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Full text of "La Grèce continentale et la Morée : voyage, séjour et études historiques en 1840 et 1841"

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•  I 
M 


LA   . 


GRÈCE  CONTINENTALE 


Et 


LA  MORÉE. 


PARIS,    IMPfilMR  PAR  BETUUNE  ET  PLON. 


i 


GRECE   CONTINENTALE 

ET 

LA  MORÉE. 


VOTAGB,  BÉWUBk  BT  âTVBBS  BUTOaX^UBB 

BN  1S40  ET18M  , 

PAR  J.-A.  BUCHON. 

Fi.  Butn,  DigntU  det  icieacts ,  I.  >,  t.  9, 


PARIS. 

LIBBAlRIli  DE  CHARLES  ROSSELIN, 

ÉitiTEim  im  ;,v  nmi.ifiTHP,()i!E  lyÉi-irE, 


I 


Madame, 

Mon  voyage  en  Grèce  avait  un  but  fout  historique  et 
tout  national.  J'allais  interroger  les  monuments  en  ruines, 
les  débris  des  archives  religieuses  et  civiles ,  les  souvenirs 
même  et  les  traditions  populaires ,  et  leur  demander  quel- 
ques rayons  de  lumière  qui  éclairassent  mes  pas  à  travers 
l'obscure  histoire  de  ces  temps  où  nos  croisés  de  France 
étaient  venus  fonder  leurs  baronnies  dans  les  mêmes  val- 
lées où  avaient  fleuri  les  rois  d'Homère.  Pendant  plus  d'un 
siècle,  cette  Nouvelle-France ,  comme  on  l'appelait  alors, 
avait  fait  les  délices  de  TOccident*  ;  et,  lorsqu'elle  disparut 

^  E  cosi  le  delizie  de'  Latioi ,  acquistaie  anticamente  per  li  Fran- 
ceschi ,  i  quali  erano  i  più  morbidi  e  meglio  stanti  che  in  nllo  paese 
del  ninndo,  per  cosi  dissoluta  gente  (les  Catalans)  Tiirono  distriiKe 
e  giiasle.  (Giot.  Villani,  I.  viii,  c.  50.) 


VI 

à 

au  milieu  de  Tanarcbie  féodale»  avant  que  ses  conquérants 
si  indisciplinés  mais  si  valeureux  eussent  pu  racheter 
bien  des  fautes  par  rbéroîque  résistance  qu*ils  auraient  op- 
posée aux  envahissements  des  Turcs ,  tout  souvenir  de  sa 
courte  existence  ne  fut  pas  enseveli  avec  elle.  Les  chroni- 
ques du  temps ,  les  ballades  popubirep ,  que  j*ai  entendu 
les  bergers  d'aujourd'hui  chanter  sur  les  ruines  des  an- 
ciens châteaux  francs  disséminés  par  toutes  les  montagnes, 
noui  <mt  conservé  la  mémoire  de  Thérolsaia  cdevtl^resqpe 
de  nos  aventureux  barons,  du  dévouement  de  quelques 
belles  châtelaines,  du  respect  que  surent  s'acquérir  au 
milieu  de  ces  troubles  deux  des  princesses  françaises  de 
Morée ,  Catherine  de  Yakm  et  Marie  de  Bourbon  ;  et  cette 
sorte  d'unité  que  créa  pour  la  première  fois  la  conquête 
française,  entre  des  municipalités  habituées  depuis  la  plus 
haute  antiquité  à  une  hostile  indépendance ,  prépara  peut- 
être  utilement  les  idées  des  Grecs,  ^  J^yr  propre  insu,  à  se 
voir,  au  jour  de  leur  indépendance  nationale,  réunis  en  un 
9^ul  lÈUt, 

A  r^H^Qt  de  celte  nouvelle  page  ajoutée  aux  gkirienie§ 
jipnale»  des  nOtre^t  m  opble  CiBnr^  w  cœur  ouvert  k 
toutes  1#$  généreuses  émotions,  un  ce^ur  que  (aie^it  battre 
^^rtout  U  gloire  de  sa  ndiion  et  la  gloire  de  m  famille,  qu'il 
ne  ^parait  jamais  f  fut  vivement  renoué,  3*  Af  Rt  Uen^ 
seigneur  le  duc  d'Qrlé^ns  approuva  chaudement  mes  re^ 
cherches,  et  in^utorisa  h  lui  faire  part,  pendant  mon 
voyage  en  Gr^ce*  d^s  faits  nouveaux  déconveru  sur  lee 
lieux  et  qui  devaient  n)*aider  k  jalonner  Tbirtoire  du  passé  i 

et  il  prenait  d'autant  plus  d'intérêt  à  voir  ces  nouveaux 
fleurons  ajoutée  k  la  cooroone  des  siens ,  que  luUmême , 
ainsi  qu'a  daigné  me  le  révéler  sa  modeste  et  noble  confi- 
dence, avait  commencé  pour  lui  seul,  pour  sa  famille,  pour 


1 


vil 

quelques  auiis  peut-être  (  car  il  était  justement  fier  d'aYoir 
des  amis),  une  Histoire  des  hauts  faits  par  lesquels  s'é- 
taient personnellement  illustrés  les  divers  membres  de  sa 
famille.  Cette  autorisation ,  qui  me  fut  accordée  avec  tant 
de  grâce,  était  un  devoir  trop  doux  et  trop  honorable  pour 
que  j*y  manquasse. 

£n  offrant  aujourd'hui  à  Votre  Altesse  Royale  le  vo« 
lume  qui  contient  le  résultat  des  recherches  dont  elle  veut 
bien  accepter  Thommage,  c'est  à  lui  encore,  c'est  à  sa  pen-> 
sée  vivante,  c'est  à  cette  même  généreuse  affection  pour  tout 
ce  qui  est  et  fut  noble  et  grand ,  c'est  à  ce  même  cœur 
tout  national  qui  s'est  versé  en  entier  dans  le  vôtre  afin  de 
se  transmettre  avec  la  même  chaleur  et  la  même  pureté  à 
son  fils,  c'est  à  Monseigneur  le  duc  d'Orléans  en  vous, 
Madame,  que  je  crois  l'offrir.  Que  Votre  Altesse  Royale 
me  permette  do  vous  confondre  ensemble  dans  le  même 
respect  et  le  même  dévouement. 

Je  suis , 


Madame  « 

De  Votre  Alîesse  Royale 
Le  plus  respectueux  et  le  plus  humble  serviteur  » 

J.-A.   BUGHON; 


Paris,  16  octobre  1843; 


INTRODUCTION. 


«  Avec  le  livre,  dit  le  mâle  Rcgoier  de  La  Planche^ , 
on  voyage  saos  frais  par  toutes  les  régions  de  la  terre  ;  Ton 
monte  avec  espérance  jusques  au  ciel,  et  descend  Ton  avec 
asseorance  jusqaes  aux  abismes:  Ton  single  par  tous  les 
gouffres  de  la  mer  sans,  aucun  péril;.  l*on  se  trouve  sans  dan- 
ger au  meilieu  des  batailles,  en  assaults  et  prinses  de  vil- 
les ;  Ton  se  sauve  sans  perte  de  la  main  des  brigands  ;  bref, 
Ton  y  faict  toutes  négociations  et  exercices  sans  bouger 
d'une  place.  Ce  que  long  âge,  un  grand  travail  et  pesante 
expérience  n*aportoient  qu'à  Theure  de  la  mort ,  nos  en- 
iauts  le  peuvent,  par  manière  de  dire,  succer  des  mamel- 
les de  leurs  mères  et  nourrices.  » 

A  Texerople  de  cet  Âmyot ,  de  ce  Jacques  Colin  ^  et  do 
tant  d'autres  excellents  ouvriers ,  qui ,  suivant  ce  même 
éloquent  écrivain  du  seizième  siècle ,  «  aidoient  le  grand 
roi  François,  premier  de  ce  nom,  à  tirer  par  la  main, 
comme  d'ung  tumbeau,  les  sciences,  les  arts,  les  lettres  et 
bonnes  disciplines  ensevelies  eu  une  fondrière  d'ignorance, 
et  à  nous  rendre  les  outils  de  sagesse  tranchants  en  nosirc 
langue  maternelle ,  »  le  but  comme  l'espoir  de  Fauteur  de 
ce  volume  est  de  conduire  sans  fatigue  avec  lui  son  lecteur 
à  travers  des  lieux  et  des  hommes  intéressants  à  étudier , 
mais  parfois  âpres  à  visiter ,  à  travers  des  recherches  tout 

•  *  Le  Livre  des  marchands  de  Régnier  de  La  Planche,  pag.  428, 
dans  ma  Collection  des  Chroniques  du  Panthéon  littéraire ,  seU 
%.éme  siècle. 
«  Ibid.y  p.  427. 

1 


2  INTRODUCTION. 

à  fait  nouvelles  d'où  peuvent  surgir  des  caractères  et  des 
faits  dramatiques  9  mais  qui  ont  besoin  d'être  dégagées  de 
toute  encombre  et  échirctes,  poor  laisser  saillir  le  drame 
'de  notre  conquête  et  de  notre  établissement  féodal  en 
Grèce. 

Le  récit  de  cet  épisode  de  nos  annales ,  que  je  suis  allé 
étudier  sur  les  lieux,  ne  viendra  que  plus  tard  et  après  de 
nouvelles  recherches  ;  aujourd'hui  je  présente  au  public  le 
récit  du  voyage  que  j'ai  entrepris  dans  le  but  de  contem- 
pler à  la  fois  cette  jeune  société  européenno.  que  la  Hberté 
avait  agrégée  aux  vieux  états  occrdentatix,  elles  débris  des 
monuments  et  des  souvenirs  de  fantiqtre  dominatioti  des 
nôtres,  momiments  et  souvenirs  iHspersés  partout  sur  cette 
ten-e  conquise  et  dominée  par  eux  pendant  pl«s  de  itnx 
siècles,  %  la  suite  de  la  quatrième  croisade. 

Long-temps  avant  les  pèlerinages  à  main  armée  et  en 
grandes  masses  qui  ont  exclusivement  conservé  la  déno- 
mination de  croisades,  mais  qui  ont  été ,  en  effet ,  comme 
le  déclin  des  pèlerinages  refigietix,  de  nombreux  chrétiens 
avaient  ïfris  la  croix  et  s'étaient  rendus  dans  h  Terre-Saîntc 
j)our  y  vénérer  le  tombeau  de  Jésus-Christ  C'est  de  là  que 
revenait  le  chef  normand  Drogon  ou  Dreux,  en  Tan  1016, 
lorsqu'il  débarqua  à  Saierne ,  défendit  cette  vîBc  contre 
les  Sarrasins,  s'engagea  au  service  du  duc  lom!)ard  de  Sa- 
ierne émerveillé  de  la  bravoure  de  sa  petite  troupe ,  et , 
après  avoir  fait  venir  de  nouveaux  renforts  de  Normandie, 
jeta  la  base  de  cette  domination  qu'étendirent  depuis  si 
glorieusement  les  fils  de  Tancrède  de  flautevîlle  sur  tout 
le  royaume  de  "Naples,  Tîle  de  Sicile  et  les  îles  de  Malte  et 
de  Goto, 

A  cette  première  époque  des  passages  d*outre-mer,  qui 
avaient  lieu  périodiquement  au  printemps  et  en  automne , 
ainsi  qu'ont  lieu  aujourd'hui  les  pèlerinages  des  musul- 
mans wa  tombeau  <l«  Pr(^ète,  le  zèle  religieux  poussait 
seul  les  pèlerins  vers  la  Terre-Sainte.  Aucun  bat  d'aiiy)i- 
tiou  mondaine  ne  les  entraînait  hors  de  leur  patrie  sur  ces 


INTIIOI>ll€TIOM.  3 

plages  loifttittiiefl.  Quelque  grande  baie  k  eijwer,  qodqoe 
vkrfettte  passion  k  cslmer ,  quelque  tœu  ardent  à  acoan-* 
plir,  voilà  ce  qui  précipitai  des  mihitades  sans  cesse  re-» 
uouYeiées  au  pÂed  du  saint  tombeau  -,  et^  le  voyage  accom-' 
pli,  ceux  qui  avalent  pu  résister  aux  fatigues  et  aux  oiisè^ 
res  de  la  route  rentraient  dans  leurs  foyers  plus  caknes  et 
plus  honorés. 

Les  Arabes,  maîtres  de  lémsakni,  respectaient  alors 
ces  pieux  voyageurs.  Mais  lorsque,  en  Fan  1065,  les  Turcs 
Ortokkles ,  conduits  par  un  lieutenant  du  svhan  Melek- 
Scbah ,  eurent  triomphé  des  Arabes  et  dépossédé  les  cali-- 
fes  latimhes  de  Jérusdem ,  une  ère  de  persécutions  tou<* 
jours  croissantes  commença  pour  les  pèlerins  chrétiens. 
Les  insultes  multipliées  faites  par  les  nouveaux  conquérants 
tares  aux  pèlerins  soulevèrent  Findignation  de  Pierre-rHer^ 
mite,  lors  de  son  premier  voyage  en  Terre-Sainte  en  109&. 
De  retour  en  Europe ,  il  chercha  à  faire  passer  son  indi* 
gnation  dans  tons  les  cœurs,  et ,  à  sa  voix  éloquente,  des 
armées  entières  de  pèlerins  se  portèrent  vers  la  Terre* 
Sainte  pour  venger  les  Insultes  faites  à  Dieu  et  aux  hom- 
mes, et  ouvrir  désormais  un  libre  accès  au  saint  tombeau. 
Le  poèoae  du  Tasse  a  immortalisé  cette  croisade.  Jérusa- 
lem fut  prise  et  le  tombeau  du  Christ  délivré  ;  mais,  à  da- 
ter de  cette  victoire,  l'esprit  de  conquête  commença  k  suc- 
céder au  zèle  religieux.  Un  royaume  fut  fondé  à  Jérusalem, 
une  principauté  à  Amioche,  des  comtés  à  Édesse  et  à  Tri* 
poli,  et  tout  le  pays  conquis  sur  les  musulmans  fut  réparti 
entre  divers  cbefe  féodaux,  qui  obtinrent  un  territoire  plus 
ou  moins  considérable,  en  proportion  du  nombre  d*hom- 
mes  d*armes  que  chacun  avait  réunis  sous  sa  bannière  et 
qn'il  pouvait  y  maintenir  pour  la  défense  du  pays 

En  même  temps  que  cette  nouvelle  direction  des  idées 
provoquait  de  si  notables  changements  en  Orient,  elle  ame- 
nait rapidement  en  Occident  une  modification  réelle  de  la 
société.  Jaloux  de  se  montrer  avec  plus  d'éclat  dans  les 
armées  des  croisés  et  de  profiter  pins  amplement  des  chaq- 


4  INTRODUCTION. 

CCS  de  la  conqaêle,  tous  les  chefs  féodaux  luttaient  d'efforts 
pour  réunir  sous  leur  bannière  une  suitt  plus  nombreuse 
de  chevaliers  et  d'hommes  d'armes.  Ce  surcroit  de  forces 
ne  s'obtenait  pas  sans  un  surcroît  de  sacrifices  pécuniaires, 
aggravés  encore  par  le  haut  intérêt  que  faisaient  payer  les 
marins  ou  banquiers  vénitiens  et  génois,  et  on  ne  pouvait 
arracher  aux  communes  ces  contributions  extraordinaires 
qu'en  se  laissant  aussi  arracher  des  concessions  extraordi- 
naires. L'avantage  réclamé  par  le  seigneur  amena  ainsi  un 
avantage  correspondant  octroyé  aux  hommes  de  ses  domai- 
nes. Dans  les  premiers  temps  des  pèlerinages,  on  avait  iso- 
lément affranchi  quelques  serfs  pour  le  salut  de  son  âme  ; 
cette  fois ,  on  affranchit  des  communes  entières  pour  l'a- 
grandissement de  sa  personne.  La  liberté  s'acheta  partout 
en  même  temps  ;  et,  à  chaque  nouvelle  croisade  en  Orient, 
s'augmenta  en  Occident  le  nombre  des  garanties  concédées 
aux  classes  inférieures.  Les  exemples  donnés  par  les  sei- 
gneurs qui  partaient  à  la  recherche  des  aventures  ne  tar- 
dèrent pas  à  être  suivis  par  ceux  même  qui  restaient  dans 
leurs  domaines;  de  sorte  qu'après  un  siècle  seulement , 
grâce  à  l'éloignement  des  hommes  les  plus  turbulents,  qui 
allaient  user  en  Orient  l'activité  qui  aurait  porté  le  désor* 
dre  dans  leur  pays,  grâce  aussi  à  la  sage  prévoyance  des 
papes,  qui  prescrivirent  la  paix  dans  les  terres  ainsi  mo- 
mentanément abaftdonnées  par  leurs  seigneurs,  le  bon  or- 
dre intérieur ,  résultant  d'une  meilleure  oi^anisation  des 
communes,  l'amélioration  de  la  justice  et  l'accroissement 
de  la  richesse  publique  amenèrent  sans  secousses  les  pro- 
grès civilisateurs  qui  signalent  l'apparition  du  treizième 
siècle. 

Au  moment  où  ce  treizième  siècle  allait  succéder  au 
douzième,  le  dernier  des  siècles  obscurs  du  moyen  âge, 
un  nouvel  ébranlement  était  imprimé  à  la  fois  aux  idées 
religieuses  et  aux  idées  de  conquête.  Saladin ,  devenu 
successivement  sultan  de  Damas,  d'Âlep  et  d'Egypte, 
avait  frap|)é  au  cœur  le  royaume  chrétien  de  Palestine. 


INTRODUCTION.  5 

Jérusalem ,  après  quatre-vingt-dix-huit  ans  de  possession  , 
était  retombée  entre  les  mains  des  musulmans,  et  Ptolémaîs 
on  Saint-Jean-d'Acre  elle-même,  ce  boulevard  du  non* 
veau  royaume,  venait  de  succomber.  Deux  rivaux  dignes 
de  Saladin ,  Philippe- Auguste  et  Richard  Cœur-de-Lion  , 
se  présentèrent  aussitôt  dans  la  lutte ,  à  la  tête  d'une  troi- 
sième croisade.  Richard  commença  par  enlever  Tile  de 
Chypi;^  à  Tempire  grec  en  la  cédant  aux  Lusignan,  comme 
pour  donner  le  signal  du  démembrement  qui  allait  suivre, 
et  les  deux  souverains  reconquirent  héroïquement  Ptolé- 
maîs. Mais  les  cruautés  atroces  commises  par  Richard ,  la 
violence  de  son  caractère,  les  jalousies  entre  les  deux  rois, 
et,  d*aulre  part,  la  générosité  et  la  bravoure  toute  cheva- 
leresque de  8aladin  rendirent  inutile  la  reprise  de  Saint- 
Jean-d*Acre  par  les  chrétiens,  et  la  troisième  croisade  se 
termina  sans  que  Jérusalem  eut  été  reconquise. 

Un  pape  homme  de  génie ,  Innocent  III ,  monté  sur  le 
trône  pontifical  en  119S,  résolut  de  tenter  un  nouvel  et 
puissant  effort  en  faveur  de  la  cause  chrétienne.  Une  qua- 
trième croisade  .'succéda  rapidement  à  la  troisième.  Mais 
l'ambition  mondaine  lui  donna  un  tout  autre  cours  que  ne 
l'avait  prévu  le  zèle  religieux.  Une  suite  d'événements , 
décrits  avec  un  charme  entraînant  par  le  plus  ancien  de 
nos  chroniqueurs  en  prose  française,  le  maréchal  héréditaire 
de  Champagne  Geoffroy  de  Yiile-Hardoin,  détourna  le  prin- 
cipal corps  de  l'armée  des  croisés  des  mers  de  Syrie  pour 
le  porter  sur  les  mers  de  Grèce  ;  et  ce  ne  fut  plus  Jérusa- 
lem ,  la  ville  sainte ,  mais  Constantinople ,  la  ville  chré- 
tienne schismatique ,  qui  tomba  entre  leurs  mains.  L'em- 
pire byzantin  fut  divisé  tout  entier  par  lambeaux  entre  les 
chefs  croisés.  Déjà  l'île  de  Chypre  avait  été  transformée 
depuis  quelques  années  en  un  royaume  latin  placé  sous  les 
Lusignan  ;  l'île  de  Candie  avait  été  presque  entièrement  dé- 
^  tachée  aussi  de  la  couronne  impériale  en  faveur  du  mar- 
quis de  Montferrat,  qui  la  céda  aux  Vénitiens;  ce  qui 
restait  de  l'empire  fut  réparti  entre  tous  les  chefs.  Un  em- 

1. 


6  nvmmyoGTioN. 

pire  franc  fat  eréé  à  Crnistantlnople  et  donné  ao  comte 
Baudoin  de  Flandre  401  avait  épousé  Marie  de  Champagne^ 
De  cet  empire  relevèrent  :  les  duché»  francs  établis  soit  en 
Asie,  soit  en  Europe  au  nord  de  l'ancien  empire  grec  ;  les 
provinces  et  les  iles  données  au  d(^  de  Venise  avec  le  ti- 
tre de  despote;  le  royaume  de  Salonique,  qui  s*étettdait  du 
mont  Hémns  aux  Thermopyles ,  et  fut  donné  à  Boniface 
de  Montferrat  ;  enfin  la  principauté  de  Morée ,  qui  eta- 
brassait  le  reste  de  la  Grèce  continentale ,  le  Péloponnèse, 
les  Cyclades  et  les  fies  Ioniennes,  moins  Corfoo,  et  qui  fat 
conquise  par  un  seigneur  français.  L'empire  franc  de  Gon« 
sfantinople  ne  dura  que  cinquante-neuf  ans.  Le  royaume 
de  Saloniqoe  dura  moins  de  temps  encore.  Son  existence 
même  fut  toujours  précaire ,  déchiré  qu'il  était  d'un  côté 
par  les  rois  de  Bulgarie ,  qui  venaient  de  ressaisir  leur  in* 
dépendance ,  et  de  l'autre  par  les  despotes  d- Arta ,  de  la 
famille  Ange  ,  qui  s'étaient  constitué  une  souveraineté  sur 
les  dâ>ris  de  leur  souveraineté  de  famille. 

La  principauté  française  de  Morée  ou  d'Achaïe  eut  plus 
longue  vie.  Gouvernée  par  une  suite  de  souverains  braves 
et  habiles  de  la  famille  Yille-Hardoin  de  Champagne  et  rat- 
tachée à  la  fois  par  des  liens  de  famille  et  de  féodalité  à  la 
dynastie  angevine  des  Deux-Siciles,  elle  continua  à  se 
maintenir,  plus  ou  moins  déchirée ,  plus  ou  moins  puis- 
sante ,  mais  toujours  française  et  toujours  indépendante  et 
guerrière ,  jusqu'à  la  conquête  turque ,  à  la  fin  du  quin* 
zième  siècle. 

C'est  l'histoire  de  cette  partie  importante  de  nos  con- 
quêtes étrangères  que  j'ai  entrepris  de  rechercher  et  d'é- 
claircir.  Une  obscurité  profonde  l'avait  jusqu'ici  envelop- 
pée. Les  historiens  byzantins  ne  la  traitent  qu'en  passant  et 
à  l'occasion  des  guerres  de  leurs  souverains  avec  les 
Français  ;  nos  chroniqueurs  à  leur  tour  avaient  trop  peu 
de  moyens,  dans  l'état  imparfait  des  communications, 
pour  pouvoir  jeter  sur  cette  curieuse  époque  une  lumière 
suffisante.  El  d'ailleurs,  autant  nous  sommes  ardents  et 


IimODUCTlIlN.  7 

habiles  à  reebercher,  k  gagner,  k  nom  unir  les  pays  cou» 
tigas  à  notre  territoire ,  autant  sommes-nous  froids  et  dé- 
pourvus de  suite  dans  ce  qui  s'étotgne  par  trop  de  notre 
attention  de  tous  les  jours.  Quelle  partie  de  l'univers  n'a« 
vons-nous  pas  successivement  possédée  et  perdue ,  sans 
qu'il  reste  même  dans  notre  mémoire  le  souvenir  du  nom 
des  pays  que  nous  avons  régis,  des  hommes  émineots  qui 
nous  les  ont  acquis  et  de  ceux  qui  ont  consacré  leurs  ta^ 
lents  à  nous  les  conserver  !  Le  grand  ministre  Sully  avait 
été  vivement  frappé  de  ce  défaut  de  notre  caractère  natio* 
nal.  Il  s'exprime  ainsi  à  cet  égard  dans  une  lettre  qu*il 
écrivait  le  2G  février  1608  au  |)résident  Jeannin,  envoyé 
pour  négocier  au  nom  de  la  France  dans  les  Pays-Bas  : 

«  J'ai  toujours  estimé ,  dit  8uHy,  la  numarcbie  d'Espagne 
estre  du  nombre  de  ces  estats-ià ,  qai  ont  les  bras  et  les 
jambes  fortes  et  puissantes  et  le  cœur  infiniment  foiUe  el 
débile ,  et  tout  au  contraire  nostre  empire  françois  estre 
de  ceux  qui  ont  les  extrémités  destituées  de  puissance  et 
de  vertu  et  le  corps  d'icelles  merveilleusement  fort  et  vi» 
gonreux ,  différences  qui  procèdent  de  leur  situation  et 
du  naturel  des  nations  dont  ils  sont  composés.  Ces  eonsi** 
dérations  m'ont  toujours  fait  insister  et  conseiller  avec  fer* 
meté  qu'il  falloil  attaquer  le  cœur  et  les  entrailles  de  l'Es* 
pagne  ,  que  j  ^estime ,  pour  le  présent ,  résider  aux  Indes 
orientales  et  occidentales ,  lesquelles  ayant  été  le  seul  foa» 
dément  de  la  grandeur  d'Espagne,  sera  par  sa  ruine  le  boule* 
versement  de  sa  rude  domination  ,  sans  néanmoins  devoir 
prétendre  pour  nous  la  conservation  ou  possession  de  telles 
conquestes ,  comme  trop  éloignées  de  nous  et  par  consé- 
quent disproportionnées  au  naturel  et  à  la  cervelle  des 
François ,  que  je  reconnoîs ,  à  mon  grand  regret ,  n'avoir 
ni  la  persévérance  ni  la  prévoyance  requises  pour  telles 
choses ,  mais  qui  ne  portent  ordinairement  leur  vigueur , 
leur  esprit  et  leur  courage  qu'à  la  conservation  de  ce  qui 
leur  touche  de  proche  en  proche  et  leur  est  incessamment 
présent  devant  les  yeux ,  comme  les  expériences  du  passé 


8  INTRODITGTION. 

ne  Tofit  que  trop  fait  coanoistre ,  tellement  que  les  choses 
qui  demeurent  séparées  de  iiostre  corps  par  des  terres  et 
des  mers  estrangères  ne  nous  seront  jamais  qu'à  grande 
charge  et  à  peu  d'utilité.  » 

Cette  disposition  éternelle  de  notre  esprit  explique  tout 
naturellement  l'abandon  successif  de  tant  de  pays  et  de  tant 
de  populations  conquises  par  notre  épée  et  soumises  par 
l'équité  de  nos  Jois  ou  gagnées  par  l'affabilité  de  nos  mœurs  ; 
elle  justifie  en  quelque  sorte  l'oubli  de  la  politique;  mais 
elle  ne  saurait  excuser  ni  l'abandon  ni  l'oubli  qu'en  ferait 
l'histoire.  Tout  fait  glorieux  du  passé  est  un  legs  sacré  qui 
appartient  à  la  génération  présente ,  laquelle,  à  son  tour, 
en  doit  compte  aux  générations  futures  ;  car  c'est  la  réu- 
nion de  tous  ces  faits  qui  compose  la  vie  d'une  nation  ;  et 
le  bien  comme  le  mal ,  la  gloire  comme  les  revers ,  le  bon 
usage  de  la  prospérité  comme  la  fermeté  d'un  haut  cœur 
dans  l'adversité ,  sont  des  exemples  et  des  leçons  qu'on  ne 
saurait  passer  sous  silence  sans  se  rendre  coupable  envers 
soi  et  envers  les  siens. 

Napoléon  écrivait  à  son  frère  Louis  en  Hollande  :  «Vous 
devez  comprendre  que  je  ne  me  sépare  pas  de  mes  prédé- 
cesseurs, et  que,  depuis  Glovis  jusqu'au  comité  de  salut  pu- 
blic, je  me  tiens  solidaire  de  tout,  et  que  le  mal  qu'on  dit  de 
gaieté  de  cœur  contre  les  gouvernementsqui  m'ont  précédé, 
je  le  tiens  Comme  dit  dans  l'intention  de  m'offenser.  »  Cette 
même  sympathie  pour  les  triomphes  et  les  souffrances  de  nos 
devanciers,  nous  devons  la  ressentir  tous  ;  et  nous  ne  devons 
pas  permettre  qu'on  arrache  ou  qu'on  dédaigne  un  seul 
feuillet  de  nos  annales  nationales  ;  car  nous  sommes  ce  que 
nous  sommes ,  avec  nos  défauts  comme  avec  nos  qualités  ; 
et ,  au  milieu  des  époques  les  phis  désordonnées ,  il  y  a  de 
hautes  gloires  qui  surgissent  au  sein  du  plus  profond  abat- 
tement;  il  y  a  d'éclatantes  vertus  qui  expient  de  bien 
tristes  erreurs  ;  il  y  a  de  grands  progrès  qui  nous  conso- 
lent de  nos  longues  souffrances. 

Ce  sentiment  consciencieux  de  mon  devoir  comme  Fran- 


IINTRODUCTIOIV.  9 

çais  et  comme  écrivain  est  Finspiration  qui  i»*a  toujours 
guidé  et  soutenu  dans  mes  études ,  et  m'a  encouragé  h 
poursuivre  les  travaux  difficiles  qu*il  me  fallait  entrepren- 
dre pour  reconstituer  et  remettre  enfin  sur  pied  Thistoire 
si  obscure  de  notre  domination  dans  les  provinces  démem- 
brées de  l'empire  grec  à  la  suite  de  la  quatrième  croisade. 
Un  court  exposé  du  résultat  de  mes  recherches  ne  sera 
peut-être  pas  sans  intérêt. 

L'empire  de  Constantinople  une  fois  conquis  par  les  nô- 
tres, il  fallut  songer  à  le  constituer  et  à  l'organiser.  L'em- 
pereur Henri  de  Constantinople  ,  successeur  de  son  frère 
Baudoin ,  convoqua  à  cet  effet  tous  les  chefs  de  la  conquête 
en  un  parlement  solennel ,  qui  se  tint  à  cheval  dans  les 
prairies  de  Ravennique  en  Macédoine.  Chefs  militaires  et 
chefs  ecclésiastiques,  tous  y  accoururent,  et  le  patriarche 
latin  de  Constantinople  y  vint  prendre  place  pour  stipuler  les 
droits  de  l'Église  romaine  triomphante.  Là  fut  décidé  ce  que 
les  chefs  supérieurs  devaient  à  l'empereur;  ce  que  tous  les 
feudataires  se  devaient  entre  eux  ;  ce  qu'ils  devaient  au 
reste  de  l'armée  franque  qui  les  avait  suivis  ;  ce  qu'ils  de- 
vaient enfin  au  pays  soumis ,  dans  l'intérêt  du  maintien  de 
la  conquête.  Là  fut  constituée  l'église  latine ,  qui  succédait 
à  l'église  grecque  dans  ses  biens  et  ses  droits.  Les  coutu- 
mes féodales  qui  avaient  réglé  la  conquête  franque  dans  les 
royaumes  de  Palestine  et  de  Chypre ,  devinrent  les  usages 
par  lesquels  eut  à  se  régir  tout  l'empire  de  Romanie ,  en 
même  temps  qu'une  sorte  de  concordat ,  dont  j'ai  eu  co- 
pie des  savants  moines  bénédictins  de  l'abbaye  du  mont 
Cassin ,  déterminait  l'étendue  et  la  limite  des  privilèges  de 
l'Église. 

Geoffroy  de  Yille-Hardoin,  devenu  prince  de  Morée  ou 
d'Âchaîe  par  sa  bravoure,  son  habileté,  et  aussi  par  la 
haute  considération  dont  était  entouré  son  oncle,  le  vénéra- 
ble maréchal  héréditaire  de  Champagne  et  de  Romanie  au- 
teur de  la  Chronique  de  Coiistantinopte ,  mit  sur-le- 
champ  les  nouveaux  usages  en  vigueur  dans  ses  états,  et  fit 


10  iirrROdiiCTiON. 

fr»pper  momiaîe  e»  sm  mou  A  ]*image  du  rojraame  de 
France  et  de  la  plupart  des  états  chrétiei» ,  et  co  soifvemr 
pefit>être  des  pairs  romanrsqœs  de  la  TaMe  Ronde,  sa  prm- 
cipauté  eut  ses  grands  fiefs,  subordonnés  à  sa  suzeraineté  et 
confiés  à  ses  hauts  banmSr  An  marquis  éé  Bodonîtza,  Ton 
d'eux ,  il  confia  la  garde  des  marches  ou  frontières  de  kl 
principauté  du  côté  de  la  Thessalie.  Xn  duc  d'Athènes,  de 
la  maison  des  La  Roche  ou  Ray  {de  Rupe)  de  Franche- 
Comté,  fut  dévolue  la  principaîe  aotorité  éms  le  conseil, 
avec  le  Utre  de  baron  d*Atbènes  et  de  Tbèbes ,  qui  ne  fut 
remplacé  par  le  titre  de  duc  qn'en  ?ertu  d'une  concessioo 
de  saint  Louis.  Le  duc  de  Naxos  ou  des  Gyclades,  le  comte 
palatin  de  Céphalonie  et  antres  ties  ioniennes,  et  les  trois 
barons  tierciers  d'Oréos ,  de  Gbaici»  et  de  Carysto  en  En* 
bée,  forent  chargés  en  particulier  de  la  défense  maritime* 
Le  baron  de  Caritena  eut  la  garde  des- montagnes  du  côté 
des  Tzacons,  qui,  de  temps  à  autre,  renouvelaient  leurs 
nobles  tentatives  d'indépendance.  Le  baron  de  Passava,  de 
la  maison  de  Neuilly ,  campé  an  sein  même  de  la  terre 
guerrière  du  Magne ,  fut  investi  de  la  dignité  héréditaire 
de  maréchal  de  la  principauté  ;  et  les  seigneurs  de  La  Tré* 
mouille,  de  Toucy ,  de  Brière,  de  Gharpigny,  de  La  Pa« 
lisse ,  de  Périgord ,  de  Couriin ,  de  Ligny,  de  Brienne,  de 
Bussy,  de  Lusignan,  de  Bracy,  d'Agout,  d'Aunoy,  et 
beaucoup  d'autres,  aini»  que  les  chevaliers  de  Saint-Jean 
de  Jérusalem ,  du  Temple  et  de  l'Ordre  Teutoniqne,  re* 
curent  à  diverses  époques  des  fiefs  {^us  ou  moins  consîdé* 
râbles  dans  l'intérieur  du  pays.  Les  hauts  barons  étaient 
tous  les  pairs  ou  ^aux  du  prince ,  et  formaient  avec  lui 
la  haute  cour ,  chargée  de  prononcer ,  sons  la  présidence 
du  prince ,  dans  toutes  les  questions  féodales  et  dans  tous 
les  cas  de  haute  justice  ou  justice  par  le  sang.  Une  cour 
inférieure ,  appelée  cour  des  bourgeois  ,  présidée  par  nn 
délégué  du  prince ,  était  saisie  des  questions  entre  les  ha* 
bitants  non  nobles  ;  et  chaque  seigneur ,  dans  sa  propre 
terre ,  connaissait  sans  appel  des  cas  civils  entre  vilains,  et 


INTBODUCnOM.  1 1 

avec  appel  de«  cas  de  inof  eane  et  luMte  j«atice.  Outre  le 
maréchal  bérédhake ,  le  pi^ce  avait  de  grands  officiers 
d'état ,  tek  que  le  logothète  oa  chancelier ,  le  protoves* 
tîaire  im  trésorier,  le  capitaine  d'armes,  et  des  diâtelahis 
datts  les  fertereases  de  garde  générale.  Oa  s'était  partagé 
le  pays  avaot  de  ravoir  occtipé  de  fait  ;  r<Bun*e  d'occupa* 
tiofi  effeottre  ae  f«t  ni  longue  ni  bien  contestée.  Depuis  les 
deroiers  temps  des  Comnèoe  ,  les  pai*ties  éloignées  de 
Teoipire  s'étaieiit  déshabituées  de  Toiiéissance  régulière, 
et  de  petits  chefe  locaux  avaient ,  dans  Tintérêt  di;  leur 
«nfaitimi ,  seané  partovc  la  disconfe  et  ranarobîe.  Aucane 
force  greoqye  «a  peu  compacte  ne  pouvait  donc  être  réu- 
nie contre  les  Français ,  et  dntqtie  province  attaqvée  sé- 
parément deviat  une  proie  facile.  Les  donae  villes  forti- 
iéen  do  Pélopomièse  et  les  montagnes  offrirent  quelque 
Fésietance  ;  mais,  a«x  villes  fortes,  on  accorda  des  privllé- 
gea ,  en  laissant  parfois  aux  habitants  grecs  ia  garde  de  la 
ville  et  en  se  ^mentant  d'an  fort  par  lequel  on  la  domi- 
nait ;  quant  aux  montagnards  ph»  pauvres  ,  ils  ftiretit 
agréés  comme  anxiHatres  «oMés.  Puis,  pour  assurer  foc- 
capation  du  pays,  on  St  bâtir  dans  les  plus  fortes  pestions 
des  châteaux  autour  desquels  vinrent  se  grouper  les  babi- 
tatioBS  de  Tarmée  conquérante.  Les  Romains ,  lorsqu'ils 
réunirent  tant  de  royaumes  sons  feur  autcM-ité ,  s'étaient 
garantis  contre  !es  rébdiions  en  détruisant  les  forteresses 
et  en  portant  leurs  boulevards  de  défense  aux  extrémités  de 
Fempire  ;  aussi ,  ces  boulevards  une  fois  franchis ,  les  peu- 
ples bai4)ares  pureot-lls  se  répandre  comme  autant  de  tor- 
rents destructeurs  sur  toutes  leurs  provinces  sans  défense. 
Le  système  opposé  fut  adopté  par  l'armée  conquérante  de 
nos  Francs  de  Morée,  ainsi  qu'il  l'avait  été  par  leurs  ancê- 
tres. Tout  le  pays  fut  hérissé  de  châteaux-foits  :  châteaux 
du  prince  pour  la  garde  générale  du  pays  ;  cfaâteaux  des 
haats  barons  au  centre  et  aux  extrémités  de  leur  baronnie 
pour  la  protection  de  leurs  propres  domaines  et  sans  qo'H 
leur  ftt  besoin  de  l'autorisadon  du  prince ,  puisqu'ils 


1*2  INTRODUCTION. 

avaient ,  en  qualité  de  ses  égaux ,  le  droit  de  guerre  pri- 
vée ;  châteaux  des  seigneurs  bannerets  et  des  liges  d'hom- 
mage simple,  toujours  ouverts  au  prince,  mais  qui  ser- 
vaient à  la  fois  à  la  protection  et  à  Téclat  des  seigneurs. 
Retrouvant  ainsi  sous  le  beau  ciel  de  la  Grèce  les  habitu- 
des de  leur  patrie ,  nos  Français  s'attachèrent  à  leur  con- 
quête. Beaucoup  d'entre  eux  firent  venir  de  France  leurs 
sœurs  et  une  partie  de  leur  famille ,  et  bientôt  la  Morée 
devint,  suivant  l'expression  du  pape  Ilonorius,  une  Nou- 
velle F  rwnce;  car,  ainsi  que  le  rapporte  le  spirituel  chro- 
niqueur et  aventureux  guerrier  catalan,  Ramon  iMuntauer, 
qui  visita  ce  pays  en  1309,  «  toujours,  depuis  la  conquêle, 
les  princes  de  Morée  avaient  pris  leurs  femmes  dans  les 
meilleures  maisons  de  France ,  et  il  en  était  de  même  des 
hauts  barons  et  chevaliers ,  qui  ne  s'étaient  jamais  mariés 
qu'à  des  femmes  qui  descendissent  de  chevaliers  de  France. 
Aussi,  disait-on  ,  ajoute-t-il ,  que  la  plus  noble  chevalerie 
du  monde  était  la  chevalerie  française  de  Morée  ,  et  on  y 
parlait  aussi  bon  français  qu'à  Paris.  » 

Ce  droit  de  guerre  privée  laissé  aux  hauts  barons  pro- 
duisit des  fruits  amers  pour  la  conquête ,  car  c'était  sou- 
vent au  moment  où  il  était  le  plus  nécessaire  de  se  réunir 
contre  l'ennemi  commun  que  les  dissensions  et  les  jalou- 
sies entre  les  chefs  français  affaiblissaient  le  plus  l'autorité 
du  commandement;  mais  le  courage  aventureux  de  ceux 
qui  restaient  avait  bientôt  compense  le  désavantage  de 
leur  situation.  C'est  dans  ces  luttes  inégales  que  se  pré- 
sentent en  foule  à  notre  admiration  les  caractères  et  les 
faits  les  plus  héroïques,  qui  forment  un  drame  plein  de  vie 
et  d'intérêt  pour  nous;  car,  partout  où  triomphe  un  Fran- 
çais, la  France  est  glorifiée  en  lui,  et,  partout  où  un  Fran- 
çais est  humilié,  la  France  se  sent  humiliée  avec  lui. 

Cette  anarchie  féodale,  quelquefois  comprimée  par  l'au- 
torité des  princes ,  mais  jamais  complètement  étouffée , 
continua  en  Morée  pendant  plus  d'un  siècle.  Les  feuda- 
taires  sentaient  bien  d'où  venait  le  mal ,  et  comprenaient 


INTRODUCTION.  t3 

qu'en  présence  des  Grecs,  qui  avaient  repris  les  montagnes 
du  Magne ,  et  après  les  embarras  survenus  aux  rois  auge- 
vins  de  Naples ,  qui ,  depuis  la  reprise  de  Constantinople 
par  les  Grecs,  avaient  continué,  en  vertu  d'iiiie  cession  de 
Tempereur  Baudoin  et  du  prince  Guillaume  de  Ville^Har- 
doin  ,  k  posséder  la  seigneurie  supérieui*e  de  FAchaïe  ,  le 
maintien  de  la  conquête  devenait  chaque  jour  plus  diffi- 
cile ;  mais  aucun  ne  voulait  faire  les  sacrifices  d'amour- 
propre  nécessaires  au  rétablissement  de  l'autorité  et  de  la 
force  publique.  8ur  la  fin  du  quatorzième  siècle ,  la  prin- 
cipauté d'Acbaïe  échut,  par  la  mort  de  l'impératrice  Marie 
de  Bourbon,  à  son  neveu  Louis  II,  troisième  duc  de  Bour- 
bon ,  beau  -  frère  de  Charles  Y ,  un  des  tuteurs  de  Char- 
les YI,  et  petit-fils  de  Louis ,  premier  duc  de  Bourbon  , 
duquel  descend  directement  Henri  lY.  Louis  de  Bourbon 
résolut  d'aller  prendre  une  possession  effective  de  sa  piiu- 
cipaulé;  mais,  pour  mieux  se  rendre  compte  de  l'état  du 
pays  et  des  ressources  qu'il  pouvait  offrir  aussi  bien  que 
des  moyens  à  prendre  pour  le  conserver ,  il  y  envoya  à 
deux  reprises  un  de  ses  chevaliers ,  nommé  Chastel-Mo- 
rant,  qui,  dit  une  vieille  chronique,  «  oncques  en  sa  vie  ne 
feit  voyage ,  sinon  à  ses  despens  ,  ne  aussi  u'ot  cure  de  de- 
mourer  en  cour  de  seigneur.  »  Chastel-Morant  avait  rapporté 
de  Grèce  à  Moulins  une  adhésion  des  seigneurs  hauts  ter- 
riens dcMorée  et  entre  autres  du  plus  puissant  de  tous,  ie 
seigneur  d'Arcadia  en  Messénie.  Louis  de  Bourbon  se  pré- 
para donc  à  partir  vers  1 390.  <•  Il  avoit,  dit  sa  chronique,  de 
hautes  pensées  en  lui.  La  première  estoit  de  mener  la  royne 
à  Naples  ,  et ,  allant  son  chemin ,  de  prendre  la  saisine  du 
principal  de  la  Morée  que  l'on  clame  Achaïe ,  qui  estoit 
sienne  :  car  ceux  de  la  Morée  n'attendoieut  que  lui  pour  le 
recevoir  à  seigneur.  » 

La  démence  du  roi  Charles  YI  et  les  dissensions  entre  les 
princes  de  la  famille  royale  de  France  empêchèrent  Louis 
duc  de  Bourbon  de  se  rendre  dans  sa  principauté  de  Mo- 
rée ,  et  il  mourut,  en  1410,  avant  d'avoir  pu  réaliser  son 

2 


14  ÏNHAOBiiGTION. 

projet.  La  défaite  d'Aziocourt  eut  ileu  cittq  ms  après  ,  H 
h  France,  déchirée  daas  son  propre  mn ,  eut  besoin  pour 
eite  du  bras  de  tous  ses  enfants.  Quand  elie  se  fut  reconquise 
dle-tnême  eiiui  rassise  sur  sa  base,  grâce  aux  vertus  et  à  la 
raison  si  droite  de  Jeanne  d'Arc,  à  la  sagesse  de  Donois,  à  la 
bravoure  des  Xaintrailles,  des  La  Fayette,  des  La  Hîre,  aux 
lumières  de  Bureau  de  La  Rivière,  réformateur  de  l'artil- 
lerie, au  patriotisme  de  Topulent  Jacques  Coeur,  il  n'était 
plus  temps  de  remédkr  à  Tétat  cbancelant  de  la  prioci* 
paoté  gallo-grecque.  Les  Turcs,  vainqueurs  sous  Bajaz^ 
des  forces  hongroises  et  de  la  chevalerie  de  France  à  Nico* 
polis,  s'étaient  emparés,  sous  Amurat,  son  petit-âts,  de 
Salonique  et  d'une  partie  de  l'ancienne  Épire,  et  enfin,  sous 
Mahomet  If,  fils d' Amurat,  de  Constantinople  elie-raéme. 
La  prtncipanté  de  Morée,  dont  les  Grecs  et  Florentins  et  Na« 
p(^ilains  disputaient  les  lambeaux  aux  seigneurs  français, 
faible  reste  de  hi  conquête  de  1205,  ne  pouvait  se  maintenir 
plus  long-temps.  Dix  ans  s'étaient  à  peine  écoulés  depuis,  la 
prise  de  Constanitnople  par  Mahomet ,  que  la  Roumélie  en- 
tière, puis  la  Morée,  puis  en  1476  l'île  d'Ëubée,  devinrent 
la  proie  des  Turcs.  Tous  ceux  qui  purent  fuir  se  réfugiè- 
rent dans  les  pays  voisins;  le  reste  fut  dépouillé  ou  massa- 
cré, et  la  Grèce  entière  fut  enlevée  pour  presse  qnatre  siè- 
cles à  la  civilisation. 

J'ai  voult]  voir,  après  ces  siècles  d'infortune  et  de  bar- 
barie, ce  qui  restait  sur  le  sot  grec  et  dans  les  cœurs  grecs 
des  monuments  et  des  souvenirs  de  notre  domination  de 
plus  de  doux  siècles  dans  la  principauté  d'Achaîe.  J'ai  par- 
couru le  pays  dans  tous  les  sens  ;  j'ai  conversé  avec  les 
hommes  de  toutes  les  classes  ;  j'ai  mûrement  examiné  et 
les  débris  des  monuments ,  et  les  débris  des  archives  ;  et , 
après  deux  ans  de  recherches  consciencieuses,  je  rapporte 
Il  mes  compatriotes  le  fruit  d'études  persévérantes.  Sem- 
blable au  médecin  qui,  le  lendemain  des  grandes  batailles, 
parcourt  soigneusement  le  champ  de  mort  pour  découvrir 
si,  parmi  ces  cadavres  gisants  pêle-mêle,  9  ne  se  f  etrou'vo- 


RVTlIOinJCTKMI.  15 

rsH  fias  ifâièlqiie  corps  animé  d'un  reste  de  vie  »  j'ai  par« 
couru  le  champ  obscur  du  passé  à  k  recben^be  de  qv^ 
que  fait  ou  de  qnelqae  nom  giorien  des  oôtres  qot  méritât 
de  sortir  du  sépulcre  de  l'oubli  pour  renaître  à  la  fie  de 
l'histoire,  ou  du  moins  sur  la  trace  des  moniineiits  et  des 
souvenirs  qui  restent  d'eux.  Ces  laits,  ce»  noms ,  ces  mo« 
numents,  ce»  glorieux  souvenirs  sont  bien  plus  nombreux 
qu'on  ne  le  pen^.  Suivons  pour  un  inatant  la  raarcbe  de 
notre  armée  conquérante  à  travers  les  provinces  de  Tan* 
ctenne  &rèce  •  et  on  verra  si  je  m'abuse. 

Laissons  là  mire  vieux  chroniqueur  Geoffrey  de  Ville* 
Ilardoin ,  maréchal  héréditaire  à  la  fois  de  Champagne  et 
de  Romanie,  choisir  entre  les  fiefs  de  Serrbès  et  de  lliosi« 
nopolis  en  Macédoine ,  que  lui  avait  donnés  son  ami  le 
roi-marquis  j^iface  de  Montferrat  ;  laissons  lli  aussi  le 
roi-marquis,  s'appnyant  au  nord  sur  THémus  et  comptant 
snr  le  bon  voisinage  de  son  beau-fràre  le  roi  de  Hongrie , 
s'avancer  au  midi  jusqu'à  l'Olympe,  disposé  à  aban^nner  au 
neveu  de  son  ami  le  maréchal  le  reste  des  provinces  méri- 
dionales, et  passons  de  l'autre  codé  de  l'Olympe  et  an  delà  de 
la  vallée  de  Tempe  pour  pénétrer  avec  tes  nôtres  dans  les 
riches  plaines  de  la  Tbessalie.  Ici  commençait  la  Grèce  d'Ho* 
mère,  ici  commençaient  à  vrai  dire  les  premiers  postes  féo- 
daux de  la  principauté  française  ;  ici  aurait  dû  commencer  le 
royaume  actuel  de  Grèce ,  si  les  puissances  n'eussent  pas 
refusé  de  se  rappeler  que  c'était  dans  les  montagnes  de 
l'Olympe  et  du  Pinde  qu'avait  été  constamment  alimenté 
le  foyer  de  la  résistance  armée  contre  le  joug  turc,  que  les 
chefs  les  plus  braves  s'étaient  pet^tués  de  race  en  race , 
qu'il  y  avait  eu  le  plus  de  sacrifices,  le  plus  de  courage , 
lo  plus  de  dévouement,  le  plus  de  souffrances.  La  Tbessalie 
et  la  Crète,  arrachées  par  la  volonté  des  hautes  puissances 
au  corps  de  la  monarchie  grecque,  se  débattront  long- 
temps palpitantes.  Comme  la  tête  et  la  queue  d'un  serpent 
que  la  hache  aurait  séparées  de  leur  tronc  ;  mais  le  ser- 
pent meurt,  et  la  Grèce  subsistera  ;  et,  viennent  les  zéphyrs. 


1(>  INTRODUCTION. 

cette  jeune  plante  grandira  à  sa  taille  naturelle,  et  les  fleurs 
produiront  leurs  fruits. 

Au  temps  de  notre  conquête,  la  Thessalie  était  comme 
une  sorte  de  terrain  neutre  entre  le  royaume  lombard  de 
Salonique  et  la  principauté  française d*Achaîe,  et,  de  même 
qu'au  temps  d'Homère,  elle  était  le  vestibule  et  la  porte  de  la 
Grèce.  Les  centaures  antiques  et  leurs  successeurs  avaient 
leurs  successeurs  dans  nos  chevaliers  toujours  éperonnés  et 
armés.  Mais,  au  lieu  du  vaillant  Protésilas,  d'Ëumélus,  fils  du 
roi  Admète;  de  Philoctète ,  ami  d'Hercule;  de  Podalire  et 
Machaon,  enfants d'Ëfsculape  ;  de  Polipétès,  fils  de  Pirithoûs, 
vainqueur  des  centaures  et  petit-fils  de  Jupiter;  de  Gonéus, 
maître  de  la  froide  Dodone  ;  de  Prothoûs,  habitant  les  forêts 
du  Pélion  ;  c'étaient  Roland  de  Passy,  Thierry  d'Ostrevant, 
Guillaume  et  Pierre  de  Bassigny,  Jacques  de  La  Baume , 
Robertde  Trevel,  Jean  de  IVlontigny,  Guillaume  Alaman,  Ro« 
land  et  Albert  de  Canosa,  Ulrich  de  Thorn,  Ëustache  de  Saar- 
Brûck,  Berthold  de  Katzenellenbogen ,  Nicolas  de  Salnt- 
Omer,  Hugues  de  Besançon,  Albert  du  Plessis,  qui  occu- 
paient les  forteresses  de  Larisse,  de  Yelestino,  de  Pharsale, 
d'Armyro,  de  Domocos  et  des  environs  du  Pélion,  qui  a  con- 
servé de  l'un  d'eux  le  nom  de  Plessis;  forteresses  dont  les 
restes  sont  encore  debout  sur  tous  les  contreforts  des  monts 
de  la  Thessalie,  sur  tous  les  escarpements  qui  dominent  ses 
plaines.  Leur  position  les  rendait  presque  indépendants. 

Ce  n'est  qu'au  delà  des  monts  Othrys,  avec  la  vallée  du 
Sperchius,  que  commençait  le  domaine  incontesté  des 
princes  français  d'Achaîe  de  la  famille  Yille-Hardoîn.  Cette 
riche  vallée  du  SperchiUs  était  de  tous  les  points  le  plus 
essentiel  à  défendre ,  puisqu'elle  conduit  en  Béotie  et  en 
Attique  ;  et  cette  nécessité  de  la  défense  y  a  toujours  en- 
tretenu la  vaillance  des  habitants.  Aux  temps  homériques 
Achille  était  comme  campé  à  la  tête  de  la  vallée  ,  dans  la 
Phthiotide ,  dont  la  capitale  ,  Larissa-Cremasti ,  offre  des 
ruines  intéressantes.  La  petite  république  des  iËnians, 
avec  Hypate  et  Néopatras  au  pied  de  l'OEia  ,  protégeait  le 


INTRODUCTION .  1 7 

passage  du  Sperchins  à  Tautre  extrémité  ;  Tétroit  passage 
des  Thermopyles ,  entre  les  derniers  points  de  la  chaîne  de 
rOEta  etiesmaraisdugolfe  Malliaque,  en  interdisait  la  sortie 
vers  le  midi  ;  et,  si  on  franchissait  ces  obstacles,  on  se  trou- 
vait aux  prises,  avant  de  franchir  les  défilés  du  Cailidrome, 
avec  les  habitants  guerriers  de  la  Locride  du  Gnémis,  dont 
Ajax,  fils  d'Oïiée,  conduisit  les  troupes  au  siège  de  Troie ^ 
et  avec  ceux  de  la  Locride  Opuntienne  ,  que  gouverna  le 
père  de  Patrocle ,  aini  d'Achille.  À  toutes  les  époques  on 
voit  se  diriger  par  cette  route  les  grandes  armées  d'inva- 
sion. C'est  par  cette  vallée  que ,  Tan  ^80  avant  Jésus- 
Christ  ,  Tarmée  de  Xerxès  vint  se  heurter  aux  Thermo- 
pyles contre  le  dévouement  de  Léonidas  et  de  ses  Spartiates. 
C'est  là  que  fut  arrêtée  ,  deux  cents  ans  après  ,  Tan  280 
avant  Jésus-Christ ,  l'armée  de  nos  ancêtres  gaulois ,  qui , 
sous  un  de  leurs  brenns ,  avaient  ravagé  la  Macédoine 
et  la  Thessalie ,  et  c'est  par  le  chemin  même  d'Hydarnes 
qu'ils  franchirent  le  Cailidrome  et  allèrent  piller  le  trésor 
du  temple  de  Delphes.  C'est  par  là  encore  que ,  quinze 
cents  ans  après ,  l'an  1205  de  Jésus-Christ ,  une  autre 
armée  envahissante  de  Français ,  celle  des  croisés ,  ayant 
pour  chef  Boniface  de  Montferrat  et  pour  capitaines  Guil- 
laume de  Champlitte ,  Othon  de  La  Roche ,  Jacques  d'À- 
vesnes  et  plusieurs  autres  illustres  croisés  de  Bourgogne  , 
de  Champagne,  de  Flandres,  de  Savoie  et  de  Lombardie , 
se  dirigea  par  la  Béotie  et  IVlégare  sur  Corinthe  et  Ârgos  , 
avant  la  cession  de  l'Achaïe  à  un  prince  particulier.  C'est 
par  là  enfin  que  passa,  en  1309  ,  la  Grande-Compagnie 
catalane  dans  sa  marche  sur  le  duché  français  d'Athènes. 
Aussi ,  lors  de  l'établissement  de  la  principauté  française 
d'Achaîe ,  des  soins  tout  spéciaux  furent-ils  pris  par  les 
conquérants  pour  pourvoir  à  la  garde  de  tous  les  passages. 
Un  seigneur  français  de  famille  puissante  obtint,  sous  le 
titre  de  marquis ,  le  commandement  de  cette  marche  ou 
frontière ,  et  planu  son  château  à  Bodonitza  ,  peut-être 
l'ancienne  Dodone  thessalique. 

2. 


18  I^tRMIItTlOll. 

LeR  dent  grande  forteresse»  de  Keitoiin  ou  LaHlid ,  et 
de  Patradjick  od  Néopatras,  randenne  Hypate  capitale 
des  ^nians ,  dont  de  vastes  ruines  subsistent  encore ,  fû-^- 
rcnt  destinées  à  garder  les  passages  du  blond  Sperchius 
aux  rives  verdoyantes.  Les  Français  ne  s'en  emparèrent  que 
sur  la  fin  du  premier  siècle  de  la  conquête.  Les  Gatalaosi 
maîtres  après  eux  du  duché  d'Athènes,  s'en  emparèrent  à 
leur  tour,  fortifièrent  de  nouveau  Néopatras  contre  les  ek^* 
cursions  qui  pouvaient  survenir  du  côté  de  l'Étolie ,  et  y 
fondèrent  le  duché  de  Néopatras,  dont  le  titre,  réuni  à  ce*- 
loi  du  duché  d'Athènes  »  s'est  conservé  jusqu'à  nos  jours 
parmi  les  titres  d'honneur  des  rois  d'Espagne,  successeurs 
des  rois  d'Aragon-âicile.  La  ville  de  Patradjick  <  qui  do- 
mine toute  cette  partie  de  la  vallée  du  Sperchius ,  est  en* 
core  surmontée  des  ruines  de  l'ancienne  forteresse  catalane. 
Elle  était  destinée  dans  les  temps  plus  anciens  i  arrêter  les 
envahisseurs  arrivés  de  la  Thessalie  aux  beaux  chevaux 
pour  se  jeter  dans  l'Étoile,  dont  les  habitants  faisaient  par* 
tie,  aux  temps  homériques  comme  aujourd'hui,  de  la  réu* 
nion  des  peuples  grecs ,  et  qui ,  sous  Thoas ,  fils  d*Ândré-» 
mon ,  furent  conduits  sur  quarante  bâtiments  au  siège  de 
Troie.  La  grande  vallée  de  l'Âchéloûs ,  qui  sépare  l'Étoile 
ancienne  de  l'Acarnanie ,  était  alors  défendue ,  au  passage 
du  mont  Arakinthe ,  près  duquel  se  trouve  le  ooUVeiU  ac^ 
tuel  de  Boursos ,  par  de  petits  forts  qui  donnaient  réveil 
aux  villes  fortes  de  Vrachori  et  de  Missolonghi ,  tandis 
qu*aux  deux  extrémités  de  cette  côte  les  forteresses  de  Yo* 
nitxa ,  près  de  l'ancienne  Actium  ,  et  de  Lépante  ou  Nau-* 
pacte ,  à  rentrée  même  dû  golfe  qui  ouvrait  passage  au 
cœur  de  la  principauté ,  défendaient  tout  abord  par  mer. 
La  forteresse  de  Lépante  resta  presque  jusqu'aux  derniers 
temps  de  notre  domination  entre  les  mains  des  seigneurs 
français  de  RIorée;  et  ce  ne  fut  qu'en  1^07  que ,  désespé- 
rant de  voir  arriver  parmi  eux  Louis  de  Bourbon  leur 
prince ,  auquel  ils  avaient  envoyé  leurs  requêtes  par  son 
ambassadeur  Chastel-Morant ,  ils  se  décidèrent  à  s'en  des* 


INTROHUGTION.  19 

saisir,  moyennant  une  indemnité  de  500  dncats  d'or,  rni 
fa?eur  des  Vénitiens  plus  capables  qu*eai  de  la  proléger 
contre  les  Turcs.  Sous  Philippe  de  Tarente,  mari  de  l'im- 
pératrice titulaire  de  Constantinople  Catherine  de  Valois, 
et  fils  de  Charles  II  de  Naples,  Lépante  avait  été  le  séjour 
habituel  de  ce  prince ,  qui ,  à  sa  qualité  de  prince  direct 
d'Achaîe,  joignait  celle  de  despote  d*Arta  et  de  seigneur  de 
Corfou  en  tertu  de  son  premier  maiiage  avec  Ilbamar, 
fille  de  Nicéphore  Comnène,  despote  d*Ârta  on  d'Kpire* 
Enfin,  c'est  près  de  cette  même  forteresse  de  Lépante  que 
se  livra ,  en  1571 ,  le  célèbre  combat  naval  dans  lequel  les 
Vénitiens,  les  forces  pontificales  et  les  Espagnols,  comman«> 
dés  par  don  Juan  d'Autriche  ,  triomphèrent  des  forces  ot«- 
tomanes  «  sans  pouvoir  cependant  sauver  Chypre ,  ce  qui 
était  le  but  de  la  ligue  et  de  l'armement.  L'étendard  porté 
par  don  «Juan  est  encore  conservé  à  Gaëte.  Ces  forteresses 
et  ces  montagnes  formaient  ainsi  alors  on  puissant  bou- 
levard. 

La  mer  ouvre  nn  accès  plus  facile  à  la  vallée  du  Sper* 
cliius.  Tout  en  face  du  plateau  sur  lequel  est  assis  Bodo* 
nitza,  en  suivant  la  vallée  par  laquelle  le  torrent  du  Boagrius 
se  jette  dans  le  golfe  Malliaque^  s'ouvre  le  détroit  de  TEu- 
bée,  et  par  Ib  les  bâtiments  peuvent  arriver  des  côtes  d'A* 
sie  et  do  golfe  de  Salonique.  Larissa  en  Phthiotide  et  Oréos 
en  Eubée  étaient  placées  des  deux  côtés  de  ce  canal  comme 
des  sentinelles  vigilantes.  Au  temps  d'Homère,  les  Abantes, 
qui  habitaient  l'Eubée  depuis  Histiœa  ou  Oréos  jusqu'à 
Carysto,  paraissent  sous  les  ordres  d'un  seul  chef,  Elphé- 
nor,  de  la  race  de  Mars.  Sous  les  Français,  l'Ëubée  ,  tie 
riche  et  peuplée,  fut  répartie  entre  trois  barons  de  la  même 
famille,  relevant  féodalcment  des  princes  français  de  Morée 
et  liés  par  des  traités  avec  la  commune  de  Venise.  Tous  les 
traités  conclus  è  cet  égard  entre  les  princes  français  de 
Morée  et  la  commune  de  Venise,  depuis  les  premiers  temps 
de  la  conquête  ,  sont  conservés  textuellement  dans  les  ar- 
chives de  Venise,  et  je  les  al  vérifiés  sur  des  manuscrits  du 


20  INTRODUCTION. 

temps.  Jacques  d'Avesnes,  de  Ja  famille  des  comtes  de 
Flandres,  avait  bien  été  le  preoûer  conquérant  de  i'Ëubéc; 
mais,  en  vertu  d'arrangements  particuliers,  la  seigneurie 
de  TEubée  avait  été  cédée  par  lui  à  un  Lombard  de  ses 
amis,  qui  la  partagea  entre  ses  trois  ûls,  restés  tous 
sous  la  suzeraineté  des  princes  français  de  Morée.  £n  par- 
courant cette  île,  qui  n'a  jamais  été  décrite  par  les  voya- 
geurs, car  les  Turcs  d'Ëubée  s'opposaient  toujours  à  ce 
qu'on  la  visitât,  j'ai  retrouvé  encore  debout  les  trois  forte- 
resses placées  au  centre  des  trois  baronnies,  les  redoutables 
châteaux  bâtis  dans  les  déGlés  de  chaque  baronnie  pour 
leur  servir  de  rempart  l'une  contre  l'autre,  plusieurs  châ* 
teaux  des  feudataires  inférieurs,  quelques-unes  des  églises 
latines  construites  au  temps  de  ces  barons,  et  jusqu'à  leurs 
inscriptions  funéraires  et  écussous. 

Les  îles  placées  sur  la  côte  d'Jilubée,  telles  que  Skopélos, 
Skiatbos  et  Skyros,  étaient  dans  la  dépendance  de  ces  trois 
barons.  A  Skyros,  où  Achille  se  cacha  parmi  les  ûUes  de 
Lycomède  et  donna  naissance  à  Pyrrhus ,  les  Francs  con- 
sacrèrent un  couvent  à  saint  Luc ,  et  les  deux  autres  îles 
offrent  quelques  restes  des  châteaux  et  couvents  qu'ils  y 
avaient  bâtis,  aussi  bien  que  de'  leurs  armoiries  de  famille. 

Au  cas  où  la  surveillance  active  des  barons  de  l'Ëubéc 
se  serait  endormie,  et  où  des  vaisseaux  passant  près  des  îles 
Lichadcs,  composées  des  membres  du  malheureux  Lichas, 
serviteur  d'Hercuie,  dont  elles  portent  le  nom,  eussent  ha- 
sardé un  débarquement  sur  les  côtes  de  la  Locride ,  des 
dispositions  étaient  prises  pour  en  neutraliser  le  danger. 
Au  pied  du  Cuémis ,  à  quelques  milles  de  la  côte  où  est 
établie  aujourd'hui  une  sucrerie  française  de  sucre  de  bet* 
terave ,  s'éleva  la  forteresse  de  Sidéroporton  ,  qui  défend 
l'accès  vers  les  passages  de  montagne  et  vers  l'ancienne 
Opus,  patrie  de  Patrocle,  aujourd'hui  Kardinitza,  où  se 
trouvent  aussi  les  restes  d'une  antienne  forteresse. 

Les  passages  de  mer  étaient  donc  aussi  bien  gardés  que 
les  passages  de  terre.  Pour  pénétrer  dans  la  vallée  du  Sper- 


INTRODUCTION.  21 

cbias  et  dn  Boagrius  dans  la  valtée  de  la  Doride ,  en  allant 
en  Béotie  par  Bodonitza,  on  rencontre  un  défilé,  ou  clei- 
soura^^  que  notre  vieux  chroniqueur  Henri  de  Valen- 
ciennes,  continuateur  de  Ville -Hardoin,  appelle  la  Glosure. 
A  Feutrée  même  de  cette  gorge  étroite  et  pittoresque  qui 
se  fraie  un  chemin  sinueux  entre  deux  versants  dn  Galli- 
drome ,  dont  les  pentes  sont  revêtues  jusqu'au  sommet  des 
arbres  les  plus  magnifiques,  est  bâti  au-dessus  d'un  pla- 
teau, au  milieu  d'une  gracieuse  vallée  et  sur  de  larges  bases 
helléniques,  le  château  franc  du  marquis  de  Bodonitza,  en- 
core presque  entier  aujourd'hui.  Ce  chef  féodal  tenait  ainsi 
entre  ses  mains  les  clefs  de  la  Grèce.  Une  fois  ce  défilé 
franchi ,  on  descend  dans  la  vallée  du  Géphise ,  entre  le 
Gallidrome  et  le  Parnasse.  Dans  tous  les  passages  de  cette 
vallée  intérieure  de  la  Doride ,  sur  tous  les  versants  du 
Gallidrome  et  du  Parnasse  jusqu'aux  sources  mêmes  du 
Géphise ,  subsistent  les  ruines  de  petits  châteaux  français , 
distribués  partout  comme  autant  de  sentinelles  et  placés 
sous  le  vasselage  du  haut  baron  de  Bodonitza.  Par  sa  posi- 
tion intermédiaire ,  cette  riche  vallée  dépendait  alors , 
comme  elle  dépendit  aussi  dans  les  temps  anciens ,  des 
chefs  plus  puissants  qui  l'entouraient.  Le  seigneur  de  Gra- 
via ,  mentionné  dans  les  lettres  d'Innocent  IH ,  était  un  des 
plus  importants  de  ces  feudataires  inférieurs ,  car  par  le 
défilé  de  Gravia  s'ouvre  encore  aujourd'hui  la  route  de  la 
Livadie  ou  partie  supérieure  de  la  Béotie. 

Une  fois  descendue  dans  les  plaines  de  la  Béotie ,  une 
armée  d'invasion  eût  trouvé  de  nouveaux  obstacles.  Près  de 
l'antique  domaine  de  Mynias,  l'ancienne  Orchomène,  dont 
Âscalaphe  conduisit  les  troupes  au  siège  de  Troie ,  existent 
des  ruines  d'une  forteresse  franque ,  et  à  trois  lieues  de  là 
subsiste  entière  sur  ses  bases  helléniques  la  forteresse  fran- 
çaise de  Livadia ,  dont  l'enceinte  fermée  a  offert ,  pendant 
la  dernière  guerre,  un  rempart  à  toute  la  population  de 

*  KXsiffoOpa ,  passage  étroit  et  fort  entre  des  montagnes. 


22  lNtiio©u6Tt<wi, 

)fl  THte  acttf^le  de  Lhradift.  Césva^es  re^l^,  (jtrî  eôHtrcnt 
la  coltine  élevée  à  pic  au-dessus  de  h  ville,  dtf  cMé  de 
Taotrëde  Trophonius,  produisent  on  très-bel  effet  dans 
tout  le  paysage ,  et  de  là  on  embrasse  une  vue  itiagni fique 
des  cimes  neigeuses  dn  Parnasse  et  du  double  Héllcon.  Si 
de  là  on  voulait  passer  dans  la  Pbocide ,  on  arrait  devant 
soi  la  forteresse  encore  subsistante  des  comtes  de  Salona  ; 
et ,  si  on  voulait  marcher  sur  Tbèbes ,  on  trouvait  une 
multitude  d'autres  petits  forts,  échelonnés  sur  tous  les  ver- 
sants de  THélicon  et  qui  viennent  se  projeter  sur  la  route  de 
c?tte  ville ,  outre  tes  marais  du  lac  Copafs ,  si  funestes  aux 
chevaliers  de  France  en  Tan  1310,  et  les.  nombreux  fortins 
disséminés  sur  ses  rives,  dans  Tîle  de  Gla,  à  Hagia-Marina  et 
jusqu'à  Karditza,  Tanclenne  Acraepbia,  où  existe  encore  une 
église  bâtie  par  messire  Antoine  de  Flamma  en  1311,  ainsi 
que  le  témoigne  une  inscription  grecque  que  j'y  ai  copiée. 
Tonte  la  Béotîe  et  l'Attkine  furent ,  au  temps  des  Fran  • 
çais ,  conquises  par  un  seigneur  puissant  de  la  maison  de 
La  Roche ,  dn  comté  de  Bourgogne ,  qui ,  comme  les  sou- 
verains ,  fit  frapper  monnaie  en  son  nom.  Placé ,  en  dépit 
de  lui-^méme ,  sous  la  suzeraineté  des  princes  de  Morée,  il 
fut  toujours  un  feudataire  peu  docile.  C'était  comme  un 
renouvellement  de  la  vieille  lutte  entre  Athènes  et  le  Pélo- 
ponnèse; mais  cette  fois  Athènes  fol  forcée  d'abdiquer  la 
domination  et  de  rester  sujette.  Comme,  à  chaque  renou- 
vellement des  princes  de  Morée,  il  fallait  un  renouvellement 
d'hommage  des  fendataires ,  l'un  des  successeurs  du  pre- 
mier conquérant  d'Athènes  profita  du  moment  où  arrivait 
à  la  couronne  princière  de  Morée  un  successeur  du  pre- 
mier Ville-^Hardoin  pour  lui  refuser  hommage  de  fidélité, 
et  il  entraîna  dans  sa  rébellion  les  seigneurs  d'Ëubée,  et 
même  l'un  des  parents  du  prince ,  le  seigneur  de  Caritena 
et  de  presque  toute  l'Arcadie ,  Geoffroy  de  Brière.  Le  sei- 
gneur d'Athènes  et  les  siens  furent  vaincus.  Le  sort  des 
armes  fit  encore  fléchir  Athènes  sous  Lacédémone  et  le 
Péloponnèse.  Guillaume  de  Ville-Hardoin,  prince  de  Morée, 


tMTaOBUCTION.  23 

biea  diflërem  du  rigoureax  Lyasodre ,  n'aboia  pus  de  sa 
vicioine  wr  «es  compatriotes  et  p«ren<fl.  Il  se  coDteiHa 
d'envoyer  le  seigaeur  d'Athènes  en  Fraoce  au  pied  da 
trône  respecté  4e  saint  Louis  *  qoî  préparait  dès  lors  une 
Dou?elie  expédition  à  la  Terre  Sainte,  pour  laquelle  ii  avait 
besoin  du  concours  des  Français  de  Morée.  Saint  Louis 
réconcilia  le  sig^eur d*Âtbèoesairec«Hi  souverain,  et,  peur 
enlever  de  son  cœur  tout  souvenir  amer  de  sa  défaite  et  de 
sa  soun^ission ,  ii  i«i  conféra  le  titre  de  duc  et  en  fit  le  pre« 
mier  des  banis  barons  de  la  frincipauté  de  Morée.  Les 
traditioBs  Jocales  indiquent  encore  aux  voyageurs,  au  pied 
du  mont  Carydi ,  sur  la  route  de  Mégane  à  Thèbes  par  le 
Gilhéron»  un  peo  «u-doBsusde  «a  joaction  avec  rancienne 
route  de  €orîilfae  à  Tbèbes ,  près  de  deux  belles  tours  hel- 
léniques iiarlaitenQient  conservées  et  rattachées  par  un  mur 
franc  m  mines  »  le  lieu  ou  fut  livrée  cette  grande  bataille 
entre  les  ehevidiers  français ,  qui  renouvelaient  les  rîvrikés 
des  temps  antiques. 

Telle  avait  été ,  krs  de  notre  conquête ,  la  distribution 
des  grands  fiefi  dans  la  «Grèce  continentale  et  dans  l'Eubée 
et  les  lies  de  aa  dépendance ,  Skiathos ,  l^opéios  et  Skyros. 
Le  Péloponnèse  eut  aussi  ses  hauts  barons,  soumis,  comme 
les  preoders,  à  k  «nieraifieté  du  prince,  qui  n'était  pan  le 
makre  »  mais  ie  chef  de  ses  égaux.  £n  comparant  avec  at- 
tention notM  principauté  française  d'Achafe  avec  la  Grèce 
homérique ,  on  rencontre  entre  eUes  des  ressemblances  sin- 
guh^es  qui  ne  font  que  mieux  ressortir  leurs  différences. 
Les  deux  époques  s'expliquent  l'une  par  l'autre,  et  nos  hauts 
barons  semblent  leseuccesseurs  komédlats,  mais  étrangers , 
des  rois  homériques.  Le  vieil  ttomère ,  ce  guide  si  sûr  pour 
la  topographie  de  ia  Grèce  antique,  est  un  guide  non  moins 
nécessaire  pour  la  tojpographie  des  hautes  baronnies  fran- 
qoes.  Mais  les  rois  d'Homère  élaient  des  Grecs  qui  com- 
mandaient à  des  Grecs  et  professaient  la  même  religion 
qu'eux.  S'ils  avaient  à  se  prémunir  contre  les  autres  rois 
teurs  voisins  «  ils  n'avaient  du  moins  rien  à  redouter  dans 


•    INTRODUCTION.  25 

tombeau  des.Atrides,  conservé  dans  son  intégrité.  £n  gou* 
Ternant  par  lui-même  cette  partie  de  l*Argolide  et  de  la 
Gorinthiè,  il  avait  sans  doute  délégué  son  autorité  h  quel- 
ques grands  feudataires;  car  on  voit  Diomède  l'Élolien 
commander  les  contingents  des  villes  de  Tirynthe^  Her- 
mione,  Âsine,  Trézène,  Épidaure,  Masète,  c'est-à-dire  de 
toute  la  presqu'île  de  Methana  et  de  l'île  d'Égîne,  et  fixer 
sa  résidence  à  Ai^s,  où  le  Lycien  Glaucus,  petit-fils  de 
Belléropfaon,  devint  son  hôte.  Quant  au  reste  du  Pélopon* 
nèse,  la  Laconie  de  Ménélas,  la  Messénie  du  vieux  Nestor, 
l'Ârcadied'Agapénor,  l'Éiide  d'Aniphiroaque,  Agamemnon 
y  exerçait  aussi ,  sinon  une  suzeraineté  légale ,  au  moins 
une  suprématie  de  fait. 

Sous  les  Français,  nous  voyons  le  prince  Geoffroy  de 
Yille-Hardoin,  le  baron  des  barons,  prendre  possession  de 
Corinthe  et  faire  bâtir  vis-à-vis  de  l'Acro-Corinlhe,  du 
côté  de  la  Morée  intérieure,  le  petit  fort  de  Mont-Ësquiou, 
dont  le  nom,  qui  rappelait  au  prince  champenois  l'un  des 
villages  placés  près  de  sa  terre  de  Yille-Hardoin  en  Ghani- 
pagne,  s'est  conservé  jusqu'aujourd'hui  presque  sans  varia- 
tion. Toutefois,  comme  ce  n'était  pas  du  côté  de  l'Attique, 
occupée  par  des  compatriotes  puissants ,  que  la  conquête 
française  pouvait  courir  quelque  danger,  mais  bien  du 
côté  des  montagnes  de  la  Laconie  et  de  la  Tzaconie,  oc- 
cupées par  des  tribus  guerrières  et  amies  de  l'indépen- 
dance, comme  l'étaient  leurs  prédécesseurs  les  Spartiates, 
ce  fut  cette  partie  du  pays  qu'il  se  réserva  à  lui-même,  et 
sur  laquelle  il  porta  toute  son  attention.  (Conservant  son 
domaine  de  Calamata,  placé  au  débouché  du  Taygète  et  de 
toutes  les  grandes  chaînes,  il  donna  Garitena  au  plus  6a- 
i;Ae^eurei/ar  des  chevaliers  de  France,  Geoffroy  de  Brières, 
fils  d'une  de  ses  sœurs,  et  fit  bâtir  la  forte  ville  de  I^listra, 
ou  la  maîtresse  ville ,  pour  dominer  sans  crainte  toute  la 
vallée  du  Taygète ,  et  cinq  forteresses  encore  debout  dans 
le  Magne,  celles  de  Passava  ,  de  Kelepha ,  de  Maïna ,  du 
Ghâteau-de- la-Belle  et  du  Pprt-aux-Gailles,  pour  contenir 


16  IHTAOBUCTIOM. 

l*iiidoeile  iiravoare  des  Maoiotes.  Le  resta  du  .pays  fui  ré- 
parti aitre  les  plas  puissaats  de  ses  iiaroos.  A  Diomède, 
graad-vassal  d'Âgaoïeninoii,  saccéda  un  chef  franc  S  qui, 
niatCre  comme  Iih  de  la  presqu'île  de  Metiiana,  depuis  Âr- 
gos  et  Nauplie  jusqu'à  Épidayre ,  soogea  aussi  à  s'y  bien 
fortifier.  Aiasi  j'ai  retrouvé  encore  de  vastes  ruines  de 
constructions  franques ,  souvent  sw  des  débria  de  con- 
structions heUéiiiqnes,  sur  b  côte  d'Épidaure,  comme  dans 
l'intérieur,  à  Angelo-CaMro,  à  Piada  surtout  près  d'Épi- 
daure ,  à  Xéro^asteHi ,  où  les  Byzantins,  et  tes  Français 
ensuite,  ont  eu  peu  k  faire  pour  réparer  les  immenses  res-^ 
tes  de  la  citadeHe  heUénique  restée  ddiout  avec  ses  vastes 
pierres  polygonales  et  ses  petites  portes  angiriaires ,  à  Ar* 
goseur  le  sommet  de  la  mentapie,  à  Nanplie  au-dessous 
de  la  lérteresse  q/ai  a  conservé  le  nom  du  fils  de  Nauplius, 
l'ingénieux  et  naibeureux  Palamède. 

Le  frère  d'Agamemnon,  le  malencootreux  Hénélas,  ré« 
gnait  sur  un  pays  pi  us  difficile  à  conquérir  et  à  conserver. 
Ansriles  Français  couvrirentnls  ce  pays  de  châteaux-forts. 
£n  se  dirigeafit  sur  Sparte  par  Astros  et  la  Tzaconie ,  on 
jen  aperçoit  de  vastes  déliris  sur  presque  toutes  les  collines 
qui  protègent  les  passages.  Un  des  plus  intéressants  est  ie 
Château-de-la-BeUe ,  au-dessus  du  ravin  de  Xéro-€ampi 
et  près  d'Hagios-Pétros  et  du  couvent  de  Loucos.  Là  on 
peut,  comme  je  l'ai  fait,  assis  au  milieu  des  ruines,  se 
faire  chanter  par  les  bergers  de  la  Tzaconie  la  ballade  an- 
tique ,  répétée  de  boudie  en  bouche ,  en  l'honneur  de  la 
belle  cfaâtelaine  française ,  aux  beUes  robes  franques ,  au 
courage  héroïque ,  au  cœur  pkoyahle ,  <qui  défendit  douze 
ans  son  château  contre  l'eunemi ,  et  ne  fut  trahie  que  par 
la  bonté  de  son  cœur  ;  aussi  le  nom  de  <lhâteau-de-la-Belle 
est-il  resté  aux  ruines  du  château  qa'eUe  avait  défendu. 

*  Au  quatorzième  siècle ,  la  seigneqiie  d'Argos  fut  possédée  par 
Guy  d'Cnghlen,  neveu  de  Gauthier  YI,  duc  d'Athènes  par  «a  sœur 
Isabelle,  mariée  à  Gauthier  d'Ëngliien ,  et  petit-neveu  de  Gauthier 
de  BrieaiWi  duc  4*MUèMS,  tué  par  les  Catatans. 


IlITRGBUCTIOIf.  97 

Ces  àanx  sotnrefrirs  de  la  patrie  rafrateiriftièm  le  sang  sur 
la  terre  étrangère. 

La  yà&ée  de  l'Enrôlas  oa  da  Taygète ,  dana  laquelle  od 
pénètre  à  la  sortie  des  monts  de  Tzaconie^  atait  été  fortifiée 
d'ooe  manière  partkolière  à  Taide  de  la  ville  et  de  la  cita- 
delle de  Mistra*  Là  tous  apparaissent,  à  qRelqaes  pas  Fone 
de  Fantre,  les  trois  époques,  Pépoqae  grecque,  Tépoqne 
byzantine  et  Tépoque  franque  «  parfaitement  distinctes.  La 
vieille  Sparte  est  enserelie  sons  la  terre,  maïs  chaque  jour 
la  charrue  en  soulê? e  quelques  débris  précieux.  Son  en- 
ceinte est  parfaitement  marquée  :  ici  est  le  théâtre,  situé 
près  de  Tam^ien  marché,  au  pied  desf  collines  et  à  une  ex- 
trémité de  la  ville  i  ^  est  la  prairie  ofnbragée  autrefois  de 
platanes,  aujourd'hui  de  beaux  peupliers,  oà<  sur  le  bord 
de  TEurotas,  luttaient  les  jeunes  filles  de  Sparte  en  pré^ 
sence  du  peuplé  ;  en  se  dirigeant  du  théâtre  vers  les  colli- 
nes qui  descendent  gracieusement  du  Taygète,  voici  les 
restes  d'un  temple  placé  sur  la  route  qui  conduit  au  ro- 
cher des  Apothètes,  visiMe  de  la  rtlle»  et  d'où  on  précipi- 
tait les  enfants  Spartiates  malingres  et  contrefaits*  I^  Lacé- 
démoula  byzantine  se  renfermait  dans  un  espace  beaucoup 
pins  restreint  Ses  murs  d'enceinte ,  élevés ,  du  cdté  de 
rEarotas,  sur  des  bases  d'ancieBs  temples^  et,  du  côté  du 
Taygète,  sur  les  ruines  du  théâtre,  sont  encore  debout  sur 
les  collines  dont  la  pente  est  bordée  par  l'Eurotas  aux  rives 
ombragées  de  lauriers-roses.  Les  conquérants  français 
ataient  pris  une  position  plus  forte  pour  bâtir  leur  ville  de 
défense.  Ville-Hardoin  choisit  pour  cela,  parfUiles  contre» 
forts  du  Taygète ,  uu  monticule  facile  è  défendre  «  et  il  y 
éleva  sa  citadelle  et  sa  ville  de  Mistra ,  appelée  par  les 
.Grecs  Mesitbra.  Jusqu'à  nos  jours,  la  Mistra  de  Yille-Har- 
doin,  à  une  lieue  environ  de  la  première  Sparte,  avait  été 
la  seule  ville  importante  de  la  vallée  du  Taygète.  Gull^ 
laume  de  Yille-Hardoin,  prince  de  Morée,  ayant  été  forcé  de 
la  céder  aux  Grecs  pour  sa  rançon ,  ceux-ci  en  firent  le 
f  hef-lreu  du  despotat  de  ce  nom ,  et,  quand  les  Turcs  eurent 


28  INTRODUCTION. 

conquis  complètement  la  Morée  sur  les  Français,  Italiens, 
Catalans  et  Grecs  qui  se  la  disputaient,  ils  continuèrent  à 
regarder  cette  ville  comme  un  des  points  militaires  les  plus 
importants.  Aujourd'hui  que  les  habitants  du  Magne  obéis- 
sent, comme  les  habitants  des  autres  provinces,  à  un  gou- 
vernement national,  il  est  devenu  inutile  de  conserver  une 
place  forte  intérieure,  et  on  abandonne  peu  à  peu  la  mon- 
tueuse  Mistra  pour  reprendre  dans  la  vallée  la  position  de 
Fantique  Sparte.  Mistra  cependant  portera  long-temps  en- 
core son  origine  franque  écrite  sur  tous  ses  débris.  La  ci- 
tadelle couvre  le  sommet  du  pic,  et  au-dessous  sont  éche- 
lonnées, sur  les  pentes  rapides  de  la  montagne,  de  vastes 
et  belles  églises ,  sur  les  colonnes  de  Tune  desquelles  ou 
peut  lire,  comme  dans  des  archives,  les  donations  faites  au 
chapitre  dans  le  cours  du  treizième  siècle. 

Au  sud  de  la  vallée  du  Taygète  s*étend  le  Magne,  diffi- 
cile alors  à  contenir;  et  Jean  de  Neuilly,  en  i^cevaut  la  sei- 
gneurie de  ce  pays,  reçut  en  même  temps  le  commande- 
ment de  ses  cinq  forteresses  et  le  titre  de  maréchal  héré- 
ditaire de  la  principauté. 

On  voit  dans  Homère  que  la  partie  orientale  de  l'Arca- 
die  devait  entrer  dans  les  possessions  propres  d'Âgamem- 
non,  puis  qu'elles  s'étendaient  jusqu'à  Phères  et  Carda- 
myli.  Dans  les  temps  historiques ,  les  noms  d'Orchoraène, 
de  Mantinée,  de  Mégalopolis,  suffisent  à  sa  gloire.  «Sous  les 
Byzantins,  on  y  retrouve  les  villes  fortes  de  Nicli,  de  Yéli- 
gosti,  de  Moukhli,  et  les  Turcs,  plus  tard,  y  bâtirent  Tri- 
polilza  avec  les  ruines  de  trois  villes  voisines.  A  Agapénor, 
qui  conduisit  les  troupes  d'Arcadie  au  siège  de  Troie,  suc- 
céda le  sire  de  Brières,  neveu  du  prince,  un  des  plus  che- 
valeresques caractères  parmi  nos  brillants  chevaliers  de, 
Morée.  Ce  fut  à  l'entrée  du  pays  de  montagnes,  à  l'extré- 
mité de  la  plaine  de  Mégalopolis,  qu'il  bâtit  son  château 
crénelé.  Là  il  se  logea  comme  un  aigle  dans  son  aire.  Le 
château  pittoresque  et  bien  assis  de  Garitena  a  offert  de  nos 
jours  à  Colocotroui  un  boulevard  que  n'ont  pu  franchir  les 


INTRODUCTION.  99 

Tares.  En  faisant  faire  alors  quelques  menus  travaux  de 
réparation,  il  retrouva  quelques  tombeaux  de  nos  anciens 
chevaliers,  et  sous  leur  pierre  funéraire  des  cottes  de  mail- 
les, des  casques  et  d'autres  armures,  telles  qu*on  en  a  rér 
cemment  retrouvé  un  grand  nombre  à  Ghalcis  en  Eubée. 

C'est  sous  quatre  chefs  différents,  Amphimaque  et  Thal- 
pius,  tous  deux  petits-fils  d' Actor,  le  vaillant  Diorès  et  Poly- 
xèoe,  semblable  aux  dieux  et  petit-fils  du  roi  Augée,  qu'Ho- 
mère envoie  au  siège  de  Troie  les  guerriers  de  Buprasie  et 
de  fa  divine  Élide.  A  celte  époque  de  l'histoire  grecque,  les 
plaines  de  TÉlide  n'avaient  pas  à  redouter  les  invasions  ve- 
nues du  côté  de  l'Étolie,  peuplée  par  des  hommes  de  même 
race,  et  ses  laborieux  habitants  pouvaient  se  livrer  avec 
sécurité  à  la  culture  de  leurs  plaines  fécondes.  Il  n'en  fut 
pas  de  même  au  temps  de  la  conquête  franque. 

Le  despotat  d'Arta  était  alors  entre  les  mains  d'un 
prince  de  race  grecque,  parent  des  empereurs  de  Byzance, 
et  les  Génois,  ennemis  des  Vénitiens,  pouvaient,  avec  leur 
marine,  faciliter  l'attaque  des  côtes.  Il  fallut  donc  multi- 
plier les  précautions  militaires;  aussi  voyons-nous  s'élever 
de  ce  côté  de  redoutables  forteresses  confiées  à  de  puissants 
seigneurs.  Sur  les  limites  méridionales  du  côté  de  la  Mes» 
sénie  :  c'est  Vilain  d'Aunoy  qui  occupe  la  forteresse  limi- 
trophe d'Arcadia  en  Messénie;  c'est  Ancelin  de  Toucy, 
qui  se  fortifie  dans  les  montagnes  de  manière  à  protéger 
le  cours  de  l'Alphée  ;  c'est  Nicolas,  châtelain  de  Saint- 
Omer,  qui,  sur  la  rive  septentrionale  du  Pénée,  au-dessus 
d'ane  belle  montagne  d'où  on  peut  suivre  tout  ce  qui  se 
passe  en  Élide,  fait  bâtir  une  grande  ville  fortifiée  qui, 
ainsi  que  la  montagne  elle-même ,  porte  encore  aujour- 
d'hui son  nom  légèrement  altéré  en  celui  de  Santamcri. 
lin  de  ses  petits-fils,  du  même  nom  que  lui,  Nicolas  de 
Saim-Omer,  bail  *  de  Morée  en  1285,  fit  bâtir  à  Thèbes, 

*  Le  bail  était  le  lieutenant  on  vicaire  du  prince ,  le  gardien  ou 
ftdministrafear  du  pays  ;  en  latin ,  bajulus  :  d*où  baillie ,  garde, 
pnissanee.,  et  bailler ^  donner  en  garde. 

3. 


30  INTnODUGTlON. 

Il  rexlrémiiédG  la  Cadméa,  une  faste  fdriereése  qui  porte 
aussi  son  nom ,  et  dont  bne  hirge  tour  carrée  siilutiste  ao- 
jourd*hui ,  et ,  au  vieux  IHavarla ,  sur  l'emplacement  de  la 
Pylos  de  Nestor,  près  de  Sphactérie,  une  autre  forteresse 
destinée  à  la  protection  de  celte  côte ,  et  dont  les  tastes 
murailles,  les  portes  et  les  tra? aux  intérieurs  se  conservent 
imposants  en  face  du  nouveau  Navarin  et  de  l'antre  côté 
de  la  baie.  Enfin ,  pour  mieux  garantir  ces  riches  plaines 
de  toute  attaque ,  Geoffroy  de  Viile-Hardoln  chdsit  atec 
discernement,  sur  Cette  côte  unie,  ranelen  promontoire 
montueux  de  Ghélonllès  pour  y  bâtir  une  autre  forteresse, 
celle  de  Rlémoutti ,  à  laquelle  des  Francs  donnèrent  ie 
notn  de  Mata-Gfifon,  ou  meurtHère  des  Grecs;  et  l'em- 
placement fut  si  bien  choisi  et  la  consiruttlon  fut  si  bien 
entendue,  qu'elle  subsiste  entière  et  presque  sans  aucune 
dégradation  extérieure.  Gomme  Ville- tlardoili  employa  à 
celte  construction  le  produit  des  séquestrations  des  reve- 
nus du  clergé,  qui,  après  avoir  accepté  des  fiefs  militaires, 
refusait  cependant  le  service  militaire  convenu,  le  nom  de 
Castel-Tornèse,  ou  forteresse  bâtie  avec  des  deniers-tour- 
nois, lui  a  été  conservé  par  une  ironie  perpétuée  jusqu'à 
nos  jours.  En  remontant  jusqu'aux  rivages  méridionaux  de 
l'ancienne  Âchaîe,  on  retrouve  deux  autres  forteresses 
franques  qui  complétaient  le  système  de  défense  :  celle  de 
Patras,  donnée  comme  baronnie  à  une  fille  du  prince  ;  celle 
de  Yostitza,  l'antique  iËgium  d'Âgamemnon,  donnée  au 
sire  de  Charpigny;  et  enfln,  en  s'appuyant  sur  les  monta- 
gnes qui  s'abaissent  de  ce  côté,  les  baronnies  de  Chalan- 
tritza  et  de  Galavryta,  dont  l'une  était  échue  au  sire  de  La 
Trémouille ,  nom  qui  s'est  conservé  dans  le  voisinage  de 
Galavryta,  dans  le  petit  fort  de  Trémoula ,  et  dont  l'autre 
fut  le  partage  de  Raoul  de  Tournay.  Les  ruines  de  ce  der- 
nier château  franc,  placées  au-dessus  de  la  ville  actuelle  de 
Galavryta,  sont  considérables. 

Ainsi  protégée  par  ces  nombreuses  forteresses ,  l'Élide 
put  se  peupler  et  prospérer.  La  facile  communication  de 


iMTnODUGtlON.  .11 

ses  ports  al^G  Briodes  et  les  autres  ports  du  royaume  de 
Maples  avait  amené  dans  ce  pays  ufi  commerce  fort  étendu, 
attesté  par  de  ilombreox  témoignages.  €iare<itza ,  dont  le 
nom  est  encore  porté,  avec  le  titre  de  duché,  par  les  ducs 
anglais  de  Clarence,  qui  Font  reçu  par  héritage  d'une 
petite-fille  de  Guillaume  de  Yille^Hardouin  ^  était  alors  le 
principal  entrepôt  du  commerce  ;  on  y  frappait  monnaie 
au  nom  des  princes  français  de  Morée  ;  les  poids  de  Cla- 
rentza  étaient  connus  et  adoptés  dans  les  villes  commer- 
ciales d'Europe  et  du  Levant ,  et  les  droits  qu'on  y  perce- 
vait sur  les  marchandises  étaient  pondérés  avec  une  éqnité 
qui  faisait  loi.  Un  employé  de  la  Compagnie  des  Bardi  de 
Florence,  François  BaldoccI  Pegalotti,  a  composé,  avant  le 
milieu  du  quatorEième  siècle ,  un  guide  des  commerçants 
pour  Tusage  de  ses  mandataires.  Il  a  été  imprimé  sous  le 
titre  de  :  Pratica  delta  mercatura,  dans  la  collection 
îotitulée  :  Detla  décima  e  di  ^atie  altre  gravezze 
impoête  dat  c&fnercio  di  Fireme ,  et  il  suffit  de  le  par- 
courir pour  se  convaincre  de  toute  Timportaiice  conimer* 
claie  de  Glarentza.  D'autres  villes  de  TÉlide ,  telles  qUe 
Beanvoir  ou  Behéder,  dont  le  nom  a  été  traduit  en  Calo- 
scopi;  Andravida,  où  trois  princes  de  la  fkmille  Ville-Har- 
doin  ont  leur  tombeau  dans  l'église  Saint-Jacques  dont  je 
n'ai  plus  retrouvé  que  k  vaste  enceinte  à  fleur  de  terre, 
mais  où  subsistent  encore  le  chœur  ei  une  partie  de  la  nef 

*  Isabelle  de  Ville-Hardoin ,  fille  de  Guillaume  de  Ville-Hardoin , 
priuce  de  Moréc,  avait  épousé  en  troisième  mariage  Florent  de  Hai* 
naut,  appelé  Walleran  dans  VArt  de  vér\ller  les  dates.  Elle  en 
eut  une  fille,  nommée  Matliilde  de  Hainaut,  qui  hérita  de  la  prin- 
cipauté de  Morée,  et  mourut  en  1324.  Le  duché  de  Clarentza  était 
un  apanage  de  Théritter  présomptif  de  la  principauté  d^Achaïe  on 
de  Morée.  U  passa  A  IMnlippiue  de  Hainaut,  nièce  de  Florent  et  fille 
de  sou  frère  Guillaume  comte  de  Hainaut.  Lorsque  Philippine 
épousa  Edouard  lit  d'Angleterre,  elle  lui  apporta  ce  titre,  qui  f^t 
donné  à  Lionel ,  son  second  fils.  Le  titre  de  duc  de  Clarence  s'est 
conservé  depuis  ce  temps  parmi  les  titres  des  princes  royaux  d'An- 
gleterre. 


32  INTRODUCTION. 

de  la  belle  église  gothique  de  Sainte-Sophie ,  dans  laquelle 
siégea  souvent  la  haute  cour  féodale  de  Morée  ;  et  plus  loin, 
en  remontant  les  rives  délicieuses  de  l'Alphée  au  delà 
d*Olympie,  les  ruines  immenses  de  Tanlique  et  pittoresque 
monastère  latin  de  Notre-Dame  d*Isova ,  avec  ses  belles 
fenêtres  ornées,  et  tant  d'autres  ruines  de  châteaux  et 
d'églises  disséminées  depuis  le  rivage  jusqu'au  sein  des 
montagnes,  attestent  la  richesse  de  cette  province  pendant 
l'administration  des  Français.  C'était,  à  ce  qu'il  semble, 
leur  séjour  de  prédilection,  à  cause  de  sa  position  vis-à-vis 
des  côtes  d'Italie  ;  et  c'est  aussi  là  que  la  langue  du  peuple 
a  été  le  plus  profondément  modifiée  par  la  langue  française. 
Souvent ,  en  parlant  avec  les  paysans,  je  m'étonnais  de  la 
grande  quantité  de  mots  de  notre  vieille  langue  qui  se  sont 
incorporés  à  la  langue  grecque  et  se  conservent  dans  le 
langage  habituel  de  cette  province. 

Reste  l'opulente  Messénie ,  arrosée  par  le  Képbisius  et 
lePamisus,  et  s'étendantd'Arcadia,  Qef  de  Vilain  d'Âunoy, 
jusqu'au  cap.Gallo.  Ce  ne  fut  pas  à  Pylos,  patrie  du  vieux 
Nestor,  ce  ne  fut  pas  sur  l'emplacement  de  l'immense  Mes- 
sène  ou  ancienne  Ithome ,  dont  les  murs  d'enceinte,  aussi 
considérables  que  ceux  de  noire  moderne  Paris  peut-être , 
s'étendent  avec  leurs  nombreuses  tours  sur  les  pentes  ré- 
gulières des  montagnes  dont  elle  est  environnée ,  que  1rs 
conquérants  francs  établirent  leur  capitale.  Nestor  avait  eu 
dans  son  temps  une  grande  puissance  maritime ,  puisqu'il 
mena  les  siens  sur  quatre-vingt-dix  bâtiments  au  siège  de 
Troie.  A  l'époque  de  notre  conquête,  c'était  entre  les  mains 
des  Vénitiens  qu'était  toute  la  puissance  maritime  ;  et  on  leur 
abandonna  même  les  ports  fortifiés  de  Modon  et  de  Coron  en 
Messénie,  afin  de  s'assurer  leur  secours.  Il  n'y  avait  donc 
plus  à  s'occuper  sérieusement  que  de  la  défense  de  terre, 
et  c'est  dans  ce  but  que  fut  bâtie  la  forteresse  de  Calamata, 
presque  aux  débouchés  du  Taygèie,  par  où  pouvaient  péné- 
trer les  Maniotes ,  sujets  et  alliés  peu  sûrs  des  croisés  et 
toujours  impatients  du  joug  étranger.  Guillaume  de  Ville- 


INTRODUCTION.  33 

Hardoin ,  le  troisième  des  princes  de  Moréc  da  nom  de 
Yilie-Hardoin,  naquit  à  Galamata;  et  la  forteresse  qu'y  fit 
construire  son  père  contre  encore  le  plateau  supérieur  de 
cette  ville,  dont  la  physionomie  rappelle  beaucoup  celle  de 
nos  moyennes  villes  du  Bourbonnais.  ÇH  et  là ,  sur  les 
portes  des  anciennes  maisons  et  des  édifices  religieux  de 
ce  fief  de  famille  des  seigneurs  de  Viile-Hardoin,  succes- 
seurs du  roi  Nestor,  apparaît  Técusson  des  Yille-Hardoin 
de  Champagne. 

Mais  à  ces  souvenirs  anciens  de  la  patrie  viennent  se 
joindre  des   titres  modernes   plus  glorieux  encore  qui 
appellent  sur  la  Messénie  et  notre  plus  vif  intérêt  et  notre 
longue  affection.  C'est  à  Pétalidi  que ,  dans  des  vues  bien 
différentes  de  celles  qui  avaient  guidé  les  croisés  nos  ancê- 
tres, et  uniquement  cette  fois  dans  desintentions  bienfai- 
santes et  généreuses  pour  la  Grèce ,  débarqua ,  le  30  août 
1828,  une  année  après  la  bataille  de  Navarin,  le  corps 
d'armée  français  placé  sous  les  ordres  du  maréchal  Maison, 
et  destiné  par  un  ministre  homme  de  cœur  et  d'intelligence, 
le  vicomte  de  Martignac ,  à  assurer  enfin  la  libération  de 
la  Grèce.  C'est  à  Navarin,  dans  cette  rade  au-dessus  de 
laquelle  s'élève  le  château  crénelé  de  Nicolas  de  Saint-Omer 
sur  les  ruines  de  la  Pylos  du  vénérable  Nestor,  qu'une 
année  avant  ce  débarquement  de  notre  armée  libératrice 
fut  livré,  le  19  octobre  1827,  par  les  flottes  française,  an- 
glaise et  russe  combinées ,  ce  célèbre  combat  naval  qui 
garantit  l'existence  de  la  Grèce  au  moment  où  elle  était  le 
plus  dangereusement  menacée  d'une  destruction  complète. 
Qje  d'autres  qualifient  d'infortunée  et  d'inopportune  cette 
victoire  de  la  civilisation  !  la  France  a  toujours  compté 
parmi  ses  plus  beaux  jours  ceux  où  elle  a  pu  tendre  une 
main  secourable  aux  malheureux  et  replacer  un  peuple  au 
rang  des  peuples  libres.  Chacun  de  nous  pense  aujourd'hui 
à  cet  égard  comme  ont  pensé  nos  pères,  et  s'écriera,  ainsi 
que  s'écriait  jadis,  en  présence  des  Athéniens  ses  compa- 
triotes, le  plus  grand  orateur  de  l'antiquité  :  Non,  nous 


34  INTIÛBUCTION. 

n'avons  pas  failli  en  nous  içettaBt  en  avant  pour  le  ssAot  et 
la  lîlierté  des  autres  !  J'en  atteste  ceux  de  nos  aneêtrea  qni 
ont  chevalereusement  aventuré  leur  vte  partout  où  il  y 
avait  nne  noble  cause  à  défendre  ^  h  NicopoHs ,  contre  Ba- 
jazet,  comme  au  dernier  siècle  dans  les  champs  de  l'Ame* 
riqoe,  dans  le  passé  comme  dans  le  présent;  j'en  atteste 
tous  les  rivages  délivrés  à  jamais  par  nous  de  la  présence  et 
de  rhtimiliation  des  pirates  africains;  j'en  atteste  la  Belgi- 
que rendue  à  sa  nationalité,  la  Grèce  rendue  au  monde 
européen  et  à  elle-même  ;  j'en  atteste  cette  sympathie  pro- 
fonde que  nous  éprouvâmes  tous  comme  un  seul  homme  à 
la  nouvelle  des  désastres  de  Missolonghi  et  de  Gbios,  et  ce 
bel  exemple  donné  au  monde  de  toute  une  nation ,  depuis 
les  plus  hauts  rangs  jusqu'au  plus  humble  ,  depuis  l'iotei- 
ligence  la  pins  élevée  jusqu'au  simple  bon  sens  qui  ne  sait 
que  reconnaître  la  voix  du  cœur,  entraînant  son  gouver- 
nement, sam  arrière-pensée  d'intérêt  propre,  à  la  proteo- 
tion  armée  d'une  nation  qui  souffre  ;  j'en  atteste  le  noble 
sacrifice  de  lord  Byron  à  Missolonghi  y  de  Santa^Rosa  à 
Sphactérie  ;  j'en  atteste  enfin  les  bénédictions  d'un  peuple 
que  notls  avons  arraché  âi  l'esclavage  et  au  massacre  ;  j'en 
atteste  sa  marche  rapide  vers  la  civilisation  ;  j'en  atteste  ie 
noble  avenir  qui  lui  est  réservé  ;  non ,  nous  n'avons  pas 
failli  en  nous  mettant  en  avant  pour  le  salut  et  la  liberté 
des  autres. 

Après  avoir  suivi  depuis  les  Thermopyles  jusqu'au  golfc 
de  Gorinthe  et  au  golfe  Saronique  «  depuis  Gorinthe  jus- 
qu'au cap  Malée ,  la  distribution  des  vallées  grecques  les 
plus  importantes  sous  les  rois  d'Homère  comnie  sous  nos 
barons  francs,  il  ne  me  reste  plus  qu'à  jeter  un  coup  d'œil 
rapide  sur  les  îles  qui  ont  fait  partie  soit  de  la  Grèce  d'Ho- 
mère ,  soit  de  la  Grèce  française. 

Au  delà  des  côtes  occidentales  du  Péloponnèse  j'aperçois 
d'abord  Zante  ,  Géphalonie  ,  Ithaque ,  Leucade  ;  puis ,  à 
la  mobile  embonchiire  de  l'Achéloûs ,  lesi  îles  Échioades , 
placées ,  avec  quelques  villes  de  cette  partie  de  la  côte  do 


INTRODUCTION.  ^  35 

rAcariiaBie  et  de  TÉtolie ,  sous  la  seigiieurie  de  l'asliieieux 
Ulysse.  Corfeu ,  habitée  par  les  Phéaciens  el  gouvernée 
par  le  boo  Âlcinofts ,  était  en  dehors  de  la  fédération  des 
peuples  grecs ,  et  on  la  regardait  comme  trop  éloignée  vers 

soleil  coùchaDt  pour  être  visitée  dans  des  vues  commer- 
ciales. CorfoQ  se  fut  pas  non  plus  comprise  ,  au  temps  do 
la  domination  française,  parmi  les  fie&  relevant  de  la 
principauté  de  Morée.  £He  resta  attachée  au  despctfat 
grec  d'Arta  ou  d'Épire,  et  n'en  fut  séparée  que  pour 
passer  entre  les  mains  d'atM>rd  de  Mainfroi ,  comme  dot 
de  sa  lemme  Hélène  Ange-Comnène ,  puis  de  Charles 
d* Anjou  ,  vainqueur  de  Mainfroi ,  et  successivement  des 
autres  rois  angevins  de  Napies.  Quant  aux  autres  lies 
ioniennes  cpii  constituaient  ie  royaume  d*01ysse ,  elles  fu^^ 
reat  données ,  avec  le  titre  de  comte  palatin ,  à  un  sei- 
gnenr  français  nommé  Richard,  dont  la  famille  les  posséda 
plus  d'nn  ^ècle.  J*ai  retrouvé  un  acte  original  de  ce  Ri* 
ehard  ou  de  son  fils ,  du  même  nom  que  lui ,  dans  les 
archives  éplscopales  de  Zaute.  Cest  un  long  rouleau  de 
vingt-^tr^is  feuifiets  de  parchemin ,  d'environ  huit  à  dix 
pouces  de  brgenr ,  qui  contient  le  recensement  en  langue 
grecque  das  biens  de  Tévêdié  de  Céphalonie  (réuni  plus 
tard  à  Tévêchéde  Zante) ,  fait  en  Tan  1264,  sous  Tévêquo 
Henri  et  le  comte  palatin  Richard ,  dont  le  sceau  en  cire 
rouge  est  appendu  au  bas  de  l'acte.  L'acte  et  le  sceau  au- 
ront place  dans  mes  Nouvelles  Recherches  historù/ttes 
sur  la  principauté  française  de  Morée.  Le  comte  pa- 
latin de  Céphalonie,  Zanie,  Ithaque  et  Leucade  était  un 
des  douze  hauts  barons  qui  formaient  la  cour  du  prince  et 
qui  le  servaient  dans  ses  guerres ,  ainsi  qu'Ulysse  servait 
Âgameranon. 

On  ne  voit  pas  que  Chypre ,  la  plus  éloignée  àe^  îles 
grecques,  ait  fourni  sqn  contingent  pour  marcher  avec 
Agamemnon  au  siège  de  Troie  ;  jLout  ce  qu'on  sait ,  e'est 
que  Kinyras ,  bote  du  roi  d'Argos ,  apprenant  ses  prépa- 
rât^ nuilttaires  j  lui  avait  envoyé  une  magnifique  culrasst^ 


3G  ^  INTRODUCTION. 

de  combat.  Douze  ans  avant  que  les  Français  devinssent 
maîtres  de  Gonstantinople ,  l'île  de  Chypre  avait  déjà  été 
détachée  de  Tempire  grec  pour  passer  aux  mains  de  la  fa- 
mille française  des  Lusignan  ;  et  elle  resta  royaume  à  pari, 
mais  allié  aux  Francs  de  Morée. 

La  puissante  ile  de  Crète ,  dont  les  troupes  avaient  été 
conduites  au  siège  de  Troie  par  le  vaillant  Idoménée ,  était 
déjà  séparée  aussi  de  l'empire  de  fiyzance  au  moment  de 
notre  conquête.  Roniface  de  Montferrat ,  qui  Favait  reçue 
en  partie  comme  dot  de  famille  et  en  partie  comme  don 
de  la  reconnaissance  du  jeune  Alexis ,  la  céda  aux  Véni- 
tiens ,  qui  la  conservèrent. 

Rhodes,  dont  les  guerriers  marchaient  contre  Truie 
soos  le  grand  et  le  vaillant  Tlépolème  ,  ûls  d*  Hercule  ,  et 
Cos  9  la  principale  des  Sporades ,  qui  marchaient  sous  les 
ordres  de  Phéidippe  et  d*Antiphus ,  tous  deux  ûls  d^Her- 
cule ,  furent  conquises  séparément  et  pour  leur  compte 
particulier  par  les  Hospitaliers  de  Saint- Jean  de  Jérusalem, 
qui ,  après  leur  querelle  avec  les  Lusignan  de  Chypre ,  y 
transportèrent  leur  ordre  en  1310.  Ces  moines  guerriers 
avaient  en  outre ,  ainsi  que  leurs  confrères  du  Temple  et 
de  rordre  Teutonique ,  de  nombreux  fiefs  dans  la  prin- 
cipauté de  Morée  ,  dont  ils  se  montrèrent  plutôt  alliés  que 
sujets  ;  ils  avaient ,  ainsi  que  le  clergé ,  leur  souverain  à 
Rome. 

Homère ,  qui  cite  aussi  Salamine ,  dont  le  plus  brave 
des  Grecs  après  Achille ,  Ajax  fils  de  Télamon ,  comman- 
dait les  troupes,  et  Tiie  d'^Ëgine,  dont  les  guerriers  mar- 
chaient sous  le  commandement  d*£uryalu$ ,  ne  mentionne 
aucune  des  Cyclades  dans  son  énumération  des  forces  grec- 
ques ,  pas  même  Tile  d*lo ,  ou  Nio ,  suivant  notre  vicieuse 
dénomination  S  qui  se  vante  de  lui  avoir  donné  naissance 

t  Les  Européens  accusent  les  Grecs  d'avoir  défiguré  leurs  anciens 
noms  de  lieux ,  tandis  que  ce  sont  eux-mêmes  qui  les  défigurent, 
faute  de  comprendre  leur  prononciation ,  si  différente  de  notre  ab- 
surde prononciation  de  la  langue  grecque.  Ainsi ,  's  lin  Ko,  à  Cos, 


INTRODUCTION.  37 

et  de  posséder  encore  son  tombeau.  Toutes  les  Cycladcs 
furent ,  sous  les  Français ,  réunies  sous  un  seul  seigneur , 
le  duc  de  la  Dodécannèse ,  de  la  mer  Egée ,  des  Cyclades 
ou  de  Naxos  ;  car  il  porta  indifféremment  tous  ces  titres , 
et  il  prit  place  parmi  les  hauts  barons  de  la  principauté 
française  de  Morée. 

£n  parcoLrant  toutes  ces  îles  Tune  après  Tautre ,  j'ai 
retrouvé  enc  oresur  pied,  à  Zéa,  Paros,  Andros,  etc. ,  quel- 
'  ques-uns  des  anciens  châteaux-forts  bâtis  alors  par  nos 
ancêtres  francs ,  trop  souvent  reconnaissables ,  il  faut  l'a- 
vouer, à  la  rudesse  de  leur  architecture  et  à  l'emploi  gros- 
sier  des  débris  antiques.  Â  Naxos,  dans  le  plus  grand  nom- 
bre des  familles ,  s'est  conservé  l'usage  de  la  langue  fran- 
çaise; à  Santorin  et  dans  quelques  autres  îles,  l'usage  du 
culte  latin  ;  et  par  toutes  ces  îles,  et  par  tous  ces  pays,  aux 
monuments  qui  restent  viennent  s'ajouter  les  noms  propres 
et  les  souvenirs. 

Tous  ces  éléments  épars  et  peut-être  trop  oubliés  de 
nous-mêmes,  qui  rappellent  notre  ancienne  domination  en 
Grèce,  réunis  aux  germes  de  reconnaissance  qu'ont  semés 
dans  tous  les  cœurs  nos  services  récents,  nous  aurions  pu 
les  faire  valoir  ensemble  avec  autorité  lorsqu'il  s'est  agi  de 
donner  un  souverain  au  nouvel  État  grec  ;  mais ,  fidèles 
encore  une  fois  à  nos  habitudes  de  désintéressement ,  en 
servant  la  Grèce  nous  n'avons  voulu  servir  que  la  Grèce. 
Les  premiers  à  appuyer  son  indépendance  nationale,  nous 
avons  été  les  premiers  aussi  à  appuyer ,  dans  son  intérêt , 
le  nouveau  souverain  que  l'Europe  lui  a  désigné  hors  de 
chez  nous,  et  nous  avons  été  les  plus  fermes  et  les  plus 
constants  amis  que  la  Grèce  et  lui  aient  trouvés  dans  des 
temps  difficiles.  Notre  généreuse  conduite  a  eu  les  heureux 

est  devenu  Sianco;  *s  tin  /o,  àIo9,estdevenQ  Nio;  *s  tas  Thivas,  à 
Thèbes,  est  devenu  Stiv<is;  *s  ta  Limena,  à  Lemnos,  est  devenu 
Stalimène;  *s  tin  Polin,  à  la  ville,  est  devenu  Stamboul;  's  ton 
Evripon,  à  l'Eoripe  (nom  du  détroit),  est  devenu  Négrepont,  nom 
donné  aujourd'hui  par  nous  à  Ttle  d'Ëubée  ;  et  ainsi  de  tant  d'autres. 

4 


38  INTRODUCTION. 

effets  qu'elle  devait  avoir;  jet  aujourd'hui  celte  nation,  pe- 
tite encore ,  tnais  pleine  de  sève  et  vie ,  s'avance  avec  une 
noble  persévérance  dans  la  route  de  liberté,  d'ordre  et  de 
civilisation  que  nous  lui  avons  ouverte.  De  grands  obstacles 
sans  doute  arrêtent  encore  la  rapidité  de  sa  marche.  Tou* 
tes  les  nations  ne  veulent  pas,  comme  nous,  son  ferme  éta- 
blissement et  ses  progrès;  mais  les  moments  les  plus  cri- 
tiques sont  passés ,  chaque  jour  amène  peu  )i  peu  ses  amé- 
liorations. Le  peuple  grec  veut  être,  et  rien  ne  saurait  l'en 
empêcher  que  lui-même.  Son  jeune  souverain  est  hon- 
nête ,  intelligent ,  ami  de  la  justice  et  animé  des  plus  res- 
pectables intentions.  Il  a  mesuré  les  affections  de  toutes 
les  classes  de  son  peuple  pour  la  France  et  apprécié  la  pu- 
reté de  notre  sympathie  pour  le  bien-être  du  peuple  qu'il 
a  été  appelé  à  gouverner.  Que  la  fermeté  et  la  constance 
infatigable  de  nos  bons  conseils  le  soutiennent  dans  la  voie 
du  bien  ,  et  avant  peu  d'années  la  Grèce ,  qui  doit  tout  à 
notre  désintéressement,  nous  devra  encore  l'heureux  ave- 
nir que  lui  assurera  une  bonne  administration.  Nous,  de 
notre  côté,  si  nous  avons  sacrifié  quelques  vues  d'ambition 
«t  de  fierté  nationale ,  nous  en  trouverons ,  à  notre  tour , 
le  dédommagement  en  nous  assurant  un  allié  et  un  ami , 
non  inutile  peut-être ,  pour  les  crises  qui  peuvent  se  pré- 
senter un  jour  dans  l'Orient  qui  se  meurt. 


hk 


GRÈCE  CONTINENTALE 


ET 


LA  MORÉE. 


I. 


MALTE.  —  SYRA.  —  LE  PIRÊE.  —  AKRtVltB  A  ATHÈNES. 

Après  avoir  recherché  avec  soin ,  dans  les  archives  pu- 
bliques et  particulières  d'Italie,  de  Sicile  et  de  Malte,  tout 
ce  qu'il  pouvait  s'y  trouver  de  documents  sur  notre  établis- 
sement de  la  principauté  gallo-grecque  d'Achaye  àla  suite 
de  la  quatrième  croisade ,  et  avoir  recueilli  plus  de  deux 
cents  diplômes  inédits  sur  cette  époque  si  intéressante , 
niais  si  inconnue  encore,  il  me  restait  à  visiter  sur  les  lieux 
mêmes  tout  ce  qui  devait  s'y  être  conservé  dans  les  mo- 
numents militaires  et  religieux ,  dans  les  mœurs ,  dans  la 
langue,  dans  les  souvenirs. 

Malte  aussi  m'avait  offert  des  souvenirs  honorables  pour 
la  France,  mais  d'une  époque  plus  récente.  Ce  n*est  qu*en 
1530  que  vinrent  s'y  établir  les  chevaliers  hospitaliers  de 
Saint' Jean-de- Jérusalem,  après  la  perte  de  Rhodes.  Malte, 
conquise  sur  les  Sarrasins  en  1088  par  le  célèbre  comte 
Roger-le-Normand ,  avait  été  depuis  ce  temps  annexée  k 
la  couronne  des  Deux-Siciles ,  et  avait  passé ,  avec  tout  le 
reste  de  l'héritage  normand-souabe ,  entre  les  mains  de 
Charles  d'Anjou.  Les  vêpres  siciliennes  avaient  arraché , 


40  GRÈCE  CONTINENTALE    ET   MOREE. 

en  1282,  Fîle  de  Sicile  à  Charles  d*Anjou  pour  la  placer 
sous  Tautorité  de  Pierre  d'Aragon,  mari  de  rhéritière 
souabe.  Constance,  fille  de  Mainfroi.  Malte  suivit,  en  1283, 
les  destinées  de  la  Sicile.  Des  rois  angevins  de  Naples 
elle  alla  aux  rois  aragonais ,  dont  la  main  affaiblie  pouvait 
à  peine  la  retenir  au  milieu  des  tempêtes  politiques  qui  les 
agitaient  au  centre  même  de  leur  autorité.  Aussi  retourna- 
t-elle,  pour  quelques  années  encore,  sous  le  sceptre  de 
Jeanne  I'*  de  Naples  et  de  son  faible  époux  Louis  d'Anjou- 
Tarente,  qui  ta  donna,  en  1357,  à  titre  de  comté  hérédi- 
taire ,  au  grand-sénéchal  Nicolas  Accialuoli ,  seigneur  de 
Corinihe  et  d'Amalfi.  Celui-ci  en  fit  Tapanage  de  son  fils 
aîné ,  Ange ,  lequel  le  transmit  à  son  fils  Robert  ;  puis ,  la 
paix  s*étaut  faite  entre  Naples  et  la  Sicile ,  Malte  redevint 
sicilienne.  Cette  partie  de  Tbistoire  politique  de  Malte  est 
restée  jusqu'ici  inconnue,  et  aucun  des  historiens  qui  ont 
écrit  sui  Malte  n'a  pu  encore  la  débrouiller.  Mais  les  ar- 
chives de  la  maison  Acciaiuoli,  qui  m'ont  été  ouvertes  par 
l'obligeant  possesseur  actuel ,  le  chevalier  Horace-César 
Ricasoli,  un  des  derniers  héritiers  de  cette  maison ,  m'ont 
mis  en  état  de  dissiper  ces  ténèbres ,  car  j'ai  eu  entre  les 
mains  rorigiual  de  l'acte  de  donation  de  l'île  de  Malte  par 
Louis  et  Jeanne,  en  1357,  à  titre  de  comté  héréditaire, 
en  faveur  de  Nicolas  Acciaiuoli,  ainsi  que  les  divers  diplô- 
mes de  transmission  du  père  au  fils  et  du  fils  au  petit-fils, 
et  des  lettres  autographes  de  famille  écrites  à  diverses  épo- 
ques par  les  comtes  et  comtesses  de  Malte  de  la  maison 
Acciaiuoli;  c'est  un  supplément  qu'il  faudra  désormais 
ajouter  à  l'histoire  de  cette  île^  Charles-Quint  la  reçut 
comme  sa  part  de  l'héritage  immense  de  Ferdinand-le-Ca- 
tholique,  et  s'en  dessaisit,  le  23  Mars  1530,  en  faveur  de 
l'ordre  de  Saint-Jean,  entre  les  mains  duquel  il  resta  jus- 
qu'au jour  où  apparut  dans  ses  eaux ,  le  7  Juin  1798 ,  la 

^  Voy.  mes  Nouvelles  Recherches  historiques  sur  la  principauté 
française  de  Morée  et  ses  hautes  baronnies,  1. 1,  partie  première, 
article  Nicolas  Acciaiuoli  et  article  Malte, 


MALTE.  41 

flotte  française  q»i  portait  en  Egypte  notre  aventureuse 
armée  et  son  jeune  et  brillant  général.  Malte,  où  se  trou- 
vent encore  les  tombeaux  de  tant  d'héroïques  chevaliers 
qui  ont  illustré  Tordre  de  Saint- Jean  et  celui  du  jeune  et 
aimable  comte  de  Beaujolais ,  frère  du  roi  Louis-Philippe, 
touche  donc  par  bien  des  points  h  notre  histoire,  et  le  peu  de 
semaines  que  j'y  passai  m'offrirent  une  étude  intéressante. 

Je  m'embarquai  à  Malte  le  28  novembre  18^0,  au  ma- 
tin, sur  un  de  nos  bâtiments  à  vapeur  de  poste ,  pour  me 
rendre  à  l'île  de  Syra,  centre  de  notre  correspondance  pos- 
tale d'Orient.  Cette  navigation  se  fait  constamment  en  trois 
jours ,  mais  elle  fut  moins  rapide  cette  fois.  Le  mauvais 
temps  nous  avait  assaillis  dès  le  départ,  et  augmenta  encore 
d'intensité  lorsque  nous  arrivâmes  à  la  hauteur  de  l'em- 
bouchure de  l'Adriatique.  Un  vent  du  nord  extrêmement 
violent  nous  poussait  dans  la  direction  de  la  Crète.  Afin  de 
mieux  résister ,  nous  remontâmes  obliquement ,  mais  un 
peu  trop  haut ,  dans  la  direction  des  Strophades ,  qui  font 
aujourd'hui  partie  du  gouvernement  anglo-ionien.  Ce  fut 
là  qu'autrefois ,  suivant  le  poème  d'Apollonius  sur  l'expé- 
dition des  Argonautes  '  ;  les  Harpies  furent  sur  le  point 
d'être  exterminées  par  les  fils  de  Borée,  qui  y  régnent  en- 
core eu  maîtres.  Il  s'y  trouve  aujourd'hui  un  grand  mo- 
nastère grec  qui  renferme,  dit-on,  beaucoup  de  manuscrits 
curieux. 

Enfin ,  après  quatre  jours  de  lutte ,  nous  étions  redes- 
cendus vers  la  petite  île  de  Sapienza,  où,  tout  nouvellement, 
l'Ordre  de  Malte  avait  rêvé  de  se  créer  un  établissement 
qui  lui  permît  de  réclamer  ses  grasses  commanderies  d'Al< 
lemagne  ;  comme  à  la  fin  du  treizième  sièle ,  à  la  suite  de 
son  expulsion  de  Syrie  et  de  ses  querelles  en  Chypre ,  et 
avant  sa  conquête  de  Rhodes,  il  s'en  était  formé  un  à  Rhae- 
néa  ou  la  Grande-Délos.  Là,  tournant  l'orageux  cap  Gallo 
et  traversant  les  eaux  du  beau  golfe  de  Calamata  oiî  de 

*  Livre  n. 


43  GRÈCE   CONTINBNTAiE   CT   MOBÉE. 

Messénie,  nous  armâmes  en  vue  do  cap  Grosao^  qui  se 
présente  par  sa  partie  la  plus  large  en  avant  du  cap  Matu** 
pan ,  Tancien  promontoire  Témare,  La  vue  de  la  terre  da 
Grèce,  de  la  terre  de  tacédémone,  m'apparaîasait  pour  It 
première  fols ,  et  le  soleil  reprit  un  instant  son  éclat  poup 
nous  dévoiler  dans  sa  beauté  la  chaîne  neigense  du  Tay^ 
gète.  Nous  étions  fort  voisins  de  la  cOte  et  distinguions  par* 
faitement  les  villages  épars  ^  et  là  sur  les  Qollines,  et,  an- 
dessus  de  ces  villages,  sur  une  autre  colline,  s'offrait  à  mot 
yeui^  un  vieux  chiteau  ruiné,  d*appnrence  toute  féodak. 
Je  le  regardai  avec  la  plus  curieuse  attention  ;  c'était  bien 
réellement  une  ruine  franque.  J'en  demandai  le  nom  an 
vieux  pilote  chargé  de  nous  guider  le  long  de  cette  eôte  dmit 
tous  les  détours  lui  sont  familiers.  Il  m*apprit  qu'il  s'ap^ 
pelait  le  château  de  la  Belle,  io  Castro  tU  Oraias^  nom 
évidemment  emprunté  aux  souvenirs  francs'.  Je  me  rappe« 
lai  alors  que  Guillaume  de  Ville^-Hardoin,  prince  d'Acbayn» 
avait  fait  bâtir  de  ce  côté  un  fort  appelé  Uaqi,  et  je  pensai 
que  ce  pourrait  bien  être  là  le  fort  Mani  de  notre  Guiliftuine 
de  Yille-Hardoin,  «  Le  prince  Guillaume,  dit  la  Chronique 
grecque  de  llorée  que  j'ai  publiée  d'après  un  manuscrit  iné* 
dit  de  la  Bibliothèque  royale  de  Paris  ',  après  avoir  terminé 

^  Ce  cap,  dit  M.  Boblaye  (Géologie  de  la  Morée,  t.  ii ,  p.  339 
do  grand  ouvrage  ia-4o),  est  on  rocher  de  marbre  gfis,  d'ooe  lieoe 
de  longiiear,  élevé  de  200  mètres  ao-dessus  de  la  mer,  ooopé  var- 
ticalement,  soU  du  côté  de  la  iper,  soit  de  celoi  de  \^  terre,  et  eu 
outre  tronqué  liorizontalement  à  son  sommet;  en  sorte  que,  vu  de 
face ,  on  dirait  une  muraille  blanche  avec  une  bande  noire  à  sa 
base.  Il  est  rare  qu'on  puisse  en  approcher  sans  danger,  la  rencontre 
des  vents  opposés  du  golfe  de  Messénie  et  de  Laconie  y  excite  des 
tempêtes  fréquentes;  et  on  eourant  rapide  longe  ses  bords,  où  il 
n*y  aurait,  en  cas  de  naufrage»  aucune  esp^rapce  de  salot. 

^  Sur  le  point  culminant  du  plateau  qui  couronne  le  promontoire 
du  cap  Ténare  sont  les  ruines  d'un  ancien  fort  qu'on  nous  dit  se 
nommer  Orioskastro,  et  le  sol  y  est  criblé  de  citernes  efrondrées, 
au  nombre  de  365 ,  disent  les  Kakovouniotes.  (  Expéd.  scient,  de 
Morée,  par  Bory  de  Saint- Vincent ,  t.  u,  p.  309.) 

3  Dans  ma  première  édition  de  1825  je  n'avais  publié  que  le  texte  ; 


HgR   OE  GHKGE.  43 

en  iS4B  la  construction  4e  sa  belle  forteresse  de  Mlstra» 
monta  à  cheval,  traversa  Passava  et  arriva  dans  le  Magne. 
Là  H  trouva  un  rocher  d'un  aspect  terrible,  situé  au-des- 
sus d'un  cap.  Cette  9itqatiQn  lui  plut ,  et  il  y  fit  bâtir  un. 
fort  auquel  îl  donna  le  nom  de  iVIani;  ei  ce  nom,  ajoute 
le  chroniqueur  anonyme  qui  écrivait  vers  1330i  est  celui, 
qu'il  porte  encore,  »  Ainsi,  la  première  fois  qne  mes  yeiis 
s*arrdtaieQt  sur  le  spl  grec ,  j'y  retrouvais  déjj^  quelque 
chose  de  ce  qne  jt^  vep9)s  y  cherpber ,  U  (Face  dp  passage 
et  de  rétablissement  des  nôtres. 

En  remontant  oette  partie  du  Nagne  vers  la  nord ,  on 
retrouve  deun  autres  vieux  cbMeaui^-'fortii  qui  datent  d» 
notre  conquête  ;  Passava ,  donné  en  130$ ,  çommp  baotp 
baroonie»  k  Jean  de  Neuilly,  maréchal  héréditaire  d^  la  nou» 
velle  principauté  d'Achaye  ;  et  KLelepba ,  dont  |^s  ruines 
s'élèvent  eur  un  escarpemef^t  opposé  à  cçini  sur  lequel  est 
bftii  Yitylo,  l'ancien  (Ktylps,  d'oA  partit,  en  1675,  la  colo? 
nie  grecque  qui  alla  s'établir  près  du  port  de  ëagone  en 
Corse»  spus  la  conduite,  disent  l«s  cpnleqri»  grecs,  ded^u^ 
familles,  dont  l'unei  celle  dei  Comnôop,  avait  perdu  l'^m^ 
pire  de  Trébizonde ,  et  dont  l'autre ,  ^lle  des  Calomer j , 
qui  italianisa  son  nom  en  celui  de  Bonip^rte  »  devait  con^* 
quérir  l'empire  du  nionde. 

Devant  nous,  au  midi,  se  présentait»  avec  sea  cotes  ari-* 
des  où  subsiste  misérablement  une  population  de  neuf  milbl 
habitants,  l'île  rocailleuse  de  Cerigo,  l'ancienne  Cythère, 
poste  le  pins  avancé  du  gouvernement  ^nglo-ionien.  Nou^ 
passâmes  entre  Cerigo  et  le  cap  Malée,  qui  en  est  éloigoé 
de  cinq  à  six  lieues;  mais  l'air  est  si  pur  et  pi  transparent 
que  l'œil  saisit  les  moindres  détail^. 

£n  nous  rapprochant  du  cap,  nous  aperçûmes  à  travers 
les  rochers  éboulés  une  sprte  de  ruine  qu'on  nous  dit  avoir 
été  pendant  quelques  années  la  retraite  d'un  pauvre  ermite 

dans  la  seconde,  de  1839,  j'ai  publié  pour  la  première  fuis  le  texte 
grec  tout  entiar  k  côté  de  la  tradiu^tion. 


44  GRECE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

qui  vivait  là  de  ce  que  venait  déposer  sur  la  côte  la  cha- 
rité des  matelots.  M.  Bory  de  Saint-Vincent  dit  avoir  en- 
core vu  cet  ermite  en  juillet  1829.  «  Quand  nous  fûmes , 
dit-iP  ,  à  un  jet  de  pierre  seulement  de  la  côte  terrible, 
mais  devenue  traitable,  le  canot  de  notre  bâtiment  à  vapeur 
fut  mis  à  l'eau.  Une  corbeille  ayant  été  aussitôt  remplie 
de  biscuit  et  de  farine,  où  je  fis  ajouter  une  cruche  d'huile, 
les  canotiers  purent,  non  sans  peine,  à  travers  les  rcscifii 
écumeux ,  déposer  l'offrande  sur  une  noire  avance  de  ro- 
chers, à  l'instant  même  où  le  soleil ,  se  dégageant  de  l'ho- 
rizon ,  inonda  de  clartés  lancées  de  tout  son  disque  Fim- 
mense  hauteur  au  pied  de  laquelle  je  demeurais  en  admi- 
ration. L'ermite  sauvage,  averti  sans  douté  au  fond  de  son 
antre ,  par  les  brillants  rayons  du  jour ,  que  l'heure  de  la 
prière  était  venue,  apparut  comme  une  de  ces  figures  que 
peignaient  si  bien  Zurbaran  et  Van  Dick,  frappée  de  lumière 
sur  un  fond  de  ténèbres  et  encadrée  par  de  vieilles  bri- 
ques ,  sa  chevelure ,  sa  barbe  et  les  haillons  de  son  vieux 
cilice  d'une  même  teinte  bistrée...  Pendant  la  courte  halte 
qu'avaient  nécessitée  la  mise  à  flot  et  la  rentrée  du  canot ,  le 
solitaire  s'était  agenouillé  du  côté  de  l'orient  sans  paraîire 
d'abord  s'occuper  de  nous;  mais  quand  l'épaisse  fumée  de 
notre  mât  de  tôle  l'avertit  que  le  pyroscaphe  se  mettait  en 
route  il  se  releva  et,  abaissant  vers  nous  ses  regards,  il  parut 
nous  adresser  quelques  démonstrations  de  reconnaissance 
auxquelles  l'équipage ,  accouru  sur  le  pont ,  répondit  par 
un  respectueux  salut  :  puis ,  quand  nous  nous  éloignâmes 
davantage ,  se  redressant  avec  une  singulière  dignité ,  il 
montra,  de  l'index  de  sa  main  droite  étendue ,  le  ciel  res- 
plendissant où  s'éleva  son  regard.  Ainsi  détaché  ^ur  cet 
escarpement ,  on  eût  pu  le  prendre  pour  quelque  vieux  ta- 
bleau demeuré  suspendu  contre  le  mur  grisâtre  d'une  ba- 
silique en  ruine.  » 

L'ermite  avait  disparu  depuis  quelques  années  aj;  mo- 

*  Expédition  scientifique  de  Morée,  t.  ii ,  p.  418  de  l'édit.  in-8o. 


SYRA.  45 

ment  de  mon  passage;  mais  les  matelots ,  qui  aiment  ton- 
tes les  choses  extraordinaires,  montrent  encore  de  loin  Tes- 
pèce  de  grotte  où  il  résidait. 

Continuant  notre  route  entre  Falconora  et  Anti-Milos, 
puis  entre  Serphos  et  Siphnos ,  et  laissant  à  notre  droite 
Paros  et  Naxie ,  nous  nous  trouvâmes  en  vue  de  Syra ,  et 
de  Délos  ;  puis ,  laissant  Délos  à  droite  ,  nous  doublâmes 
la  côte  méridionale  de  Syra,  et  entrâmes  à  cinq  heures  du 
soir,  après  cinq  jours  de  navigation  fort  agitée,  dans  la  rade 
de  Syra. 

L'aspect  des  deux  villes  d'Hermopolis  et  du  vieux  Syra, 
placées  l'une  au-dessus  de  l'autre,  depuis  le  bas  de  la  ma- 
rine jusqu'^au  sommet  du  monticule  pointu  qui  s'élève  au 
fond  de  la  rade,  saisit  vivement  l'attention  du  nouvel  arri- 
vant. J'aimais  à  recueillir  tous  les  traits  de  ce  premier  ta- 
bleau qui  s'offrait  à  mes  yeux.  Les  nombreux  petits  bâti- 
ments ancrés  le  long  des  quais  témoignaient  de  l'activité 
et  de  la  prospérité  du  jeune  État,  et  les  groupes  de  curieux 
assemblés  sur  une  sorte  d'esplanade  rocailleuse  au-dessus 
des  bâtiments  de  la  douane ,  sur  un  cap  qui  se  projette  à 
droite  des  arrivants ,  avec  leur  fezy  rouge ,  leur  fustanelle 
blanche  et  la  longue  pipe  en  main ,  me  rappelaient  que 
c'étaient  bien  là  les  fils  des  curieux  et  bavards  compatriotes 
d'Aristophane. 

L'importance  de  l'île  de  Syra  ne  date  que  de  la  révolu- 
tion grecque.  A  cette  é|X)que ,  les  Grecs  qui  avaient  pu 
échapper  aux  massacres  de  Chios  vinrent  chercher  un  re- 
fuge à  Syra.  Ils  se' bâtirent  sur  la  plage  de  misérables  abris 
temporaires  et  cherchèrent  à  vivre  de  leur  pêche.  L'orga- 
nisation d'une  ligne  postale  de  bateaux  à  vapeur  français , 
dont  le  centre  fut  placé  à  Syra  pour  s'étendre  de  là ,  en  ar- 
rivant de  Malte,  sur  Athènes,  Smyrne ,  Gonstantinople  et 
Alexa'ndrie ,  vint  bientôt  changer  l'aspect  du  pays.  Un  la- 
zaret ,  une  douane ,  des  magasins  furent  construits  ;  le 
comdterce  y  devint  facile,  régulier,  actif;  l'argent  cofh- 
mença  à  affluer,  les  spéculations  s'agrandirent ,  les  maisons 


40  GRÈGE   GONTINENTâlE   ET   MOREE. 

de  cbanme  firent  place  à  des  maisons  de  pierre ,  et  un 
campement  de  baraques  se  transforma  en  ville  avec  tous 
ses  établissements.  Aujourd'hui  cette  ville  a  un  nom.  Elle 
s'appelle  Hermopolis ,  pour  la  distinguer  de  la  vieille  ville 
de  Syra  restée  immobile  avec  ses  vieilles  moeurs  au  faite  de 
son  antique  rocber.  Hermopolis  compte  cinq  mille  maisons 
et  dix-sept  mille  habitants.  On  y  trouve  un  chantier  de  con** 
struction,  des  auberges  telles  quelles,  des  écoles,  un  cercle 
littéraire,  un  casino,  un  musée,  des  imprimeries,  on 
théâtre.  Le  jour  même  où  je  descendis  dans  une  petite  au«- 
berge  tenue  par  trois  sœurs  smyrniotcs,  devait  avoir  lieu 
la  première  représentation  donnée  par  la  troupe  italienne 
d'Athènes  à  son  retour  d'une  excursion  à  Smyrne,  Les  an- 
nonces, imprimées  en  langues  greqne  et  italienne,  étaient 
répandues  dans  les  auberges  et  cafés  :  les  opéras  an-* 
nonces  étaient  Clara  de  Rosemterg,  le  Bariier  de  Se' 
ville,  Nina  et  Lucie  de  Lammermoor;  les  premiers 
sujets,  mesdames  Basse  et  Rota,  MM.  Moretti,  Polani  et 
Rota.  Je  n'avais  garde  de  manquer  à  cette  représentation^ 
Le  théâtre  de  Syra  est  construit  en  bois  sur  des  dimen* 
sions  assez  étroites,  on  aurait  peine  à  passer  trois  personnes 
de  front  dans  les  corridors  ;  et,  si  le  feu  prenait,  le  meilleur 
parti  à  prendre  serait  de  sauter  par  les  fenêtres,  qui  fort 
heureusement  ne  sont  pas  très-élevées.  L'intérieur  est  asse^i 
bien  disposé  sur  un  quadrilatère  allongé  avec  deux  rangs 
de  loges  superposés.  Toutes  les  loges ,  qui  sont  presque 
aussi  incommodes  et  aussi  étroites  que  celles  de  nos  grands» 
moyens  et  petits  théâtres  de  Paris  et  de  France ,  étaient 
remplies  de  femmes  fort  agréablement  mises  à  la  française, 
tandis  qu'au  parterre  la  population  masculine  était  vêtue  à 
la  grecque ,  soit  de  l'élégante  fustanelle  blanche  avec  la 
veste  coquette ,  soit  du  sévère  costume  des  marins  avec  te 
pantalon  flottant  et  l'épaisse  ceinture  rouge,  et  touspor* 
tant  le  moderne  fezy  à  frange  bleue ,  coiffure  incommode  et 
disgracieuse  généralement  adoptée  par  les  hommes  commo 
par  les  femmes.  On  donnait  la  Clara  de  Roseméerg  de 


sViiA.  47 

Ricci.  La  prima  dooDa ,  mademoiselle  Basso ,  est  aue  jeune 
Piémontaise  dont  la  belle  voix  de  contralto  n^est  pas  encore 
réglée  par  une  méthode  savante  ;  mais  le  feu  qui  Tanime 
réagit  sar  son  jeune  auditoire ,  qui  lui  sait  gré  de  Tinitier 
adi  jouissances  les  plus  délicates  de  la  civilisation.  Le  ténor 
avait  peu  de  voix ,  mais  beaucoup  de  goût  ;  la  basse  peu 
de  goût ,  mais  assez  de  voit.  Le  délicieux  duo  du  second 
acte  me  rappelait  malheureusement  trop  le  souvenir  de 
Rubini  et  de  la  Grisi,  par  lesquels  je  l'avais  souvent  entendu 
chanter  à  Paris.  La  mémoire  des  plaisirs  passés  gâte  sou- 
vent nos  plaisirs  présents.  L'auditoire  grec ,  qui  n'a  pas  de 
passé,  jouissait  de  tout.  Dans  les  entr'acteson  se  faisait 
«ervir  des  glaces  et  des  sorbets  dans  les  loges.  Bref,  si  ce 
n'était  la  fumée  des  cigarettes  et  des  longues  pipes  des 
spectateurs ,  répandue  dans  toute  la  salle  comme  un  brouil- 
lard de  novembre  dans  les  salies  de  spectacle  de  Londres, 
on  eût  pu  se  croire  dans  une  petite  ville  d'Italie.  J'ai  vu  à 
Savone ,  voire  même  quelquefois  à  Naples ,  un  opéra  ita- 
lien beaucoup  moins  bien  exécuté. 

Cette  première' journée  passée  à  Syra  n*avait  été  nulle- 
ment défavorable,  dans  mon  esprit,  à  la  nouvelle  Grèce, 
échappée  depuis  M  peu  d'années  à  la  grossière  barbarie 
turque ,  et  déjà  marchant  si  vite  dans  la  voie  de  la  civili- 
tion  européenne ,  devançant  même ,  dans  la  délicatesse  de 
ses  plaisirs ,  tant  de  nos  grandes  villes  de  France  privées 
d'nn  <i^2i  italien  et  se  vantant  de  leurs  vaudevilles.  Il  y 
avait  là  matière  à  amples  réflexions ,  au  milieu  desquelles 
je  m'endonnis  fort  doucement.  Le  lendemain  matin,  à  mon 
réveil ,  je  fus  frappé  de  la  magnificence  du  spectacle  qui 
s'offrait  à  mes  yeux*  Le  lever  du  soleil,  vu  de  Syra,  appelle 
à  l'esprit  tous  les  souvenirs  des  temps  mythologiques.  C'est 
du  mont  Cynihien  de  Délos  qu'il  semble  se  lever  en  sou- 
verain sur  tout  l'Archipel.  Les  ruines  de  son  temple  et  de 
sa  statue  colossale  dont  le  piédestal  porte  encore  le  nom 
d'Apollon ,  dispersées  çà  et  là  dans  l'Ile  de  Délos,  semblent 
être  les  lieux  mêmes  d'où  il  s'élance  pour  se  montrer  au 


48  GnECE    CONTINENTALE    ET   MOREE. 

monde.  Délos  et  sa  montagne  ruissellent  de  ses  premiers 
feux  qui  scintillent  sur  les  flots,  d'où  ils  font  ressortir  gra- 
cieusement Tinos  et  Myconi  d'une  part ,  Paros  et  Naxie  de 
l'autre.  La  mythologie  antique  avec  tout  son  cortège  de 
dieux,  qui  sont  de  vieux  souvenirs  classiques  chez  nous, 
mais  de  jeunes  réminiscences  romantiques  et  nationales 
ici ,  apparaît  et  saisit  les  plus  prosaïques  imaginations. 

Dès  le  matin  je  me  mis  à  parcourir  toute  la  nouvelle 
ville  d'Hermopolis.  Les  rues  sont  encore  fort  irrégulières, 
mais  elles  commencent  à  se  redresser  et  à  s'élargir.  Les  bou- 
tiques sont  assez  bien  approvisionnées  des  objets  manufac- 
turés importés  de  Trieste ,  de  Marseille  ou  de  Londres.  Les 
agréables  petits  vins  blancs  de  l'intérieur  de  l'île  sont  un 
produit  qui  peut  grossir  avec  le  travail.  Les  marchés  ou 
bazars  semblent^uifisammeni  fournis ,  mais  pas  une  femme 
ne  s'y  montre  ;  ce  sont  les  hommes  ici  qui  seuls  vendent 
et  achètent.  L'homme  de  la  dernière  classe  est  quelquefois 
propre  et  toujours  coquet  dans  ses  ajustements;  la  femme 
du  peuple  est  presque  constamment  négligée  et  malpropre. 
  5yra ,  le  seul  quartier  de  la  ville  où  l'on  aperçoive  des 
femmes  du  peuple  proprement  mises ,  et  avec  de  belles 
tailles  et  de  belles  figures ,  est  le  quartier  des  Ypsariotes 
'  qui  se  sont  réfugiés  à  Syra  après  le  don  fait  de  leur  île  aux 
Turcs  par  la  conférence  de  Londres.  Bizarres  décrets  de  la 
diplomatie  !  les  montagnes  de  l'Olympe ,  Ypsara ,  Ghios , 
Candie,  où  avait  éclaté  la  révolution ,  et  dont  les  habitants 
s'étaient  le  plus  signales  par  leur  haine  contre  les  Turcs , 
ont  été  déclarées  en  dehors  du  nouvel  État  grec  délivré  par 
elles;  et  d'autres  îles,  où  ne  s'était  pas  manifesté  le  moindre 
symptôme  de  révolte  contre  les  Turcs ,  de  sympathie  même 
pour  les  Grecs,  ont  été  données  à  la  Grèce.  Merveilleux 
effets  de  la  jalousie  des  sages  réformateurs  du  monde! 

Tout  ce  qui  concerne  l'instruction  publique  a  reçu  à 
Sy**a  une  vive  impulsion.  Des  cinq  gymnases  établis  eu 
Grèce,  cette  île  en  possède  un;  les  quatre  autres  sont  à 
Athènes,  h  Missolonghi ,  à  Nauplie  et  à  Hydra.  Il  y  a  de 


SYKA.  40 

plus  à  Syra  six  écoles  à  la  Lancastre  pour  garçous  et  pour 
filles ,  fondées  par  des  missionnaires  protestants  anglais , 
américains  et  allemands ,  et  recevant  environ  deux  mille 
enfants.  Il  s'y  trouve  aussi  un  musée  dans  lequel  on  a  réuni 
toutes  les  antiquités,  bas-reliefs,  inscriptions,  médailles, 
ornements,  vases,  découvertes  dans  Tile  même  ou  dans 
quelques-unes  des  îles  voisines.  Je  n'ai  remarqué  en  restes 
antiques,  dans  l'intérieur  de  la  ville,  qu'un  fragment  d'in- 
scription sur  le  rocher  et  un  taurobole  placé  dans  la  cour 
de  la  grande  église ,  en  montant  \[^rs  le  vieux  Syra  ,  avec 
une  inscription  qui  annonce  que  ce  taurobole  est  dédié  à 
Trajan  en  l'honneur  de  sa  victoire  sur  les  Parlhes. 

De  la  nouvelle  ville  d'Hermopolis  à  la  vieille  ville  de  Syra, 
la  distance  est  courte  ;  un  ravin  étroit  et  la  seule  ondula- 
tion d'une  colline  les  séparent  Tune  de  l'autre  ;  mais ,  en 
les  voyant  de  près ,  on  dirait  deux  peuples  différents.  Ici 
une  marche  active  vers  le  bien-être  et  la  civilisation  ;  là 
l'engourdissement  dans  la  misère  et  dans  les  vieux  préju- 
gés. Ici  la  fierté  d'une  jeune  nation  qui  s'est  affranchie  et 
s'exagère  sa  force  ;  là  le  découragement  d'une  nation  af- 
faissée par  une  longue  oppression.  Ici  une  ardeur  impé- 
tueuse pour  tout  apprendre  à  la  fois  ;  là  une  crainte  ombra- 
geuse de  toute  nouveauté.  En  bas ,  des  magasins  bien  ap- 
provisionnés des  produits  européens  les  plus  nécessaires , 
des  rues  qui  cherchent  à  se  redresser,  des  maisons  qui  ten- 
dent à  se  donner  un  air  coquet  ;  là-haut  point  de  com- 
merce ,  des  rues  tortueuses  dont  les  porcs  vous  disputent 
l'usage ,  des  cabanes  fétides  où  les  animaux  de  toute  es- 
pèce ,  grosse ,  moyenne  et  petite ,  vivent  en  communauté 
avec  les  hommes  et  sur  les  hommes. 

Tout  au  sommet  de  cette  vieille  ville ,  et  comme  dans 
un  acropolis  antique ,  siège  comme  sur  un  trône  l'évêché 
catholique  de  Syra.  Il  y  a  quatre  mille  catholiques  dans 
toute  l'Ile  :  huit  cents  dans  la  basse  ville ,  et  trois  mille 
deux  cents  dans  la  haute  ville  où  leurs  pères  avaient  cher- 
ché un  abri  contre  les  attaques  des  Turcs  et  les  invasions 

ô 


50  GRÈCE   CONTINENTALE   ET    MOREE. 

des  pirates.  Il  y  a  peu  de  siècles  encore  que  la  population 
des  Cyclades  était  en  grande  partie  catholique  ;  le  nombre 
total  des  catholiques  de  TArchipel  ne  dépasse  pas  aujour- 
d'hui le  chiffre  de  quinze  mille.  De  toutes  les  Cyclades,  Tilc 
de  Tinos  eât  celle  qui  eil  contient  le  plus  grand  nombre. 
Sur  une  population  de  vingt  mille  habitants,  elle  contient 
sept  ou  huit  mille^  catholiques  répartis  dans  vingt-quatre 
villages.  Le  reste  est  distribué  entre  les  autres  îles ,  surtout 
celles  habitées  par  les  évéques  :  telles  que  Naxie ,  Syra  et 
Santorîn. 

L'église  catholique  en  Crcce  est  administrée  par  quatre 
prélats  :  un  archevêque ,  h  Naxie  ,  qui  porte  le  titre  pom- 
peux de  métropolitain  de  la  mer  Egée ,  et  trois  évéques,  à 
Syra ,  Tinos  et  Santorin.  Il  existait  autrefois  un  quatrième 
évéché  à  Milos ,  mais  il  a  été  supprimé  depuis  une  soixan- 
taine d'années  par  le  pape.  Comme  H  n'y  a  pas  d*dvêché 
catholique  dans  le  Péloponnèse ,  c'est  Tévôque  de  Syra  qui 
étend  sa  juridiction  sur  ce  pays.  Le  présent  évéque ,  qui 
est  de  Savoie ,  est  de  plus  revêtu  de  l'ofSce  de  délégué 
pontifical  dans  l'Archipel. 

L'archevêque  de  Naxie  a  un  revenu  de  6,000  francs. 
L'évêque  de  Syra  retire  environ  4,000  fr.  des  biens  de  l'é- 
vêché ,  et  reçoit  des  cours  de  Rome  et  de  Sardaigne  une 
pension  annuelle  de  2,000  francs.  A  cela  il  faut  ajouter  une 
subvention  de  10,000  francs  qui  lui  sont  envoyés  chaque 
année  de  Lyon  par  la  société  de  la  Propagation  de  la  foi , 
et  qui ,  joints  à  quelques  autres  dons,  lui  ont  servi  à  bâtir 
deux  églises  dans  la  Grèce  continentale ,  et  à  constituer 
des  paroisses,  desservies  chacune  par  un  prêtre,  à  Athènes, 
au  Pirée,  à  Fatras ,  à  Nauplie  et  à  Navarin.  Les  évéques  de 
Tinos  et  de  Santorin  ont  chacun  û,000  francs;  mais,  à 
celte  somme ,  il  faut  ajouter  une  légère  subvention  an- 
nuelle payée  par  le  gouvernement  français  à  chacun  des 
évoques  de  l'Archipel.  De  toutes  les  populations  catholi- 
ques des  îles,  la  plus  pauvre  et  la  plus  ignorante  est  celle 
de  Syra  ;  la  plus  riche ,  la  plus  morale  et  la  plus  tolérante 


SYBA.  5t 

est  celte  de  Santorin ,  qui ,  sur  seize  mille  habitants,  compte 
sept  cent  dix  catholiques ,  les  plus  opulents  et  les  plus  res- 
pectés de  nie  par  leurs  concitoyens  du  culte  grec;  la  plus 
turbulente  et  la  plus  tracassière  est  celle  des  quatre  cents 
catholiques  de  Tile  de  Naxie.  Habitaut  presque  toute  la 
partie  de  la  ville  comprise  dans  Tenceinte  du  château  des 
anciens  ducs ,  se  donnant  à  eux-mêmes  le  nom  de  cbâte* 
lains ,  se  vantant  presque  tous  de  descendre  des  anciennes 
familles  nobles  établies  dans  ce  duché  depuis  la  quatrième 
croisade ,  et  conservant  précieusement  leurs  généalogies 
dans  leurs  archives  ou  leurs  mémoires ,  et  leurs  armoiries 
sculptées  au-dessus  de  leurs  portes,  les  catholiques  do 
Naxie  manifestent  la  plus  grande  antipathie  pour  toute  es* 
pèce  de  travail  et  se  perpétuent  dans  leur  misère  par  les 
prétentions  de  la  vanité.  L'usage  d^  la  langue  française  s*est 
généralement  conservé  dans  ces  familles ,  qui  donnent  fort 
Il  faire  par  leurs  exigences  aux  excellents  pères  lazaristes 
que  la  France  envoie  et  entretient  dans  cette  ile. 

Le  clergé  régulier  latin  dans  les  Cyclades  se  compose  : 
de  cinq  jésuites,  dont  trois  dirigent  le  séminaire  deSyra  , 
et  deux  celui  de  Tinos  ;  de  deux  capucins ,  Tun  à  Syra , 
l'autre  à  Naxie ,  auxquels  la  France  fait  un  traitement  de 
600  francs  *  ;  de  quelques  franciscains  établis  à  Tinos  sous 
la  protection  de  l'Autriche,  et  des  lazaristes  placés  parti- 
culièrement sous  la  protection  du  gouvernement  français. 
Ces  derniers  ont  succédé,  par  arrêté  du  roi  en  date  du 
5  janvier  1783,  h  tous  les  droits  et  privilèges  et  à  toutes 
les  possessions  dont  jouissaient  les  jésuites.  L'ordre  de 
Saint^Lazare  a  son  centre  et  ses  douze  directions  h  Paris, 
et  envoie  des  missionnaires  dans  toutes  les  parties  du  monde. 
Lesupérieur  des  missions  du  Levant  réside  à  Constantinople, 
où  il  a  récemment  érigé  un  collège.  Il  a  aussi  fondéà  Smyrne 
une  institvition  pour  les  filles,  établissement  qui  manquait 

^  Lft  société  de  la  Propagation  de  la  foi  de  Lyon  a  envoyé  de  plus, 
en  1840,  une  lomme  de  4,ooo  francs  au  oapuoin  de  Syra ,  boitime 
intelligent  et  fort  raipecté. 


52  GRECE   CONTINENTALE    ET   MORES. 

en  Orient.  Les  prêtres  de  Saint-Lazare  ont  deux  établis- 
sements en  Grèce ,  Ton  à  Naxie ,  l'autre  à  Santorin ,  et  dans 
tous  deux  ils  s'occupent  avec  fruit  du  but  spécial  de  leur 
mission ,  qui  est  de  desservir  les  chapelles  consulaires  et 
d'apporter  tous  leurs  soins  à  la  formation  des  ecclésiasti- 
ques et  à  l'instruction  des  jcilnes  gens.  Ils  ne  sont  pas  sou- 
mis aux  pratiques  rigoureuses  des  autres  ordres  religieux. 
Leur  genre  de  vie  n'a  rien  d'austère ,  et  ils  ont  su  partout 
se  concilier  l'estime  et  l'affection  des  habitants  par  la  faci- 
lité de  leur  commerce ,  la  moralité  de  leur  conduite ,  leur 
bonne  éducation  et  leur  charité.  Â  Naxie ,  les  biens  qui 
leur  ont  été  laissés  à  la  suppression  des  jésuites  leur  rap- 
portent un  revenu  de  â,Ol)0  francs  consacrés  à  des  œu- 
vres de  bienfaisance.  En  même  temps  les  bons  soins  donnés 
par  eux  à  leurs  terres  eli5  leurs  deux  maisons  de  campa- 
gne, situées  dans  les  parties  les  plus  agréables  de  Naxie, 
pourraient  servir  de  modèle  aux  autres  agriculteurs  dans 
une  île  où  on  tendrait  plus  vers  le  progrès  qu'on  ne  le  fait 
à  Naxie.  Mais  la  vanité  des  châtelain»  a  parfois  suscité  aux 
lazaristes  des  obstacles  et  des  tracasseries  contre  lesquels 
l'appui  amical  et  conciliant  du  gouvernement  français  a 
souvent  seul  pu  les  soutenir. 

Avant  la  révolution  grecque ,  la  France  possédait  un 
droit  de  protection  reconnu  sur  tous  les  catholiques  répan- 
dus dans  les  Cyclades,  la  Roumélie  et  la  Morée.  Au  mo- 
ment où  un  souverain  indépendant  fut  donné  à  la  Grèce, 
la  France  renonça  à  un  droit  qui  pouvait  blesser  l'indé- 
pendance du  nouvel  État  auquel  on  donnait  une  place  parmi 
les  États  européens  ;  mais  il  fut  stipulé ,  par  un  protocole 
de  la  conférence  de  liOndres  en  1830  :  que  la  religion 
catholique  jouirait  en  Grèce  du  libre  et  public  exercice  de 
son  culte  ;  que  ses  propriétés  lui  seraient  garanties;  que 
les  évêques  seraient  maintenus  dans  l'intégralité  des  fonc- 
tions, droits  et  privilèges  dont  ils  jouissaient  sous  la  pro- 
tection du  roi  de  France ,  et  qu'enfin,  en  vertu  des  mêmes 
principes ,  les  propriétés  appartenant  aux  anciennes  mis- 


0  SYRA.  53 

sions  françaises  seraient  reconnues  et  respectées.  C'est  ce 
protocole  qui  a  protégé  les  lazaristes  contre  les  usurpations 
de  leurs  propriétés.  Ces  disciples  de  saint  Vincent  de  Paul 
et  les  capucins ,  qui  n'ont  rien  de  la  malpropreté  ni  de 
l'ignorance  des  capucins  d'Occident ,  sont  un  ferme  point 
d'appui  à  la  fois  pour  le  catholicisme  et  pour  une  civilisa- 
tion progressive  et  régulière  en  Orient.  Malheureusement 
la  cour  de  Rome ,  au  lieu  de  prêter  son  appui  à  ces  idées 
tolérantes  et  éclairées,  aime  mieux  faire  appel  aux  jésuites, 
qui  divisent  au  lieu  d'unir,  cx>mpriment  les  idées  au  lieu 
de  les  diriger,  éteignent  au  lieu  d'éclairer.  L'épiscopat  ca- 
tholique de  Grèce  ne  semble  pas  non  plus ,  il  faut  le  dire, 
comprendre  sa  vraie  mission.  C'est  à  la  France  surtout 
qu'il  appartient  de  faire  bien  comprendre  à  la  cour  de 
Rome,  si  intelligente  sur  ses  intérêts ,  qu'ici  son  véritable 
intérêt  est  de  faire  choix  d'hommes  éclairés  et  tolérants 
qui  sachent  prendre  le  devant  dans  tout  ce  qui  est  bon,  et 
appuyer  le  triomphe  du  catholicisme  sur  le  triomphe  de  la 
civilisation. 

Après  avoir  examiné  l'état  actuel  de  l'église  latine ,  que 
nos  croisés  de  120/i  avaient  étendue  sur  toutes  leurs  pos- 
sessions de  Grèce ,  je  recherchai  s'il  n'existerait  pas  au- 
tour de  moi  à  Syra  quelques  vestiges  des  établissements 
féodaux  qu'ils  y  avaient  fondés ,  lorsque  le  duché  de  la 
mer  Egée  fut  déclaré  la  seconde  des  hautes  baronnies  de 
la  principauté  française  d'Achaye  et  donné  à  un  Sanudo 
de  Venise  ;  mais  je  ne  pus  relrouTer  aucun  reste  de  l'an-  * 
cienne  forteresse  bâtie  alors  dans  l'île  de  Syra. 

Mon  examen  terminé ,  je  jetai  un  dernier  coup  d'oeil 
sur  cette  vue  enchanteresse  de  la  mer  Egée ,  parsemée  de 
gracieuses  îles  qui  brillent  comme  des  escarboucles  aux 
rayons  du  soleil  couchant,  et  je  me  disposai  à  prendre  place 
sur  le  bateau  à  vapeur  grec  it  Maximiiien  pour  me 
rendre  au  Pirée.  Là  direction  de  nos  bateaux  à  vapeur  a 
grand  besoin  d'être  réformée.  Nous  avons  été  les  premiers 
à  frayer  la  route ,  il  ne  convient  pas  que  nous  restions  en 


5. 


54  GRECE   CONTINBKTALE   ET   MOREE.  ^ 

arriéré  quand  d'avitrea  sont  arrivés  aor  nos  traoes  et  oui 
profité  des  premières  fautes  inévitables  pour  faire  mieiu. 
Les  quarantaines  différentes  doivent  amener  différentes 
mesures.  Les  quarantaines  de  Grèce  sont  de  sept  jours, 
celles  de  Turquie  de  quatorze»  celles  d'Alexandrie  de  vingt 
et  un  jours,  et  la  plus  forte  entraine  nécessairement  les  plus 
faibles.  Il  résulte  de  là  que,  comme  ee  sont  nos  bitioienis 
d^^Alexandrie  qui  desservent  la  ligne  d'Athènes,  tout  ?oyA« 
geur  arrivant  de  France  ne  peut  profiter,  pour  se  rendre 
au  Piréo»  des  bâtiments  français,  puisqu'il  s'imposerait 
presque  continuellement  la  totalité  de  la  quarantaine  d'An» 
iexandrie*  Le  même  inconvénient  se  présente  pour  retour» 
ner  de  Grèce  en  France.  Comme  on  prend  à  Syra  les 
voyageurs  de  Consiantinople  et  d'Alexandrie,  on  est  obligé 
de  subir  à  Malte  une  quarantaine  de  vingt  et  un  Jours  ;  tan«- 
dis  que,  si  on  prend  la  ligne  autrichienne  du  Pirée  à  Trie^» 
on  arrive  à  Triesie  en  libre  pratique,  le  gouvernement  au» 
tricbien  vous  comptant  comme  quarantaine  les  sept  jours 
que  vous  passez  en  mer  de  Corfou  à  Trieste.  C'est  que  le 
gouvernement  autrichien  #  qui  est  raisonnable  et  fort  ^  ne 
se  laisse  pas  faire  la  loi  par  le  conseil  de  santé  de  Trieste» 
comme  npus  nous  la  laissons  faire  par  le  plus  ignorant  et 
le  plus  avide  des  conseils  de  santé ,  celui  de  Marseille. 

Quoique  ie  Maasimiiien  fût  en  si  piteux  état  que  oe 
voyage  fut  la  dernière  de  ses  navigations  et  qu'il  dort  de«< 
puis  sur  les  cbantiers  de  l'île  de  Poroj ,  je  me  décidai  k  le 
prendre  plutôt  que*de  subir  avec  le  bâtiment  français  un# 
quarantaine  de  quatorze  jours  que  je  pouvais  éviter,  |je 
tcmi)8  d'ailleurs  était  magnifique;  et  j'ai  l'habitude  en 
voyage  de  ne  tenir  aucun  compte  des  hasards  et  d'aller 
toujours  en  avant,  m'en  reposant  sur  la  fortune.  La  chau- 
dière bouillonnante  du  Ma^imitien  m'appelait,  je  patiis» 

Notre  époque  a  aussi  ses  merveilles  qui  ne  saisissent  pas 
nioins  l'imagination  que  les  merveilles  de  la  mythologie 
antique*  La  mer  était  calme  comme  le  plus  beau  lac ,  ^ 
un  souffle  de  vent  ne  ridait  sa  surface  i  les  voiles  de  lotis 


BRPAUT   DB   SYH/i.  55 

es  bititiimits  totïibaient  molles  et  abandonnées  comuie  les 
membres  d^an  homme  frappé  de  paralysie  :  et  cependant, 
mattres  d'un  agent  qui  supplée  à  la  nature  et  qui  la  mai^ 
trise,  la  vapeur,  nous  étions  embarqués  pour  arriver  k  heure 
fite,  et,  avec  notre  frêle  bateau  et  sa  médiocre  pnijssaneo  de 
vingts-quatre  chevaux,  nous  cheminions  sur  cette  mer  im* 
mobile.  U  y  a  aussi  de  la  poésie  dans  la  science  et  dans 
l'industrie  humaines  »  q^snd  elles  s'élèvent  k  cette  bnu* 
leur. 

La  navigation  de  Syra  au  Pirée  n'a  rien  de  la  monotonie 
des  navigations  ordinaires ,  surtout  quand  le  soleil  luit  et 
que  la  mef  ^st  fsvorabie.  Le  speclaele  qu'offre  le  hotd  d'un 
baieeu  i  vipeur  eq  Orient  m  d^jà  un  point  d'observatioi} 
intéressant  pour  toul  nouvel  arrivant  d^i  régions  occiien* 
talcs.  Ici  une  jeûna  et  jolie  Athénienne  aux  grands  yeuY 
tendres,  m%  petites  dénis  blanches ,  à  la  taille  souple ,  au 
palier  un  peu  mignard»  arrivant  d*Odessa  ou  de  Constan- 
tinople,  étend  sous  ses  petits  pieds  bien  chaussés  son  ouit^ 
chourf  flisse  et^  dérobant  mal  ses  reganls  sou3  son  chspeau 
papisim)  «  les  lan^  fort  coquedement  autour  d'elle.  Le  se 
tient  debout  un  ingiats,  immobile  de  geste ,  d*osil ,  de  fi- 
gure, avec  an  long  ohâie  écossais  qui  le  drape  assez  pitto^ 
reiquammit  par*dessus  le  oostume  le  plus  irréprochable, 
arrivent  fout  exprès  d*Oxford  pour  passer  dix-sept  jours, 
ni  |rias  ni  moins,  dans  une  visite  à  Marathon,  Platée,  Thè-i^ 
hes ,  ke  Thermopyles ,  Delphes  et  quelques  autres  Ueuic 
classiqaes  indiqués  par  son  itinéraire.  A  côté  de  lui»  penché 
sur  le  bord  du  bâtiment,  un  fier  Rouméiiote  au  front  large 
et  haiil,  à  Pcail  vif,  ab  cou  épais,  k  la  moustache  bien  fbur-^ 
nie  et  tombante,  les  jambes  vêtues  de  la  guêtre  homérique^ 
la  ediiuire  garnie  d'pn  beau  eangiar  et  de  doux  pistolets 
damasquinés,  les  <^paules  recouvertes  d'une  blanche  toison 
au-dessus  de  sa  blanche  fustanelle  resserrée  for  une  cein- 
ture de  soie  qui  lui  fait  Une  taille  de  guêpe  ^  semble  poser 
pour  le  voyageur  européen.  Plus  loin ,  un  Arménien  à  la 
longue  robe  et  è  I4  langue  barbe,  assis  sur  ses  jambes  «ve^ 


56  GRECE   COIMTINENTALE   ET    MOREE. 

calme ,  et  faisant  passer  successivement  entre  s^  doigts 
tous  les  grains  de  son  chapelet  ;  un  jeune  palicare  coquet 
et  insouciant  près  d*un  juif  inquiet  et  observateur;  des 
matelots  d'IIydra  parlant  durement  le  rauque  albanais ,  et 
moi  au  milieu  de  tout  cela  arrivant  tout  exprès  de  Paris 
en  Grèce  pour  mieux  connaître  mon  histoire  de  France  ; 
tous  les  costumes,  tous  les  goûts,  tontes  les  langues ,  toutes 
les  physionomies,  tous  les  caractères  si  opposés  souvent 
aux  physionomies  :  voilà  ,  avec  bien  d'autres  nuances ,  ce 
qui  se  rencontrait  à  bord  du  bâtiment  à  vapeur  qui  me 
conduisait  de  Syra  à  Athènes. 

En  dehors  du  bâtiment ,  le  spectacle  des  lieux  qui  se 
dérobent  successivement  devant  vous  occupe  puissamment 
aussi  et  l'œil  et  l'esprit  pendant  cette  course  de  huit  à  dix 
heures.  A  peine  a-t-on  passé  entre  les  Iles  de  Thermia  et 
de  Zéa ,  si  renommées  par  leur  chasse  aux  perdrix ,  que 
vous  apparaît  le  cap  Sunium  avec  ces  belles  colonnes  en- 
core debout  sur  le  faîte,  qui  lui  ont  fait  donner  le  nom  de 
cap  Colonne ,  et  tout  à  côté  de  ce  petit  îlot  appelé  poéti- 
quement l'île  d'Hélène,  où,  dit-on,  celle  qui  devait  être  un 
jour  la  femme  du  malencontreux  Ménélas  commença  par 
faire  de  fort  borne  heure  sa  première  chute  en  faveur  de 
l'heureux  Thésée.  Quelques  va-et-vient  de  plus  du  piston 
de  la  machine  à  vapeur  conduisent  en  vue  d'Égine  et  du 
temple  qui  domine  encore  ces  hauts  lieux  ;  puis  vous  ap- 
paraît Salamine  avec  ses  grands  souvenirs,  et  par  derrière, 
dans  le  lointain,  le  sommet  du  tragique  Cithéron;  bientôt 
se  présente,  tout  en  face  de  vous,  le  mont  Hymette,  tou- 
jours renommé  par  son  excellent  miel  ;  et  au  pied  le  ro- 
cher, glorieux  de  l'Acropolis,  portant  comme  une  couronne 
les  magnifiques  débris  du  Parthénon  qui  le  signaient  à  l'ad- 
niration  du  monde. 

A  mesure  qu'on  approche  de  terre  il  faut  descendre  un 
peu  à  des  idées  plus  prosaïques.  Le  passé  est  en  ruine,  et 
le  présent  est  en  constructions  de  pacotille.  Les  deux  piliers 
qui  ferment  l'entrée  du  pork  du  Pirée  portaient  autrefois 


LE  PIRÉE.  57 

deux  lions  colossaux  auxquels  le  Pirée  a  dû  le  nom  de 
Port-Lion  sous  lequel  il  était  connu  au  moyen  âge.  Ces 
lions  sont  aujourd'hui  placés  à  l'entrée  de  Tarsenal  de  Ye^ 
Dise,  au  milieu  d*autres  morceaux  antiques  qu*y  a  trans- 
portés le  péloponnésiaque  François  Morosini  lors  de  sa  con- 
quête de  la  Morée  sur  les  Turcs  en  1686.  Quant  aux  piliers 
du  Pirée ,  ils  sont  veufs  de  leurs  lions  antiques  et  ne  por* 
tent  plus  que  deux  lanternes. 

Le  port  du  Pirée  est  petit,  mais  bon  ;  les  vaisseaux  de 
ligne  peuvent  y  mouiller.  11  y  a  dix  brasses  et  demie  d'eau 
sur  un  fond  de  vase.  Quelques  bâtiments  marchands,  plu- 
sieurs bateaux  à  vapeur  français  et  autrichiens,  et  i'O- 
thon,  grand  bâtiment  à  vapeur  du  roi  de  Grèce,  animent 
ce  joli  petit  port.  En  i83/i  le  Pirée  ne  possédait  que  cin- 
quante-six petits  bâtiments  marchands  mesurant  268  ton- 
neaux .  en  18^0  il  avait  deux  cent  vingt-six  bâtiments 
marchands  mesurant  3,721  tonneaux  ^  La  ville  nouvelle 
s'étend  à  partir  du  port  de  Munychie  jusqu'au  Pirée.  En 
183^  il  n'y  avait  sur  ce  terrain  qu'une  seule  maison  et 
huit  magasins  construits  en  bois ,  en  18^i0  on  y  comptait 
déjà  quatre  cent  cinquante  maisons  de  pierre  et  une  po- 
pulation de  deux  mille  deux  cent  soixante-quinze  habitants. 
Beaucoup  de  ces  maisons ,  vues  du  port ,  semblent  jetées 
çà  et  là  un  peu  comme  au  hasard  et  sans  que  rien  les  relie 
entre  elles  et  prépare  des  rues ,  c'est  un  essai  de  ville  plu- 
tôt qu'une  ville  ;  mais  enfin  il  y  a  vie,  mouvement  et  pro- 
grès. 

En  prenant  son  numéro  dans  le  catalc^ue  des  nations 

'  *  Voici  la  rapide  progression  de  cet  accroissement  : 

—    56  bâtiments  portant  266  tonneaux. 

—  282    —  • 

—  496    —     '  • 

—  754    — 

—  1716    — 

—  1556    — 

—  3721    — 


1834  — 

56 

1835  — 

60 

1836  — 

80 

1837  — 

109 

1838  — 

156 

1839  — 

192 

1840  ^ 

226 

58  GRÈCE   CONTINENTALE   ET   HOREE. 

civilisées  de  l'Europe,  le  nouvel  État  grec  ne  poovàR  man- 
quer de  se  conformer  aux  habitudes  de  ses  anciens.  Au- 
trefois, dit-on,  c'était  à  des  potences  bien  garnies  de  leurs 
cadavres  flottants ,  comme  j'en  ai  vu  long* temps  près  des 
docks  de  Londres ,  qu'un  voyageur  reconnaissait  un  pays 
civilisé  ;  ce  sont  aujourd'hui  les  bureaux  de  douane  et  de 
police,  ou  de  passe-ports,  qui  sont  la  mesure  de  la  civilisa- 
tion des  terres  inconnues ,  aossi  la  Grèce  s'est-elle  bitée 
d'organiser  sa  gendarmerie,  ses  bureaux  de  police,  sa  qua- 
rantaine et  ses  douanes,  A  peine  a*t*on  mis  le  pied  sur.  la 
terre  hellénique,  qu'on  appartient  aux  préposés  de  la  santé 
qui  vous  transmettent  aux  préposés  de  la  police  qui  vous 
renvoient  aux  préposés  de  la  douane  ;  et  ce  n'est  qu'après 
que  votre  personne  et  vos  eifets  ont  été  minutieusement 
enregistrés,  timbrés  et  taxés,  tout  à  fait  comme  dans  votre 
pays ,  que  vous  êtes  enfin  rendu  è  votre  liberté  d'action* 
Il  y  a  peu  de  restes  antiques  au  Pirée.  Il  faut  cependant 
aller  voir  sur  la  colline  située  au-dessus  de  la  ville  actuelle 
les  ruines  ou  plutôt  les  fondements  du  ternple  de  Neptune, 
les  restes  du  bâtiment  qui  servait  à  décharger  les  blés,  et 
le  tombeau  de  Tbémistocle,  dont  une  colonne  renversée  gtt 
en  bas  baignée  par  les  flots» 

Cinquante  voitures  de  toute  forme  et  de  toute  grandeur 
vous  attendent  et  vous  sollicitent  pour  vous  conduire  du 
Pirée  h  Athènes,  qui  n'est  qu'à  deux  lieues  de  là.  Voitures 
anglaises,  russes,  .françaises  ;  calèches,  berlines,  drôschki, 
tilbury,  cabriolet,  char-à-bancs ,  y  compris  même  l'hum** 
ble  coucou  exilé  de  Sceaux  et  de  Montmorency,  vous  trou- 
vez là  de  tout  :  diplomates ,  consuls ,  voyageurs  du  nord 
comme  de  l'ouest ,  voilà  les  fournisseurs  du  marché  aux 
voitures  d'Athènes.  Les  raccommodages  se  font  ensuite 
comme  on  peut ,  dans  un  pays  où  on  ne  sait  encore  tra- 
vailler ni  le  fer  ni  le  bois.  Quant  aux  cochers,  ils  s'impro- 
visent avec  une  merveilleuse  facilité.  Le  matelot  sans  em- 
ploi quitte  momentanément  le  gouvernail  de  sa  barque 
pour  essayer  le  gouvernement  d'un  cheval  syrien  attelé  à 


LB   P1RE£.  59 

on  cabriolet  de  Paris;  le  condncteor  de  chameaux,  obligé 
d'essayer  un  nouveau  métier,  s'élance  sur  le  siège  d'une 
calèche  d'Offenbadi ,  et  lutte  de  TÎtesse  atec  le  klephte 
pacifié ,  assis  triomphaiement  sur  une  planche  endomma- 
gée  de  son  coucou  à  roues  mobiles.  Le  cuisinier  mis  hors 
de  service ,  le  palicare  attendant  une  nouvelle  guerre, 
l'homme  des  îles  comme  l'homme  des  montagnes ,  tous 
voyant  pour  la  première  ibis  une  voiture  ^elçonquc,  voilà 
les  Tiphys  et  les  Âutomédon  qui  se  chargent  intrépide- 
ment du  transport  de  votre  personne.  La  route  est  large, 
belle  et  facile  ;  les  chevaux  et  les  cochers  sont  pirins  de 
feu,  la  course  se  bit  rapidement,  et  même  sans  encombre, 
à  moins  que  ces  guides  inexpérimentés  ne  se  choquent  un 
peu  trop  rudement,  que  les  voitures  mourantes  n*expirent 
sous  vos  pieds ,  ou ,  par  exemple ,  qu'un  cheval  d'Europe 
ne  rencontre  face  à  Êice  quelques  chameaux  et,  par  peur 
de  cet  animal  inconnu ,  ne  vous  jette  sur  un  pan  de  mu- 
raille oublié  des  longs  tnurs  de  Thémistocle  ou  dans  le  fit 
desséché  du  Céphise. 

A  moitié  de  la  route ,  votre  cocher,  qui  s'est  fait  une 
sorte  d'étrange  turban  en  nouant  son  mouchoir  autour  de 
son  fefey,  s'arrête  auprès  d'un  petit  cabaret;  sous  prétexte 
de  d(Hiner  un  peu  de  repos  à  son  cheval,  mais,  en  réalité, 
pour  se  faire  payer  un  verre  de  raki.  Un  gros  garçon  jouf- 
flu fait  de  son  mieux ,  en  mêlant  toutes  les  langues ,  pour 
vous  engage"  à  imiter  votre  cocher.  Il  y  a  peu  d'années, 
il  n'y  avait  lli  qu'une  pauvre  baraque  en  bois  ;  mais  une 
flotte  française  est  venue  séjourna*  dans  la  baie  de  Sala- 
mine  :  officiers  et  matelots  étaient  curieux  de  visiter  Athè- 
nes ;  la  consommation  des  cigares  et  des  verres  de  raki  s'est 
augmentée.  Les  marins,  peu  patients,  attendaient  rarement 
l'appoint  de  leurs  francs  en  centimes;  les  francs  sont  de-^ 
venus  des  écus,  et  la  baraque  de  bois  de  lanni  s'est  trans- 
formée en  bonne  maison  de  pierre.  Vienne  une  nouvelle 
flotte ,  à  cette  maison  s'en  joindront  d'autres ,  et  la  station 
se  transformera  en  village*  Le  lien  est  bien  choiâ  pour 


60  GRECE    CONTINENTALE   ET  MOREE. 

cela.  Tout  auprès  est  un  puits  de  boone  eau,  et  un  paits, 
ici ,  c*est  un  trésor.  La  route  a  jusque-là  suivi  les  longs 
murs  ;  on  commence  à  entrer  dans  ce  qu'on  appelle  le  bois 
d*oliviers.  Ces  célèbres  oliviers  se  sont  succédé  d'âge  en 
âge  sans  interruption,  depuis  Gécrops;  mais  ils  sont  si 
clair-semés,  leurs  troncs  sont  si  maigres  et  si  noueux,  leurs 
feuilles  si  pâles  et  si  maladives ,  leur  ombrage  est  si  rare , 
qu'il  faut  être  bien  et  dûment  averti  que  c'est  là  un  bois 
pour  songer  à  lui  donner  ce  nom,  qui,  dans  notre  prosaïque 
pays,  nous  rappelle  tant  d'autres  images  si  belles  et  si 
douces. 

Les  cinq  minutes  écoulées ,  votre  cocher  repart  au  mi* 
lieu  de  flots  de  poussière  ;  et,  après  vingt  minutes  de  celte 
course  aventureuse ,  on  se  trouve  en  présence  d'un  des 
plus  gracieux  monuments  de  l'antiquité,  le  temple  de  Thé- 
sée, encore  debout  en  entier  sur  un  petit  plateau  qui  sur- 
git légèrement  de  la  route  d'Athènes.  Ses  élégantes  colon- 
nes d'un  beau  marbre  blanc ,  auquel  l'action  du  temps  et 
du  soleil  a  donné  le  plus  beau  reflet  rose,  se  détachent  sur 
ce  ciel  si  pur  comme  pour  vous  révéler  en  un  instant  la 
vie  et  l'art  antiques. 

Le  tribut  d'admiration  légitime  une  fois  payé  en  passaut 
au  temple  de  Thésée ,  on  retombe  de  la  hauteur  du  passé 
dans  le  terre-à-terre  du  présent.  C'est  à  travers  un  dédale 
de  planches  amoncelées  qu'on  entre  dans  la  moderne 
Athènes.  Quelques  petites  maisonnettes  malpropres  ser- 
vent ,  comme  notre  rue  Copeau  ou  notre  rue  Mouffetard, 
d'avenue  au  Paris  de  ce  petit  coin  du  monde.  Ce  passage, 
au  reste,  est  très- court ,  et  on  arrive  dans  une  grande  rue 
droite ,  la  rue  d'Hermès,  qui  coupe  la  ville  en  deux  sec- 
tions :  d'une  part  les  vieux  bazars,  les  vieilles  rues,  la  vieille 
ville,  mais  aussi  la  tour  des  Vents,  le  monument  de  Lysi- 
crate,  tous  les  restes  antiques  et  l'Acropolis  ;  de  l'autre  part 
les  nouveaux  quartiers  ,  les  cafés,  les  marchandes  de  mo- 
des, la  richesse,  la  diplomatie,  la  cour.  Un  petit  essai  de 
trottoir  parfois  interrompu,  dans  cette  assez  longue  rue, 


ATUÈNEd.  *  61 

prouve  plutôt  ce  qu'on  veut  avoir  que  ce  qu'on  a  réelle- 
ment; et  un  beau  palmier,  Situé  au  milieu  de  la  rue,  reste 
là ,  glorieux  ,  pour  attester  que  la  vie  et  le  soleil  d'Orient 
ont  encore  toute  leur  puissance.  Le  temple  de  Thésée, 
c'est  le  souvenir  des  beaux  temps  de  la  Grèce  ;  le  palmier 
c'est  le  souvenir  de  la  domination  des  fils  du  désert ,  qui 
transforment  en  autant  de  déserts  tous  les  lieux  qu'ils  par- 
courent et  qu'ils  gouvernent. 

Deux  rues  tiansversales,  la  rue  de  Minerve,  qui  conduit 
à  l'ancien  portique  d'Adrien  ,  et  la  rue  d'Éole ,  qui  finit  à 
la  tour  antique  des  Vents ,  viennent  couper  la  rue  d'Her- 
mès. Voilà  les  seules  tentatives  de  régularité  urbaine  qu'on 
aperçoive  en  arrivant  à  Athènes.  Tout  le  reste  semble  dés- 
ordre et  confusion  ;  et  cette  rue  d'Hermès  elle-même  a  été 
si  mal  tracée ,  bien  qu'on  eût  la  plus  entière  liberté  de 
tracé,  qu'elle  vient  se  jeter  tout  au  travers  d'une  vieille  et 
respectable  église  que  les  maçons  étrangers  n'auraient  pas 
fait  diflBcullé  de  démolir,  mais  qu'ont  protégée  le  respect 
religieux  du  peuple  et  les  réclamations  des  savants.  L'église 
reste  donc ,  et  la  rue  tournera  autour  d'elle  comme  elle 
pourra.  Avec  le  temps,  on  s'arrangera  pour  tracer  à  l'en- 
lour  un  crescent  à  portiques  quand  les  petites  maisons  à 
Tallemande  qui  se  sont  glissées  ici  tomberont  pour  faire 
place  à  des  constructions  plus  conformes  aux  besoins  du 
climat. 

Cette  première  vue  d'Athènes  est  plutôt  bizarre  qu'a- 
gréable. On  sent  cependant  qu'il  y  a  ici  de  la  vie  et  de  l'a- 
venir ^  Les  mœurs  d'Orient  n'ont  pas  encore  contracté 

^  M.  Wordswortli  a  visité  Athènes  à  la  Gn  de  1832  et  aa  com- 
mencement de  1833.  Voici  l'état  dans  lequel  cette  ville  se  présenta 
alors  à  ses  yeux  -.  «  The  town  of  Athens  (p.  51)  is  now  lying  in 
niins.  The  streets  are  almost  desertid;  nearly  ail  Ihe  houses  are 
withoat  roofs.  The  churches  are  reduced  to  bare  ^alls  and  lieaps  of 
stones  and  mortar.  There  is  but  one  church  in  which  the  service 
18  performed.  A  few  new  wooden  houses ,  one  or  two  of  more  solid 
(Structure,  and  the  two  Unes  of  planked  shades  whicli  forai  the 
Bazar,  are  ail  the  inhabited  dwelliugs  tliat  Athens  can  now  boast.  >» 

6 


6i  GRÈClf  CONTINENTALE   ET   MOREE. 

mariage  avec  les  niceurs  d'Occident  ;  elles  coexistent  sépa- 
rées, sans  s*être  ni  fondues  ensemble  ni  annulées.  Plus  tard 
la  fusion  s'opérera  par  des  sacrifices  réciproques.  En  atten- 
dant que  le  goût  et  la  mode  aient  fait  passer  la  société 
grecque  sous  leur  équerre  ,  chacun  prend  Tallure  qui  lui 
convient.  Près  d'une  boutique  à  la  turque ,  dans  laquelle 
le  marchand  s'assied  sur  ses  jambes,  en  déroulant  mélan- 
coliquement entre  ses  doigts  les  grains  de  son  chapelet,  on 
rencontre  un  café  à  la  française  avec  un  billard  d'acajou. 
Ici  vingt  Maltais,  accroupis  dans  la  rue,  attendent  l'emploi 
de  leur  activité  ;  là  des  Grecs  à  la  blanche  fustanelle ,  à  la 
veste  dorée,  fument  leurs  longues  pipes,  tandis  que  d'antres 
Grecs ,  habillés  à  la  franque ,  finissent  une  bouteille  de 
bière  en  fumant  un  cigare  ou  une  cigarette  et  en  dissertant 
en  français  sur  les  journaux  de  Paris.  Celui-là  porte  un  cos- 
tume grec  avec  des  bottes  françaises  par*dessus  son  large 
pantalon,  celui-ci  une  redingote  française  avec  la  fustanelle 
et  les  guêtres  grecques.  Les  langues  grecque ,  française, 
italienne,  allemande  viennent  à  la  fois  frapper  l'oreille ,  et 
une  dissertation  sur  un  roman  de  Balzac  et  un  drame  d'A- 
lexandre Dumas  est  interrompue  par  une  tirade  patrio- 
tique sur  Candie,  Omer-Pacha  ou  Mavrocordatos. 

C'est  à  travers  ce  pêle-mêle  de  costumes,  de  langues  et 
d'idées  que  je  me  fis  voie  pour  me  rendre  à  l'aubei^e 
dont  j'avais  fait  choix ,  car  on  peut  faire  un  choix  mainte- 
nant. Il  y  a  à  Athènes  trois  auberges  fort  convenables,  et 
quelques  autres  où  on  peut  trouver  à  se  caser  sans  trop 
d'inconvénients.  J'allai  me  loger  à  l'hôtel  de  Londres,  chez 
un  Piénontais ,  nommé  Bruno ,  ancien  courrier  de  Capo- 
d'Istrias.  Sa  maison  est  petite ,  mais  précédée  d'un  jardi- 
net et  proprement  tenue.  Mon  appartement,  très-suffisant, 
s*ouvrait  sur  tous  les  points  de  l'horizon.  C'était  une  sorte 
de  belvédère  de  trois  pièces,  d'où  je  pouvais  jouir  d'une 
vue  magnifique  de  la  ville,  des  environs  et  de  toutes  les 
chaînes  de  montagnes  de  l'Attique.  L'Hymetle ,  le  Penté- 
lique,  le  Parnès  m'entouraient^  D'un  côté,  je  pouvais  ad- 


ATHENES.  63 

mirer  le  Parthénon ,  diadème  précieux  qai  orne  le  froot 
de  l'Acropolis ,  et  nui  vue  s'étendait  dans  ia  direction  da 
temple  de  Jupiter-Olympien  jusqu'aux  montagnes  au  pied 
desquelles  serpente  le  lit  sans  eau  de  l'Ilissus  et  se  détache  le 
rocher  un  peu  sec  de  la  fontaine  de  Galiirhoe  ;  d'un  autre 
côté  »  mes  regards  s'étendaient  sur  Phalère ,  le  Pirée ,  Sa-^ 
lamine ,  en  suivant  les  roches  Scironides ,  d'où  le  brigand 
Sciron  fut  précipité  dans  les  flots  par  Thésée,  jusqu'à  la 
cime  aplatie  de  l'Âcrocorinthe.  Mon  belvédère  était  ainsi  un 
excellent  point  d'observation  pour  m'orienter  ï  travers 
l'Athènes  de  Périclès,  celle  des  ducs  français  de  la  maison 
de  La  Roche  ou  de  la  maison  de  Brienne,  celle  des  vaîvodes 
turcs,  et  celle  dont  il  a  plu  au  roi  de  Bavière  de  faire  la 
capitale  du  nouveau  royaume  hellénique,  afin  de  se  donner 
le  plaisir  classique  de  recevoir  de  son  fils ,  le  jeune  roi 
Othon,  une  lettre  datée  :  D^  mon  paiais  d'Athènes. 


II. 


ATHÈ1I9ES.  ~  SES  MONtJMENTS  ANTIQUES  ET  SES  FÊTES 
POPULAIRES.  —  SA  PASSION  POUR  LA  PHILOLOGIE.  — 
SES  ÉCOLES  AVANT  LA  RÉVOLUTION  GRECQUE. 

Un  de  mes  amis,  se  promenant  un  jour  dans  les  environs 
d'Athènes ,  demanda  à  un  petit  pâtre ,  qu'il  rencontra ,  le 
nom  de  cette  ville  qui  se  présentait  en  perspective.  —  On 
l'appelle  Anthina  (c'est-à-dire  ville  des  fleurs,  Florence 
par  exemple),  lui  dit  le  berger  dans  son  patois  ;  mais,*pour 
des  fleurs  (en  grec  anthi) ,  elle  n'en  a  pas*.  L'Athènes 
antique,  comme  la  Florence  moderne,  éveille  en  efl^et  dans 
tous  les  esprits,  même  les  plus  étrangers  aux  lettres  et  aux 
arts,  des  idées  de  gloire  ou  de  poésie  ;  et  le  peuple,  qui  ne 


64  GRECE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

fausse  jamais  les  noms  propres  que  pour  leur  donner  une 
signification  plus  analogue  à  sa  pensée  S  prouve  ainsi  qu'il 
n*est  pas  moins  sensible  que  les  classes  éclairées  au  beau 
nom  acquis  à  sa  patrie.  Ce  nom  glorieux ,  répété  de  bou- 
che en  bouche  dans  la  dernière  lutte,  après  un  silence  de 
près  de  deux  mille  ans ,  a  suffi  pour  éveiller  la  sympathie 
de  tous  les  peuples  ;  et  l'Occident,  qui  devait  sa  civilisation 
à  la  Grèce ,  lui  a  prouvé  sa  reconnaissance  en  Taidant  à 
son  tour  à  s'affranchir  de  la  barbarie. 

Bien  que  notre  oreille  soit  plus  familiarisée  aujourd'hui 
avec  ce  magnifique  tiom  d'Athèiies ,  il  ne  laisse  pas  que 
d'agir  avec  force  sur  tout  nouvel  arrivant.  Ce  qu'on  vou- 
drait, ce  serait  de  faire  tomber  pour  un  instant  toutes  les 
barrières  qui  vous  séparent  du  passé  ,  de  reconstruire  par 
la  pensée  la  ville  antique  avec  ses  monuments,  ses  temples, 
ses  statues;  d'évoquer  du  tombeau  sa  population  bruyante, 
ici  se  pressant  au  Pnyx  autour  d'un  orateur  populaire  ,  là 
s'agitant,  au  théâtre  de  Bacchus,  au  spectacle  d'une  noble 
tragédie  de  Sophocle  ou  d'une  mordante  comédie  d'Aris- 
tophane ,  ailleurs  revenant  en  procession  de  la  Voie  Sacrée 
et  affluant  près  des  statues  des  dieux.  On  en  veut  à  tout 
ce  qui  vous  distrait  de  celte  apparition  fantastique,  à  cette 
ville  nouvelle  comme  à  ces  hommes  nouveaux.  On  désire- 
rait au  moins,  puisqu'il  ne  reste  que  des  ruines,  que  ces 
ruines  ne  fussent  pas  gâtées  par  un  contact  prosaïque  avec 
des  reconstructions  modernes;  que,  pour  un  moment, 
disparût  tout  le  présent ,  hommes  et  choses ,  et  qu'on  pût 
rester  seul  en  présence  de  ces  seules  ruines.  Malheureuse- 
ment il  n'en  est  pas  ainsi.  Depuis  que,  par  une  ordonnance 
du  30  (18)  septembre  1834 ,  signée  par  les  régents  bava- 
rois Armansperg ,  Cobell  et  Heideck  ,  et  par  les  ministres 
grecs  Golettis ,  Theocharis ,  Lesuire ,  Rizo  et  Praïdis ,  il  a 
été  décrété  qu'Athènes  serait  désormais  la  capitale  du 

^  L'tie  de  Naxos  ou  Naxie  est  la  plas  beUe  des  Cyclades;  aositi 

le  peuple,  au  lieu  de  rappeler  Naxia,  rappçlie-t-il  toujours  ^  'AÇf  a, 
la  Digne. 


ATHÈNES.  65 

royaume  grec ,  et  que  le  siège  du  gouvernement  y  serait 
transporté  le  13  (1*')  décembre  183/i,  le  prestige  antique 
a  été  et  il  ira  de  jour  en  jour  s*éyanouissant  de  plus  en 
plus.  Au  temps  de  la  domination  turque ,  les  misérables 
cabanes  {catyvia)  et  les  misérables  habitants  qui  se  glis- 
saient à  travers  les  ruines  ne  nuisaient  pas  plus  à  leur  efTet 
qu'un  nid  de  cicognes  placé  sur  les  débris  de  créneaux  go- 
thiques n*en  détruit  Tunité.  C'étaient  là  des  choses  si  com- 
plètement étrangères  et  si  éphémères  qu'elles  ne  servaient 
pour  ainsi  dire  que  comme  la  cloche  d'un  couvent  aban- 
donné à  sonner  Theuredu  passé.  Il  en  est  bien  autrement  des 
constructions  récentes  ;  une  ville  moderne,  je  ne  dis  pas  s'é- 
difie, mais  se  maçonne  presque  partout,  sur  l'emplacement 
même  de  la  ville  de  Thésée.  Encore,  si  on  eût  fait  quelques 
réserves  pour  l'antique  et  qu'on  eût  imité  l'exemple  du  res- 
pect donné  par  Adrien  !  Lorsque  cet  empereur ,  dans  les 
deux  visites  qu'il  fit  à  Athènes,  l'an  125  et  l'an  130  de  notre 
ère,  ordonna  de  relever  la  ville  d'Athènes,  il  eut  soin  d'assi- 
gner un  espace  nouveau  aux  constructions  nouvelles  ;  et  sur 
les  limites  qui  séparaient  la  ville  ancienne  de  la  ville  nou« 
velle  fut  construit  le  portique  d'Adrien,  encore  debout  avec 
l'inscription  qui  attestait  le  respect  d'Adrien  pour  l'anti- 
quité. D'un  côté  de  cette  porte,  on  peut  lire  encore  :  C*est 
ici  ta  ville  de  Thésée^  non  celle  d'Adrien  ;  et  de  l'autre 
côté  :  C'est  ici  la  ville  d'Adrien,  non  celle  de  Thé-' 
sée.  On  eût  pu  de  la  même  manière,  à  l'entrée  de  la  partie 
de  la  ville  sur  laquelle  semble  vouloir  s'étendre  par  pré- 
dilection la  cité  nouvelle ,  près  du  point  où  se  rencontrent 
par  exemple  les  rues  d'Hermès  et  d'Éole,  et  en  face  du  por- 
tique d'Adrien,  élever  un  portique  sur  lequel  on  eût 
inscrit  d'une  part  :  C'est  ici  la  ville  de  Thésée  et  celle 
d'Adrien,  et  non  celle  d'Othon;  et  de  l'autre  :  C'est 
id  la  ville  d'Othon,  et  non  celle  de  Thésée  ni 
d'Adrien.  Ainsi  eussent  été  laissés  libres  aux  investiga- 
tions et  aux  fouilles  des  antiquaires  tous  les  terrains  sur 
lesquels  s'étendait  autour  de  l'Acropolis  l'Athènes  antique, 

0. 


66  GRÈCE   CONTINEMTAILE    ET   MOREE. 

et  OÙ  on  voit  encore  aujourd'hui  les  stoa  ou  portiques  du 
Pœcile,  la  porte  de  l'Agora  ou  marché,  la  Tour  des  Ventfii 
le  monument  de  Lysicrate  dans  Tancieune  rue  des  Trépieds^ 
par  laquelle  on  montait  sur  un  revers  de  l'Acropolis  paré 
encore  de  deux  belles  C4)lonnes  qui  portaient  autrefois  lear« 
trépieds  ;  les  débris  du  théâtre  de  Bacchus  et  de  son  tem- 
ple, et  les  précieux  restes  des  chefs-d'œuvre  de  l'Acropolis. 
Aujourd'hui  de  nombreuses  maisons  de  pierre  bâties  sur 
le  nouveau  sol,  plus  élevé  que  le  sol  antique,  interdisent 
toute  recherche  future,    • 

Les  premiers  pas  du  voyageur  dans  Athènes  se  dirigent 
nécessairement^  vers  l'Acropolis.  Tout  prévenu  que  l'on 
soit  par  les  récits  les  plus  pompeux ,  on  est  toiyours  sur- 
pris et  émerveillé  de  ce  qu'on  y  trouve.  La  forme  même 
et  la  couleur  rouge'-pile  du  rocher  de  l'Acropolis  donnent 
déjà  des  ailes  à  l'imagination.  L'Acropolis  est  encore  une 
forteresse  ferioée  par  des  murs  :  an  nord  les  restes  du 
mur ,  de  construction  dite  pétasgique  ;  au  midi ,  les  restes 
du  mur  de  Cimonf  On  passe  au-dessous  de  la  grotte 
d'Apollon  et  de  Pan,  on  tourne  un  peu  le  rocher,  et  on  se 
trouve  à  la  première  porte  de  la  forteresse ,  au*dessus  de 
rodéon  ou  théâtre  musical  d'Hérode  Atticus ,  qui  était 
i-éuni  par  les  stoa  ou  portiques  couverts  d'£umènes ,  fré- 
quentés par  les  péripatéticiens  ou  promeneurs,  avec  lO: 
théâtre  de  Bacchus  ou  grand  théâtre  tragique.  Il  ne  reste 
plus  rien  du  théâtre  de  Bacchus ,  mais  la  partie  inférieure 
des  stoa  couverts  qui  l'unissaient  à  l'Odéon  et  le  mur  du 
fond  de  l'Odéon ,  avec  quelques  jours  ouverts  sur  la  cam- 
pagne et  sur  la  mer,  subsistent  encore.  Au-dessous  du 
théâtre  de  Bacchus ,  sur  le  haut  d'un  des  flancs  abrupts 
du  rocher^  était  un  temple  consacré  à  Bacchus,  qui  depuis 
le  aïoyen  âge  avait  été  transformé  en  une  chapelle  dédiée 
à  la  Panagia  Spiiiotissa,  Notre-Dame-de-la-'Grottet 
parce  qu'il  était  creusé  dans  une  grotte*  11  y  a  peu  d'années 
encore,  ce  temple  subsistait  en  son  entier  et  debout,  avec 
une  belle  statue  de  Bacchus  assis ,  sur  toute  la  hauteur  de 


rarchitraTe.  La  beauté  de  la  statue  a  causé  Tinfortune  du 
temple.  Un  ambassadeur  anglais  obtint  en  1799  du  gou- 
vernement turc,  que  h  débarquement  doi  Français  en 
Egypte  avait  jeté  dans  les  bras  de  la  Grande-Bretagne,  Tau* 
lorisation  d'enlever  la  statue  pour  la  transporter  en  AQgle« 
terre.  Elle  fut  en  effet  arrachée  saine  et  sauve  de  sa  niche  | 
mais  les  précautions  suffisantes  n'avaient  pas  été  prises»  et 
foute  la  façade  du  petit  temple ,  Tarcbilrave  avec  les  denu^ 
piliers  de  marbre  qui  souteuaient  la  cornicbe  s'écroule-* 
rent  et  gisent  amoncelés  devant  la  grotte,  Tout  à  côté  est 
une  vaste  assise  de  marbre  couverte  d'une  longue  inscrip^ 
tion.  Aucun  des  morceaux  de  cette  simple  et  élégante  fa*" 
çade ,  si  ce  n*est  la  statue  du  dieu ,  n'a  été  enlevée ,  et  ce 
ne  serait  pas  un  grand  travail  de  la  relever  en  remettant 
les  morceaux  i  lenr  ancienne  place  ;  cela  se  fera  sans  doute 
un  jour. 

L'entrée  de  l'enceinte  murée  de  TAcropoUs  est  située 
au-dessus  des  deux  théâtres ,  mais  plus  près  de  TOdéon* 
Après  quelques  pas  faits  dans  rintérieur  on  se  trouve  911 
bas  des  degrés  qui  montent  aux  Propylées,  majestueux  ves* 
tibule  de  cet  ensemble  d^  cbefs-d'œuvre^  A  droite  s*élève 
le  délicieux  petit  temple  de  la  Victoire  aptère  (sans  ailes); 
^  gauche  est  cette  belle  salle  de  la  Pinacothèque ,  dans  la^ 
quelle  étaient  exposés  les  tableaua^  de  Zeuxis.  Un  lourd 
piédestal  gâte  un  peu  cette  façade  élégante  des  Propylées  ; 
mais  il  portait  la  statue  équestre  d'un  empereur ,  et  il  est 
tout  romain.  Une  lourde  tour  carrée  gâte  aussi  un  peu  les 
proportions  du  temple  de  la  Victoire;  mais  elle  est  d'ori<- 
gine  et  de  construction  française,  et  servait  de  prison  au 
palais  des  ducs  français  d'Athènes,  Dans  des  temps  fort 
rapprochés  de  nous,  la  même  destination  lui  avait  été 
rendue  ;  et  on  voit  encore  ,  attachée  à  une  de  ses  façades 
et  balancée  par  le  vent,  la  corde  à  laquelle  fut  pendu  Gou- 
ras, qui  y  avait  été  enfermé.  Mais  je  ne  mêlerai  pas  les  sou» 
venirs  de  la  féodalité  franque  et  les  souvenirs  de  la  lutte 
récente  à  ceux  que  font  naître  les  monuments  construits 


68  GRECE  C0NTI1VCNTALE   ET   MOREB. 

sousThémistocie,  Cimon  et  Périciès,  créateurs  de  tous  les 
grands  établissements  d'Athènes. 

Le  Teslibole  des  Propylées  franchi ,  on  a  devant  soi  le 
monnment  le  plus  parfait  d'architecture  et  de  sculpture 
qu'il  ait  été  donné  aux  hommes  d'admirer  :  le  Parthénon. 
Sa  belle  ligne  de  colonnes  est  interrompue  par  la  destruction 
qu'y  apporta,  en  1687,  une  bombe  de  Morosini  ;  et  ce  vide 
a  été  rendu  plus  difforme  par  une  laide  mosquée,  qui  tombe 
heureusement  en  ruine.  Ses  frises  sont  dépouillées  de  ces 
ravissantes  métopes  qui  se  moisissent  maintenant  sous  le 
ciel  brumeux  de  Londres.  Mais ,  tel  qu'il  est ,  sur  son  ro- 
cher poétique,  sous  son  ciel  si  pur,  avec  ses  colonnes  can- 
nelées de  marbre  blanc  que  le  soleil  a  brunies  de  la  môme 
teinte  dont  il  brunit  les  joues  des  filles  d'Orient,  le  Par- 
thénon sera  toujours  le  type  le  plus  parfait  du  vrai  beau. 
Près  de  là ,  sur  ce  même  plateau  de  l'Acropolis,  reste  de- 
bout un  autre  temple ,  l'Érechthée ,  auquel  se  rattachent 
les  plus  grands  souvenirs  de  l'histoire  d'Athènes.  C'est  là , 
dit-on ,  l'emplacement  du  palais  de  Gécrops  ;  c'est  là  que 
Neptune,  dans  sa  dispute  avec  Minerve,  fit  d'un  coup  de  son 
trident  jaillir  du  rocher  une  fontaine  dont  les  eaux  furent 
renfermées  dans  les  souterrains  de  l'Érechthée.  L'une  des 
façades  de  ce  temple  mystique,  si  irrégulier  et  composé  de 
trois  autres  temples,  était  soutenue  par  quatre  magnifiques 
caryatides.  Elles  tentèrent  le  même  ambassadeur  anglais 
qui  avait  obtenu  la  statue  de  Bacchus  en  faisant  écrouler 
la  façade  de  son  temple,  et  qui  avait  fait  enlever  à  la  même 
époque  les  métopes  du  Parthénon  dépouillé  ainsi  de  sa 
frise  comme  une  prêtresse  de  ses  bandelettes;  il  obtint 
aussi  de  la  Porte  la  permission  d'enlever  les  caryatides  du 
temple  d'Érochlhée.  L'une  des  caryatides  fut  en  effet  arra- 
chée de  la  corniche  qu'elle  soutenait ,  et  alla  rejoindre  à 
Londres  la  statue  de  Bacchus.  Mais  l'indignation  populaire 
avait  été  grande  à  cette  nouvelle  ;  car  ces  quatre  caryatides 
avaient  pris  leur  place  dans  les  croyances  populaires  comme 
des  êtres  surnaturels  qui  veillaient  sur  le  peuple  d'Athènes, 


ATHENES.  69 

et  on  ne  les  connaissait  que  sons  le  nom  de  jeunes  fitte$ 
(ai  korai).  On  ne  crut  donc  pas  prudent  d'enlever  les 
autres  caryatides  pendant  le  jour ,  et  on  attendit  la  nuit 
pour  y  envoyer  les  Turcs  chargés  de  renlèvement  An 
moment  où  ils  s'approchèrent  du  temple  d'Érecbthée  pour 
consommer  leur  œuvre  de  destruction,  le  vent,  qui  souffle 
toujours  avec  plus  de  force  après  le  coucher  du  soleil  dans 
ce  lieu  élevé,  fit  entendre,  en  glissant  à  travers  ces  colonnes 
et  les  murailles  ruinées ,  un  gémissement  prolongé,  sem* 
blable  aux  sons  que  rendent  les  harpes  éoliennes  agitées 
par  les  vents  d*Écosse.  A  ee  son  les  Turcs  effrayés  cru- 
rent reconnaître  la  voix  des  jeunes  filles  {ai  korai)  qui 
gémissaient  sur  la  perte  de  leurs  sœurs,  et  qui  se  défendaient 
contre  le  sacrilège  par  leurs  plaintes  et  leurs  soupirs.  Ils 
s'arrêtèrent;  et  rien  ne  put  les  décider  à  porter  leurs 
mains  sur  les  caryatides,  qui  échappèrent  ainsi  à  une 
émigration  forcée ,  et  sont  aujourd'hui  Tornement  de  leur 
patrie,  où  un  beau  ciel^ ajoute  encore  à  leur  beauté. 

M.  Pittakis,  conservateur  des  antiquités  à  Athènes  S 
possède  une  histoire  manuscrite  de  la  ville  d'Athènes  en 
langue  grecque  jusqu'à  l'année  1800,  dans  laquelle  on 
trouve  quelques  curieux  renseignements  sur  l'époque  de 
ces  diverses  dévastations.  Cette  histoire  d'Athènes  depuis 
les  temps  fabuleux  est  suivie  d'éphémérides  depuis  l'année 
i75/i.  Le  dernier  des  événements  mentionnés  est  relatif 
aux  recherches  de  lord  Elgin  avec  l'autorisation  de  la 
Porte. 

«  Sur  la  fin  de  juillet  de  cette  même  année  1799,  est-il 
dit  dans  ce  manuscrit,  lord  Elgin,  ambassadeur  de  la 
Grande-Bretagne  près  la  Porte  Ottomane,  envoya  à  Athènes 
des  ouvriers  romains  et  napolitains  pour  faire  des  fouilles 
et  retirer  du  sein  de  la  terre  des  marbres  et  antiquités,  et 
faire  descendre  de  la  frise  du  célèbre  temple  de  Minerve 

<  M.  Pittakis  est  le  mari  de  la  beUe  Grecqne  chantée,  en  1811, 
par  lord  Byron  dans  sa  Maid  of  Athens. 


70       GRÈGE  CONTINENTALE  ET  MOREE. 

C09  magnifiques  bas-reliefs  et  slalues  qui  faisaient  Tétoiine- 
luent  et  Tadmiration  de  tous  les  étrangers.  » 

Le  même  chroniqueur  mentionne  dans  ses  épbémérides 
des  dilapidations  partielles  des  monuments  antiques  em- 
ployés à  la  reconstruction  des  bâtiments  nouveaux, 

«  Dans  Tannée  1759 ,  dit-il ,  le  vaïvode  d*Atbènes  bâtit 
la  mosquée  du  Bazar  d'en  bas,  fit  sauter  avec  la  poudre 
une  des  colonnes  du  portique  d'Adrien ,  et  prit  beaucoup 
de  marbres  dans  l'ancienne  métropole. 

»  Le  18  février  de  l'année  1777,  Hadji-Ali  commença  à 
bâtir  le  mur  d'enceinte  de  la  ville  d'Athènes.  Il  commença 
ensuite  à  grande  bâte  le  mur  appelé  Bourzi ,  qui  fut  ter- 
miné en  soixante-dix  jours  ;  car  toutes  les  corporations  y 
travaillèrent ,  et  souvent  lui-même  aidait  à  passer  les  pierres 
aux  ouvriers.  » 

Beaucoup  d'autres  marbres  furent  employés  à  la  con- 
struction de  ce  mur  d'enceinte ,  dont  Tinvasion  russe  de 
1770  avait  démontré  la  nécessité. 

Dans  un  autre  endroit  de  son  histoire,  le  chroniqueur 
mentionne  la  destruction  d'une  partie  du  Parthénon  par 
la  bombe  vénitienne  qui  mit  le  feu  au  magasin  à  poudre 
des  Turcs  placé  dans  ce  temple. 

Il  indique  aussi ,  à  la  date  du  10  août  ilSU^  l'arrivée  à 
Ai^hènes  de  l'ambassadeur  de  France,  M.  de  Ghoiseul- 
Gouffier,  qui  fut  reçu  avec  les  plus  grands  honneurs.  Mais 
le  voyageur  français  qui  ^  à  ce  qu'il  semble ,  excita  le  plus 
vivement  l'attention  à  celte  époque  fut  un  jeune  homme  de 
vingt-cinq  ans  «  du  nom  de  Montmorency,  arrivé  à  Athènes 
au  mois  de  Mai  1782  ^  Le  chroniqueur  raconte  qu'il  eut 

*<!I  s'agit  ici  de  Tabbé  Hippolyte  de  Montnaorency-Laval ,  frère 
du  duc  Matthieu  de  Montmorency.  Il  était  fort  connu  p^ir  son  esprit 
et  son  Instruction ,  et  avait  rapporté  de  ses  voyages  en  Grèce  des 
inscriptions  et  quelques  antiquités  grecques  que  son  parent,  M.  le 
duc  de  Luynes,  m'a  dit  avoir  vues  dans  sa  jeunesse.  L*abbé  Hippolyte 
de  Montmorency  fut  décapité  à  Paris  pendant  la  révolution,  et  est 
onicrré  dans  le  cimetière  de  famille  An  Picpus. 


ATHENES.  71 

divers  en(retiei)s  avec  lui  sur  des  matières  religieuse  «  Il 
était  certainement  fort  extraordinaire ,  dit-it ,  de  trouver 
dans  un  si  jenne  homme  tant  de  connaissance  de  l'histoire 
ancienne  et  des  livres  saints  unie  avec  une  véritable  piété« 
Son  but  était  à  la  fois  de  décrire  les  antiquités  du  lieu  et 
de  bien  étudier  l'histoire  de  l'église  de  rorient...  Après  de 
longs  entretiens  sur  des  questions  rdigieuses,  il  ternina 
en  nous  assurant ,  les  larmes  aux  yeux ,  que ,  quelque  ia- 
différence  que  missent  les  rois  dans  ces  importantes  af» 
faires ,  il  se  trouvait  en  Occident  beaucoup  de  personnes 
qui  donneraient  jusqu'à  leur  sang  pour  voir  Tunion  des 
deux  ^lises.  » 

Cette  histoire  grecque  d'Athènes  mériterait  certainement 
d'être  publiée,  malgré  un  certain  nombre  d'erreurs  histo- 
riques qu'elle  contient  sur  l'époque  du  moyen  âge ,  et  j*^- 
gage  fort  son  possesseur,  M.  Pittakis ,  à  le  faire. 

