toutes  jambes,  courant  comme  un 
jeune  homme  et  cherchant  un  cheval. 

»  Les  tirailleurs  précipitent  leur  course,  en  tète  le  sergent  Bratières,  le  caporal 
Faganda  Tounkara,  les  tirailleurs  auxiliaires  Bandia  Tounkara  et  Filifing  Keita. 
Celui-ci  arrive  le  premier  sur  l'almamy,  qui  lui  échappe  par  un  brusque  crochet. 
Tout  en  courant,  les  tirailleurs  crient  :  «  Ilo!  llo!  (halte)  Samory!  »  Il  continue  à 
fuir;  à  son  tour.  Bratières  lui  crie:  «  llo!  llo!  Samory!  »  Voyant  un  blanc,  Sa- 
mory, à  bout  de  forces,  s'arrête,  et  Bratières  le  saisit;  il  s'assied  à  terre  et  dit  aux 
tirailleurs  :  «  Tuez-moi  !  » 

»  Le  lieutenant  Jacquin  arrive  à  ce  moment  avec  le  reste  de  la  colonne;  Samory, 
prisonnier,  est  emmené  à  sa  case.  Il  était  temps:  de  toutes  parts,  les  sofas  pre- 
naient les  armes  et  la  situation  aurait  pu  devenir  critique.  Mais  Samory  fait  un 
signe,  toute  fuite  s'arrête;  en  un  clin  d'œil,  la  nouvelle  est  connue  de  tout  le  camp 
et  met  fin  à  toute  lutte. 

»  Pendant  ce  temps,  les  autres  fractions  de  la  reconnaissance  avaient  occupé  les 
diverses  parties  du  campement  ;  les  marabouts,  chefs  de  bande  et  griots  viennent 
se  rendre  successivement.  Un  cavalier  est  envoyé  à  Moktar  et  à  Sarankémory, 
qui  se  trouvent  à  12  kilomètres  de  là,  et  leur  porte  l'ordre  de  venir  faire  leur  sou- 
mission, sous  peine  de  voir  mettre  à  mort  leur  père  et  leur  mère.  A  1  heure,  ils 
sont  au  camp,  apportant  leurs  armes  et  leurs  munitions.  Pendant  ce  temps,  les 
patrouilles  circulent,  rassemblant  les  fusils  et  les  cartouches,  les  bœufs,  les  che- 
vaux; le  trésor  de  l'almamy  est  découvert  et  les  caisses  qui  le  contiennent  sont 
amenées  au  camp  et  inventoriées. 

«  La  journée  du  30  septembre  est  employée  à  détruire  les  armes,  cartouches  et 
barils  de  poudre,  qu'il  est  impossible  d'emporter.  Tout  est  brisé,  noyé  ou  brûlé, 
puis  la  colonne  se  remet  en  marche;  au  centre,  Samory,  Sarankémory,  Moktar 
et  les  porteurs  du  trésor;  à  l'arrière,  les  marabouts,  les  chefs  et  les  griots. 

«  Quant  à  la  grande  foule  des  sofas,  des  femmes  et  des  captifs,  évaluée  à  50.000  per- 
sonnes, elle  est  dirigée  sur  Touba,  sous  la  protection  d'une  escouade  de  tirail- 
leurs. 

»  Le  3  octobre,  au  moment  où  le  commandant  de  Lartigue  venait  de  recevoir,  à 
N'Zô,  une  lettre  par  laquelle  Samory,  avant  sa  capture,  faisait  des  propositions  de 
paix,  la  nouvelle  lui  parvenait  presque  simultanément  de  l'éclatant  succès  de  la 
reconnaissance  du  capitaine  Gouraud;  il  se  mettait  immédiatement  en  route;  les 
deux  colonnes  se  rejoignaient,  le  9,  à  Quéaso,  puis,  marchant  à  un  jour  d'inter- 
valle l'une  de  l'autre,  arrivaient,  le  17,  à  Beyla.  Depuis,  Samory,  sous  la  garde  du 
lieutenant  Jacquin  et  du  sergent  Bratières,  a  été  dirigé  sur  Kayes  ;  le  5  novembre, 
il  est  passé  à  Kankan  et,  le  G,  à  Siguiri.  Son  voyage  se  poursuit  sans  incident. 

))  Ainsi  s'est  trouvée  terminée  la  carrière  de  celui  qui,  pendant  plus  de  quinze 
ans,  n'avait  établi  et  conservé  sa  puissance  néfaste  qu'en  portant  la  ruine  et  la 
mort  dans  les  régions  les  plus  riches  du  Soudan.  » 


cote  d'ivoire  135 


Cape-Coast,  a  été  l'objet  de  longues  et  difficultueuses  négocia- 
tions entre  la  France  et  l'Angleterre.  Un  premier  arrange- 
ment fut  signé  le  10  août  1889,  à  la  suite  duquel  une  com- 
mission de  délimitation  fut  nommée  ;  elle  commença  ses 
opérations  en  1892,  mais  ne  put  aboutir.  Deux  autres  arran- 
gements sont  intervenus,  le  26  juin  1891  et  le  12  juillet  1893, 
et  les  deux  puissances  se  sont  enfin  mises  d'accord  pour 
signer,  le  14  juin  1898,  la  convention  générale  de  délimitation 
de  tous  les  territoires  appartenant  aux  deux  nations  dans  cette 
partie  de  l'Afrique  (1). 

La  frontière  suit  d'abord  la  rivière  Tanoé,  laisse  Bondoukou 
à  la  France  et,  à  partir  du  9°  de  latitude,  suit  la  Yolta  noire 
jusqu'au  11°  de  latitude.  Elle  se  maintient  ensuite  aux  envi- 
rons dece  11°,  en  laissant  Gambaka  à  l'Angleterre.  Le  capitaine 
Gouraud  vient  d'être  désigné,  du  côté  français,  pour  délimiter 
la  nouvelle  frontière. 

Du  côté  de  la  République  de  Libéria,  les  difficultés  de  déli- 
mitation ont  été  bien  moins  grandes  que  du  côté  des  colonies 
anglaises. 

Le  tracé  de  nos  frontières  avec  cet  État  a  précédé  notre  en- 
tente avec  l'Angleterre,  et  l'arrangement  du  8  décembre  1892 
a  posé  les  bases  de  la  délimitation  des  possessions  françaises 
et  libériennes. 

La  frontière  suit  le  rio  Cavally  jusqu'à  20  milles  au  sud  du 
confluent  du  Fédédougou,  laissant  à  la  France  le  bassin  du 
Fédédougou,  ainsi  que  le  bassin  entier  du  Niger  et  de  ses 
afïluents. 

La  garnison  de  troupes  régulières  qui  occupe  la  Côte 
d'Ivoire  a  été  réduite,  depuis  1896,  à  une  seule  compagnie  de 
marche  de  tirailleurs  sénégalais.  Par  suite  de  cette  réduction, 
on  a  dû  organiser  des  milices  locales  destinées  à  remplacer  les 


(1)  Malgré  la  précision  de  cette  délimitation,  les  incidents  de  frontière  sont 
nombreux.  Au  printemps  de  1898,  Assikasso,  située  en  plein  territoire  français, 
fut  attaquée  par  des  indigènes  venus  en  grand  nombre  de  l'Achantiland,  et  ce 
n'est  qu'après  un  lom,r  investissement  df  soixante-deux  jours  qu'une  petite  co- 
lonne française  put  la  débloquer  et  repousser  les  assaillants. 


136  l'afrique  politique  en  1900 

troupes  régulières.  Ce  sont  des  troupes  de  police  qui,  même 
après  la  capture  de  Samory,  ne  paraissent  point  devoir  suffire 
à  assurer  la  tranquillité  complète  du  pays.  Les  rébellions  n'y 
sont  pas  rares,  et,  tout  récemment,  au  mois  d'avril  1899,  nos 
tirailleurs  ont  eu  à  réprimer  une  révolte  sérieuse  des  Tepos,  à 
Blidouba  et  Olodio,  entre  le  Cavally  et  la  rivière  Toupa. 

L'action  française  devait  s'exercer  dans  ce  même  pays  par 
l'envoi  de  la  mission  de  MM.  Hostains  et  d'Ollone,  qui  remon- 
tait le  Cavally  marchant  vers  le  Soudan,  en  étudiant  une  voie 
de  communication  entre  les  deux  régions,  à  la  rencontre  de  la 
mission  des  lieutenants  Wœlffel  et  Mangin.  Celle-ci,  partie  du 
Soudan,  devait  continuer  les  travaux  du  lieutenant  Blondiaux 
en  descendant  le  Cavally.  Le  ministre  des  colonies  a  ordonné, 
en  octobre  1899,  l'arrêt  de  la  mission  Wœlffel.  Quant  à  la  mis- 
sion Hostains,  elle  a  pu  arriver  à  N'zô  au  mois  de  décembre 
dernier. 

Les  voies  de  communication  de  la  colonie  ont  pris,  dans  ces 
derniers  temps,  une  rapide  extension.  Dès  1896,  les  chefs  indi- 
gènes de  l'Indénié  ont  fait  ouvrir  une  route  de  140  kilomètres 
déjà  suivie  par  les  caravanes.  Les  voies  fluviales,  nombreuses 
et  d'un  parcours  généralement  facile,  permettent  d'ailleurs 
d'assurer,  dans  de  bonnes  conditions,  la  pénétration  du  pays. 
Une  ligne  télégraphique  relie  les  escales  de  la  côte  et  avec 
elles  la  ligne  côtière  de  Cape-Coast,  du  Togo  et  du  Dahomey. 

Grâce  à  la  ligne  dahoméenne  qui  atteint  Ouaghadougou,  on 
peut  communiquer  avec  nos  postes  du  Soudan  et  du  Sénégal. 
Du  côté  de  Kong,  la  ligne  télégraphique  partant  de  Grand- 
Bassam  atteignait,  au  mois  d'avril,  les  confins  de  l'Indénié, 
se  dirigeant  sur  Bondoukou. 

Dans  le  projet  des  communications  futures  destinées  à  don- 
ner la  vie  au  Soudan  occidental,  l'existence  de  la  Côte  d'Ivoire 
joue  un  rôle  de  premier  ordre.  Possédant  dans  son  hinterland 
le  marché  séculaire  de  Kong  et  les  riches  contrées  de  la  boucle 
du  Niger,  il  est  naturel  de  supposer  que  la  première  des  pré- 
occupations d'un  gouvernement  soucieux  de  développer  le 
commerce  de  la  métropole  et  les  richesses  de  ses  colonies 


côte  d'ivoire  137 


sera  de  pousser  à  l'exécution  d'une  voie  ferrée  reliant  la  Côte 
d'Ivoire  au  marché  de  Kong. 

Nous  verrons,  en  parlant  de  la  colonie  anglaise  de  Sierra- 
Leone,  qu'une  voie  ferrée  s'impose  parmi  celles  de  l'avenir. 
C'est  celle  qui.  partant  du  haut  Niger,  viendrait  déboucher  sur 
le  Cavally. 

On  a  déjà  vu  que  la  Compagnie  de  Kong  a  assumé  l'obliga- 
tion de  faire  étudier  une  voie  ferrée  partant  de  Grand-Bassam 
pour  aboutir  à  Kong.  Il  y  aurait  intérêt  à  tracer  cette  ligne  à 
faible  distance  de  la  frontière  de  l'Achantiland  pour  attirer 
vers  les  territoires  français  les  produits  de  ce  pays.  Elle  pour- 
rait se  diriger  ensuite  du  côté  de  Bondoukou,  marché  impor- 
tant, avant  d'arriver  à  Kong,  d'où  elle  se  prolongerait  vers 
le  Dafina,  dans  la  direction  de  Tombouctou,  remplaçant  ainsi 
les  caravanes  qui,  de  temps  immémorial,  circulent  entre  le 
Sahara  et  la  région  de  Kong. 

Cette  voie  ferrée  aurait,  entre  Grand-Bassam  et  Kong,  une 
longueur  d'environ  500  à  600  kilomètres  et  ne  pourrait  man- 
quer de  constituer  la  plus  sérieuse  concurrence  aux  mouve- 
ments du  commerce  qui,  de  l'intérieur  de  la  boucle  du  Niger, 
se  dirige  vers  la  colonie  anglaise  de  Cape-Coast. 

La  mission  du  capitaine  du  génie  Houdaille  a  été  chargée 
d'étudier  les  tracés  de  cette  voie  future.  Partie  de  Grand- 
Bassam  au  mois  de  janvier  1899,  elle  dut,  pendant  quelque 
temps,  s'arrêter  devant  l'attitude  des  indigènes.  Après  avoir 
poussé  dans  les  régions  au  nord  de  Grand-Bassam  de  nom- 
breuses reconnaissances,  le  capitaine  Houdaille  s'est  décidé 
pour  un  tracé  à  variantes,  voisin  de  la  rivière  Mé,  allant  de 
Momni  à  Abidjean  et  à  Grand-Bassam  par  Petit  Alépé,  de 
Momni  à  Bouapé  et  de  ce  dernier  point  à  Bettié,  à  Darosso  et 
à  Goliéso.  Au  mois  de  juin  1899,  on  annonçait  le  retour  sur  la 
côte,  à  Jacqueville,  de  la  mission,  qui  s'apprêtait  à  rentrer  en 
France,  sa  tache  brillamment  accomplie. 

A  la  Côte  d'Ivoire,  comme  dans  la  Guinée,  l'activité  fran- 
çaise paraît  donc  être  entrée  dans  une  période  pleine  de  pro- 
messes pour  l'avenir  commercial  de  ces  régions. 


138  l'afrique  politique  ex  1900 


Dahomey  et  dépendances. 


Administration.  —  Missions  récentes  et  délimitation  avec  la  colonie  anglaise  de 
Lagos.  —  Organisation  civile  et  militaire.  —  Commerce.  —  Avenir. 


Après  les  deux  remarquables  campagnes  du  général  Dodds 
(1892-1894),  qui  amenèrent  la  chute  puis  la  capture  de 
Behanzin,  le  Dahomey  fut  divisé  en  divers  royaumes  indé- 
pendants, et  Ago-li-Agbo,  frère  de  Behanzin,  proclamé  roi 
d'Abomey. 

Tout  le  pays  fut  placé,  par  le  général  Dodds,  sous  le  régime 
des  arrêtés  du  29  janvier  et  du  4  février  1894,  qui  posèrent 
les  bases  de  l'administration.  Puis  le  général  rentra  en 
France,  léguant  le  pouvoir  civil  à  M.  Ballot,  nommé  gou- 
verneur du  Dahomey  par  décret  du  22  juin  1894. 

Dès  ce  moment  commença  une  série  ininterrompue  d'ex- 
plorations, qui  eurent  pour  résultat  de  reculer  vers  le  Nord 
les  limites  de  l'influence  française  et  de  fixer,  par  des  traités 
conclus  avec  les  rois  indigènes,  les  limites  des  colonies  euro- 
péennes voisines. 

Les  plus  importantes  de  ces  missions  furent  celles  du 
commandant  Decœur  (1),  qui  signa,  à  Nikki,  un  traité  de 
protectorat,  le  25  novembre  1894;  des  lieutenants  Baud  et 
Vergoz  (2);  des  lieutenants  Baud  et  Vermeersch  (3),  qui,  partis 
de  Garnotville,  poste  créé  à  la  fin  de  1894,  avec  environ 
50  hommes,   allèrent  aboutir  à  Grand-Bassam,  après  avoir 


(1)  Itinéraire  :  Garnotville,  Séméré,  Wangara,  Nikki,  Garnotville,  Wangara, 
Kouandé,  Maka  (31  décembre),  Sausané-Mango,  Pâma,  Gourma,  Say  (31  janvier- 
4  février  189-3),  cours  du  Niger,  Léaba,  Carnotville  (20  mars). 

[2j  De  Maka,  après  avoir  quitté  le  commandant  Decœur,  sur  Lamboudji.  Baki- 
jnagru,  Kodjar-Bikini  (Niger)  et  Say,  où  ils  retrouvèrent  le  commandant  Decœur. 

(3)  Carnotville  (20  mars  1805),  Kirikri,  Sausané-Mango,  Oua  (1er  mai),  Bonna- 
Nasian,  Grand-Bassam  (12  juin). 


DAHOMEY    ET   DÉPENDANCES  139 

contourné  par  le  nord  les  possessions  allemandes  et  an- 
glaises. 

A  la  fin  de  1894,  le  capitaine  Toutée  partit  du  Dahomey  et 
se  dirigea  vers  le  Niger,  par  Kishi  et  Kayoma,  pour  aboutir 
à  Badjibo  (février  1895).  De  là,  il  remonta  le  Niger  jusqu'à 
Say,  poussa  sur  Zinder  (150  kilomètres  en  amont)  et  rentra 
à  Kotonou  le  1er  août  1895.  Au  cours  de  ce  remarquable 
voyage,  il  fonda,  sur  le  moyen  Niger,  le  poste  d'Arenberg, 
qui,  plus  tard,  devait  être  cédé  à  l'Angleterre. 

Grâce  à  ces  missions  la  France  put  opposer  à  ses  voisins 
des  traités  de  protectorat  qui  lui  permirent  d'établir  ses 
droits  à  l'égard  des  empiétements  des  colonies  de  Lagos, 
du  Togoland  et  de  la  Côte  d'Or.  Déjà,  la  Compagnie  royale 
du  Niger  avait  lancé  vers  Nikki  plusieurs  explorateurs,  dont 
le  principal,  le  capitaine  Lugard,  le  conquérant  de  l'Ouganda, 
avait  failli  devancer  nos  missions;  tandis  que,  parties  du  To- 
goland, des  missions  allemandes  cherchaient  à  remonter  vers 
le  Nord  et  à  reculer  les  limites  du  protectorat  allemand.  Il 
était  temps,  pour  la  France,  de  prendre  position  et  de  se  créer 
des  droits  pour  les  délimitations  à  venir. 

Ces  droits  étaient  déjà  suffisamment  établis,  dès  la  fin  de 
1894,  pour  permettre  au  gouvernement  français  d'entamer 
avec  l'Angleterre  des  pourparlers  concernant  la  délimitation 
des  colonies  voisines  du  Dahomey  et  du  Lagos. 

Le  15  janvier  1896,  comme  conséquence  du  traité  relatif 
au  Siam,  un  arrangement  franco-anglais  fut  conclu,  aux 
termes  duquel  les  deux  gouvernements  convenaient  de  nom- 
mer chacun  une  commission  chargée  de  fixer  la  délimitation 
la  plus  équitable  de  leurs  possessions  dans  la  région  à 
l'ouest  du  Niger. 

Mais  ce  n'est  qu'au  cours  des  laborieuses  négociations  enta- 
mées à  la  fin  de  1897  et  en  1898  que  l'on  put  arriver  pénible- 
ment à  élaborer  la  convention  du  14  juin  1898  (1).  Aux  termes 
de  cette  convention,  la  frontière  suit  la  rivière  Ocpara  jus- 
qu'au 9e  degré  de  latitude,  puis  se  dirige  vers  le  Nord  en  lais- 


(1)  Voir  à  l'Appendice. 


140  l'Afrique  politique  en  1899 

sant  :  à  l'Angleterre,  Tabira,  Okouta,  Boria,  Téré,  Ghani, 
Dekala;  à  la  France,  Nikki,  et  atteint  le  Niger  à  dix  milles 
en  amont  de  Guiris,  port  d'Ilo. 

On  indiquera,  à  propos  du  Togoland,  les  limites  adoptées 
entre  cette  colonie  et  le  Dahomey,  à  la  suite  du  procès-verbal 
du  1er  février  1887  et  de  la  convention  du  23  juillet  1897. 

Ces  résultats  ont  été  obtenus,  à  force  d'énergie  et  de  talents, 
par  les  explorations  et  les  conquêtes,  la  plupart  pacifiques, 
accomplies  par  nos  officiers  d'infanterie  de  marine  depuis 
l'année  1895. 

C'est  au  capitaine  Baud  que  fut  confiée  la  plus  féconde  de 
ces  missions.  Accompagné  par  le  capitaine  Vermeersch,  il 
partit  du  Dahomey  au  commencement  de  1897,  se  dirigeant 
sur  Carnotville.  Là,  il  dut  attendre  que  M.  Ballot,  gouverneur 
du  Dahomey,  eût  réglé  la  question  de  la  frontière  du  Togo,  au 
delà  de  laquelle  les  Allemands  avaient  occupé  quelques-uns 
de  nos  postes.  Il  repartit  vers  le  Nord  et  atteignit  Gourma  au 
moment  où  le  roi  du  pays,  Betchandé,  se  débattait  contre  ses 
vassaux. 

En  quinze  jours,  les  troupes  de  Betchandé,  commandées 
par  nos  officiers,  battirent  les  rebelles  et  s'emparèrent  de 
Doucouma  et  de  Tigba.  A  ce  moment  arrivait  de  l'Ouest  le 
leutenant  Voulet,  qui  venait  de  conquérir  brillamment  le 
Mossi  avec  quelques  blancs  et  200  indigènes.  Il  fut  tout  sur- 
pris de  se  rencontrer  à  Tigba  avec  des  Français,  alors  qu'il 
pensait  y  trouver  des  Allemands  ou  des  Anglais  (25  février 
1897). 

Les  forces  réunies  des  deux  missions  terminèrent  la  guerre 
par  la  prise  de  Bilanga. 

Pendant  ce  temps,  le  lieutenant  de  vaisseau  Bretonnet  occu- 
pait la  rive  du  Niger  d'Ilo  à  Boussa,  et  le  capitaine  Betbeder, 
avec  une  compagnie  indigène  et  un  peloton  de  spahis,  entrait 
à  Say  après  avoir  rejeté  notre  vieil  ennemi  Ahmadou-Scheikou 
de  l'autre  côté  du  Niger. 

Le  capitaine  Ganier,  avec  une  compagnie  de  Sénégalais, 
reçut  alors  la  mission  d'assurer  la  jonction  entre  MM.  Baud 


DAHOMEY    ET   DÉPENDANCES  141 

et  Bretonnet.  En  avril  et  mai  1897,  le  Borgou  fut  occupé  et 
une  section  laissée  à  Kouandé  avec  le  lieutenant  Aymès,  pen- 
dant que  le  reste  de  la  mission  poussait  vers  le  Nord.  Mais  le 
pays  se  souleva  tout  entier  contre  nos  troupes,  qui  durent 
demander  des  renforts  au  Dahomey.  Ces  renforts  furent  con- 
duits par  le  capitaine  Vermeersch,  qui,  arrivé  depuis  peu  à 
Porto-Novo,  en  repartait  aussitôt  avec  le  titre  de  résident  au 
Borgou,  battait  les  Baribas  à  Kouandé  et  débloquait  la  ville. 
Il  y  fut  rejoint  par  le  capitaine  Ganier  et  par  les  compagnies 
Dumoulin  et  Duhalde,  venues  du  Sénégal. 

Ces  forces,  réunies  sous  le  commandement  du  capitaine 
Ganier,  battirent  à  trois  reprises  les  Baribas  et,  le  13  no- 
vembre, enlevèrent  Nikki. 

Le  commandant  Ribour,  arrivé  avec  de  nouveaux  renforts, 
prit  alors  le  commandement  supérieur  du  haut  Dahomey  et 
battit  à  Allio  (31  décembre  1897)  les  Baribas,  qui  firent  leur 
soumission.  Il  fut  alors  possible  de  se  relier  d'un  côté  avec 
les  postes  du  Niger,  et  de  l'autre  avec  ceux  du  Gourma. 

De  ce  côté,  le  capitaine  Baud,  après  avoir  pacifié  le  pays, 
pénétrait  dans  la  région  du  Dendi,  attaquait  avec  50  hommes, 
le  3  novembre,  à  Madécali,  2.000  indigènes  et  les  battait, 
mais  était  blessé  grièvement.  Le  Dendi  occupé  et  pacifié, 
le  capitaine  Baud  rentrait  au  Dahomey  par  le  Borgou. 

Pendant  que  ces  opérations  s'accomplissaient,  les  Anglais, 
inquiets  de  nos  succès,  levaient  dans  le  bas  Niger  environ 
6.000  Haoussas  qui,  sous  les  ordres  du  colonel  Lugard, 
procédèrent  à  l'occupation  méthodique  du  pays  en  s'avançant 
vers  le  Borgou.  Après  s'être  heurtés  à  nos  postes,  ils  s'éta- 
blirent en  face  de  nous,  et  c'est  dans  cette  situation  respective 
des  forces  des  deux  nations  que  fut  signée  la  convention  du 
14  juin  1898. 

Cette  convention  est  loin  de  donner  satisfaction  à  la 
France,  qui  ne  conserve  même  pas  ses  conquêtes,  le  pays  des 
Baribas  étant  divisé  entre  les  deux  nations,  et  tout  le  pays 
occupé  par  le  lieutenant  de  vaisseau  Bretonnet  cédé  à  l'Angle- 
terre. Mais  elle  a  l'avantage  de  nous  donner  enfin  des  limites 
précises  et  de  permettre  à  notre  colonisation  de  s'exercer  sans 


142  l'àfrïqce  politique  ex  1900 

contestations  nouvelles.  Le  commandant  Toutée  a  été  désigné, 
au  mois  de  février  1900,  parle  gouvernement  français,  pour 
faire  partie  de  la  commission  chargée  de  délimiter  le  haut  Da- 
homey. Cette  commission  opère  en  ce  moment  de  concert 
avec  une  délégation  anglaise.  Partie  le  20  février  de  Cotonou, 
elle  est  arrivée  à  Tchaourou,  point  initial  des  opérations,  le 
8  mars  dernier. 

Le  décret  du  22  juin  1894  a  réglé  l'administration  du  Daho- 
mey, qui  est  placée  sous  la  direction  de  M.  Ballot,  gouverneur 
civil,  secondé  lui-même  par  un  certain  nombre  de  fonction- 
naires. 

Le  territoire  du  Dahomey  et  dépendances  est  divisé  en  pays 
de  trois  catégories  et  comprend  : 

1°  Des  territoires  annexés; 

2°  Des  territoires  protégés  ; 

3°  Des  territoires  d'action  politique. 

Les  territoires  annexés  comprennent  les  cercles  de  Grand- 
Popo,  Ouidah  et  Kotonou. 

Les  territoires  protégés  sont  :  les  royaumes  de  Porto-Novo, 
d'Allada,  d'Abomey  ;  les  républiques  des  Ouatchis  et  des 
Ouéré-Kitou.  A  chaque  protectorat  est  attaché  un  résident. 

Les  territoires  d'action  politique  sont  ceux  du  haut  Daho- 
mey. L'arrêté  du  15  août  1898  les  divise  en  quatre  cercles  : 

1°  Cercle  du  Gourma,  comprenant  les  provinces  de  Fada- 
N'Gourma,  de  Pâma,  de  Matiacouali,  deKodiar,  de  Botoa  et 
dépendances; 

2°  Cercle  de  Djougou-Kouandé ,  avec  les  royaumes  de 
Kouandé,  de  Djougou,  le  pays  des  Kafiris  et  dépendances; 

3°  Cercle  du  Borgou,  avec  les  provinces  de  Nikki,  de  Para- 
kou  et  dépendances; 

4°  Cercle  du  moyen  Niger,  comprenant  le  Bouay  et  le  Kandi, 
le  pays  de  Baniquara  et  les  territoires  de  Zabérma  ou  Dendi. 

Le  décret  du  17  octobre  1899  rattache  au  Dahomey  les  can- 
tons de  Kouada  ou  Nebba  au  sud  de  Liptako  et  le  territoire  de 
Say,  comprenant  les  cantons  de  Djennaré,  de  Diongoré,  de 
Folmongani  et  de  Botou. 


DAHOMEY    ET   DÉPENDANCES  143 

Le  chef-lieu  de  la  colonie  est  Porto-Novo,  ville  de  35.000  ha- 
bitants (1),  qui  possède  de  nombreux  comptoirs. 

Après  Porto-Novo,  le  centre  commercial  le  plus  important 
est  Grand-Popo.  Viennent  ensuite  Kotonou  et  Ouidah. 

Les  échanges,  qui.  en  1892,  ne  dépassaient  pas  14  millions, 
se  sont  élevés  à  plus  de  20  millions  en  1895  et  sont  revenus  à 
14  millions  en  1897,  soit  : 

Importations 8.242.000 

Exportations 5 .  779 .  000 

On  doit  constater  que  le  commerce  avec  l'Allemagne  est 
plus  important  qu'avec  la  métropole.  C'est  ainsi  que,  pendant 
le  premier  trimestre  de  1898,  les  exportations  se  sont  élevées 
à  1.823.866  francs  et  les  importations  à  2.101.596  francs.  Sur 
ces  chiffres,  on  constatait,  au  titre  des  importations,  la  somme 
de  900.000  francs  environ  pour  l'Allemagne  et  de  361.269 
francs  pour  la  France.  Sur  108  navires  arrivés  au  Dahomey, 
47  étaient  sous  pavillon  allemand  et  31  seulement  sous  pa- 
villon français.  Venait  ensuite  le  commerce  anglais,  avec 
30  navires.  Il  y  a  là  une  situation  qui  mérite  de  fixer  l'at- 
tention, car  elle  a  persisté  pendant  l'année  1898. 

En  1898,  le  commerce  s'est  élevé  à  17.530.000  francs,  dont 
9.990.000  francs  pour  les  importations  et  7.540.000  francs 
pour  les  exportations.  Sur  ces  chiffres,  le  commerce  avec  la 
France  s'élevait  seulement  à  4.140.000  francs  environ.  Le 
mouvement  des  entrées  a  été  de  433  navires,  dont  156  alle- 
mands. 133  anglais  et  111  français. 

Par  ordre  d'importance,  les  marchandises  importées  pro- 
viennent de  l'Allemagne,  du  Lagos,  de  la  France  et  de  l'Angle- 
terre; celles  exportées  ont  été  dirigées  sur  le  Lagos,  la  France, 
l'Allemagne. 

Le  commerce  a  encore  augmenté  pendant  le  premier  tri- 
mestre 1899.  On  a  relevé  : 


(1)  Le  climat  du  Dahomey,  peu  sain,  sauf  sur  quelques  points  des  côtes,  com- 
prend deux  saisons  bien  distinctes  :  la  saison  des  pluies,  du  li>  mars  au  15  août, 
et  la  saison  sèche,  du  lij  août  au  15  mars.  La  température  moyenne  oscille  au- 
tour de  30  degrés  et  peut  s'élever  jusqu'au  maximum  de  38  degrés. 


144  l'afrique  politique  en  1900 

Aux  importations,  2.800.000  francs.,  dont  716.000  francs 
pour  la  France  ; 

Aux  exportations,  3.925.000  francs,  dont  875.000  francs 
pour  la  France. 

La  subvention  demandée  à  la  métropole  pour  les  dépenses 
de  Tannée  1899  s'est  élevée  à  1.885.000  francs,  dont  300.000 
francs  pour  frais  d'occupation  du  haut  Dahomey. 

L'organisation  militaire  du  Dahomey  a  fonctionné  jusqu'à 
la  fin  de  1895  sous  les  ordres  d'un  chef  de  bataillon  ou  d'un 
lieutenant-colonel  d'infanterie  de  marine,  qui  portait  le  titre 
de  commandant  supérieur  des  troupes.  Celles-ci  compre- 
naient un  bataillon  de  deux  compagnies  de  tirailleurs  haous- 
sas  (environ  160  hommes  par  compagnie),  une  section  d'artil- 
lerie et  des  services  divers.  Un  conseil  de  guerre  fonctionnait 
à  Porto-Novo. 

Depuis  le  1er  janvier  1896,  cette  organisation  a  cessé  d'exis- 
ter. Un  arrêté  du  29  décembre  1894,  pris  par  le  gouverneur 
civil,  a  supprimé  les  troupes  régulières  d'infanterie  et  d'artil- 
lerie, pour  ne  conserver  qu'une  seule  compagnie  de  Haoussas, 
entretenue  par  le  service  local.  Le  même  arrêté  prescrivait  de 
remettre  au  service  local  tous  les  bâtiments  militaires,  ainsi 
que  le  matériel  (sauf  le  matériel  de  guerre),  les  approvision- 
nements et  les  deux  canonnières  de  la  colonie.  L'effectif  mili- 
taire se  trouvait  ainsi  réduit  au  minimum.  Plus  tard,  la  com- 
pagnie de  tirailleurs  haoussas  fut  elle-même  supprimée;  le 
service  de  la  colonie  est  assuré  aujourd'hui  par  des  milices 
locales.  Nous  conservons  cependant  dans  le  haut  Dahomey 
deux  compagnies  de  tirailleurs  sénégalais  et  une  compagnie 
d'auxiliaires. 

La  population  dahoméenne,  divisée  entre  plusieurs  chefs, 
paraît  être,  heureusement,  d'humeur  pacifique,  et  s'accom- 
mode bien  de  l'administration  et  de  la  paix  françaises. 

Grâce  à  la  richesse  et  à  la  tranquillité  du  pays,  le  Dahomey 
promet  de  devenir  une  colonie  d'exploitation  précieuse.  Mais 
son  importance  s'augmente  encore  de  ce  fait  que  cette  étroite 
bande  de  terre,  d'environ  80  kilomètres  de  largeur,  est  des- 
tinée à  nous  donner  accès,  par  le  nord-est,  vers  les  territoires 


DAHOMEY    ET    DÉPENDANCES  145 

de  la  boucle  du  Niger  et  à  servir  de  débouché  aux  produits  de 
ces  vastes  contrées. 

Si,  dans  un  avenir  encore  incertain,  nous  ne  réussissons 
pas  à  absorber  les  colonies  étrangères  voisines,  le  Dahomey 
servira  très  probablement  de  point  d'arrivée  à  la  grande  voie 
ferrée  française  qui,  allant  de  l'Algérie  au  Soudan,  cherchera 
son  terminus  sur  l'Atlantique. 

Dans  le  courant  de  1899,  le  commandant  du  génie  Guyon,  à 
la  tête  d'une  mission  d'officiers  et  de  sapeurs  du  génie,  a  été 
chargé  d'étudier  un  chemin  de  fer  de  pénétration  partant  de 
Cotonou.  Les  travaux  de  la  mission  étaient  à  peu  près  achevés 
au  mois  d'octobre.  A  ce  moment,  les  études  de  détail  compre- 
naient 180  kilomètres  entre  Cotonou  et  Atchéribé.  De  là,  la 
ligne  se  dirigera  sur  Carnotville  et  probablement  vers  Say.  On 
estime  que  la  dépense  ne  dépassera  pas  50.000  francs  par  kilo- 
mètre, chiffre  qui  pourrait  encore  être  abaissé  si  l'on  se  déci- 
dait à  tirer  parti  des  ressources  offertes  par  notre  régiment 
de  sapeurs  de  chemins  de  fer. 

Le  16  décembre  1899,  le  comité  des  travaux  publics  des 
colonies  a  décidé,  conformément  aux  propositions  du  com- 
mandant Guyon,  de  faire  exécuter  l'infrastructure  par  la  colo- 
nie et  la  superstructure  par  une  société  financière. 

En  présence  de  l'activité  des  possessions  anglaises  du 
Lagos  et  du  Niger,  le  premier  tracé  à  recommander  pour 
son  prolongement  vers  le  Nord  est  celui  qui  se  dirigerait 
sur  un  point  du  Niger  rapproché  de  la  frontière  anglaise,  en 
amont  d'Ilo.  Cette  voie  ferrée  pourrait  ainsi  drainer  les  pro- 
duits venant  par  la  voie  fluviale  du  Niger,  ainsi  qu'une  partie 
de  ceux  du  Sokoto,  sans  compter  ceux  de  la  boucle  du  Niger 
et  des  pays  de  la  rive  gauche  du  bas  Niger,  que  la  convention 
du  14  juin  1898  a  abandonnés  à  l'Angleterre.  Sa  longueur  serait 
d'environ  500  kilomètres.  Nous  posséderions  ainsi  le  meilleur 
moyen  de  faire  pénétrer  notre  influence  dans  le  Soudan  cen- 
tral et  d'y  lutter  avec  avantage  contre  l'influence  anglaise. 

Au  point  de  vue  de  la  stratégie  commerciale,  le  Dahomey 
est  donc  pour  la  France  une  conquête  précieuse  tout  autant 
qu'un  pays  de  grand  avenir. 

Afr.  polit.  10 


146  l'afrique  politique  ex   1900 


Gambie  anglaise. 


La  Gambie  anglaise  est  une  étroite  bande  de  terre  située  de 
part  et  d'autre  de  la  rivière  Gambie  et  dont  la  délimitation  n'a 
été  accomplie  que  dans  ces  derniers  temps. 

La  ligne  frontière,  d'après  la  convention  du  10  août  1889, 
part  de  Jinnak-Creek,  au  nord  de  la  Gambie,  suit  le  parallèle 
de  ce  point  jusqu'au  grand  coude  que  fait  le  fleuve  vers  le 
nord  et  se  dirige,  de  là,  jusqu'à  Yartabenda,  en  laissant  à  l'An- 
gleterre une  bande  de  20  kilomètres  le  long  de  la  Gambie. 

Sur  la  rive  gauche,  le  tracé  part  de  l'embouchure  de  la 
rivière  San-Pedro,  dont  elle  suit  la  rive  gauche  jusqu'au 
13°  30'  de  latitude.  Elle  emprunte  le  parallèle  de  ce  point 
jusqu'à  Sandeny.  Le  tracé  remonte  alors  vers  la  Gambie,  en 
suivant  le  méridien  de  Sandeny  jusqu'à  une  distance  de 
10  kilomètres  du  fleuve.  De  là,  elle  va  jusqu'à  et  y  compris 
Yartabenda,  en  se  tenant  toujours  à  10  kilomètres  du  fleuve. 

La  Gambie  anglaise,  enserrant  le  cours  du  fleuve  sur  tout 
son  parcours  navigable,  est  une  enclave  éminemment  favo- 
rable au  commerce  anglais,  qui  s'exerce  bien  plus  sur  les 
protégés  français  des  territoires  voisins  que  sur  les  indigènes 
de  la  colonie  elle-même. 

Par  sa  longueur  de  plus  de  300  kilomètres,  interposée 
entre  nos  possessions,  elle  forme  un  couloir  des  plus  gênants 
pour  notre  influence,  ainsi  que  pour  toutes  nos  voies  de 
communication,  qui,  partant  de  Dakar  ou  de  Saint-Louis  et 
se  dirigeant  vers  le  Fouta-Djallon  ou  la  Casamance,  seraient 
bien  plus  utiles  que  nuisibles  à  la  prospérité  de  la  Gambie 
anglaise.  Pour  ces  raisons,  il  serait  éminemment  utile  à 
l'avenir  du  Sénégal  qu'un  arrangement  pût  intervenir, 
tendant  à  une  cession  de  cette  enclave  à  la  France,  par  voie 
d'échange  ou  par  voie  d'achat. 


GAMBIE   ANGLAISE  147 


Il  est,  en  tout  cas,  possible  d'influer  à  cet  égard  sur  la  déci- 
sion de  nos  rivaux,  en  agissant  sur  nos  indigènes  pour  dé- 
tourner leurs  produits  vers  les  ports  français.  On  peut  y 
arriver  également  en  enserrant  la  Gambie  au  milieu  de  voies 
divergentes  destinées  à  drainer  vers  Dakar  et  la  Casamance 
tous  les  produits  qui  ne  se  trouvent  pas  à  proximité  immé- 
diate de  la  Gambie. 

Il  appartient  à  la  colonie  du  Sénégal,  autant  qu'au  gouver- 
nement français,  de  s'inquiéter  a  ce  sujet  de  l'avenir,  et  de 
prendre  des  mesures  efficaces  pour  sauvegarder  ses  intérêts. 
Il  semble  d'ailleurs  que  les  Anglais  ne  se  font  plus  de  grandes 
illusions  sur  l'avenir  de  leur  colonie.  C'est  ainsi  qu'on  a 
annoncé,  à  la  fin  de  1898,  qu'ils  nous  céderaient  volontiers 
cette  enclave,  moyennant  des  avantages  à  leur  accorder  sur 
d'autres  points  du  globe. 
Le  chef-lieu  de  la  colonie  est  Sainte-Marie-de-Bathurst. 
Des  ports  commerciaux  s'échelonnent  le  long  du  fleuve, 
qui  est  navigable  jusque  vers  Georgetown,  à  280  kilomètres 
de  son  embouchure. 

Les  indigènes,  généralement  calmes,  ont  cependant  obligé 
les  Anglais  à  réprimer,  en  1895,  un  soulèvement  local,  par 
l'envoi  d'une  petite  colonne. 

Depuis  lors,  la  colonie  anglaise  n'a  fait  parler  d'elle  qu'au 
point  de  vue  commercial. 

Sainte-Marie-de-Bathurst  est  reliée  à  Dakar  et  à  Carahane 
par  le  cable  qui  suit  la  côte  d'Afrique.  Un  second  câble  la 
relie  directement  :  d'un  côté,  avec  les  îles  du  Cap-Vert,  et, 
de  l'autre,  avec  Freetown  et  les  colonies  anglaises  de  la  côte 
occidentale  d'Afrique. 


148  l'afrique  politique  ex  1900 


Guinée  portugaise. 


La  Guinée  portugaise  s'étend  entre  nos  possessions  de  la 
Gasamance  (Sénégal)  et  des  rivières  du  Sud. 

Son  chef-lieu  est  Boulam,  et  elle  comprend  les  îles  Bissagos 
et  Orango.  C'est  un  pays  arrosé  par  de  nombreuses  rivières 
et  d'une  très  grande  fertilité. 

Ses  limites  ont  été  déterminées  par  la  convention  franco- 
portugaise  du  12  mai  1886. 

Au  nord,  la  ligne  frontière  part  du  cap  Roxo,  en  se  tenant 
à  égale  distance  de  la  rivière  Casamance  et  du  rio  de  Cacheu, 
jusqu'à  l'intersection  du  17°30'  de  longitude  ouest  (Paris) 
avec  le  parallèle  12°  40'.  Entre  ce  point  et  le  méridien  16°, 
la  frontière  se  confond  avec  le  parallèle  12°  49'. 

A  l'Est,  elle  suit  le  méridien  16°  jusqu'au  parallèle  11°40\ 

Au  Sud,  elle  part  de  l'embouchure  du  Cajet,  se  tient  à  égale 
distance  du  rio  Componi  et  du  rio  Cassini  et  aboutit  à  l'inter- 
section du  méridien  16°  et  du  parallèle  11°  40'. 

Par  arrêté  du  20  janvier  1900,  pris  par  le  gouverneur  général 
de  l'Afrique  occidentale,  une  mision  a  été  chargée  de  procéder, 
de  concert  avec  une  mission  portugaise,  à  la  délimitation  des 
territoires  des  deux  nations.  La  mission  française,  dirigée  par 
le  capitaine  Payn,  devait  se  rendre,  à  bref  délai,  sur  la  fron- 
tière à  délimiter. 

Aucun  événement  important  n'a  été  signalé  dans  ces  der- 
niers temps  au  sujet  de  la  Guinée  portugaise. 

Au  commencement  de  1897,  les  Portugais  ont  eu  à  ré- 
primer une  révolte  des  indigènes,  qui,  inquiétante  au  début, 
n'a  pas  tardé  à  s'apaiser  (1). 


(1)  Le  câble  côtier  anglais  de  l'Afrique  occidentale  relie  Carabane   à   Bissao, 
Boulam  et  Victoria. 


GUINÉE    P0RTLGA1SE  149 


Depuis  lors,  la  colonie  a  pu  se  développer  paisiblement. 

La  Guinée  portugaise  forme,  dans  les  possessions  fran- 
çaises, une  enclave  gênante,  qui  permet  aux  négociants  por- 
tugais d'attirer  les  produits  des  territoires  français  voisins. 

Nous  pourrions  appliquer  à  cette  colonie  les  considérations 
déjà  émises  au  sujet  de  la  Gambie  anglaise,  en  ce  qui  con- 
cerne l'utilité  que  trouverait  la  France  à  s'assurer  la  posses- 
sion de  ce  territoire  portugais.  Il  semble  qu'on  pourrait  y 
parvenir  par  voie  d'achat,  en  assurant  toutefois  au  commerce 
portugais  déjà  existant  certains  avantages  de  nature  à  ne  pas 
faire  regretter  à  ses  détenteurs  l'autonomie  actuelle  de  la 
Guinée  portugaise. 

C'est  là  une  question  qui,  dès  aujourd'hui,  mérite  de  fixer 
l'attention. 


150  l'afrique  politique  en  1900 


Colonie  anglaise  de  Sierra-Leone. 


Délimitation.  —  L'exode  de  Samory.  —  Action  commerciale  des  Anglais. 
Expropriation  pacifique  des  enclaves  étrangères. 


La  colonie  anglaise  de  Sierra-Leone,  comprise  entre  la  Ré- 
publique de  Libéria  et  la  Guinée  française,  est  le  siège  d'un 
commerce  très  important  qui,  malgré  la  délimitation  récente 
de  la  colonie,  draine  encore  aujourd'hui,  au  profit  des  négo- 
ciants de  Liverpool,  une  partie  des  produits  du  haut  Niger  et 
du  Fouta-Djallon  (1). 

C'est  de  la  Sierra-Leone  que  Samory  tirait  ses  approvision- 
nements en  armes  et  en  munitions  pour  lutter  contre  les 
Français. 

Tant  que  i'almamy  s'est  maintenu  à  portée  immédiate  de  la 
colonie  anglaise,  il  a  pu,  au  grand  bénéfice  des  Anglais,  re- 
nouveler ses  ressources,  plusieurs  fois  anéanties  par  les  Fran- 
çais. Du  jour  où  les  colonnes  françaises  ont  pu  l'isoler  de  la 
Sierra-Leone,  il  a  été  obligé  de  chercher  un  autre  asile,  et  son 
choix  s'est  naturellement  porté  vers  les  pays  situés  à  proxi- 
mité d'une  autre  colonie  anglaise,  celle  de  Cape-Coast  (Achan- 
tiland).  Telle  est,  peut-être,  la  principale  raison  de  l'exode  de 
Samory,  dont  la  puissance,  fondée  sur  l'unique  emploi  de  la 
force,  n'a  pu  se  maintenir  par  ses  propres  ressources  et  a 
été  constamment  obligée  de  demander  un  point  d'appui  à 
l'étranger. 

On  a  pu  croire  que  la  présence  de  Samory  vers  les  sources 
du  Niger  et  l'impulsion  qu'il  y  donnait,  sous  diverses  formes, 
au  commerce  anglais  de  la  Sierra-Leone,  avaient  été  les 
causes  directes  du  refus  des  Anglais  de  délimiter  leur  colonie. 
Il  est,  en  tout  cas,  assez  curieux  de  remarquer  que  la  fuite 


(1)  Voir  le  chapitre  relatif  à  la  Guinée  française. 


COLONIE   ANGLAISE    DE    S1ERRA-LEOXE  151 

de  l'almamy  a  coïncidé  avec  leur  décision  de  souscrire  enfin 
aux  conditions  depuis  longtemps  stipulées  par  la  convention 
du  10  août  1889. 

Après  un  premier  essai  de  délimitation,  tenté  en  1892, 
avant  l'exode  de  Samory,  les  commissaires  français  et  anglais 
n'ayant  pu  s'entendre,  on  continua  les  négociations  relatives 
aux  frontières. 

Lorsque  le  rappel  précipité  de  la  colonne  Monteil,  le  18 
mars  1895,  eut  délivré  Samory  de  toute  inquiétude  immé- 
diate, l'arrangement  du  21  janvier  1895  venait  d'être  signé. 
Cet  arrangement  confirmait,  dans  ses  grandes  lignes,  la  con- 
vention du  10  août  1889,  et  il  fut  décidé  qu'une  commission 
anglo-française  serait  envoyée  pour  délimiter  à  bref  délai  la 
frontière  commune.  Cette  délimitation  est  aujourd'hui  un  fait 
accompli. 

La  commission,  partie  de  Freetown  le  16  décembre  1895, 
s'est  dirigée  (voir  le  chapitre  relatif  à  la  Guinée  française) 
vers  le  point  de  Tembi-Koundo,  près  duquel  les  trois  fron- 
tières du  Soudan  français,  de  la  Sierra-Leone  et  de  la  Répu- 
blique de  Libéria  viennent  s'attacher.  Après  avoir  aborné  la 
frontière  dans  le  massif  de  Tembi-Koundo,  où  la  branche 
principale  du  Niger,  le  Tembi-Ko,  prend  sa  source,  la  com- 
mission s'est  dirigée  vers  le  Nord,  puis  vers  l'Ouest,  et  le 
29  mars  elle  se  trouvait  à  Yomaya,  par  10°  environ  de  lati- 
tude. De  Tembi-Koundo  à  Colière,  elle  a  suivi  la  ligne  de  par- 
tage des  eaux  du  Niger,  et  de  Colière  à  Yomaya  le  parallèle  10°, 
en  déterminant  l'abornement  au  moyen  d'observations  astro- 
nomiques. 

De  Yomaya,  qui  reste  à  la  France,  à  Ouélia,  la  frontière 
est  formée  par  un  escarpement  de  400  mètres  de  haut.  Le 
25  avril,  la  commission  arrivait  à  la  Grande-Scarcie  et  termi- 
nait ses  travaux,  le  1er  mai  1897,  à  Kiragba,  après  avoir  posé 
206  bornes-frontières. 

xVu  cours  de  son  voyage,  la  commission  a  trouvé  dans  le 
pays  les  traces  des  dévastations  de  Bilali,  lieutenant  de  Sa- 
mory. On  se  rappelle  que  Bilali,  poursuivi  par  le  colonel 
Combes,  avait  été  rejeté  hors  du  Soudan  français,  dont  la 


HJ2  l'afriqoe  politique   en  J  900 

frontière,  non  encore  délimitée,  était  gardée  par  nos  avant- 
postes.  Les  Anglais,  inquiétés  par  le  voisinage  des  bandes  de 
Samory,  envoyèrent  contre  elles,  en  décembre  1893,  le  co- 
lonel Ellis.  dont  la  colonne  vint  se  heurter,  pendant  la  nuit, 
à  Waïma,  à  la  section  du  lieutenant  Maritz.  Le  combat  san- 
glant qui  s'engagea  par  erreur  coûta  la  vie  à  ce  dernier, 
ainsi  qu'à  trois  officiers  anglais. 

La  commission  de  délimitation  a  traversé  un  pays  fertile  et 
sain,  bien  arrosé,  dans  lequel  affluaient  les  marchandises  ve- 
nant du  territoire  français. 

Les  débuts  de  l'année  1898  ont  été  marqués,  dans  la  Sierra- 
Leone,  par  une  insurrection  qui  a  menacé  un  moment  de 
prendre  de  graves  proportions.  Le  gouverneur  de  la  colonie 
ayant  décidé  de  frapper  d'un  impôt  variant  de  5  à  10  shellings 
les  cabanes  des  indigènes,  ceux-ci,  qui  ne  payaient  aupara- 
vant que  2  francs  par  tète,  se  soulevèrent  d'abord  dans  les  dis- 
tricts de  Sherbro  et  de  Mendi-Timini.  Bientôt  la  rébellion,  que 
ne  pouvaient  réprimer  les  forces  de  police  de  la  colonie, 
s'étendit  sur  la  plus  grande  partie  du  pays  et  exigea  l'envoi  de 
renforts  tirés  du  West-India  Régiment.  Au  nombre  de  plus  de 
5.000,  les  révoltés,  commandés  par  un  chef  énergique,  Baï 
Bouré,  massacrèrent  des  colons  isolés  et  firent  subir  aux  An- 
glais des  pertes  assez  sensibles.  Retranchés  dans  la  brousse, 
entre  Karene  et  Port-Lakko,  ils  réussirent  à  atteindre  le  mois 
de  mai,  pendant  lequel  commence  la  saison  des  pluies,  sans 
avoir  pu  encore  être  réduits.  Cette  situation,  très  préjudiciable 
au  commerce  local,  amena  des  plaintes  fort  vives,  de  la  part 
des  négociants  de  Liverpool,  contre  la  mauvaise  administra- 
tion du  pays.  Par  contre,  le  commerce  de  la  Guinée  française 
y  trouva  un  élément  favorable  de  développement. 

Les  opérations  furent  en  partie  interrompues  par  la  saison 
des  pluies,  et  ce  n'est  qu'au  mois  de  novembre  1898  qu'on  put 
enfin  réussir  à  capturer  Baï  Bouré.  Depuis  lors,  les  Anglais 
ont  encore  augmenté  leurs  forces  dans  le  pays,  afin  d'assurer 
son  occupation  et  sa  pacification  définitives. 

Les  plaintes  des  commerçants  anglais  s'étaient  d'ailleurs 
déjà  manifestées  dès  le  moment  où  la  fuite  de  Samory  avait 


COLONIE    ANGLAISE   DE    SIERRA-LEONE  153 

fait  cesser  en  grande  partie  le  trafic  des  armes  et  munitions. 
Afin  de  donner  aux  transactions  une  nouvelle  activité,  la 
construction  d'une  voie  ferrée  traversant  la  colonie  et  se 
dirigeant  vers  le  territoire  français  fut  résolue  et  poussée 
rapidement.  Elle  se  trouve  aujourd'hui  achevée  dans  la  pre- 
mière partie  de  son  parcours,  jusqu'à  Sangotown,  à  50  kilo- 
mètres de  la  côte,  et  les  travaux  sont  poussés  vers  les  sources 
du  Niger.  Mais  il  ne  semble  pas  que  les  premiers  résultats 
obtenus  au  moyen  de  cette  voie  ferrée  aient  été  de  nature  à 
faire  prévoir,  pour  l'ensemble  du  commerce,  un  essor  consi- 
dérable et  immédiat.  Les  négociants  de  Freetown  continuent 
à  se  plaindre  de  la  concurrence  que  leur  fait  la  Guinée  fran- 
çaise, et,  fait  assez  significatif,  certains  d'entre  eux  seraient 
allés  s'établir  à  Konakry  (1). 

Cette  situation  défavorable  ne  manquera  pas  de  s'aggraver 
le  jour  où  le  chemin  de  fer  de  Konakry  au  Niger  sera  ouvert 
au  commerce,  et  plus  encore  lorsque  l'investissement  com- 
mercial de  la  Sierra-Leone  et  de  la  République  de  Libéria  sera 
assuré  par  l'établissement  d'un  chemin  de  fer  ou,  tout  au 
moins,  d'une  bonne  route  suivant,  à  l'intérieur  du  pays,  les 
frontières  de  ces  deux  enclaves. 

Cette  nouvelle  et  importante  voie  de  communication  conti- 
nuerait la  précédente,  à  partir  du  Niger  et,  passant  vers  Mou- 
sardou,  viendrait  aboutir,  sans  quitter  le  territoire  français, 
au  point  où  le  Cavally  commence  à  devenir  navigable.  Par- 
courant des  pays  qui  ont  été  prospères  avant  la  venue  de  Sa- 
mory,  et  dont  la  fertilité  est  restée  la  même  qu'autrefois,  cette 
voie  aurait  l'avantage  de  donner  accès  à  des  régions  d'altitude 
assez  grande,  dans  lesquelles  les  Européens  trouveraient  cer- 
tainement des  points  favorables  à  leur  acclimatement.  A  ces 
titres  divers,  elle  mérite  d'attirer  l'attention  pour  le  jour,  pro- 
chain peut-être,  où  la  France  sera  décidée  à  résoudre,  fran- 
chement et  suivant  un  plan  d'ensemble,  le  problème  des  voies 
de  communication  de  notre  Afrique. 


(1)  Le  commerce  de  la  Sierra-Leone  oscille  aux  environs  de  II  millions  de 
francs.  De  1881  à  1885,  sa  moyenne  a  été  de  38G.H7  livres  sterling;  de  1890  à 
1893.  de  435.175  livres  sterling. 


154 


l'afrique  politique  en  1900 


République  de  Libéria. 


Situation  actuelle.  —  Délimitation.  —  Compétitions  et  convoitises  étrangères. 


La  République  de  Libéria  a  été  délimitée,  du  côté  des  posses- 
sions françaises,  par  l'arrangement  du  8  décembre  1892.  Cet 
arrangement  attribue  à  la  France  la  rive  gauche  du  Cavally, 
avec  le  bassin  de  son  affluent  le  Fédédougou.  Vers  le  nord,  la 
frontière  se  dirige,  de  l'intersection  du  7°  de  latitude  et  du  10° 
de  longitude,  sur  l'intersection  du  11°  de  longitude  avec  le 
parallèle  de  Tembi-Koundo,  sur  la  frontière  de  la  Sierra- 
Leone.  Mais  il  est  entendu  que  ce  tracé  assure  à  la  France  le 
bassin  entier  du  Niger  et  de  ses  affluents,  ainsi  que  les  loca- 
lités de  Naalah  et  de  Mousardou. 

Bu  côté  de  la  Sierra-Leone,  la  frontière  commune  a  été 
délimitée  par  une  commission  qui  a  terminé  ses  travaux  au 
mois  d'avril  1896. 

Il  y  a  peu  d'événements  importants  à  relever  dans  ces  der- 
niers temps  au  sujet  de  la  République  de  Libéria. 

Du  côté  du  Cavally,  vers  la  frontière  française,  on  a  signalé, 
au  mois  de  février  1896,  des  troubles  survenus  entre  les  Libé- 
riens et  les  indigènes  du  pays  de  Krou.  Ces  troubles,  assez 
souvent  répétés,  étaient  quelquefois  motivés  par  les  tracasse- 
ries des  autorités  libériennes.  Cette  fois  les  Kroumens  auraient 
été  les  agresseurs,  et  les  Libériens  se  sont  vu  obligés  d'en- 
voyer sur  les  lieux  la  canonnière  Roektown. 

Les  Kroumens,  qui  habitent  les  deux  rives  du  Cavally, 
acceptent  volontiers  d'être  engagés  comme  travailleurs  pour 
les  régions  voisines  :  Côte  d'Or,  Côte  du  Niger,  Congo,  etc. 
Leur  recrutement,  qui  est  fait  par  navires  anglais  et  alle- 
mands, s'est  trouvé  entravé  par  suite  d'un  impôt  de  capitation 


RÉPUBLIQUE   DE    LIBÉRIA  155 

dont  les  autorités  française  et  libérienne  frappaient  tout  émi- 
grant.  Ce  fut  l'origine  des  incidents  survenus  à  la  fin  de  Tannée 
1897  entre  les  deux  canonnières  libériennes  et  des  navires 
anglais  qui  essayèrent  d'embarquer  des  Kroumens  malgré  les 
autorités  du  pays.  A  trois  reprises,  des  navires  anglais  essuyè- 
rent le  feu  des  canonnières,  motivant  ainsi  de  la  part  du 
Foreign  Office  des  réclamations  qui  aboutirent  à  la  reconnais- 
sance, pour  les  Anglais,  du  droit  de  recrutement  des  Krou- 
mens dans  les  «  ports  d'entrée  »  de  la  République,  sans  paie- 
ment d'aucun  impôt.  Mais,  depuis  lors,  au  grand  scandale  des 
négociants  de  Liverpool,  les  Libériens  n'ont  pas  hésité  à 
vendre  à  une  maison  allemande  le  monopole  de  l'emploi  des 
Kroumens. 

Un  autre  motif  d'intervention  anglaise  fut  donné  par  les 
troubles  qui  éclatèrent  à  Grand-Bassam,  en  octobre  1897,  entre 
des  négociants  de  la  Sierra-Leone  et  une  société  de  Libériens 
qui  s'était  formée  pour  les  expulser  du  pays.  Des  magasins 
anglais  avaient  été  brûlés  et  des  sujets  britanniques  molestés. 
Le  gouverneur  de  la  Sierra-Leone,  où  l'on  suit  avec  attention 
tous  les  événements  de  la  République,  se  présenta  devant 
Mourovia  sur  une  canonnière  et  exigea  une  indemnité  qui  fut 
aussitôt  payée. 

Enfin,  tout  récemment,  quelques  Libériens,  s'étant  établis 
et  fortifiés  sur  le  fleuve  Melia,  en  territoire  anglais,  furent 
délogés  de  leur  position,  après  un  combat  de  quatre  jours, 
du  13  au  17  décembre  1898,  et  refoulés  au  delà  de  la  frontière. 

La  République  de  Libéria,  quoique  indépendante  de  fait, 
reste,  par  la  tradition  de  sa  fondation,  sinon  sous  la  tutelle, 
au  moins  sous  la  surveillance  des  États-Unis. 

Il  ne  serait  pas  impossible  que  la  République  américaine 
cherchât  dans  l'avenir  à  se  procurer  le  bénéfice  d'une  auto- 
rité plus  directe  sur  les  Libériens.  Déjà  les  missionnaires  pro- 
testants américains  se  sont  établis  dans  le  pays  et,  franchis- 
sant la  frontière  française,  se  sont  trouvés  à  portée,  au 
commencement  de  1899,  du  soulèvement  que  nous  avons  du 
réprimer  dans  le  pays  des  Tepos.  Aussi  l'arrangement  franco- 
libérien  du  8  décembre  1892  a-t-il  sagement  visé  le  cas  d'un 


Jo6  l'afrique  politique  en  1900 

transfert  d'autorité  à  une  puissance  étrangère,  en  stipulant 
formellement  que  la  France  n'entend  s'engager,  au  point  de 
vue  de  ses  frontières  et  de  sa  zone  d'action,  que  vis-à-vis  de 
la  République  libérienne  libre  et  indépendante,  et  qu'elle  fait 
toutes  ses  réserves  soit  pour  le  cas  où  cette  indépendance  se 
trouverait  atteinte,  soit  pour  le  cas  où  les  Libériens  feraient 
abandon  d'une  partie  quelconque  des  territoires  qui  leur  sont 
reconnus  par  l'arrangement  dont  il  s'agit. 

Cet  arrangement  a  été  rendu  exécutoire  par  le  décret  du 
J3  août  1894,  rendu  en  exécution  de  la  loi  du  31  juillet  1894. 

Les  réserves  signalées  plus  haut  ont  leur  raison  d'être  et 
visent  le  cas  où  les  Américains  ou  les  Anglais  menaceraient 
tout  ou  partie  du  territoire  libérien. 

C'est  afin  de  reconnaître  les  pays  traversés  par  la  frontière 
franco-libérienne  que  la  mission  de  MM.  Pauly  et  Bailly-For- 
fillère  partit  de  Konakry  à  la  fin  de  décembre  1897,  pour 
essayer  d'atteindre  Grand-Bassam  en  reliant  ainsi  la  Guinée 
à  la  Côte  d'Ivoire. 

Après  avoir  quitté  Kissédougou  le  23  février  1898,  les 
explorateurs  entrèrent  dans  un  pays  troublé,  où  ils  durent 
lutter  contre  les  indigènes.  Ils  allaient  sortir  du  pays  des 
Toucas  pour  gagner  le  Cavally,  lorsque  le  16  mai  1898  ils  furent 
massacrés  à  Zolou,  entre  les  rivières  Loffa  et  Saint-Paul. 
Ils  ont  pu  constater,  au  cours  de  leur  voyage,  que  les  Anglais 
essayaient  de  pénétrer  le  territoire  libérien  par  le  Nord. 

La  mission  Hostains,  partie  de  Marseille  le  25  novembre  1898 
avec  les  lieutenants  d'Ollone  et  Macassé  et  une  quinzaine  de 
sapeurs  du  génie,  devait  compléter  les  résultats  obtenus  par 
MM.  Pauly  et  Bailly-Forfillère.  On  sait  qu'elle  devait  remonter 
le  Cavally  à  la  rencontre  de  la  mission  du  lieutenant  Wœlffel, 
venue  du  Soudan,  et  que  cette  dernière  mission  a  été  arrêtée 
par  ordre  du  ministre  des  colonies,  au  mois  d'octobre  1899. 
La  mission  Hostains  a  atteint  N'zô  au  mois  de  décembre 
suivant. 

L'action  directe  sur  le  territoire  et  les  côtes  de  la  Répu- 
blique ne  leur  paraissant  pas  suffisante,  les  Anglais  ont  essayé, 
vers  le  mois  de  mars  1898,  de  faire  négocier  un  emprunt  aux 


RÉPUBLIQUE   DE   LIBÉRIA  157 

Libériens.  Ceux-ci,  déjà  très  endettés,  surtout  envers  la  Hol- 
lande, qui  a  construit  leurs  deux  canonnières,  n'ont  pas  adopté 
cette  idée  avec  empressement  et  se  sont  retournés  vers  les 
maisons  allemandes,  désireuses  d'obtenir  le  monopole  du 
recrutement  des  Kroumens.  Aussitôt  la  chambre  de  com- 
merce de  Liverpool  protestait  contre  ces  négociations  auprès 
du  gouvernement  anglais  et  suggérait  l'idée  d'une  politique 
plus  active  vis-à-vis  de  la  République  nègre. 

Ces  protestations  aboutissaient  bientôt  à  la  concession,  en 
faveur  des  Anglais,  du  monopole  du  caoutchouc.  Les  négociants 
hollandais,  possesseurs  de  nombreuses  factoreries  en  Libéria, 
protestaient  alors  à  leur  tour  en  se  réclamant  du  traité  signé 
avec  la  Hollande  en  1862. 

Ces  incidents  sont  assez  significatifs  et  témoignent  de  la  sur- 
veillance attentive  des  Anglais  sur  la  Libéria. 

On  doit  s'attendre  à  voir  l'Angleterre  essayer  d'établir 
sa  suprématie  au  Libéria,  au  désavantage  des  États-Unis,  de 
l'Allemagne,  et  surtout  de  la  France,  qui  a  cependant  paru,  en 
installant,  le  6  décembre  1897,  un  consul  à  Monrovia,  adopter 
dans  ce  pays  une  ligne  de  conduite  conforme  à  l'importance 
de  ses  intérêts. 


158  l'afrique  politique  en  1900 


Colonie  anglaise  de  Cape-Coast  et  protectorat 
de  TAchantiland. 


L'occupation  anglaise.  —  Expédition  de  189o  contre  les  Achantis.  —  Préparation. 
—  Exécution.  —  Conséquences.  —  Missions  anglaises  ultérieures.  —  Délimita- 
tion. 


La  colonie  anglaise  de  Cape-Coast,  dont  l'hinterland  est 
formé  par  le  royaume  des  Achantis  et  les  pays  du  centre  de  la 
boucle  du  Niger,  contient  deux  séries  distinctes  de  factoreries  : 
celles  qui  appartenaient  aux  Anglais  avant  1871,  et  celles  qui, 
à  cette  date,  furent  cédées  par  les  Hollandais,  soit  :  Apolonia, 
Secundi,  Axim,  Dixcowe,  Elmina,  Chama,  Bantry. 

Maîtres  de  tout  le  littoral  sur  une  longueur  de  500  kilomè- 
tres, entre  la  Côte  d'Ivoire  et  le  Togoland,  les  Anglais  résolu- 
rent, dès  1870,  d'implanter  leur  domination  sur  l'Achanti- 
land,  et  de  pousser  leur  influence  le  plus  loin  possible  vers  le 
Nord. 

L'événement  capital  de  ces  deux  dernières  années  dans  ces 
parages  a  été  leur  troisième  expédition  contre  les  Achantis. 

La  deuxième  expédition,  entreprise  en  1873-74  par  sir 
Garnet  Wolseley,  s'était  terminée,  comme  on  le  sait,  par  la 
prise  et  l'incendie  de  Coumassie.  Elle  eut  pour  consécration  le 
traité  de  Fommomah  (1874),  par  lequel  les  Anglais,  entre  autres 
conditions,  imposèrent  au  roi  Koffî  l'abolition  des  sacrifices 
humains,  une  indemnité  d'environ  cinq  millions,  la  recon- 
naissance de  leur  protectorat  sur  les  tribus  de  la  côte,  la  con- 
struction d'une  route  de  la  rivière  Prah  à  Coumassie,  et  la 
promesse  de  favoriser  le  commerce  sur  cette  route. 

Ce  traité  ne  fut  jamais  exécuté  par  les  Achantis,  et,  de  leur 
côté,  les  Anglais,  par  crainte  d'être  obligés  à  une  expédition 
nouvelle,  ne  s'empressèrent  pas  d'en  exiger  l'exécution. 


COLONIE   ANGLAISE    DE   CAPECOAST  159 

Leurs  possessions  immédiates  sur  le  littoral,  qui  consis- 
taient en  une  bande  de  terrain  de  100  à  120  kilomètres  de 
large,  suffisaient  pour  le  moment  à  l'activité  de  leurs  com- 
merçants, et  il  fallut  des  circonstances  particulières  pour  les 
obliger  à  renouveler  leur  expédition  de  1874. 

Il  est  certain  que  les  motifs  ne  manquaient  pas,  n'y  eût-il  à 
envisager  que  la  non  exécution  des  nombreuses  clauses  du 
traité  de  Fommomah.  Mais  à  toutes  ces  raisons,  qu'on  avait 
laissées  de  côté  pendant  plus  de  vingt  ans,  s'ajoutait  le  désir 
des  Anglais  de  s'étendre  vers  le  Nord,  dans  la  boucle  du  Niger. 
Il  s'agissait  aussi  de  ne  pas  se  laisser  enfermer  dans  l'Achan- 
tiland,  en  raison  des  traités  passés  avec  les  chefs  de  l'intérieur 
par  les  diverses  missions  françaises  qui,  depuis  celle  du  capi- 
taine Binger,  s'étaient  approchées  du  royaume  des  Achantis. 

On  aurait  pu,  il  est  vrai,  laisser  sommeiller,  pour  quelque 
temps  encore,  ce  désir  d'extension  territoriale.  Mais,  a  la  fin 
de  1894,  un  fait  se  produisit  qui  servit  de  raison  déterminante 
à  l'envoi  presque  immédiat  d'une  expédition. 

Ce  fut  la  marche  de  Samory  vers  les  frontières  de  l'Achan- 
tiland.  Si  l'on  se  reporte  à  ce  qui  a  été  dit  au  sujet  de  l'exode 
de  Samory,  lorsque  nous  avons  parlé  de  la  colonie  anglaise 
de  Sierra-Leone,  on  ne  sera  pas  étonné  des  bonnes  relations 
constantes  que  l'almamy  a  toujours  entretenues  avec  les 
Anglais. 

Que  Samory,  repoussé  des  environs  de  la  Sierra-Leone,  ait 
fait  choix,  de  lui-même,  des  territoires  voisins  de  cette  autre 
colonie  anglaise  de  Cape-Coast  pour  continuer  la  lutte  contre 
les  Français,  ou  bien  qu'il  ait  été  poussé  à  cette  décision  par 
les  négociants  anglais  désireux  de  ne  pas  perdre  leur  meilleur 
client  soudanais,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  malgré  leur 
amitié  pour  l'almamy,  les  Anglais  n'ont  pu,  sans  un  profond 
sentiment  de  défiance,  envisager  l'éventualité  d'un  nouveau  et 
puissant  royaume  nègre  venant  s'installer  auprès  et  peut-être 
même  à  la  place  du  royaume  des  Achantis. 

Bien  que  le  rappel  de  la  colonne  Monteil  les  ait  momenta- 
nément délivrés  de  la  crainte  de  voir  Samory,  refoulé  par  les 
Français,  faire  la  conquête  de  l'Achantiland  et  leur  barrer  la 


160  l'afrique  politique  en  1900 

route  de  l'intérieur,  ils  ont  fort  sagement  pensé  que  le  mo- 
ment était  venu  de  brusquer  une  décision  qu'il  n'y  avait  plus 
lieu  de  retarder. 

Tel  est,  croyons-nous,  le  vrai  motif  de  l'expédition  inopi- 
nément entreprise  par  les  Anglais  à  la  fin  de  1895. 

La  décision  une  fois  prise,  l'expédition  fut  préparée  avec  cet 
esprit  de  large  prévoyance  qui  a  fait  de  nos  rivaux  des  maî- 
tres en  fait  de  guerres  coloniales. 

Éclairés  par  les  souvenirs  de  la  campagne  de  1873-74  contre 
le  roi  Koffi,  les  Anglais  se  sont  attachés  à  ne  rien  livrer  au 
hasard,  et  la  préparation  de  cette  campagne  peut  être  consi- 
dérée comme  remarquable. 

Sous  ce  climat  brûlant  et  meurtrier,  la  meilleure  saison 
pour  toute  opération  militaire  est  la  saison  sèche,  qui  dure 
d'octobre  à  février.  C'est  le  moment  qui  fut  choisi  par  les 
Anglais  pour  envoyer,  le  10  octobre  1895,  le  capitaine  Donald 
Stewart  auprès  de  Prempeh,  roi  des  Achantis,  pour  lui  signi- 
fier un  ultimatum. 

Prempeh  parut  d'abord  accepter  les  conditions  anglaises; 
mais  les  négociations  échouèrent  sur  le  point  principal  :  l'ad- 
mission d'un  résident  anglais  à  Coumassie. 

Sans  plus  insister  pour  la  réussite  de  sa  mission,  l'envoyé 
anglais  rentra  aussitôt  à  Cape-Goast,  et  les  préparatifs  de  l'in- 
vasion commencèrent. 

Le  royaume  des  Achantis  se  trouvait  depuis  longtemps  dans 
une  période  de  décadence  telle  que  son  roi  lui-même  ne  pou- 
vait se  faire  d'illusion  sur  l'issue  de  la  lutte  qu'il  venait  d'ac- 
cepter. 

Effrayé  des  conséquences  de  son  refus,  Prempeh  expédia 
aussitôt  à  Londres  des  ambassadeurs  chargés  de  notifier 
l'acceptation  de  toutes  les  conditions  imposées  par  les  An- 
glais. Mais,  sous  le  prétexte  que  ces  ambassadeurs  n'avaient 
pas  pris  l'avis  de  sir  Maxwell,  gouverneur  de  la  Côte  d'Or, 
M.  Chamberlain,  ministre  des  colonies,  refusa  d'abord  de  les 
recevoir,  puis,  après  les  avoir  entendus,  les  fit  embarquer 
brusquement  pour  Cape-Coast-Castle,  où  ils  arrivèrent  le 
17  décembre. 


COLONIE   ANGLAISE   DE   CAPE  COAST  161 

Pendant  ce  temps,  l'expédition,  qu'on  voulait  engager  mal- 
gré tout,  était  activement  préparée.  Le  plan  des  opérations  fut 
élaboré  dans  un  conseil  auquel  assistèrent,  avec  le  généralis- 
sime anglais  lord  Wolseley,  plusieurs  généraux,  parmi  les- 
quels sirR.  Buller,  qui  commandait  en  1873-74  l'une  des  trois 
colonnes  d'opération  contre  les  Achantis.  Le  colonel  sir  Fran- 
cis Scott,  chef  de  la  police  militaire  de  la  Côte  d'Or,  auquel  ve- 
nait d'être  confiée  la  direction  de  l'expédition,  arriva  à  Londres 
le  20  octobre  1893,  pour  assister  à  ce  conseil  et  recevoir  toutes 
les  indications  nécessaires  au  développement  du  plan  de  cam- 
pagne qu'il  fut  chargé  d'exécuter. 

Le  corps  expéditionnaire  se  composait  de  1.600  combattants 
dont  900  hommes  de  troupes  noires,  troupes  de  police  haous- 
sas,  détachement  du  \Yest-India  Régiment  en  garnison  à 
Sierra-Leone.  Un  bataillon  du  West-Yorkshire  (18  officiers,  400 
hommes),  amené  d'Aden,  servait  de  réserve.  Des  détache- 
ments d'artillerie  (6  pièces)  et  du  génie,  compris  dans  l'effectif 
ci-dessus,  étaient  joints  à  la  colonne.  Toutes  les  troupes  étaient 
armées  de  la  carabine  Martini  Henry,  dont  étaient  déjà  pour- 
vus les  Haoussas. 

L'état-major  comprenait  55  officiers. 

Le  service  des  étapes  était  assuré  par  une  vingtaine  d'offi- 
ciers. 

Deux  princes  de  la  famille  royale  prenaient  part  à  la  cam- 
pagne :  le  prince  Henri  de  Battenberg,  gendre  de  la  reine 
Victoria,  qui  devait  mourir  le  20  janvier  des  suites  d'une  ma- 
ladie contractée  au  cours  des  opérations,  et  le  prince  Christian- 
Victor  de  Schleswig-Holstein,  petit-fils  de  la  reine. 

On  sait  combien  les  autorités  militaires  anglaises  s'appli- 
quent à  ménager  les  forces  de  leurs  hommes  au  cours  des 
campagnes  coloniales.  Le  soldat  anglais  ne  porte  que  le  strict 
nécessaire,  et,  d'habitude,  une  foule  de  porteurs  ou  de  bêtes  de 
somme  suivent  les  colonnes  en  portant  les  objets  de  campe- 
ment, les  vivres  et  les  munitions.  Les  précautions  prises  dans 
la  campagne  contre  les  Achantis  paraissent  avoir  dépassé  tout 
ce  que  l'on  avait  vu  jusqu'ici.  On  enrôla  plus  de  10.000  por- 
teurs pour  le  service  des  transports  et  de  l'arrière. 

Afr.  polit.  11 


162  l'afriqle  politique  en  1900 

Le  corps  expéditionnaire  était,  en  outre,  abondamment 
pourvu  de  tous  les  engins  propres  à  assurer  son  hygiène  : 
tentes  à  parois  simples  et  doubles,  filtres  perfectionnés,  ma- 
chines à  glace,  machines  électriques,  etc. 

Des  baraquements  avaient  été  installés  sur  la  route  de  mar- 
che, afin  d'éviter  aux  troupes  de  camper  pendant  une  partie 
du  trajet.  Les  communications  télégraphiques  furent  assurées 
au  moyen  d'une  ligne  permanente  établie  pendant  la  marche. 

Les  vivres  et  les  munitions  étaient  empaquetés  dans  des 
boites  en  fer-blanc  dont  l'extérieur  affectait  la  forme  des 
épaules  des  porteurs,  sur  lesquelles  elles  étaient  fixées  au 
moyen  de  bretelles. 

Le  service  sanitaire,  sous  les  ordres  du  docteur  Taylor, 
très  au  courant  des  guerres  coloniales,  comprenait  un  nombre 
considérable  de  médecins  et  d'infirmiers. 

Le  matériel  médical  avait  été  expédié  à  profusion,  ainsi  que 
les  médicaments  de  toute  espèce. 

Outre  les  ambulances  de  première  ligne,  un  hôpital  d'éva- 
cuation était  établi  à  Cape-Coast-Castle,  et,  à  Accra,  le  Coro- 
mandel  était  aménagé  en  «  idéal  hospital  ship  » . 

Trois  bâtiments,  outre  le  Manilla  qui  transportait  le  West- 
Yorkshire,  servaient  au  transport  du  corps  expéditionnaire. 

D'autres  bâtiments  avaient  été  affrétés  pour  le  transport  du 
matériel  de  toute  sorte  et  avaient  déposé  sur  la  côte  soixante 
jours  de  vivres  pour  l'effectif  entier. 

Le  chef  de  l'expédition  débarqua  à  Cape-Coast-Castle  le 
13  décembre.  Dès  ce  moment,  le  gouverneur  de  la  colonie 
avait  pris  ses  mesures  pour  aménager  la  ligne  d'opérations 
qui,  du  chef-lieu  de  la  colonie,  se  dirigeait  vers  Prahson,  où 
un  pont  permanent  fut  établi  sur  le  Prah  par  les  Royal-Engi- 
neers  et,  de  là,  sur  Coumassie. 

La  distance  à  parcourir  était  de  280  kilomètres.  Les 
Achantis  n'avaient  fait  jusqu'alors  aucune  résistance,  et  il 
n'y  eut  pas  un  coup  de  fusil  tiré. 

Le  25  décembre,  les  troupes  noires  étaient  concentrées  sur 
le  Prah,  où  arrivaient,  les  3  et  5  janvier  1896,  les  deux  batail- 
lons anglais,  les  West-Yorkshire  et  le  Spécial  Service  Corps, 


COLONIE   ANGLAISE   DE   CAPE-COAST  163 

recruté  dans  huit  régiments  anglais  différents.  Le  passage  du 
Prah  s'effectuait  sans  incident,  et  le  13  janvier  toute  la  co- 
lonne atteignait  l'Adra,  à  13  kilomètres  de  Coumassie.  Le  17, 
Coumassie  était  occupée  sans  résistance. 

A  Coumassie,  le  roi  Prempeh  fut  pris  comme  otage  et,  s'il 
faut  en  croire  les  journaux  anglais  eux-mêmes,  soumis  à  des 
traitements  humiliants  avant  d'être  déporté  en  Sierra-Leone. 

Après  avoir  définitivement  brisé  la  puissance  des  Achantis, 
sir  Francis  Scott  se  hâta,  avant  la  saison  des  pluies,  de 
prendre  les  mesures  nécessaires  pour  rapatrier  le  corps  expé- 
ditionnaire. Dès  la  fin  de  janvier,  les  évacuations  commen- 
cèrent, et  avant  le  1er  mars,  les  troupes  avaient  partout  rega- 
gné leurs  garnisons. 

Les  pertes  des  Anglais  dans  cette  campagne  furent  seule- 
ment causées  par  les  maladies.  On  n'a  pas  donné  leur  chiffre 
exact,  mais  on  a  cependant  signalé  ce  fait,  que  sir  Francis 
Scott  était  rentré  en  Angleterre  à  la  fin  du  mois  de  février 
1896,  en  même  temps  que  180  malades  hospitalisés  à  bord  du 
Coromandel. 

Telle  est,  rapidement  esquissée,  l'expédition  quia  eu  pour 
effet  de  placer  sous  l'autorité  directe  de  l'Angleterre  un  terri- 
toire africain  grand  comme  le  quart  de  la  France. 

Au  point  de  vue  humanitaire,  on  ne  saurait  que  féliciter  les 
Anglais  du  résultat  obtenu,  bien  que  l'on  ait  dit  que,  dans 
cette  circonstance,  la  question  d'utilité  commerciale  avait 
primé  toutes  les  autres. 

Avant  le  départ  de  l'expédition,  on  avait  déjà  annoncé 
qu'une  compagnie  à  charte  serait  fondée  pour  assurer  l'ex- 
ploitation de  l'Achantiland  et  employer  ses  ressources  à 
étendre  la  zone  d'influence  de  la  métropole.  Ce  projet  n'a  pu 
être  réalisé. 

Encore  sous  l'influence  des  procédés  employés  par  la  Com- 
pagnie du  Niger  envers  les  indigènes  de  Brass,  et  par  la 
Bristish  South  Africa  Company  (Chartered)  à  l'égard  des 
Matabélés  et  du  Transvaal,  l'opinion  publique  anglaise,  peu 
susceptible  cependant  en  matière  commerciale,  s'est  refusée 
à  admettre  l'institution  d'une  nouvelle  compagnie  à  charte. 


164  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

Il  convient  d'ailleurs  d'ajouter  qu'elle  a  été  confirmée  dans 
ses  sentiments  généreux  par  l'action  des  négociants  de  Li ver- 
pool,  qui,  possédant  presque  tout  le  commerce  de  la  Côte  d'Or, 
craignaient,  à  juste  titre,  de  se  voir  remplacer  par  une  asso- 
ciation analogue  à  la  Royal  Niger  Company. 

Leurs  craintes  furent  dissipées  à  la  suite  de  la  déclaration 
faite,  le  24  mars  1896,  à  la  Chambre  des  communes,  par  le 
ministre  des  colonies,  M.  Chamberlain. 

Quelques  semaines  après  la  prise  de  Coumassie,  le  gouver- 
nement de  la  Côte  d'Or  recevait  de  Samory,  toujours  présent 
à  Bondoukou  (voir  les  chapitres  relatifs  à  la  Sierra-Leone  et  à 
la  Côte  d'Ivoire),  un  envoi  de  poudre  d'or  avec  une  lettre 
renouvelant  aux  Anglais  ses  protestations  d'amitié  et  ses 
offres  de  services. 

Peu  après,  une  mission  anglaise  se  rendait  auprès  de  lui, 
et  au  même  instant  on  apprenait  en  France  que  l'almamy 
venait  de  nous  faire  des  propositions  de  paix,  en  envoyant 
des  émissaires  aux  autorités  de  la  Côte  d'Ivoire. 

Ces  divers  faits  parurent,  au  moment  où  ils  se  produisirent, 
assez  contradictoires  pour  qu'on  n'attachât  point  une  grande 
importance  aux  ouvertures  de  Samory. 

Celui-ci,  d'ailleurs,  ne  se  fit  pas  faute  de  démentir,  dès  le 
mois  de  juillet  1896,  les  propositions  de  soumission  qui  lui 
avaient  été  attribuées.  Il  ne  manqua  pas  de  revendiquer  son 
indépendance  à  l'égard  des  Européens,  quels  qu'ils  fussent,  et 
son  intention  de  rester  le  souverain  maître  de  son  nouvel 
empire.  En  sorte  que  nous  continuâmes  à  rester  de  ce  côté 
dans  l'expectative,  à  la  grande  déception  de  nos  protégés  de 
Kong  et  au  grand  bénéfice  de  notre  vieil  ennemi. 

Les  Anglais  n'eurent  d'ailleurs,  pas  plus  que  nous,  à  se 
louer  de  Samory.  Outre  les  raisons  politiques  énumérées  plus 
haut,  et  malgré  la  réussite  de  l'expédition  contre  Prempeh 
et  les  colonnes  volantes  lancées  vers  le  Nord,  il  devint  bientôt 
évident  que  les  incursions  des  gens  de  Samory  avaient  pour 
effet  immédiat  de  détourner  le  commerce  de  l'Achantiland. 

C'est  ce  qui  motiva  l'envoi  de  plusieurs  missions  auprès  de 


COLONIE   ANGLAISE   DE   CAPECOAST  163 

Samory  et  de  ses  lieutenants,  entre  autres  celle  du  capitaine 
Houston,  au  printemps  de  1896.  et  du  gouverneur  sir  Maxwell, 
à  l'automne  de  la  môme  année.  Ces  missions  n'eurent  aucun 
succès  et  l'on  se  décida  à  envoyer  une  nouvelle  ambassade, 
avec  des  moyens  plus  importants. 

Cette  mission,  confiée  au  lieutenant  Henderson,  auquel  on 
adjoignit  plusieurs  officiers  et  une  forte  escorte,  quitta  Accra 
le  20  novembre  1896  et  se  dirigea  vers  l'intérieur,  où  elle  passa 
des  traités  avec  plusieurs  chefs.  Au  nord  de  Coumassie,  elle 
trouva  Baoulé  détruit  par  les  bandes  de  Sarankemory;  un 
messager,  qui  lui  fut  envoyé,  rapporta  une  réponse  évasive.  Le 
7  janvier  1897,  la  mission  atteignait  Oua;  une  garnison  y  fut 
laissée,  et  l'on  repartit  pour Daoukita,  à  50 milles  vers l'Ouest, 
où  l'on  s'arrêta.  La  mission  y  fut  attaquée,  le  20  mars,  par 
7.000  Sofas  et  obligée,  après  quatre  jours  de  siège,  à  regagner 
Oua,  qui  fut  attaqué  le  3  avril. 

La  mission,  qui  avait  perdu  avant  son  arrivée  à  Oua  environ 
1.500  livres  sterling,  deux  canons,  des  armes  et  des  munitions. 
se  débanda;  une  partie  de  son  personnel  regagna  péniblement 
la  côte;  le  reste,  avec  les  Européens,  fut  recueilli  dans  le  Gou- 
rounsi  par  les  officiers  français  qui  occupaient  ce  pays  et  qui 
facilitèrent  son  retour  par  Gambaka.  Quant  au  lieutenant 
Henderson,  après  diverses  vicissitudes,  il  fut  conduit  auprès  de 
Samory,  qui  le  reçut  à  Djimini  et  le  renvoya  peu  après  à  la 
côte  (mai  1897). 

Ce  désastre,  venant  après  le  rappel  de  la  colonne  Monteil. 
augmenta  le  prestige  de  Samory,  en  même  temps  que  les  diffi- 
cultés opposées  aux  officiers  français  qui  luttaient  contre  ses 
bandes.  Les  tentatives  contre  la  puissance  de  Samory  ne  se 
renouvelèrent  pas  du  côté  del'Achantiland:  les  Anglais  laissè- 
rent à  la  France  toute  la  peine,  en  même  temps  que  toute  la 
gloire  de  la  capture  du  vieux  conquérant. 

Ce  n'est  que  dans  le  courant  de  1898  que  les  gouvernements 
français  et  anglais  ont  pu,  après  de  longues  négociations,  s'en- 
tendre au  sujet  de  la  délimitation  de  l'Achantiland.  Les  arran- 
gements déjà  signés  sur  cette  question  les  lOaoùt  1889,  26  juin 
1891  et  12  juillet  1893  ont  été  confirmés  par  la  convention  du 


166  l'afrique  politique  en  1900 

14  juin  1898  (voir  le  chapitre  relatif  à  la  Côte  d'Ivoire),  qui  n'a 
été  ratifiée  par  le  Parlement  français  qu'au  mois  de  mai  1899. 

Les  résultats  immédiatement  obtenus  après  la  conquête 
n'ont  d'ailleurs  pas  été  des  plus  encourageants,  non  pas  en  ce 
qui  concerne  le  commerce  côtier,  qui  est  resté  florissant,  mais 
au  point  de  vue  de  l'empressement  des  indigènes  à  se  rallier 
au  nouvel  état  de  choses. 

Coumassie  s'est  dépeuplée.  Le  chiffre  des  habitants  est  tombé 
de  25.000  à  2.000.  Le  trésor  de  Prempeh,  longtemps  recherché, 
n'a  pu  y  être  découvert.  Enfin,  il  a  fallu  réprimer  plusieurs 
révoltes  locales.  Toutes  ces  difficultés  n'ont  cependant  pas 
rebuté  l'initiative  anglaise,  qui  a  dirigé,  dès  le  mois  d'avril 
dernier,  une  nouvelle  expédition  contre  le  pays  de  Quam, 
dont  le  roi  se  réclamait  de  la  protection  française. 

Le  commerce  de  la  colonie  de  la  Côte  d'Or  mérite,  par 
son  importance,  les  sacrifices  que  les  Anglais  se  sont  im- 
posés. Dès  1895,  il  dépassait  45  millions,  à  peu  près  également 
partagés  entre  les  importations  et  les  exportations.  Il  ne  peut 
manquer  de  prendre  une  plus  grande  extension  dès  que  les 
chemins  de  fer  de  Cape  Coast-Coumassie,  de  Accra-Pong  et 
de  Apam-Insuan  auront  été  construits  et  que  le  cours  de  la 
Volta,  déjà  reconnu,  aura  pu  être  régularisé  et  livré,  sur  tout 
son  parcours,  à  la  navigation. 

Dans  cette  colonie,  comme  dans  bien  d'autres  colonies 
anglaises,  le  commerce  allemand  a  acquis  une  importance 
qui  inquiète  d'autant  plus  ses  rivaux  que  la  démarcation 
de  l'Achantiland  et  du  Togoland  n'est  pas  encore  un  fait 
matériellement  accompli . 

Nous  avons  vu,  à  propos  de  la  Côte  d'Ivoire,  les  difficultés 
qui  ont  précédé  l'arrangement  réglant  les  limites  de  cette 
colonie  et  de  l'Achantiland.  Les  mêmes  difficultés  se  sont  pré- 
sentées entre  l'Angleterre  et  l'Allemagne  lorsqu'il  s'est  agi  de 
délimiter  le  Togoland.  Les  deux  pays  n'ont  pu  s'entendre  pen- 
dant longtemps  au  sujet  de  l'attribution  à  l'un  d'eux  des  terri- 
toires de  Salaga,  qui  restaient  toujour  indivis. 

Il  a  fallu  que  l'Angleterre,  engagée  à  fond  au  Transvaal, 


COLONIE   ANGLAISE   DE   CAPE-COAST  167 

sentit  la  nécessité  d'une  concession  aux  Allemands,  pour 
consentir,  au  mois  de  novembre  dernier,  à  une  transaction 
relative  aux  questions  de  Samoa  et  du  Togoland.  Par  le  même 
traité  qui  abandonne  à  l'empire  d'Allemagne  la  grosse  part 
de  Samoa,  les  limites  du  Togoland  sont  fixées  à  la  rivière 
Dako  jusqu'au  9°  de  latitude.  Au  delà,  une  ligne  se  dirigeant 
vers  le  Nord  séparera  les  deux  pays,  en  laissant  le  Manpoursi 
et  Gambaka  à  l'Angleterre,  Yendi  et  les  territoires  de  Chakosi 
à  l'Allemagne. 

La  France,  en  travaillant  à  la  chute  de  Samory,  a  travaillé 
en  même  temps,  au  point  de  vue  des  résultats  immédiats,  beau- 
coup plus  pour  l'Achantiland  que  pour  la  Côte  d'Ivoire.  C'est 
en  effet  la  colonie  anglaise  qui,  grâce  au  chemin  de  fer  de 
Coumassie,  va  pouvoir  la  première  attirer  vers  la  côte,  par  les 
voies  rapides,  non  seulement  le  commerce  des  territoires  an- 
glais, mais  aussi  celui  d'une  bonne  partie  des  possessions  fran- 
çaises voisines.  Les  localités  d'Oua  et  Gambaka  sont  déjà 
reliées  au  réseau  télégraphique  de  la  colonie. 

L'unique  réponse  à  faire  à  la  politique  économique  de  l'An- 
gleterre est  la  construction  du  chemin  de  fer  de  Kong,  tracé  le 
plus  près  possible  de  la  frontière  anglaise  et  prolongé  le  plus 
loin  possible  vers  le  Nord.  On  a  vu,  à  propos  de  la  Côte  d'Ivoire, 
que  la  question  est  engagée  :  il  faut  souhaiter  qu'elle  aboutisse 
le  plus  tôt  possible. 


168  l'afriqce  politique  en  1900 


Togoland. 


Délimitation.  —  Ellorts  des  Allemands.  —  Prospérité  de  la  colonie. 
Politique  coloniale  allemande. 


Le  Togoland  allemand  ne  possède  sur  la  mer  qu'une  façade 
d'environ  60  kilomètres,  encore  n'a-t-elle  été  assurée  à  l'Alle- 
magne que  par  la  convention  franco-allemande  du  24  décembre 
1885,  aux  termes  de  laquelle  la  France  cédait,  par  voie 
d'échange,  les  droits  qu'elle  avait  sur  Togo,  Petit-Popo  et 
Porto-Seguro.  La  convention  spécifiait  que  la  frontière  parti- 
rait d'un  point  à  déterminer  entre  Petit-Popo  et  Agoué. 

Une  commission  technique,  nommée  pour  délimiter  le 
Dahomey  et  le  Togoland,  fut  chargée  de  jalonner  le  méridien 
0°41'  ouest,  accepté  par  les  deux  parties  comme  frontière  jus- 
qu'au 9°  de  latitude  nord.  Cette  commission  clôtura  ses  tra- 
vaux le  15  avril  1893  à  Zebbé. 

Elle  attribua  à  la  France  le  cours  de  la  rivière  Mono,  sauf 
quatre  milles  situés  entre  Tophi  et  Sagougé. 

Du  côté  de  la  colonie  anglaise  de  Cape-Coast,  la  frontière 
part  de  Lomé,  se  redresse  parallèlement  à  la  côte,  et  va  rejoin- 
dre la  Volta  ;  elle  en  remonte  le  cours,  puis  celui  du  Dako  jus- 
qu'au 9°  de  latitude.  Une  ligne,  à  déterminer  sur  le  terrain  et 
se  dirigeant  vers  le  Nord,  séparera  les  territoires  anglais  et 
allemands  en  laissant  à  l'Angleterre  le  Mampoursi  et  Gam- 
baka.  Tel  est  le  dernier  résultat  obtenu  par  l' Allemagne,  au 
mois  de  novembre  dernier,  grâce  au  traité  anglo-allemand 
relatif  à  la  question  de  Samoa.  On  a  signalé,  il  est  vrai,  que 
de  nouvelles  contestations  pourraient  bien  surgir  au  sujet  de 
l'interprétation  des  termes  de  ce  nouveau  traité. 

De  nombreuses  missions  allemandes  ont  cherché  à  étendre 


TOGOLAXD  169 


vers  le  Nord  les  limites  de  cette  colonie,  etune  véritable  course 
aux  traités  de  protectorat  s'était  engagée,  dès  la  fin  de  la  guerre 
du  Dahomey,  entre  les  explorateurs  français  et  allemands. 
Aussi,  afin  démettre  un  terme  aux  contestations  que  soulevaient 
constamment  les  traités  passés  avec  les  indigènes,  le  gouver- 
nement allemand  décida,  dans  les  derniers  mois  de  1895,  de 
faire  de  sérieux  efforts  pour  acquérir  des  droits  incontestables 
sur  les  pays  de  l'hinterland. 

Les  missions  Grùner,  de  Carnap  et  Zech  reçurent  pour  in- 
structions de  procéder  à  la  reconnaissance  de  l'hinterland  en 
même  temps  qu'à  son  occupation  effective  au  moyen  de  postes 
destinés  à  marquer  une  prise  de  possession  réelle. 

La  plus  importante  de  ces  missions,  celle  du  docteur  Grùner, 
envoyée  par  la  Société  coloniale  allemande,  à  laquelle  l'empe- 
reur a  conféré  les  droits  delà  personne  morale,  procéda  à  l'oc- 
cupation du  pays  et  s'établit  à  Sansanné-Mango,  à  l'automne  de 
1896,  bien  qu'un  traité  eût  été  passé,  en  1895,  au  nom  de  la 
France,  avec  le  chef  du  pays. 

Pendant  que  le  lieutenant  de  Carnap  remontait  vers  le  Nord- 
Ouest  et  pénétrait  au  Gourma  et  dans  le  Mossi,  la  mission  an- 
glaise du  capitaine  Stewart  s'emparait,  au  mois  de  décembre 
1896,  de  Gambaka,  capitale  du  Mampoursi,  où  les  Allemands 
avaient  déjà  un  poste.  Après  des  pourparlers,  suivis  d'une  pro- 
testation du  docteur  Grùner,  il  fut  convenu  que  les  Anglais 
resteraient  à  Gambaka  jusqu'à  ce  que  les  deux  gouvernements 
se  fussent  entendus  au  sujet  de  la  possession  du  Mampoursi.  Il 
n'est  pas  inutile  de  rappeler  que  la  France  possédait  déjà  des 
droits  sur  le  Mampoursi,  aux  ternies  du  traité  passé,  le  20  avril 
1895,  par  le  lieutenant  Baud  avec  les  chefs  de  ce  pays. 

Le  même  officier  avait  traité  vers  la  même  époque  avec  le 
chef  de  Sansanné-Mango.  Afin  de  joindre  à  nos  droits  les  avan- 
tages de  la  possession  effective,  la  mission  du  garde  principal 
Molex  fut  envoyée  du  Dahomey  pouroccuper  Sansanné-Mango. 
Elle  s'y  heurta,  le  25  décembre  1897,  au  poste  allemand  et  dut 
rétrograder  sur  Kabo. 

A  la  fin  du  mois  de  décembre  1897,  on  apprenait  que  les  Alle- 
mands avaient  planté  leur  pavillon  à  Bafilo  et  dans  le  pays 


170  l'afrique  POLITIQUE  EN'  1900 

d'Adyé  ou  Kinki.  Ces  pays  avaient  été  placés  sous  notre  pro- 
tectorat par  le  lieutenant  Baud,  en  mars  et  avril  1895. 

Le  gouverneur  du  Dahomey  n'eut  pas  de  peine  à  démontrer 
la  validité  de  nos  droits  sur  le  pays  d'Adyé,  où  se  trouvait  le 
lieutenant  de  Teck  avec  40  hommes,  et  à  obtenir  l'évacuation 
de  Bafilo,  en  le  faisant  occuper  par  la  mission  Baud,  qui  se 
dirigeait  vers  le  Gourma,  amenant  ainsi  le  retrait  des  deux 
hommes  de  garde  laissés  dans  ce  poste  par  le  lieutenant  de 
Seefried. 

Ces  divers  incidents  amenèrent  des  négociations  entre  les 
gouvernements  français  et  allemand.  Grâce  à  un  large  esprit 
de  conciliation,  les  diplomates  des  deux  pays  établirent  la  part 
des  droits  de  la  France  dans  le  haut  Togoland  et  de  l'Allemagne 
dans  le  Gourma  ;  on  put  aboutir  à  la  signature  de  la  convention 
conclue  à  Paris  le  23  juillet  1897  et  ratifiée  le  12  janvier  1898. 
Cette  convention  fixe  les  limites  du  Togoland,  du  Dahomey  et 
du  Soudan  français  (1). 


(1)  En  voici  le  texte  : 

Article  premier.  —  La  frontière  partira  de  l'intersection  de  la  côte  avec  le 
méridien  de  l'île  Bayol,  se  confondra  avec  ce  méridien  jusqu'à  la  rive  sud  de 
la  lagune,  qu'elle  suivra  jusqu'à  une  distance  de  100  mètres  environ  au  delà  de  la 
pointe  est  de  l'île  Bayol,  remonlora  ensuite  directement  au  nord  jusqu'à  mi-dis- 
lance de  la  rive  sud  et  de  la  rive  nord  de  la  lagune,  puis  suivra  les  sinuosités  de  la 
lagune,  à  égale  distance  des  deux  rives,  jusqu'au  thalweg  du  Mono,  qu'elle  suivra 
jusqu'au  7e  degré  de  latitude  nord. 

De  l'intersection  du  thalweg  du  Mono  avec  le  7e  degré  de  latitude  nord,  la  fron- 
tière rejoindra  par  ce  parallèle  lé  méridien  de  l'île  Bayol.  qui  servira  de  limite 
jusqu'à  son  intersection  avec  le  parallèle  passant  à  égale  distance  de  Bassila  et  de 
Penesoulou.  De  ce  point,  elle  gagnera  la  rivière  Kara,  suivant  une  ligne  équidis- 
tante  des  chemins  de  Bassila  à  Bafllo  par  Kirikri  et  de  Penesoulou  à  Séméré  par 
Aledjo,  et  ensuite  des  chemins  du  Sudu  à  Séméré  et  d'Aledjo  à  Séméré,  de  ma- 
nière à  passer  à  égale  distance  de  Daboni  et  d'Aledjo  ainsi  que  de  Sudu  et  d'Aledjo. 
Elle  descendra  ensuite  le  thalweg  de  la  rivière  Kara  sur  une  longueur  de  5  kilo- 
mètres et,  de  ce  point,  remontera  en  ligne  droite  vers  le  Nord  jusqu'au  10e  degré 
de  latitude  nord,  Séméré  devant,  dans  tous  les  cas,  rester  à  la  France. 

De  là,  la  frontière  se  dirigera  directement  sur  un  point  situé  à  égale  distance 
entre  Djéet  Gandou,  laissant  Djé  à  la  France  et  Gandou  à  l'Allemagne,  et  gagnera 
le  IIe  degré  de  latitude  nord  en  suivant  une  ligne  parallèle  à  la  route  de  Sansanné- 
Mango  à  Pâma,  et  distante  de  celle-ci  de  30  kilomètres.  Elle  se  prolongera 
ensuite  vers  l'Ouest  sur  le  11e  degré  de  latitude  nord  jusqu'à  la  Voila  blanche,  de 
manière  à  laisser  en  tout  cas  Pougno  à  la  France  et  Koun-Djari  à  l'Allemagne. 
Puis  elle  rejoindra,  par  le  thalweg  de  cette  rivière,  le  10"  degré  de  latitude  nord, 
qu'elle  suivra  jusqu'à  son  intersection  avec  le  méridien  3° 32'  ouest  de  Paris  il"32' 
ouest  de  Greenwich\ 

Art.  2.  —  Le  gouvernement  français  conservera  pour  ses  troupes  et  son  matériel 


TOGOLAXD  171 


La  frontière  suit  les  rivières  Mono  etKara,  laisse  à  la  France 
Séméré,  Djé,  Pâma,  Pougno,  et  suit  au  Nord  le  11e  parallèle, 
puis  la  Volta  blanche,  abandonnant  à  l'Allemagne  Bafilo,  San- 
sanné-Mango  et  Gambaka. 

Conformément  à  la  convention  du  23  juillet  1897,  les  deux 
puissances  ont  nommé  des  commissions  de  délimitation  de 
leurs  territoires.  Des  difficultés,  provoquées  par  la  mission 
allemande  Kersting  qui  opérait  dans  le  pays,  s'élevèrent  au 
commencement  de  Tannée  1899  entre  le  commissaire  fran- 
çais, le  commandant  Plé,  et  le  chef  de  la  mission  allemande. 
M.  de  Massow.  Le  litige,  soumis  aux  deux  gouvernements,  fut 
rapidement  résolu,  et  dès  le  mois  de  mai  1899  la  commission 
reprenait  ses  travaux. 

Des  difficultés,  survenues  cette  fois  avec  les  indigènes,  ont 
amené,  au  mois  d'août  1899,  la  coopération,  très  remarquée 
en  Europe,  des  troupes  françaises  et  allemandes,  qui  brisèrent 
rapidement  toute  résistance  et  permirent  aux  commissions  de 
délimitation  de  continuer  paisiblement  leurs  travaux.  Ceux- 
ci  se  sont  terminés  au  mois  de  novembre  1899. 


de  guerre  le  libre  passage  par  la  route  de  Kouandé  à  la  rive  droite  de  la  Volta  par 
Sansanné-Mango  et  Gambaka,  ainsi  que  de  Kandé  à  Pâma  par  Sansanné-Mango, 
pour  une  durée  de  quatre  années  à  partir  de  la  ratification  du  présent  arrange- 
ment. 

An-r.  3.  —  La  frontière  déterminée  par  le  présent  arrangement  est  inscrite  sur 
la  carte  ci-annexée. 

Aht.  4.  —  Les  deux  gouvernements  désigneront  des  commissaires  qui  seront 
chargés  de  tracer  sur  les  lieux  la  ligne  de  démarcation  entre  les  possessions 
françaises  et  allemandes  en  conformité  et  suivant  l'esprit  des  dispositions  géné- 
rales qui  précèdent. 

Art.  5.  —  En  foi  de  quoi,  les  délégués  ont  dressé  le  présent  protocole  et  y  ont 
apposé  leurs  signatures. 

Fait  à  Paris,  en  double  expédition,  le  9  juillet  1897. 

les  délégués  français  :  Les  délégués  allemands  : 

René  Lecomte,  G.  Bingek.  F.  de  Mcller,  A.  Zimmermann, 

Krnst  Vohsen. 

La  présente  convention  sera  ratifiée  et  les  ratifications  en  seront  échangées  à 
Paris  dans  le  délai  de  six  mois  ou  plus  tôt,  si  faire  se  peut. 

Fait  à  Paris,  le  23  juillet  1897,  en  double  exemplaire. 

G.  Hanotaux, 
Munster. 


172  l'afrique  politique  ex  1900 

La  colonie  du  Togoland  vaut  d'ailleurs  la  peine  que  le  gou- 
vernement allemand  s*inquiète  de  son  développement.  Le 
commerce  allemand,  si  important  dans  les  colonies  euro- 
péennes voisines,  y  grandit  constamment  et  ses  factoreries 
deviennent  tous  les  jours  plus  prospères.  On  a  dit  que 
Behanzin  dans  sa  lutte  contre  les  Français  avait  tiré  ses 
armes  et  ses  munitions  des  colonies  voisines.  On  a 
répété  qu'à  plusieurs  reprises  il  aurait  reçu  des  missions 
allemandes,  et  même  obtenu  l'appui  effectif  d'aventuriers 
européens  pour  diriger  son  artillerie.  Quoi  qu'il  en  soit, 
depuis  la  soumission  du  Dahomey,  le  commerce  des  armes 
a  diminué  au  Togoland  sans  que  le  chiffre  total  des  échanges 
ait  paru  s'en  ressentir  (1). 

La  colonie  est  en  relations  suivies  avec  le  port  de  Ham- 
bourg. Les  compagnies  hambourgeoises,  entrées  en  concur- 
rence active  avec  les  lignes  anglaises,  sur  toute  la  côte  de 
Guinée,  menacent  sérieusement  le  pavillon  anglais  au  Togo- 
land et  au  Cameroun. 

La  subvention  allouée  à  la  colonie,  pour  l'année  1900,  sur 
le  budget  métropolitain,  s'élève  à  270.000  marcs. 

Le  Togoland  est,  en  somme,  une  colonie  d'exploitation  en 
bonne  voie  de  prospérité.  Bien  quelle  ne  puisse  plus  espérer 
aujourd'hui  attirer  sur  ses  côtes  le  commerce  de  la  plus 
grande  partie  de  la  boucle  du  Niger,  les  territoires  soumis  à 
son  influence,  directe  ou  éloignée,  sont  assez  vastes  pour  lui 
assurer  un  certain  avenir. 

Il  dépendra  évidemment  de  l'activité  déployée  par  les 
colonies  voisines,  que  le  commerce  allemand  soit  plus  ou 
moins  vite  confiné  dans  les  étroites  limites  du  Togoland,  qui 
ne  sera  plus  alors  qu'une  enclave  sans  valeur  considérable. 
Ce  sera  le  moment  pour  la  France  de  rechercher  la  compen- 
sation à  offrir  pour  désintéresser  l'Allemagne  de  la  possession 
d'une  colonie  qui  compléterait  heureusement  nos  territoires 
voisins. 


(1)  Depuis  1896  les  communications  télégraphiques  du  Togoland  sont  raccordées 
à  celles  du  Dahomey. 


TOGOLAXD  173 


Nous  avons  rappelé,  dans  notre  introduction,  la  parole  par 
laquelle  le  prince  de  Bismarck  refusait,  en  1871,  toute  acquisi- 
tion de  colonies.  Depuis  lors,  le  temps  s'est  chargé  de  modifier 
les  idées.  A  propos  de  cette  première  colonie  allemande  étu- 
diée dans  cet  ouvrage,  il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  quelques 
passages  du  discours  prononcé  au  Reichstag,  le  11  décembre 
1899,  par  le  ministre  des  affaires  étrangères,  à  l'occasion  de  la 
discussion  sur  le  projet  d'augmentation  delà  flotte  allemande  : 

Au  xixe  siècle,  a  dit  M.  de  Biilow,  c'est  l'Anglelerre  qui  a  étendu 
toujours  plus  loin  sa  puissance  coloniale,  la  plus  grande  que  le 
monde  ait  vue  depuis  le  temps  des  Romains.  La  France  a  pris  pied 
ferme  dans  le  nord  et  l'est  de  l'Afrique  et  a  acquis  en  Indo-Chine 
un  nouvel  empire.  La  Russie  a  avancé  en  Asie,  dans  une  marche 
victorieuse,  jusqu'au  haut  plateau  du  Pamir  et  jusqu'à  l'océan  Paci- 
fique. Il  y  a  quatre  ans,  la  guerre  sino-japonaise,  et  il  y  a  un  an  et 
demi  à  peine  la  guerre  hispano-américaine  ont  précipité  les  événe- 
ments, entraîné  des  changements  profonds  et  étendus,  éhranlé  de 
vieux  Etats,  fait  naître  de  nouveaux  etgraves  ferments  qui  risquent 
de  se  développer.  Personne  ne  peut  prévoir  quelles  conséquences 
aura  la  guerre  qui  met  depuis  quelques  semaines  en  feu  l'Afrique 
australe.  Le  premier  ministre  anglais  a  dit,  il  y  a  quelque  temps 
déjà,  que  les  États  forts  deviendraient  plus  forts  et  les  États 
faihles  plus  faihles.  Tout  ce  qui  est  arrivé  depuis  qu'il  a  tenu  ce 
langage  en  prouve  la  justesse.  Sommes-nous  encore  à  la  veille  d'un 
nouveau  partage  de  la  terre,  tel  que  le  poète  le  prévoyait  il  y  a  un 
siècle?  Je  ne  le  crois  pas;  j'aime  mieux  ne  pas  le  croire;  mais,  en 
tous  cas,  nous  ne  pouvons  pas  souffrir  qu'une  puissance  étrangère 
quelconque,  un  Jupiter  étranger,  vienne  nous  dire  :«  Que  faire?  Le 
monde  est  partagé.  »  Nous  ne  voulons  empiéter  sur  aucune  puis- 
sance étrangère,  mais  nous  ne  voulons  pas  davantage  qu'on  nous 
marche  sur  les  pieds  et  qu'on  nous  pousse  de  côté,  ni  en  politiqne 
ni  en  affaires. 

La  puissante  vitalité  du  peuple  allemand  nous  a  mêlés  aux 
affaires  du  monde,  nous  a  entraînés  dans  la  politique  universelle. 
Vis-à-vis  de  la  Greater  Britain  et  de  la  nouvelle  France,  nous  avons 
droit  à  une  plus  grande  Allemagne 

Dans  toutes  les  conventions  relatives  à  des  questions  coloniales, 
conventions  dont  chacune  n'a  porté  jusqu'ici  que  sur  un  point  spé- 
cial, nous  sommes  aujourd'hui  arrivés  facilement  en  ce  qui  concerne 
la  France  à  une  entente  équitable.  La  Russie  a  également  fait 
preuve  à  notre  égard  du  même  esprit  de  courtoisie  amicale,  que 
nous  lui  rendons  pleinement.  Quant  aux  bonnes  relations  que  nous 


174  l'afrique  politique  ex  1900 


entretenons  avec  les  États-Unis,  le  président  Mac  Kinley  en  a  témoi- 
gné avec  chaleur  dans  son  dernier  message  et  le  caractère  de  ces 
relations  nous  cause  une  sincère  satisfaction. 

Quant  à  l'Angleterre,  nous  sommes  tout  disposés  à  vivre  en  paix 
et  en  bonne  intelligence  avec  elle,  en  prenant  pour  base  de  nos 
relations  une  entière  réciprocité  et  des  égards  réciproques. 

Les  trente  dernières  années  ont  apporté  à  l'Allemagne  beaucoup 
de  bonheur,  de  puissance,  de  prospérité.  Cela  est  de  nature  à  exciter 
l'envie  :  l'envie  joue  un  grand  rôle  dans  l'histoire  des  peuples. 

L'Allemagne  est  enviée  sous  le  rapport  politique  comme  sous 
le  rapport  économique.  11  y  a  dans  le  monde  des  groupes,  des  cou- 
rants intéressés;  peut-être  certains  peuples  trouvent-ils  que  l'Alle- 
mand était  jadis  plus  maniable,  plus  agréable  pour  ses  voisins; 
autrefois,  en  dépit  de  notre  haute  culture  intellectuelle,  les  étran- 
gers nous  considéraient  leurs  inférieurs  en  politique  et  en  condi- 
tion sociale,  nous  regardaient  de  haut,  comme  font  d'arrogants 
gentilshommes  à  l'égard  de  modestes  précepteurs. 

Ces  temps  d'impuissance  et  d'humilité  ne  doivent  plus  revenir. 
Nous  ne  voulons  plus  redevenir  les  valets  des  autres  hommes. 

Le  moyen  d'engager  la  lutte  pour  la  vie,  sans  être  pourvu  d'ar- 
mements puissants,  lorsqu'on  est  un  peuple  de  soixante  millions 
d'âmes,  situé  au  milieu  de  l'Europe,  et  qu'on  lance  partout  ses 
antennes  sur  le  terrain  économique,  n'a  pas  encore  été  trouvé. 

Dans  le  siècle  qui  vient,  le  peuple  allemand  est  destiné  à  être  soit 
marteau,  soit  enclume.  Au  nom  des  plus  hauts  intérêts  de  notre 
pays,  je  vous  demande  d'accueillir  avec  bienveillance  le  projet 
d'augmentation  de  la  flotte. 

Le  ministre  d'un  puissant  empire  ne  pouvait  prononcer 
d'autres  paroles.  Elles  ont  retenti  au  loin  comme  l'expression 
de  la  volonté  et  de  l'ambition  du  gouvernement  allemand. 


COLONIE    ANGLAISE   DE    LAGOS  175 


Colonie  anglaise  de  Lagos. 


Attitude  des  indigènes.  —  Expédition  contre  les  Ilorins.  —  Occupation 
et  délimitation  du  pays. 


La  colonie  de  Lagos,  rivale  du  Dahomey,  étend  son  influence 
sur  les  pays  des  Egbas,  du  Yoruba  et  des  Ilorins,  jusqu'au  9° 
de  latitude  Nord  ainsi  que  sur  le  Bénin  et  quelques  territoires 
voisins  du  Niger. 

La  superficie  de  sa  zone  d'action  est  d'au  moins  trois  fois 
celle  du  Dahomey  proprement  dit  et  le  commerce  y  est  déjà 
assez  actif  pour  que  l'on  ait  commencé  la  construction  d'une 
voie  ferrée  qui,  de  Lagos,  se  dirige  sur  Abéokouta  et,  de  là,  sur 
Ibadan  (à  130  kilomètres  de  Lagos)  et  le  pays  des  Ilorins. 

Les  débuts  de  l'occupation  britannique  ont  été  marqués  par 
les  soulèvements  de  la  plupart  des  populations  indigènes,  et 
principalement  des  Ilorins,  qui  ont  obligé  les  Anglais  à  plu- 
sieurs petites  expéditions  dont  le  but  a  été  autant  la  pacifica- 
tion du  pays  que  l'occupation  effective  des  territoires  menacés 
par  l'influence  française. 

Longtemps  avant  l'année  1895,  les  agents  de  la  Royal 
Niger  Company  s'étaient  livrés,  dans  le  pays  des  Ilorins,  à 
des  manœuvres  ayant  pour  but  de  détourner  vers  le  Niger 
le  commerce  du  Yoruba,  au  grand  détriment  et  malgré  les 
protestations  des  négociants  de  Lagos. 

Déjà,  en  différentes  circonstances,  les  peuplades  indigènes 
de  ces  régions  avaient  manifesté,  sans  que  l'on  y  prît  garde, 
leur  mécontentement  des  procédés  employés  par  les  Anglais 
à  leur  égard. 

Au  nombre  des  griefs  articulés  tant  par  les  Ilorins  que  par 
les  autres  indigènes,  il  est  curieux  de  citer  le  trafic  de  l'alcool, 


176  l'afrique  politique  en  1900 

préconisé  depuis  longtemps  comme  un  des  meilleurs  moyens 
d'équilibrer  le  budget  de  la  colonie. 

L'opinion  des  indigènes  se  traduisit,  dans  le  courant  du 
mois  de  janvier  1896,  par  une  pétition  signée  de  12.000  habi- 
tants de  Lagos,  Ibadan  et  Abéokouta,  sans  distinction  de  reli- 
gion, et  adressée  au  Parlement  britannique  après  avoir  été 
présentée  à  l'évêque  Tugwell. 

Ayant  reconnu,  dit  cette  pétition,  que  le  trafic  des  spiritueux, 
gin,  rhum  et  autres  liqueurs  empoisonnées,  introduit  dans  l'Afrique 
équatoriale  de  l'Ouest,  comme  dans  le  reste  de  ce  continent,  y  pro- 
duit d'immenses  maux  physiquement,  moralement  et  intellectuel- 
lement; convaincus  que  le  moment  est  venu  de  frapper  un  coup 
décisif  pour  mettre  fin  à  un  tel  négoce,  les  soussignés  s'engagent  à 
appuyer  toute  tentative  de  le  supprimer  qui  pourra  être  faite  en 
Afrique  ou  en  Europe. 

C'est,  comme  on  le  voit,  une  véritable  ligue  de  tempérance 
fondée  par  les  indigènes  qui,  dans  la  circonstance,  ne  le  cèdent 
en  rien  comme  civilisation  à  la  race  supérieure  qui  prétend 
les  convertir. 

Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  les  procédés  des  fonction- 
naires de  Lagos,  joints  aux  agissements  de  la  Royal  Niger 
Company,  aient  eu  pour  résultat  d'exaspérer  les  Ilorins,  qui, 
par  leur  position,  se  trouvaient  soumis  de  deux  côtés  diffé- 
rents aux  tentatives  civilisatrices  des  uns  et  des  autres. 

D'autres  raisons  plus  immédiates  ont  été  données  pour 
expliquer  le  soulèvement  des  Ilorins,  musulmans  fanatiques, 
qui  peuvent  mettre  sur  pied  1.000  cavaliers  et  10.000  fantas- 
sins, en  partie  armés  de  fusils  à  tir  rapide. 

La  cause  directe  paraît  être  la  conduite  tenue  par  le  résident 
anglais  à  Ibadan.  Celui-ci  avait  été  installé  en  1895  dans  ce 
poste,  à  130  kilomètres  de  Lagos,  avec  le  consentement  des 
indigènes,  auxquels  on  avait  fait  accepter  le  projet  de  la  voie 
ferrée  qui. doit  traverser  leur  pays. 

Le  résident  avait  avec  lui  100  Haoussas  et  deux  pièces  d'ar- 
tillerie. Le  chef  d'Oyo,  dans  le  Yoruba,  ayant  refusé  de  lui 
rendre  un  Haoussa  fugitif,  il  saisit  ce  prétexte  pour  marcher 
sur  Oyo.  Malgré  les  protestations  des  missionnaires  euro- 


COLONIE    ANGLAISE    DE   LAGOS  177 

péens,  il  bombarda  la  ville  et  ordonna  d'attacher  son  chef  à  un 
poteau  et  de  lui  appliquer  la  bastonnade. 

La  population  de  Lagos  s'émut  à  cette  nouvelle,  et  les  trois 
journaux  de  la  ville,  tous  rédigés  par  des  noirs,  réclamèrent 
contre  l'officier  britannique.  Celui-ci  fut  mandé  à  Lagos  par 
le  gouverneur,  qui,  ayant  jugé  ses  explications  suffisantes,  le 
maintint  à  son  poste.  Ce  fait  eut  pour  résultat  d'aliéner  aux 
Anglais  la  population  du  pays  yoruba. 

A  la  suite  d'une  révolution  survenue  dans  le  courant  de 
l'année  1895,  l'émir  des  Ilorins,  partisan  des  Anglais,  ayant 
été  vaincu  par  un  rival,  se  fit  sauter  dans  sa  maison  avec  ses 
esclaves.  Le  nouvel  émir,  très  hostile  aux  Anglais,  déclara 
qu'il  refusait  d'entrer  en  relations  avec  eux,  et  qu'il  mettrait 
à  mort  leurs  envoyés. 

A  la  suite  d'un  incident  de  frontière  survenu,  au  commen- 
cement de  1896,  entre  les  Ibadans  et  les  Ilorins,  le  capitaine 
Mugliston  fut  envoyé  avec  50  Haoussas  et  1  canon  Maxim 
établir  un  poste  et  créer  un  fort  àOdo-Otin,  sur  la  frontière 
des  deux  peuplades.  Le  31  mars  1896,  le  fort  d'Odo-Otin  était 
assailli  par  2.000  Ilorins,  qui  furent  dispersés  par  l'artillerie, 
mais  qui  revinrent  à  la  charge  le  3  avril.  Il  fallut  renforcer  la 
garnison  d'une  centaine  d'Haoussas,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas 
d'être  attaquée  de  nouveau  le  5  avril.  Les  Ilorins  furent  encore 
repoussés,  et  l'on  s'occupa  de  renforcer  considérablement  les 
forces  anglaises  du  pays. 

En  même  temps,  la  Compagnie  du  Niger  faisait  construire 
des  forts  dans  le  pays  des  Ilorins,  et  ceux-ci  étaient  exclus 
du  commerce  avec  Lagos  par  ordre  du  Colonial  Office  et  mal- 
gré les  réclamations  des  négociants  anglais.  Après  plusieurs 
défaites  infligées  aux  Ilorins,  ceux-ci  demandèrent  à  repren- 
dre le  commerce,  ce  qui  leur  fut  refusé.  L'année  1896  se  ter- 
mina sans  amener  de  solution. 

Après  la  défaite  de  l'émir  du  Noupé  (1)  à  Ladi  et  l'entrée  des 


(1)  Le  docteur  Crû nor,  parti  du  Togoland,  avant  atteint  le  Gando,  signait,  le 
îi  avril  i89o,  avec  le  sultan  de  ce  paya  dont  le  Noupé  et  l'Ilorin  sont  tributaires, 
un  traité  de  protectorat  au  profit  de  l'Allemagne.  Les  cercles  coloniaux  allemands 
ont  récemment  entrepris  de  pousser  leur  gouvernement  à  revendiquer  les  béné- 
fices de  ce  traité. 

Afr.  polit.  12 


178  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

Anglais  à  Bicla,  on  pensait  que  les  Ilorins,  isolés  cette  fois,  se 
soumettraient  définitivement.  Leur  attitude  hostile  ne  se  mo- 
difia cependant  pas  et  leur  armée  s'avança,  au  contraire,  aux 
environs  d'Odo-Otin,  qui  fut  aussitôt  renforcé.  Ce  n'est  qu'au 
mois  de  février  1897  qu'une  partie  des  troupes  qui  avaient 
opéré  avec  le  major  Arnold  contre  l'émir  du  Noupé,  ayant  été 
envoyée  contre  les  Ilorins,  se  rencontra  à  Lanoua  avec  les  en- 
voyés de  l'émir  des  Ilorins  qui  venaient  annoncer  sa  soumis- 
sion. L'émir,  après  avoir  signé  un  traité,  fut  réinstallé  en 
fonctions  sous  le  protectorat  anglais. 

C'est  vers  la  même  époque  qu'avait  lieu  l'expédition  du  Bé- 
nin, organisée  à  la  suite  du  massacre  de  la  mission  Philips  par 
le  protectorat  des  Côtes  du  Niger,  et  dont  on  reparlera  plus 
loin. 

Cette  politique  active  des  Anglais,  inaugurée  sous  la  pres- 
sion des  négociants  de  Lagos  et  de  Liverpool,  était  encore  jus- 
tifiée par  l'énergie  déployée  par  les  Français  dans  l'hinterland 
du  Dahomey. 

Après  l'occupation,  au  commencement  de  1897,  d'Ilo  et  de 
Boussa  par  le  lieutenant  de  vaisseau  Bretonnet,  on  s'émut  for- 
tement en  Angleterre  de  ce  que  Ton  appelait  les  empiétements 
français  au  Niger,  et  la  chambre  de  commerce  de  Liverpool 
demanda,  au  mois  d'août  1897,  au  premier  ministre  britan- 
nique, d'adopter  une  politique  plus  énergique. 

Le  gouvernement  anglais  décida  de  procéder  à  l'occu- 
pation effective  de  l'hinterland,  et  il  prépara,  dès  le  mois  de 
septembre,  l'envoi  de  forts  contingents  de  troupes  qui  devaient 
être  placées  sous  les  ordres  du  major  Lugard,  enrôlé  pour  la 
circonstance.  On  annonça  que  ces  troupes  allaient  marcher 
contre  les  Ilorins;  mais  ceux-ci  étaient  déjà  soumis,  et  l'on 
n'ajouta  pas  foi  à  cette  nouvelle. 

Au  même  moment,  toutes  les  troupes  disponibles  à  Lagos 
étaient  dirigées  vers  le  Nord  avec  la  mission  de  fonder  des 
postes  et  d'occuper  tout  le  pays  non  encore  muni  de  garni- 
sons françaises.  Des  troupes  étaient  levées  dans  la  colonie, 
où  l'on  formait  un  régiment  yoruba  ;  on  préparait  la  for- 
mation d'un  3e  West  India  Régiment,   et  on  annonçait  en 


COLONIE   ANGLAISE   DE   LAGOS  179 

Angleterre  le  départ  de  renforts  importants  en  officiers,  trou- 
pes et  matériel. 

C'était  le  moment  où  s'ouvraient  à  Paris  les  négociations 
pour  la  délimitation  des  possessions  françaises  et  anglaises  de 
l'Ouest  africain.  Il  fallait  se  créer  des  droits  pour  les  faire  va- 
loir à  rencontre  des  prétentions  françaises,  et  occuper  les  pays 
convoités,  alors  que  le  Yoruba  même  n'était  pas  encore  pacifié. 

Au  mois  de  septembre  1897,  en  effet,  s'était  produite  à  Flé- 
cha, station  du  Yoruba,  à  l'ouest  de  Chaki,  une  rencontre  entre 
un  détachement  anglais  et  un  fort  contingent  indigène.  Les  An- 
glais durent  se  retirer  sur  Chaki.  Flécha  est  cependant  vers  le 
7e  parallèle,  tandis  que  Nikki,  déjà  occupé  par  les  Français,  se 
trouve  à  peu  près  sous  le  10°.  C'est  cette  zone  intermédiaire 
qu'il  s'agissait  d'occuper. 

Les  Anglais  y  employèrent  environ  5.000  hommes,  qui 
furent  répartis  du  Niger  à  la  frontière  du  Dahomey.  Des  ren- 
contres eurent  lieu  entre  Français  et  Anglais,  notamment  à 
Saki  et  Kishi,  sur  des  territoires  revendiqués  par  les  Anglais 
comme  placés,  dès  1894,  sous  le  protectorat  britannique  par  le 
major  Lugard. 

Au  mois  d'octobre  1897,  la  situation  paraissait  inquiétante, 
malgré  la  modération  montrée,  de  part'  et  d'autre,  par  les  com- 
mandants des  troupes  en  présence.  Étant  donné  l'état  des 
esprits  des  deux  côtés  de  la  Manche,  une  collision  eût  pu  avoir 
de  graves  conséquences.  On  le  comprit  en,  Europe,  et  des 
instructions  furent  données  pour  que  l'occupation  du  pays 
n'amenât  aucune  complication. 

Malgré  ces  circonstances,  les  négociations  engagées  à  Paris 
entre  les  plénipotentiaires  français  et  anglais  n'avançaient 
pas.  Les  polémiques  des  journaux,  qui  discutaient  passionné- 
ment les  prétentions  contraires,  n'étaient  pas  faites  pour  faci- 
liter la  tâche  des  deux  gouvernements.  Ce  n'est  que  le  14  juin 
1898  que  fut  signée  la  convention  réglant  la  délimitation  des 
possessions  anglaises  et  françaises.  Cette  convention,  soumise 
a  la  ratification  dans  les  six  mois,  ne  put,  à  cause  des  événe- 
ments de  Fachoda  et  de  leur  répercussion  sur  l'état  des  rela- 
tions des  deux  pays,  être  ratifiée  dans  le  délai  prescrit  :  un 


180  l'afrique  politique  en  1900 

nouveau  délai  de  six  mois  dut  être  fixé,  d'un  commun  accord. 
La  ratification  du  Parlement  français  a  pu  enfin  être  votée  au 
mois  de  mai  1899. 

Cette  convention  est  peu  avantageuse  pour  la  France  en  ce 
qui  concerne  la  délimitation  de  l'hinterland  de  Lagos.  Après 
avoir  accordé  à  1" Angleterre  l'évacuation  de  Fort-Arenberg, 
fondé  par  le  commandant  Toutée,  on  lui  cédait  toute  la  rive 
droite  du  fleuve,  de  Boussa  à  Ilo  inclus,  et  on  se  retirait  à  dix 
milles  en  amont  d'Ilo.  De  là,  la  frontière  descendait  vers  le 
Sud  en  laissant  Nikki  à  la  France,  et  rejoignait  vers  Carnotville 
le  9°  de  latitude.  On  abandonnait  nombre  de  postes  occupés 
par  nos  troupes,  qui  avaient  ordre  de  se  replier  vers  le  Nord- 
Ouest. 

Par  contre,  l'Angleterre  donnait  à  bail  à  la  France,  pour 
une  durée  de  trente  années,  deux  enclaves  à  déterminer  sur 
le  cours  du  bas  Niger.  Enfin,  par  l'article  9  de  la  convention, 
les  deux  parties  s'accordaient  réciproquement  des  avantages 
commerciaux  dans  certaines  de  leurs  possessions. 

La  colonie  de  Lagos  est  donc  délimitée,  on  peut  le  dire,  au 
mieux  des  intérêts  anglais.  Son  exploitation,  commencée  de- 
puis longtemps,  ouvre  de  belles  perspectives  aux  négociants 
britanniques. 

Depuis  dix  ans,  le  commerce  y  a  pris  un  vigoureux  essor  : 
de  925.000  livres  sterling,  chiffre  atteint  en  1888,  il  s'est  élevé, 
en  1898,  à  1.900.000  livres.  Le  développement  du  Dahomey  a 
cependant  causé  des  inquiétudes  aux  négociants  de  Lagos, 
qui  ont  vu,  en  1897,  le  trafic  du  caoutchouc,  de  fhuile  de 
palme  et  des  amandes  diminuer  d'environ  2.150.000  francs. 

Ces  chiffres  montrent  assez  l'importance  très  justifiée 
que  les  Anglais  attachent  à  leur  colonie.  Aussi  n'ont-ils 
pas  hésité  à  envisager  la  construction  d'une  voie  ferrée,  qui, 
partie  de  Lagos,  atteint  déjà,  mais  non  sans  opposition  des 
indigènes,  Abéokouta,  la  capitale  industrielle  et  commerciale 
des  Egbas,  et  sera  poussée  rapidement  à  travers  le  Yoruba.  Le 
réseau  télégraphique  a  été  considérablement  développé,  dans 
le  courant  de  1898,  par  un  détachement  d'officiers  et  de  soldats 


COLONIE   ANGLAISE   DE   LAGOS  181 

du  génie  anglais  mis  à  la  disposition  du  commandant  des 
troupes  de  la  colonie. 

Toutes  ces  mesures  ont  eu  pour  résultat  de  créer  à  proxi- 
mité du  Dahomey  une  colonie  aujourd'hui  en  pleine  voie  de 
prospérité  commerciale.  Il  y  a  là  pour  la  France  à  la  fois  une 
indication  et  un  avertissement. 

Sans  imiter  les  procédés  anglais,  nous  devons  nous  inquié- 
ter plus  que  jamais  d'augmenter  les  relations  du  Dahomey 
avec  la  métropole  et  de  développer  le  transit  vers  les  côtes. 
Là,  comme  ailleurs,  la  mesure  la  plus  urgente  est  l'ouverture 
des  voies  de  communication  et  surtout  la  construction  d'une 
voie  ferrée  partant  du  Dahomey  et  aboutissant  au  Niger,  aux 
environs  d'Ilo. 


182  l'afrique  politique  ex  1900 


Territoires  anglais  du  Niger. 


La  Compagnie  royale  du  Niger  et  le  protectorat  des  cotes  du  Niger.  —  Luttes 
avec  les  indigènes.  —  Zone  d'influence  et  pénétration  anglaise  au  Sokoto  et  au 
Bornou.  —  Délimitation. 


Les  territoires  anglais  du  Niger  inférieur  se  trouvaient 
encore,  au  milieu  de  1898,  placés  sous  l'administration  du 
protectorat  des  côtes  du  Niger  et  de  la  Royal  Niger  Company. 

Ce  n'est  qu'à  partir  du  1er  janvier  1899  que  l'administration 
du  protectorat  des  côtes  du  Niger  a  été  transférée  du  Foreign 
Office  au  Colonial  Office.  Les  territoires  du  bas  Niger  devien- 
nent ainsi  une  colonie  britannique.  Quant  à  la  Royal  Niger 
Company,  son  avenir,  longtemps  incertain,  paraît  être  enfin 
définitivement  réglé. 

Ses  territoires  sont  passés,  comme  on  le  verra  plus  loin,  aux 
mains  du  gouvernement  britannique  qui  les  a  répartis  entre  le 
Lagos,  le  protectorat  des  côtes  du  Niger  et  la  Nigeria.. Le  Lagos, 
augmenté  du  Bénin,  a  été  étendu  vers  le  Niger,  et,  au  Nord, 
jusqu'au  9°  de  latitude. 

Le  protectorat  des  côtes  du  Niger,  ou  Nigeria  du  Sud,  s'étend 
jusqu'aux  approches  de  la  Benoué.  Quant  à  la  Nigeria  du  Nord 
elle  englobe,  en  amont  d'Idda,  sous  le  gouvernement  du  co- 
lonel Lugard,  tout  le  reste  du  Soudan  dont  la  possession  est 
reconnue,  par  traités,  à  l'Angleterre.  Sa  capitale  est  momen- 
tanément fixée  à  Géba. 

Lorsque,  en  1884,  des  maisons  françaises  cédèrent  à  la  Royal 
Niger  Company,  après  les  avoir  offerts  au  gouvernement 
français,  les  trente-deux  comptoirs  qu'elles  possédaient  sur 
le  cours  inférieur  du  fleuve,  on  commençait  à  peine  à  se 
douter,  en  France,  du  mouvement  qui  devait  bientôt  amener 


TERRITOIRES    ANGLAIS    DU   NIGER  183 

les  peuples  de  l'Europe  à  se  partager,  sous  forme  de  zones 
d'influence  ou  d'acquisitions  réelles,  tout  le  continent  africain. 

Il  eût  été  cependant  facile,  à  ce  moment,  de  prévoir  l'im- 
portance que  devrait  forcément  acquérir  plus  tard  l'embou- 
chure d'un  fleuve,  qui,  par  lui-même  ou  par  ses  affluents, 
sert  aujourd'hui  de  voie  commerciale  ou  de  ligne  de  péné- 
tration vers  les  pays  les  plus  riches  du  continent. 

Les  Anglais  ne  s'y  trompèrent  pas,  et  la  «  Royal  Niger 
Company  »,  fondée  pour  monopoliser  le  commerce  du  Niger 
et  de  ses  affluents,  put,  sans  difficultés,  se  tailler,  au  milieu 
des  riches  contrées  du  Niger  inférieur  et  de  la  Benoué,  un 
véritable  empire  africain. 

Fondée  en  qualité  de  compagnie  à  charte,  sous  les  auspices 
de  hauts  personnages  de  l'aristocratie  anglaise,  la  Royal  Niger 
Company  fut  investie  de  prérogatives  administratives  et  com- 
merciales qui  la  constituaient,  sinon  en  gouvernement  régu- 
lier, tout  au  moins  en  représentant  du  gouvernement  anglais 
dans  les  régions  du  Niger. 

On  peut  dire  de  cette  compagnie  ce  qu'on  a  dit  plus  tard  de 
la  compagnie  à  charte  du  sud  de  l'Afrique  (Bristish  South 
Africa  Company  chartered).  Elle  formait,  sous  l'apparence 
d'une  organisation  purement  commerciale  et  accessoirement 
administrative,  un  outil  de  pénétration  éminemment  favo- 
rable aux  intérêts  anglais.  Ces  compagnies  à  charte,  dont  on 
attendait  de  si  grands  résultats  et  qui  furent  si  puissamment 
favorisées  à  leur  début,  suscitèrent  dans  la  suite  de  formi- 
dables rivalités,  et  furent  sur  le  point  de  tomber,  sous  le  poids 
de  leurs  fautes,  dans  un  discrédit  peut-être  exagéré.  Ce  qui 
devait  se  passer,  en  1896,  pour  la  Chartered,  n'a  pas  manqué 
de  se  produire  également,  et  sous  l'influence  des  mêmes 
causes,  pour  la  Royal  Niger  Company. 

On  peut  dire  que  toute  l'existence  de  cette  compagnie  n'a 
été  qu'une  longue  suite  d'injustices  souvent  sanglantes, 
d'actes  tyranniques  à  l'égard  des  indigènes,  de  mauvaise  foi 
et  de  duplicité  arrogante  vis-à-vis  des  Européens  qui  s'avi- 
saient de  chercher  à  développer  leurs  relations  avec  les  pays 
du  bas  Niger. 


184  l'afrique  politique  en  1900 

Au  mépris  de  la  liberté  commerciale  proclamée  par  les 
traités,  la  Royal  Niger  Company  n'eut  pas  de  préoccupation 
plus  active  que  celle  d'empêcher,  par  tous  les  moyens,  les 
étrangers  et  même  les  sujets  britanniques  de  faire  du  com- 
merce sur  le  cours  des  deux  fleuves. 

L'acte  général  de  Berlin  (26  février  1885)  stipulait,  en  effet, 
la  liberté  du  commerce  sur  le  Niger.  La  Royal  Niger  Company, 
interprétant  cette  convention  suivant  ses  intérêts,  déclara  que 
la  liberté  commerciale  existait  réellement  sur  les  eaux  du 
Niger,  mais  que,  suzeraine  des  rives,  elle  avait  le  droit  d'em- 
pêcher les  négociants  de  débarquer  pour  faire  du  commerce. 

Cette  interprétation  souleva  partout  les  plus  ardentes  récla- 
mations. Les  plaintes  les  plus  vives  furent  articulées  par  les 
négociants  de  Liverpool,  qui  se  heurtèrent  à  de  puissantes 
influences  mises  au  service  de  la  Compagnie. 

On  se  rappelle  les  démêlés  de  la  Royal  Niger  Company  avec 
le  lieutenant  de  vaisseau  Mizon  (1),  les  résultats  obtenus  par 


(1)  Le  lieutenant  de  vaisseau  Mizon  vient  de  mourir  au  mois  de  mars  1899. 
Dans  une  notice  parue  à  l'occasion  de  la  réunion  du  Congrès  de  géographie 
d'Alger,  M.  l'administrateur  des  colonies  Possel  retraçait  ainsi  l'œuvre  de  Mizon  : 

«  La  carrière  coloniale  de  M.  Mizon  a  commencé  en  1880,  au  moment  de  l'occu- 
pation du  haut  Ogoué  où  il  fondait  la  station  de  Franceville,  au  point  choisi  par 
M.  de  Brazza  dans  sa  première  exploration  du  pays  devenu  depuis  le  Congo  fran- 
çais. En  1881,  M.  Mizon  partait  de  ce  poste  et  le  reliait  à  la  côte  par  un  itinéraire 
venant  aboutir  à  Setté-Cama. 

»  Après  cette  première  exploration,  M.  Mizon  reprenait  son  service  dans  la 
marine  jusqu'en  1890,  où  il  proposait  la  voie  de  pénétration  du  Niger  et  de  la 
Bénoué  pour  atteindre  le  Tchad. 

