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Full text of "La guerre Hispano-Américaine de 1898"

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GUERRE HISPANO-AMÉRICAINE 



DB 1808 



CIJAPITRE .PREMIER 

. UNE PAGE D'histoire' 

Aperçu historiqae et géographique. — Découverte de ùAa. et conquête de 
l'île. — Orographie et hydrographie. — Productions. ' — Population et 
races. — Disparition des peuplades anciennes. — La traite des nègres. — 
La révolte de 1812. — Le Casino espagnol et le gouvernement ile i'ile. — 
L'étoile solitaire. — t^es flibustiers de Lopez. — Le président Buchanan. 
— La guerre de dix ans. — Les doléances cubaines. — La commission 
coloniale. — Le gouvernement métropolitain refuse les réformes. * — > 
Commencement de l'insurrection (1). — Prise de Bayamo. — Manuel Ces- 
pedes, le Père de la Patrie. — Les généraux Lersondi et Dulce. — Anarchie 
et massacres. — Don Salvador Cesneros. — L« pacificateur Martinez 
Campos. — Le Convenio de Zanjon. — Fin de la guerre de dix ans. 

C'est en 1492 que Christophe Colomb découvrit Tlle de 
Cuba, mais sans se rendre compte le moins du monde 
de la situation géographique de sa découverte ; dans la 
relation de son voyage, il déclare, en efiFet, que « les terres 
les plus belles que le soleil éclaire et que ses yeux aient 
jamais vues » appartiennent au vieux continent et sont une 
péninsule de l'Asie, la presqu'île XimpaBgo des anciens 
géographes. 

Le voyage que fit en 1194, sur ia- côte méridionale de 
nie, le navigateur génois ne modifia en rien sa première 



(1) La partie relative à Tinsurrèctioa cubaine est extraite d'un remar- 
quable travail publié en 1898, par M. E. Bousson, dans la B^ue Ijirousse. 

1 - 



2 CHAPITRE PREMIER. 

impression ; la légende rapporte qu'arrivé à quelques 
lieues de l'extrémité occidentale de Tlle, il réunit soïen- 
nellement ses équipages pour les prendre à témoin que 
Cuba n'était pas une lie, mais bien une partie du conti- 
nent ; et pour ancrer à jamais cette hasardeuse allégation 
dans Tespritide ses subordonnés, il fit mettre à Tordre de 
ses caravelles que tout matelot ou officier, énonçant une 
affirmation contraire à la sieiuie^ aurait les oreilles ou la 
langue coupées. 

C'est en vertu de cet argument sans réplique que Cuba 
continua d'être péninsule d'Asie jusqu'en 1508, époque à 
laquelle Ocampo fit le tour de File par le détroit de Yuca- 
tan. Trois ans plus tard, en 1511, les Espagnols prenaient 
possession de Cuba et fondaient la première ville, Baracoa. 

Les divers noms ^que reçut successivement la nouvelle 
colonie espagnole, Juana, Santiago, Ave-Maria, Fernan- 
dina, Alpha-y-Omega, sont tombés rapidement en désué- 
tude et elle conserva définitivement son nom actuel, 
abrégé de l'appellation Cubanacan, sous laquelle le& indi- 
gènes désignaient une portion de leur territoire. Du mot 
Cuba, les flibustiers de tous les pays, même de France, 
ont fait le vocable Coube ou Couve ; l'appellation lie de la 
Couve se trouve notée sur quelques anciennes cartes 
marines. 

Cuba, la plus vaste des Antilles, occupe une position 
géographique dominante entre le golfe du Mexique et la 
mer des Caraïbes ; sa forme est unique parmi les lies amé- 
ricaines; les géographes espagnols Font fréquemment 
comparée à une langue d'oiseau. 

De la pointe de Maisi au cap San- Antonio, elle décrit 
une courbe de 1450 kilomètres, dont la convexité est tour- 
née vers le Nord ; la largeur de l'Ile ne dépasse nulle part 
100 kilomètres. Son périmètre, d'après la carte d'Esteban 
Pichardo, dépasse 11,000 kilomètres ; sa superficie serait 
de 112,191 kilomètres carrés; en lui adjoignant l'Ile de 
Pinos et le^ quelques Ilots de la côte Nord et de la côte 



UNE PAGE D HISTOIRE. 3 

Sud, on arrive à un total de 118,883 kilomètres carrés, 
c'est-à-dire qu'à elle seule, Cuba, avec ses dépendances 
immédiates, est aussi vaste que le reste des Antilles, plus 
étendue que le Portugal, et atteint ïe quart de la super- 
ficie de l'Espagne continentale. 

L'ossature de Tile est constituée par une chaîne de 
montagnes bien caractérisée, qui se dresse brusquement 
hors des flots dans la partie sud de File, au nord du dé- 
troit qui sépare Cuba de la Jamaïque. Elle commence par 
le promontoire du cap de Cruz, et, s'élevant rapidement 
de terrasse en terrasse, dépasse la hauteur de 1000 mètres 
à rOjo del Toro, ou « Source du Taureau ». 

Plus loin, la chaîne s'élève encore et atteint son point 
culminant au Pico Turquino, ou « Montagne Bleue (2,500 
mètres) ». En cette partie de leur plus grande élévation, 
dit Elisée Reclus, les monts très escarpés du côté de la 
mer s*appuient à l'intérieur sur tin large plateau, dont la 
pente ravinée s'incline vers la vallée du Cauto ; mais au 
delà, la rangée principale, qui prend le nom de sierra 
del Cobre, ou « du cuivre », dû à ses gisements métalli- 
fères, se rétrécit et s'abaisse peu à peu, et, après s'être 
développée en amphithéâtre au nord de la côte de San- 
tiago de Cuba, finit par mourir au bord des marécages de 
Guantanamo. 

Une dépression transversale sépare du reste de l'Ile la 
sierra Maestra et le plateau qui lui sert de piédestal ; les 
montagnes qui s'élèvent en désordre à l'extrémité orientale 
de Cuba constituent un massif distinct de la chaîne mal- 
tresse. Beaucoup moins régulières dans leurs allures, ces 
montagnes, qui commencent à la pointe même du cap 
Maisi, sont découpées par les rivières en de nombreux 
groupes secondaires, formant, en maints endroits, des 
crêtes étroites, des taillantes, ou cuchillas. Quelques cimes 
dépassent de leurs masses puissantes le profil en dents de 
scie des arêtes plus basses. Non loin du promontoire ter- 
minal se dresse un superbe cône tronqué, le Yunque ou 



r 






4 CHAPITRE PREMIER. 

« rEnclume » de Baracoa, haut d'uu millier de mètres. 
Au delà, les montagnes se continuent en massifs irrégu- 
liers parallèlement à la côte septentrionale de Tlle. 

L'ensemble du relief s'abaisse peu à peu à Touest et 
même, vers le milieu de TUe, le sol n'offre plus aucune 
saillie ; le corps insulaire, rétréci en cet endroit à une 
largeur de 75 kilomètres seulement, est partiellement oc- 
cupé par des marais riverains et l'espace intermédiaire 
est une plaine basse. Avant la construction du chemin de 
fer qui réunit les deux plages, une « piste » ou trocha, 
frayée à travers les forêts, était considérée comme for- 
mant la ligne de division entre les deux moitiés de Cuba ; 
pendant l'insurrection, ou plutôt les insurrections qui pré- 
cédèrent la guerre hispano-américaine de 1898, les troupes 
de la métropole avaient bordé la trocha d'une rangée de 
fortins pour fermer aux insurgés du massif oriental le 
chemin des villes et des plantations de l'Ouest. 

Au delà de cette dépression médiane, les collines re- 
commencent ; elles ont une faible altitude, deux à trois 
cents mètres, mais leurs brusques parois, les fissures pro- 
fondes des rochers donnent un grand aspect à ces massifs 
que séparent des plaines accidentées ; d'après Rodriguez 
Ferrer, le point culminant de cette région centrale de Cuba 
serait le Potrerillo (908 mètres) au nord-ouest de Trini- 
tad, dans le district des Cinco-Villas, sur le rivage du 
SQd. 

Les hauteurs de la région occidentale constituent un 
premier massif entre Matanzas et la Havane, assez rap- 
proché de la côte du Nord, et présentant, non loin de la 
première ville, un piton de 390 mètres, le Pan de Ma- . 

tanzas. | 

Le deuxième massif qui commence à l'ouest de la Ha- 
vane et qui, vu de la mer, prend Taspect d'une véritable 
chaîne, la Gordillera de los Organos, a des mornes plus 
élevés : le Pan de Guajaibon a 58S mètres de hauteur. 
Cette chaîne extrême projette son dernier promontoire au 



UNE PAGE d'histoire. 



) 



nord de la baie dite du Guadiana : au delà, Tlle allonge 
encore, vers le détroit de Yucatan, une péniosule basse 
de dunes, de marais, de broussailles, et se termine par la 
plage du cap San- Antonio qui recourbe sa pointe en corne 
vers le Nord. Les fleuves de Cuba, presque tous d'un 
faible cours ef d'un étroit bassin, sont relativement abon- 
dants. Le plus fort, le Cauto, profite de la vallée longitu- 
dinale que lui offre la sierra Maestra pour se développer 
au nord de cette chaîne et réunir dans son lit de nom- 
breux affluents qui lui viennent des montagnes du nord et 
du sud. La longueur de son cours, de la sierra del Cobre 
à la baie de Manzanillo, est évaluée à 212 kilomètres et 
près de la moitié de cet espace est na\^igable pour les 
petites embarcations ; des navires de SO tonneaux remon- 
tent le fleuve jusqu'au village de Cauto dit « Embarca- 
dero ». Autrefois, la barre qui bouche actuellement 
l'embouchure du fleuve était beaucoup moins accentuée, 
et des navires de fort tonnage remontaient le Cauto ; il y 
a quelques années on retira des vases les canons d'un 
navire de haut bord qui s'y était enlisé lors d'une inon- 
dation restée légendaire, celle de 1616, qui dévasta le 
pays et modifia l'hydrographie de la région. 

Les autres rivières de Cuba, même les deux cours d'eau 
les plus connus de la côte septentrionale, Sagua la 
Grande et Sagua la Chica, sont beaucoup moins abon- 
dantes que le Cauto ; un grand nombre d'entre elles 
n'atteignent même pas la mer et se perdent dans des lacs 
intérieurs ou dans les lagunes et marécages salés du 
littoral. 

L'Ile de Cuba se trouve en entier dans la zone tropicale. 
La richesse et la variété de sa végétation lui a fait donner 
le nom de « Perle des Antilles ». Quant à sa faune, elle 
n'existe pour ainsi dire que depuis la conquête. Avant le 
débarquement de Colomb, il n'y avait à Cuba d'autres 
mammifères que des chauves-souris et de petites espèces 
de rongeurs parmi lesquelles le guaquinaji ou « chien 



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\^ 



b CHAPITRE PREMIER. 

muet », sorte de raton qui a disparu aujourd'hui. Les 
autres animaux sont d'importation européenne. Quelques 
espèces sont redevenues sauvages ou se sont complète- 
ment tranformées. 

Particularité remarquable et dont les Cubains sont très 
fiers, aucun serpent n'est venimeux dans l'ile ; d'aucuns 
affirment même, sans d'ailleurs apporter de preuves à 
l'appui, que les espèces venimeuses introduites à Cuba 
finissent par perdre leur venin ; la morsure du scorpion, 
par exemple, ne produirait qu'une légère irritation. C'est 
sur cette terre privilégiée que les Espagnols prétendirent 
au XVP siècle apporter la civilisation. En trois années, de 
1S12 à 1515, l'intérieur de l'Ile était complètement 
reconnu et la population, entièrement soumise, avait 
déjà disparu de maint district ; les Indiens ne résistaient 
pas, mais ils mouraient. Seul, le cacique Hatuei, venu 
d'Haïti dans la partie orientale de Cuba, essaya de com- 
battre : c'est celui qui, dans les tortures, refusa de se 
laisser baptiser, afin de ne pas aller au même ciel que les 
e bons )) Espagnols. En 1524, les Indiens de Cuba avaient 
déjà diminué des deux tiers : les uns succombaient à la 
peine, les autres hâtaient leur fin en mangeant de la terre 
et des cailloux ou bien du manioc dont la farine conte- 
nait encore le suc vénéneux. En 1532, dit un rapport 
officiel, on ne comptait plus guère que 4.000 Indiens à 
Cuba : vingt et une années avaient donc suffi pour faire 
disparaître presque complètement la race. En 1554, 
soixante familles d'aborigènes errant dans la partie occi- 
dentale furent réunies en une sorte de lazaret à Guana- 
bacoa, près de la Havane, mais quelques restes de tribus 
survivaient dans les montagnes de la région orientale. 
Encore en 1847, Rodriguez Ferrer visita non loin de 
Tiguabo, dans une des vallées de la sierra Maëstra qui 
s'inclinent vers la baie de Guantanamo, une famille d'In- 
■ diens non mélangés comprenant plus d'une centaine 
d'individus avec fils, petits-fils et arrière-petits-fils. Dans 



1 

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UNE PAGE d'histoire. 



la même région, plusieurs autres familles sont considé- 
rée^ comme d'origine indienne, mais les alliances avec 
noirs et blancs ont modifié Taspect de la race. Les nègres 
que les planteurs importèrent dans File pour remplacer 
les indigènes exterminés et que Ton achetait à poids d*or 
lorsque Gortez préparait son expédition au Mexique ne 
s'accrurent que bien lentement en nombre, et de nouvelles 
cargaisons durent incessamment réparer les pertes des 
anciennes chiourmes ; encore, au milieu de ce siècle, en 
dépit des conventions signées avec la Grande-Bretagne et 
du rachat de la traite payé par elle au prix de 10 millions, 
en dépit des lois qui interdisaient l'achat des noirs sous 
les peines les plus sévères, mais qui défendaient . aussi 
de faire enquête sur les droits de propriété des planteurs, 
les négriers débarquaient chaque année de trente à cin- 
quante chargements de bozales ou « nègres bruts o que se 
disputaient les acquéreurs convoqués sur la plage écartée 
où devait se tenir le marché. On évalue à un demi-mil- 
lion d'hommes le nombre des malheureux introduits par 
fraude à Guba depuis Tabolition officielle de la traite en 
£820 : une once d'or ou 84 francs, tel était le bénéfice du 
négrier pour chaque esclave importé. Pendant la période 
où la traite était libre, le nombre des esclaves débarqués 
ouvertement n'avait pas été plus considérable. 

La population noire ne commença d'augmenter spon- 
tanément dans nie que vers la fin du siècle dernier, 
alors qu'après Télimination successive des célibataires, 
le nombre des femmes, sans égaler celui des hommes, 
suffit pour permettre aux familles de^se constituer. Les 
esclaves finirent par l'emporter sur les hommes libres : 
dès Tannée 1791, on les évaluait à un peu plus de la 
moitié des habitants ; mais la répression définitive de la 
traite, puis la guerre de la Sécession américaine, qui se 
termina par l'abolition de l'esclavage dans la république 
reconstituée des Etats-Unis, rendirent impossible le main- 
tien de la servitude dans l'Ile espagnole lors de l'insurrec- 






8 . ^ CHAPITRE PREMIER. 

tion des districts orientaux ; les planteurs révoltés éman- 
cipèrent eux-mêmes et armèrent leiir3 esclavas contre les 
troupes péninsulaires. Le gouvernement de la métropole, 
quoique toujours dévoué aux intérêts des grands proprié- 
' tairas, comprit enfin qu'il fallait céder, et, en 1880, une 
loi décréta l'abolition graduelle de Tesclavage. Sept années 
après, en 1886, l'émancipation définitive était proclamée : 
il ne restait plus que 25,000 esclaves à aflFranchir. 

Le changement fut plus apparent que réel dans les 
plantations : les noirs, esclaves hier, continuèrent de tra- 
vailler comme serviteurs ; seulement le salaire direct rem- 
plaça la nourriture et Tentretien. D'ailleurs, même pen- 
dant la période de servitude, les noirs cubains avaient été 
moins durement opprimés que ceux des colonies d'autres 
nations. 

On leur avait garanti les « quatre droits » : 1® de se 
marier à leur convenance ; 2® de se chercher un nouveau 
maître quand le premier était trop dur ; 3° de racheter leur 
liberté par le travail; 4® CQifin, d'acquérir une propriété 
leur permettant, au cas échéant, de libérer leur famille. 

Les subdivisions de races que Ton retrouve aujourd'hui 
à Cuba sont multiples. Les Andalous et les Castillans 
furent d'abord les colons les plus nombreux; puis vinrent 
les Basques et les Catalans, les Canariotes descendants 
des Guanches, les Gallegos ou Galiciens qui fournissent 
un grand nombre de travailleurs aux usines de sucre. Tous 
Cies colons constituent la classe des paysans dits blancos 
de la tierraj « blancs de la terre » ou goajiros. Parmi les 
blancs qui ne sont pas d'origine espagnole, les plus nom- 
breux sont les colons de provenance française, échappés 
aux massacres de Saint-Domingue et établis à Baracoa, à 
Santiago de Cuba, à Guantanamo, à Cienfuegos. C'est au 
mélange des sangs français et espagnol que les/emmes de 
Santiago doivent la beauté de leur visage, la finesse de 
leurs traits, l'élégance de leur démarche. Les étrangers 
anglais, américains du Nord, allemands se sont établis 



9 

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UNE PAGE d'histoire. 9 



principalement dans les villes commerçantes de la rive 
nord, la Havane, Matanzas, Cardenas. 

Enfin, dans les bas-fonds de la société grouille une 
population jaune, ramassis de la plus vile populace de 
Canton et de Macaô, que les planteurs ont transportée 
dans nie pour remplacer les nègres morts ou émancipés. 
L'immigration mexicaine a fourni également quelques 
milliers de travailleurs yucatèques aux plantations de 
Cuba. 

En dépit de la doctrine de Monroë ai du principe si sou^ 
vent proclamé, « l'Amérique aux Américains », Cuba n'a 
cessé d'appartenir aux descendants des conquérants espa- 
gnols que depuis quelques jours (décembre 1898). 

Mais, depuis la conquête, elle fut souvent menacée par 
les pirates anglais et français, et Ton montre encore des 
fortins appelés, dans le langage populaire, à tort ou à rai- 
son, « tours des Boucaniers ». 

Deux fois la Havane fut occupée par les forces britan- 
niques; mais les Cubains se défendirent toujours avec 
vaillance contre les étrangers, et c'est au commencement 
de ce siècle seulement, après la guerre d'indépendance 
américaine, les révolutions de France et de Saint-Do- 
mingue et l'invasion de l'Espagne par les armées fran- 
çaises, que des symptômes d'insurrection se manifestèrent 
parmi les créoles de Cuba contre les Espagnols. 

De même qu'au Mexique, les « Péninsulaires », propor- 
tionnellement beaucoup plus nombreux à Cuba, tenaient 
les créoles en mépris et ne leur laissaient aucune part 
dans l'administration. Ceux-ci se vengeaient par des cari- 
catures et des libelles : ils désignaient les Espagnols sous 
le nom de Godos ou Goths, synonyme de barbares, encore 
plongés dans les superstitions des temps anciens. La haine 
de caste avait fini même par séparer les femmes : tandis 
que les Godas gardaient leur chevelure, les Cubaines la 
coupaient, d'où le nom de Pelonas ou pelées que leur don- 
naiei|i les Espagnols. 



10 CHAPITRE PREMIER 

Soixante ans plus tard, une autre mode prévalut chez 
les femmes créoles du parti de Findépendance, celle de 
porter les cheveux épars. 

Malgré le mécontentement des créoles cubains, aucune 
insurrection n'éclata, et même les blancs des deux castes 
se réconcilièrent soudain, en 1812, quand on apprit que 
les nègres du district oriental s'étaient soulevés, près de 
Holguin et de Bayamo ; les planteurs de Puerto-Principe, 
à la tète des esclaves fidèles, firent des battues contre les 
nègres marrons, les cernèrent dans les forêts et les mas- 
sacrèrent ; le chef, Aponte, fut réservé pour la pendaison, 
avec huit de ses camarades. L'esclavage, c'est-à-dire la 
complicité forcée des Espagnols et des créoles dans les 
crimes de la traite et de l'exploitation des noirs, était le 
lien qui rattachait V « lie toujours fidèle )) à la mère 
patrie. Mais de grands changements politiques et sociaux 
modifièrent peu à peu l'équilibre du Nouveau Monde : en 
1819, les possessions espagnoles des Florides, le long du 
golfe mexicain, furent remises aux Etats-Unis, puis les 
diverses provinces de la Terre-Ferme, dans l'Amérique 
centrale et F Amérique du Sud, se constituèrent en répu- 
bliques indépendantes, après de sanglants conflits aux- 
quels de nombreux volontaires cubains avaient pris part. 
La traite avait été interdite, puis l'esclavage aboli dans 
les colonies anglaises, et plus tard dans les lies françaises, 
et cependant la situation restait toujours la même à Cuba. 

Le gouvernement de la métropole avait accordé aux 
insulaires le droit de se faire représenter aux Cortès, puis 
le leur avait repris ; les Cubains vivaient en réalité sous le 
régime de l'état de siège, et le capitaine général était tou- 
jours investi des mêmes pouvoirs que le commandant 
d'une place assiégée. 

Mais ce dictateur absolu ne Fêtait qu'en apparence : il 
se trouvait en réalité comme un simple instrument dans 
la main d'un pouvoir occulte, le « Casino espagnol », c'est- 
à-dire l'association des grands propriétaires d'esclaves. 



* 

• ». 



UNE PAGE d'histoire. H 

Par la force que lui donnaient ses richesses, ce comité 
pouvait sans peine faire édicter des lois qui lui conve- 
naient et violer celles qui le gênaient, acheter les gouver- 
neurs complaisants et briser ceux qui lui étaient hostiles. 
Le Casino, d'autant plus redoutable dans son autorité qu'il 
était irresponsable et sans nom, n'avait en vue que le main- 
tien de la traite et de l'esclavage. 

Aussi, la première insurrection qui se produisit pen- 
dant la période révolutionnaire du milieu de ce siècle 
n'avait-elle point pour but d'abolir la servitude : au con- 
traire, elle devait annexer Cuba, « l'Étoile solitaire » 
(Lone star), aux autres étoiles américaines, et ajouter un 
demi-million d'esclaves et le groupe puissant des plan- 
teurs cubains à l'empire politique des Etats du Sud. Le 
gouvernement de Washington, alors dominé par le parti 
des esclavagistes, voulait bien ignorer, ou même favoriser, 
les expéditions qui se préparaient dans ses ports ; pour- 
tant elles ne réussirent point. Lopez et ses « flibustiers » 
ne purent se maintenir pendant deux jours à Cardenas où 
ils avaient débarqué, en 1851 ; une deuxième tentative, 
faite dans la Yuelta de Abajo, ne réussit pas davantage, 
et Lopez fut passé par les armes avec 50 de ses compa- 
gnons. Néanmoins, la révolution était pour ainsi dire en 
permanence par suite des conspirations incessantes tra- 
mées aux Etats-Unis par les fugitifs et les bannis, et des 
difficultés diplomatiques suscitées par le gouvernement 
des États-Unis : celui-ci voulut régler définitivement la 
situation en achetant Cuba, et le président Buchanan offrit 
à l'Espagne la somme de un milliard, refusée avec indigna- 
tion par les patriotes castillans. D'ailleurs, la guerre de 
Sécession éclata presque aussitôt après et la République 
Nord américaine, menacée de disparaître, ne songea plus 
à s'annexer de nouveaux États. • 

Enfin la grande insurrection cubaine éclata en 1868 à 
Yara, dans ce même district oriental où tant de mouve- 
ments de révolte avaient eu déjà lieu. 



12 CHAPITRE PREMIER. 

La guerre devait durer dix ans : 1868 à 1878. Pour- 
tant, à la veille de commencer les hostilités, les Cubains 
firent une dernière tentative de conciliation. Ils adres- 
sèrent à la reine Isabelle, qui régnait alors en Espagne, 
une supplique dans laquelle ils demandaient qu'on voulût 
bien les entendre et permettre l'organisation à la Havane 
d^un cercle réformiste. Cette supplique, dai^s laquelle ils 
protestaient de leur dévouement à la couronne d'Espagne, 
fut mal accueillie à la cour de Madrid où dominait Fin- 
fluence des péninsulaires. Ces opposants, intéressés à la 
conservation d'un état de choses qui leur permettait de 
faire fortune en trois ou quatre ans à la tète de l'adminis- 
tration de Cuba, firent rédiger par leurs amis un contre- 
projet dans lequel l'Ile était complètement sacrifiée. Ils 
firent venir de Cuba trois de leurs partisans qui, habile- 
ment soutenus, n'eurent point de peine à faire rejeter les 
demandes des Cubains et notamment celle qui tendait à 
obtenir pour l'Ile une députation spéciale. M. Canovas del 
Castillo, alors ministre d'outre-mer, fit rendre un décret 
royal qui créait à Madrid une commission d'enquête char- 
gée d'examiner les réclamations des Cubains. Aux termes 
de ce décret, les municipalités de Cuba et de Porto-Rico 
devaient élire 22 commissaires chargés de répondre aux 
questions que leur adresserait le gouvernement. Celui-ci 
devait, de son côté, nommer 22 commissaires auxquels il 
se réservait le droit d'adjoindre quelques personnalités 
éminentes ayant exercé des emplois dans les colonies. 

Le gouvernement nomma ses commissaires qui tous 
furent choisis parmi les adversaires de toute réforme ; 
20 commissaires sur 22 nommés par les Cubains étaient, 
à des degrés divers, partisans d'un remaniement du sys- 
tème colonial espagnol. 

Les Cubains étaient donc en minorité. Ils acceptèrent 
cependant le 4ébat et la commission se réunit à Madrid. 
Ses séances eurent lieu à huis clos et sans qu'il pût être 
fait de compt^ rendu. 