Ge  n'est  pas  sans  intention  que  j'ai  cité  le  nom  de  M.  Pit- 
takis à  propos  de  l'Acropolis.  M.  Pittakis  semble ,  en  effet, 
avoir  été  découvert  par  notre  vieux  consul  Fauvel  sous  une 
corniche  oubliée  de  l'Acropolis ,  qui  protégeait  son  ber- 
ceau ;  il  y  a  grandi,  il  y  vit,  il  y  monrra  :  car  l'Acropolis 
est  sa  patrie ,  sa  famille ,  son  Dieu  ;  et  après  sa  mort  on  le 
trouvera  certainement  transformé  en  caryatide  supplément 
mentaire  destinée  à  tenir  lieu  de  celles  qui  auront  disparu, 
tant  sa  passion  pour  son  Acropoiis  est  vive ,  constante  et 
jalouse.  Bien  des  fois  j'ai  voyagé  avec  lui  à  travers  les  dé- 
combres de  sa  patrie  acropolitaine ,  et  chaque  fois  j'étais 
plus  frappé  de  la  tristesse  solennelle  de  sa  démarche,  de 
son  geste ,  de  son  regard ,  de  sa  parole.  Adressait -il  quel- 
que observation  aux  gendarmes  qui  gardent  les  ruines  plus 
que  la  forteresse,  il  cherchait  à  leur  inculquer  le  saint 
respect  du  fragment  de  marbre  poussé  négligemment  par 
leurs  pieds,  de  la  pousâère  même  qu'ils  avaient  Tbonnetir 
de  fouler.  Passait-il  près  du  piédestal  placé  le  long  des  Pro- 
pylées et  sur  lequel  était  autrefois  posée  la  statue  de  l'ar- 
chitecte de  ce  beau  monument ,  tombé  sans  vie  au  même 


72  GR£CK  CONTINENTALE   ET   MOREE. 

lieu  da  haut  des  frises  dont  il  sunreillaît  l'exécution ,  il 
versait  des  larmes  sur  le  pauvre  architecte  mort  depuis 
deux  mille  ans.  Trouvait-il  un  fragment  de  vase ,  il  le  re« 
cueillait  comme  le  débris  du  vase  dans  lequel  auraient  été 
brûlés  les  premiers  parfums  offerts  à  Minerve.  N'était-ce 
qu'un  ossement  humain ,  cet  ossement  pouvait  être ,  était 
sans  doute  la  précieuse  relique  d'un  Gécrops  ou  d'un  Pé- 
ridès,  d'un  Sophocle  ou  d'un  Praxitèle.  Par  ici  il  me  fai- 
sait remarquer  qu'entraient  les  processions  solennelles; 
par  là  Egée  s'était  précipité ,  non  pas  dans  la  mer  Egée , 
qui  est  à  deux  lieues ,  mais  sur  les  rochers ,  à  la  vue  de  la 
voile  noire  de  son  fils  Thésée  revenant  d'une  dangereuse 
visite  au  Minotaure  de  Crète  :  de  ce  côté  on  avait  précipité 
le  fameux  Odyssée  pendant  la  dernière  guerre  ;  car  M.  Pit- 
takis  unit  souvent  dans  son  admiration  les  héros  des  der- 
niers jours  aux  héros  des  anciens  jours.  C'est  le  meilleur 
type  possible  du  collecteur  et  conservateur  des  antiquités 
de  la  ville  d'Athènes.  Qu'il  assemble  donc  et  qu'il  conserve, 
mais  qu'il  laisse  à  d'autres  le  travail  de  l'interprétation  :  il 
perdra  son  auréole  le  jour  où  il  voudra  expliquer  les  pen- 
sées au  lieu  de  conserver  les  choses.  Je  ne  trouve  en  lui  qu'une 
seule  anomalie ,  c'est  qu'il  porte  l'habit  franc  Le  con- 
servateur du  musée  de  l'Acropoiis  et  du  musée  du  temple 
de  Thésée  devrait  porter  le  tzouéé  ou  robe  à  larges  man- 
ches des  kodja-baschis ,  costume  qui  se  rapproche  au 
moins  un  peu  du  costume  des  gens  graves  de  l'antiquité. 

Combien  de  fois  n'ai-je  pas  visité  seul  aussi ,  avec  affec- 
tion ,  à  différentes  heures  du  jour  et  de  la  nuit ,  cette  mer- 
veilleuse réunion  des  chefs-d'œuvre  de  l'Acropoiis!  Au 
coucher  du  soleil  on  y  a  une  vue  magnifique  ;  tout  l'ho- 
rizon est  inondé  de  rayons  du  rouge  le  plus  ardent ,  les 
nuages  en  reçoivent  tout  l'éclat  du  vermillon  ;  la  mer  semble 
étinceler  des  feux  du  couchant;  les  îles  élèvent  leur  tête 
pour  se  montrer  dans  leur  beauté,  et  les  montagnes  se  dé- 
tachent par  couches  fortement  nuancées  depuis  le  plus 
éclatant  porphyre  jusqu'au  vert  le  plus  sombre.  Ces  vives 


ATHÈNES.  73 

couleurs  de  la  nature  environnante  viennent  se  refléter  sur 
les  beaux  marbres  de  Pentélique  du  Parthénon ,  de  TÉ- 
rechthée  et  des  Propylées,  et  les  nuancent  de  la  plus  déli- 
cieuse variété  de  rayons  et  d*ouibres,  elle  paysage  entier  en 
reçoit  à  son  tour  une  nouvelle  beauté ,  car  ici  chaque  objet 
né  fait  qu'ajouter  à  la  beauté  de  tous.  Pendant  les  belles 
nuits,  la  scèneest  plus  restreinte,  plus  uniforme,  plus  calme. 
L'éclat  de  la  lune  de  Grèce  surpasse  de  beaucoup  plus  le  pâle 
reflet  de  notre  pauvre  lune,  que  les  feux  étincelants  du  dia* 
mant  de  Golconde  ne  l'emportent  sur  la  terne  et  douce 
blancheur  de  Topale  ;  c'est  comme  un  autre  astre  dans  un 
autre  ciel.  Cette  blanche  lueur  si  unie  et  si  tranquille  prête 
à  ces  grandes  ruines  un  langage  digne  d'elles.  A  cette  heure 
et  dans  ce  lieu ,  toute  mesquine  idée  s'enfuit  honteuse  ;  ou 
croirait  avoir  frappé  à  la  porte  de  l'éternité. 

Le  lever  du  soleil  apporte  ici  de  tout  autres  idées.  Qui- 
conque n'a  pas  vu  se  lever  le  soleil  derrière  la  chaîne  de 
rHyniette  ou  derrière  ces  mille  chaînes  de  montagnes  qui 
bordent  le  sol  de  la  Grèce  du  côté  de  l'orient ,  ne  peut 
rendre  complète  justice  aux  poètes  anciens.  J'avais  fré- 
quemment entendu  parler  dans  mes  classes  ^e  l'Aurore 
aux  doigts  de  rose  qui  ouvre  les  portes  du  Soleil  et  s'enfuit 
après  l'avoir  annoncé  au  monde;  mais  en  toute  vérité  je 
n'y  comprenais  rien.  Dans  nos  pays  de  plaines ,  cet  astre 
s'annonce  lui-même.  Il  envole  d'abord  en  fusée  quelques 
rayons  qui  traversent  l'atmosphère  ;  puis  l'horizon  rougit, 
et  de  ces  ondes  de  pourpre  émerge  le  soleil,  qui,  h  ce  pre- 
mier moment,  veut  bien  se  laisser  contempler  face  à  face, 
mais  qui  bientôt  se  dégage  des  vapeurs  qui  lui  servaient  de 
voile  et  force  tout  regard  à  s'incliner  devant  lui.  Il  n'y  a 
pas  là  de  précurseur ,  il  n'y  a  pas  d'Aurore  aux  doigts  de 
rose  qui  arrive,  puis  disparaît  :  il  y  a  une  Aurore  en  Grèce, 
et  les  poètes  ont  raison.  Aussitôt  que  le  soleil  est  arrivé  à 
la  hauteur  des  premières  couches  de  l'atmosphère,  cet  air, 
plus  léger,  plus  transparent  que  le  nôtre,  se  teint  du  plus 
beau  rose  dans  toute  l'étendue  du  ciel  et  glisse  à  travers 

7 


T4  GRÈC£   CONTININTALB   ET   MOREE. 

]m  jékm  et  entre  le  flanc  dei  moatagnea)  c'est  T Aurore 
qui  aanonce  aux  hoinmes  que  le  dieu  du  jour  va  paraître. 
Il  oe  parait  cepeudant  pas ,  puisque  les  cimes  des  menta* 
gœs  ie  dérebeut  ;  mais ,  en  dépassant  les  premières  cqu-^ 
ches  de  l'atmosphère,  ses  rayons  Uanchissent ,  et  la  teiple 
rose  de  Taorore  a  disparu.  Le  soleil  continue  à  s*éleTer  sans 
éblouir  encore  de  ses  rayons  ;  ce  n'est  que  quand  ila  fran- 
ehi  le  sommet  des  montagnes  qu'il  se  manifeste  en  vain- 
queur. On  voit  donc  que  la  fable  antique  n'est  que  l'en- 
veloppe d'une  vérité  locale,  et  que  les  poètes  anciens  sont 
beaoooup  meilleurs  peintres  de  la  nature  et  surtout  beau- 
coup plu9  exacts  qu'on  ne  ?eut  anjourd^hui  le  recear 
naître. 

Presque  feus  ceux  des  monqmeots  de  l'antique  Athènes 
qui  sont  parvenus  jusqu'à  nous  en  dehqrs  de  l*Acropolis 
sont  situés  au  pied  du  rocher.  Le  premier  qui  se  présente, 
en  descendant  du  côté  du  théâtre  de  Bacehus ,  dee  deux 
colonnes  encore  debout  sur  les  flancs  de  TAcropolis  et  de 
l'aocienne  rue  des  Trépieds,  est  le  gracieux  monument  de 
Lysicrate ,  connu  aussi  sous  le  nom  de  Lant^ne  de  Dé*- 
mosthènes,.  deviné  autrefois  à  porter  le  trépied  offert  à  ub 
vainqueur  par  sa  tribu.  Avant  la  réYciution  ce  moAument 
se  trouvait  renfermé  à  l'intérieur  d'un  couTent  de  francis- 
oabis  français  dans  lequel  lord  Byron  a  vécu  qnelques  mois 
en  1811,  et  où  il  a  composé  quelques*uns  des  plus  beaui 
vers  de  Chiide^Ha^aid  K  Le  couvent  a  été  démoli,  et  nous 
n Vous  plus  de  capucins  français  à  Athènes  ;  mais  le  ter- 
rain nous  appartient  toujours ,  et  ce  gracieux  monument 
est  ainsi  propriété  française.  Nous  n'aurons  pas,  je  l'espère, 
la  grossière  ignorance  de  l'arracher  du  lieu  pour  lequel  il 
a  été  construit ,  bien  que  notre  destruction  de  l'arc  <|e 
trtomphe  de  Djémilah,  qui  s'était  conservé  en  entier  sur  le 
sol  d* Afrique,  et  que  nous  avons  démoli  pour  le  poser  en- 

<  Il  y  a,  daBft  la  oorM&pendance  de  lord  Hifrott^  plusieurs  lettres 
dalésft  de  ee  OQHveat; 


suite  dans  quelque  carrefobt  de  Paris ,  ail  signalé  iloil^ 
propre  Vandalisme  aux  yeux  de  toute  TEtlrt^pe  et  nous 
force  à  garder  le  silence  quaàd  bn  féit  des  t^prdches  du 
même  gein^  à  un  autbè  ou  \  d*antrés  peuples  \  car  Jà  le 
uioDumeot  était  debout  et  entier^  et  il  n'y  atalt  pa^  àtainB 
Talûlr  pour  excuse  la  craitoté  d'une  dégradétioli  future, 
puisque  le  pays  nous  appartieikt  et  qu'il  is'étalt  mainlebtt 
tant  de  siècles,  sans  Yiolaiion  dliucnn  des  peuples  barbares 
qtaî  y  ont  passé. 

Sur  la  cdlllne  dé  ftlusée,  à  cAté  de  la  Ville ,  est  irftilé  un 
monument  aiis^  lourd  que  celui-ci  est  élégant  |  je  veux 
parier  du  monument  élevé  à  Philopappus.  Eâ  montant  sur 
cette  cotline^  on  pedt  visiter  en  passant  troid  chambres  taiU 
lées  dans  le  roc;  La  dernière  et  la  seconde  me  semblent 
avoir  contenu  un  aiitel  et  dea  ex-voto  \  on  voit  encore  dans 
la  seeondtà  tine  quantité  de  petits  trous  qui  annoncent  que 
c'était  lli  qu'on  accrochait  les  tableaux  ou  offrandes  votives. 
Dans  la  première  chambre  eist  une  partie  plus  reculée  en 
forme  de  cône  et  éclairée  par  le  haut.  Ge  devait  être  tt 
Bttssi  remplacement  d'un  autel  situé  enjace  de  rAcH^tis 
et  du  Parthénon,  qui  i$e  présentent  dis  là  ëveë  grandeur  et 
magnificence.  Au-dessus  de  cea  ti^is  chambres  In  roc  l*é^ 
lève  jusqu'au  monument,  dont  la  face  Sculptée  eit  inurnéé 
du  côté  de  la  mer^  On  a  de  là  Uhe  fort  belle  vue  dé  la  baie 
de  Salamine.  Philopappus ,  auquel  ce  monument  sk  été 
^levé ,  était  Ub  Syrien,  descendant  dn  roi  Àntiobhtis^  ^ni 
s'était  fait  incok*porer  à  la  cité  de  Besa.  Une  inscription  pu^ 
bliée  par  Wheler ,  (st  dont  oh  Voit  encore  les  restes  i  an- 
nottce  qu'd  fut  tnilstil  »  probablement  consul  désigné,  I 
Tépoque  de  la  viclt>il*e  de  Trajan  slir  les  Allemands  et  les 
Daces.  Ce  monument  dh  tempa  romain  est  d'une  architee^ 
tore  fort  lourde^  et  le^  bas-reliefs  et  restes  de  statues  sont 
d'une  non  moins  lourde  seuipture. 

La  colline  du  Pnyx  et  de  l'Aréopage  eM  située  entre 
la  colline  de  Musée  et  le  temple  de  Thésée^  Les  sièges 
taillés  dans  le  roc^  i»ur  lesquels  les  juges  prenaient 


76  GRÈCE   CONTINENTALE   ET   HOREE. 

place,  sont  fort  bien  conservés.  Il  y  aurait  une  page  élo- 
quente à  écrire  pour  bien  faire  sentir  l'effet  particulier  que 
les  lieux  environnants  ajoutent  aux  mouvements  d'élo- 
quence de  l'orateur;  mais  la  vue  du  Pnyxen  dira  toujours 
plus'que  les  pages  les  plus  éloquentes. 

En  se  rapprochant  de  Y  Agora  ou  marché  on  aperçoit 
un  petit  bâtiment  octogone,  que  l'on  dégage  en  ce  moment 
du  milieu  des  remblais  qui  jusqu'ici  l'avaient  enfoui  aux 
deux  tiers  de  sa  hauteur.  Il  est  connu  sous  le  nom  de  tour 
des  YentSy  à  cause  des  huit  vents  sculptés  sur  chacune  des 
façades  de  sa  frise ,  avec  le  nom  de  chacun  au-dessous  de 
sa  représentation  :  Euros  le  sud-est,  Apeliotis  l'est ,  Kai- 
kias  le  nord  est,  Boreas  le  nord,  Skirôn  le  nord-ouest,  Ze- 
phyros  l'ouest ,  Notos  le  sud ,  Lips  le  sud-ouest.  Yitruve 
en  a  fait  la  description,  et  Varron  lui  donne  le  nom  d'Hor- 
loge. Spon  ,  qui  voyageait  avec  Wheler  en  Grèce  en  Tan 
1676 ,  c'est-à-dire  dix  ans  avant  la  conquête  de  la  Morée 
sur  les  Turcs  par  le  Vénitien  François  Morosini ,  dit  avoir 
vu  le  dessin  de  cette  tour  dans  un  manuscrit  sur  vélin  de  la  bi- 
bliothèque Barberini  à  Rome,  de  l'an  1^65,  fait  par  un 
certain  architecte  nommé  Francesco  Giambetii.  La  collec- 
tion de  ces  dessins  est  d'autant  plus  curieuse  qu'elle  a  été 
faite  un  peu  avant  la  conquête  turque ,  et  que  beaucoup 
de  monuments  ruinés  depuis  étaient  encore  debout  en  leur 
entier. 

Le  temple  de  Thésée,  le  mieux  conservé  de  tous  les  mo- 
numents d'Athènes  et  de  la  Grèce,  est  situé  assez  près  de 
là  sur  un  petit  plateau  qui  s'élève  au  bas  des  dernières 
pentes  de  l'Acropolis.  Tout  l'extérieur  de  ce  temple  antique 
est  dans  son  entier,  et  toutes  ses  jolies  colonnes  sont  de- 
bout; l'intérieur  seul  a  changé.  Au  moyen  âge,  c'était  une 
église  sous  l'invocation  de  saint  George  ;  c'est  aujourd'hui 
un  musée.  La  situation  isolée  de  ce  joli  temple  ajoute  en* 
eore  à  son  effet. 

Le  jour  du  l""  Avril,  selon  le  style  grec  (13  Avril,  n.  st.), 
ce  plateau  devient  tous  les  ans  le  rendez-vous  d'une  foule 


FETES    POPULAIRES.  77 

nombreuse  de  tout  sexe,  de  tout  âge,  de  tout  rang,  de  tout 
costume.  Cette  réunion  populaire  a  lieu  annuellement  sur 
l'esplanade  qui  est  entre  le  temple  de  Thésée  et  la  colline 
du  Pnyx.  Le  jour  où  j*y  assistai,  il  faisait  un  temps  magni* 
fique;  il  n*y  a  rien  là  du  mouvement  tumultueux  d'une 
fête  champêtre  française ,  mais  la  variété  des  costumes  et 
des  physionomies  offre  à  elle  seule  un  tableau  animé  et  pi- 
quant. Les  femmes  étaient  toutes  amoncelées  sous  le  pé- 
ristyle ,  sur  les  degrés ,  et  autour  de  l'enceinte  du  temple 
de  Thésée ,  avec  les  divers  costumes  de  l'Albanie ,  de 
Smyrne ,  d'Athènes  et  d'Hydra.  Les  femmes  albanaises 
abondent  surtout  parmi  le  peuple  d'Athènes,  et,  vues  du 
bas  de  la  route  dans  leur  costume  aux  brillantes  couleurs, 
sous  ces  colonnes  brunies  par  le  soleil ,  elles  forment  un 
groupe  d'un  bel  effet  pittoresque.  Leur  tête  est  envelop- 
pée comme  celle  des  Arabes,  et  le  haut  de  leur  figure  res* 
sort  seul,  comme  dans  une  momie  égyptienne,  de  l'espèce 
de  linceul  blanc  qui  entoure  la  tête  et  les  épaules.  Quelques 
autres  portent  sur  la  tête  une  coiffure  formée  de  monnaies 
d'or  et  d'argent  êtagées  les  unes  au-dessus  des  autres ,  et 
au  bas  du  dernier  rang  desquelles  pendent  d'autres  mon- 
naies légères  qui,  en  plus  petit  nombre,  se  balancent 
comme  autant  de  clochettes  autour  du  front.  La  robe  pen- 
dante et  flottante  est  recouverte  d'une  espèce  d'étoffe  ba- 
riolée de  toutes  couleurs  et  d'or,  assez  semblable  à  l'au- 
musse  d'un  prêtre. 

Le$  hommes  seuls  semblent  s'être  réservé  les  plaisirs  de 
la  fêle.  Groupés  çà  et  là,  on  les  voit  danser  entre  eux  sans 
qu'une  seule  femme  se  mêle  à  leurs  jeux.  J'y  remarquai 
surtout  des  bergers  albanais.  D'un  côté  douze  ou  quinze 
d'entre  eux ,  vêtus  d'une  fustanelle  et  d'une  veste  blanche 
sar  laquelle  flotte  une  longue  peau  de  mouton  à  brillantes 
soies  blanches,  la  tête  couverte  du  fezy  retenu  par  un  mou- 
choir en  forme  assez  peu  gracieuse  de  turban  ,  se  tenaient 
par  la  main  et  se  dandinaient  en  chantant.  Le  chef  de  la 
l>ande  seul ,  qui  conduit  cette  chaîne  avec  toute  l'autorité 

7. 


78  GRECE  COfltlllSlItALft  «t   MOREE. 

d'an  de  nos  bMttx  condtiiiam  ttn  eotilton  dans  nn  dé  ncn 
élégants  salons  de  Paris ,  conserve  le  pHvilég(B  de  se  Htrer 
à  la  liberté  de  ses  mouvements  et  de  ses  allnres  ;  il  eléeute, 
à  la  grande  admiration  des  spectateurs^  les  mouvements  les 
plus  difficiles  en  se  lançant  de  côté  et  d'autre,  et  se  laissant 
retomber,  tantôt  avec  les  jambes  entrelacées  d'une  manière 
bizarre,  tantôt  comme  plié  sur  lui-même^  puis  se  relevant 
d'un  bond  pour  recommencer  encore.  Les  autreé  lé  sni'* 
vent  en  se  dandinant  aussi  à  la  façon  gteecjitte ,  mais  Mns 
imiter  ses  bonds ,  ses  chutes  et  rebonds ,  qtti  sont  eomme 
les  points  d'orgue  d'un  ehantedr  émérlttii  l'ibs  loin  une 
autre  bande  de  danseurs ,  car  ce  ne  sont  que  des  hmnmiia 
qui  se  livrent  ft  éet  exercice ,  s'agite  au  son  du  tambourin 
et  d'une  sorte  de  hautbois  k  trois  itouê.  8Ur  une  antre 
partie  de  l'esplanade ,  c'est  un  joueur  de  guitare  qui  règle 
les  mouvements  en  frappant  sUr  des  corde  ordinaires  on 
sur  des  Als  d'archal ,  assis  sur  une  chaise  curule  antique , 
ou  debout  sur  un  tombeau  de  marbre  sculpté  qui  va  MUS 
peu  de  jours  prendre  sa  place  parmi  \eà  menumerits  du  iiiu« 
sée.  M.  Pittakis  assure  que  ces  danses  autour  du  temple 
de  Thésée  rehiontent  à  la  plus  haute  antiquité ,  à  Thésée 
lui-même,  dit-il  gravement»  qui,  à  son  retour  du  labyrin- 
the de  Crète,  interrogé  par  ses  jeunes  coUcitoy eus ,  avides 
de  coiiuBÎtre  la  difficulté  des  tours  et  détours  dé  ce  làby-^ 
rinthe»  les  fit  ranger  ainsi  par  cercles  qui  se  repliaient  l'un 
sur  Tautre  et  s'entremêlaient  pour  se  dégager  ensuite;  et, 
pour  appuyer  sa  démonstration ,  le  grave  archéologue  Mt- 
takis  se  met  à  exécuter  ces  évolutions^  Cette  danse ,  au 
reste ,  ressemble  beaucoup  à  celle  de  nos  paysans  des  mon-' 
tagnes  du  Béarn.  Seulement  i  dans  nos  belles  vallées  des 
Pyrénées,  les  jeunes  Béarnaises,  avec  letir  capulet  rouge, 
viennent  s'entremêler  aui  lestes  Béarnais  :  et  bien  que  le  chef 
de  la  danse  soit  chargé  de  l'exécution  des  sauts  les  jilus 
merveilleux,  tous  cependant  chantent  ensemble  des  chan- 
sons gaies  qui  lés  animent  ;  et  les  sauts  des  hommes,  et  les 
pas  gracieux  des  femmes^  témoignent  de  la  Vivacité  de  leUr 


FâVBi   MPtJtAtllM.  79 

fkMr,  t%  Grèeë  le  pkirir  n«  êé  mânlMi»  fttir  h  figure 
qoe  d'on  bien  petit  aombre  des  actemis  et  des  (^fiectateurt  t 
II»  pbyiionoiiiieB  sont  géoéniieiilent  i&tëlligentee,  les  traits 
réguliers,  le  front  est  grécieax  ;  msis  &a  attend  vaitiemeat 
daas  Gbacila  et  dans  tous  la  madifestàtion  de  cette  étiiicelie 
éieetriqae  qui ,  ehez  nous ,  fait  mouvoir  in&tiûGtiveuieiit 
ttQë  eaasse  d'faommes  eomme  un  seul  homme ,  H  par  une 
setale  idée^  Les  divehies  parties  qui  «eomposettl  la  soeièté 
grecque  ont  Tair  d*étre  encore  étrangères  Tutte  ^  l'autre  ^ 
et  sans  langue  sociale  coibinune.  Il  faudra  de  longues  an«- 
flées  eneel'ë  avant  que  cette  coilésion  soit  ëiméiitée»  et  que 
rinvai^M  dés  hàbitiideti  oecideutales  ^  pea^trëiit  oette  so^ 
ciété ,  la  porîëetimide  ab  lieu  de  la  dfeJoiiidHI  eu  de  raf- 
falMir. 

une  hbti^  fête  populait'e  a  lieu  «nnueltemeot  Autour 
d'un  auire  des  plus  vastes  Moriumëiits  de  Tautiquit^ ,  les 
eolobnes  du  temple  de  Jttpite)*-oij'mt)ieR,  daus  M  vallée  de 
rilyssus^  le  premier  jout' de  cât^me.  Ce  Jodr  solennel  nim- 
bait, eu  iUi  i  le  10  Févri^  à  la  gtiéc^Ue  (S9  FéVri^  U;  st. )v 

Le  caruaval  grée  se  tehuinè  ëveô  lé  diuiaUcbe  gras  $  et  ie 
earome  eommëuise  le  lundis  Leé  eâthoht{Ueii  poi't^ttt  le  bkr*- 
«aval  ju8t)u'au  merci^eâl  dés  cendrée;  e'ést'à-dtPe  dédie  Jénrb 
au  délh  du  caruavél  gréé  ;  et  les  MilAnëlii  ;  qui  jouissent 

d*un  êartiavéinïnt  ^  OU  long  cât'iiàval  ^  pdUSSént  le  leUi: 
Jusqu'au  lundi  d'apt'ês  éxélusivethënt  i  é'eâti'&-âipe  qu'Us 
ont  cinq  Jours  de  càtuaval  de  plus  ^uë  les  «uires  câtboll* 
quës  »  et  sept  jours  de  plus  qde  les  GreeSi  Daus  tous  èes 
pays  I  le  premier  jour  du  earêiiie  est  Une  sotte  de  fête  de^ 
mi-profane  et  demi-religieuse.  Â  Paris  ;  oû  va  enterrer  le 
carUaval  avant  de  venir  recevoir  les  cendres  ;  en  Grèce,  on 
commence  le  long  jeûne  par  des  fêtes  et  des  danses;  Le 
soleil  est  déjà  puissant  «m  Grèce  au  mois  de  FévHer.  Des 
lé  matin  toutes  les  maisons  et  rues  d* Athènes  étaient  com* 
plétement  abandonnées,  et  la  foule,  hommes,  lëmmes,  en- 
fants, vieillards 4  se  portait,  à  pied,  en  voiture,  à  cbëvaU 
à  âne^  dans  la  vallée  que  domine  le  temple  de  Jupiter. 


go  GRÈCE  CONTINENT ALB   ET   MOREE. 

Ses  Tastes  colonnes  8*élèvent ,  avec  leur  beaux  chapiteaux 
et  leurs  immenses  frises  »  sur  une  esplanade  autrefois  en- 
tourée de  murailles  qui  étaient  soutenues  par  des  piliers 
dont  chacun  portait  une  statue.  Au  bas  de  cette  esplanade 
coule ^  ou  plutôt  peut  couler,  l'Ilyssus,  qui  a  fait  plus  de 
bruit  dans  Tbistoire  que  ses  eaux  rares  n*en  font  en  s*in- 
fihrant  à  travers  les  cailloux  de  son  lit  desséché.  La  fon- 
taine de  Gallirhoë ,  placée  dans  la  même  vallée ,  semble , 
avec  qudques  larmes  épuisées,  avoir  long-temps  pleuré  le 
départ  de  son  amant  Ilyssas,  et  les  quelques  gouttes  d'eau 
qui  s'assemblent  au  pied  des  roches  qui  la  protègent  sem- 
blent plutôt  données  au  souvenir  du  passé  qu'au  besoin  du 
présent  A  quelques  pas  est  le  stade  abandonné. 

En  m*approchant  du  temple  par  le  portique  d'Adrien , 
j'apercevais  çà  et  là  toute  la  population  mâle  et  femelle 
d'Athènes  distribuée  dans  la  vallée,  sur  l'esplanade  du  tem- 
ple de  Jupiter  et  en  haut  des  collines  environnantes.  C'est 
surtout  après  avoir  traversé  l'Ilyssus,  non  à  gué,  mais  à 
sec,  et  en  montant  sur  une  petite  colline  détachée  du  ver- 
sant des  montagnes ,  à  quelque  distance  au-dessous  de  la 
fontaine  de  Gallirhoë ,  que  le  ^ctacle  est  véritablement 
plein  d'intérêt  Le  temple  de  Jupiter  se  présente  sur  le 
premier  plan  avec  ses  imposantes  colonnes;  plus  loin,  sur 
le  second  plan,  et  comme  pour  servir  d'encadrement,  s'é- 
lève l'Acropolis  surmonté  du  Parthénon ,  qui  se  dessine 
dans  les  airs  avec  toute  son  élégance  et  sa  grandeur  :  plus 
loin,  sur  la»gauche,  est  la  chaîne  de  l'Hymette.  Entre  l'A- 
cropolis et  l'Hymette  l'œil  se  fraie  un  chemin  jusqu'à  la 
mer  et  découvre  Phalère  et  le  Pirée  avec  tous  ses  bâti- 
ments, et  au  delà  les  eaux  étincelantes  de  la  mer,  d'où 
sortent  l'île  d'Égine  et  celle  de  Salamine ,  dont  les  monta- 
gnes sont  d'une  si  gracieuse  forme  et  d'une  si  belle  cou- 
leur. Je  contemplais  avec  une  véritable  extase  la  beauté 
des  montagnes,  des  cieux,  des  côtes  et  des  eaux.  Tout  est 
rocher ,  pas  un  seul  arbre  n'apparaît  autour  de  vous  pour 
donner  le  sentiment  du  repos  et  de  la  fraîcheur  ;  et  cepen- 


FETES    POPDI.AIRBS.  81 

danc  celte  vue  est  pleine  de  grâce  et  de  charme  :  c'est 
qu'on  ne  saurait  se  faire  une  idée  de  la  délicieuse  couleur 
ôes  montagnes ,  des  eaux ,  des  nuages ,  et  de  leur  infinie 
variété  suivant  les  divers  accidents  de  la  lumière,  si  on  n*a 
parcouru  les  montagnes  grecques  et  navigué  sur  les  mers 
grecques.  Même  en  revenant  du  golfe  de  Naples ,  on  est 
frappé  de  cette  différence  aussitôt  qu*on  aperçoit  le  cap 
iMatapan ,  puis  le  cap  Malée  et  le  Taygète ,  et  les  sommets 
si  variés  de  toutes  les  montagnes  des  environs  d'Athènes , 
qui  semblent  transparentes  aux  feux  du  soleil  et  brillent 
de  loin  comme  le  porphyre  le  mieux  nuancé ,  tandis  que 
les  plans  plus  éloignés  vont  peu  à  peu  se  fondant  avec  les 
dernières  teintes  du  ciel.  Il  y  a  là  une  harmonie  et  un  éclat 
de  couleurs  que  peut  seul  rendre  le  pinceau  de  Claude 
Lorrain  ;  et  ces  rochers  ardents ,  et  cette  vallée  onduleuse, 
et  cette  foule  mobile  qui  la  remplit,  et  cette  mer  lointaine, 
et  les  vaisseaux  du  Pirée,  et  les  barques  légères  qui  sillon- 
nent les  flots  tranquilles  et  les  plissent  élégamment,  ajou- 
tent à  ce  délicieux  tableau  tout  le  charme  qu'ajoute  aux 
œuvres  de  la  nature  le  prestige  de  la  vie. 

Plus  de  vingt  mille  personnes  étaient  réunies  dans  cette 
vallée  :  les  uns,  assis  en  cercle  sur  le  gazon  déjà  fort  vert 
dans  la  vallée ,  prenaient  leur  part  d'un  repas  de  carême 
qui  pendant  trois  jours  ne  peut  se  composer  que  de  fruits 
et  de  légumes,  d'olives,  d'oranges,  de  pruneaux,  d'oignons, 
sans  poisson,  sans  œufs  et  sans  beurre ,  mais  sans  exclu- 
ùon  du  vin ,  dont  on  use  et  abuse  ;  et  ils  invitaient  tous 
les  passants  à  l'hospitalier  partage  du  repas  et  de  la  dame- 
îeanne  de  bois ,  ou  tzitza.  Les  autres ,  aux  incertains  ac- 
cords de  la  guitare  à  cordes  de  laiton,  du  tambour  de 
basque  et  de  la  flûte ,  se  formaient  en  cercles  et  dansaient 
la  danse  albanaise,  ou  la  danse  guerrière  des  palicares. 
Quelques  mascarades  composées  de  catholiques,  dont  le 
carnaval  se  prolonge  de  deux  jours,  viennent  se  mêler 
^ox  groupes  des  danseurs,  tandis  que  d'autres  groupes 
Patient  le  masque  derrière  la  tête  en  signe  de  l'expiration 


8t  GRÈCE  OOHTIIVBlITliLB   ET   MOREE. 

du  cariMYal  grec.  Pendatit  que  tes  hommes  formiôiit  tetirs 
danses,  les  iemmes  forment  aussi  les  ieurs^  plus  gracieuses 
et  plus  molles.  Le  chef  de  la  danse  des  hommes  doit  être 
Tîf  et  alerte,  la  cokiductrice  de  la  danse  des  femmes  doit 
être  souple  et  digne  ;  un  signe  de  dignité  pour  les  femmes, 
dans  les  habitudes  anciennes ,  c'est  de  porter  le  rentre  en 
avant ,  comme  les  aldermen  de  LondreSi  Ce  grand  air  de 
dignité  prend  aussi  sûrement  un  cœur  grec  que  le  numeo 
prend  un  cœur  e^agnol ,  et  l'aisance  élégante  de  la  dé-^ 
marche  un  cœur  français  ;  les  Grecs  le  célèbrent  dans  leurs 
chansons ,  et  en  font  le  type  de  la  beauté.  J'en  citerai 
comme  preuve  les  paroles  d'une  chàn^n  grecque  popu- 
laire ^  : 

Que  les  montagnes  s'abaissent 
Afin  que  je  puisse  voir  Athèneè , 
Et  que  je  puisse  contempler  ma  belle  ^ 
CoAime  allé  aàarche  di|piement»  semblable  à  une  oie  grasse. 

Pour  ies  jeunes  gens  le  type  de  la  beauté  est  plus  con- 
forme à  nos  idées  d'élégance;  leur  taille  est  prise  ainsi  que 
dans  un  corset,  et  une  ceinture  de  soie  serrée  avec  puis- 
sance leur  donne,  non  la  souplesse,  mais  la  finesse  d'un 
corsage  de  guêpe. 

Des  danses  nationales  s'exécutent  en  même  tempsw  Ici 
deux  danseurs  renommés  sautent  une  sorte  de  pasae  i 
deux ,  plus  semblable  à  la  vigoureuse  gig  des  infatigables 
Écossais  qu'à  la  gracieuse  tarentelle  de  la  Grande-Grèce 
actuelle»  Là  quatre  couples  d'hommes  et  de  femmes ,  vêtus 
du  léger  costume  ancien  des  îles  Ioniennes ,  tout  blanc  et* 
tout  rose ,  avec  force  rubans ,  exécutent  un^  espèce  de 

1  Voici  le  téxta  en  langue  populaire  : 

Nà  y^(xjXt\6voc\f  rà  SouVà  « 

Nà  ykiitcf.  XYiv  dtyiTniv , 


BACS  A|.BANAIfl£.  83 

coQtredaose  uotiote ,  que  danse  avec  des  paa.ses  fort  gra- 
cieuses chaque  couple ,  avec  ses  boulettes  attachées  deux 
à  dem  eu  haut  par  des  rubans  roses.  En  parcourant  les 
divers  groupes ,  tous  empressés  à  aceueiUir  et  à  fêter  un 
étranger  et  surtout  un  Français,  je  fus  frappé  sans  doute 
de  la  beauté  de  quelques  jeunes  filles  albanaises ,  de  la 
gracieuse  figure  de  quelques  jeunes  filles  d'Athènes,  des 
beaux  froqts  et  des  beaux  yeux  de  presque  toutes ,  mais  je 
ne  trouvai  pas  cependant  aussi  fréquemment  que  je  l'es- 
pérais ce  pur  type  du  beau  antique  qui  appartenait  pro- 
prement à  la  Grèce.  Quelle  nature  riche  n*eût  été  appau- 
vrie par  une  aussi  rude  oppression  et  une  aussi  profonde 
misère  !  Après  peu  de  jours  d'éclat  la  beauté  ici  est  fiétrie , 
et  les  entant»,  oe  recevant  point  pendant  leur  jeunesse 
une  nourriture  généreuse ,  p^dent  de  bonne  heure  leur 
première  f ratcheur  ;  mais  Toqianîsation  physique  est  forte , 
et,  malgré  de  rudes  furivations,  l'homme  greo  se  déve- 
loppe ,  endurci  aux  difficultés  matérielles ,  sans  être  moins 
apte  aux  |i^ceptiona  les  plus  rapides  et  les  plus  délicates 
de  l'intelligence* 

Il  y  a  en  (vrèee  deux  races  d'hommes  tout  à  fait  distinctes 
et  très-faeiles  à  reconnaître,  la  race  albanaise  et  la  race 
hellénique^  Les  Albanais ,  qui  sont  de  race  slave ,  ont ,  à 
diverses  époques,  envahi  h  Grèce  ccmtioentale  et  le  Pélo- 
npanèse ,  et  leurs  bandes  armées  y  ont  porté  la  dévasta- 
tion ;  mais ,  comme  \w»  le^  autres  conquérants  barbares , 
lorsqu'ils  ont  voulu  former  un  établissement  permanent , 
ils  s^  sout  trouvés  impuissants  en  face  d'une  législation  et 
d'une  civilisalioii  plus  avancées ,  et ,  après  peu  d'années , 
cette  civilisation  les  avait  absorbés,  modifiés,  ou  exilés  dans 
les  lieux  les  plus  êpres  du  pays,  qui  seuls  pouvaient  les  main- 
tenir eu  un  coi^ps  un  peu  compacte.  Ainsi  se  sont  conser- 
vées, dans  les  montagnes,  dans  les  défilés  et  dans  les  lieux 
difficiles,  les  dénominations  albanaises  employées  pour  dé- 
signer les  pays  où  ils  s'étalent  campés.  Avec  le  temps ,  l'in- 
telligenoe  reprit  le  dessus;  et,  comme  chez  nous  beaucoup 


84  GRECE    CONTINENTALE    ET   MOREE. 

de  soldats  germains  étaient  ravalés,  euxou  leurs  descendants 
amollis ,  au  rang  même  de  serfs ,  les  populations  slaves  en 
Grèce  furent  réduites  au  rôle  d'ouvriers  soldés  pour  cultiver 
la  terre  du  maître  grec.  On  retrouve  en  Grèce  quelques- 
uns  des  anciens  villages  slaves  ;  mais  il  faut  bien  se  garder 
de  les  confondre  avec  les  nouveaux  villages,  peuplés  tout 
récemment  par  la  population  albanaise  arrivée  à  la  suite  des 
armées  turques  dans  le  siècle  dernier,  soit  en  1688  après 
Tabandon  d'Athènes  par  Morosini ,  soit  après  l'invasion 
russe  de  1770.  Les  troupes  albanaises,  envoyées  alors  par 
la  Porte ,  se  jetèrent  sur  l'Attique,  mettant  tout  à  feu  et  à 
sang.  En  1688,  les  chroniques  d'Athènes  racontent  que  ses 
malheureux  habitants  furent  obligés  de  se  réfugier  à  Sala- 
mine  ,  à  Égine  et  à  Corinthe  ,  et  que  ce  ne  fut  qu'après 
trois  ans  qu'ils  purent  rentrer  en  partie  dans  leur  ville  et 
dans  leurs  champs.  Beaucoup  des  villages  de  l'Attique  sont 
encore  habités  par  les  descendants  de  ces  derniers  enva- 
hisseurs, et  avant  la  dernière  révolution  on  n'y  parlait  que 
la  langue  albanaise  ;  mais  leur  physionomie  diffère  autant 
que  leur  langue  de  la  physionomie  de  la  race  grecque.  Les 
Albanais  ont  en  général  le  corps  épais ,  la  tête  ronde  ,  le 
bas  de  la  ûgure  large ,  les  traits  durs  ,  le  front  mal  fait , 
les  yeux  plus  vifs  qu'intelligents.  Ils  sont  presque  tous  fort 
laborieux  ,  mais  fort  avides  ;  et  on  pourrait  leur  appliquer 
avec  plus  de  raison  peut-être  encore  qu'aux  Turcs  le  pro- 
verbe grec  :  Vois-tu  un  Turc ,  prépare  ton  argent  *. 

La  race  grecque ,  au  contraire ,  a  une  figure  d'un  bel 
ovale ,  un  front  bien  fait ,  des  yeux  intelligents ,  un  nez 
droit  et  fin ,  le  corps  souple  et  élancé.  Un  marchand  fran- 
çais disait  à  un  étranger,  en  parlant  avec  colère  :  «  Monsieur, 
c'est  la  même  canaille  que  du  temps  de  Périclès.  »  Ce  mot 
reproduit  bien  les  défauts  comme  les  qualités  qu'on  s'at« 

*  Eu  grec:  ïou^jxov  «W«ç,  aaTrpa  ôsXei  :  Tu  vois  un  Turc,  il 
veut  tes  aspres.  Trois  aspres  faisaient  un  para  ;  quarante  paras,  une 
piastre  (vpofft)»  ^^  ^^^^  ^^^^  piastres,  une  bourse  (irouyyt). 


RAGE    HELLÉNIQUE.  85 

teod  à  trouver  en  eux.  Il  sont  en  réalité,  ou  ils  seront,  ce 
qu'ont  été  leurs  pères.  A  une  époque  où  on  ne  savait  pas 
encore  travailler  le  fer,  qui  n'est  pas  nommé  une  seule  fois 
dans  les  poèmes  d'Homère,  et  où  l'on  immolait  des  hommes 
aux  dieux  pour  obtenir  des  vents  favorables,  l'instrument 
de  l'intelligence,  la  langue,  avait  devancé  si  rapidement 
par  ses  progrès  les  autres  instruments  humains ,  que  déjà 
Hésiode  et  Homère  pouvaient  faire  parler  toutes  les  passions 
et  décrire  toutes  les  œuvres  des  dieux  et  des  hommes. 
Ainsi  la  culture  intellectuelle  avait  devancé  chez  les  an- 
ciens Grecs  toutes  les  autres  cultures.  Le  même  pbéno-* 
mène  se  reproduit  aujourd'hui  chez  leurs  descendants.  La 
charrue  est  encore  celle  de  Triptolème;  le  vin  continue  à 
être  renfermé  dans  les  outres  et  mêlé  de  résine;  toute 
voiture,  même  l'utile  brouette,  est  inconnue;  à  peine  s'il 
existe  une  seule  route  du  Pirée  à  Athènes  et  à  Thèbes  ; 
partout  en  Grèce ,  excepté  à  Athènes,  les  matelas  sont  une 
invention  qui  ne  s'est  pas  fait  jour,  et  on  couche  par  terre 
sur  un  tapis  ou  enveloppé  dans  son  cahan;  aucun  des  arts 
et  métiers  utiles  n'a  pu  encore  s'implanter  ou  se  natura- 
liser. Au  bas  de  l'édiOce  de  la  civilisation ,  il  n'y  a  rien  ; 
mais  il  en  est  bien  autrement  du  faîle  :  la  Grèce  semble 
vouloir  avant  tout  des  académiciens,  46S  philosophes,  des 
poètes ,  plus  tard  elle  fera  des  charpentiers  et  des  serru- 
riers ;  elle  veut  des  ouvrages  littéraires ,  plus  tard  elle  saura 
faire  des  chaises,  des  tables,  des  souliers  et  des  chapeaux.  A 
peine  est-elle  née ,  que  déjà  elle  a  une  université  à  Athènes, 
avec  les  trois  facultés  de  théologie ,  de  médecine  et  de 
droit;  une  académie  des  sciences  naturelles,  une  société 
d'archéx)logie  ;  deux  bibliothèques  publiques ,  l'une  à  Athè- 
nes, l'autre  à  Andritzena;  un  musée,  cinq  gymnases  dans 
différentes  villes,  douze  écoles  publiques  dans  d'autres 
villes ,  sans  compter  une  école  d'orphelins  à  Nauplie  et  une 
autre  au  Pirée. 

Le  premier  travail  des  Grecs  a  été  le  travail  sur  leur 
propre  langue.  Us  n'ont  pas  plutôt  été  affranchis  du  joug 

8 


le  GRECE   GONTlN£NTAtÈ  ST  MOREfi. 

mrc  qu'ils  ont  affiraaohi  leur  bogue  des  met»  tores  cfù 
k  giteient,  et,  par  la  mêiae  occaaioB,  des  mots  fraoes 
qui  en  akéraieot  l^unité.  La  langue  grecque  était  autrefois 
une  sorte  d'arcbe  de  Noé  daas  laquelle  veuaient  cbercher 
asile  les  mots  de  toutes  les  autres  langues.  L'éfMiratîon  s*est 
opérée  de  la  maniée  la  plus  rstpide.  Jamais  décret  de  sou-» 
ireraitt  absolu  ne  Ait  pjus  ponctuellement  obéi  que  ne  Ta 
été ,  et  sans  appel ,  ee  v<en  de  quelqiies  puristes;  et  cela 
uott  pas  seulement  dans  la  coniersation  des  savants ,  des 
avocats  «  des  tiommea  éclairés ,  mais  dans  le  langage  des 
classes  inférieures  :  tant  ee  peuple  a  de  rapidité  dans  Fin* 
telligence  •  de  délicatesse  dans  la  perception  det  sens.  C'est 
encore  ee  même  peuple  de  Tantique  Athènes  parmi  tefod 
une  marchande  d*herbea  reconnaissait  Anacharsis  eomme 
étranger  à  s^  prononciation ,  que  tous  ses  amis  lui  avaient 
cependant  déclarée  parfaite.  Les  gens  du  barreau,  qui,  dans 
tous  les  autres  pays,  sont  les  {dos  grands  corrupteurs  de  la 
la  langue»  en  ont  été  ici  les  réfornuttenra.  Comme  le  peuple 
d'Athènes  a  été  de  tout  temps  et  est  enoiMre  fort  ami  de  h 
chicane ,  et  que  ce  goût  est  entretenu  en  \và  par  les  déiads 
sans  fin  mis  par  le  gouvernement  à  la  constitution  de  k 
propriété,  et  par  de  perpétuelles  récriminations  sur  l'usur* 
pation  des  propriété  de  TÉtat  après  Texpulsimi  des  Turcs, 
les  tribunaux,  dont  les  débats  sont  publics,  suivant  les 
habitudes  françaises  importées  ici,  ne  désemplissent  pas 
d'acteurs  et  de  spectateurs.  Les  avocats,  qui  ont  suivi  leurs 
cours  dans  les  universités  européennes  et  oot  souvent  pro*- 
fessé  la  littérature  de  leurs  pays  pour  augmenter  leurs  mo» 
diques  ressources  pécuniaires ,  ont  tous  étudié  avec  amour 
la  langue  grecque  ancienne^  et  fait  une  fréquente  lecture  de 
leurs  grands  prosateurs  et  du  facile  Isoorate  en  partlcullel^. 
Leurs  disoaurs  deviennent  donc  comme  une  école  pour 
leurs  clients  et  leurs  auditeurs.  Le  savant  patriarche  C(»*ay 
avait  commencé,  dès  avant  raffrànchissement  de  la  Grèce, 
la  ré£arme  delà  langue.  A  leur  rentrée  dans  lemr  pays,  les 
jewica  Grecs  aes  admtral^rs  et  ses  disciples  gnt  vo^hi  ta 


eoBtinoer  et  leurs  eflbits  ont  été  enfionragés  par  le  goât 
général  pour  là  philologie  ;  car  la  philogte  est  la  passion  de 
tous  les  étudiants  grecs  )  non-^seulement  de  ceox  qni  se 
vouent  au  professorat,  mats  de  ceux  qui  veulent  se  con«- 
sacrer  aux  lois,  I  la  médecine^  à  Tégiise  et  à  l'administra- 
tlon  publique  :  le  beau  parler  grec  est  souvent  là  ce  qu'est 
Ift  faconde  de  la  tribune  cheK  nous  ;  et  tel  médecin ,  avocat, 
professeur,  est  devenu  ministre  parce  qu'il  maniait  bien  sa 
langue.  En  France  «  la  grammaire  française ,  dans  tontes 
ses  difficultés ,  n*est  bien  enseignée  qu'aux  ftomies  $  quant 
aux  hommes ,  ils  n'apprennent  guère  leur  langue  que  par 
l'intermédiaire  d'une  autre  langue  'savante.  Ici  11  en  est 
tout  autrement ,  et  la  grammaire  grecque  siège  en  mat*- 
trésse  à  la  base  et  au  faite  de  tout  enseignement.  Aussi  un 
étranger,  en  arrivant  à  Athènes,  est-il  étonné  de  la  traiu»- 
fbrmation  qu'A  subie  la  langue  moderne  dans  les  discours 
familiers  aussi  bien  que  dans  les  livres.  t>e  là  un  dédain 
beaucoup  trop  grand  dans  la  génération  actuelle  pour  tous 
les  ouvrages  en  grec  moderne  imprimés  avant  la  dernière 
révolution.  De  tous  les  livres  imprimés  à  Trieste,  à  Venise 
et  à  Vienne  dans  le  dernier  siècle,  le  chronographe  DorO'- 
thée,  VHUtvire  de  Chypre  de  Kyprianos,  (eJuge*- 
meut  de  Pari»  ûe  Gouzeli,  l'intéressante  histoire  de 
Soult  du  bon  Perrhebosi  à  peine  un  seul ,  le  roman  d'É<- 
rotoeritos,  pourrait-tl  se  rencontrer  dans  les  librairies  et 
même  dans  les  bibliothèques  particulières  d'Athènes,  tant 
chacun  est  efift*ayé  du  danger  de  gâter  son  beau  langage^ 
Non  contents  d'avoir  éliminé  tous  les  mots  étrangers,  les 
Athéniens  cherchent  à  se  rapprocher  autant  que  passible 
de  la  langue  ancienne  par  les  mots ,  par  leur  forme  et 
par  la  coupe  de  la  phrase  et  ses  inversions.  Beaucoup  de 
gens  prétendent  que^  dépouillée  ainsi  de  tout  mélange 
étringei*,  la  langue  grecque  actuelle  se  rapproche  infini*» 
ment  de  celle  que  parlait  le  peuple  des  campagnes  au  plus 
beau  siècle  de  la  Grèce ,  et  que  beaucoup  de  mots  alors 
usités,  mais  qui  n'ont  pàâ  eu  leur  place  dans  les  antiens 


88  GRECE  CONTINENTALE   ET  MOREE. 

auteurs,  s'y  trouvent  conservés  :  tels  que,  par  exemple,  le 
mot  nero,  eau,  d*où  les  anciens  avaient  pu  former  le  nom 
propre  de  Nérée  et  celui  de  Néréide^  divinités  des  eaux, 
mot  qui ,  dans  quelques  parties  de  la  Grèce ,  devait  être 
usité  au  lieu  de  celui  à*udor*  Des  tentatives  assez  heu- 
reuses d*un  retour  à  Tinversion  antique  ont  été  faites  par 
plusieurs  écrivains  en  prose  et  en  vers  :  tels  par  exemple 
que  M.  Blastos,  auteur  de  VHistaire  de  Chios,  imprimée, 
il  y  a  deux  ans ,  à  Syra ,  en  deux  volumes.  D*un  autre  côté, 
les  paladins  de  la  phiiolc^ie  grecque  marchent  à  la  con- 
quête d'une  forme  grammaticale  comme  d'une  riche  pro- 
vince. Le  datif  avait  tlisparu ,  on  l'a  relevé  du  tombeau  : 
l'aoriste  s'était  éteint ,  tous  cherchent  à  lui  soufQer  une 
nouvelle  vie  ;  ils  se  flattent  à  présent  du  vif  espoir  de  re- 
conquérir l'infinitif  depuis  long-temps  émigré.  La  langue 
ancienne  est  un  empire  dont  ils  ne  désirent  pas  moins  vi- 
vement reprendre  possession  que  de  tous  les  pays  où  elle 
était  parlée.  Candie,  les  îles  Ioniennes,  la  Thessalie,  Sa- 
lonique,  Gonstantinople,  l'Asie  mineure  avec  ses  îles,  voire 
même  (car  qui  sait  jusqu'où  s'exaltent  les  espérances  d'un 
peuple  qui  se  sent  renaître ,  et  qui  cherche  son  unité  sans 
avoir  encore  trouvé  son  centre)  la  Sicile  et  les  belles  pro- 
vinces italiennes  de  la  Grande-Grèce.  Pour  obtenir  un  peu, 
il  faut  souvent  espérer  et  demander  beaucoup. 

Au  reste ,  même  au  temps  de  la  domination  turque ,  il 
y  eut  toujours  au  milieu  de  l'ignorance  générale  quelques 
hommes  qui  se  dévouèrent  avec  passion  à  l'étude.  La  chro- 
nique grecque  manuscrite  d'Athènes,  écrite  par  un  Athé- 
nien ,  mentionne  avec  regret  l'ignorance  absolue  des  plus 
riches  comme  des  plus  pauvres ,  mais  cite ,  d'après  Spon 
et  ensuite  d'après  les  recherches  propres  à  l'auteur,  les 
noms  de  quelques  hommes  qui  se  sont  distingués  jusqu'en 
1800  par  leurs  encouragements  littéraires  ou  leurs  travaux. 

«  Les  plus  nobles,  les  plus  riches  et  les  plus  anciennes  fa- 
milles, dit-elle  S  étaient  les  Chalcocondyle,  les  Paléologue, 

^  Page  2^4  du  manuscrit  de  M.  Pittakis. 


LETTRES    GRECS.  89 

es  Benizelos,  les  Peroulos,  les  Liboaas,  les  Kavalaris,  les 
Kapetanakis,  les  Néris* ,  les  Taronites,  les  Kodrika,  les 
Gaspari ,  les  Beoaldi ,  les  de  Ga  ^,  les  Macolos ,  les  Latinos , 
les  GaeraDos.  C'est  parmi  eux  qu'on  choisissait  les  geos 
chargés  de  gouverner  les  affaires  publiques,  et  ils  por- 
taient l'ancien  nom  d'archontes^.  Quant  à  la  science ,  cette 
Atbènes ,  qui  était  autrefois  le  siège  des  lettres  et  de  la  sa- 
gesse, est  devenue  au  contraire  le  siège  de  l'ignorance  et 
de  la  barbarie;  de  telle  manière  qu'à  peine  un  seul ,  je  ne 
dis  pas  parmi  le  peuple  le  plus  grossier,  mais  parmi  les 
hommes  les  plus  nobles,  savait  signer  son  nom.  » 

Il  ajoute  ensuite  les  exceptions,  qui  sont,  dit-il,  d'après 
Spon: 

L'hègoumène  on  abbé  du  monastère  de  Kaisariani  dans 
THymette ,  surnommé  Jezechiel ,  savant  en  grec  ancien , 
en  médecine  et  dans  la  philosophie  platonicienne  ; 

L'archevêque  d'Athènes  qui  avait  gouverné  cette  église 
pendant  vingt-quatre  ans  au  moment  de  l'arrivée  de  Spon^ 
en  1675  ; 

Un  nommé  Geoi^e ,  médecin  de  l'île  de  Crète  ; 

Demetrius  Benizelos ,  que  Spon  avait  rencontré  à  Zante, 
homme  d'un  noble  et  beau  caractère  et  eu  même  temps  un 
des  savants  les  plus  éclairés  qui  se  trouvassent  en  Orient; 
il  connaissait  fort  bien  l'ancien  grec  et  le  latin  et  possédait 
tontes  les  branches  de  la  philosophie  ; 

Un  Benaldi,  fort  versé  dans  la  connaissance  du  grec  an- 
cien, connaissance  toujours  estimée  avant  les  autres. 

'  Peut -être  desceDdants  iliégitimes  d'un  des  Acciaiuoli,  ducs 
d'AtlièDes ,  qui  portèrent  ce  nom  de  Neri  ou  Renier. 

'  Peut-être  issue  d*un  des  de  Caeu ,  que  les  chroniqueurs  byzan- 
tins appellent  de  Kae.  Un  croisé  français  de  ce  nom  suivit,  en  1 201 , 
Baudoin  II  à  Nc'grepont  après  la  perte  de  Consf antinople ,  et  se  fixa 
d»ns  la  principauté  française  d'Acbaye.  L*orlhographe  de  ce  nom 
*^*  Kà  indique  uneH)rigine  française. 

'  Le  gouvernement  d'Attiènes  sous  les  Turcs  était  aristocratique 
^t  placé  sous  la  présidence  du  Disdar-aga,  capitaine  de  l'Acropolis 

8. 


90  GRECE    COMTINENTAIE   ET   MOREE. 

A  propos  de  ce  Betialdi  «  Tauteor  de  la  chroniqtte  greOiae 
d'ÂthôneB  maHuscrite  donike  o&e  lettre  écrite  par  lui ,  ail 
nom  de  sa  patrie^  à  la  gradde  église  (celle  du  pairiàrcai  de 
Gonstantinople).  Cette  chronique  mentionne  auBsi  les  iioiiis 
de  plusieurs  Qreos  qui,  dans  le  cours  du  dix-huitième  siècle, 
avaient  été  forcés ,  par  Tabsence  de  tous  moyens  d'iâslroc- 
tlon  dans  les  tilles  grecques,  d'aller  étudier  dans  les  nniver- 
iités  étrangères,  et  qui,  de  retour  dans  leur  patrie,  chen9hè4 
rent  à  suppléer  è  ce  début  d^lnstraetioa  de  lettre  oàm^Mi^ 
triotes  par  leurs  fondations  généreuses  i  lehrs  leçone  et  U 
création  de  ptusieui^s  écoles.  Tels  furent  i 

Grégoire ,  sui^oommS  Soiei^  {iê  i^tiutiewf )  à  oaniie  les 
services  qu'il  rendit  à  sa  patrie.  Il  succéda  à  Jacob  *  danë 
rarcbevôché  d'Athènes,  et  se  distingua  à  la  ^s  par  etô  ta- 
lents poétiques,  se^  oennaissanees  littéraires  et  scientifiqUbs 
et  ses  bienfaits.  A  son  retour  d'Iialie,  il  acheta  une  maison 
qu'il  transforma  en  école  ;  il  la  dota  eonvenablenlent  et  y 
donna  lui-^roéme  des  leçons  gratuites.  En  1796  il  fonda 
une  autre  école  ,  à  Monemhasie ,  pour  les  sciences  et  les 
lettres ,  et  Itii  légUa  Sa  bibltbthèqne. 

Paisios  enseigna  au  temps  de  Grégoire  Soter  et  eut  pt>ur 
élèves  Demetrius  Gblogeras^  Demetrius  Gapitanékia»  Mi* 
chel  Paléologue^  Jean  ToornaviiiS)  Nicolas  CaODoris  et 
beaucoup  d'autres  hommes  distingués,  et 4  entra  autres, 
Éphraïm,  patriarche  de  Jérusalem* 

1  Les  ftrchevê(}uës  d* Athènes  sont,  duputs  rot^nutiatldn  de  la  Morte 
pni*  les  Vénitiens  jusqu'en  1800  : 

GyHlIé  eu »  1686 

Méletlas 1705 

Jacob t  .  .  1714 

Grégoire  soter.    .  «  .  171d 

Edcliarids *  1736 

AnthimOS 1743 

Barthélémy 1764 

Bénédiet.    «  .  ^  .  >  «  1761 

Athanasios*   .  .  i  ;  .  1765 


Pdttl  ;  l^vftnt  m  gi^c  ancien  et  en  philoeo)}hie  i  q»i ,  I 
ià  màiti  de  GaTâlaris,  hégoumène  dti  menastère  de  ICatfia* 
riani ,  Ini  snccéda  dans  cette  dignité. 

Atbahâse  le  Péloponnésien,  qui  avait  étttdiéaù  ibonaâtère 
de  Pathmos. 

Meletiu$  de  Joannina ,  successeur  de  Cyrille  dans  l'âr^^ 
eheTécbé  d'Athènes ,  et  second  métropolitain  de  cette  ?illé 
depuis  rinvasion  vénitienfte ,  auleni^  d*anè  Bisteire  eeelé-» 
siastique. 

Demetrius  Bodas. 

Samuel  Gonvelanos ,  d'Athènes ,  élève  du  grammairien 
Bessarion  et  de  Sophronius. 

Jean  de  Ca ,  d'Athènes ,  qui  fonda  une  école  dans  cette 
ville ,  la  dota  et  Tehriehit  d'îiîie  bibliothè(|det 

Michel  de  Ca. 

Le  gràtntnairîen  Bessarloti,  mort  le  S?  mai  1765. 

Balanos  de  Joannina. 

Demetrius  Michel  de  Ca. 

Jean  benlzelos,  d'Athènes,  et  plusieurs  autres. 

Le  ii&dâcieut'  de  cette  chronique  grecque  d'Athènes  rà* 
ct^Qte  que  Ce  fut  dans  l'école  de  Jeati  de  Ca  qu'il  étudia  k 
g^ammaire  en  1  ?tiS ,  et  qu'ensuite  il  étudia  la  logique  -,  h 
phyrique  et  là  rhétorique  soiis  Demetrius  Bodas  amené,  eu 
1777,  de  Joannina  par  Dorothée,  tl ne  autre  école  publique^ 
avait  été  aUssi  fondée  à  Dimitzaiia  en  Arcâdie.  Elle  était  fort 
célèbre  avant  la  révolution  grecqiié ,  et  elle  possède  encore 
une  assez  belle  bibliothèque,  tjn  bel  évangéliaire,  qui  fai- 
sait partie  de  la  bibliothèque  de  Oluiitzana ,  a  été  envoyé 
récemment  à  la  bibliothèque  publique  d'Athènes. 

Des  Gt'ecs  établis  à  Venise ,  k  Vienhe ,  à  Smyrne ,  à  Con- 
stantinople,  à  Londres,  dans  toute  l'Europe,  envoyaient 
alors  de  l'argent  ^wt  entretenir  ces  écoles  ,  payaient  l'é- 
ducation de  quelques-uns  de  leurs  jeunes  Compatriotes 

^  L*état  de  la  culture  intellectaeUe  des  Grecs  avant  leur  révolu- 
tion a  été  fort  bien  décrit  dans  un  volume  publié  à  Genève  par 
M.  JaG0vaki-Ri2ô,  homnie  d'esttrit  et  écrivain  facile. 


92  GRECE  CONTINENTALE   ET   MOREE. 

dans  les  universités  étrangères ,  et  faisaient  publier  à  leurs 
frais  de  bonnes  éditions  des  auteurs  anciens;  ainsi  que  le 
firent  les  frères  Zozime,  qui  encouragèrent  les  utiles  tra- 
vaux du  savant  Coray.  Ainsi  se  conservait  sur  le  sol  grec  et 
dans  les  cœurs  grecs  le  culte  de  la  patrie  antique ,  ainsi  les 
Grecs  se  préparaient  à  mériter  une  patrie  nouvelle  ;  ainsi 
surent-ils  se  la  conquérir,  et  sauront-ils ,  je  l'espère ,  la 
conserver,  Tagrandir  et  la  civiliser. 


III. 

ATHÈNES.  —LA  COUR  ET  LA  VILLE. 

A  un  malade  dont  une  fièvre  brûlante  a  troublé  le  cer- 
veau ,  nos  oiédecins  ont  l'habitude  d'appliquer  sur  la  tête  . 
d'abondantes  couches  de  glace.  Les  protocoles  sont  la  glace 
destinée  à  calmer  la  fièvre  des  peuples.  Aussitôt  qu'un 
peuple  a  été,  par  une  bouillante  et  généreuse  ardeur, 
lancé  en  dehors  des  cercles  concentriques  et  réguliers  de 
la  politique,  qu'il  s'est  enivré  d'héroïsme ,  d'indépendance 
et  de  liberté ,  que  son  cœur  s'est  enflammé  en  aspirant  à 
s'élever  h  la  hauteur  de  sa  fortune,  nos  prudents  médecins 
diplomates  lui  appliquent,  en  forme  de  douches  calmantes, 
le  réfrigérant  des  protocoles.  Un  protocole  définitif,  suc* 
cédant  à  beaucoup  d'autres  protocoles  insignifiants  ou  con- 
tradictoires ,  décida  que  la  Grèce  écourtée,  tailladée,  mu- 
tilée ,  réduite  à  un  petU  territoire  qui  ne  comprendrait  ni 
le  Pinde  ni  l'Olympe  où  avait  germé  et  fructifié  dans  la 
vie  klephlique  l'esprit  d'indépendance  et  d'héroïsme ,  ni 
Candie  si  patriote ,  ni  Chios  si  dévouée ,  ni  Samos  où  avait 
triomphé  la  révolution ,  et  qui  ne  contiendrait  pas  plus  de 
huit  cent  mille  habitants ,  serait  cependant  transformée  en 
royaume ,  et  que  ce  royaume  serait  donné  au  prince  Othon 
de  Bavière.  Dès  que  le  jeune  roi  Othon  eut  atteint  saving- 


LA   COUR.  93 

tième  année,  le  1^'  Juin  1835,  il  prit  en  main  Tautorité 
royale ,  et ,  le  2  Novembre  1836,  il  fit  don  à  la  Grèce  d'une 
jeune  et  jolie  reine  de  dix-sept  ans  et  demi,  la  princesse 
Amélie  d'Oldenbourg. 

Pour  le  jeune  roi  et  la  jeune  reine  de  ce  nouveau  royaume, 
il  fallait  une  cour  et  d'abord  un  palais  :  et  le  palais  comme 
la  cour  étaient  chose  qu'on  était  nécessairement  obligé  d'im- 
proviser dans  une  ville  où  ,  deux  ansauparavant,  on  voyait 
à  peine  une  seule  maison  de  pierre ,  chez  une  nation  où 
les  rayas  s'étaient  si  récemment  élevés  à  la  dignité  de  mat* 
très,  et  où  les  princes  dormaient  en  plein  ,air  enveloppés 
dans  leur  capote.  Mais  la  Grèce  est  un  sol  riche  qu'il  suffit 
aujourd'hui,  comme  aux  anciens  jours ,  de  frapper  du 
pied  pour  en  faire  jaillir,  à  l'exemple  de  Neptune  et  de  Mi- 
nerve ,  le  coursier  de  la  guerre  et  l'olivier  de  la  paix.  Tout 
ce  qui  est  nécessaire  à  la  vie  sociale  s'y  improvise  promp> 
tement.  Deux  petites  maisons  neuves  furent  louées  pour  le 
jeune  couple  royal ,  en  attendant  que  s'édifiât  le  nouveau 
palais.  On  les  rattacha  ensemble  au  moyen  de  construc- 
tions dont  le  plan  fut  envoyé  d'Augsbourg  par  l'architecte 
du  roi  de  Bavière ,  M.  Gaertner,  qui  n'avait  pas  encore  vu 
la  Grèce  ;  et  une  habitation  temporaire,  étroite,  mais  assez 
convenablement  disposée ,  et  placée  entre  un  petit  jardin 
ombragé  et  une  sorte  de  square  à  l'anglaise  revêtu  d'une 
pelouse  quelquefois  verdoyante  ,  devint  le  Cecropium  du 
nouveau  royaume.  Bienlôt  un  vrai  palais  moderne  allait 
être  entrepris.  M.  Klcnze ,  savant  architecte  du  roi  de  Ba- 
vière ,  fut  d'abord  envoyé  pour  examiner  les  lieux  ;  mais  il 
prit  le  timide  et  modeste  Ilyssus  pour  qn  frère  de  l'impa- 
tient et  redoutable  Danube,  et,  par  crainte  des  déborde- 
ments de  ce  ruisselet  sans  eau ,  il  renonça  à  un  fort  bel 
emplacement,  situé  au-dessus  de  la  ville  et  bien  élevé  au- 
dessus  du  plateau  qui  domine  l'Ilyssus ,  pour  désigner  une 
autre  situation  qui  se  trouvait  d'un  tout  autre  côté  de  la 
ville.  Le  roi  de  Bavière  arriva  à  son  tour  et  choisit ,  après 
quelques  hésitations ,  un  ero[^acement  excellent ,  qui  est 


94  GRÈCE  CONTINBlItAU  ET  HOREE. 

remplaeementucitiel»  et  il  envoya  so»  architecte»  M^  Gierl^ 
ner,  pour  en  tracer  le  plan  et  en  «arveilter  rexéention» 

Pendant  qa'on  déplaçait  ainsi  le  palais  futur,  la  vilha 
d*Athènes  se  construisait  et  changeait  autant  de  fois  dd 
plan  qu'on  changeait  remplacement  du  palais  ;  car,  comme 
la  rue  principale  devait  aboutir  au  palais ,  et  que ,  ainsi 
qu'à  Carlsrube ,  on  aurait  été  bien  aise  que  lus  diverses 
autres  rues  aboutissent  aussi  à  eet  édifice ,  de  même  que 
les  branches  d'un  éventail  déployé  convergent  autour  da 
bouton ,  et  comme  ces  mes  eonvergeaient  autant  de  fois  que 
se  déplaçait  leur  point  cedtral ,  il  devait  résulter  de  tantd» 
plans  divers  rabsience  la  plus  complète  de  tout  plan»  Ënfitt 
les  fondements  du  palais  forent  jetés  ;  mais,  pour  qu'il  n« 
fût  pas  dit  qu'un  seul  des  plans  eût  été  suivi ,  entre  le 
dernier  plan  et  ia  pose  de  la  première  pierre  on  fit  faire 
un  léger  mouvement  oblique  i  ia  façade  du  palais  «  et  la 
rue  d'Hermès,  devenue  i  son  insu  la  rue  principale  »  e€ 
qui  descendait  directement  du  nouveau  palais  dans  toute 
la  longueur  de  la  ville  »  sur  la  route  du  Pirée,  ne  pouvant 
suivre  l'édifice  dans  son  mouvemefit  oblique ,  fut  condam^ 
née  à  le  regarder  un  peu  de  travers.  Il  n'y  avait  pas  alors 
de  projets  assez  grandioses  pour  cet  édificei  A  peine  Ga^ 
serte  «  à  peine  Versailles  eussent-ils  paru  trop  considéra^ 
Mes.  On  ne  comptait  pas  avec  les  millions  de  drachmes 
que  cela  pouvait  coûter,  sans. que  le  jeune  roi,  qui  devait 
cependant  avoir  un  jour  ^  les  payer,  fût  appelé  à  faire  pré- 
valoir un  plan  plus  modeste.  Un  royaume  avait  été  décrété» 
et  les  cours  étrangères  les  plus  pompeuses  voulaient  y 
trouver  une  pompe  en  proportion  avec  sa  suprématie  hié» 
rarchique*  L'édifice  s'éleva  donc  :  le  Pentélique  fournit 
ses  marbres ,  la  Bavière  et  l'Italie  leurs  chefs  d'ouvriers  « 
Trieste  ses  planthea  et  ses  clous ,  ses  portes  et  ses  fenétresi 
le  roi  Oihoh  son  propre  argent.  Sept  millions  de  drach-» 
mes^  sont  aujourd'hui  dépensées,  et  il  n'y  a  pas  encore 

*  La  draclitklè  Vint  90  centimes* 


lia  ûonâ.  M 

poarra  anos  doute  terminer  coaipléteineut  le  peUis  i  et  avec 
deux  millioQe  le  meubler  ;  mai»  peur  l'habiter  il  faudra,  au 
bw^et  d'uu  miilioo  de  drachmes  qui  suffii  aujourd'hui  li 
l'économie  bien  entendue  du  roi ,  ajouter  quelques  sup-« 
plémeots  tirés  de  sa  fortune  personnelle  •  et  environner  le 
souveraÎQ  d'vne  cour  plus  nombreuse  que  la  cour  modeate« 
jpms  tout  k  fait  convenable,  dont  le  rd  s'est  entouré  dans 
son  modeet^i  palais. 

Cette  cour  se  compose  du  maréchal  de  la  cour  {auimr^ 
iriê)t  de  six  aides*4e«€amp »  de  trois  officiers  d'ordon-» 
nanee  pour  le  service  du  roi ,  d'une  grande*maltrette  qui , 
dans  tais  ooors  les  plus  polies  de  l'Ëurepo ,  serait  dlée  au 
frânîer  rai^  par  la  bonne  grâce  toute  parfaite  de  ses  ma** 
noères,  son  ton  eiquis»  sa  «mpUciié  de  grande  dame,  et 
de  deux  dames  d'honneur  dont  l'une  est  une  blonde ,  lao** 
guissaiite  et  agrésbte  AUemande,  et  dont  l'autre  est  cette 
vive ,  piquante ,  aventureuse,  fière  et  noUe  Triantapbyilou 
Botaaria,  fille  du  célèbre  patriote  Afareo  Botxaris,  la  même 
qui,  l'aooée  dernière,  s'est  conquis  tous  les  hommages 
parmi  les  blondes  filles  d'Ems  comme  parmi  les  brunes  filles 
de  Venise* 

Il  ne  faut  pas  s'étonner  si  le  maréchal  de  la  cour  ne 
connaît  pas  encore  fort  bien  son  rôle.  D'abord  il  ne  sa* 
^aii  guère  ce  que  c*est  qu'une  cour;  puis  les  premières 
gaucheries  sont  moins  promptement  relevées  dans  une 
première  élaboration  de  l'étiquette.  On  ne  trouve  pas 
d'ailleurs  tous  les  jours  des  Ségur  pour  rédiger  et  imposer 
le  code  d'étiquette  le  mieux  approprié  à  une  société  nou^» 
velle4  Dans  des  Ims  qui  échappent  si  souvent  aux  appré** 
eiations  de  la  raison  il  faut  un  'sentiment  luen  délicat  des 
convenances  pour  faire  accepter  ses  décisions,  et  le  sèie 
ne  saurait  jamais  Ici  remplacer  le  goût  )  mais  le  maréchal  de 
)a  cour  de  Grèce ,  M.  Charles  Soutxo ,  est  un  homme  d  W 
prit,  et  avec  de  l'esiM^it  on  finit  par  tout  concevoir*  En 
recherchant  le  bien  de  tout  ce  qui  nous  est  confié»  de  pré» 


96  GRECE   CONTINENTALE    ET   MORES. 

férence  à  notre  bien  persoonel,  nous  ne  poovons  manquer 
d'obtenir  des  succès  légitimes,  et  M.  Charles  Sootzo  pos- 
sède trop  de  qualités  pour  ne  pas  arriver,  quand  il  yondra 
s*en  donner  la  peine ,  au  but  que  doit  se  proposer  le  Ségur 
de  la  cour  d'Athènes. 

La  cour  du  roi  est  toute  militaire;  on  remarque  parmi 
ses  aides-de-camp  le  colonel  péloponnésien  Jean  Colocotroni, 
fils  du  fameux  Golocotroni ,  distingué  lui-même  par  des 
services  militaires ,  et  aussi  par  sa  grande  affection  pour 
la  Russie ,  dont  Tinfluence  s*appuie  sur  la  sienne  ;  l'Alba- 
nais Gardikioti  Grlvas ,  qui  s'est  fait  un  nom  dans  la  guerre 
de  l'indépendance;  le  8ouliote  Tzavellas,  dont  le  courage 
honorerait  toute  armée  européenne.  Parmi  les  officiers 
d'ordonnance ,  je  nommerai  le  jeune  Maînote  Mavromi- 
chalis ,  fils  du  vieux  bey  Mayromichalis  et  frère  de  ces  mal* 
heureux  jeunes  gens  qui  crurent  venger  leur  père  et  sau- 
ver leur  patrie  en  frappant  Capo  d'Istrias.  Sa  tournure 
militaire,  la  politesse  de  ses  manières,  la  distinction  de  sa 
figure  et  de  toute  sa  personne,  que  relève  beaucoup  la 
grâce  du  costume  grec ,  le  feraient ,  comme  mademoiselle 
Bolzaris,  remarquer  dans  tout  cercle  élégant.  Ainsi  com- 
posée, cette  jeune  cour  grecque,  dans  laquelle  le  roi 
Othon ,  grand ,  svelte  et  agile ,  porte  lui-même  et  porte 
toujours  fort  bien  le  costume  grec ,  n'a  rien  de  gauche  ni 
d'emprunté  ;  ce  sont  plutôt  des  chefs  féodaux  qui  entourent 
leur  suzerain  que  des  courtisans  qui  se  courbent  devant 
un  maître. 

Cet  aspect  que  me  présenta  à  mon  arrivée  la  cour 
d'Athènes  reporta  tout  naturellement  ma  pensée  vers  l'épo- 
que où  une  autre  cour  féodale  venue  d'Occident,  la  cour  des 
ducs  français  d'Athènes ,  de  la  maison  de  La  Roche  dans 
le  comté  de  Bourgogne ,  y  siégeait  dans  sa  splendeur.  Au 
moment  où  l'amiral  de  France  Thibaut  de  Cépoy,  ambas- 
sadeur de  Charles  de  Valois  auprès  du  duc  d'Athènes,  Guy 
de  La  Roche,  arriva  dans  cette  ville  en  1307,  il  y  trouva 
une  cour  brillante  et  de  nombreux  ménestrels.  Le  Catalan 


LA   CO«R.  97 

Ramon  Mantaner,  quiFaTak  visitée  une  auuée  après,  décrit 
en  termes  pompeux  sa  personne  sa  puissance ,  ses  goûis 
chevaleresques ,  ses  splendides  tournois.  La  cour  du  roi 
Oihon  est  moins  opulente  sans  doute  que  la  cour  féodale 
des  ducs  français  d'Athènes,  mais  elle  a  le  grand  avantage 
d*étre  nationale.  Si  quelques  Allemands  sV  mêlent  encore, 
ce  n'est  que  pour  peu  de  temps  ;  car  il  y  a  contre  tout 
étranger  en  Grèce  une  grande  jalousie  nationale,  et  leVoi 
n'ignore  pas  qu'il  est  dans  le  caractère  du  peuple  cer* 
laines  susceptibilités  honorables  qu'un  souverain  doit  savoir 
respecter. 

Plusieurs  fois,  pendant  mon  séjour  à  Athènes,  j*ai  eu 
occasion  d'assister  à  des  fêles  de  cette  jeune  cour.  Là  se 
trouvaient  réunis  des  hommes  de  toutes  les  provinces  et 
lies,  dont  quelques-uns  fort  probablement ,  avant  ce  jour , 
n'avaient  assisté  à  aucune  fête  de  ce  genre,  n'avaient  jamais 
pris  place  sûr  une  chaise  européenne,  n'avaient  eu  aucune 
occasion  de  se  mêler  avec  une  société  de  salon  telle  que 
nous  l'avons  faile  ;  et  cependant  tout  cela  avait  fort  bon  air, 
et  pas  un  ne  semblait  gauche  ou  embarrassé.  Les  costumes 
riches  et  élégants  de  la  Roumélie  et  de  la  Morée  sont  por^ 
tés  par  tout  le  monde  avec  grâce  ou  avec  aisance.  La  gra- 
vité naturelle  aux  peuples  d'Orient  fait  qu'ils  ne  sont  jamais 
pressés  d'agir  et  de  parler ,  et  ils  évitent  par  conséquent 
beaucoup  plus  de  bévues  que  ne  le  feraient  des  Occiden- 
taux placés  dans  les  mêmes  circonstances.  Quant  aux 
femmes ,  leurs  costumes  sont  bien  loin  d'être  aussi  gracieux 
que  les  costumes  des  hommes.  Les  robes  dorées  des  Alba- 
naises ne  dessinent  aucune  forme ,  et  le  corps  le  plus  élé- 
gant disparaît  dans  leur  ampleur  flottante.  Les  costumes 
des  femmes  hydriotes  sont  ceux  de  matrones  qui  veulent 
paraître  respectables  en  grossissant  démesurément  chacune 
des  parties  proéminentes  de  leur  corps  par  de  nombreux 
vêtements  superposés,  de  couleur  sombre,  sur  lesquels  se 
détachent  les  nombreuses  circonvallalions  des  épais  tissus 
blancs  qui  défendent  leur  poitrine.  La  Qgure  seule,  mais 

9 


9i  GBECE  CONTUIBNTAU  ET  MOEEE. 

une  figure  d'une  expreasion  contenue ,  une  figure  â*une 
belle  forme ,  un  peu  ronde  peut-être ,  mais  avec  des  yeux 
irifB  et  des  dents  fines,  se  dégage  de  cet  encombrement  de 
vêlements ,  et  une  robe  fort  courte  laisse  iroir  la  jambe  la 
mieux  faite  et  le  pied  le  plus  délicat  Le  costume  d*  Atbènes 
est  plus  léger  et  plus  élégant.  Mademoiselle  Triantaphyllon 
(Rose)  Botzaris  Ta  rendu  populaire  en  Europe,  et  son  por< 
trait,  avec  ce  costume  qu*elie  aime  et  qu'on  aime  en  elle , 
peut  se  voir  chez  tous  les  marchands  de  gravures  des  bords 
du  Rbin  et  de  la  rue  Yivienne.  Le  fezy  seul,  ou  haut  bonnet 
rpuge  à  glands  bleus,  ne  me  semble  pas  gracieux;  il  donne 
cependant  ^  une  toute  jeune  fille  un  petit  air  rodomont  et 
mutin  qui  sied  à  merveille  dans  une  salle  de  bal.  Le  pins 
joli  bonnet  et  le  plus  coquet  costume  sont  évidemment  le 
bonnet  doré  et  la  jolie  veste  coupée  des  Smyrniotes  ;  mais 
on  le  trouve  rarement  dans  un  bal  d'Athènes.  Ce  qui  se 
voit  le  plus  souvent  est  le  costume  franc,  la  mode  de  Paris  ; 
ce  costunie  est  plus  simple,  plus  léger,  moins  dispendieux 
en  apparence.  On  peut  le  changer  souvent,  et  varier,  selon 
sa  figure  et  sa  taille,  la  forme,  la  couleur,  la  coiffure.  Aussi 
Finvaslon  de  la  mode  parisienne  a-^t-elle  fait  lesprf^rès  les 
plus  rapides,  et  Timmense  majorité  des  femmes,  dans  on 
bal  de  cour^  est-elle  vêtue  à  la  française.  £n  vérité  la  sou- 
plesse des  tailles  athéniennes  s'arrange  fort  bien  de  ces 
tissus  aériens,  et  presque  toutes  les  portent  sans  géne«  On 
ne  saurait  dire  avec  quelle  facilité  ce  qui  est  parisien  de* 
vient  promptement  athénien.  Le  Grec  d*Âthènes  a  quel- 
ques-unes de  nos  qualités  et  bon  nombre  de  nos  dé- 
fauts, outre  ce  qui  lui  est  personnel,  et  il  surchai^e  sou- 
teîit  les  uns  et  les  autres.  Il  est  intelligent ,  actif,  brave, 
entreprenant,  mais  non  moins  léger  que  nous  et  bien  plus 
vain  encore.  Les  femmes,  captives  dans  les  liens  étroits  de 
la  société  orientale,  ne  peuvent  qu'à  peine  se  révéler  à  elles- 
mêmes;  mais  déjà  l'amour  de  la  toilette,  le  bon  goût  dans 
le  choix  des  parures,  l'absence  d'affectation  et  de  lourdeur, 
la  simfriicité  étudiée ,  le  discernement  dans  le  choix  des 


14  GOUH.  99 

couleurs  se  font  en  général  remarquer  dans  les  toilettoii 
Il  y  a  d'ailleurs  des  chefe  savants  parmi  elles  qoi  ont  étudié 
à  Paris  et  plu  à  Paris,  et  qui  donnent  la  leçon  et  Texemple* 
La  jeune  reitie  n*a  pas  étudié  à  Paris,  mais  elle  a  deviné  la 
science  et  y  est  passée  maîtresse.  On  la  citerait  certainement 
à  Paris  même  au  premier  rang  des  belles  lea  plus  remar* 
quées.  Écuyère  infatigable  et  intrépide ,  danseuse  légère, 
animée  el  gracieuse ,  reine  élégante  et  belle ,  elle  jouit  de 
ses  succès  avec  un  bonheur  qui  rembeUit  encore.  Aucune 
femme  dans  sa  cour  ne  se  livre  avec  plus  de  charme  au 
plaisir  de  la  danse.  Polonaise ,  valse ,  contredanse  t  galop  « 
mazourque ,  cotillon ,  tout  lui  platt ,  et  lui  platt  avec  k 
même  vivacité ,  depuis  la  solennelle  polonaise  qui  CNivre 
le  bal ,  jusqu'à  la  folle  danse  du  grand*père  qui  le  ferme  i 
à  reiclusion  des  danses  grecques ,  dont  aucune  n'est 
dansée  dans  les  salons  d'Athènes.  Il  faut  ajouter  que  c'est 
sur  elle  que  pèse  le  moins  le  poids  de  l'étiquette ,  qui 
doit  gêner  un  peu  les  autres;  car  l'étiquette  règne  avec 
toute  sa  roldeur  dans  un  bal  de  la  cour  de  Grèoe.  A  neuf 
heures  du  soir ,  tout  le  monde  est  réuni  dans  la  salle  de 
bal.  A  neuf  heures  et  demie ,  le  roi  et  la  reine  entrent 
suivis  de  leur  maison.  Tout  le  monde,  hommes  et  femmeti 
reste  debout  aussi  long-temps  qu'ils  tiennent  cercle  »  en* 
vit*on  une  demi-heure;  pendant  ce  temps  chacun  d'eux 
va  de  son  côté,  adressant  la  parole  à  l'un  ou  à  l'autre  et 
montrant  toujours  aux  étrangers  la  plus  grande  bienveil^ 
lance  et  la  plus  parfaite  politesse  :  puis  commence  la  po 
looaise.  Le  roi  offre  k  main  à  une  des  dafties  ;  la  reine  à  un 
des  hommes,  en  général  un  des  chefs  du  corps  difriomati» 
<Ioe  ;  les  autres  chefs  des  légations  eu  font  autant ,  et  tous 
font  ainsi  un  tour  de  salle  ;  après  quoi  le  roi  passe  à  une 
autre  dame,  et  la  reine  à  un  autre  diplomate,  pour  recom- 
mencer un  second  tour  de  promenade ,  et  ainsi  de  suite 
jusqu'à  ce  que  les  chefs  de  mission  et  ceux  que  la  reine 
veut  distinguer  aient  accompli  leur  tour  de  prometiade  e 
puis  la  valse  commence.  Tant  que  la  reine  danse,  les  femmes 


100  GRÈGB   CONTINENTALE   ET    MOBEE. 

qui  lie  dansent  pas  peuvent  être  assises  ;  mais  dès  qu'elle 
quitte  la  danse  et  se  promène  elles  doivent  se  tenir  de- 
bout, ot  ne  peuvent  se  rasseoir  que  quand  elle  se  rassied. 
Deux  fauteuils  sont  mis  en  avant  hors  ligne  pour  le  roi 
et  la  reine ,  et  les  autres  femmes  sont  placées  en  arrière 
sur  des  chaises.  De  temps  à  autre  on  apporte  quelques  ra- 
fraîchissements. Vers  les  trois  ou  quatre  heures,  quand 
toute  la  série  des  danses  de  tout  nom  est  épuisée  et  que 
les  danseurs  sont  épuisés  aussi ,  tout  le  monde  se  lève  ;  et 
le  i*oi  et  la  reine  tiennent  un  autre  cercle  d'une  demi-heure, 
qui  oblige  tous  les  conviés  à  rester  :  car  il  n'est  aucun  moyen 
honnête  de  quitter  le  bal  avant  que  le  roi  l'ait  quitté.  Le 
roi  et  la  reine  prennent  congé ,  et  chacun  rentre  chez  soi. 
Bon  nombre  de  voitures,  ouvertes  ou  fermées,  de  fabri- 
que milanaise ,  viennoise ,  belge ,  russe,  anglaise  ou  pari- 
sienne, attendent  les  demandeurs  ;  mais  presque  tous  les 
hommes  s'en  vont  à  pied  :  car  en  Grèce  le  ciel  est  presque 
toujours  pur,  les  nuits  toujours  belles,  Tair  toujours 
doux,  la  terre  toujours  sans  boue,  mais  non  sans  poussière  ; 
et  les  chiens,  qui,  souvent  à  la  nuit,  pourchassent  en  foule 
le  voyageur  à  pied  et  font  de  toute  course  nocturne  une 
course  aventureuse ,  se  montrent  plus  discrets  aux  pre- 
miers rayons  du  soleil. 

La  même  étiquette  est  adoptée  toutes  les  fois  que  le  roi 
et  la  reine  acceptent  un  bal  chez  un  diplomate.  Le  corps 
diplomatique ,  qui  a  introduit  le  baise-main  en  faveur  des 
jolies  et  blanches  mains  de  la  reine,  a  accepté  une  autre 
étiquette  plus  sévère  pour  les  soupers.  Dans  ce  cas,  le  roi 
et  la  reine  sont  servis  seuls  dans  une  chambre  à  part.  Le 
ministre  et  sa  femme  s'asseyent  à  la  même  table  mais  sans 
couvert  devant  eux ,  et  leur  font  les  honneurs.  Peut-être 
est-ce  là  l'étiquette  de  quelque  cour  allemande  particu- 
lièrement sévère. 

J'ai  remarqué  aussi  une  prescription  de  l'étiquette  qui 
ne  m'a  pas  frappé  ailleurs  :  c'est  que  les  hommes  sont  in- 
vités à  dîner  avec  le  roi  et  la  reine ,  et  souvent  en  Grèce 


LA  viixe.  101 

le  roi  fait  celte  politesse  aox  étrangers  et  y  met  la  meil* 
leore  grâce;  mais  les  femmes  ne  sont  jamais  invitées.  Au- 
cune des  femmes  des  ministres  étrangers  n*a  jamais  dîné  à 
la  cour.  Bien  plus,  deux  femmes  d*un  rang  diplomatique 
et  politique  plus  élevé ,  madame  de  Barante  ,  femme  de 
Fambassadeur  de  France  à  Pétersbourg,  et  lady  London- 
derry,  femme  de  l'ancien  ambassadeur  d'Angleterre  à 
Vienne  et  pairesse  d'Angleterre ,  ont  passé  à  Athènes  en 
allant  à  Constantinople  ou  en  revenant  :  M.  de  Barante  et 
lord  Londonderrv  ont  dîné  à  la  cour  et  ont  été  comblés 
d'égards,  noais  aucune  des  deux  ambassadrices  n'a  pu  être 
invitée  à  la  table  royale.  Bals  et  concerts,  oui  ;  diners,  non  : 
c'est  l'étiquette. 

Le  théâtre  italien  est  aussi  un  point  de  réunion  pour  la 
société  d'Athènes.  Il  existe  sur  un  côté  de  la  ville  une 
colonne  antique,  isolée,  qui  appartenait,  dit-on,  autrefois 
à  un  temple  d'£sculape.  La  tradition  populaire  est  restée 
Cdèle  au  culte  du  dieu  de  la  santé.  Au  bas  de  la  colonne 
a  été  construite  une  sorte  de  niche  dans  laquelle  les  malades 
et  leurs  parents  envoient  brûler  des  cierges.  La  colonne 
elk-même  est  regardée  comme  prophétique.  Veut-on  savoir 
si  un  malade  guérira  promptement,  on  prend  un  de  ses 
cheveux  et  on  va  l'attacher  è  la  colonne  par  les  deux  bouts 
avec  un  peu  de  cire  ;  si  la  cire  reste  ferme ,  le  malade  est 
pris  bien  dangereusement;  si  un  seul  bout  se  détache,  il 
languira  plus  ou  moins  suivant  le  temps  que  la  cire  met 
à  se  détacher  ;  si  la  cire  se  fond  promptement  et  se  dé- 
tache des  deux  côtés,  le  malade  est  sauvé.  C'est  devant  cette 
colonne  d'Esculape ,  et  à  quelques  pas  de  distance ,  qu'on 
a  construit  un  temple  au  dieu  de  la  musique  ,  à  Apollon  , 
père  d'Esculape,  sans  doute  pour  signifier  que  tous  deux 
ils  donnent  la  joie  et  la  santé.  J'y  ai  vu  parfois  jouer  quel- 
ques tragédies  grecques,  une  traduction  en  grec  de  VÀri^ 
stodème  de  Monti,  un  Marco  Botzaris,  par  exemple; 
mais  on  n'y  joue  en  général  que  l'opéra  italien.  Tout  le 
inonde  en  Grèce  est  passionné  pour  la  musique ,  et  sur  - 

9. 


lot  GRECE   CONTINBNfAI.ti   ET   MOREE. 

todt  pour  la  musique  italienne.  Quelquefois  les  jeunes  Grecs 
élégants,  pour  mieux  témoigner  de  leur  enthonsiasBie,  font 
pleuToir  mt  les  actrices  les  fleurs,  les  couronaes^  les  ma^- 
drigaux  et  môme  parfois  des  vers  français  de  leur  omBfo^ 
sition  ^ 

m 

On  ne  sait  domment  se  rendre  compte  de  ce  ^t  pour 
la  bonne  musiqtie  quand  on  entend  les  chants  d*église  et 
les  chants  populaires.  La  beauté  du  chaut  uationAl  consiste 
b  éhanter  pat*  le  nez  ;  plus  le  chant  est  nasillard,  plus  il  est 
regat*dé  comme  majestueusement  rëligiéut  et  parfaitedieot 
hëi'olque.  Je  me  suis  souvent  fait  chanter  des  thatits  na^- 
lionaux  par  les  bergers  m  les  paliear^s ,  soit  eu  uaviguatit, 
soit  en  visitant  les  ruines  de  nos  vieux  châteaux  francs 
disséminés  partout  sur  le  sdl  grec ,  et  j'ai  souvetlt  aussi 
rencontré  de  belles  voix^  mais  j*ai  toujours  eu  là  plus 
grande  peine  à  empêcher  les  chanteurs  de  retomber  dans 
leur  chant  nasillard.  Le  goût  de  la  musique  italleflae  réfor- 
mera probablement  ce  vice ,  car  le  parterre  est  pre4M|ue 
toujours  rempli,  ainsi  quq  lés  loges  à  bon  marché,  d'hommes 
des  classes  les  plus  humbles.  Quant  aux  femmes ,  ce  ne 
sont  que  celles  des  classes  les  plus  élevées  qui  se  montrent 
eu  public  et  assistent  à  TOpéra,  qui  devient  ainsi,  comme 
notre  Opéra,  un  salon  où  chacun  reconnaît  et  va  visiter  les 
siens. 

La  société  d'Athènes  se  compose  de  plusieurs  éléments 
fort  divers  qui  ne  se  sont  pas  encore  très-bien  fondus»  Les 

^  A  une  représentation  à  bénéfice  à  laquelle  j'assistais,  je  reçus, 
comme  tout  le  monde,  une  petite  feuille  imprimée  portant  ces  vers 
français  d'un  jeune  admirateur  grec  : 

A  MADEXOISFLLE  RITA   BASSO  POUK  SA   SOIRÉE  A  BÉNÉFICE. 

A  toi  les  chants  d'amour,  les  accents  du  délire, 
A  toi  la  Toix  sonore  et  forte  qui  déchire 

Ou  charme  tous  les  cœurs; 
A  toi  le  don  charmant  d'émouvoir  l'auditoire , 
A  toi  d'être  toujours  chère  à  notre  mémoire, 
A  nous  le  droit  de  te  couvrir  de  fleurs. 


LA   VILLE.  lOS 

salotiB  les  idoB  élégftnto  iont,  comme  on  peut  bien  le  croirei 
cem  du  corps  diplomaiique.  La  France  «  1* Angleterre  \  la 
Russie  et  l'Autriche,  puis  la  Bavière,  la  Prusse»  la  Turquie, 
la  Belgique ,  TËspagne  «  la  Suède  ont  des  ministres  pîéni-» 
potentiaires  et  des  ministres  résidents  près  de  la  cour 
d' Athènes,  et  chacun  contribue  plus  ou  moins  pour  sa  part 
aux  agréments  de  la  société.  Les  secrétaires  de  légation 
et  attachés  ne  travaillent  pas  moins  activement  è  répandre 
le  goût  de  nos  élégantes  habitudes  d'Europe.  Les  Français  y 
trouvaient  de  mon  teknps  chez  leur  propre  ministre  eet te  fleuf 
dé  société  qu'ils  aiment  à  rencontrer  dans  leur  patrie  j  et 
chez  les  antres^  soit  un  esprit  fin  et  déliée  soit  un  oarsclère 
ferme  et  franc»  soit  une  noble  inti^Uigenee  unie  à  un  noble 
cœur,  soit  enfin  ces  traits  particuliers  qui  font  mieux  res* 
sortir  telle  ou  telle  variété  de  l'esprit  et  du  caractère,  et  k 
rendent  plus  nçuve  et  plus  piquante  en  la  marquant  du 
sceau  nationah 

A  côté  de  ces  salons  européens  sont  plaoés  les  salons  fa» 
nariote^  des  Argyropoulo ,  des  Karad2a ,  des  Soutso  ,  des 
Rizo  I  des  Mavrocordatos.  Les  familles  fanariotes  avaient» 
long-temps  avant  la  révolution  grecque ,  adopté  les  habi- 
tudes occidentales.  Presque  toutes  étaient  opulentes,  car 
tour  à  tour  les  dignités  d'hospodar  de  Valachie  et  de  MoU 
davie,  et  celles  de  drogman  de  la  Porte  et  de  l'Arsenal  ^ 
qui  étaient  des  sortes  de  ministères ,  ou  celles  de  poêtei- 
nieki  et  autres  hauts  offices  des  principautés  i  avaient 
passé  entre  leurs  mains.  Leurs  enfants  apprenaient  en  nais- 
sant la  langue  française  ;  toutes  leurs  relations  étaient  avec 
les  Occidentaux,  et  surtout  avec  la  diplomatie  »  et  chaque 
famille  se  rangeait  sous  une  bannière  particulière.  Les  Mo* 
rousi  et  les  Ypsilanti ,  par  exemple ,  étaient  connus  pour 
être  dans  l'intérêt  russe  »  comme  les  Soutzo  dans  l'intérêt 
français  ;  et  c'était  tour  à  tour  l'appui  ou  l'inimitié  d'une 
de  ces  puissances  qui  amenait  leur  chute  comme  leur  élé- 
vation. Au  moment  dé  la  révolution  grecque ,  les  familles 
fanariotes  riches  et  puissantes  prirent  la  part  la  plus  active 


104  GRÈCE   CONTINENTALE   ET    MORÉE. 

à  raffranchisscment  de  la  Grèce.  Les  uns ,  comme  l*hos« 
podar  Soutzo ,  furent  sacrifiés  pour  avoir  appuyé  les  pre- 
miers efforts  de  rhétairie  ;  les  autres ,  comme  les  Ypsilanti, 
y  sacrifièrent  leur  vie.  La  Porte ,  ne  pouvant  atteindre  les 
chefs ,  poursuivit  ce  qui  restait  de  familles  fanariotes  à 
Péra.  Les  biens  furent  confisqués  ;  les  hommes ,  femmes 
et  enfants  obligés  de  fuir  pour  éviter  la  mort.  Les  jeunes 
gens  les  plus  généreux  n'avaient  pas  attendu  ce  moment 
pour  aller  joindre  leurs  efforts  aux  premiers  efforts  faits 
par  les  leurs  en  Grèce.  Les  Navrocordatos,  les  Soutzo,  les 
Karadza ,  les  Ypsilanti  ont  mêlé  leurs  noms  aux  noms  les 
plus  honorables  sortis  de  cette  lutte.  Grégoire  Soutzo ,  qui 
s'était  dévoué  à  la  fortune  de  Golettis ,  qu'il  respectait  et 
dont  il  était  aimé,  succomba  bien  jeune  encore  et  plein 
d'espoir.  Démétrius  Ypsilanti  succomba  à  son  tour.  Ma- 
vroc>ordatos  s'est  conservé  actif  et  influent.  Mais,  en  géné- 
ral ,  les  Fanariotes  étaient  suspects  au  reste  de  ia  popula- 
tion grecque.  Leurs  habitudes  étrangères,  leurs  distinctions 
aristocratiques  éveillaient  la  méfiance  de  ce  peuple  d'une 
nationalité  jalouse  et  d'un  esprit  complètement  démocrati- 
que. A  Athènes ,  où  toutes  ces  familles  se  sont  retirées , 
elles  vivent  beaucoup*  entre  elles  et  s'allient  entre  elles. 
Cependant  peu  à  peu  elles  se  mêlent  davantage  au  reste  de 
la  population  à  mesure  que  la  population  grecque  fait  des 
pas  vers  l'Occident.  Ainsi  la  brune  et  belle  Rallou  Ka- 
radza ,  petite-fille  du  vieil  hospodar  Karadza  ,  le  type  le 
plus  pur  de  l'antique  aristocratie  fanariote  dans  son  beau 
temps ,  épouse  un  fils  du  chef  de  montagnes  moraîte  Colo- 
cotroni ,  le  jeune  Constantin  Colocotroni ,  élevé  à  Paris,  et 
parlant  français  comme  nous.  La  jalousie  ombrageuse  des 
Grecs  avait  été  surtout  blessée  du  titre  de  prince  que  por- 
taient les  descendants  de  ceux  qui  avaient  été  hospodars 
de  Yalacbic  ou  de  Moldavie.  L'esprit  d'égalité  est  l'esprit 
du  pays,  et  tout  ce  qui  le  blesse  blesse  tous  et  chacun.  Le 
gouvernement  ne  reconnaissant  d'ailleurs  aucun  titre,  ceux 
qui  les  portaient  en  Europe  y  renoncèrent]dans  leur  pays  ; 


LA   VILLE.  105 

et  tons  aujourd'hui  ont ,  Tolontairement  ou  iovolontaîre- 
ment,  renoncé  à  se  faire  appeler  par  un  titre  qui  blesse  la 
susceptibilité  de  leurs  nouveaux  concitoyens.  Le  rappro- 
chement s'opérera  d'autant  plus  aisément  que  les  lumiè^ 
res  s'associent  chez  quelques-uns  au  patriotisme.  Des 
hommes  tels  que  M.  Argyropoulo  seraient  dans  tous  pays 
respectés  pour  leurs  talents  et  leurs  vertus. 

Une  autre  classe  qui  sert  beaucoup  à  la  fusion  des  mœurs 
orientales  dans  les  moeurs  occidentales  est  la  classe  des 
professeurs  de  l'université,  des  magistrats,  des  avocats, 
des  médecins.  Tous  ont  étudié  dans  diverses  universités 
européennes ,  et  en  ont  rapporté ,  avec  la  manière  de  vi- 
vre et  le  costume  de  l'Occident ,  une  direction  intellec- 
tuelle qui  fait  aisément  reconnaître  le  pays  où  ils  ont  étu- 
dié. Ceux-ci  ont  étudié  en  France  :  ils  sont  tranchants, 
indifférents  aux  choses  religieuses ,  indisciplinés,  mais  dé- 
cidés ,  pratiques ,  ennemis  de?  sophismes  et  de  l'obscurité, 
amis  de  la  publicité,  des  progrès,  de  la  liberté,  et  assez 
versés  dans  la  connaissance  des  affaires  judiciaires  et  de  la 
partie  plus  purement  matérielle  de  la  science.  Ceux-là  ont 
étudié  en  Allemagne  :  ils  sont  sophistes,  ergoteurs,  obs- 
curs, sceptiques,  amis  du  pouvoir,  mais  réguliers,  pieux, 
mystiques  même ,  et  fort  versés  dans  la  partie  plus  pure- 
ment philosophique  des  sciences.  D'autres  ont  étudié  en 
Italie ,  et  se  rapprochent  beaucoup  de  la  manière  de  voir 
de  ceux  qui  ont  étudié  en  France.  Les  peuples  du  Midi 
ont  une  marche  intellectuelle  qui  diffère  complètement  des 
procédés  par  lesquels  la  science  pénètre  dans  les  esprits 
des  hommes  du  Nord.  Les  étudiants  grecs  de  ces  diverses 
écoles  se  modifient  sans  doute  peu  à  peu  en  vivant  parmi 
les  leurs,  mais  la  première  direction  d'idées  subiste. 

  côté  de  cette  classe  toute  pénétrée  des  usages  occiden- 
taux il  faut  placer  celle  des  banquiers  et  négociants  des  îles 
et  places  maritimes,  qui  ont  eu  des  relations  fréquentes 
avec  le  commerce  européen ,  et  travaillé  dans  les  comptoirs 
des  villes  importantes  d'Allemagne,  de  France,  d'Angle- 


106  OItKCE   CONTJNfiNTALB   ET    MOREE. 

terre  et  d'Italie.  Par  la  nalare  même  de  leurs  oectfpfttions, 
tout  en  restant  patriotes,  ainsi  qu'ils  l'ont  prouvé  par  des 
sacriOces  multipliés,  ils  sont  defenus  cosmopolites;  ce 
sont  des  hommes  pratiques  et  intelligents. 

Tous  les  Grecs  qui  appartiennent  à  ces  diverses  classes 
parlent  ordinairement  fort  bien  les  langues  française  et 
italienne ,  et  portent  l'habit  franc  ;  mais  les  mœurs  fran- 
ques  n'ont  pas  fait  encore  complète  invasion  dans  leur  in- 
térieur, surtout  dans  les  positions  les  plus  modestes.  Leurs 
femmes,  tout  en  portant  le  costume  franc,  conservent 
par-ci  par  là  quelques  restes  du  costume  grec.  Elles  sor- 
tent peu ,  reçoivent  peu ,  et  ne  se  montrent  guère  qu'à  la 
promenade  du  dimanclie  sur  la  route  de  Patissia  ,  mar* 
chant  seules  avec  gravité  derrière  leurs  maris,  qui  mar- 
chent seuls  aussi ,  ou  parfois  au  bat  de  la  cour ,  dans  une 
grande  solennité  nationale. 

En  dehors  de  ces  classes  f)énétr^8,  imprégnées  ou  frot^ 
tées  de  l'esprit  occidental  viennent  les  Grecs  plus  pure- 
ment grecs ,  qui  n'ont  jamais  porté  leurs  regards  au  delà 
du  magnifique  horizon  de  leurs  montagnes  et  de  leurs 
mers,  qui  n'ont  jamais  parlé  que  la  langue  grecque,  n'ont 
jamais  porté  que  le  costume  grec ,  n'ont  aimé  et  connu 
que  les  costumes,  la  religion,  la  nationalité  grecs.  Les 
uns ,  comme  Condouriotis ,  avec  sa  vieille  réputation  d'hon-^ 
neur  et  d'intégrité,  siègent  au  conseil  d'État;  les  autres, 
comme  Canaris  le  brûlotier,  si  populaire  en  Europe ,  ho- 
norent la  marine  de  leur  pays;  ceux-ci ,  comme  le  vienx 
Colocotfoni ,  ont  la  gloire  de  n'avoir  jamais  désespéré  dti 
la  cause  de  l'indépendancie  grecque  quand  la  fortune  lui 
était  le  plus  contraire  ;  d'autres,  dans  l'armée  régulière  ou 
dans  1p  corps  des  phalangistes ,  comme  l'excellent  Perrbe- 
bos,  le  simple  et  éloquent  historien  de  Souli,  qui  a  si 
bien  servi  sa  patrie  de  sa  plume  et  de  son  épée  ,  sont  là 
comme  les  vieilles  colonnes  de  la  société  antique  et  les 
plus  solides  appuis  de  la  société  nouvelle.  Au  milieu  d'eux 
tous  et  à  leur  tétc  doit  être  inscrit  le  nom  d'un  homme  qui 


a  été  mêlé  k  toutes  les  luttes  politiques  et  militaires  de 
8oa  pays  «  depuis  les  premières  lueurs  de  l'ambition  d*A]i- 
Pacfaa;  qui,  malgré  son  absence,  est  toujours  présent 
dans  Testinoe  de  tous,  et  qui  est  peut-être  destiné  un  jour 
par  sa  prudence  à  asseoir  Tavenir  de  la  Grèce  sur  des  bases 
fermes  et  régulières ,  lorsqu'après  beaucoup  de  remanie- 
ments ministériels  le  roi  voudra  faire  appel  à  Texpé- 
rieuGe,  au  patriotisme  et  à  la  patience  de  Golettis. 

Sous  la  bannière  de  ees  chefs  populaires  vient  se  classer 
le  reste  de  la  population  grecque.  Ce  sont  comme  dei( 
cliefi  de  clans  derrière  lesquels  marche  toute  leur  famille* 
Chacun  autrefois  avait  'ses  rapsodes ,  comme  les  chefs 
écossais  leurs  bardes  et  leurs  cornemuseurs,  I^a  race  de 
ces  vieux  rapsodes  n'est  pas  encore  éteinte.  Tous  les  jours 
en  Grèce,  et  même  dans  les  rues  d*Atliènes ,  on  rencontre 
deux  vieillards  dont  l'un  est  aveugle ,  comme  son  devan-* 
der  Homère ,  et  vous  chante  les  cinquante  et  quelques 
chansons  relatives  au  héros  ou  à  la  famille  dont  il  est  le 
chantre  exclusif,  soit  Marco  Botsaris,  soit  Coloootroni , 
pendant  que  Tautre  raccompagne  en  raclant  avec  son  ar^ 
chet  les  cordes  de  laiton  de  sa  guitare.  Mais  aux  rapsodes 
enrôlés  sous  la  bannière  du  chef  de  clan  succèdent  mainte^ 
nanties  journaux  9  enrôlés  sous  la  bannière  de  leur  chef 
politique.  Les  casinos  comme  les  cafés  sont  devenus  TA- 
S^ra  et  le  Pnyx  où  on  discute  et  décide  les  affaires.  Les 
chansons  populaires  ont  cessé  ;    les  premiers- Paris  des 
journaux  d* Athènes  ont  usurpé  sur  les  vieilles  chansons  le 
gouvernement  de  l'opinion  publique.  Tous  les  jours ,  dans 
l«  rne  d'Éole,  les  cafés  sont  pleins  déjeunes  Grecs  qui  dift^ 
sertent  sur  la  politique  de  l'Europe  avec  les  journaux  fran- 
çais, et  sur  leur  politique  à  eux  avec  leurs  nombreux 
journanx.  Il  y  a  dans  ce  pays  des  anomalies  biiarres.  Ainsi 
les  cabinets  européens  ont  pu  former  un  royaume  en 
Ci'ice ,  mais  non  faire  la  moindre  impression  sur  Tesprit 
déinocratique  :  ils  ont  empêché  qu'on  préparât  une  cou- 
i^titution  politique  avant  l'arrivée  du  roi ,  et  il  n'en  a  pas 


108  GRECE   CONTlNENTAtA  ET   MUREE. 

été  donné  depuis  ;  mais  la  liberté  de  la  presse  est  recon- 
nue et  établie,  Forganisatlon  municipale  est  parfaitement 
indépendante  da  pouvoir,  le  jury  a  été  introduit,  et  les 
débats  des  tribunaux  sont  publics ,  à  l'instar  de  notre  or- 
ganisation judiciaire.  Le  roi  est  absolu  de  fait  et  de  dnnt , 
et  il  n*y  a  ni  chambre  ni  autre  institution  pour  régler  son 
.autorité  ;  mais  il  est  amené  par  la  force  des  choses  à  res- 
pecter les  institutions  établies  avant  lui ,  et  son  esprit  de 
justice  lui  impose  des  lois  à  lui-même.  Ainsi  coexistent  le 
droit  de  l'absolutisme  et  l'usage  de  la  liberté ,  sans  qu'au* 
cun  anéantisse  l'autre  :  la  monarchie,  parce  qu'elle  respecte 
la  liberté  qui  l'a  créée  ;  la  liberté,  parce  qu'elle  respecte  la 
monarchie  qui  l'a  garantie. 

  tous  ces  habitants  réguliers  d'Athènes  et  prenant  part 
à  la  vie  sociale  et  politique  d'une  manière  active ,  fana- 
riotes,  magistrats,  étudiants,  banquiers,  employés  civils 
et  militaires,  tous  ayant  quelque  vocation  (car  personne 
n'est  assez  indépendant  de  fortune  pour  rester  oisif) ,  il 
faut  ajouter  bon  nombre  des  anciens  militaires  et  clients 
qui  arrivent  des  provinces  pour  témoigner  leur  allégeance 
à  leurs  chefs  ou  solliciter  leur  appui.  Pendant  le  jour , 
tous  les  anciens  palicares ,  revêtus  de  la  fustanelle ,  drapés 
d'une  blanche  toison  ou  de  l'épais  talagani  *  qu'ils  portent 
avec  beaucoup  de  grâce  sur  une  seule  épaule ,  avec  la 
ceinture  bien  garnie  d'un  bon  couteau ,  la  moustache  bien 
fournie ,  et  la  longue  pipe  toujours  en  main ,  obstruent  les 
rues  d'Hermès ,  d'Éole,  de  Minerve,  et  les  trottoirs  de 
FAgora.  Ils  vivent  complètement  sur  la  place  publique;  la 
beauté  constante  du  ciel  et  la  clémence  de  l'air,  même 
pendant  les  plus  rudes  journées  d'hiver ,  leur  rendent  cette 
vie  facile.  Pour  la  nourriture  et  le  coucher ,  la  table  et  la 
maison  du  chef  sont  hospitalières  ;  et ,  si  les  moyens  sont 
fort  circonscrits,  les  besoins  le  sont  aussi.  Les  carêmes, 

•  Sorte  de  lorigue  veste  épaisse  de  poil  de  cîièvi*e,  îrapennéable, 
et  termitxfe  par  un  capuchou.  Il  y  en  a  de  grandes  fabriques  à 
Saloiiique. 


SOBRIETE   GaEGQUË.  109 

d'ailleurs ,  sont  longs ,  sévères  et  nombreux ,  et  il  n*est 
pas  de  Grec  qui  ne  les  observe  avec  la  plus  grande  rigueur. 
Eu  dehors  de  ces  jours  d'une  abstinence  incroyable  pour 
nous ,  un  mouton  rôti  en  entier ,  à  la  façon  homérique , 
quelques  œufs  durs,  des  oignons  crus  et  du  fromage  de 
brebis ,  voilà  le  repas  qu'ils  pariagent  en  commun ,  en  fai- 
sant circuler  à  la  ronde  une  dame-jeanne  de  bois  remplie 
devin  raisiné.  Il  ne  faut  pas  de  grands  frais  d'ameublement 
et  de  vaisselle  pour  les  recevoir  ;  une  petite  table  ronde , 
haute  d'un  pied  au  plus ,  est  placée  au  milieu  d'eux ,  et 
tous  se  rangent  alentour ,  assis  à  l'orientale ,  sur  leurs 
jambes  croisées.  Le  pain  sert  d'assiette ,  et  avec  leur  poi- 
gnard ils  peuvent  se  passer  de  fourchette.  Quelquefois,  en 
été ,  une  immense  jatte  de  yaourd ,  sorte  de  lait  caillé , 
mais  beaucoup  meilleur  que  le  nôtre  et  tout  à  fait  parti- 
culier au  pays,  termine  le  repas,  et  tous  à  la  gamelle  y 
plongent  tour  à  tour  leurs  cuillers  de  bois.  Pour  la  nuit 
on  étend  des  tapis  fort  minces  sur  le  parquet,  et  chacun  s'y 
couche  enveloppé  dans  son  caban  ;  car,  après  l'extravagante 
domination  des  Turcs  et  les  désastres  profonds  de  la  dernière 
guerre,  il  n'est  presque  personne  sur  le  soi  grec  qui  ait  reçu 
de  son  père  un  ameublement ,  de  la  vaisselle ,  de  l'argen- 
terie, des  tables,  des  chaises,  du  linge,  un  lit,  heureux 
qui  a  pu  trouver  une  maison  en  ruine  qu'il  lui  fût  possi- 
ble de  relever!  Aussi,  les  plus  grands  comme  les  plus 
petits,  supportent-ils  avec  la  plus  parfaite  gaieté  la  priva- 
tion de  toutes  les  aisances  de  la  vie.  Un  gouverneur,  un 
général ,  un  conseiller  d'État ,  un  ministre ,  s'étendront 
avec  la  plus  complète  impassibilité,  pour  passer  la  nuit,  sur 
un  parquet  recouvert  d'une  simple  natte  ou  d'un  léger  ta- 
pis en  se  drapant  ainsi  dans  leur  caban  ;  et  ceux  même  qui 
ont  connu  les  douceurs  d'un  lit  de  France  n'éprouvent  pas 
la  moindre  difficulté  à  retourner  à  leurs  premiers  usages , 
à  dormir  en  plein  air  sur  un  tapis. 

Je  n'ai  pas  parlé  du  menu  peuple  d'Athènes,  parce  que, 
en  effet,  à  l'exception  de  la  population  albanaise,  qui  sem^ 

10 


116  GRECE   GOMTINBNTALB  fil   MOREE. 

Ue  plus  particuUèrement  destiaée  au  travail  matériel ,  à 
Athènes  comme  dans  la  campagne  tous  les  autres  Grecs 
semblent  appartenir  à  ce  qu'on  sq>peUe  chez  nous  les  clau- 
ses moyennes^  Toua  veulent  s'instruire,  grandir»  s'élever; 
aucun  ne  désespère  de  son  avenir.  Faites-vous  venir  le  Grec 
le  moins  savant  pour  lire  et  converser  avec  lui  dans  sa  lan- 
gue ,  il  réunît  le  peu  qu'il  gagne  ainsi  pour  aller  faire  son 
droit  à  Paris;  prenez-vous  ua  domestique,  il  accumule 
ses  gages  pour  aller  étudier  la  médecine  à  Pise  ;  un  on^ 
vrier  se  place-t-il  chez  un  dief  d'atelier  européen,  en  pen 
de  mois  il  a  appris  tout  ce  qu'U  lui  fallait  pour  s'établir 
seul  dans  un  pays  où  les  bras  sont  rares  ,  où  le  manœuvre 
gagne  2  fr.  50  à  3  fr.  par  jour ,  et  où  personne  n'a  à  re- 
douter de  concurrence.  Ceux  qui  oi^  vu  leurs  amis  gran- 
dir,  et  grandir  honorayement ,  celui-ci  de  professeur  de* 
veuff  président  d'une  cour  de  justice  ou.  conseiller  d'État» 
celui-Û  de  médecin  devenir  ministre  et  ministre  estimé  » 
cet  autre  de  matelot  devenir  navarque  et  de  soldat  deve- 
nir général ,  veulent  à  leur  tour  arriver  par  le  travail  ou 
préparer  à  leurs  enfants  des  moyens  de  succès  dans  les  étu- 
des littéraires.  De  là  l'empressement  avec  lequel  sont  par- 
tout suivies  les  écoles  par  les  enfants  appartenant  aux  plus 
pauvres  familles.  Ceux  qui  désespèrent  d'arriver  par  le 
travail  appellent  de  tous  leurs  vœux  les  dangers  et  les 
chances  de  la  guerre,  et  se  trouvent  trop  à  l'étroit  dans  le 
petit  État  qu'on  leur  a  fait  Ils  se  sont  élancés  avec  ardeur 
à  l'affranchissement  de  Candie ,  ils  s'élanceraient  avec  la 
même  impatience  à  l'affranchissement  de  la  Tbessalie ,  de 
l'Épire ,.  de  la  Macédoine  ;  et  ils  y  réussiraient  très-cer- 
tamement  si  les  puissances  étrangères  ne  les  contenaient 
et  ne  servaient  de  bouclier  ii  la  débile  Turquie ,  car  un  Grec 
est  convaincu  qu'il  ferait  aussi  sûrement  fuir  aujourd'hui 
dix  Turcs  en  Europe  qu'un  Turc ,  au  temps  de  sa  con- 
fiance, faisait  fuir  dix  Grecs  ses  rayas.  La  confiance  en  soi 
est  déjà  une  force  ;  mais  l'armée  et  la  marine  militaire  ne 
leur  ofirent  pas  maintenant  assez  de  débouchés» 


ARMÉE  ET  MARIIIG.  111 

L'année  ^'«cqae  se  oompose  aiJ9wird*tHii  ée  6,(K)0  hom* 
mes  d'infa»terîe  et  5O0  bommes  de  caTalcrie.  Ces  6,000 
homiBes  sont  divisés  en  é&ax  èatailfoBS  habillés  à  Teiiro* 
péenne  et  portant  complètement  runiformede  Tarmée  ba« 
varoîse,  deux  bataillons  habillés  ^  la  grecqœ  es  fustaneUe, 
un  foataiUoii  de  Mainotes,  aossî  en  fostanetie,  et  quelques 
colonnes  mobiles. 

Il  y  a ,  ea  oatre ,  un  corps  fort  bien  organisé  de  1  ,^0ê 
gendarmes  ou  gardes  mnnic^ux  {choropkylakaê)  ba-* 
billes  aussi  è  reurq)éeniie  et  r^rtis  dans  toat  le  pays 
poar  en  assurer  la  tranquillité.  C'est  un  corps  exoeHent  ^ 
composé  d'boinmes  d'une  bra'voure  connue.  Là  ont  piis 
place  quelques-uns  des  anciens  klejrfites  qui  ont  ûiit  leur 
soumission,  et  qui  sont  devenus  fort  utiles  pour  pouraitvne 
d'autres  klephtes  dans  fes  Hionta^;iies  qu'ils  amnaissent  ai 
l»en. 

Après  la  guerre,  on  était  fort  embarrassé  de  classer  d»i8 
des  grades  réguliers  tous  ceux  qui  avaient  volootaireuient 
pris  les  armes  et  qui  tantôt  avalent  rallié  d'autres  hommes 
à  eux  et  tantôt  s'étaient  ralliés  à  des  cbefs  plus  puissants. 
On  leur  a  donc  donné  à  tous  le  rang  d'oflBcier ,  mais  ils 
n'ont  que  ia  paye  de  soldat  ;  on  les  a  laissés  se  distriboei* 
dans  le  pays  sous  la  dénominatîoa  de  pkalangisteè  et 
sous  les  ordres  d'un  chef  de  jAalange ,  ici  au  nombre  de 
dix,  là  au  nombre  de  douze  ou  quinze.  Ils  peuv^t  suivre 
sans  gêne  toutes  les  vocations  de  la  vie  civile,  être  fermi^^rs 
ou  marchands.  C'est  une  sorte  de  corps  d'invalides;  mais 
la  plupart  sont  fort  valides  et  très-^en  état  de  porter  les 
armes  au  besoin ,  et  avec  les  meilleures  dispositions  pour 
cela. 

La  marine  militaire  se  compose  d'environ  2.000  hom- 
mes, officiers  et  soldats  ;  mais  la  marine  marchande  compte 
peut-être  j^us  de  20,000  matelots  actifs ,  intelligents  et 
entreprenants. 

Toute  cette  population,  avec  ses  différentes  classes  d'em* 
ployés  publics,  d'avocats,  de  médecins,  de  banquiers,  de 


ni  GRECE   CONTINENTALE   ET   HORÉE. 

militaires  et  de  boutiquiers,  est  complètement  étrangère  à 
rÂtbènes  de  1820;  tous  sont  Tenus  s*y  implanter  depuis 
18dZi ,  et  ont  remplacé  ou  fait  oublier  la  population  origi- 
naire ,  qui  était  presque  tout  entière  albanaise.  Aujour- 
d'hui les  anciennes  familles  albanaises  d'Athènes ,  distri« 
buées  dans  de  misérables  cabanes  autour  de  l'Acropolis, 
semblent  marcher  à  côté  de  cette  société  plutôt  que  s'a^ 
fanccr  de  front  avec  elle.  Leur  intelligence  moins  rapide 
les  retient  dans  les  sphères  les  plus  humbles.  Avides  d'ar- 
gent, sobres,  patients,  laborieux,  prêts  à  tout  faire  comme 
à  tout  supporter,  ils  semblent  destinés  à  rester  les  ouvriei-s 
de  la  race  grecque  affranchie,  plutôt  qu'à  l'aider  ou  la  sui- 
vre dans  sa  marche  rapide  vers  la  civilisation.  Les  femmes 
albanaises  sont  grandes  et  belles ,  mais  n'ont  rien  de  l'ap- 
titude des  femmes  grecques  à  se  modeler  sur  les  usages  et 
les  costumes  de  l'Occident.  Pendant  la  semaine,  vêtues 
seulement  d'une  épaisse  chemise  de  laine  fendue  à  la  poi- 
trine ,  que  couvre  une  longue  veste  ouverte ,  sans  qu'un 
lien  quelconque  vienne  la  rattacher  à  la  taille  et  indiquer 
les  formes,  elles  vaquent  aux  soins  domestiques,  vont  rem- 
plir aux  fontaines  de  vastes  cruches  d'eau  qu'elles  portent 
sur  leurs  têtes,  allaitent  leurs  enfants  sans  scrupule  devant 
leur  porte,  blanchissent  le  linge  de  leurs  maris  et  des 
étrangers ,  et  remplissent  tous  les  menus  offices  moins  ce- 
lui d'aller  au  marché  :  car  il  n'est  pas  une  seule  femme , 
domestique  ou  non,  qui  se  présente  dans  un  marché,  cela 
blesserait  toutes  les  lois  des  convenances  ;  les  hommes  seuls 
vendent  et  achètent  les  provisions  de  la  maison.  Le  diman- 
che ,  les  femmes  albanaises ,  après  avoir  assisté  aux  offices 
religieux ,  viennent  prendre  place ,  accroupies  par  terre 
peu  gracieusement,  à  la  porte  de  leur  maison  dans  la  rue, 
et  y  restent  toute  la  journée.  Leur  mise  est  alors  fort  riche 
et  fort  brillante  sans  être  plus  gracieuse.  La  chemise  de  laine 
plus  blanche  et  plus  propre,  mais  non  moins  détachée  et  sans 
ceinture,  est  recouverte  d'une  tunique  de  couleur,  d'une  im- 
mense veste  splendidement  brodée,  et  d'un  demi-jupon  aux 


NATIONALITÉ    GRECQUE.  113 

couleurs  voyantes ,  qui  masque  le  bas  de  la  tunique.  Une 
sorte  d'écharpe  à  franges  d*or  enveloppe  la  tête  et  le  cou. 
Quelques  longues  tresses  s*en  échappent  par-devant  sans 
beaucoup  d'étude,  tandis  que,  par  derrière,  deux  immen- 
ses tresses  descendent  jusqu'au  bas  de  la  jambe,  et  sont 
terminées  par  un  gland  de  soie  rouge  long  et  épais. 

Le  peu  que  je  viens  dé  dire  de  la  société  grecque  mon- 
tre que  ,  quand  la  France  s'est  imposé  de  généreux  sacri- 
fices pour  donner  la  main  à  un  peuple  qui  voulait  ressaisir 
son  indépendance ,  elle  n'a  pas  été  trompée  dans  les  espé- 
rances qu'elle  avait  mises  en  lui.  Elle  voulait  une  nation 
qui  fût  fière  de  prendre  sa  place  parmi  les  peuples  civili- 
sés, et  qui  sût  la  conserver  après  l'avoir  méritée  ;  une  na- 
tion qui  sût  se  contenir  et  s'améliorer  dans  ses  étroites  li- 
mites, pour  se  rendre  digne  un  jour  de  plus  hautes  desti- 
nées ;  une  nation  qui  pût  quelque  temps  rester  petite,  mais 
sût  et  voulût  devenir  grande  ;  une  nation  dont  le  germe 
pût  se  développer  et  croître  de  manière  à  couvrir  de  son 
ombre  une  bonne  partie  du  sol  européen  sur  laquelle  languit 
et  dépérit  aujourd'hui  le  germe  de  la  nationalité  musul- 
mane, et  qui  pût  saisir  pour  elle  un  butin  qu'il  serait  dan- 
gereux de  laisser  à  d'autres  :  et,  cette  nation,  nous  l'avons 
trouvée  dans  la  vieille  race  grecque,  qui  demande  à  se  ré- 
générer. Les  premiers  pas  faits  par  cette  nation  sont  déjà 
dignes  de  notre  méditation.  Une  longue  anarchie  ne  lui  a 
pas  ôté  le  goût  de  l'ordre,  un  long  abaissement  n'a  pas  dé- 
truit sa  fierté,  un  long  despotisme  ne  l'a  pas  rendue  inca- 
pable d'une  liberté  régulière,  une  longue  ignorance  ne  lui 
2  pas  enlevé  le  goût  des  sciences,  une  longue  misère  ne  lui 
a  pas  donné  le  dégoût  du  travail,  une  domination  immorale 
i^*a  pas  atteint  la  moralité  dans  le  sanctuaire  domestique, 
Qne  religion  humiliée  ne  lui  a  pas  inspiré  l'intolérance  après 
b  victoire,  et  la  tolérance  chez  elle  n'est  pas  devenue 
aussitôt  de  l'indilTérence  ;  il  y  a  là  des  éléments  et  de  nom- 
breux éléments  de  bien.  Il  reste  sans  doute  encore  beau- 
coup de  mal  à  extirper.  Un  peuple  ne  reste  pas  impuné- 

10. 


114  GRECE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

ment,  pendant  près  de  quatre  siècles,  courbé  sous  des  mai* 
très  stupîdes  qu'il  est  contraint  de  flatter  ou  de  tromper. 
Les  générations  se  corrompent  vite  et  s'améliorent  lente- 
ment ;  car  Tamélioration  morale  d*un  peuple  est  le  fruit 
des  institutions  sociales  et  politiques,  dont  les  principes 
sont  souvent  contestés  et  les  progrès  toujours  lents.  La 
propriété  doit  s'organiser ,  les  fortunes  moyennes  se  mul- 
tiplier pour  cimenter  l'indépendance  des  caractères  et  la 
puissance  de  Topinion  publique ,  qui  fait  respecter  Thon- 
nête  et  le  vrai.  Tout  cela  ne  se  fait  pas  en  un  jour.  La  Grèce 
a  déjà  beaucoup  fait  Que  l'on  compare  son  point  de  dé- 
part avant  la  révolution  grecque  avec  le  point  de  départ 
des  autres  peuples  pris  la  môme  année ,  et  qu'on  mesure 
ce  qu'a  fait  chacun  dans  la  même  période  d'années.  Éta-* 
blissement  d*une  société  politique ,  d'une  administration , 
d'une  armée  régulière ,  d'impôts  réguliers ,  de  tribunaux 
réguliers;  création  d'une  université,  d'une  bibliothèque, 
d'un  musée,  de  gymnases,  d'écoles,  de  sociétés  savantes; 
édification  d'une  ville  entière  avec  ses  édifices  publics,  tels 
quels  mais  suffisants;  des  écoles  pour  les  uns,  un  théâtre 
italien  pour  les  autres;  un  budget  grossissant  graduelle- 
ment de  U  millions  à  17  millions  de  drachmes,  sans' que 
les  dépenses  aillent  au  delà  des  revenus  :  tant  de  bonnes 
choses  déjà  faites  montrent  tout  ce  qu'on  peut  faire  et  ce 
qu*on  fera.  Il  conviendrait  seulement  pour  cela  peut-être 
que  les  cours  étrangères  ne  voulussent  pas  si  fréquemment 
intervenir  dans  les  petites  choses ,  et  qu'elles  réservassent 
tout  le  poids  de  leur  influence  pour  les  grandes,  par  exem- 
ple pour  l'établissement  d'une  bonne  organisation  politique 
et  d'une  direction  régulière  des  affaires.  En  cela  l'intérêt 
de  toutes  les  nations  est  le  même;  une  seule  ne  trouverait 
pas  son  compte  à  l'affermissement  du  royaume  grec ,  mais 
cttte  puissance  fait*elle  si  bien  nos  affaires  à  tous  que 
nous  soyons  tentés  de  faire  les  siennes  ? 


DUCS  FRANÇAIS  D^ ATHENES.  115 


IV. 


L'ATHÈNES  FRANÇAISE  DO  MOYEN  AGE.  —  SES  DUCS.  — 
SES  MONUMENTS.  —  CHATEAUX.  —  ÉGLISES.  —  SÉ- 
PULTURES. —  ARMURES. 

Lorsque,  semblable  à  uue  nuée  d'oiseaux  de  proie, 
rarmée  de  nos  ancêtres  croisés,  maîtresse  de  Conslantino- 
pie  et  de  l'empire  grec ,  eut  franchi  l'Olympe  et  la  vallée 
de  Tempe  pour  se  répandre  dans  la  Thessalie  et  dans  toutes 
ks  parties  de  la  Grèce  antique ,  Athènes  devint  l'apanage 
d'un  des  plus  puissants  lirons  de  l'armée  conquérante.  Le 
chevalier  français  auquel  fut  dévolu  ce  glorieux  fief  était  un 
Bourguignon  nommé  Othon  de  La  Roche,  ûls  aine  du 
sire  de  La  Roche-sur-Ougnon  en  Franche-Comté.  Il  obtint 
dans  le  partage  de  l'empire  grec  en  1205,  d'abord,  ce 
qu'il  estima  le  plus  haut ,  un  morceau  de  bois  de  la  vraie 
croix,  dont  il  fît  hommage  à  l'église  du  village  de  Ray,  où 
elle  se  conserve  encore  comme  un  dépôt  dont  la  propriété 
reste  à  la  famille  Marmier;  puis,  ce  qu'il  estimait  moins, 
mais  évaluait  plus,  la  riche  province  de  Héotie  et  la  glorieuse 
Attique.  Il  devint  ainsi  un  des  feudataires  relevant  de  la 
principauté  de  Morée,  possédée  par  la  famille  champenoise 
des  Yille*Hardoiu  ;  il  établit  sa  ré^dence  à  Athènes,  et  s'y 
fit  bâtir  un  châleau-^fort.  Pendant  une  quinze  d'années  il 
continua  à  séjourner  dans  sa  seigneurie  d'Athènes ,  satis- 
faisant également  bien  à  ses  devoirs  judiciaires  dans  la 
cour  féodale  du  prince  de  Morée,  et  à  ses  devoirs  militaires 
dans  ses  garnisons  et  ses  expéditions.  Puis,  son  père  étant 
venu  à  mourir  en  Bourgogne,  il  quitta  à  l'instant  sa  sei- 
gneurie d'Athènes  au  grand-  nom  pour  aller  prendre  pos*' 
session  de  sou  obscur  fief  paternel  au  comté  de  Bourgogne. 

Plusieurs  de  ses  neveux  et  nièces,  enfants  d*un  frère 


116  GRECE   CONTINENTALE   ET   HOREE. 

cadet  moins  brillamment  apanage  en  Bourgogne  comme 
en  Grèce,  étaient  venus  s^établlr  auprès  de  lui  dans  sa 
seigneurie  d'Athènes.  À  Fainé,  nommé  Guy^  ûls  de  Pons 
de  La  Roche ,  seigneur  de  Ray,  près  de  Gray  ',  il  ût  don 
de  sa  seigneurie  d'Athènes  ;  et  Guy ,  resté  en  Grèce  avec 
une  partie  de  sa  famille,  ne  songea  plus  qu'à  bien  s'éla- 
blir  dans  sa  seigneurie  et  à  y  bien  établir  les  siens.  Son 
ambition  faillit  le  perdre.  Au  moment  où  Guillaume  de 
VilleHardoin  succéda  à  son  frère,  Geoffroi  de  Ville-Har- 
doin ,  dans  la  principauté  de  Morée ,  Guy  de  La  Roche 
voulut  profiter  du  moment  où  l'autorité  du  prince  n'était 
pas  encore  bien  solidement  assise  pour  se  soustraire  à  sa 
suzeraineté ,  en  refusant  l'hommage  d'allégeance  et  en  se 
déclarant  indépendant  dans  sa  seigneurie.  Il  avait  entraîné 
dans  sa  révolte  plusieurs  autres  chefs  féodaux  qui  étaient 
charmés  comme  lui  de  l'espoir  de  se  rendre  tout  à  fait  in- 
dépendants dans  leurs  baronnies  ;  mais  les  feudataires  li- 
gués furent  battus  par  le  prince  Guillaume.  Guy  de  La 
Roche,  assiégé  dans  Thèbes,  fut  forcé  de  se  rendre.  Au 
lieu  de  le  punir  par  la  confiscation,  le  prince,  dont  la  fa- 
mille était  alliée  à  la  sienne,  préféra  l'exiler  pendant  quel- 
ques années,  et  il  lui  ordonna  d'aller  en  France  trouver  le 
roi  saint  Louis  et  de  s'en  remettre  à  sa  décision  pour  tout 
ce  qu'il  ordonnerait  de  lui.  Saint  Louis,  qui  préparait  une 
nouvelle  croisade,  parvint  à  réconcilier  ses  compatriotes  de 
Morée  au  nom  de  l'assistance  commune  qu'ils  devaient  à  la 
religion,  et,  pour  panser  les  blessuresfaites  par  une  éclatante 
défaiteà  la  fierté  du  seigneur  d'Athènes,  il  l'autorisa  à  changer 
son  titre  grec  de  megas-kyr  ou  grand-sire  en  celui  de  doc. 
Guy,  en  retournant  en  Grèce  en  1260,  y  reparut  donc  avec 
le  titre  de  duc  d'Athènes.  Il  mourut  en  Grèce  vers  1264. 

*  La  dernière  héritière  des  La  Roctie ,  seigneurs  de  Ray,  épousa 
un  Marmier,  dont  elle  était  éprise ,  et  par  ce  mariage  la  seigneurie 
de  Ray  passa  dans  la  maison  Marmier.  Le  chftteau  de  Ray  appar- 
tient aujourd'hui  au  duc  de  Choiseul-Marmier.  J'ai  retrouvé  dans  ses 
archiTes  plusieurs  actes  curieux  relatifs  aux  La  Roche  d'Athènes. 


DUCS  FAANGA18  d' ATHENES.        117 


4 


Deux  fils  de  ce  premier  duc  Guy  possédèrent  successi- 
vement le  duché  d'Athènes  après  la  mort  de  leur  père. 
Jean,  Taîné,  eut  à  lutter  contre  les  entreprises  de  Michel 
PaJéologue,  qui,  après  s'être  rendu  maître  par  surprise  de 
Constantinople  dès  1261  et  avoir  chassé  les  Français  de 
cette  partie  de  l'empire,  cherchait  à  les  déposséder  égale- 
ment des  autres  provinces.  Dans  un  combat  que  le  duc 
Jean  livra  aux  forces  impériales ,  soutenues  par  la  marine 
génoise,  dans  le  détroit  de  l'Ëubée,  il  fut  fait  prisonnier^t 
amené  à  Constantinople.  Là  l'empereur  grec,  désireux 
d'obtenir  son  alliance  et  de  l'éloigner  de  ses  rivaux  les 
Comnène  d'Épire,  lui  offrit  en  mariage  une  de  ses  fdles; 
mais  Jean  était  fort  goutteux  et  peu  disposé  à  se  marier.  Il 
déclina  poliment  les  avances  de  l'empereur,  obtint  sa  dé- 
livrance ,  retourna  dans  son  duché ,  et  y  mourut  peu  de 
temps  après,  vers  1275,  laissant  le  duché  à  son  frère. 

GuMaume ,  frère  puiné  de  Jean  et  fils  comme  lui  de 
Guy  de  Ray,  de  la  maison  de  La  Roche ,  lui  succéda  au 
duché.  Celui-là  était  jeune ,  ardent ,  belliqueux.  Il  s'allia 
dans  la  famille  des  Comnène  d'Épire,  ennemis  des  Paléo- 
logue,  en  épousant  Hélène,  fille  de  Théodore  Comnène, 
et  il  s'acquit  une  telle  importance  dans  la  principauté  fran- 
çaise de  Morée  qu'après  la  mort  du  prince  Guillaume  de 
Ville-Hardoin  et  de  Louis-Philippe  d'Anjou,  mari  d'Isa- 
belle de  Yille-Hardoin ,  ce  fut  lui  qui  succéda  en  1280  à 
Rousseau  de  Sully  dans  le  baîlat  et  le  vicariat  général  de  la 
pnncipauté  de  Morée  pendant  le  reste  de  sa  vie'.  Il  fit  à 
cette  époque  faire  de  grands  travaux  de  défense  et  bâtit  la 
place  de  Dimatra  dans  les  défilés  de  Gortys^  En  outre 
de  son  fief  qu'il  tenait  du   roi  Charles  d'Anjou,  sei- 
gneur supérieur  de  la  principauté ,  il  se  trouvait  en  rela- 
tions constantes  avec  le  royaume  de  Naples  et  avec  les  sei- 
gneurs français  ses  compatriotes  qui  y  étaient  établis.  Hu- 

*  Chr.  de  Morée,  p.  1S7  de  mon  éJit.  à  deux  colonnes. 
Md.,  ibid. 


118  GRÈCB  MNTIHEIITALG  M  «OREE. 

gnes  de  Brienne,  comte  de  Lecce,  étant  votn  ioi  faire  one 
visite  à  Athènes  vers  1280,  il  lui  fit  épouser  sa  sœor  Isa* 
b^e,  qui  en  eut  un. fils,  Gautier  de  tienne,  asquel 
devait  un  jour  revenir  le  dncbé  d'Athènes  après  l'extinc- 
tion de  la  branche  mâle  des  de  La  Roche.  Isabelle  mourut 
en  1290  et  son  frère  Guillaume  d'Athènes  moorut  peu  de 
temps  après  *,  hissant  le  duché  à  son  fils  unique.  Gai  ou 
Guido,  encore  mineur. 

Ce  Gui  ou  Guido  nous  est  fort  connu  par  les  récite 
d'un  anteur  contemporain  qui  a  eu  avec  hii  des  relations 
personnelles,  le  piquant  chroniqueur  Ramoa  Muntaner, 
un  des  capitaines  de  cette  Grande-Compagnie  calalane  si 
fameuse  au  quatorzième  siècle.  On  trouve  dans  sa  chro* 
nique  une  peinture  ancienne  de  la  cour  brillante  et  somp- 
tueuse dn  doc  Gui  d'Athées.  Il  raconte'  qu'au  temps  du 
duc  Gnillaame  un  membre  de  la  famille  dalle  Carcere  de 
Yérone  alla  s'établir  âi  Athènes,  et  que  le  duc  Guiflauvie  le 
reçut  avec  la  plus  grande  bienveillance ,  lui  accorda  beau* 
coup  de  biens,  le  fit  un  puissant  feudataire,  lui  donna  une 
femme  fort  riche  et  le  fit  chevalier.  Au  bruit  de  cette  for* 
tune  un  autre  membre  de  la  famille  dsdle  Carcere  voulut 
aller  chercher  fortune  à  son  tour ^i  Grèce.  «Or,  dit  Ra* 
mon  Muntaner^  messire  Boniface  n'avait  qu'un  cfaltean 
que  son  père  lui  avait  laissé.  Il  le  vendit  afin  de  mieux 
s'équiper ,  et  ainsi  il  s'équipa  lui  et  dix  chevaliers  et  dix 
fils  de  chevaliers.  Et  il  prit  l'ordre  de  chevalerie  des  mains 
de  son  frère  aîné ,  parce  qu'il  valait  mieux  pour  lui  de 
partir  comme  chevalier  que  comme  écuyer  ;  car,  dans  ces 
pays,  aucun  fils  de  grand  feudataire  n'est  considéré  jusqu'à 
ce  qu'il  soit  chevalier.  Voilà  pourquoi  il  se  fit  armer  che- 
valier des  mains  de  son  frère.  » 

Yoilà  donc  Boniface  qui  part  de  Yérone  pour  Athènes 

*  Chr.  de  Morée ,  p.  187,  et  mes  Nouvelles  Recherches  histori" 
gués  dans  la  généalogie  de  la  maison  de  La  Roche  à  la  fm  de  l'avant- 
propos  du  tome  i*''. 

«Ch.  244,  p.  481. 


SYRA.  119 

avec  de  baotes  espéra&ces;  mais  il  se  troava  fort  désap- 
poinlé  en  arrivant.  Son  parent  était  mort  un  mois  aupara- 
vant, laissant  deux  ûls  et  une  fille,  tous  trcHs  mineurs. 
Dans  cet  embarras,  le  jeune  duc  d'Athènes  Gui  le  recoft- 
Ibrta  comme  son  père  le  doc  Guillaume  avait  reconforté  le 
parent  de  Boniface.  Il  le  mit  de  sa  maison  et  de  son 
conseil  et  le  lit  inscrire  pour  une  ration  belle  et  bonne 
pour  kïi  et  sa  compagnie.  Boniface  vécnt  de  ce  genre  de 
vie  pendant  bien  sept  ans,  de  telle  sorte,  dit  Ramon  Mun* 
taner,  que  «  jamais  il  n*y  eut  un  homme  à  la  cour  du  duc 
qui  se  vêtît  plus  élégamment  et  pluë  richement  que  lui  et 
sa  compagnie,  et  nul  qui  se  présentât  partout  en  raeilleuf 
arroL  £t  le  bon  duc  d'Athènes  remarquait  son  intelli- 
gence 1  quoiqu'il  n'en  fît  pas  semblant ,  et  d'autre  part  il 
le  trouvait  plein  de  sagesse  dans  le  conseil.  »  Il  conçut 
même  le  projet  de  profiter  de  l'occasion  d'une  fête  qui 
devait  avoir  lieu  au  moment  où  il  se  faisait  armer  chevalier 
pour  lui  donner  une  marque  plus  éclatante  de  sa  haute  fa- 
veur. Je  laisse  parler  le  naïf  et  piquant  Ramon  Muntaner. 
«  Il  est  de  toute  vérité,  dit-il,  que  le  duc  d'Athènes  était 
un  des  plus  nobles  hommes  qui  fussent  dans  l'empire  de 
Ronaanîe,  et  des  plus  grand»  qui  ne  fussent  pas  rois.... 
£t  il  avait  eu  sa  terre  franche  et  quitte*  ;  et  il  avait  donné 
à  ses  chevaliers  châteaui ,  maisons  et  terres,  de  telle  sorte 
qu'il  s'y  établit  (en  Morée  et  à  Athènes)  bien  certainement 
mille  chevaliers  français,  qui  tous  firent  venir  de  France 
leurs  femmes  et  leurs  enfants.  Depuis  ce  temps,  ceux  qui 
sont  issus  d'eux  ont  pris  pour  femmes  les  filles  des  plus 
hauts  barons  de  France.  £t  ainsi  en  droite  ligne  ils  sont 
tous  nobles  hommes  et  de  noble  sang.  Il  arriva  donc  un 
jour  que  le  bon  duc  d'Athènes  (celui  qui  laissa  sa  terre  à 
Gautier  de  Brienne)  voulut  prendre  l'ordre  de  chevalerie, 
et  il  fit  convoquer  une  cour  plénière  de  toute  sa  terre,  et  il 

*  Cette  prétention  était  celle  des  ducs  d'Âthènps  ;  mais  île  furent 
obligés  de  se  soamettpe,  selon  TinstitutioB  de  leur  baronnie,  à  la  su- 
Kraineté  des  princes  français  de  Morée. 


130  GBÈCE   CONTINENTALE   ET    MOREE. 

ordonna  que,  le  jour  de  la  saint  Jean  de  juin,  tout  ce  qa'il 
y  avait  de  nobles  hommes  dans  son  duché  se  trouvât  dans 
la  ville  de  Tbèbes,  où  il  voulait  recevoir  Tordre  de  cheva- 
lerie. Il  convoqua  également  les  prélats  et  tous  autres 
bonnes  gens;  ensuite  il  fit  publier  dans  tout  Tempire,  dans 
tout  le  despotat  et  toute  la  Ylachie  (THelIade)  :  que  tout 
homme  qui  désirerait  y  venir  n'eût  qu*à  se  présenter,  et 
qu'il  recevrait  de  lui  grâces  et  présents.  £t  celte  cour  plé- 
nière  fut  proclamée  bien  six  mois  avant  sa  réunion. 

»...  A  l'époque  oâ  le  bon  duc  avait  convoqué  sa  cour  plé- 
nière,  chacun  s'empressa  de  se  faire  faire  de  beaux  habil- 
lements pour  sol-même  et  pour  sa  suite,  et  aussi  pour  en 
distribuer  aux  jongleurs ,  afin  de  donner  plus  de  lustre  à 
la  cour.  Que  vous  dirai-je  ?  Le  jour  de  la  cour  plénière 
arriva ,  et  dans  toute  la  cour  il  n'y  eut  personne  plus  élé- 
gamment et  plus  noblement  vêtu  que  messire  Boniface  et 
sa  suite.  11  avait  bien  cent  brandons  armoriés  de  ses  ar- 
moiries. Il  emprunta  de  quoi  subvenir  à  toutes  ces  dépen- 
ses en  engageant  d'avance  la  solde  qui  devait  lui  revenir 
plus  tard.  Que  vous  dirai-je  ?  La  fête  commença  d'une 
manière  splendide.  Et,  lorsqu'on  fut  arrivé  dans  la  grande 
église,  où  le  duc  devait  recevoir  l'ordre  de  chevalerie,  l'ar- 
chevêque de  Thèbes  dit  la  messe,  et  sur  l'autel  étaient  dé- 
posées les  armes  du  duc.  Tout  le  monde  attendait  avec 
anxiété  le  moment  où  le  duc  allait  recevoir  Tordre  de  che- 
valerie ,  et  on  s'imaginait ,  comme  grande  merveille ,  que 
le  roi  de  France  et  l'empereur  se  seraient  disputé  cet  hon- 
neur et  auraient  tenu  à  grande  gloire  que  le  duc  voulût 
bien  recevoir  Tordre  de  chevalerie  de  leurs  mains.  Et ,  au 
moment  où  tous  étaient  ainsi  dans  l'attente,  le  duc  fit  ap- 
peler messire  Boniface  de  Vérone.  Celui-ci  se  présenta  à 
Tinstant ,  et  le  duc  lui  dit  :  «  Messire  Boniface  ,  asseyez- 
vous  ici  tout  près  de  l'archevêque,  car  je  veux  que  ce  soit 
vous  qui  m'armiez  chevalier.  »  Et  messire  Boniface  lui  dit  : 
«  Ah  !  seigneur ,  que  dites-vous  ?  assurément  vous  vous 
moquez  de  moi.  —  Non,  dit  le  duc,  car  je  veux  que  cela 


DUCS   FRANÇAIS   D^ATHENSS.  121 

soit  ainsi.  »  Et  messire  Boniface ,  voyant  qn'il  parlait  du 
fond  du  cœur,  s'avança  vers  l'autel  auprès  de  Tarcbevê- 
que  ,  et  donna  aii  duc  Tordre  de  chevalerie.  Et,  quand  il 
l'eut  créé  chevalier,  le  duc  dit  en  présence  de  tons  :  «  Mes- 
sire Boniface ,  l'usage  est  que  toujours  ceux  qui  reçoivent 
un  chevalier  lui  fassent  un  présent.  Eh  bien  I  je  veui  faire 
tout  le  contraire.  Vous,  vous  m'avez  fait  chevalier;  et  moi 
je  vous  donne,  à  dater  d'aujourd'hui,  cinquante  mille  sols 
tournois  de  revenu,  à  posséder  à  jamais ,  pour  vous  et  les 
vôtres,  et  le  tout  en  châteaux  et  autres  bons  lieux ,  et  en 
franc  aleu  ,  pour  en  faire  toutes  vos  volontés.  Et  je  vous 
donne  aussi  pour  femme  la  fille  de  tel  baron  qui  est  et  de- 
meure sous  ma  main ,  et  qui  est  dame  de  la  tierce  partie 
de  l'île  et  de  la  cité  de  Négrepont.  »  Voyez  comme  en  un 
jour  et  en  une  heure  il  lui  donna  bel  héritage.  Et  certes 
ce  fut  le  plus  noble  don  que  depuis  bien  long-temps  ait 
fait  en  un  seul  jour  aucun  prince.  » 

Telle  était  alors  la  cour  féodale  des  ducs  français  d'Â- 
tbènes  de  la  maison  de  La  Roche.  L'amiral  de  France  Thi- 
bault de  Gepoy  S  qui  alla  le  voir  à  Athènes  de  la  part  de 
Charles  de  Valois,  empereur  titulaire  de  Constantinople, 
dont  le  désir  était  de  substituer  une  possession  réelle  à  sa  pos- 
session nominale  de  l'empire,  mentionne  dans  son  compte 
de  dépenses^  les  ménestrels  et  l'écuyer  du  duc  d'Athènes  : 
•  Pour  don  aux  ménestreus  du  duc  d'Athènes,  »  etc.-*«  A 
deux  ménestreus  du  duc  d'Athènes  qui  vindrent  pour  le 
mariage  de  Roquefort.  «  —  «A  Jean  de  Barquon,  escuyer 
du  duc  d'Athènes,  »  etc.  Pour  rendre  sa  cour  plus  brillante 
et  augmenter  en  même  temps  le  nombre  de  ses  hommes 
d'armes  francs,  afin  de  faire  respecter  les  droits  de  la  jeune 
princesse  de  iMorée,  Mathilde  de  Nainaut,  qu'il  venait  d'é- 
pouser à  l'âge  de  douze  ans ,  il  profita  des  dissensions  qui 

1  Son  portrait  est  à  Versailles  parmi  ceux  des  amiraux ,  sous  le 
n»  1170. 
>  Rouleau  en  parchemin  de  Tancienne  chambi'e  des  comptes ^ 

note  3,  p.  467  de  R.  Muntaner. 

11 


]2i  GRECS  GIM«TI]lfBIITM.E   IT   HOAiE. 

t'étaient  mises  dans  la  Crande-Compagnie  catalane  et  earMa 
soas  ses  drapeaux  quelques- uns  de  ses  chevaliers  les  plus 
brates,  qui  étaient  arrivés  au  porl  d'Armyros  en  Thessalie. 
Il  n'en  restait  pas  moins  lié  d'intérêt  et  d'affection  a^ec  la 
ttBÎson  d'Anjouffiipolitaineet  avec  l'empereur  titulaire  Charr- 
ies de  Valois,  son  suaerain.  Rainoo  Muntaner  raeoate  que, 
lorsque  l'infant  Fernand  de  Majorqjie,  son  ^ni,  fat  arrêté 
par  le  duc  d'Athènes,  pour  plaire  à  l'amirab français  Thi* 
bauh  de  Cepoy  il  alla  lui-même  voir  IMniant  dans  sa  prisoii 
à  Thèbes,  et  qu'il  vit  Mi  le  dac  Goi  d'Athènes. 

ff  Je  me  procurai  alors  cinq  montures ,  dit^il  *,  et  me 
ren^  à  la  cité  de  Thèbes  ,  qui  est  h  TingtHfu^re  railtes 
de  Négrepoiit,  et  j'y  trouvai  le  duc  d'Athènes  malade,  KC, 
tout  malade  qu'H  était,  il  m'aecueillit  très^bien  «  et  me  dit 
qu'il  était  bien  fâché  du  dommage  que  j'avais  souffert,  et 
fa'il  se  mettait  à  ma  disposition  poor  qne  jie  Itii  indiquasse 
à  quoi  il  pourrait  m'être  utile,  et  qu'il  aurait  grand  pla»ir 
à  m'être  en  aide.  Je  lui  fis  beaucoap  de  remerdmeats  et 
hii  dis  que  fô  plus  grand  plaisir  qti^il  pât  me  fake  f  c'était 
de  traiter  avec  toute  sorte  d'honneurs  le  seigneur  in^t 
Il  me  répondit  qu'il  s'y  sentait  tenu  par  Itri-même  et  qu'il 
était  bien  fâché  d'avoir  à  prêter  ses  services  dans  une  teite 
circonstance.  Je  le  priai  de  vouloir  bien  me  permettre  de 
le  voir.  Il  me  répondit  que  oui ,  et  non  seulement  de  le 
voir,  mais  rester  à  ma  volonté  auprès  de  lui  ;  et  que,  par 
honneur  pomr  moi,  tant  que  je  serais  avec  lui,  tout  homme 
pourrait  entrer  dans  sa  prison  et  manger  avec  lui ,  et  que 
même ,  s'il  voulait  monter  à  cheval ,  il  le  pouvsut.  Il  fit 
aussitôt  ouvrir  les  portes  du  château  de  Saint-Omer  ^»  où 

*  Chronique  de  Ramon  Manfaner,  p.  474  démon  édition  à  deux 
eolonnes. 

s  iUasi  appelé  parce  qaUi  avait  été  bâti  par  Nicolas  de  Saint- 
Omer  lorsqu'il  était  bail  de  Morée,  au  treizième  siècle.  «  Par  ses 
grandes  rtobesses ,  il  se  vit  en  état  de  faire  construire  à  Thèbes  le 
château  de  Saint-Omer,  et  il  y  fit  bâtir  une  habitation  si  magnili^ 
que,  quun  empereur  eût  pu  s'y  établir  avec  toute  sa  maison  ;  et 
il  l'orna  de  très*belles  peintures.  »  (Chr.  deMorée,  p*  189). 


). ^1 


«DOS  PBAHCAIS  B  ATSSNHI.  If  S 


é 


éteic  détesa  le  seigneur  infant  »  et  j'allai  le  Toir...  Après 

qae  j'eus  detneurédeui  jours  à  Thèbes  auprès  du  seigoeur 

infiaJit,  je  pris  congé  de  lui  arec  grande  douleur  ;  car  peu 

s'en  fallut  que  mon  cœur  ne  s'en  brisât.  Je  lui  iais8«  une 

piH*Ue  du  peu  d'argent  que  j'avais,  et  je  me  dépouillai  de 

quelques  babillements  que  je  portais  et  les  d<noai  au  cui- 

nÎDÎer  que  le  duc  lui  avait  fourni  ;  et  je  pris  k  part  ledit 

cuisinier,  et  lui  dis  qu'il  se  gardât  bien  de  souffrir  que 

rie»  (ut  mis  dans  ses  mets  qui  pût  lui  faire  «uoun  mal ,  et 

que,  s'il  y  donnait  bonae  giffde,  il  recevrait  de  bonnes  ré* 

eorapeases  de  moi  et  d'autres.  Et  je  lui  fis  mettre  ks  mains 

sur  TËvi^ngile  et  jurer  en  ma  présence  qu'il  se  laisserait 

plutôt  couper  b  tête  que  de  souffrir  qu'il  arrivât  naalkeur 

à  l'infant  pour  avoir  mangé  d'aucun  mets  préparé  par  luL 

Ces  précautions  prises,  je  le  quittai.  J'avais  déjà  pris  congé 

du  seigneur  infant  et  de  sa  compagnie;  j'afiai  aussi  pren* 

dre  congé  du  duc  d'Atbènes,  qui,  avec  bonne  grâce,  me  fit 

don  de  quelques  ricbes  et  beaux  joyauK.  Nous  parûmes 

satisfaits  de  lui ,  et  nous  retournâmes  à  Négrepont ,  où  se 

trouvaient  les  galères,  qui  n'attendaient  plus  que  mot  » 

Le  duc  Gui  mourut  de  maladie  *  le  $  octobre  1 308  et  fut 
enterré  au  tombeau  de  ses  prédécesseurs,  dans  une  abbaye 
de  Bénédictins  de  Citeauz  ^tué  près  d'Athènes.  Mathilde 
de  Hainaut,  princesse  de  Morée,  sa  femme ,  avait  à  peine 
accompli  sa  quinzième  année  ^.  A  défaut  d'enfants  du  duc 
Gui  qui  héritassent  du  duché  d'Athènes,  sa  succession 
passa  à  son  cousin  germain,  Gautier  de  Brienne,  fils  de  sa 
tante  Hélène  et  d'Hugues  de  Brienne. 

Maison  de  Brienne.  Gautier  de  Brienne,  arrière-petit- 
neveu  du  célèbre  Jean  de  Brienne,  roi  de  Jérusalem  et  em- 
pereur de  Constantinople ,  arriva  de  son  comté  de  Leece 
dans  le  royaume  de  Naples,  pour  prendre  possession  du  du- 
ché d'Athènes,  qui  venait  de  lui  échoir.  Déjà  la  Grande- 

^  R.  MuDtaner,  p.  474. 

^  Elle  était  oée  vers  la  iïa  de  1292. 


124         grÈcb  continentale  et  moree. 

Compagnie  catalane,  conduite  par  Roger  de  Flor  au  secours 
de  l'empereur  Andronic,  avait  perdu  son  chef,  s'était  décla* 
rée  en  guerre  avec  l'empereur  et  tout  l'empire,  avait  dévasté 
les^  campagnes  qui  entourent  Galiipoli,  et  s'était  mise  en 
route  par  la  vallée  de  Tempe  et  la  Thessalie  pour  aller  cher- 
cher un  établissement  dans  des  provinces  moins  épuisées 
ou  plus  disposées  à  les  accueillir.  Elle  s'approchait  de  la 
Béotie  et  de  l'Attique,  domaines  de  Gautier  de  Brienne. 
Celui-ci,  qui  redoutait  leur  indiscipline,  refusa  non-seule- 
ment de  les  prendre  à  son  service,  mais  même  de  leur  li- 
vrer passage  ,  et  se  porta  à  leur  rencontre  sur  le  bord  du 
lac  Copais,  près  d'Orcbomène ,  à  la  tête  de  ses  chevaliers. 
De  même  qu'à  Grécy,  à  Poitiers,  à  Azincourt,  la  bravoure 
imprudente  de  ces  chevaliers  entraîna  leur  perte.  Les  ar- 
chers catalans  ,  qui  les  attendaient  sur  le  terrain  humide 
où  la  chevalerie  française  s'était  témérairement  engagée, 
les  accablèrent  de  leurs  flèches  sans  qu'ils  pussent  avancer. 
Gautier  périt  dans  la  bataille,  en  1310,  et  la  Grande-Com- 
pagnie s'empara  du  duché  d'Athènes.  Sa  veuve ^  Jeanne  de 
Châtillon,  duchesse  d'Athènes,  se  retira  à  Naples  avec  son 
fils  Gautier  et  sa  fille  Isabelle.  Dès  131^i ,  Gautier  de 
Châtillon,  tuteur  du  jeune  Gautier,  chercha  à  reprendre 
pour  lui  le  duché  d'Athènes;  mais  il  n'y  put  réussir. 

Gautier  II  d'Athènes  fit  quelques  tentatives  pour  res- 
saisir plus  tard  le  duché  d'Athènes  sur  les  Catalans  S  mais 
il  ne  put  réussir  et  fut  forcé  de  retourner  dans  le  royaume 
de  Naples.  C'est  lui  que  nous  voyons  deu%  fois  gouverneur 
temporaire  de  Florence,  en  1320  et  13^3.  Il  en  fut  chassé 
celte  dernière  fois  pour  avoir  voulu  s'emparer  complète- 
ment de  la  seigneurie ,  et  mourut  en  combattant  glorieu- 
sement en  1356,  sans  laisser  d'enfants,  à  la  bataille  de 
Poitiers,  où  il  commandait  comme  connétable  de  France. 

Maison  d'Enghien.  Sa  sœur  hahelU^  qui  avait 
épousé  Gautier  d'Enghien ,  hérita  de  ses  titres  et  préten- 

*  Voy.  Villani,  et  mes  Nouvelles  Recherches^  p.  32. 


ATHÈNES.  12S 

tions  sur  le  daché  d'Athènes,  qae  cherchèrent  à  faire  va- 
loir deux  de  ses  fils,  Sohier  et  Gui.  Sohler  avait  pris  le 
titre  de  duc  d'Athènes ,  qu'il  transmit  à  son  fils  Gautier^ 
tué  à  Gand  en  1381,  sans  que  ni  le  père  ni  le  fils,  tout  oc- 
cupés des  affaires  de  France ,  aient  fait  aucune  tentative 
pour  ressaisir  leur  duché  d'Athènes.  Gui,  dernier  enfant 
d'Isabelle  ,  n'ayant  rien  à  espérer  des  terres  de  France  et 
d'Italie  ,  tourna  son  ambition  vers  la  Grèce  ,  se  rendit  en 
Morée  et  parvint  à  se  rendre  maître  de  la  seigneurie  d'Ar- 
gos;  mais,  n'ayant  laissé  après  lui. qu'une  héritière  nom- 
mée Marie ,  à  laquelle  les  Vénitiens  firent  épouser  un  des 
leurs,  nommé  Pierre  Gornaro,  pour  pouvoir  lui  succé- 
der, comme  ils  le  firent  en  Ghypre,  la  seigneurie  d'Argos, 
saisie  d'abord  par  Nerio  Acciaiuoli,  finit  par  retomber  entre 
leurs  mains  *. 

Maison  d'Aragon.  Depuis  la  mort  de  Gantier  de 
Brienne,  en  1310,  la  grande  compagnie  catalane  possédait 
effectivement  le  duché,  et  y  avait  même  ajouté  la  seigneu- 
rie de  Néopatras  ;  mais  le  titre  fut  réservé  aux  rois  de  Si- 
cile, qui  le  donnèrent  à  un  de  leurs  enfants.  Aucun  de  ces 
ducs  titulaires  n'alla  toutefois  habiter  son  duché.  Leur  titre 
de  doc  devint  un  simple  titre  honorifique,  qui  fut  transmis 
avec  tous  leura  autres.tîtres  aux  rois  d'Aragon  et  est  en- 
core porté  par  les  rois  d'Espagne. 

Maison  Àcciaiuoii.  L'année  même  où  Gautier  de 
Brienne  ,  duc  d'Athènes  et  seigneur  de  Florence ,  expirait 
à  Poitiers,  le  Florentin  Nicolas  Acciaiuoli ,  grand-sénéchal 
de  Naples,  commençait  à  posséder  réellement  d'importantes 
seigneuries  dans  la  principauté  d'Achaye ,  et  entre  autres 
la  seigneurie  de  Corinthe ,  dans  laquelle  lui  succédèrent 
son  fils  et  son  petit-fils.  Un  neveu  du  grand-sénéchal, 
nommé  Nerio  Acciaiuoli,  auquel  il  avait  légué  quelques 
seigneuries  en  Grèce ,  avait  fini  par  se  faire  céder  par  son 
parent  cette  seigneurie  de  Cofinthe ,  et  il  fut  créé  en  139/i 

*  Voy.  mes  Nouvelles  Recherches,  p.  (41;  et  la  Chronique 
d'André  Dandolo,  p.  48?  (CoHect.  de  Mnratori,  t.  xii). 

11. 


It6  GREGE   CONTININTA»   BT   MOREB. 

doc  d*  Athènes  par  Ladislai,  roidcNaplet,  héritier  des  droits 
de  la  maison  de  Tarente.  Son  frère  Donato  lui  fut  sabrogé 
comme  duc  d'Athènes,  au  cas  où  il  mourrait  sans  enfants. 
Nerio  fut  enterré  dans  l'dglise  8ainte*IVlarie  d'Athènes  K 

Antoine  ^  fils  naturel  de  Nerio,  Ini  succéda  au  dacbé 
d'Athènes  en  1395 ,  malgré  les  droits  de  Donato  et  de  ses 
enfants  et  petits-enfants.  Il  avait  (ait  embellir  la  ?ille  d'A- 
thènes et  acquis  de  grandes  richesses.  Ce  fut  lui  qui  plaça 
ao  Pirée  sur  leurs  deux  piédestaux  les  lions  qui  furent 
ensuite  transportés  à  Venise  par  François  l!lloro8ini^  Il 
avait  conclu  un  traité  de  commerce  avec  la  république  de 
Florence ^  Antoine,  se  voyant  sans  enfants,  fit  venir  de 
Florence  Nerio  et  Antoine ,  fils  de  Franco,  qui,  lui-même, 
était  fils  de  ce  Donato  auquel  avait  été  subrogé  le  duché  à 
défaut  d'héritiers  de  Nerio ,  et  il  leur  laissa  sa  aeigoeurie 
d'Athènes  en  mourant  en  l/i35. 

Nerio  II,  petit-fils  de  Donato,  obtint  aussi  le  duché  d'A- 
thènes et  s'y  maintint  jusqu'à  sa  mort.  Sa  veuve ,  s'étant  re» 
mariée  ï  un  Vénitien,  P.  Atmcrio,  etn'ayant  pu  réussir  à  lui 
assurer  le  duché,  fut  obligée  de  se  sauver  d'Athènes  avec  luL 

Franco,  neveu  de  Nerio  II  par  son  frère  Antoine, 
devint  alors  duo  d'Athènes  et  fut  tué  ensuite  après  avoir 
été  déshonoré  par  Mahomet  II,  qui  s'empara  en  1462  de 
l'Attique  comme  il  s'était  emparé  du  reste  de  la  Grèce, 

Je  ne  pouvais  pas  m'imaginer  que  les  ducs  de  la  maison 
française  de  La  Roche ,  qui  avaient  possédé  la  seigneurie 
d'Athènes  pendant  plus  d'un  siècle ,  et  les  ducs  de  la  mai* 
son  florentine  d'Acciaiuoli,  qui  y  avaient  résidé  aussi  pen- 
dant près  d'un  siècle ,  n'eussent  laissé  aucun  monument 
de  leur  passage.  Déjà  j'avais  publié  des  deniers  tournois 
frappés  dans  l'atelier  monétaire  de  Thèbes  par  chacun  des 

<  Lo  corpo  nostra  inditamo  che  8ia  sepellito  nell'  ecclesia  di 
Santa  Maria  di  Athene.  (Testament^  tome  n,  p.  254  de  qps 
NouveUes  Reckerches,) 

^Yoy.  me»  JS^çuvelUs  Recherchent  p.  145. 

^  Yoy.  mes  Nouvellm  RechercheSf  p.  173. 


CHATEAU  DBS  DUCS   D^THEMBS.  127 

seigneurs  de  la  maison  de  La  Roche  ;  n'existait-il  aucun 
antre  monument  de  leur  domination ,  aucuns  vestiges  de 
ebâteaux  et  églises  bâiis  par  eux,  aucune  trace  de  leurs 
tombeaux  de  famille  déposés  dans  le  monastère  de  Béné* 
diclins  de  Cîteaux ,  désigné  par  des  actes  des  archives  de 
Mon»  comme  se  trouvant  dans  la  proximité  d'Athènes  f 
Tel  fut  l'objet  principal  de  mes  recherches  pendant  les  pre- 
miers jours  de  mon  séjour  à  Athènes ,  et  elles  ne  furent 
pas  infructueuses.  Mes  remarques  sont  consignées  dans 
un  rapport  que  j'adressai  à  l'Académie  des  inscriptions  et 
belle8-lettre3'  au  moment  de  mon  départ  d'Athènes  : 

«  Athènes,  écrivais -je  à  PAcadémie,  fut  la  pre* 
mière  ville  par  laquelle  j'eus  à  commencer  mes  études» 
Après  avoir  payé  mon  premier  hommage  aux  merveilleux 
restes  de  l'architecture  et  de  la  sculpture  antiques,  je  touri- 
nai  les  yeux  pour  voir  si ,  dans  l'ancienne  résidence  des 
ducs  français  d'Athènes  des  maisons  de  La  Roche  et  de 
Brienne ,  dans  la  capitale  de  ces  ducs  dont  Ramon  Munta- 
ner  et  Thibaut  de  Cepoy,  qui  les  ont  visités  et  connus  per- 
sonnellement dans  les  premières  années  du  quatorzième 
siècle ,  attestent  le  luxe  et  l'opulence ,  il  n'existerait  pas 
quelque  débris  de  monuments  qui  leur  fussent  contempo* 
rains.  J'en  retrouvai  trois* 

Le  premier  est  une  tour  carrée,  sur  l'Acropolis,  à  côté 
des  Propylées  et  du  temple  de  la  Victoire  sans  ailes.  Celte 
tour  est  un  reste  du  palais  ducal,  construit  sur  l'AcropoUs, 
embrassant  les  Propylées  et  se  prolongeant  au-dessus  de 
cette  gracieuse  pinacothèque  ornée  autrefois  des  chefs- 
d'œuvre  de  Zeuxis ,  et  transformée  au  treizième  siède  en 
chapelle  latine.  Il  y  a  peu  d'années  que  la  colonne  cen- 
trale sur  laquelle  reposaient  les  arceaux  de  cette  chapelle , 
qui  allaient  s'appuyer  sur  les  quatre  angles  de  la  pinacor 
thèque,  existait  encore.  Ce  n'est  qu'en  18a(>  et  1837  qu'elle 

*  M.  LenormaDd  eat  U  complaisanee  d*en  taire  lecture  en  moû 
nom  à  FAcadéinie. 


128  GRÈGE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

a  été  abattne,  ainsi  que  les  arcades,  pour  laisser  à  décou- 
vert l'élégante  salle  qu'elles  encombraient  ;  mais  on  voit  en« 
core  au  milieu  de  la  pinacothèque  la  base  de  cette  colonne, 
et  sur  les  murs  on  aperçoit  la  porte  et  les  fenêtres  d'un 
étage  supérieur  construit  pour  le  palais  ducal  au-dessus 
de  cette  chapelle.  En  dehors ,  du  côte  de  la  ville,  se  voient 
les  armoiries  des  empereurs  français  de  Constantinople,  sei- 
gneurs supérieurs  du  duché  d'Athènes  et  de  la  principauté 
de  Morée ,  de  laquelle  relevait  le  duché  comme  première 
baronnie.  En  remontant  sur  les  côtés  des  Propylées  jus- 
que derrière  la  pinacothèque ,  on  retrouve  d'autres  restes 
des  appartements  ducaux ,  tous  démolis  aujourd'hui,  mais 
où  restent  les  portes  surmontées  des  mêmes  armes  impé- 
riales ,  la  croix  perlée  et  fleuronnée ,  ainsi  que  des  écus- 
sons  des  Viile-Hardoin ,  princes  de  iMorée,  et  des  La  Roche, 
seigneurs,  puis  ducs  d'Athènes  et  de  Thèbes.  Un  peu  an 
delà ,  sur  l'emplacement  même  où  semble  avoir  été^  bâti 
l'antique  palais  de  Gécrops ,  sont  dans  le  mur  des  restes 
de  grandes  plaques  de  marbre  sur  lesquelles  s'appuyait  le 
balcon  du  palais  ducal.  Ce  palais  paraît  s'être  étendu  jus^ 
qu'au  temple  d'Érechthée,  et,  comme  tout  château  devait 
avoir  sa  prison ,  les  traces  d'un  cachot  se  retrouvent  dans 
la  partie  souterraine  du  temple  d'Érecbthée,  dans  le  pas- 
sage même  par  où  on  pénétrait  à  la  fontaine  que  Neptune 
fit  jaillir  du  rocher  d'un  coup  de  son  trident ,  dans  sa  dis- 
pute avec  Minerve  pour  revendiquer  la  protection  d'A- 
thènes. Çà  et  là  on  rencontre  aussi ,  dispersés  au  milieu 
des  débris  antiques,  des  débris  de  la  sculpture  grossière 
de  nos  ancêtres  :  ici  un  écusson  fleurdelisé,  là  un  fragment 
de  tombeau;  car,  en  Grèce,  tous  les  tombeaux  ont  été 
fouillés  par  l'avidité  scientifique  des  voyageurs  ou  l'espé- 
rance des  habitants  d'y  trouver  de  l'or.  Au-dessus  de  l'ar- 
ceau d'une  tombe  jetée  au  milieu  des  décombres  et  qui 
représente  des  anges  à  la  robe  flottante  et  à  la  physiono- 
mie immobile ,  je  lis  les  mots  latins  :  Hic  jacent.  Le 
reste  de  la  pierre  est  brisé ,  et  je  n'ai  pu  retrouver  le  nom 


ÉGLISE   FSANQUE   DES   DUCS   d'aTHENES.       129 

des  Francs  qui  gisaient  sous  cette  tombe  ;  car  cette  in- 
scription latine ,  en  lettres  gothiques  du  treizième  siècle , 
appartenait  évidemment  à  une  des  grandes  familles  fran- 
ques  établies  dans  le  iiays.  J*ai  prié  le  directeur  du  Musée, 
M.  Pittakis ,  homme  plein  de  zèle  et  d'obligeance,  de  réu- 
nir les  uns  près  des  autres  tous  ces  fragments  dispersés  » 
pour  qu'on  puisse  plus  aisément  les  étudier  et  les  recon- 
naître ,  et  j'ai  tout  lieu  d'espérer  que  les  germes  de  curio- 
sité historique  pour  cette  époque ,  qui  a  aussi  son  intérêt , 
germes  que  j'ai  cherché  à  enraciner  et  à  développer  pen- 
dant mon  séjour  en  Grèce ,  ne  périront  pas  tout  entiers 
après  mon  départ ,  et  qu'un  autre  pourra  trouver  de  nou- 
velles facilités  pour  étendre  ou  corriger  mes  recherches. 

»  Dans  l'intérieur  de  la  ville  nouvelle  d'Athènes  est  une 
petite  église  plus  intéressante  encore  pour  l'histoire  gallo- 
grecque.  Elle  porte  le  nom  de  Catholicon ,  et  dans  les  tra- 
ditions populaires  elle  passe  pour  avoir  été  fondée  par  des 
princes  français.  On  la  reconnaît  aisément  pour  église  latine 
à  la  sculpture  extérieure  qui  revêt  tous  ses  murs,  car  les 
Grecs  n'emploient  jamais  la  sculpture  à  l'intérieur  ni  à 
l'extérieur  de  leurs  églises.  C'est  un  monument  composé  de 
toutes  pièces.  L'ensemble  ne  manque  pas  d'une  certaine 
élégance,  mais  les  divers  morceaux  de  sculpture  qui  la 
revêtent  offrent  l'association  la  plus  bizarre  :  ici  une  in- 
scription grecque  antique  renversée^  là  un  fragment  d'un 
beau  chapiteau  corinthien  ;  plus  loin  un  fragment  romain , 
puis  un  morceau  d'un  assez  joli  zodiaque  antique  coupé  à 
plusieurs  endroits ,  et  quelquefois  aux  dépens  des  per- 
sonnages du  zodiaque ,  par  les  armoiries  des  Yille-Hardoin 
de  Champagne,  princes  supérieurs  de  Morée^  dont  rele- 
vait le  duc  d'Athènes ,  et,  à  côté  de  ces  fragments  helléni- 
ques et  romains ,  des  allégories  byzantines  et  l'aigle  impé- 
riale de  Byzance.  Mais  le  trait  le  plus  caractéristique  de 
cette  église  est  la  réunion  des  diverses  armoiries  franques 
sculptées  de  tous  côtés  sur  ses  murs.  Dans  les  lieux  les 
plus  proéminents  est  placée  la  croix  perlée  et  fleuronnée 


130  GRBCB  CONTlNBlilTALB  BT   MOftéK. 

des  empereurs  français  de  Gonstaiitiiiople ,  puis  la  croix 
ancrée  des  Yille-Hardoin  de  Champagne,  puis  la  croix 
cantonnée  de  quatre  roses  de  Provins,  telle  qu'elle  a?aitéié 
adoptée  quelques  instants  par  les  seigneurs  d'Athènes,  qui« 
plus  tard ,  quand  saint  Louis,  en  1258,  les  eut  autorisés  à 
porter  le  titre  de  ducs ,  substituèrent ,  dans  les  deux  can- 
tons supérieurs  de  la  croix ,  deux  fleurs  de  lis  à  deux  des 
roses  de  Provins  ;  et  enfin  un  grand  nombre  d*autres  ar* 
moiries  des  seigneurs  français  établis  en  Eubée ,  eu  Morée 
et  dans  la  Grèce  continentale.  Les  lettres  des  papes  nous 
aident  à  comprendre  Tépoque  de  la  construction  de  cette 
petite  église  avec  tous  ses  blasons.  On  sait  par  elles  et  par 
la  Chronique  de  Morée  que  Geoffroi  de  Vilie-Hardoin , 
prince  d'Achaye ,  ayant  sommé  les  prélats  de  faire  le  ser- 
vice militaire  personnel  pour  leurs  fiefs  de  conquête,  ainsi 
que  cela  avait  été  réglé,  les  prélats  refusèrent ,  et  qu*alorg 
Geoflroi ,  d'accord  avec  les  autres  chefs  féodaux ,  séques- 
tra leurs  revenus,  et  fit  bâtir  avec  l'argent  qui  lui  eo  re- 
vint la  forteresse  de  Chlemobtzi ,  qui  existe  encore  parfai- 
tement conservée,  et  qui ,  aujourd'hui  même ,  est  connue 
du  peuple  sous  le  même  nom  et  aussi  sous  celui  de  Gastel- 
Tornese ,  ou  château  bâti  à  l'aide  de  deniers  tournois.  Le 
pape  prit  la  défense  des  prélats  et  excommunia  Yille-Har- 
doin et  les  barons  qui  l'avaient  assisté.  Enfin,  en  1218, 
Yille-Hardoin  parvint  à  faire  agréer  sa  justification  pour 
le  passé ,  sous  la  condition  d'une  conduite  plus  respec- 
tueuse envers  l'Église  à  l'avenir.  L'excommunication  fut 
levée;  Geoffroi  de  Yille-Hardoin  et  les  barons  fra{^ 
d'anatbème  rentrèrent  dans  la  communion  de  l'Église,  et, 
pour  attester  mieux  cette  complète  réconciliation,  ou  peut- 
être  en  exécution  d'une  réparation  imposée  par  le  pape , 
ils  firent  bâtir  l'église  du  Catholicon  ,  en  y  affixant  les  ar- 
moiries de  ceux  qui  avaient  pris  part  à  la  querelle  et  à  la 
réparation.  Telle  est  du  moins  l'explication  qui  m'a  paru 
la  plus  probable ,  car  l'âge,  du  monument  répond  par- 
faitement à  l'époque  mentionnée.  Je  ne  sais  pas  si  la  vieille 


SÉPULTUAt  DES  DUC»  FRANÇAIS  D* ATHÈNES.     131 

ù 

église  de  Salnt-Nicodème  ne  serait  pas  aussi  d'origine 
franqoe  »  bien  qa'etic  ne  soit  pas  reiêiue  de  scnlptoces. 
C'est  peut-être  la  chapelle  d'honneur  qui  était  placée, 
sekm  l'usage ,  au  bout  de  la  lice  des  tournois  au  temps 
des  ducs  français  d'Athènes  ;  car  on  ne  pouvait  alors  avoir 
de  fêtes  sais  tournoi ,  et  le  godt  des  Francs  avait  passé 
jusqu'à  I»  cour  de  Byzance^ 

9  Le  troisième  inonumentdont  je  veux  parler  est  la  sépol* 
ture  fnênie  des  ducs  d'Athènes  de  la  maison  de  la  Roche. 

9  Un  acte  déposé  dam  les  archives  de  Mons  en  Hai- 
fta«t ,  et  envoyé  en  iS09  au  conMe  de  Hainaut  au  nom  de 
s»  parente  Maibilde  de  HaiBatu,  petke-fille  de  Guillaume 
de  YiHe-Hardoitf ,  prince  de  Morée^  et  veuve  de  Gui  de 
La  Roche ,  due  d'Athènes ,  prouve  que  Gui  de  La  Roche 
était  mort  le  5  octobre  1^08,  et  fait  connaître  que  son 
corps  svait  été  déposé  le  lendemain ,  6  octobre ,  au  tom-* 
beMi  de  ses  prédécesseurs,  dans  l'abbaye  de  Delfina  (dit  le 
texte),  abbaye  de  l'ordre  de  Cîleaux  et  dans  le  duché 
d'Atbi^ies.  Les  noms  grecs  ost  été  tellenient  mutilés  en 
passant  dans  les  a«tres  langues ,  et  ils  sont  si  souvent  mé^ 
connaissaibles  dass  la  forme  que  leur  donnent  et  les  actes 
oflicîels  ci>viis  et  reHgieux  et  les  écrivains  latins  et  français 
anrtsut  de  cette  époque  et  même  de  la  nôtre ,  qu'il  me  fut 
d^abord  fort  diflfeMe  de  connaître  oà  était  placé  ce  Satnt-» 
Denis  des  ducs  d'Athènes.  Il  existe  h  deux  lieues  d'Albè* 
nés  un  vieux  monastère  du  nom  de  Daphni ,  situé  sur 
l'antique  voie  Sacrée ,  à  moitié  chemin  emre  Athènes  et 
Eleuns.  M.  Ross,  avec  qui  je  parcodrais  la  liste  des  nnh- 
nastères  voisins,  me  conseilla  d'examiner  si  ce  Daphni  ne 
serait  pas  le  Delêaa  de  l'acte  latin  ;  je  pris  des  informations 
et  allai  moi-même  visiter  le  monastère.  Sa  situation  dans 
le  duché  d'Athèoes,  son  voisinage  à  deux  lieues  de  la  ca« 
pitale  du  duché ,  de  manière  que  le  corps  de  Gui  de  La 

*  Voy.  Nicépliore  Grégoras,  1. 1,  p.  484,  éd  de  Bonn,  et  mes 
nouvelles  Recherekes  historiques  sur  la  principauté  française 
et  Moirée,  t.  f  y  p.  66,  note  i. 


132  GRECE   CONTINENTALE    ET   MORBE. 

Roche  eût  pu  aisément  y  être  transporté  le  lendemain ,  et 
Tanalogie  des  noms  n*avaient  pas  été  de  vaines  présomp- 
tions. J*y  reconnus  d*abord  les  vestiges  d'un  cloître  ouvert 
et  à  colonnes,  selon  la  forme  latine.  Presque  toutes  les  colon- 
nes de  ce  cloître  sont  debout,  mais  à  moitié  enterrées.  Sur  le 
devant  du  narthex  extérieur ,  ajouté  par  les  Francs ,  sont 
les  restes  d'un  vaste  portail  gothique  flanqué  de  deux  côtés 
de  quatre  longues  fenêtres  en  ogives  jointes  deux  à  deux.  Un 
ambassadeur  anglais,  en  enlevant  trois  belles  colonnes  d'un 
ancien  temple  d'Apollon  qui  portaient  ces  fenêtres  et  un  côté 
de  ce  portail ,  a  ébranlé  toute  cette  partie  de  l'édifice  mal 
soutenu  par  les  poutres  de  travers  et  la  maçonnerie  gros- 
sière substituée  aux  colonnes  ;  mais  tout  y  est  cependant 
encore  fort  reconnaissable ,  surtout  les  ogives  du  haut, 
maintenues  par  leurs  fortes  rainures  de  pierre.  Je  péné- 
trai dans  l'intérieur  de  l'église  par  une  petite  porte  exté- 
rieure soutenue  par  une  autre  colonne  antique  du  même 
temple  d'Apollon  engagée  dans  le  mur ,  et  qui  a  ainsi 
écbapi)é  à  Tenlèvement  que  lui  eût  procuré  son  beau  cha- 
piteau ,  puis  par  une  seconde  porte  armoriée  de  Técusson 
des  seigneurs  d'Athènes.  A  droite  et  à  gauche  étaient  des 
colonnes  antiques,  mais  encombrées  de  paille.  Du  narthex 
intérieur  on  entre  dans  l'église,  qui  a  de  fort  belles  propor- 
tions avec  des  arcs  cintrés  comme  dans  les  églises  nor- 
mandes byzantines  de  Sicile.  La  voûte  est  ornée  d'un  Christ 
bénissant  de  la  droite,  avec  un  livre  dans  la  main  gauche, 
qui  rappelle  celui  de  l'église  de  Cefalù  en  Sicile  plus  en- 
core que  celui  de  Monreale ,  et  est  exécuté  en  mosaïque. 
Les  deux  mosaïques  latérales  représentent  le  Christ  res- 
suscitant Lazare  et  l'entrée  de  la  Sainte- Famille.  Après 
avoir  fait  vider  la  chapelle  à  gauche ,  qui  était  plus  sombre, 
mais  moins  encombrée,  j'aperçus,  le  long  du  mur  qui  sou- 
tenait le  côté  de  l'église ,  un  tombeau  de  marbre  sans  cou- 
vercle ,  sans  inscription ,  sans  armoirie.  Au-dessous  de  ce 
sarcophage  je  remarquai  une  ouverture  et  des  degrés  par 
lesquels  je  descendis ,  à  travers  des  décombres ,  jusqu'à  un 


SÉPULTURE  DES  DUCS  FRANÇAIS  d' ATHENES.     133 

caveau  sépulcral  qui  règne  tout  le  long  du  nartliex  intérieur 
de  l'église ,  et  dont  les  murs  latéraux  anciens  sont  cachés 
par  une  muraille  délabrée  qui  ne  semble  destinée  qu*à 
dérober  à  Tœil  quelque  pierre  funéraire ,  quelque  inscrip- 
tion peut-être  ;  soin  que  les  Grecs  ont  toujours  eu  lors- 
qu'ils ont  pris  possession  des  églises  latines ,  soit  en  re- 
tournant les  pierres  sépulcrales  dans  un  autre  sens ,  soit 
en  les  remplaçant  par  d'autres.  En  remontant  je  tournai 
autour  du  tombeau  ouvert  pour  examiner  s*il  ne  se  trou- 
verait pas  quelque  inscription  qui  m'eût  échappé ,  et  j'a- 
perçus une  petite  porte  qui  conduisait  à  une  seconde  cha- 
pelle un  peu  plus  petite.  Là  était  un  second  tombeau  de 
marbre,  ouvert  aussi  ;  mais,  en  l'examinant  avec  des  bou- 
gies ,  j'aperçus  un  écusson  sculpté  sur  le  long  côté.  C'était 
une  croix  avec  deux  fleurs  de  lis  dans  les  deux  cantons 
supérieurs  de  la  croix,  telle  que  la  portèrent  parfois  les  ducs 
d'Athènes ,  telle  que  la  portait  Gui  de  La  Roche  dont  je 
cherchais  la  sépulture.  A  tant  de  signes  réunis  je  me  orois 
fondé  à  penser  que  c'est  bien  là  l'antique  monastère  des 
Bénédictins  mentionné  dans  l'acte  de  Mons ,  qui  servait  de 
sépulture  aux  ducs  d'Athènes  de  la  maison  française  de  La 
Roche;  et  que  les  deux  sarcophages  de  marbre,  dont  l'un 
porte  l'écussott  fleurdelisé ,  sont  les  tombeaux  de  deux  de 
ces  ducs.  J'ai  d'autres  preuves  encore  de  l'établissement 
des  Bénédictins  dans  la  principauté  française  de  M  orée. 
Une  lettre  d'Innocent  III,  publiée  par  Boschetus,  et  qui 
m'a  été  envoyée  par  les  Bénédictins  duMont-Cassin,  que, 
pendant  mon  séjour  dans  leur  abbaye,  j'avais  priés  de  faire 
toutes  les  recherches  possibles  sur  l'établissement  des  Bé- 
nédictins de  Gîteaux  et  du  Mont-Cassin  en  Grèce ,  prouve 
que,  dès  les  premiers  temps  de  la  conquête ,  des  Bénédic- 
tins de  Haute-Combe  furent  établis  dans  le  diocèse  de 
Patras. 

»  Ainsi ,  malgré  toutes  les  prédictions  qui  m'avaient  été 
faites  par  tous  les  voyageurs  avant  mon  départ  de  France , 
et  qui  m'avaient  été  renouvelées  par  tous  les  savants  à 

12 


134  GREGE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

Athènes  même,  que  je  ne  trouYerais  pas  en  Grèce  un  seul 
monument  subsistant  qui  attestât  le  passage  de  la  domination 
de  nos  croisés  français ,  je  venais  de  retrouver  à  Athènes  et 
dans  ses  environs  trois  monuments  avérés  :  les  restes  du 
palais  des  dues,  une  église  bâtie  par  eux ,  et  leur  sépulture 
de  famille.  Un  heureux  hasard  amena ,  à  Tépoque  noême 
de  mon  arrivée,  une  nouvelle  découverte. 

»  £n  18/iO,  peu  de  semaines  avant  mon  arrivée  en  Grèce, 
un  pan  de  muraille  s*écroula  dans  la  partie  de  la  citadelle 
de  Chalkis ,  qui  sert  aujourd'hui  d'hôpital  militidre.  Oa 
aperçut  que,  derrière  cette  muraille  légère,  il  y  avait  ua 
vide»  On  agrandit  le  trou  ,  et  oa  découvrit  un  réduit  dans 
lequel  se  trouvaient  amoncelés  des  sacs  de  toile  contenant 
une  énornie  quantité  d'armures  anciemies.  On  ea  prévint 
aussitôt  le  roi  Otbon ,  qui  eut  la  bonté  de  me  le  faire  sa* 
voir  et  qui  voulut  tnen,  à  ma  demande,?  envoyer  à  Ghâ^Hiis 
une  gabare  chargée  d'apporter  tous  ces  armures  à  Athènes. 
£l)çs  furent  transportées  dans  une  salle  du  nouveaa  palais^ 
Je  pus  donc  les  examiner  à  loisir  ;  et ,  comme  on  désirait 
connaître  mon  opinion  à  cet  égard ,  je  publiai  daas  le 
Courrier  grec  (Tacbydromos)  uae  lettre  dans  laquelle  je 
cherchais  à  foire  connaître  et  partager  l'opimoa  <|ue  je 
m'en  étais  formée  : 

» — Ces  armures,  dtsais-je,  remontent  à  la  fia  du  treizième 
et  au  coma>encemeDt  du  quatorzième  siècle,  et  ce  sont, 
je  pense ,  celles  des  Catalans ,  dos  Turcopules  et  des  Fran- 
çais qui,  en  1309 ,  se  sont  disputé  la  possession  du  du- 
ché d'Albènes,  la  première  des  douze  grandes  baronnies  ou 
pairies  de  la  principauté  française  de  Morée.  Mais,  pour 
mieux  faire  comj^eudre  ce  que  sont  ces  armures,  et 
comment ,  du  grand  champ  de  bataille  sur  les  bords  du 
lac  Copaïs ,  elles  ont  pu  être  transportées  à  Chalkis  et  s'y 
retrouver  aujourd'hui ,  il  est  nécessaire  que  je  dessine  ici 
une  légère  esquisse  des  événements  de  cette  époque.  Bien 
que  ces  faits  soient  propreiqent  une  épisode  des  guerres 
étrangères  de  la  France  à  la  suite  de  la  quatrième  croisade, 


ARMURES  DU   MOVBII   AGfl.  136 

ils  appartieniieiit  aussi  à  Fbisloire  moderne  de  la  Grèce, 
qui  ne  saurait  pas  plus  les  rejeter  de  ses  annales  que 
nous^ne  pouvons  nous-mêmes  rejeter  de  notre  histoire  de 
France  l'établissement  de  la  première  et  de  la  seconde  race 
de  nos  souverains ,  bien  qu'ils  fussent  des  guerriers  de  r^ee 
germanique  cantonnés  sur  le  sol  de  France  au  milieu  des 
désordres  qat  suivirent  Taffaiblissement  de  l'empire  ro* 
main.  Le  tableau  de  ces  époques  de  conquête  et  de  lutte 
sera  toujours  une  grave  et  féconde  instruction  pouv  les 
peuples  y  et  l'histoire  se  compose  aussi  bien  des  souffrances 
supportées  en  commun  et  avec  courage  que  des  triomphes 
obtenus  dans  des  temps  plus  heureux.  Tout  se  lie  dans  la 
vie  des  nations ,  et  ie  mal  comme  le  bien  du  passé  doivent 
porter  leurs  fruits  dans  le  présent. 

»  ▲  la  fin  du  douzième  siècle ,  l'empire  de  Byzanee  avait 

perdu  toute  sa  force  et  son  ressort.  Les  Turcomans  d'Asie 

le  pressaient  et  le  menaçaient  déjà,  et  les  Turcomans-Seld« 

joucides  avaient  fondé  un  empire  puissant  à  sa  porte  et 

8Qr  ses  débris.  En  Europe ,  les  Bulgares  avaient  reconquis 

leur  indépendance.  Les  provinces  éloignées  n'obéissaient 

dèjli  plus  aux  ordres  venus  de  Constantinople.   Chypre 

avait  passé  entre  les  mains  de  Ricbard-Cœur»de-*Lion , 

puis  des  Lusignan  de  France  ;  Candie  était  cédée  comme 

dot  au  marquis  de  Noot-Ferrat,  le  Péloponnèse  était  entre 

les  mains  de  plusieurs  petits  tyrans  indigènes.  La  conquête 

de  Constantinople  par  les  Francs  fut  le  dénoûment  de  ce 

drame  de  discordes  intestines.  Un  empire  franc  fut  fondé 

^  Constantinople,  un  royaume  franc  à  Salonique;  une 

principauté  franque  dans  TAttique ,  la  Morée  et  les  îles , 

depuis  les  Thermopyles  jusqu'au  cap  Matapan.  L'empire 

franc  de  Constantinople  dura  à  peine  soixante  ans,  le 

royaume  franc  de  Salonique  eut  une  existence  plus  pré* 

Caire  encore;  mais  la  principauté  franque  d'Acbaîe  se 

conserva ,  plus  ou  moins  puissante ,  plus  ou  moins  corn** 

pacte,  pendant  près  de  trois  siècles. 

»  Le  prince  franc  d'Achaïe  n'était  que  ie  chef  féodal  de 


136     GRECE  CONTINENTALE  ET  HOREB. 

plusieurs  grands  Tassaux ,  dont  les  plus  puissanls  étaient  : 
le  duc  d'Athènes ,  créé  duc  par  saint  Louis  de  France  en 
1258  ;  le  duc  des  Cyclades  ou  Dodécannèse,  le  marquis 
de  Bodonitza  en  Locride ,  le  comte  palatin  de  Zante ,  Cé- 
pbalonie,  et  autres  îles  ioniennes  (moins  Gorfou ,  qui  ap- 
partenait aux  rois  de  Naples) ,  et  les  trois  barons  de  i'Eu- 
bée.  De  tous  les  grands  vassaux  des  princes  français  de 
Morée  qui  étaient  de  la  famille  Ville-Hardoin ,  le  duc  d'A- 
thènes était  incontestablement  le  plus  puissant.  Ses  posses- 
sions s'étendaient  le  long  de  la  côte ,  depuis  Armyros  jus- 
qu'au cap  Sunium,  et  du  cap  Sunium  aux  portes  de  Gorinthe, 
englobant  ainsi  plusieurs  autres  feudataires.  Il  avait  droit 
de  haute  et  basse  justice,  droit  de  guerre  privée ,  et  faisait 
frapper  monnaie  comme  les  souverains. 

»  J'ai  publié  dans  mes  Recherches  sur  iaprûicipauté 
française  de  Morée  plusieurs  monnaies  de  ces  seigneurs  et 
ducs  de  la  maison  de  La  Roche  et  de  la  maison  de  Brienne, 
maison  qui  se  vantait  d'avoir  donné  un  roi  à  Jérusalem, 
un  empereur  à  Gonstantinople  (Jean  de  Brienne).  Le  der- 
nier duc  d'Athènes  de  la  maison  de  La  Roche  avait  à 
Athènes  une  cour  des  plus  brillantes  et  y  donnait,  en  1300, 
des  fêtes  et  des  tournois  célèbres  dans  toute  la  chrétienté, 
et  dont  le  souvenir  s'est  conservé  dans  les  chroniques  de 
l'époque  comme  dans  les  poèmes  populaires  de  la  Grèce 
elle-même.  Sa  cour  et  sa  bourse  étaient  ouvertes  à  tous 
les  chevaliers  qui  venaient  le  visiter  ou  désiraient  s'établir 
chez  lui.  Au  nombre  de  ces  derniers  se  trouvaient  quel- 
ques Aragonais  qui ,  sous  le  commandement  d'un  noble 
personnage ,  Fernand  Ximenès ,  lié  de  parenté  avec  les 
rois  d'Aragon ,  s'étaient  détachés  de  la  Grande-Gompa- 
gnie  catalane  après  ses  guerres  en  Asie  et  avaient  pris  du 
service  parmi  les  chevaliers  et  les  servants  d'armes  du  du- 
ché d'Athènes.  Gette  Grande-Gompagnie  avait  quitté  la  Si- 
cile au  moment  où  la  paix  vint  terminer  les  longues  guer- 
res qui  avaient  suivi  les  Vêpres  Siciliennes ,  et  était  allée 
""^rvir  l'empereur  de  Byzance  contre  les  Turcs  d'Asie.  Leur 


AIIMURES   DU   MOYEN   AGE.  137 

secours  avait  d*abord  été  utile  à  Tempire;  mais  bientôt 
''assassinat  de  leur  chef  par  le  fils  de  l'empereur  Andro- 
nie ,  et  d'une  autre  part  leur  indiscipline  et  leurs  excès , 
allumèrent  la  discorde  entre  eux  et  les  Grecs.  Sans  s'arrê- 
ter à  mesurer  les  forces  d'un  immense  empire,  les  Gâta* 
lans  envoyèrent  un  des  leurs  défier  l'empereur  de  Gonstan- 
tinople  sur  son  trône  impérial ,  et  pendant  sept  ans  ils 
portèrent  le  ravage  jusqu'aux  portes  de  Gonstantinople. 
Un  de  lears  chefs ,  Ramon  Muntaner ,  a  décrit  avec  cha- 
leur l'histoire  de  ces  sept  années,  pendant  lesquelles ,  dit- 
il  ,  «  les  Gatalans  ne  semaient ,  ni  ne  labouraient ,  ni  ne 
«taillaient  la  vigne,  et  cependant  recueillaient  chaque  an* 
»  née  autant  de  vin  qu'il  leur  en  fallait  pour  leur  usage,  et 
»  autant  de  froment ,  et  autant  d'avoine ,  et  vivaient  riches 
»  et  dans  toutes  leurs  aises.  »  Le  résultat  nécessaire  de  tant 
de  désordres  était  l'épuisement  total  du  pays ,  épuisement 
dont  les  Gatalans  eux-mêmes  éprouvèrent  les  funestes  con- 
séquences. Il  fallut  songer  à  se  porter  sur  des  provinces 
moins  épuisées.  Quittant  la  forteresse  de  Gallipoli,  qui 
était  leur  point  de  refuge ,  ils  résolurent  d'aller  se  conque- 
rir  un  État  séparé  dans  le  voisinage  des  Francs  du  Pélo- 
ponnèse. La  réception  faite  par  Gui  de  La  Roche ,  duc 
d'Athènes ,  à  quelques-uns  des  leurs ,  après  l'expédition 
en  Asie ,  semblait  leur  promettre  un  bon  accueil  à  eux- 
mêmes  :  ils  se  mirent  donc  en  route ,  traversèrent  la  pres- 
qu'île deCassandria,  puis  la  Macédoine,  puis  laThessaiie, 
et  arrivèrent  enfin  sur  les  confins  de  la  Béotie. 

»  Le  duché  d'Athènes  était  échu  depuis  une  année  à  Gau- 
tier de  Bricnne,  comte  de  Lecce  dans  le  royaume  de  Na- 
ples,  et  cousin-germain,  par  sa  mère  Hélène,  du  dernier  duc,* 
Gui  de  la  Roche.  C'était  un  Français  d'un  caractère  impé- 
tueux, d'un  courage  bouillant ,  mais  irréfléchi.  Il  refusa  la 
demande  des  Catalans ,  et  leur  interdit  même  l'entrée  de 
son  territoire.  Ceux-ci ,  forcés  par  la  nécessité ,  n'eurent 
plus  d'autre  parti  à  prendre  que  de  se  faire  jour  les  armes 
^  la  main ,  car  ils  venaient  de  brûler  leur  flotte ,  pour 


138  GREGB   GONTIIfSNTALE   BT   MOftEE. 

mieux  prouver  aux  Grecs  leor  inleDlion  formule  de  ae 
plus  se  rembarquer  pour  la  Catalogue.  Ils  se  préparèrent 
donc  au  combat,  et  de  sou  côté  le  duc  d'Athènes  marcha 
I  leur  rencontre.  Ici  je  laisserai  parler  un  écrivain  grec 
contemporain,  Nicépbore  Grégoras;  il  expoâe  lea  faits  avec 
netteté,  quoique  ses  notions  géographiques  soient  peu 
exactes  • 

» — «  An  retour  du  printemps  (de  Tan  1309),  dit  Nioé* 
phore  Gregoras,  les  Catalans,  ayant  reçu  des  Thessaliens 
de  grandes  richesses  et  des  guides,  franchissent  les  mon* 
tagnes  qui  s'étendent  au  delà  de  la  Thessalie,  et,  traver- 
sant les  Thermopyles ,  viennent  placer  leur  camp  dans 
la  Locride  et  sur  les  bords  du  Céphise*  Ce  grand  fleuve 
découle  des  cimes  du  Parnasse,  et  dérive  son  cours  à  l'o- 
rient, ayant  an  nord  les  Locriens^Opontiens  et  les  Lo* 
criens-Épiçnémides,  au  sud  et  au  8ud*est  toutes  les  par* 
ties  méditerranéennes  de  TAchale  et  de  la  Béotie;  puis, 
sans  se  difviser  et  toujours  considérable,  arrose  les  champs 
de  la  Lij/adie  et  de  l'Haliarte;  puis,  se  partageant  en 
deux  branches,  change  son  nom  en  ceux  d'Asope  et  d'Is« 
mène  ;  enfin ,  sous  le  nom  d'Asope ,  coupe  l'Attique  eo 
deux  pour  aller  se  perdre  dans  la  mer,  et  sous  celui 
d'Ismène  va  se  jeter  dans  la  mer  d'£ubée ,  tout  près 
d'Aulis,  où  autrefois,  dit^n,  dans  leur  navigation  vers 
Troie ,  abordèrent  et  s'arrêtèrent  pour  la  première  fois 
les  Grecs.  Aussitôt  que  le  seigneur  de  Thèbes  et  d'Athè* 
nés  et  de  tout  ce  territoire,  nommé,  comme  je  l'ai  dit, 
Megas  Kyrios  (Grand  Sire)  par  corruption  du  nom  de 
Megas  Primikerios  qu'il  portait  autrefois,  eut  appris  l'ar- 
rivée des  ennemis,  il  refusa,  malgré  les  vives  instances 
des  Catalans,  de  leur  donner  passage  sur  ses  terres,  pour 
aller  de  là  se  jeter  où  bon  leur  semblerait  ;  mais  il  leur 
parla  au  contraire  avec  la  plus  grande  hauteur,  les  pour** 
suivit  de  ses  moqueries,  comme  des  gens  dont  il  ne  pre* 
naît  nul  souci,  et  pendant  tout  l'automne  et  l'hiver  s'oc« 
enpa  de  réunir  ses  forces  pour  le  piîntemps  suivant  Au 


AftMURES  hV  MOTEVr  AGI.  139 

B  printemps  (1310)  les  Catalans  passèrent  le  Cépbise  et 

•  placèrent  leur  camp  non  loin  des  rives  du  fleuve,  sur  le 
»  territoire  béotien ,  décidés  à  livrer  bataille  en  ce  lieu. 
»  Les  Catalans  étaient  au  nombre  de  trois  mille  cinq  cents 
«hommes  de  cavalerie  et  trois  mille  hommes  d'infan* 
»  terie,  parmi  lesquels  se  trouvaient  plusieurs  de  leurs  pri» 
»  sonniers  admis  dans  leurs  rangs  à  cause  de  leur  habileté 
»  à  tirer  de  Tare.  Dès  qu'il  leur  fut  annoncé  que  l'ennemi 
»  approchait ,  ils  labourèrent  tout  le  -terrain  où  ils  avaient 
«résolu  de  livrer  bataille,  creusèrent  alentour  et  y  ame- 
»  nèrent  des  cours  d'eau  tirés  du  fleuve,  et  arrosèrent  co» 
»  pieusement  cette  plaine  de  manière  à  la  transformer  pour 
»  ain^  dire  en  un  marais,  et  k  faire  chanceler  les  chevaux 
»  dans  leur  marche ,  par  la  boue  qui  s'attacherait  à  leurs 

>  piedget  dont  ils  ne  pourraient  qu'avec  peine  se  dégager. 
»  An  milieu  du  printemps  le  seigneur  d'Athènes  se  pré* 
»  sema  enfin ,  amenant  avec  lui  une  nombreuse  armée , 

>  composée  de  Thébains ,  d'Athéniens  et  de  toute  l'élite 

•  des  Locriens,  des  Phocidiens  et  des  Idégariens  ;  on  y 
»  comptait  six  mille  quatre  cents  hommes  de  cavalerie  et 

>  plus  de  huit  mille  hommes  d'infanterie.  L'orgueil  et  l'ar* 

>  rogancedu  seigneur  d'Athènes  dépassaient  toutes  bornes 
»  convenables  :  car  il  se  flattait  non-seulement  d'extermi* 

>  ner  en  un  instant  tous  les  Catalans ,  mais  de  s'emparer 

•  de  tous  les  pays  et  villes  de  l'empire  jusqu'à  Byzance 
»  même;  mais  il  arriva  tout  le  contraire  de  son  espérance, 
»  car  en  plaçant  toute  sa  confiance  en  lui  seiM,  et  non  dans 

>  l'appui  de- Dieu ,  il  devint  bientôt  la  risée  de  ses  enne-* 
"^  mis.  En  voyant  cette  plaine  couverte  d'un  si  beau  vête-» 
»  ment  de  verdure,  et  ne  soupçonnant  rien  de  ce  qui  avait 

•  été  fait,  il  pousse  le  cri  de  guerre,  excite  les  siens,  et 
>avec  toute  la  cavalerie  qoi  l'entourait  s'avance  contre 
»  l'ennemi,  qui,  au  delà  de  cette  plaine,  se  tenait  immobile 

•  sur  le  terrain ,  attendant  son  attaque.  Mais,  avant  d'être 

•  parvenus  au  milieu  de  ces  prairies  humides,  les  chevaux, 

•  comme  s'ils  eussent  été  embarrassés  par  de  lourdes  ehai- 


140  GRÈCE   CONTIKENTAIE   ET  MOHEE. 

»  nés  et  ne  pouvant  sut»  ce  terrain  glissant  poser  leurs  pieds 
•  avec  fermeté,  tantôt  roulaient  dans  la  boue  avec  leurs 
«cavaliers,  tantôt,  débarrassés  de  leurs  cavaliers,  s*eni- 
»  portaient  bien  loin,  et  tantôt,  sentant  leurs  pieds  s*enfon« 
0  cer,  restaient  immobiles  au  même  lieu ,  avec  leurs  mai- 
»  très,  comme  des  statues  équestres.  Les  Catalans,  encou- 
»  rages  par  ce  spectacle ,  les  accablèrent  de  leurs  traits  et 
»  les  égorgèrent  tous.  Bientôt ,  se  lançant  avec  leurs  che- 
»  vaux  sur  la  trace  des  fuyards ,  ils  les  poursuivirent  jus- 
»  qu*à  Thèbes  et  à  Athènes,  et,  attaquant  ces  villes  à  l'im- 
»  proviste,  s*en  emparèrent  avec  facilité,  ainsi  que  de  tous 
»  leurs  trésors,  de  leurs  femmes  et  de  leurs  enfants.  Ainsi, 
»  comme  dans  un  jeu  de  dés,  la  fortune  ayant  tout  à  coup 
»  changé,  les  Catalans  devinrent  maîtres  de  la  seigneurie 
»  d'Athènes  et  mirent  fin  à  leurs  longues  courses  vagabon- 
0  des ,  et  jusqu'aujourd'hui  ils  n'ont  pas  discontinué  d'é- 
»  tendre  les  limites  de  leur  seigneurie.  » 

0  Ce  fut  en  effet  à  partir  de  ce  jour  que  les  Catalans  ob- 
tinrent la  possession  de  duché  d'Athènes  et  substituèrent 
leur  seigneurie  à  celle  des  seigneurs  français,  qui  conti- 
nuèrent à  posséder  le  Péloponnèse  et  plusieurs  parties  de 
l'Acarnanie,  de  l'Ëtolie  et  de  la  Phocide.  Le  roi  Frédéric 
de  Sicile  envoya  à  ses  Aragonais  de  Grèce  un  de  ses  fils 
pour  les  gouverner  avec  le  titre  de  duc  d'Athènes  et  de 
Néopatras,  et  ce  titre  se  conserve  encore  aujourd'hui 
parmi  ceux  que  portent  les  rois  d'Espagne  héritiers  des 
rois  d'Aragon  et  de  Sicile.  Mais  écoutons  maintenant  le 
récit  d'un  autre  chroniqueur  contemporain,  mais  d'origine 
franque,  le  Catalan  Ramon  Aluntaner,  l'un  des  chefs  de 
cette  Grande-Compagnie. 

»  —  «  Le  duc  d'Athènes  (Gautier  de  Brienne,  comte  de 
»  Lecce  dans  le  royaume  de  Naples)  avait  avec  lui  deux  cents 
»  hommes  d'armes  à  cheval  catalans  et  environ  trois  cents 
»  hommes  d'armes  à  pied  ;  et,  ceux-là,  il  les  avait  mis  de  sa 
»  maison ,  et  leur  avait  donné  franchement  et  quittement 
»  des  terres  et  des  possessions.  Quant  aux  autres  Catalans, 


ARMURES   DU    MOYëBI    AGE*  Hl 

»  il  leur  ordonna  de  s'éloigner  de  son  duché;  et  en  atten- 
»  dant  il  avait  fait  venir,  soit  de  la  terre  du  roi  Robert  de 
9  Naples,  soit  de  la  principauté  de  Morée,  sept  cents  cava* 
ji  liers  français.  Quand  il  les  eut  réunis,  il  rassembla  éga- 
»  lement  deux  mille  quatre  cents  Grecs,  hommes  de  pied, 
»  de  son  duché,  et  alors,  en  bataille  rangée,  il  marcha  sur 
»  la  Compagnie;  mais  ceux-ci,  qui  le  surent,  sortirent  avec 
»  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  et  se  rangèrent  dans  une 
9  belle  plaine  près  de  Thèbes.  Dans  ce  lieu  il  y  avait  un 
9  marais ,  et  de  ce  marais  la  Ck)mpagnie  se  fit  comme 
»  un  bouclier.  Mais  quand  les  deux  cents  hommes  d*armes 

•  à  cheval  catalans  et  les  trois  cents  hommes  d*armes  à 
»  pied  virent  que  cela  était  sérieux ,  ils  allèrent  tous  en-* 
9  semble  trouver  Gautier  de  Brienne  et  lui  dirent  :  «  Sei- 
9  gneur,  ici  sont  nos  frères,  et  nous  voyons  que  vous  vou- 

•  lez  les  détruire  à  tort*  et  à  grand  péché  ;  c'est  pourquoi 
9  nous  voulons  aller  mourir  avec  eux ,  et  ainsi  nous  vous 
»  défions  et  nous  nous  dégageons  envers  vous.  »  Et  le  duc 
9  leur  dit  qu'ils  s'en  allassent  à  la  maie  heure,  et  que  cela 
»  était  bon  pour  qu'ils  mourussent  avec  les  au  res.  Alors 
9  ceux-ci  se  réunissant  allèrent  se  fondre  avec  le  reste  de  la 
«Compagnie,  et  ils  se  disposèrent  tous  au  combat....  Que 
»vous  dirai-je?  Le  duc,  en  belle  bataille  rangée,  avec 
9  deux  cents  chevalierâ  français ,  tous  aux  éperons  d'or, 

•  avec  beaucoup  d'autres  cavaliers  du  pays  et  avec  les  gens 

>  de  pied ,  marcha  sur  les  Catalans  ;  lui-même  se  plaça  à 

•  l'avant-garde  avec  ses  bannières  et  alla  férir  sur  la  Com- 
»  pagnie,  et  la  Compagnie  férit  aussi  sur  lui.  Que  vous  di- 
»  rai-je  ?  Les  chevaux  du  duc,  aux  cris  que  poussèrent  les 

•  amogavares  (hommes  de  pied  des  Catalans) ,  s'enfuirent  du 

>  côté  du  marais,  et  là  le  duc  tomba  avec  sa  bannière. 