»  Chacun  se  rappelle  les  difficultés  qui  lui  furent  créées  dans  ce  voyage  par  la 
Royal  Niger  Company.  Il  n'en  fut  pas  moins  forcé  de  modifier  son  itinéraire  à 
partir  de  Yola  et  de  se  diriger  vers  le  Sud  à  travers  l'Adamaoua,  refaisant,  à 
douze  ans  de  distance,  l'itinéraire  de  Flegel,  en  reliant  ainsi  le  bassin  du  Niger  à 
celui  du  Congo  par  la  Sauga.  Au  retour  de  ce  voyage,  M.  Mizon,  abandonnant 
définitivement  la  carrière  maritime,  entrait  dans  l'administration  des  colonies 
en  qualité  d'administrateur  en  chef,  et  il  fut  chargé  à  ce  titre  de  la  colonie  de 
Mayotte,  où  il  resta  plusieurs  années. 

»  C'est  dans  ce  poste  que  la  confiance  du  ministre  est  venue  le  chercher  pour  en 
faire  le  gouverneur  des  établissements  français  de  la  côte  des  Somalis  :  c'est  en 
se  rendant  à  ce  poste  que  la  mort  est  venue  le  surprendre  à  l'âge  de  46  ans,  alors 
qu'il  venait  d'arriver  à  Zanzibar. 

»  M.  Mizon  était  un  savant  comme  on  en  rencontre  fréquemment  dans  notre 
admirable  corps  d'officiers  de  marine;  il  a  rapporté  de  ses  nombreux  voyage» 
une  série  d'observations  astronomiques  qui  font  loi  pour  la  cartographie  des  pays 
qu'il  a  parcourus. 

»  La  Société  de  géographie  de  Paris  lui  avait  décerné  sa  grande  médaille  d'or 
en  1896.  » 


TERRITOIRES   ANGLAIS    DU    NIGER  18.") 

l'énergie  de  cet  officier,  l'influence  qu'il  sut  acquérir  auprès 
du  sultan  de  l'Adamaoua,  et  la  confiscation  par  la  Compa- 
gnie du  Sergent-Malamine,  l'un  des  bateaux  de  l'officier  fran- 
çais; enfin,  les  réclamations  de  la  France  au  sujet  de  ces  actes 
et  des  entraves  apportées  à  la  libre  navigation  du  Niger. 

Le  gouverneront  britannique  a  toujours  éludé  la  solution  de 
la  plupart  de  ces  questions,  mais  le  moment  est  enfin  venu  où 
la  Compagnie  du  Niger,  en  butte  aux  plaintes  de  la  France,  à  la 
jalousie  des  armateurs  de  Liverpool,  aux  objurgations  du  gou- 
vernement anglais  et  aux  révoltes  constantes  des  indigènes, 
s'est  vue  obligée  de  céder  la  place  au  gouvernement  anglais 
lui-même. 

La  zone  d'opérations  de  la  Royal  Niger  Company  s'étendait 
nominalement,  d'après  les  cartes  anglaises,  sur  tous  les  pays 
au  sud  de  la  ligne  Say-Baroua,  qui,  d'après  les  conventions 
anglo-françaises  du  5  août  1890  et  du  14  juin  1898,  limite  la 
zone  d'influence  anglaise. 

Il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  que  cette  délimitation,  con- 
firmée en  1898,  fut  élaborée  en  1890  sans  documents  précis,  et 
sur  la  croyance  que  le  Sokoto  avait  déjà  accepté  ou  était  près 
d'accepter  le  protectorat  anglais.  La  mission  Monteil,  envoyée 
au  delà  du  Niger  pour  créer  des  relations  avec  ces  pays, 
connus  seulement  par  les  récits  de  l'explorateur  Barth,  acquit 
la  certitude  de  l'indépendance  du  Sokoto,  ainsi  que  de  celle  du 
Bornou,  et  démontra  qu'aucun  traité,  sauf  celui  obtenu  par  le 
capitaine  Monteil  lui-même,  n'avait  jusqu'ici  été  accordé  à 
d'autres  Européens  par  le  sultan  de  Sokoto.  Bien  plus,  une 
mission  anglaise  envoyée  vers  le  Bornou  par  la  Royal  Niger 
Company,  pour  y  gagner  de  vitesse  le  capitaine  Monteil,  ne 
put  y  pénétrer  et  dut  rétrograder  sur  l'ordre  formel  du  sultan 
du  Bornou. 

D'un  autre  côté,  le  lieutenant  Mizon  démontrait,  vers  la 
même  époque,  l'indépendance  derAdamoua  et  du  Mouri,  dont 
les  sultans,  tout  en  l'accueillant  cordialement,  ne  dissimulèrent 
pas  leurs  sentiments  peu  amicaux  pour  la  Compagnie  du  Niger, 
déjà  réputée  pour  ses  procédés  à  l'égard  des  indigènes. 

En  fait,  la  Royal  Niger  Company  a  pu  étendre  l'influence 


186  L' AFRIQUE  POLITIQUE   EX    1900 

britannique  dans  le  Soudan  central,  mais  elle  en  est  arrivée  à 
se  trouver  elle-même  resserrée  au  milieu  d'États  indépendants 
désireux  d'éviter  toutes  relations  politiques  avec  elle.  Cette 
situation,  jointe  au  désir,  assez  naturel  de  la  part  d'une  société 
financière,  de  distribuer  de  gros  dividendes,  a  déterminé  la 
Compagnie  à  suppléer  à  la  difficulté  qu'elle  éprouvait  d'étendre 
son  action  vers  le  Nord  et  vers  l'Est  par  une  pression  plus 
énergique  exercée,  au  point  de  vue  administratif  et  surtout 
commercial,  sur  les  indigènes  du  bas  Niger. 

C'est  ce  qui  explique  les  soulèvements  fréquents  qu'elle  pro- 
voqua, et  la  réprobation  qu'elle  inspira  à  tous  ceux  qui,  par 
leurs  positions  diverses,  purent  faire  connaissance  avec  ses 
procédés  de  civilisation. 

Dès  1894,  la  Compagnie  du  Niger  s'était  attaché  le  capitaine 
Lugard,  fameux  par  sa  campagne  de  l'Ouganda,  mais  qui, 
malgré  son  énergie,  ne  put  parvenir  à  précéder  les  missions 
envoyées  dans  le  pays  de  Nikki  pour  y  passer,  au  nom  de  la 
France,  des  traités  de  commerce  et  de  protectorat. 

A  ce  moment,  la  Compagnie,  quoique  très  désireuse  d'éten- 
dre son  influence  sur  la  rive  droite  du  Niger,  se  trouva  con- 
trainte, par  ses  fautes  mêmes,  de  surveiller  plus  étroitement 
les  indigènes  soumis  à  son  action. 

A  plusieurs  reprises,  dans  le  courant  des  années  1894  et 
1895,  elle  dut  réprimer  les  révoltes  des  indigènes,  qui  se 
voyaient  obligés  d'apporter,  souvent  malgré  eux,  et  en  échange 
d'alcool,  leurs  produits  aux  factoreries  anglaises. 

On  ne  peut  guère  se  dispenser,  puisque  la  question  de  la 
vente  de  l'alcool  se  présente  ici,  de  mentionner  le  coup  d'épin- 
gle récemment  porté  à  la  France  par  M.  Chamberlain. 

C'est  un  fait  indiscutable  que  la  Compagnie  du  Niger  ne  s'est 
nullement  privée  de  faire  absorber  d'abondantes  quantités 
d'alcool  aux  indigènes.  Les  négociants  allemands  sont  fixés 
sur  ce  point  comme  ceux  de  Liverpool. 

Aux  interrogations  posées  à  la  Chambre  des  communes, 
M.  Brodrick  répondait  naguère  par  des  paroles  consolantes. 
A  ce  moment  cependant,  la  presse  anglaise  apprenait  que  de 
Rotterdam  et  de  Hambourg  il  avait  été  expédié  au  Niger,  en 


TERRITOIRES   ANGLAIS    DU   NIGER  187 

1877,  environ  2.200  tonnes  et,  en  1898,  environ  3.200  tonnes 
de  gin. 

A  une  députation  reçue  tout  récemment  par  M.  Chamber- 
lain, celui-ci  répondait  que  la  Nigeria  n'importait  que  des 
quantités  de  gin  relativement  faibles,  et  que  cette  importation 
avait  déjà  baissé  de  25  p.  100  dans  la  Côte  d'Or  et  de  20  p.  100 
au  Lagos;  mais  qu'il  n'hésitait  pas  à  dire  que  la  vente  énorme 
des  spiritueux  au  Dahomey,  qui  était  de  plus  de  5  millions  de 
gallons  en  1896,  constituait  le  vrai  nœud  de  la  situation  dans 
l'Ouest  de  l'Afrique. 

La  thèse  était  hardie.  Malheureusement,  le  gouvernement 
belge,  qui  avait  fourni  le  chiffre  cité  par  M.  Chamberlain  au 
moment  même  où  siégeait  à  Bruxelles  la  commission  interna- 
tionale chargée  de  s'occuper  de  la  vente  des  spiritueux  en 
Afrique,  avait  parlé  de  litres  et  non  de  gallons  (un  gallon  vaut 
5  litres).  M.  Chamberlain,  au  dire  de  ses  ennemis,  aurait  con- 
fondu ! 

Les  indigènes  qui,  au  Lagos,  protestaient  par  voie  de  pétitions 
contre  l'introduction  de  l'alcool,  n'hésitèrent  pas,  sur  les  rives 
du  Niger,  à  entrer  en  révolte  ouverte.  Une  des  plus  graves 
parmi  ces  révoltes  fut  celle  des  indigènes  de  Brass. 

Par  la  position  de  leur  pays  aux  bouches  du  Niger,  ceux-ci 
se  trouvaient  en  dehors  de  la  juridiction  de  la  Compagnie,  qui 
leur  notifia  cependant  l'interdiction  d'exporter  leurs  produits 
chez  les  indigènes  voisins  avec  lesquels  ils  avaient  conservé 
l'habitude  de  trafiquer.  De  là  naquit  une  exaspération  qui  se 
traduisit  par  un  soulèvement. 

Les  indigènes,  dirigés  par  Koko,  roi  de  Brass,  se  portèrent 
sur  les  factoreries  d'Akassa,  qui  furent  entièrement  pillées.  La 
révolte  ne  put  être  réprimée,  à  la  fin  de  1895,  que  par  l'envoi 
contre  le  roi  Koko  d'une  petite  expédition.  Celui-ci  ayant 
refusé  de  souscrire  aux  conditions  qui  lui  furent  signifiées,  sa 
déchéance  fut  prononcée,  mais  on  signalait  encore  au  mois 
d'avril  1896  l'hostilité  persistante  des  indigènes  à  l'égard  delà 
Boyal  Niger  Company. 

Ces  faits,  joints  à  d'autres  abus  graves  et  nombreux,  furent 
exploités  en  Angleterre  par  les  négociants  de  Liverpool,  adver- 


188  L'AFRIQUE   POLITIQUE  EN    1900 

saires  intéressés  des  privilèges  de  la  Compagnie.  On  ne  se  fit 
pas  faute  d'agir  sur  le  gouvernement  pour  l'obliger  à  sévir. 
La  Compagnie,  au  dire  de  certains  de  ses  anciens  agents,  aurait 
exigé  d'eux  un  contrat  secret  les  obligeant,  sous  peine  d'amen- 
des considérables,  à  ne  faire  aucune  révélation  sur  ses  diverses 
opérations. 

Le  gouvernement  anglais  parut  enfin  s'émouvoir  de  toutes 
les  plaintes  portées  contre  la  Compagnie,  et  un  commissaire, 
sir  John  Kirk,  reçut,  à  la  fin  de  1895,  la  mission  de  faire  une 
enquête  sur  le  soulèvement  des  indigènes  de  Brass. 

Le  rapport  sur  cette  enquête,  que  l'on  attendait  impatiem- 
ment en  Angleterre,  ne  fut  pas  immédiatement  divulgué,  et, 
lorsque,  au  mois  de  mars  1896,  il  fut  présenté  au  Parlement,  les 
suppressions  qu'il  avait  subies  lui  enlevaient  tout  caractère 
menaçant  à  l'égard  de  la  Compagnie. 

Celle-ci  eut  toutefois  des  craintes  assez  vives,  et  son  direc- 
teur, sir  Taubmann  Goldie,  partit  pour  le  Niger  dans  le  but, 
dit-on  alors,  de  procéder,  en  vue  d'un  retrait  possible  du  pri- 
vilège, à  l'inventaire  des  biens  de  la  Compagnie.  Mais  les 
espérances  des  adversaires  de  la  Royal  Niger  Company  ne 
furent  pas  de  longue  durée.  Ses  protecteurs  tout-puissants 
réussirent,  une  fois  de  plus,  à  lui  assurer  l'impunité. 

Bien  que  le  protectorat  des  côtes  du  Niger  n'ait  point  fait 
autant  parler  de  lui,  il  a  dû  cependant  procéder,  à  l'égard  des 
indigènes,  à  des  opérations  de  police  de  quelque  importance. 
Deux  d'entre  elles  sont  surtout  intéressantes. 

Le  8  mars  1896,  des  troubles  éclataient  à  Bakana,  sur  la  ri- 
vière du  Nouveau-Calabar,  dans  le  protectorat  des  côtes  du 
Niger.  Les  indigènes  démolirent  le  consulat  anglais,  résis- 
tèrent aux  ordres  du  protectorat  et  tentèrent  même  de  piller 
les  factoreries  de  Bakana.  On  eut  quelque  peine  à  réduire 
les  révoltés  et  à  faire  rentrer  dans  le  devoir  les  populations 
surexcitées. 

Ces  troubles  n'étaient  pas  faits  pour  augmenter  le  prestige 
britannique  auprès  des  peuples  indépendants  des  bords  de  la 
Benoué  et  du  bas  Niger.  Ils  eurent  à  ce  moment,  comme  on  l'a 


TERRITOIRES   ANGLAIS   DU   NIGER  189 


vu  déjà,  leur  répercussion  sur  la  situation  dans  la  colonie  de 
Lagos,  où  les  Ilorins  commençaient  à  prendre  parti  contre  les 
Anglais.  Le  contre-coup  allait  aussi  se  faire  sentir  du  côté  du 
Bénin  et  amener  l'expédition  qui  se  termina  par  la  déposition 
du  roi  Nana  (1). 

Ce  monarque,  bien  placé  entre  la  colonie  du  Lagos,  le  pro- 
tectorat des  côtes  du  Niger  et  la  Royal  Niger  Company,  pour 
juger  de  la  diversité  des  procédés  britanniques,  s'était  rendu 
compte  du  danger  qu'il  y  avait  à  nouer  avec  les  Anglais  des 
relations  trop  intimes  et  s'était  cru  assez  fort  pour  interdire 
tout  commerce  et  refuser  d'abolir  les  sacrifices  humains. 

Une  mission  anglaise  lui  ayant  été  expédiée,  il  refusa  en- 
core d'accueillir  ses  propositions  et  l'obligea  à  quitter  le  pays. 

Une  deuxième  ambassade,  la  mission  Philips,  envoyée 
pour  faire  des  remontrances  à  Nana,  fut  attaquée  et  massacrée. 

Le  protectorat  des  côtes  du  Niger  dut  alors,  dans  les  der- 
niers jours  de  1896,  organiser  une  expédition  pour  punir  le 
roi  du  Bénin.  L'avant-garde  de  cette  expédition,  composée 
de  250  hommes  environ  sous  le  commandement  du  colonel 
Hamilton.  arriva  le  9  janvier  à  Siri,  où  elle  fut  rejointe  par 
l'amiral  Ravvson,  et  de  là  marcha  sur  Ologbo  et  sur  Bénin. 

Malgré  un  échec  qui  coûta  aux  Anglais  des  pertes  sensibles, 
l'expédition  réussit  à  battre  les  indigènes,  à  entrer  dans  Bénin 
et  à  s'emparer  du  roi  Nana,  qui  fut  déporté  à  Old-Calabar.  Le 
22  février,  les  troupes  anglaises  quittaient  Bénin,  l'expédition 
terminée,  en  y  laissant,  ainsi  qu'à  Ologbo,  une  garnison  de 
Haoussas.  Mais  le  pays  était  loin  d'être  pacifié  et  ce  n'est  qu'au 
mois  de  juin  1899  que  le  fils  de  Nana,  Okoto,  se  décidait  à  faire 
sa  soumission. 

Pendant  que  ces  événements  se  déroulaient  dans  les  terri- 


(1)  Budget  du  protectorat  des  eûtes  du  Niger  en  1897  : 

Recettes 129.000  livres. 

Dépenses 128.000      — 

Les  dépenses  militaires  atteignirent  154.000  livres.  Il  n'y  avait  à  cette  époque  que 

214  Européens  dans  la  colonie. 


190  l'afrique  politique  en  1900 

toires  du  bas  Niger,  la  Royal  Niger  Company  poussait  active- 
ment la  pénétration  vers  le  Sokoto  et  entamait  la  conquête  du 
Noupé.  Dès  le  mois  d'octobre  1896.  des  renforts  en  hommes  et 
en  matériel  étaient  embarqués  en  Angleterre  et  dirigés  sur 
Akassa  et  Lokodja. 

Le  major  Arnold  était  enrôlé  pour  prendre  le  commande- 
ment dune  expédition  qui,  tenue  secrète,  était,  disait-on,  di- 
rigée contre  les  Ilorins.  Le  but  véritable  était  Bida,  capitale  du 
Noupé,  et  l'émir  de  ce  pays,  qu'on  trouvait  trop  lent  à 
souscrire  aux  prétentions  anglaises  (1). 

Le  major  Arnold  avait  sous  ses  ordres  environ  600  Haoussas, 
6  maxims,  une  pièce  de  9  livres  et  une  de  12  livres.  Il  était 
accompagné  par  sir  Taubmann  Goldie,  directeur  de  la  Com- 
pagnie; plusieurs  canonnières  et  bateaux  blindés  servaient 
aux  transports. 

L'expédition  ne  rencontra  d'obstacles  que  devant  Bida,  où 
l'émir  avait  réuni  une  armée  pour  s'opposer  à  l'invasion. 
Bida  était  la  principale  place  forte  de  l'émir  foulah.  Le 
26  janvier  1897,  les  Anglais  arrivaient  devant  la  ville  et  y 
étaient  attaqués  au  lever  du  soleil  par  l'armée  foulah,  qui  oc- 
cupait les  crêtes  en  avant  de  Bida.  Une  forte  reconnaissance 
envoyée  du  camp  anglais  sur  la  position  ennemie  fut  obligée 
de  se  replier  vers  le  camp,  qui  fut  investi. 

Vers  le  milieu  de  la  journée,  l'artillerie,  qui  venait  d'arriver 
avec  le  reste  des  forces  anglaises,  ouvrit  le  feu  sur  les  masses 
ennemies,  qui  commencèrent  à  se  retirer.  Le  combat  ne  se 
termina  qu'à  la  nuit. 

Le  lendemain,  27  janvier,  le  bombardement  de  Bida  com- 
mença dès  10  heures  du  matin.  A4  heures  du  soir,  les  Foulahs 
se  retiraient  et  les  Anglais  pénétraient  dans  la  ville. 

L'émir  Abou  Bokhari,  le  cinquième  de  la  dynastie  foulah, 
qui  avait  conquis  le  pays,  était  en  fuite  vers  le  Sokoto  avec 
une  partie  de  son  année.  Il  fut  déposé  et  remplacé  par  l'émir 


(1)  On  a  vu  plus  haut,  à  propos  de  Lagos,  que  les  cercles  coloniaux  allemands 
tentent  de  pousser  leur  gouvernement  à  revendiquer  le  protectorat  du  Gando, 
dont  le  Xoupé  est  tributaire. 


TERRITOIRES   ANGLAIS   DU   NIGER  191 

Mohammed,  qui  accepta  le  contrôle  de  la  Compagnie.  Celle-ci 
retira  aussitôt  ses  troupes,  qui  furent  alors  dirigées  contre  les 
Ilorins,  dont  elles  obtinrent  la  soumission  sans  combat  au 
mois  de  février  1897. 

Au  mois  de  mars  suivant,  Abou  Bokhari  marchait  sur  Bida. 
rentrait  dans  sa  capitale  et  chassait  Ternir  imposé  par  les 
Anglais. 

La  Royal  Niger  Company  préféra  à  une  expédition  nouvelle 
l'envoi  d'une  ambassade  au  sultan  de  Sokoto,  dont  dépend  le 
Noupé.  Celui-ci  répondit  aux  Anglais,  qui  demandaient  la  des- 
titution de  Bokhari,  que  l'émir  était  le  vrai  souverain  du 
Noupé  et  qu'il  devait  conserver  le  trône. 

La  Compagnie  se  retourna  alors  vers  Bokhari,  pour  tenter 
de  reprendre  les  relations  commerciales,  mais  elle  se  heurta 
à  un  refus  complet.  Elle  revint  à  la  charge  à  la  fin  de  1897  et 
envoya  une  nouvelle  mission  au  sultan  de  Sokoto  pour  lui 
demander,  moyennant  un  subside,  de  renoncer  au  Noupé.  Le 
sultan  refusa  d'abandonner  une  partie  quelconque  de  son 
empire. 

Telles  étaient  les  relations  des  Anglais  avec  le  Sokoto,  lors- 
que, au  commencement  de  1898,  ils  réussirent  à  faire  accep- 
ter au  sultan  un  subside  annuel  de  75.000  francs  pour  obtenir 
en  échange  des  avantages  commerciaux.  A  l'automne  de  1898, 
les  Anglais  ont  fini  par  faire  admettre  la  présence  d'un  rési- 
dent à  Sokoto.  Mais  le  sultan  a  refusé  d'y  recevoir  des  troupes 
anglaises.  On  est  loin,  comme  on  le  voit,  de  constater  que  les 
Anglais  ont  obtenu  du  Sokoto  un  traité  de  protectorat  quel- 
conque et  autre  chose  qu'une  sorte  de  tolérance  commerciale 
payée  par  un  subside  qui  ressemble  fort  à  un  tribut  aux 
yeux  des  indigènes.  C'était  d'ailleurs  le  système  employé 
auprès  des  souverains  du  Niger  par  la  Compagnie  lorsqu'elle 
ne  pouvait  imposer  sa  volonté  par  la  force.  On  vient,  en  outre, 
d'annoncer  qu'une  mission  religieuse  dirigée  par  l'évêque  Tug- 
well,  était  partie  de  Liverpool,  au  mois  de  décembre  1899,  à 
destination  de  Kano. 

Du  côté  du  Bornou,  les  Anglais  se  sont  heurtés  à  la  nouvelle 


192  l'afrique  politique  en  1900 

puissance  édifiée  par  Rabah,  le  conquérant  du  pays.  On  a 
parlé  en  1897  d'opérations  à  engager  contre  Rabah  avec  l'aide 
du  sultan  de  Sokoto,  mais  les  événements  n'ont  rien  confirmé 
de  ce  bruit.  Aujourd'hui,  Rabah  est  occupé  du  côté  du  Ba- 
guirmi,  au  grand  profit  des  Anglais,  qui  ont  assez  à  faire 
d'organiser  les  territoires  hâtivement  occupés  vers  le  bas 
Niger,  et  qui,  au  moment  des  affaires  du  Transvaal,  ne  voient 
pas  sans  intérêt  l'action  entamée  par  Rabah  contre  les  Français. 

Vers  le  Sud- Est,  l'Adamaoua  reste  toujours  réfractaire  à  la 
pénétration  anglaise.  A  Yola,  capitale  de  l'Adamaoua,  la  Com- 
pagnie du  Niger  ne  possède  qu'un  ponton  à  peu  près  délaissé, 
et  le  sultan  de  l'Adamaoua,  sans  aucun  respect  pour  la  con- 
vention de  délimitation  anglo-allemande,  fait  des  razzias  d'es- 
claves sur  les  territoires  voisins  sans  qu'il  soit  possible  de  les 
lui  interdire  (1). 

Tous  les  pays,  même  les  plus  voisins  de  la  côte,  sont  loin 
d'ailleurs  d'accepter  la  domination  britannique.  A  Lagos,  les 
indigènes  s'étaient  opposés  à  la  cession  gratuite  de  leurs 
terres  pour  le  passage  du  chemin  de  fer  aux  environs  d'Abéo- 
kouta.  Pour  éviter  une  révolte,  on  a  décidé  de  prendre  les 
terres  a  bail.  Dans  le  Bénin,  des  opérations  de  police  ont  dû 
être  entreprises  au  commencement  de  1899.  Peu  de  temps 
avant,  à  l'automne  de  1898,  le  lieutenant  Kating  avait  été 
massacré  avec  quatorze  hommes  à  Xelva,  sur  le  Niger.  Au 
mois  de  décembre  1898,  les  troupes  de  la  Compagnie  brûlaient 
Igbo,  Ouitcha  et  plusieurs  autres  bourgades.  A  Igbo,  village 
situé  à  20  kilomètres  du  Niger,  ce  n'est  qu'après  trois  jours  de 
résistance  que  le  roi  consentit  à  se  rendre  et  à  accepter  une 
amende.  Enfin,  le  9  janvier  1900,  deux  mille  indigènes  ont 
attaqué,  près  deLokodja,  une  troupe  anglaise  et  lui  ont  infligé 
des  pertes  sensibles. 

En  définitive,  la  situation  de  l'Angleterre  sur  le  Niger  est  à 


(1)  Pour  la  délimitation  avec  l'Allemagne,  voir  l'article  relatif  au  Cameroun. 


TERRITOIRES    ANGLAIS    DU    NIGER  193 

consolider  de  toutes  parts.  C'est  ce  que  l'on  a  fort  bien  compris 
en  Angleterre,  où,  après  avoir  posé,  au  printemps  de  1898,  les 
bases  d'une  entente  avec  la  Royal  Niger  Company,  le  gouver- 
nement a  aussitôt  prévu  !' augmentation  de  ses  forces  sur  le 
fleuve. 

Au  mois  d'août  dernier,  la  Chambre  des  communes  votai-t  le 
rachat  de  la  charte  de  la  Royal  Niger  Company  non  sans  avoir 
demandé  des  explications  sur  l'attitude  de  M.  Chamberlain, 
ministre  des  Colonies,  fortement  intéressé  dans  les  affaires  de 
la  Compagnie.  Le  scandale  qui  en  résulta  n'empêcha  pas  le 
vote  d'une  somme  de  865.000  livres  sterling  destinée,  pour 
250.000  livres,  à  payer  les  dettes  de  la  Compagnie  et,  pour  le 
surplus,  à  indemniser  celle-ci  de  la  perte  de  ses  droits.  La 
Compagnie  reste  simplement  commerciale.  Elle  abandonne  au 
gouvernement,  à  partir  du  1er  janvier  1900,  ses  privilèges  éco- 
nomiques et  territoriaux,  ses  bâtiments,  ses  concessions.  Par 
contre,  pendant  99  ans  elle  ne  paiera  que  la  moitié  des  impôts 
britanniques  sur  les  concessions  minières. 

Dès  le  mois  d'octobre  1897,  un  grand  nombre  d'officiers  et 
de  sous-officiers,  envoyés  d'Angleterre,  furent  chargés  d'orga- 
niser 5.000  indigènes,  y  compris  le  régiment  yoruba  de  Lagos 
(800  hommes),  qui  passe  au  service  de  la  Nigeria.  La  Compagnie 
du  Niger  n'entretenait  que  1.000  a  1.500  Haoussas  qui  seront 
incorporés  dans  les  forces  britanniques.  A  ce  moment,  les 
forces  anglaises  organisées  dans  la  Nigeria  comprenaient  seu- 
lement deux  bataillons  d'infanterie,  cent  hommes  d'infanterie 
montée,  trois  batteries,  une  compagnie  du  génie  avec  une  sec- 
tion de  télégraphie  et  les  services  accessoires.  Ces  troupes  sont 
surtout  occupées  à  surveiller  la  frontière  française,  du  Daho- 
mey au  Sokoto.  2.500  hommes  seront  affectés  à  la  Nigeria  du 
Nord  et  à  peu  près  autant  à  Lagos  et  à  la  Nigeria  du  Sud. 

-  Ainsi  se  termine  la  domination  de  la  Royal  Niger  Com- 
pany sur  les  territoires  soumis  à  son  action.  La  libre  naviga- 
tion du  Niger  va  sans  doute  devenir  une  réalité.  La  France, 
plus  intéressée  qu'aucune  autre  puissance  à  cet  événement, 
doit  se  féliciter  de  ce  qu'elle  n'aura  plus  devant  elle  une  com- 

Afr.  polit.  13 


J94  l'afriqle  politique  en  1900 


pagnie  en  quelque  sorte  insaisissable,  et  sur  laquelle  le  gou- 
vernement anglais  lui-même  ne  possédait  qu'une  action  in- 
suffisante. 

On  a  vu,  a  propos  de  la  colonie  anglaise  de  Lagos,  que  la 
convention  du  14  juin  1898  (voir  l'appendice)  avait  délimité 
les  sphères  d'influence  française  et  anglaise  sur  le  Niger.  La 
ligne  Say-Baroua  a  été  précisée  au  nord  de  Sokoto  et  du 
Bornou.  La  capitale  du  Sokoto  reste  aux  Anglais"  avec  un  ter- 
ritoire d'un  rayon  de  100  milles  autour  de  la  ville.  Par  contre, 
Zinder  reste  à  la  France  ainsi  que  les  territoires  touareg,  «  où 
le  coq  gaulois  peut  gratter  à  son  aise  »,  suivant  l'expression  de 
lord  Salisbury. 

Le  principal  avantage  de  cette  convention,  au  point  de  vue 
français,  est  de  clore  l'ère  des  contestations  avec  l'Angleterre. 
Celle-ci  y  gagne  des  territoires  où  son  influence  est  encore  ab- 
solument nulle  et  dans  lesquels  la  période  d'occupation  effec- 
tive ne  peut  manquer  d'être  longue,  malgré  les  forces  que  les 
Anglais  accumulent  sur  le  Niger  inférieur. 


LE   CAMEROUN  195 


Le  Cameroun. 


Occupation.  —  Missions  dans  lintériour.  —   Délimitation.    —  Essais 
de  colonisation. 


Le  Cameroun,  compris  entre  les  territoires  de  la  Compagnie 
anglaise  du  Niger  et  le  Congo  français,  a  été  occupé  par  la 
mission  Nachtigal,  au  nom  de  l'Allemagne,  le  14  juillet  1884, 
peu  de  jours  avant  l'arrivée  d'un  navire  anglais  envoyé  pour 
y  proclamer  le  protectorat  de  l'Angleterre. 

Pays  d'une  grande  fertilité,  d'un  relief  assez  fort,  dans  le 
massif  du  mont  Cameroun,  pour  que  les  Européens  puissent  y 
séjourner,  il  constitue  une  colonie  d'avenir.  Mais  il  est  habité 
par  des  populations  guerrières  qui  se  sont  soulevées  à  plu- 
sieurs reprises  contre  les  Allemands  et  leur  ont  infligé  des 
échecs  tels  que  le  massacre  de  la  mission  du  capitaine 
Gravenreuth,  en  novembre  1891.  Le  pays  n'a  pu  être  entiè- 
rement pacifié  par  la  suite,  malgré  une  mission  du  docteur 
Zintgrafï,  et,  à  l'heure  actuelle,  l'autorité  de  l'Allemagne 
n'est  guère  reconnue  à  plus  de  quelques  journées  de 
marche  vers  l'intérieur. 

Malgré  les  difficultés  soulevées  par  l'attitude  des  popula- 
tions, les  Allemands  ont  essayé  d'envoyer  plusieurs  missions 
d'exploration  dans  l'hinterland  du  Cameroun.  L'une  d'elles  a 
même  pu  pénétrer  dans  l'Adamaoua  et  nouer  des  relations 
avec  le  sultan  de  Yola. 

Grâce  aux  droits  que  les  Allemands  ont  prétendu  tenir  de 
ces  missions,  ils  ont  pu  demander  d'un  côté  aux  Anglais,  de 
l'autre  à  la  France  la  délimitation  de  leurs  possessions. 

Par  un  premier  traité  conclu  avec  l'Angleterre,  une  ligne 
fictive  partant  des  environs  de  Old-Calabar,  passant  par  Yola 
qui  est  laissé  aux  Anglais,  et  aboutissant  à  la  pointe  sud  du 
Tchad,  sépare  le  territoire  du  Cameroun  de  la  zone  d'influence 


106  L 'AFRIQUE   POLITIQUE    EN    1900 

anglaise.  Ce  traité,  conclu  sans  tenir  compte  des  droits  que  la 
France  avait  acquis  à  la'  suite  des  explorations  du  lieutenant 
Mizon  et  des  conventions  passées  par  cet  officier  avec  certains 
chefs  indigènes,  n'a  de  valeur  qu'autant  qu'il  engage  les  deux 
parties  contractantes.  Vis-à-vis  des  tiers,  et  en  particulier 
de  la  France,  il  est-sujet  à  revision. 

Cependant,  dès  le  mois  de  janvier  189G,  une  commission 
anglo-allemande,  chargée  de  fixer  les  frontières  dans  le  voisi- 
nage d'Old-Calabar,  avait  terminé  sa  tâche,  qui  devait  consti- 
tuer le  point  de  départ  d'une  convention  de  délimitation.  Cette 
commission  avait  constaté  que  le  pays  traversé  par  la  limite 
commune  était  des  plus  beaux  et  des  plus  fertiles.  Mais  ce 
n'est  là  qu'une  délimitation  partielle  exécutée  dans  le  voisi- 
nage de  la  côte.  Le  temps  n'est  pas  encore  venu  de  pousser 
cette  délimitation  plus  avant  dans  l'intérieur. 

Du  côté  du  Congo  français,  la  convention  du  4  février  1894 
a  fixé  les  limites  des  zones  d'influence  française  et  allemande. 
D'après  cette  convention,  l'Allemagne  prend  pied  sur  la 
Sangha;  mais,  par  réciprocité,  elle  donne  accès  à  la  France 
sur  le  cours  supérieur  du  Mayo-Kebbi,  affluent  de  la  Bénoué. 
Dans  le  bassin  du  Chari,  les  limites  sont  assez  mal  fixées  :  la 
France  a,  de  ce  côté,  accordé  à  l'Allemagne  un  large  accès 
sur  le  cours  du  Chari,  et  le  tracé  bizarre  de  la  frontière  future 
(les  plénipotentiaires  allemands  l'avaient  dénommée  :  le  bec 
de  canard)  coupe  les  possessions  françaises  des  rives  du  Tchad 
sur  une  assez  grande  longueur.  C'est  là  un  désavantage  sé- 
rieux, eu  égard  aux  voies  de  communication  que  l'avenir  impo- 
sera plus  tard  entre  le  Congo  français,  le  Sahara  et  l'Algérie. 

La  colonie  du  Cameroun  est  donc  délimitée  sur  tout  son 
périmètre.  Mais  ce  fait  ne  donne  aux  Allemands  aucune  auto- 
rité sur  les  populations  comprises  dans  leur  zone  d'influence. 

On  sait  déjà  que  le  sultan  de  l'Adamaoua,  dont  les  États  se 
trouvent  partagés  entre  la  France,  l'Allemagne  et  l'Angleterre 
ne  paraît  pas  vouloir  souscrire  volontiers  à  ces  arrangements, 
et,  d'un  autre  côté,  l'invasion  de  Rabah  et  son  installation  au 
Baguirmi  et  au  Bornou  menacent  de  couper  pour  longtemps 
encore  les  Allemands  des  bords  du  Tchad. 


LE    CAMEROUN  197 


Malgré  ces  difficultés,  l'Allemagne  paraît  vouloir  donner 
une  nouvelle  impulsion  à  ses  explorations. 

L'expédition  du  capitaine  de  Carnap,  forte  de  200  hommes 
partie  de  Yaundé,  sur  le  haut  Nyong,  arriva  le  25  décembre 
1897  sur  la  haute  Sangha  prèsd'Ouesso.  C'était  le  première  fois 
que  les  Allemands  traversaient  leur  territoire.  De  là  la  mission 
a  gagné  Brazzaville. 

Dès  la  fin  de  l'année  1898,  le  gouvernement  allemand,  se- 
condé par  la  Société  coloniale  allemande  et  regrettant  son 
abstention  prolongéedepuis  1894,  a  fait  annoncer  l'envoi  d'une 
forte  expédition  pour  imposer  définitivement  sa  domination 
dans  l'hinterland  jusqu'au  Tchad. 

En  attendant,  deux  avant-gardes  sont  parties  depuis  quel- 
que temps  déjà,  se  dirigeant  l'une  de  Matadi,  par  le  ter- 
ritoire français,  pour  occuper  la  haute  Sangha,  l'autre  de 
la  côte  vers  l'intérieur.  Au  mois  de  novembre  dernier,  on  a 
annoncé  que  cette  dernière  venait  de  prendre  d'assaut,  le 
25  août  et  pour  la  deuxième  fois,  la  capitale  du  chef  de  Tibati, 
et  qu'elle  se  disposait  à  pousser  plus  avant  dans  l'intérieur. 
On  peut  donc  s'attendre,  à  bref  délai,  à  voir  le  conflit  engagé 
entre  les  Allemands  et  le  sultan  de  l'Amadaoua. 

La  prospérité  du  Cameroun  paraît  s'affirmer.  Dès  1890,  son 
commerce  atteignait  déjà  10  millions,  et,  vers  1896,  les  com- 
pagnies de  navigation  allemandes  ont  obligé  une  compagnie 
anglaise  à  se  retirer  de  la  lutte  et  à  renoncer  à  la  concurrence 
maritime.  Malgré  les  dispositions  peu  amicales  des  indigènes 
et  le  manque  de  main-d'œuvre,  on  a  réussi  des  essais  de 
culture  (1),  mais  on  a  dû  demander  à  plusieurs  reprises, 
au  Dahomey  et  à  la  côte  d'Ivoire,  un  certain  nombre  de  tra- 
vailleurs, qui  n'ont  d'ailleurs  pas  été  très  satisfaits  des  trai- 
tements auxquels  on  les  soumettait  et  qu'on  a  dû  rapatrier. 

L'Allemagne  se  heurte,  en  définitive,  au  Cameroun,  aux 
difficultés  inhérentes  à  toute  colonisation  nouvelle;  mais  il  est 


(1)  Il  existe  au  Cameroun  un  jardin  d'essai  remarquable  par  son  entretien  et 
la  variété  de  ses  produits. 


198  l'afrique  politique  ex  1900 

à  prévoir  que  l'énergie  qu'elle  déploie  pour  supprimer  les 
difficultés  lui  permettra  d'atteindre  avant  peu  des  résultats 
appréciables. 

La  mise  en  valeur  du  Cameroun  va  se  produire  dès  que  les 
expéditions  en  cours  auront  permis  l'exploitation  du  pays.  On 
annonçait,  en  décembre  1898,  la  concession  par  le  gouverne- 
ment allemand  à  la  Compagnie  du  Cameroun  méridional  (Sud- 
Kamerun-Gesellschaft)  des  territoires  compris  entre  le  12°  de 
longitude,  le 4°  de  latitude  et  les  frontières  du  Cameroun;  puis, 
en  juillet  1899,  la  concession  de  la  Compagnie  du  nord-ouest 
du  Cameroun  s'étendant  sur  80.000  kilomètres  carrés. 

Le  chiffre  de  la  subvention  prévue  au  budget  métropolitain 
pour  Tannée  1900  et  qui  s'élève,  pour  le  Cameroun,  à  1.197.700 
marcs,  démontre  tout  l'intérêt  qu'on  attache  en  Allemagne  au 
développement  progressif  de  cette  colonie  qui  va  être  visitée 
au  printemps  de  1900  par  une  mission  chargée  de  faire  con- 
naître ses  ressources  économiques. 

Il  n'est  pas  inutile,  à  propos  du  Cameroun,  de  citer 
quelques  chiffres,  qui  donneront  une  idée  assez  nette  de  l'im- 
portance de  l'empire  colonial  allemand  en  Afrique. 

Les  possessions  africaines  de  l'Allemagne  ont  une  super- 
ficie d'environ  2.133.000  kilomètres  carrés,  environ  trois  fois 
l'étendue  de  l'Allemagne  continentale.  Elles  renfermaient,  au 
1er  janvier  1897,  3.913  Européens,  dont  2.182  Allemands.  De 
ces  pays,  le  Togoland  était  le  seul  qui  se  suffît  à  lui-même. 
Dans  l'ensemble  de  ces  possessions,  les  Allemands  entre- 
tiennent seulement  962  soldats  métropolitains,  2.650  soldats 
indigènes  et  quelques  forces  de  police. 

Les  dépenses  totales  pour  1899  se  sont  élevées  à  11  mil- 
lions et  demi,  en  augmentation  de  1.475.000  francs  sur  l'exer- 
cice précédent.  Le  commerce  total  s'est  élevé,  en  1897,  à 
41  millions,  dont  28  millions  d'importations.  La  part  de  l'Alle- 
magne dans  l'ensemble  du  commerce  de  ses  colonies  afri- 
caines est  de  42  p.  100. 


CHAPITRE  III 

LE  SOUDAN 


Divisions.  —  La  mer  saharienne.  —  Théories  géologiques. 


Le  Soudan  est  le  vaste  pays  compris,  au  sud  du  Sahara, 
entre  l'Océan  et  le  Nil. 

Il  est  limité  au  nord  par  les  régions  désertiques  du  Sahara, 
au  sud  par  la  lisière  de  la  grande  forêt  tropicale.  C'est  un 
plateau  d'une  altitude  moyenne  de  500  mètres,  présentant,  sur 
toute  son  étendue,  certains  caractères  généraux  et  uniformes 
qui  en  font  une  région  d'aspect  particulier  et  de  physionomie 
nettement  tranchée. 

Le  pays  est  généralement  plat  et  propre  à  la  culture  des 
céréales  et  à  l'élevage.  Ses  populations  sont  les  plus  belles  de 
la  race  noire,  au  triple  point  de  vue  physique,  moral  et  intel- 
lectuel, et  leur  civilisation  est  beaucoup  plus  avancée  qu'on 
ne  le  croyait  il  y  a  peu  de  temps  encore.  Les  mœurs  y  sont 
ordinairement  douces,  et  la  barbarie  noire  ne  fait  son  appa- 
rition qu'au  delà  de  ses  limites  méridionales. 

Les  rivières  du  Soudan  prennent  naissance  à  une  faible 
altitude  et  ne  sont  alimentées  que  par  des  pluies  régulières. 
Le  climat  comprend  deux  saisons  distinctes  :  cinq  mois  de 
pluies  persistantes,  de  juin  à  octobre,  et  les  sept  autres  mois 
d'une  sécheresse  continue. 


200  l'afrique  politique  en  1900 

Le  Soudan,  ainsi  défini  par  ses  caractères  généraux,  peut, 
au  point  de  vue  géographique,  se  partager  en  trois  régions  : 

1°  Le  Soudan  occidental,  de  l'Océan  à  la  branche  inférieure 
du  Niger; 

2°  Le  Soudan  central,  du  Niger  au  lac  Tchad; 

3°  Le  Soudan  oriental,  du  lac  Tchad  au  Nil. 

La  première  région  comprend  :  le  Sénégal  et  le  Soudan 
français. 

La  deuxième  région  forme  l'empire  du  Sokoto,  le  royaume 
de  Bornou  et  quelques  contrées  voisines. 

La  troisième  région  comprend  le  Baguirmi,  le  Kanem,  le 
Ouadaï,  le  Darfour  et  le  Kordofan. 

Telle  est,  dans  son  ensemble,  la  vaste  région  qui  s'offre  à  la 
pénétration  européenne  et  que  tous  les  peuples  de  l'Europe 
occidentale,  sauf  les  Hollandais  et  les  Autrichiens,  ont  investie 
de  tous  côtés  pour  s'en  approprier  les  lambeaux. 

Tel  qu'il  est,  le  Soudan,  qui  se  distingue  par  son  aspect  par- 
ticulier des  régions  voisines,  se  rattache  cependant  à  elles  par 
sa  formation  géologique. 

On  a  souvent  admis  que  le  Sahara  n'est  autre  chose  que  le 
fond  d'une  mer  intérieure  aujourd'hui  desséchée.  Cette  hypo- 
thèse, fondée  sur  l'aspect  général  de  la  région,  sur  les  gise- 
ments de  sel  marin  qu'on  y  rencontre  et  sur  certains  autres 
caractères  qu'on  a  cru  y  découvrir,  s'est  trouvée  étayée  par 
de  nombreuses  observations,  au  nombre  desquelles  il  faut 
citer  celles  du  colonel  Monteil. 

Cet  explorateur,  cherchant  à  expliquer  la  formation  des 
«  dalhols  »,  espèces  de  très  larges  lits  de  cours  d'eau,  à  berges 
peu  élevées,  qu'on  rencontre  plus  spécialement  sur  la  rive 
gauche  du  Niger,  dans  le  Sokoto,  et  essayant,  d'autre  part,  de 
se  rendre  compte  de  l'origine  de  palmiers  d'un  genre  parti- 
culier rencontrés  dans  certaines  régions  du  Soudan  et  absents 
dans  les  autres,  s'est  arrêté  à  une  explication  qui  paraît  plau- 
sible en  ce  qu'elle  accorde  les  faits  observés  avec  des  théories 


LE   SOUDAN  201 


déjà  émises  (1),  ainsi  qu'avec  les  légendes  et  traditions  con- 
servées par  les  Nègres  et  les  Maures. 

Ces  traditions  admettent  la  jonction,  aux  temps  préhistori- 
ques, des  deux  Nils,  celui  des  Noirs  et  celui  des  Égyptiens, 
alors  que  d'autres  traditions  considèrent  le  Tchad  comme  le 
déversoir  d'une  branche  du  Nil. 

Le  colonel  Monteil  pense  qu'à  un  âge  relativement  peu  éloi- 
gné, le  Sénégal,  le  Nil  et  le  Niger  possédaient  un  cours  qui  a 
dû  changer,  alors  que  le  Chari  se  déversait  dans  le  lac  Tchad, 
pour  en  sortir  ensuite  et  se  jeter  dans  le  Nil.  A  cette  époque, 
le  Sahara  était  recouvert  par  une  vaste  nappe  d'eau  salée  qui 
baignait  sans  doute  le  massif  de  l'Atlas. 

C'est  alors  que  se  produisit  un  soulèvement  dont  l'axe  est 
resté  jalonné  dans  la  direction  de  l'Ouganda  au  Touat  par  les 
accidents  orographiques  actuels. 

La  mer  saharienne,  brusquement  déplacée,  s'écoula  alors 
dans  deux  directions  différentes  :  d'un  côté  vers  le  Nil  et  la 
Méditerranée,  de  l'autre  vers  le  bassin  du  Niger.  De  ce  côté,  les 
eaux  se  dirigèrent  brusquement,  et  sous  un  énorme  volume, 
vers  les  golfes  du  Niger,  en  écrètant  le  relief  du  pays,  et  en  se 
creusant  de  très  larges  lits,  séparés  par  des  plateaux  peu  éle- 
vés, aux  berges  légèrement  saillantes.  Ce  fut  l'origine  des 
dalhols  rencontrés  fréquemment  dans  le  Sokoto  et  sur  toute 
la  rive  gauche  de  la  branche  orientale  du  Niger. 

Cette  hypothèse  du  colonel  Monteil  parait  être  vérifiée  par 
l'aspect  général  du  Soudan  central;  on  peut  ajouter  qu'elle 
s'accorderait  avec  la  tradition  et  permettrait  peut-être  d'iden- 
tifier le  soulèvement  du  Sahara  avec  l'effondrement  de  ce 
continent  mystérieux  de  l'Atlantide  que  les  légendes  préten- 
dent avoir  existé  entre  les  Açores  et  Sainte-Hélène,  et  dont 
nous  retrouvons  les  témoins  dans  les  Canaries,  prolongement 
de  1  Atlas,  et  dans  les  îles  du  Cap-Vert,  derniers  vestiges  du 
soulèvement  du  Fouta-Djallon. 


(1)  Rennel,  voulant  déterminer  le  cours  réel  du  Niger,  a  une  époque  où  on  ne 
connaissait  pas  son  cours  inférieur,  reprit  une  hypothèse  de  d'Anville,  d'après 
laquelle  le  Niger  se  dirigerait  de  Tombouctou  vers  le  Tchad. 

Mungo-Park  supposait  que  le  Niger  n'était  autre  qu'un  affluent  du  Congo. 


202  l'afrique  politique  ex  1900 

Quoi  qu'il  en  soil,  ce  phénomène  géologique,  dû  peut-être  à 
une  oscillation  de  la  croûte  terrestre  autour  d'un  axe  situé 
vers  les  rivages  actuels  de  l'Océan,  a  profondément  modifié 
le  régime  primitif  des  cours  d'eau  du  Soudan.  C'est  à  lui  que 
nous  devrions  les  cours  sinueux  et  tourmentés  du  Sénégal,  du 
Niger,  du  Nil  et  peut-être  du  Congo  lui-même. 

En  tout  cas,  cette  hypothèse  fournit  une  explication  plau- 
sible de  la  formation  du  continent  africain,  et,  en  l'absence  de 
vérifications  plus  positives  et  absolument  scientifiques,  elle 
mérite  d'être  signalée. 

Nous  allons  étudier  rapidement  les  diverses  parties  du 
Soudan  en  nous  plaçant  principalement  au  point  de  vue  de 
l'avenir  de  l'expansion  européenne  dans  cette  vaste  région. 


SOUDAN   OCCIDENTAL  203 


Soudan  occidental. 


Régions  administratives.  —  Occupation  militaire.  —  Occupation  de  Tombouctou. 

—  Les  Touareg.  —  Mission  hydrographique  du    Niger  moyen,  —  Traités  de 
protectorat.  —  Missions  et  conquêtes.  —  Défense  du  Soudan.  —  Voies  ferrées. 

—  Ressources  du  Soudan.   —  Rôle  commercial  de  Tombouctou.  —  Avenir  du 
Soudan. 


Le  Soudan  occidental  comprend,  ainsi  qu'on  l'a  dit,  le  Sé- 
négal, déjà  examiné,  et  le  Soudan  français  avec  les  pays  de  la 
boucle  du  Niger. 

A  peine  entamé  vers  le  Sud  par  les  Anglais  et  les  Alle- 
mands, il  offre  à  la  pénétration  française  un  vaste  champ 
d'action  déjà  sillonné  par  de  nombreuses  et  fructueuses  explo- 
rations. Investi  de  tous  côtés  et  partout  pénétré  par  l'activité 
française,  conquis  en  partie  par  nos  troupes,  reconnu  par 
nos  officiers,  mais  encore  peu  entamé  par  nos  commerçants, 
le  Soudan  occidental  parait  devoir  justifier  de  belles  espé- 
rances, autant  par  sa  valeur  propre  que  par  sa  situation 
rapprochée  de  la  France  et  par  sa  liaison  éventuelle  avec  nos 
possessions  de  l'Afrique  septentrionale. 

Le  Soudan  français  était  placé,  par  le  décret  du  16  juin  1895, 
sous  l'autorité  d'un  lieutenant-gouverneur,  subordonné  au 
gouverneur  général  de  l'Afrique  occidentale. 

Son  territoire  était  divisé  en  six  régions,  comprenant  cha- 
cune un  certain  nombre  de  cercles  et  de  résidences,  sous  l'au- 
torité militaire. 

C'étaient,  en  dehors  du  cercle  de  Kayes,  la  capitale  adminis- 
trative du  pays,  résidence  du  lieutenant-gouverneur  et  de  son 
état-major  : 

1°  La  région  du  Sahel,  avec  les  cercles  de  Nioro,  Gombou 
et  Sokolo; 

2°  La  région  ouest  :  cercles  de  Bamako  et  Satadougou; 


204  l'afrique  politique  en  1900 

3°  La  région  sud  :  cercles  de  Siguiri,  Kouroussa,  Bougouni, 
Kankan,  Beyla  et  résidences  de  Dinguiray  et  de  Kissidougou  ; 

4°  La  région  nord-est  :  cercles  de  Bandiagara,  de  Dori,  Say, 
Djenné  et  résidence  du  Mossi; 

o°  La  région  nord  :  cercles  de  Tombouctou,  Sumpi,  Ras-el- 
Mâ; 

6°  La  région  Niger-Volta  :  cercles  de  San,  Ségou,  Ouagha- 
dougou,Kouri,  Sikasso,  Bobo-Dioulassou,Djebougou,  Adjenné, 
Kong  et  Bouna. 

Le  décret  du  17  octobre  1899  a  complètement  changé  toute 
cette  organisation. 

Au  moment  même  où  le  général  de  Trentinian,  lieutenant 
gouverneur  du  Soudan  français,  obtenait,  par  des  moyens  pa- 
cifiques et  une  administration  habile,  les  résultats  que  l'on 
sait,  les  territoires  du  Soudan  étaient  partagés  au  profit  des 
colonies  voisines. 

L'administration  militaire,  le  porte-respect  de  la  France 
vis-à-vis  des  noirs  à  peine  soumis,  était  remplacée  par  l'autorité 
civile  qui  cependant  n'a  pas  donné  jusqu'ici,  tout  au  moins  à 
la  Côte  d'Ivoire  et  en  Guinée,  des  gages  bien  décisifs  à  la  paci- 
fication. 

On  a  déjà  parlé,  à  propos  des  colonies  côtières,  des  craintes 
que  faisait  naître  pour  l'avenir  l'application  du  décret  du 
17  octobre  1899.  Nous  n'y  reviendrons  que  pour  résumer  les 
dispositions  de  ce  décret  (1). 

Les  territoires  du  Soudan  français  ont  été  distribués  comme 
il  suit  : 

Au  Sénégal,  les  régions  ouest,  la  région  du  Sahel,  avec  les 
cercles  de  Kayes,  Bafoulabé,  Kita,  Ségou,  Bougouni  et  Djenné; 

A  la  Guinée,  la  région  sud  moins  le  cercle  de  Bougouni; 

A  la  Côte  d'Ivoire,  les  cercles  d'Odjenné,  Kong  et  Bouna; 

Au  Dahomey,  les  cantons  de  Kouala  ou  Nebba  au  sud  de  Lip- 
tako  et  le  territoire  de  Say  comprenant  les  cantons  de  Djennaré, 
Diongoré,  Folmongani  et  Botou. 


(1)  Voir  h  l'Appendice. 


SOUDAN    OCCIDENTAL  20î 


Deux  commandements  militaires  subsistent  sous  l'autorité 
immédiate  du  gouverneur  général  : 

Le  premier  comprend  les  cercles  de  Tombouctou,  Sumpi, 
Goundam,  Bandiagara,  Dori  et  Ouahigouya; 

Le  second  est  formé  par  les  cercles  de  San,  Ouaghadougou, 
Kouri,  Sikasso,  Bobo-Dioulassou  et  Djebougou. 

En  outre,  l'autonomie  financière  du  Soudan  cesse.  Les  bud- 
gets des  deux  territoires  militaires  sont  incorporés  au  budget  du 
Sénégal.  Quant  à  l'armée  du  Soudan,  elle  sera  répartie,  suivant 
les  besoins,  entre  les  diverses  colonies  ou  territoires. 

Elle  comprend  encore  : 

1  régiment  de  tirailleurs  soudanais  à  18  compagnies  répar- 
ties dans  les  divers  cercles  ou  formées  en  colonnes  mobiles 
(125  à  1G0  hommes  par  compagnie); 

1  escadron  de  spahis  soudanais  avec  des  pelotons  d'auxi- 
liaires répartis  au  Mossi,  au  Gourounsi  et  sur  la  Volta,  ainsi 
que  des  compagnies  de  tirailleurs  auxiliaires; 

1  batterie  d'artillerie  de  marine  avec  des  détachements  ré- 
partis suivant  les  besoins; 

1  compagnie  auxiliaire  d'ouvriers  d'artillerie; 

1  compagnie  de  conducteurs  soudanais  chargés  des  convois 
des  lignes  d'étapes  ; 

1  détachement  du  génie  chargé  delà  construction  et  de  l'ex- 
ploitation du  chemin  de  fer  de  Kayes  au  Niger,  mais  trop  peu 
nombreux  pour  les  besoins  de  la  colonie; 

Divers  services  :  artillerie,  génie,  services  administratifs  et 
de  santé; 

Une  flottille  de  canonnières  du  Niger,  ayant  Koulikoro  pour 
port  d'attache. 

Outre  ces  éléments,  on  a  tout  récemment  organisé  un  pelo- 
ton de  32  mehara  dans  la  région  nord,  ainsi  qu'un  escadron 
et  7  compagnies  de  gardes-frontières  de  100  à  300  indigènes 
dans  les  diverses  régions. 

Nous  n'entreprendrons  point  de  faire  ici  l'historique  com- 
plet de  cette  conquête  invraisemblable  du  Soudan,  à  laquelle 
nous  avons  été  poussés,  on  peut  le  dire,  par  la  force  des 


206  L' AFRIQUE   POLITIQUE    EN*    1900 

circonstances.  Nous  nous  bornerons  à  attirer  l'attention  sur 
les  faits  les  plus  récents  dont  la  conclusion  s'impose  d'elle- 
même. 

C'est  le  général  Faidherbe  qui,,  le  premier,  posa  les  bases 
d'un  système  de  pénétration.  Comprenant  que  la  colonie  du 
Sénégal  ne  pouvait  prospérer  qu'à  la  condition  d'être  le  dé- 
bouché d'une  partie  du  Soudan  complètement  pacifiée,  il  éla- 
bora un  programme  dont  l'exécution,  à  peine  ébauchée  sous 
son  administration,  fut  reprise,  en  1878,  par  le  colonel  Brière 
de  Flsle. 

La  mission  Galliéni,  envoyée  à  Ségou,  n'ayant  pu  obtenir 
de  résultats  pacifiques,  le  colonel  Borgnis-Desbordes  com- 
mença, dès  1883,  en  trois  brillantes  campagnes,  la  conquête 
du  Soudan.  Ce  pays  devint  alors  le  théâtre  des  exploits  des 
Frey,  des  Humbert,  des  Archinard  et  des  Combe,  qui,  en 
douze  ans,  au  prix  d'efforts  gigantesques  et  trop  peu  connus, 
ont  réussi  à  donner  à  la  France  un  empire  plus  grand  que  la 
métropole. 

Ce  fut  aussi  le  pays  des  conquérants  africains,  fondateurs 
d'empires  éphémères,  El  Hadj  Omar,  Ahmadou,  Samory,  qui, 
s'appuyant  sur  des  races  guerrières,  ont  pu,  aidés  par  le  cli- 
mat et  les  hésitations  de  la  France,  résister  pendant  longtemps 
à  une  race  supérieure,  secondée  par  toutes  les  ressources  de  la 
civilisation. 

Au  nombre  des  événements  les  plus  glorieux  et  les  plus 
féconds  de  ces  dernières  années,  il  faut  citer,  à  la  louange  du 
lieutenant-colonel  Bonnier,  la  conquête  de  Tombouctou. 

Cinq  années  qui  ont  passé  sur  cet  épisode  n'ont  réussi 
qu'à  confirmer  les  justes  prévisions  de  l'officier  distingué  et 
énergique  qui  paya  de  sa  vie,  à  Dongoï,  le  prix  de  sa  conquête. 
La  prise  de  Tombouctou,  accomplie  avec  de  faibles  moyens, 
ne  fut  point,  comme  le  craignirent  ceux  qui  jugeaient  de  loin 
les  choses  du  Soudan,  le  signal  d'une  levée  générale  des 
Touareg  et  des  noirs. 

L'emporium  saharien  une  fois  occupé,  les  populations 
voisines  ou  lointaines  apprirent,  à  leurs  dépens,  qu'à  défaut 
de  la  diplomatie  la  France  pouvait  imposer  ses  volontés  par 


SOUDAN*    OCCIDENTAL  207 


la  force.  Le  lieutenant-colonel  Bonnier  et,  après  lui,  le  colo- 
nel du  génie  Jofïre  avaient  donc  vu  juste  le  jour  où,  s'élan- 
çant  vers  le  point  de  soudure  des  relations  des  peuples  du 
Sahara  et  du  Soudan,  ils  réussirent  à  les  séparer  pour  les 
mieux  dominer. 

Ce  n'est  pas  que  Tombouctou  soit  une  métropole  commer- 
ciale ni  une  position  stratégique  extraordinaires.  On  l'a  con- 
staté et  souvent  répété,  ce  n'est  qu'un  lieu  d'échange  des  cara- 
vanes, qu'un  point  de  contact,  qu'une  place  de  rendez-vous 
séculairement  adoptée  par  les  populations  situées  de  part 
et  d'autre  du  Niger. 

Ce  n'est  qu'une  sorte  de  relais  dans  lequel  les  marchandises 
venant  du  Nord  et  se  dirigeant  vers  le  Sud,  ou  inversement, 
changent  de  moyen  de  transport. 

Si  le  chameau  pouvait  vivre  dans  la  boucle  du  Niger,  Tom- 
bouctou ne  serait  qu'une  hôtellerie.  La  nécessité  en  a  fait  un 
relais,  une  place  de  transbordement,  et,  par  suite,  une  place 
d'échanges.  C'est  là  que  les  denrées  du  Soudan  et  surtout  le 
mil,  transporté  par  pirogues,  prennent,  sur  le  dos  des  cha- 
meaux, la  place  du  sel  du  Sahara,  indispensable  aux  noirs,  et 
de  là  se  dirigent  surtout  vers  le  Touat  et  le  Maroc. 

C'est  là  aussi  que  s'exerçait  l'influence  séculaire  des  Toua- 
reg Iguellad,  Kel-Antassar,  Tengueriguif,  Irreganaten,  Kel- 
Temoulaï,  Iguadaren,  Aouellimiden  qui  vivaient  aux  dépens 
du  commerce  des  caravanes. 

Après  l'occupation  (12  février  1894)  et  la  mise  en  état  de 
défense  de  Tombouctou,  le  colonel  Jofïre,  pour  venger  le 
massacre  de  Dongoï,  marcha  contre  les  Touareg. 

Il  battit  successivement  les  Irreganaten  à  Takayegourou 
(10  mars  1894),  les  Tengueriguif  à  Dahouré,  Goro-Sansan 
(18-28  mars),  les  Iguellad  à  Fati  et  les  Kel-Temoulaï  à  Aghelah 
(juin  1894). 

-  Pendant  ce  temps  nos  reconnaissances  battaient  les  Kel- 
Antassar  en  plusieurs  rencontres. 

En  même  temps,  outre  les  deux  compagnies  noires  qui 
occupaient  Tombouctou,  une  troisième  compagnie  était  en- 
voyée à  Goundam  et  une  quatrième  à  El-Oualadji  et  Saraféré. 


208  l'afrique  politique  en  1900 

Malgré  ces  mesures  et  la  présence  dîme  batterie  d'artillerie 
et  d'un  escadron  de  spahis  soudanais,  N'Gouna,  chef  des  Kel- 
Antassar  vint,  en  juillet  1895,  piller  Douekiré.  Aussitôt  pour- 
chassé, il  fut  battu  au  mont  Farasch,  au  lac  Faguibine,  et 
aurait  été  alors  probablement  définitivement  réduit  sans  les 
ordres  de  temporisation  imposés  par  le  gouverneur  civil  du 
Soudan. 

Sous  l'habile  administration  de  son  successeur,  le  colonel 
de  Trentinian,  qui  reçut  le  titre  de  lieutenant-gouverneur  du 
Soudan,  les  mesures  prises  par  le  commandant  Réjou,  com- 
mandant le  cercle  de  Tombouctou,  réussirent  à  amener  la 
soumission  momentanée  de  N'Gouna,  et  à  assurer  la  pacifica- 
tion des  environs  de  Tombouctou. 

Au  cours  de  ces  événements,  les  reconnaissances  de  nos 
officiers  ont  conduit  à  d'importantes  découvertes  géographi- 
ques. C'est  ainsi  que  de  grands  lacs  ont  été  reconnus  à  l'ouest 
et  au  nord  de  Tombouctou,  et  qu'une  bonne  carte  du  pays  a 
pu  être  dressée. 

En  décembre  1895,  le  commandant  Réjou  partit  de  Goun- 
dam  en  reconnaissance,  passa  par  Sumpi  où  il  étudia  la 
création  d'un  poste  et,  de  là,  se  portant  vers  le  Nord,  reconnut 
le  lac  Daouna  et  le  lac  Faguibine  qu'il  contourna  vers  l'Ouest 
et  le  Nord,  releva  les  monts  Tahakim  et  Tinegadda  et  rentra  à 
Goundam  par  Farasch,  après  avoir  constaté  la  tranquillité 
du  pays. 

Les  seuls  adversaires  que  nous  ayons  de  ce  côté  sont  les 
Touareg  qui,  poussés  par  les  Hoggars,  nos  ennemis  du 
Sahara,  nous  ont  imposé  une  surveillance  stricte  et  conti- 
nuelle. 

Notre  situation  dans  ces  régions  est,  en  effet,  à  peu  près 
analogue  à  celle  que  nous  avions  sur  le  Sénégal  au  début  de 
notre  occupation.  De  même  que  nous  avons  dû  y  tenir  en 
respect  les  Maures  de  la  rive  droite  et  protéger  les  populations 
noires  de  la  rive  gauche,  de  même,  sur  le  Niger,  notre  mission 
consiste  à  protéger  nos  sujets  Sonrhaïs  contre  leurs  ennemis 
séculaires,  les  Touareg,  qui  empiètent  encore  sur  les  territoires 
de  la  rive  droite. 


SOUDAN    OCCIDENTAL  209 


Notre  autorité  est,  d'ailleurs,  chaque  jour  reconnue  davan- 
tage; au  cours  d*une  reconnaissance  dirigée  contre  les  Kel- 
Antassar  an  mois  de  novembre  1898,  le  chef  N'Gouna  a  été 
tué  près  d'Emmela,  au  nord-est  du  lac  Faguibine,  et  cet 
événement,  en  nous  débarrassant  d'un  de  nos  principaux 
ennemis,  ne  peut  que  contribuer  à  pacifier  la  région  et  à 
ouvrir  le  Niger  à  la  navigation.  Le  fleuve  lui-même  a  dû  livrer 
ses  secrets  à  nos  explorateurs  qui,  dès  1896,  ont  entrepris  sa 
reconnaissance. 

Le  3  janvier  1896,  une  mission  hydrographique  dirigée  par 
le  lieutenant  de  vaisseau  Hourst,  et  composée  du  lieutenant 
Bluzet,  de  l'enseigne  Baudry  et  du  Père  Hacquart,  partait  de 
Gourao  et  arrivait  peu  après  à  Kabara,  port  de  Tombouctou, 
qu'elle  quitta  le  21  janvier  pour  descendre  le  Niger. 

La  mission  était  à  bord  du  Jules-Davoust,  petit  bâtiment  en 
aluminium,  ponté,  de  11  mètres  de  long,  pesant  950  kilo- 
grammes et  pouvant  porter  quatorze  hommes. 

Le  26  janvier  elle  était  à  Kagha,  sur  la  rive  droite  du  Niger, 
à  35  kilomètres  de  Kabara,  où  elle  était  bien  reçue.  De  là  elle 
continuait  sa  route  et  arrivait  à  Say,  après  avoir  pacifique- 
ment reconnu  le  cours  du  Niger  moyen. 

Après  cinq  mois  de  séjour  à  Say  où  fut  construit  un  poste, 
la  mission  continuait  la  descente  du  Niger,  passait  devant 
le  fort  Arenberg  fondé  par  le  commandant  Toutée,  et  arrivait 
à  Forcados  après  un  voyage  de  dix  mois  pendant  lequel  pas 
un  coup  de  fusil  ne  fut  tiré  et  pas  un  homme  ne  fut  perdu. 
La  mission  rentrait  en  France,  au  mois  de  décembre  1896, 
après  avoir  démontré  la  navigabilité  du  Niger  sur  un  trajet 
de  1.600  kilomètres,  presque  entièrement  compris  dans  la 
limite  de  l'action  française,  et  rapportant  une  foule  de  précieux 
renseignements  sur  des  contrées  jusqu'alors  inconnues.  Ces 
-renseignements  viennent  d'être  encore  complétés  à  la  suite 
des  missions  accomplies,  en  1899,  par  M.  Baillaud  et  par  le 
capitaine  Granderye. 

Du  côté  du  Macina,  le  colonel  Archinard  avait,  dès  1893, 

Afr.  polit.  14 


210  l'afriqle  politique  ex  1900 

placé  un  résident  avec  une  compagnie  de  Soudanais  auprès 
d'Aguibou,  nommé  par  lui  roi  de  cette  région. 

Le  commandant  Destenave,  nommé  en  1894  résident  à 
Bandiagara,  capitale  du  Macina,  réussissait,  au  commence- 
ment de  1895,  à  soumettre  pacifiquement  le  Djilgodi,  pays  à 
l'est  du  Macina,  et  au  mois  de  mai  1895  il  signait  à  Ouahi- 
gouya,  capitale  du  Yatenga,  un  traité  plaçant  ce  pays,  qui 
forme  la  partie  nord  du  Mossi,  sous  le  protectorat  de  la  France. 

Déjà  le  commandant  Monteil,  au  cours  de  sa  mission,  avait 
conclu  des  traités  avec  leBoussoura,  le  Dafina,  le  Liptako,  le 
Yagha,  le  Gueladjio,  enserrant  le  Mossi  qu'il  n'avait  pu  enta- 
mer, dans  un  cercle  de  possessions  françaises. 

En  1896,  la  situation  de  ces  contrées  de  la  boucle  du  Niger 
était  la  suivante. 

Le  Mossi,  royaume  assez  civilisé,  ayant  pour  capitale 
Ouaghadougou,  était  la  résidence  d'un  roi  ayant  le  titre  de 
naba  (chef)  des  nabas,  qui  régnait  sur  un  territoire  d'environ 
100.000  kilomètres  carrés  de  superficie. 

C'était  un  pays  prospère,  le  seul  du  Soudan  dans  lequel  les 
villages  ne  fussent  pas  fortifiés,  et  qui  s'adonnait  à  la  culture 
et  à  l'élevage.  On  y  comptait,  d'après  le  colonel  Monteil,  de 
dix  à  quinze  habitants  par  kilomètre  carré. 

Le  Mossi  était  alors  le  but  de  nos  efforts;  il  était  aussi  visé 
par  les  Anglais  qui  cherchaient  à  s'interposer  de  ce  côté  au 
milieu  de  nos  possessions  de  la  boucle  du  Niger. 

A  l'ouest  de  ce  pays  s'étendaient  le  Dafina  et  les  États  de 
Tiéba,  protégés  par  la  France  et  gouvernés  par  Babemba,  fils 
de  Tiéba.  Tous  ces  pays,  ainsi  que  ceux  de  Kong,  formaient  une 
région  ininterrompue  placée  sous  notre  protection  au  moment 
où  du  côté  opposé,  dans  l'hinterland  du  Dahomey,  nous  cher- 
chions à  effectuer  la  délimitation  de  notre  zone  d'action  et  des 
sphères  d'influence  anglaise  et  allemande. 

A  l'est  et  au  sud  du  Mossi,  on  trouvait  le  Gourounsi,  le 
Gourma,  la  région  de  Say  et  plus  au  sud  le  Borgou  qui  ne 
devaient  pas  tarder  à  recevoir  la  visite  de  nos  troupes. 

On  sait  combien  fut  active,  depuis  1895,  la  politique  afri- 
caine de  nos  rivaux  anglais  et  allemands  :  il  s'agissait  pour 


SOUDAN    OCCIDENTAL  211 


nous,  avertis  comme  nous  l'étions,  de  prendre  position  dans  la 
boucle  du  Niger  et  d'établir  nos  droits  sur  les  régions  convoi- 
tées par  nos  adversaires.  Grâce  à  la  politique  active  et  con- 
tinue adoptée  par  le  colonel  de  Trentinian  nous  avons  pu  y 
parvenir. 

Vers  le  milieu  de  l'année  1896,  le  lieutenant-gouverneur  de 
Trentinian  confia  au  commandant  Destenave  la  mission  d'oc- 
cuper toute  la  région  au  nord  du  10e  parallèle  et  d'effectuer  sa 
jonction  avec  les  missions  du  capitaine  Baud  et  du  lieutenant 
de  vaisseau  Bretonnet,  parties  du  Dahomey,  et  déjà  étudiées 
dans  le  chapitre  relatif  à  ce  pays. 

Pour  assurer  l'exécution  de  ce  programme  le  lieutenant 
Voulet  reçut  l'ordre  de  préparer  la  marche  du  commandant 
Destenave  en  occupant  le  Mossi  et  le  Gourounsi. 

Parti  de  Bandiagara,  le  30  juillet  1896,  avec  200  hommes,  le 
lieutenant  Voulet,  accompagné  du  lieutenant  Chanoine,  occu- 
pait Ouahigouya,  capitale  du  Yatenga,  le  17  août,  et  y  installait 
notre  protégé  Bakaré,  qui  en  avait  été  chassé  peu  de  temps 
avant;  le  24  août  il  entrait  à  Goursi,  la  ville  sainte  du  Yatenga. 

Le  Yatenga  était  conquis  et  l'on  se  trouvait  en  présence  du 
Mossi. 

Le  naba  de  Yako,  dépendant  du  Mossi,  qui  avait  pris  parti 
contre  Bakaré  et  l'avait  chassé  de  Ouahigouya,  fut  lui-même 
chassé  de  Yako,  à  la  fin  d'août.  Le  naba  des  nabas,  Bokary- 
Koutou,  ne  put  lui-même  empêcher  le  lieutenant  Voulet  d'en- 
trer à  Ouaghadougou,  où,  le  1er  septembre,  une  garnison  était 
installée.  Après  une  pointe  poussée  sur  le  Gourounsi,  ainsi 
qu'il  est  dit  plus  loin,  le  lieutenant  Voulet  rentrait  à  Ouagha- 
dougou, le  1er  novembre,  donnait  le  gouvernement  du  Mossi 
à  Kouka,  un  des  frères  de  Bokary-Koutou,  pacifiait  le  Mossi  et 
procédait,  le  27  janvier  1897,  à  l'investiture  solennelle  de 
Kouka,  en  qualité  de  naba  des  nabas. 

C'est  en  marchant  au-devant  de  la  mission  Baud  que  le 

lieutenant  Voulet  rencontra,   à  Tingourkou,  la  mission  du 

capitaine  anglais  Donald  Stewart  qui,  partie  de  Coumassie, 

cherchait  à  passer  des  traités  avec  les  chefs  du  pays. 

Bien  que  Tingourkou  fût  une  dépendance  du  Mossi,  les 


212  l'afrique  politique  ex  1900 

deux  officiers  tombèrent  d'accord  pour  neutraliser  cette 
localité. 

Les  Anglais  rentrèrent  à  Gambaka.  tandis  que  le  lieutenant 
Youlet,  reprenant  la  direction  du  Nord-Est,  allait  faire  sa 
jonction,  à  Tigba,  avec  l'expédition  du  capitaine  Baud,  qui 
continuait  la  conquête  du  Gourma  (voir  le  chapitre  relatif  au 
Dahomey).  Sa  mission  terminée,  le  lieutenant  Voulet  rentrait, 
à  la  fin  de  février  1897,  à  Ouaghadougou.  Le  commandant 
Destenave  venait  d'y  arriver  le  20  février. 

Du  côté  du  Gourounsi  et  du  pays  de  Kong,  la  lutte  ne  se 
termina  réellement  qu'après  la  capture  de  Samory. 

On  a  vu  qu'après  leur  entrée  à  Ouaghadougou  (1er  septembre 
1896),  les  lieutenants  Voulet  et  Chanoine  avaient  poussé  aus- 
sitôt vers  le  Sud  où  ils  s'étaient  heurtés  aux  forces  de  Baba-To, 
alors  en  compétition  avec  Hamaria,  chef  des  noirs  autoch- 
tones du  Gourounsi.  Ce  pays  avait  été  conquis,  vers  1860,  par 
un  chef  sonrhaï,  Gandiari,  venu  du  Zaberma,  au  nord  du 
Sokoto.  Conformément  aux  principes  de  notre  politique  qui 
tend  à  l'expulsion,  au  bénéfice  des  autochtones,  des  nom- 
breux conquérants  de  tout  ordre,  Toucouleurs,  Touareg  ou 
Sonrhaïs,  qui  ont  fait  de  la  boucle  du  Niger  le  théâtre  de  leurs 
dévastations,  le  lieutenant  Voulet  prit  le  parti  de  Hamaria, 
battit  Baba-To  et  le  refoula  derrière  le  Poplogon,  affluent  de 
la  Volta  (octobre  1896).  Puis,  croyant  le  pays  pacifié,  il  se 
porta  vers  le  Gourma,  à  la  rencontre  du  capitaine  Baud,  et 
rentra,  comme  il  a  été  dit,  à  Ouaghadougou,  au  moment  où 
le  commandant  Destenave  venait  d'y  arriver. 

Le  lieutenant  Chanoine,  mis  à  la  disposition  du  comman- 
dant Destenave,  reçut  l'ordre  d'opérer  une  reconnaissance  au 
Gourounsi,  pour  y  soutenir  Hamaria  et  y  devancer  les  Anglais. 
Il  y  battit  Baba-To  et  fut  bientôt  renforcé  par  le  capitaine  Seal, 
que  le  commandant  Destenave,  avant  de  poursuivre  sa  mar- 
che vers  l'Est,  avait  nommé  résident  au  Mossi. 

Le  capitaine  Seal  s'apprêtait  à  continuer  la  lutte  contre 
Baba-To,  lorsqu'il  rencontra,  à  Léaba,  le  22  avril  1897,  la 
mission  du  capitaine  anglais  Campbell,  et  signa  avec  cet 
officier  une  convention  qui  fixait  le  Poplogon  comme  limite 


SOUDAN    OCCIDENTAL  213 


commune  aux  deux  nations.  11  fut  en  même  temps  convenu 
que  Baba-ïo  serait  désarmé  par  les  Anglais,  qui  oublièrent 
cette  partie  de  la  convention.  Le  capitaine  Seal,  ayant  ainsi 
poussé  jusqu'à  la  limite  du  territoire  français,  se  retira  vers 
le  Nord,  sa  mission  terminée. 

C'est  au  cours  de  ces  événements  que  nos  troupes  se  heur- 
tèrent aux  sofas  de  Samory,  qui  entamaient  déjà  la  conquête 
du  Gourounsi  et  qui  se  retirèrent  aussitôt  vers  le  Sud.  Vers  la 
même  époque  (avril  1897),  la  mission  Henderson  ayant  été 
dispersée  par  les  sofas,  les  débris  de  la  colonne  anglaise 
vinrent  se  réfugier  auprès  de  nos  troupes,  qui  leur  facili- 
tèrent le  retour  sur  Gambaka. 

Avant  de  reparler  de  la  colonne  Destenave,  terminons 
l'étude  des  événements  survenus  sur  ce  théâtre  d'opérations. 

Il  fallait  s'assurer  des  pays  à  l'ouest  du  Mossi  et  s'opposer  à 
la  marche  de  Samory  vers  le  nord  du  pays  de  Kong.  C'est 
dans  ce  but  qu'une  colonne,  comprenant  quatre  compagnies 
de  tirailleurs,  un  peloton  de  spahis  et  trois  pièces  d'artillerie, 
fut  formée  à  Ségou  et  dirigée  sur  San  et  le  pays  des  Bobos, 
qu'elle  atteignit  en  mars  1897.  Commandée  d'abord  par  le 
commandant  Valet,  puis  par  le  capitaine  Hugot  et,  enfin,  par 
le  commandant  Caudrelier,  elle  s'emparait  de  Mansara,  ville 
des  Bobos,  qui  firent  leur  soumission  (23  avril),  fondait  un 
poste  à  Borono  et  occupait  Diébougou  (mai  1897). 

De  là,  le  commandant  Caudrelier  lançait  deux  colonnes  : 
l'une,  de  90  hommes,  avec  le  capitaine  Hugot,  se  rendit  au 
Gourounsi,  en  passant  par  Diefessi  (27  mai),  par  Léo,  Dassouna 
et  Fûnnsi  (31  mai),  où  elle  prenait  le  contact  avec  Baba-To, 
venu  du  territoire  anglais.  Le  6  juin,  Baba-To  était  battu  à 
Douce  et  le  capitaine  Hugot  allait  occuper  Oua. 

La  deuxième  colonne,  sous  les  ordres  du  capitaine  Braulot, 
comptait  aussi  environ  90  hommes.  Elle  avait  pour  mission 
d'occuper  le  Lobi  et  Bouna.  Avant  d'atteindre  ce  dernier  point, 
elle  rencontra  Sarankémory,  qui,  après  des  pourparlers  ami- 
caux, offrit  au  capitaine  Braulot  de  l'escorter  jusqu'à  Bouna. 
Celui-ci,  trop  peu  défiant,  accepta  cette  proposition,  fut  attiré, 


214  l'afrique  politique  en  1900 

pendant  la  route,  dans  un  guet-apens  et  massacré  avec  tout 
son  monde  (20  août  1897). 

Malgré  cet  événement,  qui  eut  en  France  un  douloureux 
retentissement,  le  commandant  Caudrelier  continua  l'exécu- 
tion de  son  programme,  qui  avait  pour  but  l'occupation  mé- 
thodique du  pays  et  l'investissement  de  Samory.  Une  ligne  de 
postes  fut  établie  pour  joindre  nos  troupes  du  Lobi  à  celles 
de  la  Côte  d'Ivoire  et  une  garnison  prit  possession  de  Kong. 

C'est  à  Kong  qu'eut  lieu  un  des  faits  les  plus  mémorables  des 
campagnes  du  Soudan  :  la  défense  de  la  place,  par  le  lieute- 
nant Demars,  contre  les  3.000  Sofas  qui  la  bloquèrent  du  12 
au  27  février  1898.  La  garnison  ne  dut  son  salut  qu'à  l'arrivée 
du  commandant  Caudrelier,  qui  put,  en  quatre  combats, 
bousculer  les  Sofas  pour  parvenir  devant  Kong  (1). 


(1)  Voici  l'ordre  du  jour  adressé  aux  troupes  du  Soudan,  à  la  suite  de  ce  fait 
d'armes,  par  le  lieutenant-colonel  Audéoud,  lieutenant  gouverneur  par  intérim 
du  Soudan  : 

((    OnDRE   GÉNÉRAL   N°    43 

))  Le  lieutenant-colonel,  lieutenant  gouverneur  et  commandant  supérieur,  a 
l'honneur  de  porter  à  la  connaissance  des  troupes  du  Soudan  français  l'héroïque 
fait  d'armes  accompli  par  la  garnison  de  Kong. 

«  Cette  garnison,  commandée  par  le  lieutenant  Demars,  de  l'infanterie  de  marine, 
et  composée  du  lieutenant  Méchet,  des  sous-officiers  d'infanterie  de  marine  Cor- 
vaisier  et  Rouchier,  adjudants;  Vaucher,  sergent-major;  Corbizier,  Wauzel  et 
Lardin,  sergents,  et  de  164  indigènes,  est  investie  par  environ  3.000  Sofas  de 
Samory,  le  12  février. 

»  Plusieurs  assauts  sont  donnés  au  poste  et  repoussés  avec  pertes  cruelles  pour 
l'ennemi.  L'eau  manque  dans  le  poste;  il  faut  en  chercher  au  marigot,  ce  qui 
donne  lieu  chaque  fois  à  des  combats  meurtriers.  Il  faut  rationner  les  défenseurs, 
qui  finissent  par  ne  plus  boire  que  2o  centilitres  d'eau  par  jour,  quantité  qui  doit 
leur  suffire  pour  résister  à  une  chaleur  intense  et  aux  fatigues  d'attaques  conti- 
nuelles. 

»  Les  tirailleurs  sont  continuellement  interpellés  par  les  assaillants,  qui  leur 
promettent,  au  nom  de  l'almamy,  des  récompenses  importantes  s'ils  trahissent 
leur  chef.  Ces  propositions  n'ont  d'autre  résultat  que  de  déchaîner  la  colère  des 
tirailleurs  contre  leurs  ennemis. 

»  MM.  Demars  et  .Méchet  ont  grand'peine  à  calmer  leur  surexcitation,  qui  les 
incite  à  sortir  du  poste  pour  se  jeter  sur  un  ennemi  si  nombreux  que  sa  masse 
seule  aurait  raison  de  leur  bravoure. 

«  Jusqu'au  27  février,  les  souffrances  sont  inouïes. 

»  La  garnison  subit  stoïquement  les  pertes  suivantes  :  1  Européen  blessé, 
2  tirailleurs  tués,  1  tirailleur  disparu,  19  tirailleurs  blessés,  3  employés  ou  ré- 
fugiés tués,  5  employés  ou  réfugiés  blessés,  20  morts  de  soif. 

))  Tous  les  animaux  morts  de  soif. 

»  Pas  une  défaillance  morale  n'est  à  signaler! 

»  Le  17  février,  le  commandant  Caudrelier,  commandant  la  région  Niger-Volta, 


SOUDAN    OCCIDENTAL  215 


Pendant  que  ces  événements  se  passaient  sur  les  frontières 
de  l'Achantiland,  l'attitude  de  Babemba,  faina  de  Sikasso, 
nous  obligeait  à  une  expédition  inattendue. 

Sous  l'influence  des  excitations  de  Samory,  qui,  se  sentant 
à  bout,  cherchait  à  susciter  contre  nous  toutes  les  diversions 
possibles,  Babemba  envoyait  des  lettres  insolentes  au  gou- 
verneur du  Soudan,  refusait  le  tribut  et  exerçait  des  razzias 
sur  nos  protégés.  Le  capitaine  Morisson,  envoyé  pour  con- 
naître ses  intentions,  fut  obligé  de  quitter  précipitamment  Si- 
kasso (1er  février  1898)  et  faillit  être  massacré  avec  son  escorte 
pendant  son  retour. 

Dans  l'état  où  se  trouvaient  alors  les  esprits  au  Soudan,  une 
solution  énergique  s'imposait.  Une  colonne  de  1.400  combat- 
tants, avec  de  l'artillerie,  sous  les  ordres  du  lieutenant- 
colonel  Audéoud,  fut  concentrée  sur  la  Bagoë,  d'où  elle 
partit  le  10  avril  1898  pour  détruire  la  puissance  de  Babemba. 

Elle  parvint  à  Sikasso,  dit  le  colonel  Audéoud  dans  un  ordre  du 
jour  adressé  aux  troupes  du  Soudan,  sans  être  inquiétée,  le  fama 
surpris  n'ayant  pas  eu  le  temps  de  réunir  ses  troupes.  La  colonne, 
du  15  au  30  avril,  eut  à  livrer  quatorze  combats  de  jour  et  de  nuit, 
soit  qu'elle  eût  à  résister  à  des  attaques  d'ennemis  résolus  et  intré- 


apprend,  entre  Diebougou  et  Lokosso,  L'investissement  de  Kong.  Avec  .200  fusils 
et  deux  pièces  de  80  de  montagne,  et  après  une  marche  dont  la  rapidité  et  l'au- 
dace rappellent  le  brillant  exploit  du  colonel  Combes  en  1884  à  Nafadié,  et  pen- 
dant laquelle  il  a  eu  à  livrer  quatre  combats,  le  commandant  Caudrelier  arrive 
devant  la  ville,  met  en  fuite  les  assaillants  et  dégage  la  garnison,  dont  les  forces 
physiques  étaient  presque  à  bout. 

»  Le  poste  est  rendu  imprenable,  sérieusement  approvisionné  en  vivres;  l'eau 
est  rendue  facile  à  se  procurer:  l'ennemi  est  rejeté  à  30  kilomètres  de  la  ville 
dans  toutes  les  directions,  et,  le  6  mars,  la  colonne  de  secours  reprend  la  route 
de  Lokosso,  après  avoir  assuré  au  Soudan  la  possession  définitive  de  la  ville  de 
Kong. 

»  Le  lieutenant-colonel  renonce  à  exprimer  par  des  mots  l'impression  qu'il  a 
ressentie  en  recevant  ces  nouvelles. 

.     ))  La  défense  <ie  Kong  restera  impérissable  dans  le  souvenir  de-  Soudanais  el 
'a  France  peut  être  Bère  de  produire  de  pareils  soldats. 

»  Le  journal  du  siège  sera  polygraphié  et  lu  aux  troupes  el  envoyé  dans  tous 
les  postes  du  Soudan,  où  il  sera  conservé  dans  If  s  archives  à  une  place  d'honneur- 
»  Kati,  le  î\   mai  1898. 

»  Le  lieutenant-colonel,  lieutenant-gouverneur 
et  commandant  supérieur  des  troupes, 
»  Signé  :  Audéoud.  » 


21fi  L' AFRIQUE    POLITIQUE   EN    1900 


pides,  soit  qu'elle  eût  à  conquérir  des  positions  nécessaires  à  l'at- 
taque définitive. 

Le  1er  mai,  l'assaut  fut  donné. 

Malgré  la  puissance,  sans  égale  au  Soudan,  des  fortifications  de 
Sikasso,  ville  de  30  à  40.000  habitants,  entourée  d'un  mur  de  9  kilo- 
mètres de  longueur  et  de  7  mètres  d'épaisseur  à  la  base,  doublé 
intérieurement  d'une  autre  enceinte  presque  aussi  importante  et 
après  préparation  d'artillerie  ayant  duré  de  4  heures  du  soir  à 
5  heures  du  matin,  les  colonnes  d'assaut,  grâce  à  l'entrain  et  à  la 
bravoure  remarquable  de  tous,  furent  maîtresses  de  la  ville  et  du 
tata  particulier  de  Babemba  vers  3  heures  de  l'après-midi. 

Le  fama  fut  trouvé  mort  au  milieu  de  ses  derniers  fidèles. 

L'écrasement  de  sa  puissance  était  complet.  Son  armée,  évaluée 
à  2.000  cavaliers  et  10.000  fantassins,  dont  un  grand  nombre  armés 
de  fusils  à  tir  rapide,  était  détruite  et  en  fuite  en  proie  à  la  plus 
grande  terreur. 

Les  pertes  de  la  colonne  étaient  les  suivantes  : 

Européens  tués,  2;  blessés,  8. 

Militaires  indigènes  tués,  29;  morts  des  suites  de  leurs  bles- 
sures, 18;  blessés,  146,  sans  compter  les  porteurs,  ouvriers,  etc. 

Ce  brillant  fait  d'armes,  ajouté  à  tant  d'autres,  eut  dans  tout 
le  Soudan  un  retentissement  considérable  et  contribua  puis- 
samment à  assurer  les  succès  de  nos  colonnes  et  à  asseoir 
notre  domination. 

Dès  le  lendemain  de  la  prise  de  Sikasso,  le  commandant 
Pineau  fut  lancé  dans  le  Sud,  avec  la  mission  de  pourchasser 
les  fugitifs  et  de  ravitailler  notre  garnison  de  Kong.  Son  ac- 
tion, combinée  à  l'Est  avec  celle  du  commandant  Caudrelier, 
à  l'Ouest  avec  celle  du  commandant  de  Lartigue,  eut  pour 
effet,  ainsi  qu'on  l'a  vu  dans  le  chapitre  relatif  à  la  Côte 
d'Ivoire,  de  précipiter  la  fuite  de  Samory  et  d'amener  sa  ruine 
définitive  et  sa  capture. 

Revenons,  maintenant,  aux  événements  accomplis  dans  la 
partie  nord  de  la  boucle  du  Niger  par  la  mission  du  comman- 
dant Destenave. 

Le  commandant  Destenave  devait  marcher  de  Bandiagara 
sur  Say,  affirmer  sur  sa  route  la  domination  française  et  as- 
surer l'autorité  de  nos  partisans. 


SOUDAN   OCCIDENTAL  217 


Il  partit  de  Bandiagara,  le  8  janvier  1897,  avec  trois  compa- 
gnies (Bizot,  Seal,  Betbeder)  de  110  hommes,  deux  pelotons 
de  spahis  (Beynaguet,  Imbert),  une  section  de  80mm  (Béroud), 
tandis  que  le  capitaine  Minvielle  organisait  une  quatrième 
compagnie  à  Bandiagara. 

Après  plusieurs  combats,  le  pays  des  Samos  fut  soumis, 
et,  le  13  février,  la  colonne  partait  de  Yaba  pour  Ouaghadou- 
gou,  où  elle  entrait  le  20  février.  Après  y  avoir  laissé  une  gar- 
nison d'une  compagnie  et  d'un  peloton  de  spahis,  avec  une 
pièce  de  80ram,  et  nommé  le  capitaine  Seal  résident  au  Mossi, 
le  commandant  Destenave  repartait  pour  le  Yatenga  et  con- 
centrait sa  colonne  à  Ouahigouya,  où  un  poste  était  construit 
pour  soutenir  notre  partisan  Bakaré.  La  colonne  en  repartait, 
le  13  avril,  pour  Dori.  «  Qui  possède  Dori,  dit  la  tradition,  tient 
le  pays  jusqu'à  Say  et  commande  jusqu'à  Sokoto.  »  • 

La  marche,  effectuée  sur  deux  colonnes  marchant  à  15  kilo- 
mètres environ  d'intervalle,  amène  nos  troupes,  le  23  avril,  à 
Aribinda,  où  un  fort  est  construit.  Le  30  avril,  elles  entraient 
à  Dori,  sans  combat.  Une  garnison  de  60  fusils,  30  sabres  et 
une  pièce  de  80mm  y  est  laissée,  avec  les  lieutenants  Bellevue  et 
Hugot,  attendant  la  compagnie  Minvielle,  qui  y  arrive  peu 
après. 

Le  2  mai,  la  colonne,  réduite  à  la  compagnie  Betbeder,  le 
peloton  Beynaguet  et  une  pièce  d'artillerie,  marche  sur  Say. 

Au  bruit  de  notre  marche,  notre  vieil  ennemi  Ahmadou, 
fils  d'El  Hadj  Omar,  qui,  après  la  perte  de  ses  États,  s'était  re- 
tiré sur  le  Niger,  en  amont  de  Say,  s'alliait  avec  les  Touareg 
pour  s'opposer  à  notre  invasion.  On  ne  lui  laissa  pas  le  temps 
d'organiser  la  résistance.  Le  4  mai  1897,  la  mission  entrait  à 
Zebba,  capitale  du  Yagha.  y  laissait  une  garnison  (une  section) 
et  poussait  Ahmadou  au  delà  du  Niger. 

Le  commandant  Destenave  revient  alors  à  Dori  pour  orga- 
niser ses  conquêtes  et,  sans  perdre  de  temps,  pousse  sur  Say 
le  capitaine  Betbeder  et  le  lieutenant  Beynaguet. 

L'occupation  de  Say  se  fit  sans  encombre  (19  mai  1897).  Les 
populations,  fatiguées  de  la  domination  de  leurs  oppresseurs 
et  se  rappelant  la  modération  de  nos  missions  antérieures 


218  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

(Monteil,  Toutée,  Baud,  Hourst)  nous  accueillirent  comme  des 
libérateurs. 

La  mission  du  commandant  Destenave  était  accomplie.  Il 
ne  restait  plus  qu'à  pacifier  les  régions  conquises. 

Le  capitaine  Minvielle,  nommé  résident  à  Dori,  dut  aller 
châtier  les  Touareg  et  leur  tua  140  hommes,  le  6  juin,  à 
Diagourou.  Malheureusement,  nous  y  perdions  le  lieute- 
nant Bellevue,  tué  dans  une  charge.  Ce  combat  ruinait, 
au  Dori,  les  espérances  de  notre  ennemi  Madidou,  chef  des 
Aouellimiden. 

Au  printemps  de  1898,  le  capitaine  de  Coma,  successeur  du 
capitaine  Minvielle,  surprend  les  Touareg  Logomaten  après 
une  marche  de  150  kilomètres  exécutée  en  trois  jours,  et  en 
débarrasse  la  région. 

Ay  Mossi,  le  naba  détrôné  Bockary  Koutou  continue  ses 
intrigues,  soutenu  par  les  Anglais.  Il  oblige  le  capitaine  Seal  à 
plusieurs  reconnaissances,  à  la  suite  desquelles  il  est  refoulé 
sur  le  Boussansé.  Après  une  période  de  calme  constatée  au 
mois  d'août  1897,  le  commandant  Destenave,  qui  pacifiait  le 
Yatenga  à  son  retour  de  Dori,  est  obligé  de  se  porter  sur  le 
Boussansé  pour  y  soutenir  le  capitaine  Seal.  Après  une  série 
de  reconnaissances,  il  force  Bockary  Koutou  à  fuir  à  Gam- 
baka,  où  il  est  accueilli  par  les  Anglais.  Débarrassé  de  ce  côté, 
le  commandant  reconnaît  la  nouvelle  frontière  franco-an- 
glaise et  fonde  des  postes  sur  tout  son  parcours;  puis  il  pé- 
nètre dans  le  Dahomey,  arrive  à  Pâma  le  5  mars  et  rentre  à 
Ouaghadougou  le  22  mars  1898. 

Du  côté  de  Say,  le  capitaine  Betbeder  tranquillise  les  popu- 
lations et  les  rallie  autour  de  nous.  Mais  le  lieutenant  Beyna- 
guet  est  obligé,  le  22  juin  1897,  de  prévenir,  à  Adaré,  une 
attaque  des  indigènes  qu'il  châtie  énergiquement  deux  jours 
après. 

Toutes  ces  opérations  n'étaient,  en  déiinitive,  que  des  actes 
de  police.  Le  pays  était  conquis,  et,  grâce  à  l'habileté  et  à  la 
modération  de  nos  officiers,  on  peut  dire  que,  malgré  des 
révoltes  inévitables,  il  est  satisfait  de  l'avenir  que  nous  lui 
réservons.  On  n'a  eu  en  eiïet  à  signaler  depuis  dix-huit  mois 


SOUDAX    OCCIDENTAL  219 


que  les  tournées  de  police  du  capitaine  Teissonnière  dans  le 
Tierla  (août-novembre  1898),  du  capitaine  Modest  dans  le  Lobi 
(fin  1898),  du  colonel  Pineau  dans  le  Niénégué  (décembre  1898- 
mars  1899),  du  capitaine  Amman  dans  le  Kipirsi  (février  1899), 
du  capitaine  Benoit  et  du  lieutenant  Pruneau  dans  le  Bouaké 
(décembre  1898)  où  ils  eurent  à  soutenir  un  siège  contre  les 
indigènes,  et  enfin  (avril-mai  1899)  du  capitaine  Boutiq  au 
Yatenga. 

Say  une  fois  occupé  et  mis  à  l'abri  des  incursions  des  popu- 
lations de  la  rive  gauche  du  Niger,  il  restait  à  leur  apprendre 
à  nous  connaître.  C'est  à  ce  moment  que  le  capitaine  du  génie 
Cazemajou  reçut  la  mission  de  reconnaître  la  région,  au  nord 
de  la  ligne  Say-Baroua,  que  la  convention  franco-anglaise  du 
1er  avril  1890  laissait  dans  notre  sphère  d'influence. 

Le  capitaine  Cazemajou  traversa  le  Niger  à  Carimana,  en 
décembre  1897,  accompagné  de  l'interprète  Olive  et  d'une  ving- 
taine de  fusils,  passa  à  Argoungou  (1)  à  la  fin  de  janvier  1898, 
et  à  Sokoto,  puis  se  dirigea  ensuite  sur  l'Adar.  Il  était  à  Koussi 
au  mois  de  mars.  De  là,  il  marcha  sur  Zinder,  où  il  fut  attaqué 
par  les  gens  du  pays,  surexcités  par  les  Touareg  et,  parait-il, 
par  un  agent  senoussi.  Les  deux  Français  furent  assassines. 
et  le  reste  de  la  mission  ne  dut  son  salut  qu'à  l'extrême 
énergie  déployée  par  ses  cadres  indigènes.  Les  débris  de  la 
petite  troupe,  qui  eut  six  morts  et  huit  blessés,  furent  re- 
cueillis à  Say,  avec  les  papiers  de  la  mission,  et  l'on  s'occupa 
immédiatement  de  réparer  la  fâcheuse  impression  causée,  au 
delà  du  Niger,  par  cet  événement. 

Une  nouvelle  mission  fut  formée,  sous  les  ordres  des  capi- 
taines Voulet  et  Chanoine,  en  vue  de  reconnaître  en  détail  les 
divers  points  de  la  ligne  Say-Baroua  et  de  se  relier  à  la  mission 
Foureau-Lamy. 

Partis  de  France  à  l'automne  de  1898,  ils  arrivaient  le  2  jan- 
vier 1899  à  Sansanné-Haoussa,  à  150  kilomètres  au  nord  de 


(1)  Le  capitaine  Cazemajou  a  passé  avec  le  chef  d' Argoungou,  le  19  janvier  1898, 
un  traité  de  protectorat  qui  lixait  le  youlbi  N'Kabbi  pour  limite  à  noire  influence. 


220  l'afriqle  politique  en  1900 

Say,  le  capitaine  Voulet  ayant  suivi  la  voie  fluviale  et  le  capi- 
taine Chanoine,  la  voie  de  terre  de  Ségou  sur  Say. 

Au  mois  de  mars,  la  colonne  comprenant  les  lieutenants 
Joalland  et  Pallier,  le  docteur  Heinric,  3  sergents  européens. 
50  tirailleurs  et  20  spahis  réguliers,  environ  200  auxiliaires  et 
un  millier  de  porteurs,  se  portait  au-delà  du  Niger;  puis, 
chassée  par  le  manque  d'eau,  elle  revenait  vers  le  fleuve  pour 
en  repartir  en  marchant  cette  fois  sur  Argoungou.  Le  15  avril, 
elle  se  trouvait  à  Boro-Biré,  d'où  elle  continuait  sa  marche  en 
livrant  des  combats  et  se  frayant  un  passage  par  la  force. 

C'est  vers  cette  époque  que  le  gouvernement  ayant  eu  con- 
naissance de  certains  faits  reprochés  aux  chefs  de  la  colonne, 
de  cruautés  regrettables  qui,  en  ces  pays  primitifs,  accompa- 
gnent toujours  l'état  de  guerre,  et  sont  parfois  ignorées  des 
cadres  européens,  chargea  le  lieutenant-colonel  Klobb  de  pro- 
céder à  une  enquête  et  au  besoin  d'arrêter  et  de  renvoyer  au 
Soudan  les  chefs  de  la  mission. 

Parti  de  Say,  le  11  juin,  avec  le  lieutenant  Meynier,  35  tirail- 
leurs et  quelques  auxiliaires  et  porteurs,  le  lieutenant-colonel 
Klobb  arrivait  à  Dosso  le  15  et  à  Doundahé  le  25  juin. 

Le  13  juillet,  après  diverses  péripéties  et  un  échange  de  cor- 
respondances, le  capitaine  Voulet,  ayant  interdit  au  colonel 
Klobb  d'avancer,  quitta  la  mission  sans  lui  dévoiler  ses 
projets  et  se  porta,  avec  quelques  tirailleurs  au-devant  du 
colonel. 

Il  le  rencontra  le  14  juillet  près  de  Tessaoua  et,  bien  que  le 
colonel  Klobb  ait  refusé  de  se  défendre,  il  ne  craignit  pas  de 
faire  ouvrir  le  feu  contre  lui.  Le  malheureux  colonel  tomba 
frappé  mortellement  tandis  que  le  lieutenant  Meynier  était 
grièvement  blessé. 

Revenu  vers  la  mission  après  avoir  recueilli  le  lieutenant 
Meynier,  le  capitaine  Voulet,  auquel  se  serait  joint  le  capitaine 
Chanoine,  aurait  manifesté  le  projet  de  fonder  un  empire  afri- 
cain, laissant  ses  compagnons  libres  de  rentrer  au  Soudan. 
Une  scission  se  produisit  aussitôt  dans  la  colonne.  Bientôt 
Voulet  et  Chanoine  furent  abandonnés  même  par  les  tirailleurs 
sur  lesquels  ils  avaient  cru  pouvoir  compter;  ayant  cherché  à 


SOUDAN   OCCIDENTAL  221 


user  de  rigueur  pour  les  ramener,  ils  furent  massacrés  l'un 
après  l'autre  aux  environs  de  Mairgui. 

Le  lieutenant  Pallier  rallia  alors  tout  le  personnel  de  la  mis- 
sion et  décida  de  poursuivre  sa  marche  sur  Zinder. 

Il  y  entra  sans  grandes  difficultés,  y  établit  un  poste  et  y  laissa 
un  fort  détachement  avec  le  lieutenant  Meynier.  Puis,  tandis 
que  le  lieutenant  Joalland  poussait  vers  le  Tchad,  le  lieutenant 
Pallier  regagnait  Say,  où  il  arrivait  le  14  novembre,  ramenant 
péniblement  les  tirailleurs  dont  la  fidélité  avait  paru  douteuse. 

Du  côté  de  Tombouctou,  l'année  1897  a  été  signalée  par  la 
mort  du  lieutenant  de  Chevigné,  tué,  le  18  juin,  par  le  rezzou 
formé  par  Abbidin,  marabout  kounta,  qui  avait  réuni  autour 
de  lui  3.000  hommes  des  Tguadaren  et  des  Kel-Temoulaï. 
Diverses  reconnaissances  furent  depuis  lors  dirigées  contre  les 
Touareg. 

Au  mois  de  mai  1898,  une  colonne  de  300  tirailleurs  et  de 
èiO  spahis,  refoula  les  Iguadaren  vers  le  désert.  Une  compa- 
gnie de  tirailleurs,  laissée  à  Bamba  après  cette  petite  expédi- 
dition,  y  fut  attaquée,  le  14  juin,  par  Abidin,  à  la  tête  des 
Kountas  et  des  Iguadaren  qui  se  retirèrent  après  trois  heures 
de  lutte.  Après  un  nouveau  combat  à  Zamgoï,  les  Iguadaren 
firent  leur  soumission.  Le  poste  de  Bamba  fut  définitivement 
organisé  en  octobre  1898. 

A  ce  moment,  le  commandant  Crave  partait  de  Dori,  mar- 
chant à  la  rencontre  du  lieutenant-colonel  Klobb  qui  descen- 
dait le  Niger,  venant  de  Tombouctou.  Il  se  heurtait  aux 
Touareg,  les  rejetait,  après  plusieurs  combats  acharnés,  au 
delà  du  Niger,  et  installait  des  postes  à  Douasou  et  Zinder.  Le 
25  décembre  il  faisait  sa  jonction  vers  Ansongo,  avec  la  co- 
lonne Klobb. 

Le  programme  assigné  aux  deux  colonnes  était  le  suivant  : 
protéger  la  mission  Voulet  jusqu'à  son  départ  du  Niger  et 
chasser  les  Touareg  au  delà  du  fleuve.  Elles  devaient  se  réunir 
entre  Say  et  Zinder  et  soumettre  les  tribus  riveraines  du  Niger. 
Cette  mission  fut  remplie  entièrement.  Outre  les  postes  créés 
par  le  commandant  Crave,  le  colonel  Klobb  fondait,  après  plu- 


222  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

sieucs  combats,  ceux  de  Gao,  Taoussa  et  Ansongo,  de  manière  à 
interdire  aux  Touareg  tout  accès  vers  le  Niger. 

L'année  1899  a  vu,  de  ce  côté,  la  pacification  se  continuer. 
Les  Kel  Antassar  paraissent  s'être  soumis  comme  les  Allay  ; 
les  Kountas  paient  tribut,  et  l'on  n'a  eu  à  signaler,  en  fait  d'o- 
pérations de  police  récente,  que  la  dispersion  opérée  près  de 
Fafa,  le  19  juin  dernier,  par  le  capitaine  Henrys,  d'un  rezzou 
formé  par  Madidou  et  Abidin,  la  répression,  au  mois  de  mai. 
de  la  petite  révolte  de  Kentadji  et  les  succès  obtenus  par  le  co- 
lonel Septans  et  le  capitaine  Moll  à  la  fin  de  1899. 

Vers  le  Nord-Ouest,  la  mission  confiée  à  M.  Coppolani  par  le 
général  de  Trentinian  a  eu  un  plein  succès  et  amené  la  sou- 
mission des  Maures  Medjdouf  et  Alloueh.  Cette  soumission,  ac- 
compagnée de  celles  des  Sidi  Mahmoud,  des  Oulad  Embarek 
et  des  Oulad  Nacer,  parait  devoir  assurer  la  pacification  de 
toute  la  région  habitée  ou  parcourue  par  les  tribus  maures. 
Cette  région  prendra  le  nom  de  Mauritanie  occidentale  et  sera 
administrée  par  M.  Coppolani. 

Tels  sont,  trop  brièvement  énumérés,  eu  égard  à  l'intérêt 
qu'ils  présentent,  les  derniers  événements  qui  viennent 
d'asseoir  définitivement  notre  domination  sur  les  rives  du 
Niger. 

Le  Soudan  est  conquis.  Il  faut  maintenant  l'occuper  et  sur- 
tout le  conserver.  Ce  n'est  pas  du  jour  au  lendemain  que  ses 
populations,  quel  que  soit  leur  désir  de  vivre  en  paix  sous 
notre  domination,  se  rallieront  à  nous  sans  arrière-pensée.  Il 
y  aura  encore  des  ambitions  à  abattre,  des  révoltes  à  étouffer 
et,  plus  encore,  des  attaques  étrangères  à  repousser. 

L'étude  de  la  défense  du  Soudan  contre  une  invasion  étran- 
gère ne  saurait  sembler  prématurée.  Il  suffira  de  se  reporter 
aux  événements  de  la  fin  de  1898  qui  ont  amené  l'apparition 
d'une  escadre  anglaise  devant  Dakar,  de  se  rappeler  l'àpreté 
des  revendications  de  nos  rivaux  et  de  jeter  les  yeux  sur 
les  enclaves  étrangères  semées  parmi  nos  possessions  d'Afri- 
que pour  ne  plus  envisager  l'avenir  avec  autant  de  sécurité. 

D'ailleurs  depuis  un  an  on  n'est  pas  resté  inactif  au  Soudan. 


SOUDAN    OCCIDENTAL  223 


Sept  compagnies  de  gardes-frontières  ont  été  formées  et  on  a 
procédé  à  l'organisation  et  à  l'encadrement  de  14.000  hommes 
de  réserve  parmi  des  indigènes  choisis  ou  d'anciens  tirailleurs. 

Pendant  l'année  1900  des  renforts  en  personnel  et  en  maté- 
riel ont  été  dirigés  sur  le  Soudan.  Un  supplément  de  23  officiers 
et  de  66  sous-officiers  y  a  été  envoyé  et  l'année  1900  verra  en- 
core se  développer  de  ce  côté  nos  ressources  militaires. 

Nous  sommes  vulnérables  au  Soudan  par  nos  côtes,  par 
une  révolte  possible  de  nos  sujets  et  par  les  enclaves  étran- 
gères. 

Des  révoltes  locales  seront  évidemment  toujours  à  craindre, 
mais  il  n'y  a  guère  lieu  de  prévoir,  à  moins  de  fautes  considé- 
rables, une  insurrection  d'ensemble. 

Nos  côtes  se  défendront  d'elles-mêmes  par  les  points  forts 
qu'on  y  établira  en  des  situations  à  déterminer  par  leur  im- 
portance actuelle,  par  les  moyens  de  communication  qu'elles 
tiennent  et  interdisent,  par  les  garnisons  qu'on  leur  donnera  : 
Saint-Louis,  comme  capitale,  situé  à  l'embouchure  du  Séné- 
gal; Dakar,  par  sa  merveilleuse  situation  maritime  et  straté- 
gique, Konakry  et  les  bouches  des  principaux  fleuves  côtiers 
de  la  Guinée  sont  autant  de  points  remarquables  qu'il  s'agit 
de  protéger  et  d'interdire  à  l'ennemi. 

Si,  comme  précaution  immédiate,  on  ajoute  à  ce  pro- 
gramme que  les  voies  pénétrantes  devront  être  peu  nom- 
breuses, à  grand  rendement,  et  aboutir  aux  points  protégés; 
que  ces  voies,  les  seules  possibles  pour  un  envahisseur,  seront 
autant  de  défilés  faciles  à  défendre  —  surtout  dans  la  traversée 
de  la  forêt  dense  —  ou  à  détruire  momentanément,  on  recon- 
naîtra que.  même  avec  des  ressources  assez  faibles,  il  sera 
facile  d'obliger  l'ennemi  a  reporter  ailleurs  que  sur  nos  côtes 
ses  tentatives  de  débarquement  et  d'invasion. 

Les  enclaves  étrangères  offrent,  d'ailleurs,  à  l'ennemi  bien 
plus  de  commodité  et  de  ressources.  Il  est  inutile  d'insister 
sur  un  pareil  sujet,  qui  a  déjà  éveille  l'attention  de  nos  officiers. 
Il  suffira  de  faire  remarquer  qu'une  invasion  possible  ne  devra 
pas  trouver  en  défaut  nos  services  de  renseignements,  que  les 
routes  d'invasion,  toujours  peu  nombreuses,  devront  être 


224  L 'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

reconnues  et  étudiées  et  les  garnisons  placées  à  proximité. 
Celles-ci  gagneront  à  ne  point  être  éparpillées  sans  nécessité  et 
à  être  concentrées  en  des  points  stratégiques  convenablement 
choisis  dans  les  régions  remarquables,  telles  que  le  Fouta-Djal- 
lon,  les  pays  de  Bissandougou  et  Mousardou,  ceux  de  Kong  et 
Bondoukou,  la  région  montagneuse  entre  le  Gourounsi  et  le 
Gourma,  les  contrées  de  Garnot ville  et  de  Nikki. 

Tout  plan  de  défense  militaire  ou  d'exploitation  commer- 
ciale comporte  un  programme  de  voies  de  communication 
conçu  avec  ensemble  et  continuité. 

Déjà,  nous  possédons,  outre  les  voies  fluviales,  deux  grandes 
voies  de  pénétration  ouvertes  au  moyen  de  la  main-d'œuvre 
indigène,  par  le  lieutenant-colonel  de  Trentinian.  L'une,  de 
Saraféré  près  Tombouctou  à  la  frontière  du  Dahomey,  mesure 
10  mètres  de  largeur  et  900  kilomètres  de  longueur.  L'autre 
va  de  Mopti  sur  le  Niger  à  Say  et  mesure  800  kilomètres.  Ces 
routes  précèdent  les  chemins  de  fer  à  venir.  Nous  continuons, 
en  outre,  à  construire  lentement  et  péniblement,  faute  de  cré- 
dits, la  voie  ferrée  de  Kayes  à  Bamako  et  Koulikoro. 

Les  travaux  ont  été  commencés  en  1881.  En  1898,  on  avait 
construit  176  kilomètres  seulement.  Afin  de  réduire  les  dé- 
penses et  de  mettre  de  l'ordre  dans  les  travaux,  on  a  fait  appel, 
en  1893,  au  concours  du  génie  militaire.  Depuis  lors,  les 
recettes,  qui,  en  1893,  étaient  de  129.660  francs,  ont  monté,  en 
1899,  à  452.000  francs.  Dans  son  rapport,  présenté  à  la  com- 
mission du  budget  de  1900,  M.  Le  Hérissé  a  fait  connaître  que 
la  voie  avait  été  poussée  en  1899  à  41  kilomètres  au  delà 
d'Oualia,  c'est-à-dire  à  217  kilomètres  de  Kayes.  Il  est  à  espérer 
qu'en  raison  des  mesures  de  construction  simultanée  récem- 
ment prises  au  moyen  de  la  main-dœuvre  supplémentaire 
fournie  par  les  sofas  de  Samory,  la  ligne  entière  pourra  être 
livrée  en  1904.  On  aura  donc  mis  vingt-trois  ans  à  construire 
536  kilomètres.  A  ce  compte-là,  le  Transsaharien  exigerait  plus 
d'un  siècle  et  demi. 

Ce  fait  montre  encore  davantage  la  nécessité  de  dresser  un 
plan  d'ensemble  pour  la  construction  de  nos  chemins  de  fer 


SOl'DAN    OCCIDENTAL 


m\ 


coloniaux  et  pour  les  crédits  à  leur  consacrer,  qu'on  les 
demande  au  budget  de  la  métropole  ou  à  des  emprunts  colo- 
niaux. 

En  tout  état  de  cause,  les  voies  ferrées,  construites  dès  le 
début  à  la  largeur  de  1  mètre,  devront  suivre  les  voies  natu- 
relles sans  trop  s'inquiéter  de  desservir  telle  ou  telle  localité 
dont  le  transit  peut  être  sujet  à  déplacement. 

C'est  ainsi  que,  faisant  suite  aux  voies  transsahariennes  déjà 
entrevues,  une  ligne  partant  de  Tombouctou  aboutirait  à 
Kong  et  de  là  à  Abidjean;  la  voie  de  Kayes  au  Niger  conti- 
nuerait vers  Sikasso,  Ouaghadougou,  Say  et  Zinder;  elle  serait 
rejointe  sur  le  Niger  par  la  ligne  venant  d'un  côté  de  Konakry 
et  de  l'autre  du  Cavally  et  de  Mousardou;  à  Say  aboutirait 
la  ligne  qui,  partie  de  Cotonou,  passerait  à  Nikki  et  près  d'Ilo. 

Cette  œuvre  des  artères  principales  terminée,  les  intérêts 
particuliers  fixeraient  le  programme  ultérieur  :  d'ici  là  les 
enclaves  étrangères,  commercialement  investies  et  peut-être 
pacifiquement  tombées  en  notre  pouvoir,  ne  seraient  plus  un 
obstacle  au  développement  d'ensemble  de  notre  Afrique  et 
contribueraient,  au  contraire,  à  sa  grandeur  et  à  sa  prospé- 
rité. 

* 

*  t  * 

Arrosé  par  plusieurs  grands  fleuves  et  par  un  grand  nom- 
bre d'affluents,  le  Soudan  français  se  prête  à  la  culture  de 
presque  tous  les  produits  tropicaux. 

Dévasté  de  tout  temps  par  la  guerre  la  plus  sauvage,  il  n'est 
pas  étonnant  que  les  voyageurs  qui  ont  examiné  superficielle- 
ment certains  côtés  du  pays  n'y  aient  pas  trouvé,  au  premier 
coup  d'oeil,  les  éléments  d'une  prospérité  immédiate.  Cette 
prospérité,  reposant  sur  les  ressources  du  pays  et  sur  l'abon- 
dance de  la  main-d'œuvre  indigène,  ne  peut  manquer  de 
prendre  un  sérieux  essor  le  jour  où  le  pays,  complètement 
pacifié,  sera  en  mesure  de  se  livrer,  sans  crainte  des  pertur- 
bations politiques,  à  l'agriculture  et  au  commerce. 

Outre  leurs  richesses  agricoles,  ces  régions  possèdent  des 

Afr.  polit.  15 


226  l'afrique  politique  en  1900 

gisements  miniers  qui  n'attendent,  pour  être  mis  en  valeur, 
que  l'établissement  de  voies  de  communication  sûres  et 
faciles. 

Les  alluvions  de  nombreuses  rivières  contiennent  de  l'or. 
Le  sol  tout  entier  du  Bambouk  est  un  immense  placer  d'or. 

La  Falémé,  les  marigots  qui  s'y  déversent,  les  moindres  ruis- 
seaux roulent  des  paillettes  d'or.  Outre  l'or,  le  Bambouk  renferme 
des  gisements  de  plomb  argentifère,  des  minerais  de  cuivre,  d'étain 
et  de  fer.  (Capitaine  Ancelle.) 

Dans  son  ouvrage  L'Expansion  coloniale  de  la  France  (1886), 
M.  de  Lanessan  s'exprime  ainsi  : 

L'or  existe  en  abondance  dans  les  territoires  d'alluvions  que  tra- 
versent les  affluents  du  Sénégal;  il  est  surtout  abondant  dans  le 
Bambouk,  qui  est  en  même  temps  l'un  des  territoires  les  plus  fer- 
tiles. Il  est  surtout  abondant  dans  le  Bouré.  Plus  on  se  rapproche 
de  la  Falémé,  plus  l'abondance  de  la  poudre  d'or  et  la  grosseur  des 
pépites  augmentent. 

On  a  vu  plus  haut  quel  était  le  rôle  véritable  et  spécial  qu'il 
convient  d'assigner  à  Tombouctou  dans  le  commerce  du 
Soudan. 

Tombouctou,  avec  ses  trois  ports  de  Kabara,  Day  et  Ko- 
riumé,  reçoit  du  Nord  le  sel  provenant  des  mines  de  Taou- 
deni,  sur  la  route  du  Maroc,  dans  le  désert  d'El  Djouf. 

A  cette  denrée  s'ajoutent  les  dattes  et  le  tabac  du  Touat. 
Les  caravanes  viennent  du  Maroc  (par  Arouan),  du  Touat, 
de  Ghadamès  et  de  Mourzouk,  portant  à  dos  de  chameau 
leurs  produits  jusqu'à  Tombouctou.  Là,  elles  sont  déchargées 
dans  des  pirogues  et  des  chalands,  qui  les  transportent  sur  le 
Niger,  où  on  les  livre  dans  diverses  escales  aux  caravanes  de 
la  boucle  du  fleuve.  Celles-ci,  en  échange,  confient  aux  ba- 
teaux le  mil  et  autres  denrées  du  Soudan. 

Dans  les  docks  et  magasins  de  Tombouctou  se  produit  donc 
un  simple  transbordement  de  marchandises,  un  va-et-vient 
nécessité  par  la  nature  différente  des  pays  situés  au  nord  et  au 
sud  de  la  ville  :  plaines  de  sable  d'un  côté  et,  de  l'autre,  con- 
trées fertiles  arrosées  par  de  nombreux  cours  d'eau. 


SOUDAN   OCCIDENTAL  227 


C'est  aujourd'hui  sur  les  douanes  du  Sénégal  qu'il  faut 
compter,  outre  les  subventions  de  la  métropole,  pour  doter 
les  travaux  publics  qui  s'imposent  dans  la  colonie  (1).  C'est 
ainsi  qu'en  1898  le  Soudan  a  été  autorisé  à  emprunter  environ 
920.000  francs,  remboursables  en  quatre  ans,  pour  continuer 
le  chemin  de  fer  de  Kayes  au  Niger.  Les  annuités  nécessai- 
res à  l'amortissement  doivent  être  prélevées,  jusqu'à  con- 
currence de  250.000  francs  par  an,  sur  le  produit  des  douanes 
du  Sénégal. 

Les  recettes  des  douanes  vont  d'ailleurs  se  ressentir  de  l'état 
de  paix  qui  commence  au  Soudan.  Dès  1896,  le  commerce  de 
Tombouctou  dépassait  un  demi-million  par  trimestre.  De  ses 
oscillations  on  peut  tirer  des  conclusions  sur  les  variations  du 
commerce  général  du  pays,  et  de  son  accroissement  continu 
on  peut  déduire  que  l'amélioration  des  transactions  est  en 
bonne  voie. 

Ces  régions  ne  sont,  d'ailleurs,  qu'imparfaitement  recon- 
nues. Maintenant  qu'il  s'agit  de  les  mettre  en  état  d'exploita- 
tion, il  est  nécessaire  de  fournir  à  nos  négociants  des  don- 
nées certaines  sur  les  ressources  du  pays.  C'est  à  ce  travail 
d'ensemble  que  s'est  livrée  la  mission  technique  qui  a 
quitté  la  France,  au  mois  de  novembre  1898,  sous  la  direction 
du  général  de  Trentinian,  lieutenant- gouverneur  du  Soudan. 

A  la  veille  de  son  départ,  le  général  caractérisait  lui-même 
son  rôle  comme  il  suit  : 

Ma  tâche  est  double,  a-t-il  dit.  D'une  part,  elle  consistera  à  main- 
tenir la  paix  absolue  dans  les  immenses  territoires  définitivement 
conquis,  à  être  très  économe  des  deniers  de  l'Étatet  à  hàler  le  jour, 
déjà  proche,  où  la  colonie  paiera  toutes  ses  dépenses. 

D'autre  part,  dans  un  délai  très  court,  faire  sortir  du  Soudan  des 
centaines  de  tonnes  de  caoutchouc,  de  gomme,   d'arachides,  de 


(1)  Budget  de  1899  : 

Sénégal.  —  Recettes  :  3.929.367  francs.  Dépenses  :  même  chiffre. 
Soudan.  —  Recettes  :  2.725.o00  francs.  Dépenses  :  même  chiffre. 
Commerce  du  Soudan  (moyenne  des  dernières  années)  : 

Importations  par  le  Sénégal  :  il. 808.000  francs; 

Exportations  (Europe  et  Sénégal)  :  2.702.000  francs. 


228  l'afrique  politique  en  1900 


coton,  de  ce  coton  qui  abonde  depuis  Tombouctou  jusqu'au  Fouta- 
Djallon,  depuis  Kayes  jusqu'à  Say  —  et  qui  vaut  celui  d'Amérique 
et  d'Egypte  —  enfin  commencer  l'exportation  des  produits  du  sol 
et  du  sous-sol,  que  mes  collaborateurs,  hommes  distingués  et  pra- 
tiques, vont  à  coup  sur  mettre  très  vite  en  lumière. 

Le  général  de  Trentinian  concluait  en  demandant  rétablis- 
sement de  voies  de  communication  et  de  moyens  propres  à 
développer  l'attachement  des  indigènes.  xVvecson  passé  et  ses 
talents,  le  général  de  Trentinian  ne  pouvait  manquer,  comme 
le  général  Galliéni  à  Madagascar,  de  mettre  en  lumière  et  de 
faire  davantage  apprécier  les  qualités  administratives  de  nos 
officiers. 


Tel  est,  considéré  à  grands  traits,  le  Soudan  occidental.  Il 
suffît,  pour  juger  de  son  rôle  à  venir,  de  jeter  les  yeux  sur 
une  carte  d'Afrique,  et  de  constater  combien  est  heureuse  la 
situation  de  cette  bosse  du  continent  africain,  envisagée  dans 
ses  rapports  avec  les  continents  voisins  d'Europe  et  d'Amé- 
rique. 

Dans  le  va-et-vient  des  échanges  qui  s'effectuent,  et  que 
l'humanité  développera  tous  les  jours  davantage  entre  l'Eu- 
rope et  l'Amérique  du  Sud,  entre  l'Afrique  et  l'Amérique  du 
Nord,  les  ports  et  refuges  de  la  côte  occidentale  d'Afrique  ne 
peuvent  manquer  d'acquérir  une  situation  privilégiée  et  un 
rôle  prépondérant.  Ils  le  devront  non  seulement  à  leur  com- 
merce de  transit,  mais  plus  encore  à  ce  fait  qu'ils  seront  les 
entrepôts  des  denrées  produites  par  une  terre  privilégiée  et 
favorisée  de  toutes  manières. 

Le  rôle  de  cette  partie  de  l'Afrique  sera  peut-être  plus 
considérable  encore  au  point  de  vue  politique  à  cause  de  sa 
proximité  de  la  vieille  Europe  et  de  l'heureuse  situation  stra- 
tégique dont  on  vient  de  parler. 

On  a  calculé  que  le  Sénégal  et  le  Soudan  avaient  coûté  à  la 
France,  juqu'en  1898,  environ  200  millions.  Il  faudrait  mettre 


SOUDAN    OCCIDENTAL  229 


en  regard  ce  que  ces  pays  lui  ont  rapporté  aux  points  de  vue 
de  sa  richesse,  de  son  prestige  et  de  son  avenir. 

Toutes  ces  considérations  sont  de  nature  à  faire  ardemment 
désirer  l'acquisition  plus  complète  encore  et  l'incorporation 
définitive  de  ces  vastes  contrées  du  Soudan  occidental  à  la 
patrie  française.  Les  sacrifices  réellement  minimes  en  compa- 
raison des  résultats  à  obtenir,  que  l'on  fait  aujourd'hui 
pour  arrondir  le  domaine  de  la  France  en  ces  régions,  se 
trouvent  amplement  justifiés  par  l'examen  que  nous  venons 
de  faire  de  la  valeur  de  ces  territoires.  Et  s'il  était  nécessaire 
de  les  justifier  davantage,  il  suffirait  de  rappeler  ces  mots 
d'un  penseur  aux  larges  vues  : 

Le  jour  où  cet  immense  territoire  sera  organisé,  traversé  par  çles 
voies  de  communication,  où  il  sera  vraiment  devenu  une  France  du 
Soleil,  qui  sait,  avec  ses  immenses  réserves  d'hommes  de  guerre, 
de  quel  poids  la  mère  pairie  pourra  peser  même  dans  la  vieille 
Europe!  (Elisée  Reclus.) 


230  l'afrique  politique  en  1900 


Soudan  central. 


Division  du  pays.  —  L'Empire  du  Sokoto.  —  Zones  d'influence  française  et  anglaise. 
—  Le  Bornou.  —  Les  conquêtes  de  Rabah.  —  L'Adamaoua.  —  Partage  du  pays 
entre  l'Angleterre,  la  France  et  l'Allemagne.  —  Rôle  possible  de  l'empire  de 
Rabab. 


C'est  le  pays  compris  entre  la  branche  orientale  du  Niger  et 
le  lac  Tchad  prolongé  par  le  cours  du  Chari. 

Il  comprend  trois  pays  principaux  : 

Le  Sokoto; 
Le  Bornou; 
L'Adamaoua. 

Ce  sont  trois  pays  musulmans,  qui  entretiennent  ensemble 
et  avec  leurs  voisins  de  nombreuses  et  fréquentes  relations 
commerciales.  Leur  civilisation,  révélée  d'abord  par  Barth, 
puis  encore  plus  complètement  par  le  colonel  Monteil,  est 
beaucoup  plus  avancée  que  celle  de  tous  les  pays  environ- 
nants. Nous  en  reparlerons  plus  loin  en  même  temps  que 
nous  étudierons  leurs  populations  et  leurs  conditions  d'exis- 
tence. 

Celles-ci  paraissent  devoir  être  bientôt  profondément  mo- 
difiées, autant  par  l'influence  de  jour  en  jour  croissante 
que  les  Européens  acquièrent  dans  ces  régions,  que  par  suite 
de  la  révolution  politique  provoquée  dans  ces  derniers  temps 
par  les  événements  du  Soudan  égyptien. 

On  connaît  assez  mal  encore  les  conditions  dans  lesquelles 
Rabah,  le  conquérant  du  Baguirmi,  a  pu  s'installer  au  Bor- 
nou ;  mais  le  fait  seul  du  développement  de  sa  puissance 
peut  avoir  sur  la  politique  soudanaise  des  Anglais,  des  Alle- 
mands et  des  Français  une  influence  prépondérante. 

Un  empire  relativement  fort,  venant  grouper  autour  du 
Tchad  des  peuples  jadis  en  décadence,  et  qui  demain  peut- 


SOUDAN   CENTRAL  231 


être  retrouveront  leurs  instincts  guerriers  d'autrefois,  tel  est 
le  fait  qui  pourrait  modifier  radicalement  les  visées  des  puis- 
sances européennes  sur  ces  pays,  considérés  naguère  comme 
voués  à  une  domination  facile. 

Il  manquait  à  ces  peuples  un  gouvernement  un  peu  éclairé, 
la  conscience  de  leur  force  et  l'énergie  nécessaire  pour  assurer 
leur  indépendance.  Rabah,  l'ancien  marchand  d'esclaves, 
doit-il  continuer  à  rester  semblable  aux  autres  conquérants 
soudanais,  portant  comme  Attila  la  dévastation  sur  son  pas- 
sage, et  considérant  les  peuples  comme  un  bétail  à  exploiter  ; 
ou  bien  aura-t-il  la  conscience  ou  mieux  l'intuition  du  rôle 
qu'il  pourrait  être  appelé  à  jouer,  et  que  les  circonstances  lui 
ont  jusqu'ici  imposé?  L'avenir  nous  l'apprendra,  tandis  que 
le  présent  et  même  le  passé  restent  encore  pour  nous  plongés 
dans  une  demi-obscurité,  qui  nous  empêche  de  tirer  des  évé- 
nements de  ces  dernières  années  des  conclusions  précises. 

En  tout  état  de  cause,  il  n'est  pas  inutile  de  revenir  rapi- 
dement sur  l'histoire  de  ces  pays,  et  de  montrer  comment 
elle  a  pu  contenir  le  germe  des  événements  qui  continuent  à 
se  dérouler  autour  du  Tchad. 


232  l'afrique  politique  en   [900 


Le  Sokoto. 


Les  renseignements  les  plus  précis  qui  nous  sont  donnés 
sur  l'histoire,  la  géographie  et  la  politique  de  ces  contrées 
sont  contenus  dans  le  récit  des  voyages  du  colonel  Monteil. 
En  attendant  que  des  missions  ultérieures  nous  donnent  sur 
ces  régions  des  aperçus  nouveaux,  c'est  à  l'ouvrage  de  l'émi- 
nent  explorateur  qu'il  faut  faire  appel  pour  exposer  briève- 
ment les  conditions  actuelles  des  populations  du  Soudan 
central. 

Le  premier  groupement  politique  important  que  l'on  ren- 
contre à  l'est  de  la  boucle  du  Niger  est  l'empire  du  Sokotô 
qui  paraît  encore  comprendre  le  Kabbi,  le  Koui,  le  Zanifara, 
le  Katsena,  le  Kano,  le  Gober,  le  Marodi,  le  Kasaoura,  le 
Messaou,  le  Hadeidjia,  le  Baoutêtu,  le  Goudjba,  le  Zozo  et  le 
Djerma. 

Au  commencement  du  siècle,  un  marabout  de  race  peul, 
nommé  Othman,  souleva  les  Foulas  contre  les  Haoussas  et 
fonda  un  vaste  empire  qu'il  divisa  en  deux  tronçons  attribués 
à  chacun  de  ses  fils.  A  l'un  échut  le  Gando,  vaste  pays  à  che- 
val sur  le  Niger,  entre  le  Sokoto  et  le  Mossi.  Le  second  obtint 
l'empire  du  Sokoto  ou  de  Wourno,  qui  s'étend  jusqu'au  Bornou 
et  à  l'Adamaoua.  Ce  dernier  pays  est,  nominalement  tout  au 
moins,  tributaire  du  Sokoto. 

Tout  ce  pays  est  habité  par  la  race  haoussa,  dominée  depuis 
le  commencement  du  siècle  par  les  Peuls,  race  intéressante  et 
dont  il  convient  de  parler  pour  se  rendre  compte  des  événe- 
ments qui  viennent  de  se  dérouler  au  Soudan. 

Les  Peuls,  appelés  aussi  Pouls,  Foulbé,  Foullahs,  Fellatahs, 
Fellani,  Foulfouldé,  se  retrouvent  partout  disséminés  entre 
l'Atlantique  et  le  Tchad.  Leur  origine  première  se  perd  dans 
les  légendes.  Viennent-ils  d'Asie,  du  plateau  central  asiatique, 


LE   SOKOTO  233 


comme  le  pensait  le  général  Faidherbe,  ou  bien  des  bords  du 
Nil,  comme  on  l'a  soutenu?  Il  est  difficile  de  le  savoir.  Plus  ré- 
cemment, ils  ont  fondé,  vers  lexive  siècle,  un  vaste  empire  sou- 
danais, et  ils  se  disent  originaires  du  Fouladougou  au  nord-est 
de  Kita. 

Musulmans  tolérants,  ils  ont  à  un  haut  degré  l'instinct  de  la 
domination,  et  ils  se  distinguent  des  noirs  par  leur  teint  rouge 
brique,  leur  visage  ovale,  leur  nez  aquilin,  leurs  attaches  fines, 
leur  front  large  et  élevé.  Ils  ont  une  réputation  d*intelligence 
partout  établie,  et  ils  prétendent  descendre  de  la  race  blanche. 

Pasteurs  et  nomades,  ils  se  sont  mélangés  un  peu  partout 
aux  peuples  qu'ils  ont  conquis,  et,  par  leur  croisement  avec  les 
Ouolofs,  ils  ont  donné  naissance  aux  Toucouleurs  ou  Torodos, 
considérés  par  les  Peuls  eux-mêmes  comme  la  race  noble  par 
excellence. 

Dans  le  Sokoto,  ils  tiennent  sous  leur  domination  lesHaous- 
sas,  qui  peu  à  peu  se  sont  désafïectionnés  d'eux,  et  qui  ont 
nécessité,  en  1892,  une  expédition  par  laquelle  l'empereur 
Aliderraman  a  pu  rétablir  son  autorité  sur  les  pays  entre  le 
Sokoto  et  le  Niger. 

La  puissance  de  cet  empire  paraît  donc  assez  superficielle, 
et  il  n'est  pas  étonnant  que  les  Anglais  de  la  Compagnie  du 
Niger  aient  pu  espérer  établir  sans  difficulté  leur  influence  sur 
ces  vastes  contrées.  Ils  y  croyaient  d'autant  plus  que  les 
Haoussas,  race  énergique  et  très  adonnée  au  commerce,  ont 
paru  envisager  sans  trop  de  méfiance  leurs  entreprises  com- 
merciales. 

Le  commerce  est  très  développé  dans  le  Soudan  central.  La 
métropole  de  ce  pays,  au  point  de  vue  des  relations  des 
négociants  entre  eux,  est  Kano,  importante  ville  d'environ 
60.000  habitants,  qui  est  le  point  de  passage  de  tous  les  mu- 
sulmans soudanais  qui  se  rendent  à  La  Mecque,  et  qui  reçoit 
chaque  année  dans  ses  murs  une  population  flottante  de  près 
de  deux  millions  de  voyageurs. 

Dans  tout  le  Soudan  on  est  habitué  à  tirer  des  traites  paya- 
bles à  Kano,  où  se  tient  un  marché  quotidien. 

Kano  est  le  centre  du  commerce  de  la  kola,  qui,  venue  de  la 


231  l'afrique  politique  en  1900 

côte  ouest,  est  portée  par  les  caravanes  jusqu'à  Khartoum  et 
au  delà. 

Un  traité  de  commerce  a  été  passé  par  le  capitaine  Monteil 
avec  l'empereur  du  Sokoto,  par  lequel  il  fut  accueilli  favorable- 
ment en  1891.  A  ce  moment,  paraît-il,  aucun  traité  ne  le  liait 
aux  Anglais,  bien  que  ceux-ci,  lors  des  négociations  entamées 
à  Paris  en  1890,.  aient  affirmé  posséder  des  droits  sur  cet 
empire. 

Le  traité  anglo-français  du  5  août  1890,  établissant  la  ligne 
Say-Baroua  comme  limite  de  la  zone  d'influence  des  deux 
nations,  fut  édifié  sur  cette  affirmation  qui  fut  depuis  lors  re- 
connue mal  fondée.  Ce  traité  était  donc  vicié  dans  son  prin- 
cipe: il  est  d'ailleurs  certain  que  les  Anglais  n'ont  pas  mieux 
réussi  depuis  1892  que  par  le  passé  à  établir  un  semblant  d'in- 
fluence sur  le  Sokoto.  Les  récents  événements  qui  se  sont  dé- 
roulés sur  le  Niger,  et  que  nous  avons  relatés  plus  haut,  en 
sont  la  preuve  manifeste. 

La  France,  grâce  au  traité  Monteil  (28  octobre  1897),  était 
cependant,  dès  1895,  en  bonne  situation  pour  répondre  de  ce 
côté  aux  exigences  anglaises,  et  la  mission  hydrographique 
du  Niger,  envoyée  de  Tombouctou  vers  Say  et  le  bas  fleuve, 
nous  donnait  un  titre  à  ajouter  à  ceux  que  nous  possédions 
déjà. 

Entre  le  Mossi  et  la  Benoué,  s'étend  le  pays  de  Gando,  qui 
faisait  autrefois  partie  de  l'empire  du  Sokoto  et  qui  semble  ne 
plus  tenir  à  lui  que  par  des  liens  très  relâchés.  On  a  déjà 
parlé  des  prétentions  allemandes  sur  le  Gando.  C'était  en  quel- 
que sorte,  dans  ces  derniers  temps,  un  État  tampon  entre  le  So- 
koto et  la  Compagnie  du  Niger,  dont  les  relations  commer- 
ciales et  les  expéditions  se  sont  exercées  uniquement  sur  les 
indigènes  du  bas  fleuve  et  nullement  dans  la  direction  du 
Sokoto,  de  l'Adamaoua  ou  du  Mouri. 

Cette  dernière  contrée,  visitée,  comme  on  le  sait,  par  le  lieu- 
tenant Mizon,  qui  y  a  été  bien  accueilli  par  le  sultan,  paraît 
être  aujourd'hui  un  État  indépendant,  bien  qu'il  soit  nomina- 
lement tributaire  du  Sokoto.  Il  est  situé  entre  le  Sokoto,  le 
Bornou  et  l'Adamaoua. 


LE    SOKOTO  233 


A  la  suite  des  démêlés  de  la  Compagnie  du  Niger  avec  le 
lieutenant  Mizon,  le  gouvernement  français,  interprétant 
rigoureusement  le  traité  anglo-français  du  5  août  1890,  a 
renoncé  aux  avantages  accordés  par  le  sultan  du  Mou  ri  au 
lieutenant  Mizon. 

Dès  lors,  la  Compagnie  du  Niger  a  pu  se  livrer  sans  empê- 
chement, de  ce  côté  aussi  bien  que  vers  l'Adamaoua,  à  tous 
ses  désirs  d'expansion  commerciale.  Mais  ses  efforts  n'ont  été 
jusqu'ici  couronnés  que  d'un  succès  relatif.  En  définitive,  le 
Sokoto,  qui  a  accepté  de  recevoir  un  résident  ou  plutôt  un 
ambassadeur  anglais,  a  refusé  énergiquement  tout  envoi  de 
troupes  britanniques.  Le  sultan  s'y  considère  comme  entière- 
ment indépendant  et,  malgré  le  départ  tout  récent  de  la  mis- 
sion religieuse  de  l'évêque  Tugwell  qui  se  rend  à  Kano,  il 
s'écoulera  vraisemblablement  quelque  temps  encore  avant  que 
les  visées  anglaises  prennent  la  forme  d'une  intervention. 
A  l'heure  actuelle,  et  malgré  les  fautes  passées,  la  France  est 
plus  près  du  Sokoto  que  l'Angleterre. 


236  l'afrique  politique  ex  1900 


Le  Bornou. 