I 



UNE PAGE d'histoire. 13 

Les commissaires coloniaux demandèrent qu'on s'occu- 
pât d'abord de la traite africaine et de Tesclavage ; mais 
le gouvernement écarta cette question et promit aux délé- 
gués, qui voulaient se retirer, de la reprendre à la fin de 
la session. Sur cette promesse formelle, les délégués des 
colonies reprirent séance et firent connaître à la commis- 
sion : 

1^ Le système adopté avec les nègres émancipés et les 
Chinois importés dans TUe, système qui aboutissait à 
obliger les uns et les autres à se rembarquer à leurs frais 
sous peine d'être obligés de se mettre à la merci des 
planteurs ; 

2® Les motifs de la dépopulation de File qui, avec un 
territoire capable de nourrir plus de 16 millions d'habi- 
tants, en contenait à peine un million et demi, tant 
étaient nombreuses les émigrations aux États-Unis. Les 
délégués attribuaient cette dépopulation à l'administration 
tyrannique de l'Ile, dont les gouverneurs n'étaient favo- 
rables qu'aux péninsulaires venus pour s'enrichir et 
repartir en Espagne, leur fortune faite. Ils faisaient remar- 
quer que la conséquence de ce manque de bras était 
Tabandon à l'état de terres incultes des neuf dixièmes 
d'un territoire capable de donner les plus belles et les 
plus riches productions du moilde. 

Ils se plaignirent, en outre, de l'absence de voies de 
communication, faisant observer que les quelques routes 
construites Tavaient été aux frais des Cubains et que sou- 
vent le ^pouvoir s'était opposé, dans l'intérêt dételle ou 
telle personnalité, à leur percement, bien que les frais 
dussent être faits exclusivement par les municipalités. 

Us signalèrent encore Tabsence de traités de commerce 
avantageux pour leur lie, d'un régime douanier régulier, 
d'un système d'impôts bien combiné ; ils ajoutèrent qu'on 
n'avait jamais rien fait pour développer l'instruction 
publique dans l'Ile, que les municipalités étaient sans 
^ pouvoir, que la vénalité et la malversation des hauts fonc- 



A 



14 CHAPITRE PREMIER 

tionnaires étaient connues de tous, même du gouverne- 
ment qui tolérait les plus monstrueux abus et mettait 
toute la population cubaine à la merci de gouverneurs 
qui étaient de vrais pirates. 

La question des charges qui pesaient sur les habitants 
de nie fut l'occasion d'une longue et intéressante discus- 
sion dans laquelle il fut établi : l^que chaque Cubain 
payait annuellement 618 réaux de contribution, tandis 
que chaque péninsulaire n'en payait que 140 ; 2® que la 
somme énorme que produisait Timpôt était absorbée par 
la métropole, soit pour le traitement de fonctionnaires dont 
les appointements étaient scandaleux, soit pour des expé- 
ditions inutiles au Mexique ou ailleurs, soit pour solder 
des dépenses qui devaient rester à la charge exclusive de 
l'Espagne. Ces détails, fournis par des hommes compé- 
tents et dont la situation commerciale était, à Porto-Rico 
comme à Cuba, très importante, produisirent une certaine 
impression sur la majorité de la commission. 

Lorsque la question de la réforme de l'impôt vint en 
discussion, les commissaires coloniaux consentirent, au 
profit de l'Espagne, un impôt de 6 pour 100 et décla- 
rèrent qu'il leur était impossible de faire plus. 

Sur la question de l'esclavage, les commissaires 
cubains et ceux de Porto-Rico se divisèrent. Les premiers 
proposèrent un plan d'abolition graduelle qui devait 
donner satisfaction à tous les intérêts ; ce plan était jugé 
nécessaire, la population noire étant de 400,000 hommes 
dans une lie qui ne comptait que 1,500,000 habitants. Les 
représentants de Porto-Rico réclamaient l'émancipation 
immédiate, ce qui ne pouvait amener chez eux aucune 
perturbation, puisque les noirs ne représentaient dans 
leur lie que le quinzième de la population totale 
(40,000 noirs pour 600,000 blancs)^ 

Les députés coloniaux, divisés sur cette question de 
mesure, demandèrent à l'unanimité que la traite des noirs 
fût considérée comme piraterie. Les négriers, nombreux 



UNE PAGE d'histoire. 15 

dans la commission, s'indignèrent et protestèrent de toutes 
leurs forces. Néanmoins, les commissaires arrêtèrent un 
plan général de réforme qui donnait une certaine satis- 
faction aux justes réclamations des colonies. 

Restait à obtenir du gouvernement de Madrid la ratifi- 
cation des décisions prises. Les commissaires coloniaux 
avaient quitté l'Espagne et attendaient la réforme tant 
désirée lorsque le gouvernement de la reine modifia le 
système des contributions et, tout en laissant subsister 
des impôts dont la suppression avait été demandée, fixa à 
10 pour 100 l'impôt direct au lieu de 6 pour 100, accepté 
comme maximum par les commissaires. 

A la nouvelle de cette décision, la commission coloniale 
se réunit pour protester, mais elle fut dissoute et le recou- 
vrement de l'impôt à 10 pour 100 fut immédiatement 
ordonné. 

Sur ces entrefaites éclatait en Espagne le pronuncia« 
miento qui renversait la reine Isabelle (septembre i868). 
Les Cubains jugèrent le moment arrivé de lutter pour 
leur indépendance et coururent aux armes. 

Le 10 septembre 1868, l'avocat Carlos Manuel Cespedes, 
auquel les Cubains ont décerné le titre de « Père de la 
Patrie », et Jean Aguilera, riche propriétaire, déployaient 
le drapeau cubain et, au nombre de 3,000, marchaient 
contre Bayamo dont ils s'emparaient. Quelques jours 
après, le général insurgé Pedro Figueredo donnait à 
l'armée de l'indépendance son hymne national, la Baya- 
mesa, dont voici la première strophe : 

Al combate cori'ed, Bayameses 
Que la patrm os contempla orgullosa, 
No temaîs una muer te gloriosa 
Que morir por la patria es \mr (1) 1 

(1) Gourez au combat, yainqueurs de Bayamo, 

Car la patrie orgueilleuse vous contemple ; 
Ne craignez point une mort glorieuse, 
Car mourir pour la patrie c'est vivre ! 



» . 



16 CHAPITRE PREMIER. 

Le général Lersundi, gouverneur de Cuba au nom de 
TEspagne, dirigea de Santiago des troupes régulières 
contre les insurgés. Ceux-ci, armés de machetes^ sortes de 
grands coutelas servant à couper les cannes à sucre, et 
de fusils de chasse, tinrent en échec les soldats du gou- 
vernement et leur firent une guerre cruelle. 

Pour donner une idée exacte de leur nlanière d'opérer 
et des résultats qu'obtinrent au début les bandes de Ces- 
pedes, il suffira de dire qu'à l'effectif de SOO hommes, ils 
vinrent camper sur les hauteurs qui dominent Santiago, 
bloquèrent cette ville pendant plus de trois mois, arrêtant 
les convois et tenant tête à la garnison, qui comptait 
cependant plus de 3,000 hommes. Celle-ci joua d'ailleurs 
un rôle passif, se contentant d'attendre des renforts. Mais 
pendant ce temps de nouvelles recrues arrivaient à Tin- 
surrection. Les petits cultivateurs ruinés par le fisc, les 
nègres auxquels la liberté était promise se joignaient à la 
troupe de Cespedes. Après la prise de Bayamo, qui eut 
dans l'Ile un retentissement immense, les bandes cubaines 
purent s'équiper et s'armer dans les magasins delà place. 

Tout le centre de Cuba s'insurgea. 

Le gouvernement de la Havane envoya contre les 
rebelles les généraux Balsameda et Lono. Les Cubains se 
retirèrent après quelques petits combats, en brillant tout 
derrière eux et faisant le vide devant l'armée régulière. 
Cette tactique eut le résultat qu'en attendaient les indé- 
pendants. Les troupes durent renoncer à suivre Cespedes 
et l'insurrection gagna du terrain, couvrant le territoire 
des Cinco-Villas, où se trouvent les cinq villes les plus 
riches de Tile après la Havane. La lutte continua avec 
férocité de part et d'autre. 

En janvier 1869, le général Lersundi était remplacé - 
comme gouverneur par le général Dulce. Le premier 
acte de celui-ci fut de confisquer les' biens de tous les 
Cubains qui avaient pris une part même indirecte à 
l'insurrection. Mais cette mesure, destinée surtout à 






r» 



UNE PAGE d'histoire. 17 

remplir les caisses espagnoles, ne produisit que peu 
d^effet, à cause de la difficulté de transformer en espèces 
les biens confisqués et surtout à cause de la rapacité et 
du gaspillage des fonctionnaires chargés de l'opération. 

Pendant le gouvernement du général Dulce, des scènes 
de meurtres se produisirent à la Havane et dans les envi- 
rons ; des volontaires indisciplinés se livrèrent à tous les 
excès, au cri de : Vive TEspagne ! fusillant les Cubains 
suspects d'appartenir au parti de l'indépendance, pillant 
et incendiant leurs maisons, sans que le gouverneur osât 
intervenir. De leur côté, les Cubains, par représailles, 
fusillaient sans pitié les volontaires qui tombaient en leur 
pouvoir. L'anarchie était complète dans la malheureuse 
capitale de l'île. 

Le général Caballero de Rodas, qui succéda au général 
Dulce, essaya en vain de rétablir l'ordre. Les volontaires 
méconnurent ses ordres et' continuèrent leurs excès, jetant 
ainsi dans l'insurrection des habitants restés jusque-là 
fidèles à l'Espagne. 

Cependant, les insurgés.tenaient presque toute la cam- 
pagne, obligeant les Espagnols à se renfermer derrière 
les remparts des villes ; car si l'armée de Cespedes avait 
des fusils et des cartouches, elle n'avait pas de canons. 
Elle ne put s'en procurer qu'en 1870 ; au cours de cette 
année, l'armée de 1 indépendance avait un effectif de 
10,000 soldats aguerris. Quelques mois plus tard, lorsque 
le général Jordan succéda à Cespedes dans le comman- 
dement de l'armée, celle-ci s'élevait au chifire de 
20,000 rationnaires. 

En 1872, don Salvador Cesneros, marquis de Santa- 
Lucia, fut placé à la tète du gouvernement insurrectionnel 
et donna à la lutte une vigueur nouvelle. Mais, fidèle à 
la tactique adoptée depuis le commencement de la guerre, 
il évita avec soin les batailles rangées, épuisant les Espa- 
gnols par des escarmouches et des entreprises de parti- 
sans. 

2 



18 CHAPITRET PREMIER. 

Au commencement de 1874^ le capitaine général 
Goncha, ne pouvant obtenir de la mère patrie les renforts 
nécessaires, essaya d'enrôler des Cubains et des nègres, 
frappant d'une amende énorme ceux qui voudraient se 
soustraire à cette conscription. Mais cette mesure donna 
peu de résultats ; les intéressés s'enfuirent aux Etats- 
Unis ou rejoignirent les bandes insurgées. Jusqu'en 1876, 
celles-ci tinrent en échec toutes les troupes régulières, que 
d'ailleurs la fièvre jaune décimait périodiquement. A 
cette époque, le maréchal Martinez Campos débarqua à 
Cuba avec tous les pouvoirs. Son intervention énergique, 
sa fermeté, tempérée par une certaine bienveillance, 
amenèrent une détente dans les esprits et une solution à '^ 

la crise. 

Les insurgés, en proie à une grande lassitude, n'ayant 
pu obtenir des États-Unis l'appui qu'ils en espéraient et 
leur reconnaissaAce de belligérants, déposèrent les armes 
après les pourparlers qui aboutirent au Convemo del 
Zanjon, La guerre de dix ans était tern^inée. 

Par la convention de Zanjon, l'Espagne concédait aux 
Cubains les mêmes droits politiques qu'aux habitants de 
Porto-Rico, reconnaissait libres tous les esclaves apparte- 
nant aux bandes insurgées et accordait un pardon général 
pour les délits commis pendant la guerre. Quelques-uns 
des principaux chefs insurgés, parmi lesquels Antonio 
Maceo et Vicente Garcia, refusèrent de souscrire au 
pacte de Zanjon et esayèrent de continuer la' lutte. Mais, 
le 9 mars 1878, Macëo lui-même abandonna la partie et 
s'embarqua pour la Jamaïque. Enfin, au mois de mai, les 
autres chefs qui tenaient encore la campagne, Limbano 
Sanchez, Guillermon, José Maceo, Quintin Bandera et 
Vicente Garcia, qui resta le dernier à son poste de 
combat, renoncèrent à des efforts désormais superflus. 
Vicente Garcia s'embarqua pour le Venezuela. 

Un autre soulèvement éclata en 1880 à Santiago de 
Cuba, dirigé par le général cubain Calixto Garcia. Mais 



UNE PAGE d'histoire. 19 

le général Blanco, alors gouverneur, en eut vite raison» 
« Le soulèvement de Santiago, dit M. le comte de S... 
(Revue internationale)^ était la dernière hieur de Tin- 
cendie allumé ea 1868. Ce feu, qui avait duré douze 
années, paraissait décidément bien éteint On pouvait 
espérer que désormais toute menace d'embrasement ou de 
sinistre avait disparu. En tout pas, le rôle de l'élément 
militaire était terminé. C'était aux hommes politiques à 
prendre les mesures nécessaires pour guérir complète- 
ment les blessures saignantes encore et pour les empê- 
cher de se rouvrir. » 



1 



CHAPITRE II 



L'INSURRECTION CUBAINE 



La révolution de 1895. — Les causes de la révolte. — Griefs des Cubains. — 
Réponse des Espagnols. — Les préparatifs. — L'avocat José Marti. — 
Comités de propagande et comités d'action. — Les chefs dt» Tinsurrection. 

— Inertie du gouverneur Galleja. — 11 est remplacé par Martinez Campos. 

— Premiers engagements. — Combat du Coutramaestre. -^ Mort de Marti. 

— Combats de Perlaujos et de Mnlato. — Le marquis de Santa Lucia. — 
Manifeste révolutionnaire. — Incendie de Baracoa. — La République pro- 
clamée à Jimaguayu. — Constitution cubaine. — Le premier Prési'lent de 
la République. — M. Barlolomé Masso. — Les représentants cubains à 
l'étranger. — Le trésor de guerre. — L'armée révolutionnaire. — Les 
Maceo — M*i« Agramonte. — Rappel de Martinez Campos. — Le général 
Weyier. — Les Reconcentrados. — Terribles représailles. — La mort de 
Maceo. — Les trochas. — L'assassinat de Canovas. — Les décrets d'auto- 
nomie. — Le maréchal Blanco. — L'exécution du colonel Ruiz. — Trop tard. 



Il serait injuste de ne point mentionner les efforts faits 
par l'Espagne depuis 1878 pour réparer les erreurs com- 
mises antérieurement et améliorer la situation de ses 
colonies américaines. C'est ainsi qu'en 1880 elle étendit à 
tous les noirs la clause d'émancipation contenue dans le 
pacte de Zanjon ; elle autorisa les Cubains à élire aux 
Cortès un député par 40,000* habitants; elle donna aux 
provinces des conseils généraux et aux villes des repré- 
sentations municipales. Malheureusement, toutes ces 
réformes arrivaient trop tard, et les Cubains émettaient 
déjà la prétention de s'adiùinistrer eux-mêmes ; quelques- 
uns, le parti avancé, songeaient même à secouer définiti- 
vement le joug de la métropole et à revendiquer la pleine 
et entière indépendance de Cuba. 

Dans son étude : L Espagne^ Cuba et les États-Unis^ 
M. Charles Benoist résume ainsi qu'il suit les revendica- 
tions révolutionnaires : 



l'insurrection cubaine. 21 

u L'Espagne, dit-il, refuse au Cubain tout pouvoir 
effectif dans son propre pays ; elle le condamne à Tinfé- 
riorité politique sur le sol où il est né ; elle confisque le 
produit de son travail sans lui donner ni sécurité ni pros- 
périté, ni instruction ; elle exploite, écrase et corrompt 
Cuba. » 

Dans une brochure officieuse intitulée : L'Espagne et 
Cuba^ état politique et administratif de la grande Antille 
sous la domination espagnole, le gouvernement a fait 
répondre à ces accusations : « L'Espagne refuse au Cubain 
tout pouvoir effectif dans son propre pays. » 

Du côté espagnol, on réplique par la liste des Cubains 
pourvus de hauts emplois dans Tarmée, la magistrature, 
le clergé, aussi bien en Espagne même que dans les 
colonies. 

« L'Espagne condamne le Cubain à Tinfériorité poli- 
tique sur le sol où il est né. » 

On réplique que Cuba est représentée aux Cortès par 
treize sénateurs et trente députés et que le Cubain (quoi- 
qu'il y ait Cubain et Cubain) n'est condamné à l'infériorité 
ni dans l'État, ni dans la province, ni dans la commune. 

(( L'Espagne confisque le produit du travail des Cubains 
(ceci se rapporte probablement à l'impôt et à l'usage qui 
en est fait) sans donner à Cuba la sécurité, la prospérité, 
l'instruction. » 

Du côté espagnol, on réplique que ce n'est pourtant 
pas l'Espagne qui fomente les prises d'armes pour avoir 
le plaisir de dépenser du sang dont elle n'a pas assez, à 
les arrêter et à les châtier, etc. 

Quant à l'instruction, la Havane n'est-elle pas le siège 
d'une université complète : faculté des sciences, de philo- 
sophie et des lettres, de médecine, de pharmacie et de 
droit ? N'y a-t-il pas à Cuba des collèges et des écoles 
primaires ? Le recteur de l'Université de la Havane ne 
nomme-t-il pas une partie des maîtres et des maîtresses 
de ces écoles? Et le recteur ne peut-il pas être Cubain? 



22 CHAPITRE II. 

La preuve qu'il peut l'être : don Joaguin Lastres est 
Cubain ; Cubains aussi le vice-recteur et les doyens de 
toutes les facultés. Sur 80 professeurs, 60 sont Cubains. 
« L'Espagne s'est montrée incapable de gouverner et, 
d'administrer Cuba; elle l'exploite, l'écrase et la cor- 
rompt. » 

On répond : 11 se peut que la politique coloniale de 
l'Espagne ait laissé autrefois fort à désirer, que TEspagne 
ait pendant trop longtemps négligé ses colonies qui ont 
pu sembler, en effet, n'être ni gouvernées ni administrées 
ou qui souvent l'ont été d'une façon détestable. Mais à 
partir de 1865 et sous l'impulsion de M. Canovas, une 
nouvelle méthode a été mise en pratique. Vingt lois nou- 
velles ont fait de Cuba une province espagnole assimilée 
aux provinces de la péninsule et qui peut être encore 
mal administrée, mais ne l'est ni plus mal ni moins mal 
que les autres,- ou ne l'est plus mal que parce qu'elle est 
plus loin. 

Mais les Cubains insistent et à l'encontre des assertions 
espagnoles, ils citent des faits et des chiffres : 

Les Espagnols, disent-ils, dont le nombre est bien infé- 
rieur à celui des Cubains, ont la majorité dans les con- 
seils. L'exercice du droit de vote est subordonné au paye- 
ment d'un impôt d'autant plus onéreux que, par le fait 
de la dernière insurrection, les propriétaires cubains sont 
en majorité ruinés. De cette façon, il y a actuellement 
53,000 électeurs sur 1,630,000 habitants, ce qui donne 
une moyenne dérisoire de 3 pour 100. De plus, pour 
assurer la prépondérance à l'élément européen, la loi n'est 
point basée sur la propriété foncière, qui est presque 
toute en la possession des originaires, mais sur l'indus- 
trie et le fonctionnarisme, qui sont tous deux espagnols. 
Tout propriétaire désirant devenir électeur doit payer 
une contribution de 125 francs et tout commerçant peut 
faire inscrire ses employés sur sa simple déclaration qu'ils 
sont ses associés. Les colons européens, qui représentent 



-if 



l'insurrection cubaine. $3 

9 pour 100 de la population totale, ont ainsi la majorité 
dans toutes les assemblées. Un exemple cité par M. En- 
rique José Varona, ex-député de Cuba aux Cortès, fait 
ressortir cette iniquité : « Dans le district ihunicipal de 
Gûines, dit cet homme politique, sur 13,000 habitants, il 
y a seulement 800 Espagnols ou Canariens. Et cepen- 
dant, sur le recensement électoral, Ton ne voit figurer 
que 32 Cubains contre 400 Espagnols. La proportion 
est donc la suivante : Cubains, 0,25 pour 100 ; Espa- 
gnols, 80 pour 100. » 

Les municipalités sont composées d'après les mêmes 
procédés, ce qui permet d'en exclure les Cubains d'une 
façon plus catégorique encore. Les majorités espagnoles 
leur font supporter les impôts qui n'entrent pas dans le 
calcul des quotes-parts, base de Télectorat, et gardent 
pour les Espagnols les taxes qui sont prises en considéra- 
tion pour déterminer ces quotes-parts. Le conseil muni- 
cipal de la Havane ne comptait récemment pas un seul 
Ciibaùi pH,Tmi ses membres. En 1891, on constatait que 
31 municipalités sur 37 de la province de la Havane 
avaient une majorité espagnole, quoique les Cubains 
fussent la partie la plus nombreuse de la population. 
D'autre part, tous les emplois lucratifs ou influents sont 
soumis au seul agrément du gouvernement de la métro- 
pole. C'est lui qui nomme tous les gouverneurs de pro- 
vinces, intendants, contrôleurs, magistrats, évèques, cha- 
noines, etc., et l'on pense si la faveur intervient parfois 
dans la concession de ces emplois. 

Le budget de Cuba est de d3<»,000,000 de francs. H fut 
de 232,970,000 francs au lendemain de l'insurrection de 
1878, alors qu'un tiers seulement du pays était en état de 
supporter les taxes énormes dont on l'accabla. Le déficit 
ne larda pas à apparaître. En <878, il était de 40 mil- 
lions; Tannée suivante, de 100 millions, et progressive- 
ment il a atteint le demi-milliard. Cette, gestion a eu pour 
conséquence le désarroi complet des finances cubaines et 



1 



24 CHAPITRE II. 

raugmentation de la dette dans des proportions inouïes ; 
en 1868, elle était de 125 millions ; en 1897, elle était d'un 
milliard et demi. Yu sa population, Cuba a la plus forte 
dette de toute TAmérique. Le payement des intérêts seul 
entraine une imposition annuelle de 49 francs par habitant. 

D'après les derniers budgets, chaque Cubain paye 
85 pesetas d'impôt annuel ; l'Espagnol ne paye que 
42 pesetas, soit moins de la moitié. 

40 pour 100 des 132 millions du budget sont absorbés 
par la surveillance des habitants de Tile (guerre, police, 
gendarmerie). L'agriculture, qui ferait la richesse de 
Cuba, n'en reçoit que 3 pour 100; Tinstruction publique 
émarge au budget pour 182,000 francs. Quant aux tra- 
vaux publics, ils ne touchent rien. La région de Vuelta- 
Abajo, qui fournit le meilleur tabac du monde entier, ne 
possède ni chemins, ni ponts, ni ports. En vingt-huit ans, 
il a été construit 39 kilomètres de routes dans File entière. 
Les émoluments des fonctionnaires espagnols, par contre, 
sont très élevés ; 250,000 fr. vont au gouverneur qui a, de 
plus, des frais de représentation et une caisse de fonds 
secrets bien garnie ; Tarchevèque de Santiago, Tévèque 
de la Havane touchent chacun 92,500 francs; le lieute- 
nant gouverneur, 75,000 francs ; le secrétaire du gouver- 
neur, 40,000 francs, et ainsi jusqu'au dernier chef de 
bureau dont les appointements dépassent 20,000 francs. 
Au point de vue économique, l'Espagne fait à sa propre 
colonie une guerre de tarifs. En ce qui concerne notam- 
ment l'exportation des tabacs et des sucres, l'Espagne 
prélève 2 francs par 100 cigares et 31 francs par 
100 kilogr. de sucre à leur sortie de la Havane. Elle pré- 
lève sur les marchandises venant d'Europe des droits qui 
atteignent jusqu'à 2,300 pour 100 de leur valeur. 

Ainsi, 100 kilogr. de laine payent : produit espagnol, 
77 francs, produit français, 1500 francs. Il y a mieux 
encore : l'Espagne, qui ne produit pas assez de blé pour 
sa propre consommation, prétend en alimenter exclusi- 



s^J 



l'insurrection cubaine. 2o 

vement ses sujets de Cuba. Elle oblige les blés américains 
à destination de TUe, à passer par un port d'Espagne, 
change leur étiquette de provenance, met à la place son 
cachet d'origine, prélève 40 pour 100 de droits et retourne 
les blés à Cuba. Au total, 40 jours de traversée, alors que 
Cuba est à quelques heures des Etats-Unis. Il est facile de 
s'expliquer que, dans ces conditions, l'Espagne tire 
annuellement 150 millions de francs de sa colonie. 

Telles sont les plaintes que les Cubains formulent 
contre la métropole. A ces raisons de mécontentement, exa- 
gérées ou non, s'ajoutent les souvenirs des luttes précé- 
dentes, le désir de venger la mort de ceux qui y ont suc- 
combé, et enfin l'irrésistible attrait qu'exerce sur ces 
populations longtemps opprimées cet idéal de liberté que 
symbolise « l'étoile solitaire » dont s'orne leur drapeau. 
Voilà les causes principales de la révolution actuelle. 
Elles suffiraient à expliquer la ténacité, l'esprit de suite 
et l'énergie indomptable dont n'ont cessé de faire preuve 
les chefs et les soldats de ce parti révolutionnaire, bien 
résolu à ne pas désarmer avant d'avoir fait de Cuba une 
petite république, sœur de la grande qui lui a prêté son 
appui plus ou moins désintéressé. 

Le plus actif organisateur de la révolte de 1895 a été 
l'avocat José Marti. 

Celui-ci, très instruit, avocat, diplomate, consul dans 
les diverses républiques de l'Amérique du Sud, mena 
dans la presse une campagne acharnée en faveur de 
l'indépendance de sa patrie. 

Il profita de son séjour en Amérique pour créer par- 
tout des comités de propagande dont l'action pécuniaire et 
morale prépara la révolution. L'émigration cubaine aux 
Etats-Unis est considérable ; il sut grouper habilement les 
éléments dispersés et obtint des émigrés qu'ils missent 
chaque jour de côté une fraction de leur salaire ou de leur 
revenu pour constituer un trésor de guerre suffisant. 

A Cuba même, Marti avait fondé des comités d^action 



26 CHAPITRE II. 

dont les chefs entretenaient avec lui une correspondance 
régulière. En attendant l'heure favorable, on introduisait 
dans nie des armes et des munitions. 

