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• I
M
LA .
GRÈCE CONTINENTALE
Et
LA MORÉE.
PARIS, IMPfilMR PAR BETUUNE ET PLON.
i
GRECE CONTINENTALE
ET
LA MORÉE.
VOTAGB, BÉWUBk BT âTVBBS BUTOaX^UBB
BN 1S40 ET18M ,
PAR J.-A. BUCHON.
Fi. Butn, DigntU det icieacts , I. >, t. 9,
PARIS.
LIBBAlRIli DE CHARLES ROSSELIN,
ÉitiTEim im ;,v nmi.ifiTHP,()i!E lyÉi-irE,
I
Madame,
Mon voyage en Grèce avait un but fout historique et
tout national. J'allais interroger les monuments en ruines,
les débris des archives religieuses et civiles , les souvenirs
même et les traditions populaires , et leur demander quel-
ques rayons de lumière qui éclairassent mes pas à travers
l'obscure histoire de ces temps où nos croisés de France
étaient venus fonder leurs baronnies dans les mêmes val-
lées où avaient fleuri les rois d'Homère. Pendant plus d'un
siècle, cette Nouvelle-France , comme on l'appelait alors,
avait fait les délices de TOccident* ; et, lorsqu'elle disparut
^ E cosi le delizie de' Latioi , acquistaie anticamente per li Fran-
ceschi , i quali erano i più morbidi e meglio stanti che in nllo paese
del ninndo, per cosi dissoluta gente (les Catalans) Tiirono distriiKe
e giiasle. (Giot. Villani, I. viii, c. 50.)
VI
à
au milieu de Tanarcbie féodale» avant que ses conquérants
si indisciplinés mais si valeureux eussent pu racheter
bien des fautes par rbéroîque résistance qu*ils auraient op-
posée aux envahissements des Turcs , tout souvenir de sa
courte existence ne fut pas enseveli avec elle. Les chroni-
ques du temps , les ballades popubirep , que j*ai entendu
les bergers d'aujourd'hui chanter sur les ruines des an-
ciens châteaux francs disséminés par toutes les montagnes,
noui <mt conservé la mémoire de Thérolsaia cdevtl^resqpe
de nos aventureux barons, du dévouement de quelques
belles châtelaines, du respect que surent s'acquérir au
milieu de ces troubles deux des princesses françaises de
Morée , Catherine de Yakm et Marie de Bourbon ; et cette
sorte d'unité que créa pour la première fois la conquête
française, entre des municipalités habituées depuis la plus
haute antiquité à une hostile indépendance , prépara peut-
être utilement les idées des Grecs, ^ J^yr propre insu, à se
voir, au jour de leur indépendance nationale, réunis en un
9^ul lÈUt,
A r^H^Qt de celte nouvelle page ajoutée aux gkirienie§
jipnale» des nOtre^t m opble CiBnr^ w cœur ouvert k
toutes 1#$ généreuses émotions, un ce^ur que (aie^it battre
^^rtout U gloire de sa ndiion et la gloire de m famille, qu'il
ne ^parait jamais f fut vivement renoué, 3* Af Rt Uen^
seigneur le duc d'Qrlé^ns approuva chaudement mes re^
cherches, et in^utorisa h lui faire part, pendant mon
voyage en Gr^ce* d^s faits nouveaux déconveru sur lee
lieux et qui devaient n)*aider k jalonner Tbirtoire du passé i
et il prenait d'autant plus d'intérêt à voir ces nouveaux
fleurons ajoutée k la cooroone des siens , que luUmême ,
ainsi qu'a daigné me le révéler sa modeste et noble confi-
dence, avait commencé pour lui seul, pour sa famille, pour
1
vil
quelques auiis peut-être ( car il était justement fier d'aYoir
des amis), une Histoire des hauts faits par lesquels s'é-
taient personnellement illustrés les divers membres de sa
famille. Cette autorisation , qui me fut accordée avec tant
de grâce, était un devoir trop doux et trop honorable pour
que j*y manquasse.
£n offrant aujourd'hui à Votre Altesse Royale le vo«
lume qui contient le résultat des recherches dont elle veut
bien accepter Thommage, c'est à lui encore, c'est à sa pen->
sée vivante, c'est à cette même généreuse affection pour tout
ce qui est et fut noble et grand , c'est à ce même cœur
tout national qui s'est versé en entier dans le vôtre afin de
se transmettre avec la même chaleur et la même pureté à
son fils, c'est à Monseigneur le duc d'Orléans en vous,
Madame, que je crois l'offrir. Que Votre Altesse Royale
me permette do vous confondre ensemble dans le même
respect et le même dévouement.
Je suis ,
Madame «
De Votre Alîesse Royale
Le plus respectueux et le plus humble serviteur »
J.-A. BUGHON;
Paris, 16 octobre 1843;
INTRODUCTION.
« Avec le livre, dit le mâle Rcgoier de La Planche^ ,
on voyage saos frais par toutes les régions de la terre ; Ton
monte avec espérance jusques au ciel, et descend Ton avec
asseorance jusqaes aux abismes: Ton single par tous les
gouffres de la mer sans, aucun péril;. l*on se trouve sans dan-
ger au meilieu des batailles, en assaults et prinses de vil-
les ; Ton se sauve sans perte de la main des brigands ; bref,
Ton y faict toutes négociations et exercices sans bouger
d'une place. Ce que long âge, un grand travail et pesante
expérience n*aportoient qu'à Theure de la mort , nos en-
iauts le peuvent, par manière de dire, succer des mamel-
les de leurs mères et nourrices. »
A Texerople de cet Âmyot , de ce Jacques Colin ^ et do
tant d'autres excellents ouvriers , qui , suivant ce même
éloquent écrivain du seizième siècle , « aidoient le grand
roi François, premier de ce nom, à tirer par la main,
comme d'ung tumbeau, les sciences, les arts, les lettres et
bonnes disciplines ensevelies eu une fondrière d'ignorance,
et à nous rendre les outils de sagesse tranchants en nosirc
langue maternelle , » le but comme l'espoir de Fauteur de
ce volume est de conduire sans fatigue avec lui son lecteur
à travers des lieux et des hommes intéressants à étudier ,
mais parfois âpres à visiter , à travers des recherches tout
• * Le Livre des marchands de Régnier de La Planche, pag. 428,
dans ma Collection des Chroniques du Panthéon littéraire , seU
%.éme siècle.
« Ibid.y p. 427.
1
2 INTRODUCTION.
à fait nouvelles d'où peuvent surgir des caractères et des
faits dramatiques 9 mais qui ont besoin d'être dégagées de
toute encombre et échirctes, poor laisser saillir le drame
'de notre conquête et de notre établissement féodal en
Grèce.
Le récit de cet épisode de nos annales , que je suis allé
étudier sur les lieux, ne viendra que plus tard et après de
nouvelles recherches ; aujourd'hui je présente au public le
récit du voyage que j'ai entrepris dans le but de contem-
pler à la fois cette jeune société européenno. que la Hberté
avait agrégée aux vieux états occrdentatix, elles débris des
monuments et des souvenirs de fantiqtre dominatioti des
nôtres, momiments et souvenirs iHspersés partout sur cette
ten-e conquise et dominée par eux pendant pl«s de itnx
siècles, % la suite de la quatrième croisade.
Long-temps avant les pèlerinages à main armée et en
grandes masses qui ont exclusivement conservé la déno-
mination de croisades, mais qui ont été , en effet , comme
le déclin des pèlerinages refigietix, de nombreux chrétiens
avaient ïfris la croix et s'étaient rendus dans h Terre-Saîntc
j)our y vénérer le tombeau de Jésus-Christ C'est de là que
revenait le chef normand Drogon ou Dreux, en Tan 1016,
lorsqu'il débarqua à Saierne , défendit cette vîBc contre
les Sarrasins, s'engagea au service du duc lom!)ard de Sa-
ierne émerveillé de la bravoure de sa petite troupe , et ,
après avoir fait venir de nouveaux renforts de Normandie,
jeta la base de cette domination qu'étendirent depuis si
glorieusement les fils de Tancrède de flautevîlle sur tout
le royaume de "Naples, Tîle de Sicile et les îles de Malte et
de Goto,
A cette première époque des passages d*outre-mer, qui
avaient lieu périodiquement au printemps et en automne ,
ainsi qu'ont lieu aujourd'hui les pèlerinages des musul-
mans wa tombeau <l« Pr(^ète, le zèle religieux poussait
seul les pèlerins vers la Terre-Sainte. Aucun bat d'aiiy)i-
tiou mondaine ne les entraînait hors de leur patrie sur ces
INTIIOI>ll€TIOM. 3
plages loifttittiiefl. Quelque grande baie k eijwer, qodqoe
vkrfettte passion k cslmer , quelque tœu ardent à acoan-*
plir, voilà ce qui précipitai des mihitades sans cesse re-»
uouYeiées au pÂed du saint tombeau -, et^ le voyage accom-'
pli, ceux qui avalent pu résister aux fatigues et aux oiisè^
res de la route rentraient dans leurs foyers plus caknes et
plus honorés.
Les Arabes, maîtres de lémsakni, respectaient alors
ces pieux voyageurs. Mais lorsque, en Fan 1065, les Turcs
Ortokkles , conduits par un lieutenant du svhan Melek-
Scbah , eurent triomphé des Arabes et dépossédé les cali--
fes latimhes de Jérusdem , une ère de persécutions tou<*
jours croissantes commença pour les pèlerins chrétiens.
Les insultes multipliées faites par les nouveaux conquérants
tares aux pèlerins soulevèrent Findignation de Pierre-rHer^
mite, lors de son premier voyage en Terre-Sainte en 109&.
De retour en Europe , il chercha à faire passer son indi*
gnation dans tons les cœurs, et , à sa voix éloquente, des
armées entières de pèlerins se portèrent vers la Terre*
Sainte pour venger les Insultes faites à Dieu et aux hom-
mes, et ouvrir désormais un libre accès au saint tombeau.
Le poèoae du Tasse a immortalisé cette croisade. Jérusa-
lem fut prise et le tombeau du Christ délivré ; mais, à da-
ter de cette victoire, l'esprit de conquête commença k suc-
céder au zèle religieux. Un royaume fut fondé à Jérusalem,
une principauté à Amioche, des comtés à Édesse et à Tri*
poli, et tout le pays conquis sur les musulmans fut réparti
entre divers cbefe féodaux, qui obtinrent un territoire plus
ou moins considérable, en proportion du nombre d*hom-
mes d*armes que chacun avait réunis sous sa bannière et
qn'il pouvait y maintenir pour la défense du pays
En même temps que cette nouvelle direction des idées
provoquait de si notables changements en Orient, elle ame-
nait rapidement en Occident une modification réelle de la
société. Jaloux de se montrer avec plus d'éclat dans les
armées des croisés et de profiter pins amplement des chaq-
4 INTRODUCTION.
CCS de la conqaêle, tous les chefs féodaux luttaient d'efforts
pour réunir sous leur bannière une suitt plus nombreuse
de chevaliers et d'hommes d'armes. Ce surcroit de forces
ne s'obtenait pas sans un surcroît de sacrifices pécuniaires,
aggravés encore par le haut intérêt que faisaient payer les
marins ou banquiers vénitiens et génois, et on ne pouvait
arracher aux communes ces contributions extraordinaires
qu'en se laissant aussi arracher des concessions extraordi-
naires. L'avantage réclamé par le seigneur amena ainsi un
avantage correspondant octroyé aux hommes de ses domai-
nes. Dans les premiers temps des pèlerinages, on avait iso-
lément affranchi quelques serfs pour le salut de son âme ;
cette fois , on affranchit des communes entières pour l'a-
grandissement de sa personne. La liberté s'acheta partout
en même temps ; et, à chaque nouvelle croisade en Orient,
s'augmenta en Occident le nombre des garanties concédées
aux classes inférieures. Les exemples donnés par les sei-
gneurs qui partaient à la recherche des aventures ne tar-
dèrent pas à être suivis par ceux même qui restaient dans
leurs domaines; de sorte qu'après un siècle seulement ,
grâce à l'éloignement des hommes les plus turbulents, qui
allaient user en Orient l'activité qui aurait porté le désor*
dre dans leur pays, grâce aussi à la sage prévoyance des
papes, qui prescrivirent la paix dans les terres ainsi mo-
mentanément abaftdonnées par leurs seigneurs, le bon or-
dre intérieur , résultant d'une meilleure oi^anisation des
communes, l'amélioration de la justice et l'accroissement
de la richesse publique amenèrent sans secousses les pro-
grès civilisateurs qui signalent l'apparition du treizième
siècle.
Au moment où ce treizième siècle allait succéder au
douzième, le dernier des siècles obscurs du moyen âge,
un nouvel ébranlement était imprimé à la fois aux idées
religieuses et aux idées de conquête. Saladin , devenu
successivement sultan de Damas, d'Âlep et d'Egypte,
avait frap|)é au cœur le royaume chrétien de Palestine.
INTRODUCTION. 5
Jérusalem , après quatre-vingt-dix-huit ans de possession ,
était retombée entre les mains des musulmans, et Ptolémaîs
on Saint-Jean-d'Acre elle-même, ce boulevard du non*
veau royaume, venait de succomber. Deux rivaux dignes
de Saladin , Philippe- Auguste et Richard Cœur-de-Lion ,
se présentèrent aussitôt dans la lutte , à la tête d'une troi-
sième croisade. Richard commença par enlever Tile de
Chypi;^ à Tempire grec en la cédant aux Lusignan, comme
pour donner le signal du démembrement qui allait suivre,
et les deux souverains reconquirent héroïquement Ptolé-
maîs. Mais les cruautés atroces commises par Richard , la
violence de son caractère, les jalousies entre les deux rois,
et, d*aulre part, la générosité et la bravoure toute cheva-
leresque de 8aladin rendirent inutile la reprise de Saint-
Jean-d*Acre par les chrétiens, et la troisième croisade se
termina sans que Jérusalem eut été reconquise.
Un pape homme de génie , Innocent III , monté sur le
trône pontifical en 119S, résolut de tenter un nouvel et
puissant effort en faveur de la cause chrétienne. Une qua-
trième croisade .'succéda rapidement à la troisième. Mais
l'ambition mondaine lui donna un tout autre cours que ne
l'avait prévu le zèle religieux. Une suite d'événements ,
décrits avec un charme entraînant par le plus ancien de
nos chroniqueurs en prose française, le maréchal héréditaire
de Champagne Geoffroy de Yiile-Hardoin, détourna le prin-
cipal corps de l'armée des croisés des mers de Syrie pour
le porter sur les mers de Grèce ; et ce ne fut plus Jérusa-
lem , la ville sainte , mais Constantinople , la ville chré-
tienne schismatique , qui tomba entre leurs mains. L'em-
pire byzantin fut divisé tout entier par lambeaux entre les
chefs croisés. Déjà l'île de Chypre avait été transformée
depuis quelques années en un royaume latin placé sous les
Lusignan ; l'île de Candie avait été presque entièrement dé-
^ tachée aussi de la couronne impériale en faveur du mar-
quis de Montferrat, qui la céda aux Vénitiens; ce qui
restait de l'empire fut réparti entre tous les chefs. Un em-
1.
6 nvmmyoGTioN.
pire franc fat eréé à Crnistantlnople et donné ao comte
Baudoin de Flandre 401 avait épousé Marie de Champagne^
De cet empire relevèrent : les duché» francs établis soit en
Asie, soit en Europe au nord de l'ancien empire grec ; les
provinces et les iles données au d(^ de Venise avec le ti-
tre de despote; le royaume de Salonique, qui s*étettdait du
mont Hémns aux Thermopyles , et fut donné à Boniface
de Montferrat ; enfin la principauté de Morée , qui eta-
brassait le reste de la Grèce continentale , le Péloponnèse,
les Cyclades et les fies Ioniennes, moins Corfoo, et qui fat
conquise par un seigneur français. L'empire franc de Gon«
sfantinople ne dura que cinquante-neuf ans. Le royaume
de Saloniqoe dura moins de temps encore. Son existence
même fut toujours précaire , déchiré qu'il était d'un côté
par les rois de Bulgarie , qui venaient de ressaisir leur in*
dépendance , et de l'autre par les despotes d- Arta , de la
famille Ange , qui s'étaient constitué une souveraineté sur
les dâ>ris de leur souveraineté de famille.
La principauté française de Morée ou d'Achaïe eut plus
longue vie. Gouvernée par une suite de souverains braves
et habiles de la famille Yille-Hardoin de Champagne et rat-
tachée à la fois par des liens de famille et de féodalité à la
dynastie angevine des Deux-Siciles, elle continua à se
maintenir, plus ou moins déchirée , plus ou moins puis-
sante , mais toujours française et toujours indépendante et
guerrière , jusqu'à la conquête turque , à la fin du quin*
zième siècle.
C'est l'histoire de cette partie importante de nos con-
quêtes étrangères que j'ai entrepris de rechercher et d'é-
claircir. Une obscurité profonde l'avait jusqu'ici envelop-
pée. Les historiens byzantins ne la traitent qu'en passant et
à l'occasion des guerres de leurs souverains avec les
Français ; nos chroniqueurs à leur tour avaient trop peu
de moyens, dans l'état imparfait des communications,
pour pouvoir jeter sur cette curieuse époque une lumière
suffisante. El d'ailleurs, autant nous sommes ardents et
IimODUCTlIlN. 7
habiles à reebercher, k gagner, k nom unir les pays cou»
tigas à notre territoire , autant sommes-nous froids et dé-
pourvus de suite dans ce qui s'étotgne par trop de notre
attention de tous les jours. Quelle partie de l'univers n'a«
vons-nous pas successivement possédée et perdue , sans
qu'il reste même dans notre mémoire le souvenir du nom
des pays que nous avons régis, des hommes émineots qui
nous les ont acquis et de ceux qui ont consacré leurs ta^
lents à nous les conserver ! Le grand ministre Sully avait
été vivement frappé de ce défaut de notre caractère natio*
nal. Il s'exprime ainsi à cet égard dans une lettre qu*il
écrivait le 2G février 1608 au |)résident Jeannin, envoyé
pour négocier au nom de la France dans les Pays-Bas :
« J'ai toujours estimé , dit 8uHy, la numarcbie d'Espagne
estre du nombre de ces estats-ià , qai ont les bras et les
jambes fortes et puissantes et le cœur infiniment foiUe el
débile , et tout au contraire nostre empire françois estre
de ceux qui ont les extrémités destituées de puissance et
de vertu et le corps d'icelles merveilleusement fort et vi»
gonreux , différences qui procèdent de leur situation et
du naturel des nations dont ils sont composés. Ces eonsi**
dérations m'ont toujours fait insister et conseiller avec fer*
meté qu'il falloil attaquer le cœur et les entrailles de l'Es*
pagne , que j ^estime , pour le présent , résider aux Indes
orientales et occidentales , lesquelles ayant été le seul foa»
dément de la grandeur d'Espagne, sera par sa ruine le boule*
versement de sa rude domination , sans néanmoins devoir
prétendre pour nous la conservation ou possession de telles
conquestes , comme trop éloignées de nous et par consé-
quent disproportionnées au naturel et à la cervelle des
François , que je reconnoîs , à mon grand regret , n'avoir
ni la persévérance ni la prévoyance requises pour telles
choses , mais qui ne portent ordinairement leur vigueur ,
leur esprit et leur courage qu'à la conservation de ce qui
leur touche de proche en proche et leur est incessamment
présent devant les yeux , comme les expériences du passé
8 INTRODITGTION.
ne Tofit que trop fait coanoistre , tellement que les choses
qui demeurent séparées de iiostre corps par des terres et
des mers estrangères ne nous seront jamais qu'à grande
charge et à peu d'utilité. »
Cette disposition éternelle de notre esprit explique tout
naturellement l'abandon successif de tant de pays et de tant
de populations conquises par notre épée et soumises par
l'équité de nos Jois ou gagnées par l'affabilité de nos mœurs ;
elle justifie en quelque sorte l'oubli de la politique; mais
elle ne saurait excuser ni l'abandon ni l'oubli qu'en ferait
l'histoire. Tout fait glorieux du passé est un legs sacré qui
appartient à la génération présente , laquelle, à son tour,
en doit compte aux générations futures ; car c'est la réu-
nion de tous ces faits qui compose la vie d'une nation ; et
le bien comme le mal , la gloire comme les revers , le bon
usage de la prospérité comme la fermeté d'un haut cœur
dans l'adversité , sont des exemples et des leçons qu'on ne
saurait passer sous silence sans se rendre coupable envers
soi et envers les siens.
Napoléon écrivait à son frère Louis en Hollande : «Vous
devez comprendre que je ne me sépare pas de mes prédé-
cesseurs, et que, depuis Glovis jusqu'au comité de salut pu-
blic, je me tiens solidaire de tout, et que le mal qu'on dit de
gaieté de cœur contre les gouvernementsqui m'ont précédé,
je le tiens Comme dit dans l'intention de m'offenser. » Cette
même sympathie pour les triomphes et les souffrances de nos
devanciers, nous devons la ressentir tous ; et nous ne devons
pas permettre qu'on arrache ou qu'on dédaigne un seul
feuillet de nos annales nationales ; car nous sommes ce que
nous sommes , avec nos défauts comme avec nos qualités ;
et , au milieu des époques les phis désordonnées , il y a de
hautes gloires qui surgissent au sein du plus profond abat-
tement; il y a d'éclatantes vertus qui expient de bien
tristes erreurs ; il y a de grands progrès qui nous conso-
lent de nos longues souffrances.
Ce sentiment consciencieux de mon devoir comme Fran-
IINTRODUCTIOIV. 9
çais et comme écrivain est Finspiration qui i»*a toujours
guidé et soutenu dans mes études , et m'a encouragé h
poursuivre les travaux difficiles qu*il me fallait entrepren-
dre pour reconstituer et remettre enfin sur pied Thistoire
si obscure de notre domination dans les provinces démem-
brées de l'empire grec à la suite de la quatrième croisade.
Un court exposé du résultat de mes recherches ne sera
peut-être pas sans intérêt.
L'empire de Constantinople une fois conquis par les nô-
tres, il fallut songer à le constituer et à l'organiser. L'em-
pereur Henri de Constantinople , successeur de son frère
Baudoin , convoqua à cet effet tous les chefs de la conquête
en un parlement solennel , qui se tint à cheval dans les
prairies de Ravennique en Macédoine. Chefs militaires et
chefs ecclésiastiques, tous y accoururent, et le patriarche
latin de Constantinople y vint prendre place pour stipuler les
droits de l'Église romaine triomphante. Là fut décidé ce que
les chefs supérieurs devaient à l'empereur; ce que tous les
feudataires se devaient entre eux ; ce qu'ils devaient au
reste de l'armée franque qui les avait suivis ; ce qu'ils de-
vaient enfin au pays soumis , dans l'intérêt du maintien de
la conquête. Là fut constituée l'église latine , qui succédait
à l'église grecque dans ses biens et ses droits. Les coutu-
mes féodales qui avaient réglé la conquête franque dans les
royaumes de Palestine et de Chypre , devinrent les usages
par lesquels eut à se régir tout l'empire de Romanie , en
même temps qu'une sorte de concordat , dont j'ai eu co-
pie des savants moines bénédictins de l'abbaye du mont
Cassin , déterminait l'étendue et la limite des privilèges de
l'Église.
Geoffroy de Yille-Hardoin, devenu prince de Morée ou
d'Âchaîe par sa bravoure, son habileté, et aussi par la
haute considération dont était entouré son oncle, le vénéra-
ble maréchal héréditaire de Champagne et de Romanie au-
teur de la Chronique de Coiistantinopte , mit sur-le-
champ les nouveaux usages en vigueur dans ses états, et fit
10 iirrROdiiCTiON.
fr»pper momiaîe e» sm mou A ]*image du rojraame de
France et de la plupart des états chrétiei» , et co soifvemr
pefit>être des pairs romanrsqœs de la TaMe Ronde, sa prm-
cipauté eut ses grands fiefs, subordonnés à sa suzeraineté et
confiés à ses hauts banmSr An marquis éé Bodonîtza, Ton
d'eux , il confia la garde des marches ou frontières de kl
principauté du côté de la Thessalie. Xn duc d'Athènes, de
la maison des La Roche ou Ray {de Rupe) de Franche-
Comté, fut dévolue la principaîe aotorité éms le conseil,
avec le Utre de baron d*Atbènes et de Tbèbes , qui ne fut
remplacé par le titre de duc qn'en ?ertu d'une concessioo
de saint Louis. Le duc de Naxos ou des Gyclades, le comte
palatin de Céphalonie et antres ties ioniennes, et les trois
barons tierciers d'Oréos , de Gbaici» et de Carysto en En*
bée, forent chargés en particulier de la défense maritime*
Le baron de Caritena eut la garde des- montagnes du côté
des Tzacons, qui, de temps à autre, renouvelaient leurs
nobles tentatives d'indépendance. Le baron de Passava, de
la maison de Neuilly , campé an sein même de la terre
guerrière du Magne , fut investi de la dignité héréditaire
de maréchal de la principauté ; et les seigneurs de La Tré*
mouille, de Toucy , de Brière, de Gharpigny, de La Pa«
lisse , de Périgord , de Couriin , de Ligny, de Brienne, de
Bussy, de Lusignan, de Bracy, d'Agout, d'Aunoy, et
beaucoup d'autres, aini» que les chevaliers de Saint-Jean
de Jérusalem , du Temple et de l'Ordre Teutoniqne, re*
curent à diverses époques des fiefs {^us ou moins consîdé*
râbles dans l'intérieur du pays. Les hauts barons étaient
tous les pairs ou ^aux du prince , et formaient avec lui
la haute cour , chargée de prononcer , sons la présidence
du prince , dans toutes les questions féodales et dans tous
les cas de haute justice ou justice par le sang. Une cour
inférieure , appelée cour des bourgeois , présidée par nn
délégué du prince , était saisie des questions entre les ha*
bitants non nobles ; et chaque seigneur , dans sa propre
terre , connaissait sans appel des cas civils entre vilains, et
INTBODUCnOM. 1 1
avec appel de« cas de inof eane et luMte j«atice. Outre le
maréchal bérédhake , le pi^ce avait de grands officiers
d'état , tek que le logothète oa chancelier , le protoves*
tîaire im trésorier, le capitaine d'armes, et des diâtelahis
datts les fertereases de garde générale. Oa s'était partagé
le pays avaot de ravoir occtipé de fait ; r<Bun*e d'occupa*
tiofi effeottre ae f«t ni longue ni bien contestée. Depuis les
deroiers temps des Comnèoe , les pai*ties éloignées de
Teoipire s'étaieiit déshabituées de Toiiéissance régulière,
et de petits chefe locaux avaient , dans Tintérêt di; leur
«nfaitimi , seané partovc la disconfe et ranarobîe. Aucane
force greoqye «a peu compacte ne pouvait donc être réu-
nie contre les Français , et dntqtie province attaqvée sé-
parément deviat une proie facile. Les donae villes forti-
iéen do Pélopomièse et les montagnes offrirent quelque
Fésietance ; mais, a«x villes fortes, on accorda des privllé-
gea , en laissant parfois aux habitants grecs ia garde de la
ville et en se ^mentant d'an fort par lequel on la domi-
nait ; quant aux montagnards ph» pauvres , ils ftiretit
agréés comme anxiHatres «oMés. Puis, pour assurer foc-
capation du pays, on St bâtir dans les plus fortes pestions
des châteaux autour desquels vinrent se grouper les babi-
tatioBS de Tarmée conquérante. Les Romains , lorsqu'ils
réunirent tant de royaumes sons feur autcM-ité , s'étaient
garantis contre !es rébdiions en détruisant les forteresses
et en portant leurs boulevards de défense aux extrémités de
Fempire ; aussi , ces boulevards une fois franchis , les peu-
ples bai4)ares pureot-lls se répandre comme autant de tor-
rents destructeurs sur toutes leurs provinces sans défense.
Le système opposé fut adopté par l'armée conquérante de
nos Francs de Morée, ainsi qu'il l'avait été par leurs ancê-
tres. Tout le pays fut hérissé de châteaux-foits : châteaux
du prince pour la garde générale du pays ; cfaâteaux des
haats barons au centre et aux extrémités de leur baronnie
pour la protection de leurs propres domaines et sans qo'H
leur ftt besoin de l'autorisadon du prince , puisqu'ils
1*2 INTRODUCTION.
avaient , en qualité de ses égaux , le droit de guerre pri-
vée ; châteaux des seigneurs bannerets et des liges d'hom-
mage simple, toujours ouverts au prince, mais qui ser-
vaient à la fois à la protection et à Téclat des seigneurs.
Retrouvant ainsi sous le beau ciel de la Grèce les habitu-
des de leur patrie , nos Français s'attachèrent à leur con-
quête. Beaucoup d'entre eux firent venir de France leurs
sœurs et une partie de leur famille , et bientôt la Morée
devint, suivant l'expression du pape Ilonorius, une Nou-
velle F rwnce; car, ainsi que le rapporte le spirituel chro-
niqueur et aventureux guerrier catalan, Ramon iMuntauer,
qui visita ce pays en 1309, « toujours, depuis la conquêle,
les princes de Morée avaient pris leurs femmes dans les
meilleures maisons de France , et il en était de même des
hauts barons et chevaliers , qui ne s'étaient jamais mariés
qu'à des femmes qui descendissent de chevaliers de France.
Aussi, disait-on , ajoute-t-il , que la plus noble chevalerie
du monde était la chevalerie française de Morée , et on y
parlait aussi bon français qu'à Paris. »
Ce droit de guerre privée laissé aux hauts barons pro-
duisit des fruits amers pour la conquête , car c'était sou-
vent au moment où il était le plus nécessaire de se réunir
contre l'ennemi commun que les dissensions et les jalou-
sies entre les chefs français affaiblissaient le plus l'autorité
du commandement; mais le courage aventureux de ceux
qui restaient avait bientôt compense le désavantage de
leur situation. C'est dans ces luttes inégales que se pré-
sentent en foule à notre admiration les caractères et les
faits les plus héroïques, qui forment un drame plein de vie
et d'intérêt pour nous; car, partout où triomphe un Fran-
çais, la France est glorifiée en lui, et, partout où un Fran-
çais est humilié, la France se sent humiliée avec lui.
Cette anarchie féodale, quelquefois comprimée par l'au-
torité des princes , mais jamais complètement étouffée ,
continua en Morée pendant plus d'un siècle. Les feuda-
taires sentaient bien d'où venait le mal , et comprenaient
INTRODUCTION. t3
qu'en présence des Grecs, qui avaient repris les montagnes
du Magne , et après les embarras survenus aux rois auge-
vins de Naples , qui , depuis la reprise de Constantinople
par les Grecs, avaient continué, en vertu d'iiiie cession de
Tempereur Baudoin et du prince Guillaume de Ville^Har-
doin , k posséder la seigneurie supérieui*e de FAchaïe , le
maintien de la conquête devenait chaque jour plus diffi-
cile ; mais aucun ne voulait faire les sacrifices d'amour-
propre nécessaires au rétablissement de l'autorité et de la
force publique. 8ur la fin du quatorzième siècle , la prin-
cipauté d'Acbaïe échut, par la mort de l'impératrice Marie
de Bourbon, à son neveu Louis II, troisième duc de Bour-
bon , beau - frère de Charles Y , un des tuteurs de Char-
les YI, et petit-fils de Louis , premier duc de Bourbon ,
duquel descend directement Henri lY. Louis de Bourbon
résolut d'aller prendre une possession effective de sa piiu-
cipaulé; mais, pour mieux se rendre compte de l'état du
pays et des ressources qu'il pouvait offrir aussi bien que
des moyens à prendre pour le conserver , il y envoya à
deux reprises un de ses chevaliers , nommé Chastel-Mo-
rant, qui, dit une vieille chronique, « oncques en sa vie ne
feit voyage , sinon à ses despens , ne aussi u'ot cure de de-
mourer en cour de seigneur. » Chastel-Morant avait rapporté
de Grèce à Moulins une adhésion des seigneurs hauts ter-
riens dcMorée et entre autres du plus puissant de tous, ie
seigneur d'Arcadia en Messénie. Louis de Bourbon se pré-
para donc à partir vers 1 390. <• Il avoit, dit sa chronique, de
hautes pensées en lui. La première estoit de mener la royne
à Naples , et , allant son chemin , de prendre la saisine du
principal de la Morée que l'on clame Achaïe , qui estoit
sienne : car ceux de la Morée n'attendoieut que lui pour le
recevoir à seigneur. »
La démence du roi Charles YI et les dissensions entre les
princes de la famille royale de France empêchèrent Louis
duc de Bourbon de se rendre dans sa principauté de Mo-
rée , et il mourut, en 1410, avant d'avoir pu réaliser son
2
14 ÏNHAOBiiGTION.
projet. La défaite d'Aziocourt eut ileu cittq ms après , H
h France, déchirée daas son propre mn , eut besoin pour
eite du bras de tous ses enfants. Quand elie se fut reconquise
dle-tnême eiiui rassise sur sa base, grâce aux vertus et à la
raison si droite de Jeanne d'Arc, à la sagesse de Donois, à la
bravoure des Xaintrailles, des La Fayette, des La Hîre, aux
lumières de Bureau de La Rivière, réformateur de l'artil-
lerie, au patriotisme de Topulent Jacques Coeur, il n'était
plus temps de remédkr à Tétat cbancelant de la prioci*
paoté gallo-grecque. Les Turcs, vainqueurs sous Bajaz^
des forces hongroises et de la chevalerie de France à Nico*
polis, s'étaient emparés, sous Amurat, son petit-âts, de
Salonique et d'une partie de l'ancienne Épire, et enfin, sous
Mahomet If, fils d' Amurat, de Constantinople elie-raéme.
La prtncipanté de Morée, dont les Grecs et Florentins et Na«
p(^ilains disputaient les lambeaux aux seigneurs français,
faible reste de hi conquête de 1205, ne pouvait se maintenir
plus long-temps. Dix ans s'étaient à peine écoulés depuis, la
prise de Constanitnople par Mahomet , que la Roumélie en-
tière, puis la Morée, puis en 1476 l'île d'Ëubée, devinrent
la proie des Turcs. Tous ceux qui purent fuir se réfugiè-
rent dans les pays voisins; le reste fut dépouillé ou massa-
cré, et la Grèce entière fut enlevée pour presse qnatre siè-
cles à la civilisation.
J'ai voult] voir, après ces siècles d'infortune et de bar-
barie, ce qui restait sur le sot grec et dans les cœurs grecs
des monuments et des souvenirs de notre domination de
plus de doux siècles dans la principauté d'Achaîe. J'ai par-
couru le pays dans tous les sens ; j'ai conversé avec les
hommes de toutes les classes ; j'ai mûrement examiné et
les débris des monuments , et les débris des archives ; et ,
après deux ans de recherches consciencieuses, je rapporte
Il mes compatriotes le fruit d'études persévérantes. Sem-
blable au médecin qui, le lendemain des grandes batailles,
parcourt soigneusement le champ de mort pour découvrir
si, parmi ces cadavres gisants pêle-mêle, 9 ne se f etrou'vo-
RVTlIOinJCTKMI. 15
rsH fias ifâièlqiie corps animé d'un reste de vie » j'ai par«
couru le champ obscur du passé à k recben^be de qv^
que fait ou de qnelqae nom giorien des oôtres qot méritât
de sortir du sépulcre de l'oubli pour renaître à la fie de
l'histoire, ou du moins sur la trace des moniineiits et des
souvenirs qui restent d'eux. Ces laits, ce» noms , ces mo«
numents, ce» glorieux souvenirs sont bien plus nombreux
qu'on ne le pen^. Suivons pour un inatant la raarcbe de
notre armée conquérante à travers les provinces de Tan*
ctenne &rèce • et on verra si je m'abuse.
Laissons là mire vieux chroniqueur Geoffrey de Ville*
Ilardoin , maréchal héréditaire à la fois de Champagne et
de Romanie, choisir entre les fiefs de Serrbès et de lliosi«
nopolis en Macédoine , que lui avait donnés son ami le
roi-marquis j^iface de Montferrat ; laissons lli aussi le
roi-marquis, s'appnyant au nord sur THémus et comptant
snr le bon voisinage de son beau-fràre le roi de Hongrie ,
s'avancer au midi jusqu'à l'Olympe, disposé à aban^nner au
neveu de son ami le maréchal le reste des provinces méri-
dionales, et passons de l'autre codé de l'Olympe et an delà de
la vallée de Tempe pour pénétrer avec tes nôtres dans les
riches plaines de la Tbessalie. Ici commençait la Grèce d'Ho*
mère, ici commençaient à vrai dire les premiers postes féo-
daux de la principauté française ; ici aurait dû commencer le
royaume actuel de Grèce , si les puissances n'eussent pas
refusé de se rappeler que c'était dans les montagnes de
l'Olympe et du Pinde qu'avait été constamment alimenté
le foyer de la résistance armée contre le joug turc, que les
chefs les plus braves s'étaient pet^tués de race en race ,
qu'il y avait eu le plus de sacrifices, le plus de courage ,
lo plus de dévouement, le plus de souffrances. La Tbessalie
et la Crète, arrachées par la volonté des hautes puissances
au corps de la monarchie grecque, se débattront long-
temps palpitantes. Comme la tête et la queue d'un serpent
que la hache aurait séparées de leur tronc ; mais le ser-
pent meurt, et la Grèce subsistera ; et, viennent les zéphyrs.
1(> INTRODUCTION.
cette jeune plante grandira à sa taille naturelle, et les fleurs
produiront leurs fruits.
Au temps de notre conquête, la Thessalie était comme
une sorte de terrain neutre entre le royaume lombard de
Salonique et la principauté française d*Achaîe, et, de même
qu'au temps d'Homère, elle était le vestibule et la porte de la
Grèce. Les centaures antiques et leurs successeurs avaient
leurs successeurs dans nos chevaliers toujours éperonnés et
armés. Mais, au lieu du vaillant Protésilas, d'Ëumélus, fils du
roi Admète; de Philoctète , ami d'Hercule; de Podalire et
Machaon, enfants d'Ëfsculape ; de Polipétès, fils de Pirithoûs,
vainqueur des centaures et petit-fils de Jupiter; de Gonéus,
maître de la froide Dodone ; de Prothoûs, habitant les forêts
du Pélion ; c'étaient Roland de Passy, Thierry d'Ostrevant,
Guillaume et Pierre de Bassigny, Jacques de La Baume ,
Robertde Trevel, Jean de IVlontigny, Guillaume Alaman, Ro«
land et Albert de Canosa, Ulrich de Thorn, Ëustache de Saar-
Brûck, Berthold de Katzenellenbogen , Nicolas de Salnt-
Omer, Hugues de Besançon, Albert du Plessis, qui occu-
paient les forteresses de Larisse, de Yelestino, de Pharsale,
d'Armyro, de Domocos et des environs du Pélion, qui a con-
servé de l'un d'eux le nom de Plessis; forteresses dont les
restes sont encore debout sur tous les contreforts des monts
de la Thessalie, sur tous les escarpements qui dominent ses
plaines. Leur position les rendait presque indépendants.
Ce n'est qu'au delà des monts Othrys, avec la vallée du
Sperchius, que commençait le domaine incontesté des
princes français d'Achaîe de la famille Yille-Hardoîn. Cette
riche vallée du SperchiUs était de tous les points le plus
essentiel à défendre , puisqu'elle conduit en Béotie et en
Attique ; et cette nécessité de la défense y a toujours en-
tretenu la vaillance des habitants. Aux temps homériques
Achille était comme campé à la tête de la vallée , dans la
Phthiotide , dont la capitale , Larissa-Cremasti , offre des
ruines intéressantes. La petite république des iËnians,
avec Hypate et Néopatras au pied de l'OEia , protégeait le
INTRODUCTION . 1 7
passage du Sperchins à Tautre extrémité ; Tétroit passage
des Thermopyles , entre les derniers points de la chaîne de
rOEta etiesmaraisdugolfe Malliaque, en interdisait la sortie
vers le midi ; et, si on franchissait ces obstacles, on se trou-
vait aux prises, avant de franchir les défilés du Cailidrome,
avec les habitants guerriers de la Locride du Gnémis, dont
Ajax, fils d'Oïiée, conduisit les troupes au siège de Troie ^
et avec ceux de la Locride Opuntienne , que gouverna le
père de Patrocle , aini d'Achille. À toutes les époques on
voit se diriger par cette route les grandes armées d'inva-
sion. C'est par cette vallée que , Tan ^80 avant Jésus-
Christ , Tarmée de Xerxès vint se heurter aux Thermo-
pyles contre le dévouement de Léonidas et de ses Spartiates.
C'est là que fut arrêtée , deux cents ans après , Tan 280
avant Jésus-Christ , l'armée de nos ancêtres gaulois , qui ,
sous un de leurs brenns , avaient ravagé la Macédoine
et la Thessalie , et c'est par le chemin même d'Hydarnes
qu'ils franchirent le Cailidrome et allèrent piller le trésor
du temple de Delphes. C'est par là encore que , quinze
cents ans après , l'an 1205 de Jésus-Christ , une autre
armée envahissante de Français , celle des croisés , ayant
pour chef Boniface de Montferrat et pour capitaines Guil-
laume de Champlitte , Othon de La Roche , Jacques d'À-
vesnes et plusieurs autres illustres croisés de Bourgogne ,
de Champagne, de Flandres, de Savoie et de Lombardie ,
se dirigea par la Béotie et IVlégare sur Corinthe et Ârgos ,
avant la cession de l'Achaïe à un prince particulier. C'est
par là enfin que passa, en 1309 , la Grande-Compagnie
catalane dans sa marche sur le duché français d'Athènes.
Aussi , lors de l'établissement de la principauté française
d'Achaîe , des soins tout spéciaux furent-ils pris par les
conquérants pour pourvoir à la garde de tous les passages.
Un seigneur français de famille puissante obtint, sous le
titre de marquis , le commandement de cette marche ou
frontière , et planu son château à Bodonitza , peut-être
l'ancienne Dodone thessalique.
2.
18 I^tRMIItTlOll.
LeR dent grande forteresse» de Keitoiin ou LaHlid , et
de Patradjick od Néopatras, randenne Hypate capitale
des ^nians , dont de vastes ruines subsistent encore , fû-^-
rcnt destinées à garder les passages du blond Sperchius
aux rives verdoyantes. Les Français ne s'en emparèrent que
sur la fin du premier siècle de la conquête. Les Gatalaosi
maîtres après eux du duché d'Athènes, s'en emparèrent à
leur tour, fortifièrent de nouveau Néopatras contre les ek^*
cursions qui pouvaient survenir du côté de l'Étolie , et y
fondèrent le duché de Néopatras, dont le titre, réuni à ce*-
loi du duché d'Athènes » s'est conservé jusqu'à nos jours
parmi les titres d'honneur des rois d'Espagne, successeurs
des rois d'Aragon-âicile. La ville de Patradjick < qui do-
mine toute cette partie de la vallée du Sperchius , est en*
core surmontée des ruines de l'ancienne forteresse catalane.
Elle était destinée dans les temps plus anciens i arrêter les
envahisseurs arrivés de la Thessalie aux beaux chevaux
pour se jeter dans l'Étoile, dont les habitants faisaient par*
tie, aux temps homériques comme aujourd'hui, de la réu*
nion des peuples grecs , et qui , sous Thoas , fils d*Ândré-»
mon , furent conduits sur quarante bâtiments au siège de
Troie. La grande vallée de l'Âchéloûs , qui sépare l'Étoile
ancienne de l'Acarnanie , était alors défendue , au passage
du mont Arakinthe , près duquel se trouve le ooUVeiU ac^
tuel de Boursos , par de petits forts qui donnaient réveil
aux villes fortes de Vrachori et de Missolonghi , tandis
qu*aux deux extrémités de cette côte les forteresses de Yo*
nitxa , près de l'ancienne Actium , et de Lépante ou Nau-*
pacte , à rentrée même dû golfe qui ouvrait passage au
cœur de la principauté , défendaient tout abord par mer.
La forteresse de Lépante resta presque jusqu'aux derniers
temps de notre domination entre les mains des seigneurs
français de RIorée; et ce ne fut qu'en 1^07 que , désespé-
rant de voir arriver parmi eux Louis de Bourbon leur
prince , auquel ils avaient envoyé leurs requêtes par son
ambassadeur Chastel-Morant , ils se décidèrent à s'en des*
INTROHUGTION. 19
saisir, moyennant une indemnité de 500 dncats d'or, rni
fa?eur des Vénitiens plus capables qu*eai de la proléger
contre les Turcs. Sous Philippe de Tarente, mari de l'im-
pératrice titulaire de Constantinople Catherine de Valois,
et fils de Charles II de Naples, Lépante avait été le séjour
habituel de ce prince , qui , à sa qualité de prince direct
d'Achaîe, joignait celle de despote d*Arta et de seigneur de
Corfou en tertu de son premier maiiage avec Ilbamar,
fille de Nicéphore Comnène, despote d*Ârta on d'Kpire*
Enfin, c'est près de cette même forteresse de Lépante que
se livra , en 1571 , le célèbre combat naval dans lequel les
Vénitiens, les forces pontificales et les Espagnols, comman«>
dés par don Juan d'Autriche , triomphèrent des forces ot«-
tomanes « sans pouvoir cependant sauver Chypre , ce qui
était le but de la ligue et de l'armement. L'étendard porté
par don «Juan est encore conservé à Gaëte. Ces forteresses
et ces montagnes formaient ainsi alors on puissant bou-
levard.
La mer ouvre nn accès plus facile à la vallée du Sper*
cliius. Tout en face du plateau sur lequel est assis Bodo*
nitza, en suivant la vallée par laquelle le torrent du Boagrius
se jette dans le golfe Malliaque^ s'ouvre le détroit de TEu-
bée, et par Ib les bâtiments peuvent arriver des côtes d'A*
sie et do golfe de Salonique. Larissa en Phthiotide et Oréos
en Eubée étaient placées des deux côtés de ce canal comme
des sentinelles vigilantes. Au temps d'Homère, les Abantes,
qui habitaient l'Eubée depuis Histiœa ou Oréos jusqu'à
Carysto, paraissent sous les ordres d'un seul chef, Elphé-
nor, de la race de Mars. Sous les Français, l'Ëubée , tie
riche et peuplée, fut répartie entre trois barons de la même
famille, relevant féodalcment des princes français de Morée
et liés par des traités avec la commune de Venise. Tous les
traités conclus è cet égard entre les princes français de
Morée et la commune de Venise, depuis les premiers temps
de la conquête , sont conservés textuellement dans les ar-
chives de Venise, et je les al vérifiés sur des manuscrits du
20 INTRODUCTION.
temps. Jacques d'Avesnes, de Ja famille des comtes de
Flandres, avait bien été le preoûer conquérant de i'Ëubéc;
mais, en vertu d'arrangements particuliers, la seigneurie
de TEubée avait été cédée par lui à un Lombard de ses
amis, qui la partagea entre ses trois ûls, restés tous
sous la suzeraineté des princes français de Morée. £n par-
courant cette île, qui n'a jamais été décrite par les voya-
geurs, car les Turcs d'Ëubée s'opposaient toujours à ce
qu'on la visitât, j'ai retrouvé encore debout les trois forte-
resses placées au centre des trois baronnies, les redoutables
châteaux bâtis dans les déGlés de chaque baronnie pour
leur servir de rempart l'une contre l'autre, plusieurs châ*
teaux des feudataires inférieurs, quelques-unes des églises
latines construites au temps de ces barons, et jusqu'à leurs
inscriptions funéraires et écussous.
Les îles placées sur la côte d'Jilubée, telles que Skopélos,
Skiatbos et Skyros, étaient dans la dépendance de ces trois
barons. A Skyros, où Achille se cacha parmi les ûUes de
Lycomède et donna naissance à Pyrrhus , les Francs con-
sacrèrent un couvent à saint Luc , et les deux autres îles
offrent quelques restes des châteaux et couvents qu'ils y
avaient bâtis, aussi bien que de' leurs armoiries de famille.
Au cas où la surveillance active des barons de l'Ëubéc
se serait endormie, et où des vaisseaux passant près des îles
Lichadcs, composées des membres du malheureux Lichas,
serviteur d'Hercuie, dont elles portent le nom, eussent ha-
sardé un débarquement sur les côtes de la Locride , des
dispositions étaient prises pour en neutraliser le danger.
Au pied du Cuémis , à quelques milles de la côte où est
établie aujourd'hui une sucrerie française de sucre de bet*
terave , s'éleva la forteresse de Sidéroporton , qui défend
l'accès vers les passages de montagne et vers l'ancienne
Opus, patrie de Patrocle, aujourd'hui Kardinitza, où se
trouvent aussi les restes d'une antienne forteresse.
Les passages de mer étaient donc aussi bien gardés que
les passages de terre. Pour pénétrer dans la vallée du Sper-
INTRODUCTION. 21
cbias et dn Boagrius dans la valtée de la Doride , en allant
en Béotie par Bodonitza, on rencontre un défilé, ou clei-
soura^^ que notre vieux chroniqueur Henri de Valen-
ciennes, continuateur de Ville -Hardoin, appelle la Glosure.
A Feutrée même de cette gorge étroite et pittoresque qui
se fraie un chemin sinueux entre deux versants dn Galli-
drome , dont les pentes sont revêtues jusqu'au sommet des
arbres les plus magnifiques, est bâti au-dessus d'un pla-
teau, au milieu d'une gracieuse vallée et sur de larges bases
helléniques, le château franc du marquis de Bodonitza, en-
core presque entier aujourd'hui. Ce chef féodal tenait ainsi
entre ses mains les clefs de la Grèce. Une fois ce défilé
franchi , on descend dans la vallée du Géphise , entre le
Gallidrome et le Parnasse. Dans tous les passages de cette
vallée intérieure de la Doride , sur tous les versants du
Gallidrome et du Parnasse jusqu'aux sources mêmes du
Géphise , subsistent les ruines de petits châteaux français ,
distribués partout comme autant de sentinelles et placés
sous le vasselage du haut baron de Bodonitza. Par sa posi-
tion intermédiaire , cette riche vallée dépendait alors ,
comme elle dépendit aussi dans les temps anciens , des
chefs plus puissants qui l'entouraient. Le seigneur de Gra-
via , mentionné dans les lettres d'Innocent IH , était un des
plus importants de ces feudataires inférieurs , car par le
défilé de Gravia s'ouvre encore aujourd'hui la route de la
Livadie ou partie supérieure de la Béotie.
Une fois descendue dans les plaines de la Béotie , une
armée d'invasion eût trouvé de nouveaux obstacles. Près de
l'antique domaine de Mynias, l'ancienne Orchomène, dont
Âscalaphe conduisit les troupes au siège de Troie , existent
des ruines d'une forteresse franque , et à trois lieues de là
subsiste entière sur ses bases helléniques la forteresse fran-
çaise de Livadia , dont l'enceinte fermée a offert , pendant
la dernière guerre, un rempart à toute la population de
* KXsiffoOpa , passage étroit et fort entre des montagnes.
22 lNtiio©u6Tt<wi,
)fl THte acttf^le de Lhradift. Césva^es re^l^, (jtrî eôHtrcnt
la coltine élevée à pic au-dessus de h ville, dtf cMé de
Taotrëde Trophonius, produisent on très-bel effet dans
tout le paysage , et de là on embrasse une vue itiagni fique
des cimes neigeuses dn Parnasse et du double Héllcon. Si
de là on voulait passer dans la Pbocide , on arrait devant
soi la forteresse encore subsistante des comtes de Salona ;
et , si on voulait marcher sur Tbèbes , on trouvait une
multitude d'autres petits forts, échelonnés sur tous les ver-
sants de THélicon et qui viennent se projeter sur la route de
c?tte ville , outre tes marais du lac Copafs , si funestes aux
chevaliers de France en Tan 1310, et les. nombreux fortins
disséminés sur ses rives, dans Tîle de Gla, à Hagia-Marina et
jusqu'à Karditza, Tanclenne Acraepbia, où existe encore une
église bâtie par messire Antoine de Flamma en 1311, ainsi
que le témoigne une inscription grecque que j'y ai copiée.
Tonte la Béotîe et l'Attkine furent , au temps des Fran •
çais , conquises par un seigneur puissant de la maison de
La Roche , dn comté de Bourgogne , qui , comme les sou-
verains , fit frapper monnaie en son nom. Placé , en dépit
de lui-^méme , sous la suzeraineté des princes de Morée, il
fut toujours un feudataire peu docile. C'était comme un
renouvellement de la vieille lutte entre Athènes et le Pélo-
ponnèse; mais cette fois Athènes fol forcée d'abdiquer la
domination et de rester sujette. Comme, à chaque renou-
vellement des princes de Morée, il fallait un renouvellement
d'hommage des fendataires , l'un des successeurs du pre-
mier conquérant d'Athènes profita du moment où arrivait
à la couronne princière de Morée un successeur du pre-
mier Ville-^Hardoin pour lui refuser hommage de fidélité,
et il entraîna dans sa rébellion les seigneurs d'Ëubée, et
même l'un des parents du prince , le seigneur de Caritena
et de presque toute l'Arcadie , Geoffroy de Brière. Le sei-
gneur d'Athènes et les siens furent vaincus. Le sort des
armes fit encore fléchir Athènes sous Lacédémone et le
Péloponnèse. Guillaume de Ville-Hardoin, prince de Morée,
tMTaOBUCTION. 23
biea diflërem du rigoureax Lyasodre , n'aboia pus de sa
vicioine wr «es compatriotes et p«ren<fl. Il se coDteiHa
d'envoyer le seigaeur d'Athènes en Fraoce au pied da
trône respecté 4e saint Louis * qoî préparait dès lors une
Dou?elie expédition à la Terre Sainte, pour laquelle ii avait
besoin du concours des Français de Morée. Saint Louis
réconcilia le sig^eur d*Âtbèoesairec«Hi souverain, et, peur
enlever de son cœur tout souvenir amer de sa défaite et de
sa soun^ission , ii i«i conféra le titre de duc et en fit le pre«
mier des banis barons de la frincipauté de Morée. Les
traditioBs Jocales indiquent encore aux voyageurs, au pied
du mont Carydi , sur la route de Mégane à Thèbes par le
Gilhéron» un peo «u-doBsusde «a joaction avec rancienne
route de €orîilfae à Tbèbes , près de deux belles tours hel-
léniques iiarlaitenQient conservées et rattachées par un mur
franc m mines » le lieu ou fut livrée cette grande bataille
entre les ehevidiers français , qui renouvelaient les rîvrikés
des temps antiques.
Telle avait été , krs de notre conquête , la distribution
des grands fiefi dans la «Grèce continentale et dans l'Eubée
et les lies de aa dépendance , Skiathos , l^opéios et Skyros.
Le Péloponnèse eut aussi ses hauts barons, soumis, comme
les preoders, à k «nieraifieté du prince, qui n'était pan le
makre » mais ie chef de ses égaux. £n comparant avec at-
tention notM principauté française d'Achafe avec la Grèce
homérique , on rencontre entre eUes des ressemblances sin-
guh^es qui ne font que mieux ressortir leurs différences.
Les deux époques s'expliquent l'une par l'autre, et nos hauts
barons semblent leseuccesseurs komédlats, mais étrangers ,
des rois homériques. Le vieil ttomère , ce guide si sûr pour
la topographie de ia Grèce antique, est un guide non moins
nécessaire pour la tojpographie des hautes baronnies fran-
qoes. Mais les rois d'Homère élaient des Grecs qui com-
mandaient à des Grecs et professaient la même religion
qu'eux. S'ils avaient à se prémunir contre les autres rois
teurs voisins « ils n'avaient du moins rien à redouter dans
• INTRODUCTION. 25
tombeau des.Atrides, conservé dans son intégrité. £n gou*
Ternant par lui-même cette partie de l*Argolide et de la
Gorinthiè, il avait sans doute délégué son autorité h quel-
ques grands feudataires; car on voit Diomède l'Élolien
commander les contingents des villes de Tirynthe^ Her-
mione, Âsine, Trézène, Épidaure, Masète, c'est-à-dire de
toute la presqu'île de Methana et de l'île d'Égîne, et fixer
sa résidence à Ai^s, où le Lycien Glaucus, petit-fils de
Belléropfaon, devint son hôte. Quant au reste du Pélopon*
nèse, la Laconie de Ménélas, la Messénie du vieux Nestor,
l'Ârcadied'Agapénor, l'Éiide d'Aniphiroaque, Agamemnon
y exerçait aussi , sinon une suzeraineté légale , au moins
une suprématie de fait.
Sous les Français, nous voyons le prince Geoffroy de
Yille-Hardoin, le baron des barons, prendre possession de
Corinthe et faire bâtir vis-à-vis de l'Acro-Corinlhe, du
côté de la Morée intérieure, le petit fort de Mont-Ësquiou,
dont le nom, qui rappelait au prince champenois l'un des
villages placés près de sa terre de Yille-Hardoin en Ghani-
pagne, s'est conservé jusqu'aujourd'hui presque sans varia-
tion. Toutefois, comme ce n'était pas du côté de l'Attique,
occupée par des compatriotes puissants , que la conquête
française pouvait courir quelque danger, mais bien du
côté des montagnes de la Laconie et de la Tzaconie, oc-
cupées par des tribus guerrières et amies de l'indépen-
dance, comme l'étaient leurs prédécesseurs les Spartiates,
ce fut cette partie du pays qu'il se réserva à lui-même, et
sur laquelle il porta toute son attention. (Conservant son
domaine de Calamata, placé au débouché du Taygète et de
toutes les grandes chaînes, il donna Garitena au plus 6a-
i;Ae^eurei/ar des chevaliers de France, Geoffroy de Brières,
fils d'une de ses sœurs, et fit bâtir la forte ville de I^listra,
ou la maîtresse ville , pour dominer sans crainte toute la
vallée du Taygète , et cinq forteresses encore debout dans
le Magne, celles de Passava , de Kelepha , de Maïna , du
Ghâteau-de- la-Belle et du Pprt-aux-Gailles, pour contenir
16 IHTAOBUCTIOM.
l*iiidoeile iiravoare des Maoiotes. Le resta du .pays fui ré-
parti aitre les plas puissaats de ses iiaroos. A Diomède,
graad-vassal d'Âgaoïeninoii, saccéda un chef franc S qui,
niatCre comme Iih de la presqu'île de Metiiana, depuis Âr-
gos et Nauplie jusqu'à Épidayre , soogea aussi à s'y bien
fortifier. Aiasi j'ai retrouvé encore de vastes ruines de
constructions franques , souvent sw des débria de con-
structions heUéiiiqnes, sur b côte d'Épidaure, comme dans
l'intérieur, à Angelo-CaMro, à Piada surtout près d'Épi-
daure , à Xéro^asteHi , où les Byzantins, et tes Français
ensuite, ont eu peu k faire pour réparer les immenses res-^
tes de la citadeHe heUénique restée ddiout avec ses vastes
pierres polygonales et ses petites portes angiriaires , à Ar*
goseur le sommet de la mentapie, à Nanplie au-dessous
de la lérteresse q/ai a conservé le nom du fils de Nauplius,
l'ingénieux et naibeureux Palamède.
Le frère d'Agamemnon, le malencootreux Hénélas, ré«
gnait sur un pays pi us difficile à conquérir et à conserver.
Ansriles Français couvrirentnls ce pays de châteaux-forts.
£n se dirigeafit sur Sparte par Astros et la Tzaconie , on
jen aperçoit de vastes déliris sur presque toutes les collines
qui protègent les passages. Un des plus intéressants est ie
Château-de-la-BeUe , au-dessus du ravin de Xéro-€ampi
et près d'Hagios-Pétros et du couvent de Loucos. Là on
peut, comme je l'ai fait, assis au milieu des ruines, se
faire chanter par les bergers de la Tzaconie la ballade an-
tique , répétée de boudie en bouche , en l'honneur de la
belle cfaâtelaine française , aux beUes robes franques , au
courage héroïque , au cœur pkoyahle , <qui défendit douze
ans son château contre l'eunemi , et ne fut trahie que par
la bonté de son cœur ; aussi le nom de <lhâteau-de-la-Belle
est-il resté aux ruines du château qa'eUe avait défendu.
* Au quatorzième siècle , la seigneqiie d'Argos fut possédée par
Guy d'Cnghlen, neveu de Gauthier YI, duc d'Athènes par «a sœur
Isabelle, mariée à Gauthier d'Ëngliien , et petit-neveu de Gauthier
de BrieaiWi duc 4*MUèMS, tué par les Catatans.
IlITRGBUCTIOIf. 97
Ces àanx sotnrefrirs de la patrie rafrateiriftièm le sang sur
la terre étrangère.
La yà&ée de l'Enrôlas oa da Taygète , dana laquelle od
pénètre à la sortie des monts de Tzaconie^ atait été fortifiée
d'ooe manière partkolière à Taide de la ville et de la cita-
delle de Mistra* Là tous apparaissent, à qRelqaes pas Fone
de Fantre, les trois époques, Pépoqae grecque, Tépoqne
byzantine et Tépoque franque « parfaitement distinctes. La
vieille Sparte est enserelie sons la terre, maïs chaque jour
la charrue en soulê? e quelques débris précieux. Son en-
ceinte est parfaitement marquée : ici est le théâtre, situé
près de Tam^ien marché, au pied desf collines et à une ex-
trémité de la ville i ^ est la prairie ofnbragée autrefois de
platanes, aujourd'hui de beaux peupliers, oà< sur le bord
de TEurotas, luttaient les jeunes filles de Sparte en pré^
sence du peuplé ; en se dirigeant du théâtre vers les colli-
nes qui descendent gracieusement du Taygète, voici les
restes d'un temple placé sur la route qui conduit au ro-
cher des Apothètes, visiMe de la rtlle» et d'où on précipi-
tait les enfants Spartiates malingres et contrefaits* I^ Lacé-
démoula byzantine se renfermait dans un espace beaucoup
pins restreint Ses murs d'enceinte , élevés , du cdté de
rEarotas, sur des bases d'ancieBs temples^ et, du côté du
Taygète, sur les ruines du théâtre, sont encore debout sur
les collines dont la pente est bordée par l'Eurotas aux rives
ombragées de lauriers-roses. Les conquérants français
ataient pris une position plus forte pour bâtir leur ville de
défense. Ville-Hardoin choisit pour cela, parfUiles contre»
forts du Taygète , uu monticule facile è défendre « et il y
éleva sa citadelle et sa ville de Mistra , appelée par les
.Grecs Mesitbra. Jusqu'à nos jours, la Mistra de Yille-Har-
doin, à une lieue environ de la première Sparte, avait été
la seule ville importante de la vallée du Taygète. Gull^
laume de Yille-Hardoin, prince de Morée, ayant été forcé de
la céder aux Grecs pour sa rançon , ceux-ci en firent le
f hef-lreu du despotat de ce nom , et, quand les Turcs eurent
28 INTRODUCTION.
conquis complètement la Morée sur les Français, Italiens,
Catalans et Grecs qui se la disputaient, ils continuèrent à
regarder cette ville comme un des points militaires les plus
importants. Aujourd'hui que les habitants du Magne obéis-
sent, comme les habitants des autres provinces, à un gou-
vernement national, il est devenu inutile de conserver une
place forte intérieure, et on abandonne peu à peu la mon-
tueuse Mistra pour reprendre dans la vallée la position de
Fantique Sparte. Mistra cependant portera long-temps en-
core son origine franque écrite sur tous ses débris. La ci-
tadelle couvre le sommet du pic, et au-dessous sont éche-
lonnées, sur les pentes rapides de la montagne, de vastes
et belles églises , sur les colonnes de Tune desquelles ou
peut lire, comme dans des archives, les donations faites au
chapitre dans le cours du treizième siècle.
Au sud de la vallée du Taygète s*étend le Magne, diffi-
cile alors à contenir; et Jean de Neuilly, en i^cevaut la sei-
gneurie de ce pays, reçut en même temps le commande-
ment de ses cinq forteresses et le titre de maréchal héré-
ditaire de la principauté.
On voit dans Homère que la partie orientale de l'Arca-
die devait entrer dans les possessions propres d'Âgamem-
non, puis qu'elles s'étendaient jusqu'à Phères et Carda-
myli. Dans les temps historiques , les noms d'Orchoraène,
de Mantinée, de Mégalopolis, suffisent à sa gloire. «Sous les
Byzantins, on y retrouve les villes fortes de Nicli, de Yéli-
gosti, de Moukhli, et les Turcs, plus tard, y bâtirent Tri-
polilza avec les ruines de trois villes voisines. A Agapénor,
qui conduisit les troupes d'Arcadie au siège de Troie, suc-
céda le sire de Brières, neveu du prince, un des plus che-
valeresques caractères parmi nos brillants chevaliers de,
Morée. Ce fut à l'entrée du pays de montagnes, à l'extré-
mité de la plaine de Mégalopolis, qu'il bâtit son château
crénelé. Là il se logea comme un aigle dans son aire. Le
château pittoresque et bien assis de Garitena a offert de nos
jours à Colocotroui un boulevard que n'ont pu franchir les
INTRODUCTION. 99
Tares. En faisant faire alors quelques menus travaux de
réparation, il retrouva quelques tombeaux de nos anciens
chevaliers, et sous leur pierre funéraire des cottes de mail-
les, des casques et d'autres armures, telles qu*on en a rér
cemment retrouvé un grand nombre à Ghalcis en Eubée.
C'est sous quatre chefs différents, Amphimaque et Thal-
pius, tous deux petits-fils d' Actor, le vaillant Diorès et Poly-
xèoe, semblable aux dieux et petit-fils du roi Augée, qu'Ho-
mère envoie au siège de Troie les guerriers de Buprasie et
de fa divine Élide. A celte époque de l'histoire grecque, les
plaines de TÉlide n'avaient pas à redouter les invasions ve-
nues du côté de l'Étolie, peuplée par des hommes de même
race, et ses laborieux habitants pouvaient se livrer avec
sécurité à la culture de leurs plaines fécondes. Il n'en fut
pas de même au temps de la conquête franque.
Le despotat d'Arta était alors entre les mains d'un
prince de race grecque, parent des empereurs de Byzance,
et les Génois, ennemis des Vénitiens, pouvaient, avec leur
marine, faciliter l'attaque des côtes. Il fallut donc multi-
plier les précautions militaires; aussi voyons-nous s'élever
de ce côté de redoutables forteresses confiées à de puissants
seigneurs. Sur les limites méridionales du côté de la Mes»
sénie : c'est Vilain d'Aunoy qui occupe la forteresse limi-
trophe d'Arcadia en Messénie; c'est Ancelin de Toucy,
qui se fortifie dans les montagnes de manière à protéger
le cours de l'Alphée ; c'est Nicolas, châtelain de Saint-
Omer, qui, sur la rive septentrionale du Pénée, au-dessus
d'ane belle montagne d'où on peut suivre tout ce qui se
passe en Élide, fait bâtir une grande ville fortifiée qui,
ainsi que la montagne elle-même , porte encore aujour-
d'hui son nom légèrement altéré en celui de Santamcri.
lin de ses petits-fils, du même nom que lui, Nicolas de
Saim-Omer, bail * de Morée en 1285, fit bâtir à Thèbes,
* Le bail était le lieutenant on vicaire du prince , le gardien ou
ftdministrafear du pays ; en latin , bajulus : d*où baillie , garde,
pnissanee., et bailler ^ donner en garde.
3.
30 INTnODUGTlON.
Il rexlrémiiédG la Cadméa, une faste fdriereése qui porte
aussi son nom , et dont bne hirge tour carrée siilutiste ao-
jourd*hui , et , au vieux IHavarla , sur l'emplacement de la
Pylos de Nestor, près de Sphactérie, une autre forteresse
destinée à la protection de celte côte , et dont les tastes
murailles, les portes et les tra? aux intérieurs se conservent
imposants en face du nouveau Navarin et de l'antre côté
de la baie. Enfin , pour mieux garantir ces riches plaines
de toute attaque , Geoffroy de Viile-Hardoln chdsit atec
discernement, sur Cette côte unie, ranelen promontoire
montueux de Ghélonllès pour y bâtir une autre forteresse,
celle de Rlémoutti , à laquelle des Francs donnèrent ie
notn de Mata-Gfifon, ou meurtHère des Grecs; et l'em-
placement fut si bien choisi et la consiruttlon fut si bien
entendue, qu'elle subsiste entière et presque sans aucune
dégradation extérieure. Gomme Ville- tlardoili employa à
celte construction le produit des séquestrations des reve-
nus du clergé, qui, après avoir accepté des fiefs militaires,
refusait cependant le service militaire convenu, le nom de
Castel-Tornèse, ou forteresse bâtie avec des deniers-tour-
nois, lui a été conservé par une ironie perpétuée jusqu'à
nos jours. En remontant jusqu'aux rivages méridionaux de
l'ancienne Âchaîe, on retrouve deux autres forteresses
franques qui complétaient le système de défense : celle de
Patras, donnée comme baronnie à une fille du prince ; celle
de Yostitza, l'antique iËgium d'Âgamemnon, donnée au
sire de Charpigny; et enfln, en s'appuyant sur les monta-
gnes qui s'abaissent de ce côté, les baronnies de Chalan-
tritza et de Galavryta, dont l'une était échue au sire de La
Trémouille , nom qui s'est conservé dans le voisinage de
Galavryta, dans le petit fort de Trémoula , et dont l'autre
fut le partage de Raoul de Tournay. Les ruines de ce der-
nier château franc, placées au-dessus de la ville actuelle de
Galavryta, sont considérables.
Ainsi protégée par ces nombreuses forteresses , l'Élide
put se peupler et prospérer. La facile communication de
iMTnODUGtlON. .11
ses ports al^G Briodes et les autres ports du royaume de
Maples avait amené dans ce pays ufi commerce fort étendu,
attesté par de ilombreox témoignages. €iare<itza , dont le
nom est encore porté, avec le titre de duché, par les ducs
anglais de Clarence, qui Font reçu par héritage d'une
petite-fille de Guillaume de Yille^Hardouin ^ était alors le
principal entrepôt du commerce ; on y frappait monnaie
au nom des princes français de Morée ; les poids de Cla-
rentza étaient connus et adoptés dans les villes commer-
ciales d'Europe et du Levant , et les droits qu'on y perce-
vait sur les marchandises étaient pondérés avec une éqnité
qui faisait loi. Un employé de la Compagnie des Bardi de
Florence, François BaldoccI Pegalotti, a composé, avant le
milieu du quatorEième siècle , un guide des commerçants
pour Tusage de ses mandataires. Il a été imprimé sous le
titre de : Pratica delta mercatura, dans la collection
îotitulée : Detla décima e di ^atie altre gravezze
impoête dat c&fnercio di Fireme , et il suffit de le par-
courir pour se convaincre de toute Timportaiice conimer*
claie de Glarentza. D'autres villes de TÉlide , telles qUe
Beanvoir ou Behéder, dont le nom a été traduit en Calo-
scopi; Andravida, où trois princes de la fkmille Ville-Har-
doin ont leur tombeau dans l'église Saint-Jacques dont je
n'ai plus retrouvé que k vaste enceinte à fleur de terre,
mais où subsistent encore le chœur ei une partie de la nef
* Isabelle de Ville-Hardoin , fille de Guillaume de Ville-Hardoin ,
priuce de Moréc, avait épousé en troisième mariage Florent de Hai*
naut, appelé Walleran dans VArt de vér\ller les dates. Elle en
eut une fille, nommée Matliilde de Hainaut, qui hérita de la prin-
cipauté de Morée, et mourut en 1324. Le duché de Clarentza était
un apanage de Théritter présomptif de la principauté d^Achaïe on
de Morée. U passa A IMnlippiue de Hainaut, nièce de Florent et fille
de sou frère Guillaume comte de Hainaut. Lorsque Philippine
épousa Edouard lit d'Angleterre, elle lui apporta ce titre, qui f^t
donné à Lionel , son second fils. Le titre de duc de Clarence s'est
conservé depuis ce temps parmi les titres des princes royaux d'An-
gleterre.
32 INTRODUCTION.
de la belle église gothique de Sainte-Sophie , dans laquelle
siégea souvent la haute cour féodale de Morée ; et plus loin,
en remontant les rives délicieuses de l'Alphée au delà
d*Olympie, les ruines immenses de Tanlique et pittoresque
monastère latin de Notre-Dame d*Isova , avec ses belles
fenêtres ornées, et tant d'autres ruines de châteaux et
d'églises disséminées depuis le rivage jusqu'au sein des
montagnes, attestent la richesse de cette province pendant
l'administration des Français. C'était, à ce qu'il semble,
leur séjour de prédilection, à cause de sa position vis-à-vis
des côtes d'Italie ; et c'est aussi là que la langue du peuple
a été le plus profondément modifiée par la langue française.
Souvent , en parlant avec les paysans, je m'étonnais de la
grande quantité de mots de notre vieille langue qui se sont
incorporés à la langue grecque et se conservent dans le
langage habituel de cette province.
Reste l'opulente Messénie , arrosée par le Képbisius et
lePamisus, et s'étendantd'Arcadia, Qef de Vilain d'Âunoy,
jusqu'au cap.Gallo. Ce ne fut pas à Pylos, patrie du vieux
Nestor, ce ne fut pas sur l'emplacement de l'immense Mes-
sène ou ancienne Ithome , dont les murs d'enceinte, aussi
considérables que ceux de noire moderne Paris peut-être ,
s'étendent avec leurs nombreuses tours sur les pentes ré-
gulières des montagnes dont elle est environnée , que 1rs
conquérants francs établirent leur capitale. Nestor avait eu
dans son temps une grande puissance maritime , puisqu'il
mena les siens sur quatre-vingt-dix bâtiments au siège de
Troie. A l'époque de notre conquête, c'était entre les mains
des Vénitiens qu'était toute la puissance maritime ; et on leur
abandonna même les ports fortifiés de Modon et de Coron en
Messénie, afin de s'assurer leur secours. Il n'y avait donc
plus à s'occuper sérieusement que de la défense de terre,
et c'est dans ce but que fut bâtie la forteresse de Calamata,
presque aux débouchés du Taygèie, par où pouvaient péné-
trer les Maniotes , sujets et alliés peu sûrs des croisés et
toujours impatients du joug étranger. Guillaume de Ville-
INTRODUCTION. 33
Hardoin , le troisième des princes de Moréc da nom de
Yilie-Hardoin, naquit à Galamata; et la forteresse qu'y fit
construire son père contre encore le plateau supérieur de
cette ville, dont la physionomie rappelle beaucoup celle de
nos moyennes villes du Bourbonnais. ÇH et là , sur les
portes des anciennes maisons et des édifices religieux de
ce fief de famille des seigneurs de Viile-Hardoin, succes-
seurs du roi Nestor, apparaît Técusson des Yille-Hardoin
de Champagne.
Mais à ces souvenirs anciens de la patrie viennent se
joindre des titres modernes plus glorieux encore qui
appellent sur la Messénie et notre plus vif intérêt et notre
longue affection. C'est à Pétalidi que , dans des vues bien
différentes de celles qui avaient guidé les croisés nos ancê-
tres, et uniquement cette fois dans desintentions bienfai-
santes et généreuses pour la Grèce , débarqua , le 30 août
1828, une année après la bataille de Navarin, le corps
d'armée français placé sous les ordres du maréchal Maison,
et destiné par un ministre homme de cœur et d'intelligence,
le vicomte de Martignac , à assurer enfin la libération de
la Grèce. C'est à Navarin, dans cette rade au-dessus de
laquelle s'élève le château crénelé de Nicolas de Saint-Omer
sur les ruines de la Pylos du vénérable Nestor, qu'une
année avant ce débarquement de notre armée libératrice
fut livré, le 19 octobre 1827, par les flottes française, an-
glaise et russe combinées , ce célèbre combat naval qui
garantit l'existence de la Grèce au moment où elle était le
plus dangereusement menacée d'une destruction complète.
Qje d'autres qualifient d'infortunée et d'inopportune cette
victoire de la civilisation ! la France a toujours compté
parmi ses plus beaux jours ceux où elle a pu tendre une
main secourable aux malheureux et replacer un peuple au
rang des peuples libres. Chacun de nous pense aujourd'hui
à cet égard comme ont pensé nos pères, et s'écriera, ainsi
que s'écriait jadis, en présence des Athéniens ses compa-
triotes, le plus grand orateur de l'antiquité : Non, nous
34 INTIÛBUCTION.
n'avons pas failli en nous içettaBt en avant pour le ssAot et
la lîlierté des autres ! J'en atteste ceux de nos aneêtrea qni
ont chevalereusement aventuré leur vte partout où il y
avait nne noble cause à défendre ^ h NicopoHs , contre Ba-
jazet, comme au dernier siècle dans les champs de l'Ame*
riqoe, dans le passé comme dans le présent; j'en atteste
tous les rivages délivrés à jamais par nous de la présence et
de rhtimiliation des pirates africains; j'en atteste la Belgi-
que rendue à sa nationalité, la Grèce rendue au monde
européen et à elle-même ; j'en atteste cette sympathie pro-
fonde que nous éprouvâmes tous comme un seul homme à
la nouvelle des désastres de Missolonghi et de Gbios, et ce
bel exemple donné au monde de toute une nation , depuis
les plus hauts rangs jusqu'au plus humble , depuis l'iotei-
ligence la pins élevée jusqu'au simple bon sens qui ne sait
que reconnaître la voix du cœur, entraînant son gouver-
nement, sam arrière-pensée d'intérêt propre, à la proteo-
tion armée d'une nation qui souffre ; j'en atteste le noble
sacrifice de lord Byron à Missolonghi y de Santa^Rosa à
Sphactérie ; j'en atteste enfin les bénédictions d'un peuple
que notls avons arraché âi l'esclavage et au massacre ; j'en
atteste sa marche rapide vers la civilisation ; j'en atteste ie
noble avenir qui lui est réservé ; non , nous n'avons pas
failli en nous mettant en avant pour le salut et la liberté
des autres.
Après avoir suivi depuis les Thermopyles jusqu'au golfc
de Gorinthe et au golfe Saronique « depuis Gorinthe jus-
qu'au cap Malée , la distribution des vallées grecques les
plus importantes sous les rois d'Homère comnie sous nos
barons francs, il ne me reste plus qu'à jeter un coup d'œil
rapide sur les îles qui ont fait partie soit de la Grèce d'Ho-
mère , soit de la Grèce française.
Au delà des côtes occidentales du Péloponnèse j'aperçois
d'abord Zante , Géphalonie , Ithaque , Leucade ; puis , à
la mobile embonchiire de l'Achéloûs , lesi îles Échioades ,
placées , avec quelques villes de cette partie de la côte do
INTRODUCTION. ^ 35
rAcariiaBie et de TÉtolie , sous la seigiieurie de l'asliieieux
Ulysse. Corfeu , habitée par les Phéaciens el gouvernée
par le boo Âlcinofts , était en dehors de la fédération des
peuples grecs , et on la regardait comme trop éloignée vers
soleil coùchaDt pour être visitée dans des vues commer-
ciales. CorfoQ se fut pas non plus comprise , au temps do
la domination française, parmi les fie& relevant de la
principauté de Morée. £He resta attachée au despctfat
grec d'Arta ou d'Épire, et n'en fut séparée que pour
passer entre les mains d'atM>rd de Mainfroi , comme dot
de sa lemme Hélène Ange-Comnène , puis de Charles
d* Anjou , vainqueur de Mainfroi , et successivement des
autres rois angevins de Napies. Quant aux autres lies
ioniennes cpii constituaient ie royaume d*01ysse , elles fu^^
reat données , avec le titre de comte palatin , à un sei-
gnenr français nommé Richard, dont la famille les posséda
plus d'nn ^ècle. J*ai retrouvé un acte original de ce Ri*
ehard ou de son fils , du même nom que lui , dans les
archives éplscopales de Zaute. Cest un long rouleau de
vingt-^tr^is feuifiets de parchemin , d'environ huit à dix
pouces de brgenr , qui contient le recensement en langue
grecque das biens de Tévêdié de Céphalonie (réuni plus
tard à Tévêchéde Zante) , fait en Tan 1264, sous Tévêquo
Henri et le comte palatin Richard , dont le sceau en cire
rouge est appendu au bas de l'acte. L'acte et le sceau au-
ront place dans mes Nouvelles Recherches historù/ttes
sur la principauté française de Morée. Le comte pa-
latin de Céphalonie, Zanie, Ithaque et Leucade était un
des douze hauts barons qui formaient la cour du prince et
qui le servaient dans ses guerres , ainsi qu'Ulysse servait
Âgameranon.
On ne voit pas que Chypre , la plus éloignée àe^ îles
grecques, ait fourni sqn contingent pour marcher avec
Agamemnon au siège de Troie ; jLout ce qu'on sait , e'est
que Kinyras , bote du roi d'Argos , apprenant ses prépa-
rât^ nuilttaires j lui avait envoyé une magnifique culrasst^
3G ^ INTRODUCTION.
de combat. Douze ans avant que les Français devinssent
maîtres de Gonstantinople , l'île de Chypre avait déjà été
détachée de Tempire grec pour passer aux mains de la fa-
mille française des Lusignan ; et elle resta royaume à pari,
mais allié aux Francs de Morée.
La puissante ile de Crète , dont les troupes avaient été
conduites au siège de Troie par le vaillant Idoménée , était
déjà séparée aussi de l'empire de fiyzance au moment de
notre conquête. Roniface de Montferrat , qui Favait reçue
en partie comme dot de famille et en partie comme don
de la reconnaissance du jeune Alexis , la céda aux Véni-
tiens , qui la conservèrent.
Rhodes, dont les guerriers marchaient contre Truie
soos le grand et le vaillant Tlépolème , ûls d* Hercule , et
Cos 9 la principale des Sporades , qui marchaient sous les
ordres de Phéidippe et d*Antiphus , tous deux ûls d^Her-
cule , furent conquises séparément et pour leur compte
particulier par les Hospitaliers de Saint- Jean de Jérusalem,
qui , après leur querelle avec les Lusignan de Chypre , y
transportèrent leur ordre en 1310. Ces moines guerriers
avaient en outre , ainsi que leurs confrères du Temple et
de rordre Teutonique , de nombreux fiefs dans la prin-
cipauté de Morée , dont ils se montrèrent plutôt alliés que
sujets ; ils avaient , ainsi que le clergé , leur souverain à
Rome.
Homère , qui cite aussi Salamine , dont le plus brave
des Grecs après Achille , Ajax fils de Télamon , comman-
dait les troupes, et Tiie d'^Ëgine, dont les guerriers mar-
chaient sous le commandement d*£uryalu$ , ne mentionne
aucune des Cyclades dans son énumération des forces grec-
ques , pas même Tile d*lo , ou Nio , suivant notre vicieuse
dénomination S qui se vante de lui avoir donné naissance
t Les Européens accusent les Grecs d'avoir défiguré leurs anciens
noms de lieux , tandis que ce sont eux-mêmes qui les défigurent,
faute de comprendre leur prononciation , si différente de notre ab-
surde prononciation de la langue grecque. Ainsi , 's lin Ko, à Cos,
INTRODUCTION. 37
et de posséder encore son tombeau. Toutes les Cycladcs
furent , sous les Français , réunies sous un seul seigneur ,
le duc de la Dodécannèse , de la mer Egée , des Cyclades
ou de Naxos ; car il porta indifféremment tous ces titres ,
et il prit place parmi les hauts barons de la principauté
française de Morée.
£n parcoLrant toutes ces îles Tune après Tautre , j'ai
retrouvé enc oresur pied, à Zéa, Paros, Andros, etc. , quel-
' ques-uns des anciens châteaux-forts bâtis alors par nos
ancêtres francs , trop souvent reconnaissables , il faut l'a-
vouer, à la rudesse de leur architecture et à l'emploi gros-
sier des débris antiques. Â Naxos, dans le plus grand nom-
bre des familles , s'est conservé l'usage de la langue fran-
çaise; à Santorin et dans quelques autres îles, l'usage du
culte latin ; et par toutes ces îles, et par tous ces pays, aux
monuments qui restent viennent s'ajouter les noms propres
et les souvenirs.
Tous ces éléments épars et peut-être trop oubliés de
nous-mêmes, qui rappellent notre ancienne domination en
Grèce, réunis aux germes de reconnaissance qu'ont semés
dans tous les cœurs nos services récents, nous aurions pu
les faire valoir ensemble avec autorité lorsqu'il s'est agi de
donner un souverain au nouvel État grec ; mais , fidèles
encore une fois à nos habitudes de désintéressement , en
servant la Grèce nous n'avons voulu servir que la Grèce.
Les premiers à appuyer son indépendance nationale, nous
avons été les premiers aussi à appuyer , dans son intérêt ,
le nouveau souverain que l'Europe lui a désigné hors de
chez nous, et nous avons été les plus fermes et les plus
constants amis que la Grèce et lui aient trouvés dans des
temps difficiles. Notre généreuse conduite a eu les heureux
est devenu Sianco; *s tin /o, àIo9,estdevenQ Nio; *s tas Thivas, à
Thèbes, est devenu Stiv<is; *s ta Limena, à Lemnos, est devenu
Stalimène; *s tin Polin, à la ville, est devenu Stamboul; 's ton
Evripon, à l'Eoripe (nom du détroit), est devenu Négrepont, nom
donné aujourd'hui par nous à Ttle d'Ëubée ; et ainsi de tant d'autres.
4
38 INTRODUCTION.
effets qu'elle devait avoir; jet aujourd'hui celte nation, pe-
tite encore , tnais pleine de sève et vie , s'avance avec une
noble persévérance dans la route de liberté, d'ordre et de
civilisation que nous lui avons ouverte. De grands obstacles
sans doute arrêtent encore la rapidité de sa marche. Tou*
tes les nations ne veulent pas, comme nous, son ferme éta-
blissement et ses progrès; mais les moments les plus cri-
tiques sont passés , chaque jour amène peu )i peu ses amé-
liorations. Le peuple grec veut être, et rien ne saurait l'en
empêcher que lui-même. Son jeune souverain est hon-
nête , intelligent , ami de la justice et animé des plus res-
pectables intentions. Il a mesuré les affections de toutes
les classes de son peuple pour la France et apprécié la pu-
reté de notre sympathie pour le bien-être du peuple qu'il
a été appelé à gouverner. Que la fermeté et la constance
infatigable de nos bons conseils le soutiennent dans la voie
du bien , et avant peu d'années la Grèce , qui doit tout à
notre désintéressement, nous devra encore l'heureux ave-
nir que lui assurera une bonne administration. Nous, de
notre côté, si nous avons sacrifié quelques vues d'ambition
«t de fierté nationale , nous en trouverons , à notre tour ,
le dédommagement en nous assurant un allié et un ami ,
non inutile peut-être , pour les crises qui peuvent se pré-
senter un jour dans l'Orient qui se meurt.
hk
GRÈCE CONTINENTALE
ET
LA MORÉE.
I.
MALTE. — SYRA. — LE PIRÊE. — AKRtVltB A ATHÈNES.
Après avoir recherché avec soin , dans les archives pu-
bliques et particulières d'Italie, de Sicile et de Malte, tout
ce qu'il pouvait s'y trouver de documents sur notre établis-
sement de la principauté gallo-grecque d'Achaye àla suite
de la quatrième croisade , et avoir recueilli plus de deux
cents diplômes inédits sur cette époque si intéressante ,
niais si inconnue encore, il me restait à visiter sur les lieux
mêmes tout ce qui devait s'y être conservé dans les mo-
numents militaires et religieux , dans les mœurs , dans la
langue, dans les souvenirs.
Malte aussi m'avait offert des souvenirs honorables pour
la France, mais d'une époque plus récente. Ce n*est qu*en
1530 que vinrent s'y établir les chevaliers hospitaliers de
Saint' Jean-de- Jérusalem, après la perte de Rhodes. Malte,
conquise sur les Sarrasins en 1088 par le célèbre comte
Roger-le-Normand , avait été depuis ce temps annexée k
la couronne des Deux-Siciles , et avait passé , avec tout le
reste de l'héritage normand-souabe , entre les mains de
Charles d'Anjou. Les vêpres siciliennes avaient arraché ,
40 GRÈCE CONTINENTALE ET MOREE.
en 1282, Fîle de Sicile à Charles d*Anjou pour la placer
sous Tautorité de Pierre d'Aragon, mari de rhéritière
souabe. Constance, fille de Mainfroi. Malte suivit, en 1283,
les destinées de la Sicile. Des rois angevins de Naples
elle alla aux rois aragonais , dont la main affaiblie pouvait
à peine la retenir au milieu des tempêtes politiques qui les
agitaient au centre même de leur autorité. Aussi retourna-
t-elle, pour quelques années encore, sous le sceptre de
Jeanne I'* de Naples et de son faible époux Louis d'Anjou-
Tarente, qui ta donna, en 1357, à titre de comté hérédi-
taire , au grand-sénéchal Nicolas Accialuoli , seigneur de
Corinihe et d'Amalfi. Celui-ci en fit Tapanage de son fils
aîné , Ange , lequel le transmit à son fils Robert ; puis , la
paix s*étaut faite entre Naples et la Sicile , Malte redevint
sicilienne. Cette partie de Tbistoire politique de Malte est
restée jusqu'ici inconnue, et aucun des historiens qui ont
écrit sui Malte n'a pu encore la débrouiller. Mais les ar-
chives de la maison Acciaiuoli, qui m'ont été ouvertes par
l'obligeant possesseur actuel , le chevalier Horace-César
Ricasoli, un des derniers héritiers de cette maison , m'ont
mis en état de dissiper ces ténèbres , car j'ai eu entre les
mains rorigiual de l'acte de donation de l'île de Malte par
Louis et Jeanne, en 1357, à titre de comté héréditaire,
en faveur de Nicolas Acciaiuoli, ainsi que les divers diplô-
mes de transmission du père au fils et du fils au petit-fils,
et des lettres autographes de famille écrites à diverses épo-
ques par les comtes et comtesses de Malte de la maison
Acciaiuoli; c'est un supplément qu'il faudra désormais
ajouter à l'histoire de cette île^ Charles-Quint la reçut
comme sa part de l'héritage immense de Ferdinand-le-Ca-
tholique, et s'en dessaisit, le 23 Mars 1530, en faveur de
l'ordre de Saint-Jean, entre les mains duquel il resta jus-
qu'au jour où apparut dans ses eaux , le 7 Juin 1798 , la
^ Voy. mes Nouvelles Recherches historiques sur la principauté
française de Morée et ses hautes baronnies, 1. 1, partie première,
article Nicolas Acciaiuoli et article Malte,
MALTE. 41
flotte française q»i portait en Egypte notre aventureuse
armée et son jeune et brillant général. Malte, où se trou-
vent encore les tombeaux de tant d'héroïques chevaliers
qui ont illustré Tordre de Saint- Jean et celui du jeune et
aimable comte de Beaujolais , frère du roi Louis-Philippe,
touche donc par bien des points h notre histoire, et le peu de
semaines que j'y passai m'offrirent une étude intéressante.
Je m'embarquai à Malte le 28 novembre 18^0, au ma-
tin, sur un de nos bâtiments à vapeur de poste , pour me
rendre à l'île de Syra, centre de notre correspondance pos-
tale d'Orient. Cette navigation se fait constamment en trois
jours , mais elle fut moins rapide cette fois. Le mauvais
temps nous avait assaillis dès le départ, et augmenta encore
d'intensité lorsque nous arrivâmes à la hauteur de l'em-
bouchure de l'Adriatique. Un vent du nord extrêmement
violent nous poussait dans la direction de la Crète. Afin de
mieux résister , nous remontâmes obliquement , mais un
peu trop haut , dans la direction des Strophades , qui font
aujourd'hui partie du gouvernement anglo-ionien. Ce fut
là qu'autrefois , suivant le poème d'Apollonius sur l'expé-
dition des Argonautes ' ; les Harpies furent sur le point
d'être exterminées par les fils de Borée, qui y régnent en-
core eu maîtres. Il s'y trouve aujourd'hui un grand mo-
nastère grec qui renferme, dit-on, beaucoup de manuscrits
curieux.
Enfin , après quatre jours de lutte , nous étions redes-
cendus vers la petite île de Sapienza, où, tout nouvellement,
l'Ordre de Malte avait rêvé de se créer un établissement
qui lui permît de réclamer ses grasses commanderies d'Al<
lemagne ; comme à la fin du treizième sièle , à la suite de
son expulsion de Syrie et de ses querelles en Chypre , et
avant sa conquête de Rhodes, il s'en était formé un à Rhae-
néa ou la Grande-Délos. Là, tournant l'orageux cap Gallo
et traversant les eaux du beau golfe de Calamata oiî de
* Livre n.
43 GRÈCE CONTINBNTAiE CT MOBÉE.
Messénie, nous armâmes en vue do cap Grosao^ qui se
présente par sa partie la plus large en avant du cap Matu**
pan , Tancien promontoire Témare, La vue de la terre da
Grèce, de la terre de tacédémone, m'apparaîasait pour It
première fols , et le soleil reprit un instant son éclat poup
nous dévoiler dans sa beauté la chaîne neigense du Tay^
gète. Nous étions fort voisins de la cOte et distinguions par*
faitement les villages épars ^ et là sur les Qollines, et, an-
dessus de ces villages, sur une autre colline, s'offrait à mot
yeui^ un vieux chiteau ruiné, d*appnrence toute féodak.
Je le regardai avec la plus curieuse attention ; c'était bien
réellement une ruine franque. J'en demandai le nom an
vieux pilote chargé de nous guider le long de cette eôte dmit
tous les détours lui sont familiers. Il m*apprit qu'il s'ap^
pelait le château de la Belle, io Castro tU Oraias^ nom
évidemment emprunté aux souvenirs francs'. Je me rappe«
lai alors que Guillaume de Ville^-Hardoin, prince d'Acbayn»
avait fait bâtir de ce côté un fort appelé Uaqi, et je pensai
que ce pourrait bien être là le fort Mani de notre Guiliftuine
de Yille-Hardoin, « Le prince Guillaume, dit la Chronique
grecque de llorée que j'ai publiée d'après un manuscrit iné*
dit de la Bibliothèque royale de Paris ', après avoir terminé
^ Ce cap, dit M. Boblaye (Géologie de la Morée, t. ii , p. 339
do grand ouvrage ia-4o), est on rocher de marbre gfis, d'ooe lieoe
de longiiear, élevé de 200 mètres ao-dessus de la mer, ooopé var-
ticalement, soU du côté de la iper, soit de celoi de \^ terre, et eu
outre tronqué liorizontalement à son sommet; en sorte que, vu de
face , on dirait une muraille blanche avec une bande noire à sa
base. Il est rare qu'on puisse en approcher sans danger, la rencontre
des vents opposés du golfe de Messénie et de Laconie y excite des
tempêtes fréquentes; et on eourant rapide longe ses bords, où il
n*y aurait, en cas de naufrage» aucune esp^rapce de salot.
^ Sur le point culminant du plateau qui couronne le promontoire
du cap Ténare sont les ruines d'un ancien fort qu'on nous dit se
nommer Orioskastro, et le sol y est criblé de citernes efrondrées,
au nombre de 365 , disent les Kakovouniotes. ( Expéd. scient, de
Morée, par Bory de Saint- Vincent , t. u, p. 309.)
3 Dans ma première édition de 1825 je n'avais publié que le texte ;
HgR OE GHKGE. 43
en iS4B la construction 4e sa belle forteresse de Mlstra»
monta à cheval, traversa Passava et arriva dans le Magne.
Là H trouva un rocher d'un aspect terrible, situé au-des-
sus d'un cap. Cette 9itqatiQn lui plut , et il y fit bâtir un.
fort auquel îl donna le nom de iVIani; ei ce nom, ajoute
le chroniqueur anonyme qui écrivait vers 1330i est celui,
qu'il porte encore, » Ainsi, la première fois qne mes yeiis
s*arrdtaieQt sur le spl grec , j'y retrouvais déjj^ quelque
chose de ce qne jt^ vep9)s y cherpber , U (Face dp passage
et de rétablissement des nôtres.
En remontant oette partie du Nagne vers la nord , on
retrouve deun autres vieux cbMeaui^-'fortii qui datent d»
notre conquête ; Passava , donné en 130$ , çommp baotp
baroonie» k Jean de Neuilly, maréchal héréditaire d^ la nou»
velle principauté d'Achaye ; et KLelepba , dont |^s ruines
s'élèvent eur un escarpemef^t opposé à cçini sur lequel est
bftii Yitylo, l'ancien (Ktylps, d'oA partit, en 1675, la colo?
nie grecque qui alla s'établir près du port de ëagone en
Corse» spus la conduite, disent l«s cpnleqri» grecs, ded^u^
familles, dont l'unei celle dei Comnôop, avait perdu l'^m^
pire de Trébizonde , et dont l'autre , ^lle des Calomer j ,
qui italianisa son nom en celui de Bonip^rte » devait con^*
quérir l'empire du nionde.
Devant nous, au midi, se présentait» avec sea cotes ari-*
des où subsiste misérablement une population de neuf milbl
habitants, l'île rocailleuse de Cerigo, l'ancienne Cythère,
poste le pins avancé du gouvernement ^nglo-ionien. Nou^
passâmes entre Cerigo et le cap Malée, qui en est éloigoé
de cinq à six lieues; mais l'air est si pur et pi transparent
que l'œil saisit les moindres détail^.
£n nous rapprochant du cap, nous aperçûmes à travers
les rochers éboulés une sprte de ruine qu'on nous dit avoir
été pendant quelques années la retraite d'un pauvre ermite
dans la seconde, de 1839, j'ai publié pour la première fuis le texte
grec tout entiar k côté de la tradiu^tion.
44 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
qui vivait là de ce que venait déposer sur la côte la cha-
rité des matelots. M. Bory de Saint-Vincent dit avoir en-
core vu cet ermite en juillet 1829. « Quand nous fûmes ,
dit-iP , à un jet de pierre seulement de la côte terrible,
mais devenue traitable, le canot de notre bâtiment à vapeur
fut mis à l'eau. Une corbeille ayant été aussitôt remplie
de biscuit et de farine, où je fis ajouter une cruche d'huile,
les canotiers purent, non sans peine, à travers les rcscifii
écumeux , déposer l'offrande sur une noire avance de ro-
chers, à l'instant même où le soleil , se dégageant de l'ho-
rizon , inonda de clartés lancées de tout son disque Fim-
mense hauteur au pied de laquelle je demeurais en admi-
ration. L'ermite sauvage, averti sans douté au fond de son
antre , par les brillants rayons du jour , que l'heure de la
prière était venue, apparut comme une de ces figures que
peignaient si bien Zurbaran et Van Dick, frappée de lumière
sur un fond de ténèbres et encadrée par de vieilles bri-
ques , sa chevelure , sa barbe et les haillons de son vieux
cilice d'une même teinte bistrée... Pendant la courte halte
qu'avaient nécessitée la mise à flot et la rentrée du canot , le
solitaire s'était agenouillé du côté de l'orient sans paraîire
d'abord s'occuper de nous; mais quand l'épaisse fumée de
notre mât de tôle l'avertit que le pyroscaphe se mettait en
route il se releva et, abaissant vers nous ses regards, il parut
nous adresser quelques démonstrations de reconnaissance
auxquelles l'équipage , accouru sur le pont , répondit par
un respectueux salut : puis , quand nous nous éloignâmes
davantage , se redressant avec une singulière dignité , il
montra, de l'index de sa main droite étendue , le ciel res-
plendissant où s'éleva son regard. Ainsi détaché ^ur cet
escarpement , on eût pu le prendre pour quelque vieux ta-
bleau demeuré suspendu contre le mur grisâtre d'une ba-
silique en ruine. »
L'ermite avait disparu depuis quelques années aj; mo-
* Expédition scientifique de Morée, t. ii , p. 418 de l'édit. in-8o.
SYRA. 45
ment de mon passage; mais les matelots , qui aiment ton-
tes les choses extraordinaires, montrent encore de loin Tes-
pèce de grotte où il résidait.
Continuant notre route entre Falconora et Anti-Milos,
puis entre Serphos et Siphnos , et laissant à notre droite
Paros et Naxie , nous nous trouvâmes en vue de Syra , et
de Délos ; puis , laissant Délos à droite , nous doublâmes
la côte méridionale de Syra, et entrâmes à cinq heures du
soir, après cinq jours de navigation fort agitée, dans la rade
de Syra.
L'aspect des deux villes d'Hermopolis et du vieux Syra,
placées l'une au-dessus de l'autre, depuis le bas de la ma-
rine jusqu'^au sommet du monticule pointu qui s'élève au
fond de la rade, saisit vivement l'attention du nouvel arri-
vant. J'aimais à recueillir tous les traits de ce premier ta-
bleau qui s'offrait à mes yeux. Les nombreux petits bâti-
ments ancrés le long des quais témoignaient de l'activité
et de la prospérité du jeune État, et les groupes de curieux
assemblés sur une sorte d'esplanade rocailleuse au-dessus
des bâtiments de la douane , sur un cap qui se projette à
droite des arrivants , avec leur fezy rouge , leur fustanelle
blanche et la longue pipe en main , me rappelaient que
c'étaient bien là les fils des curieux et bavards compatriotes
d'Aristophane.
L'importance de l'île de Syra ne date que de la révolu-
tion grecque. A cette é|X)que , les Grecs qui avaient pu
échapper aux massacres de Chios vinrent chercher un re-
fuge à Syra. Ils se' bâtirent sur la plage de misérables abris
temporaires et cherchèrent à vivre de leur pêche. L'orga-
nisation d'une ligne postale de bateaux à vapeur français ,
dont le centre fut placé à Syra pour s'étendre de là , en ar-
rivant de Malte, sur Athènes, Smyrne , Gonstantinople et
Alexa'ndrie , vint bientôt changer l'aspect du pays. Un la-
zaret , une douane , des magasins furent construits ; le
comdterce y devint facile, régulier, actif; l'argent cofh-
mença à affluer, les spéculations s'agrandirent , les maisons
40 GRÈGE GONTINENTâlE ET MOREE.
de cbanme firent place à des maisons de pierre , et un
campement de baraques se transforma en ville avec tous
ses établissements. Aujourd'hui cette ville a un nom. Elle
s'appelle Hermopolis , pour la distinguer de la vieille ville
de Syra restée immobile avec ses vieilles moeurs au faite de
son antique rocber. Hermopolis compte cinq mille maisons
et dix-sept mille habitants. On y trouve un chantier de con**
struction, des auberges telles quelles, des écoles, un cercle
littéraire, un casino, un musée, des imprimeries, on
théâtre. Le jour même où je descendis dans une petite au«-
berge tenue par trois sœurs smyrniotcs, devait avoir lieu
la première représentation donnée par la troupe italienne
d'Athènes à son retour d'une excursion à Smyrne, Les an-
nonces, imprimées en langues greqne et italienne, étaient
répandues dans les auberges et cafés : les opéras an-*
nonces étaient Clara de Rosemterg, le Bariier de Se'
ville, Nina et Lucie de Lammermoor; les premiers
sujets, mesdames Basse et Rota, MM. Moretti, Polani et
Rota. Je n'avais garde de manquer à cette représentation^
Le théâtre de Syra est construit en bois sur des dimen*
sions assez étroites, on aurait peine à passer trois personnes
de front dans les corridors ; et, si le feu prenait, le meilleur
parti à prendre serait de sauter par les fenêtres, qui fort
heureusement ne sont pas très-élevées. L'intérieur est asse^i
bien disposé sur un quadrilatère allongé avec deux rangs
de loges superposés. Toutes les loges , qui sont presque
aussi incommodes et aussi étroites que celles de nos grands»
moyens et petits théâtres de Paris et de France , étaient
remplies de femmes fort agréablement mises à la française,
tandis qu'au parterre la population masculine était vêtue à
la grecque , soit de l'élégante fustanelle blanche avec la
veste coquette , soit du sévère costume des marins avec te
pantalon flottant et l'épaisse ceinture rouge, et touspor*
tant le moderne fezy à frange bleue , coiffure incommode et
disgracieuse généralement adoptée par les hommes commo
par les femmes. On donnait la Clara de Roseméerg de
sViiA. 47
Ricci. La prima dooDa , mademoiselle Basso , est aue jeune
Piémontaise dont la belle voix de contralto n^est pas encore
réglée par une méthode savante ; mais le feu qui Tanime
réagit sar son jeune auditoire , qui lui sait gré de Tinitier
adi jouissances les plus délicates de la civilisation. Le ténor
avait peu de voix , mais beaucoup de goût ; la basse peu
de goût , mais assez de voit. Le délicieux duo du second
acte me rappelait malheureusement trop le souvenir de
Rubini et de la Grisi, par lesquels je l'avais souvent entendu
chanter à Paris. La mémoire des plaisirs passés gâte sou-
vent nos plaisirs présents. L'auditoire grec , qui n'a pas de
passé, jouissait de tout. Dans les entr'acteson se faisait
«ervir des glaces et des sorbets dans les loges. Bref, si ce
n'était la fumée des cigarettes et des longues pipes des
spectateurs , répandue dans toute la salle comme un brouil-
lard de novembre dans les salies de spectacle de Londres,
on eût pu se croire dans une petite ville d'Italie. J'ai vu à
Savone , voire même quelquefois à Naples , un opéra ita-
lien beaucoup moins bien exécuté.
Cette première' journée passée à Syra n*avait été nulle-
ment défavorable, dans mon esprit, à la nouvelle Grèce,
échappée depuis M peu d'années à la grossière barbarie
turque , et déjà marchant si vite dans la voie de la civili-
tion européenne , devançant même , dans la délicatesse de
ses plaisirs , tant de nos grandes villes de France privées
d'nn <i^2i italien et se vantant de leurs vaudevilles. Il y
avait là matière à amples réflexions , au milieu desquelles
je m'endonnis fort doucement. Le lendemain matin, à mon
réveil , je fus frappé de la magnificence du spectacle qui
s'offrait à mes yeux* Le lever du soleil, vu de Syra, appelle
à l'esprit tous les souvenirs des temps mythologiques. C'est
du mont Cynihien de Délos qu'il semble se lever en sou-
verain sur tout l'Archipel. Les ruines de son temple et de
sa statue colossale dont le piédestal porte encore le nom
d'Apollon , dispersées çà et là dans l'Ile de Délos, semblent
être les lieux mêmes d'où il s'élance pour se montrer au
48 GnECE CONTINENTALE ET MOREE.
monde. Délos et sa montagne ruissellent de ses premiers
feux qui scintillent sur les flots, d'où ils font ressortir gra-
cieusement Tinos et Myconi d'une part , Paros et Naxie de
l'autre. La mythologie antique avec tout son cortège de
dieux, qui sont de vieux souvenirs classiques chez nous,
mais de jeunes réminiscences romantiques et nationales
ici , apparaît et saisit les plus prosaïques imaginations.
Dès le matin je me mis à parcourir toute la nouvelle
ville d'Hermopolis. Les rues sont encore fort irrégulières,
mais elles commencent à se redresser et à s'élargir. Les bou-
tiques sont assez bien approvisionnées des objets manufac-
turés importés de Trieste , de Marseille ou de Londres. Les
agréables petits vins blancs de l'intérieur de l'île sont un
produit qui peut grossir avec le travail. Les marchés ou
bazars semblent^uifisammeni fournis , mais pas une femme
ne s'y montre ; ce sont les hommes ici qui seuls vendent
et achètent. L'homme de la dernière classe est quelquefois
propre et toujours coquet dans ses ajustements; la femme
du peuple est presque constamment négligée et malpropre.
 5yra , le seul quartier de la ville où l'on aperçoive des
femmes du peuple proprement mises , et avec de belles
tailles et de belles figures , est le quartier des Ypsariotes
' qui se sont réfugiés à Syra après le don fait de leur île aux
Turcs par la conférence de Londres. Bizarres décrets de la
diplomatie ! les montagnes de l'Olympe , Ypsara , Ghios ,
Candie, où avait éclaté la révolution , et dont les habitants
s'étaient le plus signales par leur haine contre les Turcs ,
ont été déclarées en dehors du nouvel État grec délivré par
elles; et d'autres îles, où ne s'était pas manifesté le moindre
symptôme de révolte contre les Turcs , de sympathie même
pour les Grecs, ont été données à la Grèce. Merveilleux
effets de la jalousie des sages réformateurs du monde!
Tout ce qui concerne l'instruction publique a reçu à
Sy**a une vive impulsion. Des cinq gymnases établis eu
Grèce, cette île en possède un; les quatre autres sont à
Athènes, h Missolonghi , à Nauplie et à Hydra. Il y a de
SYKA. 40
plus à Syra six écoles à la Lancastre pour garçous et pour
filles , fondées par des missionnaires protestants anglais ,
américains et allemands , et recevant environ deux mille
enfants. Il s'y trouve aussi un musée dans lequel on a réuni
toutes les antiquités, bas-reliefs, inscriptions, médailles,
ornements, vases, découvertes dans Tile même ou dans
quelques-unes des îles voisines. Je n'ai remarqué en restes
antiques, dans l'intérieur de la ville, qu'un fragment d'in-
scription sur le rocher et un taurobole placé dans la cour
de la grande église , en montant \[^rs le vieux Syra , avec
une inscription qui annonce que ce taurobole est dédié à
Trajan en l'honneur de sa victoire sur les Parlhes.
De la nouvelle ville d'Hermopolis à la vieille ville de Syra,
la distance est courte ; un ravin étroit et la seule ondula-
tion d'une colline les séparent Tune de l'autre ; mais , en
les voyant de près , on dirait deux peuples différents. Ici
une marche active vers le bien-être et la civilisation ; là
l'engourdissement dans la misère et dans les vieux préju-
gés. Ici la fierté d'une jeune nation qui s'est affranchie et
s'exagère sa force ; là le découragement d'une nation af-
faissée par une longue oppression. Ici une ardeur impé-
tueuse pour tout apprendre à la fois ; là une crainte ombra-
geuse de toute nouveauté. En bas , des magasins bien ap-
provisionnés des produits européens les plus nécessaires ,
des rues qui cherchent à se redresser, des maisons qui ten-
dent à se donner un air coquet ; là-haut point de com-
merce , des rues tortueuses dont les porcs vous disputent
l'usage , des cabanes fétides où les animaux de toute es-
pèce , grosse , moyenne et petite , vivent en communauté
avec les hommes et sur les hommes.
Tout au sommet de cette vieille ville , et comme dans
un acropolis antique , siège comme sur un trône l'évêché
catholique de Syra. Il y a quatre mille catholiques dans
toute l'Ile : huit cents dans la basse ville , et trois mille
deux cents dans la haute ville où leurs pères avaient cher-
ché un abri contre les attaques des Turcs et les invasions
ô
50 GRÈCE CONTINENTALE ET MOREE.
des pirates. Il y a peu de siècles encore que la population
des Cyclades était en grande partie catholique ; le nombre
total des catholiques de TArchipel ne dépasse pas aujour-
d'hui le chiffre de quinze mille. De toutes les Cyclades, Tilc
de Tinos eât celle qui eil contient le plus grand nombre.
Sur une population de vingt mille habitants, elle contient
sept ou huit mille^ catholiques répartis dans vingt-quatre
villages. Le reste est distribué entre les autres îles , surtout
celles habitées par les évéques : telles que Naxie , Syra et
Santorîn.
L'église catholique en Crcce est administrée par quatre
prélats : un archevêque , h Naxie , qui porte le titre pom-
peux de métropolitain de la mer Egée , et trois évéques, à
Syra , Tinos et Santorin. Il existait autrefois un quatrième
évéché à Milos , mais il a été supprimé depuis une soixan-
taine d'années par le pape. Comme H n'y a pas d*dvêché
catholique dans le Péloponnèse , c'est Tévôque de Syra qui
étend sa juridiction sur ce pays. Le présent évéque , qui
est de Savoie , est de plus revêtu de l'ofSce de délégué
pontifical dans l'Archipel.
L'archevêque de Naxie a un revenu de 6,000 francs.
L'évêque de Syra retire environ 4,000 fr. des biens de l'é-
vêché , et reçoit des cours de Rome et de Sardaigne une
pension annuelle de 2,000 francs. A cela il faut ajouter une
subvention de 10,000 francs qui lui sont envoyés chaque
année de Lyon par la société de la Propagation de la foi ,
et qui , joints à quelques autres dons, lui ont servi à bâtir
deux églises dans la Grèce continentale , et à constituer
des paroisses, desservies chacune par un prêtre, à Athènes,
au Pirée, à Fatras , à Nauplie et à Navarin. Les évéques de
Tinos et de Santorin ont chacun û,000 francs; mais, à
celte somme , il faut ajouter une légère subvention an-
nuelle payée par le gouvernement français à chacun des
évoques de l'Archipel. De toutes les populations catholi-
ques des îles, la plus pauvre et la plus ignorante est celle
de Syra ; la plus riche , la plus morale et la plus tolérante
SYBA. 5t
est celte de Santorin , qui , sur seize mille habitants, compte
sept cent dix catholiques , les plus opulents et les plus res-
pectés de nie par leurs concitoyens du culte grec; la plus
turbulente et la plus tracassière est celle des quatre cents
catholiques de Tile de Naxie. Habitaut presque toute la
partie de la ville comprise dans Tenceinte du château des
anciens ducs , se donnant à eux-mêmes le nom de cbâte*
lains , se vantant presque tous de descendre des anciennes
familles nobles établies dans ce duché depuis la quatrième
croisade , et conservant précieusement leurs généalogies
dans leurs archives ou leurs mémoires , et leurs armoiries
sculptées au-dessus de leurs portes, les catholiques do
Naxie manifestent la plus grande antipathie pour toute es*
pèce de travail et se perpétuent dans leur misère par les
prétentions de la vanité. L'usage d^ la langue française s*est
généralement conservé dans ces familles , qui donnent fort
Il faire par leurs exigences aux excellents pères lazaristes
que la France envoie et entretient dans cette ile.
Le clergé régulier latin dans les Cyclades se compose :
de cinq jésuites, dont trois dirigent le séminaire deSyra ,
et deux celui de Tinos ; de deux capucins , Tun à Syra ,
l'autre à Naxie , auxquels la France fait un traitement de
600 francs * ; de quelques franciscains établis à Tinos sous
la protection de l'Autriche, et des lazaristes placés parti-
culièrement sous la protection du gouvernement français.
Ces derniers ont succédé, par arrêté du roi en date du
5 janvier 1783, h tous les droits et privilèges et à toutes
les possessions dont jouissaient les jésuites. L'ordre de
Saint^Lazare a son centre et ses douze directions h Paris,
et envoie des missionnaires dans toutes les parties du monde.
Lesupérieur des missions du Levant réside à Constantinople,
où il a récemment érigé un collège. Il a aussi fondéà Smyrne
une institvition pour les filles, établissement qui manquait
^ Lft société de la Propagation de la foi de Lyon a envoyé de plus,
en 1840, une lomme de 4,ooo francs au oapuoin de Syra , boitime
intelligent et fort raipecté.
52 GRECE CONTINENTALE ET MORES.
en Orient. Les prêtres de Saint-Lazare ont deux établis-
sements en Grèce , Ton à Naxie , l'autre à Santorin , et dans
tous deux ils s'occupent avec fruit du but spécial de leur
mission , qui est de desservir les chapelles consulaires et
d'apporter tous leurs soins à la formation des ecclésiasti-
ques et à l'instruction des jcilnes gens. Ils ne sont pas sou-
mis aux pratiques rigoureuses des autres ordres religieux.
Leur genre de vie n'a rien d'austère , et ils ont su partout
se concilier l'estime et l'affection des habitants par la faci-
lité de leur commerce , la moralité de leur conduite , leur
bonne éducation et leur charité. Â Naxie , les biens qui
leur ont été laissés à la suppression des jésuites leur rap-
portent un revenu de â,Ol)0 francs consacrés à des œu-
vres de bienfaisance. En même temps les bons soins donnés
par eux à leurs terres eli5 leurs deux maisons de campa-
gne, situées dans les parties les plus agréables de Naxie,
pourraient servir de modèle aux autres agriculteurs dans
une île où on tendrait plus vers le progrès qu'on ne le fait
à Naxie. Mais la vanité des châtelain» a parfois suscité aux
lazaristes des obstacles et des tracasseries contre lesquels
l'appui amical et conciliant du gouvernement français a
souvent seul pu les soutenir.
Avant la révolution grecque , la France possédait un
droit de protection reconnu sur tous les catholiques répan-
dus dans les Cyclades, la Roumélie et la Morée. Au mo-
ment où un souverain indépendant fut donné à la Grèce,
la France renonça à un droit qui pouvait blesser l'indé-
pendance du nouvel État auquel on donnait une place parmi
les États européens ; mais il fut stipulé , par un protocole
de la conférence de liOndres en 1830 : que la religion
catholique jouirait en Grèce du libre et public exercice de
son culte ; que ses propriétés lui seraient garanties; que
les évêques seraient maintenus dans l'intégralité des fonc-
tions, droits et privilèges dont ils jouissaient sous la pro-
tection du roi de France , et qu'enfin, en vertu des mêmes
principes , les propriétés appartenant aux anciennes mis-
0 SYRA. 53
sions françaises seraient reconnues et respectées. C'est ce
protocole qui a protégé les lazaristes contre les usurpations
de leurs propriétés. Ces disciples de saint Vincent de Paul
et les capucins , qui n'ont rien de la malpropreté ni de
l'ignorance des capucins d'Occident , sont un ferme point
d'appui à la fois pour le catholicisme et pour une civilisa-
tion progressive et régulière en Orient. Malheureusement
la cour de Rome , au lieu de prêter son appui à ces idées
tolérantes et éclairées, aime mieux faire appel aux jésuites,
qui divisent au lieu d'unir, cx>mpriment les idées au lieu
de les diriger, éteignent au lieu d'éclairer. L'épiscopat ca-
tholique de Grèce ne semble pas non plus , il faut le dire,
comprendre sa vraie mission. C'est à la France surtout
qu'il appartient de faire bien comprendre à la cour de
Rome, si intelligente sur ses intérêts , qu'ici son véritable
intérêt est de faire choix d'hommes éclairés et tolérants
qui sachent prendre le devant dans tout ce qui est bon, et
appuyer le triomphe du catholicisme sur le triomphe de la
civilisation.
Après avoir examiné l'état actuel de l'église latine , que
nos croisés de 120/i avaient étendue sur toutes leurs pos-
sessions de Grèce , je recherchai s'il n'existerait pas au-
tour de moi à Syra quelques vestiges des établissements
féodaux qu'ils y avaient fondés , lorsque le duché de la
mer Egée fut déclaré la seconde des hautes baronnies de
la principauté française d'Achaye et donné à un Sanudo
de Venise ; mais je ne pus relrouTer aucun reste de l'an- *
cienne forteresse bâtie alors dans l'île de Syra.
Mon examen terminé , je jetai un dernier coup d'oeil
sur cette vue enchanteresse de la mer Egée , parsemée de
gracieuses îles qui brillent comme des escarboucles aux
rayons du soleil couchant, et je me disposai à prendre place
sur le bateau à vapeur grec it Maximiiien pour me
rendre au Pirée. Là direction de nos bateaux à vapeur a
grand besoin d'être réformée. Nous avons été les premiers
à frayer la route , il ne convient pas que nous restions en
5.
54 GRECE CONTINBKTALE ET MOREE. ^
arriéré quand d'avitrea sont arrivés aor nos traoes et oui
profité des premières fautes inévitables pour faire mieiu.
Les quarantaines différentes doivent amener différentes
mesures. Les quarantaines de Grèce sont de sept jours,
celles de Turquie de quatorze» celles d'Alexandrie de vingt
et un jours, et la plus forte entraine nécessairement les plus
faibles. Il résulte de là que, comme ee sont nos bitioienis
d^^Alexandrie qui desservent la ligne d'Athènes, tout ?oyA«
geur arrivant de France ne peut profiter, pour se rendre
au Piréo» des bâtiments français, puisqu'il s'imposerait
presque continuellement la totalité de la quarantaine d'An»
iexandrie* Le même inconvénient se présente pour retour»
ner de Grèce en France. Comme on prend à Syra les
voyageurs de Consiantinople et d'Alexandrie, on est obligé
de subir à Malte une quarantaine de vingt et un Jours ; tan«-
dis que, si on prend la ligne autrichienne du Pirée à Trie^»
on arrive à Triesie en libre pratique, le gouvernement au»
tricbien vous comptant comme quarantaine les sept jours
que vous passez en mer de Corfou à Trieste. C'est que le
gouvernement autrichien # qui est raisonnable et fort ^ ne
se laisse pas faire la loi par le conseil de santé de Trieste»
comme npus nous la laissons faire par le plus ignorant et
le plus avide des conseils de santé , celui de Marseille.
Quoique ie Maasimiiien fût en si piteux état que oe
voyage fut la dernière de ses navigations et qu'il dort de«<
puis sur les cbantiers de l'île de Poroj , je me décidai k le
prendre plutôt que*de subir avec le bâtiment français un#
quarantaine de quatorze jours que je pouvais éviter, |je
tcmi)8 d'ailleurs était magnifique; et j'ai l'habitude en
voyage de ne tenir aucun compte des hasards et d'aller
toujours en avant, m'en reposant sur la fortune. La chau-
dière bouillonnante du Ma^imitien m'appelait, je patiis»
Notre époque a aussi ses merveilles qui ne saisissent pas
nioins l'imagination que les merveilles de la mythologie
antique* La mer était calme comme le plus beau lac , ^
un souffle de vent ne ridait sa surface i les voiles de lotis
BRPAUT DB SYH/i. 55
es bititiimits totïibaient molles et abandonnées comuie les
membres d^an homme frappé de paralysie : et cependant,
mattres d'un agent qui supplée à la nature et qui la mai^
trise, la vapeur, nous étions embarqués pour arriver k heure
fite, et, avec notre frêle bateau et sa médiocre pnijssaneo de
vingts-quatre chevaux, nous cheminions sur cette mer im*
mobile. U y a aussi de la poésie dans la science et dans
l'industrie humaines » q^snd elles s'élèvent k cette bnu*
leur.
La navigation de Syra au Pirée n'a rien de la monotonie
des navigations ordinaires , surtout quand le soleil luit et
que la mef ^st fsvorabie. Le speclaele qu'offre le hotd d'un
baieeu i vipeur eq Orient m d^jà un point d'observatioi}
intéressant pour toul nouvel arrivant d^i régions occiien*
talcs. Ici une jeûna et jolie Athénienne aux grands yeuY
tendres, m% petites dénis blanches , à la taille souple , au
palier un peu mignard» arrivant d*Odessa ou de Constan-
tinople, étend sous ses petits pieds bien chaussés son ouit^
chourf flisse et^ dérobant mal ses reganls sou3 son chspeau
papisim) « les lan^ fort coquedement autour d'elle. Le se
tient debout un ingiats, immobile de geste , d*osil , de fi-
gure, avec an long ohâie écossais qui le drape assez pitto^
reiquammit par*dessus le oostume le plus irréprochable,
arrivent fout exprès d*Oxford pour passer dix-sept jours,
ni |rias ni moins, dans une visite à Marathon, Platée, Thè-i^
hes , ke Thermopyles , Delphes et quelques autres Ueuic
classiqaes indiqués par son itinéraire. A côté de lui» penché
sur le bord du bâtiment, un fier Rouméiiote au front large
et haiil, à Pcail vif, ab cou épais, k la moustache bien fbur-^
nie et tombante, les jambes vêtues de la guêtre homérique^
la ediiuire garnie d'pn beau eangiar et de doux pistolets
damasquinés, les <^paules recouvertes d'une blanche toison
au-dessus de sa blanche fustanelle resserrée for une cein-
ture de soie qui lui fait Une taille de guêpe ^ semble poser
pour le voyageur européen. Plus loin , un Arménien à la
longue robe et è I4 langue barbe, assis sur ses jambes «ve^
56 GRECE COIMTINENTALE ET MOREE.
calme , et faisant passer successivement entre s^ doigts
tous les grains de son chapelet ; un jeune palicare coquet
et insouciant près d*un juif inquiet et observateur; des
matelots d'IIydra parlant durement le rauque albanais , et
moi au milieu de tout cela arrivant tout exprès de Paris
en Grèce pour mieux connaître mon histoire de France ;
tous les costumes, tous les goûts, tontes les langues , toutes
les physionomies, tous les caractères si opposés souvent
aux physionomies : voilà , avec bien d'autres nuances , ce
qui se rencontrait à bord du bâtiment à vapeur qui me
conduisait de Syra à Athènes.
En dehors du bâtiment , le spectacle des lieux qui se
dérobent successivement devant vous occupe puissamment
aussi et l'œil et l'esprit pendant cette course de huit à dix
heures. A peine a-t-on passé entre les Iles de Thermia et
de Zéa , si renommées par leur chasse aux perdrix , que
vous apparaît le cap Sunium avec ces belles colonnes en-
core debout sur le faîte, qui lui ont fait donner le nom de
cap Colonne , et tout à côté de ce petit îlot appelé poéti-
quement l'île d'Hélène, où, dit-on, celle qui devait être un
jour la femme du malencontreux Ménélas commença par
faire de fort borne heure sa première chute en faveur de
l'heureux Thésée. Quelques va-et-vient de plus du piston
de la machine à vapeur conduisent en vue d'Égine et du
temple qui domine encore ces hauts lieux ; puis vous ap-
paraît Salamine avec ses grands souvenirs, et par derrière,
dans le lointain, le sommet du tragique Cithéron; bientôt
se présente, tout en face de vous, le mont Hymette, tou-
jours renommé par son excellent miel ; et au pied le ro-
cher, glorieux de l'Acropolis, portant comme une couronne
les magnifiques débris du Parthénon qui le signaient à l'ad-
niration du monde.
A mesure qu'on approche de terre il faut descendre un
peu à des idées plus prosaïques. Le passé est en ruine, et
le présent est en constructions de pacotille. Les deux piliers
qui ferment l'entrée du pork du Pirée portaient autrefois
LE PIRÉE. 57
deux lions colossaux auxquels le Pirée a dû le nom de
Port-Lion sous lequel il était connu au moyen âge. Ces
lions sont aujourd'hui placés à l'entrée de Tarsenal de Ye^
Dise, au milieu d*autres morceaux antiques qu*y a trans-
portés le péloponnésiaque François Morosini lors de sa con-
quête de la Morée sur les Turcs en 1686. Quant aux piliers
du Pirée , ils sont veufs de leurs lions antiques et ne por*
tent plus que deux lanternes.
Le port du Pirée est petit, mais bon ; les vaisseaux de
ligne peuvent y mouiller. 11 y a dix brasses et demie d'eau
sur un fond de vase. Quelques bâtiments marchands, plu-
sieurs bateaux à vapeur français et autrichiens, et i'O-
thon, grand bâtiment à vapeur du roi de Grèce, animent
ce joli petit port. En i83/i le Pirée ne possédait que cin-
quante-six petits bâtiments marchands mesurant 268 ton-
neaux . en 18^0 il avait deux cent vingt-six bâtiments
marchands mesurant 3,721 tonneaux ^ La ville nouvelle
s'étend à partir du port de Munychie jusqu'au Pirée. En
183^ il n'y avait sur ce terrain qu'une seule maison et
huit magasins construits en bois , en 18^i0 on y comptait
déjà quatre cent cinquante maisons de pierre et une po-
pulation de deux mille deux cent soixante-quinze habitants.
Beaucoup de ces maisons , vues du port , semblent jetées
çà et là un peu comme au hasard et sans que rien les relie
entre elles et prépare des rues , c'est un essai de ville plu-
tôt qu'une ville ; mais enfin il y a vie, mouvement et pro-
grès.
En prenant son numéro dans le catalc^ue des nations
' * Voici la rapide progression de cet accroissement :
— 56 bâtiments portant 266 tonneaux.
— 282 — •
— 496 — ' •
— 754 —
— 1716 —
— 1556 —
— 3721 —
1834 —
56
1835 —
60
1836 —
80
1837 —
109
1838 —
156
1839 —
192
1840 ^
226
58 GRÈCE CONTINENTALE ET HOREE.
civilisées de l'Europe, le nouvel État grec ne poovàR man-
quer de se conformer aux habitudes de ses anciens. Au-
trefois, dit-on, c'était à des potences bien garnies de leurs
cadavres flottants , comme j'en ai vu long* temps près des
docks de Londres , qu'un voyageur reconnaissait un pays
civilisé ; ce sont aujourd'hui les bureaux de douane et de
police, ou de passe-ports, qui sont la mesure de la civilisa-
tion des terres inconnues , aossi la Grèce s'est-elle bitée
d'organiser sa gendarmerie, ses bureaux de police, sa qua-
rantaine et ses douanes, A peine a*t*on mis le pied sur. la
terre hellénique, qu'on appartient aux préposés de la santé
qui vous transmettent aux préposés de la police qui vous
renvoient aux préposés de la douane ; et ce n'est qu'après
que votre personne et vos eifets ont été minutieusement
enregistrés, timbrés et taxés, tout à fait comme dans votre
pays , que vous êtes enfin rendu è votre liberté d'action*
Il y a peu de restes antiques au Pirée. Il faut cependant
aller voir sur la colline située au-dessus de la ville actuelle
les ruines ou plutôt les fondements du ternple de Neptune,
les restes du bâtiment qui servait à décharger les blés, et
le tombeau de Tbémistocle, dont une colonne renversée gtt
en bas baignée par les flots»
Cinquante voitures de toute forme et de toute grandeur
vous attendent et vous sollicitent pour vous conduire du
Pirée h Athènes, qui n'est qu'à deux lieues de là. Voitures
anglaises, russes, .françaises ; calèches, berlines, drôschki,
tilbury, cabriolet, char-à-bancs , y compris même l'hum**
ble coucou exilé de Sceaux et de Montmorency, vous trou-
vez là de tout : diplomates , consuls , voyageurs du nord
comme de l'ouest , voilà les fournisseurs du marché aux
voitures d'Athènes. Les raccommodages se font ensuite
comme on peut , dans un pays où on ne sait encore tra-
vailler ni le fer ni le bois. Quant aux cochers, ils s'impro-
visent avec une merveilleuse facilité. Le matelot sans em-
ploi quitte momentanément le gouvernail de sa barque
pour essayer le gouvernement d'un cheval syrien attelé à
LB P1RE£. 59
on cabriolet de Paris; le condncteor de chameaux, obligé
d'essayer un nouveau métier, s'élance sur le siège d'une
calèche d'Offenbadi , et lutte de TÎtesse atec le klephte
pacifié , assis triomphaiement sur une planche endomma-
gée de son coucou à roues mobiles. Le cuisinier mis hors
de service , le palicare attendant une nouvelle guerre,
l'homme des îles comme l'homme des montagnes , tous
voyant pour la première ibis une voiture ^elçonquc, voilà
les Tiphys et les Âutomédon qui se chargent intrépide-
ment du transport de votre personne. La route est large,
belle et facile ; les chevaux et les cochers sont pirins de
feu, la course se bit rapidement, et même sans encombre,
à moins que ces guides inexpérimentés ne se choquent un
peu trop rudement, que les voitures mourantes n*expirent
sous vos pieds , ou , par exemple , qu'un cheval d'Europe
ne rencontre face à Êice quelques chameaux et, par peur
de cet animal inconnu , ne vous jette sur un pan de mu-
raille oublié des longs tnurs de Thémistocle ou dans le fit
desséché du Céphise.
A moitié de la route , votre cocher, qui s'est fait une
sorte d'étrange turban en nouant son mouchoir autour de
son fefey, s'arrête auprès d'un petit cabaret; sous prétexte
de d(Hiner un peu de repos à son cheval, mais, en réalité,
pour se faire payer un verre de raki. Un gros garçon jouf-
flu fait de son mieux , en mêlant toutes les langues , pour
vous engage" à imiter votre cocher. Il y a peu d'années,
il n'y avait lli qu'une pauvre baraque en bois ; mais une
flotte française est venue séjourna* dans la baie de Sala-
mine : officiers et matelots étaient curieux de visiter Athè-
nes ; la consommation des cigares et des verres de raki s'est
augmentée. Les marins, peu patients, attendaient rarement
l'appoint de leurs francs en centimes; les francs sont de-^
venus des écus, et la baraque de bois de lanni s'est trans-
formée en bonne maison de pierre. Vienne une nouvelle
flotte , à cette maison s'en joindront d'autres , et la station
se transformera en village* Le lien est bien choiâ pour
60 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
cela. Tout auprès est un puits de boone eau, et un paits,
ici , c*est un trésor. La route a jusque-là suivi les longs
murs ; on commence à entrer dans ce qu'on appelle le bois
d*oliviers. Ces célèbres oliviers se sont succédé d'âge en
âge sans interruption, depuis Gécrops; mais ils sont si
clair-semés, leurs troncs sont si maigres et si noueux, leurs
feuilles si pâles et si maladives , leur ombrage est si rare ,
qu'il faut être bien et dûment averti que c'est là un bois
pour songer à lui donner ce nom, qui, dans notre prosaïque
pays, nous rappelle tant d'autres images si belles et si
douces.
Les cinq minutes écoulées , votre cocher repart au mi*
lieu de flots de poussière ; et, après vingt minutes de celte
course aventureuse , on se trouve en présence d'un des
plus gracieux monuments de l'antiquité, le temple de Thé-
sée, encore debout en entier sur un petit plateau qui sur-
git légèrement de la route d'Athènes. Ses élégantes colon-
nes d'un beau marbre blanc , auquel l'action du temps et
du soleil a donné le plus beau reflet rose, se détachent sur
ce ciel si pur comme pour vous révéler en un instant la
vie et l'art antiques.
Le tribut d'admiration légitime une fois payé en passaut
au temple de Thésée , on retombe de la hauteur du passé
dans le terre-à-terre du présent. C'est à travers un dédale
de planches amoncelées qu'on entre dans la moderne
Athènes. Quelques petites maisonnettes malpropres ser-
vent , comme notre rue Copeau ou notre rue Mouffetard,
d'avenue au Paris de ce petit coin du monde. Ce passage,
au reste, est très- court , et on arrive dans une grande rue
droite , la rue d'Hermès, qui coupe la ville en deux sec-
tions : d'une part les vieux bazars, les vieilles rues, la vieille
ville, mais aussi la tour des Vents, le monument de Lysi-
crate, tous les restes antiques et l'Acropolis ; de l'autre part
les nouveaux quartiers , les cafés, les marchandes de mo-
des, la richesse, la diplomatie, la cour. Un petit essai de
trottoir parfois interrompu, dans cette assez longue rue,
ATUÈNEd. * 61
prouve plutôt ce qu'on veut avoir que ce qu'on a réelle-
ment; et un beau palmier, Situé au milieu de la rue, reste
là , glorieux , pour attester que la vie et le soleil d'Orient
ont encore toute leur puissance. Le temple de Thésée,
c'est le souvenir des beaux temps de la Grèce ; le palmier
c'est le souvenir de la domination des fils du désert , qui
transforment en autant de déserts tous les lieux qu'ils par-
courent et qu'ils gouvernent.
Deux rues tiansversales, la rue de Minerve, qui conduit
à l'ancien portique d'Adrien , et la rue d'Éole , qui finit à
la tour antique des Vents , viennent couper la rue d'Her-
mès. Voilà les seules tentatives de régularité urbaine qu'on
aperçoive en arrivant à Athènes. Tout le reste semble dés-
ordre et confusion ; et cette rue d'Hermès elle-même a été
si mal tracée , bien qu'on eût la plus entière liberté de
tracé, qu'elle vient se jeter tout au travers d'une vieille et
respectable église que les maçons étrangers n'auraient pas
fait diflBcullé de démolir, mais qu'ont protégée le respect
religieux du peuple et les réclamations des savants. L'église
reste donc , et la rue tournera autour d'elle comme elle
pourra. Avec le temps, on s'arrangera pour tracer à l'en-
lour un crescent à portiques quand les petites maisons à
Tallemande qui se sont glissées ici tomberont pour faire
place à des constructions plus conformes aux besoins du
climat.
Cette première vue d'Athènes est plutôt bizarre qu'a-
gréable. On sent cependant qu'il y a ici de la vie et de l'a-
venir ^ Les mœurs d'Orient n'ont pas encore contracté
^ M. Wordswortli a visité Athènes à la Gn de 1832 et aa com-
mencement de 1833. Voici l'état dans lequel cette ville se présenta
alors à ses yeux -. « The town of Athens (p. 51) is now lying in
niins. The streets are almost desertid; nearly ail Ihe houses are
withoat roofs. The churches are reduced to bare ^alls and lieaps of
stones and mortar. There is but one church in which the service
18 performed. A few new wooden houses , one or two of more solid
(Structure, and the two Unes of planked shades whicli forai the
Bazar, are ail the inhabited dwelliugs tliat Athens can now boast. >»
6
6i GRÈClf CONTINENTALE ET MOREE.
mariage avec les niceurs d'Occident ; elles coexistent sépa-
rées, sans s*être ni fondues ensemble ni annulées. Plus tard
la fusion s'opérera par des sacrifices réciproques. En atten-
dant que le goût et la mode aient fait passer la société
grecque sous leur équerre , chacun prend Tallure qui lui
convient. Près d'une boutique à la turque , dans laquelle
le marchand s'assied sur ses jambes, en déroulant mélan-
coliquement entre ses doigts les grains de son chapelet, on
rencontre un café à la française avec un billard d'acajou.
Ici vingt Maltais, accroupis dans la rue, attendent l'emploi
de leur activité ; là des Grecs à la blanche fustanelle , à la
veste dorée, fument leurs longues pipes, tandis que d'antres
Grecs , habillés à la franque , finissent une bouteille de
bière en fumant un cigare ou une cigarette et en dissertant
en français sur les journaux de Paris. Celui-là porte un cos-
tume grec avec des bottes françaises par*dessus son large
pantalon, celui-ci une redingote française avec la fustanelle
et les guêtres grecques. Les langues grecque , française,
italienne, allemande viennent à la fois frapper l'oreille , et
une dissertation sur un roman de Balzac et un drame d'A-
lexandre Dumas est interrompue par une tirade patrio-
tique sur Candie, Omer-Pacha ou Mavrocordatos.
C'est à travers ce pêle-mêle de costumes, de langues et
d'idées que je me fis voie pour me rendre à l'aubei^e
dont j'avais fait choix , car on peut faire un choix mainte-
nant. Il y a à Athènes trois auberges fort convenables, et
quelques autres où on peut trouver à se caser sans trop
d'inconvénients. J'allai me loger à l'hôtel de Londres, chez
un Piénontais , nommé Bruno , ancien courrier de Capo-
d'Istrias. Sa maison est petite , mais précédée d'un jardi-
net et proprement tenue. Mon appartement, très-suffisant,
s*ouvrait sur tous les points de l'horizon. C'était une sorte
de belvédère de trois pièces, d'où je pouvais jouir d'une
vue magnifique de la ville, des environs et de toutes les
chaînes de montagnes de l'Attique. L'Hymetle , le Penté-
lique, le Parnès m'entouraient^ D'un côté, je pouvais ad-
ATHENES. 63
mirer le Parthénon , diadème précieux qai orne le froot
de l'Acropolis , et nui vue s'étendait dans ia direction da
temple de Jupiter-Olympien jusqu'aux montagnes au pied
desquelles serpente le lit sans eau de l'Ilissus et se détache le
rocher un peu sec de la fontaine de Galiirhoe ; d'un autre
côté » mes regards s'étendaient sur Phalère , le Pirée , Sa-^
lamine , en suivant les roches Scironides , d'où le brigand
Sciron fut précipité dans les flots par Thésée, jusqu'à la
cime aplatie de l'Âcrocorinthe. Mon belvédère était ainsi un
excellent point d'observation pour m'orienter ï travers
l'Athènes de Périclès, celle des ducs français de la maison
de La Roche ou de la maison de Brienne, celle des vaîvodes
turcs, et celle dont il a plu au roi de Bavière de faire la
capitale du nouveau royaume hellénique, afin de se donner
le plaisir classique de recevoir de son fils , le jeune roi
Othon, une lettre datée : D^ mon paiais d'Athènes.
II.
ATHÈ1I9ES. ~ SES MONtJMENTS ANTIQUES ET SES FÊTES
POPULAIRES. — SA PASSION POUR LA PHILOLOGIE. —
SES ÉCOLES AVANT LA RÉVOLUTION GRECQUE.
Un de mes amis, se promenant un jour dans les environs
d'Athènes , demanda à un petit pâtre , qu'il rencontra , le
nom de cette ville qui se présentait en perspective. — On
l'appelle Anthina (c'est-à-dire ville des fleurs, Florence
par exemple), lui dit le berger dans son patois ; mais,*pour
des fleurs (en grec anthi) , elle n'en a pas*. L'Athènes
antique, comme la Florence moderne, éveille en efl^et dans
tous les esprits, même les plus étrangers aux lettres et aux
arts, des idées de gloire ou de poésie ; et le peuple, qui ne
64 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
fausse jamais les noms propres que pour leur donner une
signification plus analogue à sa pensée S prouve ainsi qu'il
n*est pas moins sensible que les classes éclairées au beau
nom acquis à sa patrie. Ce nom glorieux , répété de bou-
che en bouche dans la dernière lutte, après un silence de
près de deux mille ans , a suffi pour éveiller la sympathie
de tous les peuples ; et l'Occident, qui devait sa civilisation
à la Grèce , lui a prouvé sa reconnaissance en Taidant à
son tour à s'affranchir de la barbarie.
Bien que notre oreille soit plus familiarisée aujourd'hui
avec ce magnifique tiom d'Athèiies , il ne laisse pas que
d'agir avec force sur tout nouvel arrivant. Ce qu'on vou-
drait, ce serait de faire tomber pour un instant toutes les
barrières qui vous séparent du passé , de reconstruire par
la pensée la ville antique avec ses monuments, ses temples,
ses statues; d'évoquer du tombeau sa population bruyante,
ici se pressant au Pnyx autour d'un orateur populaire , là
s'agitant, au théâtre de Bacchus, au spectacle d'une noble
tragédie de Sophocle ou d'une mordante comédie d'Aris-
tophane , ailleurs revenant en procession de la Voie Sacrée
et affluant près des statues des dieux. On en veut à tout
ce qui vous distrait de celte apparition fantastique, à cette
ville nouvelle comme à ces hommes nouveaux. On désire-
rait au moins, puisqu'il ne reste que des ruines, que ces
ruines ne fussent pas gâtées par un contact prosaïque avec
des reconstructions modernes; que, pour un moment,
disparût tout le présent , hommes et choses , et qu'on pût
rester seul en présence de ces seules ruines. Malheureuse-
ment il n'en est pas ainsi. Depuis que, par une ordonnance
du 30 (18) septembre 1834 , signée par les régents bava-
rois Armansperg , Cobell et Heideck , et par les ministres
grecs Golettis , Theocharis , Lesuire , Rizo et Praïdis , il a
été décrété qu'Athènes serait désormais la capitale du
^ L'tie de Naxos ou Naxie est la plas beUe des Cyclades; aositi
le peuple, au lieu de rappeler Naxia, rappçlie-t-il toujours ^ 'AÇf a,
la Digne.
ATHÈNES. 65
royaume grec , et que le siège du gouvernement y serait
transporté le 13 (1*') décembre 183/i, le prestige antique
a été et il ira de jour en jour s*éyanouissant de plus en
plus. Au temps de la domination turque , les misérables
cabanes {catyvia) et les misérables habitants qui se glis-
saient à travers les ruines ne nuisaient pas plus à leur efTet
qu'un nid de cicognes placé sur les débris de créneaux go-
thiques n*en détruit Tunité. C'étaient là des choses si com-
plètement étrangères et si éphémères qu'elles ne servaient
pour ainsi dire que comme la cloche d'un couvent aban-
donné à sonner Theuredu passé. Il en est bien autrement des
constructions récentes ; une ville moderne, je ne dis pas s'é-
difie, mais se maçonne presque partout, sur l'emplacement
même de la ville de Thésée. Encore, si on eût fait quelques
réserves pour l'antique et qu'on eût imité l'exemple du res-
pect donné par Adrien ! Lorsque cet empereur , dans les
deux visites qu'il fit à Athènes, l'an 125 et l'an 130 de notre
ère, ordonna de relever la ville d'Athènes, il eut soin d'assi-
gner un espace nouveau aux constructions nouvelles ; et sur
les limites qui séparaient la ville ancienne de la ville nou«
velle fut construit le portique d'Adrien, encore debout avec
l'inscription qui attestait le respect d'Adrien pour l'anti-
quité. D'un côté de cette porte, on peut lire encore : C*est
ici ta ville de Thésée^ non celle d'Adrien ; et de l'autre
côté : C'est ici la ville d'Adrien, non celle de Thé-'
sée. On eût pu de la même manière, à l'entrée de la partie
de la ville sur laquelle semble vouloir s'étendre par pré-
dilection la cité nouvelle , près du point où se rencontrent
par exemple les rues d'Hermès et d'Éole, et en face du por-
tique d'Adrien, élever un portique sur lequel on eût
inscrit d'une part : C'est ici la ville de Thésée et celle
d'Adrien, et non celle d'Othon; et de l'autre : C'est
id la ville d'Othon, et non celle de Thésée ni
d'Adrien. Ainsi eussent été laissés libres aux investiga-
tions et aux fouilles des antiquaires tous les terrains sur
lesquels s'étendait autour de l'Acropolis l'Athènes antique,
0.
66 GRÈCE CONTINEMTAILE ET MOREE.
et OÙ on voit encore aujourd'hui les stoa ou portiques du
Pœcile, la porte de l'Agora ou marché, la Tour des Ventfii
le monument de Lysicrate dans Tancieune rue des Trépieds^
par laquelle on montait sur un revers de l'Acropolis paré
encore de deux belles C4)lonnes qui portaient autrefois lear«
trépieds ; les débris du théâtre de Bacchus et de son tem-
ple, et les précieux restes des chefs-d'œuvre de l'Acropolis.
Aujourd'hui de nombreuses maisons de pierre bâties sur
le nouveau sol, plus élevé que le sol antique, interdisent
toute recherche future, •
Les premiers pas du voyageur dans Athènes se dirigent
nécessairement^ vers l'Acropolis. Tout prévenu que l'on
soit par les récits les plus pompeux , on est toiyours sur-
pris et émerveillé de ce qu'on y trouve. La forme même
et la couleur rouge'-pile du rocher de l'Acropolis donnent
déjà des ailes à l'imagination. L'Acropolis est encore une
forteresse ferioée par des murs : an nord les restes du
mur , de construction dite pétasgique ; au midi , les restes
du mur de Cimonf On passe au-dessous de la grotte
d'Apollon et de Pan, on tourne un peu le rocher, et on se
trouve à la première porte de la forteresse , au*dessus de
rodéon ou théâtre musical d'Hérode Atticus , qui était
i-éuni par les stoa ou portiques couverts d'£umènes , fré-
quentés par les péripatéticiens ou promeneurs, avec lO:
théâtre de Bacchus ou grand théâtre tragique. Il ne reste
plus rien du théâtre de Bacchus , mais la partie inférieure
des stoa couverts qui l'unissaient à l'Odéon et le mur du
fond de l'Odéon , avec quelques jours ouverts sur la cam-
pagne et sur la mer, subsistent encore. Au-dessous du
théâtre de Bacchus , sur le haut d'un des flancs abrupts
du rocher^ était un temple consacré à Bacchus, qui depuis
le aïoyen âge avait été transformé en une chapelle dédiée
à la Panagia Spiiiotissa, Notre-Dame-de-la-'Grottet
parce qu'il était creusé dans une grotte* 11 y a peu d'années
encore, ce temple subsistait en son entier et debout, avec
une belle statue de Bacchus assis , sur toute la hauteur de
rarchitraTe. La beauté de la statue a causé Tinfortune du
temple. Un ambassadeur anglais obtint en 1799 du gou-
vernement turc, que h débarquement doi Français en
Egypte avait jeté dans les bras de la Grande-Bretagne, Tau*
lorisation d'enlever la statue pour la transporter en AQgle«
terre. Elle fut en effet arrachée saine et sauve de sa niche |
mais les précautions suffisantes n'avaient pas été prises» et
foute la façade du petit temple , Tarcbilrave avec les denu^
piliers de marbre qui souteuaient la cornicbe s'écroule-*
rent et gisent amoncelés devant la grotte, Tout à côté est
une vaste assise de marbre couverte d'une longue inscrip^
tion. Aucun des morceaux de cette simple et élégante fa*"
çade , si ce n*est la statue du dieu , n'a été enlevée , et ce
ne serait pas un grand travail de la relever en remettant
les morceaux i lenr ancienne place ; cela se fera sans doute
un jour.
L'entrée de l'enceinte murée de TAcropoUs est située
au-dessus des deux théâtres , mais plus près de TOdéon*
Après quelques pas faits dans rintérieur on se trouve 911
bas des degrés qui montent aux Propylées, majestueux ves*
tibule de cet ensemble d^ cbefs-d'œuvre^ A droite s*élève
le délicieux petit temple de la Victoire aptère (sans ailes);
^ gauche est cette belle salle de la Pinacothèque , dans la^
quelle étaient exposés les tableaua^ de Zeuxis. Un lourd
piédestal gâte un peu cette façade élégante des Propylées ;
mais il portait la statue équestre d'un empereur , et il est
tout romain. Une lourde tour carrée gâte aussi un peu les
proportions du temple de la Victoire; mais elle est d'ori<-
gine et de construction française, et servait de prison au
palais des ducs français d'Athènes, Dans des temps fort
rapprochés de nous, la même destination lui avait été
rendue ; et on voit encore , attachée à une de ses façades
et balancée par le vent, la corde à laquelle fut pendu Gou-
ras, qui y avait été enfermé. Mais je ne mêlerai pas les sou»
venirs de la féodalité franque et les souvenirs de la lutte
récente à ceux que font naître les monuments construits
68 GRECE C0NTI1VCNTALE ET MOREB.
sousThémistocie, Cimon et Périciès, créateurs de tous les
grands établissements d'Athènes.
Le Teslibole des Propylées franchi , on a devant soi le
monnment le plus parfait d'architecture et de sculpture
qu'il ait été donné aux hommes d'admirer : le Parthénon.
Sa belle ligne de colonnes est interrompue par la destruction
qu'y apporta, en 1687, une bombe de Morosini ; et ce vide
a été rendu plus difforme par une laide mosquée, qui tombe
heureusement en ruine. Ses frises sont dépouillées de ces
ravissantes métopes qui se moisissent maintenant sous le
ciel brumeux de Londres. Mais , tel qu'il est , sur son ro-
cher poétique, sous son ciel si pur, avec ses colonnes can-
nelées de marbre blanc que le soleil a brunies de la môme
teinte dont il brunit les joues des filles d'Orient, le Par-
thénon sera toujours le type le plus parfait du vrai beau.
Près de là , sur ce même plateau de l'Acropolis, reste de-
bout un autre temple , l'Érechthée , auquel se rattachent
les plus grands souvenirs de l'histoire d'Athènes. C'est là ,
dit-on , l'emplacement du palais de Gécrops ; c'est là que
Neptune, dans sa dispute avec Minerve, fit d'un coup de son
trident jaillir du rocher une fontaine dont les eaux furent
renfermées dans les souterrains de l'Érechthée. L'une des
façades de ce temple mystique, si irrégulier et composé de
trois autres temples, était soutenue par quatre magnifiques
caryatides. Elles tentèrent le même ambassadeur anglais
qui avait obtenu la statue de Bacchus en faisant écrouler
la façade de son temple, et qui avait fait enlever à la même
époque les métopes du Parthénon dépouillé ainsi de sa
frise comme une prêtresse de ses bandelettes; il obtint
aussi de la Porte la permission d'enlever les caryatides du
temple d'Érochlhée. L'une des caryatides fut en effet arra-
chée de la corniche qu'elle soutenait , et alla rejoindre à
Londres la statue de Bacchus. Mais l'indignation populaire
avait été grande à cette nouvelle ; car ces quatre caryatides
avaient pris leur place dans les croyances populaires comme
des êtres surnaturels qui veillaient sur le peuple d'Athènes,
ATHENES. 69
et on ne les connaissait que sons le nom de jeunes fitte$
(ai korai). On ne crut donc pas prudent d'enlever les
autres caryatides pendant le jour , et on attendit la nuit
pour y envoyer les Turcs chargés de renlèvement An
moment où ils s'approchèrent du temple d'Érecbthée pour
consommer leur œuvre de destruction, le vent, qui souffle
toujours avec plus de force après le coucher du soleil dans
ce lieu élevé, fit entendre, en glissant à travers ces colonnes
et les murailles ruinées , un gémissement prolongé, sem*
blable aux sons que rendent les harpes éoliennes agitées
par les vents d*Écosse. A ee son les Turcs effrayés cru-
rent reconnaître la voix des jeunes filles {ai korai) qui
gémissaient sur la perte de leurs sœurs, et qui se défendaient
contre le sacrilège par leurs plaintes et leurs soupirs. Ils
s'arrêtèrent; et rien ne put les décider à porter leurs
mains sur les caryatides, qui échappèrent ainsi à une
émigration forcée , et sont aujourd'hui Tornement de leur
patrie, où un beau ciel^ ajoute encore à leur beauté.
M. Pittakis, conservateur des antiquités à Athènes S
possède une histoire manuscrite de la ville d'Athènes en
langue grecque jusqu'à l'année 1800, dans laquelle on
trouve quelques curieux renseignements sur l'époque de
ces diverses dévastations. Cette histoire d'Athènes depuis
les temps fabuleux est suivie d'éphémérides depuis l'année
i75/i. Le dernier des événements mentionnés est relatif
aux recherches de lord Elgin avec l'autorisation de la
Porte.
« Sur la fin de juillet de cette même année 1799, est-il
dit dans ce manuscrit, lord Elgin, ambassadeur de la
Grande-Bretagne près la Porte Ottomane, envoya à Athènes
des ouvriers romains et napolitains pour faire des fouilles
et retirer du sein de la terre des marbres et antiquités, et
faire descendre de la frise du célèbre temple de Minerve
< M. Pittakis est le mari de la beUe Grecqne chantée, en 1811,
par lord Byron dans sa Maid of Athens.
70 GRÈGE CONTINENTALE ET MOREE.
C09 magnifiques bas-reliefs et slalues qui faisaient Tétoiine-
luent et Tadmiration de tous les étrangers. »
Le même chroniqueur mentionne dans ses épbémérides
des dilapidations partielles des monuments antiques em-
ployés à la reconstruction des bâtiments nouveaux,
« Dans Tannée 1759 , dit-il , le vaïvode d*Atbènes bâtit
la mosquée du Bazar d'en bas, fit sauter avec la poudre
une des colonnes du portique d'Adrien , et prit beaucoup
de marbres dans l'ancienne métropole.
» Le 18 février de l'année 1777, Hadji-Ali commença à
bâtir le mur d'enceinte de la ville d'Athènes. Il commença
ensuite à grande bâte le mur appelé Bourzi , qui fut ter-
miné en soixante-dix jours ; car toutes les corporations y
travaillèrent , et souvent lui-même aidait à passer les pierres
aux ouvriers. »
Beaucoup d'autres marbres furent employés à la con-
struction de ce mur d'enceinte , dont Tinvasion russe de
1770 avait démontré la nécessité.
Dans un autre endroit de son histoire, le chroniqueur
mentionne la destruction d'une partie du Parthénon par
la bombe vénitienne qui mit le feu au magasin à poudre
des Turcs placé dans ce temple.
Il indique aussi , à la date du 10 août ilSU^ l'arrivée à
Ai^hènes de l'ambassadeur de France, M. de Ghoiseul-
Gouffier, qui fut reçu avec les plus grands honneurs. Mais
le voyageur français qui ^ à ce qu'il semble , excita le plus
vivement l'attention à celte époque fut un jeune homme de
vingt-cinq ans « du nom de Montmorency, arrivé à Athènes
au mois de Mai 1782 ^ Le chroniqueur raconte qu'il eut
*<!I s'agit ici de Tabbé Hippolyte de Montnaorency-Laval , frère
du duc Matthieu de Montmorency. Il était fort connu p^ir son esprit
et son Instruction , et avait rapporté de ses voyages en Grèce des
inscriptions et quelques antiquités grecques que son parent, M. le
duc de Luynes, m'a dit avoir vues dans sa jeunesse. L*abbé Hippolyte
de Montmorency fut décapité à Paris pendant la révolution, et est
onicrré dans le cimetière de famille An Picpus.
ATHENES. 71
divers en(retiei)s avec lui sur des matières religieuse « Il
était certainement fort extraordinaire , dit-it , de trouver
dans un si jenne homme tant de connaissance de l'histoire
ancienne et des livres saints unie avec une véritable piété«
Son but était à la fois de décrire les antiquités du lieu et
de bien étudier l'histoire de l'église de rorient... Après de
longs entretiens sur des questions rdigieuses, il ternina
en nous assurant , les larmes aux yeux , que , quelque ia-
différence que missent les rois dans ces importantes af»
faires , il se trouvait en Occident beaucoup de personnes
qui donneraient jusqu'à leur sang pour voir Tunion des
deux ^lises. »
Cette histoire grecque d'Athènes mériterait certainement
d'être publiée, malgré un certain nombre d'erreurs histo-
riques qu'elle contient sur l'époque du moyen âge , et j*^-
gage fort son possesseur, M. Pittakis , à le faire.