Les  Peuls  du  Sokoto  appellent  le  Bornou  la  Terre  du  men- 
songe. Les  deux  pays  diffèrent,  en  effet,  en  de  nombreux  points. 
Tandis  que  le  Sokoto  est  un  pays  policé,  habité  par  des  popula- 
tions bienveillantes,  le  Bornou  est  peuplé  par  la  race  kanori  et 
par  des  Arabes,  gens  vaniteux,  défiants  et  peu  hospitaliers. 

Au  moment  du  passage  de  la  mission  Monteil,  qui  entra  dans 
le  Bornou  au  mois  de  mars  1892,  la  dynastie,  régnant  depuis  le 
commencement  du  siècle,  était  représentée  par  Scheik  Ashim, 
prince  faible,  dominé  par  son  entourage  et  peu  estimé  par  ses 
sujets. 

Environ  une  année  auparavant,  une  mission  anglaise 
venue  des  bords  du  Niger  avait  essayé  de  pénétrer  jusqu'à 
Kouka.  Mais  le  sultan  du  Bornou,  effrayé  de  l'appareil  mili- 
taire de  cette  mission  et  préférant  son  isolement  aux  béné- 
fices qu'il  pouvait  retirer  du  contact  des  Anglais,  leur  défendit 
l'entrée  de  son  royaume,  et  la  mission  dut  rétrograder  sans 
avoir  obtenu  le  moindre  résultat. 

Le  Bornou  était  alors  en  pleine  décadence;  les  vassaux  ne 
payaient  plus  le  tribut,  et  les  gens  du  Ouadaï  faisaient  la  loi 
sur  le  marché  de  Kouka.  la  capitale  du  Bornou.  Cependant,  les 
relations  commerciales  continuaient  à  se  développer  avec  les 
pays  voisins,  le  Sokoto,  l'Adamaoua,  les  pays  au  sud  et  à  l'est 
du  Tchad,  ainsi  qu'avec  Tripoli,  le  débouché  traditionnel  de 
cette  partie  du  Soudan  du  côté  de  l'Europe. 

A  ce  moment,  le  capitaine  Monteil  put  voir,  à  Kouka,  le  fils 
du  roi  du  Baguirmi,  venu  pour  demander,  à  Scheik  Ashim, 
des  secours  contre  un  marchand  d'esclaves,  nommé  Rabah, 
qui,  à  la  tète  de  bandes  nombreuses  et  assez  bien  armées, 
menaçait  les  pays  du  Chari. 

Ce  Rabah  commençait  alors  les  conquêtes  qui  devaient  le 
conduire  sur  le  Tchad,  et  de  là  dans  le  Bornou,  où  était  déjà 


LE   BORXOL  237 


parvenue  sa  renommée,  et  où  le  capitaine  Monteil  put  re- 
cueillir, sur  son  origine,  des  renseignements  qui  furent  plus 
tard  confirmés  par  M.  Gentil,  l'explorateur  du  Tchad. 

Lorsque  Gordon  Pacha,  délégué  du  Khédive,  eut  occupé 
Khartoum,  son  premier  soin  fut  de  donner  la  chasse  aux 
marchands  d'esclaves  qui,  à  la  tète  de  bandes  nombreuses, 
pillaient  les  pays  du  Chari  et  du  Bahr-el-Ghazal,  pour  aller, 
de  là,  vendre  à  Khartoum  le  produit  de  leurs  razzias. 

Une  de  ces  bandes,  comprenant  plusieurs  milliers  d'hommes 
en  partie  armés  de  fusils,  était  commandée  par  un  certain 
Zobéir,  appelé  aussi  Siber  ou  Ziber,  possesseur  de  vastes 
territoires  dans  le  Bahr-el-Ghazal  et  qui  avait  eu  l'occasion  de 
rendre  des  services  aux  Égyptiens  pendant  leur  conquête. 
Appelé  au  Caire  pour  y  recevoir  l'investiture  avec  le  titre  de 
bey,  il  laissa  ses  forces  à  son  fils  Suleyman  qui,  à  la  suite 
d'une  révolte  contre  les  Égyptiens,  fut  battu  et  tué  par  eux 
ainsi  que  ses  principaux  lieutenants. 

Pendant  que  Zobéir  était  retenu  prisonnier  au  Caire,  où  il  se 
trouve  encore,  Rabah,  son  frère  de  lait,  qui  était  à  la  fois  l'es- 
clave et  le  conseiller  de  Suleyman,  réussit,  avec  quelques 
centaines  d'hommes,  à  échapper  aux  Égyptiens,  établis  à  Dem- 
Ziber,  et  entama  la  conquête  du  Dar-Fertit  et  du  Dar-Banda 
en  s'étendant  jusque  vers  Bangasso. 

Après  la  chute  de  Khartoum  et  la  fondation  de  l'empire  du 
mahdi,  Rabah  espéra  reprendre  ses  relations  commerciales 
avec  la  capitale  du  Soudan  égyptien.  Mais  tous  les  envois 
qu'il  faisait  vers  Omdurman  étaient  confisqués  par  le  mahdi, 
en  sorte  qu'il  se  trouva  emprisonné  sur  son  territoire  sans 
pouvoir  se  procurer  les  munitions  qui  faisaient  sa  principale 
force. 

Il  s'adressa  sans  succès  aux  sultans  du  Baguirmi,  du  Ouadaï 
et  essaya  de  s'approvisionner  au  Bornou.  Puis,  craignant  de 
s'attaquer  à  l'Adamaoua,  il  se  jeta  sur  le  Dar-Runga,  alors 
tributaire  du  Ouadaï,  et  soumit  son  chef,  le  sultan  el  Senoussi 
el  Bekir,  à  qui  il  ordonna  de  faire  massacrer,  au  mois  de  mai 
189L,  la  mission  Crampel  parvenue  à  El-Kouti. 


238  l'afriqle  politique  en  4900 

Renforcé  par  les  approvisionnements  de  Senoussi  et  par 
l'armement  de  la  mission  Crampel,  Rabah,  n'osant  pas  encore 
se  mesurer  avec  le  sultan  Yousouf  du  Ouadaï,  se  tourna  contre 
le  Baguirmi,  pays  en  pleine  décadence. 

Ses  forces  qui,  au  début,  ne  comptaient  pas  plus  de  300 
fusils,  s'étaient  fortement  augmentées.  Aussi  pouvait-il,  dès 
1893,  aller  attaquer  Gaourang,  sultan  du  Baguirmi,  qu'il  assié- 
geait dans  Maïnfa,  ville  du  Ghari,  pendant  cinq  mois.  Une 
armée  envoyée  par  le  sultan  du  Ouadaï,  au  secours  de  son 
vassal  du  Baguirmi,  fut  battue  sans  grandes  difficultés,  et 
Gaourang,  incapable  d'une  plus  longue  résistance,  alla  se  réfu- 
gier dans  sa  capitale  Massenya. 

Rabah  n'osa  pas  l'y  poursuivre  et  continua  à  descendre  vers 
le  Bornou. 

Voici,  d'après  le  Temps,  l'historique,  donné  par  M.  Gentil, 
des  opérations  ultérieures  de  Rabah  : 

La  résistance  des  Baguirmiens  contraignit  Rabah  à  se  porter  vers 
le  Nord-Ouest  et  à  se  diriger  sur  le  Bornou. 

En  route,  il  se  rencontra  avec  Ayatou,  fils  révolté  du  sultan  de 
Sokoto,  qui  lui  donna  son  concours.  Ayatou  était  installé  à  Balda, 
dans  le  Mandara,  au  nord-est  de  la  haute  Benoué.  Les  forces  unies 
de  Babah  et  de  Ayatou  se  mesurèrent  à  Kouka  avec  tous  les  con- 
tingents que  le  sultan  du  Bornou,  Kiari,  avait  pu  rassembler.  Les 
Bornouans  furent  défaits  et  Kouka  dévasté.  Cela  se  passait  en  dé- 
cembre 1893. 

A  la  suite  de  cette  conquête,  où  Babah  ne  voulut  pas  faire  une 
large  part  à  son  allié,  Ayatou  se  sépara  du  conquérant  et  revint  à 
Balda,  où  il  se  trouve  encore. 

Rabah  organisa  alors  ses  nouvelles  conquêtes  et  plaça  sa  capitale 
à  Dikoua,  la  seconde  ville  du  Bornou,  forte  de  15.000  âmes,  située 
à  proximité  du  lac  Tchad. 

Voulant  s'assurer  en  même  temps  une  ligne  de  retraite  vers  le 
Sud,  dans  le  cas  où  il  serait  menacé  par  une  coalition  du  sultan  de 
Sokoto,  de  Ayatou  et  des  Bornouans,  Babah  établit  des  garnisons 
à  Goulfey,  sur  le  Chari,  à  Koussouri  et  à  Logon,  ces  deux  dernières 
villes  sur  le  fleuve  Logone.  Comme  toute  cette  région  dépendait  du 
Baguirmi,  les  chefs  dépossédés  se  réfugièrent  à  Massenya,  auprès 
de  Gouarang.  Mais  le  Baguirmi  dut  subir  cette  conquête  de  Babah, 
car  il  ne  lui  était  pas  possible,  avec  les  misérables  forces  dont  il 
disposait,  d'envoyer  une  expédition  contre  l'ennemi,  qui  aurait  eu 
de  graves  difficultés,  d'ailleurs,  pour  traverser  le  Chari. 


LE   BORNOC  239 


Tranquille  du  côté  du  Baguirmi,  n'osant  pas  s'attaquer  à  l'Ada- 
maoua  et  ne  se  souciant  pas  de  provoquer  le  Sokoto  en  marchant 
sur  son  ancien  allié  Ayatou,  Babah  songea,  l'an  dernier,  à  reprendre 
ses  conquêtes  dans  le  nord-est  du  lac  Tchad.  A  cet  effet,  il  envoya 
son  fils  Fadel  Alla  attaquer  le  pays  de  Zinder,  qui  se  trouve  au 
nord  du  Bornou,  dans  la  sphère  d'influence  que  les  conventions 
anglo-françaises  de  1890  et  de  1898  ont  reconnue  à  la  France. 

Fadel  Allah  conquit  facilement  le  pays  de  Zinder;  seulement,  il 
ne  s'y  maintint  pas,  et,  quand  nous  étions  au  Baguirmi,  nous  avons 
appris  le  retour  à  Dikoua  du  fils  de  Babah,  ramenant  de  nombreux 
fusils  et  des  esclaves. 

A  notre  descente  du  Chari,  où  nous  nous  bornions  à  faire  la 
reconnaissance  hydrographique  du  fleuve,  nous  avons  été  très  bien 
reçus  par  les  habitants  du  Goulfey  et  de  la  rive  gauche,  qui  virent 
en  nous  des  libérateurs.  Bien  que  nous  n'ayons  jamais  commis 
le  moindre  acte  d'hostilité,  les  garnisons  que  Babah  entretenait 
dans  l'ancienne  province  occidentale  du  Baguirmi  jugèrent  prudent 
de  se  retirer.  Elles  n'ignoraient  pas,  d'ailleurs,  que  nous  étions  les 
«  frères  »  du  malheureux  Crampel,  et  elles  pensaient  que  nous 
venions  pour  tirer  vengeance  de  l'assassinat  de  notre  compatriote. 

A  peine  étions  nous  revenus  à  Massenya,  après  notre  voyage  sur 
le  Tchad,  que  nous  avons  appris  la  réinstallation  des  troupes  de 
Babah  à  Goulfey  et  Koussouri,  où  elles  se  livrèrent  à  des  repré- 
sailles injustifiées  sur  les  habitants. 

Nous  avons  quitté  Massenya  le  21  novembre  1897,  et,  à  ce  moment, 
toute  la  région  était  en  paix. 

La  paix  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Vers  le  milieu  de  1898, 
Rabah,  qui,  paraît-il,  disposerait  aujourd'hui  de  4  canons  et 
de  8.000  fusils,  traversa  le  Chari  et  se  lança  à  la  conquête 
du  Baguirmi.  Gaourang,  se  trouvant  dans  l'impossibilité  de 
lui  résister,  incendia  Massenya,  et,  suivi  de  notre  résident, 
M.  Prins,  et  de  ses  douze  Sénégalais  d'escorte,  se  retira  vers 
le  Sud,  du  côté  de  Korbol,  à  proximité  de  nos  postes  du  haut 
Oubangui.  M.  Prins  arriva  le  1er  septembre  à  Gribingui,  où 
des  mesures  de  protection  durent  être  prises  aussitôt  (1). 

Ces  mesures  furent  insuffisantes  pour  intimider  Rabah. 
Continuant  son  invasion  du  Baguirmi,  il  réussissait,  vers  le 


(1)  Une  ambassade  de  Gaourang  et  du  sultan  El  Senoussi,  envoyée  en  France  h 
la  fin  de  1898,  repartit  de  Marseille  le  25  décembre,  conduite  par  M.  Bretonnet, 
pour  regagner  l'Oubangui  et  de  là  le  Chari. 


240  l'afrique  politique  en  1900 

mois  de  juillet  1899,  à  faire  prisonnier  M.  de  Béhagle,  qui 
poursuivait  sa  mission  commerciale  dans  le  pays,  et,  parait-il, 
le  condamnait  à  mourir  de  faim. 

Peu  après,  il  marchait  contre  M.  Bretonnet,  de  la  mission 
Gentil,  chargé  d'organiser  les  forces  de  Gaourang  et  de  pro- 
téger la  vallée  du  Chari,  et  l'atteignait  le  18  juillet  à  Niellim. 
Là,  après  un  combat  désespéré  contre  7  à  8.000  hommes, 
M.  Bretonnet  était  massacré  avec  toute  son  escorte  composée 
des  lieutenants  Durand-Autier  et  Braun,  du  maréchal  des  logis 
Martin  et  d'une  trentaine  de  tirailleurs.  Mais  peu  de  temps 
après,  le  2  décembre  1899,  attaqué  lui-môme  avec  ses  12.000 
hommes,  dans  son  camp  fortifié  de  Kouna,  par  les  320  tirail- 
leurs du  capitaine  Robillot,  il  subissait  une  défaite  complète 
et  se  sauvait  presque  seul  vers  le  Nord. 

Ces  événements  ont  eu  un  grand  retentissement  dans  les 
contrées  du  Tchad,  et  il  est  à  redouter  que  Rabah  ne  reconstitue 
ses  forces  à  bref  délai.  Ce  qu'il  interdit  en  ce  moment,  c'est 
notre  pénétration  vers  le  Ouadaï  et  le  Kanem,  c'est-à-dire 
dans  le  pays  dont  la  possession  nous  permet  d'espérer  la  jonc- 
tion de  l'Algérie  et  du  Congo. 

Des  mesures  sérieuses  doivent  être  envisagées  par  le  gou- 
vernement français  dans  cette  partie  de  l'Afrique,  sous  peine 
de  voir  l'influence  de  la  France  perdue  dans  ces  régions. 
L'invasion  du  Baguirmi  et  la  retraite  de  Fachoda  sont  deux 
événements  qui  ont  entre  eux  plus  de  rapports  qu'on  ne  serait 
tenté  de  le  croire  au  premier  abord.  Ils  constituent,  pour  notre 
prestige,  deux  échecs  retentissants  qui  compromettent  sérieu- 
sement notre  action  future  au  delà  même  des  frontières  de  ces 
pays. 

Le  temps  des  hésitations  est  passé  :  il  faut  aviser,  sans 
retard,  au  relèvement  de  notre  influence  dans  les  contrées  du 
Tchad. 


ADAMAOUA  241 


Adamaoua 


On  se  rappelle  les  voyages  du  lieutenant  Mizon,  ses  démêlés 
avec  la  Compagnie  du  Niger  et  sa  découverte  de  l' Adamaoua.  Il 
parut  alors  étonnant  aux  Européens  d'entendre  annoncer  qu'il 
existait  au  centre  de  l'Afrique,  derrière  le  rideau  formé  par  les 
populations  barbares  de  la  côte  de  l'Océan,  un  État  relative- 
ment civilisé  et  assez  hospitalier. 

L' Adamaoua,  royaume  peul  et  musulman,  a  été,  depuis  le 
lieutenant  Mizon,  reconnu  à  diverses  reprises  par  des  missions 
anglaises  et  allemandes.  Mais  il  ne  semble  pas  que  ces  diverses 
missions  aient  pu,  d'un  côté  comme  de  l'autre,  nouer  autre 
chose  que  des  relations  commerciales  avec  le  sultan  de  l'Ada- 
maoua  ni  aboutir  à  de  sérieux  traités  de  protectorat. 

Malgré  cela,  le  traité  anglo-allemand  du  1er  juillet  1890  a 
délimité,  comme  nous  l'avons  déjà  vu,  les  sphères  d'influence 
de  l'Angleterre  et  de  l'Allemagne  dans  ces  régions,  et  plus 
tard  le  traité  du  4  février  1894,  entre  la  France  et  l'Alle- 
magne, est  venu  déterminer  les  zones  d'action  des  deux  pays 
sur  les  bords  du  Chari  et  dans  la  haute  vallée  de  la  Sangha. 

A  l'heure  actuelle,  l'Adamaoua  se  trouve  ainsi  disloqué 
diplomatiquement  en  trois  parties  attribuées  à  la  France, 
à  l'Allemagne  et  à  l'Angleterre.  On  ne  sait  trop  ce  que  peuvent 
penser  de  cette  répartition  le  sultan  de  Yola  et  ses  sujets, 
qui  sont  d'ailleurs,  tout  au  moins  nominalement,  tributaires 
du  Sokoto. 

Un  pareil  fait  serait  de  nature  à  justifier  toutes  les  défiances 
à  l'égard  des  Européens.  De  plus,  le  voisinage  de  Rabah  et  la 
constitution,  près  de  l'Adamaoua,  d'un  vaste  empire  musul- 
man pourraient  avoir  pour  eflet,  pour  peu  que  le  fanatisme, 
ordinairement  peu  prononcé,  de  ces  pays,  soit  exploité  contre 

Air.  polit.  16 


2i2  l'afrique  politique  en  1900 

les  blancs,  d'arrêter,  pour  de  nombreuses  années  peut-être, 
l'expansion  européenne  dans  cette  partie  de  l'Afrique. 

D'ailleurs,  les  traités  passés  entre  les  puissances  étran- 
gères pour  la  possession  de  ces  contrées  sont  loin  d'être  dé- 
finitifs. Là,  plus  qu'ailleurs  en  Afrique,  il  convient  de  mettre, 
à  la  place  du  terme  «  protectorat  »  ou  possession  indirecte, 
l'expression  plus  exacte  de  «  sphère  d'influence  »,  en  la  rédui- 
sant encore  aux  proportions  modestes  d'une  zone  d'action 
commerciale  plutôt  que  d'une  zone  d'influence  politique 
impliquant  l'idée  d'une  prise  de  possession  pour  une  époque 
plus  ou  moins  éloignée. 

Si  les  Anglais  n'ont  pu,  jusqu'ici,  prendre  pied  à  Yola,  les 
Allemands  ont  déjà  essayé  d'engager  une  action  vigoureuse 
dans  l'hinterland  du  Cameroun.  La  mission  qu'on  annonce 
comme  devant  comprendre  un  nombreux  effectif  a-t-elle 
pour  objectif  l'Adamaoua  ou  les  territoires  occupés  par  Rabah? 
L'avenir  nous  l'apprendra,  et  il  sera  intéressant  d'en  suivre  le 
développement  et  de  noter  les  événements  qui  vont  se  pro- 
duire dans  ces  régions. 

L'Adamaoua  une  fois  conquis  par  les  Allemands,  ceux-ci, 
qui  cherchent  avec  raison  à  y  précéder  les  incursions  de 
Rabah,  s'y  trouveront  en  présence  du  conquérant  africain  et 
dans  l'obligation  de  le  rejeter  soit  vers  le  Bornou,  soit  vers  le 
Baguirmi. 

Cette  dernière  hypothèse  doit  trouver  les  Français  du  haut 
Oubangui  prêts  à  protéger  efficacement  leurs  populations  du 
Tchad.  Aussi  semble-t-il,  ainsi  qu'on  l'a  dit  plus  haut,  que 
le  moment  est  venu  pour  nous  d'imiter  les  Allemands  et  de 
procéder  avec  plus  d'énergie  et  de  moyens  d'action  à  l'occu- 
pation des  contrées  qui  nous  sont  attribuées. 

Il  n'est  pas  non  plus  inutile  de  continuer  les  bonnes  rela- 
tions nouées  par  nos  missions  avec  les  pays  de  l'Adamaoua. 
Ceux-ci  n'ont  point  encore  été  entamés  autrement  que  par  la 
diplomatie.  Le  fait  qu'ils  ont  été  jusqu'ici  respectés  par  Rabah 
démontre  la  force  de  résistance  qu'on  leur  a  attribuée  et  jus- 
tifie l'importance  de  l'expédition  allemande  qui  va  sans  doute 
les  visiter. 


ADAMAOUA  243 


*      5 


Tout  ce  qui  vient  d'être  exposé  d'après  les  missions  euro- 
péennes envoyées  entre  le  Niger  et  le  Tchad  et  les  divers 
renseignements  recueillis  sur  cette  région  montre  que  le 
Soudan  central  se  trouve  aujourd'hui  en  décomposition  poli- 
tique, entamé  qu'il  est  de  toutes  parts  par  les  Français,  les 
Anglais,  les  Allemands  et  en  dernier  lieu  par  l'invasion  de 
Rabah. 

Les  deux  principaux  blocs  politiques  qui  paraissent  encore 
un  peu  intacts,  le  Sokoto  et  l'Adamaoua,  seront-ils  la  proie 
des  Européens,  ou  continueront-ils  à  se  tenir  à  l'écart  et  à 
s'isoler  dans  leur  islamisme?  C'est  ce  qu'un  avenir  peut-être 
prochain  va  nous  révéler. 

La  nécessité  d'acquérir  des  débouchés  nouveaux,  qui  pousse 
les  Européens  hors  de  leurs  limites  coloniales,  fait  prévoir, 
comme  on  l'a  vu,  une  action  plus  énergique  en  vue  de  la  prise 
de  possession  immédiate  des  territoires  convoités  par  ces  trois 
puissances.' 

La  mieux  placée  des  trois  pour  profiter  des  circonstances 
est  certainement  l'Angleterre.  Elle  est  maîtresse  du  cours  des 
grands  fleuves,  et  par  cela  même  de  la  ligne  la  plus  courte 
d'opérations  politiques.  On  prévoit  déjà  le  jour  où  le  Sokoto. 
pris  entre  elle  et  Rabah,  tombera  définitivement  sous  sa  do- 
mination. 

Ne  se  produira-t-il  pas  plus  tard  une  collision  entre  les 
Anglais  ou  les  Allemands  et  les  bandes  de  Rabah?  Ou  bien 
l'habileté  diplomatique  de  nos  voisins  ne  transformera-t-elle 
pas  en  réalité  le  bruit,  récemment  répandu,  que  Rabah 
n'agissait  que  sous  l'impulsion  et  au  profit  d'une  puissance 
européenne? 

L'ancien  marchand  d'esclaves,  devenu  le  maître  des  con- 
trées du  Tchad,  consentira-t-il  à  devenir  définitivement  l'agent 
des  Anglais,  comme  Tippoo-Tib  au  Congo  s'est  fait  l'agent  des 
Belges;  ou  bien  réussira-t-il,  mieux  que  Samory,  à  fonder,  en 
face  des  empiétements  européens,  une  puissance  capable  de 
leur  résister? 


244  l'afriqle  politique  en  1900 

Tels  sont  les  problèmes  qui  se  posent  en  ce  moment.  Ils  ont 
récemment  donné  lieu  à  de  vives  discussions  et  fait  émettre 
une  hypothèse  qui  s'est  changée  en  une  véhémente  accusation 
portée  contre  l'Angleterre.  Cette  puissance  aurait,  dit-on, 
conçu  un  vaste  plan  d'ensemble  en  allumant  la  guerre  à  la  fois 
en  Egypte,  en  Abyssinie,  au  Tchad,  vers  les  grands  lacs,  et  jus- 
qu'au Transvaal. 

Elle  aurait  eu  ainsi  non  seulement  la  pensée  de  conquérir 
le  Soudan,  mais  l'idée  plus  grandiose  encore  de  sectionner  le 
continent  africain  en  un  damier  dont  elle  abandonnerait  les 
cases  extrêmes  à  ses  adversaires,  en  se  réservant  de  les 
enserrer  entre  des  possessions  britanniques  qui  s'étendraient 
de  l'Egypte  au  Cap  et  de  Zanzibar  aux  bouches  du  Niger. 

Ces  vastes  pensées  nous  font  envisager  avec  quelque  mélan- 
colie le  rôle  modeste  de  la  France  dans  ce  partage  du  conti- 
nent noir,  ainsi  que  la  réserve  qu'elle  oppose  à  l'ambition  de 
rivaux  plus  audacieux,  et  de  concurrents  animés  d'un  esprit 
de  suite  qui  leur  procure  de  précieux  avantages. 


SOUDAN   ORIENTAL  245 


Soudan  oriental. 


Limites.  —  Bassin  du  Nil.  —  Bassin  oriental  du  Tchad.  —  L'Empire  de  Rabah.  — 
Baguirmi,  Ouadai  et  Kanein.  —  Rôle  attractif  du  Tchad.  —Coup  d'œil  d'ensemble 
sur  le  Soudan.  —  Ambitions  anglaises,  françaises  et  allemandes. 


Le  Soudan  oriental  est  le  pays  compris  entre  le  Tchad  et  le 
Nil.  Il  est  borné,  au  nord,  par  le  Sahara  et,  au  sud,  par  les 
hauteurs  qui  servent  de  limites  aux  bassins  du  Nil  et  du  Ghari. 

Outre  les  territoires  tombés  momentanément  sous  la  domi- 
nation réelle  ou  apparente  des  derviches,  il  renferme  aussi  le 
Baguirmi,  le  Ouadaï  et  le  Kanein,  pays  voisins  du  Tchad,  et 
qui,  par  leur  éloignement,  ont  réussi  à  éviter  la  domination  du 
khédive  aussi  bien  que  celle  du  mahdi. 

Ces  vastes  territoires  forment  deux  régions  distinctes, 
autant  qu'il  est  permis  d'en  juger  d'après  les  rares  explora- 
teurs qui  les  ont  parcourus  et  les  renseignements  qu'on  pos- 
sède sur  eux. 

Là,  comme  partout  ailleurs,  les  dominations  se  sont  établies 
d'après  les  indications  de  la  géographie.  Celle-ci  partage  le 
Soudan  oriental  en  deux  régions  :  le  bassin  du  Nil  et  le  bassin 
oriental  du  Tchad. 

Le  bassin  du  Nil  comprend,  dans  le  Soudan  oriental,  le  Bahr- 
el-Ghazal,  le  Kordofan  et  la  plus  grande  partie  du  Darfour. 

Tous  ces  territoires,  conquis  autrefois  par  les  Égyptiens, 
sont  tombés,  après  des  péripéties  diverses,  et  malgré  les 
efforts  de  Gordon  et  d'Emin  Pacha,  au  pouvoir  des  Derviches, 
qui  établirent  le  siège  de  leur  empire  à  Khartoum,  autrefois 
métropole  commerciale,  devenue  aujourd'hui,  après  la  con- 
quête anglaise,  capitale  politique  de  tout  le  pays.  C'est  le  pays 
des  Arabes  chasseurs  d'esclaves  et  traitants  d'ivoire,  le  refuge 
du  fanatisme  musulman  exaspéré  par  l'invasion  toujours 
montante  des  mœurs  et  des  idées  européennes. 


246  l'afrique  politique  ex  1900 

Toute  cette  région  constitue,  par  son  rôle  politique,  autant 
que  par  sa  situation  géographique,  un  territoire  distinct  qui, 
de  tout  temps,  a  subi  l'influence  de  l'Egypte  et  a  réagi  sur  le 
bassin  du  Nil  inférieur. 

Son  histoire  est  liée  à  celle  de  l'Egypte  et  de  l'Abyssinie 
beaucoup  plus  qu'à  celle  des  autres  peuples  voisins. 

Aujourd'hui,  plus  encore  que  par  le  passé,  l'action  de 
l'Egypte,  et  par  elle  l'influence  européenne,  est  redevenue 
prépondérante  dans  cette  partie  du  Soudan.  Mais  c'est  par 
l'intermédiaire  de  l'Angleterre  que  cette  influence  tend  à  s'éta- 
blir désormais.  Les  événements  qui  viennent  de  se  dérouler 
dans  la  vallée  du  Nil  font  des  pays  de  l'Afrique  Nord-Orien- 
tale, Egypte,  Abyssinie,  Soudan,  un  échiquier  politique  dis- 
tinct qu'il  convient  d'envisager  dans  un  coup  d'œil  d'ensemble. 
Aussi  nous  remettrons  l'étude  politique  du  Soudan  égyptien 
au  moment  où  nous  traiterons  de  l'état  actuel  de  l'Egypte,  et 
nous  bornerons  notre  examen  du  Soudan  oriental  à  l'étude 
du  bassin  oriental  du  Tchad. 


Le  Tchad,  dont  l'existence  a  été  révélée  à  l'Europe  il  n'y  a 
pas  un  siècle  (1823-24),  par  la  mission  anglaise  de  Denham 
et  Clapperton,  venue  de  Tripoli,  est  un  lac  sans  issue,  ali- 
menté surtout  par  le  Chari. 

D'après  diverses  hypothèses,  ce  lac  est  de  formation  récente; 
avant  que  se  produisit  le  soulèvement  qui  traverse  le  Sahara 
et  le  Soudan,  du  Touat  à  l'Ouganda,  le  Chari  se  serait  déversé 
dans  le  Nil  aux  environs  de  Berber  ou  de  Dongola.  Il  est  plus 
simple  de  supposer  que  le  Chari  se  jetait  dans  la  mer  Saha- 
rienne, un  peu  au  nord  ou  peut-être  même  sur  l'empla- 
cement actuel  du  Tchad. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  Tchad  est  aujourd'hui  une  sorte  de 
marais,  un  lac  dont  la  profondeur  ne  dépasse  guère  six 
mètres,  qui  a  été  reconnu  par  Overweg,  le  seul  Européen  qui 


SOL'DAN    ORIENTAL  247 


ait  pu  le  parcourir  avant  l'explorateur  Gentil,  qui,  pour  la 
première  fois  en  1897,  fit  flotter  les  couleurs  françaises  sur  ces 
flots  mystérieux.  M.  Gentil  confirma  les  données  précédem- 
ment acquises  et  reconnut  quelques-unes  des  nombreuses  îles, 
habitées  par  la  population  indépendante  des  Boudouma,  qui 
parsèment  cette  vaste  nappe  d'eau. 

Sur  ses  rives  orientales  sa  configuration  est  peu  connue, 
bien  qu'on  sache  qu'elles  sont  habitées  par  des  populations 
assez  denses. 

Le  Kanem,  qui  s'étend  de  ce  côté  et  qui  est  dominé  par  les 
Ouled-Sliman,  adeptes  des  Senoumas,  et  par  le  Ouadaï,  est  fort 
imparfaitement  connu  par  des  renseignements  rares  et  sou- 
vent peu  dignes  de  foi.  Il  est  pour  la  France  d'une  importance 
capitale  en  raison  de  sa  situation  centrale  et  de  la  jonction 
qu'il  lui  procure  avec  ses  territoires  du  Congo.  Sa  conquête  et 
son  occupation  paraissent  d'ailleurs  assez  faciles,  car  il  ne 
constitue  pas  par  lui-même  un  organisme  politique  d'une  bien 
grande  puissance. 

Le  Baguirmi,  qui  s'étend  au  sud  du  Kanem,  sur  les  rives  du 
Chari,  est  mieux  connu  depuis  que  les  missions  françaises  ont 
réussi  à  le  pénétrer  et  à  le  faire  entrer  dans  notre  orbite.  C'est 
un  pays  plat,  bien  arrosé,  habité  par  une  population  adonnée 
à  l'élevage  et  à  la  culture.  Sa  richesse  est  caractérisée  ainsi 
par  Elisée  Reclus  :  «  Grâce  à  la  fécondité  du  sol  et  à  la  richesse 
de  la  flore,  le  bassin  du  Tchad,  les  vallées  et  les  plaines  qu'ar- 
rose le  Chari  deviendront  peut-être  un  jour  la  partie  la  plus 
prospère  des  Indes  africaines.  » 

D'après  les  renseignements  fournis  par  MM.  de  Béhagle  et 
Gentil,  le  Baguirmi  serait  aujourd'hui  dans  un  état  de  déca- 
dence lamentable.  Ses  tributaires  s'affranchissent  de  sa  domi- 
nation et  sa  population  y  est  réduite  à  un  état  misérable. 

Le  sultan  Gaourang,  qui  règne  sur  ce  pays,  est  un  jeune 
homme  dominé  par  ses  eunuques  et  ses  esclaves.  La  popula- 
tion libre,  en  butte  à  une  tyrannie  odieuse,  a  émigré  en  partie, 
abandonnant  le  pays  aux  esclaves  qui  le  cultivent  et  aux 
tribus  nomades  qui  le  pillent. 


248  l'afrique  politique  ex  1900 

Autrefois  le  Baguirmien  excellait  dans  la  teinture  et  le  tis- 
sage, et  c'est  en  étoffes  qu'était  payé  le  tribut  imposé  par  le 
suzerain,,  le  sultan  du  Ouadaï.  Aujourd'hui  c'est  une  industrie 
ruinée  et  abandonnée  et  le  tribut  d'étoffes  a  été  remplacé  par 
un  tribut  d'esclaves.  Chaque  année  3.000  esclaves  de  12  à  15 
ans  sont  prélevés  sur  les  tribus  sauvages  du  pays  et  expédiés 
au  Ouadaï  à  pied,  sans  vivres,  en  convois  lamentables  qui 
sèment  les  cadavres  sur  la  route.  Malgré  son  état  de  décadence, 
le  Baguirmi  semble  avoir  retenu  sous  sa  domination,  jusqu'à 
l'invasion  de  Rabah,  les  territoires  du  Dar-Runga,  gouvernés 
par  le  sultan  El  Senoussi  el  Bekir.  Mais  celui-ci  paraît  aujour- 
d'hui s'être  affranchi  de  tout  lien  de  vassalité  et  s'être  rallié  à 
la  cause  française.  Il  ne  faudrait  cependant  pas  trop  s'y  fier  et 
l'on  a  prétendu  tout  récemment  que  Rabah  avait  pu  compter 
sur  lui  comme  intermédiaire  dans  ses  négociations  avec  le 
Ouadaï  et  le  mahdi  chassé  de  Khartoum. 

Le  Ouadaï,  placé  dans  notre  sphère  d'influence  par  la  décla- 
ration du  21  mars  1899,  paraît  être,  d'après  les  peu  nombreux 
renseignements  qu'on  possède  sur  le  pays,  une  des  meilleures 
acquisitions  que  nous  ayons  faites  dans  ces  derniers  temps. 

De  tous  les  explorateurs  qui  l'ont  visité,  trois  seulement  en 
sont  revenus  pour  nous  laisser  quelques  aperçus  sur  le  pays. 
Ce  sont  les  voyageurs  européens  Nachtigal  et  Mateucci  et  le 
Tunisien  Mohamed  ben  Omar.  De  leurs  récits  il  résulte  que  le 
Ouadaï  est  habité  par  une  population  d'environ  3  millions 
d'habitants,  fortement  mélangée  d'Arabes,  sur  une  superficie 
plus  grande  que  la  France.  Cette  population,  qui  est  intelli- 
gente, fanatique  et  belliqueuse,  domine  le  Borkou,  le  Kanem 
et  le  Baguirmi  et  commerce  avec  le  Bornou  et  le  Darfour.  Elle 
paraît  fortement  imprégnée  de  l'influence  des  Senoussias, 
contre  laquelle  devra  entrer  en  lutte  toute  puissance  euro- 
péenne désireuse  d'acquérir  une  autorité  quelconque  dans  le 
pays. 

On  a  annoncé,  au  mois  de  novembre  dernier,  que  le  grand 
chef  de  l'ordre  des  Senoussias  avait  quitté  l'oasis  de  Koufra 
pour  se  diriger  vers  le  Soudan  à  la  tête  de  nombreux  partisans. 


SOUDAN    ORIENTAL  249 


Marche-t-il  au  secours  du  Ouadaï  menacé  par  Rabah,  ou,  sol- 
licité par  ce  dernier,  va-t-il  rendre  aux  Anglais  le  service  de 
se  joindre  à  cet  ennemi  de  l'expansion  française?  On  le  saura 
vraisemblablement  avant  peu;  mais  cette  nouvelle  action, 
hostile  à  nos  intérêts,  place  la  mission  Gentil  dans  une  situa- 
tion encore  plus  délicate. 

Le  Ouadaï,  d'après  sa  réputation,  est  un  pays  fertile  et  bien 
arrosé.  Sa  partie  septentrionale  est  un  pays  de  transition  entre 
le  Sahara  et  le  Soudan,  pays  couvert  d'herbes  et  propre  à 
l'élevage.  Sa  partie  méridionale  appartient  au  Soudan.  L'en- 
semble du  pays  présente  un  contraste  heureux  avec  le  Darfour, 
contrée  sablonneuse  et  aride.  Les  principaux  articles  de  son 
commerce  sont  l'ivoire,  la  gomme  et  les  plumes  d'autruche. 
On  lui  prédit,  pour  l'avenir,  de  brillantes  destinées  au  point  de 
vue  de  la  culture  du  coton. 

La  convention  du  21  mars  1899  (1)  n'a  pas  exactement  déli- 
mité le  Ouadaï.  Il  y  a  place  de  ce  côté-là  pour  des  difficultés  à 
venir,  car  il  importe  à  la  France  de  ne  pas  laisser  réduire 
encore  la  largeur  de  l'étroite  bande  de  terres  comprise  entre 
le  Cameroun  et  le  Darfour,  qui  nous  permet  de  faire  com- 
muniquer nos  territoires  du  Tchad  avec  ceux  du  Congo. 

C'est  là  une  question  qu'il  est  nécessaire  d'envisager  au 
point  de  vue  stratégique.  Le  Darfour  est  peu  utile  à  l'Angle- 
terre, et  la  France  ne  peut  se  désintéresser  de  son  avenir. 
Une  entente  sur  ce  point  de  nos  frontières  communes  serait 
désirable,  dût-elle  intervenir  par  voie  de  concessions  réci- 
proques. 

Le  Bornou  et  le  Baguirmi  ont  été,  comme  on  l'a  vu,  le 
théâtre  des  opérations  de  Rabah,  lorsque  celui-ci,  chassé  du 
Dar-Banda  et  du  Dar-Fertit  par  le  manque  de  munitions, 
chercha  à  s'ouvrir  un  chemin  vers  les  marchés  du  Bornou  et 
du  Sokoto.  Devenu  conquérant  par  nécessité,  il  réussit  à  fon- 
der un  empire  qui  englobe  une  partie  du  Bornou  et  du  Ba- 


il) Voir  à  l'Appendice. 


250  l'afrique  politique  e.v  1900 

guirmi  et  dont  nous  aurons  l'occasion  de  reparler  à  propos  du 
Congo  français. 

A  la  vérité,  l'homogénéité  de  cet  empire  est  loin  d'être  com- 
plète, et,  sauf  l'absolutisme  de  son  gouvernement  et  la  com- 
munauté de  religion,  on  ne  saurait  lui  reconnaître  les 
caractères  qui  font  les  dominations  durables.  Tel  qu'il  est 
cependant  il  s'impose  à  la  crainte  des  sociétés  voisines,  et 
aussi,  comme  on  l'a  dit  à  propos  du  Soudan  central,  à  la  sur- 
veillance des  nations  européennes  qui  possèdent,  à  proximité, 
des  établissements  commerciaux  ou  des  colonies  naissantes. 

Après  la  conquête  du  Dar-Runga,  un  frère  du  sultan  El 
Senoussi  vint  demander  asile  au  Baguirmi.  Rabah  en  profita 
pour  déclarer  la  guerre  à  ce  pays  et  l'envahir.  On  sait  que  le 
sultan  du  Ouadaï,  voulant  porter  secours  à  son  vassal,  fut 
battu  et  obligé  de  se  retirer.  Depuis  lors,  Rabah,  occupé  à  la 
conquête  du  Bornou,  se  serait  désintéressé  des  affaires  du 
Ouadaï,  dont  le  sultan  n'attend  que  le  moment  favorable  pour 
reprendre,  sur  le  Dar-Runga,  le  Baguirmi  et  le  Kanem,  rava- 
gés par  les  bandes  de  Rabah,  son  ancienne  autorité. 

On  a  lu  plus  haut  le  récit  de  l'invasion  du  Bornou  par 
Rabah,  qui,  à  cette  occasion,  aurait  reçu,  comme  ailleurs 
Samory,  le  titre  pompeux  de  Napoléon  des  noirs.  On  a  dit,  non 
sans  vraisemblance,  que  des  émissaires  anglais  envoyés  vers 
lui  auraient  réussi  à  éviter  son  entrée  à  Kano,  tandis  que  des 
envoyés  de  l'État  indépendant  du  Congo  auraient,  à  la  même 
époque,  obtenu  pour  les  Belges  la  liberté  d'action  du  côté  du 
Bar-el-Ghazal. 

Il  est  certain  que  les  troupes  de  Rabah,  lancées  sur  Kano, 
furent  retirées  et  que,  dès  ce  moment,  recommença  l'action 
du  conquérant  vers  les  pays  du  Chari,  action  lente  et  inter- 
mittente, il  est  vrai,  car  il  était,  avant  tout,  nécessaire  d'orga- 
niser et  d'asseoir  le  nouvel  empire. 

Rabah  y  déploya  un  véritable  talent  d'organisateur.  Trans- 
portant sa  capitale  à  Dikoa,  il  essaya  de  rétablir  le  commerce 
avec  Tripoli  et  y  parvint  assez  facilement.  Dès  lors,  les  armes 
et  les  munitions,  qu'il  pouvait  d'ailleurs  se  procurer  par 
l'Ouest,  ne  lui  manquèrent  pas  et  sa  puissance  en  fut  grande- 


SOUDAN    ORIENTAL  231 


ment  augmentée.  L'administration  du  pays  était  régularisée, 
ainsi  que  la  rentrée  des  impôts,  et  il  est  à  croire  que,  dès  ce 
moment,  le  commerce  des  esclaves  dut  reprendre  avec  Tripoli 
un  nouvel  essor. 

En  même  temps,  Rabah  cherchait  à  donner  à  sa  puissance 
despotique  un  certain  caractère  religieux.  Il  y  parvenait  en 
s'attachant  un  marabout  fameux  du  nom  de  Chafatou,  venu  du 
Sokoto  et  établi  au  sud  du  Tchad,  où  il  avait  su  acquérir  une 
grande  et  rapide  influence. 

Bientôt  la  domination  du  conquérant  parut  être  assez  soli- 
dement assise  pour  lui  permettre  de  songer  à  de  nouvelles 
conquêtes.  Le  massacre  tout  récent  de  la  mission  Bretonnet, 
avant-garde  de  la  mission  Gentil,  démontra  suffisamment 
l'intention  de  Rabah  de  repousser  toute  entente  avec  la  France, 
qu'il  considère  avec  raison  comme  sa  principale  ennemie  du 
moment. 

Il  est  certain  qu'il  possède  encore,  malgré  sa  récente  défaite 
de  Kouna,  une  armée  puissante,  peut-être  10  à  12.000  hom- 
mes, avec  une  cavalerie  entreprenante  et  une  artillerie  nom- 
breuse et  à  coup  sur  perfectionnée.  Une  partie  de  cette  armée 
doit  être  occupée,  il  est  vrai,  à  garder  ses  conquêtes,  mais  il 
lui  est  cependant  possible  de  réunir  un  sérieux  contingent 
avec  lequel,  tout  en  masquant  nos  postes  du  haut  Ghari,  il 
pourrait  exécuter  sans  difficulté  la  conquête  du  Ouadaï. 

Ainsi  pourrait  se  constituer  autour  du  Tchad  un  empire 
nouveau,  réunissant  le  Bornou,  le  Baguirmi,  le  Dar  Runga,  le 
Kanem,  le  Ouadaï  et  le  Darfour  et  coupant  définitivement  nos 
possessions  du  Congo  de  toute  communication  avec  nos  terri- 
toires au  nord  du  Tchad.  Nous  ne  savons  trop  ce  que  pense 
de  cette  éventualité  le  cheikh  des  Senoussias,  mais  ce  n'est 
pas  avec  les  quelques  tirailleurs  que  nous  possédons  au 
Congo  qu'il  sera  possible  de  faire  échouer  un  plan  aussi  vaste, 
qui  intéresse  et  réunit  contre  nous  à  des  degrés  divers  nos  ri- 
vaux européens,  arabes  ou  indigènes. 

On  ne  pourra  y  parvenir  que  par  un  efiort  militaire  immé- 
diat, car  tout  retard  contribue  à  raffermissement  de  la  puis- 
sance de  Rabah.  11  faudra  retenir  et  faire  entrer  définitive- 


2o2  l'afrique  politique  ex  1900 

ment  clans  nos  vues  le  Dar  Runga,  promettre  un  appui  sérieux 
au  Baguirmi,  au  Kanem  et  au  Ouadaï,  agir  sur  le  Bornou  et 
l'Adamaoua,  dans  la  mesure  où  les  traités  nous  y  autorisent, 
en  un  mot,  négocier  et  combattre.  Si  la  tâche  est  difficile,  il  ne 
faut  pas  oublier  qu'elle  est  la  conséquence  de  nos  fautes  pas- 
sées; à  l'heure  actuelle,  sur  le  Tchad,  la  France  est  en  train 
d'apprendre  à  ses  dépens,  une  fois  de  plus,  ce  qu'il  en  coûte 
de  réparer  une  erreur. 


* 

*    3 


L'empire  de  Rabah,  s'il  a  le  grave  inconvénient  d'être  fondé 
sur  une  conquête  imparfaite,  possède  aussi  l'avantage  d'être 
situé  presque  entièrement  dans  le  bassin  du  Tchad. 

Et  cet  avantage  ne  résulte  pas  seulement  de  la  possession 
des  richesses  naturelles  que  produit  la  vallée  du  Chari  ou  les 
pays  du  Baguirmi  et  du  Bornou,  mais  surtout  du  rôle  attractif 
que  joue  le  Tchad  sur  les  pays  environnants. 

Un  bassin  fermé,  tel  que  celui  du  Tchad,  jouit,  partout  où  il 
se  trouve,  de  la  propriété  de  concentrer  sur  lui  les  mar- 
chandises ou  les  idées  provenant  de  sa  périphérie,  et  cela  non 
seulement  en  vertu  de  la  loi  physique  de  la  gravitation,  qui 
commande  aux  hommes  de  se  servir  pour  leurs  échanges  des 
cours  des  fleuves,  «  ces  chemins  qui  marchent  »,  mais  aussi 
par  suite  de  cette  loi  géologique  et  militaire  en  vertu  de 
laquelle  celui  qui  est  maître  de  la  plaine  possède  la  montagne. 

La  vallée  attire  le  montagnard  comme  la  mer  attire  les 
fleuves,  et  ce  phénomène,  plus  sensible  dans  les  régions  mon- 
tagneuses, conserve  ses  effets  dans  les  pays  relativement  plats 
tels  que  ceux  du  bassin  du  Tchad. 

Le  lac  africain  joue  donc,  comme  dans  les  autres  bassins 
fermés,  son  rôle  de  pôle  de  convergence,  et  c'est  dans  ce  fait 
qu'il  faut  voir,  bien  plus  que  dans  la  facilité  qu'offre  une 
nappe  d'eau  aux  communications,  la  raison  de  l'importance 
instinctive  que  les  Européens  ont  attribuée,  après  les  indi- 
gènes, à  l'existence  du  Tchad  et  à  sa  possession  éventuelle. 


SOUDAN   ORIENTAL  253 


Qui  possède  le  Tchad  doit,  par  une  nécessité  fatale,  posséder 
le  bassin  de  ses  affluents,  c'est-à-dire  non  seulement  le 
Baguirmi,  mais  le  Bornou,  le  Ouaclaï  et  le  Kanem,  et  faire 
rayonner,  sur  les  lointains  pays  du  Sahara,  une  influence 
proportionnée  à  l'intensité  commerciale  et  aux  besoins  d'ex- 
pansion qui  se  manifesteront  sur  les  rives  du  lac. 

C'est  dans  ce  fait  qu'il  faut  chercher,  croyons-nous,  la 
raison  d'être  de  la  course  au  Tchad,  entreprise  parles  explora- 
teurs, négociants  ou  conquérants  qui,  du  Soudan  occidental 
comme  du  Niger  inférieur,  du  Cameroun,  du  Congo  et  de  Tri- 
poli, ont  cherché  de  tout  temps  à  atteindre  les  rives  du  lac 
africain. 

Leur  ardeur  se  trouvait  encore  aiguillonnée  par  le  mystère 
dont  était  enveloppée  l'existence  du  lac,  et  il  n'est  pas  étonnant 
que  les  riverains,  témoins  de  l'avidité  des  blancs  à  courir  vers 
cette  nappe  d'eau,  se  soient  figuré  et  aient  répété  de  bonne  foi 
que  les  blancs  cherchaient  à  atteindre  le  Tchad  pour  y  dé- 
couvrir et  y  exploiter  des  trésors  imaginaires  cachés  au  fond 
des  eaux. 

Ces  trésors  sont  seulement  allégoriques;  les  vraies  richesses 
du  Tchad  ne  sont  point  cachées  sous  sa  nappe  liquide,  mais  se 
trouvent  constituées  par  les  ressources  des  pays  riverains, 
par  l'attraction  que  le  lac  exerce  sur  les  populations  environ- 
nantes, et  par  les  facilités  que  son  existence  donne  à  leur 
groupement  social  et  à  leur  facile  domination. 


* 


On  peut  maintenant  jeter  un  coup  d'œil  d'ensemble  sur  le 
Soudan  et  examiner  brièvement  le  rôle  apparemment  dévolu 
aux  puissances  qui  s'en  vont,  et  à  celles  qui  attendent  le 
moment  favorable  pour  entrer  en  scène. 

D'un  côté,  nous  avons  des  royaumes  en  décadence  ou  sans 
défenses  efficaces,  ou  prêts  à  se  donner,  avec,  dans  ces 
derniers  temps,  l'inconnue  qui  résulte  des  conquêtes  de  Rabah 
et  de  leur  répercussion  lointaine. 


254  i/ AFRIQUE    POLITIQL'E   EN    1900 

De  l'autre,  nous  voyons  trois  puissances,  la  France,  l'Angle- 
terre, l'Allemagne,  avides  de  prendre  chacune  la  plus  grande 
part  de  ces  riches  contrées. 

Le  partage  est  déjà  fait  diplomatiquement;  mais  de  graves 
questions  restent  encore  à  résoudre,  autant  pour  régulariser 
les  traités  déjà  conclus  et  pour  mieux  délimiter  les  zones 
d'influence  que  pour  parer  à  l'imprévu  et  chercher  à  établir 
sur  ces  régions  une  domination  effective. 

Les  trois  nations  européennes  investissent  chacune  le 
Soudan  de  plusieurs  côtés  différents  : 

La  France,  par  la  côte  occidentale  de  l'Algérie  et,  plus  au 
Sud,  par  le  Congo  ; 

L'Angleterre,  par  le  bassin  du  Niger,  par  le  bassin  moyen 
du  Nil  et,  accessoirement,  par  les  grands  lacs; 

L'Allemagne,  par  le  Cameroun  et,  d'une  manière  plus  loin- 
taine et  seulement  problématique,  par  ses  territoires  de  l'Est 
africain. 

De  ces  trois  situations,  la  plus  favorable  est  incontestable- 
ment celle  de  l'Angleterre. 

Du  côté  du  Niger,  en  effet,  on  a  vu  que  déjà  elle  touchait  au 
Bornou  et  par  là  au  Tchad.  Du  côté  du  Nil,  elle  s'apprête,  après 
la  conquête  du  Soudan  égyptien  et  la  destruction  des  Der- 
viches, à  faire  la  conquête  du  Darfour  et  sans  doute  aussi  à 
occuper  le  Bahr-el-Ghazal.  Après  la  chute  de  Khartoum,  elle 
ne  trouvait  plus,  interposés  entre  ses  deux  blocs  de  posses- 
sions africaines,  que  les  débris  des  bandes  derviches  et  l'em- 
pire récent  et  sans  doute  fragile  fondé  par  Rabah. 

Dans  les  conférences  laborieuses  qui  précédèrent,  au  milieu 
du  bruit  des  armes,  la  convention  du  21  mars  1899,  ce  ne  fut 
pas  un  des  moindres  arguments  des  diplomates  britanni- 
ques que  celui  qui  consistait  à  mettre  sous  nos  yeux  l'état 
des  forces  anglaises  sur  le  Nil  et  le  Niger  en  face  du  néant  de 
notre  occupation  du  Baguirmi  et  du  Bahr-el-Ghazal. 

C'est  une  nécessité  de  premier  ordre  pour  la  France,  comme 
pour  l'Allemagne,  de  veiller  attentivement  aux  événements 
qui  se  déroulent  autour  du  Tchad. 

Cette  nécessité  semble  avoir  été  comprise  par  les  Allemands, 


SOUDAN    ORIENTAL  25b' 


si  l'on  se  rapporte  aux  récents  événements  du  Cameroun  et 
aux  bruits  d'après  lesquels  la  mission  militaire  dont  nous 
avons  déjà  parlé  serait  chargée,  non  seulement  de  recon- 
naître, mais  d'occuper  effectivement  les  régions  de  l'hinterland 
du  Cameroun. 

Quant  à  l'action  de  la  France,  quelle  doit-elle  être? 

Après  l'événement  de  Fachoda  et  la  retraite  de  la  mission 
Marchand,  nos  efforts  doivent  se  porter  vers  l'occupation 
effective  des  pays  au  sud  et  à  l'est  du  Tchad.  Déjà  des  missions 
sont  à  l'œuvre,  et  le  moment  n'est  pas  éloigné  où  les  Anglais 
seront  les  premiers  à  comprendre  l'intérêt  qu'ils  auront  à 
proposer  la  délimitation  du  Soudan  égyptien,  du  côté  du 
Ouadaï.  Quoi  qu'il  en  soit  des  conséquences  des  derniers  évé- 
nements africains,  on  ne  peut  s'empêcher  d'envier  l'activité  et 
l'énergie  de  nos  rivaux,  qui,  occupés  sur  tous  les  points  du 
globe  par  des  questions  vitales,  trouvent  dans  leur  ténacité  et 
leur  patriotisme  le  moyen  de  faire  face  aux  embarras  du  pré- 
sent et  de  tenir  toujours  plus  haut  le  drapeau  de  la  métro- 
pole. 

En  vérité,  on  ne  sait  ce  qu'il  faut  le  plus  admirer,  de  leur 
ardeur  à  poursuivre  un  résultat  cherché,  ou  de  leur  volonté 
toujours  plus  affirmée  de  ne  rien  abandonner  et  d'étendre 
constamment  leurs  conquêtes. 


CHAPITRE  IV 

LES  PAYS  DU  CONGO 


Congo  français. 


Délimitation.  —Situation  générale.  —  Opération  vers  le  Tchad  :  missions  Gentil, 
Bretonnet  et  de  Behagle.  —  Opérations  vers  le  Nil  :  missions  Liotard  et  .Mar- 
chand. —  La  question  de  Fachoda.  —  Considérations  générales. 


Le  Congo  français  est  cette  longue  bande  de  terrain  qui 
setend  de  l'Océan  au  Bahr-el-Ghazal  et  se  trouve  étranglée, 
entre  laSangha  et  l'Oubangui.  par  les  territoires  du  Cameroun 
allemand  et  du  Congo  belge. 

Ses  limites,  aujourd'hui  bien  définies,  ont  été  fixées,  vers  le 
Cameroun,  par  les  traités  franco-allemands  du  24  décembre 
1885  et  du  4  février  1894,  et,  du  côté  de  l'État  indépendant  du 
Congo,  par  les  conventions  du  5  février  1885,  du  29  avril  1887 
et  du  14  août  1894.  (Voir  le  chapitre  relatif  à  l'État  indépen- 
dant du  Congo.) 

La  petite  enclave  portugaise  de  Cabinda  a  été  délimitée  par 
une  convention  franco-portugaise  passée  dès  1886.  Du  côté  du 
Congo  belge,  les  frontières  suivent  le  cours  du  Congo,  de  l'Ou- 
bangui,  du  M'Bomou,  et  la  France  s'est  réservé  le  droit  de 
poursuivre  sur  la  rive  gauche  de  ce  dernier  cours  d'eau  les 
reljelles  qui  tenteraient  de  se  réfugier  sur  le  territoire  du  Congo 
belge. 

Du  côté  du  Cameroun,  la  convention  du  24  décembre  1885 
avait  fixé  des  limites  astronomiques  qui  furent  précisées  sur 
les  cartes  par  le  traité  du  4  février  1894. 

Afr.  polit.  17 


258  L' AFRIQUE   POLITIQUE    EK    1900 

Ce  traité  donne  accès  à  l'Allemagne  sur  la  Sangha;  il  a  eu 
pour  résultat  de  rétrécir  encore  davantage  la  largeur  de  notre 
bande  d'accès  vers  l'intérieur,  qui  ne  compte  plus  que  300  kilo- 
mètres entre  la  Sangha  et  le  Congo.  Déplus,  la  frontière  affecte 
sur  le  cours  du  Chari  une  forme  bizarre  très  préjudiciable  à 
nos  communications  futures  avec  le  Sahara  et  l'Afrique  du 
Nord. 

Malgré  les  désavantages  résultant  du  tracé  de  la  fron- 
tière vers  le  Chari,  il  est  regrettable  que  Ton  n'ait  pas  pu, 
même  au  prix  d'une  cession  supplémentaire  de  terrains  de  ce 
côté,  adopter  pour  limite  commune  une  ligne  oblique  laissant 
dans  notre  zone  d'action  une  partie  des  territoires  de  la  rive 
droite  de  la  Sangha,  de  manière  à  augmenter  la  faible  largeur 
du  défilé  entre  Congo  et  Sangha,  qui  paralyse  nos  mouvements 
vers  l'intérieur. 

On  est  aussi  porté  à  se  demander  sur  quels  droits  les  Alle- 
mands ont  basé  leurs  prétentions  sur  le  cours  du  Chari.  Leurs 
missions  y  sont  à  peine  parvenues  alors  que  nous  pouvions 
leur  opposer  les  droits  résultant  des  missions  Mizon,  Maistre  et 
Dybowski. 

Quoi  quil  en  soit,  nos  limites  ayant  été  définies  avec  l'Alle- 
magne, notre  action  s'est  portée  naturellement,  après  1894,  du 
côté  du  Baguirmi,  du  Darfour  et  du  Bahr-el-Ghazal. 

Dès  1892,  M.  de  Brazza  nouait  des  relations  avec  le  sultan 
du  Baguirmi;  mais,  depuis  lors,  ces  relations  ont  subi  des  vi- 
cissitudes nombreuses. 

Les  efforts  de  nos  explorateurs  se  sont  portés  vers  deux  di- 
rections différentes  :  du  côté  de  la  haute  Sangha  pour  chercher 
à  rétrécir  la  zone  d'influence  des  Allemands,  et  vers  le  haut 
Oubangui  pour  empêcher  les  empiétements  des  Belges  et  sur- 
veiller les  agissements  des  Anglais  vers  le  Bahr-el-Ghazal. 

•Ces  deux  actions  divergentes  ne  comprenaient  pas  la  sur- 
veillance du  Dar-Banda  etduDar-Fertit,  d'où  est  partie  l'expé- 
dition de  Rabah  contre  le  Baguirmi  et  le  Bornou. 

Actuellement,  notre  autorité  est  reconnue  à  la  fois  dans  le 
bassin  de  la  Sangha  et  sur  le  haut  Oubangui,  où  nous  avons  un 
peu  partout  fait  acte  de  prise  de  possession  effective. 


OPÉRATIONS   VERS   LE   TCHAD  259 

Entre  ces  deux  directions  de  la  haute  Sangha  et  du  haut 
Oubangui,  nos  explorations  se  sont  exercées,  surtout  depuis 
1895,  de  manière  à  relier  nos  possessions  antérieures  et  à  pous- 
ser plus  avant  vers  le  Baguirmi  et  le  Ouadaï  notre  zone  d'oc- 
cupation ou  de  protectorat. 

Avant  de  parler  des  dernières  explorations  effectuées  dans 
l'hinterland  du  Congo,  il  convient  de  rappeler  que  la  colonie 
estplacée,  par  décret  du  1er  octobre  1897,  sous  l'administration 
d'un  gouverneur  de  lre  classe,  commissaire  général  du  Congo 
français,  assisté  d'un  lieutenant-gouverneur  pour  le  Congo. 
Les  territoires  de  rOubangui  sont  eux-mêmes  placés  sous  l'au- 
torité d'un  lieutenant-gouverneur,  qui  dépend  du  commis- 
saire général.  L'ensemble  de  ces  territoires  est  occupé  par  un 
certain  nombre  de  compagnies  de  tirailleurs  sénégalais,  outre 
une  force  de  police  spéciale  au  Congo,  créée  en  1898,  et  com- 
posée de  gardes  régionaux  placés  sous  les  ordres  des  admi- 
nistrateurs. 


260  l'afrique  politique  en  1900 


OPÉRATIONS  VERS  LE  TCHAD 


Nous  ne  ferons  que  rappeler  les  missions  qui  ont  établi  notre 
influence  dans  les  bassins  de  la  Sangha  et  du  Chari  et  aux- 
quelles sont  attachés  les  noms  de  deBrazza,  Crampel(l),Mizon, 
Dybowski,  Maistre.  Nous  nous  occuperons  plus  spécialement 
des  missions  récentes  dirigées  par  MM.  de  Behagle,  Bretonnet 
et  Gentil. 

Mission  Gentil.  —  La  mission  Maistre  (1892-93)  avait  pénétré 
du  Congo  dans  le  bassin  du  Chari  et  de  là  dans  celui  de  la 
Benoué  en  suivant  le  cours  de  la  Kémo. 

M.  Gentil,  ancien  enseigne  de  vaisseau  et  administrateur  au 
Congo,  ayant  reçu  la  mission  de  faire  l'exploration  du  Chari 
et  du  Tchad,  partit  de  Brazzaville,  le  15  octobre  1895,  avec  le 
Lèon-Blot,  petit  vapeur  démontable,  d'un  tirant  d'eau  de  0m,40; 
accompagné  d'environ  50  fusils,  il  remonta  le  Congo,  puis 
l'Oubangui  et  la  Kémo  et  enfin  la  Toumi,  affluent  de  droite  de 
la  Kémo,  jusqu'à  Krébedgé,  où  fut  fondé  un  poste  par  5° 46'  de 
latitude  nord,  et  où  la  mission  dut  quitter  la  voie  fluviale. 

On  attendit  trois  mois  à  Krébedgé  pour  se  procurer  des  por- 
teurs, et,  après  avoir  démonté  le  Lèon-Blot,  on  se  mit  en  marche 
vers  le  bassin  du  Chari,  dans  lequel  la  mission  pénétra  par  la 
vallée  de  la  Nana.  La  rivière  n'étant  pas  navigable,  on  établit 
sur  ses  bords,  en  octobre  1896,  lecampdesUngouras  et  ons'oc- 
cupa  de  chercher  une  autre  voie  de  pénétration. 

On  la  trouva  dans  un  affluent  du  Gribingui,  au  mois  d'avril 
1897.  On  repartit  sur  le  Léon-Blot  remonté  et,  par  le  Gribingui 


(1)  C'est  à  El-Kouti,  dans  le  pays  du  Dar  Runga,  que  Crampel  fut  assassiné  en  mai 
1891  par  un  lieutenant  de  Rabah. 


OPÉRATIONS  VERS  LE  TCHAD  261 

etleChari,  on  arriva  au  Tchad  le  1er  novembre  1897.  Après 
avoir  reconnu  une  partie  du  Tchad,  la  mission,  manquant  de 
moyens  suffisants  pour  pousser  plus  avant,  rebroussa  chemin 
et  rentra  au  Congo  par  le  Gribingui. 

Les  résultats  de  ce  voyage  furent  des  plus  importants.  Outre 
les  renseignements  géographiques  rapportés  sur  les  pays  du 
Chari  et  sur  le  Tchad,  la  mission  avait  pris  contact,  sur  les  rives 
du  Chari,  avec  les  bandes  de  Rabah,  qui,  craignant  de  ne  pou- 
voir se  maintenir  au  Bornou,  avait  fait  occuper,  pour  lui  servir 
de  places  de  retraite  éventuelle,  les  localités  de  Goulfey,  de 
Koussouri  et  Logone.  La  mission  fut  bien  accueillie  dans  ces 
villes,  dont  les  garnisons,  craignant  nos  représailles  au  sujet 
du  massacre  de  la  mission  Crampel,  s'étaient  retirées  à  rap- 
proche de  nos  explorateurs.  Le  sultan  du  Baguirmi,  bien  dis- 
posé à  notre  égard,  signa  un  traité  de  protectorat.  M.  Prins 
fut  installé  auprès  de  lui  en  qualité  de  résident  avec  douze 
Sénégalais  comme  escorte. 

La  mission  avait  obtenu  ces  résultats  pacifiquement.  Mais  à 
peine  était-elle  de  retour  sur  le  Gribingui  (1)  que  Rabah,  dési- 
reux de  réparer  le  préjudice  causé  à  son  prestige  par  le  passage 
des  Européens,  faisait  sa  rentrée  dans  le  bassin  du  Chari  et  dé- 
truisait les  villes  qui  avaient  accueilli  M.  Gentil  et  son  second 
M.  Huntzbùchler;  en  même  temps  il  poussait  devant  lui  les 
forces  de  Gaourang,  sultan  du  Baguirmi,  qui,  ne  pouvant  lui 
résister,  en  était  réduit  à  évacuer  sa  capitale,  Massénya,  avec 
M.  Prins  et  son  escorte  età  se  retirer,  vers  le  mois  de  juin  1898, 
sous  la  protection  de  nos  postes  du  Sud. 

La  mission  Gentil,  habilement  et  énergïquement  conduite,  a 
réussi  à  faire  flotter  sur  le  Tchad,  pour  la  première  fois,  un  va- 
peur européen  et  à  y  porter  le  pavillon  français,  déjà  montré 
par  Monteil  aux  Bornouans  de  Kouka. 

Outre  les  résultats  politiques  qu'elle  a  obtenus,  elle  a  eu  pour 
effet  d'ouvrir  la  route  à  la  mission  de  Béhagle  et  de  faciliter 
son  action. 


(1)  Voir  le  récit  des  événements  survenus  après  le  retour  de  la  mission  dans  le 
chapitre  relatif  au  Soudan  central. 


262  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

Mission  de  Bêhagle.  —  La  mission  commerciale  conduite  par 
MM.  de  Béhagle,  Bonnel  de  Mézières  et  Mercuri  a  été  organisée 
dès  la  fin  de  1896.  Elle  avait  été  précédée  par  la  mission  Maistre 
(1892-93);  au  cours  de  laquelle  M.  de  Béhagle  (1),  qui  en  faisait 
partie,  avait  laissé  sur  le  Chari  un  indigène  algérien  lettré, 
Ahmed  Medjekam,  chargé  de  préparer  les  voies  de  la  future 
mission. 

Le  but  de  celle-ci  était  de  parvenir  dans  la  région  du  Tchad, 
d'y  installer  des  Algériens  lettrés  dont  l'influence  devait  se 
développer  sur  les  pays  voisins,  et  de  regagner  l'Afrique  du 
Nord  en  passant  par  l'Air. 

Quatre  indigènes  soudanais,  recrutés  à  Tunis,  d'où  ils  ne 
pouvaient  pas  parvenir  à  regagner  leur  pays,  firent  partie  de 
la  mission,  qui  comprenait  en  outre  six  indigènes  algériens 
lettrés.  Partie  d'Oran  à  la  fin  d'avril  1897,  la  mission  arrivait 
àLoango,  d'où,  avec 20  tonnes  de  marchandises  et 200  porteurs, 
elle  gagna  Brazzaville  le  1er  novembre  en  suivant  la  voie  du 
Kouilou.  Après  deux  mois  d'attente,  elle  en  repartit,  le  1er  jan- 
vier 1898,  avec  150  charges  et  85  hommes,  qui  furent  portés  en 
cours  de  route  au  nombre  de  135  hommes  choisis. 

M.  Bonnel  de  Mézières,  rentré  en  France  au  mois  de  novem- 
bre 1897  pour  y  organiser  une  nouvelle  mission,  en  re* 
partait  au  mois  de  mai  1898  pour  le  Congo,  accompagné  de 
quatre  explorateurs  commerciaux  et  scientifiques  attachés  à 
la  mission. 

Dès  le  mois  d'octobre  1897,  au  moment  d'atteindre  Brazza- 
ville, M.  de  Béhagle,  apprenant  les  bruits  alarmants  qui  circu- 
laient sur  le  sort  de  la  mission  Marchand,  offrit  à  M.  Liotard  le 
concours  des  moyens  dont  il  disposait.  Cette  offre  généreuse 
était  heureusement  sans  objet,  car  ces  bruits  se  trouvaient 
sans  fondement. 

Au  mois  de  mars  1898,  la  mission  était  à  Bangui,  d'où  elle 
partait  pour  remonter  l'Oubangui.  Une  lettre  de  M.  de  Béhagle 


(1)  MM.  de  Béhagle  et  Bonnel  de  Mézières  avaient  fait  partie  de  la  mission 
Maistre,  qui  avait  le  Tchad  pour  objectif,  mais  qui,  faute  de  bateau,  ne  put  y 
parvenir. 


OPÉRATIONS    VERS    LE   TCHAD  2G3 

à  la  Société  de  géographie  d'Alger,  partie  du  Gribingui  au 
mois  de  mai,  donnait  sur  la  mission  les  détails  suivants  : 

Les  eaux  du  Gribingui,  dit-il,  seront  hautes  vers  le  milieu  de  juin. 
Le  15  de  ce  mois,  je  descendrai  le  Gribingui,  et,  dans  les  premiers 
jours  de  juillet,  je  serai  au  Baguirmi. 

J'ai  mis  neuf  mois  pour  monter  de  la  côte  au  nord  de  l'Oubaugui 
et  au  Gribingui,  où  mes  charges  sont  rendues  au  complet. 

J'attends  la  montée  des  eaux,  et  cette  attente  ne  sera  pas  inutile. 
A  Bangui,  où  j'ai  séjourné  un  mois,  j'ai  employé  mon  monde  à  la 
répression  des  cannibales  boujies,  puis  j'ai  fait,  par  terre,  le  che- 
min de  Bangui  à  Ouadda,  qui  n'avait  jamais  été  fait,  reconnaissant 
trois  tribus  nouvelles:  les  Magba,  les  Abanda,  les  Badda-Badda; 
ensuite,  j'ai  étudié  la  vallée  de  la  Kemo  et  celle  de  la  Toumi. 

J'en  rapporte  les  éléments  d'une  carte  appuyée  sur  de  nombreux 
relèvements  de  montagnes  et  d'observations  astronomiques. 

Toutes  les  données  anciennes  sur  ces  rivières  en  seront  changées, 
car  la  Kemo,  après  avoir  fait  du  nord-nord-est,  s'infléchit  tellement 
à  l'est  qu'elle  vient  voisiner  avec  l'Oubangui  à  moins  d'une  heure 
de  marche  et  à  20  kilomètres  dans  l'est  de  son  confluent.  C'est,  au 
contraire,  la  Toumi  qui  vient  du  nord  sur  tout  son  parcours  navi- 
gable. 

Si  Lakdar  est  resté  à  Brazzaville  avec  mon  Maure  saharien  ;  Sa- 
lem el  Dulal  Ali  est  au  poste  de  Krebedjé  (haute  Toumi),  où  Mer- 
curi  a  construit  deux  bastions  en  pierre,  et  je  me  retrouve  sur 
l'Oubangui,  attendant  VA  ntoinette,  qui  doit  m'apporter  cent  charges 
ces  jours-ci.  Aussitôt,  je  rallie  tout  mon  monde,  et  je  gagne  en  hâte 
le  Gribingui. 

Le  19  juillet  1898,  M.  de  Béhagle  était  au  poste  de  Gribingui, 
d'où  le  vapeur  de  la  colonie,  le  Léon-Blot,  devait  le  conduire 
au  Baguirmi.  Il  comptait  s'y  trouver  vers  le  commencement 
d'août,  y  fonder  des  comptoirs  commerciaux  en  novembre  et 
en  repartir  pour  l'Air,  où  il  pensait  arriver  en  février  1899. 

Ces  prévisions  ont  été  modifiées  par  l'invasion  de  Rabah  au 
Baguirmi.  C'est,  en  effet,  par  une  lettre  de  M.  Mercuri,  datée, 
le  9  août,  du  camp  de  Czà,  sur  la  rive  gauche  du  Ba-Bousso,  à 
quatre  jours  de  marche  de  Korbol,  qu'on  apprenait  la  fuite  de 
Gaourang  et  l'incendie  de  Massenya. 

Ces  événements  eurent  pour  effet  d'immobiliser  M.  de  Bé- 


264  l  Afrique  politique  ex  1900 

hagle  pendant  quelque  temps.  Puis,  au  commencement  de 
l'année  1809,  confiant  dans  ses  propres  forces  et  espérant  pou- 
voir reprendre  ses  opérations  vers  le  Nord,  il  regagna  la  val- 
lée du  Chari.  Vers  le  mois  de  juillet,  il  était  capturé  par  les 
bandes  de  Rabah  et  conduit  au  sultan  qui,  a-t-on  dit,  ordonna 
sa  mort.  Cette  nouvelle  parvenait  en  Europe  à  la  fin  du  mois 
d'octobre,  presque  en  même  temps  que  celle  du  massacre  de 
la  mission  Bretonnet. 

Mission  Gentil-Bretonnet.  —  On  a  vu,  à  propos  du  Soudan 
oriental,  quelle  était  la  situation  sur  les  bords  du  Chari  à  la 
fin  de  l'année  1898.  M.  le  lieutenant  de  vaisseau  Bretonnet, 
l'explorateur  du  Niger,  nommé  administrateur  des  colonies, 
était  à  ce  moment  à  Paris,  où  il  venait  de  conduire  les  ambas- 
sadeurs de  Gaourang  et  d'El-Senoussi.  Le  25  décembre,  il 
s'embarquait  avec  eux  à  Marseille  pour  regagner  l'Oubangui 
et  de  là  le  Chari,  où  il  devait  précéder  de  quelques  semaines 
M.  Gentil,  nommé  commissaire  du  gouvernement  au  Chari. 
Ce  dernier  devait  disposer  de  deux  compagnies  :  l'une  re- 
crutée au  Sénégal,  l'autre  d'abord  destinée  à  la  relève  de  la 
mission  Marchand  et  commandée  par  le  capitaine  Julien.  Les 
capitaines  Robillot,  de  Cointet  et  de  Lamothe,  l'administrateur 
Pinel  et  le  docteur  Sibut,  décédé  peu  après  à  Loango,  étaient 
adjoints  à  la  mission. 

xV  la  fin  du  mois  de  mars  1899,  M.  Bretonnet  atteignait  la 
Nana,  où  il  était  renforcé  par  la  compagnie  Julien  et  d'où  il 
signalait  les  apparences  favorables  de  la  situation  sur  le 
Chari.  A  la  fin  de  mai,  il  arrivait  à  N'Délé,  capitale  du  Dar 
Runga.  Il  en  repartait  le  31  mai  pour  El-Kouti,  et  de  là  pour 
Togbao,  où  il  arrivait  le  15  juin,  tandis  que  le  reste  de  la  mis- 
sion Gentil  se  concentrait  à  Gribingui.  A  ce  moment  Rabah  se 
trouvait  à  Kouna,  à  une  journée  de  marche  de  Niellim,  que 
M.  Bretonnet  avait  choisi  en  raison  de  sa  forte  situation,  et  où 
il  disposait,  avec  les  lieutenants  Braun  et  Durand-Autier, 
d'une  trentaine  de  Sénégalais,  de  3  canons  et  des  400  fusils  de 
Gaourang. 

C'estlà  qu'il  fut  attaqué,  le  18  juillet,  par  Rabah  dirigeant  en 


OPÉRATIONS  VERS  LE  TCHAD  265 

personne,  avec  7  à  8.000  hommes  sous  ses  ordres,  l'assaut  de 
la  position.  Le  petit  détachement  fut  anéanti.  Un  sergent  indi- 
gène, seul,  parvint  à  s'échapper  et  à  porter  la  nouvelle  du  dé- 
sastre à  M.  Gentil,  qui  se  trouvait  à  Gaoura,  le  16  août,  pres- 
sant sa  marche  pour  secourir  son  avant-garde. 

Il  emmenait  avec  lui  la  compagnie  Julien,  forte  d'environ 
125  hommes,  que  M.  Bretonnet  avait  cru  pouvoir  laisser  en 
arrière.  Estimant  qu'avec  d'aussi  faibles  forces  il  ne  pourrait 
affronter  les  masses  de  Rahah,  il  établit  à  Gaoura  un  poste  for- 
tifié où  il  fit  venir  sa  deuxième  compagnie  commandée  parle 
capitaine  de  Cointet.  A  la  fin  d'août,  le  poste  de  Gaoura,  placé 
sous  le  commandement  du  capitaine  Robillot,  était  défendu  par 
280  fusils  et  2  canons,  force  suffisante  pour  tenir  en  échec  les 
bandes  de  Rabah  fort  éprouvées  par  les  pertes  subies  à  Niel- 
lim.  En  arrière,  d'autres  forces  étaient  concentrées  à  Gri- 
bingui. 

Au  mois  de  novembre,  ses  forces  ayant  été  portées  à 
320  fusils,  le  capitaine  Robillot  marchait  sur  Kouna  et,  le 
2  décembre,  attaquait  le  camp  fortifié  de  Rabah,  défendu  par 
12.000 hommes,  dont  2.500  fusils  et  3  canons.  Après  un  combat 
acharné  qui  lui  coûta  2  ou  3.000  hommes,  Rabah,  blessé, 
s'enfuit  presque  seul  vers  le  Nord. 

Cette  victoire,  qui  eut  un  grand  retentissement  dans  les  con- 
trées du  Tchad,  nous  coûtait  13  tués  et  110  blessés,  parmi 
lesquels  le  capitaine  Robillot.  Ses  effectifs  étaient  aussitôt  ren- 
forcés et  le  sultan  du  Baguirmi,  réfugié  à  Laï,  venait  se  join- 
dre à  lui  dans  son  campement  fortifié  de  Tounia. 


Pendant  que  nos  explorateurs  poussaient  vers  le  Tchad, 
nous  ne  restions  pas  inactifs  sur  la  Sangha.  Le  poste  d'Ouesso 
y  avait  été  fondé  par  MM.  Fourneau  et  Gaillard,  dès  1891,  et, 
en  1892,  M.  de  Rrazza  nouait  des  relations  avec  le  sultan  de 
Ngaoundéré,  Abou  ben  Aïssa.  Ngaoundéré  a  cependant  été 
revendiqué  par  l' Allemagne,  à  qui  cette  localité  a  été  attribuée 
par  la  convention  du  4  février  1894. 


266  l'afrique  politique  ex  1900 

Mission  Fourneau- Fondère.  —  Au  mois  d'août  1898,  le 
ministre  des  colonies  confia  aux  administrateurs  coloniaux 
Fourneau  et  Fondère  la  mission  d'étudier  une  voie  ferrée 
entre  Libreville  et  le  bassin  de  la  Sangha.  La  mission  quitta, 
le  15  octobre,  Loango,  pour  se  rendre,  par  terre,  à  Brazza- 
ville, avec  le  lieutenant  Fourneau,  35  tirailleurs  sénégalais 
et  180  porteurs. 

Tandis  que  le  lieutenant  Fourneau,  réquisitionné  par  le 
lieutenant-gouverneur,  était  occupé  à  soumettre  les  Ballalis 
révoltés,  la  mission  continuait  sur  Brazzaville,  où  elle  arri- 
vait le  4  novembre  et  d'où  elle  se  dirigeait  par  fractions  suc- 
cessives sur  Ouesso.  Elle  était  concentrée  dans  ce  poste  le 
10  février  1899  et  en  partait  le  14,  se  dirigeant  vers  l'ouest. 

Le  4  mars,  elle  atteignait  la  Mambili,  large  de  50  mètres, 
affluent  de  la  Mossaka.  Le  9,  après  une  route  pénible,  elle 
arrivait  à  An-Goukou,  village  des  Bakotas,  qui  s'étendent 
jusqu'à  l'Ivindo.  Le  16,  elle  franchissait,  par  une  pente  in- 
sensible, la  ligne  de  partage  des  bassins  du  Congo  et  de 
l'Ivindo;  puis  elle  prenait  la  direction  du  nord  jusqu'au  21  mars 
et  ensuite  marchait  vers  l'ouest.  Le  2  avril,  elle  atteignait 
l'Obombé;  là  elle  se  scindait  en  deux  groupes  :  l'un,  avec 
M.  Fondère,  reconnaissait  l'Ivindo,  arrivait  le  27  avril  à  Boue 
et  le  10  mai  au  passage  du  N'Iona;  l'autre  groupe,  avec 
M.  Fourneau,  quittait  Kandjamar  le  20  avril,  marchait  vers 
l'ouest  et  rejoignait  M.  Fondère  au  passage  du  N'Iona. 

De  là,  la  mission  gagnait  le  cours  du  Bokooué,  et  tandis  que 
M.  Fondère,  par  la  route  fluviale,  regagnait  Libreville  le 
29  mai,  M.  Fourneau  atteignait  le  Gabon  par  voie  de  terre 
le  10  juin. 

Les  terrains  reconnus  paraissent  se  prêter  au  tracé  d'une 
voie  ferrée  dont  l'établissement  nous  affranchirait  en  partie 
du  tribut  payé  aux  Belges  pour  le  passage  sur  leur  ligne  du 
bas  Congo. 


OPÉRATIONS    VERS    LE   ML  267 


OPÉRATIONS  VERS  LE  NIL 
lia  question  «le   I  acliodn. 

L'expansion  française  vers  l'Oubangui  et  le  Nil  date  de  1885. 
Elle  a  été  la  conséquence  naturelle  de  l'acquisition  du  Congo 
français,  due  à  1  habileté  et  à  l'influence  de  M.  de  Brazza. 

En  1886,  M.  Ponel  remontait  l'Oubangui  et  fondait  le  poste 
de  N'Koudja.  Plus  tard  étaient  organisés  les  postes  de  Mod- 
zaka  (1888),  de  Bangui  (1890)  et  des  Abiras  (1891). 

Au  mois  de  décembre  1891,  M.  Liotard,  pharmacien  des 
colonies,  fut  envoyé  sur  l'Oubangui  avec  la  mission  de  dé- 
fendre les  territoires  revendiqués  par  la  France  contre  les 
empiétements  des  Belges,  qui  étaient  installés  à  Bangasso  et 
poussaient  les  indigènes  à  interdire  aux  Français  l'accès  de 
leur  pays.  Des  excès  avaient  déjà  été  commis  auprès  de  nos 
postes,  lorsque  M.  Liotard  reçut,  à  la  fin  de  1892,  le  secours 
de  la  mission  du  duc  d'Uzès,  qui  était  accompagné  du  lieute- 
nant Julien  et  de  50  Sénégalais.  Les  Boubous  furent  battus  en 
février  1893  et  notre  influence  rétablie  dans  la  région. 

Les  négociations  entamées  par  la  France  avec  l'État  du 
Congo,  au  sujet  de  la  fixation  d'une  frontière  commune,  ayant 
été  rompues  au  mois  de  décembre  1892,  on  se  décida  à  occu- 
per effectivement  les  pays  de  l'Oubangui  et  à  renforcer  les 
moyens  d'action  de  M.  Liotard. 

Une  mission,  organisée  sur  l'initiative  de  M.  Delcassé,  fut 
confiée,  en  mai  1893,  au  commandant  Monteil.  L'avant-garde 
de  la  mission,  composée  de  3  officiers,  7  sous-officiers  français 
et  220  Sénégalais,  partit  de  Brazzaville  le  2  novembre  1893, 
sous  les  ordres  du  capitaine  Decazes.  et  rejoignit  M.  Liotard, 
qui  put,  grâce  à  ce  renfort,  maintenir  les  droits  de  la  France 
en  face  des  indigènes  et  des  Belges. 

Ceux-ci,  à  l'annonce  de  l'envoi  de  la  mission  Monteil,  firent 
des  offres  de  conciliation,  qui  eurent  pour  effet  de  retarder  le 
départ  de  l'expédition.  Les  négociations,  entamées  en  avril 


268  l'afriqie  politique  ex  1900 

1894,  n'aboutirent  pas;  tout  au  contraire,  le  Congo  s'entendait 
avec  les  Anglais  et,  par  le  traité  du  14  mai  1894,  obtenait  la 
cession  à  bail  de  toute  la  rive  gauche  du  Nil  au  sud  du  10e  pa- 
rallèle, jusqu'au  bassin  du  Congo. 

Ce  traité  souleva  aussitôt  les  réclamations  de  la  France 
et  de  l'Allemagne  et  motiva  l'envoi  immédiat  de  la  mission 
du  commandant  Monteil,  qui  fut  investi,  par  décret  du  16  juil- 
let, de  l'administration  des  territoires  du  haut  Oubangui.  En 
même  temps,  le  Parlement  votait  les  crédits  nécessaires  pour 
prendre  des  «  mesures  conservatoires  »  dans  ces  régions,  et 
un  bataillon  était  envoyé  au  Congo. 

Devant  cette  attitude,  l'État  du  Congo  se  décidait  à  re- 
noncer aux  bénéfices  du  traité  passé  avec  l'Angleterre  et  à 
limiter  son  action  aux  cours  de  l'Oubangui  et  du  M'Bomou, 
ainsi  qu'au  27° 40'  de  longitude  et  au  parallèle  5° 30'. 

Il  renonçait  aussi  à  toute  occupation  du  Bahr-el-Ghazal. 

Le  traité  du  14  août  1894  fut  rapidement  exécuté.  Les  Belges 
évacuèrent  les  territoires  au  nord  de  l'Oubangui,  qui  furent 
aussitôt  occupés  par  les  trois  compagnies  de  Sénégalais  des 
capitaines  Vermot,  Ditte  et  Hossinger.  Le  commandant  Mon- 
teil, déjà  arrivé  au  Congo,  était  rappelé  avec  la  majeure  partie 
de  l'expédition  et  désigné  pour  marcher  contre  Samory. 

M.  Liotard  reprenait,  comme  lieutenant-gouverneur  du 
haut  Oubangui,  l'administration  du  pays  et  occupait,  le 
10  juillet  1895,  le  centre  de  Zemio,  après  avoir  placé  sous 
notre  autorité  les  tribus  N'Sakarras  et  Azandés. 

Continuant  son  œuvre  de  pénétration  vers  le  Nil,  il  prenait 
possession,  en  février  1896,  de  Tamboura,  capitale  d'un  sultan 
azandé,  y  était  bien  accueilli,  et  employait  l'année  1896  à 
organiser  le  pays  et  à  le  relier  avec  nos  territoires  de  l'Ouest. 
Cette  organisation  achevée,  il  se  dirigeait  vers  le  Nord,  fon- 
dait un  poste  à  Rabet  et  allait  occuper,  le  17  avril  1897,  le 
centre  important  de  Dem-Ziber,  l'ancienne  capitale  du  Bahr- 
el-Ghazal. 

C'est  alors  qu'interviennent  les  opérations  de  la  mission  du 
capitaine  Marchand. 


OPÉRATIONS    VERS   LE   ML  2G9 


lia  mission  Marchand. 

Partie  de  Marseille  le  25  juin  1896,  la  mission  Marchand 
débarquait  le  23  juillet  à  Loango.  Le  capitaine  Marchand  avait 
avec  lui  les  capitaines  Baratter,  Germain,  Mangin,  le  lieute- 
nant de  vaisseau  Morin,  le  lieutenant  Largeau  et,  plus  tard,  le 
lieutenant  Fouque.  l'enseigne  Dyé.  le  docteur  Émily,  l'inter- 
prète Landeroin,  15  sous-officiers,  150  Sénégalais,  2  vapeurs 
et  3  chalands  démontables.  De  Loango  à  Brazzaville,  les  popu- 
lations étaient  alors  soulevées,  et  il  fallut  déployer  la  plus 
grande  énergie  pour  concentrer  le  personnel  et  le  matériel 
sur  le  Congo.  La  mission,  retardée  par  une  maladie  du  capi- 
taine Marchand  survenue  en  cours  de  route,  ne  put  quitter 
Brazzaville,  par  le  Congo,  que  le  1er  mars  1897. 

Arrivé  peu  après  sur  le  haut  Oubangui,  à  Rafaï,  où  il  ren- 
contra M.  Liotard,  le  capitaine  Marchand  s'entendit  avec  lui 
pour  marcher  vers  l'Est,  tandis  que  le  lieutenant  gouverneur 
se  porterait  vers  le  Nord  pour  occuper  Dem-Ziber. 

Il  s'agissait  de  prendre  les  voies  fluviales,  puis  de  transpor- 
ter la  flottille  et  le  matériel  à  travers  les  plateaux  qui  séparent 
les  bassins  du  Congo  et  du  Nil.  Cette  opération  s'effectua  au 
prix  de  difficultés  inouïes. 

A  partir  du  8  août  1897,  date  du  départ  de  Zemio,  on  fit  re- 
monter le  M'Bomou,  puis  le  Bokou,  jusqu'au  confluent  de  la 
Méré,  à  80  kilomètres  de  Tamboura,  par  le  convoi  de  la  mis- 
sion et  par  la  flottille,  tantôt  naviguant,  tantôt  glissant  sur  des 
troncs  d'arbres  établis  sur  des  routes  qui  contournaient  les 
rapides  ou  les  chutes.  Enfin,  le  10  septembre,  la  mission  était 
concentrée  à  Fort-Hossinger  (Tamboura),  sur  la  Soueh,  où  le 
matériel  arrivait  en  octobre. 

Entre  temps,  le  capitaine  Marchand  avait  poussé  une  recon- 
naissance jusqu'aux  environs  de  Lado,  pour  s'assurer  de  l'état 
politique  du  pays,  puis,  avec  quelques  hommes,  s'était  em- 
barqué en  pirogue  sur  la  Soueh,  pour  déterminer  le  pojnt  où 
la  rivière  devient  navigable.  De  ce  point,  nommé  Kodjoli,  il 


270  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

descendit  jusqu'au  confluent  du  Ouaou,.  puis  rejoignit  le  reste 
de  la  mission  le  13  septembre. 

A  Kodjoli,  point  fixé  pour  l'embarquement  de  la  mission, 
il  fonda  un  poste,  créa  un  atelier  de  réparations  pour  la  flot- 
tille et  fit  construire  une  route  de  160  kilomètres  de  longueur 
pour  relier  Kodjoli  au  poste  de  Méré,  au  confluent  de  la  Méré 
et  du  Bokou.  Peu  après  étaient  construits  Fort-Desaix  (no- 
vembre 1897),  un  peu  en  amont  du  confluent  du  Ouaou,  puis 
le  poste  des  Rapides,  destiné  à  relier  Fort-Desaix  à  Fort- 
Kodjoli. 

De  Fort-Desaix,  où  il  transporta  le  centre  de  ses  opérations, 
le  capitaine  Marchand  entra  en  relations  amicales  avec  les 
Dinkas,  nation  qui  paraît  comprendre  de  cinq  à  huit  millions 
d'indigènes,  et  procéda  à  l'occupation  méthodique  du  pays  en 
envoyant  des  garnisons  à  M'Bia,  Ayak-Roumbek,  Djou- 
Ghattos,  Bahr-el-Arab,  Meschra-el-Reek.  Le  pays  était  divisé 
en  trois  cercles  :  ceux  du  Bahr-el-Ghazal,  du  Rohl  et  du 
Soueh. 

Dès  le  12  janvier  1898,  le  capitaine  Baratier  et  l'interprète 
Landerouin  étaient  partis  pour  reconnaître  les  marais  du 
Bahr-el-Ghazal.  Cette  reconnaissance,  exécutée  malgré  des 
difficultés  naturelles  inouïes,  conduisit  le  capitaine  Baratier 
jusqu'au  lac  No.  Il  rentra  à  Fort-Desaix  le  26  mars,  rapportant 
des  renseignements  qui  permirent  à  la  mission  de  se  mettre 
en  route  peu  de  temps  après. 

Pendant  ce  temps,  le  lieutenant  Largeau  exécutait  la  recon- 
naissance du  Bahr-el-Homeur  et  du  Ouaou. 

La  mission  avait  été  considérablement  affaiblie  par  l'obli- 
gation de  détacher  les  garnisons  que  nous  avons  énumérées. 
Dans  une  lettre  écrite  de  Fort-Desaix,  le  capitaine  Marchand 
rendait  compte  des  difficultés  vaincues  et  de  celles  qu'il  entre- 
voyait pour  l'avenir. 

J'ai  maintenant  dans  le  bassin  du  Bahr-el-Ghazal ,  c'est-à-dire 
du  Nil,  une  situation  de  toute-puissance,  sept  chalands  ou  boats 
d'acier,  un  vapeur  sous  pression,  quinze  pirogues  creusées  par  mes 
tirailleurs,  pouvant  me  conduire  où  je  veux  dans  le  bassin  du  Nil, 
où  le  premier  vapeur  français  est  entré  à  cette  heure,  malgré  tant 


OPÉRATIONS   VERS   LE  NIL  271 


d'obstacles  et  d'hostilités.  Et,  tant  que  je  serai  vivant,  tant  qu'il 
restera  un  officier,  un  sergent  de  la  mission  française,  notre  pavil- 
lon restera  dans  le  bassin  du  Nil 

Il  ne  faudrait  pas  croire  pourtant  que  tout  est  agréable  dans 
notre  situation.  Nous  mourons  de  faim  d'abord,  et  depuis  long- 
temps c'est  la  chasse  à  peu  près  exclusivement  qui  nous  soutient. 
Vous  savez  que  c'est  la  faim  qui  est  la  cause  du  désastre  de  l'expé- 
dition Dhanis  dans  notre  voisinage.  Les  sauterelles  ont  ravagé  le 
peu  de  plantations  faites  par  les  indigènes  bougobarris,  sur  les- 
quels nous  nous  appuyons,  et  mes  propres  plantations  sont  rava- 
gées. Comment  allons-nous  atteindre  le  Nil?  Serons-nous  obligés 
de  manger  l'embach  des  marécages?  Et  encore  s'il  ne  s'agissait 
que  de  passer  vite  avec  mes  bateaux,  ce  serait  peu. 

Mais  le  problème  est  bien  autrement  difficile.  Ici,  on  ne  passe 
pas.  Le  passage  ne  constitue  pas  un  droit  sur  le  pays  traversé.  Il 
faut  occuper  effectivement,  et  alors  chaque  nouveau  poste  créé  dans 
ces  immenses  régions  presque  dépeuplées,  chaque  centaine  de  ki- 
lomètres en  avant,  constituent  un  travail  colossal,  une  lutte  inces- 
sante contre  l'impossible.  Pourtant,  le  triomphe  final  est  à  ce  prix. 
Et  malgré  tout,  quelque  obstacle  nouveau  qui  se  dresse  sur  notre 
route,  nous  triompherons.  Il  le  faut  pour  la  grandeur  de  la  patrie. 

Malgré  tout,  la  mission,  renforcée  par  100  tirailleurs  venus 
de  Dem-Ziber,  et  comptant  alors  150  Sénégalais  avec  des  con- 
tingents indigènes,  quitta  Fort-Desaix  le  4  juin  1898  pour 
gagner  Meschra-el-Reck,  d'où  elle  repartit  le  17  juin  pour 
effectuer  la  traversée  des  marais  du  Bahr-el-Ghazal.  Le  10  juil- 
let, le  capitaine  Marchand  arrivait  à  Fachoda,  où,  le  23  août, 
la  mission  était  rassemblée. 

A  peine  installée,  elle  était  attaquée,  le  25  août,  par  une 
expédition  de  Derviches  comprenant  deux  bateaux  à  vapeur 
et  plusieurs  chalands  montés  par  1.200  hommes  avec  de 
l'artillerie.  Le  combat  dura  toute  la  journée  et  se  termina  par 
la  fuite  des  bateaux  et  des  chalands,  dont  quelques-uns  furent 
coulés.  700  Derviches  restaient  sur  le  terrain. 

Celle  opération,  qui  avait  pour  effet  de  débarrasser  le  pays 
schillouk  de  la  domination  derviche,  fut  suivie,  le  3  septem- 
bre, de  la  signature  d'un  traité  par  lequel  le  sultan  des  Schil- 
louks  plaçait  son  pays  sous  le  protectorat  de  la  France. 

Le  10  septembre,  on  apprenait  au  Caire  l'occupation  de 
Fachoda,  qui  était  déjà  connue  depuis  plusieurs  jours  à  Khar- 


272  l'afrique  politique  ex  1900 

toum,  par  le  sirdar  Kitchener.  Sur  des  ordres  venus  de  Lon- 
dres, le  sirdar  embarquait,  le  9  septembre,  sur  cinq  canon- 
nières, trois  bataillons  égyptiens  de  600  hommes  chacun,  100 
Highlanders  et  plusieurs  pièces  d'artillerie,  et  remontait  le 
Nil  vers  Fachoda  pour  y  reconnaître  la  petite  troupe  d'Euro- 
péens dont  on  n'avait  encore  pu  déterminer  la  nationalité.  Le 
15  septembre,  à  Renkh,  à  300  milles  au  sud  d'Omdourman,  les 
Anglais  rencontrèrent  les  Derviches  qui  avaient  attaqué  Fa- 
choda le  25  août,  et,  après  un  combat  assez  court,  s'emparè- 
rent de  leur  bateau  et  de  leur  campement. 

Le  19  septembre,  après  avoir  échangé  une  lettre  avec  le 
capitaine  Marchand,  le  sirdar  se  présentait  devant  Fachoda. 
L'entrevue  fut  des  plus  courtoises  ;  elle  est  ainsi  relatée  dans 
un  pro  memoria  remis  le  27  septembre  par  l'ambassadeur 
d'Angleterre  à  M.  Delcassé.  ministre  des  affaires  étrangères  : 

Le  sirdar  arriva  à  Fachoda  le  19  septembre  et  reçut  MM.  Mar- 
chand et  Germain  à  son  bord.  Au  cours  de  la  conversation  qui  s'en- 
suivit, M.  Marchand  informa  le  sirdar  qu'il  était  muni  d'instruc- 
tions de  son  gouvernement  d'occuper  le  Bahr-el-Ghazal  jusqu'à 
sa  jonction  avec  le  Bahr-el  Djebel,  ainsi  que  le  pays  des  Schillouks 
sur  la  rive  gauche  du  Nil  blanc,  jusqu'à  Fachoda. 

Sir  Herbert  Kitchener  répondit  qu'il  ne  pouvait  reconnaître 
l'occupation  française,  quelle  qu'elle  soit,  d'aucune  partie  de  la 
vallée  du  Nil,  et  protesta  contre  cette  occupation  par  un  écrit  qu'il 
laissa  entre  les  mains  de  M.  Marchand. 

Finalement,  il  hissa  le  drapeau  égyptien  sur  un  des  bastions  des 
fortifications  en  ruines  de  la  ville,  à  environ  500  mètres  au  sud  du 
drapeau  français.  Puis,  le  sirdar  ayant  laissé  à  Fachoda  une  gar- 
nison composée  d'un  bataillon  de  troupes  égyptiennes  avec  quatre 
canons  et  une  canonnière,  sous  le  commandement  du  major  Jack- 
son, se  dirigea,  le  20  septembre,  vers  le  Sud,  et  établit  un  poste  sur 
la  rivière  le  Sohat. 

En  passant  par  Fachoda,  à  son  retour  vers  le  Nord ,  le  sirdar 
informa  M.  Marchand,  par  écrit,  que  le  pays  était  sous  l'autorité 
militaire  et  que,  par  conséquent,  tout  transport  de  matériel  de 
guerre  sur  le  fleuve  était  interdit. 

Le  chef  de  la  tribu  des  Schillouks  nie  avoir  conclu  aucun  traité 
avec  M.  Marchand. 

Si  la  défaite  des  Derviches  par  les  troupes  anglo-égyptiennes,  à 
Omdourman,  avait  eu  lieu  quinze  jours  plus  tard,  l'expédition 
française  aurait  été  totalement  détruite. 


OPÉRATIONS    VERS   LE   NIL  273 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  dernière  appréciation,  que  l'ave- 
nir a  démentie,  et  malgré  le  ton  arrogant  des  journaux  anglais 
qui  sommaient  leur  gouvernement  d'exiger,  avant  toute  négo- 
ciation sur  le  principe  de  la  possession  de  Fachoda,  l'évacua- 
tion de  ce  poste  par  le  capitaine,  devenu,  depuis  le  30  sep- 
tembre, le  commandant  Marchand,  le  gouvernement  français 
obtint  l'autorisation  de  communiquer  avec  Fachoda  par  la 
voie  du  Caire.  Bientôt,  le  capitaine  Baratier  partait  de  Fachoda 
pour  renseigner  son  gouvernement,  et  le  commandant  Mar- 
chand lui-même  se  rendait  au  Caire,  où  il  arrivait  au  com- 
mencement de  novembre. 

On  se  rappelle  l'émotion  soulevée  des  deux  côtés  de  la 
Manche,  pendant  les  mois  d'octobre  et  de  novembre,  par  les 
négociations  diplomatiques  engagées  entre  les  deux  gouver- 
nements. Devant  les  exigences  du  gouvernement  anglais  ap- 
puyées par  la  mobilisation  de  la  flotte  britannique,  le  cabinet 
français  se  résigna  à  donner  l'ordre  d'évacuation  de  Fachoda... 

Le  capitaine  Baratier  rejoignit  au  Caire  le  commandant 
Marchand,  et  tous  les  deux  rentrèrent  à  Fachoda  le  4  dé- 
cembre. 

Pendant  ce  temps,  les  troupes  françaises  et  anglaises  étaient 
restées  en  présence  à  Fachoda,  sans  qu'aucun  incident  eût 
surgi.  Ce  fut  une  sorte  de  blocus  pendant  lequel  les  Anglais 
poussaient  sur  le  Bahr-el-Ghazal  à  15  kilomètres  de  Meschra- 
el-Reck  et  y  plantaient  le  drapeau  égyptien.  Au  confluent  du 
Sobat,  le  poste  anglo-égyptien  établi  par  le  sirdar  Kitchener 
avait  remplacé  les  deux  drapeaux  abyssins  que  la  mission 
avait  trouvés  le  8  juillet,  lors  de  son  passage.  Les  troupes 
abyssines  avaient  passé  par  là  peu  de  temps  auparavant  et 
avaient  dû  se  retirer  devant  l'insalubrité  du  pays. 

Plusieurs  routes  se  présentaient  pour  rentrer  en  France. 
Par  le  Congo,  on  n'y  songea  pas,  non  plus  que  par  l'Egypte  ou 
par  Souakim.  On  se  décida,  malgré  la  fatigue,  à  traverser 
l'Abyssinie. 

Déjà,  malgré  le  blocus,  le  capitaine  Mangin  était  parti  de 
Fachoda  le  il  novembre,  à  i)  heures  du  soir,  avec  50  Sénc- 

Afr.  polit.  18 


274  l'afrique  politique  ex  1900 

galais,  sur  une  baleinière  descendant  le  Nil.  Le  lendemain,  il 
s'engagea  dans  la  rivière  Yal,  la  remonta  jusqu'à  Ouali,  et  se 
dirigea  de  là  sur  Ouitou,  à  100  kilomètres  vers  le  Nord.  Puis  il 
se  rabattit  vers  l'Est,  arriva  le  21  novembre  au  djebel  Grabit, 
renvoya  alors  à  Fachoda  trente  de  ses  Sénégalais,  et  poussa 
vers  les  Beni-Chongouls,  vassaux  de  Ménélik,  par  Aïkan, 
Sourkoum  et  Bâcher.  Arrivé  chez  les  Beni-Chongouls  le  20 
novembre,  il  en  repartait  le  6  décembre  pour  l'Abyssinie  et 
arrivait  le  13  à  Lalo,  sur  la  route  du  Sobat  à  Addis-Ababa,  où 
il  obtenait  les  moyens  de  rejoindre  le  commandant  Marchand. 

Celui-ci  lui  avait  envoyé,  le  10  décembre,  le  lieutenant 
Fouque  avec  40  hommes,  pour  l'informer  de  l'évacuation.  Le 
lieutenant,  arrivé  chez  les  Beni-Chongouls,  y  reçut  un  accueil 
sympathique  et  rencontra  peu  après,  le  9  janvier,  à  Guédamé, 
sur  la  route  de  Goré,  une  forte  troupe  abyssine  qui  le  retint 
prisonnier  pendant  quelques  jours.  Bientôt  après,  il  rejoignait 
le  reste  de  la  mission,  en  marche  sur  Addis-Ababa. 

Le  11  décembre,  à  9  heures  du  matin,  à  Fachoda,  le  pavillon 
français  était  amené  avec  les  honneurs  militaires.  Les  Fran- 
çais évacuaient  le  fort,  salués  par  le  bataillon  égyptien  et  em- 
portant dix  mois  de  vivres,  les  deux  canons,  300.000  cartou- 
ches et  1.200  projectiles. 

La  flottille,  remontant  le  Nil  et  le  Sobat,  arriva  le  20  dé- 
cembre au  poste  de  Nasser,  fondé  par  le  sirdar  au  confluent 
de  la  Djouba  et  du  Baro.  Remontant  le  Baro,  déjà  reconnu  par 
la  mission  Bonchamps,  on  dut,  le  11  janvier  1899,  s'arrêter  à 
Itchop,  chez  le  chef  des  Yambas.  On  laissa  la  flottille  sous  sa 
surveillance  et  on  reprit  par  terre  la  route  d'Ethiopie. 

Les  ordres  donnés  par  Ménélik  pour  la  réception  de  la  mis- 
sion furent  exécutés.  Le  24,  on  arrivait  à  Bouré,  premier  poste 
abyssin,  où  l'on  rencontrait  les  docteurs  Chabaneix  et  de  Cou- 
valette,  envoyés  par  M.  Lagarde,  notre  ministre  auprès  de 
Ménélik,  avec  des  approvisionnements.  Le  dedjaz  Tessama 
tint  à  garder  la  mission  quinze  jours  à  Goré,  et,  de  ce  poste 
jusqu'à  Addis-Ababa,  où  l'on  arriva  le  10  mars,  ce  fut  une 
sorte  de  marche  triomphale  où  se  manifestèrent  la  sympathie 
et  l'admiration  des  Abvssins. 


OPERATIONS    VERS   LE   ML  2/0 

Après  une  brillante  réception  faite  à  la  mission  par  le  négus, 
celle-ci  repartit  pour  Djibouti,  où  elle  entrait  le  17  avril.  Deux 
jours  après,  embarquée  au  complet  à  bord  du  D'Assas,  elle  se 
dirigeait  vers  la  France,  où  l'attendait  la  réception  chaleureuse 
que  méritaient  ses  exploits. 

La  retraite  de  Fachoda  fut  douloureuse  pour  le  commandant 
Marchand  et  ses  vaillants  subordonnés.  Le  temps  pendant 
lequel  elle  s'accomplit,  du  mois  de  décembre  1898  au  mois 
d'avril  1899,  ne  le  fut  pas  moins  pour  tous  les  cœurs  français. 

L'Angleterre  avait  à  venger  sur  un  tiers,  selon  la  doctrine 
politique  reprochée  par  lord  Salisbury  lui-même  à  son  pays, 
doctrine  que  nous  rappelons  dans  notre  Introduction,  les  mé- 
comptes de  sa  politique  coloniale  et  les  déceptions  de  sa  diplo- 
matie en  Extrême-Orient.  Elle  avait  à  restaurer  son  prestige, 
ébranlé  par  plusieurs  échecs  vis-à-vis  de  l'Allemagne,  de  la 
Russie  et  même  de  l'Amérique.  En  s'en  prenant  à  son  ennemie 
héréditaire  et  en  profitant  des  discordes  intérieures  de  la 
France,  elle  faisait  coup  double.  Elle  n'y  manqua  pas. 

Impitoyable  dans  ses  exigences,  faisant  parade  d'une  puis- 
sance qu'il  eut  été  intéressant  d'éprouver,  elle  fit  durement 
expier  à  la  France  la  gloire  de  ses  officiers  et  refusa  d'ad- 
mettre aucun  des  droits  acquis  par  leur  valeur  et  leur  ténacité. 

Ces  droits,  énoncés  dans  les  documents  diplomatiques  pu- 
bliés sur  la  question  de  Fachoda  dans  les  deux  livres  bleus 
anglais  et  dans  le  livre  jaune  français  présentés  aux  parle- 
ments des  deux  pays  pendant  les  mois  d'octobre  et  de  novem- 
bre, ont  été  contestés  de  l'autre  côté  de  la  Manche  au  moyen 
d'arguments  intéressants  à  rappeler. 

L'exposé  de  ces  droits  et  des  arguments  qui  leur  furent  op- 
posés est  contenu  tout  entier  dans  trois  documents  diploma- 
tiques d'une  importance  particulière. 

Le  premier  de  ces  documents,  tiré  du  second  livre  bleu 
publié  à  la  fin  d'octobre,  est  le  compte  rendu,  adressé  par  lord 
Salisbury  à  sir  Edmund  Monson,  de  la  conversation  qu'il  eut  à 
Londres  avec  M.  de  Courcel,  notre  ambassadeur,  le  5  oc- 
tobre 1898.  Nous  en  extrayons  le  passage  suivant  : 


276  l'afrique  politique  ex  1900 


Je  fis  remarquer,  dit  lord  Salisbury,  qu'une  occupation  comme 
celle  de  Marchand,  avec  une  escorte  de  cent  hommes,  ne  pouvait 
conférer  aucun  droit,  et  qu'en  fait,  sans  l'arrivée  de  la  flottille  an- 
glaise, l'escorte  de  Marchand  aurait  été  détruite  par  les  Derviches. 

L'expédition  Marchand  était  une  expédition  secrète  dans  un  ter- 
ritoire déjà  possédé  et  occupé,  et  au  sujet  duquel  la  France  avait 
plusieurs  fois  été  prévenue  que  toute  prise  de  possession  de  terri- 
toire dans  cette  région  ne  pourrait  pas  être  acceptée  par  la  Grande- 
Bretagne. 

Le  traité  anglo-allemand  qui  fut  communiqué  au  gouvernement 
français,  et  dont  les  clauses  concernant  le  Nil  ne  furent  jamais  for- 
mellement contestées,  constitua  un  premier  avertissement.  Le  se- 
cond fut  donné  par  l'accord  conclu  avec  le  roi  des  Belges  donnant 
à  ce  dernier,  pour  sa  vie  durant,  l'occupation  des  territoires  jusqu'à 
Fachoda.  Cet  accord  existe  encore  et  est  encore  en  pleine  vigueur. 
Il  n'a  jamais  été  annulé  ni  répudié  par  l'Angleterre.  Il  est  vrai  que 
le  roi  des  Belges  a  été  amené,  sans  aucun  assentiment  de  la  part  de 
la  Grande-Bretagne,  à  promettre  au  gouvernement  français  de  ne 
pas  profiter  de  ce  traité  au  delà  d'une  certaine  limite;  mais  cette 
concession  de  la  part  du  roi  des  Belges  n'a  pas  amoindri  la  signifi- 
cation de  cet  acte  en  tant  qu'il  constitue  l'affirmation  par  l'Angle- 
terre des  droits  anglais  contre  les  objections  soulevées  par  le  gou- 
vernement français  contre  cet  arrangement.  Les  droits  du  khédive 
sur  ces  territoires  furent  expressément  déclarés  encore  en  exis- 
tence. 

Vint  alors,  en  1895,  le  discours  de  sir  Edward  Grey,  discours  qui 
fut  suivi,  en  1897,  par  une  note  formelle  de  l'ambassadeur  anglais 
à  Paris,  informant  le  gouvernement  français  que  le  gouvernement 
anglais  adhérait  aux  déclarations  faites  par  son  prédécesseur  dans 
ce  discours. 

Si  la  France  avait  eu  l'intention,  pendant  tout  ce  temps,  de  met- 
tre en  question  nos  revendications  et  d'occuper  une  portion  de  ce 
territoire  pour  son  propre  compte,  elle  aurait  dû  ne  pas  garder  le 
silence. 

En  tout  cas,  si  la  France  croyait  devoir  essayer,  malgré  ces  aver- 
tissements, de  se  créer  un  droit  sur  ce  vaste  territoire,  vers  lequel 
elle  envoyait  une  expédition  secrète  d'une  poignée  d'hommes,  elle 
ne  devait  pas  être  surprise  que  sa  revendication  ne  fût  pas  reconnue 
bonne. 

M.  deCourcel  développa  l'importance  d'un  accord  entre  les  deux 
pays  sur  cette  question  et  insista  sur  la  conclusion  de  cet  accord 
sans  délai;  il  insista  sur  l'intensité  du  sentiment  qui  prévalait  en 
France. 

Lord  Salisbury  insista  sur  ce  que  l'intensité  du  sentiment  en 
Angleterre  n'était  pas  moins  considérable. 


OPÉRATIONS    VERS   LE   NIL  277 


M.  de  Courcel  ne  fit  aucune  proposition  précise,  mais  il  indiqua 
vaguement  un  désir  que,  des  deux  côtés,  on  laissât  entendre  que 
des  négociations  avaient  lieu  sur  la  question  de  délimitation  entre 
les  territoires  revendiqués  par  les  deux  pays,  et  il  considérait 
comme  possible  que,  si  nous  agissions  ainsi,  Marchand  pourrait 
s'en  retourner  par  le  chemin  par  lequel  il  était  venu. 

M.  de  Courcel  ne  lit  pas  toutefois  de  proposition  à  ce  sujet,  et  il 
indiqua  assez  clairement  que  la  délimitation  devrait  donner  à  la 
France  une  bande  considérable  de  territoire  sur  la  rive  gauche  du 
Nil. 

Je  ne  donnai  aucune  espérance  sur  la  réalisation  de  cette  indi- 
cation. 

M.  de  Courcel  insista  plusieurs  fois  sur  l'injustice  pour  la  France 
d'être  exclue  du  Nil,  alors  que  l'Allemagne  et  la  Belgique  y  étaient 
admises. 

Je  lui  fis  remarquer  que  la  possession  d'une  partie  des  bords  du 
lac  Victoria-Nyanza  devait  être  difficilement  considérée  comme 
étant  une  possession  sur  les  bords  du  Nil  et  que,  quels  que  fussent 
les  droits  de  l'État  du  Congo  au-dessous  de  Lado,  où  commençait  le 
Nil  navigable,  ces  droits  avaient  été  donnés  au  roi  des  Belges  seule- 
ment sa  vie  durant. 

L'entretien  se  termina  sans  aucune  conclusion,  car  je  n'avais 
aucune  communication  à  faire,  si  ce  n'est  à  répéter  la  revendica- 
tion de  notre  droit,  et  le  baron  de  Courcel  ne  suggéra  aucun  arran- 
gement par  lequel  ce  droit  pût  être  concilié  avec  les  prétentions  ou 
les  désirs  de  la  France. 


Les  deux  autres  documents  sont  contenus  dans  le  livre 
jaune  distribué  au  Parlement  français  à  peu  près  à  la  même 
date,  fin  octobre,  que  le  second  livre  bleu  anglais. 

Le  premier  livre  bleu  avait  été  publié  le  10  octobre. 
M.  de  Courcel  l'avait  aussitôt  transmis  à  Paris  en  le  résumant 
comme  il  suit  : 

Il  appert  manifestement  de  cette  publication  que  la  contestation 
entre  la  France  et  l'Angleterre,  relativement  aux  territoires  du 
haut  Nil,  est  déjà  ancienne,  chacune  des  deux  puissances  ayant 
émis  la  prétention  de  comprendre  ces  territoires  dans  sa  sphère 
d'influence  respective. 

La  note  adressée  par  M.  Decrais  au  gouvernement  anglais  le 
8  août  1894  constate  le  désaccord  entre  les  points  de  vue  des  deux 
gouvernements  à  propos  de  l'arrangement  conclu  par  l'Angleterre 
avec  l'État  indépendant  du  Congo,  arrangement  dont  le  roi  Léopold 


278  l'afrique  politiqie  ex  1900 


a  d'ailleurs  abandonné  en  partie  les  stipulations  à  la  suite  des 
observations  du  gouvernement  français. 

Dans  la  conversation  que  j'ai  eue  avec  lord  Kimberley,  le 
1er  avril  1895,  à  la  suite  des  déclarations  de  sir  Edward  Grey  (1) 
dans  le  Parlement  anglais,  et  de  la  protestation  que  je  m'étais  em- 
pressé d'élever  contre  ces  déclarations,  le  ministre  des  affaires 
étrangères  anglais  a  formellement  reconnu  qu'une  négociation  était 
encore  pendante  entre  nos  deux  gouvernements  au  sujet  des  terri- 
toires du  haut  Nil. 

Il  s'est  même  fondé  expressément  sur  celle  circonstance  pour 
justifier  le  langage  de  sir  Edward  Grey,  en  arguant  que  l'Angleterre 
aurait  un  juste  motif  de  se  plaindre  si,  pendant  que  la  négociation 
était  ouverte,  une  expédition  française  pénétrait  dans  le  territoire 
qui  faisait  l'objet  du  débat.  Lord  Kimberley  a  ajouté  que,  du  côté 
du  Sud,  où  se  trouvaient  alors  les  troupes  anglaises,  aucun  mouve- 
ment n'avait  eu  lieu  de  la  part  de  l'Angleterre  au  delà  de  l'Ounyoro 
vers  le  Nord,  et  qu'aucune  instruction  n'avait  été  donnée  pouvant 
autoriser  un  semblable  mouvement.  En  fait,  a-t-il  déclaré,  le  statu 
quo  n'avait  pas  été  modifié  par  l'Angleterre. 

Le  discours  prononcé  par  M.  Hanotaux  au  Sénat  le  5  avril  1895  et 
réimprimé  dans  le  Blue  Book,  qui  vient  d'être  mis  en  distribution, 
rappelle  les  antécédents  de  la  discussion  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre, la  prétention  anglaise  consignée  dans  la  convention  anglo- 
allemande  de  1890  et  les  réserves  constanles  de  la  France. 

Enfin,  la  dépêche  de  M.  Hanotaux  à  sir  Edmund  Monson,  du 
24  décembre  1897,  rappelle  la  protestation  immédiate  opposée  aux 
déclarations  parlementaires  de  sir  Edward  Grey  et  l'existence 
préexistante  entre  les  deux  gouvernements  de  France  et  d'Angle- 
terre d'un  litige  concernant  les  questions  du  haut  Nil. 

Nous  devons  souhaiter  que  l'opinion  anglaise,  mieux  renseignée 
désormais,  comprenne  qu'il  ne  suffit  pas  de  traités  conclus  soit 
avec  l'Allemagne,  soit  avec  d'autres  tierces  puissances,  lesquels  ne 
sauraient  être  opposables  à  la  France,  ni  de  la  déclaration  unilaté- 
rale d'un  sous-secrétaire  d'État  anglais  dans  une  Chambre  du 
Parlement  britannique,  pour  créer  à  l'Angleterre  un  droit  supérieur 
à  nos  propres  prétentions.  Si  les  Anglais  réclament  les  territoires 
du  haut  Nil  comme  rentrant  soit  dans  leur  sphère  d'intluence,  soit 
dans  celle  de  l'Egypte,  les  Français  ne  sont  pas  moins  fondés  à 


^1)  Sir  Edward  Grey  avait  déclaré  que  le  gouvernement  anglais  considérerait 
comme  un  acte  «  non  amical  »  toute  expédition  dirigée  par  la  France  sur  le  cours 
du  Xil.  Cette  déclaration,  qui  date  du  28  mars  1893,  portait  que,  «  par  suite  des 
revendications  de  l'Egypte  dans  la  vallée  du  Xil.  la  sphère  d'intluence  britannique 
couvre  tout  le  cours  du  Xil  (the  whole  Xile  waterway)  ». 


OPÉRATIONS    VERS    LE   NIL  270 


réclamer  de  même,  comme  appartenant  à  leur  sphère  d'influence, 
des  territoires  qui  sont  la  continuation  de  leurs  possessions  de 
l'Afrique  centrale  et  qui  leur  ouvrent  un  débouché  sur  le  Nil. 

Entre  ces  deux  prétentions  concurrentes,  entre  ces  deux  sphères 
d'intérêt  rivales,  une  délimitation  est  évidemment  devenue  indis- 
pensable. C'est  la  conclusion  qui  ressort  naturellement  du  nouveau 
JHue  Book  anglais,  et  les  deux  gouvernements  intéressés  arriveront 
avec  d'autant  plus  de  facilité  et  de  promptitude  à  ce  résultat  dési- 
rable qu'ils  se  laisseront  moins  influencer  par  l'eiïervescence  des 
passions  populaires. 

Le  troisième  document  est  le  compte  rendu  de  l'entrevue 
du  12  octobre  entre  lord  Salisburv  et  M.  de  Courcel. 


Londres,  \±  octobre  1898. 

Aujourd'hui,  de  nouveau,  j'ai  eu  avec  lord  Salisbury  une  longue 
conversation. 

Le  ministre  anglais  n'admettait  pas  qu'on  contestât  son  droit  de 
revendiquer  la  possession  des  territoires  ayant  autrefois  appartenu 
à  l'Egypte  et  par  conséquent  de  qualifier  d'illégale  la  présence  du 
commandant  Marchand  à  Fachoda. 

J'ai  dit  qu'à  mon  avis  nous  avions  le  droit  d'envoyer  nos  expédi- 
tions jusqu'à  ce  point,  si  les  territoires  occupés  ou  traversés  par 
nous  étaient  sans  maîtres  ;  mais  que,  si  la  légitimité  des  préten- 
tions égyptiennes  était  reconnue,  il  n'était  pas  prouvé  que  la  pré- 
sence de  nos  troupes  dût  nécessairement  y  déroger,  ni  qu'elle  fût 
plus  incompatible  avec  l'autorité  du  khédive  que  la  présence  des 
troupes  anglaises  dans  d'autres  parties  de  territoires  plus  incon- 
testablement égyptiennes. 

Lord  Salisbury  répondit  qu'une  occupation  mixte  de  l'Egypte 
offrirait  des  inconvénients. 

Je  lui  rappelai  alors  que  l'Angleterre,  lorsque  ses  troupes  étaient 
entrées  dans  l'ancienne  province  équatoriale,  n'y  avait  pas  rétabli 
le  pouvoir  ni  le  pavillon  du  khédive.  J'ajoutai  qu'en  ce  qui  concerne 
la  région  du  Bahr-el-Gbazal,  elle  n'avait  guère  été  sous  la  domi- 
nation de  l'Egypte  que  pendant  trois  ou  quatre  années,  ce  qui  était 
bien  peu  pour  fonder  la  légitimité  inaliénable  qu'on  prétendait 
nous  opposer. 

Lord  Salisbury  me  parla  alors  de  la  domination  du  mahdi,  qu'il 
devait  considérer  comme  dévolue  aux  troupes  anglo-égyptiennes 
par  suite  de  la  conquête  d'Omdourman. 

Je  répliquai  que,  si  l'on  invoquait  le  droit  de  conquête,  il  ne 


280  L'AFRIQUE   POLITIQUE    EX    1900 


s'agissait  plus  de  questions  de  droit,  mais  de  questions  de  fait; 
qu'enfin  Fachoda  n'avait  pas  été  conquis  sur  le  mahdi  puisqu'il  était 
occupé  actuellement  par  une  troupe  française,  qu'à  plus  forte 
raison,  on  De  pourrait  pas  parler  de  domination  du  mahdi  sur  le 
Bahr-el-Ghazal,  où  nous  avons  pénétré  il  y  a  plusieurs  années  et  où 
de  nombreux  postes  français  ont  été  établis.  Ces  territoires  forment 
le  prolongement  naturel  du  Congo  et  de  l'Oubangui,  et  le  comman- 
dant Marchand  avait  pu  y  circuler  sans  rencontrer  de  troupes 
mahdistes,  car,  à  ma  connaissance,  il  n'avait  eu  d'engagement  avec 
les  Derviches  que  sur  le  Nil  même. 

Lord  Salisbury  me  fit  observer  alors  que  nos  effectifs  dans  les 
pays  dont  nous  parlions  étaient  trop  faibles  pour  constituer  une 
occupation  véritable,  que  nous  n'étions  pas  réellement  maîtres  du 
pays  ni  capables  de  le  défendre  contre  les  revendications  de 
l'Egypte. 

Je  répliquai  qu'à  la  vérité  notre  autorité  dans  les  territoires  de 
l'Oubangui  et  du  Bahr  el-Ghazal,  comme  probablement  aussi  dans 
une  grande  partie  de  nos  territoires  du  Congo  et  du  Centre  africain, 
n'était  représentée  et  soutenue  que  par  une  faible  proportion  d'Eu- 
ropéens accompagnés  d'indigènes  bien  armés  et  bien  dressés  en 
assez  petit  nombre  pour  assurer  leur  mobilité,  et  qui,  suivant  les 
circonstances,  pouvaient  se  renforcer  des  réserves  locales  levées 
parmi  les  tribus  amies. 

Tel  était  l'usage  constant  des  nations  européennes  en  Afrique, 
et  ce  système  avait  été  non  seulement  trouvé  le  plus  pratique,  mais 
universellement  admis  comme  suffisant  pour  fonder  des  droits 
d'occupation  effective.  Nous  étions  organisés  de  la  sorte  pour  faire 
face  à  toutes  les  exigences  normales  et  locales  de  notre  occupation 
Mais  nous  n'avions  pas  songé  à  réunir  des  forces  suffisantes  pour 
combattre  une  armée  européenne  ou  des  troupes  équipées  et  con- 
duites par  des  Européens. 

Si  lord  Salisbury  voulait  dire  que  le  sirdar  disposait  de  forces 
supérieures  à  celles  du  commandant  Marchand  et  pouvait  l'obliger 
à  se  retirer  devant  lui  jusqu'où  il  lui  conviendrait  de  le  pousser, 
je  ne  contesterais  pas  une  assertion  aussi  évidente,  mais  alors  il 
fallait  quitter  le  terrain  de  la  diplomatie.  Je  m'empresse  de  dire  que 
lord  Salisbury  se  défendit  d'avoir  exprimé  une  semblable  pensée. 

En  ce  qui  concerne  la  province  de  Bahr-el-Ghazal,  lord  Salisbury 
me  dit  que,  ce  territoire  faisant  précisément  l'objet  de  contestations 
entre  nous,  il  devait  demander  que  nous  nous  retirions  jusqu'à  la 
ligne  de  partage  des  eaux,  sauf  à  nous  à  faire  les  excuses  de  droit 
que  nous  jugerons  utiles. 

Sans  vouloir  reprendre  une  stérile  discussion  juridique,  je  fis 
observer  au  premier  ministre  que  la  ligne  de  partage  des  eaux 
dans  cette  contrée  constituait    une   donnée   scientifique  dont  la 


OPÉRATIONS   VERS   LE   NIL  281 


reconnaissance  sur  le  terrain  devait  être  fort  difficile  :  pendant  une 
grande  partie  de  l'année  le  pays,  inondé,  devenait  marécageux  ;  des 
filets  d'eau  s'échappaient  les  uns  dans  la  direction  du  Congo,  les 
autres  vers  le  Bahr  el-Ghazal  et  le  Nil,  sans  que  l'on  pût  parler  de 
délimitation  naturelle.  Nous  nous  trouvions  ainsi  ramenés  à  la 
nécessité  d'une  délimitation  amiable  pour  définir  la  sphère  de  nos 
protections  et  de  nos  droits  réciproques. 

Lord  Salisbury  me  pressa  alors,  avec  insistance,  de  lui  faire  des 
propositions  si  mes  instructions  m'y  autorisaient.  Je  lui  disque, 
quoique  je  n'eusse  pas  d'instructions  nouvelles,  je  me  croyais  auto- 
risé par  vos  directions  antérieures  à  revendiquer  pour  les  terri- 
toires français  du  bassin  du  Congo  la  possession  de  leur  débouché 
nécessaire  sur  le  Nil,  qui  était  la  vallée  du  Bahr-el-Ghazal;  qu'il  me 
semblait  de  l'intérêt  commun  de  la  France  et  de  l'Angleterre  de  ne 
pas  intercepter  cette  voie  naturelle  du  trafic  de  l'Afrique  centrale 
dont,  au  besoin,  l'usage  pourrait  être  garanti  au  commerce  au 
moyen  de  stipulations  spéciales,  analogues  à  celles  qui  avaient  été 
conclues  pour  les  territoires  du  Niger.  Nous  serions  arrivés  aussi  à 
définir  complètement  nos  sphères  respectives  et  à  terminer  la 
délimitation  des  territoires  entre  le  lac  Tchad  et  le  Nil,  la  seule  qui 
soit  incomplète  en  Afrique  depuis  notre  dernière  convention.  Si 
nous  nous  mettions  d'accord  sur  ces  propositions,  la  question  de 
Fachoda  ne  serait  plus  une  cause  de  difficultés  et  disparaîtrait 
d'elle-même. 

Lord  Salisbury  me  dit  qu'il  réfléchirait  au  désir  que  je  lui  mani- 
festais de  voir  un  accès  réservé  à  la  France  sur  le  Nil  par  le  Bahr-el- 
Ghazal,  mais  qu'en  tout  cas  il  aurait  besoin  de  se  concerter  avec 
les  autres  membres  du  cabinet  dont  plusieurs  étaient  actuellement 
éloignés  de  Londres. 


Nous  avons  tenu,  malgré  leur  longueur,  à  citer  les  docu- 
ments diplomatiques  qui  précèdent,  parce  qu'ils  ne  se  bornent 
pas  à  discuter  les  événements  du  passé,  mais  surtout  parce 
qu'ils  engagent  l'avenir  en  donnant  un  aperçu  intéressant  sur 
la  nouvelle  manière  diplomatique  anglaise. 

Tous  les  arguments,  même  les  meilleurs,  ne  pouvaient  pré- 
valoir contre  l'orgueil  britannique.  Le  moment  était  favorable. 
Ce  fut  un  spectacle  intéressant  de  voir  avec  quelle  unanimité 
les  partis  anglais  s'accordèrent  pour  en  profiter.  La  France, 
trop  défiante  de  ses  forces,  céda  sur  tous  les  points  et  accepta 
la  déclaration  du  21  mars  1899,  additionnelle  à  la  convention 
du  14  juin  1894.  (Voir  l'appendice.) 


l'afrique  politique  en  1900 


Par  cette  déclaration,  la  France  est  exclue  de  la  haute  vallée 
du  Nil  et,  si  on  lui  concède  le  Ouadaï  et  quelques  déserts 
du  Sahara,  on  lui  impose,  par  contre,  le  régime  de  la  porte 
ouverte  dans  la  plus  grande  partie  de  ses  territoires  du  Congo 
et  du  Tchad.  La  façon  dont  la  Royal  Niger  Company  a  compris 
la  liberté  du  commerce  est  un  exemple  de  la  réciprocité  que 
nous  devons  attendre  de  nos  voisins  sur  ce  point  spécial. 
Outre  la  possession  du  Ouadaï,  qu'il  nous  reste  à  conquérir  et 
sur  lequel  il  faut  reconnaître  qu'aucun  des  deux  pays  ne  pos- 
sédait de  droits,  les  deux  avantages  principaux  de  cette  nou- 
velle convention  sont,  avec  la  délimitation  désormais  fixée  de 
notre  empire  africain,  la  jonction  assurée  de  nos  deux  tron- 
çons de  territoires  et  la  nouvelle  situation  qui  nous  est  créée 
à  l'égard  de  la  Tripoli taine. 

On  a  vanté,  par  contre,  la  valeur  de  la  possession  du  Bor- 
kou  et  du  Tibesti,  dont  nous  sommes  encore  bien  éloignés. 
L'Angleterre  n'a  pas  acheté  trop  cher,  par  la  cession  de  ces 
régions,  l'avantage  de  nous  délimiter  du  côté  de  la  basse 
Egypte,  et,  malgré  les  déclarations  répétées  faites  par  le  gou- 
vernement français  au  sujet  de  la  question  d'Egypte  et  de 
celle  du  Nil  moyen,  qui  doivent  rester  absolument  intactes, 
l'opinion  anglaise  a  accueilli  avec  satisfaction  cette  partie  de 
la  déclaration  qui  lui  a  paru  être  comme  un  pas  de  plus  fait 
par  la  France  en  dehors  de  la  vallée  du  Nil. 

Quant  au  Bahr-el-Ghazal,  cause  principale  du  désaccord 
franco-anglais,  il  est  piquant  de  signaler  comment  le  Times, 
analysant  les  termes  de  la  déclaration,  apprécie  les  avantages 
de  sa  possession  et  comment  il  dévoile  les  vrais  mobiles  de 
l'action  engagée  par  la  diplomatie  anglaise  : 


La  convention  abandonne  à  l'influence  anglaise  tout  le  Bahr-el- 
Ghazal  et  toutes  les  anciennes  provinces  de  l'Egypte  à  l'ouest  du 
Nil,  c'est-à-dire  tout  le  bassin  du  haut  Nil  jusqu'aux  grands  lacs. 
D'après  le  rapport  de  sir  W.  Garstin,  le  territoire  situé  juste  au- 
dessus  de  Khartoum,  autour  du  Nil  blanc,  n'est,  sur  une  grande 
étendue,  comme  on  le  savait  d'ailleurs,  qu'un  marais  pestilentiel; 
il  est  douteux  que  toutes  les  ressources  et  toute  la  persévérance  du 
génie  anglo-égyptien  puissent,  en  une  génération,  améliorer  ce  sol. 


OPÉRATIONS    VERS   LE   ML  283 


Les  portions  du  Soudan  situées  plus  loin,  tout  en  étant  moins 
désolées,  ne  peuvent  promettre  des  résultats  matériels  avantageux. 
Mais  ce  qui  incitait  l'Angleterre  à  réclamer  la  possession  du  bassin 
du  haut  Nil,  ce  n'était  pas  l'espoir  de  profits  matériels,  c'étaient 
des  considérations  politiques  et  militaires.  «  Le  Nil,  c'est  l'Egypte, 
et  l'Egypte,  c'est  le  Nil.  »  Comme  tutrice  de  l'Egypte,  l'Angleterre 
devait  se  préoccuper  de  tenir  le  Nil  depuis  la  mer  jusqu'aux  grands 
lacs.  Enfin,  il  est  bon  de  se  rappeler  qu'au  delà  de  ces  districts  ra- 
vagés par  la  malaria,  s'étendent  des  pays  dont  l'Egypte  a  toujours 
tiré  les  plus  guerrières  et  les  plus  capables  de  ses  magnifiques 
troupes  de  soldats  noirs. 

Au  point  de  vue  commercial,  la  France  obtient  l'accès  au  Nil, 
c'est-à-dire  égalité  de  traitement  pour  les  Anglais  et  les  Français 
depuis  le  5e  degré  jusqu'au  delà  du  14e  degré  de  latitude  nord  ;  l'An- 
gleterre, de  son  côté,  obtient  des  droits  analogues  sur  les  routes  de 
caravanes  entre  le  bassin  du  Nil  et  le  lac  Tchad,  ainsi  que  sur  le 
M'Bomou  et  dans  le  bassin  du  haut  Congo. 


Il  est  vrai  que  cette  liberté  de  commerce  n'est  stipulée  que 
pour  trente  années  et  que,  d'autre  part,  l'acte  de  Berlin  place 
le  bassin  du  Congo  sous  le  régime  de  la  liberté  commerciale. 

Ainsi  que  le  dit  le  Times,  le  Bahr-el-Ghazal  n'est  point  une 
contrée  privilégiée;  mais  l'arrière  pays  du  Bahr-el-Ghazal, 
les  régions  de  Dem-Ziber,  de  Tamboura  et  autres  pays  tra- 
versés par  les  affluents  du  Bahr-el-Ghazal  ont  une  certaine 
valeur.  Placés  derrière  une  ligne  de  marais  souvent  impéné- 
trables, ces  pays  ne  seront  jamais  d'une  grande  utilité  pour 
l'Angleterre,  qui  a  attaché  à  leur  possession  la  valeur  d'une 
satisfaction  d'amour-propre.  Pour  la  France,  au  contraire,  ils 
eussent  été  avantageux  en  ce  qu'ils  arrondissaient  notre  do- 
maine déjà  trop  étroit,  et  qu'ils  font  partie  politiquement, 
quoique  dans  un  bassin  différent,  de  nos  possessions  du  haut 
Oubangui.  Leur  évacuation  portera,  il  serait  puéril  de  le  dis- 
simuler, un  coup  sensible  à  notre  prestige  et  à  nos  intérêts 
dans  cette  partie  de  l'Afrique. 

Il  est  vrai  que  le  Ouadaï  vaut  bien  le  Bahr-el-Ghazal  et  même 
le  Darfour,  et,  si  les  Anglais  nous  l'ont  abandonné,  c'est  qu'ils 
reculeront  encore  quelque  temps  avant  d'entreprendre  la 
conquête  des  régions  à  l'ouest  de  Khartoum.  Il  y  a  apparence 
que  nous  ne  tarderons  pas  à  entrer  au  Ouadaï:  dès  lors,  il 


284  l'afrique  politique  en  1900 

valait  mieux  nous  abandonner  ce  pays  sous  couleur  de  con- 
cession ou  de  compensation  que  de  se  voir  obligé  d'en  enre- 
gistrer, dans  un  délai  plus  ou  moins  éloigné,  la  possession, 
devenue  effective  à  la  suite  des  initiatives  françaises.  La  dis- 
cussion reste  encore  ouverte  au  sujet  de  la  large  bande  à 
travers  laquelle  il  s'agira  de  délimiter  le  Ouadaï  et  le  Dar- 
four. 

Ainsi  qu'on  l'a  dit  plus  haut,  c'est  là  une  question  d'un 
sérieux  intérêt  au  point  de  vue  français;  les  pays  anglais, 
s'enfonçant  profondément  au  milieu  de  la  région  française, 
seraient  un  centre  d'action  éminemment  favorable  à  une 
action  politique  ou  religieuse. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  les  Senoussias,  avec  leurs  cen- 
tres religieux  de  Siouah  et  de  Koufra,  verront  leur  influence 
augmenter,  dans  ces  régions,  à  la  suite  de  la  chute  du  madhi 
d'Omdourman.  Cette  confrérie,  aujourd'hui  investie  sur  tout 
un  côté  de  sa  sphère  d'influence,  par  le  tracé  de  nos  nouvelles 
frontières,  ne  peut  manquer,  si  elle  possède  vraiment  une 
vitalité  puissante,  de  nous  faire  sentir,  à  brève  échéance,  les 
résultats  de  son  action. 

Du  Tibesti  et  du  Borkou,  il  y  a  peu  de  chose  à  dire.  On  a 
considéré  leur  massif  montagneux  comme  «  un  rempart  na- 
turel de  la  ligne  de  jonction  de  nos  possessions  méditerra- 
néennes avec  le  centre  africain  »,  sans  se  rendre  compte  que  le 
meilleur  rempart  naturel  est,  de  ce  côté,  formé  par  le  désert, 
principal  obstacle  à  toute  menace  militaire.  De  leur  valeur 
économique,  il  serait  imprudent  de  parler  en  ce  moment  où 
l'on  ne  connaît,  pour  ainsi  dire,  ces  territoires  que  de  nom. 

Il  y  a  mieux  à  dire  du  tracé  de  la  nouvelle  frontière  jusqu'au 
tropique.  Ce  tracé  a  soulevé  les  réclamations  des  tiers,  de 
l'Italie  et  de  la  Porte.  L'émotion  s'est  naturellement  calmée, 
et,  dans  le  chapitre  relatif  à  la  Tripolitaine  et  à  la  Cyrénaïque, 
on  a  suffisamment  indiqué  le  véritable  caractère  que  prend 
notre  occupation  au  nord  du  lac  Tchad.  Il  est  certain  qu'un 
jour  ou  l'autre  on  reparlera  de  joindre  à  la  frontière  tunisienne 
cette  extrémité  du  tracé  indiqué  dans  la  déclaration  du  21  mars 
1899.  Ce  jour-lîi,  la  conversation,  si  elle  s'engage  avec  l'Italie, 


OPÉRATIONS   VERS   LE   ML  285 

• 

se  développera  sur  un  terrain  d'entente  qu'il  ne  sera  probable- 
ment pas  malaisé  de  trouver. 

Il  nous  resterait  à  examiner  la  situation  créée  parles  nou- 
velles conventions  au  sujet  de  l'action  des  Belges  sur  le  Bahr- 
el-Ghazal.  Nous  en  renvoyons  l'étude  au  prochain  chapitre, 
relatif  au  Congo  belge,  où  elle  a  sa  place  marquée  (1). 

Nous  ne  parlerons  pas  davantage  des  conventions  franco- 
anglaises.  L'analyse  que  nous  en  avons  faite  suffît,  pour  le 
moment,  à  démontrer  tous  les  avantages  que  l'Angleterre  en 
a  tirés.  Mais  il  semble  que,  malgré  sa  complète  victoire  diplo- 
matique, elle  ne  soit  pas  sans  inquiétude  sur  ce  que  lui  réserve 
l'avenir.  Le  monde,  qui  a  vu  la  France  humiliée,  a  le  pressen- 
timent que  tout  n'est  pas  fini  de  ce  côté.  Quant  aux  Français, 
vaincus  par  leurs  dissensions  et  non  par  l'ennemi,  ils  devront 
se  rappeler  que  l'union  devant  l'étranger  est  un  dogme  social, 
et  qu'en  politique  internationale  le  droit  ne  suffît  pas  si  l'on 
n'a  pas  la  force. 