Aussi, lorsque le 24 février 1895, le signal de la révolte 
fut donné, toutes Ids forces étaient prêtes et pourvues des 
moyens d'action nécessaires pour entreprendre la lutte. 

Le gouverneur de Cuba, général Galleja, n'avait pas su 
prévenir la révolte ; aussi fut-il débordé rapidement, et 
bientôt le mouvement, localisé au début dans la province 
de Matanzas, prit une extension inquiétante. Les chefs de 
l'insurrection, Bartolomé Masso, Amador Guerra, Enrique 
Cespedes, Antonio Lopez Coloma et Juan Gualberto 
Gomez, déployaient d'ailleurs dans là lutte une énergie 
farouche. A ce moment, le ministère Sagasta fut renversé 
et remplacé par un ministère Canovas, qui rappela le 
général Galleja et envoya à Cuba le maréchal Martinez 
Campos, l'heureux signataire du pacte de Zanjon. 

Les ovations les plus enthousiastes saluèrent au départ 
le « Pacificateur de Cuba »; mais à son arrivée à la 
Havane, le maréchal put se rendre compte combien la 
situation était changée. Les révolutionnaires n'étaient 
plus les hommes affaiblis et découragés de 1878 ; c'étaient 
des soldats aguerris, organisés, pleins d'enthousiasme et 
de confiance et décidés à lutter jusqu'au bout pour l'indé- 
pendance de la patrie. 

Les colons espagnols eux-mêmes témoignaient d'un 
médiocre empressement à seconder la répression ainsi 
qu'ils l'avaient fait lors de la précédente insurrection. En 
1868, ils avaient formé un corps de volontaires de 
100,000 hommes qui avait rendu de réels services au gou- 
vernement. A son retour dans l'Ile en 1895, Martinez 
Campos voulut de nouveau faire appel à ces volontaires* 
Leurs chefs répondirent qu'ils étaient prêts à soutenir la 
cause de l'Espagne, mais qu'ils ne voulaient pas sortir des 
villes. Le maréchal voulut alors incorporer de force les 
volontaires dans son armée ; mais ceux-ci firent afficher 



r^ 



l'insurrection cubaine. 27 

une longue et véhémente protestation et refusèrent le ser- 
vice. D'autre part, le maréchal ayant essayé de négocier 
sur place un emprunt destiné à compenser l'insuffisance 
des fonds envoyés par l'Espagne, échoua complètement 
dans son entreprise. • * 

Enfin, dès le début de la campagne, une délégation de 
la députation provinciale fut envoyée au gouverneur pour 
le prier de demander à la métropole de renoncer à la 
contribution onéreuse prélevée sur les tabacs. Le maré- 
chal fit observer que cette suppression rencontrerait de 
sérieuses difficultés, étant donné que cet impôt rapportait 
à l'Espagne 90 millions. A cette objection, l'un des délé- 
gués répondit : « L'Espagne choisira : ou elle renoncera 
aux 90 millions, ou elle perdra Cuba ! » 

La situation, on le voit, était peu encourageante pour 
le maréchal. 

Cependant, les insurgés ne perdaient point leur temps. 
Antonio Maceo, un des chefs qui avaient combattu jus- 
qu'au dernier jour lors de la guerre de dix ans et dont 
la bravoure et l'ardeur exerçaient un grand prestige sur 
les Cubains, venait de débarquer à Baracoa, venant de 
Costa-Rica, avec une vingtaine de compagnons robustes 
et résolus. 

Quelques jours après, José Marti lui-même quittait 
Haïti et débarquait également à Baracoa, amenant avec 
lui le célèbre Maximo Gomez qu'il avait décidé à prendre 
le commandement des troupes révolutionnaires. 

Le 14 avril 1893, Gomez et Marti joignirent le colonel 
Félix Ruenes et se rendirent à marches forcées sur Guan- 
tanamo. Ayant alors réglé de concert l'organisation de la 
campagne, Marti et Gomez se dirigèrent sur Las-Tunas et 
Camaguey. Surpris par les Espagnols entre Bijas et Dos- 
Riossurla rive droite du Contramaestre, ils en vinrent 
aux mains. L'engagement dura plus d'une heure. Marti, 
mortellement frappé, resta sur le champ de bataille. Son 
corps, relevé par les Espagnols, fut inhumé dans le cime- 



i 
U' 



28 CHAPITRE II. 

tière de Ramanganaguas et transporté quelques jours 
après à Santiago de Cuba. 

Martinez Gampos prononça sur la tombe de Marti un dis- 
cours dans lequel, rendant hommage aux brillantes qua- 
lités de l'avocat cubain, il exprimait le regret qu'il ne les 
eût pas employées au service de l'Espagne, sa mère 
patrie. 

De son côté, Antonio Maceo ne restait pas inactif. Il se 
distingua particulièrement au combat de Peralejos où il 
ï-' infligea des pertes sérieuses aux Espagnols. 

La lutte fut menée vigoureusement, sans que les forces 
des deux partis se livrassent jamais de grandes batailles, 
les révolutionnaires, bien inférieurs en nombre, ayant 
pour tactique de harceler l'ennemi, de fondre sur lui à 
rimproviste et de démoraliser les troupes en cherchant à 
atteindre les chefs dans ces rencontres rapides et meur- 
trières. Les Espagnols eurent à déplorer la mort de plu- 
sieurs de leurs officiers : le colonel Bosch, le capitaine 
Garrido, tués à Mulato ; le général Santocildes, frappé à 
Peralejos à côté du maréchal Martinez Gampos. 

La révolution, encouragée par ces succès, gagnait de 
jour en jour du terrain et s'étendait peu à peu aux pro- 
vinces voisines : dans le Gamaguey, le marquis de Santa- 
Lucia entraînait avec lui la jeunesse des principales 
familles ; Las Villas se soulevait à son tour ; l'ouest, où le 
gouvernement espagnol avait trouvé des auxiliaires dans 
la précédente campagne, fournissait cette fois son contin- 
gent aux insurgés, et l'armée révolutionnaire, sans cesse 
grossie par de nouvelles recrues, arrivait comme un flot 
montant jusqu'aux murs de la capitale. 

Le maréchal, se sentant débordé, constatant l'insuffi- 
sance de ses moyens d'action, fut obligé de demander à la 
métropole un renfort de 100,000 hommes. Il édicta des 
mesures sévères à l'égard de tous les suspects et arrêta 
que désormais tous les prisonniers seraient mis à mort. 

En présence de ces décisions, les révolutionnaires 



Èàé^. 



L INSURRECTION CUBAINE. 



29 



publiaient de leur côté un manifeste qui interdisait, sous 
peine de mort, Tintroduction dans les villes et centres de 
population occupés par l'ennemi, de toutes denrées ali- 
mentaires, tout bétail sur [ûed et toute viande de bou- 
cherie et menaçait d'une destruction complète toutes les 
exploitations agricoles, moulins et établissements sucriers 
qui continueraient à travailler pendant la durée de la 
révolution. 

Conformément à ces ordres du général en chef Maximo 
Gomez, les révolutionnaires mirent au pillage plusieurs 
fermes des environs de Santiago, Cienfuegos et Puerto- 
Principe. Ils incendièrent même une partie de la ville de 
Baracoa. Ils parvinrent ainsi à arrêter en bien des points 
le mouvement commercial de File et s'assurèrent par ce 
moyen des ressources et des approvisionnements qui fai- 
saient défaut aux troupes du gouvernement. 

Profitant de la situation dont ils se trouvaient momen- 
tanément les maîtres, les délégués des révolutionnaires, 
réunis en Assemblée constituante à Jimaguayu, le 17 sep- 
tembre 1895, proclamèrent la République. 

Aux termes de la Constitution, signée le même jour, il 
était institué un gouvernement provisoire, comprenant 
un président, un vice-président et quatre secrétaires 
d'État : guerre, intérieur, finances et affaires étrangères. 

Chaque ministre avait à ses côtés pour le suppléer un 
sous-secrétaire d'Etat. 

Les attributions du conseil de gouvernement consistaient 
à : 1® promulguer toutes les dispositions relatives à la vie 
civile et politique de la révolution ; 2^ imposer et recevoir 
les contributions ; contracter des emprunts publics ; 
émettre du papier- monnaie ; répartir les fonds recueillis 
dans l'Ile à quelque titre que ce fût, ainsi que ceux 
recueillis à l'étranger ; 3® concéder des patentes de course, 
lever et équiper des troupes, déclarer la conduite à 
suivre avec l'ennemi et ratifier les traités ; 4® donner 
Tautorisaiion, quand il le jugerait utile, de soumettre le 



30* , CHAPITRE il. 

président et leÉ autres membres du conseil au pouvoir 
judiciaire; 5® résoudre toutes les difficultés, sauf celles 
du ressort du pouvoir judiciaire, que tous les hommes de 
ta révolution avaietit le droit de lui présenter; 6® approu- 
ver la loi, les règlements et ordonnances militaires que 
lui proposerait le général en chef de Tarmée ; 7® conférer 
les grades militaires des principaux chefs de larmée, 
après rapport de leurs chefs supérieurs immédiats et du 
général en chef, et la nomination de ce dernier et du lieu- 
tenant général qui devait le remplacer en cas de vacance ; 
8® ordonner l'élection de quatre représentants par chaque 
corps d'armée chaque fois que, conformément à la Con- 
stitution, la convocation de l'assemblée serait nécessaire. 

Le président pouvait signer des traités avec la ratifica- 
tion du conseil de gouvernement. 

La Constitution établissait, en outre, que tous les 
<]ubains étaient obligés de servir la révolution, de leur 
personne et de leurs biens, selon leurs aptitudes et leurs 
moyens. 

Les fonctionnaires de n'importe quel ordre devaient se 
prêter un appui mutuel pour l'accomplissement des réso- 
lutions prises par le conseil de gouvernement. Les pro- 
priété>s appartenant aux étrangers étaient soumises à un 
impôt en faveur de la révolution tant que leurs gouverne- 
ments respectifs n'auraient pas reconnu la belligérance 
de Cuba. 

Toutes les dettes et obligations contractées au cours de 
la guerre actuelle, jusqu'à ce que la Constitution eût été 
promulguée par les chefs de l'armée au service de la 
révolution, étaient reconnues. 

Le conseil de gouvernement pouvait destituer ceux de 
:ses membres qui l'auraient mérité. 

Le pouvoir judiciaire pouvait procéder avec une entière 
indépendance ; son organisation et sa réglementation 
étaient A la charge du conseil de gouvernement. 

Cette Constitution était applicable à Cuba pendant deux 






l'insurrection cubaine. 31 

ans à partir de sa promulgation, si la guerre de l'indé- 
pendance n'était pas terminée avant ; passé cette date, 
l'Assemblée des représentants devait être convoquée de 
nouveau pour modifier Ist Constitution, s'il y avait lieu, et 
procéder à l'élection d'un nouveau conseil de gouverne- 
ment et au jugement du précédent. 

Le conseil du gouvernement choisit, pour le mettre à 
sa tête, M. Cisneros Betancourt, marquis de Santa-Lucia, 
né à Puerto-Principe en 1832, qui avait déjà occupé la 
première magistrature cubaine au cours de la guerre de 
dix ans et comptait parmi les intransigeants restés réfrac- 
taires à toute entente avec le gouverment espagnol. 
Après le traité de Zanjon, le marquis de Santa-Lucia 
s'était réfugié à New- York où il était resté jusqu'en 1886, 
époque à laquelle il était rentré dans File. Il s'était tenu 
à l'écart jusqu'à la révolution et avait repris alors sa place 
à la tête de la jeunesse cubaine de Puerto-Principe. En 
raison de ses hautes qualités et en récoippense des ser- 
vices rendus à la cause de riudépendance à laquelle le 
marquis de Santa-Lucia avjait consacré durant toute sa vie 
son activité et sa grande fortune, les délégués de la révo- 
lution l'é levèrent pour la seconde fois à la première 
dignité de l'État. 

Quand le conseil de gouvernement fut renouvelé en 
1897, M. Cisneros Betancourt fut remplacé à la présidence 
. par M. Bartolomé Masso. 

A l'intérieur de l'Ile, le gouvernement provisoire créa 
des gouverneurs civils de provinces et des préfets. 

A l'extérieur, il désigna pour le représenter des hommes 
de haute valeur ; ce furent : à New- York, M. Tomas 
Estrada Palma ; à Paris, le docteur Betancés, mort tout 
récemment; à Washington, M. de Gonzalvo de Quesada, 
avocat, ami et collaborateur de la première heure de 
Marti. 

D'autre part, les comités créés par ce dernier fonction- 
naient activement; rien qu'aux États-Unis il en existait 






32 CHAPITRE II. 

150, dont faisaient partie plus de 20,000 Cubains. Chaque 
mois, les comités américains versaient au trésor cubain la 
somme de 12,000 piastres ou 60,000 francs. 

La principale préoccupation du gouvernement se porta 
nécessairement sur les questions militaires. 

L'arméerévolutionnaire,forted'environ 50,000 hommes, 
fut partagée en corps d'armée, divisions et brigades. 
Deux bataillons d'infanterie ou quatre escadrons de cava- 
lerie constituèrent le régiment ; deux ou trois régiments 
formèrent la brigade qui, jointe à deux autres, forma la 
division. Le corps d'armée comprenait un nombre variable 
de divisions et de troupes de toutes armes. 

A la tète de l'armée se trouvait le général en chef 
Maximo Gomez. Habile tacticien, rompu par les insurrec- 
tions précédentes à toutes les manœuvres de la guerre 
de partisans à laquelle l'obligeaient les difficultés du ter- 
rain et la supériorité numérique des Espagnols, Maximo 
Gomez a toujours été considéré par ceux-ci comme un 
redoutable adversaire. 

Sous ses ordres immédiats se plaçaient les généraux 
Antonio et José Maceo et Calixto Garcia. 

Antonio Maceo s'était enrôlé comme simple soldat dans 
l'armée cubaine au début de la guerre de dix ans et avait 
conquis un à un tous ses grades. Robuste, fougueux, 
cavalier intrépide, il communiquait à ses troupes un élan 
extraordinaire. En 1878, le maréchal Martinez Campos 
traçait de lui ce portrait : 

« A Santiago de Cuba, il n'a pas été possible de s'en- 
tendre avec le camp ennemi. Celui qui commande là-bas 
était muletier et est actuellement général. Cet homme a 
une ambition immense, un grand courage et beaucoup de 
prestige ; sous sa rude écorce, il cache un talent incontes- 
table. )> 

Son frère, José Maceo, était doué, également de grandes 
qualités militaires dont il donna maintes fois les preuves 
et qui le firent nommer major général. Désigné pour 



l'insurrection cubaine. 33 

eommander le corps d'armée de rOrient, en remplace- 
ment de son frère, appelé à conduire ses troupes dans les 
provinces occidentales, il fut mortellement fcappé dans 
une rencontre. 

Galixto Garcia Iniguez, ancien chef d'état-major de 
Maximo Gomez dans la précédente campagne, puis com« 
mandant de la division d'Holguin et plus tard général en 
chef du (forps d'armée du département oriental, avait 
mené une rude campagne contre les Espagnols pendant la 
guerre de dix ans» 

Au moment du traité de Zanjon, fait prisonnier par les 
Espagnols, il se tira un coup de revolver dans la tète, 
mais survécut à son horrible blessure. Interné en Espagne, 
il parvint à s'échapper et nous le retrouvons à Cuba dès 
l'ouverture des hostilités. 

A côté de ces trois généraux et leurs égaux sinon comme 
renommée du moins comme bravoure et patriotisme, 
citons les généraux Guillermon, Masso, Garzon, Por- 
tuondo, Alfredo Rego, etc. 

Le corps médical de l'armée cubaine, comprenait 
SO médecins, était dirigé par le docteur Sanchez Agra- 
monte. 

Le nom de celui-ci est cher aux patriotes cubains, non 
seulement à cmuse du dévouement personnel de celui qui 
le portait, mais parce que les frères et les fils du docteur 
combattaient à divers titres dans l'armée de l'indépen- 
dance et que sa fille, M^*® Agramonte y Varona, fut 
tuée à la tête d'un détachement du corps d'armée de 
Maceo. 

L^habillement des soldats cubains consistait en un pan- 
talon de toile flottant, une blouse de toile blanche serrée 
à la taille par un ceinturon, un large chapeau de paille ou 
de feutre, des souliers et des guêtres pour les fantassins, 
des bottes pour les cavaliers. L'armement comprenait un 
fusil Mauser, Winchester ou Remington, un revolver 
et un sabre droit à deux tranchants appelé machete. 

3 



34 CHAPITRE II. 

Quelques canons, dont un à la dynamite, étaient servis 
par des artilleurs américaini et cubains. 

Enfin, Taraiée cubaine avait son drapeau, arboré pour 
la première fois en 1851 par le général révolutionnaire 
Narciso Lopez et dont voici la description exacte donnée 
par les journaux cubains : u Les couleurs sont les mêmes 
que celles d«6 drapeaux français, des États-Unis, du 
Chili, de Libéria, disposées de la façon suivante : tout le 
long du rectangle trois bandes bleues et deux blanches 
qui, partant de la marge extérieure, viennent rejoindre 
le triangle rouge qui se trouve à la marge intérieure, au 
centre duquel est placée une étoile blanche à cinq pointes. » 

Telle était Tarmée contre laquelle le talent et Ténergie 
des généraux espagnols allaient être inutiles. D'ailleurs, 
la communauté de vues était loin d'exister entre le maré- 
chal Martinez Campos et le gouvernement tîe la métro- 
pole. Celui-ci, justement inquiet des progrès de l'insur- 
rection, avait engagé le maréchal à modifier ses projets 
administratifs et militaires, et s'était attiré celte réponse : 
(( Je vous préviens que j© ne changerai pas de politique ; 
je fusille les chefs pris en armes et j'envoie aux fers les 
autres prisonniers ; les insurgés me rendent mes prison- 
niers et soignent mes blessés. Je ne puis ni ne veux aller 
plus loin. » 

L'Espagne rappela aussitôt Martinez Campos et le rem- 
plaça par le général Weyler, un ancien combattant de la 
guerre de dix ans, dont la rigueur farouche, légendaire à 
Cuba, paraissait seule pouvoir répondre aux nécessités 
du moment. 

Weyler, ^arrivé dans l'Ile au moment des pluies, ne 
put d'ailleurs entreprendre aucune opération sérieuse. Il 
se contenta d'édicter des mesures draconiennes qui ne 
firent que surexciter les esprits. 

Pour empêcher que les révolutionnaires fussent secou- 
rus clandestinement par les colons et les habitants des* 
campagnes, il organisa la Concentration de pacificos. 1 




L INSURRECTION CUBAINE. 



35 



ordonna à tous les habitants des campagnes, sous peine 
de mort, de se concentrer dans leh villes de garnison 
espagnole dans un délai de huit jours. Il fit aussi paraître 
un décret punissant de mort quiconque sympathiserait 
avec les Cubains ou ^déshonof erait le nom de FËspagne 
« en actions, en paroles ou par la pensép )>. 

Au mois de juillet 1896 éclata le soulèvement des Phi- 
lippines. Le gouvernement espagnol demanda d'urgence 
des renforts au général Weyler, mais celui-ci déclara que 
ses forces étaient à peine- sufâsantes pour continuer la 
lutte à Cuba. 

Quand les pluies eurent cessé, le gouverneur se mit en 
campagne et mena le/ hostilité!» le plus rapidement qu'il 
put. 

A la fin de Tannée 1896, un événement se produisit 
qui parut un instant devoir changer la face des choses. On 
annonçait la mort d'un des chefs révolutionnaires les plus 
en vue. et les plus redoutés, Antonio Maceo. Le bruit fut-, 
en effet, confirmé, mais les circonstances de cette mort 
sont restées obscures. Les révolutionnaires ont accusé les 
Espagnols d'avoir fait assaisiner Maceo. Bien que la dis- 
parition de c^ général ait, porté un coup sensible A Tinsur- 
reotion, Maximo Oomez et les ïiutres chefs dont nous 
avons parlé tenaient toujours haut et ferme le drapeau 
de- l'indépendance. Malgré tous ses efforts, le maréchal 
Weyler se trouvait impuissant à empêcher le débarque- 
ment des troupes de renfort qui arrivaient, sur ses talons, 
relever les courages abattus et regagnaient ainsi le ter- 
rain péniblement conquis. Les fameuses trochas ou lignes 
fcrtifiées qui- séparaient l'Ile en trois tronçons, à Vouest 
de la baie de Mariel à la baie de Majana, à l'est de Moron 
àJucaro, et qui devaient suffire, dans l'esprit du général, 
à arrêter les jonctions des troupes révolutionnaires qui, 
divisées, n'étaient pas en état, selon lui, d'opposer une 
longue résistance, avaient été franchies sur plusieurs 
points et les colonnes volantes des insurgés étaient par- 



36 CHAPITRE II. 

venues & s'y ouvrir un passage comme à travers les 
mailles d'un filet. 

N'ayant pas mieux réussi que son prédécesseur à 
étouffer la révolution, le général Weyler fut à son tour 
remplacé par le maréchal Blanco. 

Au mois d'août 1897, à la suite de Tassassinat du prési- 
dent du conseil, Canovas, un nouveau ministère Sagasta 
prit la direction des affaires. Animé d'un tout autre esprit 
que le précédent cabinet, celui-ci entra résolument dans 
la voie des réformes et au mois de novembre 1897, il fit 
paraître les décrets d'autonomie également applicables à 
Cuba et à Porto-Rico. Le maréchal Blanco fut chargé de 
présider à l'application de ces réformes qui reçurent 
l'adhésion du parti autonomiste. Celui-ci fit paraître un 
manifeste qui se terminait par ces mots : « Vive Cuba et 
vive l'Espagne ! » Mais la Constitution octroyée par l'Es- 
pagne à ses colonies des Antilles ne pouvait satisfaire 
les révolutionnaires, et, loin de déposer les armes, ils 
continuèrent la lutte avec d'autant plus d'acharnement 
qu'ils interprétèrent ces mesures de conciliation prises 
par le gouvernement de la métropole comme un signe de 
lassitude et de faiblesse, précurseur de l'abandon défi- 
nitif. Il fut dès lors interdit, sous peine de mort dans le 
camp cubain, de parler d'autonomie. L'article 11 de la 
Constitution cubaine, les décrets de Galixto Garcia, de 
Maximo Gomez, l'ordre du général Rodriguez édictant 
cette mesure draconienne furent exécutés sans pitié. Plu- 
sieurs officiers espagnols, parmi eux le colonel Ruiz, en 
furent victimes. Le dernier lien avec la mère patrie était 
rompu ; un fleuve de sang séparait désormais les Espa- 
gnols d'Espagne d'avec les Espagnols de Cuba. Les des- 
tinées de la Perle des Antilles allaient s'accomplir, grâce 
aussi, il faut le dire, à l'intervention étrangère. 



j 



CHAPITRE III 



L'ESPAGNE EN EXTRÊME-ORIENT 



Aux îles Philippines. — La découverte de Magellan. — Un archipel asiatique. 

— Don Miguel de Legaspi. — Les cinquante peuplades. — Volcans philippins. 

— Le Bombon. — Sages précautions. — A Mindanao. — Flore et faune 
asiatiques. — Le régime politique de Tarehipel. — Le cabeza de barangay. 

— Los bandits tulisanes. — Augustins et récollels, franciscains et domi- 
nicains. — Le casuel des chapitres. — L'Université de Saint-Thomas. — 
Les loges maçonniques. — A San-Juan del Monte. — Les frères dormants. 

— Aguinaldo. — Les foyers de conspiration. — La révolte de 1896. — Les 
aveux de M. Canovas. — La situation à Manille. — Don Ramon Blanco y 
Erenas, marquis de Pena-Plata. — Le tercer entorchado. — Disgrâce 
imméritée. — Le général Polaviega. — Victoires d'Imus et de Cavité. — 
Don Fernando Primo de Rivera. — Une médaille commémorativo. 



Les Philippines, découvertes en 1521 par Magellan, 
portèrent pendant quelque temps le nom de Magellanie, 
bientôt remplacé, en Thonneur du roi d'Espagne Phi- 
lippe II, par le nom qu'elles portent aujourd'hui. 

Les lies Philippines constituent un immense archipel 
composé de plus de deux mille lies de toutes dimensions ; 
quelques-unes, comme Luzon et Mindanao, n'ont pas 
moins de 100,000 kilomètres carrés ; cinq autres ont cha- 
cune une surface de 10,000 kilomètres carrés. Autour de 
ces terres principales se répartissent des centaines d'Ilots, 
quelques-uns microscopiques, habités par environ neuf 
millions d'habitants, dont à peine 14,000 Espagnols. 

Ceux-ci n'apparurent dans l'archipel que vers \ÏÏ10 
sous la conduite de Miguel de Legaspi qui, en 1371, 
établit à Manille le centre de la puissance castillane. 
Grâce à la discipline et aux armes européennes, il eut faci- 
lement raison des petits princes du Nord ; mais la con- 
quête de l'archipel n'a jamais été complète et les événe- 



38 CHAPITRE III. 

ments que nous allons raconter font présager que les 
Philippins etlesTagals redeviendront libres avant d'avoir 
été complètement assujettis aux Européens. 

Plus de cinquante « nations » différentes, dit Reclus, 
habitent Tarchipel. Les plus nombreuses sont les Igor- 
rotes, populations païennes, indonésiennes ou malaises, 
les Tinguianes nominalement catholiques, mais qui se 
servent de leurs crucifix comme de talismans, les Ifuagos, 
les Catalanganes, les Irayas, les Manobos, les Mandayas, 
qui tuent pour l'honneur; les Chinois, détenteurs du 
petit commerce, cent fois expulsés ou massacrés et pullu- 
lant malgré tout dans les villes du littoral; les Maures, 
les Zambales, les Tagals, etc. Ces derniers, au nombre de 
plus de 2 millions, le quart par conséquent de la popula- 
tion, sont les plus civilisés dçs autochtones ; leur nombre 
s'accroît sans cesse et, comme nous le verrons, ce sont 
eux qui, dans ces dernières années, ont le plus contribué 
à ruiner la domination espagnole dans l'archipel. 