Ge n'est pas sans intention que j'ai cité le nom de M. Pit-
takis à propos de l'Acropolis. M. Pittakis semble , en effet,
avoir été découvert par notre vieux consul Fauvel sous une
corniche oubliée de l'Acropolis , qui protégeait son ber-
ceau ; il y a grandi, il y vit, il y monrra : car l'Acropolis
est sa patrie , sa famille , son Dieu ; et après sa mort on le
trouvera certainement transformé en caryatide supplément
mentaire destinée à tenir lieu de celles qui auront disparu,
tant sa passion pour son Acropoiis est vive , constante et
jalouse. Bien des fois j'ai voyagé avec lui à travers les dé-
combres de sa patrie acropolitaine , et chaque fois j'étais
plus frappé de la tristesse solennelle de sa démarche, de
son geste , de son regard , de sa parole. Adressait -il quel-
que observation aux gendarmes qui gardent les ruines plus
que la forteresse, il cherchait à leur inculquer le saint
respect du fragment de marbre poussé négligemment par
leurs pieds, de la pousâère même qu'ils avaient Tbonnetir
de fouler. Passait-il près du piédestal placé le long des Pro-
pylées et sur lequel était autrefois posée la statue de l'ar-
chitecte de ce beau monument , tombé sans vie au même
72 GR£CK CONTINENTALE ET MOREE.
lieu da haut des frises dont il sunreillaît l'exécution , il
versait des larmes sur le pauvre architecte mort depuis
deux mille ans. Trouvait-il un fragment de vase , il le re«
cueillait comme le débris du vase dans lequel auraient été
brûlés les premiers parfums offerts à Minerve. N'était-ce
qu'un ossement humain , cet ossement pouvait être , était
sans doute la précieuse relique d'un Gécrops ou d'un Pé-
ridès, d'un Sophocle ou d'un Praxitèle. Par ici il me fai-
sait remarquer qu'entraient les processions solennelles;
par là Egée s'était précipité , non pas dans la mer Egée ,
qui est à deux lieues , mais sur les rochers , à la vue de la
voile noire de son fils Thésée revenant d'une dangereuse
visite au Minotaure de Crète : de ce côté on avait précipité
le fameux Odyssée pendant la dernière guerre ; car M. Pit-
takis unit souvent dans son admiration les héros des der-
niers jours aux héros des anciens jours. C'est le meilleur
type possible du collecteur et conservateur des antiquités
de la ville d'Athènes. Qu'il assemble donc et qu'il conserve,
mais qu'il laisse à d'autres le travail de l'interprétation : il
perdra son auréole le jour où il voudra expliquer les pen-
sées au lieu de conserver les choses. Je ne trouve en lui qu'une
seule anomalie , c'est qu'il porte l'habit franc Le con-
servateur du musée de l'Acropoiis et du musée du temple
de Thésée devrait porter le tzouéé ou robe à larges man-
ches des kodja-baschis , costume qui se rapproche au
moins un peu du costume des gens graves de l'antiquité.
Combien de fois n'ai-je pas visité seul aussi , avec affec-
tion , à différentes heures du jour et de la nuit , cette mer-
veilleuse réunion des chefs-d'œuvre de l'Acropoiis! Au
coucher du soleil on y a une vue magnifique ; tout l'ho-
rizon est inondé de rayons du rouge le plus ardent , les
nuages en reçoivent tout l'éclat du vermillon ; la mer semble
étinceler des feux du couchant; les îles élèvent leur tête
pour se montrer dans leur beauté, et les montagnes se dé-
tachent par couches fortement nuancées depuis le plus
éclatant porphyre jusqu'au vert le plus sombre. Ces vives
ATHÈNES. 73
couleurs de la nature environnante viennent se refléter sur
les beaux marbres de Pentélique du Parthénon , de TÉ-
rechthée et des Propylées, et les nuancent de la plus déli-
cieuse variété de rayons et d*ouibres, elle paysage entier en
reçoit à son tour une nouvelle beauté , car ici chaque objet
né fait qu'ajouter à la beauté de tous. Pendant les belles
nuits, la scèneest plus restreinte, plus uniforme, plus calme.
L'éclat de la lune de Grèce surpasse de beaucoup plus le pâle
reflet de notre pauvre lune, que les feux étincelants du dia*
mant de Golconde ne l'emportent sur la terne et douce
blancheur de Topale ; c'est comme un autre astre dans un
autre ciel. Cette blanche lueur si unie et si tranquille prête
à ces grandes ruines un langage digne d'elles. A cette heure
et dans ce lieu , toute mesquine idée s'enfuit honteuse ; ou
croirait avoir frappé à la porte de l'éternité.
Le lever du soleil apporte ici de tout autres idées. Qui-
conque n'a pas vu se lever le soleil derrière la chaîne de
rHyniette ou derrière ces mille chaînes de montagnes qui
bordent le sol de la Grèce du côté de l'orient , ne peut
rendre complète justice aux poètes anciens. J'avais fré-
quemment entendu parler dans mes classes ^e l'Aurore
aux doigts de rose qui ouvre les portes du Soleil et s'enfuit
après l'avoir annoncé au monde; mais en toute vérité je
n'y comprenais rien. Dans nos pays de plaines , cet astre
s'annonce lui-même. Il envole d'abord en fusée quelques
rayons qui traversent l'atmosphère ; puis l'horizon rougit,
et de ces ondes de pourpre émerge le soleil, qui, h ce pre-
mier moment, veut bien se laisser contempler face à face,
mais qui bientôt se dégage des vapeurs qui lui servaient de
voile et force tout regard à s'incliner devant lui. Il n'y a
pas là de précurseur , il n'y a pas d'Aurore aux doigts de
rose qui arrive, puis disparaît : il y a une Aurore en Grèce,
et les poètes ont raison. Aussitôt que le soleil est arrivé à
la hauteur des premières couches de l'atmosphère, cet air,
plus léger, plus transparent que le nôtre, se teint du plus
beau rose dans toute l'étendue du ciel et glisse à travers
7
T4 GRÈC£ CONTININTALB ET MOREE.
]m jékm et entre le flanc dei moatagnea) c'est T Aurore
qui aanonce aux hoinmes que le dieu du jour va paraître.
Il oe parait cepeudant pas , puisque les cimes des menta*
gœs ie dérebeut ; mais , en dépassant les premières cqu-^
ches de l'atmosphère, ses rayons Uanchissent , et la teiple
rose de Taorore a disparu. Le soleil continue à s*éleTer sans
éblouir encore de ses rayons ; ce n'est que quand ila fran-
ehi le sommet des montagnes qu'il se manifeste en vain-
queur. On voit donc que la fable antique n'est que l'en-
veloppe d'une vérité locale, et que les poètes anciens sont
beaoooup meilleurs peintres de la nature et surtout beau-
coup plu9 exacts qu'on ne ?eut anjourd^hui le recear
naître.
Presque feus ceux des monqmeots de l'antique Athènes
qui sont parvenus jusqu'à nous en dehqrs de l*Acropolis
sont situés au pied du rocher. Le premier qui se présente,
en descendant du côté du théâtre de Bacehus , dee deux
colonnes encore debout sur les flancs de TAcropolis et de
l'aocienne rue des Trépieds, est le gracieux monument de
Lysicrate , connu aussi sous le nom de Lant^ne de Dé*-
mosthènes,. deviné autrefois à porter le trépied offert à ub
vainqueur par sa tribu. Avant la réYciution ce moAument
se trouvait renfermé à l'intérieur d'un couTent de francis-
oabis français dans lequel lord Byron a vécu qnelques mois
en 1811, et où il a composé quelques*uns des plus beaui
vers de Chiide^Ha^aid K Le couvent a été démoli, et nous
n Vous plus de capucins français à Athènes ; mais le ter-
rain nous appartient toujours , et ce gracieux monument
est ainsi propriété française. Nous n'aurons pas, je l'espère,
la grossière ignorance de l'arracher du lieu pour lequel il
a été construit , bien que notre destruction de l'arc <|e
trtomphe de Djémilah, qui s'était conservé en entier sur le
sol d* Afrique, et que nous avons démoli pour le poser en-
< Il y a, daBft la oorM&pendance de lord Hifrott^ plusieurs lettres
dalésft de ee OQHveat;
suite dans quelque carrefobt de Paris , ail signalé iloil^
propre Vandalisme aux yeux de toute TEtlrt^pe et nous
force à garder le silence quaàd bn féit des t^prdches du
même gein^ à un autbè ou \ d*antrés peuples \ car Jà le
uioDumeot était debout et entier^ et il n'y atalt pa^ àtainB
Talûlr pour excuse la craitoté d'une dégradétioli future,
puisque le pays nous appartieikt et qu'il is'étalt mainlebtt
tant de siècles, sans Yiolaiion dliucnn des peuples barbares
qtaî y ont passé.
Sur la cdlllne dé ftlusée, à cAté de la Ville , est irftilé un
monument aiis^ lourd que celui-ci est élégant | je veux
parier du monument élevé à Philopappus. Eâ montant sur
cette cotline^ on pedt visiter en passant troid chambres taiU
lées dans le roc; La dernière et la seconde me semblent
avoir contenu un aiitel et dea ex-voto \ on voit encore dans
la seeondtà tine quantité de petits trous qui annoncent que
c'était lli qu'on accrochait les tableaux ou offrandes votives.
Dans la première chambre eist une partie plus reculée en
forme de cône et éclairée par le haut. Ge devait être tt
Bttssi remplacement d'un autel situé enjace de rAcH^tis
et du Parthénon, qui i$e présentent dis là ëveë grandeur et
magnificence. Au-dessus de cea ti^is chambres In roc l*é^
lève jusqu'au monument, dont la face Sculptée eit inurnéé
du côté de la mer^ On a de là Uhe fort belle vue dé la baie
de Salamine. Philopappus , auquel ce monument sk été
^levé , était Ub Syrien, descendant dn roi Àntiobhtis^ ^ni
s'était fait incok*porer à la cité de Besa. Une inscription pu^
bliée par Wheler , (st dont oh Voit encore les restes i an-
nottce qu'd fut tnilstil » probablement consul désigné, I
Tépoque de la viclt>il*e de Trajan slir les Allemands et les
Daces. Ce monument dh tempa romain est d'une architee^
tore fort lourde^ et le^ bas-reliefs et restes de statues sont
d'une non moins lourde seuipture.
La colline du Pnyx et de l'Aréopage eM située entre
la colline de Musée et le temple de Thésée^ Les sièges
taillés dans le roc^ i»ur lesquels les juges prenaient
76 GRÈCE CONTINENTALE ET HOREE.
place, sont fort bien conservés. Il y aurait une page élo-
quente à écrire pour bien faire sentir l'effet particulier que
les lieux environnants ajoutent aux mouvements d'élo-
quence de l'orateur; mais la vue du Pnyxen dira toujours
plus'que les pages les plus éloquentes.
En se rapprochant de Y Agora ou marché on aperçoit
un petit bâtiment octogone, que l'on dégage en ce moment
du milieu des remblais qui jusqu'ici l'avaient enfoui aux
deux tiers de sa hauteur. Il est connu sous le nom de tour
des YentSy à cause des huit vents sculptés sur chacune des
façades de sa frise , avec le nom de chacun au-dessous de
sa représentation : Euros le sud-est, Apeliotis l'est , Kai-
kias le nord est, Boreas le nord, Skirôn le nord-ouest, Ze-
phyros l'ouest , Notos le sud , Lips le sud-ouest. Yitruve
en a fait la description, et Varron lui donne le nom d'Hor-
loge. Spon , qui voyageait avec Wheler en Grèce en Tan
1676 , c'est-à-dire dix ans avant la conquête de la Morée
sur les Turcs par le Vénitien François Morosini , dit avoir
vu le dessin de cette tour dans un manuscrit sur vélin de la bi-
bliothèque Barberini à Rome, de l'an 1^65, fait par un
certain architecte nommé Francesco Giambetii. La collec-
tion de ces dessins est d'autant plus curieuse qu'elle a été
faite un peu avant la conquête turque , et que beaucoup
de monuments ruinés depuis étaient encore debout en leur
entier.
Le temple de Thésée, le mieux conservé de tous les mo-
numents d'Athènes et de la Grèce, est situé assez près de
là sur un petit plateau qui s'élève au bas des dernières
pentes de l'Acropolis. Tout l'extérieur de ce temple antique
est dans son entier, et toutes ses jolies colonnes sont de-
bout; l'intérieur seul a changé. Au moyen âge, c'était une
église sous l'invocation de saint George ; c'est aujourd'hui
un musée. La situation isolée de ce joli temple ajoute en*
eore à son effet.
Le jour du l"" Avril, selon le style grec (13 Avril, n. st.),
ce plateau devient tous les ans le rendez-vous d'une foule
FETES POPULAIRES. 77
nombreuse de tout sexe, de tout âge, de tout rang, de tout
costume. Cette réunion populaire a lieu annuellement sur
l'esplanade qui est entre le temple de Thésée et la colline
du Pnyx. Le jour où j*y assistai, il faisait un temps magni*
fique; il n*y a rien là du mouvement tumultueux d'une
fête champêtre française , mais la variété des costumes et
des physionomies offre à elle seule un tableau animé et pi-
quant. Les femmes étaient toutes amoncelées sous le pé-
ristyle , sur les degrés , et autour de l'enceinte du temple
de Thésée , avec les divers costumes de l'Albanie , de
Smyrne , d'Athènes et d'Hydra. Les femmes albanaises
abondent surtout parmi le peuple d'Athènes, et, vues du
bas de la route dans leur costume aux brillantes couleurs,
sous ces colonnes brunies par le soleil , elles forment un
groupe d'un bel effet pittoresque. Leur tête est envelop-
pée comme celle des Arabes, et le haut de leur figure res*
sort seul, comme dans une momie égyptienne, de l'espèce
de linceul blanc qui entoure la tête et les épaules. Quelques
autres portent sur la tête une coiffure formée de monnaies
d'or et d'argent êtagées les unes au-dessus des autres , et
au bas du dernier rang desquelles pendent d'autres mon-
naies légères qui, en plus petit nombre, se balancent
comme autant de clochettes autour du front. La robe pen-
dante et flottante est recouverte d'une espèce d'étoffe ba-
riolée de toutes couleurs et d'or, assez semblable à l'au-
musse d'un prêtre.
Le$ hommes seuls semblent s'être réservé les plaisirs de
la fêle. Groupés çà et là, on les voit danser entre eux sans
qu'une seule femme se mêle à leurs jeux. J'y remarquai
surtout des bergers albanais. D'un côté douze ou quinze
d'entre eux , vêtus d'une fustanelle et d'une veste blanche
sar laquelle flotte une longue peau de mouton à brillantes
soies blanches, la tête couverte du fezy retenu par un mou-
choir en forme assez peu gracieuse de turban , se tenaient
par la main et se dandinaient en chantant. Le chef de la
l>ande seul , qui conduit cette chaîne avec toute l'autorité
7.
78 GRECE COfltlllSlItALft «t MOREE.
d'an de nos bMttx condtiiiam ttn eotilton dans nn dé ncn
élégants salons de Paris , conserve le pHvilég(B de se Htrer
à la liberté de ses mouvements et de ses allnres ; il eléeute,
à la grande admiration des spectateurs^ les mouvements les
plus difficiles en se lançant de côté et d'autre, et se laissant
retomber, tantôt avec les jambes entrelacées d'une manière
bizarre, tantôt comme plié sur lui-même^ puis se relevant
d'un bond pour recommencer encore. Les autreé lé sni'*
vent en se dandinant aussi à la façon gteecjitte , mais Mns
imiter ses bonds , ses chutes et rebonds , qtti sont eomme
les points d'orgue d'un ehantedr émérlttii l'ibs loin une
autre bande de danseurs , car ce ne sont que des hmnmiia
qui se livrent ft éet exercice , s'agite au son du tambourin
et d'une sorte de hautbois k trois itouê. 8Ur une antre
partie de l'esplanade , c'est un joueur de guitare qui règle
les mouvements en frappant sUr des corde ordinaires on
sur des Als d'archal , assis sur une chaise curule antique ,
ou debout sur un tombeau de marbre sculpté qui va MUS
peu de jours prendre sa place parmi \eà menumerits du iiiu«
sée. M. Pittakis assure que ces danses autour du temple
de Thésée rehiontent à la plus haute antiquité , à Thésée
lui-même, dit-il gravement» qui, à son retour du labyrin-
the de Crète, interrogé par ses jeunes coUcitoy eus , avides
de coiiuBÎtre la difficulté des tours et détours dé ce làby-^
rinthe» les fit ranger ainsi par cercles qui se repliaient l'un
sur Tautre et s'entremêlaient pour se dégager ensuite; et,
pour appuyer sa démonstration , le grave archéologue Mt-
takis se met à exécuter ces évolutions^ Cette danse , au
reste , ressemble beaucoup à celle de nos paysans des mon-'
tagnes du Béarn. Seulement i dans nos belles vallées des
Pyrénées, les jeunes Béarnaises, avec letir capulet rouge,
viennent s'entremêler aui lestes Béarnais : et bien que le chef
de la danse soit chargé de l'exécution des sauts les jilus
merveilleux, tous cependant chantent ensemble des chan-
sons gaies qui lés animent ; et les sauts des hommes, et les
pas gracieux des femmes^ témoignent de la Vivacité de leUr
FâVBi MPtJtAtllM. 79
fkMr, t% Grèeë le pkirir n« êé mânlMi» fttir h figure
qoe d'on bien petit aombre des actemis et des (^fiectateurt t
II» pbyiionoiiiieB sont géoéniieiilent i&tëlligentee, les traits
réguliers, le front est grécieax ; msis &a attend vaitiemeat
daas Gbacila et dans tous la madifestàtion de cette étiiicelie
éieetriqae qui , ehez nous , fait mouvoir in&tiûGtiveuieiit
ttQë eaasse d'faommes eomme un seul homme , H par une
setale idée^ Les divehies parties qui «eomposettl la soeièté
grecque ont Tair d*étre encore étrangères Tutte ^ l'autre ^
et sans langue sociale coibinune. Il faudra de longues an«-
flées eneel'ë avant que cette coilésion soit ëiméiitée» et que
rinvai^M dés hàbitiideti oecideutales ^ pea^trëiit oette so^
ciété , la porîëetimide ab lieu de la dfeJoiiidHI eu de raf-
falMir.
une hbti^ fête populait'e a lieu «nnueltemeot Autour
d'un auire des plus vastes Moriumëiits de Tautiquit^ , les
eolobnes du temple de Jttpite)*-oij'mt)ieR, daus M vallée de
rilyssus^ le premier jout' de cât^me. Ce Jodr solennel nim-
bait, eu iUi i le 10 Févri^ à la gtiéc^Ue (S9 FéVri^ U; st. )v
Le caruaval grée se tehuinè ëveô lé diuiaUcbe gras $ et ie
earome eommëuise le lundis Leé eâthoht{Ueii poi't^ttt le bkr*-
«aval ju8t)u'au merci^eâl dés cendrée; e'ést'à-dtPe dédie Jénrb
au délh du caruavél gréé ; et les MilAnëlii ; qui jouissent
d*un êartiavéinïnt ^ OU long cât'iiàval ^ pdUSSént le leUi:
Jusqu'au lundi d'apt'ês éxélusivethënt i é'eâti'&-âipe qu'Us
ont cinq Jours de càtuaval de plus ^uë les «uires câtboll*
quës » et sept jours de plus qde les GreeSi Daus tous èes
pays I le premier jour du earêiiie est Une sotte de fête de^
mi-profane et demi-religieuse. Â Paris ; oû va enterrer le
carUaval avant de venir recevoir les cendres ; en Grèce, on
commence le long jeûne par des fêtes et des danses; Le
soleil est déjà puissant «m Grèce au mois de FévHer. Des
lé matin toutes les maisons et rues d* Athènes étaient com*
plétement abandonnées, et la foule, hommes, lëmmes, en-
fants, vieillards 4 se portait, à pied, en voiture, à cbëvaU
à âne^ dans la vallée que domine le temple de Jupiter.
go GRÈCE CONTINENT ALB ET MOREE.
Ses Tastes colonnes 8*élèvent , avec leur beaux chapiteaux
et leurs immenses frises » sur une esplanade autrefois en-
tourée de murailles qui étaient soutenues par des piliers
dont chacun portait une statue. Au bas de cette esplanade
coule ^ ou plutôt peut couler, l'Ilyssus, qui a fait plus de
bruit dans Tbistoire que ses eaux rares n*en font en s*in-
fihrant à travers les cailloux de son lit desséché. La fon-
taine de Gallirhoë , placée dans la même vallée , semble ,
avec qudques larmes épuisées, avoir long-temps pleuré le
départ de son amant Ilyssas, et les quelques gouttes d'eau
qui s'assemblent au pied des roches qui la protègent sem-
blent plutôt données au souvenir du passé qu'au besoin du
présent A quelques pas est le stade abandonné.
En m*approchant du temple par le portique d'Adrien ,
j'apercevais çà et là toute la population mâle et femelle
d'Athènes distribuée dans la vallée, sur l'esplanade du tem-
ple de Jupiter et en haut des collines environnantes. C'est
surtout après avoir traversé l'Ilyssus, non à gué, mais à
sec, et en montant sur une petite colline détachée du ver-
sant des montagnes , à quelque distance au-dessous de la
fontaine de Gallirhoë , que le ^ctacle est véritablement
plein d'intérêt Le temple de Jupiter se présente sur le
premier plan avec ses imposantes colonnes; plus loin, sur
le second plan, et comme pour servir d'encadrement, s'é-
lève l'Acropolis surmonté du Parthénon , qui se dessine
dans les airs avec toute son élégance et sa grandeur : plus
loin, sur la»gauche, est la chaîne de l'Hymette. Entre l'A-
cropolis et l'Hymette l'œil se fraie un chemin jusqu'à la
mer et découvre Phalère et le Pirée avec tous ses bâti-
ments, et au delà les eaux étincelantes de la mer, d'où
sortent l'île d'Égine et celle de Salamine , dont les monta-
gnes sont d'une si gracieuse forme et d'une si belle cou-
leur. Je contemplais avec une véritable extase la beauté
des montagnes, des cieux, des côtes et des eaux. Tout est
rocher , pas un seul arbre n'apparaît autour de vous pour
donner le sentiment du repos et de la fraîcheur ; et cepen-
FETES POPDI.AIRBS. 81
danc celte vue est pleine de grâce et de charme : c'est
qu'on ne saurait se faire une idée de la délicieuse couleur
ôes montagnes , des eaux , des nuages , et de leur infinie
variété suivant les divers accidents de la lumière, si on n*a
parcouru les montagnes grecques et navigué sur les mers
grecques. Même en revenant du golfe de Naples , on est
frappé de cette différence aussitôt qu*on aperçoit le cap
iMatapan , puis le cap Malée et le Taygète , et les sommets
si variés de toutes les montagnes des environs d'Athènes ,
qui semblent transparentes aux feux du soleil et brillent
de loin comme le porphyre le mieux nuancé , tandis que
les plans plus éloignés vont peu à peu se fondant avec les
dernières teintes du ciel. Il y a là une harmonie et un éclat
de couleurs que peut seul rendre le pinceau de Claude
Lorrain ; et ces rochers ardents , et cette vallée onduleuse,
et cette foule mobile qui la remplit, et cette mer lointaine,
et les vaisseaux du Pirée, et les barques légères qui sillon-
nent les flots tranquilles et les plissent élégamment, ajou-
tent à ce délicieux tableau tout le charme qu'ajoute aux
œuvres de la nature le prestige de la vie.
Plus de vingt mille personnes étaient réunies dans cette
vallée : les uns, assis en cercle sur le gazon déjà fort vert
dans la vallée , prenaient leur part d'un repas de carême
qui pendant trois jours ne peut se composer que de fruits
et de légumes, d'olives, d'oranges, de pruneaux, d'oignons,
sans poisson, sans œufs et sans beurre , mais sans exclu-
ùon du vin , dont on use et abuse ; et ils invitaient tous
les passants à l'hospitalier partage du repas et de la dame-
îeanne de bois , ou tzitza. Les autres , aux incertains ac-
cords de la guitare à cordes de laiton, du tambour de
basque et de la flûte , se formaient en cercles et dansaient
la danse albanaise, ou la danse guerrière des palicares.
Quelques mascarades composées de catholiques, dont le
carnaval se prolonge de deux jours, viennent se mêler
^ox groupes des danseurs, tandis que d'autres groupes
Patient le masque derrière la tête en signe de l'expiration
8t GRÈCE OOHTIIVBlITliLB ET MOREE.
du cariMYal grec. Pendatit que tes hommes formiôiit tetirs
danses, les iemmes forment aussi les ieurs^ plus gracieuses
et plus molles. Le chef de la danse des hommes doit être
Tîf et alerte, la cokiductrice de la danse des femmes doit
être souple et digne ; un signe de dignité pour les femmes,
dans les habitudes anciennes , c'est de porter le rentre en
avant , comme les aldermen de LondreSi Ce grand air de
dignité prend aussi sûrement un cœur grec que le numeo
prend un cœur e^agnol , et l'aisance élégante de la dé-^
marche un cœur français ; les Grecs le célèbrent dans leurs
chansons , et en font le type de la beauté. J'en citerai
comme preuve les paroles d'une chàn^n grecque popu-
laire ^ :
Que les montagnes s'abaissent
Afin que je puisse voir Athèneè ,
Et que je puisse contempler ma belle ^
CoAime allé aàarche di|piement» semblable à une oie grasse.
Pour ies jeunes gens le type de la beauté est plus con-
forme à nos idées d'élégance; leur taille est prise ainsi que
dans un corset, et une ceinture de soie serrée avec puis-
sance leur donne, non la souplesse, mais la finesse d'un
corsage de guêpe.
Des danses nationales s'exécutent en même tempsw Ici
deux danseurs renommés sautent une sorte de pasae i
deux , plus semblable à la vigoureuse gig des infatigables
Écossais qu'à la gracieuse tarentelle de la Grande-Grèce
actuelle» Là quatre couples d'hommes et de femmes , vêtus
du léger costume ancien des îles Ioniennes , tout blanc et*
tout rose , avec force rubans , exécutent un^ espèce de
1 Voici le téxta en langue populaire :
Nà y^(xjXt\6voc\f rà SouVà «
Nà ykiitcf. XYiv dtyiTniv ,
BACS A|.BANAIfl£. 83
coQtredaose uotiote , que danse avec des paa.ses fort gra-
cieuses chaque couple , avec ses boulettes attachées deux
à dem eu haut par des rubans roses. En parcourant les
divers groupes , tous empressés à aceueiUir et à fêter un
étranger et surtout un Français, je fus frappé sans doute
de la beauté de quelques jeunes filles albanaises , de la
gracieuse figure de quelques jeunes filles d'Athènes, des
beaux froqts et des beaux yeux de presque toutes , mais je
ne trouvai pas cependant aussi fréquemment que je l'es-
pérais ce pur type du beau antique qui appartenait pro-
prement à la Grèce. Quelle nature riche n*eût été appau-
vrie par une aussi rude oppression et une aussi profonde
misère ! Après peu de jours d'éclat la beauté ici est fiétrie ,
et les entant», oe recevant point pendant leur jeunesse
une nourriture généreuse , p^dent de bonne heure leur
première f ratcheur ; mais Toqianîsation physique est forte ,
et, malgré de rudes furivations, l'homme greo se déve-
loppe , endurci aux difficultés matérielles , sans être moins
apte aux |i^ceptiona les plus rapides et les plus délicates
de l'intelligence*
Il y a en (vrèee deux races d'hommes tout à fait distinctes
et très-faeiles à reconnaître, la race albanaise et la race
hellénique^ Les Albanais , qui sont de race slave , ont , à
diverses époques, envahi h Grèce ccmtioentale et le Pélo-
npanèse , et leurs bandes armées y ont porté la dévasta-
tion ; mais , comme \w» le^ autres conquérants barbares ,
lorsqu'ils ont voulu former un établissement permanent ,
ils s^ sout trouvés impuissants en face d'une législation et
d'une civilisalioii plus avancées , et , après peu d'années ,
cette civilisation les avait absorbés, modifiés, ou exilés dans
les lieux les plus êpres du pays, qui seuls pouvaient les main-
tenir eu un coi^ps un peu compacte. Ainsi se sont conser-
vées, dans les montagnes, dans les défilés et dans les lieux
difficiles, les dénominations albanaises employées pour dé-
signer les pays où ils s'étalent campés. Avec le temps , l'in-
telligenoe reprit le dessus; et, comme chez nous beaucoup
84 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
de soldats germains étaient ravalés, euxou leurs descendants
amollis , au rang même de serfs , les populations slaves en
Grèce furent réduites au rôle d'ouvriers soldés pour cultiver
la terre du maître grec. On retrouve en Grèce quelques-
uns des anciens villages slaves ; mais il faut bien se garder
de les confondre avec les nouveaux villages, peuplés tout
récemment par la population albanaise arrivée à la suite des
armées turques dans le siècle dernier, soit en 1688 après
Tabandon d'Athènes par Morosini , soit après l'invasion
russe de 1770. Les troupes albanaises, envoyées alors par
la Porte , se jetèrent sur l'Attique, mettant tout à feu et à
sang. En 1688, les chroniques d'Athènes racontent que ses
malheureux habitants furent obligés de se réfugier à Sala-
mine , à Égine et à Corinthe , et que ce ne fut qu'après
trois ans qu'ils purent rentrer en partie dans leur ville et
dans leurs champs. Beaucoup des villages de l'Attique sont
encore habités par les descendants de ces derniers enva-
hisseurs, et avant la dernière révolution on n'y parlait que
la langue albanaise ; mais leur physionomie diffère autant
que leur langue de la physionomie de la race grecque. Les
Albanais ont en général le corps épais , la tête ronde , le
bas de la ûgure large , les traits durs , le front mal fait ,
les yeux plus vifs qu'intelligents. Ils sont presque tous fort
laborieux , mais fort avides ; et on pourrait leur appliquer
avec plus de raison peut-être encore qu'aux Turcs le pro-
verbe grec : Vois-tu un Turc , prépare ton argent *.
La race grecque , au contraire , a une figure d'un bel
ovale , un front bien fait , des yeux intelligents , un nez
droit et fin , le corps souple et élancé. Un marchand fran-
çais disait à un étranger, en parlant avec colère : « Monsieur,
c'est la même canaille que du temps de Périclès. » Ce mot
reproduit bien les défauts comme les qualités qu'on s'at«
* Eu grec: ïou^jxov «W«ç, aaTrpa ôsXei : Tu vois un Turc, il
veut tes aspres. Trois aspres faisaient un para ; quarante paras, une
piastre (vpofft)» ^^ ^^^^ ^^^^ piastres, une bourse (irouyyt).
RAGE HELLÉNIQUE. 85
teod à trouver en eux. Il sont en réalité, ou ils seront, ce
qu'ont été leurs pères. A une époque où on ne savait pas
encore travailler le fer, qui n'est pas nommé une seule fois
dans les poèmes d'Homère, et où l'on immolait des hommes
aux dieux pour obtenir des vents favorables, l'instrument
de l'intelligence, la langue, avait devancé si rapidement
par ses progrès les autres instruments humains , que déjà
Hésiode et Homère pouvaient faire parler toutes les passions
et décrire toutes les œuvres des dieux et des hommes.
Ainsi la culture intellectuelle avait devancé chez les an-
ciens Grecs toutes les autres cultures. Le même pbéno-*
mène se reproduit aujourd'hui chez leurs descendants. La
charrue est encore celle de Triptolème; le vin continue à
être renfermé dans les outres et mêlé de résine; toute
voiture, même l'utile brouette, est inconnue; à peine s'il
existe une seule route du Pirée à Athènes et à Thèbes ;
partout en Grèce , excepté à Athènes, les matelas sont une
invention qui ne s'est pas fait jour, et on couche par terre
sur un tapis ou enveloppé dans son cahan; aucun des arts
et métiers utiles n'a pu encore s'implanter ou se natura-
liser. Au bas de l'édiOce de la civilisation , il n'y a rien ;
mais il en est bien autrement du faîle : la Grèce semble
vouloir avant tout des académiciens, 46S philosophes, des
poètes , plus tard elle fera des charpentiers et des serru-
riers ; elle veut des ouvrages littéraires , plus tard elle saura
faire des chaises, des tables, des souliers et des chapeaux. A
peine est-elle née , que déjà elle a une université à Athènes,
avec les trois facultés de théologie , de médecine et de
droit; une académie des sciences naturelles, une société
d'archéx)logie ; deux bibliothèques publiques , l'une à Athè-
nes, l'autre à Andritzena; un musée, cinq gymnases dans
différentes villes, douze écoles publiques dans d'autres
villes , sans compter une école d'orphelins à Nauplie et une
autre au Pirée.
Le premier travail des Grecs a été le travail sur leur
propre langue. Us n'ont pas plutôt été affranchis du joug
8
le GRECE GONTlN£NTAtÈ ST MOREfi.
mrc qu'ils ont affiraaohi leur bogue des met» tores cfù
k giteient, et, par la mêiae occaaioB, des mots fraoes
qui en akéraieot l^unité. La langue grecque était autrefois
une sorte d'arcbe de Noé daas laquelle veuaient cbercher
asile les mots de toutes les autres langues. L'éfMiratîon s*est
opérée de la maniée la plus rstpide. Jamais décret de sou-»
ireraitt absolu ne Ait pjus ponctuellement obéi que ne Ta
été , et sans appel , ee v<en de quelqiies puristes; et cela
uott pas seulement dans la coniersation des savants , des
avocats « des tiommea éclairés , mais dans le langage des
classes inférieures : tant ee peuple a de rapidité dans Fin*
telligence • de délicatesse dans la perception det sens. C'est
encore ee même peuple de Tantique Athènes parmi tefod
une marchande d*herbea reconnaissait Anacharsis eomme
étranger à s^ prononciation , que tous ses amis lui avaient
cependant déclarée parfaite. Les gens du barreau, qui, dans
tous les autres pays, sont les {dos grands corrupteurs de la
la langue» en ont été ici les réfornuttenra. Comme le peuple
d'Athènes a été de tout temps et est enoiMre fort ami de h
chicane , et que ce goût est entretenu en \và par les déiads
sans fin mis par le gouvernement à la constitution de k
propriété, et par de perpétuelles récriminations sur l'usur*
pation des propriété de TÉtat après Texpulsimi des Turcs,
les tribunaux, dont les débats sont publics, suivant les
habitudes françaises importées ici, ne désemplissent pas
d'acteurs et de spectateurs. Les avocats, qui ont suivi leurs
cours dans les universités européennes et oot souvent pro*-
fessé la littérature de leurs pays pour augmenter leurs mo»
diques ressources pécuniaires , ont tous étudié avec amour
la langue grecque ancienne^ et fait une fréquente lecture de
leurs grands prosateurs et du facile Isoorate en partlcullel^.
Leurs disoaurs deviennent donc comme une école pour
leurs clients et leurs auditeurs. Le savant patriarche C(»*ay
avait commencé, dès avant raffrànchissement de la Grèce,
la ré£arme delà langue. A leur rentrée dans lemr pays, les
jewica Grecs aes admtral^rs et ses disciples gnt vo^hi ta
eoBtinoer et leurs eflbits ont été enfionragés par le goât
général pour là philologie ; car la philogte est la passion de
tous les étudiants grecs ) non-^seulement de ceox qni se
vouent au professorat, mats de ceux qui veulent se con«-
sacrer aux lois, I la médecine^ à Tégiise et à l'administra-
tlon publique : le beau parler grec est souvent là ce qu'est
Ift faconde de la tribune cheK nous ; et tel médecin , avocat,
professeur, est devenu ministre parce qu'il maniait bien sa
langue. En France « la grammaire française , dans tontes
ses difficultés , n*est bien enseignée qu'aux ftomies $ quant
aux hommes , ils n'apprennent guère leur langue que par
l'intermédiaire d'une autre langue 'savante. Ici 11 en est
tout autrement , et la grammaire grecque siège en mat*-
trésse à la base et au faite de tout enseignement. Aussi un
étranger, en arrivant à Athènes, est-il étonné de la traiu»-
fbrmation qu'A subie la langue moderne dans les discours
familiers aussi bien que dans les livres. t>e là un dédain
beaucoup trop grand dans la génération actuelle pour tous
les ouvrages en grec moderne imprimés avant la dernière
révolution. De tous les livres imprimés à Trieste, à Venise
et à Vienne dans le dernier siècle, le chronographe DorO'-
thée, VHUtvire de Chypre de Kyprianos, (eJuge*-
meut de Pari» ûe Gouzeli, l'intéressante histoire de
Soult du bon Perrhebosi à peine un seul , le roman d'É<-
rotoeritos, pourrait-tl se rencontrer dans les librairies et
même dans les bibliothèques particulières d'Athènes, tant
chacun est efift*ayé du danger de gâter son beau langage^
Non contents d'avoir éliminé tous les mots étrangers, les
Athéniens cherchent à se rapprocher autant que passible
de la langue ancienne par les mots , par leur forme et
par la coupe de la phrase et ses inversions. Beaucoup de
gens prétendent que^ dépouillée ainsi de tout mélange
étringei*, la langue grecque actuelle se rapproche infini*»
ment de celle que parlait le peuple des campagnes au plus
beau siècle de la Grèce , et que beaucoup de mots alors
usités, mais qui n'ont pàâ eu leur place dans les antiens
88 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
auteurs, s'y trouvent conservés : tels que, par exemple, le
mot nero, eau, d*où les anciens avaient pu former le nom
propre de Nérée et celui de Néréide^ divinités des eaux,
mot qui , dans quelques parties de la Grèce , devait être
usité au lieu de celui à*udor* Des tentatives assez heu-
reuses d*un retour à Tinversion antique ont été faites par
plusieurs écrivains en prose et en vers : tels par exemple
que M. Blastos, auteur de VHistaire de Chios, imprimée,
il y a deux ans , à Syra , en deux volumes. D*un autre côté,
les paladins de la phiiolc^ie grecque marchent à la con-
quête d'une forme grammaticale comme d'une riche pro-
vince. Le datif avait tlisparu , on l'a relevé du tombeau :
l'aoriste s'était éteint , tous cherchent à lui soufQer une
nouvelle vie ; ils se flattent à présent du vif espoir de re-
conquérir l'infinitif depuis long-temps émigré. La langue
ancienne est un empire dont ils ne désirent pas moins vi-
vement reprendre possession que de tous les pays où elle
était parlée. Candie, les îles Ioniennes, la Thessalie, Sa-
lonique, Gonstantinople, l'Asie mineure avec ses îles, voire
même (car qui sait jusqu'où s'exaltent les espérances d'un
peuple qui se sent renaître , et qui cherche son unité sans
avoir encore trouvé son centre) la Sicile et les belles pro-
vinces italiennes de la Grande-Grèce. Pour obtenir un peu,
il faut souvent espérer et demander beaucoup.
Au reste , même au temps de la domination turque , il
y eut toujours au milieu de l'ignorance générale quelques
hommes qui se dévouèrent avec passion à l'étude. La chro-
nique grecque manuscrite d'Athènes, écrite par un Athé-
nien , mentionne avec regret l'ignorance absolue des plus
riches comme des plus pauvres , mais cite , d'après Spon
et ensuite d'après les recherches propres à l'auteur, les
noms de quelques hommes qui se sont distingués jusqu'en
1800 par leurs encouragements littéraires ou leurs travaux.
« Les plus nobles, les plus riches et les plus anciennes fa-
milles, dit-elle S étaient les Chalcocondyle, les Paléologue,
^ Page 2^4 du manuscrit de M. Pittakis.
LETTRES GRECS. 89
es Benizelos, les Peroulos, les Liboaas, les Kavalaris, les
Kapetanakis, les Néris* , les Taronites, les Kodrika, les
Gaspari , les Beoaldi , les de Ga ^, les Macolos , les Latinos ,
les GaeraDos. C'est parmi eux qu'on choisissait les geos
chargés de gouverner les affaires publiques, et ils por-
taient l'ancien nom d'archontes^. Quant à la science , cette
Atbènes , qui était autrefois le siège des lettres et de la sa-
gesse, est devenue au contraire le siège de l'ignorance et
de la barbarie; de telle manière qu'à peine un seul , je ne
dis pas parmi le peuple le plus grossier, mais parmi les
hommes les plus nobles, savait signer son nom. »
Il ajoute ensuite les exceptions, qui sont, dit-il, d'après
Spon:
L'hègoumène on abbé du monastère de Kaisariani dans
THymette , surnommé Jezechiel , savant en grec ancien ,
en médecine et dans la philosophie platonicienne ;
L'archevêque d'Athènes qui avait gouverné cette église
pendant vingt-quatre ans au moment de l'arrivée de Spon^
en 1675 ;
Un nommé Geoi^e , médecin de l'île de Crète ;
Demetrius Benizelos , que Spon avait rencontré à Zante,
homme d'un noble et beau caractère et eu même temps un
des savants les plus éclairés qui se trouvassent en Orient;
il connaissait fort bien l'ancien grec et le latin et possédait
tontes les branches de la philosophie ;
Un Benaldi, fort versé dans la connaissance du grec an-
cien, connaissance toujours estimée avant les autres.
' Peut -être desceDdants iliégitimes d'un des Acciaiuoli, ducs
d'AtlièDes , qui portèrent ce nom de Neri ou Renier.
' Peut-être issue d*un des de Caeu , que les chroniqueurs byzan-
tins appellent de Kae. Un croisé français de ce nom suivit, en 1 201 ,
Baudoin II à Nc'grepont après la perte de Consf antinople , et se fixa
d»ns la principauté française d'Acbaye. L*orlhographe de ce nom
*^* Kà indique uneH)rigine française.
' Le gouvernement d'Attiènes sous les Turcs était aristocratique
^t placé sous la présidence du Disdar-aga, capitaine de l'Acropolis
8.
90 GRECE COMTINENTAIE ET MOREE.
A propos de ce Betialdi « Tauteor de la chroniqtte greOiae
d'ÂthôneB maHuscrite donike o&e lettre écrite par lui , ail
nom de sa patrie^ à la gradde église (celle du pairiàrcai de
Gonstantinople). Cette chronique mentionne auBsi les iioiiis
de plusieurs Qreos qui, dans le cours du dix-huitième siècle,
avaient été forcés , par Tabsence de tous moyens d'iâslroc-
tlon dans les tilles grecques, d'aller étudier dans les nniver-
iités étrangères, et qui, de retour dans leur patrie, chen9hè4
rent à suppléer è ce début d^lnstraetioa de lettre oàm^Mi^
triotes par leurs fondations généreuses i lehrs leçone et U
création de ptusieui^s écoles. Tels furent i
Grégoire , sui^oommS Soiei^ {iê i^tiutiewf ) à oaniie les
services qu'il rendit à sa patrie. Il succéda à Jacob * danë
rarcbevôché d'Athènes, et se distingua à la ^s par etô ta-
lents poétiques, se^ oennaissanees littéraires et scientifiqUbs
et ses bienfaits. A son retour d'Iialie, il acheta une maison
qu'il transforma en école ; il la dota eonvenablenlent et y
donna lui-^roéme des leçons gratuites. En 1796 il fonda
une autre école , à Monemhasie , pour les sciences et les
lettres , et Itii légUa Sa bibltbthèqne.
Paisios enseigna au temps de Grégoire Soter et eut pt>ur
élèves Demetrius Gblogeras^ Demetrius Gapitanékia» Mi*
chel Paléologue^ Jean ToornaviiiS) Nicolas CaODoris et
beaucoup d'autres hommes distingués, et 4 entra autres,
Éphraïm, patriarche de Jérusalem*
1 Les ftrchevê(}uës d* Athènes sont, duputs rot^nutiatldn de la Morte
pni* les Vénitiens jusqu'en 1800 :
GyHlIé eu » 1686
Méletlas 1705
Jacob t . . 1714
Grégoire soter. . « . 171d
Edcliarids * 1736
AnthimOS 1743
Barthélémy 1764
Bénédiet. « . ^ . > « 1761
Athanasios* . . i ; . 1765
Pdttl ; l^vftnt m gi^c ancien et en philoeo)}hie i q»i , I
ià màiti de GaTâlaris, hégoumène dti menastère de ICatfia*
riani , Ini snccéda dans cette dignité.
Atbahâse le Péloponnésien, qui avait étttdiéaù ibonaâtère
de Pathmos.
Meletiu$ de Joannina , successeur de Cyrille dans l'âr^^
eheTécbé d'Athènes , et second métropolitain de cette ?illé
depuis rinvasion vénitienfte , auleni^ d*anè Bisteire eeelé-»
siastique.
Demetrius Bodas.
Samuel Gonvelanos , d'Athènes , élève du grammairien
Bessarion et de Sophronius.
Jean de Ca , d'Athènes , qui fonda une école dans cette
ville , la dota et Tehriehit d'îiîie bibliothè(|det
Michel de Ca.
Le gràtntnairîen Bessarloti, mort le S? mai 1765.
Balanos de Joannina.
Demetrius Michel de Ca.
Jean benlzelos, d'Athènes, et plusieurs autres.
Le ii&dâcieut' de cette chronique grecque d'Athènes rà*
ct^Qte que Ce fut dans l'école de Jeati de Ca qu'il étudia k
g^ammaire en 1 ?tiS , et qu'ensuite il étudia la logique -, h
phyrique et là rhétorique soiis Demetrius Bodas amené, eu
1777, de Joannina par Dorothée, tl ne autre école publique^
avait été aUssi fondée à Dimitzaiia en Arcâdie. Elle était fort
célèbre avant la révolution grecqiié , et elle possède encore
une assez belle bibliothèque, tjn bel évangéliaire, qui fai-
sait partie de la bibliothèque de Oluiitzana , a été envoyé
récemment à la bibliothèque publique d'Athènes.
Des Gt'ecs établis à Venise , k Vienhe , à Smyrne , à Con-
stantinople, à Londres, dans toute l'Europe, envoyaient
alors de l'argent ^wt entretenir ces écoles , payaient l'é-
ducation de quelques-uns de leurs jeunes Compatriotes
^ L*état de la culture intellectaeUe des Grecs avant leur révolu-
tion a été fort bien décrit dans un volume publié à Genève par
M. JaG0vaki-Ri2ô, homnie d'esttrit et écrivain facile.
92 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
dans les universités étrangères , et faisaient publier à leurs
frais de bonnes éditions des auteurs anciens; ainsi que le
firent les frères Zozime, qui encouragèrent les utiles tra-
vaux du savant Coray. Ainsi se conservait sur le sol grec et
dans les cœurs grecs le culte de la patrie antique , ainsi les
Grecs se préparaient à mériter une patrie nouvelle ; ainsi
surent-ils se la conquérir, et sauront-ils , je l'espère , la
conserver, Tagrandir et la civiliser.
III.
ATHÈNES. —LA COUR ET LA VILLE.
A un malade dont une fièvre brûlante a troublé le cer-
veau , nos oiédecins ont l'habitude d'appliquer sur la tête .
d'abondantes couches de glace. Les protocoles sont la glace
destinée à calmer la fièvre des peuples. Aussitôt qu'un
peuple a été, par une bouillante et généreuse ardeur,
lancé en dehors des cercles concentriques et réguliers de
la politique, qu'il s'est enivré d'héroïsme , d'indépendance
et de liberté , que son cœur s'est enflammé en aspirant à
s'élever h la hauteur de sa fortune, nos prudents médecins
diplomates lui appliquent, en forme de douches calmantes,
le réfrigérant des protocoles. Un protocole définitif, suc*
cédant à beaucoup d'autres protocoles insignifiants ou con-
tradictoires , décida que la Grèce écourtée, tailladée, mu-
tilée , réduite à un petU territoire qui ne comprendrait ni
le Pinde ni l'Olympe où avait germé et fructifié dans la
vie klephlique l'esprit d'indépendance et d'héroïsme , ni
Candie si patriote , ni Chios si dévouée , ni Samos où avait
triomphé la révolution , et qui ne contiendrait pas plus de
huit cent mille habitants , serait cependant transformée en
royaume , et que ce royaume serait donné au prince Othon
de Bavière. Dès que le jeune roi Othon eut atteint saving-
LA COUR. 93
tième année, le 1^' Juin 1835, il prit en main Tautorité
royale , et , le 2 Novembre 1836, il fit don à la Grèce d'une
jeune et jolie reine de dix-sept ans et demi, la princesse
Amélie d'Oldenbourg.
Pour le jeune roi et la jeune reine de ce nouveau royaume,
il fallait une cour et d'abord un palais : et le palais comme
la cour étaient chose qu'on était nécessairement obligé d'im-
proviser dans une ville où , deux ansauparavant, on voyait
à peine une seule maison de pierre , chez une nation où
les rayas s'étaient si récemment élevés à la dignité de mat*
très, et où les princes dormaient en plein ,air enveloppés
dans leur capote. Mais la Grèce est un sol riche qu'il suffit
aujourd'hui, comme aux anciens jours , de frapper du
pied pour en faire jaillir, à l'exemple de Neptune et de Mi-
nerve , le coursier de la guerre et l'olivier de la paix. Tout
ce qui est nécessaire à la vie sociale s'y improvise promp>
tement. Deux petites maisons neuves furent louées pour le
jeune couple royal , en attendant que s'édifiât le nouveau
palais. On les rattacha ensemble au moyen de construc-
tions dont le plan fut envoyé d'Augsbourg par l'architecte
du roi de Bavière , M. Gaertner, qui n'avait pas encore vu
la Grèce ; et une habitation temporaire, étroite, mais assez
convenablement disposée , et placée entre un petit jardin
ombragé et une sorte de square à l'anglaise revêtu d'une
pelouse quelquefois verdoyante , devint le Cecropium du
nouveau royaume. Bienlôt un vrai palais moderne allait
être entrepris. M. Klcnze , savant architecte du roi de Ba-
vière , fut d'abord envoyé pour examiner les lieux ; mais il
prit le timide et modeste Ilyssus pour qn frère de l'impa-
tient et redoutable Danube, et, par crainte des déborde-
ments de ce ruisselet sans eau , il renonça à un fort bel
emplacement, situé au-dessus de la ville et bien élevé au-
dessus du plateau qui domine l'Ilyssus , pour désigner une
autre situation qui se trouvait d'un tout autre côté de la
ville. Le roi de Bavière arriva à son tour et choisit , après
quelques hésitations , un ero[^acement excellent , qui est
94 GRÈCE CONTINBlItAU ET HOREE.
remplaeementucitiel» et il envoya so» architecte» M^ Gierl^
ner, pour en tracer le plan et en «arveilter rexéention»
Pendant qa'on déplaçait ainsi le palais futur, la vilha
d*Athènes se construisait et changeait autant de fois dd
plan qu'on changeait remplacement du palais ; car, comme
la rue principale devait aboutir au palais , et que , ainsi
qu'à Carlsrube , on aurait été bien aise que lus diverses
autres rues aboutissent aussi à eet édifice , de même que
les branches d'un éventail déployé convergent autour da
bouton , et comme ces mes eonvergeaient autant de fois que
se déplaçait leur point cedtral , il devait résulter de tantd»
plans divers rabsience la plus complète de tout plan» Ënfitt
les fondements du palais forent jetés ; mais, pour qu'il n«
fût pas dit qu'un seul des plans eût été suivi , entre le
dernier plan et ia pose de la première pierre on fit faire
un léger mouvement oblique i ia façade du palais « et la
rue d'Hermès, devenue i son insu la rue principale » e€
qui descendait directement du nouveau palais dans toute
la longueur de la ville » sur la route du Pirée, ne pouvant
suivre l'édifice dans son mouvemefit oblique , fut condam^
née à le regarder un peu de travers. Il n'y avait pas alors
de projets assez grandioses pour cet édificei A peine Ga^
serte « à peine Versailles eussent-ils paru trop considéra^
Mes. On ne comptait pas avec les millions de drachmes
que cela pouvait coûter, sans. que le jeune roi, qui devait
cependant avoir un jour ^ les payer, fût appelé à faire pré-
valoir un plan plus modeste. Un royaume avait été décrété»
et les cours étrangères les plus pompeuses voulaient y
trouver une pompe en proportion avec sa suprématie hié»
rarchique* L'édifice s'éleva donc : le Pentélique fournit
ses marbres , la Bavière et l'Italie leurs chefs d'ouvriers «
Trieste ses planthea et ses clous , ses portes et ses fenétresi
le roi Oihoh son propre argent. Sept millions de drach-»
mes^ sont aujourd'hui dépensées, et il n'y a pas encore
* La draclitklè Vint 90 centimes*
lia ûonâ. M
poarra anos doute terminer coaipléteineut le peUis i et avec
deux millioQe le meubler ; mai» peur l'habiter il faudra, au
bw^et d'uu miilioo de drachmes qui suffii aujourd'hui li
l'économie bien entendue du roi , ajouter quelques sup-«
plémeots tirés de sa fortune personnelle • et environner le
souveraÎQ d'vne cour plus nombreuse que la cour modeate«
jpms tout k fait convenable, dont le rd s'est entouré dans
son modeet^i palais.
Cette cour se compose du maréchal de la cour {auimr^
iriê)t de six aides*4e«€amp » de trois officiers d'ordon-»
nanee pour le service du roi , d'une grande*maltrette qui ,
dans tais ooors les plus polies de l'Ëurepo , serait dlée au
frânîer rai^ par la bonne grâce toute parfaite de ses ma**
noères, son ton eiquis» sa «mpUciié de grande dame, et
de deux dames d'honneur dont l'une est une blonde , lao**
guissaiite et agrésbte AUemande, et dont l'autre est cette
vive , piquante , aventureuse, fière et noUe Triantapbyilou
Botaaria, fille du célèbre patriote Afareo Botxaris, la même
qui, l'aooée dernière, s'est conquis tous les hommages
parmi les blondes filles d'Ems comme parmi les brunes filles
de Venise*
Il ne faut pas s'étonner si le maréchal de la cour ne
connaît pas encore fort bien son rôle. D'abord il ne sa*
^aii guère ce que c*est qu'une cour; puis les premières
gaucheries sont moins promptement relevées dans une
première élaboration de l'étiquette. On ne trouve pas
d'ailleurs tous les jours des Ségur pour rédiger et imposer
le code d'étiquette le mieux approprié à une société nou^»
velle4 Dans des Ims qui échappent si souvent aux appré**
eiations de la raison il faut un 'sentiment luen délicat des
convenances pour faire accepter ses décisions, et le sèie
ne saurait jamais Ici remplacer le goût ) mais le maréchal de
)a cour de Grèce , M. Charles Soutxo , est un homme d W
prit, et avec de l'esiM^it on finit par tout concevoir* En
recherchant le bien de tout ce qui nous est confié» de pré»
96 GRECE CONTINENTALE ET MORES.
férence à notre bien persoonel, nous ne poovons manquer
d'obtenir des succès légitimes, et M. Charles Sootzo pos-
sède trop de qualités pour ne pas arriver, quand il yondra
s*en donner la peine , au but que doit se proposer le Ségur
de la cour d'Athènes.
La cour du roi est toute militaire; on remarque parmi
ses aides-de-camp le colonel péloponnésien Jean Colocotroni,
fils du fameux Golocotroni , distingué lui-même par des
services militaires , et aussi par sa grande affection pour
la Russie , dont Tinfluence s*appuie sur la sienne ; l'Alba-
nais Gardikioti Grlvas , qui s'est fait un nom dans la guerre
de l'indépendance; le 8ouliote Tzavellas, dont le courage
honorerait toute armée européenne. Parmi les officiers
d'ordonnance , je nommerai le jeune Maînote Mavromi-
chalis , fils du vieux bey Mayromichalis et frère de ces mal*
heureux jeunes gens qui crurent venger leur père et sau-
ver leur patrie en frappant Capo d'Istrias. Sa tournure
militaire, la politesse de ses manières, la distinction de sa
figure et de toute sa personne, que relève beaucoup la
grâce du costume grec , le feraient , comme mademoiselle
Bolzaris, remarquer dans tout cercle élégant. Ainsi com-
posée, cette jeune cour grecque, dans laquelle le roi
Othon , grand , svelte et agile , porte lui-même et porte
toujours fort bien le costume grec , n'a rien de gauche ni
d'emprunté ; ce sont plutôt des chefs féodaux qui entourent
leur suzerain que des courtisans qui se courbent devant
un maître.
Cet aspect que me présenta à mon arrivée la cour
d'Athènes reporta tout naturellement ma pensée vers l'épo-
que où une autre cour féodale venue d'Occident, la cour des
ducs français d'Athènes , de la maison de La Roche dans
le comté de Bourgogne , y siégeait dans sa splendeur. Au
moment où l'amiral de France Thibaut de Cépoy, ambas-
sadeur de Charles de Valois auprès du duc d'Athènes, Guy
de La Roche, arriva dans cette ville en 1307, il y trouva
une cour brillante et de nombreux ménestrels. Le Catalan
LA CO«R. 97
Ramon Mantaner, quiFaTak visitée une auuée après, décrit
en termes pompeux sa personne sa puissance , ses goûis
chevaleresques , ses splendides tournois. La cour du roi
Oihon est moins opulente sans doute que la cour féodale
des ducs français d'Athènes, mais elle a le grand avantage
d*étre nationale. Si quelques Allemands sV mêlent encore,
ce n'est que pour peu de temps ; car il y a contre tout
étranger en Grèce une grande jalousie nationale, et leVoi
n'ignore pas qu'il est dans le caractère du peuple cer*
laines susceptibilités honorables qu'un souverain doit savoir
respecter.
Plusieurs fois, pendant mon séjour à Athènes, j*ai eu
occasion d'assister à des fêles de cette jeune cour. Là se
trouvaient réunis des hommes de toutes les provinces et
lies, dont quelques-uns fort probablement , avant ce jour ,
n'avaient assisté à aucune fête de ce genre, n'avaient jamais
pris place sûr une chaise européenne, n'avaient eu aucune
occasion de se mêler avec une société de salon telle que
nous l'avons faile ; et cependant tout cela avait fort bon air,
et pas un ne semblait gauche ou embarrassé. Les costumes
riches et élégants de la Roumélie et de la Morée sont por^
tés par tout le monde avec grâce ou avec aisance. La gra-
vité naturelle aux peuples d'Orient fait qu'ils ne sont jamais
pressés d'agir et de parler , et ils évitent par conséquent
beaucoup plus de bévues que ne le feraient des Occiden-
taux placés dans les mêmes circonstances. Quant aux
femmes , leurs costumes sont bien loin d'être aussi gracieux
que les costumes des hommes. Les robes dorées des Alba-
naises ne dessinent aucune forme , et le corps le plus élé-
gant disparaît dans leur ampleur flottante. Les costumes
des femmes hydriotes sont ceux de matrones qui veulent
paraître respectables en grossissant démesurément chacune
des parties proéminentes de leur corps par de nombreux
vêtements superposés, de couleur sombre, sur lesquels se
détachent les nombreuses circonvallalions des épais tissus
blancs qui défendent leur poitrine. La Qgure seule, mais
9
9i GBECE CONTUIBNTAU ET MOEEE.
une figure d'une expreasion contenue , une figure â*une
belle forme , un peu ronde peut-être , mais avec des yeux
irifB et des dents fines, se dégage de cet encombrement de
vêlements , et une robe fort courte laisse iroir la jambe la
mieux faite et le pied le plus délicat Le costume d* Atbènes
est plus léger et plus élégant. Mademoiselle Triantaphyllon
(Rose) Botzaris Ta rendu populaire en Europe, et son por<
trait, avec ce costume qu*elie aime et qu'on aime en elle ,
peut se voir chez tous les marchands de gravures des bords
du Rbin et de la rue Yivienne. Le fezy seul, ou haut bonnet
rpuge à glands bleus, ne me semble pas gracieux; il donne
cependant ^ une toute jeune fille un petit air rodomont et
mutin qui sied à merveille dans une salle de bal. Le pins
joli bonnet et le plus coquet costume sont évidemment le
bonnet doré et la jolie veste coupée des Smyrniotes ; mais
on le trouve rarement dans un bal d'Athènes. Ce qui se
voit le plus souvent est le costume franc, la mode de Paris ;
ce costunie est plus simple, plus léger, moins dispendieux
en apparence. On peut le changer souvent, et varier, selon
sa figure et sa taille, la forme, la couleur, la coiffure. Aussi
Finvaslon de la mode parisienne a-^t-elle fait lesprf^rès les
plus rapides, et Timmense majorité des femmes, dans on
bal de cour^ est-elle vêtue à la française. £n vérité la sou-
plesse des tailles athéniennes s'arrange fort bien de ces
tissus aériens, et presque toutes les portent sans géne« On
ne saurait dire avec quelle facilité ce qui est parisien de*
vient promptement athénien. Le Grec d*Âthènes a quel-
ques-unes de nos qualités et bon nombre de nos dé-
fauts, outre ce qui lui est personnel, et il surchai^e sou-
teîit les uns et les autres. Il est intelligent , actif, brave,
entreprenant, mais non moins léger que nous et bien plus
vain encore. Les femmes, captives dans les liens étroits de
la société orientale, ne peuvent qu'à peine se révéler à elles-
mêmes; mais déjà l'amour de la toilette, le bon goût dans
le choix des parures, l'absence d'affectation et de lourdeur,
la simfriicité étudiée , le discernement dans le choix des
14 GOUH. 99
couleurs se font en général remarquer dans les toilettoii
Il y a d'ailleurs des chefe savants parmi elles qoi ont étudié
à Paris et plu à Paris, et qui donnent la leçon et Texemple*
La jeune reitie n*a pas étudié à Paris, mais elle a deviné la
science et y est passée maîtresse. On la citerait certainement
à Paris même au premier rang des belles lea plus remar*
quées. Écuyère infatigable et intrépide , danseuse légère,
animée el gracieuse , reine élégante et belle , elle jouit de
ses succès avec un bonheur qui rembeUit encore. Aucune
femme dans sa cour ne se livre avec plus de charme au
plaisir de la danse. Polonaise , valse , contredanse t galop «
mazourque , cotillon , tout lui platt , et lui platt avec k
même vivacité , depuis la solennelle polonaise qui CNivre
le bal , jusqu'à la folle danse du grand*père qui le ferme i
à reiclusion des danses grecques , dont aucune n'est
dansée dans les salons d'Athènes. Il faut ajouter que c'est
sur elle que pèse le moins le poids de l'étiquette , qui
doit gêner un peu les autres; car l'étiquette règne avec
toute sa roldeur dans un bal de la cour de Grèoe. A neuf
heures du soir , tout le monde est réuni dans la salle de
bal. A neuf heures et demie , le roi et la reine entrent
suivis de leur maison. Tout le monde, hommes et femmeti
reste debout aussi long-temps qu'ils tiennent cercle » en*
vit*on une demi-heure; pendant ce temps chacun d'eux
va de son côté, adressant la parole à l'un ou à l'autre et
montrant toujours aux étrangers la plus grande bienveil^
lance et la plus parfaite politesse : puis commence la po
looaise. Le roi offre k main à une des dafties ; la reine à un
des hommes, en général un des chefs du corps difriomati»
<Ioe ; les autres chefs des légations eu font autant , et tous
font ainsi un tour de salle ; après quoi le roi passe à une
autre dame, et la reine à un autre diplomate, pour recom-
mencer un second tour de promenade , et ainsi de suite
jusqu'à ce que les chefs de mission et ceux que la reine
veut distinguer aient accompli leur tour de prometiade e
puis la valse commence. Tant que la reine danse, les femmes
100 GRÈGB CONTINENTALE ET MOBEE.
qui lie dansent pas peuvent être assises ; mais dès qu'elle
quitte la danse et se promène elles doivent se tenir de-
bout, ot ne peuvent se rasseoir que quand elle se rassied.
Deux fauteuils sont mis en avant hors ligne pour le roi
et la reine , et les autres femmes sont placées en arrière
sur des chaises. De temps à autre on apporte quelques ra-
fraîchissements. Vers les trois ou quatre heures, quand
toute la série des danses de tout nom est épuisée et que
les danseurs sont épuisés aussi , tout le monde se lève ; et
le i*oi et la reine tiennent un autre cercle d'une demi-heure,
qui oblige tous les conviés à rester : car il n'est aucun moyen
honnête de quitter le bal avant que le roi l'ait quitté. Le
roi et la reine prennent congé , et chacun rentre chez soi.
Bon nombre de voitures, ouvertes ou fermées, de fabri-
que milanaise , viennoise , belge , russe, anglaise ou pari-
sienne, attendent les demandeurs ; mais presque tous les
hommes s'en vont à pied : car en Grèce le ciel est presque
toujours pur, les nuits toujours belles, Tair toujours
doux, la terre toujours sans boue, mais non sans poussière ;
et les chiens, qui, souvent à la nuit, pourchassent en foule
le voyageur à pied et font de toute course nocturne une
course aventureuse , se montrent plus discrets aux pre-
miers rayons du soleil.
La même étiquette est adoptée toutes les fois que le roi
et la reine acceptent un bal chez un diplomate. Le corps
diplomatique , qui a introduit le baise-main en faveur des
jolies et blanches mains de la reine, a accepté une autre
étiquette plus sévère pour les soupers. Dans ce cas, le roi
et la reine sont servis seuls dans une chambre à part. Le
ministre et sa femme s'asseyent à la même table mais sans
couvert devant eux , et leur font les honneurs. Peut-être
est-ce là l'étiquette de quelque cour allemande particu-
lièrement sévère.
J'ai remarqué aussi une prescription de l'étiquette qui
ne m'a pas frappé ailleurs : c'est que les hommes sont in-
vités à dîner avec le roi et la reine , et souvent en Grèce
LA viixe. 101
le roi fait celte politesse aox étrangers et y met la meil*
leore grâce; mais les femmes ne sont jamais invitées. Au-
cune des femmes des ministres étrangers n*a jamais dîné à
la cour. Bien plus, deux femmes d*un rang diplomatique
et politique plus élevé , madame de Barante , femme de
Fambassadeur de France à Pétersbourg, et lady London-
derry, femme de l'ancien ambassadeur d'Angleterre à
Vienne et pairesse d'Angleterre , ont passé à Athènes en
allant à Constantinople ou en revenant : M. de Barante et
lord Londonderrv ont dîné à la cour et ont été comblés
d'égards, noais aucune des deux ambassadrices n'a pu être
invitée à la table royale. Bals et concerts, oui ; diners, non :
c'est l'étiquette.
Le théâtre italien est aussi un point de réunion pour la
société d'Athènes. Il existe sur un côté de la ville une
colonne antique, isolée, qui appartenait, dit-on, autrefois
à un temple d'£sculape. La tradition populaire est restée
Cdèle au culte du dieu de la santé. Au bas de la colonne
a été construite une sorte de niche dans laquelle les malades
et leurs parents envoient brûler des cierges. La colonne
elk-même est regardée comme prophétique. Veut-on savoir
si un malade guérira promptement, on prend un de ses
cheveux et on va l'attacher è la colonne par les deux bouts
avec un peu de cire ; si la cire reste ferme , le malade est
pris bien dangereusement; si un seul bout se détache, il
languira plus ou moins suivant le temps que la cire met
à se détacher ; si la cire se fond promptement et se dé-
tache des deux côtés, le malade est sauvé. C'est devant cette
colonne d'Esculape , et à quelques pas de distance , qu'on
a construit un temple au dieu de la musique , à Apollon ,
père d'Esculape, sans doute pour signifier que tous deux
ils donnent la joie et la santé. J'y ai vu parfois jouer quel-
ques tragédies grecques, une traduction en grec de VÀri^
stodème de Monti, un Marco Botzaris, par exemple;
mais on n'y joue en général que l'opéra italien. Tout le
inonde en Grèce est passionné pour la musique , et sur -
9.
lot GRECE CONTINBNfAI.ti ET MOREE.
todt pour la musique italienne. Quelquefois les jeunes Grecs
élégants, pour mieux témoigner de leur enthonsiasBie, font
pleuToir mt les actrices les fleurs, les couronaes^ les ma^-
drigaux et môme parfois des vers français de leur omBfo^
sition ^
m
On ne sait domment se rendre compte de ce ^t pour
la bonne musiqtie quand on entend les chants d*église et
les chants populaires. La beauté du chaut uationAl consiste
b éhanter pat* le nez ; plus le chant est nasillard, plus il est
regat*dé comme majestueusement rëligiéut et parfaitedieot
hëi'olque. Je me suis souvent fait chanter des thatits na^-
lionaux par les bergers m les paliear^s , soit eu uaviguatit,
soit en visitant les ruines de nos vieux châteaux francs
disséminés partout sur le sdl grec , et j'ai souvetlt aussi
rencontré de belles voix^ mais j*ai toujours eu là plus
grande peine à empêcher les chanteurs de retomber dans
leur chant nasillard. Le goût de la musique italleflae réfor-
mera probablement ce vice , car le parterre est pre4M|ue
toujours rempli, ainsi quq lés loges à bon marché, d'hommes
des classes les plus humbles. Quant aux femmes , ce ne
sont que celles des classes les plus élevées qui se montrent
eu public et assistent à TOpéra, qui devient ainsi, comme
notre Opéra, un salon où chacun reconnaît et va visiter les
siens.
La société d'Athènes se compose de plusieurs éléments
fort divers qui ne se sont pas encore très-bien fondus» Les
^ A une représentation à bénéfice à laquelle j'assistais, je reçus,
comme tout le monde, une petite feuille imprimée portant ces vers
français d'un jeune admirateur grec :
A MADEXOISFLLE RITA BASSO POUK SA SOIRÉE A BÉNÉFICE.
A toi les chants d'amour, les accents du délire,
A toi la Toix sonore et forte qui déchire
Ou charme tous les cœurs;
A toi le don charmant d'émouvoir l'auditoire ,
A toi d'être toujours chère à notre mémoire,
A nous le droit de te couvrir de fleurs.
LA VILLE. lOS
salotiB les idoB élégftnto iont, comme on peut bien le croirei
cem du corps diplomaiique. La France « 1* Angleterre \ la
Russie et l'Autriche, puis la Bavière, la Prusse» la Turquie,
la Belgique , TËspagne « la Suède ont des ministres pîéni-»
potentiaires et des ministres résidents près de la cour
d' Athènes, et chacun contribue plus ou moins pour sa part
aux agréments de la société. Les secrétaires de légation
et attachés ne travaillent pas moins activement è répandre
le goût de nos élégantes habitudes d'Europe. Les Français y
trouvaient de mon teknps chez leur propre ministre eet te fleuf
dé société qu'ils aiment à rencontrer dans leur patrie j et
chez les antres^ soit un esprit fin et déliée soit un oarsclère
ferme et franc» soit une noble inti^Uigenee unie à un noble
cœur, soit enfin ces traits particuliers qui font mieux res*
sortir telle ou telle variété de l'esprit et du caractère, et k
rendent plus nçuve et plus piquante en la marquant du
sceau nationah
A côté de ces salons européens sont plaoés les salons fa»
nariote^ des Argyropoulo , des Karad2a , des Soutso , des
Rizo I des Mavrocordatos. Les familles fanariotes avaient»
long-temps avant la révolution grecque , adopté les habi-
tudes occidentales. Presque toutes étaient opulentes, car
tour à tour les dignités d'hospodar de Valachie et de MoU
davie, et celles de drogman de la Porte et de l'Arsenal ^
qui étaient des sortes de ministères , ou celles de poêtei-
nieki et autres hauts offices des principautés i avaient
passé entre leurs mains. Leurs enfants apprenaient en nais-
sant la langue française ; toutes leurs relations étaient avec
les Occidentaux, et surtout avec la diplomatie » et chaque
famille se rangeait sous une bannière particulière. Les Mo*
rousi et les Ypsilanti , par exemple , étaient connus pour
être dans l'intérêt russe » comme les Soutzo dans l'intérêt
français ; et c'était tour à tour l'appui ou l'inimitié d'une
de ces puissances qui amenait leur chute comme leur élé-
vation. Au moment dé la révolution grecque , les familles
fanariotes riches et puissantes prirent la part la plus active
104 GRÈCE CONTINENTALE ET MORÉE.
à raffranchisscment de la Grèce. Les uns , comme l*hos«
podar Soutzo , furent sacrifiés pour avoir appuyé les pre-
miers efforts de rhétairie ; les autres , comme les Ypsilanti,
y sacrifièrent leur vie. La Porte , ne pouvant atteindre les
chefs , poursuivit ce qui restait de familles fanariotes à
Péra. Les biens furent confisqués ; les hommes , femmes
et enfants obligés de fuir pour éviter la mort. Les jeunes
gens les plus généreux n'avaient pas attendu ce moment
pour aller joindre leurs efforts aux premiers efforts faits
par les leurs en Grèce. Les Navrocordatos, les Soutzo, les
Karadza , les Ypsilanti ont mêlé leurs noms aux noms les
plus honorables sortis de cette lutte. Grégoire Soutzo , qui
s'était dévoué à la fortune de Golettis , qu'il respectait et
dont il était aimé, succomba bien jeune encore et plein
d'espoir. Démétrius Ypsilanti succomba à son tour. Ma-
vroc>ordatos s'est conservé actif et influent. Mais, en géné-
ral , les Fanariotes étaient suspects au reste de ia popula-
tion grecque. Leurs habitudes étrangères, leurs distinctions
aristocratiques éveillaient la méfiance de ce peuple d'une
nationalité jalouse et d'un esprit complètement démocrati-
que. A Athènes , où toutes ces familles se sont retirées ,
elles vivent beaucoup* entre elles et s'allient entre elles.
Cependant peu à peu elles se mêlent davantage au reste de
la population à mesure que la population grecque fait des
pas vers l'Occident. Ainsi la brune et belle Rallou Ka-
radza , petite-fille du vieil hospodar Karadza , le type le
plus pur de l'antique aristocratie fanariote dans son beau
temps , épouse un fils du chef de montagnes moraîte Colo-
cotroni , le jeune Constantin Colocotroni , élevé à Paris, et
parlant français comme nous. La jalousie ombrageuse des
Grecs avait été surtout blessée du titre de prince que por-
taient les descendants de ceux qui avaient été hospodars
de Yalacbic ou de Moldavie. L'esprit d'égalité est l'esprit
du pays, et tout ce qui le blesse blesse tous et chacun. Le
gouvernement ne reconnaissant d'ailleurs aucun titre, ceux
qui les portaient en Europe y renoncèrent]dans leur pays ;
LA VILLE. 105
et tons aujourd'hui ont , Tolontairement ou iovolontaîre-
ment, renoncé à se faire appeler par un titre qui blesse la
susceptibilité de leurs nouveaux concitoyens. Le rappro-
chement s'opérera d'autant plus aisément que les lumiè^
res s'associent chez quelques-uns au patriotisme. Des
hommes tels que M. Argyropoulo seraient dans tous pays
respectés pour leurs talents et leurs vertus.
Une autre classe qui sert beaucoup à la fusion des mœurs
orientales dans les moeurs occidentales est la classe des
professeurs de l'université, des magistrats, des avocats,
des médecins. Tous ont étudié dans diverses universités
européennes , et en ont rapporté , avec la manière de vi-
vre et le costume de l'Occident , une direction intellec-
tuelle qui fait aisément reconnaître le pays où ils ont étu-
dié. Ceux-ci ont étudié en France : ils sont tranchants,
indifférents aux choses religieuses , indisciplinés, mais dé-
cidés , pratiques , ennemis de? sophismes et de l'obscurité,
amis de la publicité, des progrès, de la liberté, et assez
versés dans la connaissance des affaires judiciaires et de la
partie plus purement matérielle de la science. Ceux-là ont
étudié en Allemagne : ils sont sophistes, ergoteurs, obs-
curs, sceptiques, amis du pouvoir, mais réguliers, pieux,
mystiques même , et fort versés dans la partie plus pure-
ment philosophique des sciences. D'autres ont étudié en
Italie , et se rapprochent beaucoup de la manière de voir
de ceux qui ont étudié en France. Les peuples du Midi
ont une marche intellectuelle qui diffère complètement des
procédés par lesquels la science pénètre dans les esprits
des hommes du Nord. Les étudiants grecs de ces diverses
écoles se modifient sans doute peu à peu en vivant parmi
les leurs, mais la première direction d'idées subiste.
 côté de cette classe toute pénétrée des usages occiden-
taux il faut placer celle des banquiers et négociants des îles
et places maritimes, qui ont eu des relations fréquentes
avec le commerce européen , et travaillé dans les comptoirs
des villes importantes d'Allemagne, de France, d'Angle-
106 OItKCE CONTJNfiNTALB ET MOREE.
terre et d'Italie. Par la nalare même de leurs oectfpfttions,
tout en restant patriotes, ainsi qu'ils l'ont prouvé par des
sacriOces multipliés, ils sont defenus cosmopolites; ce
sont des hommes pratiques et intelligents.
Tous les Grecs qui appartiennent à ces diverses classes
parlent ordinairement fort bien les langues française et
italienne , et portent l'habit franc ; mais les mœurs fran-
ques n'ont pas fait encore complète invasion dans leur in-
térieur, surtout dans les positions les plus modestes. Leurs
femmes, tout en portant le costume franc, conservent
par-ci par là quelques restes du costume grec. Elles sor-
tent peu , reçoivent peu , et ne se montrent guère qu'à la
promenade du dimanclie sur la route de Patissia , mar*
chant seules avec gravité derrière leurs maris, qui mar-
chent seuls aussi , ou parfois au bat de la cour , dans une
grande solennité nationale.
En dehors de ces classes f)énétr^8, imprégnées ou frot^
tées de l'esprit occidental viennent les Grecs plus pure-
ment grecs , qui n'ont jamais porté leurs regards au delà
du magnifique horizon de leurs montagnes et de leurs
mers, qui n'ont jamais parlé que la langue grecque, n'ont
jamais porté que le costume grec , n'ont aimé et connu
que les costumes, la religion, la nationalité grecs. Les
uns , comme Condouriotis , avec sa vieille réputation d'hon-^
neur et d'intégrité, siègent au conseil d'État; les autres,
comme Canaris le brûlotier, si populaire en Europe , ho-
norent la marine de leur pays; ceux-ci , comme le vienx
Colocotfoni , ont la gloire de n'avoir jamais désespéré dti
la cause de l'indépendancie grecque quand la fortune lui
était le plus contraire ; d'autres, dans l'armée régulière ou
dans 1p corps des phalangistes , comme l'excellent Perrbe-
bos, le simple et éloquent historien de Souli, qui a si
bien servi sa patrie de sa plume et de son épée , sont là
comme les vieilles colonnes de la société antique et les
plus solides appuis de la société nouvelle. Au milieu d'eux
tous et à leur tétc doit être inscrit le nom d'un homme qui
a été mêlé k toutes les luttes politiques et militaires de
8oa pays « depuis les premières lueurs de l'ambition d*A]i-
Pacfaa; qui, malgré son absence, est toujours présent
dans Testinoe de tous, et qui est peut-être destiné un jour
par sa prudence à asseoir Tavenir de la Grèce sur des bases
fermes et régulières , lorsqu'après beaucoup de remanie-
ments ministériels le roi voudra faire appel à Texpé-
rieuGe, au patriotisme et à la patience de Golettis.
Sous la bannière de ees chefs populaires vient se classer
le reste de la population grecque. Ce sont comme dei(
cliefi de clans derrière lesquels marche toute leur famille*
Chacun autrefois avait 'ses rapsodes , comme les chefs
écossais leurs bardes et leurs cornemuseurs, I^a race de
ces vieux rapsodes n'est pas encore éteinte. Tous les jours
en Grèce, et même dans les rues d*Atliènes , on rencontre
deux vieillards dont l'un est aveugle , comme son devan-*
der Homère , et vous chante les cinquante et quelques
chansons relatives au héros ou à la famille dont il est le
chantre exclusif, soit Marco Botsaris, soit Coloootroni ,
pendant que Tautre raccompagne en raclant avec son ar^
chet les cordes de laiton de sa guitare. Mais aux rapsodes
enrôlés sous la bannière du chef de clan succèdent mainte^
nanties journaux 9 enrôlés sous la bannière de leur chef
politique. Les casinos comme les cafés sont devenus TA-
S^ra et le Pnyx où on discute et décide les affaires. Les
chansons populaires ont cessé ; les premiers- Paris des
journaux d* Athènes ont usurpé sur les vieilles chansons le
gouvernement de l'opinion publique. Tous les jours , dans
l« rne d'Éole, les cafés sont pleins déjeunes Grecs qui dift^
sertent sur la politique de l'Europe avec les journaux fran-
çais, et sur leur politique à eux avec leurs nombreux
journanx. Il y a dans ce pays des anomalies biiarres. Ainsi
les cabinets européens ont pu former un royaume en
Ci'ice , mais non faire la moindre impression sur Tesprit
déinocratique : ils ont empêché qu'on préparât une cou-
i^titution politique avant l'arrivée du roi , et il n'en a pas
108 GRECE CONTlNENTAtA ET MUREE.
été donné depuis ; mais la liberté de la presse est recon-
nue et établie, Forganisatlon municipale est parfaitement
indépendante da pouvoir, le jury a été introduit, et les
débats des tribunaux sont publics , à l'instar de notre or-
ganisation judiciaire. Le roi est absolu de fait et de dnnt ,
et il n*y a ni chambre ni autre institution pour régler son
.autorité ; mais il est amené par la force des choses à res-
pecter les institutions établies avant lui , et son esprit de
justice lui impose des lois à lui-même. Ainsi coexistent le
droit de l'absolutisme et l'usage de la liberté , sans qu'au*
cun anéantisse l'autre : la monarchie, parce qu'elle respecte
la liberté qui l'a créée ; la liberté, parce qu'elle respecte la
monarchie qui l'a garantie.
 tous ces habitants réguliers d'Athènes et prenant part
à la vie sociale et politique d'une manière active , fana-
riotes, magistrats, étudiants, banquiers, employés civils
et militaires, tous ayant quelque vocation (car personne
n'est assez indépendant de fortune pour rester oisif) , il
faut ajouter bon nombre des anciens militaires et clients
qui arrivent des provinces pour témoigner leur allégeance
à leurs chefs ou solliciter leur appui. Pendant le jour ,
tous les anciens palicares , revêtus de la fustanelle , drapés
d'une blanche toison ou de l'épais talagani * qu'ils portent
avec beaucoup de grâce sur une seule épaule , avec la
ceinture bien garnie d'un bon couteau , la moustache bien
fournie , et la longue pipe toujours en main , obstruent les
rues d'Hermès , d'Éole, de Minerve, et les trottoirs de
FAgora. Ils vivent complètement sur la place publique; la
beauté constante du ciel et la clémence de l'air, même
pendant les plus rudes journées d'hiver , leur rendent cette
vie facile. Pour la nourriture et le coucher , la table et la
maison du chef sont hospitalières ; et , si les moyens sont
fort circonscrits, les besoins le sont aussi. Les carêmes,
• Sorte de lorigue veste épaisse de poil de cîièvi*e, îrapennéable,
et termitxfe par un capuchou. Il y en a de grandes fabriques à
Saloiiique.
SOBRIETE GaEGQUË. 109
d'ailleurs , sont longs , sévères et nombreux , et il n*est
pas de Grec qui ne les observe avec la plus grande rigueur.
Eu dehors de ces jours d'une abstinence incroyable pour
nous , un mouton rôti en entier , à la façon homérique ,
quelques œufs durs, des oignons crus et du fromage de
brebis , voilà le repas qu'ils pariagent en commun , en fai-
sant circuler à la ronde une dame-jeanne de bois remplie
devin raisiné. Il ne faut pas de grands frais d'ameublement
et de vaisselle pour les recevoir ; une petite table ronde ,
haute d'un pied au plus , est placée au milieu d'eux , et
tous se rangent alentour , assis à l'orientale , sur leurs
jambes croisées. Le pain sert d'assiette , et avec leur poi-
gnard ils peuvent se passer de fourchette. Quelquefois, en
été , une immense jatte de yaourd , sorte de lait caillé ,
mais beaucoup meilleur que le nôtre et tout à fait parti-
culier au pays, termine le repas, et tous à la gamelle y
plongent tour à tour leurs cuillers de bois. Pour la nuit
on étend des tapis fort minces sur le parquet, et chacun s'y
couche enveloppé dans son caban ; car, après l'extravagante
domination des Turcs et les désastres profonds de la dernière
guerre, il n'est presque personne sur le soi grec qui ait reçu
de son père un ameublement , de la vaisselle , de l'argen-
terie, des tables, des chaises, du linge, un lit, heureux
qui a pu trouver une maison en ruine qu'il lui fût possi-
ble de relever! Aussi, les plus grands comme les plus
petits, supportent-ils avec la plus parfaite gaieté la priva-
tion de toutes les aisances de la vie. Un gouverneur, un
général , un conseiller d'État , un ministre , s'étendront
avec la plus complète impassibilité, pour passer la nuit, sur
un parquet recouvert d'une simple natte ou d'un léger ta-
pis en se drapant ainsi dans leur caban ; et ceux même qui
ont connu les douceurs d'un lit de France n'éprouvent pas
la moindre difficulté à retourner à leurs premiers usages ,
à dormir en plein air sur un tapis.
Je n'ai pas parlé du menu peuple d'Athènes, parce que,
en effet, à l'exception de la population albanaise, qui sem^
10
116 GRECE GOMTINBNTALB fil MOREE.
Ue plus particuUèrement destiaée au travail matériel , à
Athènes comme dans la campagne tous les autres Grecs
semblent appartenir à ce qu'on sq>peUe chez nous les clau-
ses moyennes^ Toua veulent s'instruire, grandir» s'élever;
aucun ne désespère de son avenir. Faites-vous venir le Grec
le moins savant pour lire et converser avec lui dans sa lan-
gue , il réunît le peu qu'il gagne ainsi pour aller faire son
droit à Paris; prenez-vous ua domestique, il accumule
ses gages pour aller étudier la médecine à Pise ; un on^
vrier se place-t-il chez un dief d'atelier européen, en pen
de mois il a appris tout ce qu'U lui fallait pour s'établir
seul dans un pays où les bras sont rares , où le manœuvre
gagne 2 fr. 50 à 3 fr. par jour , et où personne n'a à re-
douter de concurrence. Ceux qui oi^ vu leurs amis gran-
dir, et grandir honorayement , celui-ci de professeur de*
veuff président d'une cour de justice ou. conseiller d'État»
celui-Û de médecin devenir ministre et ministre estimé »
cet autre de matelot devenir navarque et de soldat deve-
nir général , veulent à leur tour arriver par le travail ou
préparer à leurs enfants des moyens de succès dans les étu-
des littéraires. De là l'empressement avec lequel sont par-
tout suivies les écoles par les enfants appartenant aux plus
pauvres familles. Ceux qui désespèrent d'arriver par le
travail appellent de tous leurs vœux les dangers et les
chances de la guerre, et se trouvent trop à l'étroit dans le
petit État qu'on leur a fait Ils se sont élancés avec ardeur
à l'affranchissement de Candie , ils s'élanceraient avec la
même impatience à l'affranchissement de la Tbessalie , de
l'Épire ,. de la Macédoine ; et ils y réussiraient très-cer-
tamement si les puissances étrangères ne les contenaient
et ne servaient de bouclier ii la débile Turquie , car un Grec
est convaincu qu'il ferait aussi sûrement fuir aujourd'hui
dix Turcs en Europe qu'un Turc , au temps de sa con-
fiance, faisait fuir dix Grecs ses rayas. La confiance en soi
est déjà une force ; mais l'armée et la marine militaire ne
leur ofirent pas maintenant assez de débouchés»
ARMÉE ET MARIIIG. 111
L'année ^'«cqae se oompose aiJ9wird*tHii ée 6,(K)0 hom*
mes d'infa»terîe et 5O0 bommes de caTalcrie. Ces 6,000
homiBes sont divisés en é&ax èatailfoBS habillés à Teiiro*
péenne et portant complètement runiformede Tarmée ba«
varoîse, deux bataillons habillés ^ la grecqœ es fustaneUe,
un foataiUoii de Mainotes, aossî en fostanetie, et quelques
colonnes mobiles.
Il y a , ea oatre , un corps fort bien organisé de 1 ,^0ê
gendarmes ou gardes mnnic^ux {choropkylakaê) ba-*
billes aussi è reurq)éeniie et r^rtis dans toat le pays
poar en assurer la tranquillité. C'est un corps exoeHent ^
composé d'boinmes d'une bra'voure connue. Là ont piis
place quelques-uns des anciens klejrfites qui ont ûiit leur
soumission, et qui sont devenus fort utiles pour pouraitvne
d'autres klephtes dans fes Hionta^;iies qu'ils amnaissent ai
l»en.
Après la guerre, on était fort embarrassé de classer d»i8
des grades réguliers tous ceux qui avaient volootaireuient
pris les armes et qui tantôt avalent rallié d'autres hommes
à eux et tantôt s'étaient ralliés à des cbefs plus puissants.
On leur a donc donné à tous le rang d'oflBcier , mais ils
n'ont que ia paye de soldat ; on les a laissés se distriboei*
dans le pays sous la dénominatîoa de pkalangisteè et
sous les ordres d'un chef de jAalange , ici au nombre de
dix, là au nombre de douze ou quinze. Ils peuv^t suivre
sans gêne toutes les vocations de la vie civile, être fermi^^rs
ou marchands. C'est une sorte de corps d'invalides; mais
la plupart sont fort valides et très-^en état de porter les
armes au besoin , et avec les meilleures dispositions pour
cela.
La marine militaire se compose d'environ 2.000 hom-
mes, officiers et soldats ; mais la marine marchande compte
peut-être j^us de 20,000 matelots actifs , intelligents et
entreprenants.
Toute cette population, avec ses différentes classes d'em*
ployés publics, d'avocats, de médecins, de banquiers, de
ni GRECE CONTINENTALE ET HORÉE.
militaires et de boutiquiers, est complètement étrangère à
rÂtbènes de 1820; tous sont Tenus s*y implanter depuis
18dZi , et ont remplacé ou fait oublier la population origi-
naire , qui était presque tout entière albanaise. Aujour-
d'hui les anciennes familles albanaises d'Athènes , distri«
buées dans de misérables cabanes autour de l'Acropolis,
semblent marcher à côté de cette société plutôt que s'a^
fanccr de front avec elle. Leur intelligence moins rapide
les retient dans les sphères les plus humbles. Avides d'ar-
gent, sobres, patients, laborieux, prêts à tout faire comme
à tout supporter, ils semblent destinés à rester les ouvriei-s
de la race grecque affranchie, plutôt qu'à l'aider ou la sui-
vre dans sa marche rapide vers la civilisation. Les femmes
albanaises sont grandes et belles , mais n'ont rien de l'ap-
titude des femmes grecques à se modeler sur les usages et
les costumes de l'Occident. Pendant la semaine, vêtues
seulement d'une épaisse chemise de laine fendue à la poi-
trine , que couvre une longue veste ouverte , sans qu'un
lien quelconque vienne la rattacher à la taille et indiquer
les formes, elles vaquent aux soins domestiques, vont rem-
plir aux fontaines de vastes cruches d'eau qu'elles portent
sur leurs têtes, allaitent leurs enfants sans scrupule devant
leur porte, blanchissent le linge de leurs maris et des
étrangers , et remplissent tous les menus offices moins ce-
lui d'aller au marché : car il n'est pas une seule femme ,
domestique ou non, qui se présente dans un marché, cela
blesserait toutes les lois des convenances ; les hommes seuls
vendent et achètent les provisions de la maison. Le diman-
che , les femmes albanaises , après avoir assisté aux offices
religieux , viennent prendre place , accroupies par terre
peu gracieusement, à la porte de leur maison dans la rue,
et y restent toute la journée. Leur mise est alors fort riche
et fort brillante sans être plus gracieuse. La chemise de laine
plus blanche et plus propre, mais non moins détachée et sans
ceinture, est recouverte d'une tunique de couleur, d'une im-
mense veste splendidement brodée, et d'un demi-jupon aux
NATIONALITÉ GRECQUE. 113
couleurs voyantes , qui masque le bas de la tunique. Une
sorte d'écharpe à franges d*or enveloppe la tête et le cou.
Quelques longues tresses s*en échappent par-devant sans
beaucoup d'étude, tandis que, par derrière, deux immen-
ses tresses descendent jusqu'au bas de la jambe, et sont
terminées par un gland de soie rouge long et épais.
Le peu que je viens dé dire de la société grecque mon-
tre que , quand la France s'est imposé de généreux sacri-
fices pour donner la main à un peuple qui voulait ressaisir
son indépendance , elle n'a pas été trompée dans les espé-
rances qu'elle avait mises en lui. Elle voulait une nation
qui fût fière de prendre sa place parmi les peuples civili-
sés, et qui sût la conserver après l'avoir méritée ; une na-
tion qui sût se contenir et s'améliorer dans ses étroites li-
mites, pour se rendre digne un jour de plus hautes desti-
nées ; une nation qui pût quelque temps rester petite, mais
sût et voulût devenir grande ; une nation dont le germe
pût se développer et croître de manière à couvrir de son
ombre une bonne partie du sol européen sur laquelle languit
et dépérit aujourd'hui le germe de la nationalité musul-
mane, et qui pût saisir pour elle un butin qu'il serait dan-
gereux de laisser à d'autres : et, cette nation, nous l'avons
trouvée dans la vieille race grecque, qui demande à se ré-
générer. Les premiers pas faits par cette nation sont déjà
dignes de notre méditation. Une longue anarchie ne lui a
pas ôté le goût de l'ordre, un long abaissement n'a pas dé-
truit sa fierté, un long despotisme ne l'a pas rendue inca-
pable d'une liberté régulière, une longue ignorance ne lui
2 pas enlevé le goût des sciences, une longue misère ne lui
a pas donné le dégoût du travail, une domination immorale
i^*a pas atteint la moralité dans le sanctuaire domestique,
Qne religion humiliée ne lui a pas inspiré l'intolérance après
b victoire, et la tolérance chez elle n'est pas devenue
aussitôt de l'indilTérence ; il y a là des éléments et de nom-
breux éléments de bien. Il reste sans doute encore beau-
coup de mal à extirper. Un peuple ne reste pas impuné-
10.
114 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
ment, pendant près de quatre siècles, courbé sous des mai*
très stupîdes qu'il est contraint de flatter ou de tromper.
Les générations se corrompent vite et s'améliorent lente-
ment ; car Tamélioration morale d*un peuple est le fruit
des institutions sociales et politiques, dont les principes
sont souvent contestés et les progrès toujours lents. La
propriété doit s'organiser , les fortunes moyennes se mul-
tiplier pour cimenter l'indépendance des caractères et la
puissance de Topinion publique , qui fait respecter Thon-
nête et le vrai. Tout cela ne se fait pas en un jour. La Grèce
a déjà beaucoup fait Que l'on compare son point de dé-
part avant la révolution grecque avec le point de départ
des autres peuples pris la môme année , et qu'on mesure
ce qu'a fait chacun dans la même période d'années. Éta-*
blissement d*une société politique , d'une administration ,
d'une armée régulière , d'impôts réguliers , de tribunaux
réguliers; création d'une université, d'une bibliothèque,
d'un musée, de gymnases, d'écoles, de sociétés savantes;
édification d'une ville entière avec ses édifices publics, tels
quels mais suffisants; des écoles pour les uns, un théâtre
italien pour les autres; un budget grossissant graduelle-
ment de U millions à 17 millions de drachmes, sans' que
les dépenses aillent au delà des revenus : tant de bonnes
choses déjà faites montrent tout ce qu'on peut faire et ce
qu*on fera. Il conviendrait seulement pour cela peut-être
que les cours étrangères ne voulussent pas si fréquemment
intervenir dans les petites choses , et qu'elles réservassent
tout le poids de leur influence pour les grandes, par exem-
ple pour l'établissement d'une bonne organisation politique
et d'une direction régulière des affaires. En cela l'intérêt
de toutes les nations est le même; une seule ne trouverait
pas son compte à l'affermissement du royaume grec , mais
cttte puissance fait*elle si bien nos affaires à tous que
nous soyons tentés de faire les siennes ?
DUCS FRANÇAIS D^ ATHENES. 115
IV.
L'ATHÈNES FRANÇAISE DO MOYEN AGE. — SES DUCS. —
SES MONUMENTS. — CHATEAUX. — ÉGLISES. — SÉ-
PULTURES. — ARMURES.
Lorsque, semblable à uue nuée d'oiseaux de proie,
rarmée de nos ancêtres croisés, maîtresse de Conslantino-
pie et de l'empire grec , eut franchi l'Olympe et la vallée
de Tempe pour se répandre dans la Thessalie et dans toutes
ks parties de la Grèce antique , Athènes devint l'apanage
d'un des plus puissants lirons de l'armée conquérante. Le
chevalier français auquel fut dévolu ce glorieux fief était un
Bourguignon nommé Othon de La Roche, ûls aine du
sire de La Roche-sur-Ougnon en Franche-Comté. Il obtint
dans le partage de l'empire grec en 1205, d'abord, ce
qu'il estima le plus haut , un morceau de bois de la vraie
croix, dont il fît hommage à l'église du village de Ray, où
elle se conserve encore comme un dépôt dont la propriété
reste à la famille Marmier; puis, ce qu'il estimait moins,
mais évaluait plus, la riche province de Héotie et la glorieuse
Attique. Il devint ainsi un des feudataires relevant de la
principauté de Morée, possédée par la famille champenoise
des Yille*Hardoiu ; il établit sa ré^dence à Athènes, et s'y
fit bâtir un châleau-^fort. Pendant une quinze d'années il
continua à séjourner dans sa seigneurie d'Athènes , satis-
faisant également bien à ses devoirs judiciaires dans la
cour féodale du prince de Morée, et à ses devoirs militaires
dans ses garnisons et ses expéditions. Puis, son père étant
venu à mourir en Bourgogne, il quitta à l'instant sa sei-
gneurie d'Athènes au grand- nom pour aller prendre pos*'
session de sou obscur fief paternel au comté de Bourgogne.
Plusieurs de ses neveux et nièces, enfants d*un frère
116 GRECE CONTINENTALE ET HOREE.
cadet moins brillamment apanage en Bourgogne comme
en Grèce, étaient venus s^établlr auprès de lui dans sa
seigneurie d'Athènes. À Fainé, nommé Guy^ ûls de Pons
de La Roche , seigneur de Ray, près de Gray ', il ût don
de sa seigneurie d'Athènes ; et Guy , resté en Grèce avec
une partie de sa famille, ne songea plus qu'à bien s'éla-
blir dans sa seigneurie et à y bien établir les siens. Son
ambition faillit le perdre. Au moment où Guillaume de
VilleHardoin succéda à son frère, Geoffroi de Ville-Har-
doin , dans la principauté de Morée , Guy de La Roche
voulut profiter du moment où l'autorité du prince n'était
pas encore bien solidement assise pour se soustraire à sa
suzeraineté , en refusant l'hommage d'allégeance et en se
déclarant indépendant dans sa seigneurie. Il avait entraîné
dans sa révolte plusieurs autres chefs féodaux qui étaient
charmés comme lui de l'espoir de se rendre tout à fait in-
dépendants dans leurs baronnies ; mais les feudataires li-
gués furent battus par le prince Guillaume. Guy de La
Roche, assiégé dans Thèbes, fut forcé de se rendre. Au
lieu de le punir par la confiscation, le prince, dont la fa-
mille était alliée à la sienne, préféra l'exiler pendant quel-
ques années, et il lui ordonna d'aller en France trouver le
roi saint Louis et de s'en remettre à sa décision pour tout
ce qu'il ordonnerait de lui. Saint Louis, qui préparait une
nouvelle croisade, parvint à réconcilier ses compatriotes de
Morée au nom de l'assistance commune qu'ils devaient à la
religion, et, pour panser les blessuresfaites par une éclatante
défaiteà la fierté du seigneur d'Athènes, il l'autorisa à changer
son titre grec de megas-kyr ou grand-sire en celui de doc.
Guy, en retournant en Grèce en 1260, y reparut donc avec
le titre de duc d'Athènes. Il mourut en Grèce vers 1264.
* La dernière héritière des La Roctie , seigneurs de Ray, épousa
un Marmier, dont elle était éprise , et par ce mariage la seigneurie
de Ray passa dans la maison Marmier. Le chftteau de Ray appar-
tient aujourd'hui au duc de Choiseul-Marmier. J'ai retrouvé dans ses
archiTes plusieurs actes curieux relatifs aux La Roche d'Athènes.
DUCS FAANGA18 d' ATHENES. 117
4
Deux fils de ce premier duc Guy possédèrent successi-
vement le duché d'Athènes après la mort de leur père.
Jean, Taîné, eut à lutter contre les entreprises de Michel
PaJéologue, qui, après s'être rendu maître par surprise de
Constantinople dès 1261 et avoir chassé les Français de
cette partie de l'empire, cherchait à les déposséder égale-
ment des autres provinces. Dans un combat que le duc
Jean livra aux forces impériales , soutenues par la marine
génoise, dans le détroit de l'Ëubée, il fut fait prisonnier^t
amené à Constantinople. Là l'empereur grec, désireux
d'obtenir son alliance et de l'éloigner de ses rivaux les
Comnène d'Épire, lui offrit en mariage une de ses fdles;
mais Jean était fort goutteux et peu disposé à se marier. Il
déclina poliment les avances de l'empereur, obtint sa dé-
livrance , retourna dans son duché , et y mourut peu de
temps après, vers 1275, laissant le duché à son frère.
GuMaume , frère puiné de Jean et fils comme lui de
Guy de Ray, de la maison de La Roche , lui succéda au
duché. Celui-là était jeune , ardent , belliqueux. Il s'allia
dans la famille des Comnène d'Épire, ennemis des Paléo-
logue, en épousant Hélène, fille de Théodore Comnène,
et il s'acquit une telle importance dans la principauté fran-
çaise de Morée qu'après la mort du prince Guillaume de
Ville-Hardoin et de Louis-Philippe d'Anjou, mari d'Isa-
belle de Yille-Hardoin , ce fut lui qui succéda en 1280 à
Rousseau de Sully dans le baîlat et le vicariat général de la
pnncipauté de Morée pendant le reste de sa vie'. Il fit à
cette époque faire de grands travaux de défense et bâtit la
place de Dimatra dans les défilés de Gortys^ En outre
de son fief qu'il tenait du roi Charles d'Anjou, sei-
gneur supérieur de la principauté , il se trouvait en rela-
tions constantes avec le royaume de Naples et avec les sei-
gneurs français ses compatriotes qui y étaient établis. Hu-
* Chr. de Morée, p. 1S7 de mon éJit. à deux colonnes.
Md., ibid.
118 GRÈCB MNTIHEIITALG M «OREE.
gnes de Brienne, comte de Lecce, étant votn ioi faire one
visite à Athènes vers 1280, il lui fit épouser sa sœor Isa*
b^e, qui en eut un. fils, Gautier de tienne, asquel
devait un jour revenir le dncbé d'Athènes après l'extinc-
tion de la branche mâle des de La Roche. Isabelle mourut
en 1290 et son frère Guillaume d'Athènes moorut peu de
temps après *, hissant le duché à son fils unique. Gai ou
Guido, encore mineur.
Ce Gui ou Guido nous est fort connu par les récite
d'un anteur contemporain qui a eu avec hii des relations
personnelles, le piquant chroniqueur Ramoa Muntaner,
un des capitaines de cette Grande-Compagnie calalane si
fameuse au quatorzième siècle. On trouve dans sa chro*
nique une peinture ancienne de la cour brillante et somp-
tueuse dn doc Gui d'Athées. Il raconte' qu'au temps du
duc Gnillaame un membre de la famille dalle Carcere de
Yérone alla s'établir âi Athènes, et que le duc Guiflauvie le
reçut avec la plus grande bienveillance , lui accorda beau*
coup de biens, le fit un puissant feudataire, lui donna une
femme fort riche et le fit chevalier. Au bruit de cette for*
tune un autre membre de la famille dsdle Carcere voulut
aller chercher fortune à son tour ^i Grèce. «Or, dit Ra*
mon Muntaner^ messire Boniface n'avait qu'un cfaltean
que son père lui avait laissé. Il le vendit afin de mieux
s'équiper , et ainsi il s'équipa lui et dix chevaliers et dix
fils de chevaliers. Et il prit l'ordre de chevalerie des mains
de son frère aîné , parce qu'il valait mieux pour lui de
partir comme chevalier que comme écuyer ; car, dans ces
pays, aucun fils de grand feudataire n'est considéré jusqu'à
ce qu'il soit chevalier. Voilà pourquoi il se fit armer che-
valier des mains de son frère. »
Yoilà donc Boniface qui part de Yérone pour Athènes
* Chr. de Morée , p. 187, et mes Nouvelles Recherches histori"
gués dans la généalogie de la maison de La Roche à la fm de l'avant-
propos du tome i*''.
«Ch. 244, p. 481.
SYRA. 119
avec de baotes espéra&ces; mais il se troava fort désap-
poinlé en arrivant. Son parent était mort un mois aupara-
vant, laissant deux ûls et une fille, tous trcHs mineurs.
Dans cet embarras, le jeune duc d'Athènes Gui le recoft-
Ibrta comme son père le doc Guillaume avait reconforté le
parent de Boniface. Il le mit de sa maison et de son
conseil et le lit inscrire pour une ration belle et bonne
pour kïi et sa compagnie. Boniface vécnt de ce genre de
vie pendant bien sept ans, de telle sorte, dit Ramon Mun*
taner, que « jamais il n*y eut un homme à la cour du duc
qui se vêtît plus élégamment et pluë richement que lui et
sa compagnie, et nul qui se présentât partout en raeilleuf
arroL £t le bon duc d'Athènes remarquait son intelli-
gence 1 quoiqu'il n'en fît pas semblant , et d'autre part il
le trouvait plein de sagesse dans le conseil. » Il conçut
même le projet de profiter de l'occasion d'une fête qui
devait avoir lieu au moment où il se faisait armer chevalier
pour lui donner une marque plus éclatante de sa haute fa-
veur. Je laisse parler le naïf et piquant Ramon Muntaner.
« Il est de toute vérité, dit-il, que le duc d'Athènes était
un des plus nobles hommes qui fussent dans l'empire de
Ronaanîe, et des plus grand» qui ne fussent pas rois....
£t il avait eu sa terre franche et quitte* ; et il avait donné
à ses chevaliers châteaui , maisons et terres, de telle sorte
qu'il s'y établit (en Morée et à Athènes) bien certainement
mille chevaliers français, qui tous firent venir de France
leurs femmes et leurs enfants. Depuis ce temps, ceux qui
sont issus d'eux ont pris pour femmes les filles des plus
hauts barons de France. £t ainsi en droite ligne ils sont
tous nobles hommes et de noble sang. Il arriva donc un
jour que le bon duc d'Athènes (celui qui laissa sa terre à
Gautier de Brienne) voulut prendre l'ordre de chevalerie,
et il fit convoquer une cour plénière de toute sa terre, et il
* Cette prétention était celle des ducs d'Âthènps ; mais île furent
obligés de se soamettpe, selon TinstitutioB de leur baronnie, à la su-
Kraineté des princes français de Morée.
130 GBÈCE CONTINENTALE ET MOREE.
ordonna que, le jour de la saint Jean de juin, tout ce qa'il
y avait de nobles hommes dans son duché se trouvât dans
la ville de Tbèbes, où il voulait recevoir Tordre de cheva-
lerie. Il convoqua également les prélats et tous autres
bonnes gens; ensuite il fit publier dans tout Tempire, dans
tout le despotat et toute la Ylachie (THelIade) : que tout
homme qui désirerait y venir n'eût qu*à se présenter, et
qu'il recevrait de lui grâces et présents. £t celte cour plé-
nière fut proclamée bien six mois avant sa réunion.
»... A l'époque oâ le bon duc avait convoqué sa cour plé-
nière, chacun s'empressa de se faire faire de beaux habil-
lements pour sol-même et pour sa suite, et aussi pour en
distribuer aux jongleurs , afin de donner plus de lustre à
la cour. Que vous dirai-je ? Le jour de la cour plénière
arriva , et dans toute la cour il n'y eut personne plus élé-
gamment et plus noblement vêtu que messire Boniface et
sa suite. 11 avait bien cent brandons armoriés de ses ar-
moiries. Il emprunta de quoi subvenir à toutes ces dépen-
ses en engageant d'avance la solde qui devait lui revenir
plus tard. Que vous dirai-je ? La fête commença d'une
manière splendide. Et, lorsqu'on fut arrivé dans la grande
église, où le duc devait recevoir l'ordre de chevalerie, l'ar-
chevêque de Thèbes dit la messe, et sur l'autel étaient dé-
posées les armes du duc. Tout le monde attendait avec
anxiété le moment où le duc allait recevoir Tordre de che-
valerie , et on s'imaginait , comme grande merveille , que
le roi de France et l'empereur se seraient disputé cet hon-
neur et auraient tenu à grande gloire que le duc voulût
bien recevoir Tordre de chevalerie de leurs mains. Et , au
moment où tous étaient ainsi dans l'attente, le duc fit ap-
peler messire Boniface de Vérone. Celui-ci se présenta à
Tinstant , et le duc lui dit : « Messire Boniface , asseyez-
vous ici tout près de l'archevêque, car je veux que ce soit
vous qui m'armiez chevalier. » Et messire Boniface lui dit :
« Ah ! seigneur , que dites-vous ? assurément vous vous
moquez de moi. — Non, dit le duc, car je veux que cela
DUCS FRANÇAIS D^ATHENSS. 121
soit ainsi. » Et messire Boniface , voyant qn'il parlait du
fond du cœur, s'avança vers l'autel auprès de Tarcbevê-
que , et donna aii duc Tordre de chevalerie. Et, quand il
l'eut créé chevalier, le duc dit en présence de tons : « Mes-
sire Boniface , l'usage est que toujours ceux qui reçoivent
un chevalier lui fassent un présent. Eh bien I je veui faire
tout le contraire. Vous, vous m'avez fait chevalier; et moi
je vous donne, à dater d'aujourd'hui, cinquante mille sols
tournois de revenu, à posséder à jamais , pour vous et les
vôtres, et le tout en châteaux et autres bons lieux , et en
franc aleu , pour en faire toutes vos volontés. Et je vous
donne aussi pour femme la fille de tel baron qui est et de-
meure sous ma main , et qui est dame de la tierce partie
de l'île et de la cité de Négrepont. » Voyez comme en un
jour et en une heure il lui donna bel héritage. Et certes
ce fut le plus noble don que depuis bien long-temps ait
fait en un seul jour aucun prince. »
Telle était alors la cour féodale des ducs français d'Â-
tbènes de la maison de La Roche. L'amiral de France Thi-
bault de Gepoy S qui alla le voir à Athènes de la part de
Charles de Valois, empereur titulaire de Constantinople,
dont le désir était de substituer une possession réelle à sa pos-
session nominale de l'empire, mentionne dans son compte
de dépenses^ les ménestrels et l'écuyer du duc d'Athènes :
• Pour don aux ménestreus du duc d'Athènes, » etc.-*« A
deux ménestreus du duc d'Athènes qui vindrent pour le
mariage de Roquefort. « — «A Jean de Barquon, escuyer
du duc d'Athènes, » etc. Pour rendre sa cour plus brillante
et augmenter en même temps le nombre de ses hommes
d'armes francs, afin de faire respecter les droits de la jeune
princesse de iMorée, Mathilde de Nainaut, qu'il venait d'é-
pouser à l'âge de douze ans , il profita des dissensions qui
1 Son portrait est à Versailles parmi ceux des amiraux , sous le
n» 1170.
> Rouleau en parchemin de Tancienne chambi'e des comptes ^
note 3, p. 467 de R. Muntaner.
11
]2i GRECS GIM«TI]lfBIITM.E IT HOAiE.
t'étaient mises dans la Crande-Compagnie catalane et earMa
soas ses drapeaux quelques- uns de ses chevaliers les plus
brates, qui étaient arrivés au porl d'Armyros en Thessalie.
Il n'en restait pas moins lié d'intérêt et d'affection a^ec la
ttBÎson d'Anjouffiipolitaineet avec l'empereur titulaire Charr-
ies de Valois, son suaerain. Rainoo Muntaner raeoate que,
lorsque l'infant Fernand de Majorqjie, son ^ni, fat arrêté
par le duc d'Athènes, pour plaire à l'amirab français Thi*
bauh de Cepoy il alla lui-même voir IMniant dans sa prisoii
à Thèbes, et qu'il vit Mi le dac Goi d'Athènes.
ff Je me procurai alors cinq montures , dit^il *, et me
ren^ à la cité de Thèbes , qui est h TingtHfu^re railtes
de Négrepoiit, et j'y trouvai le duc d'Athènes malade, KC,
tout malade qu'H était, il m'aecueillit très^bien « et me dit
qu'il était bien fâché du dommage que j'avais souffert, et
fa'il se mettait à ma disposition poor qne jie Itii indiquasse
à quoi il pourrait m'être utile, et qu'il aurait grand pla»ir
à m'être en aide. Je lui fis beaucoap de remerdmeats et
hii dis que fô plus grand plaisir qti^il pât me fake f c'était
de traiter avec toute sorte d'honneurs le seigneur in^t
Il me répondit qu'il s'y sentait tenu par Itri-même et qu'il
était bien fâché d'avoir à prêter ses services dans une teite
circonstance. Je le priai de vouloir bien me permettre de
le voir. Il me répondit que oui , et non seulement de le
voir, mais rester à ma volonté auprès de lui ; et que, par
honneur pomr moi, tant que je serais avec lui, tout homme
pourrait entrer dans sa prison et manger avec lui , et que
même , s'il voulait monter à cheval , il le pouvsut. Il fit
aussitôt ouvrir les portes du château de Saint-Omer ^» où
* Chronique de Ramon Manfaner, p. 474 démon édition à deux
eolonnes.
s iUasi appelé parce qaUi avait été bâti par Nicolas de Saint-
Omer lorsqu'il était bail de Morée, au treizième siècle. « Par ses
grandes rtobesses , il se vit en état de faire construire à Thèbes le
château de Saint-Omer, et il y fit bâtir une habitation si magnili^
que, quun empereur eût pu s'y établir avec toute sa maison ; et
il l'orna de très*belles peintures. » (Chr. deMorée, p* 189).
). ^1
«DOS PBAHCAIS B ATSSNHI. If S
é
éteic détesa le seigneur infant » et j'allai le Toir... Après
qae j'eus detneurédeui jours à Thèbes auprès du seigoeur
infiaJit, je pris congé de lui arec grande douleur ; car peu
s'en fallut que mon cœur ne s'en brisât. Je lui iais8« une
piH*Ue du peu d'argent que j'avais, et je me dépouillai de
quelques babillements que je portais et les d<noai au cui-
nÎDÎer que le duc lui avait fourni ; et je pris k part ledit
cuisinier, et lui dis qu'il se gardât bien de souffrir que
rie» (ut mis dans ses mets qui pût lui faire «uoun mal , et
que, s'il y donnait bonae giffde, il recevrait de bonnes ré*
eorapeases de moi et d'autres. Et je lui fis mettre ks mains
sur TËvi^ngile et jurer en ma présence qu'il se laisserait
plutôt couper b tête que de souffrir qu'il arrivât naalkeur
à l'infant pour avoir mangé d'aucun mets préparé par luL
Ces précautions prises, je le quittai. J'avais déjà pris congé
du seigneur infant et de sa compagnie; j'afiai aussi pren*
dre congé du duc d'Atbènes, qui, avec bonne grâce, me fit
don de quelques ricbes et beaux joyauK. Nous parûmes
satisfaits de lui , et nous retournâmes à Négrepont , où se
trouvaient les galères, qui n'attendaient plus que mot »
Le duc Gui mourut de maladie * le $ octobre 1 308 et fut
enterré au tombeau de ses prédécesseurs, dans une abbaye
de Bénédictins de Citeauz ^tué près d'Athènes. Mathilde
de Hainaut, princesse de Morée, sa femme , avait à peine
accompli sa quinzième année ^. A défaut d'enfants du duc
Gui qui héritassent du duché d'Athènes, sa succession
passa à son cousin germain, Gautier de Brienne, fils de sa
tante Hélène et d'Hugues de Brienne.
Maison de Brienne. Gautier de Brienne, arrière-petit-
neveu du célèbre Jean de Brienne, roi de Jérusalem et em-
pereur de Constantinople , arriva de son comté de Leece
dans le royaume de Naples, pour prendre possession du du-
ché d'Athènes, qui venait de lui échoir. Déjà la Grande-
^ R. MuDtaner, p. 474.
^ Elle était oée vers la iïa de 1292.
124 grÈcb continentale et moree.
Compagnie catalane, conduite par Roger de Flor au secours
de l'empereur Andronic, avait perdu son chef, s'était décla*
rée en guerre avec l'empereur et tout l'empire, avait dévasté
les^ campagnes qui entourent Galiipoli, et s'était mise en
route par la vallée de Tempe et la Thessalie pour aller cher-
cher un établissement dans des provinces moins épuisées
ou plus disposées à les accueillir. Elle s'approchait de la
Béotie et de l'Attique, domaines de Gautier de Brienne.
Celui-ci, qui redoutait leur indiscipline, refusa non-seule-
ment de les prendre à son service, mais même de leur li-
vrer passage , et se porta à leur rencontre sur le bord du
lac Copais, près d'Orcbomène , à la tête de ses chevaliers.
De même qu'à Grécy, à Poitiers, à Azincourt, la bravoure
imprudente de ces chevaliers entraîna leur perte. Les ar-
chers catalans , qui les attendaient sur le terrain humide
où la chevalerie française s'était témérairement engagée,
les accablèrent de leurs flèches sans qu'ils pussent avancer.
Gautier périt dans la bataille, en 1310, et la Grande-Com-
pagnie s'empara du duché d'Athènes. Sa veuve ^ Jeanne de
Châtillon, duchesse d'Athènes, se retira à Naples avec son
fils Gautier et sa fille Isabelle. Dès 131^i , Gautier de
Châtillon, tuteur du jeune Gautier, chercha à reprendre
pour lui le duché d'Athènes; mais il n'y put réussir.
Gautier II d'Athènes fit quelques tentatives pour res-
saisir plus tard le duché d'Athènes sur les Catalans S mais
il ne put réussir et fut forcé de retourner dans le royaume
de Naples. C'est lui que nous voyons deu% fois gouverneur
temporaire de Florence, en 1320 et 13^3. Il en fut chassé
celte dernière fois pour avoir voulu s'emparer complète-
ment de la seigneurie , et mourut en combattant glorieu-
sement en 1356, sans laisser d'enfants, à la bataille de
Poitiers, où il commandait comme connétable de France.
Maison d'Enghien. Sa sœur hahelU^ qui avait
épousé Gautier d'Enghien , hérita de ses titres et préten-
* Voy. Villani, et mes Nouvelles Recherches^ p. 32.
ATHÈNES. 12S
tions sur le daché d'Athènes, qae cherchèrent à faire va-
loir deux de ses fils, Sohier et Gui. Sohler avait pris le
titre de duc d'Athènes , qu'il transmit à son fils Gautier^
tué à Gand en 1381, sans que ni le père ni le fils, tout oc-
cupés des affaires de France , aient fait aucune tentative
pour ressaisir leur duché d'Athènes. Gui, dernier enfant
d'Isabelle , n'ayant rien à espérer des terres de France et
d'Italie , tourna son ambition vers la Grèce , se rendit en
Morée et parvint à se rendre maître de la seigneurie d'Ar-
gos; mais, n'ayant laissé après lui. qu'une héritière nom-
mée Marie , à laquelle les Vénitiens firent épouser un des
leurs, nommé Pierre Gornaro, pour pouvoir lui succé-
der, comme ils le firent en Ghypre, la seigneurie d'Argos,
saisie d'abord par Nerio Acciaiuoli, finit par retomber entre
leurs mains *.
Maison d'Aragon. Depuis la mort de Gantier de
Brienne, en 1310, la grande compagnie catalane possédait
effectivement le duché, et y avait même ajouté la seigneu-
rie de Néopatras ; mais le titre fut réservé aux rois de Si-
cile, qui le donnèrent à un de leurs enfants. Aucun de ces
ducs titulaires n'alla toutefois habiter son duché. Leur titre
de doc devint un simple titre honorifique, qui fut transmis
avec tous leura autres.tîtres aux rois d'Aragon et est en-
core porté par les rois d'Espagne.
Maison Àcciaiuoii. L'année même où Gautier de
Brienne , duc d'Athènes et seigneur de Florence , expirait
à Poitiers, le Florentin Nicolas Acciaiuoli , grand-sénéchal
de Naples, commençait à posséder réellement d'importantes
seigneuries dans la principauté d'Achaye , et entre autres
la seigneurie de Corinthe , dans laquelle lui succédèrent
son fils et son petit-fils. Un neveu du grand-sénéchal,
nommé Nerio Acciaiuoli, auquel il avait légué quelques
seigneuries en Grèce , avait fini par se faire céder par son
parent cette seigneurie de Cofinthe , et il fut créé en 139/i
* Voy. mes Nouvelles Recherches, p. (41; et la Chronique
d'André Dandolo, p. 48? (CoHect. de Mnratori, t. xii).
11.
It6 GREGE CONTININTA» BT MOREB.
doc d* Athènes par Ladislai, roidcNaplet, héritier des droits
de la maison de Tarente. Son frère Donato lui fut sabrogé
comme duc d'Athènes, au cas où il mourrait sans enfants.
Nerio fut enterré dans l'dglise 8ainte*IVlarie d'Athènes K
Antoine ^ fils naturel de Nerio, Ini succéda au dacbé
d'Athènes en 1395 , malgré les droits de Donato et de ses
enfants et petits-enfants. Il avait (ait embellir la ?ille d'A-
thènes et acquis de grandes richesses. Ce fut lui qui plaça
ao Pirée sur leurs deux piédestaux les lions qui furent
ensuite transportés à Venise par François l!lloro8ini^ Il
avait conclu un traité de commerce avec la république de
Florence ^ Antoine, se voyant sans enfants, fit venir de
Florence Nerio et Antoine , fils de Franco, qui, lui-même,
était fils de ce Donato auquel avait été subrogé le duché à
défaut d'héritiers de Nerio , et il leur laissa sa aeigoeurie
d'Athènes en mourant en l/i35.
Nerio II, petit-fils de Donato, obtint aussi le duché d'A-
thènes et s'y maintint jusqu'à sa mort. Sa veuve , s'étant re»
mariée ï un Vénitien, P. Atmcrio, etn'ayant pu réussir à lui
assurer le duché, fut obligée de se sauver d'Athènes avec luL
Franco, neveu de Nerio II par son frère Antoine,
devint alors duo d'Athènes et fut tué ensuite après avoir
été déshonoré par Mahomet II, qui s'empara en 1462 de
l'Attique comme il s'était emparé du reste de la Grèce,
Je ne pouvais pas m'imaginer que les ducs de la maison
française de La Roche , qui avaient possédé la seigneurie
d'Athènes pendant plus d'un siècle , et les ducs de la mai*
son florentine d'Acciaiuoli, qui y avaient résidé aussi pen-
dant près d'un siècle , n'eussent laissé aucun monument
de leur passage. Déjà j'avais publié des deniers tournois
frappés dans l'atelier monétaire de Thèbes par chacun des
< Lo corpo nostra inditamo che 8ia sepellito nell' ecclesia di
Santa Maria di Athene. (Testament^ tome n, p. 254 de qps
NouveUes Reckerches,)
^Yoy. me» JS^çuvelUs Recherchent p. 145.
^ Yoy. mes Nouvellm RechercheSf p. 173.
CHATEAU DBS DUCS D^THEMBS. 127
seigneurs de la maison de La Roche ; n'existait-il aucun
antre monument de leur domination , aucuns vestiges de
ebâteaux et églises bâiis par eux, aucune trace de leurs
tombeaux de famille déposés dans le monastère de Béné*
diclins de Cîteaux , désigné par des actes des archives de
Mon» comme se trouvant dans la proximité d'Athènes f
Tel fut l'objet principal de mes recherches pendant les pre-
miers jours de mon séjour à Athènes , et elles ne furent
pas infructueuses. Mes remarques sont consignées dans
un rapport que j'adressai à l'Académie des inscriptions et
belle8-lettre3' au moment de mon départ d'Athènes :
« Athènes, écrivais -je à PAcadémie, fut la pre*
mière ville par laquelle j'eus à commencer mes études»
Après avoir payé mon premier hommage aux merveilleux
restes de l'architecture et de la sculpture antiques, je touri-
nai les yeux pour voir si , dans l'ancienne résidence des
ducs français d'Athènes des maisons de La Roche et de
Brienne , dans la capitale de ces ducs dont Ramon Munta-
ner et Thibaut de Cepoy, qui les ont visités et connus per-
sonnellement dans les premières années du quatorzième
siècle , attestent le luxe et l'opulence , il n'existerait pas
quelque débris de monuments qui leur fussent contempo*
rains. J'en retrouvai trois*
Le premier est une tour carrée, sur l'Acropolis, à côté
des Propylées et du temple de la Victoire sans ailes. Celte
tour est un reste du palais ducal, construit sur l'AcropoUs,
embrassant les Propylées et se prolongeant au-dessus de
cette gracieuse pinacothèque ornée autrefois des chefs-
d'œuvre de Zeuxis , et transformée au treizième siède en
chapelle latine. Il y a peu d'années que la colonne cen-
trale sur laquelle reposaient les arceaux de cette chapelle ,
qui allaient s'appuyer sur les quatre angles de la pinacor
thèque, existait encore. Ce n'est qu'en 18a(> et 1837 qu'elle
* M. LenormaDd eat U complaisanee d*en taire lecture en moû
nom à FAcadéinie.
128 GRÈGE CONTINENTALE ET MOREE.
a été abattne, ainsi que les arcades, pour laisser à décou-
vert l'élégante salle qu'elles encombraient ; mais on voit en«
core au milieu de la pinacothèque la base de cette colonne,
et sur les murs on aperçoit la porte et les fenêtres d'un
étage supérieur construit pour le palais ducal au-dessus
de cette chapelle. En dehors , du côte de la ville, se voient
les armoiries des empereurs français de Constantinople, sei-
gneurs supérieurs du duché d'Athènes et de la principauté
de Morée , de laquelle relevait le duché comme première
baronnie. En remontant sur les côtés des Propylées jus-
que derrière la pinacothèque , on retrouve d'autres restes
des appartements ducaux , tous démolis aujourd'hui, mais
où restent les portes surmontées des mêmes armes impé-
riales , la croix perlée et fleuronnée , ainsi que des écus-
sons des Viile-Hardoin , princes de iMorée, et des La Roche,
seigneurs, puis ducs d'Athènes et de Thèbes. Un peu an
delà , sur l'emplacement même où semble avoir été^ bâti
l'antique palais de Gécrops , sont dans le mur des restes
de grandes plaques de marbre sur lesquelles s'appuyait le
balcon du palais ducal. Ce palais paraît s'être étendu jus^
qu'au temple d'Érechthée, et, comme tout château devait
avoir sa prison , les traces d'un cachot se retrouvent dans
la partie souterraine du temple d'Érecbthée, dans le pas-
sage même par où on pénétrait à la fontaine que Neptune
fit jaillir du rocher d'un coup de son trident , dans sa dis-
pute avec Minerve pour revendiquer la protection d'A-
thènes. Çà et là on rencontre aussi , dispersés au milieu
des débris antiques, des débris de la sculpture grossière
de nos ancêtres : ici un écusson fleurdelisé, là un fragment
de tombeau; car, en Grèce, tous les tombeaux ont été
fouillés par l'avidité scientifique des voyageurs ou l'espé-
rance des habitants d'y trouver de l'or. Au-dessus de l'ar-
ceau d'une tombe jetée au milieu des décombres et qui
représente des anges à la robe flottante et à la physiono-
mie immobile , je lis les mots latins : Hic jacent. Le
reste de la pierre est brisé , et je n'ai pu retrouver le nom
ÉGLISE FSANQUE DES DUCS d'aTHENES. 129
des Francs qui gisaient sous cette tombe ; car cette in-
scription latine , en lettres gothiques du treizième siècle ,
appartenait évidemment à une des grandes familles fran-
ques établies dans le iiays. J*ai prié le directeur du Musée,
M. Pittakis , homme plein de zèle et d'obligeance, de réu-
nir les uns près des autres tous ces fragments dispersés »
pour qu'on puisse plus aisément les étudier et les recon-
naître , et j'ai tout lieu d'espérer que les germes de curio-
sité historique pour cette époque , qui a aussi son intérêt ,
germes que j'ai cherché à enraciner et à développer pen-
dant mon séjour en Grèce , ne périront pas tout entiers
après mon départ , et qu'un autre pourra trouver de nou-
velles facilités pour étendre ou corriger mes recherches.
» Dans l'intérieur de la ville nouvelle d'Athènes est une
petite église plus intéressante encore pour l'histoire gallo-
grecque. Elle porte le nom de Catholicon , et dans les tra-
ditions populaires elle passe pour avoir été fondée par des
princes français. On la reconnaît aisément pour église latine
à la sculpture extérieure qui revêt tous ses murs, car les
Grecs n'emploient jamais la sculpture à l'intérieur ni à
l'extérieur de leurs églises. C'est un monument composé de
toutes pièces. L'ensemble ne manque pas d'une certaine
élégance, mais les divers morceaux de sculpture qui la
revêtent offrent l'association la plus bizarre : ici une in-
scription grecque antique renversée^ là un fragment d'un
beau chapiteau corinthien ; plus loin un fragment romain ,
puis un morceau d'un assez joli zodiaque antique coupé à
plusieurs endroits , et quelquefois aux dépens des per-
sonnages du zodiaque , par les armoiries des Yille-Hardoin
de Champagne, princes supérieurs de Morée^ dont rele-
vait le duc d'Athènes , et, à côté de ces fragments helléni-
ques et romains , des allégories byzantines et l'aigle impé-
riale de Byzance. Mais le trait le plus caractéristique de
cette église est la réunion des diverses armoiries franques
sculptées de tous côtés sur ses murs. Dans les lieux les
plus proéminents est placée la croix perlée et fleuronnée
130 GRBCB CONTlNBlilTALB BT MOftéK.
des empereurs français de Gonstaiitiiiople , puis la croix
ancrée des Yille-Hardoin de Champagne, puis la croix
cantonnée de quatre roses de Provins, telle qu'elle a?aitéié
adoptée quelques instants par les seigneurs d'Athènes, qui«
plus tard , quand saint Louis, en 1258, les eut autorisés à
porter le titre de ducs , substituèrent , dans les deux can-
tons supérieurs de la croix , deux fleurs de lis à deux des
roses de Provins ; et enfin un grand nombre d*autres ar*
moiries des seigneurs français établis en Eubée , eu Morée
et dans la Grèce continentale. Les lettres des papes nous
aident à comprendre Tépoque de la construction de cette
petite église avec tous ses blasons. On sait par elles et par
la Chronique de Morée que Geoffroi de Vilie-Hardoin ,
prince d'Achaye , ayant sommé les prélats de faire le ser-
vice militaire personnel pour leurs fiefs de conquête, ainsi
que cela avait été réglé, les prélats refusèrent , et qu*alorg
Geoflroi , d'accord avec les autres chefs féodaux , séques-
tra leurs revenus, et fit bâtir avec l'argent qui lui eo re-
vint la forteresse de Chlemobtzi , qui existe encore parfai-
tement conservée, et qui , aujourd'hui même , est connue
du peuple sous le même nom et aussi sous celui de Gastel-
Tornese , ou château bâti à l'aide de deniers tournois. Le
pape prit la défense des prélats et excommunia Yille-Har-
doin et les barons qui l'avaient assisté. Enfin, en 1218,
Yille-Hardoin parvint à faire agréer sa justification pour
le passé , sous la condition d'une conduite plus respec-
tueuse envers l'Église à l'avenir. L'excommunication fut
levée; Geoffroi de Yille-Hardoin et les barons fra{^
d'anatbème rentrèrent dans la communion de l'Église, et,
pour attester mieux cette complète réconciliation, ou peut-
être en exécution d'une réparation imposée par le pape ,
ils firent bâtir l'église du Catholicon , en y affixant les ar-
moiries de ceux qui avaient pris part à la querelle et à la
réparation. Telle est du moins l'explication qui m'a paru
la plus probable , car l'âge, du monument répond par-
faitement à l'époque mentionnée. Je ne sais pas si la vieille
SÉPULTUAt DES DUC» FRANÇAIS D* ATHÈNES. 131
ù
église de Salnt-Nicodème ne serait pas aussi d'origine
franqoe » bien qa'etic ne soit pas reiêiue de scnlptoces.
C'est peut-être la chapelle d'honneur qui était placée,
sekm l'usage , au bout de la lice des tournois au temps
des ducs français d'Athènes ; car on ne pouvait alors avoir
de fêtes sais tournoi , et le godt des Francs avait passé
jusqu'à I» cour de Byzance^
9 Le troisième inonumentdont je veux parler est la sépol*
ture fnênie des ducs d'Athènes de la maison de la Roche.
9 Un acte déposé dam les archives de Mons en Hai-
fta«t , et envoyé en iS09 au conMe de Hainaut au nom de
s» parente Maibilde de HaiBatu, petke-fille de Guillaume
de YiHe-Hardoitf , prince de Morée^ et veuve de Gui de
La Roche , due d'Athènes , prouve que Gui de La Roche
était mort le 5 octobre 1^08, et fait connaître que son
corps svait été déposé le lendemain , 6 octobre , au tom-*
beMi de ses prédécesseurs, dans l'abbaye de Delfina (dit le
texte), abbaye de l'ordre de Cîleaux et dans le duché
d'Atbi^ies. Les noms grecs ost été tellenient mutilés en
passant dans les a«tres langues , et ils sont si souvent mé^
connaissaibles dass la forme que leur donnent et les actes
oflicîels ci>viis et reHgieux et les écrivains latins et français
anrtsut de cette époque et même de la nôtre , qu'il me fut
d^abord fort diflfeMe de connaître oà était placé ce Satnt-»
Denis des ducs d'Athènes. Il existe h deux lieues d'Albè*
nés un vieux monastère du nom de Daphni , situé sur
l'antique voie Sacrée , à moitié chemin emre Athènes et
Eleuns. M. Ross, avec qui je parcodrais la liste des nnh-
nastères voisins, me conseilla d'examiner si ce Daphni ne
serait pas le Delêaa de l'acte latin ; je pris des informations
et allai moi-même visiter le monastère. Sa situation dans
le duché d'Athèoes, son voisinage à deux lieues de la ca«
pitale du duché , de manière que le corps de Gui de La
* Voy. Nicépliore Grégoras, 1. 1, p. 484, éd de Bonn, et mes
nouvelles Recherekes historiques sur la principauté française
et Moirée, t. f y p. 66, note i.
132 GRECE CONTINENTALE ET MORBE.
Roche eût pu aisément y être transporté le lendemain , et
Tanalogie des noms n*avaient pas été de vaines présomp-
tions. J*y reconnus d*abord les vestiges d'un cloître ouvert
et à colonnes, selon la forme latine. Presque toutes les colon-
nes de ce cloître sont debout, mais à moitié enterrées. Sur le
devant du narthex extérieur , ajouté par les Francs , sont
les restes d'un vaste portail gothique flanqué de deux côtés
de quatre longues fenêtres en ogives jointes deux à deux. Un
ambassadeur anglais, en enlevant trois belles colonnes d'un
ancien temple d'Apollon qui portaient ces fenêtres et un côté
de ce portail , a ébranlé toute cette partie de l'édifice mal
soutenu par les poutres de travers et la maçonnerie gros-
sière substituée aux colonnes ; mais tout y est cependant
encore fort reconnaissable , surtout les ogives du haut,
maintenues par leurs fortes rainures de pierre. Je péné-
trai dans l'intérieur de l'église par une petite porte exté-
rieure soutenue par une autre colonne antique du même
temple d'Apollon engagée dans le mur , et qui a ainsi
écbapi)é à Tenlèvement que lui eût procuré son beau cha-
piteau , puis par une seconde porte armoriée de Técusson
des seigneurs d'Athènes. A droite et à gauche étaient des
colonnes antiques, mais encombrées de paille. Du narthex
intérieur on entre dans l'église, qui a de fort belles propor-
tions avec des arcs cintrés comme dans les églises nor-
mandes byzantines de Sicile. La voûte est ornée d'un Christ
bénissant de la droite, avec un livre dans la main gauche,
qui rappelle celui de l'église de Cefalù en Sicile plus en-
core que celui de Monreale , et est exécuté en mosaïque.
Les deux mosaïques latérales représentent le Christ res-
suscitant Lazare et l'entrée de la Sainte- Famille. Après
avoir fait vider la chapelle à gauche , qui était plus sombre,
mais moins encombrée, j'aperçus, le long du mur qui sou-
tenait le côté de l'église , un tombeau de marbre sans cou-
vercle , sans inscription , sans armoirie. Au-dessous de ce
sarcophage je remarquai une ouverture et des degrés par
lesquels je descendis , à travers des décombres , jusqu'à un
SÉPULTURE DES DUCS FRANÇAIS d' ATHENES. 133
caveau sépulcral qui règne tout le long du nartliex intérieur
de l'église , et dont les murs latéraux anciens sont cachés
par une muraille délabrée qui ne semble destinée qu*à
dérober à Tœil quelque pierre funéraire , quelque inscrip-
tion peut-être ; soin que les Grecs ont toujours eu lors-
qu'ils ont pris possession des églises latines , soit en re-
tournant les pierres sépulcrales dans un autre sens , soit
en les remplaçant par d'autres. En remontant je tournai
autour du tombeau ouvert pour examiner s*il ne se trou-
verait pas quelque inscription qui m'eût échappé , et j'a-
perçus une petite porte qui conduisait à une seconde cha-
pelle un peu plus petite. Là était un second tombeau de
marbre, ouvert aussi ; mais, en l'examinant avec des bou-
gies , j'aperçus un écusson sculpté sur le long côté. C'était
une croix avec deux fleurs de lis dans les deux cantons
supérieurs de la croix, telle que la portèrent parfois les ducs
d'Athènes , telle que la portait Gui de La Roche dont je
cherchais la sépulture. A tant de signes réunis je me orois
fondé à penser que c'est bien là l'antique monastère des
Bénédictins mentionné dans l'acte de Mons , qui servait de
sépulture aux ducs d'Athènes de la maison française de La
Roche; et que les deux sarcophages de marbre, dont l'un
porte l'écussott fleurdelisé , sont les tombeaux de deux de
ces ducs. J'ai d'autres preuves encore de l'établissement
des Bénédictins dans la principauté française de M orée.
Une lettre d'Innocent III, publiée par Boschetus, et qui
m'a été envoyée par les Bénédictins duMont-Cassin, que,
pendant mon séjour dans leur abbaye, j'avais priés de faire
toutes les recherches possibles sur l'établissement des Bé-
nédictins de Gîteaux et du Mont-Cassin en Grèce , prouve
que, dès les premiers temps de la conquête , des Bénédic-
tins de Haute-Combe furent établis dans le diocèse de
Patras.
» Ainsi , malgré toutes les prédictions qui m'avaient été
faites par tous les voyageurs avant mon départ de France ,
et qui m'avaient été renouvelées par tous les savants à
12
134 GREGE CONTINENTALE ET MOREE.
Athènes même, que je ne trouYerais pas en Grèce un seul
monument subsistant qui attestât le passage de la domination
de nos croisés français , je venais de retrouver à Athènes et
dans ses environs trois monuments avérés : les restes du
palais des dues, une église bâtie par eux , et leur sépulture
de famille. Un heureux hasard amena , à Tépoque noême
de mon arrivée, une nouvelle découverte.
» £n 18/iO, peu de semaines avant mon arrivée en Grèce,
un pan de muraille s*écroula dans la partie de la citadelle
de Chalkis , qui sert aujourd'hui d'hôpital militidre. Oa
aperçut que, derrière cette muraille légère, il y avait ua
vide» On agrandit le trou , et oa découvrit un réduit dans
lequel se trouvaient amoncelés des sacs de toile contenant
une énornie quantité d'armures anciemies. On ea prévint
aussitôt le roi Otbon , qui eut la bonté de me le faire sa*
voir et qui voulut tnen, à ma demande,? envoyer à Ghâ^Hiis
une gabare chargée d'apporter tous ces armures à Athènes.
£l)çs furent transportées dans une salle du nouveaa palais^
Je pus donc les examiner à loisir ; et , comme on désirait
connaître mon opinion à cet égard , je publiai daas le
Courrier grec (Tacbydromos) uae lettre dans laquelle je
cherchais à foire connaître et partager l'opimoa <|ue je
m'en étais formée :
» — Ces armures, dtsais-je, remontent à la fia du treizième
et au coma>encemeDt du quatorzième siècle, et ce sont,
je pense , celles des Catalans , dos Turcopules et des Fran-
çais qui, en 1309 , se sont disputé la possession du du-
ché d'Albènes, la première des douze grandes baronnies ou
pairies de la principauté française de Morée. Mais, pour
mieux faire comj^eudre ce que sont ces armures, et
comment , du grand champ de bataille sur les bords du
lac Copaïs , elles ont pu être transportées à Chalkis et s'y
retrouver aujourd'hui , il est nécessaire que je dessine ici
une légère esquisse des événements de cette époque. Bien
que ces faits soient propreiqent une épisode des guerres
étrangères de la France à la suite de la quatrième croisade,
ARMURES DU MOVBII AGfl. 136
ils appartieniieiit aussi à Fbisloire moderne de la Grèce,
qui ne saurait pas plus les rejeter de ses annales que
nous^ne pouvons nous-mêmes rejeter de notre histoire de
France l'établissement de la première et de la seconde race
de nos souverains , bien qu'ils fussent des guerriers de r^ee
germanique cantonnés sur le sol de France au milieu des
désordres qat suivirent Taffaiblissement de l'empire ro*
main. Le tableau de ces époques de conquête et de lutte
sera toujours une grave et féconde instruction pouv les
peuples y et l'histoire se compose aussi bien des souffrances
supportées en commun et avec courage que des triomphes
obtenus dans des temps plus heureux. Tout se lie dans la
vie des nations , et ie mal comme le bien du passé doivent
porter leurs fruits dans le présent.
» ▲ la fin du douzième siècle , l'empire de Byzanee avait
perdu toute sa force et son ressort. Les Turcomans d'Asie
le pressaient et le menaçaient déjà, et les Turcomans-Seld«
joucides avaient fondé un empire puissant à sa porte et
8Qr ses débris. En Europe , les Bulgares avaient reconquis
leur indépendance. Les provinces éloignées n'obéissaient
dèjli plus aux ordres venus de Constantinople. Chypre
avait passé entre les mains de Ricbard-Cœur»de-*Lion ,
puis des Lusignan de France ; Candie était cédée comme
dot au marquis de Noot-Ferrat, le Péloponnèse était entre
les mains de plusieurs petits tyrans indigènes. La conquête
de Constantinople par les Francs fut le dénoûment de ce
drame de discordes intestines. Un empire franc fut fondé
^ Constantinople, un royaume franc à Salonique; une
principauté franque dans TAttique , la Morée et les îles ,
depuis les Thermopyles jusqu'au cap Matapan. L'empire
franc de Constantinople dura à peine soixante ans, le
royaume franc de Salonique eut une existence plus pré*
Caire encore; mais la principauté franque d'Acbaîe se
conserva , plus ou moins puissante , plus ou moins corn**
pacte, pendant près de trois siècles.
» Le prince franc d'Achaïe n'était que ie chef féodal de
136 GRECE CONTINENTALE ET HOREB.
plusieurs grands Tassaux , dont les plus puissanls étaient :
le duc d'Athènes , créé duc par saint Louis de France en
1258 ; le duc des Cyclades ou Dodécannèse, le marquis
de Bodonitza en Locride , le comte palatin de Zante , Cé-
pbalonie, et autres îles ioniennes (moins Gorfou , qui ap-
partenait aux rois de Naples) , et les trois barons de i'Eu-
bée. De tous les grands vassaux des princes français de
Morée qui étaient de la famille Ville-Hardoin , le duc d'A-
thènes était incontestablement le plus puissant. Ses posses-
sions s'étendaient le long de la côte , depuis Armyros jus-
qu'au cap Sunium, et du cap Sunium aux portes de Gorinthe,
englobant ainsi plusieurs autres feudataires. Il avait droit
de haute et basse justice, droit de guerre privée , et faisait
frapper monnaie comme les souverains.
» J'ai publié dans mes Recherches sur iaprûicipauté
française de Morée plusieurs monnaies de ces seigneurs et
ducs de la maison de La Roche et de la maison de Brienne,
maison qui se vantait d'avoir donné un roi à Jérusalem,
un empereur à Gonstantinople (Jean de Brienne). Le der-
nier duc d'Athènes de la maison de La Roche avait à
Athènes une cour des plus brillantes et y donnait, en 1300,
des fêtes et des tournois célèbres dans toute la chrétienté,
et dont le souvenir s'est conservé dans les chroniques de
l'époque comme dans les poèmes populaires de la Grèce
elle-même. Sa cour et sa bourse étaient ouvertes à tous
les chevaliers qui venaient le visiter ou désiraient s'établir
chez lui. Au nombre de ces derniers se trouvaient quel-
ques Aragonais qui , sous le commandement d'un noble
personnage , Fernand Ximenès , lié de parenté avec les
rois d'Aragon , s'étaient détachés de la Grande-Gompa-
gnie catalane après ses guerres en Asie et avaient pris du
service parmi les chevaliers et les servants d'armes du du-
ché d'Athènes. Gette Grande-Gompagnie avait quitté la Si-
cile au moment où la paix vint terminer les longues guer-
res qui avaient suivi les Vêpres Siciliennes , et était allée
""^rvir l'empereur de Byzance contre les Turcs d'Asie. Leur
AIIMURES DU MOYEN AGE. 137
secours avait d*abord été utile à Tempire; mais bientôt
''assassinat de leur chef par le fils de l'empereur Andro-
nie , et d'une autre part leur indiscipline et leurs excès ,
allumèrent la discorde entre eux et les Grecs. Sans s'arrê-
ter à mesurer les forces d'un immense empire, les Gâta*
lans envoyèrent un des leurs défier l'empereur de Gonstan-
tinople sur son trône impérial , et pendant sept ans ils
portèrent le ravage jusqu'aux portes de Gonstantinople.
Un de lears chefs , Ramon Muntaner , a décrit avec cha-
leur l'histoire de ces sept années, pendant lesquelles , dit-
il , « les Gatalans ne semaient , ni ne labouraient , ni ne
«taillaient la vigne, et cependant recueillaient chaque an*
» née autant de vin qu'il leur en fallait pour leur usage, et
» autant de froment , et autant d'avoine , et vivaient riches
» et dans toutes leurs aises. » Le résultat nécessaire de tant
de désordres était l'épuisement total du pays , épuisement
dont les Gatalans eux-mêmes éprouvèrent les funestes con-
séquences. Il fallut songer à se porter sur des provinces
moins épuisées. Quittant la forteresse de Gallipoli, qui
était leur point de refuge , ils résolurent d'aller se conque-
rir un État séparé dans le voisinage des Francs du Pélo-
ponnèse. La réception faite par Gui de La Roche , duc
d'Athènes , à quelques-uns des leurs , après l'expédition
en Asie , semblait leur promettre un bon accueil à eux-
mêmes : ils se mirent donc en route , traversèrent la pres-
qu'île deCassandria, puis la Macédoine, puis laThessaiie,
et arrivèrent enfin sur les confins de la Béotie.
» Le duché d'Athènes était échu depuis une année à Gau-
tier de Bricnne, comte de Lecce dans le royaume de Na-
ples, et cousin-germain, par sa mère Hélène, du dernier duc,*
Gui de la Roche. C'était un Français d'un caractère impé-
tueux, d'un courage bouillant , mais irréfléchi. Il refusa la
demande des Catalans , et leur interdit même l'entrée de
son territoire. Ceux-ci , forcés par la nécessité , n'eurent
plus d'autre parti à prendre que de se faire jour les armes
^ la main , car ils venaient de brûler leur flotte , pour
138 GREGB GONTIIfSNTALE BT MOftEE.
mieux prouver aux Grecs leor inleDlion formule de ae
plus se rembarquer pour la Catalogue. Ils se préparèrent
donc au combat, et de sou côté le duc d'Athènes marcha
I leur rencontre. Ici je laisserai parler un écrivain grec
contemporain, Nicépbore Grégoras; il expoâe lea faits avec
netteté, quoique ses notions géographiques soient peu
exactes •
» — « An retour du printemps (de Tan 1309), dit Nioé*
phore Gregoras, les Catalans, ayant reçu des Thessaliens
de grandes richesses et des guides, franchissent les mon*
tagnes qui s'étendent au delà de la Thessalie, et, traver-
sant les Thermopyles , viennent placer leur camp dans
la Locride et sur les bords du Céphise* Ce grand fleuve
découle des cimes du Parnasse, et dérive son cours à l'o-
rient, ayant an nord les Locriens^Opontiens et les Lo*
criens-Épiçnémides, au sud et au 8ud*est toutes les par*
ties méditerranéennes de TAchale et de la Béotie; puis,
sans se difviser et toujours considérable, arrose les champs
de la Lij/adie et de l'Haliarte; puis, se partageant en
deux branches, change son nom en ceux d'Asope et d'Is«
mène ; enfin , sous le nom d'Asope , coupe l'Attique eo
deux pour aller se perdre dans la mer, et sous celui
d'Ismène va se jeter dans la mer d'£ubée , tout près
d'Aulis, où autrefois, dit^n, dans leur navigation vers
Troie , abordèrent et s'arrêtèrent pour la première fois
les Grecs. Aussitôt que le seigneur de Thèbes et d'Athè*
nés et de tout ce territoire, nommé, comme je l'ai dit,
Megas Kyrios (Grand Sire) par corruption du nom de
Megas Primikerios qu'il portait autrefois, eut appris l'ar-
rivée des ennemis, il refusa, malgré les vives instances
des Catalans, de leur donner passage sur ses terres, pour
aller de là se jeter où bon leur semblerait ; mais il leur
parla au contraire avec la plus grande hauteur, les pour**
suivit de ses moqueries, comme des gens dont il ne pre*
naît nul souci, et pendant tout l'automne et l'hiver s'oc«
enpa de réunir ses forces pour le piîntemps suivant Au
AftMURES hV MOTEVr AGI. 139
B printemps (1310) les Catalans passèrent le Cépbise et
• placèrent leur camp non loin des rives du fleuve, sur le
» territoire béotien , décidés à livrer bataille en ce lieu.
» Les Catalans étaient au nombre de trois mille cinq cents
«hommes de cavalerie et trois mille hommes d'infan*
» terie, parmi lesquels se trouvaient plusieurs de leurs pri»
» sonniers admis dans leurs rangs à cause de leur habileté
» à tirer de Tare. Dès qu'il leur fut annoncé que l'ennemi
» approchait , ils labourèrent tout le -terrain où ils avaient
«résolu de livrer bataille, creusèrent alentour et y ame-
» nèrent des cours d'eau tirés du fleuve, et arrosèrent co»
» pieusement cette plaine de manière à la transformer pour
» ain^ dire en un marais, et k faire chanceler les chevaux
» dans leur marche , par la boue qui s'attacherait à leurs
> piedget dont ils ne pourraient qu'avec peine se dégager.
» An milieu du printemps le seigneur d'Athènes se pré*
» sema enfin , amenant avec lui une nombreuse armée ,
> composée de Thébains , d'Athéniens et de toute l'élite
• des Locriens, des Phocidiens et des Idégariens ; on y
» comptait six mille quatre cents hommes de cavalerie et
> plus de huit mille hommes d'infanterie. L'orgueil et l'ar*
> rogancedu seigneur d'Athènes dépassaient toutes bornes
» convenables : car il se flattait non-seulement d'extermi*
> ner en un instant tous les Catalans , mais de s'emparer
• de tous les pays et villes de l'empire jusqu'à Byzance
» même; mais il arriva tout le contraire de son espérance,
» car en plaçant toute sa confiance en lui seiM, et non dans
> l'appui de- Dieu , il devint bientôt la risée de ses enne-*
"^ mis. En voyant cette plaine couverte d'un si beau vête-»
» ment de verdure, et ne soupçonnant rien de ce qui avait
• été fait, il pousse le cri de guerre, excite les siens, et
>avec toute la cavalerie qoi l'entourait s'avance contre
» l'ennemi, qui, au delà de cette plaine, se tenait immobile
• sur le terrain , attendant son attaque. Mais, avant d'être
• parvenus au milieu de ces prairies humides, les chevaux,
• comme s'ils eussent été embarrassés par de lourdes ehai-
140 GRÈCE CONTIKENTAIE ET MOHEE.
» nés et ne pouvant sut» ce terrain glissant poser leurs pieds
• avec fermeté, tantôt roulaient dans la boue avec leurs
«cavaliers, tantôt, débarrassés de leurs cavaliers, s*eni-
» portaient bien loin, et tantôt, sentant leurs pieds s*enfon«
0 cer, restaient immobiles au même lieu , avec leurs mai-
» très, comme des statues équestres. Les Catalans, encou-
» rages par ce spectacle , les accablèrent de leurs traits et
» les égorgèrent tous. Bientôt , se lançant avec leurs che-
» vaux sur la trace des fuyards , ils les poursuivirent jus-
» qu*à Thèbes et à Athènes, et, attaquant ces villes à l'im-
» proviste, s*en emparèrent avec facilité, ainsi que de tous
» leurs trésors, de leurs femmes et de leurs enfants. Ainsi,
» comme dans un jeu de dés, la fortune ayant tout à coup
» changé, les Catalans devinrent maîtres de la seigneurie
» d'Athènes et mirent fin à leurs longues courses vagabon-
0 des , et jusqu'aujourd'hui ils n'ont pas discontinué d'é-
» tendre les limites de leur seigneurie. »
0 Ce fut en effet à partir de ce jour que les Catalans ob-
tinrent la possession de duché d'Athènes et substituèrent
leur seigneurie à celle des seigneurs français, qui conti-
nuèrent à posséder le Péloponnèse et plusieurs parties de
l'Acarnanie, de l'Ëtolie et de la Phocide. Le roi Frédéric
de Sicile envoya à ses Aragonais de Grèce un de ses fils
pour les gouverner avec le titre de duc d'Athènes et de
Néopatras, et ce titre se conserve encore aujourd'hui
parmi ceux que portent les rois d'Espagne héritiers des
rois d'Aragon et de Sicile. Mais écoutons maintenant le
récit d'un autre chroniqueur contemporain, mais d'origine
franque, le Catalan Ramon Aluntaner, l'un des chefs de
cette Grande-Compagnie.
» — « Le duc d'Athènes (Gautier de Brienne, comte de
» Lecce dans le royaume de Naples) avait avec lui deux cents
» hommes d'armes à cheval catalans et environ trois cents
» hommes d'armes à pied ; et, ceux-là, il les avait mis de sa
» maison , et leur avait donné franchement et quittement
» des terres et des possessions. Quant aux autres Catalans,
ARMURES DU MOYëBI AGE* Hl
» il leur ordonna de s'éloigner de son duché; et en atten-
» dant il avait fait venir, soit de la terre du roi Robert de
9 Naples, soit de la principauté de Morée, sept cents cava*
ji liers français. Quand il les eut réunis, il rassembla éga-
» lement deux mille quatre cents Grecs, hommes de pied,
» de son duché, et alors, en bataille rangée, il marcha sur
» la Compagnie; mais ceux-ci, qui le surent, sortirent avec
» leurs femmes et leurs enfants, et se rangèrent dans une
9 belle plaine près de Thèbes. Dans ce lieu il y avait un
9 marais , et de ce marais la Ck)mpagnie se fit comme
» un bouclier. Mais quand les deux cents hommes d*armes
• à cheval catalans et les trois cents hommes d*armes à
» pied virent que cela était sérieux , ils allèrent tous en-*
9 semble trouver Gautier de Brienne et lui dirent : « Sei-
9 gneur, ici sont nos frères, et nous voyons que vous vou-
• lez les détruire à tort* et à grand péché ; c'est pourquoi
9 nous voulons aller mourir avec eux , et ainsi nous vous
» défions et nous nous dégageons envers vous. » Et le duc
9 leur dit qu'ils s'en allassent à la maie heure, et que cela
» était bon pour qu'ils mourussent avec les au res. Alors
9 ceux-ci se réunissant allèrent se fondre avec le reste de la
«Compagnie, et ils se disposèrent tous au combat.... Que
»vous dirai-je? Le duc, en belle bataille rangée, avec
9 deux cents chevalierâ français , tous aux éperons d'or,
• avec beaucoup d'autres cavaliers du pays et avec les gens
> de pied , marcha sur les Catalans ; lui-même se plaça à
• l'avant-garde avec ses bannières et alla férir sur la Com-
» pagnie, et la Compagnie férit aussi sur lui. Que vous di-
» rai-je ? Les chevaux du duc, aux cris que poussèrent les
• amogavares (hommes de pied des Catalans) , s'enfuirent du
> côté du marais, et là le duc tomba avec sa bannière.
> Tous ceux qui formaient l'avant-garde arrivèrent alors.
»Les Turcs etTurcopules (alliés des Catalans), voyant que
» Taffaire était sérieuse, brochèrent à l'instant des éperons
» et allèrent férir sur eux, et la bataille fut terrible; mais
» Dieu , qui en lont temps aide au bon droit , aida si bien
142 GRÈCE CONTINENTALE ET MOftÉE.
» les Catalans que de tous les sept cents che?alieF8 français
» ii ne s'en échappa que deux. Tous les autres périrent,
» ainsi que le duc et les autres barons français de la prîn*r
» cipauté de Morée, qui étaient accourus pour anéantir la
» Compagnie. De ces deux l'un fut messire Bonifaee de
» Vérone, seigneur de la tierce partie de Négrepoet, qui
» était fort prud'homme et loyal, et avait toujours aimé la
» Compagnie ; aussi, dès que les nôtres le recomiireiit sur
»le champ de bataille, ils le sauvèrent.... Après la prisa
» de possession du champ , les Catalans pressèrent messire
» Boniface d'être leur chef; mais il refusa absolument. »
» Considérons maiiitenant les faits , les hommes et les
lieux, et après cela les inductions à tirer de ce réeit parais
tront toutes naturelles. Le champ de bataille ast , oa le
voit, sur la me droite du Céphise, le long du lac Go-
pa!s , assez près de Thèbes , à une dizaine de lieues de
Chalkis, dans les terrains marécageux placés sur la rivo oc-
cidentale du lac Copaïs, au bas de Skripu (ancienne Or*
chomène) , entre les rivières Céphise et Hercypie > et près
de l'endroit oà le Céphise entre dans ce lac ainsi que l'Her-
cyne. Ce n'est pas en écrivant à Athènes et pour des Athé-
niens qu'on a besoin d'entrer dans un plus long dévelopr
pement topographique sur une semblable question; id
tous connaissent des lieux si voisins. Quant aux combat-
tants, ce sont des chevaliers français avec leurs troupes lé-
gères d'une part, et les Catalans et Turcopules de l'autre.