*"* 

La  mise  en  valeur  de  nos  territoires  du  Congo,  qui  s'est 
depuis  longtemps  imposée  à  l'attention  du  gouvernement 
français,  paraît  prendre,  depuis  peu  de  temps,  une  forme  plus 
définie. 

Ce  qui  nuit  et  ce  qui  nuira  pour  longtemps  encore  à  la  pros- 
périté de  ces  vastes  régions,  c'est,  même  avant  l'insécurité,  l'ab- 
sence de  voies  de  communication  commodes.  De  nombreuses 
concessions  ont  été  récemment  accordées  au  Congo  et  dans 
l'Oubangui.  Mais  il  faut  se  souvenir,  bien  que  le  prix  des 
transports  ait  beaucoup  baissé  dans  ces  derniers  temps,  qu'il 
n'y  a  pas  longtemps  encore,  en  1896,  le  transport  d'une  tonne 
de  marchandises,  dans  le  haut  Oubangui,   dépassait   2.000 


(1)  Depuis  la  retraite  delà  mission  Marchand,  le  Bahr-el-Ghazal  a  été  occupé 
par  les  10%  11e  et  12e  compagnies  de  tirailleurs  du  capitaine  Roulet,  qui  a  dû 
déployer  pour  Installation  de  -ses  postes  une  extrême  énergie.  A  la  fin  de  1899, 
le  poste  de  Gaba-Schamba  a  été,  après  une  brillante  occupation,  évacué  par  le 
lieutenant  de  Tonquedec,  qui  s'est  retiré  sur  Khartoum  avec  ses  3j  tirailleurs. 
Il  y  est  parvenu  au  mois  de  janvier  1900  et,  de  là,  a  gagné  le  Caire  et  Marseille. 


286  l'afrique  politique  en  1900 

francs.  On  s'est  fondé  là-dessus  pour  déclarer  que  tout  com- 
merce y  était  impossible,  sans  s'apercevoir  que  là  où  rien  n'est 
organisé  rien  ne  peut  prospérer. 

Ces  chiffres  démontrent  seulement  la  nécessité,  si  souvent 
proclamée,  de  hâter  la  création  de  voies  de  communication 
rapides,  autant  pour  desservir  ces  lointains  territoires  que 
pour  tâcher  de  nous  passer  du  chemin  de  fer  belge  du  bas 
Congo.  D'ailleurs,  ce  que  la  France  cherche  à  se  procurer 
dans  ces  régions,  c'est  surtout  un  territoire  de  réserve  pour 
l'avenir,  et  non  une  contrée  de  rapport  immédiat.  Il  faut 
aussi  remarquer  que  toute  action  militaire  assurant  la  paix 
dans  le  haut  Oubangui  contribue,  par  contre-coup,  à  la  pacifi- 
cation des  territoires  voisins  du  Congo  et  du  Tchad,  et  qu'au 
point  de  vue  de  la  pacification  nous  sommes  actuellement  en 
assez  bonne  posture. 

Malgré  des  circonstances  défavorables,  il  se  fait  cependant 
un  certain  commerce  par  les  voies  fluviales  entre  le  haut  Ou- 
bangui, la  haute  Sangha  et  le  Congo  proprement  dit.  Mais  il 
faut  reconnaître  que  c'est  le  Congo  qui  en  fournit  la  plus 
grosse  part,  de  même  que  c'est  le  Congo  qui  absorbe  la  plus 
grande  partie  des  ressources  mises  par  la  métropole  à  la  dispo- 
sition de  l'ensemble  de  la  colonie. 

A  propos  de  la  subvention  de  2.428.000  francs  pour  le  Congo 
français,  M.  Doumergue  exposait  ainsi  la  situation  financière 
de  la  colonie,  dans  son  rapport  sur  le  budget  des  colonies 
établi  à  la  fin  de  1898  : 


Cette  situation  n'a  pas  été  brillante  jusqu'à  ce  jour.  Le  rapporteur 
du  budget  de  l'exercice  1898,  l'honorable  M.  Riotteau,  en  signalait 
le  désordre  l'année  dernière.  Il  vous  faisait  connaître,  en  même 
temps,  que  la  colonie  avait  un  arriéré  supérieur  à  la  somme  de 
±  millions  de  francs.  Nous  avons  dû  nous  préoccuper  de  rechercher 
quelles  mesures  avaient  été  prises  pour  le  combler. 

Des  renseignements  qui  nous  ont  été  fournis,  il  résulte  que  le 
déficit  aurait  été  couvert  à  l'aide  du  crédit  supplémentaire  de 
1.400.000  francs  qui  a  été  volé  en  cours  d'exercice.  Une  enquête 
plus  exacte  sur  la  situation  financière  de  la  colonie  aurait  permis 
de  constater,  en  effet,  que  l'arriéré  n'était  pas  aussi  élevé  qu'on 
l'avait  cru  tout  d'abord.  Une  pareille  constatation  démontre  assez 


OPÉRATIONS   VERS    LE   ML  2*7 


quel  état  de  désordre  et  d'anarchie  a  régné  jusqu'à  ce  jour  dans 
l'administration  du  Congo  français. 

Sur  les  1.400.000  francs  de  crédits  supplémentaires,  il  restait,  à 
l'heure  où  votre  commission  a  eu  à  examiner  le  budget  des  colo- 
nies, un  boni  apparent  de  1.140.000  francs.  Mais  ce  boni  est 
destiné  à  disparaître  quand  auront  été  réglées  la  dette  du  haut 
Oubangui  envers  le  contingent  des  tirailleurs  sénégalais  qui  y 
est  stationné  et  certaines  dépenses  engagées  pour  le  compte  de  la 
mission  Marchand. 

Il  ne  faut  pas  oublier,  en  effet,  que,  sur  le  budget  local  du  Congo 
français,  une  somme  de  1  million  est  affectée  annuellement  à  la 
dotation  du  haut  Oubangui. 

A  part  quelques  travaux  d'assainissement  à  Libreville  et  la  con- 
struction d'une  ligne  télégraphique  entre  Loango  et  le  cap  Lopez, 
d'une  part,  qui  est  terminée,  et  Loango  et  Brazzaville,  pour  laquelle 
un  crédit  de  50.000  francs  était  inscrit  au  budget  local  de  1898,  on 
ne  trouve  guère  de  travaux  publics  au  Congo.  On  n'y  rencontre  pas 
davantage,  il  faut  le  dire,  trace  d'une  administration  organisée,  en- 
core qu'il  y  ait  bon  nombre  de  fonctionnaires. 

Nous  devons  reconnaître,  cependant,  qu'on  se  préoccupe  enfin 
de  l'organisation  administrative  du  Congo.  Il  est,  en  outre,  ques- 
tion de  créer  un  impôt  de  capitation  à  percevoir  sur  les  indigènes 
des  diverses  régions.  Dans  le  bassin  de  la  Sangha,  dans  la  région 
de  Loango  et  de  Brazzaville,  quelques  résultats  ont  déjà  été  obtenus 
à  cet  égard.  La  milice,  en  voie  de  réorganisation,  va  être  augmentée 
d'un  deuxième  bataillon.  Entin,  on  parle  de  réunir,  en  un  seul  corps 
des  agents  du  Congo,  l'ancien  personnel  des  divers  services. 

Notre  domination  au  Congo  français  est  toutefois,  à  l'heure  ac- 
tuelle, plus  fictive  que  réelle.  Nous  ne  possédons,  sur  une  étendue 
d'environ  1.800.000  kilomètres  carrés,  qu'un  petit  nombre  de  postes 
dont  l'action  ne  peut  se  faire  sentir  que  dans  un  faible  rayon.  Il  y  a 
donc  lieu  d'éviter  toute  action  inconsidérée  que  pourrait  compro- 
mettre cette  situation  précaire. 

Il  n'en  faut  pas  moins  prévoir  le  moment  où  le  budget  des  dé- 
penses de  la  colonie  devra  s'augmenter,  pour  remédier  à  cette 
situation.  Aussi  votre  commission  ne  saurait  trop  engager  le  gou- 
vernement à  se  préoccuper,  d'ores  et  déjà,  des  moyens  d'accroître, 
par  une  intelligente  mise  en  valeur  et  par  une  bonne  organisation 
administrative,  économique  et  financière,  les  ressources  locales  de 
la  colonie.  Il  ne  saurait  être  question,  en  etïet,  d'exiger  de  la  métro- 
pole des  sacrifices  supérieurs  à  ceux  qu'elle  consent  aujourd'hui. 
Le  but  est  plutôt  de  les  réduire. 

La  situation  commerchilç  du  Congo  se  résume,  depuis  1893,  par 
les  chiffres  ci-après  : 


288  l'afrique  politique  en  1900 

Importations.         Exportations.  Totaux. 

1893 3.166.371  2.345.014  5.511.385 

1894 4.604.953  5.992.697  10.597.650 

1895 5.648.881  4.948.783  10.597.664 

1896 4.796.613  4.745.844  9.542.457(1) 

Ce  tableau  est  quelque  peu  poussé  au  noir.  Les  travaux 
publics,  notamment,  ne  sont  pas  entièrement  délaissés  au 
Congo. 

Une  voie  mixte  de  communication  par  terre  et  par  eau 
reliera  bientôt  Loango  à  Brazzaville.  On  remonte  le  Niari- 
Kouilou  jusqu'à  Kakamœka,  point  extrême  de  la  navigation 
(74  kilomètres).  Cette  section  possède  déjà  une  ligne  télégra- 
phique. A  Kakamœka  commence  la  route  de  Brazzaville,  com- 
mencée en  1897  par  la  Société  commerciale  et  industrielle  du 
Congo  français  et  pour  laquelle  la  colonie  alloue  une  subven- 
tion quinquennale  de  80.000  francs. 

La  culture  a  pris,  dans  ces  derniers  temps,  un  certain  déve- 
loppement au  Congo,  par  suite  de  l'emploi  de  la  main-d'œuvre 
pénale  annamite. 

En  1888,  on  a  commencé  à  expédier  100  forçats  annamites  à 
Libreville.  L'essai  réussit  peu,  et  la  nostalgie  fit  périr  42  con- 
damnés. En  1894,  un  nouvel  envoi  de  100  forçats  permit  d'en- 
treprendre des  déboisements  et  des  assèchements.  En  1896. 
on  a  essayé  de  développer  la  culture  par  la  main-d'œuvre  an- 
namite, en  créant  des  postes  de  culture  et  de  ravitaillement 
sur  les  principales  voies  de  communication.  Dans  ces  postes, 
des  conci3ssions  sont  accordées  aux  condamnés  avec  une 
liberté  relative,  et  les  voyageurs  peuvent  y  trouver  quelques 
moyens  de  ravitaillement  et  de  bien-être.  On  cherche  aujour- 
d'hui à  développer  cette  expérience  qui  a  produit  jusqu'ici 
d'heureux  résultats. 


;i)  Voici  les  résultats  pour  1897  et  1898  : 

Importations.  Exportations.  Totaux. 

1897 3.572.462  53.278.017  8.850.479 

1898 4.8ii.23'é-  i3.G9o.30i  10.539.538 


OPÉRATIONS   VERS   LE   NIL  .  289 

Libreville,  érigée  récemment  en  point  d'appui  de  la  flotte, 
est  reliée  à  Saint-Thomas  et  de  là  à  l'Europe  par  un  cable 
sous-marin.  C'est  le  port  principal  de  la  colonie,  sur  l'estuaire 
du  Gabon  qui  forme  une  immense  rade  (23  milles  sur  10)  où 
viennent  se  déverser  de  nombreux  cours  d'eau.  Il  y  règne  un 
climat  relativement  sain.  La  température  maxima  y  est  de 
30°,  et  l'année  se  divise  en  deux  saisons  :  la  saison  sèche,  du 
15  mai  au  15  septembre,  et  la  saison  des  pluies,  le  reste  de 
l'année. 

Dans  la  colonie  du  Congo  proprement  dite,  la  tranquillité 
est  parfois  troublée  par  les  incursions  des  Pahouins  qui  se 
soumettent  cependant  peu  à  peu  à  l'administration  française. 

Jusqu'en  1895,  la  colonie  possédait  un  corps  de  tirailleurs 
gabonais  qui  fut  alors  supprimé  et  remplacé  par  des  mili- 
ciens. Un  arrêté  du  gouverneur,  en  date  du  30  mars  1897,  a 
décidé  que  la  milice  comprendrait  un  bataillon  de  630  hommes 
répartis  en  quatre  compagnies  sous  les  ordres  des  admi- 
nistrateurs. 

On  a  parlé  plus  haut  de  la  création  d'un  deuxième  bataillon 
de  milice. 


Notre  colonie  du  Congo,  avec  ses  dépendances,  offre  un 
immense  champ  d'activité  à  l'exploitation,  sinon  à  la  colo- 
nisation française.  Nous  avons  indiqué  plus  haut  le  sens  dans 
lequel  devait  être  orientée  l'expansion  de  ce  pays  dont  les 
richesses  diverses,  si  on  ne  les  gaspille  pas  comme  au  Congo 
belge,  seront  une  précieuse  réserve  pour  l'avenir. 

Une  quarantaine  de  concessions  ont  été  accordées  tout 
récemment,  dans  ces  pays,  à  plusieurs  compagnies.  La  plus 
grande,  celle  du  Haut-Oubangui,  comprend  15  millions  d'hec- 
tares, la  plus  petite  porte  sur  1.200.000  hectares.  L'ensemble 
de  ces  sociétés  représente  un  capital  de  65  millions. 

Dans  le  système  général  des  possessions  françaises  en 
Afrique,  le  Congo  a  son  rôle  naturellement  tracé. 

En  admettant  qu'aucun  incident  international  ne  vienne, 

Afr.  polit.  19 


290  l'afrique  politique  en  1900 

soit  obliger  la  France  à  user  de  son  droit  de  préemption  sur 
le  Congo  belge,  soit  provoquer  le  partage  de  l'État  indépen- 
dant, le  Congo  français,  livré  à  lui-même,  pourra  acquérir 
une  prospérité  d'autant  plus  grande  que  sa  situation  au 
centre  de  l'Afrique  est  plus  avantageuse,  et  qu'il  ne  peut 
manquer  d'être  relié  un  jour  à  nos  autres  possessions  de 
l'Afrique  occidentale. 

Malgré  les  difficultés  opposées  à  nos  projets  par  le  voisi- 
nage du  Cameroun  allemand  et  de  la  Nigeria  britannique, 
l'action  de  ces  enclaves  est  en  partie  neutralisée,  au  point  de 
vue  de  nos  communications  futures,  par  la  prise  de  pos- 
session des  territoires  à  l'est  du  Tchad  sur  lesquels  il  nous 
est  possible  de  créer,  malgré  nos  adversaires,  la  liaison  par 
voie  ferrée  du  Congo  français  avec  l'Afrique  du  Nord. 

Ainsi  qu'on  l'a  dit  à  propos  du  Sahara,  la  tâche,  quoique 
malaisée,  n'est  pas  au-dessus  de  nos  forces.  Son  exécution 
permettrait  de  relever  notre  prestige  dans  ces  régions,  et  nous 
donnerait  en  même  temps  l'outil  le  plus  précieux  pour  asseoir 
définitivement  notre  domination  sur  le  centre  de  l'Afrique. 

Par  la  mainmise  sur  le  Tchad,  et  par  les  avantages  que 
nous  donnerait  l'occupation  d'une  position  centrale  au  milieu 
des  possessions  européennes  voisines,  nous  nous  assurerions 
le  moyen  le  plus  efficace  de  faire  rayonner  l'influence  fran- 
çaise, d'attirer  le  commerce  des  pays  voisins  et  de  maîtriser 
les  empiétements  ou  les  tentatives  d'expansion  commerciale 
de  nos  rivaux. 

Tel  doit  être  l'objectif  constant  de  notre  action  dans  ces 
régions. 


ÉTAT  INDÉPENDANT  DU  CONGO  291 


État  indépendant  du  Congo. 


Conventions  internationales.  —  Considérations  générales.  —  Arabes  du  Nord  et 
Arabes  du  Sud.  —  Expéditions  militaires  de  1896  à  1899.  —  L'alïaire  Stokes.  — 
Le  chemin  de  fer  du  bas  Congo.  —  Avenir  du  Congo. 


Sur  une  étendue  trois  ou  quatre  fois  égale  à  celle  de  la 
France,  lÉtat  indépendant  du  Congo  occupe  une  des  régions 
de  l'Afrique  qui  comptait,  il  y  a  seulement  vingt  ans,  parmi 
les  moins  connues.  Ses  limites  ont  été  réglées  par  de  nom- 
breuses conventions  internationales  (1),  et  sont  précisées 
aujourd'hui  sur  tout  son  périmètre,  notamment  du  côté  du 
Congo  français,  où  le  Congo,  l'Oubangui  et  le  M'Bomou  ser- 
vent de  frontière. 

On  a  déjà  parlé  du  traité  du  12  mai  1894  par  lequel  les 
Anglais  cédaient  à  bail  au  roi  des  Belges  les  territoires  du 
Bahr-el-Ghazal  et  de  la  province  équatoriale  d'Emin  pacha, 
qui  appartenaient  autrefois  à  l'Egypte,  et  qui,  depuis  long- 
temps, étaient  passés  sous  l'autorité  du  Mahdi  d'Omdourman. 
Cette  cession,  portant  sur  des  provinces  conquises  par  un 
tiers,  souleva  les  réclamations  de  la  France  et  de  l'Allemagne, 
et  le  roi  des  Belges  dut  renoncer  presque  aussitôt  au  bénéfice 
du  traité.  Il  s'engagea  vis-à-vis  de  la  France,  par  le  traité  du 
1 4  août  1894,  à  ne  pas  occuper  les  territoires  au  nord  de  Lado, 
et  une  délimitation  précise  fixa  au  cours  du  M'Bomou  et  à  la 
ligne  de  partage  des  eaux  du  Nil,  les  frontières  de  l'État  du 
Congo. 


1.  Convention  de  Berlin  de  I880. 

2.  Acte  général  de  Berlin  du  26  février  1885. 

3.  Conventions    entre    le   Portugal  et  le  Congo,  du    14  février  188iî  et  du 

25  mai  1891. 

4.  Traité  anglo-congolais  du  12  mai  1894. 
;j.  Traité  franco-congolais  du  14  août  1894. 

6.  Traités  franco-congolais,  du  :j  février  18813  et  du  29  avril  1887. 


292  l'afrique  politique  e>t  1900 

Bien  que  la  France,  souscrivant  aux  conditions  de  la  décla- 
ration du  21  mars  1899,  ait  abandonné  le  Bahr-el-Ghazal, 
le  traité  du  14  août  1894  ne  reste  pas  moins  en  vigueur  et  il 
est  probable  que,  dans  un  avenir  peu  éloigné,  les  diplomates 
seront  encore  obligés  de  s'en  occuper. 

Quant  aux  réclamations  de  l'Allemagne,  elles  furent  apai- 
sées par  la  suppression  de  la  clause  qui  attribuait  à  l'Angle- 
terre une  bande  de  terrain  de  25  kilomètres  de  large,  destinée 
à  relier  l'Ouganda  à  ses  possessions  de  l'Afrique  australe,  et  à 
lui  donner  la  possibilité  de  réaliser  son  rêve,  de  joindre 
l'Egypte,  par  une  voie  ferrée  et  une  ligne  télégraphique,  à  la 
colonie  du  Cap. 

On  a  dit  très  justement  que  le  Congo  belge,  appelé  aussi 
Congo  léopoldien,  n'est  autre  chose  que  le  territoire  dévolu  à 
une  compagnie  a  charte,  dont  le  président  est  le  roi  des 
Belges  et  dont  la  charte  est  contenue  dans  l'acte  de  Berlin. 

Cette  situation  donne,  en  réalité,  tous  les  droits  à  l'État 
indépendant  sous  la  réserve  de  laisser  le  commerce  libre  pour 
toutes  les  nations  dans  le  bassin  du  Congo.  Le  roi  des  Belges, 
qui  est  souverain  absolu  dans  ces  régions,  a  pu  obtenir  de 
l'Europe  l'établissement  de  droits  d'entrée  et  de  sortie  sur  les 
marchandises;  sauf  cette  restriction,  le  commerce  est  libre. 
Pour  mieux  établir  cette  liberté  du  commerce  aux  yeux  du 
monde,  les  territoires  du  Congo  ont  été  en  quelque  sorte  par- 
tagés en  deux  parties  :  l'une,  dite  domaine  privé  du  souverain, 
est  sa  propriété  particulière  qu'il  fait  exploiter  comme  il  l'en- 
tend. Ce  sont  les  régions  des  Bangalas,  du  lac  Léopold  II  et 
des  Stanley  Falls.  L'autre  partie  du  domaine  public  est 
ouverte  à  tous  et  en  particulier  à  des  sociétés  d'exploitation 
dont  quelques-unes  sont  en  pleine  prospérité.  Cet  état  de 
choses  transforme  pour  le  moment  l'État  du  Congo  en  une 
simple  affaire  commerciale  et  fait  du  roi  des  Belges,  ainsi 
qu'on  l'a  dit,  le  plus  grand  marchand  d'ivoire  et  de  caoutchouc 
du  monde  entier. 

En  fait,  il  s'entend  admirablement  à  mettre  en  valeur  ses 
immenses  domaines,  grâce  à  sa  ténacité,  à  son  activité,  à 


ÉTAT  INDÉPENDANT  DU  CONGO  293 

sa  grande  situation,  à  ses  alliances  de  famille  et  à  sa  qua- 
lité de  souverain  absolu  d'un  empire  neutralisé  par  l'Eu- 
rope. Il  est  d'ailleurs  juste  de  reconnaître  que  ses  grandes 
qualités  lui  ont  été  indispensables  pour  venir  à  bout  des  diffi- 
cultés de  toute  nature  qui  ont  assailli  le  jeune  État  dès  sa  fon- 
dation. Il  a  fallu  jouer  de  sa  neutralité,  profiter  des  rivalités 
européennes,  vaincre  des  insurrections,  et  par-dessus  tout 
conquérir  le  pays  sur  les  traitants  arabes  qui  l'exploitaient 
depuis  des  siècles  avec  plus  ou  moins  d'intensité. 

Depuis  la  conquête  du  Soudan  par  l'Egypte,  des  expéditions 
de  marchands  arabes  s'étaient  organisées  dans  le  but  de  se 
procurer  de  l'ivoire  et  des  esclaves  sur  les  territoires  du  Bahr- 
el-Ghazal.  Peu  à  peu,  des  postes  fortifiés,  appelés  zaribas, 
s'étaient  fondés  sur  les  principales  routes  de  la  contrée  et,  de 
proche  en  proche,  les  esclavagistes  avaient  atteint  le  haut 
Oubangui,  soumettant  le  pays  à  une  sorte  d'organisation  féo- 
dale grâce  à  laquelle  ils  avaient  pu  se  rendre  les  maîtres 
absolus  de  cette  région. 

En  même  temps  que  cette  invasion  se  produisait  parle  Nord, 
une  autre  invasion,  celle  des  Arabes  du  Sud  ou  de  Zanzibar, 
faisait  des  progrès  incessants  du  côté  du  haut  et  du  moyen 
Congo.  Dès  1870,  on  les  trouvait  sur  le  Tanganyika,  où  ils 
avaient  fondé,  à  Oujigi,  une  station  commerciale  importante. 
Vingt  ans  après,  ils  s'étaient  avancés  jusqu'au  delà  du  haut  et 
du  moyen  Congo,  où  ils  se  trouvaient  en  lutte  incessante  avec 
les  Belges.  Ceux-ci,  désespérant  de  les  soumettre  définitive- 
ment, ne  trouvèrent  rien  de  mieux  que  de  s'attacher  le  prin- 
cipal des  traficants  arabes,  Tippoo-Tib,  en  le  nommant  gou- 
verneur de  la  province  des  Stanley-Falls,  ce  qui  le  rendait 
maître  de  tout  le  pays  entre  ce  point  et  le  Tanganyika. 

Ce  fut  là  une  action  analogue  à  celle  accomplie  par  Gordon- 
Pacha,  lorsqu'il  se  vit  obligé  de  traiter  de  puissance  à  puis- 
sance avec  un  des  chefs  arabes  du  Nord,  le  traficant  Zobeïr, 
dont  le  favori  Rabah  devait  devenir  par  la  suite  un  des  plus 
fameux  conquistadores  africains. 

Depuis  l'établissement  du  mahdisme,  les  Arabes  du  Nord 


294  l'afrique  politique  en  1900 

avaient  vu  leur  puissance  considérablement  diminuer,  par  la 
fermeture  de  leurs  débouchés  du  côté  de  l'Egypte,  par  les 
exactions  du  mahdi,  qui  arrêtait  et  dépouillait  leurs  caravanes, 
et  par  les  expéditions  des  Derviches  vers  le  Sud. 

Repoussés  vers  le  Chari  et  craignant  de  manquer  d'armes 
et  de  munitions,  ils  se  jetèrent  du  côté  de  l'Ouest,  et,  conduits 
par  Rabah,  ils  réussirent,  comme  on  l'a  déjà  vu,  à  se  tailler  un 
empire  du  côté  du  Tchad. 

Quant  aux  Arabes  du  Sud,  traqués  de  tous  côtés  par  les 
Belges  et  les  Allemands,  ils  essayèrent,  sinon  de  se  maintenir 
dans  leurs  États  éphémères,  tout  au  moins  de  sauver  leur  com- 
merce en  demandant  seulement  à  leurs  ennemis  européens  de 
se  montrer  tolérants.  C'est  ainsi  que  la  traite  continua  par  la 
côte  de  Zanzibar,  trouvant  par  là  des  débouchés  clandestins 
aux  «  opérations  »  conduites  par  les  Arabes  de  part  et  d'autre 
du  Tanganyika. 

Mais,  si  les  Belges,  éprouvés  par  des  expéditions  meur- 
trières vers  le  haut  et  le  moyen  Congo,  avaient  laissé  un 
moment  de  répit  aux  Arabes  de  cette  région,  ils  n'en  avaient 
pas  moins  été  obligés  de  tourner  leurs  efforts  contre  les  Der- 
viches, qui,  par  leurs  empiétements  dans  le  haut  Oubangui, 
menaçaient  déjà  leurs  frontières  du  nord-est  et  leur  faisaient 
craindre  une  jonction  avec  Tippoo-Tib,  sur  la  fidélité  duquel 
il  eût  été  téméraire  de  trop  compter. 

Depuis  1887,  après  le  départ  d'Émin  pacha,  les  Derviches, 
malgré  leur  marche  en  avant,  n'avaient  pas  pu  empêcher  les 
Belges  d'arriver  à  Lado,  ni  les  Anglais  de  pousser  jusqu'à 
Ouadelaï.  Mais,  des  infiltrations  s'étant  produites  vers  TOuellé, 
l'État  du  Congo  décida  de  se  débarrasser  définitivement  du 
voisinage  des  mahdistes.  Ceux-ci,  attaqués  le  18  décembre 
1894  sur  le  Niéré,  puis  vers  le  confluent  de  l'Akka,  furent 
repoussés  et  de  nouveau  battus  le  23  décembre  de  la  même 
année.  Le  gros  de  leurs  forces,  environ  4.000  hommes,  battit  en 
retraite  vers  le  Nord,  sur  Doura,  tandis  qu'un  gros  parti  allait 
s'enfermer  dans  la  place  forte  du  Legarou. 

Les  Belges,  secondés  par  Pokko,  frère  du  chef  Nyam-Nyam 
Semio,  alors  protégé  du  Congo,  s'emparèrent  du  Legarou  après 


ÉTAT  INDÉPENDANT  DU  CONGO  295 

plusieurs  assauts.  Au  commencement  de  janvier  1895,  les  Der- 
viches abandonnaient  la  lutte  et  se  retiraient  sur  Redjaf. 

L'année  1895  s'est  passée  de  ce  côté  sans  incidents  bien 
graves.  Au  mois  de  mars  1896,  s'est  répandue  la  nouvelle  delà 
coopération  des  troupes  du  Congo  à  l'expédition  anglaise  du 
Soudan.  Cette  nouvelle  n'avait  pas  besoin  d'être  démentie  aussi 
énergiquement  qu'on  l'a  fait  pour  paraître  peu  vraisemblable. 

Les  Belges,  en  effet,  s'étaient  interdits,  vis-à-vis  de  la 
France,  par  le  traité  du  14  août  1894,  toute  expansion  au  nord 
deLado.  Ils  avaient  d'ailleurs  à  ce  moment  d'autres  occupa- 
tions. On  annonçait,  au  commencement  de  1896.  que  des  trou- 
bles graves  avaient  éclaté  dans  l'Arouhouimi,  où  l'on  craignait 
toujours  la  défection  de  Tippoo-Tip,  malgré  la  surveillance  exer- 
cée par  un  résident  belge  installé  auprès  de  lui. 

Plusieurs  fonctionnaires  congolais  avaient  été  massacrés,  et 
l'on  avait  de  sérieuses  maisons  de  croire  à  l'extension  de  cette 
insurrection. 

Ces  craintes  se  réalisèrent  en  effet.  Le  1er  mars  1896,  le  ma- 
jor Chaltin  quittait  Nyangara  avec  500  hommes  et  pénétrait 
dans  les  États  du  chef  M'Bili,  qui  fut  défait  en  trois  combats  et 
se  réfugia  chez  son  voisin  X'Doruma,  sultan  d'une  tribu 
azandé.  Ce  chef  disposait  de  forces  nombreuses,  environ  5.000 
guerriers,  en  partie  armés  de  fusils,  et  avait  pu  imposer 
aux  Égyptiens  et  aux  Derviches. 

Dans  un  premier  combat,  N'Bima,  frère  du  sultan,  fut  battu 
malgré  une  belle  résistance;  le  5  avril  1896,  X'Doruma,  attaqué 
par  les  Belges  devant  sa  capitale,  fut  vaincu  après  une  bataille 
acharnée  et  malgré  l'emploi  d'une  tactique  habile  qui  faillit  dé- 
concerter ses  adversaires.  Repoussé  après  avoir  perdu  un 
millier  des  siens,  il  abandonna  la  lutte,  et  le  pays  fut  pacifié 
pendant  quelques  mois  —  au  moins  en  apparence.  On  ne  se 
dissimulait  pas  que  cette  campagne  devait  avoir  une  suite.  Il 
fallait,  en  effet,  refouler  les  Derviches,  qui,  malgré  leur  défaite 
de  Dongu,  à  la  fin  de  1894,  s'infiltraient  encore  vers  le  Sud. 

Le  baron  Dhanis  fut  chargé  d'organiser,  vers  le  milieu  de 
1896,  une  expédition  qui  devait  avoir  le  Nil  pour  objectif.  Pen- 
dant que  le  major  Chaltin,  avec  700  hommes,  poussait  vers  le 


296  L'AFRIQUE  POLITIQUE    EX    1000 

haut  Nil  et  occupait  Redjaf  (17  février  1897),  le  baron  Dhanis 
préparait  la  concentration  de  sa  colonne,  qui  exigea  pendant 
deux  mois  l'interruption  du  trafic  sur  le  Congo.  En  mars  1897 
il  était  à  Kilo,  où  il  signalait  la  révolte  de  son  avant-garde. 

Celle-ci.  déjà  arrivée  à  Ndirji,  dans  l'Ouellé,  et  comprenant 
un  bataillon,  s'était  soulevée  contre  ses  officiers  et  les  avait 
massacrés  en  partie.  Les  Batélélas  qui  la  composaient  se  diri- 
geaient vers  le  Sud  pour  rentrer  dans  leur  pays,  d'où  il  fallait 
les  couper,  sous  peine  de  voir  les  territoires  du  haut  Congo 
entrer  en  insurrection.  Déjà,  à  la  fin  de  1886,  le  commandant 
Michaux,  chargé  par  le  baron  Dhanis  de  poursuivre  dans  le 
pays  boisé,  entre  le  Lomami  et  le  Lualaba,  les  rebelles  battus 
en  1895  par  le  commandant  Lothaire,  leur  avait  infligé,  le 
12  novembre  1896,  une  sanglante  défaite,  à  Kahoa.  Il  s'agissait 
d'empêcher  à  tout  prix  la  rébellion  de  s'étendre  et  les  révoltés 
de  se  réunir. 

Le  baron  Dhanis,  obligé  de  renoncer  à  son  expédition  vers  le 
Nil,  marcha  contre  les  révoltés.  Mais  il  fut  paralysé  par  une 
nouvelle  rébellion  qui  éclata  dans  sa  colonne  et  subit  un  échec 
à  la  suite  duquel  il  effectua  une  retraite  de  150  kilomètres  sur 
Kilonga-Longa  et  de  là  sur  Avakubi.  Par  bonheur,  les  révoltés 
ne  songèrent  pas  à  profiter  de  leur  succès  et  continuèrent  leur 
exode  vers  le  Sud  ;  puis  ils  se  cantonnèrent,  en  avril  et  mai  1897, 
sur  la  Semliké,  qui  réunit  le  lac  Albert-Edouard  à  l'Albert- 
Nyanza. 

Le  commandant  Henry  avait  réussi,  par  son  ascendant  mo- 
ral, à  ramener  600  hommes  au  devoir.  Il  reçut  l'ordre  de  partir 
d' Avakubi  au  commencement  de  mai  et  d'aller  occuper  Ki- 
longa-Longa, à  110  kilomètres  à  l'ouest,  tandis  que  le  baron 
Dhanis  se  portait  sur  les  Stanley-Falls  et  de  là  sur  Xyangoué 
pour  barrer  la  route  aux  rebelles. 

Le  commandant  Henry  occupa  Kilonga-Longa  sans  diffi- 
culté et,  le  4  juin,  en  repartit  pour  marcher  contre  les  révol- 
tés. Ceux-ci  avaient  déjà  poussé  leurs  excursions  au  delà  de 
la  frontière  de  l'État  indépendant  et  avaient  assiégé  dans  le 
poste  anglais  de  Katue  le  lieutenant  congolais  Samaes,  qui  s'y 
était  réfugié  avec  40  hommes.  Aidé  par  les  17  hommes  qui 


ÉTAT   INDÉPENDANT   DU   CONGO  297 

composaient  la  garnison  anglaise  du  poste,  le  lieutenant 
Samaes  repoussa  les  rebelles  et  rejoignit  le  commandant 
Henry  à  Mukupi. 

Au  mois  de  juin,  les  routes  de  Nyangoué  et  de  Kassongo 
ayant  été  occupées  par  le  baron  Dhanis,  le  commandant  Henry 
continua  son  mouvement  contre  les  révoltés,  les  atteignit,  le 
15  juillet  1897,  sur  la  Lindi,  près  du  lac  Albert-Edouard,  leur 
tua  400  hommes  et  les  rejeta  dans  les  montagnes  qui  bordent 
le  lac,  où  les  800  rebelles  qui  restaient  trouvèrent  un  refuge. 
Ne  pouvant  percer  sur  Nyangoué  pour  rentrer  dans  leur  pays, 
ils  s'y  cantonnèrent  et  purent  y  subsister  malgré  les  défaites 
qui  leur  furent  infligées  en  avril  1898  et,  plus  tard,  dans  le  cou- 
rant de  la  même  année,  par  les  petites  expéditions  envoyées 
contre  eux. 

L'une  d'elles,  dirigée  par  le  lieutenant  Stevens  avec 
200  hommes,  fut  attaquée  et  battue  à  Sungula  le  4  novembre 
1898.  Cinq  blancs  furent  tués  ainsi  que  presque  tous  les  indi- 
gènes. Après  cette  victoire,  les  rebelles  marchèrent  sur  Ka- 
lambaré,  dont  la  garnison  (800  hommes)  se  joignit  à  eux.  Une 
nouvelle  expédition  devint  nécessaire.  Le  baron  Dhanis 
marcha  sur  Kalambaré,  que  son  avant-garde,  commandée 
par  M.  Sund,  trouva  inoccupé,  le  30  décembre  1898.  Puis  il 
poussa  les  rebelles  vers  l'Est  et  installa  ses  troupes  à  Sungula. 
Il  y  fut  attaqué  le  20  juillet  4899.  Après  un  combat  de  plu- 
sieurs heures,  les  Batélélas,  renonçant  à  se  faire  jour,  prirent 
la  fuite  vers  les  régions  à  l'est  de  la  Luama,  désolées  par  la 
famine  et  la  variole.  Ils  avaient  laissé  sur  le  terrain  100  morts 
et  60  fusils,  tuant  aux  Congolais  25  noirs. 

Cette  victoire  n'a  point  amené  la  fin  de  cette  longue  rébel- 
lion, qui  continue  encore  avec  des  alternatives  diverses.  Du  8 
au  12  octobre  1899,  deux  combats  ont  encore  été  livrés  par  le 
lieutenant  Heeg  aux  Batélélas,  qui  ont  eu  90  tués.  Mais  ce  n'est 
toujours  là  qu'un  épisode  de  la  lutte. 

Du  côté  de  la  Mongalla,  les  cannibales  lkidjas  s'étant  sou- 
levés à  la  fin  de  l'année  1898,  le  major  Lothaire  fut  chargé 
de  les  réduire  et  s'en  acquitta  assez  rapidement.  Parti  avec 


298  l'afrique  politique  en  1900 

250  hommes,  il  infligea  aux  Budjas,  qui  l'avaient  bravement 
attaqué,  une  sanglante  défaite,  à  la  suite  de  laquelle  le  pays  fit 
sa  soumission. 

On  a  vu  plus  haut  que  le  commandant  Chaltin  avait  occupé 
Redjaf  le  17  février  1897.  Parti  de  Dunga  le  14  décembre  1896 
avec  700  hommes,  500  auxiliaires  et  un  canon,  il  atteignit  le 
Nil  à  Bedden,  le  14  février  1897.  Le  17  février  il  attaquait 
Redjaf,  ville  de  10.000  habitants,  possédant  un  beau  port,  et 
seule  place  forte  de  la  région.  Elle  était  occupée  par  4.000  Der- 
viches, qui  prirent  position  hors  de  Redjaf  pour  arrêter  les 
Congolais.  Battus  à  deux  reprises,  les  Derviches  évacuèrent 
Redjaf,  abandonnant  trois  canons  et  une  grande  quantité 
d'armes  et  de  munitions.  Le  commandant  Chaltin  poussa 
aussitôt  sur  Lado,  mais  n'y  trouva  que  des  ruines  au  milieu 
de  marécages. 

Les  Derviches  se  retirèrent  vers  le  Nord,  mais  sans  cesser 
d'observer  les  Congolais  qui  durent  être  renforcés,  vers  la  fin 
de  1897,  par  des  renforts  partis  de  Matadi  au  mois  de  juin. 

L'année  1898  n'a  été  signalée,  dans  la  province  équatoriale, 
que  par  des  événements  de  peu  d'importance.  Les  incursions 
des  Derviches  ont  été  facilement  refoulées,  et  le  commandant 
Henry,  venu  des  environs  du  lac  Albert-Edouard,  après  la  pre- 
mière défaite  des  rebelles,  a  été  chargé,  à  la  fin  de  1898,  d'oc- 
cuper la  position  de  Lado. 

En  1899,  le  pays  est  resté  calme  sous  le  commandement  du 
major  Hanolet  qui  disposait,  à  Redjaf  et  dans  les  postes  voi- 
sins, d'un  effectif  d'environ  2.000  hommes.  Au  mois  d'octobre 
dernier,  on  annonçait  le  départ,  de  Djabbir,  sur  l'Ouellé,  du 
major  Chaltin  qui  se  disposait  à  aller  relever  le  major  Hanolet 
et  à  prendre  le  commandement  de  la  région. 

Plus  récemment,  au  mois  de  janvier  1900,  on  a  appris  l'arrivée 
à  Khartoum  du  commandant  Henry  et  de  42  Congolais  en 
même  temps  que  du  lieutenant  de  Tonquedec  et  de  ses  35  Sé- 
négalais et  d'une  patrouille  anglaise  venant  de  l'Ouganda. 

Telle  est  la  situation  sur  le  haut  Nil,  où  l'on  a  craint  un 


ÉTAT  INDÉPENDANT  DU  CONGO  299 

moment,  après  la  victoire  du  sirdar  Kitchener,  une  attaque 
des  Derviches  fuyant  devant  l'armée  anglo-égyptienne.  Cette 
éventualité  ne  s'est  point  réalisée  et  les  Congolais,  occupant 
dans  cette  région  tous  les  territoires  qui  leur  sont  dévolus  par 
les  traités,  attendent  encore  le  bon  vouloir  de  l'Angleterre 
pour  être  fixés  sur  le  sort  définitif  réservé  aux  territoires  du 
Bhar-el-Ghazal. 

Les  succès  de  la  politique  du  roi  des  Belges  ont  été  dus  au- 
tant aux  qualités  militaires  des  officiers  congolais  qu'à  l'orga- 
nisation donnée  aux  troupes  de  l'État  indépendant. 

Cette  organisation  est  réglée  par  un  décret  du  30  juillet  1891. 
La  durée  du  service  est  de  cinq  ans;  le  recrutement  est  assuré 
par  des  engagements  volontaires  et  par  des  levées  ordonnées 
par  le  gouverneur  dans  des  districts  déterminés. 

Après  leurs  cinq  ans  de  service,  les  soldats  doivent  servir 
deux  ans  dans  la  réserve.  Rentrés  dans  leurs  villages,  ils  y 
sont  l'objet  de  faveurs  spéciales  qui  attirent  sous  les  drapeaux 
un  nombre  croissant  d'indigènes.  Le  nombre  des  engagés 
volontaires  a  atteint  4.00Û  hommes  en  1897.  Des  camps 
d'instruction,  au  nombre  de  sept,  échelonnés  sur  le  Congo, 
reçoivent  les  recrues.  Outre  les  troupes  régulières,  qui 
comptent  environ  12.000  hommes,  dont  4.000  volontaires,  on 
doit  citer  les  contingents  auxiliaires,  convoqués  suivant  les 
besoins,  et  qui,  bien  encadrés,  ne  manquent  pas  de  valeur. 
Environ  80  bouches  à  feu,  de  divers  modèles,  constituent  l'ar- 
tillerie de  l'armée  congolaise. 

Au  point  de  vue  de  la  politique  extérieure,  il  n'est  pas  inu- 
tile de  rappeler  quelques  incidents  qui  provoquèrent  contre 
l'État  du  Congo  les  réclamations  d'autres  puissances  euro- 
péennes. C'est  d'abord  l'exécution  sommaire  du  négociant  an- 
glais Slokes,  ordonnée  par  le  commandant  Lothaire. 

Au  cours  d'une  expédition  dirigée  par  cet  officier  dans  le 
bassin  du  Lomami,  une  révolte  avait  été  apaisée  par  la  défaite 
des  rebelles  à  Gando,  les  12  et  13  septembre  1895.  Grâce  aux 
efforts  et  à  l'énergie  du  commandant  Lothaire,  la  rébellion 


300  l'afrique  politique  ex  1900 

prit  fin  rapidement;  mais,  ayant  acquis  la  preuve  qu'une 
alliance  existait  entre  les  insurgés  et  Stokes .  qui  les  fournis- 
sait d'armes  et  de  munitions,  il  lança  un  mandat  d'arrêt 
régulier  contre  lui  et  le  fit  juger  et  exécuter  dans  les  vingt- 
quatre  heures. 

Cette  exécution  d'un  Anglais,  même  coupable,  sur  le  ter- 
ritoire du  Congo,  produisit  en  Angleterre  l'émotion  d'usage. 
Le  gouvernement  anglais  exigea  aussitôt  la  mise  en  jugement, 
pour  abus  de  pouvoir,  du  commandant  Lothaire.  Celui-ci  fut 
jugé  à  Borna,  le  22  avril.  Sur  les  témoignages  fournis  contre 
Stokes,  le  ministère  public  renonça  à  l'accusation,  et  le  com- 
mandant Lothaire  fut  acquitté  le  27  avril. 

Déjà,  avant  le  procès,  le  gouvernement  anglais  avait  exigé 
qu'en  cas  d'acquittement  il  pourrait  poursuivre  l'affaire  en 
appel  devant  le  consseil  supérieur  de  l'État  du  Congo,  siégeant 
à  Bruxelles.  Devant  les  témoignages  fournis  à  Borna  et  qu'il 
jugea  contradictoires,  il  obligea  le  gouvernement  belge  à  faire 
appel  du  jugement.  Le  procès,  commencé  le  3  août  1896,  se 
termina  par  un  acquittement. 

Les  procédés  militaires  et  commerciaux  du  commandant 
Lothaire  avaient  déjà  été  très  attaqués,  même  au  Congo,  et  les 
traitements  infligés  aux  serviteurs  et  à  la  femme  indigène  de 
Stokes  avaient  déterminé  l'Allemagne  à  demander  à  l'État  du 
Congo  une  indemnité  qui  fut  distribuée  aux  victimes,  origi- 
naires de  l'Est  africain  allemand.  Ce  fait  fut  suivi  peu  après 
d'un  autre  incident  plus  grave. 

Une  caravane  d'indigènes  allemands  ayant  été  pillée  dans  le 
Manyéma,  l'État  du  Congo  reçut  une  note  de  protestation,  aux 
termes  de  laquelle  l'Allemagne  demandait  une  nouvelle  in- 
demnité, en  menaçant  de  dénoncer  la  convention  de  Berlin  à  la 
première  récidive.  Quelques  jours  avant,  à  l'occasion  de  l'af- 
faire Stokes  et  des  attaques  portées,  à  l'audience,  contre  l'ad- 
ministration allemande  de  l'Est  africain,  le  gouvernement 
allemand  avait  cru  devoir  faire  des  représentations  au  gou- 
vernement belge.  Celui-ci  répondit  que  la  question  ne  concer- 
nait nullement  la  Belgique,  mais  seulement  le  gouvernement 
congolais. 


ÉTAT  INDÉPENDANT  DU  CONGO  301 

Tout  récemment  encore,  à  la  fin  de  1898,  on  signalait  un 
autre  motif  de  discorde  à  propos  de  la  délimitation  des  fron- 
tières entre  le  lac  Tanganyika  et  le  lac  Kifu.  Certains  terri- 
toires ont  été  revendiqués,  à  la  fois,  par  les  Allemands  et  les 
Congolais,  et  ont  donné  lieu  à  des  concentrations  de  troupe 
effectuées  par  les  Allemands  à  Maniema  et  à  un  renforcement 
du  poste  belge  du  lac  Kifu.  Le  différend  vient  d'être  réglé  au 
mois  de  janvier  1900,  lors  du  voyage  à  Berlin  de  M.  Beernaert, 
président  de  la  Chambre  des  représentants  de  Belgique,  par  une 
cession  réciproque  de  territoires. 

On  a  vu  plus  haut  que  le  Congo  n'est  lié  à  la  Belgique  que 
dans  la  personne  du  roi  des  Belges.  Au  début  de  la  constitution 
de  l'État  indépendant,  c'est  le  roi  des  Belges  qui,  sur  sa  cas- 
sette particulière,  comblait  les  déficits  de  son  nouvel  État  (1). 

De  leur  côté,  les  Belges,  par  crainte  des  charges  que  pour- 
rait leur  faire  supporter  le  Congo,  s'étaient  refusés,  malgré 
plusieurs  tentatives  faites  auprès  du  Parlement,  à  sanctionner 
une  union  plus  étroite  des  deux  pays  et  à  prononcer  l'an- 
nexion de  l'État  indépendant.  Les  conseillers  du  roi  des 
Belges,  au  contraire,  s'étaient  toujours  efforcés  de  faire  sub- 
stituer à  l'union  personnelle,  surtout  au  point  de  vue  finan- 
cier, une  union  plus  intime  avec  la  Belgique,  qui  aurait  ainsi 
débarrassé  son  souverain  de  la  crainte  de  voir  la  France  ré- 
clamer plus  tard  le  droit  de  préemption  que  les  traités  lui 
reconnaissent  sur  le  Congo.  Ces  tentatives  d'union  auront 
d'autant  plus  de  chances  de  réussir  que  l'État  indépendant  du 
Congo  deviendra  plus  prospère.  Son  avenir,  au  point  de  vue 
économique,  paraît  mieux  assuré  depuis  que  se  perfectionne 
l'exploitation  du  chemin  de  fer  du  Congo.  De  24  millions  en 
1895,  le  commerce  total  a  passé  à  31  millions  en  1896  et  à  . 
41  millions  en  1897. 

A  plusieurs  reprises,  la  Belgique  a  dû  venir  en  aide  à  l'État 


(1)  Le  budget  de  1898  s'élevait  à  14.7G5.000  francs  aux  recettes  et  à  17.2o0.00O 
francs  aux  dépenses,  avec  un  déûcit  prévu  de  2.500.000  francs. 


302  L' AFRIQUE    POLITIQUE   EN    1900 

du  Congo,  notamment  à  l'occasion  de  la  construction  du  che- 
min de  fer  de  Matadi  à  Léopoldville.  Cette  ligne,  destinée  à 
relier  l'Océan  avec  le  bief  navigable  du  Congo,  en  amont  de 
Stanley -Pool,  et  à  supprimer  l'inconvénient  des  rapides  qui 
empêchent  la  navigation  au-dessous  de  Léopoldville,  a  été 
étudiée  dès  1885  et  entreprise  en  1889.  D'une  longueur  totale 
de  425  kilomètres  environ,  elle  traverse,  dans  la  première 
partie  de  son  tracé,  des  terrains  montagneux  et  rocheux  qui 
en  ont  rendu  l'exécution  fort  difficile.  La  voie  s'élève  jusqu'à 
500  mètres  d'altitude  avant  de  redescendre  sur  Léopoldville. 
Elle  devait,  dans  le  principe,  être  livrée  le  31  décembre  1894, 
mais  on  a  dû  plus  tard  reporter  le  délai  de  livraison  au  31 
décembre  1896,  et  elle  n'a  été  définitivement  inaugurée 
qu'en  juin  1898. 

Les  travaux  ont  été,  en  effet,  des  plus  pénibles.  Il  a  fallu 
emprunter  la  main-d'œuvre  à  toutes  les  colonies  voisines, 
recruter  au  Dahomey  des  travailleurs  «  libres  »  fournis  par 
Behanzin  et,  plus  tard,  avoir  recours  aux  Chinois,  puis  aux 
Kroumens,  aux  Sierra-Léonais  et  aux  Sénégalais.  Sur  4.500 
ouvriers  employés  sur  les  chantiers  dans  les  deux  premières 
années  (1890-1892),  900  ont  été  victimes  du  climat. 

Les  dépenses,  évaluées  au  début  à  25  millions,  ont  dépassé 
finalement  65  millions.  Le  prix  kilométrique  de  la  ligne, 
évalué  à  60.000  francs,  s'est  élevé  à  100.000  francs  vers  la  fin 
des  travaux  et  a  atteint,  en  certaines  parties,  240.000  fr.  (1). 

Déjà  la  Belgique  avait  souscrit  10  millions  pour  ce  chemin 
de  fer  et  lui  avait  prêté  cinq  autres  millions  sur  hypothèques. 
A  la  suite  d'une  enquête  ordonnée  sur  place,  en  1895,  par  le 
Parlement  belge,  qui  a  toujours  soutenu  le  chemin  de  fer  du 
Congo,  une  convention,  du  11  juin  1896,  vint  encore  garantir 
10  millions  d'obligations  à  émettre  par  la  Compagnie  du  che- 
min de  fer.  Le  surplus  du  capital  fut  fourni  grâce  à  la  foi  et  à 
la  ténacité  des  fondateurs. 


(1)  Le  chemin  de  fer  du  Congo  aura  aussi  à  compter,  un  jour,  avec  la  concur- 
rence du  futur  chemin  de  fer  du  Congo  français,  entre  la  côte  et  Brazzaville.  Des 
projets  ont  déjà  été  élaborés  pour  sa  construction  par  nos  ofliciers  du  génie. 


ÉTAT  INDÉPENDANT  DU  CONGO  303 

Au  mois  de  juin  1896,  la  ligne  était  déjà  terminée  sur  envi- 
ron 130  kilomètres  de  longueur.  Le  reste  du  tracé  était  d'ail- 
leurs moins  difficile  à  exécuter,  et  on  augmenta  considérable- 
ment la  rapidité  de  la  construction,  qui  fut  terminée  à  la  fin 
de  1898. 

Dès  les  premiers  mois  de  l'exploitation,  le  rendement  kilo- 
métrique de  la  ligne  atteignit  21.000  francs,  alors  que  8.000 
francs  environ  suffisaient  pour  couvrir  le  service  de  la  dette. 
L'avenir  du  chemin  de  fer  paraît  donc  assuré,  d'autant  plus 
que  la  Compagnie  possède,  tout  le  long  de  la  voie,  une  bande  de 
terrain  de  200  mètres  de  part  et  d'autre  de  la  ligne,  et  qu'elle 
a  reçu  une  dotation  de  600.000  hectares,  dont  500.000  dans  la 
région  de  la  Bousira  Mamboyo  et  100.000  sur  les  rives  du 
Congo  et  de  ses  affluents  (1). 

La  réussite  de  cette  exploitation  est  d'un  heureux  augure  pour 
la  future  voie  ferrée  qui,  à  travers  le  territoire  français,  con- 
duira les  marchandises  du  Congo  moyen  à  la  côte  Atlantique. 


Le  principe  delà  construction  de  nouveaux  chemins  de  fer 
a  été  tout  récemment  posé  :  de  Stanley-Falls,  une  ligne  de  450 
kilomètres  se  dirigerait  vers  l'Ituri  et,  de  là,  d'un  côté  vers  le 
lac  Albert,  de  l'autre  vers  le  Tanganyika.  Soit,  en  tout,  1.400 
kilomètres.  Une  mission  d'ingénieurs  a  déjà  été  envoyée  dans 
la  région.  On  estime  les  dépenses  à  150  ou  200  millions  et  la 
durée  du  travail  à  dix  années. 

Un  coup  d'œil  jeté  sur  la  carte  suffit  à  démontrer  la  grandeur 


(1)  A  l'assemblée  générale  de  la  Compagnie  du  chemin  de  fer  du  Congo,  le  18 
janvier  1899,  le  colonel  Thys  a  donné  les  chiffres  suivants  pour  les  recettes  en- 
caissées en  1898  : 

Mois  d'août 801.472  fr.  49 

—  de  septembre 991 .059  fr.  9o 

—  d'octobre 846.000  francs. 

—  de  novembre 745.000  francs. 

correspondant  à  une  recette  annuelle  de  i0.152.^(.'7  francs. 

Les  Belges  ne  négligent  pas  les  lignes  télégraphiques. 

Deux  grandes  lignes  sont  en  construction  marchant  l'une  vers  l'autre  :  la  pre- 
mière part  de  Borna  et  atteint  la  station  de  l'Equateur;  la  seconde  part  du  Tan- 
ganyika et  atteindra  bientôt  le  Congo. 

On  a  inauguré,  le  10  janvier  1900,  la  section  de  Borna  à  Luki  du  chemin  de  fer 
du  .Mayumbé. 


304  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

du  travail  et  l'importance  politique  qu'on  attache  à  son  exécu- 
tion. Il  y  a  là  un  exemple  que  la  France  devrait  suivre  de  son 
côté,  non  seulement  au  Congo,  mais  dans  bien  d'autres  contrées. 

Il  est  intéressant  de  citer,  à  propos  de  la  salubrité  du  Congo 
et  des  régions  voisines,  le  compte  rendu  suivant,  donné  par  le 
Temps,  d'une  des  séances  du  congrès  d'hygiène  de  Bruxelles 
(1897)  : 

«  Le  congrès  d'hygiène  et  de  climatologie  médicale  a  en- 
tendu aujourd'hui  une  intéressante  communication  sur  la 
situation  sanitaire  du  Congo.  C'est  le  résultat  d'une  enquête 
ouverte  à  la  requête  de  la  Société  royale  de  médecine  de  Bel- 
gique et  confiée  à  une  commission  de  six  membres  spécialistes 
de  haute  compétence,  qui  ont  consacré  deux  ans  à  ce  travail. 
Il  en  résulte  que  les  régions  considérées  comme  les  plus  meur- 
trières ne  présentent  pas  tous  les  dangers  que  l'on  croit  et 
qu'avec  un  régime  hygiénique  strictement  appliqué  il  est  pos- 
sible d'atténuer  les  effets  de  l'insalubrité.  Au  bas  Congo,  où 
l'on  mourait  jadis  dans  des  proportions  effrayantes,  les  décès 
diminuent  d'année  en  année,  grâce  à  l'amélioration  des  con- 
ditions alimentaires.  Certains  agents  de  l'État  ou  des  sociétés 
commerciales  y  ont  séjourné  jusqu'à  douze  années  à  peu  près 
impunément. 

»  Il  en  est  de  même  dans  les  régions  du  haut  fleuve.  On  ne 
pense  pas  cependant  que  le  Congo  puisse  être  autre  chose 
qu'une  simple  colonie  d'exploitation  et  non  de  peuplement,  à 
l'exception  de  quelques  plateaux  très  salubres.  On  croit  que 
le  séjour  doit  être  interrompu  par  des  retours  au  pays  et  des 
cures  d'altitude. 

»  Dans  le  Congo  français,  la  proportion  de  la  mortalité  di- 
minue également,  et  M.  Kermorgant,  délégué  du  ministère 
des  colonies  de  France,  donne  sur  la  situation  des  détails  typi- 
ques. Il  pense,  lui  aussi,  qu'au  moins  tous  les  deux  ans  les 
colons  doivent  rentrer  en  Europe  pour  se  débarrasser  des 
fièvres  paludéennes  et  autres  principes  morbides  dont  ils  sont 
infestés  :  hématurie,  insolation,  albuminurie,  fièvre  typho- 
malarienne,  polynévrite.  » 


ÉTAT  INDÉPENDANT  DU  CONGO  305 

Quelles  qu'aient  été  les  difficultés  rencontrées  parles  Belges 
au  Congo,  on  doit  reconnaître  qu'ils  ont  fait  preuve,  pour  les 
surmonter,  d'une  énergie  et  d'une  ténacité  remarquables. 
Avec  des  ressources  faibles,  ils  ont  su  créer  une  véritable 
armée  indigène,  environ  150  postes  fortifiés,  constituer  plu- 
sieurs grandes  Compagnies  d'exploitation,  dont  quelques-unes 
sont  très  prospères,  et  refouler,  presque  partout,  les  mar- 
chands d'esclaves,  qu'ils  sont,  sur  d'autres  points,  encore 
obligés  de  supporter. 

Entourés  par  les  possessions  des  autres  puissances  euro- 
péennes, ils  ont  résisté  énergiquement  à  toutes  les  tentatives 
d'empiétement;  et,  si  l'on  a  reproché  au  roi  des  Belges  de  vou- 
loir réserver  à  sa  dynastie,  à  l'exemple  de  la  maison  de  Bra- 
gance,  un  royaume  éventuel,  la  civilisation  doit  lui  savoir  gré 
d'avoir  conquis,  avec  une  rapidité  et  une  décision  remar- 
quables, quoique  avec  des  procédés  parfois  trop  énergiques, 
un  immense  territoire  précédemment  voué  à  la  barbarie. 

Certes,  l'avenir  du  Congo  belge  est  encore  incertain.  Son 
gouvernement  triomphera-t-il  à  lui  seul  des  difficultés  du 
présent  et  des  incertitudes  de  l'avenir,  ou  bien  sera-t-il  défini- 
tivement contraint  de  placer  la  Belgique  entre  l'éventualité 
d'un  abandon  et  la  nécessité  d'une  annexion? 

La  France  aura-t-elle  l'occasion  d'exercer  le  droit  de 
préemption  qui  lui  est  reconnu?  Ou  bien  y  aura-t-il  dans  ces 
régions  de  l'Afrique  un  nouveau  partage  à  effectuer  entre  des 
nations  toujours  plus  avides? 

Telles  sont  les  questions  qu'il  est  permis  de  se  poser. 

Pour  le  moment,  le  gouvernement  de  l'État  indépendant, 
trouvant  dans  ses  limites  une  zone  d'action  suffisante  pour 
absorber  toute  son  attention  et  toute  son  énergie,  parait  ne  se 
préoccuper  que  de  la  question  de  l'exploitation  du  pays.  L'ère 
des  difficultés  diplomatiques  semble  provisoirement  terminée 
pour  cet  État,  à  moins,  toutefois,  que  l'imprudence  de  ses 
gouvernants  ou  les  compétitions  de  ses  voisins  ne  viennent 
inopinément  compromettre  sa  sécurité  ou  menacer  son  exis- 
tence. 

Afr.  polit.  20 


CHAPITRE  V 

L'AFRIQUE  AUSTRALE 


Continuant  le  tour  du  continent  africain,  on  va  aborder 
maintenant  l'étude  des  pays  de  l'Afrique  australe. 

Sous  cette  dénomination,  on  comprendra  les  possessions 
portugaises  de  l'Afrique  australe,  la  colonie  du  Gap,  la  Rho- 
désia,  le  protectorat  du  Nyassaland,  l'État  libre  d'Orange  et  le 
Transvaal. 

Ces  pays,  qui  sont  le  théâtre  d'événements  importants  et 
qui  sont  en  train  de  se  développer  avec  rapidité,  donneront 
lieu  à  une  étude  quelque  peu  détaillée,  notamment  en  ce  qui 
concerne  les  tentatives  d'établissement  de  la  domination 
britannique  sur  les  territoires  situés  entre  le  fleuve  Orange 
et  le  Zambèze. 

On  complétera  l'étude  de  cette  région  par  quelques  consi- 
dérations rapides  sur  l'importance  stratégique  et  sur  l'avenir 
de  Madagascar,  notre  nouvelle  colonie  de  l'océan  Indien. 


308  L'AFRIQUE   POLITIQIE   EN    1000 


Possessions  portugaises  de  l'Afrique  australe. 


Le  litige  anglo-portugais.  —  L'Angola.  —  Compagnie  de  Mossamédès.  —  Le 
Mozambique.  —  Défiance  du  Portugal.  —  Expédition  dans  l'intérieur.  —  Che- 
mins de  fer.  —  Développement  des  ports.  —  Visées  de  l'Angleterre. 


Les  Portugais,  qui  ont  rêvé  un  moment  de  constituer  dans 
l'Afrique  autrale  un  vaste  empire  colonial  allant  de  l'Atlan- 
tique à  l'océan  Indien,  ont  dû  à  leur  faiblesse,  autant  qu'à  leur 
inertie,  de  voir  l'Angleterre,  par  un  coup  audacieux,  couper 
en  deux  les  territoires  qu'ils  s'étaient  attribués,  mais  qu'ils 
avaient  négligé  d'occuper,  comptant  sur  les  traités  passés  par 
leurs  négociants  avec  les  indigènes. 

Malgré  les  droits  créés  par  ces  traités  et  ceux  que  les  Portu- 
gais tenaient  des  nombreuses  explorations  faites  dans  l'inté- 
rieur du  pays  par  Serpa  Pinto,  Capello,  etc.,  les  Anglais 
exigèrent,  par  un  ultimatum  brusquement  notifié  en  janvier 
1889,  la  reconnaissance  des  possessions  acquises  par  des  mis- 
sions protestantes  établies  entre  le  Zambèze  et  le  Limpopo. 

On  se  rappelle  l'émoi  causé  en  Europe  par  l'envoi  d'une 
escadre  anglaise  devant  Lisbonne.  Les  Portugais,  forcés  de 
céder,  signèrent  le  mudus  vivendi  du  14  novembre  1890,  puis 
le  traité  du  28  mai  1891,  fixant  les  limites  de  leurs  deux  colo- 
nies, désormais  distinctes,  de  l'Angola  et  du  Mozambique. 


Angola. 

Les  limites  de  l'Angola  sont  fixées  :  avec  le  Congo,  par  les 
conventions  du  14  février  1885  et  du  25  mai  1891;  avec  les 
possessions  anglaises,  par  le  traité  du  28  mai  1891,  et,  avec  le 
Sud-Ouest  africain  allemand,  par  la  convention  du  30  dé- 
cembre 1886.  Depuis  le   conflit  survenu  avec  l'Angleterre 


POSSESSIONS   PORTUGAISES  309 

en  1889,  les  limites  orientales  du  Congo  portugais  n'avaient 
pu  être  exactement  définies.  Ce  n'est  qu'en  1896  qu'un  arran- 
gement est  intervenu,  fixant  pour  frontière  commune  le  cours 
du  haut  Zambèze  et  du  Kabompo. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'entreprendre  l'étude  des  quatre  pro- 
vinces (Congo,  Loanda,  Benguela,  Mossamédès)  de  l'Angola  et 
du  territoire  de  Cabinda,  enclavé  dans  le  Congo  français  et 
l'État  indépendant  du  Congo. 

Les  événements  récents  qui  s'y  sont  déroulés  sont  de  peu 
d'importance.  C'est  une  colonie  qui  fait  peu  parler  d'elle,  mais 
qui  prouve  les  aptitudes  colonisatrices  des  Portugais  et  la  faci- 
lité qu'ils  possèdent  de  se  mêler  aux  indigènes  et  de  les  domi- 
ner. Avec  de  faibles  moyens,  et  peu  ou  point  secondés  par 
leur  gouvernement,  les  colons  portugais  ont  tiré  de  ces  im- 
menses territoires  un  parti  qui  a  pu  paraître  médiocre  dans 
son  ensemble,  mais  qui  n'en  reste  pas  moins  honorable  pour 
un  pays  privé  de  grandes  ressources. 

Un  des  premiers  chemins  de  fer  de  l'Afrique  australe  a  été 
créé  par  les  Portugais  entre  Saint-Paul-de-Loanda  et  Ambaca, 
sur  une  longueur  de  300  kilomètres,  et  ils  songent  très  sérieu- 
sement à  la  mise  en  valeur  des  pays  situés  plus  au  Sud,  dans 
la  province  de  Mossamédès. 

Une  Compagnie  territoriale,  dite  Compagnie  de  Mossamédès, 
fondée  en  1894,  a  obtenu  du  gouvernement  portugais,  sur  la 
frontière  du  Sud-Ouest  africain  allemand,  la  concession  d'un 
territoire  égalant  en  superficie  la  moitié  de  la  France.  Ce  ter- 
ritoire, encore  incomplètement  reconnu,  mais  sur  lequel  des 
missions  se  trouvent  à  l'heure  actuelle,  a  déjà  révélé  des  ri- 
chesses territoriales  et  minières  qui  ont  donné  lieu  à  la  créa- 
tion de  compagnies  filiales.  Un  chemin  de  fer  se  dirigeant 
vers  l'intérieur  est  déjà  projeté  et  amorcé  à  l'état  de  route 
reliant  Mossamédès  à  Humbé. 

Le  calme,  un  moment  troublé  de  ce  côté  en  1897,  y  est  au- 
jourd'hui rétabli  et  la  tranquillité  de  la  région  permet  d'au- 
gurer favorablement  de  l'avenir  de  la  Compagnie. 

L'attention  s'est  également  portée  sur  les  territoires  du 
Congo  portugais,  plus  voisins  du  haut  Zambèze.  Un  syndicat, 


310  l'afrique  politique  en  1900 

fondé  avec  l'aide  de  capitaux  anglo-allemands,  et  auquel  ap- 
partiendrait M.  Gecil  Rhodes,  aurait  acquis  de  ce  côté  45.000 
kilomètres  carrés  du  gouvernement  portugais  et  125.000  kilo- 
mètres carrés  dans  le  Damaraland  allemand.  Ces  acquisitions, 
mieux  que  toute  description,  démontrent  la  valeur  de  ces 
pays,  hier  encore  inexplorés. 

Un  autre  syndicat,  également  anglo-allemand,  s'est  proposé 
de  relier,  par  voie  ferrée  de  450  kilomètres,  Benguela  ou  un 
port  des  environs  à  Caconda,  et  de  là  à  Cabongo,  moyennant 
la  concession  de  mines  et  de  terrains  de  culture. 

Diverses  nouvelles,  auxquelles  on  ne  doit  accorder  qu'un 
caractère  tendancieux,  ont  été  lancées  depuis  qu'à  l'automne 
de  1898  on  a  annoncé  la  conclusion  d'un  arrangement  secret 
entre  l'Allemagne  et  l'Angleterre  au  sujet  du  partage  éventuel 
des  territoires  portugais  de  l'Afrique  australe. 

Plus  positive  est  la  convention  signée  à  Berlin,  à  la  fin  du 
mois  d'octobre  1899,  au  sujet  de  la  construction  et  de  l'exploi- 
tation d'une  voie  ferrée  traversant  la  province  de  Mossame- 
dés,  le  Damaraland,  le  Mgamiland,  et  aboutissant  au  Trans- 
vaal.  Deux  opinions  opposées  relatives  à  ce  futur  railway  sont 
intéressantes  à  signaler.  Le  Times  s'exprimait  ainsi  : 

Une  ligne  reliant  le  Transvaal  par  la  Rhodesia  à  Great  Fish  bay 
donnerait  accès  vers  l'Atlantique  aux  grands  centres  miniers  du 
Transvaal  en  un  point  qui  est  de  1.300  milles  moins  éloigné  d'Eu- 
rope que  le  Cap.  D'autre  part,  traversant  diagonalement  l'Afrique 
allemande  du  Sud-Ouest,  elle  donnerait  un  immense  essor  au  dé- 
veloppement des  possessions  allemandes,  et  spécialement  à  l'ex- 
ploitation des  richesses  minérales  qu'on  attribue  aux  territoires  du 
Nord-Ouest  allemand. 

De  son  côté,  un  journal  de  Capetown,  YOns  Land,  écrivait  à 
ce  sujet  : 

Lorsque  la  construction  du  chemin  de  fer  du  Bechouanaland  fut 
discutée  au  parlement  du  Cap,  le  gouvernement  anglais  et  M.  Cecil 
Rhodes  affirmèrent  qu'on  n'autoriserait  la  construction  d'aucune 
ligne  pouvant  faire  concurrence  à  la  première. 

Si  maintenant  M.  Cecil  Rhodes  propose  de  construire  une  ligne 


POSSESSIONS  PORTUGAISES  311 

allant  de  Boulouwayo  à  la  côte  occidentale  de  l'Afrique  en  traver- 
sant le  territoire  allemand  ou  portugais,  il  oublie  la  promesse  en 
vertu  de  laquelle  le  chemin  de  fer  du  Bechouanaland,  appartenant 
à  la  colonie  du  Cap,  ne  doit  pas  avoir  de  concurrent. 

Bien  que  les  questions  douanières  relatives  à  ce  chemin  de 
fer  aient  été  déjà  débattues,  sa  construction  ne  peut  manquer, 
comme  on  vient  de  le  voir,  de  soulever  bien  des  questions 
économiques  et  politiques. 

Le  Congo  portugais  parait  donc  être  entré  comme  tant 
d'autres  territoires  africains,  dans  une  période  d'exploitation 
sérieuse.  Plus  heureux  que  le  Mozambique,  il  est  assez  à 
l'écart  pour  ne  pas  tenter  pour  le  moment  l'appétit  de  voisins 
ambitieux. 

Y  a-t-il  cependant  lieu  de  croire  aux  bruits  qui  ont  récem- 
ment couru  et  qui  tendaient  à  faire  admettre  l'éventualité  d'un 
agrandissement  vers  le  Sud  et  vers  l'Est,  du  Congo  portu- 
gais, moyennant  la  cession  si  convoitée  du  Mozambique  à 
l'Allemagne  et  à  l'Angleterre?  C'est  une  question  qui,  si  elle 
a  été  soulevée,  est  encore  du  domaine  de  la  diplomatie.  Un 
pareil  arrangement,  alors  même  qu'il  ne  serait  pas  du  goût 
du  Portugal,  favoriserait  trop  d'intérêts  et  d'appétits  pour  ne 
pas  paraître  assez  vraisemblable  (1). 


Mozambique. 

La  frontière  de  la  colonie  du  Mozambique,  tracée  d'une 
façon  bizarre,  au  gré  des  Anglais  désireux  de  se  réserver  les 
régions  aurifères  de  l'intérieur,  enserre  en  des  limites  étroites 
une  vaste  étendue  de  cotes  divisées  entre  deux  provinces  : 
celle  de  Mozambique,  au  nord  du  Zambèze,  et  celle  de  Lou- 
renço-Marquès. 


(1)  L'Angola  est  relie  à  l'Kurope  et  au  Cap  par  le  cable  de  la  cùte  occidentale 
d'Afrique  qui  atterrit  à  Mossamédès,  Benguela.  Novo-Redondo  et  Saint-Paul  de 
Loanda. 


312  l'afrique.  politique  ex  1900 

Les  événements  qui  ont  suivi  l'invasion  du  Transvaal  par  le 
docteur  Jameson,  au  début  de  1896,  ont  attiré  aussitôt  l'atten- 
tion sur  le  Mozambique. 

A  la  fin  de  1895,  au  moment  même  où  M.  Cecil  Rhodes 
commençait  à  troubler  l'Afrique  australe  tout  entière  par  ses 
tentatives  d'expansion  exagérée,  une  révolte  de  Cafres  éclatait 
dans  la  province  de  Lourenço-Marquès.  Le  major  Musino 
d'Albuquerque,  à  la  tête  de  48  cavaliers,  pénétrait  dans  le 
camp  de  Gugunhana,  le  chef  de  la  rébellion,  et  le  faisait  pri- 
sonnier au  milieu  de  ses  vassaux  stupéfaits.  Depuis  lors  il  ne 
se  produisit  plus,  pendant  plusieurs  mois,  que  des  rébellions 
sans  importance  et  facilement  réprimées,  après  la  déporta- 
tion de  Gugunhana  aux  Açores. 

Lors  de  l'enquête  faite  au  sujet  de  ces  événements,  le  gou- 
vernement portugais  crut  découvrir  l'action  d'une  mission 
protestante  établie  dans  le  pays  où  la  révolte  avait  pris  nais- 
sance. C'était  une  mission  des  Églises  libres  de  la  Suisse  ro- 
mande qui  possède  deux  centres  d'action  dans  cette  partie  de 
l'Afrique,  l'un  au  Transvaal,  l'autre  dans  la  province  de  Lou- 
renço-Marquès, avec  les  trois  stations  principales  de  Lourenço- 
Marquès,  Rikatia,  Antioka-Mandkasi  et  plusieurs  annexes. 
Cette  mission  comprenait  sur  le  territoire  portugais  quatorze 
personnes  des  deux  sexes  dont  l'expulsion  fut  décidée.  Ce  fait 
amena  des  réclamations  de  la  Suisse  auprès  du  gouvernement 
de  Lisbonne.  Après  une  enquête  supplémentaire,  les  mission- 
naires suisses,  accusés  d'avoir  poussé  les  noirs  à  la  révolte 
pour  favoriser  les  visées  de  M.  Cecil  Rhodes,  furent  proclamés 
innocents  et  l'arrêté  d'expulsion  rapporté. 

La  fin  de  Tannée  1896  fut  marquée  par  une  expédition  di- 
rigée contre  les  tribus  namarras  qui  occupaient  la  région  entre 
le  rio  Munapo  et  la  baie  de  Fernao  Yelloso,  et  qui,  n'ayant 
jamais  été  définitivement  soumises,  entravaient  les  relations 
entre  l'hinterland  et  la  côte. 

Une  colonne,  formée  à  Natule  et  comprenant  450  hommes 
avec  une  section  d'artillerie,  marcha  le  19  octobre  1896  sur 
Naguema.  Malgré  deux  succès  remportés  sur  les  indigènes  à 
Mojenga  elle  dut  rentrer  le  lendemain  à  Natule. 


POSSESSIONS    PORTUGAISES  313 

Des  renforts  ayant  été  expédiés  du  Portugal,  le  gouverneur 
général,  major  d'Albuquerque,  organisa,  en  février  1897,  une 
colonne  près  des  postes  de  Natule  et  de  Matibane,  au  moyen 
de  deux  compagnies  d*infanterie  portugaise,  un  demi-escadron 
de  cavalerie,  deux  sections  d'artillerie  et  une  troupe  d'auxi- 
liaires, environ  600  Européens  et  400  indigènes.  On  devait  re- 
monter le  fleuve  Mucati  et  établir  un  poste  chez  les  Xamarras. 
Le  départ  eut  lieu  le  1er  mars;  la  colonne,  attaquée  presque 
chaque  jour,  poussa  jusqu'à  Ibrahimo.  y  fonda  un  poste  et 
rentra  à  Natule. 

Le  23  mars,  elle  repartit  de  Matibane,  traversa,  le  30,  le  rio 
Sanhuti  et  fonda,  le  1er  avril,  un  poste  à  Itaculo.  Puis  elle  fut 
ramenée  à  Mossuril. 

Le  20  mai,  le  major  quitte  Ibrahimo  avec  130  Européens  et 
200  auxiliaires  et  cherche  à  rejoindre  les  Namarras  dans  les 
fourrés  deMatula;  mais,  après  un  vigoureux  combat,  il  rentre 
le  jour  même  à  Ibrahimo.  Les  Xamarras,  épuisés,  finissent  par 
faire  leur  complète  soumission  le  1er  juin  1897. 

Vers  la  même  époque  un  soulèvement  éclatait  parmi  les  in- 
digènes du  Ga/aland  contre  lesquels  le  Transvaal  dut  mobi- 
liser quelques  troupes  pour  faire  respecter  son  territoire.  Des 
révoltes  partielles  avaient  lieu  également  dans  le  district  du 
Zambèze.  Ces  rébellions  peu  importantes  furent  apaisées  sans 
difficulté  dès  le  mois  d'août  1897,  mais  elles  motivèrent  de  la 
part  de  la  métropole  des  envois  de  troupes  qui  vinrent  ren- 
forcer à  propos  les  garnisons  de  la  colonie. 

Depuis  lors  on  n'a  eu  à  signaler  que  des  troubles  locaux 
sans  importance.  On  peut  donc  considérer  que  la  colonie  du 
Mozambique  est  aujourd'hui  à  peu  près  complètement  pacifiée 
et  que  le  moment  est  venu  pour  le  Portugal  de  mettre  en 
œuvre  les  moyens  nécessaires  à  son  développement  et  à  son 
exploitation. 

Il  n'hésiterait  peut-être  pas  à  y  consacrer  les  sommes  néces- 
saires s'il  n'avait  lieu  de  craindre  pour  l'avenir  de  sa  colonie, 
menacée  au  nord  par  les  Allemands,  au  sud  et  à  l'ouest  par 
les  Anglais. 

Depuis  que  ces  derniers  ont  jeté  leur  dévolu  sur  le  Transvaal 


314  l'afrique  politique  en  1900 

et  rêvé  de  classer  les  Boërs  parmi  leurs  sujets,  ils  ont  pour- 
suivi avec  leur  ténacité  habituelle  l'investissement  de  ces 
pays  et  ont  constamment  mis  en  discussion  la  question  de  la 
baie  de  Delagoa.  La  presse  anglaise  n'a  pas  manqué,  dans  cette 
circonstance,  de  faire  le  jeu  de  son  gouvernement  et  de  pré- 
parer les  esprits  aux  éventualités  désirées. 

C'est  ainsi  que  furent  démentis,  dès  le  mois  de  mars  1896, 
presque  aussitôt  que  répandus,  les  bruits  mis  en  circulation 
de  l'achat  de  la  baie  de  Delagoa  par  l'Angleterre  et  du  débar- 
quement de  matelots  allemands  envoyés,  disait-on,  au  secours 
du  Transvaal. 

Les  journaux  anglais,  prenant  en  effet  leurs  désirs  pour  des 
réalités,  ne  se  firent  pas  faute  d'annoncer  la  cession  par  le 
Portugal,  au  prix  de  125  millions,  de  la  baie  de  Delagoa,  le  plus 
beau  port  de  cette  partie  de  l'Afrique,  et  le  terminus  du 
chemin  de  fer  du  Transvaal.  Cette  cession  eût  porté  en  outre 
sur  une  étendue  de  côtes  de  480  kilomètres  et  sur  une  profon- 
deur de  160  kilomètres. 

Cette  nouvelle  fut  bientôt  suivie  d'une  autre  tout  aussi  ten- 
dancieuse, d'après  laquelle  l'Allemagne  se  serait  proposé  de 
demander  la  neutralisation  de  Lourenço-Marquès. 

Le  Portugal  répondit  en  faisant  annoncer  sa  décision  de 
renforcer  ses  troupes  du  Mozambique  pour  bien  marquer  sa 
volonté  de  conserver  en  sa  possession  exclusive  la  baie  de 
Delagoa. 

Depuis  lors  les  bruits  de  môme  nature  n'ont  pas  cessé  de  se 
renouveler  à  diverses  époques,  et,  pour  y  couper  court  défini- 
tivement, le  gouvernement  portugais  se  crut  obligé  d'envoyer, 
au  commencement  de  1898,  le  major  d'Albuquerque  en 
mission  à  Paris,  à  Londres  et  à  Berlin,  pour  déclarer,  au  nom 
du  Portugal,  que  ce  pays  entendait  maintenir  tous  ses  droits 
sur  le  Mozambique. 

Le  port  de  Lourenço-Marquès  vaut  en  effet  la  peine  qu'on 
s'occupe  de  lui,  car  il  a  pris  une  importance  qui  touche  non 
seulement  aux  intérêts  des  Anglais  et  de  la  colonie  du  Cap, 
mais  aussi,  d'une  manière  indirecte,  à  ceux  des  Français,  de- 
puis que  ces  derniers  sont  définitivement  installés  à  Madagas- 


POSSESSIONS    PORTUGAISES  315 

car.  L'acquisition  de  la  grande  île  a  créé  entre  la  France  et  les 
républiques  boërs  des  liens  d'intérêt  qui  risqueraient  d'être 
rompus  si,  par  un  nouveau  coup  de  force,  l'Angleterre,  isolant 
de  la  mer  le  Transvaal  et  l'Etat  libre  d'Orange,  les  plaçait  par 
cela  même  sous  sa  dépendance  complète.  Devant  le  flot, 
montant  sans  cesse,  des  invasions  anglaises  en  Afrique,  il  est 
de  l'intérêt  de  la  France  de  s'entendre  avec  les  États  boërs  et 
de  contribuer,  par  son  appui,  à  la  conservation  de  l'équilibre 
politique  de  l'Afrique  australe.  Cet  intérêt  est  aussi  celui  du 
Portugal,  dont  toutes  les  sympathies  sont  allées  au  Transvaal 
dans  la  lutte  que  ce  pays  a  eu  à  soutenir  contre  l'ingérence 
anglaise. 

Dans  le  but  d'aider  le  Transvaal  dans  la  crise  économique 
traversée  par  l'industrie  minière  de  ce  pays,  et  afin  de  lui  pro- 
curer la  main  d' œuvre  nécessaire,  le  Portugal  a  consenti  à 
permettre  l'émigration  de  travailleurs  noirs  recrutés  sur  son 
territoire.  Dix  mille  noirs  étaient  déjà,  dès  le  mois  d'avril  1896, 
acheminés  sur  le  Witwatersrand,  et,  par  réciprocité,  le 
Transvaal  s'engageait  à  faire  respecter  par  les  compagnies 
anglaises  établies,  dans  le  pays  les  contrats  de  travail  passés 
par  elles  avec  les  indigènes. 

Lors  des  événements  de  1889,  qui  amenèrent  la  délimitation 
des  territoires  du  Mozambique,  les  Anglais  poussés  par  la 
Bristish  South  Africa  Company  (Chartered)  exigèrent  le  par- 
tage du  Manica  dont  ils  s'attribuèrent  la  plus  riche  partie. 

Ils  imposèrent  en  outre  au  Portugal  l'obligation  de  relier  le 
Manica  (qu'on  croit  être  le  pays  d'Ophir  des  anciens)  à  la  cote 
par  une  voie  ferrée  remontant  le  Pongoué.  Ce  chemin  de  fer  a 
été  poussé  deFontès-Villa,  en  amont  de  Beïra,  jusqu'à  Chimoio. 
Au  début  de  1896,  la  voie  atteignait  Umtali,  sur  le  territoire  an- 
glais, et  on  prévoyait  déjà,  étant  donné  l'activité  apportée  aux 
travaux,  qu'elle  arriverait  à  Salisbury  en  1897;  la  locomotive 
n'y  est  entrée  qu'en  mai  1898.  La  Chartered  possède  donc,  pour 
ses  territoires  delà  Rhodesia  (pays  des  Matabélés  et  de  Khama) 
un  débouché  assuré  vers  l'océan  Indien.  Cette  ligne  a  déjà  été 
empruntée,  pendant  l'année  1896,  pour  le  transportdes  renforts 
et  du  matériel  de  guerre  expédiés  sur  Buluwayo  à  l'occasion 


316  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

de  la  révolte  des  Matabélés.  Outre  cette  ligne  et  le  chemin  de 
fer  projeté  de  Salisbury  à  Blantyre  par  Tété,  sur  le  territoire 
portugais,  le  Mozambique  est  traversé  par  l'importante  ligne 
de  Lourenço-Marquès  à  Pretoria. 

Ce  chemin  de  fer  est  en  exploitation  depuis  le  commen- 
cement de  1895.  C'est,  en  raison  de  la  proximité  de  Pretoria,  la 
ligne  la  plus  favorablement  tracée  pour  desservir  le  Transvaal; 
mais  sa  construction  s'est  heurtée  au  mauvais  vouloir  des 
Anglais,  désireux  d'obliger  la  république  sud-africaine  à  faire 
ses  échanges  par  le  territoire  de  la  colonie  du  Cap. 

La  voie  fut  construits  par  deux  compagnies,  l'une  néerlan- 
daise (1)  sur  le  territoire  transvaalien,  l'autre  anglo-améri- 
caine en  territoire  portugais.  Cette  dernière  compagnie  étant 
tombée  entre  les  mains  des  Anglais,  la  défiance  des  Portugais, 
toujours  en  éveil  depuis  1891,  les  a  conduits  à  demander,  au 
sujet  de  difficultés  relatives  à  la  concession,  l'arbitrage  de  la 
Suisse.  On  annonce  que  la  sentence  arbitrale  va  être  rendue 
incessamment. 

Cette  voie  ferrée  a  coûté  107  millions,  soit  174.000  francs 
par  kilomètre.  Elle  franchit  de  très  fortes^  pentes,  et  dans 
quelques  sections  elle  possède  un  rail  central  à  crémaillère 
qui  lui  permet  de  gravir  des  rampes  de  5  centimètres. 

Afin  d'éviter  la  concurrence  désastreuse  que  cette  ligne  était 
en  mesure  de  faire  aux  chemins  de  fer  du  Cap,  l'Angleterre  a 
obligé  le  Transvaal  à  lui  imposer  des  tarifs  très  élevés. 
Malgré  cela  cette  voie  ferrée  transporte  le  cinquième  des  mar- 
chandises du  Transvaal  (2). 

Deux  embranchements  s'en  détachent  :  l'un  vers  les  mines 
de  Barberton,  l'autre  part  de  Komati,  vers  la  frontière  du 
Transvaal,  pour  aboutir  à  Leydsdorp.  Les  travaux  de  cette 


(1)  Celte  compagnie  a  un  capital  d'environ  175  millions  et  exploite  au  Transvaal 
un  réseau  d'un  millier  de  kilomètres. 

(2)  Dès  1895  la  valeur  des  marchandises  transportées  a  été  d'environ  un  million 
de  livres  sterling.  Les  recettes  de  la  ligne  ont  été  de  24.347  livres  sterling  en  1894, 
de  29.849  livres  sterling  en  1895  pendant  le  premier  semestre.  Pendant  le  deuxième 
semestre  1895,  les  recettes  ont  été  de  80.418  livres  sterling  et  les  dépenses  de 
46.728  livres  sterling. 


POSSESSIONS   PORTUGAISES  317 

,      a 

dernière  ligne,  qui  doit  avoir  350  kilomètres  de  long,  ont  été 
entrepris  par  la  Compagnie  franco-belge  et  commencés  en  no- 
vembre 1893. 

Les  points  extrêmes  des  deux  chemins  de  fer  qui  aboutis- 
sent à  la  côte  portugaise  sont  Lourenço-Marquès  et  Beïra. 

Ces  deux  ports  sont  en  train  de  prendre  le  plus  grand  déve- 
loppement. 

Lourenço-Marquès,  au  fond  de  la  magnifique  baie  de  De- 
lagoa,  n'a  malheureusement  pas  été  doté  de  moyens  suffisants 
pour  le  commerce  de  transit  qu'on  y  fait.  Malgré  l'établisse- 
ment tout  récent  d'une  jetée,  le  débarquement  des  marchan- 
dises est  insuffisamment  assuré,  et  beaucoup  de  navires  vont 
débarquer  à  Durban  ou  à  East-London ,  dans  la  colonie  du  Cap. 

Une  des  marchandises  principales  est  le  bois  destiné  aux 
mines  du  Transvaal,  qui  provient  des  États-Unis,  de  Norvège 
et  d'Australie.  * 

Les  importations,  en  1895,  ont  atteint  1.200.000  livres 
sterling  et  les  exportations  31.000  livres.  De  janvier  en  no- 
vembre 1895  les  recettes  de  la  douane  se  sont  élevées  à 
75.000  livres  sterling. 

Une  concurrence  a  été  créée  dans  ces  derniers  temps  à  la 
ligne  de  Lourenço-Marquès  à  Pretoria.  C'est  la  voie  ferrée  de 
Durban  à  Johannesburg,  qui  a  été  inaugurée  le  15  décembre 
1895,  et  qui  profite  des  avantages  que  le  port  de  Durban,  quoi- 
que médiocre,  s'efforce  d'offrir  au  débarquement  des  transports 
maritimes.  Bien  que  la  distance  de  Durban  à  Johannesburg 
(775  kilomètres)  soit  supérieure  à  celle  de  Lourenço-Marquès 
au  même  point  (634  kilomètres)  la  ligne  anglaise  à  tarifs 
réduits  peut  lutter  avantageusement  avec  la  ligne  portugaise. 

On  a  parlé  plus  haut  de  la  ligne  de  Béïra  à  Chimoio  qui  est 
prolongée  sur  Umtali  et  livrée  jusqu'à  Salisbury. 

Cette  ligne  est  destinée  à  faire  une  concurrence  redoutable 
aux  lignes  de  la  colonie  du  Cap.  De  Londres  à  Salisbury,  par 
Capetown,  il  faut  34  jours;  par  Beïra,  33  seulement.  Une  ligne 
de  jonction  a  été  nécessaire  pour  relier  Beïra  à  Fontès-Yjlla, 
tête  de  ligne  actuelle.  Cette  ligne  a  été  terminée  à  la  fin  de 
189G. 


318  L'AFRIQUE   POLITIQUE    EX    1900 

La  ville  de  Beïra  a  pris  dans  ces  dernières  années  un  déve- 
loppement considérable,  bien  que  les  Portugais  ne  fassent 
guère  d'efforts  pour  aménager  son  port. 

De  440  livres  sterling  en  1892,  le  transit  a  passé,  en  1895, 
à  143.000  livres  dont  les  neuf  dixièmes  pour  les  marchandises 
anglaises. 

Il  est  intéressant  de  constater  à  ce  propos  que  le  fret  d'Alle- 
magne à  Beïra  coûte  meilleur  marché  que  celui  d'Angleterre 
au  même  point. 

La  ligne  télégraphique  de  Beïra  à  Salisbury  est  livrée  depuis 
le  mois  d'octobre  1895,  et  la  Compagnie  de  Mozambique 
projette  un  chemin  de  fer  destiné  à  relier  Beïra  au  Zambèze 
et  au  Chiré. 

Après  ce  qui  vient  d'être  dit,  il  serait  injuste  de  reprocher 
au  Portugal,  dont  les*  ressources  sont  si  faibles,  de  n'avoir 
rien  fait  pour  sa  colonie.  Les  travaux  de  chemins  de  fer 
l'exploitation  des  mines  et  du  territoire,  l'aménagement  des 
ports  de  Beïra  et  de  Lourenço-Marquès,  tout  cela  aurait  été 
sans  doute  terminé  bien  plus  tôt  si  l'Angleterre  n'avait  mis 
trop  souvent  obstacle  à  la  marche  paisible  et  continue  des 
travaux  et  des  réformes  dans  la  colonie  portugaise.  Ses 
intérêts  exigent  que  les  territoires  au  sud  du  Zambèze  passent 
sous  sa  domination.  Le  rapide  développement  d'une  partie  de 
la  Rhodesia,  et,  plus  encore,  la  volonté  tous  les  jours  mieux 
affirmée  d'absorber  les  républiques  boërs,  commandent  aux 
Anglais  la  politique  d'impatience  et  de  mauvais  vouloir  qu'ils 
n'ont  cessé  de  suivre  à  l'égard  du  Portugal,  trop  gênant  pour 
eux  dans  cette  partie  de  l'Afrique. 

Si  les  Boërs  sont  coupés  de  la  mer,  ils  tombent  sous  la 
tutelle  économique  de  l'Angleterre  qui,  maîtresse  des  côtes, 
les  amènera  progressivement  à  l'absorption  politique.  Pour 
ce  résultat,  la  possession  de  Lourenço-Marquès  est  néces- 
saire, et  il  n'est  pas  de  sacrifices  trop  étendus  pour  y  par- 
venir. Après  avoir  essayé  d'un  partage,  on  a  proposé  une 
acquisition  amiable  par  voie  d'achat  ou  de  location. 

Les  derniers  bruits  répandus  tendent  maintenant  à  laisser 


POSSESSIONS   PORTUGAISES  319 

supposer  la  conclusion  d'un  accord  anglo-allemand  d'après 
lequel  on  offrirait  au  Portugal,  en  échange  du  Mozambique, 
une  compensation  territoriale  du  côté  de  Mossamédès;  tandis 
que  les  Allemands  prendraient  possession  des  territoires  au 
nord  du  Zambèze,  les  Anglais  s'adjugeraient  les  régions  au 
sud  du  fleuve. 

Il  semble  que,  dans  tout  cela,  on  tient  peu  de  compte  des 
intérêts  des  autres  peuples.  Si  l'Allemagne  a  paru  aban- 
donner les  Boërs  aux  Anglais,  après  les  avoir  soutenus, 
comme  on  se  le  rappelle,  on  a  vu  que  les  Boërs  ne  consen- 
tent guère  à  s'abandonner  eux-mêmes.  Quoi  qu'il  en  soit, 
le  moment  semble  venu  où  ces  questions  ne  peuvent  man- 
quer de  recevoir  une  solution  prochaine.  La  France  a  laissé 
ses  rivaux  se  partager  le  sultanat  de  Zanzibar.  Assistera- 
t-elle,  toujours  inactive  et  distraite,  au  partage  du  continent 
voisin  de  Madagascar  sans  réclamer  pour  les  intérêts  qu'elle 
possède  au  Transvaal  comme  au  Mozambique? 


320  l'afrique  politique  ex  1900 


Sud-Ouest  africain  allemand. 


On  entend  par  là  les  territoires  voisins  d'Angra-Pequena  et 
de  Walfish-bay  sur  lesquels  la  maison  Lûderitz,  de  Ham- 
bourg, avait,  bien  avant  1884,  établi  des  comptoirs.  Ce  sont 
les  pays  situés  entre  le  fleuve  Orange  et  le  Kunene,  délimités 
à  l'est  par  le  traité  de  Berlin  du  1er  juillet  1890,  et  placés  sous 
le  protectorat  allemand  par  déclaration  du  29  avril  1884. 

Ces  territoires  du  Damaraland  et  du  Namaqualand  n'ont 
pas  donné  jusqu'ici  aux  Allemands  les  avantages  qu'ils  se 
proposaient  d'en  retirer.  Sur  150  kilomètres  environ,  à  partir 
de  la  côte,  le  terrain  est  stérile,  et  se  relève  ensuite  en  un 
plateau  de  900  mètres  d'altitude  moyenne,  susceptible  d'être 
cultivé.  Les  missions  envoyées  dans  ce  pays  y  auraient,  dit-on, 
découvert  des  richesses  minières  importantes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  résultats  commerciaux  ont  été  mé- 
diocres et  Ion  n'a  guère  eu  à  se  louer  de  l'initiative  déployée 
dès  le  début.  Quant  à  la  prise  de  possession  du  pays,  elle  a 
été  entravée  par  de  nombreuses  révoltes  des  indigènes,  favo- 
risés peut-être  en  sous  main  par  la  colonie  du  Cap  qui,  bien 
qu'ayant  conservé  le  meilleur  mouillage  de  la  côte,  celui  de 
YYalfish-bay,  ne  peut  se  consoler  de  l'acquisition  faite  par 
l'Allemagne  de  ce  vaste  territoire. 

Au  commencement  de  1896  de  graves  désordres  se  produi- 
sirent dans  la  colonie.  Les  Hereros,  tribu  du  Damaraland. 
s' étant  révoltés,  le  gouverneur,  le  major  Leutwein,  qui  avait 
sous  ses  ordres  800  hommes  environ  de  troupes  indigènes 
encadrées  par  des  Européens,  jugea  ses  forces  insuffisantes  et 
demanda  des  renforts  en  Europe. 

Après  divers  engagements,  deux  combats  eurent  lieu,  les 
19  et  20  avril,  près  de  Siegfeld,  dans  lesquels  le  capitaine  von 
Estorff  battit  les  révoltés.  Le  6  mai,  le  major  Leutwein,  avec 
350  hommes.  3  pièces,  et  soutenu  par  un  parti  d'indigènes, 


SUD  OUEST   AFRICAIN    ALLEMAND  321 

infligea  aux  rebelles  une  nouvelle  défaite  sur  les  bords  de 
l'Epukiro  et  prit  la  place  forte  de  leur  chef  Kahimena.  Les 
Allemands  auraient  subi,  dans  ces  combats,  d'assez  fortes 
pertes,  parmi  lesquelles  il  faut  compter  deux  lieutenants  et 
deux  sous-officiers  tués. 

Après  ces  engagements,  la  révolte  put  être  considérée 
comme  terminée.  Quelques  rébellions  se  produisirent  encore 
dans  le  courant  de  1897,  notamment  au  mois  de  décembre, 
vers  le  nord  de  la  colonie,  Enfin,  au  commencement  de  1898, 
le  major  Mùller  réussit  à  battre  les  Hottentots  au  Grootberg, 
le  26  février.  Un  mois  après,  les  indigènes,  commandés  par  le 
chef  Hendrick  Witboï,  faisaient  leur  soumission. 

Malgré  la  vaste  étendue  de  leurs  possessions,  on  est  en 
droit  de  se  demander  si  les  sacrifices  faits  par  les  Allemands 
sont  en  proportion  des  bénéfices  qu'ils  en  retireront. 

Derniers  venus  au  partage  de  l'Afrique,  ils  se  sont  em- 
pressés de  mettre  la  main  sur  ces  pays  qui  étaient  encore 
res  nullius. 

Faut-il  voir  dans  ce  fait  une  prise  de  possession  définitive, 
ou  bien  l'intention,  une  fois  ce  territoire  conquis,  d'en  faire 
l'objet  d'un  échange  par  lequel  l'Angleterre,  désireuse  d'ar- 
rondir ses  possessions  du  Cap,  lui  céderait,  sur  un  autre 
point  du  globe,  un  pays  mieux  approprié  à  la  colonisation  ? 

Il  est  certain  que  les  arrangements  entre  Européens  n'ont 
pas  encore  pris  fin  de  ce  côté,  et  que  les  territoires  allemands, 
utiles  à  la  colonie  du  Cap  au  point  de  vue  des  débouchés  qu'ils 
procurent,  donneront  lieu  à  de  nouvelles  conventions,  quelle 
que  soit  l'issue  de  la  guerre  au  Transvaal. 

Si  les  bruits  que  l'on  a  rapportés  plus  haut  au  sujet  des 
colonies  portugaises  viennent  à  se  confirmer,  on  assistera,  de 
ce  côté  du  continent  africain,  dans  le  cas  de  la  victoire  des 
Anglais,  à  une  nouvelle  répartition  des  territoires  qui,  de 
toute  façon,  risquera  de  n'être  pas  avantageuse  pour  le  Por- 
tugal. 

On  s'est  déjà  inquiété  en  Allemagne,  en  dehors  des  sphères 

Afr.  polit.  21 


322  l'afrique  politique  en  1900 

officielles,  des  suites  de  la  guerre  du  Transvaal  en  ce  qui  con- 
cerne la  colonie  allemande. 

Au  mois  de  décembre  dernier,  la  Société  coloniale  alle- 
mande adressait  au  chancelier  de  l'Empire  un  mémoire  du 
duc  de  Mecklembourg,  son  président,  dans  lequel  se  trouve  le 
passage  suivant  : 

En  effet,  si,  dit  le  mémoire,  ce  sont  les  Anglais  qui  ont  le  dessus 
au  Transvaal,  il  ne  saurait  faire  doute  que,  suivant  leur  tradition, 
les  Boers  chercheront  une  nouvelle  patrie  et  émigreront  dans  les 
possessions  allemandes.  11  est  probable  qu'ils  consentiront  à  se 
soumettre  aux  obligations  du  service  militaire  allemand.  Il  faudra, 
dans  ce  cas,  avoir  des  cadres  militaires  suffisants  pour  les  recevoir, 
et  il  faudra  surtout  prendre  les  mesures  nécessaires  pour  que  l'or- 
dre ne  soit  pas  troublé  dans  la  colonie.  Si,  au  contraire,  ce  sont  les 
Boers  qui  ont  le  dessus,  il  ne  saurait  faire  de  doute  que  les  entre- 
prises britanniques  auront  immédiatement  les  colonies  allemandes 
pour  objectif  et  que  l'expansion  anglaise,  refoulée  du  côté  du 
Transvaal,  cherchera  à  se  répandre  du  côté  des  colonies  allemandes. 
Dans  un  cas  comme  dans  l'autre  il  importe  que  l'Allemagne  ait  des 
forces  suffisantes  pour  parer  à  toute  éventualité. 

En  attendant,  les  Allemands  paraissent  tenir  à  développer 
leur  colonie  et  à  encourager  l'immigration  des  colons  germa- 
niques, et  surtout  des  femmes.  Ils  donnent  leur  attention  aussi 
aux  travaux  publics.  Un  chemin  de  fer  a  été  entrepris  pour 
relier  le  port  de  Swap-Kopmund  à  Windhock  dansl'hinterland. 
Les  travaux  sont  poussés  avec  activité.  130  kilomètres  sont 
déjà  livrés,  et  cette  ligne,  qui  est  destinée  à  se  prolonger  plus 
tard  jusqu'aux  confins  de  la  Rhodesia,  permettra  de  drainer 
vers  la  côte  les  produits  d'une  des  meilleures  parties  de  la 
colonie.  Le  port  de  Swap-Kopmund,  en  voie  d'amélioration, 
fait  de  sérieux  progrès  et  verra  alors  son  importance  considé- 
rablement accrue  au  grand  détriment  du  territoire  anglais  de 
Walfish-bay,  situé  dans  son  voisinage  immédiat. 

Malgré  des  précédents  peu  encourageants,  les  Allemands 
se  mettent  donc  en  situation  de  profiter,  lentement  et  sans 
bruit,  dans  cette  partie  de  l'Afrique,  des  avantages  que 
l'avenir  pourra  leur  offrir.  Le  chemin  de  fer  dont  on  a  parlé  à 
propos  de  l'Angola,  partant  de  la  baie  des  Tigres  pour  aboutir 


SUD-OUEST  AFRICAIN   ALLEMAND  323 


au  Transvaal  en  traversant  le  territoire  allemand,  est  consi- 
déré comme  devant  fournir  un  des  plus  précieux  éléments  de 
prospérité  de  cette  région,  qui  va,  paraît-il,  recevoir,  au  prin- 
temps de  1900,  la  visite  d'une  mission  commerciale  chargée 
de  rechercher  et  de  faire  connaître  ses  ressources. 


324  l'afrique  politique  en  1000 


État  libre  d'Orange. 


Situation  générale.  —  Les  conventions  avec  la  République  sud-africaine. 


Les  événements  du  Transvaal  ont  profondément  remué  ce- 
petit  peuple  boer  de  l'État  libre  d'Orange,  qui  s'est  rapproché 
de  ses  frères  d'au  delà  du  Vaal  pour  défendre  son  indépen- 
dance. 

Son  rôle  est  difficile.  Entouré  de  tous  côtés  par  les  possessions 
anglaises,  desservi  par  les  ports  et  par  les  chemins  de  fer 
anglais,  il  se  trouve  sous  la  dépendance  économique  de  cette 
même  nation  qui  a  obligé  autrefois  ses  ancêtres  à  émigrer  de 
la  colonie  du  Gap  pour  chercher  plus  au  Nord  la  satisfaction  de 
leurs  sentiments  de  liberté. 

Il  trouve  heureusement  dans  la  colonie  du  Cap  elle-même 
un  appui  sérieux  auprès  «de  l'élément  boer,  des  Afrikanders, 
qui  rêveront  toujours  l'émancipation  de  la  tutelle  anglaise  et 
la  fondation  des  États-Unis  de  l'Afrique  australe.  Mais  cette 
solution,  qui  aurait  pour  effet  d'englober  le  Transvaal  et  l'État 
libre  d'Orange  dans  une  vaste  confédération,  ne  parait  pas, 
pour  le  moment,  exercer  une  grande  attraction  sur  ces  deux 
États,  qui  préfèrent  de  beaucoup  et  désirent  conserver,  à  tout 
prix,  leur  autonomie  actuelle. 

C'est  à  ce  sentiment  qu'il  faut  attribuer  le  rapprochement 
plus  intime  qui  s'est  effectué  entre  les  deux  républiques  sœurs 
dès  l'accomplissement  de  l'équipée  du  docteur  Jameson. 

Au  mois  de  février  1896,  M.  Steyn,  candidat  des  Boërs,  était 
élu  à  une  grande  majorité  président  de  l'État  libre  d'Orange. 
Lors  de  l'ouverture  de  la  session  de  l'Assemblée  législative  ou 
Volksraad  de  cet  État,  au  mois  d'avril,  le  nouveau  président 
prononça  un  discours  dans  lequel  il  annonçait  le  projet  de 
poser  les  bases  d'une  union  plus  étroite  avec  le  Transvaal.  Il 


ÉTAT    LIBRE    D'ORANGE  325 


faisait  connaître  aussi  que  toutes  les  mesures  avaient  été  prises 
pour  parer  à  une  invasion  de  l'État  libre  d'Orange,  et  deman- 
dait la  punition  des  aventuriers  coupables  de  l'envahissement 
•duTransvaal.  A  l'une  des  séances  de  cette  session  du  Volks- 
raad  étaient  venus  assister  le  docteur  Leyds,  secrétaire  d'État 
du  Transvaal,  et  le  généralJoubert,  commandant  des  forces  de 
cet  État.  Diverses  mesures  intéressant  les  deux  peuples  y  fu- 
rent discutées.  Telles  la  dénonciation  des  traités  avec  la 
Chartered  (British  South  Africa  Company);  le  refus  d'entrer 
en  pourparlers  avec  cette  compagnie  ;  le  vote  de  crédits  destinés 
à  l'achat  de  pièces  d'artillerie  et  de  munitions  diverses. 

Vers  le  milieu  du  mois  de  mars  1896,  M.  Krûger,  président 
de  la  République  du  Transvaal,  eut  à  Viljoensdrift  une  entrevue 
avec  M.  Steyn,  préludant  ainsi  à  l'entente  entre  les  deux  États 
par  une  entente  entre  les  deux  présidents.  Une  nouvelle  visite 
de  M.  Krûger  eut  lieu  à  Bloemfontein,  en  mars  1897.  Cette 
visite  a  été  rendue  à  Pretoria,  par  M.  Steyn,  au  mois  de  sep- 
tembre 1898.  C'est  au  cours  de  la  visite  faite  par  M.  Krûger  à 
Bloemfontein  que  furent  signées  les  conventions  établissant 
des  rapports  plus  étroits  entre  les  deux  républiques.  Ces  con- 
ventions constituent  un  véritable  traité  d'alliance  offensive  et 
défensive  suivi  d'un  protocole  accordant  les  droits  civiques 
aux  citoyens  des  deux  républiques  sur  le  territoire  de  la  répu- 
blique sœur,  et  d'un  accord  créant  un  conseil  de  dix  membres 
nommé  par  moitié  par  chaque  nation  et  chargé  de  discuter 
.toutes  les  questions  d'intérêt  commun. 

Voici  le  texte  de  ces  conventions  : 


La  République  sud-africaine  et  l'État  libre  d'Orange,  en  raison 
des  nombreux  liens  de  sang  et  d'amitié  qui  unissent  les  deux  peu- 
ples, et  pour  rendre  communs  les  intérêts  des  deux  pays  en  les 
unissant  plus  étroitement  par  un  traité,  désirent  créer  dans  ce  but 
une  union  fédérative  entre  les  deux  États.  Mais,  sachant  d'autre 
part  que  pareille  union  ne  peut  entrer  en  vigueur  et  se  réaliser 
qu'au  bout  de  quelques  années,  et  animés  néanmoins  du  désir  de 
formuler,  dès  maintenant,  l'expression  de  ce  désir  et  de  ce  sentiment 
qui  poussent  les  deux  pays  à  une  union  fédérative,  ils  sont,  en  at- 
tendant la  réalisation  de  cette  union,  convenus  de  ce  qui  suit  : 


326  l'afrique  politique  en  4900 


1°  Il  existera  une  paix  et  une  amitié  perpétuelles  entre  la  Répu- 
blique sud-africaine  et  l'État  libre  d'Orange  ; 

2°  La  République  sud-africaine  et  l'Etat  libre  d'Orange  s'engagent 
à  se  soutenir  mutuellement  de  toute  leur  force  disponible  et  par 
tous  les  moyens  possibles  dans  le  cas  où  l'indépendance  de  l'un 
d'eux  serait  menacée  ou  attaquée,  à  moins  que  l'État  qui  doit  four- 
nir le  soutien  ne  démontre  le  mal  fondé  de  la  cause  de  l'autre  État. 

Il  est  entendu  entre  les  gouvernements  des  deux  États  qu'il  est 
désirable  qu'ils  se  tiennent  aussi  promptement  que  possible  mu- 
tuellement au  courant  des  affaires  qui  pourraient  compromettre  la 
paix  et  l'indépendance  de  l'un  ou  des  deux  pays. 

Fait  et  signé  àBloemfontein,  ce  17  mars  1897. 

M.-T.  Steyx,  S.-J.-P.  Kruger, 

Président  d'État  de  l'État  libre  d'Orange.  Président  d'État 

de  la  République  sud-africaine. 


PROTOCOLE 

Lors  de  la  signature  du  traité  d'alliance  politique  ci-dessus  entre 
le  gouvernement  de  la  République  sud-africaine  et  l'État  libre 
d'Orange,  il  a  en  outre  été  convenu  ce  qui  suit  : 

1°  Les  droits,  privilèges  et  devoirs  des  officiers  et  citoyens  de 
l'État  qui  accorde  son  appui  à  l'autre,  ainsi  que  les  conditions  de 
l'approvisionnement  en  vivres,  munitions,  etc.,  seront  réglés  d'un 
commun  accord  entre  les  deux  gouvernements,  sous  la  réserve  de 
l'approbation  du  premier  Volksraad  de  la  République  sud-africaine 
et  du  Raad  de  l'État  libre  d'Orange  ; 

2°  Les  commissions  des  deux  États,  pénétrées  du  désir  de  favo- 
riser par  tous  les  moyens  la  réalisation  d'une  union  plus  intime 
entre  la  République  sud-africaine  et  l'État  libre  d'Orange,  prenant 
en  considération  que  les  citoyens  des  deux  États  par  l'alliance  poli- 
tique actuellement  existante  sont  déjà  tenus  de  se  prêter  un  mutuel 
appui  en  cas  de  danger,  et  considérant  par  suite  qu'il  est  désirable 
de  facilitera  leurs  citoyens  respectifs  l'obtention  des  droits  politi- 
ques dans  l'autre  pays,  s'engagent  à  proposer  à  leurs  gouverne- 
ments de  recommander  à  la  représentation  nationale  d'accorder 
dans  l'autre  pays  les  droits  civiques  dans  toute  leur  étendue  aux 
citoyens  des  deux  États  et  aux  descendants  légitimes  qui  jouissent 
dans  leur  pays  de  tous  les  droits  politiques,  le  tout  sur  la  présenta- 
tion d'un  certificat  délivré  par  les  autorités  compétentes  dû  pays 
qu'ils  quittent,  établissant  qu'ils  sont  fidèles  citoyens  jouissant  de 
tous  leurs  droits  politiques  dans  leur  pays  et  après  avoir  prêté  ser- 
ment de  fidélité  et  avoir  rempli  les  formalités,  satisfait  aux  dispo 


ÉTAT   LIRRE    D'ORANGE  327 


sitions  qui  seraient  arrêtées  par  la  suite  par  les  représentations 
nationales  respectives.  Sont  aussi  compris  dans  la  rubrique  de  des- 
cendants légitimes  les  descendants  légitimes  de  citoyens  des  deux 
pays  actuellement  décédés,  mais  qui  jouissaient  au  moment  de  leur 
décès  de  tous  les  droits  politiques  de  leur  pays  ; 

3°  Les  deux  commissions  s'engagent  à  recommander  à  leurs  gou- 
vernements respectifs  de  sou  mettre  à  l'approbation  du  premier  Vois- 
in raad  de  la  République  sud-africaine  et  au  Volksraad  de  l'État  libre 
d'Orange  un  projet  de  loi  tendant  à  l'institution  d'un  conseil  de 
délégués,  ainsi  qu'il  est  convenu  entre  les  parties. 

M.  T.  Steyn,  S.-J.-P.  Kriger, 

Président  d'État  de  l'État  libre  d'Orange.  Président  d'Étal 

de  la  République  sud-africaine. 

Bloemfontein,  ce  17  mars  1807. 

Cet  ensemble  de  conventions  a  eu  pour  résultat  d'instituer 
une  véritable  alliance  fédérale  entre  les  deux  républiques. 

Mal  accueilli  par  les  Anglais,  les  Afrikanders  du  Cap  virent 
au  contraire  dans  ce  traité  l'amorce  d'une  fédération  des  États 
de  l'Afrique  du  Sud.  à  laquelle  beaucoup  d'entre  eux  ne  ca- 
chent  pas  leur  sympathie. 

Survenant  au  moment  même  où  la  pression  de  l'Angleterre 
devenait  plus  forte,  où  des  menaces  de  guerre  étaient  proférées, 
où  des  forces  anglaises  de  terre  et  de  msr  étaient  expédiées 
dans  l'Afrique  australe,  ces  conventions  eurent  un  effet  salu- 
taire sur  l'esprit  des  Boërs  et  de  leurs  amis,  en  même  temps 
qu'ils  surexcitèrent  vivement  l'animosité  du  parti  anglais  de 
la  colonie  du  Cap  contre  le  parti  adverse  de  YÂfrikamder  Bond. 
Plus  récemment  encore,  au  début  de  1899,  une  conférence 
fédérale  était  tenue  entre  les  délégués  de  l'État  d'Orange  et  du 
Transwaal  à  la  suite  de  laquelle  les  propositions  suivantes 
étaient  formulées  : 

Établissement  d'une  organisation  combinée  d'enseignement  supé- 
rieur et  des  universités. 

Établissement  d'une  cour  d'appel  commune  pour  les  deux  pays. 

La  monnaie  transvaalienne  au  ni  cours  légal  dans  l'État  libre,  qui 
partagera  avec  le  Transvaal  le  droit  de  contrôle  de  la  frappe  moné- 
taire. 

Les  citoyens  de  chaque  Étal  jouiront  des  droits  de  citoyen  com- 
plets dans  les  deux  pays. 


328  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1930 


L'usage  de  la  langue  hollandaise  sera  maintenu  dans  les  deux 
États. 
Les  deux  États  auront  des  armements  semblables. 

Il  y  a,  comme  on  le  voit,  une  tendance  de  plus  en  plus  pro- 
noncée à  resserrer  les  liens  qui  unissent  les  deux  républiques. 

Tous  ces  faits  dénotaient  l'intention  arrêtée,  de  la  part  des 
deux  républiques,  d'unir  leurs  efforts  pour  résister  à  l'ennemi 
commun  qui  menace  leur  existence  même.  La  France,  tou- 
jours sympathique  aux  faibles,  a  vu  favorablement  ces  dispo- 
sitions, en  raison  de  l'intérêt  quelle  a  toujours  témoigné  à  ces 
deux  petits  États,  et  des  devoirs  que  lui  impose,  dans  cette 
partie  de  l'Afrique,  la  possession  de  Madagascar. 

La  crise  anglo-transvaalienne  a  mis  à  l'épreuve  les  dispo- 
sitions de  l'État  libre  d'Orange  à  l'égard  de  la  république 
sœur.  Sans  hésitation,  l'opinion  publique  de  l'État  libre  s'est 
prononcée,  suivie  par  le  gouvernement,  en  faveur  d'une 
alliance  effective. 

Dès  le  début  de  la  guerre,  les  Boers  de  l'État  libre,  se  souve- 
nant de  leurs  origines  et  soucieux  de  leur  avenir,  ont  apporté 
à  leurs  frères  le  vigoureux  appui  de  toutes  leurs  forces. 

On  sait  quelle  a  été  la  conséquence  de  leurs  efforts  et  les 
succès  auxquels  ils  ont  participé.  On  examinera  dans  le  cha- 
pitre suivant  le  développement  et  l'enchaînement  des  faits  qui 
ont  forcé  les  Boers  de  l'État  libre  d'Orange  à  sortir  de  leur 
réserve  traditionnelle. 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.  —   TRANSVAAL  320 


L'Afrique  australe  britannique  et  le  Transvaal. 


La  colonie  du  Cap  et  M.  Cecil  Rhodes.  —  La  Chartered.  —  Le  transvaal  et  les 
Uitlanders.  —  L'équipée  de  Jameson.  —  Historique  de  l'expédition.  —  Insur- 
rections indigènes  dans  l'Afrique  australe.  —  La  question  des  Hindous.  — 
Prospérité  du  Transvaal.  —  Les  chemins  de  fer,  les  mines,  etc.  —  Événements 
politiques  et  militaires  de  1897  à  1900. 


Les  événements  qui  se  sont  déroulés  dans  l'Afrique  australe, 
depuis  le  mois  de  novembre  1895,  ont  eu  pour  résultat  de  con- 
fondre intimement  l'histoire  politique  de  la  colonie  du  Cap, 
du  Transvaal  et  de  la  Compagnie  britannique  sud  africaine 
plus  ordinairement  appelée  «  la  Chartered  ». 

Ces  événements  nous  obligent  à  rappeler  brièvement  la 
situation  de  ces  régions  au  moment  où  s'est  préparée  et  exé- 
cutée, à  la  fin  de  décembre  1895,  l'invasion  du  Transvaal. 

La  colonie  du  Cap,  dont  la  politique  était  dirigée,  en  1895, 
par  M.  Cecil  Rhodes,  compte,  avec  ses  annexes,  environ 
500.000  Européens  ou  créoles,  dont  un  tiers  de  luthériens 
d'origine  anglaise,  les  deux  autres  tiers  d'origine  hollandaise 
ouboër  et  de  religion  calviniste  (1). 

C'est  dans  ce  dernier  élément  de  la  population  que  se  recru- 
taient en  majeure  partie  les  adhérents  de  l'Âfrikander  Bond 
(Union  des  Africains),  ligue  fondée  par  l'élément  hollandais 


(1)  Population  de  l'Afrique  Australe  : 

Population  Population 
blanche.  nègre. 

Colonie  du  Cap 430.000  1.600.000 

.Natal bO.000  530.000 

Hhodesia 10.000  1.000.000 

Transvaal 250.000  850.000 

Orange 80.000  200.000 

Totai 820.000  4.180.000 

Le  Basoutoland  renferme,  en  outre,  environ  250.000  individus,  et  le  Souaziland 
environ  70.000.  Soit  au  total  4  millions  et  demi  de  nègres. 


330  l'afrique  politique  en  1900 

contre  la  prépondérance  anglaise,  dans  le  but  de  créer  une 
vaste  confédération  sud-africaine  avec  la  coopération  du 
Transvaal  et  de  l'État  libre  d'Orange. 

Ces  deux  États  n'acceptaient  cependant  cette  idée  qu'avec 
une  certaine  méfiance,  bien  que  le  parti  des  jeunes  Boërs  se  soit 
récemment  formé,  au  Transvaal,  pour  pousser  à  la  réalisation 
de  ce  plan.  Mais  les  vieux  Doërs  continuent  la  résistance,  en 
exigeant  l'exclusion  de  l'élément  anglais  des  conseils  de  la 
future  confédération. 

Le  parti  anglais,  tout  en  repoussant  la  formule  des  Afrikan- 
ders  «  l'Afrique  aux  Africains!  »  accepte  d'ailleurs  cette  idée 
de  confédération  sud-africaine,  mais  sans  renoncer  à  la  supré- 
matie qu'il  exerce  en  raison  de  la  grande  majorité  qu'il  a  pos- 
sédée, jusqu'à  ces  derniers  temps,  dans  le  Parlement  du  Cap. 

M.  Cecil  Rhodes,  parvenu  au  rang  de  premier  ministre  du 
Cap,  après  avoir,  depuis  le  jour  où  il  abordait  dans  la  colonie, 
malade  et  peu  fortuné,  connu  les  alternatives  des  mauvais 
jours  et  d'une  éclatante  fortune  politique  (1),  avait,  eu  la 
suprême  habileté  d'inspirer  confiance  aux  Afrikanders  sans 
éveiller  la  susceptibilité  de  l'Angleterre.  Partageant  en  cela 
les  désirs  de  beaucoup  de  ses  compatriotes  anglais  devenus 
citoyens  du  Cap,  il  rêvait  de  voir  le  Transvaal  enrichir  le 
domaine  de  la  colonie,  mais  par  une  annexion  pure  et  simple 
et  non  par  la  création,  désirée  à  la  fois  par  une  fraction  du 
parti  anglais  et  les  Afrikanders,  d'une  grande  république  des 
Etats-Unis  de  l'Afrique  du  Sud. 

Cet  homme  d'État  dont  l'habileté  avait,  pour  certains,  paru 
toucher  au  génie,  et  qui  avait  été,  à  la  suite  de  ses  succès 


(1)  Fils  d'un  clergyinan,  M.  Cecil  Rhodes  fit  ses  études  à  Oxford,  et  vint  ensuite 
demander  au  climat  salubre  du  Cap  la  guérison  d'une  maladie  réputée  incurable. 
Là,  il  se  lança  dans  des  spéculations  qui  lui  donnèrent  une  immense  fortune,  en 
même  temps  qu'il  se  mêlait  activement  à  la  politique  de  la  colonie.  Tour  à  tour 
impérialiste  vis-à-vis  des  Anglais,  Afrikander  en  face  des  Boërs,  il  a  su  se  servir 
des  uns  et  des  autres  au  point  de  devenir  premier  ministre  et  d'occuper  le  poste 
le  plus  élevé  de  la  colonie. 

C'est  ainsi  qu'il  a  conservé  six  ans  le  pouvoir  avec  l'appui  de  M.  Hofmeyr,  le 
fondateur  de  Y  Afrikander  Bond,  tandis  qu'il  obtenait  à  Londres,  avec  la  coopéra- 
tion des  plus  hauts  personnages  anglais,  l'octroi  d'une  charte  qui  plaçait  sous 
son  entière  autorilé  au  sud  du  Zambèze  un  pays  plus  grand  que  la  France. 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  331 

continus,  surnommé  le  Napoléon  de  l'Afrique  du  Sud,  avait 
acquis  sur  ses  concitoyens  des  deux  partis,  anglais  et  boër, 
une  sorte  de  dictature  morale  qui  faisait  de  lui  l'arbitre 
reconnu,  même  par  le  gouvernement  anglais,  de  la  direction 
à  donner  à  la  politique  sud-africaine. 

C'est  que  l'Angleterre,  dans  la  crainte  de  voir  se  relâcher 
les  liens  qui  unissent  le  Cap  à  la  mère  patrie,  et  dans  son 
désir  d'éviter  les  conflits  d'intérêts  et  de  sauvegarder  l'unité 
de  l'empire,  se  rend  très  bien  compte  que  les  tendances  sépa- 
ratistes de  la  colonie  du  Cap  résultent  encore  moins  du  désir 
d'indépendance  ou  d'autonomie  cher  à  toute  société  organisée 
sur  des  bases  distinctes,  que  de  la  composition  même  de  cette 
race  nouvelle,  produite  par  la  fusion  de  deux  peuples,  et 
adaptée  à  un  sol  particulier  et  à  des  mœurs  spéciales. 

Les  colons  anglo-saxons  n'ont  pu,  en  effet,  résister  à  l'in- 
fluence du  milieu  et  à  la  transformation  qui  devait  fatalement 
s'opérer  en  eux  en  présence  du  nombre  des  Afrikanders  d'ori- 
gine hollandaise,  de  leur  rudesse  et  de  leur  ténacité  qui  les  a 
fait  comparer  à  nos  paysans  bretons  ou  normands. 

Tandis  que  le  plus  grand  nombre  fusionnait  avec  l'élément 
boër,  une  minorité  intransigeante  fondait  un  parti  anglo-afri- 
cain, espèce  de  ligue  des  patriotes  anglais  qui  voit,  dans  la 
politique  des  Boërs  et  dans  l'existence  des  républiques  sœurs, 
un  danger  pour  l'Angleterre,  et  qui  pousse  l'administration 
anglaise  a  ne  céder  sur  aucun  point  aux  exigences  de  l'élé- 
ment néerlandais. 

M.  Cecil  Rhodes  sut,  au  début,  se  tenir  à  égale  distance  de 
ces  deux  partis,  discerner,  lui  Anglais  devenu  citoyen  d'une 
nouvelle  patrie,  les  raisons  des  tendances  séparatistes  mani- 
festées dans  la  colonie,  et  trouver  le  moyen  de  subordonner  à 
son  ambition  personnelle  les  intérêts  généraux  de  la  colonie 
qu'il  administrait. 

C'est  ce  qui  lui  permit,  après  avoir  édifié  une  immense  for- 
tune dans  l'exploitation  des  mines  de  diamants  de  Kimberley, 
de  tirer  de  nouveau  parti  de  sa  situation  pour  fusionner  à  son 
profit  les  diverses  compagnies  minières  dont  la  concession 


332  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1000 

avait  été  accordée  aux  Anglais  dans  le  pays  des  Matabélés,  du 
Machona  et  de  Khama. 

La  Brilish  South  Africa  Company  Chartered,  fondée  par  lui. 
en  octobre  1889  (1),  sous  les  auspices  de  puissantes  person- 
nalités, commença  par  pousser  l'Angleterre  à  déposséder  les 
Portugais  des  territoires  de  jonction  de  leurs  colonies  de  l'An- 
gola et  du  Mozambique  ;  puis  elle  suscita  la  première  guerre 
des  Matabélés  et  provoqua  les  atrocités  qui  l'accompagnè- 
rent; elle  souleva  enfin  l'indignation  de  l'Afrique  australe  et 
de  l'Europe  par  sa  tentative  d'invasion  du  Transvaal. 

Ce  petit  État,  affamé  d'indépendance,  n'avait  pas  vu  sans 
crainte  et  sans  mélancolie  s'abattre  sur  son  territoire  la  nuée 
de  chercheurs  d'or  qui,  depuis  1885,  sont  venus  l'assaillir  de 
tous  les  points  du  monde.  Tandis  que  des  richesses  immenses 
sortaient  d'une  terre  d'abord  réservée  à  l'élevage  et  que  des 
villes  surgissaient  par  enchantement  au  milieu  des  fermiers 
boërs  étonnés,  les  étrangers  ou  Uitlanders  en  grande  majorité 
anglais,  attirés  sur  le  sol  de  la  république,  prenaient  con- 
science de  leur  force  numérique  et  réclamaient  au  Transvaal 
des  droits  de  citoyens. 

Une  telle  prétention,  admise  sans  contrôle,  eût  été  presque 
immédiatement,  en  raison  du  petit  nombre  des  Boërs,  le  signal 
de  l'annexion  à  l'Angleterre.  Sous  la  pression  des  événements, 
le  gouvernement  du  Transvaal  accorda  quelques  concessions 
qui  ne  furent  pas  jugées  suffisantes,  et,  dans  le  courant  de 
1895,  une  campagne  fut  entreprise  à  Johannesburg  pour  aug- 
menter l'agitation  et  pour  pousser  la  situation  à  l'état  aigu. 
Secrètement  soutenus  par  le  gouvernement  du  Cap  et  par 
M.  Cecil  Rhodes,  les  uitlanders  réclamèrent  l'augmentation  de 


(1)  Au  mois  de  juillet  1895,  les  administrateurs  de  la  Chartered  étaient  : 

Le  duc  d'Abercorn,  président;  le  duc  de  Fife,  vice-président; 

M.  Cecil  J.  Rhodes,  administrateur-directeur;  M.  Alfred  Beit,  M.  Horace 
Farquhar,  Lord  Gifford,  Comte  Grey,  M.  Georges  Cawston,  M.  Rochefort  Maguire, 
administrateurs. 

Le  conseil  d'administration  possédait,  au  6  juillet  1896,  la  vingtième  partie  des 
actions,  qui  étaient  alors  au  nombre  de  deux  millions,  détenues  par  14.781 
porteurs. 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  333 

leurs  droits  civiques,  la  suppression  des  monopoles  tels  que 
ceux  de  l'alcool  et  de  la  dynamite,  enfin  une  réduction  géné- 
rale des  tarifs  des  douanes  et  des  chemins  de  fer. 

Le  gouvernement  transvaalien  et  son  président  M.  Kriï- 
ger  (1)  se  montrèrent  assez  disposés  à  accorder  des  conces- 
sions, mais  ils  firent  dès  le  début  leurs  réserves  sur  l'oppor- 
tunité des  réformes  et  sur  la  nécessité  de  ne  les  effectuer 
qu'après  y  avoir  mûrement  réfléchi  et  en  les  entourant  des 
garanties  exigées  par  la  population  boër,  peu  disposée  à  se 
laisser  dépouiller  de  ses  droits  de  souveraineté  par  les  nou- 
veaux venus. 

Cette  hésitation  fut  prise  aussitôt  comme  prétexte  par  les 
uitlanders  et  par  le  parti  anglais  du  Cap  pour  proclamer  que 
les  Boërs  cherchaient  à  temporiser  pour  en  venir  finalement 
à  refuser  toute  réforme. 

Le  comité  dit  des  réformes,  déjà  organisé  à  Johannesburg, 
la  capitale  des  mines,  fit  aussitôt  appel  aux  ennemis  du  Trans- 
vaal,  au  Cap  comme  en  Angleterre. 

L'appel  n'avait  pas  besoin  d'être  formulé  bien  haut  pour 
recevoir  une  réponse. 

Telle  était  la  situation  vers  le  milieu  de  1895.  Les  mines 
d'or  du  Transvaal,  prônées  partout  avec  exagération,  avaient 
amené  la  formation  d'une  foule  de  compagnies  dont  certaines 
ne  possédaient  pas  môme  un  hectare  de  terrain  dans  le  Wit- 


(I)  Stephanus-.Iohanes-Paulus  Krûger  est  né  le  10  octobre  182a.  11  est  Président 
depuis  1882,  et  jouit  d'une  très  grande  influence  sur  les  Boërs.  Il  est  simple  et 
sans  prétentions,  religieux,  tenace  et  résolu.  C'est  un  intrépide  cavalier  qui  a  été 
deux  fois  marié;  il  a  eu  un  seul  enfant  de  son  premier  mariage,  et  seize  enfants 
du  second. 

Le  Président  exerce  le  pouvoir,  secondé  par  un  conseil  exécutif  composé  de  sept 
membres  :  un  vice-président;  un  commandant  général,  le  général  Joubert;  un 
secrétaire  d'État,  le  docteur  Leyds;  un  sous-secrétaire  d'État,  et  les  trois  mi- 
nistres des  mines,  des  télégraphes  et  des  postes. 

Le  corps  législatif  ne  comprenait  qu'un  seul  Volksraad  avant  1890;  sur  les 
réclamations  des  uitlanders,  on  lui  adjoignit,  en  1890,  le  second  Volksraad.  Celui- 
ci  présente  des  motions  que  le  premier  Volksraad  adopte  ou  repousse. 

Le  1er  Volksraad  comprend  ±\  membres,  bourgeois  d'avant  1890,  protestants, 
âgés  de  30  ans  et  propriétaires  de  terres. 

Le  2"  Volksraad  comprend  aussi  21  membres  qui  doivent  être  protestants,  rési- 
der et  posséder  au  Transvaal. 


334  l'afriqle  politique  en  1000 

watersrand.  Les  titres,  émis  souvent  au-dessus  du  pair,  avaient 
pu,  grâce  aune  réclame  effrénée,  être  placés  en  Angleterre,  en 
France  et  en  Allemagne  à  des  cours  hors  de  proportion  avec 
leur  valeur  réelle.  Et  la  hausse  continuait  toujours,  menée 
par  des  syndicats  de  financiers  qui  avaient  pour  seul  but  de 
passer  au  public  des  titres  dont  l'unique  valeur  était  quel- 
quefois faite  d'espérance. 

Au  nombre  de  ces  valeurs  étaient  les  actions  de  la  British 
South  Africa  Company,  la  Gharteredqui,  avant  même  que  l'ex- 
ploitation de  ses  territoires  fût  commencée,  se  trouvait  cotée  à 
des  prix  dont  les  brusques  variations  dénotaient  toute  l'exagé- 
ration. Mais  le  public  savait  que  le  directeur  de  la  Compagnie 
était  M.  Cecil  Rhodes,  dont  on  connaissait  l'énergie  et  le  scepti- 
cisme, et  les  journaux  financiers  ne  se  faisaient  pas  faute  de  pro- 
clamer que  de  puissants  personnages  soutenaient,  à  Londres, 
le  premier  ministre  du  Cap  et  tenaient  en  échec  les  décisions 
mêmes  du  gouvernement  britannique.  Une  baisse  considéra- 
ble succédant  à  une  hausse  continue  allait  fournir  aux  spécu- 
lateurs l'occasion  attendue  de  réaliser  d'énormes  bénéfices. 

Telles  furent,  en  réalité,  les  causes  de  la  conspiration  qui 
aboutit  à  l'invasion  du  Transvaal.  Les  aspirations  des  uitlan- 
ders,  les  intérêts  mêmes  de  l'Angleterre,  la  tranquillité  des 
Boërs,  la  paix  du  monde,  toutes  ces  raisons  furent  d'un  faible 
poids  en  regard  du  coup  de  Bourse  désiré,  qui  devait,  à  lafois, 
enrichir  les  spéculateurs  anglais  aux  dépens  des  porteurs  du 
continent,  donner  un  plus  grand  élan  à  la  spéculation  sur  la 
Chartered,  et  faire  entrer,  de  gré  ou  de  force,  le  Transvaal, 
avec  ses  mines,  au  nombre  des  territoires  soumis  à  l'exploi- 
tation de  la  British  South  Africa  Company. 

L'affaire  fut  d'ailleurs  fort  bien  conduite.  Elle  aurait  abouti 
si  l'on  s'était  attaqué  à  un  peuple  autre  que  les  Boërs,  nation 
simple,  saine,  croyante  et  courageuse. 

Les  uitlanders  promettaient  leur  appui.  Des  armes  et  des 
munitions  depuis  longtemps  expédiées  à  Johannesburg  étaient 
gardées  en  dépôt  dans  certaines  mines,  des  enrôlements 
étaient  conclus,  et  le  président  de  l'Union  nationale  de  Johan- 
nesburg se  faisait  fort  de  recruter  10.000  hommes  parmi  les 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  331) 

Anglais  du  Transvaal  et  d'entraîner  les  Américains  et  les 
Allemands.  En  même  temps,  les  forces  de  police  de  la  Char- 
tered  étaient  mobilisées.  Des  dépôts  de  vivres  et  de  munitions 
étaient  mystérieusement  échelonnés  sur  le  chemin  de  Johan- 
nesburg, et  le  chef  de  la  cavalerie  rhodésienne  (1),  lieutenant- 
colonel  de  l'armée  anglaise,  désigné  pour  commander,  sous  la 
direction  du  docteur  Jameson,  l'expédition  en  préparation,  se 
faisait  lui-même  agent  recruteur  et  donnait  les  derniers  ordres 
pour  les  préparatifs  (2). 


(1)  Force  de  police  destinée  à  la  garde  de  la  Rhodésia  c'est-à-dire  des  pays 
administrés  par  la  Chartered  sous  la  direction  de  M.  Cecil  Rhodes. 

(2)  Voici,  d'après  une  dépèche  de  Pretoria  publiée  par  le  Temps,  le  résumé  des 
documents  tombés,  après  la  défaite  de  Jameson,  entre  les  mains  des  Boërs  du 
Transvaal  : 

«  Au  nombre  des  documents  compromettants  pour  la  Compagnie  à  charte,  et 
tombés  entre  les  mains  du  gouvernement  transvaalien,  figurent  en  première  ligne 
une  série  d'instructions  adressées  le  9  décembre  1895  par  sir  John  Willoughby  aux 
fonctionnaires  de  cette  compagnie  à  Fort-Salisbury  et  à  Boulouwayo,  en  prévi- 
sion de  tout  événement.  Cet  officier,  lieutenant-colonel  des  horse  guards,  comman- 
dait la  cavalerie  rhodésienne;  il  fut  le  chef  militaire  de  la  colonne  Jameson.  Dans 
une  lettre  adressée  à  YActing  administrator  de  Fort-Salisbury,  il  mande  à  ce 
fonctionnaire  que.  s'il  lui  télégraphie  le  mot  «  Salisbury  »,  cela  signifiera  qu'il 
faut  mobiliser  les  escadrons  de  la  cavalerie  rhodésienne  du  Machonaland  et  du 
Malabéléland:  s'il  télégraphie  le  mot  «  Boulouwayo  »,  c'est  qu'on  aura  besoin 
seulement  de  ceux  du  Matabéléland. 

»  Les  capitaines  Napier  et  Spreckly  reçoivent  pleins  pouvoirs  pour  prendre 
toutes  les  dispositions  nécessaires;  au  second,  Willoughby  mande  que,  s'il  lui  télé- 
graphie le  mot  «  Salukwe  »,  il  faudra  faire  télégraphier  par  l'agence  Reuteret  les 
autres  agences  que  la  cavalerie  rhodésienne  est  en  marche  et  se  dirige  vers  le 
Sud.  Willoughby  prévient,  de  plus,  les  commissaires  civils  à  Boulouwayo  et  à 
Fort-Salisbury  que  les  hommes  de  la  cavalerie  rhodésienne  qui  voudraient  pren- 
dre part  à  une  expédition  vers  le  Sud,  sur  l'appel  de  Jameson,  doivent  signer  un 
contrat  devant  le  juge  territorial  de  la  Rhodésia  nommé  Vincent,  qu'une  solde 
extraordinaire  leur  sera  payée  par  Jameson  et  qu'ils  peuvent  compter  sur  1.125 
francs  pour  trois  mois  de  service,. tous  leurs  frais  étant  payés  et  leur  retour  gra- 
tuit assuré  s'ils  l'exigent. 

»  Plusieurs  cartes  de  la  région  de  Pretoria,  tracées  sur  le  papier  officiel  de  la 
Compagnie,  ont  été  trouvées;  une  d'elles  a  été  faite  en  novembre  par  le  major 
White;  une  autre  indique  la  route  à  suivre  pour  aller  à  Pretoria  de  l'endroit 
ainsi  désigné  :  «  Irène  Estatc  out  store  »,  par  une  autre  voie  que  le  chemin 
de  fer. 

»  Le  gouvernement  du  Transvaal  possède  aussi  des  télégrammes  adressés  de 
Mafeking  au  docteur  Jameson  pendant  le  séjour  que  lit  celui-ci  à  Johannesburg  en 
novembre.  Il  existe  une  dépêche  adressée  de  Mafeking  par  le  major  White  à  la 
Chartered  à  Capelown  pour  annoncer  l'arrivée  de  selles.  De  Mafeking  encore, 
Jameson  télégraphie  le  4  décembre  à  M.  (îardner  Williams,  administrateur  de  la 
Compagnie  de  Beers,  à  Kimberley,  pour  lui  demander  cent  caisses  de  cartouches; 
le  10  décembre,  Jameson  télégraphie  à  Stevens,  secrétaire  adjoint  de  la  Compa- 
gnie du  Cap,  de  prévenir  Cecil  Rhodes  que  M.  Newton,  fonctionnaire  impérial, 


336  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

La  concentration  des  forces  anglaises  se  fit  à  Mafeking,  à 
l'extrême  frontière  transvaalienne.  Ces  forces  comprenaient 
600  à  700  hommes  avec  8  canons  Maxim,  2  pièces  de  7  et  une 
de  12. 

M.  Cecil  Rhodes  était  tenu  au  courant  de  tous  les  préparatifs, 
et  les  frais  de  l'expédition,  couverts  en  principe  par  la  Char- 
tered,  donnaient  lieu  à  des  souscriptions  considérables  de  la 
part  des  principales  mines  du  Witwatersrand. 

Ainsi  qu'il  arrive  pour  tous  les  complots,  les  organisateurs, 
arrivés  aux  termes  de  leurs  préparatifs,  après  avoir  fixé  au 
mois  d'avril  ou  de  mai  l'invasion  projetée,  furent  poussés 
malgré  eux  par  les  circonstances.  La  crainte  de  voir  leurs 
plans  divulgués  (1),  jointe  à  la  hâte  que  l'on  avait  à  Londres, 
où  tout  était  connu  des  spéculateurs  intéressés  à  l'affaire,  de 
voir  entamer  les  opérations,  fit  décider  la  marche  bien  avant 
la  date  primitivement  fixée.  Une  dépêche  du  Times  pressant 
les  organisateurs  de  commencer  l'attaque  fut  le  signal  déter- 
minant. 

Le  29  décembre,  un  télégramme  de  M.  Cecil  Rhodes  arriva 
à  Mafeking  ordonnant  de  marcher  immédiatement  sur  Johan- 
nesburg. La  nouvelle  de  la  marche  arriva  presque  aussitôt  à 
Pretoria,  où  l'on  commençait  à  s'inquiéter  des  mouvements  de 


veut  l'accompagner  à  Johannesburg,  et  que  la  durée  de  la  marche  est  évaluée  à 
soixante  heures. 