Dans toutes les terres quïl comporte, le sol est mon- 
tueux ; chaînes succèdent à chaînes ; les seules plaines 
que Ton rencontre sont des régions alluviales situées aux 
bouches des^ivières et les espaces laissés entre les mon- 
tagnes au croisement des rangées. Les Philippines sont 
très riclïes en métaux et en métalloïdes. On y trouve de 
l'or à l'état natif, du cuivre, du fer, de la galène, de la 
houille, du soufre. 

Les monts à cratères (Éteints ou encore actifs sont extrê- 
mements nombreux. Citons parmi eux TAlivancia et le 
Talaraquin qui vomissent à intervalles irréguliers des tor- 
rents de lave et autres matières ignées. Dans l'Ile de 
Mindanao, le Sangil ou Sarangani n'a plus donné signe 
de vie depuis nombreuses années. Mais c'est surtout 
dans l'Ile doi Luzon que s'est concentrée l'activité volca- 
nique des Philippines. A la pointe méridionale la plus 
avancée de cette lie s'élève, très semblable au Vésuve, le 
volcan de Bulusan; plus au nord, le Pœdal ou pic de 




\* ' ' ' . *n 



L'ESPAGNE en EXTRÊME-ORIENT. 39 

BacoD ; puis, plus loin, dominant le golfe d'Albay, le 
Mayon, la plus haute et la plus inaccessible des mon- 
tagnes de l'archipel. Ce volcan, dont la base couvre un 
espace de 200 kilomètres carrés, a son cratère à une alti- 
tude de 2,700 mètres. En 1814, il ensevelit sous ses laves 
la ville de Daraga ; les cendres, portées par le vent, 
allèrent obscurcir l'air à 335'kilomètres de là, dans la ville 
même de Manille. 

Citons encore pour mémoire le Mazaraga (1354 mètr^^), 
riraga (1212 mètres), l'Ysarog ou « le Solitaire » 
(1966 mètres)^ le Majayjay (1980 mètres) et le San-Cris- 
tobal (2,333 mètres). Enfin le Malarayat et le Maquiling 
(1200 mètres), superbes observatoires d'où l'on voit à ses 
pieds le monde de lacs, de lagunes, de golfes, d'Iles et de 
presqu'îles qui donnent une si étonnante variété aux 
paysages des Philippines. 

Le plus petit volcan de l'archipel, — il n'a que 
234 mètres d'altitude, — est pourtant un des plus remar- 
quables de la région. Il occupe un Ilot dans le milieu 
d'un lac, le Bombon, séparé de la mer par un isthme bas 
et étroit. Raviné par de profondes crevasses, ce volcan 
appelé le Taal offre un' énorme cratère nommé Purga- 
toire et que les indigènes croient être l'entrée du lieu 
d'épreuves des morts, 

A l'extrémité septentrionale de Luzon s'élève le Cagut 
(il9S mètres) qui fume constamment. Au delà, la ligne de 
feux se continue sous la mer. Le volcan de Camiguin est 
un mont de 736 mètres renfermant des solfatares. En 
1856, à quelques lieues de là, un autre volcan entra en 
activité. On aperçut d'abord une nuée blanche au-dessus 
des écueils ; deux jours après une nouvelle terre appa- 
raissait qui, en quatre années, acquerrait un relief de 
âlO mètres. Actuellement, ce volcan a une hauteur de 
256 mètres au-dessus du niveau de l'Océan. 

Le phare terminal des Philippines complétant, à 
1700 kilomètres de distance, la chaîne de volcans qui 



40 



CHAPITRE lîl. 



commence au Sangil est le Babuyan«CIaro, dont le cône, 
haut d'environ lOUO mètres, éclaire pendant la nuit les 
passages dangereux de la mer de Formose. 



LES PHILIPPINES 




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Est-il besoin d'ajouter que les Philippines sont une des 






L'eSPAGNE en EXTRÊME-ORIENT. 41 

régions les plus souvent bouleversées par les tremble- 
ments de terre. Manille et les principales villes ont été 
plusieurs fois renversées. Pour parer dans la mesure du 
possible à ces désastres, les constructions sont élevées 
aujourd'hui de manière à pouvoir résister aux oscillations 
sismiques. Les maisons à un seul étage sont en boiseries 
entre-croisées, de manière à former une vaste cage posée 
sur les murs larges et bas du rez-de-chaussée. Les toitures 
sont constituées par des feuilles légères de tôle galva- 
nisée, et, détail original, les tables des appartements 
sont faites du bois le plus lourd possible pour pouvoir, à 
la premièï'e alerte, se réfugier dessous et éviter le choc 
des plâtres et autres débris de la maison. 

L'alignement des montagnes philippines en chaînes 
parallèles a permis à quelques fleuves de Luzon et de 
Mindanao de prendre un développement considérable. Le 
plus abondant de tous est celui qui porte, en efi'et, le nom 
de « Grand-Fleuve », Cagayan, Tajo ou Rio-Grande. Il 
coule entre deux cordillères de Luzon, sur une longueur 
de plus de 350 kilomètres et se jette dans la mer en face 
de nie Camiguin. 

L'Agno débouche dans la baie de Lingayen ; le Rio- 
Pampangan, qui parcourt la vaste plaine de ce nom, se 
déverse dans la partie septentrionale de la baie de 
Manille où il a formé un vaste delta d'alluvions. Un autre 
fleuve qui se jette dàntf lamême baie, le Pasig, n'a qu'une 
vingtaine de kilomètres de cours ; mais il est l'émissaire 
d'un grand lac d'eau douce profond de 36 mètres, la 
Laguna de Bay, et la cité de Manille s'est bâtie sur ses 
bords. Il méritait à ce titre une mention particulière. Au 
sud, la rivière de Taal n'est que le court émissaire de l'an- 
cienne baie de Bombon, aujourd'hui transformée en lac. 

Dans Mindanao, le cours d'eau le plus abondant est 
celui d'Agusan ou de Butuan que les embarcations peu- 
vent remonter à plus de 100 kilomètres de son embou- 
chure. 



« J,V« 



^ 



43 CHAPITRE III. 

Ud autre fleuve, le Rio-Grande de Mindanao, prend sa 
source au centre de Tlle dans le lac de Magindanao, coule 
au sud-ouest, puis ayant reçu les eaux de plusieurs petits 
lacs, se retourne vers le nord- est pour se jeter dans la 
mer de Gélëbes. Le climat des Philippines est tropical : 
la chaleur mensuelle variant à peine de quelques degrés 
ne peut servir à distinguer les saisons. 

Le partage de l'année se fait par le renversement des 
moussons et Talternance de la pluie et des sécheresses. 
Pendant six mois, d'octobre en avril, le vent du nord-est 
ou courant polaire souffle sur les lies ; d'avril en octobre, 
c'est la mousson du sud-ouest qui devient maîtresse de 
l'air. Le changement des moussons est souvent signalé 
par des cyclones épouvantables, tel le typhon de 1882 au 
cours duquel le vent atteignit la vitesse inouïe de 
232 kilomètres à l'heure. 

La flore des Philippines est extrêmement riche. Il y a 
quelques années, les botanistes y avaient signalé la pré- 
sence de près de cinq mille espèces de végétaux. Quel- 
ques-uns atteignent des proportions colossales. Dans la 
province de Camarines, un balete ou figuier banian avait 
atteint de telles dimensions qu'on l'avait transformé en 
citadelle à deux étages armés de cano?is. 

Les arbustes précieux des Moluques, le cannellier, le 
giroflier, le poivrier, se trouvent dans les forêts de l'ar- 
chipel, et l'on réussit aujourd'hui la culture de l'arbre à 
thé. 

Quant à la faune, elle est représentée dans l'espèce car- 
nassière par le ngiao, sorte de chat sauvage et, dit-on, par 
une sorte de léopard, mais dans la seule lie de Paragua. 

Les sangliers sont nombreux dans les lies, ainsi que 
l'antilope, le cerf et les singes. 

Les gallinacés sont représentés par des sujets superbes ; 
les coqs élevés par les Tagals dépassent en beauté, en 
orgueil et en intrépidité les coqs de combat si prisés des 
amateurs philippins. 



L'ESPAGNE EN EXTRÊME-ORIENT. 43 

Quant aux bras de mers qui entourent les lies de Tar- 
chipel, et aux cours d'eau qui s'y déversent, ils fourmil- 
lent de poissons de toute nature ; Tun d'entre eux, le dalag, 
est organisé de manière à vivre aussi bien dans Fherbe 
terrestre que dans Teau, et, d'après Semper, on en a ren- 
contré grimpant au tronc des palmiers. A rencontre de 
Cuba, les variétés de serpents sont nombreuses ; toutes 
les espèces redoutables, trigonocéphales, vipères najas 
sont représentées dans la faune locale ; quant aux croco- 
diles, ils deviennent énormes ; on en a vu atteignant 
10 mètres de longueur. 

Le sucre est la principale culture des Philippines faite 
en vue de l'exportation ; la récolte, achetée presque en 
entier par les Etats-Unis et l'Angleterre, comporte 
annuellement plus de deux millions de quintaux métriques, 
d'une valeur de cinquante millions de francs. Le café, le 
cacao, le tabac, le chanvre de Manille feraient, concur- 
remment avec la canne à sucre, la richesse de ce beau 
pays si depuis des siècles il n'était administré d'une façon 
déplorable. 

Examinons, comme nous l'avons fait pour Cuba, les 
erreurs commises par les Espagnols, erreurs desquelles 
la crise actuelle a été la fatale résultante. Les phrases 
suivantes, tombées de la bouche d'un président du conseil 
des ministres d'Espagne, mettent à nu le système dont 
meurt aujourd'hui larchipel philippin : 

« Non, il est vrai, depuis le XVP siècle, depuis Magel- 
lan, Elcano et Legaspi, nous n'avons point, aux Philip- 
pines, changé de gouvernement. Constamment, depuis 
trois cents ans, nous avons voulu gouverner cette colonie 
avec des soldats et des moines. Nous y avons fondé une 
sorte de féodalité à la fois militaire et théocra tique, et 
contre elle, enfin, s'est dressée la franc-maçonnerie, si 
bien qu'il n'y a plus dans l'archipel, Européens ou indi- 
gènes, que les loges et leurs adeptes, en face des ordres 
et de leurs fidèles. 



44 CHAPITRE III. 

« J'en puis parler très librement, n'étant pas franc- 
maçon, non plus que je ne suis jésuite. De bonne foi, il 
faut avouer que ce gouvernement parles moines est, dans 
le monde moderne, un anachronisme. Mais, sommes* 
nous là-bas dans le monde moderne ? Nous avons affaire 
à des gens dont beaucoup sont des sauvages : les plus 
avancés n'en sont guère qu'où nous en étions il y a trois 
ou quatre siècles. Dès lors, la conclusion semble aller de 
soi : donnons-leur les institutions que nous avions il y a 
trois ou quatre siècles. 

« Ce serait, en effet, une conclusion ; seulement, par 
une contradiction singulière, en ce pays de trois ou quatre 
siècles en retard, où nous ne changions pas autre chose, 
nous avons essayé d'introduire notre Code civil espagnol, 
lequel, naturellement, s'inspire, comme aujourd'hui tous 
les codes occidentaux, du grand principe de l'égalité 
devant la loi. Un grand principe, assurément; mais en 
faire à l'adresse des Philippines, dans leur état actuel, un 
article d'exportation, c'est la pire des absurdités et le con- 
traire même de la politique. 

« Je me plais souvent à dire que l'histoire est d'hier, la 
poésie de demain, la science et la religion de toujours, 
mais que la politique est de ce jour et d'un seul jour. La 
première qualité d'un gouvernement est, en conséquence, 
de répondre à l'état social et aussi à l'état mental du 
peuple pour qui il prétend être fait. Dans la condition des 
Philippines, que leur fallait-il ? Un despotisme éclairé, le 
bon tyran : Pierre le Grand, Frédéric II ou Charles III. 
Que leur envoyons-nous ? Des moines d'abord, et qui sont 
insatiables, qui sans cesse importunent la reine : « Madame, . 
que Votre Majesté veuille bien nous donner ceci et, par 
grâce, y ajouter cela. » — Elles ont trouvé le moyen, les 
missions des Philippines, de se faire loger à l'Escurial ! 
Et puis, après les moines, les maçons, et par là-dessus, un 
régime militaire : des généraux, qui sont tantôt les servi- 
teurs des frères, tantôt les compagnons de la secte et qui, 



L*ESPAGNE EN EXTRÊME-ORIENT. 45 

«elôn qu'ils sont l'un ou l'autre, favorisent outrageuse- 
ment ou les ordres ou les loges. 

« Cependant, la colonie est tiraillée d'un camp à 
l'autre camp et d'un système au système opposé, gouver- 
née et administrée en partie par des lois trop jeunes, en 
partie par des mœurs trop vieilles. Au lieu de ces capi- 
taines généraux, incapables pour la plupart de comprendre 
leur rôle politique, que n'expédie-t-on à Manille un homme 
ayant le sens et la pratique des affaires de l'État, qui 
instaurerait un gouvernement civil et laïque, mais dont 
les éléments seraient combinés et dosés d'après le carac- 
tère, l'intelligence et le degré d'éducation du sujet. « 

De quelle façon, avec quels instruments l'Espagne gou- 
verne-t-elle et administre-t-elle les huit millions et demi 
d'Indiens, d^Igorrotes, de Maures, de métis, de Chi- 
nois, etc., que renferme l'archipel philippin ? 

Au sommet, nous dit M. Charles Beuoist, dans sa 
remarquable étude sur les lies Philippines, le gouverneur 
général réunit presque tous les pouvoirs ; il est plus que 
n'était jadis un vice-roi du Pérou ; il commande l'armée, 
dirige la politique ; c'est de lui que relèvent les afiaires 
civiles, et les affaires religieuses elles-mêmes ne lui sont 
pas étrangères, puisqu'il exerce le patronat royal vis-à-vis 
de rÉglise, est comme le vicaire de la couronne et repré- 
sentant la personne du prince, comme « l'évéque exté- 
rieur » pour les Indes orientales. Depuis i824, le gouver- 
neur général a toujours été un officier, capitaine ou lieu- 
tenant général, et le gouvernement général des Philip- 
pines est en même temps une capitainerie générale. Au 
sommet donc, le régime militaire ; les âmes appartiennent 
à Farchevèché : le capitaine général et l'archevêque, à 
eux deux, détiennent ainsi la somme de l'autorité ; ils la 
détiendraient toute, sans réserve ni recours, si la justice 
n'était du ressort de la Audiencia. 

Les provinces forment, soit des gouvernements civils 
alcadias mayores confiés à des juristes ou hommes de loi,' 



46 CHAPITRE III. 

soit des gouvernements ou commmandements politico- 
militaires. A la seule Ue de Luzon, et seulement à cer- 
taines parties de cette lie, se borne jusqu'à présent le 
champ d'expériences du régime civil : les Yisayas, Min- 
danao et Jolo, les lies adjacentes sont territoire militaire. 

Les Espagnols tiennent TEtat et la province ; ils aban- 
donnent la commune aux indigènes. Chaque pueblo ou 
commune possède une mairie, le tribunal où siège la 
Principalia, assemblée des membres et anciens membres 
de rayuniamiento, sorte de conseil municipal. Le chef de 
la commune est le gobemadorcillo on « petit gouverneur » , 
qu'on appelle couramment capitafi. G^est le maire de nos 
communes rurales avec, pour signes de son autorité, le 
frac et chapeau de haute forme et la canne à glands d'or. 

Les impôts ne sont pas excessifs. L'impôt de capitation 
s'élève à 7 fr. SO par personne ou 45 francs par ménage ; 
la corvée de quarante journées de travail paraîtrait exor- 
bitante si Ton n'ajoutait qu'en Extrême-Orient la journée 
de travail ne coûte pas fr. SO et que les prestations se 
rachètent au prix de 15 francs. Mais ce qui exaspère les 
indigènes philippins, c'est la manière dont les impôts 
sont perçus par le collecteur ou cabeza de barangay. 

Celui-ci, un indigène, est responsable pour tant de 
tètes de contribuables ; si ceux-ci ne payent pas, il paye, 
lui, et l'on comprend qu'à l'occasion il se couvre ou se 
dédommage. Comme d'ailleurs il exerce ses fonctions au 
nom de l'Espagne, c'est sur celle-ci que retombe l'odieux 
des exactions commises par les collecteurs des tailles. 

Les petits gouverneurs, capitaines et lieutenants de vil- 
lages, les principaux, les cabezas, leurs femmes et leurs 
enfants ne cessent pas pour cela d'être considérés ; même 
lorsqu'on en pàtit, on les excuse et on les plaint presque : 
ils sont bien forcés de faire ce qu'ils font; à l'Espagne, 
seule on en veut de toutes ces prévarications. Pendant 
ce temps-là, en travaillant ainsi pour eux, ils travaillent 
à Tenvi contre elle. 



L ESPAGNE EN EXTRÊME-ORIENT. 47 

Et pendant ce temps-là, dit don Manuel Scheîdnagel, 
les Espagnols remettent la police des lies à une garde 
civile indigène qui coûte cher, est mal composée, plus 
mal dressée, plus mal armée ; qui poursuit, sans jamais 
les atteindre, les tulisanes, les bandits dont deux compa- 
gnies d'infanterie ne tarderaient guère à rendre compte et 
depuis la création de laquelle les délits sont plus nom- 
bi^ux qu'auparavant. De telle façon que les chefs de vil- 
lages, les petits fonctionnaires indigènes fournissent à 
rïnsurrection ses officiers ; la garde civile lui fournit ses 
cadres ; quant aux prétextes et aux meneurs, on pense 
bien qu'ils ne manquent pas. 

Quatre ordres religieux prospères et puissants se par- 
tagent les Philippines : aiigustins, récollets, francis- 
cains Bt dominicains. Ils occupent toutLuzon à l'exception 
des deux provinces de Lepanto et de Bontoc et toutes les 
lies Visayas ; Mindanao est réservé à la compagnie de 
Jésus. Leurs titres de possession évangélique sont anciens 
et vénérables; les augustins sont venus en 1563 avec 
Legaspi ; les franciscains en 1577; les dominicains en 
1887, les récollets en 1606 ; les jésuites, après avoir été 
supprimés par Charles III, ne sont rentrés qu'en 1852. 

Recrutés exclusivement parmi les Espagnols, dit 
M. jCharles Benoist, ils ne s'enferment pas au fond de 
leurs couvents pour y vivre dans la prière et la contem- 
plation; ils occupent la majeure partie des cures parois- 
siales. Le reste, celles qui appartiennent en propre aux 
diocèses et, par exception, quelques-unes aussi de celles 
qui dépendent des ordres, est laissé au clergé séculier 
presque exclusivement indigène. Les bénéfices n'en sont 
point méprisables. Chaque fois qu'un indigène paye la 
capitation de 7 fr. 50, il est retenu 1 fr. 25 à titre de 
sanctorum et les sommes ainsi perçues sont distribuées 
aux curés des diverses communes sans préjudice des 
autres offrandes coutumières. L'archevêque de Manille 
touche de l'État 60,000 francs ; les archevêques de 






48 CHAPITRE m. 

Cebu, Nueva-Segovîa , Nueva-Caceres et Jaro, chacun 
30,000 francs. Le chapitre de Manille reçoit annuellement 
170,000 francs, nos compris les émoluments des provi- 
seurSj fiscaux et notaires ecclésiastiques qui Tarient 
entre 10,000 et 15,000 francs. Le haut clergé et le clergé 
paroissial coûtent à TÉtat chaque année 3,500,000 francs ; 
la cure la plus minime rapporte 10,000 francs; certaines 
valent jusqu'à 75,000 fr. 

Le clergé aux Philippines est également le corps ensei- 
gnant. Quoi que Ton veuille étudier, théologie, jurispru- 
dence, médecine, pharmacie <m notariat, il n'y a à 
Manille qu'un endroit où Ton enseigne : la royale et pon- 
tificate Université de Saint-Thomas y dirigée par les domi- 
nicains. Des petits séminaires, dirigés par les domini- 
cains, les jésuites ou le clergé séculier, préparent aux 
cours de l'Université. 

En face des communautés religieuses des lies Philip- 
pines se sont dressées depuis longtemps ld6 loges maçon- 
niques. A Manille, seize d'entre elles sont affiliées au 
Grand-Orient d'Espagne, et une au moins dans les autres 
provinces de Luzon ainsi que dans Zamboanga et les 
Visayas ; un club-loge anglo -allemand, dont le ^capitaine 
général, le commandant en second, le président du tri- 
bunal, le directeur de l'administration, le gouverneur 
civil et le commandant général de la marine ont accepté 
d'être membres honoraires et où des généraux fréquen- 
taient quotidiennement ; une loge encore, exclusivement 
allemande, celle-là, et rattachée au Grand-Orient de Ber- 
lin, rUîiion germanique ; ]^ms la Société de tir de San- 
Juan del MontCy centre commun aux Suisses, Belges, 
Français et Hollandais, qui, une fois par an, sort en armes 
dans les rues de Manille, évolue sous le commandement 
du gouverneur général et défile devant lui; en tout, 
assure-t-on, cent quatre-vingts loges et, y compris les 
«frères dormants i» , vingt-cinq mille initiés, tel serait, 
d'après Vergara, l'effectif de la franc -maçonnerie aux 






l'ESPAGNE en EXTRÊME-ORIENT. 49 

Philippines. Parmi ces initiés figurent nn très grand 
nombre d'indigènes et notamment les plus riches, les 
plus influents ; d'autre paij't, Félémeut indien, poussé par 
l'attraîl du mystère, irrésistible pour l'homme primitif, 
s'est enrôlé en masse dans la franc-maçonnerie, qui a 
fourni ainsi à Tiûsurrection les chefs comme Aguinaldo 
Llanera et Andrés Bonifacio. 

L'affiliation aux loges des indigènes a, en effet, été la 
cause déterminante, quoique éloignée, de l'insurrection, 
prélude de la guerre étrangère. A force de se rencontrer 
pour les « tenues » et les cérémonies, les Indiens ont 
appris à se compter, à compter les Européens et à se 
compter comme à les compter homme pour homme. 
Depuis des siècles, les moines leur enseignaient à regar- 
der l'Espagnol comme un père, avec l'idée de pouvoir 
quasi illimité qu'emporte la paternité dans le régime 
patriarcal ; les francs-maçons les ont autorisés à ne plus 
le regarder que comme un frère, avec l'idée d'égalité que 
la fraternité comporte dans le régime moderne de l'Occi- 
dent. Entendant sans cesse dans leurs loges mal parler du 
prêtre, ils ne le respectaient plus ; y coudoyant chaque 
jour l'officier, ils ne le craignaient plus. Le commande- 
ment se rapprochant d^eux perdait de son poids ; mais 
eux, se rapprochant les uns des autres gagnaient le sen- 
timent de leur masse. 

Le groupement qui manquait aux indigènes des Philip- 
pines, la franc-maçonnerie le leur a donné, groupement 
non seulement politique, mais militaire. Quand la franc- 
maçonnerie a eu dans larchipel cent quatre-vingts loges, 
non seulement la conjuration a eu cent quatre-vingts 
foyers, mais l'insurrection cent quatre-vingts régiments : 
2S,000 francs-maçons, plus de 20,000 rebelles sachant £e 
qu'ils faisaient ; derrière, la multitude de ceux qui ne 
savaient pas et qui se levaient tout de même. 

Nous ne nous occuperons point ici des insurrections 

partielles qui, à toutes les époques, semblent avoir été la 

4 






?* 



50 CHAPITRE ÏIÏ. 

vie normale de toutes les colonies espagnoles ; nous passe- 
rons de suite à la révolte de 1896. 

Au mois d'août de cette année, des bruits fâcheux cir- 
culaient en Espagne ; on parlait de révolution aux Philip- 
pines, d'incendies, de massacres. Le gouvernement gar- 
dait le silence. Enfin, le 31 août, M. Canovas del Castillo, 
président du conseil, fut interrogé au Sénat sur le crédit 
que méritaient ces bruits et fut contraint de faire la 
réponse suivante : « Malheureusement, on ne dit que la 
vérité. Il est triste que depuis quelque temps nous rece- 
vions des nouvelles pen agréables qui obligent la nation 
espagnole à montrer, comme elle le montrera, toute la 
virilité dont elle est capable contre toute espèce d'atta- 
ques et contre toute engeance d'ennemis. » 

Et le président du conseil communiquait les renseigne- 
ments suivants : 1000 soldats de troupes indigènes 
avaient fait défection; on comptait que les conjurés 
devaient être au nombre d'environ 4,000 ; 2,000 ou 3,000 
des plus audacieux avaient attaqué les lignes qui défen- 
dent l'ample circuit de la ville de Manille. Mais ils avaient 
été repoussés. Cependant, le gouverneur général se hâtait 
de mettre sur pied un bataillon de volontaires formé 
d'Espagnols de la péninsule et il avait demandé au com- 
mandant de la station navale de lui prêter 500 marins ; à 
Manille même, la garnison était plutôt faible ; il n'y avait 
qu*un bataillon d'artillerie à pied et quatre compagnies 
d'infanterie de marine péninsulaires. C'était assez pour 
que la capitale ne courût pas un sérieux danger ; ce 
n'était pas assez pour restaurer la paix dans l'Ile. Il 
n'était point difficile de découvrir dans ce langage la 
triste réalité. Les déclarations de M. Canovas voulaient 
dire que Luzon était pleine d'insurgés et que le capitaine 
général était assiégé dans Manille. 

Le gouverneur des Philippines était alors don Ramon 
Blanco y Erenas, marquis de Pena Plata, homme d'une 
bravoure reconnue et d'une grande intelligence militaire* 



-■% - 



L'ESPAGNE EN EXTREME-ORIENT. 51 

Il avait passé par tous \eë grades de la hiérarchie et avait 
conquis le tercer entorcliado^ la troisième torsade, soit, 
chez nous, le bâton de maréchal. Dès 1866, il avait fait 
campagne dans l'Ile comme aide de camp du capitaine 
général don José de la Gandara ; de 1868 à 1871 , il avait 
exercé les fonctions de gouverneur de Mindanao ; enfin, 
en 1893, il avait assumé la charge de gouverneur général 
à laquelle il adjoignait quelques-mois plus tard celle de 
général en chef. C'est en cette qualité qu'après sa vic- 
toire à Marahui, il avait reçu des Corlès des remercie- 
ments unanimes et du gouvernement le tercer entorchado. 
C'est ce vieil et vaillant soldat qui, soudain, avec deux 
bataillons, dont Tun à peine formé, et quelques volon- 
taires, se trouva en face d'une insurrection qui s'annon- 
çait formidable. 