>  Tous  ceux  qui  formaient  l'avant-garde  arrivèrent  alors. 
»Les  Turcs  etTurcopules  (alliés  des  Catalans),  voyant  que 
»  Taffaire  était  sérieuse,  brochèrent  à  l'instant  des  éperons 
»  et  allèrent  férir  sur  eux,  et  la  bataille  fut  terrible;  mais 
»  Dieu ,  qui  en  lont  temps  aide  au  bon  droit ,  aida  si  bien 


142  GRÈCE   CONTINENTALE   ET   MOftÉE. 

»  les  Catalans  que  de  tous  les  sept  cents  che?alieF8  français 
»  ii  ne  s'en  échappa  que  deux.  Tous  les  autres  périrent, 
»  ainsi  que  le  duc  et  les  autres  barons  français  de  la  prîn*r 
»  cipauté  de  Morée,  qui  étaient  accourus  pour  anéantir  la 
»  Compagnie.  De  ces  deux  l'un  fut  messire  Bonifaee  de 
»  Vérone,  seigneur  de  la  tierce  partie  de  Négrepoet,  qui 
»  était  fort  prud'homme  et  loyal,  et  avait  toujours  aimé  la 
»  Compagnie  ;  aussi,  dès  que  les  nôtres  le  recomiireiit  sur 
»le  champ  de  bataille,  ils  le  sauvèrent....  Après  la  prisa 
»  de  possession  du  champ ,  les  Catalans  pressèrent  messire 
»  Boniface  d'être  leur  chef;  mais  il  refusa  absolument.  » 
»  Considérons  maiiitenant  les  faits ,  les  hommes  et  les 
lieux,  et  après  cela  les  inductions  à  tirer  de  ce  réeit  parais 
tront  toutes  naturelles.  Le  champ  de  bataille  ast ,  oa  le 
voit,  sur  la  me  droite  du  Céphise,  le  long  du  lac  Go- 
pa!s ,  assez  près  de  Thèbes ,  à  une  dizaine  de  lieues  de 
Chalkis,  dans  les  terrains  marécageux  placés  sur  la  rivo  oc- 
cidentale du  lac  Copaïs,  au  bas  de  Skripu  (ancienne  Or* 
chomène) ,  entre  les  rivières  Céphise  et  Hercypie  >  et  près 
de  l'endroit  oà  le  Céphise  entre  dans  ce  lac  ainsi  que  l'Her- 
cyne.  Ce  n'est  pas  en  écrivant  à  Athènes  et  pour  des  Athé- 
niens qu'on  a  besoin  d'entrer  dans  un  plus  long  dévelopr 
pement  topographique  sur  une  semblable  question;  id 
tous  connaissent  des  lieux  si  voisins.  Quant  aux  combat- 
tants, ce  sont  des  chevaliers  français  avec  leurs  troupes  lé- 
gères d'une  part,  et  les  Catalans  et  Turcopules  de  l'autre. 
A  cette  bataille  livrée  par  les  Français  survit  un  chevalier 
feudatalre  des  princes  français  de  Morée ,  le  seigneur  de 
Chalkis,  Bonifacej datte  Carcere  de  Vérone,  qui,  suivant 
R.  Muntaner,  jîvait  deux  ans  auparavant  été  chargé  par 
Gui  de  La  Roche  mourant  de  l'administration  du  dnôhé 
d'Athènes  en  attendant  l'arrivée  de  Gautier  de  Brieone, 
neveu  de  Gui  et  son  héritier,  qui  était  alors  à  NaplesL 
Sauvé  du  champ  de  mort,  il  reçoit  de  ses  vainqueurs  l'or- 
fre  du  commandement  en  chef  et  il  refuse.  IN 'est-il  pas 
tout  naturel  de  supposer  qu'après  la  grande  bataille  dans 


ARMURES   BU   «OTBN   AGB.  143 

laquelle  aT«ent  succombé  ses  amis  le  seigoenr  de  Chalkis, 
qui  était  en  favenr  auprès  des  Catalans,  aura  obtenu  d*eni 
de  remplir  un  devoir  pieux  auquel  les  ennemis  les  plus 
acharnés  ne  se  refusaient  jamais,   celui  d'enterrer  les 
morts?  Les  Catalans  aYaîent  Tusage,  après  une  bataille,  de 
lever  le  champ,  c'est-à-dire  d'aller  sur  le  champ  de  ba- 
taille dépouiller  les  morts  de  tout  ce  qu'ils  possédaient  de 
précteuY  ;  et  certes  ils  n'avaient  pas  manqué  de  s'emparev 
des  éperons  d'or  et  des  armes  de  prix,  aussi  bien  que  deà 
armes  offensives  qui  pouvaient  leur  servir.  Les  arraea  dé^ 
fenshres,  plus  grossières  ou  trop  endommagées,  furent 
laissées  sur  la  place  au  milieu  des  marais  et  des  terres ,  et 
ce  sont  ces  armes  que,  suivant  mes  conjectures^  le  sei-^ 
gnenr  de  Ghalkis,  après  avoir  fait  enterrer  ses  aaiis,  aura 
fait  relever  du  champ  de  bataille  et  transporter  dafns  son  châ* 
tean  de  Clnilkis,  voisin  de  ce  lieu.  Peot-ètre  aussi  auront* 
elles  été  murées  ici  par  les  Vénitiens  au  moment  où  Hsfnrent 
forcés  de  livrer  Chalkis  aux  Turcs  en  1^70.  Ils  ne  poovaient 
s'en  servir  pour  eux-mêmes  et  ne  voulaient  pas  cfuece  dé* 
p6t  historique  fût  enlevé.  La  forme  des  armures,  leur  gros- 
sier travail ,  les  coups  terribles  qui  les  ont  toutes  endom^ 
magées,  tout  atteste  que  ces  armures  n'étaient  pas  conser*» 
vées  dans  un  arsenal  pour  l'usage  des  hommes  d'armes , 
mais  seulement  comme  un  pieux  souvenir  et  k)tn  de  tout 
regard;  et  en  eflet  ce  n'est  que  cinq  cent  trente  ans  après 
qu'un  pan  de  muraiUe ,  en  s'écroulant ,  a  fait  connaître  la 
salle  voûtée  et  sèche  dans  laquelle  elles  étaient  conservées. 
»  Ces  armures  consistent  en  une  centaine  de  casques  dt 
fH  de  trois  formes  différentes,  selon  qu'ils  appartenaient  à 
des  servants  d'armes  français,  catalans  ou  turcopules.  Les 
casques  turcopules  sont  plus  légers  et  plus  maltraités,  et 
il  y  en  a  aussi  beaucoup  moins.  C'est  la  même  forme  qui 
se  conserve  encore  aujourd'hui  dans  l'Asie-Mineure  et  en 
Perse.  D'autres,  les  plus  curieux  peut-être,  sont  d'énor- 
mes casques  de  siège ,  avec  leurs  épaulières  et  leurs  pc^* 
trûls,  formés  d'une  seule  pièce  de  fer.  La  visière  seule  est 


144  tiBECE   CONTI9i£NTALE    ET    MOEEE. 

mobile.  Ces  casques,  qui  oe  pouvaient  convenir  qu*ao  mo- 
ment d'un  assaut ,  sont  si  lourds  qu'uù  vigoureux  Maltais, 
sur  la  tête  duquel  j'en  avais  placé  un,  ne  pouvait  pas  le  sup- 
porter sans  douleur  au  delà  de  dix  minutes.  Pois  viennent 
des  cuirasses  ornées  en  général  de  petits  clous  de  cuivre, 
dont  la  tête  est  assez  élégante  ;  puis  des  épaulières,  bras- 
sards, cuissards,  genouillères,  jambards,  dont  quelques- 
uns  étaient  destinés  à  des  enfants  pour  les  habituer  de 
bonne  heure  à  ces  armes  gênantes  ;  puis  un  nombre  consi- 
dérable de  plattes,  c'est-à-dire  de  plaques  de  fer  de  forme 
concave ,  qui  se  plaçaient  les  unes  près  des  autres  comme 
une  sorte  d'écaillés,  attachées  à  un  vêtement  de  lin  supé- 
rieur, et  couvraient  tout  le  dos  de  l'homme  d'armes  jus- 
qu'à sa  jonction  avec  la  cuirasse.  L'un  de  ces  vêtements 
d'étoffe ,  et  qui  sous  cette  forme  était  connu  sous  le  nom 
de  gasygan ,  avec  ses  plattes  attachées  de  manière  à  enve- 
lopper tout  le  corps  en  passant  sous  les  bras ,  est  encore 
conservé  en  son  entier.  Plusieurs  autres  sont  en  lambeauxi 
mais  en  lambeaux  assez  considérables  pour  indiquer  leur 
place.  Le  gasygan,  qui  était  plus  léger  à  porter,  dispensait, 
dans  les  cas  de  surprise ,  de  la  cuirasse  et  autres  armures 
supérieures.  Souvent  les  chevaliers  les  plus  braves  se  con* 
tentaient  de  cette  légère  enveloppe  d'écaillés,  souple  et  lé*- 
gère  à  porter  dans  ce  climat  chaud,  et  utile  dans  un  cas  de 
surprise  ou  d'attaque ,  quoiqu'elle  fût  loin  d'offrir  la  pro- 
tection que  donnait  la  cuirasse.  Henri  de  Valenciennes 
dit,  dans  sa  Continuation  de  Yille-Hardoin ,  en  parlant  de 
l'empereur  Henri  de  Constantinople  :  «  Li  emperercs  meis- 
»  mes  i  ala  (à  Tattaque)  auques  folement,  car  il  n'avoit  de 
9  garnison  pour  son  cors  à  cel  point  que  un  seul  gasygan.» 
»  Dans  plusieurs  des  casques  sont  les  coiffes  de  lin  et  de 
cuir  que  l'on  plaçait  dessous  le  casque  pour  protéger  la 
tête.  A  beaucoup  de  cuirasses  sont  attachées  les  courroies 
de  cuir  et  les  boucles  qui  les  réunissaient.  Un  casque  des 
plus  épais  porte  IVmpreinte  d'un  coup  de  masse  d'armes, 
assené  alors  d'une  main  si  puissante  qu'il  suffisait  à  faire 


ARBIIHIES    DU    MOYEN    AGE.  145 

jaillir  la  cervelle.  Dans  Tintérieur  d'une  des  cuirasses  et 
sur  une  des  genouiilières  est  la  marque  du  fondeur,  des 
M  gothiques  d'une  forme  que  Ton  reconnaît  aisément  pour 
celle  usitée  au  commencement  du  quatorzième  siècle.  Les 
plattes  abondent  en  telle  quantité  que  j'ai  été  obligé  de  les 
faire  placer  dans  une  pièce  du  rez-de-chaussée  pour  qu'el- 
les ne  fissent  pas  crouler  les  plafonds.  Il  n'y  a  aucune  de 
ces  armures  offensives  dont  Ramon  Munlaner  revêt  les 
cheT aliers  de  cette  époque  :  quatre  javelots  ferrés  pour  lan- 
cer de  loin;  la  longue  lance  pour  la  première  aKaque;  la 
longue  épée  droite  qu'on  appuyait  sur  la  cuirasse  en  pous- 
sant son  cheval  en  avant  ;  l'épce  recourbée  pour  se  défen<> 
dre  de  près  ;  la  masse  d'armes  ;  et  pour  dernière  ressource 
le  poignard.  Mais  il  y  a  un  grand  nombre  de  ces  pointes  de 
javelots  à  quatre  faces  que  les  Catalans  frottaient  sur  les 
cailloux  pour  les  aiguiser,  des  pointes  de  flèches,  des  bouts 
de  fer  pour  lesépieux,  dont  une  partie  de  bois  subsiste,  et 
aussi  beaucoup  de  ces  étoiles  de  fer  destinées  à  être  jetées 
sous  les  pieds  des  chevaux ,  dans  les  endroits  plus  secs , 
pour  les  arrêter  dans  leur  course  et  les  blesser.  On  voit 
donc  que  les  armures  de  Chalkis  peuvent  offrir  un  objet 
intéressant  d'étude.  Je  rends  grâce  pour  ma  part  à  S."  M. 
d'avoir  bien  voulu  les  faire  venir  à  Athènes,  où  plus  tard 
elles  peuvent,  avec  les  monnaies  françaises  de  Con^lan- 
linople,  les  monnaies  françaises  de  la  principauté  de  Mo- 
rée,  existant  ici  en  grand  nombre,  et  celles  des  ducs  d'A- 
thènes, et  aussi  avec  tous  les  restes  de  blasons  sculptés  sur 
le  marbre  et  quelques-uns  avec  leurs  devises,  trouver 
place  dans  un  établissement  public. 

»  Tous  ces  débris  de  l'histoire  passée  sont  toujours  de» 
enseignements  utiles  pour  les  peuples.  Il  ne  saurait  être 
indifférent  à  la  Grèce  de  se  reporter  vers  une  époque  où, 
pour  la  première  fois  après  son  adjonction  au  grand  em^ 
pire  de  Rome,  puis  de  Byzance,  elle  a  commencé  à  res- 
saisir une  existence  qui  lui  fût  propre,  et  à  prendre  sa 
place  au  rang  des  souverainetés  qui  ont  un  nom.  Si  pen-^ 

13 


146  GREGE   GONTINENTALE   ET  MOftÉE. 

dant  les  trois  cents  ans  qui  s'écoulèrent  depuis  la  conquête 
de  Constantînople  par  les  Francs  jusqu'à  la  conquête  de 
la  Morée  par  les  Turcs ,  presque  toutes  les  provinces  qui 
forment  aujourd'hui  le  royaume  de  la  Grèce  furent  régies 
par  des  b<miuies  étrangers  au  pays,  par  des  Français  dont 
les  dtroniques  grecques  elles-mêmes  proclament  la  bonne 
foi  sans  tache,  la  générosité  chevaleresque  et  l'insouciante 
bravoure,  du  moins  la  Grèce  put,  par  eelte  existence 
nouvelle,  reprendre,  dans  le  mabeur  même,  des  idées  ée 
fierté  et  d'indépendance,  qui  plus  tard  devaient  porter  de 
si  heureux  fruits.  Et  quand  ou  a  l'honneur  d'appartenir  à 
uiie  nation  qui ,  comme  la  France ,  a  si  iioblemeat  et  si 
puissamtnent  contribué  à  l'affranchissement  actuel  de  la 
Grèce ,  et  que  soi-même  on  a  donné  à  cette  belle  i^ause 
des  secours  non  inefficaces,  on  peut,  sans  crainte  de  bles- 
ser une  honorable  susc^ibilité  nationale,  aimer  à  se  rap- 
peler et  à  rappeler  aux  autres  qu'avant  d'assurer  à  k 
Grèce  d'aujourd'hui  cette  nationalité  que  lui  ont  conquise 
et  méritée  tant  de  sacrifices  généreux,  tant  de  malheurs, 
tant  de  courage  enfin  déployé  dans  une  lutte  obstiaée,  les 
chevaliers  français  avaient  été  les  premiers  à  lui  reconqué* 
rir,  sinon  une  existence  nationale ,  du  moins  une  indivi- 
dualité qui  n'était  ni  sans  fierté  ni  sans  gloire.  » 


V. 

ATHÈNE6.  — t'ÉTAT. 

Sera-t-il  dieu ,  taWe  ou  cuvette  ? 
— 11  sera  dieu ,  même  je  veux. 
Qu'il  ait  en  sa  main  le  tonnerre* 
Tremblez,  homaiiis,  faîtes  des  vœux, 
Voici  le  mattm  de  la  terre. 

L'empereur  Napoléon  avait  un  instant  conçu  le  projet  de 
transformer  la  république  suisse  en  un  landatauianat  lié- 


Féditaire  qa*il  voulait  donner  à  Berthier,  depuis  prince  de 
Neufchâtel  et  de  Wagraai  ;  mais  il  revint  promptemeot 
aux  idées  qu'il  avait  manifesiées  en  180S  dans  la  confé- 
rence avec  les  dix  députés  suisses  ^  «  Le  rétablissement 
de  l'ancien  ordre  de  choses  dans  les  cantons  démocratiques 
est ,  leur  disait-il ,  ce  qu*il  y  a  de  plus  convenable  et  pour 
vous  et  pour  mot.  Ce  sont  ces  cantons ,  ce  sont  leurs  for- 
mes de  gouvernement  qui  vous  distinguent  dans  le  monde, 
qui  vous  rendent  intéressants  aux  yeux  de  l'Europe.  Sans 
ces  démocraties  vous  ne  présenteriez  rien  que  ce  que  Ton 
trouve  ailleurs  ;  vous  n'auriez  pas  de  couleur  particulière. 
Et  songez  bien  à  l'importance  d'avoir  des  traits  ci^raetéris- 
tiques;  ce  sont  eux  qui,  ékiignant  l'idée  de  ressemblance 
avec  tous  les  autres  Él^ts ,  écartent  celle  de  vous  con- 
fondre avec  eux  ou  de  vous  y  incorporer.  » 

La  Grèce,  avec  ses  montagnes  et  ses  vallées,  avec  ses  sou- 
venirs antiques  et  ses  habitudes  nQuvdles,  se  trouvait,  après 
sa  révolution ,  dans  une  situation  tout  à  fait  analogue  à  celte 
où  se  trouve  la  Suisse.  Cette  considération  ne  pouvait  échap- 
per aux  hommes  d'État  européens  chargés  de  prononcer  sur 
ses^slinées  futures ,  puisque  plusieurs  d*en|re  eux  étaient 
de  ceux  qui,  en  diverses  circonstances,  avaient  pris  part  aux 
affaires  de  la  Suisse  j  et  ^valent  pu  se  convaincre  par  eux- 
mêmes  de  la  vérité  des  idées  émises  par  Napoléon  dans  cette 
célèbre  conférence.  Si  donc  on  n'a  pas  fait  du  nouvel  État 
grec  une  agrégation  de  petites  démocraties  tnarquées  d'un 
caractère  particulier  qui«  en  éloignant  i'idée  de  ressent- 
iftanee  avec  tous  les  autres  États,  écartât  celle  de  le  confon- 
dre avec  eux  et  de  l'y  incorporer,  c'est  que  probablement 
quelqu'une  au  moins  des  puissances  n'aurait  pas  été  fâchée 
de  s'incorporer  la  Grèce  un  jour  ou  l'autre,  et  que  les  autres, 
avec  une  utile  prévoyance,  devançaient  par  la  pensée  l'heure 
où  il  deviendrait  convenable,  indispensable  peut-être,  de 

*  Voyez  la  note  sur  cette  conférence,  rédigée  immédiatement  par 
MM.  Usteri  et  Sta|>rer,  dans  tes  Œuvres  coniptètes  <le  Napoléon  , 
l  IV, p.  417,  Cotta,  IS'M,  à  Stultganl. 


148  GRÈCE   CONTINENTALE   ET  MOREE. 

confondre  les  provinces  déjà  affranchies  avec  d'autres  pro- 
vinces qui  ne  pouvaient  manquer  de  Têlre,  et  qu'ils  vou- 
laient ainsi  former  le  noyau  d*un  État  capable  de  prendre 
sa  place  au  rang  des  importants  royaumes  de  l'Occident. 
Telle  fut  probablement  la  raison  pour  laquelle ,  mus  par 
des  vues  différentes ,  tous  s'accordèrent  cependant  sur  un 
seul  point  :  rutililé  de  faire  de  la  Grèce  et  de  ses  800,000 
habitants,  non  une  petite  agrégation  de  démocraties,  non 
un  hospodorat,  non  un  duché  ou  un  grand-duché,  non  une 
principauté  comme  au  temps  des  Ville-Hardoin  de  France, 
mais  un  royaume,  c'est-à-dire  un  État  de  premier  rang. 

La  Grèce  est  donc  de  droit  un  royaume  ;  mais*elle  at- 
tend encore  de  fait  les  provinces  qui  lui  adviendront  tôt  ou 
tard ,  et  qui  seules  peuvent  mettre  les  faits  en  harmonie 
avec  les  noms.  La  Crète ,  plusieurs  des  grandes  îles  de 
TArchipel  et  peut-être  de  la  mer  Ionienne ,  la  Thessalie , 
rÉpire,  voilà  tout  au  moins,  jusqu'à  la  vallée  grecque  de 
Tempe  et  aux  montagnes  grecques  du  Pinde  et  de  l'Olympe, 
ce  qu'il  faudra  bien  finir  par  lui  laisser  prendre  ;  car  tout  cela 
et  bien  d'autres  choses  échappent  à  la  Turquie  expirante. 
Je  ne  parle  pas  d'une  autre  combinaison  parce  que  je  ne  la 
crois  ni  du  goût  de  la  Grèce ,  ni  du  goût  de  la  France , 
de  l'Angleterre  et  de  l'Autriche ,  qui  auront  bien  aussi 
leur  mot  à  dire  sur  ce  sujet. 

Lorsque  le  jeune  prince  Olhon  de  Bavière  fut  créé 
le  7  mai  1832  roi  du  nouveau  royaume  grec,  divers 
gouvernements  temporaires  s'y  étaient  succédé  depuis 
1821  et  avaient  cherché  à  y  enter  de  nouvelles  institutions 
prises  autant  que  possible  dans  les  anciennes  habitudes  du 
pays.  J'indiquerai  rapidement  en  passant  celles  de  ces  in- 
stitutions qui  avaient  pu  y  laisser  un  germe. 

Sous  l'empire  de  Byzance  les  municipalités  s'étaient  per- 
pétuées en  Grèce  dans  toute  leur  autorité  et  leur  indé- 
pendance. 

Sous  les  Francs ,  qui  succédèrent  aux  empereurs  de 
Byzance  ,  ces  formes  municipales  furent  respectées  par  les 


SYSTEME   MUNICIPAL.  149 

« 

premiers  conquérants  eux-mêmes ,  et  continuèrent  à  re- 
prendre plus  d'autorité  en  même  temps  que ,  par  l'anar- 
chie, s'affaiblissait  la  domination  des  seigneurs  francs. 

Sous  les  Turcs  les  mêmes  formes  municipales  furent 
maintenues,  bien  que  ces  maîtres  ignorants  avec  leur  vio- 
lence habituelle  violassent  souvent  de  fait  ce  qu'ils  recon- 
naissaient de  droit. 

La  domination  des  Vénitiens  en  Morée  ne  dura  que  de 
1685  à  1715  ,  et  ces  trente  années  d'une  possession  incer- 
taine ne  laissèrent  presque  aucune  trace  dans  le  pays.  Si 
on  se  la  rappelle  plus  vivement ,  c'est  qu'elle  a  été  la  plus 
récente  ;  mais ,  à  l'exception  de  quelques  forteresses  et 
églises  dans  cinq  ou  six  pjaces  fortes  du  littoral ,  à  Corin- 
the ,  Nauplie ,  Monembasie ,  Coron  ,  Modon  et  Navarin , 
il  n'en  reste  aucun  vestige ,  et  c'est  par  un  acte  d'igno- 
rance, partagé  d'une  manière  absurde  par  des  hommes  qui 
devraient  être  plus  éclairés ,  que  le  nom  de  fort  vénitien  a 
été  donné  et  laissé  à  des  monuments  et  à  des  ruines  qui 
ont  précédé  de  plus  de  trois  cents  ans  la  présence  des  Vé- 
nitiens dans  l'intérieur  de  la  Morée ,  et  à  d'autres  monu  - 
ments  et  ruines  du  même  genre  dans  des  parties  de  la  Grèce 
continentale  où  jamais ,  à  aucune  époque ,  les  Vénitiens 
n'ont  mis  les  pieds. 

Les  Turcs,  qui  reprirent  la  Morée  en  1715,  y  trouvè- 
rent et  y  laissèrent  les  mêmes  usages  municipaux.  Voici 
comment  était ,  de  leur  temps,  organisé  le  système  muni- 
cipal dans  la  Morée ,  sur  le  continent  et  dans  les  îles.  Je 
puiserai  ces  exactes  notions  dans  un  mémoire  manuscrit  du 
ministère  de  l'intérieur  à  Athènes  qui  m'a  été  communi- 
qué par  la  complaisance  de  M.  de  Roujoux. 

«  Les  Grecs ,  y  est-il  dit ,  au  temps  même  de  la  domi- 
nation turque ,  avaient  une  sorte  de  système  communal 
fort  imparfait ,  et  qui  différait  dans  chacune  des  trois  par- 
lies  de  la  Grèce. 

»  Dans  le  Péloponnèse ,  les  maires  (proestoi)  de  chaque 
^'*Ue,  bourg  et  village  d'une  province  se  rendaient,  par 

13. 


150  GRÈCE   GONTnîENTAI.E   ET  VOREE. 

ordre  du  vaivode  (gouverneur  et  percepteur  des  droits),  k 
la  résidence  ducadi  (le  juge  turc).  Chaque  province  (^par- 
chic)  avait  un  juge  particulier  qui  prononçait  dans  les  cau- 
ses civiles  et  commerciales.  'Pour  connaître  d'une  afiiaire 
criminelle ,  il  avait  besoin  d*un  ordre  exprès  du  pacha. 
Ces  députés  de  la  province ,  réunis  dans  la  résidence  du 
juge  (chef-lieu  de  la  province),  procédaient  à  Télection 
de  deux  primats  (kodja  baschi),dont  Tun  était  Grec  et 
l'autre  Turc  nommé  ayane ,  d*un  trésorier  et  d'un  maire 
général  nommé  proestos.  (;cs  élections  se  faisaient  k  la 
pluralité  des  voix ,  en  présence  du  juge ,  du  vaivode  et 
de  tous  les  ayanes.  Le  vaivode  était  nommé  directement 
parle  p^cha.  Le  juge  demandait  d'abord  l'avis  de  l'assem- 
blée sur  les  élections  qui  venaient  d'être  faites ,  et ,  d'après 
la  réponse  «  il  notifiait  par  écrit  leur  élection  particulière 
aux  personnes  qui  venaient  d'être  élues ,  et  les  invitait  à 
protéger  les  intérêts  du  peuple  et  à  lui  servir  de  représen- 
tants dans  toutes  les  occasions.  Ces  fonctions  étaient  an- 
nuelles. Le  primat  (kodja  bascbi)  et  le  trésorier  restaient 
toujours  auprès  du  vaivode ,  avec  hquel  ils  tenaient  con- 
seil tant  sur  les  affaires  de  la  province  que  sur  les  ordres 
transmis  par  le  pacha.  Le  primat  avait  le  droit  de  s'opposer 
à  l'exécution  de  ces  ordres  toutes  les  fois  qu'ils  étaient 
onéreux  au  peuple.  8i  des  disputes  s'élevaient  entre  le  vai- 
vode et  le  primat ,  celui-ci  convoquait  en  assemblée  les 
maires  (démogérontcs  ou  procstoi)  de  toutes  les  villes, 
bourgs  et  villages  de  \^  province.  Il  leur  soumettait  le  dif- 
férend qui  s'était  élevé  entre  lui  et  le  vaivode  ;  et ,  si  l'as- 
semblée ne  parvenait  pas  à  l'apaiser,  elle  en  faisait  son  rap- 
port au  pacha  par  l'entremise  du  cadi.  X)n  suivait  la  même 
marche  dans  toutes  les  occasions  difficiles.  S'il  y  avait  des 
plaintes  fondées  contre  les  exactions  (angaria)  du  vaivode, 
le  primat ,  de  concert  avec  le  cadi ,  le  suspendait  de  ses 
fonctions  et  s'en  rapportait  ensuite  à  l'autorité  compétente, 
qui  était  le  pacha.  Chaque  province  avait  un  boulouk  ha  - 
schi  (chef  de  la  gendarmerie),  qui  relevait  di|  vaivode  et  du 


8TSTÈMB  MimiGIFAL.  151 

conseil  proviocial.  Le  conseil  pouvait  le  destituer  toutes  les 
fois  que  bon  lui  semblait.  Par  cooséqueut ,  le  chef  de  la 
force  executive  était  obligé ,  pour  se  maintenir  eu  place  « 
de  ménager  le  con9eil  et  de  se  conformer  aux  ordres  qu*il 
recevait  de  lui.  Pour  lever  un  impôt  quelconque,  lorsque 
lesbesmnsdu  pays  ou  ceux  du  gouvernemeot  local  le  récla- 
maient, il  fallait  le  consentement  exprèsdu  conseil  provincial 
et  celui  des  maires  de  toutes  les  villes,  bourgs  et  villages,  et 
ceux-ci  le  répartissaient  en  proportion  des  moyens  de  cha- 
cune des  familles  sur  lesquelles  cet  impôt  devait  poser.  A 
la  fin  de  Tannée  le  trésorier  général  présentait  ses  comptes 
aa  conseil,  qui  nommait  une  commission  pour  les  exami- 
ner. On  convoquait  ensuite  ep  assemblée  générale  les  mai- 
res de  toutes  les  villes ,  bourgs  el  .villages  de  la  province  • 
auiquels  on  soumettait  ces  comptes.  En  cas  d*abuK  de  la 
part  du  trésorier,  rassemblée  des  maires  faisait  son  rapport 
au  cadi  ;  et  celui-ci  au  pacha ,  qui  punissait  le  coupable. 
Tout  procès  criminel  intenté  contre  un  Grec  était  instruit 
devant  le  cadi  et  le  primat.  Si  ce  procès  était  de  quelque 
importance ,  le  primat ,  le  vaivode  et  l'ayane  étaient  tenus 
d*y  assister.  Dans  chacune  de  ces  personnes  Taccusé  de- 
vait trouver  un  protecteur.  Le  primat  exerçait  toujours 
beaucoup  d'influence  et  il  avait  même  le  droit  d'appeler  de 
la  sentence.  Quand  un  Grec  avait  un  procès  avec  un  Turc, 
le  primat  était  son  avocat  naturel.  L'évêque  ne  prenait  au- 
cune part  directe  dans  les  affaires  civiles;  mais  il  exerçait 
une  grande  inQuepce  dans  les  affaires  religieuses.  Il  pou» 
vait  connaître  des  différends  qui  s'élevaient  entre  les  Grecs 
el  les  apaiser  par  arbitrage ,  mais  sans  pouvoir  les  juger  en 
dernier  ressort.  Kn  cas  de  plaintes  de  la  part  du  peuple 
contre  le  conseil  provincial,  c'était  hl'évêque  qu'il  appar- 
tenait de  les  porter  ^  la  connaissance  du  vaivode  ;  et ,  s'il  y 
avait  des  plaintes  contre  le  vaivode ,  l'évêque  s'adressait  au 
pacha.  A  la  fm  de  l'année  chacun  de  ceux  qui  formaient  le 
conseil  provincial  était  tenu  de  rendre  compte  de  ses  actes 
à  sas  mandataires  ;  et  si  sa  condqite  obtenait  leur  approha- 


152      GRÈCE  CONTINENTALE  ET  HOBEE. 

tion  ils  faisaient  leur  rapport  au  pacha ,  qui  pouvait,  dans 
ce  cas ,  le  confirmer  encore  pour  une  année  dans  son  em- 
ploi. Telles  étaient  les  attributions  du  conseil  de  chaque 
province.  Le  pacha  avait  son  administration  particulière.  Il 
avait  auprès  de  lui  un  interprète  grec  que  le  gouvernement 
turc  nommait  sur  ja  présentation  deTinterprèteou  drogman 
de  la  Porte.  Dans  cet  interprète  tout  Grec  devait  trouver 
un  protecteur,  puisque  toutes  les  affaires  étaient  présen* 
tées  par  lui  au  pacha.  Chaque  province  envoyait  à  la  rési- 
dence du  pacha  un  ou  deux  primats  qui ,  avec  les  ayanes 
turcs ,  formaient  son  conseil,  et  étaient  censés  représenter 
en  même  temps  le  peuple.  Ces  primats ,  réunis  en  assem- 
blée avec  rinterprète ,  prenaient  connaissance  de  toutes  les 
affaires  et  opinaient  sur  la  distribution  des  impôts  que  le 
pacha  voulait  lever.  Tout  le  Péloponnèse  réuni  envoyait  à 
Constantinople  deux  ou  trois  de  ses  primats  qui  y  résidaient 
en  qualité  de  fondés  de  pouvoirs  de  leurs  concitoyens.  Ces 
hommes ,  par  leurs  relations  avec  des  personnes  impor- 
tantes ,  exerçaient  beaucoup  d'influence  sur  toutes  les  af- 
faires relatives  à  Tadministration  de  leur  pays.  Leur  séjour 
dans  la  capitale  de  l'empire  turc  leur  donnait  la  facilité  de 
mettre  des  bornes  à  l'oppression  et  à  la  cupidité  des  pa- 
chas ,  dont  plusieurs  avaient  été  destitués  sur  les  repré- 
sentations que  les  députés  de  la  IMorée  faisaient  à  la  Porte. 
0  Le  Magne  avait  un  système  communal  tout  à  fait  par- 
ticulier. Il  se  gouvernait  lui-même  et  ne  recevait  jamais 
de  Turcs  dans  son  sein.  Chaque  ville,  bourg  et  village  du 
Magne  nommait  son  démogéronte,  qu'on  appelait  capi- 
taine. Les  démogérontes  réunis  formaient  le  conseil  du 
Magne ,  présidé  par  un  capitaine  choisi  dans  son  sein  et 
élu  à  la  pluralité  des  voix  avec  le  nom  d'archicapitaine. 
Ce  n'est  que  depuis  1770  ,  époque  à  laquelle  la  Morée  ré- 
voltée contre  les  Turcs  à  l'instigation  de  l'impératrice  Ca- 
therine fut  ensuite  soumise ,  qu'on  a  donné  au  Magne  un 
gouverneur  sous  le  nom  de  bey  ou  prince  du  Magne.  Ce 
bey  n'était  pas  nommé,  comme  les  princes  de  la  Yalachie 


SYSTÈME  MIINIGIPAL.  153 

et  de  la  Moldavie,  en  vertu  d'un  firman  de  La  Porte,  mais 
uniquement  par  le  capitan-pacha.  Au  lieu  de  ^,000  pias* 
très  qu'il  avait  payées  jusque-là  au  trésor  du  sultan ,  le 
Magne  eut  désormais  à  payer  15,000  piastres  ;  et  les  attri* 
butions  du  nouveau  prince  du  Magne  furent  d'envoyer  ré- 
gulièrement au  pacha  ces  15,000  piastres  par  an.  Il  fut 
chargé  en  conséquence  de  percevoir  les  revenus  de  la  pro- 
vince. Il  pouvait  dépenser  l'excédant  pour  les  besoins  du 
pays,  et  devait  y  maintenir  le  bon  ordre. 

»  Dans  la  Grèce  continentale  le  système  communal  res- 
semblait, sous  plusieurs  rapports,  à  celui  du  Péloponnèse. 
Chaque  ville ,  bourg  et  village  nommait  d'abord  ses  pri- 
mats, qui,  réunis  en  assemblée,  nommaient  les  primats 
provinciaux  ou  des  éparchies  (en  Albanie  velagetia) ,  les^ 
quels  dans  certaines  provinces  étaient  élus  tous  les  deux 
ou  trois  ans,  dans  d'autres  étaient  élus  à  vie,  et  dans  que1< 
qnes-unes  étaient  héréditaires.  Aucune  autorité,  soit  admi- 
nistrative, soit  judiciaire,  ne  pouvait  intervenir  dans  les 
élections  des  primats.  Ce  n'est  que  pendant  la  domination 
d'Ali-Pacha  que  cette  prérogative  fut  méconnue.  Les  im- 
pôts levés  sur  les  habitants  de  la  Grèce  continentale  étaient 
exorbitants.  On  ne  pouvait  pourtant  lever  aucun  impôt 
sans  le  consentement  des  primats.  C'est  pour  cela  que , 
dans  les  provinces  où  il  y  avait  des  primats  honnêtes  et 
probes,  les  pachas  commettaient  moins  d'exactions;  mais 
malheureusement,  dans  la  plupart  des  provinces ,  les  pri- 
mats n'étaient  que  les  organes  des  abus  et  des  exactions 
des  oppresseurs.  Aussi  les  habitants  du  continent  étaient- 
ils  souvent  forcés  de  payer  des  impôts  directs  et  de  faire 
des  corvées  extraordinaires  pour  satisfaire  la  cupidité  des 
pachas  et  de  leurs  satellites ,  tandis  que  les  habitants  du 
Péloponnèse  et  de  l'Archipel,  ayant  plus  de  prérogatives 
que  ceux  de  la  Grèce  continentale ,  avaient  moins  à  souf- 
frir de  leurs  oppresseurs.  Comme  le  Péloponnèse  avait 
aussi  dans  toutes  ses  provinces  des  prélats  qui  se  réunis- 
saient une  ou  deux  fois  par  an  dans  la  résidence  du  pacha, 


154  GHÈCE   CmiTiNWTAIiC   £f   MOBEE. 

eà  ils  diaentaient  et  terminaient  les  affaires  de  lear  pays, 
et  qu'ils  avaient  h  Coaslantinople  des  fondés  de  poaveîrs, 
les  remontrances  des  premiers  auprès  du  paeha  et  surtout 
la  présence  des  derniers  dans  la  capûiale  du  royaume  turc 
empêcliaient  beaucoup  d'abns  de  la  part  des  pachas.  La  Ron- 
mélie  ne  jouissait  d'aucune  de  cas  prérogatives  et  ses  ha- 
bitants étaient  par  conséquent  abandonnés  è  tous  les  ca- 
prices des  pachas  et  de  leurs  subdélégués. 

»  Les  îles  avaient  aussi  leur  système  communal  séparé. 
Au  commencement  de  Tannée ,  les  primats  de  chaque  île 
s'assemblaient  dans  un  endroit  désigné  oà  ils  procédaient, 
Si  la  pluralité  des  voii ,  à  Télection  de  leurs  démc^érontes, 
noHtmés  archontes,  dont  les  fonctions  étaient  aBuuelles. 
Aussitôt  que  les  nouveaux  demeurantes  entraient  en  fonc* 
tions ,  leur  premier  soin  était  de  réclamer  de  leurs  prédé- 
cesseurs le  compte  des  dépenses  faites  par  eux  pendant 
l'année  précédente,  de  dresser  un  aperçu  des  dépenses 
nécessaires  pour  Tannée  suivante,  et  d'envoyer  à  Gonstan- 
tinople  des  éniissaires  pour  payer  au  trésor  le  tribut  régu- 
lier, Après  le  retour  de  leurs  commissaires ,  ils  faisaient 
dresser  un  aperçu  des  recettes  et  d^  dépenses  annuelles 
ft  s'imposaient  en  conséquence  des  taises  ei^traordinaires 
pour  combler  le  déficit  des  dépenses  de  Tanqée  courante. 
Cette  répartition  des  taxes  était  faite  par  les  archontes ,  en 
proportion  des  moyens  de  chaque  famille  sur  laquelle  cette 
taxe  devait  peser.  Les  receltes  communales  consistaient 
dans  les  dîmes  et  droits  de  douane  que  chaque  commune 
percevait  pour  son  compte.  Outre  ce  tribut  régulier  payé 
au  trésor,  les  îles  devaient  de  plus,  en  temps  de  guerre, 
fournir  au  capitan-pacba  des  bâtiments  de  transport  et  ie$ 
marins.  Les  archontes  étaient  aussi  investis  des  pouvoirs 
judiciaires  dans  les  affaires  civiles  et  dans  les  affaires  cri- 
minelles. On  pouvait  appeler  de  leur  sentence  devant  Tin- 
terprète  des  îles;  mais  en  attendant  on  devait  porter  le 
plus  grand  respect  aux  ordres  de  ces  archontes.  Si  quel- 
qu'une des  îles  voulait  avoir  un  gouverneur  (dikiaiti$),'elle 


AMEMBLIIS  MATIOllALEg.  155 

s*adressait  à  Tantorké  compétente ,  qui  était  celle  da  ca- 
pitao-pacha  ,  et  elle  lui  désignait  la  personne  qu'elle  dési- 
rait avoir  pour  gouyerneur  et  doDt  elle  devait  payer  les 
émoluments.  Les  instructions  dont  oe  gouverneur  étail 
muai  portaient  qu'il  devait  juger,  d'accord  avec  les  ar« 
chontes  et  d'après  les  «rages  du  pays ,  tous  tes  différend» 
qui  s'élèveraient  entre  les  liibitaBt&  » 

Tel  était  te  système  communal  qui  régissait  les  div<^-* 
ses  parties  de  la  Grèce,  la  Morée,  le  Magne,  la  Grèce  con« 
tinentale  et  les  îles,  au  moment  où  éclata  la  révolution  de 
4S21. 

Un  congrès  national  composé  de  quatre-vingt-dii  aiem* 
bres  élus  par  les  diverses  municipalités  des  villes  récem- 
ment affrancMes,  à  commencer  par  (lalamata,  avait  été 
convoqué  dès  le  mois  de  novembre  18^1  à  Argos  et  t«t 
transporté  ensuite  à  Épidaure.  Son  premier  soin  fut  de 
s'occuper  de  Torganisatioa  civile  du  pays.  Une  consiitiH 
tion  républicaine  fédérative  fut  publiée  à  Épidaure  le 
1*'  (13  a.  st.)  janvier  1822.  L'^alité  des  droits  de  tous, 
la  tolérance  des  cultes,  le  système  représentatif  et  la  sépa«p 
ration  des  pouvoirs  législatif ,  judiciaire  et  exécutif  y  sont 
proclamés.  En  attendant  an  nouveau  code ,  les  lois  des 
empereurs  grecs  de  Byzance'pour  les  affaires  civiles  et 
criminelles ,  et  notre  code  de  commerce  pour  les  affaires 
commerciales  furent  déclarés  lois  de  l'État.  Un  décret  du 
45  (27)  janvier  de  la  même  année  proclama  l'indépen- 
dance de  la  nation  grecque,  et  une  loi  organique  des  com* 
munes  fut  promulguée.  Un  décret  du  7  mai  décréta  aussi 
que  tout  soldat  qui  s'enrôlerait  recevrait  un  strème  de  terre 
par  mois,  à  compter  do  jour  de  son  enrôlement  jusqu'à  la 
fin  de  son  engagement. 

Un  nouveau  congrès  élu  conformément  à  la  conslitution 
d'Ëpidaure  devait  se  réunir  à  Nauplie ,  mais  il  se  réunit 
en  effet  en  1823  à  Âstros,  dans  le  vallon,  à  l'ombre  des 
orangers  et  des  citronniers,  et  en  présence  des  curieux 
qui  couronnaient  les  collines  voisines.  La  constitution  d'Ë- 


156     '        GRÈGB   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

pidaure  fut  revisée  ;  on  mit  quelques  bornes  à  Tautorité 
des  juntes  locales,  qui  avaient  entravé  les  affaires,  et  on 
s'occupa  d*un  code  pénal  qui  pût  remplacer  le  code  gréco- 
romain  de  Fempire  byzantin.  Mais  les  commissions  chargées 
de  ces  questions  n'eurent  pas  le  temps,  pendant  cette 
courte  session,  de  présenter  le  résultat  de  leurs  travaux,  et 
on  se  contenta,  en  se  séparant  le  18  (30)  avril,  de  présenter 
Fanalyse  des  travaux  de  la  session  et  de  proclamer  de  nou- 
veau rindépendance  de  la  nation  grecque ,  repoussée  aa 
congrès  de  Vérone. 

Le  6  (18)  avril  1826  s'ouvrit  un  nouveau  congrès  con- 
voqué à  Épidaure  et  qui  s'assembla  à  une  lieue  de  là  »  à 
Piada.  M.  Stratford-Ganning  promit  alors  à  cette  assem- 
blée  de  négocier  avec  la  Porte  pour  faire  reconnaître  à  la 
Grèce  une  sorte  d'existence  indépendante ,  moyennant  un 
tribut  annuel  ou  une  fois  payé,  et  alors  le  nouvel  Étal  de- 
vait comprendre ,  outre  le  Péloponnèse  et  la  Grèce  conti- 
nentale, les  îles  de  l'Archipel,  l'île  d'Eubée  et  Candie. 

Ces  mêmes  députés ,  réunis  après  de  vives  dissensions , 
se  rassemblèrent  à  Trézène  dans  les  premiers  jours  d'a- 
vril 1827,  et  choisirent  aussitôt  à  l'unanimité  le  comte 
Jean  Capo  d'Istria  pour  président  ou  proedros  de  leur 
nouvel  État.  En  se  séparant  le  17  mai  1827,  celte  assem- 
blée proclama  une  nouvelle  constitution  qui  modifiait  la 
constitution  d'Épidaure.  Le  pouvoir  exécutif,  d'après  la 
constitution  de  Trézène,  était  confié  à  un  président  invio- 
lable, élu  pour  sept  ans,  avec  droit  de  veto  suspensif  seule- 
ment et  un  ministère  responsable  :  le  pouvoir  législatif  était 
confié  à  une  seule  assemblée  nommée  sénat  (bouli).  Le  pou- 
voir judiciaire  se  composait  1°  déjuges  de  paix;  2**  de  tribu- 
naux d'éparchie  (province  ou  première  instance)  ;  3°  d'ap- 
pel ;  4*"  d'une  cour  suprême  de  cassation.  Les  lois  gréco- 
romaines,  les  lois  votées  par  les  assemblées  et  le  code  de 
commerce  étaient  déclarées  lois  de  l'État  en  attendant  la  ré- 
daction d'un  nouveau  code.  Le  jugement  par  le  jury  était 
adopté  ;  les  débats  devaient  être  publics  ;  la  liberté  de  la 


ASSEMBLÉES   NATIONALES.  157 

presse  élait  reconuue  ;  les  titres  de  noblesse  étaient  interdits; 
le  recours  à  la  protection  des  puissances  étrangères  élait 
aboli.  Des  promesses  de  terres  étaient  faites  à  ceux  qui  au- 
raient bien  servi  le  pays,  à  leurs  veuves  et  à  leurs  enfants. 
Les  maires  (démogéronics)  devaient  être  élus,  par  les  habi- 
tants, à  la  pluralité  des  voix.  Le  siège  du  gouvernement  était 
fixé  à  Naupiie.  La  bataille  de  Navarin,  le  20  octobre  1827, 
\int  consolider  Tespoir  d*une  indépendance  nationale. 

Jean  Capo  d*Istria  arriva  à  Naupiie  le  18  janvier  1828,  et 
convoqua  une  nouvelle  assemblée  pour  le  mois  d'avril  1829  ; 
et,  en  attendant,  il  nomma ,  sous  le  titre  de  Panhellenion, 
un  conseil  composé  de  vingt-sept  membres  pour  agir  de 
concert  avec  lui.  Le  corps  français  du  maréchal  Maison 
débarqua  à  Navarin  le  29  août  1828,  et  un  protocole  du 
12  décembre  1828  promit  aux  Grecs  une  monarchie  con- 
stitutionnelle. 

L'assemblée  nationale  se  réunit  le  13  juillet  1827  à  Ar- 
gos,  sur  les  gradins  même  du  théâtre  antique  adossé  à  la 
moniagne.  Elle  continua  le  gouvernement  provisoire  des 
^ingt-sept,  choisis  par  le  président  sur  une  liste  de  soixante- 
trois  qu'avait  à  lui  présenter  le  congrès.  Le  sénat  (gerousia) 
devait  préparer  une  constitution  définitive  avec  la  division 
da  pouvoir  législatif  entre  deux  chambres.  Le  congrès  se 
sépara  le  18  août  1829  après  avoir  décrété  que  200,000 
slrèmcsde  terre  (environ  100,000  arpents  de  Paris)  seraient 
aliénés  en  faveur  des  soldats ,  à  qui  on  devait  un  long  ar- 
néré  de  leur  solde. 

Le  3  février  1830,  la  conférence  de  Londres  signa  les 
protocoles  par  lesquels  elle  reconnaissait  l'indépendance  de 
la  Grèce  comme  état  monarchique  ;  et  elle  choisit  le  prince 
Léopold  de  Saxe-Cobourg  pour  son  souverain,  sans  dire  un 
mot  du  droit  public  des  Grecs.  Dans  sa  réponse  à  cette  com- 
munication de  la  conférence,  le  sénat  grec  déplore  le  refus 
qu'on  faisait  de  Candie,  de  Samos,  d'Ipsara,  de  Chios  et  des 
petites  îles  voisines  et  indique  son  espoir  d'une  constitution 
libre  :  «  La  Grèce ,  est-il  dit  dans  son  mémoire,  se  réjouit 


158  ORECfl  GONTINBNTALB   ET   HOREE. 

d'autant  plus  du  choix  fait  de  S.  Â.  R.  le  prince  Léopold  de 
Saxe-Gobourg,  qu'elle  a  appris  que  S.  A.  R.  a  Doblement 
refusé  la  glorieuse  et  difficile  tâche  de  faire  le  bonheur 
d*uae  nation  avant  de  s'être  assuré  de  son  assentimeot. 
Le  principe  qui  a  engagé  S.  A.  R.  à  prendre  une  résolu-' 
tion  si  généreuse ,  et  Félévaiioa  de  son  caractère ,  80Bt  de 
sûrs  garants  de  sa  disposition  à  consolider  les  libertés  pu- 
bliques que  la  Grèce  a  consacrées  dans  quatre  assemblées 
nationales ,  et  qu'elle  regarde  comme  aussi  nécessaires  et 
aussi  précieuses  que  l'existence  même.  »  Le  eomte  J.  Gapo 
d'Istria  s'expliquait  dans  le  même  sens  en  écrivant  en  par- 
ticulier au  prince  :  «  U  m'est  impossible,  prince,  lui  disait^ 
il  le  6  avril ,  de  trouver  le  temps  nécessaire  pour  discuter 
en  détail  les  actes  de  la  conférence  de  Londres;  mois,  et 
qui  me  semble  asseï  ckir,  c'est  qu'en  a  trouvé  meilleur  et 
plus  court  d'imposer  aux  Grecs  une  convcniioa  d'où  dok 
résulter  pour  eux  l'indépendance  que  de  leur  laisser  adop- 
ter cette  convention  dans  une  forme  légale.  Ce  n'est  pas  à 
moi  à  examiner  les  motife  qu'on  a  eus  pour  préférer  cê 
plan  ;  ce  que  je  puis  dire  seulement,  c'est  qu'on  n'en  peu" 
vait  pas  choisir  un  qui  fât  amns  favorable  aux  intérêts  de 
ce  Huiiheureux  pays  et  à  ceux  de  Y.  A.  R.  L'acte  du  3  fé* 
vrier  et  celui  qui  confère  à  V.  A.  R.  le  pouvoir  de  soqve^ 
raia  héréditaire  ne  disent  pas  un  seul  mot  des  droits  pubiioi 
des  Hellènes.  Ce  silence  indique  de  deux  choses  l'uae  { ou 
que  les  puissances  alliées  ont  imaginé  que  la  personne  de 
prince  absorbait  et  concentrait  en  elle-même  tous  les  droits 
des  Grecs,  ou  qu'ils  ont  réservé  au  prince  souveraki  la  fa- 
culté de  reconnaît!^  ces  droits  par  uae  déclaration  qu'il 
ferait  au  moment  de  prendre  la  direction  des  affaires.  Cette 
seconde  e^)lication  est  celle  que  j'ai  ckHinée  aux  membres 
du  sénat  et  à  tous  les  citoyens ,  qui  ne  cessent  de  m'acca- 
Uer  de  questions  depuis  que  les  actes  de  Londres  sont 
connus  ici  ;  et  c'est  dans  ce  sens  que  sera  probablement 
conçue  l'adresse  du  sénat.  »  Le  prince  de  Cobourg,  voyant 
par  cm  lettres  que,  par  riiài^teUigoaci^  de  l'avenir  mofûrâ? 


dans  cette  affaire  par  la  conférence  de  Londres,  il  n^anraH 
pii  en  Grèce  la  force  d'adhésion  qui  lai  était  nécessaire^ 
donna,  le  àl  mai  1830,  sa  démission. 

Gapo  d'Istria  ,  resté  seul  à  la  tête  des  affaires  en  atten-* 
dant  un  nouveau  choix  de  la  conférence  de  Londres,  erai* 
gnit  sans  doute  de  voir  éclater  la  guerre  après  la  révolution 
de  juillet,  8t  sie  rattacha  vivement  à  ralliance  russe  et  à  la 
fM>UUque  ru98e.  Il  se  refusa  à  la  convocalion  d'une  assem- 
blée nationale  »  restreignit  la  liberté  de  la  presse  et  retint 
tons  les  pouvoirs  eu  ses  mains.  Les  hommes  les  plus  émi- 
nents  du  pays  se  séparèrent  de  lui  ;  le  Magne  se  déclarji 
ÎQdépendiiQt }  Hydra  en  fit  autant  ;  la  guerre  s'alluma  entre 
le  président  et  le  parti  de  Topposi^ion  ,  et  les  Russes  mar^- 
cliôreot  comaie  auiiliaires  du  président ,  tandis  que  les 
Français  et  les  Anglais,  qui  cherchaient  à  ramener  Taqien, 
devinrent  suspects  au  comte  Gapo  d'istria.  L'incendie  vo^ 
lontaire  de  la  flotte  grecque  par  les  Grecs  eqx-rnêmes,  |i  la 
suite  de  l'attaque  des  Russes  sur  Poros,  le  13  août,  et  sur 
Qydra ,  et  l'assassinat  du  président  f  le  5  octobre  ,  par  les 
jeunes  Mavromichali ,  à  la  suite  de  l'emprisonnement  illér- 
ga)  de  leur  vieux  père,  tels  furent  les  ieu%  grands  événe- 
iBents  de  l'année  1831*  Le  frère  du  président ,  le  comte 
Augustin  Capo  d'Istria ,  fut  choisi  comme  président  à  sa 
pIlKe,  par  le  sénat,  avec  Golettis  e|;  Golocotroni,  et  qn  con- 
Sr^s  uatioani  fut  convoqué. 

L'anarchie  la  plus  violente  déchira  le  pays  pendant  les 
premiers  mois  de  l'aqnée  1832.  Il  y  eut  deux  assemblées 
pationalea  et  deux  gouvernements,  Golettis  d'un  côté,  Au- 
gustin Capo  d'Istria  d'un  autre.  Gependant  la  France, 
l'Angleterre  et  la  Russie  tenaient  à  Londres,  par  leurs  dé- 
légués, M.  de  Talleyrand  pour  la  France,  }ord  Palmerston 
pour  l'Angleterre  et  MM.  Lieven  et  Matuszevics  pour  la 
Russie,  des  conférences  dans  lesquelles  étaieiit  examinées  les 
Qiesures  qui  convenaient  au  nouvel  État  grec.  A  la  suite  de 
la  démission  du  prince  de  Gobourg,  les  délégués  des  trois 
puissances  avaient  entamé  des  négociations  avec  le  roi  Louis 


160  GRECE   COIVTINEKTALB   ET  MOREE. 

de  Bavière  pour  que  son  fils,  le  jeune  Othon ,  encore  mi* 
ncur,  devint  roi  de  la  Grèce.  La  convention  arrêtée  entre 
eux  et  le  roi  de  Bavière ,  représentée  par  son  ministre  le 
baron  de  Getto,  fut  arrêtée  par  un  protocole  du  7  mai 
1832.  Il  était  stipulé  : 

Articles  1,  2,  3,  U.  Que  la  Grèce  formerait  un  État  mo- 
narchique indépendant ,  et  que  le  prince  Frédéric  Othon 
de  Bavière  en  serait  le  souverain  héréditaire. 

5  et  6.  Que  les  limites  seraient  fixées  par  les  trois  cours 
à  la  suite  de  négociations  avec  la  Porte. 

7.  Que  les  trois  cours  se  chargeraient  de  faire  recon- 
naître le  nouveau  roi  par  leurs  alliés. 

8.  Qu'en  cas  de  mort  sans  issue ,  la  couronne  grecque 
passerait  à  ses  frères  et  à  leurs  enfants,  sans  pouvoir  être 
réunie  h  une  autre  couronne. 

9.  Que  la  majorité  du  prince  serait  fixée  à  20  ans  ,  qui 
tombaient  le  1"  juin  1835. 

10.  Que,  pendant  sa  minorité,  la  régence  serait  confiée 
à  trois  conseillers  choisis  par  le  roi  de  Bavière. 

11.  Que  le  prince  Othon  conserverait  son  apanage  en 
Bavière  et  recevrait  des  facilités  du  roi  son  père ,  jusqu'à 
ce  que  la  dotation  fût  formée. 

12.  Qu'un  emprunt  de  60  millions  serait  garanti  par  les 
trois  cours ,  chacune  pour  un  tiers  ,  mais  que  les  recettes 
effectives  de  l'État  grec  devaient ,  avant  tout ,  et  sans 
pouvoir  être  emploi/ ces  à  aucun  autre  usage,  être 
employées  au  payement  des  intérêts  et  du  fonds  d'amortis- 
sement ,  sous  l'autorité  des  ministres  des  trois  cours  en 
Grèce. 

13.  Que  la  compensation  à  payer  à  la  Porte  serait  prise 
sur  cet  emprunt. 

l/i.  Qu'un  corps  de  3,500  hommes  armés,  soldés  et 
équipés  par  l'État  grec  serait  levé  en  Bavière  pour  aller 
remplacer  les  troupes  laissées  par  les  alliés  en  Grèce. 

15.  Que  des  officiers  bavarois  seraient  autorisés  p<ir  le 


ÉLECTION   DU   BOI   OTHON.  161 

roi  de  BaTÎère  à  aller  organiser  une  force  militaire  en 

Grèce. 

16.  Que  les  trois  conseillers  cboisisponr  former  la  régence 
devaient  se  bâter  d'aller  en  Grèce ,  et  que  le  jeune  roi  ne 
devait  pas  tarder  à  les  suivre. 

Par  un  article  supplémentaire,  les  femmes  de  la  famille 
de  Bavière  sont  appelées  à  la  succession  de  Grèce  ;  mais 
seulement  en  cas  d*extinction  des  mâles  des  trois  61s  cadets 
du  roi  Louis  de  Bavière.  Il  n'y  eut  pas  un  mot  de  dit,  dans 
cet  acte,  sur  la  forme  de  gouvernement  à  donner  à  la  Grèce 
et  rien  qui  promit,  comme  l'avait  fait  le  protocole  du  12 
décembre  1828,  une  monarchie  constitutionnelle.  Une  lettre 
du  baron  de  Giese,  ministre  des  affaires  étrangères  du  roi 
Louis  de  Bavière ,  à  M.  Sp.  Tricoupis ,  ministre  des  affai- 
res étrangères  du  gouvernement  grec,  datée  de  Munich, 
31  juillet  1832,  annonce  cependant  l'intention  d'établir  un 
jour  une  constitution  par  le  libre  concours  de  la  nation  et 
du  roi. 

«  Autant  qu'il  est  parvenu  à  la  connaissance  de  S.  M., 
dit  M.  de  Giese,  les  actes  par  lesquels  la  nation  grecque  a 
con6é  aux  trois  cours  le  choix  d'un  souverain  n'ont  pas  fait 
mention  d'une  constitution  dé6nilive  de  l'État  qui  serait 
arrêtée  avant  l'élection  et  sans  le  concours  de  ce  souverain. 
Ainsi ,  dans  les  circonstances  actuelles  ,  la  confection  et  la 
publication  d'une  constitution  définitive  en  Grèce  se  trou- 
veraient en  opposition  directe  avec  les  actes  dont  il  s'agit.  Ce 
sera  un  des  premiers  soins  de  la  régence  royale ,  nommée 
pour  vaquer,  pendant  la  minorité  du  roi,  à  l'administration 
du  royaume ,  de  convoquer  une  assemblée  générale  de  la 
naiion  pour  recevoir  le  monarque,  lui  offrir  l'hommage  du 
dévouement  de  la  Grèce  et  cimenter  son  union  avec  le 
prince  qui  va  travailler  à  ses  destinées.  Cette  assemblée 
«era  chargée  de  travailler  avec  la  régence  à  préparer  la 
constitution  définitive  de  l'État,  qui,  réglée  de  la  sorte  avec 
le  libre  concours  de  la  nation  et  de  son  roi ,  au  milieu 
d'nne  tranquillité  profonde ,  lorsque  ses  ressources  seront 

14. 


I6f  GREOB  CONTWRIKTALI  ST  IWIGC. 

mîeoi  coiiou6§ ,  répoodrt  moa  buI  doau  ^  aes  bâsoifts ,  ii 
ses  ?œux  et  à  ses  intérêts.  • 

Une  assemblée  natioiMle  de  tous  tes  partis  réunis  a'oa- 
¥rît  cependant,  le  14  (25)  juillet,  daus  le  firaboorg  de  PrOi% 
nia,  près  de  Nauplie,  reconnut,  le  8  août,  TélecliQii  du  r«i 
Oifaou  et  s'occupa  à  poser  les  bases  d'une  eoosiitulioQ  dé- 
finitive de  l'État  e|  ^  régler  tout  ce  qui  toucbsU  la  diatri^ 
butioQ  des  terres  nationales  i  mais  les  dési^rdres  comeais  par 
les  chefs  militaires  Golocotroiii ,  établi  i  Tripotizi&a  •  Tza-»- 
vellas  h  Patras ,  GH^as  à  Missolongbi  •  par  les  partisaos  do 
la  Russie  i  qui  eulevajeut  l'imprimerie  nationale  de  Ni|u« 
plie  pour  la  transporter  k  Spetxia  et  proclamer  préaicMl 
l'amiral  russe  Ricord  «  et  par  les  loldats  du  gou?eraefiieiil 
lui-même,  qui  eplevai^nt  les  députés  pouj  tes  mettre  ^ 
rai>ÇOQf  obligèrent  l'asseq^blée  de  ProQia  de  se  diaseudref 

Le  roi  Olbou  i  emNrqué  à  Brindea  le  i4  jaoîiçr  lg3)i 
débarqua  I)  Nauplie  le  6  tévrier ,  et  le  $orps  d'oceopatisA 
français  quitta  la  Grèce  an  mois  d'août.  La  régence  qui 
devait  gouverner  en  son  nom  peudanl  sa  Qsioorité  «  et  qui 
était  composée  de  M^.  d'Arnf^anspçrg,  AJaurer  et  Deidl^ciff 
publia  le  mémo  jpur  à  Nauplie ,  en  allemand  et  en  gret^i 
une  proclamalion  dans  laquelle  on  trouve  cette  seule 
phrase  sur  la  promesse  d*uQe  constitution  politique. 

<i ,..  Consommer  la  régénération  de  la  Qrèce  en  lui  don-* 
nant  des  institutions  approfondies ,  stables ,  ei  qui  répon-» 
dent  à  la  situation  du  pays  et  auiç  vceux  de  la  nation ,  voilât 
Qellènes ,  le  but  aussi  glprienic  que  diQicile  de  I9  n)is$ion 
que  j'entreprends.  » 

La  régence  bavaroise  n^ontra  d'abord  nue  fort  grande 
ignorance  du  caractère  grec,  dan^  l'introductinn  d'un  code 
pénal  qui  aggravait  encore  çelqi  emprunté  par  Gapo  d'Ia-i 
trii)  aux  Vénitiens ,  et  les  finances  furent  dilapidées  par 
elle  sansaucqne  mesure  et  sans  conMOlefCar  elle  ne  voulut 
jamais  supporter  celui  d'une  assemblée  natinnale  \  cependant 
lin  de  se^  membres  les  plus  capî^bles,  i\L  IVlaurer,  4'ocçnpa 
avec  soin  dç  Torgani^tion  religieui^e  et  civile  dn  pitys,  p<if 


MEGBNei   BAVAIIOMB.  t63 

noc  décision  do  mois  de  juillet  1833 ,  il  fat  déclaré  qu'à 
TaVeoir  l'Église  grecque  ne  serait  plus  soumise  au  pa- 
triarche de  Gonstaotiuople ,  toujours  dépendant  du  sultan 
et  par  conséquent  de  là  Russie  ,  mais  k  on  synode  de  dix 
membres  choies  par  le  gouvernement.  L'organisation  jo^ 
diciaire  se  composa  d'un  aréopage  ou  cour  de  cassation,  de 
deux  épbètes  ou  cours  d'appel ,  l'une  à  Athènes  ,  l'autre  à 
Naoplie  ;  de  dix  protodica  ou  tribunaux  de  première  in- 
stance, à  Athènes,  Ghaikh,  Syra,  NaupHe,  Sparte,  Calai- 
mata ,  Tripolizza«  Pairas,  Missolonghi  et  Lamia}  déjugea 
de  paix  et  de  trois  tribunaux  de  commerce  à  Syra ,  Patraa 
et  Nauplie«   L'organisation  administrative  ae  composa  de 
sept  ministères;  d'un  conseil  d'État  (épicratia),  composé 
de  vingt  membres  ordinaires  et  vingt  nombres  estraordir- 
naires,  tous  amovibles;  d'une  cour  des  cqmptes;  de  dix 
départements  ou  npmarcbies  (1.  Argolide  etCorintbies  3. 
Aebaye  et  Ëlide  )  5.  Meisénie;  U.  Arcadie  ;  5,  Laconie  \  6« 
Acarnanie  et  Etolie;  7.  Phocide  et  Locride;  8.  Béotie;  9^ 
Eobée  ;  10.  Cyclades)  comprenant  chacune  un  certain  nom-; 
bre  d'arrondissements  ou  éparchies ,  et  chaque  arrondisse-; 
ment  composé  d'un  certain  nombre  de  communes  ou  dêmes. 
Une  ordonnance  du  27  décembre  1833 ,  sur  les  commiineai 
termina  cet  édifice.  Cette  ordonnance  stipule  entre  autres  « 
titre  V,  article  4 ,  que  toqt  village  (  chorio)  ayant  300 
habitants  peut  réclamer  le  droit  de  commune  (déme).  Les 
hameaqx  moins  peuplés  doivent  faire  partie  de  la  coinmune 
la  plus  rapprochée.  Art*  7.  |l  y  aura  trois  sortes  de  dêmes, 
ceux  d'au  mojqs  10.000  habitants,  ceux  d'au  moins  2,000  et 
eaux  an  dessous  de  2,000«  Titre  IL  Les  enfants  légitimes  ap- 
partiennent à  la  commune  du  père,  les  bâtards  à  )a  commune 
de  la  mère,  les  enfants  trouvés  à  la  commune  dfins  laquelle  iU 
sont  trouvés.  13.  Tons  les  membres  d'une  commune,  à  Tex-* 
ception  des  femmes  ainsi  que  des  détenus  et  des  condamnés, 
prennent  part  aux  élections  h  vingt-cinq  ans.  23.  Ce  qui 
reste  des  revenus  d'une  cqmmune ,  «^près  les  dépenses  faites^ 
est  placé  à  intérêt  oq  einplqyé  ^  de  pouveniix  b^spips  sans 


164  GRÈCE   CONTINENTALE  ET   MOBÉE. 

popvoir  être  partagé  par  les  citoyens.  Titre  Y,  art.  3.  Le 
conseil  municipal  se  compose  d'un  maire  (dimarque) , 
d'un  à  six  adjoints  (paredros)  et  d'un  conseil  de  six  à  dix- 
huit  membres ,  selon  les  trois  classes  de  la  commune.  AO. 
Les  fonctions  de  dimarque  sont  gratuites;  il  reçoit  seule* 
ment ,  selon  l'importance  du  dême,  une  somme  suffisante 
pour  payer  les  frais  de  bureau.  Les  astynomes  (commis- 
saires de  police)  sont  à  la  nomination  du  gouvernement  sur 
la  présentation  du  dimarque.  A^.  La  durée  des  fonctions 
de  dimarque  est  de  trois  ans.  Ub.  Il  peut  être  suspendu  par 
lenomarque,  et,  dans  les  trois  jours,  le  ministère  doit 
confirmer  ou  annuler  cet  arrêt  et  peut  même  le  des- 
tituer. 50.  Le  conseil  municipal  désigne  trois  candidats 
pour  l'emploi  de  caissier  communal  et  le  gouvernement 
choisit  un  des  trois.  56.  Les  délibérations  du  conseil  mu- 
nicipal ont  lieu  à  la  majorité  absolue ,  et  les  deux  tiers  des 
membres  doivent  être  présents.  58.  Les  fonctions  du  con* 
seil  municipal  durent  neuf  ans  et  il  est  renouvelé  par 
tiers  tous  les  trois  ans.  59.  Le  gouvernement  peut  desti- 
tuer un  conseil  municipal ,  mais  il  doit ,  dans  les  quatre 
semaines  qui  suivent,  convoquer  les  électeurs  pour  le 
choix  d'un  nouveau  conseil ,  etc.  Quelques  mesures  furent 
prises  aussi  pour  les  dotations  promises  aux  soldats  et  pour 
les  terres,  dont  les  assemblées  nationales  avaient  interdit 
toute  aliénation  sauf  de  celles  destinées  aux  militaires.  Mais 
une  ordonnance  du  16  (28)  janvier  1834  déclare  que  les 
lois  prohibitives  sur  la  vente  des  biens  nationaux  ne  s'ap- 
pliquaient qu'à  une  aliénation  générale  (réservée  à  une  as- 
semblée nationale)  et  non  à  une  vente  particulière.  Quant 
aux  dotations  du  soldat,  lord  Goderich  ayant,  en  1831 , 
substitué  dans  les  colonies  australiennes ,  aux  concessions 
gratuites  une  enchère  dans  laquelle  les  militaires  avaient 
droit  à  une  remise  en  proportion  de  leurs  années  de  ser- 
vice ,  ce  système  fut  introduit  eu  Grèce.  Il  en  résulta  que 
les  militaires  ayant  la  libre  disposition  de  leurs  terres  sans 
que,  comme  dans  les  colonies  vénitiennes,  ils  fussent  tenus 


POPULATION.  165 

de  planter  ou  bâtir  {ivant  de  pouvoir  vendre,  les  terrains 
ainsi  donnés  ne  restèrent  pas  entre  leurs  mains. 

Ainsi  en  arrivant  à  sa  majorité  (20  ans)  le  l""' juin  1838, 
le  roi  Olhon  trouva  les  deux  tiers  de  l'emprunt  dissipés 
un  synode. ecclésiastique  et  un  conseil  d'État  placés  sous 
sou  autorité ,  un  système  municipal  fort  libre,  la  liberté  de 
la  presse  établie  et  cousolidée  par  l'usage,  la  publicité  in- 
troduite dans  les  débats  judiciaires,  ainsi  que  le  jugement 
par  jury,  et  une  organisation  administrative  capable  de  se 
mouvoir  avec  facilité,  tous  les  éléments,  en  un  mot, 
d'une  monarchie  constitutionnelle,  moins  la  constitution 
et  l'assemblée  nationale  avec  laquelle  on  eut  à  la  discuter. 
Mais  les  Bavarois  étaient  encore  implantés  en  Grèce ,  et  ce 
ne  fut  qu'après  avoir  éliminé  les  ministres  allemands  et 
s'être  entouré  de  ministres  nationaux,  en  1837,  qu'il  put 
être  regardé  comme  un  vrai  roi  national. 

Quelques  renseignements  statistiques  compléteront  ce 
sérieux  article. 

ÉTAT   DE   LA  POPULATION  EN   1839 

d'après  les  30  provinces  {diocèses)  su6stituées  en 
juin  1836  aux  dix  nomarchies. 


t 


L  Argolide 27,324 

2.  Acbaye 29,196 

3.  Messénie 30,792 

4.  Pylie  (Navarin) 11,925 

6.  Gortyne  (Caritena) 47,817 

6.  Corinthe 29,370 

7.  Kinethe  (Calavryta) 36,181 

8.  ÉIMe 34,283 

9.  Lacédémone '  39,095 

10.  Laconie 35,148 

11.  Mantinée 62,296 

12.  Triphylie 35,593 

*  M.  d'Armansperg,  le  président  de  la  régence,  recevait  135,000 
par  an ,  les  deux  régents  35,000  chacun,  et  on  donna  à  la  Turqnie 
12,000,000. 


^  _  r 


166  GRECE   GONTlinBfllTAUl  ET   MOREE. 

là.  Étolie.   .«....« 4  %kf^K% 

14.  Tri€hoBi« 8,443 

16.  Phthiutide* ,  .  22,566 

16.  Locride 9,522 

17.  Ciiritanie ^  1,533 

18.  Acarnanle 24,09e 

19.  Pb<ield6 «  30»117 

30.  Eubée,   « r  .  «  «  .  4M)S 

21.  Skiatlios  et  Iles  adja^iites.  *  «  •      9,751 

22.  Béotie. 30,944 

23.  Allique 21,6  27 

24.  Mégaride 11,589 

25.  Hydra 16,609 

2«.  Bpetzia <  13,04» 

27.  Sjra »  •  .  «  2«,4«4 

28.  Milo.    ....(.., 10,07& 

29.  Saotorino î  •  f  1 8,760 

30.  Tine 32,228 

31.  Naxos .  18,869 

Grecs  Aoti  insecte  et  étranger».  .  !!9,3^4 


^ 


Total 829,236 


tique  et  de  Mi  dépeniM  iocdies  «a  i84li» 


KErfiMM  HUHICIPAIIX. 

150,000  drachmes. 

27,000  — 

3,759  — 

lj708  — 

7,P0O  — 

2*747  — 

2,350  — 


MPVLikTIOll. 

Athènest 

.  .  .  .  22,309  t 

Pirée.    . 

.  ,  .  .     2,099 

Cécropia. 

.    .  .     2,158 

Marathon. 

.  .  .     1,214 

Phylé.  . 

.  .   .   .     2,659 

Calamq. 

<  .   )   .     2,000 

LauriuQ). 

,  *  .  .     1,470 

-«- 


33,909  194,673 


Voici  aussi  le  budget  de  TÉtat,  tel  qu'il  a  été  envoyé  aux 
cabinets  étrangers,  polir  1842. 


RECETTES.  DÉPENSES. 

RECETTES  ORDINAIRES. 

draclimci.  drncbnies. 

lApdtB  élraBts.  .  .  10,214,000  îutériéttr 1,277,41)0 

IsiipéU  iDdipeÊU.  «  4,èO0»OOO  Itti(t»tt6t.  p«M«i}tte.  497  ^OU 

Fropriélés.    .   .  ,  »  1,716,000  Aifaires  étraagèm.  422,l»a 

Édifices  publics. .  •  300,600  Justice 830,278 

Veotes 734,000  Guerre 5,436,080 

Propriét.  ecclésiast.  2/0,000  Marine 1,522,555 

"•/rrrr"  Ftoances 3,537, 5Ji 

i7.e7o.ûoo  ^^^ '«oioeo 

DelaFrance    .  .  .     J.U6.000    E^^^ettatérM..    J,7W,«* 
De  I  AB(|leterre.  .  .    ^     73.000    p^^tj.,,^,,^,.     ,;^0^ 

1,180,000     Trou()fiS  turqi^£i&.   .  22,^00 

^Q  toutr,  «  .  |?»U9,0O  ld,à70^û«4 

11  est  difficile ,  d*après  ua  budget  si  imparfait,  de  9« 
rendre  compte  des  finances  grecques.  On  voit  que  même 
la  liste  civile ,  qui  est  d*aa  million ,  est  oubliée. 


VI. 


ENVIRONS  D'ATHÈNES,  CQLONE,  L'ACADÉMIE,   PAPHNI, 

ELEUSIS. 

L'Attîque  est  un  pays  d'une  extrême  sécheresse.  Dès  les 
premiers  jours  de  mai  Fherbe  des  champs  est  jaune  et 
brûlée.  Aucune  source  d'eau  voisine,  aucune  pluie  bien-» 
faisante  ne  viennent  lui  redonner  la  vie.  L'Uyssus  et  le 
Cépbise ,  et  la  fontaine  Calirrhoë  n*out  pas  une  larme  à 
répandre  sur  la  désolation  des  campagnes  dans  lesquelles 
ils  aimeraient  à  couler,  et  la  triste  feuille  de  l'olivier  de 
Minerve  offre  la  seule  verdure  qui  puisse  délasser  l'oeiL 


168  GRÈGE    CONTINENTALE    ET   MORÉE. 

Au  mois  de  juin  et  au  mois  de  juillet  la  chaleur  s'élève 
assez  souvent  jusqu'à  33  degrés  Réaumur  et  ^0  centigrades. 
Il  est  difficile ,  à  Athènes ,  d'échapper  à  cette  grande  cha- 
leur. Les  rues  n'ont  pas  de  portiques,  et  les  maisons,  cons- 
truites à  l'allemande  avec  des  murs  légers  et  beaucoup  de 
croisées,  n'offrent  aucun  abri  un  peu  tempéré.  L'Athènes 
moderne  a  de  plus  été  si  ingénieusement  placée  par  ses 
premiers  architectes  allemands,  que  la  brise  de  mer  est  in- 
terceptée avant  de  pouvoir  y  arriver  ;  tandis  qu'en  la  posant 
à  quelques  pas  plus  haut,  où  elle  tend  d'ailleurs  à  se  trans- 
planter maintenant,  on  y  eût  joui  et  de  la  vue  de  la  mer  et 
de  la  fraîcheur  dont  se  tempère  l'haleine  des  vents  qui 
l'effleurent.  Il  faut  donc,  si  Ton  veut  respirer  un  peu  à 
l'aise  dans  la  saison  chaude,  se  hâlcr  de  sortir  d'Athènes. 

Les  routes  par  lesquelles  on  peut  diriger  les  roues  d'une 
voiture  quelconque  ne  sont  pas  nombreuses  et  elles  s'é- 
tendent à  une  fort  petite  distance  d'Athènes.  L'une  con- 
duit au  Pirée  à  deux  lieues  de  là  ;  l'autre ,  aussi  de  deux 
ou  trois  lieues,  aux  gracieux  villages  deMarousi  et  de  Ke- 
phisia  aux  pieds  du  mont  Pentélique,  et  la  troisième,  qui 
passe  près  de  l'abbaye  de  Daphni  déjà  décrit  plus  haut  comme 
le  Saint-Denis  des  ducs  français  d'Athènes,  près  de  la  sainte 
Eleusis  et  au  pied  de  la  forteresse  si  bien  conservée  de 
'  l'antique  Ëleuthère,  conduitjusqu'àThèbes  et  parfois  même, 
hors  de  la  saison  des  pluies ,  jusqu'à  Livadia.  Partout  ail- 
leurs on  ne  peut  aller  qu'à  cheval ,  mais  on  a  souvent  à  un 
prix  modéré  des  chevaux  de  Syrie  d'une  fort  bonne  qualité. 

Combien  de  fois,  tantôt  seul,  tantôt  escorté  de  quelques 
amis ,  dont  le  souvenir  m'est  doux  à  conserver,  n'ai -je  pas 
parcouru  dans  tous  les  sens  les  plaines  et  les  montagnes  de 
î'Atlique  !  Mais  le  lieu  que  j'ai  le  plus  souvent  visité  dans 
mes  courses  quotidiennes  c'est  l'abbaye  de  Daphni ,  car 
pour  moi  tous  les  genres  de  plaisirs  venaient  s'y  réunir. 
Une  belle  route  sur  laquelle  on  peut  galoper  avec  aisance, 
les  souvenirs  de  la  glorieuse  antiquité  multipliés  à  chaque 
pas,  çà  et  là  quelques  souvenirs  de  notre  Gallo-Grèce, 


COLONE  1 69 

la  vue  de  la  rade  de  Phaière  en  partant ,  et  la  vue  magni- 
fique de  la  rade  de  Salamine  à  Textrémiié  de  ma  prome- 
nade de  Daphoi  ;  tout  me  captivait  dans  ce  court  et  fré- 
quent pèlerinage. 

La  route  carrossable  d'Athènes  à  Daphni  et  à  Eleusis 
passe  devant  les  restes  d'un  aqueduc  dans  lequel  les  femmes 
d'Athènes  viennent  laver  leur  linge  et  se  répéter,  comme 
au  bon  temps  d'Aristophane,  tous  les  caquets  de  la  plus   - 
bavarde  des  villes.  Le  jardin  botanique  actuel,  qui ,  du 
temps  des  Turcs ,  était  l'habitation  de  l'ancien  vaivode ,  est 
à  quelques  pas  de  là  sur  la  route  ;  mais  le  voyageur  à  che- 
val aime  à  s'écarter  un  peu  sur  la  droite  pour  suivre  un 
sentier  un  peu  plus  varié.  De  là  on  peut  faire  une  rapide 
excursion  sur  l'emplacement  de  l'ancien  village  de  Co- 
lone,  dont  on  n'est  éloigné  que  de  quelques  pas.  Arrivé  sur 
le  lieu  de  la  scène  de  la  magnifique  tragédie  de  Sophocle, 
je  cherchais  vainement  le  lieu  qu'Antigone  décrit  à  son 
père  le  vieil  Œdipe  ,  comme  *  parsemé  de  lauriers-roses, 
d'oliviers,  de  vignes  abondantes  »  ainsi  que  les  «  nombreux 
rossignols,  qui,  sous  le  feuillage  épais,  faisaient  entendre 
leurs  chants  mélodieux.  »  L'aspect  de  Colone  est  un  peu  , 
changé  depuis  le  jour  où  un  chœur  d'Athéniens  répétait, 
en  petits  vers  si  élégants,  au  malheureux  Œdipe  qui  venait 
expirer  au  milieu  d'eux  et  les  protéger  par  son  tombeau  : 
«  0  étranger,  tu  es  venu  dans  le  séjour  le  plus  délicieux 
del'Attique,  à  Colone  fertile  en  coursiers.  Là,  au  fond 
des  vallées  couvertes  de  verdure,  de  nombreux  rossignols 
font  retentir  l'air  de  leurs  chants  plaintifs ,  à  l'ombre  de 
lierres  épais,  dans  un  bois  sacré  inaccessible  aux  rayons 
du  soleil ,  où  les  vents  ne  font  point  sentir  leur  brûlante 
baleine ,  où  fiaccbus ,  toujours  riant ,  marche  escorté  des 
nymphes  ses  divines  nourrices.  Là,  une  éternelle  rosée 
entretient  le  safran  doré  et  le  narcisse  brillant,  antique 
couronne  des  grandes  déesses.  La  plaine  est  sans  cesse  ar- 
rosée par  les  eaux  du  Céphise ,  qui ,  dans  son  cours  in- 
tarissable ,  féconde  de  ses  eaux  limpides  le  sein  de  la  terre. 

15 


170  GRECE    CONTlNIttTALG   ET   MOEEE. 

Ni  les  chœurs  des  Muses  »  ni  Véna»  aox  rênes  d'or  ne  dé* 
daignent  ces  lieux.  Là  croît  un  arbre  tel  que  ni  l'Aâe ,  ni 
File  puissante  de  Pélops  n*en  produisirent  jamais  do  sem* 
blable.  Il  ne  fut  pas  planté  par  une  main  morlette.  11  fiett 
sans  culture  et  fleurit  en  alMmdance  dans  cette  coBtr4e; 
c*est  la  plante  de  l'olivier,  effroi  des  ennemis  et  douce 
nourrice  de  Tenfance.  Jamais  en  aucun  temps  une  main 
étrangère  ne  pourra  l'extirper  du  sol ,  car  Jupiter  et  Mh 
nerve  veilleot  sur  elle  d'un  œil  attentif  ^  » 

Ces  lieux  sont  bien  loin  d'être  aussi  séduisants  anjoar^ 
d'bui.  On  y  voit  bien  encore  quelques  vignes ,  maie  leur 
feuillage  est  brûlé  par  les  rayons  du  sofeiL  Le  bocage  sacré 
a  disparu  avec  tes  eaux  limpides  du  CépUse  qui  devait  ne 
tarir  jamais ,  et  qqi  n'offre  plus  qu'à  regret  «ne  bumidité 
cachée ,  suffisante  à  |»eine  pour  nourrir  les  laoriers-roees 
de  ses  bords.  Avec  les  bos^piets  ont  foi  les  mille  rossignc^ 
pour  aller  chercher  ailleurs  un  peu  d'ombre  et  de  fraîcheur* 
L'olivier  seul,  qui  ne  pouvait  jamais  être  extirpé  de  son  aal 
natal ,  car  Jupiter  et  Minerve  veillaient  sur  lui  d'un  oeii 
attentif,  se  maintient  encore  dans  les  mêmes  lieux;  mais 
son  feuillage  sec  et  pile  ne  fait  plus  honte  aux  magnifiques 
oliviers  d'Asie ,  de  b  Laconie ,  et  même  du  beau  royaume 
de  Naples,  qui  mérite  si  biep  le  nom  de  seconde  Grèce. 
Sur  l'emplacement  même  «  consacré  aux  redoutables  filles 
de  la  Terre  et  de  TÉrèbe,  aux  vigilantes  Ëmnéoides,  •  a 
été  bâtie  une  petite  chapelle,  aujourd'hui  ruinée  »  au  pied 
de  ce  moDilculc  de  Colone,  qui  seul  n'a  pas  changé  d'as- 
pect et  qui  est  bien  encore  le  dur  rocber  dont  parle  le 
vieil  Œdipe. 

Les  jardins  de  l'Académie  où  Platon  enseignait  si  poéti- 
quement la  sagesse  étaient  placés  sur  les  deux  rives  dit 
Gépbise ,  et  allaient  de  Colone  à  la  voie  Sacrée  ou  voie 
d'Eleusis.  De  ces  collines  légèrement  ondulées  on  jouit 
d'une  fort  belle  vue  sur  la  rade  de  Phalère  ;  mais  les  jardins 
ont  disparu  avec  l'eau  du  Céphise  qui  en  alimoAtait  la 

^  Ver»  66S  à  690. 


'    ^■^VOIE  SACnCB.  171 

verdure,  et  à  peine  quelques  rares  broussaNles  porieat- 
eiles  la  trace  d'une  pénible  Yégétaiion. 

De  là ,  traversant  ces  quelques  oliviers  épais  qui  s'arro*- 
gent  faatoeoaeaient  le  nom  de  bois  d'oliviers,  on  retrouve 
laroote  d'Athènes  à  Eleusis»  que  j'ai  bteti  souvent  pareoa- 
nie.  Sur  toute  la  voie  Sacrée ,  les  deux  côtés  de  la  route 
étaient  autrefois  i^arnisde  monuments  religieux  et  de  tonw 
beaux  dont  où  retrouve  encore  quelques  d^'bris  dispersés 
snr  le  bord  de  la  route  et  au  milieu  des  champs.  A  l'endroit 
ou  Tétranger,  arrivant  de  Corinthe  à  Athènes,  avait  franetli 
là  dernière  ooUîne  par  laquelle  est  encore  interceptée  la 
vue  de  l'Acropolis,  un  beau  mouument,  dont  il  n'existe 
plus  que  qnelqnes  pierres  brisées  «  se  présentait  à  ses  re- 
gards, A  qui  doOG  était  consacré  ce  religieux  édifice  placé 
sur  le  vestibule  même  de  la  ville  éo  Minerve  ?  Était-ce  aux 
immortels  fondateurs  de  la  république ,  à  ses  grands  légis»- 
bceurs ,  à  ses  braves  guerriers ,  k  ses  poètes  sublimes ,  à 
sas  admirables  artistes  «  à  ses  éloquents  orateurs ,  à  quel»- 
ques-una  de  ces  bommes  d'élite  qui  ont  fait  son  nom  glo<- 
fieut  à  travers  tous  les  âges  ?  Non)  c'était  wa  monument 
élevé  II  um  courtisane  par  aon  atnant  »  ancien  caissier  de 
Tarmée  d'Alexandrç .  qm  *  après  avoir  volé  sa  caisse  en 
Asisi  était  venu  avec  sa  nouvelle  opulence  faire  figure  dans 
b  brillante  Athènes.  Paussnlas  cite  ce  tombeau  comme  re- 
IfiarquaUe  par  sa  beauté,  v  Sur  cette  route  d'Étousia  à 
Athènes,  dit-il  (Attique,  cb^p*  37),  sont  aussi  des  tom- 
beaux  dont  deux  se  font  remarquer  pas  lenr  grandeur  et 
letir  beauté.  L'un  9  été  érigé  à  un  Rbodien  établi  k  Athè- 
nes; l'autre  a  été  construit  par  le  Macédonien  llarpalus, 
qui ,  ayant  désertédu  service  d'Alexandre,  s'embiirqua  et 
p^ssa  d'Asie  en  Europe.  L^s  Athéniens ,  cbex  qui  il  s'étai( 
rendu ,  Tayaut  fait  arrêter,  il  corrompit  avec  de  Targent 
différentes  personnes,  entre  autres  les  amis  d'Alexandre,  et 
parvint  ài  s'évader.  )1  avait  épousé  précédemment  Pythio*- 
nice ,  dont  l'origine  m'est  inconnue ,  mais  qui  avait  été 
courtisane  à  Gttrinlhe  et  à  Athènes.  Il  en  était  si  éperdu- 


172  GRECE   CONTINENTALE   ET  MOREE. 

ment  amoureux  que ,  Payant  perdue  par  la  mort ,  il  lui  fit 
ériger  un  tombeau  qui  surpassa  en  beauté  tous  ceux  qu'on 
avait  bâtis  anciennement  dans  la  Grèce.  » 

Athénée ,  dans  son  livre  xiii  sur  les  courtisanes ,  parle 
aussi,  d'après  notre  Gaulois  Posidonius,  d^  cette  brillante 
Pythionice  et  de  son  tombeau.  «  Harpalus  le  Macédonien , 
dit-il*,  celui  qui  enleva  une  grosse  somme  d'argent  à 
Alexandre  et  se  retira  chez  les  Athéniens,  devint  épris  de 
la  courtisane  Pythionice,  pour  laquelle  il  fit  de  grandes  dé- 
penses. Lorsqu'elle  fut  morte ,  il  lui  éleva  un  monument 
des  plus  pompeux ,  et  suivit  lui-même  son  corps  à  la  sé- 
pulture ,  accompagné  d'un  nombreux  cortège  des  plus 
habiles  artistes  et  de  musiciens  qui  chantaient  en  accord 
au  son  de  toutes  sortes  d'instruments  ;  c'est  ce  que  rap- 
porte Posidonius ,  livre  xxii  de  ses  histoires.  Dicéarque 
parle  aussi  de  ce  monument  dans  son  ouvrage  sur  la  des- 
cente dans  l'antre  de  Trophonius,  Voici,  dit-il ,  ce  qui 
doit  arriver  à  quiconque  entre  dans  Athènes  par  le  chemin 
sacré  qui  va  d'Eleusis  à  cette  ville.  S'il  s'arrête  à  l'endroit 
d'où  il  peut  déjà  découvrir  les  temples  et  la  citadelle ,  il 
verra  à  côté  de  ce  chemin  un  monument  qu'aucun  autre 
n'égale  en  grandeur  dans  les  environs.  Il  se  dira  probable- 
ment d'abord,  et  avec  raison  :  Voilà  sans  doute  le  monu- 
ment d'un  MiUiade,  d'un  Périclès  et  d'un  Gimon,  ou  enfin 
d'un  des  principaux  personnages ,  et  peut-être  élevé  aux 
dépens  de  la  république ,  ou  au  moins  par  un  décret  des 
magistrats.  Que  devra-t-il  penser  en  apprenant  que  c'est 
celui  de  la  courtisane  Pythionice  ?  »  Théopompe ,  dans  la 
lettre  qu'il  écrivit  à  Alexandre,  censura  ainsi  l'incontinence 
de  cet  Harpalus.  «Considère  attentivement,  lui  dit- il,  et 
informe-loi  avec  soin  de  ceux  qui  sont  à  Rabylone ,  de 
quelle  manière  Harpalus  a  déposé  Pythionice  au  tombeau. 
Elle  avait  été  l'esclave  de  Bacchis ,  joueuse  de  flûte  ;  et 
celle-ci  l'était  de  Sinope,  courtisane,  née  en  Thrace,et  qui 

*  P.  124,  2«  vol.  de  la  traduction  de  Lefebvr^e  Villebnine. 


BAPHNI.  173 

transporta  d*Égine  à  Athènes  son  commerce  de  prostitu- 
tion ;  de  sorte  que  Pythionice  était  une  triple  esclave  et 
une  triple  prostituée.  En  effet ,  Harpalus  a  employé  plus 
de  deux  cents  talents  pour  lui  élever  deux  monuments  qui 
font  Tadmiratiofi  de  tout  le  monde  ;  tandis  que  ceux  qui 
sont  morts  en  Gilicie  pour  affermir  ton  trône  et  assurer  la 
liberté  de  la  Grèce  n'ont  encore  obtenu  de  monuments 
d'aucuns  de  tes  gouverneurs  de  province.  Quoi,  l'on  -en 
verra  deux ,  déjà  élevés  depuis  long-temps ,  l'un  près  d'A- 
thènes ,  l'autre  à  Babylone  ;  et  celui  qui  se  disait  ton  ami 
aura  impunément  osé  consacrer  un  temple  et  un  autel  à 
celle  qui  devenait  commune  à  tous  ceux  qui  contribuaient 
à  sa  dépense ,  et  le  faire  sous  le  nom  de  temple  et  d'autel 
de  Vénus  Pythionice  !  N'est-ce  pas  là  mépriser  ouver* 
tement  la  vengeance  des  dieux  et  manquer  aux  honneurs 
qui  te  sont  dus  !  o 

Le  galop  est  facile  sur  cette  belle  route  d'Eleusis,  et,  à 
moins  qu'on  ne  rencontre  quelque  caravane  de  chameaux 
apportant  les  marchandises  de  Gorinthe  et  de  la  Morée  à 
Athènes,  et  causant  toujours  une  certaine  terreur  aux 
chevaux ,  on  est  en  quelques  minutes  arrivé  à  Daphni.  Ce 
nom  seul  éveille  le  souvenir  d'un  lieu  consacré  à  Apollon. 
Le  lit  du  torrent  desséché ,  qui  est  creusé  à  gauche  de  la 
route,  est  encore  parsemé  de  lauriers-roses.  Un  puits  est 
tout  près,  destiné  probablement  aux  lustrations  dans  les 
temps  antiques.  Au-dessus  de  la  margelle,  formée  du  cou- 
vercle d'un  tombeau  hellénique,  s'élevait,  du  temps  des 
Turcs,  un  fort  bel  arbre,  contemporain  peut-être  des 
^iUe-Hardoin,  des  La  Roche  et  desBrienne.  La  fraîcheur  de 
son  ombrage  attirait  ici  les  Turcs,  qui  venaient  y  fumer  leur 
narguilbé  en  se  perdant  dans  les  béatitudes  de  la  contem- 
plation ;  mais ,  comme  ils  ne  se  relevaient  de  là  que  pour 
préparer  quelque  déprédation  contre  le  monastère  et  ses 
habitants,  les  moines  prirent  le  parti  de  porter  la  hache 
dans  cet  arbre  séculaire ,  sacrifiant  ainsi  d'un  seul  coup  la 
gloire  du  monastère  à  son  repos,  le  plaisir  de  tous  à  leur 


174  GRECE   CONTINENTALE    ET   MORES. 

sécurité,  car  c«  lieu,  eoosacré  jadis  à  Apollon,  était 
devenu  un  roouastère  de  moines  grecs  de  SfainlrBaiile, 
puis  4e  moines  latins  de  Saint-Benoit,  pois  encore  de 
moines  grecs.  Il  est  aujourd'hui  abandonné»  Une  petite 
chapelle  d*un  styl^  fort  ancien  subsiste  de  l'autre  cdté  dn 
r^vin ,  è  deui  pas  de  Tabbaye.  C'est  peut-être  un  ancien 
tombeau  de  famille  sur  lequel  on  aura  élef  é  ude  chapelle  ; 
car,  en  pénétrant  dans  la  partie  inférieure  qui  esi  en  ruine, 
je  trouvai  d^ux  tombeaux  vides ,  qui  annoncent  le  qua- 
trième ou  cinquième  siècle*  Le  peuple  slmagine  toujours 
trouver  un  trésor  dans  ces  tombeaux ,  et  aucun  tombeau 
ne  peut  rester  inviolé. 

A  rcxiérieur ,  le  couvent  de  Dapbdi ,  à  rimitution  de 
plusieurs  de  nos  aocieiiQ^s  égliaes  de  teoipliers  en  Fraboe^ 
ét^it  eutouré  d'une  muraille  de  défense;  mais  ellei  était  si 
peu  compacte  qu'un  seul  coup  de  canon^  bieit  ^yuaté^  Tau* 
rajt  percée  de  part  en  part.  i,es  Turcs  «croient  que  •  pour 
féparer  un  pmr  de  forteresse,  il  suffit  dq  le  badigeouiier; 
^t  ils  trouvaient  ces  tnurailles  fort  ImpoMlltes.  A  cette  épo- 
que ,  il  y  avait  wm  de  ces  petites  portes  étroites  et  bat^ 
qu'on  retrouve  dans  presque  tous  les  couvents  grées.  Ce-: 
lait  là  souyent  un  Qbstac)e  suffisant  contre  les  violences  des 
Turcs  i  car,  pour  pénétrer  dans  le  couvent  et  r^lfÇQtlner 
les  moines ,  les  cavaliers  turcs  qui  passaient  sur  la  route 
auraient  été  obligés  df  d^sf^çpdre  de  cbeyal  et  de  se  baisser 
avec  précaution  :  or  tout  délai .  toute  précaittion ,  tout  plan 
suivi,  toute  réflei^ion  laborieuse  étaient  en  dehors  de  leara 
habitudes  et  de  leur  nature* 

Du  monastère  il  pe  reste  plus  que  Téglise ,  encore  de- 
bouti  et  quelques  restes  de  murs  helléniques,  byaantioa  et 
latina  Écartez  ces  hautes  et  épaisses  orties  qui  vous  percent 
de  leur  dard  envenimé  comme  la  zagaie  du  Malgache,  et 
yous  trouverez,  à  trois  pieds  hors  de  terre,  toute  la  suite  des 
colonnes  de  l'ancien  cloître  des  bénédictins;  tourqea  au* 
tpur  d'un  puits  antique  d*eau  excellente,  et  voqs  vous 
trouverez  devant  une  façade  gothique  avec  portail  ^t  deuit 


DAFHBil.  176 

doubles  fenêtres  à  arc  pointu.  Regarde^  ces  murs  latéraux 
et  TOUS  remarquerez,  àcôtéd'une  petite  porte,  une  colonne 
cannelée  engagée  dans  le  mur  avec  les  belles  oves  de  sa 
corniche  corinthienne.  Dans  Téglise,  tout  appartient  k 
Taptique  style  byzantin.  Au  milieu  de  l'abside  est  le  bima 
avec  la  table  sacrée,  et  des  deux  côtés  du  bima  la  prothé^ 
m  et  le  diaconicon.  En  aiant  du  bima ,  la  solea  était  pavée 
^'one  mosaïque  de  marbres  de  diverses  cquleurs  taillés  en 
losanges;  mais  presque  tous  ont  été  arrachés,  Au-dessus 
de  la  solea  s*élève  un  dôme  élégant,  revêtu  d'une  mosaïque 
à  fond  d'or,  représentant,  comme  dans  les  églises  norman- 
des de  Sicile ,  une  tête  colossale  du  Christ  bénisisant  et 
autoqr  les  douze  apôtres  aveq  légendes  bibliques.  Ce  dôm^ 
çst  soutenu  par  quatre  grands  arcs  h  plein  ceintre  appuyés 
snr  des  piliers,  tes  deux  côtés  de  la  mt  sont  allongés  sur 
toute  la  largeur  de  la  sqlea ,  de  manière  ^  former  la  eroii^ 
latine,  et  }k  l'extrémité  de  ces  deux  ailes  sont  deux  chapelles 
particulières ,  dont  le  fond  et  les  deux  côtéii  sont  recoure 
vertfi  sur  toute  la  hauteur  d'une  fort  belle  mosaïque,  com^^ 
posée,  comme  les  mosaïque^  de  Païenne  et  de  Monreale» 
de  petits  cubes  de  pierre  factice.  Tout  à  côté  d'une  de  ces 
deux  grandes  chapelles  sont  les  deux  petites  chapelles  la^ 
térales  dans  lesquelles  sont  déposés ,  comme  je  l'ai  dit ,  les 
deux  too^beaux  des  ducs  français  d'Athènes ,  que  j'ai  eu 
quelque  peine  à  retrouver  à  Daphni,  sous  le  non)  défiguré 
de  Oelphina  que  lui  donne  l'acte  des  archives  de  Mqus 
en  Hainaut.  Au  restç,  cette  transformation  des  noms  une 
fois  découverte,  ceux  qui  ont  l'habitude,  non-seulement 
des  chroniques  anciennes,  mais  des  relations  modernes  des 
voyageurs,  ne  s'en  étonnent  pas  trop.  A  quelque  pays 
qu'appartienne  un  voyageur,  il  ne  se  fait  jamais  faute  de 
défigurer  impitoyablement  les  noms  propres  d'hommes  et 
de  lieux.  Cela  a  bon  air  et  sent  son  gentilhomme.  Défigurer 
un  nom  propre,  c'es^  comme  dire  «  :  Moi,  je  suis  de  trop 
bon  lieu  pour  (pe  r9ppeler  un  nom  vulgaire,  Je  suis  des 
grandes  villes  de  Paris ,  de  Londres ,  ^  Rome  t  â^  QfiriiQi 


176  GRÈCB   CONTINENTAIE   ET   MOREE. 

de  Vienne ,  de  Munich  ;  comment  voulez-vous  que  je  me 
soucie  des  noms  de  ces  petites  bourgades,  noms  nécessaire- 
ment  barbares ,  puisqu'ils  ne  sont  ni  français ,  ni  anglais , 
ni  allemands.  » 

En  faisant  quelques  pas  seulement  au  delà  du  monastère 
de  Daphni ,  on  jouit  d'une  fort  belle  vue  qui  faisait  sou- 
vent le  but  de  mes  excursions  à  cheval  dans  les  environs 
d'Athènes.  Au  moment  où  on  est  parvenu  au  sommet  de 
la  colline  sur  laquelle  est  assis  le  monastère ,  la  mer  appa- 
raît comme  un  vaste  lac  clos  par  l'île  de  Salamine  et  les 
montagnes  de  Mégare.  C'est  ici  que  se  tenait  la  flotte 
grecque  au  moment  où  la  flotte  du  grand  roi  se  présenta 
pour  l'attaquer.  Tous  les  souvenirs  sont  ici  pleins  de  ma- 
gie. Plus  loin ,  à  droite ,  voici  la  montagne  de  Karydi  d'où 
le  grand-sire  d'Athènes ,  Guy  de  La  Roche ,  fut  défait  en 
1256  parle  prince  d'Achaîe,  Guillaume  de  Yille-Hardoin, 
et  envoyé  à  saint  Louis  de  France ,  qui  lui  fit  remise  de 
toute  peine ,  le  réconcilia  avec  son  suzerain  et  l'autorisa  à 
reprendre ,  en  1260,  le  titre  de  duc  d'Athènes.  La  colline 
rocheuse  adossée  à  la  route  rappelle  des  souvenirs  plus 
anciens.  De  tous  côtés  on  aperçoit  la  trace  des  ex-voto 
placés  sur  la  voie  Sacrée.  Un  bac ,  placé  un  peu  plus  près 
de  la  route  du  Pirée,  conduit  de  cette  côte  à  l'île  de  Sala- 
mine.  Plusieurs  fois  je  l'ai  traversée  en  une  demi-heure 
pour  visiter  cette  île ,  qui  est  assez  bien  cultivée ,  qui  offre 
des  points  de  vue  assez  gracieusement  accidentés ,  et  où 
l'on  trouve ,  après  une  heure  et  demie  de  marche  dans  la 
direction  de  Mégare,  l'ancienne  abbaye  de  Phaneroraeni. 

Il  y  avait  autrefois  à  Iilleusis  un  môle  où  l'on  pouvait 
débarquer.  La  jetée  en  vastes  dalles  de  pierre  existe  encore, 
et  il  serait  facile  de  la  réparer  ;  mais  il  y  a  trop  de  bas-fonds 
pour  que  le  port  puisse  servir  aujourd'hui.  Il  ne  reste 
rien  d'entier  à  Eleusis,  mais  on  y  trouve  d'immenses  restes 
de  grandeur.  Sur  s<^s  collines  sont  les  soubassements  de 
ses  vastes  temples ,  dont  les  colonnes  de  marbre  gisent 
partout  dispersées.  On  en  trouve  des  fragments  dans  tous 


ELEUSIS.  177 

les  murs  des  chaumières  et  dans  tontes  les  clôtures  de  jar- 
din. Près  d*unc  basse-cour ,  je  vis  par  terre  une  inscrip- 
tion en  lettres  anciennes  d'une  forme  dont  on  s'accorde  à 
fixer  la  date  au  sixième  siècie  avant  notre  ère.  Un  reste  de 
mosaïque  d'un  ancien  temple  est  exposé  aux  jeux  des  en- 
fants, qui  en  détruisent  une  moitié  tandis  que  l'autre  moi- 
tié est  engagée  dans  une  maison  de  paysan  dont  elle  forme 
le  parquet.  Quelques  statues  mutilées  trouvées  récemment 
sont  disposées  dans  une  vieille  église. 

T^e  moyen  âge  y  a  laissé  aussi  quelques  traces.  Sur  une 
colline  qui  domine  les  routes  de  Mégare ,  de  Corinthe  et 
de  Thèbes  sont  les  ruines  d'un  château  féodal,  du  haut  du- 
quel le  possesseur  franc  mettait  sans  doute  à  contribution 
les  voyageurs  imprudents  qui  s'aventuraient  sur  cette 
route. 

D'ici  on  se  rend  aujourd'hui  par  une  fort  belle  route  à 
Ëleuthère  et  h  Athènes. 


VIL 


ENVIRONS  D'ATHÈNES.   —  MONT  LYCABETTUS ,   MAROUSI , 
KEPHISIA  ,  LE  PENTÉLIQUE ,  L'HYMETTE. 

Sur  le  haut  du  mont  Lycabettus,  près  d'Athènes,  est 
une  petite  chapelle  dédiée  à  saint  Georges.  Le  mardi  16 
mai ,  je  profitai  de  la  beauté  de  la  journée  pour  l'aller  vi- 
siter. Le  soleil  dardait  avec  force  et  il  faisait  une  véritable 
chaleur  d'été.  Il  faut  une  heure  pour  arriver  doucement 
par  un  fort  beau  sentier  jusqu'au  pied  du  rocher.  Là  tout 
chemin  cesse,  et  il  faut  gravir  à  l'aide  des  pointes  de  ro- 
chers. Partout  où  se  trouve  un  peu  de  terre  on  voit  que 
plus  d'un  pied  Ta  foulée  depuis  long-temps  sans  y  frayer 
un  sentier  certain.  Enfin,  après  quelques  tentatives  pru- 
dentes, on  arrive.  Le  plateau  sur  lequel  la  chapelle  est  as.- 


178  GRÈCE  CONTIIIBNTALG   ET  MOREE. 

sise  est  fort  étroit  et  offre  I  peine  on  espace  libre  antti 
grand  que  celui  qu'occupe  la  chapelle  dédiée  à  saint  Geor- 
ges; mais  de  là  la  vue  est  grande  et  noble.  Assis  sur  un  ro- 
cher que  la  chapelle  ombrageait  en  partie,  pendant  plus 
d'une  heure  je  restai  k  adisirer  ce  beau  panorama.  Devant 
moi  s'ouvrait  la  mer  avec  les  baies  d'Eleusis,  du  Pirée, 
de  Musichie  et  de  Phalère ,  découpée»  sur  la  odt».  A  l'ei- 
trémité  cette  mer  est  resserrée  par  le  cap  Saniom  et  par 
les  montagnes  de  Mégare ,  an  delà  desquelles  apparaisseitt 
le  mont  Cithéroa ,  l'Acrocorinthe  et  jusqu'aux  montagnes 
de  l'Acarnanie  qui  terminent  le  golfe  de  Lépaqte.  Sala- 
mine  se  détache  tout  entière  avee  ses  monts  pittoresques, 
et  Ëgine  apparaît  au  delà  comme  placée  sous  la  main.  Plus 
près,  à  vos  pieds,  s'étend  Athènes  avec  son  bel  Acropolis; 
à  gauche,  le  monument  de  Philopappus  et  les  colonnes  do 
temple  de  Jupiter }  à  droite,  isolé  d'une  mapiôre  toute  gra- 
cieuse, le  temple  de  Thésée.  Toute  la  plaine  d'Athènes 
s'ouvre  devant  vos  yeux  avec  sa  ceinture  de  montagnes,  et 
au  delà ,  derrière  le  Pentélique ,  s'aperçoit  le  pic  neigeux 
du  mont  Daphni  en  Eubée.  Les  neiges  de  THy mette  étaient 
presque  toutes  fondues,  et  11  n'en  restait  plus  que  quelques 
bandes  jetées  gracieusement  comme  des  banderoles  blan- 
ches dans  les  pentes  dé  la  montagne.  Le  Parnès  était  encore 
revêtu  d'un  large  chapiteau  de  neige  éblouissante  qui  fondait 
à  vue  d'œil  sous  ce  brûlant  soleil ,  et  ce  souvenir  des  fri- 
mas donnait  un  charme  de  plus  à  la  beauté  de  la  journée. 
Pendant  que  j'étais  ainsi  seul  à  admirer  cette  vue,  entre 
quatre  et  cinq  heures ,  je  fus  frappé  d'un  effet  de  mirage 
vraiment  eiiraordinaire.  Deux  soleils  apparaissaient  l'on 
près  de  l'autre  sur  la  même  ligne  avec  le  même  éclat  et 
h  une  distance  apparente  asses  grande  pour  ne  pas  confon-^ 
dre  leurs  rayons ,  à  une  distance  d'environ  quioa&e  mètres 
do  rayon  visuel.  Ce  phénomène  dura  environ  une  demi-' 
heure;  et  j'appris  en  descendant  que  plusieurs  autres 
personnes  l'avaient  remarqué  en  même  temps  que  moi.  La 
transparence  de  l'air  produit  ici  des  effets  tout  à  fait  mer- 


KfirtllMA.  179 

Teiileux.  Souv^H  en  me  levant  je  vois  le  nord  d*uB  verN 
tettdre  délicieut,  tandis  que  Torient  est  da  rose  te  phisdé- 
licat;  les  iBontagnes  de  Salamine  m'appu-alsaent  aussi 
parfois  d'on  gros  Meii  >  tandis  que  les  deut  pointes  de 
l'ilc  paraissent  se  reierer  au-dessus  des  flots  et  former  un 
eraissant.  Un  peintre  m  pourrait  ici  copier  exactement  la 
natore  sans  se  faire  accuser  d'ane  Mzarre  exagération  dan» 
notre  plie  OcoideUt. 

La  chakNir  extrême,  qui ,  dès  le  mots  de  mars,  se  fait 

sentir  à  Athènes,  amène  de  bonne  heure  rémigration  foreéè 

des  habitants  les  |rfos  riciies,  surtout  des  étrailgenk  Qud^ 

ques-uns  vcmt  chercher  un  peu.  de  fraîcheur  dana  ieuri 

jardins  peu  ombragés  de  Patisia  ;  d'autres  vont  respirer  la 

brise  de  mer  au  Pirée,  et  quelques-uns  ont  bâti  de  joliea 

prîtes  maiswu  dans  les  villages  plus  fraiis  de  Naireusi  et  de 

Kephiaia.  Le  tempe  est  iouvent  si  beau  à  Aihènes  que  je 

aie  rappeUe  avtnr  fait,  le  lundi  25  janvier,  à  Kephisia,  une 

partie  de  campagne  pendant  laquelle  noua  jouîmes  de  toute 

la  douceur  de  la  lempérator^  du  printemps.  Dans  une 

maison  non  habitée  et  qui  devait  par  conséquent  avoir  et 

refroidie  par  l'hiver,  dans  une  chambre  sans  cheminée 

avec  des  fenêtres  au  nord-ouest ,  nous  déjeunâmes  san» 

aena  apercevoir  qu'on  subissait  les  hroids  de  janvier  à  Paris. 

Après  déjeuner,  nous  aMâmes  visiter  la  grotl»  connoe  soua 

te  nom  de  grotte  des  Nymphes,  délicieuse  retraite  pen* 

^t  les  fleurs  de  l'été.  Cette  grotte,  autrefois  consacrée 

%nx  Nymphes,  est  asses  large,  peu  pr<^onde,  haute  de 

quatre  à  cinq  pieds  seulemeut  et  tapissée  de  tous  côtés 

d'herbes  les  plus  délicates.  Une  eau  fraîche  et  pure  et  d'un 

sont  excellent  descend  comme  goutte  à  goutte  à  travers 

àm  plantes  gracieuses  du  fond  de  la  grotte,  et  forme  d'abord 

un  petit  bassin  de  dooae  à  quinze  pieds ,  protégé  par  des 

rocliers,  car  tout  est  ici  une  agréable  miniature.  De  ce 

bassin  l'eau  filtre  à  travers  des  cailloux  et  des  herbes  déjk 

en  fleur  au  mois  de  janvier,  dans  un  lit  étroit  et  sinueux, 

^  va  se  répandre  dans  la  plaine  qu'elle  rend  ventoyaote. 


180  GRECE   COi>iïINfiNTALE   ET    MORÉE. 

Les  deux  peates  des  rochers  sur  lesquels  s*appuie  la  grotte 
étaient  revêtus  de  plantes  et  d'arbustes  fleuris  dont  les 
fruits  colorés  pendaient  en  grappes.  Là  nous  eûmes  plaisir 
à  nous  asseoir  et  à  jouir  de  la  fraîcheur  de  Tombrage,  car 
le  soleil  était   chaud  comme  le  soleil  de  juin  dans  les 
bons  étés  de  France.  Au  mois  de  mars  j'y  retournai,  mais 
déjà  rherbe  qui  tapissait  la  voûte  était  moins  touffue  et 
bien  moins  abondante.  De  là,  à  travers  des  prairies  émail- 
lées  déjà  de  toutes  les  fleurs  du  printemps ,  de  boutons 
d'or,  de  marguerites,  de  larges  anémones  semblables  à  des 
roses,  aux  fleurs  de  couleur  rouge,  pourpre  et  bleu ,  et 
d'anémones  plus  petites  de  toutes  les  couleurs ,  nous  nous 
acheminâmes  vers  l'une  des  sources  du  Cépliise  appelée 
Kephalari ,  la  tête  du  Céphise.  À  cent  pas  de  là  sont  les 
restes  d'un  petit  temple  antique.  Les  deux  colonnes  du 
mlieu  et  les  deux  stèles  du  fond  ainsi  que  la  porte  antique 
sont  intégralement  conservées.  Tout  le  mur  d'enceinte  est 
tel  qu'il  était,  sans  aucune  altération.  Seulement,  pour 
indiquer  son  appropriation  au  culte  chrétien ,  les  Francs 
ont  fait  sculpter  au-dessus  de  la  porte  une  croix  fleuronnée 
par  le  pied  avec  deux  roses  de  Provins  dans  les  cantons 
supérieurs  de  la  croix.  Un  autre  petit  temple  était  élevé 
sur  la  source  même,  dont  les  eaux  transparentes  coulent 
sous  un  toit  voûté,  encore  conservé  en  partie.  Une  colonne 
cannelée  gît  près  des  conduits  antiques  destinés  à  la  distri- 
bution des  eaux  du  Céphise  et  près  des  fondements  de 
ce  petit  temple,  qui  surgissent  encore  à  deux  pied»de  terre 
Tout  dans  ce  frais  paysage  inspire  et  rappelle  le  respect 
religieux  qu'avaient  les  anciens  pour  les  fleurs ,  les  arbres 
et  les  fontaines.  De  l'autre  côté  de  la  source  est  une  petite 
chapelle  chrétienne  ;  car  les  chrétiens  n'ont  jamais  man- 
qué de  substituer  les  églises  aux  temples  et  de  proGter  du 
culte  antique  pour  en  faire  un  appui  au  culte  nouveau, 
fondé  ainsi  d'une  manière  plus  durable  par  la  consécration 
des  souvenirs  et  des  traditions. 
Le  village  de  Kephisia  avait  été  aussi  choisi  par  les  Turcs 


MOXOMATI.  181 

pour  y  bâtir  leurs  maisons  de  plaisance  aujourd'hui  rui- 
nées. Les  étrangers  et  les  habitants  d'Athènes  qui  ont  do- 
pais adopté  ce  séjour  pour  le  temps  d'été ,  y  font  peu  à 
peu  construire  quelques  petites  maisons  plus  soignées. 
C'est  en  effet  un  agréable  séjour.  Les  eaux  y  sont  abon- 
dantes; les  arbres  les  plus  divers  y  sont  revêtus  de  la  plus 
me  verdure  ,  si  agréable  à  retrouver  ici  pour  se  délasser 
de  la  pâle  verdure  des  oliviers  de  TAttique  ;  les  montagnes 
voisines  l'abritent  contre  les  tourbillons  qui  soulèvent  si  im- 
pétueusement la  poussière  de  la  plaine ,  et  rafraîchissent 
l'haleine  des  vents,  tandis  que  l'aspect  de  ces  campagnes 
fleuries  repose  l'œil  fatigué  de  l'aridité  des  sables  des  en- 
virons d'Athènes. 

Un  peu  au  delà  du  village  de  Kephisia,  on  m'avait  indiqué 
près  de  Monomati  un  prétendu  château  d'origine  franque, 
situé  entre  le  Géphise  et  la  route  de  Negrepont ,  au  fond 
d'ane  gorge  â*où  sort  une  des  sources  du  Géphise.  Un  diman- 
che, 17  janvier,  je  partis  à  cheval  avec  quelques  amis  grecs 
pour  aller  vérifier  l'exactitude  des  renseignements  qu'on 
m'avait  donnés.  La  route  passe  près  de  Patissia  et  de  Ke- 
phî^a.  A  une  demi-lieue  de  Kephisia ,  qu'on  laisse  sur  la 
droite ,  on  aperçoit  un  profond  ravin  dans  lequel  coulent 
ies  eaux  rares  mais  vives  du  Géphise.  A  l'entrée  de  la  gorge 
tôt  un  moulin ,  et  à  l'autre  extrémité  se  présente  le  pré- 
tendu château  gothique,  qui  n'est  rien  autre  chose  que  l'ha- 
bitation minée  d'un  aga  turc.  Au  milieu  de  cette  gorge 
sont  les  restes  d'un  aqueduc.  La  vue  qu'avait  l'aga  de  sou 
Pyi^  fortifié  était  charmante.  Protégé  contre  les  vents 
P^r  deux  lignes  de  montagnes  abruptes  d'une  belle  couleur, 
au  fond  de  cette  gorge  qui  conduit  au  fort  hellénique  de 
^lielia,  bâti  par  les  Spartiates,  il  avait  sous  ses  pieds  un 
i^vin  si  large  qu'on  doit  plutôt  l'appeler  une  vallée  profonde 
fécondée  par  les  eaux  du  Géphise.  Les  flancs  des  montagnes 

sont  cultivés  sur  la  rivedroite  du  Géphise,  et  couverts,  sur  la 

^ivo  gauche,  d'arbres  et  d'arbrisseaux  d'une  belle  couleur. 

levant  lui  s'élevaient ,  au  loin ,  le  Gorydalus  et  le  Pente* 

16 


1S%  GRÈCE  CONTINENTAU  ET   HORÉE. 

lique  ;  au  milieu  de  cette  perspective  se  préaeiiUk  F Acro.- 
polis ,  et  au  delà  la  mer  et  les  iles  qui  sei^vaient  de  fiMi4 
au  tableau.  Il  faisait  un  temp^  très  clair,  et  cette  situation 
pittoresque  se  qoontrait  toji^t  ^  fait  ^  son  «vauUfte.  Le» 
villages  de  Patissia,  Marousi  et  Kepliisia,  distribj9és  çà  et  là 
sur  la  route ,  iadiqueut  Le  progrès  que  seio^ble  CMre  Tai- 
sauce,  et  la  rapidité  avec  laquelle  les  Grecs  se  rapprochent 
des  habitudes  européennes.  La  maisoQ  de  M.  Ti-icoiipî, 
bâtie  par  Tamiral  anglais  Malcolm  ^  Patissia ,  fixerait  par- 
tout une  agréable  habitation. 

Je  revins  de  Mouomati  par  Menidi,  par  Âcbaroae,  patrie 
dû  mordant  Aristophane ,  et  par  le  grand  village  asaes 
propre  de  Koukouvaonès.  Les  terrains  environnants  $fM 
bien  cultivés  et  les  plaines  couvertes  d'olivier»  doQt  la 
feuille  est  beaucoup  plus  verdoyante  que  celle  des  autres 
Qliviers  de  rAttjique.  Tout  annopce  ici  pkis  de . travail  el 
aussi  plus  d'aisance.  Les  églises,  comme  p^toot,  «mU  M* 
t^es  de  fragments  antiques  :  aussi  se  parient  elles  assez  stmr 
vent  du  nom  de  belle  église,  omorphi  eccU$ia.  A  d<w 
pas  de  là  est  le  village  d'Uerakli ,  la  dernière  subaîstaiile 
des  colonies  bavaroises  que  le  gouvernement  avait  dierché 
à  implanter  en  Grèce»  La  race  allemande  est  une  race  ira- 
veilleuse  et  honnête ,  mais  elle  ne  comprend  pas  aisément 
une  bonté  et  une  intelligence  dont  les  formes  diffèrent  des 
siennes,  et  ses  qualités  comme  ses  défauts  ne  s'banaoniaent 
d'aucune  manière  avec  les  qualités  et  les  défauts  4tt  Grecs. 
Les  Allemands  vivent  entre  eux,  conservent  tous  leurs  usa* 
ges ,  n'ont  aucune  influence  sur  la  population  grecque  et 
n'en  reçoivent  eux-mêmes  aucune  des  ainéUoratious  propres 
au  climat.  Ils  marchent  à  côté  des  Grecs  sans  se  fondre  éum 
leurs  rangs.  Aussi  regrettent-ils  toujours  leur  psUrie  et  y 
retournent-ils  aussitôt  que,  soit  par  la  laveur  du  gouverne- 
ment, soit  par  leurs  propres  économies,  ils  ont  p^  réaliser 
quelques  petits  bénéfices.  Toutes  les  agonies  aUeniandes 
ont  dépéri  ici,  et  celle  d'Herakli  n'est  pas  destinée  pe/ot-êtne 
à  une  longue  vie.  £Ue  n'est  fondée  que  depus  \fçis  aiis. 


GOL6NIE   BAtrAilOl9E   B^flKRAKLI.  183 

unis  l'aTfaiiîâation  semble  en  avoir  été  mal  entendue.  On 
a  doimé  à  qoetqdes  familles  bavaroises ,  fort  étrangères  à 
Fagrieoltttrè,  ane  petHe  maison,  ées  chevant  pour  la  cul- 
tore  et  dn  grain  piour  ensenbencer  ;  mais  les  maisons  étaient 
mal  con^roites,  trop  petites  pour  un  ménage,  sans  écurie, 
sans  magasni  potfr  la  récohe  ;  les  chevaux  étaient  des  che- 
vant de  réf^n'Oie  usés,  qu'il  eût  fallu  bien  nourrir  long- 
temps avant  de  les  mettre  en  état  de  service ,  et  que  les 
colons,  qni  n'avaient  à  leur  donner  an  moment  de  la  ré- 
colte que  rberbe  rare  des  champs,  ont  laissé  dépérir;  les 
grains  leur  avaient  été  envoyés  irop  tard  pour  qu'il  pussent 
s^vir  dans  l'année  ^  de  telle  sorte  qu'il  a  falFu  recommen- 
cer sur  nouveau!  frais  et  distribuer  de  nouveaux  secours. 
Ce  (ftû  a  eûtùte  ajodté  au  mal,  c'est  que  le  Bavarois  chargé 
par  legouternement  de  la  surintendance  de  la  caisse  Ta  em- 
portée  tout  entière  en  Se  sautant  en  Allemagne.  On  a  cette 
anfiée  substitué  des  bœufs  aux  chevaux.  On  a  aussi  cherché 
à  trouver  des  agriculteurs  intelligents  et  laborieux  an  lieu 
de  prendre  indistinctement,  comme  on  TaTait  fait  d'abord, 
l'onvrier  paressent  de  toute  profession.  La  colonie  a  plutôt 
Vftir  d'un  petit  hameau  d'uh  seul  rang  de  maisons  que 
d'onc  grande  fertoe ,  puisqu'il  n'y  a  pas  de  granges;  mais 
il  paraît  toutefois  que  quelques  ménages  allemands  corn- 
AeiMient  8  d'établir  ièi  avec  un  peii  plus  d'ordre.  J'ai  vu 
têvèdir  plusieurs  jofiigè  de  bœuf  du  travail  de  la  journée , 
et  lès  mâiàotis  i  par  leur  propreté  extérieure ,  annoncent 
tin  peu  plus  de  bien-être. 

Une  autre  constructiou  fraiique  tn'avait  été  indiquée 
dans  les  environs  d'Athènes,  dans  le  village  ou  plutôt  ha- 
meau de  Kbassagni,  au  delà  de  Tracdnès,  sur  la  route  de 
Vari  et  du  cap  Suniutn.  je  montai  à  cheval  le  mardi  19  jan- 
vier pour  aller  visiter  dé  mes  yeux  ces  prétendus  resteiè 
fiwes;  car  oU  est  passé  d'une  extrémité  à  une  autre;  li 
inon  arrivée  en  Grèce,  tout  le  monde  me  contcstdit  l'exis- 
tence d'une  seule  ruine  franque,  et  peu  de  mois  après  on 
ûc  toyaii  plds  partout  qUb  ruines  fraftques.  Nos  bons  amis 


184  GRECE   CONTINENTALE   ET   UOREE. 

les  Grecs  d'Athènes  sont  les  vr^is  compatriotes  des  Fran- 
çais de  Paris.  Le  temps  continuait  à  être  magnifique  ; 
c'était  un  véritable  printemps  avec  déjà  quelque  peu  de 
la  chaleur  de  Tété.  Dès  six  heures  et  demie  les  oiseaux 
faisaient  retentir  Tair  de  leurs  chants,  et  au  lever  du  soleil 
le  mont  Hymette  se  colorait  dans  tous  ses  contours  de  la 
plus  gracieuse  couleur  rose,  dont  la  répercussion  allait  en 
s'affaiblissant  frapper  Toccident.  Ce  que  j'avais  à  voir  était 
une  tour,  et  à  peu  de  distance  de  là  les  ruines  de  deux 
autres  tours.  La  tour  encore  subsistante  est  en  plaine  et  de 
construction  tout  à  fait  turque,  ainsi  que  paraissent  l'aYoir 
été  les  deux  autres  tours,  aujourd'hui  ruinées,  et  dont  l'une 
fait  partie  des  fondements  de  la  maison  bâtie  sur  ce  même 
tertre  par  M.  Louriotis,  qui  a  séjourné  plusieurs  années  à 
Paris  et  à  Londres,  où  il  avait  été  envoyé  pour  négocier  un 
emprunt.  Les  Francs  construisaient  peu  en  plaine,  s'ils 
n'étaient  vigoureusement  protégés  par  de  larges  et  profonds 
fossés,  et  encore  ce3  tours  en  plaine  étaient-elles  ratta- 
chées à  des  villes  plutôt  qu'à  des  villages  ou  des  habitations 
de  particuliers.  Les  seigneurs  francs  préféraient  placer 
leurs  châteaux  comme  des  nids  d'aigle  dans  les  hauts  lieux, 
pour  dominer  de  là  les  pays  environnants  et  ne  pas  être 
surpris  sans  défense  par  l'ennemi. 

£n  revenant  de  Khassagni  à  Traconès  par  le  bord  de  h 
mer,  je  m'arrêtai  au  milieu  d'un  champ  à  examiner  une 
statue  de  marbre  blanc  d'une  grandeur  au-dessus  de  la 
grandeur  naturelle.  La  tête  manque  ;  un  morceau  du  bras 
a  été  aussi  brisé  ;  le  bras  qui  reste  est  assez  beau.  Elle  est 
représentée  en  haut-relief,  assise  et  tenant  entre  ses  mains 
les  plis  de  son  manteau  ;  c'était  sans  doute  une  statue  placée 
sur  un  tombeau.  Le  style  est  tout  romain  et  assez  lourd. 
£lle  est  là,  étendue  dans  une  terre  en  culture ,  sans  que 
personne  songe  à  la  relever.  Les  instruments  de  labourage 
passant  et  repassant  alentour  auront  bientôt  achevé  d'en 
briser  les  membres,  et  le  corps  entier  est  destiné  à  dispa- 
raître dans  le  premier  four  à  chaux  construit  pour  le  badi- 


LE   PENTELQUE..  185 

geon  d*ui]  hameau  voisin.  Dans  les  fouilles  faites  autrefois 
sur  cette  côte ,  on  a  retrouvé  un  grand  nombre  de  tom- 
beaux et  de  vases  antiques. 

Les  deux  grandes  montagnes  les  plus  rapprochées 
d'Athènes ,  le  Pentélique ,  dont  le  nom  a  été  long-temps 
corrompu  en  celui  de  Mendeli,  et  THymette,  dont  le  nom, 
estropié  par  les  Vénitiens  en  celui  de  Monte-ftlatto,  a  fourni 
ensuite  aux  Grecs  leur  traduction  souvent  adoptée  de  Trelo- 
Youno ,  offrent  aussi  d'agréables  excursions. 

La  duchesse  de  Plaisance  fait  bâtir  au  pied  du  Pentéli- 
que un  assez  joli  château  pour  sa  résidence  d'été.  Sur  la 
fin  de  janvier,  par  un  temps  des  plus  doux,  elle  m'invita  à 
y  venir  faire  une  partie  de  campagne  avec  quelques  amis. 
On  peut  aller  en  voiture  jusque  chez  elle.  La  route  passe 
par  le  petit  oasis  d'Ambelo-Kipos  (le  Jardin  aux  Vignes)  et 
par  Khalandri.  Là ,  j'allai  visiter  une  petite  chapelle  que 
j'apercevais  à  l'extrémité  du  village ,  du  côté  des  champs 
et  de  la  montagne.  Dans  l'intérieur,  gît,  négligé,  le  long  do 
mur,  on  bas-relief  ancien  de  deux  pieds  carrés,  représen- 
tant une  cérémonie  d'expiation  et  destiné  sans  doute  à  un 
tombeau.  Le  principal  personnage  est  assis;  près  de  lui  est 
une  femme;  deux  autres  personnages ,  debout  de  chaque 
côté,  tiennent  suspendus  au-dessus  de  lui  deux  bâtons  dont 
l'extrémité  est  cassée,  ainsi  que  l'est  une  partie  des  figures; 
au-dessus  do  personnage  assis  se  replie  une  courtine  avec 
gros  glands  pendants  à  deux  ou  trois  endroits.  Ce  bas- 
relief  me  semble  des  temps  romains.  Khalandri  est  à  moitié 
chemin  sor  la  route  qui  mène  au  château  projeté  de  la  du- 
chesse de  Plaisance.  La  situation  choisie  est  belle,  les  col- 
Unes  bien  revêtues  de  jeunes  bois  et  de  myrtes  semblables 
^  nos  ormeaux ,  les  eaux  abondantes  et  la  vallée  si  bien 
disposée  qu'on  n'a  qu'à  distribuer  les  allées  pour  en  faire 
Vin  joli  parc  ;  mais  on  n'y  découvre  pas  assez  de  mer ,  de 
cette  belle  mer  si  resplendissante  aux  derniers  feux  du 
soleil.  Nous  déjeunâmes  en  plein  air  sur  le  gazon,  comme 
i)ous  l'eussions  fsut  dans  la  vallée  de  Montmorency  au  mois 


t86  GttkcB   CONTINENTALE    ET   HOrÉe. 

de  juin.  La  température  était  des  plas  doaces.  De  là  nous 
suiYtmes  le  cours  du  ruisseau  pour  nous  rendre  au  mo^ 
nastère  du  Pentéiique ,  habité  par  quelques  caloyers.  Dans 
une  première  tisite  que  j*aTais  faite  à  ce  couvent,  le  22  dé- 
cembre ,  jVais  trouvé  la  culture  des  oliviers  fort  négligée 
de  ce  côté,  car  dans  Faride  Âttiqne  lés  oliviers  ont  be- 
soin d'irrigation.  A  cette  visite  je  remarquai  une  culture 
qui  dbnnait  une  nouvelle  vie  à  cette  campagne;  Les  moines 
avaient  affermé  leurs  nombreux  oliviers  à  un  Français,  et 
déjà  nous  trouvions  toutes  les  racines  entourées  d'un  léger 
febord,  destiné  à  contenir  Teau  qu'allait  leur  apporter  le 
ruisseau  voisin.  Le  monastère  est  surmonté  de  la  croix  des 
Vllle-Hardoinde  Champagne,  princes  de  Moréeet  seigneurs 
supérieurs  du  duché  d'Atiiènes.  C'était  probablement  alors 
un  monastère  latin  ;  mais  les  moines  me  dirent  avoir  perdu 
tontes  leurs  archives,  qui  auraient  pu  liie  mettre  sur  la  toie; 
Plusieurs  fois  j'allai  de  là  visiter  les  carrières  antiques  de 
ce  beau  marbre  du  Pentéiique  qui  a  servi  aii  ParthénoUj 
au  temple  de  Thésée  et  à  tous  les  plus  beaux  monuments 
d'Athènes.  A  mi-côte  se  trouve  un  catavothron  ou  espèce  d'é- 
croulement de  terre  au  bas  duquel  existe  un  petit  lac.  Les 
carrières  en  exploitation  sont  un  peu  au-dessus.  Les  an- 
ciennes exploitations  étaient  admirablement  conduites;  le 
marbre  était  coupé  avec  le  plus  grand  soin  \  de*  manière 
que  rien  ne  fût  perdu  ;  on  avait  le  morceau  aussi  petit 
ou  aussi  grand  qu'on  le  voulait.  Les  travailleurs  modernes^ 
qui  vont  y  chercher  le  marbre  nécessaire  à  la  construction 
du  palais  du  roi,  n'y  mettent  pas  tant  de  soin.  A  l'éide  de 
la  poudre  ils  font  sauter  d'énormes  quartiers  de  la  carrière. 
Quand  ils  veulent  de  gros  blocs,  ils  en  obtiennent  souvent 
un  grand  nombre  de  petits  qui  encombrent  la  carrière,  de 
telle  façon  que  dans  peu  d'années  il  faudra  plus  de  dépen- 
ses pour  la  dégager  qu'on  n'en  aurait  fait  pour  la  bien  exploi- 
ter sans  rien  perdre.  Ou  m'a  assuré  que  cette  belle  inven- 
tion de  la  mine  pour  servir  à  l'exploitation  des  carrières  du 
Pentéiique  était  le  fruit  des  conseils  du  maréchal  de  la  cour 


L'HtH£TT£.  187 

de  Grèce,  dont  les  plans  d'économie  ont  ainsi  décidé  à  sa* 
crifier  un  long  avenir  à  un  très-court  présent. 

Près  de  l'ancienne  exploitation  est  une  grotte  dans  la- 
quelle on  descend,  à  Taide  d'étroits  escaliers  taillés  dans  le 
roc  et  qui  prouvent  que  les  anciens  la  destinaient  à  quel- 
que usage  religieux.  Au  fond  de  la  grotte  est  une  fontaine 
où  le  peuple  va  encore  puiser  une  eau  fort  renommée , 
surtout  quand  l'été  a  épuisé  les  sources  voisines.  A  côté 
de  l'entrée  de  la  grotte  est  une  petite  chapelle,  élevée  sans 
doute  sur  remplacement  d'un  autel  consacré  aux  nymphes. 
Sur  les  murs  sont  sculptés  les  aigles  de  Byzance.  £n 
s'élevant  au-dessus  de  cette  partie  de  la  montagne  se  dé- 
couvre la  plaine  glorieuse  de  Marathon. 

L'Hymette  a  aussi  sa  gloire ,  et  le  miel  de  ses  abeilles 
n'a  rien  perdu  ni  de  sa  réputation  ni  de  sa  douceur  ;  aussi 
est-il  Tobjet  de  soins  tout  particuliers.  Chaque  année  les 
ruches  sont  transportées  plusieurs  fois  pendant  la  nuit  dans 
les  lieux  où  elles  doivent  trouver,  selon  la  saison,  les  fleurs 
les  miedx  appropriées  à  leur  nourriture.  Les  connaisseurs 
font  surtout  cas  du  pin  appelé  peuka,  qui  croit  en  abon- 
dance sur  les  flancs  des  montagnes  et  du  Cythéron,  par 
eiemple,  en  particulier,  et  j'ai  vu  à  la  fin  de  septembre 
d'innombrables  quantités  de  ruches  garnir  toutes  ses  pen- 
tes. Deux  monastères,  celui  de  Kaisariani  et  celui  de  Ka- 
rea,  sont  placés  au  pied  de  l'Hymeite. 

Le  couvent  de  Kaisariani  est  du  nombre  des  monastères 
stipprimês.  Il  est  situé  dans  une  gorge  retirée  et  bien  abri- 
tée de  toutes  parts;  une  fontaine  antique  l'approvisionne 
d'excellente  eau  ;  elle  se  fait  jour  à  travers  diverses  parties 
de  la  montagne,  et  sert  à  l'irrigation  de  plus  de  mille  pieds 
de  beaux  oliviers.  Ce  couvent  est  aujourd'hui  une  ferme 
dont  la  propriété  a  été  concédée  par  le  roi  Othon  à  un 
Grec  qui  m'a  semblé  avoir  les  connaissances  agricoles  et 
les  capitaux  nécessaires  à  la  bonne  administration  de  sa 
ferme.  En  allant  lui  rendre  visite  un  jour,  le  14  janvier, 
je  le  trouvai  occupé  à  faire  encaisser  sur  les  pentes  de  la 


188  GRECE   CONTINENTALE    ET   MOREB. 

montagne  tous  les  pieds  de  ses  oliviers.  Le  cloître  a  été 
tout  à  fait  réparé  et  transformé  en  une  bonne  maison  d'ha- 
bitation. 

C'est  un  lieu  qu'affectionne  le  peuple  d'Âtbèues;  sou- 
vent, dans  les  beaux  jours,  on  s'y  rend  en  partie  de 
campagne  et  on  vient  y  prendre  ses  repas  à  l'ombre  des 
oliviers.  Le  roi  y  vient  assez  souvent  en  famille.  La  route 
d'Athènes  à  Kaisariani  n'est  pas  encore  bien  entretenue , 
surtout  près  de  la  montagne  ;  mais  on  y  fait  quelques  ré- 
parations et  on  se  prépare  à  la  rendre  praticable ,  ce  qui 
n'est  jamais  difficile  ni  coûteux  en  plaine  sur  un  terrain 
aussi  ferme  que  celui  de  l'Attique. 

Sur  un  des  mamelons  de  la  montagne  ,  au-dessus  de 
Kaisariani ,  sont  les  ruines  toute  modernes  d'une  église 
vénitienne  dédiée  à  saint  Marc.  La  position  est  bien  choi* 
sic  ;  on  a  de  Hi  une  belle  vue  de  l'Acropolis,  de  la  baie  de 
Phalère,  de  la  mer  et  des  îles.  Il  est  probable  que  les 
moines  de  la  Kaisariani  auront  eux-mêmes  contribué  à  la 
destruction  de  cette  église ,  trop  voisine  d'eux  pour  ne  pas 
les  gêner.  Au-dessus  de  ce  mamelon  s'étend  la  chaîne  de 
THymette ,  si  élevée  que  de  là  on  suit  presque  toutes  les 
sinuosités  des  côtes  du  Péloponnèse  jusqu'au  Taygète ,  et 
qu'on  embrasse  du  même  coup  d'œil  l'Eubéc,  Égine  et  le 
golfe  de  Lépante.  A  la  première  visite  que  j'y  fis,  au  mois  de 
janvier,  le  temps  était  un  peu  brumeux  et  je  ne  pouvais  bien 
discerner  les  contours  de  ce  vaste  tableau  ;  mais  j'y  retour- 
nai le  22  mars  et  le  temps  était  des  plus  beaux  et  des  plus 
clairs.  Je  me  dirigeai  cette  fois  par  le  monastère  de  Karea, 
un  des  cent  trente-deux  monastères  que  l'on  comptait  au- 
trefois en  Grèce^  mais  qui  a  été  supprimé  comme  l'ont  été 
tant  d'autres. 

La  porte  d'entrée  du  monastère  de  Karea  ouvre  sur  une 
vallée  à  l'extrémité  de  laquelle  apparaît  Athènes  et  son  Acro- 
polis.  L'église  n'est  pas  distribuée  à  la  grecque,  mais  à  la  la- 
tine, avec  un  seul  autel  séparé  par  le  voile.  Au-dessus  de  la 
'^0  est  une  croix  fqrmce  par  quatre  fleurs  de  lis  réunie; 


n/ir>l 


LHYMETTS.  189 

à  la  tige  et  dans  un  cercle ,  ainsi  que  j'en  ai  trouYé  plu- 
sieurs parmi  les  marbres  brisés  de  TAcropolis.  J'étais  allé 
faire  cette  excursion  avec  un  non  moins  rude  marcheur 
que  je  le  suis  moi-même,  M.  de  Prokesch,  ministre  d'Au- 
triche à  Athènes ,  homme  du  plus  noble  caràaère ,  du 
cœur  le  plus  affectueux,  de  l'intelligence  la  plus  cultivée* 
Ancien  ofiBcier  d'état-major,  il  a  vu  l'Orient  en  savant,  en 
politique ,  en  militaire ,  en  géographe ,  et  sait  aussi  bien 
se  démêler  entre  les  décombres  des  institutions  qu'entre 
celles  des  monuments  antiques ,  entre  les  sinuosités  de  la 
politique  orientale  qu'entre  les  mille  entrelacements  de  ses 
ravins  et  de  ses  mcmtagnes;  son  œil  arrive  aussi  irâremènt 
an  but  que  la  flèche  d'un  habile  archer  génois.  Ce  dernier 
talent  nous  fut  particulièrement  utile  dans  notre  expédi- 
tion de  montagnes.  Sa  grande  habitude  des  travaux 
d'état-major  fait  qu'il  prévolt  à  l'instant ,  par  la  forme 
d'une  montagne  ou  d'un  ravin,  la  direction  qu'ils  doivent 
prendre  et  leur  point  exact  de  jonction.  Au  lieu  de  se 
jeter  à  la  face  des  ravins ,  et  souvent  dans  leur  point  le  plus 
escarpé,  il  sait  les  tourner  à  propos,  et  arriver  juste  à 
leur  point  d'embranchement  ;  et  quand  on  a  à  descendre 
au  plus  court,  on  est  sûr  de  choisir  avec  lui  le  seul  préci- 
pice praticable,  tout  à  côté  de  vingt  autres  qui  sur- 
plombent. 

Nous  renvoyâmes  nos  chevaux  nous  attendre  au  menas- 
tère  de  Kaisariani  ou  Kiriani ,  par  lequel  nous  voulions 
descendre,  et  nous  pénétrâmes  à  travers  ce  dédale  de  ro- 
chers qui  composent  le  mont  Hymette.  Après  trois  heures 
d'ascension  un  peu  fatigante  par  cet  ardent  soleil ,  nous  ar- 
rivâmes enfin  au  sommet  de  la  plus  haute  des  deux  crêtes, 
qui  surmonte  la  seconde  montagne.  De  ce  point  de  vue  on 
découvre  parfaitement  :  au  nord ,  la  chaîne  des  Thermo- 
Pyles  et  le  mont  CËta;  au  nord-est  et  à  l'est,  l'île  d'Ëubée 
depuis  ses  plus  hautes  montagnes  septentrionales  jusqu'à 
sa  dernière  pointe  méridionale  ;  puis  bien  loin ,  mais  fort 
distinctement,  l'île  de  Samos  et  les  côtes  d'Asie,  et  plus 


190  CiaàCE   CONTimilTALE  ET   MOREE. 

près  ée  ioi  Àndros^  Tinos,  Délos;  Zét,  qm  empêcha',  de 
Toir  Syra  ;  Tbermia ,  Serphos  et  Mitai  ;  à  l'ouest,  le  Par- 
nés,  le  Cithtron,  le  Parnastti  THélieeu;  enfin  ati  sud, 
an  pea  à  l'oacst^  les  fimntagnés  do  Péloponnèse  et  eeNei 
de  TArcaiye  en  particulkr.  C'est  m  immense  et  bean  {»> 
norama. 

Après  mie  denn-heàre  d^adoùration  de  eette  beHe  f  ne  $ 
il  ne  nons  restait  plusqu'k  descendre.  L'affaire  est  un  pen 
hboriense  :  les  rocbers  Éont  ardus  et  presque  h  pîc  ^  et  on 
gHsse  fort  aisément  et  fort  loin  sor  cette  pente  unie  ;  mais 
les  herbes  croissent  à  travers  les  fentes  et  dfllrent  qurique 
résistance  ;  les  fentes  sont  multipliées  et  laissent  ainài  un  point 
d'arrêt  pour  les  pieds,  un  point  d'appui  poor  les  mains; 
Cette  lotte  contre  les  diflScoltés  de  la  nature ,  cet  appel  in* 
cessant  à  l'attention ,  h  la  prudence  et  à  un  peu  d'adresse, 
dure  plus  de  deux  bonnes  heures,  rude  métier  pour  le 
nerf  flecteur  ;  mais  on  est  (ort  récompensé  en  arrivant  de 
n'avoir  pas  perdu  l'équilibre  dans  la  descente,  car  après  cinq 
heures  de  marche  on  peut  faire ,  comme  nous  le  fîmes ,  la 
plus  délectable  des  coUations,  assis  sur  l'herbe  auprès  de 
la  fontaine  du  bélier  de  Kaisariani ,  dont  l'eau  toujours  si 
bonne  nous  parut  encore  plus  fraîche  et  plus  douce;  Nos 
dievaux  nous  attendaient^  paissant  sans  inquiétude,  lis 
étaient  frais  après  leur  repas,  et  en  une  heure  nottsrievtn<- 
mes  à  Athènes. 


VIIL 

DEiCELlÂ^  -^  MARàTfiON.  *—  TARNAVAS.  -^  GUATHi. 

Le  mardi  26  janvier  je  partis  d'Athènes  avec  quelque^ 
atnis  pour  aller  passer  plusieurs  jours  dans  la  plaine  de 
Marathon ,  chez  le  major  anglais  Finlay ,  notre  ami  eonl- 


mua,  qui  poaaèêfi  une  maisMHi  agréaUemeatsitiajiaiiu  pM 
des  montagnes ,  à  Liosîa. 

A^è»  avoir  travorai^  Patisria ,  ^ti6  nous  dirigalvics  mr 
k  beau  «i  ^jcbe  viUage  jàe  Maiiidi,  tort  prèç  de  Nautique 
Ai^lkariM».  La  jpiaine  ici  eat  iertik ,  (U  ks  olivier»  y  Mot 
pto  grasiis  et  pliw  verts  que  dans  la  cime  d^Allièa«s.  IH 
Usm^,  looÎQHrs  en  aipivaitt  les  pentes  do  Paroès ,  aujour- 
d'hui Ozia,  fioos  arrirânes  firès  de  Varibobi  que  nous  lais* 
slmes  im  iMre  droite,  et  nous  comiiwâmes  notre  route 
«1  nous  dirigeant  sur  la  fontaine  de  Tatoi ,  sknée  au  ined 
d*nne mottiogne  escarpée,  connue  des  paysans»  dsns  kur 
langue  figurative,  nous  le  non  de  KatsMfyii  (ie  nés  de 
cbat).  Le  Katsi^Myti  est  tout  aH-4e|sou8  du  grand  uttont 
Befem,  H  il  éoBiioe  le  dé^  qui  conduit  de  €halkis  k  Albi- 
oes  par  Oropos.  C'eut  sur  le  sommet  du  Katst^Myli  que 
sont  placées  les  ruines  de  Tantâque  forteresse  de  DcMis» 
Ulie  par  les  ^artiates  pour  tenir  Athènes  en  servage.  H 
ne  reste  plus  que  quelques  vestiges  des  murailles  qui  en«* 
yetoppaient  toute  Fexirémité  supérieure  du  ^atn^liyti,  du 
côté  qai  domine  la  fontaine  de  Tatoi  et  qui  est  complète- 
OKAt  inabordable.  €*est  de  sa  retraite  de  Dekelia  que  De- 
^f^M  put  apercevoir  le  premier  enleveur  d'Hune,  Tbéaée, 
Cubant  diaas  Apbidné  sa  beHe  proie  aux  recfam'cbes  do 
^^Mtur  et  PoUux ,  et  qnf  il  mil  les  deui  frères  sur  la  trace 
^  ravisseur. 

Toute  celte  gorge  est  fort  belle ,  et  la  terre  était  c^ouverte 
d^uue  verdure  toute  (Mintanière.  Vous  tournâmes  par  la 
^■^^  le  revers  septentrional  do  mont  Maouma  ,  et  après 
^  quart  d*faeure  de  marche  nous  arrivâmes  en  vue  de  k 
^^^Uée  de  Tsiourka  ou  Lioda.  Nous  commandions,  d'une 
hauteur  de  plus  de  cinq  cents  mètres,  un  ravin  qui  conduit 
dans  cette  vallée  et  qui  est  dos  par  les  versants  inférieurs 
de  la  chaîne  du  Parnès,  à  laquelle  appartiennent  et  Katsi- 
Myti  et  Beletsi.  La  route  à  travers  cette  gorge  est  tracée 
^0  milieu  d'arbo^i^ers  verdoyants  et  de  pins  d*un  vert  ten- 
dff  A  nos  pieds  coulait,  tout  au  fond  de  cç  rfvto  prjêcip|< 


102  GRECB  CONTlIffilCTALfi  ET  HOREE. 

teiix,  une  rivière  encaissée  par  le  versant  opposé ,  moins 
abrupt  de  ce  côté  et  déjà  mis  en  caltare.  De  ce  ravin, 
qoi  va  toujours  en  s'élai^issant  jusqu'à  ce  qu'il  se  perde 
dans  la  vallée,  l'œil  est  conduit  dans  une  belle  plaine  bien 
cultivée ,  à  l'extrémité  de  laquelle  était  située  l'antique 
Aphidné,  dont  il  est  question  dans  un  décret  rapporté  par 
Déraostbène,  et  qui  fut  la  patrie  d'un  poète  et  de  deux  autres 
grands  patriotes,  Tyrtée,  Armodius  et  Aristogîton. 

Le  fleuve  qui  arrose  cette  vallée,  et  qui  coule  entre  une 
forêt  de  lauriers-roses,  est  le  fleuve  de  Marathon.  A  Lioâa 
la  vallée  est  ouverte  dans  sa  plus  grande  laideur  ;  mais  avant 
d'y  descendre,  nous  nous  arrêtâmes  à  visiter  une  petite 
chapelle  bâtie  sur  le  penchant  du  ravin  et  probaUement 
sur  l'emplacement  d'un  ancien  temple.  Elle  est  composée 
de  deux  corps  de  bâtiments  qui  forment  comme  deux  voâ- 
tes  égales,  superposées  et  parallèles.  On  trouve  dans  cette 
partie  de  l'Attique  un  grand  nombre  de  chapelles  de  cette 
eq)èce,  qui  rappellent  la  forme  des  anciens  temples  élevés 
aux  frères  ins^rables  et  égaux  sur  la  terre  et  dans  le  cid, 
Castor  et  PoUux. 

Dès  le  lendemain  matin  nous  étions  tous  à  cheval 
pour  aller  visiter  et  les  restes  de  quelques  tours  qu'on 
m'avait  indiquées  comme  étant  de  c(mstroction  fran- 
que ,  et  l'emplacement  célèbre  de  la  bataille  de  Marathon. 
Traversant  à  gué  le  torrent  de  Marathon ,  nous  nous  diri-* 
geâmes  par  le  bas  de  la  cdline  sur  laquelle  était  placée 
l'antique  Aphidné^ ,  d'où  l'on  peut  vdr  le  Katsi-Myti  et 
Dekelia.  Un  peu  plus  loin  nous  traversâmes  un  des  afiDuents 
du  Marathon  et  arrivâmes  à  la  tour  carrée  de  Kalentzi. 
Je  voulais  vérifier  si  ce  n'était  pas  là  le  reste  de  l'ancien 
château  du  seigneur  de  Scalenges,  qui  reçut,  en  1304,  de 
Philippe  de  Savoie ,   mari  d'Isabelle  de  Yille-Hardoin  > 

*  Notre  belle  carte  du  dépôt  de  la  guerre  indique  peut-être  à  tort 
Œnoë  en  cet  endroit;  Œnoë  semble  être  plutôt  près  du  village  ac- 
tuel de  Marathon.  Voyez  i'e^sai  de  Fiulay  8\iur  la  topographie  liistQ- 
riqae  de  r Atli<|ae« 


VIGIE   DE   KALENTZI.  193 

plasienrs  domaines  dans  la  principauté  d*Achaye ,  comme 
le  témoignent  les  diplômes  originaux  conservés  dans  les  ar- 
chives de  Turin  ;  mais  c'est  tout  simplement  une  tour  de 
vigie  toute  moderne  et  de  construction  turque.  Il  en  est 
de  même  d'une  autre  tour  toute  voisine  de  celle-ci.  Dans 
les  temps  antiques,  les  vigies  étaient  fort  communes  à  cause 
de  l'état  habituel  de  piraterie  dans  lequel  vivaient  tous  les 
habitants  des  îles,  et  leur  usage  s'en  est  conservé  sous 
l'empire  byzantin.  Les  débarquements  des  pirates  qui  ont 
presque   toujours  infesté  les  côtes  entrecoupées  de  la 
Grèce,  étaient  surtout  dangereux  dans  une  plaine  comme 
celle  de  Marathon.  On  pouvait  les  surveiller  de  ces  tours 
de  vigie  et  rassembler  promptement  des  secours.  Au  temps 
des  Francs  ces  mesures  étaient  moins  nécessaires ,  parce 
que  l'action  du  gouvernement  féodal  était  plus  forte  ;  et 
quand  ils  bâtissaient  des  tours ,  c'étaient  des  masses  capa* 
Ues  de  renfermer  un  nombre  suffisant  d'hommes  d'armes. 
De  Kalentzi  nous  suivîmes  le  ravin  tracé  par  le  cours  de 
la  rivière  entre  deux  haies  de  lauriers-roses  qui  se  font  voir 
^  travers  un  petit  bois  de  cèdres ,  et  nous  arrivâmes  près 
de  l'emplacement  que  M.  Georges  Finlay ,  dans  son  Mé- 
moire sur  la  géographie  de  l'Attique ,  donne  à  la  ville 
d'CËnoe,  bâtie,  comme  la  plupart  des  anciennes  villes  hel- 
léniques ,  sur  le  haut  d'une  colline  abrupte.  Au  bas  de  ce 
it)cher  est  une  fontaine  et  un  peu  plus  haut  l'entrée  d'une 
grotte.  Nous  nous  trouvions  alors  sur  la  rive  droite  du  Ma- 
rathon. Nous  laissâmes  sur  notre  gauche  le  village  actue 
de  Marathon,  qui  n'est  pas  même  dans  la  plaine  de  Mara- 
thon, mais  qui  a  été  choisi  par  les  habitants  de  l'an- 
cien Marathon  pour  leur  nouvelle  résidence;  et  après 
avoir  traversé  le  fleuve ,  nous  tournâmes  le  versant  méri- 
dional du  mont  Koraki,  ayant  toujours  devant  nous  la  cé- 
lèbre plaine  de  Marathon ,  et  au  delà  la  mer  et  les  monta- 
Ugnes  de  l'île  d'Ëubée.  En  remontant  les  rochers  inférieurs 
dn  mont  Koraki,  nous  parvînmes  à  un  grand  ma.  ais  à  trc- 
lers  lequel  sont  amoncelées  de  grosses  pierres  qui  forment 

17 


194  GRECE   CONTINENTALE   BT   VOBEE. 

vue  route  détestable;  et  après  une  demi-heure  nous  arri- 
vlfnes  à  la  tour  carrée  de  Kato-Souli,  que  je  Toiriais  exa* 
wioer  ausâ.  Une  srigneurie  frauque,  imixnrtante  par  sa 
position  et  par  Téteadue  de  ses  domaines ,  y  avait  éîé  éta- 
blie dans  les  derniers  temps  de  la  domination  française. 

Boniface  dalle  Gurcere ,  un  des  seigneurs  tiercjars  de 
nie  de  Négrepont,  avait  été,  suivant  la  relaticm  de  Ramon 
Muntaner,  marié  par  son  protecteur,  Guy  de  La  Roche, 
duc  d*^thèoes,  à  une  jeune  héritière  dont  il  était  le  tuteur 
el  qui  possédait  en  Attique  treize  châteaux  parmi  lesqnds 
était  cdui  de  Souli  ou  Soula.  Boniface  n'eut  de  son  raa-^ 
riage  qu'une  ille  qu'il  donna  en  mariage  à  un  seignenr 
nopuaié  Thomas,  en  lui  constituant  en  4ot  treize  châteaux 
en  Attique ,  ajoutés  au  comté  de  Soula  qu'il  possédait  ^ 
Thomas  étant  mort  et  les  Catalans  étant  devenus  auHtres  à 
cettjs  époque  du  duché  d'Athènes,  ils  firent  épouser  cette 
riche  veuve,  en  idl2,  à  un  chevalier  du  BoossiUon,  nommé 
Roger  des  Laur,  qu'ilsavaientcbm  pour  leur  chef,  sur  1ère- 
fus  de  son  beai^-père  Bontface  dalle  Carcere.  Cette  fiUe  de 
Boniface  de  Vérone  n'eut  de  ses  deux  mariages  qu'une  Bfie 
nonmiée  MaruUe,  laquelle  fut  mariée  à  Alphonse  Frédéric, 
fils  naturel  du  roi  Frédéric  H  et  d'une  dame  aragonaiso, 
avant  le  mariage  de  Frédéric  II  en  Sicile.  Du  mariage 
de  Marulie  avec  Alphonse  Frédéric,  naquit  on  fils  Doointé 
Lonis,  comte  de  Soula,  dont  tous  les  chroniqueurs  byzui- 
tlos  et  leurs  traducteurs  et  éditeurs  se  sont  plu  à  l'envi  à 
estropier  le  nom.  Au  lieu  de  Bk  Aou^  %s{ii.(Svoç  xou  vri  ZouXa', 
l'édttenr  de  Bonn  dit  Delvis,  Deiphorutn  duciê^  TrutU- 
tandœ,  assemU^^e  de  mots  auxquels  il  ne  comprend  certai- 
nement rien  faii-même,  et  il  continue  tout  le  temps  à  estnn 

^  Wadding»  dans  ses  Annales  des  Fr.  mineurs,  parle,  à  l'an  1301, 
de  ce  Thomas  comte  de  Soula.  «  Sub  hoc  tempore,  dit-il,  postquam 
Tliessalonicam  et  Achaiamperagrarunt,  obtinuerunt  à  quodam  heroê, 
Thoma  de  Sola,  parvam  insulam  pro  aedificando  ibi  habitaculo.  ■ 

*  L'éditeur  aUemand  ne  fait  qu'un  mot  de  ces  treîs  mots  el  im« 
pilne  To\iV7fdovXâl  *—  (L.  Ghalc,  liv.  n,  p.  67.) 


COMTE    DE   SOU  LA.  195 

pier  Louis  en  Deives.  Ce  mot  a  passé  ainsi  dansleRNnraiserit 
deïHistoire  d'Athènes  par  M.  Pittakis,  dans  MèlethH 
et  dans  les  cbrcmiqdears  byzantins.  Loab,  comte  de  Smita^ 
épousa  Hélène  ou  Irène  Cantacuzène  «  et  en  eut  fstû  flH« 
unique  mariée  à  un  fila  de  Srntscian  ou  SIméon  ^  craie  de 
Servie.  Toîci  cette  géïiéai(^ie  des  comtes  de  Sonia  t 

Bonîfacè  dalle  Carcerè  de  'fréforie, 

àéigùeur  tîefdîer  de  Négrepont, 

M  fôrortsé  par  te  duc  Gay  de  La  Roche  ; 

combat  ailprès  de  Gautier  de  BrteBnef  duc  d'Atiiènes,' 

est  fait  prisonnier, 
refuse  de  prendre  le  commandement  des  Catalans , 

épouse 

rhéritière  dé  treize  châteaux , 

p^aiï  lesquels  Soula  avec  titré  de  cômfë. 

I 
Fille 

épouse 

a.  Thomas,  comte  de  Soula, 

qui  reçoit  en  dot  d'autres  châteaux  en  Attiaue; 

b.  Roger  des  Laur,  chevalier  roussillonnais , 

on  dès  chefs  des  Catalans. 

I 
MaroHe 

épouse . 

Alphonse-Frédéric  I 

fils  naturel  au  roi  Frédéric  ÏT  de  Sicile, 

gouverneur  do  duché  d'Athènes. 

I 
Loois, 

comte  de  Soûla, 

meotioDiié  par  L.  Chalcocopdyie  et  les  autres 

sous  le  nom  de  Doives, 

épouse 

tiélède  Ëântacdzèn^. 

I 
Fille 

Mariée  à 

un  fiis  de  Siméon  ou  Siniscian,  craie  de  Servie» 


196  GRECE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

Par  une  analogie  assez  curieuse,  c*est  encore  une  Gan* 
tacuzène  qui  possède  Souti  et  Ta  apporté  en  dot  à  M.  Char- 
les Soutzo  ;  mais  il  n'était  dans  sa  famille  qu'en  vertu  d*an 
achat  fait  par  son' père. 

La  tour  actuelle  est  située  sur  le  penchant  du  rocher 
au-dessous  du  marais,  au  bas  du  village  ruiné  d'Apano- 
Souli  (  le  haut  Souli  ) ,  et  répond  assez  bien ,  par  sa  posi- 
tion géographique ,  à  l'importance  que  devait  avoir  le  fief 
de  Sonia,  car  de  là  on  domine  toute  la  plaine  de  Marathon, 
plaine  assez  riche,  entourée  de  tous  côtés  de  montagnes,  à 
travers  lesquelles  s'ouvrent  les  trois  routes  qui,  par  les  deux 
flancs  opposés  du  Pentélique  et  par  le  bord  de  la  mer, 
conduisent  à  Athènes.  Le  comte  de  Soula  était  ainsi  le 
gardien  naturel  contre  tout  débarquement  qui  pouvait  s'ef- 
fectuer de  ce  côlé,  et  contre  toute  tentative  pour  pénétrer 
du  côté  d'Athènes  par  le  passage  de  Yranas,  ancien  Mara- 
thon. C'est  ici  que  se  trouve,  par  l'antique  Rhamnus,  le  pas- 
sage de  mer  le  plus  étroit  en  Ëubée.  Je  trouvai  dans  la  ferme 
de  Kato-Souli  plusieurs  Grecs  d'Ëubée  qui  attendaient  que 
le  vent  se  fût  un  peu  calmé  pour  profiter  du  bac  situé  sur 
cette  côte  et  se  rendre  en  Eubée.  Il  n'y  a  plus  trace  de 
l'ancienne  habitation  franque,  et  la  tour  de  Soula  est  tout 
simplement  une  tour  de  vigie. 

Après  ce  tribut  payé  à  mon  affection  pour  l'histoire  oc- 
cidentale ,  je  pus  me  laisser  librement  aller  à  mon  intérêt 
pour  les  faits  héroïques  de  la  Grèce  antique ,  et  personne 
ne  pouvait  être,  sur  le  champ  de  bataille  de  Marathon,  un 
aussi  excellent  guide  que  mon  ami  M.  Georges  Finlay ,  à 
qui  la  science  doit  un  mémoire  si  judicieux  sur  ce  sujet  ^. 

La  bataille  de  Marathon  fut  livrée  le  29  septembre  de 
l'an  /i90  avant  J.-C.  La  plaine  de  Marathon  a  six  milles 
de  longueur  sur  un  mille  et  demi  au  moins  de  largeur  dans 
sa  moindre  étendue.  Au  nord  se  trouve  le  marais  de  Kato- 


^  Page  363  à  395,  t.  m,  part,  ii ,  de  Transactions  of  the  royal 
Society  of  Litteratare  of  tbe  United  Kingdom. 


HARATaON.  197 

Sonli,  qui  couvre  enviroQ  uo  mille  carré,  mais  dont 
le  terrain  va  se  raffermissant  à  mesure  qif  on  s'appro- 
che de  la  mer.  Au  sud  de  ce  marais  et  à  l'extrémité  de 
cette  plaine  ornée  des  quatre  villes  d*OEnoê,  Probalinthos, 
Tricorytbus  et  Marathon ,  est  adossé  aux  montagnes  qui 
encadrent  cette  tétrapole  et  dans  laquelle  s'ouvre  au  nord 
du  Pentéliqae  la  route  la  plus  courte  sur  Athènes  le  vil- 
lage de  Vranas  que  Leake,  O.  MuUer  et  Finlay  s'accordent 
pour  désigner  comme  l'emplacement  de  l'ancien  Marathon. 
De  Yranas  à  Athènes,  en  passant  par  Kephisia,  il  y  a  vingt* 
deux  milles,  c'est-à-dire  cinq  lieues  et  demie  de  route. 

Hérodote,  qui  lut  son  Histoire  pendant  les  jeux  olynipi* 
ques  en  Fan  456  avant  J.-C,  c'est-à-dire  seulement  3& 
ans  après  cette  bataille  S  nous  informe  que  les  Perses  dé- 
barquèrent sur  600  trirèmes ,  outre  les  bâtiments  néces- 
saires au  transport  des  chevaux.  Si  l'on  évalue  à  Z|0  bom- 
mes  le  nombre  des  combattants  transportés  sur  chaque 
trirème  qui  n'arrivait  pas  directement  d'Asie,  on  aura  un 
total  de  24)000  hommes  ;  à  ce  nombre  il  faut  ajouter  la 
cavalerie  pesante  et  légère  et  les  troupes  Kgères  formées 
par  les  rameurs  surnuméraires  :  mais  il  faut  en  déduire  les 
troupes  qui  avaient  été  engagées  dans  les  premières  affaires 
à  Naxos  ou  à  Garystos;  et  on  aura  ainsi,  sur  une  armée 
montant  en  tout  à  46,000  hommes,  un  total  de  20,000 
hommes  seulement,  d'après  le  calcul  de  M.  Finlay ,  pour 
l'infanterie  légère  engagée  seule  dans  la  lutte.  Hippias,  fils 
de  Pisistrate,  qui  guidait  l'armée  persane  dans  sa  patrie,  la 
fit  débarquer  de  préférence  à  Marathon  par  souvenir  du 
succès  de  son  père ,  et  aussi  parce  que  c'était  le  point  le 
plus  v<Hsin  d'Ëretrie  en  Eubée,  qu'ils  avaient  occupée  '• 

Les  Athéniens ,  commandés  entre  autres  par  Miltiade, 
avaient  environ  11,000  bommes  pesamment  armés  et 
11,000  bommes  armés  à  la  légère. 

*■  Hérodote  était  né  six  aos  après  la  bataille  de  Marathon. 
'4érodote,  Ijrato, 

il. 


t9d  GRÈCE   COIVTlHEMTALfe   ET   MOREfi. 

lA  général  Cbiiréb,  qui  a  fréquemlîlëDt  examiDécècbtltDp 
de  bataille,  pense  que  l'armée  persane  avait  ie  dos  appuyé 
sar  sa  fldtte  et  le  flanc  droit  sur  le  nsarais  de  Sooli,  et  faisait 
face  à  la  grande  vallée  qui  débouche  sur  la  petite  vallée  dans 
laquelle  se  trouve  le  village  actuel  de  Marathon,  afin  de  se 
tenif  prêté  à  marcher  sur  Athènes,  soit  par  cette  route,  si 
eitè  restait  libre,  soit  par  la  route  de  Vranas  sur  l'autre  ver- 
sant du  Pentélique,  soit  par  la  troifième  route  qui  Redirige 
sitr  Athènes,  entre  le  PentéUque  et  là  mer.  Quant  àT&rmée 
gflscqiie,  il  poste  l'aile  gaiiche,  avec  les  Platéens,  sur  la  toi* 
line  de  Bey  afin  de  fermer  là  route  par  le  village  actuel  de 
Marathon  ;  le  centre,  qui  était  le  plus  faible  en  nombre,  sur 
la  colline  qui  ferme  la  route  de  Yranas,  et  l'aile  droite  sur 
la  pente  du  mont  Argdllki  afin  de  fermer  la  troisième  roate 
entre  le  Pentélique  et  la  mer. 

Au  monient  où  les  Perses  commencèrent  leur  mouve- 
ment en  avant,  le$  Athéniens  se  portèrent  à  leur  rencontre 
étt  descendant  du  mont  Argaliki  de  manière  à  les  resser- 
rer sur  le  marais  par  un  mouvement  de  l'aile  droite,  et  de 
la  gofjge  de  Vranas  (l'antique  Marathon)  par  un  ukonvement 
en  centre,  et  en  se  rejoignant  au  point  marqué  par  un  ta- 
mufus  ou  soros  d'environ  cinquante  pieds  de  haut  et  de 
sit  cents  pieds  de  circonférence.  C'était  alors  une  plaine 
unie;  mais ,  comme  ce  fut  là  que  dut  se  déployer  le  plus 
grand  eflbrt  de  l'ennemi  et  que  durent  tomlm'  le  plus  grand, 
nombre  de  combattants,  on  éleva  ce  tertre  après  la  bataille 
pour  recouvrir  les  cadavres.  C'est  peut-être  là  que  furent 
éntétrés  les  6,400  hommes  qui  périrent,  dit  Hérodote,  du 
oêtédes  Barbares,  et,  dans  ce  cas,  ce  tumulus  serait  celui 
qui  fut  élevé  sous  l'inspection  d'Aristide  -,  un  des  héros  de 
Gétie bataille,  laissé  seul  avec  la  tribu  Antioohide,  qu'il  com- 
mandait, à  la  garde  des  prisonniers  et  des  dépouilles,  et 
retrouvé  le  lendemain  occupé  de  ce  pieux  office  par  ie  corps 
des  Spartiates  arrivé  trop  tard.  Çà  et  là ,  sur  cette  plaine, 
sont  distribués  quelques  tumuli  plus  petits.  On  désigne 
l'un  d'entre  eux  comme  celui  qui  fut  élevé  plus  tard  polir 


MAiiATaeN.  199 

oooYrtr  les  cendres  de  Miltinde,  auquel  les  Athéolensaecor'- 
dèrent  depuis  uu  tombeau  sur  son  champ  de  gloire.  Quel- 
ques marbres  brisés  Indiquent  i  en  eflfet ,  que  ce  ftit  un 
moDUBieDt  i  et  l'herbe  crêtt  pardessus  plus  forte  et  plus 
ferddf àate.  Aucun  nom  n'a  été  eonserf é  sur  ces  fragments 
de  marbre  ;  mais  la  gloire  du  vainqueur  de  Marathon  flen« 
rit  encore  fratehe  et  jeune  dans  les  pages  simples ,  f  érifll- 
ques ,  éloquentes  d*Hérodote.  Près  de  ce  tumulus  on  eif 
voit  on  autre  qui  pourrait  bien  être  odoi  qu'on  éleva  aut 
192  Athéniens  qui  tombèrent  glorieusement  dans  cette 
bttaille  et  dont  les  noms,  parmi  lesquels  se  trouvait  œlaî 
de  Cynégire,  fils  du  poète  Eschyle,  étaient  gravés  sur  une 
eirfonne  de  marbre  dont  on  ne  trouve  plus  aucun  reste; 
Un  peu  plus  loin  est  un  autre  tumulus,  plue  petit,  dans  la 
direction  du  corps  d'armée  des  mille  Platéens,  parmi  les* 
quels  qaelqoes-uns  succombèrent  aussi  en  sauvant  la  liberté 
de  la  Grèce.  Bien  que  remués  souvent  par  les  pieds  des 
chevaux,  cestumnii  s'élèvent  encore  verdoyants  dans  cette 
plahie  sablonneuse  ;  et,  en  tes  parcourant  le  27  janvier,  je 
les  trouvai  émaillés  des  plus  belles  anémones  de  toutes  les 
couleurs,  dont  je  coeiHis  quelques-unes  comme  un  pieux 
sottveiifr.  Sur  le  plus  haut  des  tumuli  on  ramasse  soa« 
vent  de  petits  ftagments  de  silex  noiri  aminci  comme  la 
pierre  à  fbsil,  taillé  en  pointe,  et  donnant  du  feu  quand  on 
le  frappe.  Les  gens  qui  aiment  à  tout  croire  en  font  les 
fragments  des  pointes  de  flèches  des  Perses ,  et  on  les 
trouve  conservés  précieusement  sous  ce  nom  dans  plusieurs 
cabhiets  d'antiquaires.  Ce  sont  tout  simplement  des  mor* 
ceaox  de  silex  mêlés  an  sable  apporté  par  les  soldats  d'A- 
Hstide  pour  la  construction  du  tumulus. 

tes  souvenirs  de  cette  grande  bataille  sont  encore  comme 
vivants  dans  la  mémoire  des  populations  de  cette  vallée; 
Long-temps  après  la  défaite  des  Perses ,  les  habitants  du 
pays  assuraient  entendre  dans  le  voisinage  de  Marathon 
les  hennissements  des  chevaux  et  le  cliquetis  des  armes' 
et  v^r  apparaître  des  fantômes  de  guerriera  qui  se  com» 


200  GRÈGE   CONTlNENTALfi   ET    MOEEE. 

battaient  avec  acharnement.  Aujonrd*htti  encore  les  pay- 
sans de  Sonli  et  de  Yranas  ont  conservé  ks  mêmes  idées 
et  assurent  entendre  souvent  des  voix  plaintives  semblables 
à  celles  de  femmes  qu'on  outragerait ,  et  ils  ajoutent  que 
plus  ils  s'approchent  au-devant  de  ces  voix ,  plus  les  v(hx 
s'éloignent  d'eux. 

Nous  reprimes  notre  route  vers  Liosia  par  le  village  ac- 
tuel de  Marathon ,  situé  dans  une  autre  vallée  plus  petite. 
Tout  ce  village  a  une  assez  misérable  apparence  ;  sauf  la 
maison  du  dimarque,  qui  est  bien  bâtie.  Nous  nous  trou- 
vions sur  la  rive  gauche  du  fleuve  d'Aphidné  on  de  Mara- 
thon, que  nous  avions  traversé,  et  nous  remontâmes  tout 
le  profond  ravin  le  long  de  la  montagne  couverte  de  cèdres 
qui  sépare  cette  vallée  de  celle  d'Aphidné.  Les  premières 
heures  de  notre  course  à  cheval  avaient  été  assez  froides  ; 
un  vent  du  nord-ouest,  qui  arrivait  à  nous  sans  être  inter- 
cepté par  aucune  montagne,  annonçait  vraiment  la  présence 
de  l'hiver;  mais,  dans  l'après-midi,  le  vent  tomba,  le  sdeil 
reprit  sa  vigueur,  et,  abrités  contre  un  air  trop  vif  par  une 
montagne  bien  boisée  et  fort  variée  dans  ses  tours  et  dé- 
tours ,  nous  retrouvâmes  tous  les  charmes  du  printetnps» 
Assis  sous  de  beaux  cèdres ,  nous  respirions  avec  bonheur 
une  température  plus  douce  ;  et ,  après  huit  heures  de 
course  à  cheval,  nous  retrouvâmes  avec  plaisir  l'hospitalité 
de  Liosia. 

Deux  autres  tours  anciennes  m'avaient  été  signalées  par 
M.  Finlay  dans  la  montagne  près  de  Yarnavas.  Dès  le  len- 
demain nous  étions  de  bon  matin  à  cheval  pour  aller 
les  visiter.  La  nuit  avait  été  des  [dus  froides,  et  il  avait 
même  gelé  avant  le  lever  du  soleil.  La  température  de  la 
vallée  de  Liosia  est  toujours  d'au  moins  deux  degrés  plus 
froide  que  celle  d'Athènes.  La  surface  des  citernes  était 
glacée,  ainsi  que  quelques  flaques  d'eau  éparses  dans  la  val- 
lée. Les  terres  labourées  que  nous  traversions  ofifraient 
une  terre  difficile  qui  résistait  au  pied  des  chevaux,  et,  an 
moment  de  notre  départ,  le  veqt  s'éleviiit  et  une  neige  rar^ 


VARN.4VA8.  201 

et  froide  commençait  à  tomber.  Laissant  Aphidné  à  droite 
et  Kapendriti  à  gauche,  nous  passâmes  un  dernier  torrent 
et  commençâmes  à  gravir  un  ravin  bien  protégé  du  vent 
par  les  collines  les  plus  verdoyantes.  Le  changement  de 
température  était  sensible.  De  Thiver  tel  qu'il  s'annonce 
dans  nos  climats,  bien  qu*avec  une  forme  moins  rude, 
puisque Ja  campagne  était  toujours  verdoyante,  nous  ve- 
nions de  passer  tout  à  coup  à  un  véritable  printemps ,  au 
printemps  embaumé  des  pays  chauds.  Cette  chaude  vallée 
me  rappelait  quelques-unes  de  nos  étroites  et  gracieuses 
vaUées  des  Pyrénées,  avec  leurs  rochers  d'un  rouge  brun 
revêtus  çà  et  là  de  bouquets  de  verdure.  Du  haut  de  ce  ra- 
vin on  aperçoit  le  sommet  neigeux  du  Parnasse  et  l'Hélicon 
d*nn  côté ,  tandis  que  de  l'autre  côté  s'élève  au-dessus  de 
la  mer  le  pic  non  moins  neigeux  du  mont  Delphi  en  Eubée. 

Nous  continuâmes  ainsi  jusqu'au  village  de  Varnavas  ; 
puis,  affrontant  de  nouveau  le  vent  du  nord,  nous  nous  di- 
rigeâmes vers  une  large  tour  située  à  l'extrémité  d'une 
grande  plaine  en  pente  légère  de  tous  côtés,  renfermée  au 
milieu  des  montagnes ,  et  portant  des  traces  anciennes  et 
modernes  de  culture.  Cette  tour  ancienne ,  l'élise  voisine 
et  le  château  annexé  à  la  tour  sont  évidemment  de  construc- 
tion byzantine.  Les  vents  avaient  depuis  bien  des  siècles 
porté  peu  à  peu  de  la  terre  sur  le  second  étage  de  cette 
maison  ruinée ,  et ,  sur  cette  terre  nourrie  par  la  pluie , 
d'autres  vents  avaient  porté  des  semences  que  la  chaleur 
avait  fécondées,  et  on  grand  arbre  y  étend  aujourd'hui  en 
tOQt  sens  ses  rameaux  indépendants.  Là  était  probablement 
le  domaine  de  quelque  grand  propriétaire  byzantin  ,  qui 
aura  été  ruiné  par  L'occupation  féodale  des  Francs,  et  dont 
les  grands  établissements  n'auront  pu  se  relever  depuis. 
Une  colline  plus  haute  le  clôt  d'une  manière  plus  calme 
comme  au  milieu  des  terres  et  lui  interdit  la  vue  de  la  mer 
toute  rapprochée  de  lui. 

Nous  franchîmes  cette   m(mtagne    pour  nous  diriger 
sor  l'autre  tour  nommée  la  tour  de  Gliathi  ;  elle  est  d'une 


202  GRECE    CONTINENTALE   ET   MOREE. 

anti(fâité  beaucoup  plus  reculée.  Elle  est  bâtie  de  vastes- 
blocft  de  pierres  non  taillés  à  Tintérieur,  plus  réguliers 
an  dehors.  Sa  fortoe  est  carrée;  sa  hauteur  est  d'en- 
viroA  trente  pieds  dans  Tétat  présent  ;  la  pcn-te,  tournée  à 
Fonest,  est  d*ane  fort  belle  forme,  non  pas  étroite  et  basse 
coinme  dans  nos  proportions  modernes,  mais  haute  et 
large,  dans  le  genre  de  la  porte  de  la  pinacothèque  d'A- 
thènes. Sflt  hauteur  m'a  semblé  d'environ  huit  pieds  sur 
cinq ,  et  sd  profondeur  de  cinq  pieds.  On  voit  que  cette 
sorte  de  passage  était  fermé  par  deux  portes ,  l'une  exié-* 
rieurè ,  l'autre  intérieure.  Deux  fenêtres  sont  percées  dans 
le  mur,  et  on  voit  aussi  dans  le  même  mur  deux  espèces^ 
de  nieurtrières.  C'était  évidemment  là  une  tour  de  vigie 
belléniqife ,  et  elle  se  rattachait  à  une  ligne  de  tours  sem- 
blables destinées  à  assnrer  la  défense  d'Athènes.  A  quel* 
ques  pas  de  là  gisent  disséminés  des  restes  antiques ,  des 
débris  de  temples  et  de  maisons,  des  chapiteaux  d'ordre 
dorique  en  marbre  blanc,  des  bas-reliefs  qui  semblent 
avoir  été  d'une  bonne  exécution ,  mais  trop  mutilés  pour 
qti'on  puisse  en  conjecturer  le  sujet  t  témoignages  d'une 
grandeur  antique  ensevelie  aujourd'hui  dans  la  pous- 
sière, les  herbes  et  la  boue,  car  l'èan  coule  encore 
d'unie  vasfte  fontaine  de  marbre  att  milien  de  ces  rdines. 
S!  les  tilles  de  marbre  sont  ainsi  ànéarities  sans  avoir  pu 
transmettre  le  nom  qu'elles  portaient,  que  deviendront  nos 
villes  modernes  de  chaux  et  de  bois? 

Nous  retournâmes  de  Liosia  Ih  Athènes  par  une  route  dif- 
férente de  celle  que  rious  avions  prise  pom^  venir,  et  nous 
tournâmes  le  Pentéliqoe  par  le  revers  opposé.  Le  froid  était 
devenu  fort  vif  de  ce  côté  de  la  montagne  ;  mais  à  peine 
eûmes-nous  franchi  le  passage  de  Kaliphari ,  sur  la  route 
d'Orbpo^  à  Athènes ,  que  nô&s  sentîmes  la  température 
s*adoiicir.  Les  montagnes  nods  abritèrent  contre  les  vents  ; 
le  soleil  reprit  le  dessus,  et  nous  continuâmes  notre  excur- 
sion avec  délices  au  milieu  de  bois  d'où  s'enlevaient  à 
chaqde  itistàht  de  dessons  nos  pas  des  milliers  de  bé€as- 


ROUTE  PAil   I.E   PE|iT£LlQUB.  303 

sines  dont  très-peo  périrent  victimes  de  nos  coups.  Nos 
exclamations  de  surprise  ,  à  la  vue  de  tant  de  bécassines , 
faisaient  retentir  les  bois ,  lorsque  nous  rencontrâmes  un 
convoi  de  sept  à  huit  mulets  montés  par  autant  de  jeunes 
gens  qui  à  nos  exclamations  françaises  répondirent  par  des 
salutations  en  fort  bon  français.  Nous  étions  assez  surpris 
de  nous  rencontrer  ainsi  face  à  face  avec  des  compatriotes 
occidentaux  au  milieu  des  forêts  du  Pentélique.  Nous  nous 
approchâmes  et  échangeâmes  dos  questions.  C'étaient  de 
jeunes  ouvriers  français  qui  s*en  allaient  près  des  Thermo- 
pyles  pour  y  activer  la  construction  et  la  mise  en  train 
d'une  raffinerie  de  sucre  de  betteraves  récemminent  fondée 
à  Kainourio-Chorio. 

On  s'enfonce  ensuite  dans  un  ravin  fort  sauirage.  On  y 
montre  encore  l'artu'e  où  fut  atjtaché  pendant  vingt-quatre 
heures  notre  compatriote  le  savant  M.  Petiet ,  par  des 
Klephtes  qui  attendaient  en  cet  endroit.des  marchands  de 
troupeaux  après  la  vente  de  leur  bétail.  Les  routes  sont 
devenues  plus  sûres  aujourd'hui  depuis  la  bonne  organi- 
sation du  corps  de  la  gendarmerie  par  M.  Graillard ,  et  les 
Klephtes  pourchassés  partout  dans  l'ipt^rieur  du  pays  ont 
été  forcés  de  se  réfugier  sur  les  frontières  de  l'Acarnanie 
et  de  la  Thessaiie.  Un  peu  plus  haut  se  présente  une  scène 
de  montagnes  qui  produit  un  fort  bel  effet.  Ce  ravin  et 
un  autre  ravin ,  après  avoir  pris  quelque  temps  une  direc- 
tion presque  parallèle,  viennent  se  perdre  dans  un  troisième 
par  des  replis  profonds  et  verdoyants.  Au  fond  de  ces  gorges 
Diille  petits  ruisseaux  coulent  entre  des  baies  de  lauriers- 
i^es,  et  les  masses  de  verdure  les  plus  différentes  vien- 
nent de  toutes  parts  se  réunir  et  se  fondre.  C'est  la  dernière 
Terdure  qui  puisse  reposer  l'œil  de  ce  côté  du  Pentélique , 
car  on  approche  d'Athènes  et  on  n'a  plus  à  voir  que  des 
arbrisseaux  rabougris ,  des  bruyères  desséchées  et  des  oli- 
viers qui  s'en  vont  pâlissant  à  mesure  qu'on  s'en  approche. 


104  GRECE   GONTlNENtALE   ET  HOr£e. 


1 


IX. 

MARGOPOULO. — OROPOS.  —  AULIS.  —  GH  ALKIS. — THÈBES. 

Pendant  près  de  quatre  mois  j'élaîs  resté  à  Athènes  à 
étudier  la  ville  et  les  enifirons ,  la  plaine  et  les  montagnes , 
Tantlque ,  le  moyen  âge  et  le  moderne.  Dès  les  premiers 
jours  d'avril  j'essayai  une  excursion  aux  Cyclades  et  visitai 
JOélos  et  Tinos  ;  mais  les  vents  étaient  encore  si  incertains 
que  j'ajournai  ma  visite  des  îles  et  me  décidai  à  visiter  le 
nord  de  la  Grèce.  Le  lundi  19  avril  je  quittai  donc 
Athènes  pour  me  rendre  par  Chalkis  à  Thèbes  et  à  Livadia. 

La  route  d'Athènes  à  Marathon  m'était  connue,  ainsi  que 
h  plaine  de  Marathon  et  ses  environs  ;  je  n'eus  donc  pas  à 
m'y  arrêter.  Je  revis  Kapandriti  et  traversai  Marcopoulo  » 
grand  bourg  situé  sur  la  pente  d'une  colline  fort  pitto- 
resque du  côté  de  l'Eubée.  Un  propriétaire  du  pays  y  a 
commencé  la  construction  d'un  khani  ou  aubei^e  de  cam- 
pagne, qui  doit  avoir  deux  étages  et  sera  le  plus  grand  éta- 
blissement de  ce  genre  qu'il  y  ait  en  Grèce.  Son  projet  est 
même  d'y  réserver  deux  ou  trois  chambres  avec  des  lits 
pour  les  voyageurs  ;  ce  qui  serait  une  bien  grande  amélio- 
ration ,  car  la  première  couchée  d'un  Européen  est  fort 
rude  quand  il  part  d'Athènes  pour  voyager  en  Grèce  et  qu'il 
veut  s*en  reposer  comme  moi  sur  les  chances  du  pays  pour 
le  mieux  connaître. 

En  tournant  la  colline  située  au  bas  de  Marcopoalo  la 
vue  s'ouvre  sur  l'Eubée ,  qui ,  avec  sa  belle  chaîne  de  mon- 
tagnes ,  se  développe  avec  grâce.  De  là  on  suit  le  bord  de 
la  mer  jusqu'au  village  d'Hagio-AposloIi ,  au  pied  de  l'an- 
tique Oropos.  C'est  un  village  qui  commence  à  se  former» 
et  les  quatre  ou  cinq  maisons  dont  il  se  compose  sont  en- 
core toute  neuves.  Les  anciens  y  avaient  construit  un  mête 


OROPOS.  205 

dont  on  voit  encore  tes  débris  au  milieu  des  eaux  et  sur  le 
ri?age.  Une  colonne  de  beau  marbre  blanc,  arrachée  à  quel- 
que monument  antique ,  sert  aujourd'hui  à  amarrer  le  s 
barques  des  pêcheurs.  Une  fontaine  Tient  d'être  construite 
sar  le  bord  de  la  mer,  mais  Feau  ne  m'en  a  pas  paru  ex- 
cellente. Parmi  ces  cinq  maisons  je  trouvai  facilement  une 
chambre.  Quant  à  matelas,  tables  ou  chaises,  il  ne  pouvait 
en  être  question.  Je  fis  donc  étendre  mon  tapis  sur  le  par- 
quet, plaçai  ma  seUe  sous  ma  tête,  m'enveloppai  de  mon 
manteau,  et  cherchai  dans  le  sommeil  le  repos  à  ma 
course  de  la  journée  ;  mais  on  ne  s'habitue  pas  sur-le- 
champ  à  ce  rude  lit  de  camp ,  et  je  me  réveillai  le  len- 
demain matin  plus  brisé  que  la  veille. 

L'air  frais  du  matin  et  un  bain  dans  cette  belle  mer  ont 
bientôt  réparé  les  forces  du  voyageur,  et  l'aspect  du  pays 
fait  oublier 'tout.  Je  suivis  le  bord  de  la  mer  en  face  d'Ere- 
tria  que  j'apercevais  en  Eubée ,  et  m'arrêtai  long-temps  à 
causer  avec  des  pêcheurs  qui  avaient  étendu  de  longs  filets 
sur  (cette  côte ,  et  venaient  réunir  les  deux  extrémités  du 
filet  sur  le  rivage ,  de  manière  à  resserrer  dans  leur  nasse 
toas  les  poissons  qui  avaient  pu  s'aventurer  dans  cette 
partie  de  la  mer  qu'ils  affectionnent.  La  route  d'Oropos  à 
Ghalkis  suit  toujours  le  bord  de  la  mer.  A  Dilesi ,  comme 
le  rivage  est  obstrué  par  d'énormes  rochers ,  et  que  le 
chemin  se  détourne  un  peu  pour  passer  dans  la  colline, 
nous  coupâmes  au  plus  court  et  entrâmes  avec  nos  che- 
vaux dans  la  mer.  La  grève  n'est  pas  profonde,  mais  elle 
se  compose  surtout  de  gros  cailloux  roulés,  jetés  par  les 
flots  le  long  des  flancs  entrecoupés  et  escarpés  de  ces  col- 
lines, ce  qui  rend  cette  route  à  travers  les  eaux  et  les  cail- 
loux, avec  une  mer  qui  atteint  toujours  jusqu'aux  sangles 
des  chevaux,  un  passage,  sinon  dangereux,  au  moins  as- 
sez difiicile.  Nous  allâmes  ainsi  jusqu'à  la  petite  rivière  qui 
M  jette  dans  la  mer  au-dessous  de  Hagios-Georgios.  Après 
Dramcsi  on  cesse  de  suivre  la  côte  et  on  pénètre  en  dedans 
da  cap  situé  tout  en  face  du  fort  Bourzi  de  Négrepont.  Ce 

1^ 


20j6  GRÈCE    CONTINE^TâLE   ET   HOREE. 

fort  turc  3*avaQce  dans  la  mer  à  un  endroit  où  le  canal  de 
Tflubée  est  très-resserré,  de  manière  qu'il  compandait 
complètement  le  passage  et  assurait  le  payement  du  péage 
^quand  les  Turcs  J'occupaient. 

JLorsque  ce  cap  est  franchi ,  on  arrive  aux  bords  de 
la  baie  4e  Laspi^  qp.ç  beaucoup  d'auteurs  pensjçnt  être  le 
gr^nd  pojTt  d'Aulis,  qù  se  réunit  toute  la  ^tte    grec- 
q,ue  avant  de  marcher  centre  Troie.  L'antique  Âulis  est 
placée  sur  )a  ipont^gne  qui  surmonte  Laspi.  Quant  au 
petit  port  d'Aylis ,  ou  l)likro-yalhy,  il  était  évidemnient 
trop  petit  pour  cpntenir  autant  de  bâtiments ,  n'eussent- 
ils  été  grands  que  comme  nos  barc|ues  de  pêcheu;*s;  car, 
d'après  l'énumëration  d'Homère,  il  s'y  trouvait  douze  cent 
3Qixante-six  yaisseaux  fournis  par  trente-cinq  principaux 
pays^  dans  lesquels  il  cite  cent  trente-cinq  villes.  Laspi  est 
fort  petit  9ussi  sans  doute ,  mais  suffisai^t  cependant  pour 
^es  bâtiments  aussi  petits  q^ue  l'étaient  ceux  djes  Grecs. 
C'est  encore  là  que  s'arrêtent  les  bateliers  pour  pouvoir  je- 
ter l'ancre  ;  car  la  grande  baie  presque  close  par  le  pont 
de  Chalkiâ  et  le  passage  non  pioins  étroit  par  lequel'  elle 
s'ouvre  sont  beaucoup  trop  profonds  pour  que  d*aussi 
petits  bâtiments  puissent  y  jeter  l'ancre  avec  sécurité,  agi- 
tée surtout  comme  est  cette  baie  pap  le  courant  de  YÉn- 
ripe.  Aulis  était  située  entre  Laspi  et  Vathy,  et  on  retrouve 
encore  quelques  ruines  anciennes  sur  cet  emplacement. 
De  là  on  aperçoit  de  fort  près  Ghalkis  et  son  port  ;  mais 
pendant  près  de  deux  heures  il  faut  eqcore  tourner  sur  les 
versants  rocheux  des  montagnes  quji  fornient  cette  baie 
pour  arriver  jusqu'à  l'entrée  de  l'Euripe.  Un  pont  jeté  ^ 
l'ouverture  de  la  baie  épargnerait  une  grande  fatigue. 
Yue  de  cette  distance,  avec  ses  mosquées  et  leurs  minarets, 
la  ville  de  Ghalkis  a  un  aspect  toui  à  fait  oriental.  A  trois 
l^eures,  je  franchis  l'abominable  pont  jeté  aujourd'hui 
si;ir  l'Ëuripc ,  passai  les  portes  de  la  tour  et  entrai  dans  la 
lorteresse ,  puis  dans  les  faubourgs  de  la  ville  de  Ghalkis. 
J*y  restai  cette  fois  quelques  jours  à  bien  la  visiter  ^  mais 


CnALKlS.  507 

je  parlerai  des  objets  qui  y  aftirèreûi  mon  attention  Si 
l'occasion  d'un  second  voyage  que  j*y  fis  après  avoîf  visité 
le  nord  de  TËubêe,  dans  mon  volume  sur  les  îles. 

Avant  d'arriver  à  Ghalkis,  on  aperçoit  sur  une  hauteur 
qui  dotninë  là  ville  la  foheresse  turque  de  Kara-Baba. 
Elle  est  très-bien  coÉrservéé ,  mais  c'esft  dh  misérable  oti- 
vràge  de  fohilication.  J'allai  la  visHët*  eri  quittant  Chalkis. 
Du  bàtit  dès  f*emparts  et  d'une  petite  todi*,  on  a  une  vue 
fort  étendue  sur  ùnè  sèèîie  peu  variée  dé  mer  et  de  mon- 
tagnes. La  montagne  ^d'on  a  à  franchir  pour  descendre 
dans  lès  plaines  de  la  Ëéotie  à  conservé  le  tiom  de  KlepKto^ 
Youni,  des  voleurs  qui  l'infestaient  autrefois.  £n  descendant 
le  kJepbto-Vôuûî  on  passe  entre  le  site  des  villes  antiques 
de  Aiycalëssds  éi  d'Ilarmâ,  puis  au  pied  de  la  montagne  601 
se  trouve,  à  dent  Heuës  et  demie  environ ,  à  Sagmata,  te 
monastère  de  ti  Métamorphose,  ofu  transfiguration,  fondé 
par  le  gtand  bâtisséùi*  des  couvents  grecs,  l'empereur 
Alexis  Gomnène.  M.  le  professeur  tloss  à  copié  dans  ce 
couvent  bû  diplômé  dd  mois  de  septembre  H 10  par  le- 
quel cet  empereùt*  envoie  aux  moines  un  morceau  de  U 
vraie  croit  et  leui*  fait  dotl  de  l'ëtang  situé  près  du  village 
d*Houngarâ  ^  qui  cohserve  le  même  îiom ,  siinsi  que  \à 
montagne  conserve  celui  de  Sagmata  \  La  plaine  de  Thé- 
bes,  qui  comlnencè  ati  bas  de  cette  montagne,  est  triste; 
sans  arbres  et  sans  culture,  et  presque  totite  couverte  dd 
tourbières.  En  arrivant  au  village  d'flagios-Theodoros ,  W 
ville  de  Thèbes  se  préseiite  assez  bien.  La  Cadinéa,  sur  la- 
quelle elle  est  bâtie,  est  une  colline  de  forme  elliptique  qui 
s'élève  au  milieu  d'une  grande  vallée  traversée  par  le  Kà- 
navari  et  risihène  sans  eau,  à  sa  sortie  du  lac  Likeri. 

La  Chronique  de  Morëe  raconte'  que  Nicolas,  châtelalii 
dé  Saint-Omer,  veuf  de  Marié  d'Ântioche ,  ayant  épousé 

r  * 

'Urkondea  %ur  Geschichte  Griechenfands  im  Mittelalter  (p.  15â 
et  lâ6). 
3  Pag.  189  de  ma  deuxième  édition  à  deux  colonnes. 


'908  GA£CE   CONTJKENTALB   ET   MORËE. 

Anoe  Gomnène ,  ?euve  du  prince  d'Achaye  Guillaume  de 
Ville-HardoiD  (en  1278)  et  sœur  d*HéIène,  qui  avait  épousé 
le  roi  Mainfroi,  s*établit  avec  elle  en  Morée.  Par  ses  gran-* 
des  richesses  et  sa  puissance  nouvelle,  dit-elle,  il  se  vit  en 
état  de  faire  construire  à  Thèbes  le  château  de  Saint- 
Orner  ;  et  il  y  ût  bâtir  une  habitation  si  magnifique ,  et  il 
l'orna  de  si  belles  peintures  qu'un  empereur  eût  pa  s'y 
établir  avec  toute  sa  maison  ;  mais  les  Catalans,  qui  ne  s*en 
étaient  emparés  qu'avec  les  plus  grandes  difficultés,  détrui- 
sirent ce  bel  édifice,  par  la  crainte  qu'ils  avaient  de  voir  le 
grand-sire,  messire  Gautier  de  Brienne ,  duc  d'Athènes, 
s'y  établir  lui-même. 

De  cette  vaste  et  belle  forteresse  construite  par  notre 
compatriote  Nicolas ,  châtelain  de  Saint-Omer,  il  ne  reste 
plus  qu'une  tour  carrée  à  l'extrémité  de  la  Cadméa ,  du 
côté  de  Saint-Théodore.  Les  murs  ont  deux  mètres  soixante- 
dix  centimètres  d'épaisseur  et  chaque  côté  a  quinze  mètres 
de  largeur,  deux  des  côtés  ont  dix-huit  mètres  et  demi; 
l'intérieur  est  divisé  en  deux  compartiments  par  une  porte 
cintrée  dont  l'ouverture  est  de  deux  mètres  trente-sept 
centimètres.  Les  chambres  inférieures ,  qui  sont  voûtées, 
servaient  fort  probablement  de  prison,  car  une  prison  était 
alors  l'annexe  nécessaire  d'un  palais.  Ainsi  que  dans  tou- 
tes les  anciennes  tours,  la  porte  était  située  à  une  hauteur 
telle  qu'on  ne  pouvait  y  arriver  qu'à  l'aide  d'un  pont-levis 
jeté  sur  un  escalier  construit  exprès  à  distance.  Cet  esca- 
lier, en  forme  de  tourette  carrée,  de  trois  mètres  de  largeur, 
existe  encore,  fort  ruiné,  et  l'ancienne  porte. cmtrée,  qui 
était  alors  la  seule,  est  conservée  aussi.  Deux  longues 
meurtrières  la  défendent  des  deux  côtés.  En  dehors  du 
mur,  sur  une  des  grosses  pierres  des  assises,  près  de  la  cor- 
niche qui  fait  face  à  la  plaine,  je  lus  le  mot  Kalamata,  sur- 
nom de  Guillaume  de  Yille-Hardoin,  prince  d'Achaye. 

Au  bas  de  la  Cadméa ,  le  long  de  la  double  enceinte  de 
murailles  qui  entourait  la  villjs ,  subsistent  aussi  quelques 
restes  d'une  antre  tour  certainement  de  l'époque  franque. 


THÈBES.  209 

Thèbes  avait  été  conquise  dès  les  premières  anaées  de  la 
prise  de  Constantinople  par  Olhon  de  La  Roche  de  Fran- 
che-Comté ,  un  des  grands  vassaux  du  roi  de  Salonique , 
Bouiface  de  Mont-Ferrat.  Lorsque  Boniface  concéda  à 
Guillauaie  de  Champ-Litte  et  à  Geoffroy  de  Yilie-Hardoin 
la  seigneurie  princière  de  toutes  les  conquêtes  qu'ils  pour- 
raient faire  en  Acbaye»  la  seigneurie  de  Thèbes,  réunie  en 
ce  moment  à  la  seigneurie  d'Athènes,  fut  placée  par  lui  sous 
la  suzeraineté  des  princes  d'Achaye. 

Le  second  seigneur  français  de  Thèbes  et  d'Athènes  fut 
Guy  de  La  Roche,  neveu  d'Othon,  qui,  ayant  fait  venir  de 
Franche-Comté  sa  soeur,  IBonne ,  la  maria  d'abord  avec  le 
roi  de  Salonique,  Démétrlus de  Montferrat,  mineur,  puis, 
à  la  mort  de  celui-ci ,  avec  Nicolas ,  l'ancien  châtelain  de 
Saint-Omer ,  en  donnant  en  dot  à  Bonne  la  seigneurie  de 
Thèbes  à  titre  de  sous-inféodation.  Le  Nicolas  qui  fit  bâtir 
^a  grande  forteresse  de  Thèbes  était  le  petit-fils  de  ce  pre- 
mier Nicolas,  et  il  était  fils  d*Abel  ou  Bêlas,  châtelain  de 
Saint-Omer,  et  de  Marie  de  Hongrie,  veuve  du  roi  de  Bul- 
garie Asan.  Ces  Saint-Omer  étaient  aussi  possessionnés  dans 
le  royaume  de  Naples. 

Les  seigneurs  français,  devenus  depuis  ducs  d'Athènes, 
avalent  établi  leur  atelier  monétaire  à  Thèbes,  et  ils  y  firent 
frapper  des  deniers  tournois  en  leur  nom. 

La  Chronique  d'Henry  de  Yalenciennes  raconte  que , 
lorsque  l'empereur  Henry  de  Constantinople  vint  en  per- 
sonne forcer  les  Lombards  du  royaume  de  Salonique  à  lui 
rendre  hommage ,  il  trouva  quelque  résistance  à  Thèbes, 
Ae  la  part  des  Lombards  qui  en  avaient  pris  possession 
temporaire. 

«  Li  empereres ,  dit-il  *■ ,  chevauche  tant  que  il  est  k 
Thèbes  venus.  Et  Lombart  font  le  castiel  tenir  contre  lui. 
Hais  U  empereres  dist  bien  que  il  les  fera  assaillir 

^  Pag.  294  et  295  de  mon  édition  à  deux  colonnes,  à  la  suite  des 
éclaircissements  sur  Uifrincipaulé  française  <fe  Morée. 

15. 


210  GRÈCE   COINTIICENTALE  ET  HOrÉe. 

Et  il  descend!  à  pié  de  soa  cheval,  si  qtieli  archèvesque  et 
li  clcrgiés  le  menèrent  an  moustier  Nostre-Dame^  Là  ren- 
dit grâces  à  Nostre-Seignear  de  Founor  que  il  li  avoit  con- 
sentie à  avoir  en  cest  siècle  ;  puis  ist  hors  du  moustier  et 

fait  asseoir  le  castiel Dont  fait  drecier  mangonnians 

et  arrenghier  ses  arbalestriers  entout-  les  fossés,  et  fait 
traire  et  jeter  à  la  maistre  fremeté;  tnais  cfaoo  est  pot 

noient,  car  trop  est  li  castians  fors Quant  li  empe- 

reres  vit  que  par  assaut  ne  povoit  le  Castiel  avoir ,  si  fait 
sonner  le  retrait ,  puis  fist  querre  carpentiers  partout  por 
faire  esciele  et  bierfrois.  Et  chil  dedens  se  deffendoient  se- 
lonc  lor  pooir.  Mais  riens  ne  lo?  vaut  deffcnse,  si  corne  je 
croi  ;  car  les  escieles  sont  faites  hautes  et  grans  et  bien  che- 
villies.  Et  quant  Lombart  les  virent ,  s'il  en  furent  esbabi 
che  ne  fu  mie  miervelle.  Que  vous  conleroie-jou  ?  Il  fisertt 
parler  de  la  paii...  Li  castiaus  est  rendus...  Li  empereros 
ala  à  la  maistre  église  de  Thebes  en  orison  ;  choo  est  une 
cglyse  c'on  dist  de  Nostre-Dame.  Et  Olhes  de  La  Roche,  qoî 
sires  en  estoit,  à  cui  li  marchis  (Boniface)  Tavoit  donnée, 
ri  hounera  de  tout  son  pooir.  » 

On  voit  qu'il  est  fait  mention  ici  de  deux  églises  de  No- 
tre-Dame, une  en  dehors  de  la  ville  et  l'autre  à  Fintérieùr. 
Dès  mon  arrivée  h  Thèbes,  mon  premier  soin  fut  de  m'en- 
quérir  des  églises  hors  la  ville ,  pour  aller  les  visiter.  Il  f 
en  avait  autrefois  cinq  :  l""  cette  église  de  Notre-Dame  ; 
2""  la  Sainte-'lrinité  ;  S""  Saint-Fulgent  ;  d"*  Saint-Nicolas  ) 
5^  Saint-Luc.  Cette  dernière  est  la  seule  dont  les  ruines 
soient  encore  visitées.  Elle  a  été  bâtie  à  un  quart  de  Iteuè 
de  Thèbes,  sur  l'emplacement  du  temple  d'A|)ollo*  Ismènc^ 
dont  le  pavé  antique,  en  mosaïque  de  marbre,  se  retrouve 
presque  en  entier  en  dehors  de  l'églide,  à  sit  pouces  peut- 
être  au-dessous  du  sol.  Il  suffit  de  creuser  un  peu  la  teire 
de  ce  côté  pour  en  retrouver  les  traces.  Près  du  chœur  de 
cette  église  en  ruines  on  retrouve  un  tombeau  de  marbre, 

1  Hors  la  ville. 


tAèbes.  211 

especié  par  les  croyants  comme  ayant  été  le  vrai  tombeail 
de  saint  Liic.  L'opinion  commune  est  qu'il  suffit  de  gratter 
an  peu  du  marbre  de  cette  tombe,  de  lé  réduire  en  pous-i 
sière  et  de  boire  cette  poudre  dans  de  Teau  fraîche  pdiit 
châssef  à  rinstànt  là  fièvre.  Aussi,  dans  tous  les  chs  de  fiè- 
vre, ne  inanque-t-on  pas  de  venir  gratter  le  couvei-cle,  dorit 
une  partie  est  déjà  usée.  t)es  traces  récentes  prouvent  que  là 
croyance  dans  refflcacitë  du  tdtnbeatl  de  saint  LUc  n*a  pas 
diininùé.  En  Texaminarit  avec  attention ,  on  voit  que  ce 
tombeau  est  évidemment  dtl  troisième  siècle  et  dé  style 
tout  à  fait  romain.  Les  deux  côtés  sont  recouverts  dMn-^ 
scriptîons  dont  Leake  a  publié  une  partie ,  fet  qui  rie  fotit 
aucune  mention  de  saint  Luc,  mais  se  rapportent  unique- 
ment à  un  dignitaire  provincial  romain.  En  furetant  par- 
tout  à  travers  les  débris,  je  retrouvai  Un  écusson  des  Tem- 
pliers, avec  les  fleurs  de  lis  à  l'extrémité  de  chaque  bout  de 
la  croix.  Il  serait  possible  qu'en  effet  ce  monastère ,  placé 
dans  une  bonne  situation  en  face  de  Thèbes,  eût  été  con- 
cédé aux  Templiers ,  tomme  le  furent  beaucoup  d'autres 
propriétés  dans  la  Grèce  continentale. 

On  a  tracé ,  pour  la  nouvelle  ville  de  Thèbes ,  un  plan 
fort  régulier  sur  la  Cadméa,  mais  il  n'y  a  encore  de  maisons 
construites  que  dans  la  grande  rue  qui  traverse  la  Cadméà 
dans  sa  longueur  et  dans  quelques  rues  transversales.  Il  y 
a  cinq  ou  six  bonnes  maisons  au  milieu  de  beaucoup  de 
ruines  de  maisons  et  d'églises ,  et  le  reste  se  compose  ; 
comme  un  bon  gros  village,  de  modestes  habitations  d'agri- 
culteurs. Il  existait  à  Thèbes  Un  grand  nombre  d'églises. 
Quelques-unes  avaient  été  ruinées  avant  la  révolution^ 
telles  étaient  :  Saint-Nicolas,  Sainte-Catherine,  Saint-An- 
dré ,  Saint-Élie  ,  le  Catholicon  ,  Sainte-Paraskevi ,  Saint- 
Jean,  la  Sainte-Charité,  Saint-Étienne,  la  Présentation-de- 
Ja-Vierge-au-Temple  ,  le  Sauveur  et  Saint-Démétrius.  Le 
Catholicon  fut  détruit  par  un  incendie  fortuit,  en  1780. 
D'autres  existaient  encore  au  moment  de  la  révolution  et 
sont  en  ruines  aujourd'hui.  Telles  «mt  :  la  grande  Notre- 


319  GBÈCB   CONTINENTALE   ET   HOREB. 

Dame,  Saint-Nicolas,  Saint-Georges,  Saint-Athanase , 
Saint-Basile,  la  Naissance -de-la- Vierge.  Deux  existent  en- 
core :  Notre-Dame-des-Loges  et  Saint-Démétrius,  qui  a  été 
restaurée. 

£n  parcourant  la  colline  assez  peu  considérable  de  Tan- 
tique  Gadméa ,  on  retrouve  quelques  traces  des  sept  portes 
et  aussi,  presque  au  bas  et  près  de  Téglise  de  Saint-Geor- 
ges ,  les  restes  du  mur  franc  et  les  ruines  d*une  des  tours 
carrées  destinées  à  la  défense  de  Tenceinte.  On  reconnaît 
évidemment  que  Téglise  de  Saint-Georges,  dont  les  ruines 
sont  amoncelées  en  cet  endroit ,  a  été  bâtie  sur  remplace- 
ment et  avec  les  débris  d*un  ancien  temple.  En  remuant 
les  débris  de  marbre  accumulés  dans  les  ruines,  je  remar- 
quai un  bas-relief  représentant  le  Christ  bénissant  avec 
ces  lettres  latines  H-H-P  (peut-être  Hiesus  hominum  pater?); 
et  une  autre  plaque  de  marbre  de  quatre  pieds  carrés , 
portant  d*un  côté  une  inscription  grecque  antique ,  et  de 
l'autre  uu  de  ces  bas-reliefs  qu'on  rencontre  si  souvent 
dans  les  villes  antiques  de  TAsie-Mineure,  représentant  un 
grand  aigle  saisissant  une  colombe  entre  ses  serres  et  l'op- 
primant Il  y  a  dans  la  forme  de  ce  bas-relief  une  exécu- 
tion toute  symbolique  et  de  convention  qui  me  parait  prou- 
ver que  ces  plaques  étaient  autant  d'emblèmes  exécutés 
par  des  corporations  religieuses ,  et  destinés  à  une  place 
fixe.  I^  main  de  l'artiste  attesterait  une  exécution  du 
moyen  âge ,  si  on  n'en  trouvait  beaucoup  de  semblables 
dans  les  ruines  antiques  des  grandes  villes  de  Lycie.  Plu- 
sieurs écussons  fleurdelisés  subsistent  encore  au  milieu  de 
ces  ruines.  Les  ruines  du  Gatholicon  ou  cathédrale,  qui 
était  à  peu  près  au  milieu  de  l'enceinte  de  la  Gadméa,  mais 
un  peu  plus  rapprochée  du  côté  du  midi,  sont  encore  plus 
bouleversées.  J'y  remarquai  cependant  de  nombreuses  tra- 
ces d'un  pavé  en  mosaïque  de  marbre  et  quelques  fragments 
de  diverses  croix  sculptées  parmi  les  décombres. 

L'eau  était  autrefois  apportée  des  montagnes  voisines 
daps  la  ville  par  un  aqueduc  dont  on  peut  suivre  les  tr^- 


THÈBES.  213 

ces.  Elle  n*est  fournie  aujourd'hui  que  par  deux  fontaines  : 
Tune  est  située  un  peu  plus  bas  que  le  Catholicon,  en  des* 
cendant  la  Gadméa  du  côté  de  Test ,  et  au-dessus  du 
cippe  d*où  Teau  coule  on  a  placé  un  ancien  écusSon  qui 
porte  les  quatre  fleurs  de  lis  dans  les  quatre  cantons  de  la 
croix  ;  l'autre  est  non  loin  des  ruines  de  la  tour  carrée  des 
murs  francs. 


X. 

LAC   GOPAÏS.   —  K.ARDITZA,  —  tlYADIA. 

J*avais  une  immense  journée  à  faire.  Je  voulais  voir  les 
ruines  de  l'antique  Akrephia ,  quelques  restes  francs  au* 
tour  du  lac  Gopaîs ,  aller  rejoindre  la  route  de  Thèbes  à 
Livadia  et  coucher  le  même  soir  à  Livadia ,  ce  qui  me  fai* 
sait  vingt-cinq  bonnes  lieues  de  poste  au  moins.  Il  me  fal- 
lait donc  me  mettre  en  route  de  bonne  heure ,  muni  des 
gendarmes  et  guides  nécessaires  pour  ne  pas  perdre  un  in- 
stant. 

£n  sortant  de  Thèbes,  je  passai  d'abord  près  d'une 
carrière  d'écume  de  mer  qui  n'est  plus  en  exploitation. 
Ten  ai  pris  quelques  échantillons,   et  les  connaisseurs 
m'ont  assuré  que  la  qualité  en  est  fort  bonne  et  qu  on 
pourrait  en  tirer  bon  parti.  La  route  traverse  d'abord  une 
plaine  assez  mal  cultivée  et  quelques  prairies  du  côté  du 
Kanavari  et  de  l'Ismène  sans  eau.  En  arrivant  près  du  lac 
likeri,  le  pays  change  d'aspect  :  ce  ne  sont  plus  que  ro- 
chers et  montagnes  les  plus  âpres.  A  mesure  que  la  route 
devenait  plus  mauvaise ,  la  vue  devenait  plus  grandiose. 
La  scala  de  Papadia,  qui  descend  vers  le  lac,  est  réputée 
diflBcile ,  même  en  Grèce.  Le  lac  Likeri ,  dont  le  bassin 
entrecoupé  de  rochers  se  divise  en  apparence  en  plusieurs 
Ides ,  est  encaissé  de  toutes  parts  entre  des  rochers  dé- 


in  GRÈCE   CONTINENTALE   ET    MOREE. 

pourvus  de  tonte  végétation  et  pfesqnè  blancs,  qui  descen- 
dent d'une  manière  abrupte  jusqu'aux  bords  du  lac.  ÎA 
route,  gui  débouche  ters  la  partie  là  ptus  large  du  premier 
lac,  suit  continuellement  ses  coiftdurâ  eh  le  tournant  ver^ 
le  dernier  quart  de  soh  étendue.  Cette  rotite  de  rochers  e^ 
des  plus  glissantes  et  des  plus  dfffldles,  et  cependant  sur 
ces  rochers  unis  on  distingue  très- clairement  les  Ornières 
des  chars  et  les  traces  du  passage  fréquent  des  hommes  et 
des  chevaux  ;  ce  qui  annonce  incontestablement  une  grande 
route  antique.  En  arrivant  au  point  de  séparation  presque 
entière  formé  par  les  rochers  entre  les  deux  parties  du 
lac,  une  assez  joli^  vallée  se  présente  tout  à  coup;  elle 
s'étend  en  peùte  presqdè  jusqii'âilt  botds  du  lac.  Là ,  au 
milieu  de  la  complète  solitude  de  cette  retraite  sau- 
vage ,  j'aperçus  des  tentes  dé  bergers  vlaques  réunies  sur 
le  flanc  de  la  colline.  Plusieurs  ceiitàifiés  dé  chetaux  et 
un  nombreux  troupeau  de  brebis  paissaient  dispersés  sur 
les  gazons  envirdnnants,  tandis  que  des  chiens  féroces  veil- 
laient attentifs  à  là  garde  de  ces  tetites  dé  chaume. 

J 'envoyai  iiio&gendarbe  eii  avant  ducdté  des  tentés,  pour 
que  les  bergers  cotitinssent  leurs  fiers  molosses  et  je  m'at^ 
vançaî  pour  visiter  leur  campement.  Les  hommes  et  femmeë 
étaient  occupés  à  divers  travaux  eu  dehors  de  chaque 
tente.  Ici  oh  étendait  les  laities  sur  le  gazon  ;  plus  loin  des 
métiers  de  forme  tt-ès- simple  étaient  fichés  en  terre ,  et  les 
femhies  tissaient  dhe  grosse  tollé  de  coton  ;  dans  un  auti-e 
endroit  un  grand  feu  faisait  bouillir  Une  large  chaudière 
èontenanf  la  teinture  des  cotons  et  destines  ;  car  les  Vla- 
ques  se  sufiisènt  â  eux-mêmes  pour  t6ut,  habitation ,  vê- 
tedient ,  aliment  î  les  bruyères  et  lès  arbustes  leur  fodr- 
iilssetit  de  quoi  construire  leurs  tètites  dans  tin  eiidroit  bien 
abrité  cohtre  les  vents ^  leurs  moutons  donnent  fa  hine 
dont  ils  font  leurs  habits,  les  plantes  des  montagnes  la 
èouleur  dont  ils  les  teignent ,  les  plaines  voisines  du  co- 
ton pour  les  vêtetnerits  de  leurs  femmes;  et  leur  hourriture 
se  compose  dti  lait  de  leurs  brebis,  flodt  ils  fbnt  un  excel- 


leut  fromage ,  et  d*un  de  leurs  agneaux  au  grand  jour  de  la 
Pâque.  Lorsqu'au  mois  de  mai  la  chaleur  devient  trop 
forte  dans  ces  campeine,nts ,  il^  partent  pour  retourner 
aux  monts  d*i^grapba  et  de  '^l^^ssalie.  Quand  le  frpid  de- 
j'ient  vif  daijs  leurs  pjonti^g^jçs,  ils  revi.enpnt  ^  ces  cam- 
pemiei^ts  pij33  chauds ,  po^,r  les(||je|s  ils  q'qi;^  i  payer  qu'ui^ 
jifroit  Iprt  niodique  ;  car,  d^aff^  Tétat  peu  ^vanc^  de  Tagri- 
iwjture ,  ce  pe  sont  p^s  l,es  ^erre^ ,  mais  le3  br^ s  qui  sq 
f^^enh  jLes  b.Qmmes  \laques  sont  robustes  et  agiles  ;  les 
fequrnes  sont  gjcandes  ,et  fortes,  t^nr  tête  esit  recouverte 
d'une  esp.èc(ç  c^e  tjjrbaji.  Tout  ce  spectacle  de  costume^ 
Iput  asiatiques  »  ce;$  Itefities  et  ces  campements  au  milieii 
d'une  vallée  solitaire,  spr  le  bord  d'un  li^P»  ^}f  pied  des 
fflfiffî^jo^e»  (^i  l'enceigifAQt  die  toutçs  paft;^,  j^taiénit  d'un 
i?ff^  vraÎQ^epit  étrange  pour  m.oj. 

Npiis  ^eprîiîJfiS  sur  J^es  bords  dn  lac  l^s  rochers  nus  et 
j^iss^iî)l$  sj^r  Jesqnels  sont  conservées  les  traççs  djc  la  roule 
^tique  ^t  nous  ^rivàme^s  à  l'extrémité  du  lac ,  que  nous 
doublâmes  dans  ses  replis.  Là  on  a  à  remonter  nne  efFrova- 
ble  cbajijtssé^e  turque  au-dessus  du  3engena  et  dans  la  di- 
rection de  Hpuogara.  Nous  arrivâmes  enfin  sur  un  plateau 
très-éievé  d'çii  oii  a  ujie  fort  belle  vue  du  lac  et  des  mon- 
tagnes. De  Jà  on  cQmijaepce  ^  descendre  par  des  sentiers 
plus  faciles  et  pli;is  ombragés  dans  la  direction  du  nord ,  et 
Qn  aperçpit  une  vaste  plaine  fort  bien  cultivée ,  à  l'exlré- 
Wité  de  ^quelle  se  présente  la  gorge  de  Perdiko  Vrysi ,  la 
Cofll^inç  des  perdrix.  Un  torrent  coule  dans  les  bas-fonds  et 
k  rçute  est  tracée  à  mi-côte  au-dessus  de  son  lit,  au  milieu 
des  ombrages. 