»  Le  10  novembre  1895,  Stevens  écrit  sur  papier  oŒ::cl  de  la  Compagnie  au 
major  White,  à  Mafeking,  de  prendre  livraison  de  trois  maxims  et  de  230.000  car- 
touches et  de  les  garder  jusqu'à  l'arrivée  de  Jameson.  Stevens  prévient  de  même 
White  de  l'envoi  d'une  centaine  d'hommes  des  «  Duke  Edimbourg  »  ou  fusiliers 
volontaires  du  Cap. 

»  Enfin,  plusieurs  documents  portent  le  cachet  de  la  colonie  impériale  du  Bet- 
chuanaland,  dont  le  secrétaire  et  receveur  général,  M.  Newton,  est  nommé 
dans  ceux  que  je  viens  de  citer.  » 

(1)  Extrait  du  carnet  trouvé  après  le  combat  de  Krûgersdorp  sur  le  major 
White  : 

«  L'expédition  a  reçu  la  coopération  des  riches  capitalistes  Phillips,  Farrar, 
Bailey,  etc.;  tous  les  arrangements  sont  entre  les  mains  de  Cecil  Rhodes 

»  Lettre  reçue  du  colonel  Rhodes  (frère  de  Cecil  Rhodes)  dit  que  l'argent  peut  être 
tiré  sur  la  Compagnie  du  Sud  africain  ou  sur  Cecil  Rhodes 

«  20  décembre.  —  Reçu  dépèche  du  colonel  Rhodes  disant  qu'il  enverra  un  télé- 
gramme chilîré  quand  il  faudra  se  mettre  en  marche.  Répondu  que  nous  ne  re- 
cevrons d'ordres  que  de  Cecil  Rhodes.  » 


AFRIQUE    AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  337 

troupes  sur  la  frontière  ainsi  que  de  l'agitation  à  Johannes- 
burg. Malgré  la  rapidité  de  la  marche  de  Jameson,  qui  fut 
rejoint  à  peu  de  distanc3  de  M  ifeking  par  une  colonne  partie 
de  Pitsani,  les  Boërs  purent  réunir,  sous  les  ordres  du  général 
Joubert,  900  hommes  devant  les  flibustiers  anglais,  tandis 
que,  qu3lqu35  jours  après,  les  forces  transvaalienn3S  s'éle- 
v.èrent  autour  de  Johannesburg  à  plus  de  12.000  hommes. 

On  connaît  l'épilogue  de  la  marche  de  Jameson.  Gomme  à 
Majuba,  le  tir  des  Boërs  eut  les  honneurs  des  journées  des 
31  décembre  1895  et  1er  janviar  1896.  Jameson,  après  avoir 
perdu,  dit-on,  130  tués  et  de  nombreux  blessés,  n'ayant  reçu 
de  Johannesburg  aucun  des  secours  promis  par  les  uitlanders, 
se  rendit  avec  ses  troupes  aux  Boërs,  dont  les  pertes  furent 
insignifiantes  (1). 


(1)  Voici  d'après  la  Deutsche  Wochenzeitung  d'Amsterdam  le  récit  de  la  bataille 
de  Krûgersdorp  : 

«  Le  29  décembre,  écrit-on  à  ce  journal,  lorsque  arriva  à  Pretoria  la  nouvelle 
de  la  marcbe  en  avant  de  Jameson,  des  Hollandais  ou  des  Allemands  se  réunirent 
aussitôt  pour  constituer  un  corps  de  volontaires.  Cent  cinquante  Allemands  furent 
autorisés  officiellement  à  réquisitionner  des  chevaux,  et  ils  formèrent  un  esca- 
dron avec  Neumann  pour  chef  et  MM.  Krantz  et  Wogel  pour  lieutenants,  qui. 
avec  l'aide  des  Hollandais,  se  chargea  d'assurer  l'ordre  à  Pretoria  et  dans  les 
environs  de  la  capitale. 

))  Le  lendemain,  1er  janvier,  dès  l'aube,  on  vit  arriver  une  colonne  de  Boërs,  au 
nombre  de  quelques  centaines,  commandés  par  le  feldcornet  Frichard.  Ils  avaient 
fourni  une  course  de  dix  heures  sur  leurs  petits  chevaux  nerveux,  sans  quitter 
la  selle.  Quels  gaillards  que  ces  Boërs!  Parmi  eux  se  trouvaient  des  vieillards  de 
70  ans  qui  avaient  tenu  à  maatrer  à  leurs  fils  comment  on  ne  fuit  jamais.  L'un 
d'eux  avait  oublié  sa  veste  :  «  Je  n'ai  eu  que  le  temps,  disait-il,  de  mettre  les 
))  mains  sur  rnm  gilet  et  mes  culottes  et  de  réciter  un  Pater  avec  ma  femme  el 
i  mes  enfants.  »  Hans  Botha,  qui,  en  1881,  avait  reçu  neuf  balles  anglaises  dans 
le  corps,  faisait  aussi  partie  de  cette  troupe,  et  il  expliquait  sa  présence  à  Joubert 
en  lui  disant  gaiement  :  «  J'ai  encore  place  entre  les  cicatrices  pour  une  balle  ou 
»  deux,  i) 

»  La  colonne,  après  un  court  instant  de  repos,  galopa  vers  Krûgersdorp,  où  se 
trouvaient  réunis  en  tout  900  Boërs.  300  d'entre  eux  surveillaient  les  derrières  de 
Jameson,  tandis  que  les  autres  l'attiraient  vers  le  défilé  de  Krûgersdorp. 

»  Le  '.il  décembre,  vers  t  heures  de  l'après-midi,  la  colonne  de  Jameson  ren- 
contra les  premières  patrouilles  des  Boërs,  mais  elle  continua  tranquillement  sa 
marche  jusqu'au  défilé  de  Krûgersdorp.  Là,  il  eut  été  facile  de  l'anéantir  avec  un 
seul  canon,  mais  l'artillerie  de  Joubert  n'était  pas  encore  arrivée. 

»  A  4  heures  précises,  le  premier  coup  de  feu  partit  de  la  troupe  de  Jameson 
contre  des  Boërs  qui  s'étaient  postés  derrière  des  rochers.  Une  fusillade  nourrie 
éclata,  et  le  premier  Boër  blessé  fut  précisément  Botha,  l'homme  aux  neuf  balles, 
qui,  ne  perdant  pas  son  sang-froid,  s'écriait  :  «  Maintenant,  au  moins,  c'est  un  chiffre 
rond  !  » 

»  La  première  attaque  de  Jameson  échoua  et  lui  coûta  plusieurs  cavaliers.  Il 
Afr.  polit.  22 


3.38  L'AFRIQUE    POLITIQUE    EN    1900 

Ces  événements  provoquèrent  en  Europe  une  émotion  con- 
sidérable, qui  fut  encore  augmentée  par  l'envoi  au  président 
Krûger  d'un  télégramme  dans  lequel  l'empereur  d'Allemagne 
félicitait  les  Boërs  d'avoir  pu,  sans  avoir  besoin  du  concours 
des  puissances  amies,  protéger  leur  territoire  et  infliger  à  leurs 
envahisseurs  une  retentissante  défaite. 

L'émoi  ne  fut  pas  moins  grand  en  Angleterre,  où  la  presse 
se  divisa  immédiatement  en  deux  partis.  A  la  tête  de  l'un 
d'eux,  le  Times  et  nombre  de  journaux  de  Londres  essayèrent 
de  justifier  la  conduite  de  Jameson,  cachant  bien  soigneuse- 
ment le  rôle  joué  par  M.  Cecil  Rhodes,  de  reprocher  aux  Boërs 
leur  manque  de  civilisation  et  de  couvrir  d'injures  l'Allema- 
gne et  son  empereur,  qui  venait  prendre  parti  dans  une 
querelle  intéressant  seulement  l'Angleterre.  Les  journaux 
allemands  répondirent  vigoureusement,  et  l'on  put  craindre 
un  moment,  en  voyant  les  Anglais  constituer  une  escadre 
volante  considérable,  la  rupture  des  relations  entre  les  deux 
pays. 

Par  contre,  un  courant  opposé  se  formait  en  Angleterre 
même,  dans  la  presse  provinciale,  soutenue  par  certains  jour- 
naux de  Londres,  tels  que  le  Truth. 

Des  explications  nombreuses  furent  demandées  au  gouver- 
nement par  les  membres  du  Parlement,  et  M.  Chamberlain, 
ministre  des  colonies,  aidé  par  M.  Curzon,  après  avoir  désa- 


revint  aussitôt  à  la  charge,  mais  le  tir  précis  des  Boërs  flt  de  tels  ravages  dans  sa 
troupe  que  ce  fut  bientôt  un  sauve-qui  peut  général.  Les  Boërs  entreprirent  aus- 
sitôt la  poursuite  des  fuyards  et  firent  de  nombreux  prisonniers. 

»  Cependant,  l'obscurité  survint,  et  Jameson  résolut  de  se  diriger  vers  Johan- 
nesburg, d'où  des  bandes  armées  s'avançaient  à  son  secours;  mais  il  rencontra  la 
troupe  des  Boers  commandée  par  Frichard,  venant  de  Pretoria,  qui  l'arrêta,  tandis 
que  Malan,  avec  environ  300  Boërs,  refoulait  la  colonne  qui  venait  de  Johannes- 
burg pour  se  joindre  à  Jameson. 

))  Le  Ie'  janvier  dans  la  matinée,  la  bataille  recommença.  Tout  à  coup  arriva 
l'artillerie  boër  avec  le  commandant  Prétorius.  Elle  se  mit  en  batterie  à  800  mè- 
tres des  flibustiers  de  Jameson,  et  elle  se  disposait  à  faire  feu  quand  elle  vit  arbo- 
rer un  drapeau  blanc,  qui  n'était  autre  qu'une  chemise  de  Jameson  lui-même. 

»  C'était  le  dernier  acte  de  la  tragédie. 

»  Le  2  août,  Jameson,  prisonnier,  faisait  son  entrée  à  Pretoria  dans  une  voiture 
fermée  attelée  de  quatre  chevaux.  Brisé  et  comme  en  proie  à  un  songe,  il  descendit 
de  voiture  pour  entrer  dans  la  prison,  clôturant  ainsi  dignement  sa  vie  d'aven- 
turier. » 


AFRIQUE  AUSTRALE   RRITANN1QUE.    —   TRAXSVAAL  339 

voué  Jameson  au  grand  scandale  de  la  presse  chauvine,  fut 
obligé,  quelque  temps  après,  et  poussé,  a-t-on  dit,  par  de  hautes 
influences,  d'atténuer  la  faute  commise  et  d'essayer  de  justi- 
fier en  partie  l'acte  de  flibusterie  qui  soulevait  l'indignation 
de  l'Europe. 

A  Pretoria,  au  contraire,  le  président  Krùger  faisait  preuve 
de  la  plus  haute  magnanimité.  Affectant  de  ne  voir  dans  les 
flibustiers  anglais  que  des  instruments  inconscients,  il  les  fit 
mettre  presque  aussitôt  en  liberté  provisoire.  Jameson  et  ses 
compagnons,  parmi  lesquels  quatorze  officiers  anglais,  furent 
bientôt  reconduits  à  la  frontière  de  Natal  avec  la  promesse  de 
la  part  de  l'Angleterre  de  les  traduire  en  jugement. 

Mais,  se  montrant,  par  contre,  justement  sévère  pour  les 
instigateurs  du  mouvement,  qu'il  avait  sous  la  main,  il 
ordonna  l'arrestation  de  quatre  des  principaux  financiers  ou 
directeurs  de  mines  (1)  qui  étaient  les  plus  compromis  par 
les  papiers  trouvés  sur  Jameson  et  son  entourage.  Il  en  fut 
de  même  de  ceux  des  uitlanders,  au  nombre  d'une  soixan- 
taine, qui  avaient  pris  les  armes  et  s'étaient  le  plus  com- 
promis pour  porter  secours  à  Jameson. 

Celui-ci,  embarqué  pour  l'Angleterre,  où  il  arriva  vers  la 
fin  de  février  1896,  fut  l'objet,  à  Londres,  d'ovations  enthou- 
siastes. Traduit  en  jugement  avec  ses  complices,  il  fut  mis  en 
liberté  sous  caution  en  attendant  sa  comparution  devant  le 
jury,  qui,  de  renvoi  en  renvoi,  ne  se  produisit  qu'à  la  fin  de 
juillet  1896.  La  condamnation  qui  le  frappa,  quinze  mois  de 
prison  sans  travail  forcé,  fut  diversement  appréciée  et  consti- 
tua une  satisfaction  à  peine  suffisante  pour  la  conscience  pu- 
blique (2). 

A  Pretoria,  les  choses  traînèrent  moins  en  longueur.  Malgré 
les  clameurs  de  la  presse  anglaise,  malgré  la  concentration  de 
troupes  britanniques  ordonnée  sur  les  frontières  du  Trans- 


(1)  MM.  Lionel  Phillips,  Percy  Farrar,  Hays  Hammond  et  le  colonel  Rhodes, 
frère  de  Cecil  Rhodes. 

(2)  Ses  complices  furent  condamnés  aux  peines  suivantes  :  le  colonel  YVilloughby, 
10  mois  de  prison;  le  major  White,  7  mois;  le  colonel  Raleigh  Grey,  le  major 
Coventry  et  le  colonel  White,  chacun  '.'>  mois. 


340  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1000 

vaal  pour  maîtriser  la  révolte  des  Matabélés,  les  chefs  réfor- 
mistes, arrêtés  dès  le  commencement  de  janvier,  étaient 
conduits  à  Pretoria  et  laissés  dans  une  demi-liberté.  Une  in- 
struction sévère  fit  découvrir  les  motifs  et  les  influences 
qui  avaient  fait  agir  les  envahisseurs.  Les  quatre  principaux 
accusés,  ayant  reconnu  leur  culpabilité,  furent  condamnés  à 
mort  le  28  avril,  et  des  peines  sévères  frappèrent  leurs  soixante 
complices.  Mais  la  clémence  du  président  Krùger  vint  encore 
s'exercer  en  leur  faveur,  et  celui-ci  répondit  par  un  nouvel 
acte  de  magnanimité  aux  récriminations  de  la  presse  anglaise. 
Les  quatre  principaux  condamnés  furent  mis  en  liberté  sous 
la  condition  de  payer  chacun  une  amende  proportionnée  à 
leur  fortune  et  de  ne  plus  s'occuper  de  politique  au  Transvaal. 
Il  en  fut  de  même  des  autres  réformistes,  qui  n'eurent  à  subir 
qu'une  amende  ou  une  courte  détention. 

Le  principal  coupable  restait  impuni.  M.  Cecil  Rhodes,  après 
avoir  donné  dès  les  premiers  jours  de  janvier  sa  démission  de 
premier  ministre  du  Cap,  partait  pour  l'Angleterre,  où  ses 
explications  ne  parurent  pas  suffisantes  au  gouvernement, 
mais  où  sa  situation  réussit  encore  à  imposer.  Après  quel- 
ques journées  de  séjour  à  Londres,  il  repartit  brusquement 
pour  le  Cap,  recruta  en  passant  200  Soudanais  en  Egypte  et 
vint  débarquer  à  Beïra,  d'où,  à  la  fin  de  mars,  il  gagna  Salis- 
bury  dans  le  territoire  de  la  Compagnie  Sud  africaine.  Il  avait 
à  peine  mis  le  pied  en  Afrique  qu'une  révolte  éclatait  parmi 
les  Matabélés,  autour  de  Boulouwayo,  capitale  de  la  Rhodésia. 

On  attribua  aussitôt  en  Europe  la  cause  de  la  révolte  à 
quelque  machination  nouvelle  de  M.  Cecil  Rhodes,  et  les  ras- 
semblements de  troupes  ordonnés  pour  écraser  la  révolte 
parurent  dirigés  beaucoup  plus  contre  le  Transvaal  que  contre 
les  Matabélés. 

Mais  les  Boërs  n'avaient  besoin  d'aucun  avertissement  pour 
se  tenir  sur  leurs  gardes  (1).  Soutenus  par  leurs  frères  du 


(1)  Voici,  d'après  une  correspondance  du  Temps  (avril  1895),  un  résumé  des  pré- 
cautions prises  au  Transvaal  dès  le  lendemain  de  l'invasion  : 

«  L'attentat  de  Jameson  a  provoqué  plusieurs  mesures  militaires  au  Transvaal. 
Le  corps  d'artillerie,  qui  ne  se  composait  jusqu'à  présent  que  de  120  hommes, 


AFRIQUE  AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  341 

Cap  et  de  l'Etat  libre  d'Orange,  ils  pouvaient,  grâce  à  leur 
énergie  et  aux  mesures  prises,  attendre  avec  confiance  les 
événements. 

* 
*  * 

L'insurrection  des  Matabélès  commença  au  milieu  du  mois 
de  mars  1896,  vers  le  moment  où  M.  Cecil  Rhodes  débarquait 
à  Beïra,  de  retour  d'Angleterre. 

Les  causes  apparentes,  énumérées  par  le  révérend  Helm, 
missionnaire  au  Matabéléland  depuis  vingt  ans,  furent  : 

1°  La  décision  de  la  Compagnie  Sud  africaine  de  s'emparer 
des  troupeaux  des  indigènes,  puis  de  se  contenter  de  45  p.  100 
de  tout  ce  qui  restait  de  leurs  troupeaux; 

2°  Les  mauvais  traitements  subis  par  les  noirs; 

3°  Le  retour  de  Mabelé,  frère  de  Lo  Bengula,  qui  avait  été 
banni  du  pays; 

4°  La  nouvelle  de  l'invasion  du  Transvaal. 

La  révolte  prit  naissance  dans  les  monts  Matoppo,  par  le 
massacre  de  plusieurs  blancs,  dont  les  survivants  se  réfugièrent 
à  Gouëlo  et  Boulouwayo,  qui  furent  aussitôt  bloqués.  Les  loca- 
lités du  pays  s'organisèrent  en  toute  hâte;  les  blancs  furent 


doit  être  porté  à  430.  et  des  commandes  importantes  en  canons  ont  été  faites  au 
Creusot  et  à  l'usine  Krûpp.  Le  nombre  des  volontaires  à  cheval  et  à  pied  se  double 
en  ce  moment,  et  les  forces  de  police  atteignent  déjà  1.200  hommes  pour  toute  la 
République. 

»  Des  travaux  de  fortifications  mettront  en  outre  le  Transvaal  à  l'abri  d'un 
nouveau  coup  de  main  et  lui  permettront  de  se  défendre  en  attendant  la  mobi- 
lisation, relativement  lente,  des  forces  boërs,  qu'on  évalue  à  25.000  hommes.  Ces 
préparatifs  militaires  irritent  au  plus  haut  point  les  impérialistes  anglais,  qui  ne 
se  gênent  guère  pour  proclamer  que.  le  Transvaal  devant  à  tout  prix  devenir  une 
possession  anglaise,  il  est  indispensable  d'agir  avant  que  le  pays  soit  en  mesure 
d'opposer  une  résistance  redoutable. 

»  Ce  langage  ne  parait  pas  trop  émouvoir  les  Boërs.... 

»  En  attendant,  ils  ne  paraissent  pas  partager  le  malaise  inquiet  qui  règne  en 
général  parmi  les  uitlanders;  leur  dernière  victoire  leur  a  donné  pleine  confiance 
en  eux-mêmes.  On  raconte  même  à  ce  sujet  une  curieuse  anecdote.  Après  la  red- 
dition de  Jameson  et  de  ses  hommes,  deux  jeunes  Boërs,  le  martini  au  poing, 
discutaient,  sur  la  grand'place  de  Pretoria,  sur  les  couleurs  du  drapeau  anglais, 
sans  arriver  à  se  mettre  d'accord.  Passe  un  ancien  :  ils  l'arrêtent  et  lui  soumettent 
l'objet  de  la  discussion  :  «  .Mes  enfants,  leur  dit  le  vieux  Burgher,  je  ne  crois  pas  que 
))  le  drapeau  anglais  ait  plusieurs  couleurs.  Je  l'ai  vu  à  trois  reprises,  à  Bronkhorst- 
»  Spruit,  à  Majuba-hill  et  enfin  à  Vlokfonteiu,  et  chaque  fois  il  était  blanc!  » 


342  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

armés  pour  remplacer  les  troupes  de  police  indigènes,  environ 
600  hommes,  qui  avaient  déserté  en  masse  pour  passer  à  l'en- 
nemi avec  leurs  armes;  Boulouwayo  fournit  immédiatement 
400  volontaires,  qui  entamèrent  la  campagne  avec  150  hom- 
mes envoyés  de  Fort-Salisbury. 

La  situation,  fort  exagérée  dès  le  début  par  la  presse  de 
Londres,  servit  de  prétexte  à  l'envoi,  du  Cap  et  d'Angleterre, 
de  troupes  qui  furent  concentrées  sur  la  frontière  du  Trans- 
vaal,  et  tenues  prêtes  à  agir  soit  contre  les  noirs,  soit  contre  les 
Boërs.  Le  roi  Khama  prêta  ainsi  son  concours,  tandis  que  les 
Machonas,  autrefois  les  esclaves  des  Matabélés,  se  joignaient 
à  eux,  et  que  le  présidant  Krûger,  dans  l'intérêt  supérieur  de 
la  civilisation,  offrait  aux  Anglais,  qui  d'ailleurs  refusèrent  ses 
avances,  d'autoriser  le  recrutement  de  volontaires  boërs  au 
Transvaal. 

Dès  le  4  avril,  la  rébellion  s'aggravait;  on  constatait  déjà 
le  massacre  de  200  blancs,  et  on  était  sans  nouvelles  de 
250  colons;  le  télégraphe  était  coupé  au  nord  et  au  sud  de 
Boulouwayo,  et  M.  Cecil  Bhodes,  revenu  d'Angleterre  à  Sa- 
lisbury,  n'osait  quitter  cette  dernière  localité.  Pendant  ce 
temps,  la  peste  bovine  éclatait  dans  la  Rhodésia  et  venait 
ajouter  aux  difficultés  de  la  situation. 

Au  Cap,  le  haut  commissaire  anglais,  sir  Hercules  Robin- 
son,  autorisa,  dès  le  commencement  d'avril,  le  colonel  Plumer 
à  lever  500  hommes  et  à  les  concentrer  à  Mafeking;  puis, 
après  avis  du  commandant  des  troupes  du  Cap,  le  colonel 
Goodenough,  il  recruta  250  Bassoutos  et  proposa  l'envoi  de 
300  hussards  et  de  150  hommes  d'infanterie  montée  de  Natal 
avec  7  canons  Maxim. 

Pendant  ce  temps,  l'insurrection  s'étendait  jusqu'à  com- 
prendre environ  10.000  insurgés,  dont  2.000  armés  de  fusils 
modernes,  dans  les  monts  Matoppo.  Mais  leur  action,  toute 
locale  et  sans  coordination,  redoutait  de  s'exercer  contre  les 
colonnes  anglaises  et  contre  les  voies  de  communication,  car 
les  nouvelles  ainsi  que  les  renforts  arrivaient  à  Boulouwayo 
sans  difficulté. 

Le  25  avril,  un  bataillon  anglais  (650  hommes)  s'embarquait 


AFRIQUE  AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  313 

d'Angleterre  pour  le  Cap  avec  une  compagnie  d'infanterie 
montée,  et  sir  Frédéric  Carrington,  major  général,  alors  à 
Gibraltar,  était  désigné  pour  exercer  le  commandement  en 
chef  contre  les  Matabélés;  mais  il  restait  subordonné  au  major 
général  sir  Richard  Martin,  commandant  militaire  permanent 
des  territoires  situés  au  sud  du  Zambèze. 

Le  24  avril  eut  lieu  un  combat  à  15  kilomètres  de  Boulou- 
wayo.  Un  fort  parti  de  Matabélés  fut  dispersé  par  700  hommes, 
arrivés  de  Mafeking  avec  le  colonel  Plumer. 

A  ce  moment  (mai  1896),  on  avait  réuni  à  Boulouwayo  3.200 
hommes  et  25  canons.  Environ  1.600  hommes  avaient  été  tirés 
delà  Rhodésia,  900  envoyés  de  Mafeking,  et  600  de  Salisbury, 
accompagnés  par  M.  Cecil  Rhodes,  qui  arriva  à  Boulouwayo 
le  30  mai.  Là,  il  trouva  lord  Grey,  récemment  nommé  son 
adjoint,  d'autres  ont  dit  son  surveillant,  dans  l'administration 
de  la  Rhodésia. 

A  peine  arrivé,  il  fit  connaître  ses  intentions  par  un  discours 
dans  lequel  il  revendiqua,  vis-à-vis  des  colonies  voisines,  l'au- 
tonomie de  la  Rhodésia  et  où  il  agita  contre  l'Angleterre  le 
spectre  des  États-Unis  de  l'Afrique  australe,  en  demandant 
une  alliance  défensive  avec  le  Cap. 

Quant  aux  Matabélés,  poursuivis  par  de  nombreuses  co- 
lonnes et  mal  dirigés,  ils  furent  traqués  et  massacrés  sans 
pitié  de  toutes  parts.  Sir  Frederick  Carrington  commença,  en 
juin,  les  opérations  par  une  offensive  vigoureuse. 

Le  6  juin,  il  dégage  Boulouwayo  par  un  combat  près  de  la 
rivière  Umgusa,  puis  se  porte  vers  les  monts  Matoppo  et 
enlève  plusieurs  camps  des  rebelles. 

Il  change  ensuite  de  tactique.  Manquant  de  vivres  et  de 
moyens  de  transport,  il  investit  les  révoltés  par  une  ligne  de 
forts,  d'où  il  les  inquiète  par  d'incessantes  reconnaissances. 
Enfin,  il  attaque,  en  août,  les  derniers  camps  des  rebelles, 
sur  lesquels  le  colonel  Plumer  remporte,  le  5  août,  un 
succès  décisif  à  Sikombo.  A  ce  moment,  les  révoltés,  épuisés 
par  la  lutte,  écoutent  les  propositions  de  paix  qui  leur  sont 
faites  par  Cecil  Rhodes,  espérant  éviter  ainsi  une  répression 
impitoyable. 


344  L' AFRIQUE    POLITIQUE    EN    1900 

Les  tueries  ordonnées  par  certains  officiers  anglais  finirent 
par  scandaliser  l'opinion  publique,  bien  que  M.  Chamberlain, 
ministre  des  colonies,  eût  déclaré  qu'elles  étaient  motivées 
par  la  nécessité  d'en  finir  au  plus  tôt  avec  la  rébellion.  C'est 
au  nom  de  la  même  nécessité  que  s'effectua  la  concentration 
continuelle  des"  troupes  à  Mafeking,  malgré  les  assurances 
données  aux  Boërs,  et  l'envoi,  le  15  juin,  du  Cap  à  Beïra,  à 
destination  de  Salisbury,  d'un  fort  détachement  d'infanterie 
montée. 

Il  est  insupportable,  disait  la  Gazette  de  Voss  dès  le  9  mai,  de 
parler  encore  de  la  politique  coloniale  de  la  Grande-Bretagne,  qui 
est  fondée  tout  entière  sur  des  tromperies  et  des  mensonges;  nous 
nous  bornerons  donc  à  celte  seule  remarque  :  nous  ne  croyons  plus 
que  la  révolte  des  Matabélés  ait  été  aussi  sérieuse  qu'on  la  repré- 
sentait. Toutes  les  dépèches  ont  été  fabriquées  par  la  Compagnie, 
sans  quoi  lord  Grey  n'eût  pu  gagner  si  facilement  Boulouwayo. 
L'importance  de  celte  insurrection  locale  a  été  exagérée  pour  que 
des  troupes  britanniques  pussent  être  amenées  sous  ce  prélexle  sur 
la  frontière  du  Transvaal. 

Il  est  certain  qu'au  début  la  presse  anglaise  avait  exagéré 
l'importance  de  l'insurrection;  mais  la  longueur  des  opé- 
rations entreprises  et,  vers  le  milieu  de  juin,  la  participation 
à  la  rébellion  des  Machonas,  puis  des  Ghazes,  vinrent  démon- 
trer que  le  mouvement  avait  pris  d'assez  sérieuses  pro- 
portions. Cependant,  en  présence  des  efforts  faits  de  toutes 
parts  (1),  de  la  rigueur  de  la  répression,  et  des  renforts  conti- 
nuellement envoyés,  on  ne  pouvait  plus  douter,  dès  le  mois 
d'août,  de  l'écrasement  de  l'insurrection. 


(1)  On  télégraphiait  de  Suez  aux  journaux  égyptiens  du  12  juin  : 
«  Hier,  ont  été  embarqués  ici,  à  bord  d'un  paquebot  allemand,  pour  le  compte 
de  M.  Cecil  Rhodes,  24  ânes  égyptiens  de  la  grande  race  blanche.  Ces  animaux, 
dont  l'expédition  a  été  faite  par  la  maison  Large  et  C'%  du  Caire,  seront  débar- 
qués à  Beïra  pour  rejoindre  ensuite  les  200  soldats  soudanais  dont  je  vous  signa- 
lais le  départ  clandestin  il  y  a  quelques  mois.  Il  est  à  noter  que  l'exportation  des 
baudets  de  la  race  blanche  dite  «  du  Hedjaz  »  est  défendue  en  Egypte.  Néanmoins, 
l'expédition  d'hier  sera  suivie  de  plusieurs  autres.  » 

C'est  là  un  fait  secondaire  qui  montre  une  fois  de  plus  que  les  Anglais,  lorsque 
leur  parti  est  pris,  ne  négligent  aucun  moyen  capable  d'assurer  le  succès. 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  345 

Les  négociations  entamées  avec  les  chefs  indigènes,  après  le 
combat  de  Sikombo  et  la  petite  expédition  du  major  Ridley 
sur  la  rivière  Gouaï,  se  poursuivirent  sans  succès  jusqu'à  la 
fin  d'août. 

Mais,  lorsqu'on  vit  les  chefs  rebelles  refuser  de  rendre  leurs 
armes  et  faire  des  approvisionnements  de  vivres,  il  fallut  se 
rendre  à  l'évidence  et  recommencer  la  campagne.  Elle  eut 
encore  pour  principal  théâtre  les  monts  Matoppo;  après  deux 
mois  de  résistance,  qui  furent  marqués,  en  septembre,  par  de 
petites  opérations  dans  la  forêt  de  Somabula,  entre  les  rivières 
Glewo  et  Schangani,  au  nord  de  Boulouwayo,  par  l'épisode  des 
cavernes  de  Limbalotza  et,  en  octobre,  par  la  prise  du  kraal 
de  Wedza,  à  l'est  de  la  capitale,  les  rebelles  firent  en  partie 
leur  soumission.  Au  commencement  de  1897,  le  pays  était 
pacifié  à  peu  près  complètement  ;  la  campagne  avait  duré 
huit  mois. 

On  y  avait  employé  plus  de  5.000  Anglais  et  autant  d'auxi- 
liaires indigènes.  Outre  les  colons  massacrés,  elle  coûta  aux 
Anglais  environ  130  tués  et  170  blessés.  Quant  aux  Matabélés, 
on  a  évalué  à  40.000  le  nombre  de  ceux  qui  survécurent 
sur  les  120X00  que  comptait  leur  peuple  avant  cette  guerre 
d'extermination. 

* 

*  * 

Cette  insurrection  eut  une  rapide  et  profonde  répercussion 
sur  les  populations  indigènes  de  l'Afrique  australe.  Les  Ma- 
chonas,  peuple  énergique,  voisin  des  Matabélés,  avaient  suivi 
leur  exemple  dès  le  mois  de  juin  et  bloqué  Salisbury.  Cette 
révolte,  qui  donna  de  graves  soucis  au  gouvernement  local, 
ne  s'apaisa  que  vers  la  fin  de  1896,  par  la  soumission  d'une 
partie  des  chefs  rebelles  et  par  la  fuite  de  certains  d'entre  eux 
sur  le  territoire  portugais. 

Au  moment  où  ces  révoltes  étaient  réprimées,  une  autre 
rébellion  éclatait,  en  décembre  1896,  dans  le  district  des  Taungs. 
sur  le  territoire  de  la  colonie  du  Cap,  entre  le  Griqualand  et  le 
TransvaaI.  Un  millier  d'indigènes,  conduits  par  le  chef  Gali- 


346  L 'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

choué,  attaquèrent  les  forces  de  police  et  tuèrent  quelques 
Anglais.  La  rébellion  fut  attribuée  par  les  Anglais  aux  agisse- 
ments des  Boërs,  qui  durent  eux-mêmes,  pour  protéger  leur 
territoire  contre  les  révoltés,  concentrer  quelques  troupes  sur 
leur  frontière.  Des  renforts  ayant  été  expédiés  contre  les 
insurgés,  ceux-ci  se  retirèrent  dans  les  montagnes,  où  ils 
subsistèrent  quelques  mois.  La  capture  de  leur  chef  termina 
la  révolte  et  fit  cesser  toute  inquiétude  dans  cette  région. 

Au  nord  du  Zambùze,  entre  le  fleuve  et  le  Nyassa,  sur  la 
rive  droite  du  Chiré,  les  Agonis  s'insurgeaient  également  à  la 
fin  de  1896  (octobre)  et,  sous  la  conduite  de  leurs  chefs,  atta- 
quèrent les  villages  et  les  missions  le  long  du  haut  Chiré.  Les 
Anglais  dirigèrent  contre  eux  500  hommes,  Sikhs  du  Pendjab 
et  indigènes,  et  invitèrent  les  Portugais  à  coopérer  avec  eux. 
les  territoires  révoltés  étant  coupés  par  la  frontière  anglo- 
portugaise.  Ces  forces  mirent  rapidement  fin  à  l'insurrection, 
qui  se  termina,  au  mois  de  décembre,  par  la  capture  et  l'exé- 
cution de  son  chef. 

Mais  la  révolte,  insuffisamment  réprimée,  reprit  au  mois 
de  mai  1898.  Les  Agonis,  au  nombre  de  7.000  hommes  armés 
de  fusils,  se  soulevèrent  dans  la  région  des  monts  Domboué, 
où  ils  furent  attaqués  par  100  Anglais  et  100  Sikhs  envoyés 
de  Zomba  et  accompagnés  d'auxiliaires  indigènes. 

Après  des  alternatives  diverses,  il  fallut,  en  1899,  organiser 
une  expédition  mixte,  les  forces  anglaises  coopérant  avec  une 
troupe  portugaise.  Au  mois  d'août  dernier  les  Portugais  fai- 
saient leur  jonction  avec  les  Anglais  et  les  forces  réunies 
s'apprêtaient  à  attaquer  le  principal  chef  indigène. 

De  ce  côté  la  colonisation  fait  de  rapides  progrès.  Le  mou- 
vement de  la  navigation  augmente  considérablement  sur  le 
Chiré.  Le  commerce  s'est  élevé,  pour  l'année  finissant  le 
31  mars  1899,  à  100.000  livres  aux. importations  et  40.000  aux 
exportations. 

Afin  de  venir  à  bout  des  rébellions  indigènes  on  dût  consti- 
tuer deux  bataillons  indigènes  de  800  hommes,  commandés 
par  des  cadres  sikhs  et  anglais. 

Dans  son  rapport  de  1899,  le  commissaire  du  protectorat 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  347 

de  l'Afrique  centrale  signalait  l'arrivée  du  télégraphe  trans- 
africain à  l'extrémité  sud  du  Tanganyika.  Les  Belges  s'occu- 
paient aussi,  tout  dernièrement,  de  relier  le  Tanganyika  à  la 
ligne  télégraphique  de  Borna  à  Kwamouth. 

Tels  sont  les  quelques  faits  qui  se  sont  produits  ces  der- 
niers temps  dans  ces  régions.  De  son  côté,  le  Transvaal  a  eu 
à  lutter  contre  deux  chefs  indigènes  qui  l'ont  obligé,  dans 
le  courant  da  1898,  à  deux  petites  expéditions. 

Par  une  convention  anglo-transvaalienne  du  10  décembre 
1894,  le  Souaziland  a  été  placé  sous  la  protection  du  Transvaal, 
et  celui-ci  s'est  engagé  à  y  maintenir  et  à  y  assurer  la  justice. 
Ubunu,  roi  du  pays,  s'étant  rendu  coupable  de  plusieurs 
crimes  et  ayant  refusé  de  comparaître  devant  une  cour  de 
justice,  1.300  Boërs,  avec  deux  canons,  furent  dirigés  sur  Bre- 
mersdorp,  capitale  du  pays,  au  mois  de  juin  1898.  Bien  qu'il 
disposât  de  20.000  guerriers,  Ubunu  n'osa  pas  faire  de  résis- 
tance et  s'enfuit  au  Zoulouland,  en  territoire  britannique.  Dès 
le  milieu  de  juillet,  les  Boërs  commençaient  à  rentrer  au 
Transvaal,  et  la  question  de  l'extradition  d'Ubunu  donnait  lieu, 
entre  l'Angleterre  et  le  Transvaal,  à  une  nouvelle  convention 
réglant  les  droits  de  justice  de  ce  dernier  pays  dans  le 
Souaziland. 

Le  district  du  Zoutpansberg  fut  le  théâtre,  au  mois  d'oc- 
tobre 1898,  d'une  révolte  dirigée  par  Mpéfou,  chef  des  Magatos. 
Des  contingents  boërs  durent  être  levés  et,  sous  le  comman- 
dement du  général  Joubert,  furent  dirigés  vers  le  Zout- 
pansberg. Ils  furent  attaqués,  à  la  fin  d'octobre,  parles  rebelles, 
qui  ne  furent  repoussés  dans  leurs  montagnes  qu'après  un 
sérieux  combat.  Un  premier  plan  de  campagne,  qui  consistait 
à  entourer  d'un  cercle  de  postes  le  pays  des  Magatos,  fut  mo- 
difié, et,  grâce  à  l'arrivée  des  renforts,  on  se  décida  à  attaquer 
Mpéfou  dans  sa  forteresse.  Le  16  novembre  1898,  celle-ci  était 
prise  après  un  vif  combat  précédé  d'un  bombardement  par 
l'artillerie  boër.  Peu  de  temps  après,  la  rébellion  était  définiti- 
vement terminée.  Mpéfou,  abandonné  par  ses  partisans,  les 
uns  capturés  par  les  Boërs,  les  autres  fugitifs  dans  la  Rho- 
désia,  traversa  lui-même,  au  mois  de  décembre,  la  frontière 


348  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

transvaalienne  et  se  rendit  aux  autorités  anglaises,  qui  l'inter- 
nèrent à  Boulouwayo. 

*  * 

Pendant  qu'au  Matabéléland  Cecil  Rhodes  essayait,  tout  en 
détournant  l'attention  de  l'Europe  et  du  Transvaal,  de  réprimer 
la  révolte  des  noirs  et  d'organiser  l'exploitation  de  la  Rho- 
désia,  le  cabinet  anglais  hésitait  toujours,  malgré  les  demandes 
réitérées  de  la  presse  européenne  et  du  gouvernement  du 
Transvaal,  à  prendre  des  mesures  judiciaires  à  l'égard  de 
l'ancien  premier  ministre  du  Cap.  Soit  par  crainte  des  consé- 
quences de  l'arrestation  de  Cecil  Rhodes  et  de  l'opinion  du 
parti  anglais  au  Cap,  soit  à  cause  des  influences  mises  au 
service  de  ce  personnage,  on  continuait  à  laisser  totalement 
impunies  les  atteintes  au  droit  des  gens  révélées  par  la  publi- 
cation des  documents  possédés  par  le  gouvernement  du 
Transvaal.  Alors  que  Jameson  était  poursuivi  comme  exécu- 
teur de  l'invasion  d'un  État  ami,  l'instigateur  et  l'organisateur 
du  mouvement  conservait  son  titre  de  conseiller  privé  de  la 
reine  et  restait  le  directeur  de  la  Compagnie  à  charte. 

Cette  hésitation  du  gouvernement  anglais  à  sévir  contre  la 
Compagnie  et  contre  certains  de  ses  administrateurs  finit 
par  lasser  la  patience  du  gouvernement  transvaalien.  Le 
secrétaire  d'État  du  Transvaal,  le  docteur  Leyds,  adressa, 
au  milieu  du  mois  de  juin,  deux  importantes  et  instantes 
dépêches  au  gouvernement  du  Cap,  pour  demander  que 
l'Angleterre  se  décidât  à  faire  la  lumière  et  la  justice.  Ces 
dépêches,  aussi  modérées  dans  la  forme  que  fermes  dans  le 
fond  (1),  venant  après  les  nombreuses  leçons  de  magnanimité 


(1)  Voici  le  texte  de  ces  documents  diplomatiques,  adressés  par  le  docteur  Leyds, 
secrétaire  d'Etat  au  Transvaal,  au  gouvernement  du  Cap  : 

N°  1.  «'  J'ai  l'honneur  de  mander  à  Votre  Excellence,  pour  l'information  du 
gouvernement  britannique,  qu'en  se  plaçant  au  point  de  vue  de  la  prospérité  et 
de  la  paix  de  l'Afrique  australe,  le  gouvernement  transvaalien  doit  exprimer  sa 
conviction  que  les  preuves  en  la  possession  et  à  la  disposition  du  gouvernement 
britannique  justifient  complètement  et  nécessitent  la  mise  en  accusation  de 
MM.  Cecil  Rhodes,  Alfred  Beït  et  Rutherfort  Harris,  comme  cela  a  déjà  été  fait 


AFRIQUE   AUSTRALE    BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  349 

et  d'habileté  diplomatique  données  par  le  président  Krûger, 
mirent  le  comble  à  l'exaspération  de  la  presse  anglaise,  qui 
s'empressa  de  voir  dans  cet  acte  une  tentative  faite  par 
1* Allemagne  pour  pousser  les  Boërs  contre  l'Angleterre.  L'en- 
voi de  ces  dépêches  finit  cependant  par  produire  l'effet  désiré 
de  toutes  parts,  et,  le  24  juin,  la  démission  de  M.  Gecil  Rhodes 
de  ses  fonctions  d'administrateur  de  la  Chartered  était  un 
fait  accompli. 

Mais  ce  n'était  là  qu'une  mesure  temporaire.  L'homme 
indispensable  ne  devait  pas  tarder  à  reprendre  ses  titres  et 
ses  fonctions,  et  à  s'imposer,  comme  par  le  passé,  aux  popu- 
lations de  l'Afrique  australe. 

L'opinion  anglaise  était  cependant  loin  d'être  unanime  à 
admirer  les  hauts  faits  du  parti  anglais  de  la  colonie  du  Cap. 
Sous  la  pression  des  membres  de  l'opposition,  la  Chambre  des 
communes  fut  contrainte  de  nommer  une  commission  d'en- 
quête de  quinze  membres  chargée  de  faire  la  lumière  sur  les 
faits  qui  précédèrent  l'invasion  de  Jameson.  Cette  commission, 
qui  se  réunit  pour  la  première  fois  le  16  août  1896,  poursuivit 
son  enquête  jusqu'au  mois  de  juillet  1897.  Elle  cita  devant 


pour  le  docteur  Jameson  et  ses  complices.  Dans  l'intérêt  de  l'Afrique  australe 
tout  entière,  le  gouvernement  transvaalien  se  sent  obligé  de  recommander  avec 
insistance  cette  mesure  au  gouvernement  britannique.  J'ai  aussi  l'honneur  de 
prier  Votre  Excellence  de  vouloir  bien  communiquer  par  câble  cette  dépêche  au 
gouvernement  de  la  reine,  à  Londres.  )> 

X°  IL  «  Mon  gouvernement  constate  avec  beaucoup  de  regrets  les  retards 
apportés  à  l'enquête  annoncée  sur  la  complicité  et  la  responsabilité  de  la  Com- 
pagnie à  charte  dans  le  fait  de  l'invasion  du  docteur  Jameson  et  de  sa  bande 
sur  le  territoire  boër.  Mon  gouvernement  croit  de  son  droit  et  de  son  devoir  d'in- 
sister pour  que  l'enquête  ait  lieu  sans  délai,  non  seulement  parce  qu'il  es!  la 
partie  lésée,  mais  encore  au  nom  de  ses  intérêts  dans  le  bien-être  général  de 
l'Afrique  australe,  intérêts  qui,  on  l'a  anirmé  à  maintes  reprises,  sont  égale 
ment  chers  au  gouvernement  de  la  reine. 

v  Mon  gouvernement  est  convaincu  aussi  de  l'absolue  et  urgente  nécessité  de 
transférer  des  mains  de  la  Compagnie  à  charte  dans  celles  du  gouvernement  bri- 
tannique le  contrôle  complet  et  l'administration  civile  et  militaire  des  territoires 
jusqu'ici  confiés  à  la  Compagnie.  J'ai  pour  instruction  d'insister  sur  ce  point  au 
nom  de  mon  gouvernement  et  de  prier  Votre  Excellence  de  transmettre  par 
câble  cette  dépêche  à  Londres.  » 

La  presse  de  Londres,  presque  entière,  répondit  par  des  outrages  à  la  demande 
de  la  petite  république  sud  africaine. 


350  l'afrique  politique  ex  1900 

elle  tous  ceux  qui,  par  leurs  actes  ou  leurs  fonctions,  avaient 
eu  une  part  quelconque  dans  l'entreprise  montée  par 
M.  Rhodes,  et  notamment  miss  Flora  Schaw,  la  rédactrice 
coloniale  du  Times,  dont  la  déposition  révéla  des  détails 
piquants  et  des  mœurs  politiques  singulières. 

Mais,  malgré  les  efforts  des  deux  membres  les  plus  indé- 
pendants de  la  commission,  sir  William  Harcourt  et  M.  La- 
bouchère,  il  apparut  clairement  que  certains  membres  n'a- 
vaient d'autre  désir  que  de  faciliter  les  confessions  des  accusés. 
M.  Chamberlain  lui-môme  ne  réussit  guère  à  éloigner  les 
soupçons  qui  pesaient  sur  lui  et  que  sa  déposition  ne  parvint 
pas  à  dissiper. 

Celle-ci  se  produisit  au  moment  même  où  le  ministre  des 
colonies  demandait  au  Parlement  (1er  mai  1897)  de  lui  accorder 
200.000  livres  pour  renforcer  dans  l'Afrique  australe  les  forces 
de  terre  et  de  mer  de  l'Angleterre.  La  situation  avec  le  Trans- 
vaalse  trouvait  alors  tendue  à  l'excès;  les  Afrikanders  ne  dis- 
simulaient pas  leurs  préférences,  et  il  paraissait  nécessaire, 
par  le  déploiement  de  forces  imposantes,  de  relever  le  prestige 
de  la  métropole.  On  parla  d'envoyer  30.000  hommes  au  Cap  et 
on  commença  effectivement  à  diriger  quelques  troupes  sur  la 
colonie;  une  forte  escadre  fut  concentrée  à  Durban,  d'où  six 
navires  furent  envoyés  à  Delagoa-bay. 

Tous  ces  préparatifs  ne  réussirent  pas  à  émouvoir  les  Boërs 
et  le  Volksteem,  de  Pretoria,  trouva  la  meilleure  réponse  aux 
provocations  anglaises  :  «  En  cas  de  guerre,  dit-il,  toute 
l'Afrique  du  Sud  se  porterait  au  secours  des  Boërs,  et  à  Pre- 
toria il  y  a  assez  de  fusils  et  de  munitions  pour  armer  tous  les 
Afrikanders.  D'ailleurs,  l'Angleterre  a  en  ce  moment  assez 
d'affaires  sur  les  bras,  et  il  lui  faudrait  60.000  hommes  pour 
faire  la  guerre  dans  l'Afrique  du  Sud.  Enfin,  tout  en  désirant 
conserver  la  paix,  le  Sud  africain  s'est  préparé  à  la  guerre. 
Voilà  les  raisons  pour  lesquelles  nos  amis  les  Anglais  ne  tirent 
pas  les  premiers.  » 

Le  gouvernement  anglais  s'était  en  effet  renseigné  sur  les 
précautions  prises  par  les  Boërs,  et  M.  Chamberlain,  pour 
justifier  sa  demande  de  crédit,  avait  pu  affirmer  au  Parlement, 


AFRIQUE  AUSTRALE    BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  351 

sans  être  démenti,    que   le   Transvaal   venait  de  dépenser 
125  millions  en  armements. 

*  * 

Avant  de  poursuivre  le  récit  des  événements  qui  ont  amené 
la  guerre  anglo-boër,  il  est  utile  de  s'arrêter  ici  pour  jeter  un 
coup  d'œil  rapide  sur  la  situation  économique  de  l'Afrique  du 
Sud  au  commencement  de  la  lutte. 

Une  des  questions  brûlantes,  dans  l'Afrique  australe,  est 
celle  de  l'émigration  indienne.  La  question  indienne  est  dans 
ces  régions  le  pendant  de  la  question  juive  en  Algérie.  Les 
Hindous,  encouragés  par  les  Anglais,  dont  certains,  tels  que 
sir  Harry  Johnston,  commissaire  au  Nyassaland,  rêvent  de 
réaliser  cette  formule  :  «  L'Afrique  australe  doit  être  l'Amé- 
rique des  Indiens  »,  ont  émigré  en  grand  nombre  sur  les  ter- 
ritoires anglais  aussi  bien  qu'à  Madagascar  et  au  Transvaal. 

Cet  exode,  qui  menace  les  intérêts  des  ouvriers  et  des 
commerçants  européens,  a  amené  à  plusieurs  reprises  d'éner- 
giques protestations  accompagnées  de  violences  et  de  mauvais 
traitements  à  l'égard  des  immigrants. 

La  colonie  du  Natal  s'est  montrée  particulièrement  réfrac- 
taire  à  l'entrée  des  Hindous  sur  son  territoire  et  s'est  attiré  à 
ce  sujet  de  sévères  admonestations,  restées  d'ailleurs  sans 
résultat,  de  la  part  de  la  presse  britannique. 

Le  6  février  1899,  alors  que  le  gouvernement  anglais  adres- 
sait à  la  France  des  notes  diplomatiques  au  sujet  des  mesures 
prises  à  l'égard  de  ses  sujets  hindous  à  Madagascar,  M.  le 
Myre  de  Vilers  crut  devoir  adresser  au  ministre  des  colonies 
une  lettre,  reproduite  par  toute  la  presse,  dans  laquelle  il  fai- 
sait ressortir  clairement  la  législation  restrictive  en  vigueur 
dans  les  colonies  anglaises  en  vue  de  remédier  au  mal  asiatique. 
Là  fin  de  cette  lettre  est  caractéristique  : 

Dans  la  Rhodésia,  dit  M.  Le  Myre  de  Vilers,  on  ne  fait  pas  tant 
de  façons  et  les  non-désirables  disparaissent  d'une  manière  ou  d'une 
autre. 

Au  Transvaal,  les  lois  de  la  République  sud-africaine  édictent  que 


,3.'j2  l'afrique  politique  e\  1900 


les  gens  de  couleur  devront  habiter  des  quartiers  spéciaux  (loca- 
tions) et  ne  pourront  exercer  ailleurs  un  commerce  quelconque.  De 
riches  Indiens,  ayant  protesté  contre  cette  mesure,  furent  déboutés 
par  la  cour  de  Middelbourgh  et  se  réclamèrent  du  gouvernement 
britannique,  en  leur  qualité  de  sujets  de  la  reine.  D'autre  part,  les 
english  bars,  qui  redoutent  la  concurrence  des  Indiens,  sollicitè- 
rent près  de  leur  consul  le  maintien  de  l'interdiction. 

Grand  embarras  du  Foreign  Office,  qui,  ne  sachant  comment 
sortir  de  cette  difficulté,  eut  recours,  d'accord  avec  le  président 
Krùger,  à  un  arbitrage  devant  le  premier  juge  de  la  République 
d'Orange.  Ce  magistrat,  M.  Melius  de  Villiers,  décida,  par  un  avis 
motivé  du  o  avril  1895,  que  la  question  ne  pouvait  être  réglée  que 
parla  haute  cour  de  la  République  sud-africaine. 

Pour  y  parvenir,  un  riche  Asiatique,  Tayeb  Hadji  Kahn  Moha- 
med, introduisit  une  instance  devant  le  tribunal  suprême  de  Pre- 
toria, avec  l'espoir  de  voir  supprimer  l'ostracisme  dont  ses  compa- 
triotes étaient  victimes.  La  cour,  après  de  longs  débats,  décida,  le 
8  août  dernier,  que  les  gens  de  couleur  ne  pouvaient  habiter  et 
commercer  en  dehors  de  la  location,  que  le  colportage  même  leur 
était  interdit. 

Ces  différents  faits  prouvent  surabondamment  que,  du  moment 
où  les  intérêts  des  Anglais  métropolitains  sont  en  cause,  le  gouver- 
nement de  la  reine  ne  se  préoccupe  guère  des  libertés  qu'il  réclame 
près  des  autres  puissances  en  faveur  de  ses  sujets. 

Quelle  que  soit  la  sévérité  des  mesures  qu'adoptera  le  général 
Galliéni  pour  entraver  l'envahissement  de  Madagascar  par  les  In- 
diens et  réprimer  la  mauvaise  conduite  de  ces  Asiatiques,  elles  se- 
ront moins  rigoureuses  que  celles  appliquées  par  la  Grande-Bretagne 
dans  ses  propres  colonies. 

Le  libéralisme  anglo-saxon  ne  s'exerce  pas,  on  le  voit,  de  la 
même  façon  sous  toutes  les  latitudes  et  en  particulier  des  deux 
côtés  du  canal  da  Mozambique. 


* 
*  * 


L'examen  des  faits  récents  survenus  dans  l'Afrique  australe 
ne  serait  pas  complet  si  l'on  n'enregistrait  ici  les  modifications 
imposées  à  l'administration  de  la  Chartered  dans  le  courant 
de  1898.  Le  7  février,  le  gouvernement  anglais  faisait  accepter 
par  la  Compagnie  le  principe  d'une  charte  nouvelle,  qui  fut 
établie  et  publiée  au  mois  d'octobre  suivant.  Les  principales 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  353 

modifications  portent  sur  les  relations  entre  la  Compagnie  et 
les  indigènes,  dont  les  différends  seront  réglés  à  l'avenir  par  le 
ministre  des  colonies.  Celui-ci  nomme  un  résident  en  Rho- 
désia  et  laisse  à  la  Compagnie  le  droit  de  désigner  deux  admi- 
nistrateurs, l'un  pour  le  Matabéléland,  l'autre  pour  leMachona- 
land;  il  peut  révoquer  ces  administrateurs,  exerce  un  droit  de 
veto  sur  les  décisions  de  la  Compagnie  et  conserve  sous  son 
contrôle  direct  les  forces  armées  sur  le  territoire  de  la  Rho- 
désia. 

La  tactique  suivie  à  l'égard  de  cette  compagnie  est,  on  le 
voit,  la  même  que  pour  la  Royal  Niger  Company. 

Les  compagnies  à  charte  anglaises  semblent  n'avoir  d'autre 
but  que  de  permettre  l'occupation  à  peu  de  frais  des  pays 
convoités,  de  dégager  la  responsabilité  du  gouvernement 
britannique  et  de  préparer  les  voies  à  l'administration  an- 
glaise. Ces  résultats  obtenus,  elles  passent,  avec  ou  sans 
indemnité,  sous  le  contrôle  direct  de  la  Couronne,  et,  tout 
en  conservant  leurs  privilèges  commerciaux,  cèdent  à  l'ad- 
ministration métropolitaine  des  territoires  à  demi  conquis 
qui  sont  dès  lors  incorporés  dans  l'ensemble  des  colonies 
anglaises. 


*  * 


On  a  vu  par  ce  qui  précède  qu'il  n'a  pas  dépendu  de  la 
tlhartered  et  de  M.  Chamberlain  que  le  domaine  de  la  cou- 
ronne britannique  ne  se  fût  arrondi,  dès  1896,  par  l'acquisition 
du  Transvaal. 

Certes,  l'absorption  de  la  République  sud-africaine  serait  un 
beau  succès  en  raison  du  prodigieux  développement  pris  par 
cette  contrée  depuis  un  petit  nombre  d'années. 

Pour  le  mettre  en  lumière,  il  nous  suffira  de  citer  les  trois 
rapports  successifs  établis  par  le  consul  de  France  au  Trans- 
vaal, M.  Aubert,  sur  la  situation  de  ce  pays  en  1895,  1896  et 
1897  et  parvenus  en  France  vers  le  milieu  des  années  sui- 
vantes. 

Air.  polit.  23 


354  l'afrique  politique  en  1900 


En  1895  : 

La  prospérité  dont  jouit  depuis  plusieurs  années  la  République 
sud-africaine  n'a  fait  que  s'accentuer  en  1895;  le  commerce  et  l'in- 
dustrie, loin  de  s'arrêter  dans  leur  essor,  y  ont  pris  un  développe- 
ment inconnu  jusqu'alors.  L'immigration  augmente  et  est  princi- 
palement composée  d'éléments  sérieux,  actifs,  intelligents Tout 

semble  donc  contribuer  à  rendre  ce  pays  le  plus  prospère  et  le  plus 
florissant  de  l'Afrique  du  Sud.  La  valeur  des  importations  dans  la 
République  sud-africaine  a  été,  en  1895,  de  245.407.000  francs,  soit 
une  augmentation  de  80  millions  de  francs  comparativement  à  1894 
et  de  111  millions  comparativement  à  1893.  Ces  importations  se 
sont  réparties  de  la  façon  suivante  : 

La  colonie  du  Gap,  grâce  à  ses  trois  ports,  Capetown,  Port-Eliza- 
beth  et  East-London,  et  à  ses  vastes  ressources  agricoles,  a  contribué 
pour  la  plus  large  part  au  trafic  du  Transvaal.  Elle  a  importé,  en 
1895,  pour  172.704.000  francs  de  marchandises,  contre  110.598.000 
francs  en  1894  et  87.645.000  francs  en  1893. 

Natal  a  vu  baisser  ses  importations  en  1895.  Elles  ont  été  de 
24.559.000  francs,  soit  500.000  francs  de  moins  qu'en  1894.  Delagoa- 
bay,  par  contre,  a  importé  pour  24.978.350  francs  en  1895,  contre 
11.620.000  francs  en  1894. 

Les  relations  avec  la  République  d'Orange  ont  plus  que  doublé 
en  1895.  Elle  a  importé  pour  une  valeur  de  23.165.000  francs  de 
produits  agricoles  et  industriels,  tandis  qu'elle  n'en  avait  écoulé 
que  pour  11.351.000  francs  en  1894.  La  situation  financière  de  la 
République  est  particulièrement  prospère.  En  1895,  les  recettes 
budgétaires  se  sont  élevées  à  108.972.000  francs,  supérieures  de 
de  5.834.550  francs  aux  dépenses,  de  sorte  qu'au  1er  janvier  dernier 
le  trésor  possédait  un  excédent  total  de  30.666.265  francs  (1). 

Le  commerce  français  fait  des  progrès  incontestables  dans  la 
République  sud-africaine,  mais  il  est  malheureusement  impossible, 
de  les  chiffrer 

L'année  1895  a  vu  naître  536  nouvelles  compagnies  au  capital 
nominal  de  77.545.470  livres  sterling,  pour  l'exploitation  des  ri- 
chesses de  toute  nature  de  l'Afrique  du  Sud  et  plus  particulière- 
ment du  Transvaal. 

Quant  aux  entreprises  du  Matabéléland  et  du  Machonaland,  les 
derniers  événements  n'ont  que  trop  confirmé  mes  appréciations  : 
elles  sont  aux  mains  de  142  compagnies 


(1)  Colonie  du  Cap  (budget  de  1898-99)  :  Recettes,  6.477.000  livres;  dépenses, 
7  millions  de  livres. 


AFRIQUE   AUSTRALE  BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  355 


En  1896  : 

Malgré  tous  les  désastres  qui  l'ont  frappée,  malgré  toutes  les 
difficultés  qu'elle  a  éprouvées  en  1896,  la  République  sud-africaine 
continue  à  jouir  de  l'ère  de  prospérité  que  la  découverte  des  mines 
d'or  a  inaugurée  pour  elle. 

Ni  l'invasion  Jameson,  ni  la  révolution  de  Johannesburg  et  le  trou- 
ble dans  les  affaires  qui  en  ont  été  les  conséquences,  ni  la  peste 
bovine  qui  a  décimé  et  décime  encore  son  bétail,  ni  la  famine  qui 
a  frappé  les  districts  septentrionaux,  par  suite  du  manque  des 
récoltes,  n'ont  pu  enrayer  son  commerce  ni  entraver  son  industrie 
en  1896. 

Les  ressources  ont  cependant  des  bornes,  et  parce  qu'un  pays 
est  florisssant  il  ne  s'ensuit  pas  que  les  émigrants,  si  nombreux 
qu'ils  soient,  y  trouvent  toujours  le  pain  assuré.  Delà  le  désappoin- 
tement, les  mécomptes,  le  découragement  qui  se  rencontrent  chez 
les  nouveaux  venus  et  qu'entretiennent  les  politiciens  ambitieux, 
les  spéculateurs  aux  abois  et  les  ouvriers  qui  redoutent  la  concur- 
rence et  un  abaissement  de  salaires. 

La  valeur  des  importations  dans  la  République  sud-africaine  a 
été,  en  1896,  de  332.203. 250  francs,  soit  une  augmentation  de  107 
millions  comparativement  à  l'année  précédente. 

La  progression  est  d'ailleurs  constante  depuis  quelques  années, 
ainsi  que  l'indique  le  relevé  suivant  des  importations  :  en  1886, 
12.349.775  francs;  en  1887,  41.919.225;  en  1888,  61.417.160;  en 
1889,  86.574.650;  en  1890,  92.472.950;  en  1891,  65.073.900;  en  1892, 
87.470.000;  en  1893,  134.292.525;  en  1894,  161.005.375;  en  1895, 
245.407.600;  en  1896,  352.203.250. 

Les  importations  du  Transvaal  en  1896,  valeur  en  francs,  se  sont 
réparties  comme  suit  d'après  leur  provenance  et  la  voie  d'importa- 
tion qu'elles  ont  suivie  : 

t,  Par  Par  Par 

rrovenance.  le  Cap.  Natal.  Delagoa-bay. 

Europe 143.573.575  35.969.850  40.002.300 

Autres  pays  d'outre-mer 7.324.425  2.890.825  1.848.475 

Cap 49.532.725  »  » 

Natal »  36.16o.150  » 

Delagoa-bay »  »  ll.JS7.800 

200.430.725  75.025.825        53.138.375 


Les  lignes  internationales  mettant  le  Transvaal  en  communica- 
tion avec  le  Cap,  Natal  et  Delagoa-bay  ont  été  complétées,  en  1895, 
par  l'ouverture  de  celle  de  Natal.  Depuis,  le  réseau  international  a 


356  l'afrique  politique  en  1900 


été  prolongé  de  Krugersdorp  à  Potchefstroom  pour  être  continué 
jusqu'à  Klerksdorp,  et  l'embranchement  de  Kaapmenden  à  Barter- 
son  a  été  terminé.  La  construction  de  la  ligne  du  Selati  est  toujours 
suspendue;  mais  on  espère  que  la  présence  en  Europe  du  secrétaire 
d'État  permettra  de  mettre  fin  aux  contestations  auxquelles  cette 
ligne  a  donné  lieu.  La  ligne  Pretoria-Pietersburg  est  commencée. 
On  étudie  le  tracé  de  celle  de  Lydenburg.  Le  réseau  ferré  du  Trans- 
vaal,  qu'exploite  la  Compagnie  hollandaise  sud-africaine,  a  fait  l'an 
dernier  une  recette  de  74.120.075  francs;  le  nombre  des  voyageurs 
transportés  a  été  de  1.070.598. 

Pas  plus  que  les  autres  années,  je  ne  puis  évaluer  l'importance 
du  commerce  français  au  Transvaal.  11  est  cependant  hors  de  doute 
que  les  relations  directes  entre  la  France  et  l'Afrique  du  Sud  ont 
pris  un  développement  inconnu  jusqu'à  présent,  grâce  aux  efforts 
des  Compagnies  des  Chargeurs  réunis,  qui  ont  établi  un  service 
mensuel  du  Havre  et  de  Bordeaux  à  Delagoa-bay,  par  le  cap  de 
Bonne-Espérance,  et  des  Messageries  maritimes,  qui  desservent 
maintenant  la  côte  Est,  en  correspondance  avec  les  vapeurs  de  la 
Réunion  à  Marseille. 

Ces  entreprises  ne  peuvent  manquer  de  favoriser  notre  commerce 
et  de  contribuer  à  nous  assurer  la  place  que  nous  devrions  occuper 
dans  le  trafic  de  l'Afrique  du  Sud.  Je  ne  doute  pas  qu'elles  n'arri- 
vent, avec  la  persévérance  et  des  améliorations  progressives  dans 
leurs  services,  à  obtenir  d'aussi  bons  résultats  que  les  Anglais  et  les 
Allemands,  qui  nous  ont  devancés  depuis  longtemps  dans  ces  pa- 
rages. 

L'afïluence  des  Français  au  Transvaal,  que  j'ai  signalée  dans  mon 
dernier  rapport,  a  déjà,  m'affirme-t-on,  exercé  une  certaine  in- 
iluence  sur  le  commerce  en  général  et,  en  particulier,  sur  celui  des 
nouveautés,  des  modes,  des  articles" de  fantaisie,  pour  lesquels  le 
goût  français  est  sans  rival.  J'ai  même  —  chose  inouïe  en  Afrique  — 
enlendu  des  commerçants  étrangers  se  vanter  auprès  de  moi  d'avoir 
des  articles  français. 

C'est  là  un  signe  certain  du  progrès  fait  par  la  France  dans  l'es- 
time du  commerce.  Reste  maintenant  à  nos  commerçants  d'en  tirer 
profit. 

En  1897  : 

L'année  1897  s'était  bien  annoncée  pour  le  Transvaal  :  les  esprits, 
si  facilement  excitables,  s'étaient  apaisés  ;  le  commerce  avait  pris 
un  développement  inconnu  jusqu'alors,  et  les  négociants  ont  cru, 
par  suite,  pouvoir  augmenter  leur  stock  de  marchandises  dans  des 
proportions  considérables.  Ils  l'ont,  toutefois,  regretté  et  en  ont 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  357 


éprouvé  les  conséquences  lorsque,  vers  la  fin  de  l'année,  s'est  fait 
ressentir  le  contre-coup  des  ravages  causés  par  la  peste  bovine,  de 
l'appauvrissement  général  de  la  population  rurale  qui  en  est  résulté 
et  surtout  de  la  campagne  menée  en  Europe,  contre  le  gouverne- 
ment et  le  pays,  par  un  groupe  de  financiers  peu  scrupuleux,  mé- 
contents de  voir  que  leurs  manœuvres  financières  n'avaient  plus  de 
succès  auprès  du  public,  et  désireux  de  décharger  sur  autrui  la  res- 
ponsabilité de  leurs  actes. 

Quant  à  l'industrie,  elle  ne  s'est  pas  arrêtée  dans  ses  progrès; 
c'est  ce  qui  me  confirme  dans  mon  opinion  qu'il  ne  faut  douter  ni 
des  ressources,  ni  de  l'avenir  du  Transvaal. 

La  crise  actuelle  est,  d'ailleurs,  la  quatrième  qu'il  traverse  depuis 
une  douzaine  d'années  et  chaque  fois  il  s'en  est  relevé  plus  vivace 
et  plus  prospère.  Il  est  vrai  que  ces  crises  ont  augmenté  chaque  fois 
d'intensité;  mais  cela  provient  de  ce  que,  au  lieu  de  rester  pure- 
rement  économiques,  elles  se  sont  compliquées  de  questions  poli- 
tiques, au  fur  et  à  mesure  que  le  Transvaal  prenait  une  position 
plus  prépondérante  en  Afrique  australe  et  excitait,  par  suite,  plus 
de  jalousies  et  de  convoitises. 


En  1897,  les  importations  ont  été  de  339.695.675  francs.  Le 
trafic  par  la  colonie  du  Cap  a  diminué  de  30  p.  100,  dont  ont 
bénéficié  les  lignes  de  Natal  et  de  Delagoa-bay. 

La  production  des  mines  d'or,  qui  était  de  91  kilogrammes 
en  1884  et  de  13.394  kilogrammes  en  1890,  a  passé  à  77.547 
kilogrammes  en  1896.  En  1897,  il  a  encore  augmenté  de 
23.554  kilogrammes.  Le  nombre  des  ouvriers  y  était  alors 
de  78.689,  dont  68.780  noirs.  Les  dividendes  payés  par  les 
Compagnies  aurifères  du  Ranci  ont  été  de  70.425.125  francs, 
donnant  ainsi  la  mesure  de  la  prospérité  de  l'industrie  de 
l'or. 

En  1898,  le  progrès  continuait.  L'industrie  minière  gagnait 
plus  de  16  millions  de  livres,  soit  4  millions  et  demi  de  plus 
qu'en  1897.  La  production  de  l'or  au  Transvaal  était  alors  de 
28  1/2  p.  100  par  rapport  à  celle  du  monde  entier. 

La  proximité  de  notre  nouvelle  possession  de  Madagascar 
et  les  intérêts  français  engagés  au  Transvaal  donnent  à  ces 
appréciations  une  portée  considérable.  Nous  y  reviendrons 
d'ailleurs  lorsque  nous  aurons  l'occasion  de  parler  de  notre 


358  l'afrique  politique  en  1900 

nouvelle  colonie  de  l'océan  Indien  et  du  rôle  qu'elle  est 
appelée  à  jouer  à  proximité  de  l'Afrique  australe. 


*  * 


Les  chemins  de  fer  de  l'Afrique  australe  ont  pris  dans  ces 
dernières  années  un  énorme  développement.  A  l'ancien  réseau 
de  la  colonie  du  Cap,  prolongé  récemment  par  la  ligne  qui 
traverse  l'État  libre  d'Orange  pour  aboutir  à  Pretoria,  il  faut 
ajouter  plusieurs  voies  ferrées  en  construction  ou  en  projet. 

La  ligne  de  Durban  à  Johannesburg  a  été  ouverte  le  15  dé- 
cembre 1895,  en  concurrence  avec  la  ligne  de  Lourenço- 
Marquès.  Cette  ligne,  grâce  à  des  tarifs  appropriés,  cherche 
à  s'assurer  le  monopole  des  transports  de  la  province  d'Hei- 
delberg. 

A  l'Ouest,  et  longeant  la  frontière  de  lÉtat  libre  d'Orange  et 
du  Transvaal,  la  voie  ferrée  qui  s'arrêtait  à  Mafeking  a  été 
prolongée  sur  Boulouwayo.  Le  prolongement  de  Yryburg  sur 
Boulouwayo  a  été  commencé  en  mars  1896. 930  kilomètres  ont 
été  construits  en  dix-huit  mois,  à  raison  d'une  moyenne  de 
1.600  mètres  par  jour. 

La  Compagnie  du  chemin  de  fer  de  Betchouanaland,  qui  a 
inauguré  la  ligne  le  5  novembre  1897,  est  au  capital  de 
50  millions  et  calcule  le  prix  delà  ligne  au  taux  de  75. 000  francs 
par  mille  (1.609  mètres).  Cette  ligne  est  prolongée  de  Bou- 
louwayo sur  Salisbury  (286  milles). 

Cette  dernière  localité,  qui  n'existait  pas  il  y  a  six  ans,  et 
qui  compte  actuellement,  comme  la  première,  plusieurs  mil- 
liers de  blancs,  est  également  reliée  par  un  chemin  de  fer, 
terminé  en  mai  1899,  avecUmtali  (160  milles),  point  où  aboutit 
la  ligne  de  Beïra.  Celle-ci,  qui  s'arrête  à  Foutesvilla,  est  pro- 
longée jusqu'à  Beïra  par  une  ligne  de  jonction.  On  prévoit 
aussi  deux  lignes  partant  de  Salisbury  et  devant  aboutir,  l'une 
au  lac  Bangouelo,  dans  le  nord  de  la  colonie,  l'autre  à 
Blantyre  par  Tété. 

La  ligne  de  Beïra  à  Umtali  a  été  construite  par  la  Compagnie 
Beïra-Railway;  celles  de  Umtali  à  Salisbury,  par  la  Machoua- 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —  TRANSVAAL  359 

land  Railway;  celle  de  Mafeking  à  Boulouwayo  par  la  Bet- 
chouanaland  Railway. 

Des  propositions  ont  été  faites  à  l'État  libre  d'Orange  au 
mois  de  mai  1896,  par  le  gouvernement  du  Cap,  désireux  d'ac- 
quérir le  monopole  des  chemins  de  fer  de  cet  État  et  de  con- 
struire le  réseau  projeté  par  cette  république.  Ces  propositions 
ont  été  repoussées,  l'État  d'Orange  refusant  de  laisser  aug- 
menter encore  l'influence  anglo-saxonne  sur  son  territoire. 

Il  faut  aussi  mentionner  le  prolongement  de  la  ligne  de 
Potchefstroom  dans  la  direction  de  Klerksdorp,  ainsi  que  l'em- 
branchement allant  de  la  ligne  de  Pretoria  à  Lourenço-Marquès 
sur  les  mines  de  Barberton,  vers  la  frontière  portugaise. 

De  Pretoria,  une  voie  ferrée,  livrée  en  mai  1899,  se  dirige 
vers  Pietersburg  pour  desservir  les  districts  du  nord  du 
Transvaal. 

Une  autre  ligne  en  projet  doit  se  diriger  vers  le  Zout- 
pansberg. 

Les  recettes  des  chemins  de  fer  du  Cap,  en  1895,  ont  dépassé 
les  prévisions  dans  des  proportions  considérables,  laissant  un 
excédent  qui  a  été  destiné  à  améliorer  le  matériel  et  à  con- 
struire des  fortifications  à  Port-Élisabeth  et  à  East-London. 

Quant  au  réseau  télégraphique,  il  se  développe  très  rapide- 
ment. C'est  par  le  télégraphe  que  M.  Cecil  Rhodes  se  propose 
de  donner  la  première  réalisation  de  sa  formule  :  «  Du  Cap  au 
Caire  ».  La  ligne,  poussée  de  Boulouwayo  au  Zambèze,  a  depuis 
longtemps  franchi  le  fleuve  et  atteint  Kota-Kota,  sur  la  rive 
gauche  du  Nyassa.  Vers  le  milieu  de  1898,  elle  était  poussée  à 
100  kilomètres  au  nord  de  Kota-Kota,  d'où  un  embranchement 
devait  aller  au  fort  Alston,  à  100  milles  à  l'ouest  du  lac.  A 
l'heure  actuelle  elle  atteint  le  Tanganyika.  Blantyre  possédait 
déjà  un  fil  téléphonique  et  devait,  à  bref  délai,  être  relié  à 
Zomlia. 

La  direction  donnée  à  cette  ligne  montre  que  les  Anglais 
cherchaient  alors  à  éviter  le  territoire  allemand  et  visaient, 
pour  leur  télégraphe  comme  pour  leur  chemin  de  fer  en  pro- 
jet, le  passage  à  travers  l'État  du  Congo.  Ces  visées  subirent 


360  L  AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

un  brusque  changement  à  la  fin  de  1898,  soit  que  des  diffi- 
cultés de  tracé  aient  été  constatées  sur  la  rive  occidentale 
du  Tanganyika,  soit  qu'on  ait  craint  de  se  heurter  à  des 
complications  diplomatiques  résultant  de  l'opposition  mise 
par  l'Allemagne  à  l'exécution  du  traité  anglo-congolais  du 
12  mai  1894,  qui  accordait  à  bail  à  l'Angleterre  une  bande  de 
terrain  destinée  à  faire  passer  télégraphe  et  chemin  de  fer  le 
long  du  territoire  allemand. 

Puisque  l'Allemagne  s'opposait  à  toute  cession  à  bail  du  ter- 
ritoire congolais,  il  était  aussi  rationnel  de  s'entendre  directe- 
ment avec  elle  qu'avec  l'État  du  Congo. 

M.  Cecil  Rhodes  essaya  d'abord  d'obtenir  du  cabinet  anglais 
une  garantie  d'intérêt  pour  le  chemin  de  fer  tracé  en  territoire 
britannique  ou  tout  au  moins  pour  la  partie  de  la  ligne  située 
au  sud  du  Zambèze.  Il  ne  put  y  parvenir. 

Il  partit  alors  pour  Bruxelles,  où  il  fut  reçu,  au  mois  de 
février  1899,  par  le  roi  des  Belges,  avec  lequel  il  négocia,  a-t-on 
dit,  le  passage  à  travers  le  Congo.  Quelques  jours  après,  au 
mois  de  mars,  il  était  reçu  à  Berlin  par  l'empereur  d'Alle- 
magne, qui  lui  montrait  les  dispositions  les  plus  favorables. 
Une  convention  anglo-allemande  était  conclue  au  sujet  du 
passage  d'une  ligne  de  la  Compagnie  télégraphique  transafri- 
caine à  travers  les  territoires  allemands.  Quant  à  la  question 
du  chemin  de  fer,  tout  en  réservant  les  droits  absolus  de  sou- 
veraineté de  l'Allemagne,  l'empereur  se  serait  montré  disposé 
à  permettre  sa  construction  et  son  raccordement  avec  le 
réseau  allemand  projeté  et  même,  paraît-il,  à  lui  accorder  une 
garantie  de  l'État,  mais  à  la  condition  que  l'Angleterre  agirait 
de  même  sur  son  territoire. 

M.  Cecil  Rhodes  quittait  Berlin  le  14  mars,  sans  avoir  obtenu 
une  réponse  décisive.  A  de  nouvelles  tentatives  faites  pour 
obtenir  la  garantie  de  l'État  anglais,  le  chancelier  de  l'Échi- 
quier, sir  Michael  Hicks  Beach,  répondait,  le  27  avril,  que  le 
gouvernement  ne  garantirait  qu'une  partie  de  la  ligne  déjà 
construite  et  que  la  garantie  d'un  intérêt  de  2  3/4  p.  100  s'ap- 
pliquait à  la  voie  ferrée  du  Bechouanaland. 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  361 

A  l'assemblée  générale  de  la  Chartered,  le  2  mai,  M.  Cecil 
Rhodes  faisait  la  proposition  suivante  : 

N'oublions  pas  qu'il  y  a  1,217  kilomètres  à  construire  de  Bou- 
louwayo  àla  frontière  allemande.  Le  pays  ne  nous  est  pas  inconnu; 
nous  avons  fait  des  inspections  rapides,  et  tout  le  tracé  a  été  suivi  jus- 
qu'au Tanganyika;  je  puis  affirmer  que  la  ligne  peut  être  construite 
au  prix  de  62.000  francs  environ  par  kilomètre,  ce  qui  fait  75  millions 
pour  la  ligne  entière.  Nous  avons  reçu  une  proposition  tendant  à 
la  construction  des  premiers  241  kilomètres  pour  12  millions.de 
francs,  ce  qui  fait  environ  50,000  francs  par  kilomètre.  Gomment 
ferons-nous  pour  obtenir  l'argent  nécessaire,  c'est-à-dire  les  75  mil- 
lions de  francs?  La  proposition  acceptée  par  les  directeurs  est 
celle-ci  :  «  Nous  proposons  de  faire  un  emprunt  de  75  millions  de 
francs  à  4  p.  100.»  Si  je  dis  «  nous  »,  j'entends  parlàlaBechouanaland 
Railway  Company;  mais  le  capital  devra  être  garanti  par  la  Char- 
tered Company,  puisqu'en  réalité  c'est  la  Chartered  qui  le  fait. 
Mais  je  désire  faire  remarquer  que  l'argent  n'est  pas  demandé 
pour  quatre  ou  cinq  années,  car  nous  ne  pouvons  construire  plus 
de  320  kilomètres  environ  par  an.  Nous  sommes  encore  à  environ 
1.449  kilomètres  des  frontières  de  notre  territoire;  nous  pouvons 
donc  supposer  qu'il  faudra  quatre  ans  à  quatre  ans  et  demi  pour 
achever  la  ligne.  Des  Compagnies  des  mines  d'or,  nous  avons  déjà 
reçu  assez  d'argent  pour  construire  les  240  premiers  kilomètres. 

Le  projet  de  M.  Cecil  Rhodes  a  été  adopté  à  mains  levées.  Il 
ne  reste  plus  qu'à  en  attendre  la  réalisation. 

*  * 

On  a  déjà  parlé  du  bruit  fait  autour  de  l'entente  anglo-alle- 
mande conclue,  dit-on,  à  la  fin  de  1898  et  visant  principale- 
ment les  territoires  du  Sud  africain.  Il  y  a  seulement  dix  ans, 
les  Anglais  se  trouvaient,  dans  cette  partie  du  continent,  en 
présence  de  deux  voisins  gênants  :  les  Portugais,  dont  les  pos- 
sessions s'étendaient  nominalement  de  l'Atlantique  à  l'océan 
Indien,  et  les  Allemands,  qui  rêvaient  de  joindre  leurs  posses- 
sions naissantes  de  l'Est  africain  à  leurs  territoires  atlan- 
tiques. 

Le  programme  de  la  voie  impériale  «  du  Cap  au  Caire  ». 
déjà  élaboré  depuis  longtemps,  se  trouvait  menacé  dans  son 


362  l'afrique  politique  en  1900 

avenir  par  ces  deux  rivaux  des  ambitions  anglaises.  On  sait 
par  quelle  habile  stratégie  diplomatique  les  difficultés  du 
moment  furent  résolues. 

Le  Portugal  dut  céder,  aux  menaces  britanniques,  les  terri- 
toires du  Nyassa  et  ceux  qui  devaient  former  la  Rhodesia,  et 
admettre  la  séparation  de  ses  possessions  en  attendant  de  nou- 
velles exigences. 

Quant  à  l'Allemagne,  on  lui  fit  une  belle  part  en  face  de 
Zanzibar,  mais  en  délimitant  soigneusement  son  lot.  On  attei- 
gnait ainsi  la  ligne  des  Lacs  formée  par  le  Nyassa,  le  Tanga- 
nyika,  le  lac  Kivu,  l'Albert-Édouard  et  l'Albert-Nyanza,  qui, 
avec  les  cours  d'eau  intermédiaires,  donnaient  une  ligne  inin- 
terrompue de  communications  rejoignant  le  Nil. 

La  solution  du  problème  était  complétée  par  la  conclusion 
du  traité  du  12  mai  1894,  qui  accordait  à  l'Angleterre  une 
bande  de  terrain  de  25  kilomètres  de  largeur  le  long  de  la 
frontière  germano-congolaise.  On  sait  ce  qu'il  advint  de  ce 
traité,  ainsi  que  de  la  clause  qui  donnait  à  bail  à  l'État  du 
Congo  les  territoires  du  Bahr-el-Ghazal. 

Ce  simple  exposé  du  plan  britannique  suffit  à  expliquer 
l'action  des  Anglais  sur  les  divers  points  de  l'Afrique,  depuis 
une  quinzaine  d'années,  les  délimitations  parfois  incompré- 
hensibles de  leurs  possessions,  leur  désir  inexplicable,  au 
premier  abord,  de  posséder  tel  ou  tel  territoire,  le  but  de  la 
plupart  des  missions  britanniques,  leur  politique  en  Egypte, 
dans  l'Ouganda,  en  Abyssinie,  au  Congo,  et  enfin  leurs  refus 
persistants  et  leur  intransigeance  absolue  dans  la  question  de 
Fachoda. 

Ce  plan  gigantesque,  qui  s'est  développé  avec  un  si  bel  esprit 
de  suite,  cet  empire  sud-africain  si  étendu  cachent  cependant 
d'irrémédiables  faiblesses.  Malgré  le  loyalisme  apparent  des 
colonies  de  l'Afrique  australe,  des  tendances  séparatistes  se 
sont  manifestées  avec  une  intensité  redoutable.  Les  aspira- 
tions nationales  sont  plus  fortes  que  les  habiletés  diplomati- 
ques, et  l'impérialisme  britannique  pourrait  bien,  plus  tôt 
qu'on  ne  le  pense  à  Londres,  avoir  à  compter  avec  cet  autre 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  363 

idéal  rêvé  par  les  Afrikanders  :  la  constitution  des  États-Unis 
de  l'Afrique  australe. 

On  s'est  arrêté  plus  haut,  dans  le  récit  des  conflits  anglo- 
transvaaliens,  à  l'année  1897.  La  véritable  cause  de  ces  conflits, 
celle  qui  devait  fournir  plus  tard  encore  de  nouveaux  motifs 
de  discussion  diplomatique,  était  le  refus  nettement  formulé 
par  les  Boërs  de  reconnaître  les  droits  de  l'Angleterre  à  la 
suzeraineté  sur  le  Transvaal. 

La  convention  de  Londres  du  27  février  1884,  qui  est  l'acte 
diplomatique  le  plus  récent  réglant  les  rapports  des  deux 
pays,  réserve,  par  son  article  4,  au  gouvernement  britanni- 
que, un  droit  de  sanction  ou  de  désapprobation  sur  les 
traités  conclus  par  la  République  sud-africaine  avec  les  puis- 
sances étrangères  autres  que  l'État  d'Orange.  Lors  de  la  dis- 
cussion de  ce  traité,  le  mot  suzeraineté  avait  été,  d'un  commun 
accord,  rayé  du  texte  de  la  convention  et  lord  Salisbury  lui- 
même  proclamait,  en  1884,  devant  la  Chambre  des  lords,  le 
droit  du  Transvaal  de  régler  souverainement  sa  politique  inté- 
rieure et  extérieure,  exception  faite  du  cas  où  il  aurait  à  con- 
clure des  traités  avec  un  État  étranger.  Or  le  Transvaal  ne  de- 
manda point  l'autorisation  de  l'Angleterre,  qui,  de  son  côté,  ne 
fit  aucune  objection  lorsqu'il  adhéra  à  la  convention  de  Genève 
et  lorsqu'il  conclut,  le  3  novembre  1893,  avec  le  Portugal,  et,  le 
9  novembre  1895,  avec  les  Pays-Bas,  des  traités  d'extradition. 
Le  Livre  bleu  publié  au  mois  d'avril  1897,  au  moment  où  les 
relations  avec  le  Transvaal  étaient  très  tendues,  renouvelait 
sur  ce  point  les  réclamations  de  M.  Chamberlain,  qui,  dans  le 
même  document,  ne  se  faisait  nullement  scrupule  de  critiquer 
certaines  lois  votées  par  le  Volksraad. 

La  réponse  du  Transvaal  à  la  thèse  de  M.  Chamberlain  fut 
caractéristique.  Le  gouvernement  boër  proposa  de  recourir  à 
un  arbitrage  toutes  les  fois  qu'il  y  aurait  interprétation  diver- 
gente du  texte  de  la  convention  de  1884.  Cette  offre  fut  re- 
poussée, et  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que,  si  la  guerre  n'a  pas 


.364  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EX    1900 

éclaté  dans  l'Afrique  centrale  au  printemps  de  1897,  ce  résultat 
est  dû  surtout  à  l'attitude  des  Afrikanders  de  la  colonie  du 
Cap. 

Le  conflit  anglo-boër  était  donc  passé  à  l'état  aigu  en  1897. 
L'Angleterre  avait  de  bonnes  raisons  de  penser  qu'elle  s'était 
placée  dans  une  mauvaise  posture,  à  la  fois  vis-à-vis  des  Boërs 
et  des  Afrikanders.  Il  lui  fallait  un  succès  pour  réparer  son 
prestige.  Elle  le  demanda  à  M.  Cecil  Rhodes. 

À  la  suite  d'un  débat  sur  le  sectionnement  électoral  de  la 
colonie,  nécessité  par  l'augmentation  toujours  croissante  du 
nombre  des  électeurs,  le  parti  anglo-saxon,  auquel  appartenait 
le  premier  ministre,  sir  Gordon  Sprigg,  fut,  le  20  juin  1898, 
mis  en  minorité  au  Parlement  de  Gapetown.  La  dissolution  du 
Parlement  fut  prononcée,  et  de  la  campagne  électorale  ouverte 
au  mois  d'août,  sous  les  auspices  et  avec  l'aide  de  M.  Cecil 
Rhodes,  résulta,  au  mois  d'octobre  suivant,  un  Parlement 
dans  lequel  les  deux  partis  anglais  et  afrikander  s'équili- 
braient avec  une  voix  de  majorité  au  profit  de  ce  dernier 
parti. 

M.  Schreiner,  du  parti  afrikander,  nommé  premier  ministre 
le  14  octobre  1898,  fut  cependant  obligé  d'accepter,  avant 
toute  autre,  la  discussion  sur  un  nouveau  sectionnement  élec- 
toral, qui  lui  fut  imposée  à  une  voix  de  majorité,  un  membre 
afrikander  ayant  voté  avec  l'opposition.  La  presse  dévouée  à 
M.  Rhodes  triompha  bruyamment,  espérant  que  le  nouveau 
sectionnement  imposé  au  gouvernement  aurait  pour  effet  de 
donner  la  majorité  aux  Anglo-Saxons  et  de  porter  M.  Rhodes 
au  pouvoir. 

Il  n'en  fut  pas  ainsi.  A  la  suite  des  élections  générales  qui 
suivirent,  au  commencement  de  1899,  la  réforme  électorale, 
le  parti  de  Y  Afrikander  Bond  conquit  sur  le  parti  anglais,  dit 
progressiste,  une  majorité  d'une  dizaine  de  voix.  Ce  fut,  avec 
l'affermissement  de  M.  Schreiner,  l'écroulement  des  projets 
de  M.  Cecil  Rhodes,  qui,  ne  pouvant  plus  faire  de  la  colonie  du 
Cap  le  pivot  de  sa  politique,  dut  penser  à  s'appuyer  désormais 
sur  les  parties  septentrionales  de  la  colonie,  dont  les  intérêts 


AFRIQUE  AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  365 

généraux  sont,  d'ailleurs,  en  opposition  avec  ceux  delà  partie 
méridionale. 

Cet  événement  ne  tarda  pas  à  être  suivi,  comme  on  devait  le 
penser,  d'une  politique  plus  agressive  à  l'égard  du  Transvaal. 
Les  Anglais,  ne  pouvant  plus  essayer  de  s'appuyer  sur  les  po- 
pulations et  le  gouvernement  du  Cap,  résolument  acquis  au 
Transvaal,  devaient  essayer  de  brusquer  la  situation  pour 
amener,  à  un  moment  favorable,  la  liquidation  de  cette  vieille 
question. 

C'est  alors  qu'on  vit  reparaître  les  réclamations  anglaises  au 
sujet  des  questions  économiques  relatives  à  l'exploitation  des 
mines,  aux  monopoles,  aux  tarifs  de  transport  et  surtout  aux 
droits  politiques  des  uitlanders. 

La  prétention  de  ces  derniers,  énergïquement  repoussée  par 
le  Transvaal,  d'acquérir,  dans  un  temps  très  court,  la  natio- 
nalité et  les  droits  électoraux  des  Boërs  sans  être  tenus 
d'abandonner  leur  nationalité  d'origine,  était  aussi  inaccep- 
table pour  le  gouvernement  du  président  Kriiger  que  favo- 
rable aux  vues  ambitieuses  du  gouvernement  anglais.  C'eût 
été,  en  effet,  l'absorption  rapide  des  Boërs  transvaaliens  par 
les  uitlanders,  et  la  mainmise  de  l'Angleterre,  effectuée  sans 
grande  secousse,  sur  l'indépendance  du  pays. 

Au  mois  de  mai,  une  pétition  signée  de  21.000  noms  d'uit- 
landers  était  adressée  à  M.  Chamberlain.  En  voici  le  passage 
essentiel  : 


Nous  avons  le  nombre  :  sur  270,000  habitants  blancs  du  Transvaal, 
nous  comptons  pour  200,000  individus.  Nous  payons  les  sept  hui- 
tièmes de  l'impôt.  Si  le  Transvaal  est  riche,  c'est  à  nous  qu'il  le 
doit.  Sans  nous,  le  veldt  serait  désert;  sans  notre  labeur  acharné, 
la  place  où  s'élèvent  nos  colossales  usines  servirait  encore  de  pâture 
à  un  maigre  troupeau,  sous  la  conduite  d'un  pâtre  misérable.  C'est 
ce  pâtre  ignorant  et  grossier  qui  nous  domine  aujourd'hui,  qui 
nous  dicte  des  lois,  qui,  étranger  lui-même,  il  y  a  moins  de  cin- 
quante ans,  à  ce  sol  que  son  indolence  n'a  jamais  fécondé,  prétend, 
maître  injuste  et  brutal,  disposer  de  nos  personnes  et  de  nos  for- 
tunes, parce  que  notre  arrivée  sur  cette  terre  est  postérieure  à  la 
sienne  de  moins  d'un  demi-siècle.  Cela  est  injuste.  Nous  réclamons 
le  droit  de  participer  au  vote  des  lois  qu'on  nous  applique. 


366  l'afmque  politique  en  1900 

Mais  aussitôt  14.000uitlanders  signaient  une  contre-pétition 
adressée  au  président  Krûger  et  désavouant  la  précédente. 
M.  Chamberlain  n'en  prononçait  pas  moins,  au  Parlement 
anglais,  des  paroles  agressives  qui  n'étaient  guère  de  nature  à 
calmer  les  inquiétudes  dans  l'Afrique  du  Sud.  La  situation  se 
compliquait  de  plus  en  plus  et  entrait  dans  une  phase  critique. 
Une  tentative  fut  faite  pour  l'améliorer.  M.  Stevn,  président 
de  l'État  libre  d'Orange,  en  invitant  le  président  Krûger  et  sir 
Alfred  Milner,  haut  commissaire  de  l'Afrique  centrale  et  gou- 
verneur du  Cap,  à  venir  conférer  à  Blœmfontein,  essayait 
d'amener  une  entente,  jugée  par  certains  comme  impossible. 

Cette  action  du  président  Steyn  se  produisant  après  la  con- 
clusion du  traité  d'alliance  du  23  mars  1896  entre  l'Orange  et 
le  Transvaal,  et  au  moment  où,  sous  la  pression  des  événe- 
ments, l'union  allait  encore  se  resserrer  entre  les  deux  Répu- 
bliques, pouvait  à  bon  droit  être  considérée  comme  une 
suprême  tentative  en  faveur  de  la  paix.  On  ne  parut  pas  lui 
donner  en  Angleterre  autant  qu'au  Cap  sa  véritable  impor- 
tance. 

A  ce  moment  même  on  apprenait  en  Europe  la  découverte, 
à  Johannesburg,  d'un  nouveau  complot  anglais.  Sept  personnes 
étaient  arrêtées  comme  prévenues  de  haute  trahison  et  défé- 
rées au  tribunal  boër.  L'instruction  de  l'affaire  fit  connaître 
qu'on  devait  s'emparer  du  fort  de  Johannesburg  et  le  garder 
en  attendant  l'arrivée  des  Anglais.  Deux  mille  hommes  avaient 
été  enrôlés  et  devaient  aller  chercher  des  armes  au  Natal. 

L'émotion  produite  par  la  découverte  de  ce  complot  n'em- 
pêcha pas  l'entrevue  de  Bloemfontein.  Elle  eut  lieu  le  31  mai. 

Les  questions  suivantes  furent  discutées  :  Le  monopole  de  la 
dynamite,  l'annexion  du  Souaziland  demandée  par  le  Trans- 
vaal, le  paiement  d'une  indemnité  justifiée  par  l'invasion  de 
Jameson,  l'adoption  du  principe  de  l'arbitrage  entre  les  deux 
pays  et  enfin  les  droits  électoraux  des  uitlanders. 

Les  questions  du  monopole  de  la  dynamite  et  de  l'annexion 
du  Souaziland  furent,  d'un  commun  accord,  écartées  comme 
secondaires.  Celle  de  l'indemnité  pour  l'invasion  de  Jameson 
fut  admise  par  sir  Alfred  Milner,  qui  déclara  que  des  instruc- 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  367 

tions  allaient  arriver  de  Londres  pour  proposer  de  lui  appli- 
quer l'arbitrage. 

Ce  principe  de  l'arbitrage  fut  d'ailleurs  réclamé  par  M.  Krû- 
ger  pour  toutes  les  questions  litigieuses  intéressant  les  deux 
pays,  et  il  en  fit  une  question  sine  qua  non  de  tout  accord  à 
intervenir.  Sir  Alfred  Millier  répondit  que  le  gouvernement 
anglais  ne  consentirait  jamais  à  l'intervention  d'une  puissance 
étrangère  entre  lui  et  le  Transvaal. 

Mais  la  question  la  plus  importante  était  celle  des  droits 
électoraux  des  uitlanders,  qui  amena  des  débats  prolongés. 

Sir  Alfred  Milner  fit  à  ce  sujet  les  propositions  suivantes  : 

1°  Que  le  nombre  des  années  de  séjour  nécessaires  pour  l'acqui- 
sition de  ce  droit  soit  fixé  à  cinq  ans  avec  effet  rétroactif; 

2°  Que  le  serment  de  naturalisation  soit  modifié; 

3°  Qu'une  représentation  équitable  soit  accordée  au  Volksraad  à 
la  nouvelle  population  ; 

4°  Que  la  naturalisation  donne  immédiatement  le  plein  droit  de 
vote. 

Le  président  Kriïger,  au  contraire,  offrit  : 

1°  De  fixer  la  durée  du  séjour  nécessaire  pour  la  naturalisation  à 
deux  ans,  tandis  que  le  plein  droit  de  vote  ne  serait  acquis  que  cinq 
ans  après; 

2°  Que  toutes  les  personnes  qui  se  sont  fixées  dans  le  pays  avant 
1886  auront  ce  droit  après  deux  ans; 

3°  Que  la  population  des  mines  soit  plus  largement  représentée 
au  Volksraad; 

4°  Qu'une  des  conditions  de  la  naturalisation  soit  la  possession 
d'une  propriété  ayant  une  valeur  d'au  moins  150  livres  sterling  ou 
l'habitation  d'une  maison  ayant  une  valeur  locative  d'au  moins  150 
livres  sterling  ou  la  jouissance  d'un  revenu  d'au  moins  200  livres 
sterling; 

o°  Que,  de  plus,  une  des  conditions  pour  la  naturalisation  soit,  de 
la  part  de  ceux  qui  la  demandent,  la  preuve  fournie  d'avoir  possédé 
la  jouissance  des  droits  civiques  dans  le  pays  où  ils  ont  séjourné 
antérieurement; 

6°  Que  la  formule  de  naturalisation  soit  conforme  à  celle  de  l'État 
libre  d'Orange; 

7°  Que  toutes  les  propositions  au  président  soient  subordonnées 
à  l'acceptation  par  le  gouvernement  anglais  du  principe  de  l'arbi- 


368  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EX    1899 

trage  dans  les  différends  qui  pourraient  s'élever  entre  les  deux 
pays. 

Les  propositions  de  M.  Krùger  furent  trouvées  insuffisantes 
et  la  conférence  prit  fin  sans  qu'une  entente  eût  pu  intervenir. 

Ce  fut  une  déception  pour  les  amis  de  la  paix.  Ce  fut  aussi  le 
signal  du  renouvellement  des  violences  de  la  presse  anglaise. 
La  conférence  n'avait  cependant  pas  été  inutile. 

On  y  avait  délimité  un  terrain  d'entente  sur  lequel  il  était 
encore  possible  de  négocier. 

Malgré  des  paroles  imprudentes  prononcées  en  Angleterre, 
tout  espoir  d'arrangement  n'était  pas  encore  perdu.  Si  la 
presse  anglaise  jugeait  à  propos  de  partir  en  guerre  contre  le 
Transvaal,  le  gouvernement  anglais,  désireux  de  temporiser 
pour  gagner  le  moment  de  la  séparation  des  Chambres,  trou- 
vait encore  des  paroles  pacifiques. 

A  Pretoria,  le  président  Krùger,  mettant  ses  promesses  en 
action,  présentait  au  Volksraad,  le  13  juin,  un  texte  de  loi 
contenant  toutes  les  propositions  faites  à  sir  Milner.  En  agis- 
sant ainsi,  il  restait  fidèle  à  son  caractère,  et  donnait  satis- 
faction aux  instances  faites  auprès  de  lui  à  la  fois  par  les 
Afrikanders  du  Cap,  désireux  d'éviter  le  conflit,  et  par  les 
Boërs  de  l'État  libre  d'Orange  qui,  décidés  à  prendre  parti 
pour  leurs  frères  du  Transvaal,  avaient  de  justes  raisons  de 
craindre  la  guerre  plus  encore  que  le  président  Krùger. 

Le  Volksraad,  soucieux  de  sa  responsabilité,  ne  voulut  pas 
prendre  de  décision  sans  consulter  les  Burghers.  Le  résultat 
de  la  consultation  pouvait  être  prévu  d'avance;  les  Boërs, 
dans  leur  ensemble,  surtout  le  parti  des  jeunes  Boërs,  tout  en 
approuvant  les  propositions  du  président  Krùger,  déclarèrent 
qu'on  ne  saurait  aller  plus  loin  dans  la  voie  des  concessions. 
Il  y  avait  là  une  indication  pour  l'Angleterre,  et  cette  mani- 
festation de  l'opinion  boër,  peu  sujette  aux  variations,  aurait 
dû  préciser  la  limite  des  exigences  anglaises. 

D'un  autre  côté,  l'élément  afrikander  du  Cap  se  tournait  de 
plus  en  plus  vers  le  Transvaal,  donnant  tous  les  motifs  de 


AFRIQUE  AUSTRALE    BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  369 

craindre,  en  cas  de  guerre,  l'explosion  de  graves  difficultés 
dans  la  colonie. 

Mais  aucun  fait,  si  important  fût-il,  ne  semblait  plus  de 
nature  à  arrêter  le  gouvernement  anglais. 

L'opinion  du  ministre  des  colonies  paraissait  arrêtée.  En 
présence  de  la  lutte  de  la  race  hollandaise  contre  les  Anglo- 
Saxonsdans  l'Afrique  australe,  c'était  une  nécessité  impériale 
de  faire  disparaître  les  deux  foyers  autour  desquels  se  ral- 
liaient les  Afrikanders.  Le  Transvaal  et  l'État  libre  étaient  de 
trop.  La  fusion  des  races  ne  pouvant  s'opérer  qu'après  la 
disparition  de  ces  deux  états,  celle-ci  devait  être  obtenue 
d'une  manière  ou  d'une  autre.  Si  la  diplomatie  n'amenait 
pas  la  soumission  définitive  des  Boërs,  la  guerre  devrait  y 
pourvoir. 

Les  négociations  continuèrent;  mais,  des  deux  côtés,  les 
préparatifs  militaires  reprenaient  avec  activité.  On  annonçait 
d'Angleterre  l'envoi  de  50.000  hommes,  et,  dans  les  deux 
républiques,  on  se  préparait  à  tout  événement. 

Une  nouvelle  tentative  fut  cependant  faite  en  faveur  de  la 
paix. 

Le  Ier  juillet,  deux  ministres  transvaaliens  se  rencontraient 
à  Blœmfontein  avec  MM.  Hofmeyret  Herholdt,  les  chefs  afri- 
kanders du  Cap,  tandis  que  M.  Fischer,  membre  du  conseil 
exécutif  d'Orange,  se  rendait  à  Pretoria  auprès  du  président 
Krûger. 

De  ces  conférences  sortit  la  nouvelle  que  les  concessions  du 
Transvaal  allaient  être  augmentées,  et  une  sérieuse  détente  se 
produisit  lorsqu'on  apprit,  au  milieu  de  juillet,  le  vote  parle 
Volksraad  des  propositions  qui  lui  avaient  été  précédemment 
soumises  et  qui  étaient  amendées  de  manière  à  abaisser  à 
sept  années,  avec  effet  rétroactif,  le  délai  de  séjour  nécessaire 
pour  obtenir  la  nationalité  boër. 

L'accalmie  ne  dura  pas.  On  trouva  bientôt  en  Angleterre 

que  les  concessions  faites  par  le  président  Krûger  étaient  peu 

claires  et  d'ailleurs  insuffisantes,  et  la  campagne  de  presse 

recommença. 

Le  28  juillet,  à  la  tribune  anglaise,  retentissaient  les  dis- 
Air,  polit.  24 


370  l'afrique  politique  en  1900 

cours  alarmants  de  lord  Salisbury  et  de  M.  Chamberlain.  Ce 
dernier  émettait  la  prétention  de  constituer  une  commission 
anglo-boër  pour  examiner  la  loi  votée  par  le  Volksraad. 
C'était  une  intrusion  de  l'Angleterre  dans  les  affaires  inté- 
rieures de  la  République  et  le  Transvaal  ne  pouvait  accepter 
une  pareille  condition,  interdite  d'ailleurs  par  les  traités 
existants. 

Cette  proposition  fut  présentée,  le  2  août,  au  gouvernement 
transvaalien.  C'était  l'acculer  à  un  refus  pur  et  simple.  Mais, 
tout  en  refusant,  le  président  Krûger  se  déclarait,  le  19  août, 
prêt  à  accepter  les  propositions  formulées  à  Bloemfontein  par 
sir  A.  Milner,  c'est-à-dire  la  franchise  électorale  au  bout  de 
cinq  ans  et  huit  sièges  au  Raad,  à  la  condition  qu'il  ne  fût  plus 
question  de  la  suzeraineté  anglaise. 

Une  telle  preuve  de  condescendance,  donnée  en  faveur  de 
la  paix,  aurait  dû  clore  l'ère  des  difficultés.  Mais  le  Parlement 
britannique  venait  d'entrer  en  vacances,  laissant  M.  Cham- 
berlain sans  contrôle.  Les  événements  paraissaient  devoir  se 
précipiter. 

Le  8  septembre,  contrairement  aux  coutumes  observées  en 
l'absence  du  Parlement,  un  conseil  de  cabinet  était  tenu  à 
Londres  et  une  nouvelle  note  envoyée  au  Transvaal. 

On  sommait  la  République  sud-africaine  d'accorder  aux 
uitlanders,  sans  conditions,  la  franchise  électorale  au  bout  de 
cinq  ans,  et  le  quart  du  nombre  des  sièges  du  Raad. 

Or.  la  première  concession  avait  été,  comme  on  l'a  vu, 
offerte,  le  19  août,  par  le  président  Krûger,  et  celui-ci,  en 
consentant  à  accorder  aux  uitlanders  dix  sièges  des  Raads,  ac- 
cédait en  définitive  aux  demandes  anglaises. 

On  exigeait  en  outre  l'égalité  des  citoyens  de  race  hollan- 
daise et  anglaise  dans  les  Raads,  notamment  au  point  de  vue 
de  l'usage  de  la  langue  anglaise. 

Le  président  Krûger,  dans  sa  réponse  du  17  septembre, 
s'en  tint  à  sa  note  du  19  août.  Les  exigences  anglaises  étaient 
acceptées,  mais  toujours  à  la  condition  que  l'Angleterre  re- 
noncerait à  sa  prétention  de  suzeraineté  et  s'engagerait  à  ne 
plus  intervenir  dans  les  affaires  intérieures  de  la  République. 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.   —  TRANSVAAL  371 

Il  y  avait  donc  une  restriction  dans  l'acceptation.  Le  Trans- 
vaal  refusait  de  se  soumettre. 

A  cette  réponse  de  la  République  sud-africaine,  M.  Cham- 
berlain répondit,  le  22  septembre,  par  un  télégramme  adressé 
à  sir  A.  Milner,  dans  lequel,  tout  en  protestant  de  son  désir  de 
ne  pas  gêner  l'indépendance  du  Transvaal,  il  se  déclarait 
résolu  à  s'opposer  à  la  prétention  de  la  République  d'être 
considérée  comme  un  État  souverain  international.  Après 
avoir  insisté  sur  l'étendue  de  la  franchise  à  accorder  aux 
uitlanders,  il  ajoutait  :  «  Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  est 
donc  obligé  de  reprendre,  sur  nouveaux  frais,  l'examen  de  la 
question  et  de  formuler  ses  propres  résolutions  pour  un 
règlement  définitif  de  la  situation  qui  a  été  créée  dans  le  sud 
de  l'Afrique  par  la  politique  dans  laquelle  a  persisté  pendant 
un  grand  nombre  d'années  le  gouvernement  de  la  République 
sud-africaine.  Le  gouvernement  vous  communiquera  le  résul- 
tat de  ses  délibérations  dans  une  dépêche  ultérieure.  » 

En  attendant  la  réunion  du  conseil  de  cabinet  convoqué  pour 
le  29  septembre,  en  vue  de  formuler  le  dernier  mot  des  exi- 
gences anglaises,  les  Afrikanders,  dans  toute  l'Afrique  du  sud, 
prenaient  résolument  parti  pour  leurs  frères  du  Transvaal, 
donnant  à  l'Angleterre  toutes  les  raisons  de  craindre,  comme 
jadis  en  Amérique,  un  soulèvement  général  de  la  colonie. 

En  même  temps  le  Volksraad  de  l'État  libre  d'Orange  adoptait 
le  21  septembre,  à  l'unanimité,  la  décision  de  soutenir  le 
Transvaal. 

L'opinion  anglaise  avait  cru  jusqu'au  dernier  moment  pou- 
voir se  faire  illusion  sur  l'attitude  de  l'Etat  libre.  Aussi  cette 
décision  donna-t-elle  à  certains  journaux  l'occasion  de  pousser 
des  cris  d'alarme  sur  l'imprévoyance  de  la  politique  de 
M.  Chamberlain  et  de  formuler  des  doutes  sur  la  bonne 
organisation  de  l'armée  anglaise  (1). 


(1)  Le  Temps  signala  au  mois  d'août  une  répercussion  inattendue  produite  en 
Angleterre  par  les  événements  du  Transvaal  : 

«  L'agitation  des  uitlanders  au  Transvaal  a  son  contrecoup  sur  la  situation  des 
étrangers  en  Angleterre,  notamment  à  Manchester,  où  la  communauté  israélite 
est  très  nombreuse  : 

«  Il  existe  3o.000  étrangers  à  Manchester,  a  déclaré  un  israélite  influent  à  un 


372  l'afrique  politique  ex  1900 

On  était  à  ce  moment  entièrement  fixé,  à  Londres,  sur  les 
éventualités  possbiles. 

Elles  parurent  redoutables.  Le  conseil  de  cabinet  du  29  sep- 
tembre, désireux  d'attendre  la  réponse  du  Transvaal  à  la  dé- 
pêche du  22  septembre,  décida  de  remettre  ses  décisions  à  un 
prochain  conseil  fixé  au  3  octobre. 

Ce  conseil  ne  fut  pas  tenu.  On  avait  de  bonnes  raisons  de 
temporiser.  Les  préparatifs  continuèrent  et,  le  7  octobre,  dans 
un  conseil  privé  tenu  à  Balmoral,  la  reine  signait  l'appel  des 
réserves  et  donnait  son  consentement  à  la  convocation  du  par- 
lement pour  le  17  octobre. 

Dès  que  ces  graves  nouvelles  lui  parvinrent,  le  président 
Krûger,  désireux,  à  bon  droit,  de  s'assurer  à  l'égard  des  An- 
glais de  l'offensive  stratégique,  adressa,  à  la  date  du  9  octobre, 
au  gouvernement  britannique  un  ultimatum  dans  lequel  il  de- 
mandait : 

a)  Que  tous  les  points  du  différend  mutuel  soient  réglés  par  le 
moyen  d'un  arbitrage  amical  ou  par  tout  autre  moyen  amiable  qui 
pourrait  être  fixé  d'accord  entre  le  gouvernement  boër  et  le  gou- 
vernement de  Sa  Majesté  ; 

b)  Que  les  troupes  qui  se  trouvent  sur  la  frontière  de  cette  Répu- 
blique soient  retirées  immédiatement  ; 

c)  Que  tous  les  renforts  de  troupes  qui  sont  arrivés  dans  le  sud 


))  reporter  du  Manchester  Guardian.  Fort  peu  d'entre  eux  peuvent  se  faire  natu- 
»  raliser  à  cause  des  droits  excessifs  exigés  par  le  fisc.  En  1885,  le  gouverne- 
))  ment  libéral  a  abaissé  ces  droits  de  5  à  1  livre  sterling;  mais  le  parti  tory,  en 
)>  revenant  au  pouvoir,  a  remis  en  vigueur  le  chiffre  ancien  de  5  livres  sterling, 
»  qui,  avec  les  autres  frais,  monte  actuellement  à  8  et  même  10  livres  sterling.  Au 
))  Transvaal,  ce  droit  n'est  que  de  2  livres  sterling. 

»  Ajoutez  à  cela  que  l'uitlander  est  uniquement  allé  au  Transvaal  pour  faire  sa 
»  «  pile  d'écus  »  avec  l'espoir  de  retourner  un  jour  en  Europe,  tandis  que  les 
»  uitlanders  d'ici  sont,  la  plupart,  fixés  en  Angleterre  sans  esprit  de  retour. 

))  Nous  payons  des  taxes  et  des  droits,  partant  nous  devons  avoir  voix  au  cha 
))  pitre.  En  ce  qui  concerne  l'instruction  de  nos  enfants,  non  seulement  nous  devons 
»  pourvoir  aux  frais  de  leur  instruction   religieuse,  mais  nous  devons    encore 
))  payer  une  lourde  taxe  pour  les  écoles  publiques  anglaises,  c'est-à-dire  que  nous 
»  devons  contribuer  aux  frais  de  l'instruction  religieuse  des  enfants  des  autres.  » 

»  Le  Guardian  ajoute  que  les  israélites  tiendront  un  grand  meeting  à  Manchester 
au  mois  d'octobre  où  ils  soumettront  leur  demande  au  gouvernement.  Etant 
donné  tout  l'intérêt  que  le  gouvernement  a  témoigné  aux  uitlanders  duTransvaal, 
les  israélites  de  Manchester  espèrent  qu'il  ne  fera  pas  la  sourde  oreille  aux  griefs 
des  uitlanders  en  Angleterre.  » 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  373 


de  l'Afrique  depuis  le  1er  juin  1899  soient  retirés  du  sud  de  l'Afri- 
que dans  une  limite  de  temps  raisonnable,  à  fixer  d'accord  entre 
les  deux  gouvernements,  et  avec  assurance  et  garantie  de  la  part 
du  gouvernement  du  Transvaal  qu'aucune  attaque  ou  hostilité  ne 
seront  dirigées  contre  une  portion  quelconque  des  possessions  du 
gouvernement  britannique  par  la  République  au  cours  des  futures 
négociations,  dans  une  période  qui  sera  fixée  ultérieurement  entre 
les  deux  gouvernements. 

Le  gouvernement  du  Transvaal,  en  conformité  de  cet  accord, 
sera  préparé  à  retirer  des  frontières  les  burghers,  arrivés  de  la  Ré- 
publique ; 

d)  Que  les  troupes  de  Sa  Majesté,  qui  sont  en  ce  moment  en 
route  par  mer,  ne  seront  débarquées  en  aucune  partie  du  sud  de 
l'Afrique. 

En  même  temps,  il  fixait  au  1 1  octobre,  à  5  heures  du  soir, 
la  date  à  laquelle  la  non-réception  d'une  réponse  affirmative 
serait  considérée  comme  équivalant  à  une  déclaration  de 
guerre.  Le  10  octobre,  le  gouvernement  anglais  donnait  l'or- 
dre à  sir  A.  Milner  de  communiquer  au  Transvaal  la  réponse 
suivante  : 

Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  a  reçu  avec  un  grand  regret  les 
demandes  péremptoires  du  gouvernement  de  la  République  sud- 
africaine  transmises  par  votre  télégramme  du  9  octobre. 

Vous  informerez  le  gouvernement  de  la  République  sud-africaine, 
en  réponse,  que  les  conditions  posées  par  le  gouvernement  de  la 
République  sud-africaine  sont  telles  que  le  gouvernement  de  Sa 
Majesté  juge  impossible  de  les  discuter. 

Deux  jours  après,  les  Boërs  entraient  en  campagne.  La  poli- 
tique anglaise  les  avait  convaincus  de  la  nécessité  de  prévenir 
leurs  adversaires. 

*•  * 

En  Angleterre,  l'opinion  publique,  savamment  travaillée, 
se  livrait  déjà  à  des  manifestations  chauvines  que  la  foule  exa- 
gérait, tandis  que  les  esprits  vraiment  éclairés  ne  cessaient  de 
signaler  l'erreur  qu'allait  commettre  le  Royaume-Uni  en 
essayant  de  créer  une  nouvelle  Irlande  dans  l'Afrique  du  sud. 


374  l'afrique  politique  en  1900 

Après  les  chefs  du  parti  libéral  et  plusieurs  membres  indé- 
pendants du  Parlement,  des  hommes  éminents  de  la  presse, 
crurent  devoir  dénoncer  les  dessous  de  cette  guerre  chère  à 
M.  Chamberlain  et  qui  n'avait  pas  d'autre  but  que  de  permet- 
tre à  la  Chartered  de  faire  à  la  face  du  monde  une  faillite  ho- 
norable. L'opinion  publique  elle-même,  surtout  en  province, 
faisait  sérieusement  ses  réserves. 

Liverpool,  la  ville  du  coton,  paraissait  se  désintéresser  du 
conflit  qui  ne  touchait  pas  à  son  commerce  tout  spécial.  On  y 
était  d'autant  plus  à  l'aise  pour  critiquer  sévèrement  la  poli- 
tique du  gouvernement. 

A  Manchester,  à  Leeds,  et  dans  nombre  d'autres  villes,  les 
protestations  furent  plus  vigoureuses.  Mais  le  peuple  de  Lon- 
dres paraissait  définitivement  acquis  aux  idées  de  M.  Cham- 
berlain, le  héros  du  jour,  et  manifestait  son  ardeur  belliqueuse 
dans  de  bruyants  meetings. 

A  l'étranger,  la  politique  anglaise  était  partout  désap- 
prouvée. Les  Hollandais  poussaient  leur  reine  à  faire,  auprès 
de  l'empereur  d'Allemagne,  une  démarche  en  faveur  de  leurs 
frères  d'Afrique. 

Ailleurs,  les  gouvernements  se  réservaient,  observant  les 
événements.  Aux  États-Unis,  on  refusait  toute  intervention 
malgré  une  vigoureuse  poussée  de  l'opinion,  contraire  à 
V étranglement  du  Transvaal. 

Dans  les  colonies  anglaises  on  était,  suivant  les  latitudes  et 
les  races,  plus  ou  moins  chaud  pour  la  guerre. 

Tandis  qu'on  se  préparait  à  expédier  de  l'Inde  des  renforts 
encore  estimés  trop  nombreux,  par  crainte  des  concentrations 
russes  signalées  en  Turkestan,  les  communautés  austra- 
liennes faisaient  des  offres  de  troupes,  acceptées  avec  empres- 
sement par  le  gouvernement  britannique. 

Au  Canada,  malgré  les  invitations  du  parti  conservateur, 
le  gouvernement  de  sir  Wilfrid  Laurier  se  réservait  encore  au 
sujet  de  la  formation  d'un  corps  de  volontaires  canadiens. 

De  divers  points  du  globe  arrivaient  à  Londres  des  expres- 
sions de  loyalisme  confondues  avec  les  nouvelles  des  immenses 
préparatifs  de  guerre  faits  par  l'Angleterre. 


i 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE   —    TRANSVAAL  375 

De  Malte,  de  Gibraltar,  on  signalait  des  envois  de  troupes: 
d'Italie  et  de  la  Nouvelle-Orléans,  des  achats  considérables  de 
mulets;  à  Chicago,  on  demandait  des  chevaux;  à  diverses 
usines  américaines,  on  commandait  des  wagons  pour  ren- 
forcer le  matériel  des  lignes  sud-africaines.  Enfin,  on  rappe- 
lait sur  toutes  les  lignes  commerciales  les  steamers  affrétés 
par  le  gouvernement  pour  le  transport  des  troupes  et  du  maté- 
riel. 

* 

*  * 

11  en  fallait  plus  d'une  centaine  pour  contenir  le  person- 
nel et  les  approvisionnements  de  l'armée  que  l'Angleterre 
avait  décidé  de  mobiliser  dès  le  début  de  la  guerre. 

Au  1er  mai  1899,  les  troupes  anglaises  détachées  dans  F  Afri- 
que du  Sud  comprenaient  : 

6  bataillons  et  demi  d'infanterie  ; 

2  régiments  de  cavalerie  ; 

4  batteries  plus  2  compagnies  d'artillerie  de  place  ; 

1  compagnie  du  génie  ; 

Des  services  auxiliaires. 

Soit  environ  8.300  hommes. 

Dès  le  mois  de  juillet  on  admettait,  en  Angleterre,  le  renfor- 
cement de  cette  petite  armée.  Au  mois  d'août,  on  expédiait  au 
Cap  :  2  bataillons  d'infanterie  et  3  compagnies  du  génie  ;  puis, 
au  mois  de  septembre,  on  y  envoyait  4  bataillons  d'infanterie 
provenant  chacun  d'Angleterre,  de  Malte,  de  Crète  et  d'Egypte, 
et  3  batteries.  On  appelait  au  même  instant,  de  l'Inde  au  Natal, 
4  bataillons,  3  régiments  de  cavalerie  et  3  batteries.  Peu 
après,  de  nouveaux  renforts  portaient  l'ensemble  des  troupes 
britanniques  combattantes,  présentes  dans  l'Afrique  australe 
à  la  fin  d'octobre,  à  : 

16  bataillons  et  demi  d'infanterie  et  une  brigade  navale  ; 
5  régiments  de  cavalerie  ; 

12  batteries; 

5  compagnies  du  génie. 


376  l'afrique  politique  en  1900 

Ces  forces  ne  constituaient  qu'un  premier  échelon.  Dès  la  fin 
de  septembre,  le  gouvernement  anglais  décidait  l'envoi  au  Cap 
de  tout  un  corps  d'armée,  et  donnait  le  commandement  en 
chef  à  sir  Red  vers  Buller  avec,  pour  chef  d'état-major  général, 
le  général  sir  Archibald  Hunter.  Déjà,  au  commencement  d'oc- 
tobre, sir  George  White  avait  pris  le  commandement  des  trou- 
pes du  Natal,  destinées,  suivant  toutes  probabilités,  à  recevoir 
le  premier  choc  des  Boërs  (1). 

La  mobilisation,  ordonnée  le  29  septembre,  fut  consacréa 
\iaiYArmy  Ordcr  du  7  octobre.  L'Angleterre  mettait  à  la  dispo- 
sition de  sir  Buller  3  divisions  d'infanterie  et  1  division  de  ca- 
valerie formant  un  total  de  47.000  hommes  —  dont  9.000  poul- 
ies lignes  d'étapes —  11.000  chevaux,  14.000  à  15.000  mulets, 
près  de  3.000  voitures  et  114  pièces.  Ces  forces  constituaient  : 
32  bataillons  d'infanterie; 
8  régiments  de  cavalerie; 
19  batteries  dont  4  à  cheval  ; 
8  compagnies  du  génie  et  services  auxiliaires. 
Ces  unités  étaient  ainsi  réparties,  dans  le  principe,  en  ce 
qui  concerne  les  Field  forces  ou  troupes  de  campagne  propre- 
ment dites  : 
lre  division  :  Général-lieutenant  lord  Methuen. 
Brigade  de  la  garde  :  Général-major  sir  Colville. 
Brigade  anglaise  :  Générai-major  Hildyard. 
2e  division  :  Général-major  sir  C.  F.  Cléry. 
Brigade  de  Highlanders  :  Général-major  Wauchope. 
Brigade  de  tirailleurs  :  Général-major  Lyttelton. 
3e  division  :  Général-major  sir  W.  F.  Gatacre. 

Brigade  irlandaise  :  Général-major  Fitz  Roy  Hart. 
Brigade  de  fusiliers  :  Général-major  Barton. 
A  chaque  division  comprenant  4  bataillons  par  brigade 
étaient  rattachées  3  batteries  divisionnaires,  1  compagnie  d'in- 
fanterie montée  et  1  compagnie  du  génie. 


(1)  Voir  les  excellents  articles  publiés  sur  «  la  Guerre  au  Transvaal  »  par  la 
France  militaire  depuis  le  début  de  la  campagne. 


AFRIQUE  AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  377 

Division  de  cavalerie  :  Général-lieutenant  J.  D.  P.  French. 
lre  brigade  (3  régiments)  :  Général-major  Babington. 
2e  brigade  (3  régiments)  :  Général-major  Brabazon. 

Ce  corps  d'armée  fut  encore  renforcé  au  commencement  de 
novembre  par  3  bataillons  .et  1  batterie,  soit  environ  3.000 
hommes.  Avec  les  24.000  hommes  de  troupes  anglaises  qui 
se  trouvaient  déjà  dans  le  sud  de  l'Afrique  et  qui  fournissaient 
au  Natal  une  quatrième  division  de  troupes  de  campagne  on 
atteignait  ainsi  pour  l'ensemble  des  forces,  vers  le  1er  décem- 
bre, un  chiffre  d'environ  75.000  hommes. 

Il  faut  y  ajouter  :  la  Naval  Brigade  de  l'escadre  du  Cap 
(1.100  hommes)  fournissant  des  détachements  aux  trois  grou- 
pements de  forces  britanniques  constitués  en  face  des  Boërs  à 
la  fin  de  novembre; 

Les  forces  de  police  de  la  colonie  du  Cap  et  de  Natal  ; 

Les  formations  diverses  de  volontaires  de  la  colonie; 

Les  détachements  offerts  par  les  autres  colonies  britanni- 
ques :  lanciers  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  volontaires  de 
Victoria  et  de  l'Australie,  de  la  Nouvelle-Zélande,  du  Canada, 
etc. 

L'ensemble  de  ces  forces  s'élevait  à  environ  92.000  hommes, 
présents  dans  l'Afrique  australe  au  10  décembre  ou  bien  près 
d'y  arriver,  dont  17.000  hommes  environ  de  Local  Forces  et 
de  contingents  coloniaux. 

Ce  formidable  effort,  le  plus  considérable  dans  l'histoire 
britannique,  avait  nécessité  l'épuisement  complet  de  l'armée 
anglaise  métropolitaine,  vers  laquelle  on  avait  fait  refluer  tous 
les  détachements  coloniaux  dont  on  avait  pu  disposer.  L'ar- 
mée active  avait  fourni  à  sir  R.  Buller  près  de  29.000  hommes; 
l'appel  des  réserves  du  17  octobre  avait  donné  environ  25.000 
hommes  et  on  avait  dû  ordonner  aussitôt  un  appel  de  la  milice, 
puis  des  volontaires  pour  combler  les  vides  dans  les  garnisons 
de  la  métropole  et  occuper  les  stations  de  la  Méditerranée. 

Malgré  les  difficultés  de  la  mobilisation  et  grâce  aux  efforts 
demandés  aux  compagnies  de  chemins  de  fer,  l'embarquement 
des  troupes  s'exécuta  rapidement.  Les  cent  quinze  transports 
affrétés  commencèrent  dès  le  20  octobre  à  quitter  les  ports 


378  l'afrique  politique  en  1900 

anglais;  à  la  fin  de  novembre  toutes  les  troupes  du  général 
Buller,  avec  les  divers  services,  étaient  débarquées  dans 
l'Afrique  australe. 

Mais  à  ce  moment  de  nombreux  revers  étaient  déjà  surve- 
nus. Le  général  en  chef,  obligé  par  les  circonstances  d'opérer 
la  dislocation  de  ses  forces  dans  trois  directions  différentes, 
provoquait  l'envoi  au  Cap  d'une  5e  division  composée,  sous  le 
commandement  de  sir  Charles  Warren,  de  deux  brigades  de 
4  bataillons  (colonels  Woodgate  et  Coke),  d'un  régiment  de 
hussards,  de  3  batteries,  d'une  compagnie  du  génie  et  de  ser- 
vices auxiliaires  :  soit  environ  11.500  hommes. 

On  décidait  en  même  temps  l'envoi  d'un  parc  de  siège  de 
30  pièces  (environ  1.200  hommes),  ce  qui  portait  à  près  de 
13.000  hommes  le  chiffre  des  renforts,  et  l'on  parlait  déjà  de 
former  une  6e  et  même  une  7e  et  une  8e  division. 

L'envoi  de  la  5e  division  devait  porter  à  près  de  105.000 
hommes  l'effectif,  au  1er  janvier  1900,  de  l'armée  anglaise  de 
l'Afrique  du  sud. 

-* 
*  * 

Pendant  que  s'effectuaient,  en  Angleterre,  la  mobilisation  et 
l'embarquement  des  troupes,  au  milieu  d'une  nation  travaillée 
par  la  presse,  trompée  souvent  par  des  nouvelles  tendan- 
cieuses, énervée  par  l'attente  des  résultats  et  par  le  blâme 
presque  unanime  de  la  presse  étrangère,  la  diplomatie  ne  res- 
tait pas  inactive. 

Depuis  le  mois  de  septembre,  la  visite  de  l'Empereur  d'Alle- 
magne à  la  cour  d'Angleterre,  annoncée  dans  les  journaux 
allemands  pour  le  mois  de  novembre,  avait  provoqué  dans 
tout  l'empire  une  opposition  qui  donnait  la  mesure  des  senti- 
ments peu  amicaux  de  la  population  à  l'égard  des  Anglais.  Il 
fallut,  pour  motiver  cette  visite,  trouver  des  motifs  de  famille 
dont  la  convenance  ne  réussit  guère  à  convaincre  l'opinion. 
En  réalité,  TEmpereur,  peu  habitué  à  se  laisser  influencer  par 
l'opinion  populaire,  méditait  déjà  sur  une  ligne  de  conduite 
capable  de  lui  assurer  les  bénéfices  d'une  neutralité  coûteuse 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  379 

pour  l'Angleterre  en  même  temps  que  l'avantage  des  appa- 
rences de  relations  cordiales  avec  la  Russie  et  avec  la  France. 

Les  intérêts  allemands  furent  seuls  pris  en  considération. 
Depuis  longtemps  le  télégramme  adressé  au  président  Kruger 
après  l'attentat  de  Jameson  avait  été  oublié,  et  il  n'apparut  pas 
que  la  visite  des  reines  de  Hollande  à  Berlin,  peu  après  l'ulti- 
matum du  Transvaal,  ait  révélé,  de  la  part  de  Guillaume  II, 
autre  chose  que  de  bonnes  intentions. 

Cette  politique  utilitaire,  si  bien  comprise  en  Angleterre 
même,  où  le  sentiment  ne  joue  son  rôle  que  dans  les  moments 
d'embarras  ou  d'inaction,  se  traduisit  assez  brusquement  le 
matin  même  de  la  visite  à  Berlin  de  la  famille  impériale  de 
Russie,  par  la  publication  du  traité  anglo-allemand  réglant  la 
situation  des  deux  pays  aux  îles  Samoa  et  au  Togoland.  En 
réalité,  ce  ne  fut  là  qu'un  succès  d'apparence  pour  la  diplo- 
matie allemande.  A  Samoa,  les  situations  respectives  étaient 
délimitées  et  l'Allemagne  n'avait  pas  à  se  plaindre  de  son  lot; 
mais  au  Togoland  les  avantages  de  la  convention  allaient  à 
l'Angleterre. 

La  publication  de  ce  traité  survenant  au  moment  de  l'entre- 
vue des  deux  empereurs  fut  diversement  interprétée:  les  uns 
la  considérèrent  comme  une  faute,  d'autres  comme  un  coup 
de  maître  de  la  diplomatie  de  M.  de  Bulow.  Ses  résultats  furent 
peu  appréciables. 

Peu  de  jours  après,  Guillaume  II  se  rendait  à  la  cour  an- 
glaise. Toutes  les  précautions  furent  prises  pour  donner  à 
cette  visite  le  caractère  intime  d'une  entrevue  de  famille;  et 
malgré  les  tentatives  faites  par  quelques  personnages  britan- 
niques pour  donner  à  l'Empereur  l'occasion  de  manifester  ses 
vues,  le  voyage  s'effectua  sans  que  la  diplomatie  allemande  ait 
été  dévoilée  ou  compromise.  Même  au  retour,  lors  du  passage 
parla  Hollande,  il  ne  transpira  delà  visite  rendue  aux  deux 
reines  que  de  vagues  récits  relatifs  à  des  projets  matrimo- 
niaux :  toute  occasion  nouvelle  de  manifester  aux  Boërs  une 
réelle  et  effective  sympathie  et  de  donner  aux  Hollandais  une 
satisfaction  désirée  fut  soigneusement  écartée. 

Décidément  les  intérêts  allemands  étaient  bien  gardés  et  les 


380  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EX    1900 

allures  mystérieuses  de  la  politique  germanique  faisaient  con- 
traste avec  le  nouveau  jeu  diplomatique  inauguré  par  M.  Cham- 
berlain. 

On  signala  cependant  une  combinaison  économique  et  poli- 
tique à  la  fois,  dont  le  Portugal  devait  faire  tous  les  frais.  Il 
s'agissait  delà  construction  d'une  voie  ferrée  partant  duTrans- 
vaal,  traversant  la  Rhodesia  et  l'Ouest  Africain  allemand  et 
venant  aboutir  en  un  point  —  on  a  cité  la  baie  des  Tigres  — 
de  la  province  de  Mossamédès.  On  vit  dans  ce  projet,  et  peut- 
être  à  tort,  l'intention  de  l'Allemagne  non  seulement  démettre 
en  valeur  des  territoires  délaissés,  mais  aussi  d'empiéter  sur 
le  voisin  portugais,  possesseur  d'une  contrée  réputée  pour  ses 
mines. 

Ce  fut  là  une  des  nouvelles  les  plus  positives  jetées  en  pâ- 
ture à  l'opinion  après  l'entrevue  de  Guillaume  II  et  de  M. 
Chamberlain.  Il  y  fut  cependant  question  d'autres  éventualités  ; 
et  lorsque,  peu  de  jours  après,  le  ministre  anglais  des  colonies 
lança,  dans  son  discours  de  Leicester,  son  appel  en  faveur 
d'une  alliance  entre  l'Angleterre,  l'Allemagne  et  les  États- 
Unis,  il  apparut  à  bon  nombre  d'esprits  réfléchis  que  les  con- 
versations tenues  en  Angleterre  par  l'Empereur  allemand 
avaient  pu  faire  naître  chez  certains  hommes  d'État  britanni- 
que de  trop  longs  espoirs  et  de  trop  vastes  pensées. 

Ce  discours  souleva  des  tempêtes  dans  la  presse  des  deux 
mondes.  Il  n'était  pas  besoin  de  tant  de  paroles  pour  faire  con- 
stater une  fois  de  plus  l'habileté  pratique  de  la  politique  alle- 
mande, le  désir  des  Anglais  de  maintenir,  même  en  la  payant 
d'un  bon  prix,  la  neutralité  de  l'Empereur  et  la  volonté  bien 
arrêtée  à  Berlin  de  faire  payer  cette  neutralité  le  plus  cher  pos- 
sible. 

La  Russie,  de  son  côté,  paraissait  pratiquer  les  mêmes  sen- 
timents. Ses  intérêts  en  Chine  et  sur  les  frontières  de  l'Inde, 
où  elle  concentrait  des  troupes,  semblaient  l'occuper  exclusi- 
vement et,  malgré  la  poussée  de  l'opinion  en  faveur  des  Boërs, 
cette  guerre  n'avait  l'air  de  l'intéresser  qu'au  point  de  vue  de 
sa  lointaine  répercussion  sur  les  choses  d'Europe  et  d'Asie. 

L'Espagne,  peu  aimée  des  Anglais  depuis  la  guerre  améri- 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  381 

caine,  s'appliquait  à  panser  ses  blessures  et  à  porter  remède  à 
sa  fièvre  intérieure  :  l'Italie,  toujours  inquiète,  cherchait  tou- 
jours sa  voie;  l'Autriche,  préludant  à  une  décomposition  plus 
complète  par  des  déchirements  intérieurs,  ne  songeait  plus  qu'à 
apaiser  la  tempête  des  partis,  tous  les  jours  plus  violente;  la 
Hollande,  faible  et  impuissante,  ne  pouvait,  malgré  ses  désirs, 
qu'émettre  des  vœux  et  formuler  des  souhaits. 

Même  aux  États-Unis,  qui  avaient  paru  dès  le  début  être 
poussés  vers  l'Angleterre,  l'opinion  allemande  et  irlandaise 
imposait  au  gouvernement  une  réserve  à  laquelle  ses  embarras 
coloniaux  n'étaient  d'ailleurs  point  étrangers. 

Quant  à  la  France,  elle  réservait  son  opinion,  interrogeait 
ses  intérêts  et  préparait  ses  forces. 

* 

*  * 

Les  Boërs  n'avaient  donc  pas  à  compter  sur  l'Europe,  mal- 
gré la  justice  de  leur  cause,  malgré  les  efforts  patriotiques  ten- 
tés auprès  des  gouvernements  du  continent  par  le  docteur 
Leyds,  le  représentant  éminent  du  Transvaal  en  Europe. 

Ils  pouvaient  au  moins  compter  sur  leurs  frères  de  l'A- 
frique australe.  On  a  vu  que  l'appui  de  l'État  libre  d'Orange 
s'était  offert  longtemps  avant  le  dernier  conflit  diplomatique. 
Au  Natal  la  minorité  afrikander  ne  ménageait  pas  ses  sym- 
pathies, mais  se  trouvait  obligée,  par  son  infériorité  numé- 
rique, d'attendre  l'arrivée  des  troupes  du  Transvaal  pour  se 
joindre  à  elles.  En  attendant,  là  comme  au  Cap,  les  éléments 
d'information  ne  manquaient  pas  et  le  service  des  renseigne- 
ments des  deux  républiques  put  constamment  y  trouver  de 
précieuses  indications. 

Au  Cap,  les  chefs  du  parti  afrikander,  MM.  Schreiner,  pre- 
mier ministre,  et  Hofmeyr  ne  réussissaient  plus,  dès  le  mois 
d'octobre  et  malgré  leur  loyalisme,  à  retenir  dans  le  devoir  le 
parti  hollandais.  Tenus  en  suspicion  par  le  parti  anglais,  leur 
autorité  sur  les  Afrikanders  paraissait  diminuer  chaque  jour. 
Déjà  à  la  fin  d'octobre,  après  les  défaites  anglaises  autour  de 
Ladysmith,  les  fermiers  boërs  du  Natal  s'étaient  joints  en 


382  l'afrique  politique  en  1900 

foule  à  l'armée  du  Transvaal,  tandis  que,  tout  autour  des  fron- 
tières de  l'État  d'Orange,  les  défections  se  multipliaient.  Ace 
moment  le  général  Joubert,  qui  allait  recevoir  le  concours  des 
talents  militaires  du  colonel  de  Villebois-Mareuil,  pouvait 
écrire  en  Europe  que  les  deux  républiques  disposaient  de 
50.000  hommes  et  qu'il  n'était  pas  nécessaire  de  compter  sur 
un  soulèvement  des  Afrikanders  :  sur  ce  chiffre,  les  fermiers 
insurgés  contre  l'Angleterre  comptaient  déjà  pour  un  nombre 
important.  Ce  nombre  s'accrut  encore  dans  le  courant  des 
mois  suivants  et,  vers  la  fin  de  novembre,  les  Anglais  se  virent 
obligés  de  prendre  de  sérieuses  précautions  contre  l'insurrec- 
tion afrikander.  Dans  toute  la  région  au  sud  du  fleuve  Orange, 
et  notamment  autour  de  Stormberg  et  de  Naauwport,  les  forces 
des  généraux  French  et  Gatacre  étaient  tenues  en  échec  et  un 
nombre  considérable  de  Cafres,  plus  de  dix  mille,  a-t-on  dit, 
étaient  employés  à  maintenir  la  sécurité  des  voies  ferrées. 
C'était  là  une  intervention  déguisée  de  l'élément  noir  dans  le 
conflit,  intervention  également  redoutée  par  les  deux  partis 
surtout  en  ce  qui  concernait  la  grande  et  belliqueuse  nation 
des  Basoutos  déjà  sollicitée  par  les  Anglais. 

Ce  n'était  pas  trop  de  toute  une  armée  pour  maintenir 
intactes  les  voies  de  communication  et  l'on  y  consacra  dès 
le  mois  de  novembre  des  effectifs  considérables  qui  réduisi- 
rent d'autant  le  chiffre  des  forces  anglaises  à  opposer  aux 
Boërs. 

Ceux-ci,  au  contraire,  maîtres  de  leurs  lignes  d'opérations 
établies  sur  leur  territoire  dans  trois  directions  différentes, 
pouvaient  porter  en  face  de  l'envahisseur  la  presque  totalité 
de  leurs  forces.  Les  deux  républiques,  mettant  sur  pied  tous 
les  hommes  valides  de  16  à  60  ans,  avaient  pu  réunir  dès  le 
milieu  d'octobre  près  de  40.000  hommes  y  compris  un  corps 
allemand  et  des  compagnies  d'Irlandais  et  de  Suédois.  En  ajou- 
tant à  ce  chiffre  l'appoint  fourni  par  les  volontaires  du  Cap, 
du  Natal  et  de  plusieurs  pays  d'Europe,  on  atteignait  au  mois 
de  novembre  l'effectif  cité  plus  haut  d'environ  50.000  com- 
battants réellement  disponibles  pour  les  opérations  de  cam- 
pagne. Celles-ci,  conduites  par  les  Anglais  dans  un  pays  fort 


AFRIQUE  AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  383 

difficile,  avec  des  troupes  braves,  il  est  vrai,  mais  habituées  à 
une  vie  confortable  exigeant  de- nombreux  convois,  devaient 
nécessairement  demander,  pour  aboutir  à  un  résultat  favo- 
rable, un  temps  très  long  et  des  forces  considérables. 