(( Dans le malheur, dit avec juste raison M. Charles 
Benoist, on accuse toujours. On reprocha au maréchal 
Blanco de s'être entêté dans l'expédition de Mindanao, 
d'avoir dégarni Luzon, de n'avoir rien prévu, de n'avoir 
pourvu à rien et, maintenant même que la capitale était 
comme investie, de ne rien faire et de ne rien tenter. » 

Loin de mériter les injures et les délations, le maréchal 
déploya le courage le plus rare et qui coûte le plus à un 
militaire ; ne pouvant utilement marcher, il sut se rési- 
gner à une immobilité que tout autour de lui il entendait 
qualifier d'étonnante, si ce n'était de scandaleuse. 

Ne pouvant faire davantage, n'était-ce pas déjà faire 
beaucoup que de ne point donner à l'ennemi l'occasion 
de profiter d'une faute, de ne point jeter au grand incen- 
die cet aliment, la flamme d'une victoire? Mais, immo- 
bile, le maréchal Blanco n'était pas inactif, et, dans la 
défensive prudente où il se renfermait, il préparait l'of- 
fensive prochaine. Il n'eut le temps que d'en esquisser le 
premier geste, car la clameur de ses adversaires s'élevait 
trop haut, et en lui envoyant le général Polavieja comme 
lieutenant, il était manifeste que • le gouvernement lui 



-ï^r. 



o2 CHAPITRE III. 

envoyait un successeur. Ainsi le comprit le maréchal, 
qui remit ses pouvoirs et s'embarqua aussitôt pour l'Es- 
pagne. 

Polavieja était le héros de la Guerra chiquita, de la 
petite guerre, dernière convulsion de la révolte où, dix 
années durant, de 1868 à 1878, jusqu'après le pacte de 
Zanjon, avait été en jeu la souveraineté espagnole sur 
Cuba. Connu pour procéder à la manière forte, il empor- 
tait aux Philippines les espérances des patriotes impa- 
tients que la lenteur obligée de Blanco avait mis hors 
d'eux-mêmes. En possession de moyens que son prédéces- 
seur n'avait pas, Polavieja ne laissa décevoir aucune de 
ces espérances : quoique malade, cloué sous sa tente par 
la fièvre, à demi aveugle, il agit, ne fut-ce qu'en com- 
mandant énergiquement l'action, et, secondé à merveille 
par un de ses divisionnaires, le général Lachambre, il 
eut vite fait de chasser les insurgés d'Imus, de Cavite- 
Viejo et d'en purger les environs de Manille, les pro- 
vinces qui sont comme le cœur de Luzon et le centre de 
toute la colonie. 

Mais il ne lui fut pas permis d'aller au delà et, à son 
tour, il eut un successeur en la personne du capitaine 
général de Madrid, don Fernando Primo de Rivera, mar- 
quis de Estella, pour qui, non plus, les Philippines 
n'étaient pas un pays nouveau, puisqu'il en avsdt été pré- 
cédemment le gouverneur. Primo de Rivera ne pouvait 
que poursuivre ce que Polavieja avait si bien commencé ; 
il s'attacha avec décision et bonheur à ce labeur ingrat ; 
l'insurrection recula, les rebelles furent battus en maintes 
rencontres et, si l'on ne tient pas compte des petites 
révoltes locales survenues au cours de l'année 1897 et 
rapidement réprimées, on peut dire que l'ordre régnait 
aux Philippines jusqu'au jour où la guerre étrangère vint 
ranimer les espérances des chefs indiens et remettre de 
nouveau en question la souveraineté de l'Espagne sur ses 
possessions d'Extrême-Orient. 



Tï — -— 



l'espagne en extrême orient, 63 

Le 26 janvier 1898, un décret royal créait une médaille 
destinée à a rappeler les gloires et les souffrances de 
l'armée et de la flotte pendant la dernière campagne aux 
iles Philippines o. 

Cette médaille, en bronze, comporte sur la face le 
buste du roi avec l'inscription : Alphonse XIII à J'armée 
des Philippines ; sur le revers, l'inscription : Valeur, Dis- 
cipline et Loyauté, 1896 à 1898. Le ruban est en soie 
rayée aux couleurs nationales, jaune et rouge. 



} 



•9. 




RS 



^land. — Conflit inéyi- 

fiies flibnatiere. — 

ireroemeiK espagnol. — 

incho. — Réorganisation 

I. — La juDie de New* 

- L'incident Dapnjr 

.rnahé à WashÎDglori. — 

capitaine Sigsbee. — 

•réparatife de guerre. — 

— Conclusions inconci' 

reconcenirados. — Pro- 

•4— InterveDlLOn du pape. 

Cuba. — Les instnic- 



5)endaiit la période 
ïtive des hostilités 
fie est aujourd'hui 
pides ligues. Avant 
Sers mois de 1897, 
l message qui était 

Madrid, 
tnd, est si près de 
ptre territoire. Nos 
Eoccupent le second 
îês ceux du gouver- 

calcule, sur des 
biéricains ont, pour 
&llars employés en 

ions minières et 
tement commei'cial 
C 1889, représentait 



AU PAYS DES DOLLARS. 



55 



environ 74 millions de dollars, s'éleva en 1893 à près de 
163 millions, et en 1894, un an avant le début de l'insur- 
rection actuelle, atteignit encore 96 millions de dollars. 
Les États-Unis se trouvent donc inévitablement impliqués 
dans la lutte j soit par les vexations, soit par les dommages 
matériels qu'ils ont à en souffrir. » 



ENTRE LA FLORIDE ET CUBA 




QCFiAX 



ATLANTIG^FE 



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XFSSBa 




I. IJjim 



MK li 



JAMAI^UK 



S^ 



ANTTTiJiKi g 




Voilà donc clairement énoncé le motif qu'avaient les 
Américains de se mêler des affaires de Cuba, affaires 
américaines autant qu'espagnoles, selon M. Cleveland. 
Mais il y en avait bien d'autres. Examinons- les avec 
l'aide de M. Charles Benoist, que Ton ne saurait trop citer 
en pareille matière. 

La présence à New- York de la junte insurrectionnelle 



56 CHAPITRE IV. 

cubaine, qui faisait de cette ville le bureau de recrutement 
et le centre de ravitaillement des insurgés en ressources 
de toute nature, hommes, armes, argent; la présence à 
Cuba de citoyens américains plus ou moins récents, plus 
ou moins authentiques, mais qui, de par leurs papiers mis 
en règle, scellés du sceau du Consulat, avaient le droit de 
couvrir du drapeau de TUnion leurs intrigues et leurs 
démarches; la présence un peu partout, dans Timmense 
étendue des quarante-cinq Etats, surtout dans les États 
du Sud, dans la Floride, vers TUot de Key-West, d'élé- 
ments turbulents, aventureux, surexcités et prêts à partir 
en campagne quand passerait un flibustier, le Laurada ou 
le Three-Friends ; tout cela, disait M. Cleveland, créait au 
gouvernement américain des tracas incessants, l'obligeait 
à une surveillance minutieuse sur les côtes et dans les 
ports, était pour lui une cause de gros soucis et de grosses 
dépenses; et il se fondait là-dessus pour presser l'Espagne 
d'en finir. Il Ten sollicitait, d'ailleurs, par des considéra- 
tions plus hautes, pour mettre un terme aux maux d'une 
rébellion et d'une répression également impitoyables, qui, 
l'une et l'autre, ravageaient et ruinaient l'Ile, l'une sous 
prétexte de l'afl^ranchir, l'autre à l'effet de la pacifier. 

Pour cette pacification de Cuba, si l'Espagne ne réus- 
sissait pas d'elle-même et à elle seule à l'assurer; s'il était 
démontré par les événements, ou si elle avouait qu'elle 
n'y pouvait réussir dans un délai fixé, en recourant à des 
moyens qu'il indiquait, M. Cleveland proposait les bons 
et loyaux offices des États-Unis, laissant entendre qu'au 
cas où le gouvernement espagnol ne les accepterait point, 
la République américaine imposerait, au besoin, ces bons 
offices, devenus nécessaires. 

De son côté, M. Canovas, chef du cabinet espagnol, 
repoussait énergiquement cette proposition de M. Cleve- 
land et du Congrès américain, que les affaires cubaines 
étaient presque des affaires américaines. Rien, suivant 
l'homme d'État espagnol, ne se débattait à Cuba qui re- 



AU PAYS DES DOLLARS. 87 

gardât personne au monde, hormis les Cubains insurgés 
et les Espagnols, et c'était à PEspagne seule de se dé- 
brouiller avec les rebelles, en vertu de ce principe que 
chacun est maître chez soi. Sans nier que les États-Unis 
eussent à Cuba des intérêts, M. Canovas soutenait que le 
gouvernement espagnol, à l'exclusion de tout autre, avait 
qualité pour les faire respecter et n^y avait jamais failli. 
11 se refusait à admettre qu'on lui assignât une Jimite de 
temps, et, tout en écoutant les avis qu'on lui donnait sans 
qu'il les demandât, il se réservait d'examiner s'il les trou- 
vait compatibles avec la dignité et la souveraineté de l'Es- 
pagne. Il se refusait, d'ailleurs, à soumettre à la régente 
les décrets réglant d'une façon libérale le sort de Cuba, 
avant qu'il ne fût évident que « ce que l'Espagne octroie 
de bonne grâce^ on ne Va ni arraché par la violence^ ni 
surpris par la ruse. Victorieuse , l'Espagne peut donner 
beaucoup ; maiSj jusqu'à la victoire^ rien! » 

M. Canovas était d'ailleurs soutenu dans sa résistance 
aux invitations des États-Unis parle sentiment national et 
un patriotisme exalté. Les marchés étrangers venant de 
se fermer aux emprunts espagnols, la péninsule avait fait 
un effort désespéré pour fournir les 400 millions qu'on 
sollicitait d'elle, après tant d'autres sacrifices, 200,000 
hommes à Cuba, 25,000 aux Philippines. 

Le premier ministre ne s'effrayait même pas de Téven- 
tualité d'une intervention armée des États-Unis dans la 
question cubaine. Il savait mieux que personne que ceux- 
ci avaient pour eux le nerf de la guerre : l'argent, mais 
croyait être fixé sur la valeur de l'armée et de la flotte 
yankees, bien inférieures, pensait-il, à la flotte et à l'ar- 
mée espagnoles. 

Il pensait que l'Espagne n'ayaîit pas adhéré à l'acte de 
Paris de 1836, son gouvernement délivrerait des lettres 
de marque aux hardis marins de Catalogne et de Biscaye. 

D'autre part, la guerre sur terre ne l'effrayait pas non 
plus. Napoléon ne s'était-il pas brisé à la résistance des 



■ I 



58 CHAPITRE IV. 

Espagnols sur leur territoire national ? Et au cas probable 
où la lutte serait circonscrite à Cuba, n'y avait-il pas là- 
bas 200,000 bons soldats qui sauraient tenir en échec les 
milices informes des Etats de TUnion? 

Néanmoins, M. Canovas voulait à tout prix écarter la 
guerre, pourvu que ce ne fût pas au prix de Thonneur 
espagnol; et les mouvements populaires provoqués aux 
Etats-Unis, les résolutions enflammées déposées dans les 
deux Chambres, la lacération, à New- York, du drapeau 
espagnol, et la pendaison en effigie du général Weyler ne 
purent le faire sortir de son calme et le déterminer à jeter 
son pays dans les pires aventures. 

Cependant, M. Mac Kinley avait remplacé M. Cleveland 
à la Maison-Blanche et le général Woodford était venu 
représenter les Etals-Unis à Madrid. Si la froideur entre 
les diplomates et les cabinets des deux pays était grande, 
du moins la coxTection la plus absolue présidait- elle à 
leurs relations journalières. 

Il semblait même qu'une détente dût se produire à brève 
échéance entre les deux nations ; le gouvernement espa- 
gnol venait de promulguer un décret réorganisant à Cuba 
les conseils municipaux et les conseils provinciaux ; d'au- 
tres garanties avaient été, sinon données, du moins for- 
mellement promises, et bien des gens espéraient que l'ac- 
cord se ferait lorsque M. Canovas tomba sous les balles 
d'Angiolillo. 

Son successeur, M. Sagasta, avait en Amérique une 
réputation de faiblesse et d'indécision qui contrastait fort 
avec celle de fermeté laissée par M. Canovas. 

^.ussi, son arrivée au pouvoir ranima-t-elle les espé- 
rances des partisans de l'autonomie absolue de Cuba ou 
même de son annexion aux États-Unis. 

Le rappel du général Weyler, l'envoi du général Blanco, 
chargé de porter à Cuba les décrets d'autonomie relative, 
furent interprétés de l'autre côté de TOcéan comme des 
signes de défaillance et de lassitude. 



60 CHAPITRE IV. 

Cette lettre, interceptée par la junte insurrectionnelle 
cubaine de New- York, fut publiée par la presse améri- 
caine. Tous les journaux de Tautre côté de l'Atlantique 
redoublèrent de violence à Tégard du gouvernement espa- 
gnol, et le général Woodford, ambassadeur des Étais- 
Unis à Madrid, remit à M. Sagasta une note regrettant 
« que le gouvernement espagnol n'ait pas spontanément 
censuré et désapprouvé officiellement les passages de la 
lettre de M. Dupuy de Lôme qui contiennent des insultes 
au président Mac Kinley, et qui indiquent que l'autonomie 
cubaine n'est pas sérieuse, ni les négociations commer- 
ciales sincères » . Pour le cas où le gouvernement espagnol 
ne connaîtrait pas le texte de la lettre Dupuy de Lôme, la 
note anléricaine reproduit les passages incriminés. 

Le cabinet espagnol se tira de cette impasse en publiant 
dans la Gazette officielle un décret acceptant la démission 
de M. Dupuy de Lôme, mais sans la formule d'usage, 
disant que U'g(Tm)ernement est satisfait de son zèle et de 
ses services, 

La même gazette publia le décret lui donnant comme 
successeur M. Polo de Barnabe, chef de la direction du 
commerce et des consulats, ancien secrétaire à la légation 
de Washington lorsque son père y était ministre d'Es- 
pagne, en 1874. 

Le ministre des affaires étrangères, d'autre part, répon- 
dit à la note américaine en déclarant que le cabinet espa- 
gnol croyait avoir suffisamment signifié sa désapprobation 
de la conduite du représentant de l'Espagne en acceptant 
sa démission avant même la première réclamation amé- 
ricaine. Il était donc surpris de recevoir une nouvelle 
réclamation au sujet d'une lettre particulière dont, natu- 
rellement, il réprouvait les passages insultants pour le 
président des États-Unis. 

La note était rédigée en termes flatteurs pour le prési- 
dent Mac Kinley, et le gouvernement espagnol exprimait 
l'espoir que l'incident serait clos, d'autapt plus que le 




•^ashÏDgtoD. 
^'accordait à 



f 



"T^ 



4» 



62 CHAPITRE IV. 

constater une détente dans les rapports entre les deux 
pays, il n'en était pas de même dans le peuple, que sur- 
excitait une presse nationaliste, celle que nos voisins 
d'outre-Atlantique appellent la « presse jaune ». Pour les 
jingolstes outranciers de New- York, tout était prétexte à 
clameurs furibondes, et le gouvernement de M. Mac Kinley 
étaib sans cesse gêné dans les négociations en cours par 
des rodomontades de membres du Congrès, désireux de 
créer autour de leur personnalité une réputation de pa- 
triotes raffinés. 

Cependant, les affaires semblaient s'arranger; un navire 
de guerre américain, le Maine^ avait été désigné pour 
visiter successivement Us ports de Cuba ; et, par répro- 
cité, un croiseur espagnol devait faire escale dans divers 
ports des États-Unis. 

Le Maine arriva à la Havane dans les premiers jours 
de février et fut salué par les forts espagnols et les navires 
de guerre ancrés dans le port. 

Le 16 février, le télégramme suivant, expédié par le 
consul des États-Unis à la Havane, était affiché à New- 
York : 

« Le Maine a sauté dans le port de la Havane, à neuf 
heures quarante. 

(( Le bâtiment est détruit. 11 y a plusieurs blessés, et, 
probablement, le nombre des tués et des noyés est plus 
considérable que celui des blessés. Les autres hommes de 
réquipage sont à bord d'une canonnière espagnole et d'un 
vapeur américain. 

« En l'absence de renseignements plus circonstanciés, 
l'opinion publique doit s'abstenir de tout jugement sur la 
cause de l'explosion. 

« On croit que tous les officiers sont sauvés. Toutefois, 
deux d'entre eux manquent. Plusieurs officiers espagnols, 
parmi lesquels le maréchal Blanco, sont venus m'exprimer 
leur sympathie. » 

Ce télégramme, signé- du capitaine Sigsbee, comman- 



*3î?3¥'"-. 



k»j 



' AU PAYS DES DOLLARS. 63 

dant le Maine, produisit en Amérique une impression de 
stupeur. Il fut d'ailleurs suivi à bref délai d'autres télé- 
grammes donnant les détails suivants sur le sinistre : 

L'explosion semblait s'être produite dans la soute cen- 
trale. Elle fut si violente que le croiseur fut soulevé hors 
de l'eau, puis retomba en partie détruit. Tous les officiers, 
à l'exception du médecin, étaient réunis dans la cabine 
centrale au uiomcnt de l'explosion. . . 

La secousse fut formidable; tous se précipitèrent. sur ' 
le pont; mais il leur fut impossible d'avancer vers le 
milieu du navire. Les quelques survivants des 350 marins 
qui purent sortir de la cale débouchèrent avec tant de 
rapidité que plusieurs tombèrent^ Teaju et se noyèrent. 

Des tuyaux en cuivre, des garnitar^s, des barres de fer 
et d autres fragments du navire tombaient en pluie dans 
toutes les directions. Une fumée épaisse, s'éleva, au milieu 
de laquelle on entendait des «ris d'angoisse. 

Lorsque le premier moment de stupeur fut passé, des 
faisceaux de lumière électrique furent concentrés de la 
rive sur le lieu de la catastrophe, éclairant ainsi une scène 
épouvantable. Des bateaux espagnols se détachèrent du 
rivage et accostèrent le Maine^ qui brûlait et s'enfonçait 
peu à peu. Bientôt sa coque disparaissait et seuls le màt 
de poupe et quelques gréements émergeant au-dessus de 
l'eau indiquaient l'endroit où flottait, quelques heures 
auparavant, un navire cuirassé de 6,682 tonneaux, armé 
de quatre pièces de 254 millimètres, de dix canons à tir 
rapide de 57 millimètres, et d'un grand nombre de pièces 
légères et de mitrailleuses. 

Le nombre des victimes de l'explosion était de 270, tués 
ou noyés ; celui des blessés de 115. 

Les premiers rapports parvenus à Washington établis- 
saient très affirmativement que l'explosion du Maine était 
due à une cause intérieure, à un accident non encore 
déterminé. 

Peu à peu, cependant, sous la pression des journaux 



64 CHAPITRE IV. 

jingolstes, une autre opinion se fit jour, accueillie laveo 
enthousiasme par la population outrancière. 

Les partisans de la guerre avec TEspagne- affirmaient 
que l'explosion du Maine avait été provoquée par une 
torpille ou une mine sous-marine, et que le mauvais 
vouloir du gouvernement espagnol n'était pas -étranger 
au sinistre. 

L'amiral commandant Tesçadre américaine du Nord de 
l'Atlantique nomma aussitôt une commission d'enquête. 

Un navire de guerre des Etats-Unis, le Bangrove^ ayant 
à son bord les officiers supérieurs de la commission, partit 
pour la Havane, emportant des scaphandriers, et vint 
mouiller à côté de l'épave àut^Jfaine. La commission en- 
tendit le rapport du capitaine Sigsbee et commença aussi- 
tôt ses investigations. 

Aux Etats-Unis, les préparatifs militaires allaient leur 
train; les batteries de côtes recevaient leurs servants, 
et des munitions étaient envoyées sur divers points du 
littoral, ce qui n'empêchait pas le général Merritt de 
déclarer que « la situation ne justifie aucune émotion » 
(23 février). 

De son côté, la presse jaune continuait consciencieuse- 
ment sa campagne d'excitations et d'injures. 

Avant même que la commission d'enquête fût arrivée 
dans les eaux de Cuba, un journal de New- York publiait, 
en caractères d'affiches, qu'il « possédait et présentait à 
ses lecteurs la preuve irrévocable de l'existence d'une 
mine sous-marine, dont l'explosion, préméditée, avait 
occasionné la perte du Maine » . 

On peut juger par cela de l'état d'esprit dans lequel se 
trouvait la population américaine. Voici, d'ailleurs, l'ex- 
trait d'une correspondance publiée par le New -York 
Herald à la date du 28 février : 

« Bien que la commission d'enquête conduise ses inves- 
tigations aussi secrètement que possible, il semble établi 
que Pexplosion qui a détruit le Maine s'est produite sous 



/ - — - J» 



« ^a catasf n. t: ™me on 1 avait cru 

'^^^^ *«e«^l>^' *"^«* donc été àM • 

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^'es mines n'^'"^*^'» «* qui molTJ? ""^^ * ^* Wblio- 

^««i-ues ^ ^^ ^a marine « j "^ «terruption. Le dé- 

^«P'^ "d^:r- '" «««« -ns\tr ^.^^« «^-.Çdes 

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« t^e Jf^^?'^^' ^ ""^^'^^^^ «t d'artilleurs se 

^«^>^^-^êsf 3'"^« ^««''ceUciïr^r^ ^" P'^^ident Mac 
*°"« i«s c t^*"^ ^ "«« traWsont f 'i' '^ catastrophe du 
K « ^. Mac^K^^^^^^ ^*-' -Unis '^^ '^ '^^'^^ ^ -««^-re 

•?*^*Adeu?^^^^*^S:aIeinentdéclar-i« . 
"^^vitable S* ^'^^^^^ Sénateurs gue la 1 " '^"**«"r Hol>. 
^» «eu ^^;^f «« importe, d'aprè^îuf T""v ^"' ««'"Wait 
^"°'««. Le s«.^" '*°« 1* conniteace^^"" ^'«^plosion ait 
^«^\e«e J y^"*^--t du pays ne7e:i*"/«rités espa- 
" -^e chef ^^V* autrement. ^^^«^««rait pas au gou- 

^" bureau de la navigation • 

Station vient de rentrer 




66 CHAPITRE IV. 

après avoir effectué, sur le croiseur Montgomeryj Tinspec- 
tion des côtes de Cuba, particulièrement des ports de 
Matanzas et de Santiago, en vue d'une action des flottes 
américaines. L'escadre de l'Atlantique du Sud vient de 
faire sa concentration avec l'escadre du golfe du Mexique, 
et, en vingt-quatre heures, toutes ces forces pourraient 
être massées devant la Havane. » 

Ainsi, de l'aveu du plus important organe des Etats- 
Unis, le président Mac Kinley avait déclaré, le 28 février, 
que la guerre avec l'Espagne était inévitable; ce qui 
n'empêchait point, d'ailleurs, la commission d'enquête 
de continuer ses investigations. Son rapport parvint à 
Washington à la fin du mois de mars. En voici les conclu- 
sions : 

i^ Au moment de l'explosion le navire se trouvait par 
environ six brasses d'eau ; 

2® La discipline à bord était excellente et tout était 
arrimé conformément aux ordres; la température dans les 
soutes, à 8 heures, était normale, excepté dans la soute 
arrière, affectée aux canons de dix pouces, et qui ne fit 
pas explosion ; 

3^ L'explosion eut lieu à 9 h. 40 du soir. Il y eut deux 
explosions à un très court intervalle. Le navire fut soulevé 
par la première explosion ; 

4® La commission ne peut former aucune opinion défi- 
nitive des dépositions des plongeurs, relativement à la 
condition des épaves; 

5^ Il résulte des détails techniques, relativement aux 
épaves trouvées dans cette partie, qu'une mine fit explo- 
sion au-dessous de l'eau, à bâbord ; 

6<* L'explosion n'est due à aucune faute de l'équipage 
du Maine; 

7» L'opinion de la commission est que l'explosion d'une 
mine causa l'explosion de deux soutes ; 

8<* La commission déclare qu'elle ne peut pas trouver 
de preuves pour fixer la responsabilité. 




W-. ^-J^ 



* *'l 



AJJ PAYS DES DOLLARS. 67 

Les membres de la commission sont unanimes dans 
leur conclusion. 

Le rapport ne fait aucune mention de TËspagne ou des 
Espagnols. 

La commission d'enquête espagnole, de son côté, avait 
établi un rapport sur l'explosion du croiseur américain. 

Les conclusions de ce rapport étaient exactement l'op- 
posé de celles du rapport américain. 

Contrairement à ce qui se passait aux États-Unis, la 
presse espagnole conservait tout son sang-froid, et les 
journaux de toute nuance publiaient des articles rassu- 
rants. Le^ gouvernement, affirmait-on, était décidé à faire 
tout son possible pour éviter la guerre, si la dignité et 
l'honneur de l'Espagne n'étaient pas atteints. 

Le rapport américain sur l'explosion du Maine fut com- 
muniqué au Congrès en même temps qu'un message du 
président Mac Einley. 

Ce message débutait par l'exposé des motifs qui déci- 
dèrent les Etats-Unis à envoyer un navire dans les eaux 
cubaines. 

Après avoir constaté qu'un sentiment de soulagement 
et de confiance suivit la reprisa de cet échange amical de 
visites qui avait été interrompu pendant longtemps, le 
message ajoute, parlant de l'explosion du Maine : 

(( Cette terrible calamité a frappé nos nationaux d'un 
coup écrasant, et, pendant une courte période, une indes- 
criptible agitation prévalut. Chez un peuple ayant moins 
le contrôle de soi-même [et moins juste que le nôtre, cette 
agitation aurait pu conduire à des actes prompts d'un res- 
sentiment aveugle. Cet esprit, toutefois, fit place à la rai- 
son, plus calme, & la décision d'étudier les faits et d'at- 
tendre des preuves matérielles afin de juger la cause et la 
responsabilité. 