A cette bataille livrée par les Français survit un chevalier
feudatalre des princes français de Morée , le seigneur de
Chalkis, Bonifacej datte Carcere de Vérone, qui, suivant
R. Muntaner, jîvait deux ans auparavant été chargé par
Gui de La Roche mourant de l'administration du dnôhé
d'Athènes en attendant l'arrivée de Gautier de Brieone,
neveu de Gui et son héritier, qui était alors à NaplesL
Sauvé du champ de mort, il reçoit de ses vainqueurs l'or-
fre du commandement en chef et il refuse. IN 'est-il pas
tout naturel de supposer qu'après la grande bataille dans
ARMURES BU «OTBN AGB. 143
laquelle aT«ent succombé ses amis le seigoenr de Chalkis,
qui était en favenr auprès des Catalans, aura obtenu d*eni
de remplir un devoir pieux auquel les ennemis les plus
acharnés ne se refusaient jamais, celui d'enterrer les
morts? Les Catalans aYaîent Tusage, après une bataille, de
lever le champ, c'est-à-dire d'aller sur le champ de ba-
taille dépouiller les morts de tout ce qu'ils possédaient de
précteuY ; et certes ils n'avaient pas manqué de s'emparev
des éperons d'or et des armes de prix, aussi bien que deà
armes offensives qui pouvaient leur servir. Les arraea dé^
fenshres, plus grossières ou trop endommagées, furent
laissées sur la place au milieu des marais et des terres , et
ce sont ces armes que, suivant mes conjectures^ le sei-^
gnenr de Ghalkis, après avoir fait enterrer ses aaiis, aura
fait relever du champ de bataille et transporter dafns son châ*
tean de Clnilkis, voisin de ce lieu. Peot-ètre aussi auront*
elles été murées ici par les Vénitiens au moment où Hsfnrent
forcés de livrer Chalkis aux Turcs en 1^70. Ils ne poovaient
s'en servir pour eux-mêmes et ne voulaient pas cfuece dé*
p6t historique fût enlevé. La forme des armures, leur gros-
sier travail , les coups terribles qui les ont toutes endom^
magées, tout atteste que ces armures n'étaient pas conser*»
vées dans un arsenal pour l'usage des hommes d'armes ,
mais seulement comme un pieux souvenir et k)tn de tout
regard; et en eflet ce n'est que cinq cent trente ans après
qu'un pan de muraiUe , en s'écroulant , a fait connaître la
salle voûtée et sèche dans laquelle elles étaient conservées.
» Ces armures consistent en une centaine de casques dt
fH de trois formes différentes, selon qu'ils appartenaient à
des servants d'armes français, catalans ou turcopules. Les
casques turcopules sont plus légers et plus maltraités, et
il y en a aussi beaucoup moins. C'est la même forme qui
se conserve encore aujourd'hui dans l'Asie-Mineure et en
Perse. D'autres, les plus curieux peut-être, sont d'énor-
mes casques de siège , avec leurs épaulières et leurs pc^*
trûls, formés d'une seule pièce de fer. La visière seule est
144 tiBECE CONTI9i£NTALE ET MOEEE.
mobile. Ces casques, qui oe pouvaient convenir qu*ao mo-
ment d'un assaut , sont si lourds qu'uù vigoureux Maltais,
sur la tête duquel j'en avais placé un, ne pouvait pas le sup-
porter sans douleur au delà de dix minutes. Pois viennent
des cuirasses ornées en général de petits clous de cuivre,
dont la tête est assez élégante ; puis des épaulières, bras-
sards, cuissards, genouillères, jambards, dont quelques-
uns étaient destinés à des enfants pour les habituer de
bonne heure à ces armes gênantes ; puis un nombre consi-
dérable de plattes, c'est-à-dire de plaques de fer de forme
concave , qui se plaçaient les unes près des autres comme
une sorte d'écaillés, attachées à un vêtement de lin supé-
rieur, et couvraient tout le dos de l'homme d'armes jus-
qu'à sa jonction avec la cuirasse. L'un de ces vêtements
d'étoffe , et qui sous cette forme était connu sous le nom
de gasygan , avec ses plattes attachées de manière à enve-
lopper tout le corps en passant sous les bras , est encore
conservé en son entier. Plusieurs autres sont en lambeauxi
mais en lambeaux assez considérables pour indiquer leur
place. Le gasygan, qui était plus léger à porter, dispensait,
dans les cas de surprise , de la cuirasse et autres armures
supérieures. Souvent les chevaliers les plus braves se con*
tentaient de cette légère enveloppe d'écaillés, souple et lé*-
gère à porter dans ce climat chaud, et utile dans un cas de
surprise ou d'attaque , quoiqu'elle fût loin d'offrir la pro-
tection que donnait la cuirasse. Henri de Valenciennes
dit, dans sa Continuation de Yille-Hardoin , en parlant de
l'empereur Henri de Constantinople : « Li emperercs meis-
» mes i ala (à Tattaque) auques folement, car il n'avoit de
9 garnison pour son cors à cel point que un seul gasygan.»
» Dans plusieurs des casques sont les coiffes de lin et de
cuir que l'on plaçait dessous le casque pour protéger la
tête. A beaucoup de cuirasses sont attachées les courroies
de cuir et les boucles qui les réunissaient. Un casque des
plus épais porte IVmpreinte d'un coup de masse d'armes,
assené alors d'une main si puissante qu'il suffisait à faire
ARBIIHIES DU MOYEN AGE. 145
jaillir la cervelle. Dans Tintérieur d'une des cuirasses et
sur une des genouiilières est la marque du fondeur, des
M gothiques d'une forme que Ton reconnaît aisément pour
celle usitée au commencement du quatorzième siècle. Les
plattes abondent en telle quantité que j'ai été obligé de les
faire placer dans une pièce du rez-de-chaussée pour qu'el-
les ne fissent pas crouler les plafonds. Il n'y a aucune de
ces armures offensives dont Ramon Munlaner revêt les
cheT aliers de cette époque : quatre javelots ferrés pour lan-
cer de loin; la longue lance pour la première aKaque; la
longue épée droite qu'on appuyait sur la cuirasse en pous-
sant son cheval en avant ; l'épce recourbée pour se défen<>
dre de près ; la masse d'armes ; et pour dernière ressource
le poignard. Mais il y a un grand nombre de ces pointes de
javelots à quatre faces que les Catalans frottaient sur les
cailloux pour les aiguiser, des pointes de flèches, des bouts
de fer pour lesépieux, dont une partie de bois subsiste, et
aussi beaucoup de ces étoiles de fer destinées à être jetées
sous les pieds des chevaux , dans les endroits plus secs ,
pour les arrêter dans leur course et les blesser. On voit
donc que les armures de Chalkis peuvent offrir un objet
intéressant d'étude. Je rends grâce pour ma part à S." M.
d'avoir bien voulu les faire venir à Athènes, où plus tard
elles peuvent, avec les monnaies françaises de Con^lan-
linople, les monnaies françaises de la principauté de Mo-
rée, existant ici en grand nombre, et celles des ducs d'A-
thènes, et aussi avec tous les restes de blasons sculptés sur
le marbre et quelques-uns avec leurs devises, trouver
place dans un établissement public.
» Tous ces débris de l'histoire passée sont toujours de»
enseignements utiles pour les peuples. Il ne saurait être
indifférent à la Grèce de se reporter vers une époque où,
pour la première fois après son adjonction au grand em^
pire de Rome, puis de Byzance, elle a commencé à res-
saisir une existence qui lui fût propre, et à prendre sa
place au rang des souverainetés qui ont un nom. Si pen-^
13
146 GREGE GONTINENTALE ET MOftÉE.
dant les trois cents ans qui s'écoulèrent depuis la conquête
de Constantînople par les Francs jusqu'à la conquête de
la Morée par les Turcs , presque toutes les provinces qui
forment aujourd'hui le royaume de la Grèce furent régies
par des b<miuies étrangers au pays, par des Français dont
les dtroniques grecques elles-mêmes proclament la bonne
foi sans tache, la générosité chevaleresque et l'insouciante
bravoure, du moins la Grèce put, par eelte existence
nouvelle, reprendre, dans le mabeur même, des idées ée
fierté et d'indépendance, qui plus tard devaient porter de
si heureux fruits. Et quand ou a l'honneur d'appartenir à
uiie nation qui , comme la France , a si iioblemeat et si
puissamtnent contribué à l'affranchissement actuel de la
Grèce , et que soi-même on a donné à cette belle i^ause
des secours non inefficaces, on peut, sans crainte de bles-
ser une honorable susc^ibilité nationale, aimer à se rap-
peler et à rappeler aux autres qu'avant d'assurer à k
Grèce d'aujourd'hui cette nationalité que lui ont conquise
et méritée tant de sacrifices généreux, tant de malheurs,
tant de courage enfin déployé dans une lutte obstiaée, les
chevaliers français avaient été les premiers à lui reconqué*
rir, sinon une existence nationale , du moins une indivi-
dualité qui n'était ni sans fierté ni sans gloire. »
V.
ATHÈNE6. — t'ÉTAT.
Sera-t-il dieu , taWe ou cuvette ?
— 11 sera dieu , même je veux.
Qu'il ait en sa main le tonnerre*
Tremblez, homaiiis, faîtes des vœux,
Voici le mattm de la terre.
L'empereur Napoléon avait un instant conçu le projet de
transformer la république suisse en un landatauianat lié-
Féditaire qa*il voulait donner à Berthier, depuis prince de
Neufchâtel et de Wagraai ; mais il revint promptemeot
aux idées qu'il avait manifesiées en 180S dans la confé-
rence avec les dix députés suisses ^ « Le rétablissement
de l'ancien ordre de choses dans les cantons démocratiques
est , leur disait-il , ce qu*il y a de plus convenable et pour
vous et pour mot. Ce sont ces cantons , ce sont leurs for-
mes de gouvernement qui vous distinguent dans le monde,
qui vous rendent intéressants aux yeux de l'Europe. Sans
ces démocraties vous ne présenteriez rien que ce que Ton
trouve ailleurs ; vous n'auriez pas de couleur particulière.
Et songez bien à l'importance d'avoir des traits ci^raetéris-
tiques; ce sont eux qui, ékiignant l'idée de ressemblance
avec tous les autres Él^ts , écartent celle de vous con-
fondre avec eux ou de vous y incorporer. »
La Grèce, avec ses montagnes et ses vallées, avec ses sou-
venirs antiques et ses habitudes nQuvdles, se trouvait, après
sa révolution , dans une situation tout à fait analogue à celte
où se trouve la Suisse. Cette considération ne pouvait échap-
per aux hommes d'État européens chargés de prononcer sur
ses^slinées futures , puisque plusieurs d*en|re eux étaient
de ceux qui, en diverses circonstances, avaient pris part aux
affaires de la Suisse j et ^valent pu se convaincre par eux-
mêmes de la vérité des idées émises par Napoléon dans cette
célèbre conférence. Si donc on n'a pas fait du nouvel État
grec une agrégation de petites démocraties tnarquées d'un
caractère particulier qui« en éloignant i'idée de ressent-
iftanee avec tous les autres États, écartât celle de le confon-
dre avec eux et de l'y incorporer, c'est que probablement
quelqu'une au moins des puissances n'aurait pas été fâchée
de s'incorporer la Grèce un jour ou l'autre, et que les autres,
avec une utile prévoyance, devançaient par la pensée l'heure
où il deviendrait convenable, indispensable peut-être, de
* Voyez la note sur cette conférence, rédigée immédiatement par
MM. Usteri et Sta|>rer, dans tes Œuvres coniptètes <le Napoléon ,
l IV, p. 417, Cotta, IS'M, à Stultganl.
148 GRÈCE CONTINENTALE ET MOREE.
confondre les provinces déjà affranchies avec d'autres pro-
vinces qui ne pouvaient manquer de Têlre, et qu'ils vou-
laient ainsi former le noyau d*un État capable de prendre
sa place au rang des importants royaumes de l'Occident.
Telle fut probablement la raison pour laquelle , mus par
des vues différentes , tous s'accordèrent cependant sur un
seul point : rutililé de faire de la Grèce et de ses 800,000
habitants, non une petite agrégation de démocraties, non
un hospodorat, non un duché ou un grand-duché, non une
principauté comme au temps des Ville-Hardoin de France,
mais un royaume, c'est-à-dire un État de premier rang.
La Grèce est donc de droit un royaume ; mais*elle at-
tend encore de fait les provinces qui lui adviendront tôt ou
tard , et qui seules peuvent mettre les faits en harmonie
avec les noms. La Crète , plusieurs des grandes îles de
TArchipel et peut-être de la mer Ionienne , la Thessalie ,
rÉpire, voilà tout au moins, jusqu'à la vallée grecque de
Tempe et aux montagnes grecques du Pinde et de l'Olympe,
ce qu'il faudra bien finir par lui laisser prendre ; car tout cela
et bien d'autres choses échappent à la Turquie expirante.
Je ne parle pas d'une autre combinaison parce que je ne la
crois ni du goût de la Grèce , ni du goût de la France ,
de l'Angleterre et de l'Autriche , qui auront bien aussi
leur mot à dire sur ce sujet.
Lorsque le jeune prince Olhon de Bavière fut créé
le 7 mai 1832 roi du nouveau royaume grec, divers
gouvernements temporaires s'y étaient succédé depuis
1821 et avaient cherché à y enter de nouvelles institutions
prises autant que possible dans les anciennes habitudes du
pays. J'indiquerai rapidement en passant celles de ces in-
stitutions qui avaient pu y laisser un germe.
Sous l'empire de Byzance les municipalités s'étaient per-
pétuées en Grèce dans toute leur autorité et leur indé-
pendance.
Sous les Francs , qui succédèrent aux empereurs de
Byzance , ces formes municipales furent respectées par les
SYSTEME MUNICIPAL. 149
«
premiers conquérants eux-mêmes , et continuèrent à re-
prendre plus d'autorité en même temps que , par l'anar-
chie, s'affaiblissait la domination des seigneurs francs.
Sous les Turcs les mêmes formes municipales furent
maintenues, bien que ces maîtres ignorants avec leur vio-
lence habituelle violassent souvent de fait ce qu'ils recon-
naissaient de droit.
La domination des Vénitiens en Morée ne dura que de
1685 à 1715 , et ces trente années d'une possession incer-
taine ne laissèrent presque aucune trace dans le pays. Si
on se la rappelle plus vivement , c'est qu'elle a été la plus
récente ; mais , à l'exception de quelques forteresses et
églises dans cinq ou six pjaces fortes du littoral , à Corin-
the , Nauplie , Monembasie , Coron , Modon et Navarin ,
il n'en reste aucun vestige , et c'est par un acte d'igno-
rance, partagé d'une manière absurde par des hommes qui
devraient être plus éclairés , que le nom de fort vénitien a
été donné et laissé à des monuments et à des ruines qui
ont précédé de plus de trois cents ans la présence des Vé-
nitiens dans l'intérieur de la Morée , et à d'autres monu -
ments et ruines du même genre dans des parties de la Grèce
continentale où jamais , à aucune époque , les Vénitiens
n'ont mis les pieds.
Les Turcs, qui reprirent la Morée en 1715, y trouvè-
rent et y laissèrent les mêmes usages municipaux. Voici
comment était , de leur temps, organisé le système muni-
cipal dans la Morée , sur le continent et dans les îles. Je
puiserai ces exactes notions dans un mémoire manuscrit du
ministère de l'intérieur à Athènes qui m'a été communi-
qué par la complaisance de M. de Roujoux.
« Les Grecs , y est-il dit , au temps même de la domi-
nation turque , avaient une sorte de système communal
fort imparfait , et qui différait dans chacune des trois par-
lies de la Grèce.
» Dans le Péloponnèse , les maires (proestoi) de chaque
^'*Ue, bourg et village d'une province se rendaient, par
13.
150 GRÈCE GONTnîENTAI.E ET VOREE.
ordre du vaivode (gouverneur et percepteur des droits), k
la résidence ducadi (le juge turc). Chaque province (^par-
chic) avait un juge particulier qui prononçait dans les cau-
ses civiles et commerciales. 'Pour connaître d'une afiiaire
criminelle , il avait besoin d*un ordre exprès du pacha.
Ces députés de la province , réunis dans la résidence du
juge (chef-lieu de la province), procédaient à Télection
de deux primats (kodja baschi),dont Tun était Grec et
l'autre Turc nommé ayane , d*un trésorier et d'un maire
général nommé proestos. (;cs élections se faisaient k la
pluralité des voix , en présence du juge , du vaivode et
de tous les ayanes. Le vaivode était nommé directement
parle p^cha. Le juge demandait d'abord l'avis de l'assem-
blée sur les élections qui venaient d'être faites , et , d'après
la réponse « il notifiait par écrit leur élection particulière
aux personnes qui venaient d'être élues , et les invitait à
protéger les intérêts du peuple et à lui servir de représen-
tants dans toutes les occasions. Ces fonctions étaient an-
nuelles. Le primat (kodja bascbi) et le trésorier restaient
toujours auprès du vaivode , avec hquel ils tenaient con-
seil tant sur les affaires de la province que sur les ordres
transmis par le pacha. Le primat avait le droit de s'opposer
à l'exécution de ces ordres toutes les fois qu'ils étaient
onéreux au peuple. 8i des disputes s'élevaient entre le vai-
vode et le primat , celui-ci convoquait en assemblée les
maires (démogérontcs ou procstoi) de toutes les villes,
bourgs et villages de \^ province. Il leur soumettait le dif-
férend qui s'était élevé entre lui et le vaivode ; et , si l'as-
semblée ne parvenait pas à l'apaiser, elle en faisait son rap-
port au pacha par l'entremise du cadi. X)n suivait la même
marche dans toutes les occasions difficiles. S'il y avait des
plaintes fondées contre les exactions (angaria) du vaivode,
le primat , de concert avec le cadi , le suspendait de ses
fonctions et s'en rapportait ensuite à l'autorité compétente,
qui était le pacha. Chaque province avait un boulouk ha -
schi (chef de la gendarmerie), qui relevait di| vaivode et du
8TSTÈMB MimiGIFAL. 151
conseil proviocial. Le conseil pouvait le destituer toutes les
fois que bon lui semblait. Par cooséqueut , le chef de la
force executive était obligé , pour se maintenir eu place «
de ménager le con9eil et de se conformer aux ordres qu*il
recevait de lui. Pour lever un impôt quelconque, lorsque
lesbesmnsdu pays ou ceux du gouvernemeot local le récla-
maient, il fallait le consentement exprèsdu conseil provincial
et celui des maires de toutes les villes, bourgs et villages, et
ceux-ci le répartissaient en proportion des moyens de cha-
cune des familles sur lesquelles cet impôt devait poser. A
la fin de Tannée le trésorier général présentait ses comptes
aa conseil, qui nommait une commission pour les exami-
ner. On convoquait ensuite ep assemblée générale les mai-
res de toutes les villes , bourgs el .villages de la province •
auiquels on soumettait ces comptes. En cas d*abuK de la
part du trésorier, rassemblée des maires faisait son rapport
au cadi ; et celui-ci au pacha , qui punissait le coupable.
Tout procès criminel intenté contre un Grec était instruit
devant le cadi et le primat. Si ce procès était de quelque
importance , le primat , le vaivode et l'ayane étaient tenus
d*y assister. Dans chacune de ces personnes Taccusé de-
vait trouver un protecteur. Le primat exerçait toujours
beaucoup d'influence et il avait même le droit d'appeler de
la sentence. Quand un Grec avait un procès avec un Turc,
le primat était son avocat naturel. L'évêque ne prenait au-
cune part directe dans les affaires civiles; mais il exerçait
une grande inQuepce dans les affaires religieuses. Il pou»
vait connaître des différends qui s'élevaient entre les Grecs
el les apaiser par arbitrage , mais sans pouvoir les juger en
dernier ressort. Kn cas de plaintes de la part du peuple
contre le conseil provincial, c'était hl'évêque qu'il appar-
tenait de les porter ^ la connaissance du vaivode ; et , s'il y
avait des plaintes contre le vaivode , l'évêque s'adressait au
pacha. A la fm de l'année chacun de ceux qui formaient le
conseil provincial était tenu de rendre compte de ses actes
à sas mandataires ; et si sa condqite obtenait leur approha-
152 GRÈCE CONTINENTALE ET HOBEE.
tion ils faisaient leur rapport au pacha , qui pouvait, dans
ce cas , le confirmer encore pour une année dans son em-
ploi. Telles étaient les attributions du conseil de chaque
province. Le pacha avait son administration particulière. Il
avait auprès de lui un interprète grec que le gouvernement
turc nommait sur ja présentation deTinterprèteou drogman
de la Porte. Dans cet interprète tout Grec devait trouver
un protecteur, puisque toutes les affaires étaient présen*
tées par lui au pacha. Chaque province envoyait à la rési-
dence du pacha un ou deux primats qui , avec les ayanes
turcs , formaient son conseil, et étaient censés représenter
en même temps le peuple. Ces primats , réunis en assem-
blée avec rinterprète , prenaient connaissance de toutes les
affaires et opinaient sur la distribution des impôts que le
pacha voulait lever. Tout le Péloponnèse réuni envoyait à
Constantinople deux ou trois de ses primats qui y résidaient
en qualité de fondés de pouvoirs de leurs concitoyens. Ces
hommes , par leurs relations avec des personnes impor-
tantes , exerçaient beaucoup d'influence sur toutes les af-
faires relatives à Tadministration de leur pays. Leur séjour
dans la capitale de l'empire turc leur donnait la facilité de
mettre des bornes à l'oppression et à la cupidité des pa-
chas , dont plusieurs avaient été destitués sur les repré-
sentations que les députés de la IMorée faisaient à la Porte.
0 Le Magne avait un système communal tout à fait par-
ticulier. Il se gouvernait lui-même et ne recevait jamais
de Turcs dans son sein. Chaque ville, bourg et village du
Magne nommait son démogéronte, qu'on appelait capi-
taine. Les démogérontes réunis formaient le conseil du
Magne , présidé par un capitaine choisi dans son sein et
élu à la pluralité des voix avec le nom d'archicapitaine.
Ce n'est que depuis 1770 , époque à laquelle la Morée ré-
voltée contre les Turcs à l'instigation de l'impératrice Ca-
therine fut ensuite soumise , qu'on a donné au Magne un
gouverneur sous le nom de bey ou prince du Magne. Ce
bey n'était pas nommé, comme les princes de la Yalachie
SYSTÈME MIINIGIPAL. 153
et de la Moldavie, en vertu d'un firman de La Porte, mais
uniquement par le capitan-pacha. Au lieu de ^,000 pias*
très qu'il avait payées jusque-là au trésor du sultan , le
Magne eut désormais à payer 15,000 piastres ; et les attri*
butions du nouveau prince du Magne furent d'envoyer ré-
gulièrement au pacha ces 15,000 piastres par an. Il fut
chargé en conséquence de percevoir les revenus de la pro-
vince. Il pouvait dépenser l'excédant pour les besoins du
pays, et devait y maintenir le bon ordre.
» Dans la Grèce continentale le système communal res-
semblait, sous plusieurs rapports, à celui du Péloponnèse.
Chaque ville , bourg et village nommait d'abord ses pri-
mats, qui, réunis en assemblée, nommaient les primats
provinciaux ou des éparchies (en Albanie velagetia) , les^
quels dans certaines provinces étaient élus tous les deux
ou trois ans, dans d'autres étaient élus à vie, et dans que1<
qnes-unes étaient héréditaires. Aucune autorité, soit admi-
nistrative, soit judiciaire, ne pouvait intervenir dans les
élections des primats. Ce n'est que pendant la domination
d'Ali-Pacha que cette prérogative fut méconnue. Les im-
pôts levés sur les habitants de la Grèce continentale étaient
exorbitants. On ne pouvait pourtant lever aucun impôt
sans le consentement des primats. C'est pour cela que ,
dans les provinces où il y avait des primats honnêtes et
probes, les pachas commettaient moins d'exactions; mais
malheureusement, dans la plupart des provinces , les pri-
mats n'étaient que les organes des abus et des exactions
des oppresseurs. Aussi les habitants du continent étaient-
ils souvent forcés de payer des impôts directs et de faire
des corvées extraordinaires pour satisfaire la cupidité des
pachas et de leurs satellites , tandis que les habitants du
Péloponnèse et de l'Archipel, ayant plus de prérogatives
que ceux de la Grèce continentale , avaient moins à souf-
frir de leurs oppresseurs. Comme le Péloponnèse avait
aussi dans toutes ses provinces des prélats qui se réunis-
saient une ou deux fois par an dans la résidence du pacha,
154 GHÈCE CmiTiNWTAIiC £f MOBEE.
eà ils diaentaient et terminaient les affaires de lear pays,
et qu'ils avaient h Coaslantinople des fondés de poaveîrs,
les remontrances des premiers auprès du paeha et surtout
la présence des derniers dans la capûiale du royaume turc
empêcliaient beaucoup d'abns de la part des pachas. La Ron-
mélie ne jouissait d'aucune de cas prérogatives et ses ha-
bitants étaient par conséquent abandonnés è tous les ca-
prices des pachas et de leurs subdélégués.
» Les îles avaient aussi leur système communal séparé.
Au commencement de Tannée , les primats de chaque île
s'assemblaient dans un endroit désigné oà ils procédaient,
Si la pluralité des voii , à Télection de leurs démc^érontes,
noHtmés archontes, dont les fonctions étaient aBuuelles.
Aussitôt que les nouveaux demeurantes entraient en fonc*
tions , leur premier soin était de réclamer de leurs prédé-
cesseurs le compte des dépenses faites par eux pendant
l'année précédente, de dresser un aperçu des dépenses
nécessaires pour Tannée suivante, et d'envoyer à Gonstan-
tinople des éniissaires pour payer au trésor le tribut régu-
lier, Après le retour de leurs commissaires , ils faisaient
dresser un aperçu des recettes et d^ dépenses annuelles
ft s'imposaient en conséquence des taises ei^traordinaires
pour combler le déficit des dépenses de Tanqée courante.
Cette répartition des taxes était faite par les archontes , en
proportion des moyens de chaque famille sur laquelle cette
taxe devait peser. Les receltes communales consistaient
dans les dîmes et droits de douane que chaque commune
percevait pour son compte. Outre ce tribut régulier payé
au trésor, les îles devaient de plus, en temps de guerre,
fournir au capitan-pacba des bâtiments de transport et ie$
marins. Les archontes étaient aussi investis des pouvoirs
judiciaires dans les affaires civiles et dans les affaires cri-
minelles. On pouvait appeler de leur sentence devant Tin-
terprète des îles; mais en attendant on devait porter le
plus grand respect aux ordres de ces archontes. Si quel-
qu'une des îles voulait avoir un gouverneur (dikiaiti$),'elle
AMEMBLIIS MATIOllALEg. 155
s*adressait à Tantorké compétente , qui était celle da ca-
pitao-pacha , et elle lui désignait la personne qu'elle dési-
rait avoir pour gouyerneur et doDt elle devait payer les
émoluments. Les instructions dont oe gouverneur étail
muai portaient qu'il devait juger, d'accord avec les ar«
chontes et d'après les «rages du pays , tous tes différend»
qui s'élèveraient entre les liibitaBt& »
Tel était te système communal qui régissait les div<^-*
ses parties de la Grèce, la Morée, le Magne, la Grèce con«
tinentale et les îles, au moment où éclata la révolution de
4S21.
Un congrès national composé de quatre-vingt-dii aiem*
bres élus par les diverses municipalités des villes récem-
ment affrancMes, à commencer par (lalamata, avait été
convoqué dès le mois de novembre 18^1 à Argos et t«t
transporté ensuite à Épidaure. Son premier soin fut de
s'occuper de Torganisatioa civile du pays. Une consiitiH
tion républicaine fédérative fut publiée à Épidaure le
1*' (13 a. st.) janvier 1822. L'^alité des droits de tous,
la tolérance des cultes, le système représentatif et la sépa«p
ration des pouvoirs législatif , judiciaire et exécutif y sont
proclamés. En attendant an nouveau code , les lois des
empereurs grecs de Byzance'pour les affaires civiles et
criminelles , et notre code de commerce pour les affaires
commerciales furent déclarés lois de l'État. Un décret du
45 (27) janvier de la même année proclama l'indépen-
dance de la nation grecque, et une loi organique des com*
munes fut promulguée. Un décret du 7 mai décréta aussi
que tout soldat qui s'enrôlerait recevrait un strème de terre
par mois, à compter do jour de son enrôlement jusqu'à la
fin de son engagement.
Un nouveau congrès élu conformément à la conslitution
d'Ëpidaure devait se réunir à Nauplie , mais il se réunit
en effet en 1823 à Âstros, dans le vallon, à l'ombre des
orangers et des citronniers, et en présence des curieux
qui couronnaient les collines voisines. La constitution d'Ë-
156 ' GRÈGB CONTINENTALE ET MOREE.
pidaure fut revisée ; on mit quelques bornes à Tautorité
des juntes locales, qui avaient entravé les affaires, et on
s'occupa d*un code pénal qui pût remplacer le code gréco-
romain de Fempire byzantin. Mais les commissions chargées
de ces questions n'eurent pas le temps, pendant cette
courte session, de présenter le résultat de leurs travaux, et
on se contenta, en se séparant le 18 (30) avril, de présenter
Fanalyse des travaux de la session et de proclamer de nou-
veau rindépendance de la nation grecque , repoussée aa
congrès de Vérone.
Le 6 (18) avril 1826 s'ouvrit un nouveau congrès con-
voqué à Épidaure et qui s'assembla à une lieue de là » à
Piada. M. Stratford-Ganning promit alors à cette assem-
blée de négocier avec la Porte pour faire reconnaître à la
Grèce une sorte d'existence indépendante , moyennant un
tribut annuel ou une fois payé, et alors le nouvel Étal de-
vait comprendre , outre le Péloponnèse et la Grèce conti-
nentale, les îles de l'Archipel, l'île d'Eubée et Candie.
Ces mêmes députés , réunis après de vives dissensions ,
se rassemblèrent à Trézène dans les premiers jours d'a-
vril 1827, et choisirent aussitôt à l'unanimité le comte
Jean Capo d'Istria pour président ou proedros de leur
nouvel État. En se séparant le 17 mai 1827, celte assem-
blée proclama une nouvelle constitution qui modifiait la
constitution d'Épidaure. Le pouvoir exécutif, d'après la
constitution de Trézène, était confié à un président invio-
lable, élu pour sept ans, avec droit de veto suspensif seule-
ment et un ministère responsable : le pouvoir législatif était
confié à une seule assemblée nommée sénat (bouli). Le pou-
voir judiciaire se composait 1° déjuges de paix; 2** de tribu-
naux d'éparchie (province ou première instance) ; 3° d'ap-
pel ; 4*" d'une cour suprême de cassation. Les lois gréco-
romaines, les lois votées par les assemblées et le code de
commerce étaient déclarées lois de l'État en attendant la ré-
daction d'un nouveau code. Le jugement par le jury était
adopté ; les débats devaient être publics ; la liberté de la
ASSEMBLÉES NATIONALES. 157
presse élait reconuue ; les titres de noblesse étaient interdits;
le recours à la protection des puissances étrangères élait
aboli. Des promesses de terres étaient faites à ceux qui au-
raient bien servi le pays, à leurs veuves et à leurs enfants.
Les maires (démogéronics) devaient être élus, par les habi-
tants, à la pluralité des voix. Le siège du gouvernement était
fixé à Naupiie. La bataille de Navarin, le 20 octobre 1827,
\int consolider Tespoir d*une indépendance nationale.
Jean Capo d*Istria arriva à Naupiie le 18 janvier 1828, et
convoqua une nouvelle assemblée pour le mois d'avril 1829 ;
et, en attendant, il nomma , sous le titre de Panhellenion,
un conseil composé de vingt-sept membres pour agir de
concert avec lui. Le corps français du maréchal Maison
débarqua à Navarin le 29 août 1828, et un protocole du
12 décembre 1828 promit aux Grecs une monarchie con-
stitutionnelle.
L'assemblée nationale se réunit le 13 juillet 1827 à Ar-
gos, sur les gradins même du théâtre antique adossé à la
moniagne. Elle continua le gouvernement provisoire des
^ingt-sept, choisis par le président sur une liste de soixante-
trois qu'avait à lui présenter le congrès. Le sénat (gerousia)
devait préparer une constitution définitive avec la division
da pouvoir législatif entre deux chambres. Le congrès se
sépara le 18 août 1829 après avoir décrété que 200,000
slrèmcsde terre (environ 100,000 arpents de Paris) seraient
aliénés en faveur des soldats , à qui on devait un long ar-
néré de leur solde.
Le 3 février 1830, la conférence de Londres signa les
protocoles par lesquels elle reconnaissait l'indépendance de
la Grèce comme état monarchique ; et elle choisit le prince
Léopold de Saxe-Cobourg pour son souverain, sans dire un
mot du droit public des Grecs. Dans sa réponse à cette com-
munication de la conférence, le sénat grec déplore le refus
qu'on faisait de Candie, de Samos, d'Ipsara, de Chios et des
petites îles voisines et indique son espoir d'une constitution
libre : « La Grèce , est-il dit dans son mémoire, se réjouit
158 ORECfl GONTINBNTALB ET HOREE.
d'autant plus du choix fait de S. Â. R. le prince Léopold de
Saxe-Gobourg, qu'elle a appris que S. A. R. a Doblement
refusé la glorieuse et difficile tâche de faire le bonheur
d*uae nation avant de s'être assuré de son assentimeot.
Le principe qui a engagé S. A. R. à prendre une résolu-'
tion si généreuse , et Félévaiioa de son caractère , 80Bt de
sûrs garants de sa disposition à consolider les libertés pu-
bliques que la Grèce a consacrées dans quatre assemblées
nationales , et qu'elle regarde comme aussi nécessaires et
aussi précieuses que l'existence même. » Le eomte J. Gapo
d'Istria s'expliquait dans le même sens en écrivant en par-
ticulier au prince : « U m'est impossible, prince, lui disait^
il le 6 avril , de trouver le temps nécessaire pour discuter
en détail les actes de la conférence de Londres; mois, et
qui me semble asseï ckir, c'est qu'en a trouvé meilleur et
plus court d'imposer aux Grecs une convcniioa d'où dok
résulter pour eux l'indépendance que de leur laisser adop-
ter cette convention dans une forme légale. Ce n'est pas à
moi à examiner les motife qu'on a eus pour préférer cê
plan ; ce que je puis dire seulement, c'est qu'on n'en peu"
vait pas choisir un qui fât amns favorable aux intérêts de
ce Huiiheureux pays et à ceux de Y. A. R. L'acte du 3 fé*
vrier et celui qui confère à V. A. R. le pouvoir de soqve^
raia héréditaire ne disent pas un seul mot des droits pubiioi
des Hellènes. Ce silence indique de deux choses l'uae { ou
que les puissances alliées ont imaginé que la personne de
prince absorbait et concentrait en elle-même tous les droits
des Grecs, ou qu'ils ont réservé au prince souveraki la fa-
culté de reconnaît!^ ces droits par uae déclaration qu'il
ferait au moment de prendre la direction des affaires. Cette
seconde e^)lication est celle que j'ai ckHinée aux membres
du sénat et à tous les citoyens , qui ne cessent de m'acca-
Uer de questions depuis que les actes de Londres sont
connus ici ; et c'est dans ce sens que sera probablement
conçue l'adresse du sénat. » Le prince de Cobourg, voyant
par cm lettres que, par riiài^teUigoaci^ de l'avenir mofûrâ?
dans cette affaire par la conférence de Londres, il n^anraH
pii en Grèce la force d'adhésion qui lai était nécessaire^
donna, le àl mai 1830, sa démission.
Gapo d'Istria , resté seul à la tête des affaires en atten-*
dant un nouveau choix de la conférence de Londres, erai*
gnit sans doute de voir éclater la guerre après la révolution
de juillet, 8t sie rattacha vivement à ralliance russe et à la
fM>UUque ru98e. Il se refusa à la convocalion d'une assem-
blée nationale » restreignit la liberté de la presse et retint
tons les pouvoirs eu ses mains. Les hommes les plus émi-
nents du pays se séparèrent de lui ; le Magne se déclarji
ÎQdépendiiQt } Hydra en fit autant ; la guerre s'alluma entre
le président et le parti de Topposi^ion , et les Russes mar^-
cliôreot comaie auiiliaires du président , tandis que les
Français et les Anglais, qui cherchaient à ramener Taqien,
devinrent suspects au comte Gapo d'istria. L'incendie vo^
lontaire de la flotte grecque par les Grecs eqx-rnêmes, |i la
suite de l'attaque des Russes sur Poros, le 13 août, et sur
Qydra , et l'assassinat du président f le 5 octobre , par les
jeunes Mavromichali , à la suite de l'emprisonnement illér-
ga) de leur vieux père, tels furent les ieu% grands événe-
iBents de l'année 1831* Le frère du président , le comte
Augustin Capo d'Istria , fut choisi comme président à sa
pIlKe, par le sénat, avec Golettis e|; Golocotroni, et qn con-
Sr^s uatioani fut convoqué.
L'anarchie la plus violente déchira le pays pendant les
premiers mois de l'aqnée 1832. Il y eut deux assemblées
pationalea et deux gouvernements, Golettis d'un côté, Au-
gustin Capo d'Istria d'un autre. Gependant la France,
l'Angleterre et la Russie tenaient à Londres, par leurs dé-
légués, M. de Talleyrand pour la France, }ord Palmerston
pour l'Angleterre et MM. Lieven et Matuszevics pour la
Russie, des conférences dans lesquelles étaieiit examinées les
Qiesures qui convenaient au nouvel État grec. A la suite de
la démission du prince de Gobourg, les délégués des trois
puissances avaient entamé des négociations avec le roi Louis
160 GRECE COIVTINEKTALB ET MOREE.
de Bavière pour que son fils, le jeune Othon , encore mi*
ncur, devint roi de la Grèce. La convention arrêtée entre
eux et le roi de Bavière , représentée par son ministre le
baron de Getto, fut arrêtée par un protocole du 7 mai
1832. Il était stipulé :
Articles 1, 2, 3, U. Que la Grèce formerait un État mo-
narchique indépendant , et que le prince Frédéric Othon
de Bavière en serait le souverain héréditaire.
5 et 6. Que les limites seraient fixées par les trois cours
à la suite de négociations avec la Porte.
7. Que les trois cours se chargeraient de faire recon-
naître le nouveau roi par leurs alliés.
8. Qu'en cas de mort sans issue , la couronne grecque
passerait à ses frères et à leurs enfants, sans pouvoir être
réunie h une autre couronne.
9. Que la majorité du prince serait fixée à 20 ans , qui
tombaient le 1" juin 1835.
10. Que, pendant sa minorité, la régence serait confiée
à trois conseillers choisis par le roi de Bavière.
11. Que le prince Othon conserverait son apanage en
Bavière et recevrait des facilités du roi son père , jusqu'à
ce que la dotation fût formée.
12. Qu'un emprunt de 60 millions serait garanti par les
trois cours , chacune pour un tiers , mais que les recettes
effectives de l'État grec devaient , avant tout , et sans
pouvoir être emploi/ ces à aucun autre usage, être
employées au payement des intérêts et du fonds d'amortis-
sement , sous l'autorité des ministres des trois cours en
Grèce.
13. Que la compensation à payer à la Porte serait prise
sur cet emprunt.
l/i. Qu'un corps de 3,500 hommes armés, soldés et
équipés par l'État grec serait levé en Bavière pour aller
remplacer les troupes laissées par les alliés en Grèce.
15. Que des officiers bavarois seraient autorisés p<ir le
ÉLECTION DU BOI OTHON. 161
roi de BaTÎère à aller organiser une force militaire en
Grèce.
16. Que les trois conseillers cboisisponr former la régence
devaient se bâter d'aller en Grèce , et que le jeune roi ne
devait pas tarder à les suivre.
Par un article supplémentaire, les femmes de la famille
de Bavière sont appelées à la succession de Grèce ; mais
seulement en cas d*extinction des mâles des trois 61s cadets
du roi Louis de Bavière. Il n'y eut pas un mot de dit, dans
cet acte, sur la forme de gouvernement à donner à la Grèce
et rien qui promit, comme l'avait fait le protocole du 12
décembre 1828, une monarchie constitutionnelle. Une lettre
du baron de Giese, ministre des affaires étrangères du roi
Louis de Bavière , à M. Sp. Tricoupis , ministre des affai-
res étrangères du gouvernement grec, datée de Munich,
31 juillet 1832, annonce cependant l'intention d'établir un
jour une constitution par le libre concours de la nation et
du roi.
« Autant qu'il est parvenu à la connaissance de S. M.,
dit M. de Giese, les actes par lesquels la nation grecque a
con6é aux trois cours le choix d'un souverain n'ont pas fait
mention d'une constitution dé6nilive de l'État qui serait
arrêtée avant l'élection et sans le concours de ce souverain.
Ainsi , dans les circonstances actuelles , la confection et la
publication d'une constitution définitive en Grèce se trou-
veraient en opposition directe avec les actes dont il s'agit. Ce
sera un des premiers soins de la régence royale , nommée
pour vaquer, pendant la minorité du roi, à l'administration
du royaume , de convoquer une assemblée générale de la
naiion pour recevoir le monarque, lui offrir l'hommage du
dévouement de la Grèce et cimenter son union avec le
prince qui va travailler à ses destinées. Cette assemblée
«era chargée de travailler avec la régence à préparer la
constitution définitive de l'État, qui, réglée de la sorte avec
le libre concours de la nation et de son roi , au milieu
d'nne tranquillité profonde , lorsque ses ressources seront
14.
I6f GREOB CONTWRIKTALI ST IWIGC.
mîeoi coiiou6§ , répoodrt moa buI doau ^ aes bâsoifts , ii
ses ?œux et à ses intérêts. •
Une assemblée natioiMle de tous tes partis réunis a'oa-
¥rît cependant, le 14 (25) juillet, daus le firaboorg de PrOi%
nia, près de Nauplie, reconnut, le 8 août, TélecliQii du r«i
Oifaou et s'occupa à poser les bases d'une eoosiitulioQ dé-
finitive de l'État e| ^ régler tout ce qui toucbsU la diatri^
butioQ des terres nationales i mais les dési^rdres comeais par
les chefs militaires Golocotroiii , établi i Tripotizi&a • Tza-»-
vellas h Patras , GH^as à Missolongbi • par les partisaos do
la Russie i qui eulevajeut l'imprimerie nationale de Ni|u«
plie pour la transporter k Spetxia et proclamer préaicMl
l'amiral russe Ricord « et par les loldats du gou?eraefiieiil
lui-même, qui eplevai^nt les députés pouj tes mettre ^
rai>ÇOQf obligèrent l'asseq^blée de ProQia de se diaseudref
Le roi Olbou i emNrqué à Brindea le i4 jaoîiçr lg3)i
débarqua I) Nauplie le 6 tévrier , et le $orps d'oceopatisA
français quitta la Grèce an mois d'août. La régence qui
devait gouverner en son nom peudanl sa Qsioorité « et qui
était composée de M^. d'Arnf^anspçrg, AJaurer et Deidl^ciff
publia le mémo jpur à Nauplie , en allemand et en gret^i
une proclamalion dans laquelle on trouve cette seule
phrase sur la promesse d*uQe constitution politique.
<i ,.. Consommer la régénération de la Qrèce en lui don-*
nant des institutions approfondies , stables , ei qui répon-»
dent à la situation du pays et auiç vceux de la nation , voilât
Qellènes , le but aussi glprienic que diQicile de I9 n)is$ion
que j'entreprends. »
La régence bavaroise n^ontra d'abord nue fort grande
ignorance du caractère grec, dan^ l'introductinn d'un code
pénal qui aggravait encore çelqi emprunté par Gapo d'Ia-i
trii) aux Vénitiens , et les finances furent dilapidées par
elle sansaucqne mesure et sans conMOlefCar elle ne voulut
jamais supporter celui d'une assemblée natinnale \ cependant
lin de se^ membres les plus capî^bles, i\L IVlaurer, 4'ocçnpa
avec soin dç Torgani^tion religieui^e et civile dn pitys, p<if
MEGBNei BAVAIIOMB. t63
noc décision do mois de juillet 1833 , il fat déclaré qu'à
TaVeoir l'Église grecque ne serait plus soumise au pa-
triarche de Gonstaotiuople , toujours dépendant du sultan
et par conséquent de là Russie , mais k on synode de dix
membres choies par le gouvernement. L'organisation jo^
diciaire se composa d'un aréopage ou cour de cassation, de
deux épbètes ou cours d'appel , l'une à Athènes , l'autre à
Naoplie ; de dix protodica ou tribunaux de première in-
stance, à Athènes, Ghaikh, Syra, NaupHe, Sparte, Calai-
mata , Tripolizza« Pairas, Missolonghi et Lamia} déjugea
de paix et de trois tribunaux de commerce à Syra , Patraa
et Nauplie« L'organisation administrative ae composa de
sept ministères; d'un conseil d'État (épicratia), composé
de vingt membres ordinaires et vingt nombres estraordir-
naires, tous amovibles; d'une cour des cqmptes; de dix
départements ou npmarcbies (1. Argolide etCorintbies 3.
Aebaye et Ëlide ) 5. Meisénie; U. Arcadie ; 5, Laconie \ 6«
Acarnanie et Etolie; 7. Phocide et Locride; 8. Béotie; 9^
Eobée ; 10. Cyclades) comprenant chacune un certain nom-;
bre d'arrondissements ou éparchies , et chaque arrondisse-;
ment composé d'un certain nombre de communes ou dêmes.
Une ordonnance du 27 décembre 1833 , sur les commiineai
termina cet édifice. Cette ordonnance stipule entre autres «
titre V, article 4 , que toqt village ( chorio) ayant 300
habitants peut réclamer le droit de commune (déme). Les
hameaqx moins peuplés doivent faire partie de la coinmune
la plus rapprochée. Art* 7. |l y aura trois sortes de dêmes,
ceux d'au mojqs 10.000 habitants, ceux d'au moins 2,000 et
eaux an dessous de 2,000« Titre IL Les enfants légitimes ap-
partiennent à la commune du père, les bâtards à )a commune
de la mère, les enfants trouvés à la commune dfins laquelle iU
sont trouvés. 13. Tons les membres d'une commune, à Tex-*
ception des femmes ainsi que des détenus et des condamnés,
prennent part aux élections h vingt-cinq ans. 23. Ce qui
reste des revenus d'une cqmmune , «^près les dépenses faites^
est placé à intérêt oq einplqyé ^ de pouveniix b^spips sans
164 GRÈCE CONTINENTALE ET MOBÉE.
popvoir être partagé par les citoyens. Titre Y, art. 3. Le
conseil municipal se compose d'un maire (dimarque) ,
d'un à six adjoints (paredros) et d'un conseil de six à dix-
huit membres , selon les trois classes de la commune. AO.
Les fonctions de dimarque sont gratuites; il reçoit seule*
ment , selon l'importance du dême, une somme suffisante
pour payer les frais de bureau. Les astynomes (commis-
saires de police) sont à la nomination du gouvernement sur
la présentation du dimarque. A^. La durée des fonctions
de dimarque est de trois ans. Ub. Il peut être suspendu par
lenomarque, et, dans les trois jours, le ministère doit
confirmer ou annuler cet arrêt et peut même le des-
tituer. 50. Le conseil municipal désigne trois candidats
pour l'emploi de caissier communal et le gouvernement
choisit un des trois. 56. Les délibérations du conseil mu-
nicipal ont lieu à la majorité absolue , et les deux tiers des
membres doivent être présents. 58. Les fonctions du con*
seil municipal durent neuf ans et il est renouvelé par
tiers tous les trois ans. 59. Le gouvernement peut desti-
tuer un conseil municipal , mais il doit , dans les quatre
semaines qui suivent, convoquer les électeurs pour le
choix d'un nouveau conseil , etc. Quelques mesures furent
prises aussi pour les dotations promises aux soldats et pour
les terres, dont les assemblées nationales avaient interdit
toute aliénation sauf de celles destinées aux militaires. Mais
une ordonnance du 16 (28) janvier 1834 déclare que les
lois prohibitives sur la vente des biens nationaux ne s'ap-
pliquaient qu'à une aliénation générale (réservée à une as-
semblée nationale) et non à une vente particulière. Quant
aux dotations du soldat, lord Goderich ayant, en 1831 ,
substitué dans les colonies australiennes , aux concessions
gratuites une enchère dans laquelle les militaires avaient
droit à une remise en proportion de leurs années de ser-
vice , ce système fut introduit eu Grèce. Il en résulta que
les militaires ayant la libre disposition de leurs terres sans
que, comme dans les colonies vénitiennes, ils fussent tenus
POPULATION. 165
de planter ou bâtir {ivant de pouvoir vendre, les terrains
ainsi donnés ne restèrent pas entre leurs mains.
Ainsi en arrivant à sa majorité (20 ans) le l""' juin 1838,
le roi Olhon trouva les deux tiers de l'emprunt dissipés
un synode. ecclésiastique et un conseil d'État placés sous
sou autorité , un système municipal fort libre, la liberté de
la presse établie et cousolidée par l'usage, la publicité in-
troduite dans les débats judiciaires, ainsi que le jugement
par jury, et une organisation administrative capable de se
mouvoir avec facilité, tous les éléments, en un mot,
d'une monarchie constitutionnelle, moins la constitution
et l'assemblée nationale avec laquelle on eut à la discuter.
Mais les Bavarois étaient encore implantés en Grèce , et ce
ne fut qu'après avoir éliminé les ministres allemands et
s'être entouré de ministres nationaux, en 1837, qu'il put
être regardé comme un vrai roi national.
Quelques renseignements statistiques compléteront ce
sérieux article.
ÉTAT DE LA POPULATION EN 1839
d'après les 30 provinces {diocèses) su6stituées en
juin 1836 aux dix nomarchies.
t
L Argolide 27,324
2. Acbaye 29,196
3. Messénie 30,792
4. Pylie (Navarin) 11,925
6. Gortyne (Caritena) 47,817
6. Corinthe 29,370
7. Kinethe (Calavryta) 36,181
8. ÉIMe 34,283
9. Lacédémone ' 39,095
10. Laconie 35,148
11. Mantinée 62,296
12. Triphylie 35,593
* M. d'Armansperg, le président de la régence, recevait 135,000
par an , les deux régents 35,000 chacun, et on donna à la Turqnie
12,000,000.
^ _ r
166 GRECE GONTlinBfllTAUl ET MOREE.
là. Étolie. .«....« 4 %kf^K%
14. Tri€hoBi« 8,443
16. Phthiutide* , . 22,566
16. Locride 9,522
17. Ciiritanie ^ 1,533
18. Acarnanle 24,09e
19. Pb<ield6 « 30»117
30. Eubée, « r . « « . 4M)S
21. Skiatlios et Iles adja^iites. * « • 9,751
22. Béotie. 30,944
23. Allique 21,6 27
24. Mégaride 11,589
25. Hydra 16,609
2«. Bpetzia < 13,04»
27. Sjra » • . « 2«,4«4
28. Milo. ....(.., 10,07&
29. Saotorino î • f 1 8,760
30. Tine 32,228
31. Naxos . 18,869
Grecs Aoti insecte et étranger». . !!9,3^4
^
Total 829,236
tique et de Mi dépeniM iocdies «a i84li»
KErfiMM HUHICIPAIIX.
150,000 drachmes.
27,000 —
3,759 —
lj708 —
7,P0O —
2*747 —
2,350 —
MPVLikTIOll.
Athènest
. . . . 22,309 t
Pirée. .
. , . . 2,099
Cécropia.
. . . 2,158
Marathon.
. . . 1,214
Phylé. .
. . . . 2,659
Calamq.
< . ) . 2,000
LauriuQ).
, * . . 1,470
-«-
33,909 194,673
Voici aussi le budget de TÉtat, tel qu'il a été envoyé aux
cabinets étrangers, polir 1842.
RECETTES. DÉPENSES.
RECETTES ORDINAIRES.
draclimci. drncbnies.
lApdtB élraBts. . . 10,214,000 îutériéttr 1,277,41)0
IsiipéU iDdipeÊU. « 4,èO0»OOO Itti(t»tt6t. p«M«i}tte. 497 ^OU
Fropriélés. . . , » 1,716,000 Aifaires étraagèm. 422,l»a
Édifices publics. . • 300,600 Justice 830,278
Veotes 734,000 Guerre 5,436,080
Propriét. ecclésiast. 2/0,000 Marine 1,522,555
"•/rrrr" Ftoances 3,537, 5Ji
i7.e7o.ûoo ^^^ '«oioeo
DelaFrance . . . J.U6.000 E^^^ettatérM.. J,7W,«*
De I AB(|leterre. . . ^ 73.000 p^^tj.,,^,,^,. ,;^0^
1,180,000 Trou()fiS turqi^£i&. . 22,^00
^Q toutr, « . |?»U9,0O ld,à70^û«4
11 est difficile , d*après ua budget si imparfait, de 9«
rendre compte des finances grecques. On voit que même
la liste civile , qui est d*aa million , est oubliée.
VI.
ENVIRONS D'ATHÈNES, CQLONE, L'ACADÉMIE, PAPHNI,
ELEUSIS.
L'Attîque est un pays d'une extrême sécheresse. Dès les
premiers jours de mai Fherbe des champs est jaune et
brûlée. Aucune source d'eau voisine, aucune pluie bien-»
faisante ne viennent lui redonner la vie. L'Uyssus et le
Cépbise , et la fontaine Calirrhoë n*out pas une larme à
répandre sur la désolation des campagnes dans lesquelles
ils aimeraient à couler, et la triste feuille de l'olivier de
Minerve offre la seule verdure qui puisse délasser l'oeiL
168 GRÈGE CONTINENTALE ET MORÉE.
Au mois de juin et au mois de juillet la chaleur s'élève
assez souvent jusqu'à 33 degrés Réaumur et ^0 centigrades.
Il est difficile , à Athènes , d'échapper à cette grande cha-
leur. Les rues n'ont pas de portiques, et les maisons, cons-
truites à l'allemande avec des murs légers et beaucoup de
croisées, n'offrent aucun abri un peu tempéré. L'Athènes
moderne a de plus été si ingénieusement placée par ses
premiers architectes allemands, que la brise de mer est in-
terceptée avant de pouvoir y arriver ; tandis qu'en la posant
à quelques pas plus haut, où elle tend d'ailleurs à se trans-
planter maintenant, on y eût joui et de la vue de la mer et
de la fraîcheur dont se tempère l'haleine des vents qui
l'effleurent. Il faut donc, si Ton veut respirer un peu à
l'aise dans la saison chaude, se hâlcr de sortir d'Athènes.
Les routes par lesquelles on peut diriger les roues d'une
voiture quelconque ne sont pas nombreuses et elles s'é-
tendent à une fort petite distance d'Athènes. L'une con-
duit au Pirée à deux lieues de là ; l'autre , aussi de deux
ou trois lieues, aux gracieux villages deMarousi et de Ke-
phisia aux pieds du mont Pentélique, et la troisième, qui
passe près de l'abbaye de Daphni déjà décrit plus haut comme
le Saint-Denis des ducs français d'Athènes, près de la sainte
Eleusis et au pied de la forteresse si bien conservée de
' l'antique Ëleuthère, conduitjusqu'àThèbes et parfois même,
hors de la saison des pluies , jusqu'à Livadia. Partout ail-
leurs on ne peut aller qu'à cheval , mais on a souvent à un
prix modéré des chevaux de Syrie d'une fort bonne qualité.
Combien de fois, tantôt seul, tantôt escorté de quelques
amis , dont le souvenir m'est doux à conserver, n'ai -je pas
parcouru dans tous les sens les plaines et les montagnes de
î'Atlique ! Mais le lieu que j'ai le plus souvent visité dans
mes courses quotidiennes c'est l'abbaye de Daphni , car
pour moi tous les genres de plaisirs venaient s'y réunir.
Une belle route sur laquelle on peut galoper avec aisance,
les souvenirs de la glorieuse antiquité multipliés à chaque
pas, çà et là quelques souvenirs de notre Gallo-Grèce,
COLONE 1 69
la vue de la rade de Phaière en partant , et la vue magni-
fique de la rade de Salamine à Textrémiié de ma prome-
nade de Daphoi ; tout me captivait dans ce court et fré-
quent pèlerinage.
La route carrossable d'Athènes à Daphni et à Eleusis
passe devant les restes d'un aqueduc dans lequel les femmes
d'Athènes viennent laver leur linge et se répéter, comme
au bon temps d'Aristophane, tous les caquets de la plus -
bavarde des villes. Le jardin botanique actuel, qui , du
temps des Turcs , était l'habitation de l'ancien vaivode , est
à quelques pas de là sur la route ; mais le voyageur à che-
val aime à s'écarter un peu sur la droite pour suivre un
sentier un peu plus varié. De là on peut faire une rapide
excursion sur l'emplacement de l'ancien village de Co-
lone, dont on n'est éloigné que de quelques pas. Arrivé sur
le lieu de la scène de la magnifique tragédie de Sophocle,
je cherchais vainement le lieu qu'Antigone décrit à son
père le vieil Œdipe , comme * parsemé de lauriers-roses,
d'oliviers, de vignes abondantes » ainsi que les « nombreux
rossignols, qui, sous le feuillage épais, faisaient entendre
leurs chants mélodieux. » L'aspect de Colone est un peu ,
changé depuis le jour où un chœur d'Athéniens répétait,
en petits vers si élégants, au malheureux Œdipe qui venait
expirer au milieu d'eux et les protéger par son tombeau :
« 0 étranger, tu es venu dans le séjour le plus délicieux
del'Attique, à Colone fertile en coursiers. Là, au fond
des vallées couvertes de verdure, de nombreux rossignols
font retentir l'air de leurs chants plaintifs , à l'ombre de
lierres épais, dans un bois sacré inaccessible aux rayons
du soleil , où les vents ne font point sentir leur brûlante
baleine , où fiaccbus , toujours riant , marche escorté des
nymphes ses divines nourrices. Là, une éternelle rosée
entretient le safran doré et le narcisse brillant, antique
couronne des grandes déesses. La plaine est sans cesse ar-
rosée par les eaux du Céphise , qui , dans son cours in-
tarissable , féconde de ses eaux limpides le sein de la terre.
15
170 GRECE CONTlNIttTALG ET MOEEE.
Ni les chœurs des Muses » ni Véna» aox rênes d'or ne dé*
daignent ces lieux. Là croît un arbre tel que ni l'Aâe , ni
File puissante de Pélops n*en produisirent jamais do sem*
blable. Il ne fut pas planté par une main morlette. 11 fiett
sans culture et fleurit en alMmdance dans cette coBtr4e;
c*est la plante de l'olivier, effroi des ennemis et douce
nourrice de Tenfance. Jamais en aucun temps une main
étrangère ne pourra l'extirper du sol , car Jupiter et Mh
nerve veilleot sur elle d'un œil attentif ^ »
Ces lieux sont bien loin d'être aussi séduisants anjoar^
d'bui. On y voit bien encore quelques vignes , maie leur
feuillage est brûlé par les rayons du sofeiL Le bocage sacré
a disparu avec tes eaux limpides du CépUse qui devait ne
tarir jamais , et qqi n'offre plus qu'à regret «ne bumidité
cachée , suffisante à |»eine pour nourrir les laoriers-roees
de ses bords. Avec les bos^piets ont foi les mille rossignc^
pour aller chercher ailleurs un peu d'ombre et de fraîcheur*
L'olivier seul, qui ne pouvait jamais être extirpé de son aal
natal , car Jupiter et Minerve veillaient sur lui d'un oeii
attentif, se maintient encore dans les mêmes lieux; mais
son feuillage sec et pile ne fait plus honte aux magnifiques
oliviers d'Asie , de b Laconie , et même du beau royaume
de Naples, qui mérite si biep le nom de seconde Grèce.
Sur l'emplacement même « consacré aux redoutables filles
de la Terre et de TÉrèbe, aux vigilantes Ëmnéoides, • a
été bâtie une petite chapelle, aujourd'hui ruinée » au pied
de ce moDilculc de Colone, qui seul n'a pas changé d'as-
pect et qui est bien encore le dur rocber dont parle le
vieil Œdipe.
Les jardins de l'Académie où Platon enseignait si poéti-
quement la sagesse étaient placés sur les deux rives dit
Gépbise , et allaient de Colone à la voie Sacrée ou voie
d'Eleusis. De ces collines légèrement ondulées on jouit
d'une fort belle vue sur la rade de Phalère ; mais les jardins
ont disparu avec l'eau du Céphise qui en alimoAtait la
^ Ver» 66S à 690.
' ^■^VOIE SACnCB. 171
verdure, et à peine quelques rares broussaNles porieat-
eiles la trace d'une pénible Yégétaiion.
De là , traversant ces quelques oliviers épais qui s'arro*-
gent faatoeoaeaient le nom de bois d'oliviers, on retrouve
laroote d'Athènes à Eleusis» que j'ai bteti souvent pareoa-
nie. Sur toute la voie Sacrée , les deux côtés de la route
étaient autrefois i^arnisde monuments religieux et de tonw
beaux dont où retrouve encore quelques d^'bris dispersés
snr le bord de la route et au milieu des champs. A l'endroit
ou Tétranger, arrivant de Corinthe à Athènes, avait franetli
là dernière ooUîne par laquelle est encore interceptée la
vue de l'Acropolis, un beau mouument, dont il n'existe
plus que qnelqnes pierres brisées « se présentait à ses re-
gards, A qui doOG était consacré ce religieux édifice placé
sur le vestibule même de la ville éo Minerve ? Était-ce aux
immortels fondateurs de la république , à ses grands légis»-
bceurs , à ses braves guerriers , k ses poètes sublimes , à
sas admirables artistes « à ses éloquents orateurs , à quel»-
ques-una de ces bommes d'élite qui ont fait son nom glo<-
fieut à travers tous les âges ? Non) c'était wa monument
élevé II um courtisane par aon atnant » ancien caissier de
Tarmée d'Alexandrç . qm * après avoir volé sa caisse en
Asisi était venu avec sa nouvelle opulence faire figure dans
b brillante Athènes. Paussnlas cite ce tombeau comme re-
IfiarquaUe par sa beauté, v Sur cette route d'Étousia à
Athènes, dit-il (Attique, cb^p* 37), sont aussi des tom-
beaux dont deux se font remarquer pas lenr grandeur et
letir beauté. L'un 9 été érigé à un Rbodien établi k Athè-
nes; l'autre a été construit par le Macédonien llarpalus,
qui , ayant désertédu service d'Alexandre, s'embiirqua et
p^ssa d'Asie en Europe. L^s Athéniens , cbex qui il s'étai(
rendu , Tayaut fait arrêter, il corrompit avec de Targent
différentes personnes, entre autres les amis d'Alexandre, et
parvint ài s'évader. )1 avait épousé précédemment Pythio*-
nice , dont l'origine m'est inconnue , mais qui avait été
courtisane à Gttrinlhe et à Athènes. Il en était si éperdu-
172 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
ment amoureux que , Payant perdue par la mort , il lui fit
ériger un tombeau qui surpassa en beauté tous ceux qu'on
avait bâtis anciennement dans la Grèce. »
Athénée , dans son livre xiii sur les courtisanes , parle
aussi, d'après notre Gaulois Posidonius, d^ cette brillante
Pythionice et de son tombeau. « Harpalus le Macédonien ,
dit-il*, celui qui enleva une grosse somme d'argent à
Alexandre et se retira chez les Athéniens, devint épris de
la courtisane Pythionice, pour laquelle il fit de grandes dé-
penses. Lorsqu'elle fut morte , il lui éleva un monument
des plus pompeux , et suivit lui-même son corps à la sé-
pulture , accompagné d'un nombreux cortège des plus
habiles artistes et de musiciens qui chantaient en accord
au son de toutes sortes d'instruments ; c'est ce que rap-
porte Posidonius , livre xxii de ses histoires. Dicéarque
parle aussi de ce monument dans son ouvrage sur la des-
cente dans l'antre de Trophonius, Voici, dit-il , ce qui
doit arriver à quiconque entre dans Athènes par le chemin
sacré qui va d'Eleusis à cette ville. S'il s'arrête à l'endroit
d'où il peut déjà découvrir les temples et la citadelle , il
verra à côté de ce chemin un monument qu'aucun autre
n'égale en grandeur dans les environs. Il se dira probable-
ment d'abord, et avec raison : Voilà sans doute le monu-
ment d'un MiUiade, d'un Périclès et d'un Gimon, ou enfin
d'un des principaux personnages , et peut-être élevé aux
dépens de la république , ou au moins par un décret des
magistrats. Que devra-t-il penser en apprenant que c'est
celui de la courtisane Pythionice ? » Théopompe , dans la
lettre qu'il écrivit à Alexandre, censura ainsi l'incontinence
de cet Harpalus. «Considère attentivement, lui dit- il, et
informe-loi avec soin de ceux qui sont à Rabylone , de
quelle manière Harpalus a déposé Pythionice au tombeau.
Elle avait été l'esclave de Bacchis , joueuse de flûte ; et
celle-ci l'était de Sinope, courtisane, née en Thrace,et qui
* P. 124, 2« vol. de la traduction de Lefebvr^e Villebnine.
BAPHNI. 173
transporta d*Égine à Athènes son commerce de prostitu-
tion ; de sorte que Pythionice était une triple esclave et
une triple prostituée. En effet , Harpalus a employé plus
de deux cents talents pour lui élever deux monuments qui
font Tadmiratiofi de tout le monde ; tandis que ceux qui
sont morts en Gilicie pour affermir ton trône et assurer la
liberté de la Grèce n'ont encore obtenu de monuments
d'aucuns de tes gouverneurs de province. Quoi, l'on -en
verra deux , déjà élevés depuis long-temps , l'un près d'A-
thènes , l'autre à Babylone ; et celui qui se disait ton ami
aura impunément osé consacrer un temple et un autel à
celle qui devenait commune à tous ceux qui contribuaient
à sa dépense , et le faire sous le nom de temple et d'autel
de Vénus Pythionice ! N'est-ce pas là mépriser ouver*
tement la vengeance des dieux et manquer aux honneurs
qui te sont dus ! o
Le galop est facile sur cette belle route d'Eleusis, et, à
moins qu'on ne rencontre quelque caravane de chameaux
apportant les marchandises de Gorinthe et de la Morée à
Athènes, et causant toujours une certaine terreur aux
chevaux , on est en quelques minutes arrivé à Daphni. Ce
nom seul éveille le souvenir d'un lieu consacré à Apollon.
Le lit du torrent desséché , qui est creusé à gauche de la
route, est encore parsemé de lauriers-roses. Un puits est
tout près, destiné probablement aux lustrations dans les
temps antiques. Au-dessus de la margelle, formée du cou-
vercle d'un tombeau hellénique, s'élevait, du temps des
Turcs, un fort bel arbre, contemporain peut-être des
^iUe-Hardoin, des La Roche et desBrienne. La fraîcheur de
son ombrage attirait ici les Turcs, qui venaient y fumer leur
narguilbé en se perdant dans les béatitudes de la contem-
plation ; mais , comme ils ne se relevaient de là que pour
préparer quelque déprédation contre le monastère et ses
habitants, les moines prirent le parti de porter la hache
dans cet arbre séculaire , sacrifiant ainsi d'un seul coup la
gloire du monastère à son repos, le plaisir de tous à leur
174 GRECE CONTINENTALE ET MORES.
sécurité, car c« lieu, eoosacré jadis à Apollon, était
devenu un roouastère de moines grecs de SfainlrBaiile,
puis 4e moines latins de Saint-Benoit, pois encore de
moines grecs. Il est aujourd'hui abandonné» Une petite
chapelle d*un styl^ fort ancien subsiste de l'autre cdté dn
r^vin , è deui pas de Tabbaye. C'est peut-être un ancien
tombeau de famille sur lequel on aura élef é ude chapelle ;
car, en pénétrant dans la partie inférieure qui esi en ruine,
je trouvai d^ux tombeaux vides , qui annoncent le qua-
trième ou cinquième siècle* Le peuple slmagine toujours
trouver un trésor dans ces tombeaux , et aucun tombeau
ne peut rester inviolé.
A rcxiérieur , le couvent de Dapbdi , à rimitution de
plusieurs de nos aocieiiQ^s égliaes de teoipliers en Fraboe^
ét^it eutouré d'une muraille de défense; mais ellei était si
peu compacte qu'un seul coup de canon^ bieit ^yuaté^ Tau*
rajt percée de part en part. i,es Turcs «croient que • pour
féparer un pmr de forteresse, il suffit dq le badigeouiier;
^t ils trouvaient ces tnurailles fort ImpoMlltes. A cette épo-
que , il y avait wm de ces petites portes étroites et bat^
qu'on retrouve dans presque tous les couvents grées. Ce-:
lait là souyent un Qbstac)e suffisant contre les violences des
Turcs i car, pour pénétrer dans le couvent et r^lfÇQtlner
les moines , les cavaliers turcs qui passaient sur la route
auraient été obligés df d^sf^çpdre de cbeyal et de se baisser
avec précaution : or tout délai . toute précaittion , tout plan
suivi, toute réflei^ion laborieuse étaient en dehors de leara
habitudes et de leur nature*
Du monastère il pe reste plus que Téglise , encore de-
bouti et quelques restes de murs helléniques, byaantioa et
latina Écartez ces hautes et épaisses orties qui vous percent
de leur dard envenimé comme la zagaie du Malgache, et
yous trouverez, à trois pieds hors de terre, toute la suite des
colonnes de l'ancien cloître des bénédictins; tourqea au*
tpur d'un puits antique d*eau excellente, et voqs vous
trouverez devant une façade gothique avec portail ^t deuit
DAFHBil. 176
doubles fenêtres à arc pointu. Regarde^ ces murs latéraux
et TOUS remarquerez, àcôtéd'une petite porte, une colonne
cannelée engagée dans le mur avec les belles oves de sa
corniche corinthienne. Dans Téglise, tout appartient k
Taptique style byzantin. Au milieu de l'abside est le bima
avec la table sacrée, et des deux côtés du bima la prothé^
m et le diaconicon. En aiant du bima , la solea était pavée
^'one mosaïque de marbres de diverses cquleurs taillés en
losanges; mais presque tous ont été arrachés, Au-dessus
de la solea s*élève un dôme élégant, revêtu d'une mosaïque
à fond d'or, représentant, comme dans les églises norman-
des de Sicile , une tête colossale du Christ bénisisant et
autoqr les douze apôtres aveq légendes bibliques. Ce dôm^
çst soutenu par quatre grands arcs h plein ceintre appuyés
snr des piliers, tes deux côtés de la mt sont allongés sur
toute la largeur de la sqlea , de manière ^ former la eroii^
latine, et }k l'extrémité de ces deux ailes sont deux chapelles
particulières , dont le fond et les deux côtéii sont recoure
vertfi sur toute la hauteur d'une fort belle mosaïque, com^^
posée, comme les mosaïque^ de Païenne et de Monreale»
de petits cubes de pierre factice. Tout à côté d'une de ces
deux grandes chapelles sont les deux petites chapelles la^
térales dans lesquelles sont déposés , comme je l'ai dit , les
deux too^beaux des ducs français d'Athènes , que j'ai eu
quelque peine à retrouver à Daphni, sous le non) défiguré
de Oelphina que lui donne l'acte des archives de Mqus
en Hainaut. Au restç, cette transformation des noms une
fois découverte, ceux qui ont l'habitude, non-seulement
des chroniques anciennes, mais des relations modernes des
voyageurs, ne s'en étonnent pas trop. A quelque pays
qu'appartienne un voyageur, il ne se fait jamais faute de
défigurer impitoyablement les noms propres d'hommes et
de lieux. Cela a bon air et sent son gentilhomme. Défigurer
un nom propre, c'es^ comme dire « : Moi, je suis de trop
bon lieu pour (pe r9ppeler un nom vulgaire, Je suis des
grandes villes de Paris , de Londres , ^ Rome t â^ QfiriiQi
176 GRÈCB CONTINENTAIE ET MOREE.
de Vienne , de Munich ; comment voulez-vous que je me
soucie des noms de ces petites bourgades, noms nécessaire-
ment barbares , puisqu'ils ne sont ni français , ni anglais ,
ni allemands. »
En faisant quelques pas seulement au delà du monastère
de Daphni , on jouit d'une fort belle vue qui faisait sou-
vent le but de mes excursions à cheval dans les environs
d'Athènes. Au moment où on est parvenu au sommet de
la colline sur laquelle est assis le monastère , la mer appa-
raît comme un vaste lac clos par l'île de Salamine et les
montagnes de Mégare. C'est ici que se tenait la flotte
grecque au moment où la flotte du grand roi se présenta
pour l'attaquer. Tous les souvenirs sont ici pleins de ma-
gie. Plus loin , à droite , voici la montagne de Karydi d'où
le grand-sire d'Athènes , Guy de La Roche , fut défait en
1256 parle prince d'Achaîe, Guillaume de Yille-Hardoin,
et envoyé à saint Louis de France , qui lui fit remise de
toute peine , le réconcilia avec son suzerain et l'autorisa à
reprendre , en 1260, le titre de duc d'Athènes. La colline
rocheuse adossée à la route rappelle des souvenirs plus
anciens. De tous côtés on aperçoit la trace des ex-voto
placés sur la voie Sacrée. Un bac , placé un peu plus près
de la route du Pirée, conduit de cette côte à l'île de Sala-
mine. Plusieurs fois je l'ai traversée en une demi-heure
pour visiter cette île , qui est assez bien cultivée , qui offre
des points de vue assez gracieusement accidentés , et où
l'on trouve , après une heure et demie de marche dans la
direction de Mégare, l'ancienne abbaye de Phaneroraeni.
Il y avait autrefois à Iilleusis un môle où l'on pouvait
débarquer. La jetée en vastes dalles de pierre existe encore,
et il serait facile de la réparer ; mais il y a trop de bas-fonds
pour que le port puisse servir aujourd'hui. Il ne reste
rien d'entier à Eleusis, mais on y trouve d'immenses restes
de grandeur. Sur s<^s collines sont les soubassements de
ses vastes temples , dont les colonnes de marbre gisent
partout dispersées. On en trouve des fragments dans tous
ELEUSIS. 177
les murs des chaumières et dans tontes les clôtures de jar-
din. Près d*unc basse-cour , je vis par terre une inscrip-
tion en lettres anciennes d'une forme dont on s'accorde à
fixer la date au sixième siècie avant notre ère. Un reste de
mosaïque d'un ancien temple est exposé aux jeux des en-
fants, qui en détruisent une moitié tandis que l'autre moi-
tié est engagée dans une maison de paysan dont elle forme
le parquet. Quelques statues mutilées trouvées récemment
sont disposées dans une vieille église.
T^e moyen âge y a laissé aussi quelques traces. Sur une
colline qui domine les routes de Mégare , de Corinthe et
de Thèbes sont les ruines d'un château féodal, du haut du-
quel le possesseur franc mettait sans doute à contribution
les voyageurs imprudents qui s'aventuraient sur cette
route.
D'ici on se rend aujourd'hui par une fort belle route à
Ëleuthère et h Athènes.
VIL
ENVIRONS D'ATHÈNES. — MONT LYCABETTUS , MAROUSI ,
KEPHISIA , LE PENTÉLIQUE , L'HYMETTE.
Sur le haut du mont Lycabettus, près d'Athènes, est
une petite chapelle dédiée à saint Georges. Le mardi 16
mai , je profitai de la beauté de la journée pour l'aller vi-
siter. Le soleil dardait avec force et il faisait une véritable
chaleur d'été. Il faut une heure pour arriver doucement
par un fort beau sentier jusqu'au pied du rocher. Là tout
chemin cesse, et il faut gravir à l'aide des pointes de ro-
chers. Partout où se trouve un peu de terre on voit que
plus d'un pied Ta foulée depuis long-temps sans y frayer
un sentier certain. Enfin, après quelques tentatives pru-
dentes, on arrive. Le plateau sur lequel la chapelle est as.-
178 GRÈCE CONTIIIBNTALG ET MOREE.
sise est fort étroit et offre I peine on espace libre antti
grand que celui qu'occupe la chapelle dédiée à saint Geor-
ges; mais de là la vue est grande et noble. Assis sur un ro-
cher que la chapelle ombrageait en partie, pendant plus
d'une heure je restai k adisirer ce beau panorama. Devant
moi s'ouvrait la mer avec les baies d'Eleusis, du Pirée,
de Musichie et de Phalère , découpée» sur la odt». A l'ei-
trémité cette mer est resserrée par le cap Saniom et par
les montagnes de Mégare , an delà desquelles apparaisseitt
le mont Cithéroa , l'Acrocorinthe et jusqu'aux montagnes
de l'Acarnanie qui terminent le golfe de Lépaqte. Sala-
mine se détache tout entière avee ses monts pittoresques,
et Ëgine apparaît au delà comme placée sous la main. Plus
près, à vos pieds, s'étend Athènes avec son bel Acropolis;
à gauche, le monument de Philopappus et les colonnes do
temple de Jupiter } à droite, isolé d'une mapiôre toute gra-
cieuse, le temple de Thésée. Toute la plaine d'Athènes
s'ouvre devant vos yeux avec sa ceinture de montagnes, et
au delà , derrière le Pentélique , s'aperçoit le pic neigeux
du mont Daphni en Eubée. Les neiges de THy mette étaient
presque toutes fondues, et 11 n'en restait plus que quelques
bandes jetées gracieusement comme des banderoles blan-
ches dans les pentes dé la montagne. Le Parnès était encore
revêtu d'un large chapiteau de neige éblouissante qui fondait
à vue d'œil sous ce brûlant soleil , et ce souvenir des fri-
mas donnait un charme de plus à la beauté de la journée.
Pendant que j'étais ainsi seul à admirer cette vue, entre
quatre et cinq heures , je fus frappé d'un effet de mirage
vraiment eiiraordinaire. Deux soleils apparaissaient l'on
près de l'autre sur la même ligne avec le même éclat et
h une distance apparente asses grande pour ne pas confon-^
dre leurs rayons , à une distance d'environ quioa&e mètres
do rayon visuel. Ce phénomène dura environ une demi-'
heure; et j'appris en descendant que plusieurs autres
personnes l'avaient remarqué en même temps que moi. La
transparence de l'air produit ici des effets tout à fait mer-
KfirtllMA. 179
Teiileux. Souv^H en me levant je vois le nord d*uB verN
tettdre délicieut, tandis que Torient est da rose te phisdé-
licat; les iBontagnes de Salamine m'appu-alsaent aussi
parfois d'on gros Meii > tandis que les deut pointes de
l'ilc paraissent se reierer au-dessus des flots et former un
eraissant. Un peintre m pourrait ici copier exactement la
natore sans se faire accuser d'ane Mzarre exagération dan»
notre plie OcoideUt.
La chakNir extrême, qui , dès le mots de mars, se fait
sentir à Athènes, amène de bonne heure rémigration foreéè
des habitants les |rfos riciies, surtout des étrailgenk Qud^
ques-uns vcmt chercher un peu. de fraîcheur dana ieuri
jardins peu ombragés de Patisia ; d'autres vont respirer la
brise de mer au Pirée, et quelques-uns ont bâti de joliea
prîtes maiswu dans les villages plus fraiis de Naireusi et de
Kephiaia. Le tempe est iouvent si beau à Aihènes que je
aie rappeUe avtnr fait, le lundi 25 janvier, à Kephisia, une
partie de campagne pendant laquelle noua jouîmes de toute
la douceur de la lempérator^ du printemps. Dans une
maison non habitée et qui devait par conséquent avoir et
refroidie par l'hiver, dans une chambre sans cheminée
avec des fenêtres au nord-ouest , nous déjeunâmes san»
aena apercevoir qu'on subissait les hroids de janvier à Paris.
Après déjeuner, nous aMâmes visiter la grotl» connoe soua
te nom de grotte des Nymphes, délicieuse retraite pen*
^t les fleurs de l'été. Cette grotte, autrefois consacrée
%nx Nymphes, est asses large, peu pr<^onde, haute de
quatre à cinq pieds seulemeut et tapissée de tous côtés
d'herbes les plus délicates. Une eau fraîche et pure et d'un
sont excellent descend comme goutte à goutte à travers
àm plantes gracieuses du fond de la grotte, et forme d'abord
un petit bassin de dooae à quinze pieds , protégé par des
rocliers, car tout est ici une agréable miniature. De ce
bassin l'eau filtre à travers des cailloux et des herbes déjk
en fleur au mois de janvier, dans un lit étroit et sinueux,
^ va se répandre dans la plaine qu'elle rend ventoyaote.
180 GRECE COi>iïINfiNTALE ET MORÉE.
Les deux peates des rochers sur lesquels s*appuie la grotte
étaient revêtus de plantes et d'arbustes fleuris dont les
fruits colorés pendaient en grappes. Là nous eûmes plaisir
à nous asseoir et à jouir de la fraîcheur de Tombrage, car
le soleil était chaud comme le soleil de juin dans les
bons étés de France. Au mois de mars j'y retournai, mais
déjà rherbe qui tapissait la voûte était moins touffue et
bien moins abondante. De là, à travers des prairies émail-
lées déjà de toutes les fleurs du printemps , de boutons
d'or, de marguerites, de larges anémones semblables à des
roses, aux fleurs de couleur rouge, pourpre et bleu , et
d'anémones plus petites de toutes les couleurs , nous nous
acheminâmes vers l'une des sources du Cépliise appelée
Kephalari , la tête du Céphise. À cent pas de là sont les
restes d'un petit temple antique. Les deux colonnes du
mlieu et les deux stèles du fond ainsi que la porte antique
sont intégralement conservées. Tout le mur d'enceinte est
tel qu'il était, sans aucune altération. Seulement, pour
indiquer son appropriation au culte chrétien , les Francs
ont fait sculpter au-dessus de la porte une croix fleuronnée
par le pied avec deux roses de Provins dans les cantons
supérieurs de la croix. Un autre petit temple était élevé
sur la source même, dont les eaux transparentes coulent
sous un toit voûté, encore conservé en partie. Une colonne
cannelée gît près des conduits antiques destinés à la distri-
bution des eaux du Céphise et près des fondements de
ce petit temple, qui surgissent encore à deux pied»de terre
Tout dans ce frais paysage inspire et rappelle le respect
religieux qu'avaient les anciens pour les fleurs , les arbres
et les fontaines. De l'autre côté de la source est une petite
chapelle chrétienne ; car les chrétiens n'ont jamais man-
qué de substituer les églises aux temples et de proGter du
culte antique pour en faire un appui au culte nouveau,
fondé ainsi d'une manière plus durable par la consécration
des souvenirs et des traditions.
Le village de Kephisia avait été aussi choisi par les Turcs
MOXOMATI. 181
pour y bâtir leurs maisons de plaisance aujourd'hui rui-
nées. Les étrangers et les habitants d'Athènes qui ont do-
pais adopté ce séjour pour le temps d'été , y font peu à
peu construire quelques petites maisons plus soignées.
C'est en effet un agréable séjour. Les eaux y sont abon-
dantes; les arbres les plus divers y sont revêtus de la plus
me verdure , si agréable à retrouver ici pour se délasser
de la pâle verdure des oliviers de TAttique ; les montagnes
voisines l'abritent contre les tourbillons qui soulèvent si im-
pétueusement la poussière de la plaine , et rafraîchissent
l'haleine des vents, tandis que l'aspect de ces campagnes
fleuries repose l'œil fatigué de l'aridité des sables des en-
virons d'Athènes.
Un peu au delà du village de Kephisia, on m'avait indiqué
près de Monomati un prétendu château d'origine franque,
situé entre le Géphise et la route de Negrepont , au fond
d'ane gorge â*où sort une des sources du Géphise. Un diman-
che, 17 janvier, je partis à cheval avec quelques amis grecs
pour aller vérifier l'exactitude des renseignements qu'on
m'avait donnés. La route passe près de Patissia et de Ke-
phî^a. A une demi-lieue de Kephisia , qu'on laisse sur la
droite , on aperçoit un profond ravin dans lequel coulent
ies eaux rares mais vives du Géphise. A l'entrée de la gorge
tôt un moulin , et à l'autre extrémité se présente le pré-
tendu château gothique, qui n'est rien autre chose que l'ha-
bitation minée d'un aga turc. Au milieu de cette gorge
sont les restes d'un aqueduc. La vue qu'avait l'aga de sou
Pyi^ fortifié était charmante. Protégé contre les vents
P^r deux lignes de montagnes abruptes d'une belle couleur,
au fond de cette gorge qui conduit au fort hellénique de
^lielia, bâti par les Spartiates, il avait sous ses pieds un
i^vin si large qu'on doit plutôt l'appeler une vallée profonde
fécondée par les eaux du Géphise. Les flancs des montagnes
sont cultivés sur la rivedroite du Géphise, et couverts, sur la
^ivo gauche, d'arbres et d'arbrisseaux d'une belle couleur.
levant lui s'élevaient , au loin , le Gorydalus et le Pente*
16
1S% GRÈCE CONTINENTAU ET HORÉE.
lique ; au milieu de cette perspective se préaeiiUk F Acro.-
polis , et au delà la mer et les iles qui sei^vaient de fiMi4
au tableau. Il faisait un temp^ très clair, et cette situation
pittoresque se qoontrait toji^t ^ fait ^ son «vauUfte. Le»
villages de Patissia, Marousi et Kepliisia, distribj9és çà et là
sur la route , iadiqueut Le progrès que seio^ble CMre Tai-
sauce, et la rapidité avec laquelle les Grecs se rapprochent
des habitudes européennes. La maisoQ de M. Ti-icoiipî,
bâtie par Tamiral anglais Malcolm ^ Patissia , fixerait par-
tout une agréable habitation.
Je revins de Mouomati par Menidi, par Âcbaroae, patrie
dû mordant Aristophane , et par le grand village asaes
propre de Koukouvaonès. Les terrains environnants $fM
bien cultivés et les plaines couvertes d'olivier» doQt la
feuille est beaucoup plus verdoyante que celle des autres
Qliviers de rAttjique. Tout annopce ici pkis de . travail el
aussi plus d'aisance. Les églises, comme p^toot, «mU M*
t^es de fragments antiques : aussi se parient elles assez stmr
vent du nom de belle église, omorphi eccU$ia. A d<w
pas de là est le village d'Uerakli , la dernière subaîstaiile
des colonies bavaroises que le gouvernement avait dierché
à implanter en Grèce» La race allemande est une race ira-
veilleuse et honnête , mais elle ne comprend pas aisément
une bonté et une intelligence dont les formes diffèrent des
siennes, et ses qualités comme ses défauts ne s'banaoniaent
d'aucune manière avec les qualités et les défauts 4tt Grecs.
Les Allemands vivent entre eux, conservent tous leurs usa*
ges , n'ont aucune influence sur la population grecque et
n'en reçoivent eux-mêmes aucune des ainéUoratious propres
au climat. Ils marchent à côté des Grecs sans se fondre éum
leurs rangs. Aussi regrettent-ils toujours leur psUrie et y
retournent-ils aussitôt que, soit par la laveur du gouverne-
ment, soit par leurs propres économies, ils ont p^ réaliser
quelques petits bénéfices. Toutes les agonies aUeniandes
ont dépéri ici, et celle d'Herakli n'est pas destinée pe/ot-êtne
à une longue vie. £Ue n'est fondée que depus \fçis aiis.
GOL6NIE BAtrAilOl9E B^flKRAKLI. 183
unis l'aTfaiiîâation semble en avoir été mal entendue. On
a doimé à qoetqdes familles bavaroises , fort étrangères à
Fagrieoltttrè, ane petHe maison, ées chevant pour la cul-
tore et dn grain piour ensenbencer ; mais les maisons étaient
mal con^roites, trop petites pour un ménage, sans écurie,
sans magasni potfr la récohe ; les chevaux étaient des che-
vant de réf^n'Oie usés, qu'il eût fallu bien nourrir long-
temps avant de les mettre en état de service , et que les
colons, qni n'avaient à leur donner an moment de la ré-
colte que rberbe rare des champs, ont laissé dépérir; les
grains leur avaient été envoyés irop tard pour qu'il pussent
s^vir dans l'année ^ de telle sorte qu'il a falFu recommen-
cer sur nouveau! frais et distribuer de nouveaux secours.
Ce (ftû a eûtùte ajodté au mal, c'est que le Bavarois chargé
par legouternement de la surintendance de la caisse Ta em-
portée tout entière en Se sautant en Allemagne. On a cette
anfiée substitué des bœufs aux chevaux. On a aussi cherché
à trouver des agriculteurs intelligents et laborieux an lieu
de prendre indistinctement, comme on TaTait fait d'abord,
l'onvrier paressent de toute profession. La colonie a plutôt
Vftir d'un petit hameau d'uh seul rang de maisons que
d'onc grande fertoe , puisqu'il n'y a pas de granges; mais
il paraît toutefois que quelques ménages allemands corn-
AeiMient 8 d'établir ièi avec un peii plus d'ordre. J'ai vu
têvèdir plusieurs jofiigè de bœuf du travail de la journée ,
et lès mâiàotis i par leur propreté extérieure , annoncent
tin peu plus de bien-être.
Une autre constructiou fraiique tn'avait été indiquée
dans les environs d'Athènes, dans le village ou plutôt ha-
meau de Kbassagni, au delà de Tracdnès, sur la route de
Vari et du cap Suniutn. je montai à cheval le mardi 19 jan-
vier pour aller visiter dé mes yeux ces prétendus resteiè
fiwes; car oU est passé d'une extrémité à une autre; li
inon arrivée en Grèce, tout le monde me contcstdit l'exis-
tence d'une seule ruine franque, et peu de mois après on
ûc toyaii plds partout qUb ruines fraftques. Nos bons amis
184 GRECE CONTINENTALE ET UOREE.
les Grecs d'Athènes sont les vr^is compatriotes des Fran-
çais de Paris. Le temps continuait à être magnifique ;
c'était un véritable printemps avec déjà quelque peu de
la chaleur de Tété. Dès six heures et demie les oiseaux
faisaient retentir Tair de leurs chants, et au lever du soleil
le mont Hymette se colorait dans tous ses contours de la
plus gracieuse couleur rose, dont la répercussion allait en
s'affaiblissant frapper Toccident. Ce que j'avais à voir était
une tour, et à peu de distance de là les ruines de deux
autres tours. La tour encore subsistante est en plaine et de
construction tout à fait turque, ainsi que paraissent l'aYoir
été les deux autres tours, aujourd'hui ruinées, et dont l'une
fait partie des fondements de la maison bâtie sur ce même
tertre par M. Louriotis, qui a séjourné plusieurs années à
Paris et à Londres, où il avait été envoyé pour négocier un
emprunt. Les Francs construisaient peu en plaine, s'ils
n'étaient vigoureusement protégés par de larges et profonds
fossés, et encore ce3 tours en plaine étaient-elles ratta-
chées à des villes plutôt qu'à des villages ou des habitations
de particuliers. Les seigneurs francs préféraient placer
leurs châteaux comme des nids d'aigle dans les hauts lieux,
pour dominer de là les pays environnants et ne pas être
surpris sans défense par l'ennemi.
£n revenant de Khassagni à Traconès par le bord de h
mer, je m'arrêtai au milieu d'un champ à examiner une
statue de marbre blanc d'une grandeur au-dessus de la
grandeur naturelle. La tête manque ; un morceau du bras
a été aussi brisé ; le bras qui reste est assez beau. Elle est
représentée en haut-relief, assise et tenant entre ses mains
les plis de son manteau ; c'était sans doute une statue placée
sur un tombeau. Le style est tout romain et assez lourd.
£lle est là, étendue dans une terre en culture , sans que
personne songe à la relever. Les instruments de labourage
passant et repassant alentour auront bientôt achevé d'en
briser les membres, et le corps entier est destiné à dispa-
raître dans le premier four à chaux construit pour le badi-
LE PENTELQUE.. 185
geon d*ui] hameau voisin. Dans les fouilles faites autrefois
sur cette côte , on a retrouvé un grand nombre de tom-
beaux et de vases antiques.
Les deux grandes montagnes les plus rapprochées
d'Athènes , le Pentélique , dont le nom a été long-temps
corrompu en celui de Mendeli, et THymette, dont le nom,
estropié par les Vénitiens en celui de Monte-ftlatto, a fourni
ensuite aux Grecs leur traduction souvent adoptée de Trelo-
Youno , offrent aussi d'agréables excursions.
La duchesse de Plaisance fait bâtir au pied du Pentéli-
que un assez joli château pour sa résidence d'été. Sur la
fin de janvier, par un temps des plus doux, elle m'invita à
y venir faire une partie de campagne avec quelques amis.
On peut aller en voiture jusque chez elle. La route passe
par le petit oasis d'Ambelo-Kipos (le Jardin aux Vignes) et
par Khalandri. Là , j'allai visiter une petite chapelle que
j'apercevais à l'extrémité du village , du côté des champs
et de la montagne. Dans l'intérieur, gît, négligé, le long do
mur, on bas-relief ancien de deux pieds carrés, représen-
tant une cérémonie d'expiation et destiné sans doute à un
tombeau. Le principal personnage est assis; près de lui est
une femme; deux autres personnages , debout de chaque
côté, tiennent suspendus au-dessus de lui deux bâtons dont
l'extrémité est cassée, ainsi que l'est une partie des figures;
au-dessus do personnage assis se replie une courtine avec
gros glands pendants à deux ou trois endroits. Ce bas-
relief me semble des temps romains. Khalandri est à moitié
chemin sor la route qui mène au château projeté de la du-
chesse de Plaisance. La situation choisie est belle, les col-
Unes bien revêtues de jeunes bois et de myrtes semblables
^ nos ormeaux , les eaux abondantes et la vallée si bien
disposée qu'on n'a qu'à distribuer les allées pour en faire
Vin joli parc ; mais on n'y découvre pas assez de mer , de
cette belle mer si resplendissante aux derniers feux du
soleil. Nous déjeunâmes en plein air sur le gazon, comme
i)ous l'eussions fsut dans la vallée de Montmorency au mois
t86 GttkcB CONTINENTALE ET HOrÉe.
de juin. La température était des plas doaces. De là nous
suiYtmes le cours du ruisseau pour nous rendre au mo^
nastère du Pentéiique , habité par quelques caloyers. Dans
une première tisite que j*aTais faite à ce couvent, le 22 dé-
cembre , jVais trouvé la culture des oliviers fort négligée
de ce côté, car dans Faride Âttiqne lés oliviers ont be-
soin d'irrigation. A cette visite je remarquai une culture
qui dbnnait une nouvelle vie à cette campagne; Les moines
avaient affermé leurs nombreux oliviers à un Français, et
déjà nous trouvions toutes les racines entourées d'un léger
febord, destiné à contenir Teau qu'allait leur apporter le
ruisseau voisin. Le monastère est surmonté de la croix des
Vllle-Hardoinde Champagne, princes de Moréeet seigneurs
supérieurs du duché d'Atiiènes. C'était probablement alors
un monastère latin ; mais les moines me dirent avoir perdu
tontes leurs archives, qui auraient pu liie mettre sur la toie;
Plusieurs fois j'allai de là visiter les carrières antiques de
ce beau marbre du Pentéiique qui a servi aii ParthénoUj
au temple de Thésée et à tous les plus beaux monuments
d'Athènes. A mi-côte se trouve un catavothron ou espèce d'é-
croulement de terre au bas duquel existe un petit lac. Les
carrières en exploitation sont un peu au-dessus. Les an-
ciennes exploitations étaient admirablement conduites; le
marbre était coupé avec le plus grand soin \ de* manière
que rien ne fût perdu ; on avait le morceau aussi petit
ou aussi grand qu'on le voulait. Les travailleurs modernes^
qui vont y chercher le marbre nécessaire à la construction
du palais du roi, n'y mettent pas tant de soin. A l'éide de
la poudre ils font sauter d'énormes quartiers de la carrière.
Quand ils veulent de gros blocs, ils en obtiennent souvent
un grand nombre de petits qui encombrent la carrière, de
telle façon que dans peu d'années il faudra plus de dépen-
ses pour la dégager qu'on n'en aurait fait pour la bien exploi-
ter sans rien perdre. Ou m'a assuré que cette belle inven-
tion de la mine pour servir à l'exploitation des carrières du
Pentéiique était le fruit des conseils du maréchal de la cour
L'HtH£TT£. 187
de Grèce, dont les plans d'économie ont ainsi décidé à sa*
crifier un long avenir à un très-court présent.
Près de l'ancienne exploitation est une grotte dans la-
quelle on descend, à Taide d'étroits escaliers taillés dans le
roc et qui prouvent que les anciens la destinaient à quel-
que usage religieux. Au fond de la grotte est une fontaine
où le peuple va encore puiser une eau fort renommée ,
surtout quand l'été a épuisé les sources voisines. A côté
de l'entrée de la grotte est une petite chapelle, élevée sans
doute sur remplacement d'un autel consacré aux nymphes.
Sur les murs sont sculptés les aigles de Byzance. £n
s'élevant au-dessus de cette partie de la montagne se dé-
couvre la plaine glorieuse de Marathon.
L'Hymette a aussi sa gloire , et le miel de ses abeilles
n'a rien perdu ni de sa réputation ni de sa douceur ; aussi
est-il Tobjet de soins tout particuliers. Chaque année les
ruches sont transportées plusieurs fois pendant la nuit dans
les lieux où elles doivent trouver, selon la saison, les fleurs
les miedx appropriées à leur nourriture. Les connaisseurs
font surtout cas du pin appelé peuka, qui croit en abon-
dance sur les flancs des montagnes et du Cythéron, par
eiemple, en particulier, et j'ai vu à la fin de septembre
d'innombrables quantités de ruches garnir toutes ses pen-
tes. Deux monastères, celui de Kaisariani et celui de Ka-
rea, sont placés au pied de l'Hymeite.
Le couvent de Kaisariani est du nombre des monastères
stipprimês. Il est situé dans une gorge retirée et bien abri-
tée de toutes parts; une fontaine antique l'approvisionne
d'excellente eau ; elle se fait jour à travers diverses parties
de la montagne, et sert à l'irrigation de plus de mille pieds
de beaux oliviers. Ce couvent est aujourd'hui une ferme
dont la propriété a été concédée par le roi Othon à un
Grec qui m'a semblé avoir les connaissances agricoles et
les capitaux nécessaires à la bonne administration de sa
ferme. En allant lui rendre visite un jour, le 14 janvier,
je le trouvai occupé à faire encaisser sur les pentes de la
188 GRECE CONTINENTALE ET MOREB.
montagne tous les pieds de ses oliviers. Le cloître a été
tout à fait réparé et transformé en une bonne maison d'ha-
bitation.
C'est un lieu qu'affectionne le peuple d'Âtbèues; sou-
vent, dans les beaux jours, on s'y rend en partie de
campagne et on vient y prendre ses repas à l'ombre des
oliviers. Le roi y vient assez souvent en famille. La route
d'Athènes à Kaisariani n'est pas encore bien entretenue ,
surtout près de la montagne ; mais on y fait quelques ré-
parations et on se prépare à la rendre praticable , ce qui
n'est jamais difficile ni coûteux en plaine sur un terrain
aussi ferme que celui de l'Attique.
Sur un des mamelons de la montagne , au-dessus de
Kaisariani , sont les ruines toute modernes d'une église
vénitienne dédiée à saint Marc. La position est bien choi*
sic ; on a de Hi une belle vue de l'Acropolis, de la baie de
Phalère, de la mer et des îles. Il est probable que les
moines de la Kaisariani auront eux-mêmes contribué à la
destruction de cette église , trop voisine d'eux pour ne pas
les gêner. Au-dessus de ce mamelon s'étend la chaîne de
THymette , si élevée que de là on suit presque toutes les
sinuosités des côtes du Péloponnèse jusqu'au Taygète , et
qu'on embrasse du même coup d'œil l'Eubéc, Égine et le
golfe de Lépante. A la première visite que j'y fis, au mois de
janvier, le temps était un peu brumeux et je ne pouvais bien
discerner les contours de ce vaste tableau ; mais j'y retour-
nai le 22 mars et le temps était des plus beaux et des plus
clairs. Je me dirigeai cette fois par le monastère de Karea,
un des cent trente-deux monastères que l'on comptait au-
trefois en Grèce^ mais qui a été supprimé comme l'ont été
tant d'autres.
La porte d'entrée du monastère de Karea ouvre sur une
vallée à l'extrémité de laquelle apparaît Athènes et son Acro-
polis. L'église n'est pas distribuée à la grecque, mais à la la-
tine, avec un seul autel séparé par le voile. Au-dessus de la
'^0 est une croix fqrmce par quatre fleurs de lis réunie;
n/ir>l
LHYMETTS. 189
à la tige et dans un cercle , ainsi que j'en ai trouYé plu-
sieurs parmi les marbres brisés de TAcropolis. J'étais allé
faire cette excursion avec un non moins rude marcheur
que je le suis moi-même, M. de Prokesch, ministre d'Au-
triche à Athènes , homme du plus noble caràaère , du
cœur le plus affectueux, de l'intelligence la plus cultivée*
Ancien ofiBcier d'état-major, il a vu l'Orient en savant, en
politique , en militaire , en géographe , et sait aussi bien
se démêler entre les décombres des institutions qu'entre
celles des monuments antiques , entre les sinuosités de la
politique orientale qu'entre les mille entrelacements de ses
ravins et de ses mcmtagnes; son œil arrive aussi irâremènt
an but que la flèche d'un habile archer génois. Ce dernier
talent nous fut particulièrement utile dans notre expédi-
tion de montagnes. Sa grande habitude des travaux
d'état-major fait qu'il prévolt à l'instant , par la forme
d'une montagne ou d'un ravin, la direction qu'ils doivent
prendre et leur point exact de jonction. Au lieu de se
jeter à la face des ravins , et souvent dans leur point le plus
escarpé, il sait les tourner à propos, et arriver juste à
leur point d'embranchement ; et quand on a à descendre
au plus court, on est sûr de choisir avec lui le seul préci-
pice praticable, tout à côté de vingt autres qui sur-
plombent.
Nous renvoyâmes nos chevaux nous attendre au menas-
tère de Kaisariani ou Kiriani , par lequel nous voulions
descendre, et nous pénétrâmes à travers ce dédale de ro-
chers qui composent le mont Hymette. Après trois heures
d'ascension un peu fatigante par cet ardent soleil , nous ar-
rivâmes enfin au sommet de la plus haute des deux crêtes,
qui surmonte la seconde montagne. De ce point de vue on
découvre parfaitement : au nord , la chaîne des Thermo-
Pyles et le mont CËta; au nord-est et à l'est, l'île d'Ëubée
depuis ses plus hautes montagnes septentrionales jusqu'à
sa dernière pointe méridionale ; puis bien loin , mais fort
distinctement, l'île de Samos et les côtes d'Asie, et plus
190 CiaàCE CONTimilTALE ET MOREE.
près ée ioi Àndros^ Tinos, Délos; Zét, qm empêcha', de
Toir Syra ; Tbermia , Serphos et Mitai ; à l'ouest, le Par-
nés, le Cithtron, le Parnastti THélieeu; enfin ati sud,
an pea à l'oacst^ les fimntagnés do Péloponnèse et eeNei
de TArcaiye en particulkr. C'est m immense et bean {»>
norama.
Après mie denn-heàre d^adoùration de eette beHe f ne $
il ne nons restait plusqu'k descendre. L'affaire est un pen
hboriense : les rocbers Éont ardus et presque h pîc ^ et on
gHsse fort aisément et fort loin sor cette pente unie ; mais
les herbes croissent à travers les fentes et dfllrent qurique
résistance ; les fentes sont multipliées et laissent ainài un point
d'arrêt pour les pieds, un point d'appui poor les mains;
Cette lotte contre les diflScoltés de la nature , cet appel in*
cessant à l'attention , h la prudence et à un peu d'adresse,
dure plus de deux bonnes heures, rude métier pour le
nerf flecteur ; mais on est (ort récompensé en arrivant de
n'avoir pas perdu l'équilibre dans la descente, car après cinq
heures de marche on peut faire , comme nous le fîmes , la
plus délectable des coUations, assis sur l'herbe auprès de
la fontaine du bélier de Kaisariani , dont l'eau toujours si
bonne nous parut encore plus fraîche et plus douce; Nos
dievaux nous attendaient^ paissant sans inquiétude, lis
étaient frais après leur repas, et en une heure nottsrievtn<-
mes à Athènes.
VIIL
DEiCELlÂ^ -^ MARàTfiON. *— TARNAVAS. -^ GUATHi.
Le mardi 26 janvier je partis d'Athènes avec quelque^
atnis pour aller passer plusieurs jours dans la plaine de
Marathon , chez le major anglais Finlay , notre ami eonl-
mua, qui poaaèêfi une maisMHi agréaUemeatsitiajiaiiu pM
des montagnes , à Liosîa.
A^è» avoir travorai^ Patisria , ^ti6 nous dirigalvics mr
k beau «i ^jcbe viUage jàe Maiiidi, tort prèç de Nautique
Ai^lkariM». La jpiaine ici eat iertik , (U ks olivier» y Mot
pto grasiis et pliw verts que dans la cime d^Allièa«s. IH
Usm^, looÎQHrs en aipivaitt les pentes do Paroès , aujour-
d'hui Ozia, fioos arrirânes firès de Varibobi que nous lais*
slmes im iMre droite, et nous comiiwâmes notre route
«1 nous dirigeant sur la fontaine de Tatoi , sknée au ined
d*nne mottiogne escarpée, connue des paysans» dsns kur
langue figurative, nous le non de KatsMfyii (ie nés de
cbat). Le Katsi^Myti est tout aH-4e|sou8 du grand uttont
Befem, H il éoBiioe le dé^ qui conduit de €halkis k Albi-
oes par Oropos. C'eut sur le sommet du Katst^Myli que
sont placées les ruines de Tantâque forteresse de DcMis»
Ulie par les ^artiates pour tenir Athènes en servage. H
ne reste plus que quelques vestiges des murailles qui en«*
yetoppaient toute Fexirémité supérieure du ^atn^liyti, du
côté qai domine la fontaine de Tatoi et qui est complète-
OKAt inabordable. €*est de sa retraite de Dekelia que De-
^f^M put apercevoir le premier enleveur d'Hune, Tbéaée,
Cubant diaas Apbidné sa beHe proie aux recfam'cbes do
^^Mtur et PoUux , et qnf il mil les deui frères sur la trace
^ ravisseur.
Toute celte gorge est fort belle , et la terre était c^ouverte
d^uue verdure toute (Mintanière. Vous tournâmes par la
^■^^ le revers septentrional do mont Maouma , et après
^ quart d*faeure de marche nous arrivâmes en vue de k
^^^Uée de Tsiourka ou Lioda. Nous commandions, d'une
hauteur de plus de cinq cents mètres, un ravin qui conduit
dans cette vallée et qui est dos par les versants inférieurs
de la chaîne du Parnès, à laquelle appartiennent et Katsi-
Myti et Beletsi. La route à travers cette gorge est tracée
^0 milieu d'arbo^i^ers verdoyants et de pins d*un vert ten-
dff A nos pieds coulait, tout au fond de cç rfvto prjêcip|<
102 GRECB CONTlIffilCTALfi ET HOREE.
teiix, une rivière encaissée par le versant opposé , moins
abrupt de ce côté et déjà mis en caltare. De ce ravin,
qoi va toujours en s'élai^issant jusqu'à ce qu'il se perde
dans la vallée, l'œil est conduit dans une belle plaine bien
cultivée , à l'extrémité de laquelle était située l'antique
Aphidné, dont il est question dans un décret rapporté par
Déraostbène, et qui fut la patrie d'un poète et de deux autres
grands patriotes, Tyrtée, Armodius et Aristogîton.
Le fleuve qui arrose cette vallée, et qui coule entre une
forêt de lauriers-roses, est le fleuve de Marathon. A Lioâa
la vallée est ouverte dans sa plus grande laideur ; mais avant
d'y descendre, nous nous arrêtâmes à visiter une petite
chapelle bâtie sur le penchant du ravin et probaUement
sur l'emplacement d'un ancien temple. Elle est composée
de deux corps de bâtiments qui forment comme deux voâ-
tes égales, superposées et parallèles. On trouve dans cette
partie de l'Attique un grand nombre de chapelles de cette
eq)èce, qui rappellent la forme des anciens temples élevés
aux frères ins^rables et égaux sur la terre et dans le cid,
Castor et PoUux.
Dès le lendemain matin nous étions tous à cheval
pour aller visiter et les restes de quelques tours qu'on
m'avait indiquées comme étant de c(mstroction fran-
que , et l'emplacement célèbre de la bataille de Marathon.
Traversant à gué le torrent de Marathon , nous nous diri-*
geâmes par le bas de la cdline sur laquelle était placée
l'antique Aphidné^ , d'où l'on peut vdr le Katsi-Myti et
Dekelia. Un peu plus loin nous traversâmes un des afiDuents
du Marathon et arrivâmes à la tour carrée de Kalentzi.
Je voulais vérifier si ce n'était pas là le reste de l'ancien
château du seigneur de Scalenges, qui reçut, en 1304, de
Philippe de Savoie , mari d'Isabelle de Yille-Hardoin >
* Notre belle carte du dépôt de la guerre indique peut-être à tort
Œnoë en cet endroit; Œnoë semble être plutôt près du village ac-
tuel de Marathon. Voyez i'e^sai de Fiulay 8\iur la topographie liistQ-
riqae de r Atli<|ae«
VIGIE DE KALENTZI. 193
plasienrs domaines dans la principauté d*Achaye , comme
le témoignent les diplômes originaux conservés dans les ar-
chives de Turin ; mais c'est tout simplement une tour de
vigie toute moderne et de construction turque. Il en est
de même d'une autre tour toute voisine de celle-ci. Dans
les temps antiques, les vigies étaient fort communes à cause
de l'état habituel de piraterie dans lequel vivaient tous les
habitants des îles, et leur usage s'en est conservé sous
l'empire byzantin. Les débarquements des pirates qui ont
presque toujours infesté les côtes entrecoupées de la
Grèce, étaient surtout dangereux dans une plaine comme
celle de Marathon. On pouvait les surveiller de ces tours
de vigie et rassembler promptement des secours. Au temps
des Francs ces mesures étaient moins nécessaires , parce
que l'action du gouvernement féodal était plus forte ; et
quand ils bâtissaient des tours , c'étaient des masses capa*
Ues de renfermer un nombre suffisant d'hommes d'armes.
De Kalentzi nous suivîmes le ravin tracé par le cours de
la rivière entre deux haies de lauriers-roses qui se font voir
^ travers un petit bois de cèdres , et nous arrivâmes près
de l'emplacement que M. Georges Finlay , dans son Mé-
moire sur la géographie de l'Attique , donne à la ville
d'CËnoe, bâtie, comme la plupart des anciennes villes hel-
léniques , sur le haut d'une colline abrupte. Au bas de ce
it)cher est une fontaine et un peu plus haut l'entrée d'une
grotte. Nous nous trouvions alors sur la rive droite du Ma-
rathon. Nous laissâmes sur notre gauche le village actue
de Marathon, qui n'est pas même dans la plaine de Mara-
thon, mais qui a été choisi par les habitants de l'an-
cien Marathon pour leur nouvelle résidence; et après
avoir traversé le fleuve , nous tournâmes le versant méri-
dional du mont Koraki, ayant toujours devant nous la cé-
lèbre plaine de Marathon , et au delà la mer et les monta-
Ugnes de l'île d'Ëubée. En remontant les rochers inférieurs
dn mont Koraki, nous parvînmes à un grand ma. ais à trc-
lers lequel sont amoncelées de grosses pierres qui forment
17
194 GRECE CONTINENTALE BT VOBEE.
vue route détestable; et après une demi-heure nous arri-
vlfnes à la tour carrée de Kato-Souli, que je Toiriais exa*
wioer ausâ. Une srigneurie frauque, imixnrtante par sa
position et par Téteadue de ses domaines , y avait éîé éta-
blie dans les derniers temps de la domination française.
Boniface dalle Gurcere , un des seigneurs tiercjars de
nie de Négrepont, avait été, suivant la relaticm de Ramon
Muntaner, marié par son protecteur, Guy de La Roche,
duc d*^thèoes, à une jeune héritière dont il était le tuteur
el qui possédait en Attique treize châteaux parmi lesqnds
était cdui de Souli ou Soula. Boniface n'eut de son raa-^
riage qu'une ille qu'il donna en mariage à un seignenr
nopuaié Thomas, en lui constituant en 4ot treize châteaux
en Attique , ajoutés au comté de Soula qu'il possédait ^
Thomas étant mort et les Catalans étant devenus auHtres à
cettjs époque du duché d'Athènes, ils firent épouser cette
riche veuve, en idl2, à un chevalier du BoossiUon, nommé
Roger des Laur, qu'ilsavaientcbm pour leur chef, sur 1ère-
fus de son beai^-père Bontface dalle Carcere. Cette fiUe de
Boniface de Vérone n'eut de ses deux mariages qu'une Bfie
nonmiée MaruUe, laquelle fut mariée à Alphonse Frédéric,
fils naturel du roi Frédéric H et d'une dame aragonaiso,
avant le mariage de Frédéric II en Sicile. Du mariage
de Marulie avec Alphonse Frédéric, naquit on fils Doointé
Lonis, comte de Soula, dont tous les chroniqueurs byzui-
tlos et leurs traducteurs et éditeurs se sont plu à l'envi à
estropier le nom. Au lieu de Bk Aou^ %s{ii.(Svoç xou vri ZouXa',
l'édttenr de Bonn dit Delvis, Deiphorutn duciê^ TrutU-
tandœ, assemU^^e de mots auxquels il ne comprend certai-
nement rien faii-même, et il continue tout le temps à estnn
^ Wadding» dans ses Annales des Fr. mineurs, parle, à l'an 1301,
de ce Thomas comte de Soula. « Sub hoc tempore, dit-il, postquam
Tliessalonicam et Achaiamperagrarunt, obtinuerunt à quodam heroê,
Thoma de Sola, parvam insulam pro aedificando ibi habitaculo. ■
* L'éditeur aUemand ne fait qu'un mot de ces treîs mots el im«
pilne To\iV7fdovXâl *— (L. Ghalc, liv. n, p. 67.)
COMTE DE SOU LA. 195
pier Louis en Deives. Ce mot a passé ainsi dansleRNnraiserit
deïHistoire d'Athènes par M. Pittakis, dans MèlethH
et dans les cbrcmiqdears byzantins. Loab, comte de Smita^
épousa Hélène ou Irène Cantacuzène « et en eut fstû flH«
unique mariée à un fila de Srntscian ou SIméon ^ craie de
Servie. Toîci cette géïiéai(^ie des comtes de Sonia t
Bonîfacè dalle Carcerè de 'fréforie,
àéigùeur tîefdîer de Négrepont,
M fôrortsé par te duc Gay de La Roche ;
combat ailprès de Gautier de BrteBnef duc d'Atiiènes,'
est fait prisonnier,
refuse de prendre le commandement des Catalans ,
épouse
rhéritière dé treize châteaux ,
p^aiï lesquels Soula avec titré de cômfë.
I
Fille
épouse
a. Thomas, comte de Soula,
qui reçoit en dot d'autres châteaux en Attiaue;
b. Roger des Laur, chevalier roussillonnais ,
on dès chefs des Catalans.
I
MaroHe
épouse .
Alphonse-Frédéric I
fils naturel au roi Frédéric ÏT de Sicile,
gouverneur do duché d'Athènes.
I
Loois,
comte de Soûla,
meotioDiié par L. Chalcocopdyie et les autres
sous le nom de Doives,
épouse
tiélède Ëântacdzèn^.
I
Fille
Mariée à
un fiis de Siméon ou Siniscian, craie de Servie»
196 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
Par une analogie assez curieuse, c*est encore une Gan*
tacuzène qui possède Souti et Ta apporté en dot à M. Char-
les Soutzo ; mais il n'était dans sa famille qu'en vertu d*an
achat fait par son' père.
La tour actuelle est située sur le penchant du rocher
au-dessous du marais, au bas du village ruiné d'Apano-
Souli ( le haut Souli ) , et répond assez bien , par sa posi-
tion géographique , à l'importance que devait avoir le fief
de Sonia, car de là on domine toute la plaine de Marathon,
plaine assez riche, entourée de tous côtés de montagnes, à
travers lesquelles s'ouvrent les trois routes qui, par les deux
flancs opposés du Pentélique et par le bord de la mer,
conduisent à Athènes. Le comte de Soula était ainsi le
gardien naturel contre tout débarquement qui pouvait s'ef-
fectuer de ce côlé, et contre toute tentative pour pénétrer
du côté d'Athènes par le passage de Yranas, ancien Mara-
thon. C'est ici que se trouve, par l'antique Rhamnus, le pas-
sage de mer le plus étroit en Ëubée. Je trouvai dans la ferme
de Kato-Souli plusieurs Grecs d'Ëubée qui attendaient que
le vent se fût un peu calmé pour profiter du bac situé sur
cette côte et se rendre en Eubée. Il n'y a plus trace de
l'ancienne habitation franque, et la tour de Soula est tout
simplement une tour de vigie.
Après ce tribut payé à mon affection pour l'histoire oc-
cidentale , je pus me laisser librement aller à mon intérêt
pour les faits héroïques de la Grèce antique , et personne
ne pouvait être, sur le champ de bataille de Marathon, un
aussi excellent guide que mon ami M. Georges Finlay , à
qui la science doit un mémoire si judicieux sur ce sujet ^.
La bataille de Marathon fut livrée le 29 septembre de
l'an /i90 avant J.-C. La plaine de Marathon a six milles
de longueur sur un mille et demi au moins de largeur dans
sa moindre étendue. Au nord se trouve le marais de Kato-
^ Page 363 à 395, t. m, part, ii , de Transactions of the royal
Society of Litteratare of tbe United Kingdom.
HARATaON. 197
Sonli, qui couvre enviroQ uo mille carré, mais dont
le terrain va se raffermissant à mesure qif on s'appro-
che de la mer. Au sud de ce marais et à l'extrémité de
cette plaine ornée des quatre villes d*OEnoê, Probalinthos,
Tricorytbus et Marathon , est adossé aux montagnes qui
encadrent cette tétrapole et dans laquelle s'ouvre au nord
du Pentéliqae la route la plus courte sur Athènes le vil-
lage de Vranas que Leake, O. MuUer et Finlay s'accordent
pour désigner comme l'emplacement de l'ancien Marathon.
De Yranas à Athènes, en passant par Kephisia, il y a vingt*
deux milles, c'est-à-dire cinq lieues et demie de route.
Hérodote, qui lut son Histoire pendant les jeux olynipi*
ques en Fan 456 avant J.-C, c'est-à-dire seulement 3&
ans après cette bataille S nous informe que les Perses dé-
barquèrent sur 600 trirèmes , outre les bâtiments néces-
saires au transport des chevaux. Si l'on évalue à Z|0 bom-
mes le nombre des combattants transportés sur chaque
trirème qui n'arrivait pas directement d'Asie, on aura un
total de 24)000 hommes ; à ce nombre il faut ajouter la
cavalerie pesante et légère et les troupes Kgères formées
par les rameurs surnuméraires : mais il faut en déduire les
troupes qui avaient été engagées dans les premières affaires
à Naxos ou à Garystos; et on aura ainsi, sur une armée
montant en tout à 46,000 hommes, un total de 20,000
hommes seulement, d'après le calcul de M. Finlay , pour
l'infanterie légère engagée seule dans la lutte. Hippias, fils
de Pisistrate, qui guidait l'armée persane dans sa patrie, la
fit débarquer de préférence à Marathon par souvenir du
succès de son père , et aussi parce que c'était le point le
plus v<Hsin d'Ëretrie en Eubée, qu'ils avaient occupée '•
Les Athéniens , commandés entre autres par Miltiade,
avaient environ 11,000 bommes pesamment armés et
11,000 bommes armés à la légère.
*■ Hérodote était né six aos après la bataille de Marathon.
'4érodote, Ijrato,
il.
t9d GRÈCE COIVTlHEMTALfe ET MOREfi.
lA général Cbiiréb, qui a fréquemlîlëDt examiDécècbtltDp
de bataille, pense que l'armée persane avait ie dos appuyé
sar sa fldtte et le flanc droit sur le nsarais de Sooli, et faisait
face à la grande vallée qui débouche sur la petite vallée dans
laquelle se trouve le village actuel de Marathon, afin de se
tenif prêté à marcher sur Athènes, soit par cette route, si
eitè restait libre, soit par la route de Vranas sur l'autre ver-
sant du Pentélique, soit par la troifième route qui Redirige
sitr Athènes, entre le PentéUque et là mer. Quant àT&rmée
gflscqiie, il poste l'aile gaiiche, avec les Platéens, sur la toi*
line de Bey afin de fermer là route par le village actuel de
Marathon ; le centre, qui était le plus faible en nombre, sur
la colline qui ferme la route de Yranas, et l'aile droite sur
la pente du mont Argdllki afin de fermer la troisième roate
entre le Pentélique et la mer.
Au monient où les Perses commencèrent leur mouve-
ment en avant, le$ Athéniens se portèrent à leur rencontre
étt descendant du mont Argaliki de manière à les resser-
rer sur le marais par un mouvement de l'aile droite, et de
la gofjge de Vranas (l'antique Marathon) par un ukonvement
en centre, et en se rejoignant au point marqué par un ta-
mufus ou soros d'environ cinquante pieds de haut et de
sit cents pieds de circonférence. C'était alors une plaine
unie; mais , comme ce fut là que dut se déployer le plus
grand eflbrt de l'ennemi et que durent tomlm' le plus grand,
nombre de combattants, on éleva ce tertre après la bataille
pour recouvrir les cadavres. C'est peut-être là que furent
éntétrés les 6,400 hommes qui périrent, dit Hérodote, du
oêtédes Barbares, et, dans ce cas, ce tumulus serait celui
qui fut élevé sous l'inspection d'Aristide -, un des héros de
Gétie bataille, laissé seul avec la tribu Antioohide, qu'il com-
mandait, à la garde des prisonniers et des dépouilles, et
retrouvé le lendemain occupé de ce pieux office par ie corps
des Spartiates arrivé trop tard. Çà et là , sur cette plaine,
sont distribués quelques tumuli plus petits. On désigne
l'un d'entre eux comme celui qui fut élevé plus tard polir
MAiiATaeN. 199
oooYrtr les cendres de Miltinde, auquel les Athéolensaecor'-
dèrent depuis uu tombeau sur son champ de gloire. Quel-
ques marbres brisés Indiquent i en eflfet , que ce ftit un
moDUBieDt i et l'herbe crêtt pardessus plus forte et plus
ferddf àate. Aucun nom n'a été eonserf é sur ces fragments
de marbre ; mais la gloire du vainqueur de Marathon flen«
rit encore fratehe et jeune dans les pages simples , f érifll-
ques , éloquentes d*Hérodote. Près de ce tumulus on eif
voit on autre qui pourrait bien être odoi qu'on éleva aut
192 Athéniens qui tombèrent glorieusement dans cette
bttaille et dont les noms, parmi lesquels se trouvait œlaî
de Cynégire, fils du poète Eschyle, étaient gravés sur une
eirfonne de marbre dont on ne trouve plus aucun reste;
Un peu plus loin est un autre tumulus, plue petit, dans la
direction du corps d'armée des mille Platéens, parmi les*
quels qaelqoes-uns succombèrent aussi en sauvant la liberté
de la Grèce. Bien que remués souvent par les pieds des
chevaux, cestumnii s'élèvent encore verdoyants dans cette
plahie sablonneuse ; et, en tes parcourant le 27 janvier, je
les trouvai émaillés des plus belles anémones de toutes les
couleurs, dont je coeiHis quelques-unes comme un pieux
sottveiifr. Sur le plus haut des tumuli on ramasse soa«
vent de petits ftagments de silex noiri aminci comme la
pierre à fbsil, taillé en pointe, et donnant du feu quand on
le frappe. Les gens qui aiment à tout croire en font les
fragments des pointes de flèches des Perses , et on les
trouve conservés précieusement sous ce nom dans plusieurs
cabhiets d'antiquaires. Ce sont tout simplement des mor*
ceaox de silex mêlés an sable apporté par les soldats d'A-
Hstide pour la construction du tumulus.
tes souvenirs de cette grande bataille sont encore comme
vivants dans la mémoire des populations de cette vallée;
Long-temps après la défaite des Perses , les habitants du
pays assuraient entendre dans le voisinage de Marathon
les hennissements des chevaux et le cliquetis des armes'
et v^r apparaître des fantômes de guerriera qui se com»
200 GRÈGE CONTlNENTALfi ET MOEEE.
battaient avec acharnement. Aujonrd*htti encore les pay-
sans de Sonli et de Yranas ont conservé ks mêmes idées
et assurent entendre souvent des voix plaintives semblables
à celles de femmes qu'on outragerait , et ils ajoutent que
plus ils s'approchent au-devant de ces voix , plus les v(hx
s'éloignent d'eux.
Nous reprimes notre route vers Liosia par le village ac-
tuel de Marathon , situé dans une autre vallée plus petite.
Tout ce village a une assez misérable apparence ; sauf la
maison du dimarque, qui est bien bâtie. Nous nous trou-
vions sur la rive gauche du fleuve d'Aphidné on de Mara-
thon, que nous avions traversé, et nous remontâmes tout
le profond ravin le long de la montagne couverte de cèdres
qui sépare cette vallée de celle d'Aphidné. Les premières
heures de notre course à cheval avaient été assez froides ;
un vent du nord-ouest, qui arrivait à nous sans être inter-
cepté par aucune montagne, annonçait vraiment la présence
de l'hiver; mais, dans l'après-midi, le vent tomba, le sdeil
reprit sa vigueur, et, abrités contre un air trop vif par une
montagne bien boisée et fort variée dans ses tours et dé-
tours , nous retrouvâmes tous les charmes du printetnps»
Assis sous de beaux cèdres , nous respirions avec bonheur
une température plus douce ; et , après huit heures de
course à cheval, nous retrouvâmes avec plaisir l'hospitalité
de Liosia.
Deux autres tours anciennes m'avaient été signalées par
M. Finlay dans la montagne près de Yarnavas. Dès le len-
demain nous étions de bon matin à cheval pour aller
les visiter. La nuit avait été des [dus froides, et il avait
même gelé avant le lever du soleil. La température de la
vallée de Liosia est toujours d'au moins deux degrés plus
froide que celle d'Athènes. La surface des citernes était
glacée, ainsi que quelques flaques d'eau éparses dans la val-
lée. Les terres labourées que nous traversions ofifraient
une terre difficile qui résistait au pied des chevaux, et, an
moment de notre départ, le veqt s'éleviiit et une neige rar^
VARN.4VA8. 201
et froide commençait à tomber. Laissant Aphidné à droite
et Kapendriti à gauche, nous passâmes un dernier torrent
et commençâmes à gravir un ravin bien protégé du vent
par les collines les plus verdoyantes. Le changement de
température était sensible. De Thiver tel qu'il s'annonce
dans nos climats, bien qu*avec une forme moins rude,
puisque Ja campagne était toujours verdoyante, nous ve-
nions de passer tout à coup à un véritable printemps , au
printemps embaumé des pays chauds. Cette chaude vallée
me rappelait quelques-unes de nos étroites et gracieuses
vaUées des Pyrénées, avec leurs rochers d'un rouge brun
revêtus çà et là de bouquets de verdure. Du haut de ce ra-
vin on aperçoit le sommet neigeux du Parnasse et l'Hélicon
d*nn côté , tandis que de l'autre côté s'élève au-dessus de
la mer le pic non moins neigeux du mont Delphi en Eubée.
Nous continuâmes ainsi jusqu'au village de Varnavas ;
puis, affrontant de nouveau le vent du nord, nous nous di-
rigeâmes vers une large tour située à l'extrémité d'une
grande plaine en pente légère de tous côtés, renfermée au
milieu des montagnes , et portant des traces anciennes et
modernes de culture. Cette tour ancienne , l'élise voisine
et le château annexé à la tour sont évidemment de construc-
tion byzantine. Les vents avaient depuis bien des siècles
porté peu à peu de la terre sur le second étage de cette
maison ruinée , et , sur cette terre nourrie par la pluie ,
d'autres vents avaient porté des semences que la chaleur
avait fécondées, et on grand arbre y étend aujourd'hui en
tOQt sens ses rameaux indépendants. Là était probablement
le domaine de quelque grand propriétaire byzantin , qui
aura été ruiné par L'occupation féodale des Francs, et dont
les grands établissements n'auront pu se relever depuis.
Une colline plus haute le clôt d'une manière plus calme
comme au milieu des terres et lui interdit la vue de la mer
toute rapprochée de lui.
Nous franchîmes cette m(mtagne pour nous diriger
sor l'autre tour nommée la tour de Gliathi ; elle est d'une
202 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
anti(fâité beaucoup plus reculée. Elle est bâtie de vastes-
blocft de pierres non taillés à Tintérieur, plus réguliers
an dehors. Sa fortoe est carrée; sa hauteur est d'en-
viroA trente pieds dans Tétat présent ; la pcn-te, tournée à
Fonest, est d*ane fort belle forme, non pas étroite et basse
coinme dans nos proportions modernes, mais haute et
large, dans le genre de la porte de la pinacothèque d'A-
thènes. Sflt hauteur m'a semblé d'environ huit pieds sur
cinq , et sd profondeur de cinq pieds. On voit que cette
sorte de passage était fermé par deux portes , l'une exié-*
rieurè , l'autre intérieure. Deux fenêtres sont percées dans
le mur, et on voit aussi dans le même mur deux espèces^
de nieurtrières. C'était évidemment là une tour de vigie
belléniqife , et elle se rattachait à une ligne de tours sem-
blables destinées à assnrer la défense d'Athènes. A quel*
ques pas de là gisent disséminés des restes antiques , des
débris de temples et de maisons, des chapiteaux d'ordre
dorique en marbre blanc, des bas-reliefs qui semblent
avoir été d'une bonne exécution , mais trop mutilés pour
qti'on puisse en conjecturer le sujet t témoignages d'une
grandeur antique ensevelie aujourd'hui dans la pous-
sière, les herbes et la boue, car l'èan coule encore
d'unie vasfte fontaine de marbre att milien de ces rdines.
S! les tilles de marbre sont ainsi ànéarities sans avoir pu
transmettre le nom qu'elles portaient, que deviendront nos
villes modernes de chaux et de bois?
Nous retournâmes de Liosia Ih Athènes par une route dif-
férente de celle que rious avions prise pom^ venir, et nous
tournâmes le Pentéliqoe par le revers opposé. Le froid était
devenu fort vif de ce côté de la montagne ; mais à peine
eûmes-nous franchi le passage de Kaliphari , sur la route
d'Orbpo^ à Athènes , que nô&s sentîmes la température
s*adoiicir. Les montagnes nods abritèrent contre les vents ;
le soleil reprit le dessus, et nous continuâmes notre excur-
sion avec délices au milieu de bois d'où s'enlevaient à
chaqde itistàht de dessons nos pas des milliers de bé€as-
ROUTE PAil I.E PE|iT£LlQUB. 303
sines dont très-peo périrent victimes de nos coups. Nos
exclamations de surprise , à la vue de tant de bécassines ,
faisaient retentir les bois , lorsque nous rencontrâmes un
convoi de sept à huit mulets montés par autant de jeunes
gens qui à nos exclamations françaises répondirent par des
salutations en fort bon français. Nous étions assez surpris
de nous rencontrer ainsi face à face avec des compatriotes
occidentaux au milieu des forêts du Pentélique. Nous nous
approchâmes et échangeâmes dos questions. C'étaient de
jeunes ouvriers français qui s*en allaient près des Thermo-
pyles pour y activer la construction et la mise en train
d'une raffinerie de sucre de betteraves récemminent fondée
à Kainourio-Chorio.
On s'enfonce ensuite dans un ravin fort sauirage. On y
montre encore l'artu'e où fut atjtaché pendant vingt-quatre
heures notre compatriote le savant M. Petiet , par des
Klephtes qui attendaient en cet endroit.des marchands de
troupeaux après la vente de leur bétail. Les routes sont
devenues plus sûres aujourd'hui depuis la bonne organi-
sation du corps de la gendarmerie par M. Graillard , et les
Klephtes pourchassés partout dans l'ipt^rieur du pays ont
été forcés de se réfugier sur les frontières de l'Acarnanie
et de la Thessaiie. Un peu plus haut se présente une scène
de montagnes qui produit un fort bel effet. Ce ravin et
un autre ravin , après avoir pris quelque temps une direc-
tion presque parallèle, viennent se perdre dans un troisième
par des replis profonds et verdoyants. Au fond de ces gorges
Diille petits ruisseaux coulent entre des baies de lauriers-
i^es, et les masses de verdure les plus différentes vien-
nent de toutes parts se réunir et se fondre. C'est la dernière
Terdure qui puisse reposer l'œil de ce côté du Pentélique ,
car on approche d'Athènes et on n'a plus à voir que des
arbrisseaux rabougris , des bruyères desséchées et des oli-
viers qui s'en vont pâlissant à mesure qu'on s'en approche.
104 GRECE GONTlNENtALE ET HOr£e.
1
IX.
MARGOPOULO. — OROPOS. — AULIS. — GH ALKIS. — THÈBES.
Pendant près de quatre mois j'élaîs resté à Athènes à
étudier la ville et les enifirons , la plaine et les montagnes ,
Tantlque , le moyen âge et le moderne. Dès les premiers
jours d'avril j'essayai une excursion aux Cyclades et visitai
JOélos et Tinos ; mais les vents étaient encore si incertains
que j'ajournai ma visite des îles et me décidai à visiter le
nord de la Grèce. Le lundi 19 avril je quittai donc
Athènes pour me rendre par Chalkis à Thèbes et à Livadia.
La route d'Athènes à Marathon m'était connue, ainsi que
h plaine de Marathon et ses environs ; je n'eus donc pas à
m'y arrêter. Je revis Kapandriti et traversai Marcopoulo »
grand bourg situé sur la pente d'une colline fort pitto-
resque du côté de l'Eubée. Un propriétaire du pays y a
commencé la construction d'un khani ou aubei^e de cam-
pagne, qui doit avoir deux étages et sera le plus grand éta-
blissement de ce genre qu'il y ait en Grèce. Son projet est
même d'y réserver deux ou trois chambres avec des lits
pour les voyageurs ; ce qui serait une bien grande amélio-
ration , car la première couchée d'un Européen est fort
rude quand il part d'Athènes pour voyager en Grèce et qu'il
veut s*en reposer comme moi sur les chances du pays pour
le mieux connaître.
En tournant la colline située au bas de Marcopoalo la
vue s'ouvre sur l'Eubée , qui , avec sa belle chaîne de mon-
tagnes , se développe avec grâce. De là on suit le bord de
la mer jusqu'au village d'Hagio-AposloIi , au pied de l'an-
tique Oropos. C'est un village qui commence à se former»
et les quatre ou cinq maisons dont il se compose sont en-
core toute neuves. Les anciens y avaient construit un mête
OROPOS. 205
dont on voit encore tes débris au milieu des eaux et sur le
ri?age. Une colonne de beau marbre blanc, arrachée à quel-
que monument antique , sert aujourd'hui à amarrer le s
barques des pêcheurs. Une fontaine Tient d'être construite
sar le bord de la mer, mais Feau ne m'en a pas paru ex-
cellente. Parmi ces cinq maisons je trouvai facilement une
chambre. Quant à matelas, tables ou chaises, il ne pouvait
en être question. Je fis donc étendre mon tapis sur le par-
quet, plaçai ma seUe sous ma tête, m'enveloppai de mon
manteau, et cherchai dans le sommeil le repos à ma
course de la journée ; mais on ne s'habitue pas sur-le-
champ à ce rude lit de camp , et je me réveillai le len-
demain matin plus brisé que la veille.
L'air frais du matin et un bain dans cette belle mer ont
bientôt réparé les forces du voyageur, et l'aspect du pays
fait oublier 'tout. Je suivis le bord de la mer en face d'Ere-
tria que j'apercevais en Eubée , et m'arrêtai long-temps à
causer avec des pêcheurs qui avaient étendu de longs filets
sur (cette côte , et venaient réunir les deux extrémités du
filet sur le rivage , de manière à resserrer dans leur nasse
toas les poissons qui avaient pu s'aventurer dans cette
partie de la mer qu'ils affectionnent. La route d'Oropos à
Ghalkis suit toujours le bord de la mer. A Dilesi , comme
le rivage est obstrué par d'énormes rochers , et que le
chemin se détourne un peu pour passer dans la colline,
nous coupâmes au plus court et entrâmes avec nos che-
vaux dans la mer. La grève n'est pas profonde, mais elle
se compose surtout de gros cailloux roulés, jetés par les
flots le long des flancs entrecoupés et escarpés de ces col-
lines, ce qui rend cette route à travers les eaux et les cail-
loux, avec une mer qui atteint toujours jusqu'aux sangles
des chevaux, un passage, sinon dangereux, au moins as-
sez difiicile. Nous allâmes ainsi jusqu'à la petite rivière qui
M jette dans la mer au-dessous de Hagios-Georgios. Après
Dramcsi on cesse de suivre la côte et on pénètre en dedans
da cap situé tout en face du fort Bourzi de Négrepont. Ce
1^
20j6 GRÈCE CONTINE^TâLE ET HOREE.
fort turc 3*avaQce dans la mer à un endroit où le canal de
Tflubée est très-resserré, de manière qu'il compandait
complètement le passage et assurait le payement du péage
^quand les Turcs J'occupaient.
JLorsque ce cap est franchi , on arrive aux bords de
la baie 4e Laspi^ qp.ç beaucoup d'auteurs pensjçnt être le
gr^nd pojTt d'Aulis, qù se réunit toute la ^tte grec-
q,ue avant de marcher centre Troie. L'antique Âulis est
placée sur )a ipont^gne qui surmonte Laspi. Quant au
petit port d'Aylis , ou l)likro-yalhy, il était évidemnient
trop petit pour cpntenir autant de bâtiments , n'eussent-
ils été grands que comme nos barc|ues de pêcheu;*s; car,
d'après l'énumëration d'Homère, il s'y trouvait douze cent
3Qixante-six yaisseaux fournis par trente-cinq principaux
pays^ dans lesquels il cite cent trente-cinq villes. Laspi est
fort petit 9ussi sans doute , mais suffisai^t cependant pour
^es bâtiments aussi petits q^ue l'étaient ceux djes Grecs.
C'est encore là que s'arrêtent les bateliers pour pouvoir je-
ter l'ancre ; car la grande baie presque close par le pont
de Chalkiâ et le passage non pioins étroit par lequel' elle
s'ouvre sont beaucoup trop profonds pour que d*aussi
petits bâtiments puissent y jeter l'ancre avec sécurité, agi-
tée surtout comme est cette baie pap le courant de YÉn-
ripe. Aulis était située entre Laspi et Vathy, et on retrouve
encore quelques ruines anciennes sur cet emplacement.
De là on aperçoit de fort près Ghalkis et son port ; mais
pendant près de deux heures il faut eqcore tourner sur les
versants rocheux des montagnes quji fornient cette baie
pour arriver jusqu'à l'entrée de l'Euripe. Un pont jeté ^
l'ouverture de la baie épargnerait une grande fatigue.
Yue de cette distance, avec ses mosquées et leurs minarets,
la ville de Ghalkis a un aspect toui à fait oriental. A trois
l^eures, je franchis l'abominable pont jeté aujourd'hui
si;ir l'Ëuripc , passai les portes de la tour et entrai dans la
lorteresse , puis dans les faubourgs de la ville de Ghalkis.
J*y restai cette fois quelques jours à bien la visiter ^ mais
CnALKlS. 507
je parlerai des objets qui y aftirèreûi mon attention Si
l'occasion d'un second voyage que j*y fis après avoîf visité
le nord de TËubêe, dans mon volume sur les îles.
Avant d'arriver à Ghalkis, on aperçoit sur une hauteur
qui dotninë là ville la foheresse turque de Kara-Baba.
Elle est très-bien coÉrservéé , mais c'esft dh misérable oti-
vràge de fohilication. J'allai la visHët* eri quittant Chalkis.
Du bàtit dès f*emparts et d'une petite todi*, on a une vue
fort étendue sur ùnè sèèîie peu variée dé mer et de mon-
tagnes. La montagne ^d'on a à franchir pour descendre
dans lès plaines de la Ëéotie à conservé le tiom de KlepKto^
Youni, des voleurs qui l'infestaient autrefois. £n descendant
le kJepbto-Vôuûî on passe entre le site des villes antiques
de Aiycalëssds éi d'Ilarmâ, puis au pied de la montagne 601
se trouve, à dent Heuës et demie environ , à Sagmata, te
monastère de ti Métamorphose, ofu transfiguration, fondé
par le gtand bâtisséùi* des couvents grecs, l'empereur
Alexis Gomnène. M. le professeur tloss à copié dans ce
couvent bû diplômé dd mois de septembre H 10 par le-
quel cet empereùt* envoie aux moines un morceau de U
vraie croit et leui* fait dotl de l'ëtang situé près du village
d*Houngarâ ^ qui cohserve le même îiom , siinsi que \à
montagne conserve celui de Sagmata \ La plaine de Thé-
bes, qui comlnencè ati bas de cette montagne, est triste;
sans arbres et sans culture, et presque totite couverte dd
tourbières. En arrivant au village d'flagios-Theodoros , W
ville de Thèbes se préseiite assez bien. La Cadinéa, sur la-
quelle elle est bâtie, est une colline de forme elliptique qui
s'élève au milieu d'une grande vallée traversée par le Kà-
navari et risihène sans eau, à sa sortie du lac Likeri.
La Chronique de Morëe raconte' que Nicolas, châtelalii
dé Saint-Omer, veuf de Marié d'Ântioche , ayant épousé
r *
'Urkondea %ur Geschichte Griechenfands im Mittelalter (p. 15â
et lâ6).
3 Pag. 189 de ma deuxième édition à deux colonnes.
'908 GA£CE CONTJKENTALB ET MORËE.
Anoe Gomnène , ?euve du prince d'Achaye Guillaume de
Ville-HardoiD (en 1278) et sœur d*HéIène, qui avait épousé
le roi Mainfroi, s*établit avec elle en Morée. Par ses gran-*
des richesses et sa puissance nouvelle, dit-elle, il se vit en
état de faire construire à Thèbes le château de Saint-
Orner ; et il y ût bâtir une habitation si magnifique , et il
l'orna de si belles peintures qu'un empereur eût pa s'y
établir avec toute sa maison ; mais les Catalans, qui ne s*en
étaient emparés qu'avec les plus grandes difficultés, détrui-
sirent ce bel édifice, par la crainte qu'ils avaient de voir le
grand-sire, messire Gautier de Brienne , duc d'Athènes,
s'y établir lui-même.
De cette vaste et belle forteresse construite par notre
compatriote Nicolas , châtelain de Saint-Omer, il ne reste
plus qu'une tour carrée à l'extrémité de la Cadméa , du
côté de Saint-Théodore. Les murs ont deux mètres soixante-
dix centimètres d'épaisseur et chaque côté a quinze mètres
de largeur, deux des côtés ont dix-huit mètres et demi;
l'intérieur est divisé en deux compartiments par une porte
cintrée dont l'ouverture est de deux mètres trente-sept
centimètres. Les chambres inférieures , qui sont voûtées,
servaient fort probablement de prison, car une prison était
alors l'annexe nécessaire d'un palais. Ainsi que dans tou-
tes les anciennes tours, la porte était située à une hauteur
telle qu'on ne pouvait y arriver qu'à l'aide d'un pont-levis
jeté sur un escalier construit exprès à distance. Cet esca-
lier, en forme de tourette carrée, de trois mètres de largeur,
existe encore, fort ruiné, et l'ancienne porte. cmtrée, qui
était alors la seule, est conservée aussi. Deux longues
meurtrières la défendent des deux côtés. En dehors du
mur, sur une des grosses pierres des assises, près de la cor-
niche qui fait face à la plaine, je lus le mot Kalamata, sur-
nom de Guillaume de Yille-Hardoin, prince d'Achaye.
Au bas de la Cadméa , le long de la double enceinte de
murailles qui entourait la villjs , subsistent aussi quelques
restes d'une antre tour certainement de l'époque franque.
THÈBES. 209
Thèbes avait été conquise dès les premières anaées de la
prise de Constantinople par Olhon de La Roche de Fran-
che-Comté , un des grands vassaux du roi de Salonique ,
Bouiface de Mont-Ferrat. Lorsque Boniface concéda à
Guillauaie de Champ-Litte et à Geoffroy de Yilie-Hardoin
la seigneurie princière de toutes les conquêtes qu'ils pour-
raient faire en Acbaye» la seigneurie de Thèbes, réunie en
ce moment à la seigneurie d'Athènes, fut placée par lui sous
la suzeraineté des princes d'Achaye.
Le second seigneur français de Thèbes et d'Athènes fut
Guy de La Roche, neveu d'Othon, qui, ayant fait venir de
Franche-Comté sa soeur, IBonne , la maria d'abord avec le
roi de Salonique, Démétrlus de Montferrat, mineur, puis,
à la mort de celui-ci , avec Nicolas , l'ancien châtelain de
Saint-Omer , en donnant en dot à Bonne la seigneurie de
Thèbes à titre de sous-inféodation. Le Nicolas qui fit bâtir
^a grande forteresse de Thèbes était le petit-fils de ce pre-
mier Nicolas, et il était fils d*Abel ou Bêlas, châtelain de
Saint-Omer, et de Marie de Hongrie, veuve du roi de Bul-
garie Asan. Ces Saint-Omer étaient aussi possessionnés dans
le royaume de Naples.
Les seigneurs français, devenus depuis ducs d'Athènes,
avalent établi leur atelier monétaire à Thèbes, et ils y firent
frapper des deniers tournois en leur nom.
La Chronique d'Henry de Yalenciennes raconte que ,
lorsque l'empereur Henry de Constantinople vint en per-
sonne forcer les Lombards du royaume de Salonique à lui
rendre hommage , il trouva quelque résistance à Thèbes,
Ae la part des Lombards qui en avaient pris possession
temporaire.
« Li empereres , dit-il *■ , chevauche tant que il est k
Thèbes venus. Et Lombart font le castiel tenir contre lui.
Hais U empereres dist bien que il les fera assaillir
^ Pag. 294 et 295 de mon édition à deux colonnes, à la suite des
éclaircissements sur Uifrincipaulé française <fe Morée.
15.
210 GRÈCE COINTIICENTALE ET HOrÉe.
Et il descend! à pié de soa cheval, si qtieli archèvesque et
li clcrgiés le menèrent an moustier Nostre-Dame^ Là ren-
dit grâces à Nostre-Seignear de Founor que il li avoit con-
sentie à avoir en cest siècle ; puis ist hors du moustier et
fait asseoir le castiel Dont fait drecier mangonnians
et arrenghier ses arbalestriers entout- les fossés, et fait
traire et jeter à la maistre fremeté; tnais cfaoo est pot
noient, car trop est li castians fors Quant li empe-
reres vit que par assaut ne povoit le Castiel avoir , si fait
sonner le retrait , puis fist querre carpentiers partout por
faire esciele et bierfrois. Et chil dedens se deffendoient se-
lonc lor pooir. Mais riens ne lo? vaut deffcnse, si corne je
croi ; car les escieles sont faites hautes et grans et bien che-
villies. Et quant Lombart les virent , s'il en furent esbabi
che ne fu mie miervelle. Que vous conleroie-jou ? Il fisertt
parler de la paii... Li castiaus est rendus... Li empereros
ala à la maistre église de Thebes en orison ; choo est une
cglyse c'on dist de Nostre-Dame. Et Olhes de La Roche, qoî
sires en estoit, à cui li marchis (Boniface) Tavoit donnée,
ri hounera de tout son pooir. »
On voit qu'il est fait mention ici de deux églises de No-
tre-Dame, une en dehors de la ville et l'autre à Fintérieùr.
Dès mon arrivée h Thèbes, mon premier soin fut de m'en-
quérir des églises hors la ville , pour aller les visiter. Il f
en avait autrefois cinq : l"" cette église de Notre-Dame ;
2"" la Sainte-'lrinité ; S"" Saint-Fulgent ; d"* Saint-Nicolas )
5^ Saint-Luc. Cette dernière est la seule dont les ruines
soient encore visitées. Elle a été bâtie à un quart de Iteuè
de Thèbes, sur l'emplacement du temple d'A|)ollo* Ismènc^
dont le pavé antique, en mosaïque de marbre, se retrouve
presque en entier en dehors de l'églide, à sit pouces peut-
être au-dessous du sol. Il suffit de creuser un peu la teire
de ce côté pour en retrouver les traces. Près du chœur de
cette église en ruines on retrouve un tombeau de marbre,
1 Hors la ville.
tAèbes. 211
especié par les croyants comme ayant été le vrai tombeail
de saint Liic. L'opinion commune est qu'il suffit de gratter
an peu du marbre de cette tombe, de lé réduire en pous-i
sière et de boire cette poudre dans de Teau fraîche pdiit
châssef à rinstànt là fièvre. Aussi, dans tous les chs de fiè-
vre, ne inanque-t-on pas de venir gratter le couvei-cle, dorit
une partie est déjà usée. t)es traces récentes prouvent que là
croyance dans refflcacitë du tdtnbeatl de saint LUc n*a pas
diininùé. En Texaminarit avec attention , on voit que ce
tombeau est évidemment dtl troisième siècle et dé style
tout à fait romain. Les deux côtés sont recouverts dMn-^
scriptîons dont Leake a publié une partie , fet qui rie fotit
aucune mention de saint Luc, mais se rapportent unique-
ment à un dignitaire provincial romain. En furetant par-
tout à travers les débris, je retrouvai Un écusson des Tem-
pliers, avec les fleurs de lis à l'extrémité de chaque bout de
la croix. Il serait possible qu'en effet ce monastère , placé
dans une bonne situation en face de Thèbes, eût été con-
cédé aux Templiers , tomme le furent beaucoup d'autres
propriétés dans la Grèce continentale.
On a tracé , pour la nouvelle ville de Thèbes , un plan
fort régulier sur la Cadméa, mais il n'y a encore de maisons
construites que dans la grande rue qui traverse la Cadméà
dans sa longueur et dans quelques rues transversales. Il y
a cinq ou six bonnes maisons au milieu de beaucoup de
ruines de maisons et d'églises , et le reste se compose ;
comme un bon gros village, de modestes habitations d'agri-
culteurs. Il existait à Thèbes Un grand nombre d'églises.
Quelques-unes avaient été ruinées avant la révolution^
telles étaient : Saint-Nicolas, Sainte-Catherine, Saint-An-
dré , Saint-Élie , le Catholicon , Sainte-Paraskevi , Saint-
Jean, la Sainte-Charité, Saint-Étienne, la Présentation-de-
Ja-Vierge-au-Temple , le Sauveur et Saint-Démétrius. Le
Catholicon fut détruit par un incendie fortuit, en 1780.
D'autres existaient encore au moment de la révolution et
sont en ruines aujourd'hui. Telles «mt : la grande Notre-
319 GBÈCB CONTINENTALE ET HOREB.
Dame, Saint-Nicolas, Saint-Georges, Saint-Athanase ,
Saint-Basile, la Naissance -de-la- Vierge. Deux existent en-
core : Notre-Dame-des-Loges et Saint-Démétrius, qui a été
restaurée.
£n parcourant la colline assez peu considérable de Tan-
tique Gadméa , on retrouve quelques traces des sept portes
et aussi, presque au bas et près de Téglise de Saint-Geor-
ges , les restes du mur franc et les ruines d*une des tours
carrées destinées à la défense de Tenceinte. On reconnaît
évidemment que Téglise de Saint-Georges, dont les ruines
sont amoncelées en cet endroit , a été bâtie sur remplace-
ment et avec les débris d*un ancien temple. En remuant
les débris de marbre accumulés dans les ruines, je remar-
quai un bas-relief représentant le Christ bénissant avec
ces lettres latines H-H-P (peut-être Hiesus hominum pater?);
et une autre plaque de marbre de quatre pieds carrés ,
portant d*un côté une inscription grecque antique , et de
l'autre uu de ces bas-reliefs qu'on rencontre si souvent
dans les villes antiques de TAsie-Mineure, représentant un
grand aigle saisissant une colombe entre ses serres et l'op-
primant Il y a dans la forme de ce bas-relief une exécu-
tion toute symbolique et de convention qui me parait prou-
ver que ces plaques étaient autant d'emblèmes exécutés
par des corporations religieuses , et destinés à une place
fixe. I^ main de l'artiste attesterait une exécution du
moyen âge , si on n'en trouvait beaucoup de semblables
dans les ruines antiques des grandes villes de Lycie. Plu-
sieurs écussons fleurdelisés subsistent encore au milieu de
ces ruines. Les ruines du Gatholicon ou cathédrale, qui
était à peu près au milieu de l'enceinte de la Gadméa, mais
un peu plus rapprochée du côté du midi, sont encore plus
bouleversées. J'y remarquai cependant de nombreuses tra-
ces d'un pavé en mosaïque de marbre et quelques fragments
de diverses croix sculptées parmi les décombres.
L'eau était autrefois apportée des montagnes voisines
daps la ville par un aqueduc dont on peut suivre les tr^-
THÈBES. 213
ces. Elle n*est fournie aujourd'hui que par deux fontaines :
Tune est située un peu plus bas que le Catholicon, en des*
cendant la Gadméa du côté de Test , et au-dessus du
cippe d*où Teau coule on a placé un ancien écusSon qui
porte les quatre fleurs de lis dans les quatre cantons de la
croix ; l'autre est non loin des ruines de la tour carrée des
murs francs.
X.
LAC GOPAÏS. — K.ARDITZA, — tlYADIA.
J*avais une immense journée à faire. Je voulais voir les
ruines de l'antique Akrephia , quelques restes francs au*
tour du lac Gopaîs , aller rejoindre la route de Thèbes à
Livadia et coucher le même soir à Livadia , ce qui me fai*
sait vingt-cinq bonnes lieues de poste au moins. Il me fal-
lait donc me mettre en route de bonne heure , muni des
gendarmes et guides nécessaires pour ne pas perdre un in-
stant.
£n sortant de Thèbes, je passai d'abord près d'une
carrière d'écume de mer qui n'est plus en exploitation.
Ten ai pris quelques échantillons, et les connaisseurs
m'ont assuré que la qualité en est fort bonne et qu on
pourrait en tirer bon parti. La route traverse d'abord une
plaine assez mal cultivée et quelques prairies du côté du
Kanavari et de l'Ismène sans eau. En arrivant près du lac
likeri, le pays change d'aspect : ce ne sont plus que ro-
chers et montagnes les plus âpres. A mesure que la route
devenait plus mauvaise , la vue devenait plus grandiose.
La scala de Papadia, qui descend vers le lac, est réputée
diflBcile , même en Grèce. Le lac Likeri , dont le bassin
entrecoupé de rochers se divise en apparence en plusieurs
Ides , est encaissé de toutes parts entre des rochers dé-
in GRÈCE CONTINENTALE ET MOREE.
pourvus de tonte végétation et pfesqnè blancs, qui descen-
dent d'une manière abrupte jusqu'aux bords du lac. ÎA
route, gui débouche ters la partie là ptus large du premier
lac, suit continuellement ses coiftdurâ eh le tournant ver^
le dernier quart de soh étendue. Cette rotite de rochers e^
des plus glissantes et des plus dfffldles, et cependant sur
ces rochers unis on distingue très- clairement les Ornières
des chars et les traces du passage fréquent des hommes et
des chevaux ; ce qui annonce incontestablement une grande
route antique. En arrivant au point de séparation presque
entière formé par les rochers entre les deux parties du
lac, une assez joli^ vallée se présente tout à coup; elle
s'étend en peùte presqdè jusqii'âilt botds du lac. Là , au
milieu de la complète solitude de cette retraite sau-
vage , j'aperçus des tentes dé bergers vlaques réunies sur
le flanc de la colline. Plusieurs ceiitàifiés dé chetaux et
un nombreux troupeau de brebis paissaient dispersés sur
les gazons envirdnnants, tandis que des chiens féroces veil-
laient attentifs à là garde de ces tetites dé chaume.
J 'envoyai iiio&gendarbe eii avant ducdté des tentés, pour
que les bergers cotitinssent leurs fiers molosses et je m'at^
vançaî pour visiter leur campement. Les hommes et femmeë
étaient occupés à divers travaux eu dehors de chaque
tente. Ici oh étendait les laities sur le gazon ; plus loin des
métiers de forme tt-ès- simple étaient fichés en terre , et les
femhies tissaient dhe grosse tollé de coton ; dans un auti-e
endroit un grand feu faisait bouillir Une large chaudière
èontenanf la teinture des cotons et destines ; car les Vla-
ques se sufiisènt â eux-mêmes pour t6ut, habitation , vê-
tedient , aliment î les bruyères et lès arbustes leur fodr-
iilssetit de quoi construire leurs tètites dans tin eiidroit bien
abrité cohtre les vents ^ leurs moutons donnent fa hine
dont ils font leurs habits, les plantes des montagnes la
èouleur dont ils les teignent , les plaines voisines du co-
ton pour les vêtetnerits de leurs femmes; et leur hourriture
se compose dti lait de leurs brebis, flodt ils fbnt un excel-
leut fromage , et d*un de leurs agneaux au grand jour de la
Pâque. Lorsqu'au mois de mai la chaleur devient trop
forte dans ces campeine,nts , il^ partent pour retourner
aux monts d*i^grapba et de '^l^^ssalie. Quand le frpid de-
j'ient vif daijs leurs pjonti^g^jçs, ils revi.enpnt ^ ces cam-
pemiei^ts pij33 chauds , po^,r les(||je|s ils q'qi;^ i payer qu'ui^
jifroit Iprt niodique ; car, d^aff^ Tétat peu ^vanc^ de Tagri-
iwjture , ce pe sont p^s l,es ^erre^ , mais le3 br^ s qui sq
f^^enh jLes b.Qmmes \laques sont robustes et agiles ; les
fequrnes sont gjcandes ,et fortes, t^nr tête esit recouverte
d'une esp.èc(ç c^e tjjrbaji. Tout ce spectacle de costume^
Iput asiatiques » ce;$ Itefities et ces campements au milieii
d'une vallée solitaire, spr le bord d'un li^P» ^}f pied des
fflfiffî^jo^e» (^i l'enceigifAQt die toutçs paft;^, j^taiénit d'un
i?ff^ vraÎQ^epit étrange pour m.oj.
Npiis ^eprîiîJfiS sur J^es bords dn lac l^s rochers nus et
j^iss^iî)l$ sj^r Jesqnels sont conservées les traççs djc la roule
^tique ^t nous ^rivàme^s à l'extrémité du lac , que nous
doublâmes dans ses replis. Là on a à remonter nne efFrova-
ble cbajijtssé^e turque au-dessus du 3engena et dans la di-
rection de Hpuogara. Nous arrivâmes enfin sur un plateau
très-éievé d'çii oii a ujie fort belle vue du lac et des mon-
tagnes. De Jà on cQmijaepce ^ descendre par des sentiers
plus faciles et pli;is ombragés dans la direction du nord , et
Qn aperçpit une vaste plaine fort bien cultivée , à l'exlré-
Wité de ^quelle se présente la gorge de Perdiko Vrysi , la
Cofll^inç des perdrix. Un torrent coule dans les bas-fonds et
k rçute est tracée à mi-côte au-dessus de son lit, au milieu
des ombrages.