Après  jiAie  heure  de  marche  dans  cette  grotte  pittores- 
qjfte ,  j^j'apparyt  le  village  de  Karditza ,  objet  de  mes  re- 
clief ches.  il  est  jeté  négligemment  à  mi-côte ,  sur,  l'autre 
rive  du  torrent ,  dans  un  assez  gracieux  entourage  de  prai- 
ries et  de  forêts.  Cette  situation  me  rappela ,  comme 
plusiieurs  autres  parties  de  la  Grèce ,  quelques-uns  de 
^m  jolis  paysages  des  Pyrénées.  Calme  parfait,  végéta- 


916  GRECE  CONTINENTALE  ET  MOREE. 

tiou  active,  chaleur  de  l'atmosphère,  fraîcheur  des  bos- 
quets, tout  y  était. 

Gomme  les  heures  de  ma  journée  étaient  strictement 
comptées,  j'envoyai  d'avance  mon  gendarme,  qui  s'em- 
para sans  hésitation  de  la  meilleure  maison  du  village,  mit 
tous  les  habitants  à  la  porte  et  se  contenta  de  garder  ceux 
qui  lui  étaient  nécessaires  pour  le  nettoyage  préliminaire 
et  le  service.  A  mon  arrivée  je  trouvai  donc  les  chambres 
propres ,  les  tapis  et  coussins  étendus  et  le  feu  allumé  pour 
les  préparatifs  du  repas.  Ce  sont  là  des  usages  un  peu  ar- 
bitraires transmis  par  les  maîtres  turcs  et  non  oubliés  en- 
core. Pendant  que  le  cuisinier  vaquait  à  ses  fonctions ,  je 
sortis  pour  bien  examiner  les  lieux. 

A  environ  un  quart  d'heure  du  village ,  du  côté  opposé 
du  ravin  et  sur  une  pente  un  peu  plus  haute,  s'élève 
l'église  de  Saint-Georges  de  Karditza.  Elle  est  bâtie  sur 
l'emplacement  d'un  temple  antique  qui  appartenait  à  la 
ville  hellénique  d'Akrephia ,  dont  les  ruines  couvrent  la 
mjntagne.  Toute  l'enceinte  du  temple  en  vastes  pierres  est 
parfaitement  conservée  et  forme  comme  un  mur  de  clôture 
autour  de  l'église  et  de  son  cimetière.  Ces  murailles  ont 
encore  au  moins  quinze  pieds  de  hauteur,  et  on  y  recon- 
naît la  construction  belle  et  simple  des  Hellènes.  De  lon- 
gues inscriptions  grecques  sont  placées  en  tout  sens  dans 
toutes  les  parties  des  murs  plus  récents  de  l'église ,  tantôt 
fort  ostensiblement  sur  les  chambranles  des  portes ,  tantôt 
plus  modestement  dans  les  coins ,  et  tantôt  même  cachées 
sous  l'herbe  et  faisant  partie  des  premières  assises  du  mur 
de  fondation  de  l'église. 

A  l'intérieur,  je  remarquai  sur  le  parvis  des  pierres  fu- 
néraires de  toutes  les  époques  avec  inscriptions  grecques 
antiques ,  avec  formules  sépulcrales  de  l'époque  romaine , 
avec  croix  et  armoiries  de  l'époque  franque.  Le  pavé  de  la 
solea  est  en  losanges  de  marbre  noir  et  blanc  de  deux 
pouces  de  longueur.  A  droite  du  chœur  se  trouve  une  pe- 
tite chapelle ,  et  sur  la  frise  je  lus  l'inscription  suivante  ; 


KABDITZA.  317 

non  gravée,  mais  peinte  en  grec  francisé  et  avec  rortho» 
graphe  la  pins  barbare ,  c'est-à-dire  la  plus  franque  : 

ANHrEPOH  0  eriûi:  ke  nNSEn- 

T02  NA02  TOT  IHOT  MEFAAOMT 

TEûprior  AHA  siNEPriAi:  ke 
noeoT  noAAor  ror  OEûSEBEiTATor 

KABAAAPI   MI2EP    ANTONI 

TE    4>AAMA 

OAE  ÏEA02  HAIOEN  HOAÛN  MAPTYPÛN 

OAE  ÏEAOi:  ErPEN  HUTOPHA  ATTA 

HAPA    rEPMANOY    lE- 

POMONAXOY    KE    KAOErOTMENOr 

KAI  NIKOAEMOr  lEPOMONAXOY 

TON  AYTAAEA<>ON  TOY- 

2    ANAKENE2ANTA2    TON 

HKON  TOYTON. 

^  ETI.  ç«e.  ^  • 

On,  en  rectifiant  seulement  l'orthographe  sans  riea 
changer  au  texte  de  cette  curieuse  inscription  gallo-* 
grecque  : 


'AvriYepÔT)  6  6etoç  xa\  îtavffsicroç  vaiç  toîî  uirspaytou  jxÊYaXo- 
[xapTupoç  FfiopYiou,  $ii  auvep^eCaç  xa\  TtoOou  izoKkoZ  toîî  ôeo- 
ffe^EirraTOU  xaêaXapt  (XKjJp  'AvTtovt  Bï  4>Xa|xa.  \lBe.  tsXoç 
ctXTicps  Tto^Sv  (jLotpTupwv  ,  ôSs  TsXoç  gôpsv  t(JT0p(a  aSTY)  Trapà 
Pep^iiavou  tepo[JLOva;^ou  xai  xaÔ7)YOU(ji6vou  xa\  Nixo$75|jlou  îepo- 
{lovo^ou  Twv  auxaSfiXîpwv  toÎ^ç  (sic)  àvaxaivtdavTa;  (sic)  rov 
o&cov  TouTOv.  —  "Exei  çw£3r  (6819  ou  1311  de  J.-C). 

Ce  qui  veut  dire  :  «  Ce  divin  et  respectable  temple  du 
très-saint  et  très-grand  martyr  saint  Georges  a  été  élevé 
par  la  coopération  et  le  grand  zèle  de  rillustre  chevalier 
messire  Antoine  de  Flamme  ;  ainsi  s'est  terminée  la  pein- 
ture de  tant  de  martyrs  par  les  soins  de  Germanos,  moine 
et  abbéy  et  de  Nicodème  moine,  tous  deux  frères,  qui  ont 

19 


118  GRÈCE  CONTINIRTALB   ET  MOREE. 

restauré  ce  temple  en  Fan  6819  de  la  création  du  monde 

(1311  de  J. -G.)-  • 

Ainsi  sont  réparties  par  tout  le  pays  les  traces  de  la  do- 
mination féodale  des  Occidenlaux  :  ici  des  tours  de  dé- 
fense, là  des  églises  en  ruines,  partout  des  armoiries  et 
des  inscriptions  sur  les  murs  extérieurs  et  intérieurs  des 
monuments  publics.  Ce  sont  ces  éléments  épars  que  j'ai 
Toolu  réunir  en  un  ensemble  assez  imposant  pour  servir 
de  point  d'appui  aux  documents  que  me  présentaient  les 
chroniques  et  les  archives. 

Un  peu  au-dessus  de  TégUse  gallo-grecque  de  Kdrditza 
commencent  les  ruines  de  Tantique  Akrephium,  qui  cou- 
ronnait le  sommet  de  la  montagne.  Toute  l'enceinte  de  la 
ville  est  fort  bien  conservée ,  et  les  murailles ,  composées 
de  grandes  pierres  quadrilatères ,  s'élèvent  souvent  à  douze 
et  quinze  pietls.  Des  portes  longues,  où  veillaient  sans  doute 
des  sentinelles,  sont  dispersées  d'intervalle  à  autre.  Çà  et  là, 
in  milieu  de  cette  enceinte  de  mors  de  fortifications ,  sur- 
gissent des  ruines  considérables  de  maisons.  Les  rues  et 
l'emplacement  de  chaque  maison  sont  fort  bien  indiqués  ; 
caf  les  maisons  particulières  étaient ,  comme  les  édifices 
publics,  construits  de  grosses  pierres  carrées.  Pour  les  ap* 
porter  dans  de  tels  lieux  et  à  une  telle  hauteur,  il  fallait  me 
dépense  considérable  de  force  humaine  en  même  temps 
qu'une  puissance  mécanique  déjà  fort  avancée.  On  est 
souvent  étonné  en  traversant  ces  pays  où  un  rocher  nu 
se  refuse  à  toute  culture  d'y  retrouver  de  si  beaux  restes 
de  monuments  publics  ;  c'est  que 

Prtvaius  illis  eenstts  erat  brevis 
Commune  magnum. 

Les  villes  modernes  d'Italie,  Rome»  Florence ,  Boio^ 
gne.  Gênes,  Venise,  pourraient  seules,  comme  les  vlHes 
anciennes,  offrir,  après  des  siècles,  des  ruines  capables 
d'user  la  dent  injurieuse  du  temps;  mais  des  deux  plos 
grandes  villes  de  l'Occident  >  Paris  et  Londres  $  que  resie- 


LAC  GOPAIS.  219 

rait'il  après  plusieurs  siècles  si  un  tremblement  de  terre 
venait  k  les  renverser  aujourd'hui  ?  quelques  ruines  d'é- 
glises, car  le  vent  aurait  bientôt  emporté  en  poussière  les 
fragiles  matériaux  de  nos  maisons  et  de  nos  hôtels. 

A  mon  retour  au  village  je  trouvai  tout  disposé  pour  le 
repas.  Une  petite  table  roQde  d'un  pied  de  hauteur  sup- 
portait le  dîner,  et  les  tapis  et  coussins  étaient  distribués 
par  terre  alentour.  Les  Orientaux  s'accommodent  fort 
bien  de  cette  manière  de  s'asseoir  les  jambes  croisées  ;  mais 
c'est  une  Téritable  fatigue  pour  les  peuples  de  l'Occident 
habitués  à  se  poser  sur  une  chaise ,  comme  une  statue  de 
roi  égyptien ,  de  manière  que  la  position  de  leur  corps 
fasse  trois  angles  droits  avec  le  parquet.  Les  gens  de  la 
maison  dd)ont  ï  la  porte  attendaient  nos  ordres  avec  un 
sentiment  d'hospitalité  délicate  plutôt  que  de  soumission. 
Pendant  qu'on  achevait  de  dîner  je  partis  avec  un  guide 
pour  visiter  quelques  autres  restes  francs  sur  les  bords  du 
lacGopais. 

Nous  laissâmes  à  notre  droite  Kokkino  et  la  montagne 
où  sont  les  ruines  du  temple  d'Apollon  Ptoiis,  passâmes 
entre  les  deux  crêtes  de  la  montagne  et  descendîmes  parla 
pente  qui ,  à  travers  les  bois ,  mène  au  lac  Gopals.  La  cha« 
kar  était  extrême ,  mais  l'envie  de  voir  me  soutenait.  Je 
snivais  k  route  qui  conduit  â  Martini,  où  les  femmes  por- 
tent de  si  jolis  costumes  :  robe,  petites  guêtres  rouges, 
jimbe  nne  et  fine,  tunique  blanche  fort  courte,  tchoubé 
plus  oenrt  attaché  avec  une  large  ceinture,  corset  et  man- 
ches courtes  ornées  de  nombreux  rangs  de  becs  de  perdrix , 
kras  nns  et  ornés  de  bracelets  de  corail ,  bonnet  composé 
de  plusieurs  rangs  de  monnaies  avec  deux  brides  de  métal 
qui  encadrent  la  t^e ,  et  une  immense  chevelure  qui  re« 
Ittnbe  presque  à  terre  en  se  terminant  par  deux  énormes 
Sbads  de  soie;  tout  cela  compose  un  des  plus  gracieux 
Mtomes  que  j'aie  vus  en  Grèce. 

Après  plus  d'une  grande  heure  et  demie  de  marche ,  je 
BB'anitai  sur  un  tertre  bmsé  qui  domine  un  fort  beau  ravin 


t20  GB£GE   CONTINENTALE   ET  HOREE. 

dans  le  fond  duquel  coule  entre  .des  ombrages  un  torrent 
qui  Ta  se  jeter  dans  le  lac  Gopaïs.  J'avais  devant  moi ,  sur 
le  côté  du  lac,  un  château  franc,  entouré  de  larges  fossés 
remplis  d'eau  ;  près  de  la  rive  et  très-près  de  là  Tile  de  Gla 
tvec  un  autre  diâteau  franc;  en  face  de  moi 5  de  l'autre 
côté  du  lac,  était  Topolias,  et  plus  à  Touest  Orchomène 
avec  son  château  hellénique  réparé  par  les  Francs ,  et  les 
marais  situés  entre  le  Géphise  et  l'Hercyne,  où  se  livra,  en 
1310 ,  entre  les  Catalans  et  les  Français  commandés  par 
Gautier  de  firienne ,  duc  d'Athènes ,  la  grande  bataille  qui 
décida  de  la  possession  de  l'Âttique.  La  vue  était  fort  belle 
et  la  sérénité  du  temps  ajoutait  encore  à  sa  beauté.  Des 
armées  innombrables  de  grenouilles  r^ent  sans  contrôle 
sur  ces  marais  de  plusieurs  lieues,  et  forment  un  concert 
de  jour  et  de  nuit  qui  se  fait  entendre  à  plus  de  deux  lieues 
au  delà. 

Je  vins  reprendre  mes  montures  à  Kardiiza,  et,  un  peu 
fatigué  de  cette  longue  course  en  plein  sdeil,  je  descendis, 
pour  rejoindre  la  route  de  Thèbes  à  Ldvadia,  un  sentier  que 
trace  le  torrent  qui  de  Karditza  va  se  jeter  dans  le  lac  Go- 
païs ,  si  célèbre  par  ses  excellentes  anguilles.  Souvent , 
pour  éviter  les  rochers  trop  pointus  du  rivage ,  il  me  fallut 
traverser  les  eaux  du  lac,  qui ,  là  où  il  ne  pose  pas  sur  nu 
fond  antédiluvien  de  boue,  cache  sous  ses  eaux  épaisses  un 
fond  de  tout  petits  fragments  du  roc  qui  en  rendent  le 
passage  fort  difficile ,  surtout  dans  l'endrdt  où  ses  eaux 
vont  se  perdre  dans  les  abîmes  connus  sous  le  nom  de 
Gatavothra ,  près  desquels  il  se  continue  une  route.  A  ces 
routes  de  rochers  «succédèrent  bientôt  des  routes  de  vrai 
marais,  à  mesure  que  nous  approchions  des  plaines  de  la 
Béotie.  Tous  les  champs-là  sont  de  véritables  vaithas  ou 
marécages  dans  lesquels  nos  chevaux  enfoncèrent  fort 
profondément^  si  profondément  que  j'étais  étonné  qu'ils 
trouvassent  enfin  un  point  d'arrêt  Tous  les  terrains  à  l'est 
du  lac  Gopaïs ,  les  champs  de  l'Haliarte  au  midi  et  ceux 
de  Skripou  à  l'ouest  ne  sont  que  marécages.  La  route  de 


LXQ  GOPAIS.  291 

Skripou  était  toutefois  celle  que  suivaient  autrefois  les  grau* 
des  années  de  conquête.  Boniface  de  Mootterrat  arriva  de 
Bodonitza  à  Tlièbes  en  1205,  en  suivant  la  vallée  de  Dadi 
et  en  prenant  au-dessous  de  Drakhmani  la  route  de  Ta* 
Icotê  à  Thèbes.  Les  Catalans  prirent  plus  tard  la  même 
route,  sans  doute  pour  éviter  le  château-fort  de  Livadia 
qu'ils  laissèrent  à  leur  droite.  Il  leur  fut  facile,  en  s*avan«- 
çant  sur  les  bords  du  lac,  d'opérer  contre  les^ manœuvres 
de  la  cavalerie  française  les  saignées  mentionnées  par  les 
chroniqueurs  byzantins;  car,  dans  cette  saison  de  Tannée, 
toute  la  plaine  de  Skripou,  qui  a  Tair  d'un  tapis  de  verdure, 
recèle  sous  cette  apparence  trompeuse  des  fonds  maréca- 
geux, impraticables  à  la  grosse  cavalerie  de  nos  chevaliers 
bardés  de  fer.    . 

Après  mille  tours  et  détours  forcés  entre  les  rochers 
pointus,  où  mon  cheval,  trébuchant  à  chaque  pas,  me 
faisait  souvent  entrer  dans  le  lac  plus  avant  qu'il  ne  m*était 
nécessaire  pour  l'observer,  et  les  marais  de  Yariko,  où  j'é- 
tais menacé  à  chaque  pas  de  voir  ma  monture,  prise  dans 
un  fond  par  trop  doux,  s'enfoncer  et  rester  immobile  avec 
moi  ainsi  qu'une  statue  équestre,  absolument  comme  Mi- 
céphore  Grégoras  le  raconte  des  chevaliers  nos  ancêtres  lors 
de  leur  bataille  contre  les  Catalans,  il  me  fut  fort  agréable, 
je  l'avoue ,  de  sentir  mon  cheval  poser  les  pieds  avec  plus 
de  fermeté  et  d'assurance  sur  le  terre-plein  de  la  Béotie. 
La  vue  avait  changé.  Elle  n'était  plus  étroite  et  resserrée; 
mais  de  hautes  montagnes  bornaient  encore  l'horizon  dans 
le  lointain.  Cette  chaîne  de  montagnes  encore  couvertes 
de  neiges,  c'était  l'Hélicon  ;  ce  fleuve  qui  en  sortait,  c'était 
le  Permesse;  et,  dans  le  fond  du  tableau,  au  pied  de 
l'Hélicon,  il  me  semblait  voir,  je  voyais  par  la  pensée ,  les 
fontaines  poétiques  d'Aganippe  et  d'Hippocrène. 

]^  route  de  Thèbes  à  Livadia  sur  laquelle  j'étais  parvenu 
est  presque  tout  entière  carrossable  dans  les  beaux  temps; 
mais  dans  la  courte  saison  des  pluies  ces  terres  grasses  n'ont 
aucune  consistance,  et  les  roues  d'une  voiture  s'y  enfon* 

19. 


§91  GRECE   CONTINENTAU   SX   MORSE. 

eonieiit  de  naalère  h  n'en  ponfoir  pas  akément  sorlîr.  A 
moitié  ckem ia  /  «ne  edbne  se  détiche  de  la  ekatse  éee 
moRtagnes  et  se  porte  graeieusement  en  af  aot  jmqn^avx 
beeds  de  k  route,  préseRlaot  les  raines  asses  vastes  et  ffn« 
peaaRics  d^vn  viens  cMceao  frase  qui  readait  aotrefoi»  ee 
passage  assess  redoolaMeet  qui  l'embettit  asfmirdlittî,  sor- 
tent quand  ses  vieux  mors  se  détachent,  eomine  ils  in*ap* 
parurent,  au  mifieu  des  feux  resplendissants  du  eoschant^ 

La  toute  qne  j'avais  à  faire  était  encoi*e  longue,  nsds 
facile  ;  la  nuit  était  survenue ,  et  les  armées  de  grenouilles 
du  Gopafe  annonçaient  seules  piu*  leut  murmure  assourdis- 
sant la  vie  autour  de  nous.  Il  était  près  de  minuit  quand 
j*èntrai  ii  Livadia.  Jignorais  dene  complètement  In  ferme 
du  nouveau  pays  dans  lequel  j'étais  arrivé. 

An  lever  du  soleil  je  m^éveitlii  au  bruit  des  easeadcs 
de  l'Hereyne,  qui  roulait  précipitaflMneet  sous  mes  feaêtres 
au  milien  de  ses  roelMrs.  «le  sortis  et  me  trouvai  en  pré- 
sente d'une  nature  sauvage  et  belle  qui  me  vappelait  la 
Smsse ,  ou  phMât  l'approdie  ée  l'Beàknithal  eMm  Fri- 
houig  en  firisgau  et  Oonanescbingen.  Demc  lignes  4»  ru» 
chers  âpres  et  élevés  viennent  se  réunir  pour  fermer  de  sa 
oôié  le  passage  de  la  vallée. 

Je  franchis  le  torrent  de  Tiiercyne  en  me  dirigemit  du 
côté  de  la  montagne,  et  après  quelques  miuulce  je  me 
trouvai  devant  L'antre  célèbre  de  Trophonius.  Là  étaient 
autrefois  des  tenaples ,  h  étaient  réunies  peut-être  spKl^ 
quee^unes  des  inerveiiles  de  l'art  grec;  aujourd'init*  tastt. 
porte  les  traces  d'une  récente  dévastation.  Les  deux  fan^ 
taines  de  Mnémosyne  et  de  Léthé  ou  de  la  Mémoire  et  de 
rOiibK  se  confondent  en  une  eau  dormante ,  enfermée 
dans  un  étroit  bassin  de  pierres  maçonnées.  Un  riche  An- 
glais, en  faisant  faire  sialadroitement  dlrrespfctuenses 
excavations,  a,  dit-on  dans  le  paye,  fait  perdre  ces  sources, 
qui  ont  pris  maintenant  une  antre  voie  et  se  dérobent  aux 
regards  continuent  désormais  leur  cours  sons  terre.  Au 
lieu  des  statues  qui  décoraient  les  rochera  au  tcnape  de  k 


AHiTRB  BB   TBOPHONIDS.  13S 

mce  de  Pansanias ,  on  n*aperçoit  t^us  que  quelques  niches 
taiUées  çà  et  là ,  et  tout  à  côté  les  trous  par  lesquels  on 
pénétrait  dans  l'antre  de  Trophonius,  Tun  un  peu  plus 
grand  qni  est  obstrué,  l'autre  plus  étroit  et  par  lequel  on 
se  poDf  ait  pénétrer  que  coarbé  el  en  rampant.  C'est  par  là 
que  pénétraient  les  pieds  en  avant  ceux  qui  voulaient  con- 
sulter l'oracle ,  et  qu'après  avoir  été  reçus  par  les  prêtres 
ils  étaient  replacés  aussi  les  pieds  en  avant.  Au  fond  de  la 
grotte  est  une  sorte  de  puits  naturel  peu  profond.  Les  re- 
traites par  oà  passaient  les  prêtres  se  dérobent  encore  à 
l'œil  an  milieu  des  roches.  Quand  les  flancs  de  ces  mon* 
tagnessi  sévères  étaient  revêtus  de  grands  arbres,  quand 
le  torrent  de  l'Hercyne  tombait  en  retentissant  avec  force 
an  milieu  de  cette  solitude  qiii  semble  clore  le  monde , 
quand  on  n'était  entouré  de  tous  côtés  que  de  temples  et 
de  dieux  dont  la  présence,  révélée  par  le  marbre  ou  le 
bronze,  agissait  sur  l'imagination  déjà  préparée,  la  visite  à 
l*antre  de  Trophonius  devait  être  un  moment  important 
dans  la  vie.  Il  y  avait  tant  de  force  dans  ces  souvenirs 
d'émotionet  de  terreur  que,  jusqu'à  la  fln  du  quatrième 
^le,  son  oracle  coniet*va  tout  le  prestige  de  son  autorité. 
Pausanias,  qui  était  allé  le  visiter,  a  raconté  en  détail,  dans 
son  Voyage,  tout  ce  qui  lui  était  arrivé  à  lui-même  au  mo- 
ment oà  il  pénétra  dans  la  grotte  et  où  il  en  sortit. 

Lvvadia,  qui,  à  la  sortie  des  montagnes  de  l'Attique,  de 
rOBta  et  du  Parnasse,  commande  la  plaine  de  Béotie  jus- 
<lM*à  f  HélicoB  et  jusqu'à  l'extrémité  de  la  plaine  de  Thè- 
mes, était  un  point  trop  important  pour  que  les  croisés 
înnçais  le  négligeassent  Dès  les  premiers  temps  de  la  con- 
quête, ils  y  firent  bâth-  une  de  ces  vieilles  forteresses  qui 
«it  résisté  aux  injures  du  temps.  Comme  les  Vénitiens  ont 
M  les  derniers  Francs  établis  dans  le  Péloponnèse  de  1685 
^  1715,  et  que  leur  souvenir  est  par  conséquent  tout  ré- 
<^^nt ,  le  peuple  de  Morée  donne  assez  habituellement  le 
i^^NU  de  château  vénitien  à  des  ruines  de  forteresses  con  • 
stmites  par  les  Français  plus  de  cinq  siècles  avant  l'établiS- 


334      GRÈCE  CONTINENTALE  ET  HOREE. 

sèment  des  Ydoitiens  ea  Morée.  Cette  erreur  est  encore 
plus  manifeste  dans  la  Grèce  continentale,  où  les  Vénitiens 
n*ont  jamais  rien  possédé.  Lamia ,  Patradjak ,  Salooa  ,  Li- 
vadia  n*ont  jamais,  à  aucune  époque,  été  conquises  ni 
possédées  par  les  Vénitiens.  Toutefois  le  peuple  grec,  qui 
de  tous  les  Occidentaux  ne  fait  souvent  qu'un  seul  peuple, 
donne  fréquemment  à  ces  ruines  franqueslenom  de  ruines 
vénitiennes.  J*ai  obtenu  du  moins  que  cette  erreur  ne  fût 
pas  commise  dans  les  cartes  récentes  du  dépôt  de  la  guerre, 
J*a]lai  visiter  ces  ruines  franques  placées  au-^lessus  de  l'an- 
tre  de  Trophonius.  Une  bonne  partie  des  murs  et  deux  des 
tours  se  sont  conservées  en  entier  avec  leur  crénelure  et  font 
un  fort  bel  effet  au-dessus  de  ces  rochers  qui  servaient  de  clô- 
ture à  Tantique  bois  sacré  placé  autour  de  Tantre.  Les  Turcs, 
qui  comprenaient  l'avantage  de  cette  situation ,  ont  profité 
des  anciens  travaux  des  Français,  et,  pour  les  compléter  à 
leur  manière ,  ils  ont  fait  élever  une  mauvaise  petite  tour 
sur  la  partie  la  plus  élevée  du  rocher.  De  là  on  embrasse 
une  fort  belle  vue  du  Parnasse ,  du  Githéron  et  de  l'Héli- 
con.  Le  vieux  château  d'O:  chomène,  qu'on  voit  de  très-près 
sur  la  montagne,  anime  encore  le  pa^'sage.  Des  deux  tours 
franques.  Tune  clôt  le  rocher  sur  la  partie  la  plus  redou- 
table d'un  précipice  au  fond  duquel  bruit  un  tori^nt  dont 
le  cours  tourne  la  montagne  et  suit  une  direction  opposée 
au  cours  de  THercyne ,  l'autre  ferme  l'enceinte  du  côté  de 
la  haute  plaine.  Dans  l'intérieur  de  la  place ,  entre  les  deux 
tours,  sont  les  ruines  d'une  petite  église,  bâtie  probable- 
ment sur  les  ruines  d'un  temple  de  Castor  et  Pollux.  £lle 
*  est  divisée  en  deux  parties  parfaitement  égales,  avec  deux 
autels  égaux,  comme  on  en  trouve  beaucoup  dans  TAtti- 
que.  Le  château  de  Livadia  tient  sa  place  dans  l'histoire 
moderne  comme  dans  l'histoire  du  moyen  âge,  car  dans  la 
dernière  guerre  il  a  offert  un  abri  à  la  population  grecque 
contre  les  attaques  des  Turcs. 

£n  sortant  du  château  franc,  en  dehors  de  la  porte  de 
la  tour  carrée  et  un  peu  plus  bas,  se  trouvent  une  fontaine 


UVADIA.  235 

et  près  de  là,  autour  de  la  fontaine  et  dans  le  champ  voi« 
sin,  les  raines  d'un  temple  antique.  Parmi  les  pierres  dis  « 
séminées  dans  ce  champ  je  remarquai  une  pierre  portant 
une  inscription  grecque  antique,  avec  le  nom  de  la  ville  de 
Lebadea  on  Livadia  actuelle,  et  ceux  d'un  Ménandros  et  d  e 
sa  femme  Parisias,  qui  la  consacrèrent  à  Junon. 

A?ant  les  ravages  de  la  guerre  Livadia  possédait  bon 
nombre  de  maisons  élégantes,  bâties  an  milieu  de  jardins 
biens  entretenus  snr  les  flancs  de  la  colline.  Elle  jouissait 
en  effet  à  cette  époque  d'une  sorte  de  prospérité.  Ali  Pacha 
lui  avait  conféré  de  nombreux  privilèges  et  elle  était  entiè- 
rement habitée  par  des  Grecs  qu'il  protégeait  alors  contre 
les  incessantes  vexations  des  Turcs  ;  mais  au  moment  de  la 
révolution  les  choses  changèrent  de  face.  Les  troupes  tur< 
qnes  étaient  cantonnées  particulièrement  dans  ces  pro- 
mces ,  et  de  tous  les  Grecs  ceux  de  Roumélie  prirent  la 
part  la  (dus  active  à  la  conquête  d'une  liberté  qui  avait  été 
toujours  chère  aux  habitants  de  ces  montagnes.  Les  Turcs 
avaient  alors  pris  position  dans  le  château;  mais  les  Turcs 
réparent  mal  et  leur  garde  est  peu  attentive  :  ils  furent 
surpris  et  le  château  pris  d'assaut.  Les  Grecs  vainqueurs 
avaient  d'abord  épargné  leurs  prisonniers,  mais,  à  i'appro* 
che  d'one  armée  turque ,  la  crainte  les  rendit  féroces  et 
ib  les  égoi^èrent  tous;  mais  ils  ne  purent  néanmoins 
K  maintenir  dans  leur  position ,  une  armée  turque  s'a^ 
vança  et  prit  de  nouveau  possession  de  Livadia.  Tout  fut 
pillé ,  br(Ué ,  saccagé ,  et  les  meilleures  maisons  ne  sont 
plus  aujourdhui  qu'un  monceau  de  décombres.  Il  reste 
enoMre  quelques  maisons  sur  le  flanc  de  la  colline  du  châ- 
teau et  de  celle  qui  lui  fait  face  de  l'autre  côté  de  la  route, 
mais  elles  sont  toutes  en  terre  séchée  au  soleil. 

Une  nouvelle  ville  se  reconstruit  dans  la  vallée  et  sur 
les  rives  de  l'Hercyne,  et  tout  annonce  qu'elle  ne  tardera 
P^^  renaître  avec  une  prospérité  nouvelle  et  plus  durable, 
^situation,  à  l'extrémité  d'une  plaine  féconde,  lui  est 
^inemment  favorable ,  mais  les  capitaux ,  la  bonne  direc* 


1S6  GBÈCE   CONTIHBHTALE   ET   MOREE. 

tion  et  les  bras  maiiqnent.  Dans  cette  vallée ,  où  de  fé- 
conds pâturages  suffiraient  pour  nourrir  tant  de  milliers  de 
grands  bestiaux ,  le  paysan  ne  sait  pu  encore  que  le  fu* 
mier  recueilli  en  niasse  est  un  engrais  utile,  et  que  le  lait 
de  la  vache  peut  être  employé  à  donner  de  bon  lait ,  du 
beurre ,  du  fromage  de  toute  espèce.  Il  n'y  a  ici  aucune 
vacheria  Dans  toutes  les  saisons  les  vaches  errent  nuit  et 
jour»  aussi  bien  que  les  autres  bestiaux,  dans  les  [M'es,  les 
bois  et  les  monugnes. 

Je  me  trouvais  à  Livadia  un  jour  de  marché.  Un  grand 
terrain  en  pente  snr  la  rive  de  FHercyne  était  couvert 
d'une  nombreuse  populatiop,  accourue  de  toutes  les  oioa- 
tagnes  et  vallées  voisines  pour  venhr  y  vendre  des  grains. 
Là  se  trouvaient  les  vigoureux  montagnards  du  Parnasse  et 
les  belles  filles  d'Arachova.  Les  costumes  des  femmes  étaient 
généralement  riches  et  [Htloresques.  Des  boucles  d'oreilles 
larges,  attachées  ensemble  par  une  chatne  légèra  qai  pend 
au*des80us  du  menton  et  flotte  en  forme  de  collier,  on 
une  grande  lame  d^argent  ciselée  qui  passe  sous  le  men* 
ton  et  remonte  le  long  de  la  figure  pour  venir  s'attacher 
dans  les  cheveux,  sont  l'ornement  le  plus  à  la  mode 
parmi  elles.  Je  vis  de  ces  boucles  d'oreilles  et  de  ces  fla- 
ques qui  avaient  une  assez  haute  videur  ;  ce  sont  des  reli* 
ques  de  fiunilles.  U  y  a  aussi  dans  la  ville  un  comm^ice- 
ment  d'industrie.  Le  cours  rapide  de  l'Hercyne  fait  tourner 
de  larges  roues  qui  servent  au  battage  et  au  lavage  des 
laines  du  Parnasse.  Un  peu  de  temps ,  et  surtout  on  pen 
d'activité  dans  le  gouvernement,  et  un  bon  exemple  de  cul- 
ture donné  par  quelques  propriétaires  plus  ridies  améllo- 
renient  rapidement  Tétat  du  pays. 


r  ^f 


CBEBOlin.  %V 


XL 

CHtaOHÊB.  ^  UH  MARUGE  6UG.  ^  UB  MON ASTÉKK 

\ï&  SAINT-LUG. 

J'a?ais  quitté  Li?adia  de  bonne  heure.  Je  suivais  la 
route  d*Orchomëne  à  Gfaéronéê ,  et  j'allais  faire  un  pèleri- 
nage d'abord,  en  l'honneur  dd  moyen  âge,  au  monastère 
de  Saint-Luc,  et  ensuite,  en  l'honneur  de  l'antiquité,  à  la 
fontaine  de  Castalîe  et  à  Delphes,  i^atais  pris  avec  moi  à 
Livadla ,  pour  me  servir  de  guide  et  non  d'escorte  (  car  on 
n'en  a  plus  besoin  maintenant  dans  ces  parages),  un 
chûTopkyiahas  ou  gendarme  grec,  gardon  akrtiS  et  hi- 
teHigent  qui  avait  de  bmne  heure  renoncé  à  h  vie  kteph- 
tique  pour  se  soumettre  à  la  vie  régulière  des  lois.  Le 
corps  des  gendarmes  grecs  4  formé  et  discipliné  par  un 
Français,  le  ccdenel  Graillard,  est  uâ  corps  excelienl,  qui 
a  rendu  sous  lui  beaucoup  de  services  par  son  zèle  et  sa 
bravoiure*  Des  temps  plus  calmes  ajouteront  k  ces  bonnes 
qualités,  que  leur  a  inspirées  leur  fondateur,  le  respect  dés 
droits  de  tous  »  si  difficile,  maià  si  nécestnre  après  tant  de 
désordres. 

Je  cheminais  doucement ,  causant  Avec  mon  jeune  guide 
des  aventures  ote  sa  vie  klephtique ,  et  lui  faisant  chanter 
de  ces  chants  guerriers  dont  la  mémoire  de  tout  pallicare 
«t  abondamment  remplie.  La  matinée  du  dimanche  25 
svril  était  chaude  .et  belle;  j'a^r^  avec  bonheur  œt  air 
ttnhauoié  qui  m'arrivait  des  montagnes  dont  l'horinm  est 
ceint  de  toutes  parts ,  et  mes  regards  se  portaient  avec 
tvidité  sur  cette  plaine  historique  de  Gbéronée ,  resserrée 
P^r  les  dernières  ondulations  du  Parnasse  et  du  Knémis. 
C'est  ici  qu'expira  l'indépendance  de  la  Grèce  sous  les 
coups  du  roi  Philippe  de  Macédoine.  Que  de  révolutions 
im  le  monde  social  depuis  ces  deux  mille  ans  »  sans  qu'ait 


228  GRECE  CONTINENTALE   ET   MOREE. 

changé  en  rien  l'aspect  matériel  du  pays!  Cette  source  où 
vient  s'abreuver  mon  cheval  coule  aussi  paisible  qu'au 
temps  de  Pbocion  et  de  Démosthène  ;  la  cavalerie  macé- 
donienne s*y  est  sans  doute  arrêtée  en  descendant  d'ÉIatée 
et  des  Thermopyles.  Ainsi,  comme  le  dit  Quevedo  en 
parlant  des  ruines  de  Rome  e^  du  cours  permanent  da 
Tibre  : 

Solo  el  Tibre  quedè,  cuya  corriente 
Si  ciudad  la  regè ,  ya  sepultura 
La  Uora  oon  funesto  son  dolieote. 

O  Roma!  en  tu  grandeza,  en  tu  hermosora, 
Haye  lo  que  era  firme,  y  solamenje 
Lo  fugitivo  pennanece  y  dura  ^  ! 

Ces  fleurs  qui  énudllent  les  plaines,  ces  beaux  lis  bleus, 
ces  anémones  à  variées,  sont  les  mêmes  qui  y  fleurissaient 
jadis;  ces  montagnes  qui  me  charment  par  leur  coupe, 
leurs  couleurs  et  leurs  ondulations  si  variées,  sont  les  mê« 
mes  montagnes  que  franchissait  l'armée  envahissante  de 
Philippe,  qui  venait  combattre  et  vaincre  les  guerriers 
d'Athènes ,  de  Gorinthe  et  de  Thèbes ,  dans  les  champs  de 
Chéronée. 

Pendant  que  mes  regards  se  portaient  sur  ces  monta* 
gnes ,  comme  si  j'eusse  dû  en  voir  descendre  encore  une 
fois  les  phalanges  de  Philippe ,  je  vis  tout  à  coup  sur  ma 
droite  un  groupe  mouvant  et  animé  descendre  des  pentes 
inférieures  du  Knémis  vers  la  plaine  de  Kaprena,  l'antique 
Chéronée ,  que  je  traversais  en  ce  moment  Peu  à  peu  ce 
groupe ,  en  se  rapprochant ,  se  dessina,  plus  nettement  à 
mes  yeux;  je  distinguai  une  cinquantaine  d'hommes  à 

*  «  De  toutes  ces  choses  si  renommées,  le  Tibre  reste  seul,  le 
Tibre  dont  les  eaux  arrosaient  Rome  au  moment  de  sa  grandeur, 
et  la  pleurent  par  un  murmure  sourd  et  plaintif  au  moment  où  elle 
gtt  dans  la  tombe.  O  Rome!  de  ta  grandeur,  de  ta  beauté,  tu  as 
perdu  tout  ce  qui  semblait  solide  et  4urable|  et  n'aç  conservé  que 
ce  qui  était  fugitif  I  is^ 


NOCE  GRECQUE.  229 

cheval ,  puis  d'autres  hommes  à  pied  rangés  autour  d*une 
bannière  flottante;  un  nombreux  cortège  de  femmes  ter- 
minait la  marche.  J'envoyai  aussitôt  mon  gendarme  à  leur 
rencontre  pour  s'informer  de  l'objet  d'un  semblable  pèle* 
rinage ,  et  bientôt  il  revint  m'apprendre  que  c'était  une 
noce  «  et  qu'elle  se  dirigeait  de  mon  côté.  Le  cortège  animé 
ne  tarda  pas  en  effet  à  se  déployer  dans  la  prairie;  tous 
s'avançaient  en  chantant ,  et  les  jeunes  filles  au  pied  infati- 
gable suivaient,  en  chantant  aussi ,  les  évolutions  souvent 
folâtres  que  les  cavaliers  faisaient  faire  à  leurs  chevaux. 
Les  hommes  et  les  femmes  étaient  parés  de   leurs  plus 
beaux  habits  de  fête;  en  tête  de  tous  étaient  plusieurs 
papas  ou  prêtres  avec  leurs  longues  barbes  et  leurs  robes 
à  larges  manches.  Les  hommes  du  cortège  étaient  vêtus  de 
jolies  vestes  blanches  à  gros  boutons  blancs  bien  arrondis 
et  bien  pressés ,  de  la  blanche  fustanelle  fortement  serrée 
par  la  zone  ou  ceinture  antique,  et  d'une  longue  toison 
qui  flottait  sur  leurs  épaules.  Des  cheveux  abondants  en- 
touraient leur  cou  vigoureux.  Une  sorte  de  turban  de  cou- 
leur rouge  ou  bleue,  qui  venait  se  rattacher  sous  leur 
menton ,  les  abritait  mal  contre  le  soleil ,  mais  faisait  res- 
sortir à  merveille  leur  figure  brunie ,  leur  épaisse  mousta  < 
che  et  leurs  yeux  ardents  ;  de  belles  guêtres  rouges  on 
bleues,  semblables  aux  knémides  antiques,  recouvraient 
fenrs  jambes  agiles.  Les  femmes,  tontes  fort  jeunes,  por- 
taient des  robes  très-courtes,  bariolées  des  couleurs  les 
plus  vives  ;  leurs  bas  ou  tzourapia  étaient  bariolés  aussi 
cl*une  façon  étrange.  Leur  tête  était  recouverte,  soit  de 
rubans  d'une  couleur  éclatante,  soit  d'une  espèce  de  mitre 
persique ,  composée  de  pièces  d'or  ou  d'argent  de  toute 
date  et  de  tout  pays ,  percées  et  réunies  de  manière  à  se 
resserrer  comme  des  écailles  et  à  former  des  rangs  pressés 
et  réguliers  depuis  le  sommet  de  la  tête  jusqu'à  la  nais- 
sance du  front.  Au  dernier  rang ,  les  monnaies ,  disposées 
à  quelque  distance  l'une  de  l'autre ,  s'agitent  autour  de  la 
lête  et  retentisisent  comme  des  clochettes.  Le  bas  de  la 

20 


t30  GRECE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

figure  est  desnoé  d*ane  inaDière  pittoresque  tantôt  par 
deux  larges  boucles  d*oreiiles  rattachées  eusemble  {Mur  le 
bas  à  l'aide  d'une  cbaîoe  d'or  qui  pend  sous  le  menton  «  à 
la  façon  antique,  et  jert  de  collier ,  tantôt  par  une  grande 
kne  d'argent  ciselée  qui  s'applique  sons  le  menton ,  comme 
la  meatonnière  d'un  casque ,  et  qui  encadre  gracieusemenl 
une  figure  brune  et  animée ,  en  venant  se  rattacher  aux 
tresses  d'une  ncnre  et  abondante  cheTelure. 

Je  m'avançai  au  mllieti  de  cette  joyeuse  troupe  »  et  leor 
demandai  quel  était  l'heureux  palicare  dont  on  allait  câé- 
brer  le  mariage.  Avant  de  répondre,  on  commença  par 
m'offrir  la  communauté  du  vin  de  la  tzitza  ou  tzédra  de 
bms,  gage  d'hospitalité  qu'on  ne  manque  jamais  de  pré* 
senter  et  d'accepter  mutuellement  en  voyage.  Je  pris  une 
ybation  et  leur  offris  ma  tzitsa  à  mon  tour;  puis»  entrés 
ainsi  en  amitié ,  nous  échangeâmes  nos  qoestimis. 

Ils  me  racontèrent  qu'ils  étaient  des  pasteurs  dont  les 
tentes  étaient  placées  à  une  lieue  de  là,  sur  l'un  des  ver- 
sans  méridionaux  du  Knémis ,  et  qu'ils  conduisaient  à  sa 
jfnture  le  berger  que  je  voyais  à  côté  de  son  adeiphopaiè^ 
toê S  qui' portait  leur  bannière.  Le  fiancé  était  un  grand, 
^svelte  et  vigoureux  jeune  homme  de  vingt-deux  à  vingt- 
nrois  ans  ;  sa  physionomie  était  douce ,  mais  sa  démarche 
et  toute  sa  tenue  annonçaient  un  homme  habitué  de  bcmne 
heure  à  compter  sur  lui  seul  pour  se  tirer  d'un  danger  par 
sa  fwce  ou  son  adresse.  Les  pasteurs  grecs  ont  un  air  fier 

^  Àdelphopoiètos,  oa  frère-fait,  espèce  de  frère  d'armes.  L*adel- 
phopoïétie  est ,  comme  Tancienne  fraternité  d'armes ,  on  lien  reli- 
gieax.  Qoand  deux  Jeunes  Grecs  veulent  devenir  frères«faits ,  ils  se 
présentent  à  l'église  devant  le  papas  avec  une  jeune  fiUe  de  éi%  ans, 
oomaae  emblème  de  la  pureté  de  leur  attachement.  Le  prêtée  célèbre 
pour  eux  une  liturgie  particulière ,  et ,  à  la  lecture  de  l'Évangile , 
les  entoure  tous  trois  d'une  éctiarpe  qui  les  unit,  puis  chacun  pro- 
met sur  l'Évangile  d'être  le  bon  frère  de  l'autre.  A  dater  de  ce  jour, 
il  existe  entre  eux  une  Téritable  fraternité.  Quand  l'un  d'eux  se 
marte,  l'autre  a  le  droit  d'embrasser  le  premier  sa  femme»  et,  s'il 
meurt ,  il  doit  être  le  gardien  de  sa  famille.  Je  n'ai  ]«$  entendu  cller 


N6Glâ   GRECQUE.  931 

et  indépendant  qui  platt.  Ainsi  que  les  bergers  des  temps 

homériques ,  iis  portent  ia  lioulettc  recouri>é6  en  forme  à% 

crosse,  ou  tneingaura,  houlette  adoptée  aussi  par  iet 

pafies  et  les  évêqnes  pasteurs  des  peuples ,  et  par  les  noM 

antiques ,  comme  signe  du  commandement  abado  du  hev^ 

gor  sur  le  troupeau.  Cette  houlette  de  bois  d'olirier  sau^ 

¥age  semble  avoir  été  transmise  sans  altération  depuis  ha 

bergers  du  roi  Âdmète,  Apollon  compris ,  jusqu'aux  ber« 

gers  indépendants  d'aujourd'hui.  La  future  qu'aUait  ehem 

oher  mon  berger  du  Knémis  avec  sa  joyeuse  escorte  d9« 

menrait  dans  un  autre  camp  de  bergers ,  le  hameau  éê 

Mérji»  i  une  lieue  et  46mie  de  Ghéroaée  e\  à  une  demir 

lieue  do  village  d'Hagios^Blasis ,  situé  sur  ce  revers  du 

liakonra,  Tantique  Parnasse. 

Je  demandai  h  mes  bergers  Tantprisation  de  me  joindre 
àeoK  et  d'assister  à  la  fôte  du  mariage ,  si  cela  n'était  pas 
contraire  à  leurs  usages,  et  tous  vinrent  me  donner  la 
Inenvenae  en  me  présentant  la  main.  J'entrai  donc  daos 
le  cortège  au  milieu  de  ce  groupe  de  prêtres,  de  palicaree 
et  de  jeunes  filles  qui  dansaient  et  chantaient ,  et  nous  ar* 
rivâme»  près  des  ruines  de  Gbéronée.  Là  je  demandai  la 
permission  à  mes  nouveaux  amis  de  me  détacher  d'eux^ 
pour  quelques  instants  afin  de  faire  quelques  invest%ationt 
d'antiquaire ,  avec  promesse  réciproque  de  nous  rejoindre 
avant  l'entrée  solennelle  dans  le  hameau  de  liera.  Je  m*aiw 
rètai  quelques  instants  pour  voir  ce  qui  restait  de  la  patrie 
de  mon  ancioi  ami  Plutarqoe. 
Les  fragments  du  eélèlm  lion  coloasal ,  élevé  par  M 

d'f%oœple  de  trabfsQq  lûte  à  na  ami  marié  par  soii  fvère-lUt.  Las 
liens  d'hoëfûtaUté  entre  familldfl  «ont  au^si  des  liens  fort  respectés, 
J*ai  rencontré  4aos  Hle  de  Leucstde,  dans  une  (^uvre  famille  ^  im 
Grec  d'Épire  avec  les  oreilles  et  le  nez  coupés  par  les  Turcs.  Le^ 
paysans  leucadiens  me  dirent  qu'il  s'était  réfugié  chez  çux ,  que  sa 
fiimille  avait  été  en  rapports  d'hospitalité  avec  la  leur,  et  que,  s'il 
trouvait  boa  de  passer  sa  vie  parmi  eux ,  rien  ne  lui  manquerait  de 
es  qu'ils  pourr^ent  lui  procurer. 


23â      GRECE  CONTINENTALE  ET  MOREE. 

TbébaÎBS  à  Chéronée  en  comméinoratioD  des  leurs,  gisent 
près  de  la  route ,  et  il  ne  m'a  pas  semblé  qu'il  manquât 
rien  d'essentiel  aux  membres  de  ce  colosse  de  pierre  qu*il 
convient  de  laisser  en  ce  lieu  :  c'est  ainsi  que  le  plus  glo- 
rieux trophée  d'Épaminondas ,  retrouvé  à  Leuctres  par  le 
professeur  Ulrich ,  doit  rester  sur  le  champ  de  bataille  de 
Leuctres.  En  s'avançant  vers  la  colline ,  on  rencontre  de 
tous  côtés,  sous  les  bruyères»  les  ruines  d'un  grand  am- 
phithéâtre et  plusieurs  autres  ruines  antiques.  Dans  le  vil- 
kige  même  de  Kaprena  sont  deux  églises  construites  au 
moyen  âge  sur  l'emplacement  de  deux  temples.  Dans  Tune 
de  ces  églises  je  copiai  une  inscription  grecque.  Le  pavé 
de  cette  petite  église  est  encore  revêtu  de  la  mosaïque  de 
marbre  qui  faisait  partie  de  l'ancien  temple.  L'autre  égUae^ 
située  dans  la  plaine  et  près  de  la  route ,  est  composée  tout 
entière  de  marbres  antiques.  La  fontaine  même  ,  qui  est 
tout  à  fait  à  côté  de  cette  petite  église ,  est  entièrement 
construite  avec  des  fragments  antiques.  Sur  le  bassin  qui 
contient  l'eau  est  grav.ée  une  inscription  que  je  copiai  ;  elle 
mentionne  un  certain  philosophe  platonicien  de  la  famille 
des  Autobules ,  et  un  autre  membre  de  cette  même  famille 
idors  puissante  à  Chéronée  ;  c'est  à  cette  famille  qu'appar- 
traait  un  Sextus  Aurelius  Âutobule,  mentionné  dans  une 
inscription  que  Meletius  a  trouvée  à  Chéronée  et  qui  était 
allié  à  la  famille  de  Plutarque. 

Je  m'arrêtai  peu  de  temps  à  visiter  les  ruines  de  Chéro- 
née; j'étais  impatient  de  rejoindre  mes  amis  les  bergers; 
je  craignais  de  perdre  une  seule  des  scènes  de  ce  drame 
nuptial  où  tout  devait  me  rappeler  les  antiques  usages  qui 
semblent  tous  conservés  ici ,  depuis  la  première  des  céré* 
monies  d'un  mariage  rouméliote  jusqu'à  la  dernière.  Voici 
comment  les  choses  se  passent  dans  cette  fête,  qui  doit 
durer  toute  une  semaine  : 

Un  mariage  est  une  solennité  non-seulement  de  famille, 
mais  de  village  et  presque  de  tribu.  C'est  le  mercredi  soir 
que  commencent  les  cérémonies.  Parmi  les  parentes  ou 


MARIAGE   GREC.  933 

alliées  do  marié ,  on  choisit  trois  jeanes  filles ,  les  plas 
belles  du  village.  Toutes  trois ,  yêtues  de  leurs  robes  de 
fête,  la  plus  jeune  et  la  plus  belle  au  centre  ,  doivent  mar- 
cher de  front  et  en  silence,  leurs  longues  amphores  sur  la 
tête ,  depuis  la  maison  du  marié  jusqu'à  la  fontaine  voisine. 
Arrivées  là ,  elles  jettent  dans  la  fontaine  quelques  pièces 
de  monnaie  en  Thonneur  des  nymphes  de  la  source ,  rem- 
plissent leurs  amphores  et  retournent  dans  le  même  ordre 
et  avec  le  même  silence  rapporter  Teau  à  la  maison.  Une 
seule  parole  prononcée  en  allant  ou  en  venant  serait  de 
mauvais  augure.  Cette  eau  doit  servir  à  pétrir  le  levain 
{prozfftni)  destiné  à  faire  le  pain  des  noces.  La  sœur  du 
futur,  si  elle  n'a  pas  été  mariée,  ou  ,  à  son  défaut,  Il 
jeune  fille  sa  plus  proche  parente ,  est  chargée  de  pétrir 
ce  levain  pendant  que  tous  les  parents  et  parentes  du  jeune 
homme,  rangés  sur  deui  lignes,  chantent  des  chansons 
analogues  à  la  circonstance  ;  après  quoi  on  soupe ,  on 
chante  et  on  danse  jusqu'à  minuit. 
Le  jeudi,  on  va  en  pompe  choisir  dans  le  troupeau  le 
,  bœuf  le  plus  gras  ou  la  vache  la  meilleure ,  et  les  moutons 
destinés  au  repas  de  la  noce  ;  on  garnit  leurs  cornes  et  leur 
tête  de  guirlandes  de  fleurs;  puis,  au  son  de  tous  les  in- 
struments ,  on  les  amène  dans  le  village ,  on  leur  fait  faire 
le  tour  de  la  paroisse  en  accompagnant  leur  marche  de 
chants  et  de  danses,  et  on  vient  les  placer  en  grande  pompe 
dans  l'étable. 

Le  vendredi,  dès  le  matin,  les  parents  non  mariés  du 
futur  partent  du  village ,  portant  sur  l'épaule  une  grosse 
corde  toute  neuve,  tressée  presque  toujours  avec  les  fila- 
ments de  l'aloès;  ils  vont  dans  la  forêt  voisine  ramasser  le 
bois  nécessaire  aux  apprêts  du  repas.  La  corde  neuve  est 
destinée  à  retenir  le  bois  en  faisceau  sur  l'épaule.  Souvent, 
dans  les  familles  riches,  on  se  contente  de  quelques  bran- 
chages ramassés  et  rapportés  au  son  de  la  musique  et  avec 
des  chansons  appropriées  à  la  cérémonie.  Dès  qu'on  est 
de  retour  à  la  maison,  on  dresse  d'accord  la  liste  des  con- 

20. 


S34  GREGE   COKTINBNTilLLE   KT  HOREE. 

vies  et  on  eipôdie  des  iniMttagers  chargés  de  porter  left  ia^ 
Yîlatjons, 

Lo  suMcU.  aa HMuneat  oà  le  soleil  aaooace  midi»  oo  se 
rend  fKtKsessiouielkifiieat  à  Tétable.  Oq  pare  le  bœuf  destiné 
à  h  iiMe,  on  toi  dore  ^  cornes ,  on  les  entoure  de  guk-i 
hndea  de  leurs;  oa  lui  fait  faire  de  nouveau,  ^  bruit  ée 
k  musique,  le  tour  du  vttiage,  et  on  ramène  dai»  la  eear 
de  la  maison  do  marié ,  au  miKen  de  laquée  en  a  pfanté 
aoKderaeBt  un  poteau.  Le  bœuf  est  attaché  k  ce  poteau  par 
une  eorde  toute  neuve,  pendant  que  les  assistants,  hcummes 
et'  femmes ,  se  tiennent  alentour  chantant  la  cbanaon  du 
jour;  puis  un  homnu),  habillé  de  vêtements  tout  Uanos , 
se  présente,  brandit  sqa  \oa%  couteau  et  le  kii  eofeoce 
adroitement  dans  la  nuque,  à  la  jonction  de  la  mo^te  épi-- 
nière,  aussi  prestement  que  le  ferait  le  plus  habile  matador 
des  Gaatilles.  Le  bœuf  tombe  à  Tinstant  au  bruit  den  ert& 
de  joie;  en  no  ctin  d'ceil  le  cou  est  tranché,  b  poiHi  tiH 
levée,  et  le  bœuf  est  dépecé  en  quatre  parties,  qui,  piaoées 
sur  un  linge  blanc,  sont  portées  solennellamQnt  dans  le 
lien  destiné  aux  provisions  de  la  noce.  Le  même  son* ,  on 
danne  un  grand  repas  dans  la  maison  du  futur  à  tcwis  ks 
ittvités,  et  la  nuit  se  passe  e^  chants  et  en  danses. 

Le  dimanche,  après  un  repas  général  du  matin,  on  se 
Repose  à  parthr  en  grande  pompe  pour  conduire  le  futur 
à  9a  feture,  et  ramener  celle-ci  dans  la  demeure  de  son 
époux.  A  la  tête  du  cortège  sont  placés  les  papas  aux  lon«« 
gue» barbes,  montés  sur  âfi  bons  mulets;  derrière  oux 
s^aiancent  à  chef  al  les  archontes  du  village  et  les  grands 
parents,  moins  le  pèi'e  du  marié ,  qui  reste  h  la  maison  et 
délègue  pour  ce  jonprll  ses  fbnctians  au  nounos  ou  corn-» 
père  ;  puis,  après  les  notabilités,  vient  la  masse  des  conviés, 
généralement  vêtus  de  blanc  en  Roomélie,  et  presque  tons 
montés  sur  des  chevaux  ou  des  lues.  £n  dernière  ligne 
s'avance  à  pied  le  futur ,  la  mangoura  de  berger  en  main, 
comme  signe  de  son  noble  état  de  pasteur.  A  ses  côtés 
marchent  aussi  ses  deux  assistants  :  à  sa  dr<ttte,  le  natmos 


NOCE   GRECQUB.  335 

oo  parraia  qui  romphce  soa  père  \  h  sa  gauche ,  1«  fr^o* 
fait  (adelfthapoiàfos) ,  lenàpUssant  Tofiice  du  garçoo  «te 
iHM^ea  dans  ooa  campagnes  ;  il  porta  el  fait  flotter  au-desM^ 
de  la  \ètç  de  son  ami  uoe  bauoière  sur  laquelle  est  t»*od4e 
iwe  vaste  eroii  greeque,  et  qui  est  couverte  de  i^lrlaudo» 
4e  fleiirsi.\a  marebe  est  iermée  par  toutes  les  jeuaes  fiUe» 
Bon  mariées  du  village,  i  pied,  avee  leurs  plus  beauy 
atouvs  et  chantaut  tout  le  loog  du  cbemiu  la  cbauiKMi  dt 
la  oiariée.  L*air,  le  i»ouveme»t  et  les  paroles  de  cette  sim* 
pie  Qt  sraeieuse  ciianson  me  rappelèrent  oos  chauts  popu* 
îaîres  du  Béarn  et  ceux  de  Bre(ague  daus  les  m&vem  ecea* 
sioos;  car  c'est  k  ce  moment  de  la  cérémoeie  uiiptiale  que 
j'avais  reneoutré  mes  paateurs  du  Kntoûs  près  de  Cbé« 
ronée, 

Ati^  rapide  ei^curaioD  d'autiquaire  terminée,  je  me  hUai 
de  Fejoiâdre  tes  pasteurs  avaut  leur  arrivée  da^is  le  haiaeau 
de  Méra,  aQu  de  ue  rieu  perdre  de  la  fête.  \  uotre  appro* 
che  de  IKIéra ,  notre  présence  fut  am»oacée  par  les  inslriiH 
ments  de  musique  et  les  'poiy^hronia  ^  des  habitants  dt 
Méra,  qui  nous  atiendaienit.  Nous  descendîmes  tous  de 
c^val  devant  la  tente  de  la  mariée.  Ses  compagnes  noij^ 
aceoeillireot  avec  des  chansons  qui,  célébraient  la  bienve** 
nue  de  tous;  a^is  la  mariée,  enfermée  dans  sa  tente ,  ne 
se  «aentra  pas.  Quand  nous  fûmes  tous  arrivés ,  le  futur 
fut  introduit  avec  ses  deux  acolytes,  le  nounos  et  Tadel*» 
phâpoiètos ,  et  nou»  le  suivîmes  toiis  processionn^kment , 
immi  le  tour  de  la  tente  à  Tiniérieiir,  et  ressortant  par  la 
mâma  porte,  car  la  tente  n'aurait  pu,  \  beaucoup  près^. 
QOttS  contenir  tous  \  bi  fois.  Un  spectacle  curieux  s'offrit  1 
moi  dans  Tîntérieur.  Des  deux  côtés,  depuis  la  porte  d'en^ 
trée  jusqu'au  fond,  se  tenaient  debout  deux  baies  déjeune» 
fiiks  paréos  de  leurs  plus  brillants  atours,  et  chantant  en^ 
semble  la  chanson  du  jour,  car  chaque  jour,  chaque  céré** 


*  Cri  qui  répond  à  nos  vfvatft  et  signifie  :  vivez  beaucoup  d'avh 
nées* 


2)6  GRECE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

inonie  a  sa  chansoa  particulière.  Toat  à  rextrémité,  sar 
un  tabouret  assez  bas  était  assise  la  future,  entourée  de  sa 
mère  et  de  ses  sœurs  et  amies.  Sa  tête  et  ses  épaules  étaient 
recouvertes  d*un  épais  voile  ou  plutôt  d'un  châle ,  et  sur 
sa  tête  était  posée  une  large  coupe  d'argent  La  chambre 
n'était  éclairée  que  par  quelques  brandons  allumés  derrière 
la  mariée.  Nous  défilâmes  tour  à  tour  entre  ces  deux  haies 
de  jeunes  filles,  et  en  arrivant  devant  la  mariée,  chacun  de 
nous  déposa  dans  la  coupe  placée  sur  sa  tête ,  une  petite 
pièce  d'argent  ou  d'or,  antique  ou  moderne,  turque,  grec- 
que ou  française.  Les  pièces  d'or  et  d'argent  recueillies  ce 
jour-là  sont  ensuite  percées ,  passées  dans  un  fil  d'argent 
et  ajustées  de  manière  à  former  un  bonnet  fort  gracieux  » 
composé  parfois  des  monnaies  antiques  les  plus  rares. 

Pendant  ce  temps ,  on  préparait  un  repas  en  plein  air 
pour  les  hommes.  De  grandes  nattes  de  sparterie  furent 
jetées  sur  l'herbe  ;  autour  de  ces  nattes  chacun  déposa  de 
petits  tapis  repliés  ou  sa  taiagani  pour  s'asseoir  à  l'orien- 
tale. Quant  à  moi,  eu  égard  à  mes  habitudes  franques,  on 
m'apporta  un  bât  de  mulet  qui  fut  recouvert  de  deux 
épaisses  et  longues  talaganis.  De  grandes  jattes  remplies  de 
morceaux  de  mouton  bouilli,  des  œufs,  du  fromage,  quel- 
ques fruits  et  du  yaourd  (espèce  de  lait  caillé  à  la  turque) 
composèrent  le  menu  du  repas ,  et  les  tzitza  de  bois  rem- 
plies d'assez  bon  vin  circulèrent  à  la  ronde. 

Comme  ces  cérémonies  nuptiales  devaient  se  prolonger 
encore  pendant  plusieurs  jours ,  et  que  je  voulais  arriver 
ce  soir-là  même  au  monastère  de  Saint-Luc ,  je  remerciai 
mes  hôtes  et  leur  annonçai  mon  départ  ;  mais  je  n'avais 
pas  encore  aperçu  la  figure  de  la  fiancée ,  qu'on  me  disait 
être  fort  jolie ,  et  je  ne  voulais  pas  partir  sans  l'avoir  vue. 
Si  j'eusse  voulu  attendre  qu'on  l'emmenât  du  village ,  ma 
curiosité  sur  ce  point  n'eût  pas  encore  été  satisfaite ,  car 
alors  même  elle  devait  porter  son  épais  voile  sur  la  figure. 
Je  demandai  donc ,  en  faveur  de  ma  qualité  d'étranger  et 
de  ma  curiosité  de  Français ,  à  être  admis  à  voir  la  figure 


NOCE  GRECQUE.  237 

de  la  fiancée  avant  mon  départ.  Le  marié  y  consentit  de 
bonne  grâce,  et  le  nounos  ou  compère  me  prit  par  la  main 
pour  m'introdùire  de  nonvean  avec  lui  dans  la  tente.  Les 
jeunes  filles  chantaient,  toujours  rangées  sur  deux  lignes, 
et  la  mariée  était  assise  sur  la  même  escabelie,  recouverte 
de  son  voile.  Le  nounos  et  moi ,  nous  pénétrâmes  jusqu'à 
elle,  et  le  nounos,  après  avoir  prévenu  la  mère  et  les  pa- 
rentes de  la  mariée  de  ma  demande  et  du  consentement 
du  marié ,  souleva  le  voile.  La  figure  de  la  mariée  offrait 
un  bel  ovale ,  de  beaux  traits  fort  purs  et  de  grands  yeux 
noirs  dont  l'ardeur  était  augmentée  encore  de  la  chaleur 
effroyable  qu'elle  avait  à  supporter,  sous  cet  épais  voile,  à 
la  lumière  de  ces  brandons ,  au  milieu  de  tant  de  jeunes 
ûUes  pressées  dans  une  seule  chambre  et  la  faisant  sans  in< 
terruption  retentir  de  leurs  voix  vibrantes.  Quant  à  son 
teint ,  il  était  impossible  d*en  juger ,  car  elle  était  fardée 
comme  la  plus  précieuse  marquise  de  la  cour  de  Louis  XV. 
Au-dessus  de  ses  deux  sourcils  étaient  peints  deux  petits 
cercles  d'or  ;  au-dessous  des  yeux  était  tracée  une  ligne 
bleuâtre  qui  les  agrandissait  encore  ;  sur  ses  joues  étaient 
répandues  d'épaisses  couches  de  rouge,  et  çà  et  là  de  pe- 
tites mouches  noires  à  la  Pompadour  donnaient  à  cette  tête 
de  seize  ans  la  mine  la  plus  vive  et  la  plus  agaçante.  Les 
mouches  sont  un  ornement  et  un  trait  de  beauté  fort 
appréciés  en  Grèce,  et  on  ne  manque  jamais,  dans  les 
chansons  populaires,  de  décrire  les  mouches  qui  parent  les 
joues ,  le  cou ,  les  épaules  et  le  sein  des  belles  qu'on  veut 
louer.  Celles  de  la  jeune  fiancée  de  Méra  étaient  fort  habile- 
ment posées.  Je  la  remerciai  d'avoir  bien  voulu  me  per- 
mettre de  la  voir ,  et  usai  en  même  temps  d'une  liberté 
qui  n'est  accordée  qu'à  l'adelphopoiètos ,  celle  de  l'em- 
brasser, et  je  choisis  celle  des  parties  de  sa  figure  qui  était 
le  moins  couvertes  de  peinture.  Elle  devint  tout  à  fait  in- 
carnat ,  et  ses  amies  applaudirent  en  riant  à  la  familiarité 
de  l'étranger.  Je  me  fis  d'ailleurs  pardonner  mon  audace 
en  demandant  la  permission  d'ajouter  une  petite  monnaie 


238  GREGE   CONTINENTALE  ST    MOREE. 

de  ¥nw»  k  celles  qui  allaient  parer  sa  jeune  tête,  et  je  la 
priai  de  la  placer  la  première  sur  son  joli  front  entre  lei 
deux  cerdes  d'or  de  ses  épais  sourcils.  Puis  je  reuiereiai 
les  jeunes  chanteuses  et  je  sortis.  Avant  mon  départ, 
toutefois,  je  me  fia  conter  le  reste  des  cérémonies  qui 
allaient  suivre. 

Ce  mAme  jour .  lorsque  le  repas  est  terminé ,  la  fiancée 
se  lève  de  son  escabelle ,  entourée  de  sa  mère  et  de  ses 
parentes,  et  s'avance  jusqu'à  la  porte  intérieure.  Le  fiancé 
l'attend  en  dehors,  soulève  la  porlière,  saisit  le  bras  de  sa 
fiancée  qui  résiste  mollement,  et  il  l'arrache  comme  de 
forée  de  la  maison  paternelle.  Ses  parentes,  pendant  ce 
temps ,  remplissent  les  fonctions  du  chœur  antique  el 
adressent,  au  nom  de  leur  compagne,  des  adieux  à  sa 
mère,  h  son  père,  à  ses  frères  et  sœurs,  parents  et  voisins, 
et  elles  demandent  au^si  en  son  nom  la  bénédiction  de  tous. 
Douze  gardiens,  choisis  dans  la  famille  de  la  mariée,  sont 
chargés  de  l'accompagner  et  de  la  confier  au  mari ,  ainâ 
que  i*eAl  f«it  la  mère ,  aussitôt  que  la  cérémonie  religieuse 
qui  suit  Tarrivée  du  cortège  est  accomplie,  Le  cortège , 
déployant  la  même  pompe  qu'à  ion  arrivée,  emmèBe  ainsi 
la  fiancée  et  ses  douie  gardiens  dans  le  village  et  k  la  de^ 
meure  du  mariée  Le  père  et  la  mère  de  Tépous  les  atten  - 
dent  debout  à  la  porte  ppur  les  recevoir.  Devant  eux  soni 
placés  par  terre  un  essaim  de  miel ,  un  panier  de  beurrs^ 
et  une  petite  corbeille  de  grains,  La  mère  du  fiancé  porte 
de  plus  à  ses  bras,  comme  des  bracelets,  deux  de  ces 
petits  psins  en  forme  de  couronne  que  l'on  appelle  hiou* 
ria^  La  nouvelle  belle-^mère ,  à  l'approche  de  la  fiancée  » 
Ini  tend  la  main ,  passe  k  son  bras  les  deux  klouria ,  e| 
l'aide  à  sauter  légèrement  par^dessus  le  miel,  le  beurre  et 
kl  grains  déposés  à  sea  piedSi,  C'est  là  aussi  une  sorte  de 
mythe.  Le  (piel  signifie  la  douceur  qui  doit  régner  dans 
les  r^latioiis domestiques {  le  grain  et  le  beurre,  l'abon- 
dance qH*Qffre  à  la  noariée  la  maison  de  son  mari ,  et  les 
ktQuria  passés  à  siQn  hrai  lôgiiilient  Tabond^nce  qu'elle  va 


MAR1AGS   GREC.  1^39 

y  aptïorter  elle  même  et  qui  est  due  à  sdn  mari.  Placée 
entre  sa  belle-mêre  et  son  beau-père ,  elle  s'incline  trois 
Ibis  devant  chacun  d'eux  et  leur  baise  respectueusement  la 
main.  Les  jeunes  filles ,  ses  nouvelles  parentes ,  entourent 
la  belle-mère,  et,  à  la  façon  du  chœur  antique,  chantent 
pendant  ce  temps  une  chanson  dont  voici  quelques  lignes  : 

Sortez,  sortez,  heureuse  belle-mère. 

Pour  recevoir  cette  joUe  perdrix 

Qui  s'avance  avec  pas  léger  et  cœur  léger, 

Et  Tient  se  placer  dans  une  jolie  cage 

Où  elle  chantera  et  chantera  mélodieusement, 

De  manière  à  vous  donner  longue  joie 

Et  à  ce  que  vous  vous  félicitiez  de  votre  bonheur,  etc. 

Ce  même  jour ,  la  mariée  et  ses  douze  gardiens  sont 
placés  dans  un  appartement  séparé  pour  la  nuit.  On  passé 
la  soirée  en  repas,  en  chants  et  en  danses.  Le  lundi  matin, 
tout  le  cortège  des  deux  familles  se  réunit  et  se  rend  en 
pompe  à  l'église,  où  on  célèbre  la  cérémonie  religieuse , 
puis  on  donne  un  grand  festin  où  le  mari  dîne  pour  la  pre^ 
mière  fois  avec  sa  fiancée  et  à  côté  d'elle  ;  mais  les  dotlze 
gardiens  ne  la  quittent  pas  encore ,  et  elle  passe  cette  nuit 
seule  sous  leur  protection. 

Le  mardi  on  donne  un  grand  diner  aux  douze  gardiens, 
qui  prennent  congé  des  nouveaux  époux.  Les  parents  du 
marié  restent  à  danser  toute  la  soirée,  puis  vont  en  grande 
cérémonie  préparer  et  parfumer  la  couche  de  la  mariée , 
simple  lit  de  camp  recouvert  de  tapis. 

Telles  sont  les  cérémonies  des  derniers  jours,  que  je  me 
fis  raconter  minutieusement,  et  en  faisant  chanter  par  les 
jeunes  filles,  dont  la  mémoire  est  remplie  des  chansons  du 
pays,  tous  les  chants  réservés  à  chacun  des  jours  et  à  cha- 
cune des  cérémonies.  J'aurais  bien  voulu  pouvoir  assister 
i  toutes  ces  fêtes ,  mais  je  désirais  aller  coucher  ce  même 
jour  au  monastère  de  Saint-Luc»  Malgré  ma  répugnance  à 
me  séparer  de  mes  nouveaux  amis ,  je  fis  donc  selto  mer 


240  GRÈCE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

chevaux  et  me  disposai  à  ine  mettre  en  route.  Le  marié 
vint  prendre  congé  de  moi  entouré  de  tous  ses  amis  ;  il 
porta  sa  main  droite  sur  son  cœur  et  sur  son  front,  me 
prit  la  main,  la  baisa,  puis  la  porta  à  son  front  incliné,  et, 
dès  que  je  fus  monté  à  cheval ,  il  m'apporta' sa  tzitza  pour 
que  je  busse  à  la  manière  antique ,  ce  qde  je  fis ,  en  por* 
tant  leur  santé  à  tous ,  au  milieu  de  leurs  cris  de  poly- 
chronia,  renouvelés  aussi  des  usages  antiques  ^  Craignant 
de  les  blesser  en  voulant  payer  leur  hospitalité,  je  Gs  venir 
le  marié  devant  les  siens  et,  après  lui  avoir  fait  une  courte 
allocution,  je  le  priai  de  vouloir  bien  me  permettre  de  lui 
offrir  à  lui-même,  comme  nous  avions  tous  offert  à  sa 
fiancée,  un  léger  souvenir  qui  lui  rappelât  un  jour  la  pré- 
sence d*un  ami  français  à  son  mariage  et  la  reconnaissance 
que  cet  ami  emporterait  dans  son  pays  de  Taccueil  cordial 
de  ses  hôtes  les  bergers  du  Parnasse  et  du  Khlomos.  De 
nombreux  et  bruyants  polychronia  m'escortèrent  jusqu'à 
ce  que  j'eusse  disparu  aux  regards  des  bergers,  en  dépas- 
sant l'épaisse  haie  de  lauriers-roses  qui  bordait  le  ruisseau 
de  leur  village. 

Je  coupai  court  pour  arriver  à  temps  au  monastère  de 
Saint-Luc  en  franchissant  quelques  torrents  et  quelques 
ravins  de  plus.  Jusque-là  le  temps  avait  été  magnifique  ; 
mais  une  fois  que  je  fus  parvenu  dans  la  profonde  vallée  de 
Stiri,  si  fameuse  par  l'impétuosité  des  vents  qui  la  balayent 
continuellement,  il  me  fallut  soutenir  une  véritable  lutte 
contre  les  ouragans.  Un  chemin  pittoresque  et  excellent 
dans  les  temps  ordinaires  suit  la  pente  de  la  montagne,  dont 
les  flancs  rocailleux  présentent  comme  un  mur  qui  enclôt 
un  précipice  profond  et  tourne  avec  toutes  les  sinuosités  du 
rocher.  La  variété  des  ombres  projetées  par  ces  milles  dé- 

^  «  Et  quant  li  emperères  entra  eu  Tlièbes,  dont  peussiës  oïr  on 
si  gcant  polucrone  de  Palpas  et  d'Alcontes,  et  d'ommes  et  de  fames^ 
et  si  grant  tumulte  de  tymbres»  de  tambours  et  de  trombes,  que  la 
terre  eu  trambloit.  »  (Henry  de  Yalenciennes,  Gontinuatioa  delà 
Chronique  de  Geofïroi  de  Ville*Hardoin ,  p.  294  de  mon  édition.} 


MONASTERE   DE  SAINT-LUC.  941 

toors  sor  les  flancs  du  précipice  est  d*an  fort  bel  effet,  mais 
je  ne  pus  jouir  loug-temps  de  cette  ?ue.  Le  vent  était  si 
YÎoleot  que,  bien  que  je  me  cramponnasse  sur  mon  cheval 
en  offrant  à  l'ouragan  aussi  peu  de  prise  que  possible ,  et 
que  mon  cheyal  se  cramponnât  lui-même  de  son  mieux, 
plusieurs  fois  nous  fûmes  sur  le  point  d'être  renversés  Tun 
et  Tautre  da  haut  de  ce  mur  de  rochers;  et  ce  sort  eût  in- 
failliblement été  le  nôtre  au  premier  détour  sinueux  qui 
eût  laissé  plus  d'action  au  vent ,  si  je  n'eusse  pris  le  parti 
de  tromper  l'ennemi.  Je  tournai  donc  la  colline  orageuse 
pour  qu'elle  me  servit  elle-même  d'abri ,  et  j'arrivai  sain 
et  sauf  au  célèbre  monastère  de  Saint-Luc. 

L'hégoumène  (abbé)  était  pour  le  moment  en  inspection 
dans  une  de  ses  metochi  ou  fermes ,  mais  l'économe  et  le 
portier,  deux  dignitaires,  m'accueillirent  à  merveille  et  se 
chargèrent  de  me  faire  les  honneurs  du  couvent  Le  por- 
tier est  un  grand  et  vigoureux  moine  qui  a  fait  la  guerre 
de  l'indépendance ,  s'est  fort  bien  servi  du  mousquet,  et, 
pour  faire  une  bonne  œuvre  de  plus,  a  tué  ses  deux  Turcs. 
Il  ne  faut  pas  toujours  croire  que  tous  les  Turcs  tués  dans 
les  récits  des  Grecs  aient  pour  cela  cessé  de  vivre.  Tout 
Grec,  brave  et  hâbleur  comme  un  Gascon ,  veut  avoir  tué 
au  moins  sa  dizaine  d'ennemis  dans  chaque  bataille ,  et  le 
nombre  des  batailles ,  dans  leurs  récits ,  ne  le  cède  pas  au 
nombre  des  ennemis  anéantis  :  de  telle  sorte  que  dans  ces 
milliers  de  combats  il  serait  tombé  des  millions  de  Turcs, 
beaucoup  plus  de  millions  qu'il  n'y  en  a  jamais  eu  dans 
tout  l'empire.  Mais  mon  moine  était  un  vigoureux  jouteur 
beaucoup  plus  capable  d'en  avoir  tué  dix  que  deux.  Age- 
nouillé devant  ma  table  après  mon  dîner,  son  chapelet  en 
main ,  pendant  que  je  me  reposais  sur  Un  lit  de  camp  et 
fumais  mon  chibouk,  il  me  faisait  bonne  compagnie  et  me 
ncontait  éloquemment  l'histoire  de  son  pays,  celle  de  son 
couvent  et  la  sienne.  Dans  toute  sa  conversation  pleine  de 
feu  éclatait  un  vif  amour  pour  l'indépendance  et  la  liberté 
4e  sa  patrie  et  uqe  affection  iraisonnée  pour  les  Français, 

21 


441  GRÈCE  COXTtllEl«fALÉ  «t  ItOltÉE. 

Les  autres  caloyers  (  moines)  qai  Tldtent  me  rendre  visité 
lâanifestèreiit  la  même  sympathie  que  mon  belliqdétit  ca^ 
loyer  pom  la  gloire  et  la  grandeur  de  la  patrie  gretqtie,  et 
ils  nourrissaient  tous  là  même  affection  pour  la  France. 
Nos  moines  cMholiqttes  sont  une  milice  qui  ne  prend  part 
qu'aux  intérêts  et  aux  combats  de  Rome,  leur  vraie  patrie  i 
les  moines  grecs  ne  cessent  Jamais  d'être  citoyens  i  ils  par- 
tagent toutes  les  passions  dé  leurs  cmnpatriôtes ,  et  leurs 
intérêts  se  marient  et  se  confondent  avec  les  Intérêts  Ah 
sol  ;  car,  d'après  Pinstitutiott  de  saint  fiasile  ,  qui  régit  les 
monai^tëres  grecs ,  tous  les  moines  doivent  se  Voueir  Si  la 
culture  de  la  terre  sans  êtt-e  soumis  à  la  Vie  rigoureusement 
claustrale  des  nôtres.  Hépandôs  dans  les  diverses  fermes 
de  leur  monastère j  conduisant  là  charrue,  maniant  la  bêche 
et  dit-igeant  les  sources  autour  du  pied  de  leurs  oliviers, 
ils  ont  souvent  sans  doute  toute  l'ignorance  de  véritables 
[Miysans  ^  mais  ils  en  ont  aussi  toute  l'ardeur  pâtHotIqne. 

Le  monàstête  de  Sttlnt-Luc  fUt,  dit-oU,  fondé  par  V^m* 
pereur  Romain  Lâcapène,  qui  f^Uâ  de  918  à  d&A,  etpài^ 
sa  femme  Thêodora.  Il  paraît  c(ue  chacun  dés  déuit  con^ 
joints  était  aussi  obstiné  que  divers  dans  son  goût  en  ma-^ 
tière  d'architecture  ecclésiastique  t  car,  au  lieu  de  joindre 
au  co.uvent  une  seule  église,  ils  en  joignirent  deux,  appli- 
quées l'une  à  l'autre,  et  toutes  deux  sur  un  plan  essentiel* 
lement  différent.  L'église  bâtie  par  Timpératrice  est  un 
grand  et  élégant  vaisseau,  simple  d'architecture,  et  rappe- 
lant les  anciennes  formes  helléniques.  Le  dôme  est  soutenu 
par  quelques  belles  colonnes  antiques  arrachées  sans  doctte 
à  un  temple  de  Diane ,  qui  était  tout  voisin  de  le.  L'église 
bâtie  par  l'empereur,  la  seule  vénérée  aujourd'hui ,  car 
l'autre  est  complètement  abandonnée,  est  construite  d'après 
le  plan  de  Sainte-Sophie  de  Gonstantinople.  C'est  une  des 
plus  grandes  églises  grecques  que  je  connaisse  ;  elle  a  huit 
mètres  de  hauteur  sur  dix-huit  de  largeur  et  vingt-quatre 
et  demi  de  longueur,  en  y  comprenant  le  6éma  ou  autel. 
La  voûte  est  ornée  d'un  beau  buste  du  Christ  en  mosaïque 


«QNASTÈRIS  DE   SAINT-LUC.  $43 

de  pierre  (actice  suivant  Fusage  d'alors,  et  ainsi  qa*qn  eo 
voit  dans  plusieurs  des  églises  normandes  de  Sicile.  Les  n)ur# 
sont  revêtue  de  cette  OQêwe  mosaïque  à  fond  d'or,  L*exé* 
cution  de  pes  tableaux  en  mosaïque  à  Saint-Luc  doit  êirç 
bjer)  antérieure  ^  celle  des  mosaïques  du  monastère  de 
Papbni  près  d'Athènes»  et  elles  sont  d'un  ^tyle  plus  pure^^ 
ment  byzantin,  Le  pavé  de<  la  ^iea^  ainsi  que  celui  des 
trqjs  autels ,  esi  en  mosaïque  de  marbre,  et  les  çolounep 
soi^t  aussi  de  fort  beau  marbre  incrusté  de  gros  morceaui^ 
de  jaspe,  de  lapis^-la^uli,  d'agatbe,  et  de  beaucoup  d'autres 
pierres  dures,  dont  quelques  fr^gment^  ont  été  parfois  en^ 
levés.  Ces;  précieuses  incrustations  sont  d'un  goût  dé|esta« 
bl^,  m?iis  QB  les  retrouve  partout  dans  les  plus  riches  égU* 
ses  d'Italie,  L'église  de  Saiut-Luc  est  fort  bien  entretenue, 
de  inêpie  que  les  autres  bâtiments  du  couvent.  Il  est  aisé 
de  voir  qu'une  bonne  administration  économique  et  agri- 
cole Eiaiutienf  l'opulence  ancienne  de  ce  monastère. 

Au-Aessous  de  l'église  bâtie  par  l'empereur  est  une  hell^ 

égliie  souterraine,  Deux  tombeaux  de  marbre  placés  dei 

deux  CQtés  de  l'autel  arrêtèrent  mon  attention.  Le  tombe^ii 

a  droite  est,  suiyaut  la  tradition  ancienne  ^  le  tombeau  du 

fondateur  de  l'abbaye,  l'empereur  Romain  Lacap^ne.  Quant 

au  tombeau  à  gauche,  aucun  des  moines  ne  put  m'en  diri^ 

l'origine  ;  tout  ce  qu'ils  se  rappellent  par  tradition ,  c'est 

qu'il  renferme  aussi  le  corps  d'un  empereur  ;  mais  quel 

empereur,  ils  n'en  saveut  riep.  £n  l'examinant  avec  atten^ 

tion ,  je  vis  que  les  colonnes  qui  soutiennent  ce  tombeau 

diffèrent  essentiellement  de  celles  qui  soutiennent  celui  de 

l'empereur  grec  ;  et  je  reiharquai ,  au-dessus  de  ces  deux 

colonnes,  deux  croix  sculptées  qui  qe  se  retrouvent  pas  sur 

l'autre.  Or  ces  croix  sont  celles  qui  ont  été  adoptées  par 

les  empereurs  français  de  la  maison  de  Courtenay,  Pierre 

de  Courtenay,  comte  d' Auxerre ,  et  ses  deux  fils ,  Robert 

et  Baudoin  II ,  la  croix  perlée  et  fleuronnée  par  le  bas.  De 

ces  trois  empereurs ,  le  dernier,  Baudoin  II ,  mourut  eu 

i?73  dans  le  royaume  d^  Pilles,  où,  après  la  prise  de 


244  GRÈ€E   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

Goostantinople  par  Michel  Paléologue,  il  s*était  réfugié  près 
de  son  parent  Charles  d'Anjou,  et  son  tombeau,  construitpar 
les  ordres  de  Charles  d'Anjou,  est  conservé  à  Barletta.  On 
n'a  pu  découvrir  jusqu'ici  le  lieu  où  avaient  été  enterrés 
Pierre  de  Courtenay  et  son  fils  Robert.  On  sait  seulement 
que  Pierre,  après  avoir  été  couronné  empereur  par  le  pape 
Honorius  à  Rome ,  en  1217  ,  s'embarqua  à  Brindes  pour 
Durazzo  ;  que  là,  trompé  par  les  paroles  d'amitié  du  des- 
pote d'Arta ,  Théodore-Ange  Comnène  ,  il  résolut  de  s'a- 
cheminer vers  Constantinople  par  terre,  qu'à  trois  journées 
de  Durazzo  il  fut  surpris  pendant  la  nuit ,  fait  prisonnier 
par  Théodore ,  et  qu'il  mourut  deux  ans  après  en  prison, 
tandis  que  sa  femme,  l'impératrice  Yolande,  qui  était  gro^ 
et  avait  préféré  s'en  aller  par  mer,  s'arrêta  quelques  in- 
stants dans  la  principauté  d'Achaye,  auprès  du  prince  Geof- 
froi  de  Ville-Hardoin,  auquel  elle  donna  sa  fille  en  mariage*, 
et  arriva  saine  et  sauve  à  Constantinople.  Où  mourut^  Pierre 
de  Courtenay  et  où  il  fut  enterré,  c'est  ce  que  l'histoire  ne 
nous  apprend  pas;  mais  il  serait  possible  que  Geoffroi  de 
Vitle-Hardoin,  lié  avec  la  famille  Comnène,  eût  obtenu  de 
faire  transporter  le  corps  de  son  beau-père  dans  le  monas- 
tère de  Saint-Luc,  qui  était  dans  sa  principauté  et  n'était 
pas  fort  éloigné  du  despotat 

D'un  autre  côté,  on  saitque  le  fils  de  Pierre,  l'empereur 
Robert  de  Courtenay ,  mourut  dans  la  principauté  de  son 
beau-frère,  le  prince  Geoffroi  de  Yille-Hardoin,  à  son  retour 
de  Rome,  où  il  était  allé  se  plaindre  au  pape  d'un  attentat 
de  ses  propres  chevaliers.  Yoici  à  quelle  occasion  :  Robert 

^  «  Ains  qo'ele  venist  à  Constaotinople ,  arriva  elle  en  la  terre 
Gieffroi  de  Yile-hardoin ,  qui  grant  honor  U  fist.  L'emperris  avoit 
une  fille  et  GiefTroi  de  Vile-liardoin  un  fil  qui  avoit  nom  GiefTroi. 
L'emperris  vit  qu'il  avoit  grant  terre  et  qae  sa  fille  i  seroit  bien  ma- 
riée. Si  H  dona  sa  fille,  et  il  la  prist  à  famé;  si  l'espousa.  Après 
s'en  ala  l'emperris  à  Constantinople.  Ne  demora  après  ce  guaires 
qu'ele  se  délivra  d'un  fil  dont  ele  estoit  grosse.  »  (Bernard  le  Tré- 
sorier, Continuation  de  Guillaume  deTyr^édlt.  de  M.  Guizot,  p.  330.) 


MONASTERE   DE   SAINT^LUG.  945 

était  devenu  amoureux  d'une  jeune  Française,  fille  de  Bau- 
doin de  Neuville ,  d'Arras ,  mort  depuis  quelques  années, 
et  il  s'en  était  fait  aimer.  La  mère  et  la  fille  avaient  même 
consenti  à  venir  habiter  le  palais  impérial,  où  Robert  pas- 
sait sa  vie  aux  pieds  de  sa  belle  maîtresse  ,  sans  se  soucier 
beaucoup  des  affaires  d'un  empire  que  sa  situation  exposait 
pourtant  à  de  si  grands  dangers  ,  et  qui  avait  besoin  d'un 
bras  poissant  habitué  à  porter  l'épée.  Cette  conduite  indi- 
gna ses  chevaliers ,  qui  lui  firent  connaître  leur  désappro^ 
bation  par  un  acte  atroce  de  vengeance  qui  peint  bien  les 
mœurs  do  temps.  Un  jour  ils  pénétrèrent,  l'épée  à  la  main, 
dans  la  chambre  où  l'empereur  était  assis  auprès  de  sa 
jeune  maîtresse  et  de  sa  mère.  Pendant  que  quelques-uns 
d'entre  eox  retenaient  l'empereur,  leurs  complices  s'em<- 
parèrent  de  la  personne  de  la  mère,  la  jetèrent  dans  un  ba-» 
teao  et  la  noyèrent  dans  le  port  ;  d'autres  saisirent  en  même 
temps  la  jeune  fille  et  la  défigurèrent  d'une  manière  af- 
freuse en  lui  coupant  le  nez  et  les  lèvres.  L'empereur  dé- 
solé n'eot  pas  plutôt  recouvré  sa  liberté  ,  qu'il  abandonna 
Constantinople  et  se  rendit  à  Rome  pour  porter  plainte  au 
pape  contre  ses  chevaliers.  Le  pape  le  consola  de  son  mieux, 
lui  fit  de  grands  dons ,  et  le  décida  à  retourner  dans  son 
empire  ;  mais,  avant  d'y  arriver,  s'étant  arrêté  près  de  son 
beau-frère,  Geoffroi  de  Ville-Hardoin,  en  Achaye,  il  y  tomba 
malade  et  mourut  ^  Ne  serait-il  pas  possible  que  son  beau- 
frère  lui  eût  fait  ériger  un  tombeau  dans  ce  monastère, 
alors  fort  vénéré,  bien  que  le  corps  de  saint  Luc  en  eût  été 
déjà  enlevé  avec  plusieurs  des  anciens  diplômes  pour  être 
transportés  à  Rome  ?  La  croix  ancrée  de  Champagne,  bla- 
son des  Ville-Hardoin,  se  voit  encore  sur  les  deux  colonnes 

*  «  Qoant  il  vint  là  (à  Rome)  si  se  plainst  à  Tapostole  de  le  lionfe 
qoe  si  home  li  ayoieot  faite.  Le  pape  le  conforta  durement  et  li  dona 
da  sien,  et  le  pria  tant  et  fist  tant  vers  li  qu*il  retourna  arrière  en 
Constantinople.  En  ce  qu'il  se  retornoit  arrière,  il  ariva  en  la  terre 
GiefTroi  de  Vile-hardoin.  Là  prist  maladie,  dont  il  fu  mort.  »  (Ber- 
nard  le  Trésorier,  édit.  de  M.  Guizot,  p.  334.) 

21. 


946  GBÈCIS   pQl^TII^NTAL]^   ET   HWÉE. 

du  voile  de  TégUse  souterraine ,  ainsi  qiie  dansi  une  peti|e 
chapelle  située  à  droite  dans  l'enceinte  supérieure  qui  do-^ 
mine  la  nef,  Beauconp  d'autres  armoiries  de  nos  fomilles 
françaises  sont  distribuées  dans  les  diverses  parties  du  mo- 
nastère :  ici,  sur  l'extérieur  d'une  cellule,  une  croix  ajocrée 
9vec  quatre  fleurs  de  lis  renversées  dans  les  quatre  çantouM 
de  la  croix,  et  deui^  paons  pour  support  ;  là,  sur  la  i»ar(àQ 
d'un  escalier  (ai^  depuis  peu  à  l'aide  d'<vnçiens  (ragmeiits^ 
une  croix  perlée,  et  plus  bas,  sur  uoe  9Mtre  marche ,  )a 
croix  ancrée  de  CbampagQe.  Ailleurs,  dans  la  chapelle  su^ 
pérleure ,  et  sur  le  revers  même  d*une  plaque  qui  porte 
deux  croix  de  Champagne  sur  lesquelles  pose  un  ^gle  | 
ailes  éployées,  se  trouve  ua  fort  mauvais  bas-relief  qui  doU 
appartenir  à  ce  temps  d'orgueilleuse  conquête.  Un  lion  est 
représenté  assis  triomphaleipent  et  contemplant  un  antl^ 
lion  qui  tient  dau£  sa  gueu^  ui)  cerl  tremblant  qu'il  va  dé^ 
cbirer.  Ce  cerf  tremblant  est  pr^  de  mourir  :  est*ce  l'i- 
mage du  pauvre  peyple  de  h  Grèce  déchiré  par  le  lion  de 
Bourgogne  et  de  Champagne,  emblème  des  Champ-Litte  et 
des  Yille-Hardpiu,  sous  l'œil  dédaigneux  du  lion  de  Flandre, 
emblème  des  empereurs  français  de  Constaptinople  ?  Une 
allégorie  du  même  genre  se  retrouve  dans  un  bas-relief 
incrusté  sur  la  muraille  extérieure  du  catboUcon  ou  église 
métropoUlaine  d'Athènes ,  baMe  par  les  Français  en  i21&, 
et  dans  un  autre  bas-relief  que  j'ai  retrouvé  parmi  les  ruines 
d'une  église  à  Thèbes^ 

J'avais  grand  désir  de  m'assurer  par  mes  propres  yeux 
s'il  ne  restait  rien  des  anciennes  archives  et  n[)anuscriu 
qu'avait  dû  posséder  autrefois  ce  couvent,  (i'exact  voyageur 
Leake ,  qui  a  visité  Saint-Luc  il  y  a  une  trentaine  d'aonée&« 
dit  n'avoir  rien  vu  et  semble  soupçonner  les  moines  de  lui 
avoir  dissimulé  leurs  richesses  littéraires.  Les  mohies  grecs 
sont  souvent  insouciants  et  négligents  par  ignorance  ;  mais 

*  On  trouve  aussi  beaucoup  d'autres  bas-reliefs  du  même  genre 
dans  bon  nombre  de  monuments  byzantins ,  et.  même  dans  les 
monuments  antiques  de  l'Asie  mineure. 


MONASTÈRE  RB  ftAlNT-LUG.  947 

ils»  aoQl  bonnes  geqs ,  et ,  pour  peu  qu'on  slbil  loçiabie  et 
ilaoïilier  avee  eux»  ils  ne  sont  pas  moias  sociables  et  femi- 
liem  d«  kivp  côté.  Il  oe  faut  avec  eux  ai  pédaoUsme  ni  afn 
feelalion  et ,  si  on  veut  lea  gagner  teul-rà-feit ,  on  n*a  qu^à 
leur  parler  4es  afibirea  publiqikes  »  car  tous  y  prenoent  te 
plufl  chaud  intérêt*  Une  toi»  leur  affection  gagnée ,  et  on  te 
gagne  rapictomenit  ainsi«  rien  ne  vous  sera  plus  eaebéL  Je  let 
ai  tonjeur»  trouvés,  pour  ma  part,  déposés  à  faire  toutcequt 
pouvait  m'être  agréable ,  et  avec  la  plus  entière  franchise. 
A  mes  questions  sur  leur  bibliothèque ,  les  nicânes  de  Saint» 
Luc  me  répondirent  que  leurs  plus  anciens  diplômes  et  ma^^ 
Aiiacrîts  avaient  été  transportés  ^  Rome ,  au  temps  de  la 
croisade  d^  Çonstantiniqide ,  avec  les  reliques  de  saint  Luc  r 
que,  depuis  la  conquête  turque  du  quiniiôme  sîôclp ,  leur 
monastère  avait  été  souvent  pris  et  pillé ,  el  on  connaît  le 
respect  4es  Turcs  pour  les  choses  d*art  et  de  science. 
EtaQn  f  dans  Tanuée  17ft8 ,  le  Klephte  Andruzzo ,  père  du 
(ameiii.  Odyssée,  précipité  de  TAcropolis  pour  avoir  voulu 
rsunener  les  Turcs  après  les  avoir  vaillamment  combattus, 
s'était  eaaparé  du  monastère  de  Saint-Luc ,  avait  forcé  les 
moiiies  11  chercher  un  refuge  dans  les  montagnes ,  et  avait 
tout  ptUlé  ou  brûlé.  Depuis  cette  époque,  les  moines  ont 
peu  songé  h  se  procurer  une  bibliothèqu&  Bien  cuhiver 
leurs  fermes ,  vivre  largement  dans  l'intervalle  des  quatre 
longs  carêmes ,  des  trois  jeûnes  et  des  trois  vigiles  observés 
si  scrupuleusement  par  tous  les  Grecs  S  bien  entretenir 

^  Les  Grecs  ont  quatre  carêmes  :  celui  d'avant  Pâques,  qui  dure 
huit  semaines;  celui  des  Saints-Apôtres,  après  la  Pentecôte,  qui 
dure  trois  semaines  ;  celui  de  la  sainte  Vierge ,  pendant  les  quatorze 
premiers  jours  d'août  ;  celui  de  Noël,  qui  dure  quarante  jours  avant 
Noël.  Ils  ont  trois  jeûnes  :  Ton  de  vingt>six  jours,  avant  la  Saint- 
Démétrius;  le  second  de  quatre  jours,  pour  l'exaltation  de  la  Croix, 
et  le  troisième  de  huit  jours ,  pour  la  Saint-Michel ,  sans  compter 
le  mercredi  et  vendredi  de  chaque  semaine,  et  quelquefois  le  lundi. 
Ils  ont  enfin  trois  vigiles  :  la  vigile  de  l'Epiphanie ,  celle  de  saint 
Jean-Baptiste  et  celle  de  la  Croix ,  pendant  lesquelles  ils  ne  mau- 
((eut  nou  pins  ni  viande  ni  peissM. 


)4S  GRÈGB  CONTINENTALE    ET    MOREE. 

leors  églises  et  célébrer  lear  litargies,  et,  de  temps  en 
temps,  au  milieu  des  guerres  contre  les  Turcs,  bien  ma- 
nier le  long  mousquet  contre  les  infidèles ,  voilà  Toccupa- 
tion  de  ceux  qui  remplissent  le  mieux  leurs  devoirs  cléri- 
caux. On  voit  que  l'étude  des  livres  n*a  là  aucune  place. 
Pour  satisfaire  toutefois  ma  curiosité ,  ils  se  livrèrent  avec 
moi  aux  plus  minutieuses  investigations.  Toutes  les  cham- 
bres furent  visitées,  toutes  les  cellules  explorées,  tons  les 
souvenirs  invoqués ,  et  nous  parvînmes  enfin  à  découvrir 
deux  manuscrits  grecs  fort  imparfaits  ;  Tun  était  un  livre 
de  prières  écrit  au  quinzième  siècle  sur  papier  de  lin,  de 
format  in-d**,  et  Tautre  un  évaogéliaire  ,  de  format  in>8* 
illussi ,  écrit  vers  la  fin  du  quatorzième  siècle ,  sur  papier 
de  soie ,  d*une  écriture  cursive  beaucoup  plus  lourde. 

Le  monastère  de  Saint-Luc  a  été  bâti  sur  l'emplacement 
d*unc  ancienne  ville  hellénique.  On  voit  encore ,  un  peu 
en  dehors  du  couvent ,  beaucoup  de  vestiges  des  fortifica- 
tions helléniques ,  et  sur  les  murs  de  l'église  quelques  an- 
ciennes inscriptions,  entre  autres  la  dédicace  d'une  fon- 
taine qu'y  fit  creuser  à  ses  dépens  un  nommé  Xénocrate. 
Cette  fontaine  alimente  encore  le  monastère,  et  ses  eaux 
fraîches  et  pures  sont  aussi  abondantes  qu'elles  l'étaient  il 
y  a  plus  de  deux  mille  ans.  Elle  coule  derrière  l'église  et 
défaut  un  bon  bâtiment  d'économat  avec  des  chambres 
bien  éclairées  que  le  couvent  fait  construire  en  ce  moment. 

Je  pris  congé  de  mes  excellents  hôtes  les  moines  de 
Saint-Luc  pour  continuer  mon  voyage  vers  Delphes ,  Sa- 
lona  ou  l'antique  Amphysse ,  Bodonitza  et  lesThermopyles. 


XIL 

DELPHES.  —  SALONA.  —  LA  GLISOURA.  —  BODONITZA. 

La  route  du  monastère  de  Saint-Luc  à  Delphes  tourne 
le  long  des  flancs  du  Kirphis  ou  Xero-Vouni,  dans  ses  em-« 


DELPHES.  249 

branchements  avec  le  Parnasse  ou  Liakoura.  Une  demi« 
heure  après  avoir  monté,  se  rencontre  une  petite  chapelle 
située,  de  la  manière  la  plus  délicieuse ,  tout  auprès  d'une 
fontaine  d'eau  vive  ombragée  de  vastes  platanes.  II  y  avait 
probablement  là  autrefois  une  station  religieuse  pour  les 
pèlerins  qui  se  rendaient  à  Delphes,  car  ce  chemin  semble 
suivre  la  route  antique.  Une  fois  qu*ou  a  tourné  ces  ravins 
de  la  chaîne  du  Kirphis  on  aperçoit  l'entrée  de  la  gorge 
profonde  qui  dominait  la  vieille  Delphes.  Tout  à  l'entrée 
de  cette  gorge,  bien  haut  dans  les  montagnes,  sur  les  der- 
nières limites  du  terrain  cultivable  et  au  pied  de  ces  cônes 
de  neige  qui  donnent  une  physionomie  imposante  au  front 
sourcilleux  du  Liakoura,  apparaît,  comme  une  vigie  atten-v 
tive,  le  bourg  d'Arachova.  Quelques  noires  forêts  de  pins 
semblent  posées  auprès  du  rivage  de  cette  sorte  de  glacier 
comme  une  digue  destinée  à  arrêter  l'invasion  des  neiges. 
À  Vautre  extrémité  de  cette  gorge,  bien  haut  aussi,  au  pied 
de  rochers  aux  couleurs  chaudes  de  porphyre ,  est  le  vil- 
lage de  Gastri,  bâti  sur  les  ruines  de  la  célèbre  Delphes. 

Il  faut  encore  deux  heures  d'une  bonne  marche  de 
cheval  d'agolate  pour  tourner  toutes  les  collines  et  les  re- 
monter jusqu'à  Gastri,  que  l'on  conserve  presque  toujours 
en  vue;  mais  à  mesure  qu'on  s'en  approche  la  vue  devient 
à  chaque  pas  plus  belle.  Dans  les  parties  inférieures  des 
collines  on  traverse  de  courtes  vallées  bien  plantées  et  bien 
arrosées,  en  suivant  de  l'œil  la  fraîche  vallée  du  Plistus. 
Dès  qu'on  est  parvenu  sur  le  haut  des  collines  on  aperçoit 
la  baie  de  Salona ,  le  golfe  de  Gorinthe  et,  dans  le  loin- 
tain, les  montagnes  du  Péloponnèse.  En  se  rapprochant  un 
peu  plus  la  mer  se  dérobe  derrière  les  ctmes  du  Kirphis 
et  on  se  trouve  dans  une  enceinte  de  hautes  montagnes  et 
comme  isolé  du  reste  du  monde.  Ge  devait  être  un  beau 
spectacle  que  d'apercevoir  de  là ,  aux  jours  solennels ,  les 
processions  antiques  se  déployer  à  la  fois  des  deux  côtés 
opposés  en  arrivant  par  mer  à  Grissa  et  par  terre  du  côté 
d'Arachova.  Dès  les  premiers  pas  sur  ce  sol  sacré  on  passe 


S50  GRÈCE  CONT^liBBiTAI'E   ET   MOREE. 

i  traveri  4e»  tooi))eiqi.  Les  m^  ayai^nt  éiô  ^igég  sur 
celte  partie  de  la  route,  cpinme  iiq  chrétien  des  andeos 
jours  eut  fait  ériger  le  m^  près  ^e  Jérusalem  ou  dans  in 
vallée  de  Josapbat  ;  les  autres  oot  été  entraînés  dans  I9 
cloute  des  rochers  supérieurs,  dont  les  énoripes  fragmei^t^ 
gisent  dispersés  aleqlour  ;  ^t  p^rmi  ces  roct^ers  V^nii^ 
quairc  exact  peut  rechercher  la  place  de  la  pierre  qu*Qo 
donna  H  dévorer  à  Saturne,  et  que  (es  anciens  otontraient 
au-de98U6  du  tombeau  de  i^éoptolème.  Un  peu  plus  haut, 
çn  se  rapprochant  toujours ,  est  un  {(unaense  tombeau  re* 
levé  sur  sa  hauteur  et  tout  ouvert ,  cqn^me  si  le  mort  qu*il 
contenait  venait  d*en  sortir  en  le  brisant.  LUntérieur  re- 
présente comme  une  porte  eptouré(i  de  gros  clous,  Il  n*a 
pas  fallu  moins  qu*un  des  violents  tremblements  de  terre 
si  fréquents  ici  pour  arracher  et  précipiter  d'aussi  éuormes 
fragments  de  rochers  que  ceux  dans  lesquels  étaient;  dépô- 
ts ces  tombeaux.  C'est  un  tremblement  de  terre  d^  ce  genre 
qui  épouvanta  le  Qrenn  gaulois,  notre  fiucétre ,  et  9es  plu$ 
fiers  soldats,  au  moment  où,  Tan  ^79  avant  J.  -G. ,  ils  s'avan- 
cèrent par  les  Thern^opyles  pour  piller  les  trésors  dM  tem- 
ple de  Delphes.  Les  tombeaux  vont  toujours  se  continuant 
^ns  interruption  jusqu'au  monastère  de  3aint-Élle,  mais 
tous  ont  été  ouverts  ;  de  tous  on  a  arraché  les  ossements 
qui  devaient  y  reposer  en  paix,  La  soif  de  Vor  ches  les 
uns  et  pour  les  autres  le  désir  de  posséder  quelques  ob- 
jets antiques,  une  bague ,  des  boucles  d'oreille^,  un  hra? 
çelet,  ont  amené  la  violation  de  tous  les  tombeaux  anti* 
ques  et  coptinueront  ^  amener  la  violution  des  tombeaux 
qui  restent  à  fouiller.  En  vain  a«t-on  construit  des  monu- 
UPients  9ussi  nobles  que  le  tombeau  4es  Atrldes  ^  M  y  cènes, 
ayssi  imposants  que  les  pyramides  d'J^gypte,  pour  re-t 
cueillir  les  cendres  de  sa  famille  ;  en  v^n  a-t-on  creusé  les 
rochers  les  plus  âpres  et  les  flancs  les  plus  inabordables  des 
torrents,  détourné  même  les  fleuves  pour  s'y  creuser  un 
i^sile  inviolable  :  tout  a  été  fouillé ,  ht  poussière  des  génc- 
retiens  çntique^  a  été  jetée  siux  ve^ts  par  les  génératioivi 


istl^ttBëi  Ji51 

qui  les  ont  suivies ,  et  celied-ci  épfolilrétotlt  à  lettr  tottr  le 
fflêffle  sort  de  là  part  de  leurs  descendants. 

A  quelques  pas  au  delà  dd  monastère  de  Sâint-Élie  cdule 
nue  petite  rivière  qui  a  une  bien  iioble  s(îtircei  Bile  sort 
de  la  fontaine  de  Castalie»  placée  un  peii  au-dessus  i  droite 
de  la  route.  Un  torrent  descend  du  Patnassë  par  une  fis- 
sure entre  deux  pits  escarpéi^,  le  pld  IftfbpUa  et  celui 
d'Hyampeifl»  d*où  fut,  dit-on,  précipité  le  fabuliste  Ésope 
ptf  tes  habitants  de  Delpiies.  parteuu  H  rettrànitè  de 
cette  fissure  étroite  le  torrent  est  recueilli  dans  tin  court 
passage  yoûté  et  s'écoule  dans  un  bassin  carré ,  efetisé  pâi* 
la  nature  udi^ine  dans  le  rocher,  mais  agrandi  un  peu  de 
main  d^honitne^  de  bassin,  qui  a  euTirott  trente  pieds  dé 
IdBgueur  sur  dit  de  largeur ,  renferme  la  célèbre  ion-' 
taihe  de  Clastalie,  dans  laquelle  se  baignait  la  P]^tbie  atant  de 
rendre  m»  oracles.  Elle  est  couverte  aujourd'hui  du  plus 
bean  m  du  didlleur  des  cressoris^  dont  je  ne  manquai  pas  de 
me  faire  faire  une  salade  en  Thonneur  d'Apollori  et  de  la 
Pfthie.  Ao-'dessoils  de  la  fontaine  de  Castalie ,  sur  le  fiant* 
d'un  reeher  d'une  hauteur  perpendiculaire  de  plus  de  cent 
iMte,  sont  creusées  trois  niches.  Celle  du  milieu  «  qui  est 
la  {dus  grande,  renfermait  probablement  une  statue  d' Apol* 
ton,  et  les  deut  autres  les  statues  du  dieu  Pan  et  de  la  nym- 
phe Castalie.  Une  quatrième  niche  placée  à  droite  est  fer- 
mée par  une  petite  enceinte  de  murs  et  transformée  en 
une  chapelle  dédiée  à  saint  Jean,  qui  aura  sans  doute  8uc« 
cédé  à  VHetonni  consacré  à  Antinous.  La  religion  chré« 
tienne  â  par  toute  la  Grèce  établi  ses  autels  sur  les  lieux 
mêmes  sanctifiés  par  le  respect  antique ,  et  le  sentiment 
religieux  du  nouveau  cuhe  s'est  trouvé  fortifié  du  respect 
religieux  long-temps  porté  au  culte  ancien.  Assis  sur  un 
rocher  au  tourmare  de  ce  torrent ,  au  bord  de  la  fontaine 
de  Castalie,  qtte  deux  rochers  formidables  resserrent  d'un 
côté  tandis  que  l'autre  s'ouvre  sur  une  vallée  profonde , 
véritable  soliliide  fermée  de  tous  côtés  par  des  montagnes 
fort  Ken  coupées ,  je  pouvais  concevoir  sans  peine  f  im- 


952  GRÈCE  CONTINBNTALB  ET   MOREB. 

presfiioD  de  respect  religieux  qui  devait  saisir  rimagiaatioii 
des  visiteurs  et  les  disposer  à  recevoir  avec  plus  d'autorité 
les  décisions  de  i*oracle. 

Aquelques  pas  au-dessous  de  la  fontaine  de  Gastalie  com- 
mence le  village  de  Castri,  qui  pourrait  bien  avoir  pris  ce 
nom  d*un  château  franc  placé  dans  ce  lieu  pour  défendre 
le  passage.  Il  couvre  l'emplacement  du  temple  d'ApoUoa 
et  de  plusieurs  autres  temples.  Un  peu  au-dessus,  on  aper- 
çoit les  degrés  de  marbre  du  stade ,  les  restes  de  théâtres, 
du  gymnase  et  les  ruines  de  plusieurs  monuments.  De  là 
on  avait  en  vue  Crissa  et  le  golfe  de  Gorinthe  ;  c'était  la 
partie  sacrée  et  monumentale  de  Delphes.  La  partie  pro- 
fane et  habitée  était  à  mi-côte ,  et  l'emplacement  consacré 
aux  jeux  et  aux  luttes  était  plus  bas  vers  la  plaine  et  près 
de  Crissa  et  de  la  mer.  Tous  les  terrains,  depuis  le  bas  du 
ravin  où  coule  le  Plistus  jusqu'en  haut  de  la  colline  sur  la- 
quelle étaient  construits  les  temples  et  les  monuments  pu- 
blics, sont  encore  soutenus  par  des  terrasses  de  construction 
antique ,  étagées  avec  soin  et  qui  servent  de  terrassement 
aux  excellentes  vignes  de  Castri  ;  car  le  coteau  de  Delphes 
n'est  plus  renommé  que  par  son  vin  chaud  et  l^er  à  la  fois. 
A  cette  industrie  légitime  les  habitants  actuels  de  l'antique 
Delphes  en  joignent  une  autre  beaucoup  moins  r^ulière , 
celle  des  fausses  antiquités.  Tout  voyageur  ou  tnitordi^  ainsi 
qu'on  appelle  ici  tout  étranger  qui  court  pour  le  plaisir  de 
courir,  est  sûr  de  trouver  tout  ce  qu'il  demande.  Veut-il 
de  vieux  bronzes ,  de  vieilles  médailles,  de  vieilles  lampes, 
de  vieilles  bagues,  de  vieilles  pierres  gravées,  on  lui  four- 
nira tout  cela ,  fraîchement  confectionné  à  Athènes ,   \ 
Syra,  ou  à  Corfou,  à  l'aide  de  vieux  modèles  pour  les  uns 
et  de  pâle  factice  pour  les  autres,  et  déposé  quelque  temps 
dans  une  bonne  terre  à  fumier  pour  mieux  imiter  la  rouille 
ou  la  couleur  antique  ;  on  les  découvrira  même  devant 
vous,  si  vous  y  tenez,  et  les  objets  d'art  ainsi  découverts 
iront  ensuite,  en  Allemagne,  en  France  et  en  Angleterre , 
enrichir  les  musées  de  province  et  les  cabinets  des  ama- 


DELPHES.  253 

leurs  départemeûtaux  et  donneront  matière  aux  plus  sa- 
vantes dissertations  des  académies  locales.  On  voit  ce- 
pendant quelquefois  à  Delphes  de  Térltables  antiquités, 
bien  que  pour  ma  part  je  n*aie  trouvé  à  acheter  que  des  de- 
niers tourfioîs  des  Ville-Hardoin-priuces  et  princesses  d*A- 
chaye  et  des  La  Roche  ducs  d'Athènes  ;  mais  ce  qu'on  y 
voit  surtout  et  partout  c'est  la  trace  des  monuments 
anUques.  On  ne  creuse  pas  une  fois  la  terre  pour  jeter  les 
fondations  d'une  nouvelle  cabane  à  Castri  qu'on  ne  ren- 
contre quelque  pan  de  muraille  hellénique,  quelques  débris 
de  colonnes  ou  même  quelques  fragments  de  bas-reliefs  de 
marbre.  Dans  le  jardin  d'une  cabane  je  vis  gisant  la  mé^ 
tope  d'un  temple  et  de  beaux  restes  de  bas-reliefs;  à  quel- 
ques pas  de  là,  des  excavations  récentes  ont  fait  retrouver 
les  murailles  d'un  temple ,  et  un  peu  plus  haut  on  vient 
tout  récemment  de  mettre  à  nu  un  long  pan  de  muraille 
composé  de  grandes  pierres  polygonales  taillées  avec  soin  et 
sur  lequel  sont  transcrites  de  longues  séries  d'inscriptions 
de  différents  âges,  en  assez  grande  abondance  pour  rem- 
plir un  volume,  $ans  même  les  réflexions  et  explications  des 
commentateurs  allemands  ou  hollandais. 

Le  gouvernement  grec  avait  eu  une  bonne  pensée ,  c'é« 
lait  de  réserver  pour  les  fouilles  les  terrains  sur  lesquels 
sont  placées  les  cabanes  du  village  de  Castri,  et  de  donner  en 
dédommagement  aux  habitants ,  des  terrains  dans  la  vallée 
inférieure  pour  y  construire  leurs  maisons;  mais  malheureu- 
sement les  projets  restent  là  trop  souvent  à  l'état  de  pensée. 
Ou  avait  bien  interdit  les  constructions  nouvelles  avec  pro- 
messe d'indemnité;  mais  comme  l'indemnité  n'arrivait  pas 
et  qu*en  attendant  on  ne  s'en  mariait  pas  moins ,  on  n'en 
avait  pas  moins  des  enfants ,  et  que  les  enfants  n'en  gran<* 
dissalent  pas  moins  et  qu'ils  réclamaient  de  nouvelles  mai« 
sons 'pour  s'établir,  on  prit  le  parti  de  sauter  à  pieds  joints 
par-dessus  les  prohibitions  gouvernementales  ;  mais,  pour 
n'avoir  pas  à  recommencer,  on  bâtit  cette  fois  de  bonnes 
Quiaons  de  pierre  à  l'aide  des  ruines  qu'on  avait  sous  la 

22 


$54  GRECE  CONTINENTALE   ET    MOREE. 

maiiï.  De  sorte  que  si  plus  tard  le  gouvernement  veut  re- 
venir sur  son  projet  d'indemnité ,  il  lui  faudra  payer  dix 
fois  plus  pour  les  maisons  de  pierre  qu'il  n'eût  payé  pour 
des  calyvia  de  chaume  ou  de  bois.  C'est  ainsi  qu'en  ajour- 
nant à  perpétuité  les  meilleures  résolutions  et  en  ne  se  déci- 
dant pas  à  prendre  un  parti  rapide  et  trandié ,  on  perd  de 
nombreuses  occasions  de  bien  faire.  Les  nouvelles  con- 
structions faites  à  Delphes  prouvent  le  fâcheux  résultât  que 
cela  peut  avoir  sur  les  choses  ;  les  conséquences  en  ce  qui 
concerne  les  hommes  ne  sont  pas  moins  fâcheuses  quel- 
quefois. On  m'a  raconté,  pendant  que  j'étais  à  Delphes,  un 
fait  qui  servira  d'exemple.  Le  roi  Othon  encore  mineur 
était  venu  faire  une  course  de  ce  côté  de  la  Grèce  avec  le 
régent  bavarois  M.  d'Armatispèrg.  Le  tumulte  de  la  guerre 
avait  cessé  à  peine  et  les  habitants  des  montagnes,  long- 
temps habitués  à  la  vle  klephtique  qui  offrait  sous  les  Torciâ 
la  gloire  d'une  indépendance  nationale ,  n'avaient  pu  tout 
à  coup  accepter  la  discipline  régulière  des  sociétés  occi- 
dentales. Les  brigandages  par  terre  avaient  succédé  aux 
pirateries  des  côtes,  disparues  devant  la  ferme  volonté  des 
amiraux  européens,  et  aucune  route  n'était  plus  en  sûreté. 
Tantôt  par  peur  et  tantôt  par  sympathie  les  villageois  fournis- 
saient des  vivres  et  des  munitions  à  ces  efcmemls  de  la  so- 
ciété nouvelle ,  de  telle  sorte  qu'il  était  devenu  bien  diffi- 
cile de  les  atteindra.  Le  gouvernement  eut  alors  recours  k 
un  moyen  qui  eut  les  plus  heureux  résultats.  Il  offrit  une 
prime  de  mille  et  deux  mille  francs  à  celui  qui  lui  apporte- 
rait la  tête  des  bandits  signalés  comme  ennemis  publics,  en 
même  temps  qu'il  promit  à  ceux  qui  se  rendraient  dans  un 
temps  donné,  des  moyens  réguliers  et  honnêtes  d'employer 
leur  activité.  Beaucoup  firent  alors  leur  soumission,  et  sont 
devenus  des  hommes  fort  utilesi  D'autres  plus  récalcitrants 
furent  tués  par  les  troupes  envoyées  b  leur  poursuite  ou  K- 
lirés  par  ceux  même  qu'ils  avaient  forcés  à  les  recevoir.  Quel' 
qoes^uns  retournèrent  reprends  la  vie  de  klephte  et  d'ar* 
niatole  dans  les  montagnes  turques  de  là  haute  Theiisaifei  Peti 


DELPHES.  t55 

survécurent  à  cette  battue  générale,  Une  redoutable  bande 

composée  des  trois  frères  avait  cependant  déjoué  toutes  les 

poursuites  et  tenait  bon  dans  la  chaîne  du  Parnasse,  Une 

prime  plus  haute  fut  offerte  pour  lenrstôtes;  mais  personne 

n'osait  s'aventurer  i  la  gagner.  Un  jour  le  jeune  roi  Otbon, 

qui  venait  de  visiter  lei^  environs  de  Delphes,  était  assis  sur 

le  gazon ,  è  cOté  des  membres  de  la  régence,  autour  d'un 

repas  homérique  servi  sur  des  amas  de  branches  vertes, 

lorsque  se  présente  devant  lui  un  beau  jeune  homme  vôtu 

et  armé  comme  le  sqnt  les  palicares,  Une  vaste  moustache 

descendait  sur  ses  lèvres ,  un  large  coutean  de  ebasse  et 

deux  longs  pistolets  garnissaient  sa  ceinture,  Il  s'adressa 

an  jeune  roi  avec  assurance,  «  Vous  ave^  promis,  lui  dit-il, 

une  prime  h  qui  vous  livrerait  ma  tête  ;  la  voici.  Jus^ 

qu'ici  j'avais  cru  trouver  dans  la  vie  klepbtique  un  emploi 

non  ignoble  de  ma  force,  et  mes  frères  Favaient  cru  ave6 

mol  l^es  miens  me  ê^mm  qne  d'autrçs  tempi;  réclament 

d'autres  habitudes.  Éclairei-moi  sur  le  bien  que  me  réserva 

votre  nouvelle  vie,  et  snr  les  services  que  je  puis  rendre  k 

la  Grèce  ma  patrie  dans  tout  autre  vocation  ;  mes  frères  at-» 

tendent  dans  la  montagne  le  résultat  de  mon  expérience,  » 

Le  roi  Othon  était  mineur.  A  ces  fières  paroles,  il  tourna 

ses  regards  vers  le  régent  d'Àrmansperg  pour  réclamer  une 

adhésion  prompte,  tendre  la  main  an  brave  palicare  et 

(aire  peut-être  d'un  ancien  klephte  un  citoyen  honorable 

et  régulier.  Un  mot  parti  du  coeur  eût  gagné  le  montagnard, 

et  quelques  heures  après  ses  frères  fussent  rentrés  sous  la 

discipline  des  lois;  mais  ce  mot  ne  fut  pas  prononcé, 

M.  d'Armansperg  répondit  qu'on  ei^aminerait  son  affaire , 

qu'on  aviserait,  £n  attendant,  le  palicare  fut  conduit  en 

prison  pour  y  attendre  une  décision  qui  se  faisait  tous  les 

jours  attendre.  La  captivité  était  insupportable  à  l'homme 

des  montagnes.  Il  se  sauva  •  regagna  les  gorges  du  Par*' 

passe ,  annonça  i  ses  frères  ce  qu'ij  avait  vu ,  et  tous  trois 

recommencèrent  une  guerre  longue  et  terrible  contre  la 

société  qui  les  repoussait  au  lieu  de  leur  tendre  les  bras  ; 


256  GRÈCE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

et  ce  ne  fat  qu'après  avoir  été  long  -  temps  la  terreur  du 
pays  qu'ils  succombèrent  eux-mêmes.  Leur  jeunesse ,  leur 
beauté,  leur  bravoure  leur  ont  mérité  des  ballades  qui  se 
chaulent  mélancoliquement  dans  les  chaumières. 

Je  quittai  Delphes  par  une  route  opposée  à  celle  par  la- 
quelle j'y  étais  monté,  et  je  descendis  du  côté  de  Rbrysso. 
C'est  un  village  fort  joli  avec  de  bonnes  maisons  et  dont 
les  habitants  paraissent  tout  à  fait  à  l'aise.  Il  est  fort  voisin 
de  l'emplacement  sur  lequel  était  bâtie  l'antique  Crissa 
qui  a  donné  son  nom  au  golfe  de  Crissa  ou  de  Salona  ou 
de  Galaxidi.  La  route  suit  cette  baie  le  long  d'une  petite 
rivière  qui  féconde  la  vallée,  bien  qu'on  la  passe  aisément 
à  gué  et  qu'on  puisse  en  suivre  le  lit  à  cheval.  Sur  la  gau- 
che on  aperçoit  le  village  de  Ser-Ianni  au  nom  franc,  et 
4iprès  quatre  heures  de  marche  on  arrive  à  Salona ,  l'anti- 
que Amphisse. 

Dès  les  premières  heures  du  jour,  je  commençai  mes 
excursions  dans  Salona  par  la  visite  de  l'ancienne  forte- 
resse ,  placée  sur  le  haut  d'une  montagne  au-dessus  de  la 
ville.  Cette  construction ,  qui  est  d'origine  hellénique ,  fat 
augmentée  sous  l'empire  de  Byzance ,  et  réparée  par  les 
comtes  français  de  Salona.  Les  murailles  helléniques  sont 
fort  considérables.  La  porte  intérieure  est  complètement 
antique.  Elle  est  haute  de  deux  mètres  soixante-dix  centi- 
mètres sur  deux  mètres  trente-cinq  centimètres  de  largeur 
et  deux  mètres  soixante-dix  centimètres  d'épaisseur.  L'en- 
cadrement du  bord  est  de  deux  mètres  trente  centimèti^es 
de  hauteur  sur  un  mètre  soixante-dix  centimètres  de  lar- 
geur. Ainsi  que  toutes  les  autres  portes  helléniques,  elle 
est  composée  de  deux  hautes  pierres  sur  lesquelles  pose  une 
troisième  pierre.  L'enceinte  hellénique  est  presque  partout 
fort  bien  conservée  et  on  y  remarque  les  deux  genres  de 
construction ,  la  polygonale  irrégulière  et  la  quadrilatère 
réunies.  Tous  les  angles  des  murs  sont  bâtis  de  grandes 
pierres  quadrilatères,  fort  bien  taillées,  tandis  que  les  pans 
intermédiaires  sont  composés  tantôt  de  pierres  polygonales 


9AL0NA.  S67 

irrégulières,  bien  ou  mal  taillées,  et  tantôt  de  pierres  quadri- 
latères taillées  ici  fort  soigneusement,  et  à  côté  fort  grossière- 
ment. Cette  différence  indique-t-elle  deux  ou  trois  époques, 
ou  simplement  deux  modes  contemporains  de  construc- 
tion? L'inspection  des  murs  de  Salona  rend  cette  dernière 
opinion  plus  probable.  Les  encoignures ,  qui  devaient  être 
plus  fortes,  sont  bien  taillées  et  composées  d'assises  régu- 
lières quadrilatères;  les  murs  intermédiaires,  exigeant 
moins  de  soin ,  sont  composés  de  pierres  irrégulières  plus 
ou  moins  bien  taillées.  Ainsi  voilà  les  trois  espèces  de  con- 
structions réunies  sur  un  seul  point.  Deux  tours  rondes 
sont  d'origine  évidemment  byzantine  i  deux  tours  carrées, 
à  l'une  desquelles  on  aperçoit  les  vestiges  d'une  porte-cou- 
lisse, sont  d'origine  et  de  construction  franques.  Dans  l'inté- 
rieur des  murs  sont  les  ruines  d'une  église  franque,  au- 
dessous  de  laquelle  est  une  petite  église  souterraine  d'une 
forme  tout  à  fait  inusitée.  Elle  est  double ,  mais  non  pas 
composée  de  deux  corps  qui  se  joignent  longitudinalement  : 
Tune  vient  tomber  à  angle  droit  sur  l'extrémité  de  l'autre 
et  n'a  d'issue  que  par  la  première.  Près  de  l'église  franque 
sont  les  ruines  d'une  petite  église  byzantine,  et  tout  à  côté 
de  cette  dernière  est  un  petit  sacellum  fort  probablement 
romain.  Sur  la  gauche  en  entrant  est  un  degré  creusé  dans 
le  roc  tout  le  long  du  mur  de  côté,  et  tout  le  pavé  est  éga-' 
lement  creusé  dans  le  roc.  Ainsi  sont  venues  s'accumuler 
sur  cet  étroit  espace  bien  des  générations  d'hommes  qui 
n'y  ont  laissé  que  poussière  et  ruines. 

En  descendant  du  château ,  je  m'arrêtai  à  contempler 
nne  belle  fontaine  à  arcades  de  construction  turque.  L'eau 
y  est  extrêmement  abondante  et  d'une  excellente  qualité. 
Elle  alimente  tous  les  jardins  de  la  ville,  et  permet  à  tous 
les  habitants  d'orner  leurs  maisons  au  moins  de  quelques 
arbres  chacune.  Salona  est  dispersée  çà  et  là ,  sans  aucune 
rue  arrêtée,  comme  un  village  suisse,  sur  tous  les  flancs  de 
la  colline.  L'effet  en  est  charmant  de  loin  ;  mais  de  près 
«n  pénètre  bien  difficilement  à  travers  ce  dédale  de  pierres, 

2a. 


356  GHECE   CONTI?«ENTALE   ET   MOKEE. 

et  il  sera  fort  uial  aisé  de  relier  jamais  tout  cela  eo  une  pe- 
tite ville. 

Je  parcourus  tous  ces  décoo)bre3.  Sur  les  pans  de  muraille 
encore  debout  d'une  église  ruinée  de  Saint-Jean^Ie-Tbéolo* 
gien,  bfltie  sur  les  ruines  d'un  temple  antique  dont  les  ba« 
ses  subsistent,  apparaît  encore  une  longue  fenêtre  en  ogive 
de  l'époque  franque.  Une  autre  église,  placée  au  bas  de  la 
ville  sous  l'invocation  de  saint  INicolas  et  sainte  Paraskevi, 
ofTre  sur  les  parois,  au  milieu  du  chœur,  un  bas-relief  repré- 
sentant l'aigle  i  deux  têtes  de  l'Empire  tenaut  une  boule 
dans  sa  serre  droite.  Ce  même  blason  se  retrouve  au-des- 
sus de  la  porte  d'une  maison  particulière.  De  l'époque 
turque  il  ne  reste  à  Salona  qu'une  mosquée,  et  encore, 
aussitôt  après  la  révolution  grecque,  par  représaille  contre 
les  Turcs  qui  faisaient  abattre  les  clochers  des  églises  chré- 
tiennes et  défendaient  d'en  construire  d'autres,  les  chré- 
tiens ont-ils  fait  démolir  le  minaret  de  la  mosquée.  Deux 
autres  églises  subsistent  au-dessus  de  la  ville ,  celle  de  la 
Panagia,  et  une  autre  plus  petite  consacrée  à  la  Panagia  et 
au  Sotiros  (sauveur),  et  située  plus  haut  dans  les  platanes, 
sur  le  versant  de  la  montagne  5  mais  je  n^y  ai  rien  retrouvé 
de  curieux* 

lies  murailles  de  Tantique  Ampbisse,  composées  de 
grosses  pierres  quadrilatères,  se  continuent  tout  le  long  de 
la  rivière,  au  pied  de  la  nouvelle  Salona,  De  l'autre  côté  de 
h  rivière  est  un  monument  de  la  plus  haute  antiquité. 
C'est  une  grotte  de  six  pieds  carrés  environ,  taillée  dans  le 
roc  vif*  La  porte  est  large  et  haute ,  et  au  fond  est  une 
tombe  découverte.  Suivant  les  traditions  du  pays,  c'était 
le  tombeau  de  l'Égyptien  Phocas ,  qui  a  donné  son  nom  à 
la  Phocide,  De  cette  grotte,  un  peu  élevée  au-dessus  de  la 
rivière,  sur  le  penchant  de  fa  montagne,  en  face  de  Salona, 
on  aperçoit  toute  la  vallée,  et  on  devait  voir  se  développer 
Tantique  Amphisse,  dont  les  murailles,  qui  suivent  le  lit  de 
la  rivière,  sont  placées  à  une  centaine  de  pieds  plus  bas, 

A  deux  lieues  de  Salona,  sur  la  montagne  par  laquelle  se 


monastèee  de  saint-éub,  259 

dirige  une  seconde  route  pour  se  rendre  è  Delphes ,  es 
placé  le  monastère  fort  ancien  et  fort  riche  de  Saint-Élie. 
J'espérais  y  rencontrer  quelques  manuscrits,  mais  les  ca- 
loyers  de  Saint-Élie,  qui  soignent  fort  bien  leurs  terres, 
leurs  vignes  et  leur  église ,  n'eurent  i  me  montrer  aucun 
vestige  de  bibliothèque  ou  d'archives.  Le  monastère  et  Té- 
glise  ont  été  entièrement  rebâtis  «i  neuf  depuis  peu  d'an* 
nées.  Un  ouvrier  intelligent  et  sans  élude  a  décoré  le  chœur 
de  cette  église  d'un  voile  en  bois  sculpté,  d'une  vingtaine 
de  pieds  de  hauteur  sur  trente  de  largeur,  qui  n*est  pas 
3ans  mérite.  La  conception  annonce  beaucoup  d'imagina-^ 
tion  dans  un  homme  qui  n'a  rien  vu  ailleurs  ni  rien  étu- 
dié. Les  colonnes  sont  formées  d'arabesques  d'arbres,  de 
fleurs,  d'animau^s,  de  personnages  fantastiquement  groupés* 
I,e  coup  de  ciseau  annonce  aussi  une  main  habile,  mais  la 
correction  du  dessin  ne  répond  nullement  au  talent  de  la 
mise  en  œuvre.  On  croit  voir  un  bois  sculpté  chez  nous  au 
onsûème  siècle,  tant  le  dessin  en  est  rude  et  incorrect, 

L'bégoumène,  qui  m'accueillit  avec  la  plus  parfaite  pré-^ 
venance,  m'avait  fait  préparer  dans  sa  chambre  une  collation 
et  quelques  flacons  de  son  meilleur  vin.  Nous  allâmes  jouir 
ensuite  de  l'aspect  de  sa  terrasse.  La  vue  en  est  toute  gran- 
diose. A  ses  pieds  on  a  le  golfe  de  Corintbe ,  qu'on  emi- 
brasse  tout  entier,  depuis  les  montagnes  de  la  IVlégaride 
jusqu'à  Fatras  et  au  mont  de  Santameri,  forteresse  de  no^- 
tre  Nicolas  châtelain  de  Saint-Omer,  Au  midi,  la  vue 
s'étend  dans  le  Péloponnèse  jusqu'aux  montagnes  du  Tay-> 
gète  ;  au  nord,  on  a  le  Parnasse  ;  à  l'est,  THélicon;  et  la  vue 
se  prolonge  à  l'ouest  le  long  de  la  mer  jusqu'aux  lies  Ionien-- 
nés  et  jusqu'aux  dernières  pointes  des  montagnes  de  la  Cala* 
bre,  vaste  horizon  qui  s'étend  ainsi  des  premières  côtes  de 
Turquie  aux  dernières  côtes  d'Italie,  et  qui  comprend  un 
ensemble  de  vallées ,  de  montagnes ,  d'îles  et  de  mers  dont 
la  beauté  attirerait  pendant  de  longues  heures  l'admiration 
la  plus  rebelle.  Je  fus  pourtant  forcé  de  m'y  arracher  pour 
songer  au  retour.  Le  chemin  de  montagne  pour  desçen- 


^60  GRECE   CONTINKTiTALE   ET  MOREE.  , 

dredans  la  vallée  d'Ampbissc  est  âpre  et  rocailleux;  et  si  Ton 
veut  bien  choisir  entre  ses  roches  pointues,  il  convient  d'a- 
voir à  recueillir  quelques  rayons  de  soleil.  Je  pris  donc  congé 
avec  regret  de  mes  bons  moines  et  de  leur  délicieux  cou- 
vent où  j'aimerais  à  mener  une  vie  de  bénédictin ,  parta- 
gée entre  l'admiration  d'une  belle  nature  et  les  études  les 
plus  propres  à  améliorer  les  hommes. 

Le  temps  était  fort  couvert  à  mon  départ  de  Salona  et  l'as- 
pect des  nuages  du  matin  annonçait  une  pluie  prochaine,  i 
peine  étais-je  monté  au  village  de  Topolias,  à  une  lieue  de 
Salona ,  que  commença  une  de  ces  ondées  terribles  qu'on 
ne  voit  que  dans  les  pays  méridionaux.  Pendant  plus  de 
trois  heures  la  pluie  continua  sans  interruption   avec 
violence ,  et  accompagnée  d'un  tel  vent ,  que  plusieurs  fois 
je  faillis  être  renversé  de  mon  cheval.  Toute  cette  route, 
le  long  du  Parnasse ,  est  composée  de  rochers  et  de  mon- 
tagnes sablonneuses.  Lorsque  les  pluies  viennent  à  délayer 
ce  sable  et  que  les  torrents  grossis  s'étendent  et  débordent 
sur  les  sentiers,  ces  terres  sablonneuses  deviennent  en  peu 
d'heures  parfaitement  liquides  ;  et  partout  où  les  rocs  bri- 
sés qui  forment  la  route  laissent  un  peu  de  vide ,  les  pieds 
des  chevaux  enfoncent  sans  aucune  fin.  Veut-on  s'avancer 
au  delà  des  bords  du  torrent  et  du  sentier  jusque  dans  la 
prairie  non  frayée,  on  court  risque  d'y  rester  plongé  comme 
dans  un  marais  de  Hollande  et  de  n'en  plus  sortir.  Ce  temps 
affreux  donnait  à  ces  grandes  scènes  de  montagne  une  cou- 
leur âpre  et  sans  teinte.  Tous  les  bois  de  pins  paraissaient 
d'un  vert  sombre ,  et  les  mille  brisures  de  ces  ravins  acci- 
dentés, garnis  de  toutes  sortes  de  pentes  boisées,  perdaient 
toute  la  grâce  que  le  soleil  donne  à  un  beau  paysage ,  et  se 
montraient  dans  toute  leur   rudesse.   Malgré  la  pluie 
battante  qui  m'avait  transpercé ,  cette  belle  et  forte  nature 
me  saisissait  d^admiration  ;  et  je  m'arrêtais  parfois  à  étu- 
dier ces  scènes  imposantes  qu'il  m'était  donné  de  voir  à 
ce  moment  pour  ne  plus  les  retrouver  jamais.  Le  temps 
s'adoucit  toutefois  un  peu ,  et  la  pluie  diminua  de  violence 


KHANI   DK   GRAVIA.  S61 

à  mesure  que  nous  descendions  vers  la  vallée  de  la  Dorîde. 
Ce  qui  rend  les  voyages  souvent  si  pénibles  en  Grèce,  c'est 
qu'après  un  temps  comme  celui  qui  venait  de  m'assaillir,  ou 
après  une  grande  fatigue ,  on  ne  peut  trouver  la  plupart 
du  temps  un  bon  feu  pour  se  sécher,  un  abri  pour  se 
délasser,  un  repas  supportable  pour  réparer  ses  forces. 
Quand  on  a  été  bien  mouillé ,  on  attend  qu'il  cesse  de 
pleuvoir  pour  se  sécher  ou  changer ,  si  on  peut  trouver 
quelques  effets  respectés,  en  allumant  un  grand  feu  en 
pleine  air  ;  quand  on  est  trop  fatigué ,  on  se  repose  sous 
un  arbre  :  heureux  si,  après  une  pluie  d'orage  comme  celle 
que  j'avais  reçue  en  route  ,  on  peut  rencontrer  l'abri  d'un 
khani.  Une  éclaircie  me  laissa  voir  à  quelque  distance  le 
khani  de  Gravia ,  et  j'éperonnai  mon  cheval  pour  y  arri- 
ver promptement. 


XTII. 

KHANI  DE  GRAVU. 

Un  khani ,  l'auberge  orientale ,  est  un  vaste  hangar  com-^ 
posé  d'une  seule  pièce.  Sur  les  deux  côtés  se  rangent  les 
chevaux.  Au  milieu  est  une  sorte  de  terre-plein  carrelé 
un  peu  plus  élevé ,  sur  lequel  les  hommes  viennent  éten- 
dre leurs  tapis  pour  le«repos  de  la  journée  et  le  sommeil 
de  la  nuit.  Si  on  a  besoin  de  feu  pour  se  sécher  ou  faire 
sa  cuisine ,  c'est  sur  le  même  terre-plein  qu'on  l'allume 
à  l'aide  de  rameaux  séchés,  et  la  fumée  s'en  va ,  se  per- 
dant dans  le  haut  du  hangar  et  s'échappant  par  la  j)orte 
on  par  toute  issue  qu'elle  peut  rencontrer.  L'ameublement 
est  des  plus  simples.  Un  baril  de  vin  ,  un  baril  de  vinaigre, 
quelques  flacons  et  pots  destinés  aux  provisions ,  des  bottes 
d'oignons  suspendues  en  l'air,  parfois  une  boite  remplie 
d'œufs,  une  ou  deux  poêles  pour  le  service  du  dîner,  et 


t6S  GRECE  CONTINENTALE  ST  MOREE. 

quelques  assiette»  anglaises  et  fourchettes  de  fer  alleoMn- 
des;  voilà  tout  ce  qu'on  peut  espérer  rencontrer  dans  le 
khani  le  mieux  pourvu.  Tout  le  monde  vil  pêle-mêle  au 
milieu  de  ses  bêtes  »  de  ses  paquets  et  des  apprêts  de  cui«> 
sine  et  de  toilette  de  tous  ses  compagnons  de  voyage;  car 
là ,  il  ue  peut  rien  y  avoir  de  mystérieux.  Tout  se  fait  en 
présence  de  tous. 

Le  kbani  de  Gravia,  situé  à  rextrémité  de  la  vallée  de  la 
Doride ,  au  pied  du  revers  septentrional  de  laf^chaine  du 
Parnasse,  esi  un  lieu  de  passa£;e  assez  fréquenté.  L'immense 
pluie  de  la  journée  avait  fait  refluer  sur  ce  point  tout  ce 
qu'il  y  avait  de  voyageurs  rapprochés  de  ces  parages ,  et ,  au 
n^omept  où  j'arrivai ,  je  trouvai  une  vingtaine  de  personnes 
déjà  réunies  ;  les  uns  arrivés  avant  moi  par  la  route  det 
montagnes ,  les  autres  se  disposant  à  reprendre  la  route 
que  nous  venions  de  quitter ,  aussitôt  que  la  pluie  aurait 
cessé  de  battre  avec  tant  de  violence.  Les  plus  anciens  ar- 
rivants, groupés  par  lerre^  terminaient  cependant  leurs 
modestes  repas  et  causaient ,  pendant  que  les  nouveaux 
venus  se  séchaient  de  leur  mieux ,  ce  qui  n'est  pas  une 
opération  facile  ;  car  rien  n'est  bien  protégé  contre  une 
telle  pluie ,  et  les  effets  de  rechange  sont  souvent  aussi  mal- 
traita que  lea.  vêtements  qu'on  a  sur  soi. 

Pour  moi  personnellementj'étais  sous  l'action  d'une  mé« 
tamorphose ,  et  je  devenais  fontaine.  Mon  sac  de  nuit ,  ma 
carnassière,  mes  menus  effets  étaient  transpercés,  livres  et 
cartes  compris.  Mes  deux  malles  de  cuir,  qui  se  faisaient 
équilibre  sur  les  deux  flancs  du  sommier,  s'étaient  telle- 
ment imprégnées  d'eau  que  toutes  les  premières  ooucbes 
intérieures  s'en  étaient  ressenties.  Je  trouvai  enfin  à  grand'* 
peine  une  suite  complète  de  nouveaux  vêtements  tout  à 
fait  respectés  par  l'orage.  Mes  compagnons  du  khani  se 
réunirent  à  moi  pour  m'aider  à  faire  sécher  ce  qui  avait 
le  plus  souffert  ;  car  tous  sont  ici  de  la  complaisance  la  plus 
prévenante  en  faveur  des  étrangers.  Je  me  mêlai  ensuite 
aux  conversations.  Comme  on  avait  été  forcé  de  résider 


kflANIA   DE   ORAVIA.  263 

SOUS  le  toit  du  kbani  plus  long-temps  qu*on  ue  Teât  dé« 
siré,  on  cherchait  à  faire  passer  les  heures  en  contant  des 
histoires.  Il  y  avait  deux  ou  trois  conteurs  privilégiés  sur 
lesquels  s'en  reposaient  tous  les  autres.  11  y  eut  le  un  re** 
noavelleinent  des  Miiie  et  unt  Nuii$;  et  comtn^  Tun  des 
principaux  conteurs  était  né  à  Lesbos ,  qu'un  autre  arrivait 
de  h  Thessalie ,  d*Élassona  au  pied  de  TOlynipe ,  et  que 
nous  avions  parmi  nous  des  bergers  descendus  des  hau- 
teurs du  Liakoura ,  le  plus  neigeux  des  pîcs  du  Parnasse , 
la  mythologie  antique  avec  tous  ses  souvenirs  traditionnel 
88  trott¥«  mêlée  à  leur  insu  avec  leurs  troyances  modernes. 
L'une  de  ces  histoires  était  le  conte  de  Radia  que  made-^ 
nmiselle  Sébastitïa  Sout^o,  fille  de  là  bonne  et  douce  prin- 
cesse Marie  Soutzo,  s*éiait  fait  conter  autrefois  par  une  de 
ses  femmes  chiotes,  et  qu'elle  avait  bien  voulu  nie  donner 
il  y  a  quelques  années  ^  Je  la  rapporterai  ici*  ainsi  qaedaux 
autres*  rédigées  aussi  de  la  même  manière  et  par  la  même 
plume  j  et  en  suivant  exactement  le  simple  récit  du  con- 
teur, satis  rien  y  ajouter. 

RODtA. 

COMTE  GhBG. 

Un  vieillard  était  père  de  trçfis  filles.  La  plus  jeune  d^eiitre  elles 
Joignait  h  UDe  l)éauté  rare  toîites  les  perfections  de  Tesprit  et  de 
l'ftme.  Les  deux  atnées,  exirèuiement  jalouses,  et  ne  pouvant  souf- 
frir  cette  supériorité  dont  tout  te  monde  parlait ,  se  décidèrent  à 
consuUer  le  soleil.  Un  jour  elles  se  mirent  à  la  croisée,  et  dirent  ; 
«  Soteil ,  brillant  Soleil ,  toi  qui  parcours  le  monde,  quelle  est  celle 
»  de  nous  qui  l'emporte  par  Téclat  de  ses  charmes?  »  Le  Soleil  leur 
répondit  :  «Je  suis  beau,  tous  êtes  belles  aussi;  mais  yotre  sœur  ca« 
*  dette  nous  surpasse  en  beauté  »  La  réponse  du  Soleil  les  transporta 
d'un  tel  accès  de  fureur,  qd*el1es  résolurent  la  mort  de  Rodia  ;  c'était 
le  nom  de  leur  sœur.  Elles  lui  proposèrent  donc  d'aller  cueillir  des 
herbes  pour  préparer  le  souper  de  leur  père.  Rodia  y  consentit,  et 
accompagna  ses  sœurs  avec  confiance.  Celles-ci,  après  l'avoir  menée 

*  Je  Tii  çoiDiDttiii<|iié  a  M.  Képomucène  Lemercier,  qui  Ta  Insère 
diiis  m  da  «M  voluniea  conMcrés  aux  montagnards  grecs* 


264  GR£C£   GOiNTJAENXALE   fiT   MOREE. 

assez  loin  de  la  maison  paternelle  pour  qu'il  lui  fût  impossible  de 
la  retrouver,  rabandonnèrent  et  s'en  retournèrent  seules.  La  bonne 
Rodia,  s'étant  aperçue  de  son  isolement,  ne  s'en  prit  qu'à  elle-niéme; 
elle  crut  s'être  égarée  par  sa  faute,  et,  sans  accuser  personne ,  elle 
pleorait  amèrement. 

La  nnit,  qui  rend  tout  plus  terrible,  augmentait  le  désespoir  de 
cette  malheureuse.  Knfin,  elle  vit  de  loin  un  brillant  cortège  qui  se 
dirigeait  de  son  Mé  :  c'était  Nyctéris,  déesse  de  la  nuit,  qui,  après 
avoir  fait  ses  courses  mystérieuses,  retournait  vers  sa  demeure. 
Tout  à  coup,  frappée  des  accents  plaintifs  et  des  sanglots  de  la  belle, 
Nyctéris  s'arrêta  ponr  en  pénétrer  la  cause ,  et  vit  une  jeune  fitle 
tout  en  larmes.  La  déesse  alors  lui  demanda  par  quel  basard  elle  se 
trouvait  seule  dans  ce  lieu;  et,  d'après  son  récit  naïf,  elle  lui  pro- 
posa de  l'adopter  comme  sa  fille.  La  pauvre  Rodia  accepta  l'offre 
et  suivit  la  déesse.  Myctéris ,  k  peine  arrivée  chez  elle ,  lui  donna 
l'inspection  de  son  palais ,  et  remit  entre  ses  mains  tout  ce  qu'elle 
avait  de  plus  précieux  ;  car  la  bonté  naturelle  et  la  douceur  de  Ro- 
dia charmèrent  tellement  la  déesse,  qu'elle  conçut  ponr  elle  la  plus 
vive  tendresse,  et  ne  songeait  qu'à  lui  rendre  la  vie  heureuse.  Mais 
laissons  RodIa  pour  un  moment,  et  revenons  aux  deux  méchantes 
sœurs. 

Bien  que  persuadées  de  la  mort  de  Rodia,  elles  voulurent  néan- 
moins demander  encore  au  soleil  quelle  était  la  plus  belle.  H  leur 
fit  la  même  réponse.  Alors  elle^  loi  déclarèrent  que  Rodia  était  morte 
depuis  long-temps;  mais  le  Soleil  assura  qu'elle  vivait  dans  le  palais 
de  Nyctéris.  Leur  jalouse  méchanceté  n'eut  pas  de  bornes  à  cette 
nouvelle.  Sans  perdre  de  temps,.elles  prirent  une  écliarpe  ensorcelée 
qui,  par  son  pouvoir  magique,  devait  faire  mourir  la  personne  qui  la 
porterait ,  et  elles  allèrent  Toffrir  à  leur  sœur.  La  joie  de  l'innocente 
Rodia  ne  peut  pas  se  décrire,  lorsqu'elle  vit  ses  sœurs  qu'elle  ado- 
rait et  qu'elle  croyait  perdues  pour  elle  :  sa  bonté  les  reçut  avec  un 
plaisir  inexprimable,  leur  fit  l'accueil  le  plus  amical  et  leur  oifrit 
tout  ce  qu'elle  possédait  ;  elle  ne  pouvait  plus  s'en  séparer,  tlles, 
de  leur  c6té,  feignant  le  plus  sincère  contentement  de  son  heureuse 
destinée  ,  la  prièrent  de  recevoir  l'éciiarpe  enchantée ,  comme  un 
faible  gage  du  souvenir  de  deux  sœurs  qui  la  chérissaient  tendre- 
ment. Rodia  accueillit  ce  don  perfide  comme  une  chose  précieuse, 
et,  aussiK^t  après  leur  départ ,  elle  mit  l'écharpe  sur  son  cou ,  ce 
qui  soudain  causa  sa  mort.  Nyctéris,  de  retour,  s'empressa^  à  son 
ordinaire,  d'aller  dans  la  chambre  de  sa  fille  bien-aimée.  0  surprise! 
elle  la  retrouve  sans  vie.  D'aboixl  elle  crut  rêver;  mais,  reconnais* 
sant  que  sa  perte  était  trop  réelle,  elle  mit  tout  en  œuvre  pour  de- 


ROOIA.  265 

viner  la  eause  d*uii  si  graud  malheur  :  elle  ue  put  y  réussir,  car 
personne  n'eu  soupçonnait  la  moindre  circonstance.  Nyctéris,  dé^ 
espérée  y  s'approcha  d'elle  pour  lui  adresser  le  dernier  adieu  »  et  Yit 
sur  son  sein  un  ornement  qu'elle  n'avait  jamais  porté;  elle  le  lui 
ôta,  et»  subitement  ranimée  y  Rodia  reprit  ses  sens.  Il  est  difficile 
de  peindre  la  joie  de  la  déesse,  qui  lui  adressa  mille  questions  pour 
apprendre  d'où  venait  cette  parure  mystérieuse.  Elle  lui  défendit  à 
Tavenir  de  recevoir  personne  sans  sa  permission  ;  car  Nyctéris,  aussi 
pénétrante  que  sage,  devina,  par  les  récits  de  sa  protégée,  le  secret 
de  cette  triste  aventure.  Mais  RodIa,  n'attribuant  son  malheur  qu'au 
hasard,  non-seulement  n'eut  pas  le  moindre  ressentiment  contre  ses 
sœurs,  mais  elle  fut  sincèrement  affligée  de  l'expresse  défense  de 
les  revoir.  Ces  méchantes  créatures  ne  lui  Iais.<:èrent  pas  un  long 
repos;  et,  s'adressant  de  nouveau  au  Soleil,  lui  firent  la  même  in- 
terrogation f  et  en  reçurent  la  même  réponse. 

Elles  imaginèrent  alors  de  prendre  une  pastille  de  gomme  enchan- 
tée pour  l'offrir  à  leur  sœur,  puis  se  rendirent  chez  elle.  Mais  il  ne 
leur  était  pluspermis  de  l'approcher  ;  elle  parut  seulement  à  la  feDétre» 
et ,  les  larmes  aux  yeux ,  elle  leur  dit  que  sa  mère  lui  avait  défendu 
de  recevoir  personne.  Les  sœurs ,  feignant  la  plus  grande  douleur, 
la  prièrent  d'accepter  une  pastille  parfumée  qu'elle  pouvait  prendre 
à  l'aide  d'un  fil  qui  la  ferait  monter  jusqu'à  elle.  Elle  reçut  la  pas* 
tille,  la  mit  dans  sa  bouche  et  mourut.  Nyctéris,  de  retour,  de- 
manda comment  Rodia  se  portait  ;  on  lui  répondit  qu'elle  était 
morte.  La  déesse  parut  d'abord  inconsolable  :  cependant  l'espoir  de 
la  faire  revenir  comme  la  première  fois  l'engagea  à  fouiller  dans  tous 
les  replis  de  ses  vêtements;  mais  ce  fut  en  vain  :  comment  deviner 
le  charme  qui  la  tenait  évanouie?  Ces  recherches  inutiles  la  rédui- 
sirent au  désespoir.  11  fallut  qu'elle  se  séparât  enfin  de  sa  chère 
Rodia  ;  mais  elle  ne  put  se  résoudre  à  lui  donner  la  sépulture,  peh* 
sant  que  quelque  autre  parviendrait  peut-être  à  dévoiler  le  mystère. 
Remplie  de  cette  idée  consolante ,  elle  ordonne  aussitôt  que  l'on 
construise  un  cercueil  d'argent;  et,  après  avoir  paré  Rodia  de  ses 
plus  brillants  atours,  elle  Ty  enferme,  met  le  cercueil  sur  un  beau 
cheval,  et  le  laisse  aller  au  hasard.  Le  coursier,  errant  sans  guide, 
l'emporta  au  travers  des  contrées  voisines ,  où  régnait  un  prince  le 
plus  beau  jeune  homme  de  son  temps.  Ce  jeune  roi ,  étant  ce  jour- 
là  à  la  chasse ,  rencontra  le  cheval  sur  son  passage.  Étonné  de  m 
légèreté  et  de  l'aspect  du  fardeau  brillant  dont  il  était  chargé,  il 
s'en  approche,  et,  le  voyant  sans  maître,  il  ordonne  qu'on  s'en 
empare  et  qu'on  le  mène  au  palais.  Là  parsesordies  on  ouvre  la 
caisse.  Quelle  fut  sa  surprise  de  voir  la  plus  belle  femme  du  monde 

23 


S66  GRÈCE   CO!«Tli^ENTALE    ET    MOnÉE. 

sans  vie!  Ce  qu'éprouva  le  jeune  homme  e»t  au-dessus  de  toute  ex- 
pression :  nû  trouble  nouveau  égara  son  âme  émue  par  la  singula- 
rité de  cê  spectacle  ;  la  présence  de  tant  dé  charmes ,  quoique  ifl- 
aniiHis,  Tembraia  d'un  tel  amour,  qu'il  Ué  s*élo}gnaU  du  cercueil 
ni  four  ni  Bult  f  qtlMl  rusait  toutes  les  distractions ,  tous  les  conseils, 
tous  les  obJetA  qui  pouvaient  l'en  séparer ,  qu'il  ne  pretiaii  plus  é'a- 
HmeMe,  et  qu'il  était  privé  de  tout  sommeil.  La  reine,  sa  mët«, 
téOM>ia  du  dépérissement  de  son  dis  unique,  ne  satait  à  quelle  pas- 
sion Bttttbuer  sea  ehagrltig. 

Après  mille  perquisition»  vatned,  elle  résolut  un  jour,  pendant 
rabienee  de  son  fils,  d'entrer  dans  sa  chambre  pour  voir  ce  qui  le 
îttenalt  enrermé.  En  y  entrant,  elle  aperçoit  te  cercueil  d'argent  $ 
elle  accourt  «  l'ouvre  soudain  et  trouve  le  corps  de  la  belle  Rodia. 
D'abord  elle  en  admira  la  rat-e  beauté;  mais,  supposant  blentét 
qu'elle  était  sans  doute  la  cause  du  malheur  de  son  fils,  elle  ta  tire 
avec  colère  pftr  les  cheveux ,  et,  la  soulevant  avec  force,  fblt  heu- 
reuiement  tomber  la  pastille  enchantée  ded  lôvres  de  la  b^llc.  Aus- 
sitôt Rodia  retient  encore  à  la  vie.  On  ne  saurait  donner  une  juste 
idée  de  tout  rétonnement  de  la  r&lne  à  cette  vue.  Elle  pleura  d'ai- 
légreaae,  elle  l'embrasM,  et ,  dans  «on  ravissement,  lui  jura  qu'elle 
aérait  Tépotise  de  son  fils.  A  i>eine  instruit  par  un  prompt  message 
de  cet  heureu)(  miracle,  lé  jeune  prince  accourut,  vît  Rodia  dana 
les  brA8  de  sa  mère,  là  reçut  d'elle  et  Tépousa.  Ce  bonheur  ne 
Alt  pas  de  longue  durée  ;  car  la  méchanceté  des  dent  sœurs  oc 
tarda  pas  à  l'empoisonneur.  Elles  inlerrogèreut  pour  la  troisième  fols 
le  Soleil  sur  la  beauté  de  leur  smùr.  tl  leur  répondit  qu'elle  était  la 
plua  belle  reine  du  monde ,  et  qu'elle  portait  dans  son  sein  le  l^ult 
de  son  union.  Ces  méchantes  filles  n-avaient  pu  la  souffrir  seulement 
beRe  ;  or  on  présume  aisément  qu'il  leur  fut  plus  impossible  encore 
de  la  supporter  reine.  Elles  imaginèrent  de  s'annoncer  comme  les 
plus  habiles  sages^femmes  du  royaume,  et  de  parvenir  ainsi  à  leur 
but  :  ce  qui  ne  leur  réussit  que  trop  bien.  Elles  Ke  présentèrent, 
forent  admises  et  exigèrent  que  tout  le  monde  sortit  des  appartc' 
ments  de  la  reine,  soua  prétexte  qu'on  pourrait  jeter  un  sort  sur  son 
enfantement.  Étant  donc  restées  ^utea,  elles  enfoncèrent  une  épin- 
gle ensofcelée  dans  la  tète  de  l'accouchée.  Cette  épingle  la  méta- 
morphosa en  un  petit  oiseati  qui  s'envolà,  et  une  des  deux  sœurs 
se  mit  au  Ht  h  sa  place.  Le  prince,  averti  de  la  naissance  d'un  fils, 
Courut  dans  les  appartements  de  sa  femme ,  et  resta  stupéfait  de  tè 
prompt' diangement.  Elle ,  devinant  sa  pensée,  prévint  ses  questions 
et  lui  dit  !  «  Voye^-vous,  sire,  combien  mek  souffrances  ont  altère 
«  mes  traRsf  «  Le  roi  f^goit  de  n'en  avoir  pas  fait  l'observation  ; 


maift  «on  cœur  s«  refroidit  après  qu'il  «nt  eontàmplé  l'objet  <!•  e»tlê 

f4cUeu«e  mëtamorpboee.  Il  avait  l'ui^age  de  déjeuner  toujouM  dahg 

Bon  Jardin.  Un  jour  qu'il  y  était,  à  rêver  aolitairemenf,  il  vit  un  joli 

petit  oiseau  qui,  a'étant  approché,  lui  dit  ;  «  Prince,  la  reine-inèm, 

w  le  roi  et  le  jeuqe  prin<^  ont<iU  bien  dormi  la  nuit  p«i«$e?  »  Sur  la 

réponse  afIQiiiative  du  roi,  l'oiseau  répondit  x  m  Que  tous  dorment  du 

»  ^nim^il  le  plui  dou](  ;  mais  que  la  jeune  reine  dorme  d'un  aom<i 

»  meil  &IW9  réveil»  et  que  tqug  lea  arbres  que  je  traverse  se  sèchent.  » 

^n  ^hevaut  ces  paroles,  l'oiseau  ieudit  les  airs,  et  partout  nù  i) 

pASsa  la  yerdure  et  les  fleurs  s^  flétrirent,  et  tout  devint  arid#«  lies 

jardiniers,  eHligés,  demandèrent  au  prince  s'd  leur  permettait  de 

tuer  roiseau  malfaisant  i  mais  il  It^ur  défendit,  «nus  peine  de  mort, 

de  lui  faire  k  moindre  mf^U  Durant  une  suitç  de  jours,  le  petit  oiseau 

revint,  et  la  duuee  voix  du  piinoe  l'apprivoisa  tellement,  qu'il  res» 

tait  sur  ses  genoux  et  déjeunait  aveo  lui.  Cette  familiarité  donna 

au  Jeune  roi  l'occasion  d'observer  mieux  U  reste  de  son  plumage  s 

il  Tit  sur  sa  léte  une  épingle*  Cette  découverte  le  frappa  vivement] 

il  osa  la  lui  arraclter,  et  sa  véritable  femme  reparut  devant  lui  beau* 

coup  plus  belle  encore  qu'auparavant.  Sa  surprise  et  son  trouble  le 

retinreiH  pendant  quelque  temps  immobile  et  muet  i  mais  enfin , 

revenant  i  lui-même,  il  voulut  s'instruire  de  la  vérité,  et  se  fit  ra» 

conter  jusqu'aux  moindres  circonstances  de  cet  étrange  événement. 

Pèa  qu'il  fut  bien  informé  de  toutes  les  ruses  des  deux  méohantes 

sœurSi  il  les  fit  saisir  et  len  condamna  l'une  et  l'autre  à  un  supplice 

bien  digne  du  crime  dont  elles  s'étaient  rendues  coupables.  En  vain 

la  sensible  Bodia  sollicita  leur  grAce  par  d'instsutes  prièpea,  le  roi 

ne  se  laissa  piis  fléchir)  elle  n'en  essuya  jamais  que  ce  seul  raflts. 

Mais  la  dées^o  I^iyctéris  apparaissant  h  leurs  yeux ,  et  touchée  de 

l'aflliciion  de  sa  fille  adqptive,  commua  l'arrêt  que  la  vengeance 

dictait  è  son  royal  époux  ,  en  lui  prescrivant  d'ortrir  aux  deux  eri'« 

minelles  le  choix  de  périr  ou  de  vkre  témoins  du  perpétuel  bonheui 

de  leur  smur  cadette,  sans  jemais  pouvoir  lui  nuire.  Ces  envieuses 

cré4tures  ne  terdèrent  pas  h  mourir  de  jalousie. 

lï:  dracophage. 

Il  y  avait  une  fois  un  roi  qui  avait  trois  fils  et  deux  filles  s  voyant 

approcher  sa  fin ,  il  fit  venir  auprès  de  lui  ses  enfants  pour  leur 

communiquer  ses  dernières  volontés.  U  ordonna  à  ses  fils  de  venir 

.    prier  sur  sa  tombe  chacun  en  particulier  trois  nuits  de  suite  après 

sa  mort,  et  à  ses  filles  d'accepter  les  premiers  qui  se  présenteraient 


268  GRÈCE   CONTINIsNTALE   BT   MOREB. 

pour  époux.  11  expira  bientôt  après,  et  ses  enfants  s'empressèrent 
d'exécuter  ses  ordres.  Aux  approches  de  la  nuit,  Patné  le  premier, 
tenant  en  main  des  cierges ,  alla  réciter  de  longues  prières  sur  la 
tombe  du  roi  son  père.  Revenu  cliez  lui  après  avoir  rempli  ce  devoir 
religieux ,  le  premier  objet  qui  frappa  ses  regards  fut  un  liomme 
nialbeareuxy  malpropre  et  infirme,  qui,  se  présentant  hardiment , 
lui  demanda  la  main  de  sa  sœur.  Les  deux  plus  âgés  des  frères , 
voyant  sa  misère,  voulaient  lui  refuser  la  main  de  leur  sœur,  allé- 
guant que  si  leur  père  vivait  encore,  il  ne  consentirait  jamais  à  une 
pareille  union  ;  mais  le  troisième,  qui  était  plus  sage  et  plus  géné- 
reux ,  prouva  que  c'était  mépriser  les  dernières  volontés  du  roi  que 
de  refuser  le  premier  venu,  et  de  cette  manière  il  fut  décidé,  do 
consentement  commun ,  de  l'accorder  à  cet  homme  Le  lendemain, 
à  la  nuit  tombante,  le  cadet  se  rendit  pareillement  à  la  tombe,  et, 
après  y  avoir  rempli  son  devoir,  il  retourna  k  la  maison ,  où  il 
trouva  un  homme  bien  pire  que  le  premier  qui  lui  fit  la  même  pn>- 
position  pour  la  sœur  cadette.  Les  deux  frères  hésitaient  bien  plus 
sur  ce  quMls  avaient  à  faire  ;  mais  le  plus  jeune  finit  de  nouveau  par 
les  persuader,  et  ils  marièrent  aussi  la  seconde.  Alors  le  jeune  prince, 
satisfait  d'avoir  été  l'organe  de  l'exécution  des  ordres  de  son  père, 
se  fit  donner  à  son  tour  des  cierges,  et  s'empressa  de  se  rendre  à  la 
tombe  ;  mais  la  prière  n'était  point  encore  achevée  qu'un  vent  vio- 
lent étant  survenu ,  ses  lumières  furent  tout  à  coup  éteintes.  Réduit 
à  Tobscurité  la  plus  profonde,  il  promenait  ses  regards  autour  de 
lui  avec  inquiétude,  lorsqu'il  parvint  à  distinguer  au  loin  une  grande 
et  vive  lumière  ;  il  s'achemina  avec  empressement  de  ce  côté,  qui  était 
beaucoup  plus  éloigné  qu*il  ne  lui  avait  d'abord  paru  à  cause  de  la 
nuit.  Malgré  ces  difficultés,  le  prince,  sans  se  déconcerter,  avançait 
toujours.  Bientôt  il  rencontra  dans  l'obscurité  unefemmequ'il  pouvait 
à  peine  distinguer.  Sur  sa  demande,  par  quel  hasard  elle  se  trouvait 
à  cette  tieore-làdans  un  endroit  aussi  écarté,  elle  répondit  que  c'était 
là  sa  place,  parce  que  c'était  elle  qui  gouvernait  le  jour  et  la  nuit, 
en  tenant  dans  ses  mains  deux  pelotons,  l'un  blanc  et  l'autre  noir, 
qu'elle  dévide  successivement  à  mesure  qu'elle  veut  produire  l'obs- 
curité ou  la  lumière.  A  cette  annonce  inattendue,  le  prince  se  mit 
à  la  supplier  de  dévider  le  fil  noir  un  peu  plus  lentement,  afin  qu'il 
eût  le  temps  nécessaire  pour  terminer  ses  prières  avant  le  jour. 
La  déesse  lui  objecta  qu'elle  ne  pouvait  agir  contre  les  lois  de  la 
nature.  Prenant  alors  le  parti  de  la  force,  il  la  lia  à  un  arbre,  et, 
s'emparant  de  ses  pelotons,  il  continua  son  chemin.  Après  une 
course  bien  pénible ,  il  arriva  enfin  au  lieu  d'où  partait  la  lumière. 
Là,  à  son  grand  étonnement,  il  trouva  quarante  dragons  couchés 


LE  DRACOPHAGE.  269 

sur  la  terre  ;  et  surveillant  une  chaudière  d*nne  grandeur  énorme  qui 
bouillait  sur  un  grand  feu.  A  cette  vue,  sans  penlre  courage»  il 
enlève  d'une  seule  main  la  chaudière,  allanne  ses  cierges  et  la  remet 
sur  le  feu.  Les  dragons ,  étonnés  d'une  pareille  force,  l'entourèrent 
aussitôt  et  loi  dirent:  «  Toi  qui  as  la  force  de  lever  une  chaudière  qu'à 
peine  nous  pouvons  porter  à  nous  tous ,  tu  es  le  seul  capable  d'en- 
lever une  fille  que  nous  tâchons  depuis  si  longtemps  d'avoir  entre 
nos  mains,  et  qu'il  nous  est  impossible  de  saisir  à  cause  de  la  grande 
hauteur  de  la  tour  où  son  père  la  tient  enfermée.  Snis-^nousdonc!» 
Le  prince  Tit  l'impossibilité  où  il  était  d'échapper  à  ces  monstres.  Ac- 
compagné des  quarante  dragons,  il  se  rendit  près  de  la  tour  ;  et,  après 
l'avoir  bien  examinée,  il  se  fit  donner  de  grands  clous  qu'il  enfon- 
çait dans  le  mur  en  gûise  d'échelle,  et  qu'il  retirait  à  mesure  qu'il 
montait,  afin  que  les  dragons  ne  pussent  le  suivre.  Parvenu  à  la  plus 
grande  hauteur,  où  se  trouvait  une  petite  fenêtre  par  laquelle  il  pou- 
vait à  peine  entrer,  il  proposa  aux  dragons  de  monter  de  la  même  ma- 
nière qu'il  l'avait  fait  lui-même,  chacun  à  part  :  ce  qu'ils  firent;  de 
telle  sorte  qu'il  eut  le  temps  de  tuer  le  premier  qui  seprésentalt  pendant 
que  l'autre  montait ,  et  de  le  jeter  de  l'antre  o6té  de  la  tour,  où  il 
y  avait  une  très-grande  cour,  un  jardin  superbe  et  un  château  ma- 
gnifique. S'étant  ainsi  défait  de  tons  ses  incommodes  gardiens ,  il 
pénétra  seul  dans  la  tour  pour  voir  si  ce  que  les  dragons  lui  avaient 
dit  était  vrai.  En  effet ,  à  peine  introduit  dans  les  appartements,  il 
vît  dans  an  salon  magnifique  uo  lit  très-riche  sur  lequel  était  cou- 
chée une  Jeune  personne  qu'on  pouvait  nommer  plutôt  une  divinité 
qu'une  mortelle.  A  sa  vue  il  se  sentit  brûler  d'un  amour  si  ardent, 
qu'il  s'approcha  involontairement  du  lit,  leva  le  voile  qui  la  couvrait, 
lui  donna  un  baiser  sur  le  front,  échangea  sa  bague  contre  la  sienne, 
et  sortit  aussitôt  de  la  même  manière  qu'il  s'était  introduit.  La  jeune 
fille,  entendant  du  bruit  autour  d'elle,  ouvrit  les  yeux  ;  mais  elle  eut 
à  peine  le  temps  d'apercevoir  le  jeune  prince,  qui  se  pressait  d'arriver 
sur  la  tombe  de  son  père,  qu'il  quitta  après  la  fin  de  ses  prières  pour 
aller  délivrer  la  déesse  de  la  nuit  et  du  jour  qu'il  avait  liée,  et  lui  re- 
mettre ses  pelotons  pour  la  continuation  de  son  trayail.  Toutes  ses  af- 
fairesétant  achevées,  il  retourna  dans  la  maison  paternelle,  rêvant  à  ce 
qui  lui  éfait  arrivé  pendant  cette  nuit.  Mais  laissons  pour  le  moment 
le  prince  se  reposant  de  ses  fatigues ,  et  voyons  ce  qui  arriva  dans 
le  château.  La  princesse  à  son  réveil  commença  par  demander  à  ses 
suivantes  et  aux  gens  de  sa  maison  pourquoi  ils  avaient  permis  l'en- 
tn^t!  de  la  tour  à  nn  inconnu  pendant  la  nuit  ;  mais  tous  s'excusant 
leur  mieux  et  prouvant  qu'ils  n'ayaient  pas  la  moindre  connaissance 
de  l'aventure,  laprincesftc  se  rendit  dans  les  appartements  dv^  roi  son 

13. 


370  GRÈCB   C01IITINWTAI.B   KT  MOEBE. 

p^,  «t  lai  racoQta  tout  ce  qq!  «'éUit  passé  •  m  le  priant  da  faûrt 
les  reclierches  oéceft«aii«s  (loiir  décoavrir  Ttiomn^  MMt  bardi  pour 
oser  s'introduire  dans  ses  appartemeats.  La  roj,  irrité  da  ca  qp*il 
venait  d'entendre ,  fit  venir  le  portier  de  la  tour  et  lui  demanda  avec 
colère  pourquoi  il  avait  permis  à  Tétraufler  l'entrée  du  cbAtean» 
exigeant  sous  peine  de  mort  que  ce  malheureux  lui  dévoilât  tout  ce 
qu'il  savait  là-dessu».  Le  portier  jura  qu'il  n'en  avait  pas  la  moio^ 
dre  connaissance,  et»  se  donnant  pour  otaie  il  on  venait  à  lu 
reconnaltie  coupable ,  il  ajouta  qu'à  sa  gmnde  surpriai  il  avait 
aperçu  le  matin  les  quarante  dragons ,  qui  depuis  si  longtemps 
tîclkaient  d'enlever  la  princesse,  étendus  merts  dans  la  oour,  l^e 
roi  courut  aussitôt  pom*  voir  ce  prodige  de  ses  piepree  yeux  ;  nt  • 
persuadé  du  fait ,  il  i^ndit  grAoe  au  ciel  4e  eet  événement  auaai 
heureux  qu'inatleudu,  et  pria  Dieu  de  lui  découvrir  celui  qui 
l'avait  délivré  de  tant  d'ennemis,  dans  l'intention  4e  lui  donner 
en  mariage  sa  fille,  qui  lui  assurait  pouvoir  reconnaître  le  jeune 
homme  dès  qu'elle  le  verraitr  Le  ro|,  rassuré  par  les  paroles  de 
sa  fille  f  résolut  de  donner  de  grandes  réjpuissances  et  des  fêtes 
magnifiques  avec  tous  les  divertissements  les  plus  dignes  d'attirer  la 
curiosité  des  étrangers,  il  publia  l'annonce  de  ees  Itttes  en  disant 
qu'il  priait  ceux  qui  se  rendraient  ches  lui,  pour  prendre  part  k  cea 
réjouissances,  de  lui  raconter  pour  toute  récompense  l'histoire  de 
leur  vie.  Aussitôt  que  cette  annonce  se  fut  répandue,  il  y  eut  grande 
affiuepce  tant  des  états  voisins  que  des  pays  l.s  plus  éloignée,  Lea 
trois  princes,  informés  de  la  magnificence  de  ces  fêtes,  se  décidèrent 
aussi ,  comme  les  autres,  soit  comme  voisina,  soit  pour  les  liaisona 
amicales  que  leur  père  avait  eues  avec  le  roi,  de  s'y  rendre,  et  de 
raconter  tout  ce  qui  leur  était  arrivé  durant  leur  vie.  Après  s'étra 
amusés  pendant  quelques  jours  dans  le  cbAteau,  au  ntoment  de  par» 
tir  ils  eurent  chacun  une  audience  particulière  du  roi,  qui,  au  récit 
du  plus  jeune  des  princes ,  reconnut  bien  vite  les  circonstances  que 
sa  fille  lui  avait  racontées;  mais  il  voulut,  par  précaution,  la  con« 
fronter  avec  le  prince,  qu'il  invita  è  dîner  avec  ses  deux  frères.  £n 
effet,  dès  que  sa  fille  le  vit,  elle  le  reconnut»  et,  s'approchent  de 
son  père,  elle  l'assura  que  c'était  celui-U  noéme  qui  était  entré  dana 
sa  chambre  pendant  la  nuit;  mais  le  roi,  pour  s'en  assurer  davantage, 
demanda  au  jeune  prince  la  bague  qu'il  portait ,  et  reconnut  l'é- 
change. 11  lui  proposa  aussitôt  la  main  de  sa  fille  et  la  succession 
au  trône ,  ce  qu'il  fit  en  présence  des  deux  frères  aines,  te  bonheur 
des  nouveaux  mariés  dura  quelque  temps  ;  mais  ensuite  il  fut  trou« 
blé  de  la  manière  suivante.  Un  jour  que  la  princesse  était  coucUée 
à  côté  de  s(m  mari»  celui-ci  remarqua  paruii  les  cheveux  de  son 


^pouM  une  petite  c^ef  id'ort  Ëxoité  p»r  la  eurioMté,  peut-âtra  aiisii 
par  Je  soupçon  jaloux  qiia  catte  clef  ne  cachAt  quelque  mystère, 
il  la  délia  aye<:  beaucoup  d'adresse,  et  chercba  à  «'auqrer  si  allé 
ne  poQf  ait  point  g*ajii8ter  h  quelqu'une  des  diiïérenteè  serrure  a  des 
wevbles  de  rappartement;  eufip,  après  avoir  essayé  partout,  il  ne* 
nuii^ua  uue  armoire  dont  la  serrure  était  tièS'petite  ;  il  y  mit  la 
clef,  et  la  porta  s'ouvriti  D'abord  11  ne  pouvait  rien  distinguer  k 
eause  de  l'extrême  obscurité;  ensuite,  ayant  entendu  des  plaintes 
et  des  géipissemeots,  il  se  mit  à  fouiller  partout,  persuadé  qu'il 
était  d'avoir  attrapé  son  rival.  A  force  de  cbereber,  il  trouva  un 
anneau  appliqué  à  une  plaque  de  marbre.  Il  le  tira  et  vit  surtir 
un  noir  d'une  (igure  hideuse  qui ,  monté  sur  un  clieval  ailé,  k  peine 
hors  de  sa  prison  courut  dans  les  appartements  de  la  princesse, 
la  fit  monter  sur  son  cheval,  et  s'échappa  du  chAteau  an  uu  aliu 
d'œil,  Le  prince,  au  désespoir  du  résultat  de  ses  ri'eharohea,  anurut 
les  larmes  aux  yeux  cbe^son  beau^pèra,  et  lui  raconta  révénament, 
ep  la  priant  de  trouver  las  moyens  d'y  remédier  ;  mais  le  roi,  déses* 
pérant  de  ravoir  une  autre  fuis  sa  fille,  lui  reprocha  son  imprudence 
en  lui  déclarant  que  ce  noir  était  le  plus  habile  des  magiciens  di| 
siècle,  et  que  par  conséquent  tout  effort  contre  lui  serait  inutilaf  lia 
jeune  prince,  au  lieu  de  perdre  courage,  résolut  de  faire  Timpossibia 
pour  parvenir  h  ravoir  une  femme  qu'il  aimait  plus  que  lni-«ème« 
Il  mit  sur  ses  épaules  un  sac  qu'il  remplit  de  pain  pour  unique 
provision,  et  partit  i^ans  savoir  lui  même  où  il  allait  précis^mantt 
Aprèâ  une  longue  course,  la  nuit  l'ayant  surpris  prèsd*uo  grand  cb4« 
tesu,  il  s'y  arrét^.  Près  de  1^  une  esclave  puisait  de  l'eau  à  une 
fontaine;  il  lui  en  demanda,  et,  après  avoir  apaisé  sa  aoif,  il  la 
pria  de  demander  de  sa  part  è  la  maitresse  du  château  la  permis* 
sion  d'y  passer  la  nuit.  Cette  permission  lui  fut  aocordée;  et  l'es- 
clave ayant  jyouté  que  sa  maîtresse  le  puait  de  monter  pour  souper 
avec  elle ,  il  accepta  cette  aimable  invitation,  et  monta  che»  ellai 
Mais  quelle  fut  sa  surprise  lorsqu'il  reconnut  sa  smur  atnéa!  Il  na 
imuvait  en  croûre  ses  yeux;  il  l'embrassa,  lui  demanda  ce  qui  s'était 
passé  depuis  leur  séparation,  s'infurma  de  l'iieureuse  situation  dans 
laquelle  il  la  trouvait,  et ,  satistait  d'avoir  été  la  première  cause  da 
sa  bonne  fortune ,  il  se  mit  à  lui  raconter  aussi  son  bonheur  passé 
et  son  malheur  actuel ,  et  à  lui  demander  des  conseils  sur  ce  qu'il 
avait  è  faire  pour  parvenir  à  son  but.  Sa  sœur  s'efforça  par  toua  les 
moyens  possibles  de  le  détourner  de  son  entrei^rise.  Mais,  voyant 
«on  entatement ,  elle  lui  dit  d'attendre  au  moins  le  retour  de  son 
mari,  qui  était  le  roi  de  tous  les  oiseaux,  lui  faisant  entendre  en 
laènie temps  que  ce  puissantlmonarque  pouvait,  à  la  suite  d'un 


i7t  GRÈCE   CONTlNENTAte  BT   MOREE. 

éomeil  avec  ses  sojets,  le  tirer  de  rembarras  où  il  se  trooTait.  Le 
prince  attendit  donc  avec  inupatience  le  retoar  de  son  bean-Trère , 
qui ,  ausailôt  sa  rentrée  au  cliâteaa ,  fit  assembler  tons  les  habi 
tants  ailés  de  l'air,  et  se  mit  à  discourir  sur  le  sort  futur  du  jeune 
prince.  Mais  aucun  oiseau  ne  sut  lui  dévoiler  l'avenir,  à  l'exception 
d'un  vieil  aigle  boiteux  qui  avait  le  don  de  prophétie ,  et  qui  s'ap- 
procha et  dit  à  son  roi  que  lui  savait  très-bien  le  lieu  où  se  trou- 
vait le  noir  avec'la  princesse,  et  qu'il  pouvait  même  porter  le  j^ne 
homme  jusque-là,  mais  qu'il  ne  promettait  pas  de  pouvoir  l'atteindre 
en  vitesse  ;  car  le  cheval  ailé  avertirait  sans  faute  le  noir  de  Ten- 
lèvement  de  la  princesse.  Au  lieu  de  perdre  courage,  l'amoureux 
prince,  enchanté  de  l'espoir  qu'on  lui  donnait ,  n'attendit  pas  même 
le  retour  du  jour.  Il  monta  sur  l'aigle,  qui  le  porta  à  l'endroit  où  se 
trouvait  sa  femme.  A  l'entrée  de  la  cour,  il  vit  un  magnifique  châ- 
teau et  un  jardla  superbe;  et  en  entrant  dans  le  parc ,  le  premier 
objet  qui  frappa  sa  vue  fut  sa  femme  assise  sous  un  bercean7  tout 
en  denil ,  pâle,  dé&ite  et  pleurant  sur  le  sort  cruel  qui  l'avait  se* 
parée  de  son  bien-aimé.  En  le  voyant ,  quoique  hors  d'elle-même 
à  cette  rencontre  inattendue,  elle  s'empressa  de  le  conjurer  de  fuir 
ce  lieu  funeste,  parce  qu'il  risquait  de  perdre  la  vie.  Mais  celui-ci 
répondit  qu'il  préférait  mille  fois  la  mort  à  sa  séparation.  Il  la  fit 
monter  précipitamment  sur  l'aigle ,  et  partit  en  l'emmenant  avec 
^ni.  Ils  étaient  à  peine  sortis  du  cbftteau  que  le  noir,  averti  par  son 
cheval  de  l'enlèvement  de  la  princesse,  vint  comme  un  éclair,  la 
reprit  et  mit  en  deux  pièces  son  époux.  Le  bon  aigle  le  porta  alors 
chez  son  matlre ,  qui  unit  les  deux  morceaux  de  adù  corps,  lui  versa 
de  l'eau  de  l'immortalité  et  lui  redonna  la  vie  en  lui  recommandant 
de  ne  plus  pensera  sa  femme,  car  il  ne  répondait  pas  de  lui  ;  mais,  sans 
donner  la  moindre  attention  aux  paroles  de  son  beau-frère ,  il  se  mit 
en  route  pour  trouver  le  moyen  de  parvenir  de  nouveau  à  son  but. 
Après  avoir  marché  toute  la  journée,  il  parvint,  à  la  nuit  tombante, 
auprès  d'un  château  pareil  au  premier  pour  la  magnificence;  et,  s'y 
étant  arrêté,  il  demanda  l'hospitalité  à  une  esclave  qui  puisait  aussi 
de  l'eau  à  une  fontaine.  L'esclave  demanda  la  permission  de  sa  mal- 
tresse, qui  le  reçut  de  très-bon  cœur,  et  l'invita  aussitôt  à  souper.  A 
leur  grand  étonnement,  ils  se  reconnurent  encore  pour  frère  et  sœur, 
et  set  racontèrent  mutuellement  les  événements  de  leur  vie  depuis  leur 
séparation.  Le  voyageur  confia  alors  à  sa  secdnde  sœur  son  projet, 
dont  elle  tâcha  de  ie  dissuader  par  Ions  les  moyens  en  son  pouvoir. 
Mais  tout  fut  inutile,  son  parti  était  pris;  elle  lui  conseilla  alors 
d'attendre  le  retour  de* son  mari ,  qui ,  étant  le  roi  de  tous  les  ani- 
maux ,  pouvait  lui  donner  quelques  secours.  Son  b<«au-fr^re  revint 


LE   l^RAOOPHAGE.  273 

bientôt  et  tâcha  de  lui  démontrer  à  combien  de  dangers  il  allait 
g*expo8er.  Mais,  le  voyant  ferme  dans  sa  résolution ,  il  lui  promit 
de  le  tirer  de  cet  embarras  s'il  persistait  à  avoir  la  même  résigna- 
tion et  la  même  intrépidité.  «  Le  seul  moyen,  loi  dit-il,  de  reprendre 
votre  femme  est  de  vous  procurer  un  cheval  ailé  tout  pareil  à  celui 
da  noir.  »  A  cet  effet,  il  lui  indiqua  une  grande  montagne  qui  n'était 
pas  trop  éloignée  du  chftteau ,  et  qui  accouchait  tous  les  ans  d'un 
cheval  de  la  même  race  que  celui  du  magicien ,  lui  conseillant  de 
s'y  rendre  armé  de  courage,  car  cette  montagne  était  surveillée  par 
une  quantité  prodigieuse  de  bétes  féroces  qui  ne  laissaient  appro* 
cher  personne.  Il  promit  de  lui  procurer  un  soporatif  à  l'aide  du- 
quel il  endormirait  ces  bétes;  mais  cela  encore  ne  suffisait  point, 
sans  une  grande  patience  et  de  la  force  pour  dompter  le  cheval  qui 
naîtrait  de  la  montagne.  Le  prince ,  muni  de  son  soporatif  et  bien 
ferme  dans  sa  résolution ,  partit  enchanté  de  la  maison  de  sa  sœur 
et  se  dirigea  vers  la  montagne ,  où,  à  peine  arrivé,  les  bétes  féroces 
se  précipitèrent  sur  lui  pour  le  dévorer  ;  mais  la  prévoyance  de  son 
beau-frère  le  sauva,  par  le  moyen  de  la  potion  soporifique,  qui  frappa 
aussitôt  d'assoupissement  tous  les  animaux,  et  lui  donna  le  temps  né- 
cessaire pour  attendre  Taccouchement  de  la  montagne.  Il  eut  la  pa- 
tience d'attendre  quarante  jours ,  pendant  lesquels  il  y  avait  des 
tremblements  terribles  et  des  secousses  auxquelles  à  peine  il  pouvait 
résister.  Malgré  toutes  ces  épreuves  il  attendit  avec  la  plua  grande 
intrépidité  le  moment  des  couches,  qui  n'eut  lieu  que  le  quarantième 
jour.  Le  cheval  ailé  parut  enfin  ;  le  prince  courut  sur  lui  sans 
perdre  de  temps,  lui  mit  un  frein,  et,  finissant  par  le  dompter, 
monta  sar  son  dos.  Le  cheval  essaya  d'abord  de  se  débarrasser  de  lui 
en  sautant  trois  fois  aussi  haut  que  la  hauteur  de  la  montagne  et 
s'abattant  avec  la  plus  grande  rapidité  ;  après  cette  épreuve,  voyant 
que  l'homme  qu'il  portait  était  un  être  surnaturel,  puisqu'il  savait 
résister  à  tons  ses  efforts,  au  lieu  de  s'irriter  et  de  se  roidir  inutile* 
ihent,  hennissant  d'orgueil,  il  se  laissa  conduire  tout  à  fait  par  son 
courageux  guide,  qui  le  mena  directement  au  chftteau  du  noir,  sous 
le  berceau  où  était  assise  sa  femme  la  première  foisqu'il  l'avait  vue.  Il 
la  retrouva  à  la  même  place  dans  un  état  beaucoup  plus  déplorable,  soit 
par  le  chagrin  que  lui  causait  la  privation  de  son  mari,  soit  par  les 
importunités  et  les  violences  que  lui  faisait  le  noir  ;  omis  lorsqu'elle 
le  vit  sur  un  cheval  pareil  à  celui  de  son  ravisseur  [elle  commença 
à  espérer  et  à  se  préparer  pour  le  départ,  qui  fut  effectué  aussitôt  et 
sans  aucun  danger  :  car  le  noir,  quoique  averti  de  leur  fuite,  ne  put 
les  rattraper  malgré  tous  ses  efforts,  la  légèreté  et  la  jeunesse  du 
chevalde  son  adversaire  surpassant  la  vites«ede  sa  propre  monture. 


874  GRÈGE  C4MTfl«|B«TMS  Wi  MOREE. 

L£   P£TIT   ROUGET  SOBCIER, 

11  y  avait  une  foii  ua  pauvre  péclieur  qui  n'avait  d'autres  r^daoïiKseï 
pouc  vivre  que  le  ineau  pruduît  de  sa  Uko^*  TiHia  iaa  jours  i\  alNt  m 
^u  rocbar  au  bor4  de  la  iner  et  a>iïurçait  4'«(tra|)«f  qu^quea  poiat 
aons  avec  lesquaU  imi  femioe  prétMuait  kw  frvsa|  repart  Un  jour 
qu'à  aon  ordinaire  il  était  k  p^ciify  jl  ae  put  attraper»  aprèa  Ue^ 
des  eiïQits,  qu*qi)  trèa*petit  rouget  q»*il  jeta  4aas  la  mer  par  mépria 
pour  son  ei^trôine  |)^titesae  ;  il  le  lapéclia  trois  &i«  et  lo  rejeta  de 
même  dam  Teau  i  à  la  An,  le  petit  poisson  s'atta^l^ant  t^ours  k  «i 
ligne ,  le  pauvre  p4cUeur,  désespéré  de  ne  pouvoir  appartar  ilei\ 
autre  cbûse  dans  sa  hutte,  se  décida  h  k  garder  et  à  le  falro  bouil- 
lir pour  tf^mper  au  moins  sa  femme ,  eu  attendant  mieux  ^  jour 
avivant.  Mors  le  rouget,  sentant  qu'il  allait  étro  décidément  sacrifié 
au%  besoins  d^  la  pauvre  famille ,  dit  au  pécheur  do  l'épargner 
encore  pour  cette  fois,  et  qu'il  lui  promettait  dç  le  rendre  iîeoreui 
en  récompense  de  ce  bienfitit  «  pourvu  qu'il  revtnt  lo  lendemain  aq 
bord  de  la  mer  et  qu'il  l'avertit  de  son  arrivée,  lie  pêcheur  frappé 
de  ca  miracle  lui  accorda  la  liberté ,  et  l^  lendemain  i  ^  rbeur« 
Tuée,  il  se  rendit  au  rivage  et  l'appela  k  haute  voii^.  Le  poiàson  ^ 
montra  aussitôt  à  la  surface  de  i*çau  et  lui  dit  do  prendre  un  bai 
teau,  de  le  suivre  et  d*étendrf  ses  filet»  à  la  pUce  qu'il  allait  lui  in* 
diquer.  Le  pécheur  suivit  exactement  ses  çon^ilsi  et  jeta  &ns  filets 
à  l'endroit  où  le  petit  poistîon  s'arrétd  i  4U  moment  de  les  retirer, 
ils  étaient  tellement  remplis  des  poissons  lea  plqs  eyquia  qu'à  peina 
il  parvint  k  les  charger  dans  le  bateau»  Rempli  de  joie  de  cabon< 
heur  inattendu,  il  se  mit  à  table  avec  sa  femnie  et  t  après  avoir 
mangé  du  poisson  en  abondance  j  il  vendit  le  reste  et  gagna  une 
somme  considérable.  Enchanté  de  aa  bonne  fi^rtuoe,  il  remercia 
de  bon  cœur  le  rouget  de  tout  le  bien  qu'il  |i||  faiaait.  Celui-ci 
lui  dit  de  venir  tous  les  jours  h  la  même  heure i  et  qu'il  lui  pro» 
mettait  de  le  mener  à  des  endroits  oii  il  ferait  ^  fortune  en  trè^ 
peu  de*  temps  $  et,  effectivement»  en  suivant  la  môme  méthode  peu? 
dant  quelques  jours,  il  parvint  à  acheter  une  mai^n,  à  la  meubler 
convenablement  et  à  recevoir  une  nombieu&e  société .  Son  bonheur 
dura  pendant  seulement  quelque  tempa,  joaqu'à  cd  qne  l'envie  qui 
s'fittache  de  préférence  h  la  fortune  qui  vient  rapidement ,  vint 
troubler  cruellement  leur  repos.  Parmi  les  femmeaqnl  fréquentaient 
leur  société,  il  s'en  trouva  plusieurs  qgi ,  jalouaea  du  bonheur  de 
cette  famille,  demandèrent  un  jour  à  leur  nouvelle  amie  par  quel 
hasard,  étant  auparavant  la  plus  malheureuse  de  toute  la  ville»  elle 


Lfe  I^Eflt   nODGEt   SORCIER.  275 

étirit  |Mtrvena«  à  avoir  tant  de  ricliesses  en  si  peti  de  temps.  Elle 
îeat  assura  que  sa  fortone  venait  de  la  péclie  extrêmement  lucrative 
que  faisait  son  mari  depuis  quelqae  temps.  Ce$  méchantes  créatures 
kfi  obj«clèttstit  qaéceià était  impossible,  attendu  la  nature  des  lieux 
et  dès  choses,  et  qu'elles  étaîeut  certaines  que  son  mari  était  sor- 
cier, et  que  c'était  à  ées  maléfices  qu'il  devait  Tacqu^sltion  subite  de 
ses  richesses,  lilf  eouseUlant  aussi,  en  femme  honoffe  qu'elle  était, 
de  rejeter  deft  trésor^  acquis  par  le  sortilège  et  llmpiété.  La  bonne 
femme,  ajoutant  foi  à  leurs  paroles ,  se  mit  à  importuner  inces- 
saïkintent  son  mail  et  k  le  prier  de  lui  confier  la  manière  par  la- 
quelle il  faisait  fta  fortuné,  en  lui  disant  qu'elle  serait  sans  cela  bien 
malheureuse.  Le  pèdieur,  voyant  la  faiblesse  de  sa  femme,  lui  ra- 
eonta  de  tkHine  foi  toute  sou  aventure ,  et  lui'fit  enteudre  à  la  fia 
qu'an  petit  poisson  était  la  seule  cause  de  leur  boutieur.  t;elle>ci, 
extrêmement  eontente  d*avofr  tout  appris,  courut  aussitôt  dévoiler 
ce  aecr^  à  set  perfideê  amies  pour  prouver  iMunocenee  de  son  mari  ; 
mais  ces  méchatiiei  femmes,  au  lieu  de  la  tranquilliser,  après 
avuif  satisfait  leur  CttHoSité,  rassurèrent  que  c'était  précisément  là 
<|U'elle8  voyaient  le  sortilège,  et  que,  pour  s'en  assurer  eHe*môme> 
die  devait  dire  ii  sou  mari  de  lui  apporter  ce  poisson ,  et ,  après 
l'avoir  man^,  de  voir  H  son  bonheur  continuerait.  La  femme  du 
fiécbeur,  dans  «a  9imt»llcité,  crut  de  nouveau  h  leurs  intrigues ,  et 
dit*  à  son  mari  que  le  rouget  n'était  qu'un  magicien  déguisé  sous  la 
iMte  d'au  petit  poissoU,  et  qu'elle  ne  souffrirait  pas  que  leur  fortune 
tint  d'une  source  ftuësi  impure;  qti'eile  le  priait  donc  de  le  prendre 
et  de  le  fiiire  êervir  à  dîner,  ou  bieu  qu'elle  mourrait  de  chagrin. 
iuB  marî  fit  tant  dun  possible  pour  lui  démoutncr  que  sa  demande 
■'avait  pas  le  sens  commun ,  et  que  c'était  bien  cruel  à  elle  de 
vouloir  la  perte  4e  ma  bienfaiteur  ;  mais ,  voyant  que  sa  femme, 
qu'il  aimait  plus  que  lui>méme ,  pleurait  et  se  lamentait ,  il  se 
^lédda  avec  douleur  è  se  rendre  au  bord  de  la  mer  pour  confier  au 
^gei  les  inquiétudes  et  les  exigences  de  sa  femme,  à  laquelle  il 
serait  forcé  de  céder  si  le  rouget  ne  lui  iudiqnait  qtielque  remède. 
ie  bon  rouget  4  au  lien  de  le  détourner  de  cette  cruelle  résolution  ^ 
M  ounaeilla  de  le  Mre  couper  en  trois  morceaux  égaux  qu'il  par- 
Rigemit  entre  »a  femme  »  sa  jnmeut  et  sa  chienne,  et  de  planter  la 
yiaae  dans  le  jardin.  Le  pèdieur  Sépara  ftvee  beaucoup  de  chagrin 
tepoiasoh  en  trois,  tu  partagea  selon  ses  ordres,  et,  aussitôt,  toutes 
les  trois  ftireut  fSeoudé^s,  el^  dans  le  t4<mp9  prescrit,  elles  accou* 
sbèrent  cltaeuue  de  deux  fumeaux  tout  à  ftiit  ressemblants  ;  en 
Siéma  temps  la  queue  donna  naissance  à  deux  eyprès  de  la  même 
pandior.  Les  diux  Ms  uriiidissaient  duus  la  matsau  paternelle. 


276  GRECE   CONTINENTALE  ET   MORÉE. 

Bieotôt  l'allié  voulut  vovager  pour  connaître  un  peu  le  monde; 
mais,  craignant  une  opposition  de  la  part  de  ses  parents,  il  ne  contla 
son  dessein  qu'à  son  fière ,  en  lui  disant  que,  tout  le  temps  qu*il 
verrait  Tun  des  deux  cyprès  fleuri,  il  serait  bien  portant,  et  que» 
lorsqu'il  le  verrait  se  faner  et  sécher,  il  serait  près  de  sa  perte. 
Après  avoir  pria  congé  de  son  frère,  il  monta  sur  l*un  des  deux  che- 
vaux de. la  maisoD  et  partit.  Après  un  voyage  de  quelques  jours,  ar- 
rivé dans  une  grande  ville,  il  descendit  dans  une  auberge  pour  se 
donner  le  plaisir  d'observer  les  curiosités  que  cette  ville  offrait 
aux  étrangers.  En  s'informant  de  Tétat  du  pays,  il  apprit  que 
1^  roi  était  le  meilleur  homme  du  monde  ,  et  qu'il  était  très-aimé 
de  ses  sujets ,  mais  que  la  ville  était  sujette  à  un  très-grand  mal- 
heur. La  fille  du  roi ,'  qui  était  son  unique  héritière ,  avait  la  manie 
de  frapper  de  folie  tous  ceux  que  son  esprit  lui  indiquait,  par  le 
moyen  suivant  :  elle  se  montrait  tous  les  soirs  sur  un  balcon 
qu'elle  s'était  approprié  à  cet  effet,  et,  en  invoquant  les  étoiles, 
elle  se  faisait  un  jeu  de  la  tranquillité  de  ses  sujets,  qui  risquaient 
tous  de  s'attirer  cette  affreuse  maladie  sitôt  qu'ils  étaient  remar« 
qués  de  la  princesse.  A  ce  récit ,  le  jeune  homme  étonné  attendait 
avec  impatience  la  nuit  pour  voir  de  ses  propres  yeux  la  princesse 
qui  se  faisait  si  fort  redouter  par  sa  puissance  surnatorelle  :  à  peine 
lit-il  obscur  qu'il  courut  du  côté  du  château ,  et  le  premier  objet 
qui  frappa  ses  regards  fut  la  princesse  enthousiaste  et  f«*isant  dif- 
férents signes  sur  son  balcon  ;  asssitôt  il  y  monta ,  et  la  prenant 
par  les  cheveux  il  lui  dit  :  —  «  Jure-moi  que  dorénavant  tu  ne  feias 
plus  ce  vilain  métier,  ou  dans  l'instant  je  vais  te  tuer.  »  CelleHsi  ter* 
rifiée  du  danger  qu'elle  courait  jura ,  dans  sa  frayeur,  que  pendant 
toute  sa  vie  elle  n'essaierait  plus  ses  maléfices;  et  le  jeune  homme, 
après  avoir  fait  cette  bonne  action,  retourna  précipitamment  à  l'au- 
berge où  il  était  logé.  La  princesse,  de  son  côté ,  alla  chez  son  père 
et  lui  raconta  ce  qui  s'était  passé,  en  l'assurant  qu'elle  était  tout  à 
fait  guérie  de  sa  passion ,  après  le  serment  qu'elle  avait  fait  devant 
l'homme  menaçant  qui  l'avait  surprise.  En  conséquence  le  roi,  pour 
tranquilliser  ses  sujets ,  publia  aussitôt  le  récit  de  la  guérison  de  sa 
fille ,  en  ordonnant  que  tous  ses  sujets  aussi  bien  que  les  étrangers 
qui  £e  seraient  trouvés  dans  la  ville  depuis  la  veille  eussent  à  passer 
sous  ses  fenêtres ,  voulant  de  cette  manière  reconnaître  l'individa 
qui  lui  avait  rendu  un  service  aussi  important.  Il  ordonna  aussi  à 
sa. fille,  qui  assurait  pouvoir  le  reconnaître  dès  qu'elle  le  verrait, 
de  tenir  dans  ses  mains  une  pomme ,  qu'elle  laisserait  tomber  sur 
celui  qu'elle  croirait  ressembler  au  jeune  homme.  Cet  ordre  ayant 
été  publié ,  l'aubergiste  avertit  le  voyageur  dt  robligation  où  il 


LE   P£TIT   ROUGBT   SORCIER.  S77 

trouvait  aussi  de  se  rendre  aux  ordres  du  roi.  Celui-ci  tâcha  d*abord 
de  réfiter  ;  mais ,  voyant  qu'il  était  forcé  de  le  Taire,  il  vint  défiler 
comme  les  autres  sous  les  croisées  du  palais.  Mais  la  priDcesse,  qui 
le  remarqua  dans  la  foule,  lui  jeta  aussitôt  la  pomme ,  et  le  roi  or- 
donna aussitôt  à  la  garde  de  le  saisir  et  de  le  faire  monter  au  clià« 
teau.  Arrivé  en  la  présence  du  roi ,  et  quec^^ionné  sur  sa  naissance 
et  sur  le  motif  qui  Tavait  porté  à  la  bonne  action  qu'il  venait  de 
faire,  le  jeune  homme  répondit  simplement  :  qu'il  était  étranger,  et, 
qu'ayant  appris  dans  cette  ville  le  malheur  auquel  elle  se  trouvait 
exposée ,  il  avait  aussitôt  conçu  et  exécuté  le  projet  de  guérir  la 
princesse  du  démon  qui  la  possédait,  au  risque  de  sa  propre  vie.  Le 
roi ,  charmé  de  la  hardiesse  du  j«une  homme ,  le  remercia  en  lui 
rendant  de  grands  honneurs ,  et  lui  proposa  la  main  de  sa  fille  ;  mais 
celui-ci  la  refusa  nettement ,  alléguant  pour  motif  le  désir  qu'il  avait 
encore  de  courir  le  monde.  Le  roi  sentit  une  vive  douleur  de  la  réso* 
lution  du  courageux  voyageur  ;  mais,  ne  voulant  pas  contraindre  les 
goûts  du  bienfaiteur  de  son  royaume,  il  lui  permit  départir,  après  l'a* 
voir  comblé  de  présents.  Le  jeune  homme,  après  un  assez  long  voyage, 
arriva  dans  une  ville  plongée  dans  le  deuil  ;  il  en  apprit  bientôt  la 
cause.  Cette  ville  était  privée  d'eau  à  cause  d'un  monstre  qui  en  sur* 
veillait  la  source,  et  empêchait  les  habitants  d]y  puiser.  Pressés  par 
le  besoin,  les  habitants  étaientdans  l'usage  de  désigner  au  sort  tous  les 
ans  une  iille  parmi  les  plus  jeunes  de  la  ville  et  de  l'abandonner  à 
la  voiacité  du  monstre,  qui,  alors  tout  occupé  de  sa  proie,  donnait 
assez  de  temps  aux  habitants  pour  faire  leur  provision  pour  toute 
l'année.  A  cette  nouvelle,  le  jeune  homme,  passionné  pour  les 
grandes  et  périlleuses  entreprises ,  et  mu  par  un  sentiment  de  oom* 
passion  pour  ces  victimes  innocentes  que  le  besoin  général  arracliait 
à  la  vie ,  à  la  fl^ur  de  l'Age  et  par  les  plus  terribles  tourments,  ré- 
solut de  rester  près  de  la  fontaine  jusqu'au  moment  où  le  monstre 
sortirait  de  son  repaire  pour  dévorer  la  jeune  princesse;  car  c'était 
sur  la  fille  unique  du  roi  qu'était  tombé  ce  sort  malheureux.  Il  resta 
donc  jusqu'au  moment  où  la  foule  se  dispersa;  et  lorsque  la  jeune  fille 
fut  tout  à  fait  seule  il  s'approcha  d'elle,  et  lui  dit  de  se  retirer  pour 
qu'il  la  remplaçât  :  mais  elle  répondit  que  c'était  impossible ,  car 
elle  avait  pitié  de  lui  ;  et  que  d'ailleurs  tout  le  monde  dirait  en- 
i>uite  que  pour  les  autres  filles  il  ne  s'était  pas  trouvé  de  défenseur, 
et  que,  pour  elfe  qui  était  fille  de  roi,  il  s'en  était  présenté.  Mais  le 
jeune  homme,  épris  de  sa  beauté  et  charmé  des  sentiments  géné- 
reux qu'elle  montrait  d^ns  un  danger  pussi  imminent,  fit  tant  qu'il 
finit  par  lui  persuader  de  partir  et  de  retourner  chez  son  père.  Quant 

à  lui,  il  se  mit  à  l'entrée  de  la  fontaine,  attendant  l'arrivée  do  mon* 

24 


i78  GRÈGE   CONTINENTALE   IT   HOREE. 

fttre,  qui  avait  i  peine  montré  sa  (été  liors  de  la  source,  que  VinitépMe 
jeune  homme  fondit  sur  lui  Tépée  à  la  main  et  lui  coupa  la  tète. 
Il  ouvrit  aoBsItdt  la  gueule  do  monstre,  en  détacha  les  sept  langues 
qu'elle  avait ,  les  garda  et  Jet>  ^  ^^^^  ^^  milieu  de  son  chemin  efi 
rentrant  dans  la  ville.  Un  mallieoreui  charbonnier,  passant  prèn  de 
là,  trouva  la  tdie  et  a*eu  «impara ;  ayant  rencontré  aussi  la  princesse 
sur  le  chemin  de  la  ville,  et  l*a)fant  reconnue,  il  la  prit  avec  lui  et  fa 
contraignit,  sous  peine  de  la  mort  la  plus  prompte,  à  lui  jofer  qu'elle 
assurerait  que  c'était  lui  qui  était  son  libératettr,  qu'il  avait  tué  le 
monstre ,  et  quoi  par  reconnaissance,  elle  le  voulait  pour  épotlx. 
La  malheureuse  princesse,  ftircée  de  laire  ce  triste  serment,  refotimsi 
chex  son  père,  qui,  à  la  vue  de  sa  fille  Irien^aimée,  rendit  grâces  à 
Dieu  et  demanda  où  était  sou  libérateur  pour  le  récompenser.  Elle 
répondit  que  c'était  le  charbonnier  qui  tenait  la  tète  do  monstre , 
et  pria  son  pève  de  le  lui  aoconier  pour  épout.  Le  roi ,  quoîqtte 
bien  (âché  du  clioix  de  sa  fille,  Ue  put  le  Idi  remiser,  car  fi  Itil 
avait  sauvé  la  vie,  et  11  commença  à  préparer  les  ttoces  et  k  fuire 
de  grandes  Invitations.  Le  Jeune  homme,  éionhé  de  tt  qui  se  pas* 
sait,  voulut  voir  de  ses  propivs  yeox  l'imposteur  qui  trompait  aussi 
impudemment  tout  uti  royaume*  Il  se  procura  ddno^  eiifrée   an 
palais^  où  11  se  fit  présenter  au  futur  de  la  princesse;  mais,  à  sa 
grande  surprise,  il  vit  un  homme  grossier^  notr,  et  tout  à  fait  in* 
convenant  pour  la  fille  d*uii  roi.  Plein  d'indignaliofl,  il  lu)  dessanda 
où  était  la  tète  du  monstre  qu'il  avait  tué ,  disfllit  qu'il  était  curieux 
de  la  voir  :  l'imposteur  courût  avec  la  plus  grande  effronterie  dans 
ufl  autre  appartement  et  la  loi  montra  comme  en  triomplie  ; 
mais  k  jeune  liomme  sortit  de  son  manteau  les  sept  langues  »  et  « 
les  elostaMt  à  la  gueule  du  monstre,  pria  le  roi  lui«niém«  de  venir 
examiner  cette  télé  et  de  se  rendre  ]uge  dans  cette  afiaire»  Le  roi 
étonné  de  cette  contestation  fit  veair  sa  fille,  et  lu  menaça  de  sa  ma- 
lédiction si  eiie  ne  lui  disait  toute  la  vérité,  et  quel  était  en  effol  le 
véritable  exterminateur.  La  prinoesae  se  vit  alors  forcée  de  conveatr 
de  tout,  d'autant  plusqu'elle  cra  gnalt  de  se  voirengagée  à  un  liomine 
tout  à  fait  indigne  de  son  amour.  Le  roi  fit  aussitôt  exiler  le  cliar« 
bonnier,  ne  voulant  pas  le  punir  plus  sévèrament  dans  un  jour  de 
si  grande  réjouissance  pour  sa  famille  et  pour  tout  son  royaume  | 
et  il  unit  sa  fille  à  son  véritable  libérateur,  qui  en  était  éper- 
dûment  anaoureux.  Plusieurs  jours  se  passèrent  daus  les  réjouis-> 
sauces*  La  princesse ,  qui  n'abandonnait  pas  im  seul  moinent  sou 
époux  ,  voulant  un  jour  ae  baigtier,  lui  proposa,  pendant  sOn  ab^ 
senoe,  d'aller  se  promeuer  dans  les  appartements  du  cliAtean  qu'il 
D*«vailp«a  euuore  vus)  il  y  eouseutit,  eti  s'avan^nt  daua  i'Hilé* 


1%  PKTIT   ROUGET  SOliCIKm.  H/O 

rieur,  il  remarqua  un  corridor  à  t'eiitrénaité  duquel  était  une  porte  : 
il  l'ouvrit»  et?it4  son  grand  étoiinenient  une  plaine  trèa^vaste, 
remplie  de  marbrea,  perlant  une  forme  haroaine;  cette  vue  Té* 
tuDoa  sans  qu'il  pût  découvrir  ce  que  cela  signifiait.  Se  trouvant 
dan^  cette  perplexité,  il  vit  arriver  une  vieille  fomrae  qui  resaem- 
blait  k  unfi  fée.  Il  s'en  approcha,  la  aaNia  avec  heaueoup  de  respect, 
et  sur  son  invitation  il  s'assit  à  côté  d'elle  pour  se  délasser,  dans 
Tespoir  d'apprendre  ce  que  signifiait  cette  multitude  de  statues  de 
marbre.  La  vieille  lui  offrit  une  baguette  qu'elle  tenait,  pour  Taider 
à  s'asseoir;  il  la  prit  avec  la  plus  grande  confiance,  et  resta  aussitôt 
pétrifié  comme  les  autres.  La  princasse,  de  retour  cliez  elle  et  ne  trou- 
vant pas  sou  mari  dans  ses  appartements,  le  fit  en  vain  chercher 
dans  tons  les  envirao^;  çlle  ftoupçoppsi,  mM^  Vop  lard,  qu'il  était 
tombé  dans  le  piège  de  la  vieille  fée,  dont  elle  ne  lui  avait  pas  dé- 
voilé les  secrets.  Mais  laissons  ipi  celte  qoalbeureuse  pripcçsse 
pleurer  sou  époux  victime  de  ^n  imprudence^  et  voyons  ce  qui  se 
passa  pendant  tout  ce  temps  dans  la  maison  du  pécheur.  L'autrç 
ffla  qui  soignait  tons  les  jours  les  deux  cypiès  vit  tout  d'un  coup 
l'an  d'eniL  ae  fi^ner  et  incliner  sa  olme;  il  soupçonna  aussitôt  la 
mort  d«  aoo  ftira,  ou  du  moins  qaelqué  grand  danger,  et  aedéeid|i 
À  monter  à  cheval  et  k  «uivre  l9s  traces  de  ^n  fràre  dans  l'espoir  d'aiHr 
river  à  temps  pour  le  secourir.  Arrivé  ddos  la  ville  qui  avait  été  té- 
moin des  premiers  exploits  de  son  frère,  il  y  trouva  le  roi  et  le  peuple 
reconnaissants  de  tout  ce  que  son  frère  avait  fait  pour  eux ,  et  11 
s'informa  bien  de  la  route  qu'il  avait  prise  depuis.  Ayant  tout  sn 
en  détail  »  il  eoumt  se  présenter  au  palais  de  sa  belle*sœnr,  où  il 
apprit  «usai  racoident  qui  ét^it  arrivé  h  son  frère-  Malgré  toutes 
les  objections  que  lui  faisait  le  roi ,  i|  s^  rendit  aussitôt  dans 
le  palais  de  la  vieille  fée,  et  parvint,  à  force  de  rechercher  dans  Id 
foule  des  marbres  h  trouver  celui  qui  avait  la  forme  de  son  frère. 
Tandis  qu'il  s'occupait  à  chercher  les  moyens  de  le  faire  Tessusci- 
ter,  s'il  était  possible,  la  vieille  vint  à  sa  rencontre,  et  s'assit  en  lui 
offrant  aa  baguette  magique  pour  l'aider  à  s'Asseoir  aussi  ;  mais  ce^ 
lui-ciy  qui  s'était  bien  informé  d'avanee  d^  sa  aupercberie ,  au  lieu 
de  prendre  la  baguette  fit  signe  à  son  chien  de  mettre  la  vieille  en  mor- 
ceaux, et  de  cette  manière  il  se  sauva  et  en  s^uva  aussi  beaucoup 
d'autres.  S'étant  ainsi  défait  de  la  vieille  sorcière,  il  entra  dans  son 
château  et  trouva  heureusement,  parmi  les  autres  choses  qui  avaient 
rapport  h  l'art  de  la  magie,  une  bouteille  dans  laquelle  il  y  avait  de 
l'eau  de  l'immortalité.  S'en  étant  rendu  maître ,  il  alla  d'abord  faire 
restuaeiter  son  frère,  et  puis  toua  lea  autres,  dont  le  nombre  était 
tellement  considérable  qu'il  s'en  for  ma  une  nation  entière  qui  le  ohol* 


S80  6RECB   CONTINENT/ILB  BT  MOREE. 

Bit  aussitôt  pour  roi ,  paisqa'il  était  leur  libératenr  à  tous.  Son 
frère  retourna  cbez  sa  femme,  dont  le  père  était  déjà  mort ,  et  il 
guccéda  paisiblement  an  trône.  Ainsi ,  les  deux  frères  forent  les 
hommes  les  plus  heureux  du  monde;  et  ils  envoyèrent  aussilôt 
chercher  leurs  parents  pour  passer  le  reste  4e  leur  vie  avec  eux. 
Voilà  de  combien  de  bonheur  ftit  cause  le  petit  rouget  sorcier. 


XIV, 

LA  CLÎSOrKA.  —  BODONITZ A. 