« Les conclusions de la commission d'enquête sont que 
la perte du Maine n'est due ni à une erreur ni à un« 
négligence des officiers ou de l'équipage. 







68 CHAPITRE IV. 

« Le navire a été détruit par Texplosion d'une mine 
F sous-marine, laquelle a elle-même amené Texplosion par- 

tielle de deux ou plusieurs magasins de l'avant ; aucune 
preuve fixant la responsabilité sur une ou plusieurs per- 
sonnes n^a pu être obtenue. 

« Le président a décidé que les résultats de l'enquête 
et l'opinion du gouvernement sur ces résultats seront 
communiqués au gouvernement espagnol. 

a Je ne me permets pas, conclut-il, de mettre en doute 
que les sentiments de justice de la nation espagnole ne 
dictent l'attitude que suggèrent l'honneur et les relations 
amicales des deux gouvernements. 

« Ce sera le devoir du pouvoir exécutif d'aviser le Con- 
grès sur le résultat obtenu. » 

Le message du président Mac Kinley fut renvoyé sans 
discussion à la commission des affaires étrangères du 
Sénat, qui jugea opportun d'attendre les résultats des 
négociations engagées entre TEspagne et les États-Unis 
pour se prononcer. 

A la Chambre des représentants, un ordre du jour en 
faveur de l'indépendance de Cuba souleva, le 30 mars, les 
applaudissements des tribunes ; mais après une discussion 
l très chaude, il fut ajourné pour vice de forme par 179 voix 

l contre 139. 

l Les négociations engagées ^ Madrid par le général 

i; Woodford, ambassadeur des Etats-Unis, portaient sur 

deux points principaux : 
^ 1 L'Espagne proclamerait immédiatement un armistice 

I jusqu'en octobre 1898, et dans cet intervalle, les États- 

? Unis emploieraient leurs bons offices auprès des insurgés 

cubains pour rendre permanente cette paix provisoire ; 

2'* L^Espagne emploierait tous ses efforts à secourir les 
habitants de l'Ile réduits à la misère, et les États-Unis 
lui prêteraient leur concours dans cette œuvre. 

Les bons offices qu'offriraient les États-Unis pour assu- 
rer la paix permanente à Cuba porteraient soit sur Tindé- 



AU PAYS DES DOLLARS. 69 

pendance de File moyennant indemnité, soit sur un sys- 
tème rendant simplement Cuba tributaire de TEspagne 
pendant une période d'années après laquelle File devien- 
drait indépendante. 

Sur le deuxième point le cabinet espagnol était d'accord 
avec le gouvernement américain et sa bonne volonté 
s'était déjà traduite par des actes. 

C'est ainsi qu'avant même d'avoir reçu notification des 
instructions envoyées au général Woodford, le gouverne- 
ment espagnol avait rendu un décret aux termes duquel 
un crédit de trois millions de pesetas était ouvert pour 
venir en aide aux reconcentrados ; nous avons vu plus haut 
que ceux-ci étaient les habitants de la campagne cubaine 
parqués dans les villes de garnison par les ordres du 
général Weyler. 

D'autre part, le maréchal Blanco avait fait publier par 
la Gazette de la Havane un décret mettant fin à la con- 
centration des paysans. Ceux-ci étaient autorisés, avec 
leurs familles, à retourner à leurs champs pour y reprendre 
leurs travaux sous la protection des autorités. 

Des comités de secours étaient formés dans l'Ile pour 
pourvoir à leurs moyens de culture ; des travaux publics 
étaient décidés, et des cuisines économiques s'établissaiejit 
sur divers points pour assurer la subsistance des reconcen- 
trados aux meilleures conditions possibles. 

Quant au premier point visé par la note du général 
Woodford, le cabinet espagnol était hésitant ; il sentait 
fort bien qu'une concession intempestive en nécessiterait 
une autre et que bientôt la question même de la souverai- 
neté espagnole sur Cuba ne tarderait pas à sejfposer. 

Il fallait cependant répondre aux sommations non dé- 
guisées du gouvernement et du Congrès américains. Le 
cabinet espagnol le fit en ces termes le 2 avril : 

tt Le gouvernement espagnol déclare que le maréchal 
Blanco a révoqué les mesures prises par le général Weyler 
à l'égard des reconcentrados des provinces occidentales de 



70 CHAPITRE IV. V 

Cuba ; qu'il a été ouvert au général Blauco un crédit de 
trois millions de pesetas pour aider les paysans en atten- 
dant la reprise du travail. L'Espagne acceptera toutefois 
le concours des États-Unis pour distribuer des secours aux 
indigents conformément aux arrangements actuellement 
en vigueur. 

« L'Espagne propose que l'arrangement d'une paix ho- 
norable soit laissé au Parlement cubain , qui se réunira le 
4 maiy et sans la coopération duquel elle ne saurait arriver 
à un résultat définitif ; mais il faut que les pouvoirs ré- 
servés au gouvernement central par la Constitution ne 
soient pas amoindris. 

« L'Espagne ne fera aucune objection à la suspension 
des hostilités, si les insurgés le demandent au gouverneur 
général, qui en déterminera les conditions. 

« L'Espagne offre tous ses regrets pour l'accident du 
Maine et propose un arbitrage. » 

Cependant, en dépit des négociations engagées entre 
les deux pays, des préparatifs de guerre avaient lieu fié- 
vreusement. 

C'est ainsi que dans l'espace de quelques jours : 

La Chambre américaine adopte un amendement tendant 
à l'acquisition de douze nouveaux torpilleurs et de douze 
contre-torpilleurs ; 

Le général Lee, consul américain à la Havane, et les 

r 

consuls des Etats-Unis à Matanzas et à Sagua, font em- 
barquer leurs nationaux ; 

La junte des insurgés cubains à New- York ofi're d'en- 
rôler 60,000 rebelles pour marcher sur la Havane si les 
Etats-Unis fournissent les armes et les munitions ; 

Enfin, à Key-West, le port de la Floride le plus rappro- 
ché de Cuba, les mesures préliminaires de la mobilisation 
de la flotte sont prises avec le plus grand soin. 

De son côté, le conseil des ministres espagnol décide 
la concentration aux lies du cap Vert de Fescadrille des 
torpilleurs. On lui adjoindra une escadre composée du 



AU PAYS DES DOLLARS. 71 

Charles-Quint, de V Alphonse -XII, de Y Infante-Thérèse, du 
Christophe-Colomb et du Destructor, qui accompagneront 
Tescadrille jusqu^à Cuba. 

Il est arrêté également que lorsque VOquendo et la Vis- 
caya, en route pour Porto-Rico, arriveront dans les eaux 
de cette colonie, on leur prescrira par signaux de conti- 
nuer leur route jusqu'à la Havane. >» 

Les commandants de garnisons et les capitaines géné- 
raux des divers districts militaires de la péninsule re- 
çoivent Tordre de se tenir prêts à renforcer les postes 
maritimes au premier signal. 

Les sapeurs du génie, en garnison à Logrono, sont mis 
en route pour les Baléares. 

Les travaux à bord des navires qui ne sont pas encore 
en état se poursuivent rapidement, et le gouvernement 
envoie des instructions pour rappeler immédiatement des 
eaux étrangèr<fê les navires achetés récemment. 

Des mesures analogues sont prises à l'égard du maté- 
riel de guerre acheté à l'étranger. 

Le croiseur Charles-Quint quitte le Havre et rallie le 
port du Ferrol où l'on terminera l'installation de ses tou- 
relles. 

Enfin, le conseil, sans prendre toutefois de décision dé- 
finitive, examine les propositions reçues par le gouverne- 
ment et qui ont pour objet d'armer en course les bateaux 
marchands. 

A l'étranger, pourtant, on n'avait pas encore perdu tout 
espoir d'arriver à une solution amicale du conflit. 

Le mot d'intervention amicale avait été déjà plusieurs fois 
proDoncé , mais aucun acte n'était venu encore corroborer 
les intentions conciliatrices de l'un ou l'autre gouverne- 
ment, lorsque le 3 avril, dans la soirée, le nonce du pape 
à Madrid et le ministre des affaires étrangères reçurent de 
Rome un télégramme annonçant que le pape avait ordonné 
au cardinal Rampolla d'informer l'ambassadeur d'Es- 
pagne auprès du Saint-Siège, M. Merry del Val, qu'il dé- 



72 CHAPITRE IV.. 

sirait offrir sa médiation ou son arbitrage entre l'Espagne 
et les États-Unis. 

La reine régente approuva Tidée de ses ministres d'ac- 
cepter la médiation papale, et une réponse portant accep- 
tation et remerciements du gouvernement espagnol fut 
aussitôt transmise à Rome. 

D'un autre côté, une démarche collective était faite à 
Washington, auprès du président Mac Kinley, par les 
ambassadeurs ou ministres de la Grande-Bretagne, la 
France, la Russie, l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie. 

Les représentants des six puissances, après avoir été 
reçus officiellement par le président, remirent au ministre 
des affaires étrangères la note suivante : 

(( Les représentants soussignés ont été dûment autorisés 
à adresser au nom de leurs gouvernements respectifs un 
pressant appel aux sentiments d'humanité et de modéra- 
tion du président et du peuple américains dans leur diffé- 
rend actuel avec l'Espagne. 

« Ils espèrent vivement que de nouvelles négociations 
conduiront à un accord qui, tout en assurant le maintien 
de la paix, donnera toutes les garanties nécessaires pour 
le rétablissement de l'ordre à Cuba. 

« Les puissances ne doutent pas un instant que le ca- 
ractère absolument désintéressé et tout humanitaire de 
leurs représentations sera entièrement reconnu et apprécié 
par la nation américaine. » 

Le président Mac Kinley répondit en ces termes : 

« Le gouvernement des Etats-Unis reconnaît les senti- 
ixients de bonne volonté qui ont inspiré la communication 
amicale des six puissances et qui sont traduits dans la 
note que présentent Vos Excellences. 

« Il partage l'espoir qui y est exprimé que la solution 
de la situation actuelle à Cuba soit le maintien de la paix 
entre les Etats-Unis et l'Espagne, obtenu à l'aide des ga- 
ranties nécessaires pour le rétablissement de l'ordre à Cuba 
* et la suppression de l'état chronique de troubles dans ce 



"w^î^-'-^yT^^'^'J^r ' hv Y . ^-^.- ^'^,^y>: 



AU PAYS DES DOLLARS. 73 

pays, qui cause tant de tort aux intérêts américains et me- 
nace la tranquillité de la nation américaine par la nature 
et les conséquences d'une lutte entretenue à nos portes et 
qui révolte, en outre, les sentiments d'humanité de notre 
nation. 

(( Le gouvernement des États-Unis apprécie le caractère 
humanitaire et désintéressé de la communication qui est 
faite, aujourd'hui, au nom des puissances signataires, et, 
pour sa part, il est convaincu que ces puissances appré- 
cieront également les eJBForts désintéressés et sincères des 
Etats-Unis pour remplir un devoir d'humanité en mettant 
un terme à une situation dont la prolongation indéfinie est 
devenue intolérable. » 

Si l'intervention presque simultanée du pape d'une 
part, et des six grandes puissances européennes d'autre 
part, firent naître à Madrid l'espoir que l'on maintiendrait 
la paix, il n'en était pas de même à Washington. 

L'entrée en scène du Souverain Pontife fut accueillie 
assez froidement dans ce milieu protestant ; et une note 
maladroite de la nonciature de Madrid, en blessant les 
susceptibilités américaines, cojitribua encore à faire écar- 
ter l'intervention du chef de la religion catholique. Cette 
note disait en substance qu'il était inexact que M. Mac 
Kinley eût repoussé l'intervention du pape en faveur de 
la paix ; une telle impolitesse eût été d'autant plus impoli- 
tique qv!elle eût témoigné dune barbare intolérance^ attendu 
que les protestants, si ennemis qu'ils soient du pape, ne 
peuvent pas repousser la voix d*un vénérable vieil- 
lard...., etc. 

Qu'on s'imagine l'effet de cette déclaration dépourvue de 
diplomatie, tombant dans le milieu surchauffé des jin- 
goïstes yankees I 

Quoi qu'il. en soit, et après une démarche des représen- 
tants à Madrid de la France, de l'Allemagne, de l'Au- 
triche, de la Russie, de l'Angleterre et de l'Italie, le 
gouvernement espagnol se décidait à souscrire à une 



-y^- 



li. CHAPITRE IV. 

suspension d'hostilités qui, dans Topinion de toutes les 
puissances et du pape, ne saurait porter atteinte à Thon- 
neur ni à la dignité de TEspagne et de sa vaillante armée 
et pourrait grandement contribuer à faciliter la paix. 

Séance tenante, un télégramme était expédié à Cuba au 
maréchal Blanco, lui prescrivant de publier dans la Ga* 
zette de la Havane une proclamation annonçant une sus- 
pension des hostilités dont le gouverneur général lui-même 
fixerait les conditions et la durée, parce qu'on avait entière 
confiance en sa prudence et en son patriotisme. 

Le général Woodford était en même temps avisé de la 
détermination du cabinet espagnol, qu'il transmit sans 
retard à son gouvernement. 

En Espagne, la nouvelle de l'armistice fut, en général, 
accueillie avec satisfaction. Par ordre du ministre de l'in- 
térieur, les préfets durent faire connaître à leurs admi- 
nistrés que Tarmistice demandé par le pape et conseillé 
par les grandes puissances laissait saufs l'honneur mili- 
taire et la dignité de l'Espagne, et ne portait aucune 
atteinte aux droits de celle-ci sur les Grandes-Antilles. 

Les négociations diplomatiques devaient continuer sur 
les bases de la nouvelle situation créée par l'armistice. 
Elles comporteraient, affirmait-on du côté espagnol, ren- 
gagement, de la part des États-Unis, de rappeler ses 
escadres des eaux de Cuba et des Philippines et de retirer 
leur appui moral ou matériel aux insurgés. 

Le général Correa, ministre de la guerre, ne semblait 
point partager entièrement l'optimisme de son collègue 
de l'intérieur : 

« J'ai consenti, disait-il, à la cessation des hostilités, 
parce que se refuser à l'invitation des puissances aurait 
été séparer l'Espagne du monde entier ; d'un autre côté, 
en donnant ma démission, j'aurais placé mon successeur 
dans une pénible situation. 

« Si, pendant Farmistice accordé aux insurgés, il y a 
d'importantes soumissions, et si les États-Unis retirent 



f.^Ji'Ui*-.! 



^T^ 



"X — r" 



AU PAYS DES DOLLARS. 75 

leurs navires des eaux de Cuba et des Philippines, les 
affaires iront bien et nous marcherons rapidement vers la 
paix. 

« Dans le cas contraire, la guerre continuera à Cuba ; 
les puissances seront obligées de demander aux États-Unis 
une absolue neutralité et la dissolution du comité des fli- 
bustiers de New-York. 

« Tout cela n'empêchera pas le gouvernement de conti- 
nuer les préparatifs militaires, en mettant dans les meil^ 
leures conditions de défense la péninsule, les Canaries, les 
Baléares et Porto-Rico. » 

Quel accueil allait-on faire maintenant, en Amérique, à 
la proclamation de l'armistice à Cuba? 

Il fallait peut connaître les intentions et les aspirations 
des patriotes américains et des révolutionnaires cubains 
pour s'imaginer que l'armistice suffirait à les contenter. 

L'agitation était trop profonde, les passions trop sur- 
excitées pour que Ton pût espérer qu'une concession ar- 
rachée à l'Espagne dans de telles conditions fit tomber 
les armes des mains à ceux qui étaient résolus à lutter 
jusqu'au bout pour l'indépendance. 

A la réception du télégramme du général Woodford, 
annonçant que TËspagne souscrivait à l'armistice, un 
conseil de cabinet réunit à la Maison-Blanche les titulaires 
du ministère américain. Il fut décidé que le message du 
président Mac Kinley, retardé depuis plusieurs jours pour 
laisser aux pourparlers le temps d'aboutir, serait enfin lu 
au Congrès. Pour qui connaissait Tétat d'esprit des repré- 
sentants et du Sénat, c'était la guerre à brève échéance. 

Sur ces entrefaites, le consul général des Etats-Unis à 
la Havane, le général Lee, débarquait à Key-West et se 
rendait directement à Washington, Il avait chargé, en 
partant, des intérêts américains dans l'Ile, M. GoUan, 
consul général d'Angleterre à Cuba. 

Quant à M. Woodford, ambassadeur des États-Unis à 
Madrid, il faisait ses préparatifs de départ. Sa famille. 




t de l'attaché aaval 

i-méme s'attendait 

asseports. 

tous les consuls et 

rets à remettre les 

ent chargés, en cas 

américains. 

intant de l'Espagne 

\s, en s'embarquant 

ains de l'ambassa- 

arde des Espagnols 



iubaine. — Paix 
de M. Lee. — 

nez. — Entente 
lationale. — - Ad 
njoinle. — AU 
iley. — M. Polo 
, Woodford pour 
reine régente. — 
rarehania, — Lo 
i^t. — OeTant la 
iége. — Mobiliaa- 




78 CHAPITRE V. 

rections similaires qui se sont produites à Cuba contre la 
domination de TEspagne. 

« Chacune de ces insurrections a soumis les États-Unis 
à de grands efforts et à de grandes dépenses pour main- 
tenir les lois de la neutralité, a causé d'énormes pertes au 
gouvernement américain, a produit des résultats regret- 
tables et des troubles parmi nos compatriotes, et, par dés 
pratiques de guerre cruelles, barbares et contraires à la 
civilisation, a choqué la sensibilité et a offensé les sympa- 
thies démocratiques de notre peuple. 

« Depuis le commencement de la révolution actuelle, les 
Etats-Unis ont vu un domaine fertile, ravagé par le fer et 
par le feu. Au cours de cette lutte, qui n'a pas son égale 
dans l'histoire de Cuba, et qui n'a pas son parallèle, par 
le nombre des combattants et l'acharnement dans la 
lutte, dans aucune révolution des temps modernes, où un 
peuple indépendant et luttant pour devenir libre s'est vu 
opposer les forces de TEtat souverain, nous avons vu un 
pays, au début prospère, réduit à un état lamentable et 
son peuple périssant, par dizaines de mille, de faim et de 
misère. 

Nous nous sommes trouvés dans l'obligation, afin 
d'observer une stricte neutralité, de faire la police de nos 
mers et de surveiller nos propres ports, dans le but de 
prévenir tout acte illégal pour venir en aide aux Cubains. 
Notre commerce a souffert; les capitaux de nos conci- 
toyens ont été en grande partie perdus. La longanimité 
et la patience de notre peuple ont été mises à une dure 
épreuve, qui a créé une agitation périlleuse parmi nos 
propres compatriotes. 

« Cette agitation a inévitablement trouvé, de temps en 
temps, une expression dans la législature nationale, de 
telle sorte que des problèmes qui nous sont extérieurs 
attirent l'attention et barrent le chemin au progrès des 
problèmes domestiques qui incombent à une commu- 
nauté dont la maxime fondamentale a été d'éviter tous les 



^ *• 



■l»x<- 



LA RUPTURE. 79 

embarras étrangers. Tout cela a soulevé la plus grande 
anxiété dans les conseils du gouvernement. » 

Le président rappelle les efforts inutiles de ses prédé- 
cesseurs pour assurer la paix à Cuba, le gouvernement 
espagnol refusant de prendre en considération toute forme 
de médiation ou tout projet de solution ne comportant pas 
la soumission immédiate des insurgés; puis il continue 
ainsi : 

« Les efforts de l'Espagne pour réprimer Tinsurrection 
se sont augmentés par Tadjonction aux horreurs de la 
guerre de circonstances nouvelles et inhumaines, heu- 
reusement sans précédent dans Thistoire moderne des 
peuples chrétiens et civilisés. 

« Les paysans, y compris tous ceux qui vivent dans Tin- 
térieur agricole, ont été chassés dans les villes de garni- 
son ou isolés dans des endroits occupés par les troupes. 
Les moyens des approvisionnements leur ont été interdits. 
Les champs restaient dévastés^ les habitations détruites 
ou incendiées. 

a En résumé, tout ce qui pouvait désoler le pays et le 
rendre impossible à toute habitation humaine a été or- 
donné et exécuté par Tun ou par l'autre des partis en 
lutte. 

(( Lorsque l'administration actuelle a pris le pouvoir, la 
population agricole de Cuba, dont le nombre était estimé 
à 300,000 individus, avait été enfermée comme|un trou- 
peau dans les villes ou leur voisinage immédiat; elle 
n'avait pas de moyens d'existence, pas de toits pour 
s'abriter, abandonnée avec des haillons et exposée aux 
conditions les plus insalubres. 

(( A mesure que la rareté des vivres augmentait par la 
dévastation des territoires de production (dépeuplés, la 
famine et la misère augmentaient ; la statistique des décès 
augmentait de mois en mois dans une proportion alar- 
mante, et, au mois de mars 1897, d'après les données 
puisées à des sources officielles espagnoles, la mortalité 



80 CHAPITRE V. 

parmi les reconcentradoSj soit par les privations, soit par 
les maladies, dépassait 80 p. 100 de leur nombre total. » 

M. Mac Kinley fait ensuite allusion à son précédent 
message et à ses tentatives en rapport avec la situation 
cubaine, avec les mesures de secours des États-Unis. Il ^ 
parle de la reconnaissance par le gouvernement espagnol 
de la nécessité de modifier la situation des reconcenlrados, 
et des efiorts faits par le président pour améliorer cette 
situation, puis il poursuit : 

« La continuation de la lutte veut dire extermination de 
Tun^ou de l'autre des partis. Ayant conscience de cela, il 
me semble qu'il est de mon devoir, dans l'esprit d'une 
sincère amitié, non moins envers l'Espagne qu'envers les 
Cubains, de chercher à amener la fin immédiate de cette 
guerre. » 

Le président énumère les efforts diplomatiques récem- 
ment faits par les Etats-Unis, et dit : 

c( La véritable question, en ce qui concerne la recon- 
naissance du droit de belligérance, est de savoir si la 
communauté qui le réclame est, oui ou non, indépendante 
sans l'ombre d'un doute. 

(( Au point de vue de l'opportunité, je ne crois pas qu'il 
soit sage ni prudent pour le gouvernement américain de 
reconnaître actuellement l'indépendance de la soi-disant 
république de Cuba. 

(( Cette reconnaissance n'est pas nécessaire pour per- 
mettre aux États-Unis d'intervenir dans le but de pacifier 
nie. Lier le pays maintenant par la reconnaissance d'un 
gouvernement quelconque à Cuba pourrait nous entraîner 
dans des conditions embarrassantes d'obligations interna- 
tionales envers l'organisation ainsi reconnue. Si nous inter- 
venions, notre attitude serait soumise à l'approbation ou à 
la désapprobation de ce gouvernement et exigerait de 
nous que nous nous soumissions à sa direction et que 
nous assumions envers lui les simples relations d'un allié 
amical. 






LA RUPTURE. 81 

(( Lorsque, plus tard, nous verrons s'il existe dans Tlle 
de Cuba un gouvernement capable d'assumer, les devoirs 
et de remplir les fonctions d'une nation indépendante et, 
en fait, possédant la véritable forme et les attributions 
d'une nationalité, ce gouvernement peut être prompte- 
ment reconnu, et les relations et les intérêts des États- 
Unis réglés avec cette nation. 

« Reste l'alternative d'une intervention pour mettre fin 
à la guerre, soit en agissant comme Etat neutre et impar- 
tial et en imposant un compromis rationnel entre les deux 
partis, soit en agissant comme l'allié actif d'un parti ou 
de l'autre. 

(( En ce qui concerne le premier terme de l'alternative, 
on ne doit pas oublier que, pendant les derniers mois, les 
relations des Etats-Unis ont été virtuellement celles d'une 
intervention amicale faite dans des formes dont aucune 
n'était définitive, mais que toutes tendaient à exercer une 
influence puissante pour obtenir un résultat final paci- 
fique, juste et bonorable pour tous les intéressés dans la 
question. 

« L'esprit qui a guidé tous nos actes jusqu'à présent a été 
un désir profond et désintéressé pour la paix et la prospé- 
rité à Cuba, sans arrière-pensée de divergence entre les 
États-Unis et l'Espagne et sans que cette paix et cette 
prospérité soient rougies par le sang de citoyens améri- 
cains. 

« L'intervention parla force des États-Unis, comme État 
neutre, pour mettre fin à la guerre, est justifiable par des 
raisons rationnelles d'après les grandes lois de l'humanité 
et d'après les nombreux précédents historiques, montrant 
des États voisins s'interposant pour arrêter le sacrifice 
inutile d'un grand nombre d'existences en intervenant 
dans des conflits hors de leurs frontières. Cela exige 
toutefois d'employer la force sur les deux partis en lutte, 
autant pour les forcer à un armistice que pour amener 
une solution éventuelle. 

6 




82 CHAPITRE V. 

• » 

a La justification pour une intervention de ce genre 
peut être résumée rapidement comme suit : 

« .1® La cause de Thumanité pour mettre fin aux barba- 
ries, à l'efiusion du sang, à la famine et à Thorrible misère 
qui existe maintenant à Cuba, et que les partis en lutte 
sont incapables d'adoucir ou d'amoindrir, ou qu^ils ne 
veulent ni adoucir ni amoindrir. 

« Ce n'est pas répondre que de dire : 

« Cela se passe dans un autre pays appartenante une 
« autre nation : cela ne nous regarde donc pas. » 

« C'est notre devoir particulier, car cela se passe juste 
à nos portes ; 

cr 2^ Nous devons à nos concitoyens, qui habitent Cuba, 
cette protection et ces indemnités pour les existences en- 
levées ou les biens perdus, qu'aucun gouvernement à 
Cuba ne peut ou ne veut accorder, et dans ce but, nous 
devons mettre fin à une situation qui les prive d'une 
protection légale ; 

« 3® Les droits d'intervention peuvent être justifiés par 
le préjudice très sérieux causé au commerce et aux affaires 
par de folles destructions, par la dévastation ouvertement 
conduite de l'île ; 

« i^ La situation actuelle des affaires à Cuba est une me- 
nace constante à la paix de notre pays et nous entraîne à 
d'énormes dépenses. Ce conflit qui dure depuis des an- 
nées dans une île aussi rapprochée, avec laquelle le peuple 
' américain commerce et a tant de relations d'affaires, alors 
que l'existence et la liberté de nos concitoyens sont dans 
un danger perpétuel, leurs biens détruits, eux-mêmes 
ruinés, où nos navires de commerce peuvent être saisis et 
sont saisis jusqu'à nos portes par les navires de guerre 
d'une nation étrangère ; les expéditions de* flibustiers que 
nous sommes dans l'impuissance absolue de prévenir ; la 
question irritante et les embarras qui surviennent ici, 
toutes ces raisons, et d'autres que je n'ai pas besoin de 
mentionner et qui ont pour résultat de rendre nos rela- 



.;\mi' ^^T" "^ — Y v-- - , _ ,. - - „^ 



« 



LA RUPTURE. 83 

tioDS difficiles, sont une menace constante pour la paix de 
notre pays, et nous forcent à nous maintenir sur un pied 
qui ressemble au pied de guerre vis-à-vis une nation avec 
laquelle nous sommes en paix. 

w Les éléments de danger et de désordre que je viens de 
signaler ont été mis en relief avec beaucoup de force par 
le tragique événement qui a profondément ému le peuple 
américain. 