Après jiAie heure de marche dans cette grotte pittores-
qjfte , j^j'apparyt le village de Karditza , objet de mes re-
clief ches. il est jeté négligemment à mi-côte , sur, l'autre
rive du torrent , dans un assez gracieux entourage de prai-
ries et de forêts. Cette situation me rappela , comme
plusiieurs autres parties de la Grèce , quelques-uns de
^m jolis paysages des Pyrénées. Calme parfait, végéta-
916 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
tiou active, chaleur de l'atmosphère, fraîcheur des bos-
quets, tout y était.
Gomme les heures de ma journée étaient strictement
comptées, j'envoyai d'avance mon gendarme, qui s'em-
para sans hésitation de la meilleure maison du village, mit
tous les habitants à la porte et se contenta de garder ceux
qui lui étaient nécessaires pour le nettoyage préliminaire
et le service. A mon arrivée je trouvai donc les chambres
propres , les tapis et coussins étendus et le feu allumé pour
les préparatifs du repas. Ce sont là des usages un peu ar-
bitraires transmis par les maîtres turcs et non oubliés en-
core. Pendant que le cuisinier vaquait à ses fonctions , je
sortis pour bien examiner les lieux.
A environ un quart d'heure du village , du côté opposé
du ravin et sur une pente un peu plus haute, s'élève
l'église de Saint-Georges de Karditza. Elle est bâtie sur
l'emplacement d'un temple antique qui appartenait à la
ville hellénique d'Akrephia , dont les ruines couvrent la
mjntagne. Toute l'enceinte du temple en vastes pierres est
parfaitement conservée et forme comme un mur de clôture
autour de l'église et de son cimetière. Ces murailles ont
encore au moins quinze pieds de hauteur, et on y recon-
naît la construction belle et simple des Hellènes. De lon-
gues inscriptions grecques sont placées en tout sens dans
toutes les parties des murs plus récents de l'église , tantôt
fort ostensiblement sur les chambranles des portes , tantôt
plus modestement dans les coins , et tantôt même cachées
sous l'herbe et faisant partie des premières assises du mur
de fondation de l'église.
A l'intérieur, je remarquai sur le parvis des pierres fu-
néraires de toutes les époques avec inscriptions grecques
antiques , avec formules sépulcrales de l'époque romaine ,
avec croix et armoiries de l'époque franque. Le pavé de la
solea est en losanges de marbre noir et blanc de deux
pouces de longueur. A droite du chœur se trouve une pe-
tite chapelle , et sur la frise je lus l'inscription suivante ;
KABDITZA. 317
non gravée, mais peinte en grec francisé et avec rortho»
graphe la pins barbare , c'est-à-dire la plus franque :
ANHrEPOH 0 eriûi: ke nNSEn-
T02 NA02 TOT IHOT MEFAAOMT
TEûprior AHA siNEPriAi: ke
noeoT noAAor ror OEûSEBEiTATor
KABAAAPI MI2EP ANTONI
TE 4>AAMA
OAE ÏEA02 HAIOEN HOAÛN MAPTYPÛN
OAE ÏEAOi: ErPEN HUTOPHA ATTA
HAPA rEPMANOY lE-
POMONAXOY KE KAOErOTMENOr
KAI NIKOAEMOr lEPOMONAXOY
TON AYTAAEA<>ON TOY-
2 ANAKENE2ANTA2 TON
HKON TOYTON.
^ ETI. ç«e. ^ •
On, en rectifiant seulement l'orthographe sans riea
changer au texte de cette curieuse inscription gallo-*
grecque :
'AvriYepÔT) 6 6etoç xa\ îtavffsicroç vaiç toîî uirspaytou jxÊYaXo-
[xapTupoç FfiopYiou, $ii auvep^eCaç xa\ TtoOou izoKkoZ toîî ôeo-
ffe^EirraTOU xaêaXapt (XKjJp 'AvTtovt Bï 4>Xa|xa. \lBe. tsXoç
ctXTicps Tto^Sv (jLotpTupwv , ôSs TsXoç gôpsv t(JT0p(a aSTY) Trapà
Pep^iiavou tepo[JLOva;^ou xai xaÔ7)YOU(ji6vou xa\ Nixo$75|jlou îepo-
{lovo^ou Twv auxaSfiXîpwv toÎ^ç (sic) àvaxaivtdavTa; (sic) rov
o&cov TouTOv. — "Exei çw£3r (6819 ou 1311 de J.-C).
Ce qui veut dire : « Ce divin et respectable temple du
très-saint et très-grand martyr saint Georges a été élevé
par la coopération et le grand zèle de rillustre chevalier
messire Antoine de Flamme ; ainsi s'est terminée la pein-
ture de tant de martyrs par les soins de Germanos, moine
et abbéy et de Nicodème moine, tous deux frères, qui ont
19
118 GRÈCE CONTINIRTALB ET MOREE.
restauré ce temple en Fan 6819 de la création du monde
(1311 de J. -G.)- •
Ainsi sont réparties par tout le pays les traces de la do-
mination féodale des Occidenlaux : ici des tours de dé-
fense, là des églises en ruines, partout des armoiries et
des inscriptions sur les murs extérieurs et intérieurs des
monuments publics. Ce sont ces éléments épars que j'ai
Toolu réunir en un ensemble assez imposant pour servir
de point d'appui aux documents que me présentaient les
chroniques et les archives.
Un peu au-dessus de TégUse gallo-grecque de Kdrditza
commencent les ruines de Tantique Akrephium, qui cou-
ronnait le sommet de la montagne. Toute l'enceinte de la
ville est fort bien conservée , et les murailles , composées
de grandes pierres quadrilatères , s'élèvent souvent à douze
et quinze pietls. Des portes longues, où veillaient sans doute
des sentinelles, sont dispersées d'intervalle à autre. Çà et là,
in milieu de cette enceinte de mors de fortifications , sur-
gissent des ruines considérables de maisons. Les rues et
l'emplacement de chaque maison sont fort bien indiqués ;
caf les maisons particulières étaient , comme les édifices
publics, construits de grosses pierres carrées. Pour les ap*
porter dans de tels lieux et à une telle hauteur, il fallait me
dépense considérable de force humaine en même temps
qu'une puissance mécanique déjà fort avancée. On est
souvent étonné en traversant ces pays où un rocher nu
se refuse à toute culture d'y retrouver de si beaux restes
de monuments publics ; c'est que
Prtvaius illis eenstts erat brevis
Commune magnum.
Les villes modernes d'Italie, Rome» Florence , Boio^
gne. Gênes, Venise, pourraient seules, comme les vlHes
anciennes, offrir, après des siècles, des ruines capables
d'user la dent injurieuse du temps; mais des deux plos
grandes villes de l'Occident > Paris et Londres $ que resie-
LAC GOPAIS. 219
rait'il après plusieurs siècles si un tremblement de terre
venait k les renverser aujourd'hui ? quelques ruines d'é-
glises, car le vent aurait bientôt emporté en poussière les
fragiles matériaux de nos maisons et de nos hôtels.
A mon retour au village je trouvai tout disposé pour le
repas. Une petite table roQde d'un pied de hauteur sup-
portait le dîner, et les tapis et coussins étaient distribués
par terre alentour. Les Orientaux s'accommodent fort
bien de cette manière de s'asseoir les jambes croisées ; mais
c'est une Téritable fatigue pour les peuples de l'Occident
habitués à se poser sur une chaise , comme une statue de
roi égyptien , de manière que la position de leur corps
fasse trois angles droits avec le parquet. Les gens de la
maison dd)ont ï la porte attendaient nos ordres avec un
sentiment d'hospitalité délicate plutôt que de soumission.
Pendant qu'on achevait de dîner je partis avec un guide
pour visiter quelques autres restes francs sur les bords du
lacGopais.
Nous laissâmes à notre droite Kokkino et la montagne
où sont les ruines du temple d'Apollon Ptoiis, passâmes
entre les deux crêtes de la montagne et descendîmes parla
pente qui , à travers les bois , mène au lac Gopals. La cha«
kar était extrême , mais l'envie de voir me soutenait. Je
snivais k route qui conduit â Martini, où les femmes por-
tent de si jolis costumes : robe, petites guêtres rouges,
jimbe nne et fine, tunique blanche fort courte, tchoubé
plus oenrt attaché avec une large ceinture, corset et man-
ches courtes ornées de nombreux rangs de becs de perdrix ,
kras nns et ornés de bracelets de corail , bonnet composé
de plusieurs rangs de monnaies avec deux brides de métal
qui encadrent la t^e , et une immense chevelure qui re«
Ittnbe presque à terre en se terminant par deux énormes
Sbads de soie; tout cela compose un des plus gracieux
Mtomes que j'aie vus en Grèce.
Après plus d'une grande heure et demie de marche , je
BB'anitai sur un tertre bmsé qui domine un fort beau ravin
t20 GB£GE CONTINENTALE ET HOREE.
dans le fond duquel coule entre .des ombrages un torrent
qui Ta se jeter dans le lac Gopaïs. J'avais devant moi , sur
le côté du lac, un château franc, entouré de larges fossés
remplis d'eau ; près de la rive et très-près de là Tile de Gla
tvec un autre diâteau franc; en face de moi 5 de l'autre
côté du lac, était Topolias, et plus à Touest Orchomène
avec son château hellénique réparé par les Francs , et les
marais situés entre le Géphise et l'Hercyne, où se livra, en
1310 , entre les Catalans et les Français commandés par
Gautier de firienne , duc d'Athènes , la grande bataille qui
décida de la possession de l'Âttique. La vue était fort belle
et la sérénité du temps ajoutait encore à sa beauté. Des
armées innombrables de grenouilles r^ent sans contrôle
sur ces marais de plusieurs lieues, et forment un concert
de jour et de nuit qui se fait entendre à plus de deux lieues
au delà.
Je vins reprendre mes montures à Kardiiza, et, un peu
fatigué de cette longue course en plein sdeil, je descendis,
pour rejoindre la route de Thèbes à Ldvadia, un sentier que
trace le torrent qui de Karditza va se jeter dans le lac Go-
païs , si célèbre par ses excellentes anguilles. Souvent ,
pour éviter les rochers trop pointus du rivage , il me fallut
traverser les eaux du lac, qui , là où il ne pose pas sur nu
fond antédiluvien de boue, cache sous ses eaux épaisses un
fond de tout petits fragments du roc qui en rendent le
passage fort difficile , surtout dans l'endrdt où ses eaux
vont se perdre dans les abîmes connus sous le nom de
Gatavothra , près desquels il se continue une route. A ces
routes de rochers «succédèrent bientôt des routes de vrai
marais, à mesure que nous approchions des plaines de la
Béotie. Tous les champs-là sont de véritables vaithas ou
marécages dans lesquels nos chevaux enfoncèrent fort
profondément^ si profondément que j'étais étonné qu'ils
trouvassent enfin un point d'arrêt Tous les terrains à l'est
du lac Gopaïs , les champs de l'Haliarte au midi et ceux
de Skripou à l'ouest ne sont que marécages. La route de
LXQ GOPAIS. 291
Skripou était toutefois celle que suivaient autrefois les grau*
des années de conquête. Boniface de Mootterrat arriva de
Bodonitza à Tlièbes en 1205, en suivant la vallée de Dadi
et en prenant au-dessous de Drakhmani la route de Ta*
Icotê à Thèbes. Les Catalans prirent plus tard la même
route, sans doute pour éviter le château-fort de Livadia
qu'ils laissèrent à leur droite. Il leur fut facile, en s*avan«-
çant sur les bords du lac, d'opérer contre les^ manœuvres
de la cavalerie française les saignées mentionnées par les
chroniqueurs byzantins; car, dans cette saison de Tannée,
toute la plaine de Skripou, qui a Tair d'un tapis de verdure,
recèle sous cette apparence trompeuse des fonds maréca-
geux, impraticables à la grosse cavalerie de nos chevaliers
bardés de fer. .
Après mille tours et détours forcés entre les rochers
pointus, où mon cheval, trébuchant à chaque pas, me
faisait souvent entrer dans le lac plus avant qu'il ne m*était
nécessaire pour l'observer, et les marais de Yariko, où j'é-
tais menacé à chaque pas de voir ma monture, prise dans
un fond par trop doux, s'enfoncer et rester immobile avec
moi ainsi qu'une statue équestre, absolument comme Mi-
céphore Grégoras le raconte des chevaliers nos ancêtres lors
de leur bataille contre les Catalans, il me fut fort agréable,
je l'avoue , de sentir mon cheval poser les pieds avec plus
de fermeté et d'assurance sur le terre-plein de la Béotie.
La vue avait changé. Elle n'était plus étroite et resserrée;
mais de hautes montagnes bornaient encore l'horizon dans
le lointain. Cette chaîne de montagnes encore couvertes
de neiges, c'était l'Hélicon ; ce fleuve qui en sortait, c'était
le Permesse; et, dans le fond du tableau, au pied de
l'Hélicon, il me semblait voir, je voyais par la pensée , les
fontaines poétiques d'Aganippe et d'Hippocrène.
]^ route de Thèbes à Livadia sur laquelle j'étais parvenu
est presque tout entière carrossable dans les beaux temps;
mais dans la courte saison des pluies ces terres grasses n'ont
aucune consistance, et les roues d'une voiture s'y enfon*
19.
§91 GRECE CONTINENTAU SX MORSE.
eonieiit de naalère h n'en ponfoir pas akément sorlîr. A
moitié ckem ia / «ne edbne se détiche de la ekatse éee
moRtagnes et se porte graeieusement en af aot jmqn^avx
beeds de k route, préseRlaot les raines asses vastes et ffn«
peaaRics d^vn viens cMceao frase qui readait aotrefoi» ee
passage assess redoolaMeet qui l'embettit asfmirdlittî, sor-
tent quand ses vieux mors se détachent, eomine ils in*ap*
parurent, au mifieu des feux resplendissants du eoschant^
La toute qne j'avais à faire était encoi*e longue, nsds
facile ; la nuit était survenue , et les armées de grenouilles
du Gopafe annonçaient seules piu* leut murmure assourdis-
sant la vie autour de nous. Il était près de minuit quand
j*èntrai ii Livadia. Jignorais dene complètement In ferme
du nouveau pays dans lequel j'étais arrivé.
An lever du soleil je m^éveitlii au bruit des easeadcs
de l'Hereyne, qui roulait précipitaflMneet sous mes feaêtres
au milien de ses roelMrs. «le sortis et me trouvai en pré-
sente d'une nature sauvage et belle qui me vappelait la
Smsse , ou phMât l'approdie ée l'Beàknithal eMm Fri-
houig en firisgau et Oonanescbingen. Demc lignes 4» ru»
chers âpres et élevés viennent se réunir pour fermer de sa
oôié le passage de la vallée.
Je franchis le torrent de Tiiercyne en me dirigemit du
côté de la montagne, et après quelques miuulce je me
trouvai devant L'antre célèbre de Trophonius. Là étaient
autrefois des tenaples , h étaient réunies peut-être spKl^
quee^unes des inerveiiles de l'art grec; aujourd'init* tastt.
porte les traces d'une récente dévastation. Les deux fan^
taines de Mnémosyne et de Léthé ou de la Mémoire et de
rOiibK se confondent en une eau dormante , enfermée
dans un étroit bassin de pierres maçonnées. Un riche An-
glais, en faisant faire sialadroitement dlrrespfctuenses
excavations, a, dit-on dans le paye, fait perdre ces sources,
qui ont pris maintenant une antre voie et se dérobent aux
regards continuent désormais leur cours sons terre. Au
lieu des statues qui décoraient les rochera au tcnape de k
AHiTRB BB TBOPHONIDS. 13S
mce de Pansanias , on n*aperçoit t^us que quelques niches
taiUées çà et là , et tout à côté les trous par lesquels on
pénétrait dans l'antre de Trophonius, Tun un peu plus
grand qni est obstrué, l'autre plus étroit et par lequel on
se poDf ait pénétrer que coarbé el en rampant. C'est par là
que pénétraient les pieds en avant ceux qui voulaient con-
sulter l'oracle , et qu'après avoir été reçus par les prêtres
ils étaient replacés aussi les pieds en avant. Au fond de la
grotte est une sorte de puits naturel peu profond. Les re-
traites par oà passaient les prêtres se dérobent encore à
l'œil an milieu des roches. Quand les flancs de ces mon*
tagnessi sévères étaient revêtus de grands arbres, quand
le torrent de l'Hercyne tombait en retentissant avec force
an milieu de cette solitude qiii semble clore le monde ,
quand on n'était entouré de tous côtés que de temples et
de dieux dont la présence, révélée par le marbre ou le
bronze, agissait sur l'imagination déjà préparée, la visite à
l*antre de Trophonius devait être un moment important
dans la vie. Il y avait tant de force dans ces souvenirs
d'émotionet de terreur que, jusqu'à la fln du quatrième
^le, son oracle coniet*va tout le prestige de son autorité.
Pausanias, qui était allé le visiter, a raconté en détail, dans
son Voyage, tout ce qui lui était arrivé à lui-même au mo-
ment oà il pénétra dans la grotte et où il en sortit.
Lvvadia, qui, à la sortie des montagnes de l'Attique, de
rOBta et du Parnasse, commande la plaine de Béotie jus-
<lM*à f HélicoB et jusqu'à l'extrémité de la plaine de Thè-
mes, était un point trop important pour que les croisés
înnçais le négligeassent Dès les premiers temps de la con-
quête, ils y firent bâth- une de ces vieilles forteresses qui
«it résisté aux injures du temps. Comme les Vénitiens ont
M les derniers Francs établis dans le Péloponnèse de 1685
^ 1715, et que leur souvenir est par conséquent tout ré-
<^^nt , le peuple de Morée donne assez habituellement le
i^^NU de château vénitien à des ruines de forteresses con •
stmites par les Français plus de cinq siècles avant l'établiS-
334 GRÈCE CONTINENTALE ET HOREE.
sèment des Ydoitiens ea Morée. Cette erreur est encore
plus manifeste dans la Grèce continentale, où les Vénitiens
n*ont jamais rien possédé. Lamia , Patradjak , Salooa , Li-
vadia n*ont jamais, à aucune époque, été conquises ni
possédées par les Vénitiens. Toutefois le peuple grec, qui
de tous les Occidentaux ne fait souvent qu'un seul peuple,
donne fréquemment à ces ruines franqueslenom de ruines
vénitiennes. J*ai obtenu du moins que cette erreur ne fût
pas commise dans les cartes récentes du dépôt de la guerre,
J*a]lai visiter ces ruines franques placées au-^lessus de l'an-
tre de Trophonius. Une bonne partie des murs et deux des
tours se sont conservées en entier avec leur crénelure et font
un fort bel effet au-dessus de ces rochers qui servaient de clô-
ture à Tantique bois sacré placé autour de Tantre. Les Turcs,
qui comprenaient l'avantage de cette situation , ont profité
des anciens travaux des Français, et, pour les compléter à
leur manière , ils ont fait élever une mauvaise petite tour
sur la partie la plus élevée du rocher. De là on embrasse
une fort belle vue du Parnasse , du Githéron et de l'Héli-
con. Le vieux château d'O: chomène, qu'on voit de très-près
sur la montagne, anime encore le pa^'sage. Des deux tours
franques. Tune clôt le rocher sur la partie la plus redou-
table d'un précipice au fond duquel bruit un tori^nt dont
le cours tourne la montagne et suit une direction opposée
au cours de THercyne , l'autre ferme l'enceinte du côté de
la haute plaine. Dans l'intérieur de la place , entre les deux
tours, sont les ruines d'une petite église, bâtie probable-
ment sur les ruines d'un temple de Castor et Pollux. £lle
* est divisée en deux parties parfaitement égales, avec deux
autels égaux, comme on en trouve beaucoup dans TAtti-
que. Le château de Livadia tient sa place dans l'histoire
moderne comme dans l'histoire du moyen âge, car dans la
dernière guerre il a offert un abri à la population grecque
contre les attaques des Turcs.
£n sortant du château franc, en dehors de la porte de
la tour carrée et un peu plus bas, se trouvent une fontaine
UVADIA. 235
et près de là, autour de la fontaine et dans le champ voi«
sin, les raines d'un temple antique. Parmi les pierres dis «
séminées dans ce champ je remarquai une pierre portant
une inscription grecque antique, avec le nom de la ville de
Lebadea on Livadia actuelle, et ceux d'un Ménandros et d e
sa femme Parisias, qui la consacrèrent à Junon.
A?ant les ravages de la guerre Livadia possédait bon
nombre de maisons élégantes, bâties an milieu de jardins
biens entretenus snr les flancs de la colline. Elle jouissait
en effet à cette époque d'une sorte de prospérité. Ali Pacha
lui avait conféré de nombreux privilèges et elle était entiè-
rement habitée par des Grecs qu'il protégeait alors contre
les incessantes vexations des Turcs ; mais au moment de la
révolution les choses changèrent de face. Les troupes tur<
qnes étaient cantonnées particulièrement dans ces pro-
mces , et de tous les Grecs ceux de Roumélie prirent la
part la (dus active à la conquête d'une liberté qui avait été
toujours chère aux habitants de ces montagnes. Les Turcs
avaient alors pris position dans le château; mais les Turcs
réparent mal et leur garde est peu attentive : ils furent
surpris et le château pris d'assaut. Les Grecs vainqueurs
avaient d'abord épargné leurs prisonniers, mais, à i'appro*
che d'one armée turque , la crainte les rendit féroces et
ib les égoi^èrent tous; mais ils ne purent néanmoins
K maintenir dans leur position , une armée turque s'a^
vança et prit de nouveau possession de Livadia. Tout fut
pillé , br(Ué , saccagé , et les meilleures maisons ne sont
plus aujourdhui qu'un monceau de décombres. Il reste
enoMre quelques maisons sur le flanc de la colline du châ-
teau et de celle qui lui fait face de l'autre côté de la route,
mais elles sont toutes en terre séchée au soleil.
Une nouvelle ville se reconstruit dans la vallée et sur
les rives de l'Hercyne, et tout annonce qu'elle ne tardera
P^^ renaître avec une prospérité nouvelle et plus durable,
^situation, à l'extrémité d'une plaine féconde, lui est
^inemment favorable , mais les capitaux , la bonne direc*
1S6 GBÈCE CONTIHBHTALE ET MOREE.
tion et les bras maiiqnent. Dans cette vallée , où de fé-
conds pâturages suffiraient pour nourrir tant de milliers de
grands bestiaux , le paysan ne sait pu encore que le fu*
mier recueilli en niasse est un engrais utile, et que le lait
de la vache peut être employé à donner de bon lait , du
beurre , du fromage de toute espèce. Il n'y a ici aucune
vacheria Dans toutes les saisons les vaches errent nuit et
jour» aussi bien que les autres bestiaux, dans les [M'es, les
bois et les monugnes.
Je me trouvais à Livadia un jour de marché. Un grand
terrain en pente snr la rive de FHercyne était couvert
d'une nombreuse populatiop, accourue de toutes les oioa-
tagnes et vallées voisines pour venhr y vendre des grains.
Là se trouvaient les vigoureux montagnards du Parnasse et
les belles filles d'Arachova. Les costumes des femmes étaient
généralement riches et [Htloresques. Des boucles d'oreilles
larges, attachées ensemble par une chatne légèra qai pend
au*des80us du menton et flotte en forme de collier, on
une grande lame d^argent ciselée qui passe sous le men*
ton et remonte le long de la figure pour venir s'attacher
dans les cheveux, sont l'ornement le plus à la mode
parmi elles. Je vis de ces boucles d'oreilles et de ces fla-
ques qui avaient une assez haute videur ; ce sont des reli*
ques de fiunilles. U y a aussi dans la ville un comm^ice-
ment d'industrie. Le cours rapide de l'Hercyne fait tourner
de larges roues qui servent au battage et au lavage des
laines du Parnasse. Un peu de temps , et surtout on pen
d'activité dans le gouvernement, et un bon exemple de cul-
ture donné par quelques propriétaires plus ridies améllo-
renient rapidement Tétat du pays.
r ^f
CBEBOlin. %V
XL
CHtaOHÊB. ^ UH MARUGE 6UG. ^ UB MON ASTÉKK
\ï& SAINT-LUG.
J'a?ais quitté Li?adia de bonne heure. Je suivais la
route d*Orchomëne à Gfaéronéê , et j'allais faire un pèleri-
nage d'abord, en l'honneur dd moyen âge, au monastère
de Saint-Luc, et ensuite, en l'honneur de l'antiquité, à la
fontaine de Castalîe et à Delphes, i^atais pris avec moi à
Livadla , pour me servir de guide et non d'escorte ( car on
n'en a plus besoin maintenant dans ces parages), un
chûTopkyiahas ou gendarme grec, gardon akrtiS et hi-
teHigent qui avait de bmne heure renoncé à h vie kteph-
tique pour se soumettre à la vie régulière des lois. Le
corps des gendarmes grecs 4 formé et discipliné par un
Français, le ccdenel Graillard, est uâ corps excelienl, qui
a rendu sous lui beaucoup de services par son zèle et sa
bravoiure* Des temps plus calmes ajouteront k ces bonnes
qualités, que leur a inspirées leur fondateur, le respect dés
droits de tous » si difficile, maià si nécestnre après tant de
désordres.
Je cheminais doucement , causant Avec mon jeune guide
des aventures ote sa vie klephtique , et lui faisant chanter
de ces chants guerriers dont la mémoire de tout pallicare
«t abondamment remplie. La matinée du dimanche 25
svril était chaude .et belle; j'a^r^ avec bonheur œt air
ttnhauoié qui m'arrivait des montagnes dont l'horinm est
ceint de toutes parts , et mes regards se portaient avec
tvidité sur cette plaine historique de Gbéronée , resserrée
P^r les dernières ondulations du Parnasse et du Knémis.
C'est ici qu'expira l'indépendance de la Grèce sous les
coups du roi Philippe de Macédoine. Que de révolutions
im le monde social depuis ces deux mille ans » sans qu'ait
228 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
changé en rien l'aspect matériel du pays! Cette source où
vient s'abreuver mon cheval coule aussi paisible qu'au
temps de Pbocion et de Démosthène ; la cavalerie macé-
donienne s*y est sans doute arrêtée en descendant d'ÉIatée
et des Thermopyles. Ainsi, comme le dit Quevedo en
parlant des ruines de Rome e^ du cours permanent da
Tibre :
Solo el Tibre quedè, cuya corriente
Si ciudad la regè , ya sepultura
La Uora oon funesto son dolieote.
O Roma! en tu grandeza, en tu hermosora,
Haye lo que era firme, y solamenje
Lo fugitivo pennanece y dura ^ !
Ces fleurs qui énudllent les plaines, ces beaux lis bleus,
ces anémones à variées, sont les mêmes qui y fleurissaient
jadis; ces montagnes qui me charment par leur coupe,
leurs couleurs et leurs ondulations si variées, sont les mê«
mes montagnes que franchissait l'armée envahissante de
Philippe, qui venait combattre et vaincre les guerriers
d'Athènes , de Gorinthe et de Thèbes , dans les champs de
Chéronée.
Pendant que mes regards se portaient sur ces monta*
gnes , comme si j'eusse dû en voir descendre encore une
fois les phalanges de Philippe , je vis tout à coup sur ma
droite un groupe mouvant et animé descendre des pentes
inférieures du Knémis vers la plaine de Kaprena, l'antique
Chéronée , que je traversais en ce moment Peu à peu ce
groupe , en se rapprochant , se dessina, plus nettement à
mes yeux; je distinguai une cinquantaine d'hommes à
* « De toutes ces choses si renommées, le Tibre reste seul, le
Tibre dont les eaux arrosaient Rome au moment de sa grandeur,
et la pleurent par un murmure sourd et plaintif au moment où elle
gtt dans la tombe. O Rome! de ta grandeur, de ta beauté, tu as
perdu tout ce qui semblait solide et 4urable| et n'aç conservé que
ce qui était fugitif I is^
NOCE GRECQUE. 229
cheval , puis d'autres hommes à pied rangés autour d*une
bannière flottante; un nombreux cortège de femmes ter-
minait la marche. J'envoyai aussitôt mon gendarme à leur
rencontre pour s'informer de l'objet d'un semblable pèle*
rinage , et bientôt il revint m'apprendre que c'était une
noce « et qu'elle se dirigeait de mon côté. Le cortège animé
ne tarda pas en effet à se déployer dans la prairie; tous
s'avançaient en chantant , et les jeunes filles au pied infati-
gable suivaient, en chantant aussi , les évolutions souvent
folâtres que les cavaliers faisaient faire à leurs chevaux.
Les hommes et les femmes étaient parés de leurs plus
beaux habits de fête; en tête de tous étaient plusieurs
papas ou prêtres avec leurs longues barbes et leurs robes
à larges manches. Les hommes du cortège étaient vêtus de
jolies vestes blanches à gros boutons blancs bien arrondis
et bien pressés , de la blanche fustanelle fortement serrée
par la zone ou ceinture antique, et d'une longue toison
qui flottait sur leurs épaules. Des cheveux abondants en-
touraient leur cou vigoureux. Une sorte de turban de cou-
leur rouge ou bleue, qui venait se rattacher sous leur
menton , les abritait mal contre le soleil , mais faisait res-
sortir à merveille leur figure brunie , leur épaisse mousta <
che et leurs yeux ardents ; de belles guêtres rouges on
bleues, semblables aux knémides antiques, recouvraient
fenrs jambes agiles. Les femmes, tontes fort jeunes, por-
taient des robes très-courtes, bariolées des couleurs les
plus vives ; leurs bas ou tzourapia étaient bariolés aussi
cl*une façon étrange. Leur tête était recouverte, soit de
rubans d'une couleur éclatante, soit d'une espèce de mitre
persique , composée de pièces d'or ou d'argent de toute
date et de tout pays , percées et réunies de manière à se
resserrer comme des écailles et à former des rangs pressés
et réguliers depuis le sommet de la tête jusqu'à la nais-
sance du front. Au dernier rang , les monnaies , disposées
à quelque distance l'une de l'autre , s'agitent autour de la
lête et retentisisent comme des clochettes. Le bas de la
20
t30 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
figure est desnoé d*ane inaDière pittoresque tantôt par
deux larges boucles d*oreiiles rattachées eusemble {Mur le
bas à l'aide d'une cbaîoe d'or qui pend sous le menton « à
la façon antique, et jert de collier , tantôt par une grande
kne d'argent ciselée qui s'applique sons le menton , comme
la meatonnière d'un casque , et qui encadre gracieusemenl
une figure brune et animée , en venant se rattacher aux
tresses d'une ncnre et abondante cheTelure.
Je m'avançai au mllieti de cette joyeuse troupe » et leor
demandai quel était l'heureux palicare dont on allait câé-
brer le mariage. Avant de répondre, on commença par
m'offrir la communauté du vin de la tzitza ou tzédra de
bms, gage d'hospitalité qu'on ne manque jamais de pré*
senter et d'accepter mutuellement en voyage. Je pris une
ybation et leur offris ma tzitsa à mon tour; puis» entrés
ainsi en amitié , nous échangeâmes nos qoestimis.
Ils me racontèrent qu'ils étaient des pasteurs dont les
tentes étaient placées à une lieue de là, sur l'un des ver-
sans méridionaux du Knémis , et qu'ils conduisaient à sa
jfnture le berger que je voyais à côté de son adeiphopaiè^
toê S qui' portait leur bannière. Le fiancé était un grand,
^svelte et vigoureux jeune homme de vingt-deux à vingt-
nrois ans ; sa physionomie était douce , mais sa démarche
et toute sa tenue annonçaient un homme habitué de bcmne
heure à compter sur lui seul pour se tirer d'un danger par
sa fwce ou son adresse. Les pasteurs grecs ont un air fier
^ Àdelphopoiètos, oa frère-fait, espèce de frère d'armes. L*adel-
phopoïétie est , comme Tancienne fraternité d'armes , on lien reli-
gieax. Qoand deux Jeunes Grecs veulent devenir frères«faits , ils se
présentent à l'église devant le papas avec une jeune fiUe de éi% ans,
oomaae emblème de la pureté de leur attachement. Le prêtée célèbre
pour eux une liturgie particulière , et , à la lecture de l'Évangile ,
les entoure tous trois d'une éctiarpe qui les unit, puis chacun pro-
met sur l'Évangile d'être le bon frère de l'autre. A dater de ce jour,
il existe entre eux une Téritable fraternité. Quand l'un d'eux se
marte, l'autre a le droit d'embrasser le premier sa femme» et, s'il
meurt , il doit être le gardien de sa famille. Je n'ai ]«$ entendu cller
N6Glâ GRECQUE. 931
et indépendant qui platt. Ainsi que les bergers des temps
homériques , iis portent ia lioulettc recouri>é6 en forme à%
crosse, ou tneingaura, houlette adoptée aussi par iet
pafies et les évêqnes pasteurs des peuples , et par les noM
antiques , comme signe du commandement abado du hev^
gor sur le troupeau. Cette houlette de bois d'olirier sau^
¥age semble avoir été transmise sans altération depuis ha
bergers du roi Âdmète, Apollon compris , jusqu'aux ber«
gers indépendants d'aujourd'hui. La future qu'aUait ehem
oher mon berger du Knémis avec sa joyeuse escorte d9«
menrait dans un autre camp de bergers , le hameau éê
Mérji» i une lieue et 46mie de Ghéroaée e\ à une demir
lieue do village d'Hagios^Blasis , situé sur ce revers du
liakonra, Tantique Parnasse.
Je demandai h mes bergers Tantprisation de me joindre
àeoK et d'assister à la fôte du mariage , si cela n'était pas
contraire à leurs usages, et tous vinrent me donner la
Inenvenae en me présentant la main. J'entrai donc daos
le cortège au milieu de ce groupe de prêtres, de palicaree
et de jeunes filles qui dansaient et chantaient , et nous ar*
rivâme» près des ruines de Gbéronée. Là je demandai la
permission à mes nouveaux amis de me détacher d'eux^
pour quelques instants afin de faire quelques invest%ationt
d'antiquaire , avec promesse réciproque de nous rejoindre
avant l'entrée solennelle dans le hameau de liera. Je m*aiw
rètai quelques instants pour voir ce qui restait de la patrie
de mon ancioi ami Plutarqoe.
Les fragments du eélèlm lion coloasal , élevé par M
d'f%oœple de trabfsQq lûte à na ami marié par soii fvère-lUt. Las
liens d'hoëfûtaUté entre familldfl «ont au^si des liens fort respectés,
J*ai rencontré 4aos Hle de Leucstde, dans une (^uvre famille ^ im
Grec d'Épire avec les oreilles et le nez coupés par les Turcs. Le^
paysans leucadiens me dirent qu'il s'était réfugié chez çux , que sa
fiimille avait été en rapports d'hospitalité avec la leur, et que, s'il
trouvait boa de passer sa vie parmi eux , rien ne lui manquerait de
es qu'ils pourr^ent lui procurer.
23â GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
TbébaÎBS à Chéronée en comméinoratioD des leurs, gisent
près de la route , et il ne m'a pas semblé qu'il manquât
rien d'essentiel aux membres de ce colosse de pierre qu*il
convient de laisser en ce lieu : c'est ainsi que le plus glo-
rieux trophée d'Épaminondas , retrouvé à Leuctres par le
professeur Ulrich , doit rester sur le champ de bataille de
Leuctres. En s'avançant vers la colline , on rencontre de
tous côtés, sous les bruyères» les ruines d'un grand am-
phithéâtre et plusieurs autres ruines antiques. Dans le vil-
kige même de Kaprena sont deux églises construites au
moyen âge sur l'emplacement de deux temples. Dans Tune
de ces églises je copiai une inscription grecque. Le pavé
de cette petite église est encore revêtu de la mosaïque de
marbre qui faisait partie de l'ancien temple. L'autre égUae^
située dans la plaine et près de la route , est composée tout
entière de marbres antiques. La fontaine même , qui est
tout à fait à côté de cette petite église , est entièrement
construite avec des fragments antiques. Sur le bassin qui
contient l'eau est grav.ée une inscription que je copiai ; elle
mentionne un certain philosophe platonicien de la famille
des Autobules , et un autre membre de cette même famille
idors puissante à Chéronée ; c'est à cette famille qu'appar-
traait un Sextus Aurelius Âutobule, mentionné dans une
inscription que Meletius a trouvée à Chéronée et qui était
allié à la famille de Plutarque.
Je m'arrêtai peu de temps à visiter les ruines de Chéro-
née; j'étais impatient de rejoindre mes amis les bergers;
je craignais de perdre une seule des scènes de ce drame
nuptial où tout devait me rappeler les antiques usages qui
semblent tous conservés ici , depuis la première des céré*
monies d'un mariage rouméliote jusqu'à la dernière. Voici
comment les choses se passent dans cette fête, qui doit
durer toute une semaine :
Un mariage est une solennité non-seulement de famille,
mais de village et presque de tribu. C'est le mercredi soir
que commencent les cérémonies. Parmi les parentes ou
MARIAGE GREC. 933
alliées do marié , on choisit trois jeanes filles , les plas
belles du village. Toutes trois , yêtues de leurs robes de
fête, la plus jeune et la plus belle au centre , doivent mar-
cher de front et en silence, leurs longues amphores sur la
tête , depuis la maison du marié jusqu'à la fontaine voisine.
Arrivées là , elles jettent dans la fontaine quelques pièces
de monnaie en Thonneur des nymphes de la source , rem-
plissent leurs amphores et retournent dans le même ordre
et avec le même silence rapporter Teau à la maison. Une
seule parole prononcée en allant ou en venant serait de
mauvais augure. Cette eau doit servir à pétrir le levain
{prozfftni) destiné à faire le pain des noces. La sœur du
futur, si elle n'a pas été mariée, ou , à son défaut, Il
jeune fille sa plus proche parente , est chargée de pétrir
ce levain pendant que tous les parents et parentes du jeune
homme, rangés sur deui lignes, chantent des chansons
analogues à la circonstance ; après quoi on soupe , on
chante et on danse jusqu'à minuit.
Le jeudi, on va en pompe choisir dans le troupeau le
, bœuf le plus gras ou la vache la meilleure , et les moutons
destinés au repas de la noce ; on garnit leurs cornes et leur
tête de guirlandes de fleurs; puis, au son de tous les in-
struments , on les amène dans le village , on leur fait faire
le tour de la paroisse en accompagnant leur marche de
chants et de danses, et on vient les placer en grande pompe
dans l'étable.
Le vendredi, dès le matin, les parents non mariés du
futur partent du village , portant sur l'épaule une grosse
corde toute neuve, tressée presque toujours avec les fila-
ments de l'aloès; ils vont dans la forêt voisine ramasser le
bois nécessaire aux apprêts du repas. La corde neuve est
destinée à retenir le bois en faisceau sur l'épaule. Souvent,
dans les familles riches, on se contente de quelques bran-
chages ramassés et rapportés au son de la musique et avec
des chansons appropriées à la cérémonie. Dès qu'on est
de retour à la maison, on dresse d'accord la liste des con-
20.
S34 GREGE COKTINBNTilLLE KT HOREE.
vies et on eipôdie des iniMttagers chargés de porter left ia^
Yîlatjons,
Lo suMcU. aa HMuneat oà le soleil aaooace midi» oo se
rend fKtKsessiouielkifiieat à Tétable. Oq pare le bœuf destiné
à h iiMe, on toi dore ^ cornes , on les entoure de guk-i
hndea de leurs; oa lui fait faire de nouveau, ^ bruit ée
k musique, le tour du vttiage, et on ramène dai» la eear
de la maison do marié , au miKen de laquée en a pfanté
aoKderaeBt un poteau. Le bœuf est attaché k ce poteau par
une eorde toute neuve, pendant que les assistants, hcummes
et' femmes , se tiennent alentour chantant la cbanaon du
jour; puis un homnu), habillé de vêtements tout Uanos ,
se présente, brandit sqa \oa% couteau et le kii eofeoce
adroitement dans la nuque, à la jonction de la mo^te épi--
nière, aussi prestement que le ferait le plus habile matador
des Gaatilles. Le bœuf tombe à Tinstant au bruit den ert&
de joie; en no ctin d'ceil le cou est tranché, b poiHi tiH
levée, et le bœuf est dépecé en quatre parties, qui, piaoées
sur un linge blanc, sont portées solennellamQnt dans le
lien destiné aux provisions de la noce. Le même son* , on
danne un grand repas dans la maison du futur à tcwis ks
ittvités, et la nuit se passe e^ chants et en danses.
Le dimanche, après un repas général du matin, on se
Repose à parthr en grande pompe pour conduire le futur
à 9a feture, et ramener celle-ci dans la demeure de son
époux. A la tête du cortège sont placés les papas aux lon««
gue» barbes, montés sur âfi bons mulets; derrière oux
s^aiancent à chef al les archontes du village et les grands
parents, moins le pèi'e du marié , qui reste h la maison et
délègue pour ce jonprll ses fbnctians au nounos ou corn-»
père ; puis, après les notabilités, vient la masse des conviés,
généralement vêtus de blanc en Roomélie, et presque tons
montés sur des chevaux ou des lues. £n dernière ligne
s'avance à pied le futur , la mangoura de berger en main,
comme signe de son noble état de pasteur. A ses côtés
marchent aussi ses deux assistants : à sa dr<ttte, le natmos
NOCE GRECQUB. 335
oo parraia qui romphce soa père \ h sa gauche , 1« fr^o*
fait (adelfthapoiàfos) , lenàpUssant Tofiice du garçoo «te
iHM^ea dans ooa campagnes ; il porta el fait flotter au-desM^
de la \ètç de son ami uoe bauoière sur laquelle est t»*od4e
iwe vaste eroii greeque, et qui est couverte de i^lrlaudo»
4e fleiirsi.\a marebe est iermée par toutes les jeuaes fiUe»
Bon mariées du village, i pied, avee leurs plus beauy
atouvs et chantaut tout le loog du cbemiu la cbauiKMi dt
la oiariée. L*air, le i»ouveme»t et les paroles de cette sim*
pie Qt sraeieuse ciianson me rappelèrent oos chauts popu*
îaîres du Béarn et ceux de Bre(ague daus les m&vem ecea*
sioos; car c'est k ce moment de la cérémoeie uiiptiale que
j'avais reneoutré mes paateurs du Kntoûs près de Cbé«
ronée,
Ati^ rapide ei^curaioD d'autiquaire terminée, je me hUai
de Fejoiâdre tes pasteurs avaut leur arrivée da^is le haiaeau
de Méra, aQu de ue rieu perdre de la fête. \ uotre appro*
che de IKIéra , notre présence fut am»oacée par les inslriiH
ments de musique et les 'poiy^hronia ^ des habitants dt
Méra, qui nous atiendaienit. Nous descendîmes tous de
c^val devant la tente de la mariée. Ses compagnes noij^
aceoeillireot avec des chansons qui, célébraient la bienve**
nue de tous; a^is la mariée, enfermée dans sa tente , ne
se «aentra pas. Quand nous fûmes tous arrivés , le futur
fut introduit avec ses deux acolytes, le nounos et Tadel*»
phâpoiètos , et nou» le suivîmes toiis processionn^kment ,
immi le tour de la tente à Tiniérieiir, et ressortant par la
mâma porte, car la tente n'aurait pu, \ beaucoup près^.
QOttS contenir tous \ bi fois. Un spectacle curieux s'offrit 1
moi dans Tîntérieur. Des deux côtés, depuis la porte d'en^
trée jusqu'au fond, se tenaient debout deux baies déjeune»
fiiks paréos de leurs plus brillants atours, et chantant en^
semble la chanson du jour, car chaque jour, chaque céré**
* Cri qui répond à nos vfvatft et signifie : vivez beaucoup d'avh
nées*
2)6 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
inonie a sa chansoa particulière. Toat à rextrémité, sar
un tabouret assez bas était assise la future, entourée de sa
mère et de ses sœurs et amies. Sa tête et ses épaules étaient
recouvertes d*un épais voile ou plutôt d'un châle , et sur
sa tête était posée une large coupe d'argent La chambre
n'était éclairée que par quelques brandons allumés derrière
la mariée. Nous défilâmes tour à tour entre ces deux haies
de jeunes filles, et en arrivant devant la mariée, chacun de
nous déposa dans la coupe placée sur sa tête , une petite
pièce d'argent ou d'or, antique ou moderne, turque, grec-
que ou française. Les pièces d'or et d'argent recueillies ce
jour-là sont ensuite percées , passées dans un fil d'argent
et ajustées de manière à former un bonnet fort gracieux »
composé parfois des monnaies antiques les plus rares.
Pendant ce temps , on préparait un repas en plein air
pour les hommes. De grandes nattes de sparterie furent
jetées sur l'herbe ; autour de ces nattes chacun déposa de
petits tapis repliés ou sa taiagani pour s'asseoir à l'orien-
tale. Quant à moi, eu égard à mes habitudes franques, on
m'apporta un bât de mulet qui fut recouvert de deux
épaisses et longues talaganis. De grandes jattes remplies de
morceaux de mouton bouilli, des œufs, du fromage, quel-
ques fruits et du yaourd (espèce de lait caillé à la turque)
composèrent le menu du repas , et les tzitza de bois rem-
plies d'assez bon vin circulèrent à la ronde.
Comme ces cérémonies nuptiales devaient se prolonger
encore pendant plusieurs jours , et que je voulais arriver
ce soir-là même au monastère de Saint-Luc , je remerciai
mes hôtes et leur annonçai mon départ ; mais je n'avais
pas encore aperçu la figure de la fiancée , qu'on me disait
être fort jolie , et je ne voulais pas partir sans l'avoir vue.
Si j'eusse voulu attendre qu'on l'emmenât du village , ma
curiosité sur ce point n'eût pas encore été satisfaite , car
alors même elle devait porter son épais voile sur la figure.
Je demandai donc , en faveur de ma qualité d'étranger et
de ma curiosité de Français , à être admis à voir la figure
NOCE GRECQUE. 237
de la fiancée avant mon départ. Le marié y consentit de
bonne grâce, et le nounos ou compère me prit par la main
pour m'introdùire de nonvean avec lui dans la tente. Les
jeunes filles chantaient, toujours rangées sur deux lignes,
et la mariée était assise sur la même escabelie, recouverte
de son voile. Le nounos et moi , nous pénétrâmes jusqu'à
elle, et le nounos, après avoir prévenu la mère et les pa-
rentes de la mariée de ma demande et du consentement
du marié , souleva le voile. La figure de la mariée offrait
un bel ovale , de beaux traits fort purs et de grands yeux
noirs dont l'ardeur était augmentée encore de la chaleur
effroyable qu'elle avait à supporter, sous cet épais voile, à
la lumière de ces brandons , au milieu de tant de jeunes
ûUes pressées dans une seule chambre et la faisant sans in<
terruption retentir de leurs voix vibrantes. Quant à son
teint , il était impossible d*en juger , car elle était fardée
comme la plus précieuse marquise de la cour de Louis XV.
Au-dessus de ses deux sourcils étaient peints deux petits
cercles d'or ; au-dessous des yeux était tracée une ligne
bleuâtre qui les agrandissait encore ; sur ses joues étaient
répandues d'épaisses couches de rouge, et çà et là de pe-
tites mouches noires à la Pompadour donnaient à cette tête
de seize ans la mine la plus vive et la plus agaçante. Les
mouches sont un ornement et un trait de beauté fort
appréciés en Grèce, et on ne manque jamais, dans les
chansons populaires, de décrire les mouches qui parent les
joues , le cou , les épaules et le sein des belles qu'on veut
louer. Celles de la jeune fiancée de Méra étaient fort habile-
ment posées. Je la remerciai d'avoir bien voulu me per-
mettre de la voir , et usai en même temps d'une liberté
qui n'est accordée qu'à l'adelphopoiètos , celle de l'em-
brasser, et je choisis celle des parties de sa figure qui était
le moins couvertes de peinture. Elle devint tout à fait in-
carnat , et ses amies applaudirent en riant à la familiarité
de l'étranger. Je me fis d'ailleurs pardonner mon audace
en demandant la permission d'ajouter une petite monnaie
238 GREGE CONTINENTALE ST MOREE.
de ¥nw» k celles qui allaient parer sa jeune tête, et je la
priai de la placer la première sur son joli front entre lei
deux cerdes d'or de ses épais sourcils. Puis je reuiereiai
les jeunes chanteuses et je sortis. Avant mon départ,
toutefois, je me fia conter le reste des cérémonies qui
allaient suivre.
Ce mAme jour . lorsque le repas est terminé , la fiancée
se lève de son escabelle , entourée de sa mère et de ses
parentes, et s'avance jusqu'à la porte intérieure. Le fiancé
l'attend en dehors, soulève la porlière, saisit le bras de sa
fiancée qui résiste mollement, et il l'arrache comme de
forée de la maison paternelle. Ses parentes, pendant ce
temps , remplissent les fonctions du chœur antique el
adressent, au nom de leur compagne, des adieux à sa
mère, h son père, à ses frères et sœurs, parents et voisins,
et elles demandent au^si en son nom la bénédiction de tous.
Douze gardiens, choisis dans la famille de la mariée, sont
chargés de l'accompagner et de la confier au mari , ainâ
que i*eAl f«it la mère , aussitôt que la cérémonie religieuse
qui suit Tarrivée du cortège est accomplie, Le cortège ,
déployant la même pompe qu'à ion arrivée, emmèBe ainsi
la fiancée et ses douie gardiens dans le village et k la de^
meure du mariée Le père et la mère de Tépous les atten -
dent debout à la porte ppur les recevoir. Devant eux soni
placés par terre un essaim de miel , un panier de beurrs^
et une petite corbeille de grains, La mère du fiancé porte
de plus à ses bras, comme des bracelets, deux de ces
petits psins en forme de couronne que l'on appelle hiou*
ria^ La nouvelle belle-^mère , à l'approche de la fiancée »
Ini tend la main , passe k son bras les deux klouria , e|
l'aide à sauter légèrement par^dessus le miel, le beurre et
kl grains déposés à sea piedSi, C'est là aussi une sorte de
mythe. Le (piel signifie la douceur qui doit régner dans
les r^latioiis domestiques { le grain et le beurre, l'abon-
dance qH*Qffre à la noariée la maison de son mari , et les
ktQuria passés à siQn hrai lôgiiilient Tabond^nce qu'elle va
MAR1AGS GREC. 1^39
y aptïorter elle même et qui est due à sdn mari. Placée
entre sa belle-mêre et son beau-père , elle s'incline trois
Ibis devant chacun d'eux et leur baise respectueusement la
main. Les jeunes filles , ses nouvelles parentes , entourent
la belle-mère, et, à la façon du chœur antique, chantent
pendant ce temps une chanson dont voici quelques lignes :
Sortez, sortez, heureuse belle-mère.
Pour recevoir cette joUe perdrix
Qui s'avance avec pas léger et cœur léger,
Et Tient se placer dans une jolie cage
Où elle chantera et chantera mélodieusement,
De manière à vous donner longue joie
Et à ce que vous vous félicitiez de votre bonheur, etc.
Ce même jour , la mariée et ses douze gardiens sont
placés dans un appartement séparé pour la nuit. On passé
la soirée en repas, en chants et en danses. Le lundi matin,
tout le cortège des deux familles se réunit et se rend en
pompe à l'église, où on célèbre la cérémonie religieuse ,
puis on donne un grand festin où le mari dîne pour la pre^
mière fois avec sa fiancée et à côté d'elle ; mais les dotlze
gardiens ne la quittent pas encore , et elle passe cette nuit
seule sous leur protection.
Le mardi on donne un grand diner aux douze gardiens,
qui prennent congé des nouveaux époux. Les parents du
marié restent à danser toute la soirée, puis vont en grande
cérémonie préparer et parfumer la couche de la mariée ,
simple lit de camp recouvert de tapis.
Telles sont les cérémonies des derniers jours, que je me
fis raconter minutieusement, et en faisant chanter par les
jeunes filles, dont la mémoire est remplie des chansons du
pays, tous les chants réservés à chacun des jours et à cha-
cune des cérémonies. J'aurais bien voulu pouvoir assister
i toutes ces fêtes , mais je désirais aller coucher ce même
jour au monastère de Saint-Luc» Malgré ma répugnance à
me séparer de mes nouveaux amis , je fis donc selto mer
240 GRÈCE CONTINENTALE ET MOREE.
chevaux et me disposai à ine mettre en route. Le marié
vint prendre congé de moi entouré de tous ses amis ; il
porta sa main droite sur son cœur et sur son front, me
prit la main, la baisa, puis la porta à son front incliné, et,
dès que je fus monté à cheval , il m'apporta' sa tzitza pour
que je busse à la manière antique , ce qde je fis , en por*
tant leur santé à tous , au milieu de leurs cris de poly-
chronia, renouvelés aussi des usages antiques ^ Craignant
de les blesser en voulant payer leur hospitalité, je Gs venir
le marié devant les siens et, après lui avoir fait une courte
allocution, je le priai de vouloir bien me permettre de lui
offrir à lui-même, comme nous avions tous offert à sa
fiancée, un léger souvenir qui lui rappelât un jour la pré-
sence d*un ami français à son mariage et la reconnaissance
que cet ami emporterait dans son pays de Taccueil cordial
de ses hôtes les bergers du Parnasse et du Khlomos. De
nombreux et bruyants polychronia m'escortèrent jusqu'à
ce que j'eusse disparu aux regards des bergers, en dépas-
sant l'épaisse haie de lauriers-roses qui bordait le ruisseau
de leur village.
Je coupai court pour arriver à temps au monastère de
Saint-Luc en franchissant quelques torrents et quelques
ravins de plus. Jusque-là le temps avait été magnifique ;
mais une fois que je fus parvenu dans la profonde vallée de
Stiri, si fameuse par l'impétuosité des vents qui la balayent
continuellement, il me fallut soutenir une véritable lutte
contre les ouragans. Un chemin pittoresque et excellent
dans les temps ordinaires suit la pente de la montagne, dont
les flancs rocailleux présentent comme un mur qui enclôt
un précipice profond et tourne avec toutes les sinuosités du
rocher. La variété des ombres projetées par ces milles dé-
^ « Et quant li emperères entra eu Tlièbes, dont peussiës oïr on
si gcant polucrone de Palpas et d'Alcontes, et d'ommes et de fames^
et si grant tumulte de tymbres» de tambours et de trombes, que la
terre eu trambloit. » (Henry de Yalenciennes, Gontinuatioa delà
Chronique de Geofïroi de Ville*Hardoin , p. 294 de mon édition.}
MONASTERE DE SAINT-LUC. 941
toors sor les flancs du précipice est d*an fort bel effet, mais
je ne pus jouir loug-temps de cette ?ue. Le vent était si
YÎoleot que, bien que je me cramponnasse sur mon cheval
en offrant à l'ouragan aussi peu de prise que possible , et
que mon cheyal se cramponnât lui-même de son mieux,
plusieurs fois nous fûmes sur le point d'être renversés Tun
et Tautre da haut de ce mur de rochers; et ce sort eût in-
failliblement été le nôtre au premier détour sinueux qui
eût laissé plus d'action au vent , si je n'eusse pris le parti
de tromper l'ennemi. Je tournai donc la colline orageuse
pour qu'elle me servit elle-même d'abri , et j'arrivai sain
et sauf au célèbre monastère de Saint-Luc.
L'hégoumène (abbé) était pour le moment en inspection
dans une de ses metochi ou fermes , mais l'économe et le
portier, deux dignitaires, m'accueillirent à merveille et se
chargèrent de me faire les honneurs du couvent Le por-
tier est un grand et vigoureux moine qui a fait la guerre
de l'indépendance , s'est fort bien servi du mousquet, et,
pour faire une bonne œuvre de plus, a tué ses deux Turcs.
Il ne faut pas toujours croire que tous les Turcs tués dans
les récits des Grecs aient pour cela cessé de vivre. Tout
Grec, brave et hâbleur comme un Gascon , veut avoir tué
au moins sa dizaine d'ennemis dans chaque bataille , et le
nombre des batailles , dans leurs récits , ne le cède pas au
nombre des ennemis anéantis : de telle sorte que dans ces
milliers de combats il serait tombé des millions de Turcs,
beaucoup plus de millions qu'il n'y en a jamais eu dans
tout l'empire. Mais mon moine était un vigoureux jouteur
beaucoup plus capable d'en avoir tué dix que deux. Age-
nouillé devant ma table après mon dîner, son chapelet en
main , pendant que je me reposais sur Un lit de camp et
fumais mon chibouk, il me faisait bonne compagnie et me
ncontait éloquemment l'histoire de son pays, celle de son
couvent et la sienne. Dans toute sa conversation pleine de
feu éclatait un vif amour pour l'indépendance et la liberté
4e sa patrie et uqe affection iraisonnée pour les Français,
21
441 GRÈCE COXTtllEl«fALÉ «t ItOltÉE.
Les autres caloyers ( moines) qai Tldtent me rendre visité
lâanifestèreiit la même sympathie que mon belliqdétit ca^
loyer pom la gloire et la grandeur de la patrie gretqtie, et
ils nourrissaient tous là même affection pour la France.
Nos moines cMholiqttes sont une milice qui ne prend part
qu'aux intérêts et aux combats de Rome, leur vraie patrie i
les moines grecs ne cessent Jamais d'être citoyens i ils par-
tagent toutes les passions dé leurs cmnpatriôtes , et leurs
intérêts se marient et se confondent avec les Intérêts Ah
sol ; car, d'après Pinstitutiott de saint fiasile , qui régit les
monai^tëres grecs , tous les moines doivent se Voueir Si la
culture de la terre sans êtt-e soumis à la Vie rigoureusement
claustrale des nôtres. Hépandôs dans les diverses fermes
de leur monastère j conduisant là charrue, maniant la bêche
et dit-igeant les sources autour du pied de leurs oliviers,
ils ont souvent sans doute toute l'ignorance de véritables
[Miysans ^ mais ils en ont aussi toute l'ardeur pâtHotIqne.
Le monàstête de Sttlnt-Luc fUt, dit-oU, fondé par V^m*
pereur Romain Lâcapène, qui f^Uâ de 918 à d&A, etpài^
sa femme Thêodora. Il paraît c(ue chacun dés déuit con^
joints était aussi obstiné que divers dans son goût en ma-^
tière d'architecture ecclésiastique t car, au lieu de joindre
au co.uvent une seule église, ils en joignirent deux, appli-
quées l'une à l'autre, et toutes deux sur un plan essentiel*
lement différent. L'église bâtie par Timpératrice est un
grand et élégant vaisseau, simple d'architecture, et rappe-
lant les anciennes formes helléniques. Le dôme est soutenu
par quelques belles colonnes antiques arrachées sans doctte
à un temple de Diane , qui était tout voisin de le. L'église
bâtie par l'empereur, la seule vénérée aujourd'hui , car
l'autre est complètement abandonnée, est construite d'après
le plan de Sainte-Sophie de Gonstantinople. C'est une des
plus grandes églises grecques que je connaisse ; elle a huit
mètres de hauteur sur dix-huit de largeur et vingt-quatre
et demi de longueur, en y comprenant le 6éma ou autel.
La voûte est ornée d'un beau buste du Christ en mosaïque
«QNASTÈRIS DE SAINT-LUC. $43
de pierre (actice suivant Fusage d'alors, et ainsi qa*qn eo
voit dans plusieurs des églises normandes de Sicile. Les n)ur#
sont revêtue de cette OQêwe mosaïque à fond d'or, L*exé*
cution de pes tableaux en mosaïque à Saint-Luc doit êirç
bjer) antérieure ^ celle des mosaïques du monastère de
Papbni près d'Athènes» et elles sont d'un ^tyle plus pure^^
ment byzantin, Le pavé de< la ^iea^ ainsi que celui des
trqjs autels , esi en mosaïque de marbre, et les çolounep
soi^t aussi de fort beau marbre incrusté de gros morceaui^
de jaspe, de lapis^-la^uli, d'agatbe, et de beaucoup d'autres
pierres dures, dont quelques fr^gment^ ont été parfois en^
levés. Ces; précieuses incrustations sont d'un goût dé|esta«
bl^, m?iis QB les retrouve partout dans les plus riches égU*
ses d'Italie, L'église de Saiut-Luc est fort bien entretenue,
de inêpie que les autres bâtiments du couvent. Il est aisé
de voir qu'une bonne administration économique et agri-
cole Eiaiutienf l'opulence ancienne de ce monastère.
Au-Aessous de l'église bâtie par l'empereur est une hell^
égliie souterraine, Deux tombeaux de marbre placés dei
deux CQtés de l'autel arrêtèrent mon attention. Le tombe^ii
a droite est, suiyaut la tradition ancienne ^ le tombeau du
fondateur de l'abbaye, l'empereur Romain Lacap^ne. Quant
au tombeau à gauche, aucun des moines ne put m'en diri^
l'origine ; tout ce qu'ils se rappellent par tradition , c'est
qu'il renferme aussi le corps d'un empereur ; mais quel
empereur, ils n'en saveut riep. £n l'examinant avec atten^
tion , je vis que les colonnes qui soutiennent ce tombeau
diffèrent essentiellement de celles qui soutiennent celui de
l'empereur grec ; et je reiharquai , au-dessus de ces deux
colonnes, deux croix sculptées qui qe se retrouvent pas sur
l'autre. Or ces croix sont celles qui ont été adoptées par
les empereurs français de la maison de Courtenay, Pierre
de Courtenay, comte d' Auxerre , et ses deux fils , Robert
et Baudoin II , la croix perlée et fleuronnée par le bas. De
ces trois empereurs , le dernier, Baudoin II , mourut eu
i?73 dans le royaume d^ Pilles, où, après la prise de
244 GRÈ€E CONTINENTALE ET MOREE.
Goostantinople par Michel Paléologue, il s*était réfugié près
de son parent Charles d'Anjou, et son tombeau, construitpar
les ordres de Charles d'Anjou, est conservé à Barletta. On
n'a pu découvrir jusqu'ici le lieu où avaient été enterrés
Pierre de Courtenay et son fils Robert. On sait seulement
que Pierre, après avoir été couronné empereur par le pape
Honorius à Rome , en 1217 , s'embarqua à Brindes pour
Durazzo ; que là, trompé par les paroles d'amitié du des-
pote d'Arta , Théodore-Ange Comnène , il résolut de s'a-
cheminer vers Constantinople par terre, qu'à trois journées
de Durazzo il fut surpris pendant la nuit , fait prisonnier
par Théodore , et qu'il mourut deux ans après en prison,
tandis que sa femme, l'impératrice Yolande, qui était gro^
et avait préféré s'en aller par mer, s'arrêta quelques in-
stants dans la principauté d'Achaye, auprès du prince Geof-
froi de Ville-Hardoin, auquel elle donna sa fille en mariage*,
et arriva saine et sauve à Constantinople. Où mourut^ Pierre
de Courtenay et où il fut enterré, c'est ce que l'histoire ne
nous apprend pas; mais il serait possible que Geoffroi de
Vitle-Hardoin, lié avec la famille Comnène, eût obtenu de
faire transporter le corps de son beau-père dans le monas-
tère de Saint-Luc, qui était dans sa principauté et n'était
pas fort éloigné du despotat
D'un autre côté, on saitque le fils de Pierre, l'empereur
Robert de Courtenay , mourut dans la principauté de son
beau-frère, le prince Geoffroi de Yille-Hardoin, à son retour
de Rome, où il était allé se plaindre au pape d'un attentat
de ses propres chevaliers. Yoici à quelle occasion : Robert
^ « Ains qo'ele venist à Constaotinople , arriva elle en la terre
Gieffroi de Yile-hardoin , qui grant honor U fist. L'emperris avoit
une fille et GiefTroi de Vile-liardoin un fil qui avoit nom GiefTroi.
L'emperris vit qu'il avoit grant terre et qae sa fille i seroit bien ma-
riée. Si H dona sa fille, et il la prist à famé; si l'espousa. Après
s'en ala l'emperris à Constantinople. Ne demora après ce guaires
qu'ele se délivra d'un fil dont ele estoit grosse. » (Bernard le Tré-
sorier, Continuation de Guillaume deTyr^édlt. de M. Guizot, p. 330.)
MONASTERE DE SAINT^LUG. 945
était devenu amoureux d'une jeune Française, fille de Bau-
doin de Neuville , d'Arras , mort depuis quelques années,
et il s'en était fait aimer. La mère et la fille avaient même
consenti à venir habiter le palais impérial, où Robert pas-
sait sa vie aux pieds de sa belle maîtresse , sans se soucier
beaucoup des affaires d'un empire que sa situation exposait
pourtant à de si grands dangers , et qui avait besoin d'un
bras poissant habitué à porter l'épée. Cette conduite indi-
gna ses chevaliers , qui lui firent connaître leur désappro^
bation par un acte atroce de vengeance qui peint bien les
mœurs do temps. Un jour ils pénétrèrent, l'épée à la main,
dans la chambre où l'empereur était assis auprès de sa
jeune maîtresse et de sa mère. Pendant que quelques-uns
d'entre eox retenaient l'empereur, leurs complices s'em<-
parèrent de la personne de la mère, la jetèrent dans un ba-»
teao et la noyèrent dans le port ; d'autres saisirent en même
temps la jeune fille et la défigurèrent d'une manière af-
freuse en lui coupant le nez et les lèvres. L'empereur dé-
solé n'eot pas plutôt recouvré sa liberté , qu'il abandonna
Constantinople et se rendit à Rome pour porter plainte au
pape contre ses chevaliers. Le pape le consola de son mieux,
lui fit de grands dons , et le décida à retourner dans son
empire ; mais, avant d'y arriver, s'étant arrêté près de son
beau-frère, Geoffroi de Ville-Hardoin, en Achaye, il y tomba
malade et mourut ^ Ne serait-il pas possible que son beau-
frère lui eût fait ériger un tombeau dans ce monastère,
alors fort vénéré, bien que le corps de saint Luc en eût été
déjà enlevé avec plusieurs des anciens diplômes pour être
transportés à Rome ? La croix ancrée de Champagne, bla-
son des Ville-Hardoin, se voit encore sur les deux colonnes
* « Qoant il vint là (à Rome) si se plainst à Tapostole de le lionfe
qoe si home li ayoieot faite. Le pape le conforta durement et li dona
da sien, et le pria tant et fist tant vers li qu*il retourna arrière en
Constantinople. En ce qu'il se retornoit arrière, il ariva en la terre
GiefTroi de Vile-hardoin. Là prist maladie, dont il fu mort. » (Ber-
nard le Trésorier, édit. de M. Guizot, p. 334.)
21.
946 GBÈCIS pQl^TII^NTAL]^ ET HWÉE.
du voile de TégUse souterraine , ainsi qiie dansi une peti|e
chapelle située à droite dans l'enceinte supérieure qui do-^
mine la nef, Beauconp d'autres armoiries de nos fomilles
françaises sont distribuées dans les diverses parties du mo-
nastère : ici, sur l'extérieur d'une cellule, une croix ajocrée
9vec quatre fleurs de lis renversées dans les quatre çantouM
de la croix, et deui^ paons pour support ; là, sur la i»ar(àQ
d'un escalier (ai^ depuis peu à l'aide d'<vnçiens (ragmeiits^
une croix perlée, et plus bas, sur uoe 9Mtre marche , )a
croix ancrée de CbampagQe. Ailleurs, dans la chapelle su^
pérleure , et sur le revers même d*une plaque qui porte
deux croix de Champagne sur lesquelles pose un ^gle |
ailes éployées, se trouve ua fort mauvais bas-relief qui doU
appartenir à ce temps d'orgueilleuse conquête. Un lion est
représenté assis triomphaleipent et contemplant un antl^
lion qui tient dau£ sa gueu^ ui) cerl tremblant qu'il va dé^
cbirer. Ce cerf tremblant est pr^ de mourir : est*ce l'i-
mage du pauvre peyple de h Grèce déchiré par le lion de
Bourgogne et de Champagne, emblème des Champ-Litte et
des Yille-Hardpiu, sous l'œil dédaigneux du lion de Flandre,
emblème des empereurs français de Constaptinople ? Une
allégorie du même genre se retrouve dans un bas-relief
incrusté sur la muraille extérieure du catboUcon ou église
métropoUlaine d'Athènes , baMe par les Français en i21&,
et dans un autre bas-relief que j'ai retrouvé parmi les ruines
d'une église à Thèbes^
J'avais grand désir de m'assurer par mes propres yeux
s'il ne restait rien des anciennes archives et n[)anuscriu
qu'avait dû posséder autrefois ce couvent, (i'exact voyageur
Leake , qui a visité Saint-Luc il y a une trentaine d'aonée&«
dit n'avoir rien vu et semble soupçonner les moines de lui
avoir dissimulé leurs richesses littéraires. Les mohies grecs
sont souvent insouciants et négligents par ignorance ; mais
* On trouve aussi beaucoup d'autres bas-reliefs du même genre
dans bon nombre de monuments byzantins , et. même dans les
monuments antiques de l'Asie mineure.
MONASTÈRE RB ftAlNT-LUG. 947
ils» aoQl bonnes geqs , et , pour peu qu'on slbil loçiabie et
ilaoïilier avee eux» ils ne sont pas moias sociables et femi-
liem d« kivp côté. Il oe faut avec eux ai pédaoUsme ni afn
feelalion et , si on veut lea gagner teul-rà-feit , on n*a qu^à
leur parler 4es afibirea publiqikes » car tous y prenoent te
plufl chaud intérêt* Une toi» leur affection gagnée , et on te
gagne rapictomenit ainsi« rien ne vous sera plus eaebéL Je let
ai tonjeur» trouvés, pour ma part, déposés à faire toutcequt
pouvait m'être agréable , et avec la plus entière franchise.
A mes questions sur leur bibliothèque , les nicânes de Saint»
Luc me répondirent que leurs plus anciens diplômes et ma^^
Aiiacrîts avaient été transportés ^ Rome , au temps de la
croisade d^ Çonstantiniqide , avec les reliques de saint Luc r
que, depuis la conquête turque du quiniiôme sîôclp , leur
monastère avait été souvent pris et pillé , el on connaît le
respect 4es Turcs pour les choses d*art et de science.
EtaQn f dans Tanuée 17ft8 , le Klephte Andruzzo , père du
(ameiii. Odyssée, précipité de TAcropolis pour avoir voulu
rsunener les Turcs après les avoir vaillamment combattus,
s'était eaaparé du monastère de Saint-Luc , avait forcé les
moiiies 11 chercher un refuge dans les montagnes , et avait
tout ptUlé ou brûlé. Depuis cette époque, les moines ont
peu songé h se procurer une bibliothèqu& Bien cuhiver
leurs fermes , vivre largement dans l'intervalle des quatre
longs carêmes , des trois jeûnes et des trois vigiles observés
si scrupuleusement par tous les Grecs S bien entretenir
^ Les Grecs ont quatre carêmes : celui d'avant Pâques, qui dure
huit semaines; celui des Saints-Apôtres, après la Pentecôte, qui
dure trois semaines ; celui de la sainte Vierge , pendant les quatorze
premiers jours d'août ; celui de Noël, qui dure quarante jours avant
Noël. Ils ont trois jeûnes : Ton de vingt>six jours, avant la Saint-
Démétrius; le second de quatre jours, pour l'exaltation de la Croix,
et le troisième de huit jours , pour la Saint-Michel , sans compter
le mercredi et vendredi de chaque semaine, et quelquefois le lundi.
Ils ont enfin trois vigiles : la vigile de l'Epiphanie , celle de saint
Jean-Baptiste et celle de la Croix , pendant lesquelles ils ne mau-
((eut nou pins ni viande ni peissM.
)4S GRÈGB CONTINENTALE ET MOREE.
leors églises et célébrer lear litargies, et, de temps en
temps, au milieu des guerres contre les Turcs, bien ma-
nier le long mousquet contre les infidèles , voilà Toccupa-
tion de ceux qui remplissent le mieux leurs devoirs cléri-
caux. On voit que l'étude des livres n*a là aucune place.
Pour satisfaire toutefois ma curiosité , ils se livrèrent avec
moi aux plus minutieuses investigations. Toutes les cham-
bres furent visitées, toutes les cellules explorées, tons les
souvenirs invoqués , et nous parvînmes enfin à découvrir
deux manuscrits grecs fort imparfaits ; Tun était un livre
de prières écrit au quinzième siècle sur papier de lin, de
format in-d**, et Tautre un évaogéliaire , de format in>8*
illussi , écrit vers la fin du quatorzième siècle , sur papier
de soie , d*une écriture cursive beaucoup plus lourde.
Le monastère de Saint-Luc a été bâti sur l'emplacement
d*unc ancienne ville hellénique. On voit encore , un peu
en dehors du couvent , beaucoup de vestiges des fortifica-
tions helléniques , et sur les murs de l'église quelques an-
ciennes inscriptions, entre autres la dédicace d'une fon-
taine qu'y fit creuser à ses dépens un nommé Xénocrate.
Cette fontaine alimente encore le monastère, et ses eaux
fraîches et pures sont aussi abondantes qu'elles l'étaient il
y a plus de deux mille ans. Elle coule derrière l'église et
défaut un bon bâtiment d'économat avec des chambres
bien éclairées que le couvent fait construire en ce moment.
Je pris congé de mes excellents hôtes les moines de
Saint-Luc pour continuer mon voyage vers Delphes , Sa-
lona ou l'antique Amphysse , Bodonitza et lesThermopyles.
XIL
DELPHES. — SALONA. — LA GLISOURA. — BODONITZA.
La route du monastère de Saint-Luc à Delphes tourne
le long des flancs du Kirphis ou Xero-Vouni, dans ses em-«
DELPHES. 249
branchements avec le Parnasse ou Liakoura. Une demi«
heure après avoir monté, se rencontre une petite chapelle
située, de la manière la plus délicieuse , tout auprès d'une
fontaine d'eau vive ombragée de vastes platanes. II y avait
probablement là autrefois une station religieuse pour les
pèlerins qui se rendaient à Delphes, car ce chemin semble
suivre la route antique. Une fois qu*ou a tourné ces ravins
de la chaîne du Kirphis on aperçoit l'entrée de la gorge
profonde qui dominait la vieille Delphes. Tout à l'entrée
de cette gorge, bien haut dans les montagnes, sur les der-
nières limites du terrain cultivable et au pied de ces cônes
de neige qui donnent une physionomie imposante au front
sourcilleux du Liakoura, apparaît, comme une vigie atten-v
tive, le bourg d'Arachova. Quelques noires forêts de pins
semblent posées auprès du rivage de cette sorte de glacier
comme une digue destinée à arrêter l'invasion des neiges.
À Vautre extrémité de cette gorge, bien haut aussi, au pied
de rochers aux couleurs chaudes de porphyre , est le vil-
lage de Gastri, bâti sur les ruines de la célèbre Delphes.
Il faut encore deux heures d'une bonne marche de
cheval d'agolate pour tourner toutes les collines et les re-
monter jusqu'à Gastri, que l'on conserve presque toujours
en vue; mais à mesure qu'on s'en approche la vue devient
à chaque pas plus belle. Dans les parties inférieures des
collines on traverse de courtes vallées bien plantées et bien
arrosées, en suivant de l'œil la fraîche vallée du Plistus.
Dès qu'on est parvenu sur le haut des collines on aperçoit
la baie de Salona , le golfe de Gorinthe et, dans le loin-
tain, les montagnes du Péloponnèse. En se rapprochant un
peu plus la mer se dérobe derrière les ctmes du Kirphis
et on se trouve dans une enceinte de hautes montagnes et
comme isolé du reste du monde. Ge devait être un beau
spectacle que d'apercevoir de là , aux jours solennels , les
processions antiques se déployer à la fois des deux côtés
opposés en arrivant par mer à Grissa et par terre du côté
d'Arachova. Dès les premiers pas sur ce sol sacré on passe
S50 GRÈCE CONT^liBBiTAI'E ET MOREE.
i traveri 4e» tooi))eiqi. Les m^ ayai^nt éiô ^igég sur
celte partie de la route, cpinme iiq chrétien des andeos
jours eut fait ériger le m^ près ^e Jérusalem ou dans in
vallée de Josapbat ; les autres oot été entraînés dans I9
cloute des rochers supérieurs, dont les énoripes fragmei^t^
gisent dispersés aleqlour ; ^t p^rmi ces roct^ers V^nii^
quairc exact peut rechercher la place de la pierre qu*Qo
donna H dévorer à Saturne, et que (es anciens otontraient
au-de98U6 du tombeau de i^éoptolème. Un peu plus haut,
çn se rapprochant toujours , est un {(unaense tombeau re*
levé sur sa hauteur et tout ouvert , cqn^me si le mort qu*il
contenait venait d*en sortir en le brisant. LUntérieur re-
présente comme une porte eptouré(i de gros clous, Il n*a
pas fallu moins qu*un des violents tremblements de terre
si fréquents ici pour arracher et précipiter d'aussi éuormes
fragments de rochers que ceux dans lesquels étaient; dépô-
ts ces tombeaux. C'est un tremblement de terre d^ ce genre
qui épouvanta le Qrenn gaulois, notre fiucétre , et 9es plu$
fiers soldats, au moment où, Tan ^79 avant J. -G. , ils s'avan-
cèrent par les Thern^opyles pour piller les trésors dM tem-
ple de Delphes. Les tombeaux vont toujours se continuant
^ns interruption jusqu'au monastère de 3aint-Élle, mais
tous ont été ouverts ; de tous on a arraché les ossements
qui devaient y reposer en paix, La soif de Vor ches les
uns et pour les autres le désir de posséder quelques ob-
jets antiques, une bague , des boucles d'oreille^, un hra?
çelet, ont amené la violation de tous les tombeaux anti*
ques et coptinueront ^ amener la violution des tombeaux
qui restent à fouiller. En vain a«t-on construit des monu-
UPients 9ussi nobles que le tombeau 4es Atrldes ^ M y cènes,
ayssi imposants que les pyramides d'J^gypte, pour re-t
cueillir les cendres de sa famille ; en v^n a-t-on creusé les
rochers les plus âpres et les flancs les plus inabordables des
torrents, détourné même les fleuves pour s'y creuser un
i^sile inviolable : tout a été fouillé , ht poussière des génc-
retiens çntique^ a été jetée siux ve^ts par les génératioivi
istl^ttBëi Ji51
qui les ont suivies , et celied-ci épfolilrétotlt à lettr tottr le
fflêffle sort de là part de leurs descendants.
A quelques pas au delà dd monastère de Sâint-Élie cdule
nue petite rivière qui a une bien iioble s(îtircei Bile sort
de la fontaine de Castalie» placée un peii au-dessus i droite
de la route. Un torrent descend du Patnassë par une fis-
sure entre deux pits escarpéi^, le pld IftfbpUa et celui
d'Hyampeifl» d*où fut, dit-on, précipité le fabuliste Ésope
ptf tes habitants de Delpiies. parteuu H rettrànitè de
cette fissure étroite le torrent est recueilli dans tin court
passage yoûté et s'écoule dans un bassin carré , efetisé pâi*
la nature udi^ine dans le rocher, mais agrandi un peu de
main d^honitne^ de bassin, qui a euTirott trente pieds dé
IdBgueur sur dit de largeur , renferme la célèbre ion-'
taihe de Clastalie, dans laquelle se baignait la P]^tbie atant de
rendre m» oracles. Elle est couverte aujourd'hui du plus
bean m du didlleur des cressoris^ dont je ne manquai pas de
me faire faire une salade en Thonneur d'Apollori et de la
Pfthie. Ao-'dessoils de la fontaine de Castalie , sur le fiant*
d'un reeher d'une hauteur perpendiculaire de plus de cent
iMte, sont creusées trois niches. Celle du milieu « qui est
la {dus grande, renfermait probablement une statue d' Apol*
ton, et les deut autres les statues du dieu Pan et de la nym-
phe Castalie. Une quatrième niche placée à droite est fer-
mée par une petite enceinte de murs et transformée en
une chapelle dédiée à saint Jean, qui aura sans doute 8uc«
cédé à VHetonni consacré à Antinous. La religion chré«
tienne â par toute la Grèce établi ses autels sur les lieux
mêmes sanctifiés par le respect antique , et le sentiment
religieux du nouveau cuhe s'est trouvé fortifié du respect
religieux long-temps porté au culte ancien. Assis sur un
rocher au tourmare de ce torrent , au bord de la fontaine
de Castalie, qtte deux rochers formidables resserrent d'un
côté tandis que l'autre s'ouvre sur une vallée profonde ,
véritable soliliide fermée de tous côtés par des montagnes
fort Ken coupées , je pouvais concevoir sans peine f im-
952 GRÈCE CONTINBNTALB ET MOREB.
presfiioD de respect religieux qui devait saisir rimagiaatioii
des visiteurs et les disposer à recevoir avec plus d'autorité
les décisions de i*oracle.
Aquelques pas au-dessous de la fontaine de Gastalie com-
mence le village de Castri, qui pourrait bien avoir pris ce
nom d*un château franc placé dans ce lieu pour défendre
le passage. Il couvre l'emplacement du temple d'ApoUoa
et de plusieurs autres temples. Un peu au-dessus, on aper-
çoit les degrés de marbre du stade , les restes de théâtres,
du gymnase et les ruines de plusieurs monuments. De là
on avait en vue Crissa et le golfe de Gorinthe ; c'était la
partie sacrée et monumentale de Delphes. La partie pro-
fane et habitée était à mi-côte , et l'emplacement consacré
aux jeux et aux luttes était plus bas vers la plaine et près
de Crissa et de la mer. Tous les terrains, depuis le bas du
ravin où coule le Plistus jusqu'en haut de la colline sur la-
quelle étaient construits les temples et les monuments pu-
blics, sont encore soutenus par des terrasses de construction
antique , étagées avec soin et qui servent de terrassement
aux excellentes vignes de Castri ; car le coteau de Delphes
n'est plus renommé que par son vin chaud et l^er à la fois.
A cette industrie légitime les habitants actuels de l'antique
Delphes en joignent une autre beaucoup moins r^ulière ,
celle des fausses antiquités. Tout voyageur ou tnitordi^ ainsi
qu'on appelle ici tout étranger qui court pour le plaisir de
courir, est sûr de trouver tout ce qu'il demande. Veut-il
de vieux bronzes , de vieilles médailles, de vieilles lampes,
de vieilles bagues, de vieilles pierres gravées, on lui four-
nira tout cela , fraîchement confectionné à Athènes , \
Syra, ou à Corfou, à l'aide de vieux modèles pour les uns
et de pâle factice pour les autres, et déposé quelque temps
dans une bonne terre à fumier pour mieux imiter la rouille
ou la couleur antique ; on les découvrira même devant
vous, si vous y tenez, et les objets d'art ainsi découverts
iront ensuite, en Allemagne, en France et en Angleterre ,
enrichir les musées de province et les cabinets des ama-
DELPHES. 253
leurs départemeûtaux et donneront matière aux plus sa-
vantes dissertations des académies locales. On voit ce-
pendant quelquefois à Delphes de Térltables antiquités,
bien que pour ma part je n*aie trouvé à acheter que des de-
niers tourfioîs des Ville-Hardoin-priuces et princesses d*A-
chaye et des La Roche ducs d'Athènes ; mais ce qu'on y
voit surtout et partout c'est la trace des monuments
anUques. On ne creuse pas une fois la terre pour jeter les
fondations d'une nouvelle cabane à Castri qu'on ne ren-
contre quelque pan de muraille hellénique, quelques débris
de colonnes ou même quelques fragments de bas-reliefs de
marbre. Dans le jardin d'une cabane je vis gisant la mé^
tope d'un temple et de beaux restes de bas-reliefs; à quel-
ques pas de là, des excavations récentes ont fait retrouver
les murailles d'un temple , et un peu plus haut on vient
tout récemment de mettre à nu un long pan de muraille
composé de grandes pierres polygonales taillées avec soin et
sur lequel sont transcrites de longues séries d'inscriptions
de différents âges, en assez grande abondance pour rem-
plir un volume, $ans même les réflexions et explications des
commentateurs allemands ou hollandais.
Le gouvernement grec avait eu une bonne pensée , c'é«
lait de réserver pour les fouilles les terrains sur lesquels
sont placées les cabanes du village de Castri, et de donner en
dédommagement aux habitants , des terrains dans la vallée
inférieure pour y construire leurs maisons; mais malheureu-
sement les projets restent là trop souvent à l'état de pensée.
Ou avait bien interdit les constructions nouvelles avec pro-
messe d'indemnité; mais comme l'indemnité n'arrivait pas
et qu*en attendant on ne s'en mariait pas moins , on n'en
avait pas moins des enfants , et que les enfants n'en gran<*
dissalent pas moins et qu'ils réclamaient de nouvelles mai«
sons 'pour s'établir, on prit le parti de sauter à pieds joints
par-dessus les prohibitions gouvernementales ; mais, pour
n'avoir pas à recommencer, on bâtit cette fois de bonnes
Quiaons de pierre à l'aide des ruines qu'on avait sous la
22
$54 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
maiiï. De sorte que si plus tard le gouvernement veut re-
venir sur son projet d'indemnité , il lui faudra payer dix
fois plus pour les maisons de pierre qu'il n'eût payé pour
des calyvia de chaume ou de bois. C'est ainsi qu'en ajour-
nant à perpétuité les meilleures résolutions et en ne se déci-
dant pas à prendre un parti rapide et trandié , on perd de
nombreuses occasions de bien faire. Les nouvelles con-
structions faites à Delphes prouvent le fâcheux résultât que
cela peut avoir sur les choses ; les conséquences en ce qui
concerne les hommes ne sont pas moins fâcheuses quel-
quefois. On m'a raconté, pendant que j'étais à Delphes, un
fait qui servira d'exemple. Le roi Othon encore mineur
était venu faire une course de ce côté de la Grèce avec le
régent bavarois M. d'Armatispèrg. Le tumulte de la guerre
avait cessé à peine et les habitants des montagnes, long-
temps habitués à la vle klephtique qui offrait sous les Torciâ
la gloire d'une indépendance nationale , n'avaient pu tout
à coup accepter la discipline régulière des sociétés occi-
dentales. Les brigandages par terre avaient succédé aux
pirateries des côtes, disparues devant la ferme volonté des
amiraux européens, et aucune route n'était plus en sûreté.
Tantôt par peur et tantôt par sympathie les villageois fournis-
saient des vivres et des munitions à ces efcmemls de la so-
ciété nouvelle , de telle sorte qu'il était devenu bien diffi-
cile de les atteindra. Le gouvernement eut alors recours k
un moyen qui eut les plus heureux résultats. Il offrit une
prime de mille et deux mille francs à celui qui lui apporte-
rait la tête des bandits signalés comme ennemis publics, en
même temps qu'il promit à ceux qui se rendraient dans un
temps donné, des moyens réguliers et honnêtes d'employer
leur activité. Beaucoup firent alors leur soumission, et sont
devenus des hommes fort utilesi D'autres plus récalcitrants
furent tués par les troupes envoyées b leur poursuite ou K-
lirés par ceux même qu'ils avaient forcés à les recevoir. Quel'
qoes^uns retournèrent reprends la vie de klephte et d'ar*
niatole dans les montagnes turques de là haute Theiisaifei Peti
DELPHES. t55
survécurent à cette battue générale, Une redoutable bande
composée des trois frères avait cependant déjoué toutes les
poursuites et tenait bon dans la chaîne du Parnasse, Une
prime plus haute fut offerte pour lenrstôtes; mais personne
n'osait s'aventurer i la gagner. Un jour le jeune roi Otbon,
qui venait de visiter lei^ environs de Delphes, était assis sur
le gazon , è cOté des membres de la régence, autour d'un
repas homérique servi sur des amas de branches vertes,
lorsque se présente devant lui un beau jeune homme vôtu
et armé comme le sqnt les palicares, Une vaste moustache
descendait sur ses lèvres , un large coutean de ebasse et
deux longs pistolets garnissaient sa ceinture, Il s'adressa
an jeune roi avec assurance, « Vous ave^ promis, lui dit-il,
une prime h qui vous livrerait ma tête ; la voici. Jus^
qu'ici j'avais cru trouver dans la vie klepbtique un emploi
non ignoble de ma force, et mes frères Favaient cru ave6
mol l^es miens me ê^mm qne d'autrçs tempi; réclament
d'autres habitudes. Éclairei-moi sur le bien que me réserva
votre nouvelle vie, et snr les services que je puis rendre k
la Grèce ma patrie dans tout autre vocation ; mes frères at-»
tendent dans la montagne le résultat de mon expérience, »
Le roi Othon était mineur. A ces fières paroles, il tourna
ses regards vers le régent d'Àrmansperg pour réclamer une
adhésion prompte, tendre la main an brave palicare et
(aire peut-être d'un ancien klephte un citoyen honorable
et régulier. Un mot parti du coeur eût gagné le montagnard,
et quelques heures après ses frères fussent rentrés sous la
discipline des lois; mais ce mot ne fut pas prononcé,
M. d'Armansperg répondit qu'on ei^aminerait son affaire ,
qu'on aviserait, £n attendant, le palicare fut conduit en
prison pour y attendre une décision qui se faisait tous les
jours attendre. La captivité était insupportable à l'homme
des montagnes. Il se sauva • regagna les gorges du Par*'
passe , annonça i ses frères ce qu'ij avait vu , et tous trois
recommencèrent une guerre longue et terrible contre la
société qui les repoussait au lieu de leur tendre les bras ;
256 GRÈCE CONTINENTALE ET MOREE.
et ce ne fat qu'après avoir été long - temps la terreur du
pays qu'ils succombèrent eux-mêmes. Leur jeunesse , leur
beauté, leur bravoure leur ont mérité des ballades qui se
chaulent mélancoliquement dans les chaumières.
Je quittai Delphes par une route opposée à celle par la-
quelle j'y étais monté, et je descendis du côté de Rbrysso.
C'est un village fort joli avec de bonnes maisons et dont
les habitants paraissent tout à fait à l'aise. Il est fort voisin
de l'emplacement sur lequel était bâtie l'antique Crissa
qui a donné son nom au golfe de Crissa ou de Salona ou
de Galaxidi. La route suit cette baie le long d'une petite
rivière qui féconde la vallée, bien qu'on la passe aisément
à gué et qu'on puisse en suivre le lit à cheval. Sur la gau-
che on aperçoit le village de Ser-Ianni au nom franc, et
4iprès quatre heures de marche on arrive à Salona , l'anti-
que Amphisse.
Dès les premières heures du jour, je commençai mes
excursions dans Salona par la visite de l'ancienne forte-
resse , placée sur le haut d'une montagne au-dessus de la
ville. Cette construction , qui est d'origine hellénique , fat
augmentée sous l'empire de Byzance , et réparée par les
comtes français de Salona. Les murailles helléniques sont
fort considérables. La porte intérieure est complètement
antique. Elle est haute de deux mètres soixante-dix centi-
mètres sur deux mètres trente-cinq centimètres de largeur
et deux mètres soixante-dix centimètres d'épaisseur. L'en-
cadrement du bord est de deux mètres trente centimèti^es
de hauteur sur un mètre soixante-dix centimètres de lar-
geur. Ainsi que toutes les autres portes helléniques, elle
est composée de deux hautes pierres sur lesquelles pose une
troisième pierre. L'enceinte hellénique est presque partout
fort bien conservée et on y remarque les deux genres de
construction , la polygonale irrégulière et la quadrilatère
réunies. Tous les angles des murs sont bâtis de grandes
pierres quadrilatères, fort bien taillées, tandis que les pans
intermédiaires sont composés tantôt de pierres polygonales
9AL0NA. S67
irrégulières, bien ou mal taillées, et tantôt de pierres quadri-
latères taillées ici fort soigneusement, et à côté fort grossière-
ment. Cette différence indique-t-elle deux ou trois époques,
ou simplement deux modes contemporains de construc-
tion? L'inspection des murs de Salona rend cette dernière
opinion plus probable. Les encoignures , qui devaient être
plus fortes, sont bien taillées et composées d'assises régu-
lières quadrilatères; les murs intermédiaires, exigeant
moins de soin , sont composés de pierres irrégulières plus
ou moins bien taillées. Ainsi voilà les trois espèces de con-
structions réunies sur un seul point. Deux tours rondes
sont d'origine évidemment byzantine i deux tours carrées,
à l'une desquelles on aperçoit les vestiges d'une porte-cou-
lisse, sont d'origine et de construction franques. Dans l'inté-
rieur des murs sont les ruines d'une église franque, au-
dessous de laquelle est une petite église souterraine d'une
forme tout à fait inusitée. Elle est double , mais non pas
composée de deux corps qui se joignent longitudinalement :
Tune vient tomber à angle droit sur l'extrémité de l'autre
et n'a d'issue que par la première. Près de l'église franque
sont les ruines d'une petite église byzantine, et tout à côté
de cette dernière est un petit sacellum fort probablement
romain. Sur la gauche en entrant est un degré creusé dans
le roc tout le long du mur de côté, et tout le pavé est éga-'
lement creusé dans le roc. Ainsi sont venues s'accumuler
sur cet étroit espace bien des générations d'hommes qui
n'y ont laissé que poussière et ruines.
En descendant du château , je m'arrêtai à contempler
nne belle fontaine à arcades de construction turque. L'eau
y est extrêmement abondante et d'une excellente qualité.
Elle alimente tous les jardins de la ville, et permet à tous
les habitants d'orner leurs maisons au moins de quelques
arbres chacune. Salona est dispersée çà et là , sans aucune
rue arrêtée, comme un village suisse, sur tous les flancs de
la colline. L'effet en est charmant de loin ; mais de près
«n pénètre bien difficilement à travers ce dédale de pierres,
2a.
356 GHECE CONTI?«ENTALE ET MOKEE.
et il sera fort uial aisé de relier jamais tout cela eo une pe-
tite ville.
Je parcourus tous ces décoo)bre3. Sur les pans de muraille
encore debout d'une église ruinée de Saint-Jean^Ie-Tbéolo*
gien, bfltie sur les ruines d'un temple antique dont les ba«
ses subsistent, apparaît encore une longue fenêtre en ogive
de l'époque franque. Une autre église, placée au bas de la
ville sous l'invocation de saint INicolas et sainte Paraskevi,
ofTre sur les parois, au milieu du chœur, un bas-relief repré-
sentant l'aigle i deux têtes de l'Empire tenaut une boule
dans sa serre droite. Ce même blason se retrouve au-des-
sus de la porte d'une maison particulière. De l'époque
turque il ne reste à Salona qu'une mosquée, et encore,
aussitôt après la révolution grecque, par représaille contre
les Turcs qui faisaient abattre les clochers des églises chré-
tiennes et défendaient d'en construire d'autres, les chré-
tiens ont-ils fait démolir le minaret de la mosquée. Deux
autres églises subsistent au-dessus de la ville , celle de la
Panagia, et une autre plus petite consacrée à la Panagia et
au Sotiros (sauveur), et située plus haut dans les platanes,
sur le versant de la montagne 5 mais je n^y ai rien retrouvé
de curieux*
lies murailles de Tantique Ampbisse, composées de
grosses pierres quadrilatères, se continuent tout le long de
la rivière, au pied de la nouvelle Salona, De l'autre côté de
h rivière est un monument de la plus haute antiquité.
C'est une grotte de six pieds carrés environ, taillée dans le
roc vif* La porte est large et haute , et au fond est une
tombe découverte. Suivant les traditions du pays, c'était
le tombeau de l'Égyptien Phocas , qui a donné son nom à
la Phocide, De cette grotte, un peu élevée au-dessus de la
rivière, sur le penchant de fa montagne, en face de Salona,
on aperçoit toute la vallée, et on devait voir se développer
Tantique Amphisse, dont les murailles, qui suivent le lit de
la rivière, sont placées à une centaine de pieds plus bas,
A deux lieues de Salona, sur la montagne par laquelle se
monastèee de saint-éub, 259
dirige une seconde route pour se rendre è Delphes , es
placé le monastère fort ancien et fort riche de Saint-Élie.
J'espérais y rencontrer quelques manuscrits, mais les ca-
loyers de Saint-Élie, qui soignent fort bien leurs terres,
leurs vignes et leur église , n'eurent i me montrer aucun
vestige de bibliothèque ou d'archives. Le monastère et Té-
glise ont été entièrement rebâtis «i neuf depuis peu d'an*
nées. Un ouvrier intelligent et sans élude a décoré le chœur
de cette église d'un voile en bois sculpté, d'une vingtaine
de pieds de hauteur sur trente de largeur, qui n*est pas
3ans mérite. La conception annonce beaucoup d'imagina-^
tion dans un homme qui n'a rien vu ailleurs ni rien étu-
dié. Les colonnes sont formées d'arabesques d'arbres, de
fleurs, d'animau^s, de personnages fantastiquement groupés*
I,e coup de ciseau annonce aussi une main habile, mais la
correction du dessin ne répond nullement au talent de la
mise en œuvre. On croit voir un bois sculpté chez nous au
onsûème siècle, tant le dessin en est rude et incorrect,
L'bégoumène, qui m'accueillit avec la plus parfaite pré-^
venance, m'avait fait préparer dans sa chambre une collation
et quelques flacons de son meilleur vin. Nous allâmes jouir
ensuite de l'aspect de sa terrasse. La vue en est toute gran-
diose. A ses pieds on a le golfe de Corintbe , qu'on emi-
brasse tout entier, depuis les montagnes de la IVlégaride
jusqu'à Fatras et au mont de Santameri, forteresse de no^-
tre Nicolas châtelain de Saint-Omer, Au midi, la vue
s'étend dans le Péloponnèse jusqu'aux montagnes du Tay->
gète ; au nord, on a le Parnasse ; à l'est, THélicon; et la vue
se prolonge à l'ouest le long de la mer jusqu'aux lies Ionien--
nés et jusqu'aux dernières pointes des montagnes de la Cala*
bre, vaste horizon qui s'étend ainsi des premières côtes de
Turquie aux dernières côtes d'Italie, et qui comprend un
ensemble de vallées , de montagnes , d'îles et de mers dont
la beauté attirerait pendant de longues heures l'admiration
la plus rebelle. Je fus pourtant forcé de m'y arracher pour
songer au retour. Le chemin de montagne pour desçen-
^60 GRECE CONTINKTiTALE ET MOREE. ,
dredans la vallée d'Ampbissc est âpre et rocailleux; et si Ton
veut bien choisir entre ses roches pointues, il convient d'a-
voir à recueillir quelques rayons de soleil. Je pris donc congé
avec regret de mes bons moines et de leur délicieux cou-
vent où j'aimerais à mener une vie de bénédictin , parta-
gée entre l'admiration d'une belle nature et les études les
plus propres à améliorer les hommes.
Le temps était fort couvert à mon départ de Salona et l'as-
pect des nuages du matin annonçait une pluie prochaine, i
peine étais-je monté au village de Topolias, à une lieue de
Salona , que commença une de ces ondées terribles qu'on
ne voit que dans les pays méridionaux. Pendant plus de
trois heures la pluie continua sans interruption avec
violence , et accompagnée d'un tel vent , que plusieurs fois
je faillis être renversé de mon cheval. Toute cette route,
le long du Parnasse , est composée de rochers et de mon-
tagnes sablonneuses. Lorsque les pluies viennent à délayer
ce sable et que les torrents grossis s'étendent et débordent
sur les sentiers, ces terres sablonneuses deviennent en peu
d'heures parfaitement liquides ; et partout où les rocs bri-
sés qui forment la route laissent un peu de vide , les pieds
des chevaux enfoncent sans aucune fin. Veut-on s'avancer
au delà des bords du torrent et du sentier jusque dans la
prairie non frayée, on court risque d'y rester plongé comme
dans un marais de Hollande et de n'en plus sortir. Ce temps
affreux donnait à ces grandes scènes de montagne une cou-
leur âpre et sans teinte. Tous les bois de pins paraissaient
d'un vert sombre , et les mille brisures de ces ravins acci-
dentés, garnis de toutes sortes de pentes boisées, perdaient
toute la grâce que le soleil donne à un beau paysage , et se
montraient dans toute leur rudesse. Malgré la pluie
battante qui m'avait transpercé , cette belle et forte nature
me saisissait d^admiration ; et je m'arrêtais parfois à étu-
dier ces scènes imposantes qu'il m'était donné de voir à
ce moment pour ne plus les retrouver jamais. Le temps
s'adoucit toutefois un peu , et la pluie diminua de violence
KHANI DK GRAVIA. S61
à mesure que nous descendions vers la vallée de la Dorîde.
Ce qui rend les voyages souvent si pénibles en Grèce, c'est
qu'après un temps comme celui qui venait de m'assaillir, ou
après une grande fatigue , on ne peut trouver la plupart
du temps un bon feu pour se sécher, un abri pour se
délasser, un repas supportable pour réparer ses forces.
Quand on a été bien mouillé , on attend qu'il cesse de
pleuvoir pour se sécher ou changer , si on peut trouver
quelques effets respectés, en allumant un grand feu en
pleine air ; quand on est trop fatigué , on se repose sous
un arbre : heureux si, après une pluie d'orage comme celle
que j'avais reçue en route , on peut rencontrer l'abri d'un
khani. Une éclaircie me laissa voir à quelque distance le
khani de Gravia , et j'éperonnai mon cheval pour y arri-
ver promptement.
XTII.
KHANI DE GRAVU.
Un khani , l'auberge orientale , est un vaste hangar com-^
posé d'une seule pièce. Sur les deux côtés se rangent les
chevaux. Au milieu est une sorte de terre-plein carrelé
un peu plus élevé , sur lequel les hommes viennent éten-
dre leurs tapis pour le«repos de la journée et le sommeil
de la nuit. Si on a besoin de feu pour se sécher ou faire
sa cuisine , c'est sur le même terre-plein qu'on l'allume
à l'aide de rameaux séchés, et la fumée s'en va , se per-
dant dans le haut du hangar et s'échappant par la j)orte
on par toute issue qu'elle peut rencontrer. L'ameublement
est des plus simples. Un baril de vin , un baril de vinaigre,
quelques flacons et pots destinés aux provisions , des bottes
d'oignons suspendues en l'air, parfois une boite remplie
d'œufs, une ou deux poêles pour le service du dîner, et
t6S GRECE CONTINENTALE ST MOREE.
quelques assiette» anglaises et fourchettes de fer alleoMn-
des; voilà tout ce qu'on peut espérer rencontrer dans le
khani le mieux pourvu. Tout le monde vil pêle-mêle au
milieu de ses bêtes » de ses paquets et des apprêts de cui«>
sine et de toilette de tous ses compagnons de voyage; car
là , il ue peut rien y avoir de mystérieux. Tout se fait en
présence de tous.
Le kbani de Gravia, situé à rextrémité de la vallée de la
Doride , au pied du revers septentrional de laf^chaine du
Parnasse, esi un lieu de passa£;e assez fréquenté. L'immense
pluie de la journée avait fait refluer sur ce point tout ce
qu'il y avait de voyageurs rapprochés de ces parages , et , au
n^omept où j'arrivai , je trouvai une vingtaine de personnes
déjà réunies ; les uns arrivés avant moi par la route det
montagnes , les autres se disposant à reprendre la route
que nous venions de quitter , aussitôt que la pluie aurait
cessé de battre avec tant de violence. Les plus anciens ar-
rivants, groupés par lerre^ terminaient cependant leurs
modestes repas et causaient , pendant que les nouveaux
venus se séchaient de leur mieux , ce qui n'est pas une
opération facile ; car rien n'est bien protégé contre une
telle pluie , et les effets de rechange sont souvent aussi mal-
traita que lea. vêtements qu'on a sur soi.
Pour moi personnellementj'étais sous l'action d'une mé«
tamorphose , et je devenais fontaine. Mon sac de nuit , ma
carnassière, mes menus effets étaient transpercés, livres et
cartes compris. Mes deux malles de cuir, qui se faisaient
équilibre sur les deux flancs du sommier, s'étaient telle-
ment imprégnées d'eau que toutes les premières ooucbes
intérieures s'en étaient ressenties. Je trouvai enfin à grand'*
peine une suite complète de nouveaux vêtements tout à
fait respectés par l'orage. Mes compagnons du khani se
réunirent à moi pour m'aider à faire sécher ce qui avait
le plus souffert ; car tous sont ici de la complaisance la plus
prévenante en faveur des étrangers. Je me mêlai ensuite
aux conversations. Comme on avait été forcé de résider
kflANIA DE ORAVIA. 263
SOUS le toit du kbani plus long-temps qu*on ue Teât dé«
siré, on cherchait à faire passer les heures en contant des
histoires. Il y avait deux ou trois conteurs privilégiés sur
lesquels s'en reposaient tous les autres. 11 y eut le un re**
noavelleinent des Miiie et unt Nuii$; et comtn^ Tun des
principaux conteurs était né à Lesbos , qu'un autre arrivait
de h Thessalie , d*Élassona au pied de TOlynipe , et que
nous avions parmi nous des bergers descendus des hau-
teurs du Liakoura , le plus neigeux des pîcs du Parnasse ,
la mythologie antique avec tous ses souvenirs traditionnel
88 trott¥« mêlée à leur insu avec leurs troyances modernes.
L'une de ces histoires était le conte de Radia que made-^
nmiselle Sébastitïa Sout^o, fille de là bonne et douce prin-
cesse Marie Soutzo, s*éiait fait conter autrefois par une de
ses femmes chiotes, et qu'elle avait bien voulu nie donner
il y a quelques années ^ Je la rapporterai ici* ainsi qaedaux
autres* rédigées aussi de la même manière et par la même
plume j et en suivant exactement le simple récit du con-
teur, satis rien y ajouter.
RODtA.
COMTE GhBG.
Un vieillard était père de trçfis filles. La plus jeune d^eiitre elles
Joignait h UDe l)éauté rare toîites les perfections de Tesprit et de
l'ftme. Les deux atnées, exirèuiement jalouses, et ne pouvant souf-
frir cette supériorité dont tout te monde parlait , se décidèrent à
consuUer le soleil. Un jour elles se mirent à la croisée, et dirent ;
« Soteil , brillant Soleil , toi qui parcours le monde, quelle est celle
» de nous qui l'emporte par Téclat de ses charmes? » Le Soleil leur
répondit : «Je suis beau, tous êtes belles aussi; mais yotre sœur ca«
* dette nous surpasse en beauté » La réponse du Soleil les transporta
d'un tel accès de fureur, qd*el1es résolurent la mort de Rodia ; c'était
le nom de leur sœur. Elles lui proposèrent donc d'aller cueillir des
herbes pour préparer le souper de leur père. Rodia y consentit, et
accompagna ses sœurs avec confiance. Celles-ci, après l'avoir menée
* Je Tii çoiDiDttiii<|iié a M. Képomucène Lemercier, qui Ta Insère
diiis m da «M voluniea conMcrés aux montagnards grecs*
264 GR£C£ GOiNTJAENXALE fiT MOREE.
assez loin de la maison paternelle pour qu'il lui fût impossible de
la retrouver, rabandonnèrent et s'en retournèrent seules. La bonne
Rodia, s'étant aperçue de son isolement, ne s'en prit qu'à elle-niéme;
elle crut s'être égarée par sa faute, et, sans accuser personne , elle
pleorait amèrement.
La nnit, qui rend tout plus terrible, augmentait le désespoir de
cette malheureuse. Knfin, elle vit de loin un brillant cortège qui se
dirigeait de son Mé : c'était Nyctéris, déesse de la nuit, qui, après
avoir fait ses courses mystérieuses, retournait vers sa demeure.
Tout à coup, frappée des accents plaintifs et des sanglots de la belle,
Nyctéris s'arrêta ponr en pénétrer la cause , et vit une jeune fitle
tout en larmes. La déesse alors lui demanda par quel basard elle se
trouvait seule dans ce lieu; et, d'après son récit naïf, elle lui pro-
posa de l'adopter comme sa fille. La pauvre Rodia accepta l'offre
et suivit la déesse. Myctéris , k peine arrivée chez elle , lui donna
l'inspection de son palais , et remit entre ses mains tout ce qu'elle
avait de plus précieux ; car la bonté naturelle et la douceur de Ro-
dia charmèrent tellement la déesse, qu'elle conçut ponr elle la plus
vive tendresse, et ne songeait qu'à lui rendre la vie heureuse. Mais
laissons RodIa pour un moment, et revenons aux deux méchantes
sœurs.
Bien que persuadées de la mort de Rodia, elles voulurent néan-
moins demander encore au soleil quelle était la plus belle. H leur
fit la même réponse. Alors elle^ loi déclarèrent que Rodia était morte
depuis long-temps; mais le Soleil assura qu'elle vivait dans le palais
de Nyctéris. Leur jalouse méchanceté n'eut pas de bornes à cette
nouvelle. Sans perdre de temps,.elles prirent une écliarpe ensorcelée
qui, par son pouvoir magique, devait faire mourir la personne qui la
porterait , et elles allèrent Toffrir à leur sœur. La joie de l'innocente
Rodia ne peut pas se décrire, lorsqu'elle vit ses sœurs qu'elle ado-
rait et qu'elle croyait perdues pour elle : sa bonté les reçut avec un
plaisir inexprimable, leur fit l'accueil le plus amical et leur oifrit
tout ce qu'elle possédait ; elle ne pouvait plus s'en séparer, tlles,
de leur c6té, feignant le plus sincère contentement de son heureuse
destinée , la prièrent de recevoir l'éciiarpe enchantée , comme un
faible gage du souvenir de deux sœurs qui la chérissaient tendre-
ment. Rodia accueillit ce don perfide comme une chose précieuse,
et, aussiK^t après leur départ , elle mit l'écharpe sur son cou , ce
qui soudain causa sa mort. Nyctéris, de retour, s'empressa^ à son
ordinaire, d'aller dans la chambre de sa fille bien-aimée. 0 surprise!
elle la retrouve sans vie. D'aboixl elle crut rêver; mais, reconnais*
sant que sa perte était trop réelle, elle mit tout en œuvre pour de-
ROOIA. 265
viner la eause d*uii si graud malheur : elle ue put y réussir, car
personne n'eu soupçonnait la moindre circonstance. Nyctéris, dé^
espérée y s'approcha d'elle pour lui adresser le dernier adieu » et Yit
sur son sein un ornement qu'elle n'avait jamais porté; elle le lui
ôta, et» subitement ranimée y Rodia reprit ses sens. Il est difficile
de peindre la joie de la déesse, qui lui adressa mille questions pour
apprendre d'où venait cette parure mystérieuse. Elle lui défendit à
Tavenir de recevoir personne sans sa permission ; car Nyctéris, aussi
pénétrante que sage, devina, par les récits de sa protégée, le secret
de cette triste aventure. Mais RodIa, n'attribuant son malheur qu'au
hasard, non-seulement n'eut pas le moindre ressentiment contre ses
sœurs, mais elle fut sincèrement affligée de l'expresse défense de
les revoir. Ces méchantes créatures ne lui Iais.<:èrent pas un long
repos; et, s'adressant de nouveau au Soleil, lui firent la même in-
terrogation f et en reçurent la même réponse.
Elles imaginèrent alors de prendre une pastille de gomme enchan-
tée pour l'offrir à leur sœur, puis se rendirent chez elle. Mais il ne
leur était pluspermis de l'approcher ; elle parut seulement à la feDétre»
et , les larmes aux yeux , elle leur dit que sa mère lui avait défendu
de recevoir personne. Les sœurs , feignant la plus grande douleur,
la prièrent d'accepter une pastille parfumée qu'elle pouvait prendre
à l'aide d'un fil qui la ferait monter jusqu'à elle. Elle reçut la pas*
tille, la mit dans sa bouche et mourut. Nyctéris, de retour, de-
manda comment Rodia se portait ; on lui répondit qu'elle était
morte. La déesse parut d'abord inconsolable : cependant l'espoir de
la faire revenir comme la première fois l'engagea à fouiller dans tous
les replis de ses vêtements; mais ce fut en vain : comment deviner
le charme qui la tenait évanouie? Ces recherches inutiles la rédui-
sirent au désespoir. 11 fallut qu'elle se séparât enfin de sa chère
Rodia ; mais elle ne put se résoudre à lui donner la sépulture, peh*
sant que quelque autre parviendrait peut-être à dévoiler le mystère.
Remplie de cette idée consolante , elle ordonne aussitôt que l'on
construise un cercueil d'argent; et, après avoir paré Rodia de ses
plus brillants atours, elle Ty enferme, met le cercueil sur un beau
cheval, et le laisse aller au hasard. Le coursier, errant sans guide,
l'emporta au travers des contrées voisines , où régnait un prince le
plus beau jeune homme de son temps. Ce jeune roi , étant ce jour-
là à la chasse , rencontra le cheval sur son passage. Étonné de m
légèreté et de l'aspect du fardeau brillant dont il était chargé, il
s'en approche, et, le voyant sans maître, il ordonne qu'on s'en
empare et qu'on le mène au palais. Là parsesordies on ouvre la
caisse. Quelle fut sa surprise de voir la plus belle femme du monde
23
S66 GRÈCE CO!«Tli^ENTALE ET MOnÉE.
sans vie! Ce qu'éprouva le jeune homme e»t au-dessus de toute ex-
pression : nû trouble nouveau égara son âme émue par la singula-
rité de cê spectacle ; la présence de tant dé charmes , quoique ifl-
aniiHis, Tembraia d'un tel amour, qu'il Ué s*élo}gnaU du cercueil
ni four ni Bult f qtlMl rusait toutes les distractions , tous les conseils,
tous les obJetA qui pouvaient l'en séparer , qu'il ne pretiaii plus é'a-
HmeMe, et qu'il était privé de tout sommeil. La reine, sa mët«,
téOM>ia du dépérissement de son dis unique, ne satait à quelle pas-
sion Bttttbuer sea ehagrltig.
Après mille perquisition» vatned, elle résolut un jour, pendant
rabienee de son fils, d'entrer dans sa chambre pour voir ce qui le
îttenalt enrermé. En y entrant, elle aperçoit te cercueil d'argent $
elle accourt « l'ouvre soudain et trouve le corps de la belle Rodia.
D'abord elle en admira la rat-e beauté; mais, supposant blentét
qu'elle était sans doute la cause du malheur de son fils, elle ta tire
avec colère pftr les cheveux , et, la soulevant avec force, fblt heu-
reuiement tomber la pastille enchantée ded lôvres de la b^llc. Aus-
sitôt Rodia retient encore à la vie. On ne saurait donner une juste
idée de tout rétonnement de la r&lne à cette vue. Elle pleura d'ai-
légreaae, elle l'embrasM, et , dans «on ravissement, lui jura qu'elle
aérait Tépotise de son fils. A i>eine instruit par un prompt message
de cet heureu)( miracle, lé jeune prince accourut, vît Rodia dana
les brA8 de sa mère, là reçut d'elle et Tépousa. Ce bonheur ne
Alt pas de longue durée ; car la méchanceté des dent sœurs oc
tarda pas à l'empoisonneur. Elles inlerrogèreut pour la troisième fols
le Soleil sur la beauté de leur smùr. tl leur répondit qu'elle était la
plua belle reine du monde , et qu'elle portait dans son sein le l^ult
de son union. Ces méchantes filles n-avaient pu la souffrir seulement
beRe ; or on présume aisément qu'il leur fut plus impossible encore
de la supporter reine. Elles imaginèrent de s'annoncer comme les
plus habiles sages^femmes du royaume, et de parvenir ainsi à leur
but : ce qui ne leur réussit que trop bien. Elles Ke présentèrent,
forent admises et exigèrent que tout le monde sortit des appartc'
ments de la reine, soua prétexte qu'on pourrait jeter un sort sur son
enfantement. Étant donc restées ^utea, elles enfoncèrent une épin-
gle ensofcelée dans la tète de l'accouchée. Cette épingle la méta-
morphosa en un petit oiseati qui s'envolà, et une des deux sœurs
se mit au Ht h sa place. Le prince, averti de la naissance d'un fils,
Courut dans les appartements de sa femme , et resta stupéfait de tè
prompt' diangement. Elle , devinant sa pensée, prévint ses questions
et lui dit ! « Voye^-vous, sire, combien mek souffrances ont altère
« mes traRsf « Le roi f^goit de n'en avoir pas fait l'observation ;
maift «on cœur s« refroidit après qu'il «nt eontàmplé l'objet <!• e»tlê
f4cUeu«e mëtamorpboee. Il avait l'ui^age de déjeuner toujouM dahg
Bon Jardin. Un jour qu'il y était, à rêver aolitairemenf, il vit un joli
petit oiseau qui, a'étant approché, lui dit ; « Prince, la reine-inèm,
w le roi et le jeuqe prin<^ ont<iU bien dormi la nuit p«i«$e? » Sur la
réponse afIQiiiative du roi, l'oiseau répondit x m Que tous dorment du
» ^nim^il le plui dou]( ; mais que la jeune reine dorme d'un aom<i
» meil &IW9 réveil» et que tqug lea arbres que je traverse se sèchent. »
^n ^hevaut ces paroles, l'oiseau ieudit les airs, et partout nù i)
pASsa la yerdure et les fleurs s^ flétrirent, et tout devint arid#« lies
jardiniers, eHligés, demandèrent au prince s'd leur permettait de
tuer roiseau malfaisant i mais il It^ur défendit, «nus peine de mort,
de lui faire k moindre mf^U Durant une suitç de jours, le petit oiseau
revint, et la duuee voix du piinoe l'apprivoisa tellement, qu'il res»
tait sur ses genoux et déjeunait aveo lui. Cette familiarité donna
au Jeune roi l'occasion d'observer mieux U reste de son plumage s
il Tit sur sa léte une épingle* Cette découverte le frappa vivement]
il osa la lui arraclter, et sa véritable femme reparut devant lui beau*
coup plus belle encore qu'auparavant. Sa surprise et son trouble le
retinreiH pendant quelque temps immobile et muet i mais enfin ,
revenant i lui-même, il voulut s'instruire de la vérité, et se fit ra»
conter jusqu'aux moindres circonstances de cet étrange événement.
Pèa qu'il fut bien informé de toutes les ruses des deux méohantes
sœurSi il les fit saisir et len condamna l'une et l'autre à un supplice
bien digne du crime dont elles s'étaient rendues coupables. En vain
la sensible Bodia sollicita leur grAce par d'instsutes prièpea, le roi
ne se laissa piis fléchir) elle n'en essuya jamais que ce seul raflts.
Mais la dées^o I^iyctéris apparaissant h leurs yeux , et touchée de
l'aflliciion de sa fille adqptive, commua l'arrêt que la vengeance
dictait è son royal époux , en lui prescrivant d'ortrir aux deux eri'«
minelles le choix de périr ou de vkre témoins du perpétuel bonheui
de leur smur cadette, sans jemais pouvoir lui nuire. Ces envieuses
cré4tures ne terdèrent pas h mourir de jalousie.
lï: dracophage.
Il y avait une fois un roi qui avait trois fils et deux filles s voyant
approcher sa fin , il fit venir auprès de lui ses enfants pour leur
communiquer ses dernières volontés. U ordonna à ses fils de venir
. prier sur sa tombe chacun en particulier trois nuits de suite après
sa mort, et à ses filles d'accepter les premiers qui se présenteraient
268 GRÈCE CONTINIsNTALE BT MOREB.
pour époux. 11 expira bientôt après, et ses enfants s'empressèrent
d'exécuter ses ordres. Aux approches de la nuit, Patné le premier,
tenant en main des cierges , alla réciter de longues prières sur la
tombe du roi son père. Revenu cliez lui après avoir rempli ce devoir
religieux , le premier objet qui frappa ses regards fut un liomme
nialbeareuxy malpropre et infirme, qui, se présentant hardiment ,
lui demanda la main de sa sœur. Les deux plus âgés des frères ,
voyant sa misère, voulaient lui refuser la main de leur sœur, allé-
guant que si leur père vivait encore, il ne consentirait jamais à une
pareille union ; mais le troisième, qui était plus sage et plus géné-
reux , prouva que c'était mépriser les dernières volontés du roi que
de refuser le premier venu, et de cette manière il fut décidé, do
consentement commun , de l'accorder à cet homme Le lendemain,
à la nuit tombante, le cadet se rendit pareillement à la tombe, et,
après y avoir rempli son devoir, il retourna k la maison , où il
trouva un homme bien pire que le premier qui lui fit la même pn>-
position pour la sœur cadette. Les deux frères hésitaient bien plus
sur ce quMls avaient à faire ; mais le plus jeune finit de nouveau par
les persuader, et ils marièrent aussi la seconde. Alors le jeune prince,
satisfait d'avoir été l'organe de l'exécution des ordres de son père,
se fit donner à son tour des cierges, et s'empressa de se rendre à la
tombe ; mais la prière n'était point encore achevée qu'un vent vio-
lent étant survenu , ses lumières furent tout à coup éteintes. Réduit
à Tobscurité la plus profonde, il promenait ses regards autour de
lui avec inquiétude, lorsqu'il parvint à distinguer au loin une grande
et vive lumière ; il s'achemina avec empressement de ce côté, qui était
beaucoup plus éloigné qu*il ne lui avait d'abord paru à cause de la
nuit. Malgré ces difficultés, le prince, sans se déconcerter, avançait
toujours. Bientôt il rencontra dans l'obscurité unefemmequ'il pouvait
à peine distinguer. Sur sa demande, par quel hasard elle se trouvait
à cette tieore-làdans un endroit aussi écarté, elle répondit que c'était
là sa place, parce que c'était elle qui gouvernait le jour et la nuit,
en tenant dans ses mains deux pelotons, l'un blanc et l'autre noir,
qu'elle dévide successivement à mesure qu'elle veut produire l'obs-
curité ou la lumière. A cette annonce inattendue, le prince se mit
à la supplier de dévider le fil noir un peu plus lentement, afin qu'il
eût le temps nécessaire pour terminer ses prières avant le jour.
La déesse lui objecta qu'elle ne pouvait agir contre les lois de la
nature. Prenant alors le parti de la force, il la lia à un arbre, et,
s'emparant de ses pelotons, il continua son chemin. Après une
course bien pénible , il arriva enfin au lieu d'où partait la lumière.
Là, à son grand étonnement, il trouva quarante dragons couchés
LE DRACOPHAGE. 269
sur la terre ; et surveillant une chaudière d*nne grandeur énorme qui
bouillait sur un grand feu. A cette vue, sans penlre courage» il
enlève d'une seule main la chaudière, allanne ses cierges et la remet
sur le feu. Les dragons , étonnés d'une pareille force, l'entourèrent
aussitôt et loi dirent: « Toi qui as la force de lever une chaudière qu'à
peine nous pouvons porter à nous tous , tu es le seul capable d'en-
lever une fille que nous tâchons depuis si longtemps d'avoir entre
nos mains, et qu'il nous est impossible de saisir à cause de la grande
hauteur de la tour où son père la tient enfermée. Snis-^nousdonc!»
Le prince Tit l'impossibilité où il était d'échapper à ces monstres. Ac-
compagné des quarante dragons, il se rendit près de la tour ; et, après
l'avoir bien examinée, il se fit donner de grands clous qu'il enfon-
çait dans le mur en gûise d'échelle, et qu'il retirait à mesure qu'il
montait, afin que les dragons ne pussent le suivre. Parvenu à la plus
grande hauteur, où se trouvait une petite fenêtre par laquelle il pou-
vait à peine entrer, il proposa aux dragons de monter de la même ma-
nière qu'il l'avait fait lui-même, chacun à part : ce qu'ils firent; de
telle sorte qu'il eut le temps de tuer le premier qui seprésentalt pendant
que l'autre montait , et de le jeter de l'antre o6té de la tour, où il
y avait une très-grande cour, un jardin superbe et un château ma-
gnifique. S'étant ainsi défait de tons ses incommodes gardiens , il
pénétra seul dans la tour pour voir si ce que les dragons lui avaient
dit était vrai. En effet , à peine introduit dans les appartements, il
vît dans an salon magnifique uo lit très-riche sur lequel était cou-
chée une Jeune personne qu'on pouvait nommer plutôt une divinité
qu'une mortelle. A sa vue il se sentit brûler d'un amour si ardent,
qu'il s'approcha involontairement du lit, leva le voile qui la couvrait,
lui donna un baiser sur le front, échangea sa bague contre la sienne,
et sortit aussitôt de la même manière qu'il s'était introduit. La jeune
fille, entendant du bruit autour d'elle, ouvrit les yeux ; mais elle eut
à peine le temps d'apercevoir le jeune prince, qui se pressait d'arriver
sur la tombe de son père, qu'il quitta après la fin de ses prières pour
aller délivrer la déesse de la nuit et du jour qu'il avait liée, et lui re-
mettre ses pelotons pour la continuation de son trayail. Toutes ses af-
fairesétant achevées, il retourna dans la maison paternelle, rêvant à ce
qui lui éfait arrivé pendant cette nuit. Mais laissons pour le moment
le prince se reposant de ses fatigues , et voyons ce qui arriva dans
le château. La princesse à son réveil commença par demander à ses
suivantes et aux gens de sa maison pourquoi ils avaient permis l'en-
tn^t! de la tour à nn inconnu pendant la nuit ; mais tous s'excusant
leur mieux et prouvant qu'ils n'ayaient pas la moindre connaissance
de l'aventure, laprincesftc se rendit dans les appartements dv^ roi son
13.
370 GRÈCB C01IITINWTAI.B KT MOEBE.
p^, «t lai racoQta tout ce qq! «'éUit passé • m le priant da faûrt
les reclierches oéceft«aii«s (loiir décoavrir Ttiomn^ MMt bardi pour
oser s'introduire dans ses appartemeats. La roj, irrité da ca qp*il
venait d'entendre , fit venir le portier de la tour et lui demanda avec
colère pourquoi il avait permis à Tétraufler l'entrée du cbAtean»
exigeant sous peine de mort que ce malheureux lui dévoilât tout ce
qu'il savait là-dessu». Le portier jura qu'il n'en avait pas la moio^
dre connaissance, et» se donnant pour otaie il on venait à lu
reconnaltie coupable , il ajouta qu'à sa gmnde surpriai il avait
aperçu le matin les quarante dragons , qui depuis si longtemps
tîclkaient d'enlever la princesse, étendus merts dans la oour, l^e
roi courut aussitôt pom* voir ce prodige de ses piepree yeux ; nt •
persuadé du fait , il i^ndit grAoe au ciel 4e eet événement auaai
heureux qu'inatleudu, et pria Dieu de lui découvrir celui qui
l'avait délivré de tant d'ennemis, dans l'intention 4e lui donner
en mariage sa fille, qui lui assurait pouvoir reconnaître le jeune
homme dès qu'elle le verraitr Le ro|, rassuré par les paroles de
sa fille f résolut de donner de grandes réjpuissances et des fêtes
magnifiques avec tous les divertissements les plus dignes d'attirer la
curiosité des étrangers, il publia l'annonce de ees Itttes en disant
qu'il priait ceux qui se rendraient ches lui, pour prendre part k cea
réjouissances, de lui raconter pour toute récompense l'histoire de
leur vie. Aussitôt que cette annonce se fut répandue, il y eut grande
affiuepce tant des états voisins que des pays l.s plus éloignée, Lea
trois princes, informés de la magnificence de ces fêtes, se décidèrent
aussi , comme les autres, soit comme voisina, soit pour les liaisona
amicales que leur père avait eues avec le roi, de s'y rendre, et de
raconter tout ce qui leur était arrivé durant leur vie. Après s'étra
amusés pendant quelques jours dans le cbAteau, au ntoment de par»
tir ils eurent chacun une audience particulière du roi, qui, au récit
du plus jeune des princes , reconnut bien vite les circonstances que
sa fille lui avait racontées; mais il voulut, par précaution, la con«
fronter avec le prince, qu'il invita è dîner avec ses deux frères. £n
effet, dès que sa fille le vit, elle le reconnut» et, s'approchent de
son père, elle l'assura que c'était celui-U noéme qui était entré dana
sa chambre pendant la nuit; mais le roi, pour s'en assurer davantage,
demanda au jeune prince la bague qu'il portait , et reconnut l'é-
change. 11 lui proposa aussitôt la main de sa fille et la succession
au trône , ce qu'il fit en présence des deux frères aines, te bonheur
des nouveaux mariés dura quelque temps ; mais ensuite il fut trou«
blé de la manière suivante. Un jour que la princesse était coucUée
à côté de s(m mari» celui-ci remarqua paruii les cheveux de son
^pouM une petite c^ef id'ort Ëxoité p»r la eurioMté, peut-âtra aiisii
par Je soupçon jaloux qiia catte clef ne cachAt quelque mystère,
il la délia aye<: beaucoup d'adresse, et chercba à «'auqrer si allé
ne poQf ait point g*ajii8ter h quelqu'une des diiïérenteè serrure a des
wevbles de rappartement; eufip, après avoir essayé partout, il ne*
nuii^ua uue armoire dont la serrure était tièS'petite ; il y mit la
clef, et la porta s'ouvriti D'abord 11 ne pouvait rien distinguer k
eause de l'extrême obscurité; ensuite, ayant entendu des plaintes
et des géipissemeots, il se mit à fouiller partout, persuadé qu'il
était d'avoir attrapé son rival. A force de cbereber, il trouva un
anneau appliqué à une plaque de marbre. Il le tira et vit surtir
un noir d'une (igure hideuse qui , monté sur un clieval ailé, k peine
hors de sa prison courut dans les appartements de la princesse,
la fit monter sur son cheval, et s'échappa du chAteau an uu aliu
d'œil, Le prince, au désespoir du résultat de ses ri'eharohea, anurut
les larmes aux yeux cbe^son beau^pèra, et lui raconta révénament,
ep la priant de trouver las moyens d'y remédier ; mais le roi, déses*
pérant de ravoir une autre fuis sa fille, lui reprocha son imprudence
en lui déclarant que ce noir était le plus habile des magiciens di|
siècle, et que par conséquent tout effort contre lui serait inutilaf lia
jeune prince, au lieu de perdre courage, résolut de faire Timpossibia
pour parvenir h ravoir une femme qu'il aimait plus que lni-«ème«
Il mit sur ses épaules un sac qu'il remplit de pain pour unique
provision, et partit i^ans savoir lui même où il allait précis^mantt
Aprèâ une longue course, la nuit l'ayant surpris prèsd*uo grand cb4«
tesu, il s'y arrét^. Près de 1^ une esclave puisait de l'eau à une
fontaine; il lui en demanda, et, après avoir apaisé sa aoif, il la
pria de demander de sa part è la maitresse du château la permis*
sion d'y passer la nuit. Cette permission lui fut aocordée; et l'es-
clave ayant jyouté que sa maîtresse le puait de monter pour souper
avec elle , il accepta cette aimable invitation, et monta che» ellai
Mais quelle fut sa surprise lorsqu'il reconnut sa smur atnéa! Il na
imuvait en croûre ses yeux; il l'embrassa, lui demanda ce qui s'était
passé depuis leur séparation, s'infurma de l'iieureuse situation dans
laquelle il la trouvait, et , satistait d'avoir été la première cause da
sa bonne fortune , il se mit à lui raconter aussi son bonheur passé
et son malheur actuel , et à lui demander des conseils sur ce qu'il
avait è faire pour parvenir à son but. Sa sœur s'efforça par toua les
moyens possibles de le détourner de son entrei^rise. Mais, voyant
«on entatement , elle lui dit d'attendre au moins le retour de son
mari, qui était le roi de tous les oiseaux, lui faisant entendre en
laènie temps que ce puissantlmonarque pouvait, à la suite d'un
i7t GRÈCE CONTlNENTAte BT MOREE.
éomeil avec ses sojets, le tirer de rembarras où il se trooTait. Le
prince attendit donc avec inupatience le retoar de son bean-Trère ,
qui , ausailôt sa rentrée au cliâteaa , fit assembler tons les habi
tants ailés de l'air, et se mit à discourir sur le sort futur du jeune
prince. Mais aucun oiseau ne sut lui dévoiler l'avenir, à l'exception
d'un vieil aigle boiteux qui avait le don de prophétie , et qui s'ap-
procha et dit à son roi que lui savait très-bien le lieu où se trou-
vait le noir avec'la princesse, et qu'il pouvait même porter le j^ne
homme jusque-là, mais qu'il ne promettait pas de pouvoir l'atteindre
en vitesse ; car le cheval ailé avertirait sans faute le noir de Ten-
lèvement de la princesse. Au lieu de perdre courage, l'amoureux
prince, enchanté de l'espoir qu'on lui donnait , n'attendit pas même
le retour du jour. Il monta sur l'aigle, qui le porta à l'endroit où se
trouvait sa femme. A l'entrée de la cour, il vit un magnifique châ-
teau et un jardla superbe; et en entrant dans le parc , le premier
objet qui frappa sa vue fut sa femme assise sous un bercean7 tout
en denil , pâle, dé&ite et pleurant sur le sort cruel qui l'avait se*
parée de son bien-aimé. En le voyant , quoique hors d'elle-même
à cette rencontre inattendue, elle s'empressa de le conjurer de fuir
ce lieu funeste, parce qu'il risquait de perdre la vie. Mais celui-ci
répondit qu'il préférait mille fois la mort à sa séparation. Il la fit
monter précipitamment sur l'aigle , et partit en l'emmenant avec
^ni. Ils étaient à peine sortis du cbftteau que le noir, averti par son
cheval de l'enlèvement de la princesse, vint comme un éclair, la
reprit et mit en deux pièces son époux. Le bon aigle le porta alors
chez son matlre , qui unit les deux morceaux de adù corps, lui versa
de l'eau de l'immortalité et lui redonna la vie en lui recommandant
de ne plus pensera sa femme, car il ne répondait pas de lui ; mais, sans
donner la moindre attention aux paroles de son beau-frère , il se mit
en route pour trouver le moyen de parvenir de nouveau à son but.
Après avoir marché toute la journée, il parvint, à la nuit tombante,
auprès d'un château pareil au premier pour la magnificence; et, s'y
étant arrêté, il demanda l'hospitalité à une esclave qui puisait aussi
de l'eau à une fontaine. L'esclave demanda la permission de sa mal-
tresse, qui le reçut de très-bon cœur, et l'invita aussitôt à souper. A
leur grand étonnement, ils se reconnurent encore pour frère et sœur,
et set racontèrent mutuellement les événements de leur vie depuis leur
séparation. Le voyageur confia alors à sa secdnde sœur son projet,
dont elle tâcha de ie dissuader par Ions les moyens en son pouvoir.
Mais tout fut inutile, son parti était pris; elle lui conseilla alors
d'attendre le retour de* son mari , qui , étant le roi de tous les ani-
maux , pouvait lui donner quelques secours. Son b<«au-fr^re revint
LE l^RAOOPHAGE. 273
bientôt et tâcha de lui démontrer à combien de dangers il allait
g*expo8er. Mais, le voyant ferme dans sa résolution , il lui promit
de le tirer de cet embarras s'il persistait à avoir la même résigna-
tion et la même intrépidité. « Le seul moyen, loi dit-il, de reprendre
votre femme est de vous procurer un cheval ailé tout pareil à celui
da noir. » A cet effet, il lui indiqua une grande montagne qui n'était
pas trop éloignée du chftteau , et qui accouchait tous les ans d'un
cheval de la même race que celui du magicien , lui conseillant de
s'y rendre armé de courage, car cette montagne était surveillée par
une quantité prodigieuse de bétes féroces qui ne laissaient appro*
cher personne. Il promit de lui procurer un soporatif à l'aide du-
quel il endormirait ces bétes; mais cela encore ne suffisait point,
sans une grande patience et de la force pour dompter le cheval qui
naîtrait de la montagne. Le prince , muni de son soporatif et bien
ferme dans sa résolution , partit enchanté de la maison de sa sœur
et se dirigea vers la montagne , où, à peine arrivé, les bétes féroces
se précipitèrent sur lui pour le dévorer ; mais la prévoyance de son
beau-frère le sauva, par le moyen de la potion soporifique, qui frappa
aussitôt d'assoupissement tous les animaux, et lui donna le temps né-
cessaire pour attendre Taccouchement de la montagne. Il eut la pa-
tience d'attendre quarante jours , pendant lesquels il y avait des
tremblements terribles et des secousses auxquelles à peine il pouvait
résister. Malgré toutes ces épreuves il attendit avec la plua grande
intrépidité le moment des couches, qui n'eut lieu que le quarantième
jour. Le cheval ailé parut enfin ; le prince courut sur lui sans
perdre de temps, lui mit un frein, et, finissant par le dompter,
monta sar son dos. Le cheval essaya d'abord de se débarrasser de lui
en sautant trois fois aussi haut que la hauteur de la montagne et
s'abattant avec la plus grande rapidité ; après cette épreuve, voyant
que l'homme qu'il portait était un être surnaturel, puisqu'il savait
résister à tons ses efforts, au lieu de s'irriter et de se roidir inutile*
ihent, hennissant d'orgueil, il se laissa conduire tout à fait par son
courageux guide, qui le mena directement au chftteau du noir, sous
le berceau où était assise sa femme la première foisqu'il l'avait vue. Il
la retrouva à la même place dans un état beaucoup plus déplorable, soit
par le chagrin que lui causait la privation de son mari, soit par les
importunités et les violences que lui faisait le noir ; omis lorsqu'elle
le vit sur un cheval pareil à celui de son ravisseur [elle commença
à espérer et à se préparer pour le départ, qui fut effectué aussitôt et
sans aucun danger : car le noir, quoique averti de leur fuite, ne put
les rattraper malgré tous ses efforts, la légèreté et la jeunesse du
chevalde son adversaire surpassant la vites«ede sa propre monture.
874 GRÈGE C4MTfl«|B«TMS Wi MOREE.
L£ P£TIT ROUGET SOBCIER,
11 y avait une foii ua pauvre péclieur qui n'avait d'autres r^daoïiKseï
pouc vivre que le ineau pruduît de sa Uko^* TiHia iaa jours i\ alNt m
^u rocbar au bor4 de la iner et a>iïurçait 4'«(tra|)«f qu^quea poiat
aons avec lesquaU imi femioe prétMuait kw frvsa| repart Un jour
qu'à aon ordinaire il était k p^ciify jl ae put attraper» aprèa Ue^
des eiïQits, qu*qi) trèa*petit rouget q»*il jeta 4aas la mer par mépria
pour son ei^trôine |)^titesae ; il le lapéclia trois &i« et lo rejeta de
même dam Teau i à la An, le petit poisson s'atta^l^ant t^ours k «i
ligne , le pauvre p4cUeur, désespéré de ne pouvoir appartar ilei\
autre cbûse dans sa hutte, se décida h k garder et à le falro bouil-
lir pour tf^mper au moins sa femme , eu attendant mieux ^ jour
avivant. Mors le rouget, sentant qu'il allait étro décidément sacrifié
au% besoins d^ la pauvre famille , dit au pécheur do l'épargner
encore pour cette fois, et qu'il lui promettait dç le rendre iîeoreui
en récompense de ce bienfitit « pourvu qu'il revtnt lo lendemain aq
bord de la mer et qu'il l'avertit de son arrivée, lie pêcheur frappé
de ca miracle lui accorda la liberté , et l^ lendemain i ^ rbeur«
Tuée, il se rendit au rivage et l'appela k haute voii^. Le poiàson ^
montra aussitôt à la surface de i*çau et lui dit do prendre un bai
teau, de le suivre et d*étendrf ses filet» à la pUce qu'il allait lui in*
diquer. Le pécheur suivit exactement ses çon^ilsi et jeta &ns filets
à l'endroit où le petit poistîon s'arrétd i 4U moment de les retirer,
ils étaient tellement remplis des poissons lea plqs eyquia qu'à peina
il parvint k les charger dans le bateau» Rempli de joie de cabon<
heur inattendu, il se mit à table avec sa femnie et t après avoir
mangé du poisson en abondance j il vendit le reste et gagna une
somme considérable. Enchanté de aa bonne fi^rtuoe, il remercia
de bon cœur le rouget de tout le bien qu'il |i|| faiaait. Celui-ci
lui dit de venir tous les jours h la même heure i et qu'il lui pro»
mettait de le mener à des endroits oii il ferait ^ fortune en trè^
peu de* temps $ et, effectivement» en suivant la môme méthode peu?
dant quelques jours, il parvint à acheter une mai^n, à la meubler
convenablement et à recevoir une nombieu&e société . Son bonheur
dura pendant seulement quelque tempa, joaqu'à cd qne l'envie qui
s'fittache de préférence h la fortune qui vient rapidement , vint
troubler cruellement leur repos. Parmi les femmeaqnl fréquentaient
leur société, il s'en trouva plusieurs qgi , jalouaea du bonheur de
cette famille, demandèrent un jour à leur nouvelle amie par quel
hasard, étant auparavant la plus malheureuse de toute la ville» elle
Lfe I^Eflt nODGEt SORCIER. 275
étirit |Mtrvena« à avoir tant de ricliesses en si peti de temps. Elle
îeat assura que sa fortone venait de la péclie extrêmement lucrative
que faisait son mari depuis quelqae temps. Ce$ méchantes créatures
kfi obj«clèttstit qaéceià était impossible, attendu la nature des lieux
et dès choses, et qu'elles étaîeut certaines que son mari était sor-
cier, et que c'était à ées maléfices qu'il devait Tacqu^sltion subite de
ses richesses, lilf eouseUlant aussi, en femme honoffe qu'elle était,
de rejeter deft trésor^ acquis par le sortilège et llmpiété. La bonne
femme, ajoutant foi à leurs paroles , se mit à importuner inces-
saïkintent son mail et k le prier de lui confier la manière par la-
quelle il faisait fta fortuné, en lui disant qu'elle serait sans cela bien
malheureuse. Le pèdieur, voyant la faiblesse de sa femme, lui ra-
eonta de tkHine foi toute sou aventure , et lui'fit enteudre à la fia
qu'an petit poisson était la seule cause de leur boutieur. t;elle>ci,
extrêmement eontente d*avofr tout appris, courut aussitôt dévoiler
ce aecr^ à set perfideê amies pour prouver iMunocenee de son mari ;
mais ces méchatiiei femmes, au lieu de la tranquilliser, après
avuif satisfait leur CttHoSité, rassurèrent que c'était précisément là
<|U'elle8 voyaient le sortilège, et que, pour s'en assurer eHe*môme>
die devait dire ii sou mari de lui apporter ce poisson , et , après
l'avoir man^, de voir H son bonheur continuerait. La femme du
fiécbeur, dans «a 9imt»llcité, crut de nouveau h leurs intrigues , et
dit* à son mari que le rouget n'était qu'un magicien déguisé sous la
iMte d'au petit poissoU, et qu'elle ne souffrirait pas que leur fortune
tint d'une source ftuësi impure; qti'eile le priait donc de le prendre
et de le fiiire êervir à dîner, ou bieu qu'elle mourrait de chagrin.
iuB marî fit tant dun possible pour lui démoutncr que sa demande
■'avait pas le sens commun , et que c'était bien cruel à elle de
vouloir la perte 4e ma bienfaiteur ; mais , voyant que sa femme,
qu'il aimait plus que lui>méme , pleurait et se lamentait , il se
^lédda avec douleur è se rendre au bord de la mer pour confier au
^gei les inquiétudes et les exigences de sa femme, à laquelle il
serait forcé de céder si le rouget ne lui iudiqnait qtielque remède.
ie bon rouget 4 au lien de le détourner de cette cruelle résolution ^
M ounaeilla de le Mre couper en trois morceaux égaux qu'il par-
Rigemit entre »a femme » sa jnmeut et sa chienne, et de planter la
yiaae dans le jardin. Le pèdieur Sépara ftvee beaucoup de chagrin
tepoiasoh en trois, tu partagea selon ses ordres, et, aussitôt, toutes
les trois ftireut fSeoudé^s, el^ dans le t4<mp9 prescrit, elles accou*
sbèrent cltaeuue de deux fumeaux tout à ftiit ressemblants ; en
Siéma temps la queue donna naissance à deux eyprès de la même
pandior. Les diux Ms uriiidissaient duus la matsau paternelle.
276 GRECE CONTINENTALE ET MORÉE.
Bieotôt l'allié voulut vovager pour connaître un peu le monde;
mais, craignant une opposition de la part de ses parents, il ne contla
son dessein qu'à son fière , en lui disant que, tout le temps qu*il
verrait Tun des deux cyprès fleuri, il serait bien portant, et que»
lorsqu'il le verrait se faner et sécher, il serait près de sa perte.
Après avoir pria congé de son frère, il monta sur l*un des deux che-
vaux de. la maisoD et partit. Après un voyage de quelques jours, ar-
rivé dans une grande ville, il descendit dans une auberge pour se
donner le plaisir d'observer les curiosités que cette ville offrait
aux étrangers. En s'informant de Tétat du pays, il apprit que
1^ roi était le meilleur homme du monde , et qu'il était très-aimé
de ses sujets , mais que la ville était sujette à un très-grand mal-
heur. La fille du roi ,' qui était son unique héritière , avait la manie
de frapper de folie tous ceux que son esprit lui indiquait, par le
moyen suivant : elle se montrait tous les soirs sur un balcon
qu'elle s'était approprié à cet effet, et, en invoquant les étoiles,
elle se faisait un jeu de la tranquillité de ses sujets, qui risquaient
tous de s'attirer cette affreuse maladie sitôt qu'ils étaient remar«
qués de la princesse. A ce récit , le jeune homme étonné attendait
avec impatience la nuit pour voir de ses propres yeux la princesse
qui se faisait si fort redouter par sa puissance surnatorelle : à peine
lit-il obscur qu'il courut du côté du château , et le premier objet
qui frappa ses regards fut la princesse enthousiaste et f«*isant dif-
férents signes sur son balcon ; asssitôt il y monta , et la prenant
par les cheveux il lui dit : — « Jure-moi que dorénavant tu ne feias
plus ce vilain métier, ou dans l'instant je vais te tuer. » CelleHsi ter*
rifiée du danger qu'elle courait jura , dans sa frayeur, que pendant
toute sa vie elle n'essaierait plus ses maléfices; et le jeune homme,
après avoir fait cette bonne action, retourna précipitamment à l'au-
berge où il était logé. La princesse, de son côté , alla chez son père
et lui raconta ce qui s'était passé, en l'assurant qu'elle était tout à
fait guérie de sa passion , après le serment qu'elle avait fait devant
l'homme menaçant qui l'avait surprise. En conséquence le roi, pour
tranquilliser ses sujets , publia aussitôt le récit de la guérison de sa
fille , en ordonnant que tous ses sujets aussi bien que les étrangers
qui £e seraient trouvés dans la ville depuis la veille eussent à passer
sous ses fenêtres , voulant de cette manière reconnaître l'individa
qui lui avait rendu un service aussi important. Il ordonna aussi à
sa. fille, qui assurait pouvoir le reconnaître dès qu'elle le verrait,
de tenir dans ses mains une pomme , qu'elle laisserait tomber sur
celui qu'elle croirait ressembler au jeune homme. Cet ordre ayant
été publié , l'aubergiste avertit le voyageur dt robligation où il
LE P£TIT ROUGBT SORCIER. S77
trouvait aussi de se rendre aux ordres du roi. Celui-ci tâcha d*abord
de réfiter ; mais , voyant qu'il était forcé de le Taire, il vint défiler
comme les autres sous les croisées du palais. Mais la priDcesse, qui
le remarqua dans la foule, lui jeta aussitôt la pomme , et le roi or-
donna aussitôt à la garde de le saisir et de le faire monter au clià«
teau. Arrivé en la présence du roi , et quec^^ionné sur sa naissance
et sur le motif qui Tavait porté à la bonne action qu'il venait de
faire, le jeune homme répondit simplement : qu'il était étranger, et,
qu'ayant appris dans cette ville le malheur auquel elle se trouvait
exposée , il avait aussitôt conçu et exécuté le projet de guérir la
princesse du démon qui la possédait, au risque de sa propre vie. Le
roi , charmé de la hardiesse du j«une homme , le remercia en lui
rendant de grands honneurs , et lui proposa la main de sa fille ; mais
celui-ci la refusa nettement , alléguant pour motif le désir qu'il avait
encore de courir le monde. Le roi sentit une vive douleur de la réso*
lution du courageux voyageur ; mais, ne voulant pas contraindre les
goûts du bienfaiteur de son royaume, il lui permit départir, après l'a*
voir comblé de présents. Le jeune homme, après un assez long voyage,
arriva dans une ville plongée dans le deuil ; il en apprit bientôt la
cause. Cette ville était privée d'eau à cause d'un monstre qui en sur*
veillait la source, et empêchait les habitants d]y puiser. Pressés par
le besoin, les habitants étaientdans l'usage de désigner au sort tous les
ans une iille parmi les plus jeunes de la ville et de l'abandonner à
la voiacité du monstre, qui, alors tout occupé de sa proie, donnait
assez de temps aux habitants pour faire leur provision pour toute
l'année. A cette nouvelle, le jeune homme, passionné pour les
grandes et périlleuses entreprises , et mu par un sentiment de oom*
passion pour ces victimes innocentes que le besoin général arracliait
à la vie , à la fl^ur de l'Age et par les plus terribles tourments, ré-
solut de rester près de la fontaine jusqu'au moment où le monstre
sortirait de son repaire pour dévorer la jeune princesse; car c'était
sur la fille unique du roi qu'était tombé ce sort malheureux. Il resta
donc jusqu'au moment où la foule se dispersa; et lorsque la jeune fille
fut tout à fait seule il s'approcha d'elle, et lui dit de se retirer pour
qu'il la remplaçât : mais elle répondit que c'était impossible , car
elle avait pitié de lui ; et que d'ailleurs tout le monde dirait en-
i>uite que pour les autres filles il ne s'était pas trouvé de défenseur,
et que, pour elfe qui était fille de roi, il s'en était présenté. Mais le
jeune homme, épris de sa beauté et charmé des sentiments géné-
reux qu'elle montrait d^ns un danger pussi imminent, fit tant qu'il
finit par lui persuader de partir et de retourner chez son père. Quant
à lui, il se mit à l'entrée de la fontaine, attendant l'arrivée do mon*
24
i78 GRÈGE CONTINENTALE IT HOREE.
fttre, qui avait i peine montré sa (été liors de la source, que VinitépMe
jeune homme fondit sur lui Tépée à la main et lui coupa la tète.
Il ouvrit aoBsItdt la gueule do monstre, en détacha les sept langues
qu'elle avait , les garda et Jet> ^ ^^^^ ^^ milieu de son chemin efi
rentrant dans la ville. Un mallieoreui charbonnier, passant prèn de
là, trouva la tdie et a*eu «impara ; ayant rencontré aussi la princesse
sur le chemin de la ville, et l*a)fant reconnue, il la prit avec lui et fa
contraignit, sous peine de la mort la plus prompte, à lui jofer qu'elle
assurerait que c'était lui qui était son libératettr, qu'il avait tué le
monstre , et quoi par reconnaissance, elle le voulait pour épotlx.
La malheureuse princesse, ftircée de laire ce triste serment, refotimsi
chex son père, qui, à la vue de sa fille Irien^aimée, rendit grâces à
Dieu et demanda où était sou libérateur pour le récompenser. Elle
répondit que c'était le charbonnier qui tenait la tète do monstre ,
et pria son pève de le lui aoconier pour épout. Le roi , quoîqtte
bien (âché du clioix de sa fille, Ue put le Idi remiser, car fi Itil
avait sauvé la vie, et 11 commença à préparer les ttoces et k fuire
de grandes Invitations. Le Jeune homme, éionhé de tt qui se pas*
sait, voulut voir de ses propivs yeox l'imposteur qui trompait aussi
impudemment tout uti royaume* Il se procura ddno^ eiifrée an
palais^ où 11 se fit présenter au futur de la princesse; mais, à sa
grande surprise, il vit un homme grossier^ notr, et tout à fait in*
convenant pour la fille d*uii roi. Plein d'indignaliofl, il lu) dessanda
où était la tète du monstre qu'il avait tué , disfllit qu'il était curieux
de la voir : l'imposteur courût avec la plus grande effronterie dans
ufl autre appartement et la loi montra comme en triomplie ;
mais k jeune liomme sortit de son manteau les sept langues » et «
les elostaMt à la gueule du monstre, pria le roi lui«niém« de venir
examiner cette télé et de se rendre ]uge dans cette afiaire» Le roi
étonné de cette contestation fit veair sa fille, et lu menaça de sa ma-
lédiction si eiie ne lui disait toute la vérité, et quel était en effol le
véritable exterminateur. La prinoesae se vit alors forcée de conveatr
de tout, d'autant plusqu'elle cra gnalt de se voirengagée à un liomine
tout à fait indigne de son amour. Le roi fit aussitôt exiler le cliar«
bonnier, ne voulant pas le punir plus sévèrament dans un jour de
si grande réjouissance pour sa famille et pour tout son royaume |
et il unit sa fille à son véritable libérateur, qui en était éper-
dûment anaoureux. Plusieurs jours se passèrent daus les réjouis->
sauces* La princesse , qui n'abandonnait pas im seul moinent sou
époux , voulant un jour ae baigtier, lui proposa, pendant sOn ab^
senoe, d'aller se promeuer dans les appartements du cliAtean qu'il
D*«vailp«a euuore vus) il y eouseutit, eti s'avan^nt daua i'Hilé*
1% PKTIT ROUGET SOliCIKm. H/O
rieur, il remarqua un corridor à t'eiitrénaité duquel était une porte :
il l'ouvrit» et?it4 son grand étoiinenient une plaine trèa^vaste,
remplie de marbrea, perlant une forme haroaine; cette vue Té*
tuDoa sans qu'il pût découvrir ce que cela signifiait. Se trouvant
dan^ cette perplexité, il vit arriver une vieille fomrae qui resaem-
blait k unfi fée. Il s'en approcha, la aaNia avec heaueoup de respect,
et sur son invitation il s'assit à côté d'elle pour se délasser, dans
Tespoir d'apprendre ce que signifiait cette multitude de statues de
marbre. La vieille lui offrit une baguette qu'elle tenait, pour Taider
à s'asseoir; il la prit avec la plus grande confiance, et resta aussitôt
pétrifié comme les autres. La princasse, de retour cliez elle et ne trou-
vant pas sou mari dans ses appartements, le fit en vain chercher
dans tons les envirao^; çlle ftoupçoppsi, mM^ Vop lard, qu'il était
tombé dans le piège de la vieille fée, dont elle ne lui avait pas dé-
voilé les secrets. Mais laissons ipi celte qoalbeureuse pripcçsse
pleurer sou époux victime de ^n imprudence^ et voyons ce qui se
passa pendant tout ce temps dans la maison du pécheur. L'autrç
ffla qui soignait tons les jours les deux cypiès vit tout d'un coup
l'an d'eniL ae fi^ner et incliner sa olme; il soupçonna aussitôt la
mort d« aoo ftira, ou du moins qaelqué grand danger, et aedéeid|i
À monter à cheval et k «uivre l9s traces de ^n fràre dans l'espoir d'aiHr
river à temps pour le secourir. Arrivé ddos la ville qui avait été té-
moin des premiers exploits de son frère, il y trouva le roi et le peuple
reconnaissants de tout ce que son frère avait fait pour eux , et 11
s'informa bien de la route qu'il avait prise depuis. Ayant tout sn
en détail » il eoumt se présenter au palais de sa belle*sœnr, où il
apprit «usai racoident qui ét^it arrivé h son frère- Malgré toutes
les objections que lui faisait le roi , i| s^ rendit aussitôt dans
le palais de la vieille fée, et parvint, à force de rechercher dans Id
foule des marbres h trouver celui qui avait la forme de son frère.
Tandis qu'il s'occupait à chercher les moyens de le faire Tessusci-
ter, s'il était possible, la vieille vint à sa rencontre, et s'assit en lui
offrant aa baguette magique pour l'aider à s'Asseoir aussi ; mais ce^
lui-ciy qui s'était bien informé d'avanee d^ sa aupercberie , au lieu
de prendre la baguette fit signe à son chien de mettre la vieille en mor-
ceaux, et de cette manière il se sauva et en s^uva aussi beaucoup
d'autres. S'étant ainsi défait de la vieille sorcière, il entra dans son
château et trouva heureusement, parmi les autres choses qui avaient
rapport h l'art de la magie, une bouteille dans laquelle il y avait de
l'eau de l'immortalité. S'en étant rendu maître , il alla d'abord faire
restuaeiter son frère, et puis toua lea autres, dont le nombre était
tellement considérable qu'il s'en for ma une nation entière qui le ohol*
S80 6RECB CONTINENT/ILB BT MOREE.
Bit aussitôt pour roi , paisqa'il était leur libératenr à tous. Son
frère retourna cbez sa femme, dont le père était déjà mort , et il
guccéda paisiblement an trône. Ainsi , les deux frères forent les
hommes les plus heureux du monde; et ils envoyèrent aussilôt
chercher leurs parents pour passer le reste 4e leur vie avec eux.
Voilà de combien de bonheur ftit cause le petit rouget sorcier.
XIV,
LA CLÎSOrKA. — BODONITZ A.
Dès que la pluie eut cessé et que je me fus un peu
séché , je quittai le khani de Gravia et remontai à cheval.
Le soleil avait reparu plus brillant que jamais et toute
cette belle vallée de la Doride, qui se développait sous mes
yeux avec son beau Cépbise, m'apparaissait plus verte
et plus féconde que jamais. Les flancs du Parnasse et du
Callidrome qui encadrent cette riche vallée sont revêtus
de toutes parts de ruines de châteaux antiques et de châ-
teaux du moyen âge. La position de Gravia , au débouché
d*un passage de montagnes et sur les bords de la Gravia ,
était trop importante pour avoir été négligée par les Hel-
lènes ni par les Francs ; aussi trouve-t-on près de Gravia,
d'un côté les ruines d*un château hellénique , et de l'autre
côté, plus bas, sur la montagne, les ruines à*un château
franc qui était peut-être celui du seigneur de Gravia qu'on
trouve mentionné dans les lettres d'Innocent III '. Un peu
plus loin en montant vers Dadi on aperçoit , près du vil-
lage d'Agoriani , les ruines de deux châteaux francs qui
commandent les deux sources du Céphise , et plus loin les
ruines de l'antique ville de Liléa. Le charme que j'éprou-
vais à parcourir au galop cette belle vallée m'avait fait
1 Voyez liy. xv, p. 610, lettre ^7, une lettre écrite au seignenr
de Gravia par Innocent TH.