Dès  que  la  pluie  eut  cessé  et  que  je  me  fus  un  peu 
séché ,  je  quittai  le  khani  de  Gravia  et  remontai  à  cheval. 
Le  soleil  avait  reparu  plus  brillant  que  jamais  et  toute 
cette  belle  vallée  de  la  Doride,  qui  se  développait  sous  mes 
yeux  avec  son  beau  Cépbise,  m'apparaissait  plus  verte 
et  plus  féconde  que  jamais.  Les  flancs  du  Parnasse  et  du 
Callidrome  qui  encadrent  cette  riche  vallée  sont  revêtus 
de  toutes  parts  de  ruines  de  châteaux  antiques  et  de  châ- 
teaux du  moyen  âge.  La  position  de  Gravia ,  au  débouché 
d*un  passage  de  montagnes  et  sur  les  bords  de  la  Gravia , 
était  trop  importante  pour  avoir  été  négligée  par  les  Hel- 
lènes ni  par  les  Francs  ;  aussi  trouve-t-on  près  de  Gravia, 
d'un  côté  les  ruines  d*un  château  hellénique ,  et  de  l'autre 
côté,  plus  bas,  sur  la  montagne,  les  ruines  à*un  château 
franc  qui  était  peut-être  celui  du  seigneur  de  Gravia  qu'on 
trouve  mentionné  dans  les  lettres  d'Innocent  III  '.  Un  peu 
plus  loin  en  montant  vers  Dadi  on  aperçoit ,  près  du  vil- 
lage d'Agoriani ,  les  ruines  de  deux  châteaux  francs  qui 
commandent  les  deux  sources  du  Céphise ,  et  plus  loin  les 
ruines  de  l'antique  ville  de  Liléa.  Le  charme  que  j'éprou- 
vais à  parcourir  au  galop  cette  belle  vallée  m'avait  fait 

1  Voyez  liy.  xv,  p.  610,  lettre  ^7,  une  lettre  écrite  au  seignenr 
de  Gravia  par  Innocent  TH. 


VArXEE   DE   LA   DORIDE.  S8l 

complètement  oublier  agoiate  et  guide,  que  j'avais  laissés 
cheminants  avecd'antres  voyageurs  vers  le  Galiidrome.  Près 
du  pont  de  pierre  jeté  sur  le  Géphise ,  je  me  retournai 
pour  les  chercher  et  ne  vis  plus  personne  ;  ils  avaient  dis- 
paru à  travers  les  replis  des  collines  éloignées.  Un  paysan 
qni  labourait  un  champ  voisin  me  dit  que  je  m'étais  égaré 
de  beaucoup  et  que  je  ne  pouvais  aller  coucher  ce  soir^là  ^ 
même  h  Bodonitza,  qui  est  de  l'autre  côté  du  Galiidrome, 
et  il  m'engagea  à  aller  coucher  à  Dernitza ,  dans  la  mon* 
tagne,  au  pied  des  plus  hautes  cimes,  sur  ce  côté  de  la 
Doride.  Je  suivis  son  conseil  et  reçus  ses  instructions.  J'a* 
vais  à  traverser  cette  vallée  dans  sa  longueur,  mais  les  prai- 
ries sont  verdoyantes  et  la  beauté  du  temps  avait  donné  de 
l'ardear  à  mon  cheval.  Je  laissai  donc  derrière  moi  les  vil- 
lages pittoresques  de  Mariolates  et  de  Soubala ,  le  Platanos 
avec  les  ruines  de  son  vieux  château  et  le  neigeux  Parnasse, 
et  me  dirigeai  vers  Dernitza.  Le  Galiidrome ,  entre  les  es- 
carpements duquel  est  placé  Dernitza ,  est  d'une  physio^- 
nomie  toute  différente  de  la  chaîne  du  Parnasse.  Dans  le 
Parnasse  tout  est  rocher,  dans  les  chaînes  du  Galiidrome 
tout  est  terre  végétale ,  belles  forêts  de  pins ,  gracieuses 
pelouses  jusqu'aux  sommets  les  plus  élevés.  G'est  à  cette 
composition  de  son  sol  que  le  Saromata  doit  son  nom  de 
Galiidrome  ou  montagne  aux  beaux  chemins.  A  moitié  che* 
min,  entre  Glonnista  et  Dernitza,  à  une  demi-heure  avant 
d'arriver  à  ce  dernier  village,  j'aperçus  quelques  ruines  près 
du  chemin.  Une  petite  ^lise  chrétienne  avait  été  élevée 
sur  les  débris  d'un  temple  païen  ;  mais,  ^lise  et  temple , 
tout  est  en  ruines  aujourd'hui ,  avec  la  différence  que  les 
grandes  pierres  helléniques  subsistent  encore  pleines  de 
jeunesse ,  tandis  que  les  murailles  modernes  ne  laissent 
plus  que  quelques  traces  chétives  et  de  la  poussière. 

Il  était  temps  que  j'arrivasse  à  Dernitza ,  le  temps  s'as- 
sombrissait avec  vitesse;  et  à  peine  étais-je  entré  pour 
prendre  mon  gîte  du  soir  dans  la  maison  qui  me  parut  la 
plus  propre ,  tout  en  haut  du  village*,  qn'nne  plqîe  violente 

24. 


S82  GRECE   CONTINEKTALE   ET   MOREE. 

recommença  el  dura  pendant  une  bonne  partie  de  la  nnît, 
La  maison  que  j*avais  choisie  était  bien  abritée.  Au*^ea* 
•U8  de  la  bergerie ,  quelques  marches  conduisaient  à  h 
partie  habitable ,  dirisée  en  deux  compartiments  ;  le  com- 
partiment des  hommes  et  le  compartiment  des  grains  et 
fruits.  Je  pris  place  an  milieu  de  la  famille  dans  le  com-« 
partiment  des  hommes ,  femmes  et  enfants  ;  je  fis  étendi^e 
mon  tapis,  me  fis  servir  d'excellent  lait  et  quelques  fruits, 
et,  au  bruit  de  Torage  qui  battait  mon  toit  hospitalier  sans 
0*y  frayer  passage ,  Je  m'endormis  du  meiMeur  des  som* 
meils. 

I^s  luttes  de  la  tempête  contre  la  sérénité  du  ciel  dorent 
peu  en  Grèce.  C'est  le  soleil  qui  règne  en  maître;  c'est  le 
beau  temps  qui  est  Pétat  normal.  Au  moment  où  les  mou* 
tons ,  placés  au^^dessoos  de  moi ,  s'échappaient  avec  em« 
pressement  pour  aller  prendre  leur  repas  parfumé  dans  le^ 
herbages  rafraîchis  par  Tolrage  de  la  veille,  je  sortis  à 
leur  suite  pour  respirer  aussi  Pair  embaumé  du  matia,  H 
voulais  revoir  d'une  vue  de  mi-c6te  cette  opulente  vallée 
de  la  Doride  que  j'avais  traversée  la  veille.  Je  tournai  en 
descendant  les  deux  ravitts  verdoyants  que  cfttoie  lo  aeu* 
tler  et  me  dirigeai  vers  Giounista,  Devant  moi  se  dévriop** 
pait  avec  majesté  la  chaîne  du  Parnasse  avec  ses  sonamets 
couverts  de  neige  et  dont  les  flancs  accidentés  préaeoteot 
tantôt  les  villages  blancs  de  Soubala,  de  Mariolates  et  de  Pla^ 
tanos,  untôtles  ruines  beiléniquesde  Liléa,  et  tantôt  le  vieux 
château  franc  placé  derrière  Platunos  et  les  deux  vieux 
châteaux  d'Agoriani  aux  deux  sources  du  Céphise.  Des  ré- 
servoirs sccrets-où  s'infiltrent  les  eaux  du  Parnasse  descend 
doucement  le  Cépbise*  qui  traverse  cette  vaste  plaiue  dans 
toute  sa  longueur,  de  l'ouest  è  l'est ,  pour  aller  ensuite  de 
nord  au  sud  chercher  le  lac  Copaîs  près  des  marais  situés 
au  pied  d'Orchomène.  La  chaîne  du  Saromala,  qui  encadre 
cette  vallée  sur  l'autre  rive  du  Céphise,  a  aussi  son  intérêt 
historique  et  sa  beauté.  A  une  lieue  derrière  le  viiiage  de 
Glounista  j'apercevais!*,  sur  un  monticule  qui  se  détache 


L\  cuaoumA.  S83 

des  hnutes  montagnes  du  CaUidroine ,  un  château  franc 

fort  bieo  conservé  et  du  plus  heureux  effet  dans  le  paysage, 

A  Tôuest  de  ee  château ,  et  à  Textrémité  de  la  vallée  • 

s'ouvre  la  route  qui  conduit  de  Gravia  aux  Thermopyles 

on  plutôt  un  peu  au  delà  des  Thermopyles  en  passant  entre 

Elevterokhori  et  NevropoHs  et  entre  les  ruines  d*Heraciea 

et  de  Damasta  pour  aboutir ,  pris  de  la  caserne ,  au  kham 

et  au  pont  ancien  d'Alamana.  C'est  par  cette  route  que 

passèrent,  en  remontant  jusqu'à  Elevterokhori  et  à  Nevro- 

polis  et  en  redescendant  de  là  par  Drakospilia  et  près  de 

Palœo-Yani,  le  corps  d'armée  perse  qui ,  sous  Hydrastes, 

tourna  les  Thermopyles  et  vint  attaquer  par  derrière  les 

5,000  Grecs  échelonnés  derrière  lea  800  Spartiates  qui 

sucQombaient  si  glorieusement  aux  Thermopyles  en  faisant 

face  au  corps  d'armée  principal  des  Persea.  C'est  par  cette 

môme  route  aussi  que  passa  le  Brenn  gaulois  avec  les  siens 

lorsque,  tout  fier  du  butin  de  l'Italie,  de  l'illyrie  et  de  la 

Macédoine ,  et  ne  po^ivant  forcer  les  Thermopyles  avec  les 

120,000  heaumes  d'infanterie  et  15,000  de  cavalerie  qu'il 

tratnait,  suivant  Justin ,  après  lui,  il  tourna  le  (^allidrome 

et,  traversant  la  vallée  de  la  Doride,  se  dirigea  le  long  de  la 

rivière  de  Gravia  jusqu'à  Topolias  et  de  là  jusqu'à  Delphes, 

Vn  intérêt  historique  plus  moderne  me  prescrivait  de 

prendre  une  autre  route  pour  arriver  aux  Thermopyles. 

Je  voulais  arriver  par  Dernitza  à  Bodonitza  et  suivre  la 

route  qu'avait  prise  l'empereur  Henri  de  Constantinoplc  et 

que  suivit  probablement  aussi ,  un  siècle  plus  tard ,  la 

Grande*Gompagnie  catalane  en  allant  des  Thermopyles  à 

Thèbes, 

«  Li  empererea,  dit  Henry  de  Valeoeiennes  continuateur 
de  Ville-Hardoin  (en  parlant  de  l'empereur  Henry  de  Flan- 
dres à  l'année  1208),  vint  jesir  à  la  Bondenice  un  mercredi 
au  soir.  Dont  passa  la  Closure ,  et  Gripbon  le  vinrent  en- 
diner.  Li  empereres  chevaucha  tant  que  il  est  à  Tbèbes 
venus'.  ^ 

«  Pag.  294  de  mon  édition,  k  la  suite  de  loes  itslair<NMflllia<« 


284  GRÈCB   GONTINBFITAtE   ET   MOBEE. 

Ce  mot  de  Glosure  m'avait  semblé  devoir  être  la  repro- 
duction du  mot  gre  xXet«roupa ,  défilé  ;  mais  où  était  celte 
Clisonra  ?  c'est  ce  qu'aucune  carte  ne  m'apprenait  Arrivé 
sur  les  lieux  qui  devaient  en  être  voisins,  j'interrogeai  les 
habitants  de  Dernitza  et  lâi  j'appris  d'eux  que ,  pour  aller 
de  Dernitza  à  Bodonitza ,  on  passe  entre  deux  montagnes 
une  gorge  qui  n'est  en  effet  connue  dans  le  pays  que  sous 
son  nom  de  Clisoura.  Je  fus  tout  à  fait  charmé  de  pouvoir 
à  mon  tour  passer  la  Glosure  comme  mes  compatriotes 
croisés  4  et  montai  à  cheval  avec  bonheur  pour  aller  la  re- 
connaître. 

En  partant  de  Dernitza ,  on  continue  è  monter  jusqu'à 
ce  que  s'ouvre  devant  vous  ce  qu'on  appelle  ici  un  diaselo, 
ou  un  port  dans  les  Pyrénées ,  c'est-à-dire  une  ooyerture 
étroite  entre  deux  pics  de  montagne,  d'où  on  puisse  redes- 
cendre dans  les  vallées.  Les  pics  qui  forment  le  diaselo  de 
Dernitza  sont  des  plus  gracieux  et  des  mieux  ombragés  du 
Gallidrome ,  et  on  ne  l'a  pas  plutôt  franchi  pour  pénétrer 
dans  la  Clisoura,  que  se  présente  un'spectacle  vraiment  ma- 
gique. Je  m'étais  imaginé  ^trouver  une  gorge  obstruée  par 
des  rochers  et  des  précipices ,  et  je  voyais  une  route  ser- 
pentant élégamment ,  bien  qu'un  peu  rapidement,  le  long 
d'un  ravin  creusé  par  un  torrent ,  à  travers  une  forêt  de 
pins  majestueux,  qui  remontaient  des  deux  côtés,  du  bord 
du  ravin  jusqu'au  sommet  des  hauteurs  qui  enserrent  le 
défilé.  Dès  les  premiers  pas ,  la  vue ,  guidée  par  les  deux 
flancs  de  la  montagne,  se  prolonge  bien  au  delà  des  limites 
du  défilé.  Là  s'étend  la  jolie  vallée  de  Bodonitza  ;  et  tout  au 
milieu,  surgissait,  comme  pour  m'étre  plus  agréable,  un  pla- 
teau surmonté  du  vieux  château  français  des  marquis  de 
Bodonitza.  Mais  ce  plateau  et  ce  château,  qui  sont  jetés  dans 
la  vallée  inférieure,  n'arrêtent  pas  la  vue,  qui  se  porte  bien 
au  delà,  et  découvre  la  noler,  la  belle  mer  azurée  de  Grèce, 
enfermée  comme  un  lac  entre  le  golfe  Malliaque  et  le  golfe 

historiques,  généalogiques  et  numismatiques  sur  la  principauté 
française  d^Achaye, 


LA   CLISOURA.  285 

de  Talente,  par  la  chaîne  de  TOthrys  d'une  part  et  par  les 
monts  de  TGubée  de  l'autre,  et  enfin,  comme  pour  ajou-» 
ter  un  dernier  trait  de  perfection  au  tableau ,  le  gracieux 
canal  d*£ubée  s'ouvrant  entre  ces  deux  golfes  et  ces  monta* 
gnes,  et  conduisant  Tœil  jusqu'aux  îles  de  Skiathos,  Sko* 
pelos  et  Skyros,  et  à  la  haute  mer. 

Je  restai  long-temps  en  admiration  devant  ce  beau  ta- 
bleau ,  auquel  ne  manquait  pas  l'effet'  du  soleil ,  et  je 
m'engageai  dans  la  Glisoura.  La  vue  y  est  restreinte  par 
les  courbures  du  rayin  et  par  l'épaisseur  de  la  forêt  qu'on 
a  à  traverser;  mais,  pour  être  plus  rapprochée,  la  perspec« 
tive  n'en  est  pas  moins  fertile  en  beautés  de  toute  nature, 
tant  sont  féconds  les  flancs  de  ces  montagnes  où  la  végé*  • 
tation  se  montre  avec  la  même  puissance  depuis  les  colli* 
nés  inférieures  jusqu'aux  croupes  les  plus  élevées.  En 
sortant  de  la  Glisoura ,  la  vallée  s'ouvre  enfin  dans  toute  sa 
grandeur.  Les  Thcrmopyles  continuent  à  gauche,  les  monts 
de  Garya  à  droite ,  le  Gallidrome  en  arrière ,  et  en  face  est 
la  vallée  de  Bodonitza  ondulée  de  collines  verdoyantes,  avec 
son  château  gothique  siégeant  fièrement  au  centre,  etau  delà 
la  mer,  et  un  horizon  de  montagnes.  Je  conçus  alors  tout  ce 
que  pouvait  avoir  d'importance  le  possesseur  d'une  pareille 
seîgneorie,  placé  à  la  marche  ou  frontière  de  la  principauté 
française  d'Achaye,  ainsi  que  l'indique  son  nom  de  mar- 
quis de  Bodonitza,  sous  lequel  il  figure  au  nombre  des  hauts 
barons  jusqu'aux  derniers  jours  de  l'existence  de  la  prin^ 
cîpauté  *.  G'était  à  lui  qu'était  confiée  la  garde  des  Ther« 
niopyles,  et  son  fief  s'étendait  le  long  de  la  mer,  depuis  ce 
passage  jusqu'au  delà  de  Sideroporta ,  au  delà  de  Palœo* 
cbori  sur  le  golfe  de  l'antique  Daphnuse.  Le  marquis  de 
Bodonitza  se  trouvait  ainsi  le  seigneur  des  deux  Locrides,  et 

^  Il  est  désigné  encore  dans  lé  dénombrement  de  1391  parmi  les 
dommages  des  barons  sous  le  nom  de  marquis  de  Bondenice  (p.  298 
de  mes  Éclaircissements  historiques,  géologiques  et  numisma" 
tiques  sur  la  principauté  française  d'Achaye,  t.  i). 


386  GRFXE   CONTIHfiNTALE   ET   MOREE. 

le  succMseur  naturel  d* AJax ,  fils  d'Ofiée ,  et  de  Ménétim 
pore  de  Patrocle. 

JLe  château  est  aujourd'hui  ruiné  ;  mais  ses  ruines  soat 
grandes,  et  elles  couvrent  tout  le  plateau.  Les  murs  d'en* 
ceinte  et  deux  tours  restent  complètement  debout,  et  dans 
ces  murs  on  reconnaît  aisément  les  traoes  des  diverses  es^ 
pèces  de  construction  hellénique ,  romaine,  bysaotine  et 
franque.  La  partie  inférieure  est  tout  hellénique  alentour 
du  plateau,  et  celles  de  ces  grandes  pierres  qui  avaient  été 
renversées  ont  été  relevées  par  les  Francs  et  distribuées  où 
ils  ont  pu  dans  leurs  murailles  et  leurs  tours  carrées.  La 
porte  intérieure  est  bdlénique  aussi  et  me  rappela  la  porte 
antique,  dite  cyclopéenne,  que  j'avais  vue  à  Arpioo,  patrie 
de  Cicéron,  dans  le  royaume  de  Naples.  Elle  est  composée 
de  six  pierres  dont  chacune  a  deux  mètres  de  hauteur  sur  un 
mètre  soixante^dix  centimètres  de  largeur  et  soixante  cen- 
timètres d'épaisseur.  Les  deux  pierres  du  haut  se  rencon- 
trent è  angle  aigu.  A  l'intérieur  de  la  forteresse  sont  denx 
citernes  et  les  restes  d'un  conduit  en  briques;  peut-être  do 
temps  de  Justinien,  qui,  suivant  Procope,  fit  rétablir  beau« 
coup  de  forteresses  de  ce  coté  de  l'empire.  A  l'aide  de  ce 
conduit ,  on  pouvait  profiter  dans  le  château  des  eaux  de 
la  fontaine  placée  de  l'autre  côté  du  ravin,  sur  le  penchant 
d'une  petite  colline  qui  vient  expirer  au  pied  de  celle-ci. 
Les  eaux  de  cette  fontaine  sont  des  plus  pures  et  des  meiU 
leures  du  pays,  ainsi  que  je  m'en  convainquis  en  vidant 
avec  bonheur  trois  coupes  â  la  source  même.  Une  petite 
église  de  construction  franque ,  avec  une  fenêtre  en  ogive 
au  milieu  des  murs  du  monument,  atteste  qu'ici  ont  passé 
d'autres  hommes,  d'autres  moeurs,  un  autre  culte.  Suivant 
Meletius  le  géographe,  Bodonitza  serait  l'antique  Opus, 
capitale  des  Locriens  Opuntieps;  mais  cette  opinion  me 
paraît  tout  i  fait  sans  fondement.  Strabon  décrit  fort  exac^ 
tement  la  situation  d'Opus  et  celle  de  la  baie  opuntienne, 
et  il  paraît  évident  qu'Opus,  patrie  de  Patrocle,  se  trouvait 


BUAQUI8AT  DE  BODONITZAé  287 

près  de  Taiente,  Tis-à-?is  de  Gaidouro-Nisi,  et  siir  reinpb- 
cernent  du  village  actuel  de  Oardinitaa. 

J'allai  me  reposer  quelques  instants  chez  le  dîmarque^ 
vieillard  de  fort  bonne  mine,  qui  demeure  dans  le  bas  da 
la  vilte»  Sa  maison  serait  d'assez  bonne  apparence  s'il  y 
avait  &k  dehors  pour  y  monter  une  échelle  moins  délabrée 
qUe  celle  qui  sert  d'escalier  ;  mais  les  Grecs  ne  savent  en<- 
Gore  où  ni  comment  placer  un  escalier.  On  construit  d'a-^ 
bord  la  maison  sans  s'en  occuper^  puis^  quand  tout  est  âni, 
oo  le  place  en  dehors  tomme  on  peut  La  famille  du  di> 
marque  était  réunie  dans  une  seule  chambre,  tous  et  fou* 
tes  étendus  à  l'orientale  sur  des  tapis.  Us  se  letèreat  à 
mon  approche,  et,  sachant  que  les  Francs  ont  l'habitude 
de  s'asseoir  un  peu  haut,  ils  m'apportèrent,  pour  tenir  lieu 
de  chaises  qui  manquent  encore ,  trois  bons  coussins  que 
l'on  disposa  l'un  sur  l'autre  près  du  mur,  de  manière  à  me 
former  un  siège  fort  commode.  Puis  la  jeune  et  belle  fille 
du  diiliarqtie  me  serrit  elle-même  le  giyko,  i*eau  frafche  et 
le  café ,  et  me  présenta  ensuite  gracieusement  la  longue 
pipe ,  et  je  me  trouvai  aussi  à  mon  aise  que  parmi  les 
nmos»  tant  l'hospiulité  se  montre  partout  en  Grèce  tftec 
âisAtice  et  botine  grâce ,  et  semble  pluiAt  la  satisfooiiMi 
d'un  plaisir  que  d'un  û^ftAr,  Pendant  qâe  j'étais  assis  h 
câoser  are^  oes  bonnes  g^s^  j'avais  etivoyé  des  eiplorA-' 
tears  dans  le  lattage  pour  s'enquérir  des  antiquités^  pier-* 
re»  gravées  «  médailles  et  gaiiettes  (petites  itionnàies  de 
cuivre)  ifoe  Ton  pourrait  avoir  à  vcnâre<  On  m'apporta 
ifÊ^neê  pierres  gi^vées,  mais  d'une  méiiôcre  eiécution  et 
de  l'êpoqtie  romaine  ;  des  monnaies  by tontine  en  grand 
nombre,  que  je  ne  recherchais  pas;  quelques  médaille  des 
anciens  Opttutietts ,  dont  l'uHe  me  ptot,  et  bon  ooftibi^ 
de  deniers  tournois  des  princes  français  de  Morée  et  des 
docs  français  d'Athènes^  parmi  iesqtiels  je  choisis  lesmieut 
iM>nsertés»  Leurs  demaaées  ne  tne  pâturent  pas  trop  dérai^ 
sonnaMe»  et  wm»  nous  séparâmes  fort  satisfaits  les  nas  des 
atitres.  Je  tt»ierei«i  ensuite  U  dimarque  et  m  famiHa  de 


988  GHË€E  CONTINENTALE  &T   MOAÉE. 

leur  bienveillante  hospitalité ,  me  fis  amener  mes  cbevaax 
et  quittai  Bodonitza.  Plusieurs  fois  j*y  suis  revenu  depuis, 
et  toujours  avec  un  grand  plaisir,  même  lorsqu'égaré  pen- 
dant h  nuit»  en  tournant  la  pente  des  coteaux,  je  me  re^ 
trouvais  arrêté,  tantôt  par  on  rocher  sur  le  bord  d'un  tor- 
rent que  j'avais  quelque  temps  auparavant  traversé  à  g;né, 
tantôt  par  un  précipice  inattendu  placé  sur  un  revers  de 
collines  que  j'avais  gravi  à  grand'peine  ;  mais  alors  la  vue 
de  la  mer  et  des  montagnes  d'Eubée  éclairées  par  un  éda* 
tant  dair  de  lune  me  remettait  bientôt  sur  la  voie,  et  je 
rentrais  sans  encombre,  heureux  du  souvenir  de  mes  ion-* 
gués  courses. 


XV. 


UNE  SUCRERIE  FRANÇAISE  EN  GRÈCE.  —  THRONXUM 

ET  LA  LOGRIOE. 

£a  route  de  Bodonitza  à  la  mer  traverse  on  pays  ma- 
gnifique. Les  vallées  sont  arrosées  par  dés  cours  d'eau  et 
les  pentes  des  montagnes  offrent  comme  une  délicieuse 
forêt  où  toutes  les  herbes  et  tous  les  arbres  sont  en  fleurs, 
et  où  je  respirais  tous  les  parfums  du  printemps.  L'arbre 
de  Judée  avec  ses  bouquets  de  lilas  y  croît  à  l'égal  des 
plus  beaux  arbres  de  nos  climats;  le  genêt  d'Espagne  cou- 
vre tous  les  rochers  de  ses  immenses  buissons  diaprés  de 
fleurs  jaunes  et  s'entremêle  aux  sauges  colossales  et  aux 
plantes  les  plus  odorantes.  En  présence  de  cette  variété 
de  fleurs  qui  embaument  l'air,  on  se  croirait  transporté 
dans  le  plus  riche  de  nos  vergers  français  au  mois  de  mai; 
mais  les  vergers  ici  sont  des  forêts  gracieusement  jetées 
sur  le  penchant  rapide  de  la  montagne ,  et  les  cours  d'eau 
qui  les  traversent  serpentent  et  retombent  partout  en 
mille  cascatelles«  La  colline  qui  descend  dans  la  vallée 


LOCAIDE.  289 

après  le  village  de  Kalyvia  offre  surtout  le  pays  le  plus  fc- 
coud ,  le  mieux  boisé  que  je  connaisse.  Il  n*y  a  pas  un 
pouce  de  la  montagne  et  de  la  vallée  qui  ne  soit  recouvert 
de  bonne  et  profonde  terre  végétale  et  de  la  plus  épaisse 
verdure.  Les  calzopia  »  ou  arbr<^s  de  Judée ,  sont  là  sur 
leur  sol  malernel.  Dans  plusieurs  parties  de  cette  riche 
vallée  la  verdure  de  ces  grands  et  beaux  arbres  et  de  ces 
jolis  arbrisseaux  se  maintient  toute  Tannée ,  et  le  chêne 
lui-même  y  conserve  ses  feuilles  pendant  des  hivers  doux 
comme  Test  notre  plus  doux  printemps.  £t  toutes  ces 
terres  fécondes,  et  tous  ces  beaux  ombrages ,  et  ces  déli- 
cieux parcs  et  vergers  naturels  sont  pour  ainsi  dire  sans 
maître  !  Au  milieu  de  cet  abandon  de  tout  bien ,  ce  n'est 
que  bien  rarement  que  se  fait  sentir  la  présence  de 
rhomme,  par  Taspect  de  quelques  terres  ensemencées  de 
blé  ou  par  quelques  kalyvia  de  chaume  distribuées  çà  et 
là  et  défendues  par  des  chiens  de  Thessalie  à  Thumeur  re- 
doutable, contre  lesquels  un  bon  pistolet  n*est  jamais  horà 
de  saison.  Les  prairies  y  sont  toutes  épaisses  et  fécondes , 
mais  d'une  fécondité  spontanée  qui  ne  doit  rien  aux  irri* 
gâtions  artificielles  ou  aux  coupes  opportunes;  car  per- 
sonne n'y  travaille,  n'y  sème  et  n'y  recueille.  Celte  partie 
de  la  Grèce  se  distingue  entre  toutes  les  autres  par  la  sève 
active  de  végétation  dont  jouissent  ces  pays,  plus  riches 
et  plus  pittoresques  en  même  temps. 

À  mi-chemin  vers  le  golfe  de  Lamia,  s'embranchent 
deux  routes  qui,  de  Bodouitza  et  des  versants  du  Kaliidrome, 
conduisent  vers  la  Thessalie  et  vers  la  Locridc  :  l'une  a 
gauche  mène  au  glorieux  passage  des  Thermopyles;  l'au- 
tre, à  droite,  mène  h  un  lieu  qui  n'a  de  nom  ni  dans 
rhisioire  ancienne  ni  dans  l'histoire  du  moyen  âge ,  mais 
qui  a  au'^si  son  avenir  peut-être ,  et  qui ,  dans  les  fastes 
pacifiqu  s  de  nos  nations  modernes,  pourra  mériter  d'être 
mentionné  un  jour  parmi  les  éléments  de  richesse  et  d'à- 
niélioration  decepays  nouveau.  Ce  lieu,  désigné  sous  le  nom 
de  Kainourio-Khorio  ou  le  Nouveau-Village,  est  celui  où 

25 


290  GREGE   CONTINENTALE   ET    MUREE. 

vient  d'être  fondée  par  des  spéculateurs  français  tme  sucrerie 
de  sucre  de  betteraves.  J'avais  là  à  satisfaire  on  intérêt  plus 
récent,  mais  plus  national  aussi.  L'ancien  fief  français  qui 
dominait  tout  le  littoral  des  Thermopyles  et  de  la  Locride 
a  disparu ,  et  une  nouvelle  puissance,  celle  de  Tindastrie, 
portée  sur  une  partie  de  ce  même  littoral  par  des  compa- 
triotes des  anciens  feudataires  de  Bodonitza,  cherche  dans 
ce  moment  à  faire  succéder  son  utile  domination  à  la  do- 
mination violente  qui  soumettait  tout  à  Futilité  d'an  seul 
Aux  tours  de  vigie,  où  veillaient  des  soldats  toujours  armés, 
ont  succédé  de  hautes  cheminées  en  forme  de  tours  car- 
rées ,  destinées  à  alimenter  perpétuellement  une  grande 
usine  de  sucre  de  betteraves.  La  betterave,  si  ridiculisée  à 
sa  naissance,  si  contrariée  aujourd'hui  dans  sa  marche 
après  avoir  été  si  démesurément  encouragée,  veut  étendre 
maintenant  ses  conquêtes  en  dehors  du  pays  de  sa  nais- 
sance ,  et ,  de  la  France ,  veut  aller  s'implanter  dans  le 
reste  de  l'Europe  et  donner  à  la  fois ,  si  elle  peut  réussir, 
un  nouveau  débouché  à  la  richesse  industrielle ,  à  la  ri- 
chesse agricole  et  à  la  richesse  commerciale.  J'avais  appris, 
en  allant  de  Malte  à  Syra,  que  plusieurs  ouvriers  français 
se  rendaient  en  Grèce  sur  le  même  bâtiment  que  moi  pour 
aller  s'employer  dans  une  raffinerie  dont  l'existence  m'était 
ainsi  révélée,  et  mon  attention  en  avait  été  vivement 
éveillée  ;  j'avais  rencontré  dans  les  bois  du  Pentélique,  en 
revenant  de  Marathon  à  Athènes ,  d'autres  ouvriers  fran- 
çais se  rendant  par  Oropos  à  ce  même  établissement ,  et 
j'avais  promis  au  fondateur,  M.  Roberiy,  qui  m'avait  beau- 
coup parlé  de  ses  projets  à  Athènes,  de  m'arrêter  quelques 
jours  dans  sa  manufacture  à  mon  passage  en  Locride.  Je 
laissai  donc  la  roule  qui  mène  aux  Thermopyles  de  Léo- 
nidas  et  m'acheminai  vers  la  sucrerie  française  de  sucre  de 
betteraves  de  Kainourio-Khorio. 

Des  dernières  parties  de  la  chaîne  du  Kallidrome ,  on 
Voit  se  développer  devant  soi  une  vaste  plaine  de  près  de 
deux  lieues  de  profondeur  jusqu^à  la  mer,  et  d'environ  six 


lieues  de  knigoeiir  entre  le  Sperehius  et  le  Boagrius ,  qui 
toos  deux  vieaoeat  se  jeter  dans  le  golfe  de  Lamia.  Le» 
eaax  torrentueuses  du  Boagrûis  formaient  dans  cette  sai- 
son ua  lit  vaste ,  mais  assez  profond  ;  je  les  passai  à  gué 
au-dessous  de  Throoium.  Ces  passages  sont  parfois  as$e:s 
dangereux  en  Gr^  ;  les  lits  des  torrents  sont  larges  et 
encoait>rés  de  fragments  de  rochers  ;  leur  cours  est  rapide» 
et  si  un  cbe^al  faisait  une  chute  il  serait  assez  difficile  de 
lutter  contre  la  rapidité  des  flots  au  milieu  de  ces  pointes 
aiguës  de  rochers.  Quelquefois  aussi  ^  quand  on  n'a  pas  la 
léte  ferme  et  qu'on  ne  prend  pas  le  parti  de  fixer  ses  yeux 
sur  U  rive  sans  regarder  l'eau  »  ce  torrent  qui  coule  rapi* 
dément  vous  laisse  croire  qu'au  lieu  de  le  couper  vous 
êtes  entraîné  par  lui  ;  on  est  f^ris  alors  d'une  espèce  de 
vertige  qui  pourrait  amener  une  chute  dangereuse.  C'est 
ainsi  qu'un  jour,  dans  les  eaux  de  TAlphée,  près  d'OIym^ 
pie ,  un  de  mes  guides  perdit  la  tète ,  tomba  de  cheval ,  et 
ne  fut  sauvé  que  par  un  berger  que  j'avais  eu  la  précau** 
tion  de  faire  marcher  avec  nous  dans  l'eau  pour  indiquer 
le  gué.  Je  tins  bon  contre  le  Boagrius ,  qui  luttait  pour 
m'entratner,  comme  autrefois  le  fleuve  Scamaodre  s'élan* 
çait  pour  engloutir  Achille  a  en  mugissant  et  soulevant  ses 
flots  couverts  d'écume,  de  sang  et  de  cadavres^»Le  Boa- 
grius n'entraînait  que  les  débris  des  asphodèles ,  des  lau* 
Tiers-roses  et  des  autres  plantes  de  la  montagne,  et  je  n'eus 
pas  besdn  du  secours  de  Yulcain  et  de  ses  feux  pour  ar« 
river  è  l'autre  rive.  De  là  on  aperçoit,  de  loin,  et  sur  le 
bord  de  la  mer,  une  longue  ligne  de  murs  blancs  avec  des 
toits  en  tuile  rouge ,  et  au  milieu ,  hautes  et  puissantes 
comme  des  tours  crénelées  des  temps  féodaux ,  les  chemi* 
nées  de  la  sucrerie  de  Kainourio.  Ce  fut  comme  un  phare 
qui  me  montrait  ma  route.  Je  me  mis  au  galop  dans  cette 
belle  plaine ,  et  au  bout  d'une  heure  au  plus  j'arrivai  parmi 
des  compatriotes  parlant  la  langue  de  France»  dans  la  sucre- 
rie de  betteraves  de  Kainourio-Khorio. 
*  ilioikf  cliant  xxi ,  vers  324. 


292  GRECE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

M.  Roberty  me  fit  le  plas  cordial  accueil ,  et  me  montra 
tout  son  établissement  en  détail.  Cette  vaste  entreprise  doit 
son  origine  à  une  société  d'actionnaires  parisiens  auxquels 
sont  venus  depuis  s^ajouter  des  actionnaires  grecs  et  molda- 
ves. Le  gouvernement  grec  a  concédé  à  cette  société ,  pour 
vingtans,moyennant7,000  francsde  loyer  annuel,  huit  cents 
hectares  de  terre  dans  cette  belle  plaine  de  la  Locride.  Là, 
tout  en  face  du  canal  de  Trikeri ,  dans  une  situation  aussi 
belle  que  bien  appropriée  au  commerce ,  non  loin  de  la 
baie  de  Paloeo-Khori,  où  peuvent  s*arrêter  les  bâtiments 
arrivant  d*Â8ie  par  le  canal  d*Eubée ,  près  de  la  chaîne  du 
Knémis,  qui  forme  un  rempart  contre  les  vents  et  porte 
de  vastes  forêtô  ,  près  aussi  de  la  riche  plaine  du  Sperchius, 
qui  ouvre  une  route  facile  vers  ta  Thessalie,  on  a  choisi  à 
cent  pas  tle  la  mer  remplacement  où  devait  être  bâtie  la 
future  manufacture.  La  première  pierre  de  l'usine  avait 
été  posée  le  24  décembre  18&0,  et,  grâce  à  l'activité  ex- 
trême mise  dans  les  travaux ,  ces  bâtiments  étaient  presque 
complètement  terminés  au  moment  où  j'y  arrivai,  le 
l*'  mai  1841,  et  les  machines  étaient  déjà  presque  toutes 
placées  et  prêtes  à  fonctionner.  Il  y  avait  d'énormes  ob- 
stacles à  vaincre  pour  fonder  un  semblable  établissement; 
mais  M.  Roberty  est  doué  d'une  rare  activité  et  d'une 
grande  persévérance ,  et  il  est  enfin  parvenu  à  triompher 
des  difficultés  que  lui  opposaient  les  hommes  et  les  choses. 
Tout  était  à  créer  à  la  fois  dans  un  pays  si  neuf.  Quelques 
ouvriers  français  se  multiplièrent  pour  guider  et  former 
les  ouvriers  grecs ,  avant  même  qu^aucun  des  chefs  et  de 
leurs  co-travailleurs  comprit  encore  la  langue  que  parlait 
l'autre.  Les  rochers  du  Knémis  et  les  ruines  de  Thronium 
fournirent  la  pierre;  les  forêts  de  Palœo-Khori  et  de  Bo- 
donitza  donnèrent  le  bois  de  construction.  Les  tuiles  furent 
confectionnées  sur  les  lieux ,  ainsi  que  les  planches  et  les 
poutres.  Des  maçons  albanais  arrivèrent  en  bandes  de  la 
Turquie ,  et  en  quatre  mois  les  bâtiments  de  la  manufac- 
ture et  deux  lignes  delJbâtiments  placés  des  deux  côtés  pour 


KAINOUaiO-KHORIO.  293 

le  logement  des  maîtres  et  ouvriers  s'élevèrent  comme  par 
eDcbantement.  Oa  me  donna  une  de  ces  chanibres,  dans 
Taile  située  en  vue  de  la  mer,  et  je  m*y  trouvai  aussi  com« 
modément  logé  que  je  Faurals  été  en  France.  On  m'avait 
dit  à  Athènes  que  je  ne  trouverais  rien  encore  de  com- 
mencé ,  et  qu'il  n'y  aurait  pas  même  de  chambre  pour  me 
loger;  cependantje  trouvai  deux  lignes  de  maisons  de  vingt 
chambres  chacune,  entre  deux  jardins,et  des  bâtiments  élevés 
et  couverts ,  aussi  étendus  que  ceux  d'une  des  plus  vastes 
exploitations  de  nos  domaines  normands.  Les  communica-* 
tions  sont  encore  très-difficiles  entre  les  provinces  grec« 
ques.  De  Livadîa  à  Kainourio ,  il  faut  franchir  le  Parnasse 
et  le  Knéfflis ,  semés  de  rochers  et  de  précipices ,  et  tout 
voyage  à  travers  ces  montagnes  est  non-seulement  fati- 
gant, mais  souvent  dangereux.  Il  n'est  donc  pas  étonnant, 
même  sans  parler  de  l'envie  que  l'on  porte  en  général  à 
tout  grand  établissement  naissant ,  qu'on  ait  nié  l'existence 
de  ce  que  je  voyais  alors  debout  devant  moi.  M.  Roberty 
et  moi ,  nous  parcourûmes  à  cheval  les  terres  concédées  à 
la  manufacture ,  et  là  m'apparurent  d'autres  obstacles  dont 
une  grande  énergie  peut  seule  triompher. 

A  peu  de  distance  de  la  manufacture  est  un  marais 
formé  par  les  cours  d'eau  qui  descendent  du  Knémis  à  la 
mer,  et  qui ,  faute  de  pente  suffisante,  se  perdent  dans  les 
prairies.  Le  vent  qui  sort  de  la  gorge  de  Thronium  et 
passe  sur  ce  marais  s'imprègne  à  la  chute  du  jour  d'exha- 
laisons dangereuses.  Il  est  facile  sans  doute  d'assainir  ce 
marais,  en  pratiquant  des  saignées  à  la  prairie  et  en  faisant 
couler  les  eaux  jusqu'à  la  mer,  qui  est  voisine  ;  mais,  pour 
avoir  négligé  cet  assainissement ,  on  s'est  exposé  à  une 
épidémie  qui  a  moissonné  beaucoup  de  monde ,  et  il  a 
fallu  l'énergie  de  M.  Roberty  pour  résister  à  ces  nouveaux 
fléaux  et  pour  s'occuper,  quoique  malade ,  du  prompt  as- 
sainissement de  ces  lieux ,  assainissement  assuré  aujour- 
d'hui. Des  terres  avaient  été  concédées  par  le  gouverne- 
ment; mais,  par  suite  de  l'organisation  défectueuse  d'une 


t94  GRÈCE   CONTIKIlirrAI*!  Wr  IIOREE. 

lociicé  p^tiqiie  wml  n^v«Ue  qoe  l'eit  la  société  greocpie« 
let  terres  étaient  souvent  possédées  ou  cultivées  par  le  pre* 
mier  occupant.  Une  juste  mesure  de  conciliatîoii  et  de  fer- 
meté de  la  part  de  M.  Roberty,  soutenu  qu'il  était  par  l'appui 
bienveillant  des  auiorités  locales ,  n'a  pas  tardé  k  aplanir  les 
voies  vers  le  bien.  Les  gens  du  pays  ont  d'ailleurs  compris 
tous  les  avantages  que  devait  apporter  à  leur  agriculture 
Fexistettce  d*on  établii«ement  considérable  bien  dirigé  et 
occupé  par  des  ouvriers  français,  qui,  s'ils  travaillent  beau^ 
coup ,  aiment  aussi  à  bien  vivre  et  dépensent  largement. 
Déjà  un  peu  de  mieux  se  fait  sentir  dans  les  environs ,  et 
on  remarque  une  grande  différence  entre  les  habitations 
grecques  du  village  voisin  et  celles  des  villages  plus  éloi- 
gnés. Les  chambres  sont  plus  propres  et  mieux  aérées  i  l'u- 
sage des  chaises,  des  tables,  des  matelas ,  inconnu  à  quel- 
ques lieues  de  \ï ,  s'y  répand  de  jour  en  jour.  La  nourri* 
tare  y  est  plus  saine  et  plus  abondante.  Si  cet  établisse- 
ment  prospère,  ce  bien* être  s'étendra  rapidement  h  tous 
les  environs;  car  ce  pays  est  merveilleusement  situé  pour  y 
appeler  les  étrangers.  Tous  les  versants  inférieurs  du  Kné« 
mis  sont  couverts  de  forôts ,  et  des  sources  d'eau  minérale 
qui  jaillissent  du  pied  des  rochers,  près  de  Palooo-Cbori , 
permettent  d*y  établir  des  bains  d'eau  thermale.  Un  bateau 
à  vapeur  qui  irait  de  là  k  Porto-Raphti ,  à  cinq  lieuos  d'A* 
thènes,  en  passant  sous  le  pont  un  peu  étroit  de  i'Ëuripe , 
à  Chalkis,  transfoijnerait  complètement  ces  riches  campa* 
gnes  de  la  Locride ,  et ,  en  peu  d'années ,  elles  pourraient 
être  couvertes  de  petites  maisons  d'été.  J'ai  rencontré  \k 
des  sites  charmants.  Ces  améliorations  réagiraient  bien 
vite  sur  une  population  aussi  active  et  aussi  intelligente 
que  la  population  grecque.  J'ai  vu  moi-même  qu*au  mo* 
ment  de  mon  arrivée  l'esprit  de  jalousie  avait  déjà  disparu 
pour  faire  place  à  l'esprit  d'union.  J'en  eus  une  preuve 
frappanle  à  l'occasion  d'une  fête  curieuse  à  laquelle  j'assis- 
tai le  lendemain  dimanche  2  mai, 
M.  Roberty  avait  annoncé  que,  pour  célébrer  l'anni- 


• 


versaire  de  la  Saiat-Pbilippe»  il  iuYiUit  ce  jour-là  tous  les 
employés  de  sa  manufacture-,  maîtres  et  ouvriers ,  Français, 
Italiens,  Allemands,  Anglais,  Grecs,  Albanais  et  Bulgares, 
à  une  partie  de  campagne  dans  une  belle  forêt  siluée  au  delà 
de  Tbroaium,  Je  fus  invité  aussi  et  fus  cbarmé  de  cette 
occasion  qui  s'offrait  à  moi  de  satisfaire  amplement  ma 
curiosité. 

Nous  partîmes  tous  h  pied,  au  nombre  de  plus  de 
soixante.  Nous  traversâmes  le  Boagriusi  ou  Plataoia,  k 
Taide  d'arbres  morts  jetés  sur  les  rocberrdu  torrent,  et 
nous  remontâmes  son  cours  en  laissant  Tbronium  à  notre 
gauche.  Plusieurs  fois  nous  eûmes  à  traverser  au  milieu 
des  bois  la  Plataoia  et  ses  affluents  k  Taide  de  ponts  impro* 
Tîiés»  Ces  torrents  au  cours  si  incertain  sont  un  des  grands 
obstacles  qui  empêchent  lesvoyagesàpiedenGrèce,  qu'il 
est  si  aisé  pour  tout  le  monde  de  £»ire  en  Suisse;  il  faut  des 
chevaux  pour  traverser  sans  cesse  les  torrents  et  les  bords 
des  vadtoSf  ou  terres  marécageuses.  Nous  continuâmes  II 
cheminer  à  travers  des  bosquets  remplis  de  fort  beaux  ar- 
bres jusqu'au  pied  de  la  montagne  de  Basilissa ,  qui  sépare 
cette  vallée  de  la  belle  et  vaste  vallée  de  Livadie.  Pouque* 
ville  a  cru  ï  tort  que  la  montagne  appelée  Basilissa  était 
plac^  dans  les  Tbermopyles  mêmes ,  et  qu'elle  devait  ce 
nom  au  souvenir  de  l'invasion  armée  du  grand  roi.  JLa  Ba* 
siUssa  est  fort  en  avant  des  Tbermopyles  et  très-^éloignée 
de  la  route  qu'a  suivie  l'armée  persane*  Nous  nous  arrêta^ 
mes  enCn  dans  une  situation  charmante ,  que  nous  indiqua 
un  berger,  près  d'un  village  qui  a  conservé,  dans  son 
nom  de  Komnina ,  le  souvenir  de  la  domination  des  Corn** 
néne.  Une  source  d'eau  excellente  jaillissait  de  terre,  et,  à 
peine  née ,  elle  allait,  à  quelques  pas  de  là,  confondre  ses 
eaux  avec  celles  d'un  torrent ,  qui  se  repliaient  autour  d'un 
tertre  frais  et  en  faisaient  comme  une  petite  île  de  ver- 
dure. De  beaux  arbres  aux  formes  les  plus  pittoresques 
ombrageaient  de  toutes  parts  cette  pelouse.  £u  peu  d'in- 
stunts  un  campement  fut  dressé.  Les  branches  feuillues 


996  ^        GRECE   CONTINEIVTALE  ET   MOREE. 

tombèrent  soas  les  yatagans  et  les  haches.  Nous  avions  été 
accompagnés  dans  notre  marche  de  deux  pavillons ,  ie  pa- 
villon français  et  le  pavillon  grec ,  qu'un  Français  et  un 
Grec  faisaient  flotter  au-dessus  de  nos  télés.  Arrivés  à  no- 
tre station ,  ils  s'élancèrent  au  plus  haut  d'un  grand  chêne, 
et  sur  la  plus  belle  branche  ils  les  déployèrent  gracieuse- 
ment. On  s'occupait  pendant  ce  temps  des  préparatifs  du 
repas,  et,  en  vérité,  je  crus  assister  à  un  repas  homéri- 
que. Des  moutons  composaient  le  fond  de  ce  dîner  de 
campagne.  Pendant  que  quelques  pallikares,  habitués  à 
des  festins  de  montagne ,  faisaient  tomber  des  arbres  pro- 
pres à  alimenter  un  grand  feu,  amenaient  quelques  troncs 
ou  gros  rameaux  desséchés  par  l'âge ,  taillaient  les  petites 
branches  émincées  en  broches,  et  allumaient  des  branches 
pour  préparer  d'avance  des  charbons  ardents ,  leurs  com- 
pagnons saisissaient  les  moutons  amenés  vivants ,  les  égor- 
geaient près  des  eaux  du  torrent,  les  attachaient  à  un  ar- 
bre ,  les  dépouillaient  en  un  instant  de  la  peau ,  comme  le 
Faune  dont  on  voit  la  statue  au  musée  de  Naples ,  net- 
toyaient leurs  entrailles,  et  frottaient  les  moutons  de  graisse 
et  de  sel ,  en  appliquant  sur  leurs  flancs  les  deux  rognons. 
Ainsi  préparés,  les  moutons  étaient  embrochés  dans  un 
long  pieu  que  tournait  un  pallikare  devant  un  énorme  feu 
qui  flamboyait  en  plein  air ,  tandis  qu'un  autre  les  frottait 
avec  la  graisse  appliquée  à  une  longue  branche  de  myrte. 
Les  entrailles,  enveloppées  autour  d'une  baguette  de  fusil 
et  bien  nettoyées  etépicées,  sont  braisées  plus  promptcment 
et  forment  un  mets  véritablement  excellent  appelé  kou- 
Heuretze.  Il  faut  environ  une  heure  pour  cuire  le  mouton 
entier ,  et  plusieurs  moutons  rôtissaient  à  la  fois  sur  les 
trois  côtés  de  chacun  des  grands  feux  qu'on  venait  d'allu- 
mer. Un  coup  de  doigt  appliqué  fortement  au  défaut  de  la 
cuisse  et  séparant  les  chairs ,  et  le  refroidissement ,  au  mi- 
lieu du  feu  le  plus  ardent,  de  l'os  qui  sort  de  l'estomac, 
prouvent  que  la  cuisson  est  à  point.  Un  Européen  s'imagi- 
nerait que,  cuit  sitôt  après  être  (ué,  un  mouton  doit  faire 


KAINODRIO-KnORIO.  997 

un  fort  mauvais  mets  et  que  la  chair  doit  être  fort  dure  ;  il 
n'eu  e6t  rien ,  et  ce  mouton ,  préparé  ainsi  à  la  manière 
homérique,  est  tendre  et  succulent. 

La  table  est  tout- aussi  champêtre  que  le  repas.  On  abat 
un  énorme  amas  de  feuillage ,  que  dans  ces  lieux  frais  et 
inhabités  n'a  jamais  souillés  la  poussière.  On  en  fait  une 
sorte  de  lit  de  deux  ou  trois  pieds  de  hauteur ,  et  ce  lit  de 
feuillage,  c'est  la  table;  cbaeun  s'assied  alentour  sur  un 
antre  lit  de  feuillage  recouvert  de  sa  talagani.  Des  oignons 
verts,  des  œnfe  durs  et  du  pain  sont  placés  devant  chacun 
des  assistants  ;  puis  un  pallikare  saisit  le  mouton,  et  de  son 
yatagan  sépare  les  membres  et  les  jette  sur  la  table  de  feuil- 
lage. La  tzitza  de  bois  circulait  pendant  ce  temps  à  la  ronde 
pour  huïnecter  ce  repas  avec  d'excellent  vin  d'Ëubée. 

Autour  de  cette  table  rustique  étaient  assis  des  hommes 
de  toute  nation ,  Grecs,  Turcs  et  Francs  ;  c'était  un  mé- 
lange curiemt  de  toutes  les  langues  et  de  toutes  les  races, 
et  les  notables  du  village  voisin  étaient  venus  se  joindre  en 
amis  à  notre  fête.  Les  Grecs  pauvres  soat  peu  habitués  à 
sortir  de  leur  vie  régulière  d'abstinence;  ils  ne  peuvent 
jamais,  ainsi  que  nos  ouvriers ,  compter  sur  un  travail  ex* 
iraordinaire  pour  compenser  une  dépense  extraordinaire 
qu'ils  auraient  faite ,  ils  sont  donc  toujours  fort  réservés 
dans  leurs  plaisirs.  Les  Albanais  sont  plus  insouciants  de 
l'avenir  et  plus  expansifs ,  plus  bruyants  aussi  dans  leurs 
moments  de  gaieté.  Nous  ftmes  chanter  des  chansons  fran- 
çaises, grecques,  albanaises  et  bulgares.  Un  jeune  gar- 
çon albanais  de  treize  à  quatorze  ans,  à  la  voix  de  fausset 
extrêmement  tievéeet  qu'il  forçait  de  son  mieux ,  entonna 
la  chanson  albanaise,  tandis  que  ses  compatriotes,  assis  en 
cercle  autour  de  lui ,  répétaient  le  refrain  en  chœur.  Les 
airs  bulgares  sont  plus  vib  et  plus  saccadés  que  les  airs 
grecs;  les  airs  grecs  sont  toujours  dits  par  les  beaux 
chanteurs  avec  un  accent  nasillard  qui  en  détruit  outra- 
geosemeat  la  mélodie,  ilïnq  ou  six  de  ces  airs  auraient 
mérité  d'être  recueillis;  c'est  une  mélodie  simple  et  sans 


SM  GRÈCE  OWffiHBltTAU  MX  «OREE. 

accotd  partait,  mate  parfois  use  iéée  maaicde  aaaei  gfik 
cîeoiê  i*y  fait  joor.  Après  lea  diasts  on  porta  les  leaalft: 
celui  du  roi  de  France,  ponr  la  lète  duquel  oooi  étimê 
tooa  réuiiif ,  et  celui  do  roi  de  Grèce,  sur  le  territoire  du- 
quel était  yenoe  t^implanter  cette  nouvelle  coloiiie  iiidii^ 
trielle  ,  et  de  nombreux  pdychrooia  firrat  retentir  les 
à  la  auito  d*uBe  petite  aHocution  qoeje  en»  devoir 
k  mes  compatriotes  k  cette  occasion. 

«Deux  (ms  d^,  leur  dis-je,  et  dans  des  temps  Ues 
éloignés  et  bien  diSArents  des  nôtres,  nos  compatriotes  de 
la  terre  de  France  ont  porté  lenrs  pas  en  ces  mêoMS  lieix* 
Ils  s'y  présentèrent  alors  Fépée  à  la  main  et  fraacfairem  les 
montagnes  qui  nous  apparaissent  d'ici ,  et  lesTfaeruopyles 
au  nom  si  héroïque.  279  ans  «vant  notre  ère,  us  chef  dV 
ventnriers  gaidois ,  qne  les  anteors  anciens  désigncBC  avec 
son  seul  titre  de  Breonus  on  chef  de  guerre ,  après  avoir 
ravagé  TltaKe,  riUyrie,  la  Pannonie,  laThraee,  la  Ma* 
cédokie,  arriva  danà  ces  montagnes  ponr  se  frayer  on  pas« 
sage  Jusqu'au  trésor  du  temple  de  Ddpbes.  Arr^  un  in- 
sunt  an  passage  des  Thermopyles ,  de  ce  côté  de  la  naén» 
tagne ,  le  Brennus  s'avança  avec  &0,000  hommes  de  pied 
et  de  cheval  par  un  chemin  plus  hardi  encore,  et,  s'é» 
levant  par  les  ravins  à  la  droite  du  Kallidreme  ou  Saromata» 
dont  les  derniers  versants  viennent  expirer  ici ,  il  débou* 
cha  dans  la  plantureuse  vallée  du  Géphîae,  et  arriva  avec  les 
siens  sur  les  flancs  élevés  du  Parnasse ,  où  se  trouvaient  le 
temple  vénéré  de  Delphes  et  ses  trésors,  et  ils  pillèrent 
tout.  C'était  là  d'odieux  triomphes  de  Fatidace  et  de  la  bar« 
barie ,  de.  ces  triomphes  qui  ne  laissent  après  eox  que  des 
Itirmes  ponr  les  opprimés,  des  mdédietioos  pour  les  op- 
presseurs. 

»  Quinze  cents  ans  plus  tard ,  le  aèledes  croisades  avait 
armé  des  milliers  de  Français  et  les  poussait  à  la  déli- 
vrance du  Saint-Sépulcre.  Le  malaise  qu'on  éprouvait  cfaex 
sol ,  et  le  désir  pour  les  at nés  ambitieux  d'augmenter  leur 
nom  et  leor  puissance ,  ponr  les  cadets  pauvres  de  se  foire 


IUUNODftIO-&H6ftlO.  M9 

na  domine  à  esx ,  pour  ie  peuple  inûtatettr  des  villes  de 

marcher  seton  Tesprît  an  temps^  pour  le  peuple  des  aerfe 

d'échapper  par  la  licence  des  campsàTo^ression  domesti* 

que  des  maîtres  9  tsutes  ces  causes,  ploi  encore  que  Tar*- 

deiir  rdigîevse,  son^ot  à  i'épeqcK  de  la  croisMle  de  G(MUh 

tantiBopie ,  appelaient  les  Français  sons  les  drapeaux  de  la 

guerre  sainte.  En  idtent  à  Jérusalem,  Ils  s'éUmA  arrMs 

devant  ConsUMifim]^,  qu'Us  oonquirent  en  i20ii ,  et  ib 

firetrt  ici  on  empire  français  arec  des  cbefe  français»  des 

comcmies  françaises,  des  oMurs  françaises.  Tooies  les 

fyroYHices  de  Fempire  grec  fiaient  partagées  entre  les  nô^ 

tresL    A  rHémns,  où  6»ssait  l'empire,  oommença  le 

royftoflie  de  Macédoine  on  deSatonlqne.  Là  oà  finissait  le 

royaiMde  de  Satenique ,  à  la  cbaîne  snpérieure  de  TOBu, 

que  Tmis  toyez  de? ant  tous  blanchi  de  neiges ,  œmmença 

h  prîneipaoté  française  de  Morée  on  d'Adkaye ,  qiâ  oom^ 

prenait ,  afec  tout  k  territoire  de  la  Grèce  actoette ,  ks 

Gyclades,  les  Sporades  et  les  ties  Ioniennes  moins  Gorfoo» 

La  partk  de  Tarmée  française  qui  se  détacha  ponr  q)érer 

cette  oonqo^te  passa  par  ce  même  détroit  des  Thermopylea» 

placé  i  deux  pas  de  nous.  Au  delà  de  cette  colline  où  nous 

soBimes  est  h  ooHine  et  ie  cbâteau-iort  de  Bodonit2a ,  que 

Tons  connaissez  ts«is,  et  cà  ils  fondèrent  un  marquisat 

ponr  Tnn  d*ent  ea  le  diargeaot  de  la  défense  de  la  frmh- 

tière.  An  ddà  de  ce  détroft  qui  se  développe  si  gracieuse*^ 

ment  sons  vos  yeox  apparaît  k  pointe  de  cette  féconde  et 

beik  fie  d'£«bée,  ornement  principal  de  votre  vallée;  et 

nn  peu  plus  Mn  est  k  port  d'Orèos  «  où  ils  fondèrent  pour 

nn  autre  des  knrs  nne  baronnie  dont  une  forteresse  en 

mines  indique  Remplacement  Ib  occupèrent  ainsi  toitt 

les  lieux  forts  et  dominèrent  ce  pays  pendant  trois  siècka. 

Mais  Tesprit  de  rivalité  mit  bientôt  la  désunion  entre  les 

diefs,  qui  ne  voulaient  obéir  à  aucun,  et  ks  divisions  in« 

testines  knr  firent  perdre  ce  que  kur  courage  knr  avait 

gagné.  Gontempkz  ces  mines  de  tourelles ,  de  portes^con- 

lisses ,  de  créneaux  du  château  de  Bodcnûtza ,  etde«nan- 


300  GRëCË   GONTINBNTALE  ET  MOREE. 

dez-vous  ce  qui  resle  de  tant  d'actes  généreux  »  de  laot  de 
sacrifices  héroïques  de  toute  nature  :  quelques  tourelles  à 
moitié  démolies  où  Therbe  croit  au  milieu  des  ruines 
dans  tous  les  endroits  où  nos  croisés  ont  vécu ,  quelques 
monnaies  grossières  que  dédaignent  les  paysans ,  quelques 
noms  français  conservés  à  des  villages ,  des  ruines  de  châ- 
teaux, d'églises,  de  couvents  et  de  tombeaux,  et  quelques 
souvenirs  de  générosité  et  de  dévouement  ou  d'audace  de  nos 
compatriotes  et  de  leurs  femmes  ou  de  leurs  filles  préser- 
vés par  la  tradition  ou  par  les  chants  populaires,  voilà  tout 
ce  qui  a  survécu  d'une  domination  de  trois  cents  ans.  Un 
grand  service  fut  toutefois  rendu  à  la  Grèce  par  cette  con- 
quête des  nôtres.  La  force  unit  entre  elles  des  provinces 
habituées  à  vivre  dans  la  division,  et ,  quand  s'éteignit  la 
principauté  française  de  Morée,  elle  laissa  du  moins  le 
souvenir  d'un  État  grec  qui  pouvait  vivre  et  se  maintenir 
uni  par  ses  seules  forces.  Ainsi  les  idées  morales ,  les  idées 
nationales  sont  les  seules  qui  aient  vie. 

»  Les  temps  modernes  nous  ont  montrés  à  la  Grèce  sous 
un  aspect  bien  différent.  Depuis  le  jour  où ,  pour  la  pre- 
mière fois,  l'évêque  de  Patras  Germanos  fit  appel,  du  cou- 
vent de  Calavryta,  aux  sentiments  chrétiens,  aux  senti- 
ments moraux ,  aux  sentiments  nationaux  de  l'Europe ,  la 
France  n'a  cessé  de  se  montrer  amie  puissante  et  géné- 
reuse. Le  peuple  de  France  tendit  la  main  au  peuple  de 
Grèce  qui  demandait  à  renaître  ;  le  gouvernement  envoya 
ses  armées  et  ses  flottes  libératrices  pour  assurer  l'œuvre 
de  la  civilisation ,  et  les  armées  et  les  flottes  ont  rempli 
leur  œuvre  avec  dévouement.  Le  peuple  grec  exista.  Il  ne 
s'agit  plus  que  de  compléter  l'œuvre  de  civilisation  si  heu- 
reusement commencée. 

»  C'est  là  ce  que  vous  allez  contribuer  pour  votre  part  à 
faire  ici,  vous  qui ,  dans  ce  pays  inculte,  abandonné,  appor- 
tez la  vie  de  l'industrie ,  du  travail ,  de  l'ordre.  Soyez-en 
fiers,  car  il  y  a  dans  vos  succès  bien  au  delà  des  succès  de 
présent  ;  il  y  a  de  nobles  avantages  encore  à  recueillir  à  la 


KAINOURIO-KIIOIIIO.  301 

suKe  des  avantages  matériels.  Qu*uq  établissement  indu- 
«sfriel  comme  le  vôtre  prospère,  et  la  marche  de  la  civilisa- 
tion est  rapidement  accélérée  ici.  En  peu  de  temps  cette 
vallée,  DÛ  la  végétation  est  si  puissante,  va  se  couvrir  des 
plas  riches  produits  ;  ces  misérables  kaiyvia  vont  être  ren^ 
placées  par  de  petites  maisons  propres  et  élégantes;  ce  ca- 
nal   d'Ëubée,  aujourd'hui  désert,  peut  s'animer  par  la 
présence  des  vaisseaux  à  vapeur  et  à  voiles  ;  ce  port  de 
Palceo-Khori,  si  sûr  et  si  vaste,  peut  se  couvrir  de  mâts  de 
vaisseaux  marchands;  ces  coteaux  si  boisés,  si  odorants, 
couverts  de  grenadiers ,  de  myrtes ,  de  figuiers ,   d'oli- 
viers ,  de  mûriers ,  de  platanes  auxquels  vient  s'enlacer 
de  toutes  parts  la  vigne  en  festons ,  ces  bords  de  la  source 
d*eau  thermale  placée  au  bas  d'un  si  gracieux  coteau  , 
peuvent  devenir,  grâce  aux  brises  qui  modèrent  ici  les 
chaleurs  de  l'été ,  le  rendez-vous  de  toute  la  Grèce ,  qui 
viendra  admirer  ici  ce  que  des  Français  ont  su  faire  les 
premiers  au  milieu  de  tant  d'obslacles  des  hommes ,  des 
temps  et  des  lieux  ;  et  cet  exemple  d'un  pays  heureux  par 
le  travail  et  l'esprit  d'union  portera  ses  fruits  dans  les  au- 
tres parties  de  la  Grèce.  Cet  avenir  est  certain,  si  vous  savez 
à  la  fois  rester  actifs  et  unis;  et  le  temps  est  peu  éloigné 
peut-être  où  le  bruit  des  machines  à  vapeur  éveillera  les 
échos  endormis  du  mont  Karya.  Il  m'est  agréable  de  pou- 
voir vous  manifester  mes  espérances  du  bonheur  destiné  à 
cette  vallée,  à  la  Grèce  et  à  vous,  au  jour  même  où  sur 
notre  sol  de  France  on  se  livre  aussi  à  la  joie.  C'est  à 
l'occasion  de  la  fête  de  notre  souverain  que  nous  sommes 
réunis  ici.  Pour  des  Français  qui  se  rencontrent  à  l'étran- 
ger ,  il  n'existe  pas  de  partis  ;  ils  ne  reconnaissent  qu'un 
drapeau ,  celui  de  la  France  et  de  son  souverain  confou-> 
dus.  Le  voici  qui  flotte  au-dessus  de  notre  tête,  ce  drapeau 
national ,  uni  sur  le  haut  de  ce  chêne  séculaire  au  pavillon 
de  la  Grèce  et  de  son  souverain.  Réunissons  donc  tous 
ici.  Français  et  Grecs,  nos  acclamations  en  l'honneur 
de  la  France  et  du  roi  de  France,  etjoignons-ynosvœuxet 

26 


303  GRÈCE   CONTlNSNTiVLfi  UJ   MOREE. 

oos  syiRpadiies  eo  liveur  de  la  Grèce  et  du  roi  de  Grèce»  » 
Aux  chants  ëvccédèreat  les  danses  de  toute  espèce^  Les 
Bulgares,  qui  vivent  presque  toute  Tannée  dans  la  plus 
grande  abstinence ,  se  livraient  avec  bonbeur  aux  plaisirs 
d'une  fête  si  nouvelle  pour  eux ,  et  formaient  des  rondes 
fort  animées*  La  danse  des  Grecs  ne  manque  pas  d'une 
certaine  grâce ,  mais  elle  est  lente  et  froide ,  et  les  beaux 
danseurs  se  dandinent  beaucoup  trop.  La  ronde  de»  Turcs 
est  beaucoup  moins  gracieuse ,  mais  plus  vive  et  plus  gaie^ 
et  on  y  retrouve  fréquemment  les  germes  de  la  mastourcpis 
des  Hongrois ,  leurs  compatriotes  antiques ,  et  parfois  de  la 
valse  allemande.  La  danse  terminée ,  on  se  livra  à  Texercice 
du  tir;  un  prix  fut  promis  au  meilleur  tireur,  et  ceint 
un  ancien  klcpbte  qui  le  remporta  avec  sa  longue  carabine. 
Son  adresse  a  dû  être  fatale  à  plus  d'un  Turc  dans  les  dé- 
'  sordres  de  sa  vie  klephtique  ;  c'est  aujourd'hui  un  garde- 
cbasse  habile  et  régulier. 

Tout  se  passa  dans  Tordre  le  plus  parfait  et  la  meilleure 
harmonie ,  et  il  n'y  eut  pas  une  parole ,  pas  un  geste  bles- 
sant pour  aucun  des  convives.  Nous  nous  étions  assuré  des 
montures  pour  le  retour  ;  une  musique  improvisée  «  cors- 
de-chasse»  clarinettes,  flûtes  de  France ,  guitares  grecque* 
et  tambours  turcs,  nous  {décédait  avec  les  deux  bannières 
déployées  de  France  et  de  Grèco^  Tous  à  cheval,  nous 
fîmes  une  halte  sur  les  ruine»  de  Thomérique  cité  de 
Thronium,  qui  peut  se  releva  à  Kainourio-Khorio,  et  nous 
renuâmes  sans  encombre ,  fort  satisfaits  d'une  fête  dont 
on  n'eût  pu  rêver  la  possibilité  en  Grèce  dix  ans  auparavant^ 
J'avais  été  dès  le  premier  jour  charmé  de  l'aspect  du 
pays*  En  m'éveillantà  Kaioourio-Khorio,  mes'premiers  re- 
gards avaient  été  caressés  par  le  lever  du  soleil  qui  teignait 
de  rose  et  le  ciel  et  les  belles  eaux  du  canal  de  Trikerii 
entre  TËubée  et  la  jointe  de  l'ancienne  Thessalie  pbthû)- 
tique  t  patrie  d'AcbiUe«  Deux  petits  bâtioMints  voguai^t  à 
freine  voile  dans  ces  flots  de  rose  et  d'azur.  Ce  n'est  qu'en 
Grèce  que  Ton  comprend  bien  t«»ote  h  vérité  do  cette  ex-* 


K.AiiiroiJiiio*]C.BoirTO.  303 

pteÊekm  des  poètes  anefens  ,  Tazur  des  flots ,  l'aorore  aux 
doigts  de  rose  ;  eipressions  que  noos  traduisons  comme  si 
elles  s'appliquaient  à  notre  mer  et  à  notre  ciel ,  tandis  que 
dans  notre  ctlmat  tempéré  de  France  les  flots  de  la  mer 
sont  vert-' bouteille  et  Tauroreest  rouge-orange.  Id,  an  con* 
traire,  et  partout  en  aflant  vers  l'orient,  depoisNaplessur* 
tottt,  et  parfois  depuis  Nice,  les  flots  sont  do  plas  bel  azur, 
et,  en  Grèce  en  partiinilier,  le  ciel,  au  lever  du  soieil ,  est 
d'un  rose  si  tendre ,  qu'aucun  peintre  n'oserait  rendre  cet 
eSèt,  de  peur  de  nous  paraître  un  coloriste  faoi  ou  exagéré. 
Les  moDtsde  l'Ënbée  me  dérobaient  ici  la  première  appa*» 
rition  des  rayons  do  soleil  comme  l'Hymette  me  les  dérobait 
à  Athènes;  mais  ici,  comme  à  Athènes,  ces  rayons  s'élan- 
çaient dâBS  toute  retendue  du  ciel  et  le  coloraient  du  rose 
le  pins  fin.  Je  sortis  pour  aller  sur  la  grève,  âtoée  à  eln-> 
qoante  pas  de  ma  chambre.  Les  flots  ne  faisaient  pas  en- 
tendre le  plus  léger  murmure,  et,  sor^cette  ^ace  do  canal 
de  TËubée,  ouvert  devant  moi,  je  voyais  se  détacher  çk  et 
Ui  quelques  villages  sur  les  deux  rives,  tandis  qu'à  l'entrée 
les  îles  Lichades  brillaient  comme  une  émeraude. 

La  plaine  qui  s'étend  de  la  grève  au  Knémis,  ceinture 
hardie  jetée  autour  de  la  Locride,  a  çè  et  là  une  apparence 
nuffécageuse  parsuite  des  inflUrations  de  l'eau  qui,  en  des** 
cendant  de  la  montagne ,  a  pénétré  dans  les  terres  grasses 
sans  que  qui  que  ce  soit  prit  la  peine  de  lui  frayer  une  fa« 
die  issue  jusqu'à  la  mer  ;  mais  des  saignées  d'assainisse* 
ment  se  feront  aussitôt  que  le  pays  commencera  à  se  peu* 
pler.  A  mesure  qu'on  s'élève  vers  la  montagne ,  le  pays 
change  complètement  d'aspect. 

Tons  les  versants  septentrionaux  du  Knémis  et  ceux  du 
Kallidrome ,  depuis  la  baie  de  Talante  jusqu'à  la  baie  de 
Lamia,  au  delà  des  Thermopyles ,  sont  gracieusement  on-* 
dulés  à  la  base  et  couverts  de  la  plus  opulente  végétation, 
tandis  que  la  partie  supérieure  s'élève  comme  un  mur  im- 
pénétrable de  rochers  aux  belles  couleurs.  Sur  ces  mille 
collines  croissent  majestueusement  les  Aguiers  sauvages, 


301  GRECE   CONTINENTALE  ET   HOBEB. 

les  platanes  et  les  chênes  les  plus  magnifiques  et  toujours 
Yerts  ;  ici  les  arbres  de  Judée,  les  hauts  genêts,  les  lauriers, 
les  myrtes  et  les  grenadiers  charment  tour  à  tour  Tœil  et 
Todorat ,  là  les  vignes  sauvages  et  les  chèvrefeuilles-  s'en- 
trelacent autour  du  tronc  des  grands  arbres  pour  les  trans- 
former en  haies  de  verdure  comme  la  liane  dans  les  forêts 
du  Brésil.  Tantôt,  sortant  en  bouillonnant  du  flanc  des  ro- 
chers, une  sourced*eau  thermale  fume  et  bruit  à  vos  pieds, 
et  tantôt  surgit  mollement  du  milieu  des  gazons  une  source 
d*eau  fraîche  et  pure  qui  va  coulant  doucement  en  mourant 
presque  sans  bruit  sous  les  racines  d'un  vieil  arbre.  Les 
rossignols ,  charmés  d*ane  solitude  si  bien  faite  pour  eux, 
emplissent  toute  la  forêt  de  leur  suave  harmonie.  C'est  le 
long  de  la  pente  inférieure  du  Knémis,  au  milieu  de  ces 
bosquets,  à  l'ombre  de  ces  arbres  parfumés,  le  long  de  ces 
ruisseaux  aux  bords  émailiés  d'anémones  aux  cordles  roses, 
pourpres  et  bleues,  que  serpente  la  route  qui  conduit  de  la 
Locride  en  Thessalie. 

Au  moment  où  j'approchais  de  la  montagne ,  un  spec- 
tacle  tout  à  fait  original  et  plein  d'intérêt  s'offrit  à  ma  vue. 
Cette  route  était  ce  jour-là  couverte  do.  nombreuses  cara- 
vanes de  Grands-Ylaques,  qui ,  tous  les  ans  ,  à  l'approche 
de  la  saison  froide ,  descendent  la  chatrie  du  Pinde  et  des 
monts  d'Agrapba ,  pour  aller  poser  leurs  tentes  et  faire 
paître  leurs  troupeaux  dans  les  régions  plus  chaudes  de  la 
Béotie,  et  qui,  à  l'approche  des  grandes  chaleurs,  au  jour 
consacré  à  saint  Georges,  vers  la  fin  d'avril,  partent  de  leurs 
campements  d'hiver  pour  aller  reprendre ,  dans  la  chaîne 
ombragée  du  Pinde ,  leurs  frais  campements  d'été.  Les 
femmes  marchent  les  premières ,  à  pied  ,  filant  leur  coton 
ou  tricotant  l'espèce  de  chaussettes  ornées  et  bariolées  qu'on 
appelle  ici  tzourapia.  Elles. portent  souvent  en  même 
temps  sur  le  dos  le  dernier  né  de  leurs  nombreux  enfants 
et  le  long  fusil  de  leurs  maris.  Les  hommes  s'avan- 
cent gravement  et  solennellement  par  derrière,  assis  la 
plupart  sur  leurs  ânes  ou  mulets,  sans  rien  faire  ni  rien 


TBRONIUM.  305 

porter.  Les  troupeaux  de  moutonsyet  de  mulets  se  pressent 
sur  les  pas  de  leurs  maîtres.  La  marche  est  fermée  à  di- 
stance par  les  vieillards,  qui  suivent  lentement  à  pied  avec 
les  enfants  les  plus  jeunes,  s*arrêtant  avec  eux  au  bord  des 
fontaines  pour  leur  distribuer  leur  pain  et  une  eau  salu- 
taire, et,  s'il  se  fait  tard,  rester  chaque  soir  à  dormir  avec 
eux  sous  les  grands  arbres ,  tandis  qu*à  peu  de  distance  en 
avant  le  reste  de  la  famille  vlaque  a  disposé  aussi  ses  tentes 
ou  ses  toits  de  verdure  pour  le  repos  du  soir,  prête  à  re- 
commencer le  lendemain  avec  ses  bestiaux  son  pèlerinage 
habituel  vers  ses  chères  montagnes. 

Je  m'arrêtai  quelques  instants  à  causer  avec  les  Ylaques  ; 
j'étais  bien  aise  de  contrôler  par  leur  témoignage  Fexacti- 
tade  de  certains  renseignements  topographiques.  Leurs 
exactes  notions  du  pays  me  satisfirent  complètement ,  et , 
après  que  nous  eûmes  bu  tour  à  tour,  en  signe  d'affec- 
tion mutuelle,  quelques  gorgées  de  vin  des  tzitzas^  ou 
dames-jeannes  de  bois,  que  portait  chacun  de  nous ,  je 
repris  ma  route ,  décidé  à  aller  jusqu'aux  ruines  de  l'ho- 
mérique Thronium  ^  On  n'a  pas  à  passer  le  fioagrius  pour 
arriver  de  ce  côté  sur  l'emplacement  de  Thronium  ;  on 
laisse  ce  fleuve  un  peu  à  sa  droite ,  et  on  remonle  vers 
la  chaîne  du  Knémis,  au  point  où  elle  s'abaisse  pour  laisser 
apercevoir  à  distance  les  sommets  neigeux  du  Parnasse. 
Strabon  décrit  avec  beaucoup  d'exactitude  la  situation 
de  Thronium  dans  la  Locride  épiknémide,  et  ce  qu'il 
dit  du  Boagrius  s'applique  de  la  manière  la  plus  juste  au 
fleuve  ou  plutôt  au  torrent  de  la  Platania ,  qui  coule  au 
pied  de  cette  colline.  Meletius ,  dans  sa  description  de  la 
Locride ,  donne  fort  exactement  aussi  l'emplacement  de 
Thronium,  parmi  les  ruines  de  laquelle  il  dit  avoir  trouvé 
une  inscription  mentionnant  le  nom  de  cette  ville.  La  col- 
line sur  laquelle  elle  est  placée  descend  d'un  côté  dans  la 
vallée  de  la  Platania  vers  la  mer  ;  l'autre  versant  s'étend 

1  Et  Thronium,  non  loin  des  rapides  eaux  do  Boagrias.  {Tliade^ 

chant  XI,  vers  533.) 

26. 


306  GBECB   CONTINENTALE   ET  MOEEE. 

sur  one  petite  vallée  qui  s*encbatae  au  groupe  de  monta* 
gnes  dans  lesquelles  s'ouvre  la  route  par  Drakhmana  jus- 
qu'à Livadia.  De  ce  côté  on  aperçoit  toute  la  chaîne  des 
montagnes  qui  ceignent  la  vallée  intérieure  de  la  Doride, 
derrière  laquelle  s'élève  le  fier  Parnasse  tout  blanchi  de 
neige  ;  de  l'autre  côté  s'étendent  la  vallée  de  la  Platania, 
la  mer,  le  golfe  Malliaque,  le  canal  de  Trikeri,  les  îles  Li- 
chades  formées,  dit  la  fable  antique,  des  membres  du  mal- 
heureux Lichas,  et  l'Eubée  avec  ses  belles  montagnes.  Les 
murs  d'enceinte  de  la  ville  de  Thronium  sont  reconnais- 
sablés  sur  les  deux  flancs  du  coteau  ,  et  les  habitants  du 
pays,  en  cherchant  des  pierres  pour  leurs  moulins  et  leurs 
maisons ,  les  ont  mis  à  découvert  en  plusieurs  endroits, 
ainsi  que  les  murs  de  quelques  maisons  de  l'intérieur  de 
la  ville,  car  les  murailles  des  maisons  particulières  étaient 
construites  en  vastes  pierres  quadrilatères  presque  aussi 
grosses  que  celles  des  murs  d'enceinte.  Cette  ville  devait 
être  peu  considérable,  puisqu'elle  semble  ne  s*être  pas 
étendue  au  delà  des  deux  versants  de  la  colline  ;  mais  sa 
situation  était  délicieuse,  et  elle  paraît  avoir  été  assez  opu- 
lente. En  suivant  la  croupe  du  coteau  Jusqu'au  sommet  sur 
lequel  était  placée  l'Acropolis,  je  retrouvai,  un  peu  au-des- 
sous de  l'Acropolis,  les  ruines  d'un  temple.  Un  fût  de  co- 
lonne cannelée  en  marbre  blanc ,  et  quelques  autres  frag« 
ments  de  marbre  presque  informes  répandus  çà  et  tt 
alentour,  montrent  assez  que  ce  temple  a  dû  être  remar* 
quinble  en  son  temps. 

Je  renouvelai  plusieurs  fois  mes  visites  dans  cette  ville 
intéressante  et  j'y  essayai  même  un  jour  quelques  fouiHes, 
C'était  un  jour  de  fête  du  pays,  et  les  travaux  vaquaient  I 
la  raffinerie.  Je  pris  avec  moi  le  maître  maçon  de  la  fabri- 
que de  sucre  de  betteraves  de  Kainourio-Khorio,  laborieux, 
économe  et  patient  Albanais  de  Castoria  en  Péiagonie ,  et 
deux  de  ses  ouvriers,  Albanais^Turcs  comme  lui,  l'un 
venu  de  Y^testino  •  presque  à  égale  distance  de  Pharsale 
et  de  Larisse,  l'autre  d'Ëlassona  (Thalassinom) ,  au  |Hed 


THRONIUM.  307 

da  mont  Olympe.  Les  ouvriers  albanais  de  la  Macédoine 
et  de  la  Thessalie  ont  coutume  d'émîgrcr  tous  les  ans  de 
leurs  Tillages  au  mois  de  septembre ,  pour  y  rentrer  à  ta 
fin  de  mai.  Pendant  ce  temps ,  leurs  femmes  et  enfants 
restent  comme  otages,  sous  la  main  des  autorités  turques, 
et  les  émigrants  laissent  même  une  certaine  somme  pour 
caution.  Malgré  Tamonr  de  la  patrie,  si  vif  dans  le  cœur 
de  tout  habitant  de  montagnes ,  ils  pourraient  bien ,  sans 
cette  précaution  de  leurs  maîtres,  ne  plus  vouloir  rentrer 
dans  un  pays  où  tout  ordre ,  toute  activité ,  toute  énergie 
ancienne ,  tout  gouvernement ,  toute  nationalité  même  s*eQ 
vont  mourant  en  même  temps. 

J'avale  eu  beaucoup  de  peine  è  décider  mes  Albanais  & 
me  suivre  avec  leurs  pioches  un  jour  de  fête.  Voyant  ce- 
pendant que  je  ne  voulais  qu*un  essai ,  et  non  un  travail 
suivi ,  et  que  le  péché  était  moindre ,  ils  se  décidèrent ,  et 
nous  nous  dirigeâmes  ensemble  à  travers  les  champs  et  les 
prés  vers  les  bords  du  Boagrlus. 

J'essayai  d'abord,  sur  les  ruines  de  l'ancien  temple,  si , 
en  soulevant  quelques-^uns  de  ces  marbres  et  en  les  mettant 
9t  découvert ,  je  pourrais  retrouver  soit  des  fragments  de 
bas-reliefs  ou  de  statues,  soit  une  inscription  antique.  Je 
dis  donc  à  mes  Albanais  de  me  déchausser  un  peu  quel- 
ques*uns  de  ces  marbres  avec  leurs  pioches.  Ils  se  mon<' 
trèrent  épouvantés  de  l'énormité  de  ma  demande  :  c'était 
le  jour  de  l'Ascension,  jour  de  fête  solennelle,  et  je  voulais 
que  ce  jour-là  ils  ti*avaiilassent ,  à  quoi  ?  à  profaner  le  ter- 
rain religieux  sur  lequel  avait  existé  une  église  !  Tout  tem- 
ple, de  quelque  date  qu'il  soit  et  à  quelque  culte  qu*il  ail 
)ippartenu ,  est  pour  eux  une  église  ;  et  toute  église  en 
ruines,  tout  terrain  où  a  été  bâtie  une  église,  est  un  terrain 
sacré  qu'on  ne  viole  pas  sans  crime.  J'ai  vu  près  de  Chai* 
Us,  le  long  des  rochers  qui  précèdent  la  petite  vall^  qu'ar- 
rose rAréihuse,  terre  natale  du  papyruà ,  comme  Syracuse 
elle-même ,  au  milieii  des  nombreux  tombeaux  antiques 
creusés  sar  tous  leurs  flancs,  un  reste  de  voûte  taillée  dans 


308  GRÈCE   CONTIi\ENTALE    ET  HOREE. 

le  roc,  et  qai  avait  probablemcDl  fait  partie  é'ùnhéroilm 
antique,  d'un  tombeau  consacré  à  quelque  héros  ou  demi- 
dieu  des  temps  fabuleux.  La  tradition  populaire  du  respect 
voué  à  ce  tombeau  s*e8t  conservée  de  génération  en  géné- 
ration ,  et  sous  cette  voûte  est  placée  une  lampe  toujours 
allumée.  Le  berger  qui  fait  paître  ses  brebis  sur  le  coteau 
voisin ,  le .  pêcheur  qui  vient  étendre  ses  filets  sur  cette 
côte,  se  chargent  religieusement  d*en  renouveler  i*huile  à 
leurs  frais ,  et  les  voyageurs  qui  passent  à  côté  ne  man- 
quent pas  de  phcer  sur  la  pierre  de  la  tombe  l'offrande  de 
quelques  monnaies  auxquelles  personne  n'oserait  toucher, 
et  que  vient  ensuite  recueillir  avec  solennité  un  prêtre  du 
voisinage ,  pour  pouvoir  un  jour  relever  VàéroUm  et  le 
transformer  en  chapelle,  consacrée  à  quelque  saint  vénéré 
dans  le  pays,  à  quelque  successeur  chrétien  des  demi- 
dieux  antiques.  Ainsi  l'idée  religieuse  protège  encore  le 
culte  qui  a  cessé  d'être ,  et  le  respect  des  choses  sacrées 
forme  une  chaîne  non  interrompue  jusqu'à  nous. 

Il  me  fallut  de  longs  arguments  pour  bien  établir,  aux 
yeux  de  mes  Albanais,  la  différence  du  respect  dû  à  un 
temple  païen  et  à  une  église  chrétienne ,  et  pour  bien  leur 
démontrer  que  c'étaient  là  les  ruines  d'un  temple,  et  non 
d'une  église.  Ils  se  rendirent  enfin ,  et  l'un  d'eux ,  bien 
qu'avec  répugnance,  commença  à  donner  un  coup  de 
pioche  et  à  soulever  un  marbre  à  demi  enterré  ;  mais  qu'on 
juge  de  son  effroi  quand  il  "vit,  du  milieu  des  marbres,  sortir 
un  gros  serpent,  qui  alla  tout  doucement  se  perdre  au  milieu 
des  broussailles.  Mon  homme  crut  voir  en  lui  le  vengeur 
des  dieux  offensés  et  le  protecteur  du  temple  ',  et ,  sans 
dire  un  mot,  il  déposa  sa  pioche  en  faisant  vingt  signes  de 
croix.  Je  m'adressai  alors  à  son  compaguon ,  qui  me  sem- 
blait plus  hardi ,  et  je  me  servis  moi-même  de  la  pioche 

'  At  ^mini  lapsu  deliibra  ad  samma  dracones , 
Effuglunt ,  saevœque  petunt  Tritonidis  arcem , 
Siib  pedibnsque  dex  clipeiqae  &ub  orbe  t«guntur. 

(Aineidas  lib.  ii.) 


TaRONiUH.  309 

pour  lui  donner  l'exemple  et  dissiper  ses  terreurs.  Il  se 
laissa  persuader,  et  donna,  les  yeux  à  dentî  fermés,  on 
vigoureux  coup  de  pioche,  à  un  endroit  que  je  lui  désignai^ 
près  d*un  autre  fragment  de  marbre.  Cette  fois ,  ce  ne  fut 
pas  un  seul  serpent ,  mais  un  nombreux  nid  de  petits  ser- 
pents verts,  qui  se  découvrit  à  nos  regards.  En  vain  je  cher- 
chai à  lui  prouver  que  ces  petits  serpents  étaient  inoflensifs, 
la  terreur  religieuse  avait  pris  le  dessus.  Je  ne  voulais  pas 
d'ailleurs  blesser  si  vivement  leur  conscience ,  et  je  re- 
nonçai à  mon  temple  pour  utiliser  leur  travail  dans  un 
autre  lieu.  Je  me  contentai  de  suivre  Tenceinte  extérieure 
de  la  ville  et  de  l'Acropolis,  et  d'en  bien  déterminer  l'é- 
tendue,  et  je  quittai  les  ruines  deXhronium. 

Un  autre  jour  je  me  dirigeai  d'un  autre  côté  sur  les 

mêmes  flancs  du  Knémis  pour  visiter  la  jolie  baie  de  Pa- 

lœo-Khori  et  tâcher  de  retrouver  un  point  géographique 

intéressant  pour  moi,  la  situation  de  la  ville  de  Sidéro*porta 

(la  porte  de  fer  ).  La  Chronique  de  Morée  raconte' que, 

dans  la  guerre  portée  en  1259  en  Macédoine  par  le  prince 

d'Achaye,  Guillaume  de  Yille-Hardoin,  et  par  son  parent 

Michel  Comnène,  despote  d'Arta,  les  troupes  de  Guillaume 

s'embarquèrent  à  Pyrgos,  en  Morée,  traversèrent  le  golfe 

de  Lépante  ,  se  joignirent  à  Arta  aux  troupes  du  despote , 

passèrent  de  là  à  Janina,  puis  en  Vlachie,  et  attendirent  dans 

la  plaine  de  Tfaalassiuo  en  Thessalie  les  troupes  des  feuda- 

taires  de  l'Attique  et  de  l'Ëubée,  qui  arrivaient  d'un  autre 

côté.  Ces  troupes,  composées  des  contingents  des  feudataires 

d'Aihènes ,  de  Thèbes ,  de  Salona ,  de  l'Ëubée  et  des  îles 

de  Skiathos  et  Skopelos,  étaient,  dit  la  Chronique,  venues 

tout  droit  par  Sidéro-porta ,  et  les  deux  corps  d'armée 

opérèrent  leur  jonction  à  Thalassino ,  désignée  comme 

rendez-vous  général. 

Malgré  les  recherches  les  plus  minutieuses  je  n'avais  pu 
sur  aucune  carte  découvrir  ce  lieu  de  Sidéro-porta.  Tout 

*  p.  85  de  mon  édition. 


310  GRÈCE   CONTINENTALE   ET   MORÉE. 

ce  que  je  pouvais  voir,  c'est  qu'il  devait  être  placé  sur  h 
c6te  orientale  de  la  Grèce;  mais  rien  ne  m'indiquait  son 
emplacement  exact.  Une  épreuve  de  la  nouvelle  et  excel- 
lente carte  de  la  Grèce  continentale,  par  les  officiers  de 
rétat-major  français  détachés  en  Grèce ,  était  entre  mes 
mains.  Je  vis  qu'elle  indiquait  un  Sidéro-porta  à  l'extré- 
mité de  la  baie  de  Dapbnos ,  an  pied  du  mont  Knémis, 
en  face  delà  baied'Âidipsosen  Eubée,  et  je  résolus  d'aller 
vérifier  par  moi  même  si  c'était  bien  là  la  situation  du  Si- 
déro-porta  de  la  Chronique,  et  ce  qui  en  restait.  Je  partis  à 
cheval ,  voulant  visiter  en  même  temps  toutes  les  gra- 
cieuses pentes  du  Knémis  jusqu'à  la  baie  de  Palœo-Khori 
et  au  couvent  de  la  Transfiguration.  .Après  mille  nnueux 
détours  à  travers  un  véritable  parc,  tout  disposé  par  la  na- 
ture avec  la  grandeur  qu'elle  met  dans  ses  œuvres,  j'ar- 
rivai près  d'une  source  d'eau  thermale  qui  découle  d'un 
rocher.  L'eau ,  assez  abondante  pour  faire  tourner  un 
moulin ,  est  d'une  température  peu  élevée  et  d'un  goôt 
fort  salin.  A  un  quart  de  lieue  de  là  je  rencontrai  une  se- 
conde source  d'eau  thermale.  Déjà  à  quelque  distance  une 
odeur  sulfureuse  se  répand  tout  autour.  La  température 
de  celte  seconde  source  est  de  22  à  2/i  degrés  fléaumur 
et  ses  eaux  ont  aussi  un  léger  goût  salin.  Un  bassin  de 
forme  carrée,  construit  solidement  en  pierres,  annonce 
qu'elle  a  été  autrefois  connue  et  employée ,  fort  probable- 
ment au  temps  des  Romains.  Les  anciens  faisaient  grand 
cas  des  eaux  thermales ,  et  cette  source ,  qui  est  si  abon- 
dante et  si  puissante ,  placée  dans  un  si  beau  pays  et  avec 
de  si  facile  accès  par  iner,  ne  pouvait  être  dédaignée  d'eux. 
La  vallée  de  PalcBo-Khori,  terminée  par  une  baie  aussi 
belle  que  sûre  en  forme  de  demi-cercle,  s'étend  an  delà, 
resserrée  entre  la  mer  et  le  Knémis.  Vallée ,  montagne  et 
baie ,  tout  cela  appartenait  autrefois  à  un  Turc  puissant , 
qui ,  au  pied  de  la  montagne  et  près  d'une  source  d'e^iu 
fraîche ,  avait  fait  bâtir  un  pyrgos  et  de  grandes  maisons 
d'exploitation  rurale ,  et ,  chose  tout  à  fait  exceptionnelle 


COUVENT   P£   LA   TRANSFIGURATION.  dit 

pour  uo  Tare ,  gérait  de  là  avec  intelligeoce  sod  domaine 
bien  entrcteau,  qui  lui  rapportait  un  revenu  considérable 
et  régulier.  Ce  pyrgos ,  ruiné  par  la  guerre ,  est  aujour- 
d'hui une  maison  de  ferme  faisant  partie  des  concessions 
de  terres  faite  par  le  gouvernement  giec  à  la  société  com- 
merciale de  Kainourio-K-horio. 

Il  faut  une  heure  pour  monter  de  là  au  monastère  de  la 
Métamorphose  ou  Transfiguration.  La  route  est  âpre  et  ro- 
cailleuse, mais  continuellement  tracée  à  travers  des  bois  odo- 
rants, et  elle  offre  une  suite  non  interrompue  des  points  de 
vue  les  plus  variés.  Dès  le  premier  quart  d'heure  on  arrive  à 
Yavton  (coude)  d*un  ravin  profond  formé  de  rochers  à  pic. 
Un  torrent  s'y  précipite  à  grand  bruit  et  va  se  perdre  au 
milieu  des  myrtes,  des  ombrages  et  des  fleurs  dans  les  sables 
de  la  baie  de  Palœo-Khori.  A  quelques  pas  plus  haut,  rœil 
Éitigué  peut  se  reposer  sur  de  vastes  pelouses  arrosées  par 
Teau  paisible  d*un  ruisseau.  Paitout  des  vignes  sauvages, 
enlacées  aux  plus  beaux  arbres ,  dérobent  leur  tronc  h  la 
vue  dans  un  berceau  de  larges  feuilles,  du  milieu  desquellea 
s'élancent  déjà  en  petites  grappes  les  fleurs  de  la  vigne.  Par^ 
tout  des  arbres  et  du  gazon  parsemé  de  fleurs;  partout 
une  nature  élégante  et  gracieuse. 

Le  couvent  de  la  TransGguration  est  situé  sur  un  plateau 
bien  cultivé  qui  domine  tout  le  pays,  mais  qui  est  dominé 
lui-même  par  la  chaîne  supérieure  du  Knémis.  On  ne 
peut  l'apercevoir  ni  du  rivage  ni  même  de  la  mer  ^  parce 
qu'il  est  caché  au  milieu  des  arbres  et  dérobé  à  la  vue  par 
une  sorte  de  coude  de  la  montagne  ;  mais  quand  on  est 
parvenu  au-dessus  de  la  plate-forme  découverte  sur  la- 
quelle il  est  bâti  ^  on  aperçoit  de  là  la  vallée  tout  entière. 
Tout  était  à  l'abandon  à  l'intérieur  du  monastère  désert.' 
Les  cellules  humides  des  moines  étaient  sans  portes  »  les 
escaliers  pourris  et  brisés,  l'église  en  ruines;  le  pupitre 
était  couvert  d'un  manuscrit  grec  de  prières ,  resté  ouvert  ; 
Tautel  revêtu  de  son  liùge,  mais  souillé  ;  quelques  icônes  à 
cadres  dorés  mais  noircis  par  le  temps  et  la  poussière  étaient 


312  GRÈGE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

appenduesaax  mursou  renversées  sur  l'autel,  des  fragmenls 
d'encensoirs  gisaient  dispersés  sur  le  pavé  avec  les  restes  da 
dernier  encens,  et,  en  présence  de  ce  spectacle  de  ruines  et 
de  mort,  trois  lampes  continuaient  à  brûler,  allumées  et 
alimentées  d'huile  tour  à  tour  par  la  piété  reconnaissante 
du  meunier  placé  au  bas  du  torrent  et  du  berger  qui  garde 
ses  chèvres  sur  la  montagne.  C'était  une  vue  mélancolique 
et  solennelle.  Autour  des  ruines  du  couvent  fleurissent  et 
prospèrent  encore  les  arbres  fruitiers  que  les  moines  ont 
plantés.  Une  vigne  assez  étendue  continue  à  fournir  d'ex- 
cellent raisin  ;  les  arbres  du  verger ,  disposés  sur  une  pe- 
louse bien  verte  qui  couvre  le  flanc  arrondi  de  la  colline  voi- 
sine, poussent  avec  luxe  leurs  branches  fécondes  couvertes 
de  fruits  naissants,  et  partout  les  grenadiers  déjà  en  fleurs, 
les  mûriers,  les  figuiers  aux  larges  feuilles  promettent,  à 
quiconque  viendra  la  leur  demander,  la  récolte  la  plus 
abondante.  Je  m'arrêtai  quelques  instants  à  admirer  ce 
qui  m'entourait.  La  situation  du  pays ,  cette  belle  baie  de 
Palœo-Khori,  cette  longue  et  étroite  île  de  Lichade,  sembla- 
ble à  un  corps  étendu  sur  les  flots,  ces  monts  de  l'Eubée, 
cette  colline  boisée  qui  descend  à  la  mer ,  tout  me  rappe- 
lait des  lieux  dont  le  souvenir  ni'est  bien  cher  et  bien  triste, 
Arenenberg  sur  le  lac  de  Constance  ;  Arenenberg,  où,  près 
de  cette  excellente  reine  Hortense  et  de  son  fils  le  prince 
Louis,  j'avais  passé  quelques  heures  si  douces.  La  baie  de 
Palœo-Khori  me  représentait  la  baie  d'Erroatingen  ;  l'île 
Lichade  s'étendait  en  longueur  comme  l'île  de  Reichnau , 
mais  sans  les  villages  et  les  clochers  d'une  abbaye  semblable 
à  celle  où  vint  reposer  Louis-le-Gros  ;  le  canal  de  l'Eubée, 
fermé  d'un  côté  par  le  golfe  de  Zeitoun  (Lamia)  et  de  l'au- 
tre par  le  golfe  de  Talante ,  qui  vient  se  clore  au  pont  de 
Chalkis,  me  représentait  en  grand  le  lac  inférieur  de 
Constance,  que  le  Rhin  traverse  sans  y  mêler  ses  eaux; 
rOËta,  le  Yelouchi  et  la  chaîne  neigeuse  de  l'Olhrys,  qui 
viennent  se  joindre  de  si  près  aux  monts  de  l'Eubée  pour 
encadrer  cette  gracieuse  mer,  me  rappelaient  les  montagnes 


SIDÉBO-PORTA.  313 

de  ia  Soaabe ,  du  Yorarlberg  et  du  canton  de  Saint-Gall , 
et  les  idées  morales  éveillées  pat*  ia  présence  de  ce  monas- 
tère en  ruines  me  reportaient  avec  plus  de  force  encore 
que  les  images  physiques  des  lieux  aux  mélancoliques 
souvenirs  d'Arenenberg.  Qu'était  devenu  aujourd'hui  cet 
élégant  pavillon  d'Arenenberg?  La  reine  Hortensc    est 
morte,  morte  avant  le  temps,  et  son  corps,  transporté,  loin 
des  bosquets  où  s'était  abrité  son  exil ,  dans  cette  patrie 
qu'il  ne  lui  a  été  donné  d'habiter  qu'après  sa  mort,  repose 
près  de  celui  de  l'impératrice  Joséphine  sa  mère,  dans  la 
petite  église  de  Ruelle,  tout  près  de  la  Malmaison  détruite. 
Son  ûls,  le  prince  Louis,  contraint  peu  de  temps  après  de 
quitter  ces  lieux  tout  pleins  du  souvenir  des  bienfaits  de 
sa  mère  et  de  chercher  un  refuge  en  Angleterre,   est 
aujourd'hui  renfermé  en  France  dans  une  prison  d'État. 
Dans  cette  dispersion  profonde  de  toute  sa  fortune  avait-il 
pu  conserver  cette  petite  propriété  maternelle  à  laquelle  il 
tenait  par  des  pensées  si  douces,  et  avait-il  pu  maintenir 
ce  legs  pieux  entre  ses  mains  7  Malgré  moi  ces  tristes  Idées 
retombèrent  sur  mon  cœur  de  tout  leur  poids,  et  en  quit- 
tant la  vieille  abbaye  pour  descendre  sur  le  rivage  de  Paloeo-* 
Khofi,  à  mesure  que  se  représentait  à  moi,  à  chaque  tour* 
nant  de  la  montagne,  l'image  de  cette  jolie  baied'Ermatingen 
placée  sous  les  fenêtres  de  la  chambre  que  j'ai  habitée  quel- 
ques mois  dans  le  pavillon  d'Arenemberg ,  la  tristesse  me 
resserrait  le  cœur  et  je  me  sentais  heureux  que  les  larmes 
me  vinssent  aux  yeux. 

Restait  ma  recherche  de  Sidéro-Porta  à  mettre  à  fin. 
Arrivé  à  la  baie  de  Palœo-Khori ,  je  suivis  le  bord  de 
la  mer  jusqu'au  cap  Yromo-Limni  (l'étang  puant)  ;  là  je 
pénétrai  dans  la  montagne ,  guidé  par  l'intendant  anglais 
de  Kainourio-Khorio,  qui  connaît  à  merveille  tout  ce  pays. 
Je  longeai  le  rivage  à  quelque  distance  de  la  route  qui  mène 
àVorlovos.  A  un  petit  nombre  de  pas  de  là ,  en  montant  dans 
le  bois,  je  rencontrai  prèsd*un  sentier  les  débris  d'une  tour 
hellénique  ^  qui  ne  s'élève  plus  qu'à  trois  pieds  au-dessus 

2' 


814  GRECE   CONTINENTALB  BT   MOREE. 

de  terre,  sor  le  penchant  d*uo  coteau  au  milieu  des  arbres 
el  qui  était  fort  bien  disposée  pour  servir  de  vigie.  Sur  le 
revers  opposé,  i  vingt  rainâtes  en  descendant  vers  le  rivage, 
je  remarquai  près  d'une  fontaine  des  ruines  fort  modernes. 
Autour  de  la  fontaine  et  des  murs  en  ruities,  quelques  traces 
de  défrichement  et  quelques  vergers  annonçaient  qu*à  une 
époque  assez  peu  éloignée  ce  lieu  avait  été  habité.  La  posi- 
tion de  ce  village  ruiné,  désigné  dans  la  grande  carto  fran- 
çaise sous  le  nom  de  Néo-Kbori,  était  bien  choisie.  Il  do- 
minait une  vallée  qui  sVtend  entre  des  collines  jusqu'à  la 
mer,  à  peu  de  distance  de  l'antique  baie  de  Dapfanus.  Ce 
ne  pouvait  être  dans  cette  partie  de  la  colline  que  je  trou- 
verais Sidéro-Porta.  Tout  ce  pays  était  bien  boisé  et  sans 
rochers ,  et  rien  alentour  ne  me  semblait  rappeler  son 
nom  de  Porte-de-Fer.  Je  regardai  si  dans  ia  montagne 
1fi»-à-vis  il  n'y  aurait  pas  quelque  passage ,  quelque  défilé 
étroit  qui  pût  mériter  ce  nom.  La  montagne  semblait  tout 
à  fait  à  pic  au-dessus  de  ma  tête  ;  mais  souvent ,  dans  ces 
montagnes  inaccessibles  en  apparence,  une  fente  de  rocher 
ouvre  la  voie  à  un  torrent  et  le  torrent  trace  la  voie  au 
pied  de  l'homme.  Je  résolus  donc  de  tourner  les  coteaux 
en  remontant  et  de  visiter  tout  avec  soin  jusqu'au  bas  du 
pic.  A  peine  avais-je  erré  une  deml-beure  en  cherchant 
dans  tous  les  sens ,  que ,  sur  un  vaste  plateau  qui  va  tou- 
jours en  s'éievant  dans  une  très-belle  situation ,  j'aperçus 
des  pierres  et  des  briques  amoncelées.  Partout  sur  le  ter- 
rain sont  éparses  les  ruines  d'anciens  murs  de  construction 
non  helléniques ,  mais  romains ,  puis  byzantins.  Je  suivis 
leur  trace  jusqu'à  la  partie  la  plus  élevée  de  cette  colline, 
rattachée  aux  terrains  inférieurs  de  cette  pente  si  âpre  du 
Knémis.  Là  aussi  étaient  répandus  de  nombreux  débris* 
Parmi  les  pierres  et  les  herbes  épaisses  un  berger  était  assis, 
tenant  en  main  sa  houlette  classique  :  je  m'approchai  et  lui 
demandai  le  nom  de  ces  ruines.  Suivant  lui,  ce  lieu,  depuis 
long- temps  ruiné,  était  connu  dans  le  pays  sous  le  nom  de 
Mîcorla  (  Néo-Kbori  ).  Ce  n'était  pas  encore  moa  aSatàre, 


»IDERO*rORTA.  3t5 

Je  n'enqms  ensuite  de  mon  berger ,  qui  semblait  l*hôte 
familier  de  ees  iBootagnes,  s'il  ne  connaîtrait  pas  une  fente 
praticable  ou  un  ravin  aux  détours  cachés  pour  pénétrer 
à  travers  le  pic  du  mont  Karya  ,  et  s'il  ne  se  trouvait  pas 
près  de  quelque  pyrgos  en  ruine,  un  passage  étroit  qui 
portât  ou  p0t  porter  le  nom  de  Sidéro-Porta.  Il  me  répon* 
dit  en  me  montrant,  dans  une  fente  de  rocher,  une  voie 
étroite  et  difiBcile,  mais  possible,  et  qu'il  avait  suivie  lui- 
même  ;  et  il  ajouta  qu'en  monunt  par  ce  sentier  rapide 
pendant  une  demi-heure,  on  arrivait  à  un  défilé  de  rochers 
pendus  au-dessus  d'un  précipice ,  et  qu'à  travers  ces  ro-* 
cbers  était  ouvert  un  passage  étroit ,  droit  et  élevé ,  conna 
en  effet  dans  le  pays  sous  le  nom  de  Sidéro-Porta ,  et  que 
le  vieux  pyrgos  mentionné  par  moi  était  placé  au-dessus 
sur  la  montagne. 

Je  le  pris  pour  guide  dans  ma  recherche.  Je  fis  attacher 
les  chevaux  aux  arbrisseaux  qui  croissent  au  milieu  des 
ruines  de  Nicoria,  et  nous  commençâmes  à  monter  le  ravin. 
Arrivés  à  un  endroit  où  le  sentier  vient  rencontrer  un  ra-r 
vin  fort  précipiteux  et  fort  étroit ,  nous  fûmes  arrêtés  par 
un  mur  de  pierre  infranchissable  ;  mais  le  sentier  tourne 
le  long  des  rochers,  et,  en  suivant  cette  chaîne  de  pics  ar-* 
dus,  on  arrive  â  deux  roches  au  milieu  desquelles  s'ouvre 
une  voie  étroite.  Ces  roches  se  lient  à  d'autres  plus  élevées, 
dont  l'une  des  deux   se  sépare    pour  donner   passage 
comme  si  elle  eût  été  arrachée  par  une  convulsion  sou- 
daine et  Jetée  sur  le  bord  du  ravin,  où  elle  surplombe  en 
s'élevant  d'une  vingtaine  de  pieds  seulement  au-dessus  du 
sentier.  A  une  quarantaine  de  pas  au-dessus,  se  présente 
une  nouvelle  barrière  de  rochers  qui  s'ouvrent,  de  manière 
ï  laisser  passage  à  quatre  hommes  de  front ,  et  tout  à  côté 
est  on  précipice  d'environ  éinq  à  six  cents  pieds  de  pro-» 
buideur.  Cette  barrière  de  rochers^  appuyée  comme  une 
sorte  de  forteresse  sur  une  troisième  barrière  de  rochers 
taillés  en  quelques  endroits  de  main  d'homme,  est  ce  qu'on 
appelle  encore  aujourd'hui  iMdéro-Porta.  Le  vieux  pyrgos 


316  GRÈCE   CONTINENTALE   ET    MOllÉE. 

est  placé  un  pea  plus  liant  dans  la  montagne  et  domine 
tous  les  points  de  débarquement  de  la  baie  de  Daphnus. 

Il  est  assez  probable  que  le  passage  aura  donné  son  nom 
à  la  ville  qu'il  commandait,  et  qui  était  fort  probablement 
celle  dont  je  venais  de  voir  les  ruines  sur  le  plateau  couvert 
de  débris  et  d'arbustes  où  était  assis  mon  berger.  Ce  pas- 
sage est  un  point  excellent  d'observation.  De  là  on  décou- 
vre au  loin  tout  ce  qui  se  passe  sur  la  route  de  Talante  à 
Lamia,  sans  pouvoir  être  découvert  derrière  les  rochers 
.  qui  vous  abritent  Aussi ,  dans  les  derniers  temps  de  la 
domination  turque ,  les  klephles  qui  abondaient  dans  ces 
parages  en  avaient-ils  fait  leur  repaire  habituel.  Ils  épiaient 
de  loin  l'arrivée  des  voyageurs ,  savaient  s'ils  étaient  seuls 
ou  comment  ils  étaient  accompagnés ,  et ,  à  l'aide  de  si- 
gnaux convenus,  pouvaient  indiquer  aux  leurs,  distribués 
dans  d'autres  parties  du  pays,  le  meilleur  point  d'attaque,  le 
nombre  d'hommes  nécessaire  au  succès,  et  ce  qu'ils  avaient 
à  craindre  ou  à  oser;  mais  les  klephtes  sont  rares  aujour- 
d'hui par  toute  la  Grèce,  De  là  un  chemin  fort  âpre  con- 
duit au  village  élevé  de  Karya,  d'où  on  peut  gagner 
Drakhmana  et  la  vallée  du  Géphise.  Le  rendez-vous  de  Si^ 
déro-Porta  était  donc  assez  bien  choisi  pour  la  réunion  des 
divers  contingents  féodaux  du  comte  de  Salona ,  qui  pou- 
vait arriver  par  Karya  ou  rejoindre  les  troupes  au  débou- 
ché de  la  route  qui  conduit  à  Bodonitza.  Dans  la  baie  de 
Daphnus  pouvaient  débarquer  le  contingent  envoyé  par  le 
duc  d'Athènes  et  ceux  des  seigneurs  de  Ghalkis  et  de  Ca 
rystos.  Quant  au  troisième  baron  d'Eubée ,  le  seigneur 
d'Orèosetdesîlesde  Skiathos,  Skopelos  et  Skyros,  il  n'avait 
qu'une  bien  courte  traversée  pour  se  rendre,  soitd'Orèos, 
soit  d'Aidipsos ,  à  la  même  baie  de  Daphnus.  Le  chemin 
de  Sidéro-Porta  jusqu'au  pied  de  l'Olympe  à  la  ville  d'E- 
lassona  ou  Thala9sinum«  fixée  pour  le  rendez-vous  général 
du  corps  d'armée  du  prince  Guillaume  de  Morée ,  arrivé 
de  Lépante  et  d'Arta  avec  son  allié  le  despote,  et  du  corps 
d'armée  de  ses  feudataires,  pour  marcher  ensuite  sur  Ca- 


SIDERO-PORTA.  317 

storia  était  ensuite  très-facile.  Parmi  les  ouvriers  de  la  ma- 
nufacture de  Kainourio-Khorio  il  se  trouvait  plusieurs  ha- 
bitants de  la  Thessalie  et  de  la  Macédoine;  le  chef  des  maçons 
albanais  habitait  ordinairement  la  ville  même  de  Gastoria, 
près  de  laquelle  s'est  donnée  la  bataille  de  1259.  Plusieurs 
fois  je  Tavais  interrogé  sur  son  itinéraire  de  Kainourio- 
Khorio  à  Casloria.  «  En  cinq  jours ,   m'avait-il  dit ,  j'ar- 
rive à  Castoria  sans  fatigue.  Je  passe  les  défilés  de  TOthrys 
entre  Zeitoun  (Lamia)  et  Patradjik,  puis  je  pénètre  dans  la 
grande  plaine  de  Thessalie  ;  je  suis  les  bords  du  lac  Neze- 
ros  que  j'ai  à  ma  droite,  et  j'arrive  à  Domocos  (Thauma- 
cos),  où  se  trouvent  les  ruines  d'une  ancienne  tour  fort 
considérable ,  construite  en  murs  de  ciment  (  c'est-à-dire 
d'origine  franque) ,  et  dominant  la  route  de  Donoiocos.  Je 
me  dirige  sur  Pharsale,  et  de  là  sur  Larisse ,  laissant  à  ma 
droite  Armyros  et  Yelestino.  A  Pharsale,  qui  est  en  plaine, 
ainsi  qu'à  Yelestino,  sont  aussi  deux  vieux  châteaux  à  murs 
de  ciment  ;  Larisse,  qui  est  aussi  en  plaine,  est  fortifiée. 
De  Larisse  je  me  rends  à  Tournovo,  de  Tournovo  à  Elas^ 
sona;  puis  je  m'enfonce  dans  l'Olympe,  traverse  Servia 
et  suis  à  Castoria ,  ma  patrie ,  située  sur  le  bord  d'un  lac 
et  contenant  10,000  habitants,  dont  8,000  Grecs  et  2,000 
Turcs ,  le  cinquième  jour  après  mon  départ.  »  Toutes  ces 
villes  de  Thaumacos,  Armyros,  Pharsale,  Larisse,  Armyros, 
Yelestino,  ainsi  que  celles  de  Platamona  et  de  Kitros,  placées 
sur  la  côte,  sont  souvent  meniionnées  dans  les  lettres 
d'Innocent  III ,  aussi  bien  que  les  seigneurs  francs  qui  y  te- 
naient forteresse. 

Fort  charmé  des  renseignements  que  j'avais  obtenus 
dans  la  journée,  je  retournai  dans  la  baie  de  Palœo-Khori, 
où  m'attendait  un  caïque  qu'on  m'avait  envoyé  de  la  ma- 
nufacture. La  mer  était  douce  et  le  ciel  resplendissait  des 
feux  du  soleil  couchant.  Je  laissai  loin  de  moi  la  baie  d'Ai- 
dipsos ,  les  ruines  de  ses  bains  et  de  son  temple  d'Hercule  ; 
et,  après  deux  heures  d'une  délicieuse  navigation ,  je  ren- 
trai à  Kainourio-Khorio. 

27. 


r 


318  GRECE  CONTINENTALE   ET  HOREE. 


XVI. 

LES  THERMOPYLES.  — LAMIA.   —  NÊO-PATRAft. 

Quelques  renseignementa  que  j'avais  puisés  à  Thèbes 
m'avaient  fait  penser  que  dans  le  monastère  de  Poursos, 
près  de  Vrac,  au  pied  de  l'Arakynthe,  dans  les  monts  d' A- 
eamanie ,  je  retrouverais  quelques  manuscrits  relatifs  \ 
notre  occupation  féodale  du  pays.  Un  officier  de  stratîotes 
m^avait  même  dit  y  avoir  vu  un  manuscrit  dans  lequel  il 
présumait  qu'étaient  inscrites  les  distributions  de  terres. 
Je  m'imaginai  que  oe  pourrait  être  le  fameux  Livre  de 
ta  conquête  \  mentionné  par  la  chronique  de  Morée,  et 
qui  était  soit  une  chronique  de  la  conquête ,  soit  un  régis* 
tre  des  tieh.  Un  tel  ouvrage  avait  trop  d'intérêt  à  mes  yeux 
pour  que  je  ne  bravasse  pas  les  fatigues  du  plus  long  voyage 
pour  le  trouver.  Je  décidai  donc ,  qu'après  avoir  visité 
les  *niermopyles ,  je  me  rendrais  par  Néo-Patras  à 
Poursos. 

Je  partis  de  Kainourio  le  5  mai,  accompagné  d'un  an- 
eien  klepbte  qui  avait  autrefois  fait  partie  de  la  bande  du 
célèbre  Galamata,  cantonnée  dans  la  montagne  de  Greveno, 
près  Hypate  ou  Néo^Patras,  là  même  où  ou  montre  encore 
l'endroit  où  était  placé  le  bûcher  au  milieu  duquel  se  jeta 
Hercule.  Hâbleur  conome  un  Gascon,  il  se  vantait  d'avoir 
tué  le  klephte  Manolaki ,  dont  la  tête  avait  été  mise  à  prix, 
mais  il  fallait  que  Manolaki  eût  beaucoup  de  têtes ,  car  j'ai 
eu  tendu  plusde  vipgt  pallicares  se  vanter  de  lui  en  avoir  coupé 

^  «LeroiHaymeriSyde  qui  nous  trouYops  au  Livre  dou  conquest 
(Assises  de  Jérusalem,  ch.  213,  f.  174  du  mi^nuscrit  de  Venise).  E 
si  andô  (  Baudoin  H)  in  ponente  siccome  in  lo  Libro  délia  conquista 
apertemente  se  déclara  (Assises  de  Bornant,  préambule,  p.  146  de 
ma  Cliré  de  Morée)  9faGô<  iyyftitftù^  nûpa^tv  Xeirroç  tic  tÀ  ^i^Xiov 
T^ç  xovTT^orraç  (Ciir.  de  Morée). 


THBRH0PTLE8.  919 

une.  Co8ta ,  après  avoir  fait  la  guerre  de  montagnes  aux 
Turcs  et  un  peu  aux  voyageurs  grecs,  et  surtout  anglais  et 
français ,  s'était  peu  à  peu  façonné  à  une  vie  plus  régu-t 
Hère ,  et  c'était  un  garde-chasse  fort  adroit  ;  mais  je  crois 
qnll  n*oût  pas  été  bien  sûr  de  trop  Texposer  à  la  tentation. 
Le  souvenir  de  cette  indépendance  des  montagnes  avec  ses 
misères,  mais  avec  sa  fierté,  les  touche  encore  plus  que  Tai^t 
sance  dépendante  des  villes.  Avec  moi  et  chacun  de  nous  bien 
armé,  c'était  un  guide  dont  je  pouvais  tirer  bon  parti.  Je  tra< 
▼ersai  de  nouveau  te  Boagrius  et  dépassai  le  moulin  de  Thro- 
nium  et  le  triste  village  de  IMoIo ,  et  les  ouvertures  des 
lallées  qui  mènent  à«fiodonitza,  et  je  me  hâtai  d'arriver  avec 
désir  vers  ces  célèbres  Thermopyles ,  lieux  que  mon  ami 
Pichot  m'avait  faits  si  terribles  par  la  puissance  de  ses 
beaux  grands  vers,  et  que  le  peintre  David  m'avait  fait 
voir  si  âpres  et  si  redoutables. 

Je  m'approche;  je  longe  de  délicieuses  vallées  qui  tan-« 
tôt  remontent  en  pentes  arrondies  sur  les  flancs  opposés 
de  deux  montagnes ,  et  tantôt  se  resserrent  un  peu  et  sul< 
vent  les  ondulations  de  la  montagne,  en  présentant  à  la  vue 
une  suite  de  collines  verdoyantes  qui,  comme  les  flots  de 
rOcéaOi  se  fondent  en  se  rapprochant.  L'arbre  de  Judée 
y  prodigue  ses  fleurs  lilas  <  et  l'anémone  de  toutes  couleurs 
émaille  la  verdure.  Je  m'avance  sous  l'ombrage  des  plus 
beaux  arbres;  je  m'attendais  à  trouver  un  passage  bien 
étroit  et  bien  rocailleux  suspendu  au-de$sus  d'un  marais 
profond;  la  vigne  sauvage  forme  au-dessus  de  ma  tête 
d'impénétrables  berceaux  et  me  dérobe  les  troncs  d'arbres 
les  plus  noueux  ;  tout  est  verduro ,  tout  est  fleurs,  et  mille 
et  mille  rossignols  luttent  d'harmonie  sous  ces  bosquets 
délicieux.  Je  demande  si  je  suis  bien  sur  la  route  des  Ther- 
mopyles 7  —  Vous  êtes  aux  Thermopyles ,  me  répond*on. 
Je  regarde  avec  étonnement  autour  de  moi.  L'épaisseur 
des  ombrages  me  dérobait  la  vue  des  montagnes  qui  se  jet- 
tent en  avant  pour  resserrer  la  route ,  et  les  marais  à  fleur 
de  terre  sont  d^uisis  par  1^  Jones  qui  les  couvrent. 


320  GRÈCE   CONTINENTALE   ET   HOREE. 

Même  parvenu  à  ce  point  où  la  chaussée  est  le  plus  res- 
serrée ,  entre  la  montagne  et  un  marais  qui  s'avance  au 
pied  de  la  route,  j'interrogeais  cette  montagne  si  char- 
mante de  verdure,  pour  savoir  si  elle  était  en  effet  aussi  in- 
franchissable. Le  fait  est  que ,  dans  cet  endroit  où  Léoni- 
das  combattit  avec  ses  trois  cents  Spartiates,  avant-garde 
puissante  des  cinq  mille  Grecs  échelonnés  dans  la  vallée 
voisine ,  et  dans  une  position  vigoureuse ,  il  n'y  a  aucun 
autre  moyen  de  passer  que  de  suivre  l'étroite  chaussée 
entre  la  montagne  et  le  marais.  Bien  que  vertes  et  belles 
dans  leurs  pentes  inférieures,  ces  montagnes  sont  absolu- 
ment insurmontables  de  ce  côté.  Notre  gaulois  Brenn  sévit 
arrêté  dans  le  même  endroit ,  et  fut  obligé  de  rebrousser 
chemin,  bien  au  delà  de  la  source  d'eau  chaude  qui  découle 
en  torrent  des  rochers ,  et  Hydarnès ,  le  Perse ,  fut  obligé 
de  tourner  aussi  par  le  même  chemin  pour  redescendre  en- 
suite et  surprendre  les  Grecs. 

Il  est  facile  de  reconnaître  encore  le  point  désigné  par 
Hérodote  comme  celui  où  combattirent  et  tombèrent  Léo- 
nidasetses  trois  cents  Spartiates.  Â  cet  endroit  la  monta- 
gne ,  bien  que  belle  encore  de  verdure ,  se  termine  d'une 
manière  abrupte  et  vient  expirer ,  sans  adoucir  sa  pente , 
tout  à  fait  au  pied  de  la  route  ,  qui  n'a  que  quelques  pas 
de  largeur,  et  est  bordée  de  l'autre  côté  par  un  marais  qui 
s'étend  jusqu'à  la  mer,  et  à  travers  lequel  il  est  impossible 
de  pénétrer.  A  quelques  pas  plus  loin  sont  les  restes  d'un 
mur  de  fortification  par  lequel  Justinien ,  à  défaut  de 
poitrines  de  braves ,  avait  voulu  fermer  le  passage. 

Un  peu  au  delà  plusieurs  sources  abondantes  d*eaux 
chaudes  se  répandent  jusqu'au  marais  et  forment  une 
croûte  saline  et  blanche  d'une  longue  étendue.  On  conçoit 
parfaitement  qu'à  ce  passage  trois  cents  hommes  décidés 
à  mourir,  et  servant  d'avant-garde  à  cinq  mille  braves  pos- 
tés entre  la  montagne  et  le  marais,  aient  pu  arrêter  de  fort 
nombreuses  armées.  Mais  tandis  que  les  Spartiates  se  fai- 
saient tuer  pour  sauver  leur  pays,  un  berger  enseignait  à 


TIIERMOPYLES.  331 

une  partie  de  Tarinée  persane  le  moyen  de  tourner  le  dé- 
filé, en  remontant  au-dessus  d'Àlamaui  par  l'endroit  où  est 
la  caserne  actuelle  jusqu*à  Élevterochori ,  et  redescendant 
de  là  près  de  Nevropolis  le  long  du  sommet  du  Kallidrooie 
jusqu'à  PalœoJania ,  et  là  prenant  par  derrière  l'armée 
grecque  occupée  à  combattre  le  reste  de  l'armée  persane. 
Ces  lieux  sont  encore  pleins  de  poésie  ;  et ,  au  milieu  de 
ces  beaux  ombrages ,  le  long  de  ces  sources  bouillonnantes, 
on  s'imagine  voir  encore  les  Spartiates,  si  décidés  à  mourir, 
jouer,  se  parer  et  admirer  la  beauté  du  lieu  en  attendant 
le  moment  terrible  de  leur  dernière  lutte. 

Les  sources  d'eau  chaude  qui  ont  donné  leur  nom  aux 
Thermopyles  sont  à  quelques  pas  plus  loin  et  au  delà  des 
restes  du  mur  de  Justinien.  Cette  croûte  blanche  qui  re- 
tentit sous  les  pieds  comme  une  voûte  est  formée  par  la 
déperdition  des  eaux  sur  le  rivage  pendant  plusieurs  siè- 
cles. Rien  n'est  plus  triste  et  plus  disgracieux.  Je  suivis 
jusqu'à  la  colline  ces  dépôts  salins,  sillonnés  d'espace  à  au- 
tre par  des  filets  d'eau  chaude  fort  transparente  et  fort  ra* 
pide,  et  j'allai  jusqu'à  la  plus  forte  des  sources,  qui  s'élance 
avec  impétuosité  du  flanc  d'un  rocher.  L'eau,  qui  me  pa- 
rut avoir  de  36  à  40  degrés  Réaumur,  est  extrêmement  ra- 
pide et  abondante.  Il  y  aurait  là  de  quoi  alimenter  des 
bains  sans  nombre.  Un  établissement  de  bains  et  un  canal 
par  lequel  ces  cours  d'eau  pourraient  se  diriger  vers  la 
mer  voisine ,  sans  se  perdre  dans  les  terres  ,  donneraient 
tine  toute  nouvelle  vie  à  cette  langue  de  terre,  dont  l'appa- 
rence de  désolation  contraste  d'une  manière  si  pénible  avec 
l'aspect  gracieux  du  reste  des  Thermopyles.  C'était  aux 
eaux  chaudes  et  au  mur  de  Justinien  que  finissait  la  Lo- 
cride  et  que  commençait  la  Thessalie. 

Des  eaux  chaudes  jusqu'à  Lamia ,  la  route  est  fort  mo- 
notone. Un  pont  de  pierre  jeté  sur  le  Sperchius  à  Âlamani 
aboutit  à  d'abominables  chaussées,  qui  conduisent  lente- 
ment à  travers  des  marais  jusqu'au  pied  de  Zeitoun,  l'an- 
cienne Lamia  ou  Mallia,  dont  le  nom  a  été  donné  au  golfe 


33f  GRÈCE   CONTINEKTAtE   BT   MOREE. 

MaHîaqae  '.  Cette  ville,  frontière  do  royamne  grée,  a  coa- 
8ervé  toute  l'apparence  d'une  ville  turque.  Deux  mosquées 
abandonnées  y  ont  leurs  minarets  intacts  avec  leurs  gale- 
ries et  leurs  flèches.  Quelques  grandes  maisons  turques 
sont  aussi  conservées.  Les  deux  seules  qui  méritent  atten- 
tion sont  celles  qui  appartenaient  à  Kiamii  Bey,  un  dis  ces 
riches  possesseurs  de  timars  ou  fiefs  turcs  entre  lesquels 
les  sultans  avaient  partagé  tontes  les  terres  depuis  Satoni- 
que  jusqu'à  la  Morée,  c'est-à-dire  tous  les  pays  qui  étaient 
restés  le  plus  long-temps  sous  la  domination  des  Francs  et 
où  leurs  usages  s'étaient  le  mieux  conservés.  Ainsi  les  an- 
ciens fiefs  francs  furent  remplacés  |Kir  des  timars,  et  les 
paysans  restèrent  colons  comme  sous  les  Francs.  On  re- 
trouve pendant  tout  le  temps  de  la  domination  turque  le 
colon  maintenu  sous  le  nom  presque  franc  de  coroni,  et  l'u- 
sage du  cheptel  maintenu  aussi  sous  un  nom  turc,|mais  avec 
le  même  effet.  Ali-Pacha,  qui  n'aimait  pas  les  grands  sei- 
gneurs turcs,  maisqui  aimait  beaucoup  leurs  propriétés,  con- 
fisqua toutes  leurs  terres  dans  ces  provinces  et  les  mil  entre 
ses  mains.  A  la  mort  d'Ali- Pacha,  le  sultan  Mahmoud  profita 
de  ces  confiscations ,  et  ne  voulut  plus  reconstituer  de  ti- 
mars. Il  garda  tout  pour  lui  et  se  contenta  de  distribuer 
çà  et  là  quelques  gros  lots  à  ses  favoris  du  moment ,  tel 
qu'était  ce  Kiamil-Bey.  Lorsque  le  gouvernement  ottoman 
fut  remplacé  par  le  gouvernement  grec ,  toutes  les  terres 
du  domaine  du  sultan  devinrent  propriétés  naticmales  du 
nouvel  État;  et  jusqu'ici  aucune  mesure  n'a  été  prise  pour 
répartir  ces  immenses  pn^iétés  entre  des  travailleurs  in- 
téressés à  en  tirer  le  meilleur  fruit  possible.  Dans  les  pre- 
mières années  de  la  révolution,  chaque  parti  prétendait  les 
distribuer  entre  les  siens.  L'assemblée  d'Épidaure  prit  un 
parti  extrême  ;  et ,  pour  empêcher  la  dispersion  folle  des 

^  C'est  à  tort  que  quelques  auteurs  ont  transporté  Lamia  jusqu'à 
Domocos,  et  ont  placé  la  Tbèbes  pbthiotique  sur  remplacement  ac- 
tuel de  Lamia.  La  position  de  Zeitoun  sur  les  ruines  de  l'antique 
Lamin  est  an  fait  constaté  par  la  science  archéologique. 


nationaux  t  elle  Rendit  au  goaTerndraeQt  d'en  àm 
poser  d'une  quantité  plus  grande  que  celle  qui  rèprésen- 
tak  rindemnité  due  aux  jsoldats  de  Tarniée  grecque ,  lais- 
sant le  règlement  du  reste  à  une  autre  aaaenblée ,  qui  n'a 
jamais  été  convoquée*  A  l'arrivée  du  roi ,  qui  fut  accepté 
saas  GOoditioQ  ni  constitution  ^  les  tefres  nationales  devin* 
rent  une  hypothèque  de  l'emprunty  et  aueuae  mesure  n'a 
été  prise  pour  les  distribuer  od  les  vendre  à  bon  marché, 
de  manière  à  muJtiplier  la  classe  des  propriétaires.  On  se 
contente  de  les  affermer  à  qui  veut  les  prendre,  année  par 
année,  en  payant  au  gouvernement  25  pour  100  du  pro* 
dait  Ainsi  chacun  choisit  la  terre  qui  lui  convient ,  puis 
l'abandonne  pour  passer  à  une  autre^  sans  qu'aucun  effort 
soit  fait  pour  planter  ou  bâtir,  eomme  on  le  ferait  sur  un» 
terre  à  long  bail,  et  encore  mieux  aur  une  terre  qu'on  pos- 
séderait en  toute  propriété. 

Je  rencontrai  à  Lamia  plusieurs  personnages  Intéressants, 
tels  que  le  colonel  P^rhebos,  du  corps  des  Phalangistes,  le 
docteur  Georgiadès ,  le  procureur  du  roi  Slaneff,  au  nom 
russe  et  au  cœur  français,  le  ccMiseiller  d'État. Droses  Mansou- 
las.  M.  Perrhebos  a  servi  avec  honneur  daos  notre  corps 
d'armée  de  Gm^fou  au  temps  du  géujéral  Deiizelot ,  et  il  a 
conservé  un  vif  attachement  pour  la  France ,  oà  il  est  fort 
connu  par  un  exceLlent  morceau  historique  <  rfiistoire  de 
Souli ,  écrit  en  grec  avec  une  naïveté  pleine  de  charme  et 
de  grandeur.  Il  a  aussi,  depuis,  écrit  ses  souvenirs  sur  les 
ferres  de  la  révolution  grecque  ;  mais  cet  ouvrage  est  bien 
loin  d'avoir  l'intétêt  de  l'autre.  Perrhebos  était  peur  moi 
comme  un  reflet  du  temps  et  des  mœurs  antiques.  Le  doc* 
teOr  Georgiadès  a  fait  ses  études  avec  succès  à  notre  École 
de  Médecine ,  et  ses  talents  font  honneur  à  l'instructioa 
française.  Les  sentiments  de  M.  Georgiadès,  aii^i  que  ses 
affections ,  ont  continué  à  se  tourner  vers  la  France.  Ge 
n'est  pas  là  une  exception  dans  cette  partie  de  la  Grèce  y 
oar,  dans  tous  les  cœurs,  j'ai  trouvé  des  sympathies  fran- 
çaiaea  ;  mdé  la  constance  de»  opkioûs  de  M«  GeorgiadèSi 


324  GRECS  CONTINENTALE   ET  MOREE. 

constance  qae  la  France  n'a  pas  trouvée  toujours  dans  ceux 
de  qui  elle  avait  droit  de  l'attendre ,  mérite  plus  particu- 
lièrement notre  estime  à  tous.  M.  Drosos  JVlansoulas,  con- 
seiller d'État  et  homme  fort  éclairé,  s'est  retiré  des  affaires 
pour  cultiver  ses  terres  à  Hagia-Marina  ,  près  de  Stillida, 
dans  l'ancienne  Phthiotide  d'Achille  ;  et  j'ai  été  charmé 
de  pouvoir  passer  avec  lui  quelques  jours  à  Lamia. 

Mes  nouveaux  amis  me  firent  avec  beaucoup  de  bien- 
veiHance  les  honneurs  de  leur  ville ,  et ,  malgré  l'extrême 
chaleur  des  premiers  jours  de  mai,  m'accompagnèrent  tour 
à  tour  dans  mes  excursions  d'antiquaire  et  de  curieux. 
Lamia,  placée  sur  les  limites  de  la  Grèce  et  de  la  Turquie, 
est  une  des  villes  les  plus  florissantes  de  la  Grèce.  La  gar- 
nison qui  y  est  cantonnée  a  amené  la  création  d'établisse- 
ments publics  qui  n'existent  nulle  part  ailleurs  en  Grèce, 
si  ce  n'est  à  Athènes.  Ainsi  il  y  a  un  café  assez  grand  ,  oà 
on  peut  lire  les  journaux  grecs  et  les  journaux  de  Paris,  et 
même  le  Corsaire,  le  Charivari  et  quelques  revues.  Il 
est  assez  piquant  de  se  retrouver  ainsi  parmi  les  siens  au 
pied  des  montagnes  de  Thessalie.  11  y  a  aussi  un  billard  et 
même  un  restaurateur  à  la  carte  en  vérité  fort  supportable 
et  à  fort  bon  marché ,  deux  choses  également  extraordi- 
naires en  Grèce.  On  n'est  pas  cependant  allé  encore  au 
luxe  d'une  auberge,  n'eôt>on  à  y  trouver  qu'une  chambre 
nue  et  un  seul  matelas;  il  se  passera  encore  quelque 
temps  avant  qu'on  en  arrive  là. 

Une  place  publique  se  forme,  et  des  deux  côtés  sont  déjà 
bâties  en  bonnes  pierres  une  vingtaine  de  maisons  à  deux 
étages  assez  bien  distribuées.  L'une  des  deux  grandes  mai« 
sons  anciennes  de  Kiamil-Bey  donne  sur  cette  place.  Elles 
sont  revêtues  de  haut  en  bas  de  peinturés  extérieures. 
L'une  d'elles  est  destinée  à  recevoir  l'hôpital  militaire.  L'une 
de  ces  deux  maisons  était  pour  lui,  l'autre  pour  ses  femmes. 
Dans  celle  oOi  il  demeurait  lui-même,  une  partie  de  la  dis- 
tribution intérieure  subsiste  encore.  Les  chambres  sont 
spacieuses;  les  croisées  fermées  par  des  verres  de  diffé- 


LAMIA.  325' 

reates  couleurs,  et  les  murs  peints  de  toutes  sortes  d'ara- 
besques. L'une  des  chambres  ressemble  eatièrement  à  une 
salle  à  manger  de  vieux  château  noble  de  troisième  classe 
du  temps  de  Louis  XV,  avec  ses  deux  armoiresarrondies  de 
côté  su>  toute  la  hauteur  et  la  grande  armoire  du  centre 
formant  an  demi*cercle  et  de  plus  grande  dimension.  Les 
parquets  et  les  cloisons  sont  en  mauvaises  planches  fort 
mal  assorties  et  réunies.  Cette  maison  ,  et  surtout  celle  oà 
se  tenaient  les  femmes ,  était  entourée  d'une  muraille 
qui  s'élevait  à  la  hauteur  du  second  étage  au-dessus  du  rez- 
de-chaussée.  C'est  probablement  pour  cette  raison  que  le 
rez-de-chaussée  et  le  premier  étage  étaient  consacrés  au 
service ,  et  qu'au  deuxième  étage ,  où  il  y  avait  plus  de 
clarté,  étaient  placés  les  appartements  d'honneui:.  Le  mur 
est  aujourd'hui  démoli ,  ainsi  que  les  bains  destinés  aux 
femmes,  et  rien  n'arrête  plus  la  vue,  qui  s'étend  sur  le  golfe 
Malliaque  et  les  Thermopyles.  Le  reste  de  la  ville  a  tout  à 
fait  l'apparence  d'une  ville  turcfue  ;  particulièrement  les 
bazars,  où,  sur  une  estrade  élevée,  trônent  paisiblement 
les  marchands  assis  sur  leurs  jambes  croisées.  Les  bouti- 
ques de  pipes  y  sont  surtout  nombreuses.  On  y  vend  pres- 
que pour  rien  de  longs  tuyaux  de  cbiboukis  que  les  bergers 
s'amusent  à  sculpter  dans  leurs  montagnes ,  d'une  manière 
quelquefois  fort  originale. 

Malgré  l'extrême  chaleur,  je  me  mis  en  route  pour 
monter  à  la  citadelle  de  Zeitoun  mentionnée  dans  la  Chro- 
nique  de  Marée^.  Sur  le  chemin ,  un  peu  en  dehors  de 
la  ville  actuelle,  on  aperçoit  les  murs  d'enceinte  d?  la  La  • 
nûa  hellénique,  composés,  comme  d'usage,  de  largos 
pierres  quadrilatères.  L'Âcropulis  était  située  sur  l'empla- 
cement même  de  la  citadelle  actuelle.  En  montant  cette 
colline ,  on  aperçoit  dans  les  murs  modernes ,  beaucoup 
de  restes  des  anciennes  constructions  helléniques.  Les  murs 
d'enceinte  de  la  forteresse  portent  la  trace  des  divers  pen- 

1  P.  8&  de  mon  édition  à  deux  co!onnes. 

28 


326  GRÈCE  CONTINENTALE   ET   MOREE. 

pies  qui  Tont  occupée  :  les  premières  assises  sont  des  an- 
cieos  temps  helléniqoes  ;  la  partie  supérieure  et  les  rem- 
parts intérieurs  sont  francs  ou  catalans  ;  la  tour  carrée  est 
tout  k  fait  franque  ;  le  fort  intérieur,  qui  coupe  une  partie 
du  mur  d'enceinte,  et  quelques  adjonctions  faites  aux  mors 
crénelés  sont  tout  à  fait  turcs.  Du  haut  de  la  tour  carrée^ 
reste  de  la  domination  franque  ou  catalane ,  la  vue  s^étend 
sur  un  vaste  borixon  qui  embrasse  tout  le  golfe  Malliaque  et 
TEubée,  et,  tout  en  face,  les  sommets  du  Parnasse,  de  THé- 
licon  et  de  FŒta. 

A  répoque  de  la  conquête  française,  Zeitoua  resta  com- 
prise dans  les  limites  du  royaume  de  Tbessalie  ou  de  Ma- 
cédoine, conféré  an  roi-marquis  Boniface  de  Montferrat, 
la  principauté  d' Acbaye  ne  commençant  alors  qu'aux  Tberr 
mopyles  et  au  marquisat  de  Bodonitza.  L*éTéqne  latin  de 
Zeitoun  était  un  des  dix  suffragants  de  Tarcbevéque  de  ta- 
risse '.  Innocent  III  lui  adressa  plusieurs  lettres  sous  le  titre 
iesidontensis  episcopus  ^,  tout  en  donnant  aussi  quelque- 
fois à  révêque  de  Thèbes  en  Pbtbiotidele  titred*évêquede 
Zeitoun,  suivant  en  cela  Terreur  commune.  La  mort  pré- 
maturée de  Boniface  de  Montferrat,  la  jeunesse  de  son  fils  et 
héritier  Démétrios,  Fambition  des  despotes  d'Épirede  la 
maison  Comnèue  empêchèrent  le  royaume  de  Salonique 
de  se  maintenir  long-temps  avec  autorité.  Guillaume  dalle 
Garcere,  baron  de  Négrepont,  qui  avait  épousé  une  pa- 
rente de  Démétrius,  chercha  bien  en  124^  à  reprendre 
une  possession  réelle  de  ce  royaume  *;  mais  on  voit  par  la 
Ghroniqoe  de  Morée  ^  que  les  villes  de  cette  partie  de  la 
Tbessalie  vivaient  dans  une  sorte  d'indépendance  des  em- 

i  Ces  dix  suffragaiits  étaient  les  évèqiiesde  :  !<>  Gardiki,  2«  Domo- 
Ç08,  30  Dimitriade,  4*  Zeitoun,  5<>  tlzeri  ouNazoïi,  6»  Kolydrofi, 
70  Lidoriki,  8»  la  Thèbes  phtliiotique,  9°  Macri,  l*ancieune  Stagyre, 
et  10°  Phartalo. 
'    «  Baluze,  t.  if ,  p.  618,  619,  625,  626,  627,  63o,  636. 

3Rinaldi,  t.  xxi,  p.  2&8,  à  l'an  1343. 

*  P.  S5. 


LAHIA.  327 

pereurs  de  Niccecoanne  des  despotes  d*Épire  et  des  Francs 
d'Acbaye. 

A  quelques  années  de  là  Zeiloan  fut  annexée  au  duché 
d* Athènes,  qui  s'étendit  même  au  delà  de  l'Othrys  jusqu'au 
pori  d'Armyros  inclus  du  temps  de  Ramon  tduntaner 
dans  les  domaines  de  Guy  de  La  Roche ,  duc  d'Athènes  K 
Lorsque,  après  la  mort  de  Guy  de  La  Roche,  la  Grande- 
Compagnie  catalane  s'empara  sur  Gautier  de  Brienne,  duc 
d'Athènes,  de  tout  son  duché,  elle  étendit  aussi  ses  pos- 
sessions jusqu'à  Zeitonn  et  jusqu'à  NéopatrasX)u  Patradjik. 
Cette  prise  de  possession  est  constatée  de  la  manière  la 
plus  indubitable  par  le  titre  de  duc  d'Athènes  et  de  Néopa- 
tras  conféré  par  les  Catalans  de  la  Grande-Compagnie  au  roi 
Frédéric  de  Sicile,  leur  seigneur,  et  à  ses  descendants,  qui 
ont  toujours  continué  à  le  porter.  Pendant  tout  le  quator- 
zième siècle  nous  trouvons  les  bandes  catalanes  et  navar« 
raises  établies  de  ce  côté ,  et  résistant  toujours  aux  Grecs; 
jusqu'à  ce  que  les  Turcs  vinrent  les  mettre  d'accord  en 
s'emparaut  de  tout,  dans  la  dernière  moitié  du  quinzième 
siècle. 

£n  redescendant  de  la  forteresse  je  me  rendis  un  peu 
hors  de  la  ville  pour  voir  un  grand  marché  aux  chevaux 
qui  avait  commencé  la  veille.  C'est  une  foire  assez  con- 
sidérable pour  le  pays.  Malgré  les  frais  énormes  de  la  qua- 
rantaine il  s'y  était  rendu  un  grand  nombre  de  fermiers 
de  Thessalie  qui  venaient  vendre  par  troupeaux  de  pedts 
chevaux  fort  bien  membres ,  mais  fort  mal  tenus.  Si  la 
Thessalie  appartenait  à  la  Grèce ,  ainsi  que  cela  serait  rai* 
sonnable,  la  richesse  de  cette  belle  province  et  la  richesse 
de  la  Grèce  eu  recevraient  un  accroissement  notable  ;  mais 
dans  l'état  actuel  des  choses  et  avec  les  entraves  de  laqua* 
rantaine  il  n'y  a  rien  à  espérer. 

Le  lazaret  est  à  une  dcmi-iieue  de  la  ville ,  an  pied  des 
monts  Othrys  et  à  deux  lieues  de  la  frontière  turque.  Ce 

*  B.  Muntaner,  ch.  230,  p.  467  de  mon  édit.  à  deux  colonnes. 


3  28  GBECE    C01«TI3iEftTAI.E    ET   HGREE. 

serait  un  forl  médiocre  établissement  pour  un  poste  de 
^i  ndartnerie  ;  c*est  un  détestable  gîte  pour  une  quaran- 
taine, l^s  chambres  n*ont  pas  de  fenêtres ,  et  si  on  veut  y 
voir  clair  il  faut  sortir  et  rester  à  Fair.  J'aperçus  plusieurs 
femmes,  arrivées  des  frontières  turques,  obligées  de  se  tenir 
en  dehors  pour  travailler.  Au  dedans  il  n^y  a  pas  un  meu- 
ble et  tout  est  tenu  avec  une  fort  grande  malpropreté. 
C'est  là  pourtant  qu'il  faut  passer  sa  quarantaine  en  arri- 
vant de  la  Macédoine  et  de  la  Thessalie  en  Grèce!  En  fai- 
sant quelques  pas  au  delà  dans  la  montagne  on  est  fort  dé- 
doremctgé  de  ses  fatigues,  car  on  voit  s^tendre  devant  soi 
celte  magniûque  et  opulente  plaine  de  la  Thessalie  jusqu'à 
la  vallée  de  Tempe  et  au  majestuetix  Olympe  ;  royaume 
de  Jupiter,  qui,  après  avoir  conquis  la  Grèce,  s'y  fît  res- 
pecter comme  un  dieu. 

De  I  amia  à  Patradjik  ou  Néopatras ,  la  route  est  courte 
et  facile  ;  il  y  a  deux  chemins  pour  s'y  rendre  ,  et  je  les  ai 
successivement  parcourus  tous  les  deux  :  l'un ,  par  le  pont 
de  Franlzi  et  la  rive  droite  du  Sperchius;  l'autre,  par  les 
eaux  thermales  et  la  rive  gauche  en  passant  le  Sperchius  à 
gué.  Je  rc\ins  par  celte  dernière  roule;  majsen  partant 
de  Lamia  les  eaux  du  Sperchius  étaient  trop  enflées  par 
c!es  pluies  de  montagnes  pour  que  je  pusse  le  passer  à 
gué ,  et  je  pris  le  pont  de  Frantzi.  Les  environs  de  Com- 
batadès  qu'on  traverse  en  suivant  cette  route  sont  fort  bien 
ombragés  ,  et  c'est  forl  justement  que  les  poètes  latins  ont 
célébré  les  charmes  des  rives  du  Sperchius.  La  distance 
n'est  que  de  trois  à  quatre  lieues  pour  aller  de  Lamia 
à  Néopatras  ou  Patradjik ,  l'ancienne  Uypafe,  pays  des 
Enians. 

Néopatras  est  située  tout  en  haut  d'un  plateau  fort  élevé 
que  domine  un  plateau  plus  élevé  encore  sur  lequel  est 
bâtie  nue  vieille  forteresse ,  et  tous  deux  sont  couronnés 
d'une  enceinte  de  hautes  montagnes.  Elle  est  resserrée  en- 
tre deux  ravins  profonds  dans  lesquels  s'eugoulTrent  deux 
torrents  qui  en  défendent  l'alwrd.  11  faut  monter  pendant 


NBOPATRAS.  329 

près  d*une  heure  par  un  sentier  fort  rapide  pour  arriver  en 
haut  de  la  gorge  d*où  s'échappe  le  torrent,  qui  ?a  se  perdre 
dans  la  grande  et  belle  vallée  développée  au  pied  de  la  col- 
line. J'avais  une  lettre  d'introduction  du  général  Church 
pour  le  dimarque  d'Hypate,  Hadji  Petraki,  qui  habite  tout 
en  haut  de  la  ville.  Je  trouvai  un  grand  et  bel  homme,  fort 
élégaoïmeQt  mis  à  la  grecque ,  mais  sans  dorure  sur  ses 
vêleaaents  de  soie  ;  il  était  assis  à  la  turque  sur  un  coussin 
posé  sur  un  tapis,  sous  les  beaux  arbres  en  fleurs  de  son 
jardin  ,  près  d'une  fontaine  d'eau  vive  ,  à  côté  d'une  pe- 
tite table  à  manger  turque  d'un  pied  de  haut ,  autour  de 
laquelle  étaient  groupés  une  jeune  et  jolie  femme  fort  élé- 
gamment mise  aussi  à  la  grecque,  sa  belle-mère  et  son  beau- 
frère  vêtus  avec  toute  aussi  l'él^ance  du  costume  natio- 
nal. On  ne  rencontre  ici  personne  portant  le  costume  franc; 
et,  comme  il  n'y  a  pas  de  garnison,  on  n'y  rencontre  pas  non 
pins  Tuniforme  bavarois,  adopté  pour  toutes  les  troupes 
grecques ,  comme  si  elles  faisaient  partie  du  contingent 
de  la  Confédération.  L'aspect  de  ces  festins  de  famille, 
dans  un  jardin ,  au  murmure  d'une  fontaine  où  l'on  peut 
puiser  sans  se  déranger,  et  en  vue  d'une  profonde  vallée 
thessaliqne  coupée  par  le  Sperchius  et  terminée  par  la 
longue  chaîne  des  montagnes  turques ,  me  fit  le  plus  grand 
plaisir.  La  belle  figure  martiale  et  le  beau  costume  militaire 
d'Hadji  Petraki ,  la  figure  animée  et  modeste  de  sa  jeune 
femme  paraissaient  tout  à  leur  avantage  dans  cet  encadre- 
ment, et  j'aurais  voulu  être  peintre  pour  pouvoir  donner 
tout  son  effet  à  ce  charmant  tableau  de  la  vie  patriarcale. 

La  réception  d'Hadji  Petraki  et  de  sa  famille  fut  tout  à 
fait  cordiale.  Pendant  que  mes  chevaux  étaient  allégés  et 
qu'on  transportait  mes  effets  dans  la  chambre  réservée,  on 
fit  descendre  d'un  salon  meublé  à  l'européenne  une  chaise 
pour  que  je  pusse  m'asseoir  à  la  banque  ;  puis  le  pallicare 
de  service  m'apporta  un  chibouki ,  et,  conformément  aux 
rits  de  la  plus  délicate  hospitalité,  madame  Hadji  Petros 
me  présenta  elle-même,  avec  la  grâce  la  plus  parfaite  ,  le 

28. 


330     GRÈCE  CONTINCNTALB  ET  MOrÉE. 

glyko,  le  verre  d'eau  fraîche  et  le  café,  le  meillearcafé  que 
j*aie  certainement  pris  en  Grèce,  où  il  est  toujours  si  bon. 
On  a  conservé  dans  la  Roumélie,  plus  que  dans  les  autres 
provinces  grecques ,  tous  les  usages  antiques.  Il  y  a  peu 
de  maisons  où  les  femiites  se  mettent ,  comme  chez  Hadji 
Peiros,  à  table  avec  les  étrangers;  mais  lui  a  passé  plu- 
sieurs années  de  sa  jeunesse  à  Vienne,  et  il  est  familier  avec 
les  bons  usages  francs.  Il  n'en  a  pas  moins  repris  avec  ai- 
sance le  mode  de  vie  roumélioie.  Sa  femme  fait  apparaître 
ce  genre  de  vie  sous  son  côté  le  plus  poétique.  Assise  à 
l'extrémité  d'une  longue  galerie  ouverte  sur  son  jardin,  à 
une  exposition  qui  assure  un  peu  de  fraîcheur,  et  placée 
Sur  un  siège  élevé,  comme  une  reine  sur  son  trône  ,  elle 
tisse  sa  toile,  ainsi  que  le  faisaient  les  princesses  antiques, 
tandis  qu'autour  d'elle  ses  femmes ,  placées  çà  et  là  sur  des 
sièges  plus  bas ,  lui  présentent  la  navette ,  rectifient  les 
fils  et  facilitent  ses  travaux.  Cet  intérieur  de  famille  offre 
une  suite  de  scènes  agréables. 

Il  faut  monter  encore  une  demi-heure  au-dessus  de  la 
ville  pour  arriver  aux  ruines  de  l'ancienne  forteresse,  qui 
semble  un  château  aérien ,  une  création  de  fée.  Sur  trois 
des  côtés  il  est  entouré  de  précipices  ouverts  entre  des  ro- 
chers à  coupe  perpendiculaire  ;  du  quatrième  côté  il  se  ter- 
mine en  une  pente  de  verdure  assez  rapide  pour  mériter 
aussi  partout  ailleurs  le  nom  de  précipice.  Une  source,  qui 
fournit  de  l'eau  h  la  ville,  s'échappe  d'un  de  ces  rochers: 
un  peu  avant  d'y  arriver,  on  trouve  les  ruines  d'une  tour 
ronde  de  construction  franque;  puis,  un  peu  au-dessus, 
l'une  des  portes  de  l'ancienne  forteresse,  dont  il  ne  reste 
plus  que  les  assises  inférieures.  En  arrivant  au  sommet  du 
plateau  on  aperçoit  d'abord  des  ruines  helléniques,  parmi 
lesquelles  on  distingue  les  fondements  d'un  temple.  Tout 
autour  sont  dispersés  les  murs  et  les  tours  carrées  de  la  for- 
tification du  moyen  âge;  mais  la  nature  a  pris  soin  de  forti- 
fier le  plateau  avec  plus  de  puissance  que  ne  peut  le  faire 
l'art  des  ingénieurs.  Qu'est-ce  que  quelques  murs  de  plus 


NBOP.\rRAS.  S31 

en  comparaison  d'un  roc  de  huit  cents  pieds  d'élévation 
au-dessus  d*un  ravin  dans  lequel  se  précipite  un  torrent  I 
A  la  vérité  une  colline  plus  haute,  séparée  par  le  précipice, 
menace  cette  colline,  et  le  canon  pourrait  aujourd'hui  y 
arriver  ;  mais  au  moyen  âge  aucune  machine  de  guerre 
n'atteignait  à  de  telles  distances.  Néopatras  avait  été  com- 
prise dans  le  despotat  d'Hellade  ou  d'Éiolie  que  s'étaient 
acquis  les  Comnènc  après  la  prise  de  Constantinople  par 
les  Francs.  Nicéphore,  ûls  de  Michel  Gonmène  et  beau- 
frère  du  prince  de  Morée,  Guillaume  de  Ville- Hardoin , 
fit ,  dit-on ,  bâtir  cette  forteresse  ^  Les  Catalans  s'en  em- 
parèrent un  peu  après  l'année  1310 ,  et  la  possédèrent  jus- 
qu'à la  fin  du  quatorzième  siècle. 

Je  passai  la  soirée  chez  Hadji  Petros  avec  quelques  ca- 
pitanis  rouméliotes,  qui  aimaient  à  me  prouver  par  leut 
visite  l'aiTection  qu'ils  avaient  pour  la  France.  L'existence 
de  ces  capitanis  retrace  au  vif  cette  époque  si  différenle 
de  l'époque  actuelle,  où  deux  religions  et  deut  races,  celles 
des  mattres  et  celles  des  rayas  opprimés,  étaient  en  présence 
sur  ce  même  sol.  Alors  les  montagnes  étaient  devenues  le 
refuge  de  tous  les  hommes  fiers  et  indépendants.  Autour 
de  quelques  chefs ,  dont  la  supériorité  était  consacrée  par 
d'antiques  traditions  de  famille  ou  par  d'éclatants  services 
persomiels,  venaient  se  grouper  tous  ceux  qui  se  trouvaient 
mal  à  l'aise  sous  l'arbitraire  humiliant  de  la  domination 
turque,  qui  redoutaient  des  persécutions ,  qui  avaient  des 
injures  à  venger.  A  un  signal  donné  tous  les  klephtes  ve- 
naient se  ranger  sous  la  bannière  de  leur  chef,  l'assistaient 
dans  quelque  grand  acte  de  vengeance  et ,  rentrés  dans 
leurs  montagnes,  se  dispersaient  jusqu'à  nouvelle  occasion 
et  échappaient  ainsi  aux  poursuites  de  leurs  tyrans ,  qui 
n'osaient  s'aventurer  dans  ces  positions  dlDiciles.  Si  la  force 

*  AotTTOv  TOÎÎTOÇ  ô  'SiKri'^ôooç  ExTia«  T/jv  Niav  ndtToav ,  xai 
xiffTpov  exatpi«  ^tàîpvXa?tv  (Dorothée  :  voyez  ce  fragment  de  sa 
Chronfqne  dans  ma  préface  de  la  Cliron.  de  More?,  p.  xxxv). 


332  CHECE   CC»NT19IfcM*.%LC    ET   MOEEE. 

de  ces  bandes  prenait  une  coiisisiance  réelle,  alors les  Turcs, 
habitués  à  compter  a\ec  la  puissance,  prenaient  des  arran- 
gements avec  eux  ,  et  les  pachas  leur  confiaient ,  en  qua- 
Kté  d'armatoies,  la  garde  des  défilés  qu'ils  avaient  su  con- 
quérir. Pendant  les  guerres  longues  et  obstinées  qui 
amenèrent  l'indépendance  de  la  Grèce ,  les  capitanis  de 
la  Roumélie  furent  ceux  qui  se  distinguèrent  le  plus  par 
leur  braifoure  et  par  leur  dévouement  :  et  il  fallait  là  des 
sacrifices  de  tous  les  instants;  car  les  Turcs  étaient  en  force 
dans  ces  provinces ,  et  il  n'y  avait  à  attendre  aucun  se- 
cours de  personne. 

Tontes  les  montagnes  d'Épire,  d'Étoile ,  d'Acarnanie  et 
de  Thessalie,  jusqu'aux  gorges  de  l'Olympe,  se  remplirent 
alors  de  généreux  combattants  qui  espéraient  bien  se  con- 
quérir promptement  une  patrie  nationale  et  libre.  Ils  réus- 
sirent à  faire  une  Grèce  ;  mais  cette  Grèce  n'était  pas  pour 
eux.  Le  traité  de  Londres  déclara  qu'elle  ne  s'étendrait 
que  jusqu'à  la  chaîne  de  l'Othrys.  Ainsi  tous  leâ  monta- 
gnards d'Agrapha  i,  du  Mezzovo  et  de  l'Olympe,  si  braves, 
si  patriotes,  furent  rejetés  sous  la  main  des  Turcs.  Ceux 
qui  s'étaient  le  plus  signalés  dans  celte  guerre  refusèrent 
d'abord  de  retourner  dans  leur.-:  foyers;  et  c'est  ainsi  qu'un 
grand  nombre,  classés  dans  le  corps  des  phalangistes,  ont  dit 
adieu  à  leur  lieu  natal  et  sont  restés  attachés  à  la  patrie  grec- 
que, espérant  à  chaque  instant  entendre  sonner  l'heure  où  il 
leur  serait  permis  de  reprendre  sur  leurs  ennemis  les  Tu^cs 
desprovinces  que  ceux-ci  ne  pourraient  plus  défendre.  D'au- 
tres ,  impatients  de  cette  vie  d'oisive  attente ,  ont  regagné 
leurs  montagnes,  y  ont  repris  les  chances  de  la  vie  kleph- 
tique,  et  ont  fini,  selon  l'antique  usage,  par  se  faire  re- 
connaître par  les  Turcs  et  devenir  chefs  de  l'armée  régu- 
lière ;  mais  leurs  yeux  sont  toujours  tournés  vers  la  patrie 
chrétienne  :  comme  aux  premiers,  il  leur  suffirait  d'un  léger 
encouragement  pour  redevenir  Grecs  et  pour  tourner  contre 
la  domination  turque  les  armes  destinées  à  la  défendre. 

Les  anciens  rapports  qui  unissaient  entre  eux  les  capita- 


NGOPATRAS.  333 

nis  retournés  en  Turquie  etiescapilanis  restésen  Grèceont 
continué  depuis  à  subsister,  par  suite  delà  facilité  que  leur 
donnent  toutes  les  chaînes  de  montagnes.  L'espoir  de  recon- 
quérir à  la  Grèce  le  terrain  perdu  se  maintient  vivant  dans 
le  cœur  de  tous,  et  cet  espoir  entretient  la  suprématie  des 
capitanis  et  le  dévouement  des  anciens  soldats.  A  un  signal 
toutes  ces  bandes  se  recomposeraient  en  un  instant.  Pen- 
dant que  j'étais  dans  cette  partie  de  la  Thessalie  j'ai  ren* 
contré  un  de  ces  capitanis  qui  veuîflt  de  faire  au  roi  Othon 
une  réponse  qui  n'était  point  une  forfanterie ,  mais  la  sim- 
ple expression  d'un  fait.  Le  roi  lui  demandait  pourquoi  il 
se  tenait  toujours  dans  ses  montagnes  et  ne  venait  pas  à 
Athènes  çt  il  lui  offrait  même  un  l(^ement  dans  son  palais 
pendant  son  séjour.  Le  Rouméliote  objectait  son  attache- 
ment à  ses  montagnes,  ses  habitudes  de  la  vie  patriarcale, 
puis  même  le  charme  de  se  sentir  important  parmi  les 
siens  au  lieu  d'être  annulé  au  milieu  des  autres.  «  Impor- 
tant I  lui  dit  le  roi  ;  mais  vous  êtes  diraarque  d'un  village. 
—  Dimarque  !  dit  le  Rouméliote  en  se  redressant,  je  suis 
roi  dans  la  montagne ,  plus  que  roi.  Votre  Majesté  veut- 
elle  un  exemple  de  mon  autorité  ;  qu'elle  dise  un  mot ,  et 
après-demain ,  dans  cette  vallée  qui  se  déroule  sous  vos 
yeux ,  j'aurai  réuni  sous  ma  bannière  six  raille  hommes 
armés  et  disposés  à  marcher  ,  à  ma  voix ,  pour  ou  contre 
Votre  Majesté.  »  Le  roi  préféra  ne  pas  tenter  l'expérience. 
Pendant  les  événements  de  iStiO,  tous  attendaient  un  mot 
de  la  France;  et  il  a  fallu  plus  de  peine  pour  les  engager  à  la 
patience  qu'o/i  n'en  eût  eu  à  les  faire  courir  peut-être  jus- 
qu'à Salonique.  L'homme  qui  a  conservé  le  plus  d'influence 
sur  tous  ces  capitanis  est  un  Épirote  qui  n'a  lui-même  ja- 
mais été  qu'homme  politique  et  non  pas  soldat ,  Colet- 
tis.  Il  n'aurait  qu'à  vouloir ,  pour  réunir  à  l'instant  toutes 
les  volontés  éparses.  Mais  Golettisest  un  homme  sage  et  un 
véritable  patriote.  Il  désire  dans  son  pays  l'établissement 
de  l'ordre  et  des  lois,  et  il  saura  ne  rien  hasarder  qui  com« 
promette  le  durable  avenir  promis  à  la  Grèce.  Je  n'a»  pas 


334  GRÈCB   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

TU  en  RoDinéHe  an  seul  chef  qui  ne  fût  disposé  à  se  sou- 
mettre complètement  à  lui  pour  le  repos  comme  pour  l'ac- 
tion. Tel  élait  autrefois  près  de  lui  le  brave  Palasca,  assas- 
siné par  Odyssée,  tels  ils  sont  tous  ;  et  son  séjour  en  France 
n*a  fait  que  donner  plus  de  puissance  encore  aux  conseils 
de  son  bon  et  sain  jugement.  Mon  excellent  hôte  Hadji 
Petraki  est  un  des  amis  de  Colettis  et  des  Français,  et  il  est 
un  de  ceux  qui  aiment  ii  ne  pas  quitter  leurs  montagnes. 
Où  trouverait-il  ailleurs  le  spectacle  d'une  famille  plus 
agréable,  une  maison  mieux  située,  une  fontaiue  qui  mur- 
mure plus  doucement,  un  jardin  d'où  il  puisse  jouir  d'une 
aussi  belle  vue  de  montagnes  et  de  vallées  ?  Où  trouverait- 
il  ,  hors  de  chez  lui ,  une  plus  belle  chasse  aux  chamois, 
aux  chevreuils  et  aux  ours,  que  dans  la  forêt  de  Greveno, 
rCEta  d'Hercule  ;  une  plus  abondante  chasse  aux  faisans 
que  dans  la  plaine  du  Sperchius  ;  de  meilleurs  bains  ther« 
maux  que  ceux  de  Patradjik  ;  plus  d'affection,  un  plus  lier 
patronage  que  parmi  les  anciens  pallicares  des  deux  revers 
des  montagnes  tiiessaliques,  toujours  tout  prêts  à  recom- 
mencer avec  une  nouvelle  valeur  de  nouvelles  entreprises 
pour  l'agrandissement  de  leur  pays  ?  Où  trouverait-il  des 
cœurs  plus  chauds,  plus  fidèles  que  dans  les  monts  d' Agra- 
pha  7  Comme  on  conçoit  bien,  à  la  vue  de  cette  riche  plaine 
du  Sperchius,  de  C(>s  montagnes  et  de  ces  torrents  qui  se 
déroulent  de  tous  côtés,  la  passion  de  la  patrie  locale  qui 
vous  fixe  dans  ce  coin  isolé  du  vaste  monde  dont  les  vains 
bruits  expirent  avant  de  pouvoir  dépasser  cette  barrière  do 
montagnes  ! 

Le  lendemain  de  mon  arrivée,  j'allai  explorer  les  restes 
antiques  que  je  pouvais  découvrir  çà  et  là.  Quelques  débris 
ont  été  réunis  par  Hadji-Pelros  dans  sa  dimarchie.  Tels 
sont  :  une  tête  de  marbre  faisant  partie  d'un  sujet  funé- 
raire, d'un  travail  plutôt  romain  que  grec  ;  le  corps  d'une 
autre  statue  de  marbre,  d'environ  trois  pieds  de  hauteur  ; 
la  tête  et  les  bras  manquent ,  mais  le  corps  est  fort  bien 
conservé  et  d'une  fort  bonne  exécution,  apparemment  ro- 


NEOPATRAS.  335 

Diaiue  ;  trois  petites  statuettes  eo  terre  cuite ,  Tune,  de 
Mîoerve,  fort  jolie  et  fort  bien  conservée,  les  autres  d'un 
travail  moins  bon.  Le  tout  a  été  découvert  dans  des  fouil- 
les récemment  faites  sur  les  rives  escarpées  du  torrent  de 
Xerio,  tout  voisin.  Près  de  la  dimarchie  est  l'ancienne  mos- 
quée, bâtie  dans  un  fort  bel  emplacement,  sur  les  ruines  d'un 
temple  antique,  plus  tard  transformé  en  église  latine  et  ré- 
cemment en  église  grecque.  Les  colonnes ,  dérobées  au 
temple  antique  sont  encore  debout ,  et  les  murs  d'enceinte 
sont  composés  de  grands  morceaux  de  marbre  dont  plusieurs 
portent  des  inscriptions  grecques.  En  faisant  faire  les  ré- 
parations nécessaires  autour  de  cette  église  et  près  de  la  porté, 
on  a  retrouvé  quelques  fragments  de  sculpture  du  moyen 
âge.  Telle estunelonguefriseàplusieurs compartiments.  Les 
deux  derniers  compartiments  sont  seuls  conservés  et  por- 
tent l'un  one  fleur  de  lis,  l'autre  la  croix  ancrée  de  Champa- 
gne. Un  autre  morceau  provient  sans  doute  d'une  pierre  fu<* 
nérairc.  On  y  voit  une  croix  latine  élevée  sur  trois  degrés  ; 
dans  les  cantons  supérieurs  de  la  croix  sont  deux  ûeurs  de  lis 
renversées  et  dans  les  deux  cantons  inférieurs  deux  cyprès, 
sorte  de  blason  funéraire  que  j'ai  souvent  retrouvé  en  Ëubée. 

M.  Enian,  frère  du  conseiller  d'État  Georges  Énian, 
possède  aussi  quelques  antiquités  trouvées  sur  les  lieux.  Il 
me  montra  une  fort  belle  pierre  gravée ,  des  pendants 
d'oreilles  en  or  et  quelques  belles  médailles  d'argent  dus 
ï  des  fouilles  faites  aux  mêmes  lieux  qui  avaient  fourni  les 
jolies  statuettes  de  terre  cuite  de  la  dimarchie,  les  deux  rives 
du  Xerio.  Je  voulus  tenter  aussi  des  fouilles  sur  le  bord 
du  torrent,  avec  la  permission  des  autorités  locales.  J'a- 
menai trois  hommes  armés  de  pioches  et  nous  descen- 
dîmes sur  la  rive  du  Xerio,  que  nous  franchîmes  dans  une 
des  parties  les  plus  rapides  de  son  cours  en  sautant  de 
rochers  en  rochers  au  milieu  des  cascades;  car  le  pont 
a  été  entraîné  il  y  a  quelques  années ,  et  les  revenus  de  la 
ville  ne  suflisent  pas  pour  en  faire  un  autre. 

Il  faut  donc  traverser  comme  on  peut  le  torrent  rocail- 


336  OEÈCE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

Ivux;  et  chaque  année,  entre  les  rochers  glissants  du  passage, 
des  hommes,  femmes  et  enfants  tombent  dans  le  torrent, 
dont  le  cours  est  trop  rapide  et  trop  convulsif  pour  qu'on 
puisse  résister,  et  ils  sont  brisés  par  les  rochers  quand  ils  ne 
sont  pas  ensevelis  sous  les  eaux.  Les  rives  escarpées  des 
deui  branches  du  Xerio  laissent  apercevoir  çà  et  là  de 
nombreuses  couches  de  briques ,  restes  des  tombeaux  qui 
bordaient  son  cours  et  qui  ont  été  entraînés  par  ses  dé- 
bordements. Les  anciens  avaient  coutume  de  placer  ainsi 
leurs  tombeaux  sur  le  bord  des  torrents  et  quelquefois  même 
dans  leur  lit.  La  série  des  tombeaux  à  travers  lesquels  je 
dirigeai  mes  fouilles  ne  me  semble  pas  remonter  an  delà 
du  second  siècle  de  Tère  chrétienne.  Cette  portion  ne  con- 
tenait, à  ce  qu*il  semble,  que  les  tombeaux  des  gens  obs- 
curs ,  et  presque  tous  ont  été  emportés  en  bonne  partie 
par  le  travail  des  eaux  qui  avait  fait  ébouler  les  terres  et 
les  avait  entraînées.  Â  chaque  couche  je  rencontrais  des 
centaines  de  petites  monnaies  frustes  de  cuivre  de  l'é- 
poque romaine.  Au  fond  d'un  tombeau  je  trouvai  un  grand 
morceau  de  marbre  grossièrement  creusé  en  forme  de 
mortier  et  sans  trace  de  sculpture.  Je  Toyais  blon  que 
pour  rencontrer  quelque  objet  d'art  un  peu  remarquable 
il  fallait  porter  mes  fouilles  vers  le  terrain  destiné  aux 
personnages  plus  considérables;  mais,  depuis  le  peu  d'heures 
que  je  faisais  fouiller,  le  nombre  des  curieux  qui  aflSuaient 
autour  de  moi  s'était  considérablement  augmenté  malgré  la 
pluie,  qui  n'avait  pas  cessé  depuis  la  matinée.  Les  gens  igno- 
rants ,  dans  tous  les  pays  du  monde ,  en  Turquie  comme 
en  France  et  en  Grèce,  s'imaginent  toujours  que,  quand  on 
fait  des  fouilles,  c'est  parce  qu'on  cherche  un  trésor  caché,  et 
ils  suivent  tous  vos  regards  et  tous  vos  gestes  avec  anxiété. 
Le  concours  des  curieux  et  le  redoublement  de  la  pluie 
mirent  fin  à  mes  fouilles. 

Hadji  Petros  voulait  m'emmener  avec  loi  passer  quelques 
jours  à  chasser  le  chamois  et  le  chevreuil  en  compagnie  de 
quelques  amis  dans  les  forêts  du  Greveno ,  le  plus  haut  des 


MONT    OBTA.  337 

sommets  de  FŒta.  L*excursion  était  fort  (entante  ;  le  som- 
met du  Grevenfo  était  encore  couvert  de  neiges,  et  de  là  on 
embrasse  une  vue  magaifiquc  qui  s'étend,  d'un  côté,  à  tra- 
vers toute  la  Thessalie  et  le  golfe  de  Salonique,  jusqu'aux 
DardaneUcs ,  et  de  Tantre  côté  au-dessus  de  tout  le  Pélo- 
ponnèse. J'aurais  aimé  aussi  à  visiter  les  restes  d'un  héroûm 
que  me  disait  y  avoir  vu  M.  Knian  ;  héroum  consacré  à 
Hercule  à  l'endroit  même  où  avait  été  placé  son  bûcher,  et 
non  pas  dans  le  Caiiidrome,  à  Héracléa,  qui  ne  fut  bâti  que 
plus  tard  en  son  honneur  :  mais  j'avais  une  autre  excur- 
sion à  faire  pour  mes  recherches  du  moyen  âge  dans  l'ab^ 
baye  de  Poursos  en  Acarnanie;  j'étais  impatient  de  lire  les 
chroniques  de  notre  principauté  franque,  que  l'on  me  di- 
sait y  avoir  vues.  Je  ne  suis  pas  d'ailleurs  un  ardent  chas- 
seur et  craignais  d'être  un  embarras  pour  ces  chasseurs 
aux  jambes  aussi  alertes  que  l'étaient  celles  d'Achille ,  leur 
Yoîs'n.  Je  me  décidai  donc  à  partir  pour  l'Acarnanie  pen- 
dant que  mes  amis  iraient  chasser  dans  l'QËta,  et  je  don- 
nai à  ma  cavalerie  et  à  mon  infanterie  l'ordre  du  départ 
pour  le  lendemain. 


XVII. 

G  AR  PENIS  I— POURSOS. 

Il  est  assez  périlleux  de  s'aventurer,  même  aujourd'hui, 
dans  les  montagnes  limitrophes  de  la  Turquie,  dont  le  voi- 
sinage offre  un  prompt  refuge  à  tous  ceux  qui  ont  con- 
servé quelque  prédilection  pour  la  vie  klephtique.  Les  fo- 
rêts montueuses  situées  entre  Hagi  Janni  et  Carpenisi  sont 
surtout  tout  à  fait  favorables  à  leurs  expéditions,  car  ils  peu- 
vent découvrir  de  loin  les  voyageurs ,  dérober  leur  projet 
d'attaque  dans  les  épais  taillis,  et  échapper  ensuite  à  toutes 
les  recherches  par  des  sentiers  connus  d'eux  qui  vont  re- 

29 


338  GaÈCE   CONTINBNTALB  BT   MOREE. 

joindre  les  chaînes  des  montagnes  limitrophes  des  denipays. 
Mes  amis  m'avaient  donc  impossé  une  escorte  fort  respecta- 
ble de  quatre  gendarmes  ou  chorophytakas  et  de  quatre 
stratiotes  bien  armer,  qui ,  réunis  à  mou  pailicare,  Tancten 
klephie  Costa,  très-bien  armé  aussi ^  me  constituaient  un 
petit  corps  d  armée  assez  propre  à  la  défense.  Quant  ani 
agofates,  ils  ne  font  que  grossir  le  cortège  et  ont  grand  soin, 
pour  ne  pas  se  mettre  mal  avec  messieurs  les  klephtes,  dont 
ils  sont  exposés  de  ce  côté  à  recevoir  les  trop  fréquentes  vi-* 
sites,  de  ne  jauMls  porter  aucune  arme,  aûn  de  mieux  con- 
stater leur  neutralité.  La  classe  des  agoîates  de  Grèce,  des 
vetturini  d'Italie  et  des  muletiers  d'Espagne  est  une  classe 
à  part  dans  chacun  des  pays.  Les  agoîates  de  la  Grèce  sont 
presque  tous  de  race  albanaise  ;  race  laborieuse ,  sobre  et 
avide. 

£n  quittant  Hypate  non?  traversâmes  sans  difficulté  les 
eaux  du  torrent,  à  la  faveur  de  ses  rochers  brisés,  et  en- 
trâmes dans  une  jolie  vallée  d'où  l'on  aperçoit  déjà  le  Ve- 
louchi,  l'ancien  Tymphrestus,  tout  couvert  de  neiges. 
Trois  heures  de  marche  à  travers  cet  agréable  paysage 
nous  amenèrent  sur  les  bords  d'un  torrent  beaucoup  plus 
redoutable ,  la  Vistritza.  Son  large  lit  est  tout  hérissé  de 
rochers  pointus ,  à  travers  lesquels,  son  cours  rapide  se 
fait  jour  en  bouillonnant  d'impatience.  La  Vistritza  est  en 
cet  endroit  au  moins  aussi  large  dans  une  de  ses  branches 
principales  et  bien  plus  rapide  que  ne  l'est  le  Rhône  lui- 
même,  et,  au  lieu  de  rouler  sur  un  lit  de  sable,  c'est  à  tra- 
vers des  rocs  arrachés  aux  montagnes  qu'elle  se  précipite 
des  ravins  dans  la  plaine.  Les  autres  branches ,  fort  rap- 
prochées de  la  branche  principale ,  s'y  réunissent  parfois 
après  les  grandes  pluies  et  présentent  une  telle  étendue 
d'eau  à  profondeurs  variées ,  que  force  est  aux  voyageurs 
d'attendre  sur  une  de  ses  rives  que  les  branches  se  soient 
de  nouveau  séparées  et  que  le  cours  du  torrent  soit  moms 
étendu ,  moins  profond  et  moins  rapide.  Deux  des  quatre 
branches  étaient  réonien  au  moment  de  mm  passive;  mais 


LA   VISTRITZA»  339 

un  ag(Httte  de  Patradjik  nous  indiqua  avec  confiance  un 
endroit  qu'il  était  possible  de  franchir  à  cheval.  Un  fond 
de  cailloux  plus  petits ,  recouvert  seulement  de  deux  pieds 
d'eau»  indiquait  le  point  de  séparation  des  deux  branches 
du  fleuve,  et  c'était  sur  ce  point  qu'il  fallait  se  diriger  pour 
trouver  chacune  des  deux  branches  plus  traitable  séparé* 
ment  que  toutes  deux  ne  l'étaient  après  leur  réunion.  Tout 
alla  fort  bien ,  malgré  mon  peu  d'habitude  de  franchir 
de  vastes  torrents  à  gué.  Je  traversai  sans  encombre  la 
branche  principale  et  le  fond  de  cailloux  moins  profond 
qui  servait  comme  d'isthme  entre  les  deux  litjs  ;  et  j'entrai 
dans  la  seconde  branche,  que  je  traversais  avec  la  même 
assurance,  lorsque ,  parvenu  aux  trois  quarts  de  nra  route 
et  me  croyant  libre  désormais  de  toute  précaution,  je 
voulus  tourner  la  tête  en  arrière  pour  mesurer  la  distance 
que  j'avais  franchie.  Mes  regards  s'arrêtèrent  sur  les  eaux 
rapides  que  je  fendais.  A  ce  moment ,  voyant  le  cours  du 
torrent  se  précipiter  autour  de  moi  avec  une  grande  rapidité, 
pendant  que  mon  cheval  frappait  les  vagues  de  sa  poitrine 
avec  plus  de   lenteur,  je  crus,  par  une  véritable  illu- 
Hon  d'optique ,  que  mon  cheval  et  moi  nous  suivions  le 
mouvement  des  eaux  et  étions  entraînés  avec  elles.  Peut- 
être  un  instant  de  plus  de  doute  eût  amené  le  vertige  et  une 
chute  assurée  ;  mais  je  me  dis  à  l'instant  que,  puisque  la 
poitrine  de  mon  cheval  était  dirigée  vers  la  terre  et  qu'il 
continuait  à  se  tenir  sans  lutte  dans  la  même  direction , 
c'est  qu*il  avait  la  force  suffisante  pour  résister  au  torrent, 
qui  autrement  l'eût  fait  tourner  avec  violence.  Je  regardai 
le  rivage,  qui  n'était  plus  qu'à  une  vingtaine  de  pieds  de 
moi  ';  mon  œil  triompha  de<  cette  illusion  ,  et  mon  cheval 
arriva  en  effet  avec  assurance  jusqu'au  but.  Les  deux  au- 
tres branches  étaient  beaucoup  moins  périlleuses  à  tra- 
verser ;  et  j'étais  d'ailleurs  bien  instruit  maintenant  qu'en 
franchissant  un  fleuve  il  ne  faut  pas  s'amuser  à  regarder 
couler  l'eau  sous  soi,  mais  fixer  son  regard  sur  le  rivage. 
Une  chute  au  milieu  de  ces  courants  et  de  ces  rochers  se- 


340  GRÈCB   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

raît  une  assez  rude  affaire,  même  poar  on  grand  nageur, 
car  le  cours  est  bien  rapide  et  les  rochers  bien  aigus ,  mais 
malgré  les  hasards  il  faudra  continuer  long-temps  encore 
à  trayerser  la  Yistritza  à  gué.  Il  y  a  trop  peu  de  voyageurs 
sur  la  route  et  trop  peu  d'argent  dans  la  province  pour 
qu'on  songe  aux  frais  d*un  pont. 

A  peu  de  distance  des  rives  du  fleuve ,  nous  rencontrâ- 
mes un  campement  de  Grands- Vlaques  au  nombre  d'une 
cinquantaine  d'hommes  et  de  femmes  réunis  sous  Tom- 
bre  d'un  grand  frêne.  J'envoyai  un  de  mes  gendarmes  leur 
demander  s*ils  avaient  du  lait  frais  à  me  vendre.  Â  l'in- 
stant même  arriva  près  de  moi  un  homme  à  cheveux 
blancs ,  mais  plein  de  vigueur.  Il  apportait  une  immense 
jatte  de  lait,  et  était  suivi  d'un  berger,  plus  jeune,  portant 
une  autre  jatte  non  moins  énorme  de  yaourd  récemment 
fait.  Je  bus  avec  le  plus  grand  plaisir,  sans  descendre  de 
cheval,  une  large  quantité  de  lait,  et  fis  distribuer  le  yaourt 
et  une  autre  jatte  de  lait  à  mes  gendarmes,  pali  i  cires  et  agoîa- 
tes.  Quand  toutes  les  jattes  furent  vides ,  je  voulus  donner 
quelques  drachmes  au  V laque  si  complaisant  ;  mais  il  me 
répondit ,  sans  affectation  de  fierté  :  que  le  lait  était  une 
chose  que  l'on  donnait  avec  plaisir  à  l'étranger  mais  qu'on 
ne  lui  vendait  pas  sans  que  cela  ne  portât  malheur;  que  si 
moi  ou  les  miens  nous  désirions  encore  lait  et  yaourd  il  y  en 
avait  dans  leurs  tentes  à  notre  disposition  ,  mais  qu'il  me 
priait  de  ne  pas  les  blesser  en  leur  offrant  de  l'argent.  Tout 
cela  fut  dit  fort  modestement ,  fort  poliment,  mais  fort  net- 
tement. Les  Grands-Ylaquessont  presque  toujours  de  bonnes 
gens,  et,  malgré  leur  existence  nomade,  ils  ne  se  mêlent  guère 
à  la  vie  klephtique  et  vivent  tout  à  fait  de  la  vie  de  famille. 
Je  m'approchai  alors  des  tentes  prèsdesquelles  ils  étaient  réu- 
nis, les  priai  d'accepter  mes  remercîments  de  leur  gracieuse 
hospitalité,  si  honorable  pour  le  caractère  du  berger  vlaque, 
leur  serrai  les  mains  avec  amitié ,  leur  fis  faire  une  large 
distribution  de  labac  et  de  papier  à  cigarettes,  et,  charmé 
de  ce  petit  épisode  de  ma  journée,  je  me  remis  en 


THE8SALIE.  341 

route  vers  Palœo-Vracha ,  où  j'arrivai  vers  trois  heures  de 
l'après-midi. 

Le  lieu  me  plut ,  et  je  résolus  de  m'y  arrêter  jusqu'au 
lendeoiaiu  matin.  J'avais  été  tenté  par  l'ombre  d'un  vaste 
platane,  admirablement  planté  près  de  l'églisedu  village,  et 
je  mis  pied  à  terre  pour  me  reposer  sous  son  abri  et  y  passer 
la  nuit.  Mais  l'aspect  et  la  situation  d'une  cabane  voisine  lui 
assurèrent  bientôt  la  préférence;  et,  moitié  du  gré  du  pro- 
priétaire, moitiéde  force,  j'y  établis  mes  pénates,  ou,  comme 
on  dit  ici,  mon  konaki  (logement  militaire).  Elle  est  bâtie  au 
milieu  d'un  jardin  le  long  duquel  coule,  à  quelques  pas  au- 
dessus  de  la  maison ,  un  petit  ruisseau  retenu  par  des  bords 
élevés  de  gazon  qui  le  renferment  comme  un  canal.  Au- 
dessus  de  son  cours  tranquille,  des  arbres  fruitiers  de  toutes 
sortes  versent  leur  ombre  épaisse  sur  ses  rives  ;  et  ce  verger 
s'étend  sur  tout  le  terrain  qui  sépare  le  ruisseau  de  la  mai- 
son. De  l'autre  côté  la  maison  s'appuie  sur  un  ravin  pro- 
fond dans  lequel  coule  un  torrent ,  et  Tétroit  sentier  qui 
borde  le  ravin  va  se  perdre  au  milieu  de  prairies  en  pente 
couvertes  de  moutons ,  de  chèvres  et  de  toutes  sortes  de 
bestiaux.  Au  delà  la  vue  s'étend  sur  un  vaste  horizon  ter- 
miné par  de  belles  montagnes  boisées  et  par  quelques  pics 
neigeux.  Je  fis  placer  une  petite  table  appuyée  sur  les 
deux  rives  élevées  du  ruisseau  et  me  mis  à  lire,  à  rédiger  mes 
notes  et  à  rêver  à  mes  amis  sous  l'inspiration  de  ce  délicieux 
paysage. 

Il  avait  fait  une  très-grande  chaleur  dans  la  journée,  et 
en  examinant  l'horizon  j'aperçus  les  signes  précurseurs 
d'un  orage.  Bientôt  le  tonnerre  se  fit  entendre  de  la  ma- 
nière la  plus  harmonieuse ,  répété  par  tous  les  échos  des 
montagnes  ;  puis  de  larges  gouttes  de  pluie  tombèrent  par 
intervalle.  Je  me  vis  forcé  de  quitter  mon  petit  établisse- 
ment le  long  du  ruisseau.  Devant  la  maison ,  sur  le  bord 
du  ravin ,  à  la  lisière  des  prairies ,  était  une  sorte  de  petit 
parc  ombragé  d'un  grand  arbre  et  entouré  d'un  treillage 
de  claies  à  l'abri  duquel  les  troupeaux  venaient  se  réfu- 

29. 


349  GRÈCE    CONTINENTALE   ET   HOREE. 

gier  pendant  la  nuit  Je  le  fis  nettoyer  fort  proprement ,  et 
j*en  fis  enlever  la  porte.  Le  grand  arbre  qui  l'ombrageait 
me  servit  de  point  d*appui  pour  disposer  partout,  au-des- 
sus de  ma  lête,  des  claies  qui  venaient  s'appuyer  sur  de 
longues  perches  plantées  le  long  de  la  clôture,  et  que  je 
fis  recouvrir  d*une  épaisse  couche  de  feuillage  comme  d'un 
toit.  A  l'intérieur  je  fis  étendre  des  tapis.  Un  bât  de  mulet, 
recouvert  de  mon  manteau,  me  servit  de  sofa  ;  de  forts- ra- 
meaux  plantés  en  terre  soutinrent  une  claie  plus  petite 
qui  me  servit  de  table.  En  peu  d'instaqts ,  mon  installation 
fort  commode  fut  terminée.  Les  arbres  étaient  touffus  dans 
le  voisinage ,  et  mes  gendiirmes  étaient  habiles  h  faire  tom- 
ber les  branches  et  à  écarrir  les  épieuK  avec  leur  courte 
épée.  Je  pus  donc  reprendre  presque  sans  intervalle  iuce 
rêveries  et  ma  lecture  au  bruit  d'une  bonne  chaude  pluie 
qui  reverdissait  les  champs.  L'orage  dura  peu ,  et  le  ciel 
reprit  sa  sérénité. 

Pendant  ce  temps  mes  pallicares  préparaient  le  repas  du 
soir.  Le  berger  du  haiDeau  voisin  m'avait  vendu  d'eicel-' 
lents  agneaux  :  le  feu  s'alluma  en  plein  air.  Pendant  que 
les  uns  égorgeaient  les  agneaux  ,  les  lavaient  dans  le  tor- 
rent, et  les  préparaient  en  artistes  habiles,  d'autres  taîK 
laient  les  broches  et  se  disposaient  à  les  garnir.  Une  heure 
après,  deux  excellents  agneaux  étaient  rôtis  et  servis.  Je  ne 
fus  privé  ni  du  luxe  d'un  fort  bon  café  fort  chaud,  ni  d'une 
parfaite  boisson  au  citron  contre  Thuinidité  du  soir,  qi  de  la 
longue  pipe  qui  fait  passer  les  heures.  Assis  jusqu'à  dix 
heures  du  soir  à  quelque  distance  d'un  pittoresque  brasier 
pétillant ,  et  entouré  d'hommes  aux  divers  costumes ,  res- 
pirant comme  moi  avec  délices  la  fraîcheur  du  soir,  les 
heures  s'écoulaient  rêveuses  et  rapides. 

Pour  la  nuit  mon  établissement  ne  fut  ni  moins  facile  ni 
moins  délicieux.  J'avais  rendu  aux  moutons,  qui  rentraient 
de  toutes  parts  au  bercail,  la  propriété  de  leur  parcde  claies 
et  je  m'étais  établi  sous  un  grand  arbre,  fumant,  assis  sur 
une  couche  épaisso  de  ftuillagc.  Mes  gendarmes  etstratiotes 


TBB80AUE.  343 

doublèrent  cette  couche  pour  la  liait ,  et  étendirent  par* 
dessus  bon  nombre  d*épais  cabans  et  de  talaganis  de  ma- 
nière à  me  représenter  ie  plus  moelleux  des  matelas. 
Mon  porte -manteau,  bien  enveloppé  d'une  talagani,  re- 
présentait le  coussin.  De  longs  pieux  plantés  aux  quatre 
coins  soutenaient  une  claie  de  laquelle  pendait  à  demi" 
hauteur  mou  large  manteau  et  mon  roackintosb,  en  forme 
de  demi-rideau,  pour  détruire  le  mauvais  effet  de  la  ro- 
sée de  la  nuit ,  tandis  qu^un  large  feu,  bien  entretenu  à 
quelque  dislance,  éloignait  de  moi  les  mousquites  et  autres 
animaux  malfaisants.  iVIon  établissement  eût  fait  envie  au 
plus  délicat  de  nos  épicuriens.  Aussi  en  profité--je  avec  dé* 
lices  et  y  passé*je  la  plus  douce  des  nuits. 

Dès  quatre  heures  du  matin  ,  pendant  qu'on  donnait  de 
Tor'geà  mes  chevaux,  je  contemplais  le  berger  qui,  comme  un 
autre  Folypbème,  faisait  sortir  une  à  une  ses  brebis  du  ber* 
cail ,  afin  de  traire  leur  lait,  et  je  croyais  relire  une  page 
de  l'Odyssée.  Peu  d'instants  après  j'étais  à  cheval.  Huit 
lieues  de  montagnes  boisées  séparent  Palœo-Vraca  de  Laspi  ; 
c'était  là  dans  d'autres  temps  le  repaire  d'affection  des 
klephtes ,  qui  de  loin  pouvaient,  sans  être  vus,  sui** 
vre  la  marche  et  le  nombre  des  voyageurs  et,  après 
une  attaque  fructueuse  ,  gagner  les  hautes  montagnes. 
L'année  précédente  encore  leur  audace  avait  été  telle , 
qu'ils  avaient,  dans  cette  même  forêt,  attaqué  une  caserne 
de  gendarmerie  qu'on  venait  d'y  établir,  l'avaient  incen?* 
diée ,  et  avaient  tué  les  dix  gendarmes  qui  la  défendaient 
vaillamment.  A  un  quart  de  lieue  de  là,  ils  avaient  aussi  brûlé 
un  village  entier.  Les  chasses  obstinées  faites  aux  klephtes 
ont  réussi  à  les  faire  disparaître  pfesque  tous,  même  dans 
ces  parages  ;  ils  ne  s'y  montrent  plus  que  de  temps  à  autre 
et  par  surprise.  Mon  escorte  me  prémunissait  contre  le 
danger  d'être  enlevé  ainsi ,  et  d'être  mis  par  eux  à  rançon 
comme  au  temps  du  moyen  âge.  Ils  savent  bien  que,  bon 
gré,  mal  gré,  les  ministres  étrangers  payeraient  pour  leurs 
compatriotes  dont  la  vio serait  en  suspens.  Us  en  ont  agi  ainsi 


344  GRECB   GONTIIIENTALE   ET  MORES. 

pour  un  officier  de. mérite  de  notre  état-major,  M.  Petiet, 
surpris  dans  une  des  gorges  du  Pentélique,  et  il  ne  leur 
aurait  pas  été  désagréable  sans  doute  d'essayer  s'ils  ne 
pourraient  pas  obtenir  quelque  légère  rançon  pour  moi. 
Ces  huit  lieues  de  bois  offrent  les  sites  les  plus  magnifi- 
ques; souvent  de  vastes  pièces  de  terre  recouvertes  d'une 
herbe  épaisse  sont  semées  comme  des  prairies  au  milieu 
d'une  lisière  de  grands  arbres  ;  tantôt  on  descend  dans  une 
vallée  calme  et  bien  arrosée  par  des  eaux  tranquilles;  puis 
on  monte  le  long  d'un  torrent  par  une  rive  escarpée,  au- 
dessus  d'un  plateau  qui  domine  au  loin.  Tous  ces  bois  et 
toutes  ces  prairies  sont  d'excellentes  terres  qui  payeraient 
largement  les  travaux  du  cultivateur ,  mais  les  habitants  y 
manquent  partout  ;  et,  comme  ce  sont  des  terres  du  do- 
maine national  |et  non  des  propriétés  privées ,  personne  ne 
songe  à  y  défricher  et  à  y  bâtir,  et  jusqu'ici  le  gouvernement 
n'a  rien  fait  pour  y  attirer  de  nouveaux  habitants.  Partout 
où  mon  œil  pouvait  s'étendre  je  n'apercevais  pas  trace  du 
séjour  de  l'homme ,  pas  un  hameau ,  pas  la  fumée  d'une 
seule  cabane.  De  temps  à  autre  seulement  j'entrevoyais  dans 
les  bois  quelques  vides  occasionnés  par  les  incendies  des 
klephtes.  Malgré  l'épaisseur  de  l'ombrage  de  ces  grands  ar- 
bres ,  la  chaleur  était  extrême.  Je  m'arrêtai  pour  donner 
aux  chevaux  un  repos  de  deux  heures,  et  les  laisser  paître 
librement  dans  un  grand  pré  bien  vert ,  arrosé  par  les  eaux 
d'une  claire  fontaine  :  ils  sont  habitués  à  passer  les  nuits  à 
l'air  et  à  n'avoir  parfois  d'autre  nourriture  que  l'herbe  qu'ils 
rencontrent.  Je  m'assis  sous  un  grand  arbre  auprès  de  la 
fontaine,  sur  un  beau  gazon,  et  nous  fhnes  une  fort  agréa- 
ble collation  d'agneau  froid,  d'œufs  durs  et  d'oignons  crus 
arrosés  d'un  vin  raisiné  un  peu  chaud  mais  tempéré  par  Teau 
fraîche  de  la  fontaine.  Non  loin  de  nous .  sous  les  arbres 
de  la  route ,  étaient  placés  d'autres  voyagf'urs  qui  arri- 
vaient de  Laspi  avec  leurs  mules  chaînées  de  marchan- 
dises qu'ils  allaient  vendre  dans  les  villages  plus  éloignés. 
Notre  campement  était  fort  voisin  de  la  caserne  ruinée 


CARPBNIftI.  345 

qui  avait  été  attaquée  et  prise  par  les  klephtes  en  1839. 
Dès  que  la  chaleur  fut  un  peu  amortie ,  nous  nous  re- 
mîmes en  route.  A  quelques  pas  plus  loin  que  notre  lieu 
de  halte ,  j'aperçus  quelques  arbres  fruitiers  en  fleurs.  Les 
pommiers  entre  autres  étaient  couverts  de  belles  et  larges 
fleurs,  aussi  bien  que  s'ils  eussent  été  soignés  par  un  pro- 
priétaire attentif;  mais  il  n'y  a  plus  ici  de  propriétaires  : 
tous  ont  pris  la  fuite  ou  péri  dans  l'incendie  de  leur 
village,  dont  les  ruines  gisent  dispersées  au  milieu  de 
ces  champs  autrefois  défrichés  et  de  ces  vergers  abon- 
dants encore  sans  qu'il  se  présente  personne  pour  en  re- 
cueillir les  fruits. 

Nous  arrivâmes  enfin  à  l'extrémité  de  cette  longue  et 
belle  solitude  de  forêts ,  auprès  d'une  caserne  destinée  à 
protéger  la  route,  et  nous  vîmes  de  l'autre  côté  du  ravin,  à 
mi-côte,  apparaître  le  village  de  Laspi ,  que  nous  laissâmes 
à  notre  gauche.  L'aspect  du  pays  avait  bien  changé  :  au 
lieu  de  ces  vallées  et  de  ces  montagnes  si  verdoyantes ,  du 
milieu  desquelles  surgissaient  d'intervalle  à  autre  les  neiges 
du  Kravari  et  celles  de  Velouchi  ;  au  lieu  de  ces  ravins  où 
se  précipitaient  les  torrents ,  je  ne  rencontrai  plus  pendant 
les  trois  heures  qui  me  séparaient  de  Carpenisi  qu'un  ter- 
rain brun  et  jaspeux.  On  est  au  pied  même  du  mont 
Velouchi,  qui  semble  un  mont  de  jaspe  à  la  tête  de. neige. 
Il  n'y  a  aucune  beauté ,  aucune  variété  dans  cette  route, 
et  Carpenisi  ne  s'aperçoit  qu'au  moment  où  on  tourne  la 
montagne  pour  entrer  dans  la  ville. 

Carpenisi ,  chef>lieu  de  la  province  d'Eurytanie ,  est  un 
bourg  ruiné  ,  bâti  sur  les  rives  d'un  torrent  qui  est  déjà  à 
sec  dès  les  premiers  jours  do  mai.  C'était ,  dit-on ,  il  y  a 
une  vingtaine  d'années ,  une  ville  assez  riche  ;  mais ,  pen- 
dant la  dernière  guerre,  les  Turcs  et  les  Grecs  l'ont  succes- 
sivement prise  les  uns  sur  les  autres,  et  elle  a  été  dans  ces  di- 
verses reprises  incendiée  et  pillée.  Toutes  les  grandes  mai- 
sons un  peu  considérables  ont  donc  disparu,  car  ces  maisons 
n'étaient  pas  de  pierre.  Les  Turcs  les  plus  riches  bâtissaient 


346  GRECE   C0NTI1IE1IT4LB  £T  MOREE. 

de  misérables  constroctione  de  bois  et  de  pisé ,  et  croyaient, 
en  les  blanchissant  bien  en  dehors  et  en  coufrant  an  de- 
dans les  murs  de  quelques  arabesques  à  couleurs  tran- 
chées, avoir  un  palais.  Il  reste  à  peine  trace  aujourd'hui 
de  ces  maisons  turques.  Je  trouvai  le  gouverneur  de  l'Eu* 
rytanié  logé  dans  une  vérilable  cabane  de  paysan,  avec  un 
abominable  escalier  qui  mériterait  mieux  le  nom  d'échelle, 
et  avec  des  chambres  où  les  parquets,  les  plafonds,  les 
portes  et  les  fenêtres  ont  Tair  de  vouloir  faire  un  éclatant 
divorce.  J'eus  beaucoup  de  peine  à  rencontrer  dans  la  vîHe 
une  maison ,  ou  plutôt  une  chambre  composant  la  maison 
entière,  sans  autre  clôture  de  fenêtres  qu'un  volet  à  plan- 
ches mal  jointes,  et  sans  meubles ,  pour  m'y  étendre  sur 
mon  manteau  jusqu'au  lendemain  matin.  Ce  qu'il  y  a  de 
plus  pénible  pour  le  voyageur  en  Grèce,  c'est  d'avoir  à  pren* 
dre  un  gîte  dans  une  ville.  À  la  campagne  on  se  campe  sous  nn 
arbre ,  près  d'une  fontaine ,  on  s'abrite  d'un  rocher  contre 
le  vent,  et  on  dort  solitaire  et  paisible  sous  ce  ciel  pur.  Si 
le  temps  est  mauvais  on  entre  dans  une  calyvia  de  paysan, 
qui  s'empresse ,  lui  et  sa  famille  ,  de  vous  rendre  tous  les 
devoirs  de  rhospitalité  ;  et  cette  hospitalité,  que  vous  pou- 
vez reconnaître  le  lendemain  par  quelque  légère  rémuné- 
tion,  n'a  rien  de  gênant  pour  vous.  Mais,  dans  une  ville, 
vous  ne  pouvez  vous  arrêter  en  plein  air  sans  être  assailli 
d'une  multitude  de  curieux  bien  intentionnés;  et,  quoique 
dans  l'été  la  plupart  des  Grecs  pauvres  dorment  sur*^  un 
tapis  dans  la  rue  pour  être  plus  au  frais ,  vous  ne  pouvez , 
entouré  de  vos  malles  de  voyage,  imiter  leur  exemple,  et  il 
vous  faut  chercher  l'abri  d'une  maison.  Vous  pouvez  là 
sans  doute  compter  sur  la  plus  cordiale  hospitalité  ;  mais 
on  sent  que  l'on  gêné  les  gens  de  la  maison  s'ils  sont  ri- 
ches, et  on  est  souvent  gêné,  s'ils  sont  pauvres,  par  la  néces- 
sité de  ne  pas  repousser  leurs  politesses  :  bien  que  ces  polites- 
ses ne  leur  doivent  pas  être  matériellement  onéreuses,  mais 
plutôt  profitables  ;  car  il  y  a  dans  les  Grecs  les  plus  pau- 
vres un  sentiment  de  fierté  et  d'égalité  qui  les  rendrait  fort 


EURYTANIE.  347 

sensibles  à  la  moindre  marque,  non  pas  sealement  d'impo- 
litesse, mais  de  négligence. 

Je  fis  on? rir  Tunique  volet  de  ma  fenêtre,  et  me  trou- 
vai en  présence  d*une  très  belle  vue  de  montagnes  ver<> 
doyantes  qui  s'appuyaient  sur  d'autres  monts  aux  sommets 
neigeux.  J'envoyai  par  toute  la  ville  mes  gendarmes  etk 
quête  d'une  cbaise  et  d'une  table  quelconques,  qu'ils  furent 
assez  adroits  pour  obtenir.  Quant  au  lit ,  il  ne  pouvait 
en  être  question  ;  je  doute  que  le  gouverneur  lui-même 
soit  pourvu  de  l'opulence  d'un  matelas.  Charmé  de  la  dé- 
cou? erte  de  ma  taUe  de  sapin^  je  la  fis  approcher  de  la  fe- 
nêtre et  passai  le  reste  de  cette  belle  soirée  à  lire  et  à  mé- 
diter en  face  de  celte  scène  de  montagnes  qui  me  rappe- 
lait un  peu  la  délicieuse  situation  de  la  maison  du  célèbre 
Tschokke  à  Arau  en  Suisse;  car  l'air  y  était  aussi  assez 
vif  et  très-frais. 

Au  lever  du  soleil  j'étais  .à  cheval  arec  ma  nouvelle  re- 
crue de  gendarmes,  car  ceux  de  la  veille  restaient  à  la  ca-^ 
serne  de  Carpenisi  et  ils  étaient  remplacés  par  de  nouveaux. 
Dès  les  premiers  pas  je  fus  témoin  d'une  reconnaissance 
entre  mon  pallicare  Costa  et  un  des  soldats  de  mon  es- 
corte ;  je  m'enquis  du  gendarme  et  il  m'apprit ,  comme 
la  chose  la  plus  simple  du  monde ,  que  Costa  et  lui  se  con- 
naissaient de  loi^ue  date  pour  avoir  été  klephtes  ensem^ 
ble  et  avoir  fait  partie  de  la  bande  du  fameux  Calamata,  sta- 
tionnée kmg- temps  dans  le  Greveno  ou  OËta  et  dans  les  mon- 
tagnes que  j'allais  parcourir.  Je  fus  charmé  d'avoir  un  guide 
aussi  bien  informé  et  me  mis  en  marche  vers  Poursos. 

De  Carpenisi  à  Mikro-Khorio  la  route  suit  pendant  deux 
heures  les  rives  de  l'une  des  branches  diverses  de  l'Aspro- 
Potamos ,  l'Achéloûs,  dont  la  branche  principale  sort  des 
monts  d'Âgrapha  et  de  la  chaîne  du  Pinde;  c'est  encore 
un  ruisseau  paisible  qui  coule  entre  des  rives  fleuries.  De 
toutes  parts  surgissent  pour  le  grossir  de  nombreux  petits 
cours  d'eau  que  l'on  franchit  sur  les  ponts  les  plus  pitto- 
resques :  tantôt  c'est  un  vienx  saule  dont  le  tronc  creusé 


348  GRÊGB   CONTINENTALS   ET   HOREE. 

par  le  temps  sert  d*appui  à  des  plaoches  qui  vont  atteiodre 
l'autre  rive  avec  une  pente  rapide  ;  tantôt  quelques  arbres 
noueux  jetés  \  travers  des  ruisseaux  offrent  au  pied  un 
appui  un  peu  incertain ,  et  à  la  main  le  secours  de  leurs 
rameaux  verdoyants  encore  au  milieu  des  eaux.  On  passe 
constamment  à  travers  des  baies  formées  de  roses  odo- 
rantes blancbeset  roses,  delilas,  de  chèvrefeuilles,  de 
coings  et  de  pommiers  en  fleurs,  car  les  terres  sont  presque 
toutes  cultivées. 

Mikro-Kborio  ou  le  Petit- Village  est  situé  à  trois  lieues 
de  Carpenisi,  sur  le  flanc  d*une  montagne,  et  tout  en  face  de 
Megalo-Khorio  ou  le  Grand- Village,  qui  est  bâti  de  Tautre 
côté  du  ravin.  Le  dimarque  me  fit  à  l'instant  préparer  un 
logement  fort  propre,  afin  d'y  prendre  quelques  instants  de 
repos;  car  de  là  au  monastère  de  Poursos  que  j'allais  visi- 
ter il  n'y  a  plus  ni  villages  ni  maisons. 

A  peine  a-t-on  quitté  IVlikro-Khorio  que  commence  une 
véritable  scène  alpine.  La  petite  rivière  est  devenue  tor- 
rent, la  plaine  s'abaisse  en  ravins;  aux  champs  en  culture 
succèdent  des  rochers ,  et  devant  vous  s'ouvre  une  des- 
cente rapide  qui  aboutit  à  une  montagne  plus  rocailleuse 
encore  :  vestibule  approprié  à  la  grande  chaîne  de  monta- 
gnes qui  vont  se  succéder  pendant  tout  le  reste  de  la 
route.  On  laisse  l'Aspro-Potamos  devenu  fougueux  et 
bruyant  pour  passer  dans  l'étroit  bassin  d'un  torrent  plus 
fongueux  et  plus  bruyant  encore.  Il  serait  de  toute  impos- 
sibilité de  le  traverser  de  ce  côté  sans  le  secours  d'un 
pont  :  aussi ,  depuis  les  temps  les  plus  anciens,  a-t-on  jeté 
deux  ponts  de  pierre  sur  ce  torrent  ;  mais  leur  courbure 
les  rend  aussi  pénibles  à  monter  que  périlleux  à  descendre. 
L'arche  de  l'un  et  les  deux  arches  de  l'autre  sont  des  demi- 
cercles  surhaussés  qui  s'élèvent  sans  qu'on  ait  pris  soin  d'en 
adoucir  la  pente  ni  de  combler  l'intervalle  entre  les  deux 
convexités;  ni  même  d'y  fabriquer  des  degrés  pour  en  facili- 
ter l'ascension  ou  la  descente,  comme  cela  se  pratique  à  Ve« 
nise.  Ajoutez  à  cela  qu'ils  sont  fort  étroits  et  ne  portent 


EURYTANie.  349 

pas  de  parapets.  Les  chevaux  des  Grecs  sont  habitués  à  tout 
cela  et  ne  se  font  pas  prier  pour  passer.  Un  peu  plus  loin 
dans  la  même  montagne,  on  a  imaginé  un  moyen  de 
transport  tout  particulier  :  une  ouverture  naturelle,  à  une 
certaine  hauteur  d'une  roche  surbaissée,  sert  de  passage  r 
pour  y  arriver  on  se  sert  d'une  corde  attachée  solidement 
par  de  hardis  chasseurs  à  une  courbure  supérieure  du  ro- 
cher ;  le  voyageur  saisit  cette  corde;  on  la  balance  jusqu'à 
ce  qu'il  ait  saisi  le  bon  point,  comme  le  fait  un  saumon  qui 
remonte  une  cascade,  et  quand  il  arrive  juste  dans  Touver- 
ture  du  trou  il  laisse  la  corde  à  d'autres  et  continue  pai- 
siblement sa  route.  Voilà  tout  ce  qu'ont  pu  imaginer  de 
mieux  les  anciens  ingénieurs  d'Ëurytanie.  11  y  a  là  à  tra- 
vers les  torrents  9  au-dessous  des  précipices,  au  milieu  des 
rochers  dentelés  ou  fenduâ  en  longues  lames,  une  série  d'é- 
motions suffisantes  pour  occuper  long-temps  l'ami  le  plus 
chaud  des  sites  pittoresques.  Les  neiges  du  Cbelidonia  bril- 
lent au  soleil  dans  le  lointain. 

Le  zèle  religieux  seul  pouvait  dans  des  temps  de  désor- 
dre ouvrir  une  voie  à  travers  ces  montagnes.  Dans  les 
temps  antiques,  la  route  pour  pénétrer  de  la  Dolopie 
dans  l'Ëtolie  et  l'Âcarnanie  passait  sur  l'autre  revers  du 
mont  Arakynthe.  C'est  aujourd'hui  à  travers  ses  flancs  les 
plus  escarpés ,  à  travers  sa  gorge  la  plus  profonde  et  la 
plus  difficile  qu'on  s'est  ouvert  une  nouvelle  route  pour 
aller  de  Garpenisi  par  Yrachori,  l'ancien  Agrinium,  jus- 
qu'à Missolonghi.  Du  côté  de  Garpenisi  elle  a  été  percée 
de  la  manière  la  plus  laborieuse  aQn  d'amener  les  pèlerins 
à  la  Panagia  (Madone)  de  Poursos,  le  plus  célèbre  des  icont 
de  la  Madone  qui  existe  de  ce  côté  de  la  Grèce.  Si  l'on  en 
croit  les  traditions  du  pays  recueillies  par  le  moine  Ger- 
manos,  voici  comment  cet  icon  de  la  Panagia  a  été  transporté 
de  Pruse  en  fiithynie  au  lieu  qu'elle  occupe  aujourd'hui  et 
qui  a  pris  de  là  le  nom  de  Poursos  ou  Prousos  ou  Pyrsos.  J 'ex- 
trais ces  renseignements  d'un  livre  publié  par  le  couvent 
même.  Les  habitants  du  pays  n'ont  pas  manqué  de  me  cer- 

30 


350  ORÈCE   CONTINENTALE   ET    MORÉE. 

tifier  presque  toutes  ces  traditions  par  leur  témoigoage»  ce 
qui  n'a  pu  décider  toutefois  quelques-uns  des  moines  les  plus 
éclairés  de  ce  couvent  à  leur  donner  une  foi  entière. 

A    Touest  de  Delonchi  on  Veloucfai,   l'ancien  Tym- 
phrestos,   aussi  bien  que  vers  le  midi,  s'élè?eat    des 
montagnes  moins  hantes  que  le  Yelonchi ,  mais  fort  «mm»* 
sidérables  aussi,  telles  que  le  Kailidrome  ou  Oxia,  le  Che- 
lidon,  le  Malaos  on  Aninos,  TArakiolbe  ou  Kallikion,  etc. , 
entre  lesquelles  les  chemins  sont  presque  impraticables. 
L'Acbéloàs  a  sa  source  au  miliea  de  ces  gorges,  et  c'est  aa 
sein  de  ces  mêmes  montagnes ,  dans  la  partie  la  plus  pro- 
fonde et  la  plus  Impénétrable,  que  se  trou? e  le  ironastère 
de  Poursos ,  célèbre  par  son  église  bâtie  non  dans  le  roc , 
mais  autour  du  roc,  par  son  icon  de  la  Vierge  et  anssi  par 
une  partie  des  reliques  de  saint  Clément,  évéqued'Aa- 
cyre  ,  et  par  quelques  fragments  du  bois  de  la  vraie  croix, 
li'icon  de  la  Vierge  est ,  dit-on ,  une  des  images  que  pei- 
gnit l'apôtre  et  évangcliste  saint  Luc.  «Lors  même,   dit 
Pauteur  de  la  chronique  imprimée  par  le  couvent ,  qu'elle 
ne  serait  pas  nne  des  trois  que  saint  Luc  présenta  à  k 
Vierge  avant  son  assomption ,  elle  peut  fort  bien  être  une 
4e  celles  que  ce  saint  peignit  après  l'assomption.  On  sait , 
ajonte4-il ,  que  pendant  la  vie  terrestre  de  la  Vierge  saint 
Luc  ne  fit  que  trois  portraits  d'elle ,  portraits  qu'il  lui  fit 
voir  tous  et  pour  lesquels  il  obtint  son  suffrage ,  tandis  que 
les  autres  portraits  ne  furent  peints  par  lui  que  plus  tard 
et  d'après  le  désir  qui  lui  fut  manifesté  par  la  Vierge  d'à- 
Toir  plusieurs  copies  des  premiers.  »  Voici,  du  reste,  com- 
ment cette  image  a  été  transportée  à  Poursos. 

Au  temps  où  régnait  Théophile  l'iconomaque  et  l'Ico- 
noclaste (de  829  à  842),  un  décret  impérial  enjoignit, 
sous  les  peines  les  plus  graves  aux  contrevenants  et  sous  la 
promesse  de  fortes  récompenses  aux  obéissants ,  de  brûler 
tontes  les  images.  L'icon  fait  par  saint  Luc  se  trouvait  en 
ce  moment  daus  la  grande  église  de  la  célèbre  ville  de 
Frnse  en  Bithynie*  Aussitôt  que  le  décret  fuft  publié ,  un 


P0I}R«08.  351 

jeune  ieonolâtre  d'une  famille  archoatale  de  la  cour  impé- 
riale 6*empara  de  Fimagc  et  se  sauva  avec  elle  dans  la  pro-* 
vÎDce  d'Hellade ,  qui  était  encore  pure  de  cette  hérésie,  et 
où  il  pensait  pouvoir  rester  tranquille  au  milieu  des  monta- 
gnes. Arrivé  avec  son  image  à  Callipolis ,  il  la  perdit  sans 
qu'il  pât  savoir  comment  elle  lui  avait  été  ravie.  Ne  vou- 
lant plus  cependant  retourner  ni  dans  son  pays,  où  on  brû- 
lait les  saintes  images ,  ni  dans  le  lieu  où  il  avait  perdu  son 
îcon  ,  il  alla  s'établir  en  Thessalie  à  Néopatras ,  où  il  bâtit 
Doe  église  dédiée  à  sainte  Sopfaie.  Le  lieu  où  est  mainte- 
nant le  monastère  de  Poursos  était  alors  le  lieu  le  plus  im* 
pénétrable  et  n'avait  pas  même  de  nom  qui  fît  connaître  son 
existence  ,  attendu  que,  par  la  difficulté  des  lieux ,  il  n'y 
avait  aucun  sentier  qui  pût  y  conduire.  La  route  pour  aller 
de  la  province  d'Hellade  dans  celle  d'Etolie  passait  alors 
par  le  village  de  Saint-Demetrius ,  aujourd'hui  Castania 
et  derrière  le  mont  Arakinthe  ou  Katlikion  ;  mais  il  n'y 
avait  même  là  aucun  village ,  et  il  n'y  existait  que  quel- 
ques cabanes  de  berçers  à  l'est  et  quelques  autres  cabanes 
non  moins  misérables  à  l'ouest  sous  le  nom  de  Platania  et 
sous  celui  de  Patricada.  Il  n'était  pas  possible ,  en  effet , 
dV  établir  un  village ,  et  non-seulement  les  hommes  mais 
les  animaux  eux-mêmes  avaient  peine  à  y  subsister.  Si  quel- 
ques pauvres  gens  s'y  étaient  réfugiés  c'était  pour  s'y  ca- 
cher plus  sûrement  au  milieu  des  montagnes ,  et  pour  y 
fuir  les  empereurs  ou  les  hérésies.  L'enfant  d'un  des  pas- 
teurs de  ces  lieux  sauvages,  qui  gardait  là  les  chèvres  de 
son  père,  était  pendant  une  nuit  couché  en  face  de  l'en- 
droit où  est  maintenant  situé  le  cimetière  du  couvent ,  et 
dormait  paisiblement.  Pendant  son  sommeil,  il  crut  en- 
tendre sortir  d'une  caverne ,  à  laquelle  ne  conduisait  au« 
cun  sentier ,  des  voix  douces  et  mélodieuses.  La  crainte  le 
réveilla ,  et,  au  lieu  môme  d'où  les  voix  lui  avaient  semblé 
sortir ,  il  aperçut  une  colonne  de  feu  qui  de  la  grotte  s'é- 
levait jusqu'au  ciel.  Il  pensa  d'abord  que  c'était  l'iris  ou 
arc-en-ciel  ;  mais,  comme  il  n'y  avait  pas  eu  de  pluie,  et 


352  GEECB  CONTIHUTTALC  ET  MOIEI. 

que  fe  Mieil  d'aiUeors  n'a?ait  pas  encore  para ,  il  comprit 
bien  qn*il  devail  y  avoir  13i  quelque  chose  d'extraordi- 
naire. Il  coorat  donc  tout  tremblant  à'son  père  et  lui  ra- 
conta ce  qu'il  avait  vu.  Le  père  crut  que  son  fils  lui  disait 
un  mensonge  ;  mais , .  sur  les  assurances  répétées  de  Ten- 
bnt ,  il  prit  le  parti  de  l'accompagner  la  nuit  suivante.  Là 
il  vit  tout  ce  que  son  fils  avait  vu  avant  lui  II  entendit  les 
voix  et  aperçut  la  colonne  de  feu.  A  son  tour  il  alla  ra- 
conter cette  merveille  aux  bergers  ses  amis  et  les  amena  aa 
même  lieu,  où  ils  entendirent  aussi  les  voix  et  virent  la  co- 
lonne de  feu.  Impatients  de  découvrir  la  cause  de  ce  phéno^ 
mène,  ils  parvinrent  enfin,  à  travers  mille  périls,  jusqu'à  l'en- 
trée de  la  grotte  et  y  pénétrèrent.  Au  fond  de  la  caverne 
était  l'icon  tout  étincelant  de  lumière.  Afin  de  rendre  pra- 
ticable un  lieu  clos  auparavant  à  tous  et  venir  y  faire  leurs 
offrandes ,  tous  se  mirent  à  l'œuvre  et  parvinrent  à  tracer 
un  sentier.  De  ce  feu  (irl^p)  que  lançait  l'icon  vient, 
dit-on ,  le  nom  de  Ilupiïoç  donné  à  l'abbaye.  Le  nom  de 
Ilfouoroç,  qu'elle  porte  aussi,  lui  vieqt  de  la  ville  de  Prose 
en  Bithynie  ,  d'où  fut  apportée  Fimage. 