(( J'ai déjà transmis au Congrès le rapport de la cour 
navale d'enquête sur la destruction du Maine dans le port 
de la Havane. La destruction de ce noble navire remplit 
le cœur de la nation d'une inexprimable horreur. 258 
braves marins ou soldats et 2 officiers de notre marine, 
confiants dans la sécurité imaginaire d'un port ami, ont 
été précipités dans la mort. Leurs familles sont dans la 
douleur et le besoin. La nation est dans la tristesse. 

(( La cour d'enquête, il est inutile de le dire, méritait la 
confiance absolue du gouvernement. Elle a été unanime 
dans sa conclusion que la destruction du Maine avait été 
causée par une mine sous-marine. Elle n*a pas défini la 
responsabilité qui reste à fixer. En tous cas, la destruc- 
tion du Maine^ par une cause extérieure quelconque, est 
une preuve évidente et de nature à produire une grande 
impression que l'état de choses à Cuba est intolérable. 

« La situation a ainsi montré que le gouvernement espa- 
gnol ne peut pas assurer la sécurité d'un navire de la 
marine américaine dans le port de la Havane, alors que 
ce navire avait une mission de paix et avait le droit d'être 
là. » 

Se référant de nouveau, au sujet du Maine, à la corres- 
pondance diplomatique récemment échangée, le message 
dit: 

« Une dépêche de notre ministre à Madrid, en date du 
26 mars, contenait la déclaration que le ministre des 
affaires étrangères espagnol lui avait donné l'assurance 
positive que l'Espagne fera tout ce que le sentiment de 




84 CHAPITRE V. 

rhonneur et de la justice exigeait dans la question du 
Maine. Une autre dépêche contenait aussi Texpression 
que TEspagne était prête à soumettre à un arbitrage 
toutes les divergences que cette question pouvait soule- 
ver. Cette proposition a été ultérieurement expliquée par 
le ministre espagnol à Washington, en date du 10 avril, 
ainsi qu'il suit : 

(( Quant à la question de fait qui résulte de la diversité 
(( de vues dans les rapports américain et espagnol, l'Es- 
(( pagne propose que le fait soit vérifié par une enquête 
« impartiale d'experts dont l'Espagne accepte par avance 
(( la décision. )) 

(( Il n'a pas été fait réponse à cette proposition. 

« Un long essai a prouvé que le but pour lequel l'Es- 
pagne a fait la guerre ne pouvait pas être atteint. Le feu 
de l'insurrection se ravivait ou s'éteignait, suivant les 
diverses saisons, mais il n'a pas été et il ne peut pas être 
éteint par les méthodes actuelles. 

(( Le seul espoir d'apaisement et de calme dans cette 
situation, qui ne peut pas être supportée plus longtemps, 
est d'imposer la pacification au nom de l'humanité et de la 
civilisation, au nom des intérêts américains mis en dan- 
ger, intérêts qui nous donnent le droit et qui nous font un 
devoir de parler et d'agir. La guerre à Cuba doit cesser. 

« En vue de ces faits et de ces considérations Je demande 
au Congrès d'autoriser le président et de lui donner le pou- 
voir de prendre des mesures pour assurer la cessation finale 
et complète des hostilités entre le gouvernement espagnol 
et le peuple de Cuba et d'assurer^ dans l'ile^ rétablisse- 
ment d'un gouvernement stable et capable de maintenir 
r ordre et d'observer ses obligations internationales en assu- 
rant la paixy la protection et la sécurité de ses citoyens 
aussi bien que des nôtres, et d'employer les forces militaires 
et navales des États-Unis^ dans la mesure oxi cela sera né- 
cessaire, pour obtenir ces buts. Et dans l'intérêt de l'hu- 
manité, pour aider et préserver l'existence de la popula- 






LA RUPTURE. 85 

tion affamée, je recommande que la distribtrtîon de se- 
cours et de provisions soit continuée el qu'un crédit soit 
ouvert sur le trésor public pour venir en supplément à la 
charité de nos concitoyens. La situsEtion est maintenant 
aux mains du Congrès. C'est une responsabilité solennelle. 
J*ai épuisé tous les efforts pour sortir de l'intolérable 
situation qui est à nos portes. Prêt à exécuter toute obli- 
gation qui m'est imposée par la Constitution et par la loi, 
j'attends votre décision. » 

Un rapport du consul général des États-Unis à la Ha- 
vane, M. Lee, était annexé au message présidentiel. Il 
faisait un long exposé des horreurs et des désastres de la 
guerre et des scènes de misère parmi les reconcentrados^ 
scènes dont le général Lee disait tenir le récit de témoins 
oculaires. 

Le message de M. Mac Kioley produisit parmi les amis 
de la paix une stupéfaction profonde. Malgré tous les arti- 
fices de langage, un fait se dégageait nettement et irré- 
missiblement de la prose présidentielle : le chef du gou- 
vernement américain demandait au Congrès l'autorisation 
de faire la guerre à TEspagne ; et vu la surexcitation des 
représentants aussi bien que des sénateurs, la réponse 
n'était pas douteuse. 

La Chambre écouta en silence la lecture du message ; 
mais lorsque furent prononcés les mots « la guerre à Cuba 
doit cesser », les applaudissements éclatèrent et se repro- 
duisirent jusqu'à la clôture. 

Au Sénat, la communic^ation du document fut écoutée 
silencieusement ; celui-ci fut renvoyé à la commission des 
affaires étrangères ; toutefois , la discussion s'engagea 
immédiatement dans la Chambre haute. 

Un sénateur de la Caroline du Nord, M. Butler, proposa 
une résolution tendant à considérer l'explosion du Maine 
comme un acte de guerre contre les Etats-Unis, de recon- 
naître la République cubaine afin de venger un crime 
ignoble et sans précédent et de mettre fin à une guerre 



^^^. . .._^..___. ^^.., . —T^^ 



86 CHAPITRE V. 

• 

atroce. La résolution demandait, en outre, le rappel des 
troupes espagnoles. 

Toutefois, aucune décision ne fut prise immédiate- 
ment. 

Sur ces entrefaites, M. Polo de Barnabe présentait au 
département d'Etat une note annonçant officiellement la 
concession de l'armistice, rappelant les institutions libé- 
rales octroyées à Cuba et renouvelant la proposition de 
l'Espagne de soumettre la question du Maine à des experts 
désignés par les puissances maritimes. 

D'autre part, on apprenait à New- York que le maréchal 
Blanco avait publié un décret proclamant l'armistice ac- 
cordé aux insurgés. Mais pour contrebalancer l'effet de 
cette mesure pacifique, les journaux américains reprodui- 
saient en même temps une lettre de Maximo Gomez, le 
général en chef des insurgés, à M. Barker, consul des 
Etats-Unis à Cuba, dans laquelle le chef cubain disait que 
l'armistice avait déjà été offert un an auparavant et 
refusé. 

« Je suis désireux, ajoutait-il, que les hostilités cessent, 
non pas simplement pour la saison des pluies, où nou$ 
avons l'avantage, mais d'une manière définitive. Si t Es- 
pagne consent à évacuer Cuba, j'accepterai un armistice 
jusqu'au 1^*" octobre. J'écris dans le même sens à la junte 
cubaine de New- York avec laquelle les Espagnols peuvent 
traiter directement s'ils le désirent. » 

Comme on le voit, malgré l'armistice, les insurgés et 
les Espagnols n'étaient pas près de s'entendre. 

Le trait caractéristique de la situation, à la date du 
12 avril, est donc le fait que l'Espagne et les États-Unis 
n'ont pris aucun engagement réciproque, ni pour le rè- 
glement des questions pendantes entre les deux pays, 
ni pour la solution de la question cubaine, non plus qu'au 
sujet de l'armistice ou de la suspension des hostilités. 

Ce dernier point, entièrement réglé par l'intervention 
du pape et des puissances en dehors des Etats-Unis, ne lie 



.^ 



T,.^...^„..^^^^..~.-^^^ -^ _ , , ,jj.^ .y^^, . . :^r^* 



LA RUPTURE. 87 

le gouvernement de Washington, en aucune façon, à tel 
point qu'il s'est borné, par Tinterniécliaire de son repré- 
sentant à Madrid, à recevoir communication delà décision 
prise à la requête des puissances. 

L'Espagne décrète donc cette suspension à ses risques 
et périls pour faciliter l'action du gouvernement autono- 
miste cubain auprès des insurgés, afin de concerter la 
paix et d'obtenir leur adhésion au nouvel état de choses, 
et, quelles que soient les concessions nécessaires dans ce 
sens, elles seront accordées par le gouvernement espa- 
gnol. 

En attendant, les Etats-Unis regarderont faire, en con- 
servant toute liberté d'action pour faire usage des pou- 
voirs très larges que le président recevra des Chambres 
pour défendre les intérêts américains dans les Antilles et 
réaliser la pacification et le règlement définitif de la 
question cubaine selon les circonstances et la marche des 
événements. 

Tous les bruits contraires sur les prétendus engage- 
ments des Etats-Unis sont inexacts, et le gouvernement 
espagnol sait parfaitement que ceux-ci entendent n'être 
pas liés par des arrangements auxquels ils n'ont point 
pris part, vu que, ni les puissances européennes, ni l'Es- 
pagne, n'ont rien exigé ou obtenu du président, sauf 
rajournement à quelques jours de son message. 

Lorsque l'on connut à Madrid les lignes principales 
du message de M. Mac Kinley, le conseil des ministres se 
réunit extraordinairement, et, après une longue discus- 
sion, fit publier le communiqué suivant : 

« Le conseil estime que ce qu'il connaît du message 
présidentiel suffit pour affirmer, en face des doctrines du 
message, celle que la souveraineté et les droits de la 
nation espagnole sont incompatibles avec les ingérences 
étrangères dans les résolutions concernant ses affaires 
intérieures. 

« Le gouvernement estime qu'en dehors de la solennelle 



%. » 




88 CHAPITRE V. 

affirmation des droits de la nation, il n'a à faire aucune 
autre déclaration tant que les décisions du Congrès amé- 
ricain et les initiatives du président ne résoudront pas en 
des faits concrets les doctrines exposées dans le document 
en question. 

« L'inébranlable conscience de son droit, joint à la réso- 
lution de le maintenir intact, inspireront au gouvernement 
et à la nation le calme nécessaire dans ces moments diffi- 
ciles pour diriger avec sûreté et défendre avec énergie les 
intérêts et le patrimoine de la race espagnole. 

« Après cette délibération, les ministres de la guerre et 
de la marine ont rendu compte des différentes résolutions 
prises pour mettre en état de complète organisation les 
forces de terre et de mer, et le ministre des finances a 
présenté un décret ouvrant officiellement la souscription 
pour la défense nationale. » 

La note du gouvernement espagnol produisit en Espagne 
comme à l'étranger une sensation considérable , d'autant 
plus grande que les nouvelles arrivées presque simulta- 
nément d'Amérique étaient plus belliqueuses. 

C'est ainsi qu'un ordre du jour présenté à la commis- 
sion des affaires étrangères du Sénat, au cours de la dis- 
cussion du message de M. Mac Kinley, s'exprimait ainsi : 

c( Attendu que le peuple cubain est de droit, et doit être 
de fait, libre et indépendant ; attendu que la guerre que 
l'Espagne fait à Cuba est si nuisible aux intérêts commer- 
ciaux et fonciers des États-Unis, qu'elle est d'une nature 
si cruelle, si barbare, si inhumaine, qu'elle impose aux 
Etats-Unis le devoir d'exiger que l'Espagne retire immé- 
diatement de Cuba et des eaux cubaines ses forces de 
terre et de mer, ce que, par ces présentes, le gouverne- 
ment des Etats-Unis exige d'elle, — le président doit avoir, 
par les présentes, l'autorisation, le pouvoir et l'ordre 
d'employer, si c'est nécessaire, toutes les forces de terre 
et de mer des Etats-Unis pour atteindre ce but. » 

Un sénateur du Kentucky, M. Lindsay, proposait, de 



r.- 



LA RUPTCJKE. 



89 



son côté, un ordre du jour déclarant que les Etats-Unis 
doivent conclure un arrangement avec les autorités révo- 
lutionnaires de Cuba, reconnues par le chef Gomez; qu'ils 
doivent agir de concert avec les troupes de Gomez à Cuba ; 
que toutes les propositions des autorités révolutionnaires 
cubaines peuvent être favorablement accueillies, etc. 

Un ordre du jour de M. Wilson, sénateur de Washing- 
ton, invite M. Mac Kinley à prendre les mesures néces- 
saires pour faire cesser les hostilités et établir un gou- 
vernement républicain à Cuba, en employant la force 
armée s'il le faut. 

Un autre, enfin, de M. Allen, sénateur du Nebraska, 
déclare que les Etats-Unis sont en guerre avec l'Espagne, 
reconnaissent l'indépendance de Cuba et invitent le prési- 
dent à agir. 

Le cadre de notre travail ne nous permet pas d'entrer 
dans les détails, d'ailleurs fort intéressants, du conflit qui 
surgit un instant entre le Sénat et la Chambre des repré- 
sentants américains au sujet de Cuba. 

On sait que, d'après la Constitution des Etats-Unis, pour 
qu une résolution des Chambres devienne impérative pour 
le président, il faut que le même texte soit voté par le 
Sénat et par la Chambre des représentants. Après de 
violents débats, et lorsque le texte eut fait plusieurs fois 
la navette entre la Chambre basse et la Chambre haute, 
le Congrès, le 21 avril 1898, votait à 42 voix contre 35 au 
Sénat et à 310 voix contre 6 à la Chambre des représen- 
tants la résolution conjointe suivante, qui, de par la Con- 
stitution, constituait dès lors un mandat impératif pour 
le président Mac Kinley : 

« Attendu que l'état de choses détestable qui existe 
depuis plus de trois ans dans l'Ile de Cuba, si proche de 
nos côtes, révolte la conscience du peuple des Etats-Unis 
et n'est qu'une honte pour la civilisation chrétienne ; 

« Attendu que cet état de choses, qui a abouti à la des- 
truction d'un navire de guerre des États-Unis et à la mort 



-m»r 




90 CHAPITRE V. 

de 266 de ses officiers ou de ses marins, alors que ce 
navire était en visite amicale dans le port de la Havane, 
ne peut pas être supporté plus longtemps, ainsi que l'a 
montré le président des États-Unis dans son message du 
11 avril 1898, message qui appelle une action du Congrès; 

(( Il a été décrété : 

ix ^^ Que la population de TUe de Cuba est et doit être 
de plein droit libre et indépendante ; 

a 2® Que c'est le devoir des États-Unis de demander et 
que le gouvernement des États-Unis demande par la pré- 
sente résolution que le gouvernement de TEspagne aban- 
donne immédiatement son autorité et son gouvernement 
dans rUe de Cuba et retire ses forces de terre et de mer 
de Cuba et des eaux de Cuba ; 

« 3® Que le président des États-Unis reçoive, et il reçoit 
par cette déclaration, l'ordre et les pouvoirs d'employer 
toutes les forces de terre et de mer des États-Unis et 
d'appeler au service des États-Unis la milice des divers 
États, dans la proportion où il sera nécessaire pour don- 
ner plein effet à la présente résolution ; 

« 4® Les États-Unis répudient, par la présente, toute 
intention d'exercer une souveraineté; une juridiction ou 
un contrôle quelconque sur ladite lie, excepté pour en 
amener la pacification, et affirment la détermination des 
Etats-Unis de laisser le gouvernement et le contrôle de 
l'Ile à son peuple quand cette pacification sera accom- 
plie. » 

La notification à l'Espagne de la résolution du Congrès 
américain, revêtue de la signature de M. Mac Kinley et de 
l'ultimatum du gouvernement de Washington, fut télé- 
graphiée au général Woodford à Madrid, le 21 avril. En 
même temps, suivant les usages diplomatiques, cette 
notification était communiquée à M. Polo de Barnabe, 
ministre d'Espagne à Washington. Celui-ci demanda im-^ 
médiatement ses passeports à M. Sherman, secrétaire 
d'État, dans les termes suivants : 



j 







LA RUPTURE. 91 

« La résolution adoptée par le Congrès des États-Unis 
et approuvée aujourd'hui par le président est de telle 
nature que la continuation de ma présence à Washington 
devient impossible, et je suis obligé de vous demander de 
me délivrer mes passeports. 

(i La protection des intérêts espagnols restera confiée à 
l'ambassadeur dé France et au ministre d'Autriche, dans 
cette circonstance bien pénible pour moi. » 

Les passeports de M. Polo de Barnabe lui furent remis 
le jour même, accompagnés d'une lettre de M. Sherman 
exprimant son plus vif regret que M. Barnabe se crût 
obligé de partir. 

M. Cambon, ambassadeur de France, et M. Hengel- 
mtiller von Hengervar, ministre d'Autriche, prirent con- 
jointement sous leur protection les intérêts des sujets 
espagnols résidant aux Etats-Unis. 

Le lendemain, M. Polo de Barnabe et les secrétaires de 
la légation avaient quitté Washington. 

Par suite de l'heure avancée de la nuit, le général 
Woodford, ambassadeur des Etats-Unis à Madrid, n'avait 
pu remettre le 21 avril au cabinet espagnol l'ultimatum 
dont le télégraphe lui avait transmis le texte. 

Le 22, à la première heure, il se préparait à exécuter 
l'ordre de son gouvernement, quand, à 7 heures du matin, 
il reçut du ministre des affaires étrangères d^Espagne, 
M. Gullon, la note suivante : 

i( Remplissant un devoir pénible, j'ai l'honneur de com- 
muniquer à Votre Excellence que le président de la Répu- 
blique ayant sanctionné une résolution des deux Chambres 
des États-Unis qui, en contestant la légitime souveraineté 
de TEspagne et en formulant une menace d'intervention 
armée immédiate à Cuba, équivaut à une évidente décla- 
ration de guerre, le gouvernement de Sa Majesté a ordonné 
à son ministre à Washington de se retirer sans perte de 
temps du territoire Nord américain avec tout le personnel 
de la légation. 



92 CHAPITRE V. 

« Les relations diplomatiques qui ont si longtemps existé 
entre les deux pays sont, par ce fait, interrompues et 
toute communication officielle cesse entre leurs représen- 
tants respectifs. Je m'empresse de le porter à la connais- 
sance de Votre Excellence afin qu'elle adopte de son côté 
les dispositions qu'elle croira convenables. Je prie en même 
temps Votre Excellence de bien vouloir accuser réception 
de la présente note et je profite de cette occasion pour lui 
réitérer l'assurance de ma considération la plus distin- 
guée. » 

Une heure plus tard, le général Woodford en remettant 
au chargé d'affaires d'Angleterre la légation et la garde 
des intérêts américains lui exprimait, au nom de son pays 
et de son gouvernement, sa reconnaissance pour les bons 
offices de l'Angleterre; puis l'écusson américain enlevé 
de l'hôtel de la légation et le pavillon amené, M. Wood- 
ford et les attachés d'ambassade se rendaient à la gare 
dans une voilure escortée par la gendarmerie à cheval et 
prenaient le train pour la France. 

La veille, la reine régente avait présidé en personne 
l'ouverture des Cortès et prononcé un discours générale- 
ment applaudi, dans lequel elle exprimait l'espoir que : 

c( Si l'avenir se présente sous de sombres couleurs, si 
les difficultés nous entourent, elles ne seront pas au- 
dessus de nos forces et de l'énergie du pays, qui finira 
par triompher. Avec une armée de terre et de mer dont 
les glorieuses traditions rendent encore le courage plus 
hardi; avec la nation unie en masse devant l'agression 
étrangère; avec la foi en Dieu qui a toujours guidé nos 
ancêtres dans les grandes crises de l'histoire, nous tra- 
verserons aussi, avec non moins d*honneur qu'autrefois, 
la crise nouvelle qu'on cherche à soulever contre nous 
par des provocations sans raison et sans justice. » 

La reine régente terminait en demandant au souverain 
pontife de l'aider maintenant de ses prières. 

Comme nous l'avons vu plus haut, le général Wood- 



LA RUPTURE. 93 

ford n'avait point eu la possibilité de remettre son ultima- 
tum au gouvernement espagnol ; de telle sorte que la 
rupture définitive sembla, à première vue, être le fait de 
l'Espagne. 

C'est ce que ne manqua point de faire remarquer le 
président Mac Kinley lorsque le 26 avril il demanda au 
Congrès de déclarer formellement que Fétat de guerre 
existe afin de déterminer exactement la situation au point 
de vue international : 

« Je recommande particulièrement à votre attention, 
dit-il, la note adressée le 21 avril au ministre des États- 
Unis à Madrid par le ministre des affaires étrangères 
espagnol. 

(( Dans cette note, le ministre espagnol notifie la rup- 
ture des relations. On y verra que le gouvernement espa- 
gnol ayant connaissance de la résolution conjointe du 
Congrès des États-Unis et des mesures que le président a 
l'autorisation et Tordre de prendre, répond en traitant les 
demandes raisonnables du gouvernement américain comme 
des actes hostiles suivis de la rupture complète et immé- 
diate par sa propre action, qui, selon le droit des gens, 
est toujours accompagnée de l'existence de l'état de guerre 
entre puissances souveraines. 

(( L'Espagne ayant ainsi fait connaître son attitude, les 
demandes des États-Unis étant repoussées avec rupture 
complète des relations, du fait de l'Espagne, je me suis 
trouvé forcé de déclarer le blocus de certains ports du 
littoral septentrional de Cuba, conformément aux pouvoirs 
que m'ont conférés les résolutions du Congrès. » 

Après avoir fait allusion à d'autres mesures, telles que 
le rappel des volontaires, le président recommande l'adop- 
tion de la résolution conjointe déclarant que l'état de 
guerre existe entre les États-Unis et l'Espagne. 

Il demande l'urgence pour que la position internatio- 
nale des États-Unis, comme puissance belligérante, soit 




94 CHAPITRE V. 

établie, pour que leurs droits et leurs devoirs, dans la di- 
rection de la guerre, soient assurés. 

Le Sénat et la Chambre des représentants adoptèrent 
immédiatement la résolution conjointe suivante : 

« Il est résolu : 

« Que la guerre soity comme elle Fest par la présente^ 
déclarée exister et avoir existé à partir du 21 avril inclusi- 
vement entre les États-Unis d'Amérique et le royaume 
(f Espagne. » 

Cette résolution et sa ratification urgente par le prési- 
dent offraient un très vif intérêt, car, dès le 22 avril, plu- 
sieurs navires marchands espagnols avaient été saisis par 
la marine de guerre américaine, et leurs armateurs pro- 
testaient par voie diplomatique. 

Ces navires, d'après le New-York Herald, étaient au 
nombre de huit : Buenaventura, Pedro, Maiilde, Miguel- 
Jover, Catalina, Sattimina, Sofia et Canelita, représen- , 
tant une valeur de plus d'un million et demi de dollars. 

Quant à la proclamation du président, relative au blocus 
de Cuba, elle était formulée de la manière suivante : 

(( Je déclare et proclame par la présente que les États- 
Unis ont établi et qu'ils maintiendront le blocus du litto- 
ral entre Cardenas, Bahia-flonda et le port de Cienfuegos, 
sur le littoral méridional de Cuba. 

c( Ce blocus aura lieu conformément aux lois des Etats- 
Unis et au droit des gens applicables dans des circons- 
tances semblables. 

(( Des forces suffisantes iront stationner pour empêcher 
l'entrée et la sortie des vaisseaux des ports ci-dessus men- 
tionnés. 

« Tout vaisseau neutre s'approchant de ces ports ou ten- 
tant de les quitter sans avoir eu connaissance de l'établis- 
sement de ce blocus sera dûment avisé par le comman- 
dant des forces du blocus, qui enregistrera le fait sur le 
livre du bord avec la date et le lieu de l'enregistrement de 
cet avertissement. 






LA RUPTURE. 



95 



« Si les vaisseaux, ainsi prévenus, tentent encore une fois 
d'entrer dans le port ainsi bloqué, ils seront capturés et 
expédiés au port le plus voisin et le mieux approprié 
pour la procédure de prise qui peut être jugée nécessaire 
contre eux et contre leur cargaison. 

« Les vaisseaux neutres, qui se trouvent dans les ports 
ci-dessus mentionnés au moment de l'établissement du 
blocus, auront trente jours pour en sortir. » 

OOTE EST DES ÉTATS-UNIS 



Neiv 
\) MTASHTNGTQl 

Éàanpùm, 




^^nïlNea 



En conséquence de cette proclamation, le capitaine de 
vaisseau Sampson, commandant le cuirassé lowa^ rece- 
vait, avec le brevet de contre-amiral, Tordre dé quitter 



^- ^"^ 


".«• 


■F- 








CHAPITRE 


V. 






^ 


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96 

f„ Key-West dans le plus bref délai et d'aller établir le blo- 

cus effectif des côtes de Cuba. 

Douze navires de la marine de guerre américaine croi- 
saient bientôt devant la Havane, mais hors de portée des 
canons du fort Morro et des batteries de côte. 

D'autre part, en vertu d'instructions secrètes expédiées 
à Hong-Kong, le contre-amiral Dewey, commandant Fes- 
cadre américaine du Pacifique, cinglait vers le sud, avec 
six croiseurs et trois charbonniers. 

On apprit bientôt que son objectif était le port de 
Manille, capitale des Philippines. 