VArXEE DE LA DORIDE. S8l
complètement oublier agoiate et guide, que j'avais laissés
cheminants avecd'antres voyageurs vers le Galiidrome. Près
du pont de pierre jeté sur le Géphise , je me retournai
pour les chercher et ne vis plus personne ; ils avaient dis-
paru à travers les replis des collines éloignées. Un paysan
qni labourait un champ voisin me dit que je m'étais égaré
de beaucoup et que je ne pouvais aller coucher ce soir^là ^
même h Bodonitza, qui est de l'autre côté du Galiidrome,
et il m'engagea à aller coucher à Dernitza , dans la mon*
tagne, au pied des plus hautes cimes, sur ce côté de la
Doride. Je suivis son conseil et reçus ses instructions. J'a*
vais à traverser cette vallée dans sa longueur, mais les prai-
ries sont verdoyantes et la beauté du temps avait donné de
l'ardear à mon cheval. Je laissai donc derrière moi les vil-
lages pittoresques de Mariolates et de Soubala , le Platanos
avec les ruines de son vieux château et le neigeux Parnasse,
et me dirigeai vers Dernitza. Le Galiidrome , entre les es-
carpements duquel est placé Dernitza , est d'une physio^-
nomie toute différente de la chaîne du Parnasse. Dans le
Parnasse tout est rocher, dans les chaînes du Galiidrome
tout est terre végétale , belles forêts de pins , gracieuses
pelouses jusqu'aux sommets les plus élevés. G'est à cette
composition de son sol que le Saromata doit son nom de
Galiidrome ou montagne aux beaux chemins. A moitié che*
min, entre Glonnista et Dernitza, à une demi-heure avant
d'arriver à ce dernier village, j'aperçus quelques ruines près
du chemin. Une petite ^lise chrétienne avait été élevée
sur les débris d'un temple païen ; mais, ^lise et temple ,
tout est en ruines aujourd'hui , avec la différence que les
grandes pierres helléniques subsistent encore pleines de
jeunesse , tandis que les murailles modernes ne laissent
plus que quelques traces chétives et de la poussière.
Il était temps que j'arrivasse à Dernitza , le temps s'as-
sombrissait avec vitesse; et à peine étais-je entré pour
prendre mon gîte du soir dans la maison qui me parut la
plus propre , tout en haut du village*, qn'nne plqîe violente
24.
S82 GRECE CONTINEKTALE ET MOREE.
recommença el dura pendant une bonne partie de la nnît,
La maison que j*avais choisie était bien abritée. Au*^ea*
•U8 de la bergerie , quelques marches conduisaient à h
partie habitable , dirisée en deux compartiments ; le com-
partiment des hommes et le compartiment des grains et
fruits. Je pris place an milieu de la famille dans le com-«
partiment des hommes , femmes et enfants ; je fis étendi^e
mon tapis, me fis servir d'excellent lait et quelques fruits,
et, au bruit de Torage qui battait mon toit hospitalier sans
0*y frayer passage , Je m'endormis du meiMeur des som*
meils.
I^s luttes de la tempête contre la sérénité du ciel dorent
peu en Grèce. C'est le soleil qui règne en maître; c'est le
beau temps qui est Pétat normal. Au moment où les mou*
tons , placés au^^dessoos de moi , s'échappaient avec em«
pressement pour aller prendre leur repas parfumé dans le^
herbages rafraîchis par Tolrage de la veille, je sortis à
leur suite pour respirer aussi Pair embaumé du matia, H
voulais revoir d'une vue de mi-c6te cette opulente vallée
de la Doride que j'avais traversée la veille. Je tournai en
descendant les deux ravitts verdoyants que cfttoie lo aeu*
tler et me dirigeai vers Giounista, Devant moi se dévriop**
pait avec majesté la chaîne du Parnasse avec ses sonamets
couverts de neige et dont les flancs accidentés préaeoteot
tantôt les villages blancs de Soubala, de Mariolates et de Pla^
tanos, untôtles ruines beiléniquesde Liléa, et tantôt le vieux
château franc placé derrière Platunos et les deux vieux
châteaux d'Agoriani aux deux sources du Céphise. Des ré-
servoirs sccrets-où s'infiltrent les eaux du Parnasse descend
doucement le Cépbise* qui traverse cette vaste plaiue dans
toute sa longueur, de l'ouest è l'est , pour aller ensuite de
nord au sud chercher le lac Copaîs près des marais situés
au pied d'Orchomène. La chaîne du Saromala, qui encadre
cette vallée sur l'autre rive du Céphise, a aussi son intérêt
historique et sa beauté. A une lieue derrière le viiiage de
Glounista j'apercevais!*, sur un monticule qui se détache
L\ cuaoumA. S83
des hnutes montagnes du CaUidroine , un château franc
fort bieo conservé et du plus heureux effet dans le paysage,
A Tôuest de ee château , et à Textrémité de la vallée •
s'ouvre la route qui conduit de Gravia aux Thermopyles
on plutôt un peu au delà des Thermopyles en passant entre
Elevterokhori et NevropoHs et entre les ruines d*Heraciea
et de Damasta pour aboutir , pris de la caserne , au kham
et au pont ancien d'Alamana. C'est par cette route que
passèrent, en remontant jusqu'à Elevterokhori et à Nevro-
polis et en redescendant de là par Drakospilia et près de
Palœo-Yani, le corps d'armée perse qui , sous Hydrastes,
tourna les Thermopyles et vint attaquer par derrière les
5,000 Grecs échelonnés derrière lea 800 Spartiates qui
sucQombaient si glorieusement aux Thermopyles en faisant
face au corps d'armée principal des Persea. C'est par cette
môme route aussi que passa le Brenn gaulois avec les siens
lorsque, tout fier du butin de l'Italie, de l'illyrie et de la
Macédoine , et ne po^ivant forcer les Thermopyles avec les
120,000 heaumes d'infanterie et 15,000 de cavalerie qu'il
tratnait, suivant Justin , après lui, il tourna le (^allidrome
et, traversant la vallée de la Doride, se dirigea le long de la
rivière de Gravia jusqu'à Topolias et de là jusqu'à Delphes,
Vn intérêt historique plus moderne me prescrivait de
prendre une autre route pour arriver aux Thermopyles.
Je voulais arriver par Dernitza à Bodonitza et suivre la
route qu'avait prise l'empereur Henri de Constantinoplc et
que suivit probablement aussi , un siècle plus tard , la
Grande*Gompagnie catalane en allant des Thermopyles à
Thèbes,
« Li empererea, dit Henry de Valeoeiennes continuateur
de Ville-Hardoin (en parlant de l'empereur Henry de Flan-
dres à l'année 1208), vint jesir à la Bondenice un mercredi
au soir. Dont passa la Closure , et Gripbon le vinrent en-
diner. Li empereres chevaucha tant que il est à Tbèbes
venus'. ^
« Pag. 294 de mon édition, k la suite de loes itslair<NMflllia<«
284 GRÈCB GONTINBFITAtE ET MOBEE.
Ce mot de Glosure m'avait semblé devoir être la repro-
duction du mot gre xXet«roupa , défilé ; mais où était celte
Clisonra ? c'est ce qu'aucune carte ne m'apprenait Arrivé
sur les lieux qui devaient en être voisins, j'interrogeai les
habitants de Dernitza et lâi j'appris d'eux que , pour aller
de Dernitza à Bodonitza , on passe entre deux montagnes
une gorge qui n'est en effet connue dans le pays que sous
son nom de Clisoura. Je fus tout à fait charmé de pouvoir
à mon tour passer la Glosure comme mes compatriotes
croisés 4 et montai à cheval avec bonheur pour aller la re-
connaître.
En partant de Dernitza , on continue è monter jusqu'à
ce que s'ouvre devant vous ce qu'on appelle ici un diaselo,
ou un port dans les Pyrénées , c'est-à-dire une ooyerture
étroite entre deux pics de montagne, d'où on puisse redes-
cendre dans les vallées. Les pics qui forment le diaselo de
Dernitza sont des plus gracieux et des mieux ombragés du
Gallidrome , et on ne l'a pas plutôt franchi pour pénétrer
dans la Clisoura, que se présente un'spectacle vraiment ma-
gique. Je m'étais imaginé ^trouver une gorge obstruée par
des rochers et des précipices , et je voyais une route ser-
pentant élégamment , bien qu'un peu rapidement, le long
d'un ravin creusé par un torrent , à travers une forêt de
pins majestueux, qui remontaient des deux côtés, du bord
du ravin jusqu'au sommet des hauteurs qui enserrent le
défilé. Dès les premiers pas , la vue , guidée par les deux
flancs de la montagne, se prolonge bien au delà des limites
du défilé. Là s'étend la jolie vallée de Bodonitza ; et tout au
milieu, surgissait, comme pour m'étre plus agréable, un pla-
teau surmonté du vieux château français des marquis de
Bodonitza. Mais ce plateau et ce château, qui sont jetés dans
la vallée inférieure, n'arrêtent pas la vue, qui se porte bien
au delà, et découvre la noler, la belle mer azurée de Grèce,
enfermée comme un lac entre le golfe Malliaque et le golfe
historiques, généalogiques et numismatiques sur la principauté
française d^Achaye,
LA CLISOURA. 285
de Talente, par la chaîne de TOthrys d'une part et par les
monts de TGubée de l'autre, et enfin, comme pour ajou-»
ter un dernier trait de perfection au tableau , le gracieux
canal d*£ubée s'ouvrant entre ces deux golfes et ces monta*
gnes, et conduisant Tœil jusqu'aux îles de Skiathos, Sko*
pelos et Skyros, et à la haute mer.
Je restai long-temps en admiration devant ce beau ta-
bleau , auquel ne manquait pas l'effet' du soleil , et je
m'engageai dans la Glisoura. La vue y est restreinte par
les courbures du rayin et par l'épaisseur de la forêt qu'on
a à traverser; mais, pour être plus rapprochée, la perspec«
tive n'en est pas moins fertile en beautés de toute nature,
tant sont féconds les flancs de ces montagnes où la végé* •
tation se montre avec la même puissance depuis les colli*
nés inférieures jusqu'aux croupes les plus élevées. En
sortant de la Glisoura , la vallée s'ouvre enfin dans toute sa
grandeur. Les Thcrmopyles continuent à gauche, les monts
de Garya à droite , le Gallidrome en arrière , et en face est
la vallée de Bodonitza ondulée de collines verdoyantes, avec
son château gothique siégeant fièrement au centre, etau delà
la mer, et un horizon de montagnes. Je conçus alors tout ce
que pouvait avoir d'importance le possesseur d'une pareille
seîgneorie, placé à la marche ou frontière de la principauté
française d'Achaye, ainsi que l'indique son nom de mar-
quis de Bodonitza, sous lequel il figure au nombre des hauts
barons jusqu'aux derniers jours de l'existence de la prin^
cîpauté *. G'était à lui qu'était confiée la garde des Ther«
niopyles, et son fief s'étendait le long de la mer, depuis ce
passage jusqu'au delà de Sideroporta , au delà de Palœo*
cbori sur le golfe de l'antique Daphnuse. Le marquis de
Bodonitza se trouvait ainsi le seigneur des deux Locrides, et
^ Il est désigné encore dans lé dénombrement de 1391 parmi les
dommages des barons sous le nom de marquis de Bondenice (p. 298
de mes Éclaircissements historiques, géologiques et numisma"
tiques sur la principauté française d'Achaye, t. i).
386 GRFXE CONTIHfiNTALE ET MOREE.
le succMseur naturel d* AJax , fils d'Ofiée , et de Ménétim
pore de Patrocle.
JLe château est aujourd'hui ruiné ; mais ses ruines soat
grandes, et elles couvrent tout le plateau. Les murs d'en*
ceinte et deux tours restent complètement debout, et dans
ces murs on reconnaît aisément les traoes des diverses es^
pèces de construction hellénique , romaine, bysaotine et
franque. La partie inférieure est tout hellénique alentour
du plateau, et celles de ces grandes pierres qui avaient été
renversées ont été relevées par les Francs et distribuées où
ils ont pu dans leurs murailles et leurs tours carrées. La
porte intérieure est bdlénique aussi et me rappela la porte
antique, dite cyclopéenne, que j'avais vue à Arpioo, patrie
de Cicéron, dans le royaume de Naples. Elle est composée
de six pierres dont chacune a deux mètres de hauteur sur un
mètre soixante^dix centimètres de largeur et soixante cen-
timètres d'épaisseur. Les deux pierres du haut se rencon-
trent è angle aigu. A l'intérieur de la forteresse sont denx
citernes et les restes d'un conduit en briques; peut-être do
temps de Justinien, qui, suivant Procope, fit rétablir beau«
coup de forteresses de ce coté de l'empire. A l'aide de ce
conduit , on pouvait profiter dans le château des eaux de
la fontaine placée de l'autre côté du ravin, sur le penchant
d'une petite colline qui vient expirer au pied de celle-ci.
Les eaux de cette fontaine sont des plus pures et des meiU
leures du pays, ainsi que je m'en convainquis en vidant
avec bonheur trois coupes â la source même. Une petite
église de construction franque , avec une fenêtre en ogive
au milieu des murs du monument, atteste qu'ici ont passé
d'autres hommes, d'autres moeurs, un autre culte. Suivant
Meletius le géographe, Bodonitza serait l'antique Opus,
capitale des Locriens Opuntieps; mais cette opinion me
paraît tout i fait sans fondement. Strabon décrit fort exac^
tement la situation d'Opus et celle de la baie opuntienne,
et il paraît évident qu'Opus, patrie de Patrocle, se trouvait
BUAQUI8AT DE BODONITZAé 287
près de Taiente, Tis-à-?is de Gaidouro-Nisi, et siir reinpb-
cernent du village actuel de Oardinitaa.
J'allai me reposer quelques instants chez le dîmarque^
vieillard de fort bonne mine, qui demeure dans le bas da
la vilte» Sa maison serait d'assez bonne apparence s'il y
avait &k dehors pour y monter une échelle moins délabrée
qUe celle qui sert d'escalier ; mais les Grecs ne savent en<-
Gore où ni comment placer un escalier. On construit d'a-^
bord la maison sans s'en occuper^ puis^ quand tout est âni,
oo le place en dehors tomme on peut La famille du di>
marque était réunie dans une seule chambre, tous et fou*
tes étendus à l'orientale sur des tapis. Us se letèreat à
mon approche, et, sachant que les Francs ont l'habitude
de s'asseoir un peu haut, ils m'apportèrent, pour tenir lieu
de chaises qui manquent encore , trois bons coussins que
l'on disposa l'un sur l'autre près du mur, de manière à me
former un siège fort commode. Puis la jeune et belle fille
du diiliarqtie me serrit elle-même le giyko, i*eau frafche et
le café , et me présenta ensuite gracieusement la longue
pipe , et je me trouvai aussi à mon aise que parmi les
nmos» tant l'hospiulité se montre partout en Grèce tftec
âisAtice et botine grâce , et semble pluiAt la satisfooiiMi
d'un plaisir que d'un û^ftAr, Pendant qâe j'étais assis h
câoser are^ oes bonnes g^s^ j'avais etivoyé des eiplorA-'
tears dans le lattage pour s'enquérir des antiquités^ pier-*
re» gravées « médailles et gaiiettes (petites itionnàies de
cuivre) ifoe Ton pourrait avoir à vcnâre< On m'apporta
ifÊ^neê pierres gi^vées, mais d'une méiiôcre eiécution et
de l'êpoqtie romaine ; des monnaies by tontine en grand
nombre, que je ne recherchais pas; quelques médaille des
anciens Opttutietts , dont l'uHe me ptot, et bon ooftibi^
de deniers tournois des princes français de Morée et des
docs français d'Athènes^ parmi iesqtiels je choisis lesmieut
iM>nsertés» Leurs demaaées ne tne pâturent pas trop dérai^
sonnaMe» et wm» nous séparâmes fort satisfaits les nas des
atitres. Je tt»ierei«i ensuite U dimarque et m famiHa de
988 GHË€E CONTINENTALE &T MOAÉE.
leur bienveillante hospitalité , me fis amener mes cbevaax
et quittai Bodonitza. Plusieurs fois j*y suis revenu depuis,
et toujours avec un grand plaisir, même lorsqu'égaré pen-
dant h nuit» en tournant la pente des coteaux, je me re^
trouvais arrêté, tantôt par on rocher sur le bord d'un tor-
rent que j'avais quelque temps auparavant traversé à g;né,
tantôt par un précipice inattendu placé sur un revers de
collines que j'avais gravi à grand'peine ; mais alors la vue
de la mer et des montagnes d'Eubée éclairées par un éda*
tant dair de lune me remettait bientôt sur la voie, et je
rentrais sans encombre, heureux du souvenir de mes ion-*
gués courses.
XV.
UNE SUCRERIE FRANÇAISE EN GRÈCE. — THRONXUM
ET LA LOGRIOE.
£a route de Bodonitza à la mer traverse on pays ma-
gnifique. Les vallées sont arrosées par dés cours d'eau et
les pentes des montagnes offrent comme une délicieuse
forêt où toutes les herbes et tous les arbres sont en fleurs,
et où je respirais tous les parfums du printemps. L'arbre
de Judée avec ses bouquets de lilas y croît à l'égal des
plus beaux arbres de nos climats; le genêt d'Espagne cou-
vre tous les rochers de ses immenses buissons diaprés de
fleurs jaunes et s'entremêle aux sauges colossales et aux
plantes les plus odorantes. En présence de cette variété
de fleurs qui embaument l'air, on se croirait transporté
dans le plus riche de nos vergers français au mois de mai;
mais les vergers ici sont des forêts gracieusement jetées
sur le penchant rapide de la montagne , et les cours d'eau
qui les traversent serpentent et retombent partout en
mille cascatelles« La colline qui descend dans la vallée
LOCAIDE. 289
après le village de Kalyvia offre surtout le pays le plus fc-
coud , le mieux boisé que je connaisse. Il n*y a pas un
pouce de la montagne et de la vallée qui ne soit recouvert
de bonne et profonde terre végétale et de la plus épaisse
verdure. Les calzopia » ou arbr<^s de Judée , sont là sur
leur sol malernel. Dans plusieurs parties de cette riche
vallée la verdure de ces grands et beaux arbres et de ces
jolis arbrisseaux se maintient toute Tannée , et le chêne
lui-même y conserve ses feuilles pendant des hivers doux
comme Test notre plus doux printemps. £t toutes ces
terres fécondes, et tous ces beaux ombrages , et ces déli-
cieux parcs et vergers naturels sont pour ainsi dire sans
maître ! Au milieu de cet abandon de tout bien , ce n'est
que bien rarement que se fait sentir la présence de
rhomme, par Taspect de quelques terres ensemencées de
blé ou par quelques kalyvia de chaume distribuées çà et
là et défendues par des chiens de Thessalie à Thumeur re-
doutable, contre lesquels un bon pistolet n*est jamais horà
de saison. Les prairies y sont toutes épaisses et fécondes ,
mais d'une fécondité spontanée qui ne doit rien aux irri*
gâtions artificielles ou aux coupes opportunes; car per-
sonne n'y travaille, n'y sème et n'y recueille. Celte partie
de la Grèce se distingue entre toutes les autres par la sève
active de végétation dont jouissent ces pays, plus riches
et plus pittoresques en même temps.
À mi-chemin vers le golfe de Lamia, s'embranchent
deux routes qui, de Bodouitza et des versants du Kaliidrome,
conduisent vers la Thessalie et vers la Locridc : l'une a
gauche mène au glorieux passage des Thermopyles; l'au-
tre, à droite, mène h un lieu qui n'a de nom ni dans
rhisioire ancienne ni dans l'histoire du moyen âge , mais
qui a au'^si son avenir peut-être , et qui , dans les fastes
pacifiqu s de nos nations modernes, pourra mériter d'être
mentionné un jour parmi les éléments de richesse et d'à-
niélioration decepays nouveau. Ce lieu, désigné sous le nom
de Kainourio-Khorio ou le Nouveau-Village, est celui où
25
290 GREGE CONTINENTALE ET MUREE.
vient d'être fondée par des spéculateurs français tme sucrerie
de sucre de betteraves. J'avais là à satisfaire on intérêt plus
récent, mais plus national aussi. L'ancien fief français qui
dominait tout le littoral des Thermopyles et de la Locride
a disparu , et une nouvelle puissance, celle de Tindastrie,
portée sur une partie de ce même littoral par des compa-
triotes des anciens feudataires de Bodonitza, cherche dans
ce moment à faire succéder son utile domination à la do-
mination violente qui soumettait tout à Futilité d'an seul
Aux tours de vigie, où veillaient des soldats toujours armés,
ont succédé de hautes cheminées en forme de tours car-
rées , destinées à alimenter perpétuellement une grande
usine de sucre de betteraves. La betterave, si ridiculisée à
sa naissance, si contrariée aujourd'hui dans sa marche
après avoir été si démesurément encouragée, veut étendre
maintenant ses conquêtes en dehors du pays de sa nais-
sance , et , de la France , veut aller s'implanter dans le
reste de l'Europe et donner à la fois , si elle peut réussir,
un nouveau débouché à la richesse industrielle , à la ri-
chesse agricole et à la richesse commerciale. J'avais appris,
en allant de Malte à Syra, que plusieurs ouvriers français
se rendaient en Grèce sur le même bâtiment que moi pour
aller s'employer dans une raffinerie dont l'existence m'était
ainsi révélée, et mon attention en avait été vivement
éveillée ; j'avais rencontré dans les bois du Pentélique, en
revenant de Marathon à Athènes , d'autres ouvriers fran-
çais se rendant par Oropos à ce même établissement , et
j'avais promis au fondateur, M. Roberiy, qui m'avait beau-
coup parlé de ses projets à Athènes, de m'arrêter quelques
jours dans sa manufacture à mon passage en Locride. Je
laissai donc la roule qui mène aux Thermopyles de Léo-
nidas et m'acheminai vers la sucrerie française de sucre de
betteraves de Kainourio-Khorio.
Des dernières parties de la chaîne du Kallidrome , on
Voit se développer devant soi une vaste plaine de près de
deux lieues de profondeur jusqu^à la mer, et d'environ six
lieues de knigoeiir entre le Sperehius et le Boagrius , qui
toos deux vieaoeat se jeter dans le golfe de Lamia. Le»
eaax torrentueuses du Boagrûis formaient dans cette sai-
son ua lit vaste , mais assez profond ; je les passai à gué
au-dessous de Throoium. Ces passages sont parfois as$e:s
dangereux en Gr^ ; les lits des torrents sont larges et
encoait>rés de fragments de rochers ; leur cours est rapide»
et si un cbe^al faisait une chute il serait assez difficile de
lutter contre la rapidité des flots au milieu de ces pointes
aiguës de rochers. Quelquefois aussi ^ quand on n'a pas la
léte ferme et qu'on ne prend pas le parti de fixer ses yeux
sur U rive sans regarder l'eau » ce torrent qui coule rapi*
dément vous laisse croire qu'au lieu de le couper vous
êtes entraîné par lui ; on est f^ris alors d'une espèce de
vertige qui pourrait amener une chute dangereuse. C'est
ainsi qu'un jour, dans les eaux de TAlphée, près d'OIym^
pie , un de mes guides perdit la tète , tomba de cheval , et
ne fut sauvé que par un berger que j'avais eu la précau**
tion de faire marcher avec nous dans l'eau pour indiquer
le gué. Je tins bon contre le Boagrius , qui luttait pour
m'entratner, comme autrefois le fleuve Scamaodre s'élan*
çait pour engloutir Achille a en mugissant et soulevant ses
flots couverts d'écume, de sang et de cadavres^»Le Boa-
grius n'entraînait que les débris des asphodèles , des lau*
Tiers-roses et des autres plantes de la montagne, et je n'eus
pas besdn du secours de Yulcain et de ses feux pour ar«
river è l'autre rive. De là on aperçoit, de loin, et sur le
bord de la mer, une longue ligne de murs blancs avec des
toits en tuile rouge , et au milieu , hautes et puissantes
comme des tours crénelées des temps féodaux , les chemi*
nées de la sucrerie de Kainourio. Ce fut comme un phare
qui me montrait ma route. Je me mis au galop dans cette
belle plaine , et au bout d'une heure au plus j'arrivai parmi
des compatriotes parlant la langue de France» dans la sucre-
rie de betteraves de Kainourio-Khorio.
* ilioikf cliant xxi , vers 324.
292 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
M. Roberty me fit le plas cordial accueil , et me montra
tout son établissement en détail. Cette vaste entreprise doit
son origine à une société d'actionnaires parisiens auxquels
sont venus depuis s^ajouter des actionnaires grecs et molda-
ves. Le gouvernement grec a concédé à cette société , pour
vingtans,moyennant7,000 francsde loyer annuel, huit cents
hectares de terre dans cette belle plaine de la Locride. Là,
tout en face du canal de Trikeri , dans une situation aussi
belle que bien appropriée au commerce , non loin de la
baie de Paloeo-Khori, où peuvent s*arrêter les bâtiments
arrivant d*Â8ie par le canal d*Eubée , près de la chaîne du
Knémis, qui forme un rempart contre les vents et porte
de vastes forêtô , près aussi de la riche plaine du Sperchius,
qui ouvre une route facile vers ta Thessalie, on a choisi à
cent pas tle la mer remplacement où devait être bâtie la
future manufacture. La première pierre de l'usine avait
été posée le 24 décembre 18&0, et, grâce à l'activité ex-
trême mise dans les travaux , ces bâtiments étaient presque
complètement terminés au moment où j'y arrivai, le
l*' mai 1841, et les machines étaient déjà presque toutes
placées et prêtes à fonctionner. Il y avait d'énormes ob-
stacles à vaincre pour fonder un semblable établissement;
mais M. Roberty est doué d'une rare activité et d'une
grande persévérance , et il est enfin parvenu à triompher
des difficultés que lui opposaient les hommes et les choses.
Tout était à créer à la fois dans un pays si neuf. Quelques
ouvriers français se multiplièrent pour guider et former
les ouvriers grecs , avant même qu^aucun des chefs et de
leurs co-travailleurs comprit encore la langue que parlait
l'autre. Les rochers du Knémis et les ruines de Thronium
fournirent la pierre; les forêts de Palœo-Khori et de Bo-
donitza donnèrent le bois de construction. Les tuiles furent
confectionnées sur les lieux , ainsi que les planches et les
poutres. Des maçons albanais arrivèrent en bandes de la
Turquie , et en quatre mois les bâtiments de la manufac-
ture et deux lignes delJbâtiments placés des deux côtés pour
KAINOUaiO-KHORIO. 293
le logement des maîtres et ouvriers s'élevèrent comme par
eDcbantement. Oa me donna une de ces chanibres, dans
Taile située en vue de la mer, et je m*y trouvai aussi com«
modément logé que je Faurals été en France. On m'avait
dit à Athènes que je ne trouverais rien encore de com-
mencé , et qu'il n'y aurait pas même de chambre pour me
loger; cependantje trouvai deux lignes de maisons de vingt
chambres chacune, entre deux jardins,et des bâtiments élevés
et couverts , aussi étendus que ceux d'une des plus vastes
exploitations de nos domaines normands. Les communica-*
tions sont encore très-difficiles entre les provinces grec«
ques. De Livadîa à Kainourio , il faut franchir le Parnasse
et le Knéfflis , semés de rochers et de précipices , et tout
voyage à travers ces montagnes est non-seulement fati-
gant, mais souvent dangereux. Il n'est donc pas étonnant,
même sans parler de l'envie que l'on porte en général à
tout grand établissement naissant , qu'on ait nié l'existence
de ce que je voyais alors debout devant moi. M. Roberty
et moi , nous parcourûmes à cheval les terres concédées à
la manufacture , et là m'apparurent d'autres obstacles dont
une grande énergie peut seule triompher.
A peu de distance de la manufacture est un marais
formé par les cours d'eau qui descendent du Knémis à la
mer, et qui , faute de pente suffisante, se perdent dans les
prairies. Le vent qui sort de la gorge de Thronium et
passe sur ce marais s'imprègne à la chute du jour d'exha-
laisons dangereuses. Il est facile sans doute d'assainir ce
marais, en pratiquant des saignées à la prairie et en faisant
couler les eaux jusqu'à la mer, qui est voisine ; mais, pour
avoir négligé cet assainissement , on s'est exposé à une
épidémie qui a moissonné beaucoup de monde , et il a
fallu l'énergie de M. Roberty pour résister à ces nouveaux
fléaux et pour s'occuper, quoique malade , du prompt as-
sainissement de ces lieux , assainissement assuré aujour-
d'hui. Des terres avaient été concédées par le gouverne-
ment; mais, par suite de l'organisation défectueuse d'une
t94 GRÈCE CONTIKIlirrAI*! Wr IIOREE.
lociicé p^tiqiie wml n^v«Ue qoe l'eit la société greocpie«
let terres étaient souvent possédées ou cultivées par le pre*
mier occupant. Une juste mesure de conciliatîoii et de fer-
meté de la part de M. Roberty, soutenu qu'il était par l'appui
bienveillant des auiorités locales , n'a pas tardé k aplanir les
voies vers le bien. Les gens du pays ont d'ailleurs compris
tous les avantages que devait apporter à leur agriculture
Fexistettce d*on établii«ement considérable bien dirigé et
occupé par des ouvriers français, qui, s'ils travaillent beau^
coup , aiment aussi à bien vivre et dépensent largement.
Déjà un peu de mieux se fait sentir dans les environs , et
on remarque une grande différence entre les habitations
grecques du village voisin et celles des villages plus éloi-
gnés. Les chambres sont plus propres et mieux aérées i l'u-
sage des chaises, des tables, des matelas , inconnu à quel-
ques lieues de \ï , s'y répand de jour en jour. La nourri*
tare y est plus saine et plus abondante. Si cet établisse-
ment prospère, ce bien* être s'étendra rapidement h tous
les environs; car ce pays est merveilleusement situé pour y
appeler les étrangers. Tous les versants inférieurs du Kné«
mis sont couverts de forôts , et des sources d'eau minérale
qui jaillissent du pied des rochers, près de Palooo-Cbori ,
permettent d*y établir des bains d'eau thermale. Un bateau
à vapeur qui irait de là k Porto-Raphti , à cinq lieuos d'A*
thènes, en passant sous le pont un peu étroit de i'Ëuripe ,
à Chalkis, transfoijnerait complètement ces riches campa*
gnes de la Locride , et , en peu d'années , elles pourraient
être couvertes de petites maisons d'été. J'ai rencontré \k
des sites charmants. Ces améliorations réagiraient bien
vite sur une population aussi active et aussi intelligente
que la population grecque. J'ai vu moi-même qu*au mo*
ment de mon arrivée l'esprit de jalousie avait déjà disparu
pour faire place à l'esprit d'union. J'en eus une preuve
frappanle à l'occasion d'une fête curieuse à laquelle j'assis-
tai le lendemain dimanche 2 mai,
M. Roberty avait annoncé que, pour célébrer l'anni-
•
versaire de la Saiat-Pbilippe» il iuYiUit ce jour-là tous les
employés de sa manufacture-, maîtres et ouvriers , Français,
Italiens, Allemands, Anglais, Grecs, Albanais et Bulgares,
à une partie de campagne dans une belle forêt siluée au delà
de Tbroaium, Je fus invité aussi et fus cbarmé de cette
occasion qui s'offrait à moi de satisfaire amplement ma
curiosité.
Nous partîmes tous h pied, au nombre de plus de
soixante. Nous traversâmes le Boagriusi ou Plataoia, k
Taide d'arbres morts jetés sur les rocberrdu torrent, et
nous remontâmes son cours en laissant Tbronium à notre
gauche. Plusieurs fois nous eûmes à traverser au milieu
des bois la Plataoia et ses affluents k Taide de ponts impro*
Tîiés» Ces torrents au cours si incertain sont un des grands
obstacles qui empêchent lesvoyagesàpiedenGrèce, qu'il
est si aisé pour tout le monde de £»ire en Suisse; il faut des
chevaux pour traverser sans cesse les torrents et les bords
des vadtoSf ou terres marécageuses. Nous continuâmes II
cheminer à travers des bosquets remplis de fort beaux ar-
bres jusqu'au pied de la montagne de Basilissa , qui sépare
cette vallée de la belle et vaste vallée de Livadie. Pouque*
ville a cru ï tort que la montagne appelée Basilissa était
plac^ dans les Tbermopyles mêmes , et qu'elle devait ce
nom au souvenir de l'invasion armée du grand roi. JLa Ba*
siUssa est fort en avant des Tbermopyles et très-^éloignée
de la route qu'a suivie l'armée persane* Nous nous arrêta^
mes enCn dans une situation charmante , que nous indiqua
un berger, près d'un village qui a conservé, dans son
nom de Komnina , le souvenir de la domination des Corn**
néne. Une source d'eau excellente jaillissait de terre, et, à
peine née , elle allait, à quelques pas de là, confondre ses
eaux avec celles d'un torrent , qui se repliaient autour d'un
tertre frais et en faisaient comme une petite île de ver-
dure. De beaux arbres aux formes les plus pittoresques
ombrageaient de toutes parts cette pelouse. £u peu d'in-
stunts un campement fut dressé. Les branches feuillues
996 ^ GRECE CONTINEIVTALE ET MOREE.
tombèrent soas les yatagans et les haches. Nous avions été
accompagnés dans notre marche de deux pavillons , ie pa-
villon français et le pavillon grec , qu'un Français et un
Grec faisaient flotter au-dessus de nos télés. Arrivés à no-
tre station , ils s'élancèrent au plus haut d'un grand chêne,
et sur la plus belle branche ils les déployèrent gracieuse-
ment. On s'occupait pendant ce temps des préparatifs du
repas, et, en vérité, je crus assister à un repas homéri-
que. Des moutons composaient le fond de ce dîner de
campagne. Pendant que quelques pallikares, habitués à
des festins de montagne , faisaient tomber des arbres pro-
pres à alimenter un grand feu, amenaient quelques troncs
ou gros rameaux desséchés par l'âge , taillaient les petites
branches émincées en broches, et allumaient des branches
pour préparer d'avance des charbons ardents , leurs com-
pagnons saisissaient les moutons amenés vivants , les égor-
geaient près des eaux du torrent, les attachaient à un ar-
bre , les dépouillaient en un instant de la peau , comme le
Faune dont on voit la statue au musée de Naples , net-
toyaient leurs entrailles, et frottaient les moutons de graisse
et de sel , en appliquant sur leurs flancs les deux rognons.
Ainsi préparés, les moutons étaient embrochés dans un
long pieu que tournait un pallikare devant un énorme feu
qui flamboyait en plein air , tandis qu'un autre les frottait
avec la graisse appliquée à une longue branche de myrte.
Les entrailles, enveloppées autour d'une baguette de fusil
et bien nettoyées etépicées, sont braisées plus promptcment
et forment un mets véritablement excellent appelé kou-
Heuretze. Il faut environ une heure pour cuire le mouton
entier , et plusieurs moutons rôtissaient à la fois sur les
trois côtés de chacun des grands feux qu'on venait d'allu-
mer. Un coup de doigt appliqué fortement au défaut de la
cuisse et séparant les chairs , et le refroidissement , au mi-
lieu du feu le plus ardent, de l'os qui sort de l'estomac,
prouvent que la cuisson est à point. Un Européen s'imagi-
nerait que, cuit sitôt après être (ué, un mouton doit faire
KAINODRIO-KnORIO. 997
un fort mauvais mets et que la chair doit être fort dure ; il
n'eu e6t rien , et ce mouton , préparé ainsi à la manière
homérique, est tendre et succulent.
La table est tout- aussi champêtre que le repas. On abat
un énorme amas de feuillage , que dans ces lieux frais et
inhabités n'a jamais souillés la poussière. On en fait une
sorte de lit de deux ou trois pieds de hauteur , et ce lit de
feuillage, c'est la table; cbaeun s'assied alentour sur un
antre lit de feuillage recouvert de sa talagani. Des oignons
verts, des œnfe durs et du pain sont placés devant chacun
des assistants ; puis un pallikare saisit le mouton, et de son
yatagan sépare les membres et les jette sur la table de feuil-
lage. La tzitza de bois circulait pendant ce temps à la ronde
pour huïnecter ce repas avec d'excellent vin d'Ëubée.
Autour de cette table rustique étaient assis des hommes
de toute nation , Grecs, Turcs et Francs ; c'était un mé-
lange curiemt de toutes les langues et de toutes les races,
et les notables du village voisin étaient venus se joindre en
amis à notre fête. Les Grecs pauvres soat peu habitués à
sortir de leur vie régulière d'abstinence; ils ne peuvent
jamais, ainsi que nos ouvriers , compter sur un travail ex*
iraordinaire pour compenser une dépense extraordinaire
qu'ils auraient faite , ils sont donc toujours fort réservés
dans leurs plaisirs. Les Albanais sont plus insouciants de
l'avenir et plus expansifs , plus bruyants aussi dans leurs
moments de gaieté. Nous ftmes chanter des chansons fran-
çaises, grecques, albanaises et bulgares. Un jeune gar-
çon albanais de treize à quatorze ans, à la voix de fausset
extrêmement tievéeet qu'il forçait de son mieux , entonna
la chanson albanaise, tandis que ses compatriotes, assis en
cercle autour de lui , répétaient le refrain en chœur. Les
airs bulgares sont plus vib et plus saccadés que les airs
grecs; les airs grecs sont toujours dits par les beaux
chanteurs avec un accent nasillard qui en détruit outra-
geosemeat la mélodie, ilïnq ou six de ces airs auraient
mérité d'être recueillis; c'est une mélodie simple et sans
SM GRÈCE OWffiHBltTAU MX «OREE.
accotd partait, mate parfois use iéée maaicde aaaei gfik
cîeoiê i*y fait joor. Après lea diasts on porta les leaalft:
celui du roi de France, ponr la lète duquel oooi étimê
tooa réuiiif , et celui do roi de Grèce, sur le territoire du-
quel était yenoe t^implanter cette nouvelle coloiiie iiidii^
trielle , et de nombreux pdychrooia firrat retentir les
à la auito d*uBe petite aHocution qoeje en» devoir
k mes compatriotes k cette occasion.
«Deux (ms d^, leur dis-je, et dans des temps Ues
éloignés et bien diSArents des nôtres, nos compatriotes de
la terre de France ont porté lenrs pas en ces mêoMS lieix*
Ils s'y présentèrent alors Fépée à la main et fraacfairem les
montagnes qui nous apparaissent d'ici , et lesTfaeruopyles
au nom si héroïque. 279 ans «vant notre ère, us chef dV
ventnriers gaidois , qne les anteors anciens désigncBC avec
son seul titre de Breonus on chef de guerre , après avoir
ravagé TltaKe, riUyrie, la Pannonie, laThraee, la Ma*
cédokie, arriva danà ces montagnes ponr se frayer on pas«
sage Jusqu'au trésor du temple de Ddpbes. Arr^ un in-
sunt an passage des Thermopyles , de ce côté de la naén»
tagne , le Brennus s'avança avec &0,000 hommes de pied
et de cheval par un chemin plus hardi encore, et, s'é»
levant par les ravins à la droite du Kallidreme ou Saromata»
dont les derniers versants viennent expirer ici , il débou*
cha dans la plantureuse vallée du Géphîae, et arriva avec les
siens sur les flancs élevés du Parnasse , où se trouvaient le
temple vénéré de Delphes et ses trésors, et ils pillèrent
tout. C'était là d'odieux triomphes de Fatidace et de la bar«
barie , de. ces triomphes qui ne laissent après eox que des
Itirmes ponr les opprimés, des mdédietioos pour les op-
presseurs.
» Quinze cents ans plus tard , le aèledes croisades avait
armé des milliers de Français et les poussait à la déli-
vrance du Saint-Sépulcre. Le malaise qu'on éprouvait cfaex
sol , et le désir pour les at nés ambitieux d'augmenter leur
nom et leor puissance , ponr les cadets pauvres de se foire
IUUNODftIO-&H6ftlO. M9
na domine à esx , pour ie peuple inûtatettr des villes de
marcher seton Tesprît an temps^ pour le peuple des aerfe
d'échapper par la licence des campsàTo^ression domesti*
que des maîtres 9 tsutes ces causes, ploi encore que Tar*-
deiir rdigîevse, son^ot à i'épeqcK de la croisMle de G(MUh
tantiBopie , appelaient les Français sons les drapeaux de la
guerre sainte. En idtent à Jérusalem, Ils s'éUmA arrMs
devant ConsUMifim]^, qu'Us oonquirent en i20ii , et ib
firetrt ici on empire français arec des cbefe français» des
comcmies françaises, des oMurs françaises. Tooies les
fyroYHices de Fempire grec fiaient partagées entre les nô^
tresL A rHémns, où 6»ssait l'empire, oommença le
royftoflie de Macédoine on deSatonlqne. Là oà finissait le
royaiMde de Satenique , à la cbaîne snpérieure de TOBu,
que Tmis toyez de? ant tous blanchi de neiges , œmmença
h prîneipaoté française de Morée on d'Adkaye , qiâ oom^
prenait , afec tout k territoire de la Grèce actoette , ks
Gyclades, les Sporades et les ties Ioniennes moins Gorfoo»
La partk de Tarmée française qui se détacha ponr q)érer
cette oonqo^te passa par ce même détroit des Thermopylea»
placé i deux pas de nous. Au delà de cette colline où nous
soBimes est h ooHine et ie cbâteau-iort de Bodonit2a , que
Tons connaissez ts«is, et cà ils fondèrent un marquisat
ponr Tnn d*ent ea le diargeaot de la défense de la frmh-
tière. An ddà de ce détroft qui se développe si gracieuse*^
ment sons vos yeox apparaît k pointe de cette féconde et
beik fie d'£«bée, ornement principal de votre vallée; et
nn peu plus Mn est k port d'Orèos « où ils fondèrent pour
nn autre des knrs nne baronnie dont une forteresse en
mines indique Remplacement Ib occupèrent ainsi toitt
les lieux forts et dominèrent ce pays pendant trois siècka.
Mais Tesprit de rivalité mit bientôt la désunion entre les
diefs, qui ne voulaient obéir à aucun, et ks divisions in«
testines knr firent perdre ce que kur courage knr avait
gagné. Gontempkz ces mines de tourelles , de portes^con-
lisses , de créneaux du château de Bodcnûtza , etde«nan-
300 GRëCË GONTINBNTALE ET MOREE.
dez-vous ce qui resle de tant d'actes généreux » de laot de
sacrifices héroïques de toute nature : quelques tourelles à
moitié démolies où Therbe croit au milieu des ruines
dans tous les endroits où nos croisés ont vécu , quelques
monnaies grossières que dédaignent les paysans , quelques
noms français conservés à des villages , des ruines de châ-
teaux, d'églises, de couvents et de tombeaux, et quelques
souvenirs de générosité et de dévouement ou d'audace de nos
compatriotes et de leurs femmes ou de leurs filles préser-
vés par la tradition ou par les chants populaires, voilà tout
ce qui a survécu d'une domination de trois cents ans. Un
grand service fut toutefois rendu à la Grèce par cette con-
quête des nôtres. La force unit entre elles des provinces
habituées à vivre dans la division, et , quand s'éteignit la
principauté française de Morée, elle laissa du moins le
souvenir d'un État grec qui pouvait vivre et se maintenir
uni par ses seules forces. Ainsi les idées morales , les idées
nationales sont les seules qui aient vie.
» Les temps modernes nous ont montrés à la Grèce sous
un aspect bien différent. Depuis le jour où , pour la pre-
mière fois, l'évêque de Patras Germanos fit appel, du cou-
vent de Calavryta, aux sentiments chrétiens, aux senti-
ments moraux , aux sentiments nationaux de l'Europe , la
France n'a cessé de se montrer amie puissante et géné-
reuse. Le peuple de France tendit la main au peuple de
Grèce qui demandait à renaître ; le gouvernement envoya
ses armées et ses flottes libératrices pour assurer l'œuvre
de la civilisation , et les armées et les flottes ont rempli
leur œuvre avec dévouement. Le peuple grec exista. Il ne
s'agit plus que de compléter l'œuvre de civilisation si heu-
reusement commencée.
» C'est là ce que vous allez contribuer pour votre part à
faire ici, vous qui , dans ce pays inculte, abandonné, appor-
tez la vie de l'industrie , du travail , de l'ordre. Soyez-en
fiers, car il y a dans vos succès bien au delà des succès de
présent ; il y a de nobles avantages encore à recueillir à la
KAINOURIO-KIIOIIIO. 301
suKe des avantages matériels. Qu*uq établissement indu-
«sfriel comme le vôtre prospère, et la marche de la civilisa-
tion est rapidement accélérée ici. En peu de temps cette
vallée, DÛ la végétation est si puissante, va se couvrir des
plas riches produits ; ces misérables kaiyvia vont être ren^
placées par de petites maisons propres et élégantes; ce ca-
nal d'Ëubée, aujourd'hui désert, peut s'animer par la
présence des vaisseaux à vapeur et à voiles ; ce port de
Palceo-Khori, si sûr et si vaste, peut se couvrir de mâts de
vaisseaux marchands; ces coteaux si boisés, si odorants,
couverts de grenadiers , de myrtes , de figuiers , d'oli-
viers , de mûriers , de platanes auxquels vient s'enlacer
de toutes parts la vigne en festons , ces bords de la source
d*eau thermale placée au bas d'un si gracieux coteau ,
peuvent devenir, grâce aux brises qui modèrent ici les
chaleurs de l'été , le rendez-vous de toute la Grèce , qui
viendra admirer ici ce que des Français ont su faire les
premiers au milieu de tant d'obslacles des hommes , des
temps et des lieux ; et cet exemple d'un pays heureux par
le travail et l'esprit d'union portera ses fruits dans les au-
tres parties de la Grèce. Cet avenir est certain, si vous savez
à la fois rester actifs et unis; et le temps est peu éloigné
peut-être où le bruit des machines à vapeur éveillera les
échos endormis du mont Karya. Il m'est agréable de pou-
voir vous manifester mes espérances du bonheur destiné à
cette vallée, à la Grèce et à vous, au jour même où sur
notre sol de France on se livre aussi à la joie. C'est à
l'occasion de la fête de notre souverain que nous sommes
réunis ici. Pour des Français qui se rencontrent à l'étran-
ger , il n'existe pas de partis ; ils ne reconnaissent qu'un
drapeau , celui de la France et de son souverain confou->
dus. Le voici qui flotte au-dessus de notre tête, ce drapeau
national , uni sur le haut de ce chêne séculaire au pavillon
de la Grèce et de son souverain. Réunissons donc tous
ici. Français et Grecs, nos acclamations en l'honneur
de la France et du roi de France, etjoignons-ynosvœuxet
26
303 GRÈCE CONTlNSNTiVLfi UJ MOREE.
oos syiRpadiies eo liveur de la Grèce et du roi de Grèce» »
Aux chants ëvccédèreat les danses de toute espèce^ Les
Bulgares, qui vivent presque toute Tannée dans la plus
grande abstinence , se livraient avec bonbeur aux plaisirs
d'une fête si nouvelle pour eux , et formaient des rondes
fort animées* La danse des Grecs ne manque pas d'une
certaine grâce , mais elle est lente et froide , et les beaux
danseurs se dandinent beaucoup trop. La ronde de» Turcs
est beaucoup moins gracieuse , mais plus vive et plus gaie^
et on y retrouve fréquemment les germes de la mastourcpis
des Hongrois , leurs compatriotes antiques , et parfois de la
valse allemande. La danse terminée , on se livra à Texercice
du tir; un prix fut promis au meilleur tireur, et ceint
un ancien klcpbte qui le remporta avec sa longue carabine.
Son adresse a dû être fatale à plus d'un Turc dans les dé-
' sordres de sa vie klephtique ; c'est aujourd'hui un garde-
cbasse habile et régulier.
Tout se passa dans Tordre le plus parfait et la meilleure
harmonie , et il n'y eut pas une parole , pas un geste bles-
sant pour aucun des convives. Nous nous étions assuré des
montures pour le retour ; une musique improvisée « cors-
de-chasse» clarinettes, flûtes de France , guitares grecque*
et tambours turcs, nous {décédait avec les deux bannières
déployées de France et de Grèco^ Tous à cheval, nous
fîmes une halte sur les ruine» de Thomérique cité de
Thronium, qui peut se releva à Kainourio-Khorio, et nous
renuâmes sans encombre , fort satisfaits d'une fête dont
on n'eût pu rêver la possibilité en Grèce dix ans auparavant^
J'avais été dès le premier jour charmé de l'aspect du
pays* En m'éveillantà Kaioourio-Khorio, mes'premiers re-
gards avaient été caressés par le lever du soleil qui teignait
de rose et le ciel et les belles eaux du canal de Trikerii
entre TËubée et la jointe de l'ancienne Thessalie pbthû)-
tique t patrie d'AcbiUe« Deux petits bâtioMints voguai^t à
freine voile dans ces flots de rose et d'azur. Ce n'est qu'en
Grèce que Ton comprend bien t«»ote h vérité do cette ex-*
K.AiiiroiJiiio*]C.BoirTO. 303
pteÊekm des poètes anefens , Tazur des flots , l'aorore aux
doigts de rose ; eipressions que noos traduisons comme si
elles s'appliquaient à notre mer et à notre ciel , tandis que
dans notre ctlmat tempéré de France les flots de la mer
sont vert-' bouteille et Tauroreest rouge-orange. Id, an con*
traire, et partout en aflant vers l'orient, depoisNaplessur*
tottt, et parfois depuis Nice, les flots sont do plas bel azur,
et, en Grèce en partiinilier, le ciel, au lever du soieil , est
d'un rose si tendre , qu'aucun peintre n'oserait rendre cet
eSèt, de peur de nous paraître un coloriste faoi ou exagéré.
Les moDtsde l'Ënbée me dérobaient ici la première appa*»
rition des rayons do soleil comme l'Hymette me les dérobait
à Athènes; mais ici, comme à Athènes, ces rayons s'élan-
çaient dâBS toute retendue du ciel et le coloraient du rose
le pins fin. Je sortis pour aller sur la grève, âtoée à eln->
qoante pas de ma chambre. Les flots ne faisaient pas en-
tendre le plus léger murmure, et, sor^cette ^ace do canal
de TËubée, ouvert devant moi, je voyais se détacher çk et
Ui quelques villages sur les deux rives, tandis qu'à l'entrée
les îles Lichades brillaient comme une émeraude.
La plaine qui s'étend de la grève au Knémis, ceinture
hardie jetée autour de la Locride, a çè et là une apparence
nuffécageuse parsuite des inflUrations de l'eau qui, en des**
cendant de la montagne , a pénétré dans les terres grasses
sans que qui que ce soit prit la peine de lui frayer une fa«
die issue jusqu'à la mer ; mais des saignées d'assainisse*
ment se feront aussitôt que le pays commencera à se peu*
pler. A mesure qu'on s'élève vers la montagne , le pays
change complètement d'aspect.
Tons les versants septentrionaux du Knémis et ceux du
Kallidrome , depuis la baie de Talante jusqu'à la baie de
Lamia, au delà des Thermopyles , sont gracieusement on-*
dulés à la base et couverts de la plus opulente végétation,
tandis que la partie supérieure s'élève comme un mur im-
pénétrable de rochers aux belles couleurs. Sur ces mille
collines croissent majestueusement les Aguiers sauvages,
301 GRECE CONTINENTALE ET HOBEB.
les platanes et les chênes les plus magnifiques et toujours
Yerts ; ici les arbres de Judée, les hauts genêts, les lauriers,
les myrtes et les grenadiers charment tour à tour Tœil et
Todorat , là les vignes sauvages et les chèvrefeuilles- s'en-
trelacent autour du tronc des grands arbres pour les trans-
former en haies de verdure comme la liane dans les forêts
du Brésil. Tantôt, sortant en bouillonnant du flanc des ro-
chers, une sourced*eau thermale fume et bruit à vos pieds,
et tantôt surgit mollement du milieu des gazons une source
d*eau fraîche et pure qui va coulant doucement en mourant
presque sans bruit sous les racines d'un vieil arbre. Les
rossignols , charmés d*ane solitude si bien faite pour eux,
emplissent toute la forêt de leur suave harmonie. C'est le
long de la pente inférieure du Knémis, au milieu de ces
bosquets, à l'ombre de ces arbres parfumés, le long de ces
ruisseaux aux bords émailiés d'anémones aux cordles roses,
pourpres et bleues, que serpente la route qui conduit de la
Locride en Thessalie.
Au moment où j'approchais de la montagne , un spec-
tacle tout à fait original et plein d'intérêt s'offrit à ma vue.
Cette route était ce jour-là couverte do. nombreuses cara-
vanes de Grands-Ylaques, qui , tous les ans , à l'approche
de la saison froide , descendent la chatrie du Pinde et des
monts d'Agrapba , pour aller poser leurs tentes et faire
paître leurs troupeaux dans les régions plus chaudes de la
Béotie, et qui, à l'approche des grandes chaleurs, au jour
consacré à saint Georges, vers la fin d'avril, partent de leurs
campements d'hiver pour aller reprendre , dans la chaîne
ombragée du Pinde , leurs frais campements d'été. Les
femmes marchent les premières , à pied , filant leur coton
ou tricotant l'espèce de chaussettes ornées et bariolées qu'on
appelle ici tzourapia. Elles. portent souvent en même
temps sur le dos le dernier né de leurs nombreux enfants
et le long fusil de leurs maris. Les hommes s'avan-
cent gravement et solennellement par derrière, assis la
plupart sur leurs ânes ou mulets, sans rien faire ni rien
TBRONIUM. 305
porter. Les troupeaux de moutonsyet de mulets se pressent
sur les pas de leurs maîtres. La marche est fermée à di-
stance par les vieillards, qui suivent lentement à pied avec
les enfants les plus jeunes, s*arrêtant avec eux au bord des
fontaines pour leur distribuer leur pain et une eau salu-
taire, et, s'il se fait tard, rester chaque soir à dormir avec
eux sous les grands arbres , tandis qu*à peu de distance en
avant le reste de la famille vlaque a disposé aussi ses tentes
ou ses toits de verdure pour le repos du soir, prête à re-
commencer le lendemain avec ses bestiaux son pèlerinage
habituel vers ses chères montagnes.
Je m'arrêtai quelques instants à causer avec les Ylaques ;
j'étais bien aise de contrôler par leur témoignage Fexacti-
tade de certains renseignements topographiques. Leurs
exactes notions du pays me satisfirent complètement , et ,
après que nous eûmes bu tour à tour, en signe d'affec-
tion mutuelle, quelques gorgées de vin des tzitzas^ ou
dames-jeannes de bois, que portait chacun de nous , je
repris ma route , décidé à aller jusqu'aux ruines de l'ho-
mérique Thronium ^ On n'a pas à passer le fioagrius pour
arriver de ce côté sur l'emplacement de Thronium ; on
laisse ce fleuve un peu à sa droite , et on remonle vers
la chaîne du Knémis, au point où elle s'abaisse pour laisser
apercevoir à distance les sommets neigeux du Parnasse.
Strabon décrit avec beaucoup d'exactitude la situation
de Thronium dans la Locride épiknémide, et ce qu'il
dit du Boagrius s'applique de la manière la plus juste au
fleuve ou plutôt au torrent de la Platania , qui coule au
pied de cette colline. Meletius , dans sa description de la
Locride , donne fort exactement aussi l'emplacement de
Thronium, parmi les ruines de laquelle il dit avoir trouvé
une inscription mentionnant le nom de cette ville. La col-
line sur laquelle elle est placée descend d'un côté dans la
vallée de la Platania vers la mer ; l'autre versant s'étend
1 Et Thronium, non loin des rapides eaux do Boagrias. {Tliade^
chant XI, vers 533.)
26.
306 GBECB CONTINENTALE ET MOEEE.
sur one petite vallée qui s*encbatae au groupe de monta*
gnes dans lesquelles s'ouvre la route par Drakhmana jus-
qu'à Livadia. De ce côté on aperçoit toute la chaîne des
montagnes qui ceignent la vallée intérieure de la Doride,
derrière laquelle s'élève le fier Parnasse tout blanchi de
neige ; de l'autre côté s'étendent la vallée de la Platania,
la mer, le golfe Malliaque, le canal de Trikeri, les îles Li-
chades formées, dit la fable antique, des membres du mal-
heureux Lichas, et l'Eubée avec ses belles montagnes. Les
murs d'enceinte de la ville de Thronium sont reconnais-
sablés sur les deux flancs du coteau , et les habitants du
pays, en cherchant des pierres pour leurs moulins et leurs
maisons , les ont mis à découvert en plusieurs endroits,
ainsi que les murs de quelques maisons de l'intérieur de
la ville, car les murailles des maisons particulières étaient
construites en vastes pierres quadrilatères presque aussi
grosses que celles des murs d'enceinte. Cette ville devait
être peu considérable, puisqu'elle semble ne s*être pas
étendue au delà des deux versants de la colline ; mais sa
situation était délicieuse, et elle paraît avoir été assez opu-
lente. En suivant la croupe du coteau Jusqu'au sommet sur
lequel était placée l'Acropolis, je retrouvai, un peu au-des-
sous de l'Acropolis, les ruines d'un temple. Un fût de co-
lonne cannelée en marbre blanc , et quelques autres frag«
ments de marbre presque informes répandus çà et tt
alentour, montrent assez que ce temple a dû être remar*
quinble en son temps.
Je renouvelai plusieurs fois mes visites dans cette ville
intéressante et j'y essayai même un jour quelques fouiHes,
C'était un jour de fête du pays, et les travaux vaquaient I
la raffinerie. Je pris avec moi le maître maçon de la fabri-
que de sucre de betteraves de Kainourio-Khorio, laborieux,
économe et patient Albanais de Castoria en Péiagonie , et
deux de ses ouvriers, Albanais^Turcs comme lui, l'un
venu de Y^testino • presque à égale distance de Pharsale
et de Larisse, l'autre d'Ëlassona (Thalassinom) , au |Hed
THRONIUM. 307
da mont Olympe. Les ouvriers albanais de la Macédoine
et de la Thessalie ont coutume d'émîgrcr tous les ans de
leurs Tillages au mois de septembre , pour y rentrer à ta
fin de mai. Pendant ce temps , leurs femmes et enfants
restent comme otages, sous la main des autorités turques,
et les émigrants laissent même une certaine somme pour
caution. Malgré Tamonr de la patrie, si vif dans le cœur
de tout habitant de montagnes , ils pourraient bien , sans
cette précaution de leurs maîtres, ne plus vouloir rentrer
dans un pays où tout ordre , toute activité , toute énergie
ancienne , tout gouvernement , toute nationalité même s*eQ
vont mourant en même temps.
J'avale eu beaucoup de peine è décider mes Albanais &
me suivre avec leurs pioches un jour de fête. Voyant ce-
pendant que je ne voulais qu*un essai , et non un travail
suivi , et que le péché était moindre , ils se décidèrent , et
nous nous dirigeâmes ensemble à travers les champs et les
prés vers les bords du Boagrlus.
J'essayai d'abord, sur les ruines de l'ancien temple, si ,
en soulevant quelques-^uns de ces marbres et en les mettant
9t découvert , je pourrais retrouver soit des fragments de
bas-reliefs ou de statues, soit une inscription antique. Je
dis donc à mes Albanais de me déchausser un peu quel-
ques*uns de ces marbres avec leurs pioches. Ils se mon<'
trèrent épouvantés de l'énormité de ma demande : c'était
le jour de l'Ascension, jour de fête solennelle, et je voulais
que ce jour-là ils ti*avaiilassent , à quoi ? à profaner le ter-
rain religieux sur lequel avait existé une église ! Tout tem-
ple, de quelque date qu'il soit et à quelque culte qu*il ail
)ippartenu , est pour eux une église ; et toute église en
ruines, tout terrain où a été bâtie une église, est un terrain
sacré qu'on ne viole pas sans crime. J'ai vu près de Chai*
Us, le long des rochers qui précèdent la petite vall^ qu'ar-
rose rAréihuse, terre natale du papyruà , comme Syracuse
elle-même , au milieii des nombreux tombeaux antiques
creusés sar tous leurs flancs, un reste de voûte taillée dans
308 GRÈCE CONTIi\ENTALE ET HOREE.
le roc, et qai avait probablemcDl fait partie é'ùnhéroilm
antique, d'un tombeau consacré à quelque héros ou demi-
dieu des temps fabuleux. La tradition populaire du respect
voué à ce tombeau s*e8t conservée de génération en géné-
ration , et sous cette voûte est placée une lampe toujours
allumée. Le berger qui fait paître ses brebis sur le coteau
voisin , le . pêcheur qui vient étendre ses filets sur cette
côte, se chargent religieusement d*en renouveler i*huile à
leurs frais , et les voyageurs qui passent à côté ne man-
quent pas de phcer sur la pierre de la tombe l'offrande de
quelques monnaies auxquelles personne n'oserait toucher,
et que vient ensuite recueillir avec solennité un prêtre du
voisinage , pour pouvoir un jour relever VàéroUm et le
transformer en chapelle, consacrée à quelque saint vénéré
dans le pays, à quelque successeur chrétien des demi-
dieux antiques. Ainsi l'idée religieuse protège encore le
culte qui a cessé d'être , et le respect des choses sacrées
forme une chaîne non interrompue jusqu'à nous.
Il me fallut de longs arguments pour bien établir, aux
yeux de mes Albanais, la différence du respect dû à un
temple païen et à une église chrétienne , et pour bien leur
démontrer que c'étaient là les ruines d'un temple, et non
d'une église. Ils se rendirent enfin , et l'un d'eux , bien
qu'avec répugnance, commença à donner un coup de
pioche et à soulever un marbre à demi enterré ; mais qu'on
juge de son effroi quand il "vit, du milieu des marbres, sortir
un gros serpent, qui alla tout doucement se perdre au milieu
des broussailles. Mon homme crut voir en lui le vengeur
des dieux offensés et le protecteur du temple ', et , sans
dire un mot, il déposa sa pioche en faisant vingt signes de
croix. Je m'adressai alors à son compaguon , qui me sem-
blait plus hardi , et je me servis moi-même de la pioche
' At ^mini lapsu deliibra ad samma dracones ,
Effuglunt , saevœque petunt Tritonidis arcem ,
Siib pedibnsque dex clipeiqae &ub orbe t«guntur.
(Aineidas lib. ii.)
TaRONiUH. 309
pour lui donner l'exemple et dissiper ses terreurs. Il se
laissa persuader, et donna, les yeux à dentî fermés, on
vigoureux coup de pioche, à un endroit que je lui désignai^
près d*un autre fragment de marbre. Cette fois , ce ne fut
pas un seul serpent , mais un nombreux nid de petits ser-
pents verts, qui se découvrit à nos regards. En vain je cher-
chai à lui prouver que ces petits serpents étaient inoflensifs,
la terreur religieuse avait pris le dessus. Je ne voulais pas
d'ailleurs blesser si vivement leur conscience , et je re-
nonçai à mon temple pour utiliser leur travail dans un
autre lieu. Je me contentai de suivre Tenceinte extérieure
de la ville et de l'Acropolis, et d'en bien déterminer l'é-
tendue, et je quittai les ruines deXhronium.
Un autre jour je me dirigeai d'un autre côté sur les
mêmes flancs du Knémis pour visiter la jolie baie de Pa-
lœo-Khori et tâcher de retrouver un point géographique
intéressant pour moi, la situation de la ville de Sidéro*porta
(la porte de fer ). La Chronique de Morée raconte' que,
dans la guerre portée en 1259 en Macédoine par le prince
d'Achaye, Guillaume de Yille-Hardoin, et par son parent
Michel Comnène, despote d'Arta, les troupes de Guillaume
s'embarquèrent à Pyrgos, en Morée, traversèrent le golfe
de Lépante , se joignirent à Arta aux troupes du despote ,
passèrent de là à Janina, puis en Vlachie, et attendirent dans
la plaine de Tfaalassiuo en Thessalie les troupes des feuda-
taires de l'Attique et de l'Ëubée, qui arrivaient d'un autre
côté. Ces troupes, composées des contingents des feudataires
d'Aihènes , de Thèbes , de Salona , de l'Ëubée et des îles
de Skiathos et Skopelos, étaient, dit la Chronique, venues
tout droit par Sidéro-porta , et les deux corps d'armée
opérèrent leur jonction à Thalassino , désignée comme
rendez-vous général.
Malgré les recherches les plus minutieuses je n'avais pu
sur aucune carte découvrir ce lieu de Sidéro-porta. Tout
* p. 85 de mon édition.
310 GRÈCE CONTINENTALE ET MORÉE.
ce que je pouvais voir, c'est qu'il devait être placé sur h
c6te orientale de la Grèce; mais rien ne m'indiquait son
emplacement exact. Une épreuve de la nouvelle et excel-
lente carte de la Grèce continentale, par les officiers de
rétat-major français détachés en Grèce , était entre mes
mains. Je vis qu'elle indiquait un Sidéro-porta à l'extré-
mité de la baie de Dapbnos , an pied du mont Knémis,
en face delà baied'Âidipsosen Eubée, et je résolus d'aller
vérifier par moi même si c'était bien là la situation du Si-
déro-porta de la Chronique, et ce qui en restait. Je partis à
cheval , voulant visiter en même temps toutes les gra-
cieuses pentes du Knémis jusqu'à la baie de Palœo-Khori
et au couvent de la Transfiguration. .Après mille nnueux
détours à travers un véritable parc, tout disposé par la na-
ture avec la grandeur qu'elle met dans ses œuvres, j'ar-
rivai près d'une source d'eau thermale qui découle d'un
rocher. L'eau , assez abondante pour faire tourner un
moulin , est d'une température peu élevée et d'un goôt
fort salin. A un quart de lieue de là je rencontrai une se-
conde source d'eau thermale. Déjà à quelque distance une
odeur sulfureuse se répand tout autour. La température
de celte seconde source est de 22 à 2/i degrés fléaumur
et ses eaux ont aussi un léger goût salin. Un bassin de
forme carrée, construit solidement en pierres, annonce
qu'elle a été autrefois connue et employée , fort probable-
ment au temps des Romains. Les anciens faisaient grand
cas des eaux thermales , et cette source , qui est si abon-
dante et si puissante , placée dans un si beau pays et avec
de si facile accès par iner, ne pouvait être dédaignée d'eux.
La vallée de PalcBo-Khori, terminée par une baie aussi
belle que sûre en forme de demi-cercle, s'étend an delà,
resserrée entre la mer et le Knémis. Vallée , montagne et
baie , tout cela appartenait autrefois à un Turc puissant ,
qui , au pied de la montagne et près d'une source d'e^iu
fraîche , avait fait bâtir un pyrgos et de grandes maisons
d'exploitation rurale , et , chose tout à fait exceptionnelle
COUVENT P£ LA TRANSFIGURATION. dit
pour uo Tare , gérait de là avec intelligeoce sod domaine
bien entrcteau, qui lui rapportait un revenu considérable
et régulier. Ce pyrgos , ruiné par la guerre , est aujour-
d'hui une maison de ferme faisant partie des concessions
de terres faite par le gouvernement giec à la société com-
merciale de Kainourio-K-horio.
Il faut une heure pour monter de là au monastère de la
Métamorphose ou Transfiguration. La route est âpre et ro-
cailleuse, mais continuellement tracée à travers des bois odo-
rants, et elle offre une suite non interrompue des points de
vue les plus variés. Dès le premier quart d'heure on arrive à
Yavton (coude) d*un ravin profond formé de rochers à pic.
Un torrent s'y précipite à grand bruit et va se perdre au
milieu des myrtes, des ombrages et des fleurs dans les sables
de la baie de Palœo-Khori. A quelques pas plus haut, rœil
Éitigué peut se reposer sur de vastes pelouses arrosées par
Teau paisible d*un ruisseau. Paitout des vignes sauvages,
enlacées aux plus beaux arbres , dérobent leur tronc h la
vue dans un berceau de larges feuilles, du milieu desquellea
s'élancent déjà en petites grappes les fleurs de la vigne. Par^
tout des arbres et du gazon parsemé de fleurs; partout
une nature élégante et gracieuse.
Le couvent de la TransGguration est situé sur un plateau
bien cultivé qui domine tout le pays, mais qui est dominé
lui-même par la chaîne supérieure du Knémis. On ne
peut l'apercevoir ni du rivage ni même de la mer ^ parce
qu'il est caché au milieu des arbres et dérobé à la vue par
une sorte de coude de la montagne ; mais quand on est
parvenu au-dessus de la plate-forme découverte sur la-
quelle il est bâti ^ on aperçoit de là la vallée tout entière.
Tout était à l'abandon à l'intérieur du monastère désert.'
Les cellules humides des moines étaient sans portes » les
escaliers pourris et brisés, l'église en ruines; le pupitre
était couvert d'un manuscrit grec de prières , resté ouvert ;
Tautel revêtu de son liùge, mais souillé ; quelques icônes à
cadres dorés mais noircis par le temps et la poussière étaient
312 GRÈGE CONTINENTALE ET MOREE.
appenduesaax mursou renversées sur l'autel, des fragmenls
d'encensoirs gisaient dispersés sur le pavé avec les restes da
dernier encens, et, en présence de ce spectacle de ruines et
de mort, trois lampes continuaient à brûler, allumées et
alimentées d'huile tour à tour par la piété reconnaissante
du meunier placé au bas du torrent et du berger qui garde
ses chèvres sur la montagne. C'était une vue mélancolique
et solennelle. Autour des ruines du couvent fleurissent et
prospèrent encore les arbres fruitiers que les moines ont
plantés. Une vigne assez étendue continue à fournir d'ex-
cellent raisin ; les arbres du verger , disposés sur une pe-
louse bien verte qui couvre le flanc arrondi de la colline voi-
sine, poussent avec luxe leurs branches fécondes couvertes
de fruits naissants, et partout les grenadiers déjà en fleurs,
les mûriers, les figuiers aux larges feuilles promettent, à
quiconque viendra la leur demander, la récolte la plus
abondante. Je m'arrêtai quelques instants à admirer ce
qui m'entourait. La situation du pays , cette belle baie de
Palœo-Khori, cette longue et étroite île de Lichade, sembla-
ble à un corps étendu sur les flots, ces monts de l'Eubée,
cette colline boisée qui descend à la mer , tout me rappe-
lait des lieux dont le souvenir ni'est bien cher et bien triste,
Arenenberg sur le lac de Constance ; Arenenberg, où, près
de cette excellente reine Hortense et de son fils le prince
Louis, j'avais passé quelques heures si douces. La baie de
Palœo-Khori me représentait la baie d'Erroatingen ; l'île
Lichade s'étendait en longueur comme l'île de Reichnau ,
mais sans les villages et les clochers d'une abbaye semblable
à celle où vint reposer Louis-le-Gros ; le canal de l'Eubée,
fermé d'un côté par le golfe de Zeitoun (Lamia) et de l'au-
tre par le golfe de Talante , qui vient se clore au pont de
Chalkis, me représentait en grand le lac inférieur de
Constance, que le Rhin traverse sans y mêler ses eaux;
rOËta, le Yelouchi et la chaîne neigeuse de l'Olhrys, qui
viennent se joindre de si près aux monts de l'Eubée pour
encadrer cette gracieuse mer, me rappelaient les montagnes
SIDÉBO-PORTA. 313
de ia Soaabe , du Yorarlberg et du canton de Saint-Gall ,
et les idées morales éveillées pat* ia présence de ce monas-
tère en ruines me reportaient avec plus de force encore
que les images physiques des lieux aux mélancoliques
souvenirs d'Arenenberg. Qu'était devenu aujourd'hui cet
élégant pavillon d'Arenenberg? La reine Hortensc est
morte, morte avant le temps, et son corps, transporté, loin
des bosquets où s'était abrité son exil , dans cette patrie
qu'il ne lui a été donné d'habiter qu'après sa mort, repose
près de celui de l'impératrice Joséphine sa mère, dans la
petite église de Ruelle, tout près de la Malmaison détruite.
Son ûls, le prince Louis, contraint peu de temps après de
quitter ces lieux tout pleins du souvenir des bienfaits de
sa mère et de chercher un refuge en Angleterre, est
aujourd'hui renfermé en France dans une prison d'État.
Dans cette dispersion profonde de toute sa fortune avait-il
pu conserver cette petite propriété maternelle à laquelle il
tenait par des pensées si douces, et avait-il pu maintenir
ce legs pieux entre ses mains 7 Malgré moi ces tristes Idées
retombèrent sur mon cœur de tout leur poids, et en quit-
tant la vieille abbaye pour descendre sur le rivage de Paloeo-*
Khofi, à mesure que se représentait à moi, à chaque tour*
nant de la montagne, l'image de cette jolie baied'Ermatingen
placée sous les fenêtres de la chambre que j'ai habitée quel-
ques mois dans le pavillon d'Arenemberg , la tristesse me
resserrait le cœur et je me sentais heureux que les larmes
me vinssent aux yeux.
Restait ma recherche de Sidéro-Porta à mettre à fin.
Arrivé à la baie de Palœo-Khori , je suivis le bord de
la mer jusqu'au cap Yromo-Limni (l'étang puant) ; là je
pénétrai dans la montagne , guidé par l'intendant anglais
de Kainourio-Khorio, qui connaît à merveille tout ce pays.
Je longeai le rivage à quelque distance de la route qui mène
àVorlovos. A un petit nombre de pas de là , en montant dans
le bois, je rencontrai prèsd*un sentier les débris d'une tour
hellénique ^ qui ne s'élève plus qu'à trois pieds au-dessus
2'
814 GRECE CONTINENTALB BT MOREE.
de terre, sor le penchant d*uo coteau au milieu des arbres
el qui était fort bien disposée pour servir de vigie. Sur le
revers opposé, i vingt rainâtes en descendant vers le rivage,
je remarquai près d'une fontaine des ruines fort modernes.
Autour de la fontaine et des murs en ruities, quelques traces
de défrichement et quelques vergers annonçaient qu*à une
époque assez peu éloignée ce lieu avait été habité. La posi-
tion de ce village ruiné, désigné dans la grande carto fran-
çaise sous le nom de Néo-Kbori, était bien choisie. Il do-
minait une vallée qui sVtend entre des collines jusqu'à la
mer, à peu de distance de l'antique baie de Dapfanus. Ce
ne pouvait être dans cette partie de la colline que je trou-
verais Sidéro-Porta. Tout ce pays était bien boisé et sans
rochers , et rien alentour ne me semblait rappeler son
nom de Porte-de-Fer. Je regardai si dans ia montagne
1fi»-à-vis il n'y aurait pas quelque passage , quelque défilé
étroit qui pût mériter ce nom. La montagne semblait tout
à fait à pic au-dessus de ma tête ; mais souvent , dans ces
montagnes inaccessibles en apparence, une fente de rocher
ouvre la voie à un torrent et le torrent trace la voie au
pied de l'homme. Je résolus donc de tourner les coteaux
en remontant et de visiter tout avec soin jusqu'au bas du
pic. A peine avais-je erré une deml-beure en cherchant
dans tous les sens , que , sur un vaste plateau qui va tou-
jours en s'éievant dans une très-belle situation , j'aperçus
des pierres et des briques amoncelées. Partout sur le ter-
rain sont éparses les ruines d'anciens murs de construction
non helléniques , mais romains , puis byzantins. Je suivis
leur trace jusqu'à la partie la plus élevée de cette colline,
rattachée aux terrains inférieurs de cette pente si âpre du
Knémis. Là aussi étaient répandus de nombreux débris*
Parmi les pierres et les herbes épaisses un berger était assis,
tenant en main sa houlette classique : je m'approchai et lui
demandai le nom de ces ruines. Suivant lui, ce lieu, depuis
long- temps ruiné, était connu dans le pays sous le nom de
Mîcorla ( Néo-Kbori ). Ce n'était pas encore moa aSatàre,
»IDERO*rORTA. 3t5
Je n'enqms ensuite de mon berger , qui semblait l*hôte
familier de ees iBootagnes, s'il ne connaîtrait pas une fente
praticable ou un ravin aux détours cachés pour pénétrer
à travers le pic du mont Karya , et s'il ne se trouvait pas
près de quelque pyrgos en ruine, un passage étroit qui
portât ou p0t porter le nom de Sidéro-Porta. Il me répon*
dit en me montrant, dans une fente de rocher, une voie
étroite et difiBcile, mais possible, et qu'il avait suivie lui-
même ; et il ajouta qu'en monunt par ce sentier rapide
pendant une demi-heure, on arrivait à un défilé de rochers
pendus au-dessus d'un précipice , et qu'à travers ces ro-*
cbers était ouvert un passage étroit , droit et élevé , conna
en effet dans le pays sous le nom de Sidéro-Porta , et que
le vieux pyrgos mentionné par moi était placé au-dessus
sur la montagne.
Je le pris pour guide dans ma recherche. Je fis attacher
les chevaux aux arbrisseaux qui croissent au milieu des
ruines de Nicoria, et nous commençâmes à monter le ravin.
Arrivés à un endroit où le sentier vient rencontrer un ra-r
vin fort précipiteux et fort étroit , nous fûmes arrêtés par
un mur de pierre infranchissable ; mais le sentier tourne
le long des rochers, et, en suivant cette chaîne de pics ar-*
dus, on arrive â deux roches au milieu desquelles s'ouvre
une voie étroite. Ces roches se lient à d'autres plus élevées,
dont l'une des deux se sépare pour donner passage
comme si elle eût été arrachée par une convulsion sou-
daine et Jetée sur le bord du ravin, où elle surplombe en
s'élevant d'une vingtaine de pieds seulement au-dessus du
sentier. A une quarantaine de pas au-dessus, se présente
une nouvelle barrière de rochers qui s'ouvrent, de manière
ï laisser passage à quatre hommes de front , et tout à côté
est on précipice d'environ éinq à six cents pieds de pro-»
buideur. Cette barrière de rochers^ appuyée comme une
sorte de forteresse sur une troisième barrière de rochers
taillés en quelques endroits de main d'homme, est ce qu'on
appelle encore aujourd'hui iMdéro-Porta. Le vieux pyrgos
316 GRÈCE CONTINENTALE ET MOllÉE.
est placé un pea plus liant dans la montagne et domine
tous les points de débarquement de la baie de Daphnus.
Il est assez probable que le passage aura donné son nom
à la ville qu'il commandait, et qui était fort probablement
celle dont je venais de voir les ruines sur le plateau couvert
de débris et d'arbustes où était assis mon berger. Ce pas-
sage est un point excellent d'observation. De là on décou-
vre au loin tout ce qui se passe sur la route de Talante à
Lamia, sans pouvoir être découvert derrière les rochers
. qui vous abritent Aussi , dans les derniers temps de la
domination turque , les klephles qui abondaient dans ces
parages en avaient-ils fait leur repaire habituel. Ils épiaient
de loin l'arrivée des voyageurs , savaient s'ils étaient seuls
ou comment ils étaient accompagnés , et , à l'aide de si-
gnaux convenus, pouvaient indiquer aux leurs, distribués
dans d'autres parties du pays, le meilleur point d'attaque, le
nombre d'hommes nécessaire au succès, et ce qu'ils avaient
à craindre ou à oser; mais les klephtes sont rares aujour-
d'hui par toute la Grèce, De là un chemin fort âpre con-
duit au village élevé de Karya, d'où on peut gagner
Drakhmana et la vallée du Géphise. Le rendez-vous de Si^
déro-Porta était donc assez bien choisi pour la réunion des
divers contingents féodaux du comte de Salona , qui pou-
vait arriver par Karya ou rejoindre les troupes au débou-
ché de la route qui conduit à Bodonitza. Dans la baie de
Daphnus pouvaient débarquer le contingent envoyé par le
duc d'Athènes et ceux des seigneurs de Ghalkis et de Ca
rystos. Quant au troisième baron d'Eubée , le seigneur
d'Orèosetdesîlesde Skiathos, Skopelos et Skyros, il n'avait
qu'une bien courte traversée pour se rendre, soitd'Orèos,
soit d'Aidipsos , à la même baie de Daphnus. Le chemin
de Sidéro-Porta jusqu'au pied de l'Olympe à la ville d'E-
lassona ou Thala9sinum« fixée pour le rendez-vous général
du corps d'armée du prince Guillaume de Morée , arrivé
de Lépante et d'Arta avec son allié le despote, et du corps
d'armée de ses feudataires, pour marcher ensuite sur Ca-
SIDERO-PORTA. 317
storia était ensuite très-facile. Parmi les ouvriers de la ma-
nufacture de Kainourio-Khorio il se trouvait plusieurs ha-
bitants de la Thessalie et de la Macédoine; le chef des maçons
albanais habitait ordinairement la ville même de Gastoria,
près de laquelle s'est donnée la bataille de 1259. Plusieurs
fois je Tavais interrogé sur son itinéraire de Kainourio-
Khorio à Casloria. « En cinq jours , m'avait-il dit , j'ar-
rive à Castoria sans fatigue. Je passe les défilés de TOthrys
entre Zeitoun (Lamia) et Patradjik, puis je pénètre dans la
grande plaine de Thessalie ; je suis les bords du lac Neze-
ros que j'ai à ma droite, et j'arrive à Domocos (Thauma-
cos), où se trouvent les ruines d'une ancienne tour fort
considérable , construite en murs de ciment ( c'est-à-dire
d'origine franque) , et dominant la route de Donoiocos. Je
me dirige sur Pharsale, et de là sur Larisse , laissant à ma
droite Armyros et Yelestino. A Pharsale, qui est en plaine,
ainsi qu'à Yelestino, sont aussi deux vieux châteaux à murs
de ciment ; Larisse, qui est aussi en plaine, est fortifiée.
De Larisse je me rends à Tournovo, de Tournovo à Elas^
sona; puis je m'enfonce dans l'Olympe, traverse Servia
et suis à Castoria , ma patrie , située sur le bord d'un lac
et contenant 10,000 habitants, dont 8,000 Grecs et 2,000
Turcs , le cinquième jour après mon départ. » Toutes ces
villes de Thaumacos, Armyros, Pharsale, Larisse, Armyros,
Yelestino, ainsi que celles de Platamona et de Kitros, placées
sur la côte, sont souvent meniionnées dans les lettres
d'Innocent III , aussi bien que les seigneurs francs qui y te-
naient forteresse.
Fort charmé des renseignements que j'avais obtenus
dans la journée, je retournai dans la baie de Palœo-Khori,
où m'attendait un caïque qu'on m'avait envoyé de la ma-
nufacture. La mer était douce et le ciel resplendissait des
feux du soleil couchant. Je laissai loin de moi la baie d'Ai-
dipsos , les ruines de ses bains et de son temple d'Hercule ;
et, après deux heures d'une délicieuse navigation , je ren-
trai à Kainourio-Khorio.
27.
r
318 GRECE CONTINENTALE ET HOREE.
XVI.
LES THERMOPYLES. — LAMIA. — NÊO-PATRAft.
Quelques renseignementa que j'avais puisés à Thèbes
m'avaient fait penser que dans le monastère de Poursos,
près de Vrac, au pied de l'Arakynthe, dans les monts d' A-
eamanie , je retrouverais quelques manuscrits relatifs \
notre occupation féodale du pays. Un officier de stratîotes
m^avait même dit y avoir vu un manuscrit dans lequel il
présumait qu'étaient inscrites les distributions de terres.
Je m'imaginai que oe pourrait être le fameux Livre de
ta conquête \ mentionné par la chronique de Morée, et
qui était soit une chronique de la conquête , soit un régis*
tre des tieh. Un tel ouvrage avait trop d'intérêt à mes yeux
pour que je ne bravasse pas les fatigues du plus long voyage
pour le trouver. Je décidai donc , qu'après avoir visité
les *niermopyles , je me rendrais par Néo-Patras à
Poursos.
Je partis de Kainourio le 5 mai, accompagné d'un an-
eien klepbte qui avait autrefois fait partie de la bande du
célèbre Galamata, cantonnée dans la montagne de Greveno,
près Hypate ou Néo^Patras, là même où ou montre encore
l'endroit où était placé le bûcher au milieu duquel se jeta
Hercule. Hâbleur conome un Gascon, il se vantait d'avoir
tué le klephte Manolaki , dont la tête avait été mise à prix,
mais il fallait que Manolaki eût beaucoup de têtes , car j'ai
eu tendu plusde vipgt pallicares se vanter de lui en avoir coupé
^ «LeroiHaymeriSyde qui nous trouYops au Livre dou conquest
(Assises de Jérusalem, ch. 213, f. 174 du mi^nuscrit de Venise). E
si andô ( Baudoin H) in ponente siccome in lo Libro délia conquista
apertemente se déclara (Assises de Bornant, préambule, p. 146 de
ma Cliré de Morée) 9faGô< iyyftitftù^ nûpa^tv Xeirroç tic tÀ ^i^Xiov
T^ç xovTT^orraç (Ciir. de Morée).
THBRH0PTLE8. 919
une. Co8ta , après avoir fait la guerre de montagnes aux
Turcs et un peu aux voyageurs grecs, et surtout anglais et
français , s'était peu à peu façonné à une vie plus régu-t
Hère , et c'était un garde-chasse fort adroit ; mais je crois
qnll n*oût pas été bien sûr de trop Texposer à la tentation.
Le souvenir de cette indépendance des montagnes avec ses
misères, mais avec sa fierté, les touche encore plus que Tai^t
sance dépendante des villes. Avec moi et chacun de nous bien
armé, c'était un guide dont je pouvais tirer bon parti. Je tra<
▼ersai de nouveau te Boagrius et dépassai le moulin de Thro-
nium et le triste village de IMoIo , et les ouvertures des
lallées qui mènent à«fiodonitza, et je me hâtai d'arriver avec
désir vers ces célèbres Thermopyles , lieux que mon ami
Pichot m'avait faits si terribles par la puissance de ses
beaux grands vers, et que le peintre David m'avait fait
voir si âpres et si redoutables.
Je m'approche; je longe de délicieuses vallées qui tan-«
tôt remontent en pentes arrondies sur les flancs opposés
de deux montagnes , et tantôt se resserrent un peu et sul<
vent les ondulations de la montagne, en présentant à la vue
une suite de collines verdoyantes qui, comme les flots de
rOcéaOi se fondent en se rapprochant. L'arbre de Judée
y prodigue ses fleurs lilas < et l'anémone de toutes couleurs
émaille la verdure. Je m'avance sous l'ombrage des plus
beaux arbres; je m'attendais à trouver un passage bien
étroit et bien rocailleux suspendu au-de$sus d'un marais
profond; la vigne sauvage forme au-dessus de ma tête
d'impénétrables berceaux et me dérobe les troncs d'arbres
les plus noueux ; tout est verduro , tout est fleurs, et mille
et mille rossignols luttent d'harmonie sous ces bosquets
délicieux. Je demande si je suis bien sur la route des Ther-
mopyles 7 — Vous êtes aux Thermopyles , me répond*on.
Je regarde avec étonnement autour de moi. L'épaisseur
des ombrages me dérobait la vue des montagnes qui se jet-
tent en avant pour resserrer la route , et les marais à fleur
de terre sont d^uisis par 1^ Jones qui les couvrent.
320 GRÈCE CONTINENTALE ET HOREE.
Même parvenu à ce point où la chaussée est le plus res-
serrée , entre la montagne et un marais qui s'avance au
pied de la route, j'interrogeais cette montagne si char-
mante de verdure, pour savoir si elle était en effet aussi in-
franchissable. Le fait est que , dans cet endroit où Léoni-
das combattit avec ses trois cents Spartiates, avant-garde
puissante des cinq mille Grecs échelonnés dans la vallée
voisine , et dans une position vigoureuse , il n'y a aucun
autre moyen de passer que de suivre l'étroite chaussée
entre la montagne et le marais. Bien que vertes et belles
dans leurs pentes inférieures, ces montagnes sont absolu-
ment insurmontables de ce côté. Notre gaulois Brenn sévit
arrêté dans le même endroit , et fut obligé de rebrousser
chemin, bien au delà de la source d'eau chaude qui découle
en torrent des rochers , et Hydarnès , le Perse , fut obligé
de tourner aussi par le même chemin pour redescendre en-
suite et surprendre les Grecs.
Il est facile de reconnaître encore le point désigné par
Hérodote comme celui où combattirent et tombèrent Léo-
nidasetses trois cents Spartiates. Â cet endroit la monta-
gne , bien que belle encore de verdure , se termine d'une
manière abrupte et vient expirer , sans adoucir sa pente ,
tout à fait au pied de la route , qui n'a que quelques pas
de largeur, et est bordée de l'autre côté par un marais qui
s'étend jusqu'à la mer, et à travers lequel il est impossible
de pénétrer. A quelques pas plus loin sont les restes d'un
mur de fortification par lequel Justinien , à défaut de
poitrines de braves , avait voulu fermer le passage.
Un peu au delà plusieurs sources abondantes d*eaux
chaudes se répandent jusqu'au marais et forment une
croûte saline et blanche d'une longue étendue. On conçoit
parfaitement qu'à ce passage trois cents hommes décidés
à mourir, et servant d'avant-garde à cinq mille braves pos-
tés entre la montagne et le marais, aient pu arrêter de fort
nombreuses armées. Mais tandis que les Spartiates se fai-
saient tuer pour sauver leur pays, un berger enseignait à
TIIERMOPYLES. 331
une partie de Tarinée persane le moyen de tourner le dé-
filé, en remontant au-dessus d'Àlamaui par l'endroit où est
la caserne actuelle jusqu*à Élevterochori , et redescendant
de là près de Nevropolis le long du sommet du Kallidrooie
jusqu'à PalœoJania , et là prenant par derrière l'armée
grecque occupée à combattre le reste de l'armée persane.
Ces lieux sont encore pleins de poésie ; et , au milieu de
ces beaux ombrages , le long de ces sources bouillonnantes,
on s'imagine voir encore les Spartiates, si décidés à mourir,
jouer, se parer et admirer la beauté du lieu en attendant
le moment terrible de leur dernière lutte.
Les sources d'eau chaude qui ont donné leur nom aux
Thermopyles sont à quelques pas plus loin et au delà des
restes du mur de Justinien. Cette croûte blanche qui re-
tentit sous les pieds comme une voûte est formée par la
déperdition des eaux sur le rivage pendant plusieurs siè-
cles. Rien n'est plus triste et plus disgracieux. Je suivis
jusqu'à la colline ces dépôts salins, sillonnés d'espace à au-
tre par des filets d'eau chaude fort transparente et fort ra*
pide, et j'allai jusqu'à la plus forte des sources, qui s'élance
avec impétuosité du flanc d'un rocher. L'eau, qui me pa-
rut avoir de 36 à 40 degrés Réaumur, est extrêmement ra-
pide et abondante. Il y aurait là de quoi alimenter des
bains sans nombre. Un établissement de bains et un canal
par lequel ces cours d'eau pourraient se diriger vers la
mer voisine , sans se perdre dans les terres , donneraient
tine toute nouvelle vie à cette langue de terre, dont l'appa-
rence de désolation contraste d'une manière si pénible avec
l'aspect gracieux du reste des Thermopyles. C'était aux
eaux chaudes et au mur de Justinien que finissait la Lo-
cride et que commençait la Thessalie.
Des eaux chaudes jusqu'à Lamia , la route est fort mo-
notone. Un pont de pierre jeté sur le Sperchius à Âlamani
aboutit à d'abominables chaussées, qui conduisent lente-
ment à travers des marais jusqu'au pied de Zeitoun, l'an-
cienne Lamia ou Mallia, dont le nom a été donné au golfe
33f GRÈCE CONTINEKTAtE BT MOREE.
MaHîaqae '. Cette ville, frontière do royamne grée, a coa-
8ervé toute l'apparence d'une ville turque. Deux mosquées
abandonnées y ont leurs minarets intacts avec leurs gale-
ries et leurs flèches. Quelques grandes maisons turques
sont aussi conservées. Les deux seules qui méritent atten-
tion sont celles qui appartenaient à Kiamii Bey, un dis ces
riches possesseurs de timars ou fiefs turcs entre lesquels
les sultans avaient partagé tontes les terres depuis Satoni-
que jusqu'à la Morée, c'est-à-dire tous les pays qui étaient
restés le plus long-temps sous la domination des Francs et
où leurs usages s'étaient le mieux conservés. Ainsi les an-
ciens fiefs francs furent remplacés |Kir des timars, et les
paysans restèrent colons comme sous les Francs. On re-
trouve pendant tout le temps de la domination turque le
colon maintenu sous le nom presque franc de coroni, et l'u-
sage du cheptel maintenu aussi sous un nom turc,|mais avec
le même effet. Ali-Pacha, qui n'aimait pas les grands sei-
gneurs turcs, maisqui aimait beaucoup leurs propriétés, con-
fisqua toutes leurs terres dans ces provinces et les mil entre
ses mains. A la mort d'Ali- Pacha, le sultan Mahmoud profita
de ces confiscations , et ne voulut plus reconstituer de ti-
mars. Il garda tout pour lui et se contenta de distribuer
çà et là quelques gros lots à ses favoris du moment , tel
qu'était ce Kiamil-Bey. Lorsque le gouvernement ottoman
fut remplacé par le gouvernement grec , toutes les terres
du domaine du sultan devinrent propriétés naticmales du
nouvel État; et jusqu'ici aucune mesure n'a été prise pour
répartir ces immenses pn^iétés entre des travailleurs in-
téressés à en tirer le meilleur fruit possible. Dans les pre-
mières années de la révolution, chaque parti prétendait les
distribuer entre les siens. L'assemblée d'Épidaure prit un
parti extrême ; et , pour empêcher la dispersion folle des
^ C'est à tort que quelques auteurs ont transporté Lamia jusqu'à
Domocos, et ont placé la Tbèbes pbthiotique sur remplacement ac-
tuel de Lamia. La position de Zeitoun sur les ruines de l'antique
Lamin est an fait constaté par la science archéologique.
nationaux t elle Rendit au goaTerndraeQt d'en àm
poser d'une quantité plus grande que celle qui rèprésen-
tak rindemnité due aux jsoldats de Tarniée grecque , lais-
sant le règlement du reste à une autre aaaenblée , qui n'a
jamais été convoquée* A l'arrivée du roi , qui fut accepté
saas GOoditioQ ni constitution ^ les tefres nationales devin*
rent une hypothèque de l'emprunty et aueuae mesure n'a
été prise pour les distribuer od les vendre à bon marché,
de manière à muJtiplier la classe des propriétaires. On se
contente de les affermer à qui veut les prendre, année par
année, en payant au gouvernement 25 pour 100 du pro*
dait Ainsi chacun choisit la terre qui lui convient , puis
l'abandonne pour passer à une autre^ sans qu'aucun effort
soit fait pour planter ou bâtir, eomme on le ferait sur un»
terre à long bail, et encore mieux aur une terre qu'on pos-
séderait en toute propriété.
Je rencontrai à Lamia plusieurs personnages Intéressants,
tels que le colonel P^rhebos, du corps des Phalangistes, le
docteur Georgiadès , le procureur du roi Slaneff, au nom
russe et au cœur français, le ccMiseiller d'État. Droses Mansou-
las. M. Perrhebos a servi avec honneur daos notre corps
d'armée de Gm^fou au temps du géujéral Deiizelot , et il a
conservé un vif attachement pour la France , oà il est fort
connu par un exceLlent morceau historique < rfiistoire de
Souli , écrit en grec avec une naïveté pleine de charme et
de grandeur. Il a aussi, depuis, écrit ses souvenirs sur les
ferres de la révolution grecque ; mais cet ouvrage est bien
loin d'avoir l'intétêt de l'autre. Perrhebos était peur moi
comme un reflet du temps et des mœurs antiques. Le doc*
teOr Georgiadès a fait ses études avec succès à notre École
de Médecine , et ses talents font honneur à l'instructioa
française. Les sentiments de M. Georgiadès, aii^i que ses
affections , ont continué à se tourner vers la France. Ge
n'est pas là une exception dans cette partie de la Grèce y
oar, dans tous les cœurs, j'ai trouvé des sympathies fran-
çaiaea ; mdé la constance de» opkioûs de M« GeorgiadèSi
324 GRECS CONTINENTALE ET MOREE.
constance qae la France n'a pas trouvée toujours dans ceux
de qui elle avait droit de l'attendre , mérite plus particu-
lièrement notre estime à tous. M. Drosos JVlansoulas, con-
seiller d'État et homme fort éclairé, s'est retiré des affaires
pour cultiver ses terres à Hagia-Marina , près de Stillida,
dans l'ancienne Phthiotide d'Achille ; et j'ai été charmé
de pouvoir passer avec lui quelques jours à Lamia.
Mes nouveaux amis me firent avec beaucoup de bien-
veiHance les honneurs de leur ville , et , malgré l'extrême
chaleur des premiers jours de mai, m'accompagnèrent tour
à tour dans mes excursions d'antiquaire et de curieux.
Lamia, placée sur les limites de la Grèce et de la Turquie,
est une des villes les plus florissantes de la Grèce. La gar-
nison qui y est cantonnée a amené la création d'établisse-
ments publics qui n'existent nulle part ailleurs en Grèce,
si ce n'est à Athènes. Ainsi il y a un café assez grand , oà
on peut lire les journaux grecs et les journaux de Paris, et
même le Corsaire, le Charivari et quelques revues. Il
est assez piquant de se retrouver ainsi parmi les siens au
pied des montagnes de Thessalie. 11 y a aussi un billard et
même un restaurateur à la carte en vérité fort supportable
et à fort bon marché , deux choses également extraordi-
naires en Grèce. On n'est pas cependant allé encore au
luxe d'une auberge, n'eôt>on à y trouver qu'une chambre
nue et un seul matelas; il se passera encore quelque
temps avant qu'on en arrive là.
Une place publique se forme, et des deux côtés sont déjà
bâties en bonnes pierres une vingtaine de maisons à deux
étages assez bien distribuées. L'une des deux grandes mai«
sons anciennes de Kiamil-Bey donne sur cette place. Elles
sont revêtues de haut en bas de peinturés extérieures.
L'une d'elles est destinée à recevoir l'hôpital militaire. L'une
de ces deux maisons était pour lui, l'autre pour ses femmes.
Dans celle oOi il demeurait lui-même, une partie de la dis-
tribution intérieure subsiste encore. Les chambres sont
spacieuses; les croisées fermées par des verres de diffé-
LAMIA. 325'
reates couleurs, et les murs peints de toutes sortes d'ara-
besques. L'une des chambres ressemble eatièrement à une
salle à manger de vieux château noble de troisième classe
du temps de Louis XV, avec ses deux armoiresarrondies de
côté su> toute la hauteur et la grande armoire du centre
formant an demi*cercle et de plus grande dimension. Les
parquets et les cloisons sont en mauvaises planches fort
mal assorties et réunies. Cette maison , et surtout celle oà
se tenaient les femmes , était entourée d'une muraille
qui s'élevait à la hauteur du second étage au-dessus du rez-
de-chaussée. C'est probablement pour cette raison que le
rez-de-chaussée et le premier étage étaient consacrés au
service , et qu'au deuxième étage , où il y avait plus de
clarté, étaient placés les appartements d'honneui:. Le mur
est aujourd'hui démoli , ainsi que les bains destinés aux
femmes, et rien n'arrête plus la vue, qui s'étend sur le golfe
Malliaque et les Thermopyles. Le reste de la ville a tout à
fait l'apparence d'une ville turcfue ; particulièrement les
bazars, où, sur une estrade élevée, trônent paisiblement
les marchands assis sur leurs jambes croisées. Les bouti-
ques de pipes y sont surtout nombreuses. On y vend pres-
que pour rien de longs tuyaux de cbiboukis que les bergers
s'amusent à sculpter dans leurs montagnes , d'une manière
quelquefois fort originale.
Malgré l'extrême chaleur, je me mis en route pour
monter à la citadelle de Zeitoun mentionnée dans la Chro-
nique de Marée^. Sur le chemin , un peu en dehors de
la ville actuelle, on aperçoit les murs d'enceinte d? la La •
nûa hellénique, composés, comme d'usage, de largos
pierres quadrilatères. L'Âcropulis était située sur l'empla-
cement même de la citadelle actuelle. En montant cette
colline , on aperçoit dans les murs modernes , beaucoup
de restes des anciennes constructions helléniques. Les murs
d'enceinte de la forteresse portent la trace des divers pen-
1 P. 8& de mon édition à deux co!onnes.
28
326 GRÈCE CONTINENTALE ET MOREE.
pies qui Tont occupée : les premières assises sont des an-
cieos temps helléniqoes ; la partie supérieure et les rem-
parts intérieurs sont francs ou catalans ; la tour carrée est
tout k fait franque ; le fort intérieur, qui coupe une partie
du mur d'enceinte, et quelques adjonctions faites aux mors
crénelés sont tout à fait turcs. Du haut de la tour carrée^
reste de la domination franque ou catalane , la vue s^étend
sur un vaste borixon qui embrasse tout le golfe Malliaque et
TEubée, et, tout en face, les sommets du Parnasse, de THé-
licon et de FŒta.
A répoque de la conquête française, Zeitoua resta com-
prise dans les limites du royaume de Tbessalie ou de Ma-
cédoine, conféré an roi-marquis Boniface de Montferrat,
la principauté d' Acbaye ne commençant alors qu'aux Tberr
mopyles et au marquisat de Bodonitza. L*éTéqne latin de
Zeitoun était un des dix suffragants de Tarcbevéque de ta-
risse '. Innocent III lui adressa plusieurs lettres sous le titre
iesidontensis episcopus ^, tout en donnant aussi quelque-
fois à révêque de Thèbes en Pbtbiotidele titred*évêquede
Zeitoun, suivant en cela Terreur commune. La mort pré-
maturée de Boniface de Montferrat, la jeunesse de son fils et
héritier Démétrios, Fambition des despotes d'Épirede la
maison Comnèue empêchèrent le royaume de Salonique
de se maintenir long-temps avec autorité. Guillaume dalle
Garcere, baron de Négrepont, qui avait épousé une pa-
rente de Démétrius, chercha bien en 124^ à reprendre
une possession réelle de ce royaume *; mais on voit par la
Ghroniqoe de Morée ^ que les villes de cette partie de la
Tbessalie vivaient dans une sorte d'indépendance des em-
i Ces dix suffragaiits étaient les évèqiiesde : !<> Gardiki, 2« Domo-
Ç08, 30 Dimitriade, 4* Zeitoun, 5<> tlzeri ouNazoïi, 6» Kolydrofi,
70 Lidoriki, 8» la Thèbes phtliiotique, 9° Macri, l*ancieune Stagyre,
et 10° Phartalo.
' « Baluze, t. if , p. 618, 619, 625, 626, 627, 63o, 636.
3Rinaldi, t. xxi, p. 2&8, à l'an 1343.
* P. S5.
LAHIA. 327
pereurs de Niccecoanne des despotes d*Épire et des Francs
d'Acbaye.
A quelques années de là Zeiloan fut annexée au duché
d* Athènes, qui s'étendit même au delà de l'Othrys jusqu'au
pori d'Armyros inclus du temps de Ramon tduntaner
dans les domaines de Guy de La Roche , duc d'Athènes K
Lorsque, après la mort de Guy de La Roche, la Grande-
Compagnie catalane s'empara sur Gautier de Brienne, duc
d'Athènes, de tout son duché, elle étendit aussi ses pos-
sessions jusqu'à Zeitonn et jusqu'à NéopatrasX)u Patradjik.
Cette prise de possession est constatée de la manière la
plus indubitable par le titre de duc d'Athènes et de Néopa-
tras conféré par les Catalans de la Grande-Compagnie au roi
Frédéric de Sicile, leur seigneur, et à ses descendants, qui
ont toujours continué à le porter. Pendant tout le quator-
zième siècle nous trouvons les bandes catalanes et navar«
raises établies de ce côté , et résistant toujours aux Grecs;
jusqu'à ce que les Turcs vinrent les mettre d'accord en
s'emparaut de tout, dans la dernière moitié du quinzième
siècle.
£n redescendant de la forteresse je me rendis un peu
hors de la ville pour voir un grand marché aux chevaux
qui avait commencé la veille. C'est une foire assez con-
sidérable pour le pays. Malgré les frais énormes de la qua-
rantaine il s'y était rendu un grand nombre de fermiers
de Thessalie qui venaient vendre par troupeaux de pedts
chevaux fort bien membres , mais fort mal tenus. Si la
Thessalie appartenait à la Grèce , ainsi que cela serait rai*
sonnable, la richesse de cette belle province et la richesse
de la Grèce eu recevraient un accroissement notable ; mais
dans l'état actuel des choses et avec les entraves de laqua*
rantaine il n'y a rien à espérer.
Le lazaret est à une dcmi-iieue de la ville , an pied des
monts Othrys et à deux lieues de la frontière turque. Ce
* B. Muntaner, ch. 230, p. 467 de mon édit. à deux colonnes.
3 28 GBECE C01«TI3iEftTAI.E ET HGREE.
serait un forl médiocre établissement pour un poste de
^i ndartnerie ; c*est un détestable gîte pour une quaran-
taine, l^s chambres n*ont pas de fenêtres , et si on veut y
voir clair il faut sortir et rester à Fair. J'aperçus plusieurs
femmes, arrivées des frontières turques, obligées de se tenir
en dehors pour travailler. Au dedans il n^y a pas un meu-
ble et tout est tenu avec une fort grande malpropreté.
C'est là pourtant qu'il faut passer sa quarantaine en arri-
vant de la Macédoine et de la Thessalie en Grèce! En fai-
sant quelques pas au delà dans la montagne on est fort dé-
doremctgé de ses fatigues, car on voit s^tendre devant soi
celte magniûque et opulente plaine de la Thessalie jusqu'à
la vallée de Tempe et au majestuetix Olympe ; royaume
de Jupiter, qui, après avoir conquis la Grèce, s'y fît res-
pecter comme un dieu.
De I amia à Patradjik ou Néopatras , la route est courte
et facile ; il y a deux chemins pour s'y rendre , et je les ai
successivement parcourus tous les deux : l'un , par le pont
de Franlzi et la rive droite du Sperchius; l'autre, par les
eaux thermales et la rive gauche en passant le Sperchius à
gué. Je rc\ins par celte dernière roule; majsen partant
de Lamia les eaux du Sperchius étaient trop enflées par
c!es pluies de montagnes pour que je pusse le passer à
gué , et je pris le pont de Frantzi. Les environs de Com-
batadès qu'on traverse en suivant cette route sont fort bien
ombragés , et c'est forl justement que les poètes latins ont
célébré les charmes des rives du Sperchius. La distance
n'est que de trois à quatre lieues pour aller de Lamia
à Néopatras ou Patradjik , l'ancienne Uypafe, pays des
Enians.
Néopatras est située tout en haut d'un plateau fort élevé
que domine un plateau plus élevé encore sur lequel est
bâtie nue vieille forteresse , et tous deux sont couronnés
d'une enceinte de hautes montagnes. Elle est resserrée en-
tre deux ravins profonds dans lesquels s'eugoulTrent deux
torrents qui en défendent l'alwrd. 11 faut monter pendant
NBOPATRAS. 329
près d*une heure par un sentier fort rapide pour arriver en
haut de la gorge d*où s'échappe le torrent, qui ?a se perdre
dans la grande et belle vallée développée au pied de la col-
line. J'avais une lettre d'introduction du général Church
pour le dimarque d'Hypate, Hadji Petraki, qui habite tout
en haut de la ville. Je trouvai un grand et bel homme, fort
élégaoïmeQt mis à la grecque , mais sans dorure sur ses
vêleaaents de soie ; il était assis à la turque sur un coussin
posé sur un tapis, sous les beaux arbres en fleurs de son
jardin , près d'une fontaine d'eau vive , à côté d'une pe-
tite table à manger turque d'un pied de haut , autour de
laquelle étaient groupés une jeune et jolie femme fort élé-
gamment mise aussi à la grecque, sa belle-mère et son beau-
frère vêtus avec toute aussi l'él^ance du costume natio-
nal. On ne rencontre ici personne portant le costume franc;
et, comme il n'y a pas de garnison, on n'y rencontre pas non
pins Tuniforme bavarois, adopté pour toutes les troupes
grecques , comme si elles faisaient partie du contingent
de la Confédération. L'aspect de ces festins de famille,
dans un jardin , au murmure d'une fontaine où l'on peut
puiser sans se déranger, et en vue d'une profonde vallée
thessaliqne coupée par le Sperchius et terminée par la
longue chaîne des montagnes turques , me fit le plus grand
plaisir. La belle figure martiale et le beau costume militaire
d'Hadji Petraki , la figure animée et modeste de sa jeune
femme paraissaient tout à leur avantage dans cet encadre-
ment, et j'aurais voulu être peintre pour pouvoir donner
tout son effet à ce charmant tableau de la vie patriarcale.
La réception d'Hadji Petraki et de sa famille fut tout à
fait cordiale. Pendant que mes chevaux étaient allégés et
qu'on transportait mes effets dans la chambre réservée, on
fit descendre d'un salon meublé à l'européenne une chaise
pour que je pusse m'asseoir à la banque ; puis le pallicare
de service m'apporta un chibouki , et, conformément aux
rits de la plus délicate hospitalité, madame Hadji Petros
me présenta elle-même, avec la grâce la plus parfaite , le
28.
330 GRÈCE CONTINCNTALB ET MOrÉE.
glyko, le verre d'eau fraîche et le café, le meillearcafé que
j*aie certainement pris en Grèce, où il est toujours si bon.
On a conservé dans la Roumélie, plus que dans les autres
provinces grecques , tous les usages antiques. Il y a peu
de maisons où les femiites se mettent , comme chez Hadji
Peiros, à table avec les étrangers; mais lui a passé plu-
sieurs années de sa jeunesse à Vienne, et il est familier avec
les bons usages francs. Il n'en a pas moins repris avec ai-
sance le mode de vie roumélioie. Sa femme fait apparaître
ce genre de vie sous son côté le plus poétique. Assise à
l'extrémité d'une longue galerie ouverte sur son jardin, à
une exposition qui assure un peu de fraîcheur, et placée
Sur un siège élevé, comme une reine sur son trône , elle
tisse sa toile, ainsi que le faisaient les princesses antiques,
tandis qu'autour d'elle ses femmes , placées çà et là sur des
sièges plus bas , lui présentent la navette , rectifient les
fils et facilitent ses travaux. Cet intérieur de famille offre
une suite de scènes agréables.
Il faut monter encore une demi-heure au-dessus de la
ville pour arriver aux ruines de l'ancienne forteresse, qui
semble un château aérien , une création de fée. Sur trois
des côtés il est entouré de précipices ouverts entre des ro-
chers à coupe perpendiculaire ; du quatrième côté il se ter-
mine en une pente de verdure assez rapide pour mériter
aussi partout ailleurs le nom de précipice. Une source, qui
fournit de l'eau h la ville, s'échappe d'un de ces rochers:
un peu avant d'y arriver, on trouve les ruines d'une tour
ronde de construction franque; puis, un peu au-dessus,
l'une des portes de l'ancienne forteresse, dont il ne reste
plus que les assises inférieures. En arrivant au sommet du
plateau on aperçoit d'abord des ruines helléniques, parmi
lesquelles on distingue les fondements d'un temple. Tout
autour sont dispersés les murs et les tours carrées de la for-
tification du moyen âge; mais la nature a pris soin de forti-
fier le plateau avec plus de puissance que ne peut le faire
l'art des ingénieurs. Qu'est-ce que quelques murs de plus
NBOP.\rRAS. S31
en comparaison d'un roc de huit cents pieds d'élévation
au-dessus d*un ravin dans lequel se précipite un torrent I
A la vérité une colline plus haute, séparée par le précipice,
menace cette colline, et le canon pourrait aujourd'hui y
arriver ; mais au moyen âge aucune machine de guerre
n'atteignait à de telles distances. Néopatras avait été com-
prise dans le despotat d'Hellade ou d'Éiolie que s'étaient
acquis les Comnènc après la prise de Constantinople par
les Francs. Nicéphore, ûls de Michel Gonmène et beau-
frère du prince de Morée, Guillaume de Ville- Hardoin ,
fit , dit-on , bâtir cette forteresse ^ Les Catalans s'en em-
parèrent un peu après l'année 1310 , et la possédèrent jus-
qu'à la fin du quatorzième siècle.
Je passai la soirée chez Hadji Petros avec quelques ca-
pitanis rouméliotes, qui aimaient à me prouver par leut
visite l'aiTection qu'ils avaient pour la France. L'existence
de ces capitanis retrace au vif cette époque si différenle
de l'époque actuelle, où deux religions et deut races, celles
des mattres et celles des rayas opprimés, étaient en présence
sur ce même sol. Alors les montagnes étaient devenues le
refuge de tous les hommes fiers et indépendants. Autour
de quelques chefs , dont la supériorité était consacrée par
d'antiques traditions de famille ou par d'éclatants services
persomiels, venaient se grouper tous ceux qui se trouvaient
mal à l'aise sous l'arbitraire humiliant de la domination
turque, qui redoutaient des persécutions , qui avaient des
injures à venger. A un signal donné tous les klephtes ve-
naient se ranger sous la bannière de leur chef, l'assistaient
dans quelque grand acte de vengeance et , rentrés dans
leurs montagnes, se dispersaient jusqu'à nouvelle occasion
et échappaient ainsi aux poursuites de leurs tyrans , qui
n'osaient s'aventurer dans ces positions dlDiciles. Si la force
* AotTTOv TOÎÎTOÇ ô 'SiKri'^ôooç ExTia« T/jv Niav ndtToav , xai
xiffTpov exatpi« ^tàîpvXa?tv (Dorothée : voyez ce fragment de sa
Chronfqne dans ma préface de la Cliron. de More?, p. xxxv).
332 CHECE CC»NT19IfcM*.%LC ET MOEEE.
de ces bandes prenait une coiisisiance réelle, alors les Turcs,
habitués à compter a\ec la puissance, prenaient des arran-
gements avec eux , et les pachas leur confiaient , en qua-
Kté d'armatoies, la garde des défilés qu'ils avaient su con-
quérir. Pendant les guerres longues et obstinées qui
amenèrent l'indépendance de la Grèce , les capitanis de
la Roumélie furent ceux qui se distinguèrent le plus par
leur braifoure et par leur dévouement : et il fallait là des
sacrifices de tous les instants; car les Turcs étaient en force
dans ces provinces , et il n'y avait à attendre aucun se-
cours de personne.
Tontes les montagnes d'Épire, d'Étoile , d'Acarnanie et
de Thessalie, jusqu'aux gorges de l'Olympe, se remplirent
alors de généreux combattants qui espéraient bien se con-
quérir promptement une patrie nationale et libre. Ils réus-
sirent à faire une Grèce ; mais cette Grèce n'était pas pour
eux. Le traité de Londres déclara qu'elle ne s'étendrait
que jusqu'à la chaîne de l'Othrys. Ainsi tous leâ monta-
gnards d'Agrapha i, du Mezzovo et de l'Olympe, si braves,
si patriotes, furent rejetés sous la main des Turcs. Ceux
qui s'étaient le plus signalés dans celte guerre refusèrent
d'abord de retourner dans leur.-: foyers; et c'est ainsi qu'un
grand nombre, classés dans le corps des phalangistes, ont dit
adieu à leur lieu natal et sont restés attachés à la patrie grec-
que, espérant à chaque instant entendre sonner l'heure où il
leur serait permis de reprendre sur leurs ennemis les Tu^cs
desprovinces que ceux-ci ne pourraient plus défendre. D'au-
tres , impatients de cette vie d'oisive attente , ont regagné
leurs montagnes, y ont repris les chances de la vie kleph-
tique, et ont fini, selon l'antique usage, par se faire re-
connaître par les Turcs et devenir chefs de l'armée régu-
lière ; mais leurs yeux sont toujours tournés vers la patrie
chrétienne : comme aux premiers, il leur suffirait d'un léger
encouragement pour redevenir Grecs et pour tourner contre
la domination turque les armes destinées à la défendre.
Les anciens rapports qui unissaient entre eux les capita-
NGOPATRAS. 333
nis retournés en Turquie etiescapilanis restésen Grèceont
continué depuis à subsister, par suite delà facilité que leur
donnent toutes les chaînes de montagnes. L'espoir de recon-
quérir à la Grèce le terrain perdu se maintient vivant dans
le cœur de tous, et cet espoir entretient la suprématie des
capitanis et le dévouement des anciens soldats. A un signal
toutes ces bandes se recomposeraient en un instant. Pen-
dant que j'étais dans cette partie de la Thessalie j'ai ren*
contré un de ces capitanis qui veuîflt de faire au roi Othon
une réponse qui n'était point une forfanterie , mais la sim-
ple expression d'un fait. Le roi lui demandait pourquoi il
se tenait toujours dans ses montagnes et ne venait pas à
Athènes çt il lui offrait même un l(^ement dans son palais
pendant son séjour. Le Rouméliote objectait son attache-
ment à ses montagnes, ses habitudes de la vie patriarcale,
puis même le charme de se sentir important parmi les
siens au lieu d'être annulé au milieu des autres. « Impor-
tant I lui dit le roi ; mais vous êtes diraarque d'un village.
— Dimarque ! dit le Rouméliote en se redressant, je suis
roi dans la montagne , plus que roi. Votre Majesté veut-
elle un exemple de mon autorité ; qu'elle dise un mot , et
après-demain , dans cette vallée qui se déroule sous vos
yeux , j'aurai réuni sous ma bannière six raille hommes
armés et disposés à marcher , à ma voix , pour ou contre
Votre Majesté. » Le roi préféra ne pas tenter l'expérience.
Pendant les événements de iStiO, tous attendaient un mot
de la France; et il a fallu plus de peine pour les engager à la
patience qu'o/i n'en eût eu à les faire courir peut-être jus-
qu'à Salonique. L'homme qui a conservé le plus d'influence
sur tous ces capitanis est un Épirote qui n'a lui-même ja-
mais été qu'homme politique et non pas soldat , Colet-
tis. Il n'aurait qu'à vouloir , pour réunir à l'instant toutes
les volontés éparses. Mais Golettisest un homme sage et un
véritable patriote. Il désire dans son pays l'établissement
de l'ordre et des lois, et il saura ne rien hasarder qui com«
promette le durable avenir promis à la Grèce. Je n'a» pas
334 GRÈCB CONTINENTALE ET MOREE.
TU en RoDinéHe an seul chef qui ne fût disposé à se sou-
mettre complètement à lui pour le repos comme pour l'ac-
tion. Tel élait autrefois près de lui le brave Palasca, assas-
siné par Odyssée, tels ils sont tous ; et son séjour en France
n*a fait que donner plus de puissance encore aux conseils
de son bon et sain jugement. Mon excellent hôte Hadji
Petraki est un des amis de Colettis et des Français, et il est
un de ceux qui aiment ii ne pas quitter leurs montagnes.
Où trouverait-il ailleurs le spectacle d'une famille plus
agréable, une maison mieux située, une fontaiue qui mur-
mure plus doucement, un jardin d'où il puisse jouir d'une
aussi belle vue de montagnes et de vallées ? Où trouverait-
il , hors de chez lui , une plus belle chasse aux chamois,
aux chevreuils et aux ours, que dans la forêt de Greveno,
rCEta d'Hercule ; une plus abondante chasse aux faisans
que dans la plaine du Sperchius ; de meilleurs bains ther«
maux que ceux de Patradjik ; plus d'affection, un plus lier
patronage que parmi les anciens pallicares des deux revers
des montagnes tiiessaliques, toujours tout prêts à recom-
mencer avec une nouvelle valeur de nouvelles entreprises
pour l'agrandissement de leur pays ? Où trouverait-il des
cœurs plus chauds, plus fidèles que dans les monts d' Agra-
pha 7 Comme on conçoit bien, à la vue de cette riche plaine
du Sperchius, de C(>s montagnes et de ces torrents qui se
déroulent de tous côtés, la passion de la patrie locale qui
vous fixe dans ce coin isolé du vaste monde dont les vains
bruits expirent avant de pouvoir dépasser cette barrière do
montagnes !
Le lendemain de mon arrivée, j'allai explorer les restes
antiques que je pouvais découvrir çà et là. Quelques débris
ont été réunis par Hadji-Pelros dans sa dimarchie. Tels
sont : une tête de marbre faisant partie d'un sujet funé-
raire, d'un travail plutôt romain que grec ; le corps d'une
autre statue de marbre, d'environ trois pieds de hauteur ;
la tête et les bras manquent , mais le corps est fort bien
conservé et d'une fort bonne exécution, apparemment ro-
NEOPATRAS. 335
Diaiue ; trois petites statuettes eo terre cuite , Tune, de
Mîoerve, fort jolie et fort bien conservée, les autres d'un
travail moins bon. Le tout a été découvert dans des fouil-
les récemment faites sur les rives escarpées du torrent de
Xerio, tout voisin. Près de la dimarchie est l'ancienne mos-
quée, bâtie dans un fort bel emplacement, sur les ruines d'un
temple antique, plus tard transformé en église latine et ré-
cemment en église grecque. Les colonnes , dérobées au
temple antique sont encore debout , et les murs d'enceinte
sont composés de grands morceaux de marbre dont plusieurs
portent des inscriptions grecques. En faisant faire les ré-
parations nécessaires autour de cette église et près de la porté,
on a retrouvé quelques fragments de sculpture du moyen
âge. Telle estunelonguefriseàplusieurs compartiments. Les
deux derniers compartiments sont seuls conservés et por-
tent l'un one fleur de lis, l'autre la croix ancrée de Champa-
gne. Un autre morceau provient sans doute d'une pierre fu<*
nérairc. On y voit une croix latine élevée sur trois degrés ;
dans les cantons supérieurs de la croix sont deux ûeurs de lis
renversées et dans les deux cantons inférieurs deux cyprès,
sorte de blason funéraire que j'ai souvent retrouvé en Ëubée.
M. Enian, frère du conseiller d'État Georges Énian,
possède aussi quelques antiquités trouvées sur les lieux. Il
me montra une fort belle pierre gravée , des pendants
d'oreilles en or et quelques belles médailles d'argent dus
ï des fouilles faites aux mêmes lieux qui avaient fourni les
jolies statuettes de terre cuite de la dimarchie, les deux rives
du Xerio. Je voulus tenter aussi des fouilles sur le bord
du torrent, avec la permission des autorités locales. J'a-
menai trois hommes armés de pioches et nous descen-
dîmes sur la rive du Xerio, que nous franchîmes dans une
des parties les plus rapides de son cours en sautant de
rochers en rochers au milieu des cascades; car le pont
a été entraîné il y a quelques années , et les revenus de la
ville ne suflisent pas pour en faire un autre.
Il faut donc traverser comme on peut le torrent rocail-
336 OEÈCE CONTINENTALE ET MOREE.
Ivux; et chaque année, entre les rochers glissants du passage,
des hommes, femmes et enfants tombent dans le torrent,
dont le cours est trop rapide et trop convulsif pour qu'on
puisse résister, et ils sont brisés par les rochers quand ils ne
sont pas ensevelis sous les eaux. Les rives escarpées des
deui branches du Xerio laissent apercevoir çà et là de
nombreuses couches de briques , restes des tombeaux qui
bordaient son cours et qui ont été entraînés par ses dé-
bordements. Les anciens avaient coutume de placer ainsi
leurs tombeaux sur le bord des torrents et quelquefois même
dans leur lit. La série des tombeaux à travers lesquels je
dirigeai mes fouilles ne me semble pas remonter an delà
du second siècle de Tère chrétienne. Cette portion ne con-
tenait, à ce qu*il semble, que les tombeaux des gens obs-
curs , et presque tous ont été emportés en bonne partie
par le travail des eaux qui avait fait ébouler les terres et
les avait entraînées. Â chaque couche je rencontrais des
centaines de petites monnaies frustes de cuivre de l'é-
poque romaine. Au fond d'un tombeau je trouvai un grand
morceau de marbre grossièrement creusé en forme de
mortier et sans trace de sculpture. Je Toyais blon que
pour rencontrer quelque objet d'art un peu remarquable
il fallait porter mes fouilles vers le terrain destiné aux
personnages plus considérables; mais, depuis le peu d'heures
que je faisais fouiller, le nombre des curieux qui aflSuaient
autour de moi s'était considérablement augmenté malgré la
pluie, qui n'avait pas cessé depuis la matinée. Les gens igno-
rants , dans tous les pays du monde , en Turquie comme
en France et en Grèce, s'imaginent toujours que, quand on
fait des fouilles, c'est parce qu'on cherche un trésor caché, et
ils suivent tous vos regards et tous vos gestes avec anxiété.
Le concours des curieux et le redoublement de la pluie
mirent fin à mes fouilles.
Hadji Petros voulait m'emmener avec loi passer quelques
jours à chasser le chamois et le chevreuil en compagnie de
quelques amis dans les forêts du Greveno , le plus haut des
MONT OBTA. 337
sommets de FŒta. L*excursion était fort (entante ; le som-
met du Grevenfo était encore couvert de neiges, et de là on
embrasse une vue magaifiquc qui s'étend, d'un côté, à tra-
vers toute la Thessalie et le golfe de Salonique, jusqu'aux
DardaneUcs , et de Tantre côté au-dessus de tout le Pélo-
ponnèse. J'aurais aimé aussi à visiter les restes d'un héroûm
que me disait y avoir vu M. Knian ; héroum consacré à
Hercule à l'endroit même où avait été placé son bûcher, et
non pas dans le Caiiidrome, à Héracléa, qui ne fut bâti que
plus tard en son honneur : mais j'avais une autre excur-
sion à faire pour mes recherches du moyen âge dans l'ab^
baye de Poursos en Acarnanie; j'étais impatient de lire les
chroniques de notre principauté franque, que l'on me di-
sait y avoir vues. Je ne suis pas d'ailleurs un ardent chas-
seur et craignais d'être un embarras pour ces chasseurs
aux jambes aussi alertes que l'étaient celles d'Achille , leur
Yoîs'n. Je me décidai donc à partir pour l'Acarnanie pen-
dant que mes amis iraient chasser dans l'QËta, et je don-
nai à ma cavalerie et à mon infanterie l'ordre du départ
pour le lendemain.
XVII.
G AR PENIS I— POURSOS.
Il est assez périlleux de s'aventurer, même aujourd'hui,
dans les montagnes limitrophes de la Turquie, dont le voi-
sinage offre un prompt refuge à tous ceux qui ont con-
servé quelque prédilection pour la vie klephtique. Les fo-
rêts montueuses situées entre Hagi Janni et Carpenisi sont
surtout tout à fait favorables à leurs expéditions, car ils peu-
vent découvrir de loin les voyageurs , dérober leur projet
d'attaque dans les épais taillis, et échapper ensuite à toutes
les recherches par des sentiers connus d'eux qui vont re-
29
338 GaÈCE CONTINBNTALB BT MOREE.
joindre les chaînes des montagnes limitrophes des denipays.
Mes amis m'avaient donc impossé une escorte fort respecta-
ble de quatre gendarmes ou chorophytakas et de quatre
stratiotes bien armer, qui , réunis à mou pailicare, Tancten
klephie Costa, très-bien armé aussi ^ me constituaient un
petit corps d armée assez propre à la défense. Quant ani
agofates, ils ne font que grossir le cortège et ont grand soin,
pour ne pas se mettre mal avec messieurs les klephtes, dont
ils sont exposés de ce côté à recevoir les trop fréquentes vi-*
sites, de ne jauMls porter aucune arme, aûn de mieux con-
stater leur neutralité. La classe des agoîates de Grèce, des
vetturini d'Italie et des muletiers d'Espagne est une classe
à part dans chacun des pays. Les agoîates de la Grèce sont
presque tous de race albanaise ; race laborieuse , sobre et
avide.
£n quittant Hypate non? traversâmes sans difficulté les
eaux du torrent, à la faveur de ses rochers brisés, et en-
trâmes dans une jolie vallée d'où l'on aperçoit déjà le Ve-
louchi, l'ancien Tymphrestus, tout couvert de neiges.
Trois heures de marche à travers cet agréable paysage
nous amenèrent sur les bords d'un torrent beaucoup plus
redoutable , la Vistritza. Son large lit est tout hérissé de
rochers pointus , à travers lesquels, son cours rapide se
fait jour en bouillonnant d'impatience. La Vistritza est en
cet endroit au moins aussi large dans une de ses branches
principales et bien plus rapide que ne l'est le Rhône lui-
même, et, au lieu de rouler sur un lit de sable, c'est à tra-
vers des rocs arrachés aux montagnes qu'elle se précipite
des ravins dans la plaine. Les autres branches , fort rap-
prochées de la branche principale , s'y réunissent parfois
après les grandes pluies et présentent une telle étendue
d'eau à profondeurs variées , que force est aux voyageurs
d'attendre sur une de ses rives que les branches se soient
de nouveau séparées et que le cours du torrent soit moms
étendu , moins profond et moins rapide. Deux des quatre
branches étaient réonien au moment de mm passive; mais
LA VISTRITZA» 339
un ag(Httte de Patradjik nous indiqua avec confiance un
endroit qu'il était possible de franchir à cheval. Un fond
de cailloux plus petits , recouvert seulement de deux pieds
d'eau» indiquait le point de séparation des deux branches
du fleuve, et c'était sur ce point qu'il fallait se diriger pour
trouver chacune des deux branches plus traitable séparé*
ment que toutes deux ne l'étaient après leur réunion. Tout
alla fort bien , malgré mon peu d'habitude de franchir
de vastes torrents à gué. Je traversai sans encombre la
branche principale et le fond de cailloux moins profond
qui servait comme d'isthme entre les deux litjs ; et j'entrai
dans la seconde branche, que je traversais avec la même
assurance, lorsque , parvenu aux trois quarts de nra route
et me croyant libre désormais de toute précaution, je
voulus tourner la tête en arrière pour mesurer la distance
que j'avais franchie. Mes regards s'arrêtèrent sur les eaux
rapides que je fendais. A ce moment , voyant le cours du
torrent se précipiter autour de moi avec une grande rapidité,
pendant que mon cheval frappait les vagues de sa poitrine
avec plus de lenteur, je crus, par une véritable illu-
Hon d'optique , que mon cheval et moi nous suivions le
mouvement des eaux et étions entraînés avec elles. Peut-
être un instant de plus de doute eût amené le vertige et une
chute assurée ; mais je me dis à l'instant que, puisque la
poitrine de mon cheval était dirigée vers la terre et qu'il
continuait à se tenir sans lutte dans la même direction ,
c'est qu*il avait la force suffisante pour résister au torrent,
qui autrement l'eût fait tourner avec violence. Je regardai
le rivage, qui n'était plus qu'à une vingtaine de pieds de
moi '; mon œil triompha de< cette illusion , et mon cheval
arriva en effet avec assurance jusqu'au but. Les deux au-
tres branches étaient beaucoup moins périlleuses à tra-
verser ; et j'étais d'ailleurs bien instruit maintenant qu'en
franchissant un fleuve il ne faut pas s'amuser à regarder
couler l'eau sous soi, mais fixer son regard sur le rivage.
Une chute au milieu de ces courants et de ces rochers se-
340 GRÈCB CONTINENTALE ET MOREE.
raît une assez rude affaire, même poar on grand nageur,
car le cours est bien rapide et les rochers bien aigus , mais
malgré les hasards il faudra continuer long-temps encore
à trayerser la Yistritza à gué. Il y a trop peu de voyageurs
sur la route et trop peu d'argent dans la province pour
qu'on songe aux frais d*un pont.
A peu de distance des rives du fleuve , nous rencontrâ-
mes un campement de Grands- Vlaques au nombre d'une
cinquantaine d'hommes et de femmes réunis sous Tom-
bre d'un grand frêne. J'envoyai un de mes gendarmes leur
demander s*ils avaient du lait frais à me vendre. Â l'in-
stant même arriva près de moi un homme à cheveux
blancs , mais plein de vigueur. Il apportait une immense
jatte de lait, et était suivi d'un berger, plus jeune, portant
une autre jatte non moins énorme de yaourd récemment
fait. Je bus avec le plus grand plaisir, sans descendre de
cheval, une large quantité de lait, et fis distribuer le yaourt
et une autre jatte de lait à mes gendarmes, pali i cires et agoîa-
tes. Quand toutes les jattes furent vides , je voulus donner
quelques drachmes au V laque si complaisant ; mais il me
répondit , sans affectation de fierté : que le lait était une
chose que l'on donnait avec plaisir à l'étranger mais qu'on
ne lui vendait pas sans que cela ne portât malheur; que si
moi ou les miens nous désirions encore lait et yaourd il y en
avait dans leurs tentes à notre disposition , mais qu'il me
priait de ne pas les blesser en leur offrant de l'argent. Tout
cela fut dit fort modestement , fort poliment, mais fort net-
tement. Les Grands-Ylaquessont presque toujours de bonnes
gens, et, malgré leur existence nomade, ils ne se mêlent guère
à la vie klephtique et vivent tout à fait de la vie de famille.
Je m'approchai alors des tentes prèsdesquelles ils étaient réu-
nis, les priai d'accepter mes remercîments de leur gracieuse
hospitalité, si honorable pour le caractère du berger vlaque,
leur serrai les mains avec amitié , leur fis faire une large
distribution de labac et de papier à cigarettes, et, charmé
de ce petit épisode de ma journée, je me remis en
THE8SALIE. 341
route vers Palœo-Vracha , où j'arrivai vers trois heures de
l'après-midi.
Le lieu me plut , et je résolus de m'y arrêter jusqu'au
lendeoiaiu matin. J'avais été tenté par l'ombre d'un vaste
platane, admirablement planté près de l'églisedu village, et
je mis pied à terre pour me reposer sous son abri et y passer
la nuit. Mais l'aspect et la situation d'une cabane voisine lui
assurèrent bientôt la préférence; et, moitié du gré du pro-
priétaire, moitiéde force, j'y établis mes pénates, ou, comme
on dit ici, mon konaki (logement militaire). Elle est bâtie au
milieu d'un jardin le long duquel coule, à quelques pas au-
dessus de la maison , un petit ruisseau retenu par des bords
élevés de gazon qui le renferment comme un canal. Au-
dessus de son cours tranquille, des arbres fruitiers de toutes
sortes versent leur ombre épaisse sur ses rives ; et ce verger
s'étend sur tout le terrain qui sépare le ruisseau de la mai-
son. De l'autre côté la maison s'appuie sur un ravin pro-
fond dans lequel coule un torrent , et Tétroit sentier qui
borde le ravin va se perdre au milieu de prairies en pente
couvertes de moutons , de chèvres et de toutes sortes de
bestiaux. Au delà la vue s'étend sur un vaste horizon ter-
miné par de belles montagnes boisées et par quelques pics
neigeux. Je fis placer une petite table appuyée sur les
deux rives élevées du ruisseau et me mis à lire, à rédiger mes
notes et à rêver à mes amis sous l'inspiration de ce délicieux
paysage.
Il avait fait une très-grande chaleur dans la journée, et
en examinant l'horizon j'aperçus les signes précurseurs
d'un orage. Bientôt le tonnerre se fit entendre de la ma-
nière la plus harmonieuse , répété par tous les échos des
montagnes ; puis de larges gouttes de pluie tombèrent par
intervalle. Je me vis forcé de quitter mon petit établisse-
ment le long du ruisseau. Devant la maison , sur le bord
du ravin , à la lisière des prairies , était une sorte de petit
parc ombragé d'un grand arbre et entouré d'un treillage
de claies à l'abri duquel les troupeaux venaient se réfu-
29.
349 GRÈCE CONTINENTALE ET HOREE.
gier pendant la nuit Je le fis nettoyer fort proprement , et
j*en fis enlever la porte. Le grand arbre qui l'ombrageait
me servit de point d*appui pour disposer partout, au-des-
sus de ma lête, des claies qui venaient s'appuyer sur de
longues perches plantées le long de la clôture, et que je
fis recouvrir d*une épaisse couche de feuillage comme d'un
toit. A l'intérieur je fis étendre des tapis. Un bât de mulet,
recouvert de mon manteau, me servit de sofa ; de forts- ra-
meaux plantés en terre soutinrent une claie plus petite
qui me servit de table. En peu d'instaqts , mon installation
fort commode fut terminée. Les arbres étaient touffus dans
le voisinage , et mes gendiirmes étaient habiles h faire tom-
ber les branches et à écarrir les épieuK avec leur courte
épée. Je pus donc reprendre presque sans intervalle iuce
rêveries et ma lecture au bruit d'une bonne chaude pluie
qui reverdissait les champs. L'orage dura peu , et le ciel
reprit sa sérénité.
Pendant ce temps mes pallicares préparaient le repas du
soir. Le berger du haiDeau voisin m'avait vendu d'eicel-'
lents agneaux : le feu s'alluma en plein air. Pendant que
les uns égorgeaient les agneaux , les lavaient dans le tor-
rent, et les préparaient en artistes habiles, d'autres taîK
laient les broches et se disposaient à les garnir. Une heure
après, deux excellents agneaux étaient rôtis et servis. Je ne
fus privé ni du luxe d'un fort bon café fort chaud, ni d'une
parfaite boisson au citron contre Thuinidité du soir, qi de la
longue pipe qui fait passer les heures. Assis jusqu'à dix
heures du soir à quelque distance d'un pittoresque brasier
pétillant , et entouré d'hommes aux divers costumes , res-
pirant comme moi avec délices la fraîcheur du soir, les
heures s'écoulaient rêveuses et rapides.
Pour la nuit mon établissement ne fut ni moins facile ni
moins délicieux. J'avais rendu aux moutons, qui rentraient
de toutes parts au bercail, la propriété de leur parcde claies
et je m'étais établi sous un grand arbre, fumant, assis sur
une couche épaisso de ftuillagc. Mes gendarmes etstratiotes
TBB80AUE. 343
doublèrent cette couche pour la liait , et étendirent par*
dessus bon nombre d*épais cabans et de talaganis de ma-
nière à me représenter ie plus moelleux des matelas.
Mon porte -manteau, bien enveloppé d'une talagani, re-
présentait le coussin. De longs pieux plantés aux quatre
coins soutenaient une claie de laquelle pendait à demi"
hauteur mou large manteau et mon roackintosb, en forme
de demi-rideau, pour détruire le mauvais effet de la ro-
sée de la nuit , tandis qu^un large feu, bien entretenu à
quelque dislance, éloignait de moi les mousquites et autres
animaux malfaisants. iVIon établissement eût fait envie au
plus délicat de nos épicuriens. Aussi en profité--je avec dé*
lices et y passé*je la plus douce des nuits.
Dès quatre heures du matin , pendant qu'on donnait de
Tor'geà mes chevaux, je contemplais le berger qui, comme un
autre Folypbème, faisait sortir une à une ses brebis du ber*
cail , afin de traire leur lait, et je croyais relire une page
de l'Odyssée. Peu d'instants après j'étais à cheval. Huit
lieues de montagnes boisées séparent Palœo-Vraca de Laspi ;
c'était là dans d'autres temps le repaire d'affection des
klephtes , qui de loin pouvaient, sans être vus, sui**
vre la marche et le nombre des voyageurs et, après
une attaque fructueuse , gagner les hautes montagnes.
L'année précédente encore leur audace avait été telle ,
qu'ils avaient, dans cette même forêt, attaqué une caserne
de gendarmerie qu'on venait d'y établir, l'avaient incen?*
diée , et avaient tué les dix gendarmes qui la défendaient
vaillamment. A un quart de lieue de là, ils avaient aussi brûlé
un village entier. Les chasses obstinées faites aux klephtes
ont réussi à les faire disparaître pfesque tous, même dans
ces parages ; ils ne s'y montrent plus que de temps à autre
et par surprise. Mon escorte me prémunissait contre le
danger d'être enlevé ainsi , et d'être mis par eux à rançon
comme au temps du moyen âge. Ils savent bien que, bon
gré, mal gré, les ministres étrangers payeraient pour leurs
compatriotes dont la vio serait en suspens. Us en ont agi ainsi
344 GRECB GONTIIIENTALE ET MORES.
pour un officier de. mérite de notre état-major, M. Petiet,
surpris dans une des gorges du Pentélique, et il ne leur
aurait pas été désagréable sans doute d'essayer s'ils ne
pourraient pas obtenir quelque légère rançon pour moi.
Ces huit lieues de bois offrent les sites les plus magnifi-
ques; souvent de vastes pièces de terre recouvertes d'une
herbe épaisse sont semées comme des prairies au milieu
d'une lisière de grands arbres ; tantôt on descend dans une
vallée calme et bien arrosée par des eaux tranquilles; puis
on monte le long d'un torrent par une rive escarpée, au-
dessus d'un plateau qui domine au loin. Tous ces bois et
toutes ces prairies sont d'excellentes terres qui payeraient
largement les travaux du cultivateur , mais les habitants y
manquent partout ; et, comme ce sont des terres du do-
maine national |et non des propriétés privées , personne ne
songe à y défricher et à y bâtir, et jusqu'ici le gouvernement
n'a rien fait pour y attirer de nouveaux habitants. Partout
où mon œil pouvait s'étendre je n'apercevais pas trace du
séjour de l'homme , pas un hameau , pas la fumée d'une
seule cabane. De temps à autre seulement j'entrevoyais dans
les bois quelques vides occasionnés par les incendies des
klephtes. Malgré l'épaisseur de l'ombrage de ces grands ar-
bres , la chaleur était extrême. Je m'arrêtai pour donner
aux chevaux un repos de deux heures, et les laisser paître
librement dans un grand pré bien vert , arrosé par les eaux
d'une claire fontaine : ils sont habitués à passer les nuits à
l'air et à n'avoir parfois d'autre nourriture que l'herbe qu'ils
rencontrent. Je m'assis sous un grand arbre auprès de la
fontaine, sur un beau gazon, et nous fhnes une fort agréa-
ble collation d'agneau froid, d'œufs durs et d'oignons crus
arrosés d'un vin raisiné un peu chaud mais tempéré par Teau
fraîche de la fontaine. Non loin de nous . sous les arbres
de la route , étaient placés d'autres voyagf'urs qui arri-
vaient de Laspi avec leurs mules chaînées de marchan-
dises qu'ils allaient vendre dans les villages plus éloignés.
Notre campement était fort voisin de la caserne ruinée
CARPBNIftI. 345
qui avait été attaquée et prise par les klephtes en 1839.
Dès que la chaleur fut un peu amortie , nous nous re-
mîmes en route. A quelques pas plus loin que notre lieu
de halte , j'aperçus quelques arbres fruitiers en fleurs. Les
pommiers entre autres étaient couverts de belles et larges
fleurs, aussi bien que s'ils eussent été soignés par un pro-
priétaire attentif; mais il n'y a plus ici de propriétaires :
tous ont pris la fuite ou péri dans l'incendie de leur
village, dont les ruines gisent dispersées au milieu de
ces champs autrefois défrichés et de ces vergers abon-
dants encore sans qu'il se présente personne pour en re-
cueillir les fruits.
Nous arrivâmes enfin à l'extrémité de cette longue et
belle solitude de forêts , auprès d'une caserne destinée à
protéger la route, et nous vîmes de l'autre côté du ravin, à
mi-côte, apparaître le village de Laspi , que nous laissâmes
à notre gauche. L'aspect du pays avait bien changé : au
lieu de ces vallées et de ces montagnes si verdoyantes , du
milieu desquelles surgissaient d'intervalle à autre les neiges
du Kravari et celles de Velouchi ; au lieu de ces ravins où
se précipitaient les torrents , je ne rencontrai plus pendant
les trois heures qui me séparaient de Carpenisi qu'un ter-
rain brun et jaspeux. On est au pied même du mont
Velouchi, qui semble un mont de jaspe à la tête de. neige.
Il n'y a aucune beauté , aucune variété dans cette route,
et Carpenisi ne s'aperçoit qu'au moment où on tourne la
montagne pour entrer dans la ville.
Carpenisi , chef>lieu de la province d'Eurytanie , est un
bourg ruiné , bâti sur les rives d'un torrent qui est déjà à
sec dès les premiers jours do mai. C'était , dit-on , il y a
une vingtaine d'années , une ville assez riche ; mais , pen-
dant la dernière guerre, les Turcs et les Grecs l'ont succes-
sivement prise les uns sur les autres, et elle a été dans ces di-
verses reprises incendiée et pillée. Toutes les grandes mai-
sons un peu considérables ont donc disparu, car ces maisons
n'étaient pas de pierre. Les Turcs les plus riches bâtissaient
346 GRECE C0NTI1IE1IT4LB £T MOREE.
de misérables constroctione de bois et de pisé , et croyaient,
en les blanchissant bien en dehors et en coufrant an de-
dans les murs de quelques arabesques à couleurs tran-
chées, avoir un palais. Il reste à peine trace aujourd'hui
de ces maisons turques. Je trouvai le gouverneur de l'Eu*
rytanié logé dans une vérilable cabane de paysan, avec un
abominable escalier qui mériterait mieux le nom d'échelle,
et avec des chambres où les parquets, les plafonds, les
portes et les fenêtres ont Tair de vouloir faire un éclatant
divorce. J'eus beaucoup de peine à rencontrer dans la vîHe
une maison , ou plutôt une chambre composant la maison
entière, sans autre clôture de fenêtres qu'un volet à plan-
ches mal jointes, et sans meubles , pour m'y étendre sur
mon manteau jusqu'au lendemain matin. Ce qu'il y a de
plus pénible pour le voyageur en Grèce, c'est d'avoir à pren*
dre un gîte dans une ville. À la campagne on se campe sous nn
arbre , près d'une fontaine , on s'abrite d'un rocher contre
le vent, et on dort solitaire et paisible sous ce ciel pur. Si
le temps est mauvais on entre dans une calyvia de paysan,
qui s'empresse , lui et sa famille , de vous rendre tous les
devoirs de rhospitalité ; et cette hospitalité, que vous pou-
vez reconnaître le lendemain par quelque légère rémuné-
tion, n'a rien de gênant pour vous. Mais, dans une ville,
vous ne pouvez vous arrêter en plein air sans être assailli
d'une multitude de curieux bien intentionnés; et, quoique
dans l'été la plupart des Grecs pauvres dorment sur*^ un
tapis dans la rue pour être plus au frais , vous ne pouvez ,
entouré de vos malles de voyage, imiter leur exemple, et il
vous faut chercher l'abri d'une maison. Vous pouvez là
sans doute compter sur la plus cordiale hospitalité ; mais
on sent que l'on gêné les gens de la maison s'ils sont ri-
ches, et on est souvent gêné, s'ils sont pauvres, par la néces-
sité de ne pas repousser leurs politesses : bien que ces polites-
ses ne leur doivent pas être matériellement onéreuses, mais
plutôt profitables ; car il y a dans les Grecs les plus pau-
vres un sentiment de fierté et d'égalité qui les rendrait fort
EURYTANIE. 347
sensibles à la moindre marque, non pas sealement d'impo-
litesse, mais de négligence.
Je fis on? rir Tunique volet de ma fenêtre, et me trou-
vai en présence d*une très belle vue de montagnes ver<>
doyantes qui s'appuyaient sur d'autres monts aux sommets
neigeux. J'envoyai par toute la ville mes gendarmes etk
quête d'une cbaise et d'une table quelconques, qu'ils furent
assez adroits pour obtenir. Quant au lit , il ne pouvait
en être question ; je doute que le gouverneur lui-même
soit pourvu de l'opulence d'un matelas. Charmé de la dé-
cou? erte de ma taUe de sapin^ je la fis approcher de la fe-
nêtre et passai le reste de cette belle soirée à lire et à mé-
diter en face de celte scène de montagnes qui me rappe-
lait un peu la délicieuse situation de la maison du célèbre
Tschokke à Arau en Suisse; car l'air y était aussi assez
vif et très-frais.
Au lever du soleil j'étais .à cheval arec ma nouvelle re-
crue de gendarmes, car ceux de la veille restaient à la ca-^
serne de Carpenisi et ils étaient remplacés par de nouveaux.
Dès les premiers pas je fus témoin d'une reconnaissance
entre mon pallicare Costa et un des soldats de mon es-
corte ; je m'enquis du gendarme et il m'apprit , comme
la chose la plus simple du monde , que Costa et lui se con-
naissaient de loi^ue date pour avoir été klephtes ensem^
ble et avoir fait partie de la bande du fameux Calamata, sta-
tionnée kmg- temps dans le Greveno ou OËta et dans les mon-
tagnes que j'allais parcourir. Je fus charmé d'avoir un guide
aussi bien informé et me mis en marche vers Poursos.
De Carpenisi à Mikro-Khorio la route suit pendant deux
heures les rives de l'une des branches diverses de l'Aspro-
Potamos , l'Achéloûs, dont la branche principale sort des
monts d'Âgrapha et de la chaîne du Pinde; c'est encore
un ruisseau paisible qui coule entre des rives fleuries. De
toutes parts surgissent pour le grossir de nombreux petits
cours d'eau que l'on franchit sur les ponts les plus pitto-
resques : tantôt c'est un vienx saule dont le tronc creusé
348 GRÊGB CONTINENTALS ET HOREE.
par le temps sert d*appui à des plaoches qui vont atteiodre
l'autre rive avec une pente rapide ; tantôt quelques arbres
noueux jetés \ travers des ruisseaux offrent au pied un
appui un peu incertain , et à la main le secours de leurs
rameaux verdoyants encore au milieu des eaux. On passe
constamment à travers des baies formées de roses odo-
rantes blancbeset roses, delilas, de chèvrefeuilles, de
coings et de pommiers en fleurs, car les terres sont presque
toutes cultivées.
Mikro-Kborio ou le Petit- Village est situé à trois lieues
de Carpenisi, sur le flanc d*une montagne, et tout en face de
Megalo-Khorio ou le Grand- Village, qui est bâti de Tautre
côté du ravin. Le dimarque me fit à l'instant préparer un
logement fort propre, afin d'y prendre quelques instants de
repos; car de là au monastère de Poursos que j'allais visi-
ter il n'y a plus ni villages ni maisons.
A peine a-t-on quitté IVlikro-Khorio que commence une
véritable scène alpine. La petite rivière est devenue tor-
rent, la plaine s'abaisse en ravins; aux champs en culture
succèdent des rochers , et devant vous s'ouvre une des-
cente rapide qui aboutit à une montagne plus rocailleuse
encore : vestibule approprié à la grande chaîne de monta-
gnes qui vont se succéder pendant tout le reste de la
route. On laisse l'Aspro-Potamos devenu fougueux et
bruyant pour passer dans l'étroit bassin d'un torrent plus
fongueux et plus bruyant encore. Il serait de toute impos-
sibilité de le traverser de ce côté sans le secours d'un
pont : aussi , depuis les temps les plus anciens, a-t-on jeté
deux ponts de pierre sur ce torrent ; mais leur courbure
les rend aussi pénibles à monter que périlleux à descendre.
L'arche de l'un et les deux arches de l'autre sont des demi-
cercles surhaussés qui s'élèvent sans qu'on ait pris soin d'en
adoucir la pente ni de combler l'intervalle entre les deux
convexités; ni même d'y fabriquer des degrés pour en facili-
ter l'ascension ou la descente, comme cela se pratique à Ve«
nise. Ajoutez à cela qu'ils sont fort étroits et ne portent
EURYTANie. 349
pas de parapets. Les chevaux des Grecs sont habitués à tout
cela et ne se font pas prier pour passer. Un peu plus loin
dans la même montagne, on a imaginé un moyen de
transport tout particulier : une ouverture naturelle, à une
certaine hauteur d'une roche surbaissée, sert de passage r
pour y arriver on se sert d'une corde attachée solidement
par de hardis chasseurs à une courbure supérieure du ro-
cher ; le voyageur saisit cette corde; on la balance jusqu'à
ce qu'il ait saisi le bon point, comme le fait un saumon qui
remonte une cascade, et quand il arrive juste dans Touver-
ture du trou il laisse la corde à d'autres et continue pai-
siblement sa route. Voilà tout ce qu'ont pu imaginer de
mieux les anciens ingénieurs d'Ëurytanie. 11 y a là à tra-
vers les torrents 9 au-dessous des précipices, au milieu des
rochers dentelés ou fenduâ en longues lames, une série d'é-
motions suffisantes pour occuper long-temps l'ami le plus
chaud des sites pittoresques. Les neiges du Cbelidonia bril-
lent au soleil dans le lointain.
Le zèle religieux seul pouvait dans des temps de désor-
dre ouvrir une voie à travers ces montagnes. Dans les
temps antiques, la route pour pénétrer de la Dolopie
dans l'Ëtolie et l'Âcarnanie passait sur l'autre revers du
mont Arakynthe. C'est aujourd'hui à travers ses flancs les
plus escarpés , à travers sa gorge la plus profonde et la
plus difficile qu'on s'est ouvert une nouvelle route pour
aller de Garpenisi par Yrachori, l'ancien Agrinium, jus-
qu'à Missolonghi. Du côté de Garpenisi elle a été percée
de la manière la plus laborieuse aQn d'amener les pèlerins
à la Panagia (Madone) de Poursos, le plus célèbre des icont
de la Madone qui existe de ce côté de la Grèce. Si l'on en
croit les traditions du pays recueillies par le moine Ger-
manos, voici comment cet icon de la Panagia a été transporté
de Pruse en fiithynie au lieu qu'elle occupe aujourd'hui et
qui a pris de là le nom de Poursos ou Prousos ou Pyrsos. J 'ex-
trais ces renseignements d'un livre publié par le couvent
même. Les habitants du pays n'ont pas manqué de me cer-
30
350 ORÈCE CONTINENTALE ET MORÉE.
tifier presque toutes ces traditions par leur témoigoage» ce
qui n'a pu décider toutefois quelques-uns des moines les plus
éclairés de ce couvent à leur donner une foi entière.
A Touest de Delonchi on Veloucfai, l'ancien Tym-
phrestos, aussi bien que vers le midi, s'élè?eat des
montagnes moins hantes que le Yelonchi , mais fort «mm»*
sidérables aussi, telles que le Kailidrome ou Oxia, le Che-
lidon, le Malaos on Aninos, TArakiolbe ou Kallikion, etc. ,
entre lesquelles les chemins sont presque impraticables.
L'Acbéloàs a sa source au miliea de ces gorges, et c'est aa
sein de ces mêmes montagnes , dans la partie la plus pro-
fonde et la plus Impénétrable, que se trou? e le ironastère
de Poursos , célèbre par son église bâtie non dans le roc ,
mais autour du roc, par son icon de la Vierge et anssi par
une partie des reliques de saint Clément, évéqued'Aa-
cyre , et par quelques fragments du bois de la vraie croix,
li'icon de la Vierge est , dit-on , une des images que pei-
gnit l'apôtre et évangcliste saint Luc. «Lors même, dit
Pauteur de la chronique imprimée par le couvent , qu'elle
ne serait pas nne des trois que saint Luc présenta à k
Vierge avant son assomption , elle peut fort bien être une
4e celles que ce saint peignit après l'assomption. On sait ,
ajonte4-il , que pendant la vie terrestre de la Vierge saint
Luc ne fit que trois portraits d'elle , portraits qu'il lui fit
voir tous et pour lesquels il obtint son suffrage , tandis que
les autres portraits ne furent peints par lui que plus tard
et d'après le désir qui lui fut manifesté par la Vierge d'à-
Toir plusieurs copies des premiers. » Voici, du reste, com-
ment cette image a été transportée à Poursos.
Au temps où régnait Théophile l'iconomaque et l'Ico-
noclaste (de 829 à 842), un décret impérial enjoignit,
sous les peines les plus graves aux contrevenants et sous la
promesse de fortes récompenses aux obéissants , de brûler
tontes les images. L'icon fait par saint Luc se trouvait en
ce moment daus la grande église de la célèbre ville de
Frnse en Bithynie* Aussitôt que le décret fuft publié , un
P0I}R«08. 351
jeune ieonolâtre d'une famille archoatale de la cour impé-
riale 6*empara de Fimagc et se sauva avec elle dans la pro-*
vÎDce d'Hellade , qui était encore pure de cette hérésie, et
où il pensait pouvoir rester tranquille au milieu des monta-
gnes. Arrivé avec son image à Callipolis , il la perdit sans
qu'il pât savoir comment elle lui avait été ravie. Ne vou-
lant plus cependant retourner ni dans son pays, où on brû-
lait les saintes images , ni dans le lieu où il avait perdu son
îcon , il alla s'établir en Thessalie à Néopatras , où il bâtit
Doe église dédiée à sainte Sopfaie. Le lieu où est mainte-
nant le monastère de Poursos était alors le lieu le plus im*
pénétrable et n'avait pas même de nom qui fît connaître son
existence , attendu que, par la difficulté des lieux , il n'y
avait aucun sentier qui pût y conduire. La route pour aller
de la province d'Hellade dans celle d'Etolie passait alors
par le village de Saint-Demetrius , aujourd'hui Castania
et derrière le mont Arakinthe ou Katlikion ; mais il n'y
avait même là aucun village , et il n'y existait que quel-
ques cabanes de berçers à l'est et quelques autres cabanes
non moins misérables à l'ouest sous le nom de Platania et
sous celui de Patricada. Il n'était pas possible , en effet ,
dV établir un village , et non-seulement les hommes mais
les animaux eux-mêmes avaient peine à y subsister. Si quel-
ques pauvres gens s'y étaient réfugiés c'était pour s'y ca-
cher plus sûrement au milieu des montagnes , et pour y
fuir les empereurs ou les hérésies. L'enfant d'un des pas-
teurs de ces lieux sauvages, qui gardait là les chèvres de
son père, était pendant une nuit couché en face de l'en-
droit où est maintenant situé le cimetière du couvent , et
dormait paisiblement. Pendant son sommeil, il crut en-
tendre sortir d'une caverne , à laquelle ne conduisait au«
cun sentier , des voix douces et mélodieuses. La crainte le
réveilla , et, au lieu môme d'où les voix lui avaient semblé
sortir , il aperçut une colonne de feu qui de la grotte s'é-
levait jusqu'au ciel. Il pensa d'abord que c'était l'iris ou
arc-en-ciel ; mais, comme il n'y avait pas eu de pluie, et
352 GEECB CONTIHUTTALC ET MOIEI.
que fe Mieil d'aiUeors n'a?ait pas encore para , il comprit
bien qn*il devail y avoir 13i quelque chose d'extraordi-
naire. Il coorat donc tout tremblant à'son père et lui ra-
conta ce qu'il avait vu. Le père crut que son fils lui disait
un mensonge ; mais , . sur les assurances répétées de Ten-
bnt , il prit le parti de l'accompagner la nuit suivante. Là
il vit tout ce que son fils avait vu avant lui II entendit les
voix et aperçut la colonne de feu. A son tour il alla ra-
conter cette merveille aux bergers ses amis et les amena aa
même lieu, où ils entendirent aussi les voix et virent la co-
lonne de feu. Impatients de découvrir la cause de ce phéno^
mène, ils parvinrent enfin, à travers mille périls, jusqu'à l'en-
trée de la grotte et y pénétrèrent. Au fond de la caverne
était l'icon tout étincelant de lumière. Afin de rendre pra-
ticable un lieu clos auparavant à tous et venir y faire leurs
offrandes , tous se mirent à l'œuvre et parvinrent à tracer
un sentier. De ce feu (irl^p) que lançait l'icon vient,
dit-on , le nom de Ilupiïoç donné à l'abbaye. Le nom de
Ilfouoroç, qu'elle porte aussi, lui vieqt de la ville de Prose
en Bithynie , d'où fut apportée Fimage.