Le  bruit  de  ce  miracle  se  répandit  bientôt  dans  les  envi- 
rons et  parvint  aux  oreilles  du  fils  de  rarchonte ,  qui  s'était 
fixé  à  Néopatras  après  la  perte  de  son  icon.  Sans  attendre 
un  instant ,  il  part  avec  ses  gens  pour  se  rendre  au  lieu 
indiqué.  Après  deux  longues  journées  de  voyage ,  il  ar- 
rive ,  voit  l'Image ,  la  reconnaît ,  se  prosterne  pour  l'ado- 
rer ;  puis ,  après  avoir  expliqué  aux  bergers  comment  Ticoa 
lui  appartenait  et  les  avoir  bien  récompensés  de  leur  décoa- 
verte,  il  s'empare  de  son  trésor  et  reprend  sa  roule  vers  Néo- 
patras. «  Arrivé  à  l'endroit  du  chemin  où  est  maintenant , 
dit  la  chronique,  une  petite  église  de  la  Vierge,  église  qui 
n'existe  plus  aujourd'hui ,  mais  qui  était  placée  en  face  de 
la  partie  du  rocher  où  on  aperçoit  une  échancrure  (TpuiET)) 
par  où  l'icon  prit  son  vol  à  travers  le  rocher ,  il  se  seutit 
fatigué  et  s'arrêta  avec  tous  jses  gens  pour  prendre  un  peu 
de  repos.  Il  déposa  l'image  avec  respect  près  du  rocher. 


pounsos.  353 

et  s*assit  pour  dormir  quelque  peu.   Mais ,  à  son  réveil , 

quel  fut  sou  désespoir  en  ne  retrouvant  plus  son  image  à 

Tendroit  où  elle  avait  été  déposée!  Sa  première  pensée 

faC  que  les  bergers  avaient  pu  venir  la  lui  enlever.  Il  re^ 

tourna  donc  sur  ses  pas  pour  la  chercher  ;  mais,  arrivé  dans 

une  gorge  étroite,  il  entendit  une  voix  qui  lui  disait  : 

«  Jeune  homme ,  tranquillise-toi  sur  mon  compte.  Je  me 

trouve  beaucoup  mieux  dans  ces  ravins  déserts  où  je  reste 

en  paix  que  si  j'étais  au  milieu  des  querelles  politiques  et 

des  hérésies.  Si  ta  veux  rester  avec  moi,  viens  et  tu  me 

trouveras  et  cela  te  sera  bon.  »  Lui  seul  entendit  cette 

voix.  Il  rendit  la  liberté  à  ses  serviteurs,  n*en  conserva 

qu'un  seul ,  retourna  à  la  caverne  de  Pyrsos ,  y  retrouva 

rimage  et  se  fixa  dans  ce  lieu  avec  son  seul  serviteur 

nommé  Timothée.  Tous  deux  s'y  bâtirent  des  cellules,  et 

moururent  dans  ce  même  lieu  où  sont  encore  conservés 

leurs  tombeaux  placés  l'un  près  de  l'autre.  Un  monastère 

ne  tarda  pas  à  se  former  et  à  s'enricbir  par  la  piété  des 

fidèles  ;  et  telle  est  l'origine  du  monastère  de  Poursos. 

Après  avoir  raconté  l'origine  de  son  monastère,  lecbro- 
niquenr  ecclésiastique  rapporte  un  grand  nombre  de  mi«- 
racles  faits  par  l'icon  et  aussi  par  l'image  même  de  l'icon 
empreinte  sur  un  rocher  et  que  l'on  montre  encore  au- 
jourd'hui sous  le  nom  de  xuirM^iia  tyjç  ïl^o\j<jwni<Tcri^.  Une 
fois,  par  exemple,  par  la  négligence  de  celui  qui  allumait 
les  lampes,  le  feu  prit  au  couvent  sans  que  les  caloyers  en 
fassent  informés  à  temps.  Il  fut  absolument  impossible  de 
rien  sauver:  meubles,  bibliothèque,  archives,  tout  périt; 
mais  l'image  resta  intacte  au  milieu  d'un  cercle  de  feu. 
Une  autre  fois,  la  chute  d'un  rocher  énorme  menaçait  dV 
uéantir  et  la  grotte  et  l'église  ;  les  moines  se  mirent  en 
prières  :  et  le  rocher,  prenant  une  autre  direction,  tomba 
à  distance  et  vint  se  placer  comme  une  sentinelle  cl  argée 
de  la  garde  du  couvent.  Une  autre  fois,  une  femme  qui  te- 
nait son  enfant  fit  un  faux  pas  et  tomba  avec  Tenfant  du 
haut  d'un  de  ces  énormes  piécipiccs  qui  entourent  le  cou- 


o 


0. 


354  GRÈCE   CONTINIlfTALE   ET   MOREE. 

vont;  mais,  dans  sa  chute,  elle  avait  invoqué  la  Panagia 
de  Poursos,  et  on  la  retrouva  en  bas  da  précipice,  assise 
paisiblement  sur  une  pierre  et  berçant  son  enfant  sur  ses 
genoux.  Ces  miracles  paraissent  s*être  continués  presque 
jusqu^à  nos  jours;  car  ce  livre  raconte  qu*en  176Zi,  les 
moines  faisant  creuser  le  rocher  pour  avoir  une  citerne, 
un  enfant  indiqua  l'endroit  du  rocher  où  il  fallait  frapper, 
et  qu'il  en  jaillit  du  premier  choc  une  source  miraculeuse 
dent  l'eau  fort  abondante  arrose  maintenant  le  jardin  da 
couvent  et  fournit  une  boisson  excelleote. 

Un  des  gendarmes  de  mon  escorte  était  un  fervent 
croyant  à  la  Panagia  de  Poursos.  En  passant  devant  deux 
pies  de  rochers  dentelés,  du  milieu  desquels  semble  s'être 
séparé  un  immense  fragment ,  il  appela  mon  attention  sur 
ee  point,  a  C'est  par  là ,  me  dit->'il ,  que  la  Panagia  s'est 
frayé  une  route  pour  aller  à  Poursos  ,  et  c'est  elle  qui ,  en 
frôlant  le  rocher,  en  a  enlevé  cet  énorme  pan  :  aussi  l'ap^ 
peloos-nous  le  trou  par  excellence  (xpuTn^).  »  Â  quelques 
pas  de  là  il  s'arrêta  en  faisant  vingt  signes  de  croix  avec  vi«- 
vacité.  Nous  étions  au  pied  d'un  rocher  de  quelques  cen- 
taines de  pieds  d'élévation,  et  dont  la  muraille  droite  sens- 
blait  taillée  de  main  d'homme  et  polie  avec  soin.  Seulement, 
dans  un  endroit  placé  à  une  assez  grande  élévation ,  une 
partie  du  rocher  était  dépolie  et  n'offrait  qu'une  surface 
brute.  Devant  cette  muraille  de  rochers ,  mon  gendarme 
dévot  se  mit  en  prières.  Il  croyait  y  voir  l'empreinte  faite 
par  l'image  de  la  Panagia  au  moment  où  elle  quitta  le  jeune 
archonte  ^lour  retourner  à  Poursos ,  et  son  imagination 
était  tellement  excitée  qu'il  voyait  en  effet  le  Tuit£)fji.a  t^c 
npou9i(DTt9<7'y)«  et  nous  montrait  du  doigt  chacune  des  figu- 
res :  ici ,  la  Vierge  contemplant  son  fils  avec  amour  ;  là 
l'enfant  sur  les  genoux  de  sa  mère ,  et  tout  autour  de  lui 
les  anges  ailés  qui  lui  souriaient.  Comme  j'alléguais  la  fai- 
blesse de  ma  vue,  qui  ne  me  permettait  pas  de  voir  tout 
cela  distinctement  de  si  loin  ,  il  appela  eu  témoignage  les 
autres  gendarmes  et  les  agoïates.  Un  des  agoïates  fut  le 


seul  à  voiF  aussi  nettemoDt  que  le  pieux  gendarme  ;  mais 
tout  le  reste  demeura  dans  un  doute  respectueux. 

Deux  tours  placées  sur  les  erôtes  de  deux  rochers ,  en 

avant  et  en  arrière,  annoncent  la  retraite  où  se  cache  le 

monastère ,  car  des  deuxcôtés  il  est  protégé  contre  tout 

regard  par  les  flancs  de  ces  deux  rochers  qui  s'avancent 

comme  une  muraille  arrondie  tout  alentour  ;  et  le  che-^ 

min  passe  comme  il  peut  le  long  de  la  tour  et  bien  haut 

au-dessus  du  couvent,  que  Ton  n'aperçoit  qu*à  ses  pieds , 

sous  le  rocher,  au  moment  seulement  où  on  en  passe  le 

seuil.   Les  Turcs  n*ont  jamais  osé  s'aventurer  dans  ces 

gorges  étroites.  Les  moines  étaient  sur  leurs  gardes,  et 

quelques  hommes  peuvent ,  en  cet  endroit ,  résister  à  unQ 

armée.  L'établissement  d'un  monastère  dans  des  lieux  si 

impraticables  a  été  un  véritable  service  pour  tous  les  pays 

environnants ,  car  un  chemin  s'est  ouvert  par  là  de  Car^ 

penisi  à  Vrachori  ;  et  un  village  entouré  de  terres  fort  bien 

cultivées  est  venu  se  placer  au-dessus  du  couvent,  à  l'abri 

de  sa  protection.  C'est  un  lieu  très-piltoresque ,  qui  me 

rappela  un  peu  le  village  situé  au-dessus  du  beau  monastère 

de  la  Gava  près  de  Salerne  ;  mais  le  site  de  la  Gava  est  riant 

et  délicieux,  et  celui-ci  est  rude  et  sauvage. 

Je  fus  fort  bien  accueilli  dans  le  couvent.  Mes  gendarmes 
m'avaient  annoncé  comme  Français,  et  le  nom  seul  de 
Français  est  un  gage  de  bon  accueil  eu  Roumélie.  Au  lieu 
de  me  placer  dans  le  logement  des  étrangers ,  les  moines, 
pour  me  montrer  plus  d'affection ,  me  donnèrent ,  daus 
l'intérieur,  la  chambre  de  l'un  d'eux.  Elle  était  éclairée 
par  trois  fenêtres  qui  ouvraient  sur  une  fort  belle  vue  du 
ravin.  L'ameublement  en  était  simple ,  mais  propre  et  con- 
fortable ;  le  sofa  était  large  et  doux  et  le  lit  fort  bon.  Pour 
me  prouver  tout  leur  désir  de  bien  traiter  les  Français,  ils 
me  contèrent  que ,  quelques  semaines  auparavant ,  un  de 
mes  compatriotes  était  venu  les  voir  et  avait  pai»sé  plusieurs 
jours  avec  eux  ;  qu'ils  l'avaient  traité  de  leur  mieux  et  lui 
avaient  donné  de  leur  meilleur  vin ,  et  qu'il  l'avait  trouvé  si 


856         grègb  continbhtale  et  moree. 

bon,  ri  bon  qnll  en  était  devenu  d'une  gaieté  à  les  éton- 
ner. Je  m'enqnisda  nom  de  ce  mien  compatriote,  si  dis- 
posé à  faire  accueil  à  la  dive  bouteille.  Ce  nom  était  celui 
d'un  employé  bavarois  en  Grèce,  qui,  craignant  d*être  laissé 
dans  le  logement  extérieur  avec  son  nom  de  Bavarois, 
s'était  dit  Français  pour  gagner  le  cœur  des  moines.  Quand 
je  les  éclairai  sur  ce  point,  ils  me  manifestèrent  les  pins 
vifs  regrets  de  toutes  letirs  politesses.  «  Comment ,  s'é- 
criaient-ils,  il  était  Bavarois,  et  nous  lui  avons  donné  notre 
meilleure  chambre,  notre  meilleur  lit,  notre  meilleare 
chère,  notre  meilleur  vin,  notre  meilleur  accueil  !  El  tout 
cela  parce  qu'il  se  disait  Français I...  •  Le  naïf  regret  de 
mes  moines  prouve  jusqu'à  quel  point  l'antipathie  pour  les 
Bavarois  a  pénétré  toutes  les  classes  de  la  population  grec- 
que. Le  roi  seul  est  aimé,  parce  qu'on  le  regarde  comme 
devenu  tout  à  fait  national.  Mais  tous  les  efforts  faits  pour 
imposer  à  la  Grèce  une  régence  bavaroise,  une  armée  ba- 
varoise, des  employés  bavarois,  des  costumes  militaires, 
civils  et  judiciaires  bavarois,  tout  ce  qui  semblerait  transfor- 
mer la  Grèce  en  une  province  bavaroise ,  ont  excité  dans 
tous  les  cœurs  la  plus  vive  animosité  contre  les  Bavarois.  Le 
peuple  grec  est  un  peuple  vif,  intelligent,  jaloux,  national, 
quf  veut  être  gouverné  à  sa  manière  et  marcher,  s'arrêter 
ou  courir  à  son  allure  ;  et  le  roi  Othon  est  trop  attaché  an 
nouveau  pays  dont  l'avenir  a  été  remis  en  ses  mains ,  pour 
ne  pas  voir  quels  ménagements  il  doit  à  cette  honorable  sus- 
ceptibilité et  ne  pas  être  le  premier  à  sentir  tout  le  parti 
qu'on  peut  tirer  d'un  tel  caractère  national. 

Ma  première  enquête  dans  le  monastère  de  Poursos  fut 
une  enquête  respectueuse  pour  l'icon  de  la  Panagia.  La 
prétendue  peinture  de  saint  Luc  me  parut  être  un  fort 
médiocre  tableau  du  quatorzième  siècle  au  plus  tard,  et  le 
moine  qui  me  la  montrait  ne  me  sembla  nullement  con- 
vaincu de  sa  transmission  depuis  le  temps  de  saint  Luc. 
L'église ,  bâtie  dans  le  rocher  tel  qu'il  existait  et  sans  qu'il 
fût  taillé,  est  fort  pittoresque.  On  aperçoit  partout  à  l'inté- 


POURSOS.  357 

rieur  les  pointes  de  ce  rocher  toujours  parfaitement  à  sec. 
£o  montant  quelques  degrés  dans  Téglise  on  arrive  à  une 
autre  retraite  du  rocher  éclairée  par  le  haut  et  formant 
nue  grande  chambre.  C'est  là  qn*est  la  bibliothèque.  Un 
des  moines,  homme  de  beaucoup  d'esprit,  eut  la  complai- 
sance de  me  permettre  d'examiner  tout  avec  l'attention  la 
plus  minutieuse. 

I^a  bibliothèque  se  compose  de  deux  ou  trois  cents  ou- 
vrages imprimés  et  d'une  quarantaine  de  manuscrits.  C'é- 
tait pour  visiter  les  manuscrits  que  j'étais  venu  à  Poursos. 
On  m'avait  assuré  que  j'y  trouverais  beaucoup  de  docu- 
ments sur  le  moyen  âge,  et,  en  particulier,  sur  notre  éta- 
blissement féodal  en  Grèce.  Je  priai  donc  les  moines  de  me 
laisser  parcourir  un  à  un  tous  leurs  manuscrits,  même  les 
moins  importants  à  leurs  yeux ,  pour  m'assurer  par  moi- 
même  que  rien  ne  m'était  échappé.  lisse  prêtèrent  av^c  la 
plus  grande  bienveillance  à  ma  demande,  et  je  commençai 
à  faire  sortir  de  leur  poussière  une  trentaine  de  manuscrits 
entassés  sur  des  tablettes  encastrées  dans  les  inégalités  du 
rocher.  Voici  de  quoi  se  compose  cette  collection  dans  son 
état  présent  : 

Unévangéliairegrec,  écrit  sur  papier  au  quinzième  siècle. 
Une  vingtaine  de  volumes  de  leçons  dictées  par  des  pro- 
fesseurs, il  y  a  une  cinquantaine  d'années ,  sur  la  philoso- 
phie naturelle  et  les  mathématiques. 

Six  volumes  écrits,  comme  les  précédents,  en  langue 
grecque  et  sur  papier,  mais  d'une  écriture  du  treizième  et 
du  quatorzième  siècle ,  contenant  des  traités  de  chant  ec- 
clésiastique, avec  la  musique  notée  en  petits  caractères  par- 
ticuliers, ressemblant  à  des  notes  tachygraphiques.  Ces 
volumes  peuvent  offrir  quelque  intérêt  pour  les  études  ar- 
chéologiques relatives  à  la  musique  ecclésiastique  en  Grèce. 
Enfin  un  manuscrit  de  l'histoire  composée  par  Georges 
Phrantzi ,  à  la  demande  de  quelques-uns  de  ses  amis  de 
Corfou  ,  sur  la  fin  du  quinzième  siècle  ,  pour  conserver  le 
souvenir  des  événements  de  cette  époque  auxquels  lui- 


358  GRÈCE   COI^TINCNTALC    ET   MOREE. 

même  avait  souvent  pris  part  dans  des  emplois  importants. 
L'écriture  de  ce  manuscrit  m*a  semblé  être  de  la  fin  du 
dix-septième  siècle.  Il  est  fort  complet ,  et  j'aurais  aimé  à 
le  collationner  avec  l'édition  publiée  à  Bonn  en  1838. 
Georges  Phrantzi ,  dans  ses  premiers  chapitres,  parle ,  en 
forme  d'introduction ,  de  la  conquête  de  Constant! nopie 
par  les  Francs.  £o  lisant  ces  deux  pages  quelques  curieux 
auront  cru  sans  doute  que  la  même  matière  était  développée 
dans  le  reste  de  l'ouvrage.  De  là  peut-être  le  bruit  arrivé 
jusqu'à  moi,  que  l'on  possédait  dans  le  monastère  de  Poursos 
des  manuscrits  relatifs  à  la  conquête  franque.  Phrantzi, 
traduit  en  partie  en  latin  par  Pontanus  en  161^  et  publié 
depuis  par  Alter,  à  Vienne ,  et  par  Emmanuel  Bekker  à 
Bonn,  est  aujourd'hui  un  historien  fort  connu. 

Parmi  les  livres  imprimés ,  le  plus  curieux  pour  moi 
était  une  édition  vénitienne  du  poème  grec  sur  le  Yaivode. 

L*hégoomène  et  le  père  Germanos,  qui  me  firent  les 
honneurs  du  couvent,  sont  deux  hommes  fort  intelligents 
et  très-supérieurs  à  ce  que  j'ai  trouvé  dans  la  plupart  des 
couvents  grecs.  Les  cellules  des  moines  sont  beaucoup 
mieux  éclairées  et  mieux  tenues  que  celles  du  couvent  de 
Saint-Luc,  du  couvent  de  Saint- Ëiie  près  de  Salona, 
et  de  tous  les  autres  couvents  que  j'ai  visités.  Le  soir,  le 
père  Germanos  venait  souper  avec  moi  dans  ma  chambre 
et  nous  passions  de  bonnes  heures  à  causer  de  tout  ce  qui 
pouvait  améliorer  le  sort  du  pays.  L'hégoumène  et  lui 
sentent  parfaitement  les  devoirs  imposés  aux  riches  cou- 
vents dans  ce  nouvel  ordre  de  société  dans  lequel  la  Grèce 
est  entrée.  Il  faut  autre  chose  aujourd'hui  que  des  prières, 
que  l'aumône  de  l'hospitalité,  que  même  le  travail  ma- 
nuel du  moine  consacré  à  la  terre.  Les  couvents  sont  les 
seuls  grands  propriétaires  de  la  Grèce  et  ils  doivent  se 
conduire  avec  l'intelligence  et  le  zèle  éclairé  d'un  grand 
propriétaire  patriote.  Leur  devoir  est  d'essayer  la  grande 
culture  et  les  nouvelles  méthodes  et  de  répandre  autour 
d'eux  le  travail  et  l'aisance.  Les  moines  de  Poursos  sont 


POLRSos.  359 

tout  disposés  à  bien  remplir  des  devoirs  qu'ils  comprea- 
nent  ;  ils  ont  ouvert  des  écoles  et  appellent  les  lumières 
apicoles  autant  qu'il  est  en  eux. 

Le  monastère  de  Poursos  possède  de  bonnes  propriétés 
du  côté  de  Missolonghi.  L*bégoumène  devait  aller  les  in- 
pecter  ;  il  me  proposa  de  TaCcompagoer  ^  se  chargeant  de 
bien  me  montrer  le  pays.  Ce  voyage  me  plaisait  beaucoup, 
car  je  voulais  voir,  pour  mes  études,  Vrachori  et  le  lac 
Tricbonis,  et  la  chaîne  du  Xeromeros,  et  tout  l'ancien  pays 
de  Ciarlelie,  qui  doit  son  nom  à  un  feudataire  français 
d'origine  napolitaine,  Charles  Tocco ,  despote  d'Étolie  et 
comte  palatin  de  Céphalonie  à  la  Gn  du  quatorzième  siè- 
cle. Je  désirais  aussi ,  en  pèlerin  littéraire ,  rapporter  à 
mes  amis  de  Paris  une  pierre  de  la  maison  où  mourut 
lord  Byron  ;  mais ,  malgré  tant  de  tentatives  réunies  ,  je 
résistai  pour  ne  pas  perdre  un  voyage  dans  l'île  d'Eubée, 
par  laquelle  je  voulais  revenir  à  Athènes. 


XVIII. 

RETOUR  DE  POURSOS  A  ATHÈNES. 

Je  quittai  les  moi ues  de  Poursos  avec  quelques  regrets  et 
me  remis  en  route  à  pied  jusqu'à  Mikro-Khorio  pour  ne 
perdre  aucun  des  beaux  points  de  vue  de  c^ettc  route  pé- 
nible et  dangereuse.  De  temps  à  autre  je  faisais  tirer  quel- 
ques coups  de  fusil  pour  jouir  du  retentissement  prolongé 
des  échos.  Le  son  était  répété  par  moments  plus  de  dii 
fois  ,  toujours  s'agrandissant  et  s'amplifiant  de  manière  à 
produire  l'effet  du  roulement  du  tonnerre.  Après  m'ôire 
reposé  quelque  temps  au  bord  d'une  fontaine  pour  laisser 
paître  les  montures ,  je  remontai  à  cheval  ;  et  après  onze 
heures  de  temps,  mais  seulement  huit  heures  de  route  , 
je  rentrai  à  Carpenisi.  La  pluie  s'annonçait  violente  dès  le 


360  GRÈCE    CONTINENTALE   ET    MORÉe. 

lendemain  matin.  Je  n*en  fas  pas  moins  ferme  dans  mon 
pn>jetde  hâter  le  pas  des  chevaux  et  de  rentrer  le  soir  même 
à  PatradjiL  La  pluie ,  d'abord  légère ,  tomba  par  torrents 
dès  que  nous  eûmes  atteint  le  piedduVelouchi,  elles  che- 
mins près  de  Laspi  devinrent  presque  impraticables  ; 
je  n'en  persistai  pas  moins ,  et  après  deux  heures  et  demie 
j'étais  arrivé  à  la  caserne  des  siratiotes.  Là  J'entrai  et  fis 
allumer  un  grand  feu  pour  sécher  tous  mes  vêtements 
trempés,  sans  exception.  Les  stratiotes  m'aidèrent  avec  une 
parfaite  complaisance  et  se  distribuèrent  entre  eux  toutes 
les  pièces  de  mon  ajustement  pour  que  l'opération  fût 
plus  promptement  terminée.  La  solde  des  officiers  et  sol- 
dats est  si  minime  que  tous  boivent  habituellement  de  l'eaa. 
Je  fus  donc  le  très-bienvenu  en  faisant  une  bonne  distribu- 
tion de  vin  et  de  tabac.  Je  laissai  de  plus  quelques  drachmes 
pour  continuer  l'approvisionnement  général ,  et ,  en  dépit 
de  l'affreux  temps  qu'il  faisait ,  je  me  remis  en  route.  Les 
chemins  sont  promptement  gâtés  dans  un  pays  rempli  de 
torrents  et  où  la  terre  est  partout  fort  grasse  ;  mais  aussi 
quelques  rayons  de  soleil  suffisent  pour  ramener  tout  en 
bon  ordre.  Le  ciel  se  dégagea  enfin ,  et  quand  nous  arri- 
vâmes à  Hagi-Janni   l'air  était  redevenu   serein.  A  mi 
quart  de  lieue  environ  de  la  route,  entre  Hagi-Janni  et  le 
chemin  de  Palœo-Yracha ,  on  m'indiqua  les  ruines  d*un 
temple  antique  remplacé  par  une  église  aussi  en  ruines. 
J'allai  les  visiter.  Elles  sont  situées  sur  une  belle  pelouse 
au-dessus  de  la  rivière,  dans  un  de  ces  emplacements  que 
les  anciens  savaient  si  bien  choisir  pour  y  bâtir  leurs  mo- 
numents publics.  J'y  retrouvai  en  effet  les  ruines  d'un 
temple  antique ,  des  colonnes  crénelées  en  marbre  et  des 
fragments  d'un  mur  d'enceinte. 

Mes  gens  auraient  fort  désiré  s'arrêter  à  Palœo- Vraca  et 
Ils  eurent  recours  à  toutes  sortes  de  petites  ruses  grecques 
pour  m'y  décider;  mais  bien  résolu  de  me  rendre  le  soir  à 
Patradjik,  je  poussai  mon  cheval  au  galop,  leur  prescrivant 
de  me  suivre  comme  bon  leur  semblerait ,  et  je  les  devançai 


DEJEUNER    DE    PALLICARES.  36f 

de  beaucoup.  Je  m'égarai  de  plus  d'une  bonnelteuc  ;  mais, 
deux  heures  avant  le  coucher  du  soleil,  mou  escorte ,  qui 
aVait  couru  de  différents  côtés  à  ma  suite ,  m'avait  rejoint 
sur  les  bords  de  la  Vistritza  dont  les  eaux  avaient  crû  un  peu 
par  la  pluie  du  matin ,  et  qui  charriait  d'énormes  pierres  ; 
mais  cette  fois ,  au  lieu  de  contempler  les  eaux  en  passant,  je 
me  dirigeai  avec  fermeté  sur  l'autre  bord,  et,  sans  en- 
combre pour  moi  ni  pour  mon  cheval  ni  pour  aucun  de» 
gens  de  ma  suite,  nous  arrivâmes  sur  l'autre  rive.  Une 
heure  après  je  passai  le  Xerio  ,  torrent  moins  large  maii 
non  moins  dangereux ,  et,  peu  après  la  chute  de  la  nuit , 
j'entrai  dans  la  maison  hospitalière  d'HadjiPetros.  11  était 
revena  de  sa  chasse  aux  chevreuils  dans  l'QEta  ;  et  nous 
passâmes  une  bonne  journée  de  causeries  intimes  avec 
quelques-uns  des  nombreux  amis  de  Colettis,  si  populaire 
dans  cette  partie  de  la  Grèce ,  où  il  a  des  propriétés. 

Le  jeudi  suivant,  qui  était  le  1*'  mai  selon  le  ca- 
lendrier grec ,  je  fis  mes  adieux  à  Hadji  -  Petros  et  h  sa 
charmante  famille,  et  me  remis  en  route.  Il  y  a  sans  doute 
une  suite  d'émotions  bien  douces  à  recevoir  de  ce  pen- 
chant de  notre  caractère  national  à  la  sociabilité.  Par  la  , 
nous  ne  vivons  en  quelque  sorte  étrangers  nulle  part  ;  mais 
â  les  sympathies  qui  nous  rattachent  à  des  hommes  dont 
l'affection  s'éveille  aussi  pour  nous,  ou  dont  les  sentiments  et 
l'intelligence  morale  sent  d'accord  avec  ce  que  nous  sen- 
tons nous-mêmes ,  nous  procurent  de  véritables  plaisirs  et 
donnent  un  intérêt  nouveau  à  chaque  lieu,  il  faut  dire  aussi 
qu'elles  nous  préparent  de  longs  regrets.  Il  est  si  triste  de 
dire  qu'on  ne  retrouvera  plus  dans  sa  vie  aucun  jour  d'in- 
timité avec  ceux  qu'on  s'était  habitué  à  aimer.  Pour  moi, 
j'éprouve  toujours  une  peine  réelle  à  m'arracher  d'un 
pays  où  j'ai  passé  quelque  temps;  et  j'ai  besoin  que  le  temps, 
le  mouvement  du  cheval,  le  changement  de  lieu  viennent 
déplacer  un  peu  mes  idées.  J'avais  été  invité  ce  jour- là 
par  M.  Tolmidis  et  par  le  colonel  Gouras  Mamouris  à  un 
déjeuner  de  pallicares  au  milieu  des  ombrages  de  la  col 

31 


363  GBECE  CONTIBiENTM.E   ET    MO&EE. 

line  de  PlaUuia ,  à  uae  demi-lleue  de  la  montagne  d'Hy* 
pale.  Je  laissai  mes  cbevaui  au  bas  de  la  cdiine  et  moDlai 
au  lieu  du  rendez-vous,  situé  un  peu  au-dessus  de  la  plaine, 
mais  bien  au-dessous  des  collines  d'Hypate  et  en  face  de 
la  chaîne  de  l'Oibrys»  C'était  en  Tbonneur  du  1***^  mai  grec, 
fête  universelle  depuis  les  teoip»  antiques,  que  le  colonel 
Gouras  nous  donnait  ce  déjeuner.  Nous  étions  une  tren* 
laine  de  convives,  parmi  lesquels  se  trouvaient  cinq  ou 
six  officiers  de  Gouras ,  un  capitaine  de  Tauden  corps  ré< 
gulier  formé  par  Fabvier,  qui  avait  quitté  Gorfou  pour  venir 
en  Grèce  chercher  la  liberté  et  la  nationalité ,  rhégioumèae 
d'un  couvent  voisin ,  le  protopapas  de  Patradjik ,  et  un 
Turc  nommé  Had]i-Baba,  qui ,  après  le  départ  de&  Turcs, 
ses  compatriotes,  est  revenu  s'étaUir  dans  ce  pays  qu'il  avait 
toujours  habité  et  où  il  est  fort  aimé  de  tout  le  monde. 
Le  déjeuner  consistait  conmie  d'ordinaire  en  agneaux 
rôtis  tout  entiers  sur  le  lieu  et  servis  sur  une  table  de 
feuillage  avec  des  oignons  verts,  des  œufs  durs  et  du 
yaourd.  Les  agneaux  furent  découpés  avec  prestesse  par 
des  paUicares  et  les  morceaux  distribué»  sur  le  Ut  de 
feuillage  devant  chaque  coavive ,  dont  Tappétit  avait  été 
plus  a^uisé  que  satisfait  par  les  excellents  koukouretzes 
servis  comme  préliminaire.  Le  vin,  et  un  fort  boa  via , 
quoiqu'un  peu  doux  comme  le  vin  d'Italie,  circulait  à  la 
ronde.  Notre  ami  turc  fut  le  seul  à  s'en  abstenir  malgré 
les  provocations  amicales  du  protopapas  et  de  rhégpumènie 
(abbé),  entre  lesquels  il  était  assis»  Hadji-Baba  a  fait  trois 
fois  le  voyage  de  La  Mecque,  a  pieusement  accompli  toutes 
les  cérémonies  au  tombeau  du  saint  prophète,  et  suit  ré- 
gulièrement,  mais  sans  ostentation,  les  principes  de  si 
religion.  Le  papas  et  l'abbé  le  plaisantèrent  un  peu  sur  sa 
rigidité  religieuse  ;  il  répliqua  en  \e&  plaisantant  à  son 
tour,  mais  avec  mesure ,  et  il  tint  bon.  Ayant  appris  mes 
fouilles  précédentes  dans  le  torrent  du  Xerio ,  il  me  re- 
procha de  n'être  pas  venu  le  chercbet*  pour  me  servii* 
de  guide  comme  il  en  avait  servi  à  M^  Enian  ;  m'assu* 


ART  CABALfSTIQCE.  363 

nntque,  si  je  Toaiais  recommencer,  il  me  désignerait 
un  endroit  où  je  troa serais  certainement  des  tombeaux  non 
explorés»  avec  statuettes  de  terrfe  cuite,  pierres  gravées  et 
médailks.  Il  me  raconta  qu'au  temps  de  la  domination 
turque  il  connaissait  déjà  ces  tombeaux ,  mais  que,  bien 
qu'il  lui  fût  loisible  alors  de  les  fouiller  comme  bon  lui 
semblait,  il  n'avait  pas  moins  dédaigné  ces  explorations 
scientifiques  que  ses  autres  frères  musulmans.  Depuis» 
voyant  les  Grecs  attacher  de  Tiraportance  à  ces  fouilles ,  il 
avait  compris  qu'ils  avaient  raison  ;  mais  maintenant  il  était 
obligé  à  de  grands  ménagements  avec  des  chrétiens  qui 
l'accueillaient  avec  amitié  parmi  eux,  et  il  craignait,  en 
iouillant  lui-même,  de  passer  pour  uu  accapareur  de  tré<- 
sors  et  de  risquer  ainsi  la  tranquillité  de  sa  vie.  Je  lui 
demandai  si  ce  ne  serait  pas  à  l'aide  de  la  science  caba- 
listique qu'il  avait  appris  l'endroit  précis  où  étaient  les 
tombeaux ,  car  beaucoup  de  Turcs  pratiquent  encore  la 
cabale  et  y  croient.  Hadji-Baba  m'assura  qu'il  n'était 
pas  un  adepte,  mais  qu'il  avait  eu  un  ami  turc  trës*fort 
dans  cette  science  et  qui  même  en  avait  donné  des  preuves 
à  un  étranger  fort  distingué  que  j'avais  certainement 
connu  à  Paris  et  è  Athènes.  Ce  Turc ,  qui  est  mort  au* 
joard'bui ,  était  d'une  fortune  aisée  et  d'un  caractère  fort 
honorable  ;  il  avait  beaucoup  pratiqué  la  cabale,  et  préten* 
dait ,  à  l'aide  de  certaines  formules  >  se  mettre  en  com-* 
munication  avec  des  créatures  inaperçues  et  insubstan- 
tielles,  intermédiaires  entre  Dieu  et  l'homme,  et,  par 
l'effet  de  la  ferveur  de  ses  prières  à  Dieu  ,  les  forcer  à  se 
plier  à  ses  volontés  honnêtes.  A  mon  retour  à  Athènes  je 
demandai  en  effet  au  personnage  mentionné  par  Hadji- 
Baba  s'il  avait  consulté  le  Turc  cabaliste,  et  il  me  raconta 
un  de  ces  événements  que  les  magnétiseurs  fervents  aiment 
à  attribuer  aussi  au  magnétisme.  Le  Turc  Gt  venir  devant 
lui  une  femme  qui  lui  fut  désignée  par  son  interprèle ,  h 
fit  placer  devant  un  miroir  et  commença  ses  formules  ca-^ 
balistiques.  Au  bout  de  quelques  instants  la  femme  fut 


3G1  GRECE   CONTINENTALE   ET   HORÉE. 

saisie  d'ane  sorte  de  sommeil  magnéiique,  et,  snr  les  inter- 
rogations du  Turc ,  déclara  ¥oir  le  miroir  se  troubler  d'a- 
bord puis  s'édaircir.  G'étaiit  le  moment  des  questions,  et  le 
Turc  demanda  ce  qu'on  désirait  que  la  femme  examinât 
dans  le  miroir.  L'iuTestigateur  demanda  ce  que  faisait  en  ce 
momentle  ministre  des  aiïairesétrangères  à  Berlin.  Laïemme 
le  décrivit  assis  dans  son  fauteuil ,  enveloppé  dans  une  robe 
Meue  et  gardant  la  chambre  parce  qu'il  venait  de  se  dé- 
mettre le  bras,  accident  confirmé  par  la  "Gazette  d'Àfigs- 
bourg  qui  arriva  à  Athènes  quinze  jours  après.  M.  R... 
voulut  savoir  ce  que  faisait  sa  fiancée  :  la  femme  la  décrivit 
foucbéedans  son  lit  avec  un  drap  placé  sur  sa  tête  et  privée 
de  la  vie  ;  et  Ai«  R...  apprit ,  en  effet ,  par  une  lettre  reçue 
quinze  jours  après,  que  sa  fiancée  était  morte  au  jour  dé- 
signé par  le  miroir.  M.  Th.  demanda  une  queslion  sur  le 
cabinet  du  roi  Othon ,  et  la  femme  le  décrivit  de  la  manière 
la  plus  exacte.  Enfin  M,  deSaint-S...  voulut  que  la  femme  vît 
une  solennité  d'Athènes  du  temps  de  Périclès ,  en  se  plaçant 
devant  l'Acropolis,-  et  qu'elle  décrivit  le  retour  des  théories 
de  Délos  avec  toute  leur  pompe  ;  et  la  femme  lui  décrivit 
le  tout  de  la  manière  la  plus  circonstanciée ,  et  les  longs 
murs  avec  leur  suite  de  tours,  et  l'aspect  de  la  ville,  et  les 
cérémonies,  et  les  costumes,  et  la  beauté  de  toutt^  C'était 
une  véritable  séance  archéologique,  comme  on  toi  t.  Avec 
un  pareil  miroir  on  pourrait  se  passer  de  bien  des  recher- 
ches historiques.  Fort  malheureusement  je  ne  l'ai  pas  re- 
trouvé.  L'investigateur  charmé  demanda  au  Turc  s'il  y 
avait  possibilité  d'acquérir  une  telle  science,  et  le  Turc  vou- 
lut bien  lui  enseigner  et  lui  traduire  ses  formules;  mais  lui 
ne  put  jamais  parvenir  à  faire  voir  à  la  femme  autre  chose 
que  du  brouillard  et  des  nuages  dans  son  miroir,  et  tout 
au  plus  quelques-uns  des  traits  confus  des  personnes  qu'il 
lui  désignait ,  et  même  assez  étrangement  amalgamées  les 
unes  avec  les  autres.  Le  vieux  Turc  est  mort  ;  mais  ceux 
qui  sont  curieux  de  devenir  professeurs  en  cabale  peuvent 
aller  l'apprendre  en  Arabie,  où  on  la  pratique  encore  au- 


EAUX   THERMzlLES.  365 

joardiini  avec  non  moins  de  succès  que  ic  magnélismo 
dans  nos  salons. 

Je  n*avai8  pas  le  temps  de  relourner  à  Hypaie  pout 

profiter  des  lumières  et  de  Ja  coaiplaisance  d*Hadji-Baba 

et  faire  des  fouilles  plus  heureuses;  mais  je  le  priai  de  me 

conserver  sa  bonne  volonté  pour  mes  amis.  Le  déjeuner 

fut  gai  et' cordial.  On  porta  des  toasts  aux  Français  et  au 

général  Fabvier  en  particulier  :  car  le  nom  de  Fabvier 

est  toujours  vivant  en  Grèce ,  et  prend  chaque  jour  une 

plus  grande  autorité  à  mesure  que  s'éloignent  les  causes 

des  petites  jalousies  qui  ont  souvent  arrêté  ses  succès.  Je 

ne  connais  pas  de  nom  qui  soit  populaire  ici  à  Tégal  du 

srien.  C'est  un  titre  d'honneur  d'avoir  fait  partie  de  son 

corps  régulier ,  et  ceux  mêmes  qui  ont  montré  le  moins 

de  bonnes  dispositions  pour  le  seconder  ne  sont  pas  les 

derniers  à  le  préconiser.  Quant  è  ceux  qui  peuvent  dire: 

j'étais  un  officier  de  Fabvier;  j'étais  avec  Fabvier  dans 

telle  ou  telle  affaire  ;  j'ai  partagé  les  fatigues  de  Fabvier  ; 

îl  n*est  pas  de  croix ,  de  décoration ,  de  marque  d'hon^ 

iienr  qui  soit  évaluée  aussi  haut  à  leurs  yeux  et  aux  yeux 

de  tous.  Il  m'était  bien  doux  de  trouver  dans  les  Grecs 

une  mémoire  aussi  reconnaissante  en  faveur  d'un  compa- 

triote  ei  d'un  ami. 

Mes  hôtes  m'accompagnèrent  jusqu'à  mes  chevaux  qui 
m'attendaient  au  milieu  des  arbrisseaux ,  et  je  redescendis 
dans  la  plaine  pour  aller  visiter  les  eaux  thermales  de  Pa- 
tradjik.  Elles  apparaissent  de  loin  comme  un  lac  au  mi- 
lieu d'une  plaine  de  sel  blanc  et  sans  une  seule  habitation 
sur  les  bords.  La  ville  de  Patradjik  avait  offert,  il  y  a  plu- 
sieurs années ,  de  faire  construire  à  ses  frais  un  établisse- 
ment de  bains  afin  d'y  attirer  les  étrangers  ;  mais  le  gou* 
▼ernement,  qui  veut  se  réserver  le  privilège  de  l'explôila- 
tion  des  eaux  ,  a  répondu  qu'il  s'en  chargerait  lui-même. 
Jusqu'ici  rien  n'a  été  fait.  Seulement,  pendant  la  saison  , 
on  construit  quelques  cabanes  à  la  hâte.  Et  cependant  les 
eaux  thermales  de  Patradjik  sont  réputées  fort  bienf(|.isan(es. 

31. 


366  Gr£cC   COlWTIllElITiitE  R   MOREE. 

Elles  sont  d'une  nature  sulfureuse,  ferrugineuse  et  saline,  et 
ni*ont  paru  aToîr  sur  les  bords  une  chaleur  de  32*Réaaiiiar. 
Ao  milieu  du  lac  l'eau  doit  être  bien  plus  cbande,  car  on 
voit  la  floarce  sortir  en  boaillonnant.  Ces  bains  étaient  connus 
des  anciens,  car  tout  anionr  on  apa*çoit  des  restes  de 
marches  par  lesquelles  on  descendait  dans  les  bains. 
Alors  sans  doute  des  précautions  étaient  prises  pour  que 
les  baigneurs  ne  glissassent  pas  malgré  eux  de  ces  marches 
jusque  dans  le  gouffre  d'où  sort  la  source;  aujourd'hui 
rien  n'a  été  fait  pour  prévenir  le  danger ,  et  il  est  arriva 
quelquefois  que  des  baigneurs  qui  ne  savaient  pas  nager  ool 
glissé,  ont  été  entraînés  et  ont  disparu. 

Du  lac  d'eau  thermale  je  me  dirigeai  par  le  valtos  sur 
le  Sperchiiis  afin  d'abréger  la  route  en  passant  le  fleuve  à 
gué.  Uq  berger  nous  indiqua  un  endroit  qu'il  assura  être 
guéable»  Les  eaux  limoneuses  du  Spercbios  empêchent  de 
voir  le  fond  de  son  Ht  ;  il  faut  donc  bien  se  fier  aux  bergers 
d'alentour ,  qui  sont  des  guides  presque  toujours  bien  in- 
formés. Après  la  saison  des  grandes  pluies,  il  est  impos- 
sible de  passer  à  gué  ce  large  fleuve  ;  mais  il  était  alon» 
rentré  dans  son  Ut  ordinaire ,  et  nous  le  franchîmes  sans 
encombre.  Presque  dans  tout  son  cours  ce  beau  fleuve  est 
navigable ,  et  il  serait  très-facile  d'en  tirer  parti  p9ur  l'a- 
vantage de  cette  riche  plaine  de  plus  de  dix^buU  lieues  de 
longueur  ;  mais  rien  n'est  fait. 

J'arrivai  de  fort  bonne  heure  à  Lamisi  et  je  descendis 
chez  un  des  hommes  les  plus  éclairés  dq  pays,  M,  Stanoff, 
procureur  du  roi ,  homme  an  cœur  tout  français  malgré 
son  nom  russe.  Quelques  amis  avec  lesquels  je  devais  vi- 
siter la  Phthiotide  d'Achille  jusqu'à  Ptelia»  où  se  trouvent 
encore  de  fort  belles  ruines  antiques ,  avaient  profité  des 
fêtes  pour  se  rendre  à  la  campagne,  I^es  fêtes  se  succèdent 
sans  fin  ici.  Chaque  jour  a  son  saint ,  et  ce  saint  est  par- 
fois un  si  grand  saint  qu'on  ne  peut  manquer  de  faire 
une  fête  du  jour  qui  lui  est  consacré.  Hier  c'était  le  pre- 
mier mai  V  la  fête  des  fêtes  ;  aujourd'hui  c'est  Saint-Atha- 


SYRAMINON.  367 

nase  ,  demain  c'est  Saint-Timothée,  après-demain  ce  sera 
dimanche.  Voilà  donc  plus  d*une  moitié  de  la  semaine 
pendant  laquelle  aucun  travail  ne  se  fait.  Je  parlais  de  cet 
inconvénient  à  un  paysan  grec ,  qui  défendit  vivement  ses 
saints  et  ajouta  que,  si  le  gouvernement  trouvait  qn*il  y 
eût  trop  de  fêtes ,  il  était  convenable  qu'il  n*en  créât  pas 
de  nouvelles  par  de  nombreux  anniversaires  d'événements 
politiques  :  tels  que  l'arrivée  du  roi  k  Nauplie,  son  en- 
trée à  Athènes  et  tant  d'autres;  qu'il  aimait  particulière- 
ment le  roi  et  beaucoup  aussi  la  jeune  et  belle  reine,  ei 
trouvait  fort  naturel  que  l'on  donnit  une  fôte  pour  chacun  » 
mais  qu'il  aimait  et  estimait  b^uooup  «usai  saint  Athanaso 
et  n'entendait  pas  lui  refuser  l'hommage  que  sa  familto 
lui  avait  toujours  accordé.  Ghtcan  a  d'aussi  bons  argu^ 
ments  pour  le  saint  de  son  choÎK.  £t  si  l'on  considère  eoQH 
bien  le  défaut  de  bras  réduit  la  masse  du  travail*  on  verra 
combien  il  est  désastreux  de  voir  cette  masse  de  travail  si 
réduite  encore  par  le  repos  des  bras  qui  pourraient  tra'< 
Tailler, 

Dans  l'absence  de  mes  amis,  je  renonçai  à  l'excursion 
dont  ils  devaient  être  les  guides,  et  me  bftiai  de  retourner 
h  Athènes  en  allant  par  mer  à  Orégs  en  Enbée,  D'Oréoa 
j'étendis  mes  ei^cursions  dans  toute  l'Ile  d'Eubée,  si  inté- 
ressante à  voir  et  si  peu  connue.  Je  réserve  cette  partie  de 
mes  investigations  pour  un  volume  relatif  auY  iles* 

De  TEubée  je  regagnai  par  mer  les  côtes  de  la  fiéotîe , 
près  d'Oropos.  A  une  lieue  de  cette  ville  antique  se  trouve 
le  château  franc  de  Sykaminon ,  indiqué  dans  notre  belle 
carte  de  l'état^major;  c'était  là  qu'habitait  iMarguerite  veuve 
de  Franco  Acciaiuoli,  fils  de  ce  Donato  qui  avait  obtenu, 
en  1394,  la  survivance  du  duché  d'Athènes,  J'ai  publié 
un  acte  rédigé  par  ses  ordres  en  1421,  dans  ce  château  * , 
en  faveur  de  ses  enfants  mineurs,  Neri  et  Antoine  Acciai- 
uoli, dont  l'un,  Neri,  fut  depuis  duc  d'/Vthènes.  D'Oropos 
je  rentrai  à  Athènes  par  Léosia  et  le  Pentélique* 

*  In  gala  castri  «loainiiiisu  a(Hul  insulam  Nigroponlis  (t.  ii,  p  1 9)). 


MOREË. 


ËnDACRE.  —  LIGOURIO. 

J'avais  long-temps  été  retenu  à  Athènes  et  dans  les  en^ 
irirons  par  les  ebalears  excessives  qai  rendent  tout  voyage 
en  Grèce  très-fatigant  en  été,  et  aussi  par  le  désir  de  me 
mêler  à  cette  société  nouvelle  et  de  bien  Tétudier  dans  sa 
vie  politique  et  sociale  de  tous  les  jours.  Sans  cette  étude 
préliminaire,  je  courais  risque  de  ne  voir  en  Grèce  que 
les  lieux  et  j'aime  aussi  à  voir  les  hommes.  Je  me  décidai 
enfin,  après  avoirbien  visité  les  environs  d'Athènes  et  achevé 
une  course  au  cap  Suninni  et  à  Trézène ,  à  me  mettre  en 
route ,  malgré  Textréme  chaleur ,  pour  visiter  Tintérieur 
de  la  Morée.  Je  louai  pour  une  somme  assez  modique  un 
jpetit  bâtiment  ponté  au  Pirée ,  et ,  comptant  sur  la  brise 
de  nuit,  je  m'embarquai  le  vendredi  2  juillet,  à  dix  heures 
du  soir,  pour  Epidaure;  mais  la  brise  ne  vint  pas  à  mi- 
nuit,  elle  ne  vint  pas  avec  le  lever  du  soleil,  et  je  n'étais 
encore  parvenu  à  midi  qu*à  la  pointe  de  Salamîne.  Mais 
cette  brise  si  impatiemment  attendue  se  fit  enfin  sentir  et 
nos  voiles  s'enflèrent  Nous  longeâmes  toute  la  côte  pier* 
reused'Egine,  dépassâmes  Ânkistri,  l'ancienne  Pityonnesus, 
et  Kyra,  l'antique  Gecryphalia,  laissâmes  bien  à  gauche  la 
presqu'île  de  Methana ,  et  entrâmes  à  six  heures  du  soir 
dans  le  petit  port  d'Epidaure  clos  par  une  langue  de  terre 
montagneuse  fort  étroite.  C'est  un  pauvre  petit  hameau 
composé  d'une  quinzaine  de  malsons.  Cinq  à  six  petits 
bâtiments  stationnaient  dans  son  port,  qui  sert  de  commu- 
nication habituelle  entre  la  Morée  et  Athènes.  Un  détesta- 
ble khani,  décoré  du  titre  fastueux  de  locanda,  est  destiné 


ÉPiDAunE.  369 

aux  miiordi  ou  Yoyagcurs  étrangers,  tous  transformés  ici  en 
niilordi  à  quelque  nation   qu*iis  appartiennent.  Hôte  et 
hôtesse  ,  tout  est  à  Tavenant  du  khani,  peu  agréable  pour 
le  fond  et  fort  malpropre  pour  la  forme.  Le  mari  est  une  es- 
pèce de  gros  cuisinier  dont  les  habits  blancs,  veste  blanche 
et  fustanelle  blanche,  portent  partout  la  trace  du  nettoyage 
de  ses  instruments  culinaires.  Sa  hante  taille  et  Tampleur  de 
tout  son  corps  rendent  plus  remarquable  encore  la  gracilité 
de  sa  voix  et  la  docilité  parfaite  de  son  caractère,  en  pré- 
sence d'une  petite  femme  noire  et  maigre,  qui  Tassouplit 
comme  un  gant  en  sa  présence,  et  le  fait  à  son  gré  se  taire 
devant  elle  et  grommeler  devant  Tétranger.  Quelques  œufs 
cuits  dans  une  huile  échauffée  dérobée  à  la  lampe ,  voilà 
l'unique  souper  qu'on  put  me  présenter;  une  planche 
près  d'une  ouverture  large  et  sans  voiets,  tel  fut  mon  lit 
de  camp  pour  la  nuit.  Heureusement  je  parvins  à  découvrir 
d'excellent  lait  dans  le  village,  et  je  fis  un  souper  parfait. 
Quant  à  la  nuit,  l'air  était  pur  et  doux,  mon  manteau  était 
étoffé  et  mon  caban  épais,  et  la  satisfaction  de  coucher  sur 
la  terre  où  avait  commandé  Dlomède  me  promettait  d'heu- 
reux songes. 

J'avais,  dès  mon  arrivée,  ordonné  des  chevaux  pour 
aller  le  lendemain  faire  une  excursion  dans  les  environs. 
A  quatre  heures  du  matin  je  me  réveillai  et  me  mis  aussi- 
tôt à  ma  fenêtre.  Le  long  des  maisons  du  hameau ,  sur  le 
rivage ,  étaient  étendus,  couchés  sur  une  natte  et  sans  au-> 
tre  couverture,  quelques  matelots,  revêtus  de  leurs  habits 
de  la  journée  et  dormant  profondément  ;  plus  loin  d'autres 
hommes  reposaient  couchés  avec  insouciance  sur  la  terre  sans 
même  la  mollesse  d'une  natte  ou  d'un  tapis.  La  nuit  est  si 
belle ,  l'air  si  pur ,  que  chacun  dort  sans  crainte  en  plein 
air.  De  l'autre  côté  du  port ,  en  face  de  moi ,  était  la  pe- 
tite colline  sur  laquelle  se  voient,  tout  à  côté  les  unes  des 
autres ,  les  ruines  des  constructions  grecque ,  romaine , 
byzantine  et  française  destinées^  à  différentes  époques,  à  la 
défense  de  ce  petit  port. 


370  GBÈCB  CONTINBIHTAU  ET  HOREE. 

A  m  heures  j'étais  à  cheval  et  me  dirigeais  sur  Aagelo- 
Gastro  par  Piada.  La  route  d*£pidaure  à  Piadaeat  fort  jdie. 
SUe  esl  tracée  sur  les  siovosités  d*ttne  nKmtagDe  couverte 
d'arboBfees  »  et  on  a  perpétuelleiiieat  sons  les  yeox»  en  tour- 
nant ces  sinnosités,  la  presqulle  de  Methana,  puis  l'île  de 
Poros,  qoi  sedémasqoe  derrière  ristbme  Sarcmiqne,  et  plus 
près  de  soi  Kyra.  Aakistri  et  Egine.  Quand  on  a  atldntla 
hauteur  de  la  vallée  dont  le  versant  oMHwé  est  occupé  par 
Piada  on  jouit  d*une  vue  toute  semblable  à  celle  de  la 
belle  phiue  de  Sorrento  en  y  arrivantde  Gastellaniare»  moins 
les  Dombreoz  villages  qui  l'animent  La  plage  de  Piada  est 
resserrée  entre  deux  montagnes  qui  descendent  en  pente 
adoucie  du  côté  de  la  vallée  seulement»  et  qui  forment  de 
gracieux  et  fertiles  vallons  couverts  de  jardins  et  de  verger& 
Les  orangers  et  citronniers  au  riant  feuillage  vert  y  abondent» 
tons  les  légumes  y  croissent  à  l'envi  ;  c'est  là  le  paUffr 
d'Athènes  y  et  tous  les  jours  des  barques  viennent  s'y  ap^ 
provisionner  de  légumes  et  de  fruits  que  l'on  va  vendre  aux 
marchés  du  Pirée  et  d'Athèoes.  Du  côté  de  la  terre  cette 
vallée  est  fermée  par  une  numtagne  peu  élevée  mais  iiort 
pointue  et  que  domine  un  château -fort,  d'origine  Iran- 
çaise,  mentionné  dans  les  actes  émanés  de  Catherine  de  Va- 
Ms  et  de  Marie  de  Bourbon,  qui  forent  successivement 
princesses  de  Morée,  comme  ayant  appartenu  à  Nicdas  de 
Guise  le  Maigre ,  connétable  de  Morée ,  et  à  Nicolas  Ac- 
ciaiuoli»  seigneur  de  Coriothe^  A  droite  de  cette  monta- 
gne est  une  gorge  âpre  et  infrancbissabie;  ài  gauche,  la 
montagne  s'indine  et  se  courbe  assez  près  de  sa  cime  pour 
aller  s'unir  à  une  montagne  plus  élevée.  C'est  par  cette 
courbure ,  espèce  de  port  suivant  l'expression  des  Pyré« 
néesi  ou  de  diaselo  suivant  l'expression  moraîte,  que  passe 

<  Et  totam  aliam  terram  qate  ftilt  quondam  lïteolai  Guiail  Magri, 
Gomestabali  priBcipatns  Acbaye,  aitam  in  castellaniam  Coristliii, 
eam  qiiodam  fortellicio  quod  dicitur  la  Piada  (t.  iide  mes  Nouv. 
Rech.f  p.  111  ;  et  1. 1,  p.  66). 


FIAAA.  371 

la  route  ;  et  là  est  assise  Ja  TÎUe  de  Piada ,  déioadiie  aussi 
de  ce  côté  par  mte  antre  tour  carrée  d'origiiie  firaaque* 

Piada  est  un  boni^  assez  important  reofermaiit  entinm 
huit  cents  bahicants.  C'était  un  jour  de  dimandie ,  et  tous 
les  hommes  étaient  réunis  dans  la  rue  principale  et  dans 
les  cafés;.  Les  Grecs  »»it  toujours  pleins  de  poUtesse  pour 
les  voyageurs  étrai^ers*  On  m'entoura»  on  me  questionna, 
et  il  faUat  que  »  pour  répondre  à  leurs  politesses  »  je  des- 
cendisse de  cheval  et  entrasse  dans  un  café  pour  accepter 
d'eux  l'offre  de  ]a  tasse  de  café  et  du  chibouk.  En  eau* 
saut  avec  eux  »  je  m'infiM^mai  des  antiquités  du  pays.  Un 
des  habitants  m'emmena  chex  lui  pour  me  montrer  une  pe* 
tite  statuette  en  terre  cuite  refMrésentant  un  Silène  nu  » 
d'environ  six  pouces  de  hauteur.  En  travaillant  à  ses  vi<^ 
gnes  il  avait  trouvé  ua  tombeau ,  et  dans  ce  tombeau 
deux  petits  vases  longs  et  étroils  sans  peinture ,  une  ar- 
doise, et  un  style  en  ambre  jaune-clair,  aminci  en  forme  de 
crayon  »  de  quatre  pouces  de  longueur.  C'était  peutrétre  là 
remUème  de  l'écrivain  inconnu  enseveU  dans  ce  tombeau. 
Le  tout  paraissait  être  de  l'époque  romaine.  Un  papas  m'in- 
diqua  une  petite  église  en  ruines,  au-dessus  du  café,  où  je 
pourrais  vok  quelques  objets  antiques ,  et  en  m'atlendant 
il  fit  nettoyer  et  laver  un  bas-relief  qu'il  désirait  me  mon* 
trer*  C'était  une  plaque  de  marbre,  d'un  pied  et  demi  de 
largeur  sur  un  pied  de  hauteur»  refHroduisaot  une  cérémeh 
nie  funéraire^  et  destinée  à  être  placée  sur  on  tombeau*  Un 
homme  et  une  femme  étaient  représentés  assis  sur  une 
couche  »  et  deux  Amours  jetaient  devant  eux  quelques  ob- 
jets de  sacrifice  sur  un  trépied.  Ce  has-relief.  qui  a'est  pas 
de  la  grande  époque  «  est  fort  endommagé. 

J'allai  ensuite  visiter  les  deux  châteaux-forts  aceom* 
pagné  du  papas  et  de  quelques  notables  du  pays^  Le  châ<^ 
teau  situé  sur  la  crête  de  la  mont^ue  aiguë  est  une  vraie 
forteresse  dont  il  ne  reste  plus  que  les  murailles  d'enceinte» 
qui  sont  construites  avec  du  iiKNriiiT.  La  partie  inférieure 
semble  de  coustruotiou  byzantine,  mai»  la  partie  supérieure 


372  GRÈCE   CONTIKENTALE   ET   MOREE. 

est  évidemment  frànque.  Â  Vintérieur  on  trouve  les  ruines 
d'une  petite  église,  en  face  de  laquelle  est  incrustée  une 
grande  pierre  portant  Técusson  suivant  :  croix  latine  sur 
deui  gradins;  dans  cbacun  des  deux  cantons  supérieurs  de 
h  croix  une  rose  de  Provins  surmontée  d'un  oiseau  qui 
becquette  une  grappe  de  raisin ,  dans  chacun  des  deux 
cantons  inférieurs  un  cyprès.  Le  pyrgos  ou  la  tour  carrée 
située  sur  Tarête  qui  sépare  les  deux  montagnes,  un  peu 
au-dessus  de  la  ville,  est  complètement  franque,  et  subsiste 
en  son  entier.  Les  balMtants  actuels  ont  seulement  ajouté 
un  escalier  grossier ,  pour  remplacer  la  petite  tourelle  sur 
laquelle  on  jetait  sur  le  seuil  de  la  porte,  élevée  d'une  ving- 
tainede  pieds,  le  pont-levisquidevait  en  faciliter  l'accès.  La 
meurtrière,  placée  au-dessus  de  la  porte  d'entrée,  est  très- 
bien  conservée ,  ainsi  que  les  deux  tourillons  crénelés  qui 
la  flanquaient  par  te  haut,  et  qui  étaient  destinés  sans  doute 
à  recevoir  des  vedettes. 

La  charmante  vallée  de  Piada  me  fit  paraître  plus  arides 
encore  les  montagnes  pierreuses  par  lesquelles,  après  plus 
de  trois  heures  d'un  voyage  monotone ,  j'arrivai  au  vil- 
lage et  au  château  d'Ahgelo-Castro. 

Le  village  est  fort  bien  placé  sur  le  penchant  de  la  mon- 
tagne ;  mais  tout  est  sec  et  désolé  alentour ,  et  à  peine 
pus-je  trouver  un  arbre  assez  épais  pour  m'y  abriter  pen- 
dant quelques  instants  de  repos.  La  population  d' A  ngelo-Cas- 
(ro  est  toute  albanaise  ,  les  vieillards  y  entendent  à  peine 
le  grec  ;  mais  la  jeune  génération  est  plus  avancée,  et  leurs 
enfants  iront  plus  loin  qu'eux.  Tous  vont  à  l'école  et  ap- 
prennent le  grec.  Pendant  que  j'étais  assis  sous  mon  arbre 
à  faire  préparer  mon  repas  du  jour,  les  habitants  du  village, 
hommes,  femmes  et  enfants,  se  distribuaient  autour  de  moi 
assis  sur  leurs  jambes  croisées ,  et  ils  cherchaient  à  me  té- 
moigner leur  politesse  par  leurs  questions  sur  ma  personne 
et  ma  famille  ;  c'est  moins  chez  eux  une  preuve  de  curio- 
sité qu'une  manière  de  vous  témoigner  leur  intérêt.  J'of- 
fris le  café  et  la  ciga relie  h  mes  voisines  et  voisins,  et  m'en- 


angelo-castrO.  37J 

quîs  de  leurs  traditions  anciennes  et  modernes  et  de  leurs 
éniiquités.  On  me  vendit  quelques  médailles  de  cuivre  as- 
sez médiocres,  et  d*autres  en  argent  assez  belles,  trouvées^ 
dans  les  champs  au  bas  d'Angelo-Caslro.  Suivant  leurs  tra- 
ditions ,  ils  ne  sont  venus  s'établir  dans  ce  village  que  de^ 
puis  une  centaine  d'années  au  plus  ;  ce  qui  reporte  à 
l'invasion  albanaise  qui  suivit  l'expédition  russe  de  1770. 
t!n  Tiell  Albanais ,  marchant  avec  la  vigueur  d'un  jeune 
homme,  fut  tout  fier  d'avoir  été  choijsi  par  moi  pour  m'ac- 
compagner  aux  ruines  du  Castro,  situées  au-dessus  du  vil- 
lage. Tout  le  long  du  chemin  ,  il  s'arrêtait  pour  expliquer 
aux  habitants  des  maisons  établis  à  leur  porte  qui  j'étais, 
et  ce  que  je  voulais,  et  comment  j- avais  passé  la  mer  tout 
exprès  pour  voir  les  ruines  de  leur  Castro.  Nous  arrivâmes 
enfin  au  haut  de  la  montagne,  et  je  pénétrai  dans  les  rui- 
nes du  Castro.  Les  murailles  sont  composée^  de  petites^ 
pierres  sèches  qui  ne  sont  unies  avec  le  mortier  qu'à  Tin- 
térienr.  Il  me  semble  assez  probable  que  ce  château  aura: 
été  bâti  sur  la  fin  du  douzième  siècle ,  par  un  memhre 
de  la  famille  des  Ange  Gomnène ,  au  moment  où  tous  les 
chefs  impériaux  se  séparaient  autant  qu'ils  le  pouvaient  de 
Teropire,  et  afiectaient  une  petite  indépendance.  Ces  murs 
indiquent  une  construction  faite  à  la  hâte.  Mon  vieil  Alba** 
nais  avait  aussi  sa  tradition  sur  ce  château.  Il  me  raconta* 
qu'autrefois  ce  pays  avait  été  donné  en  dot  par  un  roi  ou 
baron  d'Épidaure  à  une  de  ses  filles.  Celle-ci ,  qui  était 
habituée  aux  délices  de  la  belle  vallée  de  Piada ,  trouva  le 
pays  bien  triste  et  bien  désolé  et  elle  s'en  plaignit  à  son 
père,  qui,  pour  la  consoler  quelque  peu,  fit  bâtir  ce  châ- 
teau ,  d'où  elle  pouvait  du  moins  voir  et  la  mer  et  la  pres- 
qu'île de  Methana,et  les  îles  et  le  pays  dont  la  vue  la  char* 
malt.  Toutefois  elle  r?e  put  supporter  cette  triste  vie  :  elle 
mourut  de  chagrin ,  et  après  elle  le  castro  fut  abandonné. 
Ce  château,  situé  au  milieu  d'un  |>ays  abordable  de  tous 
côtés ,  et  qui  ne  garde  aucun  grand  passage ,  n'a  pu  êtrcr 
que  l'asile  temporaire  de  quelque  mécontent ,  et  il  a  dû 

32 


374  GRECE   GONT1MENTAI.K  ET    MORES. 

llie  âSKz  prompCemem  abiodoiuié.  Une  petite  église  était 
OQttatroile  sur  le  flanc  de  la  même  odlioe  :  eUe  est  aussi 
eBraîoes. 

Près  de  là  *  dans  la  vallée,  existait^  à  ce  qu*il  semUe  » 
une  ville  heUéoiqiie.  Je  descendis  le  long  d'im  puits  quî 
fMmit  de  l'eau  au  villaged' AugekMlastro,  pénétrai  jusqu'au 
fond  du  ravin  à  environ  un  quart  de  lieue ,  et  retrouvai 
qaekiuM  grandes  ruines  *  entre  autres  les  forte»  murailles 
d*une  tour  et  d'un  tetnpk  en  grandes  pierres  qnadrilatè- 
r».  L'bcrbe  croit  au  milieu  de  ces  débris  dont  aucun  sou- 
venir ni  aucune  inscription  n'ont  préservé  le  nom* 

,ie  rentrai  à  Piada  par  une  autre  route,  jusqu'au  ravin  qui 
précède  son  montiCttle  »  ^  m'acbeminai  de  là  ver&  Épi- 
danret  d'oà  j'étais  parti  le  matin*  La  lune  se  levait  der- 
rière la  raonU^pe  belle  et  cbàude  comme  le  soleil  de  nos 
climal&  C'était  un  spectacle  cbarmaat  de  voir  de  toutes 
parts  ses  rayons  se  répercuta^  sur  cette  mer  tranquille  qui 
s^élendait  sous  mes  pieds.  De  temps  k  autre  je  m'enfou- 
çais  dans  l'obscnrité  nlencieuse  de cesi  coteaux  boisés»  puis 
j'en  resiorlais  pour  jouir  de  cette  vue  si  cakne  et  si  mjsté* 
rieuse.  J'ainsnisàproion^mQnvo^ageenm'avançantsett- 
kment  au  petit  pas  au  milieu  de  cette  belle  et  calme  nature  ; 
et  je  n'urivaià  Épidaure  qu'après  deux  heures  de  marche 
d^obPiada*  à  onxe  heures  du  soir.  Le  lendemain  au  ma- 
tin je  me  mis.en  route  pour  L'Hiéron  d'Apollon  escuiapien^ 

La  route  d'Épidaure  à  l'Hiéron  d'Ëscula^  est  dcli- 
deiise^  Elle  serpente  le  long  d'une  petite  rivière  à  travers 
un  bosquet  de  myrtes  en  fleurs  et  de  lauriers-roses»  et  de- 
vant f^os  romantique  à  mesure  qu'on  s'approche  davan- 
tâ^  de  l'Hiéron*  Les  pieds  des  chevaux  souffrent  de  ces 
poûnes  de  roches  à  demi  brisée»  k  travers  lesquelles  ou 
monte  ei  descend  sai»  cesse;  mais  la  vue  du  voyageur  et 
son  odorat:  sont  constamment  eharmés.  D'énormes  sauges 
esfcbaknt  la  plus  douce  odeur,  et  les  ravins  sont  entière^ 
ment  g»rni^  d'arbres  et  de  fleurs.  Deux  routes  paiteut  de 
ce  ravi»  :  Tone  pour  l'Hiéron ,  l'autre  pour  Ligourio.  Je 


laissa!  cette  dernière,  qui  passe  au  bas  d*€ine  montagne  à  la- 
quelle le  peuple  a  donné  le  nom  de  mont  du  Pllari,  pro* 
bablement  à  cause  d'une  colonne  de  marbre  ndr  qui  m 
trouTe  en  bas ,  tout  auprès  d'une  source  fort  renommée, 
dont  la  vertn  rappelle  celle  de  nos  Eans-Bonnes  dans  les 
Pyrénées.  Les  gens  du  pays  m'assurèrent  qu'il  y  avait 
quelque  chose  de  prophétique  dans  les  eaux  de  cette  fo»* 
taine.  Tout  malade  qui  boit  de  ses  eaux  connaît  à  l'instant 
même  son  sort  Si  sa  maladie  est  incurable,  l'eau  feit  sen* 
tir  promptement  ses  effets  médicaux  et  pronostique  une  mort 
prochaine  c  si  la  maladie  peut  se  guérir,  le  malade  se  sent 
i  l'instant  soulagé;  et,  en  continuant  à  en  boire,  il  ne  peut 
manquer  de  s'assurer  une  longue  Tidllesse,  On  voit  que  la 
puissance  d'Esculape  continue  à  s'exercer  dans  les  lieux 
que  l'antiquité  lui  avait  consacrés.  Ses  statues  sont  tom* 
bées,  mais  les  traditions  subsistent 

Je  suivis  la  première  route  qui  continue  à  travers  le  ra- 
vin et  conduit  à  l'Hiéron.  Au  sortir  de  cette  gorge  boisée 
s'ouvre  une  belle  plaine  onduieuse,  entourée  de  toutes  parte 
de  hautes  montagnes  et  de  nïonticules  qui  s'avancent  sur 
le  premier  plan  pour  leur  enlever  ce  qu'elles  auraient  de 
trop  âpre.  Toute  cette  plaine  et  tous  ces  monticules  ados** 
ses  aux  montagnes,  d'où  sort  la  route  de  Trézène  et  de 
Poros ,  sont  couverts  de  fragments  anliques.  Un  ruisseau 
et  on  torrent  traversent  la  plaine,  et  le  ruisseau  offre 
me  eau  excellente.  Au  fond  du  bassin  dans  lequel  est  tra** 
cée  la  roule  qui  conduit  de  Poros  à  Nauplie  est  une  petitn 
église  byzantine  bâtie  sur  les  ruines  d'un  temple  païen. 
Placée  au  milieu  des  arbres  et  des  rochers,  elle  produit  de 
loin  un  fort  gracieux  effet  et  serait  très-bien  placée  dans 
un  tableau.  Le  monticule  situé  au-dessus  de  cette  petite 
église,  de  l'autre  côté  du  ruisseau ,  est  couvert  des  débris 
de  tinnples  antiques  dont  il  ne  reste  plus  que  les  soubasse* 
ments.  En  redescendant  de  là  sur  la  route  de  Ligourio,  led 
ruines  se  multiplient  partout  sous  vos  pas:  ici,  de  vastes 
décombres  de  temples  ;  là,  des  colonnes  brisées;  ailleurs* 


376  GRÈCE   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

des  restes  de  bains.  Tout  le  sol  est  recouvert  de  débris  qui 
prouvent  que  cette  plaioe,  si  belle  de  ses  beautés  nalureliesy 
était  encore  embellie  par  toutes  les  merveilles  de  Tart  Ce 
qui  reste  du  théâtre  suffit  pour  en  faire  apprécier  toute  la 
beauté  ;  c'était  l'œuvre  de  Polyclète  vers  la  quatre-vingt- 
dixième  olympiade ,  et  il  surpassait  tous  les  autres  par  ses 
proportions  élégantes  et  vastes  et  par  la  beauté  des  maté* 
riaux.  Les  gradins ,  qui  étaient  fort  habilement  disposés, 
existent  encore  en  grande  partie.  Le  beau  marbre  blanc 
dont  ils  étaient  composés  garnit  le  flanc  de  la  colline  et  se 
détache  au  milieu  de  la  verdure  des  broussailles.  Ici  l'air 
est  pur  et  doux ,  et  la  brise  qui  souffle  à  travers  la  gorge 
qui  conduit  à  Poros  gémit  harmonieusement  en  agitant  le 
feuillage  et  apporte  avec  elle  les  parfums  de  la  forêt  et  la 
fraîcheur  de  la  mer.  % 

De  l'Hiéron  à  Nauplie  par  LIgourio ,  la  route  est  mono- 
tone et  sans  beautés.  C'est  une  suite  de  montagnes  sans 
grandeur  et  de  vallées  sans  grâce.  La  seulç  végétation  qui 
couvre  ces  vallées  est  une  bruyère  aride.  Seulement ,  de 
temps  à  autre ,  des  lavandes  en  foule  pressée  vous  ap- 
portent leur  suave  odeur.  Ligourio,  qui  est  en  plaine,  est 
célèbre  par  son  tabac  rival  des  meilleurs  tabacs  du  Levant. 
11  est  estimé  au-dessus  des  tabacs  d'Ârgos  et  d'Àrmyros. 

Environ  trois  heures  avant  d'arriver  à  Nauplie»  j'aperçus 
sur  ma  droite  une  suite  de  châteaux  en  ruines  qui  revêtent 
les  crêtes  des  collines.  L'un  d'eux  fixa  particulièrement 
mon  attention  par  l'étendue  de  ses  ruines.  Il  est  placé  sur 
une  colline  qui  domine  la  route  à  environ  une  demi-heure 
en  montant.  Toute  la  colline  est  parsemée  de  fragments  de 
tuiles  antiques.  Un  peu  au  delà  est  une  vieille  église  chré- 
tienne bâtie  avec  les  fragments  d'un  ancien  temple  dont  deux 
colonnes  sont  encore  debout.  Tout  au  pied  du  mur  de  la 
forteresse  est  un  autre  petit  temple  antique,  et  au-dessous 
une  niche  votive  creusée  dans  le  roc.  Il  faut  grimper  par 
d'assez  rudes  fragments  de  rochers  pour  parvenir  du  bas  de 
la  montagne  dans  l'enceinte  de  la  forteresse  ;  mais  on  est 


XERO-CASTELLI.  377 

fort  dédommagé  en  arrivant ,  car  oti  retrouve  là  les  restes 
considérables  et  fort  bien  conservés  d'une  forteresse  hellé- 
nique de  l'époque  la  plus  ancienne.  Elle  est  construite  sur 
le  rocher  même,  au-dessus  d'un  profond  ravin,  et  ses  murs 
86  composent  de  vastes  blocs  de  pierres  non  taillées  et  for- 
mant des  polygones  irréguliers ,  dont  les  vides  sont  com- 
blés par  de  toutes  petites  pierres,  comme  dans  les  murs 
dits  de  construction  pélasgique  ou  cyclopéenne.  Les  murs 
d'enceinte ,  à  quinze  ou  vingt  pieds  de  hauteur,  sont  très- 
bien  conservés,  ainsi  qu'une  des  petites  tours  de  l'enceinte. 
Dans  l'encoignure  des  murailles ,  dont  un  pan  ressort  sur 
l'autre ,  se  trouve  une  porte  de  forme  pyramidale  de  huit 
pieds  de  hauteur  sur  trois  de  largeur,  tout  à  fait  semblable 
h  celle  d'Arpinodans  le  royaume  de  Naples.  On  ne  pouvait 
y  entrer  qu'en  présentant  le  côté  droit  dégarni  de  bouclier. 
Dans  l'intérieur  de  cette  citadelle  hellénique ,  dont  le  plan 
se  montre  en  entier  le  long  des  rochers,  est  un  vaste  sou- 
terrain voûté,  bâti  de  ces  mêmes  larges  pierres,  et  destiné 
à  servir  dé  magasin  à  blé  ou  de  citerne.  C'était  là  évidem- 
ment une  forteresse  importante.  Au  temps  de  l'empire  by- 
zantin, elle  fut  aussi  employée  à  la  défense  du  pays.  Deux 
tours  rondes  de  cette  époque ,  élevées  sur  les  débris  des 
constructions  antiques,  se  maintiennent  encore,  et  on  voit  * 
partout  au-dessus  des  restes  des  anciens  murs  un  exhausse- 
ment de  fabrication  byzantine.  Des  fragments  de  tuiles  des 
temps  les  plus  antiques  couvrent  tous  les  champs  environ- 
nants et  remplissent  tous  les  interstices  des  rochers.  Il  y 
avait  évidemment  là  une  grande  ville  hellénique  dont  le 
nom  est  inconnu.  Ce  château  est  désigné  par  les  habitants 
du  pays  sous  le  nom  tout  moderne  de  Xero-Castelli,  à  cause 
de  sa  situation  dans  un  lieu  sec.  Quant  aux  souvenirs  by- 
zantins ,  ils  sont  nuls  là  comme  partout  ailleurs  en  Grèce. 
Il  y  a  quelque  chose  qui  frappe  beaucoup  l'étranger 
dans  ses  relations  avec  les  Grecs  de  toutes  les  classes.  Les 
souvenirs  antiques,  bien  que  très- confus,  ont  conservé  sur 
eux  tout  leur  prestige.  Les  divinités  mythologiques  do  der- 

32. 


378     GBÈCC  CONTINBNTAI.S  BT  HOBBE. 

nier  ordre,  les  Néréides,  les  Parques,  Garon,  ont  pris  place 
au  milieu  des  croyances  chréliennes,  et  les  cérémonies  de 
Tancien  culte  se  sont  souvent  fondues  dans  le  nouveau 
culte.  Les  grands  hommes  antiques  ont  aussi  laissé  une 
tradition  de  respect,  ainsi  que  la  nation  qu'ils  ont  glorifiée» 
Quand  un  paysan  veut  faire  admirer  uae  ruine,  une  mon^ 
naie ,  un  fragment  de  marbre ,  il  vous  dit  que  cela  vient 
des  Hellènes.  Les  Hellènes ,  ses  ancêtres ,  sont  pour  lui  cç 
qu'étaient  les  Géants  et  lesCyclopes  aui;  yeux  des  peuples 
antiques ,  la  personnification  d'une  puissance  surnaturelte 
bien  supérieure  à  celle  des  hommes  de  nos  jours.  Les  Grecs 
instruits  s'en  tiennent  aussi  par  système  à  l'hisioirç  des 
temps  helléniques,  La  Grèce,  pour  eu:(,  semble  avoir  som- 
meillé dans  ses  ruines  depuis  le  jour  de  la  destruction  de 
Gorinthe  et  de  l'asservissement  de  la  Gj;èce  aux  Romains, 
et  ne  s'être  réveillée  qu'avec  l'insurrection  qui  vient  de  lui 
rendre  sa  nationalité.  Ne  demandez  donc  è  personne  ce  que 
devinrent  les  provinces  grecques  sous  la  domination  ro- 
maine, ce  qu'elles  devinrent  pendant  la  frêle  existenee  de 
l'empire  byzantin,  ce  qu'elles  devinrent  enfin  de  120/!i  jus- 
qu'à) la  dernière  moitié  du  quinzième  siècle,  sous  les  Francs; 
puis  de  cette  époque  jusqu'en  1685,  sous  les  Turcs;  puis  de 
1685  ^  1715  ;  ils  ne  veulentni  l'enseigner  ni  l'apprendre,  La 
seule  histoire  qu'ils  veulent  savoir  est  l'histoire  hellénique.  On 
a  beau  leur  dire  que  les  enseignements  de  l'adversité  ne  sont 
pas  à  dédaigner  pour  un  peuple  et  qu'on  peut  y  puiser  des 
moyens  pour  ne  pas  retomber  h  l'avenir  daqs  les  mêm^ 
fautes  et  les  mêmes  malheurs  ;  ceux  qui  se  piquent  de 
science  ne  veulent  pas  vous  comprendre,  et  ceux  qui  n'oat 
aucune  connaissance  des  lettres  ne  le  peuvent  pas.  Byzance 
a  passé  comme  une  ombre ,  sans  laisser  de  trace  ;  mais  la 
gloire  des  républiques  helléniques  est  encore  jeune  et  vi- 
vante comme  au  jour  où  elles  ont  triomphé  des  Perses  à 
MarathoQ.  On  peut  appliquer  à  cette  brillante  époque  ces 
vers  de  Chénier  sur  Homère  : 

Trois  mille  aqs  ont  passé  sur  la  oendre  d'Homère, 


moNiA^  379 

£t  depuis  trois  mille  ans  Horoèio  respecté 
Est  jeune  encor  de  gloire  et  d'immortalité. 

L.a  route,  en  quittant  Xero-CastcUi  pour  se  rendre  à 
Nanplie,  pusse  devant  quelques  ruines  helléniques  situées 
sur  û  gaucfae  et  se  continue  de  la  manière  la  plus  triste  ii 
travers  des  vallées  et  des  montagnes  sans  culture  et  sans 
grandeur.  De  temps  à  autre  quelques  voyageurs  venaient 
l'animer  :  tantôt  une  femme  de  Sparte  allant ,  au  milieu 
d*un  assez  nombreux  cortège  d'amis  et  de  parents,  prendre 
la  scala  d'Épidaure  pour  se  rendre  à  Athènes  ;  tantôt  une 
famille  de  Nauplie ,  hommes  et  femmes ,  revenant  de  Li- 
gourio  et  rentrant  dans  ses  foyers.  Les  femmes  étaient  assises 
sur  des  sommiers  que  relevaient  encore  un  amas  de  tapis  et 
de  couvertures,  et  portaient  de  grands  parapluies  pour  pro- 
téger leur  teint  contre  le  soleil  ;  les  hommes  chevauchaient 
autour  d'elles,  tantôt  assis  de  la  même  manière  et  tantôt  ï 
cheval  sur  des  sommiers ,  et  nouant  la  longe  du  cheval  ou 
mulet  de  manière  à  la  transformer  en  étrier.  H  est  bien  rare 
qn*une  route  en  Grèce  s'anime  ainsi  d'une  succession  4e 
yoyageurs. 

A  mesure  qu'on  approche  de  Nauplie  et  de  Pronia,  qui 
lui  sert  de  faubourg  après  avoir  servi  de  rendez-vous  à 
l'assemblée  nationale,  la  roule  s'agrandit  et  s'améliore. 
On  reconnaît  là  un  système  européen;  c'est  qu'en  effet 
cette  partie  de  la  toute  a  été  faite  par  les  Français,  Depuis 
Aria,  où  se  trouve  une  très-belle  fontaine  de  laquelle  les 
Vénitiens  ont  fait  venir  l'eau  qu'on  boit  à  Nauplie  ^  jus- 
qu'au faubourg  de  Pronia ,  je  rencontrai  un  grand  nom- 
bre d'hommes  et  de  femmes  à  pied  et  à  cheval.  En  m'ap- 
procbant  de  Pronia  je  vis  un  mouvement  inusité  se 
manifester  partout  Le  lendemain  était  un  des  nombreux 
jours  de  fêtes  grecques ,  et  dans  tous  les  jardins  de  la  col- 
line et  tout  le  long  de  la  mer  des  feux  étaient  allumés  et 
donnaient  à  Nauplie  tout  le  mouvement  et  tout  l'aspect 
d*une  grande  ville.  Nauplie  n'a  cependant  que  six  mille 
habitants  et  ne  peut  guère  en  avoir  davantage ,  resserrée 


3S0  GRECE   CONTIMBNTA&E  ET  MOEEB. 

qa*elle  est  entl*e  la  montagne  et  la  mer,  et  Pronia,  qtit  lai 
sert  de  faabourg  et  n'en  est  séparée  que  par  la  montagne 
sur  laquelle  est  bâtie  la  forteresse  de  Palamède,  n'en  a  que 
trois  mille ,  et  je  ne  vois  que  cinq  ou  six  bâtiments  dans 
le  port;  mais  dans  un  jour  de  fête  chacun  se  multiplie  par 
le  mouvement,  et  la  population  parait  décuple  de  sa  popu- 
lation réelle. 


XX, 

NAUPLIE,  —  TIRYNTHB.  —  MYCÈNES.  —  ARGOS. 

Nauplie  est  une  petite  ville  régulièrement  et  proprement 
bâtie  entre  le  pied  du  mont  fortifié  qui  porte  encore  le 
nom  de  l'infortuné  Palamède ,  fils  du  roi  Nauplius ,  et  la 
mer.  £lle  a  toute  l'apparence  d'une  de  nos  villes  d'Occi- 
dent, le  bon  comme  le  mauvais  côté,  l'ordre,  mais  aussi 
quelquefois  la  gêne.  Ses  rues  sont  droites  et  assez  bien  pa- 
vées  et  dallées;  ses  maisons  sont  d'une  hauteur  convena- 
ble ;  ses  deux  places  publiques  sont  plantées  d'arbres  ;  les 
grands  magasins,  bâtis  autrefois  par  les  Vénitiens  au  pied 
de  la  citadelle,  et  l'hôlef  du  gouvernement,  construit  par 
Capo  d'Istria  au  moment  de  sa  résidence  à  Nauplie ,  rap- 
pellent les  meilleurs  sinon  les  plus  élégants  édifices  de 
nos  grandes  villes;  et  pour  dernière  et  complète  preuve  de 
civilisation  occidentale,  il  s'y  trouve  ce  qu'on  ne  rencon- 
tre qu'à  Athènes  d'une  manière  convenable,  à  Patras 
d'une  manière  suffisante ,  et  à  Corinthe  en  raccourci  :  une 
auberge,  c'est-à-dire  la  plus  utile  peut-être  des  importa- 
tions européennes  à  introduire  en  Orient;  une  auberge, 
c'est-à-dire  un  asile  où  tout  individu,  forcé,  par  ses  affaires, 
ses  goûts  ou  ses  passions,  de  courir  le  monde,  peut  espé- 
rer trouver  un  reflet  de  son  bien-être  domestique  :  de  la 
lumière,  du  feu,  une  table ,  des  chaises ,  les  nécessités  de 


NAUPLIE.  S81 

]a  toilette  pour  rafratckir  son  corps  brisé ,  un  lit  pour  s'y 
reposer,  un  dtner  tel  quel  pour  réparer  ses  forces,  et  par- 
dessus tout  une  retraite  où,  seul  en  présence  de  lui- 
même  ,  il  peut  se  rendre  compte  de  ce  qu'il  a  tu  et  senti, 
songer  à  ses  amis  absents  sans  courir  risque  d'offenser  ses 
botes,  et  s'entretenir  avec  eux  dans  la  douce  familiarité 
du  commerce  épistolaire.  Nous  autres,  hommes  blasés  de 
l'Occident ,  nous  jouissons  de  tous  ces  biens  sans  nous 
douter  de  ce  qu'ils  valent,  comme  un  homme  bien  portant 
jouit  de  la  santé,  comme  un  homme  alerte  jouit  de  l'exer- 
cice de  ses  jambes,  sans  réfléchir  à  toutes  les  combinai- 
sons qui  ont  été  nécessaires  pour  garantir  l'équilibre  et 
donner  le  mouvement  à  la  machine  humaine.  On  ne  sait 
bien  apprécier  le  prix  de  tous  ces  trésors  que  lorsqu'on  en 
a  été  privé  quelques  instants;  et  malheureusement,  pour 
peu  qu'on  voyage  en  Orient,  on  est  toujours  destiné  à  être 
privé  de  tout ,  moins  la  pureté  de  l'air,  la  beauté  du  ciel, 
l'éclat  du  soleil ,  le  charme  des  nuits ,  la  splendeur  de  la 
nature. 

Nauplie  fut,  jusqu'à  la  fin  de  l'année  183/i,  la  résidence 
du  gouvernement  central  du  nouvel  État  grec.  Cette  pos- 
session momentanée  de  tous  les  avantages  d'une  capitale  a 
suffi  pour  modifier  une  population  aussi  apte  à  la  civilisa- 
tion la  plus  délicate  que  l'est  la  population  grecque.  Les 
femmes  ont  adopté  les  modes  de  France  ;  beaucoup  parlent 
notre  langue  avec  élégance ,  et  plusieurs  seraient  remar- 
quées dans  nos  plus  brillantes  réunions,  non  pas  seule- 
ment par  ce  type  de  beauté  vive  et  pure  qu'elles  ont  reçu 
de  leur  aïeule  Hélène,  mais  par  l'aisance  et  la  bonne  grâce 
'parfaite  de  leurs  manières,  qui  semblent  aussi  naturelles 
ici  qu'elles  le  sont  parmi  nos  femmes  de  France.  J'ai 
passé  à  Nauplie  quelques  soirées  de  causerie  facile  pendant 
lesquelles  j'aurais  pu  me  croire  encore  dans  les  rues  d'An- 
jou, Ville-l'Évêque  et  d'Astorg. 

A  côté  de  ces  avantages  de  la  civilisation,  il  faut  en  subir 
aussi  quelques  inconvénients.  Nauplie  est  une  place  forte. 


Mt  GRECE  CONTUfEliTALB    ET  MOREE. 

Elle  •  flcft  glacis,  ses  pottt»-]evis,  ses  remparts,  sa  garoi- 
800,  soa  gouveroeur  iiiiliuir« ,  ses  portes  qui  termeai  el 
ses  consignes.  Au  coucher  du  soleil,  les  portes  de  la  villQ 
sont  closes  et  les  clefs  remises  au  commandant  ;  tant  pis  pour 
vous  si  V0U3  êtes  resté  trop  loog^temps  à  admirer  les  vieilles 
murailles  homériques  de  Tirynthe  la  bien  fortifiée  ^  le  lien 
où  fut  Argos,  et  les  magnifiques  restes  de  la  vieille  Mycènes, 
M  y  cènes  la  bien  bâtie  S  Mycèqes  aux  larges  rues  \  Mycè" 
ncs  aimée  de  Junon  *  :  le  soleil  est  couché,  vous  n'entre-^ 
rez  plus  dans  Nauplie  ;  et  il  vous  faudra  expier  les  plaisirs 
de  votre  excursion  de  la  journée  en  allant  chercher  un 
gite  dans  un  malpropre  khani  ou  caravansérail  du  fau- 
bourg de  Pronia,  ^  moins  que  vous  ne  préfériez,  comm^ 
je  Fal  bien  souvent  fait  en  voyage,  dormir  étendu  en  plein 
air  le  long  des  champs  fertiles  de  la  plaine  d*Argos.  G*est 
ce  qui  faillit  m^arriver  à  moi-même  à  Nauplie;  mais  j'a* 
vais  heureusement  un  excellent  cabriolet ,  et,  dans  la  pî^^ 
vision  d'un  retard ,  je  m'étais  pourvu  près  du  général  Al- 
meïda ,  commandant  de  Nauplie ,  qui  avait  bien  voulu  en 
ma  faveur  adoucir  quelque  peu  la  consigne.  Les  délices  du 
khani  de  Pronia  n'avaient  aucun  charme  pour  moi  en 
présence  de  la  flatteuse  perspective  d'une  auberge*  Au 
reste ,  Texcursion  à  Tirynthe ,  h  Argos  et  à  Mycènes  mé- 
rite bien  qu'on  risque  plusieurs  fois  de  suite  de  coucher 
en  plein  air;  c'est  une  habitude  qu'on  ne  saurait  contrac^ 
1er  trop  tôt  en  Grèce. 

Dans  les  temps  antiques  Nauplie  était  le  port  de  la 
grande  ville  d'Argos,  comme  le  Pirée  était  le  port  de  b 
grande  ville  d'Athènes.  Ma  première  pensée  fut  donc  d'al- 
ler avant  tout  visiter  Tirynthe,  Argos  et  Mycènes  en  même- 
temps.  Une  route  carrossable  conduit  de  Nauplie  jusqu'au 
pied  des  collines  sur  lesquelles  était  bâtie  Mycènes,  en  pas- 

<  Homère,  Iliade,  cliant  ii,  Ters  559. 
^M.,  tWrf.,vers  369. 
*^  fd.,  chant  iv,  vers  62. 
*'  Id.,  chant  Vil ,  vers  180. 


TlftYNTHE.  38  S 

ssÊsn  par  Tiffilthe  et  Argosr.  Les  cabrioleis  sont  natoralisé»  ^ 
Haoplie  ;  j*en  fis  venir  iiii  et  me  mis  en  route.  Je  me  fis 
arrSIer  on  instaot  dans  rînférieiir  de  la  vilie  pour  ?  isilcr 
régNse  de  SaintrSptridioit  où  fut  assamné  Jean  €dpo  d'J»- 
tria,  que  j^avais  corbb  et  aimé  ;  et,  sa  peu  en  dehors  de 
1»  tille,  hôr»  dtt  faubourg  de  Pronîa,  j*a)laf  aussi  visiter  te 
rocher  sur  lequel  les  Bavarms  ftmt  taiUer,  à  rimttatîoo  du 
lion  de  Locerne  consacré  au  souvenir  des  laisses  tués  en 
France  an  i9  aodt,  on  lion  couché  en  l'hoioieor  des  Ba- 
%9tnÀ»  morH  en  serrant  en  Grèce.  Ce  monument ,  com-- 
itoeiicédepms  trots  ans  «  est  peo  avancé  encore.  A  quel- 
que» pas  de  lài  est  la  ferme  expérimentale  commencée  an 
femp»  de  Clapo-dl^tria  et  fort  né^l^ée  anîoord*htti. 

Tnryatbe  est  à  une  denu-lieiie  à  peine  de  Kaoplie.  Elle 
émit  bSMie  sur  one  petite  coMîne  à  rextréinité  de  ia  baie 
de  Naspliey  et  de  là  on  pouvait  surveiller  la  piatne  d'Ar- 
goft  et  les  terrains  bas  qui  entooreot  k  gotfe  des  deux  côtés 
presque  jesqn'an  marais  de  Lerne  et  ve» r  de  km  s'avancer 
les  barqnes  ec  kes  vamscaox  qia  se  dir^aient  vers  le  port 
de  Naoplie,  Ses  murailles  bellà>iqaes  f  défà  anciemes  au 
temps  d'Bomèrey  sont  composées  d'énormes  blocs  de 
pierm  non  tiHHées  ums  parfois  par  des  pierres  fort  pe-** 
tite»  f  mads  sans  secovrs  du  ciment.  Biles  eotoureai  toute 
la  coHîfle  et  sont  d'une  constmctien  imposante.  A  celle 
époqw  d'iHf^eclion  des  grandes  machines  de  guerre  ces 
murs  étaient  es  état  de  résister  non-seulement  à  toute  at- 
laqne  de  pirates  arrivés  par  le  golfe,  mais  li  toute  surprise 
d'osé  année  plus  considérable.  Quant  à  un  aiége  régulier, 
sa  pepolalion  imérienre  itait  trop  peu  considérable  et  la 
pente  de  sa  co^ie  était  trop  conrte  et  trop  bumUe  pour 
qu'elle  se  fit  craindre  d'oa  eaneflai  un  peo  poissant.  L'inté^ 
rieor  de  racropalis  de  Tiryntbe  est  anjourd'hui  un  champ 
d'excellent  fiabae,  et  sur  les  coteaux,  et  même  dans  la 
fMne ,  croissent  des  v%oes  qui  prodinsent ,  dit-on ,  de 
iért  boo  vin* 

E»  une  antre  demi^beure  èa  trot  régulier  d'un  bon 


384  GftECB  CONTJNBKTALE   ET   MOREE. 

cheval  de  cabriolet  on  arrive  des  ruines  de  TiryiMbe  à  la  ville 
moderoe  d'Argos.  C'est  une  sorte  de  grand  boorg  bàtî  en 
plaine  et  contenant  environ  6,000  habitants.  Deux  ou  trois 
des  maisons  sont  assez  bien  bâties  et  presque  toutes  pos- 
sèdent un  petit  jardin.  L'école  publique  et  la  caserne  sont 
aiLssi  de  bons  bfttiments.  Toutes  les  maisons  ont  un  air 
d*aisance  dû  ï  la  culture  du  tabac,  dont  la  qualité  supé- 
rieure est  reconnue  partout  en  Grèce.  Quelques  débris  de 
marbres  antiques  apparaissent  de  temps  à  autre  au  milieu 
des  murs  et  au-dessus  des  portes  extérieures  des  maisons. 
Dans  une  rue  qui  va  vers  la  montagne,  je  m'arrêtai  devant 
an  fort  beau  bas-relief  en  marbre,  haut  de  six  pieds,  et  re- 
présentant Vénus  et  l'Amour.  La  coiffure  de  Vénus  est  d'une 
forme  heureuse.  Ce  bas-relief  forme  un  des  deux  (Hliers 
qui  soutiennent  le  linteau  d'une  porte  de  jardin  placée  sur 
la  rue.  En  allant  de  la  ville  nouvelle  à  la  montagne  au- 
dessus  de  laquelle  étaient  placés  l'acropolis  d'Argos  et  h 
forteresse  du  moyen  âge,  on  trouve  d'abord  des  restes 
de  constructions  romaines,  puis,  un  peu  au  delà,  les  restes 
d'un  vaste  théâtre  taillé ,  comme  il  était  d'usage ,  dans  les 
flancs  mêmes  de  la  montagne.  Les  gradins  sont  assez  bien 
conservés  jusque  dans  la  partie  la  plus  haute.  Il  faut  en- 
core monter  pendant  une  heure  pour  arriver  au  sommet 
de  la  montagne  sur  laquelle  étaient  bâties  l'acropolis  et  la 
forteresse  franque.  Sur  toute  l'étendue  de  la  montagne  on 
trouve  des  masses  de  briques  qui  prouvent  que  tout  ce 
terrain  était  couvert  d'habitations.  Arrivé  sur  le  milieu  on 
trouve  une  première  enceinte  de  la  forteresse,  composée 
d'un  mur  crénelé  de  construction  franque.  Au  delà  de 
ce  premier  mur  d'enceinte  on  voit  apparaître  çà  et  là  » 
presque  partout  dans  l'enceinte  intérieure ,  quelques  ves- 
tiges des  murs  helléniques  en  larges  pierres  quadrilatères 
régulièrement  taillées  et  posées  les  unes  au-dessus  des 
autres  sans  être  unies  par  le  ciment.  On  voit  que  les  Francs 
se  sont  contentés  d'adapter  leurs  constructions  aux  con<^ 
structions  anciennes  et  d'élever  des  murailles  plus  hautes 


ARG08.  38Ô 

au-dessus  ée  celles  qui  existaient  déjà  en  partie  conser- 
vées. Trop  souvent  même  ils  se  sont  servis  d'autres  débris 
antiques  que  ceux  des  murailles ,  car  sur  le  mur  extérieur 
on  aperçoit  une  colonne  cannelée  enchâssée  d'une  ma- 
nière prétentieuse  pour  former  un  côté  de  fenêtre  tandis 
que  près  de  là,  sur  la  même  muraille,  un  grand  nombre 
d'autres  colonnes  sont  couchées  sur  la  profondeur  du  mur 
comme  si  elles  étaient  emmagasinées.  Le  château  franc  est 
parfaitement  conservé;  tours  rondes,  tours  carrées ,  cré- 
neaux ,  tout  s'y  trouve.  Vu  du  côté  du  couchant  il  produit 
on  fort  bel  effet. 

Au  temps  de  la  guerre  de  Troie  les  troupes  d'Argos  et 
de  la  presqu'île  de  Netbana  étaient  conduites  au  combat 
par  Diomède  grand  vassal  du  roi  Agamemnon ,  souverain 
de  l'Argolide.  Après  la  conquête  franque  de  la  Morée ,  la 
seigneurie  de  ce  même  pays  fut  donnée  à  un  Français  qui 
était  vassal  des  princes  d'Achaye  de  la  famille  Ville-Hardouin. 
Dans  le  quatorzième  siècle  Guy  d'£nghien,  ne  pouvant  re- 
conquérir Athènes,  qu'avait  possédée  son  grand-père  Gautier 
de  Brienne,  duc  d'Athènes,  devint  seigneur  d'Argos;  mais, 
n'ayant  laissé  qu'une  héritière,  les  Vénitiens,  qui  guettaient 
cette  succession,  parvinrent  à  faire  épouser  Marie,  sa  fille, 
à  un  des  leurs  de  la  famille  Gornaro  :  puis  ils  lui  rachetèrent 
ses  droits,  et,  à  la  mort  de  Marie  d'Engbien  et  de  Pierre  Gor- 
naro ,  ils  héritèrent  des  fiefs  d'Argos  et  de  Nauplie  *■  ;  mais 
ils  ne  purent  en  prendre  possession.  Gharles  de  Tocco,  des- 
pote de  Romanie  et  d'Arta,  duc  de  Leucade,  comte  palatin 
deGépbalonîe  et  beau-fils  de  Neri  Acciaiuoli,  doc  d'Athènes, 
s'en  étant  emparé  les  armes  à  la  main,  il  leur  fallut  des  an- 
nées  pour  terminer  ces  débats  à  leur  avantage. 

On  va  d'Argos  à  Kharvati ,  au  pied  des  collines  de  My- 
cènes,  en  une  heure.  Le  je  laissai  mon  cabriolet,  car  toute 
route  cesse,  et  je  montai  à  pied  ces  coteaux  arides.  Lèpre- 

*  Voyez  dans  la  CliroDiquc  d'André  Dandolo,  p.  482,  le  chapi- 
tre intitulé  :  ÂCquisitio  Argos  et  NeapoVts.  (Collection  de  Mura" 
tori,  t.  Ml.) 

33 


386  GRÈCE   CO.^TlNftflTALB   £T   MORES. 

œier  moDnment  antiqoe  que  Ton  reocootre  est  le  trésor 
des  A(ride0,  codod  aosti  sous  le  nom  de  tonbeau  d'Aga- 
memnon.  Un  vaste  vestibule  de  larget  pierres  quadrila- 
tères condfut  k  une  large  et  belle  i>orte  de  dix-buil  pieds 
de  basteor  ;  trois  hameoses  pierres  forment  les  deax  pl« 
lastres  d'appui  et  k  liateao  de  la  porte  pyramidale  qui  cor- 
doit  à  one  cbambre  d'enviroii  quaraote-huit  pieds  de  dia- 
mètre et  de  haoCeor,  coostroiteen  dôme  de  forme  coniqne. 
Dans  le  passage  qui  conduit  à  riatérieur^  on  aperçoit 
encore  de  bas  en  baut  àtax  rangs  de  clons  destinés  à 
soutenir  une  double  porte.  Cette  chambre  est  tonte  bâlie 
en  pierres  qmttrilatères  jusqv'an  baui  du  etee  on  de  la 
def  de  voûle  «  qui  atteint  la  partie  Stt|)érieore  de  la  colline 
presque  à  fleur  de  terre..  I^  pierre  ^x/ée  au  pk»  bant 
point  de  ce  côse  a  été  soulevée ,  dit-on,  par  Tordre  de 
Teli-Pacha,  sur  le  bruit  répandu  qu'il  y  trouverait  d'im- 
menses trésors.  Toutes  les  dalles  sont  couvâtes  de  larges 
clous  destinés  sans  doute  à  souientr  des  plaques  de  bronze 
ciselées  semblable  au  revêtement  de  la  colonne  de  la  place 
Vendôme*  De  cette  cbambre  ronde  on  passe^  par  une  porte 
et  un  passage  plus  petits,  dans  une  autre  chambre  de 
forme  carrée ,  taillée  dans  le  roc.  C'est ,  dil-on ,  là  que  les 
Atrides  conservaient  leurs  armes  précieuses,  les  coupes 
reçues  en  don»  et  autres  okjets  corieox  qui  formaient  leur 
héritage  de  famille.  Couvres  la  Halle  aux  blés  de  Paris, 
d'un  dôme  en  grandes  pierres  au  lieu  d'un  dôme  de  fer  »  et 
vous  aurez  une  représentation  assez  ûdèle  de  l'imposant  trésor 
des  Atrides.  Ce  monument  parait  avoir  été  en  dehors  de 
l'enceinte  de  la  ville ,  et  des  tombeaux  apparaissent  hors 
du  sol  à  quelque»  pas  de  là  et  cmiduisent  jusqu'aux  mu- 
railles de  Ittycèoes  formées  eu  grandes  pierres  polygonales 
taillées  qui  couvrent  toute  les  pentes  de  la  monti^^ae.  Dans 
la  partie  la  plus  basse  se  trouve  la  fameuse  porte  des  Lions, 
qui  est  d'une  si  haute  antiquité.  £Ue  est  de  forme  demi- 
pyramidale,  et  les  lions  placés  de  chaque  côté  ont  l'air  de 
supporter  l'écussou  colossal  d'une  porte  du  moyen  âge. 


MYCENES.  387 

Pins  haat ,  du  côté  des  montagnes  et  de  la  sonrpe ,  est 
une  autre  porte  plus  petite ,  et  plus  loin  on  remarque  ï 
Textrémité  d*uo  mur  une  tour  quadrangulaire.  Au  milieu 
de  ces  vastes  ruines  il  n'existe  plus  une  seule  habitation,  et 
le  tabac  y  croît  à  hauteur  d'homme  dans  les  meiUenrs  ter^ 
rains.  Malgré  l'aridité  présente  de  ces  montagnes  rocheuses, 
l'eau  ne  devait  pas  manquer  dans  l'antique  Mycènes.  Les 
pources  excellentes  qu'on  y  voit  encore  étaient  utilisées  à 
l'aide  de  conduits  et  elles  alimentent  encore  les  puits  de 
Kharvati.  Mycènes,  bâtie  sur  des  montagnes  escarpées,  en*- 
toorée  d'u&  rempart  de  montagnes  plus  âpres  encore,  est 
le  type  le  plus  parfait  d'une  grande  et  forte  ville  des  temps 
demi-fabuleux,  sans  qu'aucun  mélange  avec  les  annales  des 
temps  historiques  et  des  siècles  du  moyen  âge  soit  venu  en 
altérer  la  physionomie  ;  c'est  encore  la  Mycènes  la  bien 
bâtie*  la  Mycènes  aux  larges  rues,  l'opulente  Mycènes, 
aimée  de  Jnnon,  que  décrit  Homère ,  mais  qui  depuis  lui 
n'a  plus  m  de  vi^  pour  ainsi  dire  que  daos  ses  poèmes 
immortels. 

Je  revins  à  Nauplie  charmé  de  mon  excursion  dans  les 
états  du  roi  Agamemnon ,  et  me  mis  à  parcourir  la  ville 
pour  y  étudier ,  les  unes  après  les  autres ,  les  traces  des 
diverses  antiquités  qui  s'y  trouvent  réunies»  Je  ne  retrou- 
vai plus  trace  de  la  fameuse  fontaine  dans  les  eaux  de  la*- 
quelle  Junon  recouvrait  annuellement  sa  virginité.  Il  n'y  a 
guère  non  plus  de  restes  du  moyen  âge.  Ce  ne  fut  qu'en  l'an 
i2hlt  sous  Guillaume  de  Ville  Hardouin  ,que  les  princes  fran- 
çais  de  Morée  s'emparèrent  de  la  ville  de  Nauplie  à  Tai^e  de 
leurs  alliés  les  Vénitiens,  qui  bloquaient  cette  place  par 
mer,  tandis  que  le  prince  Guillaume  de  Ville-Hardonin  la 
cernait  par  terre.  Cette  ville  était  alors  défendue  par  deux 
cbâiejmx-forts  ;  le  château  de  Palamidi ,  placé  au-dessufi 
de  la  montagne  qui  domine  Nauplie*  et  un  second  château 
dans  la  ville  même,  sur  le  rocher»  qui  surveille  l'entrée 
du  port.  Les  Français  prirent  possession  du  premier,  qui 
prit  le  nom  de  Château-Franc  (  Frankikon  ) ,  et  laissèrent 


388  GRECE  CONTINENTALE  ET  MORÉE. 

aox  Grecs  la  possession  de  l'autre,  qui  prit  le  nom  de  Châ- 
teau-Romaîque.  Ce  dernier  château  a  été  bâti  sur  l'empla- 
cement d'une  antique  forteresse  hellénique.  On  retrouve 
dans  le  mur ,  à  une  assez  grande  hauteur ,  les  Tastes  assises 
de  pierres  quadrilatères  qui  portent  avec  elles  leur  certificat 
d'origine.  On  monte  à  la  Palamidi  par  nn  chemin  long , 
mais  facile ,  du  c6té  de  la  campagne ,  ou  par  un  escalier 
rapide  du  côté  de  la  ville.  L'escalier  a  été  reconstruit  nou- 
vellement par  les  travaux  des  prisonniers  détenus  dans  la 
forteresse. 

Pendant  tout  le  treizième  siècle  et  les  premières  années 
du  quatorzième  siècle,  Nauplie  et  Argos  restèrent  entre  les 
mains  des  Ville-Hardouin  ;  mais ,  après  la  mort  de  Louis 
de  Bourgogne ,  prince  d'Achaye  et  mari  de  Mathilde  de 
Hainaut,  petite-fille  de  Guillaume  de  Yille-Hardouin,  l'a- 
narchie s'étendit  par  toute  la  Morée ,  et  chacun  chercha  à 
s'emparer  des  seigneuries  qui  étaient  le  mieux  à  sa  conve- 
nance. Quatre  ans  environ  avant  la  mort  de  Louis  de  Bour- 
gogne ,  le  plus  puissant  de  ses  feudataires ,  Gautier  de 
Brienne,  duc  d'Athènes,  avait  succombé  en  1310  dans  la 
bataille  livrée  aux  Catalans  ;  son  fils ,  nommé  Gautier  ainsi 
que  lui ,  chercha ,  en  1336,  à  reprendre  possession  de  son 
duché  de  famille,  mais  sans  succès,  et  désira  plus  tard 
s'en  dédommager  en  s'emparant  de  la  seigneurie  de  Flo- 
rence ,  et  il  mourut  à  Poitiers  sans  issue.  Isabelle,  sa  sœur, 
laissa  au  contraire  six  enfants  de  son  mari  Gautier  d'Ea- 
ghien.  L'un  prit  le  titre  de  duc  d'Athènes ,  un  autre  alla 
preqjdre  possession  du  comté  de  Lecce  en  Italie;  le  dernier, 
nommé  Guy  d'£nghien,  alla  chercher  fortune  en  Grèce,  et 
parvint  à  s'établir  dans  la  seigneurie  d'Argoset  de  Nauplie. 
Guy  d'Enghien  n'eut  qu'une  fille ,  nommée  Marie ,  qu'il 
laissa,  commeje  l'ai  dit  plus  haut,  héritière  de  ces  deux  puis- 
santes seigneuries.  Marie  épousa  im  noble  vénitien,  nommé 
Pierre  Cornaro,  qui  mourut  avant  d'avoir  eu  des  enfants.  Les 
Vénitiens  convoitaient  depuis  long-temps  Nauplie.  En  l'ao 
1388,  le  2  septembre,  pour  empêcher,  disaient-Ils,  que  les 


MARIE   D*£N6HIEN.  389 

seigneuries  ne  tombassent  soit  entre  les  mains  des  Turcs, 
soit  en  celles  des  Grecs^qui  les  convoitaient ,  au  grand  dé« 
triment  de  Marie  d*£nghien,  ils  les  lui  achetèrent  moyen- 
nant une  pension  annuelle  de  cinq  cents  ducats  d'or.  Marie 
d*£ngbien,  de  sou  côté,  s'engagea  à  ne  jamais  se  remarier, 
soit  à  un  noble  vénitien,  soit  à  tout  autre  '.  Mais  Nerio 
Acciaiuoli ,  seigneur  de  Corintbe ,  s'opposa  avec  succès  à 
la  prise  de  possession  des  Vénitiens^,  et  mit  Ârgos  et 
Nauplie  entre  ses  mains.  Fait  duc  d'Âtbènes  en  139Zi,  il 
rédigea  son  testament  à  la  fin  de  cette  année  ;  on  y  trouve 
quelques  clauses  relatives  à  Argos  et  à  Nauplie  : 

«  Nous  voulons ,  dit-il ,  que  la  croix  d'or  garnie  d'éme* 
raudes  et  autres  pierres  précieuses  soit ,  pour  le  salut  de 
notre  âme ,  donnée  à  l'évêque  d'Ârgos. 

»  Nous  voulons  qu'on  donne  à  messire  l'évêque  d'Argos 
les  deux  cent  cinquante  ducats  que  nous  avons  retenus 
sur  les  revenus  de  l'église  d'Athènes  dans  l'année  où  ledit 
évêque  était  vicaire  de  l'église  d'Athènes. 

»  Nous  voulons  et  ordonnons  qu'à  Napoli  de  Romanie 
on  construise  un  hôpital  pour  les  pauvres ,  et  nous  léguons 
à  cet  hôpital  tous  nos  meubles  et  immeubles  d'Argos  pour 
]a  construction  dudit  hôpital;  à  l'exception  de  100... 
par  an  qui  devront  être  donnés  à  l'église  d'Argos  afin 
qu'on  dise  tous  les  lundis  une  messe  de  Requiem  pour 
notre  âme.  Nous  voulons  que  cet  hôpital  soit  construit  et 
administré  par  nos  héritiers ,  par  les  officiers  d'Argos  et 
de  Nauplie  et  par  messire  l'évêque  d'Argos,  et  ce  que  trois 
de  ces  quatre  administrateurs  décideront  sera  fait. 

»  Nous  voulons  que  le  susdit  évêque  d'Argos  soit  investi 
de  l'administration  de  notre  monastère  de  religieuses  de 
Nauplie  et  qu'il  puisse  placer  et  déplacer  l'abbesse  et  les 
autres  dignitaires  de  ce  couvent ,  selon  que  meilleur  lui 

'  Yoy.  la  Chronique  d'Aod.  Dandolo,  Collection  de  Moratori,  t.  xii, 
p.  842. 
•  T.  1,5).  141,  de  mes  Nouvelles  Recherches . 

33 


30.0     GRECK  GOMTINl!.NTALE  ET  MOREB. 

sciiiLUra;  sciiioniciU  tout  ce  qu*a  à  payer  ledit  couvent 
sera  payé  au  susdit  hôpital  et  non  à  d'autres.  » 

Pendant  que  Nerio  Acciaiuoli  était,  en  139&,  prison- 
nier des  Gascons  et  Catalans  d'Athènes  S  un  de  ses  gen- 
dres, Charles  Tocco,  comte  de  Céphalonie  et  despote 
d'Arta ,  s'empara  de  ces  deux  seigneuries  réclamées  inuti- 
lement par  les  Vénitiens  \ 

Venise  entra  cependant  en  possession  de  Nauplie  dans 
les  premières  années  du  quinzième  siècle ,  mais  elle  la 
perdit  après  la  guerre  de  1538. 

Morosini  la  reconquit  avec  toute  la  Morée  en  1686. 
Les  Vénitiens  la  reperdirent  en  juillet  171/i. 

Pendant  qu'ils  l'occupaient ,  ils  firent  construire  sur  un 
rocher  isolé  au  milieu  des  flots,  en  face  du  port  de  Nau- 
plie, une  troisième  forteresse ,  destinée  à  protéger  la  ville  à 
laquelle  elle  se  rattachait  par  une  jetée ,  et  ils  lui  donnè- 
rent le  nom  de  fort  du  Passage.  C'est  sur  ce  rocher  et  sur 
les  restes  de  ce  fort  que  les  Turcs  ont  fait  bâtir  le  fort  de 
Bourzi  pour  la  levée  des  péages.  On  voit  encore,  sur  la  par- 
tie la  moins  profonde  de  la  mer,  les  restes  des  pilotis  qui 
rattachaient  autrefois  cette  forteresse  à  la  ville.  Sur  la 
porte  de  la  ville  la  plus  rapprochée  de  la  forteresse  s*élève 
aussi  le  lion  de  saint  Marc,  sculpté  sur  un  écusson  ,  et  à 
côté  sont  deiq[  écussons  de  familles  vénitiennes ,  avec  le 
bonnet  ducal  pour  armes. 

On  y  lit  encore  Tinscription  suivante  : 

POST  UBBBS  ABCE8QUB  BIPDGHATAS  VàUDBQQB  VDIIITAS 

P08T  8B1IC8  rUGATOe  B08T1»t  BOfl  BBCtlTOli  PATR14S  BESITmiT 

rB4NGI8CD8  MA0RECENI7S  C*  ^UP^^    ABU"'*    MODCBATOB, 

ET   AL^YANOER    BONO ,    MAXIMiS   TRIBEKS   GUBERNATOB  , 

BOG  .£TBRNITATIS  MONDMENTUM  P08CIT. 

A.  D.  MDGLXXXTII. 

^  Voyez  son  article  dans  mes  Nouvelles  Recherches, 
'  La  dtta  d'Argho  fu  assediata  e  presa  dal  dispotn  dl  Romaiiia, 
e  lui  la  tiene,  e  contro  e!  volere  di  messer  Neri.  E  perche  ||  detto 
dispoto  è  suo  genero,  etc,,  p«  243,  t.  ii  de  mes  iVotiv,  Re^h^ 


NAUPUG.  391 

Sur  les  fragments  des  murailles  qui  conduisaient  de  là 
à  la  Palamidion  voif  d'autres  blasons  sculptés  sur  le  mar- 
bre avec  des  armoiries  franques.  Deux  autres  monuments 
de  la  dernière  époque  de  Toccupation  vénitienne  sont  eii<- 
core  debout.  L'un  est  un  vaste  et  beau  bâtiment  qui  sert  au- 
jourd'hui de  caserne ,  et  est  placé  au  bas  du  vieux  château 
hellénique  ;  il  contenait  autrefois  tous  les  bureaux  et  maga- 
sins du  gouvernement  vénitien.  L'autre  est  l'église  de 
Saint-Georges ,  qui  est  tout  â  fait  vénitienne  pour  l'archi- 
tecture et  les  ornements.  Les  voûtes  des  dômes  sont  cou- 
vertes de  peintures  à  fresque  dans  le  style  italien  de  la  fin 
du  dix-septième  siècle  ,  et  quelques-unes  de  ces  peintures 
sont  assez  passables.  Au-dessus  de  l'entrée  de  la  nef,  sur  une 
large  bande  de  mur  qui  règne  entre  les  deux  colonnes,  est 
une  copie  assez  bonne ,  aussi  à  fresque ,  de  la  Cène  de 
Léonard  de  Yinci.  Dans  le  grand  dôme  du  milieu  est  peint 
Jésus<-Ghrist  ;  dans  les  quatre  angles  sont  les  quatre 
évangélistes  avec  les  animaux  qui  leur  servent  d'emblèmes, 
tout  cela  peint  d*une  manière  assez  large  et  non  avec  les 
poncifs  employés. depuis  plusieurs  siècles  par  les  peintres 
grecs  pour  leurs  tableaux  d'église.  Les  peintures  des  voûtes 
sont  mystiques.  Les  ailes  des  chérubins  y  abondept  et  on 
les  voit  rassemblés  en  foule  autour  dti  chandelier  mys- 
tique. 

Près  de  l'église  de  Saint-Nikitas ,  démolie  au  temps  de 
Capo-d'Istria  pour  ouvrir  la  grande  rue ,  se  trouvait  sur 
un  degré  l'inscription  suivante  : 


FRANCISCO  GRIMAKO, 
SVPRSIIO  CLASSI8  IfODERATOBI, 

QUI  URBEM 

RXTRA  HDNIMENTIS  FIRMWIT, 

INTU8  HAC  CONSILH   /GDE  BXORNAVIT, 

AMNOflA  PROTIDIT, 

LB01B1I8  ORDINAYnr, 

PAUPMA  VOVET, 

àmO  POMINI  MDCCVIII. 


392  GEÈCE  CONTINENTALE   ET  HOREE. 

De  Nauplie ,  j'allai  faire  une  excursion  à  chenal  au  port 
Tolon ,  où  les  Vénitiens  avaient  établi  leur  arsenal  et  leur 
chantier  de  construction.  Beaucoup  de  leurs  vaisseaux  y 
ftirwent  coulés  à  fond  par  les  Turcs  lorsqu'ils  reprirent  la 
Morée  sur  eux  en  1 7 1 5.  Il  ne  reste  plus  en  ce  lieu  aucun  ves- 
tige d'ancienne  construction ,  si  ce  n'est  les  ruines  d'un 
palais  hellénique  sur  la  montagne  en  face  du  port  Tolon.  Le 
gouvernement  grec  a  concédé  les  terrains  cultivables  à  quel  - 
ques  émigrés  crétois,  en  leur  donnant  quelque  argent  pour 
bâtir  et  quelques  grains  pour  ensemencer.  Une  cinquan- 
taine de  familles  s'y  sont  établies,  et  leurs  maisons,  entou- 
rées de  toutes  parts  de  beaux  bois  de  citronniers,  forment 
un  petit  village  placé  sur  le  bord  de  la  mer  en  remontant 
la  côte.  Au  moment  où  je  le  visitai  il  n'était  plus  habité  que 
par  des  femmes  ;  tous  les  hommes  étaient  partis  secrètement 
pour  aller  combattre  en  Crète.  Je  restai  pendant  les  mo- 
ments de  la  grande  chaleur  assis  sous  les  citronniers  à  jouir 
de  la  fraîcheur  de  l'embat  ou  vent  de  mer ,  et  rentrai  à 
Nauplie  avant  la  chute  du  jour;  car  le  gouverneur  Almeîda 
a  soin  de  faire  fermer  les  portes  à  huit  heures  du  soir, 
comme  dans  une  ville  qui  redoute  des  attaques  de  l'en- 
nemi :  précaution  militaire  fort  inutile,  et  fort  désagréable 
pour  tous  les  habitants  et  pour  le  petit  nombre  d'étrangers 
qui  y  arrivent. 


XXL 

AS  TROS.  —  MONEMBASIE.  —  CHATEAU  DE  LA  BELLE. 

J'avais  amplement  profité  de  mon  séjour  à  Nauplie  pour 
voir  la  ville  et  les  environs ,  et  l'église  de  Saint-Spiridion 
où  fut  frappé  à  mort  le  président  Jean  Gapo-d'lstria  »  et  les 
murs  helléniques  de  la  tour  intérieure»  qui  me  reportait 
au  temps  de  Diomède,  et  les  restes  des  fortifications  fran- 


GOLFE  DE   NAUPLIE.  393 

ques  de  la  Palamîdi ,  qui  me  reportaient  à  Tépoque  do 
mon  compatriote  Guy  d*Enghien  ,  successeur,  au  temps 
des  croisades ,  de  la  i)aronnie  de  Diomède ,  et  le  lion  co* 
lossal  sculpté  dans  le  rocher,  en  souvenir  des  Bavarois 
morts  en  Grèce,  à  Timitation  du  lion  de  Lucerne,  et  le 
faubourg  de  Pronia,  où  siégea  le  congrès  national,  et  les 
quelques  salons  où  j'aimais  à  recueillir  les  bons  souvenirs 
conservés  à  nos  compatriotes.  Avant  de  continuer  de  là  mes 
courses  équestres  à  Tripolitza ,  à  Sparte  et  dans  tout  le 
Péloponnèse,  je  voulus  profiter  de  ma  résidence  à  Nauplie 
pour  mettre  à  fin  quelques  excursions  maritimes  néces- 
saires à  mes  recherches.  IVlon  ami  Canaris  le  brûlolier , 
dont  le  nom  et  Théroïstâe  sont  si  connus  en  Europe ,  est 
préfet  maritime  ou  navarque  de  Nauplie.  Il  alla  au-devant 
de  mes  vœux ,  et  avec  une  complaisance  parfaite  mit  à  ma 
disposition  un  joli  bâtiment  armé  de  trois  canons  et  pourvu 
d*un  excellent  équipage  et  d'un  capitaine  expérimenté.  Je 
fis  porter  à  bord  quelques  provisions ,  du  bon  vin  de  Té* 
nédos,  quelques  livres  et  cartes,  et  me  disposai  à  faire 
Toile  dès  la  première  brise  du  matin. 

A  peine  sentîmes-nous  le  premier  souflSe  d'air  frais  de 
l'embat  qui  ride  mollement  l'eau  à  la  première  apparition 
du  soleil  sur  notre  hémisphère ,  que  nous  levâmes  l'ancre 
pour  nous  diriger  vers  Astros  et  Monembasie. 

Aussitôt  qu'on  est  sorti  du  port  de  Nauplie,  et  qu'après 
avoir  passé  entre  la  ville  et  le  fort  Bourzl ,  bâti  sur  les  fon* 
dements  d'une  forteresse  vénitienne,  on  s'avance  dans  le 
golfe  de  Nauplie ,  la  vue  s'agrandit  et  s'embellit  à  chaque 
instant.  Au-dessus  des  terrains  bas  qui  terminent  le  golfe 
surgissent  la  vieille  Tirynthe  et  la  montagne  plus  irapo* 
santé  surmontée  des  ruines  de  Larissa ,  forteresse  d'Ar- 
gos;  au-dessus  de  Nauplie  s'élève  le  mont  Palamidi  avec 
les  ruines  de  sa  forteresse  franque  ;  et  tout  vis-à-vis ,  de 
l'autre  côté  du  golfe,  au-dessus  des  marais  où  se  tenait 
l'hydre  de  Lerne ,  apparaissent  d'autres  ruines  franques , 
celles  du  château  de  Lerne ,  vastes  encore  et  d'un  grand 


394         r.nKCE  goktii^entals  rt  moree. 


caracière.  J'eds'totit  le  tinnps  d'admirer  dans  leur  ensem* 
bte  et  dans  leurs  détails  chacun  des  tableaux  qui  se  dé-^ 
roulaient  devant  moi  ;  car,  quoique  nous  eussions  déployé 
toutes  nos  voiles ,  à  peine  pouvions-nous  recueillir  asseï 
de  vent  pour  nous  avancer  lentement  vers  la  hante  mer* 
Je  naviguais  dé^ï  depuis  près  de  cinq  heures,  et  je  n'aper-* 
cevals  que  de  bien  loin  i'Ua  de  Spetzia  à  Te^^tréoiité  de 
rhorizon ,  et  étais  menacé  d'une  booace  qui  pouvait  vw 
retemr  jusqu'au  coucher  du  soleil  k  la  hauteur  à»  Vik 
d'Haliousa  ou  Makro^Misf ,  sans  me  laisser  parvenir  jus* 
qu'à  Astros ,  qoe  je  voyais  m'ouvrant  ^  petite  baîe  à  dem 
on  Crois  milles  de  distance.  Je  me  décidai  h  foire  mettre  en 
mer  la  yole  de  la  canonnière  pour  aller,  avec  quatre  bons 
rameurs ,  jusqu'à  Astros,  pendant  que  la  canonnière  s'a* 
vaneerait  lentement  et  viendrait  me  rejoindre ,  soit  dans 
la  nuit ,  soit  le  lendemain ,  au  port  d' Astros ,  ou  en  vue  du 
port ,  si  le  vent  ne  lui  permettait  pas  d'eutren 

Le  temps  était  superbe  et  la  mer  légèrement  ondulée 
de  vagues  upies  et  régulières  qui  me  berçaient  doucement 
et  annonçaient  un  calme  prochain,  Ma  navigation  fut  des 
plus  délicieuses.  £n  avant  d' Astros  est  un  petit  monticule 
surmonté  d'fum  tour  et  des  ruines  d'un  cbiteau  du  moyen 
âge,  du  haut  dnqu^l  on  pouvait  surveiller  tout  ce  qui  en- 
trait dans  le  golfe,  Ausntôt  qu'on  a  doublé  ce  monticule , 
vous  apparaît  la  ville  d* Astros  au  (bnd  d'une  jolie  petite 
baie.  I#es  maisons,  asser  grandes ,  ^ont  isolées  les  unes  des 
autrea  comme  autant  de  pyrgos  ou  tours  de  défense,  et 
se  prolongent  jusque  sur  û  pente  du  monticule.  Au  delà 
de  cette  peU(e  ville  oit  unç  fertile  vallée  plantée  de  vignes, 
d'oliviers,  de  mûriers  ^t  d^  citronniers,  et  arrosée  par  le 
T^pius,  qui  descend  des  montagnes  environnantes  et  se 
jelte  dans  le  golfe  au^-des^usd'Astros.  C'est  dans  ce  vallon, 
Ik  l'ombre  des  orangers  et  des  citronniers  à  défaut  de  mai- 
SQQs  et  en  présence  d'une  population  animée ,  qui  affluait 
de  toutes  parts,  que  se  réunit,  en  1823,  le  congrès  na- 
tional d' Astros,  présidé  par  le  vieux  bey  du  Magne  Pierre 


ASTHO».  295 

Màvfomîehalis.  £n  se  séparant^  le  18  (10)  avril,  le  coii' 
grès  d'Astros ,  èû  dépît  da  Felds  de»  grandes  pumàûo» 
réanies  à  Yérone ,  déclara  de  ooOYeaa  Texiaieiiee  et  Vin- 
dépendance  polhiqoes  dé  la  mtUm  grecf^ae^  n'en  reposaot 
stir  le  déVGtiement  de  B^ë  eompatriotes  et  les  aentlmeiiu 
d'hu mainte  de  r£urope  édairée  pofir  ajoiHer  le  fait  m 
droit,  et  compléter  son  œntre.  Letemps^,  qài  trompe 
tant  d^espérances ,  a  da  mdns  réalisé  celle-là. 

Mon  bat,  en  me  faisant  déi>arqcfer  à  Asiro»,  était  d*«|]er 
visiter  les  niirres  d*tin  cbâfteati  sîtaé  h  quatre  en  cfiiq  lietfe» 
de  là ,  et  connu  dans  les  fraditiooa  dti  pays  sons^  le  nom  de 
Châtean  de  La  Belle  {Castro  fis  Oraioê),  Je  6» demander 
des  mulets  à  Astros.  Il  fallut  lea  envoyer  cherdier  dannlea 
champs,  car  on  était  alors  occupé  de»  iravatix  de  la  movH 
son  :  c'était  le  jeudi  B  jaiHet  Chacun  mh  le  plii^  grand 
empressement  à  m'obliger  ;  les  muleta  arrivèrent ,  et  je  ne 
m»  en  route.  La  chaleur  était  eitréme  à  nndi  ^  heure  k 
laquelle  je  partis  ;  cependant  quelques  brises  adoucissantes 
descendaient  de  temps  k  autre  de  la  montagne ,  agitaient 
l^èrement  Tair  et  me  procuraient  un  peu  de  fraicbeun 
Il  faut  une  bonne  heure  pour  franchir  la  plaine  d'Astros 
de^^  côté.  Il  y  avait  beaucoup  de  vie  autour  de  moi  »  et 
partout  on  était  occupé  k  battre  le  blé  à  Taide  de  six  che- 
vaux qui  pivotent  sur  un  point  et  foident  les  épis  de  ma- 
nière à  en  détacher  le  grain*  Cette  méthode  de  battage» 
usitée  dans  toute  rAâe,r  s'est  conservée  depuis  les  lemps 
lee  plus  anciens  et  a  kmg-teinps  été  employée  en  Europe  t 
ainsi  qu'on  peut  le  voir  par  ces  aires  pavées  et  circulaires 
que  l'on  rencontre  parfois  dans  les  villages  abandonnés  et 
an  milieu  des  champs.  La  niélhode  de  vendange  usitée 
dans  les  vignes  de  la  plaine  d' Astres  raf^lle  aussi  tout  à 
(ait  les  Hsa^^  aniiques.  Le  savant  Tournefort  la  décrit  de 
la  manière  la  plus  exacte  en  parlant  de  Milos. 

«  Chaque  particulier,  dit-il  S  a  toujours  dans  sa  vigne 

^  Voyage  du  Uvant,  1. 1,  lettre  iv,  p«  19t. 


396  GRÈCE   CONTINENTALE   ET    MORÉE. 

UQ  réservoir  de  la  grandeur  qu'il  juge  à  propos ,  carré, 
bien  inaçooné ,  revêtu  de  ciment,  mais  tout  découvert.  On 
foule  les  raisins  dans  ce  réservoir.  Après  les  y  avoir  laissés 
sécher  pendant  deux  ou  trois  jours  et  à  mesure  que  le 
moût  coule  par  un  trou  de  communication  dans  un  bassin 
qui  est  au  bas  du  réservoir,  on  remplit  de  ce  moiit  des 
outres  que  Ton  porte  k  la  ville.  On  les  vide  dans  des  fu- 
tailles et  dans  de  grandes  cruches  de  terre  cuite  enterrées 
jusqu'à  l'ouverture,  dans  lesquelles  le  vin  nouveau  bout 
tout  à  son  aise  sans  marc,  et  on  y  jette  trois  ou  quatre 
poignées  de  plâtre ,  suivant  la  grandeur  des  pièces.  » 

Pour  conserver  quelques  mois  un  vin  aussi  grossière- 
ment fabriqué ,  les  Grecs  y  ajoutent  de  la  poix-résine  tirée 
des  pins  appelés  pcvka  :  ce  qui  lui  donne  un  goût  détes- 
table. M.  Bory  de  Saint- Vincent  pense  que  c'est  à  cause 
de  cet  usage  antique  que  le  pin  était  regardé  comme  l'ar- 
bre de  Bacchus ,  et  que  son  fruit  ornait  le  thyrse  du  dieu, 
c  Le  nombre  de  tels  pressoirs  ou  cuves  eu  plein  air,  ajoute- 
t-il ,  bien  tenus  et  pareils  à  des  citernes  sans  couverture, 
m*étonna.  J'en  vis  une  douzaine  non  loin  les  uns  des  au- 
tres, et  l'on  me  dit  que  Ton  engageait  des  tragodes  et 
joueurs  de  violon  ou  de  mandoline  pour  l'époque  où  l'pn 
foulerait  la  récolte;  les  vendangeurs  voulant  être  divertis, 
et  se  fatigant  moins,  à  ce  qu'ils  prétendent,  quand  ils  écra- 
sent le  raisin  en  cadence  :  comme  au  temps  de  Thespis^  » 

Cette  plaine  abonde  aussi  en  fort  beaux  figuiers  qui  cou- 
vrent toutes  les  pentes  de  la  montagne.  Le  hameau  de  Si- 
kia  en  a  pris  son  nom.  Leurs  belles  et  larges  feuilles  vertes 
rafraîchissent  et  reposent  la  vue.  Au  pied  de  ces  bosquets 
de  figuiers  s'étend  un  hameau  gracieux  renfermant  les  bâ- 
timents d'exploitation  des  habitants  du  village  de  Meligou, 
placé  pins  haut  dans  la  montagne.  Ces  bâtiments  sont  des 
cabanes  ou  calyvia ,  mais  des  cabanes  pro.  res  ,  bâties  de 
pierres ,  recouvertes  de  tuiles ,  et  ayant  souvent  deux  éta- 

»  Erpédidon  scientifique  de  Morée,  t.  ii,  p.  4'1. 


UELLENIKO.  397 

ges.  Il  y  a  ici  un  air  d*aisance  et  d'activité  qui  charme. 
Une  fois  entré  dans  la  montagne,  on  ne  la  quitte  plus  ;  on 
est  sur  les  dernières  limites  de  TArgolide  et  de  la  La- 
conie. 

En-  arrivant  sur  un  de  ces  plateaux  élevés  près  du  der- 
t;en(/ ou  défilé  de  Mélingou,  mes  guides  m'indiquèrent  qucl^ 
ques  ruines  au-dessus  d*un  des  pics  voisins,  et  je  me  hâtai 
de  in*y  rendre.  Ce  lieu,  connu  sous  le  nom  d*Helléniko, 
offre  les  restes  d'une  ancienne  citadelle  hellénique.  Le 
sommet  est  couvert  de  murailles  composées  d'immenses 
pierres  brutes  d'inégale  grandeur,  mais  de  manière  à  indi- 
quer cependant  une  ligne  régulière  d'assises.  Ces  premières 
assises,  composéesde  pierresde  forme  généralementpentag-)- 
nale,  comme  le  sont  les  murailles  dites  cyclopécnnes  suivant 
M.  Peiit-Radel,  sont  recouvertes  par  d'autres  assises  com- 
posées d'énormes  pierres  quadrilatères  taillées  rudement. 
Près  des  murailles  est  une  vaste  citerne.  Le  passage  défendu 
par  cette  forteresse  conduit  en  Tzaconie  ,  et  était  à  toutes 
les  époques  important  à  garder.  Pendant  l'occupation  du 
Péloponnèse  par  les  croisés  français,  du  treizième  au  quin- 
zième siècle,  la  turbulence  inquiète  des  Tzacons  qui  arri- 
vaient d'Arakhova  et  d'Hagios-Peiros  avait  fait  multiplier 
les  châteaux  francs  de  ce  côté  ,  et  le  Château  de  La  Belle, 
que  j'allais  visiter  et  qui  était  placé  sur  le  versant  opposé 
d'une  autre  montagne,  du  côté  de  Xero-Campi,  était  une  de 
ces  fortes  positions  des  Francs. 

Le  plateau  de  Xero-Campi ,  ou  le  champ  sec ,  semble  le 
rendez-vous  général  des  perdrix  ,  qui  y  abondent  en  aussi 
grand  nombre  peut-être  que  dans  les  îles  de  Thermia  et 
de  Zéa ,  où  je  les  ai  vu  chasser  d'une  manière  tout  à  fait 
particulière.  On  applique  sur  deux  bâtons  croisés  une  large 
bande  carrée  d'étoffe  fond  gris  à  bandes  noirâtres  ;  sur 
cette  bande  on  pratique  deux  petites  ouvertures ,  comme 
deux  yeux,  bordées  d'un  liséré  rouge,  et  une  autre  ou- 
verture un  peu  plus  grande,  bordée  aussi  d'un  liséré  rouge, 
au-dessus  du  point  où  se  croisent  les  deux  bâtons.  Armé 

34 


398  GREGE   CONTINENTALE   ET   MOREK. 

de  cette  espèce  de  banpière,  derrière  laquelle  il  se  dérobe, 
le  chasseur  s'avance  doucement  vers  l'endroit  où  sont  po- 
sées les  couvées  de  perdrix ,  regardant  par  les  deux  trous 
creusés  pour  les  yeux  et  appliquant  son  fusil  à  la  troisième 
ouverture.  A  l'approche  de  cet  épouvantail,  les  perdrix  les 
plus  éloignées  prennent  la  fuite;  mais  les  plus  rapprochées 
sont  comme  terrifiées  et  se  blottissent  sans  mouvement  à 
l'endroit  même  où  elles  sont  arrêtées.  Les  gens  du  pays 
disent  qu'elles  croient  voir  planer  qn  ^igle  aux  ailes  dé- 
ployées. Le  large  panneau  gris  produit  sur  elles  l'effet  de 
l'œil  du  faucon.  J'ai  assisté  à  cette  chasse  ,  et  j'ai  été  té- 
moin de  cet  effet.  Le  chasseur  peut  ainsi  s'avancer  près 
des  perdrix ,  les  viser  à  coup  sûr,  et  quelquefois  pême  les 
prendre  à  la  main  et  les  tuer  avec  le  bâton. 

Le  plateau  de  Xero-Campi  est  terminé  par  un  ravin  ar- 
rosé par  la  rivière  Lepida ,  qui  le  suit  en  le  fécondant  de- 
puis Hagios-Joannis  jusqu'à  Platanos.  Cette  partie  de  la 
route  offre  un  joli  paysage  :  le  ravin  est  verdoyant ,  la  ri- 
vière est  vive  et  murmurante ,  la  chaîne  de  pnontagnes  est 
rudement  taillée  à  pic;  et  au  fond  de  la  gorge,  au  point  où 
elle  s'ouvre  pour  s'élargir  en  une  vaste  plaine,  se  voit  tout 
en  haut  de  la  montagne  ,  ^ssis  d'qne  manière  fière  et  pit- 
toresque, le  Château  de  La  Belle.  Pour  gravir  des  bords  du 
torrent  au  sommet  de  ]a  colline ,  il  me  fallut  trois  quarts 
d'heure.  Les  pentes,  quoique  rudes,  sont  recouvertes  d*m\e 
bonne  terre  végétale  jusque  fort  près  du  sommet ,  qui  se 
termine  en  un  rocher  d'un  difficile  accès  dont  les  intersti- 
ces sont  couverts  d'arbrisseaux  de  toute  espèce.  Au-dessus 
de  ce  rocher  s'élèvent  les  ruines  du  Château  de  La  Belle. 
On  conçoit  à  merveille  toute  l'importance  d'une  semblable 
position.  A  l'aide  de  ce  château,  on  pouvait  arrêter  les  ex- 
cursions que  les  habitants  de  la  Laconic  faisaient  d'Ara- 
khova  et  d'Hagios-Pelros  jusqu'en  Argolide;  et  sans  la  per- 
mission du  seigneur  de  ce  château,  dont  la  garde  était  sans 
doute  confiée  à  quelque  chef  puissant  parmi  les  Francs,  il 
était  impossi)))e  de  s'ayeniur^r  dans  les  défilés  des  Mélin- 


CASTRO  TIS  ORAIAS.  39^ 

ges*.  Du  haut  de  ces  ruines  on  embrasse  une  fort  bellci 
Tue.  Toute  la  chaîne  de  l*antique  Pârnon,  le  Malevo  actuel, 
se  développe  sous  vos  yeux  avec  tous  ses  embranchements  ; 
au  delà  se  dérobe  derrière  les  montagnes ,  entre  la  chaîne 
du  Parnon  etcelleduTaygète,  la  belle  vallée  de  TEtirotas, 
tandis  que,  du  côté  d'Asiros,  la  mer  s*ouvrë  devant  vous  et 
vous  laisse  toir  llle  de  Spetzia,  et  au  delà,  très-rapprochée 
à  cause  de  la  pureté  de  l'atmosphère,  Tîle  d'Hydra  aux  no- 
bles souvenirs.  Çà  et  là  dans  ces  vallées  et  sur  ces  collines 
sô&t  Cernés  de  jolis  villages  et  hameaux  parmi  lesquels  je 
reconnus  avec  joie  Dragalivos  en  Tzacoriie ,  mentionné 
plusieurs  fois  dans  la  Chronique  de  Morée  sans  quMl  soit 
indiqué  sur  aucune  carte.  Chaque  village  ici  possède  de  jo- 
lies calyvia  bâties  au  milieu  de  terres  en  culture.  Âujour- 
â*hui  que  le  pays  est  plus  sûr  lès  habitaiits  des  villages  bâ- 
tis stir  des  hauteurs  faciles  à  défendre  descendent  pehdant 
rhlver  sous  le  climat  plus  doux  de  leurs  gracietisês  calyvia, 
auprès  de  leurs  oliviers ,  de  leUrs  tnûriers  et  de  lèUrs  fi- 
guiers ;  puis  $  pendant  les  grandes  chaleurs ,  ils  quittent 
leurs  calyvia  de  la  plaine  pour  la  température  plus  salubre 
de  leurs  villages  des  montagnes. 

Les  ruines  du  Château  de  La  Belle  (Castro  lis  Oraias) 
sont  encore  assez  considérables.  Les  murailles  de  la  double 
enceinte  qui  ferme  le  haut  de  la  montagne  partout  oui  le 
rocher  n'élevait  pas  un  mûr  naturel  impénétrable,  sotit  en 
grande  partie  conservées.  La  porte  d'entrée  n'est  écroulée 
que  dans  le  haut,  et  une  fenêtre  de  le  seconde  enceinte  sub- 
siste tout  entière.  Tout  à  fait  sur  le  somtîiet  s'élevait  une  vaste 
tour  carrée  qui  se  tient  encore  debout  en  ne  conservatit  guère 
que  le  quart  de  sa  hauteur  ancienne.  Le  reste  est  un  amas 
de  décombres  sur  lesquels  pousseiit  deâ  arbres  et  arbris- 
seani  dont  lé  vent  a  .transporté  les  germes  au  milieu  de 
ces  rochers.  Assis  au  milieu  de  ces  ruines  franque  aux 
derniers  rayons  du  sdleil  qui  illuminaient  à  l'occident  les 

*  Ancienne  population  slave. 


4iQ  GRÈCE  COKTINEXTAI.E  ET  UORÉE. 

p'>intes  du  Taygète  tandis  qu'à  Torienl  l'île  d*Hydra  bril- 
lait encore  par  ses  masses  rocheuses  au  milieu  d*une  mer 
éclatante,  tous  les  temps ,  toutes  les  gloires,  toutes  les  iu- 
furtune^i  se  présentaient  en  foule  à  ma  pensée.  La  gloire 
antique  avait  disparu ,  mais  les  malheurs  qu'avaient  amenés 
les  invasions  étrangères  du  moyen  âge  avaient  cessé  de 
peser  sur  la  Grèce;  et  l'île  d'Hydra ,  qui  s'était  signalée 
d'une  manière  si  brillante  dans  cette  rénovation  politique , 
m'apparaissait  pour  me  rappeler  à  la  confiance  du  p^é^ent 
et  à  l'espoir  de  l'avenir.  Le  lieu  où  je  me  trouvais ,  les 
ruines  sur  lesquelles  j'étais  assis  me  reportaient  aussi  à 
une  des  époques  les  plus  dramatiques  de  notre  histoire 
nationale.  Quelques  Français  aventureux  étaient  venus  au 
treizième  siècle  s'implanter  dans  ce  pays  avec  leur  reli- 
gion ,  leurs  coutumes  guerrières ,  leur  langue  et  leurs 
mœurs.  Le  flot  des  âges  avait  poussé  sur  ces  mêmes  rives, 
du  fond  de  l'Asie,  une  race  nouvelle ,  la  race  turque,  qui 
avait  succédé  à  la  domination  de  la  race  franque,  déjà  fort 
affaiblie  par  l'anarchie  féodale.  N'était- il  rien  resté  des  sou- 
venii*sdu  passage  des  seigneurs  francs,  mes  compatriotes, 
que  ces  décombres  amoncelés  autour  de  moi  ?  leur  bravoure 
si  chaleureuse  ,  éprouvée  dans  tant  de  luttes ,  comme  leurs 
mœurs  si  diverses,  n'avaient-elles  laissé  aucune  trace  dans  la 
mémoire  des  habitants  et  dans  les  traditions  du  pays?  J'avais 
amené  avec  moi  sur  la  montagne  le  pasteur  d'un  troupeau 
des  vallées  de  la  Tzaconie.  J'interrogeai  ses  souvenirs ,  je 
fis  appel  aux  traditions ,  si  vivaces  dans  les  pays  de  mon- 
tagnes isolés  du  mouvement  du  reste  du  monde ,  et  il  me 
chanta  une  vieille  ballade  que  j'écrivis  sous  sa  dictée  :  c'é- 
tait la  naïve  histoire  de  la  dernière  lutte  soutenue  par  les 
seigneurs  francs  possesseurs  de  ce  château- fort,  et  cette 
lutte  était  celle  qui  avait  fait  connaître  ce  château  aux  âges 
suivants  sous  le  nom  de  Château  de  La  Belle  ;  car  le  défen- 
seur de  la  forteresse  était  une  belle  Française  aux  éeiies 
rohes  franquts  et  au  cœur  tendre.  Je  rapporterai  ici 
cette  simple  ballade  d'après  le  chant  de  mon  berger. 


CASTRO   TIS   OR  AI  AS.  401 


LE  CHATEAU  DE  LA  BELLE. 

J*ai  vu  tou!i  les  châteaux  , 
Tous  je  les  ai  parcourus; 
Mais  comme  le  cliâteau  de  La  Belle 
Je  n'ai  yu  aucun  cbâleau. 

Une  belle  fiUe  de  France  aux  belles  robes  franques 
Défentlait  ce  fort  château  : 
Elle  combattit  les  Turcs  pour  le  défeudre  ; 
Pendant  douze  ans  elle  les  combattit. 

Pendant  douze  ans  elle  les  vainquit  tous  : 

Elle  vainquit»  cette  belle  Franque  aux  robes  franques  ; 

Et  ils  virent  quMls  ne  pourraient  la  vaincre 

S'ils  ne  recouraient  à  la  trahison. 

Sans  la  ruse  et  la  trahison  , 
Étrangères  an  cœur  de  la  belle  Franque, 
De  la  belle  fille  aux  belles  robes  franques , 
Ils  ne  pouvaient  vaincre  ni  elle  ni  son  château. 

Et  un  jeune  seigneur  turc , 

Un  Turc  fils  d'une  Grecque, 

Imagine  une  trahison 

Afin  de  tromper  la  généreuse  Franque. 

Il  prend  des  vêtements  de  femme , 
Des  vêtements  de  femme  pauvre  ; 
Il  passe  un  oreiller  sous  sa  robe 
Et  se  donne  Tair  d'une  femme  grosse. 

Il  a  pris  des  vêtements  tout  noirs 
Pour  mi(Mix  éveiller  la  pitié , 
£1  il  fait  le  tour  du  cliâteau-fort, 
Et  il  vient  à  la  porte,  et  il  appelle. 

«  Ouvrez-moi,  pauvre  malheureuse  que  je  suis; 
<  Ouvrez-moi,  pauvre  orpheline  que  je  suis: 
»  Je  suis  grosse,  et  mon  fardeau  me  pèse;'', 
»  Car  je  suis  dans  le  mois  de  mon  enfantement. 

34. 


409  GttÈCB  CONTIHENTALB  ET  ttOREE. 

»  Belle  Fninquc  aux  belles  robes  franques, 
«  Belle  Franqiie  an  î*ran(l  c(rnr, 
»  Écoutez  la  prière  d'une  orpheline, 
»  Et  donnez  repos  à  une  femme  grosse.  » 

La  beHe  Franque,  la  bonne  princesse 

Aux  belles  robes  frasques  et  au  grand  cœur, 

Du  haut  de  ses  créneaux  la  vit  ; 

Elle  la  vit,  et  ses  entrailles  s'en  émurent. 

Elle  appelle  aussitôt  son  t)Ortief  : 
«  Bon  portier  de  mou  bon  château , 
»  Apporte-moi  tes  bonnes  clefs , 
»  Tes  clefs  d'argent  et  tes  clefs  d'or.  » 

11  apporte  ses  clefs,  le  fidèle  portier, 

Ses  clefs  d'argent  et  ses  clefs  d'or  ; 

Et  la  belle  Franque  descend  de  ses  créneaux , 

Et  elle  fait  ouvrir  la  porte  de  son  ch&teau. 

Mais  aussitôt  que  la  porte  fut  ouverte , 

Voilà  des  rfailllers  d'hoînmes  qui  enti-ent; 

Et  le  château  qu'ils  n'avaient  pu  prendre  pÀt  la  force. 

Us  le  prennent  ainsi  par  la  ruse. 

Et  la  fausse  femme  grosse  tire  de  dedftous  sa  rdbe 

Des  armes  qu'elle  y  teuëit  cachées 

Et  tue  par  surprise  la  belle  Frânque , 

La  fille  franque  aux  belles  robes  et  ail  grâhd  cceiir. 


J'ai  retrouvé  depuis  plusieurs  autres  Châtëaut  connus 
sous  le  même  nom  de  Château  de  La  Belle ,  dans  Fîle  de 
Thermia  et  dans  le  Maghe  au  midi  de  Mezapo ,  sut  la  côte 
occidentale,  et  la  même  ballade  s*y  est  conservée  avec 
quelques  variantes.  Peut-être  est-ce  la  commémoration 
d*un  fait  qui  s'est  perpétué  dans  la  tradition  sans  avoir 
laissé  de  trace  dans  Thistoire?  Peut-être  aussi  n'fest-cé  qu'un 
souvenir  confus  d'un  autre  événement  à  peu  près  du  même 
genre  arrivé  dans  les  montagnes  de  la  iMorée  centrale,  et 
qui  est  mentionné  dans  la  Chronique  grecque  anonyme  de 
la  conquête  de  Morée  par  les  Francs^ 


CASTRO   TIS   OBAtAS.  40^ 

««  bans  le  tfemps ,  dit  le  chroniqueur,  de  l'adminisira- 
lion  du  tieux  uiessirè  Nicolas  de  Saint-Omer,  seigneur  de 
Thèbes  fet  bail  dé  Morée  au  nom  de  la  princesse  Isabelle 
de  Villfe-Hardouin  (vers  1291  );  un  certain  noble  français 
domicilié  en  Chaitipagne,  ôflpelG  rtiessire  Gedffroi  de  Brièré^ 
ei  eousid  du  sëigilbdr  de  Caritéiiâ  eri  l^lobêe  ;  ayatit  a|)pMâ 
(}ue  ce  seigneur  venait  de  passet*  danâ  l'autre  thondé  sans 
laisser  d'héritier,  conçut  Tidéfe  de  se  rendre  en  Moi-éë 
pour  réclamer,  comme  soi!  héritage  de  famille,  la  sei- 
gneurie de  Garilena.  Il  mit  ses  domâitleâ  dé  Champagtib 
en  gage ,  emt)runta  de  Tàrgettt  pour  entrfetenit^  htttt  Ser- 
gents qu'il  voulait  emmenei*  aveb  lui  pour  pat^àîtfè  avec 
plus  d'honneut-;  prit  des  cet'lificâts  des  prélats  et  des  sei- 
gtieUi-S  de  Gharht)agUe  t^iii  attestèrent,  pàt*  ledits  téttidi- 
gtlages  et  leUhs  scedUx ,  (}d'il  était  biéri  le  cdUsIh  léj^ititUë 
et  de  saiig  de  tnessiré  Geoiïï-oi  »  sëigtlëtii*  de  CàHlettâ  ;  fit 
des  prépâratifo  dignes  de  Sa  naissante  ;  se  mit  à  là  tété  dé 
ses  huit  sergents  à  cheVal ,  et  pattit  de  la  Champagne  àHii 
de  s'embarqtier  dans  le  royaume  dé  Naples  pbm  là  Mëréé.  n 

Le  chroniqueur  décrit  l'arrivée  dé  GëolfrbI  de  Èriêre  S 
la  tour  supérieure  de  Naples,  ttù  ste  trouvait  aldrs  la  pritt- 
cesse  de  Morée^  Isabelle  de  Ville-HardoUin ,  et  se  coWpà- 
rutloii  devant  la  cdur  féodale  dé  GlarëUtzà  eh  Mdrée ,  qui 
rejette  ses  prétentions  à  l'héritage  de  soti  cf)tisiri ,  se  fon- 
dant sur  la  déchéance  prononcée  CoUtre  la  fatuillé  du  sëi-- 
gneur  de  Garitena  ft  la  suite  d'une  réVblte  contré  sbii  ohcle 
Guillaume  de  Ville-Hardoin^  pHncede  Moréë. 

t  Quand  méssire  Geotfroi  de  Brière^  continué  le  chro-t 
niqneuri  entendit  la  décision  que  rendait  cohtre  lui  là 
cour  féodale ,  en  opposition  à  toutes  ses  espél-attces  ;  il  re- 
vint dans  son  logi^  et  s'assit  tout  seul ,  pleurant  et  %  la- 
mentant comme  s*il  eût  perdu  tout  le  royaume  dé  France 
qui  eût  été  sien.  Après  deux  joutis  il  se  mit  à  agiter  dâiis 
son  esprit  et  à  considérer  quelle  serait  sa  posfticin  s'il  rd- 
loarnait  en  France  sans  aVoir  réuf^M  dans  feoh  i^rojctj  il 
vit  que  lotit  le  inoUde  se  rirait  de  lui  et  le  blâiilërâlt  d'élre 


404  GRÈCE  CONTINENTALE   ET   MO&EE. 

reTeno  sans  aucun  autre  résultat  que  d'avoir  dépensé  son 
argent.  Il  se  dit  donc  en  lui-uiéine  :  Plutôt  mourir  que  de 
revenir  sans  rien  faire  et  saus  profit.  Il  fit  alors  amitié 
avec  un  certain  homme  du  pays ,  et  prit  de  lui  ies  rensei  * 
gncments  les  plus  exacts  sur  les  places  du  pays  de  Gortys  : 
telles  que  Araclavon  et  Caritena  ;  sur  leur  situation  ,  sur  la 
nature  de  leurs  fortifications,  sur  la  force  de  chacune ,  et 
sur  les  troupes  qui  les  gardaient.  Cet  homme ,  qui  con- 
naissait fort  bien  ces  deux  places ,  lui  donna  les  renseigne- 
ments les  plus  circonstanciés ,  et  messire  Geoffroi  de  Brière 
bâtit  Iji-dessus  son  projeL  II  s'avança  dans  Tintérieur  de 
la  Morée  et  arriva  à  Xenochori  ;  à  son  arrivée  en  cet  endroit 
il  feignit  de  tomber  dangereusement  malade ,  dit  à  tout  le 
monde  qu'il  était  attaqué  de  la  dyssenterie ,  et  s'informa 
où  il  pourrait  trouver  à  boire  de  l'eau  de  citerne,  qui  est 
astringente.  Un  homme  du  pays  lui  apprit  qu'il  y  avait 
d'excellentes  citernes  dans  le  fort  d' Araclavon,  et  que  c'é- 
tait là  qu'il  devait  envoyer  demander  de  l'eau....  Un  ser- 
gent de  messire  Geoffroi  se  rendit  donc  au  château  ,  où  il 
trouva  le  châtelain.  Il  le  salua  très-humblement  de  la  part 
de  son  maître ,  et  le  pria  de  lui  faire  donner  de  l'eau  de  la 
citerne  :  ce  que  le  châtelain  ordonna  aussitôt.  Le  sergent 
entra  dans  l'intérieur  de  la  forteresse  et  l'examina  bien.  A 
son  retour  il  rapporta  à  messire  Geoffroi  ce  qu'il  avait  vu. 
Dix  jours  s'écoulèrent  et  messire  Geoffroi  continuait  tou« 
jours  à  dire  qu'il  était  fort  malade ,  et  son  sergent  se  ren- 
dait tous  les  jours  dans  la  forteresse  pour  lui  en  rapporter 
de  l'eau  fraîche.  Il  fit  dire  ensuite  au  châtelain  qu'il  le 
priait  instamment  de  venir  lui  parler.  Le  châtelain  se  rendit 
aussitôt  auprès  du  chevalier,  qui  l'accueillit  avec  recon- 
na»sance ,  lui  expliqua  sa  maladie  et  le  pria  de  le  rece* 
voir  dans  la  place,  avec  un  de  ses  chambellans ,  et  de  lui 
donner  une  chambre  pour  y  jouir  de  quelque  repos  et  se 
procurer  aisément  de  l'eau  toute  fraîche  de  la  citerne  ;  le 
reste  de  sa  suite  devait  rester  hors  du  fort.  Le  châtelain , 
'^ui  ne  se  doutait  d'aucune  ruse ,  promit  aussitôt  de  le  re- 


CASTRO    TIS   ORAIAS.  40Ô 

cevoir  dans  son  fort.  Le  lendenaain ,  messire  Geoffroi  de 
Brlère  y  entra  amenant  seulement  quelques  effets.  On 
dressa  un  lit,  et  il  se  reposa  dans  sa  chambre  n'ayant 
avec  lui  qu'un  seul  de  ses  sergents  ;  ses  autres  sergents 
étaient  restés  en  dehors  de  la  forteresse.  Le  chevalier  se  fit 
ensuite  apporter  peu  à  peu  le  reste  de  ses  effets,  parmi  les- 
quels étaient  cachées  ses  armes ,  et  il  continuait  toujoui*s 
à  garder  le  lit.  De  temps  en  temps  il  invitait  le  châtelain  à 
dîner  avec  lui  et  lui  faisait  les  plus  grandes  démonstrations 
d'estime  et  d'amitié ,  dans  l'intention  de  lui  inspirer  une 
sécurité  plus  aveugle  et  de  parvenir  plus  aisément  à  le 
troqfiper.  Dès  qu'il  pensa  lui  avoir  inspiré  assez  de  con- 
fiance et  qu'il  crut  le  moment  favorable ,  il  invita  auprès 
de  lui  tous  ses  sergents  sous  prétexte  qu'il  voulait  faire 
son  testament  par  la  crainte  de  voir  la  mort  terminer  la 
maladie  qui  le  tourmentait.  Il  leur  fit  alors  jurer  dans  sa 
chambre  de  garder  le  secret  sur  ce  qu'il  allait  leur  com- 
muniquer. Après  avoir  obtenu  leur  serment ,  il  leur  ex- 
pliqua le  projet  qu'il  avait  formé  de  s'emparer  de  la  for* 
teresse  d'Araclavon  et  du  confiant  châtelain. 

»  A  cette  proposition ,  les  sergents  se  concertèrent  avec 
lui  et  examinèrent  les  moyens  d'exécution  les  plus  propres 
à  atteindre  leur  but.  Aiessire  Geoffroi  régla  tout.  «  J'ai  ap* 
»  pris,  leur  dit-il ,  qu'en  dehors  de  la  forteresse  il  y  a  une 
»  taverne  où  on  vend  du  vin ,  que  le  châtelain  y  va  lui- 
»  même ,  et  que  souvent  il  y  prend  place  et  boit  avec  les 
»  autres.  Voici  donc  ce  qu'il  me  paraît  convenable  de 
»  faire.  Nous  avons  dans  le  fort  une  provision  de  pain  et 
»  de  biscuit ,  et  de  plus  une  bonne  quantité  d'eau  et  au- 
B  tant  d'armes  qu'il  nous  est  nécessaire.  Allez  vous  pro- 
»  mener  autour  de  cette  taverne ,  et  que  deux  ou  trois 
»  d'entre  vous ,  les  plus  adroits ,  invitent  à  boire  avec  eux 
»  le  châtelain ,  le  connétable  et  leurs  meilleurs  hommes 
»  d'armes.  Vous  avez  de  l'argent  en  suffisance ,  donnez-en 
.  f  au  tavernier;  achetez  beaucoup  de  vin  et  buvez  avec  eux 
»  tant  et  tant  que  vous  les  enivriez.  Mais,  vous,  faites  bien 


4o6        GRECE  contihèntalc  et  Morée. 

*  attention  de  ne  pas  boire  autant  de  ?in  qu'enx ,  car  nonst 
i  perdrions  ainsi  ce  qae  nons  espéttnis  gagner.  Dès  que 
i  tous  VOUS  serez  aperçus  qu'Ms  sont  ivres,  que  Tun  d'entre 

*  tous  sorte  et  vienne  me  trouver  ici  ;  un  autre  le  suivra, 

*  et  successivement  tous  ses  compagnons.  Prenez  alors  le 
»  poi'tier  et  jeiez-le  hors  du  fort.  £mparez-vous  des  clefs , 

*  fermez  les  portes ,  nioutez  sur  les  miirs  au-dessiis  Ae  la 
«  porte  pour  la  garder  et  veillez  à  ce  qu'on  ne  la  brfllé 
»  pas ,  de  peur  qu'on  entre  et  qu'on  nous  fasse  pristin- 
»  niers.  » 

n  Tout  réussit  ainsi  que  l'avait  conçu  GeolTroi  de  Brlère. 
Il  resta  maître  du  fort  ;  et  les  Français  de  l\lorée,  témoins 
de  son  audace  et  de  son  adresse ,  s'empressèrent  de  se! 
Tadjoindre  en  lui  conférant  un  flef  bé^ëdltaii-e  et  eu  le  ma- 
Hant  à  une  Française ,  Mal^gùeritë  de  Rozièred ,  flUë  du 
seigneur  d'Akhova ,  qui  eut  de  lui  Une  fille  appelée  Hélène, 
îiiaHée  à  tin  sire  Vildiri  d'Aunoy,  seigneur  d'Ârcadia  :  cdr 
toUs  lés  seigneurs  français  de  Horée  se  mariaieiit  séulemetit 
entre  eux.  » 

N'est-il  pas  possible  qtie  ce  récit  de  l'occupation  d'une 
fbfteresse  franqne ,  Si  Pâide  d'une  ruse  où  l'on  faisait  appel 
i  là  pitié  du  châtelain ,  ait  été  ensuite  altéré  dans  les  sou- 
venirs du  pays  et  lié  à  quelqiie  autre  éténement  dont  Une 
fille  de  Français  était  Thérolne  ? 

Pendant  que  je  me  faisais  chanter  cëè  ballades  et  racon- 
ter les  traditions  du  pays,  la  nuit  était  survenue,  nuit 
ëihbdtimée ,  niiit  douce  à  pàsseï"  eh  pleiti  air  ad  milieu  de 
ces  ruines. 

Dès  le  matih  je  remontai  sur  mdU  mulet  et  repris  ma 
route  vers  Astros  par  un  sentie!*  moins  bien  tracé ,  mais 
qui  traversait  un  pays  plus  gracieux  que  celui  pat*  lequel 
j'ataiâ  t)assé  depuis  Helléniko.  Je  tne  dirigeai  par  le  haut 
Villdge  de  Mélingou^  qui  domine  une  vallée  pi'Ofohde  et 
fertile.  Il  se  compose  de  plus  de  cent  maisons,  fort  bien  bâ- 
ties et  assez  grandes ,  isolées  l'une  de  l'autre ,  et  cfiac(]ne« 
entourée  d'un  jardin  bien  ombragé.  AU  bas  du  village  s'é- 


HEUNGOU.  i07 

tendent  de  vastes  vergers  de  mûriers  et  de  figuier^  TquI 
ici  a  un  air  d*aisance ,  car  la  population  est  active  et  le  sol 
fécond*  De  Mélipgou  jusqu'au  hameau  de  Sikia ,  je  ren- 
CH>ntrai  des  bandes  de  vingt ,  de  trente ,  de  quarante  che- 
naux que  Ton  conduisait  du  village  de  la  montagne  aux  ca- 
lyvia  de  la  prairie  pour  y  battre  le  blé  de  la  ferme,  l^e  ba<* 
meau  de  Sikia  a  un  air  d*aisance  plus  remarquable  encore, 
La  culture  y  est  bien  entendue  et  active.  Sikia  (les  Figuiers), 
au  milieu  de  ses  berceaux  de  vignes  et  de  ses  beaux  Qguiers, 
et  au-dessns  du  ravin  verdoyant  sur  lequel  il  se  développe 
avec  grâce ,  seqoble  tout  à  fait  un  hameau  de  plaisance  à  la 
disposition  et  Tentretien  duquel  aurait  présidé  une  volonti 
intelligente.  En  descendant  de  Sikia  on  entre  dans  la  plaine 
d'Astros,  animée  par  le  travail  des  moissonneurs.  Je  la 
traversai  avec  rapidité  au  bruit  du  coup  de  canon  qui 
m'annonçait  l'entrée  de  mon  bâtiment  dans  le  port.  Les 
quatre  niatelots  de  la  yole  m'attendaient  ;  le  vent  de  terre 
paraissait  vouloir  fraîchir  et  devenir  tout  à  fait  favorable 
après  le  coucher  du  soleil  ;  je  m*arrachai  non  sans  peine  k 
Fempressement  curieux  des  habitants  d*Astros,  qui  me 
demandaient  détails  sur  détails  an  sujet  de  mes  investiga* 
tions  du  Château  de  La  Belle  et  de  leur  résultat  ;  je  me 
jetai  dans  ma  yole ,  accompagné  de  leurs  souhaits  bienveil- 
lants ,  e( ,  appuyant  vigoureusement  sur  les  r^mes,  noua 
glissâmes  comme  pn  cygne  sur  une  eau  limpide ,  et  en 
quelques  minutes  nous  fûmes  à  bord  de  notre  canpiinière. 
L'ancre  fpt  promptement  levée  au  commandement  dM 
capitaine ,  donné  en  langue  albanaise;  elle  est  la  langue 
d'Hydra  et  de  presque  toute  la  marine  grecque.  Un  souffle 
léger  enfla  doucement  nos  voiles  ;  puis  ce  souffle  fraîchii^- 
sant  peu  à  peu  les  arrondit  avec  puissance ,  et  nous  nous 
éloignâmes  rapidement  de  la  côte.  La  nuit  survint  ;  en  me 
promenant  sur  le  pont  et  en  rêvant  à  ma  course  de  la 
journée,  je  jouissais  avec  délices  de  cette  belle  mer  et  de 
cette  spleudidc  nuit.  Ia  lune  se  luva  dans  son  plein  ver§ 
dix  heures  et  argenta  la  mer  d'une  longue  lumière  écla- 


408  GRECB   CONTINENTALE   ET  MOREE. 

tante.  Les  flots  immobiles  étaient  à  peine  plissés  par  les 
quelques  rides  nées  du  calme  sillage  de  notre  navire , 
rides  aussitôt  c  ffacécs  que  formées.  En  face  de  moi  était 
Astros  avec  les  lumières  de  ses  habitations  scintillant  çà  et 
là  jusqu'au  haut  de  la  colline  ;  et  de  l'autre  côté,  Speizia 
et  Hydra  dans  le  lointain.  En  présence  de  cette  belle  nuit 
si  calme  et  si  chaude ,  au  milieu  de  ce  profond  silence ,  on 
conçoit  tout  ce  que  cet  imposant  spectacle  devait  inspirer 
d'idées  poétiques  k  des  hommes  aussi  heureusement  orga- 
nisés que  les  anciens  Grecs.  Ne  pouvaient-ils  pas  penser  à 
chaque  instant  qu'à  ces  doux  reflets  de  lumière  Diane  al- 
lait descendre  avec  ses  nymphes  pour  se  baigner  dans  ces 
eaux  d'azur,  et  qu'Amphitrite  et  Vénus  allaient  en  sortir 
avec  tout  leur  cortège  pour  se  promener  sur  cette  mer 
unie  et  jouir  comme  eux  de  la  pureté  des  cieux  ! 

Le  vent  ne  réalisa  pas,  pendant  que  je  dormais ,  les  es- 
pérances qu'il  m'avait  données ,  et  il  tomba  tout  à  fait  api*ès 
le  lever  du  soleil.  C'est  une  chose  curieuse  à  voir  pour  un 
voyageur  que  l'état  profond  d'abattement  dans  lequel  le 
calme  jette  les  matelots  de  tous  les  pays.  Le  silence  le  plus 
complet  règne  à  bord ,  le  narrateur  le  plus  intrépide  s'ar- 
rête anéanti  ;  le  plaisant  le  plus  déterminé  ne  peut  faire 
entendre  que  le  cri  sourd  de  distychia  (malheur)  !  on 
dirait  que  vaisseau  et  équipage  ont  été  frappés  par  la  ba- 
guette d'une  fée ,  et  privés  du  même  coup  du  mouvement 
et  de  la  parole.  L'homme  sent  que  sa  force  ne  peut  agir 
contre  le  néant  et  devient  impuissante  contre  le  vide.  Mais 
que  le  vent  commence  à  s'annoncer  de  bien  loin  par  une 
longue  bande  noire  qu'il  trace  sur  les  flots ,  à  l'instant  tout 
s'anime,  tout  se  met  en  mouvement,  les  cordages  et  les 
voiles  s'apprêtent  :  l'enchantement  a  cessé  ;  la  vie,  le  mou- 
vement et  la  parole  sont  revenus  en  même  temps.  Le  vent 
contraire  même  n'abat  pas  les  matelots ,  il  les  anime  ;  car 
chacun  fait  alors  appel  à  sa  force  et  à  son  adresse ,  et  le 
danger  même  devient  un  stimulant  de  plus. 

Le  vent  contraire  succéda,  en  effiet,  au  calme  et  nous 


SI^ET21A   et   HYDftA.  40d 

ponssa  à  an  jet  (Varbalète  du  rocher  plat  et  aride  de  Spet- 
zia  ,  puis  dans  la  direction  d*Hydra. 

Pendant  la  nuit  suivante  il  nous  fut  enfin  plus  propice, 
et  nous  pûmes  reprendre  notre  route  vers  Moneinbasie. 
Nous  longeâmes  les  côtes  rocheuses  de  la  Tzaconie  jus- 
qu'aux ruines  de  Tantique  Zarex,  aujourd'hui  port  Hié- 
raka  ;  nous  doublâmes  le  port  Hiéraka  et  vîmes  pointer,  à 
Textrémité  de  Thorizon,  les  rochers  du  cap  3ialée  :  nous 
n'étions  plus  qu'à  peu  de  distance  de  la  montagne  sur  la- 
quelle s'élève  le  fort  de  Monembasie ,  qu'il  fallait  tourner 
pour  entrer  dans  la  ville  bâtie  sur  le  côté  du  sud  ;  le  seul 
qui  ne  soit  pas  complètement  à  pic.  Nous  laissâmes  sur 
notre  droite  ks  ruines  de  l'antique  ÉpidàureLimeri,  nous 
doublâmes  la  montagne  et  jetâmes  Tancre  dans  le  port  de 
Monembasie ,  dont  le  nom ,  par  corruption ,  est  devenu 
Malvoisie.  D'après  ce  nom  ,  qui  désigne  un  vin  d'une  si'ex- 
cellente  qualités  J6  m'étais  attendu  à  voir  autour  de  Mo- 
nembasie  des  champs  fertiles  et  de  riches  vignobles  ;  mais 
Monembasie  n'est  qu'un  rocher  nu  et  stérile ,  et  les  terres 
environmntes  sont  sèches  et  dépourvues  de  toute  végéta- 
tion. La  montagne  sur  laquelle  est  bâiiela  ville ,  d'étage 
en  étage,  entre  deux  murailles  qui  la  resserrent  en  se  ré- 
trécissant depuis  la  mer  jusqu'au  sommet ,  est  un  îlot  rat^» 
taché  à  la  terre  par  un  pont  de  pierre  de  plus  de  cinq  cents 
pieds  de  long  et  défendu  à  son  entrée  par  une  tour  carrée 
vénitienne.  Monembasie  fut  une  des  dernières  places  de 
Morée  qui  tombèrent  entre  les  mains  des  croisés  français  à 
la  suite  de  la  prise  de  Constantinople.  Le  prince  Guillaume 
de  Ville-Hardoin,  troisième  prince  français  de  Morée,  s'en 
empara  vers  1250  après  un  siège  de  trois  ans,  dans  le- 
quel les  Vénitiens  lui  avaient  donné  l'appui  de  quatre  bâ- 
timents pour  opérer  le  blocus  par  mer  en  même  temps 
que  les  troupes  françaises  bloquaient  la  ville  par  terre.  La 

1  Le  vin  de  Malvoisie  ne  se  trouve  plus  que  dans  Tile  de  San- 
torin. 

35 


41i)  GRECE   COiiT|MEMtA|.E  ET  IfOREE. 

Chronique  grecque  de  Morée  donne  l'histoire  de  ce  siège , 
pendant  lequel  le  prince  le;^  tint  resserrés  «  coinipe  on  ros~ 
sigool  dans  sa  cage*;»  et  elle  cite  les  conditions  honorables 
qu*il  leur  accorda  en  leur  permettant  de  ne  ser¥ir  que 
sur  mer,  et  en  leur  concédant  des  terres  dans  le  pays  plus 
fertile  de  Yatica ,  vers  la  pointe  du  cap  IVialée. 

Monembasie  ne  resta  pas  long-temps  e^lr^  les  mains  des 
princes  français  de  Morée.  Le  prince  Guillaume  dç  Ville- 
Hardouin,  ayant  été  fait  prisonnier  en  1259  dans  une  ba- 
taille livrée  en  Thessalie  contre  Tempereur  grec  de  Nicée, 
fut  obligé ,  après  trois  ans  de  captivité  et  après  l^  perte  de 
Gonstantinople  par  Baudouin,  de  donnar  pour  sa  raqgon, 
en  1263  :  la  forteresse  de  Mistr^,  qui  commandait  la  yallée 
de  Sparte  ;  une  forteresse  dans  le  Magne ,  qui  donnait  aux 
Grecs  la  facilité  de  se  faire  un  appui  des  Maînote^  ;  et  la 
ville  de  Monembasie ,  qui  était  un  point  facile  h  défendre 
par  mef  et  propre  à  alimenter  Tindiscipline  des  montagnards 
de  la  Tzaconie,  L'historien  grec  George  Phr^ntzi ,  dont  le 
beau-frère  Grégoire  Paléologue-MamDnas  administrait  cette 
ville  en  1406  au  nom  de  Temperepr  grpc ,  raconte  avec 
exactitude  les  phases  historiques  de  cette  cité,  dont  il  fait 
le  plus  grand  éloge  :  «  Je  ne  dois  pas ,  dit-il^,  oublier  de 
dire  de  combien  d'honneurs  et  de  quels  grapds  privilèges , 
grâce  à  la  honte  de  la  ville  et  au^  vertus  des  citoyens ,  )e$ 
empereurs  comblèrent  successivement  et  l'église  de  ftlo- 
nembasie  et  les  habitants  de  cette  excellente  forteresse. 
Cette  ville  mérite  bien  en  effet  son  nom  de  Mon-Ëmb^sie 
(entrée  unique),  car  on  ne  peut  y  pénétrer  que  par  un 
côté  ;  et  sa  force  n'est  due  ni  à  l'œuvre  ni  à  l'art  des  hom- 
mes mais  à  la  nature ,  et  il  est  impossible  de  trouver  sous 
le  soleil  une  autre  forteresse  aussi  inexpugnable  contre 
toute  machine  de  guerre...  Les  habitants  sont  ^ussi  pro- 
pres aux  choses  de  mer  qu'aui^  choses  de  terre.  Habiles. 

*  p.  71  et  72. 

«P.  397. 


ÉoiVEHBASiE.  411 

marifas^  ndn-scuteiuent  ils  possèdoni  nn  gràiid  nombre  de 
navires  de  commerce  avec  des  pilolés  et  matelots  exercés  ; 
mais  ils  fournissent  encore  des  chef^  et  des  matelots  ha-^ 
biles  à  la  flotte  impériale.  Stir  terre  ils  sorit  cavaliers  et 

archers  adroits  ^  el  fantassins  braves  et  expérimentés 

Leur  église,  déjà  honorée  dé  grandes  faveurs  par  les  em- 
{)erears  qui  précédèrent  les  empereurs  latins,  fut  comblée 
de  nouveaux  biens  eii  1292  par  un  chrysobulle  de  remt>ë- 
i*etlr  Androdic.  »  Le  despote  Thomas  Paléologue ,  se  voyant 
bord  d*ëiat  de  la  défendre ,  en  fit  don  en  1A60  an  pa()e  i 
maiâ  leâ  Yéiiitiens ,  profitant  du  découragement  des  habl-^ 
tants  à  l'aspect  des  victoires  des  Turcs  dans  le  Péloponnèse^ 
ft'en  emparèrent  en  1^6^. 

Les  Yénitiens  regardèrent  Monembasie  comme  un  autre 
Gibraltar,  et  sa  possession  leur  fut  très-utile  sans  leur  êtrd 
onéreuse.  Il  n'y  a  pas ,  il  est  vrai  i  de  port  capable  d'abri- 
ter Une  barque^  et  on  n*a  de  refuge  que  dans  la  baie  de 
Yatica  et  dans  Tile  d'Ëlaphonisi  ;  mais  c'était  un  moyen  de! 
menacer  toujours  les  Turcs  sans  redouter  de  représailles.  Les 
Yénitiens  furent  cependant  forcés  de  céder  Monembasie  aux 
Tdrcs  par  les  stipulations  de  la  paix  de  1538.  Géux-ci  s'y 
maintinrent  jusqu'à  l'année  1689,  où  François  Morosini^ 
maître  du  Péloponnèse  $  força  Monembasie  à  capitbler: 
Les  Yénitiens  ne  conservèrent  Monembasie  que  pendant 
leur  courte  occupation  du  Péloponnèse,  et  elle  fut  obligé!! 
de  se  rendre  au  grand-vizir  en  juillet  ilili. 

Depuis  cette  année  1714  jusqu'au  moment  de  la  révé- 
lation grecque  Monembasie  resta  entre  les  mains  dek  Thrcsi 
mais  fort  diminuée  d'iolportance*  Après  l'invasion  russe  de 
1770  dans  le  Magne,  les  Grecs  (Jui  avaient  été  feompromis 
dans  te  mouvement  se  hâtèrent  de  prendre  la  fuite  t  et 
cent  cinquante  des  fandilles  grecques  qui  habitaient  Mo^* 
nembasie^  redoutant  l'approche  des  troupes  albatiaiseâ  in-» 
disciplinées,  se  réfugièrent  à  8petzia,  à  Hydra  et  à  Smyme^ 
sans  revenir  après  les  troubles^  Au  moment  de  la  révolu-^ 
tion  grecque  il  n'existait  {^Ins  que  trois  cents  familles  tur- 


419     GRECE  CONTINENTALE  ET  MOREE. 

ques  dans  la  ville ,  et  cinquante  dans  la  forteresse.  Après 
une  longue  résistance  les  Turcs  furent  enfin  forcés  de  ca- 
pituler au  mois  d*août  18'i2 ,  et,  à  dater  de  ce  jour,  Mo* 
nembasie  a  suivi  le  sort  du  nouvel  État  grec. 

Au  moment  où  j*y  arrivai ,  Monembasie  était  une  ville 
presque  déserte  et  qui  ne  semblait  guère  avoir  chance  de 
se  relever  de  long -temps.  La  ville  n*e$t  occupée  que  par 
quarante  familles  d'anciens  habitauts  et  quarante  familles 
de  Cretois  émigrés,  et  le  château  ou  ville  haute  n'a  d'autre 
garnison  que  soixante  invalides  commandés  par  unphrou- 
rarque  (commandant  de  place).  L'abandon  presque  com- 
plet de  cette  ville  me  paraît  fort  prochain  :  car  les  champs 
voisins  sont  stériles ,  et  les  habitants  doivent  aller  jusqu'à 
Tilia  pour  cultiver  avec  avantage;  en  outre ,  le  port  est  si 
peu  sûr  que  le  seul  caîque  que  j'y  vis  était  obligé  de  se 
chercher  une  petite  crique  au  milieu  des  rochers.  Je  mon- 
tai dans  la  ville  au  milieu  des  décombres ,  car  Monembasie 
n'est  qu'un  amas  de  décombres.  La  plus  grande  église  de  la 
ville  inférieure  est  de  construction  franque.  Le  portique  ex- 
térieur est  un  cintre  brisé  selon  l'ancienne  forme  grecque, 
et  sur  le  linteau  qui  soutient  l'architrave  sont  sculptées  des 
deux  côtés  les  armoiries  des  Vilie-Hardoin  :  la  croix  ancrée 
de  Champagne.  L'église  se  compose  d'une  nef ,  de  deux 
rangs  d'arcades  sur  les  trois  quarts  de  la  profondeur,  et 
d'un  dôme.  Dans  la  partie  intérieure  'sont  deux  colon- 
nes antiques  :  l'une  en  marbre  noir  uni,  l'autre  en  marbre 
blanc  et  cannelée.  Sur  les  deux  côtés  de  la  nef,  le  long  des 
arcades  à  pilastres ,  on  aperçoit  les  places  laissées  par  des 
pierres  tumulaires  qui  auront  été  enlevées.  Quant  aux 
peintures  byzantines  de  la  voûte ,  elles  ont  été  badigeon- 
nées par  les  Turcs  et  on  n'a  pu  ,  en  les  lavant  récem- 
ment ,  retrouver  que  quelques  lambeaux  imparfaits  en 
haut  de  la  voûte  et  dans  la  galerie  de  gauche  en  allant  an 
chœur.  Sur  le  voile  de  l'église ,  sont  trois  tableaux  qui 
m'ont  paru  assez  bons  ;  ils  sont  à  fond  d'or  et  dans  le  style 
bj^zantin ,  mais  ils  ont  fort  probablement  été  exécutés  par 


MONEHBASIE.  413 

un  peintre  vénitien.  L*un  représente  la  Vierge  et  porte 
des  armoiries  au  bas ,  une  fasce  rouge  sur  fond  d'azur  avec 
une  étoile  rouge  et  or  dans  les  deux  cantons  ;  sur  Tautre 
est  peint  un  Christ,  à  la  tête  noble  et  résignée,  vêtu 
d'une  sorte  de  pelisse  vénitienne  du  quinzième  siècle,  ou- 
verte sur  la  poitrine  :  le  troisième  tableau  est  un  saint 
Jean-Baptiste. 

A  quelque  distance  est  une  autre  église  beaucoup  moins 
grande,  mais  assez  jolie.  Sur  la  façade  on  lit  une  inscrip- 
tion grecque  qui  annonce  qu'elle  a  été  construite  en  Tan* 
née  1703,  c'est-à-dire  sous  la  domination  vénitienne ,  par 
André  Licinios ,  patricien  de  Monembasie.  Le  nom  de  ce 
même  André  Licinios,  avec  la  date  du  9  juillet,  se  lit  éga- 
lement sur  la  porte  d'une  maison  toute  voisine,  qui  tombe 
en  ruines  comme  toutes  les  maisons  de  Monembasie. 

De  la  ville  je  montai  à  la  citadelle ,  dans  l'intérieur  de 
laquelle  se  trouvait  un  grand  couvent  fondé  par  l'empereur 
Andronic  quelques  années  après  la  cession  faite  par  Guil-* 
lanme  de  Yille-Hardoin.  La  dimarchie  (mairie)  de  Mo« 
nembasie  possédait  autrefois  dans  ses  archives  quelques 
chartes  de  cet  empereur ,  et  de  ce  nombre  était  le  chry- 
sobalie  de  1-292  dont  G.  Phrantzifait  mention.  Ces  actes 
ont  été  depuis  envoyés  à  Athènes,  où  j'avais  pris  copie  de  la 
charte  d'Andronic  fort  intéressante  pour  l'histoire  ecclé- 
siastique et  civile  de  cette  époque.  Le  monastère  d'Andro- 
nic ,  placé  sous  l'invocation  de  sainte  Sophie ,  est  aujour« 
d'bui  sans  moines.  Une  petite  chapelle  latérale  a  été  creu- 
sée dans  le  roc  même.  L'église  du  monastère  est  bien  bâ- 
tie, mais  elle  a  été  fort  maltraitée  par  les  Turcs;  et,  malgré 
la  solidité  de  sa  construction ,  la  ruine  d'une  partie  du  mur 
entraînera  promptement  la  ruine  do  reste  de  l'édifice.  Le 
phrourarque  a  fait  tout  ce  qui  était  on  lui  pour  en  protéger 
la  conservation.  Maintenant  qu'on  a  déblayé  par  son  ordre 
beaucoup  de  décombres,  on  distingue  parfaitement  l'endroit 
où  finissait  le  palais  du  gouverneur  impérial  et  où  l'église 
a  été  élevée.  En  enlevant  sous  les  arcades  du  cloître  deux 

35. 


414  GRÈCE   CONTmETfT/ILe   ET   MOREE. 

oa  trois  pieds  de  terre  qui  couvraient  le  pavé ,  dn  d  mis 
aussi  à  décourert  une  pierre  funéraire  fort  curieuse.  Au 
milieu  est  sculptée  en  bas-relief  une  épée  romaine  appuyée 
sur  sa  pointe  arrondie.  Au  bas  sont  deux  lidfis  coacbés 
dans  un  sens  opposé,  avec  la  tête  relevée  du  côté  des  bords 
de  la  pierre.  Du  corps  de  chacun  des  lions  sort  un  cyprèSi 
et  au-dessus  des  deux  cyprès  sont  deux  paons  avec  la  tête 
tournée  vers  le  pommeau  de  Fépée.  Je  laisse  à  rin^énieux 
interprète  des  monuments  symboliques  »  M.  Lajard ,  l'ex- 
plication de  ce  bas-relief,  qui  remonte  à  Tépoque  romaine. 
Les  Turcs  avaient  aussi  badigeonné  Tintérieur  de  Cette 
église ,  et,  en  la  faisant  laver ,  on  a  mis  à  découvert  qbel- 
ques  fragments  de  Tancienne  peinture  byzantine.  Les  létes 
sont  itieiUeures  et  plus  expressives  que  celles  qu*on  reo-^ 
contre  dans  les  églises  grecques ,  mais  d*un  style  fort  infé« 
rieur  à  celui  des  tableaux  que  j^ai  déjà  décritSi 

La  forteresse  se  compose  de  deux  parties  bien  diltino-' 
tes  :  la  partie  inférieure ,  tournée  du  côté  de  la  ville  et  au 
midi ,  qui  est  vénitienne ,  et  U  parte  supérieure ,  placée 
du  côté  du  pont  et  du  continent  de  Morée ,  qui  mé  seinble 
remonter  à  Tépoque  de  Guillaume  de  Yille-Hardotii.  Le  inilr 
d^enceinte  intérieur  est  conservé  en  entier  à  plus  ou  moins 
de  hauteur,  depuis  une  tour  rbnde  de  l'esplanade,  abattue 
en  entier  et  remplacée  au  temps  des  Turcs  par  un  moulin 
à  vent ,  jusqu'aux  ruihes  de  plusieurs  totirs  caiTées  qdi 
dominent  la  partie  la  plus  haute  du  précipice; 

La'  chaleur  de  là  journée  était  exlrêlne  :  j'avais  vu  à  Mo* 
nembasie  tout  ce  que  je  voulais  y  voir  des  restes  fralncs  4 
grecs  j  vénitiens  et  turcs,  et  j'avais  copie  de  ëes  chartes 
importantes  ;  j'espérais  trouver  plus  de  comfort  et  plus  de 
fraîcheur  à  bord  de  mon  bâtiment ,  j'allai  donc  reprendre 
ma  yole^  qui  m'attendait  près  du  pont»  et  regagnai  ma  ca- 
nonnière. A  peine  avious-nôus  tourné  la  montagne  rocheuse 
de  Monembasie  que  le  vent  du  nord  commença  à  soufflpr 
avbc  fbree  et  b  nlonafccr  de  nous  repousser  vers  le  cap  Ma- 
lée;  Nous  n'eûmeS  que  le  temps  de  chercher  un  abri  dans 


éPlDAVROS'LIHeitf.  415 

le  f>ort  d'ÉpîdaTros-Limeri ,  que  je  voulais  tisilér  aussi. 
J*aTaîs  même  pria  la  précaution  d'aoïeoer  avec  mol  uq 
guide  de  Rtonembasio.  Je  me  fis  débarc^tier  près  d'une 
source  [dacée  au  milieu  des  rocbers  «  et  le  bâtiment  alla 
8*abriter  contre  ce  terrible  vent  du  nord  dcrHère  un  petit 
cap  surmonté  d'une  tour  carrée  Ténitienne  à  créneaux  et 
opposé  à  la  montagne  de  Monembasie*  Entre  ce  petit  cap 
et  le  grand  cap  Limenaria  on  trouve  une  quantité  dé  grot- 
tes et  de  cavernes. 

Les  ruines  de  Tantiqbe  Épidavros-Limeri  Se  trouvent 
au-desâus  du  port  fermé  par  ces  deux  caps.  £n  montaiU 
de  la  source  à  l'emplacement  de  la  ville  antique  i  on  ren- 
contre au  milied  des  rochers  une  sorte  d'étang  désigné  par 
Pausanias  sous  le  nom  d'étang  dlno.  Mon  guide  monem- 
basiote  me  dit  que  l'opinion  des  gens  du  pays  est  qu'on  n'en 
peat  trouver  le  fond.  La  ville  antique,  placée  en  amphi- 
théâtre au-dessus,  est  connue  sous  le  nom  d'ancienne  Mo- 
nembasie.   L'emplacemedi;  éh  était  certainement  mieux 
choisi  que  celui  de  la  nouvelle  ;  elle  recevait  le  vent  de  la 
haute  tiier  paf  l'ôiivertUrè  dt?É  thtotagif^d  bfl  àe  trohte  le 
pont  de  la  Malvoisie  actuelle i  et  n'était  pas,  comme  la 
Malvoisie  moderne  ,  exposée  à  tous  les  feux  du  soleil  du 
midi.  Son  port  était  parfaitement  abrité  contre  les  vents 
du  nord ,  ainsi  que  je  pus  m'en  convaincre  :  car  jamais  ce 
vent  ne  se  déchaîna  avec  une  telle  fureuri  et  mon  bâti- 
ment resta  fort  paisible;  les  eaux  du  port  n'en  furent 
même  pas  violemment  agitées;  Les  murs  d'enceihte  de  la 
ville  antique  sont,  comme  ceux  de  Tirynthe ,  distribués  en 
assises  régulières  composées  de  blocs  irréguliers  joints  aux 
rochers;  Çà  et  là  i  le  long  des  murs ,  étaient  distribuées 
de  petites  tours  carrées  ;  dans  deux  ou  trois  parties  de  la 
montagne  on  remarque  des  degrés  taillés  dans  le  roc  et 
conduisant  à  plusieurs  plateaux   sur   lesquels  existaient 
probablement  des  temples.   D'autres  degrés,  assez  bien 
conservés,  étaient  taillés  dans  une  partie  de  l'aciKpoIis 
qui  eondoit  à  un  rocher.  On  troave  aussi  dans  oette  en- 


416  GBÈCB  CONTlflSlIiTALB  ET  MORBB. 

ceinte  des  citernes  qui  semblent  de  construction  romaine, 
et  les  restes  des  conduits  qui  distribuaient  dans  différentes 
parties  de  la  ?iUe  l'eau  de  ces  citernes. 

Le  vent  «'étant  un  peu  abattu  au  coucher  du  soleil,  nous 
pensâmes  qu'il  nous  serait  possible  d'entrer  dans  le  golfe 
de  NaupHe  et  nous  levâmes  l'ancre  ;  mais  nos  espérances 
furent  déçues  :  pendant  deux  jours  et  deux  nuits  nous  fû- 
nues  ballottés  par  un  vent  furieux  et  assaillis  ensuite  près 
de  Spetzia  par  une  violente  tempête.  Mais  le  capitaine  était 
expérimenté,  le  bâtiment  était  bon;  malgré  la  lourdeur 
de  nos  canons  nous  tinmes  la  mer,  et,  sur  la  fin  du  troi- 
sième jour,  je  rentrai  à  Nauplie  charmé  de  mon  excur- 
sion ,  de  mes  ballades ,  de  mes  vieilles  chartes  et  de  mes 
souvenirs. 


XXII. 

MYLL  -^LERNE.  — MOUKHLL  — TRIPOLITZA.  — 

NIGLI. 

Il  ne  faut  pas  croire ,  comme  on  le  lit  dans  les  rapports 
officiels  du  gouvernement  grec,  qu'il  y  ail  une  route  car- 
rossable de  Nauplie  à  Tripolitza.  D'abord ,  de  Nauplie  à 
Myli  il  n'y  a  pas  de  route  du  tout;  et,  en  tournant  le 
long  de  la  pointe  du  golfe  de  Nauplie ,  on  est  presque  con* 
stamment  obligé  de  se  faire  voie  dans  la  mer.  Ces  rives  sa- 
blonneuses sont  extrêmement  basses ,  et  te  flot  s'étend  de 
manière  à  former  çà  et  là  de  petits  marais  ;  de  telle  sorte 
que  le  chemin  le  plus  uni  à  suivre  est  celui  qui  est  con« 
stamment  recouvert  d'eau.  My\i  est  un  petit  village  bâti  à 
une  lieue  et  denûe  de  Nauplie  près  des  anciens  marais  de 
Lerne.  Ce  village  est  dominé  par  une  colline  sur  laquelle 
se  trouvent  les  ruines  d'un  vieux  château  franc,  qui  n'est 
connu  dans  le  pays  que  sous  le  nom  de  Castro  de  Lerne; 


LERNE   ET   HOUILHLI.  417 

il  faut  environ  trois  quarts  d*heure  pour  y  monter  :  on  jouit 
de  là  d*une  belle  vue  du  golfe  de  Nauplie ,  de  sa  plaine  et 
de  son  enceinte  de  montagnes.  Ce  château  avait  une  triple 
enceinte  dont  on  retrouve  encore  de  nombreux  vestiges , 
car  partout  ses  murs  sont  conservés  hors  de  terre.  La  se- 
conde enceinte  était  défendue  par  six  tours  carrées  distri- 
buées autour  des  murailles ,  et  en  bonne  partie  conservées.  ^ 
Au  milieu  de  ces  six  tours  se  trouvait  une  vaste  tour  carrée 
à  plusieurs  étages  ;  dans  celte  dernière  enceinte  intérieure 
était  une  grande  citerne  bien  conservée  :  quant  à  Tenceinte 
extérieure,  qut  était  fort  considérable,  on  en  retrouve  de 
nombreux  vestiges  entre  les  rochers  dont  elle  suivait  la 
crête.  Au  bas  de  ce  château  est  le  célèbre  marais  de  Lerne; 
Une  source  qui  sort  des  rochers  entre  avec  vivacité  dans 
ce  marais  couvert  d*herbes  hautes  et  très-épaisses;  c*est  là 
que  se  tenait  Thydre  de  Lerne ,  et ,  à  quelques  pas  de  là , 
on  vous  montre  le  trou  laissé  par  Plnton  au  moment  où  il 
entra  dans  les  enfers  avec  Proserpine.  Tous  les  monti- 
cules sont  ici  couverts  de  restes  de  constructions  fran- 
ques.  A  dix  minutes  d'une  tour  de  vigie  vénitienne  près  du 
rivage  et  sur  une  colline  fort  rocailleuse ,  sont  les  ruines 
d*un  château  franc  dont  4es  murs  de  circonvallation  sui- 
vaient les  courbures  du  rocher  ;  les  tours  sont  toutes  ren- 
versées. Quoique  peu  considérable ,  ce  château  était  assez 
fort  par  sa  position. 

Mais  bientôt  les  ruines  byzantines  succèdent  aux  ruines 
franques  ;  quand  on  a  franchi  la  plaine  d*Âkhlado-Gampo 
on  se  trouve  en  présence  d'une  des  plus  grandes  villes  de 
la  Morée  sous  la  domination  grecque ,  la  ville  de  Palœo- 
Moukbli.  Cette  ville  était  encore  importante  au  temps  de  la 
domination  franque.  G.  Phrantzi  raconte  qu'en  Tan  iU5S 
elle  fut  livrée  par  son  commandant,  Matthieu  Asan,  beau- 
frère  de  Démétrius  Comnène ,  à  iMahomet  II  ;  et  l'occupa- 
tion de  ftloukhli  cette  même  année  est  attestée  par  la  petite 
Chronique ,  à  la  suite  de  J.  Ducas.  La  route  de  Nauplie  à 
Tripolitza  passe  au  pied  de  la  montagne  sur  le  penchant 


4 là  GRÈCE   CONTIIVENTALE   ET  BIORÉB. 

de  laquelle  |était  bâtie  Moulchli  du  côté  de  la  gorge  c[tii  èsl 
le  plus  adouci  et  nou  du  côté  dé  la  vallée  d'Âkhiado-Cauipo, 
où  la  montagne  se  termide  eU  pente  abrupte,  ie  dësbendis 
de  cheral  auprès  d*une  fontaîtie  abondante  et  m'aTaoçai  & 
travers  les  terrains  cultivés  dé  ces  revers  de  montagne  jus- 
qu'aux ruines  de  la  ville.  Elles  sont  considérables.  Les 
Grecs  du  pays,  quand  ils  veulent  donner  l'idée  d'une 
grande  ville ,  disent  qu'elle  possédait  trois  cent  soixante- 
dix  églises.  Ce  nombre  est  foil  exagéré  sans  doute  qtiand 
on  parie  de  Moukhli,  mais  on  y  retrouve  encore  des  ruines 
qui  donnent  l'idée  d'une  ville  de  vingt  à  vitigt-ciiiq  tiQtlIe 
habitants  et  les  églises  sotit  en  proportion  avec  cette  po- 
pulation supposée.  Une  de  ces  églises  est  conservée  de  là 
manière  la  plus  pittoresque,  le  toit  seul  et  h  partie  des 
miirs  de  côté  qui  soutienUëftt  le  toit  sont  écrotilés  ;  îfiaisles 
larges  portiques ,  les  arcades  élevées ,  sans  parler  du  grand 
dôme  et  les  deux  petits  dômei^  de  côté,  se  tiennent  encore 
debout.  Son  style  diffère  de  celui  deS  autres  bâtiments  dé 
Palœo-Moukhli ,  elle  est  toute  bâtie  de  briques  et  la  forme 
en  el^t  parfaitement  bylantine;  tandis  qtië  les  murailles  des 
autres  bâtitnents^  églises  et  tôtirs,  sont  en  pierre  noife,  et 
que  les  murailles  de  la  forterel^se  oiit  été ,  coinnid  celles 
d'Aiigëlo-Gastro,  bâties  en  petites  pierres  sèches  et  cottune 
fi  la  hâte.  Cette  forteresse,  qui  était  thés-considérable,  do- 
mine tout  le  haut  de  la  montagne.  La  ville  s'étendait  de^ 
puis  le  milietl  de  la  montagne  jusqu'à  la  crête;  Oti  pedt  en- 
core suivre  isilr  le  Versant  les  traces  des  tnurs  d'enceinte  et 
â  l'intérieur  de  ces  murs  on  rencontre  d'étage  en  étage  une 
notnbreuse  suite  de  rues ,  de  maisons  et  d'églides  dvec  one 
ghaUde  quantité  de  citernes  distribuées  partout.  Âti  bës  de 
cette  enceinte  les  tert'es  sont  cultivées;  tnais  paHoutia 
terre  est  recouverte  de  fNgitients  considérables  dé  tuiles  qui 
montrent  que  là  existaient  aussi  des  habitations  :  Moukhii 
était  un  point  fbrt  îtnportant^  puisqu'il  commandait  le  pas- 
sage étroit  de  la  route  de  Nd(»plie  en  Lacdniet  en  Ar(uidie' 
et  en  Messénie. 


£q  sortanl;  de  la  gqrge  dq  mont  Parthénius ,  i  peu  de 
dUtaoc^  de  Palceo-Moukhli,  on  débouche  dans  une  belle  et 
Taste  plaine ,  )a  plaine  de  Tripplitza.  Cette  ville  ,  formée 
vers  1770  des  4ébris  des  trois  cités  antiques  de  Pallantium, 
Tégée  et  IVJantinée ,  était  devenue  le  centre  de  Fadminis- 
tration  turque  en  Morée.  Une  forteresse  importante  lapro- 
tcgiBait  f  et  tou3  les  défilés  oi|  dcrvends  qui  conduisent  à 
cette  belle  plaine  sont  étroits  et  faciles  à  défendre.  Tripo- 
litza  n*o(rrc  plus  aMJoqrd'bui  qu*un  a^pas  confus  de  ruiner 
d*Q(î  sortent  çà  et  là  quelques  maisons  toutes  neuves.  Prise 
le  5  octobre  J321  par  les  Grecs,  elle  fut  reprise  par  Ibra- 
him ,  et  complètement  détruite  dans  ces  deux  attaques. 
Depuis  qu'un  g[ouvernenient  régulier  a  été  établi  dans  le 
pays ,  Tripoljtza  chercbe  à  reprendre  peu  à  peu  sa  place. 
Les  habitants  de  TripoIit2;a  sont  actifs  et  laborieux  ;  sem- 
blables au  Lucqpois  ,  aux  habitants  de  CenQ-Valli  dans  le 
Tésin,  au]^  Auvergnats ,  ils  quittent  leur  pay^  pour  se  por-: 
ter  à  Athènes  et  dans  d*antres  parties  de  la  Grèce,  ^fin  d'y 
utiliser  .leur  travail  »  et  reviennent  ei|si|jte ,  quapd  ils  oqt 
amassé  quelques  éponotpies ,  s'établir  dans  leur  ville  na- 
tale. Le  bazar  de  Tripolitza  offre  un  grand  mouvement.  On 
y  ypit  surtout  beaucoup  d'ouvrages  ^n  îo.y-}p]mc  et  en 
(juinc^illerie  ^  l'usage  grec. 

Je  ne  reliai  qu'un  jour  à  Tripolitza  et  me  bâtai  dès  le  len- 
depiainde  na'acbemjner  vers  l'antique  Tégée,  que  je  désirais 
sqrtout  vojr  parce  que  j'étais  convaincu  que  c'était  sur  ce 
mêm0  eq)placement  qu'existait  une  des  villes  les  plus  im^ 
portantes  de  la  Morée  au  moyen  âge  :  la  ville  de  Nicli,  dont 
il  est  fait  si  fréquente  mention  dans  la  Chronique  grecqi^e 
de  la  conquête  de  la  Mpréc  par  les  Francs,  pu  une  heure 
et  d^uaie  d'un  trot  facile  en  plaine,  j'arriyai  ^  Palœo-Épi- 
scopi  \  l'antique  Tégée ,  et  la  Nicli  de  la  Chronique.  Ses 
murs  d'encejnte ,  fabriqués  de  petites  pierres  unies  avec 
du  ciment ,  s'élèvent  presque  partout  k  une  dizaine  de 
pieds  de  hauteur  sur  six  d'épiaisseur ,  et  tout  |e  long  on 
voit  encore  des  restes  de  tours  et  de  fortifications.  La  route 


420  GRÈCE    CONTINENtALE   ET   ItOEEE. 

de  Nauplie  à  Sparte  par  Palœo- Monkhii  passait  à  côté  des  mars 
de  Nicii  sans  toucher  à  Tripolitza ,  qui  n'existait  pas  en- 
core. Cette  ville ,  qui  a  été  fort  considérable ,  devait  être 
très-agréable  à  habiter.  Une  église ,  probablement  la  ca« 
thédrale ,  subsiste  encore ,  et  elle  m*a  paru  fort  différente 
des  autres  églises  grecques.  Elle  est  composée  d*un  dôme 
centrai  et  de  quatre  petits  dômes  placés  autour  de  ce  grand 
dôme.  Les  murs  sont  bâtis  en  briques.  Je  crois  qu'elle  a 
été  bâtie  sur  les  ruines  d'un  temple  antique  ;  car  les  assises 
inférieures,  surlout  sur  le  derrière  de  l'église ,  sont  tout  à 
fait  antiques,  et  partout  les  fragments  de  bas-reliefs  et  de 
colonnes  de  marbre  sont  mêlés  dans  les  constructions  su- 
périeures à  celles  des  grandes  pierres  helléniques  qu'on  a 
relevées.  En  dehors  de  l'église  je  vis ,  gisant  par  terre,  un 
grand  fragment  de  bas-relief  qui  représentait  une  tête  fort 
endommagée  et  une  moitié  de  corps  drapée  de  grandeur  na- 
turelle. Ce  bas-relief  provenait  sans  doute  d'un  ancien 
tombeau.  En  visitant  d'autres-églises  des  environs ,  comme 
celles  d'Hagios-Sostis  et  de  Piali ,  par  exemple,  je  vis 
qu'elles  étaient  toutes  composées  de  fragments  de  marbres 
antiques. 

La  route  qui  mène  de  Palœo-Ëpiscopi  à  Sparte  suit,  jus^ 
qu'au  village  de  Kryo-Vrysi ,  le  lit  du  Saranda-Potamos  » 
souvent  desséché ,  et  elle  est  encaissée  entre  deux  rangs  de 
rochers.  Kryo-Vrysi  a  pris  son  nom  d'une  fontaine  dont  les 
eaux  excellentes,  qui  ont  toujours  conservé  la  même  abon- 
dance ,  découlent  d'un  petit  monument  composé  de  frag- 
ments anciens.  C'est  dans  ce  lieu,  appelé  Symbolia  ,  que 
se  réunissent  divers  courants  qui  tombent  dans  le  Saranda- 
Potamos.  Le  voyageur  anglais  Leake  pense  que  cette  fon- 
taine est  la  source  que  Pausanias  appelle  celle  de  l'Alphée. 
Tout  en  face  la  fontaine  sont  dispersées  sur  la  montape 
les  ruines  d'une  forteresse  du  moyen  âge  qui  était  fort 
bien  placée  pour  dominer  tout  le  pays. 

En  sortant  de  Kryo-Vrysi  la  route  suit  la  pente  d'une 
montagne.  Parvenu  au  sommet  on  découvre  un  pays  d'an 


Ç'.l-»» 


L'VCONIE.  421 

tout  autre  aspect;  c*es  une  longue  plaine  très-fer- 
tile, très-bien  plantée  et  Irès-bien  cultivée ,  nommée  la 
plaine  d'Ârachova.  Ces  belles  campagnes  de  la  Laconie 
étaient  animées  par  quelques  villages  semés  çà  et  là  et 
par  un  grand  nombre  de  cultivateurs  qui  se  livraient 
dans  tous  les  champs  aux  travaux  de  la  saison.  J*avais  un 
plaisir  extrême  à  parcourir  celte  riche  vallée  ceinte  de 
montagnes  verdoyantes.  Je  laissai  bien  loin  derrière  moi 
mon  guide  et  me  mis  à  galoper  avec  un  véritable  enivre- 
ment de  bonheur.  Après  quatre  heures  de  cette  course 
rapide  j'arrivai  à  la  montagne  et  entrai  dans  de  jolis  bois 
qui  en  revêtent  les  flancs.  Le  murmure  d'une  fontaine 
nous  attira  moi  et  mon  cheval.  Deux  pallicares  parés  plutôt 
qu'armés  de  couteaux  et  de  pistolets,  comme  le  sont  tous 
les  paysans  grecs,  étaient  arrivés  avant  moi  dans  cette  place 
étroite  à  travers  le  bosquet.  En  attendant  qu'ils  eus- 
sent abreuvés  leurs  chevaux ,  je  descendis ,  attachai  mon 
cheval  à  l'ombre  et  cherchai  à  côté  un  endroit  bien  abrité 
pour  m'y  reposer  au  frais.  En  écartant  les  rameaux 
pour  me  frayer  une  voie  dans  un  endroit  qui  me  parais- 
sait excellent,  j'aperçus  un  homme  assis  sur  le  gazon 
avec  une  expression  d'attention  et  tenant  son  fusil  debout 
entre  ses  jambes  et  tout  armé.  Je  lui  demandai  ce  qii'il 
faisait  ainsi  caché;  il  me  répondit  qu'il  était  un  defi 
gardes  municipaux  de  la  caserne  voisine ,  qu'il  était  là 
en  service  comme  l'étaient  deux  autres  de  ses  camarades 
dans  d'autres  endroits  du  fourré,  et  qu'ils  guettaient  deux 
voleurs  cachés  dans  les  bols  entre  ce  lieu  et  Yourlia.  Peu 
de  jours  auparavant  un  dimarque  avait  été  arrêté  à  ce 
même  endroit  isolé  par  les  deux  bandits,  qui  lui  avaient 
enlevé  une  dizaine  de  colonnades.  L'idée  me  vint  que  les 
deux  pallicares  que  j'avais  rencontrés  pourraient  bien  être 
les  deux  kle[ihtes  qu'il  cherchait  et  je  lui  montrai  leur  figure 
et  leur  tournure,  qu'il  reconnut  en  effet  comme  celle  de  ses 
hommes;  il  se  mit  sur-le-champ  en  marche  de  ce  côté ,  mais 
déjà  ils  avaient  disparu.  Ce  que  me  disaitle  garde  municipal 

36 


422         CU3CB  csssmurrALC  et  moreb. 


ricîfia  fvt  BU  frimilr  Je  B*a¥aîs  pas  encore  rencontré 
et  \<m'vn  tm  Grèce ,  cv  nu  décoaTcrte  des  deux  pallica- 
r»  ^k£i»»£s  se  pcniait  cxmpter.  J'élais  d'ailleurs  pré- 
paré *■  mÀMS.  p:<ir  ose  rencontre  de  ce  genre.  J'étais 
■nB)è  ar  na  scîie  anglaise  et  ne  portais  par  consé- 
q^fst  awnn  e(M  cie  voyage  arec  moi  ;  tout  était  resté  , 
ùbî  q^e  i:i«s  cheranx  de  snite ,  ayec  mes  agoiates,  qui 
êcaxtt  à  puâiews  Ikoes  de  distance  et  qui,  infonnés 
aK  «ixite  de  b  présence  des  Tolears ,  avaient  eu  soin  de 
se  j.ÎAire  à  one  caravaDe  de  marchands  de  Mistra  trop 
pradents  poor  saventorer   sans  escorte.  Il  aurait  été 
difficile  de  ne  pmdre  autre  chose  qoe  quelques  écus ,  et 
estore  n'êtaMat>îb  pas  très-iaciles  à  prendre;  car  les 
Orienuox,  qoi  ne  tirent  jamab  qa'en  appuyant  leurs  armes 
sur  nn  oh}H  en  repos ,  sont  fort  peu  rassurés  en  présence 
d^nn  pê:aSet  entre  les  mains  d'un  Franc ,  qui ,  comme  ils 
le  savent ,  tire  sur  un  objet  en  mooTement  sans  avoir  be- 
soin d^appoyer  s^^  arme.  La  chance  d'nne  scène  aussi 
noQTeile  pour  moi  méritait  bien  qae  je  Toulusse  la  braver. 
Je  rafraîchis  donc  mon  cheval  à  b  fontaine ,  le  sellai  bien 
et  me  hàiaî  de  me  jeter  dans  ces  sentiers  boisés  et  mon- 
tagneux. J*eos  le  désappointement  de  ne  rencontrer  per- 
sonne, et  j'arrivai  sans  encombre  an  khaoi  de  Vourlia  situé 
sor  le  versant  d'nne  montagne  au-dessus  de  laquelle  sont 
ks  ruines  de  Tancienne  forteresse  de  Sellasia  transformée 
au  moyen  âge  en  'forteresse  gothique.  C'est  un  passage 
fort  important  à  garder.  De  là  se  découvrent  toute  la  riche 
vallée  de  Tforotas  et  toute  la  chaîne  imposante  du  Tay- 
gète.  La  chaîne  du  Taygète  ou  Malevo  est  d'un  effet  ad- 
mirable par  sa  continuité  et  le  rapprochement  de  ses  pics 
aux  formes  les  plus  variées.  Je  restai  là  plusieurs  heures 
dans  one  véritable  admiration,  seul  mets  dont  j'étais  des- 
tiné à  me  repaître  ;  car,  lorsque  mes  guides  arrivèrent,  je 
trouvai  mes  provisions  gâtées  par  la  chaleur  de  la  jour- 
née ,  mon  pain  durci  de  manière  à  être  immangeable  sans 
■«mper  dans  Tcao,  et  mon  vin  tourné  et  aigri.  Le 


VALLEE   DE  L^ECIROTAS.  4^3 

khani  de  Vourlîa  n'avait  à  m'olfrir  que  les  oignons  crus  de 
son  jardin.  A  quatre  heures  je  montai  à  cheval  pour  des- 
cendre la  montagne  de  Yourlia.  ta  vue  est  véritablement 
fort  belle.  De  ce  côlé  la  campagne  est  d'une  richesse  ex- 
trême; les  figuiers,  les  mûriers,  les  citronnier^,  les  oran- 
gers, les  oliviers  y  abondeul.  L'olivier  de  la  Lacédémonie 
paraît  un  arbre  tout  différent  de  Tolivicr  de  l'Âttique  : 
ses  feuilles  sont  vertes  et  luisantes  et  sa  hauteur  comme 
son   ampleur  sont  plus  considérables.  Je  m'arrêtais  de 
temps  en  temps  en  extase  contemplant  cette  belle  vallée 
de  l'Ëurotas  et  ces  belles  montagnes.  Devant  moi,  sur  une 
chaîne  appelée  le  Penledactyli ,  apparaissait  le  château  de 
Mistra,  bâti  par  mon  compatriote  Guillaume  de  Ville-Har- 
doin  ;  sous  mes  yeux  se  développait  la  place  où  était  autre- 
fois Sparte  ,  et  ce  fleuve  que  je  voyais  c'était  l'Ëurotas.  Je 
traversai  l'Ëurotas  sur  un  pont  fort  élevé  et  descendis  au 
bas  de  cette  rive,  gracieusement  revêtue  d'herbes  épaisses, 
de  fleurs  et  d'arbrisseaux ,  pour  boire  dans  mes  mains 
les  eaux  de  l'Ëurotas ,  qui  coule  paisiblement  entre  des 
haies  touffues  de  lauriers-roses,  de  narcisses  et  de  lis  bteus; 
Quand  on  est  arrivé  au  pied  des  premiers  contreforts  du 
Taygète,  la  route  se  divise.  D*un  côté  on  va  à  Mistra ,  for- 
teresse franque  devenue  forteresse  turque,  sur  la  montagne; 
de  l'autre  on  va  à  l'antique  Sparte ,  située  dans  la  plaitie  et 
que  j'apercevais  de  loin  :  car  une  petite  ville  nouvelle  a  ré- 
cemment commencé  près  de  l'emplacement  antique.  Je 
passai  donc  aii  pied  d'une  tour  carrée  placée  sur  le  pen- 
chant d'une  colline ,  traversai  des  champs  d'oliviers  ,  des 
vergers,  des  cours  d*eau  et  de  véritables  jardins;  passai  au 
pied  de  la  Lacédémorie  byzantine,  qui  avait  remplacé  l'a- 
cropolis  de  Sparte;  longeai  les  restes  du  théâtre;  retnarquai 
en  passant  des  débris  de  colonnes  des  temps  antiques,  et  ar- 
rivai dans  la  Sparte  nouvelle. 