Pour  venir  à  bout  de  50.000  hommes  braves,  habiles  au  tir, 
formant  des  troupes  d'une  mobilité  remarquable  et  combat- 
tant dans  une  région  difficile,  il  est  nécessaire,  à  toute  époque 
et  en  tout  pays,  de  disposer  d'un  effectif  au  moins  double. 
C'est  donc  100.000  Anglais  qu'il  fallait  mettre  en  première 
ligne,  tandis  que  la  garde  des  lignes  d'opérations  et  des  gar- 
nisons devait  exiger,  même  en  pays  à  peu  près  tranquille, 
environ  30.000  hommes.  Mais  si  l'on  ajoute,  aux  difficultés  à 
vaincre,  celles  qui  peuvent  résulter  de  l'insurrection  d'au 
moins  40.000  insurgés  afrikanders  dispersés  sur  un  immense 
territoire,  coupant  partout  routes  et  voies  ferrées,  inquiétant 
les  garnisons  et  les  troupes  d'étapes,  et  risquant  d'affamer  les 
troupes  de  campagne,  ce  n'est  plus  30.000  hommes  mais  bien 
80  à  100.000  Anglais  qu'il  aurait  fallu  mettre  en  ligne  pour 
permettre  aux  opérations  de  première  ligne  de  prendre  tout 
leur  développement.  On  était  donc  en  droit  d'évaluer  à  près 
de  200.000  hommes  l'effectif  nécessaire  pour  entamer  cette 
guerre  dans  le  cas  probable  où  l'insurrection  prendrait  une 
grande  extension  parmi  les  Afrikanders  (1).  On  pouvait  pré- 
voir cette  insurrection  dès  la  fin  de  novembre  :  un  mois 
plus  tard  elle  éclatait  un  peu  partout,  et  l'Angleterre  s'a- 
cheminait malgré  elle,  en  envoyant  ses  troupes  par  paquets 
successifs,  vers  l'effort  militaire  devenu  indispensable  à  son 
prestige. 


(1)  Vers  le  20  novembre  le  gouvernement  anglais  notifiait  aux  cabinets  euro- 
péens que  l'état  de  guerre  existait  avec  le  Transvaal  et  l'Orange  depuis  le 
H  octobre.  L'Angleterre  reconnaissait  donc  les  Boërs  comme  belligérants  et  par 
suite  le  Transvaal  comme  un  pays  indépendant,  nue  devient  alors  la  souveraineté 
britannique  qui  fut  la  cause  effective,  sinon  avouée,  de  la  guerre-? 


384  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EX    1900 


*   * 


Le  délai  fixé  par  l'ultimatum  du  Transvaal  expirait  le  11  oc- 
tobre à  5  heures  du  soir.  Le  même  jour,  les  troupes  des  deux- 
républiques  se  dirigeaient  vers  les  frontières,  tandis  qu'à  l'in- 
térieur du  pays  la  mobilisation,  mettant  sur  pied  toute  la  po- 
pulation mâle  et  même  des  femmes  et  des  enfants,  se  poursui- 
vait activement.  Le  12,  les  Boërs  occupaient  le  défilé  de  Laing's 
Neek  et  passaient  les  frontières  à  l'est  et  à  l'ouest. 

C'est  vers  le  Natal  que  le  général  Joubert,  instruit  par  le 
passé,  décida  de  porter  son  principal  effort.  Il  y  avait  déjà  là 
quelques  rassemblements  de  troupes  anglaises  dont  le  général 
White  venait  de  prendre  le  commandement  et  dont  l'effectif, 
renforcé  par  une  brigade  des  troupes  des  Indes,  allait  bientôt 
atteindre  environ  15.000  hommes,  y  compris  quelques  corps 
irréguliers.  Les  Boërs  leur  donnèrent  le  temps  de  prendre 
l'offensive.  Le  général  White  concentrait  environ  12.000  hom- 
mes à  Ladysmith,  bifurcation  importante  des  lignes  de  l'O- 
range et  du  Transvaal,  et  poussait  en  avant,  avec  les  généraux 
Simons  et  Yule,  une  forte  avant-garde  qui  recueillait  sur  la 
ligne  Glencoe-Dundee,  le  18  octobre,  la  garnison  de  Newcastle. 
Le  même  jour,  les  Boërs  de  l'Orange,  traversant  le  massif  du 
Drakensberg,  attaquaient  les  postes  avancés  du  général  White 
à  Besters  et  à  Acton-Homes.  Les  Boërs  dessinaient  donc  deux 
offensives  convergeant  sur  Ladysmith.  Il  eût  été  naturel,  pour 
le  général  anglais,  de  chercher  à  se  débarrasser,  en  opérant 
par  la  ligne  intérieure,  de  l'attaque  venue  de  l'ouest  et  de  se 
porter  ensuite  vers  l'attaque  du  nord.  Il  y  songea  peut-être, 
mais  on  ne  lui  laissa  pas  le  temps  de  l'exécution.  Le  20  oc- 
tobre, les  Transvaaliens  attaquaient  Glencoe,  mais  étaient  re- 
poussés par  le  général  Simons,  qui  était  mortellement  blessé. 
C'était  un  succès  tactique;  mais  l'attaque  des  Boërs  masquait 
un  vaste  mouvement  tournant  qui  les  amenait  le  lendemain 
devant  Elandslaagte,  où  ils  trouvèrent  le  général  White  ac- 
couru en  toute  hâte  pour  secourir  son  lieutenant.  Les  Boërs, 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  38.J 

encore  peu  nombreux,  furent  repoussés,  tout  en  infligeant 
aux  Anglais  de  fortes  pertes,  surtout  en  officiers. 

Pendant  ce  temps,  le  général  Yule,  qui  avait  pris  le  com- 
mandement à  Glencoe,  se  retirait  sur  Dundee.  Menacé  par  des 
forces  supérieures,  il  dut,  le  22,  pour  éviter  d'être  coupé  de  sa 
base,  abandonner  ses  blessés  et  ses  bagages  et  effectuer  une 
retraite  rapide  sur  Ladysmith  en  faisant,  par  un  temps  af- 
freux, un  large  détour  vers  l'est.  Ses  troupes  étaient  sauvées, 
grâce  à  un  nouveau  et  sanglant  combat  livré  par  le  général 
White  à  Rietfontein,  le  24  octobre;  mais  elles  n'arrivaient  à 
Ladysmith  que  le  26  octobre,  épuisées  et  incapables,  pour  plu- 
sieurs jours,  d'un  effort  sérieux. 

Pendant  ce  temps,  les  Orangistes  avaient  continué,  malgré 
quelques  engagements,  leur  mouvement  au  sud  de  Ladysmith. 
Le  général  White,  obligé  pour  recueillir  son  avant-garde  de 
porter  ses  efforts  vers  le  nord,  contre  l'ennemi  le  plus  pres- 
sant, se  laissait  investir  vers  le  sud  et  couper  de  sa  ligne  de 
communication. 

Le  30  octobre,  le  cercle  d'investissement  se  resserrant  de 
plus  en  plus,  il  rassemble  ses  forces  et  tente  vers  le  nord  une 
sortie  qui  aboutit  au  désastre  de  Nicholson's  Neck  où  deux  ba- 
taillons et  une  batterie  capitulent  en  rase  campagne. 

Le  31  octobre,  Ladysmith  était  investi  de  toutes  parts  et  les 
Boërs  commençaient  à  dresser  leurs  batteries  de  siège. 

Cette  première  entrée  en  contact  avait  coûté  aux  Anglais 
plus  de  2.500  tués,  blessés  ou  prisonniers  et  livré  de  nom- 
breux trophées  aux  troupes  républicaines. 

Le  2  et  le  3  novembre,  les  Anglais  tentaient  quelques  sorties 
vers  l'ouest  et  le  nord,  tandis  que  les  Boërs  complétaient  l'in- 
vestissement par  l'occupation  de  Nelthorpe  et  de  Pieter  et 
poussaient  un  parti  sur  Colenso  —  qui  était  évacué  à  temps 
par  les  Anglais.  Le  général  YVolf  Murray  recueillait  et  con- 
centrait à  Eastcourt  toutes  les  troupes  britanniques  et  se  bor- 
nait à  lancer  en  avant  des  reconnaissances  en  trains  blindés 
très  peu  efficaces,  tandis  que  les  Boërs,  sans  trop  se  laisser 
absorber  par  le  siège  de  Ladysmith,  poussaient  leurs  partis 
successivement  sur  les  lignes  de  la  Bushman-River  et  de  la 

Afr.  polit.  23 


380  l'a?bique  politique  ex  1900 

Mooï-River,  en  meltant  hors  de  service  les  voies  ferrées  et  en 
menaçant  Pietermaritzburg. 

De  ce  côté,  les  Anglais  furent  réduits  à  l'impuissance  jus- 
qu'à ce  que,  vers  la  fin  de  novembre,  les  renforts  débarqués  à 
Durban  purent  permettre  une  nouvelle  offensive. 

Sur  les  frontières  occidentales,  les  Transvaaliens  s'étaient, 
dès  le  12  octobre,  présentés  devant  Mafeking  et,  après  quel- 
ques engagements,  avaient  coupé  la  voie  ferrée  au  sud  de  la 
place,  refoulé  la  garnison  commandée  par  le  colonel  Baden 
Powel  et  assuré  l'investissement  par  plusieurs  combats  livrés 
dans  le  courant  d'octobre  et  plus  tard,  le  10  novembre,  à 
Oléfantfontein. 

Le  15,  Kimberley  était  investi  de  la  même  façon,  après  l'ar- 
rivée de  M.  Cecil  Rhodes  désireux  de  se  mesurer  avec  les 
Boërs  à  la  tête  d'une  troupe  levée  et  équipée  à  ses  frais,  pour 
défendre  la  ville  des  Diamants,  où  il  avait  commencé  l'édifica- 
tion de  sa  fortune.  Le  colonel  Kekewich  y  commandait  les 
forces  anglaises  s'élevant  à  3  ou  4.000  hommes. 

De  ce  côté,  les  Boërs  commencent  par  saisir  Modder-River- 
Station  et  Spytfontein.  Le  24  octobre  et  le  4  novembre,  plu- 
sieurs engagements  ont  lieu  autour  de  la  ville  qui  se  trouve 
cernée  par  environ  6.000  Boërs.  A  Kimberley  comme  à  Mafe- 
king, les  Anglais  continuent  le  jeu  des  reconnaissances  en 
trains  blindés,  auxquels  ils  renoncent  après  plusieurs  mésa- 
ventures qui  démontrent  le  peu  d'efficacité  de  ce  procédé  de 
guerre. 

Dès  la  fin  d'octobre,  les  Orangistes  envahissent  la  colonie 
du  Gap,  au  sud  du  fleuve  Orange.  Bientôt  ils  occupent  Coles- 
berg,  Burghersdorp  et  Stormbarg  (26  novembre),  provoquant 
dans  toute  la  région  le  soulèvement  des  Afrikanders  et  pous- 
sant devant  eux  les  garnisons  anglaises. 


Les  nouvelles  qui  parviennent  à  Capetown,  des  rives  de 
l'Orange  et  de  Kimberley,  sont  telles  qu'elles  produisent  une 
fâcheuse  influence  sur  le  général  en  chef  et  l'amènent  à  mo- 
difier son  plan  d'opérations  primitif  et  à  ordonner  une  nou- 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRAXSVAAL  387 

velle  et  imprévue  répartition  de  ses  troupes.  Au  fur  et  à  me- 
sure de  l'arrivée  des  transports  à  Capetown,  on  dirige  les  trou- 
pes à  la  hâte  et  sans  respecter  Tordre  de  bataille  primitif  sur 
trois  théâtres  d'opérations  :  au  Natal,  pour  débloquer  Ladys- 
mith;  dans  la  région  Stormberg-Naawport,  pour  menacer 
Bloemfontein,  et  vers  Kimberley,  pour  y  secourir  M.  Cecil 
Rhodes. 

Au  Natal,  le  général  Cléry  prend  le  commandement  d'envi- 
ron 30.000  hommes,  répartis  en  trois  groupes,  vers  le  15  no- 
vembre :  les  troupes  débarquées  à  Durban  et  dirigées  aussitôt 
vers  le  nord-ouest,  environ  13  à  14.000  hommes  (brigades 
Hiklyard  et  Barton,  la  moitié  de  la  brigade  Lyttelton,  troupes 
divisionnaires  et  troupes  d'étapes);  les  troupes  qui  se  trouvent 
entre  Pietermaritzburg  et  Eastcourt,  o  à  6.000  hommes,  et  les 
troupes  de  Ladysmith,  10  à  13.000  hommes. 

Les  18  ou  20.000  hommes  immédiatement  disponibles  pour 
débloquer  Ladysmith  sont  concentrés,  après  quelques  légers 
engagements,  au  camp  de  Frère,  à  peu  de  distance  de  Colenso, 
où  les  Boërs  se  retirent  derrière  la  Tugela,  organisant  au  nord 
de  la  rivière  une  forte  position  défensive  et  continuant  le  blo- 
cus de  la  place.  Le  général  en  chef  sir  Redvers  Buller  vient 
prendre  la  haute  direction  des  troupes  au  commencement  de 
décembre;  elles  sont  alors  réparties  entre  les  brigades  Hil- 
dyard,  Hart,  Lyttelton  et  Barton. 

Du  côté  de  Kimberley,  lord  Methuen,  à  la  tête  d'une  colonne 
d'environ  12.000  hommes,  a  pour  mission  apparente  de  déblo- 
quer la  ville  des  Diamants,  de  dégager  M.  Cecil  Rhodes  et,  si  les 
circonstances  sont  favorables,  de  pousser  sur  Bloemfontein.  11 
dispose  d'une  Naval  Brigade,  de  la  brigade  de  la  garde  (géné- 
ral Colville)  et  de  la  9e  brigade  (colonel  Pôle  Carrew). 

Entre  ces  deux  forces,  les  généraux  Gatacre  et  French  occu- 
pent, avec  une  dizaine  de  mille  hommes,  le  premier  le  pays 
au  sud  de  Stormberg,  le  second  les  environs  de  Naawport. 

L'armée  anglaise  est  ainsi  répartie  en  trois  théâtres  d'opéra- 
tions, sans  liaison  réelle  entre  les  trois  groupes  de  forces  qui 
agiront  isolément  et  se  feront  battre  séparément. 

Lord  Methuen  quitte  Orange-River  le  21  novembre,  rejoint 


388  l'afrique  politique  en  1900 

les  Boërs  à  Belmont,  le  23,  et  les  refoule  péniblement  vers  le 
nord  en  perdant  300  hommes.  Le  25,  à  Enslin  ou  Graspan,  les. 
Boërs  lui  mettent  encore  200  hommes  hors  de  combat.  Le  28, 
au  passage  de  la  Modder-River,  lord  Methuen  perd  encore 
500  hommes,  et  il  se  trouve  le  lendemain  en  face  des  positions 
de  Spytfontein,  fortement  organisées  par  le  général  boër 
Cronje.  Obligé  d'employer  plusieurs  bataillons  pour  garder  sa 
ligne  d'opérations  menacée  par  les  commandos  boërs  qui,  de 
Jacobsdal,  tentent  des  coups  de  main  jusque  vers  Belmont,  il 
essaie  cependant,  les  10  et  il  décembre,  à  Maggersfontem, 
l'attaque  des  positions  boërs;  mais  il  est  repoussé  après  un 
sanglant  combat  qui  lui  coûte  3.000  hommes  et  l'oblige  à  se 
retirer  sur  Modder-River  (1). 

A  la  même  date,  le  10  décembre,  le  général  Gatacre,  ayant 
tenté  l'attaque  de  Stormberg,  se  laisse  surprendre  et  est  re- 
poussé avec  une  perte  d'environ  750  hommes,  dont  650  pri- 
sonniers. Cette  défaite  provoque  une  nouvelle  extension  de  la 
rébellion  des  Afrikanders;  et,  tandis  que  les  généraux  Gatacre 
et  French  se  débattent  au  milieu  de  l'insurrection  et  cherchent 
à  tenir  tête  à  l'invasion  boër,  on  apprend  le  nouvel  échec  subi, 
le  15  décembre,  par  le  général  Buller  au  passage  de  la  Tugela, 

Les  renforts  anglais  débarqués  à  Durban  à  la  fin  de  novem- 
bre s'étaient  aussitôt  portés  sur  Eastcourt,  où  le  général  Hil- 
dyard,  surpris  par  l'offensive  du  général  Joubert,  avait  été  un 


(1)  Voici,  d'après  le  correspondant  du  Daily  Mail  à  De  Aar.  un  aperçu  du  cli- 
mat sud-africain  au  mois  de  novembre  : 

«  Pour  être  parfaitement  heureux,  dit-il,  dans  la  contrée  qui  s'étend  du  Cap  au 
Zambèze,  il  faudrait  n'avoir  pour  tout  costume,  le  jour,  qu'une  feuille  de  figuier 
et,  pendant  la  nuit,  posséder  toute  la  garde-robe  fourrée  d'un  Lapon.  Je  me  dé- 
pouille pendant  la  journée  de  tout  ce  que  la  loi  me  permet,  et  je  plante  ma  tente 
à  l'ombre;  la  nuit,  je  m'enveloppe  d'une  couverture  de  laine,  de  deux  autres  cou- 
vertures ordinaires  et  d'une  ample  fourrure,  et,  malgré  cela,  j'ai  le  plaisir  de 
m'en  tendre  claquer  des  dents  jusqu'au  lever  du  soleil. 

a  Au  quartier  général  de  De  Aar,  nous  jouissons  de  ce  qu'on  appellerait  com- 
mercialement un  «  complet  assortiment  »  de  températures.  En  vingt-quatre 
heures,  nous  passons  par  tous  les  caprices  possibles  de  l'atmosphère.  Parfois, 
nous  en  avons  six  variétés  à  la  fois  :  sous  un  soleil  éclatant  souille  d'abord  un 
vent  antarctique,  puis  survient  un  simoun  soudanais  qui  nous  apporte  un  nuage 
de  sable  qui  obscurcit  Le  soleil  et  dessèche  tout.  A  cela  succède  un  orage  tropical, 
et.  pour  clore  la  journée,  un  éblouissant  coucher  de  soleil  comme  aucun  peintre 
n'en  saurait  reproduire  sur  sa  toile.» 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  389 

moment  bloqué.  Après  un  léger  combat,  le  23  novembre,  à 
Willow  Grange,  le  général  Hildyard,  renforcé  par  la  brigade 
Barton,  occupait,  le  26,  la  position  de  Frère,  à  10  milles  de 
Colenso,  poussant  devant  lui,  en  une  retraite  volontaire,  les 
•quelque  20.000  hommes  du  général  Joubert  et  du  colonel  de 
Villebois-Mareuil,  qui  se  retranchaient  derrière  la  Tugela. 

Le  28,  les  Anglais  poussent  jusqu'à  Colenso,  et,  après  avoir 
constaté  la  force  de  la  position  ennemie,  ils  se  retirent  sur 
Chieveley,  où  ils  concentrent  20  à  25.000  hommes. 

Les  jours  suivants  se  passent  en  reconnaissances  et  en  ten- 
tatives pour  entrer  en  communication  avec  Ladysmith,  où 
l'on  exécute,  les  8  et  11  décembre,  deux  petites  sorties  avec 
quelque  succès. 

Le  15  décembre,  le  général  Buller  se  décide  à  forcer  le  pas- 
sage de  la  Tugela.  Après  avoir  livré,  l'avant-veille,  un  combat 
d'artillerie  pour  essayer,  mais  en  vain,  d'obliger  les  Boërs  à 
démasquer  leurs  positions,  il  porte  deux  brigades  (Hildyard  à 
droite,  Hart  à  gauche)  à  l'attaque  des  deux  gués  de  Colenso,  la 
brigade  Lyttelton  reliant  ces  deux  offensives  et  la  brigade 
Barton  restant  en  réserve. 

Les  deux  attaques,  peu  préparées  et  mal  éclairées,  échouent 
devant  le  feu  des  Boërs,  qui  essaient  aussitôt  de  déborder  la 
droite  anglaise.  Le  général  Buller  est  alors  obligé  de  se  retirer 
sur  son  camp  de  Chieveley,  après  avoir  perdu  11  canons  et 
environ  3.000  hommes  tués,  blessés  ou  prisonniers. 


La  nouvelle  des  défaites  britanniques  produisit  partout  une 
émotion  considérable.  Dans  toute  l'Afrique  australe,  ce  fut, 
-chez  les  Anglo-Saxons,  un  désappointement  profond,  dont  fut 
en  partie  victime  le  gouvernement  de  M.  Schreiner.  Les  preu- 
ves de  loyalisme  qu'il  fournissait  chaque  jour,  peu  appréciées 
par  le  parti  anglais,  étaient  sévèrement  jugées  par  la  masse 
afrikander  qui  se  détachait  de  plus  en  plus  et  entrait  en  rébel- 
iion  tous  les  jours  plus  ouverte.  Dans  les  provinces  du  Nord, 
e'est  par  milliers  que  les  Hollandais  allaient  rejoindre  les 


390  i/afrique  politique  en  1900 

Boërs;  à  la  fin  de  décembre,  tandis  que  le  général  Buller  était 
immobilisé  sur  la  Tugela,  que  lord  Methuen  temporisait  sur 
la  Modder,  les  généraux  Gatacre  et  French  se  voyaient  con- 
traints, dans  la  région  de  Stormberg-Xaawport,  de  prendre 
de  sérieuses  mesures  contre  l'insurrection.  Celle-ci  gagnait 
tous  les  jours  du  terrain,  et  sir  A.  Milner  pouvait  commencer 
à  entrevoir  le  moment  où  l'afrikandérisme,  menacé  par  lui  de 
destruction,  allait  lever  le  drapeau  de  l'indépendance. 

La  guerre  allait  exiger  des  efforts  décisifs.  On  ne  s'y  trompa 
point  en  Angleterre,  où  la  fête  du  Christmas  fut  célébrée  avec 
quelque  mélancolie.  Des  conseils  de  paix  venaient  du  conti- 
nent. On  fut  à  peu  près  unanime,  de  l'autre  côté  du  détroit,  a 
ne  pas  s'y  arrêter.  La  grande  masse  de  l'opinion,  peu  atteinte 
d'ailleurs  par  les  calamités  d'une  guerre  qui  n'éprouvait  pour 
le  moment  que  l'aristocratie,  d'où  sortaient  les  officiers,  et  la 
plèbe,  qui  fournissait  les  soldats,  se  déclarait  prête  à  pousser 
la  lutte  jusqu'à  la  victoire  définitive. 

Ainsi  soutenu,  le  gouvernement  pouvait  négliger  toute 
opposition.  Il  ne  pouvait  cependant  se  soustraire  aux  em- 
barras d'une  situation  que  toute  la  richesse  britannique  ne 
suffisait  pas  à  dénouer.  Les  dix  millions  de  livres  sterling 
votés  en  octobre  avaient  été  rapidement  épuisés  et  les  calcu- 
lateurs les  plus  optimistes  n'évaluaient  pas  à  moins  de  deux 
ou  trois  milliards  la  somme  nécessaire  pour  continuer  la 
lutte  pendant  quelques  mois  encore.  Mais  si  les  ressources  ne 
manquaient  pas,  l'or  immédiatement  disponible  se  faisait 
rare  sur  la  place  de  Londres.  Il  était  cependant  immédiate- 
ment nécessaire  pour  solder  les  dépenses  engagées  non  seule- 
ment dans  l'Afrique  australe,  mais  dans  le  monde  entier, 
partout  où  se  poursuivaient  les  achats  de  matériel.  La  crise 
monétaire  qui  sévissait  en  Allemagne  y  empêchait  toute 
exportation  d'or. 

Déjà  on  jetait  les  yeux  sur  la  Russie  et  sur  la  Banque  de 
France;  et  l'on  rappelait  avec  complaisance  qu'au  mois  de 
novembre  1890  celle-ci  avait  pu,  sans  trop  se  gêner,  prêter 
son  appui,  sous  la  forme  de  75  millions  d'or,  à  la  Banque 
d'Angleterre. 


AFRIQUE    AUSTRALE    BRITANNIQUE.    —    TRAXSVAAL  391 

Mais  ce  qui  manquait  plus  encore,  c'étaient  les  soldats.  L'ar- 
mée active  était  épuisée;  la  réserve,  la  yeomanry,  la  milice 
ne  pouvaient  fournir  que  des  éléments  insuffisants;  les  enrô- 
lements tentés  à  l'étranger  se  heurtaient  à  une  désaffection 
générale.  On  dut,  après  Colenso,  faire  appel  aux  contingents 
coloniaux  et,  dans  la  métropole,  aux  engagements,  provoqués 
dans  la  catégorie  des  volontaires.  Les  souscriptions  af- 
fluaient, mais  non  les  hommes,  et  si  la  cité  de  Londres  put 
mettre  sur  pied  un  corps  d'un  millier  de  volontaires,  ce  ne  fut 
pas  sans  leur  offrir  une  solde  et  des  avantages  peu  ordinaires. 

Les  colonies  offrirent  quelques  maigres  corps  de  troupes. 
C'était,  au  Canada,  un  millier  d'hommes,  partout  ailleurs  de 
plus  faibles  contingents  qui  ne  partaient  point  sans  quelques 
protestations  d'une  partie  de  l'opinion.  Il  ne  fallait  point  faire 
beaucoup  de  fond  sur  la  persistance  et  l'intensité  du  senti- 
ment impérialiste  en  dehors  de  la  métropole  et  ce  ne  fut  pas 
là  un  des  moindres  étonnements  que  l'on  eut  à  enregistrer. 

On  se  refusait  à  toucher  à  l'armée  des  Indes.  Ce  n'était  pas 
trop  de  65.000  Anglais  pour  garder  cet  empire  bouillonnant. 
Que  deviendraient-ils  eux-mêmes  en  face  de  la  moindre 
offensive  russe"?  Ailleurs,  aux  Antilles,  en  certains  autres 
points,  on  pouvait  encore  distraire  quelques-uns  des  vingt-cinq 
bataillons  échelonnés  sur  la  ceinture  du  globe  tandis  que  la 
milice  irait  remplacer  dans  la  Méditerranée  les  bataillons 
dirigés  sur  le  Cap.  Ce  n'étaient  là  que  des  expédients  destines  à 
fournir  des  troupes  mal  amalgamées,  d'une  solidité  contes- 
table, et  qui,  là  où  la  garde  anglaise  avait  échoué,  ne  devaient 
point  paraître  capables  de  qualités  plus  grandes. 

La  5e  division  (général  Warren)  avait  débarqué  en  Xatalie 
à  partir  du  20  décembre,  avec  des  effectifs  de  guerre  à  peu 
près  complets.  La  6e  division,  placée  sous  les  ordres  du  gé- 
néral Kelly-Kenny,  s'embarquait  du  15  au  31  décembre  sans 
pouvoir  atteindre  son  effectif  de  guerre.  Une  7e  division  (gé- 
néral Tucker)  se  formait  au  môme  moment.  Elle  devait  com- 
prendre 10.300  hommes,  1.800  chevaux  et  18  pièces,  et  l'on 
était  obligé  d'y  faire  entrer  des  hommes  de  la  yeomanry  et  des 
volunteers.  Mais  on  ne  considérait  pas  ces  deux  catégories  <l<' 


392  l'afrique  politique  en  1900 

soldats  citoyens  comme  capables  de  fournir  à  bref  délai,  la 
première  plus  de  5.000  hommes,  la  seconde  plus  de  15  à 
20.000  hommes  vraiment  utilisables. 

Pour  former  la  8e  division  (général  sir  Leslie  Rundle),  on 
allait  faire  appel  à  ces  mêmes  éléments,  mélangés  avec  des 
bataillons  rappelés  des  colonies  et  remplacés  par  des  troupes 
locales  et  des  bataillons  de  milice. 

Ces  mesures,  décidées  dans  leur  principe  lors  du  conseil  de 
cabinet  tenu  à  Londres  le  16  décembre,  au  lendemain  de  la 
défaite  de  la  Tugela,  venaient  s'ajouter  à  d'importantes  déci- 
sions relatives  au  haut  commandement  des  troupes  de  cam- 
pagne. 

Tout  en  conservant  à  sir  Red  vers  Buller  le  commandement 
des  troupes  du  Natal,  on  décidait  de  confier  la  direction  des 
opérations  au  field-marschall  lord  Roberts  of  Candahar, 
commandant  les  troupes  d'Irlande,  et  à  lui  adjoindre  lord 
Kitchener  comme  chef  d'état-major. 

Lord  Roberts  s'embarquait  à  Southampton  le  23  décembre, 
accompagné  des  vœux  de  l'Angleterre.  A  Gibraltar,  il  devait 
rencontrer  lord  Kitchener  et  élaborer  avec  lui,  en  cours  de 
traversée,  le  plan  de  campagne  réparateur.  Il  allait  trouver 
dans  l'Afrique  australe,  à  son  arrivée,  les  105.000  hommes 
que  nous  avons  déjà  énumérés,  augmentés,  vers  le  20  janvier, 
de  l'effectif  de  la  6e  division,  mais  diminués  d'un  effectif  au 
moins  égal  de  tués,  blessés,  prisonniers  ou  malades.  A  ces 
forces,  comprenant,  il  est  vrai,  les  troupes  des  villes  bloquées 
et  les  troupes  de  communication,  devaient  s'ajouter  dans  le 
courant  de  février  une  quarantaine  de  mille  hommes  fournis 
par  la  7e  division,  par  divers  contingents  coloniaux  et  par  des 
renforts  expédiés  d'Angleterre. 

*  * 

La  bataille  de  Colenso  termin3  la  première  phase  de  la  cam- 
pagne. Une  accalmie  va  se  produire,  précédant  la  deuxième 
phase  des  opérations,  qui  se  terminera  elle-même  après  Spion- 
kopje.  A  peine  arrivé  au  Cap,  lord  Roberts  aurait,  paraît-il, 


AFRIQUE   AUSTRALE    BRITANNIQUE.    —    TRAXSVAAL  393 

imposé  à  ses  lieutenants  la  temporisation  en  attendant  le 
résultat  des  opérations  que  le  général  Buller  allait  entre- 
prendre en  Natalie.  Sur  la  Moclder,  lord  Methuen  ne  procède 
dès  lors  quà  de  petites  opérations. 

Le  31  décembre,  le  colonel  Pilcher,  qui  garde  sa  ligne  d'opé- 
rations, quitte  Belmont  avec  500  hommes,  repousse  les  Boërs 
à  Sunnyside,  et  entre,  le  1er  janvier,  à  Douglas  qu'il  ne  tarde 
pas  à  évacuer.  Quelques  jours  après,  le  général  Babington, 
qui  a  déjà  cherché  à  agir  vers  l'Ouest,  pousse  une  reconnais- 
sance sur  Jacobsdal  avec  deux  régiments  de  cavalerie  (7e  et  9e 
lanciers)  et  une  batterie.  Il  est  flanqué  à  droite  par  le  colonel 
Pilcher  et  à  gauche  par  le  major  Byrne.  Le  10  janvier,  il 
rentre  au  camp  de  la  Moclder  sans  avoir  obtenu  de  résultat. 

Le  16  janvier,  nouvelle  démonstration  de  lord  Methuen 
contre  la  ligne  de  bataille  des  Boërs  fortement  retranchés  sur 
la  route  de  Kimberley.  Tout  se  réduit  à  une  canonnade. 

Au  sud  du  fleuve  Orange,  le  général  Gatacre  occupe  avec 
5.000  hommes  environ  le  camp  de  Sterkstrom.  Il  n'en  sort, 
vers  le  10  janvier,  que  pour  détacher  un  millier  d'hommes  et 
deux  batteries  en  reconnaissance  sur  Molteno. 

Le  général  French,  qui  se  trouve  autour  de  Naawport  avec 
6.000  hommes  et  3  batteries,  repousse,  le  15  décembre,  une 
attaque  dirigée  sur  ses  avant-postes.  Le  29,  apprenant  que 
Colesberg  n'est  occupé  que  par  quelques  Boërs,  il  marche  sur 
Arundel,  rejette  un  poste  boër  sur  Bensburg  et  cherche  à 
tourner  Colesberg  par  l'ouest.  Le  1er  janvier,  il  attaque  la 
ville,  mais  ne  peut  s'en  emparer.  Le  4,  il  essuie  une  attaque 
des  Boërs,  qui  tentent  de  tourner  sa  droite.  Le  6,  le  bataillon 
de  Sufïolk  entame  une  attaque  de  nuit  sur  une  position  enne- 
mie; il  est  repoussé  avec  une  perte  de  160  hommes. 

Les  Anglais  sont  réduits  de  ce  côté  à  l'impuissance  en  atten- 
dant des  renforts.  Malgré  l'occupation  de  Slingersfonlein,  le 
9  janvier,  le  général  French  voit  ses  avant-postes  attaqués 
par  les  Boërs  les  13  et  15  janvier.  Le  24  et  le  25,  il  tente 
une  attaque  sur  Plesses-Poort  et  ne  peut  que  reconnaître  la 
position  ennemie.  Nouvelle  reconnaissance  infructueuse  le 
30  janvier  sur  Bietfontein,  où  les  Boers  organisent  une  po- 


394  l'afrique  politique  en  1900 

sition  défensive  pour  le  cas  où  ils  seraient  forcés  d'évacuer 
Colesberg. 

Pendant  ce  temps,  lord  Roberts  concentre  de  grands  appro- 
visionnements à  De  Aar  et  Rosmead,  et  envoie  la  6e  division 
(général  Kelly  Kenny)  à  Thébus,  de  manière  à  relier  les  géné- 
raux French  et  Gatacre.  Il  groupe  de  ce  côté,  vers  la  fin  de 
janvier,  une  vingtaine  de  mille  hommes. 

Vers  la  Rhodesia,  le  colonel  Plumer  a  eu  quelques  engage- 
ments avec  les  postes  boërs,  à  Sekwani  le  23  novembre,  et  sur 
la  rivière  Crocodile  le  30  novembre. 

A  Mafeking,  une  sortie  de  la  garnison,  le  26  décembre,  s'est 
terminée  par  un  sanglant  insuccès. 

A  Kimberley,  une  petite  sortie  est  tentée  vers  l'ouest  le 
22  décembre,  et  les  17,  23  et  26  janvier  la  place  subit  de  vio- 
lents bombardements  qui  causent  à  la  garnison  des  pertes 
sensibles. 

C'est  en  Natalie  qu'un  effort  décisif  allait  être  tenté. 

Tandis  que  la  garnison  de  Ladysmith,  en  proie  à  la  famine, 
à  la  maladie  et  à  la  démoralisation,  subissait  toutes  les  initia- 
tives des  Boërs,  le  général  Buller  remettait  en  ordre,  au  camp 
de  Aiceveley,  ses  forces  battues  à  Colenso. 

Le  26  décembre,  le  général  Warren,  arrivé  à  Pietermaritz- 
burg,  lui  amenait  8.000  hommes  de  la  5e  division.  Il  groupait 
alors  l'ensemble  de  ses  troupes,  environ  30.000  hommes,  en 
deux  divisions  commandées  par  les  généraux  Cléry  et  Warren. 

Le  6  janvier,  pour  soutenir  une  sortie  tentée  à  Ladysmith,  à 
la  suite  de  laquelle  les  Boërs  attaquèrent  Cesar-Camp  et  les 
hauteurs  de  Wagon-Hill  et  infligèrent  aux  Anglais  une  perte 
d'environ  500  hommes,  la  division  Cléry  fit  une  démonstra- 
tion sur  Colenso,  mais  ne  tarda  pas  à  se  replier  devant  l'offen- 
sive esquissée  par  l'ennemi. 

Le  11  janvier,  ses  préparatifs  terminés,  le  général  Buller  se 
décide  à  prendre  l'offensive  et  à  tenter  un  mouvement  tour- 
nant vers  l'ouest  de  Ladysmith.  Il  y  emploie  la  division  War- 
ren, le  général  Cléry  servant,  avec  les  brigades  Barton  et 
Lyttelton,  de  pivot  de  manœuvre.  Lord  Dundonald,  avec  l'in- 
fanterie montée  et  une  batterie,  forme  une  avant-garde  qui  se 


AFRIQUE   AUSTRALE    BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  395 

saisit,  le  11  janvier,  des  hauteurs  de  Zwartskop  dominant  le 
gué  de  Potgieters-Drift.  Le  lendemain,  il  passe  la  Tugela  à 
Potgieters-Drift  et  pousse  vers  Acton-Homes.  Derrière  lui,  le 
général  YVarren  quitte  le  camp  de  Frère  le  11,  suivi  par  un 
immense  convoi,  et  marche  sur  Springfield. 

Le  16,  il  est  à  Tritchards-Drift,  tandis  que  la  brigade  Lyttel- 
ton  passe  à  Potgieters-Drift,  et  que  la  brigade  Barton  main- 
tient les  Boërs  à  Colenso. 

Le  17,  il  franchit  la  Tugela  avec  les  trois  brigades  YVood- 
gate  (brigade  de  Lancashire),  Hart  (brigade  irlandaise)  et 
Hildyard  (brigade  anglaise). 

Sous  la  protection  des  pièces  de  marine  placées  à  Zwarts- 
kop, la  brigade  Lyttelton  progresse,  le  18,  sur  la  rive  gauche, 
tandis  que  le  passage  s'achève  et  que  lord  Dundonakl  pro- 
nonce son  offensive  vers  l'ouest. 

La  position  ennemie  a  son  centre  à  Spionkopje,  hauteur 
escarpée  précédée  par  le  plateau  de  Tabamyama,  sur  lequel 
les  Boërs  ont  établi  une  avant-ligne. 

Une  première  attaque  est  tentée  sur  cette  avant-ligne ,  le 
19  janvier,  sans  amener  de  résultat. 

Le  lendemain,  la  ligne  anglaise,  Woodgate  à  droite,  Hart  et 
Hildyard  à  gauche,  Lyttelton  au  pivot,  refoule  péniblement, 
avec  de  fortes  pertes,  les  postes  boërs,  et  gagne  trois  milles  au 
delà  de  la  rivière.  La  journée  du  21  est  employée  à  repousser 
les  Boërs  sur  leur  position  principale,  qui  est  attaquée  pen- 
dant les  journées  des  22  et  23.  Le  24,  à  l'aube,  l'assaillant 
prend  pied  sur  le  Spionkopje,  où  il  se  cramponne  pendant 
une  partie  de  la  journée,  mais  qu'il  est  finalement  obligé 
d'évacuer  sous  le  feu  et  les  attaques  des  Boers.  Le  25  au  matin, 
sir  R.  Buller  donne  l'ordre  de  la  retraite  au  sud  de  la  Tugela, 
sauf  pour  la  brigade  Lyttelton,  qui  est  momentanément  lais- 
sée sur  ses  positions. 

Outre  le  général  Woodgate,  mortellement  blessé  sur  le 
Spionkopje,  l'opération  a  coûté  aux  Anglais  environ  2  à  3.000 
hommes  tués,  blessés  ou  prisonniers. 

Les  jours  suivants,  on  se  contente  de  mettre  de  l'ordre  dans 


396  L'AFRIQUE   POLITIQUE    EX    1900 

ies  unités  et  d'interdire  aux  Boërs  toute  tentative  au  sud  de  la 
Tu  gel  a. 

*  * 

La  deuxième  phase  des  opérations  s'achève  donc,  pour  les 
Anglais,  par  un  échec  encore  plus  retentissant  que  celui  de 
Colenso.  Le  sang-froid  de  l'opinion  anglaise  eut  peine  à  y 
résister.  Jusque-là  la  presse  britannique  avait  su  communi- 
quer à  la  nation  sa  remarquable  discipline,  qu'il  se  fût  agi  de 
répondre  aux  attaques  de  la  presse  étrangère  ou  de  discuter 
les  réparations  dues  pour  les  saisies  des  navires  français,  amé- 
ricains et  allemands  effectuées  dans  les  eaux  portugaises  sous 
le  soupçon  de  contrebande  de  guerre  nécessaire  à  réprimer. 

Les  paroles  énergiques  de  M.  de  Bùlow,  prononcées  le  19 
janvier  à  la  tribune  du  Reichstag,  précédant  de  peu  de  jours 
la  défaite  de  Spionkopje,  l'attitude  tous  les  jours  plus  hostile 
de  la  presse  européenne,  l'action  entamée  par  la  Russie  en 
Perse  et  en  Chine,  tout  cela  formait  un  faisceau  de  circon- 
stances qu'il  était  pénible  d'enregistrer  et  que  les  quelques 
marques  de  sympathie  recueillies  aux  États-Unis  ne  suffi- 
saient pas  à  contrebalancer. 

L'opinion  était  émue  profondément,  mais  elle  se  raidit  dans 
son  orgueil,  et,  une  fois  de  plus,  le  sentiment  public  soutint 
la  politique  de  M.  Chamberlain. 

Le  Parlement  était  convoqué  le  30  janvier.  On  s'attendait  à 
des  débats  passionnés.  Ils  le  furent,  en  effet,  de  la  part  de  per- 
sonnalités brillantes  de  l'opposition;  mais  celle-ci,  profondé- 
ment divisée,  ne  réussit  qu'à  montrer  son  impuissance  et  à 
faire  le  jeu  de  M.  Chamberlain.  La  partie  la  plus  intéressante 
de  ces  discussions  prolongées  fut  le  duel  oratoire  qui  s'enga- 
gea entre  sir  ^Yilliam  Harcourt  et  le  ministre  des  colonies  et 
dans  lequel  on  vit  le  gentilhomme  libéral  essayer,  avec  son 
esprit  cultivé  et  vigoureux,  avec  son  éloquence  fine  et  pres- 
sante, de  confondre  l'ancien  radical  passé  aux  tories. 

On  espérait  entendre  évoquer  avec  des  preuves  positives 
les  circonstances  de  l'équipée  Jameson  et  le  rôle  joué  par 


AFRIQUE   AUSTRALE    BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  397 

M.  Chamberlain.  L'arme  mise  aux  mains  de  l'opposition  fut 
maniée  sans  vigueur  et  retomba  sans  force. 

Plus  instructive  fut  l'intervention  de  sir  Charles  Dilke  qui 
amena  les  explications  ou  plutôt  la  défense  du  War  Office, 
présentée  par  M.  YVyndham,  et  qui  jeta  la  lumière  sur  les 
intentions  futures. 

Après  avoir  envisagé  l'effort  accompli  par  l'Angleterre  et 
défendu  l'administration  de  la  guerre,  M.  Wyndham  annon- 
çait l'acceptation  des  offres,  faites  à  ce  moment  parles  colonels. 
de  4.700  cavaliers  et  de  2.400  fantassins.  Il  déclarait  en  outre 
que  vers  le  25  février  il  y  aurait  180.000  hommes  et  410  canons 
en  face  des  Boërs;  enfin  il  évaluait  les  forces  ennemies  à 
60.000  combattants  possédant  110  pièces. 

Ces  assurances  purent  calmer  l'opinion;  elles  ne  parurent 
pas  encore  suffisantes  à  certaines  personnalités  militaires  qui 
demandaient,  sans  trop  savoir  où  l'on  pourrait  trouver  des 
soldats,  que  les  forces  de  l'armée  d'opération  fussent  portées 
à  280.000  hommes,  au  moyen  de  deux  levées  de  50.000  hom- 
mes chacune,  à  exécuter  dans  le  délai  d'un  mois.  C'était  faire 
état  trop  largement  des  ressources  du  pays  ainsi  que  l'avenir 
allait  le  montrer  (1). 


(1)  A  la  séance  de  la  Chambre  des  communes  du  8  février,  M.  Wyndliam  fit  la 

déclaration  suivante  : 
«  La  composition   des  forces  anglaises  dans  l'Afrique  du  Sud  est,  en  cliitïres 

ronds,  la  suivante  : 

Armée  régulière 128.000 

.Marine  royale 1 .000 

.Milice. . ./. 0.000 

Yeomanry 15.000 

Volontaires 10.000 

Taoupes  coloniales 2G.000 

Total 170.000 

i  Sur  ces  ÎT'.I.OOO  hommes,  20.000  ont  été  levés  dans  l'Afrique  du  Sud,  et  6.000 
dans  d'autres  colonies.  J'ai  déjà  donné  en  partie  ces  chiffres  à  la  Chambre  :  je 
puis  néanmoins  ajouter  qu'il  a  été  décidé  d'envoyer  17  bataillons  supplémentaires 
de  milice  et  3.000  hommes  supplémentaires  pris  dans  la  yeomanry,  ce  qui  por- 
tera le  total  de  la  milice  à  20.000,  le  total  de  la  yeomanry  à  8.000,  et  le  grand 
total  des  forces  de  toute  espèce  à  101.000  .l'exclus  de  ce  chiffre  toutes  les  indispo- 
nibilités, c'est-à-dire  les  hommes  portés  jusqu'ici  comme  tués,  blessés  ou  man- 
quants. De  plus  il  faut  déduire  de  ce  total  un  nombre  d'hommes  important  pour 
avoir  le  chillre  net  des  soldats  de  la  ligne  de  combat,  o 

Ces  chiffres  comprenaient  l'effectif  de  la  8a  division,  qui  n'étaitpas  encore  embar- 
quée au  commencement  de  mars. 


398  l'afrique  politique  en  1900 


* 

Après  la  défaite  de  Spionkopje  et  jusqu'à  la  capitulation  du 
général  Cronje,  se  déroule  la  troisième  phase  de  la  campagne. 
Elle  comprend  tout  le  mois  de  février. 

Au  commencement  de  février,  la  répartition  des  troupes 
anglaises  est  la  suivante  : 

Front  oriental. 

Dans  Ladysmith  :  10  à  12.000  hommes,  dont  4.000  valides, 
incapables  d'un  effort  sérieux. 

Général  Buller  :  24  bataillons  et  8  corps  auxiliaires  (colo- 
niaux), 3  régiments  de  cavalerie,  11  batteries,  2  compagnies 
du  génie. 

Front  central. 

Général  Gatacre  :  9  bataillons  et  5  corps  coloniaux,  3  batte- 
ries et  1  compagnie  du  génie. 

Général  French  :  7  bataillons,  un  groupe  d'infanterie  montée, 
6  corps  auxiliaires,  5  régiments  de  cavalerie,  4  batteries  1/2, 
4  compagnies  1/2  du  génie. 

Front  occidental. 

Général  lord  Roberts,  de  Capetown  à  l'Orange  :  16  bataillons, 
6  corps  auxiliaires,  9  batteries,  4  compagnies  d'artillerie  et 
4  compagnies  1/2  du  génie. 

Général  lord  Methuen,  sur  la  Modder  :  14  bataillons,  4  corps 
auxiliaires,  3  régiments  de  cavalerie,  6  batteries,  5  compagnies 
1/2  du  génie. 

Le  9  février,  lord  Roberts  rejoint  lord  Methuen  sur  la 
Modder.  Déjà  l'ordre  de  se  replier  avait  été  donné  au  général 
Macdonald,  qui,  avec  sa  brigade  de  highlanders,  le  9e  lanciers 
et  2  batteries,  avait  été,  le  2  février,  faire  une  démonstration 
au  gué  de  Koodoosberg.  Cette  démonstration  donne  lieu,  le  7 
février  à  un  combat  assez  sérieux  qui  exige  l'envoi  du  reste  de 
la  brigade  Babington  avec  2  batteries,  pour  protéger,  le  8  fé- 
vrier, la  retraite  du  général  Macdonald. 


AFRIQUE    AUSTRALE    BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  399 

* . — 

Dès  son  arrivée,  lord  Roberts  concentre  sur  la  Modder, 
par  voie  ferrée,  toute  la  cavalerie  disponible,  forme  une  divi- 
sion à  3  brigades  et  13  batteries,  et  en  donne  le  commande- 
ment au  général  French,  qui  reçoit  la  mission  de  délivrer 
Kimberley. 

Le  général  French  part  de  Modder-River,  le  1 1  au  soir,  passe 
par  Ramdau,  surprend  le  passage  de  la  Kiet  à  Watterval  et 
Dekiel  Daft,  et  se  porte,  le  13,  sur  la  Modder,  qu'il  traverse 
après  avoir  canonné  les  positions  boërs  à  Klif-Drift  et  Roude- 
val-Drift.  Le  14,  continuant  son  mouvement  à  l'extrême  gauche 
des  Roërs,  il  pousse  droit  sur  Kimberley  et,  après  un  engage- 
ment avec  les  troupes  d'investissement,  il  entre  le  15  au  soir, 
non  sans  avoir  subi  de  fortes  pertes,  dans  la  ville  des  Dia- 
mants. M.  Cécil  Rhodes  est  délivré. 

Derrière  le  général  French  s'avancent  les  troupes  des  6e,  7e 
et  9e  divisions,  cette  dernière  nouvellement  formée  sous  les 
ordres  du  colonel  Colville.  Jacobsdal  est  occupé  le  15  février. 

A  ce  moment  le  général  Cronje,  voyant  son  flanc  gauche 
menacé  par  l'infanterie  anglaise,  se  décide  à  abandonner  ses 
positions  au  nord  de  la  Modder  et  à  se  replier  vers  Blœmfon- 
tein.  Tandis  qu'il  fait  filer  son  artillerie  et  ses  convois  devant 
lui,  il  soutient  avec  une  arrière-garde,  à  partir  du  16  février, 
des  combats  incessants  contre  des  forces  écrasantes.  Dès  le  18, 
arrêté  à  Koodoosrand,  près  de  Paardeberg,  par  une  attaque 
simultanée  des  forces  des  généraux  Kitchener.  Macdonald  et 
French,  il  est  peu  à  peu  enveloppé  par  l'armée  anglaise  tout 
entière,  environ  40  à  45.000  hommes.  Après  huit  jours  de  com- 
bats continuels  pendant  lesquels  il  inflige  aux  Anglais  des 
pertes  considérables,  le  général  Cronje,  manquant  de  vivres  et 
de  munitions  et  n'ayant  pu  être  dégagé  par  les  attaques  des 
commanders  Devvet  et  Delarey,  se  rend  à  lord  Roberts  le 
27  février,  avec  4.000  hommes  environ  et  quelques  pièces 
légères. 

Le  général  French,  après  avoir,  depuis  la  fin  de  janvier,  exé- 
cuté quelques  petites  opérations  sur  le  front  des  Boërs  de 
Golesberg  à  Slingersfontein,  est  rappelé  sur  la  Modder  River 


400  l'Afrique  politique  ex  1900 

avec  sa  cavalerie  qui  est  transportée  par  chemin  de  fer.  Dès  le 
4  février  les  Boërs  reprennent  l'offensive,  refoulent  l'ennemi 
successivement  sur  Rensburg,  le  12  février,  puis  sur  Arundel 
où  le  général  Cléments,  venu  de  Thebus,  les  tient  en  échec  jus- 
qu'au 25  février. 

Mais  déjà,  sur  tous  les  théâtres  d'opérations,  les  chefs  boërs 
ont  reçu  l'ordre  d'envoyer  des  renforts  au-devant  de  l'armée 
de  lord  Roberts.  Ils  sont  dès  lors  obligés  de  garder  la  défensive 
et  bientôt  de  se  retirer  devant  les  Anglais. 

D'Arundel  le  général  Cléments  pousse  sur  Rensburg,  puis, 
sans  grande  résistance,  sur  Colesberg,  où  il  entre  le  28  février, 
et  de  là  sur  Norvals  Pont. 

Le  général  Gatacre,  jusque-là  immobilisé,  se  dirige  le  23 
sur  Stormberg  en  livrant  quelques  combats.  Aux  environs  de 
Dordrecht  les  faibles  forces  boërs  sont  attaquées  par  les  2.000 
coloniaux  de  Brabant  qui  réussissent  à  occuper  cette  localité 
le  18  février  et  essaient  sans  grand  succès  de  pousser  plus 
avant. 

Devant  Ladysmith,  sir  Redvers  Buller  se  décide  à  une  troi- 
sième tentative  pour  forcer  le  blocus. 

Le  5  février,  sous  la  protection  de  72  pièces  placées  sur  la 
rive  droite  de  la  Tugela,  il  dirige  son  attaque  contre  la  position 
de  Spionkopje-Doorn-Kloof.  La  11e  brigade,  à  gauche,  passe 
à  Potgieters-Drift  et  se  dirige  sur  Brakfontein;  la  brigade  Lyt- 
telton,  à  droite,  passe  au  gué  de  Molen  et  marche  sur  les  hau- 
teurs de  Vaal-Krantz,  soutenue  par  la  brigade  Hildyard.  Les 
collines  entre  Vaal-Krantz  et  Brakfontein  sont  occupées  par 
les  Anglais. 

Le  6  février  dans  la  journée,  les  Boërs  renforcés  dirigent 
une  contre-attaque  vers  Vaal-Krantz  et  refoulent  la  brigade 
Ly  tlelton  qui  est  relevée  par  la  brigade  Hildyard.  La  1  Ie  brigade, 
ramenée  dès  la  veille  sur  la  Tugela,  se  maintient  péniblement. 

Le  lendemain,  les  forces  anglaises  continuent  la  lutte  sans 
succès.  Dans  la  nuit  sir  R.  Buller  se  décide  à  replier  ses 
troupes  derrière  la  Tugela  sous  la  protection  de  la  brigade 
Hildyard. 


AFRIQUE   AUSTRALE    BRITANNIQUE.    —    TRANSVAAL  401 

Repoussé  du  côté  de  l'ouest,  le  général  Bùller  fait  une  nou- 
velle tentative  devant  Colenso. 

Le  14  février,  il  attaque  l'avancée  occupée  par  les  Boërs  au 
sud  de  la  Tugela,  de  Colenso  à  Hlangwane  et  à  Monte  Cristo. 
Lord  Dundonald  fait  des  démonstrations  à  l'extrême  droite 
tandis  que  les  brigades  Lyttelton  à  droite,  Hildyard  au  centre, 
Hart  à  gauche,  prennent  pied  sur  Hussard-Hill.  Les  15  et  16, 
lutte  d'artillerie  et  combat  de  front;  le  17,  la  croupe  du  Cin- 
golo  est  enlevée. 

Le  18,  pendant  que  la  brigade  Lyttelton  prononce  son  mou- 
vement vers  l'est,  le  général  Hildyard  prend  pied  sur  Monte 
Cristo.  Le  lendemain  la  brigade  Hart  s'empare  de  Hlangwane, 
entre  à  Colenso  et  pousse  son  avant-garde  au  delà  de  la  Tugela. 

Les  Boërs  se  retirent  sur  Ladysmith,  abandonnant  leur  place 
d'armes  formant  tête  de  pont  au  sud  de  la  Tugela. 

Leurs  effectifs  étaient  déjà  fortement  diminués  depuis  plu- 
sieurs jours  par  suite  des  envois  de  troupes  dirigés  sur  l'Etat 
libre.  Ne  tenant  plus  à  enlever  Ladysmith  dont  la  garnison, 
réduite  par  la  famine  et  la  maladie,  allait  se  trouver  pour 
longtemps  incapable  de  participer  aux  opérations,  le  général 
Joubert  se  décidait  à  lever  le  siège  et,  sous  la  protection  d'une 
arrière-garde  commandée  par  le  général  Bosha,  il  évacuait  ra- 
pidement son  matériel  et  ses  convois. 

Le  21  février,  le  général  Buller  attaque  avec  trois  brigades  la 
dernière  position  boer  s'étendant  au  nord  de  la  Tugela,  de 
Groblers  Kloof  à  Piéters  Hill.  Après  un  premier  insuccès 
devant  Groblers  Kloof,  la  bataille  continue  le  22.  Le  23, 
nouvel  échec;  les  Anglais  sont  rejetés  au  delà  du  ruisseau 
Langerwacht  Spruit  qui  longe  la  position  boer  et  cherchent 
sur  la  Tugela,  en  aval  du  confluent  du  ruisseau,  un  nouveau 
passage  où  le  génie  jette  un  pont  de  bateaux.  Le  27  février,  le 
général  Barton  franchit  la  Tugela  et  cherche  à  déborder  la 
gauche  des  Boers,  tandis  que  les  4e  et  11e  brigades  repren- 
nent l'attaque  de  front. 

Ces  attaques  ne  trouvent  devant  elles  que  de  faibles  partis 
qui  se  retirent  dans  la  soirée. 

La    route    de  Ladysmith  se  trouvait  libre.   Les    Anglais 

Afr.  polit.  26 


402  l'afrique  politique  ex  1900 

n'étaient  plus  qu'à  20  kilomètres  de  la  place  assiégée.  Le  len- 
demain, 28  février,  lord  Dundonald,  lancé  en  avant  avec  une 
colonne  légère,  pénétrait  dans  la  place  à  6  heures  du  soir.  Les 
Boers,  faisant  le  vide,  se  repliaisnt  dans  les  deux  directions 
d'Elangslaagte  et  des  passes  de  Van  Reenen. 

Le  siège  de  Ladysmith  avait  duré  cent  vingt  et  un  jours. 
La  garnison,  réduite  à  un  état  lamentable,  était  depuis  long- 
temps incapable  de  coopérer  aux  opérations.  Sa  délivrance 
était  due  aux  événements  survenus  sur  un  autre  échiquier 
bien  plus  qu'aux  efforts  du  général  Buller  dont  l'armée,  réduite 
à  22.000  hommes,  avait  éprouvé,  dans  ces  opérations,  des 
pertes  totales  s' élevant  à  plus  de  8.000  hommes  (1). 

Les  succès  des  Anglais,  quoique  chèrement  achetés,  cau- 
sèrent dans  tout  l'empire  britannique  une  joie  débordante. 
Mais  ils  ne  servirent  qu'à  augmenter  encore  les  prétentions  du 
gouvernement  anglais.  On  ne  parla  plus  que  de  l'annexion  des 
deux  Républiques  et  les  idées  pacifiques  suggérées  par  toute 
l'opinion  européenne  ne  trouvèrent  à  Londres  aucun  écho. 

M.  Chamberlain  venait,  dans  la  séance  du  20  février,  de 
remporter  encore  une  victoire  à  la  Chambre  des  communes  à 
l'occasion  d'une  discussion  soulevée  à  propos  d'une  nouvelle 
enquête  sur  le  raid  Jameson.  De  Kimberley,  M.  Cécil  Rhodes, 
après  avoir  proclamé,  dans  un  discours  retentissant,  que  le 
drapeau  britannique  était  «  le  plus  grand  actif  commercial  du 
monde  »,  s'était  rendu  au  Cap  où  sa  présence  avait  encore 
surexcité  les  passions. 

A  la  Chambre  des  lords,  le  1er  mars,  le  ministre  de  la  guerre 
avait  annoncé,  au  milieu  des  applaudissements,  l'envoi  de 
nombreux  renforts.  La  8e  division,  toujours  en  voie  de  forma- 
tion, devait  commencer,  vers  le  10  mars,  son  embarquement. 
Les  difficultés  du  recrutement  devenaient  tous  les  jours  plus 
sérieuses;  quant  aux  dépenses,  elles  atteignaient  déjà  bien 
près  de  deux  milliards. 


(1)  De  son  côté,   sur  un   effectif  de  12.000  hommes  la  garnison  de  Ladysmith 
avait  perdu  3.000  hommes  tués  ou  morts  de  maladie. 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —  TRANSVAAL  403 

Au  dehors,  en  présence  d'une  guerre  qni  se  continuait 
depuis  cinq  mois  et  menaçait  de  durer  longtemps  encore,  les 
sympathies  se  refroidissaient  davantage.  La  Russie  était  tou- 
jours menaçante  en  Turkestan.  La  France  silencieuse,  l'Alle- 
magne réservée.  En  Amérique  l'opinion  devenait  chaque 
jour  plus  hostile.  En  Italie,  il  n'était  plus  question  d'une 
coopération,  même  lointaine  :  «  Cherchons  à  être  pratiques, 
comme  le  sont  les  Anglais!  Que  celui  qui  veut  notre  amitié 
la  paie  !  »  s'écriait  un  des  organes  les  plus  importants  de 
la  péninsule  ;  et  cette  parole  reflétait  fidèlement  le  sentiment 
italien. 

Au  Canada,  en  Australie,  les  protestations  contre  les  envois 
de  troupes  se  faisaient  tous  les  jours  plus  violentes.  Au  Cap, 
enfin,  l'insurrection  s'étendait  constamment,  ajoutant  aux 
difficultés  de  l'armée  d'opérations  et  causant  des  alarmes  jus- 
tifiées. 

Telles  étaient  les  conditions  dans  lesquelles  allait  s'ouvrir, 
le  1er  mars,  la  deuxième  période  de  la  campagne. 


* 


La  capitulation  de  Paardeberg  paraissait  devoir  être  le  point 
de  départ  d'opérations  militaires  très  actives. 

Au  lieu  de  voir  les  Anglais  pousser  plus  avant,  menacer 
Bloemfontein  et  prendre  les  Boers  en  flagrant  délit  de  con- 
centration, on  assiste,  au  contraire,  pendant  quelques  jours, 
à  un  arrêt  à  peu  près  complet  des  hostilités. 

Plusieurs  causes  donnent  l'explication  de  ce  fait  :  en  pre- 
mier lieu  la  fatigue  des  troupes  anglaises,  les  pertes  subies, 
l'épuisement  de  la  cavalerie,  que  lord  Roberts  et  lord  Kitchener 
se  proposent  d'utiliser  très  largement;  ensuite  une  ligne 
d'étapes  à  organiser,  des  effectifs  à  reconstituer,  des  renforts 
à  recevoir;  enfin,  des  attaques  de  partisans  à  repousser  et 
une  insurrection  à  réprimer  qui  s'annonce  tous  les  jours  plus 
redoutable. 

Le  général  en  chef,  au  milieu  de  ces  difficultés,  ne  peut  brus- 


404  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EX    1900 

quer  les  solutions.  Il  concentre  ses  troupes,  appelle  ses  ren- 
forts et  songe  à  rappeler  du  Natal  une  partie  du  corps  du 
général  Buller.  Autour  de  Ladysmith,  en  effet,  les  Boers,  retirés 
dans  le  Drakensberg  et  vers  Glencoe,  ne  paraissent  point 
décidés  à  changer  leur  défensive  monotone  et  improductive 
en  une  tactique  plus  profitable.  Sur  l'Orange  on  songe  à  opé- 
rer la  concentration  des  forces  des  généraux  Cléments,  Gatacre 
et  Brabant.  Du  côté  de  Mafeking,  qui  continue  à  résister  péni- 
blement, on  va  coopérer  à  Faction  engagée  vers  le  Nord  par  le 
colonel  Plumer,  en  détachant  de  Kimberley  une  partie  des 
troupes  de  lord  Methuen. 

Pendant  que  le  général  Cronje  attirait  sur  lui  tous  les  efforts 
de  l'armée  anglaise,  le  corps  principal  des  Boers,  fort  d'envi- 
ron 9.000  hommes,  s'était  retiré  vers  le  Nord,  au  delà  du  Vaal, 
emmenant  avec  lui  tous  ses  convois  et  son  artillerie  de  siège. 
Le  général  Joubert,  après  avoir  confié  la  direction  des  opéra- 
tions du  Natal  au  général  Botha,  se  mettait  en  mesure  de  con- 
centrer ses  forces  sur  une  position  déjà  reconnue  au  nord  de 
Bloemfontein.  Cette  petite  capitale,  sans  valeur  stratégique, 
allait,  avec  raison,  être  abandonnée  à  l'ennemi. 

Dès  le  lendemain  de  la  capitulation  de  Paardeberg,  les 
présidents  des  deux  Républiques  avaient  pris  le  parti  de 
demander  la  paix,  autant  pour  provoquer  une  intervention 
européenne  que  pour  obliger  l'Angleterre  à  dévoiler  ses 
conditions. 

Dans  une  dépêche  datée  de  Bloemfontein,  5  mars,  et  conçue 
en  des  termes  élevés  et  mystiques,  ils  offraient  à  l'Angleterre 
de  conclure  la  paix  sur  les  bases  de  la  reconnaissance  de  l'indé- 
pendance incontestable  d'États  jouissant  de  la  souveraineté  inter- 
nationale. 

Le  marquis  de  Salisbury  répondit,  le  11  mars,  par  un  aveu 
du  vrai  caractère  de  la  guerre.  Le  gouvernement  anglais,  pre- 
nant le  rôle  de  conquérant,  rejetait  sommairement  les  propo- 
sitions des  présidents,  déclarant  n'être  pas  «  disposé  à  recon- 
naître l'indépendance,  soit  de  la  République  du  sud  de 
l'Afrique,  soit  de  l'État  libre  d'Orange  ». 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  403 

C'était  repousser  à  l'avance,  ainsi  que  le  faisait  remarquer 
M.  Delcassé  à  la  tribune  française,  toute  intervention  étran- 
gère. 

La  médiation  des  puissances,  sollicitée  par  les  deux  prési- 
dents, se  heurta,  en  effet,  de  toutes  parts  à  une  fin  de  non 
recevoir  tristement  énoncée  et  poliment  exprimée.  Les  Boers 
n'avaient  plus  qu'à  se  résoudre  à  une  guerre  sans  merci. 

Pendant  que  ces  négociations  se  déroulaient  sans  résultat, 
lord  Roberts,  décidé  à  marcher  sur  Bloemfontein,  faisait 
reconnaître,  le  2  mars,  une  position  prise  par  quelques  partis 
boers  vers  Poplar  Grove  sur  un  front  étendu  de  4  milles  au 
nord  et  de  10  milles  au  sud  de  la  Modder. 

Le  7  mars  il  passe  à  la  décision.  Au  nord  de  la  rivière,  la 
9e  division  (Colville)  forme  la  gauche;  au  centre  marche  la 
7e  division  (Tucker)  et  à  droite  la  6e  (Kelly-Kemy)  soutenue 
par  la  brigade  des  gardes  (Pôle  Carre w)  en  réserve.  A  l'extrême 
•droite  opère  la  division  de  cavalerie  du  général  French  qui, 
sans  attendre  l'action  de  l'infanterie,  exécute  un  large  et 
pénible  mouvement  tournant  à  la  suite  duquel  les  Boers,  qui 
résistent  une  partie  de  la  journée,  s'évanouissent  vers  le 
Nord  et  vers  l'Est  abandonnant  un  canon. 

L'armée  anglaise  se  repose  les  jours  suivants  sans  être 
inquiétée.  Le  10,  après  avoir  reconnu,  à  quelques  milles  dans 
l'Est,  la  nouvelle  position  prise  par  les  Boers  à  Drietfontein, 
lord  Roberts  se  dirige  contre  eux,  de  Poplar  Grove,  sur  trois 
colonnes  : 

A  droite,  la  7e  division  marche  sur  Pétrusberg  ;  le  centre  est 
formé  par  la  9e  division  et  la  brigade  des  gardes;  la  gauche 
par  la  6e  division;  à  chaque  colonne  est  attachée  une  brigade 
de  cavalerie. 

Le  combat  est  engagé,  sans  attendre  l'infanterie,  par  la  cava- 
lerie et  les  troupes  montées  de  la  colonne  du  centre.  La  6e  di- 
vision, qui  arrive  après  une  longue  marche,  s'engage  aussitôt 
et  après  un  très  vif  combat  qui  coûte  400  hommes  aux 
Anglais,  réussit  à  refouler  les  Boers.  Ceux-ci  résistent 
cependant  jusqu'à  la  nuit  sans  être  menacés  dans  leur  re- 


406  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EX    1900 

traite  par  la  cavalerie  anglaise,  épuisée  par  les  fatigues  de  la 
journée. 

Le  lendemain  les  40.000  hommes  de  lord  Roberts  campent 
à  Aasvogel  sur  le  Kaal  Spruit.  Le  12,  ils  remontent  le  cours 
du  Kaal  Spruit,  marchant  vers  le  sud-est,  pendant  que  la 
cavalerie  du  général  French  va  occuper  la  voie  ferrée  à 
6  milles  au  sud  de  Blœmfontein.  Dans  la  nuit,  tandis  que 
lord  Roberts  campe  à  15  milles  de  la  ville,  le  général  French 
s'empare,  après  un  léger  combat,  des  hauteurs  dominant  la 
gare. 

Le  13  mars  les  Anglais  entrent  à  Blœmfontein  et  lancent 
quelques  partis  à  la  rencontre  de  l'ennemi  qui  paraît  vouloir 
faire  occuper  une  première  ligne  de  défense  à  35  milles  vers 
le  Nord,  près  de  Brandfort. 

Mais  lord  Roberts  se  préoccupe  beaucoup  moins  des  Boers 
que  de  la  nécessité  où  il  se  trouve  de  changer  sa  ligne  d'opé- 
rations, trop  exposée  et  trop  difficile  le  long  de  la  Modder,  et 
de  lui  substituer  la  voie  ferrée  de  Blœmfontein  au  Cap.  Dès  le 
15  mars  au  matin  il  lance  en  chemin  de  fer  2.000  hommes 
avec  le  général  Pôle  Carrew  qui  ne  tarde  pas  à  opérer  sa 
jonction  avec  les  forces  du  général  Gatacre  parvenues  à 
Spruigfontein. 

Du  côté  du  fleuve  Orange,  en  effet,  la  première  partie  du 
mois  de  mars  n'a  pas  été,  pour  les  Anglais,  moins  profitable 
que  sur  la  Modder.  D'un  côté  comme  de  l'autre,  les  Boers 
combattent  sans  combiner  leurs  opérations,  ils  paraissent 
manquer  d'unité  de  direction  et  se  bornent  à  la  défensive  qui 
leur  est  d'ailleurs  imposée  par  suite  de  l'envoi  vers  le  nord 
d'une  partie  de  leurs  effectifs. 

Après  des  engagements  sans  importance,  le  général  Clé- 
ments entre  à  Colesberg,  pousse  sur  Norvals  Pont,  passe 
l'Orange  en  bateau  le  15  mars,  construit  un  pont  et  progresse 
vers  le  nord. 

Le  général  Gatacre,  arrêté  quelque  temps  devant  Storm- 
berg,  entre  le  7  mars  à  Bughersdorp.  Constamment  renforcé, 
il  arrive  le  11  mars  devant  Béthulie  dont  il  occupe  le  pont 
après  un  léger  combat.  De  là,  il  pousse  sur  Springfontein  où 


AFRIQUE   AUSTRALE   BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  407 

il  est  rejoint  par  le  général  Pôle  Garrew  et  d'où  il  se  relie  aux 
troupes  du  général  Cléments  qui,  de  Norvals  Pont,  marche 
sur  Philippolis  et  Fauresmith. 

A  droite,  le  général  Brabant,  qui  dispose  de  1.800  hommes, 
a  livré,  les  3,  4  et  5  mars,  des  combats  acharnés  aux  Boers 
entre  Dordrecht  et  Jamestown.  Le  12,  il  arrive  devant  Allwal 
North  où  a  lieu  un  nouvel  engagement.  Les  Boers  se  retirent 
sur  Rouxville. 

Sur  ce  théâtre  d'opérations,  la  concentration  des  forces 
britanniques,  avec  le  général  Brabant  en  flanc-garde,  paraît 
être  assurée  le  20  mars,  dans  la  région  de  Springfontein, 
donnant  ainsi  à  lord  Roberts  la  libre  disposition  des  voies 
ferrées  de  Blœmfontein  sur  le  Cap,  Port-Elisabeth  et  East- 
London  en  attendant  de  pouvoir  coopérer  avec  l'armée  prin- 
cipale. 

Vers  Mafeking,  les  deux  colonnes  de  secours  subissent  des. 
échecs,  celle  du  Sud  au  passage  du  Waal  et  celle  du  Nord,  les 
15  et  18  mars,  autour  de  Labatsi. 

Au  Natal,  les  deux  partis  se  tiennent  sur  la  défensive  et  il 
n'y  a  à  signaler  qu'un  engagement  de  peu  d'importance,  sur- 
venu le  9  mars  à  Itelpmaaker  au  nord-est  de  Ladysmith.  Les 
Boers  fortifient  les  positions  du  Biggarsberg  et  tiennent  vers 
l'Est  les  défilés  du  Drakensberg.  Dans  le  Zoulouland,  une 
petite  colonne  anglaise,  qui  avait  atteint  Melmoth  le  22  février, 
est  repoussée  vers  la  Tugela. 

Vers  le  nord-ouest  de  la  colonie  du  Cap  l'insurrection  n'a 
cessé  de  s'étendre.  D'abord  localisée  vers  Prieska  et  Kenhart. 
elle  a  envahi  le  Griqualand-West  et  les  districts  de  Gordonia, 
Calvinia,  Carnarvon  et  Victoria-West.  Les  troupes  du  colonel 
Adye,  qui  marchent  contre  les  révoltés,  subissent  un  échec 
le  6  mars.  Lord  Kitchener,  envoyé  de  ce  côté  en  attendant 
une  autre  mission,  y  organise  aussitôt  la  répression  des 
insurgés  qu'on  estimait  atteindre  le  chiffre  de  3  ou  4.000  hom- 
mes et  qui  commençaient  à  inspirer  de  vives  alarmes. 

Telle  était,  le  20  mars,  la  situation  réciproque  des  belligé- 
rants. A  ce  moment,  les  forces  anglaises  dans  l'Afrique 
australe  n'étaient  pas  loin,  y  compris  les  renforts  embarqués, 


408  l'afrique  politique  en  1900 

d'atteindre  200.000  hommes  dont  35.000  coloniaux  (1).  Grâce 
à  ce  formidable  effort,  les  affaires  des  Anglais  avaient  pu  être 
rétablies  non  sans  de  fortes  pertes,  évaluées  à  ce  moment  à 
15.000  hommes. 

Le  territoire  de  l'Etat  Libre  était,  il  est  vrai,  envahi  sur  une 
grande  étendue,  mais  les  forces  des  Boers  se  trouvaient,  la 
capitulation  de  Paardeberg  mise  à  part,  à  peu  près  intactes. 
Si  leur  ténacité  et  leur  énergie  étaient  secondées  par  l'union 
de  toutes  leurs  forces,  on  pouvait  dire,  à  juste  titre,  que  la 
guerre  ne  faisait  que  commencer  pour  les  Anglais  dont  les 
opérations  devaient  rencontrer  des  difficultés  peut-être  gran- 
dissantes. 

* 
*   * 

Il  serait  téméraire,  alors  même  que  les  événements  se  des- 
sinent dans  l'Afrique  australe,  de  se  livrer,  au  sujet  de  l'avenir 
de  ces  pays,  à  des  conjectures  ou  à  des  pronostics  prématurés. 
Ces  graves  questions,  qui  tendent  à  fixer  le  sort  de  tout  un 
peuple,  ne  pourraient  se  résoudre  en  un  jour,  quand  bien 
même  la  balance  des  faits  militaires  pencherait  en  faveur  de 
l'un  ou  de  l'autre  des  deux  belligérants. 

Il  ne  semble  guère  probable  aujourd'hui,  l'examen  impar- 
tial des  faits  paraît  le  confirmer,  que  l'Angleterre  puisse  rem- 
plir le  programme  rêvé  par  certains  hommes  d'État  britan- 
niques, l'absorption  des  deux  Républiques,  ou  même  l'idéal 
plus  modeste  proposé  par  sir  A.  Milner,  la  destruction  de 
l'afrikandérisme.  Alors  même  que  les  Anglais  mettraient  à 
exécution  leur  décision  de  pousser  jusqu'au  delà  de  Pretoria, 
en  admettant  ce  résultat  obtenu  et  les  Boers  réduits  à  merci, 


(1)  Les  troupes  coloniales  provenaient  de  : 

Sud-  Afrique 22.000  hommes. 

Australie 3.8.iO         — 

Canada 2.800         — 

Inde,  Nouvelle  -Zélande 1  .110        — 

Troupes  demandées  à  l'Australie  et  au  Canada  à  la 

lin  de  février -i.OOO         — 

Total 34.760  hommes. 


AFRIQUE   AUSTRALE    BRITANNIQUE.    —   TRANSVAAL  409 

il  ne  serait  pas  moins  nécessaire  de  procéder  pendant  long- 
temps à  T occupation  méthodique  du  pays  et  d'y  consacrer 
peut-être  60  ou  80.000  hommes.  Ce  serait  une  grosse  partie 
de  l'armée  d'opérations  actuelle  pour  longtemps  immobilisée 
et  l'Angleterre  a  autre  chose  à  en  faire,  à  moins  de  transformer 
son  organisation  militaire  au  prix  de  sacrifices  budgétaires 
et  d'embarras  sociaux  dont  il  est  difficile  de  se  faire  une  idée 
exacte.  Grâce  à  cette  occupation  militaire  elle  pourrait  se 
rendre  à  peu  près  maîtresse  des  populations,  exalter  la  pré- 
pondérance des  Anglo-Saxons,  essayer  de  comprimer  et  de 
réduire  à  néant  le  rôle  politique  des  Afi  ikanders.  Mais,  à  moins 
de  supprimer  ces  derniers  comme  des  Matabélés  ou  de  les 
exporter,  il  faudra  toujours  compter  avec  leur  nombre  et  avec 
les  qualités  de  leur  race,  leur  patriotisme,  leur  ténacité,  leur 
énergie.  Après  avoir  entamé  une  grande  guerre  pour  éman- 
ciper les  Uitlanders,  pourra-t-on  se  refuser  à  laisser  aux  Afri- 
kanders  quelques  droits  politiques?  Ce  serait  soulever  les 
réclamations  de  l'opinion  en  Angleterre  même  et  aux  colonies. 
Mais  alors,  malgré  tous  les  sectionnements  électoraux  et  les 
répartitions  provinciales,  l'opinion  afrikander,  renforcée  par 
les  éléments  boers  des  deux  Républiques  annexées,  fera  balle 
contre  l'Anglo-Saxon  désormais  tenu  à  l'écart  et  détesté  à 
l'égal  de  tout  conquérant.  Sans  aller  jusqu'à  prédire,  comme 
tel  homme  politique  de  Hollande,  que  dans  dix  ans  l'Afrique 
australe  ne  sera  plus  aux  Anglais,  même  victorieux,  il  est 
permis  de  demander  jusqu'à  quel  point  les  auteurs  de  cette 
guerre  ont  pensé  servir  la  gloire  de  l'empire  britannique. 

Voilà  pour  l'hypothèse  de  la  victoire  anglaise  décisive  et 
définitive.  Mais  aujourd'hui  que  les  Boers,  après  avoir  étonné 
le  monde  par  leur  longanimité,  l'ont  surpris  davantage  par 
leur  décision  et  leurs  victoires,  il  ne  parait  pas  hors  de  propos 
d'envisager  le  cas  où,  aidés  par  l'insurrection  afrikander,  ils 
seront  parvenus,  si  le  succès  favorise  leur  ténacité,  à  lasser 
leurs  ennemis  et  à  les  obliger  à  conclure  une  paix  quel- 
conque. 

Ce  jour-là  verrait  la  fin  des  espérances  de  M.  Cecil  Rhodes 
et  marquerait  le  commencement  de  la  suprématie  désormais 


410  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EX    1900 

incontestable  de  la  race  hollandaise  sous  l'égide  protectrice 
des  deux  Républiques.  Alors  pourrait  se  continuer,  librement 
et  pacifiquement,  l'évolution  plus  rapide  vers  l'idéal  politique 
des  États-Unis  de  l'Afrique  du  Sud,  au  grand  dommage  de  la 
puissance  britannique  dans  le  reste  du  monde. 

De  quelque  façon  que  se  déroulent  les  événements,  il  n'est 
guère  facile  de  distinguer  ce  que  la  politique  anglaise  peut 
avoir  à  gagner  à  la  guerre  actuelle. 


MADAGASCAR  411 


Madagascar. 


Rôle  politique  et  stratégique. 


Coup  d'œil  général  sur  les  suites  de  la  conquête.  —  Négociations  avec  l'Angle- 
terre et  les  États-Unis.  —  Rôle  stratégique  de  Madagascar.  —  L'océan  Indien, 
mer  britannique.  —  Insuffisance  des  stations  stratégiques  françaises.  —  Mada- 
gascar, Suez  et  le  Cap. 


De  nombreux  ouvrages  ont  été  écrits  sur  Madagascar,  sa 
géographie,  son  histoire,  sa  conquête.  Il  est  inutile  de  revenir 
ici  sur  des  détails  que  l'on  trouvera  exposés  ailleurs.  Nous  ne 
dirons  quelques  mots  de  la  grande  île,  région  asiatique  plutôt 
qu'africaine,  que  pour  signaler  rapidement  le  rôle  qu'elle  est 
appelée  à  jouer,  elle  et  ses  annexes,  aussi  bien  dans  l'océan 
Indien  qu'en  regard  des  pays  situés  de  l'autre  côté  du  canal 
de  Mozambique. 

On  est  encore  sous  l'impression  du  remarquable  rapport  du 
général  Galliéni,  qui  a  précisé,  en  les  imposant  à  l'attention  de 
la  France,  les  conditions  dans  lesquelles,  au  cours  des  der- 
nières années,  il  a  accompli  l'œuvre  de  pacification  et  de  civi- 
lisation vainement  tentée  avant  lui. 

Aussi  nous  ne  jetterons  qu'un  coup  d'œil  des  plus  som- 
maires sur  les  événements  accomplis  depuis  tantôt  quatre 
ans. 

La  conquête  était  à  peine  terminée  que  le  régime  civil  était 
substitué  au  régime  militaire.  En  même  temps,  sans  tenir 
compte  des  vœux  des  populations,  on  maintenait  à  leur  tête, 
sur  plus  d'un  point,  les  gouverneurs  hovas  partout  détestés. 


412  l'afrique  politique  en  1S99 

Le  résultat  de  cette  politique,  inaugurée  au  moment  mùme 
où  l'on  rapatriait  la  plus  grande  partie  du  corps  expédition- 
naire, fut  loin  d'être  conforme  à  ce  qu'on  attendait. 

Malgré  les  ordres  donnés  pour  désarmer  les  Ho  vas,  ceux-ci 
réussirent  à  conserver  une  partie  de  leurs  armes,  et,  sous  les 
ordres  de  chefs  choisis  par  eux  ou  de  personnages  déjà  com- 
promis, ils  constituèrent  des  handes  qui  réussirent  à  tenir  la 
campagne  devant  nos  troupes,  et  à  porter  le  trouble  aux  en- 
virons mêmes  de  la  capitale. 

Les  désordres  produits  par  les  rebelles  et  les  plaintes  de  plus 
en  plus  vives  des  Européens  mal  protégés  et  des  indigènes 
soumis  aux  gouverneurs  hovas  attirèrent  l'attention  sur  la 
méthode  administrative  adoptée  à  Madagascar. 

Dans  l'organisation  première,  fondée  sur  la  superposition 
des  résidents  français  aux  gouverneurs  hovas,  on  eût  dû  s'in- 
spirer des  essais  faits  dans  nos  autres  colonies.  Les  résidents, 
mis  à  la  tète  de  circonscriptions  administratives  d'une  trop 
grande  étendue,  auraient  pu  être  avantageusement  secondés 
par  des  commandants  de  territoires  militaires. 

Peut-être  aussi  eût-il  été  possible  de  faire  un  emploi  plus 
large  des  troupes  indigènes,  solidement  encadrées  par  des  élé- 
ments français,  de  manière  à  réduire  le  plus  possible  l'effectif 
des  troupes  blanches  destinées  à  la  garde  de  la  colonie. 

Ces  critiques,  très  nettement  formulées  à  la  fois  dans  la  mé- 
tropole et  à  Madagascar,  aboutirent  à  l'établissement,  sous  les 
ordres  du  général  Galliéni,  d'une  administration  qui  a  fait 
aujourd'hui  ses  preuves  et  qu'il  serait  téméraire  de  modifier 
avant  longtemps. 

Tandis  que  la  France  se  heurtait  à  Madagascar  à  toutes  sortes 
de  difficultés  intérieures,  sa  diplomatie  cherchait  à  faire 
admettre  parles  puissances  étrangères  la  thèse  d'après  laquelle 
les  produits  français  devaient  jouir,  à  Madagascar,  d'un  trai- 
tement de  faveur. 

De  longues  négociations  ne  suffirent  pas  à  amener  les  An- 
glais et  les  Américains  à  reconnaître  que,  la  souveraineté  de 
l'île  ayant  changé  de  mains,  les  traités  antérieurs  se  trouvaient, 


MADAGASCAR  413 


par  ce  fait,  abolis.  Il  fallut  substituer  à  la  théorie  du  protec- 
torat celle  de  l'administration  directe  de  la  France,  et  Ton  dut 
faire  voter  par  les  Chambres  (juillet  1896)  une  loi  qui  déclarait 
Madagascar  colonie  française. 

Cette  décision  ne  parut  avoir,  sur  le  moment,  aucune  fâ- 
cheuse répercussion  sur  l'esprit  des  indigènes,  et  elle  permit 
à  la  France  de  mieux  prendre  en  mains  l'administration  de 
l'île  et  de  la  faire  servir  à  la  pacification  et  au  développement 
de  sa  nouvelle  colonie. 

Les  lois  d'acquisition  et  de  vente  des  terres  ne  tardèrent  pas 
à  être  modifiées  dans  le  sens  où  on  les  comprend  en  Europe; 
on  étudia  les  moyens  de  faciliter  la  colonisation  et  la  prospec- 
tion des  mines;  des  travaux  publics  et  des  voies  de  communi- 
cation furent  entrepris  et  le  temps  ne  paraît  plus  bien  éloigné 
où  la  capitale  sera  reliée  à  la  côte  par  une  voie  ferrée. 

Le  bruit  de  la  découverte  de  mines  d'or  avait  attiré  dans 
l'île,  dès  le  mois  de  mai  189G,  une  certaine  quantité  de  mineurs 
venus  surtout  du  Transvaal,  et  l'on  s'apprêtait  à  donner  une 
plus  grande  extension  aux  exploitations  et  aux  concessions, 
lorsqu'éclata,  au  mois  de  juin  suivant,  une  recrudescence  de  la 
rébellion  qui,  sans  compromettre  l'avenir  de  la  colonie,  eut 
pour  effet  de  retarder  la  colonisation  et  de  faire  passer,  par  la 
suppression  de  la  dynastie  nova,  le  gouvernement  de  l'île 
entière  entre  les  mains  de  l'administration  française. 

L'agitation  ne  cessa  point  entièrement  pour  cela  ;  les  révoltes 
"des  indigènes,  autrefois  soumis  nominalement  aux  Hovas,  les 
résistances  des  Hovas  eux-mêmes,  les  querelles  de  religion, 
les  démùdés  suscités  par  les  Hindous,  sujets  britanniques,  nous 
causèrent  des  difficultés  qui,  aujourd'hui  encore,  ne  sont  pas 
complètement  aplanies.  Malgré  tout,  la  colonie,  grâce  à  une 
administration  ferme  et  vigilante,  ne  cesse  de  faire  des  progrès 
et  de  justifier  nos  espérances. 

L'attention  de  la  France  s'est  portée  sérieusement  sur  sa  nou- 
velle conquête,  qui  peut  devenir  pour  elle  une  colonie  d'exploi- 
tation et  de  peuplement,  en  même  temps  qu'une  possession  de 
haute  importance  au  point  de  vue  stratégique. 


414  L'AFRIQUE   POLITIQUE    EN    1900 

Madagascar  occupe,  par  rapport  au  continent,  une  situation 
analogue  à  celle  des  îles  Britanniques  en  face  de  l'Europe,  ou 
du  Japon  vis-à-vis  de  l'Asie.  Avec  les  Comores  tout  auprès 
d'elle,  qui  bouchent  le  canal  de  Mozambique,  et  qui  se  trouvent 
dans  une  position  analogue  à  celle  des  Pescadores  entre  For- 
mose  et  la  Chine,  elle  est  destinée  à  jouer  un  rôle  de  premier 
ordre  dans  la  lutte  pour  la  domination  de  l'océan  Indien. 

Du  détroit  de  Malacca  au  détroit  de  Bab-el-Mandeb,  le 
littoral  asiatique  est  possédé,  presque  sans  solution  de  conti- 
nuité, par  l'Angleterre.  Avec  l'Australie  à  l'Est  et  leurs 
territoires  de  l'Afrique  orientale  et  australe,  les  Anglais  in- 
vestissent de  toutes  parts  l'océan  Indien  qu'on  pourrait  juste- 
ment qualifier  de  mer  britannique. 

La  diplomatie  anglaise  a  consenti  à  ne  pas  occuper  les 
côtes  ingrates  du  sud  de  l'Arabie,  et  à  céder  aux  Italiens  quel- 
ques rivages  déserts  de  la  presqu'île  des  Somalis.  Elle  a  été 
obligée,  en  1890,  de  reconnaître  à  l'Allemagne  les  territoires  de 
Zanzibar  et  à  la  France  le  protectorat  de  Madagascar.  Mais 
l'impérialisme  britannique  ne  saurait  considérer  ces  conces- 
sions comme  définitives,  ni  se  résoudre  à  admettre  un  partage 
d'influence  ou  une  domination  contestée. 

Madagascar,  sentinelle  permanente  de  l'océan  Indien,  avec 
ses  ports  spacieux  et  ses  baies  profondes,  est  destinée  à  acca- 
parer une  grande  part  du  transit  qui,  des  Indes  ou  de  l'Aus- 
tralie, se  dirige  vers  l'Afrique  australe., 

Sa  position,  qui  commande  le  détroit  de  Mozambique,  et  qui 
permet  de  surveiller  à  la  fois  Zanzibar  et  le  Cap,  est  des  plus 
heureuses  au  point  de  vue  stratégique. 

La  fertilité  de  son  sol,  sa  proximité  de  la  côte  africaine,  d'où 
elle  peut  tirer  l'appoint  des  travailleurs  noirs,  son  climat 
favorable  aux  Européens  sur  les  hauts  plateaux,  toutes  ces 
conditions  réunies  permettent  d'espérer  pour  File  un  heu- 
reux avenir. 

Mais  les  avantages  stratégiques  de  la  grande  île  sont  actuel- 
lement neutralisés  en  partie  par  l'Angleterre,  qui  tient  d'un 
côté  le  canal  de  Suez  et  de  l'autre  côté  le  passage  du  cap  de 
Bonne-Espérance. 


MADAGASCAR  41."> 


Ces  circonstances  font  de  Madagascar  une  colonie  qui,  en 
temps  de  guerre  maritime,  devrait  se  suffire  à  elle  même. 

C'est  une  raison  de  plus  pour  l'organiser  sérieusement  dès  le 
temps  de  paix  de  manière  à  lui  permettre  d'attendre  les  secours 
que  tenteraient  de  lui  porter  les  flottes  françaises. 

Cette  considération,  jointe  au  désir  de  posséder  dans  l'océan 
Indien  un  lieu  de  refuge  éventuel,  a  conduit  les  administra- 
tions de  la  marine  et  des  colonies  à  ériger  la  magnifique  sta- 
tion de  Diégo-Suarez  en  point  d'appui  de  la  flotte,  en  lui  adjoi- 
gnant un  vaste  territoire  compris  au  nord  de  la  ligne  joignant 
Soavimandriana  au  port  Rafala,  avec  les  annexes  de  Nossi-Bé 
et  de  Sainte-Marie.  Le  projet  de  défense  des  colonies  affecte  à 
l'organisation  de  ce  point  d'appui  un  crédit  supplémentaire 
de  10.500.000  francs. 

Nos  vaisseaux,  pour  atteindre  Madagascar,  se  trouvent  dans 
la  nécessité  de  demander  leur  charbon  ailleurs  qu'à  des  ports 
français.  Obock  et  Djibouti  possèdent  bien  des  dépôts  de  char- 
bon, mais  de  là  à  Madagascar,  la  distance  est  trop  grande  pour 
être  parcourue  sans  ravitaillement,  par  la  plupart  de  nos 
navires.  Du  côté  de  l'Atlantique,  la  situation  est  encore  plus 
mauvaise.  Parti  de  Madagascar,  le  navire  qui  rentre  en  Europe 
ne  trouve  à  toucher  une  terre  française  qu'au  Congo  et  ensuite 
en  Guinée  et  au  Sénégal. 

Les  Anglais,  au  contraire,  ont  échelonné  avec  le  plus  grand 
soin  les  escales  de  leurs  flottes.  Du  Cap  en  Angleterre,  on 
trouve,  par  l'ouest,  les  divers  points  de  refuge  ou  de  ravitail- 
lement de  Walfish-Bay,  de  Sainte-Hélène,  de  Freetown  et  de 
Gibraltar;  tandis  que  vers  l'est,  on  rencontre  Natal,  Mahé, 
Zanzibar,  Aden,  Port-Saïd  et  Malte. 

La  marine  française  est  bien  moins  favorisée  à  ce  point  de 
vue,  et  c'est  là  une  lacune  de  notre  organisation  navale  qui,  en 
cas  de  guerre  maritime,  ne  manquerait  pas  de  causer  l'isole- 
ment de  Madagascar  et  de  livrer  ses  côtes  aux  insultes  de  l'en- 
nemi. Un  port  muni  d'un  arsenal,  tel  que  Diégo-Suarez,  répond 
donc  pour  la  France  à  une  nécessité  maritime,  et  il  serait  ju- 
dicieux de  compléter  l'organisation  stratégique  de  Madagascar 
parla  création  d'un  point  d'appui  analogue  vers  son  extrémité 


416  l'afrique  politiqle  en  1900 

méridionale,  soit  à  Fort-Dauphin,  soit  dans  la  baie  de  Saint- 
Augustin. 

Tel  qu'il  est,  cependant,  l'ensemble  formé  par  Madagascar  et 
ses  annexes  de  la  Réunion  et  des  Comores,  barre  la  route  aux 
flottes  anglaises  allant  du  Cap  aux  Indes.  A  ce  point  de  vue, 
nous  possédons  clans  l'océan  Indien,  en  quelque  sorte  le  contre- 
poids du  canal  de  Suez.  Et  dans  le  cas  où  celui-ci  viendrait  à 
être  obstrué,  notre  station  navale  de  la  mer  des  Indes  prendrait 
aussitôt  une  importance  capitale.  A  ce  titre,  on  ne  saurait  trop 
veiller  aux  intérêts  maritimes  de  l'île,  et  il  serait  utile  de  lui 
affecter  en  tout  temps  une  force  navale  suffisante  pour  lui  per- 
mettre de  jouer  convenablement  le  rôle  qui  lui  est  dévolu. 


CHAPITRE  VI 

AFRIQUE  ORIENTALE 


Dans  l'Afrique  orientale  on  comprendra  l'étude  de  l'Est  afri- 
cain allemand  et  anglais,  la  péninsule  des  Somalis,  FAbyssinie 
et  enfin  l'Egypte. 

Cette  dernière  contrée  se  rattache  trop,  en  raison  des  événe- 
ments politiques  récents,  aux  régions  de  l'Afrique  orientale  et 
de  FAbyssinie,  pour  qu'on  songe  à  l'étudier  autrement  qu'en 
envisageant  ses  rapports  avec  ces  divers  pays. 

L'importance  des  faits  qui  viennent  de  se  passer  en  Egypte 
et  en  Abyssinie,  nous  obligera  à  les  développer  avec  quelques 
détails,  et  à  établir  en  quelque  sorte  l'introduction  des  événe- 
ments importants  que  l'avenir  paraît  réserver. 


Afr.  polit.  27 


418  l'a?rique  politique  en  1899 


Est  africain  allemand. 


Historique.  —  Occupation  militaire.  —  Communications.  —  Avenir. 


La  colonie  de  l'Est  africain  allemand  a  été  délimitée  par  le 
traité  du  1er  juillet  1890.  Elle  se  trouve  comprise  entre  l'océan 
Indien  et  les  lacs  Victoria,  Albert-Edouard,  Alexandra,  Tan- 
ganyika  et  Nyassa.  Son  territoire  dépasse  en  superficie  celui  de 
l'Allemagne  entière,  et  est  un  des  plus  fertiles  de  l'Afrique. 

De  nombreuses  explorations  l'avaient  parcourue  jusqu'au 
moment  (1884)  où  le  docteur  Peters  et  le  comte  Pfeil  firent  l'ac- 
quisition, d'accord  avec  des  chefs  indigènes,  d'un  territoire 
grand  comme  le  quart  de  la  France,  qui  fut  aussitôt  exploité 
par  la  Deutsche  Ostafrikanische  Gesellschaft,  compagnie  à  charte 
autorisée  par  l'empereur  d'Allemagne. 

A  partir  de  1888,  de  nombreux  soulèvements  se  produisirent 
dans  la  colonie,  à  cause  de  la  suppression  de  la  traite.  Ils  né- 
cessitèrent les  expéditions  de  Wissmannen  1889,  1890 et  1891, 
à  la  suite  desquelles  la  compagnie  à  charte,  dont  les  ressour- 
ces étaient  épuisées,  abandonna  l'administration  à  l'empire 
allemand.  Le  territoire  fut  divisé  en  cinq  districts  sous  l'au- 
torité immédiate  de  l'empire. 

Depuis  1891,  des  expéditions  militaires,  renouvelées  tous  les 
ans,  ont  pu  maintenir  à  grand' peine  une  sécurité  relative  dans 
le  pays.  Celles  de  1891  et  1892  sont  restées  tristement  célèbres 
par  la  défaite  de  la  mission  Zalewski,  par  les  Ouahéhés,  près 
du  Nyassa,  et  de  la  mission  de  Biilow  dans  le  Kilimandjaro. 
La  répression  fut  partout  énergiquement  conduite;  certains 
agents  allemands  se  signalèrent  même  par  des  agissements 
qui  retentirent  jusqu'à  la  tribune  du  Reischtag. 

Les  Allemands  aux  prises,  sur  ces  territoires,  avec  les  Arabes 
chasseurs  d'esclaves  de  Zanzibar,  rencontrèrent  de  grandes 
difficultés  pour  organiser  leur  colonie  et  la  rendre  prospère. 


EST   AFRICAIN   ALLEMAND  419 

Privés  du  principal  port  du  pays,  Zanzibar,  qui  est  tombé 
dans  le  lot  des  Anglais,  ils  ont  dû  concentrer  leurs  efforts  sur 
les  ports  de  la  côte  dont  le  meilleur  est  Dar-es-Salam. 

Les  révoltes  répétées  des  indigènes  les  ont  obligés  à  entre- 
tenir un  effectif  de  troupes  indigènes  qui  s'élève  à  plus  de  2.000 
hommes  et  à  58  canons  environ.  Ces  troupes  sont  réparties  dans 
plusieurs  postes  qui  surveillent  le  pays,  tâchent  de  maintenir 
les  communications  et  assurent  la  sécurité  du  commerce. 
Celui-ci  n'est  d'ailleurs  pas  encore  de  très  grande  importance 
(voir  le  chapitre  relatif  au  Cameroun),  car  la  mise  en  valeur 
de  la  colonie  ne  pourra  commencer,  comme  partout  ailleurs, 
que  lorsque  la  tranquillité  sera  certaine. 

Les  principales  difficultés  que  l'on  y  rencontre  sont  soule- 
vées, comme  au  Congo  belge,  par  les  marchands  d'esclaves 
qui  excitent  les  chefs  du  pays  contre  les  Européens  et  qui 
sont  disposés  à  rester  calmes  dans  la  mesure  du  possible, 
mais  à  la  condition  que  l'on  ferme  les  yeux  sur  leur  trafic. 
Celui-ci,  malgré  toute  surveillance,  s'exécute  encore  clandes- 
tinement à  l'intérieur  comme  dans  certains  ports  de  la  côte. 

Aux  alentours  du  Tanganyika,  les  esclavagistes  ont  consti- 
tué sur  le  territoire  allemand,  comme  en  territoire  belge,  des 
repaires  et  des  lieux  de  dépôt  et,  pour  en  débarrasser  le  pays 
définitivement,  il  serait  nécessaire  d'engager  de  petites  expé- 
ditions. Mais,  éclairés  par  l'expérience  acquise  par  eux- 
mêmes  ainsi  que  par  les  Belges  et  les  Anglais,  les  Allemands 
cherchent,  autant  que  possible,  à  ne  pas  brusquer  la  répres- 
sion. 

A  plusieurs  reprises  ils  se  sont  trouvés  en  conflit  avec  la 
puissante  tribu  des  Ouahéhés  que  l'on  avait  cru  suffisamment 
soumise,  vers  1896,  pour  lui  confier  des  fusils  Maùser.  Cette 
tribu  s'est  encore  soulevée  en  mars  1898  et  a  nécessité  l'envoi 
■d'une  expédition  de  police  (1).  Mais  on  peut  dire  que  ce  ne  sont 
plus  là  que  les  dernières  convulsions  d'un  pays  qui  ne  tardera 


(1)  On  vient  d'annoncer,  au  mois  de  mars  1900,  un  soulèvement  de  la  tribu  îles 
Arasha,  dans  le  district  du  Kilimandjaro.  Des  mesures  répressives  ont  été  prises 
•aussitôt. 


420  l'afriqle  politique  en  1900 

vraisemblablement  pas  à  reconnaître  qu'il  n'a  point  perdu 
à  la  disparition  des  chasseurs  d'esclaves. 

Au  mois  de  juin  1896  le  poste  de  consul  allemand  à  Zanzi- 
bar a  été  supprimé.  Les  fonctions  de  ce  consul  seront  remplies 
par  le  gouverneur  de  l'Est  africain  allemand. 

Par  l'article  7  de  la  convention  anglo-allemande  du  14  no- 
vembre 1899  relative  à  la  question  de  Samoa  et  du  Togoland, 
l'Allemagne  renonce  à  ses  droits  d'exterritorialité  à  Zanzibar 
pour  le  jour  où  les  mêmes  droits  seront  abolis  pour  les  autres 
nations. 

En  attendant,  les  Allemands  essaient,  avec  quelque  succès, 
de  développer  le  commerce  de  la  colonie  en  créant  des  voies 
de  communication  terrestres  et  fluviales.  Depuis  longtemps  ils 
ont  concédé,  de  Tanga  à  Korogoué,  un  chemin  de  fer  qui  doit 
être  prolongé  jusqu'au  lac  Victoria.  Mais  les  Anglais,  qui  font 
aux  Allemands  une  concurrence  redoutable  par  le  port  de 
Zanzibar,  les  ont  devancés  par  l'établissement  delà  voie  ferrée 
de  Mombasa  au  lac  Victoria  à  laquelle  on  travaille  en  ce  mo- 
ment avec  activité. 

Cette  question  des  chemins  de  fer  de  l'Est  africain  allemand 
est  entrée,  depuis  quelque  temps,  dans  une  période  d'activité 
nouvelle. 

Déjà  au  mois  de  novembre  1898  le  conseil  colonial  allemand 
demandait  la  prolongation  jusqu'à  Mombode  la  ligne  de  Tanga 
à  Mouhésa  et  bientôt  après  le  Reichstag  décidait  la  reprise  de 
cette  ligne  concédée  à  une  compagnie. 

Peu  de  temps  après  se  produisit,  au  mois  de  mars  1899,  la 
visite  de  M.  Cecil  Rhodes  à  l'empereur  Guillaume  qui  attira 
l'attention  des  coloniaux  allemands  sur  les  anciens  projets  de 
liaison  de  Ragamoyo  et  de  Dar-es-Salam  au  Tanganyika  et  au 
Nyanza.  Les  projets  de  M.  Cecil  Rhodes  donnèrent  lieu,  à  ce 
moment,  dans  les  sphères  politiques  allemandes,  à  des  discus- 
sions dans  lesquelles  la  question  fut  envisagée  uniquement  au 
point  de  vue  des  intérêts  allemands.  Ceux-ci,  de  l'avis  général, 
exigent  la  construction  d'une  ligne  centrale  déjà  étudiée  de 


EST   AFRICAIN    ALLEMAND  421 

Bagamoyo  et  de  Dar-es-Salam  à  Tabora  et  bifurquant,  de  là, 
sur  Ujiji  et  sur  le  Nyanza. 

C'est  une  longueur  de  voie  ferrée  de  1.800  kilomètres  envi- 
ron et  c'est  sur  ce  réseau  que  l'on  tolérerait  le  raccordement 
de  la  voie  impériale  de  M.  Cecil  Rhodes,  en  réservant  soi- 
gneusement tous  les  droits  de  souveraineté  de  l'Allemagne. 

L'empereur  d'Allemagne,  s'il  est  vrai  qu'il  ait  exigé  en 
échange  de  la  garantie  d'intérêt  allemande  pour  la  partie  du 
Transafricain  tracée  sur  son  territoire  une  concession  sembla- 
ble du  gouvernement  anglais  pour  la  ligne  de  la  Rhodésia, 
aurait  ainsi  marqué  son  intention  de  n'avoir  affaire,  en 
territoire  allemand,  qu'à  une  compagnie  concessionnaire 
telle  qu'il  eut  pu  s'en  former  en  Allemagne  ou  ailleurs  pour 
le  même  objet.  Cette  compagnie  faisant  œuvre  utile  aux 
intérêts  allemands,  son  concours  lui  était  acquis  à  l'avance, 
sous  les  réserves  nécessaires.  Ce  furent  des  considérations 
analogues  qui  amenèrent  la  conclusion  d'une  convention 
anglo-allemande  au  sujet  du  passage  du  télégraphe  anglais  à 
travers  la  colonie. 

Il  semble,  d'ailleurs,  que  l'opinion  anglaise  s'est  beaucoup 
refroidie  au  sujet  du  Trans africain;  et  le  refus  récent  du  gou- 
vernement anglais  d'accorder  une  garantie  d'intérêt  quelcon- 
que indique  suffisamment  son  désir  de  reporter  sur  des  œuvres 
plus  utiles  ses  encouragements  et  ses  ressources.  Les  Alle- 
mands ne  paraissent  d'ailleurs  pas  avoir  besoin  du  concours 
de  l'Angleterre  pour  la  construction  de  leur  réseau  africain 
qui  ne  tardera  vraisemblablement  pas  à  être  sérieusement 
entrepris. 

Le  16  octobre  dernier,  en  effet,  le  conseil  colonial  émettait 
l'avis  que  le  gouvernement  allemand  devrait  se  charger  de 
construire  lui-même  son  réseau  africain.  Un  emprunt  à  3  1/2  0/0 
doit  être  émis  à  bref  délai  et  une  somme  de  12  millions  de 
marcs  sera  consacrée  à  pousser  la  ligne,  d'ici  trois  ans,  jus- 
qu'au pays  d'Oukami. 

Le  gouvernement  allemand  montre,  par  cette  décision,  sa 
ferme  volonté  de  conserver  son  entière  liberté  d'action  et  de 


422  l'afrique  politique  ex  1900 

réserver  soigneusement  ses  droits  de  souveraineté  dans  sa 
nouvelle  colonie. 

Pour  l'exécution  de  ces  voies  ferrées,  le  capitaine  Leue 
demande,  dans  la  Colonial  Zeitung,  qu'on  s'arrête  au  projet 
d'un  chemin  de  fer  colonial,  d'un  pionierbalm  à  voie  étroite, 
«  construit  de  la  même  manière  et  aussi  vite  que  les  chemins 
de  fer  en  pays  ennemi  en  temps  de  guerre  ».  Il  en  évalue  le 
prix  à  30.000  marcs  le  kilomètre. 

C'est  ce  qu'on  a  proposé  plus  haut  pour  le  Transsaharien  en 
élevant  cependant  son  évaluation  à  44.000  francs  par  kilo- 
mètre. 


* 


L'Afrique  orientale  allemande  est,  en  définitive,  une  colonie 
en  voie  de  formation.  Les  difficultés  qu'on  a  rencontrées  dans 
l'Ouest  africain  se  sont  retrouvées,  comme  en  tous  pays  neufs, 
dans  l'Afrique  orientale.  Des  deux  côtés  deux  compagnies 
d'exploitation,  essayant  d'opérer  elles-mêmes,  ont  abouti  à 
des  échecs,  et  l'administration  a  dû  être  assumée  par  le  gou- 
vernement métropolitain.  Ce  n'est  pas  avant  quelques  années, 
malgré  toute  l'activité  et  toutes  les  aptitudes  commerciales 
des  Allemands,  que  cette  colonie  pourra  prendre  son  essor  et 
se  suffire  à  elle-même. 

Cependant,  comme  on  l'a  dit,  le  pays  est  des  plus  riches  et 
dans  certaines  parties,  notamment  sur  les  pentes  du  Kilimand- 
jaro, les  Européens  peuvent  vivre  et  s'acclimater.  Mais  ce  qui 
manque,  à  l'heure  actuelle,  c'est  la  confiance  des  indigènes  et  la 
soumission  des  Arabes.  La  période  de  pacification  et  même  de 
conquête  est  loin  d'être  terminée,  et  le  commerce  s'accommode 
mal  des  troubles  et  de  l'insécurité. 

Lorsqu'elle  sera  pacifiée  et  entièrement  soumise,  cette  riche 
contrée,  heureusement  située  et  bien  entourée  par  sa  ceinture 
de  grands  lacs,  ne  peut  manquer  de  devenir  prospère  et 
d'avoir  devant  elle  un  bel  avenir. 


EST    AFRICAIN    ALLEMAND  423 

Déjà  les  Allemands  ont  à  peu  près  réglé  leurs  questions  de 
frontières  avec  les  colonies. voisines  :  il  leur  reste  à  s'entendre 
avec  les  Anglais  au  sujet  de  la  possession  de  Zanzibar  qui  ne 
peut  manquer,  tôt  ou  tard,  de  leur  revenir  par  voie  d'achat  ou 
de  compensation. 

On  a  dit  que  le  mystérieux  accord  anglo-allemand  de  1898 
réglait  cette  question  en  même  temps  que  celle  de  Delagoa- 
bay.  De  ces  deux  possessions,  l'une,  en  effet,  vaut  l'autre.  Si 
Lourenço-Marquès  est  utile  à  l'Angleterre  dans  sa  lutte 
contre  le  Transvaal,  la  possession  de  Zanzibar  ne  l'est  pas 
moins  à  l'Allemagne  pour  le  développement  de  sa  grande 
colonie  de  l'Est  africain.  Par  tradition,  et  pour  longtemps 
encore,  Zanzibar  restera  l'emporium  des  marchandises  de 
ces  régions.  Les  Allemands  l'ont  bien  compris  dès  leur  pre- 
mier établissement,  et  plus  tard  encore,  lorsqu'ils  ont  ac- 
cueilli le  sultan  de  Zanzibar  détrôné  par  les  Anglais,  et  qui, 
réfugié  chez  eux,  est  un  prétendant  naturellement  désigné. 
Là,  comme  sur  d'autres  points  de  l'Afrique,  nous  assisterons 
peut-être  à  bref  délai  à  d'importants  changements. 


424  l'afriqie  politique  en  1900 


Est  africain  anglais. 


Délimitation.  —  Événements  de  Zanzibar,  de  l'Est  africain  anglais  et  de  l'Ouganda. 
—  Expéditions  Mac  Donald,  Martyr  et  Cavendish.  —  Le  chemin  de  fer  de  Mom- 
basa.  —  Avenir  du  pays. 


Les  territoires  de  l'Est  africain  anglais  sont  aussi  heureuse- 
ment situés  et  peut-être  aussi  riches  que  la  colonie  allemande 
voisine.  La  colonie  anglaise  a  de  plus  l'avantage  de  posséder 
Zanzibar  et  de  se  trouver  à  proximité  des  Indes,  d'où  l'Angle- 
terre lire  sans  compter  des  soldats  et  des  colons  pour  ses  pos- 
sessions africaines. 

Depuis  la  fin  de  1896,  tous  les  territoires  anglais  de  l'Est 
africain,  excepté  l'Ouganda  et  les  îles  de  Zanzibar  et  Pemba, 
sont  placés  sous  une  administration  unique  appelée  protec- 
torat anglais  de  l'Est  africain.  Ces  territoires  ont  été  délimités, 
du  côté  de  l'Allemagne,  par  le  traité  du  1er  juillet  1890, 
et  du  côté  de  l'Italie  par  les  conventions  du  23  mars  et  du 
15  avril  1891. 

Dès  1885,  la  Compagnie  britannique  de  l'Est  africain  fut 
fondée,  dans  un  but  à  la  fois  commercial  et  politique,  au 
capital  de  50  millions  et  dotée,  le  3  septembre  1888,  d'une 
charte  royale  lui  permettant  d'exploiter  les  territoires  dépen- 
dant en  partie  du  sultan  et  de  Zanzibar. 

C'était  l'époque  où  le  docteur  Peters  rejoignait  dans  l'Ou- 
ganda Émin  pacha  et  le  gagnait  à  l'idée  de  fonder  un  empire 
allemand  s'étendant  du  Cameroun  à  Zanzibar.  Les  Anglais 
s'émurent  et  dépêchèrent  dans  l'Ouganda  la  mission  Jackson 
et  Gedge  qui  y  arriva  en  avril  1890  et  décida  le  docteur  Peters 
à  s'éloigner. 

A  ce  moment  intervint  le  traité  du  1er  juillet  1890  qui  déli- 
mitait les  sphères  d'action  de  l'Allemagne  et  de  l'Angleterre 
dans  ces  régions. 


EST   AFRICAIN   ANGLAIS  425 


Depuis  lors,  l'activité  anglaise  s'est  développée  sur  plu- 
sieurs points  différents  :  à  Zanzibar  ;  dans  l'Est  africain  anglais 
proprement  dit,  c'est-à-dire  entre  la  côte  et  le  lac  Victoria; 
dans  l'Ouganda  et  de  là  vers  le  Nil  et  le  lac  Rudolf. 

Le  traité  du  lor  juillet  1890  abandonnait  aux  Anglais  les  îles 
de  Pemba  et  de  Zanzibar,  et  un  demi-protectorat  avait  été 
aussitôt  imposé  au  sultan  Saïd  Ali.  Celui-ci  succédait  à  ses 
deux  frères,  Saïd  Khalifa  et  Saïd  Bargasch,  le  Louis  XIV  de 
Zanzibar,  décédé  le  premier  en  1888. 

Après  la  mort  de  Saïd  Ali,  le  trône  devait  revenir,  d'après 
la  loi  musulmane,  à  Saïd  Khaled,  fils  de  Saïd  Bargasch.  Les 
Anglais  lui  préférèrent  Saïd  Ahmed  ben  Souani.  La  mort  de 
ce  dernier  étant  survenue  le  25  août  1896,  Saïd  Khaled,  qui 
avait  de  bonnes  raisons  de  craindre  d'être  de  nouveau  évincé 
du  trône,  s'empara  du  pouvoir,  malgré  l'intervention  du 
consul  et  du  résident  anglais  et  se  proclama  indépendant. 

Les  Anglais  concentrèrent  aussitôt  six  vaisseaux  à  Zanzibar 
qui  fut  bombardé  le  27  août,  et  occupé  après  un  léger  com- 
bat. Saïd  Khaled  s'était  réfugié  au  consulat  d'Allemagne, 
d'où,  au  grand  scandale  de  la  presse  anglaise,  il  fut  transporté 
sur  le  continent,  en  territoire  allemand.  Malgré  les  réclama- 
tions de  l'Angleterre,  l'héritier  légitime  du  trône  de  Zanzibar 
s'y  trouve  toujours,  prêt  à  jouer  son  rôle  au  moment  favo- 
rable. 

Peu  de  temps  après,  l'Angleterre  proclamait  son  protectorat 
sur  Zanzibar,  après  avoir  désintéressé  l'Allemagne  et  la 
France.  Celle-ci,  en  échange  de  l'abandon  de  tous  ses  droits 
sur  Zanzibar,  faisait  admettre  sa  liberté  d'action  à  Madagascar. 

Notons  en  passant  que,  par  l'article  7  de  la  convention  anglo- 
allemande  du  14  novembre  1899,  l'Allemagne  a  renoncé  à  ses 
droits  d'exterritorialité  sur  Zanzibar  pour  le  jour  où  ces  mêmes 
droits  seraient  abolis  pour  les  autres  nations. 

Au  commencement  de  1896,  s'était  produite,  entre  la  côte  et 
le  lac  Victoria,  la  révolte  des  chefs  arabes  M'Bruck  ben  Rachid, 
Aziz  et  Selem  ben  Zambi. 

Au  commencement  de  1896,  s'était  produite,  entre  la  côte 


426  L'AFRIQUE    POLITIQUE    EX    1900 

et  le  lac  Victoria,  la  révolte  des  chefs  arabes  M'Bruck  ben  Ra- 
chid,  Aziz,  et  Selem  ben  Zambi. 

Déjà,  les  années  précédentes,  l'attitude  hostile  des  indigènes 
avait  donné  de  graves  soucis  à  la  Compagnie  de  l'Est  africain, 
qui.  pour  exploiter  la  région,  avait  réclamé  l'aide  du  gouver- 
nement anglais  en  vue  de  la  construction  d'un  chemin  de  fer 
de  900  kilomètres  allant  de  Mombasa  au  lac  Victoria.  Les 
offres  du  gouvernement  n'ayant  pas  été  trouvées  suffisantes, 
la  Compagnie  déclara  son  intention  d'évacuer  l'Ouganda  où  le 
capitaine  Lugard  était  en  train  d'établir  le  protectorat  et  de 
ruiner  l'influence  française. 

Malgré  l'émotion  causée  par  cette  nouvelle  en  Angleterre, 
où  s'ouvrit  aussitôt  une  souscription  en  faveur  de  la  Compa- 
gnie, celle-ci  maintint  sa  décision  d'évacuer  ses  établisse- 
ments le  1er  janvier  1893.  Aussitôt  le  gouvernement  anglais, 
en  remplacement  du  capitaine  Lugard,  qui  venait  de  rentrer 
en  Europe,  dépêcha  dans  l'Ouganda  sir  Gérald  Portai,  qui 
y  recueillit  l'héritage  de  la  Compagnie.  Celle-ci  fut  remplacée, 
dans  les  premières  semaines  de  1893,  par  l'administration 
britannique. 

Le  gouvernement  direct  ne  réussit  pas  plus  que  la  Compa- 
gnie à  charte  à  rallier  les  indigènes.  Il  fallut  réprimer  quel- 
ques révoltes  et  former  de  petites  expéditions;  la  principale, 
effectuée  en  1896,  eut  pour  résultat  la  défaite  des  chefs  arabes 
cités  plus  haut. 

Les  indigènes  ayant  incendié  la  station  de  Malindi,  les  An- 
glais firent  venir  aussitôt  de  Bombay  un  régiment  entier  de 
Sikhs  du  Pendjab.  Ces  troupes,  arrivées  le  15  mars  à  Mom- 
basa, se  joignirent  aux  forces  de  la  colonie  pour  marcher 
contre  les  révoltés  et  les  refouler  sur  le  territoire  allemand. 
Les  rebelles  étaient  battus  à  Mjira,  Simba,  Cabina  et  à  Takka- 
Ungu  où  Aziz  était  grièvement  blessé.  Quant  à  M'Bruck,  il 
passa  avec  1.100  hommes  en  territoire  allemand,  et  le  gouver- 
neur de  la  colonie,  M.  de  Wissmann,  lui  assigna  une  rési- 
dence au  sud  de  Tanga. 

De  l'Ouganda  et  du  décousu  de  la  politique  française  en  ce 


EST   AFRICAIN    ANGLAIS  427 


pays,  il  y  aurait  beaucoup  à  dire,  si  le  cadre  de  cet  ouvrage  le 
permettait.  On  se  bornera  à  rappeler  qu'après  avoir  obtenu  le 
retour  du  docteur  Peters  qui  y  travaillait  pour  l'Allemagne, 
l'Angleterre  s'y  trouva  en  face  des  Pères  Blancs  de  MgrHirth.  A 
ce  moment,  les  populations  de  l'Ouganda  étaient  divisées  en 
trois  partis  :  le  roi  Mouanga  avec  les  catholiques  auxquels  on 
donnait  le  nom  départi  français,  les  protestants  qui  arboraient 
le  drapeau  anglais,  et  enfin  les  musulmans. 

Le  capitaine  Lugard,  expédié  dans  l'Ouganda  avec  300 
hommes,  y  arrivait  dans  les  derniers  jours  de  1890,  ralliait 
les  catholiques  et  les  protestants  qu'il  jetait  sur  les  musul- 
mans, et,  ceux-ci  une  fois  mis  hors  de  cause  par  leur  défaite  du 
7  mai  1891,  il  se  mettait  à  la  tète  des  protestants,  et,  en  1892, 
massacrait  les  catholiques  et  obligeait  Mouanga  à  fuir  dans  le 
pays  des  Boudous.  Rappelé  par  le  capitaine  Lugard,  Mouanga 
signait,  au  mois  de  mars  1892,  un  traité  de  protectorat  avec 
l'Angleterre.  Le  capitaine  Lugard,  rentré  en  Angleterre,  fut 
remplacé  dans  l'Ouganda  par  sir  Gerald  Portai  qui  continua 
son  œuvre  et  prit  la  direction  de  l'administration  anglaise  en 
mars  1893,  au  moment  où  la  Compagnie  à  charte  évacuait  ses 
établissements. 

L'Ouganda,  abandonné  par  la  France,  qui  finit  cependant 
par  recevoir  une  petite  indemnité  pour  les  Pères  Blancs, 
passait  ainsi  sous  la  domination  anglaise.  Cet  abandon,  con- 
sommé au  moment  même  où  nous  eussions  pu  revendiquer 
nos  droits  avec  succès,  eut,  pour  notre  politique  dans 
l'Afrique  centrale,  des  conséquences  graves.  Là,  comme 
partout,  les  indigènes,  toujours  simplistes,  acceptèrent,  comme 
la  meilleure,  la  religion  du  plus  fort,  et  l'influence  de  la 
France  y  fut  d'autant  mieux  anéantie  que  nos  nationaux 
eux-mêmes  restaient  sans  protection. 

Au  moment  où  les  Anglais  viennent  de  remettre  en  question 
leurs  intérêts  à  Madagascar  et  reparlent  des  persécutions  imagi- 
naires infligées  à  leurs  missionnaires  et  à  leurs  sujets  hindous, 
il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  le  traitement  infligé  dans 
l'Ouganda  aux  missions  et  aux  intérêts  français.  Combien 
vives  eussent  été  les  réclamations  anglaises  si,  à  l'exemple  du 


428  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

capitaine  Lugard,  un  Français  eût,  en  territoire  neutre,  mo- 
lesté les  missions  britanniques  et  massacré  leurs  partisans  ! 

En  même  temps  qu'il  semait  la  division  dans  l'Ouganda, 
le  capitaine  Lugard  faisait  la  conquête  de  l'Ounyoro  et  couvrait 
les  deux  pays  d'un  réseau  de  postes  destinés  à  affirmer  la 
domination  anglaise.  L'occupation  de  ces  postes  fut  confiée 
aux  anciens  soldats  d'Émin  pacha,  levés  dans  le  pays. 

Cette  conquête  de  l'Ounyoro  n'alla  point  sans  quelques  dif- 
ficultés. 

Le  roi  Kabaréga,  inquiet  pour  lui-même  après  les  trai- 
tements qu'il  avait  vu  infliger  à  son  voisin  Mouanga,  avait 
mis  ses  forces  en  mouvement  et  menaçait  l'Ouganda.  Il  fallut, 
dans  le  courant  de  1893,  diriger  contre  lui  le  major  Owen, 
qui  le  battit  et  occupa  le  pays  par  des  postes  fortifiés.  Ces 
postes  formaient,  avec  ceux  de  l'Ouganda,  deux  lignes  con- 
tinues partant  de  Kibero,  sur  le  lac  Albert,  l'une  allant  vers 
le  lac  Victoria  (postes  de  Kitanva,  Hoïma,  Kafou  et  Nakamba) 
et  l'autre  vers  le  Nil  (postes  de  Masindi  et  Mrali,  près  du  lac 
Kiodja).  Une  mission,  sous  les  ordres  du  major  Cunningham, 
fut  dirigée,  le  8  janvier  1895,  de  Kibero  sur  Ouadelaï  et,  de  là, 
sur  Doufilé  où  elle  arrivait  le  14  janvier,  après  avoir  reconnu 
le  cours  du  Nil,  puis  elle  rentrait  à  Hoïma. 

Depuis  1895,  le  pays  était  resté  à  peu  près  calme;  mais 
Mouanga,  très  aimé  de  son  peuple,  ne  pouvait  se  résoudre  au 
sort  qui  lui  était  fait.  On  avait  installé  auprès  de  lui  deux 
premiers  ministres,  l'un  catholique,  l'autre  protestant, 
chargés  de  le  surveiller,  qui  signalèrent,  dès  le  commence- 
ment de  1897,  les  intrigues  que  le  roi  nouait  avec  ses  parti- 
sans dans  le  Boudou.  On  n'y  prit  pas  garde,  mais  bientôt  on 
apprit  la  fuite  de  Mouanga,  qui,  parti  le  6  juillet  1897,  en  canot, 
sur  le  lac  Victoria,  fut  rejoint,  au  Boudou,  par  une  foule  de 
partisans  de  toutes  religions  et  même  par  des  contingents  des 
pays  voisins. 

Le  major  Terron  se  trouvait  alors  vers  le  Nord,  d'où  il  fut 
rappelé  pour  marcher  contre  Mouanga.  Il  le  rejoignit,  accom- 
pagné d'un  bataillon  de  Soudanais  et  d'une  armée  de  Bagandas 
estes  fidèles,  et  lui  livra,  le  20  juillet,  une  bataille  achar- 


EST    AFRICAIN    ANGLAIS  429 


née,  à  la  suite  de  laquelle  il  le  repoussa  sur  Malongo,  où  il  lui 
fit  subir,  le  29  juillet,  une  nouvelle  défaite.  Mouanga,  aban- 
donné de  ses  partisans,  qui  se  dispersèrent,  se  réfugia  en 
territoire  allemand. 

Une  accalmie  se  produisit  alors.  Les  Anglais  en  profitèrent 
pour  organiser,  sous  le  commandement  du  major  Mac-Donald, 
une  expédition  forte  de  plusieurs  centaines  de  Soudanais  qui 
devait  descendre  le  Nil,  tacher  de  rejoindre  l'expédition  anglo- 
égyptienne  envoyée  vers  Khartoum,  ou  tout  au  moins  essayer 
une  diversion  sur  les  derrières  des  Derviches. 

Cette  expédition  allait  se  mettre  en  marche  en  octobre  1897, 
lorsque  les  Soudanais  qui  la  composaient,  anciens  soldats 
d'Émin  pacha,  mécontents  des  marches  continuelles  qu'on 
leur  faisait  exécuter  depuis  longtemps  d'un  bout  à  l'autre  de 
la  région  des  Lacs,  se  révoltèrent  au  nombre  d'environ  200. 

C'étaient  de  bons  soldats,  habitués  depuis  longtemps  à  la 
vie  militaire,  mais  dont  on  avait  abusé  en  les  tenant  con- 
stamment en  expédition.  Envoyés  d'abord  vers  le  Congo  pour 
empêcher  les  rebelles  de  l'expédition  Dhanis  d'entrer  sur  le 
territoire  britannique,  ils  avaient  été  ensuite  dirigés  successi- 
vement vers  le  Boudou,  puis  à  500  kilomètres  de  là,  à  Kar- 
rondo,  du  côté  de  Mombasa,  pour  rétablir  l'ordre,  ensuite,  de 
nouveau  vers  le  Boudou  et,  enfin,  vers  le  lac  Baringo  pour 
servir  d'escorte  au  major  Mac-Donald  dans  les  régions  du 
Nil. 

Fatigués  par  ces  courses  continuelles,  ils  se  révoltèrent,  se 
firent  livrer  le  fort  Loubouas  par  leurs  camarades  et  s'y 
enfermèrent  après  avoir  massacré  leurs  officiers  anglais. 

Le  major  Mac-Donald,  réunissant  les  forces  qu'il  put  se 
procurer,  vint  les  y  assiéger  le  19  octobre,  et,  jusqu'au  28  no- 
vembre, ce  furent  des  combats  continuels  qui  coûtèrent  de 
grosses  pertes  aux  Anglais.  Il  fallait  empêcher  les  rebelles  de 
passer  le  Nil  et  de  rejoindre  le  reste  des  troupes  soudanaises 
de  l'Ouganda,  environ  1.G00  Soudanais,  sur  lesquels  il  était 
téméraire  de  compter. 

Le  9  janvier,  pendant  la  nuit,  les  rebelles  quittèrent  le  fort 
Loubouas  et  passèrent  le  Nil,  marchant  du  côté  de  Mengo, 


430  l'afrique  politique  en  1900 

capitale  de  l'Ouganda.  La  marche  du  lieutenant  Harrisson, 
envoyé  au-devant  d'eux,  fit  changer  leurs  projets.  Ils  se 
dirigèrent  vers  l'Ounyoro,  par  la  rive  droite  du  Nil,  afin  d'y 
retrouver  le  roi  Kabarega.  Rejoints  par  le  lieutenant  Har- 
risson, le  23  février,  au  fort  M'Ruli,  à  lest  du  lac  Kiodja,  ils  y 
essuyèrent,  après  une  bataille  acharnée,  une  défaite  san- 
glante qui  calma  les  inquiétudes  des  Anglais. 

La  situation,  à  ce  moment,  était,  en  effet,  critique.  Ils  ne 
restait  plus  dans  l'Ouganda  en  effervescence  que  850  Sou- 
danais fidèles,  et  Kabarega  montrait  les  dispositions  les  plus 
hostiles.  On  avait  dû  demander  800  hommes  de  renfort  de 
troupes  indiennes  qui  n'arrivèrent  qu'après  la  victoire  du 
lieutenant  Harrisson. 

Les  rebelles,  rejetés  dans  les  marais  du  lac  Kiodja,  se  dis- 
persèrent et  rejoignirent  plus  tard  l'Ounyoro. 

Cette  campagne  avait  coûté  aux  Anglais  plus  de  500  hom- 
mes, et  il  fut  heureux  pour  eux  que  l'Ouganda  eût  été  pacifié 
à  l'avance.  Aucun  mouvement  ne  s'y  produisit.  Seule  la  gar- 
nison de  Kampala  avait  donné  quelques  inquiétudes  depuis  la 
défaite  de  Mouanga,  mais  elle  n'avait  pas  tardé  à  faire  sa  sou- 
mission. 

L'expédition  Mac-Donald  fut  alors  reprise.  Malgré  de 
nouvelles  révoltes  qui  ensanglantaient  l'Ouganda  depuis  le 
mois  de  juillet  1898,  les  débris  de  la  première  mission  Mac- 
Donald,  réorganisés  sous  le  commandement  du  major 
Martyr,  se  mirent  en  route  pour  descendre  le  Nil  dans  le 
courant  du  mois  d'août.  A  ce  moment,  l'Ounyoro,  comme 
l'Ouganda,  entrait  en  rébellion,  et  les  pays  du  nord  de  l'Ou- 
ganda étaient  ravagés  par  les  révoltés,  qui  se  dispersèrent 
devant  les  troupes  anglaises  pour  se  reformer  dans  l'Ounyoro, 
sous  la  direction  de  Kabarega.  Malgré  cette  révolte,  les  troupes 
anglo-indiennes,  descendant  le  Nil,  arrivaient  au  commen- 
cement d'octobre  à  Doufilé,  après  avoir  passé  à  Ouadelaï  et 
fondé  des  postes  plus  à  l'est,  à  Fatiko  et  Faradjok.  De  son  côté, 
au  mois  de  novembre  1898,  le  major  Mac-Donald  était  chargé 
d'établir  deux  lignes  de  postes  allant,  d'une  part,  du  haut  Nil 


EST   AFRICAIN    ANGLAIS  431 


aulacRuclolph  et,  d'autre  part,  du  lac  Rudolph  à  la  rivière 
Sobat  et  au  Nil  de  Fachoda.  La  jonction  du  Soudan  égyptien  à 
l'Ouganda  paraissait  ainsi  assurée. 

Le  major  Martyr,  après  avoir  poussé  jusqu'à  Bedden,  par 
la  voie  du  Nil,  avec  600  hommes,  prit  ensuite  la  rive  gauche 
du  fleuve  et  fit  sa  jonction,  à  Redjaf,  avec  le  commandant 
Hanolet,  des  troupes  congolaises.  Mais  il  ne  put  pousser  bien 
au  delà  de  ce  point  à  cause  de  l'impossibilité  de  naviguer  sur 
le  Nil,  couvert  de  sedd,  masses  d'herbages  infranchissables 
aux  bateaux.  Il  se  contenta,  ainsi  qu'il  l'annonça  au  mois  de 
septembre  dernier,  de  fonder  des  postes  le  long  du  Nil,  jalon- 
nant ainsi  sa  ligne  de  communication  avec  l'Ouganda.  De 
Fachoda  à  Redjaf,  sur  350  milles  environ,  le  pays  est  donc 
resté  jusqu'à  ce  jour  inoccupé  par  les  Anglais. 

Pendant  ce  temps,  l'Ounyoro  et  l'Ouganda  restaient  insou- 
mis. 

Les  rebelles,  dirigés  par  Kabarega  et  Mouanga,  et  les  Sou- 
danais révoltés  tenaient  la  brousse,  épuisaient  les  troupes 
anglo-indiennes  par  une  guerre  de  guérillas.  Une  expédition 
anglaise,  celle  du  capitaine  Kirk-Patrick,  était  massacrée  à  la 
sortie  du  lac  Albert.  Les  forces  anglaises,  commandées  par  le 
colonel  Evatt,  réussirent  cependant  à  atteindre  les  deux  chefs 
rebelles,  et,  après  une  lutte  qui  coûta  300  hommes  aux  révol- 
tés, les  firent  prisonniers.  Il  est  probable  que  le  pays  va  faire 
sa  soumission,  bien  qu'on  ait  signalé  un  centre  de  résistance 
sérieux  dans  la  forêt  de  Boudouga,  près  du  lac  Albert. 

Tout  récemment  le  gouvernement  de  l'Ouganda  a  été  confié 
à  sir  Harry  Johnston  qui  cumule  les  pouvoirs  civils  et  mili- 
taires et  sur  lequel  on  compte  pour  rehausser,  dans  cette  par- 
tie de  l'Afrique,  le  prestige  de  l'Angleterre  compromis  par  les 
révoltes  locales  aussi  bien  que  par  les  insuccès  de  la  guerre  du 
Transvaal. 

On  voit,  par  ce  qui  précède,  qu'avec  une  politique  plus 
ferme  et  plus  continue,  l'Ouganda  aurait  pu  devenir  une  pos- 
session française. 


432  l'afrique  politique  en  1900 

L'Ouganda  à  la  France,  c'était  l'Angleterre  coupée  de 
l'Egypte  vers  le  Sud,  ou  n'y  accédant  que  par  une  étroite 
bande  de  territoires  peu  connus  et  contestés  par  l'Abys- 
sinie.  C'était  une  position  de  flanc  éminemment  efficace 
pour  une  action  intérieure  vers  le  Congo  et  l'Est  africain 
tout  entier.  Les  Anglais  ne  s'y  sont  pas  trompés  :  leur 
hâte  à  refouler  l'influence  française,  leur  ténacité  à  orga- 
niser et  à  pacifier  le  pays  sont  la  meilleure  preuve  du  prix 
qu'ils  ont  attaché  dès  le  début  à  la  possession  de  la  région 
des  Lacs. 

L'Ouganda  est  aujourd'hui  possession  anglaise,  et  l'Angle- 
terre, on  peut  en  être  sûr,  ne  manquera  pas  de  tirer  parti  de 
toutes  les  richesses  de  ce  pays. 

Au  nord  de  l'Ouganda  commencent  les  territoires  jadis  sou- 
mis à  la  domination  égyptienne.  Ce  sont  ces  territoires  dont 
l'Angleterre  nous  a  interdit  l'occupation  sous  les  prétextes 
énumérés  dans  un  chapitre  précédent,  en  réalité  pour  at- 
tendre le  moment  favorable  de  les  occuper  elle-même. 

Du  côté  de  l'Abyssinie  et  du  fleuve  Djouba,  il  ne  semble  pas 
que  l'activité  anglaise  se  soit  beaucoup  exercée  jusqu'ici,  bien 
que  la  Compagnie  de  l'Est  africain  se  fût  réservée,  lors  des  con- 
ventions de  délimitation  avec  l'Italie,  le  droit  de  pousser  ses 
opérations  au  delà  de  la  Djouba.  Il  n'y  a  à  signaler  dans  ces 
régions  qu'une  révolte  des  Ogaden  du  Jubaland,  péniblement 
réprimée  en  1898. 

En  résumé,  grâce  à  sa  belle  position  et  à  la  possession  de 
Zanzibar,  qui  tend  à  se  développer  de  plus  en  plus,  les  pos- 
sessions de  l'Est  africain  anglais  paraissent  avoir  un  bel  ave- 
nir, malgré  les  déceptions  causées  par  les  premiers  essais  de 
colonisation.  L'émigration  indienne,  favorisée  par  les  An- 
glais, permettra  peut-être  de  donner  le  premier  élan  à  la  colo- 
nie. La  voie  ferrée  de  Monbasa  au  lac  Victoria  servira  à 
drainer  les  denrées  des  pays  voisins;  puis,  prolongée  jus- 
qu'au Nil,  elle  permettra  d'établir  une  ligne  mixte  de 
communication  des    bords  de  la  Méditerranée  à   ceux  de 


EST    AFRICAIN    ANGLAIS  433 


l'océan  Indien,  en  attendant  son  raccordement  avec  le  réseau 
égyptien  (1). 

Les  travaux,  commencés  à  la  fin  de  1890,  sont  entrés  depuis 
1896  dans  une  période  d'exécution  active,  malgré  les  difficul- 
tés rencontrées  dans  le  recrutement  des  ouvriers.  On  a  dû,  en 
avril  1896,  faire  venir  à  grands  frais  1.100  coolies  de  llnde,  les 
indigènes  fournissant  un  travail  insuffisant.  Depuis  lors  les 
coolies  tirés  de  l'Inde  se  sont  élevés  à  13.000.  Depuis  longtemps 
une  route  relie  Mombasa  à  Port-Alice  sur  le  lac  Victoria  et 
250  kilomètres  de  voie  ferrée  étaient  déjà  terminés  à  la  fin  de 
1898,  dépassant,  à  l'altitude  de  500  mètres,  la  rivière  Tsavo. 
A  la  suite  de  nombreuses  reconnaissances,  la  longueur  totale 
de  la  ligne  a  pu  être  réduite  à  880  kilomètres  et  il  a  été  décidé 
de  faire  aboutir  la  ligne  à  Port-Florence. 

La  partie  la  plus  facile,  de  Mombasa  à  Nyrobi,dans  une  con- 
trée assez  plane,  a  progressé  rapidement  malgré  le  climat;  on 
a  pu  poser  le  rail  à  une  vitesse  qui  atteint  2.250  mètres  par 
jour  et  le  prix  du  kilomètre  s'est  établi,  en  moyenne,  à  environ 
72.000  francs.  Actuellement  la  plate-forme  s'avance  jusqu'à 
Kikuyu  ;  mais,  à  partir  de  Nyrobi,  localité  désignée  conime 
devant  être  le  futur  point  de  raccordement  du  Transafricain, 
le  pays  devient  beaucoup  plus  difficile  :  les  altitudes  dépassent 
3.000  mètres,  exigeant  des  funiculaires,  et  de  nombreux  ouvra- 
ges d'art  vont  devenir  nécessaires. 

Malgré  l'active  impulsion  donnée  aux  travaux,  on  ne  saurait 
compter  sur  une  excessive  rapidité  d'exécution  en  raison  du 
terrain,  du  climat  et  de  la  turbulence  des  indigènes  ;  ceux-ci, 
décimés  par  la  variole  et  la  famine  qui,  sur  une  population 
d'un  million  d'individus,  leur  a  enlevé  depuis  un  an  plus  de 
60.000  personnes,  éprouvés  d'autre  part  par  la  peste  bovine 
qui  ruine  leurs  troupeaux,  obligent  la  compagnie  du  chemin 
de  fer  à  une  surveillance  incessante  et  onéreuse. 


(1)    Exercice   1897-98.  —  Importations  :  t. 464. 826  roupies  contre  3.92o.y97  en 
1890-9";    exportations  :  1.089.266  roupies  contre  1.172.02b"  on  181».  97. 

Revenus  du  même  exercice...        7!>!>.17.'>  francs. 

Dépenses 3.343.075      — 

Sur  196. (530  tonneaux  entrés  dans  le  port  de  Mombasa  en  1897-98,  42.400  étaient 
de  provenance  allemande. 

Atr.  polit.  28 


434  L'AFRIQUE    POLITIQUE   EN    11)00 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  zone  de  la  mouche  tsétsé  est  aujourd'hui 
traversée  et  les  chevaux  peuvent  parvenir  dans  l'Ouganda  ;  la 
ténacité  anglo-saxonne  fera  le  reste,  s'imposant  une  fois  de 
plus  en  exemple  aux  Français,  figés  devant  leur  Transsaharien, 
d'exécution  bien  plus  facile  et  bien  moins  dispendieuse. 


Tel  qu'il  est,  l'Est  africain  britannique  est  un  pays  utile  au 
développement  du  plan  de  domination  africaine  cher  aux 
Anglais.  Avant  la  déclaration  du  21  mars  1899,  ceux-ci  pou- 
vaient espérer  joindre  le  Darfour  à  leurs  possessions  du  Niger, 
et  des  tentatives  avaient  déjà  été  prévues  dans  ce  but.  Il  a  fallu 
se  limiter  et  abandonner  le  Ouadaï  à  la  France.  On  a  renoncé 
par  cela  même,  mais  non  sans  arrière-pensée,  à  enserrer  les 
territoires  africains  entre  les  branches  d'une  étoile  triangu- 
laire formée  par  des  zones  de  pays  anglais,  ayant  pour  centre 
le  Soudan  égyptien  et  pour  extrémités  l'Egypte,  le  Niger  et 
l'Est  africain. 

L'ambition  britannique,  quoique  réduite,  est  encore  colos- 
sale. L'Abyssinie  et  le  pays  des  Somalis  sont  investis  étroite- 
ment et  menacés  de  se  trouver  bientôt,  comme  le  Transvaal, 
dans  la  dépendance  économique,  sinon  politique,  de  l'Angle- 
terre. Comprimées  entre  ce  bloc  de  possessions  et  les  territoires 
de  l'Afrique  australe,  entre  la  Nigeria  et  le  Maroc,  où  les  An- 
glais menacent  de  prendre  pied,  les  autres  colonies  européen- 
nes auront  certainement  du  mal  à  se  développer  et  seront  elles- 
mêmes  peu  à  peu  menacées  d'une  absorption  tout  au  moins 
partielle. 

Ce  jour-là ,  les  Anglais  pourront  envisager  avec  moins 
d'amertume  la  perte  des  Indes,  qui  seront  peut-être  tombées 
avant  longtemps  dans  la  servitude  économique  des  peuples  de 
l'Extrême-Orient.  Ils  auront  trouvé,  par  la  possession  de 
l'Afrique,  le  moyen  de  les  remplacer  en  vue  d'assurer  les  dé- 
bouchés nécessaires  à  leur  industrie  et  à  leur  commerce. 