Le bruit de ce miracle se répandit bientôt dans les envi-
rons et parvint aux oreilles du fils de rarchonte , qui s'était
fixé à Néopatras après la perte de son icon. Sans attendre
un instant , il part avec ses gens pour se rendre au lieu
indiqué. Après deux longues journées de voyage , il ar-
rive , voit l'Image , la reconnaît , se prosterne pour l'ado-
rer ; puis , après avoir expliqué aux bergers comment Ticoa
lui appartenait et les avoir bien récompensés de leur décoa-
verte, il s'empare de son trésor et reprend sa roule vers Néo-
patras. « Arrivé à l'endroit du chemin où est maintenant ,
dit la chronique, une petite église de la Vierge, église qui
n'existe plus aujourd'hui , mais qui était placée en face de
la partie du rocher où on aperçoit une échancrure (TpuiET))
par où l'icon prit son vol à travers le rocher , il se seutit
fatigué et s'arrêta avec tous jses gens pour prendre un peu
de repos. Il déposa l'image avec respect près du rocher.
pounsos. 353
et s*assit pour dormir quelque peu. Mais , à son réveil ,
quel fut sou désespoir en ne retrouvant plus son image à
Tendroit où elle avait été déposée! Sa première pensée
faC que les bergers avaient pu venir la lui enlever. Il re^
tourna donc sur ses pas pour la chercher ; mais, arrivé dans
une gorge étroite, il entendit une voix qui lui disait :
« Jeune homme , tranquillise-toi sur mon compte. Je me
trouve beaucoup mieux dans ces ravins déserts où je reste
en paix que si j'étais au milieu des querelles politiques et
des hérésies. Si ta veux rester avec moi, viens et tu me
trouveras et cela te sera bon. » Lui seul entendit cette
voix. Il rendit la liberté à ses serviteurs, n*en conserva
qu'un seul , retourna à la caverne de Pyrsos , y retrouva
rimage et se fixa dans ce lieu avec son seul serviteur
nommé Timothée. Tous deux s'y bâtirent des cellules, et
moururent dans ce même lieu où sont encore conservés
leurs tombeaux placés l'un près de l'autre. Un monastère
ne tarda pas à se former et à s'enricbir par la piété des
fidèles ; et telle est l'origine du monastère de Poursos.
Après avoir raconté l'origine de son monastère, lecbro-
niquenr ecclésiastique rapporte un grand nombre de mi«-
racles faits par l'icon et aussi par l'image même de l'icon
empreinte sur un rocher et que l'on montre encore au-
jourd'hui sous le nom de xuirM^iia tyjç ïl^o\j<jwni<Tcri^. Une
fois, par exemple, par la négligence de celui qui allumait
les lampes, le feu prit au couvent sans que les caloyers en
fassent informés à temps. Il fut absolument impossible de
rien sauver: meubles, bibliothèque, archives, tout périt;
mais l'image resta intacte au milieu d'un cercle de feu.
Une autre fois, la chute d'un rocher énorme menaçait dV
uéantir et la grotte et l'église ; les moines se mirent en
prières : et le rocher, prenant une autre direction, tomba
à distance et vint se placer comme une sentinelle cl argée
de la garde du couvent. Une autre fois, une femme qui te-
nait son enfant fit un faux pas et tomba avec Tenfant du
haut d'un de ces énormes piécipiccs qui entourent le cou-
o
0.
354 GRÈCE CONTINIlfTALE ET MOREE.
vont; mais, dans sa chute, elle avait invoqué la Panagia
de Poursos, et on la retrouva en bas da précipice, assise
paisiblement sur une pierre et berçant son enfant sur ses
genoux. Ces miracles paraissent s*être continués presque
jusqu^à nos jours; car ce livre raconte qu*en 176Zi, les
moines faisant creuser le rocher pour avoir une citerne,
un enfant indiqua l'endroit du rocher où il fallait frapper,
et qu'il en jaillit du premier choc une source miraculeuse
dent l'eau fort abondante arrose maintenant le jardin da
couvent et fournit une boisson excelleote.
Un des gendarmes de mon escorte était un fervent
croyant à la Panagia de Poursos. En passant devant deux
pies de rochers dentelés, du milieu desquels semble s'être
séparé un immense fragment , il appela mon attention sur
ee point, a C'est par là , me dit->'il , que la Panagia s'est
frayé une route pour aller à Poursos , et c'est elle qui , en
frôlant le rocher, en a enlevé cet énorme pan : aussi l'ap^
peloos-nous le trou par excellence (xpuTn^). » Â quelques
pas de là il s'arrêta en faisant vingt signes de croix avec vi«-
vacité. Nous étions au pied d'un rocher de quelques cen-
taines de pieds d'élévation, et dont la muraille droite sens-
blait taillée de main d'homme et polie avec soin. Seulement,
dans un endroit placé à une assez grande élévation , une
partie du rocher était dépolie et n'offrait qu'une surface
brute. Devant cette muraille de rochers , mon gendarme
dévot se mit en prières. Il croyait y voir l'empreinte faite
par l'image de la Panagia au moment où elle quitta le jeune
archonte ^lour retourner à Poursos , et son imagination
était tellement excitée qu'il voyait en effet le Tuit£)fji.a t^c
npou9i(DTt9<7'y)« et nous montrait du doigt chacune des figu-
res : ici , la Vierge contemplant son fils avec amour ; là
l'enfant sur les genoux de sa mère , et tout autour de lui
les anges ailés qui lui souriaient. Comme j'alléguais la fai-
blesse de ma vue, qui ne me permettait pas de voir tout
cela distinctement de si loin , il appela eu témoignage les
autres gendarmes et les agoïates. Un des agoïates fut le
seul à voiF aussi nettemoDt que le pieux gendarme ; mais
tout le reste demeura dans un doute respectueux.
Deux tours placées sur les erôtes de deux rochers , en
avant et en arrière, annoncent la retraite où se cache le
monastère , car des deuxcôtés il est protégé contre tout
regard par les flancs de ces deux rochers qui s'avancent
comme une muraille arrondie tout alentour ; et le che-^
min passe comme il peut le long de la tour et bien haut
au-dessus du couvent, que Ton n'aperçoit qu*à ses pieds ,
sous le rocher, au moment seulement où on en passe le
seuil. Les Turcs n*ont jamais osé s'aventurer dans ces
gorges étroites. Les moines étaient sur leurs gardes, et
quelques hommes peuvent , en cet endroit , résister à unQ
armée. L'établissement d'un monastère dans des lieux si
impraticables a été un véritable service pour tous les pays
environnants , car un chemin s'est ouvert par là de Car^
penisi à Vrachori ; et un village entouré de terres fort bien
cultivées est venu se placer au-dessus du couvent, à l'abri
de sa protection. C'est un lieu très-piltoresque , qui me
rappela un peu le village situé au-dessus du beau monastère
de la Gava près de Salerne ; mais le site de la Gava est riant
et délicieux, et celui-ci est rude et sauvage.
Je fus fort bien accueilli dans le couvent. Mes gendarmes
m'avaient annoncé comme Français, et le nom seul de
Français est un gage de bon accueil eu Roumélie. Au lieu
de me placer dans le logement des étrangers , les moines,
pour me montrer plus d'affection , me donnèrent , daus
l'intérieur, la chambre de l'un d'eux. Elle était éclairée
par trois fenêtres qui ouvraient sur une fort belle vue du
ravin. L'ameublement en était simple , mais propre et con-
fortable ; le sofa était large et doux et le lit fort bon. Pour
me prouver tout leur désir de bien traiter les Français, ils
me contèrent que , quelques semaines auparavant , un de
mes compatriotes était venu les voir et avait pai»sé plusieurs
jours avec eux ; qu'ils l'avaient traité de leur mieux et lui
avaient donné de leur meilleur vin , et qu'il l'avait trouvé si
856 grègb continbhtale et moree.
bon, ri bon qnll en était devenu d'une gaieté à les éton-
ner. Je m'enqnisda nom de ce mien compatriote, si dis-
posé à faire accueil à la dive bouteille. Ce nom était celui
d'un employé bavarois en Grèce, qui, craignant d*être laissé
dans le logement extérieur avec son nom de Bavarois,
s'était dit Français pour gagner le cœur des moines. Quand
je les éclairai sur ce point, ils me manifestèrent les pins
vifs regrets de toutes letirs politesses. « Comment , s'é-
criaient-ils, il était Bavarois, et nous lui avons donné notre
meilleure chambre, notre meilleur lit, notre meilleare
chère, notre meilleur vin, notre meilleur accueil ! El tout
cela parce qu'il se disait Français I... • Le naïf regret de
mes moines prouve jusqu'à quel point l'antipathie pour les
Bavarois a pénétré toutes les classes de la population grec-
que. Le roi seul est aimé, parce qu'on le regarde comme
devenu tout à fait national. Mais tous les efforts faits pour
imposer à la Grèce une régence bavaroise, une armée ba-
varoise, des employés bavarois, des costumes militaires,
civils et judiciaires bavarois, tout ce qui semblerait transfor-
mer la Grèce en une province bavaroise , ont excité dans
tous les cœurs la plus vive animosité contre les Bavarois. Le
peuple grec est un peuple vif, intelligent, jaloux, national,
quf veut être gouverné à sa manière et marcher, s'arrêter
ou courir à son allure ; et le roi Othon est trop attaché an
nouveau pays dont l'avenir a été remis en ses mains , pour
ne pas voir quels ménagements il doit à cette honorable sus-
ceptibilité et ne pas être le premier à sentir tout le parti
qu'on peut tirer d'un tel caractère national.
Ma première enquête dans le monastère de Poursos fut
une enquête respectueuse pour l'icon de la Panagia. La
prétendue peinture de saint Luc me parut être un fort
médiocre tableau du quatorzième siècle au plus tard, et le
moine qui me la montrait ne me sembla nullement con-
vaincu de sa transmission depuis le temps de saint Luc.
L'église , bâtie dans le rocher tel qu'il existait et sans qu'il
fût taillé, est fort pittoresque. On aperçoit partout à l'inté-
POURSOS. 357
rieur les pointes de ce rocher toujours parfaitement à sec.
£o montant quelques degrés dans Téglise on arrive à une
autre retraite du rocher éclairée par le haut et formant
nue grande chambre. C'est là qn*est la bibliothèque. Un
des moines, homme de beaucoup d'esprit, eut la complai-
sance de me permettre d'examiner tout avec l'attention la
plus minutieuse.
I^a bibliothèque se compose de deux ou trois cents ou-
vrages imprimés et d'une quarantaine de manuscrits. C'é-
tait pour visiter les manuscrits que j'étais venu à Poursos.
On m'avait assuré que j'y trouverais beaucoup de docu-
ments sur le moyen âge, et, en particulier, sur notre éta-
blissement féodal en Grèce. Je priai donc les moines de me
laisser parcourir un à un tous leurs manuscrits, même les
moins importants à leurs yeux , pour m'assurer par moi-
même que rien ne m'était échappé. lisse prêtèrent av^c la
plus grande bienveillance à ma demande, et je commençai
à faire sortir de leur poussière une trentaine de manuscrits
entassés sur des tablettes encastrées dans les inégalités du
rocher. Voici de quoi se compose cette collection dans son
état présent :
Unévangéliairegrec, écrit sur papier au quinzième siècle.
Une vingtaine de volumes de leçons dictées par des pro-
fesseurs, il y a une cinquantaine d'années , sur la philoso-
phie naturelle et les mathématiques.
Six volumes écrits, comme les précédents, en langue
grecque et sur papier, mais d'une écriture du treizième et
du quatorzième siècle , contenant des traités de chant ec-
clésiastique, avec la musique notée en petits caractères par-
ticuliers, ressemblant à des notes tachygraphiques. Ces
volumes peuvent offrir quelque intérêt pour les études ar-
chéologiques relatives à la musique ecclésiastique en Grèce.
Enfin un manuscrit de l'histoire composée par Georges
Phrantzi , à la demande de quelques-uns de ses amis de
Corfou , sur la fin du quinzième siècle , pour conserver le
souvenir des événements de cette époque auxquels lui-
358 GRÈCE COI^TINCNTALC ET MOREE.
même avait souvent pris part dans des emplois importants.
L'écriture de ce manuscrit m*a semblé être de la fin du
dix-septième siècle. Il est fort complet , et j'aurais aimé à
le collationner avec l'édition publiée à Bonn en 1838.
Georges Phrantzi , dans ses premiers chapitres, parle , en
forme d'introduction , de la conquête de Constant! nopie
par les Francs. £o lisant ces deux pages quelques curieux
auront cru sans doute que la même matière était développée
dans le reste de l'ouvrage. De là peut-être le bruit arrivé
jusqu'à moi, que l'on possédait dans le monastère de Poursos
des manuscrits relatifs à la conquête franque. Phrantzi,
traduit en partie en latin par Pontanus en 161^ et publié
depuis par Alter, à Vienne , et par Emmanuel Bekker à
Bonn, est aujourd'hui un historien fort connu.
Parmi les livres imprimés , le plus curieux pour moi
était une édition vénitienne du poème grec sur le Yaivode.
L*hégoomène et le père Germanos, qui me firent les
honneurs du couvent, sont deux hommes fort intelligents
et très-supérieurs à ce que j'ai trouvé dans la plupart des
couvents grecs. Les cellules des moines sont beaucoup
mieux éclairées et mieux tenues que celles du couvent de
Saint-Luc, du couvent de Saint- Ëiie près de Salona,
et de tous les autres couvents que j'ai visités. Le soir, le
père Germanos venait souper avec moi dans ma chambre
et nous passions de bonnes heures à causer de tout ce qui
pouvait améliorer le sort du pays. L'hégoumène et lui
sentent parfaitement les devoirs imposés aux riches cou-
vents dans ce nouvel ordre de société dans lequel la Grèce
est entrée. Il faut autre chose aujourd'hui que des prières,
que l'aumône de l'hospitalité, que même le travail ma-
nuel du moine consacré à la terre. Les couvents sont les
seuls grands propriétaires de la Grèce et ils doivent se
conduire avec l'intelligence et le zèle éclairé d'un grand
propriétaire patriote. Leur devoir est d'essayer la grande
culture et les nouvelles méthodes et de répandre autour
d'eux le travail et l'aisance. Les moines de Poursos sont
POLRSos. 359
tout disposés à bien remplir des devoirs qu'ils comprea-
nent ; ils ont ouvert des écoles et appellent les lumières
apicoles autant qu'il est en eux.
Le monastère de Poursos possède de bonnes propriétés
du côté de Missolonghi. L*bégoumène devait aller les in-
pecter ; il me proposa de TaCcompagoer ^ se chargeant de
bien me montrer le pays. Ce voyage me plaisait beaucoup,
car je voulais voir, pour mes études, Vrachori et le lac
Tricbonis, et la chaîne du Xeromeros, et tout l'ancien pays
de Ciarlelie, qui doit son nom à un feudataire français
d'origine napolitaine, Charles Tocco , despote d'Étolie et
comte palatin de Céphalonie à la Gn du quatorzième siè-
cle. Je désirais aussi , en pèlerin littéraire , rapporter à
mes amis de Paris une pierre de la maison où mourut
lord Byron ; mais , malgré tant de tentatives réunies , je
résistai pour ne pas perdre un voyage dans l'île d'Eubée,
par laquelle je voulais revenir à Athènes.
XVIII.
RETOUR DE POURSOS A ATHÈNES.
Je quittai les moi ues de Poursos avec quelques regrets et
me remis en route à pied jusqu'à Mikro-Khorio pour ne
perdre aucun des beaux points de vue de c^ettc route pé-
nible et dangereuse. De temps à autre je faisais tirer quel-
ques coups de fusil pour jouir du retentissement prolongé
des échos. Le son était répété par moments plus de dii
fois , toujours s'agrandissant et s'amplifiant de manière à
produire l'effet du roulement du tonnerre. Après m'ôire
reposé quelque temps au bord d'une fontaine pour laisser
paître les montures , je remontai à cheval ; et après onze
heures de temps, mais seulement huit heures de route ,
je rentrai à Carpenisi. La pluie s'annonçait violente dès le
360 GRÈCE CONTINENTALE ET MORÉe.
lendemain matin. Je n*en fas pas moins ferme dans mon
pn>jetde hâter le pas des chevaux et de rentrer le soir même
à PatradjiL La pluie , d'abord légère , tomba par torrents
dès que nous eûmes atteint le piedduVelouchi, elles che-
mins près de Laspi devinrent presque impraticables ;
je n'en persistai pas moins , et après deux heures et demie
j'étais arrivé à la caserne des siratiotes. Là J'entrai et fis
allumer un grand feu pour sécher tous mes vêtements
trempés, sans exception. Les stratiotes m'aidèrent avec une
parfaite complaisance et se distribuèrent entre eux toutes
les pièces de mon ajustement pour que l'opération fût
plus promptement terminée. La solde des officiers et sol-
dats est si minime que tous boivent habituellement de l'eaa.
Je fus donc le très-bienvenu en faisant une bonne distribu-
tion de vin et de tabac. Je laissai de plus quelques drachmes
pour continuer l'approvisionnement général , et , en dépit
de l'affreux temps qu'il faisait , je me remis en route. Les
chemins sont promptement gâtés dans un pays rempli de
torrents et où la terre est partout fort grasse ; mais aussi
quelques rayons de soleil suffisent pour ramener tout en
bon ordre. Le ciel se dégagea enfin , et quand nous arri-
vâmes à Hagi-Janni l'air était redevenu serein. A mi
quart de lieue environ de la route, entre Hagi-Janni et le
chemin de Palœo-Yracha , on m'indiqua les ruines d*un
temple antique remplacé par une église aussi en ruines.
J'allai les visiter. Elles sont situées sur une belle pelouse
au-dessus de la rivière, dans un de ces emplacements que
les anciens savaient si bien choisir pour y bâtir leurs mo-
numents publics. J'y retrouvai en effet les ruines d'un
temple antique , des colonnes crénelées en marbre et des
fragments d'un mur d'enceinte.
Mes gens auraient fort désiré s'arrêter à Palœo- Vraca et
Ils eurent recours à toutes sortes de petites ruses grecques
pour m'y décider; mais bien résolu de me rendre le soir à
Patradjik, je poussai mon cheval au galop, leur prescrivant
de me suivre comme bon leur semblerait , et je les devançai
DEJEUNER DE PALLICARES. 36f
de beaucoup. Je m'égarai de plus d'une bonnelteuc ; mais,
deux heures avant le coucher du soleil, mou escorte , qui
aVait couru de différents côtés à ma suite , m'avait rejoint
sur les bords de la Vistritza dont les eaux avaient crû un peu
par la pluie du matin , et qui charriait d'énormes pierres ;
mais cette fois , au lieu de contempler les eaux en passant, je
me dirigeai avec fermeté sur l'autre bord, et, sans en-
combre pour moi ni pour mon cheval ni pour aucun de»
gens de ma suite, nous arrivâmes sur l'autre rive. Une
heure après je passai le Xerio , torrent moins large maii
non moins dangereux , et, peu après la chute de la nuit ,
j'entrai dans la maison hospitalière d'HadjiPetros. 11 était
revena de sa chasse aux chevreuils dans l'QEta ; et nous
passâmes une bonne journée de causeries intimes avec
quelques-uns des nombreux amis de Colettis, si populaire
dans cette partie de la Grèce , où il a des propriétés.
Le jeudi suivant, qui était le 1*' mai selon le ca-
lendrier grec , je fis mes adieux à Hadji - Petros et h sa
charmante famille, et me remis en route. Il y a sans doute
une suite d'émotions bien douces à recevoir de ce pen-
chant de notre caractère national à la sociabilité. Par la ,
nous ne vivons en quelque sorte étrangers nulle part ; mais
â les sympathies qui nous rattachent à des hommes dont
l'affection s'éveille aussi pour nous, ou dont les sentiments et
l'intelligence morale sent d'accord avec ce que nous sen-
tons nous-mêmes , nous procurent de véritables plaisirs et
donnent un intérêt nouveau à chaque lieu, il faut dire aussi
qu'elles nous préparent de longs regrets. Il est si triste de
dire qu'on ne retrouvera plus dans sa vie aucun jour d'in-
timité avec ceux qu'on s'était habitué à aimer. Pour moi,
j'éprouve toujours une peine réelle à m'arracher d'un
pays où j'ai passé quelque temps; et j'ai besoin que le temps,
le mouvement du cheval, le changement de lieu viennent
déplacer un peu mes idées. J'avais été invité ce jour- là
par M. Tolmidis et par le colonel Gouras Mamouris à un
déjeuner de pallicares au milieu des ombrages de la col
31
363 GBECE CONTIBiENTM.E ET MO&EE.
line de PlaUuia , à uae demi-lleue de la montagne d'Hy*
pale. Je laissai mes cbevaui au bas de la cdiine et moDlai
au lieu du rendez-vous, situé un peu au-dessus de la plaine,
mais bien au-dessous des collines d'Hypate et en face de
la chaîne de l'Oibrys» C'était en Tbonneur du 1***^ mai grec,
fête universelle depuis les teoip» antiques, que le colonel
Gouras nous donnait ce déjeuner. Nous étions une tren*
laine de convives, parmi lesquels se trouvaient cinq ou
six officiers de Gouras , un capitaine de Tauden corps ré<
gulier formé par Fabvier, qui avait quitté Gorfou pour venir
en Grèce chercher la liberté et la nationalité , rhégioumèae
d'un couvent voisin , le protopapas de Patradjik , et un
Turc nommé Had]i-Baba, qui , après le départ de& Turcs,
ses compatriotes, est revenu s'étaUir dans ce pays qu'il avait
toujours habité et où il est fort aimé de tout le monde.
Le déjeuner consistait conmie d'ordinaire en agneaux
rôtis tout entiers sur le lieu et servis sur une table de
feuillage avec des oignons verts, des œufs durs et du
yaourd. Les agneaux furent découpés avec prestesse par
des paUicares et les morceaux distribué» sur le Ut de
feuillage devant chaque coavive , dont Tappétit avait été
plus a^uisé que satisfait par les excellents koukouretzes
servis comme préliminaire. Le vin, et un fort boa via ,
quoiqu'un peu doux comme le vin d'Italie, circulait à la
ronde. Notre ami turc fut le seul à s'en abstenir malgré
les provocations amicales du protopapas et de rhégpumènie
(abbé), entre lesquels il était assis» Hadji-Baba a fait trois
fois le voyage de La Mecque, a pieusement accompli toutes
les cérémonies au tombeau du saint prophète, et suit ré-
gulièrement, mais sans ostentation, les principes de si
religion. Le papas et l'abbé le plaisantèrent un peu sur sa
rigidité religieuse ; il répliqua en \e& plaisantant à son
tour, mais avec mesure , et il tint bon. Ayant appris mes
fouilles précédentes dans le torrent du Xerio , il me re-
procha de n'être pas venu le chercbet* pour me servii*
de guide comme il en avait servi à M^ Enian ; m'assu*
ART CABALfSTIQCE. 363
nntque, si je Toaiais recommencer, il me désignerait
un endroit où je troa serais certainement des tombeaux non
explorés» avec statuettes de terrfe cuite, pierres gravées et
médailks. Il me raconta qu'au temps de la domination
turque il connaissait déjà ces tombeaux , mais que, bien
qu'il lui fût loisible alors de les fouiller comme bon lui
semblait, il n'avait pas moins dédaigné ces explorations
scientifiques que ses autres frères musulmans. Depuis»
voyant les Grecs attacher de Tiraportance à ces fouilles , il
avait compris qu'ils avaient raison ; mais maintenant il était
obligé à de grands ménagements avec des chrétiens qui
l'accueillaient avec amitié parmi eux, et il craignait, en
iouillant lui-même, de passer pour uu accapareur de tré<-
sors et de risquer ainsi la tranquillité de sa vie. Je lui
demandai si ce ne serait pas à l'aide de la science caba-
listique qu'il avait appris l'endroit précis où étaient les
tombeaux , car beaucoup de Turcs pratiquent encore la
cabale et y croient. Hadji-Baba m'assura qu'il n'était
pas un adepte, mais qu'il avait eu un ami turc trës*fort
dans cette science et qui même en avait donné des preuves
à un étranger fort distingué que j'avais certainement
connu à Paris et è Athènes. Ce Turc , qui est mort au*
joard'bui , était d'une fortune aisée et d'un caractère fort
honorable ; il avait beaucoup pratiqué la cabale, et préten*
dait , à l'aide de certaines formules > se mettre en com-*
munication avec des créatures inaperçues et insubstan-
tielles, intermédiaires entre Dieu et l'homme, et, par
l'effet de la ferveur de ses prières à Dieu , les forcer à se
plier à ses volontés honnêtes. A mon retour à Athènes je
demandai en effet au personnage mentionné par Hadji-
Baba s'il avait consulté le Turc cabaliste, et il me raconta
un de ces événements que les magnétiseurs fervents aiment
à attribuer aussi au magnétisme. Le Turc Gt venir devant
lui une femme qui lui fut désignée par son interprèle , h
fit placer devant un miroir et commença ses formules ca-^
balistiques. Au bout de quelques instants la femme fut
3G1 GRECE CONTINENTALE ET HORÉE.
saisie d'ane sorte de sommeil magnéiique, et, snr les inter-
rogations du Turc , déclara ¥oir le miroir se troubler d'a-
bord puis s'édaircir. G'étaiit le moment des questions, et le
Turc demanda ce qu'on désirait que la femme examinât
dans le miroir. L'iuTestigateur demanda ce que faisait en ce
momentle ministre des aiïairesétrangères à Berlin. Laïemme
le décrivit assis dans son fauteuil , enveloppé dans une robe
Meue et gardant la chambre parce qu'il venait de se dé-
mettre le bras, accident confirmé par la "Gazette d'Àfigs-
bourg qui arriva à Athènes quinze jours après. M. R...
voulut savoir ce que faisait sa fiancée : la femme la décrivit
foucbéedans son lit avec un drap placé sur sa tête et privée
de la vie ; et Ai« R... apprit , en effet , par une lettre reçue
quinze jours après, que sa fiancée était morte au jour dé-
signé par le miroir. M. Th. demanda une queslion sur le
cabinet du roi Othon , et la femme le décrivit de la manière
la plus exacte. Enfin M, deSaint-S... voulut que la femme vît
une solennité d'Athènes du temps de Périclès , en se plaçant
devant l'Acropolis,- et qu'elle décrivit le retour des théories
de Délos avec toute leur pompe ; et la femme lui décrivit
le tout de la manière la plus circonstanciée , et les longs
murs avec leur suite de tours, et l'aspect de la ville, et les
cérémonies, et les costumes, et la beauté de toutt^ C'était
une véritable séance archéologique, comme on toi t. Avec
un pareil miroir on pourrait se passer de bien des recher-
ches historiques. Fort malheureusement je ne l'ai pas re-
trouvé. L'investigateur charmé demanda au Turc s'il y
avait possibilité d'acquérir une telle science, et le Turc vou-
lut bien lui enseigner et lui traduire ses formules; mais lui
ne put jamais parvenir à faire voir à la femme autre chose
que du brouillard et des nuages dans son miroir, et tout
au plus quelques-uns des traits confus des personnes qu'il
lui désignait , et même assez étrangement amalgamées les
unes avec les autres. Le vieux Turc est mort ; mais ceux
qui sont curieux de devenir professeurs en cabale peuvent
aller l'apprendre en Arabie, où on la pratique encore au-
EAUX THERMzlLES. 365
joardiini avec non moins de succès que ic magnélismo
dans nos salons.
Je n*avai8 pas le temps de relourner à Hypaie pout
profiter des lumières et de Ja coaiplaisance d*Hadji-Baba
et faire des fouilles plus heureuses; mais je le priai de me
conserver sa bonne volonté pour mes amis. Le déjeuner
fut gai et' cordial. On porta des toasts aux Français et au
général Fabvier en particulier : car le nom de Fabvier
est toujours vivant en Grèce , et prend chaque jour une
plus grande autorité à mesure que s'éloignent les causes
des petites jalousies qui ont souvent arrêté ses succès. Je
ne connais pas de nom qui soit populaire ici à Tégal du
srien. C'est un titre d'honneur d'avoir fait partie de son
corps régulier , et ceux mêmes qui ont montré le moins
de bonnes dispositions pour le seconder ne sont pas les
derniers à le préconiser. Quant è ceux qui peuvent dire:
j'étais un officier de Fabvier; j'étais avec Fabvier dans
telle ou telle affaire ; j'ai partagé les fatigues de Fabvier ;
îl n*est pas de croix , de décoration , de marque d'hon^
iienr qui soit évaluée aussi haut à leurs yeux et aux yeux
de tous. Il m'était bien doux de trouver dans les Grecs
une mémoire aussi reconnaissante en faveur d'un compa-
triote ei d'un ami.
Mes hôtes m'accompagnèrent jusqu'à mes chevaux qui
m'attendaient au milieu des arbrisseaux , et je redescendis
dans la plaine pour aller visiter les eaux thermales de Pa-
tradjik. Elles apparaissent de loin comme un lac au mi-
lieu d'une plaine de sel blanc et sans une seule habitation
sur les bords. La ville de Patradjik avait offert, il y a plu-
sieurs années , de faire construire à ses frais un établisse-
ment de bains afin d'y attirer les étrangers ; mais le gou*
▼ernement, qui veut se réserver le privilège de l'explôila-
tion des eaux , a répondu qu'il s'en chargerait lui-même.
Jusqu'ici rien n'a été fait. Seulement, pendant la saison ,
on construit quelques cabanes à la hâte. Et cependant les
eaux thermales de Patradjik sont réputées fort bienf(|.isan(es.
31.
366 Gr£cC COlWTIllElITiitE R MOREE.
Elles sont d'une nature sulfureuse, ferrugineuse et saline, et
ni*ont paru aToîr sur les bords une chaleur de 32*Réaaiiiar.
Ao milieu du lac l'eau doit être bien plus cbande, car on
voit la floarce sortir en boaillonnant. Ces bains étaient connus
des anciens, car tout anionr on apa*çoit des restes de
marches par lesquelles on descendait dans les bains.
Alors sans doute des précautions étaient prises pour que
les baigneurs ne glissassent pas malgré eux de ces marches
jusque dans le gouffre d'où sort la source; aujourd'hui
rien n'a été fait pour prévenir le danger , et il est arriva
quelquefois que des baigneurs qui ne savaient pas nager ool
glissé, ont été entraînés et ont disparu.
Du lac d'eau thermale je me dirigeai par le valtos sur
le Sperchiiis afin d'abréger la route en passant le fleuve à
gué. Uq berger nous indiqua un endroit qu'il assura être
guéable» Les eaux limoneuses du Spercbios empêchent de
voir le fond de son Ht ; il faut donc bien se fier aux bergers
d'alentour , qui sont des guides presque toujours bien in-
formés. Après la saison des grandes pluies, il est impos-
sible de passer à gué ce large fleuve ; mais il était alon»
rentré dans son Ut ordinaire , et nous le franchîmes sans
encombre. Presque dans tout son cours ce beau fleuve est
navigable , et il serait très-facile d'en tirer parti p9ur l'a-
vantage de cette riche plaine de plus de dix^buU lieues de
longueur ; mais rien n'est fait.
J'arrivai de fort bonne heure à Lamisi et je descendis
chez un des hommes les plus éclairés dq pays, M, Stanoff,
procureur du roi , homme an cœur tout français malgré
son nom russe. Quelques amis avec lesquels je devais vi-
siter la Phthiotide d'Achille jusqu'à Ptelia» où se trouvent
encore de fort belles ruines antiques , avaient profité des
fêtes pour se rendre à la campagne, I^es fêtes se succèdent
sans fin ici. Chaque jour a son saint , et ce saint est par-
fois un si grand saint qu'on ne peut manquer de faire
une fête du jour qui lui est consacré. Hier c'était le pre-
mier mai V la fête des fêtes ; aujourd'hui c'est Saint-Atha-
SYRAMINON. 367
nase , demain c'est Saint-Timothée, après-demain ce sera
dimanche. Voilà donc plus d*une moitié de la semaine
pendant laquelle aucun travail ne se fait. Je parlais de cet
inconvénient à un paysan grec , qui défendit vivement ses
saints et ajouta que, si le gouvernement trouvait qn*il y
eût trop de fêtes , il était convenable qu'il n*en créât pas
de nouvelles par de nombreux anniversaires d'événements
politiques : tels que l'arrivée du roi k Nauplie, son en-
trée à Athènes et tant d'autres; qu'il aimait particulière-
ment le roi et beaucoup aussi la jeune et belle reine, ei
trouvait fort naturel que l'on donnit une fôte pour chacun »
mais qu'il aimait et estimait b^uooup «usai saint Athanaso
et n'entendait pas lui refuser l'hommage que sa familto
lui avait toujours accordé. Ghtcan a d'aussi bons argu^
ments pour le saint de son choÎK. £t si l'on considère eoQH
bien le défaut de bras réduit la masse du travail* on verra
combien il est désastreux de voir cette masse de travail si
réduite encore par le repos des bras qui pourraient tra'<
Tailler,
Dans l'absence de mes amis, je renonçai à l'excursion
dont ils devaient être les guides, et me bftiai de retourner
h Athènes en allant par mer à Orégs en Enbée, D'Oréoa
j'étendis mes ei^cursions dans toute l'Ile d'Eubée, si inté-
ressante à voir et si peu connue. Je réserve cette partie de
mes investigations pour un volume relatif auY iles*
De TEubée je regagnai par mer les côtes de la fiéotîe ,
près d'Oropos. A une lieue de cette ville antique se trouve
le château franc de Sykaminon , indiqué dans notre belle
carte de l'état^major; c'était là qu'habitait iMarguerite veuve
de Franco Acciaiuoli, fils de ce Donato qui avait obtenu,
en 1394, la survivance du duché d'Athènes, J'ai publié
un acte rédigé par ses ordres en 1421, dans ce château * ,
en faveur de ses enfants mineurs, Neri et Antoine Acciai-
uoli, dont l'un, Neri, fut depuis duc d'/Vthènes. D'Oropos
je rentrai à Athènes par Léosia et le Pentélique*
* In gala castri «loainiiiisu a(Hul insulam Nigroponlis (t. ii, p 1 9)).
MOREË.
ËnDACRE. — LIGOURIO.
J'avais long-temps été retenu à Athènes et dans les en^
irirons par les ebalears excessives qai rendent tout voyage
en Grèce très-fatigant en été, et aussi par le désir de me
mêler à cette société nouvelle et de bien Tétudier dans sa
vie politique et sociale de tous les jours. Sans cette étude
préliminaire, je courais risque de ne voir en Grèce que
les lieux et j'aime aussi à voir les hommes. Je me décidai
enfin, après avoirbien visité les environs d'Athènes et achevé
une course au cap Suninni et à Trézène , à me mettre en
route , malgré Textréme chaleur , pour visiter Tintérieur
de la Morée. Je louai pour une somme assez modique un
jpetit bâtiment ponté au Pirée , et , comptant sur la brise
de nuit, je m'embarquai le vendredi 2 juillet, à dix heures
du soir, pour Epidaure; mais la brise ne vint pas à mi-
nuit, elle ne vint pas avec le lever du soleil, et je n'étais
encore parvenu à midi qu*à la pointe de Salamîne. Mais
cette brise si impatiemment attendue se fit enfin sentir et
nos voiles s'enflèrent Nous longeâmes toute la côte pier*
reused'Egine, dépassâmes Ânkistri, l'ancienne Pityonnesus,
et Kyra, l'antique Gecryphalia, laissâmes bien à gauche la
presqu'île de Methana , et entrâmes à six heures du soir
dans le petit port d'Epidaure clos par une langue de terre
montagneuse fort étroite. C'est un pauvre petit hameau
composé d'une quinzaine de malsons. Cinq à six petits
bâtiments stationnaient dans son port, qui sert de commu-
nication habituelle entre la Morée et Athènes. Un détesta-
ble khani, décoré du titre fastueux de locanda, est destiné
ÉPiDAunE. 369
aux miiordi ou Yoyagcurs étrangers, tous transformés ici en
niilordi à quelque nation qu*iis appartiennent. Hôte et
hôtesse , tout est à Tavenant du khani, peu agréable pour
le fond et fort malpropre pour la forme. Le mari est une es-
pèce de gros cuisinier dont les habits blancs, veste blanche
et fustanelle blanche, portent partout la trace du nettoyage
de ses instruments culinaires. Sa hante taille et Tampleur de
tout son corps rendent plus remarquable encore la gracilité
de sa voix et la docilité parfaite de son caractère, en pré-
sence d'une petite femme noire et maigre, qui Tassouplit
comme un gant en sa présence, et le fait à son gré se taire
devant elle et grommeler devant Tétranger. Quelques œufs
cuits dans une huile échauffée dérobée à la lampe , voilà
l'unique souper qu'on put me présenter; une planche
près d'une ouverture large et sans voiets, tel fut mon lit
de camp pour la nuit. Heureusement je parvins à découvrir
d'excellent lait dans le village, et je fis un souper parfait.
Quant à la nuit, l'air était pur et doux, mon manteau était
étoffé et mon caban épais, et la satisfaction de coucher sur
la terre où avait commandé Dlomède me promettait d'heu-
reux songes.
J'avais, dès mon arrivée, ordonné des chevaux pour
aller le lendemain faire une excursion dans les environs.
A quatre heures du matin je me réveillai et me mis aussi-
tôt à ma fenêtre. Le long des maisons du hameau , sur le
rivage , étaient étendus, couchés sur une natte et sans au->
tre couverture, quelques matelots, revêtus de leurs habits
de la journée et dormant profondément ; plus loin d'autres
hommes reposaient couchés avec insouciance sur la terre sans
même la mollesse d'une natte ou d'un tapis. La nuit est si
belle , l'air si pur , que chacun dort sans crainte en plein
air. De l'autre côté du port , en face de moi , était la pe-
tite colline sur laquelle se voient, tout à côté les unes des
autres , les ruines des constructions grecque , romaine ,
byzantine et française destinées^ à différentes époques, à la
défense de ce petit port.
370 GBÈCB CONTINBIHTAU ET HOREE.
A m heures j'étais à cheval et me dirigeais sur Aagelo-
Gastro par Piada. La route d*£pidaure à Piadaeat fort jdie.
SUe esl tracée sur les siovosités d*ttne nKmtagDe couverte
d'arboBfees » et on a perpétuelleiiieat sons les yeox» en tour-
nant ces sinnosités, la presqulle de Methana, puis l'île de
Poros, qoi sedémasqoe derrière ristbme Sarcmiqne, et plus
près de soi Kyra. Aakistri et Egine. Quand on a atldntla
hauteur de la vallée dont le versant oMHwé est occupé par
Piada on jouit d*une vue toute semblable à celle de la
belle phiue de Sorrento en y arrivantde Gastellaniare» moins
les Dombreoz villages qui l'animent La plage de Piada est
resserrée entre deux montagnes qui descendent en pente
adoucie du côté de la vallée seulement» et qui forment de
gracieux et fertiles vallons couverts de jardins et de verger&
Les orangers et citronniers au riant feuillage vert y abondent»
tons les légumes y croissent à l'envi ; c'est là le paUffr
d'Athènes y et tous les jours des barques viennent s'y ap^
provisionner de légumes et de fruits que l'on va vendre aux
marchés du Pirée et d'Athèoes. Du côté de la terre cette
vallée est fermée par une numtagne peu élevée mais iiort
pointue et que domine un château -fort, d'origine Iran-
çaise, mentionné dans les actes émanés de Catherine de Va-
Ms et de Marie de Bourbon, qui forent successivement
princesses de Morée, comme ayant appartenu à Nicdas de
Guise le Maigre , connétable de Morée , et à Nicolas Ac-
ciaiuoli» seigneur de Coriothe^ A droite de cette monta-
gne est une gorge âpre et infrancbissabie; ài gauche, la
montagne s'indine et se courbe assez près de sa cime pour
aller s'unir à une montagne plus élevée. C'est par cette
courbure , espèce de port suivant l'expression des Pyré«
néesi ou de diaselo suivant l'expression moraîte, que passe
< Et totam aliam terram qate ftilt quondam lïteolai Guiail Magri,
Gomestabali priBcipatns Acbaye, aitam in castellaniam Coristliii,
eam qiiodam fortellicio quod dicitur la Piada (t. iide mes Nouv.
Rech.f p. 111 ; et 1. 1, p. 66).
FIAAA. 371
la route ; et là est assise Ja TÎUe de Piada , déioadiie aussi
de ce côté par mte antre tour carrée d'origiiie firaaque*
Piada est un boni^ assez important reofermaiit entinm
huit cents bahicants. C'était un jour de dimandie , et tous
les hommes étaient réunis dans la rue principale et dans
les cafés;. Les Grecs »»it toujours pleins de poUtesse pour
les voyageurs étrai^ers* On m'entoura» on me questionna,
et il faUat que » pour répondre à leurs politesses » je des-
cendisse de cheval et entrasse dans un café pour accepter
d'eux l'offre de ]a tasse de café et du chibouk. En eau*
saut avec eux » je m'infiM^mai des antiquités du pays. Un
des habitants m'emmena chex lui pour me montrer une pe*
tite statuette en terre cuite refMrésentant un Silène nu »
d'environ six pouces de hauteur. En travaillant à ses vi<^
gnes il avait trouvé ua tombeau , et dans ce tombeau
deux petits vases longs et étroils sans peinture , une ar-
doise, et un style en ambre jaune-clair, aminci en forme de
crayon » de quatre pouces de longueur. C'était peutrétre là
remUème de l'écrivain inconnu enseveU dans ce tombeau.
Le tout paraissait être de l'époque romaine. Un papas m'in-
diqua une petite église en ruines, au-dessus du café, où je
pourrais vok quelques objets antiques , et en m'atlendant
il fit nettoyer et laver un bas-relief qu'il désirait me mon*
trer* C'était une plaque de marbre, d'un pied et demi de
largeur sur un pied de hauteur» refHroduisaot une cérémeh
nie funéraire^ et destinée à être placée sur on tombeau* Un
homme et une femme étaient représentés assis sur une
couche » et deux Amours jetaient devant eux quelques ob-
jets de sacrifice sur un trépied. Ce has-relief. qui a'est pas
de la grande époque « est fort endommagé.
J'allai ensuite visiter les deux châteaux-forts aceom*
pagné du papas et de quelques notables du pays^ Le châ<^
teau situé sur la crête de la mont^ue aiguë est une vraie
forteresse dont il ne reste plus que les murailles d'enceinte»
qui sont construites avec du iiKNriiiT. La partie inférieure
semble de coustruotiou byzantine, mai» la partie supérieure
372 GRÈCE CONTIKENTALE ET MOREE.
est évidemment frànque. Â Vintérieur on trouve les ruines
d'une petite église, en face de laquelle est incrustée une
grande pierre portant Técusson suivant : croix latine sur
deui gradins; dans cbacun des deux cantons supérieurs de
h croix une rose de Provins surmontée d'un oiseau qui
becquette une grappe de raisin , dans chacun des deux
cantons inférieurs un cyprès. Le pyrgos ou la tour carrée
située sur Tarête qui sépare les deux montagnes, un peu
au-dessus de la ville, est complètement franque, et subsiste
en son entier. Les balMtants actuels ont seulement ajouté
un escalier grossier , pour remplacer la petite tourelle sur
laquelle on jetait sur le seuil de la porte, élevée d'une ving-
tainede pieds, le pont-levisquidevait en faciliter l'accès. La
meurtrière, placée au-dessus de la porte d'entrée, est très-
bien conservée , ainsi que les deux tourillons crénelés qui
la flanquaient par te haut, et qui étaient destinés sans doute
à recevoir des vedettes.
La charmante vallée de Piada me fit paraître plus arides
encore les montagnes pierreuses par lesquelles, après plus
de trois heures d'un voyage monotone , j'arrivai au vil-
lage et au château d'Ahgelo-Castro.
Le village est fort bien placé sur le penchant de la mon-
tagne ; mais tout est sec et désolé alentour , et à peine
pus-je trouver un arbre assez épais pour m'y abriter pen-
dant quelques instants de repos. La population d' A ngelo-Cas-
(ro est toute albanaise , les vieillards y entendent à peine
le grec ; mais la jeune génération est plus avancée, et leurs
enfants iront plus loin qu'eux. Tous vont à l'école et ap-
prennent le grec. Pendant que j'étais assis sous mon arbre
à faire préparer mon repas du jour, les habitants du village,
hommes, femmes et enfants, se distribuaient autour de moi
assis sur leurs jambes croisées , et ils cherchaient à me té-
moigner leur politesse par leurs questions sur ma personne
et ma famille ; c'est moins chez eux une preuve de curio-
sité qu'une manière de vous témoigner leur intérêt. J'of-
fris le café et la ciga relie h mes voisines et voisins, et m'en-
angelo-castrO. 37J
quîs de leurs traditions anciennes et modernes et de leurs
éniiquités. On me vendit quelques médailles de cuivre as-
sez médiocres, et d*autres en argent assez belles, trouvées^
dans les champs au bas d'Angelo-Caslro. Suivant leurs tra-
ditions , ils ne sont venus s'établir dans ce village que de^
puis une centaine d'années au plus ; ce qui reporte à
l'invasion albanaise qui suivit l'expédition russe de 1770.
t!n Tiell Albanais , marchant avec la vigueur d'un jeune
homme, fut tout fier d'avoir été choijsi par moi pour m'ac-
compagner aux ruines du Castro, situées au-dessus du vil-
lage. Tout le long du chemin , il s'arrêtait pour expliquer
aux habitants des maisons établis à leur porte qui j'étais,
et ce que je voulais, et comment j- avais passé la mer tout
exprès pour voir les ruines de leur Castro. Nous arrivâmes
enfin au haut de la montagne, et je pénétrai dans les rui-
nes du Castro. Les murailles sont composée^ de petites^
pierres sèches qui ne sont unies avec le mortier qu'à Tin-
térienr. Il me semble assez probable que ce château aura:
été bâti sur la fin du douzième siècle , par un memhre
de la famille des Ange Gomnène , au moment où tous les
chefs impériaux se séparaient autant qu'ils le pouvaient de
Teropire, et afiectaient une petite indépendance. Ces murs
indiquent une construction faite à la hâte. Mon vieil Alba**
nais avait aussi sa tradition sur ce château. Il me raconta*
qu'autrefois ce pays avait été donné en dot par un roi ou
baron d'Épidaure à une de ses filles. Celle-ci , qui était
habituée aux délices de la belle vallée de Piada , trouva le
pays bien triste et bien désolé et elle s'en plaignit à son
père, qui, pour la consoler quelque peu, fit bâtir ce châ-
teau , d'où elle pouvait du moins voir et la mer et la pres-
qu'île de Methana,et les îles et le pays dont la vue la char*
malt. Toutefois elle r?e put supporter cette triste vie : elle
mourut de chagrin , et après elle le castro fut abandonné.
Ce château, situé au milieu d'un |>ays abordable de tous
côtés , et qui ne garde aucun grand passage , n'a pu êtrcr
que l'asile temporaire de quelque mécontent , et il a dû
32
374 GRECE GONT1MENTAI.K ET MORES.
llie âSKz prompCemem abiodoiuié. Une petite église était
OQttatroile sur le flanc de la même odlioe : eUe est aussi
eBraîoes.
Près de là * dans la vallée, existait^ à ce qu*il semUe »
une ville heUéoiqiie. Je descendis le long d'im puits quî
fMmit de l'eau au villaged' AugekMlastro, pénétrai jusqu'au
fond du ravin à environ un quart de lieue , et retrouvai
qaekiuM grandes ruines * entre autres les forte» murailles
d*une tour et d'un tetnpk en grandes pierres qnadrilatè-
r». L'bcrbe croit au milieu de ces débris dont aucun sou-
venir ni aucune inscription n'ont préservé le nom*
,ie rentrai à Piada par une autre route, jusqu'au ravin qui
précède son montiCttle » ^ m'acbeminai de là ver& Épi-
danret d'oà j'étais parti le matin* La lune se levait der-
rière la raonU^pe belle et cbàude comme le soleil de nos
climal& C'était un spectacle cbarmaat de voir de toutes
parts ses rayons se répercuta^ sur cette mer tranquille qui
s^élendait sous mes pieds. De temps k autre je m'enfou-
çais dans l'obscnrité nlencieuse de cesi coteaux boisés» puis
j'en resiorlais pour jouir de cette vue si cakne et si mjsté*
rieuse. J'ainsnisàproion^mQnvo^ageenm'avançantsett-
kment au petit pas au milieu de cette belle et calme nature ;
et je n'urivaià Épidaure qu'après deux heures de marche
d^obPiada* à onxe heures du soir. Le lendemain au ma-
tin je me mis.en route pour L'Hiéron d'Apollon escuiapien^
La route d'Épidaure à l'Hiéron d'Ëscula^ est dcli-
deiise^ Elle serpente le long d'une petite rivière à travers
un bosquet de myrtes en fleurs et de lauriers-roses» et de-
vant f^os romantique à mesure qu'on s'approche davan-
tâ^ de l'Hiéron* Les pieds des chevaux souffrent de ces
poûnes de roches à demi brisée» k travers lesquelles ou
monte ei descend sai» cesse; mais la vue du voyageur et
son odorat: sont constamment eharmés. D'énormes sauges
esfcbaknt la plus douce odeur, et les ravins sont entière^
ment g»rni^ d'arbres et de fleurs. Deux routes paiteut de
ce ravi» : Tone pour l'Hiéron , l'autre pour Ligourio. Je
laissa! cette dernière, qui passe au bas d*€ine montagne à la-
quelle le peuple a donné le nom de mont du Pllari, pro*
bablement à cause d'une colonne de marbre ndr qui m
trouTe en bas , tout auprès d'une source fort renommée,
dont la vertn rappelle celle de nos Eans-Bonnes dans les
Pyrénées. Les gens du pays m'assurèrent qu'il y avait
quelque chose de prophétique dans les eaux de cette fo»*
taine. Tout malade qui boit de ses eaux connaît à l'instant
même son sort Si sa maladie est incurable, l'eau feit sen*
tir promptement ses effets médicaux et pronostique une mort
prochaine c si la maladie peut se guérir, le malade se sent
i l'instant soulagé; et, en continuant à en boire, il ne peut
manquer de s'assurer une longue Tidllesse, On voit que la
puissance d'Esculape continue à s'exercer dans les lieux
que l'antiquité lui avait consacrés. Ses statues sont tom*
bées, mais les traditions subsistent
Je suivis la première route qui continue à travers le ra-
vin et conduit à l'Hiéron. Au sortir de cette gorge boisée
s'ouvre une belle plaine onduieuse, entourée de toutes parte
de hautes montagnes et de nïonticules qui s'avancent sur
le premier plan pour leur enlever ce qu'elles auraient de
trop âpre. Toute cette plaine et tous ces monticules ados**
ses aux montagnes, d'où sort la route de Trézène et de
Poros , sont couverts de fragments anliques. Un ruisseau
et on torrent traversent la plaine, et le ruisseau offre
me eau excellente. Au fond du bassin dans lequel est tra**
cée la roule qui conduit de Poros à Nauplie est une petitn
église byzantine bâtie sur les ruines d'un temple païen.
Placée au milieu des arbres et des rochers, elle produit de
loin un fort gracieux effet et serait très-bien placée dans
un tableau. Le monticule situé au-dessus de cette petite
église, de l'autre côté du ruisseau , est couvert des débris
de tinnples antiques dont il ne reste plus que les soubasse*
ments. En redescendant de là sur la route de Ligourio, led
ruines se multiplient partout sous vos pas: ici, de vastes
décombres de temples ; là, des colonnes brisées; ailleurs*
376 GRÈCE CONTINENTALE ET MOREE.
des restes de bains. Tout le sol est recouvert de débris qui
prouvent que cette plaioe, si belle de ses beautés nalureliesy
était encore embellie par toutes les merveilles de Tart Ce
qui reste du théâtre suffit pour en faire apprécier toute la
beauté ; c'était l'œuvre de Polyclète vers la quatre-vingt-
dixième olympiade , et il surpassait tous les autres par ses
proportions élégantes et vastes et par la beauté des maté*
riaux. Les gradins , qui étaient fort habilement disposés,
existent encore en grande partie. Le beau marbre blanc
dont ils étaient composés garnit le flanc de la colline et se
détache au milieu de la verdure des broussailles. Ici l'air
est pur et doux , et la brise qui souffle à travers la gorge
qui conduit à Poros gémit harmonieusement en agitant le
feuillage et apporte avec elle les parfums de la forêt et la
fraîcheur de la mer. %
De l'Hiéron à Nauplie par LIgourio , la route est mono-
tone et sans beautés. C'est une suite de montagnes sans
grandeur et de vallées sans grâce. La seulç végétation qui
couvre ces vallées est une bruyère aride. Seulement , de
temps à autre , des lavandes en foule pressée vous ap-
portent leur suave odeur. Ligourio, qui est en plaine, est
célèbre par son tabac rival des meilleurs tabacs du Levant.
11 est estimé au-dessus des tabacs d'Ârgos et d'Àrmyros.
Environ trois heures avant d'arriver à Nauplie» j'aperçus
sur ma droite une suite de châteaux en ruines qui revêtent
les crêtes des collines. L'un d'eux fixa particulièrement
mon attention par l'étendue de ses ruines. Il est placé sur
une colline qui domine la route à environ une demi-heure
en montant. Toute la colline est parsemée de fragments de
tuiles antiques. Un peu au delà est une vieille église chré-
tienne bâtie avec les fragments d'un ancien temple dont deux
colonnes sont encore debout. Tout au pied du mur de la
forteresse est un autre petit temple antique, et au-dessous
une niche votive creusée dans le roc. Il faut grimper par
d'assez rudes fragments de rochers pour parvenir du bas de
la montagne dans l'enceinte de la forteresse ; mais on est
XERO-CASTELLI. 377
fort dédommagé en arrivant , car oti retrouve là les restes
considérables et fort bien conservés d'une forteresse hellé-
nique de l'époque la plus ancienne. Elle est construite sur
le rocher même, au-dessus d'un profond ravin, et ses murs
86 composent de vastes blocs de pierres non taillées et for-
mant des polygones irréguliers , dont les vides sont com-
blés par de toutes petites pierres, comme dans les murs
dits de construction pélasgique ou cyclopéenne. Les murs
d'enceinte , à quinze ou vingt pieds de hauteur, sont très-
bien conservés, ainsi qu'une des petites tours de l'enceinte.
Dans l'encoignure des murailles , dont un pan ressort sur
l'autre , se trouve une porte de forme pyramidale de huit
pieds de hauteur sur trois de largeur, tout à fait semblable
h celle d'Arpinodans le royaume de Naples. On ne pouvait
y entrer qu'en présentant le côté droit dégarni de bouclier.
Dans l'intérieur de cette citadelle hellénique , dont le plan
se montre en entier le long des rochers, est un vaste sou-
terrain voûté, bâti de ces mêmes larges pierres, et destiné
à servir dé magasin à blé ou de citerne. C'était là évidem-
ment une forteresse importante. Au temps de l'empire by-
zantin, elle fut aussi employée à la défense du pays. Deux
tours rondes de cette époque , élevées sur les débris des
constructions antiques, se maintiennent encore, et on voit *
partout au-dessus des restes des anciens murs un exhausse-
ment de fabrication byzantine. Des fragments de tuiles des
temps les plus antiques couvrent tous les champs environ-
nants et remplissent tous les interstices des rochers. Il y
avait évidemment là une grande ville hellénique dont le
nom est inconnu. Ce château est désigné par les habitants
du pays sous le nom tout moderne de Xero-Castelli, à cause
de sa situation dans un lieu sec. Quant aux souvenirs by-
zantins , ils sont nuls là comme partout ailleurs en Grèce.
Il y a quelque chose qui frappe beaucoup l'étranger
dans ses relations avec les Grecs de toutes les classes. Les
souvenirs antiques, bien que très- confus, ont conservé sur
eux tout leur prestige. Les divinités mythologiques do der-
32.
378 GBÈCC CONTINBNTAI.S BT HOBBE.
nier ordre, les Néréides, les Parques, Garon, ont pris place
au milieu des croyances chréliennes, et les cérémonies de
Tancien culte se sont souvent fondues dans le nouveau
culte. Les grands hommes antiques ont aussi laissé une
tradition de respect, ainsi que la nation qu'ils ont glorifiée»
Quand un paysan veut faire admirer uae ruine, une mon^
naie , un fragment de marbre , il vous dit que cela vient
des Hellènes. Les Hellènes , ses ancêtres , sont pour lui cç
qu'étaient les Géants et lesCyclopes aui; yeux des peuples
antiques , la personnification d'une puissance surnaturelte
bien supérieure à celle des hommes de nos jours. Les Grecs
instruits s'en tiennent aussi par système à l'hisioirç des
temps helléniques, La Grèce, pour eu:(, semble avoir som-
meillé dans ses ruines depuis le jour de la destruction de
Gorinthe et de l'asservissement de la Gj;èce aux Romains,
et ne s'être réveillée qu'avec l'insurrection qui vient de lui
rendre sa nationalité. Ne demandez donc è personne ce que
devinrent les provinces grecques sous la domination ro-
maine, ce qu'elles devinrent pendant la frêle existenee de
l'empire byzantin, ce qu'elles devinrent enfin de 120/!i jus-
qu'à) la dernière moitié du quinzième siècle, sous les Francs;
puis de cette époque jusqu'en 1685, sous les Turcs; puis de
1685 ^ 1715 ; ils ne veulentni l'enseigner ni l'apprendre, La
seule histoire qu'ils veulent savoir est l'histoire hellénique. On
a beau leur dire que les enseignements de l'adversité ne sont
pas à dédaigner pour un peuple et qu'on peut y puiser des
moyens pour ne pas retomber h l'avenir daqs les mêm^
fautes et les mêmes malheurs ; ceux qui se piquent de
science ne veulent pas vous comprendre, et ceux qui n'oat
aucune connaissance des lettres ne le peuvent pas. Byzance
a passé comme une ombre , sans laisser de trace ; mais la
gloire des républiques helléniques est encore jeune et vi-
vante comme au jour où elles ont triomphé des Perses à
MarathoQ. On peut appliquer à cette brillante époque ces
vers de Chénier sur Homère :
Trois mille aqs ont passé sur la oendre d'Homère,
moNiA^ 379
£t depuis trois mille ans Horoèio respecté
Est jeune encor de gloire et d'immortalité.
L.a route, en quittant Xero-CastcUi pour se rendre à
Nanplie, pusse devant quelques ruines helléniques situées
sur û gaucfae et se continue de la manière la plus triste ii
travers des vallées et des montagnes sans culture et sans
grandeur. De temps à autre quelques voyageurs venaient
l'animer : tantôt une femme de Sparte allant , au milieu
d*un assez nombreux cortège d'amis et de parents, prendre
la scala d'Épidaure pour se rendre à Athènes ; tantôt une
famille de Nauplie , hommes et femmes , revenant de Li-
gourio et rentrant dans ses foyers. Les femmes étaient assises
sur des sommiers que relevaient encore un amas de tapis et
de couvertures, et portaient de grands parapluies pour pro-
téger leur teint contre le soleil ; les hommes chevauchaient
autour d'elles, tantôt assis de la même manière et tantôt ï
cheval sur des sommiers , et nouant la longe du cheval ou
mulet de manière à la transformer en étrier. H est bien rare
qn*une route en Grèce s'anime ainsi d'une succession 4e
yoyageurs.
A mesure qu'on approche de Nauplie et de Pronia, qui
lui sert de faubourg après avoir servi de rendez-vous à
l'assemblée nationale, la roule s'agrandit et s'améliore.
On reconnaît là un système européen; c'est qu'en effet
cette partie de la toute a été faite par les Français, Depuis
Aria, où se trouve une très-belle fontaine de laquelle les
Vénitiens ont fait venir l'eau qu'on boit à Nauplie ^ jus-
qu'au faubourg de Pronia , je rencontrai un grand nom-
bre d'hommes et de femmes à pied et à cheval. En m'ap-
procbant de Pronia je vis un mouvement inusité se
manifester partout Le lendemain était un des nombreux
jours de fêtes grecques , et dans tous les jardins de la col-
line et tout le long de la mer des feux étaient allumés et
donnaient à Nauplie tout le mouvement et tout l'aspect
d*une grande ville. Nauplie n'a cependant que six mille
habitants et ne peut guère en avoir davantage , resserrée
3S0 GRECE CONTIMBNTA&E ET MOEEB.
qa*elle est entl*e la montagne et la mer, et Pronia, qtit lai
sert de faabourg et n'en est séparée que par la montagne
sur laquelle est bâtie la forteresse de Palamède, n'en a que
trois mille , et je ne vois que cinq ou six bâtiments dans
le port; mais dans un jour de fête chacun se multiplie par
le mouvement, et la population parait décuple de sa popu-
lation réelle.
XX,
NAUPLIE, — TIRYNTHB. — MYCÈNES. — ARGOS.
Nauplie est une petite ville régulièrement et proprement
bâtie entre le pied du mont fortifié qui porte encore le
nom de l'infortuné Palamède , fils du roi Nauplius , et la
mer. £lle a toute l'apparence d'une de nos villes d'Occi-
dent, le bon comme le mauvais côté, l'ordre, mais aussi
quelquefois la gêne. Ses rues sont droites et assez bien pa-
vées et dallées; ses maisons sont d'une hauteur convena-
ble ; ses deux places publiques sont plantées d'arbres ; les
grands magasins, bâtis autrefois par les Vénitiens au pied
de la citadelle, et l'hôlef du gouvernement, construit par
Capo d'Istria au moment de sa résidence à Nauplie , rap-
pellent les meilleurs sinon les plus élégants édifices de
nos grandes villes; et pour dernière et complète preuve de
civilisation occidentale, il s'y trouve ce qu'on ne rencon-
tre qu'à Athènes d'une manière convenable, à Patras
d'une manière suffisante , et à Corinthe en raccourci : une
auberge, c'est-à-dire la plus utile peut-être des importa-
tions européennes à introduire en Orient; une auberge,
c'est-à-dire un asile où tout individu, forcé, par ses affaires,
ses goûts ou ses passions, de courir le monde, peut espé-
rer trouver un reflet de son bien-être domestique : de la
lumière, du feu, une table , des chaises , les nécessités de
NAUPLIE. S81
]a toilette pour rafratckir son corps brisé , un lit pour s'y
reposer, un dtner tel quel pour réparer ses forces, et par-
dessus tout une retraite où, seul en présence de lui-
même , il peut se rendre compte de ce qu'il a tu et senti,
songer à ses amis absents sans courir risque d'offenser ses
botes, et s'entretenir avec eux dans la douce familiarité
du commerce épistolaire. Nous autres, hommes blasés de
l'Occident , nous jouissons de tous ces biens sans nous
douter de ce qu'ils valent, comme un homme bien portant
jouit de la santé, comme un homme alerte jouit de l'exer-
cice de ses jambes, sans réfléchir à toutes les combinai-
sons qui ont été nécessaires pour garantir l'équilibre et
donner le mouvement à la machine humaine. On ne sait
bien apprécier le prix de tous ces trésors que lorsqu'on en
a été privé quelques instants; et malheureusement, pour
peu qu'on voyage en Orient, on est toujours destiné à être
privé de tout , moins la pureté de l'air, la beauté du ciel,
l'éclat du soleil , le charme des nuits , la splendeur de la
nature.
Nauplie fut, jusqu'à la fin de l'année 183/i, la résidence
du gouvernement central du nouvel État grec. Cette pos-
session momentanée de tous les avantages d'une capitale a
suffi pour modifier une population aussi apte à la civilisa-
tion la plus délicate que l'est la population grecque. Les
femmes ont adopté les modes de France ; beaucoup parlent
notre langue avec élégance , et plusieurs seraient remar-
quées dans nos plus brillantes réunions, non pas seule-
ment par ce type de beauté vive et pure qu'elles ont reçu
de leur aïeule Hélène, mais par l'aisance et la bonne grâce
'parfaite de leurs manières, qui semblent aussi naturelles
ici qu'elles le sont parmi nos femmes de France. J'ai
passé à Nauplie quelques soirées de causerie facile pendant
lesquelles j'aurais pu me croire encore dans les rues d'An-
jou, Ville-l'Évêque et d'Astorg.
A côté de ces avantages de la civilisation, il faut en subir
aussi quelques inconvénients. Nauplie est une place forte.
Mt GRECE CONTUfEliTALB ET MOREE.
Elle • flcft glacis, ses pottt»-]evis, ses remparts, sa garoi-
800, soa gouveroeur iiiiliuir« , ses portes qui termeai el
ses consignes. Au coucher du soleil, les portes de la villQ
sont closes et les clefs remises au commandant ; tant pis pour
vous si V0U3 êtes resté trop loog^temps à admirer les vieilles
murailles homériques de Tirynthe la bien fortifiée ^ le lien
où fut Argos, et les magnifiques restes de la vieille Mycènes,
M y cènes la bien bâtie S Mycèqes aux larges rues \ Mycè"
ncs aimée de Junon * : le soleil est couché, vous n'entre-^
rez plus dans Nauplie ; et il vous faudra expier les plaisirs
de votre excursion de la journée en allant chercher un
gite dans un malpropre khani ou caravansérail du fau-
bourg de Pronia, ^ moins que vous ne préfériez, comm^
je Fal bien souvent fait en voyage, dormir étendu en plein
air le long des champs fertiles de la plaine d*Argos. G*est
ce qui faillit m^arriver à moi-même à Nauplie; mais j'a*
vais heureusement un excellent cabriolet , et, dans la pî^^
vision d'un retard , je m'étais pourvu près du général Al-
meïda , commandant de Nauplie , qui avait bien voulu en
ma faveur adoucir quelque peu la consigne. Les délices du
khani de Pronia n'avaient aucun charme pour moi en
présence de la flatteuse perspective d'une auberge* Au
reste , Texcursion à Tirynthe , h Argos et à Mycènes mé-
rite bien qu'on risque plusieurs fois de suite de coucher
en plein air; c'est une habitude qu'on ne saurait contrac^
1er trop tôt en Grèce.
Dans les temps antiques Nauplie était le port de la
grande ville d'Argos, comme le Pirée était le port de b
grande ville d'Athènes. Ma première pensée fut donc d'al-
ler avant tout visiter Tirynthe, Argos et Mycènes en même-
temps. Une route carrossable conduit de Nauplie jusqu'au
pied des collines sur lesquelles était bâtie Mycènes, en pas-
< Homère, Iliade, cliant ii, Ters 559.
^M., tWrf.,vers 369.
*^ fd., chant iv, vers 62.
*' Id., chant Vil , vers 180.
TlftYNTHE. 38 S
ssÊsn par Tiffilthe et Argosr. Les cabrioleis sont natoralisé» ^
Haoplie ; j*en fis venir iiii et me mis en route. Je me fis
arrSIer on instaot dans rînférieiir de la vilie pour ? isilcr
régNse de SaintrSptridioit où fut assamné Jean €dpo d'J»-
tria, que j^avais corbb et aimé ; et, sa peu en dehors de
1» tille, hôr» dtt faubourg de Pronîa, j*a)laf aussi visiter te
rocher sur lequel les Bavarms ftmt taiUer, à rimttatîoo du
lion de Locerne consacré au souvenir des laisses tués en
France an i9 aodt, on lion couché en l'hoioieor des Ba-
%9tnÀ» morH en serrant en Grèce. Ce monument , com--
itoeiicédepms trots ans « est peo avancé encore. A quel-
que» pas de lài est la ferme expérimentale commencée an
femp» de Clapo-dl^tria et fort né^l^ée anîoord*htti.
Tnryatbe est à une denu-lieiie à peine de Kaoplie. Elle
émit bSMie sur one petite coMîne à rextréinité de ia baie
de Naspliey et de là on pouvait surveiller la piatne d'Ar-
goft et les terrains bas qui entooreot k gotfe des deux côtés
presque jesqn'an marais de Lerne et ve» r de km s'avancer
les barqnes ec kes vamscaox qia se dir^aient vers le port
de Naoplie, Ses murailles bellà>iqaes f défà anciemes au
temps d'Bomèrey sont composées d'énormes blocs de
pierm non tiHHées ums parfois par des pierres fort pe-**
tite» f mads sans secovrs du ciment. Biles eotoureai toute
la coHîfle et sont d'une constmctien imposante. A celle
époqw d'iHf^eclion des grandes machines de guerre ces
murs étaient es état de résister non-seulement à toute at-
laqne de pirates arrivés par le golfe, mais li toute surprise
d'osé année plus considérable. Quant à un aiége régulier,
sa pepolalion imérienre itait trop peu considérable et la
pente de sa co^ie était trop conrte et trop bumUe pour
qu'elle se fit craindre d'oa eaneflai un peo poissant. L'inté^
rieor de racropalis de Tiryntbe est anjourd'hui un champ
d'excellent fiabae, et sur les coteaux, et même dans la
fMne , croissent des v%oes qui prodinsent , dit-on , de
iért boo vin*
E» une antre demi^beure èa trot régulier d'un bon
384 GftECB CONTJNBKTALE ET MOREE.
cheval de cabriolet on arrive des ruines de TiryiMbe à la ville
moderoe d'Argos. C'est une sorte de grand boorg bàtî en
plaine et contenant environ 6,000 habitants. Deux ou trois
des maisons sont assez bien bâties et presque toutes pos-
sèdent un petit jardin. L'école publique et la caserne sont
aiLssi de bons bfttiments. Toutes les maisons ont un air
d*aisance dû ï la culture du tabac, dont la qualité supé-
rieure est reconnue partout en Grèce. Quelques débris de
marbres antiques apparaissent de temps à autre au milieu
des murs et au-dessus des portes extérieures des maisons.
Dans une rue qui va vers la montagne, je m'arrêtai devant
an fort beau bas-relief en marbre, haut de six pieds, et re-
présentant Vénus et l'Amour. La coiffure de Vénus est d'une
forme heureuse. Ce bas-relief forme un des deux (Hliers
qui soutiennent le linteau d'une porte de jardin placée sur
la rue. En allant de la ville nouvelle à la montagne au-
dessus de laquelle étaient placés l'acropolis d'Argos et h
forteresse du moyen âge, on trouve d'abord des restes
de constructions romaines, puis, un peu au delà, les restes
d'un vaste théâtre taillé , comme il était d'usage , dans les
flancs mêmes de la montagne. Les gradins sont assez bien
conservés jusque dans la partie la plus haute. Il faut en-
core monter pendant une heure pour arriver au sommet
de la montagne sur laquelle étaient bâties l'acropolis et la
forteresse franque. Sur toute l'étendue de la montagne on
trouve des masses de briques qui prouvent que tout ce
terrain était couvert d'habitations. Arrivé sur le milieu on
trouve une première enceinte de la forteresse, composée
d'un mur crénelé de construction franque. Au delà de
ce premier mur d'enceinte on voit apparaître çà et là »
presque partout dans l'enceinte intérieure , quelques ves-
tiges des murs helléniques en larges pierres quadrilatères
régulièrement taillées et posées les unes au-dessus des
autres sans être unies par le ciment. On voit que les Francs
se sont contentés d'adapter leurs constructions aux con<^
structions anciennes et d'élever des murailles plus hautes
ARG08. 38Ô
au-dessus ée celles qui existaient déjà en partie conser-
vées. Trop souvent même ils se sont servis d'autres débris
antiques que ceux des murailles , car sur le mur extérieur
on aperçoit une colonne cannelée enchâssée d'une ma-
nière prétentieuse pour former un côté de fenêtre tandis
que près de là, sur la même muraille, un grand nombre
d'autres colonnes sont couchées sur la profondeur du mur
comme si elles étaient emmagasinées. Le château franc est
parfaitement conservé; tours rondes, tours carrées , cré-
neaux , tout s'y trouve. Vu du côté du couchant il produit
on fort bel effet.
Au temps de la guerre de Troie les troupes d'Argos et
de la presqu'île de Netbana étaient conduites au combat
par Diomède grand vassal du roi Agamemnon , souverain
de l'Argolide. Après la conquête franque de la Morée , la
seigneurie de ce même pays fut donnée à un Français qui
était vassal des princes d'Achaye de la famille Ville-Hardouin.
Dans le quatorzième siècle Guy d'£nghien, ne pouvant re-
conquérir Athènes, qu'avait possédée son grand-père Gautier
de Brienne, duc d'Athènes, devint seigneur d'Argos; mais,
n'ayant laissé qu'une héritière, les Vénitiens, qui guettaient
cette succession, parvinrent à faire épouser Marie, sa fille,
à un des leurs de la famille Gornaro : puis ils lui rachetèrent
ses droits, et, à la mort de Marie d'Engbien et de Pierre Gor-
naro , ils héritèrent des fiefs d'Argos et de Nauplie *■ ; mais
ils ne purent en prendre possession. Gharles de Tocco, des-
pote de Romanie et d'Arta, duc de Leucade, comte palatin
deGépbalonîe et beau-fils de Neri Acciaiuoli, doc d'Athènes,
s'en étant emparé les armes à la main, il leur fallut des an-
nées pour terminer ces débats à leur avantage.
On va d'Argos à Kharvati , au pied des collines de My-
cènes, en une heure. Le je laissai mon cabriolet, car toute
route cesse, et je montai à pied ces coteaux arides. Lèpre-
* Voyez dans la CliroDiquc d'André Dandolo, p. 482, le chapi-
tre intitulé : ÂCquisitio Argos et NeapoVts. (Collection de Mura"
tori, t. Ml.)
33
386 GRÈCE CO.^TlNftflTALB £T MORES.
œier moDnment antiqoe que Ton reocootre est le trésor
des A(ride0, codod aosti sous le nom de tonbeau d'Aga-
memnon. Un vaste vestibule de larget pierres quadrila-
tères condfut k une large et belle i>orte de dix-buil pieds
de basteor ; trois hameoses pierres forment les deax pl«
lastres d'appui et k liateao de la porte pyramidale qui cor-
doit à one cbambre d'enviroii quaraote-huit pieds de dia-
mètre et de haoCeor, coostroiteen dôme de forme coniqne.
Dans le passage qui conduit à riatérieur^ on aperçoit
encore de bas en baut àtax rangs de clons destinés à
soutenir une double porte. Cette chambre est tonte bâlie
en pierres qmttrilatères jusqv'an baui du etee on de la
def de voûle « qui atteint la partie Stt|)érieore de la colline
presque à fleur de terre.. I^ pierre ^x/ée au pk» bant
point de ce côse a été soulevée , dit-on, par Tordre de
Teli-Pacha, sur le bruit répandu qu'il y trouverait d'im-
menses trésors. Toutes les dalles sont couvâtes de larges
clous destinés sans doute à souientr des plaques de bronze
ciselées semblable au revêtement de la colonne de la place
Vendôme* De cette cbambre ronde on passe^ par une porte
et un passage plus petits, dans une autre chambre de
forme carrée , taillée dans le roc. C'est , dil-on , là que les
Atrides conservaient leurs armes précieuses, les coupes
reçues en don» et autres okjets corieox qui formaient leur
héritage de famille. Couvres la Halle aux blés de Paris,
d'un dôme en grandes pierres au lieu d'un dôme de fer » et
vous aurez une représentation assez ûdèle de l'imposant trésor
des Atrides. Ce monument parait avoir été en dehors de
l'enceinte de la ville , et des tombeaux apparaissent hors
du sol à quelque» pas de là et cmiduisent jusqu'aux mu-
railles de Ittycèoes formées eu grandes pierres polygonales
taillées qui couvrent toute les pentes de la monti^^ae. Dans
la partie la plus basse se trouve la fameuse porte des Lions,
qui est d'une si haute antiquité. £Ue est de forme demi-
pyramidale, et les lions placés de chaque côté ont l'air de
supporter l'écussou colossal d'une porte du moyen âge.
MYCENES. 387
Pins haat , du côté des montagnes et de la sonrpe , est
une autre porte plus petite , et plus loin on remarque ï
Textrémité d*uo mur une tour quadrangulaire. Au milieu
de ces vastes ruines il n'existe plus une seule habitation, et
le tabac y croît à hauteur d'homme dans les meiUenrs ter^
rains. Malgré l'aridité présente de ces montagnes rocheuses,
l'eau ne devait pas manquer dans l'antique Mycènes. Les
pources excellentes qu'on y voit encore étaient utilisées à
l'aide de conduits et elles alimentent encore les puits de
Kharvati. Mycènes, bâtie sur des montagnes escarpées, en*-
toorée d'u& rempart de montagnes plus âpres encore, est
le type le plus parfait d'une grande et forte ville des temps
demi-fabuleux, sans qu'aucun mélange avec les annales des
temps historiques et des siècles du moyen âge soit venu en
altérer la physionomie ; c'est encore la Mycènes la bien
bâtie* la Mycènes aux larges rues, l'opulente Mycènes,
aimée de Jnnon, que décrit Homère , mais qui depuis lui
n'a plus m de vi^ pour ainsi dire que daos ses poèmes
immortels.
Je revins à Nauplie charmé de mon excursion dans les
états du roi Agamemnon , et me mis à parcourir la ville
pour y étudier , les unes après les autres , les traces des
diverses antiquités qui s'y trouvent réunies» Je ne retrou-
vai plus trace de la fameuse fontaine dans les eaux de la*-
quelle Junon recouvrait annuellement sa virginité. Il n'y a
guère non plus de restes du moyen âge. Ce ne fut qu'en l'an
i2hlt sous Guillaume de Ville Hardouin ,que les princes fran-
çais de Morée s'emparèrent de la ville de Nauplie à Tai^e de
leurs alliés les Vénitiens, qui bloquaient cette place par
mer, tandis que le prince Guillaume de Ville-Hardonin la
cernait par terre. Cette ville était alors défendue par deux
cbâiejmx-forts ; le château de Palamidi , placé au-dessufi
de la montagne qui domine Nauplie* et un second château
dans la ville même, sur le rocher» qui surveille l'entrée
du port. Les Français prirent possession du premier, qui
prit le nom de Château-Franc ( Frankikon ) , et laissèrent
388 GRECE CONTINENTALE ET MORÉE.
aox Grecs la possession de l'autre, qui prit le nom de Châ-
teau-Romaîque. Ce dernier château a été bâti sur l'empla-
cement d'une antique forteresse hellénique. On retrouve
dans le mur , à une assez grande hauteur , les Tastes assises
de pierres quadrilatères qui portent avec elles leur certificat
d'origine. On monte à la Palamidi par nn chemin long ,
mais facile , du c6té de la campagne , ou par un escalier
rapide du côté de la ville. L'escalier a été reconstruit nou-
vellement par les travaux des prisonniers détenus dans la
forteresse.
Pendant tout le treizième siècle et les premières années
du quatorzième siècle, Nauplie et Argos restèrent entre les
mains des Ville-Hardouin ; mais , après la mort de Louis
de Bourgogne , prince d'Achaye et mari de Mathilde de
Hainaut, petite-fille de Guillaume de Yille-Hardouin, l'a-
narchie s'étendit par toute la Morée , et chacun chercha à
s'emparer des seigneuries qui étaient le mieux à sa conve-
nance. Quatre ans environ avant la mort de Louis de Bour-
gogne , le plus puissant de ses feudataires , Gautier de
Brienne, duc d'Athènes, avait succombé en 1310 dans la
bataille livrée aux Catalans ; son fils , nommé Gautier ainsi
que lui , chercha , en 1336, à reprendre possession de son
duché de famille, mais sans succès, et désira plus tard
s'en dédommager en s'emparant de la seigneurie de Flo-
rence , et il mourut à Poitiers sans issue. Isabelle, sa sœur,
laissa au contraire six enfants de son mari Gautier d'Ea-
ghien. L'un prit le titre de duc d'Athènes , un autre alla
preqjdre possession du comté de Lecce en Italie; le dernier,
nommé Guy d'£nghien, alla chercher fortune en Grèce, et
parvint à s'établir dans la seigneurie d'Argoset de Nauplie.
Guy d'Enghien n'eut qu'une fille , nommée Marie , qu'il
laissa, commeje l'ai dit plus haut, héritière de ces deux puis-
santes seigneuries. Marie épousa im noble vénitien, nommé
Pierre Cornaro, qui mourut avant d'avoir eu des enfants. Les
Vénitiens convoitaient depuis long-temps Nauplie. En l'ao
1388, le 2 septembre, pour empêcher, disaient-Ils, que les
MARIE D*£N6HIEN. 389
seigneuries ne tombassent soit entre les mains des Turcs,
soit en celles des Grecs^qui les convoitaient , au grand dé«
triment de Marie d*£nghien, ils les lui achetèrent moyen-
nant une pension annuelle de cinq cents ducats d'or. Marie
d*£ngbien, de sou côté, s'engagea à ne jamais se remarier,
soit à un noble vénitien, soit à tout autre '. Mais Nerio
Acciaiuoli , seigneur de Corintbe , s'opposa avec succès à
la prise de possession des Vénitiens^, et mit Ârgos et
Nauplie entre ses mains. Fait duc d'Âtbènes en 139Zi, il
rédigea son testament à la fin de cette année ; on y trouve
quelques clauses relatives à Argos et à Nauplie :
« Nous voulons , dit-il , que la croix d'or garnie d'éme*
raudes et autres pierres précieuses soit , pour le salut de
notre âme , donnée à l'évêque d'Ârgos.
» Nous voulons qu'on donne à messire l'évêque d'Argos
les deux cent cinquante ducats que nous avons retenus
sur les revenus de l'église d'Athènes dans l'année où ledit
évêque était vicaire de l'église d'Athènes.
» Nous voulons et ordonnons qu'à Napoli de Romanie
on construise un hôpital pour les pauvres , et nous léguons
à cet hôpital tous nos meubles et immeubles d'Argos pour
]a construction dudit hôpital; à l'exception de 100...
par an qui devront être donnés à l'église d'Argos afin
qu'on dise tous les lundis une messe de Requiem pour
notre âme. Nous voulons que cet hôpital soit construit et
administré par nos héritiers , par les officiers d'Argos et
de Nauplie et par messire l'évêque d'Argos, et ce que trois
de ces quatre administrateurs décideront sera fait.
» Nous voulons que le susdit évêque d'Argos soit investi
de l'administration de notre monastère de religieuses de
Nauplie et qu'il puisse placer et déplacer l'abbesse et les
autres dignitaires de ce couvent , selon que meilleur lui
' Yoy. la Chronique d'Aod. Dandolo, Collection de Moratori, t. xii,
p. 842.
• T. 1,5). 141, de mes Nouvelles Recherches .
33
30.0 GRECK GOMTINl!.NTALE ET MOREB.
sciiiLUra; sciiioniciU tout ce qu*a à payer ledit couvent
sera payé au susdit hôpital et non à d'autres. »
Pendant que Nerio Acciaiuoli était, en 139&, prison-
nier des Gascons et Catalans d'Athènes S un de ses gen-
dres, Charles Tocco, comte de Céphalonie et despote
d'Arta , s'empara de ces deux seigneuries réclamées inuti-
lement par les Vénitiens \
Venise entra cependant en possession de Nauplie dans
les premières années du quinzième siècle , mais elle la
perdit après la guerre de 1538.
Morosini la reconquit avec toute la Morée en 1686.
Les Vénitiens la reperdirent en juillet 171/i.
Pendant qu'ils l'occupaient , ils firent construire sur un
rocher isolé au milieu des flots, en face du port de Nau-
plie, une troisième forteresse , destinée à protéger la ville à
laquelle elle se rattachait par une jetée , et ils lui donnè-
rent le nom de fort du Passage. C'est sur ce rocher et sur
les restes de ce fort que les Turcs ont fait bâtir le fort de
Bourzi pour la levée des péages. On voit encore, sur la par-
tie la moins profonde de la mer, les restes des pilotis qui
rattachaient autrefois cette forteresse à la ville. Sur la
porte de la ville la plus rapprochée de la forteresse s*élève
aussi le lion de saint Marc, sculpté sur un écusson , et à
côté sont deiq[ écussons de familles vénitiennes , avec le
bonnet ducal pour armes.
On y lit encore Tinscription suivante :
POST UBBBS ABCE8QUB BIPDGHATAS VàUDBQQB VDIIITAS
P08T 8B1IC8 rUGATOe B08T1»t BOfl BBCtlTOli PATR14S BESITmiT
rB4NGI8CD8 MA0RECENI7S C* ^UP^^ ABU"'* MODCBATOB,
ET AL^YANOER BONO , MAXIMiS TRIBEKS GUBERNATOB ,
BOG .£TBRNITATIS MONDMENTUM P08CIT.
A. D. MDGLXXXTII.
^ Voyez son article dans mes Nouvelles Recherches,
' La dtta d'Argho fu assediata e presa dal dispotn dl Romaiiia,
e lui la tiene, e contro e! volere di messer Neri. E perche || detto
dispoto è suo genero, etc,, p« 243, t. ii de mes iVotiv, Re^h^
NAUPUG. 391
Sur les fragments des murailles qui conduisaient de là
à la Palamidion voif d'autres blasons sculptés sur le mar-
bre avec des armoiries franques. Deux autres monuments
de la dernière époque de Toccupation vénitienne sont eii<-
core debout. L'un est un vaste et beau bâtiment qui sert au-
jourd'hui de caserne , et est placé au bas du vieux château
hellénique ; il contenait autrefois tous les bureaux et maga-
sins du gouvernement vénitien. L'autre est l'église de
Saint-Georges , qui est tout â fait vénitienne pour l'archi-
tecture et les ornements. Les voûtes des dômes sont cou-
vertes de peintures à fresque dans le style italien de la fin
du dix-septième siècle , et quelques-unes de ces peintures
sont assez passables. Au-dessus de l'entrée de la nef, sur une
large bande de mur qui règne entre les deux colonnes, est
une copie assez bonne , aussi à fresque , de la Cène de
Léonard de Yinci. Dans le grand dôme du milieu est peint
Jésus<-Ghrist ; dans les quatre angles sont les quatre
évangélistes avec les animaux qui leur servent d'emblèmes,
tout cela peint d*une manière assez large et non avec les
poncifs employés. depuis plusieurs siècles par les peintres
grecs pour leurs tableaux d'église. Les peintures des voûtes
sont mystiques. Les ailes des chérubins y abondept et on
les voit rassemblés en foule autour dti chandelier mys-
tique.
Près de l'église de Saint-Nikitas , démolie au temps de
Capo-d'Istria pour ouvrir la grande rue , se trouvait sur
un degré l'inscription suivante :
FRANCISCO GRIMAKO,
SVPRSIIO CLASSI8 IfODERATOBI,
QUI URBEM
RXTRA HDNIMENTIS FIRMWIT,
INTU8 HAC CONSILH /GDE BXORNAVIT,
AMNOflA PROTIDIT,
LB01B1I8 ORDINAYnr,
PAUPMA VOVET,
àmO POMINI MDCCVIII.
392 GEÈCE CONTINENTALE ET HOREE.
De Nauplie , j'allai faire une excursion à chenal au port
Tolon , où les Vénitiens avaient établi leur arsenal et leur
chantier de construction. Beaucoup de leurs vaisseaux y
ftirwent coulés à fond par les Turcs lorsqu'ils reprirent la
Morée sur eux en 1 7 1 5. Il ne reste plus en ce lieu aucun ves-
tige d'ancienne construction , si ce n'est les ruines d'un
palais hellénique sur la montagne en face du port Tolon. Le
gouvernement grec a concédé les terrains cultivables à quel -
ques émigrés crétois, en leur donnant quelque argent pour
bâtir et quelques grains pour ensemencer. Une cinquan-
taine de familles s'y sont établies, et leurs maisons, entou-
rées de toutes parts de beaux bois de citronniers, forment
un petit village placé sur le bord de la mer en remontant
la côte. Au moment où je le visitai il n'était plus habité que
par des femmes ; tous les hommes étaient partis secrètement
pour aller combattre en Crète. Je restai pendant les mo-
ments de la grande chaleur assis sous les citronniers à jouir
de la fraîcheur de l'embat ou vent de mer , et rentrai à
Nauplie avant la chute du jour; car le gouverneur Almeîda
a soin de faire fermer les portes à huit heures du soir,
comme dans une ville qui redoute des attaques de l'en-
nemi : précaution militaire fort inutile, et fort désagréable
pour tous les habitants et pour le petit nombre d'étrangers
qui y arrivent.
XXL
AS TROS. — MONEMBASIE. — CHATEAU DE LA BELLE.
J'avais amplement profité de mon séjour à Nauplie pour
voir la ville et les environs , et l'église de Saint-Spiridion
où fut frappé à mort le président Jean Gapo-d'lstria » et les
murs helléniques de la tour intérieure» qui me reportait
au temps de Diomède, et les restes des fortifications fran-
GOLFE DE NAUPLIE. 393
ques de la Palamîdi , qui me reportaient à Tépoque do
mon compatriote Guy d*Enghien , successeur, au temps
des croisades , de la i)aronnie de Diomède , et le lion co*
lossal sculpté dans le rocher, en souvenir des Bavarois
morts en Grèce, à Timitation du lion de Lucerne, et le
faubourg de Pronia, où siégea le congrès national, et les
quelques salons où j'aimais à recueillir les bons souvenirs
conservés à nos compatriotes. Avant de continuer de là mes
courses équestres à Tripolitza , à Sparte et dans tout le
Péloponnèse, je voulus profiter de ma résidence à Nauplie
pour mettre à fin quelques excursions maritimes néces-
saires à mes recherches. IVlon ami Canaris le brûlolier ,
dont le nom et Théroïstâe sont si connus en Europe , est
préfet maritime ou navarque de Nauplie. Il alla au-devant
de mes vœux , et avec une complaisance parfaite mit à ma
disposition un joli bâtiment armé de trois canons et pourvu
d*un excellent équipage et d'un capitaine expérimenté. Je
fis porter à bord quelques provisions , du bon vin de Té*
nédos, quelques livres et cartes, et me disposai à faire
Toile dès la première brise du matin.
A peine sentîmes-nous le premier souflSe d'air frais de
l'embat qui ride mollement l'eau à la première apparition
du soleil sur notre hémisphère , que nous levâmes l'ancre
pour nous diriger vers Astros et Monembasie.
Aussitôt qu'on est sorti du port de Nauplie, et qu'après
avoir passé entre la ville et le fort Bourzl , bâti sur les fon*
dements d'une forteresse vénitienne, on s'avance dans le
golfe de Nauplie , la vue s'agrandit et s'embellit à chaque
instant. Au-dessus des terrains bas qui terminent le golfe
surgissent la vieille Tirynthe et la montagne plus irapo*
santé surmontée des ruines de Larissa , forteresse d'Ar-
gos; au-dessus de Nauplie s'élève le mont Palamidi avec
les ruines de sa forteresse franque ; et tout vis-à-vis , de
l'autre côté du golfe, au-dessus des marais où se tenait
l'hydre de Lerne , apparaissent d'autres ruines franques ,
celles du château de Lerne , vastes encore et d'un grand
394 r.nKCE goktii^entals rt moree.
caracière. J'eds'totit le tinnps d'admirer dans leur ensem*
bte et dans leurs détails chacun des tableaux qui se dé-^
roulaient devant moi ; car, quoique nous eussions déployé
toutes nos voiles , à peine pouvions-nous recueillir asseï
de vent pour nous avancer lentement vers la hante mer*
Je naviguais dé^ï depuis près de cinq heures, et je n'aper-*
cevals que de bien loin i'Ua de Spetzia à Te^^tréoiité de
rhorizon , et étais menacé d'une booace qui pouvait vw
retemr jusqu'au coucher du soleil k la hauteur à» Vik
d'Haliousa ou Makro^Misf , sans me laisser parvenir jus*
qu'à Astros , qoe je voyais m'ouvrant ^ petite baîe à dem
on Crois milles de distance. Je me décidai h foire mettre en
mer la yole de la canonnière pour aller, avec quatre bons
rameurs , jusqu'à Astros, pendant que la canonnière s'a*
vaneerait lentement et viendrait me rejoindre , soit dans
la nuit , soit le lendemain , au port d' Astros , ou en vue du
port , si le vent ne lui permettait pas d'eutren
Le temps était superbe et la mer légèrement ondulée
de vagues upies et régulières qui me berçaient doucement
et annonçaient un calme prochain, Ma navigation fut des
plus délicieuses. £n avant d' Astros est un petit monticule
surmonté d'fum tour et des ruines d'un cbiteau du moyen
âge, du haut dnqu^l on pouvait surveiller tout ce qui en-
trait dans le golfe, Ausntôt qu'on a doublé ce monticule ,
vous apparaît la ville d* Astros au (bnd d'une jolie petite
baie. I#es maisons, asser grandes , ^ont isolées les unes des
autrea comme autant de pyrgos ou tours de défense, et
se prolongent jusque sur û pente du monticule. Au delà
de cette peU(e ville oit unç fertile vallée plantée de vignes,
d'oliviers, de mûriers ^t d^ citronniers, et arrosée par le
T^pius, qui descend des montagnes environnantes et se
jelte dans le golfe au^-des^usd'Astros. C'est dans ce vallon,
Ik l'ombre des orangers et des citronniers à défaut de mai-
SQQs et en présence d'une population animée , qui affluait
de toutes parts, que se réunit, en 1823, le congrès na-
tional d' Astros, présidé par le vieux bey du Magne Pierre
ASTHO». 295
Màvfomîehalis. £n se séparant^ le 18 (10) avril, le coii'
grès d'Astros , èû dépît da Felds de» grandes pumàûo»
réanies à Yérone , déclara de ooOYeaa Texiaieiiee et Vin-
dépendance polhiqoes dé la mtUm grecf^ae^ n'en reposaot
stir le déVGtiement de B^ë eompatriotes et les aentlmeiiu
d'hu mainte de r£urope édairée pofir ajoiHer le fait m
droit, et compléter son œntre. Letemps^, qài trompe
tant d^espérances , a da mdns réalisé celle-là.
Mon bat, en me faisant déi>arqcfer à Asiro», était d*«|]er
visiter les niirres d*tin cbâfteati sîtaé h quatre en cfiiq lietfe»
de là , et connu dans les fraditiooa dti pays sons^ le nom de
Châtean de La Belle {Castro fis Oraioê), Je 6» demander
des mulets à Astros. Il fallut lea envoyer cherdier dannlea
champs, car on était alors occupé de» iravatix de la movH
son : c'était le jeudi B jaiHet Chacun mh le plii^ grand
empressement à m'obliger ; les muleta arrivèrent , et je ne
m» en route. La chaleur était eitréme à nndi ^ heure k
laquelle je partis ; cependant quelques brises adoucissantes
descendaient de temps k autre de la montagne , agitaient
l^èrement Tair et me procuraient un peu de fraicbeun
Il faut une bonne heure pour franchir la plaine d'Astros
de^^ côté. Il y avait beaucoup de vie autour de moi » et
partout on était occupé k battre le blé à Taide de six che-
vaux qui pivotent sur un point et foident les épis de ma-
nière à en détacher le grain* Cette méthode de battage»
usitée dans toute rAâe,r s'est conservée depuis les lemps
lee plus anciens et a kmg-teinps été employée en Europe t
ainsi qu'on peut le voir par ces aires pavées et circulaires
que l'on rencontre parfois dans les villages abandonnés et
an milieu des champs. La niélhode de vendange usitée
dans les vignes de la plaine d' Astres raf^lle aussi tout à
(ait les Hsa^^ aniiques. Le savant Tournefort la décrit de
la manière la plus exacte en parlant de Milos.
« Chaque particulier, dit-il S a toujours dans sa vigne
^ Voyage du Uvant, 1. 1, lettre iv, p« 19t.
396 GRÈCE CONTINENTALE ET MORÉE.
UQ réservoir de la grandeur qu'il juge à propos , carré,
bien inaçooné , revêtu de ciment, mais tout découvert. On
foule les raisins dans ce réservoir. Après les y avoir laissés
sécher pendant deux ou trois jours et à mesure que le
moût coule par un trou de communication dans un bassin
qui est au bas du réservoir, on remplit de ce moiit des
outres que Ton porte k la ville. On les vide dans des fu-
tailles et dans de grandes cruches de terre cuite enterrées
jusqu'à l'ouverture, dans lesquelles le vin nouveau bout
tout à son aise sans marc, et on y jette trois ou quatre
poignées de plâtre , suivant la grandeur des pièces. »
Pour conserver quelques mois un vin aussi grossière-
ment fabriqué , les Grecs y ajoutent de la poix-résine tirée
des pins appelés pcvka : ce qui lui donne un goût détes-
table. M. Bory de Saint- Vincent pense que c'est à cause
de cet usage antique que le pin était regardé comme l'ar-
bre de Bacchus , et que son fruit ornait le thyrse du dieu,
c Le nombre de tels pressoirs ou cuves eu plein air, ajoute-
t-il , bien tenus et pareils à des citernes sans couverture,
m*étonna. J'en vis une douzaine non loin les uns des au-
tres, et l'on me dit que Ton engageait des tragodes et
joueurs de violon ou de mandoline pour l'époque où l'pn
foulerait la récolte; les vendangeurs voulant être divertis,
et se fatigant moins, à ce qu'ils prétendent, quand ils écra-
sent le raisin en cadence : comme au temps de Thespis^ »
Cette plaine abonde aussi en fort beaux figuiers qui cou-
vrent toutes les pentes de la montagne. Le hameau de Si-
kia en a pris son nom. Leurs belles et larges feuilles vertes
rafraîchissent et reposent la vue. Au pied de ces bosquets
de figuiers s'étend un hameau gracieux renfermant les bâ-
timents d'exploitation des habitants du village de Meligou,
placé pins haut dans la montagne. Ces bâtiments sont des
cabanes ou calyvia , mais des cabanes pro. res , bâties de
pierres , recouvertes de tuiles , et ayant souvent deux éta-
» Erpédidon scientifique de Morée, t. ii, p. 4'1.
UELLENIKO. 397
ges. Il y a ici un air d*aisance et d'activité qui charme.
Une fois entré dans la montagne, on ne la quitte plus ; on
est sur les dernières limites de TArgolide et de la La-
conie.
En- arrivant sur un de ces plateaux élevés près du der-
t;en(/ ou défilé de Mélingou, mes guides m'indiquèrent qucl^
ques ruines au-dessus d*un des pics voisins, et je me hâtai
de in*y rendre. Ce lieu, connu sous le nom d*Helléniko,
offre les restes d'une ancienne citadelle hellénique. Le
sommet est couvert de murailles composées d'immenses
pierres brutes d'inégale grandeur, mais de manière à indi-
quer cependant une ligne régulière d'assises. Ces premières
assises, composéesde pierresde forme généralementpentag-)-
nale, comme le sont les murailles dites cyclopécnnes suivant
M. Peiit-Radel, sont recouvertes par d'autres assises com-
posées d'énormes pierres quadrilatères taillées rudement.
Près des murailles est une vaste citerne. Le passage défendu
par cette forteresse conduit en Tzaconie , et était à toutes
les époques important à garder. Pendant l'occupation du
Péloponnèse par les croisés français, du treizième au quin-
zième siècle, la turbulence inquiète des Tzacons qui arri-
vaient d'Arakhova et d'Hagios-Peiros avait fait multiplier
les châteaux francs de ce côté , et le Château de La Belle,
que j'allais visiter et qui était placé sur le versant opposé
d'une autre montagne, du côté de Xero-Campi, était une de
ces fortes positions des Francs.
Le plateau de Xero-Campi , ou le champ sec , semble le
rendez-vous général des perdrix , qui y abondent en aussi
grand nombre peut-être que dans les îles de Thermia et
de Zéa , où je les ai vu chasser d'une manière tout à fait
particulière. On applique sur deux bâtons croisés une large
bande carrée d'étoffe fond gris à bandes noirâtres ; sur
cette bande on pratique deux petites ouvertures , comme
deux yeux, bordées d'un liséré rouge, et une autre ou-
verture un peu plus grande, bordée aussi d'un liséré rouge,
au-dessus du point où se croisent les deux bâtons. Armé
34
398 GREGE CONTINENTALE ET MOREK.
de cette espèce de banpière, derrière laquelle il se dérobe,
le chasseur s'avance doucement vers l'endroit où sont po-
sées les couvées de perdrix , regardant par les deux trous
creusés pour les yeux et appliquant son fusil à la troisième
ouverture. A l'approche de cet épouvantail, les perdrix les
plus éloignées prennent la fuite; mais les plus rapprochées
sont comme terrifiées et se blottissent sans mouvement à
l'endroit même où elles sont arrêtées. Les gens du pays
disent qu'elles croient voir planer qn ^igle aux ailes dé-
ployées. Le large panneau gris produit sur elles l'effet de
l'œil du faucon. J'ai assisté à cette chasse , et j'ai été té-
moin de cet effet. Le chasseur peut ainsi s'avancer près
des perdrix , les viser à coup sûr, et quelquefois pême les
prendre à la main et les tuer avec le bâton.
Le plateau de Xero-Campi est terminé par un ravin ar-
rosé par la rivière Lepida , qui le suit en le fécondant de-
puis Hagios-Joannis jusqu'à Platanos. Cette partie de la
route offre un joli paysage : le ravin est verdoyant , la ri-
vière est vive et murmurante , la chaîne de pnontagnes est
rudement taillée à pic; et au fond de la gorge, au point où
elle s'ouvre pour s'élargir en une vaste plaine, se voit tout
en haut de la montagne , ^ssis d'qne manière fière et pit-
toresque, le Château de La Belle. Pour gravir des bords du
torrent au sommet de ]a colline , il me fallut trois quarts
d'heure. Les pentes, quoique rudes, sont recouvertes d*m\e
bonne terre végétale jusque fort près du sommet , qui se
termine en un rocher d'un difficile accès dont les intersti-
ces sont couverts d'arbrisseaux de toute espèce. Au-dessus
de ce rocher s'élèvent les ruines du Château de La Belle.
On conçoit à merveille toute l'importance d'une semblable
position. A l'aide de ce château, on pouvait arrêter les ex-
cursions que les habitants de la Laconic faisaient d'Ara-
khova et d'Hagios-Pelros jusqu'en Argolide; et sans la per-
mission du seigneur de ce château, dont la garde était sans
doute confiée à quelque chef puissant parmi les Francs, il
était impossi)))e de s'ayeniur^r dans les défilés des Mélin-
CASTRO TIS ORAIAS. 39^
ges*. Du haut de ces ruines on embrasse une fort bellci
Tue. Toute la chaîne de l*antique Pârnon, le Malevo actuel,
se développe sous vos yeux avec tous ses embranchements ;
au delà se dérobe derrière les montagnes , entre la chaîne
du Parnon etcelleduTaygète, la belle vallée de TEtirotas,
tandis que, du côté d'Asiros, la mer s*ouvrë devant vous et
vous laisse toir llle de Spetzia, et au delà, très-rapprochée
à cause de la pureté de l'atmosphère, Tîle d'Hydra aux no-
bles souvenirs. Çà et là dans ces vallées et sur ces collines
sô&t Cernés de jolis villages et hameaux parmi lesquels je
reconnus avec joie Dragalivos en Tzacoriie , mentionné
plusieurs fois dans la Chronique de Morée sans quMl soit
indiqué sur aucune carte. Chaque village ici possède de jo-
lies calyvia bâties au milieu de terres en culture. Âujour-
â*hui que le pays est plus sûr lès habitaiits des villages bâ-
tis stir des hauteurs faciles à défendre descendent pehdant
rhlver sous le climat plus doux de leurs gracietisês calyvia,
auprès de leurs oliviers , de leUrs tnûriers et de lèUrs fi-
guiers ; puis $ pendant les grandes chaleurs , ils quittent
leurs calyvia de la plaine pour la température plus salubre
de leurs villages des montagnes.
Les ruines du Château de La Belle (Castro lis Oraias)
sont encore assez considérables. Les murailles de la double
enceinte qui ferme le haut de la montagne partout oui le
rocher n'élevait pas un mûr naturel impénétrable, sotit en
grande partie conservées. La porte d'entrée n'est écroulée
que dans le haut, et une fenêtre de le seconde enceinte sub-
siste tout entière. Tout à fait sur le somtîiet s'élevait une vaste
tour carrée qui se tient encore debout en ne conservatit guère
que le quart de sa hauteur ancienne. Le reste est un amas
de décombres sur lesquels pousseiit deâ arbres et arbris-
seani dont lé vent a .transporté les germes au milieu de
ces rochers. Assis au milieu de ces ruines franque aux
derniers rayons du sdleil qui illuminaient à l'occident les
* Ancienne population slave.
4iQ GRÈCE COKTINEXTAI.E ET UORÉE.
p'>intes du Taygète tandis qu'à Torienl l'île d*Hydra bril-
lait encore par ses masses rocheuses au milieu d*une mer
éclatante, tous les temps , toutes les gloires, toutes les iu-
furtune^i se présentaient en foule à ma pensée. La gloire
antique avait disparu , mais les malheurs qu'avaient amenés
les invasions étrangères du moyen âge avaient cessé de
peser sur la Grèce; et l'île d'Hydra , qui s'était signalée
d'une manière si brillante dans cette rénovation politique ,
m'apparaissait pour me rappeler à la confiance du p^é^ent
et à l'espoir de l'avenir. Le lieu où je me trouvais , les
ruines sur lesquelles j'étais assis me reportaient aussi à
une des époques les plus dramatiques de notre histoire
nationale. Quelques Français aventureux étaient venus au
treizième siècle s'implanter dans ce pays avec leur reli-
gion , leurs coutumes guerrières , leur langue et leurs
mœurs. Le flot des âges avait poussé sur ces mêmes rives,
du fond de l'Asie, une race nouvelle , la race turque, qui
avait succédé à la domination de la race franque, déjà fort
affaiblie par l'anarchie féodale. N'était- il rien resté des sou-
venii*sdu passage des seigneurs francs, mes compatriotes,
que ces décombres amoncelés autour de moi ? leur bravoure
si chaleureuse , éprouvée dans tant de luttes , comme leurs
mœurs si diverses, n'avaient-elles laissé aucune trace dans la
mémoire des habitants et dans les traditions du pays? J'avais
amené avec moi sur la montagne le pasteur d'un troupeau
des vallées de la Tzaconie. J'interrogeai ses souvenirs , je
fis appel aux traditions , si vivaces dans les pays de mon-
tagnes isolés du mouvement du reste du monde , et il me
chanta une vieille ballade que j'écrivis sous sa dictée : c'é-
tait la naïve histoire de la dernière lutte soutenue par les
seigneurs francs possesseurs de ce château- fort, et cette
lutte était celle qui avait fait connaître ce château aux âges
suivants sous le nom de Château de La Belle ; car le défen-
seur de la forteresse était une belle Française aux éeiies
rohes franquts et au cœur tendre. Je rapporterai ici
cette simple ballade d'après le chant de mon berger.
CASTRO TIS OR AI AS. 401
LE CHATEAU DE LA BELLE.
J*ai vu tou!i les châteaux ,
Tous je les ai parcourus;
Mais comme le cliâteau de La Belle
Je n'ai yu aucun cbâleau.
Une belle fiUe de France aux belles robes franques
Défentlait ce fort château :
Elle combattit les Turcs pour le défeudre ;
Pendant douze ans elle les combattit.
Pendant douze ans elle les vainquit tous :
Elle vainquit» cette belle Franque aux robes franques ;
Et ils virent quMls ne pourraient la vaincre
S'ils ne recouraient à la trahison.
Sans la ruse et la trahison ,
Étrangères an cœur de la belle Franque,
De la belle fille aux belles robes franques ,
Ils ne pouvaient vaincre ni elle ni son château.
Et un jeune seigneur turc ,
Un Turc fils d'une Grecque,
Imagine une trahison
Afin de tromper la généreuse Franque.
Il prend des vêtements de femme ,
Des vêtements de femme pauvre ;
Il passe un oreiller sous sa robe
Et se donne Tair d'une femme grosse.
Il a pris des vêtements tout noirs
Pour mi(Mix éveiller la pitié ,
£1 il fait le tour du cliâteau-fort,
Et il vient à la porte, et il appelle.
« Ouvrez-moi, pauvre malheureuse que je suis;
< Ouvrez-moi, pauvre orpheline que je suis:
» Je suis grosse, et mon fardeau me pèse;'',
» Car je suis dans le mois de mon enfantement.
34.
409 GttÈCB CONTIHENTALB ET ttOREE.
» Belle Fninquc aux belles robes franques,
« Belle Franqiie an î*ran(l c(rnr,
» Écoutez la prière d'une orpheline,
» Et donnez repos à une femme grosse. »
La beHe Franque, la bonne princesse
Aux belles robes frasques et au grand cœur,
Du haut de ses créneaux la vit ;
Elle la vit, et ses entrailles s'en émurent.
Elle appelle aussitôt son t)Ortief :
« Bon portier de mou bon château ,
» Apporte-moi tes bonnes clefs ,
» Tes clefs d'argent et tes clefs d'or. »
11 apporte ses clefs, le fidèle portier,
Ses clefs d'argent et ses clefs d'or ;
Et la belle Franque descend de ses créneaux ,
Et elle fait ouvrir la porte de son ch&teau.
Mais aussitôt que la porte fut ouverte ,
Voilà des rfailllers d'hoînmes qui enti-ent;
Et le château qu'ils n'avaient pu prendre pÀt la force.
Us le prennent ainsi par la ruse.
Et la fausse femme grosse tire de dedftous sa rdbe
Des armes qu'elle y teuëit cachées
Et tue par surprise la belle Frânque ,
La fille franque aux belles robes et ail grâhd cceiir.
J'ai retrouvé depuis plusieurs autres Châtëaut connus
sous le même nom de Château de La Belle , dans Fîle de
Thermia et dans le Maghe au midi de Mezapo , sut la côte
occidentale, et la même ballade s*y est conservée avec
quelques variantes. Peut-être est-ce la commémoration
d*un fait qui s'est perpétué dans la tradition sans avoir
laissé de trace dans Thistoire? Peut-être aussi n'fest-cé qu'un
souvenir confus d'un autre événement à peu près du même
genre arrivé dans les montagnes de la iMorée centrale, et
qui est mentionné dans la Chronique grecque anonyme de
la conquête de Morée par les Francs^
CASTRO TIS OBAtAS. 40^
«« bans le tfemps , dit le chroniqueur, de l'adminisira-
lion du tieux uiessirè Nicolas de Saint-Omer, seigneur de
Thèbes fet bail dé Morée au nom de la princesse Isabelle
de Villfe-Hardouin (vers 1291 ); un certain noble français
domicilié en Chaitipagne, ôflpelG rtiessire Gedffroi de Brièré^
ei eousid du sëigilbdr de Caritéiiâ eri l^lobêe ; ayatit a|)pMâ
(}ue ce seigneur venait de passet* danâ l'autre thondé sans
laisser d'héritier, conçut Tidéfe de se rendre en Moi-éë
pour réclamer, comme soi! héritage de famille, la sei-
gneurie de Garilena. Il mit ses domâitleâ dé Champagtib
en gage , emt)runta de Tàrgettt pour entrfetenit^ htttt Ser-
gents qu'il voulait emmenei* aveb lui pour pat^àîtfè avec
plus d'honneut-; prit des cet'lificâts des prélats et des sei-
gtieUi-S de Gharht)agUe t^iii attestèrent, pàt* ledits téttidi-
gtlages et leUhs scedUx , (}d'il était biéri le cdUsIh léj^ititUë
et de saiig de tnessiré Geoiïï-oi » sëigtlëtii* de CàHlettâ ; fit
des prépâratifo dignes de Sa naissante ; se mit à là tété dé
ses huit sergents à cheVal , et pattit de la Champagne àHii
de s'embarqtier dans le royaume dé Naples pbm là Mëréé. n
Le chroniqueur décrit l'arrivée dé GëolfrbI de Èriêre S
la tour supérieure de Naples, ttù ste trouvait aldrs la pritt-
cesse de Morée^ Isabelle de Ville-HardoUin , et se coWpà-
rutloii devant la cdur féodale dé GlarëUtzà eh Mdrée , qui
rejette ses prétentions à l'héritage de soti cf)tisiri , se fon-
dant sur la déchéance prononcée CoUtre la fatuillé du sëi--
gneur de Garitena ft la suite d'une réVblte contré sbii ohcle
Guillaume de Ville-Hardoin^ pHncede Moréë.
t Quand méssire Geotfroi de Brière^ continué le chro-t
niqneuri entendit la décision que rendait cohtre lui là
cour féodale , en opposition à toutes ses espél-attces ; il re-
vint dans son logi^ et s'assit tout seul , pleurant et % la-
mentant comme s*il eût perdu tout le royaume dé France
qui eût été sien. Après deux joutis il se mit à agiter dâiis
son esprit et à considérer quelle serait sa posfticin s'il rd-
loarnait en France sans aVoir réuf^M dans feoh i^rojctj il
vit que lotit le inoUde se rirait de lui et le blâiilërâlt d'élre
404 GRÈCE CONTINENTALE ET MO&EE.
reTeno sans aucun autre résultat que d'avoir dépensé son
argent. Il se dit donc en lui-uiéine : Plutôt mourir que de
revenir sans rien faire et saus profit. Il fit alors amitié
avec un certain homme du pays , et prit de lui ies rensei *
gncments les plus exacts sur les places du pays de Gortys :
telles que Araclavon et Caritena ; sur leur situation , sur la
nature de leurs fortifications, sur la force de chacune , et
sur les troupes qui les gardaient. Cet homme , qui con-
naissait fort bien ces deux places , lui donna les renseigne-
ments les plus circonstanciés , et messire Geoffroi de Brière
bâtit Iji-dessus son projeL II s'avança dans Tintérieur de
la Morée et arriva à Xenochori ; à son arrivée en cet endroit
il feignit de tomber dangereusement malade , dit à tout le
monde qu'il était attaqué de la dyssenterie , et s'informa
où il pourrait trouver à boire de l'eau de citerne, qui est
astringente. Un homme du pays lui apprit qu'il y avait
d'excellentes citernes dans le fort d' Araclavon, et que c'é-
tait là qu'il devait envoyer demander de l'eau.... Un ser-
gent de messire Geoffroi se rendit donc au château , où il
trouva le châtelain. Il le salua très-humblement de la part
de son maître , et le pria de lui faire donner de l'eau de la
citerne : ce que le châtelain ordonna aussitôt. Le sergent
entra dans l'intérieur de la forteresse et l'examina bien. A
son retour il rapporta à messire Geoffroi ce qu'il avait vu.
Dix jours s'écoulèrent et messire Geoffroi continuait tou«
jours à dire qu'il était fort malade , et son sergent se ren-
dait tous les jours dans la forteresse pour lui en rapporter
de l'eau fraîche. Il fit dire ensuite au châtelain qu'il le
priait instamment de venir lui parler. Le châtelain se rendit
aussitôt auprès du chevalier, qui l'accueillit avec recon-
na»sance , lui expliqua sa maladie et le pria de le rece*
voir dans la place, avec un de ses chambellans , et de lui
donner une chambre pour y jouir de quelque repos et se
procurer aisément de l'eau toute fraîche de la citerne ; le
reste de sa suite devait rester hors du fort. Le châtelain ,
'^ui ne se doutait d'aucune ruse , promit aussitôt de le re-
CASTRO TIS ORAIAS. 40Ô
cevoir dans son fort. Le lendenaain , messire Geoffroi de
Brlère y entra amenant seulement quelques effets. On
dressa un lit, et il se reposa dans sa chambre n'ayant
avec lui qu'un seul de ses sergents ; ses autres sergents
étaient restés en dehors de la forteresse. Le chevalier se fit
ensuite apporter peu à peu le reste de ses effets, parmi les-
quels étaient cachées ses armes , et il continuait toujoui*s
à garder le lit. De temps en temps il invitait le châtelain à
dîner avec lui et lui faisait les plus grandes démonstrations
d'estime et d'amitié , dans l'intention de lui inspirer une
sécurité plus aveugle et de parvenir plus aisément à le
troqfiper. Dès qu'il pensa lui avoir inspiré assez de con-
fiance et qu'il crut le moment favorable , il invita auprès
de lui tous ses sergents sous prétexte qu'il voulait faire
son testament par la crainte de voir la mort terminer la
maladie qui le tourmentait. Il leur fit alors jurer dans sa
chambre de garder le secret sur ce qu'il allait leur com-
muniquer. Après avoir obtenu leur serment , il leur ex-
pliqua le projet qu'il avait formé de s'emparer de la for*
teresse d'Araclavon et du confiant châtelain.
» A cette proposition , les sergents se concertèrent avec
lui et examinèrent les moyens d'exécution les plus propres
à atteindre leur but. Aiessire Geoffroi régla tout. « J'ai ap*
» pris, leur dit-il , qu'en dehors de la forteresse il y a une
» taverne où on vend du vin , que le châtelain y va lui-
» même , et que souvent il y prend place et boit avec les
» autres. Voici donc ce qu'il me paraît convenable de
» faire. Nous avons dans le fort une provision de pain et
» de biscuit , et de plus une bonne quantité d'eau et au-
B tant d'armes qu'il nous est nécessaire. Allez vous pro-
» mener autour de cette taverne , et que deux ou trois
» d'entre vous , les plus adroits , invitent à boire avec eux
» le châtelain , le connétable et leurs meilleurs hommes
» d'armes. Vous avez de l'argent en suffisance , donnez-en
. f au tavernier; achetez beaucoup de vin et buvez avec eux
» tant et tant que vous les enivriez. Mais, vous, faites bien
4o6 GRECE contihèntalc et Morée.
* attention de ne pas boire autant de ?in qu'enx , car nonst
i perdrions ainsi ce qae nons espéttnis gagner. Dès que
i tous VOUS serez aperçus qu'Ms sont ivres, que Tun d'entre
* tous sorte et vienne me trouver ici ; un autre le suivra,
* et successivement tous ses compagnons. Prenez alors le
» poi'tier et jeiez-le hors du fort. £mparez-vous des clefs ,
* fermez les portes , nioutez sur les miirs au-dessiis Ae la
« porte pour la garder et veillez à ce qu'on ne la brfllé
» pas , de peur qu'on entre et qu'on nous fasse pristin-
» niers. »
n Tout réussit ainsi que l'avait conçu GeolTroi de Brlère.
Il resta maître du fort ; et les Français de l\lorée, témoins
de son audace et de son adresse , s'empressèrent de se!
Tadjoindre en lui conférant un flef bé^ëdltaii-e et eu le ma-
Hant à une Française , Mal^gùeritë de Rozièred , flUë du
seigneur d'Akhova , qui eut de lui Une fille appelée Hélène,
îiiaHée à tin sire Vildiri d'Aunoy, seigneur d'Ârcadia : cdr
toUs lés seigneurs français de Horée se mariaieiit séulemetit
entre eux. »
N'est-il pas possible qtie ce récit de l'occupation d'une
fbfteresse franqne , Si Pâide d'une ruse où l'on faisait appel
i là pitié du châtelain , ait été ensuite altéré dans les sou-
venirs du pays et lié à quelqiie autre éténement dont Une
fille de Français était Thérolne ?
Pendant que je me faisais chanter cëè ballades et racon-
ter les traditions du pays, la nuit était survenue, nuit
ëihbdtimée , niiit douce à pàsseï" eh pleiti air ad milieu de
ces ruines.
Dès le matih je remontai sur mdU mulet et repris ma
route vers Astros par un sentie!* moins bien tracé , mais
qui traversait un pays plus gracieux que celui pat* lequel
j'ataiâ t)assé depuis Helléniko. Je tne dirigeai par le haut
Villdge de Mélingou^ qui domine une vallée pi'Ofohde et
fertile. Il se compose de plus de cent maisons, fort bien bâ-
ties et assez grandes , isolées l'une de l'autre , et cfiac(]ne«
entourée d'un jardin bien ombragé. AU bas du village s'é-
HEUNGOU. i07
tendent de vastes vergers de mûriers et de figuier^ TquI
ici a un air d*aisance , car la population est active et le sol
fécond* De Mélipgou jusqu'au hameau de Sikia , je ren-
CH>ntrai des bandes de vingt , de trente , de quarante che-
naux que Ton conduisait du village de la montagne aux ca-
lyvia de la prairie pour y battre le blé de la ferme, l^e ba<*
meau de Sikia a un air d*aisance plus remarquable encore,
La culture y est bien entendue et active. Sikia (les Figuiers),
au milieu de ses berceaux de vignes et de ses beaux Qguiers,
et au-dessns du ravin verdoyant sur lequel il se développe
avec grâce , seqoble tout à fait un hameau de plaisance à la
disposition et Tentretien duquel aurait présidé une volonti
intelligente. En descendant de Sikia on entre dans la plaine
d'Astros, animée par le travail des moissonneurs. Je la
traversai avec rapidité au bruit du coup de canon qui
m'annonçait l'entrée de mon bâtiment dans le port. Les
quatre niatelots de la yole m'attendaient ; le vent de terre
paraissait vouloir fraîchir et devenir tout à fait favorable
après le coucher du soleil ; je m*arrachai non sans peine k
Fempressement curieux des habitants d*Astros, qui me
demandaient détails sur détails an sujet de mes investiga*
tions du Château de La Belle et de leur résultat ; je me
jetai dans ma yole , accompagné de leurs souhaits bienveil-
lants , e( , appuyant vigoureusement sur les r^mes, noua
glissâmes comme pn cygne sur une eau limpide , et en
quelques minutes nous fûmes à bord de notre canpiinière.
L'ancre fpt promptement levée au commandement dM
capitaine , donné en langue albanaise; elle est la langue
d'Hydra et de presque toute la marine grecque. Un souffle
léger enfla doucement nos voiles ; puis ce souffle fraîchii^-
sant peu à peu les arrondit avec puissance , et nous nous
éloignâmes rapidement de la côte. La nuit survint ; en me
promenant sur le pont et en rêvant à ma course de la
journée, je jouissais avec délices de cette belle mer et de
cette spleudidc nuit. Ia lune se luva dans son plein ver§
dix heures et argenta la mer d'une longue lumière écla-
408 GRECB CONTINENTALE ET MOREE.
tante. Les flots immobiles étaient à peine plissés par les
quelques rides nées du calme sillage de notre navire ,
rides aussitôt c ffacécs que formées. En face de moi était
Astros avec les lumières de ses habitations scintillant çà et
là jusqu'au haut de la colline ; et de l'autre côté, Speizia
et Hydra dans le lointain. En présence de cette belle nuit
si calme et si chaude , au milieu de ce profond silence , on
conçoit tout ce que cet imposant spectacle devait inspirer
d'idées poétiques k des hommes aussi heureusement orga-
nisés que les anciens Grecs. Ne pouvaient-ils pas penser à
chaque instant qu'à ces doux reflets de lumière Diane al-
lait descendre avec ses nymphes pour se baigner dans ces
eaux d'azur, et qu'Amphitrite et Vénus allaient en sortir
avec tout leur cortège pour se promener sur cette mer
unie et jouir comme eux de la pureté des cieux !
Le vent ne réalisa pas, pendant que je dormais , les es-
pérances qu'il m'avait données , et il tomba tout à fait api*ès
le lever du soleil. C'est une chose curieuse à voir pour un
voyageur que l'état profond d'abattement dans lequel le
calme jette les matelots de tous les pays. Le silence le plus
complet règne à bord , le narrateur le plus intrépide s'ar-
rête anéanti ; le plaisant le plus déterminé ne peut faire
entendre que le cri sourd de distychia (malheur) ! on
dirait que vaisseau et équipage ont été frappés par la ba-
guette d'une fée , et privés du même coup du mouvement
et de la parole. L'homme sent que sa force ne peut agir
contre le néant et devient impuissante contre le vide. Mais
que le vent commence à s'annoncer de bien loin par une
longue bande noire qu'il trace sur les flots , à l'instant tout
s'anime, tout se met en mouvement, les cordages et les
voiles s'apprêtent : l'enchantement a cessé ; la vie, le mou-
vement et la parole sont revenus en même temps. Le vent
contraire même n'abat pas les matelots , il les anime ; car
chacun fait alors appel à sa force et à son adresse , et le
danger même devient un stimulant de plus.
Le vent contraire succéda, en effiet, au calme et nous
SI^ET21A et HYDftA. 40d
ponssa à an jet (Varbalète du rocher plat et aride de Spet-
zia , puis dans la direction d*Hydra.
Pendant la nuit suivante il nous fut enfin plus propice,
et nous pûmes reprendre notre route vers Moneinbasie.
Nous longeâmes les côtes rocheuses de la Tzaconie jus-
qu'aux ruines de Tantique Zarex, aujourd'hui port Hié-
raka ; nous doublâmes le port Hiéraka et vîmes pointer, à
Textrémité de Thorizon, les rochers du cap 3ialée : nous
n'étions plus qu'à peu de distance de la montagne sur la-
quelle s'élève le fort de Monembasie , qu'il fallait tourner
pour entrer dans la ville bâtie sur le côté du sud ; le seul
qui ne soit pas complètement à pic. Nous laissâmes sur
notre droite ks ruines de l'antique ÉpidàureLimeri, nous
doublâmes la montagne et jetâmes Tancre dans le port de
Monembasie , dont le nom , par corruption , est devenu
Malvoisie. D'après ce nom , qui désigne un vin d'une si'ex-
cellente qualités J6 m'étais attendu à voir autour de Mo-
nembasie des champs fertiles et de riches vignobles ; mais
Monembasie n'est qu'un rocher nu et stérile , et les terres
environmntes sont sèches et dépourvues de toute végéta-
tion. La montagne sur laquelle est bâiiela ville , d'étage
en étage, entre deux murailles qui la resserrent en se ré-
trécissant depuis la mer jusqu'au sommet , est un îlot rat^»
taché à la terre par un pont de pierre de plus de cinq cents
pieds de long et défendu à son entrée par une tour carrée
vénitienne. Monembasie fut une des dernières places de
Morée qui tombèrent entre les mains des croisés français à
la suite de la prise de Constantinople. Le prince Guillaume
de Ville-Hardoin, troisième prince français de Morée, s'en
empara vers 1250 après un siège de trois ans, dans le-
quel les Vénitiens lui avaient donné l'appui de quatre bâ-
timents pour opérer le blocus par mer en même temps
que les troupes françaises bloquaient la ville par terre. La
1 Le vin de Malvoisie ne se trouve plus que dans Tile de San-
torin.
35
41i) GRECE COiiT|MEMtA|.E ET IfOREE.
Chronique grecque de Morée donne l'histoire de ce siège ,
pendant lequel le prince le;^ tint resserrés « coinipe on ros~
sigool dans sa cage*;» et elle cite les conditions honorables
qu*il leur accorda en leur permettant de ne ser¥ir que
sur mer, et en leur concédant des terres dans le pays plus
fertile de Yatica , vers la pointe du cap IVialée.
Monembasie ne resta pas long-temps e^lr^ les mains des
princes français de Morée. Le prince Guillaume dç Ville-
Hardouin, ayant été fait prisonnier en 1259 dans une ba-
taille livrée en Thessalie contre Tempereur grec de Nicée,
fut obligé , après trois ans de captivité et après l^ perte de
Gonstantinople par Baudouin, de donnar pour sa raqgon,
en 1263 : la forteresse de Mistr^, qui commandait la yallée
de Sparte ; une forteresse dans le Magne , qui donnait aux
Grecs la facilité de se faire un appui des Maînote^ ; et la
ville de Monembasie , qui était un point facile h défendre
par mef et propre à alimenter Tindiscipline des montagnards
de la Tzaconie, L'historien grec George Phr^ntzi , dont le
beau-frère Grégoire Paléologue-MamDnas administrait cette
ville en 1406 au nom de Temperepr grpc , raconte avec
exactitude les phases historiques de cette cité, dont il fait
le plus grand éloge : « Je ne dois pas , dit-il^, oublier de
dire de combien d'honneurs et de quels grapds privilèges ,
grâce à la honte de la ville et au^ vertus des citoyens , )e$
empereurs comblèrent successivement et l'église de ftlo-
nembasie et les habitants de cette excellente forteresse.
Cette ville mérite bien en effet son nom de Mon-Ëmb^sie
(entrée unique), car on ne peut y pénétrer que par un
côté ; et sa force n'est due ni à l'œuvre ni à l'art des hom-
mes mais à la nature , et il est impossible de trouver sous
le soleil une autre forteresse aussi inexpugnable contre
toute machine de guerre... Les habitants sont ^ussi pro-
pres aux choses de mer qu'aui^ choses de terre. Habiles.
* p. 71 et 72.
«P. 397.
ÉoiVEHBASiE. 411
marifas^ ndn-scuteiuent ils possèdoni nn gràiid nombre de
navires de commerce avec des pilolés et matelots exercés ;
mais ils fournissent encore des chef^ et des matelots ha-^
biles à la flotte impériale. Stir terre ils sorit cavaliers et
archers adroits ^ el fantassins braves et expérimentés
Leur église, déjà honorée dé grandes faveurs par les em-
{)erears qui précédèrent les empereurs latins, fut comblée
de nouveaux biens eii 1292 par un chrysobulle de remt>ë-
i*etlr Androdic. » Le despote Thomas Paléologue , se voyant
bord d*ëiat de la défendre , en fit don en 1A60 an pa()e i
maiâ leâ Yéiiitiens , profitant du découragement des habl-^
tants à l'aspect des victoires des Turcs dans le Péloponnèse^
ft'en emparèrent en 1^6^.
Les Yénitiens regardèrent Monembasie comme un autre
Gibraltar, et sa possession leur fut très-utile sans leur êtrd
onéreuse. Il n'y a pas , il est vrai i de port capable d'abri-
ter Une barque^ et on n*a de refuge que dans la baie de
Yatica et dans Tile d'Ëlaphonisi ; mais c'était un moyen de!
menacer toujours les Turcs sans redouter de représailles. Les
Yénitiens furent cependant forcés de céder Monembasie aux
Tdrcs par les stipulations de la paix de 1538. Géux-ci s'y
maintinrent jusqu'à l'année 1689, où François Morosini^
maître du Péloponnèse $ força Monembasie à capitbler:
Les Yénitiens ne conservèrent Monembasie que pendant
leur courte occupation du Péloponnèse, et elle fut obligé!!
de se rendre au grand-vizir en juillet ilili.
Depuis cette année 1714 jusqu'au moment de la révé-
lation grecque Monembasie resta entre les mains dek Thrcsi
mais fort diminuée d'iolportance* Après l'invasion russe de
1770 dans le Magne, les Grecs (Jui avaient été feompromis
dans te mouvement se hâtèrent de prendre la fuite t et
cent cinquante des fandilles grecques qui habitaient Mo^*
nembasie^ redoutant l'approche des troupes albatiaiseâ in-»
disciplinées, se réfugièrent à 8petzia, à Hydra et à Smyme^
sans revenir après les troubles^ Au moment de la révolu-^
tion grecque il n'existait {^Ins que trois cents familles tur-
419 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
ques dans la ville , et cinquante dans la forteresse. Après
une longue résistance les Turcs furent enfin forcés de ca-
pituler au mois d*août 18'i2 , et, à dater de ce jour, Mo*
nembasie a suivi le sort du nouvel État grec.
Au moment où j*y arrivai , Monembasie était une ville
presque déserte et qui ne semblait guère avoir chance de
se relever de long -temps. La ville n*e$t occupée que par
quarante familles d'anciens habitauts et quarante familles
de Cretois émigrés, et le château ou ville haute n'a d'autre
garnison que soixante invalides commandés par unphrou-
rarque (commandant de place). L'abandon presque com-
plet de cette ville me paraît fort prochain : car les champs
voisins sont stériles , et les habitants doivent aller jusqu'à
Tilia pour cultiver avec avantage; en outre , le port est si
peu sûr que le seul caîque que j'y vis était obligé de se
chercher une petite crique au milieu des rochers. Je mon-
tai dans la ville au milieu des décombres , car Monembasie
n'est qu'un amas de décombres. La plus grande église de la
ville inférieure est de construction franque. Le portique ex-
térieur est un cintre brisé selon l'ancienne forme grecque,
et sur le linteau qui soutient l'architrave sont sculptées des
deux côtés les armoiries des Vilie-Hardoin : la croix ancrée
de Champagne. L'église se compose d'une nef , de deux
rangs d'arcades sur les trois quarts de la profondeur, et
d'un dôme. Dans la partie intérieure 'sont deux colon-
nes antiques : l'une en marbre noir uni, l'autre en marbre
blanc et cannelée. Sur les deux côtés de la nef, le long des
arcades à pilastres , on aperçoit les places laissées par des
pierres tumulaires qui auront été enlevées. Quant aux
peintures byzantines de la voûte , elles ont été badigeon-
nées par les Turcs et on n'a pu , en les lavant récem-
ment , retrouver que quelques lambeaux imparfaits en
haut de la voûte et dans la galerie de gauche en allant an
chœur. Sur le voile de l'église , sont trois tableaux qui
m'ont paru assez bons ; ils sont à fond d'or et dans le style
bj^zantin , mais ils ont fort probablement été exécutés par
MONEHBASIE. 413
un peintre vénitien. L*un représente la Vierge et porte
des armoiries au bas , une fasce rouge sur fond d'azur avec
une étoile rouge et or dans les deux cantons ; sur Tautre
est peint un Christ, à la tête noble et résignée, vêtu
d'une sorte de pelisse vénitienne du quinzième siècle, ou-
verte sur la poitrine : le troisième tableau est un saint
Jean-Baptiste.
A quelque distance est une autre église beaucoup moins
grande, mais assez jolie. Sur la façade on lit une inscrip-
tion grecque qui annonce qu'elle a été construite en Tan*
née 1703, c'est-à-dire sous la domination vénitienne , par
André Licinios , patricien de Monembasie. Le nom de ce
même André Licinios, avec la date du 9 juillet, se lit éga-
lement sur la porte d'une maison toute voisine, qui tombe
en ruines comme toutes les maisons de Monembasie.
De la ville je montai à la citadelle , dans l'intérieur de
laquelle se trouvait un grand couvent fondé par l'empereur
Andronic quelques années après la cession faite par Guil-*
lanme de Yille-Hardoin. La dimarchie (mairie) de Mo«
nembasie possédait autrefois dans ses archives quelques
chartes de cet empereur , et de ce nombre était le chry-
sobalie de 1-292 dont G. Phrantzifait mention. Ces actes
ont été depuis envoyés à Athènes, où j'avais pris copie de la
charte d'Andronic fort intéressante pour l'histoire ecclé-
siastique et civile de cette époque. Le monastère d'Andro-
nic , placé sous l'invocation de sainte Sophie , est aujour«
d'bui sans moines. Une petite chapelle latérale a été creu-
sée dans le roc même. L'église du monastère est bien bâ-
tie, mais elle a été fort maltraitée par les Turcs; et, malgré
la solidité de sa construction , la ruine d'une partie du mur
entraînera promptement la ruine do reste de l'édifice. Le
phrourarque a fait tout ce qui était on lui pour en protéger
la conservation. Maintenant qu'on a déblayé par son ordre
beaucoup de décombres, on distingue parfaitement l'endroit
où finissait le palais du gouverneur impérial et où l'église
a été élevée. En enlevant sous les arcades du cloître deux
35.
414 GRÈCE CONTmETfT/ILe ET MOREE.
oa trois pieds de terre qui couvraient le pavé , dn d mis
aussi à décourert une pierre funéraire fort curieuse. Au
milieu est sculptée en bas-relief une épée romaine appuyée
sur sa pointe arrondie. Au bas sont deux lidfis coacbés
dans un sens opposé, avec la tête relevée du côté des bords
de la pierre. Du corps de chacun des lions sort un cyprèSi
et au-dessus des deux cyprès sont deux paons avec la tête
tournée vers le pommeau de Fépée. Je laisse à rin^énieux
interprète des monuments symboliques » M. Lajard , l'ex-
plication de ce bas-relief, qui remonte à Tépoque romaine.
Les Turcs avaient aussi badigeonné Tintérieur de Cette
église , et, en la faisant laver , on a mis à découvert qbel-
ques fragments de Tancienne peinture byzantine. Les létes
sont itieiUeures et plus expressives que celles qu*on reo-^
contre dans les églises grecques , mais d*un style fort infé«
rieur à celui des tableaux que j^ai déjà décritSi
La forteresse se compose de deux parties bien diltino-'
tes : la partie inférieure , tournée du côté de la ville et au
midi , qui est vénitienne , et U parte supérieure , placée
du côté du pont et du continent de Morée , qui mé seinble
remonter à Tépoque de Guillaume de Yille-Hardotii. Le inilr
d^enceinte intérieur est conservé en entier à plus ou moins
de hauteur, depuis une tour rbnde de l'esplanade, abattue
en entier et remplacée au temps des Turcs par un moulin
à vent , jusqu'aux ruihes de plusieurs totirs caiTées qdi
dominent la partie la plus haute du précipice;
La' chaleur de là journée était exlrêlne : j'avais vu à Mo*
nembasie tout ce que je voulais y voir des restes fralncs 4
grecs j vénitiens et turcs, et j'avais copie de ëes chartes
importantes ; j'espérais trouver plus de comfort et plus de
fraîcheur à bord de mon bâtiment , j'allai donc reprendre
ma yole^ qui m'attendait près du pont» et regagnai ma ca-
nonnière. A peine avious-nôus tourné la montagne rocheuse
de Monembasie que le vent du nord commença à soufflpr
avbc fbree et b nlonafccr de nous repousser vers le cap Ma-
lée; Nous n'eûmeS que le temps de chercher un abri dans
éPlDAVROS'LIHeitf. 415
le f>ort d'ÉpîdaTros-Limeri , que je voulais tisilér aussi.
J*aTaîs même pria la précaution d'aoïeoer avec mol uq
guide de Rtonembasio. Je me fis débarc^tier près d'une
source [dacée au milieu des rocbers « et le bâtiment alla
8*abriter contre ce terrible vent du nord dcrHère un petit
cap surmonté d'une tour carrée Ténitienne à créneaux et
opposé à la montagne de Monembasie* Entre ce petit cap
et le grand cap Limenaria on trouve une quantité dé grot-
tes et de cavernes.
Les ruines de Tantiqbe Épidavros-Limeri Se trouvent
au-desâus du port fermé par ces deux caps. £n montaiU
de la source à l'emplacement de la ville antique i on ren-
contre au milied des rochers une sorte d'étang désigné par
Pausanias sous le nom d'étang dlno. Mon guide monem-
basiote me dit que l'opinion des gens du pays est qu'on n'en
peat trouver le fond. La ville antique, placée en amphi-
théâtre au-dessus, est connue sous le nom d'ancienne Mo-
nembasie. L'emplacemedi; éh était certainement mieux
choisi que celui de la nouvelle ; elle recevait le vent de la
haute tiier paf l'ôiivertUrè dt?É thtotagif^d bfl àe trohte le
pont de la Malvoisie actuelle i et n'était pas, comme la
Malvoisie moderne , exposée à tous les feux du soleil du
midi. Son port était parfaitement abrité contre les vents
du nord , ainsi que je pus m'en convaincre : car jamais ce
vent ne se déchaîna avec une telle fureuri et mon bâti-
ment resta fort paisible; les eaux du port n'en furent
même pas violemment agitées; Les murs d'enceihte de la
ville antique sont, comme ceux de Tirynthe , distribués en
assises régulières composées de blocs irréguliers joints aux
rochers; Çà et là i le long des murs , étaient distribuées
de petites tours carrées ; dans deux ou trois parties de la
montagne on remarque des degrés taillés dans le roc et
conduisant à plusieurs plateaux sur lesquels existaient
probablement des temples. D'autres degrés, assez bien
conservés, étaient taillés dans une partie de l'aciKpoIis
qui eondoit à un rocher. On troave aussi dans oette en-
416 GBÈCB CONTlflSlIiTALB ET MORBB.
ceinte des citernes qui semblent de construction romaine,
et les restes des conduits qui distribuaient dans différentes
parties de la ?iUe l'eau de ces citernes.
Le vent «'étant un peu abattu au coucher du soleil, nous
pensâmes qu'il nous serait possible d'entrer dans le golfe
de NaupHe et nous levâmes l'ancre ; mais nos espérances
furent déçues : pendant deux jours et deux nuits nous fû-
nues ballottés par un vent furieux et assaillis ensuite près
de Spetzia par une violente tempête. Mais le capitaine était
expérimenté, le bâtiment était bon; malgré la lourdeur
de nos canons nous tinmes la mer, et, sur la fin du troi-
sième jour, je rentrai à Nauplie charmé de mon excur-
sion , de mes ballades , de mes vieilles chartes et de mes
souvenirs.
XXII.
MYLL -^LERNE. — MOUKHLL — TRIPOLITZA. —
NIGLI.
Il ne faut pas croire , comme on le lit dans les rapports
officiels du gouvernement grec, qu'il y ail une route car-
rossable de Nauplie à Tripolitza. D'abord , de Nauplie à
Myli il n'y a pas de route du tout; et, en tournant le
long de la pointe du golfe de Nauplie , on est presque con*
stamment obligé de se faire voie dans la mer. Ces rives sa-
blonneuses sont extrêmement basses , et te flot s'étend de
manière à former çà et là de petits marais ; de telle sorte
que le chemin le plus uni à suivre est celui qui est con«
stamment recouvert d'eau. My\i est un petit village bâti à
une lieue et denûe de Nauplie près des anciens marais de
Lerne. Ce village est dominé par une colline sur laquelle
se trouvent les ruines d'un vieux château franc, qui n'est
connu dans le pays que sous le nom de Castro de Lerne;
LERNE ET HOUILHLI. 417
il faut environ trois quarts d*heure pour y monter : on jouit
de là d*une belle vue du golfe de Nauplie , de sa plaine et
de son enceinte de montagnes. Ce château avait une triple
enceinte dont on retrouve encore de nombreux vestiges ,
car partout ses murs sont conservés hors de terre. La se-
conde enceinte était défendue par six tours carrées distri-
buées autour des murailles , et en bonne partie conservées. ^
Au milieu de ces six tours se trouvait une vaste tour carrée
à plusieurs étages ; dans celte dernière enceinte intérieure
était une grande citerne bien conservée : quant à Tenceinte
extérieure, qut était fort considérable, on en retrouve de
nombreux vestiges entre les rochers dont elle suivait la
crête. Au bas de ce château est le célèbre marais de Lerne;
Une source qui sort des rochers entre avec vivacité dans
ce marais couvert d*herbes hautes et très-épaisses; c*est là
que se tenait Thydre de Lerne , et , à quelques pas de là ,
on vous montre le trou laissé par Plnton au moment où il
entra dans les enfers avec Proserpine. Tous les monti-
cules sont ici couverts de restes de constructions fran-
ques. A dix minutes d'une tour de vigie vénitienne près du
rivage et sur une colline fort rocailleuse , sont les ruines
d*un château franc dont 4es murs de circonvallation sui-
vaient les courbures du rocher ; les tours sont toutes ren-
versées. Quoique peu considérable , ce château était assez
fort par sa position.
Mais bientôt les ruines byzantines succèdent aux ruines
franques ; quand on a franchi la plaine d*Âkhlado-Gampo
on se trouve en présence d'une des plus grandes villes de
la Morée sous la domination grecque , la ville de Palœo-
Moukbli. Cette ville était encore importante au temps de la
domination franque. G. Phrantzi raconte qu'en Tan iU5S
elle fut livrée par son commandant, Matthieu Asan, beau-
frère de Démétrius Comnène , à iMahomet II ; et l'occupa-
tion de ftloukhli cette même année est attestée par la petite
Chronique , à la suite de J. Ducas. La route de Nauplie à
Tripolitza passe au pied de la montagne sur le penchant
4 là GRÈCE CONTIIVENTALE ET BIORÉB.
de laquelle |était bâtie Moulchli du côté de la gorge c[tii èsl
le plus adouci et nou du côté dé la vallée d'Âkhiado-Cauipo,
où la montagne se termide eU pente abrupte, ie dësbendis
de cheral auprès d*une fontaîtie abondante et m'aTaoçai &
travers les terrains cultivés dé ces revers de montagne jus-
qu'aux ruines de la ville. Elles sont considérables. Les
Grecs du pays, quand ils veulent donner l'idée d'une
grande ville , disent qu'elle possédait trois cent soixante-
dix églises. Ce nombre est foil exagéré sans doute qtiand
on parie de Moukhli, mais on y retrouve encore des ruines
qui donnent l'idée d'une ville de vingt à vitigt-ciiiq tiQtlIe
habitants et les églises sotit en proportion avec cette po-
pulation supposée. Une de ces églises est conservée de là
manière la plus pittoresque, le toit seul et h partie des
miirs de côté qui soutienUëftt le toit sont écrotilés ; îfiaisles
larges portiques , les arcades élevées , sans parler du grand
dôme et les deux petits dômei^ de côté, se tiennent encore
debout. Son style diffère de celui deS autres bâtiments dé
Palœo-Moukhli , elle est toute bâtie de briques et la forme
en el^t parfaitement bylantine; tandis qtië les murailles des
autres bâtitnents^ églises et tôtirs, sont en pierre noife, et
que les murailles de la forterel^se oiit été , coinnid celles
d'Aiigëlo-Gastro, bâties en petites pierres sèches et cottune
fi la hâte. Cette forteresse, qui était thés-considérable, do-
mine tout le haut de la montagne. La ville s'étendait de^
puis le milietl de la montagne jusqu'à la crête; Oti pedt en-
core suivre isilr le Versant les traces des tnurs d'enceinte et
â l'intérieur de ces murs on rencontre d'étage en étage une
notnbreuse suite de rues , de maisons et d'églides dvec one
ghaUde quantité de citernes distribuées partout. Âti bës de
cette enceinte les tert'es sont cultivées; tnais paHoutia
terre est recouverte de fNgitients considérables dé tuiles qui
montrent que là existaient aussi des habitations : Moukhii
était un point fbrt îtnportant^ puisqu'il commandait le pas-
sage étroit de la route de Nd(»plie en Lacdniet en Ar(uidie'
et en Messénie.
£q sortanl; de la gqrge dq mont Parthénius , i peu de
dUtaoc^ de Palceo-Moukhli, on débouche dans une belle et
Taste plaine , )a plaine de Tripplitza. Cette ville , formée
vers 1770 des 4ébris des trois cités antiques de Pallantium,
Tégée et IVJantinée , était devenue le centre de Fadminis-
tration turque en Morée. Une forteresse importante lapro-
tcgiBait f et tou3 les défilés oi| dcrvends qui conduisent à
cette belle plaine sont étroits et faciles à défendre. Tripo-
litza n*o(rrc plus aMJoqrd'bui qu*un a^pas confus de ruiner
d*Q(î sortent çà et là quelques maisons toutes neuves. Prise
le 5 octobre J321 par les Grecs, elle fut reprise par Ibra-
him , et complètement détruite dans ces deux attaques.
Depuis qu'un g[ouvernenient régulier a été établi dans le
pays , Tripoljtza chercbe à reprendre peu à peu sa place.
Les habitants de TripoIit2;a sont actifs et laborieux ; sem-
blables au Lucqpois , aux habitants de CenQ-Valli dans le
Tésin, au]^ Auvergnats , ils quittent leur pay^ pour se por-:
ter à Athènes et dans d*antres parties de la Grèce, ^fin d'y
utiliser .leur travail » et reviennent ei|si|jte , quapd ils oqt
amassé quelques éponotpies , s'établir dans leur ville na-
tale. Le bazar de Tripolitza offre un grand mouvement. On
y ypit surtout beaucoup d'ouvrages ^n îo.y-}p]mc et en
(juinc^illerie ^ l'usage grec.
Je ne reliai qu'un jour à Tripolitza et me bâtai dès le len-
depiainde na'acbemjner vers l'antique Tégée, que je désirais
sqrtout vojr parce que j'étais convaincu que c'était sur ce
mêm0 eq)placement qu'existait une des villes les plus im^
portantes de la Morée au moyen âge : la ville de Nicli, dont
il est fait si fréquente mention dans la Chronique grecqi^e
de la conquête de la Mpréc par les Francs, pu une heure
et d^uaie d'un trot facile en plaine, j'arriyai ^ Palœo-Épi-
scopi \ l'antique Tégée , et la Nicli de la Chronique. Ses
murs d'encejnte , fabriqués de petites pierres unies avec
du ciment , s'élèvent presque partout k une dizaine de
pieds de hauteur sur six d'épiaisseur , et tout |e long on
voit encore des restes de tours et de fortifications. La route
420 GRÈCE CONTINENtALE ET ItOEEE.
de Nauplie à Sparte par Palœo- Monkhii passait à côté des mars
de Nicii sans toucher à Tripolitza , qui n'existait pas en-
core. Cette ville , qui a été fort considérable , devait être
très-agréable à habiter. Une église , probablement la ca«
thédrale , subsiste encore , et elle m*a paru fort différente
des autres églises grecques. Elle est composée d*un dôme
centrai et de quatre petits dômes placés autour de ce grand
dôme. Les murs sont bâtis en briques. Je crois qu'elle a
été bâtie sur les ruines d'un temple antique ; car les assises
inférieures, surlout sur le derrière de l'église , sont tout à
fait antiques, et partout les fragments de bas-reliefs et de
colonnes de marbre sont mêlés dans les constructions su-
périeures à celles des grandes pierres helléniques qu'on a
relevées. En dehors de l'église je vis , gisant par terre, un
grand fragment de bas-relief qui représentait une tête fort
endommagée et une moitié de corps drapée de grandeur na-
turelle. Ce bas-relief provenait sans doute d'un ancien
tombeau. En visitant d'autres-églises des environs , comme
celles d'Hagios-Sostis et de Piali , par exemple, je vis
qu'elles étaient toutes composées de fragments de marbres
antiques.
La route qui mène de Palœo-Ëpiscopi à Sparte suit, jus^
qu'au village de Kryo-Vrysi , le lit du Saranda-Potamos »
souvent desséché , et elle est encaissée entre deux rangs de
rochers. Kryo-Vrysi a pris son nom d'une fontaine dont les
eaux excellentes, qui ont toujours conservé la même abon-
dance , découlent d'un petit monument composé de frag-
ments anciens. C'est dans ce lieu, appelé Symbolia , que
se réunissent divers courants qui tombent dans le Saranda-
Potamos. Le voyageur anglais Leake pense que cette fon-
taine est la source que Pausanias appelle celle de l'Alphée.
Tout en face la fontaine sont dispersées sur la montape
les ruines d'une forteresse du moyen âge qui était fort
bien placée pour dominer tout le pays.
En sortant de Kryo-Vrysi la route suit la pente d'une
montagne. Parvenu au sommet on découvre un pays d'an
Ç'.l-»»
L'VCONIE. 421
tout autre aspect; c*es une longue plaine très-fer-
tile, très-bien plantée et Irès-bien cultivée , nommée la
plaine d'Ârachova. Ces belles campagnes de la Laconie
étaient animées par quelques villages semés çà et là et
par un grand nombre de cultivateurs qui se livraient
dans tous les champs aux travaux de la saison. J*avais un
plaisir extrême à parcourir celte riche vallée ceinte de
montagnes verdoyantes. Je laissai bien loin derrière moi
mon guide et me mis à galoper avec un véritable enivre-
ment de bonheur. Après quatre heures de cette course
rapide j'arrivai à la montagne et entrai dans de jolis bois
qui en revêtent les flancs. Le murmure d'une fontaine
nous attira moi et mon cheval. Deux pallicares parés plutôt
qu'armés de couteaux et de pistolets, comme le sont tous
les paysans grecs, étaient arrivés avant moi dans cette place
étroite à travers le bosquet. En attendant qu'ils eus-
sent abreuvés leurs chevaux , je descendis , attachai mon
cheval à l'ombre et cherchai à côté un endroit bien abrité
pour m'y reposer au frais. En écartant les rameaux
pour me frayer une voie dans un endroit qui me parais-
sait excellent, j'aperçus un homme assis sur le gazon
avec une expression d'attention et tenant son fusil debout
entre ses jambes et tout armé. Je lui demandai ce qii'il
faisait ainsi caché; il me répondit qu'il était un defi
gardes municipaux de la caserne voisine , qu'il était là
en service comme l'étaient deux autres de ses camarades
dans d'autres endroits du fourré, et qu'ils guettaient deux
voleurs cachés dans les bols entre ce lieu et Yourlia. Peu
de jours auparavant un dimarque avait été arrêté à ce
même endroit isolé par les deux bandits, qui lui avaient
enlevé une dizaine de colonnades. L'idée me vint que les
deux pallicares que j'avais rencontrés pourraient bien être
les deux kle[ihtes qu'il cherchait et je lui montrai leur figure
et leur tournure, qu'il reconnut en effet comme celle de ses
hommes; il se mit sur-le-champ en marche de ce côté , mais
déjà ils avaient disparu. Ce que me disaitle garde municipal
36
422 CU3CB csssmurrALC et moreb.
ricîfia fvt BU frimilr Je B*a¥aîs pas encore rencontré
et \<m'vn tm Grèce , cv nu décoaTcrte des deux pallica-
r» ^k£i»»£s se pcniait cxmpter. J'élais d'ailleurs pré-
paré *■ mÀMS. p:<ir ose rencontre de ce genre. J'étais
■nB)è ar na scîie anglaise et ne portais par consé-
q^fst awnn e(M cie voyage arec moi ; tout était resté ,
ùbî q^e i:i«s cheranx de snite , ayec mes agoiates, qui
êcaxtt à puâiews Ikoes de distance et qui, infonnés
aK «ixite de b présence des Tolears , avaient eu soin de
se j.ÎAire à one caravaDe de marchands de Mistra trop
pradents poor saventorer sans escorte. Il aurait été
difficile de ne pmdre autre chose qoe quelques écus , et
estore n'êtaMat>îb pas très-iaciles à prendre; car les
Orienuox, qoi ne tirent jamab qa'en appuyant leurs armes
sur nn oh}H en repos , sont fort peu rassurés en présence
d^nn pê:aSet entre les mains d'un Franc , qui , comme ils
le savent , tire sur un objet en mooTement sans avoir be-
soin d^appoyer s^^ arme. La chance d'nne scène aussi
noQTeile pour moi méritait bien qae je Toulusse la braver.
Je rafraîchis donc mon cheval à b fontaine , le sellai bien
et me hàiaî de me jeter dans ces sentiers boisés et mon-
tagneux. J*eos le désappointement de ne rencontrer per-
sonne, et j'arrivai sans encombre an khaoi de Vourlia situé
sor le versant d'nne montagne au-dessus de laquelle sont
ks ruines de Tancienne forteresse de Sellasia transformée
au moyen âge en 'forteresse gothique. C'est un passage
fort important à garder. De là se découvrent toute la riche
vallée de Tforotas et toute la chaîne imposante du Tay-
gète. La chaîne du Taygète ou Malevo est d'un effet ad-
mirable par sa continuité et le rapprochement de ses pics
aux formes les plus variées. Je restai là plusieurs heures
dans one véritable admiration, seul mets dont j'étais des-
tiné à me repaître ; car, lorsque mes guides arrivèrent, je
trouvai mes provisions gâtées par la chaleur de la jour-
née , mon pain durci de manière à être immangeable sans
■«mper dans Tcao, et mon vin tourné et aigri. Le
VALLEE DE L^ECIROTAS. 4^3
khani de Vourlîa n'avait à m'olfrir que les oignons crus de
son jardin. A quatre heures je montai à cheval pour des-
cendre la montagne de Yourlia. ta vue est véritablement
fort belle. De ce côlé la campagne est d'une richesse ex-
trême; les figuiers, les mûriers, les citronnier^, les oran-
gers, les oliviers y abondeul. L'olivier de la Lacédémonie
paraît un arbre tout différent de Tolivicr de l'Âttique :
ses feuilles sont vertes et luisantes et sa hauteur comme
son ampleur sont plus considérables. Je m'arrêtais de
temps en temps en extase contemplant cette belle vallée
de l'Ëurotas et ces belles montagnes. Devant moi, sur une
chaîne appelée le Penledactyli , apparaissait le château de
Mistra, bâti par mon compatriote Guillaume de Ville-Har-
doin ; sous mes yeux se développait la place où était autre-
fois Sparte , et ce fleuve que je voyais c'était l'Ëurotas. Je
traversai l'Ëurotas sur un pont fort élevé et descendis au
bas de cette rive, gracieusement revêtue d'herbes épaisses,
de fleurs et d'arbrisseaux , pour boire dans mes mains
les eaux de l'Ëurotas , qui coule paisiblement entre des
haies touffues de lauriers-roses, de narcisses et de lis bteus;
Quand on est arrivé au pied des premiers contreforts du
Taygète, la route se divise. D*un côté on va à Mistra , for-
teresse franque devenue forteresse turque, sur la montagne;
de l'autre on va à l'antique Sparte , située dans la plaitie et
que j'apercevais de loin : car une petite ville nouvelle a ré-
cemment commencé près de l'emplacement antique. Je
passai donc aii pied d'une tour carrée placée sur le pen-
chant d'une colline , traversai des champs d'oliviers , des
vergers, des cours d*eau et de véritables jardins; passai au
pied de la Lacédémorie byzantine, qui avait remplacé l'a-
cropolis de Sparte; longeai les restes du théâtre; retnarquai
en passant des débris de colonnes des temps antiques, et ar-
rivai dans la Sparte nouvelle.
424 gbècb continentale et morée.
XXIÏI.
SPARTE. — LACÉDÊMONIA. — MISTRA.— AMYGLÉE.
Il y a en réalité trois villes de Sparte : la Sparte antique,
la Lacédémonia du moyen âge et la Mistra de Yille-Har-
doin ; fort distinctes l'une de l'autre par leur existence
bislorique comme par leur emplacement, mais qui ont
souvent été confondues dans un même nom. La Sparte
antique était placée dans la plaine où sont les quelques mai-
sons qui composent la Sparte moderne, et s'étendait jus-
qu'aux collines auxquelles sont adossés les restes de l'am-
philhéâtre. La Lacédémonia du moyen âge comprenait
les quatre collines seulement de l'Eurotas réunies et clo-
ses par un mur d'enceinte. La Mistra des Francs était à
une lieue de là, adossée au Taygète ; et , comme dans ces
temps de trouble toute la population abandonnait les plaines
pour se réfugier dans les montagnes sous la garde des
forteresses , le nouveau fort de Mistra fut connu à son tour
sous le nom de Sparte et est souvent désigné ainsi par l'his-
torien Georges Phrantzi.
La Sparte actuelle est une création qui ne date que de
fort peu d'années. Il n'existait plus qu'une seule masure
sur ce terrain consacré lorsqu'on ordonna une ville. Quel-
ques maisons sont déjà élevées , mais il n'y a pas encore
de rues. Cependant c'est la capitale de la province et je
descendis chez le gouverneur M. Latris, homme fort lettré.