424         gbècb  continentale  et  morée. 

XXIÏI. 

SPARTE.  —  LACÉDÊMONIA.  —  MISTRA.—  AMYGLÉE. 

Il  y  a  en  réalité  trois  villes  de  Sparte  :  la  Sparte  antique, 
la  Lacédémonia  du  moyen  âge  et  la  Mistra  de  Yille-Har- 
doin  ;  fort  distinctes  l'une  de  l'autre  par  leur  existence 
bislorique  comme  par  leur  emplacement,  mais  qui  ont 
souvent  été  confondues  dans  un  même  nom.  La  Sparte 
antique  était  placée  dans  la  plaine  où  sont  les  quelques  mai- 
sons  qui  composent  la  Sparte  moderne,  et  s'étendait  jus- 
qu'aux collines  auxquelles  sont  adossés  les  restes  de  l'am- 
philhéâtre.  La  Lacédémonia  du  moyen  âge  comprenait 
les  quatre  collines  seulement  de  l'Eurotas  réunies  et  clo- 
ses par  un  mur  d'enceinte.  La  Mistra  des  Francs  était  à 
une  lieue  de  là,  adossée  au  Taygète  ;  et ,  comme  dans  ces 
temps  de  trouble  toute  la  population  abandonnait  les  plaines 
pour  se  réfugier  dans  les  montagnes  sous  la  garde  des 
forteresses ,  le  nouveau  fort  de  Mistra  fut  connu  à  son  tour 
sous  le  nom  de  Sparte  et  est  souvent  désigné  ainsi  par  l'his- 
torien Georges  Phrantzi. 

La  Sparte  actuelle  est  une  création  qui  ne  date  que  de 
fort  peu  d'années.  Il  n'existait  plus  qu'une  seule  masure 
sur  ce  terrain  consacré  lorsqu'on  ordonna  une  ville.  Quel- 
ques maisons  sont  déjà  élevées ,  mais  il  n'y  a  pas  encore 
de  rues.  Cependant  c'est  la  capitale  de  la  province  et  je 
descendis  chez  le  gouverneur  M.  Latris,  homme  fort  lettré. 
La  température  était  d'une  chaleur  excessive,  33  degrés  de 
Réaumfur.  Dès  cinq  heures  du  matin  on  a  déjà  la  tem- 
pérature la  plus  haute  de  la  journée  ;  et  cependant  cette 
riche  plaine  est  si  bien  arrosée  par  l'turotas  et  par  deux 
petites  rivières  que  l'herbe  y  était  parfaitement  verte.  Les 
maïs ,  les  vignes  étaient  aussi  verdoyants  que  le  sont  les 
prairies  de  Normandie  au  printemps.  Les  mûriers  qui  cou- 


SPARTE.  425 

vrent  cette  plaine  aTaient  déjà  pris  leur  seconde  feuille.  Les 
hommes  sont  les  seuls  êtres  vivants  dans  cette  belle  plaine 
qui  semblent  souffrir  de  la  chaleur  ,  et  ils  n'ont  aucune 
prévoyance  pour  s*en  garantir.  Leurs  maisons,  construites 
à  rallemande ,  avec  beaucoup  de  fentes  et  des  murs  très- 
légers,  sont  de  véritables  étuves;  il  n*y  a  pas  de  portiques 
sous  lesquels  on  puisse  se  mettre  à  couvert  :  et,  bien  qu'une 
neige  abondante  blanchisse  les  pics  du  Taygète  et  revêle 
tous  ses  flancs  et  qu'il  suffise  de  huit  heures  pour  arriver 
à  cette  glace,  on  n'en  envoie  pas  chercher,  et  le  conseil  de 
la  ville  n'a  pas  songé  à  avoir  une  glacière. 

Malgré  cette  extrême  chaleur,  j'allai  visiter  la  magna- 
nerie et  la  ûlature  de  soie  que  l'on  vient  de  fonder.  La 
filature  pourrait  contenir  trois  cents  ouvriers,  mais  je  n'ai 
aperçu  qu'une  trentaine  d'hommes  et  quelques  femmçs; 
tous  ouvriers  italiens,  venus  pour  redonner  les  leçons  qu'au 
douzième  siècle  l'Italie  reçut  elle-même  de  la  Grèce 
lorsque  le  Normand  Roger  transporta  les  vers  à  soie  et  les 
manufactures  de  soie  de  Corinthe  en  Sicile.  La  magnanerie 
ne  peut  guère  produire  qu'une  trentaine  de  livres  de  soie, 
mais  chaque  paysan  a  l'habitude  d'élever  des  vers  à  soie. 
Les  femmes  les  font  éclore  en  les  laissant  sur  leur  poitrine. 
Les  nombreux  mûriers  du  pays  servent  à  leur  alimentation; 
et  les  propriétaires  viennent  ensuite  vendre  leurs  cocons  à 
la  magnanerie,  qui  les  fait  filer.  La'  production  de  la  soie  a 
fait  depuis  quelques  années  beaucoup  de  progrès  dans  ce 
pays;  ou  fait  plus  et  mieux,  et  le  prix  de  la  soie  de  Lacé« 
démone  a  presque  doublé  sur  le  marché  de  Lyon. 

Un  vandale  français,  M.  de  Fourmont,  se  vanle,  dans  ses 
lettres  à  M.  de  iMaurepas,  d'avoir  complètement  anéanti  la 
Sparte  antique  :  «  Je  l'ai  fait  non  pas  abattre ,  écrivait-il 
»  au  ministre ,  mais  raser  de  fond  en  comble;  il  n'y  a  plus 
»  de  cette  grande  ville  une  pierre  sur  une  autre.  Depuis 
»  plus  de  trente  jours ,  trente  et  quelquefois  soixante 
»  ouvriers  abattent ,  détruisent ,  exterminent  la  ville  de 
■  Sparte...  Si,  en  renversant  ses  murs  et  ses  temples;  si, 

3C. 


4  20         GBÈCE  contikeiitAle  et  morÉe. 

n  en  m  laissant  pas  unis  pierre  i^ur  une  abtre  atit)lQ9  petit 
»  de  ses  sacelium  son  lien  sera  dans  la  doitë  ignoré  i  j'ai 
»  au  moins  de  quoi  le  faire  i^econnaître  ,  et  e*est  quelque 
»  chose.  Je  n'avais  que  ce  moyen  de  rendre  mon  voyage 
9  illustre  I  • 

Cette  exclamation  est  assurément  digne  d'un  autre 
Érostrate.  Mais  le  mépris  et  le  dégoût  succèdent  à  la  baine 
contre  un  tel  homme  quand  on  voit  que*  ce)  vandaHsme 
n'était  qu'une  fahfaroonade  de  barbarie.  Fourmont  ti'avait 
pas  soixante  ouvriers  pendant  trente  joars ,  et  ses  soixante 
ouvriers,  qui  ne  connaissaient  Ai  le  pic  ni  la  pioche,  avaient 
fait  peu  contre  des  murs  helléniques  dont  un  attelage  de 
bhevaux  ne  pourrait  remuer  une  assise.  Aussi  retrouve-t-on 
encore  sur  place  plusieurs  de  ces  monuments  que  le  temps 
beul  ne  fiuffit  pas  pour  détruire. 

Je  me  dirigeai  d'abord  vers  les  collines  «tuées  près  de 
TEurotas  et  le  long  desquelles  en  arrivant  j'avais  aperçu 
quelques  restés  de  constructions.  De  ces  quatre  collines 
qui  se  joignent,  la  plus  élevée  est  celle  qui  s'avance  par  une 
pente  abrupte  jusqu'à  la  t*oute  actuelle  de  Trlpolitxa.  Le 
long  de  la  troisième  et  de  la  quatrième  »  du  côté  de  l'Eu- 
rotas  et  sous  les  soubassements  de  la  muraille  byzândne 
qui  enceint  ces  quatre  collines,  sont  les  fondements  de 
quatre  temples  antiques,  dont  trois  sur  la  troisième  colline< 
Ce  sont ,  comme  presque  toujours ,  de  vastes  pierres  qua- 
drilatères, il  quelques  pas  au-dessous  de  ces  temples,*  sur 
lesquels  était  appuyée  la  muraille  byzantine»  je  remarquai 
une  inscription  grecque  en  belles  lettres  un  peu  cassées 
sur  une  pierre  de  six  pieds  Sur  huit.  Les  dix  lignes  i  que  je 
copiai,  étaient  gravées  d'une  manière  fort  lisible.  Une  autre 
pierre,  située  quelques  pas  plus  haut ,  près  des  soubasse- 
ments d'un  autre  temple,  porte  aussi  une  inscription  de  la 
même  époque  ;  mais  les  lettres  en  sont  si  effacées  (|u'il 
m'a  été  impossible  de  la  lire.  Dans  riuiérleur  de  oe  mur 
d'encdnte,  on  aperçoit  les  ruines  do  plusieurs  églises;  et 
sur  led  murs  de  ces  églises,  comme  sur  ceux  des  lortifita- 


$t»ARTE.  427 

lions,  des  colonhcs  ahliqucs  coupéi^scn  morceaux  ou  déta- 
chées par  assises  dé  (Quelque  édifice  voisin  apparaissent  en 
tout  seiis,  tantôt  dans  la  largeur  du  mur  et  tantôt  dâtis  sa 
profondeiir.  Ati  bas  de  la  plus  haute  colline  sont  les  rester 
d*un  ancien  édifice  public  et  d'une  église  qui  offrent  Uri 
gtand  nombre  de  traces  de  semblables  mdtilatibn^.  L'am- 
phithéâtre de  Tantique  SpàHe  eist  adossé  à  cette  même  mon- 
tagne i  h  côtlcavité  de  l'hémicycle  tbufriéé  fers  la  ville: 
Léd  gl*aild8  biurs  d'appui  des  deux  côtés  sont  cbti^ervés 
jasqile  sur  le  haut  ainsi  que  les  graditis  du  théâtre. 

J'ëtëtidiâ  mori  ëtcUb^ion  ati  delà  de  l'ahlphithéâtre,  par- 
tout oQ  il  me  i^ëmblait  poUtoir  reitrouver  des  restés  aoti- 
qUel  Une  petite  église  d'apparence  fort  aticiettne  ftdûllfelit 
|[}tiélq(lëlS  débris^  réunis  dans  leâ  champs  Voisinsi  à  itiesUrè 
Qu'on  les  rëtt-ouve  ;  car  les  Otets  actuels  nlbfttreht  partent 
un  grâtid  respect  pour  lés  rel^te^  helléniques,  et,  ûiie  fois 
qu'ils  sont  réUhis  dand  Téglisë  la  plus  i*ainée ,  ils  DOnt  \k , 
ftous  la  foi  de  la  piété  publique ,  plus  en  sûreté  qu'ils  ne 
teràiënt  che2  lions  dans  le  musée  le  mieux  gardé.  Parmi 
êëâ  débris ,  Uri  gtând  fragment  de  statue  drapée  de  gi^an- 
deùr  naturelle,  mais  dâtïà  têie  et  sans  pieds,  m'a  semblé 
d'un  assez  beau  style.  Oii  à  fait  placer  ;  dans  une  grande 
pièce  de  la  maison  du  gouverneur  LatriS ,  quelques  autres 
fragments  dé  têtes^  bitstes ,  inscriptidnà»  pour  commencer 
un  musée.  Une  statuette  de  Mercure,  ëti  marbre  blanc,  de 
deux  pieds  de  hattt,  est  Un  fort  joli  morceau  ;  il  n'y  manque 
qu'une  main  et  les  deux  pieds.  De  UdmbreUt  fragments  ont 
été  sans  doute  employés  à  la  construëtiod  des  ponts  et  peut- 
être  à  celle  du  théâtre;  mais^  comme aUt:;Une  ville  moderne 
U'aVait  été  construite  dans  cette  plaine  avant  la  Sparte  nou- 
velle, on  doit  retrouver  encore  beaucoup  de  restes  dans  ses 
aiterrissemems  :  c'est  encore  là  Une  terre  vierge  à  exploiter. 
Entité  les  collines  et  la  viUe  moderne  est  un  monument  en 
pierres  quadrilatères.  Les  traditions  populaires  le  donnent 
comme  étant  le  tombeau  de  Léonidas,  dont  le  corps  fut  ap- 
porté Il  Sparte  après  sa  mort  aux  Thermopyles.  C'est  une 


428  gbÈcb  continentale  et  HOEÉE. 

sorte  d*béroûin.  Il  n'en  existe  plus  que  les  murailles  tout 
unies,  qui  n'annoncent  pas  la  forme  d*un  temple.  De  là  je 
traversai  des  champs  d'oliviers  et  de  mûriers  pour  redes* 
cendre  vers  les  bords  de  TEurotas,  afm  d'y  voir  ua  tom- 
beau que  les  mêmes  traditions  populaires  donnent  cooiine 
celui  du  roi  Agis.  C'est  là  une  promenade  délicieuse. 
L'Eurotas  coulait  sans  doute  autrefois  le  long  d'une  sorte 
de  circonvaliation  naturelle  dont  il  est  éloigné  aujourd'hui 
de  quelques  centaines   de   pas,  et  les  terrains  qu'il  a 
abandonnés  ont  formé  des  terres  grasses  fort  bien  culti- 
vées. A  l'extrémité  de  ce  tertre,  près  d'une  plantation   de 
beaux  peupliers  qui  s'étend  jusqu'à  l'Ëurotas  dans  l'en- 
droit où  il  se  rapproche  de  la  rivière  de  Magoula,  qui  ar- 
rive de  son  côté  pour  se  réunir  à  lui ,  on  aperçoit  un 
tombeau  creusé  dans  une  sorte  de  pierre  rougeâtre.  Le 
couvercle  en  a  été  enlevé ,  brisé  et  jeté  à  quelques  pas  ; 
c'est  peut-être  là  un  des  exploits  dont  se  vante  Fourmont. 
On  y  voit  une^  statue  en  haut-relief  drapée  et  un  peu  plus 
forte  que  la  grandeur  naturelle.  On  n'aperçoit  plus  que  le 
pied  ,  la  jambe  et  le  tour  du  corps  de  celui  qu'on  dit  être 
le  roi  Agis,  le  haut-relief  a  été  creusé  ou  brisé  dans  sa  par- 
tie saillante.  Le  tout  paraît  plutôt  des  temps  romains. 

Ce  lieu,  gracieusement  planté  de  peupliers  s'avançant  en 
9ng1e  arrondi  à  l'extrémité  jusqu'au  confluent  des  deux  ri- 
vières ,  m'a  semblé  répondre  tout  à  fait  à  la  situation  du 
célèbre  Platanistas,  où  luttaient  ensemble  les  jeunes  gens 
et  les  jeunes  filles  de  Sparte. 

Dans  la  soirée  M.  Latris,  gouverneur  jde  Sparte,  et  moi 
nous  allâmes  visiter,  au  sud  de  la  ville  actuelle,  une  colline 
sur  laquelle  se  trouvent  aussi  des  restes  antiques.  On  a  de 
là  une  fort  belle  vue  de  la  vallée  de  l'Ëurotas.  Elle  n'est 
qu'à  un  quart  de  lieue  de  la  ville,  et  en  la  plantant  on  pour- 
rait faire  un  lieu  de  promenade  agréable  pour  une  ville  où 
il  serait  nécessaire  de  pouvoir  trouver  quelques  lieux  un 
\yeu  ombragés. 

Dans  le  cours  de  mes  excursions  à  la  poursuite  de  Fan- 


f       r 


LAGEDEMONIÀ.  4^9 

tique,  je  me  rendis,  à  cheval,  jusqu'à  l'antique  Amyclée, 
aujourd'hui  Sclavo-Chorio,  le  village  des  Slaves,  à  une  lieue 
de  Sparte,  dans  la  plaine.  Malgré  toutes  mes  recherches, 
je  ne  pus  trouver  que  quelques  colonnes  brisées  et  deux 
restes  de  temples  antiques  servant  de  soubassement  à  des 
églises.  Là,  ainsi  qu'à  Sparte,  je  me  fis  apporter  toutes  les 
vieilles  monnaies  que  possédaient  les  paysans.  Elles  sont  en 
général  de  l'époque  byzantine.  J'en  trouvai  cependant 
plusieurs  en  cuivre  des  temps  helléniques  et  de  Sparte 
même  et  plusieurs  autres  des  princes  français  de  la  fa- 
mille Ville-Hardoin ,  qu'on  ne  dédaignera  plus  désormais, 
je  l'espère  ,  comme  on  les  avait  dédaignées  jusqu'ici  faute 
de  les  connaître. 

La  Lacédémonia  byzantine  occupait  les  quatre  collines 
que  j'ai  mentionnées  plus  haut ,  à  une  lieue  de  la  Sparte 
actuelle  et  près  de  TEurotas.  «  Lacédémonia ,  dit  la  Chro- 
nique de  !VloréeS  était  une  grande  ville  bien  garnie  de 
tours  et  de  murailles  ^  fabriquées  de  chaux.  Les  habitants 
s'étaient  vigoureusement  fortifiés,  avec  la  ferme  résolution 
de  ne  pas  se  rendre.  Pendant  cinq  jours  les  Français  tour- 
nèrent jour  et  nuit  en  combattant  sans  interruption  autour 
de  la  place ,  et  ils  dressèrent  les  trébuchets  qu'ils  avaient 
amenés  de  Nicli.  Enfin,  après  un  grand  carnage  et  la  des- 
truction des  tours ,  la  ville ,  cédant  à  la  force ,  capitula  et 
obtint,  par  une  convention  gaiantie  sous  serment,  que  les 
habitants  conserveraient  leurs  propriétés  et  leurs  privi* 
léges.  » 

L'emplacement  de  Lacédémonia  est  fort  reconnaissable. 
Les  murs  de  cette  ville  forte,  construits  de  ciment,  se  con- 
tinuent sans  interruption  autour  des  quatre  collines  ;  quel* 
ques  tours  en  ruines  s'y  remarquent  d'espace  à  autre.  Dans 
l'intérieur ,  des  débris  de  plusieurs  églises  annoncent  son 
ancienne  splendeur;  et  l'espace  marqué  par  les  murs  d'en- 
ceinte indique  qu'une  population  de  vingt  à  vingt-cinq 

^  p.  51  de  mon  éiiit.  à  deux,  colonnes. 

2  C'était  une  des  doaze  places  fortes  de  la  Morée. 


430  GRÈCE   CONTINENTALE    ET  MOREB. 

mille  habitants  pouvait  y  trotivcr  place.  Elle  ne  paraît  pas 
8*ê!re  jamais  bien  relevée  depuis  la  conquête  franque. 

C'est  de  cette  dernière  époque  que  date  la  construction 
d'une  troisième  ville  qui  est  ilientionnée,  par  G.  Phratitzi, 
sous  le  nom  de  Sparte  \  et  dont  le  véritable  nom  est  Rie- 
zitbra  '  suivant  les  Grecs ,  et  Mistra  suivant  les  Francs  ; 
et,  sur  ce  point ,  je  suis  assez  de  l'avis  des  Francs,  qui  en 
étaient  les  fondateurs.  Le  chroniqueur  grec  de  la  princi- 
pauté française  de  Morée  raconte  '  que  ,  pendant  le  séjour 
du  prince  Guillaume  de  Ville-Hardoin  dans  ces  parages,  il 
trouva,  à  une  lieue  de  Lacédémonia,  un  petit  monticule  si- 
tué d'une  manière  pittoresque  au-dessous  d'une  plus  haute 
montagne.  Cette  situation  ,  ajoute-t-il,  lui  parut  convena- 
ble pour  y  placer  un  fort.  Il  en  fit  en  effet  constMiirë  un 
sur  cette  montagne,  et  lui  donna  le  tiom  de  Mezithrâ,  qa^il 
porte  encore  aujourd'hui,  tl  en  fit  une  belle  place  et  un 
fort  des  plus  imprenables. 

Le  sentier  qui  conduit  de  Imparte  à  IViistra  conduit  à  tra- 
vers des  vergers  de  mûriers  et  d'oliviers ,  et  traverse  plu- 
sieurs cours  d'eau.  Au  village  de  Magouta ,  placé  sur  la 
route,  je  visitai  en  passant,  près  d'un  moulin  ,  utie  vieille 
église  dont  une  partie  a  été  entraînée  par  là  rivière  de  Ma- 

*■  Lorsque  G.  PhiUûtzi  metttloti6e  la  cession  que  fit  OUillaume  de 
Ville-Hardoin,  en  1963^  à  Michel  Paléologue  des  trois  places  de 
Monembasie,  de  Maina  et  de  Mistra  pour  sa  rançon,  il  donne  à  cette 
dernière  le  nom  de  Sparte,  xat  rr^v  Aaxft>vtx:^v  Iràp'nîv  (p.  t7). 
Lorsqu'il  mentionne  la  vente  faite  à  Rhodes  parle  despote  Tliéodose, 
en  1408,  de  son  despotat  de  Mistra  à  Tordre  de  Saint-Jean-de* 
Jérusalem ,  il  Pappelle  ta  seigneurie  de  Sparte,  ttspàcraç  év  t^  vofttù 
pisià  Tptrpsw;  t;^v  t^;  iTràp'mç  àpyriv  insirbikr,x6i  tt)  à^«^^o*T>jTi 
Toû  TrpoçnToi»  xal  pa7rT!0"ToO  Jwavvoi».  (Pag.  ôi.) 

*  Mezithrâ  est  une  espèce  de  (Vomage  caillé  en  tnrqaie.  Mistra, 

eti  patois  de  France ,  signifie  la  maîtresse  Tille.  Éic  f  o  fropoirtse 

tOTtov  OTTOu  fftval  Yi  x^P°^  Trpoovopiafr^eto'a  McÇtij^pâ; ,   ô  »6» 

«a^ouf*«va;  MtffrpcZç.  (Manuscrit  de  rarchevêqne  de  Laoédémone.) 
'  Page  73. 


MISTRA.  431 

goqla,  qui  quelquefois  Revient  un  torrent  fougueux,  mais 
qui,  au  moment  de  ma  visite ,  était  si  humble  que  je  lais*- 
sai  là  le  pont  et  la  passai  à  gué.  Cette  petite  église,  connue 
S0U3  le  nom  de  xo([Jt,r,(7i(;  tyjç  OeoToxou  (Assoii)ption  de  la 
Vierge),  av^i^  un  pavé  en  mosaïque,  et  le  partex  extérieur 
était  ouvert  et  orné  de  colonnes. 

Depuis  le  départ  des  Turcs  un  faubourg  assez  considé- 
rable ou  plutôt  une  nouvelle  ville  de  Mistra  s'est  formée 
au  pied  de  Tancienne  ville,  dont  elle  est  séparée  par  la  ri- 
vière. Avec  la  sécurité  est  revenu  le  goût  d'habiter  dans 
les  plaines.  Le  nouveau  bourg,  appelé  Parori  ou  £xo-Chori, 
forme  aujourd'hui  une  sorte  de  concurrence  avec  la  nou- 
velle Sparte. 

Je  traversai  la  rivière  et  arrivai  dans  la  Mistra  de  Guil- 
laume de  Yille-Hardoin.  Le  monticule  sur  lequel  elle  est 
bâtie  est  en  effet  placé  au  pied  de  la  chaîne  du  Taygète. 
Une  gorge  fort  étroite ,  en  pente  fort  rapide  dans  le  fond, 
et  tout  à  fait  abrupte  du  côté  du  mamelon  de  Mistra ,  la 
sépare  d'un  autre  mamelon.  La  ville  se  continue  depuis  la 
rivière  jusqu'en  haut,  divisée  en  trois  parties  :  Kato-Chori, 
le  bourg  d'en  bas  ;  Mcso-Chori ,  le  bourg  du  milieu ,  et  le 
Castro,  toutà  fait  au-dessus  de  la  montagne  :  mais  la  partie  in- 
férieure de  la  ville  est  la  seule  habitée,  le  reste  ayant  été  aban- 
donné après  la  révolte  des  iVlaînotes  et  les  ravages  des  Alba- 
nais. Ce  ne  sont  partout  que  maisons  et  églises  en  ruines. 

A  une  assez  grande  hauteur  est  situé  le  monastère  de 
ZojoSoxou  TT^YT]  (Mère  du  Sauveur),  que  j'avais  si  vaine- 
ment recherché  à  Sparte  même;  trompé  par  G.  Phrantzi, 
qui  nomme  ainsi  Mistra  par  affection  pour  l'antiquité  clas- 
sique. Je  tenais  à  visiter  le  tombeau  de  'fhéodora  Tocco, 
nièce  du  comte  Charles  Tocco  de  Céphalonic  et  fcimue  de 
Constantin  Paléologue  depuis  empereur  et  le  dernier  de9 
empereurs,  et  celiii  de  Çléophas  Malatesta,  femme  du  des- 
pote Théodore  son  frère ,  qqi  toutes  deux  y  avaient  été 
enterrées.  G.  Phrantzi  raconte  que,  la  belle  Théodore 
Tocco  étant  morte  à  Saint-Omer  (Santameri)  en  Morée, 


432  GRECE  CONTINEKTALE   ET   MOKEC. 

près  de  Patras,  en  noTembre  i/»30,  au  grand  regret  de 
son  mari  et  de  toute  sa  maison  ,  qui  admirait  sa  parfaite 
beauté,  son  corps  fut  d'abord  transporté  dans  une  des 
églises  de  Clarentza,  puis  de  là  dans  le  monastère  de  Zoo- 
docou  à  Sparte*;  et  que  Cléopiias  Malatesta  y  fut  inhumée 
aussi  '  en  lZi33. 

Le  monastère  mentionné  ici  a  été  en  partie  ruiné  ;  mais 
les  tombeaux  subsistent  encore  au  milieu  des  ruines  du 
cloître,  et  sont  connus  comme  tels  dans  les  traditions  du 
pays.  I/église,  appelée  Paiitauasio,  dooi  rarchitecture  est 
toule  latine,  est  conservée  en  eniicr.  Au  dessus  du  por- 
tique s'élève  une  colonnade  ou  ver  le  comme  les  Loggic  de 
Florence  ,  et  à  l'extrémité  de  la  colonnade  une  tour  de 
forme  byzantine.  Le  tout  me  paraît  de  trop  bon  goôl  pour 
avoir  pu  être  construit  h  ré()oque  franquc  ;  cela  paraît  plutôt 
de  l'époque  vénitienne ,  c'est-à-dire  de  la  fin  du  dix- sep- 
tième siècle.  Un  peu  au-dessous  est  la  métropole,  à  laquelle 
est  adossée  le  palais  archiépiscopal ,  qui  sert  aujourd'huf 
d'habitation  au  curé,  frère  de  l'archevêque  actuel;  ce 
dernier  était  en  visite  chez  son  frère ,  et  ils  me  firent, 
avec  la  plus  parfaite  politesse  ,  les  honne'urs  de  la  métro- 
pole. Sur  la  porte  d'entrée  on  lit  que  cette  église  a  été  bâ- 
tie par  l'archevêque  Nicéphore  ,  le  premier  des  archevê- 
ques du  rit  grec,  qui  prit  possession  de  Misira  après 
l'abandon  qui  en  fut  fait,  en  1263,  par  Guillaume  de  Ville- 
Hardoin  à  Nicolas  Paléologue  pour  prix  de  sa  rançon.  Sui- 
vant les  Annales  des  frères-mineurs  de  Wadding,  le  der- 
nier des  évêques  latins  de  Wistra  s'appelait  Haymon  et 
fut  transporté  à  l'évêché  de  Corou^  La  série  des  arche- 

*  Kaî  pteri  raÛTa  àv6xô^io>av  auriv  sic  t?}v  sv  tt)  Inioxr,  tou 

ZWO^OTOU  fAOVYlV.  (P.  154.) 

*  Kat  hir^vi  èv  Tfi  Zwo^OTOi»  fxovY).  (p.  158.) 

'  Wadding  rapporte  (t.  7  de  ses  Annales)  une  le! Ire  de  Nicolas  llî, 
en  date  da  18  août  129'?,  qui  recommande  à  Tévêque  d'olène,  aa 
prieur  des  frères-piécheurs  et  au  gardien  des  fi ères-mineurs  de  Cla- 
ronfza,  ut  ITaymoncm,  episcopum  Lacedœmoniœ  in  Pcloponneso, 


MISXRA.  433 

Téqaes  du  rit  grec,  depuis  cette  époque,  est  donnée,  avec 
quelques  extraits  de  la  vie  de  chacun ,  dans  un  volume 
manuscrit  que  possède  Tarchevêque  de  Lacédémone  Mêlé- 
tius.  Il  voulut  bien  me  le  confier ,  ainsi  qu'un  autre  ma- 
nuscrit sur  parchemin  in-folio  qui  contenait  un  évangéliaire 
du  quinzième  siècle,  et  il  m'invita  à  prendre  copie  de  son 
Kôv^iS  Upoç ,  contenant  les  vies  de  quelques-uns  des  mé- 
tropolitains ,  ses  prédécesseurs  :  ce  que  je  fis.  Ce  sont  d'a- 
bord Micéphore,  le  premier  après  l'abandon  de  Mistra  par 
les  Français  en  1263,  puis  iVlatthieu  et  Luc,  puis,  après  une 
longue  lacune,  Nilus,  Tbéodoret,  Gennadius,  Kyprianos, 
Joseph,  Gabriel  et  Auanias.  Cet  ouvrage  trouvera  sa  place 
dans  la  seconde  partie  de  mes  Nouvelles  recherches. 

L'église  métropolitaine  est  assez  vaste.  Sur  le  mur  ex- 
térieur, adroite  de  l'église,  sous  une  sorte  de  petit  porche 
ruiné ,  est  une  autre  inscription  gravée  sur  le  marbre  vers 
la  même  époque  que  celle  dont  je  viens  de  parler.  A  l'in- 
térieur ,  sur  cinq  des  colonnes  de  marbre ,  des  deux  côtés 
de  l'église ,  je  remarquai  également  des  inscriptions  gravées 
en  caractères  ecclésiastiques  du  haut  en  bas  de  l'église. 
Sur  Tune  d'elles  je  lus  la  date  de  6847  du  monde  ou  13^1 
de  J.  -G. ,  et  toutes  me  semblèrent  contenir  le  dénombre- 
ment des  biens  de  toute  nature  possédés  par  l'archevêché 
de  Mistra  ou  Lacédémonia  en  différents  lieux.  L'évêque,  k 
ma  demande ,  voulut  bien  donner  des  ordres  pour  que 
l'on  décalquât  ces  diverses  inscriptions  sur  gros  papier , 
d'après  les  moyens  usités  aujourd'hui  et  que  je  lui  ensei- 
gnai ,  et  promit  de  me  les  faire  passer  à  Athènes;  ce  sera 
un  monument  authentique  curieux  de  plus  pour  l'histoire 
de  celte  époque  à  ajouter  à  ceux  que  fournit  son  manuscrit. 

Je  laissai  mes  chevaux  parmi  les  ruines  du  couvent  et 
marchai  vers  le  Castro.  On  arrive  à  une  grande  place  qui 
a  dû  être  assez  belle,  et  qui  est  connue  dans  le  pays  sous  le 

a  Grœcis  occupato,  ad  ecclesiam  CoronenscnOy  etiam  in  Pelopooneso 

et  Mesaeoift  sitam,  à  capUularibiis  postulattim ,  in  e&dem  auctoritate 

apofttolicà  admitti  et  à  prioris  ecclesiœ  vinciilo  absoWi  carent, 

37 


434  GÙC8  CONTINKNTALB   ET  MOEEE. 

nom  de  pilais  de  la  Basilîssaponla  (de  la  Princesse) .  Pea  t-étre 
étaitH:e  Ui  en  effet  le  palais  des  despotes  de  Alistra ,  qui 
étaient  toojoors  de  la  famille  impériale.  Il  but  encore  one 
demi-beare  pour  arriver  de  là  à  la  dme  de  la  montagne 
sor  laquelle  est  oonstrait  le  castre,  à  534  mètres  an^essos 
dn  niveau  de  la  mer.  Les  fortifications  se  composaient  de 
[4nsieurs  lignes  de  mnrailks  flanquées  de  tours.  Une  des 
tours  carrées  se  voit  encore  dans  la  partie  la  plus  basse ,  sur 
le  versant  à  droite,  et  on  retrouve  d'intervalle  à  autre  en 
montant  de  grands  restes  de  murailles  de  la  construction 
franque  |MÎmitive ,  qui  a  dû  être  modifiée  ensuite  par  les 
despotes  grecs  de  llislra ,  par  le»  Turcs  et  par  les  Vôni« 
tiens.  La  partie  supérieure,  telle  qu'elle  existe  aujour*» 
d'bui,  ne  conserve  plus  que  quelques  restes  du  mur  ancien 
et  des  chemins  de  ronde  ;  le  reste  est  de  construction  assez 
récente.  En  faisant  des  travaux  de  ce  c6(é,  en  l'an  1827 , 
on  trouva  tout  en  haut ,  auprès  de  la  porte,  une  cuirasse 
et  des  Jambards  de  fer,  et,  dans  le  même  endroit,  un  tom« 
beau  dans  lequel  étaient  un  casque  à  visière  et  une  cotte  de 
mailles.  La  cotte  de  mailles  était  tout  à  fait  brisée,  et  on  en 
donna  quelques  morceaux  an  roi  Othon  à  son  passage  à 
Sparte.  Quant  à  la  cuirasse,  au  casque  à  visière,  aux 
Jambards  et  au  reste  de  l'armure,  Je  n'ai  pu  apprendre  ce 
qu'on  en  avait  fait 

En  revenant  de  Mistra  à  Sparte ,  je  m'arrêtai  quelques 
instants  à  examiner  un  rocher  perpendiculaire  mtué  à  un 
quart  d'heure  de  Mistra,  et  qu'on  donne  comme  étant  le 
célèbre  rocher  des  Apothètes ,  d'où  on  précipitait ,  suivant 
Plutarque  S  les  enfants  Spartiates  contrefaits. 

Le  soleil  se  couche  une  heure  plus  t6t  à  Sparte  à  cause 
de  la  hauteur  presque  perpendiculaire  du  Taygète  ;  mais , 
malgré  l'absence  du  soleil,  il  faisait  une  chaleur  insuppoTi- 
table.  Les  rochers  voisins ,  échauffés  par  le  soleil  du  jour, 
rejettent  pendant  la  nuit  la  chaleur  qu'ils  recelleot,  et  les 

A  Vie  da  Lycarga«i 


8PAiin.  435 

noits  sont  ainsi  chaudes  que  les  jours.  Â  mon  retour  chei 
mon  hôte,  le  gouverneur  Latrts,  j*y  rencontrai  un  colonel 
tare,  Âchmet-Bey»  qui  arrivait  de  Calainatapar  la  route 
do  Taygète.  Achmet-fiey  jouissait  de  la  faveur  du  sultan 
Mahmoud.  Il  m'a  raconté  (|u*il  avait  môme  été  employé 
trois  fois  dans  des  missions  de  confiance ,  Texécntion  d*un 
pacha  redoutable,  et  il  s'en  était  tiré  tout  à  fait  k  la  satisfaction 
de  son  maître.  L*ua  de  ces  pachas  était  ami  d*Âcbmet-Bey , 
ce  qui  lui  donna  pour  le  frapper  Une  facilité  dont  il  s'ap«> 
plaodissait  en  me  le  racontant.  J'ai  souvent  entendu  les 
ennemis  des  Grecs  parler  de  la  franchise  des  Turcs  ;  mais 
qu'ils  étudient  les  ruses  auxquelles  on  est  obligé  d'avoir 
recours  pour  obtenir  justice  contre  le  fort ,  et  ils  appré^ 
cleront  plus  exactement  l'absence  de  franchise  que  le  des- 
potisme traîne  à  sa  suite.  Un  seul  des  faits  qu'Achmet-Bcy 
me  raconta  révélera  toute  l'étendue  du  mal  II  était  le  chef 
de  la  police  de  Smyrne.  Quelques  affaires  Tayant  appelé 
à  Constantinople,  il  apprend i  à  son  retour  à  Smyrne, 
que  sa  garde  même  s'était  portée  aux  plus  criminels  excès 
contre  les  chrétiens  et  qu'on  en  avait  assassiné  un  grand 
nombre.  Achmet-Bey  croit  toujours  que  les  intrigues  du 
sérail  sont  au  fond  de  tous  ces  meurtres  commis  contre  les 
chrétiens;  il  ne  voulut  donc  pas  faire  appel  à  la  justice  du 
divan ,  mais  il  chercha  à  se  venger  lui-même.  Il  assemble 
donc  sa  garde  ;  il  leur  parle  des  meurtres  commis  contre 
les  chrétiens;  il  les  en  félicite  en  bon  musulman:  leur 
donne  des  récompenses  à  tons  pour  y  avoir  pris  part,  et 
annonce  une  plus  haute  récompense  aux  mieux  méritants 
quand  il  les  connaîtra.  Ceux-là,  par  forfanterie  >  se  dési- 
gnent. 11  les  récompense  largement,  les  invite  à  un  grand 
dîner,  et  quand  ils  sortent  de  sa  table  il  les  fait  égorger 
tous  un  à  un.  Achmet  était  charmé  de  la  manière  dont  il 
avait  en  justice  des  siens ,  et  il  n'entrevoyait  pas  qu'il  y  eût 
rien  à  dire  contre  cela,  et  c'est  un  bon  et  excellent  Turc  à 
sa  manière.  Nommé  colonel  des  troupes  envoyées  en  Crète, 
il  s'était  opposé  aux  mesures  atroces  qu'on  avait  voulu 


436  GBÈCB   CONTINBNTAIB   ET  MOBBB. 

prendre  contre  les  populations  chrétiennes;  car  Âchroet 
?eiit  qu*on  traite  les  rayas  a?ec  justice ,  et  se  déclare  par- 
tisan du  grand  justicier  Mahmoud ,  dont  il  vénère  la  mé- 
moire. Ses  collègues  s*étant  prononcés  pour  une  extermi- 
nation ,  et ,  ayant  été  forcés  de  céder  à  ses  remontrances , 
il  pensa  qu'ils  ne  tarderaient  pas  à  se  venger  sur  lui.  Aossî, 
dès  qu*il  vit  la  guerre  prendre  fin ,  au  lieu  de  retourner  à 
Consiantinople  il  s'embarqua  secrètement ,  après  avoir  fait 
dire  à  sa  famille  de  quitter  la  Turquie  |)our  venir  le  re- 
joindre ,  et  il  s'était  décidé  à  se  faire  citoyen  grec.  Il  m'as- 
sura que  beaucoup  de  Turcs  de  ses  amis  étaient  si  con- 
vaincus de  l'impossibilité  actuelle  de  reconstituer  un  peu 
d'ordre  dans  la  partie  européenne  de  la  monarchie  turque 
en  particulier,  qu'ils  n'hésiteraient  pas  à  reconnaître  le 
gouvernement  grec  si  ce  gouvernement  paraissait  prendre 
un  peu  de  fermeté,  de  puissance  et  de  durée  ;  ce  qui  aura 
certainement  lieu  si  jamais  une  bonne  organisation  politique 
répond  aux  vœux  de  ses  intelligents  habitants. 


XXIV. 

TRYPI.   —  CHAÎNE  DU  TAYGÈTE.    —  GÀLAMATA. 

—  MESSÈNE. 

Après  quelques  jours  passés  à  Sparte  ,  je  me  décidai  à 
me  rendre  à  Calamata  par  la  route  du  Taygète ,  qu'Achmet- 
Bey  m'avait  décrite  comme  fort  supportable ,  au  lieu  de 
m'y  rendre  par  Leoudari,  route  beaucoup  plus  facile, 
mais  aussi  beaucoup  plus  longue.  M.  Latris  voulut  bien 
m'accompagner  dans  cette  excursion.  A  quatre  heures  du 
soir  nous  quittâmes  Sparte ,  accompagnés  de  gendarmes 
et  de  guides  fort  au  courant  des  lieux  ,  et  nous  nous  diri- 
geâmes d'abord  sur  Parori  (village  limitrophe  des  monta- 
gnes) près  de  Misti-a.  A  mesure  qu'on  s'en  apprche  la  verdure 
de\  ien  t  plus  vive ,  les  champs  se  couvrent  de  m  ûrirrs,  les  mon- 


pauoht.  437 

tagnes  se  revêtent  d'oliviers,  et  dans  les  nombreux  jardins 
des  habitants  la  verdure  des  orangers  et  des  citronniers  est 
irariéc  par  la  couleur  des  fruits  encore  suspendus  aux 
branches.  Le  village  de  Parori ,  situé  un  peu  au  delà  du 
rocher  des  Apothètes ,  remonte  en  pente  douce  au  pied 
de  ces  monticules  qui  annoncent  rapproche  de  la  grande 
chaîne  du  Taygète.  Une  belle  fontaine  d'eau  abondante 
coule  avec  vivacité  du  rocher  par  plusieurs  ouvertures , 
et  forme ,  à  quelques  pas  de  là ,  une  rivière  employée  en- 
suite par  les  habitants  à  Tirrigation  de  leurs  jardins.  Plu- 
sieurs beaux  arbres  forment ,  à  quelques  pas  de  là  ,  une 
petite  place  qui  d*un  côté  s*étendjusqu*au  bord  d*un  ravin 
par  une  sorte  de  petit  plateau  où  autrefois  venaient  s'as- 
seoir les  Turcs  de  Parori  pour  y  fumer  leur  narguilhé,  y 
prendre  leur  café  et  s'y  livrer  aux  charmes  d'un  long 
kieff.  Cette  eau  qui  murmure  vivement  et  entretient  la 
fraîcheur  des  arbres  et  du  gazon ,  cette  vue  du  ravin  et 
de  la  campagne  de  Sparte  et  des  montagnes  les  jetaient 
dans  cette  indolente  rêverie  qu'ils  recherchent.  Je  me  re- 
posai un  instant  sous  ces  ombrages ,  je  bus  de  la  bonne 
eau  de  Parori  et  remontai  à  cheval.  Parori  est,  ainsi  que  je 
l'ai  dit,  comme  un  faubourg  de  Mistra  ;  j'étais  bien  aise  de 
revoir  encore  la  cathédrale  et  les  inscriptions  gravées  de  ses 
colonnes  et  la  jolie  église  de  Pantanasia,  qui  sedétache  si  bien 
au-dessus  de  cette  partie  de  la  ville.  Je  m'arrêtai  aussi  à  vi- 
siter l'école  de  Mistra:  c'est  un  bâtiment  assez  vaste,  dans 
une  partie  un  peu  élevée  de  la  ville.  L'école  est  régie  par 
deux  maîtres  et  fréquentée  par  quatre  -vingts  externes.  Ceux 
des  jeunes  enfants  qui  désirent  demeurer  dans  l'établisse- 
ment peuvent  profiter  gratis  de  ses  nombreuses  chambres, 
mais  doivent  s'arranger  comme  ils  le  peuvent  pour  la  nour- 
riture. La  vie  matérielle  du  jeune  Grec  est  dure  :  un  tapis 
pour  lit  ;  à  dîner  du  pain ,  des  olives ,  quelques  fruits  et 
légumes  ;  pour  boisson  l'eau  fraîche  de  Parori ,  qui  ne  leur 
manque  jamais;  voilà  tout  ce  qu'ils  es|)èrent  et  ce  qu'ils 
obtiennent  de  leurs  parents. 

37. 


48t  GBÈCB   CONTnrBllTAt*S   BT  MOREE. 

Au  lleo  de  redesceadre  de  la  haute  ville  poar  aller  re<* 
joindre  la  route  de  Trypi,  nous  cootinuâmes ,  sous  la  con^ 
duite  d'un  moine  que  l'archevêque  Mélétius  nous  avait 
donné  pour  guide ,  de  longer  la  montagne  ;  nous  laissâmes 
Tarchevêque  prendre  le  frais  sur  sa  magnifique  terrasse 
qui  commande  la  vue  de  toute  la  vallée  de  TEurotas ,  et 
nous  suivîmes  son  caloyer.  La  route  est  difficile ,  mais  elle 
offre  constamment  de  beaux  points  de  vue  sur  ces  ravins 
profonds.  Le  torrent  qui  descend  de  la  montagne  doit 
;gouter  encore  à  l'effet  du  paysage  quand  il  y  a  de  l'eau  ; 
mais  aujourd'hui  il  est  arrêté  en  chemin  pour  servir  à  l'ir  r 
rigation  des  jardins.  La  vue  devient  plus  belle  encore  eo 
s'approchant  de  Trypi  :  un  torrent  plus  considérable  »  le 
Knakion ,  se  précipite  du  fond  de  cette  profonde  vallée  et 
r  enveloppe.  Je  n'ai  rien  vu  de  plu3  frais  que  cette  petite 
vallée  resserrée  avec  amour  entre  les  montagnes  et  le  Kpa* 
kion.  Un  grand  nombre  de  cyprès  élèvent  leurs  pointée 
au  milieu  de  ces  masses  d0  verdure  et  donqent  au  p^ysagç 
un  aspeot  tout  oriental.  Par  le  chemin  le  plus  difficile  &( 
le  plus  entrecoupé  en  tout  sens  par  mille  et  mille  canaux 
d'irrigation ,  nous  descendîmes  chez  le  papas ,  qui  prenais 
le  frais  dans  son  jardin.  Avec  ce  beau  temps  e(  ce  beau 
ciel  notre  appartement  fut  bientôt  prêt  :  uue  sorte  (ie  lon- 
gue terrasse  couverte  en  bois  {chaiati)  règne  tout  le  long  de 
la  maison ,  et  de  là  on  a  une  vue  de  Suisse  9vec  un  soleil 
de  Grèce.  I^ous  fîmes  étendre  des  tapis  et  placer  des  oreil- 
lers, et  nous  y  passâmes  la  soirée  et  la  nuit,  L*air  ét^it  doux 
et  calme ,  toute  la  nature  verte  et  jeune  ;  il  y  avait  un  vé- 
ritable plaisir  à  s'endormir  sous  ce  ciel  embaumé. 

Un  plaisir  nouveau  m'attendait  à  mon  réveil  ;  mille  oi- 
seaux chantaient  dans  la  verdure ,  et  le  torrent  accompa- 
gnait leurs  chants  en  tombant  avec  harmonie.  Devant  moi 
se  soulevait  cette  rose  aurore  si  bien  décrite  par  les  poètes 
anciens  et  si  mal  comprise  des  hommes  d'Occident.  Avant, 
que  le  soleil  n'émergeât  Irop  chaudement  au-dessus  des 
monts  de  Tzaconie,  nous  nous  remîmes  en  route.  Nous  nous 


CHAINS   BO   T\10BTfi.  439 

éloignâmes  jda  coavent  de  Saiot-Jean  le  précurseur,  dont 
une  colonne,  ainsi  que  l'annonce  le  manuscrit  de  Tarche^ 
¥ôque  Méléiius,  porleune  inscripiion  relative*  comme  celle 
de  la  métropole,  aux  [«ropriéiés  de  rarcbevéché  de  Lacédéf 
iDonia.  Le  torrent,  qui  a  déjà  renversé  une  partie  de  ce 
monastère ,  ne  tardera  pas  à  entraîner  le  reste  dans  sa 
course.  Nous  remontâmes  jusqu'à  la  source  du  Knakion, 
qui  du  haut  de  la  montagne  se  fraie  voie  soûs  le  rocher  par 
plusieurs  ouvertures  et  jette  une  eaii  rapide  et  abondante 
qui ,  au  lieu  d'aller  se  perdre  au  hasard  eu  se  précipitant 
dans  les  jardins  placés  au-dessous ,  est  retenue  et  divisé^ 
par  deux  parties,  et  réglée  dans  son  cours  par  une  digue  da 
pierre.  Ici  toute  vue  gracieuse  disparait;  on  entre  dans  la 
chaîne  du  Taygèie. 

Le  chemin  est  rude,  quoi  que  m*eq  eût  dit  Achmetrhey, 
entre  Trypi  et  Lada-Coutyava  ;  ou  plutôt  ce  n*est  pas  un 
chemin,  mais  un  sentier,  à  peine  tracé  entre  les  rochers 
les  plus  bouleversés.  Partout  on  voit  que  les  couches  de 
rochers  ont  été  abaissées  par  de  grandes  révolptions  du 
globe.  Au  milieu  de  ces  rochers  se  retrouvent  de  temps  en 
temps  quelques  terrains  profonds  et  unis  ;  mais  ces  sortes 
de  vallées  sont  trop  hautes  pour  être  bien  fertiles.  Fré- 
quemment nous  fûmes  obligés  de  nous  arrêter  pour  nous 
reposer  et  surtout  faire  reposer  nos  chevaux,  qui  n'avaient 
jamais  franchi  des  chemins  si  terribles.  Ils  glissaient  sur  le 
marbre  uni  des  rochers  en  montant  et  en  descendant. 
La  meilleure  partie  de  la  route  ici  était  devenue  le  lit  des- 
séché des  torrents,  parsemé  d'énormes  blocs  qui  ailleurs 
auraient  semblé  un  obstacle.  Dans  une  partie  de  ee  ravin, 
mon  agoïale  arrêta  mon  attention  sur  une  ouverture  du 
rocher  :  «  C'est  par  là ,  me  dit-il ,  qu'Aristomène  de  Mes- 
sénie  suivit  le  renard  qui  lui  enseigna  le  moyen  de  sortir 
de  sa  prison.»  Je  regardai  mon  cicérone  :  c'élait  un  ancien 
pallicpre  qui  m'avait  tout  l'air  d*avoir  eu  souvent  besuin  de 
pratiquer  lui-même  tous  les  moyens  possibles  d'échapper  aux 
Turcs  dans  les  guerres  klephliques,  à  travers  les  moniagnes 


440  GRECE  GONTINENTALB   ET   MOREE. 

et  les  fissures  des  rochers.  Toute  cette  route  est  d'une  hor- 
rible difiBculté  d'un  hout  à  l'autre.  Aucun  cheval  ne  pou- 
vait tenir  pied  ;  les  agoîatesen  pleuraient  de  désespoir,  tant 
ils  redoutaient  pour  leurs  bêtes  soit  la  fracture  de  quelques 
membres,  soit  même  des  chutes  faciles  à  travers  les  préci- 
pices. Ces  chutes  furent  en  effet  fréquentes,  mais  elles  fu- 
rent faites  h  propos,  et  il  n*y  eut  de  brisé  et  de  boulev  ersé 
que  mes  malles  et  tout  ce  qui  m'appartenait.  Il  n'y  avait 
pas  là  de  quoi  les  préoccuper  beaucoup ,  et ,  quant  à  moi , 
j'y  étais  fort  préparé  ;  plus  d'une  fois  mes  malles ,  livres 
et  cartes  avaient  subi  ces  chutes  et  même  avaient  soutenu 
fort  commodément  la  bête  qui  les  portait  au  beau  milieu 
des  rochers  d'un  torrent  un  peu  jauni  par  le  superflu  des 
irrigations.  Enfin, aprèscinqgrandesheuresde  marche, sans 
compter  nos  points  de  repos,  nous  arrivâmes  en  vue  de 
Lada-Goutzava  et  de  Goutzava-Karveli ,  situés  chacun  sur 
un  versant  opposé.  C'est  près  de  là,  du  côté  du  mont  Saint- 
Ëlie  ,  qu'on  trouva,  en  183/i,  un  grand  morceau  de  mar- 
bre avec  cette  inscription  antique  en  langue  grecque  gravée 
des  deux  côtés  : 

MONTAGNB  M  Lk  LKCÈùimOWEf  LIMITE  DB  LK  HESSâflE. 
NOUTiGNE  DE  LK  MESSéNIB ,   LIMITE  DB  hk  LACÉDÉMONIE . 

Nous  prîmes  le  chemin  de  Lada-Coulzava,  situé  tout  au 
milieu  de  la  chaîne  du  Taygète.  Une  belle  eau,  dans  laquelle 
nos  chevaux  aimaient  à  rafraîchir  leurs  pieds  fatigués,  des- 
cend en  pente  rapide  de  toutes  les  rues ,  et  cette  eau  en- 
tretient de  beaux  arbres  qui  lèvent  leur  tête  gracieuse  au 
milieu  de  ces  pauvres  maisons.  J'aperçus  de  loin ,  par- 
dessus les  toits  ,  un  beau  bouquet  d*arbres  planté  sur  une 
petite  place.  Impatient  de  savourer  leur  ombrage  et  de 
faire  étendre  mon  tapis  sous  leur  couvert,  j'éperonne  mon 
cheval  à  travers  ces  rues  si  rapides  et  ces  eaux  courantes, 
et  j'arrive.  Mais  quel  est  mon  étonnement  !  La  place  res- 
semblait à  un  camp.  Mes  quatre  gendarmes ,  que  j'avais 
envoyés  d'avance ,  y  avaient  trouvé  quatre  autres  gendar- 


L^DA-G0NTZ4VA.  441 

mes  d'une  autre  escorte  déjà  établis.  La  rue  était  comme 
encombrée  de  chevaux.  Je  m'approche ,  franchis  un  petit 
mur  de  clôture  pour  aller  prendre  possession  d'un  arbre  : 
son  ombre  était  occupée.  M.  Piscatory  ,  que  j'avais  ren- 
contré quelques  semaines  auparavant  à  Athènes,  et  qui  en 
était  parti  avec  M.  de  Roujoux,  qui  connaît  si  bien  la  Grèce, 
les  Grecs  et  la  langue  grecque,  pour  aller  jusqu'aux  monts 
d'Agrapha ,  avait  passé  d'Acarnanie  à  Fatras,  et,  après 
avoir  traversé  la  partie  occidentale  de  la  Morée  par  les 
routes  de  montagne  les  plus  difficiles,  se  rendait  en  ce 
moment  de  Galamata  en  Messénie,   à  Sparte  par  cette 
même  route  si  rude  du  Taygète  que  j'avais  traversée  dans 
le  sens  opposé.  Il  avait  été ,  comme  moi ,  tenté  par  cette 
ombre  épaisse  et  la  fraîcheur  des  eaux ,  et  il  était  étendu 
sur  son  tapis  au  milieu  de  la  place ,  dormant  paisiblement 
pendant  que  Roujoux  fumait  avec  bonheur  son  chibouki. 
J'éprouvai  un  vif  plaisir  à  rencontrer  ainsi  mes  compatrio- 
tes. Nous  restâmes  quelques  instants  à  nous  raconter  les  inci- 
dents de  nos  mutuelles  odyssées,  et  nous  remontâmes  à  cheval 
chacun  de  notre  côté,  laissant  Lada-Koutzava  tout  étonné  de 
ce  grand  déploiement  de  milordis  et  de  leurs  escortes,  qui 
ne  s'étaient  certainement  jamais  rencontrés  en  pareil  nom- 
bre dans  un  tel  endroit  depuis    les  temps  historiques. 
M.  Piscatory ,  qui  brave  la  fatigue  comme  le  plus  obstiné 
chasseur,  et  à  qui  les  rudesses  de  la  vie  grecque ,  malgré 
leur  contraste  avec  la  vie  des  plus  agréables  salons  de  Pa- 
ris qu'il  aime  et  où  il  est  aimé ,  semblent  chose  toute  fa- 
milière, et  Roujoux,  qu'on  dirait  un  véritable  pallicare  rou- 
méliole,  s'enfoncèrent  avec  empressement  dans  le  Taygète, 
dont  je  ne  leur  avais  pas  dissimulé  les  aspérités,  résolus 
à  passer  la  nuit  au  milieu  des  bois ,  campés  auprès  de  la 
fontaine  et  de  l'échappée  du  renard  d'Aristomène;  et  moi 
je  résolus  de  descendre ,  sans  démonter  une  seule  fois  ,  le 
rude ,  long  et  tournoyant  escalier  de  rochers  brisés  qui 
mène,  après  trois  heures  de  route,  de  Lada  à  Galamata,  et 
qu'ils  avaient  cru  devoir  monter  à  pied ,  les  rudesses  du 


44t  GÙGE   CONTOIBNTALB  BT  MOEEE. 

voyage  devenant  ainsi  poar  chacan  de  nous  «  moins  les 
gendarmes,  les  agoiates  el  les  chevaux,  un  charme  de 
plus»  Aussitôt  qu'on  a  franchi  cette  pente  du  Taygète  ,  un 
tout  nouveau  pays  se  présente  à  vos  yeux.  La  vaste  plaine 
de  Messénie  apparaît  tout  entière  avec  son  beau  golfe  qui 
s'étend  en  nappe  longue  et  unie  ^tre  le  Magne  et  Coron. 
U  était  sept  heures  du  soir  quand  j'arrivai  à  Galamata. 

Celte  ville  avait  pour  moi  on  intérêt  tout  particulier. 
C'était  là  qu'était  né  le  prince  Guillaume  de  Ville-Hardoin^ 
le  premier  des  |H*inces  français  d'Achaye  qui  naquit  sur  le 
sol  grec  ;  aussi  le  nom  de  Guillaume  de  Galamata  lui  en 
était-il  resté.  U  affectionnait  cette  ville,  il  l'habitait  souvent» 
et  je  pensais  que  bien  que  près  de  six  siècles  me  sépa- 
rassent de  lui,  puisqu'il  était  mort  en  1278,  je  trouverais 
cependant  dans  sa  ville  natale  quelque  chose  qui  indiquât 
sa  présence  et  celle  de  ses  Français.  Je  ne  me  trompais  pas. 
A  la  première  vue,  Galamata  a  plutôt  l'air  d'une  petite  ville 
du  Bourbonnais,  du  Berry  ou  de  la  Champagne  que  d'une 
ville  de  Messénie  rapprochée  d'une  journée  de  Sparte.  Elle 
me  rappela,  je  ne  sais  trop  pourquoi  précisément,  Moulins 
en  Bourbonnais*  Les  portes  de  beaucoup  de  maisons  ont 
encore  conservé  les  deux  colonnes  surmontées  de  l'archi- 
trave brisée  que  l'on  rencontre  dans  nos  vieilles  villes  ;  et« 
pour  lui  donner  une  ressemblance  de  plus,  une  fleur  de  lis 
est  parfois  sculptée  dans  la  brisure* 

Je  des^cendis  chez  le  receveur  général  de  l'éparchie  de 
Messénie,  M.  Nicolaïdi.  11  y  avait  là  un  véritable  cercle  de 
petite  ville  ;  c'étaient  le  dimarque,  M.  Benaki,  un  des  plus 
opulents  propriétaires  du  pays,  descendant  d'une  des  vieilles 
familles  grecques;  le  mirarque  (colonel  de  gendarmerie), 
M.  Barbôglou,  homme  éclairé,  président  de  la  cour  d'appel; 
M.  Morandiy  que  j'avais  déjà  eu  le  plaisir  de  rencontrer  à  Nau* 
plie,  et  plusieurs  fort  jolies  femmes,  mises,  ainsi  que  les hom-» 
mes,  complètement  à  la  française.  La  maison  de  M.  Nicolaïdl 
et  celles  des  plus  riches  habitants  sont  presque  en  entier  meu* 
blées  à  la  française,  comme  si  noscompatriotes  croiséset  leurs 


CALAMATA.  443 

successeurs  eussent  toujours  continué  depuis  les  Ville-* Har* 
doîn  à  avoir  Toeil  sur  la  France.  Mous  passâmes  la  soirée  dans 
d'agréables  causeries;  puis  chacun,  comme  on  l'eût  fait  à  Mou- 
lins, ût  appeler  son  domestique,  qui  à  Calamata  était  un  paUi« 
eare  à  grosses  moustaches  et  à  longs  cheveux,  et,  se  faisant 
précéder  du  falot  nécessaire ,  rentra  chez  lui  en  médisant 
probablement ,  comme  en  Bourbonnais ,  en  Berry  ou  en 
Champagne,  de  ses  amis  de  la  journée.  Moi,  grâcç  aun  soins 
délicats  de  Fattentive  madame  Nicolaïdi,  je  pus  comrpendre 
tout  le  bonheur  de  s*étendre  entre  deux  draps  frais,  dami 
un  lit  de  France ,  après  uqe  course  de  onie  heures  dans 
les  ravins  du  Taygôte. 

Je  me  réveillai  toutefois  de  bien  bonne  heure,  caria 
chaleur  était  effroyable  à  Calamata.  Dès  cinq  heures  du 
matin ,  le  thermomètre  marquait  32  degrés  de  Réaumur, 
plus  de  38  centigrades ,  et  cette  température  continuait 
depuis  dix  jours.  Aussi  la  mortalité  s*était-*elle  mise  parmi 
les  enfants  ,  et  il  en  mourait  jusqu^à  cinq  et  six  par  joun 
C'était  réellement  une  véritable  souffrance.  Il  kna  fallut 
toute  ma  curiosité  historique  pour  me  décider  à  braver» 
même  sous  un  large  parapluie ,  ce  soleil  dévorant.  Après 
quelques  pas  j'éprouvais  comme  un  point  de  côté  qui  m'ar- 
rêtait dans  ma  marche;  mais  j'avais  à  visiter  et  le  château* 
fort  de  Guillaume  de  Yille-Hardoin  et  les  églises  bâties 
peut-être  par  lui,  et  je  reprenais  ma  marche  lente.  En  al- 
lante la  citadelle  je  passai  devant  une  petite  église  en  ruines 
et  je  demandai  son  nom.  On  me  répondit  qu'elle  s'appelait 
8ainte-Anne.  C'est  là  un  nom  peu  commun  dans  le  calen> 
drîer  grec.  Je  me  rappelai  que  la  femme  de  Vijle-Hardoin, 
qui  était  ûlle  du  despote  d'Arta ,  et  belle-sœur  du  roi 
Mainfroi  de  Naples,  s'appelait  Anne,  et  je  pensai  que  cette 
église  pourrait  bien  avoir  été  consacrée  par  lui  à  la  patronna 
de  sa^^emme.  Il  ne  reste  plus  que  la  porte  qui  ait  pu  apr 
partenir  à  la  primitive  église ,  et  l'architecture  en  est  cer* 
tainement  du  treizième  siècle.  Tout  au-dessus  de  cette 
petite  porte  est  sculpté  Técusson  des  Templiers ,  la  croix 


444  CmfiCB  COXTINBNTALE  £T  MORBE. 

dont  les  qoalre  extrémilés  se  terminent  par  des  flears  de 
lis  9  et  des  deux  côtés  de  cet  écasson  sont  deax  grandes 
fleurs  de  lis  rattachées  par  une  sorte  de  boude.  Plusieurs 
autres  églises  de  Calamata  offrent  des  vestiges  du  moyen 
âge.  Dans  la  cathédrale,  dans  Saint-Athanase,  dans  Téglise 
des  Saints-Apôtres  existent  encore  soit  des  peiutures  an- 
ciennes, soit  les  clochers  de  pierre  des  architectes  normands, 
soit  quelques  portes  à  colonnes  surmontées  d*un  cintre 
brisé.  Quelques  autres  ^lises  hors  de  h  ville  offrent  aussi 
des  réminiscences  du  moyen  âge,  et  çà  et  là  quelques  écus- 
sons,  un  aigle  avec  deux  lions  pour  support,  des  fleurs  de 
lis,  rappellent  que  là  ont  passé  des  hommes  appartenant  à 
un  ordre  de  civilisation  différent 

Le  château  de  Calamata  est  aussi  de  la  même  époque  : 
seulement,  dans  les  dernières  années  du  dix-septième  siècle 
ou  les  premières  années  du  dix-huitième,  les  Vénitiens 
y  ont  ajouté^ne  enceinte  plus  considérable  du  côté  de  la 
ville,  à  commencer  par  la  porte  qui  est  encore  surmontée 
du  lion  de  Saint-Marc.  Tous  les  anciens  murs  et  remparts 
se  reconnaissent  fort  aisément  du  côté  du  torrent,  qui  est 
aujourd'hui  à  sec,  et  du  côté  des  jardins  d'orangers.  La 
vue  dont  on  jouit  de  cette  esplanade  est  fort  belle  :  on  a 
devant  soi  le  golfe  de  Messénie  tout  entier  et  des  deux  côtés 
les  montagnes  du  Magne  et  de  Coron. 

M.  Beoaki,  qui  possède  à  Calamata  une  excellente  mai* 
son  dont  rapparence  est  celle  de  nos  grandes  maisons  bour- 
geoises à  la  campagne,  avait  voulu  me  faire  les  honneurs 
de  sa  prodigue  hospitalité.  Après  un  excellent  dîner  servi 
à  l'européenne ,  nous  allâmes  visiter  le  bazar,  qui  est  fort 
bien  approvisionné  d'étoffes  de  Tunis  et  de  menues  mar- 
chandises d'Allemagne  et  d'Angleterre.  Toute  la  petite 
mercerie  y  arrive  de  Trieste,  et  la  poterie  et  vaisselle  com- 
mune arrive  d'Angleterre.  La  France  n'y  envoie  que  peu 
de  chose,  l'Allemagne  ayant  seule  un  traité  de  commerce 
à  droits  avantageux  avec  la  Grèce.  Nous  montâmes  à  che- 
val au  coucher  du  soleil  et  suivîmes  le  lit  de  la  rivière 


jusqu'à  la  mer,  qui  n'est  qu'à  une  demi-heure  de  Calamata. 
Sur  le  rii^age  est  un  petit  hameau  dans  lequel  les  habitants 
des  principales  familles  iriennent  respirer  un  air  plus  frais 
et  jouir  des  avantages  des  bains  de  mer  ;  mais  on  n'a  en- 
core songé  à  y  établir  aucune  facilité  pour  les  baigneurs. 
Telle  qu'elle  est ,  Calamata  est  encore ,  comme  au  temps 
des  Ville -Hardoin,  la  principale  ville  de  Morée  et  celle 
qui  rappelle  le  plus  les  habitudes  européennes. 

Pendant  le  peu  de  jours  que  je  passai  à  Calamata ,  je  fis 
connaissance  avec  un  homme  qui  m'intéressa  vivement , 
M.  Pierakos,  de  la  famille  des  Mavromichalisdu  Magne,  pour 
lequel  le  jeune  Mavromichalis  m'avait  donné  une  lettre 
d'introduction.  Déjà  à  Sparte  j'avais  rencontré  un  des 
hommes  les  plus  importants  du  Magne,  M.  Poulos,  un  des 
primats  de  Zarnata ,  qui  m'avait  parlé  avec  afifection  du 
colonel  Bory  de  Saint- Vincent ,  dont  il  était  charmé 
d'avoir  été  Thôte  lorsque  le  colonel  fit  deux  fois  l'ascension 
du  Taygète.  L'intensité  de  la  chaleur ,  qui  devenait  sur- 
tout insupportable  au  milieu  des  rochers  pelés  du  Magne, 
qu'on  ne  peut  parcourir  qu'avec  de  lents  mulets,  m'em- 
pêcbant  alors  de  visiter  cette  curieuse  pointe  de  la  Morée,  je 
profitai  auprès  de  MM.  Poulos  et  Pierakos  de  leur  connais- 
sance profonde  du  pays  pour  acquérir  des  notions  exactes 
sur  les  forteresses  franques  qui  s'y  étaient  conservées. 
Depuis  l'invasion  russe  de  1770,  cette  province,  gouvernée 
par  un  bey ,  avait  vécu  dans  une  sauvage  indépendance  ; 
elle  ne  paye  pas  encore  la  dîme,  mais  ses  exportations  sont 
surchargées  d'un  droit  plus  éfevé.  Ses  /iO,000  habitants, 
tous  armés ,  tous  guerriers  ,  étaient  une  force  sur  laquelle 
s'appuyaient  les  Mavromichalis.  Capo-d'Istrias  avait  voulu 
soumettre  le  Magne  à  la  loi  commune  ;  mais  il  révolta  les 
esprits  par  l'arrestation  illégale  du  vieux  bey  Pierre  Ma- 
vromichalis, et  il  périt  frappé  par  ses  fils.  Depuis  ce  temps 
des  efforts  heureux  ont  été  entrepris  pour  ramener  les  ha- 
bitants du  Magne  à  l'unité  grecque.  L'entreprise  n'était 
pas  sans  difficulté  ;  car,  si  les  habitants  étaient  d'une  seule 

38 


446  GRÈCE   CONTINENTALB   ET   MORÉE. 

ToloBté  quand  il  s'agissait  de  résister  aux  autres,  ils  étaient 
divisés  entre  eoi  par  des  haines  de  famille  qui  rendaient 
toute  administration  intérieure  fort  agitée.  Chacun,  re* 
tranché  dans  son  pyrgos,  était  en  guerre  avec  ses  voisins, 
et  les  guerres  se  triinsmettaient  de  père  en  fils.  On  retrou* 
vait  là  toutes  ces  vendette  si  communes  jusqu'à  ces  derniers 
temps  dans  la  Corse,  où  avaient  émigré  dans  d'autres  temps 
les  familles  mainotea  de  Vitylo.  Un  Allemand ,  nqqimé  le 
colofiel  Feder,  a  contribué  àcalmev  ces  esprits  turbulents  ;  il 
a  été  ^caoement  secondé  par  M.  Pierakos,  et  le  progrès  de 
l'esprit  public  a  fait  plus  encore.  M.  Pierakos  pensa  qu'une 
des  causes  principales  des  révoltes  du  Magne  était  la  pauvreté 
forcée  de  ses  habitants  ai|  milieu  de  ces  rochers.  Il  chercha 
doncà  procurer  aux  hommes  les  plus  actifo  des  moyens  d'exi* 
slence.  Ce  n'était  pas  U  lo  désir  de  quelques-uns  des  mem-r 
bres  de  sa  famille,  qui  pensaient  que  leur  autorité  se  con» 
aerverait  d'autant  mieux  qu'ils  seraient  les  seuls  riches  au 
milieu  d'un  pays  pauvre.  Pierakos  chercha  dans  la  proxi* 
mité  du  Magne  dos  terres  propres  à  la  culture  pour  y  fonder 
une  colonie ,  et  les  trouva  à  Petalidi ,  de  l'autre  côté  du 
golfe  de  Messénîe ,  tout  en  face  de  Vitylo.  Il  obtint  ces  terres 
du  gouvernement  grec,  et  cent  cinquante  familles  maînotes 
allèrent  y  transporter  leurs  foyers.  Ils  ne  perdaient  pas 
leur  patrie  de  vue  ;  car,  de  Petalidi,  ils  voyaient  encore 
leurs  côtes  blanchir  dans  le  lointain. 

Au  milieu  de  ces  rochers  du  Magne,  se  conservent,  presr 
que  dans  leur  état  primitif,  quelques  forteresses  bâties  au 
temps  féodal  des  Ville^Hardoin  :  Passava,  qui  était  une  des 
hautes  baronnies  de  la  principauté;  la  grande  forteresse  de 
Kelepha,  près  de  Yitylp  ;  le  Château  do  la  Belle,  sur  le  cap 
Grosso  ;  celui  de  Tigani ,  près  de  Maîna  ;  le  fort  situé  près 
de  Porto-Quaglio  et  de  Kisternès,  et  les  ruines  du  fort  de 
Spitacoulis  ,  dont  le  nom  conserve  la  trace  de  ses  anciens 
seigneurs,  les  chevaliers  hospitaliers  de  Saint- Jean.  Les  deux 
principaux  de  ces  châteaux  francs,  Passava  et  Kelepha, 
%nt  enisore  fi>rt  bien  eonservés.  Un  poème  grec  moderne 


COUVENT  DE   VULCANO.  447 

sur  le  Magne,  qoi  sera  publié  en  entier  dans  la  seconde  par* 
tie  de  mes  Recherches ,  donne  sur  ce  pays  des  détails  fort 
circonstanciés.  Toutes  les  iiilles,  châteaux  et  villages  y  sont 
énumérés,  et  on  y  trouye  une  esquisse  historique  fort 
exacte  des  événements  politiques  qui  ont  précédé  la  révo- 
lution grecque. 

La  chaleur  était  si  ardente  pendant  le  jour,  que  je  remis 
mon  départ  de  Galamata  pour  le  mont  Vulcano  jusqu'à  la 
nuit«  Le  receveur  général ,  M.  Nicolaidi,  et  quelques-uns 
de  DOS  amis  communs,  le  président  Barboglou  et  des  con* 
seiUers  de  la  cour  de  Galamata  voulurent  bien  m'aoconh* 
pagner  jusqu'aux  ruines  de  Tantique  Messène*  Nous  par- 
tîmes è  six  heures  du  soir  par  la  route  de  Fourtzala.  À  onze 
heures  do  soir  nous  é,tions  arrivés  à  Gaidouro-Gephyri,  oîK 
nous  prîmes  congé  du  gouverneur  Latris  et  nous  arrêiâmoi 
jusqu'à  deux  heures  du  matin.  Malgré  la  profondeur  de 
l'obscurité,  nous  continuâmes  notre  route  à  travers  les  prai* 
ries  arrosées  par  le  Pamisus.  Nos  guides  connaissaient  tous 
les  mille  détours  de  ces  petits  sentiers,  et,  grâce  à  leur  ex-* 
périence,  nous  rencontrâmes  toujours  le  seul  sentier  ferme 
à  côté  de  petits  cours  d'eau  et  de  marais  qui  l'étaient  moins, 
À  quatre  heures  et  demie ,  avec  les  premiers  rayons  du 
soleil,  nous  entrions  dans  le  couvent  de  Vulcano,  placé  dans 
une  fort  belle  situation,  près  du  mont  Ithome.  Il  est  sou- 
vent fait  mention  de  la  seigneurie  de  Vulcano  dans  le^ 
diplômes  des  princes  français  d'Acbaye ,  à  la  fin  du  qua- 
torzième siècle.  Le  chambellan  de  Gatherine  de  Valois» 
Nicolas  Acciaiuoli ,  grand-sénéchal  de  Naples  et  seigneur 
de  Goripthe,  possédait  beaucoup  de  propriétés  de  ce  côté. 
Peut-être  aussi  le  monastère  actuel  était^iî  une  succursale 
des  chevaliers  hospitaliers  de  Saint-Jean-de-Jérusalcm  i 
car  la  porte  est  surmontée  d'un  écusson  portant  la  croix 
de  Saint-Jean-de-Jérusalem.  On  y  voit  même  une  iiiscrip^ 
tion  ;  mais  la  faiblesse  de  ma  vue  ne  m'a  pas  permis  de  la 
déchiffrer.  L'église  et  la  porte  sont  les  seules  parties  du 
monastère  qui  aient  conservé  quelques  traces  d'antiquité; 


4AS  GBEGB  GONT1NBNTAI.B  ET  MOBEE. 

le  reste  ne  date  pas  de  plus  de  cent  ans.  Quant  aux  archiTos, 
il  me  fut  impossible  d*en  retrouver  trace.  Toute  l'a  bbaye  est 
ombragée  de  fort  beaux  cyprès,  et  partout  alentour  la  ver- 
dure  et  la  forme  des  cyprès  forment  une  agréable  variété  au 
milieu  des  arbres  qui  garnissent  les  deux  rives  du  Pamisus. 
En  quittant  le  monastère  et  en  continuant  toujours  à 
s'élever  sur  i'Ithome ,  on  aperçoit  un  monceau  de  frag- 
ments de  colonnes  de  marbre  et  de  larges  assises  accumu- 
lées sur  les  côtés  de  la  route.  C'était  là  qu'était  une  des  portes 
de  la  grande  ville  de  Messène.  Cette  sorte  de  col  une  fois 
traversé,  ouest  dans  Messène  même.  Le  village  de  Mavromati 
avec  la  fontaine  Arsinoë,  qui  donne  une  abondante  et  excel- 
lente eau ,  est  placé  au  delà  ,  presque  au  centre  de  la  ville 
antique,  qui  comprenait  toute  la  vallée  et  s'étendait  sur 
toutes  les  collines  qui  Tenceignent  :  c'était  une  bien  vaste 
enceinte,  dans  laquelle  devait  être  comprise,  non-seule- 
ment la  ville  mais  les  faubourgs  et  les  jardins.  Je  voulus 
d'abord  aller  jusqu'à  l'autre  extrémité  de  la  ville ,  à  plus 
d'une  demi-lieue  de  la  première  entrée.  Là  se  trouve  une 
fort  belle  double  porte  de  ville  très-bien  conservée  ;  et  on 
y  arrive  par  le  chemin  antique  qui,  tout  près  de  là,  subsiste 
en  entier  avec  ses  vastes  dalles.  La  pierre  qui  servait  de 
Ikiteau  à  la  porte  d'entrée  gît  à  ses  pieds  abattue  oblique- 
ment. Au  dedans,  entre  cette  double  porte,  est  une  enceinte 
ronde,  d'une  soixantaine  de  pledsdediamètre,  bâtie  en  vastes 
pierres  quadrilatères,  avec  une  niche  de  chaque  côté,  des- 
tinée probablement ,  d'après  ses  dimensions ,  à  recevoir 
les  statues  des  dieux  protecteurs.  Sur  les  deux  côtés  de 
cette  porte  s'appuie  le  mur  d'enceinte  de  la  ville ,  qui  suit 
toutes  les  courbures  des  collines  et  redescend  ou  monte 
avec  elles.  Sur  toute  son  étendue  il  est  flanqué  de  tours 
antiques,  dont  quelques-unes  sont  fort  bien  conservées  et 
dont  l'ensemble  est  d'un  effet  surprenant.  De  même  que 
l'enceinte  des  fortifications  de  Paris  comprendra  daus  son 
circuit  non-seulement  la  ville ,  qui  est  au  centre ,  mais 
quelques-unes  des  communes  attenantes,  et  des  champs, 


HESSÈNE.  449 

et  des  jardins,  et  des  maisons  de  campagne  ;  de  même  i*eu- 
ceinte  fortifiée  de  Messène  devait  embrasser  non-seule- 
ment la  ville  centrale ,  près  du  village  actuel  de  Mavro- 
mati ,  mais  encore  des  hameaux  et  des  champs  et  des 
jardins;  car  Tétendoe  en  est  considérable^,  aussi  considé- 
dérable ,  je  pense ,  que  le  mur  actuel  d'octroi  de  Paris. 
On  s'en  ferait  une  assez  eiacte  idée  en  se  représentant  la 
Tallée  de  Paris  close  sans  interruption  par  les  collines  de 
Montmartre,  de  Belleville,  de  Sainte-Geneviève,  de  iVleudon 
et  du  Calvaire  rapprochées  et  contiguês;  Messène  est, 
comme  Paris ,  au  fond  d'une  sorte  d'entonnoir. 

De  l'enceinte,  que  je  tournai  dans  une  bonne  partie  de 
son  étendue ,  je  descendis  dans  la  ville.  Ici  se  voient  les 
mines  d'un  stade,  là  de  plusieurs  temples,  ailleurs  du 
théâtre ,  partout  d'immenses  colonnes ,  jetées  par  terre  au 
milieu  des  champs ,  ou  s'élevant  mutilées  sur  leur  ancien 
fût  au  milieu  des  épis  de  maïs  jusqu'au  quart  de  leur  hau* 
teur.  Près  du  stade  surtout  les  colonnes  debout  et  les  co- 
lonnes renversées  abondent.  Une  église  byzantine ,  bâtie 
sur  les  débris  d'un  temple  antique,  a  partagé  son  sort  et 
est  en  ruines  aussi.  Les  grands  monuments  sont  ainsi  fort 
rapprochés  sur  plus  d'une  lieue  de  terrain.  Près  de  Ma- 
vromati  sont  les  restes  d'un  palais  bâti,  non  en  assises  car- 
rées, mais  en  longues  et  épaisses  dalles  arrondies  sur  toutes 
les  faces.  C'est  surtout  en.  se  rapprochant  de  Mavromati , 
et  surtout  de  la  fontaine  Arsinoê,  qui  semblent  avoir  été  le 
centre,  du  mouvement  de  cette  ville  importante,  que  ses 
grandes  ruines  se  multiplient.  Un  grand  nombre  de  femmes 
de  Mavromati  affluaient  autour  de  la  fontaine  Ârsinoe,  où 
elles  venaient  puiser  leur  eau.  C'était  là  un  souvenir  vi- 
vant de  la  belle  antiquité ,  car  les  vases  qu'elles  portent 
sur  leurs  têtes  ont  encore  les  mêmes  formes.  Leur  taille 
haute  et  dégagée,  leur  front  uni ,  leur  profil  droit ,  leur 
grand  œil  noir  ne  démentent  pas  les  éloges  des  poètes.  Leur 
costume  est  encore  une  parfaite  réminiscence  de  l'antique, 
et  c'est  le  plus  simple  comme  le  plus  joli  costume  que  j'aie  vu 

3S. 


450  GRECB  CONTfKMM&l  ET  MOREE* 

60  Grèce.  Un  japon  fort  court  lamuit  v^r  une  janibt  Une 
et  Boe ,  un  véritable  pepâun  a?ec  son  ancienne  forme  non 
altérée  Tenant  le  poser  comme  une  iïaaqaiue  tar  ce  court 
jnpon ,  et  un  ix>nnet  bien  bianc  formant  comme  un  trbn* 
gle  ouvert  aplati^  par  le  haut  et  bien  olivèrt  sur  le»  deuic 
cAléi«  aises  semblable  à  la  coiffure  des  femmes  d*Mbaoo« 
me  rappelèrent  tout  à  fait  les  bas^reliefe  antiques.  Toutes 
semblent  d*hnmeur  vive  et  bienveillanie«  et  presque  toutes 
avec  leurs  vêtements  blancs  sont  d*une  propreté  eioep» 
tionnelle  ici.  Les  paysans  me  vendirent  quelques  mé* 
daillcs  d*argent  asiea  bien  conservées.  Ils  en  trouvent  bté-> 
qoemment  en  labourant  leurs  cbdmps ,  et  rencontrent 
aussi  parfoia  quelques  fragments  de  sculpture.  Mais  dans 
quelles  ruines  ne  trouverait-on  pas  en  Grèce  de  débris  qui  at* 
testent  l'incontestable  supériorité  de  ce  peuple  dans  les  arts  I 

Les  moines  hospitaliers  du  mont  Yulcano  nous  avaient 
préparé  pour  notre  retour  une  amicale  réception  qui  nous 
fut  très-^réable  après  les  fatigues  d'une  longue  journée» 

La  chaleur  était  tempérée  par  une  brise  assez  douce 
lorsque  je  quittai  le  monastère  de  Vulcano  pour  continuer 
ma  route  vers  Coron  par  Nisi.  Arrivés  au  village  d'Anasyri» 
quelques-uns  de  mes  compagnons  furent  rencontrés  par 
un  des  propriétaires  de  leur  connaissance,  qui  exigea  que 
BOUS  nous  arrêtassions  un  instant  chez  lui  pour  nous  ra« 
fraîchir  par  un  peu  de  repos  et  par  une  légère  collation^ 
Ses  fruits  étaient  fort  beaux.  U,  pour  la  première  fois,  je 
fis  connaissance  avec  la  grappe  fraîche  du  raisin  de  Cot 
rinthe  ou  passoline  appelé  ici  siaphida.  Le  goût^en  est 
délicat  et  agréable  ;  sa  grappe  a  beaucoup  d'analogie  pour 
le  goût  et  la  forme  avec  ce  petit  raisin  qu'on  appelle  dans 
le  Berry  du  sauvignon  ;  mais  les  grains  n'en  sont  pas  sorrés 
comme  ceux  du  sauvignon  et  ils  n'ont  pas  de  pépins.  On 
ne  le  cultive  en  Messénie  que  dans  les  jardins ,  mais  sur 
les  odtas  occidentale  et  méridionale  on  en  a  de  nombreuses 
vignes  qui  font  la  richesse  du  pays, 

Kn  continuant  notre  course  le  long  du  Pamisuj;  »  piu^mi 


PEVAUOI.  451 

des  tenres  mal  plantées  et  assez  mai  cultivées,  nous  arri~ 
vâmes  à  Nisi.  Mes  compagnons  de  voyage  prirent  cpngé 
de  moi  pour  retourner  à  Calamata,  qui  n*est  qn*à  deus 
beures  de  route  de  là  »  et  moi  je  restai  à  passer  le  reste 
de  la  journée  i  Msi.  Je  visitai  sou  église,  qui  est  de  con^ 
struction  byaaotine  ;  elle  est  du  douzième  siècle,  mais 
n'offre  rien  de  curieux.  Près  de  Nisi  est  la  ville  d'Androusa  » 
où  siégeait ,  au  temps  des  Francs ,  un  des  principaux  dé- 
légués judiciaires  du  prince.  Il  s*y  trouvera  dans  quelques 
années  la  bibliothèque  dont  a  fait  don  à  sa  ville  natale 
M.  NiccolO'Poulos,  sous*bibliotbécairu  de  l'Institut  de 
France ,  qui  est  originaire  de  cette  ville. 

De  Nisi  à  Petalidi ,  où  débarqua  la  flotte  français^  porr 
tant  le  corps  d'occupation  du  maréchal  Maison  ,  la  roule 
suit  constamment  le  sable  de  la  mer<  et  comme  la  grève 
est  douce  et  peu  profonde  les  chevaux  peuvent  avoir  cour 
stamment  les  pieds  dans  la  mer,  À  Petalidi  je  rencontrai 
Jd.  Pierakos  en  visite  chez  son  frère  le  dimarque  «  et  fus 
charmé  de  pouvoir  puiser  à  la  véritable  source  tout  ce 
que  je  pouvais  avoir  h  demander  de  renseignements  sur 
cette  colonie  fondée  par  lui  sur  l'emplacement  de  la  ville 
antique  de  Coroni.  Les  maisons  des  nouveaux  cotons  sont 
propres  et  l'éiablissement  paraît  être  en  prospérité.  L9 
vent  y  souffle  plus  frais  qu'à  Calamata  et  le  port  peut  à  peu 
de  frais  être  rendu  excellent.  Les  reste  du  môle  antique 
destiné  à  abriter  les  vaisseaux  contre  le  vent  d'Afrique  s'y 
projettent  vigoureusement  dans  la  m^r.  Cinquante  mille 
francs  suffiraient  peut-^tre  pour  le  réparer  de  manière  à 
faire  un  utile  service.  La  ville  antique  de  Coroni  s'étendait 
de  la  plage  jusqu'au  haut  de  la  colline.  Des  fouilles  ré- 
centes faites  dans  le  bas  de  la  ville  «  à  peu  dç  distance  de 
la  dimarchie ,  ont  fait  retrouver  deux  tombeaux  fort  bien 
conservés.  L'un  d'eux  offre  une  série  de  combats  contre 
lesCentaures,  C'est  un  fort  beau  bas-relief  de  la  plus  belle 
époque ,  mais  malheureusepient  nq  seul  côté  es(  bien  cori- 
serve  ;  et  encore  des  enfatits  ont-ils  récemment,  et)  jouant» 


35^  GRÈCE  CONTlNBNTALB   ET  HOREÉ. 

brisé  quelques  têtes.  L'un  des  petits  côtés  offre  aussi  de 
beaux  détails ,  mais  il  est  fort  mutilé.  Ce  sartophage  méri- 
terait d*étre  placé  dans  un  musée  et  il  serait  un  des  plus 
beaux  ornements  du  musée  d'Athènes.  Le  dimarque  m*a  ^ 
promis  de  le  taire  au  moins  déposer  dans  sa  cour,  pour 
le  protéger  contre  les  enfants.  Deux  autres  tombeaux  ré- 
cemment excavés  sont  encore  en  place,  mais  les  bas-reliefs 
sont  loin  d*étre  aussi  beaux. 

Au-dessus  de  la  Tille  s'élevait  Tacropolis.  Les  murs 
d'enceinte  subsistent  presque  partout,  mais  sortent  à  peine 
hors  de  terre.  Plusieurs  assises  plus  considérables  appa- 
raissent le  long  des  rochers,  et  on  voit  parfaitement,  du 
côté  d'un  ravin  qui  va  se  réunir  à  un  ravin  plus  profond 
dans  lequel  coule  un  torrent,  l'endroit  où  étaient  placées 
deux  des  portes.  A  l'intérieur  je  retrouvai  des  traces  d'tin 
aqueduc  et  les  ruines  de  plusieurs  temples.  Près  des  fon- 
dements de  l'un  des  temples  est  encore  gisante  une  statue 
fort  mutilée ,  en  pierre  rouge ,  qui  semble  avoir  été  jadis 
la  statue  du  héros ,  précipitée  de  son  piédestal  probable- 
ment par  les  chrétiens  au  moment  où  ils  abattirent  le 
temple  consacré  à  sa  divinité.  Non  loin  de  là  sont  les  ruines 
d'un  troisième  temple,  et  au  milieu  des  champs  gîr  une 
large  pierre  sur  laquelle  est  gravée  une  inscription  en  une 
dizaine  de  lignes  dont  je  ne  pus  lire  bien  distinctement 
que  la  première  et  la  quatrième  : 

nOAIS  EniXAPE02 


ETEPPETHS 


Dans  la  cour  du  dimarque  se  trouve  une  autre  pierre 
portant  aussi  une  inscription  antique.  Partout,  en  effet, 
les  restes  de  l'antique  abondent  en  bas  comme  en  haut  de 
la  colline ,  et  il  serait  d'autant  plus  intéressant  d'y  faire 
des  fouilles  que  presque  tout  ce  qu'on  y  retrouve  est  d'une 
belle  époque. 


CORON.  453 

De  Petalidi ,  l'ancienne  Goroni ,  à  !a  ville  actuelle  de 
Coron ,  Fancienne  Colonis ,  la  route  suit  continuellement 
la  mer  en  descendant  et  remontant  les  coteaux  ;  mais , 
jusqu'à  Castellia ,  ces  coteaux  ne  sont  pas  bien  boisés,  et 
la  route  est  peu  agréable.  A  Castellia  elle  devient  plus 
belle ,  et  la  campagne  se  couvre  de  magniGques  oliviers. 
Castellia  prend  son  nom  de  deux  châteaux  du  moyen  âge  , 
Fun  assez  vaste,  Tautre  plus  petit,  qui  couronnent  les 
deux  petites  montagnes  situées  entre  le  village  et  la  mer. 
Après  Castellia ,  la  route  redevient  moins  variée  encore. 
Les  ruines  d'un  autre  château  franc ,  portant  le  nom  de 
Kastro-Frankiko ,  se  font  voir  dans  les  montagnes ,  tout  à 
côté  du  chemin. 

Goron  est  sKuée  sur  une  hauteur  dominée  par  un  châ- 
teaii-fort  d'origine  vénitienne.  Dès  la  conquête  de  1205, 
les  Français  s'en  étaient  emparés.  Ils  avaient  trouvé ,  dit 
la  Chronique  de  Morée  ^ ,  cette  forteresse  dans  le  plus 
mauvais  état ,  aussi  bien  sous  le  rapport  de  ses  murailles 
que  de  ses  tours;  c'était  comme  une  espèce  de  caverne 
profondément  enfoncée  dans  l'intérieur  d'un  rocher.  Les 
vaisseaux  cernèrent  la  place  par  mer ,  tandis  que  les  cava- 
liers *et  les  fantassms  commençaient  la  bataille  par  terre. 
Les  trébuchots  furent  dressés  et  approchés  ,  et  ne  permi- 
rent pas  à  un  seul  habitant  de  se  montrer  à  la  défense  des 
murs.  Les  habitants  de  Coron  qui  s'étaient  réfugiés  dans 
la  forteresse ,  voyant  le  nombre  des  attaquants  et  la  fer- 
meté de  Tattaque ,  demandèrent  à  capituler ,  et  rendiren 
la  place.  »  Un  évêché  latin  fut  établi  dès  la  première  année 
de  la  conquête  à  Coron  ,  et  il  continua,  comme  l'avait  été 
dans  tous  les  temps  l'évêque  grec,  à  être  un  des  suffra- 
gants  de  l'archevêché  de  Patras.  Coron  fut  cédée  avec 
Modon  ,  en  l'an  1248,  par  le  prince  de  Morée,  Guillaume 
de  Yille-Hardoin ,  aux  Vénitiens  pour  prix  de  l'assistance 
qu'ils  lui  avaient  donnée  avec  leur  flotte.  Les  Vénitiens  la 

'    *■  Page  42  de  mon  édition  à  deox  colonnes. 


454  GRÈGE   CONTINBlffTAIiB  ET  MOREB. 

conservèrent  jusqu'en  1 538,  où  ils  cédèrent  aux  Turcs  boo- 
seofement  Monembasie  et  Nauplie,  mais  Coron  et  Modon, 
En  1686,  Coron  leur  fut  reprise  par  François  Morosinis 
mais  ils  la  reconquirent  de  nouveau  en  1785  ,  et  les  Yéni^ 
tiens  la  leur  abandonnèrent,  ainsi  que  toute  la  Morée  et  les 
ties ,  par  le  traiié  de  Passarovitz ,  le  21  juin  1718»  et  ne 
conservèrent,  avec  les  tles  Ioniennes,  que  Prevesa,  Yonitsa, 
Bntrinte  et  Parga  sur  le  continent. 

U  n*y  a  à  Coron  qu'an  petit  nombre  de  maisons  en  de* 
hors  de  la  place  ;  le  reste  des  maisons  et  quelques  églises 
sont  renfermées  dans  riotérieur  de  la  citadelle*  Les  ruines 
de  l'une  des  tours  semblent  d*origine  franqu^,  mais  tout 
le  reste  est  vénitien.  Le  château  est  de  la  première  époque 
de  leur  occupation ,  et  le  lion  de  Sainte-Marc  en  surmonta 
toutes  les  portes.  On  lit  cette  inscription  de  la  première 
époque  vénitienne  sur  une  des  tours  : 

HOC  OPDS  riERI  FECERtNt 

MAGNIFia 

ET  CLARHSim  DOmSI 

BBUfiOlDDS    BONATO 

CAST^LACIUS 

ET 

LUltOVlGUS    CONTABENO 

CAPITANEUS 

ET  »AOyiflORE8  COROm. 

H.  COCOi  LUXlIb 

A  peine  quelques  barques  viennent-elles  aujourd'hui 
chercher  un  abri  dans  son  port.  Les  habitants  paraissent 
sans  agriculture  et  sans  industrie. 

De  Coron  à  Modon  on  a  à  suivre  un  chemin  de  monta» 
gnes  très-âpre  et  très-difficile  ;  on  a  toujours  à  marcher 
sur  des  pointes  de  rochers  ou  dans  des  sentiers  profondé- 
ment encaissés  comme  s'ils  étaient  fabriqués  de  fonte, 
Après  avoir  franchi  toutes  ces  montagnes  noires  et  déaer^ 
tes ,  j'arrivai  dans  une  plaine  découverte  et  assez  bien  cul- 
tivée, près  de  la  mer;  mais  de  nouvelles  montagnes, 


MOBOM.  465 

d'mie  p^nte  pins  ^ouce  yers  la  terre ,  feraient  bmaque- 
ment  le  rivage  et  forcent  à  rester  dans  une  route  de  ra-^ 
i^iBS.  Là,  près  du  rivage,  apparaît  à  gauche  une  tour  fraa* 
que  qui  domine  la  vallée ,  et  à  droite  s'aperçoivent  quelt» 
qnes  ruines  byiantines.  Quand  on  a  remonté  ces  nouvel-^ 
les  montagnes ,  la  vue  redevient  belle  dans  le  lointain  i 
e'est  une  autre  mer  qui  vous  apparaît,  avec  les  deui  ties  de 
Sapienia  et  de  Cabrera,  appelée  ici  Esqpiiza. 

J'arrivid  à  Modon  à  travers  champs,  et  me  logeai  dans 
la  aouvelle  ville.  Au  qioment  de  l'arrivée  des  Français  ea 
16S/i ,  Mpdon  était  un  misérable  bourg.  Notre  corps  d'arr 
mée  y  a  jeté  de  Fargent  ;  1^  soldats  n*étiuent  pas  moins 
phiDiellèaes  que  les  chefs,  et  tous  cherchaient  à  l'envi  à 
prêter  Qçcours  i  une  nation  qui  demandait  h  renaître.  Les 
ruines  furent  déblayées,  un  plan  régulier  fût  tracé,  et  une 
^tite  ville  fut  commencée.  Dans  toute  la  Messénie ,  les 
hommes  de  tous  les  rangs  ne  parlent  aujourd'hui  qu'avec 
reconnaissance  du  corps  d'armée  commandé  par  le  maré- 
chal Maison.  Tandis  que  la  France  garantissait  h  la  Grèce 
b  jpttiflsanee  de  la  nationalité  sans  la  lui  faire  payer,  ses 
eoldats  étaient  comme  des  instructeurs  qui  lui  enseignaient 
ies  premiers  éléments  de  tout  métier  utile.  C'est  un  ser- 
vice que  la  Messénie  en  particulier  n'a  pas  oublié.  De  pau- 
vre e%  ruinée  qu'elle  était  au  moment  de  notre  arrivée , 
nous  l'avons  laissée ,  au  moment  de  notre  départ ,  floris*- 
santé  et  laborieuse.  Depuis,  le  mauvais  système,  ou  plutôt 
le  début  de  tout  système  de  l'adHiinistration  grecque,  ont 
entravé  au  lieu  d'aider  Faecroîssement  de  cette  prospé^ 
rite.  La  loi  des  dîmes  en  nature  est  appliquée  d'une  ma^ 
nière  onéreuse  et  arbitraire  et  produit  le  plus  prcrfond 
mécontentement  dans  les  esprits  en  même  temps  qu'elle 
met  entre  les  mains  des  fermiers  du  fisc  tes  moyens  oen- 
ttants  de  dominer  le  gouvernement  lui-^môme.  D'un  autre 
mM ,  le  gouvemen^nt ,  au  lieu  d^aflermer  les  terres  na^r 
tJQuales  à  long  bail  »  ou  de  les  vendre  au  prix  de  deux  on 
trm  «imési  d»  rwenu  •  t  regardé  faaiatment  comme  qq 


456  GRECE   CONTINENTALE   ET   HOREE. 

rigoe  de  proq)érlté  d'obtenir  le  prix  le  plus  élevé  possible 
pour  ses  terres.  Le  paysan  les  achetait  cependant,  tantôt 
pour  les  enlever  à  un  voisin  dont  on  était  jaloux ,  tantdt 
parce  qu'il  espérait  en  payer  le  prix  à  Taide  d*anciennes 
réclamations  qu'il  avait  lui-même  à  faire  sur  le  trésor,  et 
tantôt  parce  qu'il  espérait  qu'une  bonne  année  de  récolte 
lui  fournirait  les  moyens  d'acquitter  ce  haut  prix  dans  les 
trente-six  années  fixées  ;  mais  la  récoite  était  toujours  infé- 
rieure aux  espérances;  le  moment  du  payement  arrivait; 
les  anciennes  réclamations  n'étaient  pas  reconnues  ;  il  fallait 
payer,  et  on  se  trouvait  après  l'achat  plus  pauvre  qu'on  était 
auparavant  J'ai  vu  dans  presque  toute  la  Messénie  plus  de 
la  moitié  du  corps  des  gendarmes  cantonnés  dans  la  pro- 
vince ,  employés  comme  garnisaires  dans  les  villages  pour 
forcer  les  habitants  à  acquitter  le  prix  d'achat  des  terres 
nationales.  Leur  séjour  chez  les  habitants  ne  faisait  que 
rendre  plus  impossible  encore  l'acquittement  de  l'arrivé. 
Modon  est  le  point  où  débarqua,  en  1205,  Geoffroy  de 
Ville  -  Hardoin ,  neveu  du  maréchal  de  Champagne  et  de 
Aomanie.  Sa  forteresse  était  alors  en  ruine;  elle  avait  été 
démantelée  dans  le  siècle  précédent  par  le  doge  Domenico 
Michieii  et  les  Vénitiens ,  pour  se  venger  du  tort  que  les 
bâtiments  grecs  faisaient  à  leur  marine.  Les  Français  for- 
tifièrent  alors  cette  ville  ,  à  laquelle  les  chroniqueurs 
donnent  le  nom  de  Michon ,  dont  ils  font  le  nom  de  tout 
le  Péloponnèse.  C'est  de  Modon  que  partit  Geoffroy  de 
Ville-Hardoin  pour  conquérir,  avec  son  ami  Guillaume 
de  Champ-Litte,  toute  la  principauté  d'Achaye,  tpii  devint 
pour  lui  une  souveraineté  de  famille.  Son  neveu ,  Guil- 
laume de  Ville-Hardoin ,  prince  d'Âchaye,  céda  ensuite, 
en  1248  ,  la  ville  de  Modon  aux  Vénitiens  avec  celle  de 
Coron  ;  et  ces  deux  villes  continuèrent  à  éprouver  le 
même  sort  politique.  La  nouvelle  ville  de  Modon  s'étend 
jusqu'à  la  forteresse  qui  s'avance  sur  la  mer,  ayant  l'île  de 
Sapienza  en  face.  A  l'exception  d'une  moitié  de  tour  en- 
gagée dans  le  rempart ,  cette  forteresse  me  semble  toute 


MOBON.  4Ô7 

vénitienne.  Sur  la  place  en  entrant  est  une  sorte  de  co- 
lonne rostrale  de  granit  rouge ,  surmontée  d*une  sorte 
d'architrave.  Au^essus  était  placé  quelque  objet  sculpté 
qui  a  disparu  ;  peut-être  un  buste  de  François  Morosini  ? 
Autour  de  cet  architrave,  au  bas  de  la  plinthe  du  haut,  on 
lit  une  inscription  latine  gravée  sur.  les  quatre  faces ,  mais 
si  mutilée  qu'à  cette  hauteur  il  m'a  été  très-difficile  de 
la  déchiffrer.  Toutefois,  voici  ce  que  j'ai  cru  y  lire;  d'au- 
tres pourront  peut-être  me  rectifier. 
Sur  la  première  face  : 

BECTolïï':  PfiClSCl  MOROS  (Ml) 
aSSPlGUT  ALTA  MAEIS 

Sur  l*autre  face  : 

CEPETES:  ...  EPO 

Sur  la  troisième  face  la  moisissure  de  la  pierre  m'a  em- 
pêché de  distinguer  aucun  caractère. 
Sur  la  quatrième  face  : 

COL....  MCGCCLXXXltl 
VICBR.  LEO  SUPER.... 

Cette  colonne ,  qui  avait  probablement  été  élevée  à  la 
première  époque  de  l'occupation  de  Modon  par  les  Véni- 
tiens ,  comme  le  témoigne  la  date  1483 ,  aura  sans  doute 
été  rdevée  par  François  Morosini,  après  1686,  ainsi  que 
le  témoigne  son  nom  qu'on  lit  sur  la  première  face. 

Notre  corps  d'armée  sous  le  maréchal  Maison  avait  fait 
aussi  de  grands  travaux  à  la  forteresse  de  Modon.  Plu- 
sieurs des  bâtiments  furent  réparés  et  un  ouvrage  avancé 
fut  ajouté  aux  fortifications  pour  protéger  la  place  contre 
une  montagne  qui  la  domine.  Ces  ouvrages  subsistent  en- 
core ,  mais  dans  un  état  d'abandon  tel  que ,  dans  la  se- 
maine oà  j'ai  passé  à  Modon ,  le  gouvernement  venait  d'en- 
lever deux  des  canons  de  bronze  pour  en  faire  des  gros 
sous. 

39 


458  GRÈCE   CONTINEliITAI.S   ET  MORES. 

La  campagne  de  Modon  à  Navarin  était  autrefois  cou- 
verte d*oUviera  ;  mais  Ibrahim  a  brûlé  presque  tous  les 
arbres ,  et  nonnseulement  on  ne  ]es  remplace  pas  par  de 
nouvelles  plantations ,  mais  on  arracbe  même  les  arbres 
eiistants,  par  crainte  de  se  voir  surtaxé  par  les  apprécia- 
teurs de  la  dlme  «  qui  ne  ménagent  un  peu  que  les  di- 
marques.  Le  défaut  de  publicité  et  de  contrôle  se  fait  sentir 
h  chaque  instant  en  Grèce.  Le  mouvement ,  intelligent  et 
rapide  aux  extrémités,  est  comme  arrêté  au  centre.  Chacun 
se  plaint  de  ces  lenteurs  ;  mais  le  peuple  est  patient  et  at- 
tend :  il  attendra  tant  qu*ii  espérera;  quand  il  cessera  d'es- 
pérer qu'on  lui  donne  volontairement ,  il  prendra  d'auto- 
rité, et  peut-être  plus  qu'il  n'eût  désiré  d'abord. 

Pendant  notre  dernière  occupation ,  notre  arnoée  avait 
fait  une  route  carrossable  de  Modon  à  Navarin.  La  plus 
grande  négligence  a  été  mise  par  le  gouvernement  grec  à 
son  enuretien ,  et  on  a  laissé  les  rntaaeaux  et  lort^ts  s'y 
frayer  une  nouvelle  voie.  Pendant  les  deux  tiers  de  cet^ 
route,  qui  sont  en  plaine  ,  elle  est  eneore  assea  bleu  con- 
servée ;  mais ,  quand  on  arrive  à  la  montagne  rocheuse , 
comme  on  n'a  pris  auctm  soin  d^  renouveler  la  couche  de 
petites  pierres  qui  la  couvrait ,  les  pointes  de  rochers  qui 
en  formaient  le  fond  sont  tellement  déchaussées ,  qu*il  est 
totalement  impossible  de  la  suivre  à  cheval ,  et  il  faut  pren- 
dre des  sentiers  i  travers  champs, 

En  m'approchant  de  Navarin ,  j'aperçus  )i  ma  gauche 
plusieurs  pierres  tumuhôres  près  d'une  fontaine  i  je  m*ap- 
procbai  ;  c'était  un  simple  monument  funéraire  élevé  en 
l'honneur  de  M.  Gamn  et  de  plusieurs  autres  de  mes  com- 
patriote^ On  a  emidoyé  pour  la  construction  de  ce  mona- 
ment  des  pierres  poriques,  et,  comme  on  n*a  pas  eu  le 
loin  de  graver  l'inscription  sur  le  côté  opposé  au  vent  de 
mer,  les  lettres  eu  sont  déjii  presque  entièrement  effacées. 
Du  point  où  est  situé  ce  tombeau ,  on  comn^nde  une  vue 
magnifique  de  la  rade  de  Navarin,  oùt  se  livra  la  grande 

bataille  navale  qui  sauva  la  Grèce^ 


NAVARIN.  459 


XXV. 

NAVARIN. —  ARCADIA.—CHRISTIANO. 

Navarin  est  le  nom  sous  lequel  les  Français  désignent 
cette  ville.  £lle  n*est  connue  en  Grèce  que  sous  le  nom  de 
NeOoCastro,  peut^-être  à  cause  du  château  qu'y  firent  bâtir 
les  Vénitiens  $  cependant  Neo^Castro  est  désigné  par  Q^ 
Ptiran2ti  parmi  les  villes  de  Messénie.  L'ancien  Avarinoi 
était  de  Tautrecôté  du  port.  Probablement  qu*en  transpot'» 
tant  ici  les.  habitants,  les  Grecs  d'abord,  puis  les  Vénitiens, 
rauront  appelée  Neo-Abarinos,  le  NouveKAyarinos ,  tran- 
sformé par  contraction  en  Navarin.  De  bon  matin  le  liméoar^ 
que  (capitaine  du  port)  de  Neo-  Castro  vint  me  prendre  avec 
son  bateau  pour  me  conduire  à  Palœo-Avarinos.  Je  vou- 
lais visiter  cette  rade  dans  toute  son  étendue.  Nous  passâ- 
mes au-dessous  du  château,  qui  est  d'origine  vénitienne , 
mais  qui  a  été  complètement  réparé  il  y  a  quelques  années 
par  les  Français,  tl  est  situé  sur  une  esplanade  qui  domine 
la  ville  et  la  rade  et  est  fort  bien  défendu*  De  là  noua 
avançâmes  vers  la  passe  paroà  pénétrèrent  les  flottes  fran- 
çaise ,  anglaise  et  russe  réunies ,  pour  aller  attaquer  la 
flotte  d'Ibrahim ,  stationnée  au  fond  de  la  rade  du  côté  de 
Palceo^Abarinôs,  puis  nous  arrivâmes  k  la  pointe  deSphae- 
terie.  Sur  le  rocher,  à  une  cinquantaine  de  pieds  du  bord, 
est  le  tombeau  du  capitaine  Mallet,  composé  de  trois  pierres 
placées  pyramidalement.  Les  paysans  les  avaient  renversées 
pour  prendre  le  plomb  qui  les  attachait  ;  mais  le  gouverneur 
et  le  commandant  du  fort  les  ont  fait  replacer.  Je  me  remis 
en  bateau,  longeai  l'île,  et  arrivai  à  un  endroit  où  elle  est 
creusée  en  forme  de  grotte.  En  face  de  cette  grotte  est  un 
rocher  bas  qui  la  défend,  et  sur  ce  rocher,  dans  la  situation 


460  GBECE   CONTINENTALB  £T   MOREB. 

h  plus  pittoresque ,  sont  trois  pierres  carrées ,  dont  deux 
formant  degrés ,  et  la  troisième  une  sorte  de  piédestal 

Cette  pierre  cubique  recouvre  le  totnlieau  de  TexceUent 
Santa-Rosa.  Je  m'approchai  et  je  lus  : 

AU 

OOVTB  S41IT0RBE 

SANTA-ROSA 

TUÉ 

LE  5   AYIIIL   1825. 

Ce  bon  Santa-Rosa  fut  une  des  premières  yictimes  de  la 
guerre.  Ce  simple  tombeau  est  placé  dans  un  endroit  où 
du  moins  il  sera  respecté.  La  grotte  est  d*un  aspect  fort 
pittoresque ,  et  le  rocher,  di£Bcile  à  aborder,  ne  porte  que 
cette  simple  tombe. 

En  suivant  toujours  Tfle  de  Sphacterie ,  j'aperçus  sous 
les  eaux  plusieurs  frégates  égyptiennes  coulées  bas  pendant 
le  combat  de  Navarin  ;  elles  se  voient  très-distinctement  à 
travers  cette  mer  azurée  et  limpide.  Les  pêcheurs  ont  en- 
levé tout  ce  qu'elles  renfermaient  de  bon  ;  il  n'en  reste  plus 
que  les  carcasses.  A  l'extrémité  est  une  seconde  passe, 
celle  de  Sika  :  c'était  de  ce  côté  que  mouillait  la  flotte 
d'Ibrahim.  Je  débarquai  à  la  passe  de  Sika  pour  monter  à 
Paloeo-Âvarinos.  La  Chronique  de  Morée  raconte^  que 
Nicolas  de  Saint- Omer,  apr^  avoir  fait  bâtir  dans  le  pays 
du  Magne  un  petit  fort,  que  je  crois  être  Tigani,  près  de 
Castrotis-Oraîas ,  fit  bâtir  le  château  d'Avarinos,  Êxrt^t 
ro  xàffTpov  Toû  A  êaptvou,  dans  l'intention  d'en  faire  un  fief 
pour  son  neveu  le  grand-maréchal  Nicolas  de  Saint-Omer, 
vers  1278.  Ce  château,  bâti  par  le  seigneur  Nicolas  de 
Saint-Omer  après  la  mort  de  Guillaume  de  Yille-Hardoin, 
est  placé  au  sommet  d'une  montagne  fort  escarpée  qui  s'a- 
vance entre  la  passe  de  Sika  et  on  petit  port  arrondi  qui 
se  réunit  presque  au  lac  saumâtre  qu'on  voit  à  la  base  de 

*  Pag.  189. 


NAVARIN.  461 

la  montagne.  Je  fus  environ  trois  quai'ts  d*heure  à  monter 
Ce  châteaa  crénelé  a  une  double  enceinte.  Deux  tours  ron- 
des de  construction  turque  terminent  les  deux  poinles  de 
renceînte  du  côté  de  la  grande  mer  et  du  côté  de  la  passe. 
Sur  la  porte  qui  est  debout  était  placée  une  vaste  tour  car- 
rée dont  un  des  côtés  est  écroulé.  Au-dessus  de  la  porte  on 
voit  encore  les  meurtrières  qui  se  trouvent  dans  tous  nos 
vieux  châteaux.  L'intérieur  de  Tenceinte  est  très-vaste,  et 
on  y  trouve  de  grandes  citernes.  L'enceinte  extérieure 
forme  le  véritable  château  :  il  est  tout  entier  en  ruines  ; 
mais  on  y  retrouve  d'immenses  citernes  et  un  puits.  L'en- 
semble intérieur  a  beaucoup  de  ressemblance  avec  le  pa- 
lazzo  Capuano  à  Naples,  excepté  que  les  murs  vont  en  s'ar«- 
roudissant  le  long  de  la  pente  de  la  montagne. 

Tonte  cette  enceinte  extérieure  conserve  encore  ses  cré- 
neaux d'un  côté.  Près  du  rocher,  qui  s'avance  le  long  du 
petit  port,  on  retrouve  plusieurs  assises  de  pierre  helléni* 
ques  qui  semblent  appartenir  à  l'acropolis  de  l'ancienne 
Pylos,  et  au  milieu  de  l'enceinte  intérieure  est  une  ouver- 
ture qui  donne  sur  la  grotte  connue  dans  le  pays  sons  le 
nom  de  grotte  de  Nestor. 

Je  restai  long-temps  à  faire  le  tour  du  chemin  de  ronde, 
qui  est  encore,  ainsi  que  plusieurs  tours  carrées  de  l'in- 
térieur, un  reste  de  la  fortification  de  Nicolas  de  Saint- 
Omer;  puis,  par  un  véritable  chemin  de  chèvres,  conduit 
par  un  matelot  du  liménarque ,  j'arrivai  du  côté  de  la 
grotte  de  Nestor.  Elle  est  placée  très-haut  sur  le  rocher 
vis-à-vis  le  petit  port  et  comme  en  face  de  l'tle  de  Proti , 
que  l'on  découvre  à  merveille  du  haut  du  château  franc 
réparé  par  les  Turcs  et  complètement  abandonné  mainte- 
nant. Cette  grotte  est  dans  le  rocher  même  et  ressemble 
beaucoup  an  trésor  d'Agamemnon  à  Mycènes.  Elle  est  ar- 
rondie en  cône  vers  le  haut ,  et  tout  en  haut  on  aperçoit  le 
jour  par  cette  ouverture  qui  communique  avec  le  château. 
La  dimension  m'a  semblé  à  peu  près  celle  de  la  grotte  d*a- 
rar  à  Capri.  Beaucoup  de  palombes  y^ont  fait  leur  nid  ; 

39. 


4t)9  GaÈCE   CONTIIfMTAU    ET   MOREE. 

et  8'enfuyaient  à  notre  approche.  La  Tille  de  Neitor ,  si 
c'est  bien  là  Pylos ,  se  trouvait  en  face  de  la  haole  mer  et 
de  la  passe ,  et  on  retrouve  encore ,  au  milieu  des  brous- 
sallles  et  des  champs ,  des  traces  considérables  de  bftii-^ 
menis  et  de  toiles  antiques.  Elle  était  placée  sur  le  versant 
qui  desoend  du  côté  de  la  hauteur  et  non  do  côté  de  la  rade. 
La  petite  passe  de  Sika  devait  suffire  en  effet  à  la  marine 
d'alors.  Elle  est  assez  étroite  pour  avoir  pu  être  aisément 
défendue.  Aujourd'hui  que  la  grande  passe  peut  servir,  il 
convenait  mieux  de  bfttir  dans  Tintérieur  et  an  fond  de  la 
inde,  ainsi  que  l'ont  fait  les  Vénitiens  à  Neo*Castro. 

J'allai  k  mon  retour  visiter  leur  chftteau»  Lés  Pra&çais 
y  ont  fait  des  travaut  considérables»  une  grande  caserne  « 
une  vaste  prison  pour  les  détenus  »  et  on  en  a  bit  mie 
place  très^forte*  Au  moment  où  tout  étaîl  terminé ,  une 
poudrière  en  sautant  ayant  entraîné  les  mors  des  priaooa* 
la  veille  même  du  départ  arrêté ,  et  ayant  blessé  plu- 
sieurs soldats,  le  départ  fut  contremandé;  les  Français 
restèrent  et  reçurent  ordre  de  mettre  la  dtadelle  en  étal. 
Ils  y  dépensèrent  beaucoup  d'argent  ;  mais  jamais  argent 
ne  fut  mieux  placé  que  celui  que  nous  avons  dépensé 
pour  la  Grèce  :  nous  avons  laissé  là  de  nobles  souveinrs. 
La  ciudelle ,  la  route  et  la  ville  entière  sont  notre  ouvrage  ; 
et  par-dessus  tout,  le  payé  nottsdoity  avec  sa  liberté,  les  faci- 
lités données  à  son  premier  établissement  par  l'argent  que 
dépensait  notre  armée  et  par  le  bon  exemple  qu'elle  drâ- 
nait.  Quand  les  Français  arrivèrent  il  n'y  avait  que  deux  ou 
trois  maisotis  :  aujourd'hui  Navarin  est  une  petite  ville.  Les 
Français  ont  fait  une  place  publique  et  une  fontaine  «  et 
assigné  un  pian  aux  rues^  Ce  qu'on  a  conservé  d'eux  depuis 
leur  départ ,  c'est  une  grande  propreté  qui  distingue  Neo- 
Gastro  parmi  les  villes  de  la  Grèce.  Il  y  avait  alors  des  res- 
taurateurs. J'eus  grand'peine  à  en  trouver  un»  nommé  Klé- 
ber,  qui  est  devenu  amoureux  icii  et  y  esl  resié après  l'ei- 
pifation  de  son  temps  de  service  de  pontonoieri  11  a  danile 
ot-t  un  petit  établissement  où  il  donne  à  dînm*  9M  offiei^afi; 


MESO-KHOBI.  40S 

et8*il  était  un  pea  encouragé,  il  pourrait  tenir  ane  auberge 
telle  quelle,  et  aTOir  un  ou  deux  lita  que  les  étrangers  se- 
raient trop  heureux  de  trouver ,  daus  rimpossibilité  corn- 
f^ète  où  on  est  de  se  loger  en  Qrèee  sans  incoaiinoder  lea 
amis  de  ses  amis. 

Après  mon  dîner  chea  Klébek*,  j'allai  voir  quelques-uns 
des  travaux  faits  par  les  Français  è  la  place ,  et  rentrai 
pour  monter  à  cheval  avec  le  colonel  Oikonomi  jusqu'à 
Meso^Khori.  C'est  un  village  situé  dans  la  montagne^  è  une 
lieu  de  Neo^astro.  Ou  quitte  la  route  de  Alodon  k  nioitié 
i^hemifi  »  et  en  montant  à  gauche  on  arrive  dans  une  vaste 
plaine  fi^s^élevée»  mais  lrès*bien  cultivée.  U  y  existe  plu-r 
sieurs  ruines  d'églises  qui  prouvent  que  là.  a  été  autrefois 
nne  viUe  considérable.  La  vue  y  est  fort  belle.  La  monta* 
gne  placée  en  face  se  présente  d'une  manière  fort  ^tto^ 
resque.  On  aperçut  toute  la  rade  de  Navarin ,  l^ile  de 
Sphacterie ,  et  au  delà  la  bau(e  mer  et  Tije  de  Proti.  Le 
apectacle  du  combat  de  Navarin  devait  être  fort  imposant 
TU  de  cet  endroit. 

Ge  plateau  est  très-iértlle  et  très-bien  défendu  par  sa 
«tnation  sur  la  montagne.  £n  haut  de  ce  rocher  la  plaine 
s'étend  an  loin ,  et  les  villageois  en  ont  pris  le  plus  grand 
soin.  Je  les  trouvai  occupés  à  battre  le  blé  *  et  ils  me  direa^ 
qu'ils  trouvaient  très«fréquemment  dans  les  champs  des  moa- 
Bsies  légères,  larges  c<Hnme  deux  lepta,  mais  plus  minces, 
avec  une  croix  d'un  côté  et  une  sorte  de  clocher  de  l'autre , 
ce  qui  répond  parfaitement  aux  deniers  tournois  des  princes 
de  Morée.  Je  visiuû  deux  des  églises.  L'une  est  byzantine  et 
fort  ancienne  i  l'autre,  byzantine  aussi,  a  été  construite  sur 
l'emplacement  d'un  ancien  temple,  et  on  y  reconnaît  beau- 
coup de  pierres  helléniques»  Je  rentrai  à  sept  heures  et  de- 
mie, et  allai  me  reposer  sur  une  chaise  longue  chez  le  gouver^ 
neor  de  la  province,  U*  Capsali  de  Missolonghi. 

Dès  quatre  heures  du  matin  j'étais  à  cheval  pour  arriver 
i  Areadia  »  qui  est  à  onze  heures  de  Neo-Gastro.  La  route 
tourne  antour  dç  la  rade.  Jusqu'à  Qargaliano  le  pays  n'est 


464  GBECB  CONTINBKTALB  BT   MOREE. 

pas  fort  beaa  ;  mais  une  lieue  avant  d'arriver  à  Gargaliano, 
c'est-à-dire  à  trois  heures  deNeo-Casiro ,  le  pays  devient  ma- 
gniGque  ;  la  culture  est  superbe  ;  on  voyage  entre  deux  belles 
baies  de  myrtes  en  fleurs  et  toute  la  campagne  est  on  véri- 
table bois  d*oliviers.  En  s'approchant  de  Philialra ,  le  pays 
devient  encore  magnifique;  les  oliviers  sont  verts,  immenses, 
et  rapportent  de  6  à  12  drachmes  ;  les  mûriers,  les  citron- 
niers forment  une  véritable  forêt  ;  les  raisins  de  Corinthe 
commencent  à  mûrir.  Je  fus  trop  heureux  pendant  neuf 
heures  de  route  à  jeun  de  trouver  un  raisin  noir  dans  une 
vigne  de  deux  ans  de  pousse  ;  il  était  doux  et  fort  bon.  A 
quelques  pas  de  là ,  un  homme  du  pays ,  apprenant  que 
J'étais  Français ,  vint  poliment  m'offrir  une  belle  gra{^  de 
raisin  de  Corinthe.  La  politesse  des  Grecs  envers  tout  autre 
qu'un  Bavarois  est  ici  dans  les  mœurs  de  tous  ;  on  vous  ac- 
cueille avec  bonne  grâce ,  et  les  Grecs  cherchent  à  vous 
rendre  service.  Après  avoir  passé  le  petit  port  d'Hagî-Ki- 
riaki,  où  on  construit  des  embarcations,  mais  où  il  n*y  a  pas 
encore  de  village ,  j*arrivai  à  Philiatra,  petite  ville  fort 
propre ,  placée  au  milieu  de  bois  ravissants  d'arbres  de 
toute  espèce.  Là ,   un  marchand  de  faïence   m'ofihrit  sa 
maison  ;  et  on  alla  complaisamment  me  chercher  tou^  ce 
dont  j'avais  besoin ,  et  sans  vouloir  autre  chose  que  le  prix 
modique  que  ces  objets  auraient  coûté  à  un  homme  du 
pays  qui  se  fit  un  plaisir  de  faire  mes  approvisionnements. 
Les  Grecs  du  peuple  ont  une  honnêteté  et  une  politesse 
naturelle  dont  le  gouvernement  eût  pu  tirer  le  plus  grand 
parti,  ainsi  que  de  tontes  leurs  habitudes  locales.  Conçoit-on 
que ,  dès  son  premier  établissement  en  Grèce,  la  régence, 
composée  de  Bavarois  qui  ne  connaissaient  ni  la  langue  ni 
les  usages  du  pays  que  les  hautes  puissances  lui  avaient  li- 
vré à  gouverner,  ne  se  soient  pas  fait  un  devoir  de  recueil- 
fir  les  coutumes  locales  relatives  à  l'irrigation ,  aux  forêts , 
aux  pâtures ,  et  à  tous  les  détails  de  la  vie  agricole  et  mu^ 
nicipale,  coutumes  si  bien  connues  de  tous  les  Grecs,  si 
bien  jugées  par  leurs  asseniblées  locales ,  et  qui  peut*être 


PHIilATRATAECADlA.  465 

se  sont  conservées  depuis  les  temps  les  pins  anciens  des 
répabliqaes  grecques?  La  Grèce  et  les  Grecs,  voilà  ce 
dont  les  régents  bavarois  semblent  s*être  souciés  le  moins. 
Le  jeune  roi ,  qui  leur  a  succédé  à  sa  majorité ,  a  montré 
les  dispositions  les  plus  bienveillantes  en  faveur  d*un  peu- 
ple qu*il  aime  et  dont  il  a  toujours  été  aimé  ;  mais  jus* 
cju'ici ,  malgré  son  zèle  à  étudier  toutes  les  affaires  dans 
leurs  moindres   détails,  malgré  la  patiente  résignation 
avec  laquelle  les  Grecs,  que  l'on  prétendait  si  turbulents , 
attendent  sans  se  plaindre ,  mais  non  sans  oublier  ce  qui 
leur  est  dû,  tout  est  encore  à  faire,  et  une  organisation  poli* 
tique  conforme  aux  vœux  du  pays,  à  ses  usages  et  à  son 
intelligence  tardera  peut-être  jusqu'à  lasser  leur  patience. 
La  route  de  Philiatra  à  Arcadia  continue  à  être  magni* 
fique;  ici  il  n*y  a  pas  de  terres  du  gouvernement,  et  tout 
appartient  aux  particuliers.   Gomme  c'était  iin  pays  de 
plaines ,  ils  ont  pu  moins  aisément  se  mêler  aux  révoltes 
contre  les  Turcs,  et  ils  avaient  été  frappés  de  moins  de 
confiscations.  Aussi  tout  est-il  couvert  d'arbres  de  la  végé« 
tation  la  plus  belle,  entre  la  mer  et  la  montagne.  On  a  tou- 
jours la  mer  en  présence ,  et  de  loin  on  aperçoit  les  îles  de 
Zante  et  de  Géphalonie.  Près  de  la  mer  apparaît  dans  la 
situation  la  plus  pittoresque  le  Castro  d' Arcadia,  et  séparé 
du  Castro,  sur  la  droite  en  s'approcbant  des  montagnes, 
et  sur  leur  versant,  la  jolie  ville  d' Arcadia.  Je  m'arrêtai 
en  y  montant  pour  voir  les  ruines  de  deux  églises  ancien- 
nes :  l'une  byzantine  et  l'autre  certainement  franque,  avec 
des  arcades  et  une  porte  ouverte  sur  la  mer  et  sur  l'occi- 
dent. Le  temps  était  superbe  :  une  douce  brise  apportait 
de  la  fraîcheur,  et  je  n'ai  pas  senti  un  instant  l'incommo- 
dité de  cette  longue  route.  J'arrivai  à  Arcadia  à  sept  heures 
et  allai  me  loger  chez  M.  Panagioti  Papa-Athanasopoulos, 
pour  lequel  j'avais  une  lettre  de  M.  Delyanni. 

La  maison  de  M.  Athanasopoulos,  gendre  du  dimarque, 
est  située  en  haut  de  la  ville  et  commande  une  fort  belle  vue 
sur  la  mer.  En  ouvrant  ma  fenêtre  le  matin  je  pus  jonir 


466  GaÈCB   GOimiIttlTAU   BT  MOKBE. 

de  cette  me  et  de  celle  du  castra  sîtaé  aanlessons  de 
moi ,  car  la  Tîlle  actaelle  est  plus  haute  que  le  cbitean  ; 
c'est  Doe  ville  tout  Donvellement  bâtie ,  les  Turcs  ayant 
tout  brûlé.  J*allai  voir  une  église  ancienne  an  centre  de  la 
Tille.  Elle  est  aussi  du  temps  des  Francs ,  à  en  juger  par 
son  architecture;  mais  les  Turcs  en  ayant  brûlé  one  partie, 
qui  est  celle  du  cOté  de  la  porte ,  on  n*y  trouve  plus  aucune 
trace  de  la  construction  primitive  de  ce  côté.  De  là  j'allai 
au  Castro,  où  Je  reconnus  quatre  époques  bien  marquées  : 

l^  Des  assises  helléniques  encore  conservées,  du  cûté 
d'un  petit  village  derrière  la  montagne,  et  à  la  porte  d*ea« 
:tée ,  où  était  une  tour  carrée  ;  on  en  découvre  également 
des  fragments  I  l'eitérieur»  çli  et  là ,  surtout  dans  une 
tour  carrée  qui  est  évidemment  de  l'époque  franque. 

2*  Une  tour  octogonale  byzantine  ancienne,  à  fenêtres  car* 
rées  de  forme  antique  et  1  assises  beaucoup  nmins  consi- 
dérables ,  mais  assez  bien  posées  pour  être  anciennes  t  il  n'y 
a  pas  de  tuiles  mêlées  à  la  pierre.  Elle  eiit  placée  du  côté 
de  la  ville ,  et  est  la  dernière  des  tours  du  château. 

3*  Une  tour  carrée  de  Tépoque  franque  :  on  y  retrouve 
beaucoup  de  pierres  helléniques,  et  dans  un  des  coins 
plusieurs  assises  qui  appartiennent  probablement  à  l'an*- 
cienne  tour  hellénique ,  sur  la  base  de  laquelle  les  Francs 
avaient  construit  la  leur.  La  porte  est,  comme  d'ordinaire, 
en  l'air,  parce  qu'on  y  parvenait  par  un  pont-levis  qu'on 
retirait  ensuite. 

II?  Doux  tours  de  construction  torqoe  et  des  murs  cr6« 
nelés  par  eux. 

Arcadia  était  une  des  douxe  places  fortes  de  Morée  en 
1205.  Elle  fut  donnée  avec  Calamata  à  Geoffrol  de  Ville-' 
Hardoin  par  Guillaume  de  Champ-Litte  ^  L'armée  fran^ 
que,  en  passant  de  Fatras  à  Modon,  s'empara  de  force  de 
la  ville  ;  mais  elle  attendait ,  pour  attaquer  le  château ,  les 
navires  vénitiens  qui  sans  doute   transportaient  les  ma- 

»  Voy.  Chron.  de  Moiée.,'^,  31  et  46. 


C0BISTIANO.  467 

ehines  de  guerre  ;  car  ils  ne  pouvaient  les  aider  autrement , 
attendu  que  le  château  est  à  un  quart  de  lieue  de  la  mer , 
qu*au  bas  est  une  plaine  qui  s'étend  jusqu'à  la  mer,  et  que 
les  vaisseaux  ne  pouvaient  lui  porter  dommage  autrement 
qu'en  transportant  les  machines.  11  n'y  a  pas  de  grand 
port,  mais  un  fort  petit  port  s'étend  au  delà  de  la  ville  sur 
la  route  de  Pyrgos,  Arcadia  fut  ensuite  donnée  à  Vilain 
d'Aunoy,  sans  doute  par  Guillaume  de  Ville-ilardoin , 
lorsque  Vilain  d'Aunoy  quitta  Constantinople  en  1261  et 
se  réfugia  en  Morée,  C'était  un  Centurion  de  Gênes  qui , 
en  1391»  était  seigneur  d'Arcadifi  et  un  des  plus  puissants 
seigneurs  de  Morée. 

Arcadia  était  l'ancienne  Kyparissia  en  Messénie.  Au 
quinzième  siècle  la  Aiessénie  appartenait  aux  Slratégopule» 
Mélissène.  Nicépbore  Mélissène  avait  nommé  Théodore 
Paléologue  tuteur  de  sqq  fils  Mcolas.  Celui-ci  donna  à  son 
frère  la  Messénie ,  qui  appartenait  à  son  pupille ,  comme 
ti  c'eût  été  sa  propriété  ^ 

A  sept  heuies  nous  montâmes  à  cheval,  M.  Athanaso- 
poulos,  M.  Zaphiropoulos,  dasonome  (inspecteur  des  forêts) 
de  la  province,  et  moi,  pour  alleràChrisiiano,  où  je  voulais 
voir  une  église  dont  on  m'avait  beaucoup  parlé.  La  route  tra- 
verse des  sentiers  boisés  qu'on  a  peine  à  franchir ,  tant  le 
bois  croît  avec  vigueur.  Chrisiiano  est  à  trois  heures  d'Ar- 
cadia.  L*église  de  Christiaoo  est  véritablement  fort  consi- 
dérable et  fort  ancienne*  Ou  reconnaît  un  |grand  nombre 
de  pierres  helléniques  dans  la  construction  •  ce  qui  mon- 
trerait qu'il  y  avait  là  autrefois  un  temple  païen.  Près  de 
l'église  sont  par  terre  deux  colonnes  de  vert  antique  fort 
beau.  L'église  elle-même  est  byzantine ,  du  onzième  siècle 
probablement  ;  et  le  palais  épiscopal  semble  avoir  été  an- 
nexé à  l'église  et  avoir  eu  une  chapelle  adjointe  à  l'église. 
J'ai  compté  trente-deux  pas  de  long  sur  viogt-deux  de 
largei  et  cinquante-deux  pas  de  long  en  allant  jusqu'au 

i  Voyez  Ptmrantzi,  p.  131  et  133 


468  GaÈCfi   CONTINENTALE   ET   MOREE. 

souterrain  obscur  qui  formait  partie  d'une  église  adjointe  au 
palais;  c'est  une  des  plus  vastes  églises  que  j'aie  vaesen  Grèce. 
Il  est  probable  que  c'était  là  le  séjour  des  anciens  évêques  de 
Christianopolis ,  dont  le  séjour  fut  depuis  transporté  à  Ar- 
cadia  et  qui  continuèrent  à  porter  le  titre  d'évêques  de 
Christianopolis.  Nous  prîmes  notre  conaki  chez  le  parédros 
du  pays ,  car  le  cbeMieu  de  la  commune  est  à  Philiatra,  et 
nous  l'invitâmes  à  dîner  avec  nous.  Les  femmes  sont  comp- 
tées pour  rien  danslaciasse  du  peuple.  Lesfemmesse  lenaieut 
là  dans  une  antre  partie  de  la  chambre ,  prêtes  à  faire  ie 
service.  L'une  d'elles  était  grande ,  svehe  et  bien  faite  ,  et 
elle  marchait  avec  la  distinction  des  personnes  les  plus 
qualifiées.  On  retrouve  encore  parfois  en  Grèce  de  ces  for- 
mes qui  vous  révèlent  la  statue  antique.  A  Messène  ,  près 
de  la  fontaine  Arsinoé ,  j'ai  vu  une  paysanne  de  Mavro- 
mati  qui  portait  une  large  coiffure  blanche  et  qui ,  par  sa 
tenue ,  sa  coiffure  et  son  péplum ,  semblait  une  belle  sta- 
tue de  déesse  descendue  de  son  piédestal.  £n  revenant  de 
Christiano  à  Arcadia,  nous  nous  égarâmes  quelques  in- 
stants dans  le  fourré.  Pour  nous  tirer  d'affaire,  M.  Zaphl- 
ropoulos,  qui  est  un  des  cinq  dasonomes  grecs  sur  les 
trente  ou  trente-cinq  de  la  Grèce ,  car  les  autres  sont  ba- 
varois, monta  sur  un  tertre  que  son  cheval,  bien  qu'ha- 
bitué à  cet  exercice,  eut  grand'peine   à  franchir.  Il  y  avait 
un  trou  que  mon  cheval  et  moi  ne  vîmes  pas;  mon  cheval 
tomba  sur  le  côlé  et  moi  dans  le  fourré ,  mais  sans  bles- 
sure. En  voulant  se  relever  il  trébucha  encore,  et,  cette  fois, 
tomba  sur  mes  jambes.  Fort  heureusement  il  y  avait  là  des 
bf  anches  qui  amortirent  le  coup,  et  je  pus  le  repousser  avec 
une  jambe  que  je  dégageai  ;  j'en  fus  quitte  pour  une  légère 
foulure  qui  m'empêcha  de  marcher  quelques  jours.  Ce  serait 
une  chose  assez  fâcheuse  que  d'avoir  les  jambes  cassées  au 
milieu  des  forêts  grecques,  et  surtout  dans  cette  pauvre  con- 
trée de  Morée  destituée  de  tout  secours  médical.  Remontés  à 
cheval  nous  pressâmes  le  pas  de  nos  chevaux ,  et  en  deux 
heures  nous  arrivâmes  à  Arcadia.  La  situation  de  cctle 


SIDERO-CASTRO.  469 

ville  me  plaît  beaucoup  ;  ses  maisons  sont  toutes  nouvelles. 

:e:ii  brûlant  partout,  les  Turcs  ont,  par  hasard,  oublié  de 

l>rûler  les  oliviers  et  les  jardins  qui  sont  un  des  ornements 

An  pays.  La  plupart  sont  plantés  sur  des  terrains  nationaux 

et  loués  si  cher  qu'il  y  en  a  quelques-uns  complètement 

^abandonnés;  le  gouTerncment  n'a  pas  voulu  les  vendre  à  un 

prix  modéré ,  mais  seulement  les  affermer  pour  dix  ans  : 

âéplorable  calcul  qui  entretient  ce  pays  dans  la  misère  et 

l'abandon  I 


><taite 


XXV 1. 

SIDERO-CASTRO.  — PAVLITZA.  —  PHIGALÉE. 
BASSjE.  — ANDRITZENA.— LAVDA. 


A  cinq  heures  du  matin  je  quittai  Arcadia  pour  Sidero- 
Castro.  La  route  tourne  autour  du  château,  au  bas  d'un  pe- 
tit village  situé  sur  l'autre  versant  d'Arcadia  qui  est  privé 
de  soleil  la  plus  grande  partie  de  la  journée.  J'avais  pris 
un  gendarme  pour  guide,  et  nous  arrivâmes  après  trois 
heures  de  fort  mauvais  chemins  à  Sidero-Gastro.  Le  village 
est  situé  tout  en  haut  de  la  montagne  et  les  maisons  sont 
dispersées  çà  et  là  autour  des  rochers.  Ma  chute  de  la 
veille  m'empêcha  de  monter  sur  le  haut  de  la  montagne 
qui  domine  le  village  et  sur  la  cime  de  laquelle  sont  les  rui< 
nés  d'un  château-fort  à  petites  pierres  sèches,  comme  celui 
d'Angelo-Castro.  Ce  genre  de  construction  a  devancé  l'oc- 
cupation des  Francs.  Je  pris  quelques  heures  de  repos  à 
Sidero-Castro et  m'acheminai,  par  une  route  rocailleuse, 
vers  le  village  de  Pavlitza ,  qui  est  placé  au  milieu  des  rui- 
nes de  Tantique  Phigalée. 

Depuis  le  village  de  Kara-Mouslapha ,  situé  sur  une 
montagne,  jusqu'à  Gallitzena ,  on  descend  par  un  magnifi- 

40 


^470  GRÈCE   CONTINENTALE   KT   MOREB. 

que  ravin  reTéta  des  plus  grands  cbône8,€t  qui  va  toujours 
en  se  resserrant  ;  c'est  dans  ce  ravin  et  le  long  de  ces 
montagnes  que  beaucoup  de  Grecs  cherchèrent  un  asile 
contre  les  cruautés  d'Uirahim.  Les  montagnes  sont  partout 
revêtues  des  plus  be^nx  chêne»  et  platanes,  et  au  fond 
d'im  vaste  précipice  coule ,  entre  deux  bords  profond»,  le 
torrent  de  la  Neda.  Les  deux  immenses  escarpeaienu  de  s^ 
deux  rives  sont  kpeinp  praticables,  et  cependant,  sur  toutes 
les  pentes,  des  champs  de  maïs  entrecoupent  les  forêts  et  les 
rochers  ;  là  où  on  ne  croirait  pas  que  l'homme  puiisse  arri- 
ver, on  aper^it  des  champs  récemment  moissonnés.  Cette 
gorge  étroite  est  d*un  fort  bel  effet  dans  sa  sauvagerie;  en 
arrivant  près  de  Pavlitza  la  montagne  devient  plus  aride. 
L'effet  de  la  vallée  profonde  de  Phigalée  et  de  ses  vieilles 
ruines  au  clair  de  lune  est  tout  à  fait  majestueux. 

Je  passai  ce  qui  me  restait  de  jour  et  une  partie  de  la 
soirée  à  parcourir  à  cheval  au  clair  de  lune  une  partie  des 
ruines  de  cette  grande  ville.  Il  y  avait  pour  moi  quelque 
chose  de  solennel  dans  cette  première  visite  faite  pendant 
le  silence  de  la  nuit  à  une  ruine  glorieuse.  Ce  sont  partout 
de  vastes  pierres  à  peine  taillées,  et  les  murs  sont  d'une  épais- 
seur de  six  à  sept  pieds.  Us  se  prolongent  sur  toutes  les  crê- 
tes de  la  montagne  jusqu'au-dessus  du  village  de  Gaiditza 
et  tout  en  haut  d'un  ravin  profond  où  coule  un  toiTent 

De  bonne  heure,  me  sentant  un  peu  mieux  de  ma  jambe, 
je  montai  de  Pavlitza  à  l'enceinte  des  murs  de  Phigalée.  Je 
ne  pus  trouver  aucune  des  portes  anciennes,  qui  sont  toutes 
ruinées;  mais  je  retrouvai  une  sorte  de  poterne  en  pierres 
helléniques  ressemblant  beaucoqp  à  la  porte  d'Arpino. 
Les  murailles  antiques  se  prolongent  pendant  plus  de  deux 
heures  le  long  des  crête^  de  la  montagne.  L'accopolis  est 
tput  k  fait  sur  le  haut  et  contient  deux  petites  chapelles 
copstruites  sur  des  fondements  d'anciens  teo^ples  :  Tune, 
dédiée  à  saint  Éloi  ;  l'autre  à  la  Panagia.  Une  tour  ronde 
était  s)jr  l'acropoli^;  elle  a  été  conservée  eu  pactie  et  eo 
parfi_e  rQponstriiJte  «iM  rooyçn  âg.c  des  fragincpls  4§  pione 


PHIGALEB.  471 

troovés  sur  le  lieo^  et  sans  mortier,  isàns  doute  pour  faire 
uae  tour  de  signant.  Le  long  dès  murs  6n  ajierçoit  quel- 
ques restes  de  tburë  carrées  qui  fo)*ment  un  deml-cèrcle 
extérieur  appuyé  sur  le  mpr. 

£n  \oyaitt  ces  vastes  ruines  oïl  se  demande  comment  leS 
peuples  anciens  pouvfiiient  faire  d'aussi  énormes  frais  qud 
ceux  qu*etigeait  la  construction  de  villes  semblables.  Ces 
pierres  ont  été  appot-tés  d*ailieuri$ ,  car  elles  nbsont  pas  dd 
la  même  nature  que  les  rochers  de.Pavlitzav  et  paHout  ea 
Grèce  dans  les  lieux  les  plus  âpres;  au  sommet  quelque^* 
fois  des  plus  hautes  montagnes ,  on  trouve  d*imfcnehseé 
coDstrdctibns  de  temples  bâtis  avec  des  marbrés  et  de  vas- 
tes assises  de  pierres  apportés  Souvent  de  lieux  fort  éloi-^ 
gnés.  Tous  semblaient  lutter  à  l'envi  pour  orner  lénr  ville: 
Chaque  Grec  avait   un  attacheroeut  {profond  non-teule-^ 
ment  pour  sa  patrie  politique  i  mais  pour  sa  patrie  munir 
cîpale,  qui  est  comme  une  exiension  de  la  famille.   Ob 
était  toujours  prêt  à  des  sacrifices  pel'sonnels  pour  la  dé-* 
fendre  et  Tembellir  ;  et  souvent  les  dieuic  locaux  étaiedi 
plus  respectés  que  les  grands  dieux.  Ce  même  attachement 
à  la  patrie  locale  est  aussi  le  caractère  distinctif  des  Grecs  ac«t 
tuels:  c*est  là  peut-être  ce  qui,  avec  la  religiob,  a  prot^é 
si  efiScacement  leur  nationalité  contre  les  Turcs,  chez  lesquels 
ce  sentiment  de  patrie  n'existe  nulle  part.  Chez  les  Grecs 
anciens  c'est  le  dévouement  de  tous  au  bien  et  à  la  défense 
de  la  cité  qui  permettait  d'éleyer  de  telles  villes  et  de  tels 
monuments ,  car  Phigalée  avait  aussi  ses  templesw  On  re- 
trouve cà  et  là  des  tronçons  de  colonnes  cannelées  près  des 
ruines  de  ces  édifices^  La  vuq  de  là  est  vérilablement  im- 
posante ;  dans  le  fond  du  ravin  coule  sans  être  tu  le  tor- 
rent de  la  Neda ,  et  on  aperçoit  au  loin  Ithome  et  la  mer 
du  golfe  d'Arc^die.  De  là  on  voit  ans»  remplacement  du 
temple  d'Apollon  Épicuriçn  à  Bassœ.  J'achetai  quelques 
monnaies  trouvées  sur  les  lieux  et  montai  à  cheval  pour 
me  rendre  à  Bassx. 
La  route  de  Phigalée  à  Bassae  passe  par  le  village  de  Tra- 


479  GRECE   CONTINENTALE   ET   MOEÉE. 

goL  C'est  une  yéritable  roate  de  montagne,  aride  et  pier- 
reuse. Trago! ,  située  sur  le  penchant  d'un  ravin  ,  offre  des 
points  de  vue  plus  agréables  ;  on  y  parle  albanais ,  ainsi  que 
dans  les  villages  voisins  de  Pougicadès ,  Mavromati ,  Sou- 
lima»  Couvala«  Ylacha,  Ripesa,  Psari,  Petza,  Lapi,  Agvi- 
ka,  Steano,  Cotzangra,  Booga,  Bodia,  Badisova,  Diata, 
Varibobi ,  Materi ,  Palomera ,  etc. ,  comme  aussi  à  Phiga- 
lée.  La  population  slave,  beaucoup  moins  intelligente  que 
la  population  grecque,  semble  s'être  réfugiée  dans  ces 
montagnes  à  une  époque  fort  ancienne  et  y  avoir  passé  de 
la  vie  de  pasteur  à  la  vie  d'agriculteur. 

De  Trago!  à  la  montagne  où  se  trouve  le  temple  d'Apol- 
lon Épicurien ,  il  n'y  a  qu'une  demi-lieue.  On  traverse  une 
belle  forêt  de  vieux  chênes,  consacrés  sans  doute  dans  l'an- 
tiquité par  des  autels  aux  nymphes ,  et  on  rencontre  deux 
fontaines;  puis,  quand  on  est  arrivé  presque  au  sommet 
de  la  montagne,  tout  à  coup  apparaît  un  temple  antique 
parfaitement  conservé.  Les  quatorze  colonnes  cannelées  de 
chaque  côté  et  les  six  des  deux  extrémités  sont  encore  de- 
bout ;  seulement  deux  des  six  qui  formaient  l'entrée  du 
côté  d'Arcadia  et  en  face  de  la  mer  sont  tombées  à  côté,  ce 
sont  celles  des  deux  extrémités.  L'intérieur  du  temple  est 
aussi  parfaitement  conservé.  Il  se  composait  de  trois  par- 
ties :  la  partie  du  milieu  a  encore  ses  murs  inférieurs  de 
clôture  ;  les  bases  des  colonnes  intérieures  sont  debout  ; 
1  une  d'elles  est  tout  entière ,  mais  fort  ébranlée  ;  sans 
doute  par  quelque  tremblement  de  terre  qui  aura  agité 
tout  le  temple. 

La  seconde  assise  était  taillée  de  manière  à  former  le  mur 
de  l'intérieur  et  à  présenter  dans  le  vestibule  un  commen- 
cement de  colonne  engagée.  Les  autres  assises  supérieu- 
res avaient  aussi  une  double  destination  :  la  clôture  plate 
du  mur  et  la  continuation  à  l'extérieur  de  la  colonne  en- 
gagée. Ces  colonnes  sont  composées  du  plus  beau  marbre 
de  Paros.  Des  fouilles  opérées  il  y  a  peu  d'années  ont  fait 
'découvrir  la  frise,  qui  est  à  Londres;  elle  offre  le  combat 


BASS4S.  473 

des  Centaures  et  des  Lapifhes.  Il  serait  facile  de  rétablir  co 
temple  avec  tous  ses  morceaux,  car  tous  sont  encore  là ,  et 
il  n'y  manque  que  ce  qui  est  à  Londres.  C'est  une  dilapi- 
dation véritable  que  d*arracher  ainsi  aux  monuments  an- 
ciens les  morceaux  que  le  temps  avait  respectés.  Le  temple 
d'ÂpoUon  épicurien  avait  survécu  à  toutes  les  invasions 
des  barbares,  et  sa  situation  isolée ,  au  faîte  d'une  haute 
montagne  éloignée  de  toute  habitation,  l'avait  préservé 
des  mains  des  maçons.  Les  Turcs,  qui  étaient  de  grands 
destracteurs,  n'ayant  pas  de  mosquée  à  construire  dans  les 
environs,  avaient  passé  à  côté  sans  le  voir  et  le  détruire, 
et  voilà  que  des  amis  de  la  science  font  ce  que  n'ont  pas 
fait  les  barbares.  Placés  à  Londres  dans  une  espèce  de  cave 
en  briques,  au  bas  du  Musée  Britannique,  comme  un  feston 
d'architecture,  ces  bas-reliefs  ne  peuvent  rien  produire 
pour  l'art;  ici  ils  auraient  peut-être  déterminé  le  gouver- 
nement grec,  non  à  restituer,  ce  qui  est  aussi  une  barbarie, 
mais  à  mettre  sur  place  et  debout  toutes  les  pierres  accu- 
mulées ici  et  qui  en  eussent  fait  le  monument  le  plus  com- 
plet de  l'ancienne  Grèce.  Le  toit ,  qui  était  en  marbre,  dans 
le  genre  de  celui  du  temple  de  Thésée,  gtt  encore  à  terre, 
et  on  y  retrouve,  de  plus  qu'au  temple  de  Thésée ,  Tinté- 
rieur  et  la  nef  dans  leur  intégrité.  De  la  plate-forme  de  ce 
temple  on  a  une  vue  fort  étendue  sur  l'isthme  et  le  golfe 
d'Arcadia.   Il  est  encore  entouré  comme  autrefois  du 
bois  sacré  de  vieux  chênes,  et  ses  deux  fontaines  l'abreu- 
vent avec  leur  eau  fraîche  et  pure. 

Je  restai  pendant  trois  heures  en  admiration  devant  ce 
temple,  puis  montai  le  sommet  de  la  montagne  qui  en  dé- 
robe la  vue  du  côté  d'Andritzena.  De  là  à  Andritzena,  c'est 
une  descente  rapide  et  une  succession  de  collines  arides  fort 
différentes  de  ces  deux  belles  vallées  qui  précèdent  l'arri- 
vée à  Phigalée  et  qu'on  voit  près  de  Callilzena.  En  appro- 
chant d'Andritzena  le  paysage  devient  plus  gracieux;  tou- 
tes les  montagnes  sont  couvertes  d'arbres  et  les  vallées  sont 
remplies  de  jardins  bien  cultivés ,  entrecoupés  par  des 

40. 


474  GAECE  CONTINBHTALE   ET   MOREE. 

cbami»  nouTellement  moissonnés,  dont  la  couleur  jaune  esl 
variée  par  la  verdure  de  quelques  beaux  arbres.  À  une 
lieue  et  demie  d*Ândritzena  est  le  vieux  château  franc  de 
Zarkoula»  près  de  Phanari.  De  là  on  a  une  vue  magni&que 
sur  les  deux  mers,  sur  la  mer  Egée  d*un  côté  et  la  mer 
Ionienne  de  l'autre.  II.  est  en  ruines  ^  mais  en  ruines 
grandes  et  vastes.  Ce  qu'il  y  a  de  curieux  à  observer,  c*est 
que  des  siècles  si  différents  que  les  premiers  temps  de  la 
Grèce  et  le  temps  des  croisés  aient  amené  la  construction  de 
monuments  imposants.  Sans  doute  les  premiers  teipps  grecs 
avaient  un  goût  plus  pqr,  mais  la  force  s'y  fait  plus  sentir 
que  la  grâce.  Lçs  rois  d'Homère  étaient  en  effet  les  grands 
barons  francs  de  Morée.  Nestor  possédait  la  IVlessénie, 
Agamemnon  i'Argoîide  ;  mais  leurs  domaines  étaient  moins 
étendus  que  ceux  des  ducs  d'Àtliènes  et  de  Naxos ,  et  le 
baron  de  Cariténa  pouvait  lutter  de  bravoure  ^vec  Àjax. 

Andrhzena  est  gracieusement  assise  sur  le  penchant 
ci'une  colline  quj  s'élève  entre  deux  montagnes  plus  hautes, 
de  l'une  desquelles  elle  est  séparée  par  de  profonds  ravins 
où  coule  te  torrent  de  Ehovia  :  mais  les  torrents  et  les  ca- 
scades  diminuent  beaucoup  de  grandeur  en  Grèce  au  moi^ 
de  juillet;  les  torrents  n'ont  qu'un  ûlct  d'eau  et  les  cascades 
sont  à  sec.  £n  voyant  cependant  cette  succession  de  ro- 
chers droits  au  milieu  de  belles  forêts  et  de  profonds  raylns, 
on  comprend  tout  l'effet  imposant  qu'ils  doivent  prodliire 
au  mois  de  mai,  lorsque  les  pluies  d'hiver  sont  encore  gros- 
sies par  la  fonte  des  neiges. 

Andritzena  se  conapo^  de  plusieurs  jolis  hameaux 
distribués  çà  et  là  sur  divers  versants,  de  la  montagne; 
les  vignes  onl  iine  verdure  de  feuillage  qu'elles  n'ont 
pas  en  France,  et  tous  ces  hameaux  sont  situés  au  mi• 
lieu  des  vignes.  Je  voulqs  acheter  quelques  monnaies ,  et 
me  vis  entouré  de  toute  la  ville.  En  Grèce,  un  étranger  est 
obligé  d'avoir  une  vie  publique  comme  hiî  roi.:  s'il  tait  une 
question,  tous  s'approchent  pour  l'entendre;^  s'il  veiit  ache- 
ter une  médaille,  tous  veulent  l'examiner.  LS  rbiitë  d'An- 


LAVDA.  475 

drilzena  à  Lavda  est  fort  belle.  Là  je  m'arrêtai  afin  d'aller 
voir  dès  le  matin  les  ruines  d'une  ville  antique,  connues  sous 
le  nom  de  Castro  de  Sainte-Hélène. 

Couché  en  plein  air  sut*  rin  tapis ,  sur  une  de  ces  ter- 
rasses en  bois  qu'on  a  fréquemment  dans  les  maisons  grec- 
ques; je  m'éveillai  avec  les  premiers  rayoïis  de  l'aorore  ;  et 
montai  |a  montagne  placée  au-dessus  du  haut  Lavda. 
Après  une  demi-heure  j'arrivai  à  une  ville  antique  :  toute 
l'enceinte  est  parfaitement  conservée  ;  il  y  a  deuit  terre- 
pleins  l'un  au-dessus  de  l'autre,  puis  un  acropolis.  Les 
pentes  des  montagnes  ne  sont  pas  là  aussi  rudes  que  dans 
beaucoup  d'autres  villes  antiques.  Dans  l'enceintç  je  trou-» 
vai  plusieurs  fragments  de  çolon^ies  cannelés,  et  j'^n  trou- 
vai d'autres  .d^ns  une  petite  chapelle  près  de  la  footaipe 
qui  est  à  quelques  pas  des  murs  de  la  ville.  Dans  l'a^ropo- 
lis  est  une  tour  ronde  qui  servait  aussi  sans  doute  de  n* 
gie  au  moyen  âge  ;  car  de  là  on  voit  devant  m ,  comme  à 
deux  pas,  le  Diaforti,  ancien  Lycée,  sur  le  spmmet  ^uquel 
sont  les  ruines  d'une  autre  tour  hellénique  4ont  il.n'existc 
que  les  premières  assises.  Le  long  des  murs  de  Lavda  on  re- 
trouve  encore  plulsieurs  tours  carrées,  et  d'autres  ai:rondies 
du  côté  extérieur,  comme  j*en  ai  vu  i  Phigalée.  Il  faut  une 
demi-heure  ou  trois  quarts  d'heure  pour  faire  le  tour  de  cette 
ville  aux  murs  à  larges  pierres,  parmi  lesquels  oh  en  trouve 
pliisîeùrs  polygonales  irrégiilières.  L'emplacement  des  deux 
portels  près  des  deiix  tours  est  parfaitement  niarqué  et  les 
murs  s'y  consérvéht  entiers,  il  y  a  aussi  plusieurs  restes 
de  temples  avec  leurs  soubassemeiits  et  les  ruines  de  plu- 
sieurs petites  églises. 


476  GEECE   CONTINENTALE   ET   HOREE. 


XXVII. 

CAEITEIIA.  —  MtoàLOPOUS.  -~  LEONDARL  —  YEUGOSTL 
—  M AKRY--PLA6I.  ~  LAK03.  — -  GAROI&I. 

De  Lavda  à  Garitena  il  n'y  a  que  trois  fortes  heures. 
Le  chemin  est  assez  âpre  et  les  montagnes  arides  jusqu'à 
une  lieae  de  Lavda.  On  aperçoit  de  loin  )*A1phée  qui  code 
an  fond  de  la  vallée;  et  de  Larda  même  on  voit  le  château 
de  Caritena,  fief  du  chevaleresque  baron  de  Garitena, 
assis  snr  la  montagne  comme  une  couronne  de  comte,  avec 
ses  créneaux  pour  fleurons.  La  roule  qui  longe  Tautre  côté 
do  torrent  semble  tourner  autour  du  château  de  Garitena  et 
permet  de  l'envisager  sous  toutes  ses  faces.  Je  traversai 
an  pont  jeté  au  temps  des  croisés  sur  TAIphée  ,  pont  à 
plusieurs  arches  dont  la  vue  serait  fort  belle  dans  un  pay- 
sage, et  montai,  par  une  pente  des  plus  rapides  à  cette  célè- 
bre ville  de  Garitena ,  placée  au  pied  du  château  d'un  de 
ces  barons  si  repommés  dans  l'histoire  du  treizième  siècle, 
et  s'étendant  sur  la  croupe  du  mont  et  sur  ses  deux  ver- 
sants. Il  faisait  une  chaleur  extrême  et  il  était  midi.  Je 
pris  mon  logement  dans  une  maison  de  fort  bonnes  gens, 
mais  peu  habitués  à  la  visite  d'un  étranger,  et  d'un  étran- 
ger franc.  J'eus  grand'peine  à  persuader  à  la  maîtresse  de 
la  maison  qu'il  ne  pouvait  m'être  commode  qu'elle  restât 
assise  sur  le  seuil  de  ma  porte  tout  ouverte  sur  la  rue.  Je 
conquis  enfin  la  solitude  de  ma  chambre  sur  la  bonne 
femme  et  sur  de  nombreux  poulets  qui  la  remplissaient. 
J'ouvris  mes  malles,  et,  dès  que  je  me  fus  changé,  j'établis 
mon  nécessaire  pour  écrire  et  rédiger  quelques  notes; 
mais  à  peine  étais-je  assis  que  voilà  l'un  des  poulets  que 
j'avais  chassés  qui  montre  sa  tête  sous  la  porte  ,  glisse  lé- 
gèrement son  corps  pressé  entre  la  porte  et  le  seuil,  et 


CARITBNA.  477 

pénètre  dans  la  chambre  ;  un  autre  suit  bientôt  son  ca-» 
marade,  puis  un  autre,  puis  la  foule  :  les  voilà  tournant, 
iroletant,  becquetant  partout,  passant  sous  mes  jambes, 
montant  sur  mon  pupitre.  Je  recommence  une  nouvelle  expé- 
dition ;  je  les  mets  à  la  porte  à  grand*peine  et  à  grande  châ- 
le or,  et  rentrant  avec  inquiétude  je  me  rassieds  pour  re- 
prendre mes  papiers.  Mais  il  y  avait  une  petite  fenêtre  dans 
la  chambre  :  les  poulets  obstinés  avaient  tourné  la  maison 
et  Toletaient  un  par  un  pour  rentrer  par  cette  seule  fenê-» 
tre«  Nouvelle  chasse,  fort  pénible  par  l'extrême  chaleur;  et 
comme  pour  fermer  ma  fenêtre  il  n'y  avait  qu'un  petit 
volet,  et  que,  ce  volet  fermé,  je  n'avais  plus  de  jour,  je  dus 
me  résigner  à  rester  sans  lumière  pour  rester  sans  poulets. 
Je  sortis  pour  aller  voir  le  château.  Yu  de  ce  côté  de  la 
Tille  »  il  a  un  aspect  encore  plus  fier  et  plus  féodal.  Il  a 
conservé  jusqu'à  ces  derniers  temps  la  renommée  de  sa 
force  ;  car  Ibrahim  n'a  pas  osé  entreprendre  d'y  attaquer 
Colocotroni ,  qui  s'y  était  réfugié.  Colocotroni  l'a  fait  ré- 
parer, et  on  y  a  trouvé  alors  des  casques ,  des  cuirasses  et 
des  cottes  de  mailles  à  deux  fois  différentes.  Tout  cela  a 
été  disséminé,  et  il  n'en  reste  rien.  Quant  au  château ,  il 
porte  encore  des  traces  visibles  de  sa  création.  Par  le  che- 
min le  plus  difficile ,  on  arrive  à  la  porte ,  qui  est  la  vraie 
porte  féodale;  au-dessous  sont  les  meurtrières  avec  leurs 
trois  corniches  de  soutien,  et  en  dedans  l'ouverture  par  où 
on  faisait  descendre  la  herse  :  un  écusson  de  pierre  était 
placé  au-dessus  de  la  porte ,  avec  le  blason  du  chef  féodal 
d'alors,  mais  il  a  été  arraché  et  on  n'en  voit  plus  que  la 
place.  Deux  tours  carrées^  placées  à  peu  de  distance  l'une 
au-dessus  de  l'autre,  subsistent  encore,  et  on  n'a  fait  que 
réparer  un  peu  le  haut  Presque  tous  les  murs  d'enceinte 
sont  conservés  ;  seulement  le  haut  est  réparé  :  la  couleur  du 
mur  indique  assez  la  différence  d'âge.  En  dedans,  les  che- 
mins de  ronde  existent  et  on  voit  les  fenêtres  d'une  ancienne 
église  du  même  temps.  Les  murs  du  palais  seigneurial  sont 
encore  debout  çà  et  là,  mais  ruinés.  Des  citernes  magnifiques 


478  GRÈCE   CONTINBIITALE   ET   MORÉE. 

fonririBseiit  tencdre  de  l'eaa  ;  et  danà  (^ilsietirB  endroits  ; 
surtoat  près  de  la  t>orte«  oh  trouve  des  pierres  aussi  gros* 
ses  (tue  l'étaient  les  fûerres  helléniques  :  deux  ou  trbis 
paraissent  même  avoir  été  apportées  toute  taillées  de  quel- 
que ville  hellénique  toisine  ,  peut  *  être  de  l'ancienne 
BrenthèSk  Au  bas  de  la  ville  sont  plusieurs  églises  ancien- 
nes :  celle  de  Saint-Nicolas;  qui  n'Offre  rien  de  remarqua- 
ble,  et  celle  de  la  Panàgia,  qui  est  accompagnée  d'une  bot' 
de  pierre  servant  de  campanile  et  est  extérieurement  de  l'é- 
poque fradque.  Cette  tour  eist  isolée  de  Tégliie  actnellei  qui 
est  peut-être  plus  ancienne)  et  sdu  clocher  aUra  sans  doute 
été  ajouté  par  les  Francs  des  leur  prise  de  possessâdn; 
An-dessus  de  la  porte  de  cette  église  est  une  inscrîptioii 
en  lettres  grecques  ecclésiaëtiqnes  qui  me  parait  indiquer 
l'époque  de  sa  fondation.  On  voit  aussi  dans  l'égHsè  de  la 
Paufi^ia  trois  tableaux  peints  sur  bbis  et  Si  l'htiilë,  con*^ 
sacrés,  comme  tous  les  icoUs  de  la  Tierge  ^  de  Notre-Sei-^ 
gneur  et  de  saint  Jean,  par  le  mirâcte  d'atoir  été  jetés  atl 
milieu  des  flammes  sans  en  être  endommagés. 

Avant  de  m'avancer  de  Caritena  vet's  le  nord  de  U 
Morée ,  j'avais  quelques  investigations  historic[ues  qu'il 
m'importait  de  faire.  Je  voulais  visiter  Mëgalopolis  et  re- 
ohercher  la  situation  de  deux  points  géographiques  très- 
essentiels  i  mats  complètement  inconnus  :  l'un  était  l'em- 
placement; de  la  ville  dé  Yeligosti  s  célèbre  aii  temps  de 
l'occupation  française;  l'autre  v  celui  de  Gardlki  et  de  la 
vallée  de  Lacos»  près  du  défilé  de  Makry-Piagt  qui  mène  de 
Leondarl  à  Sparte.  Je  partis  de  bonne  heure  pour  SinaUd; 
en  passant  près  des  viUàgeS  aux  noms  français  dé  Florio 
et  de  Yidoni,  l'un  venant  d'un  Florent  ^  l'atltre  d'un  sire 
de  Yidoine ,  connus  par  les  diplômes  de  cette  époque» 
Mégalopolis  était  située  dans  Une  vaste  plaine»  sur  le  fleuve 
Bélisson ,  près  de  son  embouchure  dans  l'Alphée.  Elle  fut 
fondée  par  Ép^iminondas,  qui. voulût  y  réunir  une  grande 
populatipn  tirée  des  autres  villes  de  l'Arcadie  t  et  eU  fil  la 
capitale  de  celte  province.  Ses  ruines  se  manifestent  déjà  sur 


iifSGy|i.oiH>us.  479 

la  roi|te  par  des  friiginepts  de  coloones  dispçc^éa  dattô  les 
chaipps.  Il  n-exUte  plus  rien  debout  ;  m^ï»  sur  les  bords  de 
méll^soD,  oa  voit  le9  r^ies  d*MQ  popt,  uo  grand  e9paee  en- 
loiiré  d'uu  lour,  dévastes  pierres»  et,  au  milieu»  idusi^urs 
cQloqn^^  eqpore  eq  place,  probablemeut  celles  de  l'agpra.  Je 
cherchai  iuutijeiueQt  qpelqûe^  restes  du  cippe  *  éle^é  pfr 
derrière  en  rhoun^ur  du  grand  bi^torieu  Pplybe,  fils  de  hy^ 
coria^,  etspr  ieque)  étaient  ioscrits  desiecaéiégiaques  oi  il 
étfiit  dit  :  qu^  FfoJybede  MégiilQppljs  avait  pêrçopf  h  tqnteç  Igs 
terres  el  toutes  les  wers  ;  qu'il  ^vait  poœbatt»  cpqlr e  \^  Rp- 
maip&pt  ^vait^Quei  leur  colère  contre  les  Grecs*  En  vingt 
plaçps  diverses  qu  retroui^e  au  miliep  dets  champs ,  lautqt 
des  cplonnes  de  ipart)Fe  renversées,  tantôt  d-autres  ço- 
tpnif es  d^ut ,  avec  le  pavé  de  mosaïque  en  m^xkt^  nn^ 
qui  f^isaii  partie  de  Tancien  temple,  et  tantôt,  snr  les  bprds 
de  VH^lissop  ,  de  grandes  >  bapt^s  et  larges  muraillq^  ^p 

Ipmiç  de  qnai.  Le  théâtre  m  sitqé  de  l*4«tre  côté  df^  YM- 
UssQu,  sur  un  tmre  natptiel  qui  a  été  ^gftli^é  m^  de  non- 

velles  terres  ajoutées  et  qpi  fait  fac§  à  la  rivi^r^,  Tqut  \^ 
.sol  qui  portais  autrefois  Mégalopolis  est  cpUivé  en  Mé  de 
T|:irquie  et  autres  graine,  l'emplacement  seul  dîi  îb^âtre, 
qui  ^'é\è\^  en  pente  rapide  dans  sa  cpnpayité  là  pu 

étaient  les  gradins  de  marbre»  a  été  abandonné  à  !§  natnre. 
Les  pierpes  senlement  ont  été  epleyées  presque  partput . 

expepté  îjnr  les  côtés  qù  elles  soutiennent  des  lerire^.  C'est 

aujourd'hui  uo  immense  amphithéâtre  de  yerdure.  J'eifs 
beaqpppp  de  peine  k  pénétrer  à  travers  le  dédale  d'arbris- 
seaux qni  le  revêtent  en  entier*  L^i  sur  le  baut ,  je  trou- 
vai un  bei^er  avec  son  troupeau  :  i|  ne  savait  pas  qu'jl 
était  sur  une  ruine ,  que  son  troupeau  paissait  sur  un 
théâtre,  le  plus  vaste  de  la  Grèce  peut-être  ;  il  n'avait  ja« 
mais  entendu  parler  de  Mégalopolis,  ne  connaissait  que 
le  nom  de  Sinano ,  et  se  croyait  sur  un  tertre  ordinaire. 
0  gjoifesde  ce  mopde!  QMtre  le  fleuve  d'Héjissop  qui  tra- 

*  Eirl  (tt^Xy)  (Pausaii. ,  Àrcad). 


480  Ga£€E   CONTlNBNTALfi  ET   MOREE. 

▼enait  la  ville ,  il  y  avait  encore  quelques  fontaines  :  Tean 
de  l'one  d'elles  m'a  para  excellente.  Aujourd'hui  on  tra- 
verse l'Hélisson  avec  facilité  sans  pont,  et  je  Tai  passé  sur 
de  petits  caiUoux;  ses  bords  sont  élevés,  ses  deux  côtés 
sont  garnis  d'arbrisseaux.  Le  terrain  de  Mégalopolis, 
quoiqu'en  plaine,  offre  quelques  pentes  légères  et  adou- 
cies, et  c'était  un  emplacement  excellent  de  grande  ville. 
Elle  était  de  tous  côtés  entourée  de  belles  montagnes,  et  la 
plaine ,  depuis  Garitena  «  est  ricbe  et  féconde.  Après  mon 
excursion,  j'allai  voir  au  village  de  Sinano  un  morceau  de 
marbre  trouvé  dans  un  terrain  près  du  fleuve.  Un  paysan, 
nommé  Liakos,  que  j'avais  trouvé  cultivant  ses  angauria 
(concombres)  sur  le  terrain  de  Mégalopolis,  m'avait  {»t>^ 
posé  de  me  le  vendre  :  t'est  une  colonne  de  quatre  pieds 
de  hauteur  portant  sur  sa  base  un  homme  debout,  de  deux 
pieds  et  demi  de  hauteur,  avec  son  costume  romain,  se 
détachant  en  haut  relief  de  son  cheval  dont  le  corps  se 
dessine  autour  de  la  colonne  et  ressort  sur  les  deux  côtés 
du  personnage.  Il  n'y  avait  aucune  inscription.  Ce  per- 
sonnage en  costume  de  chevalier  romain  n'était-il  pas  Po- 
lybe  lui-même  dans  sa  ville  natale?  Mais  PSusanias  indique 
une  inscription  sur  la  colonne  de  Polybe,  qu'il  nomme 
oti^Xt),  et  il  donne  toujours  ce  nom  aux  colonnes  carrées. 
Je  n'achetai  pas  ce  morceau ,  trop  difficile  à  emporter,  et 
me  contentai  de  quelques  monnaies  ti*ouvées  sur  les  lieux 
par  des  paysans. 

J'avais  à  cœur  de  visiter  aussi  l'emplacement  de  la  ville 
de  Yeligosti  dont  la  Chronique  de  Morée  parle  comme 
étant  avec  Nicii  une  des  plus  grandes  villes  de  Morée ,  et 
comme  étant  aussi  en  plaine  : 

Ëiç  kà{4.77ov  xoTTOvrat  (43). 

Lors  de  la  conquête  de  1205,  Yeligosti  fut  donnée 
comme  fief  de  banneret  à  Mathieu  Raimond  ^  De  Gala- 

1  p.  48  de  la  Chron,  de  Morée. 


VEtiGOdTI.  481 

mata  la  Chronique  fait  arriver  Geoffroi  de  Yille-Hardoin  à 
midi  à  Veligosti  ^  Il  y  avait  une  forteresse  et  un  marché  : 

Ixo^ov   To  épLro|9tov  ,  TO  xaffT(>oy  {aovo  acpTJaov  \   Elle  était 

située  près  de  Makry-Plagi*.  M.  Boblaie  Tavait  placée , 
ainsi  que  Bory  de  Saint-Yincent ,  à  Leondari ,  ce  qui  ne 
pouvait  être.  Enfin ,  à  force  de  courir  le  pays  et  d'inter- 
roger tous  les  paysans ,  je  parvins  à  savoir  que  ,  sur  les 
bords  du  Xerillo-potamos ,  près  d'un  moulin  ,  étaient  des 
ruines ,  et  que  l'espace  compris  entre  ce  moulin  et  le  bas 
de  la  plaine ,  sur  ime  demi-lieue  d'étendue ,  était  connu 
sous  le  nom  de  Veligosti.  Je  pris  pour  guide ,  à  Sinano , 
un  cultivateur  qui  me  disait  posséder  des  biens  de  ce  côté, 
et  après  une  heure  et  demie  de  marche  en  allant  du  côté 
de  Samara  et  dans  la  direction  du  Xerillo-potamos  il  me 
dit  que  tout  cet  espace  était  ce  qu'on  appelait  Veligosti. 
J'appelai  deux  autres  hommes  qui  travaillaient  dans  les 
champs  voisins;  ils  me  confirmèrent  le  nom  donné  à  cet 
endroit  Je  leur  demandai  ensuite  s'il  y  avait  quelques 
vestiges  d'ancienne  ville  ou  d'ancienne  église  près  de  là  : 
ils  me  dirent  qu'au  delà  du  fleuve  et  de  la  fontaine,  à  envi- 
ron une  demi-lieue  en  se  rapprochant  du  moulin ,  étaient 
des  ruines  dans  les  champs ,  et  qu'on  disait  que  là  étaient 
les  [restes  d'une  grande  ville  placée  autrefois  dans  ce  pays 
et  appelée  Veligosti.  J'y  allai ,  et  trouvai  en  effet  dans  les 
champs  un  grand  nombre  de  briques.  Un  petit  berger 
m'indiqua  d'autres  ruines  un  peu  plus  loin,  dans  l'endroit 
où  finit  la  plaine  et  où  le  terrain  va  s'élevant  un  peu, -et  j'y 
vis  les  restes  d'une  église  élevée  sur  les  ruines  d'un  temple 
ancien.  On  retrouve  encore  sur  ce  terrain  un  grand  nom- 
bre de  belles  colonnes  de  marbre ,  ou  debout  ou  renver- 
sées. En  comparant  tous  les  détails  donnés  par  la  Chroni- 
que, je  ne  puis  douter  que  ce  ne  soit  là  le  véritable  empla- 

•  P.  56. 
«P.  109. 
»P.  123. 

41 


482  GRÈCE   C0NT1NPI(T4I«B   £T   HORÉE. 

cemept  de  V^lîgQ>ti  «  4ai  s'^eQdut  peut-être  da  mouUn  à 
la  rivière ,  ^a  y  cpwpreqant  les  Tigoes  située^i  sur  l'antre 
rive  ^vçp  je  même  qom  •  Qt  qui  fondaient  sans  dout^  les 
faqbourgs  4^  côt^  de  Sioano.  Comme  on  m'avait  indiqué 
jiussj  m  ch^te<|q  ep  rqinQf  à  Samara»  à  une  demî-]|eoe  de 
Ik ,  je  mp  dif  û|e^  4^  p^  cd(é  eo  traien»nt  à  gué  le  Kou- 
tpufibari. 

Le  yillage  fie  Samîir^  est  «|ué  suc  «q^  cndline  C44)efi6e  li 
(.eqpdari,j|  H^^  fieipi-lieiie ,  fi(  lepbit^au  ^tait  l^âti  sur 
uq^  î|uire  piliqfi  ^  di^  mipD(e§  dci  U  vill^.  L^e  place  en 
cet  en^lrpit  j'^pcieuRQ  Crppii«  QmM  i^  mai  #  qui  ai  visité 
avec  9oia  et  la  folliiie  Q(k  ^t  ^it^0  Ip  village  actuel,  et  celle 
pu  esf  }e  clfâfe^q,  je  q'a|  trpuvé  aqcpp  vestige  d*aQtiqi)itéa. 
J.e  pbâteaq  es^  cprtaiqempuf  dVigJoe  franqiie  :  la  forme 
eq  çst  qo  pe^  d^tf^fep^e  des  c()ât^apx  ordinaires*  ^atre 
4^u^  des  tours,  dopt  1q  ç^ir^é  s'avançait  ea  angle  aigu,  0ait 
pne  grap(}6  tppf  el||ptiqu&  Qptre  c^Uq  çopatructiop  cen- 
tral^, |1  y  fivait  pqe  ^oubl^  ençeiut^  qpi  suivait  les  mou- 
vemepts  du  rocher  jpsqM*^  Teqdroit  m  la  colline  es;  cou- 
pée brusquerpeqt  (|h  côté  dp  4epye.  Cette  forteresse  n*a 
jai^aiç  dû  être  fpf t  re4PMt^l4e.  La  position  ne  l'est  pas  et 
les  coDstruc|iop§  pe  SPOt  P99  çQp»idérables. 

Arrivé  à  Samar^ .  jq  çîioisi#  l'ombre  d'un  grand  arbre 
spr  pue  cp))in§  ppur  ip'y  repo§^r.  C'était  l'époque  de  la 
ipoisyq  çt,  à  1§  mèm  tl^^re ,  les  mQissonneprs  quituient 
aps^i  leur  qpvr^gp  ppî:|r  gpût^r  qpfilqpe  repos.  Me  voyant 
élrap^er,  il^  voulurept  pae  f«|ire  politesse  :  ils  sp  rangèrent 
donp  autour  de  ippi ,  a^is  i  l'orientale  sur  leurs  jambes 
croises,  et  multiplièrent  l^s  qp^^tiqqs  qu'ils  croyaient  les 
plus  propre^  à  m  Pipntr^r  lepr  intérêt  pour  moi  :  com- 
ment se  pprtaieot  mop  père,  p)<l  mère*  ma  fepime,  mes  en- 
fants; si  je  p'en  avjiis  perdu  aucuns  depuis  combien  de 
temps  j'avais  quitté  la  France;  si  la  Grèce  me  plaisait; 
et  qu'est-ce  qui  m'y  plaisait  à  moi ,  ué  dans  un  pays  où 
on  possédait  depuis  long-temps  ce  qui  garantît  une  vie 
^uquille.  Ils  parlèrent  ensuite  de  ce  qui  les  concernait  eux- 


LBMMtttl  Isa 

mêmes ,  de  la  gnerre  de  Crète  :  car  tous  ici  r^nràlsrtt  là 
Grète  comtne  détenue  injustement  |)ar  là  TQh}ttie  et  devant 
être  grecque.  On  lie  saurait  croire  quëliilté^êt  ils  prennent 
tdos  aux  choses  publiques  et  avec  quel  bon  sens  ils  en  par- 
lent Le  pâtre  le  |^us  isolé  sur  sa  montagne  forme  lei 
mêmes  vœux  que  rhbnmie  le  plus  éclairé  des  villes  et 
énonce  ses  idées  avec  une  remarquable  ihtelligehce.  le 
les.  interrogeai  à  ibon  tour  et  m*enquis  des  objete  qui 
m'intéressaient  moi-mêmei  Je  l<!ur  demandai  à'ils  con» 
naissaient,  un  château  appelé  i  par  un  voyageur  anglais  » 
Ko<îpio<  ic«9Tpo.  Deux  d'entre  eux  me  dirent  que  ouiî  qu'ils 
habitaient  tout  près  d'un  château  &  peu  près  nommé  ainsi 
et  où  ils  étaient  allés  souvenu  Ils  en  rectifièrent  le  nom 
qui  était  ffOupia<,  c'est-à-dire  eU'OpottaçTo  Havrpo,  daoé  lé 
Château  de  la  Belie»  nom  donné  ici  à  beaucoup  de  château  x 
francs  i  en  souvenir  de  leurs  belles  châtelaines  françaises  « 
comme  dans  llle  de  Zea,  en  Tzaconie  près  d' Astros»  et  dans 
le  Magiie.  Près  de  ce  château»  ils  me  décrivirent  utt  en- 
droit appelé  KoxxfiiXa;  ce  qui  signifie  ossements,  pbrce  qu'on 
y  avait  enterré  les  os  des  chevaliers  motts  en  ce  temps 
dans  quelque  grande  bataille.  Je  résolus  d'aller  m'éclai-. 
rer  sur  les  lieqx  mêmes;  Leake,  qui  en  parle  sous  Iç  nom 
de  Kokhla  au  Heu  de  Gpccal^,  dit  qu'il  n'y  est  pas  allé. 

Je  partis  donc  pour  (.eondari ,  situé  à  une  demi-heure 
seulement  de  Samara.  Leondari  ne  saurait  être  YeligOstii 
parce  que  Veligosti  est  en  plaine  et  que  Leondari  est  tout 
kifaitsur  le  haut  d'une  moj^tagne  à  l'entrée,  du  MakryrPla* 
gi.  Je  n'avais  pas  de  lettre  d'introduction  et  il  n'y  a  pas  d'au- 
berge. Je  miadressai  à  un. papas  qui  était  assis  .à  causer  et 
lui  demandai  où  je  pourrais  trouver  une  chalati  (balcon  de 
bois  à  la  turque]  pour  cpucher.  Un  jeune  hommsi  quipausait 
avec  lui,  m'ofîrit  fort  ol^iigeammeut  sa  maison,  que  j'accep- 
tai. Avant  d'y  monter  j'allai  voir  l'église,  qui  est  une  des 
plus  anciennes  et  certainement  une  des  plus  jolies  de  Grèce. 
Je  la  crois  du  dixième  bu  du  onzième  siècle  et  antérieure  à 
Andronlc ,  qui  fut  le  grand  bâtisseur  d'églises  de  ce  pays. 


484  OmiGB  GONTINBNTAIiB  BT  MOBBE. 

Il  y  a  deox  dômes,  el  le  premier»  qui  est  enr  ayant,  est  d*OBe 
forme  très-rapprochée  de  Tantique  et  me  rappela  un  pea 
la  tour  des  vents  à  Athènes.  Dans  rintérieur,  an-dessus  de 
réglise,  est  une  double  galerie,  comme  à  Saint-Luc  Quel- 
ques restes  de  marbres  épars  ci  et  là  et  un  grand  nombre 
de  colonnes  de  marbre  dispersées  alentour  prouvent  que 
cette  église  a  dû  être  câèbrc  autrefois.  Je  crois  qu'elle  ap- 
partenait à  un  monastère.  Les  Turcs  Font  complètement 
gâtée  en  faisant  construire  en  face  une  sorte  de  portique, 
à  droite  un  gros  mur  portant  le  minaret  et  à  gauche  une 
école.  En  abattant  tout  cela  on  aurait  certainement  la  plus 
jolie  petite  église  que  j'aie  vue  en  Grèce. 

En  prenant  possession  de  mon  logement,  je  fus  émerveillé 
de  la  prévenance  de  mon  hôte.  C'était  un  jeune  ménage  et 
je  craignais  qu'on  ne  se  gênât  pour  moi,  car  on  m'offrait  café 
et  tout.  Je  me  contentai  de  demander  de  la  limonade,  en 
recommandant  à  mon  agolate  d'aller  acheter  des  citrons  : 
mais  il  revint  en  me  disant  que,  sur  ma  première  demande, 
le  mattre  de  la  maison  était  allé  prendre  les  seuls  citrons 
qu'il  y  eût  dans  la  ville.  Je  lui  dis  d'acheter  un  poulet  : 
l'hôte  ordonna,  sans  me  laisser  le  temps  de  refuser,  qu'on 
sacrifiât  un  des  siens,  et  il  me  fit  servir  avant  tout  d'excel- 
lent café.  Je  craignais  d'émettre  un  désir,  lorsqu'heureu- 
sement  j'appris  qu'il  était  propriétaire  d'un  petit  café  sur 
la  place  de  Leondari  et  qu'ainsi  sa  politesse  ne  lui  serait 
pas  onéreuse  puisque  j'étais  autorisé  à  payer.  Je  n'en  fus 
pas  moins  reconnaissant  de  ses  bons  soins. 

Nous  montâmes  ensemble  au  château  de  Leondari  ;  d'an 
côté,  c'est  un  précipice  assez  formidable  :  et  cependant  ce 
fut  parla  et  à  l'aide  des  pointes  de  rochers  que  nous  parvîn- 
mes à  monter;  ce  qui  me  prouve  une  fois  de  plus  qu'il  n'y 
avait  pas  de  château  si  fort  que  l'on  ne  pût  escalader  oa 
surprendre  par  l'endroit  même  qu'on  croyait  le  plus  iropre- 
nable.  De  loin  tout  énorme  rocher  paraît  uni,  mais  en  se 
rapprochant  on  aperçoit  des  fissures  et  des  vides  qui  aident 
à  s'élever  jusqu'en  haut.  Je  l'avais  essayé  en  Eubée,  dans  le 


MAKRY-PLAGI.  485 

Taste  château  près  d*Acbmet-Aga,  et  j'y  parvins  bien  plus 
aisément  ici  puisque  le  rocher  est  fort  peu  élevé.  Dans 
l'intérieur  du  château  sont  quelques  citernes,  quelques 
restes  d'églises,  des  ruines  de  murailles  et  de  tours.  C'est 
une  construction  franque,  mais  qui  ne  paraît  pas  avoir  été 
fort  redoutable. 

A  quatre  heures  et  demie  du  matin,  je  me  mis  en  route 
pour  trouver  mon  château.  Au  lieu  d'aller  par  un  chemin 
de  montagne  que  l'on  m'indiquait,  je  préférai  suivre  le  der- 
vend  jusqu'au  khani.  Par  là  je  pouvais  voir  le  Makry-Plagi 
(longue  côte),  position  importante  pour  moi,  et  j'avais  un 
chemin  moins  rude  pour  les  chevaux.  En  nous  arrêtant  à  la 
foiitaine^  près  de  l'embranchement  qui  conduit  à  Court-Aga, 
un  paysan  se  joignit  à  nous  et  je  le  questionnai  sur  mon 
château.  Il  me  répondit  :  qu'il  le  connaissait  fort  bien,  qu'il 
fallait  aller  jusqu'au  khani  et  que  là  je  trouverais  un  guide, 
parce  que  le  chemin  est  tout  proche.  Il  ajouta  des  rensei*  * 
gnements  nouveaux  à  ceux  de  la  veille,  et  me  dit  que  ce 
château  était  connu  sous  le  nom  de  Gardiki.  C'était  préci- 
sément la  position  que  je  cherchais.  A  six  heures,  j'étais 
arrivé  au  khani.  Un  gendarme  de  la  station  me  trouva  un 
homme  de  Charidis  qui  connaissait  fort  bien  ce  lieu ,  et 
je  partis.  Après  une  heure ,  nous  arrivâmes  à  une  petite 
colline  qui  domine  un  ravin  fort  pittoresque.  Nous  avions 
traversé  plusieurs  torrents  sans  eau  et  avions  vu  se  dé- 
rouler devant  nous  toute  la  longue  côte  jusqu'à  Sakona.  Là  le 
spectacle  devenait  beaucoup  plus  beau  :  nous  étions  près 
d'une  fontaine  et  avions  devant  nous  une  vallée  étroite  qui 
va  s'élargissant  peu  à  peu  jusqu'à  ce  qu'elle  finisse  dans  la 
grande  plaine  de  Lacos  :  car  Lacos  est  cette  vaste  plaine  où 
sont  les  villages  de  Meligala ,  Malta ,  Bouga ,  etc.,  et  une 
vingtaine  d'autres  villages  où  on  parle  grec  et  non  albanais. 
Cette  position  de  Lacos ,  qui  n'est  nullement  la  Laconie, 
était  un  renseignement  précieux  pour  moi  et  j'en  vérifiai 
l'exactitude.  La  profonde  vallée  dans  laquelle  j'entrais  est  en- 
tourée d'une  enceinte  de  montagnesà  pic,  mais  donttous  les 

41. 


48t  ORÈGB  GONTIIIMITAU   BT  MOREB. 

flancs  sont  reTétos  d'arbres  qai  en  l^ehent  Tâpret^.  La  pins 
Ittute  de  toutes  ces  idontagoei  est  rudleoitsa.  Et)  avant  de 
ruelienitza  se  détache  nrie  montagne  fort  pittoresque  t  son 
sommet  porte  le  chflteau  de  Gardiki,  Gardikion-Ga^troi 
comme  me  le  répéta  souvent  mon  unide  ainsi  que  plusiears 
hommes  dn  pays.  Le  village  de  Gardiki  était  autrefois  une 
ville  iroportinte.  Cbalcocondyle  Técrlt  KapSuctn  et  dît  qu'elle 
fdt  prise  par  Mahomet  II  eti  i(i60.  Snr  la  droite  de  ce  soffl" 
met,  un  peu  pins  bas^  se  détache  dé  la  montagne  un  énorme 
rocher  arrondi,  comme  une  tour  gigantesque  qui  survi^iUe 
TaUnie  voinn.  Ce  rocber,  si  piit^eëqtie  dans  sa  lidrme,  l'eA 
aussi  par  sa  couleur ,  car  les  arbl^  le.  râvêtenf  comme  le 
lierre  revêt  les  viemt  cbâteauii  en  laissant  voir  de  tempd 
à  autre  une  partie  de  s^  flancs  rougeâlres.  Pour  arriver 
ft  la  montagne  de  Gardiki»  on  tourne  un  ravin  û*\k^  sort  uli 
totrent  qui  tomberait  en  magnifique  ca^cade^  s'il  y  avait 
'  dé  l'eau  :  car  les  rochei*s  bont  placés  de  manière  à  faire  com« 
prendre  toute  la  beauté  de  Ces  cascades  au  jour  qù  l'eau  ar* 
rive.  Près  du  point  où  ce  rocher  va  rencontrer  l'autre,  ses 
flantis  s'ouvrent  et  s'arrondissent  eii  un^  grotte  qui  est  mas- 
quée par  les  avant*ements.  du  rocher.  C'est  là  qii($  les  Grecs 
se  retirèrent  pôdr  éviter  Ibrahim  :  c'est  là  que  la  Chronique 
de  Morée  représente  le  grand-domestique  se  cachant  pour 
ne  pas  être  pris»  Le  pasasge  de  la  chronique  de  Moi*ée 
ne  laisse  pas  de  doute  sur  la  ritualion  de  Gardiài. 

,  .    'ESUÇ'HXEV  ayd)  tU  <nnqXptiov  «va 
JJioZ  ^Tov  IçtJà  elc  8<io  ^opvi,  i<5ta  si<  pitav  X^yxolda. 
'ËX6Ï  ftcsu  2vt  iT^(Mpoy  TO  nitix^  xh  r«p8ixiv  (p.  125)* 

•  » 

Gomme  cette  |[randevbataiile  eut  lien  en  venant  de  Galami 
vers  la  Longue  Côte  t 

'£x  T&  K«>^.ui  èfi^y\yu,y ,  &ir«Yii  «  to  Moxpi»  içkéyi,  (p^  123)» 

Ge  DO  peut  être  évidemment  que  là^  Je  montai  nu  aom^ 


OABOIRI.  487 

met  de  la  montagne  par  le  chemin  le  pins  rocailleux  et  le 
plus  difficile.  Il  est  impossible  que  jamais  les  chevaux  aient 
pu  pénétrer  jusque-là.  Arrivé  à  uUe  assez  grande  baut^Uri 
à  une  heure  environ»  on  rencontre  déjà  les  muraillet»  de  la 
première  enceinte;  mais  il  faut  marcher  plus  d'ode  demi- 
heure  pour  arriver  au  sommet.  Un  peu  plus  haut  qhft 
cette  première  enceinte,  je  trouvai  des  ruides  d*at)ciennea 
maisons;  puis,  un  peu  plus  haut;  les  ruines  d'une  église^ 
En  dédains  sont  epcore  de  nombreux  morceaux  de  marbrei 
sur  l'un  desqueisje  vis  1$^  croix  ancrée  de^  Ville-Hardoin.  A 
côté,  le  long  de  la  qauraiile,  était  un  grand  moreeaq  de  mar- 
bre de  trois  pieds  de  largeur  spr  deux  et  demi  de  hauteur  s 
c'est  un  morceau  antique^  probablement  d'un  tombeau  ;  la 
travail  m'a  paru  romain;  les  figures  sont  fort  maltraitées.. 
Le  bas-relief  représente  trois  personnages  debout;  les  deux 
derniers  tiennent  à  la  main  un  masque  de  forme  plqs  grande, 
J'aurais  désiré  pouvoir  l'emporter  à  Athènes,  mjais  il  est  si 
lourd  qu'il  eût  fallu  un  mulet  pqur  le  charger.  Il  y  ,a  aussi 
çà  et  là,  au  dedans  et  ^u  dehors  de  cette  petite  chapelle,  qui 
n'a  pas  un  seMl  autel  de  /orme  latine,  plusieurs  autres  frag- 
ments de  marbre  sculptés  vers  le  trieizième  siècle.  La  iTortO'* 
resse  s'élève  jusqu'à  la  cime  la  plus  élevée ,  où  on  trouve  en** 
core  des  ruines  de  pans  de  murailles.  De  là  le  seigneur  de  Gar- 
diki  *  pouvait  surveiller  très-exacten^nt  ce  qui  se  passait, 
car  on  voit  d'une  part  la  mer  de  Cailamata  et  dç  l'autre  la 
mer  d'^rçadia ,  et  au-dessous  de  soi  je  mont  Ithome  et  la 
plaine  de  Lakos.  Cette  église  de  \  t^  KoauaXqL  est  certaine- 
çient  le  couvent  de  Pbaneromeni  de  la  Chroni(|ue.  Les 
Francs  arrivent  de  Calami  vers  jVlakry-^lagi  et  la  montent 
à  revers. 

Kal  Trpixu^j^cV ,  Jcal  lawaàv  àTtflcvw  iU  tJjv  f «jr^iv , 
*È7n55yi(JaV  xi  lYxpujjLfxa-ta  Ixèivwv  twv  'Pwfjt-aCwv  (p.  l25). 

4  Phrantzi  menticHUiè  (p.  405)  %u'en  696S  (lîeb)  l'approche  de 


488  GRECE   CONTIIIBBITALS  BT  MORES. 

Cette  position  de  la  petite  église  convient  à  merveille 
avec  celle-ci.  Elle  est  an  pied  da  fort  Gardiki,  où  se 
fit  l'attaque,  et  c'est  protnblement  en  mémoire  des  morts 
ent^rés  dans  ce  caveaa  ou  cette  église,  car  le  texte  ne  dit 
pas  si  c'était  un  caveau  ou  une  église,  que  le  nom  des  'ara 
K&ocoXa  lui  a  été  conservé.  Les  traditions  du  pays  sont  pres- 
que toujours  fondées  sur  un  fait  historique  que  le  temps 
obscurcit,  mais  dont  la  source  est  réelle.  Le  Goccala 
est  un  petit  emplacement  situé  en  bas,  au  delà  de  la  rivière. 
Il  y  a  une  petite  église  en  ruines  où  on  a  enterré  proba- 
blement les  hommes  morts  dans  cette  grande  bataille  dont 
la  tradition  a  été  défigurée.  Tantôt  on  y  substitue  le  même 
récit  que  dans  la  chanson  du  Château  de  la  Belle;  tantôt 
on  suppose  que  ces  chevaliers,  trahis  après  dix  ans,  furent 
précipités  du  haut  du  rocher;  tantôt  ce  sont  des  guerriers 
qui  ont  combattu  avec  les  Grecs  du  château  ,  et  leurs  os 
ont  été  déposés  à  l'endroit  où  ils  avaient  péri.  De  là  le  nom 
de  Goccala,  que  Leake  défigure  en  Kokhla. 

Je  restai  une  demi-heure  à  bien  me  rendre  compte  de 
cette  position,  et  j'allai  rejoindre  mes  chevaux  ;  je  les  avais 
laissés  près  de  la  fontaine,  car  ils  ne  pouvaient  pénétrer  au 
delà. 

Charmé  de  ma  visite  au  château  de  Gardiki  et  de  mon 
inspection  du  MakryPiagi,  je  revins  au  khani  où  je  res- 
tai jusqu'à  quatre  heures  à  causer  avec  les  habitants  du 
pays;  puis  je  montai  à  cheval  et  allai  jusqu'à  la  fon- 
taine de  CourtAga.  Comme  la  lune  se  levait  de  bonne 
heure,  je  pensai  qu'au  lieu  d'aller  à  Leondari  je  pourrais 
aller  à  Caritena  par  Court-Âga  et  j'eus  raison.  La  route 

Mahomet  II  força  les  habitants  de  Leondari  à  quitter  la  ville  et  à 
se  réfugier  à  Gardiki,  dont  il  fit  le  sii^ge  et  qu'il  prit  :  sv  Bl  Tb) 
rapStXTj  à;  tffj^uporepov  aÙTOÎî  (Leondari)  eioYÎXÔwv  uXa)^- 
69)vai.  Il  parle  aussi  d*jun  petit  champ  qui  était  placé  au-dessous, 
£y  Ttvi  ireSup  (xixpcj),  et  où  Mahomet,  malgré  sa  promesse,  fit 
égorger  les  habitants,  femmes  et  enfants^(p.  406). 


L*ARGADIE.  489 

de  Court-Aga  est  fort  bonne  et  surtout  extrémenoent  belle , 
c'est  un  véritable  paysage  arcadien  du  plus  gracieux  style. 
Des  champs  de  maïs  du  plus  beau  vert  et  des  vignes  d'une 
belle  verdure  aussi  sont  placés  près  de  champs  cultivés  de 
toute  manière.  Des  deux  côtés  deux  petites  collines  boisées 
lesentourent,  et  tout  cet  horizon  est  ceint  de  belles  montagnes 
boisées.  Le  temps  était  superbe,  les  cigales  moins  bruyantes 
du  côté  de  la  forêt  laissaient  entendre  le  chant  des  rossi- 
gnols :  chose  rare  cette  année,  car  les  cigales  avaient  telle- 
ment multiplié  qu'on  n'entendait  qu'elles,  et  que  les  oiseaux 
paraissaient  muets ,  humiliés  de  cette  rivalité.  Je  traver- 
sai la  rivière  d'Alpbée  à  gué  presqu'au  hasard  ;  mais  il 
faut,  dans  un  voyage  en  Grèce,  livrer  beaucoup  à  la 
fortune.    Pendant  une  heure  environ  nous  marchâmes 
dans  l'obscurité,  car  le  soleil  finissant  et  la  lune  commen- 
çant étaient  cachés  à  la   fois  par  les  montagnes.  Enfin 
une  lune  bien  claire  s'éleva  au-dessus  de  l'horizon;  et, 
par  une  température  délicieuse,  nous  fîmes  route  jusqu'à 
Garitena ,  où  j'arrivai  à  neuf  heures  un  quart.  Pendant 
que  j'étais  au  khani ,  j'eus  une  preuve  de  l'activité  de  la 
gendarmerie  et  de  sa  surveillance.  Mon  garde  me  dit  qu'il 
était  obligé  de  retourner  au  khani  sans  m'amener  par  Gha- 
ridis,  car  la  gendarmerie  lui  demanderait  compte  de  moi. 
Gette  sévérité  était  nécessaire  après  tant  d'années  de  dé- 
sordres et  une  habitude  incarnée  de  la  vie  klephtique. 


XXVIII. 

GORTYS.  —  PÂIOHBA.  —  ACHOVA.  —  UODORA. 

Je  voulais  consacrer  encore  une  journée  à  mon  cher 
Garitena  et  n'en  partir  qu'à  trois  heures.  J'avais  pris  un 
caporal  de  gendarmerie  à  cheval  et  un  agoîate  du  pays  pour 
m'indiquer  la  route,  que  mon  agoîate  ne  connaissait  pas.  Je 


490  GRÈGE   GONTiNCrtf  AtE    ET    MOREB. 

deAcefidis  de  Gâdtend  par  nil  antre  ratiti  de  Vk  inbtttSgn^ 
EU  Ims  est  une  ntnatirin  fort  pittoresque  :  lé  chèîliill  pSi^ 
entre  deux  hautt  rochers  droits  et  rtipprochés  &  dit  piedi 
l*bn  de  l'autre,  et  on  arrive  à  une  branche  de  l'AÎph^e  i}di 
ta  rejoindre  le  cours  principal  8  travers  ud  lit  de  rëchers: 
De  là  jusqu'à  un  pont  sur  le  Gorijdos  la  rbute  Offre  peu 
de  variétés;  en  regardant  du  côté  de  CaHtena  elle  est  pM 
belle,  car  son  thfttead  se  présente  alors  sdus  sa  forAe  là 
plus  élégante. 

Une  deniî-hetore  après  avoh*  passé  le  Gortyhds ,  et  lon« 
jours  en  inohtânt,  j'arrivai  aux  murailles  de  l'aflâque 
Gortys,  située  bu-dessus  d'un  ravin  fbrt  escarpé  dani  lë^ 
qbel  coule  le  Gortyiios.  Lés  murailles,  conservées  appar-2 
tiendent  à  racropotls;  ce  sont  des  pierreb  éitormes  di 
six  à  sept  pieds  de  longnenr^  La  porte  a  une  formé  par^ 
ticuliêre  :  les  murs  d'enceinte  se  terniihent  en  un  angle 
qui  s'ouvre  ^  de  manière  à  joindre  les  deux  côtés  de  ta 
porte  qui  forment  les  deux  prolongements  de  l'angle; 
£lle  est  placée  sur  le  côté  oppo^  dé  la  rolite  de  €ari« 
téna  entre  Atticblo  et  la  rivièrei  Le  mur  se  coniinlië  an-* 
dessus  du  fleuve,  qui  i  de  l'autre  côté  du  raviii,  est  bordé 
par  un  précipice  considéridile.  Je  restai  une  demi -heure 
ati  milieu  des  ruiïies  de  Gortjrs  et  remontai  à  cheval  apt^ 
une  petite  chdte  au  milieu  des  grosses  pierres  de  Gorty^ 
Conxme  je  prétoyais  bien  l|u'il  serait  liiiit  au  moment  de 
notre  arrivée  à  Dimitzana ,  et  que  les  chemins  sont  dé- 
testables ,  je  me  décidai  à  passer  la  nuit  au  village  de 
Marcou.  Au-dessus  des  montagnes  de  ce  pays  sont  de  vastes 
plaines  dans  lesquelles  cTt^slseui  des  raisins  en  abondance. 
Les  vignes ,  au  milieu  desquelles  sont  de  petites  bastides 
assez  éléga.utes,  appartiennent  presque:  en  tfrtalHé  à  des 
habitants  de  Zatouna  ou  de  Dimitzana,  et  les  habitants  du 
villëge  de  MarCou  n'en  possèdent  que  fort  peu:  Au<les$us 
de  cette  haute  plaine  s'élèvent  entore,  les  sommets  su-^ 
périeurs  des  montagnes ,  qui  ne  semblent  plus  que  des 

'^ts  fort  ordinaires,  quand  on  ne  voit  pas  au  fond  les 


|Q|i«eft§q  rayjft§  qui  Iqs  s^parfîal  4e  U  haute  pl^iqe  |i  la- 
Çm^Ue  4e  Ipin  ils  p^fijisseat  jpinfs,  ftlarcpu  esst  ?itué  ^uç  1@ 
gflp^g^fit  |e  plfi^  élWé  d'upe  de  cps  mqptagn§§;  et  qn  y 
jnQfll^  par  u^  senljfc  étroit  et  presigm^  i,  pic  daps  ufl§ 
cplljpie  4è  teff e  ftialilp  çt  ppfïductive.  I^n^  femajae  annonce 

r^pprbpjjfi  4u  pillage ,  ^uqupi  pîj  q'?rny§  m'm¥  ayftir 

iPjipn^  deq^  flH  ^rflis  fpiîj  ^ptouf  fl^  rqyîfls  prafgftd^  ç|  ri^r 

Îjdes,  §ssfif  flaïjgerepx  Rî(ri^  pesu  <le  çopsi?^ppedf;  |a  terçe. 
.fi  Bn§  gîte  liaus  )3*  ^fl^isqa  quj  ii)g  çeipb}^  la  ipejUeure, 
^t,  cçijppp  riïr  étfil  '^  yi(  ^  pptls  h^uf^wp  de  ja  ïpqpî 
tfinfi ,  JÇ  pri^  Ip  pani  fj^  ç\Qpj\\c  ^^pg  l'i^^éri^HP  de  jd 
ipaisop }  pais  jg  mp.  Ipy^j  plu§  faljgvié  que  §j  j'eqsçe  çlpçipi 
pu  plem  air  sur  p  terrain  «nj.  |lç;  p^pqH^f  ^i^r  iP^MP* 
j'étais  fpuçjié  ipfflft^il  loi^lfis  SQftes  de  fpnfleraeut?  qpj  utP 
blessaient  psirtouf  et  m*en^ec))aiept  d^  trouver  (|i  up  bop 
endrqit  ui  j^pg  bpupe  positiou,  ^e  piP  feini^  eq  fqqt§  d§  bpp 
p[)ç|tip.  Qp  de^ppnd  4^  iilarpQn  pouf  ajler  à  pitpjtziin^  p^r 
une  peu|e  de  terre'  fpf ^  Rpjdp,  Mpq  çj^eval  tr^l^uçha  à 
l'endroit  le  plus  étrpit  et  le  plus  pérj||eux;  n^ais  je  me 
méfiais  4e  lq|  et  le  relevai  ayec  jigsez  4e  l^qnjieur  ppqr 
gu'il  écl^app^l:  à  un  secpnd  luauyais  pas,  situé  à  rendrqjt 
piêrp^  ^^  Il  deyajt  pprter  sfs  pieds  en  sp  rejev^pt.  }\  s'^p 
fallut  peu  qq  ij  pe  r^\\\è.\  dans  ip  préqpipp ,  pt  mpi-^pême 
ayec  lui.  Ep  (Qurqânl  }a  mqpt^gqe  pioqilppa  îipparaît  §Hr 
la  haptcpr  4?p^  pqe  fprl  bejle  sifuajion,  ^\  l^  prpfppde 
vallée  située  jjp  bfis  e^  lopt  à  fait  bpllp  de  verdure  et  4*SP- 
cidents  de  riyjèrps  et  4e  pipplagnes.  Le  flSP^e  PRrtyRps 
poule  dans  un  ravin  profoq^»  tljen  bqisé  4e  h^pt  ep  jjfis,  et 
des  vignps  et  des  kalarabokki  ^-pvêlept  fous  jes  tpf ifes  pt 

!  putes  les  petites  yal|ée§  iptefiuédiaires.  L'^scensipp  est 
qrt  rude  du  pont  4e  piniitzana  jusqu'à  ja  villf^.  pi|njtz^pa 
est  une  assej^  gran4e  yille  pour  ce  pays-cj.  Jp  fpquvaj  d^ps 
les  fues  de§  preuves  d'une  grande  activité  de  tfqvaij. 
jout  le  monde  sefnbl^jt  ^rlis^ri.  Je  restai  guelqqp  temps 
sur  la  place  à  attendre  inpn  cpn§ki,  qtt'qn  nie  d^ésigp^  c|)ez 
fc'  ^crét^ïre  de  |^  ipuqicjpî||jti  C'e§t ïjj  gqp  i'eçs  ')':pçpns^ 


49)  GEECE  CONTINENTALE    ET    itOREË. 

de  bien  apprécier  le  sort  malheareax  des  gens  obligés  mal- 
gré eux  d'êlre  en  représentation  quand  le  corps  demande 
on  repos  complet  L'excellent  secrétaire  de  la  dimarchie 
me  donnait  Thospitalité;  j'étais  donc  forcé  de  l'écouter  et 
de  faire  fort  bonne  mine,  au  lieu  de  me  reposer,  car  après 
tout  c'était  en  lui  acte  de  bon  cœur  et  d'hospitalité.  Golo- 
cotroni  venait  d'arriver  en  même  temps  dans  la  ville  pour 
passer  un  mois  des  grandes  chaleurs ,  car  dans  ce   lieu 
élevé  la  chaleur  d'août  est  plus  supportable.  C'était  un 
événement  pour  le  pays  dont  il  désire  conserver  l'inféoda- 
lion.  Après  le  déjeuner  je  me  mis  en  marche  pour  voir  les 
restes  des  murs  de  l'antique  ville  hellénique.  On  les  re- 
trouve en  plusieurs  endroits  dans  la  partie  la  plus  haute 
de  la  ville.  On  croit  que  c'est  l'ancienne  Theisoa.  Les 
grosses  pierres  helléniques  du  mur  antique  forment  là 
plusieurs  assises  bien  marquées  :  on  en  remarque  aussi  dans 
plusieurs  autres  endroits  de  la  ville,  employées  dans  la  con- 
struction des  maisons.  On  retrouve  aussi  dans  les  champs 
un  grand  nombre  de  monnaies  antiques ,  d'ai^ent  et  de 
cuivre ,  et  j'en  ai  acheté  une  trentaine  ;  de  toutes  les  bou- 
tiques et  de  toutes  les  maisons  on  m'en  apportait.  J'allai 
de  là  voir  l'école  :  elle  avait  une  grande  réputation  du 
temps  des  Turcs  et  existait ,  dit-on ,  avant  la  conquête 
turque.  £lle  a  fort  décliné  sans  doute ,  car  il  n'y  a  plus 
qu'un  professeur*  Il  me  reçut  avec  le  dimarque  et  plu- 
sieurs papas  dans  la  salle  de  la  bibliothèque.  J'examinai 
les  800  ou  1000  volumes  qui  la  composent ,  il  y  a  beaucoup 
de  bonnes  éditions  ;  c'est  le  don  d'un  monastère  voisin.  Il 
y  a  dans  les  environs  deux  monastères  assez  riches ,  mais 
ils  n'ont  plus  ni  livres  ni  manuscrits.  Il  reste  deux  manuscrits 
pieux  à  Dimiizana ,  un  évangéliaire  et  un  livre  de  prières 
qui  me  semblent  être  du  quinzième  siècle.  Un  manuscrit 
de  l'Évangile  sur  vélin ,  qu'ils  possédaient  et  qu'ils  disent 
fort  ancien  ,  a  été  envoyé  à  la  bibliothèque  publique  d'A- 
thènes. De  Dimitzana  je  me  rendis  à  Arachova,  l'Ara- 
chova  de  la  Chronique,  Là  je  trouvai  bien  la  bonne  eau 


AR  ACHO  V  A .  —  l^ALOlt  B  A .  493 

de  source  ou  de  citerne  dont  parle  le  chroniqueur  grec  ; 
mais  je  ne  pus  trouver  le  château,  qui,  suivant  ce  qu'il  dit, 
était  fort  petit.  La  vallée  d'Arachova  est  fort  jolie  et  de- 
vait être  un  fort  bon  fief  quoique  petit;  et  le  château  pou- 
vait être  dangereux,  puisqu'il  commande  une  route  fré- 
quentée. Tout  à  côté  de  lui,  à  une  lieue,  à  Ylongos,  exis- 
tent les  ruines  d'un  château  franc.  Tout  le  pays,  au  reste, 
et  la  partie  située  au  nord  d'Àrachova  portent  les  plus 
nombreux  vestiges  du  moyen  âge.  On  y  retrouve  le  pays 
d*Akhovaes  avec  le  château  ruiné  appelé  encore  aujour- 
d'hui Galatas  ;  puis  sur  le  Ladon ,  au-dessus  d'un  autre 
château,  à  Glanitza,  le  pont  de  la  Dame  (yetpupY)  t^ç  Kupaç), 
et  une  tour  tout  près  de  là  :  à  l'ouest  de  Galatas,  dans  le 
même  pays  d'Akhovaes,  est  la  montagne  de  Yretembouga 
(frc-Tempiau  f  frères  du  temple),  sur  laquelle  sont  les 
ruines  d'un  vieux  château  ;  c'était  l'un  des  établissements 
des  Templiers,  qui^  dès  le  commencement  de  la  conquête 
franque,  furent  dotés  de  quatre  fiefs  S  ainsi  que  l'Hôpital 
Saint-Jean  de  Jérusalem  et  l'ordre  des  Allemands  ou  Teu- 
tonique.  Près  d'Androusa,  dans  le  pays  de  Calamata,  est 
un  lieu  appelé  encore  aujourd'hui  Spitali ,  qui  faisait  sans 
doute  partie  de  la  dotation  de  l'Hôpital  Saint-Jean.  C'est 
surtout  dans  la  Messénie  et  dans  l'Arcadie  que  les  châteaux 
francs  étaient  multipliés. 

Je  quittai  Arachova  pour  aller  prendre  gîte  à  Palomba 
à  deux  lieues  de  là,  où  l'on  trouve  une  caserne  de  gendar- 
merie et  un  petit  village  situé  sur  un  tertre  allongé ,  au- 
dessus  d'une  plaine  qui  descend  m  partie  jusqu'à  la  mer, 
qu'on  aperçoit  de  loin  bordée  par  le  cap  Katakolo  et  le 
château  de  Ponticos.  Palomba ,  malheureusement,  manque 
d'eau ,  il  faut  en  aller  chercher  dans  une  vallée  profonde 
et  boisée  qui  descend  d'Arachova.  Là  se  trouve  une  fon- 
taine fournissant  une  eau  assez  rare,  mais  fort  bonne  et  fort 
constante  ;  la  vallée  est  délicieuse.  Je  fus  reçus  à  Palomba 

*  Chron.  de  Morée,  p.  48. 

42 


494  GRÈC9  CQBiTIIIBNT4L8   SX   MPBEE. 

c))ez  Iq  dimarqMç,  hpmfPQ  ricbe  eo  propriétés  e|  bootme  ia- 
telligenti  qui  ni  U  occupé  4^  8f<s  chaoïpii,  4ans  upç  ip^ifiQP 
bien  fourpie  4'o0  qp  api^rÇQit  l9  mer  daps  1^  loia^^ip,  9^ec 
sa  j^qpe  femipe,  gr^p4fl  fit  bfillfi,  R  ipèçe,  gt  upp  pcpur  de 
n  fenimfi*  d^qn  (ypq  de  bei^pt^  rep)arqual)le  aussi,  Tppte 
cette  praçiett9e  (aaiill^  me  pqmhl^  d§  msir<IP^  de  préyeo<iP' 
ees  et  p))erçha  à  pïfi  r^t^pir  plusieui^i  jpqr^au  d^l^  dç  pe  que 
i^yai»  flxé,  ^fï^,  dçppi^  la  p^^pvjii^  pp|t  dg  paonugpp 
pa99ée  à  Ikl^rco'u  çt  }f ^  fatjgqpfi  4p  ^imit^fl? ,  jg  p^e  s^p- 
t^i?  n)eqac4  de  1^  ji^vfe,  Crj|jgpftp|,  §n'  pi'açrêtWλ  4? 
p^g  jai^r  «pbjMguer  par  h  P^adi^ ,  j^  pie  g^ç^fti  l>iep  dP 
lasser  eptrçYpIf  peç  fif^^PP^itlpûs  à  ppp  8K?qM§  ^^  fi^- 
Yrç;  car  pfitte  expe||eptf  f2|mi|}e  p^  ffl'^PïSlt  cpft^ipfiïpfipt 
pa§  laissé  partir.  Pp  |^ft^e,  PP  Grèc§ ,  egt  pireçqp^  pp  pi- 
llent pt  4evjppt  prpmptepifipt  pp  ajpj,  et  cpitq  §içiti^  s/d 
transpipt  cpiprp^  pp  1^,  Je  ^js^fflpl^  dppç  Wfs  sppf- 
fm^^  4i}  piiep^  qp*j|  fpfi  fpt  ppssjj^le  ^t  ^pptip^  ^ypc 
ap§^^  ^P  ^uit^  4^  Ippgpes  cjDiiiyq^|iflpg  politique^  î^yep  }e 
djpaj-q'pe ,  3pi ,  t)ipp  qu^appaytepapt  ^u  parti  p^wJste  pu 
rpssp,  op  capp4istriep  j  sf^yait  rppdfe  ju§tipp  ^  1^  ?f^RF^ 
^l  aspifaù  ^p  mopieut  pjH  ppp  pqys  aqfaît  upe  ppiistitpljqn 
ppliticjue  vraipipnf  gr^ue,  pt  ppu  imitée,  qïii  Ipj  pppît 
de  pfepdre  pprt  ^  ses  affaire^  ^  s^  P^îipièfe.  {1  popvpi^ait 
que  la  France  seule  avait  servi  la  jGrèf  e  avep  désintéres- 
seinqpt  et  q^P  seule  aussi  plie  ^ésjrajt  S(ip§  arrjpre-pepsée 
persppnelle  |'affr3pçl{jssemei]t  çle  |a  Grèce;  piais  il  jjéplQ- 
r«|it  les  perpétuelles  pscJH^itiprig  <ig  pptre  ppjitîgue,  qu^j  eip- 
pêçhajept  les  hoippies  prudpnî^  de  s'expospr  «|p  j-isqpe  4e 
[rpp  se  pipn^rer  nos  apiis.  ^pp  opinion  pst  Topinion  de  ja 
plupart  4^^s  hommes  éclairés  dii  parti  n^ppi^te ,  c'est-à- 
dire  des  adversaires  de  la  (^rance.  un  voit  dpnc  combien 
il  nous  serait  facile  de  réunir  (pus  les  partis  en  un.  La 
conversa tiop  du  mari  et  le  gracieux  acçpcil  de  la  famille 
me  faisaient  aisément  oublier  les  heures  et  Içs  souffrances 
qu'adoucit  un  peu  aussi ,  il  faut  l'avouer,  l'heureuse  sur- 
prise de  pouvoir  dormir  sur  uq  pi^tel^s. 