RÉGION   DES    SOMALIS  435 


Région  des  Somalis. 


Zones  d'influenee  anglaise  et  italienne. 

C'est  la  région,  de  forme  triangulaire,  qui  a  pour  base  le 
fleuve  Djouba  et  pour  sommet  le  cap  Guardafui. 

Si  l'on  en  retranche  le  protectorat  anglais  de  la  côte  méri- 
dionale du  golfe  d'Aden,  tout  ce  vaste  pays  se  trouve  placé 
dans  la  sphère  d'influence  italienne.  Cette  influence  s'est  d'ail- 
leurs peu  fait  sentir  jusqu'ici,  sauf  par  la  conclusion  de  trai- 
tés de  protectorat  avec  quelques  chefs  du  pays  et  notamment 
avec  le  sultan  d'Hopia  (1889). 

La  zone  italienne  est  délimitée,  du  côté  de  l'Est  africain  an- 
glais, par  les  conventions  des  23  mars  et  15  avril  1891,  avec 
cette  réserve  que  la  Compagnie  anglaise  de  l'Afrique  orientale, 
qui  depuis  lors  a  cessé  ses  opérations,  avait  le  droit  de  pour- 
suivre ses  entreprises  commerciales  dans  la  région  italienne. 

Celle-ci  renferme  deux  catégories  de  territoires  :  ceux  qui 
bordent  l'océan  Indien  et  qui,  près  de  la  mer,  sont  couverts 
de  dunes  et,  plus  à  l'intérieur,  sont  arides  et  souvent  dessé- 
chés ;  l'hinterland,  qui  renferme  les  riches  contrées  du  pays 
des  Gallas  et  du  Harrar,  pays  abyssins,  et  la  région  du  Kafla. 
Le  plateau  d'Ogaden,  qui  s'étend  entre  les  deux  régions  et  qui 
a  une  altitude  moyenne  de  1 .000  mètres,  est  à  peu  près  désert. 

Jusqu'ici,  l'Italie  n'a  pour  ainsi  dire  rien  fait  pour  cette 
nouvelle  colonie,  qui  ne  parait  pas  présenter  de  grands  élé- 
ments d'avenir.  Elle  est  d'ailleurs  étroitement  limitée  parles 
possessions  anglaises  de  Zeïla  et  Berbera,  et  les  territoires 
français  d'Obock-Djibouti,  servant  de  débouchés  à  la  presque 
totalité  du  commerce  de  l'intérieur. 

Les  territoires  anglais  sont  délimités  par  le  protocole  du 
5  mai  1894,  qui  fixe  des  limites  précises  à  la  sphère  d'influence 


436  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

italienne,  mais  qui  lui  cède  tous  les  droits  que  l'Angleterre 
possédait  sur  l'hinterland,  et  en  particulier  sur  le  Harrar,  par 
suite  d'une  convention  antérieure  avec  la  France.  On  verra 
plus  loin  ce  que  pense  Ménélik  de  ce  traité. 

Les  divers  ports  de  la  côte  anglaise  sont  les  débouchés  natu- 
rels du  pays  des  Somalis.  Ce  sont  les  ports  de  Zeïla,  Bulhar, 
Bernera  et  Karam,  qui  font  chaque  année  un  commerce  d'en- 
viron 12  millions. 

Ces  régions  sont,  par  leur  situation,  un  peu  extérieures  à 
l'Afrique,  à  laquelle  elles  se  rattachent  par  l'Abyssinie  et  par 
les  territoires  voisins  du  fleuve  Djouba.  Leur  fertilité  intermit- 
tente, la  faible  densité  de  leur  population,  encore  sauvage,  ne 
permettent  pas  de  penser  qu'ils  pourront  se  développer  sans 
de  sérieux  efforts. 

La  mission  Rennel  Rodd,  envoyée  auprès  du  négus,  a  eu  pour 
effet  de  faire  admettre  par  Ménélik  la  délimitation  de  la  côte 
anglaise  des  Somalis  et  la  cession  à  l'Angleterre  d'une  bande 
de  terrain  de  50  à  60  kilomètres  le  long  de  la  côte.  Celle-ci  était 
sous  la  dépendance  du  ministère  des  Indes,  qui  en  a  transmis, 
en  septembre  1898,  l'administration  au  Foreign  Office. 

On  n'est  pas  sans  inquiétudes,  en  Angleterre,  sur  le  sort  de 
cette  colonie,  pressée  entre  la  zone  italienne,  le  Harrar  et  la  côte 
française  des  Somalis.  Le  développement  du  port  de  Djibouti 
et,  plus  encore,  le  chemin  de  fer  de  Djibouti  à  Harrar  et  prolon- 
gements menacent  sérieusement  les  ports  anglais  de  la  côte  et 
notamment  le  port  de  Zeïla.  Cest  dans  ces  faits,  autant  que 
dans  l'importance  stratégique  de  notre  possession  d'Obock. 
qu'il  faut  chercher  les  motifs  du  désir  des  Anglais  de  se  faire 
céder  cette  colonie. 

La  question  de  cette  cession,  lancée  à  travers  l'opinion 
comme  celle  de  Terre-Neuve,  au  moment  des  affaires  de 
Fachoda,  trouve  en  Angleterre  des  partisans  d'autant  plus 
nombreux  qu'il  s'agit  non  seulement  de  la  possession  des 
rives  du  détroit  de  Bab-el-Mandeb,  mais  plus  encore  de  l'inves- 
tissement de  l'Abyssinie. 

Au  mois  de  septembre  dernier,  des  troupes  britanniques 
envoyées  d'Aden  et  de  l'Inde  débarquèrent  dans  la  colonie. 


RÉGION    DES   SOMALIS  437 


Un  mahdi  s'était,  parait-il,  révélé  aux  populations  de  l'inté- 
rieur qui  se  montraient  réfractaires  à  l'influence  anglaise.  Cer- 
taines personnes  virent  dans  ce  déploiement  de  forces  le  résul- 
tat de  la  crainte  inspirée  aux  négociants  anglais  par  les  suites 
de  la  guerre  du  Transvaal,  la  menace  d'une  intervention  et 
l'activité  déployée  dans  la  construction  du  chemin  de  fer  du 
Harrar. 

Ce  rassemblement  de  troupes  qui  pourrait,  en  se  portant 
vers  notre  colonie,  priver  facilement  notre  marine  de  son  prin- 
cipal point  de  ravitaillement  dans  ces  parages,  mérite  d'atti- 
rer l'attention  sur  la  nécessité  de  renforcer  les  défenses  actives 
et  passives  de  notre  nouveau  point  d'appui. 

Les  troupes  anglaises,  qui  parurent  à  Ménélik  avoir  un  tout 
autre  objectif  que  le  mahdi  signalé  à  l'attention  de  l'Europe, 
furent  activement  surveillées  par  les  o.OOOAbyssins  du  dedjaz 
Berrato.  Depuis  lors  les  insuccès  subis  au  Transvaal  ont  tout 
fait  rentrer  dans  l'ordre  sur  la  frontière  abyssine. 

Du  côté  de  la  zone  italienne,  il  n'y  a  que  peu  d'événements  à 
signaler  dans  ces  dernières  années.  La  possession  même  de 
l'hinterlandest  contestée  par  Ménélik,  qui  pense  à  reconstituer 
de  ce  côté  le  territoire  éthiopien  et  à  reconquérir  les  antiques 
frontières  de  son  empire.  Ces  territoires  ont  fait  l'objet  de  plu- 
sieurs explorations  italiennes  qui  ont  eu  des  destins  divers. 

Une  de  ces  missions,  sous  les  ordres  du  capitaine  Boltego, 
avait  pour  objet  de  rechercher  les  moyens  d'attirer  vers  Lugh 
le  commerce  des  régions  des  lacs  Rudolph  et  Stéphanie.  La 
mission  se  dirigea  d'abord  de  Sancurar,  d'où  elle  partit  le  22 
février  1896,  sur  le  Daka,  puis  chez  les  Amar.  Elle  remontait 
■ensuite  vers  le  Nord  et,  par  le  lac  Pagadi,  atteignait  le  fleuve 
Omo  en  juillet  189G. 

Elle  échappait  ensuite  à  la  poursuite  du  sultan  Djimma  et  du 
ras  Uold  Ghirghiz  et  se  réfugiait  vers  le  lac  Rudolph.  De  là,  elle 
se  rendit  au  nord  du  lac  Stéphanie,  remonta  le  Sagan,  puis  con- 
tinua vers  le  Nord  par  la  rive  ouest  du  lac  Rudolph.  Elle  se  diri- 
gea ensuite  sur  Sajo  et  de  là  sur  Gobo,  où  elle  fut  détruite  le 
17  mars  1897  par  une  attaque  des  gens  du  degiasmac  de  Lega. 

Deux  officiers  italiens  seulement  échappèrent,  mais  presque 


438  l'afriqle  politique  ex  1900 

tout  le  personnel  de  la  mission,  60  personnes  sur  86,  fut 
massacré.  Les  deux  officiers  survivants  furent  remis  à  Ménélik, 
qui  ordonna,  le  22  juin,  leur  rapatriement.  La  plupart  des 
collections  recueillies  par  la  mission  put  être  sauvée. 

Vers  la  même  époque,  M.  Cecchi,  consul  général  d'Italie  à 
Zanzibar,  accompagné  de  deux  officiers,  effectuait  une  tournée 
sur  la  côte  somali.  A  environ  20  kilomètres  de  Magadoxo, 
dans  la  nuit  du  26  au  27  octobre  1897,  son  campement  fut 
assailli  par  un  millier  de  Somalis  et  presque  tout  son  per- 
sonnel massacré.  Quelques  indigènes  et  deux  marins  italiens 
réussirent  à  s'échapper. 

Une  petite  expédition,  organisée  pour  venger  cet  échec,  fut 
envoyée  contre  les  Somalis.  Après  avoir  dispersé  les  indigè- 
nes, non  sans  éprouver  des  pertes,  et  brûlé  plusieurs  villages, 
elle  regagna  la  côte,  rapportant  quelques  objets  provenant  de 
l'expédition  Cecchi. 

Ces  événements  ont  montré  que  les  Somalis  sont,  ainsi  qu'on 
en  avait  déjà  eu  des  preuves,  réfractaires  à  toute  influence 
étrangère.  Le  sultan  de  Zanzibar,  autrefois  maître  de  la  côte,  en 
fit  souvent  l'expérience,  et  il  semble  qu'il  faudrait  des  moyens 
plus  puissants  que  ceux  employés  par  les  Italiens  pour  venir 
à  bout  de  ces  populations  et  leur  imposer  une  civilisation 
qu'elles  ne  paraissent  pas  beaucoup  apprécier. 


CÔTE    FRANÇAISE   DES    S0MAL1S  439 


Côte  française  des  Somalis  et  dépendances. 


Obock  et  Djibouti.  —  Leur  importance.  —  Avenir  de  la  colonie. 


Par  décret  du  20  mai  1896,  le  territoire  d'Obock,  ainsi  que 
les  protectorats  de  Tadjourah  et  des  pays  danakils,  sont  réunis 
au  protectorat  de  la  côte  des  Somalis  au  point  de  vue  adminis- 
tratif, judiciaire  et  financier.  Ils  forment  ensemble  une  colonie 
appelée  Côte  française  des  Somalis  et  dépendances. 

Le  chef-lieu  de  la  colonie  est  Djibouti,  la  meilleure  rade  de  la 
côte,  qui  est  devenue,  depuis  le  12  novembre  1895,  l'escale  de 
la  Compagnie  des  Messageries  maritimes  (ligne  de  la  Réunion 
par  la  côte  d'Afrique  et  Madagascar). 

Obock  avait  pris  de  l'importance  dans  ces  dernières  années, 
comme  point  de  ravitaillement.  Il  servait  de  dépôt  de  vivres, 
d'eau  et  de  charbon  à  notre  marine  militaire,  à  qui  les  Anglais 
avaient  refusé  du  charbon  à  Aden,  pendant  la  campagne  contre 
la  Chine  en  1884.  Cette  escale,  importante  au  point  de  vue  stra- 
tégique, a  été  tout  récemment  érigée  en  point  d'appui  de  la 
flotte. 

Les  communications  avec  l'intérieur  sont  plus  importantes 
par  Djibouti  que  par  Obock,  et  le  mouvement  commercial  de 
Djibouti  augmente  tous  les  jours.  Le  cable  d'AdenàObock  par 
Perim  est  continué  jusqu'à  Djibouti.  Mais  les  caravanes  venant 
des  pays  voisins  du  Nil  Bleu,  et  même  du  Harrar,  prennent 
encore  le  chemin  de  Zeïla  et  Berbera.  On  a  cependant  établi 
une  ligne  de  caravanes  avec  le  Choa,  et  l'on  espère  pouvoir,  le 
chemin  de  fer  aidant,  détourner  des  territoires  anglais  la  plus 
grande  partie  de  leur  commerce  de  transit. 

La  mission  Lagarde,  envoyée  au  négus  au  mois  de  mars 
1897,  a  pu  obtenir  un  traité  de  commerce  qui  autorise  M.  Ilg  à 
créer  la  Compagnie  impériale  des  chemins  de  fer  éthiopiens 


440  l'afrique  politique  en  1900 

et  à  construire  la  ligne  de  Djibouti  à  Harrar  avec  prolongement 
sur  Entotto,  le  Kaffa  et  le  Nil  Blanc.  Les  détails  de  ce  traité  sont 
exposés  dans  le  chapitre  relatif  à  l'Abyssinie.  Le  chemin  de 
fer  a  été  poussé  activement  depuis  sa  concession,  et  il  est  ter- 
miné actuellement  sur  une  longueur  de  130  kilomètres. 

Cette  voie  ferrée  excite  les  plus  vives  appréhensions  des  An- 
glais, et  sa  contruction  n'est  pas  étrangère  aux  bruits  récem- 
ment répandus  de  l'acquisition  de  notre  colonie,  ardemment 
désirée  par  l'Angleterre.  Mais  les  propositions  anglaises,  si  elles 
se  produisent  officiellement,  ne  peuventmanquer  d'être  repous- 
sées, car,  par  sa  situation  même  et  surtout  depuis  le  développe- 
ment pris  par  notre  Indo-Chine  et  par  Madagascar,  la  posses- 
sion de  la  côte  des  Somalis  devient  de  plus  en  plus  indispensable 
au  rayonnement  de  notre  influence  et  à  la  libre  action  de  nos 
flottes. 

La  colonie  tire  en  effet  de  sa  situation  au  débouché  de  la  mer 
Rouge,  à  proximité  d'Aden  et  de  Perim,  une  haute  importance 
stratégique.  Elle  est  délimitée  au  Nord  par  le  cap  Doumeïrah 
dans  le  sultanat  de  Raheita.  Le  cap  Doumeïrah  est  une  position 
importante,  située  en  face  de  Perim,  et  dominant  la  passe  oc- 
cidentale, de  11  milles  de  large,  du  détroit  de  Bab-el-Mandeb. 
La  passe  orientale,  large  de  2  milles,  est  la  plus  fréquentée,  et 
est  dominée  du  côté  de  l'Arabie  par  le  promontoire  de  Cheik- 
Saïd,  qui  a  été  acheté  en  1868  par  une  Compagnie  marseillaise 
et  qui  est  occupé  par  quelques  soldats  turcs. 

Voici  sur  le  détroit  de  Bab-el-Mandeb  des  renseignements 
intéressants  tirés  d'une  notice  de  M.  Romanet  du  Caillaud  : 

Le  détroit  de  Bab-el-Mandeb,  par  lequel  la  mer  Rouge  s'ouvre 
sur  l'océan  Indien,  a  14  milles  de  large  ;  l'île  anglaise  de  Perim  est 
en  travers  et  la  partage  en  deux  passes.  La  grande  passe,  du  côté 
de  l'Afrique,  ail  milles;  mais,  les  fonds  se  relevant  près  de  la  côte, 
elle  n'est  navigable  que  sur  une  largeur  de  7  milles.  La  petite  passe, 
entre  Perim  et  la  côte  arabique,  n'a  qu'un  mille  et  demi  ;  elle  est 
la  plus  sûre  et  la  seule  utilisée  en  toute  saison. 

L'île  de  Perim,  que  les  Anglais  occupent  depuis  1859,  est  un 
rocher  absolument  aride,  en  forme  de  croissant.  Son  port,  ouvert 
du  côté  du  sud,  offre,  il  est  vrai,  des  profondeurs  de  8  à  15  mètres, 
mais  le  point  culminant  de  Perim  n'a  que  65  mètres  d'altitude.  Or 


CÔTE   FRANÇAISE   DES    SOMALIS  441 


le  point  culminant  du  massif  de  Bab  el-Mandeb,  situé  à  peu  de 
distance  de  la  petite  passe,  a  270  mètres  de  haut.  Le  Bab-el-Mandeb 
domine  donc  absolument  la  petite  passe. 

A  l'ouest  du  mont  Mankhali,  le  promontoire  oriental  qui  forme 
la  baie  de  Cheik-Malou  a  des  sommets  fort  remarquables  :  l'un,  de 
50  mètres,  esta  75  mètres  de  la  mer;  l'autre,  de  91  mètres,  est  à 
200  mètres  ;  puis,  en  s'éloignant  de  la  rive,  on  trouve  les  cotes  de 
99  et  de  137  mètres. 

L'éperon  occidental  de  cette  même  baie  de  Cheik-Malou  n'est 
autre  que  le  cap  Bab-el-Mandeb. 

Son  extrémité  est  une  île  reliée  au  continent  à  marée  basse  ;  on 
l'appelle  l'île  aux  Huîtres  ou  l'île  du  Pilote.  C'est  là  que  se  trouve  le 
tombeau  de  Cheik-Malou.  Le  sommet  de  cette  île  est  de  17  mè- 
tres. 

Le  premier  sommet  du  cap  Bab-el-Mandeb,  distant  de  160  mètres 
de  la  mer,  est  à  une  altitude  de  61  mètres. 

La  France  est  maîtresse  de  la  rive  africaine  du  détroit  de  Bab-el- 
Mandeb  ;  le  territoire  d'Obock  s'étend  jusqu'au  cap  Deumeïrah  et 
comprend  le  cap  Sejarn  et  les  îles  Subach,  clefs  de  la  grande  passe 
du  côté  du  continent.  Quant  au  massif  de  Bab-el-Mandeb,  il  sur- 
plombe, pour  ainsi  dire,  la  position  de  l'île  anglaise  de  Perim. 

Le  centre  de  la  rade  de  Perim  est  à  5  milles  (soit  9  kilomètres)  du 
mont  Mankhali.  De  ce  côté,  cette  rade  n'est  protégée  que  par  une 
colline  de  50  à  60  mètres  de  haut,  défilé  bien  impuissant  contre 
les  batteries  à  longue  portée  établies  sur  un  sommet  de  270  mètres. 

Un  établissement  de  marine  militaire  unique  au  monde  pourrait 
être  créé  dans  la  lagune  qui  s'étend  au  nord-est  de  Cheik-Saïd. 

Le  fond  de  cette  lagune  est  sablonneux  et  serait  facilement  appro- 
fondi ;  on  pourrait  donc  y  creuser  un  vaste  bassin  intérieur  de 
1.500  hectares  et  au  delà,  si  c'était  nécessaire. 

Une  jetée,  dirigée  de  l'est  à  l'ouest,  protégerait  l'entrée  du  côté 
de  la  mer  Bouge  contre  l'envahissement  des  sables  poussés  parla 
mousson  du  nord. 

Un  canal  de  2  kilomètres,  creusé  dans  le  sable,  rétablissant 
l'ancien  détroit,  pourrait  relier  ce  bassin  à  l'océan  Indien. 

Là  encore,  pour  obvier  aux  ensablements  creusés  par  la  mousson 
du  sud,  une  jetée  devrait  être  créée. 

C'est  ainsi  que  Cheik-Saïd  peut  devenir  une  station  navale  de 
premier  ordre. 

A  la  suite  d'un  dissentiment  survenu,  au  mois  de  novembre 
1898,  entre  agents  français  et  italiens,  au  sujet  de  la  délimi- 
tation de  la  frontière  à  partir  du  ras  Doumeïrah,  des  pourpar- 
lers furent  engagés  entre  les  deux  gouvernements  et  abouti- 


442  l'afriqle  politique  en  1900 

rent  aussitôt  à  une  entente  aux  termes  de  laquelle  le  versant 
sud  du  ras  Doumeïrah  appartiendrait  à  la  France.  Une  com- 
mission de  délimitation  fut  nommée  et,  du  côté  français,  le 
lieutenant  Blondiaux  désigné  pour  opérer  l'abornement.  Les 
travaux  de  la  commission  se  terminaient,  au  mois  d'août  1899, 
par  le  tracé  d'une  frontière  suivant  la  ligne  des  hauteurs  du 
cap  Doumeïrah,  mais  laissant  encore  en  litige  l'île  Doumeïrah 
située  en  face  du  cap. 

Au  Sud,  le  territoire  français  se  termine  au  ras  Djibouti  et  au 
puits  d'Hadou.  Il  comprend  les  protectorats  de  Tadjourah, 
d'Ambalo,  de  Sagallo.  du  Gubet-Kharab  et  de  la  côte  de 
Djibouti. 

Sa  superficie  totale  est  d'environ  120.000  kilomètres  carrés, 
par  suite  des  conventions  passées  avec  les  indigènes,  et  sa  po- 
pulation est  d'environ  200.000  habitants. 

Le  grand  ennemi  de  la  colonie  est  la  chaleur,  qui  s'élève  à 
Obock  jusqu'à  48°  et  descend  rarement  au-dessous  de  17°.  La 
bonne  saison  dure  d'octobre  au  mois  de  mai;  la  température 
oscille  alors  autour  de  25°.  Il  pleut  cependant  assez  souvent  à 
Obock. 

Un  décret  du  3  mars  1886  a  créé  à  Obock  un  dépôt  de  con- 
damnés aux  travaux  forcés  de  race  arabe;  puis  on  y  a  prévu 
l'envoi  de  tous  les  condamnés  africains  ou  indiens.  Un  autre 
décret  du  22  octobre  1887  y  a  réglé  la  transportation  annamite. 
On  a  renoncé  depuis  lors  à  y  interner  des  arabes  au  milieu  d'un 
pays  musulman.  Les  détenus  ont  exécuté  dans  la  colonie  des 
travaux  d'utilité  publique  tels  qu'une  digue,  un  quai,  des  jar- 
dins et  l'hôtel  du  gouverneur. 

La  proximité  de  l'Abyssinie,  du  Harrar  et  du  pays  des  Gallas 
donne  à  notre  colonie  d'Obock  une  importance  toute  spéciale. 
Nos  bonnes  relations  ininterrompues  avec  Ménélik  et  l'éloi- 
gnement  dont  fait  preuve  l'empereur  pour  les  Italiens  et  les 
Anglais  nous  permettront  d'attirer  vers  le  golfe  de  Tadjourah 
les  denrées  des  pays  voisins.  On  a  eu  l'occasion  de  parler  plus 
haut  des  convoitises  anglaises  et  des  craintes  qu'avait  fait  naître 
le  débarquement  de  troupes,  récemment  opéré,  au  mois  de  sep- 
tembre dernier,  dans  la  Somalie  britannique.  Cet  avertisse- 


CÔTE    FRANÇAISE  DES    SOMALIS  443 

ment  ne  doit  pas  être  perdu,  en  raison  des  nombreuses  précau- 
tions qu'il  est  nécessaire  de  prendre  dans  ces  parages  actuel- 
lement livrés  à  la  domination  anglaise. 

La  route  de  Djibouti  à  Harrar  est  fréquentée  par  les  cara- 
vanes, et  celle  d'Abyssinie  au  golfe  de  Tadjourah,  parla  vallée 
de  l'Haouach,  est  une  des  meilleures  du  pays.  La  création  d'une 
voie  ferrée  de  pénétration  augmentera  encore  l'importance  de 
la  colonie.  Tous  nos  soins  doivent  tendre  aujourd'hui,  non 
plus  à  agrandir  un  territoire  dont  les  limites  sont  fixées,  mais 
surtout  à  le  défendre  et  à  en  faire  le  débouché  le  plus  commode 
de  l'Abyssinie. 

Au  point  de  vue  stratégique,  Djibouti  tend  à  devenir  pour  la 
France  ce  qu'Aden  est  pour  l'Angleterre,  mais  avec  un  climat 
meilleur  et  des  ressources  agricoles  plus  considérables.  Son 
importance  se  développera  rapidement,  en  même  temps  que 
les  relations  avec  nos  possessions  de  l'Extrême-Orient  et  de 
l'océan  Indien. 


444  l'afriqle  politique  en  1900 


Erythrée  et  Ethiopie. 


Historique  sommaire.  —  Expédition  italienne  de  1895-96.  —  L'armée  du  négus.  — 
Amba-Alaghi.  —  Makallé.  —  Adoua.  —  Adigrat.  —  Kassala.  —  Influence  des 
événements  d'Abyssinie  sur  la  politique  européenne.  —  Politique  des  Français, 
Anglais  et  Italiens  en  Abyssinie.  —  Importance  et  développement  de  l'empire 
d'Ethiopie. 


Les  événements  qui  se  sont  déroulés  dans  la  colonie  ita- 
lienne d'Erythrée,  en  1895  et  1896,  ont  eu  sur  la  politique 
européenne  une  influence  telle  que  nous  sommes  tenus  de  les 
énumérer  avec  quelques  détails. 

La  politique  des  peuples  de  l'Europe  est  actuellement  si  en- 
chevêtrée, les  conflits  d'intérêts  touchent  à  des  questions  si 
nombreuses  qu'un  succès  ou  un  échec  d'une  nation  quel- 
conque dans  une  entreprise  coloniale  a  une  répercussion  im- 
médiate et  forcée  sur  sa  politique  générale. 

C'est  ce  qui  s'est  produit  lors  des  entreprises  de  l'Italie  en 
Erythrée;  c'est  aussi  ce  qui  a  déterminé  cette  puissance  à 
écouter  les  conseils  de  l'Angleterre,  puis  à  favoriser  les  des- 
seins des  Anglais  en  Egypte.  Plus  tard,  l'Allemagne  se  serait 
vue  obligée,  dit-on,  en  considération  de  son  alliée,  à  demander 
pour  elle  l'appui  de  l'Angleterre  au  Soudan  et  à  se  rapprocher 
du  gouvernement  britannique,  malgré  l'antagonisme  créé 
entre  les  cabinets  de  Berlin  et  de  Londres  à  l'occasion  des 
affaires  du  Transvaal.  Cette  action  des  Anglais  au  Soudan  aura 
eu  pour  point  de  départ  les  visées  de  la  politique  coloniale 
italienne  et  pour  résultat  la  mobilisation  diplomatique  de 
l'Europe  entière. 

Nous  n'entrerons  pas  dans  les  détails  des  premiers  événe- 
ments qui  ont  eu  pour  théâtre  l' Abyssinie  et  l'Erythrée.  Il 
nous  suffira,  avant  d'arriver  aux  faits  de  1895-1896,  d'énu- 
mérer  brièvement  les  événements  antérieurs. 


ERYTHRÉE    ET    ETHIOPIE  445 


C'est  le  désir  de  jouer  un  rôle  colonial  comme  grande  puis- 
sance, désir  légitime  d'ailleurs,  bien  qu'on  l'ait  qualifié  de 
mégalomanie,  joint  à  la  considération  des  pertes  de  forces 
résultant  d'une  émigration  intensive  (1),  qui  décida  l'Italie, 
vers  1884,  à  chercher  des  prétextes  pour  mettre  le  pied  en 
Afrique. 

A  ces  motifs,  il  faut  joindre  le  souvenir  de  l'occupation  de 
la  Tunisie,  la  volonté  d'augmenter  le  prestige  de  l'armée  ita- 
lienne et  de  donner  confiance  au  pays,  appelé,  suivant  le  désir 
de  ses  gouvernants,  à  jouer,  un  jour  ou  l'autre,  un  grand  rôle 
militaire  en  Europe. 

A  l'achat  de  la  baie  d'Assab  par  la  Compagnie  de  navigation 
Rubattino,  en  18G9,  succéda,  jusqu'en  1884,  une  longue  pé- 
riode de  recueillement.  A  ce  moment,  les  Anglais,  pour  obte- 
nir la  coopération  des  Italiens  du  côlé  du  Soudan  et,  plus 
encore,  leur  assentiment — d'aucuns  ont  dit  leur  complicité — 
dans  l'occupation  de  l'Egypte,  les  poussèrent  à  Massaouah,  où 
ils  débarquèrent  en  février  1885,  malgré  les  protestations  du 
khédive,  que  renouvela  le  sultan,  le  13  août  1888. 

On  doit  rappeler  ici  que  les  Italiens  refusèrent  de  recon- 
naître les  droits  de  la  France  sur  Zoula  et  Adulis,  et  que  leur 
politique  trouva  à  ce  moment  en  Allemagne  un  appui  efficace. 

En  1887,  premier  contact  avec  les  Abyssins,  qui,  refusant 
d'entrer  en  pourparlers  avec  les  Italiens,  bloquent  Massaouah, 
battent  les  envahisseurs  à  Dogali  (le  25  janvier  1887)  et  à  Sa- 
ganeiti  (en  août  1888).  A  ce  moment,  20.000  Italiens  furent 
envoyés  à  Massaouah,  et  les  généraux  Gêné,  Saletta,  Asinari, 
San-Marzano  et  Baldissera  se  succédèrent  en  une  année  sans 
améliorer  la  situation  de  la  colonie. 

C'est  à  ce  moment  que  la  mort  du  négus  Jean,  tué  par  les 


(1)  L'émigration  italienne  en  1895  s'est  élevée  au  chiffre  de  20;{.781  personnes 
contre  22'.').'.S23  en  1894.  Plus  de  200.000  personnes  sont  parties  pour  l'Amérique, 
dont  lli.OOO  pour  le  Brésil,  H.  000  pour  les  États-Unis  et  41.000  pour  la  Répu- 
blique Argentine 

Les  régions  qui  donnent  le  plus  d'émigrants  sont  la  Yénétie  (113.000),  la 
Campagne  romaine  (32.000),  le  Piémont  (26.000),  la  Lombardie  (20.000j.  C'est  la 
Sardaigne  qui  en  fournit  le  moins  (150).  Ce  sont  donc  les  provinces  les  plus 
riches  qui  fournissent  le  plus  fort  contingent. 


446  l'afrique  politique  en  1900 

Derviches  à  Metemmeh,  le  10  mars  1889,  et  les  visées,  bientôt 
couronnées  de  succès,  de  Ménélik  sur  la  tiare  d'Abyssinie 
donnèrent  un  nouvel  élan  aux  entreprises  des  troupes  ita- 
liennes. Elles  occupèrent,  en  1889  et  1890,  Keren,  Asmara  et 
Adoua,  et  étendirent  leur  protectorat  depuis  Ras-Kassar  jus- 
qu'au territoire  français  d'Obock,  sur  environ  1.100  kilo- 
mètres de  côtes. 

Sur  leurs  instances,  une  mission  envoyée  par  Ménélik  en 
Italie,  sous  la  direction  du  ras  Makonnen,  conclut  le  traité 
d'Ucciali  (29  septembre  1889).  La  clause  principale  de  ce 
traité,  qui  devait  être  le  motif  des  expéditions  futures,  était 
ainsi  conçue,  dans  son  texte  abyssin  ou  amharique  (art.  17)  : 

Le  roi  des  rois  d'Ethiopie  peut  demander  l'aide  du  royaume  d'Ita- 
lie pour  les  alïaires  qu'il  aurait  avec  les  autres  royaumes  d'Europe. 

La  traduction  donnée  par  le  texte  italien  était  : 

S.  M.  le  roi  des  rois  d'Ethiopie  consent  à  se  servir  du  gouverne- 
ment de  S.  M.  le  roi  d'Italie  pour  traiter  les  aiïaires  qu'il  aura  avec 
les  autres  puissances  ou  gouvernements. 

C'est  de  l'interprétation  de  cet  article  17  que  sont  venues  les 
difficultés  entre  l'Italie  et  Ménélik.  Ce  dernier,  qui  travaillait 
à  assurer  son  autorité  en  Abyssinie,  évitait  à  ce  moment  toute 
contestation  avec  les  Italiens.  Cependant,  l'extension  de  la 
colonie  jusqu'au  Mareb  et  surtout  l'interprétation  du  traité 
d'Ucciali  firent  naître  d'interminables  difficultés.  C'est  à  ce 
moment  que  les  Italiens,  par  les  conventions  du  15  avril  et 
du  24  mai  1891,  délimitèrent  avec  l'Angleterre,  qui  reconnut 
leur  protectorat  sur  l'Abyssinie,  leurs  territoires  de  la  pres- 
qu'île des  Somalis  et  se  préparèrent  à  l'action  militaire  qui, 
sous  les  auspices  de  M.  Crispi,  revenu  au  pouvoir,  n'allait  pas 
tarder  à  s'engager. 

Le  général  Baratieri,  envoyé  à  Massaouah,  saisissait  l'occa- 
sion d'une  incursion  des  Derviches  pour  les  battre  à  Agordat 
en  décembre  1893  et  occuper  Kassala  en  juillet  1894.  C'est  le 
moment  que  choisit  Ménélik  pour  dénoncer  le  traité  d'Ucciali. 

Le  général  Baratieri  se  retourna  alors  contre  le  ras  Man- 


ERYTHRÉE    ET    ETHIOPIE  447 


gâcha,  l'ancien  rival  de  Ménélik,  alors  devenu  un  de  ses  plus 
fidèles  lieutenants,  et  le  battit  à  Coatit  (15  janvier)  et  à  Senafé 
(19  janvier  1895). 

Ces  deux  victoires  lui  valaient,  en  Italie,  une  popularité 
immense,  et  M.  Crispi  lui  télégraphiait  : 

Je  me  félicite  avec  toi  el  avec  l'Italie  pour  les  victoires  rempor- 
tées sur  les  Abyssins.  Nous  devons  louer  non  seulement  la  valeur 
des  soldats,  mais  aussi  la  stratégie  du  capitaine,  qui  sut,  en  vrai 
garibaldien,  vaincre  avec  des  forces  minimes  un  ennemi  plus  fort. 

Baratieri  était  rentré  à  Massaouah  lorsqu'il  apprit  que 
Mangacha  avait  repris  la  campagne.  Il  revint  alors  vers  Adi- 
grat,  place  forte  située  à  un  nœud  remarquable  de  commu- 
nications, s'en  empara  et  poussa  un  détachement  jusqu'à 
Autalo  et  Makallé.  Se  tournant  ensuite  vers  Adoua,  il  alla  y 
faire  une  entrée  triomphale,  après  avoir  proclamé  AgosTafari 
roi  du  Tigré  à  la  place  de  Mangacha. 

Le  général  Baratieri,  revenu  en  Italie,  y  fut  accueilli  avec 
enthousiasme.  A  ce  moment  même,  on  signalait  comme  un 
fait  connu  de  tous  le  bruit  de  la  marche  de  Ménélik  accou- 
rant du  Choa  avec  toutes  ses  forces  pour  venger  les  défaites 
subies  par  son  lieutenant  et  arrêter  les  empiétements  des 
Italiens  dans  le  Tigré,  patrie  de  l'impératrice  Taïtou  (1). 

Un  député  italien,  M.  Colajanni,  qu'on  peut  citer  parmi  les 


(1)  Voici  quel  était,  à   la  date  du  1er  décembre  1895,  l'effectif  des  troupes  en 
Erythrée  [Revue  militaire  de  l'étranger,  décembre  1895]  : 

Troupes    (  1  bataillon  de  chasseurs 

italiennes,  i  3  bataillons  d'infanterie 


„,  [8  bataillons  d  infanterie. 

Troupes    \  . 


»  escadron  de  cavalerie 

indigène*,  f  a  .    .  a, 

\  2  batteries  de  montagne 24 

/  1  compagnie  de  carabiniers 

Troupes    )  i  compagnie  de  canonniers 


mixtes,     jl  compagnie  du  génie, 
compagnie  du  train. 


/! 


613  hommes 

1.800        — 

9.600  hommes 

(  72  Italiens) 

13b 

(  10       —      ) 

248        — 

(  22                ) 

174  hommes 

(  80  Italiens) 

209 

(100      —      ) 

204 

(140       —      ) 

203 

l  59       —      | 

Kllectif 13.210  hommes. 


Les  16,  18  et  20  décembre  1893,  partirent  d'Italie  cinq  bataillons  et  de  l'artil- 
lerie qui  furent  suivis  à  bref  délai  par  sept  autres  bataillons  et  deux  batteries, 
en  sorte  que  l'effectif  ci-dessus  se  trouva  augmenté  de  8.000  hommes. 


448  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

plus  clairvoyants  politiques  de  la  péninsule,  analysant  les 
conditions  auxquelles  fut  soumise  la  politique  africaine  de 
l'Italie,  n'hésite  pas,  en  adversaire  déclaré  des  entreprises 
coloniales,  à  déclarer  que  l'Italie  n'était  nullement  préparée 
à  entamer  la  politique  d'expansion  qui  devait  l'amener  au 
désastre  d'Adoua. 

Il  s'appuyait  sur  l'opinion  du  ministre  Mancini,  qui,  en 
1881,  avait  dit  au  Parlement  italien  :  «  L'idée  de  n'im- 
porte quelle  politique  coloniale  paraît  inféconde,  indigne  de 
nous.  » 

Il  est  vrai  que  Mancini  se  convertit  plus  tard,  puisqu'il 
déclarait  au  Sénat,  en  1885,  que  l'Italie  était  «  mûre  et  prépa- 
rée pour  la  politique  coloniale II  ne  lui  convient  pas  de 

mener  la  vie  d'une  humble  Cendrillon  ménagère  ». 

Commençant  ses  expériences  coloniales  par  l'Erythrée, 
l'Italie  ne  devait  pas  tarder  à  s'apercevoir  qu'elle  se  heurtait 
à  des  difficultés  redoutables. 

Le  peuple  abyssin,  affamé  d'indépendance,  n'a  jamais  été  ni 
conquis  ni  soumis  par  personne.  Ces  montagnards  énergiques 
et  belliqueux  ont  résisté,  grâce  à  leurs  traditions  et  à  leur 
sentiment  national,  à  tous  les  conquérants  qui  ont  voulu, 
pendant  le  cours  des  siècles,  se  lancer  à  l'assaut  de  leurs 
montagnes.  L'Egypte  ancienne  et  les  Romains  renoncent 
à  sa  conquête.  Les  Arabes  et  les  musulmans  se  heurtent  à 
l'Ethiopie  nombre  de  fois  sans  parvenir  à  l'entamer  sérieu- 
sement. Les  Anglais  eux-mêmes,  après  avoir  mené  contre 
les  Abyssins  une  coûteuse  expédition,  se  retirent  rapidement 
de  leurs  montagnes,  évitant  avec  soin  de  s'engager  à  fond. 
Plus  près  de  nous,  les  Égyptiens  essuient  des  désastres  sans 
précédents  aux  abords  de  l'Abyssinie,  donnant  ainsi  la  me- 
sure de  la  valeur  et  de  l'organisation,  alors  peu  connue,  des 
habitants  de  l'Ethiopie. 

Il  est  inutile  de  revenir  ici  sur  le  système  féodal,  souvent 
décrit,  de  l'empire  abyssin.  Mais  on  lira  sans  doute  avec  inté- 
rêt lesdétails  suivants,  donnés  par  M.  Ilg,  un  ingénieur  suisse, 
qui  est  un  des  agents  de  Ménélik  en  Europe,  et  qui  fut  un  mo- 


ERYTHRÉE   ET    ETHIOPIE  449 


ment  son  ministre  des  affaires  étrangères,  au  sujet  de  l'armée 
du  négus  (1). 

Les  délégués  du  négus  exercent  l'autorité  administrative  et 
militaire.  Le  commandement  suprême  est  exercé  par  l'empe- 
reur (négus  negesti),  secondé  par  un  grand  connétable  (ligne 
megnas). 

Un  maréchal  (ras)  commande  l'unité  principale  et  a  sous  ses 
ordres  les  généraux  (dedjamatsch).  L'unité  tactique  est  le 
bataillon  d'environ  1.000  hommes.  Son  chef  (schalleka)  est 
secondé  par  des  capitaines  (weto  alleka)  qui  commandent  à 
des  compagnies  de  100  hommes  et  ont  sous  leurs  ordres  deux 
lieutenants  (amsa  alleka)  et  environ  dix  chefs  d'escouade 
(alleka). 

Un  général  commande  de  quatre  à  six  bataillons.  Un  ras 
dispose  de  15.000  à  20.000  hommes. 

L'armée  est  composée  de  réguliers  renforcés  par  des  milices 
(guindevel)  et  des  troupes  irrégulières  (panno)  peu  discipli- 
nées. 

Le  négus  peut,  en  cas  de  besoin,  ordonner  la  levée  en  niasse 
(je-ager-tor)  de  tous  les  hommes  valides.  Le  soldat  s'habille 
et  s'équipe  lui-même;  il  ne  reçoit  de  l'État  qu'un  fusil  et  un 
sabre. 

L'artillerie  comptait,  en  1895,  quatre  batteries  de  six  pièces 
de  55  millimètres  portées  à  dos  de  mulet. 

Les  services  administratifs  sont  réduits  au  strict  minimum, 
l'armée  étant  toujours  suivie  par  un  nombre  considérable  de 
mulets  porteurs,  de  femmes  et  d'enfants  qui  jouent  le  rôle 
de  pourvoyeurs.  Il  n'est  pas  rare  aussi  que  chaque  soldat 
emmène  son  mulet,  animal  qui,  en  Abyssinie,  plus  encore 
qu'en  Europe,  est  d'une  sobriété  extraordinaire  et  n'exige 
aucun  soin. 

€'est  la  monture  nationale,  et  c'est  grâce  à  elle  que  les  ar- 
mées abyssines,  quoique  nombreuses  et  encombrées  de  non- 
valeurs,  possèdent   une    mobilité  étonnante.    Les   cavaliers 


(1)  Conférence  faite  à  Zurich  par  M.  Ilg,  en  avril  18%. 

Air.  polit.  29 


450  L'AFRIQUE    POLITIQl'E   EN    1900 

choans  eux-mêmes  emmènent  leurs  mulets  et  ne  montent  à 
cheval  qu'au  moment  du  combat. 

Le  négus,  en  cas  de  guerre,  indique  à  chaque  gouverneur 
de  province  le  nombre  d'hommes  qu'il  doit  fournir  et  leur 
assigne  un  rendez-vous.  Tel  est,  dans  sa  simplicité,  le  système 
d'organisation  de  l'armée  qui  fit  affluer  vers  le  Tigré,  dès  le 
milieu  de  1895,  les  contingents  des  provinces  de  l'Ethiopie. 

Ménélik,  parti  du  Choa  pour  se  mettre  à  la  tête  de  cette  armée, 
se  trouva  bientôt  le  chef  de  100.000  hommes,  en  avant  des- 
quels les  troupes  du  ras  Makonnen,  formant  une  avant- 
garde  de  plus  de  15.000  hommes,  surprirent,  le  7  décembre,  à 
Amba-Alaghi,  les  1.200  indigènes  du  major  Toselli  (1).  La 
défaite  des  Italiens  fut  complète  et  un  petit  nombre  échappa  au 
massacre.  Le  général  Arimondi,  le  vainqueur  d'Agordat,  qui 
commandait  à  Makallé,  n'eut  même  pas  le  temps  de  secourir 
le  major  Toselli,  qui  fut  tué  ainsi  que  tous  ses  officiers,  sauf 
quatre  d'entre  eux  qui  réussirent  à  s'échapper.  Après  s'être 
porté  vers  Amba-Alaghi,  le  général  Arimondi  rétrograda  sur 
Makallé  et  de  là  sur  Adigrat,  laissant  dans  le  fort  de  Makallé 
le  major  Galliano  avec  un  millier  d'hommes  (2). 


(1)  Le  détachement  Toselli  comprenait  un  bataillon  indigène  et  deux  sections 
d'artillerie  de  montagne. 

(2)  Voici  une  lettre  adressée  par  Ménélik  lui-même  à  un  de  ses  amis  d'Europe 
qui  donne  les  détails  du  combat  d'Amba-Alaghi  : 

«  Nous  Ménélik  II,  par  la  grâce  de  Dieu  rofdes  rois  d'Ethiopie,  à  M.  X... 

))  Comment  te  portes-tu,  mon  ami?  moi,  par  la  grâce  de  Dieu,  je  vais  bien  ainsi 
que  mes  armées. 

»  Longtemps,  j'ai  agi  avec  lenteur,  n'étant  pas  grandement  troublé  par  les 
vexations  des  Italiens  et  les  outrages  dont  quotidiennement  ils  souffletaient  mes 
ras  fidèles  et  loyaux,  en  leur  offrant  honteusement  de  trahir,  pour  des  sommes 
d'argent,  leur  patrie;  j'espérais,  en  agissant  ainsi,  éviter  l'effusion  du  sang  chré- 
tien et  je  pensais  que  je  pourrais  patiemment  attendre  qu'il  leur  vint  de  bons 
conseils  de  sagesse  de  la  part  des  autres  puissances  européennes.  Tu  l'espérais 
également. 

M  ô'ant  aperçu  que  ma  patience  était  considérée  comme  pusillanimité,  tandis 
qu'elle  faisait  croire  à  leur  force,  je  me  suis  porté  vers  Ascianghi.  Ils  sont  venus 
pour  m'y  surprendre.  Avant  que  les  chefs  des  troupes  que  j'avais  envoyées  en 
avant  fussent  arrivés,  l'avant-garde  des  troupes  italiennes,  jugeant  l'occasion 
favorable,  se  porta  rapidement  en  arrière  et  occupa  le  défilé  d'Alaghi;  l'avant- 
garde  du  ras  Mangascia  campa  aussitôt  à  Agba.  Les  Italiens,  ayant  reconnu  le 
campement,  commencèrent  à  tirer  de  loin,  et  nos  soldats,  surexcités,  sans  même 
attendre  l'arrivée  de  leurs  principaux  chefs,  engagèrent  le  combat.  C'était  le 
28  hedar  (1  décembre),  Dieu   nous   donna  la  victoire;  les  Italiens  furent  tous 


ERYTHRÉE    ET    ETHIOPIE  451 


Pendant  que  les  Italiens  se  concentraient  à  Adigrat  et  à  Ada- 
gamus,  le  ras  Makonnen  investissait  Makallé  et  coupait  les  con- 
duites d'eau  qui  alimentaient  le  fort.  Il  fut  bientôt  rejoint  par 
Ménélik  avec  toutes  ses  forces. 

L'investissement  de  Makallé  et  l'impossibilité  où  se  trouvait 
le  général  Baratieri  de  porter  secours  au  major  Galliano,  à 
cause  de  la  disproportion  des  forces  en  présence  (1),  causèrent 
en  Italie  une  énorme  impression.  On  commença  à  se  rendre 
compte  des  difficultés  de  la  situation  et  des  efforts  nécessaires 
pour  en  triompher.  Ne  pouvant  admettre  la  supériorité  des 
Abyssins,  les  Italiens  préférèrent  croire  que  la  France  et  la 
Russie  s'employaient  à  fournir  aux  négus  des  armes,  des  mu- 
nitions et  même  des  officiers.  Ces  bruits,  que  le  gouverne- 
ment de  M.  Crispi  laissa  s'accréditer,  firent  naître  une  cam- 
pagne de  presse  à  laquelle  les  journaux  français  et  russes 
eurent  la  sagesse  de  ne  pas  prendre  part. 

Déjà,  après  le  désastre  d'Amba-Alaghi,  le  général  Baldissera 
avait  été  pressenti  par  le  gouvernement  italien  sur  la  question 
de  savoir  s'il  accepterait  de  prendre  le  commandement  des 
troupes  d'Afrique.  Mais  il  exigeait  qu'on  lui  donnât  50.000 
hommes,  qui  représentaient  pour  l'exercice  1895-1896  une 
dépense  d'environ  150  millions.  Or.  le  gouvernement  n'avait 
demandé  aux  Chambres  que  20  millions  pour  terminer  la 
campagne.  Plutôt  que  de  faire  connaître  la  vérité  au  pays, 
M.  Crispi  préféra  se  passer  des  services  du  général  Baldissera. 


détruits.  Huit  officiers  italiens,  dont  le  major  Toselli,  furent  tués;  quatre  furent 
faits  prisonniers. 

»  Le  général  Baratieri  (les  Abyssins  croyaient  à  ce  moment  que  le  général 
Baratieri  était  à  la  tète  de  la  colonne  de  secours,  tandis  qu'il  s'agissait  du  com- 
mandant Galliano',  étant  venu  à  leur  secours,  ne  put  résister  à  l'élan  de  nos 
troupes  victorieuses  et  s'enfuit  à  Makallé  pour  y  chercher  aide.  Nos  troupes  l'ont 
poursuivi;  il  est  resté  dans  le  fort.  Antalo  est  également  tombé  entre  nos  mains 
.-ans  combat  sérieux,  et  nous  y  avons  pris  beaucoup  de  fusils,  de  munitions  et 
deux  canons. 

»  Et  maintenant  nous  sommes  en  joie.  Donne  connaissance  île  ces  nouvelles  à 
tous  nos  amis  aOn  qu'ils  se  réjouissent  avec  nous. 

))  Que  Dieu  soit  loué  et  nous  conserve  sa  sainte  garde! 

»  Écrit  en  mon  campement  d'Ascianghi,  le  t>  lehsas  ISSN  jj  décembre  IN'.O  >\<- 
l'an  de  grâce.  » 

(1)  Les  forces  italiennes  réunies  à  Adigrat,  vers  le  lo  janvier,  étaient  évaluées  à 
•10.000  hommes. 


452  l'afriqie  politiqie  en  1900 

Makallé,  étroitement  bloqué  par  Ménélik  et  manquant 
d'eau,  résista  jusqu'au  21  janvier.  Depuis  le  commencement  de 
janvier,  des  négociations  avaient  été  entamées  pour  l'évacua- 
tion du  fort.  Elles  furent  menées  à  bien  par  l'explorateur  Fel- 
ter,  qui  était  autrefois  allé  à  la  cour  de  Ménélik.  On  ne  connaît 
pas  exactement  les  conditions  de  la  capitulation.  On  sait  cepen- 
dant que  les  Italiens  obtinrent  de  se  retirer  avec  armes  et 
bagages  à  Adigrat  et  que  Ménélik  leur  prêta  des  mulets  pour 
faciliter  leurs  transports.  Ce  qu'on  ignore,  ce  sont  les  condi- 
tions imposées  par  Ménélik,  qui  aurait,  dit-on,  exigé  plusieurs 
millions.  Les  troupes  italiennes  furent  accompagnées  dans 
leur  retraite  par  le  ras  Makonnen  et  encadrées  pendant  la 
marche  par  les  troupes  abyssines.  En  arrière  s'avançait  le 
le  gros  de  l'armée  du  négus,  manœuvrant  derrière  son  avant- 
garde. 

Le  major  Galliano  rejoignit  le  corps  du  général  Baratieri  à 
Adagamus,  le  30  janvier,  avec  des  troupes  fort  éprouvées  par 
les  fatigues  du  siège,  pendant  que  Ménélik  marchait  sur  Hau- 
sen,  nœud  de  communication  important,  à  40  kilomètres  au 
sud-ouest  d' Adigrat. 

Les  premiers  jours  de  février  sécoulèrent,  des  deux  côtés, 
dans  l'expectative,  les  Italiens  cherchant  à  améliorer  leur 
ravitaillement  et  la  défense  d'une  ligne  d'étapes  longue  de 
180  kilomètres,  entre  Asmara  et  Adigrat.  Ménélik  poussa  ses 
troupes  sur  Adoua  et  s'y  installa,  tandis  qu'en  première  ligne 
les  ras  Makonnen,  Mangacha  et  Aloula  harcelaient  les  Italiens 
et  tâchaient  de  les  attirer  en  dehors  de  leurs  positions. 

Vers  le  milieu  de  février,  Ménélik  ayant  poussé  des  contin- 
gents vers  le  Mareb,  Baratieri  vit  dans  ce  mouvement  une 
menace  pour  sa  ligne  de  retraite  et,  d'Adigrat,  détacha  le 
colonel  Stevani  sur  Maïmerat,  avec  trois  bataillons  et  une 
batterie  (18  février).  Debra-Damo  reçut  aussi  une  garnison. 

Pendant  ce  temps,  les  bandes  indigènes  à  la  solde  de 
l'Italie,  travaillées  par  les  émissaires  de  Ménélik,  firent  brus- 
quement défection  (13  février).  Le  17  février  au  matin,  un 
convoi  italien,  se  retirant  du  Sud-Ouest  sur  Adigrat,  fut 
attaqué  par  les  bandes  du  ras  Sebat  et  du  ras  Agos  Tafari,  qui 


ERYTHRÉE   ET    ETHIOPIE  453 


essayèrent    de    s'emparer    du    col    d'Alequa.    Les    Italiens 
avouèrent  97  morts,  30  blessés  et  40  prisonniers. 

Cette  défection,  peu  importante  par  elle-même,  eut  pour 
effet  de  détacher  des  Italiens  les  populations  encore  indécises 
du  Tigré,  qui  virent  dans  la  trahison  des  deux  ras  le  signe  du 
déclin  de  la  fortune  des  envahisseurs  de  leur  pays. 

Presque  au  même  moment,  un  autre  convoi  était  attaqué  et 
enlevé  entre  Asmara  et  Adigrat,  sur  la  ligne  de  communica- 
tion, trop  longue  pour  être  efficacement  gardée. 

Sur  la  demande  du  général  Baratieri,  secondé  d'ailleurs  par 
l'opinion  publique,  des  renforts  importants  étaient  organisés 
pour  être  expédiés  à  Massaouah.  Quatre  bataillons  étaient 
déjà  partis  de  Naples,  et  suivis,  les  17  et  19  février,  par  six 
autres  bataillons,  deux  batteries,  une  compagnie  du  génie  et 
plusieurs  centaines  de  mulets. 

En  même  temps,  on  se  décidait  à  confier  la  direction  des 
opérations  au  général  Baldissera,  qui  partit  aussitôt  dans  le 
plus  grand  secret.  Les  vides  creusés  dans  l'armée  italienne 
depuis  le  mois  de  décembre  avaient  motivé  le  rappel  sous  les 
drapeaux  de  33.000  hommes  de  la  classe  1875  et  de  25.000 
hommes  de  la  classe  1874,  et  le  départ  du  général  Baldissera 
indiquait,  à  lui  seul,  que  l'envoi  des  renforts  allait  continuer. 
On  décidait,  en  effet,  l'envoi  d'une  division  entière  sous  le 
commandement  du  général  Heusch.  Cette  division,  compre- 
nant 12.000  hommes,  fut  armée  du  nouveau  fusil  à  petit 
calibre.  Avec  les  renforts  accessoires,  elle  devait  porter  à 
50.000  Italiens  le  chiffre  des  troupes  d'Afrique,  non  compris 
les  auxiliaires  indigènes  (1). 

Pendant  ce  temps,  les  manœuvres  de  Ménélik  continuaient 
autour  d' Adigrat  par  un  lent  mouvement  tournant  menaçant 
de  plus  en  plus  la  ligne  d'opérations  italienne.  Le  Mareb  était 
franchi,  et  l'ancien  champ  de  bataille  de  Gundet  occupé,  dès 
le  24  février,  par  les  troupes  de  Mangacha  et  d'Olié.  Le  major 
Ameglio  et  plusieurs  bataillons  étaient  aussitôt  envoyés  vers 


I    Ce  chitïre  no  f^t  jamais  atteint.  Raldissera  n'eut  jamais  plus  de  41.000  Ita 
liens  à  sa  disposition. 


4oi  l'Afrique  politique  en  1900 

Gundet,  où  l'ennemi  se  tint  sur  la  défensive,  tandis  que  les  ras 
Agos  et  Sebat  se  dirigeaient  vers  l'est  et  le  nord  d'Adigrat  et 
tombaient  sur  la  ligne  d'opérations  italienne.  Au  même  in- 
stant, Ménélik  faisait  annoncer  l'envoi  de  10.000  hommes  pour 
occuper  l'Aoussa,  du  côté  d'Assab,  dont  le  gouverneur  deman- 
dait aussitôt  des  renforts. 

Le  25  février,  le  ras  Sebat  livrait  un  combat,  au  nord-est 
d'Adigrat,  au  colonel  Stevani,  qui  dégageait  momentanément 
la  ligne  de  communication.  Au  même  moment,  pour  soutenir 
l'action  des  bataillons  envoyés  vers  le  Mareb,  et  pour  inquiéter 
Ménélik,  Baratieri  faisait  une  démonstration  vers  Adoua  avec 
quatorze  bataillons.  Mais,  après  avoir  constaté  les  fortes  posi- 
tions des  Abyssins,  les  Italiens  rentrèrent  à  Adigrat. 

Toutes  ces  manœuvres  sans  résultat  inquiétaient  de  plus  en 
plus  l'opinion  italienne,  qui  réclamait  des  mesures  énergiques. 
Lors  de  l'embarquement  des  dernières  troupes  de  la  division 
Heusch,  le  29  février,  le  roi  d'Italie  se  rendit  à  Naples  pour 
encourager  les  troupes.  On  avait  déjà  annoncé  le  départ  du 
général  Baldissera  et  fait  prévoir  l'envoi  de  nouveaux  ren- 
forts. Le  roi  était  à  peine  revenu  de  Naples  que  le  télégraphe 
apportait  la  nouvelle  du  désastre  d'Adoua. 

Depuis  la  reddition  de  Makallé,  Baratieri,  comprenant  que 
ses  forces  étaient  insuffisantes  pour  l'offensive,  n'eut  plus 
qu'une  pensée  :  se  faire  attaquer  par  Ménélik  et  se  réserver, 
pour  lui  infliger  une  défaite,  les  avantages  d'une  position 
fortement  organisée.  Aussi,  nous  le  voyons,  pendant  tout  le 
mois  de  février,  manœuvrer  devant  son  adversaire,  qui,  de 
son  côté,  imbu  de  la  même  idée,  cherchait  à  profiter  de  sa 
supériorité  numérique  pour  menacer  les  communications  de 
Baratieri,  l'affamer  et  l'obliger  à  attaquer. 

Ce  fut  cette  dernière  tactique  qui  réussit,  grâce  à  l'avantage 
que  possédait  Ménélik  de  pouvoir  s'approvisionner  plus  faci- 
lement que  son  adversaire  et  surtout  de  pouvoir  attendre. 

Le  26  février,  l'armée  italienne  faisait  des  démonstrations 
entre  Adigrat  et  Adoua;  le  27,  le  général  Baratieri  était  à  Sau- 
ria,  d'où  il  faisait  opérer  une  reconnaissance  offensive.  Le 
colonel  Stevani  surveillait  toujours  la  ligne  de  retraite  vers 


ERYTHRÉE    ET    ETHIOPIE  455 


Debra-Damo.  où  il  avait  battu  la  veille  le  ras  Sobat,  qui  était 
venu  menacer  la  ligne  d'étapes.  Le  major  Ameglio  s'opposait 
vers  Gundet  aux  mouvements  excentriques  des  Choans. 

Pour  intimider  Ménélik,  le  général  Baratieri  fit  incendier  tout 
le  pays.  Mais,  n'ayant  plus  même  six  jours  de  vivres  à  sa  dis- 
position, ne  trouvant  pas  la  sécurité  pour  ses  ravitaillements 
et  ne  comptant  plus  sur  des  renforts,  il  dut,  le  28  février,  se 
décider  soit  à  la  retraite,  soit  à  une  démonstration  offensive 
qui  pût  lui  permettre  de  se  retirer  ensuite  en  conservant 
l'honneur  des  armes. 

Le  28  au  soir,  il  réunit  en  conseil  les  généraux;  tous  se  pro- 
noncèrent contre  la  retraite.  Dans  la  nuit,  le  général  Baratieri 
se  décida  à  l'offensive  et  prépara  son  ordre  de  mouvement  (1). 

Ménélik  était  resté  dans  la  conque  d' Adoua,  tenant  son  armée, 
estimée  par  Baratieri  à  80.000  hommes  au  moins,  sous  la  pro- 
tection d'avant-gardes  placées  sur  les  routes  d'Abba-Garima, 
de  Meriam-Sciavitu  et  de  Darotacle.  C'est  à  ces  avant-gardes 
que  se  heurtèrent  les  Italiens. 

Les  colonnes  italiennes  (le  général  da  Bormida  à  droite,  le 
général  Arimondi  au  centre,  le  général  Albertone  à  gauche,  le 
général  Ellena  en  réserve)  partirent  le  29.  à  9  heures  du  soir. 


(1)  Voici  cet  ordre  de  mouvement,  daté  du  29  février  1S%  : 

«  Ce  soir,  le  corps  d'opérations  marchera  de  Sauria  dans  la  direction  d'Adoua, 
formé  de  la  manière  suivante  : 

»  Colonne  de  droite:  général  da  Bormida.  —  Colonne  du  centre:  général  Ari- 
mondi. —  Colonne  de  gauche  :  général  Albertone.  —  Réserve  :  général  Ellena. 

»  Les  colonnes  da  Bormida,  Arimondi,  Albertone  quitteront  leurs  campements 
à  9  heures  du  soir.  La  réserve  partira  une  heure  après  la  colonne  du  centre. 

»  La  colonne  de  droite  suivra  la  route  du  col  de  Zala,  du  col  Guedam  et  du  col 
Rebbi-Arienne. 

»  La  colonne  du  centre  et  la  réserve  suivront  la  roule  Addi-Dichi,  Gandabta, 
Rebbi-Arienne. 

))  La  colonne  de  gauche,  la  route  de  Sauria,  Addi-Cheras,  Chidane-Maret. 

))  Le  quartier  général  marchera  en  fête  île  la  réserve. 

)i  Objectif  :  la  position  formée  par  les  cols  de  Chidane-.Maret  et  Rebbi-Arienne, 
entre  les  monts  Semaïata  et  le  mont  Esciacio,  laquelle  sera  occupée  par  les  bri- 
gades Arimondi,  Albertone,  da  Bormida. 

»  La  colonne  Arimondi,  si  deux  brigades  sont  suflîsantes,  prendra  position  en 
réserve  derrière  les  deux  autres  brigades.  )> 

Suivent  les  ordres  au  sujet  des  vivres  et  bagages,  qui  doivent  former  une  colonne 
par  Maï-Entiscio.  On  peut  reprocher  à  cet  ordre  de  manquer  de  précision,  de  ne 
pas  prévoir  la  liaison  des  colonnes,  la  coordination  des  mouvements,  les  fronts 


456  l'Afrique  politique  en  1900 

A  6  h.  30  du  matin,  le  général  Albertone,  qui  s'était  impru- 
demment avancé  sur  la  route  d'Abba-Garima,  à  7  kilomètres 
au  delà  du  point  fixé,  sans  se  relier  au  général  Arimondi,  en- 
gagea le  combat.  A  8  h.  30,  il  demandait  des  renforts  au  général 
Baratieri,  qui,  arrivé  au  mont  Raïo,  donna  des  ordres  pour  le 
faire  appuyer  par  la  brigade  da  Bormida.  Cette  brigade  se  laisse 
attirer  dans  une  direction  contraire,  avançant  isolée  pendant 
5  kilomètres. 

Les  brigades  Albertone  et  da  Bormida,  entourées  de  toutes 
parts,  furent  presque  détruites  par  les  attaques  furibondes  des 
Abyssins.  Ceux-ci,  rampant  comme  des  panthères,  se  précipi- 
taient à  l'arme  froide  sur  les  Italiens,  qui  eurent  à  peine  le 
temps  de  se  servir  de  leurs  armes.  Les  fuyards  empêchèrent  le 
tir  de  l'artillerie  et  jetèrent  le  désordre  dans  les  brigades  Ari- 
mondi et  Ellena,  qui  s'avançaient  au  secours  des  deux  autres. 
Dès  9  h.  30  du  matin,  la  déroute  était  complète,  et  la  poursuite, 
énergiquement  menée  par  la  cavalerie  galla,  empêcha  tout 
ralliement.  Baratieri  se  retira  presque  seul  sur  Adi-Caïé,  où 
il  arriva  le  2  mars  à  9  heures  du  matin  après  avoir  parcouru 
120  kilomètres. 


successifs  à  occuper  pendant  la  marche,  les  haltes  aux  cours   d'une  opération 
aussi  difficile  qu'une  marche  de  masse  pendant  la  nuit. 

Les  troupes  dont  disposait  le  général  Baratieri  sont  énumérées  ci-après  : 

Troupe 


Officiers 

ludions 

Indigènes 

Pièces 

8 

1G 

10 

1)  Brigade  da  Bormida  : 

7  bataillons,  4  batteries 

}" 

156 

4.132 

800 

24 

2)  Brigade  Arimondi  : 

5  bataillons  1/2,  2  batteries 

!•■ 

119 

3.576 

500 

1-2 

3)  Brigade  Albertone  : 

4  bataillons,  4  batteries 

!•• 

85 

287 

4.920 

16 

4)  Brigade  Ellena  : 

1  batons,  2  batties  à  tir  rapide 

!•• 

138 

4.220 

1.100 

12 

1  compagnie  du  génie 

4 
510 

180 

» 

» 

Tôt  ai 

12.441 
20.251 

7.330 

64 

On  a  dit  que  Baratieri  avait  déjà  appris  la  nouvelle  de  son  remplacement  et  le  désir 
du  gouvernement  d'obtenir  une  victoire  pour  la  rentrée  du  Parlement  le  3  mars. 


ERYTHRÉE   ET   ETHIOPIE  457 


Les  Italiens  perdirent  10.500  hommes  tués  ou  blessés,  2.000 
prisonniers,  toute  leur  artillerie  et  leurs  bagages.  Leur  armée 
n'existait  plus,  et,  les  jours  suivants,  les  fuyards  qui  avaient 
pu  échapper  à  la  cavalerie  galla  et  aux  gens  du  pays,  arrivèrent 
peu  à  peu  à  Asmara  (1). 

La  colonie  d'Erythrée  était  à  la  discrétion  de  Ménélik,  qui 
dédaigna  de  pousser  ses  succès  plus  avant. 

La  nouvelle  de  la  bataille  d'Adoua,  parvenue  en  Italie,  y 
produisit  une  émotion  indescriptible.  Des  troubles  affectant 
une  forme  subversive  pour  la  monarchie  se  produisirent  dans 
un  grand  nombre  de  villes  du  royaume,  et  M.  Crispi,  sous  la 
pression  de  l'opinion  publique,  dut  démissionner  le  4  mars. 

Après  de  nombreuses  tentatives  pour  former  un  ministère 
suivant  ses  goûts,  le  roi,  malgré  sa  volonté  arrêtée  de  pour- 
suivre la  guerre  et  de  relever,  avec  l'honneur  militaire,  le 
prestige  de  l'armée  italienne,  se  vit  obligé,  devant  les  troubles, 
qui  devenaient,  surtout  à  Milan,  de  plus  en  plus  sérieux,  et 
devant  les  manifestations  de  la  Chambre,  de  cesser  d'écouter 
les  suggestions  de  M.  Crispi  et  de  faire  appel  au  général  Ricotti. 
Celui-ci  se  chargea,  le  9  mars,  de  former  un  cabinet.  La  prési- 
dence en  fut  confiée  au  marquis  di  Rudini,  partisan  bien  connu 
de  la  Triple  alliance,  mais  également  désireux  de  diminuer  les 
dépenses  et  de  modérer  les  ambitions  des  «  africanistes  ». 

On  ne  pouvait  cependant  pas  cesser  les  hostilités  aussitôt 
après  un  désastre.  Des  pourparlers  furent  engagés  avec  l'Alle- 
magne et  l'Autriche  au  sujet  de  la  continuation  de  la  guerre. 
140  millions  furent  votés  par  le  Parlement.  Et  une  impulsion 
plus  vive  fut  donnée  aux  envois  des  renforts,  malgré  les  déser- 
tions nombreuses  qui  dénotaient  le  peu  d'enthousiasme  des 
troupes.  En  même  temps,  des  négociations  étaient  ouvertes 
avec  Ménélik,  auprès  duquel  le  général  Baldissera,  arrivé  à 
Asmara  vers  le  10  mars,  envoya  aussitôt  le  major  Salsa. 


Il)  Le  général  Baratieri  fut  traduit  le  8  juin  devant  un  conseil  de  guerre  sié- 
geant à  Adoua  et  présidé  par  le  lieutenant  général  Delmaino.  Défendu  par  le  capi- 
taine du  génie  Cantoni,  il  fut  seulement  reconnu  coupable  d'avoir  engagé  la 
bataille  du  1er  mars  dans  des  conditions  qui  rendaient  la  défaite  inévitable.  11  fut 
acquitté  le  11  juin.  11  était  plus  à  plaindre  qu'à  blâmer. 


458  l'afrique  politique  ex  1900 

Celui-ci  trouva,  aux  environs  d'Adoua,  le  négus,  qui  s'était 
contenté  de  faire  poursuivre  les  Italiens  par  des  avant-gardes, 
et  de  les  livrer  aux  vengeances  des  gens  du  pays.  Les  Choans 
avaient  poussé  jusque  près  d'Asmara,  sans  essayer  d'entamer 
cette  place,  que  l'on  fortifiait  en  toute  hâte. 

A  peine  arrivé  au  camp  choan,  l'officier  italien  y  assistait  à. 
une  revue  de  80.000  hommes  passée  par  Ménélik,  qui  tint  à  lui 
faire  constater  l'état  de  ses  troupes,  de  son  armement  et  de  ses 
approvisionnements. 

Les  pourparlers,  engagés  à  la  fois  pour  conclure  la  paix  et 
pour  obtenir  la  délivrance  du  major  Prestinari,  qui  après  la 
bataille  d'Adoua  s'était  laissé  enfermer  avec  un  millier  d'hom- 
mes et  300  malades  dans  Adigrat,  parurent  tout  d'abord  faire 
des  progrès  rapides.  Ménélik  acceptait,  contre  la  renonciation 
des  Italiens  au  traité  d'Ucciali,  de  reconnaître  leur  domination 
jusqu'au  Mareb.  Mais,  devant  les  nouvelles  exigences  des  Ita- 
liens, qui  voulaient  constituer  le  Tigré  en  royaume  indépendant 
sous  un  roi  désigné  par  eux,  les  négociations  furent  rompues 
vers  le  20  mars,  et  le  général  Baklissera  dut  alors  s'occuper  de 
rechercher  les  moyens  de  délivrer  Prestinari. 

Dès  son  arrivée  à  Massaouah,  le  général  Baldissera,  dans 
l'attente  d'une  offensive  menée  à  fond  de  la  part  des  Choans, 
avait  pris  toutes  les  mesures  pour  organiser  la  défense  de  la 
place  en  y  faisant  même  concourir  le  feu  des  navires  de  guerre 
ancrés  dans  la  rade.  En  même  temps,  il  donnait  l'ordre  de 
concentrer  les  restes  de  l'armée  à  Asmara;  puis,  devant  l'inac- 
tion de  Ménélik,  il  se  rendit  dans  cette  dernière  place  et  recon- 
stitua les  restes  épars  de  l'armée  du  général  Baratieri,  avec 
lesquels  il  put  reformer  six  bataillons  indigènes  et  quelques 
bataillons  italiens.  Enfin,  il  prit  ses  mesures  pour  tâcher  de 
secourir  Kassala,  menacé  par  les  Derviches,  et  de  délivrer 
Adigrat,  étroitement  investi  par  les  Abyssins. 

Le  17  février,  la  division  du  général  Heusch,  récemment 
débarquée  à  Massaouah,  et  comprenant  environ  12.000  hom- 
mes, venait  renforcer  les  troupes  d'Asmara.  Le  général  Baldis- 
sera disposait  alors  son  armée  de  manière  à  protéger  Mas- 
saouah en  prenant  Asmara  pour  pivot  de  son  aile  droite. 


ERYTHRÉE   ET    ETHIOPIE  459 


D'Asmara,  une  croupe  montagneuse  descend  vers  Arkiko, 
sur  la  mer  Rouge.  Le  général  Balclissera  s'en  servit  pour  y 
organiser  une  longue  position  défensive,  sur  laquelle  il  plaça  : 
une  division  à  Asmara,  une  brigade  à  Ghinda  et  une  brigade 
à  Saati.  Arkiko  était  le  point  d'appui  de  gauche  de  cette  ligne, 
qui  n'avait  pas  moins  de  87  kilomètres  de  long. 

Le  mois  de  mars  s'écoula  ainsi,  et  Ménélik,  jugeant  inutile  de 
profiter  de  ses  succès,  fit  annoncer  au  contraire  son  intention 
de  retourner  dans  le  Choa  pour  y  passer  la  saison  des  pluies. 

Pendant  ce  temps,  la  diplomatie  ne  restait  pas  inactive  en 
Europe.  Les  nouvellistes  n'hésitèrent  pas  à  attribuer  à  l'em- 
pereur d'Allemagne  une  démarche  tentée  auprès  de  l'Angle- 
terre pour  inviter  cette  puissance  à  agir  au  Soudan  en  faveur 
des  Italiens.  L'Angleterre  aurait  saisi,  dit-on,  avec  empresse- 
ment cette  occasion  de  rallier  l'Ai  lemagne  à  sa  politique  égyp- 
tienne, et  l'on  chercha  à  voir  dans  ces  faits  l'explication  de  la 
décision  brusquement  prise,  le  13  mars,  d'entamer  une  cam- 
pagne contre  les  Derviches.  En  môme  temps,  on  annonçait 
l'envoi  du  colonel  anglais  Slade  à  Massaouah  et  à  Kassala, 
pour  y  préparer,  disait-on,  entre  ces  deux  points,  la  construc- 
tion d'un  chemin  de  fer  dont  on  estimait  déjà  les  dépenses  à 
125  millions. 

Cependant,  le  général  Baldissera,  inquiet  sur  le  sort  d'Adi- 
grat,  dont  les  vivres  commençaient  à  s'épuiser,  rassemblait  à 
Asmara  environ  20.000  hommes  et  entamait  vers  le  Nord  la 
marche  qui  devait  le  rapprocher  du  major  Prestinari  (1).  Cette 
marche,  menée  avec  lenteur  et  prudence,  commença  après 
qu'on  eut  appris  que  Ménélik  avait  décidé  son  retour  au  Choa. 
Laissant  devant  les  Italiens  le  ras  Mangacha  et  le  ras  Aloula 
avec  les  bandes  des  ras  Agos  et  Sebat,  environ  40.000  hom- 
mes, il  se  dirigea  sur  Makallé,  où  il  séjourna  pendant  les  pre- 


(l)Verslel5avrillesforcesitaliennessecomposaienl  deiO.i'OO hommes, dont  10.000 
indigènes,  et  38  pièces  avec  9.300  chameaux  et  mulets.  Elles  étaient  réparties  entre 
les  deux  divisions  Del-Maïno  et  Hcuscli,qui  comprenaient  ensemble  cinq  hrigadesà 
deux  régiments,  uncbrigade  à  trois  régiments  et  les  bandes  indigènes  du  lieutenant- 
colonel  Capelli.  Le  régiment  alpin  comptait  quatre  bataillons,  les  autres  régiments 
trois  bataillons. 


460  l'afriqie  politique  en  1900 

miers  jours  d'avril.  De  là  il  reprit,  précédé  par  les  prisonniers 
italiens  d'Adoua,  le  chemin  du  Choa. 

.  Le  général  Baldissera,  tout  en  entamant,  pour  éviter  une 
bataille,  des  négociations  avec  le  ras  Mangacha,  occupa,  pen- 
dant les  premiers  jours  d'avril,  la  ligne  Goura-Saganéiti- 
Houlat.  Plus  tard,  il  organisa  un  camp  retranché  à  Senafé,  au 
moment  où  les  Abyssins  se  trouvaient  à  Debra-Damo.  Enfin, 
il  poussa  ses  forces  sur  Adi-Caïé,  et  delà  il  marcha  sur  Adigrat 
en  trois  colonnes. 

La  colonne  principale  suivait  la  route  d'Adi-Caïé  sur  Adigrat, 
flanquée  sur  sa  droite  par  les  contingents  indigènes  du  lieute- 
nant-colonel Capelli.  Plus  à  l'est,  le  régiment  Paganini  était 
poussé  d'Adi-Ugri  sur  Adoua  pour  y  attirer  le  ras  Aloula. 

Le  2  mai,  l'avant-garde,  commandée  par  le  colonel  Stevani, 
a  une  légère  escarmouche,  à  Gunaguna,  avec  les  bandes  des 
ras  Agos  et  Sebat.  Elle  est  renforcée  et  continue  sa  marche,  le 
3,  sans  incident.  Le  4  mai,  les  Italiens  arrivent  à  Chersaber,  à 
une  heure  d' Adigrat  et,  sans  pousser  plus  loin,  peuvent  com- 
muniquer sans  interruption  avec  la  place. 

Les  Abyssins  s'étaient  retirés  sans  combat  au  sud  d'Adigrat, 
les  négociations  continuant  constamment  avec  eux.  Le  détail 
de  ces  négociations  n'a  pas  été  connu;  elles  se  prolongèrent, 
au  sujet  des  prisonniers  italiens,  pendant  toute  la  première 
quinzaine  de  mai.  Enfin,  le  18  mai,  Adigrat  fut  évacué,  le 
matériel  détruit,  et  Baldissera  reprenait  le  chemin  de  Sénafé, 
où  il  arrivait  le  1er  juin.  De  là,  il  rentrait  à  Massaouah,  où  déjà 
des  mesures  étaient  prises  pour  rapatrier  le  corps  expédition- 
naire, fort  éprouvé  par  les  maladies.  La  colonie  était  laissée 
presque  entièrement  à  la  garde  des  troupes  indigènes  (1). 


(1)  Vers  le  milieu  de  juin,  les  troupes  d'occupation  indigènes  étaient  réparties 
entre  Adi-Caié  (un  bataillon),  Adi-Ugri  (un  bataillon),  Asmara  (un  bataillon),  Kas- 
sala  (un  bataillon),  Keren  (deux  bataillons),  Arkiko  (un  bataillon). 

Les  bataillons  indigènes  sont  de  quatre  compagnies  de  300  hommes,  chaque 
compagnie  divisée  en  trois  centuries  commandées  par  des  lieutenants. 

A  ces  troupes,  il  faut  ajouter:  trois  bataillons  italiens  (Massaouah-Saganeiti,  etc.), 
un  escadron  italien  (Keren),  une  batterie  indigène  (Keren),  deux  batteries  italiennes 
(Annaria  et  Adi-Caié),  une  compagnie  de  canonniers  (Asmara),  trois  compagnies 
du  génie  (Keren.  Asmara,  Adi-Caié),  et  une  compagnie  du  train  (Asmara). 


ERYTHRÉE    ET    ETHIOPIE  461 


Du  côté  de  Kassala,  les  Derviches  avaient,  déjà  avant  la 
bataille  d'Adoua,  inspiré  des  craintes  au  général  Baratieri. 
Celui-ci  avait  envoyé  de  Keren  une  petite  colonne  au  secours 
du  major  Hidalgo,  qui  défendait  la  place  avec  2.000  hommes. 
L'arrivée  de  ce  renfort  n* avait  pas  empêché  les  Derviches  de 
tourner  Kassala  par  l'est,  d'attaquer  Sabderat  le  8  mars,  et  de 
renouveler  leurs  attaques,  les  18  et  19  mars,  avec  3.000  hommes 
environ.  La  place  manquait  de  vivres.  Le  colonel  Stevani  fut 
alors  détaché  sur  Agordat  avec  une  forte  colonne  et  chargé 
d'escorter  une  caravane  de  ravitaillement  qu'il  fit  entrer  à 
Kassala  à  la  fin  de  mars. 

Le  2  avril  au  matin,  les  Derviches,  au  nombre  de  5.000, 
attaquaient  un  bataillon  laissé  à  Sabderat.  Le  colonel  Stevani 
accourut  avec  2.500  hommes  et  quatre  pièces  et  rejeta  l'en- 
nemi sur  Tucruf  en  lui  tuant  800  hommes,  mais  en  perdant 
lui-même  300  tués  ou  blessés. 

Le  3  avril,  les  Italiens  renouvelaient  l'attaque  sur  Tucruf, 
sans  parvenir  à  déloger  les  Derviches  de  leurs  positions.  Le 
colonel  Stevani  informa  le  général  Baldissera  de  son  intention 
de  renouveler  l'attaque  le  lendemain.  Mais  celui-ci,  voulant 
se  tenir  à  Kassala  sur  la  défensive,  rappela  le  colonel  Stevani 
et  ses  troupes  à  Agordat.  Les  Derviches,  de  leur  côté,  crai- 
gnant une  nouvelle  attaque,  se  retirèrent  sur  Osobri,  renon- 
çant momentanément  à  toute  offensive  sur  Kassala. 

Les  événements  que  l'on  a  brièvement  exposés,  comme  les 
faits  antérieurs,  comme  l'histoire  tout  entière  de  l'Abyssinie, 
sont  là  pour  démontrer  que  l'Ethiopie  est  un  pays  que  l'Italie 
ne  peut  vaincre  ou  assimiler  qu'au  prix  d'efforts  excessifs  et 
au  grand  détriment  de  sa  puissance  en  Europe. 

C'est,  en  effet,  ce  qu'ont  déclaré,  à  de  nombreuses  reprises, 
ceux  des  hommes  politiques  italiens  qui  ont  pu,  sans  parti 
pris,  se  faire  une  opinion  sur  cette  grave  question.  La  poli- 
tique coloniale  italienne  a,  d'ailleurs,  toujours  été  beaucoup 
plus  une  question  dynastique  et  militaire  qu'une  question 
ministérielle  ou  nationale.  De  tous  les  premiers  ministres  qui 
se  sont  succédé  au  pouvoir,  qu'ils  se  soient  appelés  Rudini, 


462  l'afrique  politique  ex  1900 

Cavallotti,  Giolitti,  Brin,  Cairoli,  Zanardelli  ou  Baccarini,  aucun 
n'a  jamais  voulu  prendre  la  responsabilité  de  cette  politique. 
M.  Crispi  lui-même  a  renié  l'occupation  de  Massaouah  et  la 
désignation  du  général  Baratieri  comme  gouverneur  de  l'Ery- 
thrée. Par  contre,  aucun  ministre  n'a  eu  le  courage  de  deman- 
der l'abandon  de  la  politique  coloniale.  C'est  aussi  un  fait 
reconnu  que  le  Midi  de  l'Italie,  contrairement  à  ce  qu'on 
pense  dans  le  Nord,  a  toujours  été  seul  partisan  de  l'expédi- 
tion africaine. 

Le  Nord  de  l'Italie  plus  cultivé,  plus  riche,  dit  M.  Colajanni, 
ayant  un  développement  industriel  plus  considérable,  a  une  grande 
aversion  pour  le  militarisme  et  pour  la  politique  coloniale.  Le 
Midi,  avec  sa  misère  économique  et  intellectuelle,  avec  des  traces  per- 
sistantes et  considérables  du  régime  féodal  dans  l'organisation  de 
la  propriété  foncière  et  son  influence  sociale  des  classes  diri- 
geantes, est  au  contraire  plus  militariste  et  africaniste.  Au  Nord, 
les  idées  républicaines  et  socialistes  font  des  progrès  rapides;  au 
Sud,  réside  la  force  de  la  maison  de  Savoie,  qui,  heureusement, 
n'exploite  pas  cet  état  de  choses.  Cette  différence  dans  l'évolution 
sociale  des  diverses  régions  de  l'Italie  explique  pourquoi  dans  le 
Midi  les  antipathies  contre  la  France  sont  plus  marquées  que  dans 
le  Nord,  bien  que  ce  dernier  ait  le  plus  souffert  de  la  rupture  des 
relations  commerciales  franco-italiennes.  Ce  fait  explique  aussi  le 
phénomène  Crispi,  ce  chancre  rongeur  de  l'Italie  contemporaine  qui 
puise  ses  forces  dans  le  Midi. 

Telles  sont,  brièvement  énumérées,  les  causes  de  la  conti- 
nuation de  la  politique  africaniste. 

Son  principe  se  trouve  dans  le  désir  légitime  de  l'Italie  de 
se  montrer  une  grande  nation,  et  aussi,  on  l'a  déjà  dit,  dans 
l'impulsion  donnée  par  l'Angleterre  aux  espérances  ita- 
liennes (1). 


(1)  A  titre  documentaire,  il  n'est  pas  inutile  de  reproduire,  pour  fixer  certaines 
causes  particulières  du  désastre  d'Adoua,  les  passages  suivants  d'un  discours 
adressé  par  le  général  Pedotti,  commandant  la  plus  haute  école  militaire  de 
l'Italie,  aux  officiers  de  cette  école,  au  mois  d'août  1896  : 

«  L'année  a  été  attristée  par  de  si  douloureux  événements,  là-bas,  en  Afrique, 
que  le  cœur  de  tout  citoyen  et  de  tout  soldat  italien  en  a  saigné,  en  saigne  encore. 
L'Italie  tout  entière  en  fut  angoissée  et  profondément  remuée.  L'armée  fut  frappée 
en  pleine  poitrine.  Xous  eûmes  a  la  fin  la  consolation  d'apprendre  que,  au  bout 


ERYTHRÉE   ET    ÉTB]0P1E  463 


Il  n'y  avait  plus,  pour  les  Italiens,  qua  essayer  de  sauver 
par  la  diplomatie  les  débris  de  leur  colonie.  La  question  du 
protectorat  sur  l'Abyssinie  était,  par  la  force  des  choses, 
abandonnée.  Il  ne  restait  plus  qu'à  obtenir  l'élargissement  des 
2.300  prisonniers  conservés  par  Ménélik,  et  un  traité  délimi- 
tant, au  mieux  des  intérêts  de  l'Italie,  le  territoire  de  l'Ery- 
thrée. 

Le  pape  Léon  XIII  s'entremit  pour  obtenir  la  libération  des 
prisonniers.  Il  demanda  à  Ménélik,  par  une  lettre  du  11  juin, 
portée  au  Ghoa  par  M»r  Macaire,  de  rendre  la  liberté  aux  Ita- 
liens qu'il  retenait  encore.  Ménélik,  par  une  lettre  digne  et 
respectueuse  remise  le  1er  octobre  à  M§r  Macaire,  refusa  a  de 
sacrifier  une  seule  garantie  de  la  paix  qui  se  trouvait  entre 
ses  mains  ».  Ce  refus  était  motivé  par  l'attitude  imprévue  du 
gouvernement  italien,  qui,  après  avoir  déclaré,  au  mois  de 
juin,  la  cessation  de  l'état  de  guerre,  avait  fait  saisir  et  con- 


du  compte,  nos  soldats  et  nos  officiers  s'étaient  valeureusement  battus  et  avaient 
su  mourir  héroïquement. 

»  Mais  qui  en  doutait?  N'en  a-t-il  pas  toujours  été  ainsi?  Et  pourtant  la  victoire 
n'a  pas  été  pour  nous...  pas  même  cette  fois-ci,  alors  que  nous  en  avions  tant 
besoin,  qu'elle  nous  était  si  nécessaire  pour  notre  prestige  et  notre  renom. 

»  Laissons  à  d'autres,  et  fasse  le  Ciel  qu'ils  soient  peu,  les  doutes,  les  inquié- 
tudes, les  énervements.  Nous,  soldats,  gardons-nous  de  céder  à  aucune  espèce  de 
scepticisme  et  de  défiance. 

»  Mais,  si  c'est  là,  d'un  côté,  pour  nous,  un  devoir  imprescriptible  et  sacré,  il  est 
aussi  de  notre  devoir  d'examiner,  d'étudier,  maintenant  que  l'ouragan  est  passé, 
de  scruter  avec  calme  et  sérénité  d'esprit,  avec  impartialité  de  jugement  quelles 
sont  les  causes  véritables,  les  causes  réelles  de  ces  malheureux  événements;  il 
est  de  notre  devoir  d'en  tirer  tous  les  enseignements  dont,  hélas!  ils  sont  féconds. 

«  Eh  bien,  en  faisant  cet  examen,  on  voit  avec  une  douleur,  grande  certes,  que, 
parmi  ces  causes  multiples,  il  en  est  une  qui  prime  les  autres  :  c'est  justement  le 
manque  de  discipline  dans  les  esprits  et  les  c<mrs. 

»  En  vérité,  nous  n'avons  pas  prouvé,  là-bas,  en  Afrique,  qui'  nous  possédons 
cette  discipline,  que  nous  la  possédions  autant  qu'il  faudrait. 

«  A  la  place  de  cette  qualité  —  je  voudrais  me  tromper!  Combien  je  le  vou- 
drais! —  à  sa  place,  nous  possédons  des  éléments  funestes  de  désunion,  un  indi- 
vidualisme exubérant,  une  tendance  a  faire  chacun  ce  qu'il  veut  et  à  dépasser  les 
autres,  à  tout  tirer  à  soi,  à  accaparer  tout  le  mérite,  toute  la  gloire.  Funeste 
aveuglement  d'esprit,  produit  par  une  confiance  excessive  et  injustifiée  en  soi- 
même  peut  être,  mais  aussi  certainement  produit  par  un  sentiment  qui  n'a  rien 
de  beau,  qui  est  l'opposé  de  l'altruisme  et  du  désintéressement  qui  doit  constituer 
essentiellement -la  vie  militaire.  » 

Ce  sont  de  belles  et  nobles  paroles,  à  méditer  dans  tous  les  pays. 


464  l'afriqle  politique  en  1900 

duire  à  Massaouah,  au  commencement  d'août,  le  Doelwyk, 
navire  hollandais  qui  portait  50.000  fusils  à  Ménélik. 

Les  négociations  pour  la  paix  avaient  été  entamées  aussitôt 
après  la  bataille  d'Adoua,  par  le  major  Salsa;  elles  s'étaient 
continuées,  par  l'intermédiaire  de  M.  Ilg,  et  n'avaient  donné 
aucun  résultat  au  mois  de  septembre.  A  ce  moment,  l'opinion 
publique  italienne,  émue  par  les  bruits  de  reprise  de  la  guerre 
et  de  concentration  de  troupes  abyssines,  obtint  le  départ,  en 
qualité  de  négociateur,  du  major  Nerazzini. 

La  colonie,  malgré  des  réductions  d'effectifs,  se  trouvait 
alors  à  l'abri  d'un  coup  de  main.  Des  fortifications  avaient  été 
élevées  sur  la  ligne  du  Mareb  et  10  millions  alloués  pour  les 
construire.  Des  voies  de  communication  avaient  été  créées  : 
la  route  d'Asmara  à  Keren  avait  été  rendue  carrossable,  celle 
de  Massaouah  à  Arkiko  avait  été  améliorée  et  prolongée  jus- 
qu'à Zoula.  On  avait  aussi  étudié  le  prolongement  du  chemin 
de  fer  de  Saati  sur  Asmara  et  la  construction  de  la  ligne  de 
Massaouah  à  Keren. 

Les  négociations  avec  Ménélik  aboutirent  au  traité  signé  le 
26  octobre  à  Addis-Ababa.  Voici  le  texte  du  télégramme  adressé 
par  le  major  Nerazzini  à  son  gouvernement  et  reçu  à  Rome, 
via  Zeïla,  le  15  novembre  : 

Addis-Ababa,  26  octobre. 


J'ai  signé  aujourd'hui  le  traité  de  paix  et  une  convention  pour  la 
libération  des  prisonniers. 

La  cérémonie  a  été  solennelle. 

Le  traité  de  paix  commence  par  la  formule  générale  exprimant 
le  désir  de  rétablir  l'ancienne  amitié. 

Suivent  les  articles  : 

Article  premier.  —  Cessation  de  l'état  de  guerre.  Il  existera 
entre  les  deux  pays  une  amitié  et  une  paix  perpétuelles. 

Art.  2.  —  Le  traité  d'Ucciali  est  aboli. 

Art.  3.  —  L'indépendance  absolue  de  l'Ethiopie  est  reconnue. 

Art.  4.  —  Les  parties  contractantes  n'étant  pas  d'accord  sur  la 
délimitation  définitive  des  frontières,  et  étant  désireuses  de  ne  pas 
interrompre  pour  cette  divergence  les  négociations  de  paix,  il  reste 


ERYTHRÉE   ET    ETHIOPIE  46.!> 


convenu  que,  dans  le  délai  d'un  an  depuis  la  date  du  traité,  des 
délégués  spéciaux  des  deux  gouvernements  fixeront  la  frontière 
d'un  commun  accord.  En  attendant,  le  statu  quo  ante  sera  respecté 
et  la  frontière  sera  Mareb-Belesa-Muna. 

Art.  5.  — Jusqu'à  délimitation  définitive  de  la  frontière,  legouver- 
ment  italien  s'engage  à  ne  pas  céder  de  territoire  à  une  autre  puis- 
sance, et,  s'il  voulait  abandonner  spontanément  une  portion  quel- 
conque du  territoire,  celle-ci  rentrerait  sous  la  domination  de 
l'Ethiopie. 

Art.  6.  —  Pour  favoriser  les  rapports  commerciaux  et  industriels, 
un  accord  ultérieur  pourra  être  conclu. 

Art.  7.  —  Le  présent  traité  sera  communiqué  aux  puissances  par 
les  parties  contractantes. 

Art.  8.  —  Le  traité  sera  ratitié  dans  le  délai  d'un  mois  depuis  la 
date  de  la  convention. 

Pour  la  libération  des  prisonniers,  le  traité  stipule  : 

Les  prisonniers  sont  déclarés  libres.  Ménélik  les  renverra  tous 
du  Harrar  pour  les  faire  partir  pour  Zeïla  aussitôt  la  ratification  du 
traité  reçue  par  télégramme. 

La  Croix-Rouge  italienne  pourra  envoyer  sa  section  jusqu'à  Gil- 
dessa  (Djaldessa),  pour  aller  à  la  rencontre  des  prisonniers. 

Le  plénipotentiaire  italien  ayant  spontanément  reconnu  les  fortes 
dépenses  faites  par  le  gouvernement  éthiopien  pour  l'entretien  et 
la  concentration  des  prisonniers,  il  est  convenu  que  le  rembourse- 
ment en  est  dû  au  gouvernement  abyssin. 

L'empereur  déclare  qu'il  n'en  établit  pas  la  somme,  s'en  re- 
mettant entièrement  à  l'équité  du  gouvernement  italien. 

En  marne  temps,  Ménélik  prescrivait  de  diriger  vers  la  côte 
les  prisonniers  italiens,  qui  arrivèrent  à  Harrar  au  commen- 
cement de  décembre  1896  et  furent,  de  là,  rapatriés  par  la  voie 
de  Zeïla. 

Dans  la  séance  du  15  mai  1897,  M.  di  Etudiai,  président  du 
Conseil,  demandant  à  la  Chambre  italienne  un  crédit  de 
19  millions  pour  l'Erythrée  (exercice  1897-189N).  posait  les 
conditions  auxquelles  la  politique  italienne  s'est  à  peu  près 
conformée  depuis  lors  dans  ces  régions. 

Après  avoir  rappelé  le  passé,  déclaré  que  l'Italie  se  refusait 
à  l'abandon  de  Massaouah,  il  évaluait  à  deux  corps  d'armée  et 
à  80  millions  les  ressources  nécessaires  pour  attaquer  le 
Choa.  Et  il  terminait  en  déclarant  qu'il  y  avait  lieu  : 

Air.  polit.  30 


406  i/ AFRIQUE    POLITIQUE    EN    1900 

1°  De  réduire  au  minimum  les  effectifs  d'occupation,  en 
limitant  celle-ci  à  Massaouah,  s'il  était  possible; 

2°  De  ne  céder  aucun  des  territoires  italiens,  et  de  placer  le 
pays  sous  l'autorité  de  chefs  indigènes; 

3°  De  faire  cesser  le  plus  tôt  possible  l'occupation  provi- 
soire de  Kassala  en  rétrocédant  cette  place  à  l'Egypte  ; 

4°  De  résoudre  avec  Ménélik  la  question  des  frontières. 

Les  divers  points  de  ce  programme  ont  été  réalisés  ou  sont 
sur  le  point  de  l'être.  La  réduction  des  effectifs  a  permis  de 
procéder  à  des  économies  sensibles.  Le  commerce  a  repris  et 
s'est  élevé  en  1897  à  9.500.000  francs  aux  importations,  dont 
1.900.000  francs  pour  les  produits  italiens,  et  à  1.980.000  francs 
aux  exportations.  Le  budget  de  la  colonie  pour  l'exercice  1899- 
1900  a  été  fixé  à  10.587.000  francs,  dont  8.130.800  francs  à  la 
charge  de  l'Italie. 

La  colonie  a  été  divisée  en  cinq  zones  :  1°  le  Samhar  (avec 
Assab  et  les  côtes);  2°  l'Oculé-Cusaï ;  3°  Saganeiti-Gura; 
4°  Seraé-Hamasen;  5°  Keren. 

La  question  de  Kassala,  négociée  avec  l'Angleterre,  a  donné 
lieu  à  un  arrangement  suivi  d'une  rétrocession  effectuée  à  la 
fin  de  1897. 

Quant  à  la  question  de  frontières,  il  y  a  lieu  de  prévoir  que, 
à  moins  d'exigences  exagérées, de  la  part  de  l'Italie,  elle  ne 
rencontrera  pas  d'obstacles  du  côté  du  négus. 

Ménélik  a  continué,  depuis  la  guerre  d'Erythrée,  à  déve- 
lopper pacifiquement  son  empire. 

Après  avoir  repris  la  plénitude  de  ses  droits  de  souveraineté 
à  l'égard  de  l'Italie  et  de  l'Europe,  il  a  placé  l'Angleterre  en 
face  d'une  situation  nouvelle  résultant  de  la  suppression 
même  du  protectorat  italien  déjà  reconnu  par  cette  puissance. 
C'est  ce  qui  a  motivé  l'envoi,  au  printemps  de  1897,  d'une 
mission  anglaise  placée  sous  la  direction  de  M.  Rennel  Rodd, 
secrétaire  à  l'agence  britannique  du  Caire.  A  M.  Rodd  étaient 
attachés  plusieurs  officiers  destinés  par  leur  haute  stature  à 
donner  à  Ménélik  une  haute  idée  de  la  nation  anglaise.  Une 


ERYTHRÉE   ET    ETHIOPIE  467 


parait  pas  que  ce  procédé  diplomatique  ait  beaucoup  influencé 
le  roi  des  rois  d'Ethiopie. 

Sa  réponse  aux  demandes  anglaises  fut  un  chef-d'œuvre  de 
diplomatie  qui  condense  ses  réclamations  et  pose  les  bases  de 
ses  prétentions  sur  les  territoires  voisins  de  son  empire. 

Après  avoir  apprécié  à  sa  valeur  la  démarche  de  l'Angle- 
terre, Ménélik  déclarait  qu'il  connaissait  l'histoire  de  son  pays 
et  qu'il  acceptait  d'oublier  le  passé  et  de  nouer  des  relations 
d'amitié  et  de  commerce  avec  les  Anglais.  Il  proposait  ensuite 
de  délimiter  les  frontières  anglaises  vers  le  Harrar  et  l'Ogaden 
sur  la  base,  admise  par  l'Italie  et  la  France,  d'une  bande  de 
-50  à  60  kilomètres  à  laisser  à  l'Angleterre. 

Quant  à  la  délimitation  des  frontières  sur  les  autres  points, 
Ménélik  déclarait  qu'elle  lui  paraissait  difficile. 

Au  nord-est,  l'Erythrée  italienne  n'était  pas  délimitée,  et, 
■d'après  le  traité  du  26  octobre  1896,  conclu  avec  l'Italie,  cette 
puissance  devait  restituer  à  l'Ethiopie  tout  ce  qu'elle  abandon- 
nerait de  ses  territoires,  y  compris  Kassala.  Il  ne  pouvait  donc 
ouvrir  de  négociations  à  ce  sujet  avec  les  Anglais. 

D'ailleurs,  le  roi  Jean,  son  prédécesseur,  avait  conclu,  le 
3  juin  1884,  avec  l'Egypte,  et  en  présence  d'un  délégué 
anglais,  l'amiral  Hevvett,  un  traité  qu'il  ne  demandait  qu'à 
observer,  si  l'Italie,  l'Angleterre  et  le  Khédive  l'observaient  de 
leur  côté.  Or,  disait  Ménélik,  l'Italie  a  fait  connaître  son  inten- 
tion de  remettre  Kassala  à  l'Egypte.  Le  roi  des  rois  ajoutait 
qu'il  n'y  avait  plus  lieu  de  conclure  des  traités  que  l'on  n'ob- 
servait pas  et  qu'il  désirait,  à  l'avenir,  ne  plus  en  conclure 
avec  l'Angleterre  seule,  mais  à  la  fois  avec  ses  autres  voisins, 
l'Egypte,  l'Italie  et  la  France,  et  leur  donner  la  sanction  de  tous 
les  États  intéressés  aux  choses  de  l'Afrique. 

Ménélik  constatait  ensuite  que  l'Angleterre  avait  abandonné 
à  l'Italie,  par  des  traités  successifs,  outre  le  protectorat  de 
l'Ethiopie,  des  territoires  lui  appartenant  dans  les  pays  des 
Somalis  et  du  Nil  Bleu,  qu'elle  avait  donné  Kassala  à  l'Italie, 
bien  que  cette  ville  appartint  à  l'Ethiopie  et  qu'après  avoir 
convenu  avec  la  France  de  neutraliser  le  Harrar  elle  l'avait 
abandonné  ensuite  à  l'Italie. 


468  l'afrique  politique  ex  1900 

Tous  ces  traités,  qui,  pour  le  roi  des  rois,  n'ont  jamais  existé, 
ont  été  supprimés  par  celui  du  26  octobre  1896  signé  par 
l'Italie.  A  l'avenir,  il  n'en  conclura  plus  qui  ne  soient  soumis 
à  la  sanction  des  trois  puissances  citées  plus  haut  et  aussi  de 
l'Allemagne  et  de  la  Russie.  Il  est  nécessaire  que  les  six  grandes 
puissances  définissent  les  limites  de  l'Ethiopie  et  du  Soudan, 
qui,  appartenant  à  l'Egypte,  fait  partie  de  l'empire  ottoman, 
dont  l'intégrité  est  la  base  du  concert  européen.  Quant  à  ses 
prétentions  du  côté  du  Soudan  égyptien,  Ménélik  s'en  réfère  à 
ses  déclarations  antérieures. 

Cette  réponse  faisait  le  procès  de  la  politique  anglaise  dans 
ces  régions  et  mettait  au  point  la  situation  de  l'Ethiopie  vis 
à  vis  de  l'Angleterre.  Elle  ne  fut  pas,  comme  on  le  devine, 
du  goût  des  journaux  anglais. 

Après  quelques  négociations,  Ménélik  accorda  à  M.  Rennel 
Rodd  les  deux  premières  concessions  visées  dans  sa  réponse, 
la  délimitation  du  Harrar,  ainsi  qu'un  traité  de  commerce  et 
d'amitié  en  six  articles,  dans  lequel  les  conditions  suivantes 
étaient  stipulées  :  les  routes  seraient  ouvertes  au  commerce, 
et  les  sujets  anglais  recevraient,  en  matière  d'impôts,  les  avan- 
tages accordés  aux  autres  étrangers;  le  matériel  destiné  à 
l'État  éthiopien  devrait  passer  par  Zeïla  en  franchise;  enfin, 
Ménélik  s'engageait  à  ne  pas  tolérer  sur  son  territoire  le  pas- 
sage des  armes  destinées  aux  Derviches,  qu'il  considérait 
comme  ses  ennemis. 

Les  Anglais  durent  se  contenter  de  ces  conditions  et  re- 
mettre à  des  temps  meilleurs  l'occasion  d'obtenir  de  plus 
grands  avantages. 

Ménélik  a  toujours  paru  avoir,  en  effet,  la  préoccupation  de 
bien  déterminer  ses  frontières.  Depuis  des  siècles,  les  souve- 
rains d'Ethiopie  ont  revendiqué  les  territoires  s'étendant  à 
l'est  du  Nil  Blanc,  depuis  la  Nubie  au  nord  jusqu'aux  limites 
actuelles  de  l'Est  africain  anglais.  On  retrouve  dans  l'histoire 
plusieurs  traces  de  ces  revendications  et  des  prises  de  pos- 
session qui  en  furent  la  conséquence.  On  a  dit  à  ce  sujet  qu'une 
île  située  au  confluent  du  Sobat  et  du  Nil  portait  le  nom  arabe 


ERYTHRÉE    ET    ETHIOPIE  469 


de  Djzeiret-el-Habech,  l'île  des  Abyssins.  On  a  parlé  aussi  du 
souvenir  des  luttes  entre  Abyssins  et  musulmans  et  rappelé 
l'idée  des  souverains  éthiopiens,  renouvelée  de  desseins  remon- 
tant, dit-on,  à  la  plus  haute  antiquité,  de  détourner  le  cours 
du  Nil  dans  le  but  d'affamer  les  musulmans  d'Egypte. 

C'est  afin  de  procéder  à  l'occupation  effective  des  territoires 
revendiqués  par  l'Ethiopie  que  Ménélik  a  envoyé  ses  lieu- 
tenants rayonner  autour  du  massif  abyssin.  Des  expéditions 
ont  été  lancées  au  nord-ouest  vers  les  Beni-Chougoul  entre 
les  deux  Nils,  à  l'ouest  sur  le  Sobat,  au  sud  chez  les  Gallas- 
Boranas,  près  du  lac  Rudolph,  qui  se  sont  soumis,  et  enfin 
dans  l'Ogaden,  où,  après  un  échec  subi  en  mars  1897,  la  domi- 
nation éthiopienne  fit  de  nouveaux  progrès. 

Vers  le  Sobat,  le  degamatch  Demassie,  accompagné  par 
quelque  dix  mille  hommes,  a  relevé  le  drapeau  abyssin.  Du 
côté  du  lac  Rudolph,  M.  de  Léontieff,  nommé  par  le  négus 
gouverneur  des  provinces  équatoriales,  vient  de  conduire 
2.000  hommes,  dont  une  compagnie  de  tirailleurs  sénégalais, 
à  l'occupation  du  pays;  l'expédition  partie  d'Addis-Ababa  en 
juin  1899  atteignait  le  20  août  le  lac  Rudolph,  et  organisait 
aussitôt  le  pays  qui  se  soumettait  sans  difficultés. 

A  la  fin  de  Tannée  1898,  au  moment  où  la  France  et  l'An- 
gleterre se  trouvaient  en  conflit  aigu  à  propos  de  la  question  de 
"Fachoda,  on  apprenait  en  Europe  la  nouvelle  de  la  révolte  du 
ras  Mangacha,  gouverneur  du  Tigré. 

Ce  prince,  qui  joue  par  rapport  à  Ménélik  le  rôle  féodal 
qu'avait  autrefois  un  duc  de  Bourgogne  vis-à-vis  du  roi  de 
France,  poussé,  dit-on,  par  des  influences  étrangères,  avait 
choisi,  pour  refuser  l'obédience,  le  moment  précis  où  Ménélik, 
inquiet  de  la  marche  des  Anglais  sur  Khartoum,  avait  à  pré- 
voir les  mesures  nécessaires  à  la  sauvegarde  de  son  territoire. 

Le  roi  des  rois  ne  perdit  pas  de  temps.  Il  chargea  le  ras 
Makonnen  de  porter  les  premiers  coups  à  Mangacha,  et,  à  la 
tête  d'une  armée  de  80.000  hommes,  il  se  dirigea  vers  le  Tigré 
pour  soutenir  son  lieutenant.  Celui-ci  ne  lui  donna  pas  le 
temps  d'arriver.  Dès  le  mois  de  janvier  1899,  l'insurrection 


470  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

était  réprimée  après  quelques  engagements.  Mangacha,  con- 
duit près  de  son  suzerain,  une  pierre  sur  les  épaules,  avec  le 
cérémonial  d'usage,  fit  humblement  sa  soumission.  Makonnen 
fut  installé  à  sa  place  comme  gouverneur  du  Tigré  et  Ménélik 
rentra  à  Addis-Ababa,  à  temps  pour  y  recevoir  magnifique- 
ment le  commandant  Marchand. 

La  marche  de  Ménélik  vers  le  Nord  n'avait  pas  été  sans 
inquiéter  fort  les  Italiens  et  les  Anglais.  Ceux-ci  venaient  de 
se  rencontrer  au  sud-est  de  Khartoum  avec  les  postes  éthio- 
piens et  avaient  tout  à  craindre  du  contact  d'une  armée  abys- 
sine. Ménélik  rentra  au  Choa  à  temps  pour  les  tranquilliser. 

Depuis  lors,  les  troubles  ont  continué  à  être  fomentés  dans 
le  Tigré,  où  le  fils  de  Mangacha,  activement  surveillé  par 
Makonnen,  tient  encore  la  campagne. 

Au  milieu  de  toutes  les  intrigues  qui  se  sont  produites  et 
dénouées  dans  les  dernières  années  à  la  cour  de  Ménélik,  la 
France  a  continué  à  jouer  son  rôle  traditionnel  de  désinté- 
ressement et  d'amitié. 

Au  moment  où  les  Anglais  formaient  la  mission  Rennel 
Rodd,  une  mission  française,  sous  les  ordres  de  M.  Lagarde,. 
gouverneur  de  notre  colonie  d'Obock,  partait  pour  Addis- 
Ababa,  où  elle  arrivait  le  7  mars  1897.  Amicalement  reçue  par 
Ménélik,  à  qui  elle  apportait  les  présents  du  gouvernement 
français,  elle  séjournait  quelque  temps  auprès  du  roi  des  rois 
et  obtenait  de  lui,  au  mois  d'avril,  un  traité  de  commerce  et  un 
traité  d'alliance  renouvelant  et  confirmant  le  traité  signé  en 
juin  1843. 

Ce  traité  détermine  la  frontière  entre  notre  colonie  d'Obock 
et  l'Ethiopie  et  fixe  à  8  p.  100  les  droits  à  payer  pour  les  mar- 
chandises françaises. 

Le  traité  de  commerce  a  trait  surtout  au  chemin  de  fer  de 
Djibouti  à  Harrar  et  prolongements.  Il  donne  à  M.  Ilg  le  droit 
de  créer  la  Compagnie  impériale  des  chemins  de  fer  éthio- 
piens, qui  a  pour  but  de  construire  les  lignes  de  Djibouti  à* 
Harrar,  à  Entotto,  à  Kaffa  et  au  Nil  Blanc. 

Pour  la  ligne  de  Djibouti  à  Harrar,  la  concession  est  de 


ERYTHRÉE    ET    ETHIOPIE  471 


quatre-vingt-dix-neuf  ans,  à  dater  de  la  fin  des  travaux. 
Aucune  autre  compagnie  ne  sera  autorisée  en  Ethiopie.  Une 
ligne  télégraphique,  qui  sera  doublée  si  besoin  est,  doit 
suivre  la  voie  ferrée.  La  Compagnie  reçoit  toutes  les  terres 
parcourues  par  le  chemin  de  fer  sur  une  largeur  de  1.000 
mètres.  Le  chemin  de  fer,  à  l'expiration  de  la  concession, 
deviendra  propriété  de  l'État,  qui  reçoit  une  somme  de 
100.000  écus  en  actions  de  la  Compagnie. 

Le  télégraphe  est  aujourd'hui  posé  jusqu'à  Entotto,  et  le 
chemin  de  fer,  dont  les  80  premiers  kilomètres  sont  en  ter- 
ritoire français,  est  terminé  sur  une  longueur  de  130  kilo- 
mètres. Les  Anglais  se  sont  émus  de  la  construction  de  cette 
voie  ferrée,  qui,  au  dire  d'un  de  leurs  journaux,  serait  destinée 
à  amener  la  ruine  des  ports  anglais  de  la  côte  somali  et  no- 
tamment de  Zeïla. 

Les  traités  conclus  par  M.  Lagarde,  survenant  au  moment 
même  où  la  mission  Rennel  Rodd  se  présentait  à  Ménélik, 
suffisent,  en  regard  du  traité  anglo-éthiopien,  à  caractériser  la 
différence  d'influence  acquise  par  les  deux  pays  en  Abyssinie. 

Déjà  Ménélik  avait  pu  apprécier  nos  diplomates  et  nos 
explorateurs  :  la  faveur  témoignée  à  l'un  d'eux,  le  prince  Henri 
d'Orléans,  et  à  son  compagnon  russe,  M.  de  Léontieff ,  les  faci- 
lités données  à  leurs  missions  et  les  privilèges  qui  leur  furent 
accordés  en  Abyssinie  sont  autant  de  marques  de  la  bienveil- 
lance de  l'empereur  à  l'égard  de  ces  personnalités  brillantes  et 
de  leurs  pays  d'origine. 

Au  moment  même  où  M.  Lagarde  se  trouvait  auprès  de 
l'empereur,  arrivaient  à  Addis-Ababa,  le  23  avril,  le  prince 
Henri,  M.  Bonvalot  et  le  marquis  de  Bonchamps.  Une  ca- 
ravane avait  été  préparée  à  Djibouti  pour  conduire  les  explo- 
rateurs vers  le  Nil  Blanc.  Des  difficultés  survenues  entre  le 
prince  Henri  et  M.  Bonvalot  amenèrent  M.  de  Bonchamps  à 
prendre  la  direction  de  la  mission.  Accompagné  de  MM.  Michel, 
Bartholin  et  Potter,  M.  de  Bonchamps  quitta  Addis-Ababa  le 
17  mai,  tandis  que  M.  Lagarde  dirigeait  vers  le  Nil,  par  une 
autre  route,  le  capitaine  Clochette,  de  l'artillerie  de  marine, 
qui  résidait  depuis  longtemps  auprès  de  Ménélik  et  lui  avait 


472  l'afrique  politiqi  e  en  1903 

rendu,  ainsi  qu'à  l'influence  française,  les  plus  signalés  ser- 
vices. 

Le  but  de  la  mission  de  M.  de  Bonchamps  était  de  recon- 
naître les  pays  entre  les  plateaux  abyssins  et  le  Nil  et  de  tendre 
la  main  à  la  mission  Marchand. 

A  la  fin  de  juin,  M.  de  Bonchamps  arrivait  à  Goré,  chez  le 
dedjaz  Thessama,  où  il  retrouvait  le  capitaine  Clochette,  qui 
devait  suivre  la  rive  droite  du  Sobat  pendant  que  la  mission 
de  Bonchamps  marcherait  droit  au  Nil.  De  Goré,  la  mission 
arriva  à  Bouré;  mais  elle  ne  put  atteindre  le  Sobat,  par  suite 
de  la  mauvaise  volonté  des  chefs  abyssins,  qui,  ne  comprenant 
pas  les  ordres  données  par  Ménélik,  obligèrent  M.  de  Bon- 
champs  à  revenir  à  Goré,  où  le  capitaine  Clochette  venait  de 
mourir  à  la  fin  d'août  1897.  La  bienveillance  de  Ménélik  ayant 
levé  toutes  difficultés,  la  mission,  renforcée  par  le  personnel 
attaché  au  capitaine  Clochette,  se  remit  en  marche,  traversa 
le  Baro  au  delà  de  Bouré  et  suivit  la  rivière  jusqu'au  Sobat 
supérieur.  Là,  M.  de  Bonchamps,  abandonné  par  une  partie 
de  son  personnel  noir  et  ne  possédant  pas  de  bateaux  pour 
descendre  la  rivière,  dut,  le  24  décembre,  revenir  sur  ses  pas. 
11  était  à  Goré  en  février  1898;  il  y  retrouva  le  dedjaz  Thes- 
sama, et  rentra  le  5  avril  à  Addis-Ababa. 

Le  dedjaz  Thessama  avait  déjà  reçu  de  Ménélik  l'ordre  de 
pousser  vers  le  Nil.  Accompagné  de  MM.  Febvre  et  Potter,  du 
colonel  russe  Artamonofl  et  de  5.000  Abyssins,  le  dedjaz  s'est 
dirigé  vers  le  Sobat,  qu'il  a  descendu,  ainsi  que  le  Nil,  en  se 
portant  vers  le  Nord. 

Arrivé  au  confluent  du  Nil  et  du  Sobat  vers  le  mois  de  juin 
1898,  il  y  plantait  le  drapeau  éthiopien;  puis,  ne  pouvant,  à 
cause  du  climat  défavorable  aux  Abyssins  des  hauts  plateaux, 
se  maintenir  sur  le  Nil  Blanc,  il  regagnait  la  région  monta- 
gneuse, où  il  recueillait  à  Goré,  au  mois  de  février  1899,  la 
mission  Marchand  tout  entière. 

Depuis  que  l'Angleterre  est  engagée  dans  l'Afrique  australe, 
elle  a  laissé  sommeiller  la  question  d'Ethiopie.  La  délimitation 
des  frontières  avec  le  Soudan  est  toujours  pendante  et  les 
Anglais  espèrent  que  Ménélik  leur  donnera  le  temps  de  la 


ERYTHRÉE    ET    ETHIOPIE  473 


résoudre  à  leur  profit.  Le  capitaine  Harrington,  représentant 
de  l'Angleterre,  vient  de  rejoindre  Addis-Ababa,  chargé  d'une 
nouvelle  mission  et  de  nombreux  cadeaux  pour  le  négus  et 
son  entourage.  Il  y  aura  retrouvé  M.  Lagarde,  ministre  de 
France,  soucieux,  ainsi  que  son  collègue  de  Russie,  de  ne 
laisser  porter  aucune  atteinte  aux  intérêts  de  l'Europe  en 
Ethiopie. 

L'Abyssinie  paraît  avoir,  dans  l'est  du  continent  africain, 
un  grand  rôle  à  remplir.  La  puissance  de  Ménélik,  longtemps 
ignorée,  s'est  brusquement  révélée  par  le  coup  de  foudre 
d'Adoua. 

On  avait  espéré  que  l'Erythrée  deviendrait  rapidement  une 
colonie  de  peuplement  en  même  temps  que  Massaouah  aurait 
été  Vemporium  de  produits  de  l'Abyssinie  et  du  Soudan.  Ces 
espérances  ont  duré  l'espace  d'une  campagne,  et  l'Italie  s'est 
retrouvée  meurtrie,  avec  des  défaites  à  réparer,  une  armée  à 
relever  et  une  colonie  à  reconstituer. 

L'Angleterre  elle-même  attend  avec  quelque  anxiété  que 
Ménélik  dévoile  ses  projets,  et  cherche  à  s'attirer  les  bonnes 
grâces  de  l'empereur  et  à  remplir  son  rôle  au  Soudan  égyp- 
tien, tout  en  ménageant  soigneusement  les  susceptibilités  du 
roi  des  rois. 

La  France  et  la  Russie  paraissent  en  ce  moment  en  bonne 
situation  dans  ces  régions,  où  l'échec  de  Fachoda  pourrait 
bien  être  vengé  par  d'autres  que  par  des  Français. 

L'Abyssinie  a  grandement  gagné  aux  derniers  événements. 
Grâce  à  l'Italie  et  aussi  aux  rivalités  européennes,  Ménélik  et 
son  peuple  ont  pris  confiance  en  eux-mêmes  et  dans  les  des- 
tinées de  leur  pays.  L'Europe  ne  les  effraie  plus,  et  leur  édu- 
cation militaire  s'est  trouvée  faite  en  même  temps  que  le 
prestige  de  l'empereur  victorieux  créait  l'unité  de  la  nation. 

Ces  faits  sont  dignes  de  fixer  l'attention  sur  ce  pays.  Un 
facteur  nouveau,  inconnu  jusqu'ici,  vient  de  naître  en  Afrique, 
et  les  conséquences  de  son  apparition  sont  de  nature  à  mo- 
difier, de  plusieurs  façons  et  sur  bien  des  points,  l'équilibre 
des  forces  dans  les  parties  voisines  du  continent. 


474  l'afrique  pozitique  en  1900 

Une  des  erreurs  des  Abyssins,  qui  tient  à  la  prudence  ou  à 
la  magnanimité  de  Ménélik,  a  été  de  ne  pas  pousser  leurs 
succès  à  fond.  On  a  voulu  y  voir  une  lacune  intellectuelle  de 
l'esprit  éthiopien.  C'est  là  certainement  une  exagération. 

Si  l'esprit  militaire  et  politique  de  ce  peuple  a  consenti, 
pour  le  moment,  à  s'accommoder  de  succès  brillants,  il  est  vrai, 
mais  à  demi  productifs,  il  n'est  pas  dit  qu'il  en  soit  de  même 
à  l'avenir.  En  tout  cas,  cette  idée  se  trouve  contredite  par  la 
vigueur,  par  l'effrayante  énargie  de  sa  tactique  du  champ  de 
bataille,  grâce  à  laquelle  il  a  su  pousser  aux  dernières  limites 
les  conséquences  immédiates  du  combat  et  faire  subir  à 
l'envahisseur  les  désastres  les  plus  cruels  parmi  ceux  que 
1  histoire  mentionne. 

La  politique  italienne  en  Erythrée  doit  être  faite  mainte- 
nant de  recueillement  et  de  prudence.  Ménélik  n'ayant  pas  de 
fils,  sa  mort  sera  peut-être  le  signal  d'une  désagrégation  dont 
l'Italie  pourra  profiter.  Jusque-là,  elle  devra  patienter.  Que 
sera,  d'ici  là,  la  politique  anglaise?  Probablement  ce  que 
Ménélik  lui-même  la  fera.  Car  il  possède,  pour  le  moment, 
l'initiative  militaire  et  politique,  et  il  pourrait  bien  s'en  servir 
pour  faire  de  l'histoire  à  sa  manière. 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  47» 


Egypte  et  Soudan  égyptien. 


Occupation  anglaise.  —  Expéditions  contre  les  Derviches  en  1890.  —  La  caisse  de 
la  dette.  —  Les  forces  du  mahdi.  —  Préparation  de  l'expédition.  —  L'armée 
égyptienne.  —  Occupation  de  Souakim  par  les  troupes  des  Indes.  —  Opérations 
vers  Souakim  et  Dongola.  —  Expéditions  de  1897  et  1898.  —  Occupation  du  Soudan. 

—  Politique  anglaise  en  Egypte.  —  L'Egypte  et  les  Indes.   —  Les  voies  ferrées. 

—  La  mission  des  Anglais  en  Egypte. 


Les  événements  qui  ont  eu  l'Egypte  pour  théâtre,  depuis 
l'intervention  anglaise,  ont  influé  profondément,  non  seule- 
ment sur  l'avenir  de  cette  partie  de  l'Afrique,  mais  aussi  sur 
les  rapports  réciproques  des  peuples  de  l'Europe. 

A  ces  titres,  ils  méritent  qu'on  les  développe  au  double 
point  de  vue  de  l'action  diplomatique  engagée  par  l'Angle- 
terre et  des  expéditions  récentes  qu'elle  a  entreprises  contre 
l'empire  du  mahdi  de  Khartoum. 

Depuis  leur  descente  en  Egypte,  les  Anglais  ont  compté  sur 
la  lassitude  créée  par  la  durée  de  leur  présence  aux  bords  du 
Nil,  autant  que  sur  les  événements  imprévus  qui  pouvaient 
surgir  en  Europe,  pour  transformer  leur  mission  temporaire 
en  une  prise  de  possession  définitive. 

Les  réclamations  répétées  de  la  France  avaient  trouvé 
devant  elles  les  divers  ministères  anglais  proclamant  leur 
désir  de  rester  fidèles  à  la  parole  donnée  concernant  l'éva- 
cuation, mais  retardant  constamment  l'échéance,  par  suite, 
disait-on,  de  la  nécessité  d'établir  sur  les  bords  du  Xil  un  état 
de  choses  conforme  aux  intérêts  collectifs  de  l'Europe,  au 
bien-être  de  l'Egypte  et  aux  nécessités  de  la  civilisation. 

La  Turquie,  bien  que  puissance  suzeraine,  était  incapable 
d'engager  une  action  décisive;  constamment  ballottée  entre 
des  intérêts  contraires,  elle  n'agissait  que  par  impulsion  et 
trouvait  à  peine  le  temps  de  s'intéresser  aux  destinées  de  son 
ancienne  possession. 


476  L' AFRIQUE   POLITIQUE    EX    1900 

Quant  à  la  France,  obligée  de  subordonner  à  des  intérêts  plus 
puissants  ses  désirs  d'intervention,  elle  se  voyait  contrainte 
d'attendre  l'occasion  favorable  de  se  prononcer.  Et  l'Angle- 
terre, continuant  son  jeu  de  bascule  politique,  tirait  profit  des 
divisions  du  continent  pour  éterniser  une  occupation  profi- 
table à  ses  intérêts  immédiats. 

Cette  situation  pouvait  se  prolonger  indéfiniment,  car  il 
était  toujours  possible  de  trotiver  des  raisons  pour  démon- 
trer que  l'Egypte  était  incapable  de  se  gouverner  et  de  se 
protéger  elle-même.  Parmi  ces  raisons,  l'une  de  celles  qui 
ont  été  le  plus  souvent  mises  en  avant  était  la  nécessité  im- 
posée à  l'Angleterre  de  donner  la  sécurité  aux  frontières 
méridionales  de  l'Egypte.  De  cette  vague  formule  on  pouvait 
tirer  cette  conséquence,  que  la  sécurité  complète  ne  pourrait 
être  assurée  qu'à  la  condition  de  détruire  la  domination  du 
mahdi,  représentée  comme  une  menace  latente  pour  les  pos- 
sessions du  khédive. 

Cette  menace  devenait  cependant  tous  les  jours  moins 
effrayante,  car  l'empire  du  khalife,  bien  que  doué  d'une 
sérieuse  force  de  résistance,  se  trouvait  évidemment  incapable 
d'entreprendre  contre  l'Egypte  la  moindre  action  offensive. 

On  se  rendait  déjà  compte,  en  Europe,  que  l'Angleterre  ne 
lâcherait  sa  conquête  que  contrainte  par  la  force.  Aussi,  lorsque 
se  répandit,  à  la  fin  de  janvier  1896,  la  nouvelle  que  la  Turquie 
avait  demandé  à  l'Angleterre  l'évacuation  de  l'Egypte,  ce  fut 
dans  la  presse  anglaise  et  européenne  le  signal  d'une  grosse 
émotion. 

L'Egypte  était  calme  et  prospère;  le  mahdisme,  de  l'avis 
même  des  Anglais,  était  en  décadence,  et  les  raisons  ordinai- 
rement données  par  l'Angleterre  avaient  perdu  de  leur  valeur. 
Aussi,  comme  le  dit  alors  un  journal  anglais,  la  nouvelle 
de  l'indiscrète  demande  de  la  Turquie  fut  «  la  plus  sérieuse 
information  que  l'on  ait  publiée  depuis  dix  ans  ».  On  attri- 
bua à  l'action  occulte  de  la  France  et  de  la  Russie  la  raison 
de  l'initiative  prise  par  la  Turquie. 

Ce  fut  un  feu  de  paille.  Les  événements  d'Abyssinie  vinrent, 
au  moment  voulu,  créer  une  utile  diversion  à  l'attention  de 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  477 

l'Europe  et  donner  à  l'Angleterre  de  nouvelles  raisons  pour 
justifier  son  occupation. 

Et,  lorsqu'après  le  désastre  d'Àdoua  la  Triple  alliance  de- 
manda, dit-on,  pour  l'Italie,  la  coopération  des  Anglais,  ce 
fut  avec  empressement  que  le  cabinet  britannique  offrit  son 
aide  pour  agir  du  côté  de  Kassala,  car  il  comprit  aussitôt 
qu'après  un  pareil  service  rendu  à  la  Triple  alliance  celle-ci 
ne  penserait  plus  à  lui  demander  compte  de  sa  présence  en 
Egypte. 

Comme  tout  se  tient  en  politique,  on  n'a  point  manqué 
d'établir  une  corrélation  entre  la  question  d'Arménie,  la  mau- 
vaise humeur  qu'elle  provoqua  de  la  part  du  sultan  contre 
les  Anglais  et  le  soulèvement  qui  se  produisit  plus  tard  en 
Crète,  et  que  l'on  mit  sur  le  compte  de  la  politique  britan- 
nique. 

Il  est  possible  qu'il  n'y  ait  là  que  des  coïncidences  fortuites, 
mais  il  est  à  remarquer  que  le  soulèvement  des  Cretois  est 
venu  à  point  pour  absorber  l'attention  de  la  Turquie  et  la 
distraire  de  toute  idée  d'action  sur  les  bords  du  Nil. 

D'après  les  déclarations  de  M.  Curzon  à  la  Chambre  des 
communes,  ce  fut  le  10  mars  1896  que  le  cabinet  anglais  reçut 
une  dépêche  du  gouvernement  italien  demandant  une  diversion 
pour  dégager  Kassala.  Suivant  une  version  que  l'on  n'a  point 
démentie,  l'initiative  de  cette  demande  serait  venue  de  l'Alle- 
magne, qui  aurait  suggéré  à  l'ambassadeur  d'Angleterre  à 
Berlin  l'idée  d'une  expédition  anglo-égyptienne  au  Soudan. 

Les  réflexions  du  cabinet  anglais  ne  furent  pas  longues;  le 
projet  qu'on  lui  proposait  entrait  à  ce  moment  trop  bien  dans 
ses  vues  pour  n'être  pas  accepté  avec  empressement. 

Aussi,  dès  le  12  mars,  une  expédition  sur  Dongola  était 
décidée,  et  l'on  informait  le  soir  môme  lord  Cromer,  l'agent 
britannique  au  Caire,  et  sir  Kitchener,  le  sirdar  de  l'armée 
égyptienne,  de  la  décision  du  gouvernement  anglais.  On  a  dit 
que  ces  deux  représentants  de  l'Angleterre  en  Egypte  ne 
furent  même  pas  consultés  par  leur  gouvernement. 

On  a  constaté  aussi  que  ce  n'est  que  le  13  mars,  après  que  le 
sirdar  eut  donné,  par  télégraphe,  les  premiers  ordres  de  pré- 


478  l'afrique  politique  en  1900 

paration  de  l'expédition,  que  lord  Cromer  en  informa  le 
premier  ministre  égyptien.  Quant  au  khédive,  on  ne  lui  donna 
avis  que  dans  la  soirée  de  l'expédition  que  son  armée  allait 
entreprendre. 

Le  cabinet  anglais  avait  en  effet  ses  raisons  de  ne  pas  con- 
sulter lord  Cromer,  dont  les  sentiments  étaient  déjà  connus, 
ainsi  que  le  prouve  la  phrase  suivante,  insérée  dans  son  rapport 
annuel  sur  les  événements  égyptiens  de  l'année  précédente  : 

Il  ne  s'est  rien  produit  qui  présente  un  intérêt  spécial,  par  rapport 
à  l'administration  militaire,  dans  l'année  qui  vient  de  s'écouler.  A 
l'exception  d'une  petite  attaque  sur  un  village  du  district  de  Ouadi- 
Halfa  et  d'une  insignifiante  incursion  du  côté  de  Tokar,  les  forces 
des  Derviches,  dans  le  voisinage  immédiat  des  avant-postes  égyp- 
tiens, bien  que  l'effectif  en  soit  considérable,  ont  maintenu  une  atti- 
tude strictement  défensive. 

Au  point  de  vue  exclusivement  égyptien,  la  nécessité  d'une 
expédition  au  Soudan  ne  paraissait  donc  point  immédiate. 

Quant  à  la  diversion  à  exécuter  en  faveur  des  Italiens,  si 
elle  se  trouvait  amplement  motivée  par  les  demandes  adressées 
à  l'Angleterre,  d'autres  raisons  étaient  venues  convaincre 
celle-ci  de  la  convenance  qu'il  pourrait  y  avoir  à  motiver  le 
prolongement  de  l'occupation,  mais  aussi  de  la  nécessité 
d'empêcher  tout  empiétement  des  Italiens  du  côté  du  Soudan. 

Dans  le  cas  où  la  paix  eût  été  conclue  avec  Ménélik,  les 
Italiens  auraient  fort  bien  pu  chercher  du  côté  des  Derviches 
une  compensation  motivée  par  leurs  échecs  et  leurs  pertes 
territoriales. 

L'Angleterre  avait  bien  autorisé  l'occupation  de  Kassala  par 
les  Italiens  à  un  moment  où  elle  était  incapable  de  l'occuper 
elle-même;  mais  elle  avait  pris  soin  de  mentionner  que, 
Kassala  ne  se  trouvant  pas  dans  la  sphère  d'influence  ita- 
lienne, cette  occupation  n'avait  qu'un  caractère  provisoire.  Ce 
que  l'Angleterre  ne  pouvait  permettre,  c'était  une  extension 
des  possessions  italiennes  aux  dépens  du  Soudan  égyptien, 
qu'elle  considérait  toujours  comme  sa  propriété  éventuelle; 
et  elle  se  décidait  alors,  ne  pouvant  guère  agir  autrement,  à 
mettre  la  main  sur  des  territoires  jadis  dédaignés. 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  479 

En  définitive,  les  causes  de  l'intervention  anglaise  au  Soudan 
sont  les  suivantes  : 

1°  Le  désir  de  déférer  aux  demandes  de  la  Triple  alliance,  et 
de  ranger  définitivement  de  son  côté,  dans  la  question 
d'Egypte,  l'Allemagne,  l'Autriche  et  l'Italie; 

2°  Le  moyen  d'assurer  son  occupation  en  Egypte  en  saisis- 
sant un  nouveau  motif  de  la  prolonger  ; 

3°  La  nécessité  de  ne  pas  laisser  tomber  en  d'autres  mains 
les  territoires  du  Soudan  égyptien  nécessaires  à  son  projet  de 
chemin  de  fer  transafricain,  alors  si  en  faveur  auprès  de  l'opi- 
nion anglaise; 

4°  La  possibilité,  si  la  fortune  lui  souriait,  de  pousser 
jusqu'à  Khartoum  et  de  prendre  définitivement  possession  du 
Soudan. 


* 

*       * 


Avant  tout,  l'Angleterre  avait  à  envisager  la  question  diplo- 
matique. Déjà  la  diplomatie  avait  mis  de  son  côté  trois  grandes 
puissances.  La  Turquie  était  occupée  ailleurs,  et  il  était  facile 
de  lui  susciter  d'autres  embarras  sur  plusieurs  points  de  son 
empire. 

La  Russie  était  tout  entière  aux  fêtes  du  couronnement  du 
czar,  et,  jusqu'au  mois  de  juin,  on  avait  de  ce  côté-là  un  répit 
assuré. 

La  France  paraissait  irréductible;  mais  on  pouvait  essayer 
de  lui  susciter  à  elle-même  des  difficultés  diplomatiques  ou 
coloniales.  Elle  était  d'ailleurs  sérieusement  engagée  à  Mada- 
gascar. 

Les  autres  puissances  ne  pouvaient  être  ni  utiles  ni  nui- 
sibles; la  Belgique  cependant  pouvait  aider  les  Anglais  par 
une  diversion  engagée  du  côté  du  Congo.  Des  propositions 
furent  faites  dans  ce  sens  au  roi  des  Belges  ;  mais  justement  l'État 
du  Congo  venait  de  terminer,  en  1895,  une  campagne  heureuse 
contre  les  Derviches,  et,  d'autre  part,  ses  engagements  avec  la 
France  lui  interdisaient  d'opérer  au  nord  de  Lado.  Les  ouver- 
tures de  l'Angleterre  ne  furent  pas  accueillies  avec  empresse- 


480  L' AFRIQUE    POLITIQUE    EN    1900 

ment,  et  l'on  ne  tarda  pas  à  démentir  les  bruits,  habilement 
lancés  par  la  presse  anglaise,  de  la  coopération  des  Belges  à 
l'attaque  du  Soudan  égyptien  (1). 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  les  nombreux  incidents  qui 
vinrent  se  greffer  sur  les  événements  du  mois  de  mars  1896. 
Il  nous  suffira  de  mentionner  les  débats  du  Parlement  anglais, 
les  polémiques  entre  la  presse  française,  anglaise  et  allemande 
et  les  protestations  de  l'opinion  publique  en  Egypte. 

II  fallait  aussi  trouver  de  l'argent  pour  payer  les  dépenses 
de  l'expédition. 

L'Angleterre,  se  plaçant  toujours,  vis-à-vis  des  puissances, 
sur  le  terrain  d'une  expédition  entreprise  dans  l'intérêt  de 
l'Egypte  et  dont  l'exécution  devait  être  assurée  par  l'emploi 
presque  exclusif  des  troupes  égyptiennes,  soutint  que  l'Egypte 
seule  devait  en  faire  les  frais. 

Dès  l'annonce  de  l'action  entreprise  au  Soudan,  l'opinion 
publique  égyptienne  s'était  vivement  alarmée,  prévoyant  bien 
que  les  frais  en  seraient  supportés  par  l'Egypte  seule.  Le  khé- 
dive, sous  la  pression  des  Anglais,  et  désireux  d'ailleurs  de 
reconquérir  les  territoires  du  Soudan,  n'avait  pas  paru  faire 
de  difficultés  pour  adopter  les  avis  de  lord  Cromer. 

Aussi,  dès  que  la  décision  du  cabinet  de  Saint-James  eut  été 
prise,  une  demande  fut  .adressée  à  toutes  les  grandes  puis- 
sances afin  d'obtenir  leur  assentiment  pour  affecter  500.000 
livres,  prélevées  sur  la  caisse  de  la  Dette  égyptienne,  aux  frais 
de  l'expédition.  Le  conseil  des  ministres  khédiviaux  décidait, 
en  même  temps,  que  le  budget  égyptien  supporterait  toutes  les 


(1)  Le  Mouvement  géographique,  de  Bruxelles,  avait  publié,  au  mois  de  mars 
1896,  une  étude  qui  donnait  les  renseignements  suivants  sur  le  madhisme  : 

«  Les  madhistes  ont  été  chassés  du  Bahr-el-Ghazal,  à  la  suite  d'un  soulèvement 
des  indigènes  dinkas,  originaires  d'une  région  dans  laquelle  les  partisans  du  kha- 
life ne  possèdent  plus  que  la  vieille  zériba  de  Dem-Ziber.  Sur  le  Nil,  ils  ont  aban- 
donné Ouadelaï  et  Lado.  Leur  camp  le  plus  méridional  sur  le  fleuve  est  Bor,  situé 
au  nord  du  Gc  degré  de  latitude. 

»  Quant  à  l'État  du  Congo,  ses  troupes  n'occupent  aucun  point  de  l'enclave  de 
Lado,  ni  sur  le  Xil  môme,  ni  dans  l'intérieur.  Mais  il  est  fortement  établi  sur  le 
haut  Ouellé,  où  le  fort  de  Dangu,  le  point  le  plus  oriental  de  sa  ligne  de  défense, 
est  gardé  par  des  canons  et  plus  de  1.000  hommes  de  troupe,  sous  les  ordres  du 
commandant  Chaltin.  » 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  481 

dépenses,  et  que  l'on  demanderait  à  la  commission  internatio- 
nale de  la  Dette  publique  (1)  un  premier  crédit  de  deux  millions 
et  demi. 

Les  grandes  puissances  à  qui  l'Angleterre  s'était  adressée 
lui  accordèrent  sa  demande,  à  l'exception  de  la  France  et  de  la 
Russie,  qui  refusèrent  l'autorisation  d'engager  sur  les  fonds 
égyptiens,  dont  elles  avaient  le  contrôle,  une  expédition  qui  ne 
paraissait  pas  pour  le  moment  nécessaire. 

Les  délégués  des  puissances  à  la  commission  de  la  Dette 
partagèrent  leurs  votes  de  la  mime  façon,  et  alors  la  question 
se  posa  de  savoir  si  l'unanimité  des  délégués  était  nécessaire 
pour  accorder  l'autorisation  demandée. 

Le  gouvernement  égyptien  trancha  cette  question  dans  le 
sens  de  la  négative  et  requit  la  caisse  de  la  Dette  de  verser  im- 
médiatement une  partie  de  la  somme  totale  qu'il  réclamait. 

Le  versement  fut  effectué;  mais  l'opération  fut  aussitôt  atta- 
quée par  le  syndicat  des  porteurs  de  titres  français  devant  le 
tribunal  mixte  du  Caire  (2).  En  même  temps,  le  Conseil  légis- 
latif du  Caire,  dont  les  opinions  reflètent  celles  des  indigènes, 
protestait  contre  l'emploi  des  fonds  provenant  de  la  caisse  de 
la  Dette. 

L'impression  qui  résulta  de  cette  protestation  fut  grande 
dans  les  sphères  indigènes,  et  elle  suffit  à  démontrer  combien 
l'expédition  était  impopulaire  parmi  les  Égyptiens. 

Le  syndicat  des  porteurs  français  était  appuyé  par  une 
action  parallèle  engagée  par  les  commissaires  français  et 
russe  de  la  caisse  de  la  Dette;  mais  cette  action  fut  aussitôt 
combattue  par  les  autres  commissaires  ainsi  que  par  le  gou- 
vernement égyptien. 

Le  procès  commença  le  13  avril.  Après  de  longs  débats,  le 
tribunal  se  déclara  compétent,  contrairement  à  la  demande 
du  gouvernement  égyptien,  et,  le  8  juin,  il  rendit  un  jugement 


(1)  Cette  commission  est  composée  de  six  délégués,  nommés  chacun  par  l'une 
des  six  grandes  puissances. 

(2)  Ce  tribunal  connaît  des  contestations  entre  sujets  égyptiens  et  étrangers.  Il 
comprenait  cinq  juges:  le  président  était  Français;  les  juges  étaient  l'un  Hollan- 
dais, l'autre  Portugais,  les  deux  autres  Égyptiens. 

Afr.  polit.  31 


482  l'afrique  politique  en  1900 

donnant  raison  sur  tous  les  points  à  la  thèse  de  la  France  et 
de  la  Russie.  11  déclara  que  la  décision  de  la  commission  de  la 
Dette  avait  été  prise  en  violation  des  statuts  de  cette  institution 
et  condamna  le  gouvernement  égyptien  à  la  restitution  des 
sommes  déjà  perçues. 