La température était d'une chaleur excessive, 33 degrés de
Réaumfur. Dès cinq heures du matin on a déjà la tem-
pérature la plus haute de la journée ; et cependant cette
riche plaine est si bien arrosée par l'turotas et par deux
petites rivières que l'herbe y était parfaitement verte. Les
maïs , les vignes étaient aussi verdoyants que le sont les
prairies de Normandie au printemps. Les mûriers qui cou-
SPARTE. 425
vrent cette plaine aTaient déjà pris leur seconde feuille. Les
hommes sont les seuls êtres vivants dans cette belle plaine
qui semblent souffrir de la chaleur , et ils n'ont aucune
prévoyance pour s*en garantir. Leurs maisons, construites
à rallemande , avec beaucoup de fentes et des murs très-
légers, sont de véritables étuves; il n*y a pas de portiques
sous lesquels on puisse se mettre à couvert : et, bien qu'une
neige abondante blanchisse les pics du Taygète et revêle
tous ses flancs et qu'il suffise de huit heures pour arriver
à cette glace, on n'en envoie pas chercher, et le conseil de
la ville n'a pas songé à avoir une glacière.
Malgré cette extrême chaleur, j'allai visiter la magna-
nerie et la ûlature de soie que l'on vient de fonder. La
filature pourrait contenir trois cents ouvriers, mais je n'ai
aperçu qu'une trentaine d'hommes et quelques femmçs;
tous ouvriers italiens, venus pour redonner les leçons qu'au
douzième siècle l'Italie reçut elle-même de la Grèce
lorsque le Normand Roger transporta les vers à soie et les
manufactures de soie de Corinthe en Sicile. La magnanerie
ne peut guère produire qu'une trentaine de livres de soie,
mais chaque paysan a l'habitude d'élever des vers à soie.
Les femmes les font éclore en les laissant sur leur poitrine.
Les nombreux mûriers du pays servent à leur alimentation;
et les propriétaires viennent ensuite vendre leurs cocons à
la magnanerie, qui les fait filer. La' production de la soie a
fait depuis quelques années beaucoup de progrès dans ce
pays; ou fait plus et mieux, et le prix de la soie de Lacé«
démone a presque doublé sur le marché de Lyon.
Un vandale français, M. de Fourmont, se vanle, dans ses
lettres à M. de iMaurepas, d'avoir complètement anéanti la
Sparte antique : « Je l'ai fait non pas abattre , écrivait-il
» au ministre , mais raser de fond en comble; il n'y a plus
» de cette grande ville une pierre sur une autre. Depuis
» plus de trente jours , trente et quelquefois soixante
» ouvriers abattent , détruisent , exterminent la ville de
■ Sparte... Si, en renversant ses murs et ses temples; si,
3C.
4 20 GBÈCE contikeiitAle et morÉe.
n en m laissant pas unis pierre i^ur une abtre atit)lQ9 petit
» de ses sacelium son lien sera dans la doitë ignoré i j'ai
» au moins de quoi le faire i^econnaître , et e*est quelque
» chose. Je n'avais que ce moyen de rendre mon voyage
9 illustre I •
Cette exclamation est assurément digne d'un autre
Érostrate. Mais le mépris et le dégoût succèdent à la baine
contre un tel homme quand on voit que* ce) vandaHsme
n'était qu'une fahfaroonade de barbarie. Fourmont ti'avait
pas soixante ouvriers pendant trente joars , et ses soixante
ouvriers, qui ne connaissaient Ai le pic ni la pioche, avaient
fait peu contre des murs helléniques dont un attelage de
bhevaux ne pourrait remuer une assise. Aussi retrouve-t-on
encore sur place plusieurs de ces monuments que le temps
beul ne fiuffit pas pour détruire.
Je me dirigeai d'abord vers les collines «tuées près de
TEurotas et le long desquelles en arrivant j'avais aperçu
quelques restés de constructions. De ces quatre collines
qui se joignent, la plus élevée est celle qui s'avance par une
pente abrupte jusqu'à la t*oute actuelle de Trlpolitxa. Le
long de la troisième et de la quatrième » du côté de l'Eu-
rotas et sous les soubassements de la muraille byzândne
qui enceint ces quatre collines, sont les fondements de
quatre temples antiques, dont trois sur la troisième colline<
Ce sont , comme presque toujours , de vastes pierres qua-
drilatères, il quelques pas au-dessous de ces temples,* sur
lesquels était appuyée la muraille byzantine» je remarquai
une inscription grecque en belles lettres un peu cassées
sur une pierre de six pieds Sur huit. Les dix lignes i que je
copiai, étaient gravées d'une manière fort lisible. Une autre
pierre, située quelques pas plus haut , près des soubasse-
ments d'un autre temple, porte aussi une inscription de la
même époque ; mais les lettres en sont si effacées (|u'il
m'a été impossible de la lire. Dans riuiérleur de oe mur
d'encdnte, on aperçoit les ruines do plusieurs églises; et
sur led murs de ces églises, comme sur ceux des lortifita-
$t»ARTE. 427
lions, des colonhcs ahliqucs coupéi^scn morceaux ou déta-
chées par assises dé (Quelque édifice voisin apparaissent en
tout seiis, tantôt dans la largeur du mur et tantôt dâtis sa
profondeiir. Ati bas de la plus haute colline sont les rester
d*un ancien édifice public et d'une église qui offrent Uri
gtand nombre de traces de semblables mdtilatibn^. L'am-
phithéâtre de Tantique SpàHe eist adossé à cette même mon-
tagne i h côtlcavité de l'hémicycle tbufriéé fers la ville:
Léd gl*aild8 biurs d'appui des deux côtés sont cbti^ervés
jasqile sur le haut ainsi que les graditis du théâtre.
J'ëtëtidiâ mori ëtcUb^ion ati delà de l'ahlphithéâtre, par-
tout oQ il me i^ëmblait poUtoir reitrouver des restés aoti-
qUel Une petite église d'apparence fort aticiettne ftdûllfelit
|[}tiélq(lëlS débris^ réunis dans leâ champs Voisinsi à itiesUrè
Qu'on les rëtt-ouve ; car les Otets actuels nlbfttreht partent
un grâtid respect pour lés rel^te^ helléniques, et, ûiie fois
qu'ils sont réUhis dand Téglisë la plus i*ainée , ils DOnt \k ,
ftous la foi de la piété publique , plus en sûreté qu'ils ne
teràiënt che2 lions dans le musée le mieux gardé. Parmi
êëâ débris , Uri gtând fragment de statue drapée de gi^an-
deùr naturelle, mais dâtïà têie et sans pieds, m'a semblé
d'un assez beau style. Oii à fait placer ; dans une grande
pièce de la maison du gouverneur LatriS , quelques autres
fragments dé têtes^ bitstes , inscriptidnà» pour commencer
un musée. Une statuette de Mercure, ëti marbre blanc, de
deux pieds de hattt, est Un fort joli morceau ; il n'y manque
qu'une main et les deux pieds. De UdmbreUt fragments ont
été sans doute employés à la construëtiod des ponts et peut-
être à celle du théâtre; mais^ comme aUt:;Une ville moderne
U'aVait été construite dans cette plaine avant la Sparte nou-
velle, on doit retrouver encore beaucoup de restes dans ses
aiterrissemems : c'est encore là Une terre vierge à exploiter.
Entité les collines et la viUe moderne est un monument en
pierres quadrilatères. Les traditions populaires le donnent
comme étant le tombeau de Léonidas, dont le corps fut ap-
porté Il Sparte après sa mort aux Thermopyles. C'est une
428 gbÈcb continentale et HOEÉE.
sorte d*béroûin. Il n'en existe plus que les murailles tout
unies, qui n'annoncent pas la forme d*un temple. De là je
traversai des champs d'oliviers et de mûriers pour redes*
cendre vers les bords de TEurotas, afm d'y voir ua tom-
beau que les mêmes traditions populaires donnent cooiine
celui du roi Agis. C'est là une promenade délicieuse.
L'Eurotas coulait sans doute autrefois le long d'une sorte
de circonvaliation naturelle dont il est éloigné aujourd'hui
de quelques centaines de pas, et les terrains qu'il a
abandonnés ont formé des terres grasses fort bien culti-
vées. A l'extrémité de ce tertre, près d'une plantation de
beaux peupliers qui s'étend jusqu'à l'Ëurotas dans l'en-
droit où il se rapproche de la rivière de Magoula, qui ar-
rive de son côté pour se réunir à lui , on aperçoit un
tombeau creusé dans une sorte de pierre rougeâtre. Le
couvercle en a été enlevé , brisé et jeté à quelques pas ;
c'est peut-être là un des exploits dont se vante Fourmont.
On y voit une^ statue en haut-relief drapée et un peu plus
forte que la grandeur naturelle. On n'aperçoit plus que le
pied , la jambe et le tour du corps de celui qu'on dit être
le roi Agis, le haut-relief a été creusé ou brisé dans sa par-
tie saillante. Le tout paraît plutôt des temps romains.
Ce lieu, gracieusement planté de peupliers s'avançant en
9ng1e arrondi à l'extrémité jusqu'au confluent des deux ri-
vières , m'a semblé répondre tout à fait à la situation du
célèbre Platanistas, où luttaient ensemble les jeunes gens
et les jeunes filles de Sparte.
Dans la soirée M. Latris, gouverneur jde Sparte, et moi
nous allâmes visiter, au sud de la ville actuelle, une colline
sur laquelle se trouvent aussi des restes antiques. On a de
là une fort belle vue de la vallée de l'Ëurotas. Elle n'est
qu'à un quart de lieue de la ville, et en la plantant on pour-
rait faire un lieu de promenade agréable pour une ville où
il serait nécessaire de pouvoir trouver quelques lieux un
\yeu ombragés.
Dans le cours de mes excursions à la poursuite de Fan-
f r
LAGEDEMONIÀ. 4^9
tique, je me rendis, à cheval, jusqu'à l'antique Amyclée,
aujourd'hui Sclavo-Chorio, le village des Slaves, à une lieue
de Sparte, dans la plaine. Malgré toutes mes recherches,
je ne pus trouver que quelques colonnes brisées et deux
restes de temples antiques servant de soubassement à des
églises. Là, ainsi qu'à Sparte, je me fis apporter toutes les
vieilles monnaies que possédaient les paysans. Elles sont en
général de l'époque byzantine. J'en trouvai cependant
plusieurs en cuivre des temps helléniques et de Sparte
même et plusieurs autres des princes français de la fa-
mille Ville-Hardoin , qu'on ne dédaignera plus désormais,
je l'espère , comme on les avait dédaignées jusqu'ici faute
de les connaître.
La Lacédémonia byzantine occupait les quatre collines
que j'ai mentionnées plus haut , à une lieue de la Sparte
actuelle et près de TEurotas. « Lacédémonia , dit la Chro-
nique de !VloréeS était une grande ville bien garnie de
tours et de murailles ^ fabriquées de chaux. Les habitants
s'étaient vigoureusement fortifiés, avec la ferme résolution
de ne pas se rendre. Pendant cinq jours les Français tour-
nèrent jour et nuit en combattant sans interruption autour
de la place , et ils dressèrent les trébuchets qu'ils avaient
amenés de Nicli. Enfin, après un grand carnage et la des-
truction des tours , la ville , cédant à la force , capitula et
obtint, par une convention gaiantie sous serment, que les
habitants conserveraient leurs propriétés et leurs privi*
léges. »
L'emplacement de Lacédémonia est fort reconnaissable.
Les murs de cette ville forte, construits de ciment, se con-
tinuent sans interruption autour des quatre collines ; quel*
ques tours en ruines s'y remarquent d'espace à autre. Dans
l'intérieur , des débris de plusieurs églises annoncent son
ancienne splendeur; et l'espace marqué par les murs d'en-
ceinte indique qu'une population de vingt à vingt-cinq
^ p. 51 de mon éiiit. à deux, colonnes.
2 C'était une des doaze places fortes de la Morée.
430 GRÈCE CONTINENTALE ET MOREB.
mille habitants pouvait y trotivcr place. Elle ne paraît pas
8*ê!re jamais bien relevée depuis la conquête franque.
C'est de cette dernière époque que date la construction
d'une troisième ville qui est ilientionnée, par G. Phratitzi,
sous le nom de Sparte \ et dont le véritable nom est Rie-
zitbra ' suivant les Grecs , et Mistra suivant les Francs ;
et, sur ce point , je suis assez de l'avis des Francs, qui en
étaient les fondateurs. Le chroniqueur grec de la princi-
pauté française de Morée raconte ' que , pendant le séjour
du prince Guillaume de Ville-Hardoin dans ces parages, il
trouva, à une lieue de Lacédémonia, un petit monticule si-
tué d'une manière pittoresque au-dessous d'une plus haute
montagne. Cette situation , ajoute-t-il, lui parut convena-
ble pour y placer un fort. Il en fit en effet constMiirë un
sur cette montagne, et lui donna le tiom de Mezithrâ, qa^il
porte encore aujourd'hui, tl en fit une belle place et un
fort des plus imprenables.
Le sentier qui conduit de Imparte à IViistra conduit à tra-
vers des vergers de mûriers et d'oliviers , et traverse plu-
sieurs cours d'eau. Au village de Magouta , placé sur la
route, je visitai en passant, près d'un moulin , utie vieille
église dont une partie a été entraînée par là rivière de Ma-
*■ Lorsque G. PhiUûtzi metttloti6e la cession que fit OUillaume de
Ville-Hardoin, en 1963^ à Michel Paléologue des trois places de
Monembasie, de Maina et de Mistra pour sa rançon, il donne à cette
dernière le nom de Sparte, xat rr^v Aaxft>vtx:^v Iràp'nîv (p. t7).
Lorsqu'il mentionne la vente faite à Rhodes parle despote Tliéodose,
en 1408, de son despotat de Mistra à Tordre de Saint-Jean-de*
Jérusalem , il Pappelle ta seigneurie de Sparte, ttspàcraç év t^ vofttù
pisià Tptrpsw; t;^v t^; iTràp'mç àpyriv insirbikr,x6i tt) à^«^^o*T>jTi
Toû TrpoçnToi» xal pa7rT!0"ToO Jwavvoi». (Pag. ôi.)
* Mezithrâ est une espèce de (Vomage caillé en tnrqaie. Mistra,
eti patois de France , signifie la maîtresse Tille. Éic f o fropoirtse
tOTtov OTTOu fftval Yi x^P°^ Trpoovopiafr^eto'a McÇtij^pâ; , ô »6»
«a^ouf*«va; MtffrpcZç. (Manuscrit de rarchevêqne de Laoédémone.)
' Page 73.
MISTRA. 431
goqla, qui quelquefois Revient un torrent fougueux, mais
qui, au moment de ma visite , était si humble que je lais*-
sai là le pont et la passai à gué. Cette petite église, connue
S0U3 le nom de xo([Jt,r,(7i(; tyjç OeoToxou (Assoii)ption de la
Vierge), av^i^ un pavé en mosaïque, et le partex extérieur
était ouvert et orné de colonnes.
Depuis le départ des Turcs un faubourg assez considé-
rable ou plutôt une nouvelle ville de Mistra s'est formée
au pied de Tancienne ville, dont elle est séparée par la ri-
vière. Avec la sécurité est revenu le goût d'habiter dans
les plaines. Le nouveau bourg, appelé Parori ou £xo-Chori,
forme aujourd'hui une sorte de concurrence avec la nou-
velle Sparte.
Je traversai la rivière et arrivai dans la Mistra de Guil-
laume de Yille-Hardoin. Le monticule sur lequel elle est
bâtie est en effet placé au pied de la chaîne du Taygète.
Une gorge fort étroite , en pente fort rapide dans le fond,
et tout à fait abrupte du côté du mamelon de Mistra , la
sépare d'un autre mamelon. La ville se continue depuis la
rivière jusqu'en haut, divisée en trois parties : Kato-Chori,
le bourg d'en bas ; Mcso-Chori , le bourg du milieu , et le
Castro, toutà fait au-dessus de la montagne : mais la partie in-
férieure de la ville est la seule habitée, le reste ayant été aban-
donné après la révolte des iVlaînotes et les ravages des Alba-
nais. Ce ne sont partout que maisons et églises en ruines.
A une assez grande hauteur est situé le monastère de
ZojoSoxou TT^YT] (Mère du Sauveur), que j'avais si vaine-
ment recherché à Sparte même; trompé par G. Phrantzi,
qui nomme ainsi Mistra par affection pour l'antiquité clas-
sique. Je tenais à visiter le tombeau de 'fhéodora Tocco,
nièce du comte Charles Tocco de Céphalonic et fcimue de
Constantin Paléologue depuis empereur et le dernier de9
empereurs, et celiii de Çléophas Malatesta, femme du des-
pote Théodore son frère , qqi toutes deux y avaient été
enterrées. G. Phrantzi raconte que, la belle Théodore
Tocco étant morte à Saint-Omer (Santameri) en Morée,
432 GRECE CONTINEKTALE ET MOKEC.
près de Patras, en noTembre i/»30, au grand regret de
son mari et de toute sa maison , qui admirait sa parfaite
beauté, son corps fut d'abord transporté dans une des
églises de Clarentza, puis de là dans le monastère de Zoo-
docou à Sparte*; et que Cléopiias Malatesta y fut inhumée
aussi ' en lZi33.
Le monastère mentionné ici a été en partie ruiné ; mais
les tombeaux subsistent encore au milieu des ruines du
cloître, et sont connus comme tels dans les traditions du
pays. I/église, appelée Paiitauasio, dooi rarchitecture est
toule latine, est conservée en eniicr. Au dessus du por-
tique s'élève une colonnade ou ver le comme les Loggic de
Florence , et à l'extrémité de la colonnade une tour de
forme byzantine. Le tout me paraît de trop bon goôl pour
avoir pu être construit h ré()oque franquc ; cela paraît plutôt
de l'époque vénitienne , c'est-à-dire de la fin du dix- sep-
tième siècle. Un peu au-dessous est la métropole, à laquelle
est adossée le palais archiépiscopal , qui sert aujourd'huf
d'habitation au curé, frère de l'archevêque actuel; ce
dernier était en visite chez son frère , et ils me firent,
avec la plus parfaite politesse , les honne'urs de la métro-
pole. Sur la porte d'entrée on lit que cette église a été bâ-
tie par l'archevêque Nicéphore , le premier des archevê-
ques du rit grec, qui prit possession de Misira après
l'abandon qui en fut fait, en 1263, par Guillaume de Ville-
Hardoin à Nicolas Paléologue pour prix de sa rançon. Sui-
vant les Annales des frères-mineurs de Wadding, le der-
nier des évêques latins de Wistra s'appelait Haymon et
fut transporté à l'évêché de Corou^ La série des arche-
* Kaî pteri raÛTa àv6xô^io>av auriv sic t?}v sv tt) Inioxr, tou
ZWO^OTOU fAOVYlV. (P. 154.)
* Kat hir^vi èv Tfi Zwo^OTOi» fxovY). (p. 158.)
' Wadding rapporte (t. 7 de ses Annales) une le! Ire de Nicolas llî,
en date da 18 août 129'?, qui recommande à Tévêque d'olène, aa
prieur des frères-piécheurs et au gardien des fi ères-mineurs de Cla-
ronfza, ut ITaymoncm, episcopum Lacedœmoniœ in Pcloponneso,
MISXRA. 433
Téqaes du rit grec, depuis cette époque, est donnée, avec
quelques extraits de la vie de chacun , dans un volume
manuscrit que possède Tarchevêque de Lacédémone Mêlé-
tius. Il voulut bien me le confier , ainsi qu'un autre ma-
nuscrit sur parchemin in-folio qui contenait un évangéliaire
du quinzième siècle, et il m'invita à prendre copie de son
Kôv^iS Upoç , contenant les vies de quelques-uns des mé-
tropolitains , ses prédécesseurs : ce que je fis. Ce sont d'a-
bord Micéphore, le premier après l'abandon de Mistra par
les Français en 1263, puis iVlatthieu et Luc, puis, après une
longue lacune, Nilus, Tbéodoret, Gennadius, Kyprianos,
Joseph, Gabriel et Auanias. Cet ouvrage trouvera sa place
dans la seconde partie de mes Nouvelles recherches.
L'église métropolitaine est assez vaste. Sur le mur ex-
térieur, adroite de l'église, sous une sorte de petit porche
ruiné , est une autre inscription gravée sur le marbre vers
la même époque que celle dont je viens de parler. A l'in-
térieur , sur cinq des colonnes de marbre , des deux côtés
de l'église , je remarquai également des inscriptions gravées
en caractères ecclésiastiques du haut en bas de l'église.
Sur Tune d'elles je lus la date de 6847 du monde ou 13^1
de J. -G. , et toutes me semblèrent contenir le dénombre-
ment des biens de toute nature possédés par l'archevêché
de Mistra ou Lacédémonia en différents lieux. L'évêque, k
ma demande , voulut bien donner des ordres pour que
l'on décalquât ces diverses inscriptions sur gros papier ,
d'après les moyens usités aujourd'hui et que je lui ensei-
gnai , et promit de me les faire passer à Athènes; ce sera
un monument authentique curieux de plus pour l'histoire
de celte époque à ajouter à ceux que fournit son manuscrit.
Je laissai mes chevaux parmi les ruines du couvent et
marchai vers le Castro. On arrive à une grande place qui
a dû être assez belle, et qui est connue dans le pays sous le
a Grœcis occupato, ad ecclesiam CoronenscnOy etiam in Pelopooneso
et Mesaeoift sitam, à capUularibiis postulattim , in e&dem auctoritate
apofttolicà admitti et à prioris ecclesiœ vinciilo absoWi carent,
37
434 GÙC8 CONTINKNTALB ET MOEEE.
nom de pilais de la Basilîssaponla (de la Princesse) . Pea t-étre
étaitH:e Ui en effet le palais des despotes de Alistra , qui
étaient toojoors de la famille impériale. Il but encore one
demi-beare pour arriver de là à la dme de la montagne
sor laquelle est oonstrait le castre, à 534 mètres an^essos
dn niveau de la mer. Les fortifications se composaient de
[4nsieurs lignes de mnrailks flanquées de tours. Une des
tours carrées se voit encore dans la partie la plus basse , sur
le versant à droite, et on retrouve d'intervalle à autre en
montant de grands restes de murailles de la construction
franque |MÎmitive , qui a dû être modifiée ensuite par les
despotes grecs de llislra , par le» Turcs et par les Vôni«
tiens. La partie supérieure, telle qu'elle existe aujour*»
d'bui, ne conserve plus que quelques restes du mur ancien
et des chemins de ronde ; le reste est de construction assez
récente. En faisant des travaux de ce c6(é, en l'an 1827 ,
on trouva tout en haut , auprès de la porte, une cuirasse
et des Jambards de fer, et, dans le même endroit, un tom«
beau dans lequel étaient un casque à visière et une cotte de
mailles. La cotte de mailles était tout à fait brisée, et on en
donna quelques morceaux an roi Othon à son passage à
Sparte. Quant à la cuirasse, au casque à visière, aux
Jambards et au reste de l'armure, Je n'ai pu apprendre ce
qu'on en avait fait
En revenant de Mistra à Sparte , je m'arrêtai quelques
instants à examiner un rocher perpendiculaire mtué à un
quart d'heure de Mistra, et qu'on donne comme étant le
célèbre rocher des Apothètes , d'où on précipitait , suivant
Plutarque S les enfants Spartiates contrefaits.
Le soleil se couche une heure plus t6t à Sparte à cause
de la hauteur presque perpendiculaire du Taygète ; mais ,
malgré l'absence du soleil, il faisait une chaleur insuppoTi-
table. Les rochers voisins , échauffés par le soleil du jour,
rejettent pendant la nuit la chaleur qu'ils recelleot, et les
A Vie da Lycarga«i
8PAiin. 435
noits sont ainsi chaudes que les jours. Â mon retour chei
mon hôte, le gouverneur Latrts, j*y rencontrai un colonel
tare, Âchmet-Bey» qui arrivait de Calainatapar la route
do Taygète. Achmet-fiey jouissait de la faveur du sultan
Mahmoud. Il m'a raconté (|u*il avait môme été employé
trois fois dans des missions de confiance , Texécntion d*un
pacha redoutable, et il s'en était tiré tout à fait k la satisfaction
de son maître. L*ua de ces pachas était ami d*Âcbmet-Bey ,
ce qui lui donna pour le frapper Une facilité dont il s'ap«>
plaodissait en me le racontant. J'ai souvent entendu les
ennemis des Grecs parler de la franchise des Turcs ; mais
qu'ils étudient les ruses auxquelles on est obligé d'avoir
recours pour obtenir justice contre le fort , et ils appré^
cleront plus exactement l'absence de franchise que le des-
potisme traîne à sa suite. Un seul des faits qu'Achmet-Bcy
me raconta révélera toute l'étendue du mal II était le chef
de la police de Smyrne. Quelques affaires Tayant appelé
à Constantinople, il apprend i à son retour à Smyrne,
que sa garde même s'était portée aux plus criminels excès
contre les chrétiens et qu'on en avait assassiné un grand
nombre. Achmet-Bey croit toujours que les intrigues du
sérail sont au fond de tous ces meurtres commis contre les
chrétiens; il ne voulut donc pas faire appel à la justice du
divan , mais il chercha à se venger lui-même. Il assemble
donc sa garde ; il leur parle des meurtres commis contre
les chrétiens; il les en félicite en bon musulman: leur
donne des récompenses à tons pour y avoir pris part, et
annonce une plus haute récompense aux mieux méritants
quand il les connaîtra. Ceux-là, par forfanterie > se dési-
gnent. 11 les récompense largement, les invite à un grand
dîner, et quand ils sortent de sa table il les fait égorger
tous un à un. Achmet était charmé de la manière dont il
avait en justice des siens , et il n'entrevoyait pas qu'il y eût
rien à dire contre cela, et c'est un bon et excellent Turc à
sa manière. Nommé colonel des troupes envoyées en Crète,
il s'était opposé aux mesures atroces qu'on avait voulu
436 GBÈCB CONTINBNTAIB ET MOBBB.
prendre contre les populations chrétiennes; car Âchroet
?eiit qu*on traite les rayas a?ec justice , et se déclare par-
tisan du grand justicier Mahmoud , dont il vénère la mé-
moire. Ses collègues s*étant prononcés pour une extermi-
nation , et , ayant été forcés de céder à ses remontrances ,
il pensa qu'ils ne tarderaient pas à se venger sur lui. Aossî,
dès qu*il vit la guerre prendre fin , au lieu de retourner à
Consiantinople il s'embarqua secrètement , après avoir fait
dire à sa famille de quitter la Turquie |)our venir le re-
joindre , et il s'était décidé à se faire citoyen grec. Il m'as-
sura que beaucoup de Turcs de ses amis étaient si con-
vaincus de l'impossibilité actuelle de reconstituer un peu
d'ordre dans la partie européenne de la monarchie turque
en particulier, qu'ils n'hésiteraient pas à reconnaître le
gouvernement grec si ce gouvernement paraissait prendre
un peu de fermeté, de puissance et de durée ; ce qui aura
certainement lieu si jamais une bonne organisation politique
répond aux vœux de ses intelligents habitants.
XXIV.
TRYPI. — CHAÎNE DU TAYGÈTE. — GÀLAMATA.
— MESSÈNE.
Après quelques jours passés à Sparte , je me décidai à
me rendre à Calamata par la route du Taygète , qu'Achmet-
Bey m'avait décrite comme fort supportable , au lieu de
m'y rendre par Leoudari, route beaucoup plus facile,
mais aussi beaucoup plus longue. M. Latris voulut bien
m'accompagner dans cette excursion. A quatre heures du
soir nous quittâmes Sparte , accompagnés de gendarmes
et de guides fort au courant des lieux , et nous nous diri-
geâmes d'abord sur Parori (village limitrophe des monta-
gnes) près de Misti-a. A mesure qu'on s'en apprche la verdure
de\ ien t plus vive , les champs se couvrent de m ûrirrs, les mon-
pauoht. 437
tagnes se revêtent d'oliviers, et dans les nombreux jardins
des habitants la verdure des orangers et des citronniers est
irariéc par la couleur des fruits encore suspendus aux
branches. Le village de Parori , situé un peu au delà du
rocher des Apothètes , remonte en pente douce au pied
de ces monticules qui annoncent rapproche de la grande
chaîne du Taygète. Une belle fontaine d'eau abondante
coule avec vivacité du rocher par plusieurs ouvertures ,
et forme , à quelques pas de là , une rivière employée en-
suite par les habitants à Tirrigation de leurs jardins. Plu-
sieurs beaux arbres forment , à quelques pas de là , une
petite place qui d*un côté s*étendjusqu*au bord d*un ravin
par une sorte de petit plateau où autrefois venaient s'as-
seoir les Turcs de Parori pour y fumer leur narguilhé, y
prendre leur café et s'y livrer aux charmes d'un long
kieff. Cette eau qui murmure vivement et entretient la
fraîcheur des arbres et du gazon , cette vue du ravin et
de la campagne de Sparte et des montagnes les jetaient
dans cette indolente rêverie qu'ils recherchent. Je me re-
posai un instant sous ces ombrages , je bus de la bonne
eau de Parori et remontai à cheval. Parori est, ainsi que je
l'ai dit, comme un faubourg de Mistra ; j'étais bien aise de
revoir encore la cathédrale et les inscriptions gravées de ses
colonnes et la jolie église de Pantanasia, qui sedétache si bien
au-dessus de cette partie de la ville. Je m'arrêtai aussi à vi-
siter l'école de Mistra: c'est un bâtiment assez vaste, dans
une partie un peu élevée de la ville. L'école est régie par
deux maîtres et fréquentée par quatre -vingts externes. Ceux
des jeunes enfants qui désirent demeurer dans l'établisse-
ment peuvent profiter gratis de ses nombreuses chambres,
mais doivent s'arranger comme ils le peuvent pour la nour-
riture. La vie matérielle du jeune Grec est dure : un tapis
pour lit ; à dîner du pain , des olives , quelques fruits et
légumes ; pour boisson l'eau fraîche de Parori , qui ne leur
manque jamais; voilà tout ce qu'ils es|)èrent et ce qu'ils
obtiennent de leurs parents.
37.
48t GBÈCB CONTnrBllTAt*S BT MOREE.
Au lleo de redesceadre de la haute ville poar aller re<*
joindre la route de Trypi, nous cootinuâmes , sous la con^
duite d'un moine que l'archevêque Mélétius nous avait
donné pour guide , de longer la montagne ; nous laissâmes
Tarchevêque prendre le frais sur sa magnifique terrasse
qui commande la vue de toute la vallée de TEurotas , et
nous suivîmes son caloyer. La route est difficile , mais elle
offre constamment de beaux points de vue sur ces ravins
profonds. Le torrent qui descend de la montagne doit
;gouter encore à l'effet du paysage quand il y a de l'eau ;
mais aujourd'hui il est arrêté en chemin pour servir à l'ir r
rigation des jardins. La vue devient plus belle encore eo
s'approchant de Trypi : un torrent plus considérable » le
Knakion , se précipite du fond de cette profonde vallée et
r enveloppe. Je n'ai rien vu de plu3 frais que cette petite
vallée resserrée avec amour entre les montagnes et le Kpa*
kion. Un grand nombre de cyprès élèvent leurs pointée
au milieu de ces masses d0 verdure et donqent au p^ysagç
un aspeot tout oriental. Par le chemin le plus difficile &(
le plus entrecoupé en tout sens par mille et mille canaux
d'irrigation , nous descendîmes chez le papas , qui prenais
le frais dans son jardin. Avec ce beau temps e( ce beau
ciel notre appartement fut bientôt prêt : uue sorte (ie lon-
gue terrasse couverte en bois {chaiati) règne tout le long de
la maison , et de là on a une vue de Suisse 9vec un soleil
de Grèce. I^ous fîmes étendre des tapis et placer des oreil-
lers, et nous y passâmes la soirée et la nuit, L*air ét^it doux
et calme , toute la nature verte et jeune ; il y avait un vé-
ritable plaisir à s'endormir sous ce ciel embaumé.
Un plaisir nouveau m'attendait à mon réveil ; mille oi-
seaux chantaient dans la verdure , et le torrent accompa-
gnait leurs chants en tombant avec harmonie. Devant moi
se soulevait cette rose aurore si bien décrite par les poètes
anciens et si mal comprise des hommes d'Occident. Avant,
que le soleil n'émergeât Irop chaudement au-dessus des
monts de Tzaconie, nous nous remîmes en route. Nous nous
CHAINS BO T\10BTfi. 439
éloignâmes jda coavent de Saiot-Jean le précurseur, dont
une colonne, ainsi que l'annonce le manuscrit de Tarche^
¥ôque Méléiius, porleune inscripiion relative* comme celle
de la métropole, aux [«ropriéiés de rarcbevéché de Lacédéf
iDonia. Le torrent, qui a déjà renversé une partie de ce
monastère , ne tardera pas à entraîner le reste dans sa
course. Nous remontâmes jusqu'à la source du Knakion,
qui du haut de la montagne se fraie voie soûs le rocher par
plusieurs ouvertures et jette une eaii rapide et abondante
qui , au lieu d'aller se perdre au hasard eu se précipitant
dans les jardins placés au-dessous , est retenue et divisé^
par deux parties, et réglée dans son cours par une digue da
pierre. Ici toute vue gracieuse disparait; on entre dans la
chaîne du Taygèie.
Le chemin est rude, quoi que m*eq eût dit Achmetrhey,
entre Trypi et Lada-Coutyava ; ou plutôt ce n*est pas un
chemin, mais un sentier, à peine tracé entre les rochers
les plus bouleversés. Partout on voit que les couches de
rochers ont été abaissées par de grandes révolptions du
globe. Au milieu de ces rochers se retrouvent de temps en
temps quelques terrains profonds et unis ; mais ces sortes
de vallées sont trop hautes pour être bien fertiles. Fré-
quemment nous fûmes obligés de nous arrêter pour nous
reposer et surtout faire reposer nos chevaux, qui n'avaient
jamais franchi des chemins si terribles. Ils glissaient sur le
marbre uni des rochers en montant et en descendant.
La meilleure partie de la route ici était devenue le lit des-
séché des torrents, parsemé d'énormes blocs qui ailleurs
auraient semblé un obstacle. Dans une partie de ee ravin,
mon agoïale arrêta mon attention sur une ouverture du
rocher : « C'est par là , me dit-il , qu'Aristomène de Mes-
sénie suivit le renard qui lui enseigna le moyen de sortir
de sa prison.» Je regardai mon cicérone : c'élait un ancien
pallicpre qui m'avait tout l'air d*avoir eu souvent besuin de
pratiquer lui-même tous les moyens possibles d'échapper aux
Turcs dans les guerres klephliques, à travers les moniagnes
440 GRECE GONTINENTALB ET MOREE.
et les fissures des rochers. Toute cette route est d'une hor-
rible difiBculté d'un hout à l'autre. Aucun cheval ne pou-
vait tenir pied ; les agoîatesen pleuraient de désespoir, tant
ils redoutaient pour leurs bêtes soit la fracture de quelques
membres, soit même des chutes faciles à travers les préci-
pices. Ces chutes furent en effet fréquentes, mais elles fu-
rent faites h propos, et il n*y eut de brisé et de boulev ersé
que mes malles et tout ce qui m'appartenait. Il n'y avait
pas là de quoi les préoccuper beaucoup , et , quant à moi ,
j'y étais fort préparé ; plus d'une fois mes malles , livres
et cartes avaient subi ces chutes et même avaient soutenu
fort commodément la bête qui les portait au beau milieu
des rochers d'un torrent un peu jauni par le superflu des
irrigations. Enfin, aprèscinqgrandesheuresde marche, sans
compter nos points de repos, nous arrivâmes en vue de
Lada-Goutzava et de Goutzava-Karveli , situés chacun sur
un versant opposé. C'est près de là, du côté du mont Saint-
Ëlie , qu'on trouva, en 183/i, un grand morceau de mar-
bre avec cette inscription antique en langue grecque gravée
des deux côtés :
MONTAGNB M Lk LKCÈùimOWEf LIMITE DB LK HESSâflE.
NOUTiGNE DE LK MESSéNIB , LIMITE DB hk LACÉDÉMONIE .
Nous prîmes le chemin de Lada-Coulzava, situé tout au
milieu de la chaîne du Taygète. Une belle eau, dans laquelle
nos chevaux aimaient à rafraîchir leurs pieds fatigués, des-
cend en pente rapide de toutes les rues , et cette eau en-
tretient de beaux arbres qui lèvent leur tête gracieuse au
milieu de ces pauvres maisons. J'aperçus de loin , par-
dessus les toits , un beau bouquet d*arbres planté sur une
petite place. Impatient de savourer leur ombrage et de
faire étendre mon tapis sous leur couvert, j'éperonne mon
cheval à travers ces rues si rapides et ces eaux courantes,
et j'arrive. Mais quel est mon étonnement ! La place res-
semblait à un camp. Mes quatre gendarmes , que j'avais
envoyés d'avance , y avaient trouvé quatre autres gendar-
L^DA-G0NTZ4VA. 441
mes d'une autre escorte déjà établis. La rue était comme
encombrée de chevaux. Je m'approche , franchis un petit
mur de clôture pour aller prendre possession d'un arbre :
son ombre était occupée. M. Piscatory , que j'avais ren-
contré quelques semaines auparavant à Athènes, et qui en
était parti avec M. de Roujoux, qui connaît si bien la Grèce,
les Grecs et la langue grecque, pour aller jusqu'aux monts
d'Agrapha , avait passé d'Acarnanie à Fatras, et, après
avoir traversé la partie occidentale de la Morée par les
routes de montagne les plus difficiles, se rendait en ce
moment de Galamata en Messénie, à Sparte par cette
même route si rude du Taygète que j'avais traversée dans
le sens opposé. Il avait été , comme moi , tenté par cette
ombre épaisse et la fraîcheur des eaux , et il était étendu
sur son tapis au milieu de la place , dormant paisiblement
pendant que Roujoux fumait avec bonheur son chibouki.
J'éprouvai un vif plaisir à rencontrer ainsi mes compatrio-
tes. Nous restâmes quelques instants à nous raconter les inci-
dents de nos mutuelles odyssées, et nous remontâmes à cheval
chacun de notre côté, laissant Lada-Koutzava tout étonné de
ce grand déploiement de milordis et de leurs escortes, qui
ne s'étaient certainement jamais rencontrés en pareil nom-
bre dans un tel endroit depuis les temps historiques.
M. Piscatory , qui brave la fatigue comme le plus obstiné
chasseur, et à qui les rudesses de la vie grecque , malgré
leur contraste avec la vie des plus agréables salons de Pa-
ris qu'il aime et où il est aimé , semblent chose toute fa-
milière, et Roujoux, qu'on dirait un véritable pallicare rou-
méliole, s'enfoncèrent avec empressement dans le Taygète,
dont je ne leur avais pas dissimulé les aspérités, résolus
à passer la nuit au milieu des bois , campés auprès de la
fontaine et de l'échappée du renard d'Aristomène; et moi
je résolus de descendre , sans démonter une seule fois , le
rude , long et tournoyant escalier de rochers brisés qui
mène, après trois heures de route, de Lada à Galamata, et
qu'ils avaient cru devoir monter à pied , les rudesses du
44t GÙGE CONTOIBNTALB BT MOEEE.
voyage devenant ainsi poar chacan de nous « moins les
gendarmes, les agoiates el les chevaux, un charme de
plus» Aussitôt qu'on a franchi cette pente du Taygète , un
tout nouveau pays se présente à vos yeux. La vaste plaine
de Messénie apparaît tout entière avec son beau golfe qui
s'étend en nappe longue et unie ^tre le Magne et Coron.
U était sept heures du soir quand j'arrivai à Galamata.
Celte ville avait pour moi on intérêt tout particulier.
C'était là qu'était né le prince Guillaume de Ville-Hardoin^
le premier des |H*inces français d'Achaye qui naquit sur le
sol grec ; aussi le nom de Guillaume de Galamata lui en
était-il resté. U affectionnait cette ville, il l'habitait souvent»
et je pensais que bien que près de six siècles me sépa-
rassent de lui, puisqu'il était mort en 1278, je trouverais
cependant dans sa ville natale quelque chose qui indiquât
sa présence et celle de ses Français. Je ne me trompais pas.
A la première vue, Galamata a plutôt l'air d'une petite ville
du Bourbonnais, du Berry ou de la Champagne que d'une
ville de Messénie rapprochée d'une journée de Sparte. Elle
me rappela, je ne sais trop pourquoi précisément, Moulins
en Bourbonnais* Les portes de beaucoup de maisons ont
encore conservé les deux colonnes surmontées de l'archi-
trave brisée que l'on rencontre dans nos vieilles villes ; et«
pour lui donner une ressemblance de plus, une fleur de lis
est parfois sculptée dans la brisure*
Je des^cendis chez le receveur général de l'éparchie de
Messénie, M. Nicolaïdi. 11 y avait là un véritable cercle de
petite ville ; c'étaient le dimarque, M. Benaki, un des plus
opulents propriétaires du pays, descendant d'une des vieilles
familles grecques; le mirarque (colonel de gendarmerie),
M. Barbôglou, homme éclairé, président de la cour d'appel;
M. Morandiy que j'avais déjà eu le plaisir de rencontrer à Nau*
plie, et plusieurs fort jolies femmes, mises, ainsi que les hom-»
mes, complètement à la française. La maison de M. Nicolaïdl
et celles des plus riches habitants sont presque en entier meu*
blées à la française, comme si noscompatriotes croiséset leurs
CALAMATA. 443
successeurs eussent toujours continué depuis les Ville-* Har*
doîn à avoir Toeil sur la France. Mous passâmes la soirée dans
d'agréables causeries; puis chacun, comme on l'eût fait à Mou-
lins, ût appeler son domestique, qui à Calamata était un paUi«
eare à grosses moustaches et à longs cheveux, et, se faisant
précéder du falot nécessaire , rentra chez lui en médisant
probablement , comme en Bourbonnais , en Berry ou en
Champagne, de ses amis de la journée. Moi, grâcç aun soins
délicats de Fattentive madame Nicolaïdi, je pus comrpendre
tout le bonheur de s*étendre entre deux draps frais, dami
un lit de France , après uqe course de onie heures dans
les ravins du Taygôte.
Je me réveillai toutefois de bien bonne heure, caria
chaleur était effroyable à Calamata. Dès cinq heures du
matin , le thermomètre marquait 32 degrés de Réaumur,
plus de 38 centigrades , et cette température continuait
depuis dix jours. Aussi la mortalité s*était-*elle mise parmi
les enfants , et il en mourait jusqu^à cinq et six par joun
C'était réellement une véritable souffrance. Il kna fallut
toute ma curiosité historique pour me décider à braver»
même sous un large parapluie , ce soleil dévorant. Après
quelques pas j'éprouvais comme un point de côté qui m'ar-
rêtait dans ma marche; mais j'avais à visiter et le château*
fort de Guillaume de Yille-Hardoin et les églises bâties
peut-être par lui, et je reprenais ma marche lente. En al-
lante la citadelle je passai devant une petite église en ruines
et je demandai son nom. On me répondit qu'elle s'appelait
8ainte-Anne. C'est là un nom peu commun dans le calen>
drîer grec. Je me rappelai que la femme de Vijle-Hardoin,
qui était ûlle du despote d'Arta , et belle-sœur du roi
Mainfroi de Naples, s'appelait Anne, et je pensai que cette
église pourrait bien avoir été consacrée par lui à la patronna
de sa^^emme. Il ne reste plus que la porte qui ait pu apr
partenir à la primitive église , et l'architecture en est cer*
tainement du treizième siècle. Tout au-dessus de cette
petite porte est sculpté Técusson des Templiers , la croix
444 CmfiCB COXTINBNTALE £T MORBE.
dont les qoalre extrémilés se terminent par des flears de
lis 9 et des deux côtés de cet écasson sont deax grandes
fleurs de lis rattachées par une sorte de boude. Plusieurs
autres églises de Calamata offrent des vestiges du moyen
âge. Dans la cathédrale, dans Saint-Athanase, dans Téglise
des Saints-Apôtres existent encore soit des peiutures an-
ciennes, soit les clochers de pierre des architectes normands,
soit quelques portes à colonnes surmontées d*un cintre
brisé. Quelques autres ^lises hors de h ville offrent aussi
des réminiscences du moyen âge, et çà et là quelques écus-
sons, un aigle avec deux lions pour support, des fleurs de
lis, rappellent que là ont passé des hommes appartenant à
un ordre de civilisation différent
Le château de Calamata est aussi de la même époque :
seulement, dans les dernières années du dix-septième siècle
ou les premières années du dix-huitième, les Vénitiens
y ont ajouté^ne enceinte plus considérable du côté de la
ville, à commencer par la porte qui est encore surmontée
du lion de Saint-Marc. Tous les anciens murs et remparts
se reconnaissent fort aisément du côté du torrent, qui est
aujourd'hui à sec, et du côté des jardins d'orangers. La
vue dont on jouit de cette esplanade est fort belle : on a
devant soi le golfe de Messénie tout entier et des deux côtés
les montagnes du Magne et de Coron.
M. Beoaki, qui possède à Calamata une excellente mai*
son dont rapparence est celle de nos grandes maisons bour-
geoises à la campagne, avait voulu me faire les honneurs
de sa prodigue hospitalité. Après un excellent dîner servi
à l'européenne , nous allâmes visiter le bazar, qui est fort
bien approvisionné d'étoffes de Tunis et de menues mar-
chandises d'Allemagne et d'Angleterre. Toute la petite
mercerie y arrive de Trieste, et la poterie et vaisselle com-
mune arrive d'Angleterre. La France n'y envoie que peu
de chose, l'Allemagne ayant seule un traité de commerce
à droits avantageux avec la Grèce. Nous montâmes à che-
val au coucher du soleil et suivîmes le lit de la rivière
jusqu'à la mer, qui n'est qu'à une demi-heure de Calamata.
Sur le rii^age est un petit hameau dans lequel les habitants
des principales familles iriennent respirer un air plus frais
et jouir des avantages des bains de mer ; mais on n'a en-
core songé à y établir aucune facilité pour les baigneurs.
Telle qu'elle est , Calamata est encore , comme au temps
des Ville -Hardoin, la principale ville de Morée et celle
qui rappelle le plus les habitudes européennes.
Pendant le peu de jours que je passai à Calamata , je fis
connaissance avec un homme qui m'intéressa vivement ,
M. Pierakos, de la famille des Mavromichalisdu Magne, pour
lequel le jeune Mavromichalis m'avait donné une lettre
d'introduction. Déjà à Sparte j'avais rencontré un des
hommes les plus importants du Magne, M. Poulos, un des
primats de Zarnata , qui m'avait parlé avec afifection du
colonel Bory de Saint- Vincent , dont il était charmé
d'avoir été Thôte lorsque le colonel fit deux fois l'ascension
du Taygète. L'intensité de la chaleur , qui devenait sur-
tout insupportable au milieu des rochers pelés du Magne,
qu'on ne peut parcourir qu'avec de lents mulets, m'em-
pêcbant alors de visiter cette curieuse pointe de la Morée, je
profitai auprès de MM. Poulos et Pierakos de leur connais-
sance profonde du pays pour acquérir des notions exactes
sur les forteresses franques qui s'y étaient conservées.
Depuis l'invasion russe de 1770, cette province, gouvernée
par un bey , avait vécu dans une sauvage indépendance ;
elle ne paye pas encore la dîme, mais ses exportations sont
surchargées d'un droit plus éfevé. Ses /iO,000 habitants,
tous armés , tous guerriers , étaient une force sur laquelle
s'appuyaient les Mavromichalis. Capo-d'Istrias avait voulu
soumettre le Magne à la loi commune ; mais il révolta les
esprits par l'arrestation illégale du vieux bey Pierre Ma-
vromichalis, et il périt frappé par ses fils. Depuis ce temps
des efforts heureux ont été entrepris pour ramener les ha-
bitants du Magne à l'unité grecque. L'entreprise n'était
pas sans difficulté ; car, si les habitants étaient d'une seule
38
446 GRÈCE CONTINENTALB ET MORÉE.
ToloBté quand il s'agissait de résister aux autres, ils étaient
divisés entre eoi par des haines de famille qui rendaient
toute administration intérieure fort agitée. Chacun, re*
tranché dans son pyrgos, était en guerre avec ses voisins,
et les guerres se triinsmettaient de père en fils. On retrou*
vait là toutes ces vendette si communes jusqu'à ces derniers
temps dans la Corse, où avaient émigré dans d'autres temps
les familles mainotea de Vitylo. Un Allemand , nqqimé le
colofiel Feder, a contribué àcalmev ces esprits turbulents ; il
a été ^caoement secondé par M. Pierakos, et le progrès de
l'esprit public a fait plus encore. M. Pierakos pensa qu'une
des causes principales des révoltes du Magne était la pauvreté
forcée de ses habitants ai| milieu de ces rochers. Il chercha
doncà procurer aux hommes les plus actifo des moyens d'exi*
slence. Ce n'était pas U lo désir de quelques-uns des mem-r
bres de sa famille, qui pensaient que leur autorité se con»
aerverait d'autant mieux qu'ils seraient les seuls riches au
milieu d'un pays pauvre. Pierakos chercha dans la proxi*
mité du Magne dos terres propres à la culture pour y fonder
une colonie , et les trouva à Petalidi , de l'autre côté du
golfe de Messénîe , tout en face de Vitylo. Il obtint ces terres
du gouvernement grec, et cent cinquante familles maînotes
allèrent y transporter leurs foyers. Ils ne perdaient pas
leur patrie de vue ; car, de Petalidi, ils voyaient encore
leurs côtes blanchir dans le lointain.
Au milieu de ces rochers du Magne, se conservent, presr
que dans leur état primitif, quelques forteresses bâties au
temps féodal des Ville^Hardoin : Passava, qui était une des
hautes baronnies de la principauté; la grande forteresse de
Kelepha, près de Yitylp ; le Château do la Belle, sur le cap
Grosso ; celui de Tigani , près de Maîna ; le fort situé près
de Porto-Quaglio et de Kisternès, et les ruines du fort de
Spitacoulis , dont le nom conserve la trace de ses anciens
seigneurs, les chevaliers hospitaliers de Saint- Jean. Les deux
principaux de ces châteaux francs, Passava et Kelepha,
%nt enisore fi>rt bien eonservés. Un poème grec moderne
COUVENT DE VULCANO. 447
sur le Magne, qoi sera publié en entier dans la seconde par*
tie de mes Recherches , donne sur ce pays des détails fort
circonstanciés. Toutes les iiilles, châteaux et villages y sont
énumérés, et on y trouye une esquisse historique fort
exacte des événements politiques qui ont précédé la révo-
lution grecque.
La chaleur était si ardente pendant le jour, que je remis
mon départ de Galamata pour le mont Vulcano jusqu'à la
nuit« Le receveur général , M. Nicolaidi, et quelques-uns
de DOS amis communs, le président Barboglou et des con*
seiUers de la cour de Galamata voulurent bien m'aoconh*
pagner jusqu'aux ruines de Tantique Messène* Nous par-
tîmes è six heures du soir par la route de Fourtzala. À onze
heures do soir nous é,tions arrivés à Gaidouro-Gephyri, oîK
nous prîmes congé du gouverneur Latris et nous arrêiâmoi
jusqu'à deux heures du matin. Malgré la profondeur de
l'obscurité, nous continuâmes notre route à travers les prai*
ries arrosées par le Pamisus. Nos guides connaissaient tous
les mille détours de ces petits sentiers, et, grâce à leur ex-*
périence, nous rencontrâmes toujours le seul sentier ferme
à côté de petits cours d'eau et de marais qui l'étaient moins,
À quatre heures et demie , avec les premiers rayons du
soleil, nous entrions dans le couvent de Vulcano, placé dans
une fort belle situation, près du mont Ithome. Il est sou-
vent fait mention de la seigneurie de Vulcano dans le^
diplômes des princes français d'Acbaye , à la fin du qua-
torzième siècle. Le chambellan de Gatherine de Valois»
Nicolas Acciaiuoli , grand-sénéchal de Naples et seigneur
de Goripthe, possédait beaucoup de propriétés de ce côté.
Peut-être aussi le monastère actuel était^iî une succursale
des chevaliers hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalcm i
car la porte est surmontée d'un écusson portant la croix
de Saint-Jean-de-Jérusalem. On y voit même une iiiscrip^
tion ; mais la faiblesse de ma vue ne m'a pas permis de la
déchiffrer. L'église et la porte sont les seules parties du
monastère qui aient conservé quelques traces d'antiquité;
4AS GBEGB GONT1NBNTAI.B ET MOBEE.
le reste ne date pas de plus de cent ans. Quant aux archiTos,
il me fut impossible d*en retrouver trace. Toute l'a bbaye est
ombragée de fort beaux cyprès, et partout alentour la ver-
dure et la forme des cyprès forment une agréable variété au
milieu des arbres qui garnissent les deux rives du Pamisus.
En quittant le monastère et en continuant toujours à
s'élever sur i'Ithome , on aperçoit un monceau de frag-
ments de colonnes de marbre et de larges assises accumu-
lées sur les côtés de la route. C'était là qu'était une des portes
de la grande ville de Messène. Cette sorte de col une fois
traversé, ouest dans Messène même. Le village de Mavromati
avec la fontaine Arsinoë, qui donne une abondante et excel-
lente eau , est placé au delà , presque au centre de la ville
antique, qui comprenait toute la vallée et s'étendait sur
toutes les collines qui Tenceignent : c'était une bien vaste
enceinte, dans laquelle devait être comprise, non-seule-
ment la ville mais les faubourgs et les jardins. Je voulus
d'abord aller jusqu'à l'autre extrémité de la ville , à plus
d'une demi-lieue de la première entrée. Là se trouve une
fort belle double porte de ville très-bien conservée ; et on
y arrive par le chemin antique qui, tout près de là, subsiste
en entier avec ses vastes dalles. La pierre qui servait de
Ikiteau à la porte d'entrée gît à ses pieds abattue oblique-
ment. Au dedans, entre cette double porte, est une enceinte
ronde, d'une soixantaine de pledsdediamètre, bâtie en vastes
pierres quadrilatères, avec une niche de chaque côté, des-
tinée probablement , d'après ses dimensions , à recevoir
les statues des dieux protecteurs. Sur les deux côtés de
cette porte s'appuie le mur d'enceinte de la ville , qui suit
toutes les courbures des collines et redescend ou monte
avec elles. Sur toute son étendue il est flanqué de tours
antiques, dont quelques-unes sont fort bien conservées et
dont l'ensemble est d'un effet surprenant. De même que
l'enceinte des fortifications de Paris comprendra daus son
circuit non-seulement la ville , qui est au centre , mais
quelques-unes des communes attenantes, et des champs,
HESSÈNE. 449
et des jardins, et des maisons de campagne ; de même i*eu-
ceinte fortifiée de Messène devait embrasser non-seule-
ment la ville centrale , près du village actuel de Mavro-
mati , mais encore des hameaux et des champs et des
jardins; car Tétendoe en est considérable^, aussi considé-
dérable , je pense , que le mur actuel d'octroi de Paris.
On s'en ferait une assez eiacte idée en se représentant la
Tallée de Paris close sans interruption par les collines de
Montmartre, de Belleville, de Sainte-Geneviève, de iVleudon
et du Calvaire rapprochées et contiguês; Messène est,
comme Paris , au fond d'une sorte d'entonnoir.
De l'enceinte, que je tournai dans une bonne partie de
son étendue , je descendis dans la ville. Ici se voient les
mines d'un stade, là de plusieurs temples, ailleurs du
théâtre , partout d'immenses colonnes , jetées par terre au
milieu des champs , ou s'élevant mutilées sur leur ancien
fût au milieu des épis de maïs jusqu'au quart de leur hau*
teur. Près du stade surtout les colonnes debout et les co-
lonnes renversées abondent. Une église byzantine , bâtie
sur les débris d'un temple antique, a partagé son sort et
est en ruines aussi. Les grands monuments sont ainsi fort
rapprochés sur plus d'une lieue de terrain. Près de Ma-
vromati sont les restes d'un palais bâti, non en assises car-
rées, mais en longues et épaisses dalles arrondies sur toutes
les faces. C'est surtout en. se rapprochant de Mavromati ,
et surtout de la fontaine Arsinoê, qui semblent avoir été le
centre, du mouvement de cette ville importante, que ses
grandes ruines se multiplient. Un grand nombre de femmes
de Mavromati affluaient autour de la fontaine Ârsinoe, où
elles venaient puiser leur eau. C'était là un souvenir vi-
vant de la belle antiquité , car les vases qu'elles portent
sur leurs têtes ont encore les mêmes formes. Leur taille
haute et dégagée, leur front uni , leur profil droit , leur
grand œil noir ne démentent pas les éloges des poètes. Leur
costume est encore une parfaite réminiscence de l'antique,
et c'est le plus simple comme le plus joli costume que j'aie vu
3S.
450 GRECB CONTfKMM&l ET MOREE*
60 Grèce. Un japon fort court lamuit v^r une janibt Une
et Boe , un véritable pepâun a?ec son ancienne forme non
altérée Tenant le poser comme une iïaaqaiue tar ce court
jnpon , et un ix>nnet bien bianc formant comme un trbn*
gle ouvert aplati^ par le haut et bien olivèrt sur le» deuic
cAléi« aises semblable à la coiffure des femmes d*Mbaoo«
me rappelèrent tout à fait les bas^reliefe antiques. Toutes
semblent d*hnmeur vive et bienveillanie« et presque toutes
avec leurs vêtements blancs sont d*une propreté eioep»
tionnelle ici. Les paysans me vendirent quelques mé*
daillcs d*argent asiea bien conservées. Ils en trouvent bté->
qoemment en labourant leurs cbdmps , et rencontrent
aussi parfoia quelques fragments de sculpture. Mais dans
quelles ruines ne trouverait-on pas en Grèce de débris qui at*
testent l'incontestable supériorité de ce peuple dans les arts I
Les moines hospitaliers du mont Yulcano nous avaient
préparé pour notre retour une amicale réception qui nous
fut très-^réable après les fatigues d'une longue journée»
La chaleur était tempérée par une brise assez douce
lorsque je quittai le monastère de Vulcano pour continuer
ma route vers Coron par Nisi. Arrivés au village d'Anasyri»
quelques-uns de mes compagnons furent rencontrés par
un des propriétaires de leur connaissance, qui exigea que
BOUS nous arrêtassions un instant chez lui pour nous ra«
fraîchir par un peu de repos et par une légère collation^
Ses fruits étaient fort beaux. U, pour la première fois, je
fis connaissance avec la grappe fraîche du raisin de Cot
rinthe ou passoline appelé ici siaphida. Le goût^en est
délicat et agréable ; sa grappe a beaucoup d'analogie pour
le goût et la forme avec ce petit raisin qu'on appelle dans
le Berry du sauvignon ; mais les grains n'en sont pas sorrés
comme ceux du sauvignon et ils n'ont pas de pépins. On
ne le cultive en Messénie que dans les jardins , mais sur
les odtas occidentale et méridionale on en a de nombreuses
vignes qui font la richesse du pays,
Kn continuant notre course le long du Pamisuj; » piu^mi
PEVAUOI. 451
des tenres mal plantées et assez mai cultivées, nous arri~
vâmes à Nisi. Mes compagnons de voyage prirent cpngé
de moi pour retourner à Calamata, qui n*est qn*à deus
beures de route de là » et moi je restai à passer le reste
de la journée i Msi. Je visitai sou église, qui est de con^
struction byaaotine ; elle est du douzième siècle, mais
n'offre rien de curieux. Près de Nisi est la ville d'Androusa »
où siégeait , au temps des Francs , un des principaux dé-
légués judiciaires du prince. Il s*y trouvera dans quelques
années la bibliothèque dont a fait don à sa ville natale
M. NiccolO'Poulos, sous*bibliotbécairu de l'Institut de
France , qui est originaire de cette ville.
De Nisi à Petalidi , où débarqua la flotte français^ porr
tant le corps d'occupation du maréchal Maison , la roule
suit constamment le sable de la mer< et comme la grève
est douce et peu profonde les chevaux peuvent avoir cour
stamment les pieds dans la mer, À Petalidi je rencontrai
Jd. Pierakos en visite chez son frère le dimarque « et fus
charmé de pouvoir puiser à la véritable source tout ce
que je pouvais avoir h demander de renseignements sur
cette colonie fondée par lui sur l'emplacement de la ville
antique de Coroni. Les maisons des nouveaux cotons sont
propres et l'éiablissement paraît être en prospérité. L9
vent y souffle plus frais qu'à Calamata et le port peut à peu
de frais être rendu excellent. Les reste du môle antique
destiné à abriter les vaisseaux contre le vent d'Afrique s'y
projettent vigoureusement dans la m^r. Cinquante mille
francs suffiraient peut-^tre pour le réparer de manière à
faire un utile service. La ville antique de Coroni s'étendait
de la plage jusqu'au haut de la colline. Des fouilles ré-
centes faites dans le bas de la ville « à peu dç distance de
la dimarchie , ont fait retrouver deux tombeaux fort bien
conservés. L'un d'eux offre une série de combats contre
lesCentaures, C'est un fort beau bas-relief de la plus belle
époque , mais malheureusepient nq seul côté es( bien cori-
serve ; et encore des enfatits ont-ils récemment, et) jouant»
35^ GRÈCE CONTlNBNTALB ET HOREÉ.
brisé quelques têtes. L'un des petits côtés offre aussi de
beaux détails , mais il est fort mutilé. Ce sartophage méri-
terait d*étre placé dans un musée et il serait un des plus
beaux ornements du musée d'Athènes. Le dimarque m*a ^
promis de le taire au moins déposer dans sa cour, pour
le protéger contre les enfants. Deux autres tombeaux ré-
cemment excavés sont encore en place, mais les bas-reliefs
sont loin d*étre aussi beaux.
Au-dessus de la Tille s'élevait Tacropolis. Les murs
d'enceinte subsistent presque partout, mais sortent à peine
hors de terre. Plusieurs assises plus considérables appa-
raissent le long des rochers, et on voit parfaitement, du
côté d'un ravin qui va se réunir à un ravin plus profond
dans lequel coule un torrent, l'endroit où étaient placées
deux des portes. A l'intérieur je retrouvai des traces d'tin
aqueduc et les ruines de plusieurs temples. Près des fon-
dements de l'un des temples est encore gisante une statue
fort mutilée , en pierre rouge , qui semble avoir été jadis
la statue du héros , précipitée de son piédestal probable-
ment par les chrétiens au moment où ils abattirent le
temple consacré à sa divinité. Non loin de là sont les ruines
d'un troisième temple, et au milieu des champs gîr une
large pierre sur laquelle est gravée une inscription en une
dizaine de lignes dont je ne pus lire bien distinctement
que la première et la quatrième :
nOAIS EniXAPE02
ETEPPETHS
Dans la cour du dimarque se trouve une autre pierre
portant aussi une inscription antique. Partout, en effet,
les restes de l'antique abondent en bas comme en haut de
la colline , et il serait d'autant plus intéressant d'y faire
des fouilles que presque tout ce qu'on y retrouve est d'une
belle époque.
CORON. 453
De Petalidi , l'ancienne Goroni , à !a ville actuelle de
Coron , Fancienne Colonis , la route suit continuellement
la mer en descendant et remontant les coteaux ; mais ,
jusqu'à Castellia , ces coteaux ne sont pas bien boisés, et
la route est peu agréable. A Castellia elle devient plus
belle , et la campagne se couvre de magniGques oliviers.
Castellia prend son nom de deux châteaux du moyen âge ,
Fun assez vaste, Tautre plus petit, qui couronnent les
deux petites montagnes situées entre le village et la mer.
Après Castellia , la route redevient moins variée encore.
Les ruines d'un autre château franc , portant le nom de
Kastro-Frankiko , se font voir dans les montagnes , tout à
côté du chemin.
Goron est sKuée sur une hauteur dominée par un châ-
teaii-fort d'origine vénitienne. Dès la conquête de 1205,
les Français s'en étaient emparés. Ils avaient trouvé , dit
la Chronique de Morée ^ , cette forteresse dans le plus
mauvais état , aussi bien sous le rapport de ses murailles
que de ses tours; c'était comme une espèce de caverne
profondément enfoncée dans l'intérieur d'un rocher. Les
vaisseaux cernèrent la place par mer , tandis que les cava-
liers *et les fantassms commençaient la bataille par terre.
Les trébuchots furent dressés et approchés , et ne permi-
rent pas à un seul habitant de se montrer à la défense des
murs. Les habitants de Coron qui s'étaient réfugiés dans
la forteresse , voyant le nombre des attaquants et la fer-
meté de Tattaque , demandèrent à capituler , et rendiren
la place. » Un évêché latin fut établi dès la première année
de la conquête à Coron , et il continua, comme l'avait été
dans tous les temps l'évêque grec, à être un des suffra-
gants de l'archevêché de Patras. Coron fut cédée avec
Modon , en l'an 1248, par le prince de Morée, Guillaume
de Yille-Hardoin , aux Vénitiens pour prix de l'assistance
qu'ils lui avaient donnée avec leur flotte. Les Vénitiens la
' *■ Page 42 de mon édition à deox colonnes.
454 GRÈGE CONTINBlffTAIiB ET MOREB.
conservèrent jusqu'en 1 538, où ils cédèrent aux Turcs boo-
seofement Monembasie et Nauplie, mais Coron et Modon,
En 1686, Coron leur fut reprise par François Morosinis
mais ils la reconquirent de nouveau en 1785 , et les Yéni^
tiens la leur abandonnèrent, ainsi que toute la Morée et les
ties , par le traiié de Passarovitz , le 21 juin 1718» et ne
conservèrent, avec les tles Ioniennes, que Prevesa, Yonitsa,
Bntrinte et Parga sur le continent.
U n*y a à Coron qu'an petit nombre de maisons en de*
hors de la place ; le reste des maisons et quelques églises
sont renfermées dans riotérieur de la citadelle* Les ruines
de l'une des tours semblent d*origine franqu^, mais tout
le reste est vénitien. Le château est de la première époque
de leur occupation , et le lion de Sainte-Marc en surmonta
toutes les portes. On lit cette inscription de la première
époque vénitienne sur une des tours :
HOC OPDS riERI FECERtNt
MAGNIFia
ET CLARHSim DOmSI
BBUfiOlDDS BONATO
CAST^LACIUS
ET
LUltOVlGUS CONTABENO
CAPITANEUS
ET »AOyiflORE8 COROm.
H. COCOi LUXlIb
A peine quelques barques viennent-elles aujourd'hui
chercher un abri dans son port. Les habitants paraissent
sans agriculture et sans industrie.
De Coron à Modon on a à suivre un chemin de monta»
gnes très-âpre et très-difficile ; on a toujours à marcher
sur des pointes de rochers ou dans des sentiers profondé-
ment encaissés comme s'ils étaient fabriqués de fonte,
Après avoir franchi toutes ces montagnes noires et déaer^
tes , j'arrivai dans une plaine découverte et assez bien cul-
tivée, près de la mer; mais de nouvelles montagnes,
MOBOM. 465
d'mie p^nte pins ^ouce yers la terre , feraient bmaque-
ment le rivage et forcent à rester dans une route de ra-^
i^iBS. Là, près du rivage, apparaît à gauche une tour fraa*
que qui domine la vallée , et à droite s'aperçoivent quelt»
qnes ruines byiantines. Quand on a remonté ces nouvel-^
les montagnes , la vue redevient belle dans le lointain i
e'est une autre mer qui vous apparaît, avec les deui ties de
Sapienia et de Cabrera, appelée ici Esqpiiza.
J'arrivid à Modon à travers champs, et me logeai dans
la aouvelle ville. Au qioment de l'arrivée des Français ea
16S/i , Mpdon était un misérable bourg. Notre corps d'arr
mée y a jeté de Fargent ; 1^ soldats n*étiuent pas moins
phiDiellèaes que les chefs, et tous cherchaient à l'envi à
prêter Qçcours i une nation qui demandait h renaître. Les
ruines furent déblayées, un plan régulier fût tracé, et une
^tite ville fut commencée. Dans toute la Messénie , les
hommes de tous les rangs ne parlent aujourd'hui qu'avec
reconnaissance du corps d'armée commandé par le maré-
chal Maison. Tandis que la France garantissait h la Grèce
b jpttiflsanee de la nationalité sans la lui faire payer, ses
eoldats étaient comme des instructeurs qui lui enseignaient
ies premiers éléments de tout métier utile. C'est un ser-
vice que la Messénie en particulier n'a pas oublié. De pau-
vre e% ruinée qu'elle était au moment de notre arrivée ,
nous l'avons laissée , au moment de notre départ , floris*-
santé et laborieuse. Depuis, le mauvais système, ou plutôt
le début de tout système de l'adHiinistration grecque, ont
entravé au lieu d'aider Faecroîssement de cette prospé^
rite. La loi des dîmes en nature est appliquée d'une ma^
nière onéreuse et arbitraire et produit le plus prcrfond
mécontentement dans les esprits en même temps qu'elle
met entre les mains des fermiers du fisc tes moyens oen-
ttants de dominer le gouvernement lui-^môme. D'un autre
mM , le gouvemen^nt , au lieu d^aflermer les terres na^r
tJQuales à long bail » ou de les vendre au prix de deux on
trm «imési d» rwenu • t regardé faaiatment comme qq
456 GRECE CONTINENTALE ET HOREE.
rigoe de proq)érlté d'obtenir le prix le plus élevé possible
pour ses terres. Le paysan les achetait cependant, tantôt
pour les enlever à un voisin dont on était jaloux , tantdt
parce qu'il espérait en payer le prix à Taide d*anciennes
réclamations qu'il avait lui-même à faire sur le trésor, et
tantôt parce qu'il espérait qu'une bonne année de récolte
lui fournirait les moyens d'acquitter ce haut prix dans les
trente-six années fixées ; mais la récoite était toujours infé-
rieure aux espérances; le moment du payement arrivait;
les anciennes réclamations n'étaient pas reconnues ; il fallait
payer, et on se trouvait après l'achat plus pauvre qu'on était
auparavant J'ai vu dans presque toute la Messénie plus de
la moitié du corps des gendarmes cantonnés dans la pro-
vince , employés comme garnisaires dans les villages pour
forcer les habitants à acquitter le prix d'achat des terres
nationales. Leur séjour chez les habitants ne faisait que
rendre plus impossible encore l'acquittement de l'arrivé.
Modon est le point où débarqua, en 1205, Geoffroy de
Ville - Hardoin , neveu du maréchal de Champagne et de
Aomanie. Sa forteresse était alors en ruine; elle avait été
démantelée dans le siècle précédent par le doge Domenico
Michieii et les Vénitiens , pour se venger du tort que les
bâtiments grecs faisaient à leur marine. Les Français for-
tifièrent alors cette ville , à laquelle les chroniqueurs
donnent le nom de Michon , dont ils font le nom de tout
le Péloponnèse. C'est de Modon que partit Geoffroy de
Ville-Hardoin pour conquérir, avec son ami Guillaume
de Champ-Litte, toute la principauté d'Achaye, tpii devint
pour lui une souveraineté de famille. Son neveu , Guil-
laume de Ville-Hardoin , prince d'Âchaye, céda ensuite,
en 1248 , la ville de Modon aux Vénitiens avec celle de
Coron ; et ces deux villes continuèrent à éprouver le
même sort politique. La nouvelle ville de Modon s'étend
jusqu'à la forteresse qui s'avance sur la mer, ayant l'île de
Sapienza en face. A l'exception d'une moitié de tour en-
gagée dans le rempart , cette forteresse me semble toute
MOBON. 4Ô7
vénitienne. Sur la place en entrant est une sorte de co-
lonne rostrale de granit rouge , surmontée d*une sorte
d'architrave. Au^essus était placé quelque objet sculpté
qui a disparu ; peut-être un buste de François Morosini ?
Autour de cet architrave, au bas de la plinthe du haut, on
lit une inscription latine gravée sur. les quatre faces , mais
si mutilée qu'à cette hauteur il m'a été très-difficile de
la déchiffrer. Toutefois, voici ce que j'ai cru y lire; d'au-
tres pourront peut-être me rectifier.
Sur la première face :
BECTolïï': PfiClSCl MOROS (Ml)
aSSPlGUT ALTA MAEIS
Sur l*autre face :
CEPETES: ... EPO
Sur la troisième face la moisissure de la pierre m'a em-
pêché de distinguer aucun caractère.
Sur la quatrième face :
COL.... MCGCCLXXXltl
VICBR. LEO SUPER....
Cette colonne , qui avait probablement été élevée à la
première époque de l'occupation de Modon par les Véni-
tiens , comme le témoigne la date 1483 , aura sans doute
été rdevée par François Morosini, après 1686, ainsi que
le témoigne son nom qu'on lit sur la première face.
Notre corps d'armée sous le maréchal Maison avait fait
aussi de grands travaux à la forteresse de Modon. Plu-
sieurs des bâtiments furent réparés et un ouvrage avancé
fut ajouté aux fortifications pour protéger la place contre
une montagne qui la domine. Ces ouvrages subsistent en-
core , mais dans un état d'abandon tel que , dans la se-
maine oà j'ai passé à Modon , le gouvernement venait d'en-
lever deux des canons de bronze pour en faire des gros
sous.
39
458 GRÈCE CONTINEliITAI.S ET MORES.
La campagne de Modon à Navarin était autrefois cou-
verte d*oUviera ; mais Ibrahim a brûlé presque tous les
arbres , et nonnseulement on ne ]es remplace pas par de
nouvelles plantations , mais on arracbe même les arbres
eiistants, par crainte de se voir surtaxé par les apprécia-
teurs de la dlme « qui ne ménagent un peu que les di-
marques. Le défaut de publicité et de contrôle se fait sentir
h chaque instant en Grèce. Le mouvement , intelligent et
rapide aux extrémités, est comme arrêté au centre. Chacun
se plaint de ces lenteurs ; mais le peuple est patient et at-
tend : il attendra tant qu*ii espérera; quand il cessera d'es-
pérer qu'on lui donne volontairement , il prendra d'auto-
rité, et peut-être plus qu'il n'eût désiré d'abord.
Pendant notre dernière occupation , notre arnoée avait
fait une route carrossable de Modon à Navarin. La plus
grande négligence a été mise par le gouvernement grec à
son enuretien , et on a laissé les rntaaeaux et lort^ts s'y
frayer une nouvelle voie. Pendant les deux tiers de cet^
route, qui sont en plaine , elle est eneore assea bleu con-
servée ; mais , quand on arrive à la montagne rocheuse ,
comme on n'a pris auctm soin d^ renouveler la couche de
petites pierres qui la couvrait , les pointes de rochers qui
en formaient le fond sont tellement déchaussées , qu*il est
totalement impossible de la suivre à cheval , et il faut pren-
dre des sentiers i travers champs,
En m'approchant de Navarin , j'aperçus )i ma gauche
plusieurs pierres tumuhôres près d'une fontaine i je m*ap-
procbai ; c'était un simple monument funéraire élevé en
l'honneur de M. Gamn et de plusieurs autres de mes com-
patriote^ On a emidoyé pour la construction de ce mona-
ment des pierres poriques, et, comme on n*a pas eu le
loin de graver l'inscription sur le côté opposé au vent de
mer, les lettres eu sont déjii presque entièrement effacées.
Du point où est situé ce tombeau , on comn^nde une vue
magnifique de la rade de Navarin, oùt se livra la grande
bataille navale qui sauva la Grèce^
NAVARIN. 459
XXV.
NAVARIN. — ARCADIA.—CHRISTIANO.
Navarin est le nom sous lequel les Français désignent
cette ville. £lle n*est connue en Grèce que sous le nom de
NeOoCastro, peut^-être à cause du château qu'y firent bâtir
les Vénitiens $ cependant Neo^Castro est désigné par Q^
Ptiran2ti parmi les villes de Messénie. L'ancien Avarinoi
était de Tautrecôté du port. Probablement qu*en transpot'»
tant ici les. habitants, les Grecs d'abord, puis les Vénitiens,
rauront appelée Neo-Abarinos, le NouveKAyarinos , tran-
sformé par contraction en Navarin. De bon matin le liméoar^
que (capitaine du port) de Neo- Castro vint me prendre avec
son bateau pour me conduire à Palœo-Avarinos. Je vou-
lais visiter cette rade dans toute son étendue. Nous passâ-
mes au-dessous du château, qui est d'origine vénitienne ,
mais qui a été complètement réparé il y a quelques années
par les Français, tl est situé sur une esplanade qui domine
la ville et la rade et est fort bien défendu* De là noua
avançâmes vers la passe paroà pénétrèrent les flottes fran-
çaise , anglaise et russe réunies , pour aller attaquer la
flotte d'Ibrahim , stationnée au fond de la rade du côté de
Palceo^Abarinôs, puis nous arrivâmes k la pointe deSphae-
terie. Sur le rocher, à une cinquantaine de pieds du bord,
est le tombeau du capitaine Mallet, composé de trois pierres
placées pyramidalement. Les paysans les avaient renversées
pour prendre le plomb qui les attachait ; mais le gouverneur
et le commandant du fort les ont fait replacer. Je me remis
en bateau, longeai l'île, et arrivai à un endroit où elle est
creusée en forme de grotte. En face de cette grotte est un
rocher bas qui la défend, et sur ce rocher, dans la situation
460 GBECE CONTINENTALB £T MOREB.
h plus pittoresque , sont trois pierres carrées , dont deux
formant degrés , et la troisième une sorte de piédestal
Cette pierre cubique recouvre le totnlieau de TexceUent
Santa-Rosa. Je m'approchai et je lus :
AU
OOVTB S41IT0RBE
SANTA-ROSA
TUÉ
LE 5 AYIIIL 1825.
Ce bon Santa-Rosa fut une des premières yictimes de la
guerre. Ce simple tombeau est placé dans un endroit où
du moins il sera respecté. La grotte est d*un aspect fort
pittoresque , et le rocher, di£Bcile à aborder, ne porte que
cette simple tombe.
En suivant toujours Tfle de Sphacterie , j'aperçus sous
les eaux plusieurs frégates égyptiennes coulées bas pendant
le combat de Navarin ; elles se voient très-distinctement à
travers cette mer azurée et limpide. Les pêcheurs ont en-
levé tout ce qu'elles renfermaient de bon ; il n'en reste plus
que les carcasses. A l'extrémité est une seconde passe,
celle de Sika : c'était de ce côté que mouillait la flotte
d'Ibrahim. Je débarquai à la passe de Sika pour monter à
Paloeo-Âvarinos. La Chronique de Morée raconte^ que
Nicolas de Saint- Omer, apr^ avoir fait bâtir dans le pays
du Magne un petit fort, que je crois être Tigani, près de
Castrotis-Oraîas , fit bâtir le château d'Avarinos, Êxrt^t
ro xàffTpov Toû A êaptvou, dans l'intention d'en faire un fief
pour son neveu le grand-maréchal Nicolas de Saint-Omer,
vers 1278. Ce château, bâti par le seigneur Nicolas de
Saint-Omer après la mort de Guillaume de Yille-Hardoin,
est placé au sommet d'une montagne fort escarpée qui s'a-
vance entre la passe de Sika et on petit port arrondi qui
se réunit presque au lac saumâtre qu'on voit à la base de
* Pag. 189.
NAVARIN. 461
la montagne. Je fus environ trois quai'ts d*heure à monter
Ce châteaa crénelé a une double enceinte. Deux tours ron-
des de construction turque terminent les deux poinles de
renceînte du côté de la grande mer et du côté de la passe.
Sur la porte qui est debout était placée une vaste tour car-
rée dont un des côtés est écroulé. Au-dessus de la porte on
voit encore les meurtrières qui se trouvent dans tous nos
vieux châteaux. L'intérieur de Tenceinte est très-vaste, et
on y trouve de grandes citernes. L'enceinte extérieure
forme le véritable château : il est tout entier en ruines ;
mais on y retrouve d'immenses citernes et un puits. L'en-
semble intérieur a beaucoup de ressemblance avec le pa-
lazzo Capuano à Naples, excepté que les murs vont en s'ar«-
roudissant le long de la pente de la montagne.
Tonte cette enceinte extérieure conserve encore ses cré-
neaux d'un côté. Près du rocher, qui s'avance le long du
petit port, on retrouve plusieurs assises de pierre helléni*
ques qui semblent appartenir à l'acropolis de l'ancienne
Pylos, et au milieu de l'enceinte intérieure est une ouver-
ture qui donne sur la grotte connue dans le pays sons le
nom de grotte de Nestor.
Je restai long-temps à faire le tour du chemin de ronde,
qui est encore, ainsi que plusieurs tours carrées de l'in-
térieur, un reste de la fortification de Nicolas de Saint-
Omer; puis, par un véritable chemin de chèvres, conduit
par un matelot du liménarque , j'arrivai du côté de la
grotte de Nestor. Elle est placée très-haut sur le rocher
vis-à-vis le petit port et comme en face de l'tle de Proti ,
que l'on découvre à merveille du haut du château franc
réparé par les Turcs et complètement abandonné mainte-
nant. Cette grotte est dans le rocher même et ressemble
beaucoup an trésor d'Agamemnon à Mycènes. Elle est ar-
rondie en cône vers le haut , et tout en haut on aperçoit le
jour par cette ouverture qui communique avec le château.
La dimension m'a semblé à peu près celle de la grotte d*a-
rar à Capri. Beaucoup de palombes y^ont fait leur nid ;
39.
4t)9 GaÈCE CONTIIfMTAU ET MOREE.
et 8'enfuyaient à notre approche. La Tille de Neitor , si
c'est bien là Pylos , se trouvait en face de la haole mer et
de la passe , et on retrouve encore , au milieu des brous-
sallles et des champs , des traces considérables de bftii-^
menis et de toiles antiques. Elle était placée sur le versant
qui desoend du côté de la hauteur et non do côté de la rade.
La petite passe de Sika devait suffire en effet à la marine
d'alors. Elle est assez étroite pour avoir pu être aisément
défendue. Aujourd'hui que la grande passe peut servir, il
convenait mieux de bfttir dans Tintérieur et an fond de la
inde, ainsi que l'ont fait les Vénitiens à Neo*Castro.
J'allai k mon retour visiter leur chftteau» Lés Pra&çais
y ont fait des travaut considérables» une grande caserne «
une vaste prison pour les détenus » et on en a bit mie
place très^forte* Au moment où tout étaîl terminé , une
poudrière en sautant ayant entraîné les mors des priaooa*
la veille même du départ arrêté , et ayant blessé plu-
sieurs soldats, le départ fut contremandé; les Français
restèrent et reçurent ordre de mettre la dtadelle en étal.
Ils y dépensèrent beaucoup d'argent ; mais jamais argent
ne fut mieux placé que celui que nous avons dépensé
pour la Grèce : nous avons laissé là de nobles souveinrs.
La ciudelle , la route et la ville entière sont notre ouvrage ;
et par-dessus tout, le payé nottsdoity avec sa liberté, les faci-
lités données à son premier établissement par l'argent que
dépensait notre armée et par le bon exemple qu'elle drâ-
nait. Quand les Français arrivèrent il n'y avait que deux ou
trois maisotis : aujourd'hui Navarin est une petite ville. Les
Français ont fait une place publique et une fontaine « et
assigné un pian aux rues^ Ce qu'on a conservé d'eux depuis
leur départ , c'est une grande propreté qui distingue Neo-
Gastro parmi les villes de la Grèce. Il y avait alors des res-
taurateurs. J'eus grand'peine à en trouver un» nommé Klé-
ber, qui est devenu amoureux icii et y esl resié après l'ei-
pifation de son temps de service de pontonoieri 11 a danile
ot-t un petit établissement où il donne à dînm* 9M offiei^afi;
MESO-KHOBI. 40S
et8*il était un pea encouragé, il pourrait tenir ane auberge
telle quelle, et aTOir un ou deux lita que les étrangers se-
raient trop heureux de trouver , daus rimpossibilité corn-
f^ète où on est de se loger en Qrèee sans incoaiinoder lea
amis de ses amis.
Après mon dîner chea Klébek*, j'allai voir quelques-uns
des travaux faits par les Français è la place , et rentrai
pour monter à cheval avec le colonel Oikonomi jusqu'à
Meso^Khori. C'est un village situé dans la montagne^ è une
lieu de Neo^astro. Ou quitte la route de Alodon k nioitié
i^hemifi » et en montant à gauche on arrive dans une vaste
plaine fi^s^élevée» mais lrès*bien cultivée. U y existe plu-r
sieurs ruines d'églises qui prouvent que là. a été autrefois
nne viUe considérable. La vue y est fort belle. La monta*
gne placée en face se présente d'une manière fort ^tto^
resque. On aperçut toute la rade de Navarin , l^ile de
Sphacterie , et au delà la bau(e mer et Tije de Proti. Le
apectacle du combat de Navarin devait être fort imposant
TU de cet endroit.
Ge plateau est très-iértlle et très-bien défendu par sa
«tnation sur la montagne. £n haut de ce rocher la plaine
s'étend an loin , et les villageois en ont pris le plus grand
soin. Je les trouvai occupés à battre le blé * et ils me direa^
qu'ils trouvaient très«fréquemment dans les champs des moa-
Bsies légères, larges c<Hnme deux lepta, mais plus minces,
avec une croix d'un côté et une sorte de clocher de l'autre ,
ce qui répond parfaitement aux deniers tournois des princes
de Morée. Je visiuû deux des églises. L'une est byzantine et
fort ancienne i l'autre, byzantine aussi, a été construite sur
l'emplacement d'un ancien temple, et on y reconnaît beau-
coup de pierres helléniques» Je rentrai à sept heures et de-
mie, et allai me reposer sur une chaise longue chez le gouver^
neor de la province, U* Capsali de Missolonghi.
Dès quatre heures du matin j'étais à cheval pour arriver
i Areadia » qui est à onze heures de Neo-Gastro. La route
tourne antour dç la rade. Jusqu'à Qargaliano le pays n'est
464 GBECB CONTINBKTALB BT MOREE.
pas fort beaa ; mais une lieue avant d'arriver à Gargaliano,
c'est-à-dire à trois heures deNeo-Casiro , le pays devient ma-
gniGque ; la culture est superbe ; on voyage entre deux belles
baies de myrtes en fleurs et toute la campagne est on véri-
table bois d*oliviers. En s'approchant de Philialra , le pays
devient encore magnifique; les oliviers sont verts, immenses,
et rapportent de 6 à 12 drachmes ; les mûriers, les citron-
niers forment une véritable forêt ; les raisins de Corinthe
commencent à mûrir. Je fus trop heureux pendant neuf
heures de route à jeun de trouver un raisin noir dans une
vigne de deux ans de pousse ; il était doux et fort bon. A
quelques pas de là , un homme du pays , apprenant que
J'étais Français , vint poliment m'offrir une belle gra{^ de
raisin de Corinthe. La politesse des Grecs envers tout autre
qu'un Bavarois est ici dans les mœurs de tous ; on vous ac-
cueille avec bonne grâce , et les Grecs cherchent à vous
rendre service. Après avoir passé le petit port d'Hagî-Ki-
riaki, où on construit des embarcations, mais où il n*y a pas
encore de village , j*arrivai à Philiatra, petite ville fort
propre , placée au milieu de bois ravissants d'arbres de
toute espèce. Là , un marchand de faïence m'ofihrit sa
maison ; et on alla complaisamment me chercher tou^ ce
dont j'avais besoin , et sans vouloir autre chose que le prix
modique que ces objets auraient coûté à un homme du
pays qui se fit un plaisir de faire mes approvisionnements.
Les Grecs du peuple ont une honnêteté et une politesse
naturelle dont le gouvernement eût pu tirer le plus grand
parti, ainsi que de tontes leurs habitudes locales. Conçoit-on
que , dès son premier établissement en Grèce, la régence,
composée de Bavarois qui ne connaissaient ni la langue ni
les usages du pays que les hautes puissances lui avaient li-
vré à gouverner, ne se soient pas fait un devoir de recueil-
fir les coutumes locales relatives à l'irrigation , aux forêts ,
aux pâtures , et à tous les détails de la vie agricole et mu^
nicipale, coutumes si bien connues de tous les Grecs, si
bien jugées par leurs asseniblées locales , et qui peut*être
PHIilATRATAECADlA. 465
se sont conservées depuis les temps les pins anciens des
répabliqaes grecques? La Grèce et les Grecs, voilà ce
dont les régents bavarois semblent s*être souciés le moins.
Le jeune roi , qui leur a succédé à sa majorité , a montré
les dispositions les plus bienveillantes en faveur d*un peu-
ple qu*il aime et dont il a toujours été aimé ; mais jus*
cju'ici , malgré son zèle à étudier toutes les affaires dans
leurs moindres détails, malgré la patiente résignation
avec laquelle les Grecs, que l'on prétendait si turbulents ,
attendent sans se plaindre , mais non sans oublier ce qui
leur est dû, tout est encore à faire, et une organisation poli*
tique conforme aux vœux du pays, à ses usages et à son
intelligence tardera peut-être jusqu'à lasser leur patience.
La route de Philiatra à Arcadia continue à être magni*
fique; ici il n*y a pas de terres du gouvernement, et tout
appartient aux particuliers. Gomme c'était iin pays de
plaines , ils ont pu moins aisément se mêler aux révoltes
contre les Turcs, et ils avaient été frappés de moins de
confiscations. Aussi tout est-il couvert d'arbres de la végé«
tation la plus belle, entre la mer et la montagne. On a tou-
jours la mer en présence , et de loin on aperçoit les îles de
Zante et de Géphalonie. Près de la mer apparaît dans la
situation la plus pittoresque le Castro d' Arcadia, et séparé
du Castro, sur la droite en s'approcbant des montagnes,
et sur leur versant, la jolie ville d' Arcadia. Je m'arrêtai
en y montant pour voir les ruines de deux églises ancien-
nes : l'une byzantine et l'autre certainement franque, avec
des arcades et une porte ouverte sur la mer et sur l'occi-
dent. Le temps était superbe : une douce brise apportait
de la fraîcheur, et je n'ai pas senti un instant l'incommo-
dité de cette longue route. J'arrivai à Arcadia à sept heures
et allai me loger chez M. Panagioti Papa-Athanasopoulos,
pour lequel j'avais une lettre de M. Delyanni.
La maison de M. Athanasopoulos, gendre du dimarque,
est située en haut de la ville et commande une fort belle vue
sur la mer. En ouvrant ma fenêtre le matin je pus jonir
466 GaÈCB GOimiIttlTAU BT MOKBE.
de cette me et de celle du castra sîtaé aanlessons de
moi , car la Tîlle actaelle est plus haute que le cbitean ;
c'est Doe ville tout Donvellement bâtie , les Turcs ayant
tout brûlé. J*allai voir une église ancienne an centre de la
Tille. Elle est aussi du temps des Francs , à en juger par
son architecture; mais les Turcs en ayant brûlé one partie,
qui est celle du cOté de la porte , on n*y trouve plus aucune
trace de la construction primitive de ce côté. De là j'allai
au Castro, où Je reconnus quatre époques bien marquées :
l^ Des assises helléniques encore conservées, du cûté
d'un petit village derrière la montagne, et à la porte d*ea«
:tée , où était une tour carrée ; on en découvre également
des fragments I l'eitérieur» çli et là , surtout dans une
tour carrée qui est évidemment de l'époque franque.
2* Une tour octogonale byzantine ancienne, à fenêtres car*
rées de forme antique et 1 assises beaucoup nmins consi-
dérables , mais assez bien posées pour être anciennes t il n'y
a pas de tuiles mêlées à la pierre. Elle eiit placée du côté
de la ville , et est la dernière des tours du château.
3* Une tour carrée de Tépoque franque : on y retrouve
beaucoup de pierres helléniques, et dans un des coins
plusieurs assises qui appartiennent probablement à l'an*-
cienne tour hellénique , sur la base de laquelle les Francs
avaient construit la leur. La porte est, comme d'ordinaire,
en l'air, parce qu'on y parvenait par un pont-levis qu'on
retirait ensuite.
II? Doux tours de construction torqoe et des murs cr6«
nelés par eux.
Arcadia était une des douxe places fortes de Morée en
1205. Elle fut donnée avec Calamata à Geoffrol de Ville-'
Hardoin par Guillaume de Champ-Litte ^ L'armée fran^
que, en passant de Fatras à Modon, s'empara de force de
la ville ; mais elle attendait , pour attaquer le château , les
navires vénitiens qui sans doute transportaient les ma-
» Voy. Chron. de Moiée.,'^, 31 et 46.
C0BISTIANO. 467
ehines de guerre ; car ils ne pouvaient les aider autrement ,
attendu que le château est à un quart de lieue de la mer ,
qu*au bas est une plaine qui s'étend jusqu'à la mer, et que
les vaisseaux ne pouvaient lui porter dommage autrement
qu'en transportant les machines. 11 n'y a pas de grand
port, mais un fort petit port s'étend au delà de la ville sur
la route de Pyrgos, Arcadia fut ensuite donnée à Vilain
d'Aunoy, sans doute par Guillaume de Ville-ilardoin ,
lorsque Vilain d'Aunoy quitta Constantinople en 1261 et
se réfugia en Morée, C'était un Centurion de Gênes qui ,
en 1391» était seigneur d'Arcadifi et un des plus puissants
seigneurs de Morée.
Arcadia était l'ancienne Kyparissia en Messénie. Au
quinzième siècle la Aiessénie appartenait aux Slratégopule»
Mélissène. Nicépbore Mélissène avait nommé Théodore
Paléologue tuteur de sqq fils Mcolas. Celui-ci donna à son
frère la Messénie , qui appartenait à son pupille , comme
ti c'eût été sa propriété ^
A sept heuies nous montâmes à cheval, M. Athanaso-
poulos, M. Zaphiropoulos, dasonome (inspecteur des forêts)
de la province, et moi, pour alleràChrisiiano, où je voulais
voir une église dont on m'avait beaucoup parlé. La route tra-
verse des sentiers boisés qu'on a peine à franchir , tant le
bois croît avec vigueur. Chrisiiano est à trois heures d'Ar-
cadia. L*église de Christiaoo est véritablement fort consi-
dérable et fort ancienne* Ou reconnaît un |grand nombre
de pierres helléniques dans la construction • ce qui mon-
trerait qu'il y avait là autrefois un temple païen. Près de
l'église sont par terre deux colonnes de vert antique fort
beau. L'église elle-même est byzantine , du onzième siècle
probablement ; et le palais épiscopal semble avoir été an-
nexé à l'église et avoir eu une chapelle adjointe à l'église.
J'ai compté trente-deux pas de long sur viogt-deux de
largei et cinquante-deux pas de long en allant jusqu'au
i Voyez Ptmrantzi, p. 131 et 133
468 GaÈCfi CONTINENTALE ET MOREE.
souterrain obscur qui formait partie d'une église adjointe au
palais; c'est une des plus vastes églises que j'aie vaesen Grèce.
Il est probable que c'était là le séjour des anciens évêques de
Christianopolis , dont le séjour fut depuis transporté à Ar-
cadia et qui continuèrent à porter le titre d'évêques de
Christianopolis. Nous prîmes notre conaki chez le parédros
du pays , car le cbeMieu de la commune est à Philiatra, et
nous l'invitâmes à dîner avec nous. Les femmes sont comp-
tées pour rien danslaciasse du peuple. Lesfemmesse lenaieut
là dans une antre partie de la chambre , prêtes à faire ie
service. L'une d'elles était grande , svehe et bien faite , et
elle marchait avec la distinction des personnes les plus
qualifiées. On retrouve encore parfois en Grèce de ces for-
mes qui vous révèlent la statue antique. A Messène , près
de la fontaine Arsinoé , j'ai vu une paysanne de Mavro-
mati qui portait une large coiffure blanche et qui , par sa
tenue , sa coiffure et son péplum , semblait une belle sta-
tue de déesse descendue de son piédestal. £n revenant de
Christiano à Arcadia, nous nous égarâmes quelques in-
stants dans le fourré. Pour nous tirer d'affaire, M. Zaphl-
ropoulos, qui est un des cinq dasonomes grecs sur les
trente ou trente-cinq de la Grèce , car les autres sont ba-
varois, monta sur un tertre que son cheval, bien qu'ha-
bitué à cet exercice, eut grand'peine à franchir. Il y avait
un trou que mon cheval et moi ne vîmes pas; mon cheval
tomba sur le côlé et moi dans le fourré , mais sans bles-
sure. En voulant se relever il trébucha encore, et, cette fois,
tomba sur mes jambes. Fort heureusement il y avait là des
bf anches qui amortirent le coup, et je pus le repousser avec
une jambe que je dégageai ; j'en fus quitte pour une légère
foulure qui m'empêcha de marcher quelques jours. Ce serait
une chose assez fâcheuse que d'avoir les jambes cassées au
milieu des forêts grecques, et surtout dans cette pauvre con-
trée de Morée destituée de tout secours médical. Remontés à
cheval nous pressâmes le pas de nos chevaux , et en deux
heures nous arrivâmes à Arcadia. La situation de cctle
SIDERO-CASTRO. 469
ville me plaît beaucoup ; ses maisons sont toutes nouvelles.
:e:ii brûlant partout, les Turcs ont, par hasard, oublié de
l>rûler les oliviers et les jardins qui sont un des ornements
An pays. La plupart sont plantés sur des terrains nationaux
et loués si cher qu'il y en a quelques-uns complètement
^abandonnés; le gouTerncment n'a pas voulu les vendre à un
prix modéré , mais seulement les affermer pour dix ans :
âéplorable calcul qui entretient ce pays dans la misère et
l'abandon I
><taite
XXV 1.
SIDERO-CASTRO. — PAVLITZA. — PHIGALÉE.
BASSjE. — ANDRITZENA.— LAVDA.
A cinq heures du matin je quittai Arcadia pour Sidero-
Castro. La route tourne autour du château, au bas d'un pe-
tit village situé sur l'autre versant d'Arcadia qui est privé
de soleil la plus grande partie de la journée. J'avais pris
un gendarme pour guide, et nous arrivâmes après trois
heures de fort mauvais chemins à Sidero-Gastro. Le village
est situé tout en haut de la montagne et les maisons sont
dispersées çà et là autour des rochers. Ma chute de la
veille m'empêcha de monter sur le haut de la montagne
qui domine le village et sur la cime de laquelle sont les rui<
nés d'un château-fort à petites pierres sèches, comme celui
d'Angelo-Castro. Ce genre de construction a devancé l'oc-
cupation des Francs. Je pris quelques heures de repos à
Sidero-Castro et m'acheminai, par une route rocailleuse,
vers le village de Pavlitza , qui est placé au milieu des rui-
nes de Tantique Phigalée.
Depuis le village de Kara-Mouslapha , situé sur une
montagne, jusqu'à Gallitzena , on descend par un magnifi-
40
^470 GRÈCE CONTINENTALE KT MOREB.
que ravin reTéta des plus grands cbône8,€t qui va toujours
en se resserrant ; c'est dans ce ravin et le long de ces
montagnes que beaucoup de Grecs cherchèrent un asile
contre les cruautés d'Uirahim. Les montagnes sont partout
revêtues des plus be^nx chêne» et platanes, et au fond
d'im vaste précipice coule , entre deux bords profond», le
torrent de la Neda. Les deux immenses escarpeaienu de s^
deux rives sont kpeinp praticables, et cependant, sur toutes
les pentes, des champs de maïs entrecoupent les forêts et les
rochers ; là où on ne croirait pas que l'homme puiisse arri-
ver, on aper^it des champs récemment moissonnés. Cette
gorge étroite est d*un fort bel effet dans sa sauvagerie; en
arrivant près de Pavlitza la montagne devient plus aride.
L'effet de la vallée profonde de Phigalée et de ses vieilles
ruines au clair de lune est tout à fait majestueux.
Je passai ce qui me restait de jour et une partie de la
soirée à parcourir à cheval au clair de lune une partie des
ruines de cette grande ville. Il y avait pour moi quelque
chose de solennel dans cette première visite faite pendant
le silence de la nuit à une ruine glorieuse. Ce sont partout
de vastes pierres à peine taillées, et les murs sont d'une épais-
seur de six à sept pieds. Us se prolongent sur toutes les crê-
tes de la montagne jusqu'au-dessus du village de Gaiditza
et tout en haut d'un ravin profond où coule un toiTent
De bonne heure, me sentant un peu mieux de ma jambe,
je montai de Pavlitza à l'enceinte des murs de Phigalée. Je
ne pus trouver aucune des portes anciennes, qui sont toutes
ruinées; mais je retrouvai une sorte de poterne en pierres
helléniques ressemblant beaucoqp à la porte d'Arpino.
Les murailles antiques se prolongent pendant plus de deux
heures le long des crête^ de la montagne. L'accopolis est
tput k fait sur le haut et contient deux petites chapelles
copstruites sur des fondements d'anciens teo^ples : Tune,
dédiée à saint Éloi ; l'autre à la Panagia. Une tour ronde
était s)jr l'acropoli^; elle a été conservée eu pactie et eo
parfi_e rQponstriiJte «iM rooyçn âg.c des fragincpls 4§ pione
PHIGALEB. 471
troovés sur le lieo^ et sans mortier, isàns doute pour faire
uae tour de signant. Le long dès murs 6n ajierçoit quel-
ques restes de tburë carrées qui fo)*ment un deml-cèrcle
extérieur appuyé sur le mpr.
£n \oyaitt ces vastes ruines oïl se demande comment leS
peuples anciens pouvfiiient faire d'aussi énormes frais qud
ceux qu*etigeait la construction de villes semblables. Ces
pierres ont été appot-tés d*ailieuri$ , car elles nbsont pas dd
la même nature que les rochers de.Pavlitzav et paHout ea
Grèce dans les lieux les plus âpres; au sommet quelque^*
fois des plus hautes montagnes , on trouve d*imfcnehseé
coDstrdctibns de temples bâtis avec des marbrés et de vas-
tes assises de pierres apportés Souvent de lieux fort éloi-^
gnés. Tous semblaient lutter à l'envi pour orner lénr ville:
Chaque Grec avait un attacheroeut {profond non-teule-^
ment pour sa patrie politique i mais pour sa patrie munir
cîpale, qui est comme une exiension de la famille. Ob
était toujours prêt à des sacrifices pel'sonnels pour la dé-*
fendre et Tembellir ; et souvent les dieuic locaux étaiedi
plus respectés que les grands dieux. Ce même attachement
à la patrie locale est aussi le caractère distinctif des Grecs ac«t
tuels: c*est là peut-être ce qui, avec la religiob, a prot^é
si efiScacement leur nationalité contre les Turcs, chez lesquels
ce sentiment de patrie n'existe nulle part. Chez les Grecs
anciens c'est le dévouement de tous au bien et à la défense
de la cité qui permettait d'éleyer de telles villes et de tels
monuments , car Phigalée avait aussi ses templesw On re-
trouve cà et là des tronçons de colonnes cannelées près des
ruines de ces édifices^ La vuq de là est vérilablement im-
posante ; dans le fond du ravin coule sans être tu le tor-
rent de la Neda , et on aperçoit au loin Ithome et la mer
du golfe d'Arc^die. De là on voit ans» remplacement du
temple d'Apollon Épicuriçn à Bassœ. J'achetai quelques
monnaies trouvées sur les lieux et montai à cheval pour
me rendre à Bassx.
La route de Phigalée à Bassae passe par le village de Tra-
479 GRECE CONTINENTALE ET MOEÉE.
goL C'est une yéritable roate de montagne, aride et pier-
reuse. Trago! , située sur le penchant d'un ravin , offre des
points de vue plus agréables ; on y parle albanais , ainsi que
dans les villages voisins de Pougicadès , Mavromati , Sou-
lima» Couvala« Ylacha, Ripesa, Psari, Petza, Lapi, Agvi-
ka, Steano, Cotzangra, Booga, Bodia, Badisova, Diata,
Varibobi , Materi , Palomera , etc. , comme aussi à Phiga-
lée. La population slave, beaucoup moins intelligente que
la population grecque, semble s'être réfugiée dans ces
montagnes à une époque fort ancienne et y avoir passé de
la vie de pasteur à la vie d'agriculteur.
De Trago! à la montagne où se trouve le temple d'Apol-
lon Épicurien , il n'y a qu'une demi-lieue. On traverse une
belle forêt de vieux chênes, consacrés sans doute dans l'an-
tiquité par des autels aux nymphes , et on rencontre deux
fontaines; puis, quand on est arrivé presque au sommet
de la montagne, tout à coup apparaît un temple antique
parfaitement conservé. Les quatorze colonnes cannelées de
chaque côté et les six des deux extrémités sont encore de-
bout ; seulement deux des six qui formaient l'entrée du
côté d'Arcadia et en face de la mer sont tombées à côté, ce
sont celles des deux extrémités. L'intérieur du temple est
aussi parfaitement conservé. Il se composait de trois par-
ties : la partie du milieu a encore ses murs inférieurs de
clôture ; les bases des colonnes intérieures sont debout ;
1 une d'elles est tout entière , mais fort ébranlée ; sans
doute par quelque tremblement de terre qui aura agité
tout le temple.
La seconde assise était taillée de manière à former le mur
de l'intérieur et à présenter dans le vestibule un commen-
cement de colonne engagée. Les autres assises supérieu-
res avaient aussi une double destination : la clôture plate
du mur et la continuation à l'extérieur de la colonne en-
gagée. Ces colonnes sont composées du plus beau marbre
de Paros. Des fouilles opérées il y a peu d'années ont fait
'découvrir la frise, qui est à Londres; elle offre le combat
BASS4S. 473
des Centaures et des Lapifhes. Il serait facile de rétablir co
temple avec tous ses morceaux, car tous sont encore là , et
il n'y manque que ce qui est à Londres. C'est une dilapi-
dation véritable que d*arracher ainsi aux monuments an-
ciens les morceaux que le temps avait respectés. Le temple
d'ÂpoUon épicurien avait survécu à toutes les invasions
des barbares, et sa situation isolée , au faîte d'une haute
montagne éloignée de toute habitation, l'avait préservé
des mains des maçons. Les Turcs, qui étaient de grands
destracteurs, n'ayant pas de mosquée à construire dans les
environs, avaient passé à côté sans le voir et le détruire,
et voilà que des amis de la science font ce que n'ont pas
fait les barbares. Placés à Londres dans une espèce de cave
en briques, au bas du Musée Britannique, comme un feston
d'architecture, ces bas-reliefs ne peuvent rien produire
pour l'art; ici ils auraient peut-être déterminé le gouver-
nement grec, non à restituer, ce qui est aussi une barbarie,
mais à mettre sur place et debout toutes les pierres accu-
mulées ici et qui en eussent fait le monument le plus com-
plet de l'ancienne Grèce. Le toit , qui était en marbre, dans
le genre de celui du temple de Thésée, gtt encore à terre,
et on y retrouve, de plus qu'au temple de Thésée , Tinté-
rieur et la nef dans leur intégrité. De la plate-forme de ce
temple on a une vue fort étendue sur l'isthme et le golfe
d'Arcadia. Il est encore entouré comme autrefois du
bois sacré de vieux chênes, et ses deux fontaines l'abreu-
vent avec leur eau fraîche et pure.
Je restai pendant trois heures en admiration devant ce
temple, puis montai le sommet de la montagne qui en dé-
robe la vue du côté d'Andritzena. De là à Andritzena, c'est
une descente rapide et une succession de collines arides fort
différentes de ces deux belles vallées qui précèdent l'arri-
vée à Phigalée et qu'on voit près de Callilzena. En appro-
chant d'Andritzena le paysage devient plus gracieux; tou-
tes les montagnes sont couvertes d'arbres et les vallées sont
remplies de jardins bien cultivés , entrecoupés par des
40.
474 GAECE CONTINBHTALE ET MOREE.
cbami» nouTellement moissonnés, dont la couleur jaune esl
variée par la verdure de quelques beaux arbres. À une
lieue et demie d*Ândritzena est le vieux château franc de
Zarkoula» près de Phanari. De là on a une vue magni&que
sur les deux mers, sur la mer Egée d*un côté et la mer
Ionienne de l'autre. II. est en ruines ^ mais en ruines
grandes et vastes. Ce qu'il y a de curieux à observer, c*est
que des siècles si différents que les premiers temps de la
Grèce et le temps des croisés aient amené la construction de
monuments imposants. Sans doute les premiers teipps grecs
avaient un goût plus pqr, mais la force s'y fait plus sentir
que la grâce. Lçs rois d'Homère étaient en effet les grands
barons francs de Morée. Nestor possédait la IVlessénie,
Agamemnon i'Argoîide ; mais leurs domaines étaient moins
étendus que ceux des ducs d'Àtliènes et de Naxos , et le
baron de Cariténa pouvait lutter de bravoure ^vec Àjax.
Andrhzena est gracieusement assise sur le penchant
ci'une colline quj s'élève entre deux montagnes plus hautes,
de l'une desquelles elle est séparée par de profonds ravins
où coule te torrent de Ehovia : mais les torrents et les ca-
scades diminuent beaucoup de grandeur en Grèce au moi^
de juillet; les torrents n'ont qu'un ûlct d'eau et les cascades
sont à sec. £n voyant cependant cette succession de ro-
chers droits au milieu de belles forêts et de profonds raylns,
on comprend tout l'effet imposant qu'ils doivent prodliire
au mois de mai, lorsque les pluies d'hiver sont encore gros-
sies par la fonte des neiges.
Andritzena se conapo^ de plusieurs jolis hameaux
distribués çà et là sur divers versants, de la montagne;
les vignes onl iine verdure de feuillage qu'elles n'ont
pas en France, et tous ces hameaux sont situés au mi•
lieu des vignes. Je voulqs acheter quelques monnaies , et
me vis entouré de toute la ville. En Grèce, un étranger est
obligé d'avoir une vie publique comme hiî roi.: s'il tait une
question, tous s'approchent pour l'entendre;^ s'il veiit ache-
ter une médaille, tous veulent l'examiner. LS rbiitë d'An-
LAVDA. 475
drilzena à Lavda est fort belle. Là je m'arrêtai afin d'aller
voir dès le matin les ruines d'une ville antique, connues sous
le nom de Castro de Sainte-Hélène.
Couché en plein air sut* rin tapis , sur une de ces ter-
rasses en bois qu'on a fréquemment dans les maisons grec-
ques; je m'éveillai avec les premiers rayoïis de l'aorore ; et
montai |a montagne placée au-dessus du haut Lavda.
Après une demi-heure j'arrivai à une ville antique : toute
l'enceinte est parfaitement conservée ; il y a deuit terre-
pleins l'un au-dessus de l'autre, puis un acropolis. Les
pentes des montagnes ne sont pas là aussi rudes que dans
beaucoup d'autres villes antiques. Dans l'enceintç je trou-»
vai plusieurs fragments de çolon^ies cannelés, et j'^n trou-
vai d'autres .d^ns une petite chapelle près de la footaipe
qui est à quelques pas des murs de la ville. Dans l'a^ropo-
lis est une tour ronde qui servait aussi sans doute de n*
gie au moyen âge ; car de là on voit devant m , comme à
deux pas, le Diaforti, ancien Lycée, sur le spmmet ^uquel
sont les ruines d'une autre tour hellénique 4ont il.n'existc
que les premières assises. Le long des murs de Lavda on re-
trouve encore plulsieurs tours carrées, et d'autres ai:rondies
du côté extérieur, comme j*en ai vu i Phigalée. Il faut une
demi-heure ou trois quarts d'heure pour faire le tour de cette
ville aux murs à larges pierres, parmi lesquels oh en trouve
pliisîeùrs polygonales irrégiilières. L'emplacement des deux
portels près des deiix tours est parfaitement niarqué et les
murs s'y consérvéht entiers, il y a aussi plusieurs restes
de temples avec leurs soubassemeiits et les ruines de plu-
sieurs petites églises.
476 GEECE CONTINENTALE ET HOREE.
XXVII.
CAEITEIIA. — MtoàLOPOUS. -~ LEONDARL — YEUGOSTL
— M AKRY--PLA6I. ~ LAK03. — - GAROI&I.
De Lavda à Garitena il n'y a que trois fortes heures.
Le chemin est assez âpre et les montagnes arides jusqu'à
une lieae de Lavda. On aperçoit de loin )*A1phée qui code
an fond de la vallée; et de Larda même on voit le château
de Caritena, fief du chevaleresque baron de Garitena,
assis snr la montagne comme une couronne de comte, avec
ses créneaux pour fleurons. La roule qui longe Tautre côté
do torrent semble tourner autour du château de Garitena et
permet de l'envisager sous toutes ses faces. Je traversai
an pont jeté au temps des croisés sur TAIphée , pont à
plusieurs arches dont la vue serait fort belle dans un pay-
sage, et montai, par une pente des plus rapides à cette célè-
bre ville de Garitena , placée au pied du château d'un de
ces barons si repommés dans l'histoire du treizième siècle,
et s'étendant sur la croupe du mont et sur ses deux ver-
sants. Il faisait une chaleur extrême et il était midi. Je
pris mon logement dans une maison de fort bonnes gens,
mais peu habitués à la visite d'un étranger, et d'un étran-
ger franc. J'eus grand'peine à persuader à la maîtresse de
la maison qu'il ne pouvait m'être commode qu'elle restât
assise sur le seuil de ma porte tout ouverte sur la rue. Je
conquis enfin la solitude de ma chambre sur la bonne
femme et sur de nombreux poulets qui la remplissaient.
J'ouvris mes malles, et, dès que je me fus changé, j'établis
mon nécessaire pour écrire et rédiger quelques notes;
mais à peine étais-je assis que voilà l'un des poulets que
j'avais chassés qui montre sa tête sous la porte , glisse lé-
gèrement son corps pressé entre la porte et le seuil, et
CARITBNA. 477
pénètre dans la chambre ; un autre suit bientôt son ca-»
marade, puis un autre, puis la foule : les voilà tournant,
iroletant, becquetant partout, passant sous mes jambes,
montant sur mon pupitre. Je recommence une nouvelle expé-
dition ; je les mets à la porte à grand*peine et à grande châ-
le or, et rentrant avec inquiétude je me rassieds pour re-
prendre mes papiers. Mais il y avait une petite fenêtre dans
la chambre : les poulets obstinés avaient tourné la maison
et Toletaient un par un pour rentrer par cette seule fenê-»
tre« Nouvelle chasse, fort pénible par l'extrême chaleur; et
comme pour fermer ma fenêtre il n'y avait qu'un petit
volet, et que, ce volet fermé, je n'avais plus de jour, je dus
me résigner à rester sans lumière pour rester sans poulets.
Je sortis pour aller voir le château. Yu de ce côté de la
Tille » il a un aspect encore plus fier et plus féodal. Il a
conservé jusqu'à ces derniers temps la renommée de sa
force ; car Ibrahim n'a pas osé entreprendre d'y attaquer
Colocotroni , qui s'y était réfugié. Colocotroni l'a fait ré-
parer, et on y a trouvé alors des casques , des cuirasses et
des cottes de mailles à deux fois différentes. Tout cela a
été disséminé, et il n'en reste rien. Quant au château , il
porte encore des traces visibles de sa création. Par le che-
min le plus difficile , on arrive à la porte , qui est la vraie
porte féodale; au-dessous sont les meurtrières avec leurs
trois corniches de soutien, et en dedans l'ouverture par où
on faisait descendre la herse : un écusson de pierre était
placé au-dessus de la porte , avec le blason du chef féodal
d'alors, mais il a été arraché et on n'en voit plus que la
place. Deux tours carrées^ placées à peu de distance l'une
au-dessus de l'autre, subsistent encore, et on n'a fait que
réparer un peu le haut Presque tous les murs d'enceinte
sont conservés ; seulement le haut est réparé : la couleur du
mur indique assez la différence d'âge. En dedans, les che-
mins de ronde existent et on voit les fenêtres d'une ancienne
église du même temps. Les murs du palais seigneurial sont
encore debout çà et là, mais ruinés. Des citernes magnifiques
478 GRÈCE CONTINBIITALE ET MORÉE.
fonririBseiit tencdre de l'eaa ; et danà (^ilsietirB endroits ;
surtoat près de la t>orte« oh trouve des pierres aussi gros*
ses (tue l'étaient les fûerres helléniques : deux ou trbis
paraissent même avoir été apportées toute taillées de quel-
que ville hellénique toisine , peut * être de l'ancienne
BrenthèSk Au bas de la ville sont plusieurs églises ancien-
nes : celle de Saint-Nicolas; qui n'Offre rien de remarqua-
ble, et celle de la Panàgia, qui est accompagnée d'une bot'
de pierre servant de campanile et est extérieurement de l'é-
poque fradque. Cette tour eist isolée de Tégliie actnellei qui
est peut-être plus ancienne) et sdu clocher aUra sans doute
été ajouté par les Francs des leur prise de possessâdn;
An-dessus de la porte de cette église est une inscrîptioii
en lettres grecques ecclésiaëtiqnes qui me parait indiquer
l'époque de sa fondation. On voit aussi dans l'égHsè de la
Paufi^ia trois tableaux peints sur bbis et Si l'htiilë, con*^
sacrés, comme tous les icoUs de la Tierge ^ de Notre-Sei-^
gneur et de saint Jean, par le mirâcte d'atoir été jetés atl
milieu des flammes sans en être endommagés.
Avant de m'avancer de Caritena vet's le nord de U
Morée , j'avais quelques investigations historic[ues qu'il
m'importait de faire. Je voulais visiter Mëgalopolis et re-
ohercher la situation de deux points géographiques très-
essentiels i mats complètement inconnus : l'un était l'em-
placement; de la ville dé Yeligosti s célèbre aii temps de
l'occupation française; l'autre v celui de Gardlki et de la
vallée de Lacos» près du défilé de Makry-Piagt qui mène de
Leondarl à Sparte. Je partis de bonne heure pour SinaUd;
en passant près des viUàgeS aux noms français dé Florio
et de Yidoni, l'un venant d'un Florent ^ l'atltre d'un sire
de Yidoine , connus par les diplômes de cette époque»
Mégalopolis était située dans Une vaste plaine» sur le fleuve
Bélisson , près de son embouchure dans l'Alphée. Elle fut
fondée par Ép^iminondas, qui. voulût y réunir une grande
populatipn tirée des autres villes de l'Arcadie t et eU fil la
capitale de celte province. Ses ruines se manifestent déjà sur
iifSGy|i.oiH>us. 479
la roi|te par des friiginepts de coloones dispçc^éa dattô les
chaipps. Il n-exUte plus rien debout ; m^ï» sur les bords de
méll^soD, oa voit le9 r^ies d*MQ popt, uo grand e9paee en-
loiiré d'uu lour, dévastes pierres» et, au milieu» idusi^urs
cQloqn^^ eqpore eq place, probablemeut celles de l'agpra. Je
cherchai iuutijeiueQt qpelqûe^ restes du cippe * éle^é pfr
derrière en rhoun^ur du grand bi^torieu Pplybe, fils de hy^
coria^, etspr ieque) étaient ioscrits desiecaéiégiaques oi il
étfiit dit : qu^ FfoJybede MégiilQppljs avait pêrçopf h tqnteç Igs
terres el toutes les wers ; qu'il ^vait poœbatt» cpqlr e \^ Rp-
maip&pt ^vait^Quei leur colère contre les Grecs* En vingt
plaçps diverses qu retroui^e au miliep dets champs , lautqt
des cplonnes de ipart)Fe renversées, tantôt d-autres ço-
tpnif es d^ut , avec le pavé de mosaïque en m^xkt^ nn^
qui f^isaii partie de Tancien temple, et tantôt, snr les bprds
de VH^lissop , de grandes > bapt^s et larges muraillq^ ^p
Ipmiç de qnai. Le théâtre m sitqé de l*4«tre côté df^ YM-
UssQu, sur un tmre natptiel qui a été ^gftli^é m^ de non-
velles terres ajoutées et qpi fait fac§ à la rivi^r^, Tqut \^
.sol qui portais autrefois Mégalopolis est cpUivé en Mé de
T|:irquie et autres graine, l'emplacement seul dîi îb^âtre,
qui ^'é\è\^ en pente rapide dans sa cpnpayité là pu
étaient les gradins de marbre» a été abandonné à !§ natnre.
Les pierpes senlement ont été epleyées presque partput .
expepté îjnr les côtés qù elles soutiennent des lerire^. C'est
aujourd'hui uo immense amphithéâtre de yerdure. J'eifs
beaqpppp de peine k pénétrer à travers le dédale d'arbris-
seaux qni le revêtent en entier* L^i sur le baut , je trou-
vai un bei^er avec son troupeau : i| ne savait pas qu'jl
était sur une ruine , que son troupeau paissait sur un
théâtre, le plus vaste de la Grèce peut-être ; il n'avait ja«
mais entendu parler de Mégalopolis, ne connaissait que
le nom de Sinano , et se croyait sur un tertre ordinaire.
0 gjoifesde ce mopde! QMtre le fleuve d'Héjissop qui tra-
* Eirl (tt^Xy) (Pausaii. , Àrcad).
480 Ga£€E CONTlNBNTALfi ET MOREE.
▼enait la ville , il y avait encore quelques fontaines : Tean
de l'one d'elles m'a para excellente. Aujourd'hui on tra-
verse l'Hélisson avec facilité sans pont, et je Tai passé sur
de petits caiUoux; ses bords sont élevés, ses deux côtés
sont garnis d'arbrisseaux. Le terrain de Mégalopolis,
quoiqu'en plaine, offre quelques pentes légères et adou-
cies, et c'était un emplacement excellent de grande ville.
Elle était de tous côtés entourée de belles montagnes, et la
plaine , depuis Garitena « est ricbe et féconde. Après mon
excursion, j'allai voir au village de Sinano un morceau de
marbre trouvé dans un terrain près du fleuve. Un paysan,
nommé Liakos, que j'avais trouvé cultivant ses angauria
(concombres) sur le terrain de Mégalopolis, m'avait {»t>^
posé de me le vendre : t'est une colonne de quatre pieds
de hauteur portant sur sa base un homme debout, de deux
pieds et demi de hauteur, avec son costume romain, se
détachant en haut relief de son cheval dont le corps se
dessine autour de la colonne et ressort sur les deux côtés
du personnage. Il n'y avait aucune inscription. Ce per-
sonnage en costume de chevalier romain n'était-il pas Po-
lybe lui-même dans sa ville natale? Mais PSusanias indique
une inscription sur la colonne de Polybe, qu'il nomme
oti^Xt), et il donne toujours ce nom aux colonnes carrées.
Je n'achetai pas ce morceau , trop difficile à emporter, et
me contentai de quelques monnaies ti*ouvées sur les lieux
par des paysans.
J'avais à cœur de visiter aussi l'emplacement de la ville
de Yeligosti dont la Chronique de Morée parle comme
étant avec Nicii une des plus grandes villes de Morée , et
comme étant aussi en plaine :
Ëiç kà{4.77ov xoTTOvrat (43).
Lors de la conquête de 1205, Yeligosti fut donnée
comme fief de banneret à Mathieu Raimond ^ De Gala-
1 p. 48 de la Chron, de Morée.
VEtiGOdTI. 481
mata la Chronique fait arriver Geoffroi de Yille-Hardoin à
midi à Veligosti ^ Il y avait une forteresse et un marché :
Ixo^ov To épLro|9tov , TO xaffT(>oy {aovo acpTJaov \ Elle était
située près de Makry-Plagi*. M. Boblaie Tavait placée ,
ainsi que Bory de Saint-Yincent , à Leondari , ce qui ne
pouvait être. Enfin , à force de courir le pays et d'inter-
roger tous les paysans , je parvins à savoir que , sur les
bords du Xerillo-potamos , près d'un moulin , étaient des
ruines , et que l'espace compris entre ce moulin et le bas
de la plaine , sur ime demi-lieue d'étendue , était connu
sous le nom de Veligosti. Je pris pour guide , à Sinano ,
un cultivateur qui me disait posséder des biens de ce côté,
et après une heure et demie de marche en allant du côté
de Samara et dans la direction du Xerillo-potamos il me
dit que tout cet espace était ce qu'on appelait Veligosti.
J'appelai deux autres hommes qui travaillaient dans les
champs voisins; ils me confirmèrent le nom donné à cet
endroit Je leur demandai ensuite s'il y avait quelques
vestiges d'ancienne ville ou d'ancienne église près de là :
ils me dirent qu'au delà du fleuve et de la fontaine, à envi-
ron une demi-lieue en se rapprochant du moulin , étaient
des ruines dans les champs , et qu'on disait que là étaient
les [restes d'une grande ville placée autrefois dans ce pays
et appelée Veligosti. J'y allai , et trouvai en effet dans les
champs un grand nombre de briques. Un petit berger
m'indiqua d'autres ruines un peu plus loin, dans l'endroit
où finit la plaine et où le terrain va s'élevant un peu, -et j'y
vis les restes d'une église élevée sur les ruines d'un temple
ancien. On retrouve encore sur ce terrain un grand nom-
bre de belles colonnes de marbre , ou debout ou renver-
sées. En comparant tous les détails donnés par la Chroni-
que, je ne puis douter que ce ne soit là le véritable empla-
• P. 56.
«P. 109.
»P. 123.
41
482 GRÈCE C0NT1NPI(T4I«B £T HORÉE.
cemept de V^lîgQ>ti « 4ai s'^eQdut peut-être da mouUn à
la rivière , ^a y cpwpreqant les Tigoes située^i sur l'antre
rive ^vçp je même qom • Qt qui fondaient sans dout^ les
faqbourgs 4^ côt^ de Sioano. Comme on m'avait indiqué
jiussj m ch^te<|q ep rqinQf à Samara» à une demî-]|eoe de
Ik , je mp dif û|e^ 4^ p^ cd(é eo traien»nt à gué le Kou-
tpufibari.
Le yillage fie Samîir^ est «|ué suc «q^ cndline C44)efi6e li
(.eqpdari,j| H^^ fieipi-lieiie , fi( lepbit^au ^tait l^âti sur
uq^ î|uire piliqfi ^ di^ mipD(e§ dci U vill^. L^e place en
cet en^lrpit j'^pcieuRQ Crppii« QmM i^ mai # qui ai visité
avec 9oia et la folliiie Q(k ^t ^it^0 Ip village actuel, et celle
pu esf }e clfâfe^q, je q'a| trpuvé aqcpp vestige d*aQtiqi)itéa.
J.e pbâteaq es^ cprtaiqempuf dVigJoe franqiie : la forme
eq çst qo pe^ d^tf^fep^e des c()ât^apx ordinaires* ^atre
4^u^ des tours, dopt 1q ç^ir^é s'avançait ea angle aigu, 0ait
pne grap(}6 tppf el||ptiqu& Qptre c^Uq çopatructiop cen-
tral^, |1 y fivait pqe ^oubl^ ençeiut^ qpi suivait les mou-
vemepts du rocher jpsqM*^ Teqdroit m la colline es; cou-
pée brusquerpeqt (|h côté dp 4epye. Cette forteresse n*a
jai^aiç dû être fpf t re4PMt^l4e. La position ne l'est pas et
les coDstruc|iop§ pe SPOt P99 çQp»idérables.
Arrivé à Samar^ . jq çîioisi# l'ombre d'un grand arbre
spr pue cp))in§ ppur ip'y repo§^r. C'était l'époque de la
ipoisyq çt, à 1§ mèm tl^^re , les mQissonneprs quituient
aps^i leur qpvr^gp ppî:|r gpût^r qpfilqpe repos. Me voyant
élrap^er, il^ voulurept pae f«|ire politesse : ils sp rangèrent
donp autour de ippi , a^is i l'orientale sur leurs jambes
croises, et multiplièrent l^s qp^^tiqqs qu'ils croyaient les
plus propre^ à m Pipntr^r lepr intérêt pour moi : com-
ment se pprtaieot mop père, p)<l mère* ma fepime, mes en-
fants; si je p'en avjiis perdu aucuns depuis combien de
temps j'avais quitté la France; si la Grèce me plaisait;
et qu'est-ce qui m'y plaisait à moi , ué dans un pays où
on possédait depuis long-temps ce qui garantît une vie
^uquille. Ils parlèrent ensuite de ce qui les concernait eux-
LBMMtttl Isa
mêmes , de la gnerre de Crète : car tous ici r^nràlsrtt là
Grète comtne détenue injustement |)ar là TQh}ttie et devant
être grecque. On lie saurait croire quëliilté^êt ils prennent
tdos aux choses publiques et avec quel bon sens ils en par-
lent Le pâtre le |^us isolé sur sa montagne forme lei
mêmes vœux que rhbnmie le plus éclairé des villes et
énonce ses idées avec une remarquable ihtelligehce. le
les. interrogeai à ibon tour et m*enquis des objete qui
m'intéressaient moi-mêmei Je l<!ur demandai à'ils con»
naissaient, un château appelé i par un voyageur anglais »
Ko<îpio< ic«9Tpo. Deux d'entre eux me dirent que ouiî qu'ils
habitaient tout près d'un château & peu près nommé ainsi
et où ils étaient allés souvenu Ils en rectifièrent le nom
qui était ffOupia<, c'est-à-dire eU'OpottaçTo Havrpo, daoé lé
Château de la Belie» nom donné ici à beaucoup de château x
francs i en souvenir de leurs belles châtelaines françaises «
comme dans llle de Zea, en Tzaconie près d' Astros» et dans
le Magiie. Près de ce château» ils me décrivirent utt en-
droit appelé KoxxfiiXa; ce qui signifie ossements, pbrce qu'on
y avait enterré les os des chevaliers motts en ce temps
dans quelque grande bataille. Je résolus d'aller m'éclai-.
rer sur les lieqx mêmes; Leake, qui en parle sous Iç nom
de Kokhla au Heu de Gpccal^, dit qu'il n'y est pas allé.
Je partis donc pour (.eondari , situé à une demi-heure
seulement de Samara. Leondari ne saurait être YeligOstii
parce que Veligosti est en plaine et que Leondari est tout
kifaitsur le haut d'une moj^tagne à l'entrée, du MakryrPla*
gi. Je n'avais pas de lettre d'introduction et il n'y a pas d'au-
berge. Je miadressai à un. papas qui était assis .à causer et
lui demandai où je pourrais trouver une chalati (balcon de
bois à la turque] pour cpucher. Un jeune hommsi quipausait
avec lui, m'ofîrit fort ol^iigeammeut sa maison, que j'accep-
tai. Avant d'y monter j'allai voir l'église, qui est une des
plus anciennes et certainement une des plus jolies de Grèce.
Je la crois du dixième bu du onzième siècle et antérieure à
Andronlc , qui fut le grand bâtisseur d'églises de ce pays.
484 OmiGB GONTINBNTAIiB BT MOBBE.
Il y a deox dômes, el le premier» qui est enr ayant, est d*OBe
forme très-rapprochée de Tantique et me rappela un pea
la tour des vents à Athènes. Dans rintérieur, an-dessus de
réglise, est une double galerie, comme à Saint-Luc Quel-
ques restes de marbres épars ci et là et un grand nombre
de colonnes de marbre dispersées alentour prouvent que
cette église a dû être câèbrc autrefois. Je crois qu'elle ap-
partenait à un monastère. Les Turcs Font complètement
gâtée en faisant construire en face une sorte de portique,
à droite un gros mur portant le minaret et à gauche une
école. En abattant tout cela on aurait certainement la plus
jolie petite église que j'aie vue en Grèce.
En prenant possession de mon logement, je fus émerveillé
de la prévenance de mon hôte. C'était un jeune ménage et
je craignais qu'on ne se gênât pour moi, car on m'offrait café
et tout. Je me contentai de demander de la limonade, en
recommandant à mon agolate d'aller acheter des citrons :
mais il revint en me disant que, sur ma première demande,
le mattre de la maison était allé prendre les seuls citrons
qu'il y eût dans la ville. Je lui dis d'acheter un poulet :
l'hôte ordonna, sans me laisser le temps de refuser, qu'on
sacrifiât un des siens, et il me fit servir avant tout d'excel-
lent café. Je craignais d'émettre un désir, lorsqu'heureu-
sement j'appris qu'il était propriétaire d'un petit café sur
la place de Leondari et qu'ainsi sa politesse ne lui serait
pas onéreuse puisque j'étais autorisé à payer. Je n'en fus
pas moins reconnaissant de ses bons soins.
Nous montâmes ensemble au château de Leondari ; d'an
côté, c'est un précipice assez formidable : et cependant ce
fut parla et à l'aide des pointes de rochers que nous parvîn-
mes à monter; ce qui me prouve une fois de plus qu'il n'y
avait pas de château si fort que l'on ne pût escalader oa
surprendre par l'endroit même qu'on croyait le plus iropre-
nable. De loin tout énorme rocher paraît uni, mais en se
rapprochant on aperçoit des fissures et des vides qui aident
à s'élever jusqu'en haut. Je l'avais essayé en Eubée, dans le
MAKRY-PLAGI. 485
Taste château près d*Acbmet-Aga, et j'y parvins bien plus
aisément ici puisque le rocher est fort peu élevé. Dans
l'intérieur du château sont quelques citernes, quelques
restes d'églises, des ruines de murailles et de tours. C'est
une construction franque, mais qui ne paraît pas avoir été
fort redoutable.
A quatre heures et demie du matin, je me mis en route
pour trouver mon château. Au lieu d'aller par un chemin
de montagne que l'on m'indiquait, je préférai suivre le der-
vend jusqu'au khani. Par là je pouvais voir le Makry-Plagi
(longue côte), position importante pour moi, et j'avais un
chemin moins rude pour les chevaux. En nous arrêtant à la
foiitaine^ près de l'embranchement qui conduit à Court-Aga,
un paysan se joignit à nous et je le questionnai sur mon
château. Il me répondit : qu'il le connaissait fort bien, qu'il
fallait aller jusqu'au khani et que là je trouverais un guide,
parce que le chemin est tout proche. Il ajouta des rensei* *
gnements nouveaux à ceux de la veille, et me dit que ce
château était connu sous le nom de Gardiki. C'était préci-
sément la position que je cherchais. A six heures, j'étais
arrivé au khani. Un gendarme de la station me trouva un
homme de Charidis qui connaissait fort bien ce lieu , et
je partis. Après une heure , nous arrivâmes à une petite
colline qui domine un ravin fort pittoresque. Nous avions
traversé plusieurs torrents sans eau et avions vu se dé-
rouler devant nous toute la longue côte jusqu'à Sakona. Là le
spectacle devenait beaucoup plus beau : nous étions près
d'une fontaine et avions devant nous une vallée étroite qui
va s'élargissant peu à peu jusqu'à ce qu'elle finisse dans la
grande plaine de Lacos : car Lacos est cette vaste plaine où
sont les villages de Meligala , Malta , Bouga , etc., et une
vingtaine d'autres villages où on parle grec et non albanais.
Cette position de Lacos , qui n'est nullement la Laconie,
était un renseignement précieux pour moi et j'en vérifiai
l'exactitude. La profonde vallée dans laquelle j'entrais est en-
tourée d'une enceinte de montagnesà pic, mais donttous les
41.
48t ORÈGB GONTIIIMITAU BT MOREB.
flancs sont reTétos d'arbres qai en l^ehent Tâpret^. La pins
Ittute de toutes ces idontagoei est rudleoitsa. Et) avant de
ruelienitza se détache nrie montagne fort pittoresque t son
sommet porte le chflteau de Gardiki, Gardikion-Ga^troi
comme me le répéta souvent mon unide ainsi que plusiears
hommes dn pays. Le village de Gardiki était autrefois une
ville iroportinte. Cbalcocondyle Técrlt KapSuctn et dît qu'elle
fdt prise par Mahomet II eti i(i60. Snr la droite de ce soffl"
met, un peu pins bas^ se détache dé la montagne un énorme
rocher arrondi, comme une tour gigantesque qui survi^iUe
TaUnie voinn. Ce rocber, si piit^eëqtie dans sa lidrme, l'eA
aussi par sa couleur , car les arbl^ le. râvêtenf comme le
lierre revêt les viemt cbâteauii en laissant voir de tempd
à autre une partie de s^ flancs rougeâlres. Pour arriver
ft la montagne de Gardiki» on tourne un ravin û*\k^ sort uli
totrent qui tomberait en magnifique ca^cade^ s'il y avait
' dé l'eau : car les rochei*s bont placés de manière à faire com«
prendre toute la beauté de Ces cascades au jour qù l'eau ar*
rive. Près du point où ce rocher va rencontrer l'autre, ses
flantis s'ouvrent et s'arrondissent eii un^ grotte qui est mas-
quée par les avant*ements. du rocher. C'est là qii($ les Grecs
se retirèrent pôdr éviter Ibrahim : c'est là que la Chronique
de Morée représente le grand-domestique se cachant pour
ne pas être pris» Le pasasge de la chronique de Moi*ée
ne laisse pas de doute sur la ritualion de Gardiài.
, . 'ESUÇ'HXEV ayd) tU <nnqXptiov «va
JJioZ ^Tov IçtJà elc 8<io ^opvi, i<5ta si< pitav X^yxolda.
'ËX6Ï ftcsu 2vt iT^(Mpoy TO nitix^ xh r«p8ixiv (p. 125)*
• »
Gomme cette |[randevbataiile eut lien en venant de Galami
vers la Longue Côte t
'£x T& K«>^.ui èfi^y\yu,y , &ir«Yii « to Moxpi» içkéyi, (p^ 123)»
Ge DO peut être évidemment que là^ Je montai nu aom^
OABOIRI. 487
met de la montagne par le chemin le pins rocailleux et le
plus difficile. Il est impossible que jamais les chevaux aient
pu pénétrer jusque-là. Arrivé à uUe assez grande baut^Uri
à une heure environ» on rencontre déjà les muraillet» de la
première enceinte; mais il faut marcher plus d'ode demi-
heure pour arriver au sommet. Un peu plus haut qhft
cette première enceinte, je trouvai des ruides d*at)ciennea
maisons; puis, un peu plus haut; les ruines d'une église^
En dédains sont epcore de nombreux morceaux de marbrei
sur l'un desqueisje vis 1$^ croix ancrée de^ Ville-Hardoin. A
côté, le long de la qauraiile, était un grand moreeaq de mar-
bre de trois pieds de largeur spr deux et demi de hauteur s
c'est un morceau antique^ probablement d'un tombeau ; la
travail m'a paru romain; les figures sont fort maltraitées..
Le bas-relief représente trois personnages debout; les deux
derniers tiennent à la main un masque de forme plqs grande,
J'aurais désiré pouvoir l'emporter à Athènes, mjais il est si
lourd qu'il eût fallu un mulet pqur le charger. Il y ,a aussi
çà et là, au dedans et ^u dehors de cette petite chapelle, qui
n'a pas un seMl autel de /orme latine, plusieurs autres frag-
ments de marbre sculptés vers le trieizième siècle. La iTortO'*
resse s'élève jusqu'à la cime la plus élevée , où on trouve en**
core des ruines de pans de murailles. De là le seigneur de Gar-
diki * pouvait surveiller très-exacten^nt ce qui se passait,
car on voit d'une part la mer de Cailamata et dç l'autre la
mer d'^rçadia , et au-dessous de soi je mont Ithome et la
plaine de Lakos. Cette église de \ t^ KoauaXqL est certaine-
çient le couvent de Pbaneromeni de la Chroni(|ue. Les
Francs arrivent de Calami vers jVlakry-^lagi et la montent
à revers.
Kal Trpixu^j^cV , Jcal lawaàv àTtflcvw iU tJjv f «jr^iv ,
*È7n55yi(JaV xi lYxpujjLfxa-ta Ixèivwv twv 'Pwfjt-aCwv (p. l25).
4 Phrantzi menticHUiè (p. 405) %u'en 696S (lîeb) l'approche de
488 GRECE CONTIIIBBITALS BT MORES.
Cette position de la petite église convient à merveille
avec celle-ci. Elle est an pied da fort Gardiki, où se
fit l'attaque, et c'est protnblement en mémoire des morts
ent^rés dans ce caveaa ou cette église, car le texte ne dit
pas si c'était un caveau ou une église, que le nom des 'ara
K&ocoXa lui a été conservé. Les traditions du pays sont pres-
que toujours fondées sur un fait historique que le temps
obscurcit, mais dont la source est réelle. Le Goccala
est un petit emplacement situé en bas, au delà de la rivière.
Il y a une petite église en ruines où on a enterré proba-
blement les hommes morts dans cette grande bataille dont
la tradition a été défigurée. Tantôt on y substitue le même
récit que dans la chanson du Château de la Belle; tantôt
on suppose que ces chevaliers, trahis après dix ans, furent
précipités du haut du rocher; tantôt ce sont des guerriers
qui ont combattu avec les Grecs du château , et leurs os
ont été déposés à l'endroit où ils avaient péri. De là le nom
de Goccala, que Leake défigure en Kokhla.
Je restai une demi-heure à bien me rendre compte de
cette position, et j'allai rejoindre mes chevaux ; je les avais
laissés près de la fontaine, car ils ne pouvaient pénétrer au
delà.
Charmé de ma visite au château de Gardiki et de mon
inspection du MakryPiagi, je revins au khani où je res-
tai jusqu'à quatre heures à causer avec les habitants du
pays; puis je montai à cheval et allai jusqu'à la fon-
taine de CourtAga. Comme la lune se levait de bonne
heure, je pensai qu'au lieu d'aller à Leondari je pourrais
aller à Caritena par Court-Âga et j'eus raison. La route
Mahomet II força les habitants de Leondari à quitter la ville et à
se réfugier à Gardiki, dont il fit le sii^ge et qu'il prit : sv Bl Tb)
rapStXTj à; tffj^uporepov aÙTOÎî (Leondari) eioYÎXÔwv uXa)^-
69)vai. Il parle aussi d*jun petit champ qui était placé au-dessous,
£y Ttvi ireSup (xixpcj), et où Mahomet, malgré sa promesse, fit
égorger les habitants, femmes et enfants^(p. 406).
L*ARGADIE. 489
de Court-Aga est fort bonne et surtout extrémenoent belle ,
c'est un véritable paysage arcadien du plus gracieux style.
Des champs de maïs du plus beau vert et des vignes d'une
belle verdure aussi sont placés près de champs cultivés de
toute manière. Des deux côtés deux petites collines boisées
lesentourent, et tout cet horizon est ceint de belles montagnes
boisées. Le temps était superbe, les cigales moins bruyantes
du côté de la forêt laissaient entendre le chant des rossi-
gnols : chose rare cette année, car les cigales avaient telle-
ment multiplié qu'on n'entendait qu'elles, et que les oiseaux
paraissaient muets , humiliés de cette rivalité. Je traver-
sai la rivière d'Alpbée à gué presqu'au hasard ; mais il
faut, dans un voyage en Grèce, livrer beaucoup à la
fortune. Pendant une heure environ nous marchâmes
dans l'obscurité, car le soleil finissant et la lune commen-
çant étaient cachés à la fois par les montagnes. Enfin
une lune bien claire s'éleva au-dessus de l'horizon; et,
par une température délicieuse, nous fîmes route jusqu'à
Garitena , où j'arrivai à neuf heures un quart. Pendant
que j'étais au khani , j'eus une preuve de l'activité de la
gendarmerie et de sa surveillance. Mon garde me dit qu'il
était obligé de retourner au khani sans m'amener par Gha-
ridis, car la gendarmerie lui demanderait compte de moi.
Gette sévérité était nécessaire après tant d'années de dé-
sordres et une habitude incarnée de la vie klephtique.
XXVIII.
GORTYS. — PÂIOHBA. — ACHOVA. — UODORA.
Je voulais consacrer encore une journée à mon cher
Garitena et n'en partir qu'à trois heures. J'avais pris un
caporal de gendarmerie à cheval et un agoîate du pays pour
m'indiquer la route, que mon agoîate ne connaissait pas. Je
490 GRÈGE GONTiNCrtf AtE ET MOREB.
deAcefidis de Gâdtend par nil antre ratiti de Vk inbtttSgn^
EU Ims est une ntnatirin fort pittoresque : lé chèîliill pSi^
entre deux hautt rochers droits et rtipprochés & dit piedi
l*bn de l'autre, et on arrive à une branche de l'AÎph^e i}di
ta rejoindre le cours principal 8 travers ud lit de rëchers:
De là jusqu'à un pont sur le Gorijdos la rbute Offre peu
de variétés; en regardant du côté de CaHtena elle est pM
belle, car son thfttead se présente alors sdus sa forAe là
plus élégante.
Une deniî-hetore après avoh* passé le Gortyhds , et lon«
jours en inohtânt, j'arrivai aux murailles de l'aflâque
Gortys, située bu-dessus d'un ravin fbrt escarpé dani lë^
qbel coule le Gortyiios. Lés murailles, conservées appar-2
tiendent à racropotls; ce sont des pierreb éitormes di
six à sept pieds de longnenr^ La porte a une formé par^
ticuliêre : les murs d'enceinte se terniihent en un angle
qui s'ouvre ^ de manière à joindre les deux côtés de ta
porte qui forment les deux prolongements de l'angle;
£lle est placée sur le côté oppo^ dé la rolite de €ari«
téna entre Atticblo et la rivièrei Le mur se coniinlië an-*
dessus du fleuve, qui i de l'autre côté du raviii, est bordé
par un précipice considéridile. Je restai une demi -heure
ati milieu des ruiïies de Gortjrs et remontai à cheval apt^
une petite chdte au milieu des grosses pierres de Gorty^
Conxme je prétoyais bien l|u'il serait liiiit au moment de
notre arrivée à Dimitzana , et que les chemins sont dé-
testables , je me décidai à passer la nuit au village de
Marcou. Au-dessus des montagnes de ce pays sont de vastes
plaines dans lesquelles cTt^slseui des raisins en abondance.
Les vignes , au milieu desquelles sont de petites bastides
assez éléga.utes, appartiennent presque: en tfrtalHé à des
habitants de Zatouna ou de Dimitzana, et les habitants du
villëge de MarCou n'en possèdent que fort peu: Au<les$us
de cette haute plaine s'élèvent entore, les sommets su-^
périeurs des montagnes , qui ne semblent plus que des
'^ts fort ordinaires, quand on ne voit pas au fond les
|Q|i«eft§q rayjft§ qui Iqs s^parfîal 4e U haute pl^iqe |i la-
Çm^Ue 4e Ipin ils p^fijisseat jpinfs, ftlarcpu esst ?itué ^uç 1@
gflp^g^fit |e plfi^ élWé d'upe de cps mqptagn§§; et qn y
jnQfll^ par u^ senljfc étroit et presigm^ i, pic daps ufl§
cplljpie 4è teff e ftialilp çt ppfïductive. I^n^ femajae annonce
r^pprbpjjfi 4u pillage , ^uqupi pîj q'?rny§ m'm¥ ayftir
iPjipn^ deq^ flH ^rflis fpiîj ^ptouf fl^ rqyîfls prafgftd^ ç| ri^r
Îjdes, §ssfif flaïjgerepx Rî(ri^ pesu <le çopsi?^ppedf; |a terçe.
.fi Bn§ gîte liaus )3* ^fl^isqa quj ii)g çeipb}^ la ipejUeure,
^t, cçijppp riïr étfil '^ yi( ^ pptls h^uf^wp de ja ïpqpî
tfinfi , JÇ pri^ Ip pani fj^ ç\Qpj\\c ^^pg l'i^^éri^HP de jd
ipaisop } pais jg mp. Ipy^j plu§ faljgvié que §j j'eqsçe çlpçipi
pu plem air sur p terrain «nj. |lç; p^pqH^f ^i^r iP^MP*
j'étais fpuçjié ipfflft^il loi^lfis SQftes de fpnfleraeut? qpj utP
blessaient psirtouf et m*en^ec))aiept d^ trouver (|i up bop
endrqit ui j^pg bpupe positiou, ^e piP feini^ eq fqqt§ d§ bpp
p[)ç|tip. Qp de^ppnd 4^ iilarpQn pouf ajler à pitpjtziin^ p^r
une peu|e de terre' fpf ^ Rpjdp, Mpq çj^eval tr^l^uçha à
l'endroit le plus étrpit et le plus pérj||eux; n^ais je me
méfiais 4e lq| et le relevai ayec jigsez 4e l^qnjieur ppqr
gu'il écl^app^l: à un secpnd luauyais pas, situé à rendrqjt
piêrp^ ^^ Il deyajt pprter sfs pieds en sp rejev^pt. }\ s'^p
fallut peu qq ij pe r^\\\è.\ dans ip préqpipp , pt mpi-^pême
ayec lui. Ep (Qurqânl }a mqpt^gqe pioqilppa îipparaît §Hr
la haptcpr 4?p^ pqe fprl bejle sifuajion, ^\ l^ prpfppde
vallée située jjp bfis e^ lopt à fait bpllp de verdure et 4*SP-
cidents de riyjèrps et 4e pipplagnes. Le flSP^e PRrtyRps
poule dans un ravin profoq^» tljen bqisé 4e h^pt ep jjfis, et
des vignps et des kalarabokki ^-pvêlept fous jes tpf ifes pt
! putes les petites yal|ée§ iptefiuédiaires. L'^scensipp est
qrt rude du pont 4e piniitzana jusqu'à ja villf^. pi|njtz^pa
est une assej^ gran4e yille pour ce pays-cj. Jp fpquvaj d^ps
les fues de§ preuves d'une grande activité de tfqvaij.
jout le monde sefnbl^jt ^rlis^ri. Je restai guelqqp temps
sur la place à attendre inpn cpn§ki, qtt'qn nie d^ésigp^ c|)ez
fc' ^crét^ïre de |^ ipuqicjpî||jti C'e§t ïjj gqp i'eçs ')':pçpns^
49) GEECE CONTINENTALE ET itOREË.
de bien apprécier le sort malheareax des gens obligés mal-
gré eux d'êlre en représentation quand le corps demande
on repos complet L'excellent secrétaire de la dimarchie
me donnait Thospitalité; j'étais donc forcé de l'écouter et
de faire fort bonne mine, au lieu de me reposer, car après
tout c'était en lui acte de bon cœur et d'hospitalité. Golo-
cotroni venait d'arriver en même temps dans la ville pour
passer un mois des grandes chaleurs , car dans ce lieu
élevé la chaleur d'août est plus supportable. C'était un
événement pour le pays dont il désire conserver l'inféoda-
lion. Après le déjeuner je me mis en marche pour voir les
restes des murs de l'antique ville hellénique. On les re-
trouve en plusieurs endroits dans la partie la plus haute
de la ville. On croit que c'est l'ancienne Theisoa. Les
grosses pierres helléniques du mur antique forment là
plusieurs assises bien marquées : on en remarque aussi dans
plusieurs autres endroits de la ville, employées dans la con-
struction des maisons. On retrouve aussi dans les champs
un grand nombre de monnaies antiques , d'ai^ent et de
cuivre , et j'en ai acheté une trentaine ; de toutes les bou-
tiques et de toutes les maisons on m'en apportait. J'allai
de là voir l'école : elle avait une grande réputation du
temps des Turcs et existait , dit-on , avant la conquête
turque. £lle a fort décliné sans doute , car il n'y a plus
qu'un professeur* Il me reçut avec le dimarque et plu-
sieurs papas dans la salle de la bibliothèque. J'examinai
les 800 ou 1000 volumes qui la composent , il y a beaucoup
de bonnes éditions ; c'est le don d'un monastère voisin. Il
y a dans les environs deux monastères assez riches , mais
ils n'ont plus ni livres ni manuscrits. Il reste deux manuscrits
pieux à Dimiizana , un évangéliaire et un livre de prières
qui me semblent être du quinzième siècle. Un manuscrit
de l'Évangile sur vélin , qu'ils possédaient et qu'ils disent
fort ancien , a été envoyé à la bibliothèque publique d'A-
thènes. De Dimitzana je me rendis à Arachova, l'Ara-
chova de la Chronique, Là je trouvai bien la bonne eau
AR ACHO V A . — l^ALOlt B A . 493
de source ou de citerne dont parle le chroniqueur grec ;
mais je ne pus trouver le château, qui, suivant ce qu'il dit,
était fort petit. La vallée d'Arachova est fort jolie et de-
vait être un fort bon fief quoique petit; et le château pou-
vait être dangereux, puisqu'il commande une route fré-
quentée. Tout à côté de lui, à une lieue, à Ylongos, exis-
tent les ruines d'un château franc. Tout le pays, au reste,
et la partie située au nord d'Àrachova portent les plus
nombreux vestiges du moyen âge. On y retrouve le pays
d*Akhovaes avec le château ruiné appelé encore aujour-
d'hui Galatas ; puis sur le Ladon , au-dessus d'un autre
château, à Glanitza, le pont de la Dame (yetpupY) t^ç Kupaç),
et une tour tout près de là : à l'ouest de Galatas, dans le
même pays d'Akhovaes, est la montagne de Yretembouga
(frc-Tempiau f frères du temple), sur laquelle sont les
ruines d'un vieux château ; c'était l'un des établissements
des Templiers, qui^ dès le commencement de la conquête
franque, furent dotés de quatre fiefs S ainsi que l'Hôpital
Saint-Jean de Jérusalem et l'ordre des Allemands ou Teu-
tonique. Près d'Androusa, dans le pays de Calamata, est
un lieu appelé encore aujourd'hui Spitali , qui faisait sans
doute partie de la dotation de l'Hôpital Saint-Jean. C'est
surtout dans la Messénie et dans l'Arcadie que les châteaux
francs étaient multipliés.
Je quittai Arachova pour aller prendre gîte à Palomba
à deux lieues de là, où l'on trouve une caserne de gendar-
merie et un petit village situé sur un tertre allongé , au-
dessus d'une plaine qui descend m partie jusqu'à la mer,
qu'on aperçoit de loin bordée par le cap Katakolo et le
château de Ponticos. Palomba , malheureusement, manque
d'eau , il faut en aller chercher dans une vallée profonde
et boisée qui descend d'Arachova. Là se trouve une fon-
taine fournissant une eau assez rare, mais fort bonne et fort
constante ; la vallée est délicieuse. Je fus reçus à Palomba
* Chron. de Morée, p. 48.
42
494 GRÈC9 CQBiTIIIBNT4L8 SX MPBEE.
c))ez Iq dimarqMç, hpmfPQ ricbe eo propriétés e| bootme ia-
telligenti qui ni U occupé 4^ 8f<s chaoïpii, 4ans upç ip^ifiQP
bien fourpie 4'o0 qp api^rÇQit l9 mer daps 1^ loia^^ip, 9^ec
sa j^qpe femipe, gr^p4fl fit bfillfi, R ipèçe, gt upp pcpur de
n fenimfi* d^qn (ypq de bei^pt^ rep)arqual)le aussi, Tppte
cette praçiett9e (aaiill^ me pqmhl^ d§ msir<IP^ de préyeo<iP'
ees et p))erçha à pïfi r^t^pir plusieui^i jpqr^au d^l^ dç pe que
i^yai» flxé, ^fï^, dçppi^ la p^^pvjii^ pp|t dg paonugpp
pa99ée à Ikl^rco'u çt }f ^ fatjgqpfi 4p ^imit^fl? , jg p^e s^p-
t^i? n)eqac4 de 1^ ji^vfe, Crj|jgpftp|, §n' pi'açrêtWλ 4?
p^g jai^r «pbjMguer par h P^adi^ , j^ pie g^ç^fti l>iep dP
lasser eptrçYpIf peç fif^^PP^itlpûs à ppp 8K?qM§ ^^ fi^-
Yrç; car pfitte expe||eptf f2|mi|}e p^ ffl'^PïSlt cpft^ipfiïpfipt
pa§ laissé partir. Pp |^ft^e, PP Grèc§ , egt pireçqp^ pp pi-
llent pt 4evjppt prpmptepifipt pp ajpj, et cpitq §içiti^ s/d
transpipt cpiprp^ pp 1^, Je ^js^fflpl^ dppç Wfs sppf-
fm^^ 4i} piiep^ qp*j| fpfi fpt ppssjj^le ^t ^pptip^ ^ypc
ap§^^ ^P ^uit^ 4^ Ippgpes cjDiiiyq^|iflpg politique^ î^yep }e
djpaj-q'pe , 3pi , t)ipp qu^appaytepapt ^u parti p^wJste pu
rpssp, op capp4istriep j sf^yait rppdfe ju§tipp ^ 1^ ?f^RF^
^l aspifaù ^p mopieut pjH ppp pqys aqfaît upe ppiistitpljqn
ppliticjue vraipipnf gr^ue, pt ppu imitée, qïii Ipj pppît
de pfepdre pprt ^ ses affaire^ ^ s^ P^îipièfe. {1 popvpi^ait
que la France seule avait servi la jGrèf e avep désintéres-
seinqpt et q^P seule aussi plie ^ésjrajt S(ip§ arrjpre-pepsée
persppnelle |'affr3pçl{jssemei]t çle |a Grèce; piais il jjéplQ-
r«|it les perpétuelles pscJH^itiprig <ig pptre ppjitîgue, qu^j eip-
pêçhajept les hoippies prudpnî^ de s'expospr «|p j-isqpe 4e
[rpp se pipn^rer nos apiis. ^pp opinion pst Topinion de ja
plupart 4^^s hommes éclairés dii parti n^ppi^te , c'est-à-
dire des adversaires de la (^rance. un voit dpnc combien
il nous serait facile de réunir (pus les partis en un. La
conversa tiop du mari et le gracieux acçpcil de la famille
me faisaient aisément oublier les heures et Içs souffrances
qu'adoucit un peu aussi , il faut l'avouer, l'heureuse sur-
prise de pouvoir dormir sur uq pi^tel^s.
L^AL^ttÉE M LE LÂtfbM. 49S
Je quittai Palomba 9i onze heures H demie et bi'âche-i^
minai vers Hagiôs Joaiinis, A deux Heures de l&i près dé
TAlphéë. Tout ce pays de Llodora est fbrt beau mais iti-^
cttllfe. Lei deux rhes de TAlphée sôilt bordées de tooil-*
tagnes boisées foh élevées et en pérîtes asset douces i
mA\é la inaih de J*homme n*a rien fait. HagioS-Joakibii
€)st un misérable et |)aovre village où on né trouve hi pâiii;
ni vio , bl quoi que ce sbit. Les hUbitatitâ mâOgent dll
paAû de mais et du fromdge. Je m*y t-eposal une betire; et
allai voir à dix minutes de là , en descendant vers le LàdOtt
prèë de sa jonction avec i'Alptiëe , un pau de thui'aiilë!!
en grandes pierres belléniquê§; seul reste de Tantiqûë
Tille d*Hertea: Les payéans trouveilt sodvëbt des mobttafeU
d'argent et de cuivre dahk ce teh-aih , et J'eti achetai détit
de buhré. J'eus quelque peiné ft découvrir lès deut fl*ag»
metits de murailles. HeriBà était dans uiie fort belle si-
tuation, tin peu élevée ati-dëssus de la rivière ^ mais aiIBsl
n'ayant rien à craindre de ses déboHiements.