L^AL^ttÉE   M   LE   LÂtfbM.  49S 

Je  quittai  Palomba  9i  onze  heures  H  demie  et  bi'âche-i^ 
minai  vers  Hagiôs  Joaiinis,  A  deux  Heures  de  l&i  près  dé 
TAlphéë.  Tout  ce  pays  de  Llodora  est  fbrt  beau  mais  iti-^ 
cttllfe.  Lei  deux  rhes  de  TAlphée  sôilt  bordées  de  tooil-* 
tagnes  boisées  foh  élevées  et  en  pérîtes  asset  douces  i 
mA\é  la  inaih  de  J*homme  n*a  rien  fait.  HagioS-Joakibii 
€)st  un  misérable  et  |)aovre  village  où  on  né  trouve  hi  pâiii; 
ni  vio ,  bl  quoi  que  ce  sbit.  Les  hUbitatitâ  mâOgent  dll 
paAû  de  mais  et  du  fromdge.  Je  m*y  t-eposal  une  betire;  et 
allai  voir  à  dix  minutes  de  là ,  en  descendant  vers  le  LàdOtt 
prèë  de  sa  jonction  avec  i'Alptiëe ,  un  pau  de  thui'aiilë!! 
en  grandes  pierres  belléniquê§;  seul  reste  de  Tantiqûë 
Tille  d*Hertea:  Les  payéans  trouveilt  sodvëbt  des  mobttafeU 
d'argent  et  de  cuivre  dahk  ce  teh-aih ,  et  J'eti  achetai  détit 
de  buhré.  J'eus  quelque  peiné  ft  découvrir  lès  deut  fl*ag» 
metits  de  murailles.  HeriBà  était  dans  uiie  fort  belle  si- 
tuation, tin  peu  élevée  ati-dëssus  de  la  rivière  ^  mais  aiIBsl 
n'ayant  rien  à  craindre  de  ses  déboHiements. 
Un  peu  bd  descehdant  des  murs  helléniques  Vers  la  ri* 
^  tière  »  oïl  trouve  quelques  restés  h)maiOs  ,  appuyés  bbr 
la  colline  et  faisant  face  a  la  rivière  \  ce  sont  trois  otl  qdâtrb 
pans  dé  murailles  d'un  bôtlment  qui  devait  se  trouver  à 
l'entrée  de  la  ville.  En  toufnatit  la  moutague  j'avais  perdd 
de  vue  la  jonction  de  l'Alphée  et  du  Ladon ,  et  me  trouvai 
sur  les  bords  du  Ladon  ,  que  je  traversai  à  l'endroit  où  se 
trouvait  un  bac  qui  est  maintenant  détruit;  il  faut  le  tra- 
verser à  gué.  Dans  Tété  la  chose  est  assez  facile.  Je  fis  ap- 
peler un  berger  pour  uotls  diotitrer  le  gué  ;  il  entra  dans 
l'eau  devant  nous  pour  nous  l'indiquer  mieux.  Nos  chevaux 
avaient  de  l'eau  jus^lî'^tix  sangle§  i  je  baignai  mes  pieds 
dans  le   Ladon  avec  plaisir  en    m'arrêtant  sur  l'autre 
tïVé.  Je  bi'imdgihais  àvOir  traversa  l'Âlphée  in  lieu  du 
Ladoii  et  j'avatiçéi  ^délqde  tetfa|5s  hns  ihëAïnbëi  ma» 
enfin,  ne  voyant  pas  s'approcher  Bisbardi ,  qui  devait  être 
au  fond  d'une  vallée  boisée,  j'appelai,  et  j'appris  que  ce 
n'était  pas  de  Bisbardi  que  je  m'approchais,  mais  de  Bc- 


496  GmÈGE  CONTINENTALE  ET  HOBEE. 

lesî.  Je  fus  dans  une  véritable  colère  contre  mon  guide:  le 
fait  est  que  mon  agoïate  avait  peur,  si  j'allais  d*abord  à 
Bisbardi,  que  j'allasse  coucher  à  Aspro-spitia,  où  il  avait  ap- 
pris que  Tavant-^veille  on  avait  assassiné  un  homme ,  sans 
doute  à  la  suite  d*une  querelle  particulière.  Il  savait  que 
j'avais  l'esprit  peu  ouvert  à  ses  folles  inquiétudes  d'agoîale, 
et  il  avait  espéré  me  tromper  sur  la  direction  du  chemin 
au  moins  pour  la  nuit.  J'étais  d'autant  plus  contrarié  que 
cela  me  donnait  deuK  lieues  de  plus  à  faire  pour  visiter  un 
emplacement  où  je  présumais  que  devaient  se  trouver  les 
ruines  du  couvent  latin  d'Isova  mentionné  dans  la  Chro- 
nique, et  que  je  voyais  la  fièvre  disposée  à  jeter  sur  moi 
ses  serres  déchirantes.  Je  me  décidai  donc  malgré  moi  à 
suivre  la  roule  jusqu'à  Belesi.  Mais  h ,  après  un  repos 
de  trois  heures,  je  remontai  à  cheval  pour  aller  à  Bisbardi^ 
Je  commençais  à  éprouver  un  léger  mouvement  de  fièvre; 
cependant  je  tenais  à  voir  Bisbardi  et  les  ruines  d'uncou» 
vent  que  je  pensais  être  celles  mentionnées  par  Leake  sous 
le  nom  de  Paiali,  et  je  partis.  Il  fallut  cette  fois  traverser 
TAlphée ,  plus  large  et  plus  profond  que  le  Ladon  ;  mes  ^ 
deux  guides  me  le  firent  passer  dans  un  endroit  assez 
large ,  mais  peu  profond ,  et  en  levant  mes  jambes  jusqu'à 
la  croupière  je  ne  me  mouillai  que  fort  peu. 


XXIX. 

ISOVA.  —  OLYMPIE. 


A  près  avoir  passé  l'Alphée ,  je  tournai  la  pente  d'une 
montagne  et  arrivai  dans  une  plaine  plantée  de  maïs  et  qui 

<  Â  peu  dMieures  d  '  Bisbardi  prend  sa  source  le  Chalkis,  qui  bai- 
gnait autrefois  les  murs  de  Skyllunte ,  où  Xénopiion  écrivit  la  Cjf- 
ropédie,  la  Retraite  des  dix  mille  et  ses  autres  ouvrages. 


MONASTÈRE   d'iSOVA.  497 

va  toujours  s'élevant  en  pente  depuis  un  mauvais  pont  de 
pierre  jusqu*à  un  bois  qui  garnit  tous  les  flancs  des  mon- 
tagnes. Une  heure  et  demie  de  marche  depuis  Belesi 
me  conduisit  enOn  en  présence  des  ruines  que  je  désirais 
Toîr.  Elles  sont  fort  étendues  :  d*abord  à  ras  de  terre  sont 
des  restes  de  fondations  d'une  vaste  maison  qui  apparte- 
nait sans  doute  au  village  qui  précédait  le  couvent;  et  un 
peu  au-dessus  d*une  fontaine  d'eau  excellente ,  de  vastes 
ruines  de  deux  bâtiments.  I/un  était  une  grande  et  vaste 
église  latine  ;  les  murs  extérieurs  sont  conservés  presque 
en  entier,  et  on  y  retrouve  toutes  les  formes  des  églises  go- 
thiques avec  les  vastes  fenêtres  en  clives.  Une  des  faces, 
sur  le  côté  le  plus  étroit  et  occidental,  offre  une  porte  go- 
thique surmontée  de  deux  fenêtres  longues. 

  cette  église  était  annexé  sans  doute  le  palais  abbatial, 
car  on  aperçoit  des  restes  de  murs  en  saillie  qui  doivent 
appartenir  à  ce  palais  ;  et  à  côté ,  un  peu  à  gauche  en  mon- 
tant ,  est  une  petite  chapelle  du  même  style,  qui  était  pro- 
bablement le  dernier  prolongement  du  palais  abbatial.  Je 
ne  puis  douter  que  ce  ne  soit  là  le  monastère  de  Notre- 
Dame  d'Isova ,  mentionné  dans  la  Chronique  de  Morée 
avec  le  village  de  ce  nom  près  de  l'Âlphée  : 

'2  Ta  icapairc^TaiAOV   tou  'AXcpeiou  Ixeï  y^P  ÂTréaiiii^av 


Tb  Xéyouv  eîç  t)|v  'Ewxoêav  ot  xiêiravoi  JXo 


1 


Ailleurs  le  chroniqueur  précise  encore  davantage  la  si- 
tuation de  ce  lieu  en  indiquant  son  voisinage  de  l'Alphée  et 
de  Liodora  : 

T'îjv  auptov  exiVTiaav,  ^X6«v  'ç  t^jv  At$(opiav 
Tb  'jcapairorafAov  'AXcpeco^  6Xop0a  IxotO^évi^ 

Si  on  a  donné  à  cette  ruine  le  nom  de  Palais,  c'est  peot- 

*  P.  154. 
•P.  109. 

4?. 


4§S  GBÈCE   CONTINEI^TALB  ET    MOREE. 

être  par  réminiscence  du  fialais  abbatial  ;  car  il  n*y  a  pas 
le,  moindre  doute  que  ce  ne  soit  là  une  belle  ^lise  latine, 
bile  est  toute  bâtie  en  grandes  pierres  bien  taillées;  ses  fe- 
nêtres sont  ogivées  avec  soin  et  fort  grandes  et  larges ,  et 
sur  un  des  côtés  ou  aperçoit  une  des  gouttières  sculptées 
suivant  la  forme  gothique  et  représentant  un  animal  idéal 
pu  peut-être  un  lion  mal  exécuté. 

Deux  fenêtres  gothiques,  Tune  très-grande  et  l'autre 
petite  ^  subsistent  encore  ;  une  autre  est  à  moitié  écrou- 
lée ,  parce  que  les  fils  d*Âgar  (  'A^apéyoi),  les  Turcs ,  sui- 
vant le  récit  d'un  bei^er  qui  m'accompagnait,  avaient 
cherché  à  la  détruire.  L'emplacement  était  délicieusement 
choisi,  au  milieu  des  bois,  sur  un  terrain  à  pente  douce 
jusqu'à  l'Alphée  et  jusqu'à  une  autre  petite  rivière ,  le 
Tzemberogou  ou  Dragon.  Cette  situation  m'a  rappelé  celle 
du  monastère  deç  Bénédictins  de  la  Gava,  Le^  Bénédictins 
choisissaient  toiyonrs  admirablement  l'emplacement  de 
leurs  monastères  ,  et  en  examinant  ces  ruines  mes  souvè* 
nirs  se  reportaient  sur  quelques  vieux  couveiUs  de  France 
et  d'Angleterre.  Les  terres  sont  excé^llen^tes ,  de  belles  ipon- 
tagnes  boisées  s'arrondissent  en  cercle  alentour;  une  abon- 
dante fontaine  est  tout  prèSj  et  deux  rivières  presque  navi- 
gables se  dessinent  dans  le  lointain  :  c'était  une  charmante 
situation  ;  et  je  ne  pub  dodter  que  ce  ne.  soit  eelle  dli  mo- 
nastère de  bédédictind  d'Isova ,  que  l^es  Grecs  4  en  1262, 
brûlèrent  par  jalousie.  Aussi ,  lorsqu'ils  furent  battus  par 
]én  Ftancs,  crul*entHls  voir^  les  ui»  saint  Gborges  combat- 
tre à  14  tête  des  Francs  sur  itn  cheval  blanc ,  Ibs  autres 
Notre-Dame  d'Isova  les  poursuivre  de  sa  colèrei 

*AXXoi  eïiwv  ïtt  àp7((TÔ7i  tduc  ^  icéivfioç  0«ôT(faiô< 
*Owou  'tov  è(ç  'rijv  ÊtdoSotv  \  tB  fjtovotfftflpc  é)tttvO 
ïo  &aij;av  Tore  ot  Pb)|Aaïoi  elç  to  TaÇeîSt  «te^vwv  *. 

Les  Grecs  venaient  de  Mistra  dans  la  direction  de  Ghei- 
«  Page  111. 


FRINITZA.  499 

1D08;  puis  ih  s'avancèrent  sur  YeligostJ,qae  j'ai  retrouvée 
a  une  lieue  de  Leoodari  et  où  ils  brûlèrent  le  marché  et 
ne  laissèrent  que  le  Castro  ;  le  lendemain  i)s  traversèrent 
la  plaine  de  Garitena  (ils  n'attaquèrent  certainement  pas. le 
c^âte^u^  que  les  Turcs  n'ont  pas.  osé  attaquer  sous  Ibrahim 
quand  Golocotroni  l'occupait);  lé  troisième  jour  il9  arri- 
vèrent de  la  plaine  de  Garitena  dans  le  .pays  de  Libdorà 
entre  l'Alphée  et  le  Ladon  ,  qui  en  font  la  linûté  par  leur 
jonction  ;  pui£|  ils  attendirent  une  division  de  Turcs  S 
Isova ,  dont  ils  brûlèrent  le  monastère  ;  puis  ils  se  diri* 
gèrent  sur  Prinitza  ^  .  ,         .  . 

,  Jeande  Gatav^  avec  ^  trois  cent  douze  Frfmçais.n^ar- 
dia  sor .  des  milliers  de  Turcs  rét^nii;  à  Prinitza.  I^  étj^t 
sur  la  rive  gauche  de  l'Âlpbée  ;  il  s'(|vança  dans  la  di*: 
r,ec(ioa  de  Krestei^a  (au  sud.d'Qlympie  sur  l'autre  rive 
de  l'Alphée)  9  suivit  les,  bords  de  l'Alphée  en  le  ren^onunt, 
et  aperçut  de  loin  sur  l'autre  rive  l'armée  in)  périple  cara-« 
pée  à  Prinit^.que  je  crois  être  Viieza,  à  deux  lieues  ei 
demie  au  sud  de  I^ala^ 

.  La.  Gbronique  de  Morée  raconte  fort  éJpqnemment  |a 
victoire  remportée  par  les  trois  cent  douze  français  ^\  le 
chevalier  paralytique  Jean  de  Gatavà ,  qui  déclarait  l'en- 
nemi du  Gbrist  tout  homme  qui  le  verrait  reculer  ou  trem« 
bler  et  ne  regorgerait  pas  \ 

Poi^r  retourner  à  ,P(ei^si  ^j'avais  deux  rivières  à  traver» 
ser,  le  Dragon  et  l'Alphée.  La.  première  était  peu  pro* 
fonde  ;  mais  nous  passâmes  l'Alphée  dans  un  endroit  diffé- 
rent et  beaucoup  plus  profond  que  ne^  l'était  le  premier 
passage.  Mon  gendarme,  ,qui  n'était  pas  habitué  saps  doute 
à  traverser  les  torrents,  faillit  tomber  dans  l'Alphée,  qu'il 
regardait  couler  ;  ce  qui  lui  donna  le  vertige  :  mais  heu- 


«  Pag.  10.9 .... 

Pag.  lîl. 


SOO         gkèce  continentale  et  morée. 

rcasement  pour  lui  qu*un  des  guides  que  j'avais  pris  se 
tenait  à  côté  de  lui ,  conduisant  le  cheyal  ;  il  vil  comme 
moi  le  gendarme  chanceler  de  son  côté,  et  il  le  retint. 
Moi,  j'en  fus  quitte  pour  être  trempé  jusqu'à  la  ceinture; 
ce  qui  ne  contribua  pas  peu  sans  doute ,  avec  la  nuit  dore 
que  je  passai  à  Belesi ,  à  rappeler  la  fièvre ,  qui  depuis 
quelques  jours  frappait  à  la  porte.  Je  tins  bon  toutefois , 
j'avais  à  voir  Olympie. 

En  partant  de  Belesi  je  traversai  rÉrimanihe  et  suivis 
tout  le  cours  de  i'Alpbée  en  me  dirigeant  sur  Olympie.  Cette 
vallée  de  l'Alphée  est  magnifique.  Les  montagnes,  bien  boi- 
sées, n'y  sont  pas  très-éievées  et  se  groupent  de  toutes  parts 
avec  grâce.  Le  bas  des  coteaux  est  couvert  de  kalambokki, 
dont  la  verdure  tendre  est  agréable  à  l'œil.  Si  j'eusse  été  bien 
portant,  c'aurait  été  pour  moi  une  journée  délicieuse  que 
de  suivre  cette  belle  vallée;  malgré  mon  état  de  souffrance, 
je  ne  pouvais  m'empécher  de  m'arréter  de  temps  en  temps 
pour  admirer  la  grâce  de  ce  paysage.  Olympie  était  dans 
une  superbe  situation.  Bâtie  sur  une  pente  douce ,  enca- 
drée entre  deux  petites  chaînes  de  montagnes ,  et  s'élevant 
graduellement  en  amphithéâtre  au  milieu  d'elles,  elle  avait, 
au  delà  de  l'Alphée ,  une  vue  délicieuse  de  collines  ondn- 
leuses  et  verdoyantes.  Les  grandes  fêtes  grecques  qui  se 
célébraient  à  Olympie  recevaient  un  nouveau  lustre  de  la 
beauté  du  pays.  Ce  devait  être  vraiment  un  spectacle  en- 
chanteur que  de  voir  arriver  ces  immenses  populations  ac- 
courues de  tous  côtés,  et  de  les  contempler  réunies  sous  un 
si  beau  ciel  et  dans  un  si  beau  pays.  Il  ne  reste  plus  rien  dfi 
toutes  ces  grandeurs;  un  meunier  seul  a  placé  sa  maison  au 
milieu  de  Taniique  Olympie.  En  allant  à  cette  maison  on  ren- 
contre des  restes  de  constructions  romaines  qui  sortent  de 
terre,  parce  qu'elles  sont  dans  un  endroit  plus  élevé.  Olympie 
aujourd'hui  est  complètement  déserte;  car  la  verdure 
des  plaines  et  des  collines  n'est  que  la  verdure  spontanée 
des  forêts  et  des  plantes  sauvages ,  et  l'homme  m  paraît 
en  rien  dans  celte  œuvre.  De  temps  à  antre  seulement^  quel- 


OLVMPIE.  501 

ques  champs  de  mais  rappellent  que  près  de  là  existent 
quelques  descendants  du  peuple  dont  le  goût  et  la  richesse 
se  manifestent  par  tant  de  nobles  constructions.  Les  mon-* 
tagnes  voisines  sont  toutes  de  terre  friable ,  et  les  torrents, 
en  détachant  peu  à  peu  la  terre  de  ces  montagnes,  Tont  en- 
traînée dans  leur  cours  et  ont  recouvert  peu  à  peu,  avec  le 
cours  des  siècles,  la  surface  de  la  ville  antique  de  plusieurs 
pieds  de  terre.  Pour  retrouver  les  monuments  de  l'antique 
Olympie ,  il  faudrait  mettre  à  nu  le  sol  ancien.  La  com« 
mission  scientifique  envoyée  par  M.  de  Martignac  a  fait 
des  fouilles  et  a  mis  à  découvert  le  temple  de  Jupiter 
Olympien  avec  ses  immenses  colonnes  de  pierre  porique  ^ , 
et ,  à  quelques  pas  de  là ,  une  petite  église  du  moyen  âge, 
dont  quatre  colonnes  de  marbre,  placées  en  forme  de 
cintre ,  sont  assez  jolies.  On  aperçoit  aussi  à  côté  quelques- 
unes  des  pierres  helléniques  de  l'antique  Olympie. 

D'Olympie  je  repris  ma  route  vers  Pyrgos.  A  quelques 
minutes  d'Olympie  se  termine  la  chaîne  de  montagnes  qui 
l'enveloppe  dans  son  sein,  et  on  entre  dans  une  nouvelle 
vallée  moins  belle  et  moins  cultivée  encore;  puis  vient  une 
troisième  vallée,  où  la  culture  devient  active;  les  raisins  de 
Corinthe  y  abondent ,  et  on  aperçoit  de  nombreux  signes 
de  travail  ;  la  vue  est  encore  belle  et  la  culture  va  en  aug- 
mentant jusqu'à  ce  qu'on  arrive  dans  la  plaine  de  Pyrgos. 


XXX. 

PYRGOS.   —  EUS.  —  ANDRATIDA.    —  BLACHERNES.   — 

GLARENTZA. 

Pyrgos  est  une  jolie  petite  ville ,  Tune  des  plus  grandes 
de  la  Morée  après  Calamata.  Ses  maisons  sont  bâties  de 

*  Voyez  cette  description  dans  Touvrage  de  la  commission. 


509  GIIBCB   CONTINENTALB   ET   MOREE. 

[iiërreé  fohnétede  terre,  coupées  en  tranches  quadrilatères 
iilongéesi  assex  épaisses;  on  les  laisse  sécher  ad  soleil  ^  et 
ceitt  devient  nnc  espèeë  db  pierte.  Ib  font  aus^i  de  la 
métne  lnanlè^e  utle  tulle  loitgile  et  tonveie  en  faisant  sé- 
cher i^ette  telre  dd  soleil  ;  sa  snrfàce  est  rade  et  grossière 
dans  la  cbntavitë  hiais  polie  dans  la  eonreiité,  et ,  ëtl  la 
frappant)  elle  tehd  un  son  clair.  G*eét  idusi  qa'bn  fait 
àUssi  les  tulles  et  briques  en  Egypte. 

3e  dépendis  ft  Pyt^  darfs  là  maison  du  gouirernear; 
M.  Krieti,  honimc  plein  de  bienreiltancq;  fort  instruit  des 
âffilires  dé  soh  pays,  qu'il  a  servi  miliuiirement  i  et  pleiâ 
dé  sentiments  honorables  et  patriotiques;  Il  a  épousé  une 
femilie  torque  du  caractère  le  plqs  parfait 

J*avafs  décidé  de  (Miriir  dès  le  lendemain  pour  aller  vi^ 
siler.^iiicô-Gàstros  mais;  .au  liioment  de  me  mettre  en 
route ,  à.onze  heures  dn  ihatin  j  je  fUë  saisi  d*nh  trémble-> 
ment  fié?reux  irrésStîtible;  Je  touIus  dompter  ihon  mëhiise 
et  le  déguiser  et  t)artir  $  mais  la  bienveillance  de  l'excél- 
lettte  madame  Kriezi  triompha  de  mes  scrupules*  La  fièvre 
me  prit  iminédiatement  avec  une  telle  furce  que  je  fus 
forcé  dé  mettre  au  lit.  J'eiis,  pendant  tirois  heures  ;  un  ac- 
cès d'une  sorte  de  fièvre  ardente.  Je  redoutais  au  delà  de 
tout  de  tomber  malade  de  manière  ï  être  alité  chei  d6$ 
amîs  aUssI  nouveaux  poUr  lUoi.  La  certitud^e  que  j'avais 
qu'ils  auraient  pour  moi  tous  les  soins  qu'on  a  pour  un 
frère  me  rendait  plus  insupportable  encore  l'idée  de  la  gêne 
que  je  pouvais  leur  apporter.  Aussi,  dès  le  même  jour, 
pris-je  des  moyens  héroïques  ;  le  soir ,  un  médecin  me 
prescrivit  (iM.  le  docteur  Anino,  jeune  médecin  de  Céphalo- 
Oie  établi  ici),  pour  Je  lendemain  et  le  surlendemain,  de  lar- 
ges  doses  de  quinine  que  j'avais  apportée  avec  moi  de  Pa- 
ris. Grâce  à  ma  volonté  obstinée,  je  triomphai  du  mal 
^tpus,  après  (|eux  jours  seulement  d'arrêts  forcés ,  re- 
monter à  cheval. 

Le  matin  du  troisième  jour  je  sortis  de  bonne  heure  ï 
cheval  pour  aller  voir  les  ruines  de  l'ancienne  ville  de  Le- 


ti^ri  près  d'BagjQS-jQaapia.  Je  retrouvai  Iji,  $ur  te9  târrftmp 
de  M.  Fapa-§t^powlp?,  plwsj^m^  frjigweats  d^  çplQn«fis.g# 
pjwre  poriquç  qt  fes  ^^i^^s  d-un  l§i«pte  en  pierrfi§  c^rr^ 
bfiUépiqï»^  »  reyêtuqg  ^Qpre  4'un  ^«p  §pli4e  §t  pqU  .# 
tontes  part^  paa§  u^  t^rr^iQ  ¥pi^^  apRi  pJusmpr^  m\\^^ 
«iqapducs,  et,  ep  crèus^pf  de  qqfil«flQ8  pieds  ce  t^rrajn  «:^- 
pqHYpn  p^r  tes  allqyiqpf  (les  flçuyep,  pq  r^cppai^t  Ifts  vm^  . 
dos  mwailM  heUépiquep  de  te  yilj^.  Gq  lifiW  ?PÇ^  §ifls 
dppie  cpptipué  îi  être,  ^bj^  peft^^pt  te  lewpp  <J§f  Uorn^ips 
^t  gpus  te  Sas-Ç«îpire;  par  op  y  Ivmn  U»fi  gwiirte  qwim- 
lilé  de  ces  vastes  tuiles  qp*pa  p§  ^\\  plp^  If  i^ç  «p  tîcèfie 

4wHi^  bi^^  â^^  #gI^*  et  m  (liff^rppt  d§9  pgitpstpiies 

raisins  ordinaires  et  de  raisins  dg  tlpriptbe  e\  ^le  gn^xrftp 
pl^ii^^s  seqtepien»  deppi^  qn^tç-ç  §n^;  c^j;  te§T»I^Pa>^^i^"' 
iPHt  t^rft!^ .  teP^  ^P^aPÎV  I^Ç  F«i^«  rifi  Çftriinh§  ét^iit  gn 
plpiB^  Çécpjjp.  Aqssitôl:  c«eiHi ,  pp  te  déppsg  sur  PP  t^ç- 
fi|ip  ^pc  pr^par^  Jtypc  4s  Vçs«  fil  de  la  hpqçp  de  yaphe. 
J^'il  fe{>te  hujt  jopra  ^^  pêpig  si^  jqpr,^  ^  spteiL  pe 
l^'mps  ^^\  ppuç  qijp  Ip  gcaip  se  sèç^  e\  ?§  ^é^cb^. 

On  te  ffipt  fi^^H^t^  ^û  ^\^  R^"^  l'pPvqyçf  ^^  pqrppp. 
Pour  le  raisin  de  Smyrné ,  qui  est  blanc  ef  dopf  1^  grjijn 
^\  b^aucp^p  plpp  grqg.  jl  faut  ^p'il  spiç  pflgg^'  d^RS  l'eau 
pha^de  pour  ^mollir  l'pavfijpRpe ,  ^prè^  qjjpi  pp  js  ipet  dé- 
chet' 4p  1^  ipêipp  wanière,  l^  fhatepr,  ^u  spteij  §t  çellç  (Je 
la  fçrrp  produisent  rapidejflent  tepr  effet,  1^.^  partiP4- 
im  RM  acheté  pp  tpcf^ip  <i^  ^QH^^n^fflWt  I  raisQij  4e 
q^aj-^îù^  ^raphipes  te  sfrème.  C'est  beaucoup;  pp^i^  jjs 
çon^plenl  sur  i'àug^pentaljoi^  de  ja  çonso^flin^fiop  pn  Evj- 
fppp  ef  pp  Amérique,  e|  cela  est  (liflicile  à  prpif e.  4p  rept^fii 
die  1^  ^  Pyi^os»  qui  se  présente  fort  bien  i  la  vue  avec  ses 
rpajsoos  b|anclies  au  ipiliep  de  jardins,  les  alentours  de  la 
ville  oiU  quelques  jardins  de  pilVQPi^ier?.  de  mûriers  et 
d*oliviers.  l/oliyier  rapporte  apnpei(cment  ici  jusqu'à  deux 
^h^lari ,  car  la  terre  est  féconde. 
ïf:p§-décidément  l'ancien  évêché  d'Olène,  mentionné 


604  GEBCB  CONTINENTALE  BT   MOBEB. 

dans  h  Ghroniqoe  de  Morée ,  se  trouvait  à  Oiena ,  village 
aa  nord-est  de  Pyrgos  et  à  quelques  lieues  de  cette  ville. 
U  s*y  rencoatre  encore  quelques  restes  d'église.  Le  siège 
en  fut  depuis  transporté  à  Andravida ,  mais  avec  le  même 
nomd'é?èqne  d'Olène;  et  ensuite  à  Pyrgos  même,  et  tou- 
jours avec  le  même  nom  d'évéque  d'Olène.  Aujourd'hui 
Térêque  de  Pyrgos  s'appelle  évêque  d'Olène  et  d'Élide. 
Ainsi ,  quand  il  est  question  dans  la  Chronique  de  Morée 
de  l'évêque  d'Olène ,  il  ne  faut  pas  confondre  cette  ?ilie 
atec  roiène  que  la  carte  de  M.  de  Boblaye  et  celle  de  la 
commission  placent  à  Kato-Achaia. 

Le  Pondico-Gastro  est  appelé  aujourd'hui  Katakolo^ 
Castro,  parce  que  ses  ruines  dominent  le  port  de  Katakolo 
et  le  cap  du  même  nom. 

Mon  projet  était  d'y  aller  le  même  soir;  mais  je  ne  pus 
partir  qu'à  cinq  heures  de  Pyrgos,  en  prenant  congé  avec 
serrement  de  cœur  du  bon  M.  Kriezi  et  de  son  excellente 
femme ,  qui  ont  été  pour  moi  de  véritables  amis  pendant 
la  fièvre  qui  m'a  saisi  si  désagréablement ,  et  que  j'étais 
parvenu  à  dompter.  M.  Papa-Siasopoulos,  aide-de-camp  du 
général  Church,  voulut  absolument  m'accompagner  jus- 
qu'à Clarentza. 

Nous  passâmes  le  long  du  lac  de  Mouria,  laissant  à  notre 
droite  Skouro-Khori,  qui  a  peut'^tre  reçu  son  nom  du  Gil- 
bert de  Score  de  la  Chronique  de  Morée,  et,  laissant  le  fort 
ruiné  de  Pondico-Castro,  nous  nous  dirigeâmes  vers  le  cou- 
vent de  Skaphidia  pour  voir  la  tour  et  les  monuments  latins 
dont  on  m'avait  parlé.  Cette  tour  est  tout  simplement  une 
tour  carrée,  flanquée  de  quatre  petites  tours  rondes,  et 
construite  au  dix-huitième  siècle.  Comme  le  couvent  est  si- 
tué au-dessus  de  la  mer,  et  que  les  Algériens  venaient  de 
temps  en  temps  faire  des  incursions  sur  la  côte  ,  on  a  fait 
construire  celte  tour  à  l'extrémité  des  bâtiments  du  cou- 
vent, devant  l'église  et  du  côté  de  la  mer,  pour  protéger 
le  monastère  contre  un  coup  de  main.  Au  reste,  tout  Je 
couvent  est  fort  moderne  :  les  Vénitiens,  en  1686  ,  le 


GOUVSNT   DE   S&APHIDIA.  505 

4 

trouvèrent  institué  depuis  peu  et  lui  fireuf  quelques  lar- 
gesses. Des  actes,  qui  datent  du  cooimencemenl  de  1700, 
sont  les  seuls  diplômes  que  possèdent  ces  moines.  Quand  je 
leur  demandai  leur  bibliothèque ,  ils  me  répondirent  que 
les  Turcs  Tavaient  brûlée.  J'ai  cependant,  en  furetant, 
trouvé  sur  les  planches  de  la  grande  chambre  où  on  m*a* 
Yait  l<^é  quelques  manuscrits  ecclésiastiques  du  quin- 
zième ou  seizième  siècle,  évangéliaires  et  livres  de  prières, 
et  un  beau  manuscrit  sur  papier  in-folio  des  sermons  de 
saint  Jean-Chrysostome  du  treizième  ou  quatorzième  siè- 
cle. Les  moines  voulurent  à  toute  force  nous  faire  souper; 
le  sous-hégoumène  insistait  surtout,  sans  doute  pour  avoir 
une  occasion  de  manger  une  sixième  fois  gras  dans  la  jour- 
née :  car  il  me  confessa  que ,  comme  le  jeûne  de  quinze 
jours  commençait  le  lendemain,  il  s'était  prémuni  en  man- 
geant déjà  cinq  fois  de  la  viande  ce  jour-là.  Il  en  mangea 
copieusement  une  sixième  fois  avec  nous,  et  fit  de  nom-- 
breuses  libations  de  vin.  J'ai  peu  vu  ,  même  les  grands 
mangeurs  parmi  les  moines,  boire  et  manger  autant  que  le 
sous-hégoumène  du  monastère  de  Skaphidia ,  qui  a  une 
aversion  particulière  pour  les  Bavarois,  aversion  partagée 
à  l'unanimité  par  tous  les  moines  de  son  couvent. 

Je  passai  une  nuit  horrible  dans  ce  couvent.  Les  cou- 
noupia  (cousins)  se  sont  établis  maîtres  souverains  et  y  rè« 
gnent  de  la  manière  la  plus  cruelle. 

L'abbaye  de  Skaphidia  est  bâtie  dans  une  fort  jolie  si- 
tuation, au  milieu  des  bois  et  avec  un  assez  beau  jardin  de 
citronniers  et  de  figuiers.  De  là  à  la  mer,  on  descend  un 
fourré  d'arbres  au  milieu  desquels  se  trouvent ,  près  de  la 
mer,  les  restes  de  murs  romains  :  c'était  probablement  une 
tour  de  garde.  Il  n'existe  plus  que  des  pans  de  mursassez  con- 
sidérables. Nous  suivîmes  ensuite  le  bord  delà  mer,  en  lais- 
sant à  notre  droite  les  monastères  de  Franca villa  et  Franco- 
pidima;  nous  nous  reposâmes  quelques  instants  à  Kalitza 
près  de  Dervi-tchelebi,  et  arrivâmes  vers  midi  à  Elis.  Toute 
cette  route  est  une  vaste  plaine  presque  entièrement  dé« 

43 


506  GRECS  GOHTllIBNTALE   BT  HOREE. 

posmie  de  eohere  :  Mulement,  à  quelques  pas  aotoar  des 
TÎlla^Bs,  00  aperçoit  qodqaes  fignes  et  quelques  arbres  qui 
iaterronipeiit  un  peu  raridité  de  ce  disert ,  qui  serait  si 
riche  s'il  était  cultivés  car  tous  les  terrains  y  sont  bous, 
rbouniiie  seul  masque  à  la  terre.  C'est  surtout  en  Elide  que 
se  canserf  e  presque  entièreQieBt  encore  la  Imgue  de  la  Chro- 
nique de  Morèe  :  tous  les  siots  dont  elle  se  sert,  même  les 
mots  francisés,  y  sont  restés  dans  la  langue  familière.  C'est 
la  proTinoe  où  les  Français  restèrent  le  plus  long-temp& 

Pendant  que  nosagolates  préparaient  notre  konaki,  nous 
alllmes  visiter  hs  mines  de  Tanliqse  Elis ,  distribuées  sur 
un  vaste  espace  de  terrain  an  pied  de  la  montagne  qui  ser* 
vait  d'acropolis ,  et  qui  porte  les  ruines  de  Tantiqne  for- 
tere^e  renouvelée  par  les  Francs.  Cette  montagne ,  appe^ 
lée  encore  Caioscopi ,  est  celle  que  les  Francs ,  les  Latins 
et  les  Italiens  ont  tour  it  tour  appelée  Beauvoir ,  Belveder 
et  Puldimm^Yidere.  Les  Vénitiens  avaient  même  donné 
le  nom  de  Belveder  à  toute  la  province  d'filide.  Pinceurs  ' 
lettres  des  princes  de  Morée  sont  datées  de  leur  château 
de  Beauvoir,  et  on  la  trouve  mentionnée  jusq«*è  hi  fin  du 
quatonième  siècle  sous  ce  même  nom. 

Près  de  cette  montagne  ,  à  quatre  lieues  de  là  ,  est  la 
belle  montagne  isolée  de  8aint-0mer  (Santameri) ,  qui  se 
voit  de  toute  cette  plaine  d'Ëtide.  An  bas  de  la  montagne 
sont  les  deux  villages  do.  Portes  et  de  Santameri  :  denx 
noms  français,  comme  celui  de  la  montagne.  C*est  ie  sire 
Kicolas  de  Saint'Omer  qui  fit  bâtir  ,  vers  1278 ,  le  fort 
château  dont  les  ruines  se  voient  encore  sur  la  montagne  qei 
a  conservé  son  nom.  Bientôt  une  ville  oonsiitérable  se  groupa 
aotenr  du  château.  Jean  Leundavius,  dans  sa  traduction  la- 
tine de  CfaaicoaMidyle,  r^rodutte  sans  correotion  dans  l'é- 
dition de  Bonn^  commet  une  erreur  en  supposant  que,  par 
iavT«pii(Hov  icAtv ,  Chalcocondyle  a  voulu  désigner  File  de 
Sainte-Alaure;  Le  texte  de  CMcocondyie  est  au  contraire 
fort  clair,  et  désigne  bien  nettement  Saint-Omer  (Sanimneri) 
^n  Elide.  il  n*y  a  anonii  éonte  possible.  Le  lieutenant  du 


SAINT-OMER   ET   BEAUVOIR.  607 

suhan  Bedir^e  d'Acbaye  en  £iide}  il  prend  Gaia?ry ta,  puis 
marche  sur  Greveno,  qui  lui  résiste  par  la  force  de  sa  si^ 
tualion  ,  et  il  se  dirige  sur  Santamerl ,  dont  les  habitants 
loi  ouvrent  la  citadelle,  Calavryta  ^  Greveno  et  Santameri 
conservent  aujourd'hui  les  mêmes  ftoms»  bien  que  la  der** 
nicre  ne  soit  plus  qu*u&  amas  de  ruines ,  et  Greveno  se 
trouve  en  effet  entre  Santameri  et  Galavryta.  L'historien 
grec  Phrantzi  en  parle  plusieurs  fois.  Ge  fut  là  que  mourut 
en  1430  rimpératrice  Théodora  femme  de  Constantin  non 
encore  empereur»  nièce  de  Charles  Tocco  eomte  palatin 
de  Géphalonie*  Son  tombeau ,  transporté ,  comme  le  dit 
Phrantzi ,  à  Aiistra  dans  le  monastère  de  Zoodotou-^Pigi 
(Mère  du  Sauveur),  s'y  trouve  encore«  Le  même  Phrantzi 
mentionne  également  l'occupation  de  Santameri,  l'une  des 
places  les  plus  fortes  du  Péloponnèse,  par  Mahomet  II,  qui 
arrivait  du  côté  d'Arcadia  pendant  qne  son  lieutenant  mar- 
chait sur  le  centre  do  Péloponnèse  en  venant  par  l'Achaye. 
Les  béglier-beys*  qui,  suivant  lui,  occupaient  les  places  for- 
tes dé  Khlomoutziet  de  Santameri,  et  qui,  à  l'approche  de 
Mahomet  II,  se  réfugièrent  à  Corfou,  occupé  par  les  Véni- 
tiens depuis  1386,  ne  me  semblent  pouvoir  être  que  les 
restes  des  feudalaires  francs.  Santameri  ne  s'est  jamais  re-» 
levée  depuis  sa  prise  par  les  Turcs,  et  on  retrouve  aujour- 
d'hui des  ruines  considérables  d'églises  et  de  maisons  sur 
les  revers  de  la  montagne,  ainsi  que  sur  la  cime  où  était  la 
citadelle. 

La  ville  d'£lis ,  qui  e3t  dans  la  plaine  qu'imtourent  ces 
deux  montagnes,  et  qui  a  reçu  le  nom  de  Beauvoir  parce 
qu'au  milieu  de  cette  large  plaine  de  Pyrgos  elle  est  la 
seule  partie  qui  offre  une  vue  assez  agréable,  n'est  non  plus 
qu'un  amas  de  ruines.  On  ne  rencontre  pas  là ,  comme 
dans  les  autres  parties  de  la  Grèce,  de  grosses  pierres  qua- 
drangulaires,  mais  des  constructions  tout  à  fait  semblables 
aux  constructions  romaines,  mélange  de  pierres  et  de  bt*i- 

*  M7rs7).«p^7rsi^c<.  Pag.  409. 


603  G1IECE   CONTINENTALE   ET    MORÉE. 

qiios  ;  ce  sont  des  édiRces  entiers  avec  des  portes  en  ar- 
cade, ooais  dont  la  destination  ne  se  fait  pas  bien  sentir. 
Ces  ruines  assez  vastes  sont  distribuées  sur  plus  d'one 
dcini-iieue  de  terrain.  Je  me  reposai  deux  heures  an  vil* 
lage,  après  avoir  couru  au  milieu  des  champs  de  ma!s,  en 
plein  soleil ,  pour  voir  les  ruines  d*£lis  et  de  Beauvoir.  A 
deux  heures  et  demie  je  remontai  à  cheval,  et  avant  quatre 
heures  j'étais  arrivé  à  Ândravida. 

Andravida  est  aujourd'hui  un  grand  village  qui  n*est  pas 
même  le  chef-lieu  de  son  déme;  c'est  Lekhœna  qui  a  cet 
honneur;  mais  on  reconnaît  que  là  fut  autrefois  une  ville 
considérable.  La  Chronique  de  Morée  la  représente  comme 
une  grande  vide  ouverte  et  en  plaine. 

*H  y/^P^  ^  Xa(X7rpoTepv)  elç  tov  xafAirov  rou  Mopécoç. 
'ûç  X^^^P*  Y*P  ^'toXutJj  xoiTSTai  elç  tov  xafATTOV 
OwTi  icupYO^j  oixî  Ttv/ik  eTvai  7ro<r(i!>^  cî;  auT»)v. 

(P.  34.) 

J'allai  voir  trois  ruines  qui  m'intéressaient  :  l'église 
Sainte-Sophie,  où  se  rassembla  la  haute  cour  féodale  con- 
voquée en  1270  parle  prince  Guillaume  de  Yllle-Hardoin 
poiH*  prononcer  sur  les  réclamations  de  la  dame  d'Ak- 
hova  et  du  sire  de  Saint-Omer  *  ;  l'église  Saiut-Étienne , 
qui  appartenait  à  l'ordre  Teutonique  ;  l'église  Saint-Jac- 
ques, que  Guillaume  de  Ville-Hardoin  fit  bâtir  et  donna 
au  Temple  ^,  et  où  lui  et  ses  deux  fils,  GeofTroi  II  et  Guil- 

*  *Optîei  euôb;  ô  TcpiYXwra;,  ^Xôav  oî  çpXafxiroupiapot, 
Ka\  ^01  ot  xaêaXapol  ôirou  7)(7av  tou  Mopsco^, 
"OXoi  Ixaôiaav  ôfxou  sic  tJjv  ^Ayiav  Socpiav. 
''Oirou  ejxevev  6  irptYxiTcai;  Ixel  elç  r^jv  'Av$pa6($av, 

(P.  173.) 

*  '2  TOV  "Aytov  'ïaxo)6ov  Ixeï  eiç  t?)v  'Àv5paêt5av. 

'H  T^v  IxxXyjffiav  t^  eTryjXc,  xai  fôwxe  '<;  to  TéfxirXoç. 

(P.   182.) 


ANDRAVIPA.  609 

laame  P' ,  forent  enterrés  par  Tordre  de  Guillaume  II  *. 
Une  quatrième  église,  toute  nouvelle,  l'église  Saint- 
Constantin,  contient  deux  des  cinq  colonnes  de  granit  égyp-n 
tien  que  les  Français  rapportèrent  alors  de  Jérusalem. 
Quatre  de  ces  colonnes  ont  été  récemment  brisées  et  em- 
ployées à  divers  usages;  une  seule  colonne  de  granit  reste 
couchée  près  de  l'église,  à  quelques  pas  d'une  autre 
colonne  en  marbre  blanc. 

L'église  Sainte -Sophie  a  une  partie  parfaitement  con- 
servée, et  est  une  fort  jolie  église  gothique.  En  dedans  de 
l'arcade  du  milieu  sont  des  arceaux  gothiques  réunis  fort 
bien  faits.  Toute  l'église  est  en  larges  pierres  et  fort  bien 
bâtie  :  il  ne  reste  plus  que  quinze  pas  de  profondeur  ;  mais 
on  suit  le  mur  jusqu'à  cinquante  pas  au  delà  des  limites 
du  mur  conservé,  et  il  est  facile  de  voir,  par  quelques 
fragments  d'arceaux,  que  tout  le  reste  a  existé  et  a  été  dé- 
moli. On  trouve  diflScilement  des  pierres  de  ce  côté,  et  les 
habitants  ont  profité  des  ruines  pour  bâtir  à  mesure  de 
leurs  besoins.  Â  côté  de  la  grande  nef  se  trouve,  sur  la  gau- 
che ,  une  petite  nef  du  même  temps  que  l'église  et  avec 
des  arceaux  gothiques  du  même  genre;  tandis  que  la  nef 
à  droite  a  une  porte  un  peu  plus  petite,  et  qu'elle  n'a  point 
d'arceaux  gothiques  à  l'intérieur.  Elle  aura  sans  doute  été 
bâtie  un  peu  plus  tard.  Sur  le^côté  de  l'église  sont  des  fe- 
nêtres gothiques  longues  et  étroites;  et,  sur  le  derrière,  des 
piliers  carrés  gothiques  comme  on  en  voit  dans  toutes  nos 
églises  soutenaient  les  arceaux  extérieurs. 

De  l'église  Saint- Etienne ,  qui  est  plus  rapprochée  de  la 
ville ,  il  ne  reste  qu'un  pan  de  muraille  et  la  base  des  murs 
d'enceinte,  qui  ont  quatre-vingt-deux  pas  de  longueur.  Il 
me  semble  que  ce  devait  être  là  une  des  limites  de  la  ville  de 

*     Tb  JîTlêoupi  Ô7C0U  iTHQXeV  ^TTOU  ^TOV  Ô  WaTÎjp  TOU 

Elç  t))v  Se^iav  tou  t^  (Jt-epiiv  fvei  ô  d^gXcpoç  xou. 
Kal  aÙTOV  va  O^acoori  (Ep6à  xa\  6  Tuaxi^p  tou  lata, 

(P.  182.) 

43. 


610  GRECE   CONTIKBNTALB   ET   HOREE. 

ce  côté.  Tout  auprès  e»i  uu  puits  de  fort  bonne  eaa,  la  seale 
f  raiiueut  bouue  d' Audravida.  Les  Ordres  militaires  s*éuUis- 
^  saient  assez  souvent  dans  les  faubourgs  et  hors  de  la  ville,  et 
fortifiaient  leurs  églises.  Les  églises  du  Temple  étaient  sur* 
tout  fortifiées  ;  nous  en  avons  encore  un  exemple  à.  Luce^ 
près  de  Barèges,  dans  les  Pyrénées.  Quant  à  Téglise  Saint- 
Jacques*  il  n'eu  reste  rien  que  quelques  pierres  des  mu- 
railles et  les  bases  de  Tenceinie  extérieure  du  coté  de  Tau- 
tel»  mais  à  ras  de  terre.  Mon  projet  était  de  faire  des  fouilles 
en  cet  endroit  pour  retrouver  les  tombeaux  des  princes 
GcoiTroi  II  et  Guillaume  et  celui  de  leur  père,  Geoffi^oi  P^; 
mais  tout  le  monde  travaillait  alors  aux  champs ,  et  je  n*ai 
pu  trouver  personne  dans  le  village.  Si  on  ne  veut  pas  res^ 
ter  quinze  jours  à  Andravida,  il  faut  employer  à  la  fois  une 
viagtaine  d'ouvriers  à  cette  œuvre.  Au  reste»  le  lieu  est 
bien  celui  que  je  vieus  de  désigner  :  le  souvenir  du  nom  de 
cette  église  est  consacré  dans  la  mémoire  de  tous  les  gens 
du  pays  auxquels  j'en  ai  parlé,  et  on  sait  comment  les  Grecs 
sont  attachés  aux  vieux  souvenirs  de  leurs  anciennes  égli^ 
ses.  £u  fouillant  du  côlé  où  était  l'autel ,  qui  est  le  plus 
éloigué  de  la  roule»  on  doit  retrouver  le  tombeau  des  trois 
princes  français  d'Acbaye  de  la  famille  Yille-Hardoin. 

Je  retournai  le  lendemain  matin  de  bonne  heure  faire 
une  nouvelle  visite  à  l'église  Sainte-Sophie  pour  rectifier 
le  croquis  que  j'avais  fait  la  veille  des  deux  façades»  afin  de 
pouvoir  en  retrouver  un  souvenir  plus  certain.  J'allai 
aussi  jeter  un  dernier  coup  d'œil  sur  le  terrain  de  l'église 
Saint-Jacques ,  qui  était  plus  éloignée  de  la  ville  que  ne 
Tétait  Saint-Étienne ,  et  je  pris  ma  route  vers  Kblemoutzi 
pour  aller  de  là  à  Clarentza.  Après  avoir  quitté  le  chemin  de 
Clarentza ,  on  entre  dans  une  chaîne  de  petits  monticules 
secs  et  sans  culture  ni  sur  les  pentes  ni  dans  les  ravins.  La 
forteresse  de  K  hlemoutzi  vous  apparaît  dès  les  premiers  pas  ; 
mais  il  faut  trois  heures  environ  pour  y  arriver  d'Andravida. 
La  Chronique  de  Morée  raconte  qu'après  leur  conquête,  eu 
1^05 ,  les  Français  se  distribuèrent  le  pays  en  fiefs,  et  en 


KIILSniOUTZI.  611 

réservèrent  une  partie  qu'ils  donnèrent  au  elergé  sous  obli- 
gation de  service  militaire  pei*9pnn£lt  Le  clergé  ayant  plus 
tard  refusé  ce  service»  tout  en  retenant  ses  (iefs  de  cava« 
Hors  et  d'écuyers,  Geoffroi  de  Yille-Hardoin  prit  le  parti 
de  séquestrer  leurs  revenus  s  et  il  en  employa  le  produit 
à  faire  bâtir  une  forteresse  où  les  hommes  de  la  conquête 
pussent  se  retirer  t  et  sur  laquelle  ils  pussent  s*appuyer 
pour  résister  k  la  fois  aux  (ittaques  des  ennemis  du  dehors 
et  de  ceux  du  dedans.  Il  fut  trois  aos  à  faire  bâtir  cette 
forteresse,  qui  est  cellede  Kbiemoutzi*;  et  ce  château,  bâti 
à  Taide  de  trois  années  des  revenus  du  clergé,  était ,  dit  le 
chroniqueur,  d'une  telle  force  que»  ai  les  Frapçfûs  étaient  k 
plusieurs  reprises  chassés  de  la  Morée ,  la  possession  de  ce 
seul  point  devait  suffire  pour  leur  (aire  regagner  le  reste 
du  pays,  Le&  Francs,  en  souvenir  de  b  destination  de  cette 
fori^esse  qui  devait  eontenir  les  Grecs ,  li|i  donnèrent  le 
nom  de  Alala^Grifon  (Matte-Grecs),  puis  celui  de  Cierinontt 
(Clarus-Mons),  et  ce  château  devint  un  fief  de  famille  donné 
fOQB  le  preuftier  nom  à  la  cadette  des  filles  du  prince  QuïU 
Uume  de  Yille^Hardoin^  qu'on  trouve  désignée  dans  plil^* 
sieurs  actes  et  chroniques  sous  le  nom  de  dame  de  Mata-Gri- 
fon,  tandis  que  l'aînée  avait  pour  apanage  la  seigneurie  de 
Clarentza,  transformée  en  duché  ^,  Les  Grecs,  de  leur  cdté,  en 
souvenir  de  la  séquestration  des  revenus  du  cleq^é,  ^  l'aide 
de  laquelle  put  s'achever  cette  construction ,  donnèrent  ji 
ce  fort  le  nom  de  Château*- Tournois,  Castro-Tornese,  nom 
conservé  plus  lard  par  les  Vénitiens  sous  celui  de  Castel- 
Tornese^  On  ne  le  connaît  aujourd'hui  que  sous  son  nom 
grec  de  Khlemoutsit 

Tov  irpi^»cd(tov  al  X^tXa»  SXmy  t(ov  ixxXv)9^iAv 

(Pag.  eôO 

*  La  quarta  par^e  à  GUareiica  da  ltoli«0i  detta  dtiui|o  tJi  Chw 
ren7Ji  (rArcipeli^o  di  Maroo  Bosclùui.  f .  7.  Veoeûa^  10â6.) 


511  GRÈCE   CONTINEBITALB  ET   MOBEB. 

La  forteresse  est  située  an-dessas  da  Yillage  de  Khle- 
mootzi ,  tout  an  sommet  d*un  moniicule  qui  8*élève  au- 
dessus  de  tous  les  monticules  dn  pays ,  et  qui  étend  ses 
branches  jusqu'au  cap  Tornèse,  l'ancien  promontoire  Che- 
lonites.  Lorsque  le  canon  n'était  pas  inventé,  cet  emplace- 
ment était  parfaitement  choisi  ;  car  on^  y  arrive  facilement 
de  Naples,  et  de  Zante  et  Géphalonie.  Ces  deux  dernières 
ties  paraissent  de  là  comme  sous  la  main.  Les  Grecs,  s'ils  s'é- 
taient révoltés,  n'auraient  pu  s'emparer  de  Rhlemoutzi  du 
côté  de  la  terre,  parce  qu'on  peat  défendre  aisément  toutes 
les  gorges  des  montagnes  qui  conduisent  jusqu'au  pied  de 
ce  monticule  à  pente  rapide. 

Elle  est  construite  de  la  manière  la  plus  solide,  avec  de 
hautes  et  vastes  galeries  couvertes  bâties  sur  le  roc  vif  et 
qui  pouvaient  contenir  une  nombreuse  garnison.  En  dedans 
était  une  église ,  et  les  galeries  du  fort  comme  les  voûtes 
de  l'église  sont  toutes  en  ogives  allongées.  Au-dessus  des 
galeries  étaient  de  vastes  plates-formes  d'où  l'on  pouvait 
combattre  l'ennemi.  Mais  tous  ces  moyens  de  défense  si 
bien  et  si  splendidement  construits  pour  l'époque  ont  été 
inutiles  devant  le  canon.  Ibrahim  a  attaqué  Khlemoutzi,  a 
troué  avec  le  canon  ses  vieilles  murailles  en  divers  endroits, 
et  s'en  est  emparé.  Ce  fort  était  si  bien  construit ,  qu'il 
reste  debout  et  qu'il  faudrait  peu  de  frais  pour  le  transfor* 
mer  en  belle  caserne  ou  en  château  fort  de  discipline. 

De  Khlemoutzi  à  Clarentza  il  n'y  a  qu'une  heure  ;  de 
telle  sorte  que  souvent  on  donne  à  Khlemoutzi  le  nom  de 
Château  de  Clarentza.  Nous  traversâmes  de  nouveaux  ra- 
vins pour  nous  rendre  d'abord  dans  l'abbaye  de  Blachernes, 
à  une  demi-lieue  de  Clrrentza.  Elle  est  située  tout  à  fait  à 
l'extrémité  de  ravins  inféconds,  et,  lorsque  l'on  sort  de 
là  comme  d'un  antre  pour  entrer  dans  la  vallée,  elle  appa- 
raît à  mi-côte  au  milieu  d'oliviers  et  autres  arbres  à  fruits. 
C'est  un  petit  couvent  fort  bien  bâti ,  sans  doute  en  souve- 
nir du  palais  de  Blachernes  à  Constantinople.  Sur  tous  les 
murs  je  retrouvai  des  fragments  de  marbre  sculptés  re- 


COUVENT    DE   BLAGIIERNES.  513 

présentant  la  croix  ancrée  des  Yiile-Hardoîn.  Près  de  la 
porte  de  l'église ,  en  dedans ,  sur  le  pavé  est  une  pierre 
sépulcrale  sur  laquelle  je  lus  ces  mots  : 

AMNO  imi.   H.  CGC.  LYIII.  DIE  XX 

MENSIS  SEPTEMBRIS.   BIC  SKCKT  SEME- 

J^ILICS  S*'  YIRIDI-MILETI  DE  LCCIKIA 

QUI  HABITAT  IN   YENEGIIS. 

Au-dessous  est  sculpté  un  écusson  français  portant  un  lion 
debout  avec  deux  bandes.  Dans  la  partie  latérale  de  Té* 
glise  est  un  autre  tombeau  vide,  et  sans  inscription  ni  sculp- 
ture; Tune  et  Tautre  étaient  sans  doute  placées  sur  le  cou- 
vercle du  tombeau,  qui  a  été  enlevé.  JMnterrogeai  les  moines 
pour  savoir  s*il  existait  parmi  eux  quelques  traditions  à  ce 
sujet  :  ijs  me  répondirent  qu'ils  avaient  toujours  pensé  que 
c'était  là  le  tombeau  d'un  des  princes  de  Morée,  mais  que 
tous  leurs  registres  avaient  été  brûlés  par  Ibrahim  ;  que 
l'église  seule,  qui  est  en  pierres  solides,  avait  résisté  à  l'in- 
cendie du  reste  du  couvent  ;  que  la  plupart  des  moines 
avaient  été  tués,  et  les  autres  emmenés  en  captivité  en 
Egypte,  et  délivrés  seulement  par  l'intervention  française  ; 
et  qu'il  n'existait  parmi  eux  que  des  traditions  et  aucun  do- 
cument et  acte  public  ou  privé.  Il  est  probable  que  ce  cou- 
vent aura  été  construit  après  l'expulsion  de  1261,  qui 
força  Baudoin  à  quitter  Gonslantinople  et  à  se  réfugier  en 
Morée;  c'était  un  souvenir  donné  à  Gonslantinople  et  peut- 
être  en  faveur  des  ecclésiastiques  qui  desservaient  le  palais 
de  Blachernes  et  qui  avaient  suivi  Baudoin  dans  sa  fuite. 

En  sortant  du  monastère  de  Blachernes  on  n'a  qu'à  tour- 
ner la  montagne  et  on  aperçoit  Clarentza  et  son  port  : 
c'était,  au  temps  de  la  domination  française  et  jusqu'à  l'inva- 
sion turque,  une  des  villes  les  plus  importantes  de  la  Morée. 
D'après  l'article  177  des  Assises  de  Romanie,  on  voit  qu'il 
y  avait  alors  deux  cours  ordinaires- de  justice  pour  la  prin- 
cipauté; l'une  siégeant  à  Androusa,  l'autre  à  Clarentza. 
C'était  aussi  à  Clarentza  qu'était  l'hôtel  des  monnaies,  et  le 


Ôl4  GBECE  CONTIKBNTALB   BT  MOREE. 

nom  de  celte  ville  ae  trouve  sor  tons  les  deniers  toornoîs 
des  princes  français  d'Achaye«  Sa  proximité  des  oôtes  de 
Napies  l'avait  mise  en  rapports  fréquents  de  commerce  avec 
Briiides,  et  aussi  avec  Alexandrie ,  Chypre  et  les  côtes  d'A- 
sie ;  ses  poids  et  mesures  étaient  coonos  partout ,  et  ks 
voyageurs  du  quatorzième  siècle  attestent  son  importance. 
Francesco  Balducci  Pegalotti,  envoyé  de  la  compagnie  com- 
merciale des  Rardi,  consacre,  dans  son  traité  Dtiia  tnerca- 
tura^  composé  au  quatorzième  siècle ,  plusieurs  chapitres 
aux  poids,  mesures  et  monnaies  de  Clarenlta,  comparés  à 
ceux  d'Alexandrie»  de  Chypre,  de  Thèbes;  et  enfin  le  titre 
de  doc  de  Clarentza  devint  un  apanage  des  fils  aines  des  prin- 
ces d'Achaye,  et  passa,  par  Mathilde  de  Hainaut,  petite-fille 
de  Guillaume  de  Ville-Hardoin,  à  sa  parente.  Philippine  de 
Hainaut,  femme  d'Edouard  lil,  et  par  là  à  Lyonel,  fils  de 
Philippine  et  d'Edouard  III,  et  le  titre  de  duc  de  Clarence 
a  continué  depuis  à  être  un  des  titres  des  princes  de  la  fa-* 
mille  royale  d'Angleterre.  Clarentza  est  aujourd'hui  une 
pauvre  ville ,  rendue  malsaine  par  l'eau  qui  s'écoule  des 
hauteurs  et  qu'on  a  laissée  séjourner  de  manière  à  former 
des  marais.  Le  gouvernement  grec  s'est  imaginé  d'y  fonder 
une  colonie  de  Zantiotes ,  en  leur  donnant  des  terres ,  des 
grains  et  des  fonds  pour  bâtir  des  maisons^  Les  maisons  ont 
été  bâties,  mais  les  terres  ne  sont  pas  cultivées;  car  ceux 
des  Zantiotes  qui  s'étaient  expatriés  pour  jouir  des  avanta- 
ges de  cette  colonie  étaient  la  partie  la  plus  désordonnée  de 
la  population  de  Zante ,  et  ils  ont  continué  à  mener  à 
Clarentza  leur  vie  irrégulière. 

Clarentza  a  été  bâtie  sur  l'emplacement  de  l'antique  Kyl- 
lène.  Il  ne  reste  plus  de  la  ville  hellénique  que  des  ruines 
de  murailles.  Elle  était  placée  en  haut  de  la  ville ,  du  côté 
du  petit  port  séparé  du  port  actuel  par  une  sorte  de  cap 
sur  lequel  était  l'acropolis.  Tout  l'espace  marqué  par  l'acre- 
polis  est  couvert  de  ruines  antiques  dans  le  genre  de  celles 
d'Élis  et  sans  mélange  de  grandes  pierres  helléniques,  qui 
ne  pouvaient  se  trouver  que  fort  loin  de  ces  terrains  sa- 


GL/^BfiNTZA.  515 

blouneai.  Presque  partout  on  aperçoit  le  mur  d^enceinte 
et  de  grands  pans  de  muraSlie  qoi,  comme  à  Élis,  sem- 
blent avoir  été  précipités  de  leur  base  par  quelques-uns  de 
ces  violents  tremblements  de  terre  si  fréquents  dans  cette 
partie  du  Péloponnèse.  Pendant  mon  séjour  à  Pyrgos  j'en 
avais  éprouvé  un,  Patras  a  été  renversée  il  y  a  peu  de  temps 
par  un  autre  ;  et  Tîle  de  Zante,  si  voisine  du  continent  grec, 
en  éprouve  très-souvent  les  plus  grands  dommages,  et  a  été 
ravagée  Tannée  dernière  par  un  cboc  si  violent  qu*il  a  fait 
crouler  une  partie  de  la  citadelle,  renversé  un  grand  nombre 
de  maisons  et  ébranlé  presque  toutes  les  autres.  Dans  toute 
Penceinte  de  la  ville  antique  de  Kyllène  et  dans  les  ter- 
rains environnants  on  rencontre  fréquemment  des  mon- 
naies antiques  en  remuant  les  champs  avec  la  charrue. 

La  ville  de  Clarentza  du  moyen  âge  s'étendait  depuis  le 
nouveau  port  jusqu'aux  limites  marquées  par  les  murs 
d'enceinte  de  la  ville  antique.  A  côté  des  ruines  des  murs 
helléniques  on  voit  en  effet  les  restes  de  tours  eonstruftes 
au  moyen  âge.  La  masse  des  fortifications  s'étendait  cepen- 
dant plutôt  dans  la  direction  du  port  actuel ,  qui  est  beau- 
coup plus  grand  que  le  port  antique.  Il  me  paraît  probable 
qu'en  remontant  vers  la  ville  antique  et  en  suivant  les 
bords  escarpés  du  rocher  tel  qu'il  se  présente  de  ce  c6té , 
on  se  sera  borné  â  quelques  tours  de  vigie  de  manière  à  sur- 
veiller le  petit  port.  Quant  au  cap  qui  sépare  le  port  ancien 
du  port  nouveau  et  qui  s'avance  dans  la  mer  en  forme  d'é- 
peron, je  crois  que  ce  pourrait  bien  être  là  le  lieu  désigné 
sous  le  nom  de  l'Espero  dans  la  relation  latine  de  la  mort 
de  Fernandde  Majorque*. 

Au  bas  de  la  ville  on  aperçoit  d'autres  ruines,  évidem- 
ment  d'origine  française.  Tout  près  du  bazar  sont  les  restes 

^£t  sic  e«ivit  de  Clarentià...  et  Tenit  ad  locuua  Yocaiiioi  VBt^ 
pero.  Voy.  p.  6 18  «Je  ma  Cliron.  de  R.  Muutaner,  note  1.  Oo  voit, 
daos  cette  pièce,  que  le  lieu  qu'il  appelle  Clams-Mons,  Clairmout 
ou  Clermont,  «  el  dum  irent  sic  loqucnrto  versus  Ciarum-Mon- 
tenif  »  doit  être  la  Ibrteresaede  KlilemoQtzi ,  bâtie  sur  la  moutagiie. 


516  GEECB   CONTlNfiNTALB  ET  HOREB. 

d*ODe  grande  porte  qui  était  sans  doate  une  des  portes  de 
de  la  ville;  assez  près  de  là  de  grands  pans  de  murailles 
qui  appartenaient  à  une  église  :  une  des  grandes  fenêtres 
de  cette  même  église  franquc  se  conserve  encore  au  milieu 
des  ruines. 


XXXI. 


PATRAS.— -VOSTITZA. 


L*inten.sité  des  fièvres  qui  dévastaient  TÉlide  et  Cla- 
rentza  en  particulier  au  moment  de  mon  passage ,  les  ru- 
des attaques  que  j'en  avais  éprouvées  en  passant  de  Caritcna 
à  Olympie  me  décidèrent  à  aller  respirer,  pendant  quelques 
semaines,  Tair  pins  vif  et  plus  salubre  des  îles  Ioniennes. 
Je  m'embarquai  à  Clàrentza  sur  un  bâtiment  que  je  nolisai 
pour  Zante.  Je  parcourus  successivement  cette  gracieuse 
île,  nommée  la  Fleur  du  Levant,  Géphalouie,  Ithaque, 
Sainte-Maure  et  Corfou,  et,  complètement  ranimé  par  mon 
voyage  dans  ces  îles  si  gracieuses  et  au  milieu  d'une  société 
beaucoup  plus  avancée  dans  la  jouissance  du  bien-être  ma- 
tériel ,  je  repartis  de  Corfou  pour  continuer  mon  excur- 
sion en  Morée  en  me  faisant  débarquer  à  Fatras. 

Les  côtes  d'Âcarnanie,  fort  rapprochées  de  Corfou, 
paraissent  bien  sèches  et  bien  incultes  à  côté  des  vallées  dé- 
licieusement ondulées  de  cette  île.  Quand  on  a  dépassé  le 
cap  Leukimo,  ou  cap  Blanc  de  Corfou,  la  première  îie  qu  on 
aperçoit  est  Faxos ,  renommée  par  ses  huiles  ;  et  presque 
en  face  de  Faxos,  apparaît  Farga.  Farga  I  que  de  souvenirs 
de  force  et  de  nationalité  dans  ce  seul  mot  !  L'Autriche  re- 
doutait que  l'Angleterre  possédât  un  seul  point  sur  le  con- 
tinent épiro-dalmate  ;  et  non-seulement  elle  lui  refusa  Tan- 
cien  lot  vénéticoionien,  Yostitza,  Prevesa,  Buthrinte,  mais 


CLARENT2A.  517 

anssi  la  protection  de  Parga ,  qui  seule  peut-être ,  par  ses 
anciennes  habitudes  d'indépendance ,  aurait  pu  enseigner 
aux  Ioniens  comment  on  forçait  de  prétendus  protecteurs 
à  limiter  leur  protection  à  la  défense  du  soi  contre  autrui. 
Parga  était  située  au  bas  des  montagnes ,  et  n'existe  plus. 
On  n'aperçoit  au  loin  que  des  rochers  blanchis  et  des  mai- 
sons en  ruine.  Notre  bâtiment  à  vapeur,  s'éioignant  des 
côtes  basses  de  Nicopolis,  Prevesa  et  Actium,  se  rappro- 
cha peu  à  peu  de  Leucade,  ?ers  le  Saut-de-Sapho  et  le  cap 
Ducato.  De  là  nous  passâmes  entre  Ithaque  et  la  terre- 
ferme;  nous  nous  arrêtâmes  un  instant  devant  Argostoli 
dans  l'île  de  Céphalonie ,  et  après  une  nuit  fort  tempé- 
tueuse, pendant  lequelle  de  magnifiques  éclairs  venaient  de 
temps  à  autre  faire  élinceler  les  vagues,  la  mer  se  calma  avec 
le  lever  du  soleil  et  en  même  temps  qu'on  apercevait  encore 
Céphalonie  on  voyait  apparaître  du  côté  de  Khlemoutzi  les 
côtes  de  Morée.  Nous  approchâmes  des  îles  Gourzolaires  et 
Oxia  et  .des  côtes  d'Étolie;  puis,  dans  le  lointain,  sur  le 
continent  rapproché  de  ces  îles  en  face  du  cap  Papa ,  qui 
est  une  des  entrées  du  golfe  de  Lépante ,  nous  vîmes  se 
dessiner  très-distinctement  au  pied  des  montagnes  la  glo- 
rieuse et  infortunée  Missolonghi.  £ile  est  aujourd'hui  rui- 
née ,  abandonnée ,  et  la  maison  où  mourut  lord  Byron  a 
été  vendue  et  démolie.  Missolonghi  !  golfe  de  Lépante  !  quels 
glorieux  noms!  La  victoire  de  Lépante  fut  rendue  inutile 
par  la  jalousie  des  princes  qui  l'avaient  préparée  ;  la  prise 
de  Missolonghi  fut  une  défaite  féconde  pour  le  peuple  de 
Grèce. 

Les  rives  de  Morée ,  entre  Khlemoutzi  et  le  cap  Papa, 
sont  basses  et  souvent  marécageuses.  Nous  doublâmes  ce 
cap  ;  nous  nous  dirigeâmes  vers  les  côtes  de  l'Ëtolic  et 
entrâmes  tout  droit  dans  le  golfe  de  Lépante.  Au  delà  du 
cap  Papa,  la  rive  continue  à  être  basse  et  presque  inaperçue; 
mais  le  second  plan  s'élève  un  peu.  C'est  sur  cette  côte , 
entre  le  cap  Papa  et  Patras,  que  débarquèrent  nos  croisés 
français,  le  1*'  mai  1205  : 

44 


Ô18  GRÈCE   CONTIlieiCTALB   ET    UOREE. 

£U  vov  Mop^v  l^eivav  \  t^v  irpci^v  roC  Matou. 

Ilot»  Iv'  ^^ftOev  t^ç  Ila'rpaO  kocv  Sexoir^vTe  fiCXia. 
Ëù66<(  xactAXc  fxTV)<Tav  ^ov  {xà  t^  irXt^dfpi. 

(P.  33.) 

CiH  ^  Kalo-Achtte,  près  de  Panciên  Mêlas,  atijoord'hai 
fleuvt  de  Gomettitia ,  qoe  dnt  g'opérer  le  débarquement 
nentkNUié  ici  par  la  ohroniqaeur ,  et  oh  y  inonire  encore 
les  mnnillas  dq  chttean  de  brkpieaqu'y  eonslraisirent  les 
Fraoçak 

Em  continuant  à  naviguer  dans  les  eanx  du  golfe,  la  vue 
Ta  s'amlMlliaMnt  è  chaque  finsunt.  Sor  la  droite  on  dis- 
tingue dans  le  lointain  les  pittoresques  montagnes  de  la 
Monte*  les  monts  de  Calavryia ,  le  pic  de  gantam^ri ,  le 
rocher  de  KUemoulzî  ;  et  sur  la  gauche,  en  Etolie,  deux 
monta  rocheux  d'une  coupe  fort  pittoresque  et  fort  di- 
verse, k  Vantova  et  le  KhIokoTe. 

£n  bee  de  ces  deux  montagnes  aux  belles  pentes  rapl- 
fies  et  tnx  belles  couleurs,  dont  les  aspects  varient  à  cha- 
que lienre  de  la  journée  e|  qui  servent  d'ornement  Si  toute 
cette  partie  du  goUé,  apparah  la  nouvelle  ville  de  Patras. 

I/antiqne  ville  de  Fatras  était  située  sur  ia  colline  ,  et 
die  y  rMa  même  jusqu'il  la  fin  de  la  domination  turque. 
Mais  qnand  tout  eut  été  brâlé  et  détruit ,  et  qu'après  le 
départ  d'Ibrahim  il  ne  resta  plus  que  des  débris  de  mure 
incendiés,  les  habitantt  de  Patrae,  qu^atttraient  en  ce  lieu 
les  avantages  d'un  port  de  mer  ,  de  belles  fontaines  qu'on 
jl'avait  pu  tarir,  ti«  wd  fécond  qu'on  n'avait  pu  refidre 
improductif  que  pour  peu  de  tempe  en  en  arrachant  de  force 
ies vignes  et  raisinsde  Corinthe,  choisirent  un  emplacement 
lihis  conforme  aux  besoins  nouveaux  de  la  société  et  k  la  sé- 
curité dont  elle  allait  jouir  ;  ils  descendirent  dans  la  plaine  et 
^r  le  bord  de  la  mer.  Patras  n'est  encore  qu'un  tracé  de 
grande  yiiie  plutôt qn'one  viUe  ;  mais  çà  et  b  il  y  a  de  bonnes 
maisons  et  toujours  de  belles  rues ,  mm  pavées  oneore , 


PATRAS.  519 

mais  bien  tracées  ,  bien  larges  et  abritées  des  deux  côtés 
par  des  portiques  d'une  hauteur  et  largeur  convenables, 
fort  utiles  dans  ce  pays  si  chaud.  Le  cadre  de  la  ville  est 
disposé  et  arrangé ,  et  chaque  jour  une  pièce  vient  régu- 
lièrement s'ajouter  à  une  autre  pièce.  Si  Athènes  eût  suivi 
le  même  système ,  et  qu'on  eût ,  à  travers  ces  champs  in- 
habités ,  au  milieu  de  ce  dédale  de  maisons  de  chaume , 
tracé  une  ville  avec  larges  rues,  portiques,  places,. fon- 
taines, promenades,  ce  serait  aujourd'hui  une  belle  ville, 
tandis  qu'elle  ne  peut  jamais  être  qu'un  grand  bourg  fort 
sale  et  fort  incommode  à  habiter,  car  il  n'y  a  pas  de  por^ 
tjques  clans  les  rues,  et  les  maisons  ressemblent  plutôt  à 
de  petites  maisonnettes  de  Garlsruhe  qu'aux  belles  maisons 
de  Malte  ou  même  de  Zante,  si  bien  appropriées  au  cli- 
mati  Non  contents  d'avoir  déjà  gâté  Athènes,  les  ingénieurs 
et  architectes  du  gouvernement  gâtent  aussi  Fatras.  Dans 
le  premier  plan ,  on  avait  vendu  à  bon  prix  des  terrains 
destinés  à  recevoir  un  seul  rang  de  maisons  qui  ne  de- 
vaient avoir  devant  elles  que  de  beaux  quais  et  la  mer, 
C^était  la  condition  de  leur  achat,  et  cette  condition  était 
tout  entière  dans  l'intérêt  de  l'embellissement  de  la  ville« 
Qu'a  fait  le  gouvernement  ?  Au  mépris  des  droits  des  pro- 
priétaires ,  au  mépris  de  ses  engagements ,  il  a  vendu  à  de 
nouveaux  acheteurs  le  terrain  consacré  aux  quais ,  et  au- 
jourd'hui un  nouveau  rang  de  maisons  s'y  construit,  dé- 
truisant ta  vue  des  anciennes,  auxquelles  elles  opposent  fa- 
çade à  façade,  et,  au  lieu  d^un  beau  quai,  on  n'aperçoit  plus 
de  la  mer  que  les  cours  malpropres  de  ces  nouvelles  mai- 
sons. Beaucoup  de  ces  nouveaux  acheteurs  ne  pouvant 
payer  ce  qu'ils  ont  acheté  fort  cher ,  on  veut  maintenant 
les  forcer  à  construire  à  leurs  dépens  un  petit  môle  au  lieu 
de  l'excellent  qu'on  avait  et  qui  avait  de  plus  l'avantage 
de  rendre  la  garde  du  port  très-facile  contre  les  contre- 
bandiers.  Ce  qui  prouve  encore  plus  le  peu  d'intelli- 
gence des  besoins  du  climat,  Ton  a  donné  l'autorisation  de 
continuer  sans  portiques  des  rues  commencées  avec  por- 


520  GRECE   COKTJNEKTALE   ET    MOREK. 

tiques  ;  irrégularité  qui  gâte  complètement  le  plan  primitif 
tracé  par  un  ingénieur  habile,  M.  Boulgari,  Grec  d'origine, 
élève  de  TEcoIe  polytechnique  de  France. 

Depuis  le  lever  du  soleil ,  nous  avions  eu  le  vent  con« 
traire;  mais  cela  ne  nous  avait  pas  empêchés  de  sillonner 
rapidement  les  eaux.  Nous  débarquâmes  devant  Patras.  La 
douane  et  la  police  sont  ici  beaucoup  moins  vétilleuses  et 
tourmentantes  que  dans  les  îles  Ioniennes.  Cinq  minutes 
après  être  arrivé  en  vue  de  Patras ,  je  m'étais  fait  trans- 
porter en  bateau  sur  la  plage ,  j'avais  comparu  devant  la 
santé,  la  police  et  la  douane ,  moi  et  mes  effets ,  et  j'étais 
installé  dans  une  auberge,  car  il  y  a  une  auberge  à  Fatras, 
l'Hôtel  Britannique  ,  sur  le  bord  de  la  mer,  en  face  des 
monts  Yarasova  et  Khlokova. 

Je  commençai  mes  excursions  par  la  citadelle.  La  Chro- 
nique de  Morée  rapporte  *  que,  trois  jours  après  leur  ar- 
rivée à  Kato-Achala,  les  Français  s'avancèrent  sur  Patras, 
cernèrent  la  ville  et  le  fort ,  établirent  leurs  machines  de 
guerre ,  pénétrèrent  dans  l'intérieur  de  la  ville  et  obtin- 
rent des  habitants  la  reddition  de  la  forteresse.  On  voit  par 
ce  récit  que  la  ville  était  alors  sur  le  penchant  même  du 
monticule,  où  se  trouve  la  citadelle.  Patras  était  alors  une 
des  douze  places  fortes  de  Morée.  Lors  du  partage  des  fiefs 
entre  les  premiers  conquérants  français,  Patras  fut  donnée 
à  Guillaume  Àlamani.  Cette  famille  languedocienne  se  re- 
trouve au  treizième  siècle  en  Catalogne ,  en  Provence ,  à 
Naples  et  en  Chypre.  Après  Guillaume  Âlamani  et  son  fils, 
la  baronnie  de  Patras  rentra  par  déchéance,  à  défaut  peut- 
être  d'héritier  mâle ,  dans  le  domaine  princier,  et  fut  don- 
née par  le  prince  Guillaume  de  Ville-Hardoin  à  sa  fille  ca- 
dette, Marguerite. 

Marie  de  Bourbon ,  veuve  de  l'empereur  titulaire  Ro- 
bert ,  et  princesse  d'Achaîe  par  la  donation  de  son  mari, 
résida  long-temps  à  Patras  avant  de  se  réfugier  à  Naples. 

*  Page  34. 


ir  PATRAS.  521 

Il  y  avait  à  cette  époque  un  archevêque  latin  institué  dès 
le  commencement  de  la  conquête  avec  cinq  suiïragants^ 
qui  étaient  les  évêques  d*Amyciée,  de  Mt)don,  de  Coron  , 
d*Andravida  etd'Olène  prèsdePyrgos.  Ce  fut  dans  la  ville 
de  Patras ,  et  probablement  dans  l'église  Saint-André,  qui 
était  la  métropole,  que  se  célébra  en  1258  le  mariage  en- 
tre Guillaume  de  Ville-Hardoin  et  Anne  Gomnène  ,  fille 
de  Michel ,  despote  d'Arta ,  et  sœur  d'Hélène  qui  avait 
épousé  le  roi  Mainfroi  de  Napies.  Anne  reçut  du  despote 
une  dot  de  soixante  mille  hyperpères ,  sans  y  comprendre 
les  dons  de  mariage  '. 

L'église  Saint-André  est  située  en  dehors  de  la  ville,  sur 
le  bord  de  la  mer ,  près  de  l'endroit  où  on  veut  actuel- 
lement construire  un  port.  Saint  André  l'apôtre  avait  été 
crucifié  à  Patras,  et  son  corps  y  avait  été  long-temps  con- 
servé. Grégoire  de  Tours  dit  (livre  i)  qu'il  faisait  beau- 
coup de  miracles  en  Achaye.  En  l'an  353,  le  26  mai,  sous 
les  règnes  de  Constant  et  Constance,  fils  de  Constantin,  le 
corps  de  saint  André  ainsi  que  ceux  de  saint  Luc  et  de 
saint  Timothée  furent  transportés  de  Patras  à  Constanti- 
nople  :  ils  y  furent  déposés  dans  l'église  des  Apôtres  ; 
mais,  lors  de  la  conquête  de  120^ ,  Pierre  de  Capuano  , 
cardinal  du  titre  de  Saint-Marcel  et  patriarche  d'Amalfi  , 
trouva  le  moyen  d'en  enrichir  l'église  d'Amalfi.  Il  s'était 
rendu  de  Syrie  à  Constantinople  en  qualité  de  légat  d'Inno- 
cent ni;  là,  pendant  que  les  croisés  s'emparaient  des  étof- 
fes précieuses  de  Byzance,  il  déroba  secrètement  le  corps 
de  saint  André,  ainsi  que  d'autres  reliques  ',  les  emporta 
très-mystérieusement  avec  lui  à  Gaèie,  et  de  là  les  expédia 
non  moins  secrètement  à  Amalfi,  à  son  oncle  Mathieu  Ca- 
puano, alors  archevêque  de  cette  ville,  sans  lui  rien  révé- 
ler au  sujet  de  son  envoi.  Ce  ne  fut  qu'à  son  arrivée  à 
Amalfi  qu'il  lui  découvrit  tout  le  mystère,  et,  le  8  mai 

'  Chron»  de  Morée,  p.  76. 

>  Yoy.  Caméra,  Histoire  d'Amalfi,  p.  15. 

44. 


5n  GRÈCE  CONTINSNTAU  BT   MQREE. 

1 308,  le  corps  de  saiot  Âodié,  enveloppé  daas  une  caisM 
d'aifent,  fut  déposé  dans  l'église  cathédrale  d'ÀroalQ  a?ec 
la  plus  grande  pompe^ 

L*église  Saint-André  de  Patras  a ,  dit-on  i  été  bâtie  sur 
Templaoement  d'un  temple  de  Gérés.  Je  ne  sais  si  c'est  à 
ce  temple,  ou  bien  plutôt  à  l'église  du  moyen  âge  compo- 
sée  d'un  grand  nombre  de  ruines  diverses  et  aujourd'hui 
entièrement  disparue  pour  faire  place  i  une  église  toute 
aeuYe,  qu'appartient  une  fort  belle  colonne  qui  gît  inutile 
le  long  du  mur  de  l'église  reconstruite.  J'ai  recherché 
avec  soin  toutes  les  traces  du  temple  antique  et  de  Téglise 
du  moyen  âge  ;  mais,  dans  les  reconstructions  faites  l'an- 
née dernière ,  on  a  employé  probablemeat  ce  qui  i*estait. 
Les  mors  nouveaux  sont  élevés  sur  les  anciens  murs ,  et 
la  forme  indique  que  c'était  plutôt  là  primiiivement  un 
temple  ou  une  église  latine  qu'une  église  grecque.  Au  mi- 
lieu de  l'église ,  sur  le  parvis ,  a  été  conservé  l'aigle  à 
deux  têtes  couronnées;  tout  autour  je'  lus  une  inscrip-» 
tion  en  caractères  ecclésiastiques  en  quatre  lignes  ^  en 
l'honneur  de  saint  André,  venant  sans  doute  de  l'ancienne 
église.  Près  de  iâ  est  uq  puits  ointique. 

Le  port  que  l'on  se  propofie  de  construire  de  ce  coté 
sera  fort  utile  et  syoutera  un  nouveau  développement  au 
commerce  des  raisins  de  Corinihe.  Depuis  peu  d'années , 
les  vignes  de  raisins  de  Corinthe  ont  été  replaïUées  :  et  déjà 
les  espérances  sont  devenues  des  réalités. 

De  l'église  je  remontai  à  la  citadelle ,  mais  je  n'y  trouvai 
rien  qui  me  rappelât  les  constructions  du  moyen  âge  ;  si  ce 
n'est  une  grande  fenêtre  en  ogive  qui  subsiste  encore  à 
l'intérieur ,  près  du  cheuiin  de  ronde.  Tout  le  reste  est  de 
l'époque  vénitienne  et  de  l'époque  turque» 
.  Le  coucher  du  soleil  est  fort  beau  à  Patras.  Le  soleil  se 
pose  dans  la  mer,  qu'il  fait  reluire  de  mille  feux^  Les  terres 
occidentales  les  plus  rapprochées  étant  les  îles  lohiennes , 
n*empêchent  pas  de  voir  le  couchant  se  déployer  sur  un 
vaste  horizon;  tandis  quei  ai)  lever  du  soleil  «  i  Wtras 


I.ÉPANTB.  623 

eomme  dans  la  Grôco  intérieure  »  tous  ne  voy^z  le  soleil 
que  qoanU  il  a  dépassé  le  sommet  des  montagnes  et  qu'il 
est  déjà  dans  sa  forcer 

J'avais  le  dessein  d'aller  par  mer  de  Fatras  à  Lépante  et 
de  visiter  le  couvent  de  Yarnakova ;  mais  ie  ^entêtait  con- 
trairei  et  il  me  fut  impossible  d'aller  môme  h  IViissolonghi* 
Je  pris  donc  le  parti  de  m'en  aller  par  terre  le  long  du 
golfe,  et  je  partis  de  bonne  heure  pour  Vostitza.  Le  chemin 
suit  le  bord  de  la  mer,  et  on  a  constamment  sous  les  yeui  les 
dem^  belles  montagnes  de  Yara^ova  et  de  Khlokova  de  l'au^ 
tre  côté  de  la  mer  ou  plutôt  sur  l'autre  rive  de  ce  beau  lac« 
Pendant  l'hiver  ou  a  à  passer  quelques  torrents  t  tçls  que  le 
Charadrus;  mais,  au  moment  de  mon  passage»  tous  étaient 
à  sec ,  et  leur  lit  était  couvert  de  cailloux  roulés ,  embar- 
rassant la  route ,  mais  ne  la  rendant  pas  dangereuse.  Après 
une  heure  et  demie  de  marche  on  arrive  près  du  cap 
Rhéum,  sur  lequel  est  bâti  le  château  de  IVlorée;  et  tout 
en  face,  de  l'autre  côté,  à  deux  mille  mètres  de  distance  « 
le  château  de  Roumélie  :  tous  deux  fermeraient  au  besoin  ce 
Bogaz  ou  ces  petites  Dardanelles.  Quelques  débris  d'un  are 
de  triomphe  sont  encore  visibles  sur  la  plage  de  IVlorée.  A 
une  heure  de  marche  au  delà  on  passe  près  du  village  de 
prepano,  au  delà  duquel  s'avance ,  avec  son  ancien  nom , 
le  cap  t)repanum.  Cette  ville  est  mentionnée  par  la  C4hro-^ 
pique  de  Morée  à  propos  de  l'arrivée  du  des|)ote  d'Aria 
près  de  Guillaume  de  Yille- Ilardoin,  qui  s'était  rendu  à 
Fatras. 

*Àtçal  tb  Ap/îtavov  irepva  xat  ^XOev  eI;  t^v  ITiftpav. 
'  '  (Pag.  è4.) 

On  aperçoit  en  effet ,  tout  en  face  «  J^épante  et  son  ehâ^^ 
tean  on  ruines  dans  une  situation  Airt  pittbrèsqtte* 

Le  khani  de  Xantho^Pyrgos,  que  j'ai  entendu  prononcer 
Psatho-PyrgOf  est  à  une  demi-lieoe  de  là.  Je  m'y  arrêtai 
ooe  hf«re  ponr  faire  reposer  tel  oheviivx  01  m'tssis  mt  \t 


594  GBÈCB   CONTINENTALE   ET   HOREE. 

bord  de  la  mer.  Le  temps  était  un  pea  sombre,  et  les 
montagnes  ne  se  détachaient  pas  avec  vigueur  ;  mais  Pair 
était  calme  et  la  mer  tranquille  et  d'une  couleur  uniforme. 
On  aperçoit  d'un  côté  les  montagnes  situées  devant  Fatras 
et  de  Fautre  celles  situées  devant  Gorinthe,  et  l'œil  se  pro- 
longe sur  toute  l'étendue  du  golfe.  Deux  ou  trois  petites 
barques  à  voiles  erraient  çà  et  là  sans  troubler  cette  soli- 
tude; c'étaient,  de  loin,  comme  des  cygnes  qui  se  prome- 
naient avec  calme  sur  les  eaux.  Si  ce  golfe  était  animé 
par  la  présence  de  quelques  bateaux  à  vapeur ,  tout  y  re- 
cevrait une  nouvelle  vie.  Les  Autrichiens  ont  offert  d'aller 
jusqu'à  Loutraki,  si  le  gouvernement  grec  voulait  envoyer 
un  bateau  à  vapeur  prendre  la  correspondance  à  Calamaki  : 
et  le  gouvernement  grec  n'a  pu  avoir  un  bateau  à  vapeur. 

Du  khani  de  Xantho-Pyrgos  à  Yostitza  la  route  s'em- 
bellit à  chaque  instant.  Les  montagnes  se  couvrent  de  ver- 
dure ,  les  champs  se  cultivent  peu  à  peu  ;  et  la  route ,  au 
lieu  de  suivre  tout  à  fait  le  bord  de  la  mer ,  se  perd  le 
long  des  derniers  versants  des  montagnes ,  qui  s'étendent 
jusqu'au  golfe.  De  cette  hauteur  la  vue  devient  charmante, 
car  en  bas  est  la  mer  et  à  l'horizon  la  chaîne  des  monta- 
gnes qui  s'étendent  du  Parnasse  au  Cythéron.  Cette  vue  ne 
m'apparut  qu'un  moment,  car  la  pluie,  qui  s'annonçait  dès 
le  matin ,  commença  à  tomber  ,  et  je  me  trouvai  heureux 
de  trouver  un  refuge  dans  un  moulin  abandonné.  Ce  ne 
fut  que  deux  heures  après  que  le  temps  reprit  une  nou- 
velle sérénité ,  et  je  me  remis  en  route.  En  redescendant 
on  se  retrouve  près  de  l'ancien  Portus-Enius,  qui  conserve 
aujourd'hui  le  nom  d'un  de  nos  chevaliers  français  du 
moyen  âge  :  les  Vignes  de  Lambri.  Le  sire  de  Lambri  pos- 
sédait en  effet  cette  partie  de  la  côte ,  et  son  nom  se  trouve 
fréquemment  mentionné  parmi  ceux  des  grands  feudatai- 
res  dans  les  diplômes  du  quatorzième  siècle. 

Un  peu  plus  loin ,  on  aperçoit  au  milieu  des  champs  de 
grands  pans  de  murailles  antiques.  Ce  sont  les  restes  de 
l'antique  ville  de  Rhypes.  0e  là  on  découvre  un  port  assez 


VOSTITZA.  525 

vaste  sur  lequel  se  balancent  quelques  barques  pontées,  et 
au-dessus  de  ce  port  une  ville  aux  maisons  blanches  :  c*est 
Vostilza. 

Yostitza  est  l'antique  £gium ,  où  Againemnon  convo- 
qua les  chefs  grecs  pour  les  décider  à  marcher  contre 
Troie  ;  et  où ,  au  temps  de  la  splendeur  de  la  Grèce ,  se 
rassemblaient  les  représentants  de  la  ligue  achéenne.  Ce 
n*est  plus  aujourd'hui  qu'un  grand  bourg  aspirant  à  de- 
venir vîUe.  Un  fruit  qui  n'est  pas  même,  je  crois,  men- 
tionné par  les  anciens ,  et  qui ,  au  moyen  âge ,  semble 
surtout  avoir  été  employé  à  la  teinture  S  le  raisin  de  Go- 
rinthe,  passolineou  uva  passa,  grâce  à  l'attachement  héré- 
ditaire des  Anglais  et  des  peuples  de  race  germaine  pour  le 
plum-pudding  rend  ces  prétentions  raisonnables. 

A  l'antique  iËginm  d'Agamemnon  succéda  le  fief  de 
Yostitza  de  la  famille  Gharpigny.  Aux  Francs  succédèrent  les 
Turcs  ;  puis  enfin  les  Grecs  ont  ressaisi  leurs  domaines. 
Ges  quatre  occupations  ont  laissé  leurs  traces  dans  les  em- 
placements divers  successivement  occupés  par  la  ville  de 
Yostitza. 

Le  site  de  l'antique  Mgium  est  facile  à  reconnaître.  Il 
s'étendait  sur  le  côté  oriental,  du  bas  de  la  colline  en  re- 
montant jusque  sur  le  promontoire  de  la  montagne  sur 
lequel  on  voit  les  ruines  de  quelques  temples  ;  et  à  l'oc- 
cident ,  du  côté  où  est  la  fontaine  saline  située  presque 
au  pied  du  grand  platane  qui  semble  avoir  été  le  contem- 
porain de  toutes  ces  populations.  Dans  les  flancs  du  co* 
teau  situé  au-dessus  du  port  on  retrouve  quelques  traces 
rares  des  anciens  murs,  car  la  pierre  n'est  point  originaire 
du  sol  sablonneux  de  Yostitza;  et  toutes  les  fois  que,  pen- 
dant le  cours  des  siècles,  on  a  eu  besoin  de  quelques  larges 
assises ,  les  murs  antiques  étaient  la  carrière  où  on  allait 
les  prendre.  On  rencontre  de  temps  à  autre  dans  les  champs 

<  Uvas  passas  parvasper  quas  fit  tinctura.  Lettre  citée  dans  Wad- 
ding,  Annales  des  Frères-mineurs,  à  Tan  1259. 


AM         GKÈce  GONTimmAi.fi  et  moréb. 

e(  près  de  la  footaioe  qoelquef  monnaies  anliques  et  dee 
fragmenu  de  eoleoBei.  Le  céldbre  platane ,  situé  auprès  de 
la  fontaine  saline ,  a  été  fort  maltraité  par  les  éclats  de  la 
fondre  et  par  le  feu  des  Arabes;  maïs  il  seiHHiserve  encore 
fort  beau.  Je  l'ai  mesuré  ;  le  tour  de  son  tronc  eal  de  dix-huit 
de  mes  pas.  Sa  lête  s'élève  au  niveau  du  sommet  de  la 
colline  «  mais  ses  branches  sont  bien  loin  de  s'étendre  sur 
un  aussi  vaste  espace  que  le  font  les  branches  du  platane  que 
j*ai  vu  en  Eubée  près  d*Achmet- Aga^  Il  n'en  a  ni  la  Jeunesse, 
ni  la  fraîcheur,  ni  Tampleun  Le  platane  de  l'Ëubée  n'a  pas 
une  gerçure  sur  la  jeune  éeorce  de  son  tronc*  Un  passage 
creusé  dans  le  roo,  d'apparence  antique,  conduisait!  ea 
remontant  rapidement,  de  la  fontaine  à  la  ville,  et  abré^ 
geait  ainsi  le  chemin  des  jeunes  filles  qui,  de  toutes  les 
parties  de  la  ville,  allaient  et  vont  encore  dans  leurs  gran- 
des urnes  chercher  de  l'eau  à  la  fontaine  saline. 

Un  pan  assez  considérable  de  muraille  existe  en  en* 
tier  près  de  la  maison  de  M«  Georges  Meletopoulos.  La 
partie  la  mieux  conservée  est  un  mur  en  grosses  pierres 
de  taille  bien  cimentées,  maintenu  sur  deux  de  ses  angles, 
et  s'élevant  encore  h  une  dizaine  de  pieds  au-dessus  du 
sol,  reste  d'une  tour  carrée  antique  qui  s'avançait  du  côté 
de  la  ville.  Ce  château  était  dans  une  très-belle  et  très- 
forte  situation.  De  là  on  suit  de  l^œil  tout  le  golfe  de  Lé- 
pante,  depuis  Fatras  jusqu'à  Ck)rinthe. 

En  remontant  au  dehors  de  la  ville  actuelle  du  côté  de 
Corintbe,  on  retrouve  les  restes  de  deux  murs  romains  avec 
des  fragments  de  mosaïque  au  milieu  de  la  rue*  L'un  de  ces 
pavés  de  mosaïque  a  été  et  continue  à  être  peu  à  peu  en^^ 
traîné  par  les  eaux  d'une  branche  de  la  rivière  de  Vostitza, 
détournée  souveut  en  entier  pour  servir  h  l'irrigation  des 
jardins  et  des  vignes  de  raisin  de  Gorintbe^  Un  peq  plus 
haut,  près  d'une  des  quatre  églises  que  l'on  vient  de  con-* 
struire,  dans  le  jardin  d'une  maison  particulière,  sont  les 
ruines  fort  visibles  d'un  ancien  temple  grec.  Les  vastes  as- 
sises de  grande  pierre  porique  ont  été  oéchaussées  ou  en- 


levées  fiar  le  preppiétaire  aetœl  poor  bâlir  s»  maiseo  ef 
Itiî  faire  des  escaliers,  maisj'ea  retrouvai  encore  une  grande 
quantité  dans  )e  jardin.  Deux  des  côtés  des  assises  mtéy 
rieures  du  ttni|»le  sont  conservées,  mais  pour  pen  de  temps 
8MS  doute.  8op9  en  tempie  étfiit  un  sonterrain  asses  vas(#t 
dansle^el  je  pénétrai  à  travers  les  i^r^NisssiUes,  Les  escalier» 
existent  eiicoro  eonekés  sons  la  terra  et  sons  les  berbes.  On 
éeseend  envimn  de  qainze  pieds  sous  le  sol  actuel  do  jardin 
et  on  trouve  an  passage  sonterrain  de  trois  pieds  de  largeur 
au  plus  ^  de  afaide  banteur,  eonstmit  d'abord  en  grandes 
pierres  t  puis  tailié,  «an  dans  le  roe,  mais  danfi  t^tte  t^rrt 
nafaieniiense  dont  m  oompooe  in  montagne  de  Vostii^a.  Potif 
lui  donner  ptos  de  consisfaoee  on  a  rêvât»  les  deof  c^MH 
4e  la  voAié  d'i^  eo»eb«  de  stuc  si  aobda ,  qn^'A  SQbrisi« 
«ijouid'hni  nnlgré  TfaumiditA 

  l'entrée  d«  noaterrain  erott  eettf  jolie  paritaire  q^i 
tapisse  la  grotte  des  Nympbea  à  Kepbtefa*  On  descepd  k 
ieog  d'un  corridnr,  et  on  trouve  k  droite  deii;i  retraites 
destinées  sans  4ante  à  des  tombeaux,  hf^  éboulenieots  M 
k  terre  eupérieiire  gâneot  an  peu  ia  ïïmch^  et  obstrnept 
les  c6tés  et  le  bas  du  sontemiio*  Mais  on  peut  cependant 
pénétra  an  éelà  d'une  aoixaotaine  de  pieds  di^  l'onveriture. 
Là  s'est eonaervée  une  aorte  de  iJieiniiiée  arrondie  m  cto^  et 
revêtue  de  «tue,  qui  neinonte  en  niveau  du  eputfrraio  d^  fai 
lerre  et  va  toujoufa  m  reti^ijasant  à  mesure  qu'elfe  js'élèveb 
Kn  eKamiuant  la  partie  k  bqnelie  eomb'spondaît  c^i|<9  ^mït^ 
n«vertni«,  je  remarquai  qu'elle  se  trouvait  plai^  dans  l'ia-r 
cérfeur  du  lempfe  et  à  un  endroit  aaiez  rapprocM  4es  muris^ 
Étai6ce  là  une  invention  eacerdotale  ppnr  fam  entendre  an 
beeobi  des  voix  prophétiques  ?  1}  paraitrait  qn'no  piéd^a^l 
était  posé  au^desaos  de  l'onveriure  du  ed^  (  peiKt-éir^  étaitt 
M  freueé  aussi,  pour  laiiser  paaaer  b  m%  d»  dm  placé  sur 
sa  base.  Je  ne  sais  si  une  de  ces  tombes  ne  serait  pas  celle 
du  héraut  Talthybius  et  si  le  temple  ne  serait  pas  celui  de 
Lucine  ou  celui  d'Ëscul^,  qui  tous  deux  étaient  fréquentés 
pour  leurs  oracles  et  qui,  selon  Pausanias,  devaieni  être 


528  GRECB  CONTlMlBNTAifi  ET   HOREE. 

placés  de  ce  côté.  Dans  une  des  maisons  de  la  nonvelie 
viUe,  je  vis  une  petite  pierre  antique  représentant  Pallas 
casquée,  assise  sur  un  trône,  et  tenant  un  petit  pailadioan 
dans  sa  main  droite;  mais  le  travail  m'en  a  paru  plus 
romain  que  grec.  Quelques  personnes  m'apportèrent  aussi 
des  monnaies  antiques;  mais  la  plupart  étaient  romaines 
ou  byzantines,  et  les  autres  étaient  communes  ou  frustes. 
Suivant  la  Chronique  de  Morée  *  les  Français,  au  moment 
de  leur  débarquement  à  Kato-Achaîa  près  de  Fatras  en  1 205, 
se  dirigèrent  par  le  rivage  sur  Vostitza  et  s'en  emparèrent. 
Lors  de  la  répartition  qu'ils  firent  des  fiefs  entre  leurs  princi- 
paux barons,  Vostitza  fut  donnée  avec  huit  fiefs  de  cavaliers  à 
Hugues  de  Gharpigny  '.  Les  Charpigny ,  plus  connus  ensuite 
sous  le  nom  de  siresde  La  Youstice  (Vostitza),  restèrent  fort 
long-temps  en  possession  de  leur  fief.  J'ai  retrouvé  leur  nom 
de  sires  de  Charpigny  et  de  La  Vouslice  dans  bon  nom- 
bre d'actes  et  de  faits  des  treizième  et  quatorzième  siè- 
cles. Un  Gui  de  Gharpigny  (Guido  de  Charpini)  est  men- 
tionné dans  un  rescrit  de  Charles  P'  d'Anjou  du  25  mai 
1280,  dans  les  registres  angevins  du  Palazzo  Capuano  de 
Naples  *.  Vers  l'an  13^5 ,  Guillemette  de  Charpigny ,  dame 
de  La  Voustice ,  vendit  sa  seigneurie  de  Vostitza  à  Marie 
de  Bourbon  femme  de  l'empereur  Robert  de  Tarente.  En 
mars  1364»  Marie  de  Bourbon,  princesse  d'Achaye  et 
impératrice  deConstantinople,  aliéna,  un  peu  avant  la  mort 
de  son  mari  Robert,  cette  seigneurie  de  Vostitza  en  faveur 
de  Nicolas  Acciaiuoli.  En  l'an  1391,  suivant  le  recensement 
que  j'ai  publié^,  La  Voustice  avait  deux  cents  feux  et  était 
entre  les  mains  d'Azan  Zaccaria  Centurione,  seigneur 
d'Arcadia^  qui  prenait  le  titre  de  vicaire  de  la  principauté 
d'Achaye.  Le  château  féodal  des  Charpigny  était  bâti  sur  le 
promontoire  même  qui  domine  le  port;  mais,  de  même  que 

*  Page  35. 
»  Page  48. 

s  Voyez  t.  i  de  mes  Recherches,  p.  223* 

*  Page  296  de  mes  Éclaircissements* 


vostitZa.  Ô29 

les  Francs,  pour  bâtir  leur  forteresse  sar  ces  terrains  dénués 
de  grandes  pierres,  avaient  arraché  les  assises  des  temples 
antiques,  les  Grecs  et  les  Turcs,  qui  ont  succédé  aux 
Francs,  ont  détruitleurs  châteaux  et  leurs  forteresses  féoda- 
les pour  construire  leurs  maisons.  Une  reste  donc  presque 
rien  de  la  Youstice  des  Francs ,  seulement  remplacement  du 
château  féodal  est  marqué  par  quelques  ruines  de  muraille 
près  de  la  partie  conserr ée  du  mur  antique  et  tout  le  long 
de  Tescarpement  qui  s'avance  vers  la  mer. 

La«yostitza  turque  était  située  sur  le  penchant  du  côté 
orienta],  près  du  ruisseau  de  la  Yostitza,  à  mi-côte.  £n  sui- 
vant le  petit  nombre  de  masures  qui  subsistent  encore  et 
qui  sont  placées  au-dessous  de  la  nouvelle  ville  grecque, 
on  se  demande ,  ainsi  qu'on  le  fait  à  Fatras,  ainsi  qu'on  le 
fait  dans  vingt  villes  de  Morce,  ce  qu'est  devenue  l'an- 
cienne ville  :  elle  a  été  brûlée  tout  entière  dans  la  dernière 
guerre;  les  maisons  turques  comme  les  maisons  grecques, 
selon  que  chaque  parti  triomphait  tour  à  tour. 

Depuis  que  la  Grèce  a  commencé  à  renaître  indépen-> 
dafnte,  de  grands  efforts  sont  devenus  nécessaires  pour  ré- 
parer les  désastres  passés.  Il  a  fallu  que  ceux  qui  avaient 
survécu  à  cette  guerre  d'extermination  s'armassent  d'un 
courage  et  d'une  persévérance  qu'on  ne  saurait  trop  admi- 
rer. Après  avoir  donné  la  sépulture  à  leurs  parents  les  plus 
chers  égorgés  sans  pitié ,  et  après  les  avoir  souvent  aussi 
vengés  sans  pitié;  au  lieu  de  désespérer  de  leur  avenir,  sur 
cette  terre  partout  incendiée  et  désolée  ils  se  sont  mis  à 
rebâtir  des  maisons  meilleures,  à  planter  des  vignes  et  des 
fdiviers.  Les  nouvelles  villes  se  sont  rapidement  formées 
et  agrandies,  refaites  à  neuf  et  en  toute  hâte,  souvent  sans 
trop  d'égards  pour  la  symétrie,  ainsi  que  le  font  des  gens 
trop  pressés  ;  et  il  n'en  est  peut-être  pas  aujourd'hui  une 
seule  qui  ne  soit  plus  florissante  qu'elle  ne  l'était  avant  sa 
destruction,  tant  la  liberté  peut  enfanter  des  prodiges* 
Yostitza  a  été  rebâtie  en  entier  et  en  deux  lieux  différents» 
D'abord  on  avait  construit  la  nouvelle  ville  sur  le  bord  de 

45 


530  GBECE    CO^îTiNBKTALfe   ET    HOREE. 

h  nm  et  aotoar  do  fMneom  plaCaoe  et  da  la  foiiUiae;  nais 
bieiCél,  a'apercevant  que  ht  œaraifl,  ntuéi»  à  oB^demi-iîeae 
de  la  ville,  rendaient  ee  lien  fort  insalubre,  les  babitant^  re- 
nonlèreBt,  povr  retrauver  la  Voitita  du  mofea  lge«  sur  la 
eoMioe  eà  étaient  disperoéea  tea  roinea  de  son  vieux  château. 
A  Taide  de  cea  roinea  on  hftti$  qoel^piea  oiaiaons  de  pierre  ; 
iea  autres  BiaiaoBS  forent  conb^tieipiite  aflrea  une  anrte  de 
piaéfaitde  terre  argileuae  durdeanaoieil,  en  forme  de  &iIt 
les,  liées  ensemble  par  un  peu  de  foki  détvempé,  et  r eeûBver-r 
tes  enauite  de  plâtre  tnèa^blaofi.  GeaeepàeeadJe  CDnatmciions 
réaiateBt  fort  bien  ans  treinblemeati  de  terre  f  t  durent 
trèa4(Hig''teaipa.  Qotiqnes  betiea  naieena  ont  ét^  bâties 
sur  nn  plan  dreasé  pvioiitivenient  pour  le  noiiffelle  ville  et 
altéré  depuis,  wais  ee  dernier  plan  a  fini  par  paévafeîr  :  le 
plus  grand  nombre  des  maisena,  seit  grande^,  soit  neyenir 
nés,  soit  petites,  aontplaeéea  eonfoménient au  dernier 
plan,  Des  raes  droites  et  inrt  latigeB,  mais  maHieurense** 
ment  sans  portiques,  impréviafance  impardonnable  dans  ce 
pays  chaud,  et  surtout  si  près  de  Fatras,  où  on  avait  eom- 
menée  I  les  introduire,  s'étendent  eur  toute  la  eoiliae.  Les 
plus  foeilef  maisons  sont  celles  poasôdéies  par  les  fières  Mér 
iétopoulos,  qui  disputent  à  la  famille  Lq^mIos  la  suprématie 
munie^le  el  qui  ont  eueeédé  â  TinflueniDedes  Deiy^ni,  Le 
trôqe  de  dimarque  est  ici  un  grand  objet  d'aoibîliop  pour 
toutes  les  familles  dea  aneiepis  fcodja^basebi  ;  aussi  el^que 
parti  ménageât-il  beaueoiip  les  électeurs  futurs  pour  se  p^r 
pétuer  dans  un  pouvoir  qui  eonfère  è  la  fois  l'aniorité  légaJe« 
un  petit  revenu  et  des  moyçns  fiieiies  d'aemtflre  régmiière- 
ment  Ton  etTautre.  Les  étmngiers  à  la  dimarcbie  ont  son-r 
vent  k  senffi'ir  de  ee  besoin  an  dimanpe  de  caresser  son 
people,car  pour  ne  pas  Uesser  ses  électeurs  fqtiiFS  il  se  mm- 
t»e  fort  tolérant  envers  leurs  prétenlioos  les  pins  ridicules 
et  envers  leurs  exigences  les  plus  déraisonnables.  Cet  incon  - 
vénient  disparaîtrait  bientôt  ^  TeixeUefit  systèjne  uuiiiici- 
pal  qui  régit  k  Grèce  était  complété  par  le  système  iks 
éperdues  (arrc»daiisemenls)  e|  d^s  j^fOiiiar^ûes  (départe- 


ments),  et  si  à  soa  tour  ce  système  était  complété  par  une 
régulière  organisation  du  pouvoir  public  ou  représentatif; 
uiais  tout  a  éié  promis  et  rien  encore  n'a  élé  fait. 

Outre  les  grandes  familles  que  je  viens  de  mentioimer,  il 
y  en  a  à  Yosliiza  une  dizaine  d'autres  qui  jouissent  c[*und 
trentaine  de  mille  livres  de  rente  obtenues  par  la  culture 
du  raisin  de  Corinthe<  Le  vin  de  Yosiitza  est  aussi  de  bonne 
qualité;  mais,  bien  qu'on  ait  fabriqué  des  caves  sous  toutes 
les  maisons  nouvelles  »  on  ne  sait  pas  encore  bien  conser-* 
ver  le  vin ,  et  on  ne  le  confectionne  pas  avec  assez  de  soin 
pour  le  vendre  au  dehors.  La  ville  a  un  revenu  de  /iO  à 
60,000  drachmes  :  avec  cela  on  a  déjà  bâti  une  fort  belle 
école  pour  les  jeunes  gar^tii.  Dé  nouveaux  fonds  de  sous- 
cription s(5nt  réunis  pour  en  bâtir  une  autre  pour  les  jeu- 
nes filles ,  et  un  gymnase  ou  école  secondaire  de  tardera 
pas  à  être  organisé  ;  une  promenade  a  aussi  été  préparée , 
et  on  y  jouira  d'une  fort  belle  vue  sur  le  ravin  6itué  du 
côté  de  la  campagne  et  sur  la  mer,  £a  visitant  cette  partie 
éb  la  ville  #  je  poussai  ma  promenade  jusqu'en  face  de  la 
montagne  au  bas  de  laquelle  est  situé  le  riche  couvent  de 
Taiiarcbis  ou  l'archange  MioheL  Les  Turcs  ayant  brûlé 
l'ancien  couvent^  situé  sur  la  montagne,  je  dus  renoncer  à 
l'espoir  de  retrouver  une  seule  charte  i  un  seul  manuscrit^ 
Avec  leur  revenu  fort  considérable  de  90^000  drachmes, 
ces  moines  ont  fait  rebâtir  leur  nouveau  couvent  tout  au 
baà  dé  la  montagne  ;  tnais  là  position  nouvelle  est  si  mal* 
saine  qu'ils  voht  la  quitter  et  rebâtir  ud  second  monastère 
plus  haut  sur  la  biontague,  au  milieu  d'une  pelouse  ver- 
doyâhte  entourée  de  bois  de  toutes  parts.  L'air  y  est  ex* 
cellent  ^  les  eaui  sont  pures  et  abondantes  ^  et  la  vue»  qui 
s'étend  sur  le  golfe  de  Gorlnthe  »  sur  l'Hélicon ,  le  Gythé- 
ron  et  le  Parnasse^  est  une  des  plus  belles  du  paysi 

De  ma  chambre  à  Yostitsa  chez  M.  Georges  Mélétopou- 
los  j'avais  aussi  une  vue  délicieuse  sur  le  golfe  et  la  petite 
île  de  Tritonia»  et^  de  l'autre  côté  du  golfe ,  sur  la  monta- 
gne où  est  situé  le  monastère  de  Yarnacova.  Grâce  aux 


53f  GRÈCE   CONTINENTALE  ET   MOREB. 

a^anlages  de  sa  position  et  au  raisin  de  Corinthe,  que  l'on  a 
replanté  partout  et  en  plus  grande  quantité ,  Yostitza  peut 
espérer  une  prompte  renaissance.  Son  port  est  sûr  quoi- 
que peu  spacieux  et  peut-être  un  peu  trop  profond  sur  les 
bords  pour  que  les  bâtiments  marchands  puissent  aisément 
y  jeter  l'ancre.  Sa  proximité  de  Salona,  de  Galaiidi ,  de 
Lépante  et  de  Missolonghi  par  mer  la  met  en  rapport  avec  la 
Rumelie;  sa  proximité  de  Corinthe,  avec  Athènes,  l'Âttique 
et  l'Orient  ;  enfin  sa  proximité  de  Fatras ,  avec  TËurope. 


XXXII. 

lIEGA-SPaEON.  — CAL  AVB  YTA.  — TREMODLA.  —  VLONGOKA. 

—  ^GIRE. 

Mes  diverses  visites  dans  les  couvents  grecs  m'avaient 
assez  appris  1^  peu  de  fonds  que  l'on  peut  faire  sur  leurs 
archives  et  bibliothèques  pour  qu'il  me  restât  encore  quel- 
ques espérances  à  cet  égard  ;  mais  la  réputation  du  cou- 
vent de  Mega-spileon  est  si  grande  dans  toute  la  Grèce , 
que  je  ne  pouvais  me  dispenser  d'aller  le  visiter  :  d'ail- 
leurs j'avais  à  voir,  tout  près  de  là,  la  ville  de  Galavryta  , 
où  avait  été  établi  un  fi^ef  et  un  château-fort  donné  à  la 
maison  de  Tournay  au  temps  de  notre  principauté.  Je  quit- 
tai donc  Yostitza  pour  rentrer  dans  l'intérieur  de  la  Morée. 

Après  avoir  suivi  le  rivage  pendant  deux  heures  on  ar- 
rive au  pied  d'une  montagne  couverte  de  pins  au  milieu 
desquels  se  trouvent  les  fondations  d'un  temple  et  d'une 
caterne  sépulcrale;  et  un  peu  au  delà  une  grotte  d'Her- 
cule ,  célèbre  par  les  oracles  qui  s'y  rendaient  avec  des  dés. 
En  continuant  à  monter,  on  aperçoit  les  restes  de  l'antique 
ville  de  Buro.  Toute  cette  côte  était  peuplée  de  grandes 
villes  dont  h  plupart  ont  été  abîmées  dans  des  tremble- 
ments de  terre.  Jusqu'en  haut  de  cette  montagne  la  vue 
est  fort  belle  :  les  montagnes  sont  bien  boisées  et  la  mer 


COUVENT   DE   HEGA-SPILEON.  533 

est  au-dessous  de  vous ,  terminée  par  les  montagnes  de 
Roumélie;  maïs  quand  on  a  franchi  ce  sommet  et  qu*on 
arrive  an  centre  même  des  montagnes  on  trouve  un  pays 
aride  et  inhabité.  La  vue  s'embeliit  peu  jusqu'auprès  de 
Mega-spileon  ;  toutefois  une  derai-lieue  avant  d'arriver  au 
monastère,  qui  est  comme  plaqué  en  haut  d'un  roc  droit 
et  uni,  l'eau  du  Bouraïkos,  ou.torrent  deCalavryta,  amène 
un  peu  de  verdure  et  de  fécondité ,  et  un  vittage*  est  situé 
tout  à  fait  au  fond  de  ce  ravin  au  milieu  de  terres  culti- 
Tées  avec  soin.  Je  montai  de  là  à  pied  jusqu'au  couvent , 
en  suivant  le  chemin  au  hasard  et  en  m'écartant  de  la 
route  construite  par  les  moines,  et  je  grimpai  plutôt  que  je 
ne  montai  par  un  ravin  où  l'eau  coule  entre  des  jardins  pota« 
grrs  cultivés  par  chaque  moine  et  enclos  par  des  baies  an 
treillages.  Après  une  heure  de  fatigue  pour  passer  d'un 
jardin  à  un  autre  et  me  frayer  un  chemin  plus  droit  à 
travers  les  plantations  qui  garnissent  le  cours  d'eau, 
j'arrivai  enfin  au  couvent.  C'est  un  amas  de  construc* 
tions  sans  goût ,  élevées  les  unes  au-dessus  des  autres 
entre  les  vides  du  rocher.  Au-dessus,  le  rocher  s'élève 
encore  de  beaucoup;  et  tout  en  haut  est  une  petite  for- 
tification à  l'aide  de  laquelle  les  moines  ont  su  se  faire 
respecter  des  Turcs  et  empêcher  Ibrahim  même  d'arriver 
jusqu'à  eux.  L'hégoumène  Germanos  m'accueillit  avec  poli- 
tesse. J'aurais  bien  voulu  voir  sur-le-champ  la  biblio- 
thèque ;  mais  on  m'allégua  des  prétextes  d'ajournement. 
Le  moine  qui  avait  la  clef  était  aux  champs  ;  on  me  la  mon- 
trerait le  lendemain.  Par  là  les  moines  espéraient  détour- 
ner mon  attention  de  cette  demande  ;  mais  ils  se  trom- 
paient. Pour  le  moment  je  mécontentai  de  visiter  l'intérieur 
du  couvent  et  de  l'église.  Cet  intérieur  est  misérablement 
composé  de  mille  escaliers  obscurs  de  bois  qui  conduisent 
aux  loges  plutôt  qu'aux  chambres  des  moines  plus  obscures 
encore  et  fort  malsaines.  Cependant  de  fréquentes  épidé- 
mies les  ont  forcés  à  songer  à-  leur  santé ,  cl  j'ai  trouvé  çà 
et  là  de  grandes  chambres  avec  des  fenêtres  larges  et  où 

45. 


534  GRÈCE   CeNTINfiNTALB   BT   MORSE. 

Tair  pénôlrc  et  circule  avec  auaiice*  Cinq,  six  «  hiiit  moi- 
nes couclienl  dans  chaque  chambre  :  les  petite  moines  cou- 
chent encore  dans  les  anciens  trous,  sans  y  i*ecef  oir  d'autre 
jour  que  par  une  petite  porte  qui  donna  silr  un  étroit  cou< 
loir  obscur.  On  est  confondu  quand  on  compare  ces  misé* 
râbles  niches  et  ces  tnisérables  constructions  avec  les  belles 
chambres  et  les  splendides  corridors  de  la  Gava  et  dû  IVlont- 
Cassin  I  Comme  les  bénédictins  savaient  mieux  choisir  lears 
emplacements  que  les  frères  de  Saint-Basiie  !  L'institution 
de  Saint- Basile  ne  peut  étte  utile  que  dani  un  pays  pauvi*e 
que  ronvettt  mettre  en  cnlturd  ;  aujourd'hui^  que  les  moi* 
nés  greok  sont  devenus  les  seuls  grands  propriétaires ,  sans 
s'élever  i  la  hauteur  d'idées  que  doit  avoir  un  grand  proprié« 
taire  I IM  n'ont  plus  guère  de  principe  de  viei  J'ai  cherché  à 
mohtrer  à  l'bégoumène  la  nébeseité  {k>ur  lui  d'embrassei"  c« 
K^le  dé  grand  propriétaire;  si  rflre  dans  son  pays,  en  em«^ 
ployatot  ses  reveilus  à  faire  des  améliorittions  agricblesi  des 
essais  de  culture  de  pommes  de  terre  ;  en  donnant  enfin 
l'exemple  aux  paysans,  en  même  temps  qu'il  ferait  ouvrir 
par  ses  moines  des  écoles  là  où  il  n'y  en  avait  pas;  mais  je 
l'ai  trouvé  beaucoup  moibs  disposé  à  songer  au  bien  géné- 
ral que  ne  le  sont  l'hégouniènË  dn  couvent  de  Poursos  ^i 
quelques-uns  de  se^  adlègues.  Les  bénédictins  avaient 
commencé  aussi  par  la  culture  de  k  terre  s  mais  le  ttatail 
de  l'intelligence  n'était  pas  hégligé^  et  c'est  par  la  science 
que  cet  ordre  a  continué  à  porter  uti  nom  respectablei 

On  me  conduisit  enluite  à  l'église  ^  dû  je  me  fis  montrer 
avec  soin  tous  les  tableaux  y  compris  le  fameut  portrait 
de  la  Vierge  et  de  l'Ënfaot  Jésus  attribué  à  saint  Luc  ; 
car  le  couvent  se  vante  de  posséder  un  des  originaux  de  ce 
portrait.  C'est  un  misérable  bas-reliefde  cire  devenue  noire^ 
La  Vierge  n'a  pas  de  ft*ont  et  des  yeux  sont  bridés  à  la  chi- 
noise(  on  voit  que  cette  partie  a  dû  être  fondue  par  le  feu« 
car  il  est  impossible  qu'oti  ait  jamais  exécuté  une  à  horri- 
ble fîguiT.  Le  bas  de  la  figure  est  un  p^u  mieux*  L'fiofant 
Jésua  est  au^  horriblement  laid  et  tout  nmn  Ce  bas^^relief 


COUVENT   HE   ME6A-SPIl.E0Nt  535 

doit  être  du  huiiiôine  ou  ncuvièiqe  siècle»  c'eit-j^-dire 
uue  époque  où  les  arts  élaieot  tombés  dans  la  dégradatioot 
Il  doit  être  fort  ancien ,  puisqu^ii  est  déjà  mentionné  dans 
d'anciens  chrysobuHes  dont  un»  je  pense,  est  du  on^* 
zièine  siècle.  La  grandeur  et  la  richesse  du  couvent  actuel 
ne  remontent  guère  que  jusqu'à  Jean  Cantaouzène,  au  mi- 
lieu du  quatorzième  siècle»  Deux  autres  tiableaui  ont  attiré 
bien  plus  mon  attention  :  Tun  est  un  délicieux  petit  tableau 
italien,  dedeux  pieds  et  demi  de  hauteur  sur  uu  pied  et  demi 
de  largeur  environ ,  qui  représente  Jésus-Christ  portant  sa 
croix.  Oansle  fond  sont  une  foule  de  personnages  parfaitement 
peints;  au  bas  les  saintes  femmes,  en  haut  des  anges  qui 
annoncent  le  triomphe  du  Christ  et  y  président.  Il  y  a  là  une 
couleur  et  un  dessin  tout  raphaéliques  (  mais  malbeureu-» 
sèment  ce  tableau  est  placé  dans  un  coin  et  caché  sous  uu 
voile  »  de  telle  manière  que ,  pour  bien  voir  les  uns  et  les 
autreS)  j*ai  dû  prétexter  la  faiblesse  de  ma  vue  et  faire  lever 
tous  les  voiles  et  ouvrir  tous  les  vitraux  qui  les  couvraient 
Un  autre  tableau  de  la  Vierge,  aussi  à  Thuile,  est  fort  beau  et 
sur  un  plus  grand  modèle  ;  maison  en  a  malheureusement 
gâté  l'effet  en  appliquant  une  couronne  réelle  d'argent  doré 
sur  la  tête  de  la  Vierge  i  et  une  autre  sur  la  tête  de  Tfinfant  « 
ainsi  que  je  l'ai  déjà  vu  pratiquer  dans  l'église  métropoli- 
taine à  Zante,  oe  qui  détruit  toute  l'harmonie  de  couleura 
qu'avait  préparée  le  [nnceau  du  peintre« 

Je  soupai  avec  l'hégoumène  «  qui  est  dans  les  idées  rus«< 
ses.  Un  maître  d'écolê\  inspiré  par  le  désir  d'entrer  dans 
ses  idées ,  nous  a  assuré  gravement  que  l'Angleterre  allait 
soulever  tous  les  fidèles  contre  ses  agents  i  attendu  que , 
pour  détruire  la  religion  grecque ,  elle  envoie  des  hommes 
(sans  songer  que  la  plupart  sont  Américains)  qui  détruisent 
ou  cherchent  à  détruire  la  religion  grecque.  A  Athènes,  dit- 
il,  l'ouvrage  est  presque  consommé,  et  tous  sont  incrédule  s 
et  n'observent  plus  les  carêmes.  Le  didascalos  assura  que  le 
peuple  se  révolte  contre  cette  idée,  et  en  a  conçu  contre  les 
Anglais  une  haine  qui  n'attend  qu'une  occasion  pour  éclater. 


536  GRECE   CONTINENTALE    ET  MOREE. 

Un  des  moines  vint  me  prendre  le  lendemain  matin 
poar  me  conduire  par  tout  le  couvent.  Il  me  montra  les 
chapelles  des  saints  et  saintes  qui  protègent  le  couvent  et 
l'ont  fondé ,  entre  antres  sainte  Ëaphrosine.  Il  compte 
même  parmi  ses  fondateurs  saint  Panl ,  qui ,  me  dît-il , 
est  passé  par  là  dans  ses  voyages  et  s'y  est  arrêté.  Ce  moine 
me  conduisit  ensuite  dans  la  cave  pour  me  faire  voir  les 
deux  mirifiques  tonneaux  que  Ton  montre  toujours  aux 
voyageurs.  Je  Télonnai  fort  en  lui  disant  que  ses  deux 
tonneaux  étaient  des  enfants  en   comparaison  de  ceux 
que  j'avais  vus  dans  quelques  couvents  suisses  et  entre 
autres  près  de  Weinfeld  en  Thurgovie.  Au  milieu  de  la 
cave  de  Mega-spileon  est  une  source  de  fort  bonne  eau 
très-abondante  en  toute  saison.  Les  murs  qui  conduisent 
à  cette  cave  et  qui  soutiennent  tout  l'édifice  sont  fort 
épais  et  solides,  et  le  rocher  dans  lequel  la  cave  est  placée 
m'a  paru  fort  sec;  les  moines  m'ont  dit  qu'il  ne  s'impré- 
gnait d'humidité  qu'en  hiver.  A  l'extérieur  du  couvent  le 
caloyer  qui  m'accompagnait  me  montra  les  trois  miracu- 
leuses croix  inscrites  sur  le  roc;  mais,  malgré  tonte  ma 
bonne  volonté ,  je  n'ai  pu  voir  dans  aucune  la  forme  d'une 
croix,  celle  du  milieu  ressemble  plutôt  à  un  oiseau  de 
proie  aux  ailes  étendues.  La  gravure  qu'ils  ont  donnée  dans 
leur  ouvrage  ne  représente  pas  exactement  la  vérité,  bien 
que  déjà,  dans  la  gravure,  la  forme  des  croix  paraisse  fort 
incertaine  :  j'en  fis  l'observation  au  moine,  qui  me  dit  que 
le  temps  avait  sans  doute  altéré  fAu  à  peu  ces  pierres. 
Enfin  nous  arrivâmes ,  non  sans  peine  et  sans  insistance 
de  ma  part ,  à  la  bibliothèque.  Le  bibliothécaire  était  ab- 
sent ,  et  n'existait  peut-être  pas  :  il  fut  remplacé  par  un 
jeune  moine,  qui  m'allégua  son  ignorance  sur  tout;  mais 
on  ouvrit  les  quatre  ou  six  armoires  qui  contiennent  les 
livres  imprimés  et  manuscrits  et  la  caisse  qui  contient  les 
chartes,  et  je  pus  examiner  ce  que  bon  me  semblait.  C'est  une 
salle  fort  petite  et  fort  obscure  pratiquée  dans  le  rocher 
^^ine.  Il  me  parut  qu'il  y  avait  tout  an  plus  mille  volumes 


CALAVRYTA.  Ô37 

parmi  lesquels  une  cinquantaine  de  manuscrits  mêlés  çà  et  là 
aux  autres  livres,  qui  sont  eux-mêmes  recouverts  d'autres 
volumes  ;  de  telle  sorte  que  j'avais  beaucoup  de  peine  k 
suivre  ma  recherche,  an  milieu  de  deux  moines  armés  de 
cierges  et  dont  je  ne  voulais  pas  lasser  la  complaisance.  Je 
pris  un  à  un  tout  ce  qui  me  sembla  manuscrit  et  ne  trou-* 
vai  rien  autre  chose  que  des  bibles  grecques  du  treizième 
siècle,  des  évangéliaires  grecs  du  onzième  et  du  douzième, 
une  copie  du  dix-septième  siècle  des  sermons  de  saint 
Jean-Chrysostome  et  quelques  autres  livres  ecclésiastiques 
ornés  de  miniatures.  La  caisse  qui  contient  les  archives 
renfermait  seulement  quelques-unes  des  chartes  qu'ils  ont 
publiées  dans  l'ouvrage  sur  leur  abbaye;  mais  les  plus 
anciennes  étaient  encore  dans  les  mains  de  M.  Oikonomos, 
auteur  de  l'ouvrage  sur  le  Mega-spileon  attaqué  par 
M.  Pharmakidis.  Les  chartes  qui  restent  sont  de  riches  ûr- 
mans  de  la  Porte ,  en  tête  desquels  sont  de  fort  élégantes 
peintures  d'arabesques  et  de  fleurs.  Aucun  manuscrit  his- 
torique n'est  tombé  sous  ma  main.  Il  est  possible  cependant 
qu'il  y  en  ait ,  bien  que  ce  soit  peu  probable  ;  mais  on  ne 
parviendra  à  le  savoir  qu'en  déplaçant  cette  bibliothèque 
de  l'endroit  où  elle  est,  et  en  obtenant  des  moines  de  céder 
leurs  manuscrits  pour  queU^ue  autre  compensation  qui 
leur  sera  plus  agréable  :  car,  tant  qu'ils  ne  seront  pas  en- 
voyés à  Athènes ,  et  qu'ils  resteront  là ,  ils  seront  inutiles 
et  même  inconnus. 

Mon  investigation  terminée,  je  pris  congé  des  moines 
et  m'acheminai  vers  Galavryta.  La  route  est  fort  belle  et 
continue  le  long  du  Bouraîkos,  qu'on  passe  plusieurs  fois: 
et  sur  des  ponts ,  chose  rare  en  Grèce.  Après  deux  heures 
et  demie  de  marche  j'arrivai  enfin  à  Galavryta. 

C'est  de  Galavryta  et  en  particulier  du  couvent  d'Hagia- 
Lavra  que  partit  le  cri  de  liberté  qui  appela  toute  la  Grèce 
aux  armes.  L'archevêque  de  Patras,  Germanos,  uni  à  quel- 
qoeshétéristes  importants  réfugiésdanslemonastèred'Hagia- 
Lavra,  apprenant  le  projet  des  Turcs  de  les  frapper  tous ,  leva 


538  GHECB   CONTfNElItALB   ET   HOREE. 

leflrapeaadcriiistttrection,  et  sa  voix  respectée  armatoasles 
habitants.  Calairryta  et  le  mmiastère  d'Hagia-Larra  furent 
depuis  repris  par  les  Turcs  et  réduits  en  cendres.  Les 
moines  ont  rebâti  leur  couTetit  à  quelque  distance  et  prompt 
tement ,  mais  une  Ville  est  plus  longue  k  reconstrtiire  dans 
an  pays  dont  tontes  les  ressources  ont  été  détrottes  i  aussi 
la  plupart  dès  rues  de  Galatr^^ta  n'offrent-élles  qoe  des  mai'* 
sons  en  ruines.  Cependant  la  persévérance  grecque  a  beail'* 
coup  fait  depuis  peu  d'années.  Les  propriétaires  rentrés 
dans  leurs  maisons  détruites  en  ont  réparé  une  partie  et 
rhaMtent;  d'autres  ont  reconstruit  de  nouvelles  maisons, 
et  il  y  en  a  une  douzaine  d'assez  bonne  apparence* 

Ce  qui  m'attirait  ft  CalAvryte  était  le  désir  de  voir  le 
cbâtean  des  seigneurs  de  Tournây  ;  car  pour  le  monastère 
d'Hagla-Lavra  il  n*y  avait  plus  à  y  penser  depuis  l'incendie 
poflé  par  Ibrahim  i  qui  ne  ménageait  rieni  La  Chronique 
de  Morée  raconte  que  dans  le  partage  de  1108  Raoul  de 
Tourtiay  reçut  Calavryta  av<*c  douze  fiefsi 

Tbv  u.i7epoy  'Pou  vxè  NTOupva  iTcpovoiadev  (oo'auTcoç 
N^  e^^  Ta  KlXàëpuTa,  xal  ^te  SekaSuo. 

(P.'  48.) 


Elle  mentionne  aussi  *  un  Jean  de  Tournay  i  T^k^  tov 
TbupvSi  qui,  en  1268,  alla  avec  le  prince  Guillaume^  le 
seigneur  d'ÀkhoVa  et  plusieurs  autres  seigneurs  français  de 
Morée,  au  secours  de  Charles  d'Anjou  contre  Conradio. 

La  ménle  Chronique  de  Mo^ée  mentionne  en  1290  un 
Gedffroi  de  Tburnliy 

, . .  ô  fiwèp  îïecppàç  TO  ItcixXyiv  wï  Toupvae. 

(P.  ISO.) 

aul  àllà  &  Nâptés  ati  sujet  du  tnafiàge  d*Isàbelle  de  Ville- 
ardoill  avec  Florent  de  Oalriatit,  ratnéna  cette  t^t^inces^ë 
en  Morée,  fut  un  de  ceUt  qui  reçUt-ent  le  semblent  dé 

<  t>age  160. 


Fkmotde  Haioiut  cûmmt  prkiç6  4u  pays,  et  l^aasisiôrent 
dans  i'admiawtritjoa  de  la  prÎBflipauté  '. 

¥010]  donc  au  «1018$  troia  générations  da  Toaniay  sai-» 
gnaurs  da  Caiavryta.  Ja  of  aaia  ai  calte  femila  aa  aa  aara 
pas  étaifite  depuis  par  le  défaut  da  mâles»  at  si  la  seigoattr 
rie  d6  Galavryta  n- auri  pas  passé  dans  i€S  maips  d'un  L| 
TrémouJHa  ;  ce  qui  me  la  ferait  croire  aef  ieéiit  siiivanc* 
Las  La  Tréraoaijle ,  a^  mofloant  da  la  aonquéta  y  avalent 
obtenu  la  fiaf  da  Cfaahndriuui^  antre  Calavryta  al  Palias,  un 
paa  au  sud  de  la  routet 

Mtaif  'Ppu(i4F&pT^  i^  Tçkmi^  4^««fa  i^in  tid^cs^f 

(Pag,  4#,) 

et  la  petite  montagne  opposée  h  celle  enr  taquetle  est 
bâtie  la  grande  feiteresse  de  €alavFy(a  est  couronnée  des 
ruines  d'un  petit  fort  qui  porte  encore  le  nom  de  Tra- 
fiMuia,  Aussitôt  après  mon  arrivée  li  Gakvryta,  je  iB'eni<« 
pressai  de  monter  au  château  ;  seul ,  car  presque  tous  les 
habitants  du  pavs  qui  étaient  restés  â  Calavryta  étaieiit  ma^ 
lades  de  la  fièvre  t  ceux  qui  avaient  pu  quitter  s'étaient  ré-» 
fagiés,  ainsi  que  le  gouferneur  de  ]a  province,  à  OarpénI, 
dans  une  situation  pfus  saine.  (Joe  épidémie  universelle  ré* 
gnait  aussi  à  Mega-spileon.  Je  pHs  pour  guide  le  premier 
berger  que  je  rencontrai  «  ee  sont  presque  toujours  des 
guides  fort  bien  informés  et  surtout  fort  au  courant  de 
toutes  les  croyances  superstitieuses  du  pays.  Celui-ci  me 
conta  comment  une  basilipoula  était  tombée  du  châteaa 
assiégé  par  les  Turcs ,  comment  elle  avait  été  égorgée  par 
eux ,  at  comment  uqe  grande  plaque  de  pierre  est  placée 
en  bas  du  rocher  sur  lequal  est  bâti  le  château  de  Gala* 
vryta ,  et  indique  le  lieu  de  la  chute  et  du  meurtre.  Il  ma 
raconta  bien  d'autres  histoires  merveilleuses  :  par  exemple 

^  Page  193. 


540  GRECE   GONTINENTiU.E   ET   MOEEE. 

rbistoîre  d'un  prince  qui ,  à  la  demande  de  sa  belle ,  vou- 
lut entever  du  miel  du  Parnasse  et  qui,  au  moment  il  où 
mit  sa  main  dans  la  ruche,  fut  transformé  en  statue  que 
l'on  ?oit  encore  sur  les  rochers  près  de  Gravia,  rochers  qui 
prennent  toutes  les  formes  suivant  les  illusions  de  leur  ima- 
gination; puis  rhistoire  d'un  temple  ou  église  à  jamais 
fermé ,  dans  lequel  on  entend  des  voix ,  et  dont  les  torrents 
se  détournent  eux-mêmes  avec  respect,  dans  les  flancs  de 
ce  même  Parnasse.  Ces  deux  dernières  histoires  m'avaient 
aussi  été  contées  près  de  Gravia ,  en  allant  dans  la  vallée  de 
h  Doride. 

La  forteresse  de  Calavryta  est  située  sur  un  rocher  in- 
accessible de  toutes  parts  sauf  d'un  seul  côté ,  où  est  la 
porte ,  et  ce  côté  est  aussi  d'un  fort  difficile  accès.  Cette 
porte  est  située  du  côté  opposé  à  la  ville  actuelle ,  et  les 
deux  côtés  subsistent  encore.  Tout  le  long  du  grand  pla- 
teau placé  au-dessus  de  la  montagne  on  retrouve  les  restes 
des  murs  d'enceinte,  qui  sont  assez  bien  conservés.  Doux 
tonrscarréessubsistent  en  ce  moment  :  Tune  sur  le  mur  d'en- 
ceinte ,  l'autre  à  l'extrémité  supérieure  du  plateau ,  beau- 
coup plus  considérable ,  du  côté  de  Tremoula.  Un  grand 
nombre  de  maisons  paraissent  avoir  existé  dans  cette  en- 
ceinte. Il  est  probable  que  tous  les  Français  avaient  leur 
habitation  dans  l'intérieur  de  la  forteresse,  comme  autre- 
fois les  nobles  familles  hellènes  avaient  les  leurs  dans  les 
acropolis  et  dans  les  quartiers  les  plus  rapprochés,  et 
comme  plus  tard  les  Turcs  eurent  les  leurs  dans  i'intérîeur 
de  leurs  forteresses.  Il  est  à  croire  qu'outre  les  citernes  il 
y  avait  encore  une  source  fort  rapprochée ,  si  elle  n'était 
même  dans  l'intérieur  ;  car,  en  descendant  du  côté  de  la 
ville ,  on  retrouve  les  restes  d*un  aqueduc  souterrain  ,  à 
travers  lequel  l'eau  coule  jusqu'à  une  fontaine  située  à  mi- 
chemin,  entre  le  château  et  la  ville  actuelle.  Le  château  est 
un  des  plus  considérables  par  ses  ruines  que  j'aie  encore 
vus  en  Morée.  Le  seigneur  de  Calavryta  était  en  effet  na 
des  hauts  i  arons  ou  pairs  de  la  piii)cip«iuté  d'Âcbaye, 


VJLONGOKA.  541 

et  avait  chez  lui  droit  de  haute  et  basse  Justice.  Galavryta 
est  mentionnée  aussi  par  Phrantzi.  A  l'époque  de  la  guerre 
d'indépendance ,  les  Grecs  y  avaient  d*abord  cherché  un 
refuge  qu'ils  quittèrent  ensuite  pour  les  retraites  plus 
sûres  du  mont  Chehnos  ;  seconde  montagne  de  ce  nom, 
plus  haute  encore  que  le  Ghelmos  qui  se  trouye  près  de 
Makry-Plagi  et  de  I.eondari. 

Mon  premier  projet  était  d'aller  de  Galavryta  h  Gorinthe 
en  passant  par  Phonia,  puis  par  Zarakka  (lac  Styniphale), 
pour  voir  les  ruines  de  quelques  tours  ou  châteaux  francs 
qu'on  m'avait  indiquées  sur  ses  bords;  mais  l'assurance 
qui  me  fut  donnée  par  le  frère  du  dimarque  de  Galavryta 
qu'à  une  demi-heure  de  Vlongoka  existaient  les.  ruines 
d'on  châteaa  beaucoup  plus  considérable  que  celui  de  Ga* 
lavryta ,  et  que  je  ne  voyais  pas  indiqué  sur  la  carte,  me 
décida  à  suivre  cette  route. 

Je  repris  d'abord  le  chemin  de  Mega-Spileon.  La  vue  est 
plus  agréable  en  montant  qu'en  descendant  le  cours  de  la 
rivière  de  Galavryta.  A  un  quart  d'heure  du  couvent  on 
tourne  à  droite  la  montagne  ou  plutôt  le  roc  sur  lequel  le 
monastère  est  situé.  Il  y  a  là  quelques  belles  vues  de  ro- 
chers bien  autrement  imposantes  que  dans  la  position  choi- 
sie par  le  couvent ,  l'une  surtout  en  haut  des  rochers ,  au 
fond  d'une  gorge  qui  s'éteud  presque  en  ligne  droite  jus- 
qu'à la  vallée  de  Galavryla.  On  continue  toujours  à  mon- 
ter jusqu'au  sommet  de  la  montagne ,  et  ou  arrive  dans 
une  vallée  sauvage  et  escarpée  dont  les  hauteurs  sont  cou- 
ronnées de  fort  beaux  pins.  Je  vis  là  avec  plaisir  en  trois 
endroits  différents  quelques  scieurs  de  long  préparer  des 
planches  et  des  solives. 

Pendant  trois  heures  de  marche  cette  suite  de  rochers, 
de  collines  et  de  vallées  offre  peu  de  variété  ;  mais  en 
s'approchant  du  village  de  Yela  on  découvre  au  loin  la 
mer,  le  port  d' Acrata  sur  la  rive ,  et  de  l'autre  côté  du 
golfe  les  montagnes  de  Roumélie.  Autour  de  soi  on  aper- 
çoit partout  des  traces  de  culture  jusque  sur  le  sommet 

46 


541     GRÈCE  CONTIKSKTALE  ET  MOHEE. 

le  plu  élevé  des  inootagiios;  car  ao-dessus  d*onè  couche 
de  rochers  se  tiouf  e  ane  vaste  étendue  de  terre  bianche 
et  fertile.  Les  vignes  sortoot  y  abondent.  Celle  culture  rè- 
gne sans  interruption  josqn'à  VefMiva  »  dont  lés  maisonn 
sont  distritMiécs  sur  Unis  les  ianca  de  la  montagne»  ao 
milieu  des  arbres  et  des  terres  cnltivées.  Les  source» 
abondantes  qui  découlent  de  tous  côtés  foorniss^t  i'ena 
nécessaire  à  Tarrosenient  de  nombreux  champs  de  maïs 
et  interrompent  la  route  par  mille  courants  divers.  De  là 
on  aperçoit  devant  soi  le  village  de  Vlong^a ,  situé  tout  en- 
haut  des  dernières  terres  cultivables  qui  s'élèvent  aux  deux 
ticm  du  moBt  £vrostina.  Le  dernier  tiers  semUe  une  cou- 
che pesante  de  terre  ferrugineuse  qm  produit  le  {dus  bel 
eOet  Entre  ces  deux  villages  est  un  profond  ravin  au  b» 
duquel  coule  Jusqu'à  la  mer  un  torrent  anx  eaux  roogeâ-» 
trcs.  Toutes  les  terres  semblent  sablonneuses  jusqu'au  bas 
du  torrent»  des  deux  côtés  do  ravin.  Nous  eûmes  beau- 
coup de  peine  à  nous  dkiger»  à  travers  ce  dédale  de  vi- 
gnes, de  champs  de  mais  et  de  cooraots  d'eau,  jusqu'au 
torrent  »  et  beaucoup  plus  de  peine  encore  k  le  passer.  Je 
me  tirai  toutefois  asseï  bien  d'affaire  et  j'arrivai  sans  eo* 
combre  sur  l'autre  bord,  à  travers  les  rochers  et  les  es- 
pèces de  canaux  d'irrigation  qui  régnent  le  long  de  ses 
rives  ;  mais  mon  agoiate  fut  moins  heureux*  S<m  cheval  » 
chargé  de  mes  bagages ,  était  déjà  une  première  fois  tombé 
avec  lui  au  milieu  des  rochers  sur  ces  chemins  étroits  et 
glissants  :  les  malles  et  autres  effets  avaient  un  peu  souffert, 
chose  trop  habituelle  en  Grèce  pour  qu'on  s'en  occupe  nu 
instant  ;  lui,  il  avait  heureusement  gKssé  du  haut  des  malles 
par  terre  sur  le  dos  sans  se  faire  de  mal.  Cette  fois  la  choie 
do  cheval  fut  plus  périlleuse;  il  tomba  ao  milieu  du  tor- 
rent même,  et  la  pesanteur  de  mes  malles  le  retint  sur 
le  dos  au  milieu  du  courant  :  précisément  dans  un  endroit 
où  la  fissure  du  rocher  était  suffisante  pour  qu'il  y  entrât 
par  le  dos  s'il  n'cât  été  chargé;  mais  l'ampleur  de  sa 
charge  le  retint  ainsi  suspendu  avec  les  jambes  tumles  et 


VLOIMMHIA.  543 

le  corps  bas  «  au  milieu  d*an  coaraot  d'eau  qui  lui  pro^ 
curait  uoe  fraicbeur  si  agréable,  qu'avec  la  peur  qu'il 
avait  de  retomber  sur  les  rochers  pointus  et  la  charge 
qaî  le  retenait»  il  fallut  bien  une  demi-heure  pour  le  tirer 
de  là.  Pendant  ce  temps,  mes  effets,  cartes  et  livres  pre- 
naient le  môme  bain  que  le  cheval ,  ce  qui  m'était  moins 
agréable  ;  mais  que  faire  autre  chose  que  de  les  faire  dé« 
lier  et  retirer  an  à  un,  du  moins  ceux  qu'on  retrouvait,  et 
de  remettre  la  monture  sur  pied!  Mon  agoîate  était  déses* 
péré  du  calme  de  son  cheval  et  de  l'impossibilité  de  le  faire 
releven  Enfin,  tous  ou  presque  tous  les  effets  étant  retirés 
du  courant  et  apportés  sur  un  rocher  en  saillie  et  à  peu 
près  sec,  l'agoïate  tira  sou  cheval  de  côté  sur  la  pe- 
tite fissure  à  travers  laquelle  il  eût  pu  passer  dans  une  au- 
tre situation,  et  il  parvint  à  le  relever  et  à  regagner  l'au- 
tre rive.  De  là  jusqu'à  Vlongoka  on  monte  par  une  pente 
rocheuse  fort  rapide  jusqu'à  ce  qu'on  arrive  à  la  couche 
de  terre  végétale  interposée  entre  les  rochers  du  bas  et 
les  beaux  rochers  rouges  de  la  cime.  Je  ne  connais  au- 
cun village  plus  piltoresquement  situé,  au  milieu  des  cou- 
rants qui  découlent  de  toutes  parts  de  la  cime  supérieure 
et  fertilisent  les  terres^  Il  est  appuyé  sur  le  rocher  comme 
sur  un  fort  ;  au  bas  est  un  profond  ravin  à  droite ,  au  nord 
un  autre  profond  ravin  »  et  autour  de  beaux  vergers  et  de 
riches  cultures.  Il  est  là  comme  sur  les  derniers  confins  de 
la  terre  habitable.  Les  Turcs  n'y  ont  jamais  mis  les  pieds, 
tant  il  est  haut  dans  la  montagne.  Aussi  les  maisons  n'ont- 
elles  pas  été  détruites ,  ni  les  champs  ravagés.  Au  mo- 
ment où  j'y  entrais ,  de  nombreux  troupeaux  de  chèvres 
et  de  moutons  y  rentraient  avec  moi  et  tout  avait  un  air 
de  vie  et  de  prospérité.  Tous  y  possèdent  quelques  terres. 
Le  paredros  ou  adjoint  me  donna  l'hospitalité  ;  je  traversai 
l'appartement  des  moutons  et  pénétrai  dans  l'appartement 
de  famille,  grande  chambre  où  femmes  et  enfants  étaient 
réunis. 
De  bonne  heure  je  sortis  pour  jouir  de  la  vue  du  pays, 


544  GRECS  GONTIHCIITALB  BT  HORÉE. 

espérant,  d*on  fillage  placé  si  haat,  voir  lever  le  soleil  ;  mais 
pendant  qoarante  joars  le  soleil  ne  lait  pas  sur  Ylongoka , 
on  voit  seulement  ses  rayons  échauffer  les  collines  voisines. 
La  vue,  du  reste,  est  fort  belle  ;  car  on  a  devant  soi,  comme 
on  lac ,  une  vaste  étendue  du  golfe  de  Gorlnthe.  Les  chè* 
vres  par  bandes  ^t  les  moutons  sortaient  comme  moi ,  et , 
ç^  et  h  aux  fontaines ,  je  voyais  arriver  les  femmes  poar  se 
laver  la  6gnre  en  public  Leur  toilette  n'a  rien  de  mysté- 
rieux. Le  matin  on  apporte  un  plat  d'étain  recouvert  d'une 
sorte  d'écumoire  à  travers  laquelle  passe  l'eau,  un  vase  qoi 
verse  l'eau  par  un  bec  et  un  morceau  de  savon  ;  la  servante 
a  la  serviette  sur  l'épaule,  et  la  toilette  est  bientôt  terminée. 
Après  dîner  c'est  souvent ,  parmi  les  habitants  de  la  cam* 
pagne,  le  maître  lui-même  qui  vous  présente  la  serviette , 
selon  l'usage  antique. 

Je  pris  tous  mes  renseignements  avant  de  me  mettre  en 
route  de  Ylongoka  pour  voir  mon  prétendu  palœo-castro  du 
moyen  âge  ;  car  tout  ici  est  palœo-castro ,  tour  hellénique 
comme  forteresse  franque,  et  il  faut  voir  tout  par  ses  pro- 
pres yeux  pour  ne  pas  être  exposé  à  adopter  de  fausses 
notions.  Je  descendis  jusqu'au  fond  d'un  petit  ravin  où 
coule,  au  milieu  de  beaux  arbres,  un  torrent  qui  se  jette 
dans  celui  que  j'avais  passé  la  veille.  Sur  la  route  je  ren- 
contrai à  diverses  reprises  de  petits  garçons  qui  arrivaient, 
avec  leur  petit  sac  de  provisions  pour  la  journée,  des  di- 
verses maisons  groupées  sur  la  montagne  et  se  rendaient 
à  l'école  d'enseignement  mutuel  de  Ylongoka ,  entretenue 
par  les  fonds  du  village  lui-même.  Au  fond  de  ce  ravin 
est  jeté  sur  le  torrent  un  pont  dont  la  hauteur  est  déguisée 
à  l'œil  par  les  arbres  qui  couvrent  le  torrent  ;  mais  en  l'en- 
tendant rougir  au  loin  l'oreille  en  reconnaît  la  profondeur. 
Lorsque  pendant  l'hiver  ou  le  printemps  les  petites  casca- 
telles  qu'il  forme  sont  alimentées  par  les  ploies,  l'effet  doit 
en  être  fort  beau. 

Cependant  la  demi-heure  se  passait  et  je  n'arrivais  pas 
h  mon  château  franc.  Je  m'informais  bien  exactement  de 


vËGiiiB.  545 

tous  les  passants,  et  tous  m'indiquaient  que  j'en  approchais. 
Je  passai  la  haute  chaîne  de  l'Evrostina  et  point  de  château  ; 
déjà  je  voyais  que  je  me  rapprochais  de  la  mer  et  je  com- 
mençais à  craindre  ce  qui  se  réalisa  en  effet ,  c'est  que  le 
frère  du  dimarque  et  mes  autves  informateurs  eussent  pris 
les  ruines  immenses  de  l'antique  ville  d'^gire  pour  les 
ruines  d'un  grand  château  du  moyen  âge.  J'arrivai  en 
effet ,  à  mon  grand  désappointement ,  à  JEgïre.  Quelques 
restes  de  murs  helléniques  et  des  fragments  d'édifices  ro^ 
mains,  placés  des  deux  côtés  de  la  route,  annoncent  sa 
présence.  Je  pris  mon  désappointement  en  patience  et  me 
mis  à  parcourir  l'enceinte  de  l'acropolis  et  de  la  ville.  Elle 
couvrait  une  étendue  immense  de  terrain  depuis  l'acropo* 
lis  et  deux  tertres  voisins,  sur  lesquels  j'ai  trouvé  des  fon- 
dements de  plusieurs  temples ,  jusque  sur  le  coteau  qui 
descend  bien  loin  vers  la  mer.  La  position  était  des  plus  ma- 
gnifiques. On  retrouve,  le  long  d'un  précipice  situé  au  bas 
de  l'acropolis  et  le  long  du  coteau  de  l'acropolis ,  de  nom- 
breux vestiges  des  antiques  murailles  helléniques  en  grandes 
pierres  quadrilatères.  Plus  bas,  en  descendant  vers  la  mer, 
sont  des  colonnes  cannelées  encore  en  place  à  une  hauteur 
de  deux  è  trois  pieds ,  des  restes  de  temples  et  d'édifices 
publics  au  milieu  des  champs,  et  tous  les  vestiges  d'une  ville 
puissante  et  opulente.  C'est  une  idée  attristante  que  de  se 
trouver  ainsi  au  milieu  de  ces  grandes  ruines  d'une  ville , 
dont  le  nom  même  est  ignoré  des  descendants  de  ceux 
qui  l'habitaient  jadis  et  qui  cultivent  aujourd'hui  des 
champs  au  milieu  des  débris  des  monuments  bâtis  par 
leurs  pères.  Le  port  de  la  ville  d'iEgire  était  au  bas  de 
celte  côte  à  l'embouchure  du  Crino,  ou  torrent  de  Ver- 
sova.  Je  descendis  d'^Egire ,  au  milieu  de  pensées  fort 
tristes,  jusque  sur  le  rivage  de  la  mer  et  le  suivis  jusqu'à 
Xylo-Castiu  Bientôt  l'apparence  d'une  jeune  prospérité 
vint  changer  le  cours  de  mes  idées.  J'éprouve  toujours  un 
plaisir  nouveau  à  suivre  la  rive  de  la  iner  au  bruit  des 
flots  qui  viennent  expirer  sur  la  grève  :  ici  la  beauté  du 

46. 


546  GREGE   GONTimifTAiB   ET   MOREE. 

pays  «joiitaU  encore  à  ce  plainr.  Ce  gracieux  golfe»  terminé 
par  les  luoolagoes  qui  s'étendent  de  Lépante  à  Fera- 
Gliora  et  à  Gorintbet  et  sur  la  rive  de  Morée  cette  culture 
opulente  et  nouvelle  des  raisins  de  Goriutbe ,  qui  garnis* 
sent  toutes  les  Tallées  et  renuontent  jusqu'aux  collines  cou- 
vertes de  pins  et  d'arbres  verdoyants ,  et  de  toutes  parts 
de  petites  maisons  propres  pour  recevoir  et  embarquer 
les  raisins  de  Gorintbe ,  tout  ap|)eUe  l'intérêt  sur  cette 
Grèce  si  malheureuse,  et  si  disposée ,  à  peine  sortie  d'une 
lotte  d'extermination,  à  déployer  tous  ses  efforts  pour 
marcher  déjà  d'un  pas  rapide  dans  la  carrière  des  peuples 
civilisés.  La  plupart  des  babitanu  riches  de  cette  côte  ont 
leurs  maisons  de  plaisance  dans  la  montagne ,  li  Triccala  t 
où  ils  restent  pendant  la  saison  des  grandes  chaleurs. 


XXXIU. 

WCyONE.  —  COWNTHE, 


Je  passai  la  nuit  au  khani  de  Kiato  et  partis  de  bonne 
heure  à  pied  pour  Basilica ,  où  mes  chevaux  vinrent  me 
rejoindre,  Basilica  est  un  village  qui  occupe  la  position  de 
l'antique  et  opulente  Sicyone ,  si  célèbre  par  les  encoura^ 
gcmcnts  qu'elle  donna  aux  arts  et  dont  les  belles  monnaies 
{ie  retrouvent  partout  en  Grèce.  Sicyone  était  située  sur 
un  plateau  élevé ,  coupé  au  milieu  par  un  ravin  profond 
qui  le  pénètre  en  partie.  Ses  grandes  murailles  helléni- 
ques n'ont  plus  conservé  que  quelques  débris  ;  car,  dans  ce 
pays,  la  pierre,  si  prodiguée  dans  l'antique  Sicyone,  ne  se 
trouve  qu'à  de  grandes  distances,  et  les  maisons  nouvelles 
se  font  une  carrière  des  ruines  anciennes.  Il  n'existe  plus 
que  deux  grands  fragments  un  peu  entiers  des  murailles  de 
deux  édifices,  l'un  conservé  dans  une  petite  église  dont  les 
murs  sont  tout  à  fait  antiques ,  l'autre  sur  l'extrémité  do 


SICTOKB.  $47 

fdateau,  à  peu  de  distance  de  Féglise^  qui  semble  avoir, 
appartenu  à  une  des  tours  de  défense.  Deux  des  entrées 
sont  eoeore  conservées  :  l'une,  taillée  dans  le  mur  d'enceinte 
en  forme  de  voûte  qui  va  eu  s'abaissant ,  conduisait  hors 
de  Tacropolis.  Les  anciens,  comme  on  voit ,  connaissaient 
la  construction  en  voûte,  mais  ils  la  trouvaient  peu  élégante 
et  ne  remployaient  jamais  dans  les  édifices  splendides, 
L*aulre  passage,  plus  étendu,  est  une  sorte  de  souterrain, 
creusé  en  partie  dans  le  roc  et  en  partie  revêtu  de  larges 
pierres ,  et  il  conduit  de  la  forteresse  au  ravin  intérieur, 
qui  était  probablement  fermé  de  murs,  et  où  coule  une  fon-« 
tainequi  sert  aujourd'hui  au  village  de  Basilica*  Du  côté  de 
la  mer,  ou  aperçoit  aussi  trèsniistinctement  les  gradins  di| 
théâtre,  appuyés  sur  le  rocher  suivant  l'usage  antique.  Quel* 
que»  fragments  de  colonnes  et  de  grosses  pierres  latérales  dea 
temples  existent  aussi  çà  et  lii,  .Une  belle  route  de  plaine 
çooduit  de  Sicyone  à  Corinthe  eq  deux  heures  et  demiei 
au  pas  régulier  d'un  cheval* 

Il  est  bien  fâcheux  qu'une  fantaisie  d'antiquaire  ait  em*» 
péché  que  Corinthe  ne  fût  désignée,  au  lieu  d'Athènes, 
pour  la  capitale  de  la  Grèce.  Sa  situation  la  rapprochait  à  la 
fois  de  la  Morée ,  de  l' Auique  et  de  la  Roumélie ,  tandis 
que  la  proximité  des  deux  golfes  la  mettait  en  facile  com«- 
muoiciiion  avec  l'Europe  et  l'Asie.  Je  ne  doute  pas  que 
si  Corinthe  eut  été  choisie  de  préférence  k  Athènes  elle 
n'eût  déjà  50,000  habitants.  Aujourd'hui  c'est  un  miséra- 
ble bourg  ;  et,  en  effet,  presque  toutes  les  villes  de  Morée, 
sauf  Calamata  et  Nauplie,  ressemblent  beaucoup  plus  à  des 
bourgs  qu'à  des  villes, 

Corinthe  est  située  dans  une  plaine  élevée,  en  vue  du 
golfe  de  Lépante,  du  Parna^  et  des  montagnes  de  livadie. 
Il  n'y  reste  presque  aucune  trace  de  sa  grandeur  passée. 
Sur  un  plateau,  en  sortant  de  la  ville  pour  aller  à  1  Acro- 
corinthe,  montagne  élevée  en  forme  de  ballon  et  qui  do- 
mine les  deux  golfes  Saronique  et  de  Lépante  ou  Corin^ 
the,  se  tiennent  cependant  encore  debout  sept  colonnes  de 


548  GRBCB   CONTlffENTALB   ET  MOEEE. 

côté  et  trais  de  face,  reste  d'un  vaste  temple  d'ordre  dori* 
que  en  pierres  poriqaes  reyêtues  de  stuc.  Le  stuc  est 
tombé  ;  mais  les  colonnes,  bien  que  rongées  par  le  vent  de 
mer,  produisent  de  loin  un  bel  effet ,  et  de  là  on  a  une  vue 
étendue  de  l'Acrocorinthe ,  du  golfe ,  et  des  montagnes 
neigeuses  de  la  Livadie.  En  montant  à  la  citadelle  on  re- 
trouve  la  fontaine  Pyrène,  d'où  s'est  échappé  le  cheval 
Pégase.  Les  marbres  blancs  qui  la  revêtaient  ont  disparu, 
mais  les  travaux  intérieurs  restent  et  on  peut  les  suivre 
dans  la  montagne  jusqu'à  l'Acrocorinthe.  Sur  les  collines , 
en  montant ,  sont  dispersées  les  ruines  d'un  village  turc , 
avec  ses  mosquées  abritées  sous  les  murs  de  la  forteresse. 
Tout  au  pied  de  l'Acrocorinthe,  on  aperçoit  la  voûte  d'un 
souterrain  qui  semble  de  construction  franque  et  qui  se 
prolongeait  sans  doute  de  la  montagne  jusqu'à  l'intérieur 
de  la  forteresse.  Les  débris- des  deux  premières  portes  de 
défense,  qui  étaient  de  construction  franque,  gisent  disper- 
sées à  quarante  pas  l'une  de  l'autre ,  et  à  la  seconde  porte 
Commence  le  mur  de  clôture  qui  descendait  de  ce  côté  et 
qu'on  peut  suivre  jusqu'au  rocher  supérieur.  La  porte 
actuelle,  à  l'intérieur  de  laquelle  se  conservent  entières 
les  rainures  de  la  herse,  et  tout  l'ensemble  des  con- 
structions de  la  citadelle  sont  de  construction  véni- 
tienne moderne,  mais  les  murs  d'enceinte  à  droite  et  à 
gauche  sont  de  structure  hellénique  jusqu'à  une  grande 
hauteur  et  sans  dégradation.  L'enceinte  contient  deux  pics 
de  montagnes  qui  s'ouvrent  en  éventail  du  côté  de  la  ville 
et  renferment  les  débris  d'un  village  ou  d'une  ville  dans 
laquelle  on  retrouve  confondues  les  ruines  de  temples 
helléniques  avec  leurs  colonnes  de  marbre,  de  constructions 
franques  avec  leurs  tours  carrées  de  structure  vénitienne, 
et  de  masures  turques  avec  leurs  bains ,  leurs  mosquées 
et  leurs  minarets.  C'est  là  que  se  trouve  la  source  de 
la  fontaine  Pyrène.  A  quelques  pas  est  une  petite  tour 
c«irrée,  avec  un  escalier  gothique  tournant,  d'une  parfaite 
conservation.  Sur  le  haut  de  cette  tour  les  Turcs  avaient 


GQIIINTHB.  549 

élevé  un  minaret  aox  flancs  bombés ,  et  le  même  escalier 
qu'avaient  construit  les  Francs  dans  cette  guerre  de  croi- 
sade servait  après  leur  départ  pour  appeler  les  musulmans 
à  la  prière.  Dans  le  corps-de-garde  quelques  colonnes  an^ 
tiques  de  marbre  blanc  restent  debout. 

C'est  sur  le  moins  élevé  des  deux  pics  qu'était  placée  la 
vieille  forteresse  franque.  Elle  porte  les  traces  de  sa  con- 
struction originaire.  Cette  citadelle,  au  temps  des  Francs, 
ne  comprenait  que  le  pic;  mais,  lorsque  les  Vénitiens  eu- 
rent obtenu  Corinthe,  ils  étendirent  les  fortifications.  Ils 
comprirent  qu'avec  Tinvention  de  la  poudre  à  canon  il  y 
avait  trop  de  dangers  à  laisser  dominer  un  fort  par  un  pic 
3i  voisin,  et  ils  le  renfermèrent  dans  leur  nouvelle  en« 
ceinte. 

Gorinthe,  qui  était  la  clef  du  Péloponnèse,  avait  résisté 
quelques  années  aux  Francs,  mais  elle  tomba  enfin  entre 
leurs  mains»  Pendant  le  siège  qu'ils  en  firent ,  Othon  de 
La  Roche,  sire  d'Athènes,  fit  construire  un  petit  fortin  sur 
le  plus  élevé  de  ces  deux  pics  afin  de  surveiller  les  envois 
d'hommes  et  d'approvisionnements  qui  pourraient  arriver 
aux  assiégés  du  côté  de  l'isthme.  On  n'y  trouve  plus  au- 
jourd'hui que  les  débris  d'une  église  consacrée  à  saint  Élie. 
D'un  autre  côté  Geoffroi  de  Yille-Hardoin ,  voulant  inter- 
cepter les  secours  qui  pouvaient  arriver  par  la  Morée,  avait, 
suivant  la  relation  du  chroniqueur  grec  de  Morée,  fait* 
construire  un  aulre  fort  sur  un  petit  pic  Idétaché,  large  à 
sa  base  et  escarpé  au  sommet ,  auquel  il  donna  le  nom 
franc  de  Mont-Esqoiou ,  le  Mont  Sourcilleux.  Le  clironi- 
queur  de  Morée  raconte  que  ce  fort  avait  conservé  jusqu'à 
son  temps,  c'est-à-dire  en  1320,  le  noin  de  Montescouvos. 
Le  même  nom  se  conserve  aujourd'hui^  légèrement  altéré 
en  celui  de  Pentescouvos,  l'm  ayant  été  changé  en  p,  par 
le  même  procédé  euphonique  qui  a  fait  changer  le  p  en  m 
dans  le  mot  de  Pentélique  appelé  Mendeli  dans  presque 
toutes  les  cartes  modernes.  Du  fort  de  Montescouvos,  con- 
struit par  Ville-Hardoin ,  il  n'existe  que  les  ancienne» 


550  GKÈGB  CONTIHfiirrAtB  BT  MOREB. 

fondations ,  le  pavé  et  qneiqnes  chambres.  Snr  Fune  des 
vieilles  portes  se  voit  la  crois  ancrée  des  yiile-HardofQ. 
En  l'année  1826 ,  mi  nommé  Papas  Motaras ,  archonte  do 
pays ,  et  descendant  de  l'ancienne  famille  des  Notaras  men* 
tionoée  par  les  chroniqueurs  byzantins ,  fit  bâtir  la  for* 
teresse  dans  l'état  où  elle  se  trouve  aujourd'hui  ;  et  il  en  a 
consigné  le  souvenir  sur  une  plaque  de  marbre  blanc  à  la 
porte  d'entrée ,  et  sur  cette  plaque  il  a  fait  sculpter  la 
croix  ancrée,  qui  existait  sans  doute  sur  la  porte  précé-* 
dente ,  et  la  double  aigle  impériale. 

Une  bonne  partie  de  la  châtelleoie  de  Corinthe  avait 
appartenu,  au  temps  des  Français,  à  Nicolas  de  Guise,  dit 
le  Maigre.  L'impératrice  Catherine  de  Valois,  agissant  aa 
nom  de  son  fils  Robert  de  Tarente ,  prince  d'Achaye,  ea 
fit  don,  en  13/^2 ,  h  son  chambellan  Nicolas  Acciainoll  *, 
et ,  le  21  avril  1358 ,  Robert  et  Marie  de  Bourbon ,  sen-* 
sibles  aux  plaintes  des  habitants  de  Corinthe,  qui  récla- 
maient la  protection  do  leurs  princes  naturels ,  confé* 
rèrent  la  chfttellcnie  de  Corinthe  à  Nicolas  Âcciaiuoli ,  en 
qualité  de  haute  baronnie,  avec  droit  de  haute  et  moyenne 
justice ,  sous  la  condition  qu'il  prendrait  toutes  les  me*< 
sures  nécessaires  pour  protéger  le  pays  contre  les  Turcs  K 

1  Voyez  p.  66  dé  mes  Mouv.  Reeh.f  1. 1.  , 
.  *  Voy.  p.  103  et  sut?,  de  mes  Nouvelles  recherchés.  La  lettre  dea 
babiUnts  de  Corinthe.  dat4e  du  &  fêvrier  i35S,  e«t  toudiante, 

ft  Excellent  seigneur,  lui  écrivent-ih,  nou3  commençons  par  nous 
recommander  humblement  à  vous.  Nous  Vous  avons  fait  savoir  avec 
douleur,  et  par  nos  lettres  multipliées ,  et  par  les  messagers  spé- 
danx  qne  nous  avons  envoyés  à  Votre  Majesté,  les  afflictions  con- 
tinoelles  et  insupportables  dont  nous  accablent  les  Tares  infidèles, 
tant  et  tellement  qoe  nous  n'avons  plus  la  force  de  maintenir  vos 
ehftteaux,  bon  nombre  d'hommes  ayan|  été  faits  prisonniers  par 
les  Turcs,  d'autres  élant  partis  pressés  par  la  famine  et  étant  alU's 
se  réfugier  dans  d'autres  pays,  dans  Timpossibilité  où  ils  étaient  de 
supporter  toutes  ces  tribulations;  car,  eux  qui  étaient  habitués  à  être 
abondamment  fournis  d'esclaves  et  de  toutes  les  ressources  de  l'o- 
pulence, ils  sont  réduits  maintenant  à  la  pénurie  et  à  la  serTitvdo, 


COBinTBB.  551 

Nicolas  AcciaiodU  en  maaranty  cfn  1366,  taÎ9sa  sa  ba^ 
ronniede  Goriûthe»  airéc  les  mêiaes  droits,  i  »oa  fils 
Ange.  L'année  1371,  cette  baronnie  fut  transformée  en 
comté  palatin  eo  laTeor  do  même  Ange  par  Tempereur 

et  il  D'est  aajoord*biiiptrsonû«  dans  la  cfaàtellenie  de  Coriotlte  qui 
ne  mange  son  pain  avec  dottleiir  •«  aussi  bien  à  cause  de  ces  tribula- 
tions continuelles  que  parce  que  nous  ne  recevons  aucun  secours, 
aucune  protection  de  vous-même,  notre  très-redouté  seigneur  natu- 
rel ,  de  vous  ponr  qui  nous  avons  souffert  tant  de  maux  et  tant  de 
calamHés  afin  de  vous  conserver  notre  fidélité. 

»  Et  certes  nous  n'eussions  jamais  cru  être  aussi  c^ni|vléic«iie]it 
alMndoanés  de  Votre  Mayesté.  Houe  espérions  au  GOAtraire  que  notre 
fidélité  envers  yùu»  bous  vaudrait  d'ètie  glorifiés  et  récompensés,  et 
d'être  maintenus  et  défendus  contre  tous  nos  ennemis.  Mais,  ù  dou- 
leur! nous  sommes  livrés  en  opprobre  à  toutes  les  nations,  nous 
sommes  faits  prisonniers  par  fes  Tores  ;  notre  patrie  devient  incuKe, 
et  cette  terre  si  agréable  et  si  déliciense  est  devenue  déserte.  Ù'an^- 
très  de  neiis  soai  forcés  de  payer  tribut/ 

»  Ne  pouvant  plasmûntenant  nous  soutenir,  la  lumière  s'éteignant 
dans  le  cbandelier,  et  nous  sentant  arrWés  à  la  fm  de  notie  malheu* 
reuse  existence  y  nous  nous  jetons  aux  pieds  de  Votre  Majesté,  nous 
les  arrosons  de  nos  farmes ,  nous  la  supplions ,  dans  notre  profonde 
douleur,  de  daigner  pourvoir  prompteraent  aux  besoins  de  cette  pa* 
trie  désolée  et  complètement  dé|)0nillée  d'Iiomraes  d'ârnes ,  d*&r* 
,n»otes  et  de  vivres ^  siaoa  it  ■»«  faudra  certaiBetneBl  abandonner 
notre  patrie  eu  nous  rendre  tiibntaires  de  nos  enn^^mis.  Noua  en 
présentons  d'avance  nos  excuses  raisonnables  à  Dieu,  à  Votre  Excel' 
lence  et  à  nos  amis.  Et,  si  (plaise  à  Dieu  de  détourner  de  nous  ce 
malbeur!)  nous  étions  forcés  de  le  faire,  la  faute  n'en  devra  pas 
tomber  sur  noas  qni  aurons  été  foolés  et  meurtris,  non  par  reffèt 
de  notre  volonté ,  mais  par  soite  de  notre  impuissance.  Comme  nous 
ne  pouvons  vons  exprimer  en  détail  dans  une  lettre  toute  cette  série 
de  tribulations^  nous  vous  envoyons  notie  compagnon  Louis,  babi- 
tant  de  Corintbe,  pour  vous  présenter  notre  supplique  et  s'entendre, 
avec  vous  sur  les  remèdes  convenables.  Daignez  ajouter  foi  à  ce. 
qu'il  vous  dira  en  notre  nom.  C'est  ce  même  Louis  qui  a  si  vail- 
lamment maintenn  ▼ofre  château  de  Saint-Georges  tant  qn'H  en  a 
eu  les  moyens,  et  il  y  a  dépensé  du  sien  plus  de  deux  cents  byper- 
pères.  Veuillez  donc  l'avoir  pour  bien  méritant  et  bie  :  recommandé. 
Que  Votre  Excellence  se  conserve  longues  années.  » 


552  GEECB  CONTINBllTAi;.B  ET  IIORÉB. 

Philippe  de  Tarente,  étant  à  fiude  en  Hongrie,  en  recon- 
naûsance  des  services  qui  lui  avaient  été  rendus  par  Ange 
pendant  sa  captivité. 

Après  la  mort  d*Ange  le  comté  palatin  de  Corintbe 
passa  à  son  fils  a!né,v Robert  Acciaiuoli,  qui  Thypothéqua 
entre  les  mains  de  son  parent  Néri  Acciaiuoli,  pour  gage 
de  l'argent  qu'il  en  avait  emprunté. 

Néri  Acciaiuoli  prit  donc  dès  ce  moment  le  litre  de  sel- 
gneur  de  Corintbe,  qu'il  conserva  et  transmit  à  ses  héri- 
tiers investis  ea  même  temps  des  seigneuries  d'Athènes  et 
de  Thèbes  K 

Dans  les  derniers  temps  de  la  domination  des  Turcs, 
Kiamil-Bey  était  le  véritable  successeur  de  ces  grands 
feodataires.  II  possédait  à  Corintbe  un  palais  bâti  au- 
dessus  des  anciennes  murailles,  dans  une  fort  belle  situa- 
tion an-dessus  du  golfe,  et  ses  jardins  délicieux  descen- 
daient en  pente  dans  la  vallée  vers  la  mer.  Il  avait  là  son 
harem,  ses  bains,  ses  jets  d'eau,  son  opulence  de  bon  goût 
La  grotte  verdoyante  des  Nymphes,  d'6ù  coule  perpétuelle* 
ment  une  fontaine  d'eau  douce ,  était  un  des  ornements 
de  ses  jardins.  Les  restes  des  vieilles  tours  franques  et  vé- 
nitiennes, distribuées  sur  les  anciennes  murailles ,  proté- 
geaient l'approche  de  son  palais  du  côté  des  champs. 
Dans  l'intérieur  de  ces  constructions  on  retrouve  les  dé- 
bris de  plusieurs  temples  anciens ,  avec  de  magnifiques 
colonnes  de  marbre  de  différentes  couleurs.  Ce  palais,  ce 
harem ,  ces  bains ,  ces  jardins ,  tout  est  aujourd'hui  en 
ruine.  Kiamil-Bey,  au  temps  de  sa  puissance,  était  res- 
pecté et  aimé;  il  passait  pour  le  plus  intelligent  et  le  meil- 
leur des  Turcs  de  Morée.  La  dernière  guerre  de  l'indé- 
pendance détruisit  celte  grande  existence.  Fait  prisonnier 
à  Tripolitza,  en  1823,  il  fut  renfermé  dans  l'Âcrocorinthe; 
et ,  au  moment  de  l'entrée  de  Dram-Ali ,  il  fut  égorgé ,  le 

>  Voyez,  dans  mes  Nouv.  Rech.,  t.  i,  lout  ce  qui  concerne  los 
Acciaiuoli. 


KYNÈTHES.  Ôôâ 

1 3  juillet ,  par  un  prêtre  soldat  et  bandit,  nommé  Âchil- 
léas. 

Outre  ces  quelques  restes  d'antiquité  on  trouve  à  Co* 
rîntbe  quelques  débris  de  l'amphithéâtre  taillé  dans  la 
montagne ,  des  restes  de  temples  sur  la  route  de  Gorinthc 
âi.  Kalamaki,  et,  près  de  Kecbrlès,  quelques  souvenirs 

des  bains  d'Hélène;  mais  tous  ces  restes  sont  fort  mutilés. 

C'est  surtout  de  ce  côté  de  Tisthme  que  se  sont  multipliés 

en  tout  temps  les  ravages  de  la  guerre. 


XXXIV. 

KYNÈTHES.  —  ROCHES  SKYR0N10£S.  —  MÉGARE.  — 

MONT  KARYOI. 

'  De  Gorinlbe  à  Kalamaki,  petit  port  situé  sur  le  golfe  Sa- 
ronique,  la  route  est  belle  et  facile.  Une  autre  route  car* 
rossable,  de  deux  lieues,  conduit  de  Kalamaki  à  Lou- 
traki,  de  l'autre  côté  de  l'isthme  sur  le  golfe  de  Gorinthe. 
De  Kalamaki  à  Athènes  on  va  souvent  par  mer  en  quatre 
ou  cinq  heures ,  le  vent  le  permettant  La  route  par  terre 
est  moins  exposée  aux  caprices  de  ce  roi  des  mers ,  mais 
elle  est  un  peu  rude.  Jusqu'à  Kynèthes  on  suit  la  plaine; 
mais  à  Kynèthes  on  commence  à  s'engager  dans  les  défilés 
des  roches  Skyronides,  d'où  Skyron  précipitait  autrefois 
les  voyageurs  mal  gardés.  J'ai  traversé  plusieurs  fois  cette 
route  de  Kaki-scala  (la  mauvaise  échelle)  et  une  fois 
entre  autres  par  une  pluie  d'orage  mêlée  d'éclairs  et  du 
bruit  du  tonnerre,  qui  faisait  le  plus  bel  effet  en  se  répé- 
tant d'écho  en  écho  dans  la  montagne;  mais  je  ne  l'ai 
pas  trouvée  aussi  mauvaise  qu'on  me  l'avait  représen- 
tée. Quelques  passages  me  rappelaient  la  route  de  la  cor- 
niche, de  Nice  à  Gênes.  La  vue  du  golfe  Sarouique 
avec  la  vue  de  Salamine  et  des  îles  qui  le  ferment  en  quel- 

47 


554  GRÈCE   COKTINBNTAU  BT   MOREE. 

qae  sorte  est  toujours  d*uii  bel  effet.  A  uo  autre  voyage , 
le  9  janvier,  neuf  mois  auparavant ,  j'avais  trouvé  une  si 
belle  saison  «  une  cbaleUr  si  douce,  que  Réprouvai  un  vé- 
ritable plaisir  à  n'asseoir  sur  le  gazon ,  en  plein  air,  à 
Kynètbes,  pour  me  reposer  et  foire  collation. 

La  roule  de  Kynèthes  ï  Mégare  n*est  que  de  trois  beures* 
Une  demi^lieue  avant  d'arriver  k  Hégare»  dans  la  pSaine, 
je  m'aperçus  qu'on  avait  foit  des  fouilles  sur  l'emplace- 
ment d'un  ancien  temple.  Ge  qu'on  y  a  trouvé  a  été  tran»» 
porté  à  Mégare.  En  arrivant  j'allai  voir  ces  divers  objets; 
il  y  a  entre  autres  un  bloc  de  marbre  blanc  représentant 
un  enfant  monté  sur  un  cheval ,  tous  deux  de  demi-gran- 
deur. L'enfant  et  le  cheval  sofU  du  {dus  mauvais  goût;  on 
dirait  un  ouvrage  des  siècles  barbares  :  c'est  sans  doute 
l'œuvre  d'un  dsean  romain  peu  exercé.  Un  atrtre  frag- 
ment un  peu  meilleur  est  peut-être  d'origine  grecque. 
C'est  un  lion  combattant  contre  un  serpent  :  le  lion  est 
entier  et  de  demi-grandeur,  tnaîs  le  sei'pent  est  brisé  et 
on  n'en  retrouve  plus  que  deut  fragments  adhérents  au 
corps  du  lion.  Le  travail  do  sculpteur  n'est  terminé  que 
d'un  cdté,  l'autre  côté  est  uni;  ce  qui  ferait  penser  que 
cet  ouvrage  de  scolpture  anra  été  appliqué  à  quelque  mo- 
nument public  ou  privé,  une  fontaine  par  exemple.  Dansr 
une  autre  maison  sont  des  statues  que  je  crois  d'un  style 
romain  et  fort  médiocres.  La  ville  de  Mégare,  au  temps  des 
Turcs,  était  bfttie  sur  la  montagne;  mars  cette  vi%  a  été 
incendiée  par  eux ,  et  on  ne  s'y  promène  aujourd'hui  qu'à 
travers  des  ruines  :  car  peu  des  habitants  ont  relevé  leurs 
maisons  sur  la  colline  ;  presque  tous  ont  profité  de  la  sé^ 
curité  do  pays  pour  reconstruire  dans  la  plaine,  oA  s'é^ 
tendent  aujourd'hui  bon  iH>mbre  de  maisons  noweHes. 
La  nouvelle  Mégare  me  semble  contenir  environ  i,hOO 
habitants.  Dans  la  haute  Mégare  les  débris  modernes  se 
confondent  avec  les  débris  dû  passé,  car  c'était  avec  les 
monuments  antiques  (fu'on  avait  bâti  tes  masures  mo- 
dernes. Ici,  on  voit  une  coloime  antique  placée  en  travers 


VBGA^BB.  655 

dans  on  pan  de  muraille  d'une  maison  écroulée  ;  là ,  dana 
une  petite  église,  une  inscription  lapidaire  placée  sens  dessus 
dessous  au  haut  de  la  muraille.  Partout  la  grandeur  antique 
se  révèle  par  un  seul  peUt  fragment  et  éxrase  le  misera* 
bleart  moderne,  humble  et  à  Toeil  bas.  Le  château  est  placé 
tout  au  haut  de  la  ville  ;  il  reste  quelques  assises  de  pierres 
helléniques  par  le  bas,  tout  le  haut  est  de  construction 
firanque,  A  Tintérieur  est  une  porte  de  séparation  de  forme 
ogivale,  entre  les  deux  parties  de  la  tour.  Ce  château,  qui 
était  fort  petit ,  devait  seulement  protéger  la  ville  ou  plu-» 
tdt  la  tenir  en  respect.  L'abord  de  Mégare,  du  côté  de  la 
mer  et  du  côté  des  défilés ,  était  gardé  par  un  véritable 
château'-fort  sur  la  colline  de  Nisea,  d'où  on  embrasse  à  la 
fois  la  baie  de  Saiamine  et  cette  ile  et  toute  la  plaine  de 
Mégare.  Les  Francs  y  firent  bâtir  une  forteresse  ;  mais  il 
.  est  aisé  de  s'apercevoir  qu'il  y  existait  auparavant.une  grande 
construction  hellénique,  car  dans  toutes  les  premières 
assises  et  dans  les  fondements  on  voit  debout  les  largei( 
pierres  quadrilatères  de  l'architecture  murale  hellénique». 
I  |A  un  premier  voyage  que  j'avais  fait  d'Ahènes  à  Go-< 
rinthe ,  le  débordement  des  torrents  à  travers  le  dervend, 
seconde  route  pour  aller  de  Mégare  à  Gorinthe ,  m'avait 
empoché  de  vérifier  un  point  qui  m'intéressait  vivement. 
Je  voulais  visiter  le  mont  Karydi,  où  se  livra ,  en  1250, 
une  grande  bataille  entre  le  prince  Guillaume  de  Ville- 
Hardoin ,  prince  d'Âchaye,  à  son  nouvel  avènement ,  et 
le  duc  d'Athènes ,  son  vassal ,  soutenu  des  grands  barons 
qqi  lui  refusaient  l'hommage  féodal. 

Gette  fois,  au  lieu  de  suivre  la  route  directe  de  Mégare 
à  Athènes  par  Eleusis  ou  de  me  diriger  par  Saiamine,  je 
résolus  d^explorer  le  Karydi  et  de  visiter  le  revers  du 
Gythéron,  Égosihènes  et  Éieuthère.  Pour  aller  de  Mégare 
au  mont  Karydi  la  route  est  presque  toute  en  plaine  jus-^ 
qu'au  pied  de  la  chaîne.  On  passe  sur  les  hauteurs  qui 
séparent  celte  chaîne  de  celle  du  grand  dervend.  Après 
deux  heures  et  demie  on  rencontre,  en  montant,  la  route 


550  GâiCB  CONTINtNTAU   ET  HOREB. 

qui  fient  de  Goriothe  par  le  mont  Acra  ou  Karydi ,  et 
qui  n'est  rien  autre  que  Taucienne  route  de  Corinihe  à 
Thèbea.  C'est  celle  que  dut  prendre  Guillaume  de  Ville* 
Hardoin  pour  marcher  sur  Thèbes  contre  le  duc  d'Athè- 
nes. Au  milieu  de  la  chaîne  de  montagnes  sur  laquelle 
domine  le  Karydi  se  trouve  sur  la  route  on  puits  sur  un 
plateau  large  et  incliné  qui  s'étend  jusqu'à  une  coarte 
vallée  où  aboutissent  les  flancs  de  toutes  les  montagnes 
d'alentour»  c'est  là  sans  doute  le  terrain  sur  lequel  vint 
se  poster,  à  trois  heures  en  avant  de  JVlégare,  l'armée  da 
duc  d'Athènes  pour  atteodre  l'armée  du  prince  de  Alorée 
et  lui  livrer  combat  II  était  probablement  échelonné  de- 
puis le  versant  du  Karydi  jusqu'à  l'entrée  de  la  route  qai 
venait  de  Ckirinthe,  Ce  qui  montre  qu'il  a  dû  devancer  en 
ce  lieu  l'armée  du  prince  de  Morée,  c'est  qu'après  sa  dé- 
faite il  se  porta  sur  Thèbes  pour  s'y  défendre  et  que  ce  • 
prince  l'y  suivit  La  Chronique  de  Morée  représente  le 
prince  Guillaume  réunissant  ses  troupes  à  Corinthe ,  pas- 
sant de  force  la  scala  de  Mégare  et  s'emparant  du  défilé 
(dervend  ou  clisoura)  ;  puis  le  duc  d'Athènes  à  cette  non- 
velle  s'avançant  de  Mégare  vers  le  mont  Karydi,  où  il  lui 
livra  bataille,  fut  battu,  se  sauva  vers  Thèbes  après  sa  dé- 
faite et  fut  poursuivi  par  le  prince  jusque  dans  cette 
ville*.  Or,  si  Guillaume  de  Yille-Hardoin  eût  devancé  au 
mont  Karydi  le  duc  d'Athènes,  il  lui  eût  évidemment 
coupé  la  route  de  Thèbes.  Il  me  parait  donc  certain  que 
c'est  ce  vallon ,  aujourd'hui  garni  de  pevka  (pins)  qui  de 
loin  ont  l'aspectd'one  verte  prairie,  que  choisit  le  duc  d'A- 
thènes pour  y  attendre  le  prince  de  Morée  à  son  débou- 
ché du  défilé  de  M<^are  vers  la  route  de  Thèbes;  et  que 
son  armée^  arrivant  par  la  route  fort  courte  et  fort  belle 
de  Mégare ,  y  devança  fort  aisément  celle  du  prince  de  Mo- 
rée ,  qui  avait  à  traverser  les  passages  difiBciles  du  grand 
dervend.  Je  suis  allé  en  trois  heures  de  M^are  au  mont 

<  Pag.  79  et  SO  dé  la  Chron.  de  Morée. 


'MONT  KARTDI.  Ô57 

Karydi;  mais  il  n'y  a  que  quatre  lieues  de  poste,  et  en 
une  heure  ou  une  heure  et  demie  on  peut  y  arriver  en 
pressant  le  trot  d'un  bon  et  fort  cheyal. 

£n  remontant  un  des  flancs  du  Karydi  pour  suivre  la 
route  qui  liiène  à  Thèbes ,  on  trouve  au  milieu  des  bois^ 
sur  les  deux  versants  opposés  d'un  contrefort  qui  domine 
la  vallée ,  deux  tours  helléniques  aussi  parfaitement  con-» 
servées  que  si  elles  eussent  été  construites  il  y  a  peu  de 
jours.  La  première  qui  se  présente  est  une  tour  carrée ,  il 
ne  manque  que  quelques  pierres  du  couronnement  de 
rédifice;  elle  a  de  quarante  à  cinquante  pieds  de  hauteur, 
et  la  porte,  qui  est  de  forme  quadrilatérale,  est  parfaitement 
conservée.  Sur  le  versant  le  plus  éloigné  du  mont  Karydi  est 
une  autre  tour  qui  est  de  forme  ronde  et  qui  Ta  en  dimi- 
nuant toujours  vers  le  haut  :  elle  est  très-difficile  à  décou- 
vrir^au  milieu  de  ces  bois  éj^is  et  pierreux ,  bien  qu'en 
s'élevant  on  aperçoive  son  extrémité  au-dessus  des  éclair- 
cies  des  arbres.  £lle  a  aussi  vingt-cinq  ou  vingt-six  assises 
de  hauteur  en  larges  pierres  quadrilatères ,  ce  qui  donne 
une  cinquantaine  de  pieds  ;  une  ou  deux  pierres  seule^ 
ment  du  haut  sont  tombées ,  mais  le  reste  est  dans  un 
état  parfait  de  conservation.  Près  de  ces  deux  tours  sont 
des  ruines  de  constructions  du  moyen  âge.  Il  serait  possi- 
ble qu'après  sa  révolte  le  duc  d'Athènes  eût  élevé  ces 
remparts  et  lié  les  deux  tours  pour  opposer  une  barrière 
à  son  suzerain  le  prince  d'Âchaye ,  et  que  celui-ci  les  eût 
fait  démolir  après  la  d^aite  de  son  vassal  à  Karydi  en 
1250.  Ces  deux  tours  sont  certainement  un  des  monu- 
ments les  plus  intéressants  que  je  connaisse  et  des  mieux 
conservés. 

Au  delà  de  ce  point  la  route  monte  par  un  chemin  as- 
sez facile  jusqu'en  haut  de  la  montagne  à  travers  un 
bois  assez  épais.  Aussitôt  qu'on  est  parvenu  au  fort  qui 
mène  de  ce  versant  au  versant  opposé,  à  une  Tue  tout  à 
fait  riante  succède  un  tableau  imposant  par  sa  rudesse.  Le 
Gythéron  se  développe  tout  entier  devant  vous,  et,  de  ce 

47. 


658  GEECB  COHTimilTALS  if  MOR^E. 

e6lé,  entre  lai  et  le  iane  ra4e  et  roehen  da  mont  Kaiydi 
est  un  contreCMl  do  Karydi  qvi  s'ivaoee  et  forme  une 
espèce  d'avion  de  rochera  qui  s'on? re  du  cAté  de  Kryo^Pi** 
gadi.  Cette  partie  dn  ehemin  est  fort  difficile  et  a'embran- 
che  avee  le  ehemin  non  moins  rocatileux  qni  conduit  k  Porto« 
Germano ,  l'antique  Égosthènea.  Au  loin  cette  partie  da 
golfe  de  Corinthe  se  détache  avec  grâce ,  et  les  montagnes 
qui  Borteot  des  grandes  montagnes  de  Roumélie  sont  doa^ 
ces  et  verdoyantes.  De  là  k  Viita  il  s^  a  environ  trois  benrea. 


# 

11  arrive  peu  d'^trangert  ^  Yilia  t  et  je»  Groc9  ¥M  k 
Iji  fois  curieux  et  poUs  H  leur  immigre.  *A  peiae  ét«is-j« 
àmtsfiAn  pour  vM  promener  snr  la  place  publiqne  qœt 
pitnni  cinquante  hoîqroea  au  moioa  réiioia  au  café .  car 
c'était  jour  d^  f9(e,  tt  n'y  eii  eut  aucun  qui  ne  m'oiTrtt 
café  et  raki,  te  m'asaia  un  instant  pour  causer  avec  euir. 
Les  questions  du  peuple  comme  celtes  de?  rois  rooleni 
toiûonrs  dans  le  même  cerdc  d'idt^ei  :  d'où  vene««voQs  ? 
où  allez-vous?  est-ce  la  première  fois  que  voua  visitas  en 
pays?  éte^-voqs  marié?  av^z^vons  deg  enfautsT  Ua  Grecs 
pensent  faire  preuve  d'intérdt  pour  vous  en  vous  int;erro« 
géant  sur  tout  ce  qui  les  intéresserait  ewc-mâmes.  Vos  en** 
fants  se  portent-ils  bien?  combien  payez-vous  k  votre 

agoîate  ?  S>qis  la  question  roule  enauiie  sur  la  politique. 
La  France  abandonnera^t^lle  donc  la  Grito?  car  la  France, 
c^est  la  proieetrice  naturelle  et  déaint^ressée  de  toua  ceux 
qui  souffrant;  et  aqtres  qoeations.  Aprte  avoir  satisfait  de 
mon  mm%  k  leur  politesse,  je  fia  veuir  le  kyrit  on  héraut 
chargé  des  publications  et  je  lui  fia»  selon  ïwm^  usage,  crier 


SGMTBBNBfi.  550 

à  baille  \m  dans  tout  le  village  :  qn'on  miiordi,  car  c'est  ainsi 
qu'on  appelle  tout  étranger  qui  ne  voyage  pas  pour  afiaires 
de  commerce ,  venait  d'arriver  dans  le  village  et  désirait 
acheter  des  médailles  et  d'autres  antiquités ,  et  que  tous 
cew  qui  en  auraient  à  vendre  étaient  invités  à  venir  les  lui 
montrer.  La  voix  du  crieur,  modulée  ainsi  qu'ils  ont  l'ha* 
bitude  de  le  faire  pour  se  parler  d'une  montagne  à  l'autre, 
était  entendue  dans  tout  le  village  i  qui  est  cependant  fort 
considérable  et  dont  le  terrain  est  fort  accidenté,  Beau* 
coup  de  monnaies  me  furent  apportées,  mais  toutes  ou  ro« 
maines  ou  effacées  ;  je  n'achetai  rien,  et  en  fus  quitte  pour, 
une  faible  rémunération  au  crieur  public.  Mon  konaki  était 
chez  un  des  Albanais  qui  habitent  ce  village  au  nombre 
de  plus  de  2,500»  L'Albanais  appartient  h  une  race  peu 
Intelligente  et  avide,  qui  parait  destinée  aujourd'hui  k  con 
tinuer  l'état  de  cultivateur  ou  de  soldat  qu'elle  a  em* 
brassé  dès  son  arrivée  en  Grèce,  Mon  Albanais  avait 
marié  sa  fille  depuis  un  an;  et,  nouveau-né,  bru,  fils^ 
femme ,  tous  nous  couchâmes  dans  la  même  chambre  •  la 
seule  de  la  maison.  L*air  frais  de  la  nuit  était  aans 
doute  fort  nécessaire  i  la  jeune  mariée  ;  car  trois  ou  qua« 
tre  fois  dans  la  nuit  elle  se  leva  pour  aller  respirer  les 
parfums  des  vignes  et  vergers  voisins,  et  autant  de  fois  son 
jeune  mari  la  suivit  pour  la  rassurer,  Comme  leur  tapis  était 
fort  voisin  du  mien ,  le  contact  de  l'air  frais  qui  pénétrait 
par  la  porte  entre-ouverte  me  réveillait  chaque  fois  et  me 
révélait  les  secrets  de  famille. 

Le  père  de  mon  jeune  Albanais  m'accompagna  le  lende« 
main  matin  i  I^gostbènes,  Je  partis  h  cheval,  et,  longeant 
tovyours  les  flancs  du  Cytbéron ,  j'arrivai  après  deux  beu« 
res  et  demie  à  Égostbènes,  Le  point  oik  on  descend  du  Cy- 
théron  dans  la  vallée  qui  mène  par  une  pente  rapide  au 
golfe  de  Gorinthe  est  des  mieux  choisis  pour  la  beauté  de  la 
vue,  A  côté  de  soi  on  a  des  masses  de  roches  énormes,  au- 
dessous  une  vallée  couverte  des  plus  beaux  oliviers;  sur  un 
tertre  au  bas  du  Cytbéron,  sur  le  versant  do  Karydi,  se 


S60     GmÈCB  GONnNKHTALB  ET  MORBB. 

déUiche,  un  peu  pins  loin,  la  jolie  forteresse  antique  d*É- 
goslhènes,  et  un  beau  golfe  bien  encadré  par  les  moutagnes 
verdoyantes  de  Pera-Ghora  et  de  Roumélie  s'étend  à  perte 
de  vue  à  Texlrémité  de  la  vallée.  A  travers  ce  chemin  de 
rochers,  qui  semblent  un  mur  destiné  à  vous  barrer  le  pas- 
sage» et  à  travers  les  bosquets  d'oliviers  étages  au-dessous, 
je  parvins  à  la  vieille  forteresse  hellénique.  On  voit  que 
ce  lieu  a  dû  être  autrefois  très-peuplé.  La  ville  s'étendait 
au  bas.  Sur  la  mer  est  une  tour  qui  ferme  le  môle.  De 
grosses  pierres  placées  régulièrement  dans  l'eau  condui- 
sent l'œil  à  déterçiiner  la  ferme  du  môle.  Une  autre  tour 
carrée  est  placée  plus  avant  pour  la  protection,  du  côté  par 
oA  on  descend  de  la  montagne.  Une  petite  église  est  con- 
struite à  Textérieur  des  murs  helléniques.  Le  dessus  de 
la  porte  est  couvert  d'une  longue  inscription  grecque,  et 
plusieurs  autres  bâtiments  antiques  vous  conduisent  des 
murs  de  la  ville  qui  était  dans  la  vallée  aux  murs  de  la  for- 
teresse située  sur  ce  tertre.  La  forteresse  est  conservée  tout 
entière  du  côté  d'un  ravin  profond  et  moins  bien  du  côté 
de  la  mer.  Le  mur  du  ravin  est  encore  flanqué  de  ses  tours 
carrées,  conservées  en  entier  jusqu'à  une  quarantaine  de 
pieds  de  hauteur.  Il  y  a  quatre  tours  entières  et  plusieurs 
autres  conservées  un  peu  moins  haut.  Ce  mur  est  flanqué 
d*nn  épais  chemin  de  ronde  construit  au  moyen  âge  et  de 
construction  franque.  Les  vides  du  mur  du  côté  de  la  mer, 
destinés  à  des  tours  de  garde,  ont  été  construits  à  la  même 
époque,  sans  doute  pour  protéger  la  côte  contre  les  incur- 
sions des  pirates.  Je  restai  deux  heures  à  me  promener  à 
travers  les  ruines  de  cette  forteresse  qui  n'est  plus  destinée 
à  protéger  personne,  car  il  n'y  a  pas  trace  de  vie  dans  toute 
cette  vallée  :  pas  une  maison,  pas  un  habitant;  seulement  un 
moulin  à  huile  placé  dans  une  salle  de  la  forteresse  vous  mon^ 
tre  que  de  temps  à  autre  on  vient  des  villages  voisins,  après 
la  récolte  des  olives,  en  pressurer  les  fruits^  et  un  puits  à  poix 
résine,  tout  rempli  pour  servir  après  la  vendange  prochaine 
à  la  confection  du  détestable  vin  résiné  fabriqué  ici ,  prouve 


GYTHERON.  561 

que  les  pevka ,  multipliés  sur  les  montagnes,  sont  de  quel- 
que utilité.  Pendant  que  j'étais  à  faire  une  légère  collation 
près  d*une  fontaine  d'excellente  eau  placée  dans  la  vallée,  je 
vis  trotter  à  travers  les  bois  un  moine  monté  sur  une  excel- 
lente mule.  11  venait  du  monastère  de  Saint-Meletius  placé  à 
cinq  lieues  de  là  et  peuplé  d'une  cinquantaine  de  moines  » 
pour  visiter  cinq  cents  essaims  d'abeilles  qui  avaient  été  ap* 
portés  du  couvent  et  avaient  été  distribués  dans  la  vallée  et 
sur  tous  les  flancs  du  Cythéron.  Tous  les  ans,  au  moment 
où  les  pevka  sont  en  produit,  les  moines  font  transporter 
leurs  essaims  dans  celte  vallée  pour  que  les  abeilles  puis- 
sent butiner  la  résine  et  donner  ainsi  une  nouvelle  qualité 
à  leur  mieL  Sur  les  mille  essaims  au  moins  que  possède  ce 
monastère ,  la  moitié  est  distribuée  de  ce  côté.  Il  est  d'n-^ 
sage  en  Grèce  de  transporter  ainsi  les  abeilles  à  deux  ou 
trois  reprises  en  différents  lieux,  suivant  la  nature  et  l'abon- 
dance des  fleurs  qu'elles  doivent  y  trouver.  On  paye  pour 
cela  un  droit  de  pâture.  Je  revins  avec  mon  moine  visiter 
une  dizaine  d'essaims  d'abeilles  qu'il  avait  placés  sur  les 
flancs  du  Gythéron  au  milieu  de  ces  pins  au  feuillage  si  léger 
et  si  mobile  qui  de  loin  semblent  à  l'œil  comme  une  prairie 
et  à  l'oreille  comme  le  bruissement  d'une  mer  agitée.  En  re^ 
montant  de  la  mer  à  la  montagne  l'aspect  de  trois  lignes  de 
rochers  placées  l'une  derrière  l'autre ,  comme  une  suite 
de  fortifications  naturelles,  paraît  plus  imposant  encore 
qu'il  ne  se  montre  quand  on  descend  de  la  montagne  à  la 
mer.  En  se  retournant  du  côté  de  la  vallée ,  on  a  en  même 
temps  un  tableau  plein  de  grâce.  Après  avoir  visité  avec  le 
moine  les  essaims  d'abeilles  placés  dans  un  champ  élevé  ao 
milieu  des  pins  et  des  rochers  je  repris  ma  route  vers  Yilia, 
où  j'arrivai  après  deux  heures  et  demie  de  voyage.  Au-des- 
sus du  village  de  Yilia ,  à  deux  heures  de  distance  seule- 
ment, est  un  plateau  considérable  qui  s'étend  depuis  le 
haut  de  la  montagne  jusque  près  de  Thèbes.  C'est  là  qu'é- 
taient placées  les  célèbres  villes  antiques  de  Platée  et  de 
Leuctres.  Tanagra  est  un  peu  de  côté  sur  la  droite.  Pen- 


56S  GftECE  COirriWMTAU  ET  MOBEE. 

4biit  quelque  temps  je  lae  promenii  mut  cette  roule  am- 
née  partout  de  grand*  touvenlrs  depuis  Œdipe  jusqu'à 
ÉpaoûnoudM.  Près  du  célèbre  champ  de  bataille  de  Platée, 
ou  trouve  encore  les  ruines  d*on  château  antique^  De  re*- 
tour  k  Vilia  je  me  reposai  quelques  instants  seulement, 
et  me  dirigeai  vers  Tantique  Élcuthère  connue  aujourd'hui 
sous  le  nom  de  (^pto-Castro.  La  route  tourne  la  monta- 
gne et  après  trois  quarts  d'heure  on  arrive  à  la  caserne  e( 
au  khani  dp  Khasa  situés  sur  la  grande  route,  la  seule 
grande  route  deGrèce,  celle  d* Athènes  à  Thèbes  par  Eleusis. 
Je  m'acheminai  aussitôt  à  pied  vers  les  murs  de  la  ville  an^ 
tique.  £n  dii  minutes  j'arrivai  au  ^ed  de  la  montagne  aux 
grands  murs  beUéniquas  qui  en  revêtent  la  cime.  Toute  la 
ligne  des  murailles  de  Test  avec  les  tours  qui  les  flaaqnaient 
est  parfaitement  conservée.  I^  portes  et  fenêtres  des  tourSf 
les  portes  qui  conduisaient  au  dehors  de  l'enceinte,  toot 
s'y  retrouve  dans  une  parfaite  intégrité.  Derrière  le  pre-^ 
mier  rang  de  grandes  pierres  quadrilatérales  sa  voit  un 
passage  étroit,  pois  un  second  rang  des  mêmes  niuraiUes; 
afin  •  sans  doute ,  que,  si  quelque  partie  du  premier  rang 
était  endommagée  par  U  bélier,  la  ville  ne  courût  pas  pour 
c^  danger  d*être  prise.  Au  milieu  de  Teneeinte  des  mu^ 
railles  ^t  sur  le  point  le  plus  élevé  on  remarque  un  grand 
ibrt  ou  grande  tour  ^épQrée,  plus  ruinée  que  les  autres  parties 
des  fortilieations.  JLes  quatre  mors  subsistent  cependant 
jusqu'à  une  certaine  hauteur,  et  on  voit  qu'ils  sont,  bien  que 
contemporains,  d'une  construction  tout  k  fait  différente; 
c'est  celle  qu'on  a  nommée  cyclopéenpe  ou  pélagique, 
U  les  pierres  sont  taillées  pentagonalement  ou  plutôt  irré^ 
guUèrement  :  comme  je  TaLyu  dans  les  murailles  récemment 
exeavées.  à  Pelpbes ,  aussi  bien  que  dans  quelques  parties  des 
murs  du  château  de  livadla.  Oq  voit  que  lesdeui^  construc» 
tions,  la  polygonale  et  la  quadrilatérale,  ont  di)  cependant  être 
pratiquées  en  même  temps.  Le  côté  occidental  d'Éleuth^e, 
qui  est  flanqué  par  la  route  de  Thèbes,  et  au  delà  par  un 
ravin  où  coule  un  torrent  qui  tombe  avec  on  bruit  harmo- 


ELEUTBEBB.  563 

nieox  d'nn  rocher  voîsîq,  edt  plus  endommagé  qoe  l'autre 
côté  ;  mais  la  série  des  murs  esl  cepettdant  complète  de 
rochers  en  rochers.  C'est  une  des  plus  importantes  mines 
qu'il  y  ait  en  Grèce»  et  à  la  porte  d'Athènes. 

A  peu  près  au  nailieu  de  la  route  entre  Éleutbère  et 
Eleusis  se  trouve  à  gauche  près  du  chemin  un  pan  de  ma*' 
raille  haut  d'une  trentaine  de  pieds,  et  qui  a  fait  partie 
d'une  antre  vietUe  tour  heUéniqoe.  Cette  route  est  fort 
belle.  Il  était  huit  heures  du  soir  quand  j'arrivai  ao  kkaoi 
de  Koodoura«  La  nuit  était  depuis  quelque  temps  stu've^ 
nue  f  mais  la  loue  dcmnaii  à  ce  passage  de  montagnes  ro-' 
dieuse*  eutre-^seméc»  d'arbres  l'aspect  d'une  bette  et  vaite 
forêt*  Ao  heu  de  m'arrèter  au  kbaoi  de  Kondoura  je  pou»- 
sai«  une  lieue  plus  loiOf  jusqu'au  kbani  de  Khora^teno  pan*  utt 
Albanais,  le  {dus  grand  klepbte  parmi  les  kkpbtes  albanais* 
Pour  se  pa»  coucher  dans  te  cdlier  od  étaient  ses  vins  ei 
ne  pas  respirer  cette  désagréable  odeur,  je  fis  démonlet 
une  porte  que  je  fis  transporter  dans  b  partie  la  plu»  âe* 
▼ée  de  l'écurie;  car  déjà  il  coDUtttnçaità  faire  un  p€ia  fraii 
pour  coucher  en  plein  air,  nous  étioU»  au  21  septembre* 
J'avais  trouvé  le  matin  un  peu  de  frakheur  daae  Tatmo»» 
phère  eu  reveuant  d'ÉgoeCfaèoes,  et  la  frakheur  s'était  fah 
sentir  aussi  à  la  chute  du  jour  apirant  d'arriver  à  Kbora.  L'écu- 
rie  était  entièremest  ouverte  par^devant»  maie  die  était  fort 
longue^  et  use  quiuzaliie  de  chevaux,  distribués  des  deut 
côtés,  euTre  noua  et  Couverture ,  réchaufibiest  uu  pero  la 
partie  de  l'écur»  oà  je  m»  troovik  Je  fis  d'iilleura  allu- 
mer Utt  grand  feu  que  je  fis  eutretenir  tome  kl  iicdt  et 
autour  duqttei  viareut  se  distribuer  les  efméÊctet^H  des 
moles  et  des  ebcv an,  qui  éifisiit  venus  eommë  Moi  efaer« 
cher  un  asHe  pour  la  n«it  dons  te  kbanL  Un  |»olilet  Ion 
jeune  mais  fort  dor,  du  froinage  fdrt  vlemi  et  d'eseel' 
lent  raisin  de  la  tigue  foisive ,  que  l'oo  f efidsftgesîl ,  me 
csmposèrnvt  no  eieellent  souper,  car  si  la  dMr  éiail  m^ 
dk)cre  l'appélit  ne  l'était  pas,  et  je  m'endeiwls  foit  pnisi^ 
UsmeHt  dans  mou  mumeau  sur  nm  porte  en  guise  de  bois 


TABLB. 


DéoiCACi  â  8.  i.  R.  Maiiams  la  bDCHMM  D*OiiLéAir« ▼ 

iMVRODUGTIOlf | 


•Mwawivw* 


GRÈCE  CONTINENTALE. 

I.  Malle.  —  Syra.  — >  Le  Plrëe.  —  Arrivée  à  Athènes 39 

n*  Athènes.  —  Set  monnmentt  aniiqaes  et  tes  fêtes  populaires. — 
Sa  passion  pour  la  philologie.  —  Ses  écoles  avant  la  révolution 

(p-ecque '. . . .  63 

m.  Athènes.  — -  La  cour  et  la  ville 92 

IV.  L'AthèuM  francise  du  moyen  Age.  —  Ses  monuments.  — 
ChAieanx.  ~~  Églises.  —  Sépultures,  — >  Armures 1 15 

V.  Athènes.  —  L*ÉUt , , , 146 

VI.  Environs  d'Athènes.  —  Colone.  —  L'Académie.  —  Daphni. 

»  Eleusis 167 

VII.  Mont  Lycabettus.  »  Marousi .—  Repbisia.  —  Le  Pentélique. 

—  L'flymetie 177 

VIII.  Dekelia.  —Marathon.  —  Varnavas.  —  Gliathi 190 

IX.  Bfarcopoulo.  —  Oropos.  -—  Aulis.  —  Ghalkis.  -^  Thèbes. . . .  204 

X.  Lac  Copaïs.  ~~  Karditza.  —  Livadia 213 

XI.  Chéronée.  —  Un  mariage  grec.  —  Le  monastère  de  Saint- 
Luc  227 

XII.  Delphes.  —  Salona 248 

XIII.  Khani  de  Gravia 261 

XIV.  La  Clisoura.  —  Bodonitza 280 

XV.  Une  sucrerie  française  en  Grèce.  —  Thronium— -La  Lo- 
cride 288 


TABLE.  567 

XVI.  Les  Thermopyles.  —  Lamia.  —  Néo-Patras 318 

XVII .  Garpeniii .  —  Poartos 337 

XVIII.  Retoar  de  Pouriot  à  Athènes 359 


MORÉE. 

XIX.  Épidaqre.  r-i  Li0Mlfio • , «  368 

XX.  Nauplie.   —  Tirynthe.  —  Mycènes.  ^  Argos 380 

XXI.  Astros.  —  Monemba^e.  —  Château  de  |a  Belle ^92 

XXII.  Myli.  ^  Lerne,  ^  Moukhli.  —  TrippUiui.  r-Nic|i, 416 

XXIII.  Sparte,  -r  l^f^cédpmoma ,  ^—  Mistra,  tm  ^myclée, ,  4^ 

«    XXIV.  Trypi.  i—  Chato»  du  Taygète.  -^  diUmau .  •-  Mpstèoe, 

•—  GoroD.  -~  ModoQ. 436 

XXV.  Navarin.  —  Arcadia,  —  Christiano i •  •  •  * ;  4^^ 

XXVI.  Sidero4]|af(r9t  rr^  Pavliua.  —  Pbig9Uff,  rr-Qasss,  -—  Aq<x 
dritzena,  itm  Lavd»  •  «  *  i ?  t  ^  •  •  i  » »  i  •  •  *  •  i  ^^ 

XXVII.  Cariteoa.  -T^llégalopolis.  •— Leondari.  -nt  Veligiosti  •  — * 
Hahry-Plagl.  ^  Lakos.  —  Gardiki 476 

XXVin.  Gortyi.  ^  Palomba.  —  Achqyae.  —  Llodora. 489 

XXIX.  Isova.  —  plyrnpifi ......,,...., 496 

XXX.  PyirgQf,  «  Riii,  r-  Andravid»,  fim  pUpt^erqes .  rr  Gla» 
rentza , , {|01 

XXXI.  Patrat.  —  Vostitu 516 

XXXII.  Mega-Spileon.  —  Calavryu.  —  Trépipnla.  -^  Vlonçoka. 
^C>re ..,.,fi itî"t I  S32 

XXXIII.  SipyAQf,  rv  Çqirjnthe ...«^««tMtt;****!!****)  k^^ 

XXXIV.  Kyaèthet.  wm  RAcheâ-SkyroDides.  -- Mé§8M.  «r- Mopt  Ka« 
rydi :.. , 162 

XXXV.  Vilia.  —  CyAt^ron.  —  Égosihènes,  r-  |t|^nthère.  — 
Éleutii,  -rr  Pfubfli , , , , i ,  1 .  » .  ♦  •  t  •  1 1  »  •  • •  •  •   5^7 


FIN   DE   LA  TABLE. 


FAUTES  A  COBRIGEB« 


P»«e 

lifM. 

18 

25 

» 

31 

ih. 

36 

9S 

24 

51 

5 

78 

16 

14i 

35 

165 

3 

315 

30 

SS4 

3 

260 

8 

961 

10 

963 

litre 

28« 

2 

298 

15 

810 

29 

311 

5 

318 

.8 

31tf 

14 

320 

12 

321 

5 

329 

14 

837 

9 

360 

32 

367 

85 

ib. 

note 

399 

7 

419 

33 

420 

SI 

424 

10 

429 

16 

430 

note 

432 

26 

460 

22 

464 

6 

470 

34 

473 

26 

503 

titre 

Litex. 


Bounot. 

Sideroponon. 

pénétrer  cUni. 

régttliéret. 

precque  toate» 

oet  corde. 

Torfre. 

juin  1838. 

cette  eroite. 

Patrftdjak. 

à  mon  départ. 

en  pleine  air. 

Rhaoia. 

du  mot  gre 

désignent  avec. 

ti  fecileacoèi. 

Élite. 

prêt  de  Vrac. 

Htcboc. 

notre  gauloit  Brenn. 

Paloeo^ania. 

avec  toute  antti. 

bâti. 

Palœo-Vraca. 

Léotia. 

SucaminiMÎ. 

palait. 

roinet  franqtie. 

enfiieela. 

tenlement  de  i'Earotat. 

Ceno-Valli. 

Théodote. 

Nicholat  Paléologue. 

Casirotii. 

encore. 

Saint.Éloi. 

t'abreuvent. 

Leterie. 


Poartot. 

Sidero-Porta. 

pénétrer  de . 

rocaillentes. 

presque  tons. 

des  cordes . 

l'offre. 

juin  1835. 

cette  vallée. 

Patradjik. 

àason  départie  iendcmaîn. 

en  plein  air. 

Rbaai, 

du  root  grec. 

désignent  par. 

si  faciles  accès . 

foitet. 

près  de  Vrachori. 

fichait. 

notre  Brenn  gaulois . 

Palœo-Janni . 

aussi  avec  towte . 

bâtie. 

Palceo^Vracba. 

liosia. 

Sucàmini. 

tetaiple. 

raines  franques. 

en  faee  de  la. 

riveraines  de  l'Ènrolss. 

Cento-Valii. 

tliéodore. 

Micbel  Paléologue. 

Castro-tis. 

encore  plus. 

Saint-Élie. 

subsistent. 

Leteri. 


^