Tous  ces  incidents  eurent  naturellement  leur  répercussion 
en  Angleterre,  où  une  partie  de  l'opinion  était  nettement  défa- 
vorable à  l'entreprise  soudanaise.  La  question  du  Transvaal 
n'était  pas  réglée,  la  révolte  des  Matabélés  commençait,  les 
difficultés  avec  le  Venezuela  et  les  États-Unis  étaient  loin  d'être 
terminées,  et  l'opposition  trouvait  dangereux  d'avoir  à  faire 
face  a  de  nouvelles  questions  surgissant  en  Egypte. 

La  presse  anglaise,  séparée  en  deux  camps,  était  prise  à 
partie  par  les  journaux  français  et  russes.  Quant  à  la  presse 
de  la  Triple  alliance,  elle  se  tenait,  sauf  celle  de  l'Italie  qui  se 
montrait  enthousiaste,  dans  une  réserve  pleine  de  réticences 
et  même  de  froideur. 

Au  Parlement  anglais,  les  questions  adressées  aux  ministres 
sur  leurs  intentions  devenaient  de  plus  en  plus  fréquentes,  et 
lord  Salisbury,  ainsi  que  MM.  Chamberlain  et  Curzon,  qui 
avaient  la  charge  d'y  répondre,  ne  réussissaient  pas  plus  à 
satisfaire  la  curiosité  des  questionneurs  qu'à  démontrer  la 
nécessité  de  l'expédition,  à  justifier  les  actes  de  leur  gouverne- 
ment et  à  éviter  des  demi-révélations  qui  les  placèrent  plus 
d'une  fois  en  contradiction  avec  leurs  précédentes  déclarations. 
La  publication  d'un  livre  vert,  que  le  nouveau  ministère  ita- 
lien dut  effectuer  pour  éviter  à  ce  moment  l'exagération  des 
attaques  de  M.  Crispi,  mit  au  jour  des  documents  qui  placèrent 
M.  Curzon  et  le  cabinet  britannique  dans  une  posture  assez 
délicate  à  l'égard  du  gouvernement  italien  et  de  l'opposition 
anglaise  (1).  Il  fut  question  un  moment  du  rappel  de  l'ambas- 


(1)  Au  nombre  de  ces  documents  certains  visaient  la  demande  adressée,  en  dé- 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  483 

sadeur  d'Italie,  et  il  fallut  de  hautes  interventions  pour  éviter 
une  explosion  de  susceptibilités  qui  eût  été  désastreuse  pour 
l'avenir  immédiat  de  la  politique  anglo-italienne. 

D'autres  questions  étaient  aussi  soigneusement  tenues  dans 
l'ombre  par  le  cabinet  anglais  :  telles  l'attitude  de  lord  Cromer 
et  sa  répuguance  cachée  à  affirmer,  contrairement  à  son  opi- 
nion antérieure,  l'utilité  de  l'expédition,  la  nature  des  négo- 
ciations entamées  avec  la  Triple  alliance  et,  enfin,  les  explica- 
tions demandées  par  le  sultan  sur  la  nature  de  l'expédition. 

Dès  le  début,  le  sultan  n'avait  pas  manqué  de  demander,  à 
la  fois,  à  l'Angleterre  et  au  khédive,  en  quoi  devaient  consister 
les  opérations  projetées  contre  les  Derviches.  Des  deux  côtés 
on  s'en  tira  par  des  explications  évasives  sur  la  nécessité  de 
reconquérir  une  province  perdue. 

De  tous  ces  faits  résultait  clairement  l'impression  que  l'ex- 
pédition, engagée  pour  tenter  une  diversion  en  faveur  des 
Italiens,  avait  réellement  pour  but  d'empêcher  que  Kassala, 
évacué  par  l'Italie,  ne  tombât  à  la  charge  de  l'Egypte,  de 
réduire  définitivement  le  madhisme  et  de  reconquérir  le  Sou- 
dan (I). 

Le  programme  était  vaste  et,  pour  plusieurs  motifs,  justi- 


cembre  1895,  par  l'Italie,  appuyée  par  l'Allemagne,  de  débarquer  une  expédition 
à  Zeïla,  pour  prendre,  par  le  Harrar,  l'Abyssinie  à  dos. 

Le  gouvernement  anglais  avait  toujours  évité  de  s'expliquer  sur  cette  demande 
qui  mettait  en  cause  la  France  et  ses  droits  sur  le  Harrar. 

Dans  la  séance  du  2  juin  I89G,  M.  Curzon  fut  obligé  d'avouer  que  le  cabinet 
anglais  s'était  montré  disposé  à  accéder  aux  demandes  de  l'Italie,  mais  sous  cer- 
taines restrictions  qui  empêchèrent  d'y  donner  suite. 

(1)  Au  moment  où  le  Tinte»  se  faisait  remarquer  parmi  les  journaux  anglais 
pour  l'exagération  de  ses  idées  de  conquête,  le  Daily  Chronicle  se  lit  un  malin 
plaisir  de  reproduire  un  leading  article  paru  dans  ce  journal  le  22  février  1884. 

«  Le  général  Gordon,  disait  alors  le  Times,  a  clairement  expliqué  au  gouverne- 
ment anglais  et  au  peuple  anglais  quelles  étaient  ses  vues  personnelles  sur  la 
politique  à  suivre  au  Soudan  :  «  Je  dois  dire  que  ce  serait  une  iniquité  de  recon- 
»  quérir  ces  populations  et  de  les  faire  passer  sous  la  domination  de  l'Egypte. 
)).sans  la  garantie  d'un  bon  gouvernement  futur.  Il  est  évident  que  nous  ne  pour- 
))  rons  pas  les  soumettre  sans  une  dépense  exagérée  en  argent  et  en  hommes. 
»  Le  Soudan  est  une  possession  inutile,  l'a  toujours  été  et  le  sera  toujours. 
»  Aucun  de  ceux  qui  ont  vécu  au  Soudan  n'a  pu  retenir  cette  réflexion  :  Quelle 
»  possession  inutile  est  ce  pays  !  l'eu  d'hommes  sont  capables  de  supporter  son 
»  effrayante  monotonie  et  son  climat  mortel.  »  Telle  est,  ajoutait  le  Tinte*, 
l'opinion  réfléchie  de  l'homme  qui  connaît  le  mieux  le  Soudan  et  qui  l'a  étudié 
avec  des  yeux  plus  clairvoyants  que  n'importe  quel  Européen  ou  Oriental.  » 


484  l'afrique  politique  en  1900 

fiait  l'aversion  des  Égyptiens  et  leur  crainte  de  voir  engager 
leurs  finances  dans  des  opérations  sans  but  avoué  et  sans 
résultat  certain. 


Le  madhi,  qu'on  allait  combattre,  et  le  Soudan,  qu'on  allait 
envahir,  étaient  deux  forces  qui,  mises  au  service  l'une  de 
l'autre,  avaient  déjà  fait  reculer  plusieurs  tentatives  d'invasion. 

Si  le  fanatisme  des  Derviches  effrayait  la  race  timide  des 
fellahs,  la  rigueur  du  climat  du  Soudan  était  bien  faite  pour 
intimider  les  soldats  britanniques.  On  avait  proclamé,  à  la  fin 
de  1895,  que  le  madhisme  n'était  plus  qu'un  organisme  en 
décadence;  mais,  à  certains  signes  qui  s'étaient  manifestés 
depuis  que  l'expédition  était  résolue,  il  avait  paru  que  le 
prophète  Abdullah  possédait  encore  une  puissance  capable 
de  s'opposer  énergiquement  à  toute  tentative  d'invasion  (1). 

Slatin-Pacha,  l'ancien  gouverneur  du  Darfour,  évadé  d'Om- 
durman,  après  douze  ans  de  captivité,  évaluait  alors  à  4.000 
fusiliers,  5.000  lanciers,  2.000  cavaliers  le  nombre  des  Der- 
viches cantonnés  dans  les  régions  voisines  de  Dongola.  Mais 
ce  n'était  là  qu'une  faible  partie  des  forces  du  khalife,  qui  com- 
prenaient 40.000  fusiliers,  dont  22.000  armés  de  remingtons, 


(1)  Le  khalife  Abdullah  el  Taachi  a  succédé  au  madhi  Es  Sayid  Abdullah  Ibn 
es  Sayid  Hamadulla,  qui  mourut  le  22  juin  1893.  Il  reçut  de  lui  une  proclamation 
d'investiture  ainsi  conçue  : 

«  .Moi,  le  madhi,  je  dis  d'Abdullah  :  Il  est  de  moi  comme  je  suis  de  lui.  Observez 
à  son  égard  la  même  révérence  que  vous  m'avez  témoignée  ;  soumettez-vous  à 
ses  ordres  comme  aux  miens;  croyez  en  lui  comme  en  moi.  Ne  vous  défiez  jamais 
de  ses  paroles  ou  de  ses  actes  :  il  est  gardé  par  le  «  Khudr  )>,  sa  force  repose  en 
Dieu  et  en  ses  prophètes.  Si  quelqu'un  d'entre  vous  profère  une  mauvaise  parole 
ou  entretient  une  mauvaise  pensée  contre  lui,  vous  subirez  la  destruction  :  vous 
perdrez  ce  monde-ci  et  le  monde  à  venir.  » 

Abdullah  est  issu  de  la  tribu  noire  des  Taachi,  la  plus  noble  des  tribus  Bagga- 
ras,  qui  sont  la  terreur  du  Soudan.  Les  Baggaras,  qui  sont  renommés  pour  leur 
bravoure,  ont  formé  l'appui  le  plus  précieux  du  premier  madhi.  C'est  eux  qui 
formaient  la  garde  du  khalife  et  qui  dominaient  le  Soudan,  après  avoir  fait  le  vide 
autour  d'eux,  chassé  leurs  ennemis  et  opprimé  les  tribus  suspectes,  arabes  et  noirs 
sédentaires. 

Ces  derniers  sont  les  Oulad  Ballad  du  Sennaar,  du  Kordofan  et  du  Darfour. 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  485 

€4.000  lanciers,  6.600  cavaliers  et  75  canons.  En  outre,  on 
comptait  30.000  soldats  noirs  irréguliers. 

Les  centres  principaux  du  Soudan  égyptien  étaient  :  Om- 
durman,  résidence  du  madhi  (où  étaient  les  arsenaux  et  une 
fabrique  de  cartouches),  sous  le  commandement  de  son  frère 
Yakoub;  El-Obeid,  El-Fasher  et  Sakkha,  sous  les  ordres  de 
Mahmoud;  Berber,  sous  le  commandement  d'Osman  Digma; 
Ghedaref  et  Adarama,  sous  celui  d'Ahmel  Fehdil;  Dongola,  où 
commandait,  en  1895,  Yunes  ed  Deghem,  avec  environ  8.000 
hommes.  4.000  irréguliers  et  8  pièces. 

Dès  le  moment  où  l'expédition  fut  résolue,  Abdullah  eut 
tout  loisir  de  renforcer  ses  postes  avancés  vers  l'Egypte  et  de 
concentrer  ses  forces.  Attendrait-il  les  Anglais  à  Dongola  ou 
les  attirerait-il  vers  le  Sud  en  se  retirant  sur  Khartoum  ?  Cette 
dernière  tactique,  la  plus  redoutée  au  point  de  vue  des  résul- 
tats à  proclamer,  aurait  été  aussi  la  plus  défavorable  pour  les 
envahisseurs,  car  elle  les  aurait  mis,  sans  combat,  aux  prises 
avec  toutes  les  difficultés  d'un  pays  sans  ressources  et  d'un 
climat  meurtrier. 


Campagne  de  1896.  —  L'ordre  de  préparer  définitivement 
l'expédition  fut  transmis  le  16  mars,  dans  la  nuit,  à  sir  Her- 
bert Kitchener,  sirdar  des  troupes  égyptiennes. 

A  ce  moment,  les  troupes  qui  occupaient  l'Egypte  étaient  de 
deux  sortes  : 

1°  L'armée  égyptienne:  13  bataillons  dont  4  de  Soudanais, 
10  escadrons,  5  batteries,  soit  environ  13.000  hommes  sous  le 
commandement  du  sirdar  ; 

2°  Les  troupes  anglaises  :  3  bataillons  d'infanterie,  1  esca- 
dron de  dragons,  1  batterie,  1  compagnie  du  génie,  soit  4.200 
hommes,  commandés  par  le  général  Knowles.  Toutes  ces 
troupes  étaient  en  garnison  au  Caire,  sauf  un  bataillon  à 
Alexandrie  et  des  postes  à  Assouan  et  à  Ouady-Halfa. 

L'armée  égyptienne,  tenue  en  médiocre  considération  par 
les  Anglais,  est  cependant  l'héritière  de  belles  traditions  mili- 


486  L'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

taires.  Formée  par  un  Français,  le  colonel  Selves,  c'est  elle 
qui,  sous  Ibrahim  pacha,  battit  les  Turcs  à  Konieh  et  à 
Nezib,  et  décida  l'indépendance  de  l'Egypte.  Les  bataillons 
égyptiens  ont  une  belle  allure,  quoique  formés  de  fellahs, 
paysans  timides  qui,  sous  les  armes,  paraissent  cependant 
susceptibles  d'acquérir  de  sérieuses  qualités  militaires,  sur- 
tout s'ils  sont  encadrés  par  des  officiers  européens.  Les  batail- 
lons noirs  sont  plus  estimés  et  constituent  une  troupe 
excellente.  On  a  dit  que  la  préoccupation  des  Anglais  était 
de  ne  pas  dépasser  une  certaine  limite  dans  l'œuvre  de  réor- 
ganisation et  de  perfectionnement  de  cette  armée,  et  qu'ils 
avaient  le  souci  constant  de  ne  pas  former  des  chefs  de  valeur, 
et  de  ne  donner  que  des  rôles  secondaires  aux  officiers  égyp- 
tiens, qui  ne  peuvent  dépasser  le  grade  de  lieutenant-colonel. 

L'armée  égyptienne  occupait,  en  temps  normal,  le  Caire, 
Korosko,  Assouan,  Ouady-Halfa,  et  quelques  autres  points 
secondaires. 

Les  préparatifs  de  l'expédition  commencèrent  dès  la  récep- 
tion, par  le  sirdar,  de  l'ordre  transmis  par  lord  Cromer. 

Aussitôt,  la  flottille  des  bateaux  Cook  fut  réquisitionnée  et 
des  approvisionnements  envoyés  à  Ouady-Halfa.  L'armée 
égyptienne  seule  devait,  dans  le  principe,  fournir  le  corps 
expéditionnaire,  qui  fut  porté  à  12.000  hommes  au  mois  d'avril 
par  la  convocation  de  deux  classes  de  réservistes. 

L'armée  anglaise  devait  servir  de  soutien  aux  Égyptiens  et 
n'entrer  en  ligne  qu'en  cas  de  besoin.  Cependant,  on  avait 
prévu  le  remplacement,  en  Egypte,  des  bataillons  du  corps 
d'occupation  qui  seraient  envoyés  à  Ouady-Halfa,  au  moyen 
de  troupes  tirées  de  Malte  et  de  Gibraltar  et  remplacées  elles- 
mêmes  par  des  bataillons  venus  d'Angleterre. 

Le  22  mars,  le  sirdar  Kitchener  quittait  le  Caire  pour  Ouady- 
Halfa,  avec  un  bataillon  anglais,  qui  y  était  relevé  par  le  ba- 
taillon d'Alexandrie.  Il  était  accompagné  de  son  état-major, 
dans  lequel  le  service  des  renseignements  était  dirigé  par  le 
major  Wingate,  avec  Slatin-pacha  pour  adjoint.  Sir  Kitchener 
arrivait  le  30  mars  à  Sarras.  Les  ordres  étaient  donnés  pour 
concentrer  le  corps  expéditionnaire  à  Ouady-Halfa.  où  l'on 


EGYPTE  ET  SOI  DAN  ÉGYPTIEN  487 

comptait,  le  20  avril,  10  bataillons.  7  escadrons,  600  mehara 
et  de  l'artillerie.  Déjà,  le  20  mars.  Akascheh  avait  été  occupé 
par  les  meharistes,  bientôt  rejoints  par  de  la  cavalerie.  On  put 
alors  entreprendre,  avec  une  compagnie  du  génie,  les  travaux 
de  réfection  du  chemin  de  fer,  déjà  entamé  en  1884,  entre' 
Ouady-Halfa  et  Akascheh.  Ce  dernier  point  était  fortifié,  des 
postes  échelonnés  à  Semneh.  Ouady-Atir.  Àmbigol,  Tangour 
et  Souki,  sur  le  tracé  de  la  voie  ferrée,  qu'on  décida  de  pousser 
jusqu'à  Abou-Fatmeh,  à  64  kilomètres  de  Dongola.  Une  ligne 
télégraphique  entreprise  jusqu'à  Akascheh  devait  être  ache- 
vée le  25  avril. 

Le  23  mars,  une  faible  reconnaissance  des  Derviches  était 
repoussée  à  Akascheh,  et  on  apprenait  que  le  madhi  renforçait 
ses  troupes  de  Dongola  par  un  corps  venu  d'Omdurman. 
8.000  hommes  y  étaient  concentrés  avec  Mahmoud  Oudi 
Chara,  et  4.000  hommes  étaient  poussés  sur  Souardeh,  sous  les 
ordres  de  Hamouda,  un  des  chefs  derviches  les  plus  renommés. 

Au  commencement  d'avril,  l'expédition,  sur  des  ordres 
venus  de  Londres,  éprouva  un  temps  d'arrêt. 

L'opposition  faite  par  la  France  et  la  Russie  au  prélèvement 
des  fonds  de  la  caisse  de  la  Dette  et  l'attitude  peu  décidée  de 
l'Italie  donnèrent  au  cabinet  anglais  des  hésitations  qui  furent 
d'ailleurs  de  courte  durée.  Le  khalife  venait  de  proclamer  la 
guerre  sainte,  et  on  annonçait  une  levée  de  120.000  Derviches, 
en  même  temps  que  du  côté  de  Souakim  venaient  se  produire 
quelques  menus  faits  qui  dénotaient  l'esprit  d'offensive  tou- 
jours professé  par  Osman  Digma.  le  vieil  ennemi  des  Anglais 
et  des  Italiens. 

*   * 

A  la  fin  de  mars,  des  engagements  avaient  eu  lieu  dans  les 
monts  Erkowitz,  au  sud-ouest  de  Souakim,  entre  les  Arabes 
alliés  et  Osman  Digma,  qui  avait  avec  lui  environ  3.000  hom- 
mes dont  200  fusils.  Après  avoir  tenté  de  saisir  les  passes  de 
Kor-VYintry,  qui  mènent  à  Souakim,  il  fut  repoussé  et  rentra 
dans  les  montagnes.  Il  revint  à  la  charge  peu  après,  tandis 


488  l'afrique  politique  en  1900 

que  des  bandes  nombreuses  couraient  le  pays  entre  Assouan 
et  Berber.  Mais  il  éprouva,  le  10  avril,  près  de  Tokar,  un  échec 
à  la  suite  duquel  les  garnisons  de  Tokar  et  de  Souakim  (trois 
bataillons),  réunies  le  15  avril  sous  les  ordres  du  colonel  Lloyd, 
le  refoulèrent  vers  le  Sud-Ouest  (1). 

Les  hostilités  continuèrent  avec  Osman  pendant  tout  le  mois 
d'avril  sans  amener  aucun  résultat,  mais  l'émotion  causée  en 
Angleterre  par  cette  diversion  amena  le  gouvernement 
anglais  à  décider  l'envoi  à  Souakim  d'une  brigade  venue  des 
Indes. 

Cette  décision,  prise  sans  l'assentiment  du  Parlement,  sou- 
leva de  vives  réclamations.  On  prétendit  que  le  cabinet  britan- 
nique n'avait  pas  le  droit,  sans  autorisation  du  Parlement,  de 
faire  sortir  des  Indes  des  troupes  indigènes,  qui  dans  le  cas 
d'un  transport  sur  le  sol  anglais  pouvaient  faire  courir  des 
dangers  à  la  métropole.  On  passa  outre,  mais  M.  Curzon  af- 
firma à  cette  occasion  que  le  cabinet  anglais  n'avait  point  l'in- 
tention d'employer  sur  le  Nil  les  troupes  des  Indes;  celles-ci 
étaient  destinées  seulement  à  remplacera  Souakim  les  troupes 
égyptiennes  appelées  du  côté  de  Dongola.  En  même  temps,  il 
croyait  devoir  déclarer  qu'il  n'existait  aucun  accord  entre 
l'Italie  et  l'Angleterre  au  sujet  d'une  action  commune  au 
Soudan. 

Le  22  mai,  le  colonel  Egerton  partait  de  Bombay  avec  un 
bataillon  d'infanterie,  débarquait  à  Souakim  peu  de  jours 
après  et  y  prenait  le  commandement.  A  la  fin  de  mai  on  avait 
rassemblé  à  Souakim  environ  2.900  hommes  de  troupes  des 
Indes  (deux  régiments  d'infanterie,  un  régiment  de  lanciers, 
une  batterie.,  une  compagnie  du  génie)  qui  furent  portées  au 
milieu  de  juin  à  l'effectif  de  4.340  hommes. 

Cet  envoi  de  troupes  causa  un  certain  émoi  aux  Indes,  à  la 
suite  de  l'intention  manifestée  par  le  gouvernement  anglais  de 
faire  payer  les  frais  d'opérations  au  budget  indien.  En  Angle- 
terre et  ailleurs,  ce  rassemblement  de  troupes  fit  croire,  con- 


(1)  La  voie  ferrée  de  Trinkitat  à  El-Keb  fut  achevée  dans  les  premiers  jours  de 
juin. 


EGYPTE   ET   SOUDAN    ÉGYPTIEN  489 

trairement  aux  dires  de  M.  Curzon,  à  la  volonté  arrêtée  de 
diriger  les  opérations  de  Souakim  sur  Kassala. 

Ces  bruits  étaient  confirmés  au  même  instant  par  l'insis- 
tance du  général  Baldissera  à  demander  au  gouvernement 
italien  l'évacuation  de  Kassala.  Mais  aucun  fait  ne  se  pro- 
duisit immédiatement  à  l'appui  de  cette  opinion.  D'ailleurs 
l'excessive  température  du  mois  de  juillet  allait  bientôt  inter- 
rompre les  opérations. 

Du  côté  du  Nil,  on  avait  fait  de  grands  efforts  pour  consti- 
tuer un  service  de  sûreté  de  première  ligne  avec  les  tribus 
arabes  des  bords  du  fleuve.  Celles-ci,  craignant  les  représailles 
des  Derviches,  n'avaient  pas  répondu  avec  un  grand  empres- 
sement aux  invitations  des  Anglais.  Cependant,  sur  la  rive 
droite,  les  tribus  arabes  entre  Korosko  et  Abou-Hamed  avaient 
promis  leur  concours,  ainsi  que  les  Kababish  et  les  Foggaras. 

Le  1er  mai,  avait  lieu  une  escarmouche  entre  les  Derviches 
et  les  Égyptiens  (trois  escadrons  et  un  bataillon)  aux  environs 
d'Akasheh.  Depuis  lors,  la  concentration  des  troupes  avait 
continué,  et  au  commencement  de  juin  on  y  avait  rassemblé 
dix  bataillons  (répartis  en  trois  brigades,  l'une  de  quatre,  les 
deux  autres  de  trois  bataillons),  quelques  escadrons  et  deux 
pièces. 

Le  7  juin,  après  une  marche  de  nuit,  ces  forces  surprirent 
les  Derviches  qui  s'étaient  avancés  à  Ferkeh,  à  20  milles  au 
sud  d'Akasheh,  sous  les  ordres  de  Hamouda.  Le  combat  de 
Ferkeh  fit  honneur  aux  troupes  égyptiennes,  qui  infligèrent 
des  pertes  sérieuses  à  l'ennemi  (d'après  les  Anglais  800  tués 
ou  blessés,  450  prisonniers). 

Le  lendemain,  Souardeh  était  occupé  par  la  cavalerie  et  les 
méharistes. 

Une  température  torride  interrompit  alors  les  opérations. 

A  ce  moment,  la  distribution  des  forces  des  belligérants  était 
la  suivante  : 

Dans  la  vallée  du  Nil,  de  10.000  à  12.000  Anglais  et  Égyp- 
tiens (sirdar  sir  Kitchener); 

A  Souakim  et  Tokar,  4.300  Indiens  (colonel  Egerton); 

A  Kassala,  2.000  Italiens  et  indigènes  (major  Hidalgo). 


490  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

En  face  de  ces  trois  groupements  on  trouvait,  vers  le  milieu 
de  juillet,  y  compris  les  renforts  envoyés  ou  sur  le  point  de 
rejoindre  (1)  : 

A  Dongola  et  Debbeb,  environ  20.000  Derviches  (Mahmoud 
Oudi  Chara  ou  Yunes  ed  Deghem); 

A  Adarama,  8.000  à  10.000  hommes  (Osman  Digma)  ; 

Sur  la  ligne  de  l'Atbara  à  Gos-Rejeb  (Ahmed  Fehdil),  à  Oso- 
hri  (Ahmed  Ouled  Ali)  et  à  El-Fascher  (Nourel  Taachi),  de 
8.000  à  10.000 hommes; 

Au  centre,  à  Omdunnan,  les  forces  restantes  du  mahdi, 
commandées,  dit-on,  par  Yakoub,  couvertes  par  le  désert  et  par 
les  lignes  de  l'Atbara  et  du  Nil,  se  tenaient  prêtes  à  se  porter, 
suivant  les  circonstances,  sur  le  point  menacé. 

Cette  dislocation  des  forces  des  Derviches,  rationnelle  au 
point  de  vue  stratégique,  était  certainement  inquiétante  pour 
les  Anglais;  aussi  se  produisit-il,  après  le  combat  de  Ferkeh, 
un  temps  d'arrêt  que  le  sirdar  mit  à  profit  pour  organiser  le 
poste  de  Souardeh,  où  il  établit  deux  bataillons,  deux  esca- 
drons et  une  batterie.  A  ce  moment,  le  chemin  de  fer  atteignait 
Ferkeh  et  les  communications  télégraphiques  venaient  d'être 
assurées.  Des  reconnaissances  étaient  poussées  vers  le  Sud,  et 
le  Camel-Corps,  avec  deux  escadrons  de  cavalerie,  prenait 
pied  à  Keddem,  d'où  s'enfuyait  Osman  Izrac. 

Il  restait  une  centaine  de  kilomètres  à  parcourir  pour  parve- 
nir à  Dongola.  but  fixé  pour  l'expédition  pendant  la  campagne 
de  1896. 

Pendant  que  les  Derviches  se  montraient  à  Hafir  et  à  Kerma 
(en  face  d'Hafir,  sur  la  rive  droite),  le  sirdar  concentrait  ses 
troupes  à  Fereig,  à  85  kilomètres  de  Dongola  et  à  36  kilomètres 
de  Kerma.  Lui-même  y  arrivait  le  4  septembre.  De  là,  l'armée 
anglo-égyptienne,  suivant  les  deux  rives  du  Nil  et  soutenue 
par  la  flottille,  se  porta  sur  Burgneh,  et  de  là  sur  Kerma,  qui  fut 
occupé  sans  résistance  le  19  septembre.  Hafir,  bombardé  par 


(1)  D'après  les  dépèches  anglaises,  avant  même  le  combat  de  Ferkeh,  le  khalife 
décida  de  faire  face  de  tous  côtés  à  ses  ennemis.  Il  donna  l'ordre  d'assiéger  de 
nouveau  Kassala  et  envoya  12.000  hommes  à  Dongola  et  6.000  hommes  à  Osman 
Disma. 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  491 

l'armée  du  sirdar  et  par  ses  canonnières,  fut  occupé  le  même 
jour  après  un  léger  combat.  Les  canonnières,  dépassant  l'ar- 
mée, remontaient,  jusqu'à  Dongola,  le  Marakah  des  Mameluks, 
le  Doungou  des  Nubiens  et  le  Dongola-el-Djedidieh  des  Arabes, 
appelé  aussi  El-Ordeh  (le  campement)  par  les  Turcs. 

Le  sirdar,  après  avoir  fait  passer  presque  toute  son  armée 
sur  la  rive  gauche,  fit  poursuivre  les  Derviches  qui  se  reti- 
raient sur  Dongola.  Lui-même,  avec  toutes  ses  forces,  environ 
15.000  hommes,  campait,  le  22  septembre,  à  8  kilomètres  de 
Dongola.  Le  23,  à  5  heures  du  matin,  il  se  mit  en  marche  :  les 
lre  et  2e  brigades  avec  deux  maxims  en  tête,  appuyées  par  les 
quatre  canonnières;  venaient  ensuite  un  détachement  anglais 
puis  les  3e  et  5e  brigades,  la  cavalerie  et  le  Camel-Corps  et  en- 
fin l'artillerie. 

Après  un  court  combat  d'infanterie  et  une  charge  de  la  cava- 
lerie, les  Derviches  se  retirèrent  vers  le  Sud,  poursuivis  vers 
Debbeh,  après  avoir  abandonné  500  prisonniers  et  une  grande 
quantité  d'approvisionnements.  Peu  après,  Debbeh  était  occupé 
ainsi  que  Merawi  et  Korti.  Le  9  octobre,  le  sirdar  repartait  pour 
Le  Caire. 

La  campagne  de  189G  était  terminée. 

* 

*  * 

Campagne  de  1897.  —  Pendant  le  reste  de  l'année  1896  et  le 
début  de  l'année  suivante,  on  s'occupa  de  préparer  la  cam- 
pagne de  1897.  La  province  de  Dongola  était  restée  occupée 
par  12.000  Égyptiens.  Ces  troupes  furent  portées  à  20.000 
combattants  par  l'envoi  de  renforts  successifs,  qui  les  complé- 
tèrent à  13  bataillons  égyptiens  de  800  hommes,  6  bataillons 
noirs  à  1.200  hommes,  10  escadrons  de  120  sabres,  7  batteries 
de  6  pièces  et  3  compagnies  de  mehara  à  80  hommes  sans 
compter  les  pionniers  et  services  accessoires.  L'ensemble,  qui 
ne  comprenait  que  des  indigènes,  s'élevait  à  plus  de  35.000 
hommes,  42  pièces  et  7.000  animaux. 

Les  communications  étaient  déjà  assurées  avec  Le  Caire  par 
la  voie  ferrée  du  Caire  à  Assouan,  par  le  cours  du  Nil,  puis 


492  l'afrique  politique  en  1900 

par  le  chemin  de  fer  de  Ouady-Halfa  à  la  troisième  cataracte. 
En  outre,  une  autre  voie  ferrée  devait  relier  à  travers  le  désert 
Ouady-Halfa  à  Abou-Hamed,  sur  une  longueur  de  230  milles, 
et  être  terminée  au  moment  où  le  corps  expéditionnaire  attein- 
drait ce  dernier  point.  On  projetait  en  même  temps  une  autre 
ligne  destinée  à  relier  Souakim  à  Berber. 

Le  sirdar  Kitchener  arrivait  à  Merawi  le  13  juillet.  Le  29, 
l'avant-garde  partait  de  Merawi  et  entrait  à  Abou-Hamed,  le 
7  août,  après  un  assez  vif  combat.  A  cette  nouvelle,  le  mahdi 
ordonnait  la  concentration  de  ses  troupes  sur  Metemmeh,  où 
son  lieutenant  Mahmoud  rassemblait  une  armée.  Osman  Digma 
reçut  l'ordre  d'abandonner  les  environs  de  Souakim,  et  Berber 
fut  évacué.  Les  tribus  arabes  auxiliaires  du  sirdar  s'en  empa- 
rèrent aussitôt,  le  7  septembre,  et,  le  12,  le  général  Hunter, 
commandant  lavant-garde,  y  pénétrait,  bientôt  suivi  par  sir 
Herbert  Kitchener.  Les  canonnières  étaient  aussitôt  lancées 
jusqu'au  confluent  de  l'Atbara,  que  l'une  d'elles  remontait  à 
40  kilomètres  en  amont. 

Bientôt  on  apprenait  la  retraite  d'Osman  Digma,  qui  traver- 
sait l'Atbara  le  23  septembre,  se  rendant  à  Metemmeh,  et  la 
soumission  de  la  plupart  des  tribus  à  l'est  du  Nil.  A  la  fin  de 
septembre,  la  voie  ferrée  était  poussée  à  15  milles  d' Abou- 
Hamed,  qu'elle  devait  atteindre  en  octobre,  pour  être  conti- 
nuée de  là  sur  Berber.  Cette  place  était  déjà  reliée  aux  postes 
du  Nil  par  le  télégraphe  de  campagne. 

Le  13  octobre,  le  sirdar  rentrait  au  Caire  et  partait  de  là  pour 
l'Angleterre. 

A  la  fin  d'octobre,  les  canonnières  poussèrent  une  recon- 
naissance à  64  kilomètres  au  delà  de  Metemmeh,  rapportant 
des  renseignements  sur  les  troupes  derviches  qui  occupaient 
cette  place.  Avec  quelques  escarmouches  d'avant-postes,  cette 
reconnaissance  clôtura  les  opérations  de  la  campagne. 

Il  restait  à  régler  la  question  de  Kassala.  Des  pourparlers 
avaient  été  engagés  depuis  le  mois  de  juillet  avec  l'Italie  pour 
affranchir  cette  puissance  des  charges  de  l'occupation.  L'Italie 
consentit  à  tenir  cette  place  jusqu'après  la  fin  de  la  campagne 
de  1897.  Ce  n'est  que  lorsque  les  troupes  égyptiennes  se  furent 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  493 

solidement  installées  à  Berber  que  l'Italie  se  trouva  dégagée, 
par  l'arrivée  à  Kassala  d'une  troupe  anglo-égyptienne,  de  la 
responsabilité  onéreuse  de  l'occupation  de  cette  place. 

* 

*  * 

Campagne  de  1898.  —  Au  début  de  la  campagne  de  1898,  le 
sirdar  Kitchener  disposait,  entre  l'Atbara  et  Abou-Hamed,  de 
13.000  hommes  environ,  comprenant  les  forces  égyptiennes 
(9.000  fantassins,  900  cavaliers  et  chameliers  et  4  batteries) 
et  les  troupes  anglaises  stationnées  au  camp  de  Darnali,  au 
sud  de  Berber,  sous  les  ordres  du  général  Gatacre,  et  comptant 
4  bataillons  ( Warwikshire ,  Lincoln,  Seaforth  et  Cameron 
Highlanders),  environ  3.000  hommes. 

Au  mois  de  mars,  on  avait  poussé  le  chemin  de  fer  jusqu'à 
100  kilomètres  de  Berber  et  décidé  de  le  continuer  vers  l'At- 
bara et  Khartoum  (1). 

La  concentration  de  l'armée  anglo-égyptienne  s'effectua  sur 
l'Atbara,  d'où  elle  remonta  le  Nil  sous  la  protection  des  canon- 
nières. Le  26  mars,  profitant  de  dissentiments  qui  s'étaient 
élevés  entre  l'émir  Mahmoud  et  Osman  Digma,  le  sirdar  lan- 
çait sa  flottille  sur  Chendi  avec  trois  bataillons  égyptiens,  qui 
enlevaient  la  ville  et  détruisaient  les  ouvrages  fortifiés.  Mah- 
moud s'était  dirigé  vers  l'Atbara  et  Berber  par  la  rive  droite 
du  Nil,  espérant  surprendre  l'armée  anglo-égyptienne.  Sur- 
pris lui-même,  il  était  allé  s'établir  dans  un  camp  à  Dakheïla, 
sur  l'Atbara,  attendant  l'attaque  du  sirdar.  Après  une  marche 
effectuée  dans  la  nuit  du  7  au  8  avril,  celui-ci  se  présenta  avec 
13.000  hommes,  12  maxims  et  24  pièces  devant  le  camp  fortifié 
de  Mahmoud,  qui  disposait  de  forces  à  peu  près  égales.  Après 
avoir  fait  bombarder  le  camp  ennemi,  il  le  prit  d'assaut,  fai- 
sant 4.000  prisonniers,  parmi  lesquels  Mahmoud  lui-même,  et 
s'emparant  d'un  butin  considérable.  Les  Derviches  eurent 
3.000  tués,  tandis  que  les  troupes  du  sirdar  perdaient  500 


(1)  On  annonçait,  en  décembre  1898,  que  If  chemin  do  for  serait  prolongé  le 
plus  tôt  possible  d'Omdurman  sur  le  conlluont  du  Sobat. 


494  l'afrique  politique  en  1900 

hommes  tués  ou  blessés,  dont  112  Anglais.  Le  sirdar  rentrait 
peu  après  à  Berber,  et  la  marche  en  avant  fut  ajournée  au 
mois  de  juillet. 

On  avait  décidé,  devant  la  résistance  des  Derviches  et  les 
nouvelles  venues  d'Omdurman,  de  renforcer  le  corps  expédi- 
tionnaire de  quatre  bataillons  anglais  tirés  de  Malte  et  de  Gi- 
braltar et  de  détachements  égyptiens  prélevés  sur  les  garni- 
sons du  Nil. 

A  la  reprise  des  hostilités,  à  la  fin  de  juillet,  la  composition 
de  l'armée  du  sirdar  était  la  suivante  : 

1°  Une  division  anglaise  (général  Gatacre),  comprenant  : 

lre  brigade  (général  Wanchope)  : 

1er  bataillon  Cameron  Highlanders  ; 
1er      i—      Seaforth  Highlanders; 
1er        —      Warwikshire  ; 
Ier        —      Lincolnshire. 

2e  brigade  (général  Littleton)  : 

1er  bataillon  Northumberland; 
2e         —      Lancashire  ; 
1er        —      Grenadiers-Guards; 
2e         —      Rifle-Brigade. 

Cavalerie  :  21e  lanciers. 

Artillerie  :  2  batleries.de  campagne; 

1  batterie  de  mortiers  ; 

2  canons  Maxim. 

Soit  7.500  hommes. 

2°  Un  corps  égyptien  (général  Hunter),  comprenant  4  bri- 
gades d'infanterie,  900  cavaliers  et  chameliers  et  4  batteries. 
Soit  15.000  hommes. 

3°  Les  canonnières  (commodore  Keppel). 

L'ensemble  de  ces  forces  s'élevait  à  environ  23.000  combat- 
tants, auxquels  il  faut  ajouter  les  troupes  d'étapes,  pionniers, 
auxiliaires,  etc. 

Le  quartier  général  était  établi  au  camp  de  l'Atbara,  où  se 
trouvaient  trois  batteries,  la  cavalerie  et  la  moitié  du  Camel- 
Corps. 

La  lre  brigade  anglaise  était  à  Darnali. 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  493 

La  2e  brigade  anglaise  se  dirigeait  du  Caire  vers  l'Atbara. 

Deux  brigades  égyptiennes  étaient  à  Berber  avec  deux  bat- 
teries. 

Le  reste  des  troupes  à  Kamir  et  environs. 

Au  commencement  d'août,  la  marche  fut  reprise  vers  Khar- 
toum.  L'artillerie  et  quelques  détachements  d'infanterie  furent 
embarqués  sur  la  flottille,  tandis  que  le  reste  des  troupes  pre- 
nait par  la  rive  gauche  du  Nil. 

On  s'attendait  à  une  action  sérieuse  à  Metemmeh;  mais, 
arrivé  au  défilé  de  Shabluka,  signalé  par  les  reconnaissances 
comme  la  position  la  plus  dangereuse,  sur  le  Nil,  avant  Khar- 
toum,  on  constata  que  les  Derviches  avaient  abandonné  la 
lutte  et  s'étaient  retirés  sur  Omdurman. 

Le  26  août,  le  corps  expéditionnaire  était  concentré  à  He- 
gaia.  Il  en  repartait  aussitôt,  précédé  par  les  auxiliaires  indi- 
gènes, et  arrivait  devant  Omdurman  le  2  septembre.  Les  Der- 
viches, au  nombre  de  35.000,  y  attendaient  l'attaque  du  sirdar. 
Celui-ci,  grâce  à  l'armement  et  à  la  discipline  de  ses  troupes, 
battit  complètement  les  troupes  du  mahdi  dans  un  combat 
qu'un  journal  anglais  a  appelé  «  une  grande  bagarre  plutôt 
qu'une  bataille  ».  Malgré  le  grand  courage  dont  ils  firent 
preuve,  on  a  dit  que  les  derviches  laissèrent  sur  le  terrain 
10.000  des  leurs,  parmi  lesquels  Yakoub,  le  fils  du  mahdi. 

Cette  victoire  fit  tomber  entré  les  mains  du  sirdar  Omdur- 
man, centre  de  la  puissance  du  mahdi,  avec  son  arsenal,  ses 
approvisionnements  et  de  nombreux  prisonniers. 

Le  khalife  fugitif  fut  traqué  par  les  troupes  anglo-égyptien- 
nes, tandis  que  les  canonnières  remontaient  les  deux  Nils. 
Les  communications  télégraphiques  étaient  aussitôt  établies 
avec  Le  Caire,  et  des  postes  avancés  établis  autour  de  Khar- 
toum  et  d'Omdurman. 

Pendant  que  le  sirdar  Kitchener,  à  la  nouvelle  de  l'arrivée 
d'Européens  à  Fachoda,  remontait  le  Nil  avec  des  forces  impo- 
santes et  prenait  contact  avec  le  commandant  Marchand  (voir 
le  chapitre  relatif  au  Congo  français),  on  s'occupait  de  pour- 
suivre le  mahdi  et  de  réduire  les  Derviches,  qui,  sous  le  com- 


496  l'afrique  politiqie  en  1900 

mandement  d'Ahmed  Fedil,  tenaient  encore  la  province  de 
Ghedaref. 

Battu  une  première  fois  par  le  colonel  Parson,  Ahmed  Fedil 
subissait,  le  26  décembre,  une  nouvelle  défaite  à  Rosaires.  Il 
réussissait  à  s'échapper  et  à  se  rapprocher  du  Nil,  qu'il  es- 
sayait, au  mois  de  janvier  1899,  de  traverser  du  côté  de 
Kosseiros,  pour  se  joindre  aux  forces  du  khalife. 

Celui-ci  s'était  retiré  à  Serquellah,  d'où,  ne  se  trouvant  pas 
en  sûreté  au  milieu  de  ses  partisans,  il  avait,  au  mois  de  mai, 
pris  la  direction  du  Sud,  pour  s'éloigner  davantage  de  Khar- 
toum  et  des  petites  expéditions  lancées  autour  de  cette  place 
malgré  les  maladies  qui  décimèrent  au  mois  de  mars  l'armée 
anglo-égyptienne. 

Du  côté  du  Darfour,  on  avait  tenté  sans  grand  succès  de 
nouer  des  relations.  Vers  l'Abyssinie,  une  reconnaissance  qui 
remontait  le  Nil  Bleu  fut  arrêtée  à  Famaka  par  les  autorités 
éthiopiennes  et  obligée  de  se  retirer.  L'Abyssinie  paraissait 
bien  gardée,  sinon  sur  le  Nil  Blanc  lui-même,  au  moins  au 
pied  des  plateaux,  là  où  le  climat  commence  à  devenir  favo- 
rable aux  Abyssins.  Il  n'est  pas  inutile  de  rappeler,  au  moment 
où  les  forces  anglo-égyptiennes  traitent  en  pays  conquis  les 
territoires  de  la  rive  droite  du  Nil,  les  termes  de  la  lettre 
adressée  par  Ménélik,  en  1891,  aux  chefs  d'État  européens  : 

Partant  de  Tomat,  la  limite  de  l'Ethiopie  embrasse  la  province  de 
Ghedaref  et  arrive  jusqu'à  la  ville  de  Kargay,  sur  le  Nil  Bleu.  En 
indiquant  aujourd'hui  les  limites  actuelles  de  mon  empire,  je 
tâcherai,  si  Dieu  veut  m'accorder  la  vie  et  la  force,  de  rétablir  l'an- 
cienue  frontière  de  l'Ethiopie  jusqu'à  Khartoum  et  jusqu'au  lac 
Nyanza  avec  les  pays  gallas. 

Les  Anglais  ont  réussi  à  faire  évacuer  Fachoda.  Le  négus  se 
montrera-t-il  aussi  accommodant  à  leur  égard  que  le  gouver- 
nement français?  Nous  le  saurons  avant  peu. 

L'Angleterre  menace  en  effet  de  plus  en  plus  les  territoires 
du  négus.  Ne  pouvant  faire  suivre  au  Transafricain  la  rive 
-du  Nil,  marécageuse  et  enfiévrée,  elle  paraît  décidée  à  en 


EGYPTE  ET  SOI  DAN  ÉGYPTIEN  497 

rejeter  le  tracé  au  pied  des  plateaux  éthiopiens,  de  manière 
à  les  investir  plus  étroitement  encore. 

Après  la  campagne  de  1898,  toute  l'activité  anglaise  se  re- 
porta sur  les  questions  commerciales  et  sur  celle  des  chemins 
de  fer.  Du  khalife  qui  paraissait  à  bout  de  forces,  du  Darfour, 
du  Korclofan  et  même  de  l'Abyssinie  il  ne  fut  plus  question. 
Tout  au  plus,  pour  entretenir  la  curiosité  anglaise,  fit-on  annon- 
cer, au  printemps  et  à  l'été  de  1899,  la  formation  d'une  expé- 
dition contre  le  khalife  en  même  temps  qu'on  déclarait  le 
Bahr-el-Ghazal  inutilisable.  Après  le  chemin  de  fer  du  Nil, 
qui  a  atteint  Omdurman  au  mois  de  janvier  1900,  on  s'occupait 
de  son  prolongement  et  aussi  de  la  ligne  de  Souakim  à 
Berber  (1). 

D'ailleurs  les  événements  du  Transvaal  vinrent  dériver  l'at- 
tention vers  des  sujets  plus  importants.  Il  semblait  qu'on  allait 
laisser  s'endormir  les  questions  du  Soudan  égyptien,  lorsqu'on 
apprit  brusquement  en  Europe,  à  la  fin  de  novembre  1899,  la 
défaite  définitive  et  la  mort  du  khalife. 

Au  commencement  de  1899,  Ahmed  Fedil  avait  réussi  à  tra- 
verser le  Nil  Blanc  avec  quelques  troupes  et  à  rejoindre  le 
mahdi.  A  ce  moment  celui-ci  paraissait  posséder  une  armée  de 
5.000  hommes  traînant  après  elle  un  grand  nombre  de  femmes 
et  d'enfants.  Un  moment,  au  mois  d'octobre  dernier,  après  di- 
verses vicissitudes,  il  parut  dessiner  une  vague  offensive  sur 
Khartoum.  C'était  plutôt  une  reconnaissance.  Dès  la  fin  de  sep- 
tembre des  troupes  égytiennes  évaluées  à  2  brigades  d'infan- 
terie, 3  batteries  avec  des  détachements  de  cavalerie  et  de 
méharistes,  se  mettaient  en  mouvement  avec  le  dessein  d'en- 
tamer une  action  contre  le  khalife.  On  annonçait  leur  concen- 
tration à  150  milles  au  sud-ouest  d'Omdurman  et  à  70  milles 
environ  du  camp  du  khalife. 

Le  22  novembre,  le  colonel  Wingate,  qui  surveillait  dans  le 


(1)  On  a  annoncé  l'inauguration,  le  26  août  dernier,  par  le  sirdar  Kitche- 
ner,  du  pont  de  l'Atbara,  fourni  par  des  maisons  américaines,  qui  en  avaient 
obtenu  l'adjudication.  A  ce  moment  les  officiers  et  soldats  du  génie  anglais  avaient 
posé  587  milles  de  rails  au  nord  du  pont  et  [-22  au  sud.  Bel  exemple  à  suivre  pour 
notre  futur  Transsaharien! 

Afr.  polit.  38 


498  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

Kordofan,  avec  quelques  troupes,  les  mouvements  des  dervi- 
ches, atteignait  Ahmed-Fedil  à  Nelisa  et  le  battait  en  lui  tuant 
400  hommes.  Ce  succès  arrivait  à  point  pour  consoler  les  An- 
glais de  leurs  premiers  échecs  au  Transvaal. 

Deux  jours  après,  grâce  à  une  marche  de  nuit,  le  colonel 
Wingate,  bien  renseigné  sur  les  mouvements  ennemis,  rejoi- 
gnait le  khalife  à  Oum-Debrikat  et  mettait  ses  troupes  en 
déroute  dans  un  combat  où  il  trouva  la  mort. 

Le  récit  que  donne  le  colonel  de  la  mort  du  khalife  est  dra- 
matique : 

Aussitôt  que  les  troupes  anglo-égyptiennes  eurent  emporté  le 
camp  des  derviches,  on  apprit  qu'Abdullahi  et  la  plupart  de  ses 
émirs  se  trouvaient  parmi  les  morts.  Le  colonel  Wingate  se  dirigea 
immédiatement  vers  le  lieu  où  gisait,  disait-on,  le  khalife.  En 
route,  un  jeune  garçon  de  quinze  ans,  saisissant  la  main  du  ma- 
jor Watson,  lui  dit  :  «  Le  khalife  est  mort.  Je  suis  son  fils.  »  Puis  il 
conduisit  l'officier  anglais  près  du  cadavre  de  son  père. 

Le  corps  du  khalife  était  étendu,  enroulé  dans  une  peau  de  mou- 
ton criblée  de  balles.  Sur  son  cadavre  étaient  tombés  ses  deux  prin- 
cipaux émirs,  Ali  Wad  Helu  et  Ahmed  Fedil.  Puis  autour  de  lui 
gisaient  dix  ou  douze  autres  émirs,  et  tous  les  hommes  de  sa 
garde  du  corps. 

Le  colonel  Wingate  contemplait  l'imposant  spectacle  de  ces 
braves  étendus  dans  l'immobilité  de  la  mort,  lorsque  d'un  monceau 
de  cadavres  émergea  un  petit  homme  qui  n'était  autre  que  Yunis 
Deghemi,  l'ancien  émir  de  Dongola. 

Il  conta  comment  les  derviches,  n'ayant  pu  réussir  à  tourner  les 
Anglo-Égyptiens  et  commençant  à  se  débander  devant  le  terrible 
feu  de  ceux-ci,  le  khalife  appela  ses  émirs  et  leur  dit  :  «  Je  ne  fuirai 
point.  Je  mourrai  ici.  Je  vous  prie  de  rester  près  de  moi,  et  nous 
mourrons  ensemble.  »  Ils  y  consentirent,  et  avec  la  garde  du  corps 
se  placèrent  devant  leur  chef. 

Le  khalife  s'assit  sur  sa  peau  de  mouton  et,  avec  ses  compagnons, 
attendit  tranquillement  la  fin. 

Le  colonel  Wingate  a  fait  enterrer  sur  le  lieu  même  où  ils  étaient 
tombés  Abdullahi  et  ses  fidèles,  par  leurs  propres  gens  et  avec  leur 
cérémonial.  Les  derniers  défenseurs  du  mahdisme  reposent  dans 
un  site  magnifique  à  peu  de  distance  de  l'île  d'Abba  qui  en  fut  le 
berceau. 

Les  forces  des  derviches  étaient  anéanties.  Osman  Digma 
avait  pu  fuir  avec  quelques  partisans  et,  après  avoir  passé  le 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  499 

Nil,  s'était  réfugié  près  de  Tokar.  C'est  là  qu'il  fut  pris,  peu  de 
jours  après,  et  envoyé  à  Suez. 

Le  20  janvier  1900,  El  Obeid  était  occupé  et  l'influence  an- 
glaise essayait  aussitôt  d'entamer  le  Darfour. 

Ces  événements  survenaient  à  point  pour  sauver  les  Anglais 
des  graves  complications  que  les  insuccès  subis  au  Transvaal 
auraient  pu  amener  au  Soudan.  L'Egypte  dégarnie  de  troupes 
anglaises  et  le  corps  d'occupation  réduit  à  moins  de  2.000 
hommes,  les  esprits  allaient  s'échauffer  aux  récits  des  défaites 
britanniques  et  le  Conseil  législatif  du  Caire,  appelé,  au  mois 
de  janvier,  à  voter  sur  les  dépenses  du  Soudan,  allait  procla- 
mer, aux  applaudissements  des  Égyptiens,  que  le  Soudan 
faisait  partie  intégrante  de  l'Egypte. 

Au  même  instant  l'attitude  des  troupes  égyptiennes  de 
Khartoum  causait  de  graves  soucis  à  l'administration  anglaise 
et  partout  le  long  du  Nil  on  sentait,  à  des  signes  divers,  que  le 
prestige  britannique  risquait,  quelle  que  fût  l'issue  de  la  guerre 
du  Transvaal,  de  rester  gravement  compromis,  alors  même 
qu'il  n'y  eût  à  craindre  aucune  action  panislamique  du  côté  des 
Turcs  ou  des  Senoussias. 


* 


Pendant  que  ces  événements  se  déroulaient  sur  le  Nil,  les 
Anglais  continuaient  en  Egypte  leur  politique  d'absorption  (1). 


(1)  Un  correspondant  militaire  anglais,  M.  Oppenheim,  qui  a  suivi  les  opéra- 
tions du  Soudan,  a  fait  ressortir,  dans  la  Nineteentli  Century,  les  facilités  de  la 
guerre  de  Khartoum.  Il  signale  que  le  succès  de  la  campagne  qui  aboutit  à  la 
victoire  d'Omdurman  est  dû  à  la  sagesse  d'une  préparation  qui  a  pu  être  soignée 
jusque  dans  ses  plus  infimes  détails.  Le  sirdar  a  eu  la  possibilité  de  complète- 
ment maîtriser  le  facteur  temps  :  il  lui  était  aisé  de  prévoir,  six  mois  à  l'avance, 
à  quel  jour  du  mois  d'août  et  de  septembre  la  pleine  lune  ou  la  crue  du  fleuve 
favoriserait  l'opération  qu'il  projetait. 

"Au  Soudan,  un  large  lleuve  sert  de  ligne  de  communication,  ligne  que  le  désert 
même  préserve  de  tout  péril,  fleuve  que  sillonnent  avec  une  relative  facilité  de 
lourdes  embarcations,  efficacement  protégées  par  les  maxims  des  canonnières. 

Du  dernier  point  déconcentration  au  sud  de  la  sixième  cataracte,  les  deux 
divisions  n'ont  qu'à  parcourir  40  milles  pour  gagner  leur  champ  de  bataille. 
Elles  exécutent  cette  manœuvre,  posément,  à  raison  de  8  milles  par  jour  et 
dans  une  formation  on  ne  peut  plus  avantageuse  :  le  front  de  marche  s'étale  sur 


rjOO  L'AFRIQUE    POLITIQIE    EN    1900 

Peu  à  peu.  mais  de  façon  continue,  l'administration  égyp- 
tienne passait  entre  leurs  mains,  et  ils  pouvaient  disposer, 
sans  soulever  les  réclamations  de  l'Europe,  de  ce  que  l'on 
a  pu  appeler  le  capital  de  l'Egypte.  C'est  ainsi  qu'ils  alié- 
naient, après  avoir  épuisé  toutes  les  ressources  dont  ils 
pouvaient  légalement  disposer,  les  bateaux  de  la  Khedivieh,. 
entreprise  maritime  du  gouvernement  égyptien  desservant 
la  Syrie,  la  Grèce  et  la  Turquie.  Cette  atteinte  aux  droits 
de  l'Egypte,  qui  en  d'autres  temps  eût  soulevé  de  nom- 
breuses oppositions,  s'accomplit,  au  mois  de  janvier  1898, 
sans  trop  de  réclamations  de  la  part  de  l'opinion  publique 
européenne. 

Peu  à  peu  les  Égyptiens  oublient  la  France.  La  langue 
française  recule  devant  la  langue  anglaise.  En  1889,  la  pro- 
portion du  nombre  des  étudiants  était  d'environ  74  pour  100' 
pour  le  français,  26  pour  100  pour  l'anglais.  En  1898,  cette 
proportion  sest  abaissée  à  environ  35  pour  100  pour  la  langue 
française,  alors  qu'elle  remontait  à  65  pour  100  pour  la  langue 
anglaise. 

Les  entreprises  anglaises  se  développent  partout  avec  une 
importance  et  une  rapidité  croissantes.  La  National  Bank, 
banque  anglaise,  émet  déjà  des  banknotes,  tandis  que  les  entre- 
prises françaises,  frappées  d'anémie,  en  butte  à  une  concur- 
rence énergique,  renoncent  à  la  lutte  ou  sont  menacées  d'une 
liquidation  prochaine  (1). 

Au  Soudan,  la  convention  anglo-égyptienne  du  19  jan- 
vier 1899  a  posé  les  bases  d'une  sorte  de  condominium  sur 
lequel  l'Egypte  ne  se  fait  aucune  illusion.  Les  deux  drapeaux 
sont  hissés  côte  à  côte  :  un  seul  d'entre  eux  représente  la 


prés  de  10  milles;  les  bagages  suivent  sans  relard,  car  la  profondeur  est  insi- 
gnifiante. (France  militaire.) 

Il  est  certain  qu'on  ne  saurait  comparer  les  difficultés  de  la  guerre  soudanaise 
avec  celles  auxquelles  l'armée  anglaise  s'est  heurtée  au  Transvaal. 

(1)  Le  commerce  de  l'Egypte  a  atteint  G00  millions  en  189".  Les  importations 
ont  atteint  environ  2o0  millions  ;  celles  d'Angleterre  ont  augmenté  de  12  millions 
pendant  que  celles  de  France  diminuaient  de  2  millions.  Depuis  sept  ans,  les  im- 
portations belges  et  allemandes  ont  quintuplé  et  augmentent  encore. 


EGYPTE  ET  SOUDAN  ÉGYPTIEN  501 

Téalité  dominante.  Le  collège  anglais  de  Khartoum,  bientôt 
édifié,  symbolisera  à  brève  échéance  cette  domination,  que  la 
France  a  perdue,  que  l'Egypte  subit  et  à  laquelle  elle  s'habitue 
tous  les  jours  davantage  (1). 


L'Egypte,  que  les  anciens  considéraient  comme  une  terre 
d'Asie,  s'est  de  plus  en  plus  rapprochée  de  l'Europe,  surtout  de- 
puis que  l'œuvre  française  du  canal  de  Suez  a  été  achevée.  La 
création  de  cette  nouvelle  voie  de  communication  fut,  encore 
plus  que  la  situation  stratégique  de  l'Egypte,  le  motif  détermi- 
nant de  l'occupation  de  ce  pays  par  les  Anglais.  Comprenant 
aussi  qu'un  événement  imprévu  de  la  politique  européenne 
peut  les  obliger  à  évacuer  le  pays,  ils  font  en  ce  moment  leurs 
efforts  pour  créer  entre  la  Méditerranée  et  les  Indes  une  nou- 
velle voie  de  communication  encore  plus  rapide  que  celle  du 
canal. 

Habitués  à  escompter  à  l'avance  les  succès  de  leur  diplo- 
matie, ils  rêvent  déjà  de  se  réserver,  par  le  protectorat  de 
la  Perse  et  de  la  Turquie  d'Asie,  le  moyen  de  posséder,  le 
long  des  rivages  du  golfe  Persique,  un  chemin  de  fer  anglais 
qui  viendrait  déboucher  en  face  de  Chypre,  possession  an- 
glaise. 

Les  Anglais  ont  la  vague  inquiétude  de  ne  pouvoir  conserver 
indéfiniment  leur  situation  en  Egypte.  Ils  sentent  que  la  durée 
de  leur  occupation  serait  à  la  merci  d'une  entente  de  l'Alle- 
magne avec  la  France  et  la  Russie.  Ils  se  souviennent  que  cette 
entente  s'est  récemment  produite  en  Extrême-Orient,  et  que 
pour  l'Egypte  elle  dépend  seulement  de  concessions  récipro- 
ques. Aussi  sa  mission  sur  les  bords  du  Nil,  dont  elle  parle  si 
souvent,  ne  paraît-elle  avoir  d'autre  but  que  de  préparer  à  ce 


(1)  Pour  tout  ce  qui  concerne  les  principes  politiques  qui  ont  guidé  les  Anglais 
dans  l'établissement  île  leur  domination  au  Soudan,  se  reporterau  chapitre  relatif 
à  la  mission  Marchand  (Congo  français). 


502  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

pays  un  avenir  tel  qu'il  se  trouve  incapable  de  porter  ombrage 
à  ses  intérêts,  si  elle  se  trouve  obligée  d'en  sortir  même  pour 
y  céder  la  place  à  une  puissance  européenne. 

Pour  cela,  il  est  nécessaire  qu'elle  possède  le  Soudan  avec 
la  côte  de  la  mer  Rouge,  que  le  chemin  de  fer  de  la  Méditerranée 
aux  Indes  soit  achevé  et  que  les  territoires  traversés  soient 
placés  sous  la  tutelle  anglaise,  même  au  prix  d'un  partage,  avec 
les  Russes,  de  la  Perse  et  de  la  Turquie. 

Ce  jour-là,  le  canal  de  Suez  ayant  été  lui-même  préalable- 
ment neutralisé,  l'évacuation  de  l'Egypte  aura  fait  un  pas  déci- 
sif. Ce  jour-là  aussi,  les  Anglais  auront  pris  soin  de  détourner 
d'avance  vers  d'autres  rivages  le  commerce  que  fait  l'Egypte 
avec  le  Soudan.  Le  projet  d'une  voie  ferrée  reliant  Rerber 
à  Souakim  a  récemment  fait  jeter  un  cri  d'alarme  sur  les  bords 
du  Nil.  On  y  comprend  que  la  construction  de  ce  chemin  de 
fer  aurait  pour  effet  immédiat  de  rejeter  vers  Souakim,  devenue 
ville  anglaise,  et  de  là  sur  les  vaisseaux  anglais,  les  marchan- 
dises du  Soudan. 

Cette  voie  ferrée  aurait  encore  un  autre  résultat  non  moins 
désastreux  pour  l'Egypte  :  celui  de  permettre  le  transport,  par 
la  voie  la  plus  rapide,  des  pèlerins  musulmans  qui,  de  l'Afrique 
centrale,  se  dirigent  vers  La  Mecque,  sans  emprunter,  comme 

aujourd'hui,  le  territoire  égyptien à  moins  que  ce  résultat 

ne  soit  obtenu  par  un  moyen  encore  plus  simple  :  la  création, 
déjà  rêvée  par  le  mahdi  de  Djerboub,  mais  alors  sous  les 
auspices  de  l'Angleterre,  d'une  métropole  saharienne  ou  sou- 
danaise du  culte  de  Mahomet  et  d'une  cité  sainte  rivale  de  La 
Mecque.  Cela  fait,  et  l'exploitation  du  Soudan  complétée  par 
l'établissement  de  la  voie  ferrée  de  Mombassa  à  Khartoum, 
l'Egypte,  décapitée  en  partie  de  son  rôle  commercial  et  dé- 
pouillée du  transit  universel,  ne  serait  plus  qu'un  pays  agri- 
cole qu'on  pourrait  livrer  à  ses  destinées  sans  inconvénient 
pour  les  intérêts  de  l'Angleterre,  dont  «  la  mission  en  Egypte  » 
serait  alors  véritablement  accomplie. 

La  France  n'est  pas  la  seule  puissance  intéressée  à  ces  ques- 
tions. Même  sans  attendre  la  liquidation  de  la  Turquie  et  de  la 
Perse,  il  y  a  lieu  de  penser  que  l'équilibre  nouveau  qu'on  essaie 


EGYPTE   ET    SOUDAN    ÉGYPTIEN  503 

d'établir  en  Extrême-Orient  rappellera  l'attention  sur  la  ques- 
tion des  grandes  voies  de  communications  maritimes.  Les  évé- 
nements peuvent  donner  naissance  à  des  complications  su- 
bites du  côté  de  l'Egypte,  et  ailleurs  encore;  les  groupements 
politiques  peuvent  changer,  et  la  question  d'Egypte,  dont  la 
solution  a  paru  s'éloigner,  pourrait  bien  donner  lieu  à  des  sur- 
prises prochaines. 


CONCLUSION 


Chaque  région,  étudiée  séparément,  a  donné  lieu  à  une  con- 
clusion partielle.  On  se  bornera  ici  à  jeter  sur  l'Afrique  un  coup 
d'œil  d'ensemble  après  avoir  procédé  à  un  examen  général  et 
rapide  des  résultats  donnés  par  les  méthodes  de  colonisation 
française  et  anglaise. 

Les  nombreux  traités  conclus  depuis  vingt  ans  au  sujet  des 
délimitations  africaines  ont  abouti  à  la  reconnaissance  des 
zones  d'influence,  désormais  fixées,  tout  au  moins  dans  leurs 
lignes  générales. 

On  ne  saurait  affirmer,  cependant,  que  le  choc  des  intérêts 
contraires  n'amènera  pas  des  bouleversements  et  des  disloca- 
tions. L'ère  des  compétitions  est  loin  d'être  définitivement 
close,  les  affaires  du  Transvaal  en  sont  le  témoignage,  et  il 
n'est  point  malaisé  de  dénoncer  dès  maintenant  les  régions  sur 
lesquelles  porteront  les  contestations  futures. 

Ce  qui  semble  préoccuper  le  plus  l'opinion  française,  avide 
de  résultats  immédiats,  ce  n'est  pas  tant  le  souci  de  conserver 
et  de  consolider  l'empire  colonial  si  rapidement  acquis  que  le 
désir  légitime,  quoique  prématuré  en  certains  points,  de  le 
mettre  en  valeur  et  de  procéder  sans  délai  à  son  exploitation. 

Celle-ci  ne  saurait  être  efficacement  assurée  sans  méthode  et 
sans  continuité,  et  l'on  sait  combien,  jusqu'à  ce  jour,  ces  qua- 
lités nous  ont  fait  défaut. 

Les  méthodes  de  colonisation  successivement  employées 


506  l'afrique  politique  en  1900 

par  l'administration  française  ont  en  surtout  le  mérite  d'être 
multiples  et  variées. 

On  a  tenté  bien  des  moyens,  mis  en  pratique  de  nombreuses 
conceptions  :  on  ne  paraît  avoir  suivi  nulle  part,  sans  tâtonne- 
ments, une  ligne  de  conduite  fondée  sur  la  connaissance 
approfondie  des  pays  et  des  races. 

Il  est  des  principes  généraux  qu'on  peut  appliquer  à  coup 
sûr  à  tout  gouvernement,  à  tout  essai  de  colonisation;  il  en 
est  d'autres  qui,  discutables  et  contestés  même  dans  la  métro- 
pole, doivent  être  rejetés  sans  hésitation  dans  des  colonies 
nouvellement  créées. 

L'homme  d'État  éminent  qui,  soucieux  de  l'avenir  et  pré- 
voyant les  nécessités  futures,  a  eu  la  gloire  de  jeter  les  bases 
de  notre  puissance  coloniale,  Jules  Ferry,  dans  son  rapport 
sur  l'organisation  du  gouvernement  général  de  l'Algérie,  po- 
sait des  principes  d'administration  qu'on  peut  considérer 
comme  applicables  à  toute  colonie. 

Il  repoussait  avec  force  l'idée  d'assimilation  des  indigènes, 
s'élevait  hautement  contre  la  pensée  de  gouverner  de  Paris 
nos  diverses  colonies  et  demandait  en  leur  faveur  une  large 
décentralisation. 

Ce  sont  les  mêmes  principes  que  suivent  les  Anglais 
dans  leur  administration  coloniale  et  qu'ils  appliquent  de 
longue  date  au  Canada,  au  Gap  et  ailleurs. 

Nos  voisins,  disait  Jules  Ferry,  ont  tiré  de  leurs  longues  et  nom- 
breuses expériences  coloniales  la  conclusion  qu'il  faut  laisser 
beaucoup  d'indépendance  administrative  aux  pouvoirs  locaux. 
A  ceux-ci  la  libre  initiative,  au  pouvoir  métropolitain  le  contrôle. 

C'est  cette  même  pensée  qui  inspire  la  conclusion  donnée 
par  M.  Edmond  Demolins  au  tableau  qu'il  trace  de  la  prétendue 
supériorité  des  Allemands  (1)  : 

Dans  le  premier  moment,  ces  énormes  mécanismes  donnent  à 
une  société  toutes  les  apparences  extérieures  de  la  puissance  poli- 


(1)  A    quoi   tient   la  supériorité  des  Anglo-Saxons,  par  Edmond  Demolins, 
préface  de  la  2e  édition,  page  xv. 


CONCLISIOX  Îj07 


tique  et  de  la  puissance  sociale,  parce  qu'ils  centralisent  brusque- 
ment et  brutalement  dans  une  seule  main  toutes  les  forces  vives  de 

la  nation,  lentement  constituées  par  les  régimes  antérieurs Mais 

précisément  parce  que  ce  régime  centralise  toutes  les  forces  vives, 
il  finit  par  les  atrophier,  par  les  stériliser,  et  alors  arrive  la  pro- 
fonde et  parfois  irrémédiable  décadence L'empire  d'Allemagne, 

s'il  persiste  dans  la  voie  où  il  est  engagé  —  ce  qui  est  très  probable  — 
n'échappera  pas  à  cetle  loi  fatale Et,  pendant  que  la  race  anglo- 
saxonne  grandira  de  plus  en  plus  par  les  œuvres  fécondes  et  sans 
cesse  renouvelées  de  l'initiative  privée  et  du  self-government,  la 
vieille  Allemagne  perdra  de  jour  en  jour,  par  l'excès  de  la  puis- 
sance politique,  ses  fortes  vertus  qui  ont  fait  et  qui  font  encore  sa 
puissance  sociale. 

Cette  erreur  de  la  centralisation,  combinée  avec  notre  mé- 
connaissance des  races  conquises  et  des  nécessités  sociales 
qui  s'imposent,  avec  notre  sensiblerie  d'êtres  trop  civilisés, 
avec  notre  tendance  à  appliquer  à  nos  sujets,  sans  discerne- 
ment, des  principes  sociaux  que  nous  ne  sommes  pas  même 
parvenus  à  nous  assimiler,  nous  a  conduits  à  la  plupart  de  nos 
déceptions  coloniales  (1). 

C'est  ainsi  que,  dans  nos  plus  récentes  conquêtes,  on  a  pré- 
maturément supprimé  le  régime  militaire,  sans  attendre  que 
le  temps  ait  complété  l'œuvre  de  la  pacification  en  faisant  dis- 
paraître les  germes  de  révolte,  sans  consulter  les  enseigne- 
ments du  passé,  le  plus  lointain  comme  le  plus  proche,  et 
sans  étudier,  pour  les  mettre  en  pratique,  les  procédés  de 
conquête  et  de  colonisation  romains  ou  britanniques. 

C'est  ce  qui  nous  laisse  aller,  sous  la  pression  de  belles  for- 
mules ou  d'idées  admises  sans  discussion,  à  franciser  nos 
indigènes,  à  vouloir,  par  l'école,  «  les  élever  graduellement 
jusqu'à  nous  »,  idée  féconde  en  surprises  futures  et  que  les 
Anglais  se  gardent  soigneusement  d'appliquer. 

L'exemple  de  leurs  colonies  leur  apprend  tous  les  jours  que 


(1)  Dans  un  récent  rapport  sur  les  colonies  françaises,  adressé  au  Forcign 
Office,  sir  Austin  Lee,  attaché  commercial  à  l'ambassade  d'Angleterre  à  Paris, 
cite  avec  soin  le  chiffre  des  fonctionnaires  que  nous  entretenons  dans  nos  colo- 
nies :  Martinique,  973;  Guadeloupe,  1.152;  la  Réunion,  904;  Sénégal,  020;  Guinée, 
241  pour  42  colons;  Côte  d'Ivoire,  348  pour  51  colons;  Dahomey,  553  pour  33  co- 
lons; Congo,  580;  Tahiti.  235. 


508  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 

des  races  si  différentes  de  la  nôtre,  imbues  d'un  mode  de 
penser  que  nous  ne  leur  enlèverons  pas,  puisant  leur  morale 
dans  des  religions  que  nous  avons  peine  à  comprendre,  sont 
incapables  d'adapter  à  leur  cerveau,  avant  de  très  longues 
années,  nos  principes  sociaux,  et  ne  prennent,  à  notre  premier 
contact,  que  nos  vices  apparents.  C'est  un  fait  partout  reconnu 
que  l'indigène,  frotté  de  notre  civilisation,  a  perdu  la  moralité 
et  les  qualités  de  sa  race,  sans  rien  acquérir  des  vertus  de  la 
race  conquérante. 

Il  suffît,  pour  s'en  rendre  compte,  de  parcourir  l'Algérie, 
qui  est  à  nos  portes,  et  de  comparer  les  indigènes  des  villes  à 
ceux  de  la  campagne.  Ce  résultat  a  fait  naître  le  scepticisme  au 
sujet  des  effets  produits  par  l'instruction  publique  aux  colonies. 
Il  n'a  pas  peu  contribué  à  rendre  les  Anglais  implacables  en  ce 
qui  concerne  la  sujétion  de  leurs  indigènes. 

On  a  distingué  avec  raison  les  colonies  d'exploitation  des 
colonies  de  peuplement.  Mais  on  ne  saurait  donner  à  ces 
termes  un  sens  absolu.  Un  peuple  ne  fonde  pas  de  colonies 
sans  attacher  à  cette  fondation  l'idée  d'exploitation. 

Toutes  les  colonies  sont  des  pays  d'exploitation;  mais  cer- 
taines d'entre  elles,  particulièrement  favorisées,  peuvent 
devenir  des  colonies  de  peuplement.  Dans  les  unes  comme 
dans  les  autres,  la  race  conquérante  doit  conserver,  avec  un 
soin  jaloux,  le  prestige  sans  lequel  toute  domination  devient 
éphémère. 

Mais  nous  avons  beau  chercher  sur  la  carte  du  monde, 
nous  n'y  trouvons  nulle  part  des  colonies  d'éducation.  Les 
hommes  qui  s'expatrient  ne  sont  généralement  pas  des  rê- 
veurs—  Primo  vivere,  deinde  philosophari  —  et  jusqu'ici  les 
nations,  même  les  plus  policées,  n'ont  eu,  sans  doute,  ni  le 
temps  ni  les  moyens  de  s'appliquer,  autrement  qu'en  paroles, 
à  une  œuvre  aussi  élevée. 

Partout  les  races  en  présence  ont  obéi  à  ce  principe  supé- 
rieur et  éternel  qui  commande  à  l'une  de  subjuguer  l'autre, 
et  nous  ne  constatons  de  fusion  véritable  que  là  où  cette  fu- 


CONCLUSION  500 


sion  était  déjà  préparée  par  des  similitudes  et  non  pas  rendue 
impossible  par  des  dissemblances. 

On  pourra  multiplier  les  écoles,  prodiguer  les  faveurs  et  les 
emplois,  développer  les  besoins  des  indigènes  et  leur  faire 
absorber  nos  produits,  faire  luire  à  leurs  yeux  l'éclat  de  notre 
civilisation,  on  n'empêchera  pas  les  races,  quels  que  soient 
les  rapprochements  lentement  obtenus,  de  se  heurter  un  jour 
pour  la  domination  ou  pour  l'indépendance. 

Nos  idées  françaises,  résultat  de  la  philosophie  de  plusieurs 
siècles  pendant  lesquels  notre  race  a  vécu  repliée  sur  elle- 
même,  ont  besoin  de  se  modifier  au  contact  des  autres  sociétés 
humaines. 

La  Déclaration  des  Droits  de  l'Homme  ne  s'est  pas  imposée 
sans  discussions  et  sans  luttes,  en  Europe  même,  au  milieu 
de  sociétés  similaires.  Brusquement  appliquée  aux  pays 
d'outpe-mer,  elle  y  serait  incomprise  et  amènerait  sûrement 
la  faillite  de  toute  colonisation.  Et,  d'ailleurs,  en  vertu  de  quels 
principes,  puisés  parmi  ceux  qu'elle  pose,  chercherait-on  à 
l'imposer? 

La  centralisation  excessive  dont  souffre  l'administration  de 
nos  colonies  n'a  pas  eu  seulement  pour  effet  de  dénaturer  la 
compréhension  de  leurs  besoins;  elle  a  aussi  développé,  par 
une  loi  fatale,  l'abus  de  la  réglementation,  qui  use  les  carac- 
tères, comprime  les  initiatives  et  étouffe  la  prospérité. 

Ici,  on  décrète  des  impôts  comme  dans  la  métropole,  sans 
crainte  de  stériliser  les  germes  de  développement  les  plus  pré- 
cieux de  toute  colonie,  sans  se  rappeler  la  parole  profonde  de 
lord  Chatham  au  Parlement  britannique  :  «  Milords,  îst  une 
doctrine  que  je  porterai  avec  moi  jusqu'à  la  tombe  :  un  pays 
ne  possède  pas,  sous  le  ciel,  le  droit  d'imposer  ses  colonies; 
cela  est  contraire  à  tous  les  sentiments  de  justice  et  de  poli- 
tique; il  n'est  point  de  nécessité  qui  puisse  le  justifier.  » 

Ailleurs,  on  hésite  à  employer  le  moyen  de  colonisation 
reconnu,  par  les  autres  peuples,  comme  le  moins  coûteux, 
sinon  le  meilleur  ;  la  constitution  de  grandes  compagnies 
d'exploitation  coloniale. 


510  l'afrique  politique  en  1900 

Ce  n'est  pas  par  de  tels  procédés  qu'on  développera  les 
colonies  et  les  facultés  colonisatrices  d'une  nation. 

Il  serait  facile  d'opposer  à  ce  manque  de  méthode  les  pro- 
cédés anglais,  dont  on  a  pu  constater  plus  haut  l'efficacité,  la 
permanence  et  la  continuité.  Il  nous  suffira  d'en  signaler 
rapidement  les  résultats. 

Sir  R.  Giffen,  le  statisticien  anglais,  en  établissant,  au  mois 
de  février  1899,  devant  l'Institut  royal  des  colonies,  le  bilan  de 
l'empire  britannique  depuis  1871,  donnait  les  chiffres  sui- 
vants, qu'il  est  utile  de  méditer. 

La  population  totale  de  l'empire  est  de  407  millions  d'âmes, 
soit  le  quart  de  celle  du  globe;  les  Anglais  comptent  dans  ce 
total  pour  50  millions,  les  sujets  anglais  pour  357  millions, 
augmentant  de  112  millions  depuis  1871. 

Le  commerce  total  s'est  élevé,  en  1897,  à  35  milliards  dont 
26  milliards  pour  les  pays  anglais,  9  milliards  pour  les  pays 
sujets,  et  en  augmentation  de  11  milliards  depuis  1871. 

Les  impôts  de  tous  les  pays  britanniques  ont  produit,  la 
même  année,  6  milliards  et  demi. 

Si,  maintenant,  après  ce  formidable  exposé  de  la  prospérité 
britannique,  on  veut  savoir  comment  les  populations  d'origine 
européenne  apprécient  la  domination  anglaise,  il  nous  suffira 
de  citer  —  citation  dont  on  excusera  la  longueur,  en  raison  de 
son  intérêt  —  ces  paroles  d'un  Canadien  français,  sir  Wilfred 
Laurier,  premier  ministre  du  Canada  (1)  : 

Oui,  si  l'empire  britannique  s'est  élevé  aux  magnifiques  propor- 
tions qu'il  présente  au  monde,  et  que  la  France,  seule,  je  crois,  de 
toutes  les  nations  de  l'Europe,  consciente  de  sa  force  et  de  sa  gran- 
deur, a  su  reconnaître  et  apprécier,  il  ne  s'est  élevé,  il  ne  s'est 
maintenu,  il  ne  saurait  se  maintenir  que  sur  les  larges  assises  de  la 
liberté,  de  la  liberté  civile,  politique  et  religieuse,  de  la  liberté  qui 
sait  respecter  les  croyances,  la  langue,  lés  institutions,  les  lois,  les 
coutumes  de  tous  les  éléments  divers  qui,  sur  tous  les  points  du 


(1)  Discours  prononcé,  le  19  juillet  1897,  au  banquet  de  la  chambre  de  com- 
merce anglaise  de  Paris,  auquel  assistaient,  avec  sir  Wilfred  Laurier,  premier 
ministre  du  Canada,  sir  Gordon  Sprigg,  premier  ministre  du  Cap,  et  M.  G. -H.  Reid, 
premier  ministre  de  la  Nouvelle-Galles  du  Sud. 


CONCLUSION  511 


globe,  reconnaissent  la  suzeraineté  de  la  couronne  portée  aujour- 
d'hui avec  tant  d'éclat  par  Sa  Majesté  la  reine-impératrice. 

En  parcourant  cette  ville,  belle  entre  toutes  les  villes,  j'ai  remar- 
qué sur  la  plupart  de  ses  édifices  publics  la  fière  devise  que  les 
armées  de  la  République  promenèrent  à  travers  l'Europe  :  Liberté, 
Egalité,  Fraternité.  Eh  bien,  tout  ce  qu'il  y  a  dans  cette  devise  de 
vaillance,  de  grandeur  et  de  générosité,  nous  l'avons  aujourd'hui 
au  Canada  :  c'est  là  notre  conquête. 

La  Liberté,  nous  l'avons  absolue,  complète,  plus  complète  —  par- 
donnez à  ma  fierté  nationale  l'affirmation  que  j'en  fais  —  plus  com- 
plète que  dans  n'importe  quel  autre  pays  au  monde;  liberté  pour 
notre  religion,  avec  son  culte,  ses  cérémonies,  ses  prières,  ses  cou- 
tumes; liberté  pour  notre  langue,  qui  est  langue  officielle  comme 
la  langue  anglaise;  liberté  pour  toutes  ces  institutions  que  nos 
ancêtres  apportèrent  de  France,  et  que  nous  regardons  comme  un 
héritage  sacré. 

L'Égalité,  nous  l'avons.  Et  quelle  autre  preuve  vous  en  donnerais- 
je  que,  dans  ce  pays,  en  majorité  de  race  anglaise  et  de  religion  pro- 
testante, les  dernières  élections  générales  ont  porté  au  pouvoir  un 
homme  de  race  française  et  de  religion  catholique  qui  a  toujours 
affirmé  haut  sa  race  et  sa  religion? 

La  Fraternité,  nous  l'avons.  Il  n'y  a  pas  parmi  nous  de  domina- 
tion de  race  sur  race.  Nous  avons  appris  à  respecter  et  aimer  ceux 
que  jadis  nous  avons  combattus,  et  à  nous  en  faire  respecter  et 
aimer.  Les  vieilles  inimitiés  ont  cessé;  il  n'y  a  plus  de  rivalité,  il 
n'y  a  que  de  l'émulation.  Et  je  dois  rendre  cette  justice  à  mes  com- 
patriotes de  race  anglaise  que  notre  fierté  nationale  comme  descen- 
dants de  la  France,  ils  la  comprennent,  ils  l'apprécient,  ils  l'admi- 
rent, et  qu'ils  n'en  ont  que  plus  de  respect  pour  nous.  De  nos 
anciennes  luttes,  il  nous  reste  à  nous,  descendants  de  la  France, 
une  relique  que  nous  conservons  avec  un  amour  passionné.  C'est  un 
drapeau  de  la  France,  non  pas  de  la  France  d'aujourd'hui,  mais  de 
l'ancienne  monarchie.  Il  existe  parmi  nous  une  tradition  soigneu- 
sement conservée,  que  ce  drapeau  flotta  victorieusement  tout  un 
jour  sur  les  remparts  de  Cavillon,  lorsque  le  marquis  de  Montcalm 
y  repoussa  les  assauts  répétés  de  l'armée  anglaise.  Ce  drapeau,  qui 
rappelle  une  victoire  française,  nous  le  promenons  solennellement 
dans  nos  cérémonies  religieuses,  dans  nos  processions  patrioti- 
ques, et  jamais  nos  compatriotes  d'origine  anglaise  n'ont  songé  à 
s'en  offenser,  ou  à  nous  en  faire  un  reproche.  Si  ce  n'est  pas  là  la 
fraternité,  messieurs,  qu'est-ce  donc  que  la  fraternité? 

A  cette  apologie  du  régime  accordé  à  leurs  colonies  de  peu- 
plement, on  pourrait  opposer,  il  est  vrai,  les  traitements  infli- 
gés par  les  Anglais  aux  indigènes  de  leur  empire.  En  dehors 


512  l'afriqle  politique  ex  1900 

même  de  l'Afrique,  où  nous  avons  relevé  des  faits  pénibles 
pour  la  réputation  britannique,  on  pourrait  citer  bien  des 
exemples,  parmi  lesquels  celui  des  Indes. 

Bien  des  esprits,  en  Angleterre,  considèrent  avec  quelque 
mélancolie  l'avenir  réservé  à  l'empire  indien  en  constatant  le 
travail  souterrain  qui  se  fait  dans  cette  vaste  agglomération  de 
300  millions  d'Hindous,  en  général  avides  d'instruction  et  de 
diplômes,  prenant  peu  à  peu  conscience  d'eux-mêmes,  cher- 
chant partout  un  appui,  ayant  au  cœur  la  haine  silencieuse  de 
l'orgueil  britannique  et  du  particularisme  anglo-saxon. 

L'empire  noir  de  la  France,  aussi  bien  que  son  Indo-Chine, 
devra  devenir  autre  chose  qu'une  parodie  de  l'empire  des 
Indes. 

Il  ne  faut  pas  voir  seulement  dans  ces  vastes  contrées,  con- 
quises par  nos  armes  et  par  notre  influence,  des  territoires 
d'exploitation  analogues  à  ceux  que  les  Belges  sont  en  train 
d'épuiser  au  Congo.  Tout  a  une  fin,  même  les  ressources  natu- 
relles des  plus  vastes  empires.  L'expérience  tentée  au  Congo 
léopoklien  a  pu  se  développer  jusqu'à  ces  derniers  temps 
dans  des  conditions  à  peu  près  favorables.  Les  révoltes  conti- 
nuelles, multiples,  toujours  furieuses,  qui  se  produisent  de- 
puis peu,  suffiraient  à  démontrer  que  la  patience  humaine, 
même  celle  de  nègres  vaincus  et  épouvantés,  a  des  limites 
étroites. 

La  France  doit  laisser  à  d'autres  cette  politique  aux  profits 
momentanés.  Qu'elle  reste  fidèle,  avec  des  idées  plus  rassises,  à 
son  passé,  à  ses  traditions,  à  ses  initiatives  généreuses,  tout  en 
maintenant  avec  force  et  modération  —  suaviter  in  modo,  for- 
titer  in  re  —  les  sujétions  imposées.  Qu'elle  cesse  de  s'aban- 
donner et  de  s'abaisser  elle-même  et  quelle  considère  avec 
confiance,  l'esprit  tendu  vers  l'avenir,  les  résultats  acquis 
dans  ce  dernier  quart  de  siècle,  au  prix  de  sacrifices  que  l'his- 
toire jugera  sans  doute  insignifiants. 

N'est-ce  pas  un  spectacle  réconfortant  que  celui  de  nos 
domaines  du  Soudan  et  du  Congo,  conquis  par  quelques  héros, 
soumis  sans  efforts  véritables  et  déjà  facilement  administrés"? 
N'est-il  pas  encourageant  de  constater  que  toutes  ces  popula- 


CONCLUSION  513 


tions  ont  appris  à  aimer  nos  officiers,  ces  administrateurs-nés 
des  peuples  primitifs,  qui  leur  apportent,  avec  une  admi- 
nistration dont  la  justice  et  la  douceur  sont  pour  eux  chose 
toute  nouvelle,  le  bénéfice  de  la  disparition  des  conquérants 
habitués  à  ne  leur  laisser  le  choix  qu'entre  l'oppression  ou  la 
suppression? 

C'est  là  qu'il  faut  chercher  la  raison  véritable  de  la  fidélité 
constante,  ininterrompue,  témoignée  aux  blancs  venus  de 
France  par  leurs  serviteurs  ou  leurs  auxiliaires  noirs,  ainsi 
qu'on  l'a  rappelé  à  propos  de  la  mission  Cazemajou  :  «  C'est 
une  chose  connue  de  toute  l'Afrique,  que  jamais  un  interprète, 
jamais  un  noir  dévoué  à  un  Français  ne  doit  revenir  sans  le 
corps  de  son  blanc  ou  sans  son  blanc  vivant  (1).  » 

A  ce  point  de  vue  des  dévouements  provoqués  et  obtenus, 
des  grands  horizons  découverts  sur  la  psychologie  nègre, 
l'œuvre  de  la  France  en  Afrique  mérite  qu'on  fonde  sur  elle  de 
solides  espérances,  car  elle  paraît  devoir  être  vraiment  civili- 
satrice, féconde  et  durable. 


Mais  il  ne  s'agit  pas  seulement  d'acquérir  des  colonies,  il 
faut  savoir  les  conserver  pour  les  faire  servir  à  la  grandeur  de 
la  patrie. 

Notre  histoire  est  pleine  de  souvenirs  des  établissements 
fondés  par  des  Français  sur  tous  les  points  du  globe  qui,  par 
la  suite,  ont  été  abandonnés  ou  cédés  ii  prix  d'argent  ou  annexés 
par  d'autres  puissances.  L'exemple  de  l'Espagne,  du  Portugal, 
de  la  Hollande,  est  là  pour  nous  prouver  que  les  colonies  ne 
se  défendent  pas  toutes  seules,  que  les  liens  qui  les  attachent 
à  la  métropole  se  relâchent  à  la  longue,  que  le  patriotisme  y 
revêt,  sous  la  pression  des  intérêts,  une  forme  nouvelle,  que 
le  loyalisme  s'y  refroidit  fatalement  et  que  le  séparatisme  — 
puisqu'il  faut  employer  cet  affreux  mot  nouveau  —  émergeant 


(1)  Discours  de  M.  le  comte  d'Agoult,  député  du  Sénégal.  Séance  de  la  Chambre 
du  19  janvier  1899. 

Afr.  polit.  33 


ol4  l'afriqie  politique  en  1900 

en  un  jour  des  bas-fonds  égoïstes,  y  devient  peu  à  peu  la 
religion  nouvelle. 

C'est  une  destinée  qu'il  serait  puéril  de  méconnaître,  un 
enseignement  qu'il  serait  imprudent  de  négliger.  Les  colonies 
sont  comme  les  enfants  naturels  d'un  père  aux  instincts  trop 
puissants.  Les  soins  attentifs  qui  leur  sont  prodigués  dès  leur 
jeune  âge  ont  pour  effet  de  les  constituer  en  vigoureux  reje- 
tons qui  ne  peuvent  se  défendre  d'envisager  par  la  suite,  avec 
une  secrète  jalousie,  les  traitements  de  faveur  accordés  aux 
enfants  légitimes.  Devenus  grands  et  forts,  il  leur  tarde  de  s'af- 
franchir des  liens  trop  lourds  qu'on  a  le  tort  de  leur  imposer. 
Les  entraves,  les  obstacles  accumulés  ne  servent  qu'à  leur  faire 
paraître  la  sujétion  plus  odieuse  et,  sans  empêcher  les  destins 
de  s'accomplir,  n'aboutissent  qu'à  rendre  la  méfiance  plus  pro- 
fonde, la  séparation  plus  complète,  les  souvenirs  plus  amers. 

Les  Anglais  ne  méconnaissent  pas  cette  loi  d'évolution  so- 
ciale. Ils  sont  dans  la  vérité.  Leurs  colonies  pourront  aban- 
donner la  métropole  :  ils  en  auront  fait  auparavant  des  collec- 
tivités pareilles  à  la  mère-patrie  par  la  laugue,  par  les  idées, 
par  les  besoins,  par  les  tendances. 

Qui  pourrait  nier,  dès  lors,  que  la  puissance,  l'influence,  la 
grandeur  commerciale  de  la  métropole  ne  soient  pas  constam- 
ment accrues  par  ces  sociétés  jetées  à  travers  le  monde  et  qui 
continuent,  malgré  toute  scission,  à  graviter  autour  de  leur 
centre  d'attraction  naturelle? 

La  séparation  des  États-Unis  a  pu  être  un  rude  coup 
porté  à  l'orgueil  du  peuple  anglais.  La  diminution  de  gran- 
deur et  d'influence  subie  par  l'Angleterre  a  été  rapidement 
réparée. 

L'Amérique  du  Nord  est  devenue  un  creuset  dans  lequel, 
chaque  année,  viennent  se  fondre  et  s'amalgamer  intimement 
des  milliers  d'immigrants  :  un  flambeau  aux  puissantes  radia- 
tions projetant  à  travers  le  monde  le  rayonnement  des  mœurs 
et  des  idées  anglo-saxonnes. 

Demain,  le  Canada,  le  Cap,  l'Australie  se  détacheront  à  leur 
tour,  comme  des  fruits  mûrs,  de  la  souche  commune.  Ils  res- 
teront quand  même  ce  qu'on  les  aura  faits  :  des  pays  britanni- 


CONCLUSION  olo 


ques  ;  et  le  citoyen  anglais  pourra,  plus  que  jamais,  voguer  à 
travers  le  monde,  en  affirmant  partout  que  nulle  part  il  n'est 
étranger. 

De  même  que  les  peuples  appelés  latins  se  tournent  tou- 
jours, par  tradition  et  par  instinct,  vers  la  Rome  antique  pour  y 
chercher  leurs  aspirations  et  leurs  modèles,  ainsi  ces  sociétés 
nouvelles  tourneront  leurs  préférences  et  leurs  affinités  vers 
le  peuple  qui  a  cimenté  leur  édifice  soc:al  et  façonné  leur  cer- 
veau dans  le  moule  de  son  propre  génie. 

C'est  une  loi  naturelle  des  sociétés  humaines.  Il  leur  faut 
aboutir  à  la  décrépitude  et  à  la  mort.  Si,  durant  le  cours  de 
leur  existence  plus  ou  moins  éphémère,  elles  ont  eu  la  force  de 
pousser  autour  d'elles  des  rameaux  vigoureux,  la  puissance  de 
les  diriger  convenablement,  la  philosophie  d'envisager  leur 
avenir  sans  amertume,  leur  postérité  sera  digne  d'elles,  les 
continuera  vaillamment  et  perpétuera  à  travers  les  âges  le 
souvenir  de  leur  grandeur  et  de  leur  civilisation. 

Notre  France  moderne  n'aura-t-elle  pas  la  hauteur  de  vues 
nécessaire  pour  réaliser  par  la  réflexion  le  rôle  grandiose  que 
Rome  accomplissait  autrefois  par  instinct,  sans  posséder  les 
enseignements  de  l'histoire,  en  obéissant  simplement  à  la  loi 
de  son  expansion  naturelle? 


En  Afrique,  ce  rôle  lui  est  facilité  par  la  proximité  du  pays, 
par  la  situation  même  des  régions  conquises,  qui  peuvent  lui 
fournir  de  merveilleuses  colonies  de  peuplement  sur  toute  la 
côte  méditerranéenne  et  sur  quelques  points  du  rivage  atlan- 
tique; par  la  nature  des  indigènes,  qui  se  laissent  gouverner 
facilement  à  la  condition  de  toujours  les  traiter  avec  justice, 
mais  en  sujets  et  non  en  électeurs;  par  la  constitution  même 
de  son  empire  colonial,  formant  aujourd'hui  un  bloc  qu'il  suffit 
de  consolider  et  d'embellir  davantage. 

Dans  le  Nord,  l'Algérie  est  une  magnifique  base  d'opérations 
futures,  un  centre  de  puissance  qui  doit  rester  à  tout  moment 
intangible.  Près  de  la  Tunisie,  qui  s'assimilera  facilement,  la 
Tiipolitaine  ne  nous  est  pas  fermée.  Quant  au  Maroc,  quelles 


516  L'AFRIQUE   POLITIQUE    EN    1900 

que  soient  les  compétitions  étrangères,  nous  devons  plus  que 
jamais  nous  préparer  à  lui  imposer  nos  volontés  au  moment 
opportun:  c'est  une  nécessité  nationale  d'où  dépend  la  liberté 
de  nos  mouvements  à  venir. 

Ce  bloc  de  possessions  se  défendra  par  lui-même.  Il  suffira 
de  lui  donner,  avec  les  libertés  nécessaires,  les  moyens  de  dé- 
velopper ses  vastes  ressources  militaires  et,  le  moment  venu, 
de  savoir  les  utiliser. 

Entre  cette  Afrique  méditerranéenne  et  nos  possessions  du 
Sénégal-Soudan ,  s'étendent  les  espaces  du  Sahara  tous  les  jours 
pénétrés  davantage.  Nous  en  avons  parlé  assez  longuement 
pour  faire  admettre  l'impérieuse  nécessité  du  Transsaharien 
militaire,  si  amèrement  et  si  sournoisement  combattu,  de  cet 
outil  indispensable  de  défense  et  d'attaque,  sans  lequel  notre 
empire  soudanais  et  congolais,  semblable,  lui  aussi,  à  une 
statue  au  socle  d'argile,  pourra  être  sapé,  disloqué,  émietté  par 
des  attaques  multiples  et  faciles. 

Entre  le  Maroc  et  le  Sénégal,  l'Espagne  possède  quelques 
rivages  :  c'est  pour  elle  un  territoire  d'attente,  un  pied  pris 
dans  le  Moghreb  en  vue  des  liquidations  futures.  Il  deviendra 
possible  un  jour  de  s'entendre  avec  l'Espagne  au  sujet  du  rio 
de  Oro,  qui  n'apporte  d'ailleurs  aucune  entrave  à  notre  action 
ni  à  notre  développement. 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  enclaves  étrangères  de  la  côte 
occidentale  d'Afrique. 

La  Gambie  anglaise,  la  Guinée  portugaise,  la  Sierra-Leone 
elle-même  deviendront,  il  est  vrai,  de  moins  en  moins  nuisi- 
bles à  notre  action  et  pourront,  sans  secousse,  passer  sous 
notre  domination  pour  peu  que  nous  ayons  la  volonté  arrêtée 
de  surveiller  leurs  destinées.  La  question  commerciale  résou- 
dra la  question  politique,  le  jour  où  ces  colonies,  économique- 
ment investies,  seront  devenues  des  territoires  peu  productifs 
pour  leurs  possesseurs. 

La  République  de  Libéria,  protégée  de  loin  par  les  Améri- 
cains, visée  par  les  Anglais  comme  un  complément  de  leur 
Sierra-Leone,  donnera  lieu  auparavant  à  des  difficultés  pro- 
bables. Mais  tous  ces  territoires  n'ont  pas  pour  nous  l'impor- 


CONCLUSION  517 


tance  menaçante  de  l'Achantiland  et  du  Togoland,  bases 
d'opérations  funestes  pour  notre  boucle  du  Niger,  vastes  con- 
trées permettant  une  concurrence  commerciale  active,  cen- 
tres d'une  résistance  efficace  contre  notre  influence  et  notre 
domination. 

La  Nigeria  et  le  Cameroun  forment  plus  loin  un  bloc  de 
précieuses  régions  fermées  à  notre  activité,  séparant  en  deux 
parties  éloignées  nos  territoires  du  Niger  et  du  Congo  et  don- 
nant à  notre  empire  africain  les  allures  déséquilibrées  d'un 
homme  infirme,  boiteux  ou  manchot. 

Les  empires  ainsi  fondés  par  le  hasard  de  conquêtes  impro- 
visées sont  comme  un  héritage  tombant  entre  les  mains  d'un 
prodigue.  Ils  ne  peuvent  prétendre  à  une  durée  certaine.  Il  faut 
en  prendre  notre  parti.  La  leçon  de  Fachoda  nous  a  préparé 
un  avenir  nuageux  qu'il  faudra  éclaircir  un  jour  ou  l'autre, 
peut-être  pas  au  moment  opportun. 

Il  faut  nous  y  préparer  avec  ténacité,  en  envisager  les  suites 
avec  virilité  et,  le  moment  venu,  parler  haut  et  ferme,  en  vrais 
fils  de  la  Gaule.  A  quoi  nous  servirait  de  mettre  en  valeur,  en 
ce  moment,  ces  régions  du  Congo-Chari,  d'y  dépenser  nos 
hommes  et  nos  ressources  si,  par  notre  inertie  future,  nous 
les  destinions  d'avance  à  la  conquête  étrangère? 

Les  leçons  du  passé  et  notre  situation  actuelle  nous  dictent 
la  conduite  à  tenir  dans  ces  régions.  Ce  sont  des  territoires 
d'attente  qu'il  faut  relier  fortement  à  l'Algérie,  notre  centre 
de  puissance,  par  un  Transsaharien  venant  de  l'Air,  sur  le 
Tchad  et  vers  le  Ouadaï,  aboutir  en  des  points  formant  de 
solides  bases  d'opérations  offensives. 

La  défense  du  Congo  doit  se  concevoir  au  Kaiiem-Ouadaï,  et 
toute  entreprise  contraire  sera  une  perte  de  forces  et  un  avan- 
tage donné  à  l'adversaire. 

Du  Congo  belge  il  n'y  a  qu'à  retenir,  pour  le  faire  valoir  en 
temps  utile,  le  droit  de  préemption  dévolu  à  la  France  et  qu'il 
surveiller  attentivement  les  manœuvres  et  les  compétitions 
qui  ne  peuvent  manquer  de  se  produire  à  bref  délai. 

Les  colonies  portugaises,  menacées  par  plusieurs,  ont  des 
destins  obscurs.  Un  avenir  prochain  verra  peut-être  leur  dis- 


518  LAFRIQIE    POLITIQUE    EN    1900 

location  sans  que  la  France  se  soit  assuré,  dans  l'Angola,  au 
moins  le  dépôt  de  charbon  qui  lui  est  indispensable  entre  Li- 
breville et  Diégo-Suarez. 

Dans  l'Afrique  australe,  la  partie  est  engagée  entre  Anglais. 
Allemands  et  Boers,  et  la  situation  ne  saurait  tarder  à  se  dé- 
nouer d'une  manière  peut-être  inattendue. 

Dans  l'Est  africain,  l'Angleterre  et  l'Allemagne  pacifient  et 
développent  leurs  territoires;  l'Italie  reste  inactive,  et  le  négus 
se  demande  avec  inquiétude  quelle  situation  lui  est  réservée 
par  les  récents  événements. 

Sur  le  Nil,  les  Anglais  affermissent  leur  occupation,  enser- 
rent davantage  le  pays  dans  leurs  filets,  s'apprêtent  ouverte- 
ment à  en  exclure  l'influence  et  les  entreprises  françaises  et 
constituent  le  Soudan  en  gardien  menaçant  de  leur  conquête 
égyptienne. 

Comme  nous  le  disions  plus  haut,  l'ère  des  difficultés  n'est 
pas  près  de  se  clore  en  Afrique.  Les  conventions  déjà  conclues 
ne  sont  que  le  prélude  des  traités  à  venir. 

L'Histoire  se  répète  souvent,  et  la  Paix  n'est  pas  de  ce 
inonde.  PJus  que  jamais  les  Français  du  xxe  siècle  auront  le 
devoir  d'envisager  froidement  les  éventualités  redoutables  et 
de  s'écrier,  prêts  à  tout,  comme  les  Romains  à  l'approche  des 
flottes  carthaginoises  ou  du  tumulte  gaulois  :  Caveant  con- 
sulat ! 


APPENDICE 


Convention  anglo-française  du  14  juin  1898. 


Le  Gouvernement  de  la  République  française  et  le  Gouverne- 
ment de  Sa  Majesté  la  Reine  du  Royaume  Uni  de  La  Grande-Bre- 
tagne et  d'Irlande,  Impératrice  des  Indes,  ayant  résolu,  dans  un 
esprit  de  bonne  entente  mutuelle,  de  confirmer  le  Protocole  avec 
ses  quatre  Annexes,  préparé  par  leurs  Délégués  respectifs  pour  la 
délimitation  des  possessions  françaises  de  la  Côte  d'Ivoire,  du  Sou- 
dan et  du  Dahomey  et  des  colonies  britanniques  de  la  Côte  d'Or  et 
de  Lagos,  et  des  autres  possessions  britanniques  à  l'ouest  du  Niger, 
ainsi  que  pour  la  délimitation  des  possessions  françaises  et  britan- 
niques et  des  sphères  d'influence  des  deux  Pays  à  l'est  du  Niger, 
les  soussignés: 

Son  Excellence  M.  Gabriel  Hanotaux.  Ministre  des  affaires  étran- 
gères de  la  République  française, 

Et  Son  Excellence  le  Très  honorable  Sir  Edmund  Monson,  Ambas- 
sadeur de  Sa  Majesté  la  Reine  du  Royaume-Uni  de  la  Grande-Bre- 
tagne et  d'Irlande,  Impératrice  des  Indes,  près  le  Président  de  la 
République  française,  dûment  autorisés  à  cet  effet,  confirment  le 
Protocole  avec  ses  Annexes,  dressé  à  Paris  le  14  juin  1898,  et  dont 
la  teneur  suit  : 

PROTOCOLE 

Les  soussignés,  René  Lecomte,  Ministre  plénipotentiaire,  Sous 
Directeur  adjoint  à  la  Direction  des  affaires  politiques  du  Ministère 
des   Affaires  étrangères  ;  Louis  Gustave  Binger,  Gouverneur  des 
colonies  hors  cadres,  Directeur  des  affaires  d'Afrique  au  Ministère 


520  L 'AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 


des  Colonies;  Martin  Gosselin,  Ministre  plénipotentiaire,  Premier 
secrétaire  de  l'Ambassade  de  Sa  Majesté  Britannique  à  Paris;  Wil- 
liam Everett,  Colonel  dans  l'armée  de  terre  de  Sa  Majesté  Britan- 
nique, et  Assistant  adjudant-général  au  bureau  des  renseigne- 
ments au  Ministère  de  la  Guerre  ;  délégués  respectivement  par 
le  Gouvernement  de  la  République  française  et  par  le  Gouvernement 
de  Sa  Majesté  Britannique  à  l'effet  de  préparer,  en  exécution  des 
déclarations  échangées  à  Londres  le  5  août  1890  et  le  15  janvier 
1896,  un  projet  de  délimitation  définitive  entre  les  possessions 
françaises  de  la  Côte  d'Ivoire,  du  Soudan  et  du  Dahomey,  et  les 
colonies  britanniques  de  la  Côte  d'Or  et  de  Lagos,  et  les  autres  pos- 
sessions britanniques  à  l'ouest  du  Niger,  et  entre  les  possessions 
françaises  et  britanniques  et  les  sphères  d'influence  des  deux  Pays 
à  l'est  du  Niger,  sont  convenus  des  dispositions  suivantes,  qu'ils 
ont  résolu  de  soumettre  à  l'agrément  de  leurs  Gouvernements  res- 
pectifs. 

Article  premier.  —  La  frontière  séparant  les  colonies  françaises 
de  la  Côte  d'Ivoire  et  du  Soudan  de  la  colonie  britannique  de  la 
Côte  d'Or  partira  du  point  terminal  Nord  de  la  frontière  déterminée 
par  l'arrangement  franco-anglais  du  12  juillet  1893,  c'est-à-dire  de 
l'intersection  du  thalweg  de  la  Volta  noire  avec  le  9e  degré  de  lati- 
tude Nord,  et  suivra  le  thalweg  de  cette  rivière  vers  le  Nord  jusqu'à 
son  intersection  avec  le  11e  degré  de  latitude  Nord.  De  ce  point  elle 
suivra  dans  la  direction  de  l'Est  ledit  parallèle  de  latitude  jusqu'à 
la  rivière  qui  est  marquée  sur  la  Carte  n°  1  annexée  au  présent 
Protocole,  comme  passant  immédiatement  à  l'est  des  villages  de 
Souaga  (Zwaga)  et  de  Sebilla  (Zebilla).  Elle  suivra  ensuite  le  thalweg 
de  la  branche  occidentale"  de  cette  rivière  en  remontant  son  cours 
jusqu'à  son  intersection  avec  le  parallèle  de  latitude  passant  par  le 
village  de  Sapeliga.  De  ce  point  la  frontière  suivra  la  limite  septen- 
trionale du  terrain  appartenant  à  Sapeliga  jusqu'à  la  rivière  Nouhau 
(Nuhau)  et  se  dirigera  ensuite  par  le  thalweg  de  cette  rivière  en  re- 
montant ou  en  descendant,  suivant  le  cas,  jusqu'à  un  point  situé  à 
3.219  mètres  (2  milles)  à  l'est  du  chemin  allant  de  Gambaga  à  Tin- 
gourkou  (Tenkrugu),  par  Baukou  (Bawku).  De  là,  elle  rejoindra  en 
ligne  droite  le  point  d'intersection  du  11e  degré  de  latitude  Nord 
avec  le  chemin  indiqué  sur  la  carte  n°  1  comme  allant  de  Sansanné- 
Mango  à  Pâma  par  Djebiga  (Jebigu). 

Art.  2.  —  La  frontière  entre  la  colonie  française  du  Dahomey  et 
la  colonie  britannique  de  Lagos,  qui  a  été  délimitée  sur  le  terrain 
par  la  Commission  franco-anglaise  de  délimitation  de  1895,  et  qui 
est  décrite  dans  le  rapport  signé  le  12  octobre  1896  par  les  Com- 
missaires des  deux  nations,  sera  désormais  reconnue  comme  la 
frontière  séparant  les  possessions  françaises  et  britanniques  de  la 
mer  au  9e  degré  de  latitude  Nord. 


APPENDICE  521 


A  partir  du  point  d'intersection  de  la  rivière  Ocpara  avec  le 
9e  degré  de  latitude  Nord,  tel  qu'il  a  été  déterminé  par  lesdits  Com- 
missaires, la  frontière  séparant  les  possessions  françaises  et  bri- 
tanniques se  dirigera  vers  le  Nord,  et  suivra  une  ligne  passant  à 
l'ouest  des  terrains  appartenant  aux  localités  suivantes  :  Tabira, 
Okouta  (Okuta),  Boria,  Tere,  Gbani,  Yassikéra  (Assigere)  etDekala. 

De  l'extrémité  Ouest  du  terrain  appartenant  à  Dekala  la  frontière 
sera  tracée  dans  la  direction  du  Nord,  de  manière  à  coïncider  autant 
que  possible  avec  la  ligne  indiquée  sur  la  Carte  n°  1  annexée  au 
présent  Protocole,  et  atteindra  la  rive  droite  du  Niger  en  un  point 
situé  à  16.093  mètres  (10  milles)  en  amont  du  centre  de  la  ville  de 
Guiris  (Géré)  [port  d'Ilo],  mesurés  à  vol  d'oiseau. 

Art.  3.  —  Du  point  spécifié  dans  l'article  2,  où  la  frontière  sépa- 
rant les  possessions  françaises  et  britanniques  atteint  le  Niger, 
c'est-à-dire  d'un  point  situé  sur  la  rive  droite  de  ce  fleuve,  à  16.093 
mètres  (10  milles)  en  amont  du  centre  de  la  ville  de  Guiris  (Géré) 
[port  d'Ilo],  la  frontière  suivra  la  perpendiculaire  élevée  de  ce  point 
sur  la  rive  droite  du  fleuve  jusqu'à  son  intersection  avec  la  ligne 
médiane  du  fleuve.  Elle  suivra  ensuite,  en  remontant  la  ligne  mé- 
diane du  fleuve  jusqu'à  son  intersection  avec  une  ligne  perpendi- 
culaire à  la  rive  gauche  et  partant  de  la  ligne  médiane  du  débouché 
de  la  dépression,  ou  cours  d'eau  asséché,  qui,  sur  la  Carte  n°  2 
annexée  au  présent  Protocole,  est  appelé  Dallul  Mauri  et  y  est  indi- 
qué comme  étant  situé  à  une  distance  d'environ  27.359  mètres  (17 
milles)  mesurés  à  vol  d'oiseau  d'un  point  sur  la  rive  gauche  en  face 
du  village  ci-dessus  mentionné  de  Guiris  (Géré). 

De  ce  point  d'intersection,  la  frontière  suivra  cette  perpendicu- 
laire jusqu'à  sa  rencontre  avec  la  rive  gauche  du  fleuve. 

Art.  4.  —  A  l'est  du  Niger,  la  frontière  séparant  les  possessions 
françaises  et  britanniques  suivra  la  ligne  indiquée  sur  la  Carte  n°  2 
annexée  au  présent  Protocole. 

Partant  du  point  sur  la  rive  gauche  du  Niger,  indiqué  à  l'article 
précédent,  c'est-à-dire  la  ligne  médiane  du  Dallul  Mauri,  la  fron- 
tière suivra  cette  ligne  médiane  jusqu'à  sa  rencontre  avec  la  circon- 
férence d'un  cercle  décrit  du  centre  de  la  ville  de  Sokoto  avec  un 
rayon  de  160.932  mètres  (100  milles).  De  ce  point  elle  suivra  l'arc 
septentrional  de  ce  cercle  jusqu'à  sa  seconde  intersection  avec  le 
14e  degré  de  latitude  Nord.  De  ce  second  point  d'intersection  elle 
suivra  ce  parallèle  vers  l'Est  sur  une  distance  de  112.652  mètres 
(70  milles),  puis  se  dirigera  au  Sud  vrai  jusqu'à  sa  rencontre  avec  le 
parallèle  13° 20'  de  latitude  Nord;  puis  vers  l'Est,  suivant  ce  paral- 
lèle sur  une  distance  de  402.230  mètres  (250  milles)  ;  puis  au  Nord 
vrai  jusqu'à  ce  qu'elle  rejoigne  le  14°  parallèle  de  latitude  Nord; 
puis  vers  l'Est  sur  ce  parallèle,  jusqu'à  son  intersection  avec  le  mé- 

.Wr.  polit.  33. 


522  l'afrique  politique  en  1900 


ridien  passant  à  35'  est  du  centre  de  la  ville  de  Kuka;  puis  ce  méri- 
dien vers  le  Sud  jusqu'à  son  intersection  sur  la  rive  Sud  du  lac 
Tchad. 

Le  Gouvernement  de  la  République  française  reconnaît  comme 
tombant  dans  la  sphère  britannique  le  territoire  à  l'est  du  Niger, 
compris  entre,  la  ligne  susmentionnée,  la  frontière  anglo-allemande 
et  la  mer. 

Le  Gouvernement  de  Sa  Majesté  Britannique  reconnaît  comme 
tombant  dans  la  sphère  française  les  rives  nord,  est  et  sud  du  lac 
Tchad,  qui  sont  comprises  entre  le  point  d'intersection  du  14e  degré 
de  latitude  Nord  avec  la  rive  occidentale  du  lac  et  le  point  d'inci- 
dence sur  le  lac  de  la  frontière  déterminée  par  la  convention  franco- 
allemande  du  15  mars  1894. 

Art.  o.  —  Les  frontières  déterminées  par  le  présent  Protocole 
sont  inscrites  sur  les  Cartes  nosl  et  2  ci-annexées. 

Les  deux  Gouvernements  s'engagent  à  désigner,  dans  le  délai 
d'un  an  pour  les  frontières  à  l'ouest  du  Niger,  et  deux  ans  pour  les 
frontières  à  l'est  de  ce  fleuve,  à  compter  de  la  date  de  l'échange  des 
ratifications  de  la  Convention  qui  doit  être  conclue  aux  fins  de  con- 
firmer le  présent  Protocole,  des  Commissaires  qui  seront  chargés 
d'établir  sur  les  lieux  les  lignes  de  démarcation  entre  les  possessions 
françaises  et  britanniques,  en  conformité  et  suivant  l'esprit  des  sti- 
pulations du  présent  Protocole. 

En  ce  qui  concerne  la  délimitation  de  la  portion  du  Niger  dans 
les  environs  d'Ilo  et  du  Dallul  Mauri  visée  à  l'article  3,  les  Commis- 
saires chargés  de  la  délimitation,  en  déterminant  sur  les  lieux  la 
frontière  fluviale,  répartiront  équitablement  entre  les  deux  Puis- 
sances contractantes  les  îles  qui  pourront  faire  obstacle  à  la  délimi- 
tation fluviale  telle  qu'elle  est  décrite  à  l'article  3. 

Il  est  entendu  entre  les  deux  Puissances  contractantes  qu'aucun 
changement  ultérieur  dans  la  position  de  la  ligne  médiane  du  fleuve 
n'affectera  les  droits  de  propriété  sur  les  îles  qui  auront  été  attri- 
buées à  chacune  des  deux  Puissances  par  le  procès-verbal  des  Com- 
missaires dûment  approuvé  par  les  deux  Gouvernements. 

Art.  6.  —  Les  deux  Puissances  contractantes  s'engagent  récipro- 
quement à  traiter  avec  bienveillance  («considération)))  les  chefs 
indigènes  qui,  ayant  eu  des  traités  avec  l'une  d'elles,  se  trouveront, 
en  vertu  du  présent  Protocole,  passer  sous  la  souveraineté  de 
l'autre. 

Art.  7.  —  Chacune  des  deux  Puissances  contractantes  s'engage  à 
n'exercer  aucune  action  politique  dans  les  sphères  de  l'autre,  telles 
qu'elles  sont  définies  parles  articles  1,  2, 3  et  4  du  présent  Protocole. 

Il  est  convenu  par  là  que  chacune  des  deux  Puissances  s'interdit 
de  faire  des  acquisitions  territoriales  dans  les  sphères  de  l'autre, 


APPENDICE  523 


d'y  conclure  des  traités,  d'y  accepter  des  droits  de  souveraineté  ou 
de  protectorat,  d'y  gêner  ou  d'y  contester  l'influence  de  l'autre. 

Art.  8.  —  Le  Gouvernement  de  Sa  Majesté  Britannique  cédera  ;i 
bail  au  Gouvernement  de  la  République  française,  aux  fins  et  con 
ditions  spécifiées  dans  le  modèle  du  bail  annexé  au  présent  Proto- 
cole, deux  terrains  à  choisir  par  le  Gouvernement  de  la  République 
française  de  concert  avec  le  Gouvernement  de  Sa  Majesté  Britan- 
nique, dont  l'un  sera  situé  en  un  endroit  convenable  sur  la  rive 
droite  du  Niger  entre  Leaba  et  le  confluent  de  la  rivière  Moussa 
(Mochi)  avec  ce  fleuve,  et  l'autre  sur  l'une  des  embouchures  du 
Niger. 

Chacun  de  ces  terrains  sera  en  bordure  sur  le  fleuve  sur  une 
étendue  de  400  mètres  au  plus,  et  formera  un  tènement  dont  la 
superficie  ne  sera  pas  inférieure  à  10  hectares,  ni  supérieure  à 
50  hectares.  Les  limites  exactes  de  ces  terrains  seront  indiquées  sur 
un  plan  annexé  à  chacun  des  baux. 

Les  conditions  dans  lesquelles  s'effectuera  le  transit  des  mar- 
chandises sur  le  cours  du  Niger,  de  ses  affluents,  de  ses  embran- 
chements et  issues,  ainsi  qu'entre  le  terrain  ci-dessus  mentionné 
situé  entre  Leaba  et  le  confluent  de  la  rivière  Moussa  (Mochi),  et  le 
point  à  désigner  par  le  Gouvernement  de  la  République  française 
sur  la  frontière  française,  feront  l'objet  d'un  règlement  dont  les 
détails  seront  discutés  par  les  deux  Gouvernements  immédiatement 
après  la  signature  du  présent  Protocole. 

Le  Gouvernement  de  Sa  Majesté  Britannique  s'engage  à  donner 
avis  quatre  mois  à  l'avance  au  Gouvernement  de  la  République 
française  de  toute  modification  dans  le  Règlement  en  question,  afin 
de  mettre  ledit  Gouvernement  français  en  mesure  d'exposer  au 
Gouvernement  britannique  toutes  représentations  qu'il  pourrait 
désirer  faire. 

Art.  9.  —  A  l'intérieur  des  limites  tracées  sur  la  Carte  n°  ±, 
annexée  au  présent  Protocole,  les  citoyens  français  et  protégés 
français,  les  sujets  britanniques  et  protégés  britanniques,  pour 
leurs  personnes  comme  pour  leurs  biens,  les  marchandises  et  pro- 
duits naturels  ou  manufacturés  de  la  France  et  de  la  Grande-Bre- 
tagne, de  leurs  colonies,  possessions  et  protectorats  respectifs  joui- 
ront, pendant  trente  années,  à  partir  de  l'échange  des  ratifications 
de  la  Convention  mentionnée  à  l'article  o,  du  même  traitement 
pour  tout  ce  qui  concerne  la  navigation  fluviale,  le  commerce,  le 
régime  douanier  et  fiscal  et  les  taxes  de  toute  nature. 

Sous  cette  réserve,  chacune  des  deux  puissances  contractantes 
conservera  la  liberté  de  régler  sur  son  territoire  et  à  sa  convenance 
le  régime  douanier  et  fiscal  et  les  taxes  de  toute  nature. 

Dans  le  cas  où  aucune  des  puissances  contractantes  n'aurait 
notifié  douze   mois  avant  l'échéance  du  terme  précité  de  trente 


524  LAFRIQLE    POLITIQUE    EX    1900 


années  son  intention  de  faire  cesser  les  effets  du  présent  article,  il 
continuera  à  être  obligatoire  jusqu'à  l'expiration  d'une  année  à 
partir  du  jour  où  l'une  ou  l'autre  des  puissances  contractantes  l'aura 
dénoncé. 

En  foi  de  quoi  les  Délégués  soussignés  ont  dressé  le  présent  Pro- 
tocole et  y  ont  apposé  leurs  signatures. 

Fait  à  Paris,  en  double  expédition,  le  quatorze  juin  mil  huit  cent 
quatre  vingt  dix-huit. 

Signé  :  René  Lecomte. 

Signé  :  G.  Binger. 

Signé  :  Martin  Gosselin. 

Signé  :  William  Everett. 


ANNEXE 


Bien  que  le  tracé  des  lignes  de  démarcation  sur  les  deux  cartes 
annexées  au  présent  Protocole  soit  supposé  être  généralement  exact, 
il  ne  peut  être  considéré  comme  une  représentation  absolument 
correcte  de  ces  lignes,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  été  confirmé  par  de 
nouveaux  levés. 

Il  est  donc  convenu  que  les  Commissaires  ou  Délégués  locaux 
des  deux  pays,  qui  seront  chargés,  par  la  suite,  de  délimiter  tout 
ou  partie  des  frontières  sur  le  terrain,  devront  se  baser  sur  la  des- 
cription des  frontières  telle  qu'elle  est  formulée  par  le  Protocole. 

Il  leur  sera  loisible,  en  même  temps,  de  modifier  lesdites  lignes 
de  démarcation  en  vue  de  les  déterminer  avec  une  plus  grande  exac- 
titude et  de  rectifier  la  position  des  lignes  de  partage,  des  chemins 
ou  rivières,  ainsi  que  des  villes  ou  villages  indiqués  dans  les  cartes 
susmentionnées. 

Les  changements  ou  corrections  proposés  d'un  commun  accord 
par  lesdits  Commissaires  ou  Délégués  seront  soumis  à  l'approba- 
tion des  Gouvernements  respectifs. 

Signé  :  René  Lecomte. 
Signé  :  G.  Binger. 
Signé  :  Martin  Gosselin. 
Signé  :  William  Everett. 


DÉCLARATION   ANGLO-FRANÇAISE  525 


Déclaration  anglo-française  du  21  mars   1899. 


L'article  4  de  la  convention  du  14  juin  1898  est  complété  par  les 
dispositions  suivantes,  qui  seront  considérées  comme  en  faisant 
partie  intégrante  : 

1°  Le  Gouvernement  de  la  République  française  s'engage  à  n'ac- 
quérir ni  territoire  ni  influence  politique  à  l'est  de  la  ligne  fron- 
tière définie  dans  le  paragraphe  suivant,  et  le  Gouvernement  de  Sa 
Majesté  Britannique  s'engage  à  n'acquérir  ni  territoire  ni  influence 
politique  à  l'ouest  de  cette  même  ligne. 

2°  La  ligne  frontière  part  du  point  où  la  limite  entre  l'État  libre 
du  Congo  et  le  territoire  français  rencontre  la  ligne  de  partage  des 
eaux  coulant  vers  le  Nil  de  celles  qui  s'écoulent  vers  le  Congo  et  ses 
affluents.  Elle  suit  en  principe  cette  ligne  de  partage  des  eaux 
jusqu'à  sa  rencontre  avec  le  11e  parallèle  de  latitude  nord.  A  partir 
de  ce  point,  elle  sera  tracée  jusqu'au  15e  parallèle,  de  façon  à  sé- 
parer en  principe  le  royaume  de  Ouadaï  de  ce  qui  était  en  1882  la 
province  du  Darfour;  mais  son  tracé  ne  pourra,  en  aucun  cas,  dé- 
passer à  l'ouest  le  21°  degré  de  longitude  est  de  Greenwich 
(18°, 40'  est  de  Paris),  ni  à  l'est  le  23e  degré  de  longitude  est  de 
Greenwich  (20°, 40'  est  de  Paris  i. 

3°  Il  est  bien  entendu,  en  principe,  qu'au  nord  du  15e  parallèle, 
la  zone  française  sera  limitée,  au  nord-est  et  à  l'est,  par  une  ligne 
qui  partira  du  point  de  rencontre  du  tropique  du  Cancer  avec  le 
16e  degré  de  longitude  est  de  Greenwich  (13°, 40'  est  de  Paris), 
descendra  dans  la  direction  du  sud-est  jusqu'à  sa  rencontre  avec  le 
24e  degré  de  longitude  est  de  Greenwich  (21°, 40'  est  de  Paris)  et 
suivra  ensuite  le  24e  degré  jusqu'à  sa  rencontre  au  nord  du  15e  pa- 
rallèle de  latitude  avec  la  frontière  du  Darfour  telle  qu'elle  sera 
ultérieurement  fixée. 

4°  Les  deux  gouvernements  s'engagent  à  désigner  des  commis- 
saires qui  seront  chargés  d'établir,  sur  les  lieux,  une  ligne  frontière 
conforme  aux  indications  du  paragraphe  2  de  la  présente  déclara- 
tion. Le  résultat  de  leurs  travaux  sera  soumis  à  l'approbation  de 
leurs  gouvernemenls  respectifs. 

11  est  convenu  que  les  dispositions  de  l'article  9  de  la  convention 


526  l'afrique  politique  en  1900 


du  14  juin  1898  s'appliqueront  également  aux  territoires  situés  au 
sud  du  14°, 20'  de  latitude  nord  et  au  nord  du  5e  degré  de  latitude 
nord,  entre  le  14°, 20'  de  longitude  est  de  Greenwich  (12°  est  de 
Paris)  et  le  cours  du  haut  Nil. 


Fait  à  Londres,  le  21  mars  1899. 


{L.  S.).  Signé  :  Paul  Cambox. 
(L.  S.).  Signé  :  Salisbury. 


DÉCRET  DU  17  OCTOBRE  1899  527 


Décret  du   17  octobre  1899 
portant  réorganisation  du  Soudan  français. 


Article  premier.  —  Les  territoires  ayant  constitué  jusqu'à  ce 
jour  les  possessions  du  Soudan  français  cessent  d'être  groupés  en 
une  colonie  ayant  son  autonomie  administrative  et  financière. 

Les  cercles  de  Kayes,  Bafoulabé,  Kita,  Satadougou,  Bamako, 
Ségou,  Djenné,  Nioro,  Gombou,  Sokolo  et  Bougouni  sont  rattachés 
au  Sénégal. 

Les  cercles  de  Dinguiray,  Siguiri,  Kouroussa,  Kankan,  Kissidou- 
gou  et  Beyla  sont  rattachés  à  la  Guinée  française. 

Les  cercles  ou  résidences  d'Odjenné.  Kong  et  Bouna  sont  ratta- 
chés à  la  Côte  d'Ivoire. 

Les  cantons  de  Kouala  ou  Xebba,  au  sud  de  Liptako,  et  le  terri- 
toire de  Say,  comprenant  les  cantons  de  Djennaré,  Diongoré,  Fol- 
mongani  et  Botou,  sont  rattachés  au  Dahomey. 

Les  cercles  ou  résidences  des  circonscriptions  dites  :  région  du 
nord  et  région  du  nord  est  du  Soudan  français,  savoir  ceux  de 
Tombouctou,  Sumpi,  Goundam,  Bandiagara,  Dori  et  Ouahigouya» 
ainsi  que  les  cercles  ou  résidences  de  la  circonscription  dite  région 
de  Volta,  savoir  ceux  de  San,  Ouaghadougou,  Koury,  Sikasso, 
Bobo-Dioulassou  etDjebougou,  forment  deux  territoires  militaires, 
relevant  de  l'autorité  directe  du  gouverneur  général,  placés  sous  la 
direction  de  deux  commandants  militaires. 

Art.  2.  —  Le  gouverneur  général  de  l'Afrique  occidentale  fran- 
çaise est  chargé  de  la  haute  direction  politique  et  militaire  des 
sous-territoires  dépendant  du  Sénégal,  de  la  Guinée  française,  de 
la  Côte  d'Ivoire  et  du  Dahomey. 

Art.  3.  —  Un  officier  général  ou  supérieur  remplit  à  Saint- 
Louis,  auprès  du  gouverneur  général,  les  fonctions  de  comman- 
dant supérieur  des  troupes  de  l'Afrique  occidentale.  Son  autorité 
s'exerce,  au  point  de  vue  militaire,  et  sous  la  haute  direction  du 
gouverneur  général,  dans  les  colonies  du  Sénégal,  de  la  Guinée 
française,  de  la  Côte  d'Ivoire  et  du  Dahomey. 

Les  troupes  placées  sous  son  commandement  sont,  selon  les  né- 
cessités politiques,  réparties  entre  ces  diverses  colonies. 


528  l'afrique  politique  en  1900 


Art.  4.  —  Les  recettes  et  dépenses  des  cercles  ou  résidences  de 
l'ancienne  colonie  du  Soudan  français  rattachés  au  Sénégal,  y  com- 
pris ceux  des  deux  territoires  militaires,  formeront  un  budget  spé- 
cial, incorporé,  par  ordre  au  budget  du  Sénégal,  sous  le  titre  de 
budget  du  haut  Sénégal  et  du  moyen  Niger. 

Ce  budget  spécial  est  préparé,  chaque  année,  par  le  gouverneur 
général  en  conseil  privé.  Le  gouverneur  général  ordonnance  les 
dépenses,  mais  il  peut  sous-déléguer  les  crédits  qui  sont  à  sa  dis- 
position. 

Il  est  pourvu  à  l'exécution  des  engagements  financiers  pris  par 
l'ancienne  colonie  du  Soudan  français  sur  les  ressources  de  ce 
budget  spécial. 

Art.  5.  —  Les  recettes  et  dépenses  des  territoires  rattachés  à 
la  Guinée  française,  à  la  Côte  d'Ivoire  et  au  Dahomey  sont  inscrites 
respectivement  aux  budgets  locaux  de  ces  différentes  colonies. 

Art.  6.  —  Toutes  les  dispositions  contraires  au  présent  décret 
sont  et  demeurent  abrogées. 


FIN 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages. 
Préface 5 

Introduction 9 

Derniers  faits  importants  de  l'histoire  africaine.  —  L'expansion  européenne. 

—  La  colonisation  nécessité  humaine.  —  Rôle  de  l'Amérique  et  de  l'Ex- 
trême-Orient. —  L'Afrique  annexe  économique  de  l'Europe.  —  Lutte  du 
fétichisme,  du  mahométisme  et  du  christianisme  en  Afrique.  —  Facultés 
colonisatrices  des  Européens  et,  en  particulier,  des  Anglais.  —  Mise  en 
exploitation  de  l'Afrique 9 

CHAPITRE  I 

AFRIQUE   SEPTENTRIONALE 

Coup  d'œil  très  général  et  très  sommaire  sur  l'Afrique  septentrionale,  par- 
tout étudiée.  —  Questions  à  envisager  spécialement  dans  ce  volume 29 

Tripolitaine  el  pays  de  Barka. 

Tripolilaine.  —  Relie  situation.  —  Rivalités  européennes.  —  Relations  avec 
le  Soudan.  —  Intérêts  de  la  France.  —  Pays  de  Rarka.  —  Son  isolement. 

—  Avenir  possible 31 

L'ordre  des  Senoussias. 
Historique.  —  Son  expansion.  —  Son  rôle  en  Afrique 42 

Tunisie. 

Succès  de  la  politique  française  en  Tunisie.  —  Situation  économique  du 
pays.  —  Son  rùle  méditerranéen.  —  Le  port  de  Bizerte.  —  Chemins  de  fer. 

—  L'Italie  en  Tunisie 47 

Algérie. 

Conditions  actuelles  de  l'Algérie  (commerce,  chemins  de  fer,  populations, 
etc.).  —  Les  tendances  séparatistes.  —  Besoins  et  demandes  des  colons.  — 
Ce  que  l'Algérie  coûte  à  la  France.  —  L'ordre  des  Tidjania.  —  L'armée 
d'Afrique.  —  Pénétration  vers  le  Sud 5» 

Maroc. 

Conditions  actuelles  du  Maroc.  —  Compétitions  européennes.  —  Le  chan- 
gement de  règne.  —  Intérêts  de  la  France.  —  Importance  stratégique  du 
Maroc 73 

Le  Sahara. 

Le  Sahara,  obstacle  relatif.  —  Description  sommaire.  —  Les  Touareg.  — 
Expansion  française.  —  Projet  d'expédition  du  général  Philebert.  —  Les 
Transsahariens.  —  Routes  du  Sahara.  —  Les  chemins  de  fer  de  l'avenir. .      83 


530  l'afrique  politique  ex  1900 

CHAPITRE  II 

AFRIQUE    OCCIDENTALE 

Pages. 
Organisation  récente.  —  Avantages  et  inconvénients.  —  Centralisation.  — 
Délimitation.   —  Enclaves    étrangères.    —   Débouchés  et  voies  ferrées  à 
créer ICC.» 

Sénégal. 

Développement  et  régime  de  la  colonie.  —  Les  Maures  de  la  rive  droite  du 
Sénégal.  —  Divisions  administratives.  —  Dakar,  future  capitale.  —  Occu- 
pation militaire 112 

Guinée  française. 

Occupation  du  Fouta-Djalon.  —  Délimitation  avec  la  Sierra-Leone.  —  Popu- 
lation. —  Commerce.  —  Administration 119 

Côte  d'Ivoire. 

Généralités.  —  Situation  de  la  colonie.  —  Campagnes  contre  Samory.  — 
Délimitation  avec  la  Libéria  et  la  Côte  d'Or.  —  Chemin  de  fer  de  Kong. . .     126 

Dahomey  et  dépendances. 

Administration.  —  Missions  récentes  et  délimitation  avec  la  colonie  anglaise 
de  Lagos.  —  Organisation  civile  et  militaire.  —  Commerce.  —  Avenir 138 

Gambie  anglaise 146 

Guinée  portugaise 148 

Colonie  anglaise  de  Sierra-Leone. 

Délimitation.  —  L'exode  de  Samory.  —  Action  commerciale  des  Anglais.  — 
Expropriation  pacifique  des  enclaves  étrangères 1  50 

République  de  Libéria. 
Situation  actuelle.  —  Délimitation.  —Compétitions  et  convoitises  étrangères.    154 

Colonie  anglaise  de  Cape-Coast  et  Àchantiland. 

L'occupation  anglaise.  —  Expédition  de  1895  contre  les  Achantis  :  prépara- 
ration;  exécution;  conséquences.  —  Missions  anglaises  ultérieures.  —  Déli- 
mitation       15S 

Togoland. 

Délimitation.  —  Efforts  des  Allemands.  —  Prospérité  de  la  colonie.  —  Politi- 
que coloniale  allemande 168 

Colonie  anglaise  de  Lagos. 

Attitude  des  indigènes.  —  Expédition  contre  les  Ilorins.  —  Occupation  et 
délimitation  du  pays 1~5 

Territoires  anglais  du  Niger. 

La  Compagnie  royale  du  Niger  et  le  protectorat  des  côtes  du  Niger.  —  Luttes 
avec  les  indigènes.  —  Zone  d'influence  et  pénétration  anglaise  au  Sokoto 
et  au  Bornou.  —  Délimitation 182 

Cameroun. 

Occupation. —  Missions  dans  l'intérieur—  Délimitation. —  Essais  de  coloni- 
sation       195 


TABLE  DES   MATIÈRES  531 


CHAPITRE  III 

LE    SOUDAN 

Divisions.  —  La  mer  Saharienne.  —  Théories  géologiques 199 

Soudan  occidental. 

Régions  administratives  —  Occupation  militaire.  —  Occupation  de  Tom- 
bouctou.  —  Les  Touareg.  —  Mission  hydrographique  du  Niger  moyen.  — 
Traités  de  protectorat. —  Missions  et  conquêtes.  —  Défense  du  Soudan.  — 
Voies  ferrées.  —  Ressources  du  Soudan.  —  Rôle  commercial  de  Tombouc- 
tou.  —  Avenir  du  Soudan 203 

Soudan  central. 

Division  du  pays.  —  L'empire  du  Sokoto.  —  Zones  d'influence  française  et 
anglaise.  —  Le  Bornou.  —  Les  conquêtes  de  Rabah.  —  L'Adamaoua.  —  Par- 
tage du  pays  entre  l'Angleterre,  la  France  et  l'Allemagne.  —  Rôle  possible 
de  l'empire  de  Rabah 230 

Soudan  oriental. 

Limites.  —  Bassin  du  Nil.  —  Bassin  oriental  du  Tchad.  —  L'empire  de  Ra- 
bah. —  Baghirmi,  Ouadaï  et  Kanem.  —  Rôle  attractif  du  Tchad.  —  Coup 
d'œil  d'ensemble  sur  le  Soudan.  —  Ambitions  anglaises,  françaises  et  alle- 
mandes     245 


CHAPITRE  IV 

LES    PAYS    DU    CONGO 


Congo  français. 

Délimitation.  —  Situation  générale.  —  Opérations  vers  le  Tchad.  —  Missions 
Gentil,  Bretonnet  et  de  Béhagle.  —  Opérations  vers  le  Nil.  —  Missions 
Liotard  et  Marchand.  —  La  question  de  Fachoda.  —  Considérations  générales.    257 

État  indépendant  du  Congo. 

Conventions  internationales.  —  Considérations  générales.  —  Arabes  du  Nord 
et  Arabes  du  Sud.  —  Expéditions  militaires  de  1890  à  1899.  —  L'affaire 
Stokes.  —  Chemin  de  fer  du  bas  Congo.  —  Avenir  du  Congo 291 

CHAPITRE  V 

L'AFRIQUE    AUSTRALE 


Possessions  portugaises  de  l'Afrique  australe. 

Le  litige  anglo-portugais.  —  L'Angola.  —  Compagnie  de  Mossamédès.  -  Le 
Mozambique.  —  Défiances  du  Portugal.  —  Expéditions  dans  l'intérieur.  — 
Chemins  de  fer.  —  Développement  des  ports.  —  Visées  de  l'Angleterre. ..     308 

Sud-Ouest  africain  allemand 320 

État  libl  e  d'Orange 321 


532  L' AFRIQUE   POLITIQUE   EN    1900 


Afrique  australe  britannique  et  Transvaal. 

Pages. 
La  colonie  du  Cap  et  M.  Cecil  Rhodes.  —  La  Chartered.  —  Le  Transvaal  et 
les  uitlanders.  —  L'équipée  du  docteur  Jameson.  —  Historique  de  l'expé- 
dition. —  Insurrections  indigènes  dans  l'Afrique  australe.  —  L'Angleterre 
et  les  Boërs.  —  Prospérité  du  Transvaal.  —  Les  chemins  de  fer,  les  mines, 
etc.  —  La  guerre  actuelle 329 

Madagascar. 

Coup  d'oeil  général  sur  les  suites  de  la  conquête.  —  Négociations  avec  l'An- 
gleterre et  les  États-Unis.  —  Rôle  stratégique  de  Madagascar.  —  L'océan 
Indien,  mer  britannique.  —  Insuffisance  des  stations  stratégiques  françaises. 
—  Madagascar,  Suez  et  le  Cap 411 


CHAPITRE  VI 

AFRIQUE    ORIENTALE 


Est  africain  allemand. 
Historique.  —  Occupation  militaire.  —  Communications.  —  Avenir 418 

Est  africain  anglais. 

Délimitation.  —  Evénements  de  Zanzibar,  de  l'Est  africain  anglais  et  de 
l'Ouganda.  —  Expéditions  Mac-Donald,  Martyr  et  Cavendish.  — Avenir  du 
pays 424 

Région  des  Somalis.  Zones  d'influence  anglaise  et  italienne 435 

Cote  française  des  Somalis  et  dépendances. 
Obock  et  Djibouti.  —  Leur  importance.  —  Avenir  de  la  colonie 439 

Erythrée  et  Ethiopie. 

Historique  sommaire.  —  Expédition  de  1893-96.  —  L'armée  du  Négus.  — 
Amba  Alaghi.  —  Makallé.  —  Adoua.  —  Adigrat.  —  Kassala.  —  Influence 
des  événements  d'Abyssinie  sur  la  politique  européenne.  —  Politique  des 
Français,  Anglais  et  Italiens  en  Abyssinie.  —Importance  et  développement 
de  l'empire  d'Ethiopie 444 

Egypte  et  Soudan  égyptien. 

Occupation  anglaise.  —  Expéditions  contre  les  derviches  en  1896.  —  La  caisse 
de  la  Dette.  —  Les  forces  du  Mahdi.  —  Préparation  de  l'expédition.  — 
L'armée  égyptienne.  —  Occupation  de  Souakim  par  les  troupes  des  Indes. 
—  Opérations  vers  Souakim  et  Dongola.  —Expéditions  de  1897  et  1898.  — 
Occupation  du  Soudan.  —  Politique  anglaise  en  Egypte.  —  L'Egypte  et  les 
Indes.  —  La  mission  des  Anglais  en  Egypte 4"5 

Conclusion SOS 

Appendice 519 

Paris  et  Limoges.  —  Imprimerie  militaire  Henri  Charles-La  vauzei. le. 


0IND1NS  3ICT.      WZP  2  1  197L 


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DT  Bonnefon,   Edmond  Louis 

23  L'Afrique  politique  en 

B65  1900 


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