Un peu bd descehdant des murs helléniques Vers la ri*
^ tière » oïl trouve quelques restés h)maiOs , appuyés bbr
la colline et faisant face a la rivière \ ce sont trois otl qdâtrb
pans dé murailles d'un bôtlment qui devait se trouver à
l'entrée de la ville. En toufnatit la moutague j'avais perdd
de vue la jonction de l'Alphée et du Ladon , et me trouvai
sur les bords du Ladon , que je traversai à l'endroit où se
trouvait un bac qui est maintenant détruit; il faut le tra-
verser à gué. Dans Tété la chose est assez facile. Je fis ap-
peler un berger pour uotls diotitrer le gué ; il entra dans
l'eau devant nous pour nous l'indiquer mieux. Nos chevaux
avaient de l'eau jus^lî'^tix sangle§ i je baignai mes pieds
dans le Ladon avec plaisir en m'arrêtant sur l'autre
tïVé. Je bi'imdgihais àvOir traversa l'Âlphée in lieu du
Ladoii et j'avatiçéi ^délqde tetfa|5s hns ihëAïnbëi ma»
enfin, ne voyant pas s'approcher Bisbardi , qui devait être
au fond d'une vallée boisée, j'appelai, et j'appris que ce
n'était pas de Bisbardi que je m'approchais, mais de Bc-
496 GmÈGE CONTINENTALE ET HOBEE.
lesî. Je fus dans une véritable colère contre mon guide: le
fait est que mon agoïate avait peur, si j'allais d*abord à
Bisbardi, que j'allasse coucher à Aspro-spitia, où il avait ap-
pris que Tavant-^veille on avait assassiné un homme , sans
doute à la suite d*une querelle particulière. Il savait que
j'avais l'esprit peu ouvert à ses folles inquiétudes d'agoîale,
et il avait espéré me tromper sur la direction du chemin
au moins pour la nuit. J'étais d'autant plus contrarié que
cela me donnait deuK lieues de plus à faire pour visiter un
emplacement où je présumais que devaient se trouver les
ruines du couvent latin d'Isova mentionné dans la Chro-
nique, et que je voyais la fièvre disposée à jeter sur moi
ses serres déchirantes. Je me décidai donc malgré moi à
suivre la roule jusqu'à Belesi. Mais h , après un repos
de trois heures, je remontai à cheval pour aller à Bisbardi^
Je commençais à éprouver un léger mouvement de fièvre;
cependant je tenais à voir Bisbardi et les ruines d'uncou»
vent que je pensais être celles mentionnées par Leake sous
le nom de Paiali, et je partis. Il fallut cette fois traverser
TAlphée , plus large et plus profond que le Ladon ; mes ^
deux guides me le firent passer dans un endroit assez
large , mais peu profond , et en levant mes jambes jusqu'à
la croupière je ne me mouillai que fort peu.
XXIX.
ISOVA. — OLYMPIE.
A près avoir passé l'Alphée , je tournai la pente d'une
montagne et arrivai dans une plaine plantée de maïs et qui
< Â peu dMieures d ' Bisbardi prend sa source le Chalkis, qui bai-
gnait autrefois les murs de Skyllunte , où Xénopiion écrivit la Cjf-
ropédie, la Retraite des dix mille et ses autres ouvrages.
MONASTÈRE d'iSOVA. 497
va toujours s'élevant en pente depuis un mauvais pont de
pierre jusqu*à un bois qui garnit tous les flancs des mon-
tagnes. Une heure et demie de marche depuis Belesi
me conduisit enOn en présence des ruines que je désirais
Toîr. Elles sont fort étendues : d*abord à ras de terre sont
des restes de fondations d'une vaste maison qui apparte-
nait sans doute au village qui précédait le couvent; et un
peu au-dessus d*une fontaine d'eau excellente , de vastes
ruines de deux bâtiments. I/un était une grande et vaste
église latine ; les murs extérieurs sont conservés presque
en entier, et on y retrouve toutes les formes des églises go-
thiques avec les vastes fenêtres en clives. Une des faces,
sur le côté le plus étroit et occidental, offre une porte go-
thique surmontée de deux fenêtres longues.
 cette église était annexé sans doute le palais abbatial,
car on aperçoit des restes de murs en saillie qui doivent
appartenir à ce palais ; et à côté , un peu à gauche en mon-
tant , est une petite chapelle du même style, qui était pro-
bablement le dernier prolongement du palais abbatial. Je
ne puis douter que ce ne soit là le monastère de Notre-
Dame d'Isova , mentionné dans la Chronique de Morée
avec le village de ce nom près de l'Âlphée :
'2 Ta icapairc^TaiAOV tou 'AXcpeiou Ixeï y^P ÂTréaiiii^av
Tb Xéyouv eîç t)|v 'Ewxoêav ot xiêiravoi JXo
1
Ailleurs le chroniqueur précise encore davantage la si-
tuation de ce lieu en indiquant son voisinage de l'Alphée et
de Liodora :
T'îjv auptov exiVTiaav, ^X6«v 'ç t^jv At$(opiav
Tb 'jcapairorafAov 'AXcpeco^ 6Xop0a IxotO^évi^
Si on a donné à cette ruine le nom de Palais, c'est peot-
* P. 154.
•P. 109.
4?.
4§S GBÈCE CONTINEI^TALB ET MOREE.
être par réminiscence du fialais abbatial ; car il n*y a pas
le, moindre doute que ce ne soit là une belle ^lise latine,
bile est toute bâtie en grandes pierres bien taillées; ses fe-
nêtres sont ogivées avec soin et fort grandes et larges , et
sur un des côtés ou aperçoit une des gouttières sculptées
suivant la forme gothique et représentant un animal idéal
pu peut-être un lion mal exécuté.
Deux fenêtres gothiques, Tune très-grande et l'autre
petite ^ subsistent encore ; une autre est à moitié écrou-
lée , parce que les fils d*Âgar ( 'A^apéyoi), les Turcs , sui-
vant le récit d'un bei^er qui m'accompagnait, avaient
cherché à la détruire. L'emplacement était délicieusement
choisi, au milieu des bois, sur un terrain à pente douce
jusqu'à l'Alphée et jusqu'à une autre petite rivière , le
Tzemberogou ou Dragon. Cette situation m'a rappelé celle
du monastère deç Bénédictins de la Gava, Le^ Bénédictins
choisissaient toiyonrs admirablement l'emplacement de
leurs monastères , et en examinant ces ruines mes souvè*
nirs se reportaient sur quelques vieux couveiUs de France
et d'Angleterre. Les terres sont excé^llen^tes , de belles ipon-
tagnes boisées s'arrondissent en cercle alentour; une abon-
dante fontaine est tout prèSj et deux rivières presque navi-
gables se dessinent dans le lointain : c'était une charmante
situation ; et je ne pub dodter que ce ne. soit eelle dli mo-
nastère de bédédictind d'Isova , que l^es Grecs 4 en 1262,
brûlèrent par jalousie. Aussi , lorsqu'ils furent battus par
]én Ftancs, crul*entHls voir^ les ui» saint Gborges combat-
tre à 14 tête des Francs sur itn cheval blanc , Ibs autres
Notre-Dame d'Isova les poursuivre de sa colèrei
*AXXoi eïiwv ïtt àp7((TÔ7i tduc ^ icéivfioç 0«ôT(faiô<
*Owou 'tov è(ç 'rijv ÊtdoSotv \ tB fjtovotfftflpc é)tttvO
ïo &aij;av Tore ot Pb)|Aaïoi elç to TaÇeîSt «te^vwv *.
Les Grecs venaient de Mistra dans la direction de Ghei-
« Page 111.
FRINITZA. 499
1D08; puis ih s'avancèrent sur YeligostJ,qae j'ai retrouvée
a une lieue de Leoodari et où ils brûlèrent le marché et
ne laissèrent que le Castro ; le lendemain i)s traversèrent
la plaine de Garitena (ils n'attaquèrent certainement pas. le
c^âte^u^ que les Turcs n'ont pas. osé attaquer sous Ibrahim
quand Golocotroni l'occupait); lé troisième jour il9 arri-
vèrent de la plaine de Garitena dans le .pays de Libdorà
entre l'Alphée et le Ladon , qui en font la linûté par leur
jonction ; pui£| ils attendirent une division de Turcs S
Isova , dont ils brûlèrent le monastère ; puis ils se diri*
gèrent sur Prinitza ^ . , . .
, Jeande Gatav^ avec ^ trois cent douze Frfmçais.n^ar-
dia sor . des milliers de Turcs rét^nii; à Prinitza. I^ étj^t
sur la rive gauche de l'Âlpbée ; il s'(|vança dans la di*:
r,ec(ioa de Krestei^a (au sud.d'Qlympie sur l'autre rive
de l'Alphée) 9 suivit les, bords de l'Alphée en le ren^onunt,
et aperçut de loin sur l'autre rive l'armée in) périple cara-«
pée à Prinit^.que je crois être Viieza, à deux lieues ei
demie au sud de I^ala^
. La. Gbronique de Morée raconte fort éJpqnemment |a
victoire remportée par les trois cent douze français ^\ le
chevalier paralytique Jean de Gatavà , qui déclarait l'en-
nemi du Gbrist tout homme qui le verrait reculer ou trem«
bler et ne regorgerait pas \
Poi^r retourner à ,P(ei^si ^j'avais deux rivières à traver»
ser, le Dragon et l'Alphée. La. première était peu pro*
fonde ; mais nous passâmes l'Alphée dans un endroit diffé-
rent et beaucoup plus profond que ne^ l'était le premier
passage. Mon gendarme, ,qui n'était pas habitué saps doute
à traverser les torrents, faillit tomber dans l'Alphée, qu'il
regardait couler ; ce qui lui donna le vertige : mais heu-
« Pag. 10.9 ....
Pag. lîl.
SOO gkèce continentale et morée.
rcasement pour lui qu*un des guides que j'avais pris se
tenait à côté de lui , conduisant le cheyal ; il vil comme
moi le gendarme chanceler de son côté, et il le retint.
Moi, j'en fus quitte pour être trempé jusqu'à la ceinture;
ce qui ne contribua pas peu sans doute , avec la nuit dore
que je passai à Belesi , à rappeler la fièvre , qui depuis
quelques jours frappait à la porte. Je tins bon toutefois ,
j'avais à voir Olympie.
En partant de Belesi je traversai rÉrimanihe et suivis
tout le cours de i'Alpbée en me dirigeant sur Olympie. Cette
vallée de l'Alphée est magnifique. Les montagnes, bien boi-
sées, n'y sont pas très-éievées et se groupent de toutes parts
avec grâce. Le bas des coteaux est couvert de kalambokki,
dont la verdure tendre est agréable à l'œil. Si j'eusse été bien
portant, c'aurait été pour moi une journée délicieuse que
de suivre cette belle vallée; malgré mon état de souffrance,
je ne pouvais m'empécher de m'arréter de temps en temps
pour admirer la grâce de ce paysage. Olympie était dans
une superbe situation. Bâtie sur une pente douce , enca-
drée entre deux petites chaînes de montagnes , et s'élevant
graduellement en amphithéâtre au milieu d'elles, elle avait,
au delà de l'Alphée , une vue délicieuse de collines ondn-
leuses et verdoyantes. Les grandes fêtes grecques qui se
célébraient à Olympie recevaient un nouveau lustre de la
beauté du pays. Ce devait être vraiment un spectacle en-
chanteur que de voir arriver ces immenses populations ac-
courues de tous côtés, et de les contempler réunies sous un
si beau ciel et dans un si beau pays. Il ne reste plus rien dfi
toutes ces grandeurs; un meunier seul a placé sa maison au
milieu de Taniique Olympie. En allant à cette maison on ren-
contre des restes de constructions romaines qui sortent de
terre, parce qu'elles sont dans un endroit plus élevé. Olympie
aujourd'hui est complètement déserte; car la verdure
des plaines et des collines n'est que la verdure spontanée
des forêts et des plantes sauvages , et l'homme m paraît
en rien dans celte œuvre. De temps à antre seulement^ quel-
OLVMPIE. 501
ques champs de mais rappellent que près de là existent
quelques descendants du peuple dont le goût et la richesse
se manifestent par tant de nobles constructions. Les mon-*
tagnes voisines sont toutes de terre friable , et les torrents,
en détachant peu à peu la terre de ces montagnes, Tont en-
traînée dans leur cours et ont recouvert peu à peu, avec le
cours des siècles, la surface de la ville antique de plusieurs
pieds de terre. Pour retrouver les monuments de l'antique
Olympie , il faudrait mettre à nu le sol ancien. La com«
mission scientifique envoyée par M. de Martignac a fait
des fouilles et a mis à découvert le temple de Jupiter
Olympien avec ses immenses colonnes de pierre porique ^ ,
et , à quelques pas de là , une petite église du moyen âge,
dont quatre colonnes de marbre, placées en forme de
cintre , sont assez jolies. On aperçoit aussi à côté quelques-
unes des pierres helléniques de l'antique Olympie.
D'Olympie je repris ma route vers Pyrgos. A quelques
minutes d'Olympie se termine la chaîne de montagnes qui
l'enveloppe dans son sein, et on entre dans une nouvelle
vallée moins belle et moins cultivée encore; puis vient une
troisième vallée, où la culture devient active; les raisins de
Corinthe y abondent , et on aperçoit de nombreux signes
de travail ; la vue est encore belle et la culture va en aug-
mentant jusqu'à ce qu'on arrive dans la plaine de Pyrgos.
XXX.
PYRGOS. — EUS. — ANDRATIDA. — BLACHERNES. —
GLARENTZA.
Pyrgos est une jolie petite ville , Tune des plus grandes
de la Morée après Calamata. Ses maisons sont bâties de
* Voyez cette description dans Touvrage de la commission.
509 GIIBCB CONTINENTALB ET MOREE.
[iiërreé fohnétede terre, coupées en tranches quadrilatères
iilongéesi assex épaisses; on les laisse sécher ad soleil ^ et
ceitt devient nnc espèeë db pierte. Ib font aus^i de la
métne lnanlè^e utle tulle loitgile et tonveie en faisant sé-
cher i^ette telre dd soleil ; sa snrfàce est rade et grossière
dans la cbntavitë hiais polie dans la eonreiité, et , ëtl la
frappant) elle tehd un son clair. G*eét idusi qa'bn fait
àUssi les tulles et briques en Egypte.
3e dépendis ft Pyt^ darfs là maison du gouirernear;
M. Krieti, honimc plein de bienreiltancq; fort instruit des
âffilires dé soh pays, qu'il a servi miliuiirement i et pleiâ
dé sentiments honorables et patriotiques; Il a épousé une
femilie torque du caractère le plqs parfait
J*avafs décidé de (Miriir dès le lendemain pour aller vi^
siler.^iiicô-Gàstros mais; .au liioment de me mettre en
route , à.onze heures dn ihatin j je fUë saisi d*nh trémble->
ment fié?reux irrésStîtible; Je touIus dompter ihon mëhiise
et le déguiser et t)artir $ mais la bienveillance de l'excél-
lettte madame Kriezi triompha de mes scrupules* La fièvre
me prit iminédiatement avec une telle furce que je fus
forcé dé mettre au lit. J'eiis, pendant tirois heures ; un ac-
cès d'une sorte de fièvre ardente. Je redoutais au delà de
tout de tomber malade de manière ï être alité chei d6$
amîs aUssI nouveaux poUr lUoi. La certitud^e que j'avais
qu'ils auraient pour moi tous les soins qu'on a pour un
frère me rendait plus insupportable encore l'idée de la gêne
que je pouvais leur apporter. Aussi, dès le même jour,
pris-je des moyens héroïques ; le soir , un médecin me
prescrivit (iM. le docteur Anino, jeune médecin de Céphalo-
Oie établi ici), pour Je lendemain et le surlendemain, de lar-
ges doses de quinine que j'avais apportée avec moi de Pa-
ris. Grâce à ma volonté obstinée, je triomphai du mal
^tpus, après (|eux jours seulement d'arrêts forcés , re-
monter à cheval.
Le matin du troisième jour je sortis de bonne heure ï
cheval pour aller voir les ruines de l'ancienne ville de Le-
ti^ri près d'BagjQS-jQaapia. Je retrouvai Iji, $ur te9 târrftmp
de M. Fapa-§t^powlp?, plwsj^m^ frjigweats d^ çplQn«fis.g#
pjwre poriquç qt fes ^^i^^s d-un l§i«pte en pierrfi§ c^rr^
bfiUépiqï»^ » reyêtuqg ^Qpre 4'un ^«p §pli4e §t pqU .#
tontes part^ paa§ u^ t^rr^iQ ¥pi^^ apRi pJusmpr^ m\\^^
«iqapducs, et, ep crèus^pf de qqfil«flQ8 pieds ce t^rrajn «:^-
pqHYpn p^r tes allqyiqpf (les flçuyep, pq r^cppai^t Ifts vm^ .
dos mwailM heUépiquep de te yilj^. Gq lifiW ?PÇ^ §ifls
dppie cpptipué îi être, ^bj^ peft^^pt te lewpp <J§f Uorn^ips
^t gpus te Sas-Ç«îpire; par op y Ivmn U»fi gwiirte qwim-
lilé de ces vastes tuiles qp*pa p§ ^\\ plp^ If i^ç «p tîcèfie
4wHi^ bi^^ â^^ #gI^* et m (liff^rppt d§9 pgitpstpiies
raisins ordinaires et de raisins dg tlpriptbe e\ ^le gn^xrftp
pl^ii^^s seqtepien» deppi^ qn^tç-ç §n^; c^j; te§T»I^Pa>^^i^"'
iPHt t^rft!^ . teP^ ^P^aPÎV I^Ç F«i^« rifi Çftriinh§ ét^iit gn
plpiB^ Çécpjjp. Aqssitôl: c«eiHi , pp te déppsg sur PP t^ç-
fi|ip ^pc pr^par^ Jtypc 4s Vçs« fil de la hpqçp de yaphe.
J^'il fe{>te hujt jopra ^^ pêpig si^ jqpr,^ ^ spteiL pe
l^'mps ^^\ ppuç qijp Ip gcaip se sèç^ e\ ?§ ^é^cb^.
On te ffipt fi^^H^t^ ^û ^\^ R^"^ l'pPvqyçf ^^ pqrppp.
Pour le raisin de Smyrné , qui est blanc ef dopf 1^ grjijn
^\ b^aucp^p plpp grqg. jl faut ^p'il spiç pflgg^' d^RS l'eau
pha^de pour ^mollir l'pavfijpRpe , ^prè^ qjjpi pp js ipet dé-
chet' 4p 1^ ipêipp wanière, l^ fhatepr, ^u spteij §t çellç (Je
la fçrrp produisent rapidejflent tepr effet, 1^.^ partiP4-
im RM acheté pp tpcf^ip <i^ ^QH^^n^fflWt I raisQij 4e
q^aj-^îù^ ^raphipes te sfrème. C'est beaucoup; pp^i^ jjs
çon^plenl sur i'àug^pentaljoi^ de ja çonso^flin^fiop pn Evj-
fppp ef pp Amérique, e| cela est (liflicile à prpif e. 4p rept^fii
die 1^ ^ Pyi^os» qui se présente fort bien i la vue avec ses
rpajsoos b|anclies au ipiliep de jardins, les alentours de la
ville oiU quelques jardins de pilVQPi^ier?. de mûriers et
d*oliviers. l/oliyier rapporte apnpei(cment ici jusqu'à deux
^h^lari , car la terre est féconde.
ïf:p§-décidément l'ancien évêché d'Olène, mentionné
604 GEBCB CONTINENTALE BT MOBEB.
dans h Ghroniqoe de Morée , se trouvait à Oiena , village
aa nord-est de Pyrgos et à quelques lieues de cette ville.
U s*y rencoatre encore quelques restes d'église. Le siège
en fut depuis transporté à Andravida , mais avec le même
nomd'é?èqne d'Olène; et ensuite à Pyrgos même, et tou-
jours avec le même nom d'évéque d'Olène. Aujourd'hui
Térêque de Pyrgos s'appelle évêque d'Olène et d'Élide.
Ainsi , quand il est question dans la Chronique de Morée
de l'évêque d'Olène , il ne faut pas confondre cette ?ilie
atec roiène que la carte de M. de Boblaye et celle de la
commission placent à Kato-Achaia.
Le Pondico-Gastro est appelé aujourd'hui Katakolo^
Castro, parce que ses ruines dominent le port de Katakolo
et le cap du même nom.
Mon projet était d'y aller le même soir; mais je ne pus
partir qu'à cinq heures de Pyrgos, en prenant congé avec
serrement de cœur du bon M. Kriezi et de son excellente
femme , qui ont été pour moi de véritables amis pendant
la fièvre qui m'a saisi si désagréablement , et que j'étais
parvenu à dompter. M. Papa-Siasopoulos, aide-de-camp du
général Church, voulut absolument m'accompagner jus-
qu'à Clarentza.
Nous passâmes le long du lac de Mouria, laissant à notre
droite Skouro-Khori, qui a peut'^tre reçu son nom du Gil-
bert de Score de la Chronique de Morée, et, laissant le fort
ruiné de Pondico-Castro, nous nous dirigeâmes vers le cou-
vent de Skaphidia pour voir la tour et les monuments latins
dont on m'avait parlé. Cette tour est tout simplement une
tour carrée, flanquée de quatre petites tours rondes, et
construite au dix-huitième siècle. Comme le couvent est si-
tué au-dessus de la mer, et que les Algériens venaient de
temps en temps faire des incursions sur la côte , on a fait
construire celte tour à l'extrémité des bâtiments du cou-
vent, devant l'église et du côté de la mer, pour protéger
le monastère contre un coup de main. Au reste, tout Je
couvent est fort moderne : les Vénitiens, en 1686 , le
GOUVSNT DE S&APHIDIA. 505
4
trouvèrent institué depuis peu et lui fireuf quelques lar-
gesses. Des actes, qui datent du cooimencemenl de 1700,
sont les seuls diplômes que possèdent ces moines. Quand je
leur demandai leur bibliothèque , ils me répondirent que
les Turcs Tavaient brûlée. J'ai cependant, en furetant,
trouvé sur les planches de la grande chambre où on m*a*
Yait l<^é quelques manuscrits ecclésiastiques du quin-
zième ou seizième siècle, évangéliaires et livres de prières,
et un beau manuscrit sur papier in-folio des sermons de
saint Jean-Chrysostome du treizième ou quatorzième siè-
cle. Les moines voulurent à toute force nous faire souper;
le sous-hégoumène insistait surtout, sans doute pour avoir
une occasion de manger une sixième fois gras dans la jour-
née : car il me confessa que , comme le jeûne de quinze
jours commençait le lendemain, il s'était prémuni en man-
geant déjà cinq fois de la viande ce jour-là. Il en mangea
copieusement une sixième fois avec nous, et fit de nom--
breuses libations de vin. J'ai peu vu , même les grands
mangeurs parmi les moines, boire et manger autant que le
sous-hégoumène du monastère de Skaphidia , qui a une
aversion particulière pour les Bavarois, aversion partagée
à l'unanimité par tous les moines de son couvent.
Je passai une nuit horrible dans ce couvent. Les cou-
noupia (cousins) se sont établis maîtres souverains et y rè«
gnent de la manière la plus cruelle.
L'abbaye de Skaphidia est bâtie dans une fort jolie si-
tuation, au milieu des bois et avec un assez beau jardin de
citronniers et de figuiers. De là à la mer, on descend un
fourré d'arbres au milieu desquels se trouvent , près de la
mer, les restes de murs romains : c'était probablement une
tour de garde. Il n'existe plus que des pans de mursassez con-
sidérables. Nous suivîmes ensuite le bord delà mer, en lais-
sant à notre droite les monastères de Franca villa et Franco-
pidima; nous nous reposâmes quelques instants à Kalitza
près de Dervi-tchelebi, et arrivâmes vers midi à Elis. Toute
cette route est une vaste plaine presque entièrement dé«
43
506 GRECS GOHTllIBNTALE BT HOREE.
posmie de eohere : Mulement, à quelques pas aotoar des
TÎlla^Bs, 00 aperçoit qodqaes fignes et quelques arbres qui
iaterronipeiit un peu raridité de ce disert , qui serait si
riche s'il était cultivés car tous les terrains y sont bous,
rbouniiie seul masque à la terre. C'est surtout en Elide que
se canserf e presque entièreQieBt encore la Imgue de la Chro-
nique de Morèe : tous les siots dont elle se sert, même les
mots francisés, y sont restés dans la langue familière. C'est
la proTinoe où les Français restèrent le plus long-temp&
Pendant que nosagolates préparaient notre konaki, nous
alllmes visiter hs mines de Tanliqse Elis , distribuées sur
un vaste espace de terrain an pied de la montagne qui ser*
vait d'acropolis , et qui porte les ruines de Tantiqne for-
tere^e renouvelée par les Francs. Cette montagne , appe^
lée encore Caioscopi , est celle que les Francs , les Latins
et les Italiens ont tour it tour appelée Beauvoir , Belveder
et Puldimm^Yidere. Les Vénitiens avaient même donné
le nom de Belveder à toute la province d'filide. Pinceurs '
lettres des princes de Morée sont datées de leur château
de Beauvoir, et on la trouve mentionnée jusq«*è hi fin du
quatonième siècle sous ce même nom.
Près de cette montagne , à quatre lieues de là , est la
belle montagne isolée de 8aint-0mer (Santameri) , qui se
voit de toute cette plaine d'Ëtide. An bas de la montagne
sont les deux villages do. Portes et de Santameri : denx
noms français, comme celui de la montagne. C*est ie sire
Kicolas de Saint'Omer qui fit bâtir , vers 1278 , le fort
château dont les ruines se voient encore sur la montagne qei
a conservé son nom. Bientôt une ville oonsiitérable se groupa
aotenr du château. Jean Leundavius, dans sa traduction la-
tine de CfaaicoaMidyle, r^rodutte sans correotion dans l'é-
dition de Bonn^ commet une erreur en supposant que, par
iavT«pii(Hov icAtv , Chalcocondyle a voulu désigner File de
Sainte-Alaure; Le texte de CMcocondyie est au contraire
fort clair, et désigne bien nettement Saint-Omer (Sanimneri)
^n Elide. il n*y a anonii éonte possible. Le lieutenant du
SAINT-OMER ET BEAUVOIR. 607
suhan Bedir^e d'Acbaye en £iide} il prend Gaia?ry ta, puis
marche sur Greveno, qui lui résiste par la force de sa si^
tualion , et il se dirige sur Santamerl , dont les habitants
loi ouvrent la citadelle, Calavryta ^ Greveno et Santameri
conservent aujourd'hui les mêmes ftoms» bien que la der**
nicre ne soit plus qu*u& amas de ruines , et Greveno se
trouve en effet entre Santameri et Galavryta. L'historien
grec Phrantzi en parle plusieurs fois. Ge fut là que mourut
en 1430 rimpératrice Théodora femme de Constantin non
encore empereur» nièce de Charles Tocco eomte palatin
de Géphalonie* Son tombeau , transporté , comme le dit
Phrantzi , à Aiistra dans le monastère de Zoodotou-^Pigi
(Mère du Sauveur), s'y trouve encore« Le même Phrantzi
mentionne également l'occupation de Santameri, l'une des
places les plus fortes du Péloponnèse, par Mahomet II, qui
arrivait du côté d'Arcadia pendant qne son lieutenant mar-
chait sur le centre do Péloponnèse en venant par l'Achaye.
Les béglier-beys* qui, suivant lui, occupaient les places for-
tes dé Khlomoutziet de Santameri, et qui, à l'approche de
Mahomet II, se réfugièrent à Corfou, occupé par les Véni-
tiens depuis 1386, ne me semblent pouvoir être que les
restes des feudalaires francs. Santameri ne s'est jamais re-»
levée depuis sa prise par les Turcs, et on retrouve aujour-
d'hui des ruines considérables d'églises et de maisons sur
les revers de la montagne, ainsi que sur la cime où était la
citadelle.
La ville d'£lis , qui e3t dans la plaine qu'imtourent ces
deux montagnes, et qui a reçu le nom de Beauvoir parce
qu'au milieu de cette large plaine de Pyrgos elle est la
seule partie qui offre une vue assez agréable, n'est non plus
qu'un amas de ruines. On ne rencontre pas là , comme
dans les autres parties de la Grèce, de grosses pierres qua-
drangulaires, mais des constructions tout à fait semblables
aux constructions romaines, mélange de pierres et de bt*i-
* M7rs7).«p^7rsi^c<. Pag. 409.
603 G1IECE CONTINENTALE ET MORÉE.
qiios ; ce sont des édiRces entiers avec des portes en ar-
cade, ooais dont la destination ne se fait pas bien sentir.
Ces ruines assez vastes sont distribuées sur plus d'one
dcini-iieue de terrain. Je me reposai deux heures an vil*
lage, après avoir couru au milieu des champs de ma!s, en
plein soleil , pour voir les ruines d*£lis et de Beauvoir. A
deux heures et demie je remontai à cheval, et avant quatre
heures j'étais arrivé à Ândravida.
Andravida est aujourd'hui un grand village qui n*est pas
même le chef-lieu de son déme; c'est Lekhœna qui a cet
honneur; mais on reconnaît que là fut autrefois une ville
considérable. La Chronique de Morée la représente comme
une grande vide ouverte et en plaine.
*H y/^P^ ^ Xa(X7rpoTepv) elç tov xafAirov rou Mopécoç.
'ûç X^^^P* Y*P ^'toXutJj xoiTSTai elç tov xafATTOV
OwTi icupYO^j oixî Ttv/ik eTvai 7ro<r(i!>^ cî; auT»)v.
(P. 34.)
J'allai voir trois ruines qui m'intéressaient : l'église
Sainte-Sophie, où se rassembla la haute cour féodale con-
voquée en 1270 parle prince Guillaume de Yllle-Hardoin
poiH* prononcer sur les réclamations de la dame d'Ak-
hova et du sire de Saint-Omer * ; l'église Saiut-Étienne ,
qui appartenait à l'ordre Teutonique ; l'église Saint-Jac-
ques, que Guillaume de Ville-Hardoin fit bâtir et donna
au Temple ^, et où lui et ses deux fils, GeofTroi II et Guil-
* *Optîei euôb; ô TcpiYXwra;, ^Xôav oî çpXafxiroupiapot,
Ka\ ^01 ot xaêaXapol ôirou 7)(7av tou Mopsco^,
"OXoi Ixaôiaav ôfxou sic tJjv ^Ayiav Socpiav.
''Oirou ejxevev 6 irptYxiTcai; Ixel elç r^jv 'Av$pa6($av,
(P. 173.)
* '2 TOV "Aytov 'ïaxo)6ov Ixeï eiç t?)v 'Àv5paêt5av.
'H T^v IxxXyjffiav t^ eTryjXc, xai fôwxe '<; to TéfxirXoç.
(P. 182.)
ANDRAVIPA. 609
laame P' , forent enterrés par Tordre de Guillaume II *.
Une quatrième église, toute nouvelle, l'église Saint-
Constantin, contient deux des cinq colonnes de granit égyp-n
tien que les Français rapportèrent alors de Jérusalem.
Quatre de ces colonnes ont été récemment brisées et em-
ployées à divers usages; une seule colonne de granit reste
couchée près de l'église, à quelques pas d'une autre
colonne en marbre blanc.
L'église Sainte -Sophie a une partie parfaitement con-
servée, et est une fort jolie église gothique. En dedans de
l'arcade du milieu sont des arceaux gothiques réunis fort
bien faits. Toute l'église est en larges pierres et fort bien
bâtie : il ne reste plus que quinze pas de profondeur ; mais
on suit le mur jusqu'à cinquante pas au delà des limites
du mur conservé, et il est facile de voir, par quelques
fragments d'arceaux, que tout le reste a existé et a été dé-
moli. On trouve diflScilement des pierres de ce côté, et les
habitants ont profité des ruines pour bâtir à mesure de
leurs besoins. Â côté de la grande nef se trouve, sur la gau-
che , une petite nef du même temps que l'église et avec
des arceaux gothiques du même genre; tandis que la nef
à droite a une porte un peu plus petite, et qu'elle n'a point
d'arceaux gothiques à l'intérieur. Elle aura sans doute été
bâtie un peu plus tard. Sur le^côté de l'église sont des fe-
nêtres gothiques longues et étroites; et, sur le derrière, des
piliers carrés gothiques comme on en voit dans toutes nos
églises soutenaient les arceaux extérieurs.
De l'église Saint- Etienne , qui est plus rapprochée de la
ville , il ne reste qu'un pan de muraille et la base des murs
d'enceinte, qui ont quatre-vingt-deux pas de longueur. Il
me semble que ce devait être là une des limites de la ville de
* Tb JîTlêoupi Ô7C0U iTHQXeV ^TTOU ^TOV Ô WaTÎjp TOU
Elç t))v Se^iav tou t^ (Jt-epiiv fvei ô d^gXcpoç xou.
Kal aÙTOV va O^acoori (Ep6à xa\ 6 Tuaxi^p tou lata,
(P. 182.)
43.
610 GRECE CONTIKBNTALB ET HOREE.
ce côté. Tout auprès e»i uu puits de fort bonne eaa, la seale
f raiiueut bouue d' Audravida. Les Ordres militaires s*éuUis-
^ saient assez souvent dans les faubourgs et hors de la ville, et
fortifiaient leurs églises. Les églises du Temple étaient sur*
tout fortifiées ; nous en avons encore un exemple à. Luce^
près de Barèges, dans les Pyrénées. Quant à Téglise Saint-
Jacques* il n'eu reste rien que quelques pierres des mu-
railles et les bases de Tenceinie extérieure du coté de Tau-
tel» mais à ras de terre. Mon projet était de faire des fouilles
en cet endroit pour retrouver les tombeaux des princes
GcoiTroi II et Guillaume et celui de leur père, Geoffi^oi P^;
mais tout le monde travaillait alors aux champs , et je n*ai
pu trouver personne dans le village. Si on ne veut pas res^
ter quinze jours à Andravida, il faut employer à la fois une
viagtaine d'ouvriers à cette œuvre. Au reste» le lieu est
bien celui que je vieus de désigner : le souvenir du nom de
cette église est consacré dans la mémoire de tous les gens
du pays auxquels j'en ai parlé, et on sait comment les Grecs
sont attachés aux vieux souvenirs de leurs anciennes égli^
ses. £u fouillant du côlé où était l'autel , qui est le plus
éloigué de la roule» on doit retrouver le tombeau des trois
princes français d'Acbaye de la famille Yille-Hardoin.
Je retournai le lendemain matin de bonne heure faire
une nouvelle visite à l'église Sainte-Sophie pour rectifier
le croquis que j'avais fait la veille des deux façades» afin de
pouvoir en retrouver un souvenir plus certain. J'allai
aussi jeter un dernier coup d'œil sur le terrain de l'église
Saint-Jacques , qui était plus éloignée de la ville que ne
Tétait Saint-Étienne , et je pris ma route vers Kblemoutzi
pour aller de là à Clarentza. Après avoir quitté le chemin de
Clarentza , on entre dans une chaîne de petits monticules
secs et sans culture ni sur les pentes ni dans les ravins. La
forteresse de K hlemoutzi vous apparaît dès les premiers pas ;
mais il faut trois heures environ pour y arriver d'Andravida.
La Chronique de Morée raconte qu'après leur conquête, eu
1^05 , les Français se distribuèrent le pays en fiefs, et en
KIILSniOUTZI. 611
réservèrent une partie qu'ils donnèrent au elergé sous obli-
gation de service militaire pei*9pnn£lt Le clergé ayant plus
tard refusé ce service» tout en retenant ses (iefs de cava«
Hors et d'écuyers, Geoffroi de Yille-Hardoin prit le parti
de séquestrer leurs revenus s et il en employa le produit
à faire bâtir une forteresse où les hommes de la conquête
pussent se retirer t et sur laquelle ils pussent s*appuyer
pour résister k la fois aux (ittaques des ennemis du dehors
et de ceux du dedans. Il fut trois aos à faire bâtir cette
forteresse, qui est cellede Kbiemoutzi*; et ce château, bâti
à Taide de trois années des revenus du clergé, était , dit le
chroniqueur, d'une telle force que» ai les Frapçfûs étaient k
plusieurs reprises chassés de la Morée , la possession de ce
seul point devait suffire pour leur (aire regagner le reste
du pays, Le& Francs, en souvenir de b destination de cette
fori^esse qui devait eontenir les Grecs , li|i donnèrent le
nom de Alala^Grifon (Matte-Grecs), puis celui de Cierinontt
(Clarus-Mons), et ce château devint un fief de famille donné
fOQB le preuftier nom à la cadette des filles du prince QuïU
Uume de Yille^Hardoin^ qu'on trouve désignée dans plil^*
sieurs actes et chroniques sous le nom de dame de Mata-Gri-
fon, tandis que l'aînée avait pour apanage la seigneurie de
Clarentza, transformée en duché ^, Les Grecs, de leur cdté, en
souvenir de la séquestration des revenus du cleq^é, ^ l'aide
de laquelle put s'achever cette construction , donnèrent ji
ce fort le nom de Château*- Tournois, Castro-Tornese, nom
conservé plus lard par les Vénitiens sous celui de Castel-
Tornese^ On ne le connaît aujourd'hui que sous son nom
grec de Khlemoutsit
Tov irpi^»cd(tov al X^tXa» SXmy t(ov ixxXv)9^iAv
(Pag. eôO
* La quarta par^e à GUareiica da ltoli«0i detta dtiui|o tJi Chw
ren7Ji (rArcipeli^o di Maroo Bosclùui. f . 7. Veoeûa^ 10â6.)
511 GRÈCE CONTINEBITALB ET MOBEB.
La forteresse est située an-dessas da Yillage de Khle-
mootzi , tout an sommet d*un moniicule qui 8*élève au-
dessus de tous les monticules dn pays , et qui étend ses
branches jusqu'au cap Tornèse, l'ancien promontoire Che-
lonites. Lorsque le canon n'était pas inventé, cet emplace-
ment était parfaitement choisi ; car on^ y arrive facilement
de Naples, et de Zante et Géphalonie. Ces deux dernières
ties paraissent de là comme sous la main. Les Grecs, s'ils s'é-
taient révoltés, n'auraient pu s'emparer de Rhlemoutzi du
côté de la terre, parce qu'on peat défendre aisément toutes
les gorges des montagnes qui conduisent jusqu'au pied de
ce monticule à pente rapide.
Elle est construite de la manière la plus solide, avec de
hautes et vastes galeries couvertes bâties sur le roc vif et
qui pouvaient contenir une nombreuse garnison. En dedans
était une église , et les galeries du fort comme les voûtes
de l'église sont toutes en ogives allongées. Au-dessus des
galeries étaient de vastes plates-formes d'où l'on pouvait
combattre l'ennemi. Mais tous ces moyens de défense si
bien et si splendidement construits pour l'époque ont été
inutiles devant le canon. Ibrahim a attaqué Khlemoutzi, a
troué avec le canon ses vieilles murailles en divers endroits,
et s'en est emparé. Ce fort était si bien construit , qu'il
reste debout et qu'il faudrait peu de frais pour le transfor*
mer en belle caserne ou en château fort de discipline.
De Khlemoutzi à Clarentza il n'y a qu'une heure ; de
telle sorte que souvent on donne à Khlemoutzi le nom de
Château de Clarentza. Nous traversâmes de nouveaux ra-
vins pour nous rendre d'abord dans l'abbaye de Blachernes,
à une demi-lieue de Clrrentza. Elle est située tout à fait à
l'extrémité de ravins inféconds, et, lorsque l'on sort de
là comme d'un antre pour entrer dans la vallée, elle appa-
raît à mi-côte au milieu d'oliviers et autres arbres à fruits.
C'est un petit couvent fort bien bâti , sans doute en souve-
nir du palais de Blachernes à Constantinople. Sur tous les
murs je retrouvai des fragments de marbre sculptés re-
COUVENT DE BLAGIIERNES. 513
présentant la croix ancrée des Yiile-Hardoîn. Près de la
porte de l'église , en dedans , sur le pavé est une pierre
sépulcrale sur laquelle je lus ces mots :
AMNO imi. H. CGC. LYIII. DIE XX
MENSIS SEPTEMBRIS. BIC SKCKT SEME-
J^ILICS S*' YIRIDI-MILETI DE LCCIKIA
QUI HABITAT IN YENEGIIS.
Au-dessous est sculpté un écusson français portant un lion
debout avec deux bandes. Dans la partie latérale de Té*
glise est un autre tombeau vide, et sans inscription ni sculp-
ture; Tune et Tautre étaient sans doute placées sur le cou-
vercle du tombeau, qui a été enlevé. JMnterrogeai les moines
pour savoir s*il existait parmi eux quelques traditions à ce
sujet : ijs me répondirent qu'ils avaient toujours pensé que
c'était là le tombeau d'un des princes de Morée, mais que
tous leurs registres avaient été brûlés par Ibrahim ; que
l'église seule, qui est en pierres solides, avait résisté à l'in-
cendie du reste du couvent ; que la plupart des moines
avaient été tués, et les autres emmenés en captivité en
Egypte, et délivrés seulement par l'intervention française ;
et qu'il n'existait parmi eux que des traditions et aucun do-
cument et acte public ou privé. Il est probable que ce cou-
vent aura été construit après l'expulsion de 1261, qui
força Baudoin à quitter Gonslantinople et à se réfugier en
Morée; c'était un souvenir donné à Gonslantinople et peut-
être en faveur des ecclésiastiques qui desservaient le palais
de Blachernes et qui avaient suivi Baudoin dans sa fuite.
En sortant du monastère de Blachernes on n'a qu'à tour-
ner la montagne et on aperçoit Clarentza et son port :
c'était, au temps de la domination française et jusqu'à l'inva-
sion turque, une des villes les plus importantes de la Morée.
D'après l'article 177 des Assises de Romanie, on voit qu'il
y avait alors deux cours ordinaires- de justice pour la prin-
cipauté; l'une siégeant à Androusa, l'autre à Clarentza.
C'était aussi à Clarentza qu'était l'hôtel des monnaies, et le
Ôl4 GBECE CONTIKBNTALB BT MOREE.
nom de celte ville ae trouve sor tons les deniers toornoîs
des princes français d'Achaye« Sa proximité des oôtes de
Napies l'avait mise en rapports fréquents de commerce avec
Briiides, et aussi avec Alexandrie , Chypre et les côtes d'A-
sie ; ses poids et mesures étaient coonos partout , et ks
voyageurs du quatorzième siècle attestent son importance.
Francesco Balducci Pegalotti, envoyé de la compagnie com-
merciale des Rardi, consacre, dans son traité Dtiia tnerca-
tura^ composé au quatorzième siècle , plusieurs chapitres
aux poids, mesures et monnaies de Clarenlta, comparés à
ceux d'Alexandrie» de Chypre, de Thèbes; et enfin le titre
de doc de Clarentza devint un apanage des fils aines des prin-
ces d'Achaye, et passa, par Mathilde de Hainaut, petite-fille
de Guillaume de Ville-Hardoin, à sa parente. Philippine de
Hainaut, femme d'Edouard lil, et par là à Lyonel, fils de
Philippine et d'Edouard III, et le titre de duc de Clarence
a continué depuis à être un des titres des princes de la fa-*
mille royale d'Angleterre. Clarentza est aujourd'hui une
pauvre ville , rendue malsaine par l'eau qui s'écoule des
hauteurs et qu'on a laissée séjourner de manière à former
des marais. Le gouvernement grec s'est imaginé d'y fonder
une colonie de Zantiotes , en leur donnant des terres , des
grains et des fonds pour bâtir des maisons^ Les maisons ont
été bâties, mais les terres ne sont pas cultivées; car ceux
des Zantiotes qui s'étaient expatriés pour jouir des avanta-
ges de cette colonie étaient la partie la plus désordonnée de
la population de Zante , et ils ont continué à mener à
Clarentza leur vie irrégulière.
Clarentza a été bâtie sur l'emplacement de l'antique Kyl-
lène. Il ne reste plus de la ville hellénique que des ruines
de murailles. Elle était placée en haut de la ville , du côté
du petit port séparé du port actuel par une sorte de cap
sur lequel était l'acropolis. Tout l'espace marqué par l'acre-
polis est couvert de ruines antiques dans le genre de celles
d'Élis et sans mélange de grandes pierres helléniques, qui
ne pouvaient se trouver que fort loin de ces terrains sa-
GL/^BfiNTZA. 515
blouneai. Presque partout on aperçoit le mur d^enceinte
et de grands pans de muraSlie qoi, comme à Élis, sem-
blent avoir été précipités de leur base par quelques-uns de
ces violents tremblements de terre si fréquents dans cette
partie du Péloponnèse. Pendant mon séjour à Pyrgos j'en
avais éprouvé un, Patras a été renversée il y a peu de temps
par un autre ; et Tîle de Zante, si voisine du continent grec,
en éprouve très-souvent les plus grands dommages, et a été
ravagée Tannée dernière par un cboc si violent qu*il a fait
crouler une partie de la citadelle, renversé un grand nombre
de maisons et ébranlé presque toutes les autres. Dans toute
Penceinte de la ville antique de Kyllène et dans les ter-
rains environnants on rencontre fréquemment des mon-
naies antiques en remuant les champs avec la charrue.
La ville de Clarentza du moyen âge s'étendait depuis le
nouveau port jusqu'aux limites marquées par les murs
d'enceinte de la ville antique. A côté des ruines des murs
helléniques on voit en effet les restes de tours eonstruftes
au moyen âge. La masse des fortifications s'étendait cepen-
dant plutôt dans la direction du port actuel , qui est beau-
coup plus grand que le port antique. Il me paraît probable
qu'en remontant vers la ville antique et en suivant les
bords escarpés du rocher tel qu'il se présente de ce c6té ,
on se sera borné â quelques tours de vigie de manière à sur-
veiller le petit port. Quant au cap qui sépare le port ancien
du port nouveau et qui s'avance dans la mer en forme d'é-
peron, je crois que ce pourrait bien être là le lieu désigné
sous le nom de l'Espero dans la relation latine de la mort
de Fernandde Majorque*.
Au bas de la ville on aperçoit d'autres ruines, évidem-
ment d'origine française. Tout près du bazar sont les restes
^£t sic e«ivit de Clarentià... et Tenit ad locuua Yocaiiioi VBt^
pero. Voy. p. 6 18 «Je ma Cliron. de R. Muutaner, note 1. Oo voit,
daos cette pièce, que le lieu qu'il appelle Clams-Mons, Clairmout
ou Clermont, « el dum irent sic loqucnrto versus Ciarum-Mon-
tenif » doit être la Ibrteresaede KlilemoQtzi , bâtie sur la moutagiie.
516 GEECB CONTlNfiNTALB ET HOREB.
d*ODe grande porte qui était sans doate une des portes de
de la ville; assez près de là de grands pans de murailles
qui appartenaient à une église : une des grandes fenêtres
de cette même église franquc se conserve encore au milieu
des ruines.
XXXI.
PATRAS.— -VOSTITZA.
L*inten.sité des fièvres qui dévastaient TÉlide et Cla-
rentza en particulier au moment de mon passage , les ru-
des attaques que j'en avais éprouvées en passant de Caritcna
à Olympie me décidèrent à aller respirer, pendant quelques
semaines, Tair pins vif et plus salubre des îles Ioniennes.
Je m'embarquai à Clàrentza sur un bâtiment que je nolisai
pour Zante. Je parcourus successivement cette gracieuse
île, nommée la Fleur du Levant, Géphalouie, Ithaque,
Sainte-Maure et Corfou, et, complètement ranimé par mon
voyage dans ces îles si gracieuses et au milieu d'une société
beaucoup plus avancée dans la jouissance du bien-être ma-
tériel , je repartis de Corfou pour continuer mon excur-
sion en Morée en me faisant débarquer à Fatras.
Les côtes d'Âcarnanie, fort rapprochées de Corfou,
paraissent bien sèches et bien incultes à côté des vallées dé-
licieusement ondulées de cette île. Quand on a dépassé le
cap Leukimo, ou cap Blanc de Corfou, la première îie qu on
aperçoit est Faxos , renommée par ses huiles ; et presque
en face de Faxos, apparaît Farga. Farga I que de souvenirs
de force et de nationalité dans ce seul mot ! L'Autriche re-
doutait que l'Angleterre possédât un seul point sur le con-
tinent épiro-dalmate ; et non-seulement elle lui refusa Tan-
cien lot vénéticoionien, Yostitza, Prevesa, Buthrinte, mais
CLARENT2A. 517
anssi la protection de Parga , qui seule peut-être , par ses
anciennes habitudes d'indépendance , aurait pu enseigner
aux Ioniens comment on forçait de prétendus protecteurs
à limiter leur protection à la défense du soi contre autrui.
Parga était située au bas des montagnes , et n'existe plus.
On n'aperçoit au loin que des rochers blanchis et des mai-
sons en ruine. Notre bâtiment à vapeur, s'éioignant des
côtes basses de Nicopolis, Prevesa et Actium, se rappro-
cha peu à peu de Leucade, ?ers le Saut-de-Sapho et le cap
Ducato. De là nous passâmes entre Ithaque et la terre-
ferme; nous nous arrêtâmes un instant devant Argostoli
dans l'île de Céphalonie , et après une nuit fort tempé-
tueuse, pendant lequelle de magnifiques éclairs venaient de
temps à autre faire élinceler les vagues, la mer se calma avec
le lever du soleil et en même temps qu'on apercevait encore
Céphalonie on voyait apparaître du côté de Khlemoutzi les
côtes de Morée. Nous approchâmes des îles Gourzolaires et
Oxia et .des côtes d'Étolie; puis, dans le lointain, sur le
continent rapproché de ces îles en face du cap Papa , qui
est une des entrées du golfe de Lépante , nous vîmes se
dessiner très-distinctement au pied des montagnes la glo-
rieuse et infortunée Missolonghi. £ile est aujourd'hui rui-
née , abandonnée , et la maison où mourut lord Byron a
été vendue et démolie. Missolonghi ! golfe de Lépante ! quels
glorieux noms! La victoire de Lépante fut rendue inutile
par la jalousie des princes qui l'avaient préparée ; la prise
de Missolonghi fut une défaite féconde pour le peuple de
Grèce.
Les rives de Morée , entre Khlemoutzi et le cap Papa,
sont basses et souvent marécageuses. Nous doublâmes ce
cap ; nous nous dirigeâmes vers les côtes de l'Ëtolic et
entrâmes tout droit dans le golfe de Lépante. Au delà du
cap Papa, la rive continue à être basse et presque inaperçue;
mais le second plan s'élève un peu. C'est sur cette côte ,
entre le cap Papa et Patras, que débarquèrent nos croisés
français, le 1*' mai 1205 :
44
Ô18 GRÈCE CONTIlieiCTALB ET UOREE.
£U vov Mop^v l^eivav \ t^v irpci^v roC Matou.
Ilot» Iv' ^^ftOev t^ç Ila'rpaO kocv Sexoir^vTe fiCXia.
Ëù66<( xactAXc fxTV)<Tav ^ov {xà t^ irXt^dfpi.
(P. 33.)
CiH ^ Kalo-Achtte, près de Panciên Mêlas, atijoord'hai
fleuvt de Gomettitia , qoe dnt g'opérer le débarquement
nentkNUié ici par la ohroniqaeur , et oh y inonire encore
les mnnillas dq chttean de brkpieaqu'y eonslraisirent les
Fraoçak
Em continuant à naviguer dans les eanx du golfe, la vue
Ta s'amlMlliaMnt è chaque finsunt. Sor la droite on dis-
tingue dans le lointain les pittoresques montagnes de la
Monte* les monts de Calavryia , le pic de gantam^ri , le
rocher de KUemoulzî ; et sur la gauche, en Etolie, deux
monta rocheux d'une coupe fort pittoresque et fort di-
verse, k Vantova et le KhIokoTe.
£n bee de ces deux montagnes aux belles pentes rapl-
fies et tnx belles couleurs, dont les aspects varient à cha-
que lienre de la journée e| qui servent d'ornement Si toute
cette partie du goUé, apparah la nouvelle ville de Patras.
I/antiqne ville de Fatras était située sur ia colline , et
die y rMa même jusqu'il la fin de la domination turque.
Mais qnand tout eut été brâlé et détruit , et qu'après le
départ d'Ibrahim il ne resta plus que des débris de mure
incendiés, les habitantt de Patrae, qu^atttraient en ce lieu
les avantages d'un port de mer , de belles fontaines qu'on
jl'avait pu tarir, ti« wd fécond qu'on n'avait pu refidre
improductif que pour peu de tempe en en arrachant de force
ies vignes et raisinsde Corinthe, choisirent un emplacement
lihis conforme aux besoins nouveaux de la société et k la sé-
curité dont elle allait jouir ; ils descendirent dans la plaine et
^r le bord de la mer. Patras n'est encore qu'un tracé de
grande yiiie plutôt qn'one viUe ; mais çà et b il y a de bonnes
maisons et toujours de belles rues , mm pavées oneore ,
PATRAS. 519
mais bien tracées , bien larges et abritées des deux côtés
par des portiques d'une hauteur et largeur convenables,
fort utiles dans ce pays si chaud. Le cadre de la ville est
disposé et arrangé , et chaque jour une pièce vient régu-
lièrement s'ajouter à une autre pièce. Si Athènes eût suivi
le même système , et qu'on eût , à travers ces champs in-
habités , au milieu de ce dédale de maisons de chaume ,
tracé une ville avec larges rues, portiques, places,. fon-
taines, promenades, ce serait aujourd'hui une belle ville,
tandis qu'elle ne peut jamais être qu'un grand bourg fort
sale et fort incommode à habiter, car il n'y a pas de por^
tjques clans les rues, et les maisons ressemblent plutôt à
de petites maisonnettes de Garlsruhe qu'aux belles maisons
de Malte ou même de Zante, si bien appropriées au cli-
mati Non contents d'avoir déjà gâté Athènes, les ingénieurs
et architectes du gouvernement gâtent aussi Fatras. Dans
le premier plan , on avait vendu à bon prix des terrains
destinés à recevoir un seul rang de maisons qui ne de-
vaient avoir devant elles que de beaux quais et la mer,
C^était la condition de leur achat, et cette condition était
tout entière dans l'intérêt de l'embellissement de la ville«
Qu'a fait le gouvernement ? Au mépris des droits des pro-
priétaires , au mépris de ses engagements , il a vendu à de
nouveaux acheteurs le terrain consacré aux quais , et au-
jourd'hui un nouveau rang de maisons s'y construit, dé-
truisant ta vue des anciennes, auxquelles elles opposent fa-
çade à façade, et, au lieu d^un beau quai, on n'aperçoit plus
de la mer que les cours malpropres de ces nouvelles mai-
sons. Beaucoup de ces nouveaux acheteurs ne pouvant
payer ce qu'ils ont acheté fort cher , on veut maintenant
les forcer à construire à leurs dépens un petit môle au lieu
de l'excellent qu'on avait et qui avait de plus l'avantage
de rendre la garde du port très-facile contre les contre-
bandiers. Ce qui prouve encore plus le peu d'intelli-
gence des besoins du climat, Ton a donné l'autorisation de
continuer sans portiques des rues commencées avec por-
520 GRECE COKTJNEKTALE ET MOREK.
tiques ; irrégularité qui gâte complètement le plan primitif
tracé par un ingénieur habile, M. Boulgari, Grec d'origine,
élève de TEcoIe polytechnique de France.
Depuis le lever du soleil , nous avions eu le vent con«
traire; mais cela ne nous avait pas empêchés de sillonner
rapidement les eaux. Nous débarquâmes devant Patras. La
douane et la police sont ici beaucoup moins vétilleuses et
tourmentantes que dans les îles Ioniennes. Cinq minutes
après être arrivé en vue de Patras , je m'étais fait trans-
porter en bateau sur la plage , j'avais comparu devant la
santé, la police et la douane , moi et mes effets , et j'étais
installé dans une auberge, car il y a une auberge à Fatras,
l'Hôtel Britannique , sur le bord de la mer, en face des
monts Yarasova et Khlokova.
Je commençai mes excursions par la citadelle. La Chro-
nique de Morée rapporte * que, trois jours après leur ar-
rivée à Kato-Achala, les Français s'avancèrent sur Patras,
cernèrent la ville et le fort , établirent leurs machines de
guerre , pénétrèrent dans l'intérieur de la ville et obtin-
rent des habitants la reddition de la forteresse. On voit par
ce récit que la ville était alors sur le penchant même du
monticule, où se trouve la citadelle. Patras était alors une
des douze places fortes de Morée. Lors du partage des fiefs
entre les premiers conquérants français, Patras fut donnée
à Guillaume Àlamani. Cette famille languedocienne se re-
trouve au treizième siècle en Catalogne , en Provence , à
Naples et en Chypre. Après Guillaume Âlamani et son fils,
la baronnie de Patras rentra par déchéance, à défaut peut-
être d'héritier mâle , dans le domaine princier, et fut don-
née par le prince Guillaume de Ville-Hardoin à sa fille ca-
dette, Marguerite.
Marie de Bourbon , veuve de l'empereur titulaire Ro-
bert , et princesse d'Achaîe par la donation de son mari,
résida long-temps à Patras avant de se réfugier à Naples.
* Page 34.
ir PATRAS. 521
Il y avait à cette époque un archevêque latin institué dès
le commencement de la conquête avec cinq suiïragants^
qui étaient les évêques d*Amyciée, de Mt)don, de Coron ,
d*Andravida etd'Olène prèsdePyrgos. Ce fut dans la ville
de Patras , et probablement dans l'église Saint-André, qui
était la métropole, que se célébra en 1258 le mariage en-
tre Guillaume de Ville-Hardoin et Anne Gomnène , fille
de Michel , despote d'Arta , et sœur d'Hélène qui avait
épousé le roi Mainfroi de Napies. Anne reçut du despote
une dot de soixante mille hyperpères , sans y comprendre
les dons de mariage '.
L'église Saint-André est située en dehors de la ville, sur
le bord de la mer , près de l'endroit où on veut actuel-
lement construire un port. Saint André l'apôtre avait été
crucifié à Patras, et son corps y avait été long-temps con-
servé. Grégoire de Tours dit (livre i) qu'il faisait beau-
coup de miracles en Achaye. En l'an 353, le 26 mai, sous
les règnes de Constant et Constance, fils de Constantin, le
corps de saint André ainsi que ceux de saint Luc et de
saint Timothée furent transportés de Patras à Constanti-
nople : ils y furent déposés dans l'église des Apôtres ;
mais, lors de la conquête de 120^ , Pierre de Capuano ,
cardinal du titre de Saint-Marcel et patriarche d'Amalfi ,
trouva le moyen d'en enrichir l'église d'Amalfi. Il s'était
rendu de Syrie à Constantinople en qualité de légat d'Inno-
cent ni; là, pendant que les croisés s'emparaient des étof-
fes précieuses de Byzance, il déroba secrètement le corps
de saint André, ainsi que d'autres reliques ', les emporta
très-mystérieusement avec lui à Gaèie, et de là les expédia
non moins secrètement à Amalfi, à son oncle Mathieu Ca-
puano, alors archevêque de cette ville, sans lui rien révé-
ler au sujet de son envoi. Ce ne fut qu'à son arrivée à
Amalfi qu'il lui découvrit tout le mystère, et, le 8 mai
' Chron» de Morée, p. 76.
> Yoy. Caméra, Histoire d'Amalfi, p. 15.
44.
5n GRÈCE CONTINSNTAU BT MQREE.
1 308, le corps de saiot Âodié, enveloppé daas une caisM
d'aifent, fut déposé dans l'église cathédrale d'ÀroalQ a?ec
la plus grande pompe^
L*église Saint-André de Patras a , dit-on i été bâtie sur
Templaoement d'un temple de Gérés. Je ne sais si c'est à
ce temple, ou bien plutôt à l'église du moyen âge compo-
sée d'un grand nombre de ruines diverses et aujourd'hui
entièrement disparue pour faire place i une église toute
aeuYe, qu'appartient une fort belle colonne qui gît inutile
le long du mur de l'église reconstruite. J'ai recherché
avec soin toutes les traces du temple antique et de Téglise
du moyen âge ; mais, dans les reconstructions faites l'an-
née dernière , on a employé probablemeat ce qui i*estait.
Les mors nouveaux sont élevés sur les anciens murs , et
la forme indique que c'était plutôt là primiiivement un
temple ou une église latine qu'une église grecque. Au mi-
lieu de l'église , sur le parvis , a été conservé l'aigle à
deux têtes couronnées; tout autour je' lus une inscrip-»
tion en caractères ecclésiastiques en quatre lignes ^ en
l'honneur de saint André, venant sans doute de l'ancienne
église. Près de iâ est uq puits ointique.
Le port que l'on se propofie de construire de ce coté
sera fort utile et syoutera un nouveau développement au
commerce des raisins de Corinihe. Depuis peu d'années ,
les vignes de raisins de Corinthe ont été replaïUées : et déjà
les espérances sont devenues des réalités.
De l'église je remontai à la citadelle , mais je n'y trouvai
rien qui me rappelât les constructions du moyen âge ; si ce
n'est une grande fenêtre en ogive qui subsiste encore à
l'intérieur , près du cheuiin de ronde. Tout le reste est de
l'époque vénitienne et de l'époque turque»
. Le coucher du soleil est fort beau à Patras. Le soleil se
pose dans la mer, qu'il fait reluire de mille feux^ Les terres
occidentales les plus rapprochées étant les îles lohiennes ,
n*empêchent pas de voir le couchant se déployer sur un
vaste horizon; tandis quei ai) lever du soleil « i Wtras
I.ÉPANTB. 623
eomme dans la Grôco intérieure » tous ne voy^z le soleil
que qoanU il a dépassé le sommet des montagnes et qu'il
est déjà dans sa forcer
J'avais le dessein d'aller par mer de Fatras à Lépante et
de visiter le couvent de Yarnakova ; mais ie ^entêtait con-
trairei et il me fut impossible d'aller môme h IViissolonghi*
Je pris donc le parti de m'en aller par terre le long du
golfe, et je partis de bonne heure pour Vostitza. Le chemin
suit le bord de la mer, et on a constamment sous les yeui les
dem^ belles montagnes de Yara^ova et de Khlokova de l'au^
tre côté de la mer ou plutôt sur l'autre rive de ce beau lac«
Pendant l'hiver ou a à passer quelques torrents t tçls que le
Charadrus; mais, au moment de mon passage» tous étaient
à sec , et leur lit était couvert de cailloux roulés , embar-
rassant la route , mais ne la rendant pas dangereuse. Après
une heure et demie de marche on arrive près du cap
Rhéum, sur lequel est bâti le château de IVlorée; et tout
en face, de l'autre côté, à deux mille mètres de distance «
le château de Roumélie : tous deux fermeraient au besoin ce
Bogaz ou ces petites Dardanelles. Quelques débris d'un are
de triomphe sont encore visibles sur la plage de IVlorée. A
une heure de marche au delà on passe près du village de
prepano, au delà duquel s'avance , avec son ancien nom ,
le cap t)repanum. Cette ville est mentionnée par la C4hro-^
pique de Morée à propos de l'arrivée du des|)ote d'Aria
près de Guillaume de Yille- Ilardoin, qui s'était rendu à
Fatras.
*Àtçal tb Ap/îtavov irepva xat ^XOev eI; t^v ITiftpav.
' ' (Pag. è4.)
On aperçoit en effet , tout en face « J^épante et son ehâ^^
tean on ruines dans une situation Airt pittbrèsqtte*
Le khani de Xantho^Pyrgos, que j'ai entendu prononcer
Psatho-PyrgOf est à une demi-lieoe de là. Je m'y arrêtai
ooe hf«re ponr faire reposer tel oheviivx 01 m'tssis mt \t
594 GBÈCB CONTINENTALE ET HOREE.
bord de la mer. Le temps était un pea sombre, et les
montagnes ne se détachaient pas avec vigueur ; mais Pair
était calme et la mer tranquille et d'une couleur uniforme.
On aperçoit d'un côté les montagnes situées devant Fatras
et de Fautre celles situées devant Gorinthe, et l'œil se pro-
longe sur toute l'étendue du golfe. Deux ou trois petites
barques à voiles erraient çà et là sans troubler cette soli-
tude; c'étaient, de loin, comme des cygnes qui se prome-
naient avec calme sur les eaux. Si ce golfe était animé
par la présence de quelques bateaux à vapeur , tout y re-
cevrait une nouvelle vie. Les Autrichiens ont offert d'aller
jusqu'à Loutraki, si le gouvernement grec voulait envoyer
un bateau à vapeur prendre la correspondance à Calamaki :
et le gouvernement grec n'a pu avoir un bateau à vapeur.
Du khani de Xantho-Pyrgos à Yostitza la route s'em-
bellit à chaque instant. Les montagnes se couvrent de ver-
dure , les champs se cultivent peu à peu ; et la route , au
lieu de suivre tout à fait le bord de la mer , se perd le
long des derniers versants des montagnes , qui s'étendent
jusqu'au golfe. De cette hauteur la vue devient charmante,
car en bas est la mer et à l'horizon la chaîne des monta-
gnes qui s'étendent du Parnasse au Cythéron. Cette vue ne
m'apparut qu'un moment, car la pluie, qui s'annonçait dès
le matin , commença à tomber , et je me trouvai heureux
de trouver un refuge dans un moulin abandonné. Ce ne
fut que deux heures après que le temps reprit une nou-
velle sérénité , et je me remis en route. En redescendant
on se retrouve près de l'ancien Portus-Enius, qui conserve
aujourd'hui le nom d'un de nos chevaliers français du
moyen âge : les Vignes de Lambri. Le sire de Lambri pos-
sédait en effet cette partie de la côte , et son nom se trouve
fréquemment mentionné parmi ceux des grands feudatai-
res dans les diplômes du quatorzième siècle.
Un peu plus loin , on aperçoit au milieu des champs de
grands pans de murailles antiques. Ce sont les restes de
l'antique ville de Rhypes. 0e là on découvre un port assez
VOSTITZA. 525
vaste sur lequel se balancent quelques barques pontées, et
au-dessus de ce port une ville aux maisons blanches : c*est
Vostilza.
Yostitza est l'antique £gium , où Againemnon convo-
qua les chefs grecs pour les décider à marcher contre
Troie ; et où , au temps de la splendeur de la Grèce , se
rassemblaient les représentants de la ligue achéenne. Ce
n*est plus aujourd'hui qu'un grand bourg aspirant à de-
venir vîUe. Un fruit qui n'est pas même, je crois, men-
tionné par les anciens , et qui , au moyen âge , semble
surtout avoir été employé à la teinture S le raisin de Go-
rinthe, passolineou uva passa, grâce à l'attachement héré-
ditaire des Anglais et des peuples de race germaine pour le
plum-pudding rend ces prétentions raisonnables.
A l'antique iËginm d'Agamemnon succéda le fief de
Yostitza de la famille Gharpigny. Aux Francs succédèrent les
Turcs ; puis enfin les Grecs ont ressaisi leurs domaines.
Ges quatre occupations ont laissé leurs traces dans les em-
placements divers successivement occupés par la ville de
Yostitza.
Le site de l'antique Mgium est facile à reconnaître. Il
s'étendait sur le côté oriental, du bas de la colline en re-
montant jusque sur le promontoire de la montagne sur
lequel on voit les ruines de quelques temples ; et à l'oc-
cident , du côté où est la fontaine saline située presque
au pied du grand platane qui semble avoir été le contem-
porain de toutes ces populations. Dans les flancs du co*
teau situé au-dessus du port on retrouve quelques traces
rares des anciens murs, car la pierre n'est point originaire
du sol sablonneux de Yostitza; et toutes les fois que, pen-
dant le cours des siècles, on a eu besoin de quelques larges
assises , les murs antiques étaient la carrière où on allait
les prendre. On rencontre de temps à autre dans les champs
< Uvas passas parvasper quas fit tinctura. Lettre citée dans Wad-
ding, Annales des Frères-mineurs, à Tan 1259.
AM GKÈce GONTimmAi.fi et moréb.
e( près de la footaioe qoelquef monnaies anliques et dee
fragmenu de eoleoBei. Le céldbre platane , situé auprès de
la fontaine saline , a été fort maltraité par les éclats de la
fondre et par le feu des Arabes; maïs il seiHHiserve encore
fort beau. Je l'ai mesuré ; le tour de son tronc eal de dix-huit
de mes pas. Sa lête s'élève au niveau du sommet de la
colline « mais ses branches sont bien loin de s'étendre sur
un aussi vaste espace que le font les branches du platane que
j*ai vu en Eubée près d*Achmet- Aga^ Il n'en a ni la Jeunesse,
ni la fraîcheur, ni Tampleun Le platane de l'Ëubée n'a pas
une gerçure sur la jeune éeorce de son tronc* Un passage
creusé dans le roo, d'apparence antique, conduisait! ea
remontant rapidement, de la fontaine à la ville, et abré^
geait ainsi le chemin des jeunes filles qui, de toutes les
parties de la ville, allaient et vont encore dans leurs gran-
des urnes chercher de l'eau à la fontaine saline.
Un pan assez considérable de muraille existe en en*
tier près de la maison de M« Georges Meletopoulos. La
partie la mieux conservée est un mur en grosses pierres
de taille bien cimentées, maintenu sur deux de ses angles,
et s'élevant encore h une dizaine de pieds au-dessus du
sol, reste d'une tour carrée antique qui s'avançait du côté
de la ville. Ce château était dans une très-belle et très-
forte situation. De là on suit de l^œil tout le golfe de Lé-
pante, depuis Fatras jusqu'à Ck)rinthe.
En remontant au dehors de la ville actuelle du côté de
Corintbe, on retrouve les restes de deux murs romains avec
des fragments de mosaïque au milieu de la rue* L'un de ces
pavés de mosaïque a été et continue à être peu à peu en^^
traîné par les eaux d'une branche de la rivière de Vostitza,
détournée souveut en entier pour servir h l'irrigation des
jardins et des vignes de raisin de Gorintbe^ Un peq plus
haut, près d'une des quatre églises que l'on vient de con-*
struire, dans le jardin d'une maison particulière, sont les
ruines fort visibles d'un ancien temple grec. Les vastes as-
sises de grande pierre porique ont été oéchaussées ou en-
levées fiar le preppiétaire aetœl poor bâlir s» maiseo ef
Itiî faire des escaliers, maisj'ea retrouvai encore une grande
quantité dans )e jardin. Deux des côtés des assises mtéy
rieures du ttni|»le sont conservées, mais pour pen de temps
8MS doute. 8op9 en tempie étfiit un sonterrain asses vas(#t
dansle^el je pénétrai à travers les i^r^NisssiUes, Les escalier»
existent eiicoro eonekés sons la terra et sons les berbes. On
éeseend envimn de qainze pieds sous le sol actuel do jardin
et on trouve an passage sonterrain de trois pieds de largeur
au plus ^ de afaide banteur, eonstmit d'abord en grandes
pierres t puis tailié, «an dans le roe, mais danfi t^tte t^rrt
nafaieniiense dont m oompooe in montagne de Vostii^a. Potif
lui donner ptos de consisfaoee on a rêvât» les deof c^MH
4e la voAié d'i^ eo»eb« de stuc si aobda , qn^'A SQbrisi«
«ijouid'hni nnlgré TfaumiditA
 l'entrée d« noaterrain erott eettf jolie paritaire q^i
tapisse la grotte des Nympbea à Kepbtefa* On descepd k
ieog d'un corridnr, et on trouve k droite deii;i retraites
destinées sans 4ante à des tombeaux, hf^ éboulenieots M
k terre eupérieiire gâneot an peu ia ïïmch^ et obstrnept
les c6tés et le bas du sontemiio* Mais on peut cependant
pénétra an éelà d'une aoixaotaine de pieds di^ l'onveriture.
Là s'est eonaervée une aorte de iJieiniiiée arrondie m cto^ et
revêtue de «tue, qui neinonte en niveau du eputfrraio d^ fai
lerre et va toujoufa m reti^ijasant à mesure qu'elfe js'élèveb
Kn eKamiuant la partie k bqnelie eomb'spondaît c^i|<9 ^mït^
n«vertni«, je remarquai qu'elle se trouvait plai^ dans l'ia-r
cérfeur du lempfe et à un endroit aaiez rapprocM 4es muris^
Étai6ce là une invention eacerdotale ppnr fam entendre an
beeobi des voix prophétiques ? 1} paraitrait qn'no piéd^a^l
était posé au^desaos de l'onveriure du ed^ ( peiKt-éir^ étaitt
M freueé aussi, pour laiiser paaaer b m% d» dm placé sur
sa base. Je ne sais si une de ces tombes ne serait pas celle
du héraut Talthybius et si le temple ne serait pas celui de
Lucine ou celui d'Ëscul^, qui tous deux étaient fréquentés
pour leurs oracles et qui, selon Pausanias, devaieni être
528 GRECB CONTlMlBNTAifi ET HOREE.
placés de ce côté. Dans une des maisons de la nonvelie
viUe, je vis une petite pierre antique représentant Pallas
casquée, assise sur un trône, et tenant un petit pailadioan
dans sa main droite; mais le travail m'en a paru plus
romain que grec. Quelques personnes m'apportèrent aussi
des monnaies antiques; mais la plupart étaient romaines
ou byzantines, et les autres étaient communes ou frustes.
Suivant la Chronique de Morée * les Français, au moment
de leur débarquement à Kato-Achaîa près de Fatras en 1 205,
se dirigèrent par le rivage sur Vostitza et s'en emparèrent.
Lors de la répartition qu'ils firent des fiefs entre leurs princi-
paux barons, Vostitza fut donnée avec huit fiefs de cavaliers à
Hugues de Gharpigny '. Les Charpigny , plus connus ensuite
sous le nom de siresde La Youstice (Vostitza), restèrent fort
long-temps en possession de leur fief. J'ai retrouvé leur nom
de sires de Charpigny et de La Vouslice dans bon nom-
bre d'actes et de faits des treizième et quatorzième siè-
cles. Un Gui de Gharpigny (Guido de Charpini) est men-
tionné dans un rescrit de Charles P' d'Anjou du 25 mai
1280, dans les registres angevins du Palazzo Capuano de
Naples *. Vers l'an 13^5 , Guillemette de Charpigny , dame
de La Voustice , vendit sa seigneurie de Vostitza à Marie
de Bourbon femme de l'empereur Robert de Tarente. En
mars 1364» Marie de Bourbon, princesse d'Achaye et
impératrice deConstantinople, aliéna, un peu avant la mort
de son mari Robert, cette seigneurie de Vostitza en faveur
de Nicolas Acciaiuoli. En l'an 1391, suivant le recensement
que j'ai publié^, La Voustice avait deux cents feux et était
entre les mains d'Azan Zaccaria Centurione, seigneur
d'Arcadia^ qui prenait le titre de vicaire de la principauté
d'Achaye. Le château féodal des Charpigny était bâti sur le
promontoire même qui domine le port; mais, de même que
* Page 35.
» Page 48.
s Voyez t. i de mes Recherches, p. 223*
* Page 296 de mes Éclaircissements*
vostitZa. Ô29
les Francs, pour bâtir leur forteresse sar ces terrains dénués
de grandes pierres, avaient arraché les assises des temples
antiques, les Grecs et les Turcs, qui ont succédé aux
Francs, ont détruitleurs châteaux et leurs forteresses féoda-
les pour construire leurs maisons. Une reste donc presque
rien de la Youstice des Francs , seulement remplacement du
château féodal est marqué par quelques ruines de muraille
près de la partie conserr ée du mur antique et tout le long
de Tescarpement qui s'avance vers la mer.
La«yostitza turque était située sur le penchant du côté
orienta], près du ruisseau de la Yostitza, à mi-côte. £n sui-
vant le petit nombre de masures qui subsistent encore et
qui sont placées au-dessous de la nouvelle ville grecque,
on se demande , ainsi qu'on le fait à Fatras, ainsi qu'on le
fait dans vingt villes de Morce, ce qu'est devenue l'an-
cienne ville : elle a été brûlée tout entière dans la dernière
guerre; les maisons turques comme les maisons grecques,
selon que chaque parti triomphait tour à tour.
Depuis que la Grèce a commencé à renaître indépen->
dafnte, de grands efforts sont devenus nécessaires pour ré-
parer les désastres passés. Il a fallu que ceux qui avaient
survécu à cette guerre d'extermination s'armassent d'un
courage et d'une persévérance qu'on ne saurait trop admi-
rer. Après avoir donné la sépulture à leurs parents les plus
chers égorgés sans pitié , et après les avoir souvent aussi
vengés sans pitié; au lieu de désespérer de leur avenir, sur
cette terre partout incendiée et désolée ils se sont mis à
rebâtir des maisons meilleures, à planter des vignes et des
fdiviers. Les nouvelles villes se sont rapidement formées
et agrandies, refaites à neuf et en toute hâte, souvent sans
trop d'égards pour la symétrie, ainsi que le font des gens
trop pressés ; et il n'en est peut-être pas aujourd'hui une
seule qui ne soit plus florissante qu'elle ne l'était avant sa
destruction, tant la liberté peut enfanter des prodiges*
Yostitza a été rebâtie en entier et en deux lieux différents»
D'abord on avait construit la nouvelle ville sur le bord de
45
530 GBECE CO^îTiNBKTALfe ET HOREE.
h nm et aotoar do fMneom plaCaoe et da la foiiUiae; nais
bieiCél, a'apercevant que ht œaraifl, ntuéi» à oB^demi-iîeae
de la ville, rendaient ee lien fort insalubre, les babitant^ re-
nonlèreBt, povr retrauver la Voitita du mofea lge« sur la
eoMioe eà étaient disperoéea tea roinea de son vieux château.
A Taide de cea roinea on hftti$ qoel^piea oiaiaons de pierre ;
iea autres BiaiaoBS forent conb^tieipiite aflrea une anrte de
piaéfaitde terre argileuae durdeanaoieil, en forme de &iIt
les, liées ensemble par un peu de foki détvempé, et r eeûBver-r
tes enauite de plâtre tnèa^blaofi. GeaeepàeeadJe CDnatmciions
réaiateBt fort bien ans treinblemeati de terre f t durent
trèa4(Hig''teaipa. Qotiqnes betiea naieena ont ét^ bâties
sur nn plan dreasé pvioiitivenient pour le noiiffelle ville et
altéré depuis, wais ee dernier plan a fini par paévafeîr : le
plus grand nombre des maisena, seit grande^, soit neyenir
nés, soit petites, aontplaeéea eonfoménient au dernier
plan, Des raes droites et inrt latigeB, mais maHieurense**
ment sans portiques, impréviafance impardonnable dans ce
pays chaud, et surtout si près de Fatras, où on avait eom-
menée I les introduire, s'étendent eur toute la eoiliae. Les
plus foeilef maisons sont celles poasôdéies par les fières Mér
iétopoulos, qui disputent à la famille Lq^mIos la suprématie
munie^le el qui ont eueeédé â TinflueniDedes Deiy^ni, Le
trôqe de dimarque est ici un grand objet d'aoibîliop pour
toutes les familles dea aneiepis fcodja^basebi ; aussi el^que
parti ménageât-il beaueoiip les électeurs futurs pour se p^r
pétuer dans un pouvoir qui eonfère è la fois l'aniorité légaJe«
un petit revenu et des moyçns fiieiies d'aemtflre régmiière-
ment Ton etTautre. Les étmngiers à la dimarcbie ont son-r
vent k senffi'ir de ee besoin an dimanpe de caresser son
people,car pour ne pas Uesser ses électeurs fqtiiFS il se mm-
t»e fort tolérant envers leurs prétenlioos les pins ridicules
et envers leurs exigences les plus déraisonnables. Cet incon -
vénient disparaîtrait bientôt ^ TeixeUefit systèjne uuiiiici-
pal qui régit k Grèce était complété par le système iks
éperdues (arrc»daiisemenls) e| d^s j^fOiiiar^ûes (départe-
ments), et si à soa tour ce système était complété par une
régulière organisation du pouvoir public ou représentatif;
uiais tout a éié promis et rien encore n'a élé fait.
Outre les grandes familles que je viens de mentioimer, il
y en a à Yosliiza une dizaine d'autres qui jouissent c[*und
trentaine de mille livres de rente obtenues par la culture
du raisin de Corinthe< Le vin de Yosiitza est aussi de bonne
qualité; mais, bien qu'on ait fabriqué des caves sous toutes
les maisons nouvelles » on ne sait pas encore bien conser-*
ver le vin , et on ne le confectionne pas avec assez de soin
pour le vendre au dehors. La ville a un revenu de /iO à
60,000 drachmes : avec cela on a déjà bâti une fort belle
école pour les jeunes gar^tii. Dé nouveaux fonds de sous-
cription s(5nt réunis pour en bâtir une autre pour les jeu-
nes filles , et un gymnase ou école secondaire de tardera
pas à être organisé ; une promenade a aussi été préparée ,
et on y jouira d'une fort belle vue sur le ravin 6itué du
côté de la campagne et sur la mer, £a visitant cette partie
éb la ville # je poussai ma promenade jusqu'en face de la
montagne au bas de laquelle est situé le riche couvent de
Taiiarcbis ou l'archange MioheL Les Turcs ayant brûlé
l'ancien couvent^ situé sur la montagne, je dus renoncer à
l'espoir de retrouver une seule charte i un seul manuscrit^
Avec leur revenu fort considérable de 90^000 drachmes,
ces moines ont fait rebâtir leur nouveau couvent tout au
baà dé la montagne ; tnais là position nouvelle est si mal*
saine qu'ils voht la quitter et rebâtir ud second monastère
plus haut sur la biontague, au milieu d'une pelouse ver-
doyâhte entourée de bois de toutes parts. L'air y est ex*
cellent ^ les eaui sont pures et abondantes ^ et la vue» qui
s'étend sur le golfe de Gorlnthe » sur l'Hélicon , le Gythé-
ron et le Parnasse^ est une des plus belles du paysi
De ma chambre à Yostitsa chez M. Georges Mélétopou-
los j'avais aussi une vue délicieuse sur le golfe et la petite
île de Tritonia» et^ de l'autre côté du golfe , sur la monta-
gne où est situé le monastère de Yarnacova. Grâce aux
53f GRÈCE CONTINENTALE ET MOREB.
a^anlages de sa position et au raisin de Corinthe, que l'on a
replanté partout et en plus grande quantité , Yostitza peut
espérer une prompte renaissance. Son port est sûr quoi-
que peu spacieux et peut-être un peu trop profond sur les
bords pour que les bâtiments marchands puissent aisément
y jeter l'ancre. Sa proximité de Salona, de Galaiidi , de
Lépante et de Missolonghi par mer la met en rapport avec la
Rumelie; sa proximité de Corinthe, avec Athènes, l'Âttique
et l'Orient ; enfin sa proximité de Fatras , avec TËurope.
XXXII.
lIEGA-SPaEON. — CAL AVB YTA. — TREMODLA. — VLONGOKA.
— ^GIRE.
Mes diverses visites dans les couvents grecs m'avaient
assez appris 1^ peu de fonds que l'on peut faire sur leurs
archives et bibliothèques pour qu'il me restât encore quel-
ques espérances à cet égard ; mais la réputation du cou-
vent de Mega-spileon est si grande dans toute la Grèce ,
que je ne pouvais me dispenser d'aller le visiter : d'ail-
leurs j'avais à voir, tout près de là, la ville de Galavryta ,
où avait été établi un fi^ef et un château-fort donné à la
maison de Tournay au temps de notre principauté. Je quit-
tai donc Yostitza pour rentrer dans l'intérieur de la Morée.
Après avoir suivi le rivage pendant deux heures on ar-
rive au pied d'une montagne couverte de pins au milieu
desquels se trouvent les fondations d'un temple et d'une
caterne sépulcrale; et un peu au delà une grotte d'Her-
cule , célèbre par les oracles qui s'y rendaient avec des dés.
En continuant à monter, on aperçoit les restes de l'antique
ville de Buro. Toute cette côte était peuplée de grandes
villes dont h plupart ont été abîmées dans des tremble-
ments de terre. Jusqu'en haut de cette montagne la vue
est fort belle : les montagnes sont bien boisées et la mer
COUVENT DE HEGA-SPILEON. 533
est au-dessous de vous , terminée par les montagnes de
Roumélie; maïs quand on a franchi ce sommet et qu*on
arrive an centre même des montagnes on trouve un pays
aride et inhabité. La vue s'embeliit peu jusqu'auprès de
Mega-spileon ; toutefois une derai-lieue avant d'arriver au
monastère, qui est comme plaqué en haut d'un roc droit
et uni, l'eau du Bouraïkos, ou.torrent deCalavryta, amène
un peu de verdure et de fécondité , et un vittage* est situé
tout à fait au fond de ce ravin au milieu de terres culti-
Tées avec soin. Je montai de là à pied jusqu'au couvent ,
en suivant le chemin au hasard et en m'écartant de la
route construite par les moines, et je grimpai plutôt que je
ne montai par un ravin où l'eau coule entre des jardins pota«
grrs cultivés par chaque moine et enclos par des baies an
treillages. Après une heure de fatigue pour passer d'un
jardin à un autre et me frayer un chemin plus droit à
travers les plantations qui garnissent le cours d'eau,
j'arrivai enfin au couvent. C'est un amas de construc*
tions sans goût , élevées les unes au-dessus des autres
entre les vides du rocher. Au-dessus, le rocher s'élève
encore de beaucoup; et tout en haut est une petite for-
tification à l'aide de laquelle les moines ont su se faire
respecter des Turcs et empêcher Ibrahim même d'arriver
jusqu'à eux. L'hégoumène Germanos m'accueillit avec poli-
tesse. J'aurais bien voulu voir sur-le-champ la biblio-
thèque ; mais on m'allégua des prétextes d'ajournement.
Le moine qui avait la clef était aux champs ; on me la mon-
trerait le lendemain. Par là les moines espéraient détour-
ner mon attention de cette demande ; mais ils se trom-
paient. Pour le moment je mécontentai de visiter l'intérieur
du couvent et de l'église. Cet intérieur est misérablement
composé de mille escaliers obscurs de bois qui conduisent
aux loges plutôt qu'aux chambres des moines plus obscures
encore et fort malsaines. Cependant de fréquentes épidé-
mies les ont forcés à songer à- leur santé , cl j'ai trouvé çà
et là de grandes chambres avec des fenêtres larges et où
45.
534 GRÈCE CeNTINfiNTALB BT MORSE.
Tair pénôlrc et circule avec auaiice* Cinq, six « hiiit moi-
nes couclienl dans chaque chambre : les petite moines cou-
chent encore dans les anciens trous, sans y i*ecef oir d'autre
jour que par une petite porte qui donna silr un étroit cou<
loir obscur. On est confondu quand on compare ces misé*
râbles niches et ces tnisérables constructions avec les belles
chambres et les splendides corridors de la Gava et dû IVlont-
Cassin I Comme les bénédictins savaient mieux choisir lears
emplacements que les frères de Saint-Basiie ! L'institution
de Saint- Basile ne peut étte utile que dani un pays pauvi*e
que ronvettt mettre en cnlturd ; aujourd'hui^ que les moi*
nés greok sont devenus les seuls grands propriétaires , sans
s'élever i la hauteur d'idées que doit avoir un grand proprié«
taire I IM n'ont plus guère de principe de viei J'ai cherché à
mohtrer à l'bégoumène la nébeseité {k>ur lui d'embrassei" c«
K^le dé grand propriétaire; si rflre dans son pays, en em«^
ployatot ses reveilus à faire des améliorittions agricblesi des
essais de culture de pommes de terre ; en donnant enfin
l'exemple aux paysans, en même temps qu'il ferait ouvrir
par ses moines des écoles là où il n'y en avait pas; mais je
l'ai trouvé beaucoup moibs disposé à songer au bien géné-
ral que ne le sont l'hégouniènË dn couvent de Poursos ^i
quelques-uns de se^ adlègues. Les bénédictins avaient
commencé aussi par la culture de k terre s mais le ttatail
de l'intelligence n'était pas hégligé^ et c'est par la science
que cet ordre a continué à porter uti nom respectablei
On me conduisit enluite à l'église ^ dû je me fis montrer
avec soin tous les tableaux y compris le fameut portrait
de la Vierge et de l'Ënfaot Jésus attribué à saint Luc ;
car le couvent se vante de posséder un des originaux de ce
portrait. C'est un misérable bas-reliefde cire devenue noire^
La Vierge n'a pas de ft*ont et des yeux sont bridés à la chi-
noise( on voit que cette partie a dû être fondue par le feu«
car il est impossible qu'oti ait jamais exécuté une à horri-
ble fîguiT. Le bas de la figure est un p^u mieux* L'fiofant
Jésua est au^ horriblement laid et tout nmn Ce bas^^relief
COUVENT HE ME6A-SPIl.E0Nt 535
doit être du huiiiôine ou ncuvièiqe siècle» c'eit-j^-dire
uue époque où les arts élaieot tombés dans la dégradatioot
Il doit être fort ancien , puisqu^ii est déjà mentionné dans
d'anciens chrysobuHes dont un» je pense, est du on^*
zièine siècle. La grandeur et la richesse du couvent actuel
ne remontent guère que jusqu'à Jean Cantaouzène, au mi-
lieu du quatorzième siècle» Deux autres tiableaui ont attiré
bien plus mon attention : Tun est un délicieux petit tableau
italien, dedeux pieds et demi de hauteur sur uu pied et demi
de largeur environ , qui représente Jésus-Christ portant sa
croix. Oansle fond sont une foule de personnages parfaitement
peints; au bas les saintes femmes, en haut des anges qui
annoncent le triomphe du Christ et y président. Il y a là une
couleur et un dessin tout raphaéliques ( mais malbeureu-»
sèment ce tableau est placé dans un coin et caché sous uu
voile » de telle manière que , pour bien voir les uns et les
autreS) j*ai dû prétexter la faiblesse de ma vue et faire lever
tous les voiles et ouvrir tous les vitraux qui les couvraient
Un autre tableau de la Vierge, aussi à Thuile, est fort beau et
sur un plus grand modèle ; maison en a malheureusement
gâté l'effet en appliquant une couronne réelle d'argent doré
sur la tête de la Vierge i et une autre sur la tête de Tfinfant «
ainsi que je l'ai déjà vu pratiquer dans l'église métropoli-
taine à Zante, oe qui détruit toute l'harmonie de couleura
qu'avait préparée le [nnceau du peintre«
Je soupai avec l'hégoumène « qui est dans les idées rus«<
ses. Un maître d'écolê\ inspiré par le désir d'entrer dans
ses idées , nous a assuré gravement que l'Angleterre allait
soulever tous les fidèles contre ses agents i attendu que ,
pour détruire la religion grecque , elle envoie des hommes
(sans songer que la plupart sont Américains) qui détruisent
ou cherchent à détruire la religion grecque. A Athènes, dit-
il, l'ouvrage est presque consommé, et tous sont incrédule s
et n'observent plus les carêmes. Le didascalos assura que le
peuple se révolte contre cette idée, et en a conçu contre les
Anglais une haine qui n'attend qu'une occasion pour éclater.
536 GRECE CONTINENTALE ET MOREE.
Un des moines vint me prendre le lendemain matin
poar me conduire par tout le couvent. Il me montra les
chapelles des saints et saintes qui protègent le couvent et
l'ont fondé , entre antres sainte Ëaphrosine. Il compte
même parmi ses fondateurs saint Panl , qui , me dît-il ,
est passé par là dans ses voyages et s'y est arrêté. Ce moine
me conduisit ensuite dans la cave pour me faire voir les
deux mirifiques tonneaux que Ton montre toujours aux
voyageurs. Je Télonnai fort en lui disant que ses deux
tonneaux étaient des enfants en comparaison de ceux
que j'avais vus dans quelques couvents suisses et entre
autres près de Weinfeld en Thurgovie. Au milieu de la
cave de Mega-spileon est une source de fort bonne eau
très-abondante en toute saison. Les murs qui conduisent
à cette cave et qui soutiennent tout l'édifice sont fort
épais et solides, et le rocher dans lequel la cave est placée
m'a paru fort sec; les moines m'ont dit qu'il ne s'impré-
gnait d'humidité qu'en hiver. A l'extérieur du couvent le
caloyer qui m'accompagnait me montra les trois miracu-
leuses croix inscrites sur le roc; mais, malgré tonte ma
bonne volonté , je n'ai pu voir dans aucune la forme d'une
croix, celle du milieu ressemble plutôt à un oiseau de
proie aux ailes étendues. La gravure qu'ils ont donnée dans
leur ouvrage ne représente pas exactement la vérité, bien
que déjà, dans la gravure, la forme des croix paraisse fort
incertaine : j'en fis l'observation au moine, qui me dit que
le temps avait sans doute altéré fAu à peu ces pierres.
Enfin nous arrivâmes , non sans peine et sans insistance
de ma part , à la bibliothèque. Le bibliothécaire était ab-
sent , et n'existait peut-être pas : il fut remplacé par un
jeune moine, qui m'allégua son ignorance sur tout; mais
on ouvrit les quatre ou six armoires qui contiennent les
livres imprimés et manuscrits et la caisse qui contient les
chartes, et je pus examiner ce que bon me semblait. C'est une
salle fort petite et fort obscure pratiquée dans le rocher
^^ine. Il me parut qu'il y avait tout an plus mille volumes
CALAVRYTA. Ô37
parmi lesquels une cinquantaine de manuscrits mêlés çà et là
aux autres livres, qui sont eux-mêmes recouverts d'autres
volumes ; de telle sorte que j'avais beaucoup de peine k
suivre ma recherche, an milieu de deux moines armés de
cierges et dont je ne voulais pas lasser la complaisance. Je
pris un à un tout ce qui me sembla manuscrit et ne trou-*
vai rien autre chose que des bibles grecques du treizième
siècle, des évangéliaires grecs du onzième et du douzième,
une copie du dix-septième siècle des sermons de saint
Jean-Chrysostome et quelques autres livres ecclésiastiques
ornés de miniatures. La caisse qui contient les archives
renfermait seulement quelques-unes des chartes qu'ils ont
publiées dans l'ouvrage sur leur abbaye; mais les plus
anciennes étaient encore dans les mains de M. Oikonomos,
auteur de l'ouvrage sur le Mega-spileon attaqué par
M. Pharmakidis. Les chartes qui restent sont de riches ûr-
mans de la Porte , en tête desquels sont de fort élégantes
peintures d'arabesques et de fleurs. Aucun manuscrit his-
torique n'est tombé sous ma main. Il est possible cependant
qu'il y en ait , bien que ce soit peu probable ; mais on ne
parviendra à le savoir qu'en déplaçant cette bibliothèque
de l'endroit où elle est, et en obtenant des moines de céder
leurs manuscrits pour queU^ue autre compensation qui
leur sera plus agréable : car, tant qu'ils ne seront pas en-
voyés à Athènes , et qu'ils resteront là , ils seront inutiles
et même inconnus.
Mon investigation terminée, je pris congé des moines
et m'acheminai vers Galavryta. La route est fort belle et
continue le long du Bouraîkos, qu'on passe plusieurs fois:
et sur des ponts , chose rare en Grèce. Après deux heures
et demie de marche j'arrivai enfin à Galavryta.
C'est de Galavryta et en particulier du couvent d'Hagia-
Lavra que partit le cri de liberté qui appela toute la Grèce
aux armes. L'archevêque de Patras, Germanos, uni à quel-
qoeshétéristes importants réfugiésdanslemonastèred'Hagia-
Lavra, apprenant le projet des Turcs de les frapper tous , leva
538 GHECB CONTfNElItALB ET HOREE.
leflrapeaadcriiistttrection, et sa voix respectée armatoasles
habitants. Calairryta et le mmiastère d'Hagia-Larra furent
depuis repris par les Turcs et réduits en cendres. Les
moines ont rebâti leur couTetit à quelque distance et prompt
tement , mais une Ville est plus longue k reconstrtiire dans
an pays dont tontes les ressources ont été détrottes i aussi
la plupart dès rues de Galatr^^ta n'offrent-élles qoe des mai'*
sons en ruines. Cependant la persévérance grecque a beail'*
coup fait depuis peu d'années. Les propriétaires rentrés
dans leurs maisons détruites en ont réparé une partie et
rhaMtent; d'autres ont reconstruit de nouvelles maisons,
et il y en a une douzaine d'assez bonne apparence*
Ce qui m'attirait ft CalAvryte était le désir de voir le
cbâtean des seigneurs de Tournây ; car pour le monastère
d'Hagla-Lavra il n*y avait plus à y penser depuis l'incendie
poflé par Ibrahim i qui ne ménageait rieni La Chronique
de Morée raconte que dans le partage de 1108 Raoul de
Tourtiay reçut Calavryta av<*c douze fiefsi
Tbv u.i7epoy 'Pou vxè NTOupva iTcpovoiadev (oo'auTcoç
N^ e^^ Ta KlXàëpuTa, xal ^te SekaSuo.
(P.' 48.)
Elle mentionne aussi * un Jean de Tournay i T^k^ tov
TbupvSi qui, en 1268, alla avec le prince Guillaume^ le
seigneur d'ÀkhoVa et plusieurs autres seigneurs français de
Morée, au secours de Charles d'Anjou contre Conradio.
La ménle Chronique de Mo^ée mentionne en 1290 un
Gedffroi de Tburnliy
, . . ô fiwèp îïecppàç TO ItcixXyiv wï Toupvae.
(P. ISO.)
aul àllà & Nâptés ati sujet du tnafiàge d*Isàbelle de Ville-
ardoill avec Florent de Oalriatit, ratnéna cette t^t^inces^ë
en Morée, fut un de ceUt qui reçUt-ent le semblent dé
< t>age 160.
Fkmotde Haioiut cûmmt prkiç6 4u pays, et l^aasisiôrent
dans i'admiawtritjoa de la prÎBflipauté '.
¥010] donc au «1018$ troia générations da Toaniay sai-»
gnaurs da Caiavryta. Ja of aaia ai calte femila aa aa aara
pas étaifite depuis par le défaut da mâles» at si la seigoattr
rie d6 Galavryta n- auri pas passé dans i€S maips d'un L|
TrémouJHa ; ce qui me la ferait croire aef ieéiit siiivanc*
Las La Tréraoaijle , a^ mofloant da la aonquéta y avalent
obtenu la fiaf da Cfaahndriuui^ antre Calavryta al Palias, un
paa au sud de la routet
Mtaif 'Ppu(i4F&pT^ i^ Tçkmi^ 4^««fa i^in tid^cs^f
(Pag, 4#,)
et la petite montagne opposée h celle enr taquetle est
bâtie la grande feiteresse de €alavFy(a est couronnée des
ruines d'un petit fort qui porte encore le nom de Tra-
fiMuia, Aussitôt après mon arrivée li Gakvryta, je iB'eni<«
pressai de monter au château ; seul , car presque tous les
habitants du pavs qui étaient restés â Calavryta étaieiit ma^
lades de la fièvre t ceux qui avaient pu quitter s'étaient ré-»
fagiés, ainsi que le gouferneur de ]a province, à OarpénI,
dans une situation pfus saine. (Joe épidémie universelle ré*
gnait aussi à Mega-spileon. Je pHs pour guide le premier
berger que je rencontrai « ee sont presque toujours des
guides fort bien informés et surtout fort au courant de
toutes les croyances superstitieuses du pays. Celui-ci me
conta comment une basilipoula était tombée du châteaa
assiégé par les Turcs , comment elle avait été égorgée par
eux , at comment uqe grande plaque de pierre est placée
en bas du rocher sur lequal est bâti le château de Gala*
vryta , et indique le lieu de la chute et du meurtre. Il ma
raconta bien d'autres histoires merveilleuses : par exemple
^ Page 193.
540 GRECE GONTINENTiU.E ET MOEEE.
rbistoîre d'un prince qui , à la demande de sa belle , vou-
lut entever du miel du Parnasse et qui, au moment il où
mit sa main dans la ruche, fut transformé en statue que
l'on ?oit encore sur les rochers près de Gravia, rochers qui
prennent toutes les formes suivant les illusions de leur ima-
gination; puis rhistoire d'un temple ou église à jamais
fermé , dans lequel on entend des voix , et dont les torrents
se détournent eux-mêmes avec respect, dans les flancs de
ce même Parnasse. Ces deux dernières histoires m'avaient
aussi été contées près de Gravia , en allant dans la vallée de
h Doride.
La forteresse de Calavryta est située sur un rocher in-
accessible de toutes parts sauf d'un seul côté , où est la
porte , et ce côté est aussi d'un fort difficile accès. Cette
porte est située du côté opposé à la ville actuelle , et les
deux côtés subsistent encore. Tout le long du grand pla-
teau placé au-dessus de la montagne on retrouve les restes
des murs d'enceinte, qui sont assez bien conservés. Doux
tonrscarréessubsistent en ce moment : Tune sur le mur d'en-
ceinte , l'autre à l'extrémité supérieure du plateau , beau-
coup plus considérable , du côté de Tremoula. Un grand
nombre de maisons paraissent avoir existé dans cette en-
ceinte. Il est probable que tous les Français avaient leur
habitation dans l'intérieur de la forteresse, comme autre-
fois les nobles familles hellènes avaient les leurs dans les
acropolis et dans les quartiers les plus rapprochés, et
comme plus tard les Turcs eurent les leurs dans i'intérîeur
de leurs forteresses. Il est à croire qu'outre les citernes il
y avait encore une source fort rapprochée , si elle n'était
même dans l'intérieur ; car, en descendant du côté de la
ville , on retrouve les restes d*un aqueduc souterrain , à
travers lequel l'eau coule jusqu'à une fontaine située à mi-
chemin, entre le château et la ville actuelle. Le château est
un des plus considérables par ses ruines que j'aie encore
vus en Morée. Le seigneur de Calavryta était en effet na
des hauts i arons ou pairs de la piii)cip«iuté d'Âcbaye,
VJLONGOKA. 541
et avait chez lui droit de haute et basse Justice. Galavryta
est mentionnée aussi par Phrantzi. A l'époque de la guerre
d'indépendance , les Grecs y avaient d*abord cherché un
refuge qu'ils quittèrent ensuite pour les retraites plus
sûres du mont Chehnos ; seconde montagne de ce nom,
plus haute encore que le Ghelmos qui se trouye près de
Makry-Plagi et de I.eondari.
Mon premier projet était d'aller de Galavryta h Gorinthe
en passant par Phonia, puis par Zarakka (lac Styniphale),
pour voir les ruines de quelques tours ou châteaux francs
qu'on m'avait indiquées sur ses bords; mais l'assurance
qui me fut donnée par le frère du dimarque de Galavryta
qu'à une demi-heure de Vlongoka existaient les. ruines
d'on châteaa beaucoup plus considérable que celui de Ga*
lavryta , et que je ne voyais pas indiqué sur la carte, me
décida à suivre cette route.
Je repris d'abord le chemin de Mega-Spileon. La vue est
plus agréable en montant qu'en descendant le cours de la
rivière de Galavryta. A un quart d'heure du couvent on
tourne à droite la montagne ou plutôt le roc sur lequel le
monastère est situé. Il y a là quelques belles vues de ro-
chers bien autrement imposantes que dans la position choi-
sie par le couvent , l'une surtout en haut des rochers , au
fond d'une gorge qui s'éteud presque en ligne droite jus-
qu'à la vallée de Galavryla. On continue toujours à mon-
ter jusqu'au sommet de la montagne , et ou arrive dans
une vallée sauvage et escarpée dont les hauteurs sont cou-
ronnées de fort beaux pins. Je vis là avec plaisir en trois
endroits différents quelques scieurs de long préparer des
planches et des solives.
Pendant trois heures de marche cette suite de rochers,
de collines et de vallées offre peu de variété ; mais en
s'approchant du village de Yela on découvre au loin la
mer, le port d' Acrata sur la rive , et de l'autre côté du
golfe les montagnes de Roumélie. Autour de soi on aper-
çoit partout des traces de culture jusque sur le sommet
46
541 GRÈCE CONTIKSKTALE ET MOHEE.
le plu élevé des inootagiios; car ao-dessus d*onè couche
de rochers se tiouf e ane vaste étendue de terre bianche
et fertile. Les vignes sortoot y abondent. Celle culture rè-
gne sans interruption josqn'à VefMiva » dont lés maisonn
sont distritMiécs sur Unis les ianca de la montagne» ao
milieu des arbres et des terres cnltivées. Les source»
abondantes qui découlent de tous côtés foorniss^t i'ena
nécessaire à Tarrosenient de nombreux champs de maïs
et interrompent la route par mille courants divers. De là
on aperçoit devant soi le village de Vlong^a , situé tout en-
haut des dernières terres cultivables qui s'élèvent aux deux
ticm du moBt £vrostina. Le dernier tiers semUe une cou-
che pesante de terre ferrugineuse qm produit le {dus bel
eOet Entre ces deux villages est un profond ravin au b»
duquel coule Jusqu'à la mer un torrent anx eaux roogeâ-»
trcs. Toutes les terres semblent sablonneuses jusqu'au bas
du torrent» des deux côtés do ravin. Nous eûmes beau-
coup de peine à nous dkiger» à travers ce dédale de vi-
gnes, de champs de mais et de cooraots d'eau, jusqu'au
torrent » et beaucoup plus de peine encore k le passer. Je
me tirai toutefois asseï bien d'affaire et j'arrivai sans eo*
combre sur l'autre bord, à travers les rochers et les es-
pèces de canaux d'irrigation qui régnent le long de ses
rives ; mais mon agoiate fut moins heureux* S<m cheval »
chargé de mes bagages , était déjà une première fois tombé
avec lui au milieu des rochers sur ces chemins étroits et
glissants : les malles et autres effets avaient un peu souffert,
chose trop habituelle en Grèce pour qu'on s'en occupe nu
instant ; lui, il avait heureusement gKssé du haut des malles
par terre sur le dos sans se faire de mal. Cette fois la choie
do cheval fut plus périlleuse; il tomba ao milieu du tor-
rent même, et la pesanteur de mes malles le retint sur
le dos au milieu du courant : précisément dans un endroit
où la fissure du rocher était suffisante pour qu'il y entrât
par le dos s'il n'cât été chargé; mais l'ampleur de sa
charge le retint ainsi suspendu avec les jambes tumles et
VLOIMMHIA. 543
le corps bas « au milieu d*an coaraot d'eau qui lui pro^
curait uoe fraicbeur si agréable, qu'avec la peur qu'il
avait de retomber sur les rochers pointus et la charge
qaî le retenait» il fallut bien une demi-heure pour le tirer
de là. Pendant ce temps, mes effets, cartes et livres pre-
naient le môme bain que le cheval , ce qui m'était moins
agréable ; mais que faire autre chose que de les faire dé«
lier et retirer an à un, du moins ceux qu'on retrouvait, et
de remettre la monture sur pied! Mon agoîate était déses*
péré du calme de son cheval et de l'impossibilité de le faire
releven Enfin, tous ou presque tous les effets étant retirés
du courant et apportés sur un rocher en saillie et à peu
près sec, l'agoïate tira sou cheval de côté sur la pe-
tite fissure à travers laquelle il eût pu passer dans une au-
tre situation, et il parvint à le relever et à regagner l'au-
tre rive. De là jusqu'à Vlongoka on monte par une pente
rocheuse fort rapide jusqu'à ce qu'on arrive à la couche
de terre végétale interposée entre les rochers du bas et
les beaux rochers rouges de la cime. Je ne connais au-
cun village plus piltoresquement situé, au milieu des cou-
rants qui découlent de toutes parts de la cime supérieure
et fertilisent les terres^ Il est appuyé sur le rocher comme
sur un fort ; au bas est un profond ravin à droite , au nord
un autre profond ravin » et autour de beaux vergers et de
riches cultures. Il est là comme sur les derniers confins de
la terre habitable. Les Turcs n'y ont jamais mis les pieds,
tant il est haut dans la montagne. Aussi les maisons n'ont-
elles pas été détruites , ni les champs ravagés. Au mo-
ment où j'y entrais , de nombreux troupeaux de chèvres
et de moutons y rentraient avec moi et tout avait un air
de vie et de prospérité. Tous y possèdent quelques terres.
Le paredros ou adjoint me donna l'hospitalité ; je traversai
l'appartement des moutons et pénétrai dans l'appartement
de famille, grande chambre où femmes et enfants étaient
réunis.
De bonne heure je sortis pour jouir de la vue du pays,
544 GRECS GONTIHCIITALB BT HORÉE.
espérant, d*on fillage placé si haat, voir lever le soleil ; mais
pendant qoarante joars le soleil ne lait pas sur Ylongoka ,
on voit seulement ses rayons échauffer les collines voisines.
La vue, du reste, est fort belle ; car on a devant soi, comme
on lac , une vaste étendue du golfe de Gorlnthe. Les chè*
vres par bandes ^t les moutons sortaient comme moi , et ,
ç^ et h aux fontaines , je voyais arriver les femmes poar se
laver la 6gnre en public Leur toilette n'a rien de mysté-
rieux. Le matin on apporte un plat d'étain recouvert d'une
sorte d'écumoire à travers laquelle passe l'eau, un vase qoi
verse l'eau par un bec et un morceau de savon ; la servante
a la serviette sur l'épaule, et la toilette est bientôt terminée.
Après dîner c'est souvent , parmi les habitants de la cam*
pagne, le maître lui-même qui vous présente la serviette ,
selon l'usage antique.
Je pris tous mes renseignements avant de me mettre en
route de Ylongoka pour voir mon prétendu palœo-castro du
moyen âge ; car tout ici est palœo-castro , tour hellénique
comme forteresse franque, et il faut voir tout par ses pro-
pres yeux pour ne pas être exposé à adopter de fausses
notions. Je descendis jusqu'au fond d'un petit ravin où
coule, au milieu de beaux arbres, un torrent qui se jette
dans celui que j'avais passé la veille. Sur la route je ren-
contrai à diverses reprises de petits garçons qui arrivaient,
avec leur petit sac de provisions pour la journée, des di-
verses maisons groupées sur la montagne et se rendaient
à l'école d'enseignement mutuel de Ylongoka , entretenue
par les fonds du village lui-même. Au fond de ce ravin
est jeté sur le torrent un pont dont la hauteur est déguisée
à l'œil par les arbres qui couvrent le torrent ; mais en l'en-
tendant rougir au loin l'oreille en reconnaît la profondeur.
Lorsque pendant l'hiver ou le printemps les petites casca-
telles qu'il forme sont alimentées par les ploies, l'effet doit
en être fort beau.
Cependant la demi-heure se passait et je n'arrivais pas
h mon château franc. Je m'informais bien exactement de
vËGiiiB. 545
tous les passants, et tous m'indiquaient que j'en approchais.
Je passai la haute chaîne de l'Evrostina et point de château ;
déjà je voyais que je me rapprochais de la mer et je com-
mençais à craindre ce qui se réalisa en effet , c'est que le
frère du dimarque et mes autves informateurs eussent pris
les ruines immenses de l'antique ville d'^gire pour les
ruines d'un grand château du moyen âge. J'arrivai en
effet , à mon grand désappointement , à JEgïre. Quelques
restes de murs helléniques et des fragments d'édifices ro^
mains, placés des deux côtés de la route, annoncent sa
présence. Je pris mon désappointement en patience et me
mis à parcourir l'enceinte de l'acropolis et de la ville. Elle
couvrait une étendue immense de terrain depuis l'acropo*
lis et deux tertres voisins, sur lesquels j'ai trouvé des fon-
dements de plusieurs temples , jusque sur le coteau qui
descend bien loin vers la mer. La position était des plus ma-
gnifiques. On retrouve, le long d'un précipice situé au bas
de l'acropolis et le long du coteau de l'acropolis , de nom-
breux vestiges des antiques murailles helléniques en grandes
pierres quadrilatères. Plus bas, en descendant vers la mer,
sont des colonnes cannelées encore en place à une hauteur
de deux è trois pieds , des restes de temples et d'édifices
publics au milieu des champs, et tous les vestiges d'une ville
puissante et opulente. C'est une idée attristante que de se
trouver ainsi au milieu de ces grandes ruines d'une ville ,
dont le nom même est ignoré des descendants de ceux
qui l'habitaient jadis et qui cultivent aujourd'hui des
champs au milieu des débris des monuments bâtis par
leurs pères. Le port de la ville d'iEgire était au bas de
celte côte à l'embouchure du Crino, ou torrent de Ver-
sova. Je descendis d'^Egire , au milieu de pensées fort
tristes, jusque sur le rivage de la mer et le suivis jusqu'à
Xylo-Castiu Bientôt l'apparence d'une jeune prospérité
vint changer le cours de mes idées. J'éprouve toujours un
plaisir nouveau à suivre la rive de la iner au bruit des
flots qui viennent expirer sur la grève : ici la beauté du
46.
546 GREGE GONTimifTAiB ET MOREE.
pays «joiitaU encore à ce plainr. Ce gracieux golfe» terminé
par les luoolagoes qui s'étendent de Lépante à Fera-
Gliora et à Gorintbet et sur la rive de Morée cette culture
opulente et nouvelle des raisins de Goriutbe , qui garnis*
sent toutes les Tallées et renuontent jusqu'aux collines cou-
vertes de pins et d'arbres verdoyants , et de toutes parts
de petites maisons propres pour recevoir et embarquer
les raisins de Gorintbe , tout ap|)eUe l'intérêt sur cette
Grèce si malheureuse, et si disposée , à peine sortie d'une
lotte d'extermination, à déployer tous ses efforts pour
marcher déjà d'un pas rapide dans la carrière des peuples
civilisés. La plupart des babitanu riches de cette côte ont
leurs maisons de plaisance dans la montagne , li Triccala t
où ils restent pendant la saison des grandes chaleurs.
XXXIU.
WCyONE. — COWNTHE,
Je passai la nuit au khani de Kiato et partis de bonne
heure à pied pour Basilica , où mes chevaux vinrent me
rejoindre, Basilica est un village qui occupe la position de
l'antique et opulente Sicyone , si célèbre par les encoura^
gcmcnts qu'elle donna aux arts et dont les belles monnaies
{ie retrouvent partout en Grèce. Sicyone était située sur
un plateau élevé , coupé au milieu par un ravin profond
qui le pénètre en partie. Ses grandes murailles helléni-
ques n'ont plus conservé que quelques débris ; car, dans ce
pays, la pierre, si prodiguée dans l'antique Sicyone, ne se
trouve qu'à de grandes distances, et les maisons nouvelles
se font une carrière des ruines anciennes. Il n'existe plus
que deux grands fragments un peu entiers des murailles de
deux édifices, l'un conservé dans une petite église dont les
murs sont tout à fait antiques , l'autre sur l'extrémité do
SICTOKB. $47
fdateau, à peu de distance de Féglise^ qui semble avoir,
appartenu à une des tours de défense. Deux des entrées
sont eoeore conservées : l'une, taillée dans le mur d'enceinte
en forme de voûte qui va eu s'abaissant , conduisait hors
de Tacropolis. Les anciens, comme on voit , connaissaient
la construction en voûte, mais ils la trouvaient peu élégante
et ne remployaient jamais dans les édifices splendides,
L*aulre passage, plus étendu, est une sorte de souterrain,
creusé en partie dans le roc et en partie revêtu de larges
pierres , et il conduit de la forteresse au ravin intérieur,
qui était probablement fermé de murs, et où coule une fon-«
tainequi sert aujourd'hui au village de Basilica* Du côté de
la mer, ou aperçoit aussi trèsniistinctement les gradins di|
théâtre, appuyés sur le rocher suivant l'usage antique. Quel*
que» fragments de colonnes et de grosses pierres latérales dea
temples existent aussi çà et lii, .Une belle route de plaine
çooduit de Sicyone à Corinthe eq deux heures et demiei
au pas régulier d'un cheval*
Il est bien fâcheux qu'une fantaisie d'antiquaire ait em*»
péché que Corinthe ne fût désignée, au lieu d'Athènes,
pour la capitale de la Grèce. Sa situation la rapprochait à la
fois de la Morée , de l' Auique et de la Roumélie , tandis
que la proximité des deux golfes la mettait en facile com«-
muoiciiion avec l'Europe et l'Asie. Je ne doute pas que
si Corinthe eut été choisie de préférence k Athènes elle
n'eût déjà 50,000 habitants. Aujourd'hui c'est un miséra-
ble bourg ; et, en effet, presque toutes les villes de Morée,
sauf Calamata et Nauplie, ressemblent beaucoup plus à des
bourgs qu'à des villes,
Corinthe est située dans une plaine élevée, en vue du
golfe de Lépante, du Parna^ et des montagnes de livadie.
Il n'y reste presque aucune trace de sa grandeur passée.
Sur un plateau, en sortant de la ville pour aller à 1 Acro-
corinthe, montagne élevée en forme de ballon et qui do-
mine les deux golfes Saronique et de Lépante ou Corin^
the, se tiennent cependant encore debout sept colonnes de
548 GRBCB CONTlffENTALB ET MOEEE.
côté et trais de face, reste d'un vaste temple d'ordre dori*
que en pierres poriqaes reyêtues de stuc. Le stuc est
tombé ; mais les colonnes, bien que rongées par le vent de
mer, produisent de loin un bel effet , et de là on a une vue
étendue de l'Acrocorinthe , du golfe , et des montagnes
neigeuses de la Livadie. En montant à la citadelle on re-
trouve la fontaine Pyrène, d'où s'est échappé le cheval
Pégase. Les marbres blancs qui la revêtaient ont disparu,
mais les travaux intérieurs restent et on peut les suivre
dans la montagne jusqu'à l'Acrocorinthe. Sur les collines ,
en montant , sont dispersées les ruines d'un village turc ,
avec ses mosquées abritées sous les murs de la forteresse.
Tout au pied de l'Acrocorinthe, on aperçoit la voûte d'un
souterrain qui semble de construction franque et qui se
prolongeait sans doute de la montagne jusqu'à l'intérieur
de la forteresse. Les débris- des deux premières portes de
défense, qui étaient de construction franque, gisent disper-
sées à quarante pas l'une de l'autre , et à la seconde porte
Commence le mur de clôture qui descendait de ce côté et
qu'on peut suivre jusqu'au rocher supérieur. La porte
actuelle, à l'intérieur de laquelle se conservent entières
les rainures de la herse, et tout l'ensemble des con-
structions de la citadelle sont de construction véni-
tienne moderne, mais les murs d'enceinte à droite et à
gauche sont de structure hellénique jusqu'à une grande
hauteur et sans dégradation. L'enceinte contient deux pics
de montagnes qui s'ouvrent en éventail du côté de la ville
et renferment les débris d'un village ou d'une ville dans
laquelle on retrouve confondues les ruines de temples
helléniques avec leurs colonnes de marbre, de constructions
franques avec leurs tours carrées de structure vénitienne,
et de masures turques avec leurs bains , leurs mosquées
et leurs minarets. C'est là que se trouve la source de
la fontaine Pyrène. A quelques pas est une petite tour
c«irrée, avec un escalier gothique tournant, d'une parfaite
conservation. Sur le haut de cette tour les Turcs avaient
GQIIINTHB. 549
élevé un minaret aox flancs bombés , et le même escalier
qu'avaient construit les Francs dans cette guerre de croi-
sade servait après leur départ pour appeler les musulmans
à la prière. Dans le corps-de-garde quelques colonnes an^
tiques de marbre blanc restent debout.
C'est sur le moins élevé des deux pics qu'était placée la
vieille forteresse franque. Elle porte les traces de sa con-
struction originaire. Cette citadelle, au temps des Francs,
ne comprenait que le pic; mais, lorsque les Vénitiens eu-
rent obtenu Corinthe, ils étendirent les fortifications. Ils
comprirent qu'avec Tinvention de la poudre à canon il y
avait trop de dangers à laisser dominer un fort par un pic
3i voisin, et ils le renfermèrent dans leur nouvelle en«
ceinte.
Gorinthe, qui était la clef du Péloponnèse, avait résisté
quelques années aux Francs, mais elle tomba enfin entre
leurs mains» Pendant le siège qu'ils en firent , Othon de
La Roche, sire d'Athènes, fit construire un petit fortin sur
le plus élevé de ces deux pics afin de surveiller les envois
d'hommes et d'approvisionnements qui pourraient arriver
aux assiégés du côté de l'isthme. On n'y trouve plus au-
jourd'hui que les débris d'une église consacrée à saint Élie.
D'un autre côté Geoffroi de Yille-Hardoin , voulant inter-
cepter les secours qui pouvaient arriver par la Morée, avait,
suivant la relation du chroniqueur grec de Morée, fait*
construire un aulre fort sur un petit pic Idétaché, large à
sa base et escarpé au sommet , auquel il donna le nom
franc de Mont-Esqoiou , le Mont Sourcilleux. Le clironi-
queur de Morée raconte que ce fort avait conservé jusqu'à
son temps, c'est-à-dire en 1320, le noin de Montescouvos.
Le même nom se conserve aujourd'hui^ légèrement altéré
en celui de Pentescouvos, l'm ayant été changé en p, par
le même procédé euphonique qui a fait changer le p en m
dans le mot de Pentélique appelé Mendeli dans presque
toutes les cartes modernes. Du fort de Montescouvos, con-
struit par Ville-Hardoin , il n'existe que les ancienne»
550 GKÈGB CONTIHfiirrAtB BT MOREB.
fondations , le pavé et qneiqnes chambres. Snr Fune des
vieilles portes se voit la crois ancrée des yiile-HardofQ.
En l'année 1826 , mi nommé Papas Motaras , archonte do
pays , et descendant de l'ancienne famille des Notaras men*
tionoée par les chroniqueurs byzantins , fit bâtir la for*
teresse dans l'état où elle se trouve aujourd'hui ; et il en a
consigné le souvenir sur une plaque de marbre blanc à la
porte d'entrée , et sur cette plaque il a fait sculpter la
croix ancrée, qui existait sans doute sur la porte précé-*
dente , et la double aigle impériale.
Une bonne partie de la châtelleoie de Corinthe avait
appartenu, au temps des Français, à Nicolas de Guise, dit
le Maigre. L'impératrice Catherine de Valois, agissant aa
nom de son fils Robert de Tarente , prince d'Achaye, ea
fit don, en 13/^2 , h son chambellan Nicolas Acciainoll *,
et , le 21 avril 1358 , Robert et Marie de Bourbon , sen-*
sibles aux plaintes des habitants de Corinthe, qui récla-
maient la protection do leurs princes naturels , confé*
rèrent la chfttellcnie de Corinthe à Nicolas Âcciaiuoli , en
qualité de haute baronnie, avec droit de haute et moyenne
justice , sous la condition qu'il prendrait toutes les me*<
sures nécessaires pour protéger le pays contre les Turcs K
1 Voyez p. 66 dé mes Mouv. Reeh.f 1. 1. ,
. * Voy. p. 103 et sut?, de mes Nouvelles recherchés. La lettre dea
babiUnts de Corinthe. dat4e du & fêvrier i35S, e«t toudiante,
ft Excellent seigneur, lui écrivent-ih, nou3 commençons par nous
recommander humblement à vous. Nous Vous avons fait savoir avec
douleur, et par nos lettres multipliées , et par les messagers spé-
danx qne nous avons envoyés à Votre Majesté, les afflictions con-
tinoelles et insupportables dont nous accablent les Tares infidèles,
tant et tellement qoe nous n'avons plus la force de maintenir vos
ehftteaux, bon nombre d'hommes ayan| été faits prisonniers par
les Turcs, d'autres élant partis pressés par la famine et étant alU's
se réfugier dans d'autres pays, dans Timpossibilité où ils étaient de
supporter toutes ces tribulations; car, eux qui étaient habitués à être
abondamment fournis d'esclaves et de toutes les ressources de l'o-
pulence, ils sont réduits maintenant à la pénurie et à la serTitvdo,
COBinTBB. 551
Nicolas AcciaiodU en maaranty cfn 1366, taÎ9sa sa ba^
ronniede Goriûthe» airéc les mêiaes droits, i »oa fils
Ange. L'année 1371, cette baronnie fut transformée en
comté palatin eo laTeor do même Ange par Tempereur
et il D'est aajoord*biiiptrsonû« dans la cfaàtellenie de Coriotlte qui
ne mange son pain avec dottleiir •« aussi bien à cause de ces tribula-
tions continuelles que parce que nous ne recevons aucun secours,
aucune protection de vous-même, notre très-redouté seigneur natu-
rel , de vous ponr qui nous avons souffert tant de maux et tant de
calamHés afin de vous conserver notre fidélité.
» Et certes nous n'eussions jamais cru être aussi c^ni|vléic«iie]it
alMndoanés de Votre Mayesté. Houe espérions au GOAtraire que notre
fidélité envers yùu» bous vaudrait d'ètie glorifiés et récompensés, et
d'être maintenus et défendus contre tous nos ennemis. Mais, ù dou-
leur! nous sommes livrés en opprobre à toutes les nations, nous
sommes faits prisonniers par fes Tores ; notre patrie devient incuKe,
et cette terre si agréable et si déliciense est devenue déserte. Ù'an^-
très de neiis soai forcés de payer tribut/
» Ne pouvant plasmûntenant nous soutenir, la lumière s'éteignant
dans le cbandelier, et nous sentant arrWés à la fm de notie malheu*
reuse existence y nous nous jetons aux pieds de Votre Majesté, nous
les arrosons de nos farmes , nous la supplions , dans notre profonde
douleur, de daigner pourvoir prompteraent aux besoins de cette pa*
trie désolée et complètement dé|)0nillée d'Iiomraes d'ârnes , d*&r*
,n»otes et de vivres ^ siaoa it ■»« faudra certaiBetneBl abandonner
notre patrie eu nous rendre tiibntaires de nos enn^^mis. Noua en
présentons d'avance nos excuses raisonnables à Dieu, à Votre Excel'
lence et à nos amis. Et, si (plaise à Dieu de détourner de nous ce
malbeur!) nous étions forcés de le faire, la faute n'en devra pas
tomber sur noas qni aurons été foolés et meurtris, non par reffèt
de notre volonté , mais par soite de notre impuissance. Comme nous
ne pouvons vons exprimer en détail dans une lettre toute cette série
de tribulations^ nous vous envoyons notie compagnon Louis, babi-
tant de Corintbe, pour vous présenter notre supplique et s'entendre,
avec vous sur les remèdes convenables. Daignez ajouter foi à ce.
qu'il vous dira en notre nom. C'est ce même Louis qui a si vail-
lamment maintenn ▼ofre château de Saint-Georges tant qn'H en a
eu les moyens, et il y a dépensé du sien plus de deux cents byper-
pères. Veuillez donc l'avoir pour bien méritant et bie : recommandé.
Que Votre Excellence se conserve longues années. »
552 GEECB CONTINBllTAi;.B ET IIORÉB.
Philippe de Tarente, étant à fiude en Hongrie, en recon-
naûsance des services qui lui avaient été rendus par Ange
pendant sa captivité.
Après la mort d*Ange le comté palatin de Corintbe
passa à son fils a!né,v Robert Acciaiuoli, qui Thypothéqua
entre les mains de son parent Néri Acciaiuoli, pour gage
de l'argent qu'il en avait emprunté.
Néri Acciaiuoli prit donc dès ce moment le litre de sel-
gneur de Corintbe, qu'il conserva et transmit à ses héri-
tiers investis ea même temps des seigneuries d'Athènes et
de Thèbes K
Dans les derniers temps de la domination des Turcs,
Kiamil-Bey était le véritable successeur de ces grands
feodataires. II possédait à Corintbe un palais bâti au-
dessus des anciennes murailles, dans une fort belle situa-
tion an-dessus du golfe, et ses jardins délicieux descen-
daient en pente dans la vallée vers la mer. Il avait là son
harem, ses bains, ses jets d'eau, son opulence de bon goût
La grotte verdoyante des Nymphes, d'6ù coule perpétuelle*
ment une fontaine d'eau douce , était un des ornements
de ses jardins. Les restes des vieilles tours franques et vé-
nitiennes, distribuées sur les anciennes murailles , proté-
geaient l'approche de son palais du côté des champs.
Dans l'intérieur de ces constructions on retrouve les dé-
bris de plusieurs temples anciens , avec de magnifiques
colonnes de marbre de différentes couleurs. Ce palais, ce
harem , ces bains , ces jardins , tout est aujourd'hui en
ruine. Kiamil-Bey, au temps de sa puissance, était res-
pecté et aimé; il passait pour le plus intelligent et le meil-
leur des Turcs de Morée. La dernière guerre de l'indé-
pendance détruisit celte grande existence. Fait prisonnier
à Tripolitza, en 1823, il fut renfermé dans l'Âcrocorinthe;
et , au moment de l'entrée de Dram-Ali , il fut égorgé , le
> Voyez, dans mes Nouv. Rech., t. i, lout ce qui concerne los
Acciaiuoli.
KYNÈTHES. Ôôâ
1 3 juillet , par un prêtre soldat et bandit, nommé Âchil-
léas.
Outre ces quelques restes d'antiquité on trouve à Co*
rîntbe quelques débris de l'amphithéâtre taillé dans la
montagne , des restes de temples sur la route de Gorinthc
âi. Kalamaki, et, près de Kecbrlès, quelques souvenirs
des bains d'Hélène; mais tous ces restes sont fort mutilés.
C'est surtout de ce côté de Tisthme que se sont multipliés
en tout temps les ravages de la guerre.
XXXIV.
KYNÈTHES. — ROCHES SKYR0N10£S. — MÉGARE. —
MONT KARYOI.
' De Gorinlbe à Kalamaki, petit port situé sur le golfe Sa-
ronique, la route est belle et facile. Une autre route car*
rossable, de deux lieues, conduit de Kalamaki à Lou-
traki, de l'autre côté de l'isthme sur le golfe de Gorinthe.
De Kalamaki à Athènes on va souvent par mer en quatre
ou cinq heures , le vent le permettant La route par terre
est moins exposée aux caprices de ce roi des mers , mais
elle est un peu rude. Jusqu'à Kynèthes on suit la plaine;
mais à Kynèthes on commence à s'engager dans les défilés
des roches Skyronides, d'où Skyron précipitait autrefois
les voyageurs mal gardés. J'ai traversé plusieurs fois cette
route de Kaki-scala (la mauvaise échelle) et une fois
entre autres par une pluie d'orage mêlée d'éclairs et du
bruit du tonnerre, qui faisait le plus bel effet en se répé-
tant d'écho en écho dans la montagne; mais je ne l'ai
pas trouvée aussi mauvaise qu'on me l'avait représen-
tée. Quelques passages me rappelaient la route de la cor-
niche, de Nice à Gênes. La vue du golfe Sarouique
avec la vue de Salamine et des îles qui le ferment en quel-
47
554 GRÈCE COKTINBNTAU BT MOREE.
qae sorte est toujours d*uii bel effet. A uo autre voyage ,
le 9 janvier, neuf mois auparavant , j'avais trouvé une si
belle saison « une cbaleUr si douce, que Réprouvai un vé-
ritable plaisir à n'asseoir sur le gazon , en plein air, à
Kynètbes, pour me reposer et foire collation.
La roule de Kynèthes ï Mégare n*est que de trois beures*
Une demi^lieue avant d'arriver k Hégare» dans la pSaine,
je m'aperçus qu'on avait foit des fouilles sur l'emplace-
ment d'un ancien temple. Ge qu'on y a trouvé a été tran»»
porté à Mégare. En arrivant j'allai voir ces divers objets;
il y a entre autres un bloc de marbre blanc représentant
un enfant monté sur un cheval , tous deux de demi-gran-
deur. L'enfant et le cheval sofU du {dus mauvais goût; on
dirait un ouvrage des siècles barbares : c'est sans doute
l'œuvre d'un dsean romain peu exercé. Un atrtre frag-
ment un peu meilleur est peut-être d'origine grecque.
C'est un lion combattant contre un serpent : le lion est
entier et de demi-grandeur, tnaîs le sei'pent est brisé et
on n'en retrouve plus que deut fragments adhérents au
corps du lion. Le travail do sculpteur n'est terminé que
d'un cdté, l'autre côté est uni; ce qui ferait penser que
cet ouvrage de scolpture anra été appliqué à quelque mo-
nument public ou privé, une fontaine par exemple. Dansr
une autre maison sont des statues que je crois d'un style
romain et fort médiocres. La ville de Mégare, au temps des
Turcs, était bfttie sur la montagne; mars cette vi% a été
incendiée par eux , et on ne s'y promène aujourd'hui qu'à
travers des ruines : car peu des habitants ont relevé leurs
maisons sur la colline ; presque tous ont profité de la sé^
curité do pays pour reconstruire dans la plaine, oA s'é^
tendent aujourd'hui bon iH>mbre de maisons noweHes.
La nouvelle Mégare me semble contenir environ i,hOO
habitants. Dans la haute Mégare les débris modernes se
confondent avec les débris dû passé, car c'était avec les
monuments antiques (fu'on avait bâti tes masures mo-
dernes. Ici, on voit une coloime antique placée en travers
VBGA^BB. 655
dans on pan de muraille d'une maison écroulée ; là , dana
une petite église, une inscription lapidaire placée sens dessus
dessous au haut de la muraille. Partout la grandeur antique
se révèle par un seul peUt fragment et éxrase le misera*
bleart moderne, humble et à Toeil bas. Le château est placé
tout au haut de la ville ; il reste quelques assises de pierres
helléniques par le bas, tout le haut est de construction
firanque, A Tintérieur est une porte de séparation de forme
ogivale, entre les deux parties de la tour. Ce château, qui
était fort petit , devait seulement protéger la ville ou plu-»
tdt la tenir en respect. L'abord de Mégare, du côté de la
mer et du côté des défilés , était gardé par un véritable
château'-fort sur la colline de Nisea, d'où on embrasse à la
fois la baie de Saiamine et cette ile et toute la plaine de
Mégare. Les Francs y firent bâtir une forteresse ; mais il
. est aisé de s'apercevoir qu'il y existait auparavant.une grande
construction hellénique, car dans toutes les premières
assises et dans les fondements on voit debout les largei(
pierres quadrilatères de l'architecture murale hellénique».
I |A un premier voyage que j'avais fait d'Ahènes à Go-<
rinthe , le débordement des torrents à travers le dervend,
seconde route pour aller de Mégare à Gorinthe , m'avait
empoché de vérifier un point qui m'intéressait vivement.
Je voulais visiter le mont Karydi, où se livra , en 1250,
une grande bataille entre le prince Guillaume de Ville-
Hardoin , prince d'Âchaye, à son nouvel avènement , et
le duc d'Athènes , son vassal , soutenu des grands barons
qqi lui refusaient l'hommage féodal.
Gette fois, au lieu de suivre la route directe de Mégare
à Athènes par Eleusis ou de me diriger par Saiamine, je
résolus d^explorer le Karydi et de visiter le revers du
Gythéron, Égosihènes et Éieuthère. Pour aller de Mégare
au mont Karydi la route est presque toute en plaine jus-^
qu'au pied de la chaîne. On passe sur les hauteurs qui
séparent celte chaîne de celle du grand dervend. Après
deux heures et demie on rencontre, en montant, la route
550 GâiCB CONTINtNTAU ET HOREB.
qui fient de Goriothe par le mont Acra ou Karydi , et
qui n'est rien autre que Taucienne route de Corinihe à
Thèbea. C'est celle que dut prendre Guillaume de Ville*
Hardoin pour marcher sur Thèbes contre le duc d'Athè-
nes. Au milieu de la chaîne de montagnes sur laquelle
domine le Karydi se trouve sur la route on puits sur un
plateau large et incliné qui s'étend jusqu'à une coarte
vallée où aboutissent les flancs de toutes les montagnes
d'alentour» c'est là sans doute le terrain sur lequel vint
se poster, à trois heures en avant de JVlégare, l'armée da
duc d'Athènes pour atteodre l'armée du prince de Alorée
et lui livrer combat II était probablement échelonné de-
puis le versant du Karydi jusqu'à l'entrée de la route qai
venait de Ckirinthe, Ce qui montre qu'il a dû devancer en
ce lieu l'armée du prince de Morée, c'est qu'après sa dé-
faite il se porta sur Thèbes pour s'y défendre et que ce •
prince l'y suivit La Chronique de Morée représente le
prince Guillaume réunissant ses troupes à Corinthe , pas-
sant de force la scala de Mégare et s'emparant du défilé
(dervend ou clisoura) ; puis le duc d'Athènes à cette non-
velle s'avançant de Mégare vers le mont Karydi, où il lui
livra bataille, fut battu, se sauva vers Thèbes après sa dé-
faite et fut poursuivi par le prince jusque dans cette
ville*. Or, si Guillaume de Yille-Hardoin eût devancé au
mont Karydi le duc d'Athènes, il lui eût évidemment
coupé la route de Thèbes. Il me parait donc certain que
c'est ce vallon , aujourd'hui garni de pevka (pins) qui de
loin ont l'aspectd'one verte prairie, que choisit le duc d'A-
thènes pour y attendre le prince de Morée à son débou-
ché du défilé de M<^are vers la route de Thèbes; et que
son armée^ arrivant par la route fort courte et fort belle
de Mégare , y devança fort aisément celle du prince de Mo-
rée , qui avait à traverser les passages difiBciles du grand
dervend. Je suis allé en trois heures de M^are au mont
< Pag. 79 et SO dé la Chron. de Morée.
'MONT KARTDI. Ô57
Karydi; mais il n'y a que quatre lieues de poste, et en
une heure ou une heure et demie on peut y arriver en
pressant le trot d'un bon et fort cheyal.
£n remontant un des flancs du Karydi pour suivre la
route qui liiène à Thèbes , on trouve au milieu des bois^
sur les deux versants opposés d'un contrefort qui domine
la vallée , deux tours helléniques aussi parfaitement con-»
servées que si elles eussent été construites il y a peu de
jours. La première qui se présente est une tour carrée , il
ne manque que quelques pierres du couronnement de
rédifice; elle a de quarante à cinquante pieds de hauteur,
et la porte, qui est de forme quadrilatérale, est parfaitement
conservée. Sur le versant le plus éloigné du mont Karydi est
une autre tour qui est de forme ronde et qui Ta en dimi-
nuant toujours vers le haut : elle est très-difficile à décou-
vrir^au milieu de ces bois éj^is et pierreux , bien qu'en
s'élevant on aperçoive son extrémité au-dessus des éclair-
cies des arbres. £lle a aussi vingt-cinq ou vingt-six assises
de hauteur en larges pierres quadrilatères , ce qui donne
une cinquantaine de pieds ; une ou deux pierres seule^
ment du haut sont tombées , mais le reste est dans un
état parfait de conservation. Près de ces deux tours sont
des ruines de constructions du moyen âge. Il serait possi-
ble qu'après sa révolte le duc d'Athènes eût élevé ces
remparts et lié les deux tours pour opposer une barrière
à son suzerain le prince d'Âchaye , et que celui-ci les eût
fait démolir après la d^aite de son vassal à Karydi en
1250. Ces deux tours sont certainement un des monu-
ments les plus intéressants que je connaisse et des mieux
conservés.
Au delà de ce point la route monte par un chemin as-
sez facile jusqu'en haut de la montagne à travers un
bois assez épais. Aussitôt qu'on est parvenu au fort qui
mène de ce versant au versant opposé, à une Tue tout à
fait riante succède un tableau imposant par sa rudesse. Le
Gythéron se développe tout entier devant vous, et, de ce
47.
658 GEECB COHTimilTALS if MOR^E.
e6lé, entre lai et le iane ra4e et roehen da mont Kaiydi
est un contreCMl do Karydi qvi s'ivaoee et forme une
espèce d'avion de rochera qui s'on? re du cAté de Kryo^Pi**
gadi. Cette partie dn ehemin est fort difficile et a'embran-
che avee le ehemin non moins rocatileux qni conduit k Porto«
Germano , l'antique Égosthènea. Au loin cette partie da
golfe de Corinthe se détache avec grâce , et les montagnes
qui Borteot des grandes montagnes de Roumélie sont doa^
ces et verdoyantes. De là k Viita il s^ a environ trois benrea.
#
11 arrive peu d'^trangert ^ Yilia t et je» Groc9 ¥M k
Iji fois curieux et poUs H leur immigre. *A peiae ét«is-j«
àmtsfiAn pour vM promener snr la place publiqne qœt
pitnni cinquante hoîqroea au moioa réiioia au café . car
c'était jour d^ f9(e, tt n'y eii eut aucun qui ne m'oiTrtt
café et raki, te m'asaia un instant pour causer avec euir.
Les questions du peuple comme celtes de? rois rooleni
toiûonrs dans le même cerdc d'idt^ei : d'où vene««voQs ?
où allez-vous? est-ce la première fois que voua visitas en
pays? éte^-voqs marié? av^z^vons deg enfautsT Ua Grecs
pensent faire preuve d'intérdt pour vous en vous int;erro«
géant sur tout ce qui les intéresserait ewc-mâmes. Vos en**
fants se portent-ils bien? combien payez-vous k votre
agoîate ? S>qis la question roule enauiie sur la politique.
La France abandonnera^t^lle donc la Grito? car la France,
c^est la proieetrice naturelle et déaint^ressée de toua ceux
qui souffrant; et aqtres qoeations. Aprte avoir satisfait de
mon mm% k leur politesse, je fia veuir le kyrit on héraut
chargé des publications et je lui fia» selon ïwm^ usage, crier
SGMTBBNBfi. 550
à baille \m dans tout le village : qn'on miiordi, car c'est ainsi
qu'on appelle tout étranger qui ne voyage pas pour afiaires
de commerce , venait d'arriver dans le village et désirait
acheter des médailles et d'autres antiquités , et que tous
cew qui en auraient à vendre étaient invités à venir les lui
montrer. La voix du crieur, modulée ainsi qu'ils ont l'ha*
bitude de le faire pour se parler d'une montagne à l'autre,
était entendue dans tout le village i qui est cependant fort
considérable et dont le terrain est fort accidenté, Beau*
coup de monnaies me furent apportées, mais toutes ou ro«
maines ou effacées ; je n'achetai rien, et en fus quitte pour,
une faible rémunération au crieur public. Mon konaki était
chez un des Albanais qui habitent ce village au nombre
de plus de 2,500» L'Albanais appartient h une race peu
Intelligente et avide, qui parait destinée aujourd'hui k con
tinuer l'état de cultivateur ou de soldat qu'elle a em*
brassé dès son arrivée en Grèce, Mon Albanais avait
marié sa fille depuis un an; et, nouveau-né, bru, fils^
femme , tous nous couchâmes dans la même chambre • la
seule de la maison. L*air frais de la nuit était aans
doute fort nécessaire i la jeune mariée ; car trois ou qua«
tre fois dans la nuit elle se leva pour aller respirer les
parfums des vignes et vergers voisins, et autant de fois son
jeune mari la suivit pour la rassurer, Comme leur tapis était
fort voisin du mien , le contact de l'air frais qui pénétrait
par la porte entre-ouverte me réveillait chaque fois et me
révélait les secrets de famille.
Le père de mon jeune Albanais m'accompagna le lende«
main matin i I^gostbènes, Je partis h cheval, et, longeant
tovyours les flancs du Cytbéron , j'arrivai après deux beu«
res et demie à Égostbènes, Le point oik on descend du Cy-
théron dans la vallée qui mène par une pente rapide au
golfe de Gorinthe est des mieux choisis pour la beauté de la
vue, A côté de soi on a des masses de roches énormes, au-
dessous une vallée couverte des plus beaux oliviers; sur un
tertre au bas du Cytbéron, sur le versant do Karydi, se
S60 GmÈCB GONnNKHTALB ET MORBB.
déUiche, un peu pins loin, la jolie forteresse antique d*É-
goslhènes, et un beau golfe bien encadré par les moutagnes
verdoyantes de Pera-Ghora et de Roumélie s'étend à perte
de vue à Texlrémité de la vallée. A travers ce chemin de
rochers, qui semblent un mur destiné à vous barrer le pas-
sage» et à travers les bosquets d'oliviers étages au-dessous,
je parvins à la vieille forteresse hellénique. On voit que
ce lieu a dû être autrefois très-peuplé. La ville s'étendait
au bas. Sur la mer est une tour qui ferme le môle. De
grosses pierres placées régulièrement dans l'eau condui-
sent l'œil à déterçiiner la ferme du môle. Une autre tour
carrée est placée plus avant pour la protection, du côté par
oA on descend de la montagne. Une petite église est con-
struite à Textérieur des murs helléniques. Le dessus de
la porte est couvert d'une longue inscription grecque, et
plusieurs autres bâtiments antiques vous conduisent des
murs de la ville qui était dans la vallée aux murs de la for-
teresse située sur ce tertre. La forteresse est conservée tout
entière du côté d'un ravin profond et moins bien du côté
de la mer. Le mur du ravin est encore flanqué de ses tours
carrées, conservées en entier jusqu'à une quarantaine de
pieds de hauteur. Il y a quatre tours entières et plusieurs
autres conservées un peu moins haut. Ce mur est flanqué
d*nn épais chemin de ronde construit au moyen âge et de
construction franque. Les vides du mur du côté de la mer,
destinés à des tours de garde, ont été construits à la même
époque, sans doute pour protéger la côte contre les incur-
sions des pirates. Je restai deux heures à me promener à
travers les ruines de cette forteresse qui n'est plus destinée
à protéger personne, car il n'y a pas trace de vie dans toute
cette vallée : pas une maison, pas un habitant; seulement un
moulin à huile placé dans une salle de la forteresse vous mon^
tre que de temps à autre on vient des villages voisins, après
la récolte des olives, en pressurer les fruits^ et un puits à poix
résine, tout rempli pour servir après la vendange prochaine
à la confection du détestable vin résiné fabriqué ici , prouve
GYTHERON. 561
que les pevka , multipliés sur les montagnes, sont de quel-
que utilité. Pendant que j'étais à faire une légère collation
près d*une fontaine d'excellente eau placée dans la vallée, je
vis trotter à travers les bois un moine monté sur une excel-
lente mule. 11 venait du monastère de Saint-Meletius placé à
cinq lieues de là et peuplé d'une cinquantaine de moines »
pour visiter cinq cents essaims d'abeilles qui avaient été ap*
portés du couvent et avaient été distribués dans la vallée et
sur tous les flancs du Cythéron. Tous les ans, au moment
où les pevka sont en produit, les moines font transporter
leurs essaims dans celte vallée pour que les abeilles puis-
sent butiner la résine et donner ainsi une nouvelle qualité
à leur mieL Sur les mille essaims au moins que possède ce
monastère , la moitié est distribuée de ce côté. Il est d'n-^
sage en Grèce de transporter ainsi les abeilles à deux ou
trois reprises en différents lieux, suivant la nature et l'abon-
dance des fleurs qu'elles doivent y trouver. On paye pour
cela un droit de pâture. Je revins avec mon moine visiter
une dizaine d'essaims d'abeilles qu'il avait placés sur les
flancs du Gythéron au milieu de ces pins au feuillage si léger
et si mobile qui de loin semblent à l'œil comme une prairie
et à l'oreille comme le bruissement d'une mer agitée. En re^
montant de la mer à la montagne l'aspect de trois lignes de
rochers placées l'une derrière l'autre , comme une suite
de fortifications naturelles, paraît plus imposant encore
qu'il ne se montre quand on descend de la montagne à la
mer. En se retournant du côté de la vallée , on a en même
temps un tableau plein de grâce. Après avoir visité avec le
moine les essaims d'abeilles placés dans un champ élevé ao
milieu des pins et des rochers je repris ma route vers Yilia,
où j'arrivai après deux heures et demie de voyage. Au-des-
sus du village de Yilia , à deux heures de distance seule-
ment, est un plateau considérable qui s'étend depuis le
haut de la montagne jusque près de Thèbes. C'est là qu'é-
taient placées les célèbres villes antiques de Platée et de
Leuctres. Tanagra est un peu de côté sur la droite. Pen-
56S GftECE COirriWMTAU ET MOBEE.
4biit quelque temps je lae promenii mut cette roule am-
née partout de grand* touvenlrs depuis Œdipe jusqu'à
ÉpaoûnoudM. Près du célèbre champ de bataille de Platée,
ou trouve encore les ruines d*on château antique^ De re*-
tour k Vilia je me reposai quelques instants seulement,
et me dirigeai vers Tantique Élcuthère connue aujourd'hui
sous le nom de (^pto-Castro. La route tourne la monta-
gne et après trois quarts d'heure on arrive à la caserne e(
au khani dp Khasa situés sur la grande route, la seule
grande route deGrèce, celle d* Athènes à Thèbes par Eleusis.
Je m'acheminai aussitôt à pied vers les murs de la ville an^
tique. £n dii minutes j'arrivai au ^ed de la montagne aux
grands murs beUéniquas qui en revêtent la cime. Toute la
ligne des murailles de Test avec les tours qui les flaaqnaient
est parfaitement conservée. I^ portes et fenêtres des tourSf
les portes qui conduisaient au dehors de l'enceinte, toot
s'y retrouve dans une parfaite intégrité. Derrière le pre-^
mier rang de grandes pierres quadrilatérales sa voit un
passage étroit, pois un second rang des mêmes niuraiUes;
afin • sans doute , que, si quelque partie du premier rang
était endommagée par U bélier, la ville ne courût pas pour
c^ danger d*être prise. Au milieu de Teneeinte des mu^
railles ^t sur le point le plus élevé on remarque un grand
ibrt ou grande tour ^épQrée, plus ruinée que les autres parties
des fortilieations. JLes quatre mors subsistent cependant
jusqu'à une certaine hauteur, et on voit qu'ils sont, bien que
contemporains, d'une construction tout k fait différente;
c'est celle qu'on a nommée cyclopéenpe ou pélagique,
U les pierres sont taillées pentagonalement ou plutôt irré^
guUèrement : comme je TaLyu dans les murailles récemment
exeavées. à Pelpbes , aussi bien que dans quelques parties des
murs du château de livadla. Oq voit que lesdeui^ construc»
tions, la polygonale et la quadrilatérale, ont di) cependant être
pratiquées en même temps. Le côté occidental d'Éleuth^e,
qui est flanqué par la route de Thèbes, et au delà par un
ravin où coule un torrent qui tombe avec on bruit harmo-
ELEUTBEBB. 563
nieox d'nn rocher voîsîq, edt plus endommagé qoe l'autre
côté ; mais la série des murs esl cepettdant complète de
rochers en rochers. C'est une des plus importantes mines
qu'il y ait en Grèce» et à la porte d'Athènes.
A peu près au nailieu de la route entre Éleutbère et
Eleusis se trouve à gauche près du chemin un pan de ma*'
raille haut d'une trentaine de pieds, et qui a fait partie
d'une antre vietUe tour heUéniqoe. Cette route est fort
belle. Il était huit heures du soir quand j'arrivai ao kkaoi
de Koodoura« La nuit était depuis quelque temps stu've^
nue f mais la loue dcmnaii à ce passage de montagnes ro-'
dieuse* eutre-^seméc» d'arbres l'aspect d'une bette et vaite
forêt* Ao heu de m'arrèter au kbaoi de Kondoura je pou»-
sai« une lieue plus loiOf jusqu'au kbani de Khora^teno pan* utt
Albanais, le {dus grand klepbte parmi les kkpbtes albanais*
Pour se pa» coucher dans te cdlier od étaient ses vins ei
ne pas respirer cette désagréable odeur, je fis démonlet
une porte que je fis transporter dans b partie la plu» âe*
▼ée de l'écurie; car déjà il coDUtttnçaità faire un p€ia fraii
pour coucher en plein air, nous étioU» au 21 septembre*
J'avais trouvé le matin un peu de frakheur daae Tatmo»»
phère eu reveuant d'ÉgoeCfaèoes, et la frakheur s'était fah
sentir aussi à la chute du jour apirant d'arriver à Kbora. L'écu-
rie était entièremest ouverte par^devant» maie die était fort
longue^ et use quiuzaliie de chevaux, distribués des deut
côtés, euTre noua et Couverture , réchaufibiest uu pero la
partie de l'écur» oà je m» troovik Je fis d'iilleura allu-
mer Utt grand feu que je fis eutretenir tome kl iicdt et
autour duqttei viareut se distribuer les efméÊctet^H des
moles et des ebcv an, qui éifisiit venus eommë Moi efaer«
cher un asHe pour la n«it dons te kbanL Un |»olilet Ion
jeune mais fort dor, du froinage fdrt vlemi et d'eseel'
lent raisin de la tigue foisive , que l'oo f efidsftgesîl , me
csmposèrnvt no eieellent souper, car si la dMr éiail m^
dk)cre l'appélit ne l'était pas, et je m'endeiwls foit pnisi^
UsmeHt dans mou mumeau sur nm porte en guise de bois
TABLB.
DéoiCACi â 8. i. R. Maiiams la bDCHMM D*OiiLéAir« ▼
iMVRODUGTIOlf |
•Mwawivw*
GRÈCE CONTINENTALE.
I. Malle. — Syra. — > Le Plrëe. — Arrivée à Athènes 39
n* Athènes. — Set monnmentt aniiqaes et tes fêtes populaires. —
Sa passion pour la philologie. — Ses écoles avant la révolution
(p-ecque '. . . . 63
m. Athènes. — - La cour et la ville 92
IV. L'AthèuM francise du moyen Age. — Ses monuments. —
ChAieanx. ~~ Églises. — Sépultures, — > Armures 1 15
V. Athènes. — L*ÉUt , , , 146
VI. Environs d'Athènes. — Colone. — L'Académie. — Daphni.
» Eleusis 167
VII. Mont Lycabettus. » Marousi .— Repbisia. — Le Pentélique.
— L'flymetie 177
VIII. Dekelia. —Marathon. — Varnavas. — Gliathi 190
IX. Bfarcopoulo. — Oropos. -— Aulis. — Ghalkis. -^ Thèbes. . . . 204
X. Lac Copaïs. ~~ Karditza. — Livadia 213
XI. Chéronée. — Un mariage grec. — Le monastère de Saint-
Luc 227
XII. Delphes. — Salona 248
XIII. Khani de Gravia 261
XIV. La Clisoura. — Bodonitza 280
XV. Une sucrerie française en Grèce. — Thronium— -La Lo-
cride 288
TABLE. 567
XVI. Les Thermopyles. — Lamia. — Néo-Patras 318
XVII . Garpeniii . — Poartos 337
XVIII. Retoar de Pouriot à Athènes 359
MORÉE.
XIX. Épidaqre. r-i Li0Mlfio • , « 368
XX. Nauplie. — Tirynthe. — Mycènes. ^ Argos 380
XXI. Astros. — Monemba^e. — Château de |a Belle ^92
XXII. Myli. ^ Lerne, ^ Moukhli. — TrippUiui. r-Nic|i, 416
XXIII. Sparte, -r l^f^cédpmoma , ^— Mistra, tm ^myclée, , 4^
« XXIV. Trypi. i— Chato» du Taygète. -^ diUmau . •- Mpstèoe,
•— GoroD. -~ ModoQ. 436
XXV. Navarin. — Arcadia, — Christiano i • • • * ; 4^^
XXVI. Sidero4]|af(r9t rr^ Pavliua. — Pbig9Uff, rr-Qasss, -— Aq<x
dritzena, itm Lavd» • « * i ? t ^ • • i » » i • • * • i ^^
XXVII. Cariteoa. -T^llégalopolis. •— Leondari. -nt Veligiosti • — *
Hahry-Plagl. ^ Lakos. — Gardiki 476
XXVin. Gortyi. ^ Palomba. — Achqyae. — Llodora. 489
XXIX. Isova. — plyrnpifi ......,,...., 496
XXX. PyirgQf, « Riii, r- Andravid», fim pUpt^erqes . rr Gla»
rentza , , {|01
XXXI. Patrat. — Vostitu 516
XXXII. Mega-Spileon. — Calavryu. — Trépipnla. -^ Vlonçoka.
^C>re ..,.,fi itî"t I S32
XXXIII. SipyAQf, rv Çqirjnthe ...«^««tMtt;****!!****) k^^
XXXIV. Kyaèthet. wm RAcheâ-SkyroDides. -- Mé§8M. «r- Mopt Ka«
rydi :.. , 162
XXXV. Vilia. — CyAt^ron. — Égosihènes, r- |t|^nthère. —
Éleutii, -rr Pfubfli , , , , i , 1 . » . ♦ • t • 1 1 » • • • • • 5^7
FIN DE LA TABLE.
FAUTES A COBRIGEB«
P»«e
lifM.
18
25
»
31
ih.
36
9S
24
51
5
78
16
14i
35
165
3
315
30
SS4
3
260
8
961
10
963
litre
28«
2
298
15
810
29
311
5
318
.8
31tf
14
320
12
321
5
329
14
837
9
360
32
367
85
ib.
note
399
7
419
33
420
SI
424
10
429
16
430
note
432
26
460
22
464
6
470
34
473
26
503
titre
Litex.
Bounot.
Sideroponon.
pénétrer cUni.
régttliéret.
precque toate»
oet corde.
Torfre.
juin 1838.
cette eroite.
Patrftdjak.
à mon départ.
en pleine air.
Rhaoia.
du mot gre
désignent avec.
ti fecileacoèi.
Élite.
prêt de Vrac.
Htcboc.
notre gauloit Brenn.
Paloeo^ania.
avec toute antti.
bâti.
Palœo-Vraca.
Léotia.
SucaminiMÎ.
palait.
roinet franqtie.
enfiieela.
tenlement de i'Earotat.
Ceno-Valli.
Théodote.
Nicholat Paléologue.
Casirotii.
encore.
Saint.Éloi.
t'abreuvent.
Leterie.
Poartot.
Sidero-Porta.
pénétrer de .
rocaillentes.
presque tons.
des cordes .
l'offre.
juin 1835.
cette vallée.
Patradjik.
àason départie iendcmaîn.
en plein air.
Rbaai,
du root grec.
désignent par.
si faciles accès .
foitet.
près de Vrachori.
fichait.
notre Brenn gaulois .
Palœo-Janni .
aussi avec towte .
bâtie.
Palceo^Vracba.
liosia.
Sucàmini.
tetaiple.
raines franques.
en faee de la.
riveraines de l'Ènrolss.
Cento-Valii.
tliéodore.
Micbel Paléologue.
Castro-tis.
encore plus.
Saint-Élie.
subsistent.
Leteri.
^