Quant à l'escadre volante, sous les ordres du commo- 
dore Schley, elle se concentrait à Fort-Monroë et Hamp- 
ton-Roads. 

La base d'opérations américaine, Key-West, le point des 
Etats-Unis le plus rapproché de Cuba, devait, jusqu'à 
nouvel ordre, être protégé par les monitors Terror^ Puri- 
tan^ la canonnière Helenaj le croiseur Marblehead^ l'aviso 
Dolphin et 3 torpilleurs. 

Un projet de loi était soumis au Congrès pour la con- 
struction de 3 cuirassés, 4 monitors, 12 torpilleurs et 16 
contre-torpilleurs. 

Le ministre de la marine demandait, de son côté, l'au- 
torisation d'enrôler un nombre illimité de volontaires 
pour coopérer à la défense des côtes avec les réserves 
navales. 

Enfin, M. Mac Kinley signait le bill prohibant l'expor- 
tation du charbon et des armements de toute nature et 
celui appelant sous les drapeaux, pour une année, 100,000 
volontaires. 

En Espagne et à Cuba on ne restait point non plus 
inactif. 

Dès la première heure, le maréchal Blanco avait pro- 
clamé Cuba en état de siège et annoncé la reprise des 
hostilités contre les insurgés. 



LA RUPTURE. 97 

La Gazette de Madrid publiait un décret appelant sous 
les drapeaux trente mille hommes ~de la réserve de 1897. 

Dans ïa nuit du 24 avril, le cuirassé Numancia, en ré- 
paration à Toulon, quittait secrètement ce port et rega- 
gnait les eaux espagnoles, bien que les travaux ne fussent 
pas terminés à bord. 

L'escadre des Philippines, composée des vieux navires 
Castilla, Don-JîiaUy Isla-de-Cuba, Isla-de-Luzon, et Reina- 
Christina^ recevait Tordre de se concentrer à Manille pour 
y attendre Tattaque de Tamifal Dewey. 

Des négociations, qui ne .purent d'ailleurs aboutir, 
s'engageaient télégraphiquement avec la fabrique de tor- 
pilles de Fiume pour l'achat de 900 de ces engins prêts à 
être mis en service. 

On armait à la hâte les batteries de la Havane et le fort 
Morro de vieux canons en cuivre, les canons Krupp n'étant 
pas encore arrivés. 

Enfin, précaution suprême, la reine régente faisait savoir 
au pape que les hostilités étaient commencées et lui de- 
mandait sa bénédiction pour l'armée espagnole. 



CHAPITRE VI 



UN PEU DE DROIT DES GENS 



La convention de Paris et la ^erre de course. — Les droits des corsaires. — 
Les croiseurs auxiliaires. — La contrebande de guerre. — L'avis des juris- 
consultes. — Jurisprudence française. — Déclaration de neutralité. — Les 
intentions de M. Mac Kinley. — La société de secours aux blessés militaires. 

— Les volontaires aux États-Unis. — Appareillage de l'escadre de Hampton- 
Road. — Le plan de campagne américain. — Les idées du général Miles. — 
La question des câbles sous-marins. — Difficultés financières en Espagne. — 
Une circulaire aux puissances. — Une évolution de la doctrine de Monroë. 

— Protestation platonique. 



Une remarquable particularité de la guerre hispano- 
américaine est que l'une et l'autre des puissances belligé- 
rantes ont refusé d'adhérer à la déclaration du 16 avril 1 836 
du Congrès de Paris. 

La convention de 1856, dont le but était de définir et 
de mettre en harmonie différents principes de droit inter- 
national maritime sur l'immunité des navires et des mar- 
chandises neutres et la validité des blocus, a admis, 
comme conséquences découlant obligatoirement des réso- 
lutions prises, la suppression de la guerre de course^ c'est- 
à-dire de l'armement en guerre de navires appartenant à 
des particuliers et commandés par des particuliers. Du fait 
de leur non-adhésion à la convention de Paris, l'Espagne 
et les États-Unis ont le droit d'armer des corsaires et de 
pratiquer la guerre de course. 

Le but de celle-ci est de nuire au commerce ennemi et 
d'empêcher les neutres d'exercer le commerce avec les 
nations en état d'hostilité. 

Elle est entourée de certaines garanties ; le corsaire 
doit obtenir de la nation belligérante une lettre patente 









UN PEU DE DROIT DES GENS. 'Ô9 

de course, ou lettre de marque, c'est-à-dire un document 
émanant du gouvernement et lui donnant commission de 
guerre ; il faut, pour obtenir cette lettre de marque, que 
le corsaire soit en règle au point de vue de la nationalité 
d'après les lois du pays qui la lui concède. 

Dans la circonstance, aussi bien en Espagne qu'aux 
États-Unis, les règlements exigent la nationalité du capi- 
taine et des deux tiers de l'équipage. Le corsaire est, en 
outre, appelé à fournir une caution pécuniaire, destinée à 
garantir les indemnités à servir à ceux qui auraient un 
préjudice à souffrir de sa part. 

Enfin, pour opposer une barrière aux abus de la course, 
aucune prise de propriété privée- n'est considérée comme 
valable et définitive qu'après avoir été déférée à un tribu- 
nal compétent et reconnue par lui comme légale. 

D'un autre côté, les corsaires jouissent de tous les 
avantages qu'assure le droit de la guerre, à la condition 
qu'ils se conforment rigoureusement aux instructions con- 
tenues dans la lettre de marque et qu'ils observent scru- 
puleusement les lois et usages de la guerre. 

La guerre de course, ainsi comprise, n'a rien d'anormal 
ni d'illégitime ; elle découle du principe qui permet à 
toute nation de faire appel au concours de tous ses sujets 
pour la défense commune, la défaite de l'ennemi et la 
terminaison rapide des hostilités. 

Les bâtiments corsaires peuvent être comparés aux 
compagnies franches admises dans les guerres terrestres ; 
ce sont, en quelque sorte, les francs-tireurs de la mer, sauf, 
toutefois, que leur qualité de belligérants ne saurait être 
contestée. 

Il ne faudrait pas croire que les actes auxquels se livrent 
les corsaires, visite et saisie des bâtiments, soient, en eux- 
mêmes, contraires au traité de Paris ; la convention de 
1856 a supprimé les corsaires, mais elle n'a pas supprimé 
la guerre de course faite par les bâtiments de guerre ; et 
même les puissances qui ont répudié la guerre de course 



100 CHAPITRE VI. 

ont maintenu le droit de prise des navires marchands 
ennemis, et, en raison des facilités données par les lois 
militaires, il n'est pas contestable que la guerre de course 
existe en fait. 

Les puissances qui ont adhéré au traité de Paris ont 
constitué, dans leur marine marchande, une réserve pour 
leur marine de guerre ; elles ont créé des croiseurs auxi- 
liaires avec leurs paquebots rapides, et ces paquebots 
peuvent rester sous le commandement de leurs capitaines 
du temps de paix ; en France, comme les marins sont 
inscrits maritimes, et, par suite, ont un assujettissement 
étroit au service militaire, que presque tous les capitaines 
au long cours sont officiers dans la réserve de Farmée de 
mer, on ne discerne pas bien où s'arrêteraient les res- 
sources offertes par la flotte de commerce à la flotte de 
guerre. 

La course, en elle-même, qui ne constitue qu'un moyen 
d'étendre l'action de guerre contre le commerce ennemi, 
ne peut être un réel sujet d'inquiétude pour les neutres, 
mais il en est tout différemment des principes appliqués 
pour la prise des bâtiments de commerce, soit par les 
corsaires, soit par les croiseurs d'^un état belligérant. 

Les points réglés par le traité de Paris, en ce qui con- 
cerne l'immunité du navire et de la marchandise neutres, 
sont les suivants : 

« Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à 
l'exception de la contrebande de guerre. 

« La marchandise neutre, à l'exception de la contre- 
bande de guerre, n'est pas saisissable sous le pavillon 
ennemi. 

i( Les blocus, pour être obligatoires, doivent être effec- 
tifs, c'est-à-dire maintenus par une force suffisante pour 
interdire réellement l'accès du littoral de l'ennemi. » 

Ces principes, très précis dans leur laconisme, garan- 
tissent pleinement aux neutres la liberté de commercer, 
tant sous leur propre pavillon, lorsqu'ils conduisent des 






UN PEU DB DROIT DES GENS, ICfl 

marchandises ennemies, que sous le pavillon du belligé- 
rant lorsque celui-ci transporte des marchandises neutres. 
L'immunité du pavillon et de la marchandise neutres 
serait une question résolue, si, justement, il ne s*était pas 
élevé quelque opposition à Tacceptation de ce principe 
par les Etats-Unis et l'Espagne. Cette dissidence ne pro- 
vient pas, toutefois, de la question de l'immunité du pa- 
villon, mais de celle de l'abolition même de la course. 

Les Etats-Unis s'étaient déclarés prêts à adhérer au 
traité de Paris dans le cas seulement où le Congrès ad- 
mettrait la suppression complète de la guerre de course, 
c'est-à-dire que la propriété privée d'un belligérant ne 
pourrait être capturée par les bâtiments de guerre de 
l'ennemi, à l'exception de la contrebande de guerre ; qu'il 
en serait de la propriété individuelle sur mer comme sur 
terre. C'était Fabolition complète du droit de prise. La 
correspondance qui s'établit alors entre le gouvernement 
américain et le ministère des affaires étrangères de France 
n'amena pas le résultat auquel tendaient les Etats-Unis. 

D'ailleurs ceux-ci invoquèrent^ au moment de la guerre 
de Sécession, leur adhésion platonique à certains prin- 
cipes du traité, pour demander aux puissances de frapper 
d'illégalité les corsaires armés par les Confédérés du Sud 
et de priver de l'asile dans les ports neutres YAlabama^ 
le Sumter et autres bâtiments privés dont les poursuites 
inquiétaient les États du Nord. Les puissances ne voulu- 
rent pas donner un acquiescement à cette proposition et 
considérer les corsaires sudistes comme pirates ; elles 
furent d'avis que c'eût été une rupture de la neutralité 
proclamée au commencement des hostilités. Malgré le 
refus opposé par les puissances, il ne résulte pas moins 
de cet incident diplomatique qu'il y a eu adhésion morale 
des Etats-Unis au traité de Paris. 

Mais dans ce traité il existe une lacune importante : la 
détermination des objets constituant la contrebande de 
guerre. 



lOS 



CHAPITRE VI. 



On comprend en général sous cette dénomination toutes 
marchandises ou engins susceptibles de servir directe- 
ment à l'attaque ou à la défense et dont les neutres ne 
pourraient effectuer le transport à Tun des belligérants 
sans manquer aux règles de la neutralité ; mais s'il y a 
des objets, comme les armes, les munitions, les navires et 
machines A vapeur, le transport des troupes, sur lesquels 
il ne peut y avoir aucun doute, il en est d'autres que 
l'usage n'a pas fait considérer de plein droit comme con- 
trebande. 

La contrebande de guerre est dite absolue dans le pre- 
mier cas ; pour les autres objets, leur détermination 
comme contrebande résulte d'une convention entre les 
belligérants et les neutres ; dans ce dernier cas, la contre- 
bande est dite conventionnelle. Elle peut affecter les objets 
les plus divers. 

On voit quel intérêt s'attache à leur détermination pour 
le commerce des neutres.' 

D'après l'avis de M. Ortolan, les règles acceptées géné- 
ralement en ce qui concerne la contrebande de guerre 
sont les suivantes : 

« Les armes et les engins de guerre, aussi bien que 
toute espèce de munitions pouvant servir exclusivement à 
l'usage de ces armes, sont les seuls objets dont le trans- 
port au belligérant doive toujours et nécessairement être 
considéré comme contrebande de guerre. 

« Les matières premières ou marchandises propres à 
des usages pacifiques, mais servant à la confection des 
armes, engins ou munitions de guerre, ne doivent pas être 
considérées comme contrebande de guerre; il en est de 
même des vivres et des objets de première nécessité, sauf 
lorsque le droit de les prohiber résulte du blocus. » 

Il n'est pas sans intérêt, dans la circonstance présente, 
de rappeler le texte de la déclaration de neutralité de la 
France durant la lutte engagée aux États-Unis en 1861. 

1® Il ne sera permis à aucun navire de guerre ou cor- 



UN PEU DE DROIT DES GENS. 103 

saire de l'un ou Tautre des belligérents d'entrer et de 
séjourner avec des prises dans nos ports ou rades pen- 
dant plus de vingt-quatre heures, hors le cas de relâche 
forcée ; 

2® Aucune vente d'objets provenant des prises ne pourra 
avoir lieu dans nos dits ports et rades ; 

3® II est interdit à tout Français de prendre commission 
de l'une des deux parties pour armer des vaisseaux en 
guerre ou d'accepter des lettres de marque pour faire la 
course maritime ou de concourir, d'une manière quel- 
conque, à l'équipement ou à l'armement d'un navire de 
guerre ou corsaire de l'une des deux parties ; 

4® Il est également interdit à tout Français résidant en 
France ou à l'étranger de s'enrôler ou de prendre du ser- 
vice, soit dans l'armée de terre, soit à bord des bâtiments 
de guerre ou des corsaires de l'un ou l'autre des belligé- 
rants; 

. Les Français résidant en France ou à l'étranger devront 
également s'abstenir de tout fait qui, commis en violation 
des lois de l'Empire ou du droit des gens, pourrait être 
considéré comme un acte hostile & l'une des deux parties 
et contraire à la neutralité que nous avons résolu d'ob- 
server. 

La déclaration rappelait en outre les dispositions légales 
applicables aux contrevenants et ajoutait que tout Fran- 
çais qui ne se serait pas conformé aux prescriptions qu'elle 
renferme, ne pourrait prétendre à aucune protection de 
son gouvernement contre les actes ou mesures, quels 
qu'ils fussent, que les belligérants pourraient exercer ou 
décréter. 

Dans son numéro du 28 avril 1898, le Journal officiel 
de la République française publiait en tète de sa partie 
officielle la déclaration de neutralité de la France, repro- 
duisant presque mot à mot les dispositions de la déclara- 
tion de 1861. 

De son côté, le gouvernement espagnol définissait dans 




104 CHAPITRE YI. 

la Gazette Vattitude prise par lui dans la question des 
corsaires, le droit de visite et la contrebande de guerre. 

Il déclarait, en vertu de Tétat de guerre existant entre 
les États-Unis et TËspagne, abrogés le traité du 27 octobre 
1795, le protocole du 12 janvier 1877 et tous les autres 
arrangements, traités et conventions entre les deux pays. 

Un délai de cinq jours était accordé aux bâtiments 
américains pour sortir librement des ports espagnols. 

Le décret déclarait, de plus, que quoique TEspagne ne 
fût pas liée par la déclaration du 16 avril 4856 du Congrès 
de Paris, puisqu'elle avait manifesté expressément sa 
volonté de ne point y adhérer, le gouvernement, respec- 
tueux pour le principe du droit des gens, se proposait 
d'observer et ordonnait d'observer les règles suivantes du 
droit maritime : 

1" Le pavillon neutre couvre la marchandise, excepté la 
contrebande de guerre ; 

2"* La marchandise neutre, sauf la contrebande de 
guerre, ne peut pas être confisquée sous pavillon ennemi; 

3® Les blocus pour être obligatoires doivent être effec- 
tifs, c'est-à-dire maintenus par une force suffisante pour 
empêcher en réalité l'accès d'un littoral ennemi ; 

4® Le gouvernement espagnol, maintenant son droit 
d'accorder des patentes de course, qu'il s'est réservé 
expressément dans la note du 16 mars 1857, en répondant 
à la France quand elle demanda l'adhésion de l'Espagne 
à la déclaration du Congrès de Paris, organisera pour le 
moment avec les navires d^ la marine marchande espa- 
gnole un service de croiseurs auxiliaires de la marine de 
guerre, qui coopéreront avec celle-ci selon les nécessités 
de la campagne, et seront assujettis au code et à la juri- 
diction de la marine de guerre ; 

5® Pour saisir les bâtiments ennemis et confisquer leur 
marchandise, les croiseurs auxiliaires et les corsaires, 
dans le cas où ils seraient autorisés, exerceront le droit 
de visite sur les hautes mers et dans les eaux juridiction- 






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le: 



UN PEU DE DROIT DES GENS. 105 

nelles ennemies, conformément au droit international et 
aux instructions qui se publieront à ses fins ; 

6® Enumération de ce qui constitue la contrebande de 
guerre ; 

7® Seront considérés et jugés comme pirates, avec toute 
la rigueur des lois, les capitaines, patrons, et les deux 
tiers des équipages des bâtiments qui, n'étant pas améri- 
cains, seraient pris faisant acte de gu€frre contre TEspagne, 
quoique pourvus de patentes délivrées par la république 
des Etats-Unis, 

•De son côté, le président Mac Kinley donnait au repré- 
sentant de la Grande-Bretagne Tassurance formelle que 
les États-Unis, sans faire expressément adhésion à la 
Déclaration de 1886 du Congrès de Paris, entendaient se 
conformer aux principes du droit des gens moderne, 
notamment en ce qui concerne les blocus et la course. 

Et bien que quelque incertitude planât sur la portée de 
cette déclaration confidentielle et qu'au Congrès un séna- 
teur eût affirmé qu'aux élus de la nation seuls il apparte- 
nait de régler cette question délicate, on n'en était pas 
moins fondé à admettre que le président Mac Kinley ne 
s'était pas avancé témérairement dans sa communication 
à l'ambassadeur britannique. 

D'ailleurs, les États-Unis avaient des motifs sérieux de 
ne pas rompre en visière sur ce point du droit des gens 
moderne. Avec leur grande marine marchande, en effet, 
ils auraient eu bien plus de dommages que d'avantages à 
retirer de l'exercice de la course. 

Le décret paru à la Gazette de Madrid, la déclaration 
de M. Mac Kinley rendaient donc désormais inutile l'ini- 
tiative prise par le gouvernement italien de provoquer un 
échange de vues entre les puissances dans le but de sau- 
vegarder les droits des neutres. 

Signalons, en passant, que tandis que les diplomates 
s'efforçaient de circonscrire les maux de la guerre, la 
charité privée ne restait pas inactive ; en France, notam- 






i06 CHAPITRE YI. 

ment, la Société de secours aux blessés militaires, fidèle à 
ses traditions, ouvrait une souscription pour venir en 
aide aux Croix-Rouges espagnole et américaine. Son 
conseil central s'inscrivait en tête de la souscription pour 
un premier versement de 50,000 francs et invitait ses 
comités à le suivre dans cette voie. 

Toutes les sommes recueillies sans affectations spéciales . 
devaient être partagées par parties égales entre les deux 
nations. 

Toutes les sommes recueillies avec affectations spéciales 
devaient être remises conformément aux indications 
données. 

Les dons destinés aussi bien à l'Amérique qu'à l'Es- 
pagne devaient être envoyés aux Croix-Rouges de ces 
deux pays, soit en argent soit en matériel, lingerie et 
médicaments. 

Ajoutons que de toutes parts des souscriptions s'ou- 
vraient pour venir en aide aux victimes de la guerre quelle 
que fût leur nationalité. 

Cependant la mobilisation des volontaires se poursuivait 
dans les États de l'Union ; l'état de New-York pour sa 
part devait fournir douze régiments d'infanterie et deux 
de cavalerie ; celui de Pensylvanie dix régiments d'infan- 
terie et quatre batteries d'artillerie ; les autres États lève- 
raient des effectifs proportionnés à leur population. 

Le retrait des troupes américaines des postes de l'ouest 
et du sud-ouest, dans les régions encore peuplées d'In- 
diens, commençait à produire chez ces derniers une 
certaine effervescence. Ils se livraient déjà à leurs danses 
guerrières et se peignaient en guerre comme s'ils vou- 
laient tenter quelque nouveau mouvement contre les 
blancs. 

Le département de la guerre, préoccupé de cette situa- 
tion, fit renforcer par des volontaires les quelques réguliers 
laissés dans les postes destinés à contenir les belliqueux 
Indiens. 






UN PEU DE DROIT DES GENS. 107 

Dans les eaux de Cuba, la flotte américaine du Nord 
Atlantique, sous les ordres du contre-amiral Sampson, 
semblait se borner au blocus de la Havane et de San-Juan 
de Porto-Rico. 

Sur des nouvelles reçues d'Europe annonçant le départ 
de Fescadre espagnole composée du . Pelayo, de deux 
croiseurs et de trois torpilleurs, Tescadre volante du com- 
modore Schley quittait son mouillage de Fort-Monroô et 
marchait à la rencontre de la flotte ennemie. Les forces 
du Commodore Schley comprenaient les cuirassés Mas- 
sachtisetts et Texas, les croiseurs Brooklyn, Newarcky 
Columbia, Minneapolis, le croiseur avec canon à dynamite 
Vesuvius et le navire à éperon Katahdin, soit huit navires 
de divers modèles, montés par 233 officiers et 2,700 
marins. 

Dans les conseils du gouvernement de Washington on 
agite avec impatience la question du débarquement à 
Cuba. Deux partie divisent à ce sujet les esprits. 

Pendant que le général en chef Miles, vieux soldat qui 
a suivi avec une attention passionnée les grandes guerres 
de ces derniers trente ans, soutient qu'il faudrait 50,000 
^ hommes au moins pour tenter cette opération, d'autres se 
font forts de réussir un coup de main avec 16,000 hommes. 
Us demandent seulement que la flotte effectue une tenta- 
tive sur deux points — peut-être Cienfuegos et Sagua-la- 
Grande — sur la côte nord des provinces de Matanzas ou 
de Santa-Clara, et sur le littoral sud de Cuba, afin de pou- 
voir opérer sûrement une jonction avec les insurgés de 
l'intérieur. 

Le président Mac Kinley aura à trancher cette question 
^^^ délicate. Bien d'autres s'offrent à son attention. Une fort 
oD^ délicate et urgente, c'est celle du traitement des câbles 

sous-marins internationaux par les belligérants. 
0^' On prétait à l'escadre américaine l'intention de couper 

# celui qui relie Cuba à Key-West et qui appartient à des 
eft neutres. 



IlTi^ 



il: 






^ 2Hr-»-- 



?1 



108 CHAPITRE VI. 

Sans parler du danger des représailles légitimes par 
lesquelles l'Espagne couperait à son tour tous les câbles 
qui atterrissent sur le sol des Etats-Unis et des conven- 
tions spéciales qui interdisent au gouvernement fédéral 
cette opération, de graves considérations tirées du droit 
des gens s'opposent à cette destruction. 

Si, eneffet, il est interdit, de l'aveu même des belligé- 
rants, et nous avons relaté plus haut leur décision, de 
saisir la marchandise neutre sous pavillon ennemi, comme 
la marchandise ennemie sous pavillon neutre, à plus forte 
raison doit-il être illégitime ati premier chef de détruire 
un objet d'utilité générale appartenant à *une compagnie 
ou à un Etat neutre, placé par définition sous le pavillon 
de celui-ci et absolument impropre à être classé dans la 
catégorie de la contrebande de guerre. 

En Espagne, le gouvernement de la reine est aux prises 
avec les difficultés financières. Divers projets sont pro- 
posés pour remplir les caisses presque épuisées par les 
derniers efforts faits pour Cuba. 

Partout la souscription nationale ouverte pour subvenir 
aux frais de la lutte contre les États-Unis a déjà produit 
des millions. Les optimistes affirment qu'elle dépassera 
cent millions. 

Enfin, avant de commencer les hostilités proprement 
dites, le gouvernement espagnol envoie à la fin d'avril 
aux grandes puissances une circulaire dont voici le 
résumé : 

« Le gouvernement espagnol regrette d'avoir été obligé 
de faire appel à la force pour repousser l'agression scan- 
daleuse des Etats-Unis et défendre la dignité et l'intégrité 
historiques de la patrie. 

« L'Espagne a pour elle le droit, les procédés cor- 
rects et la prudence, tandis que les États-Unis ont de leur 
côté la déloyauté et une explosion d'ambitions sans frein. 

i( La conduite du consul général Lee est qualifiée d'exé- 
crable. 



UN PEU DE DROIT DES GENS. 109 

c( La circulaire dit que les derniers mots de la résolution 
du Congrès n'ont d'autre but que de tromper les Cubains, 
car nie ne sera pacifiée que lorsqu'elle sera mûre pour 
l'annexion. 

« Le peuple espagnol attend l'attaque avec beaucoup de 
calme, décidé à défendre énergiquement le droit de rester 
en Amérique, persuadé qu'il* aura l'appui des Cubains, 
qui sont, comme lui, tous Espagnols. » 

En France, l'opinion était assez divisée, et il serait assez 
difficile de préciser à qui reviendrait la supériorité du 
nombre des partisans de l'Amérique ou de ceux de l'Es- 
pagne. 

Enregistrons simplement à titre de document, et en 
conservant la plus stricte neutralité, cette protestation 
contre la guerre hispano-américaine signée de plusieurs 
professeurs des facultés de droit de Paris et d'Aix : 

« Il est certain, écrivent les protestataires, et nous 
tenons* à le proclamer ici, que les Etats-Unis n'ont abso- 
lument aucune raison de faire la guerre à l'Espagne. 

« Un état d'insurrection dure depuis plusieurs années 
à Cuba sans que la métropole ait pu réussir jusqu'ici à le 
faire cesser complètement. Certesj les citoyens de l'Union 
passent pour n'être pas étrangers à la prolongation de 
cette rébellion. Les Etats-Unis prétendent maintenant 
obliger l'Espagne à renoncer à ses droits séculaires de 
souveraineté sur sa colonie. » 

Après avoir longuement réfuté les justifications que les 
Américains présentent de leur conduite et qui sont « de 
misérables prétextes », les signataires de la protestation 
ajoutent : 

« La vérité est que l'Amérique attaque l'Espagne parce 
qu'elle se sait plus riche et parce qu'elle se croit plus 
forte. Elle l'attaque pour s'approprier Cuba. Elle veut 
conquérir ce qu'elle a demandé vainement et à plusieurs 
reprises à acheter autrefois. La vérité est que, sans se 
soucier un instant de ce premier principe de justice qui 



n 



HO CHAPITRE VI. 

commande de rendre à chacun le sien, sans penser une 
minute aux massacres et aux dévastations qui se préparent, 
les États-Unis commencent une guerre de pure ambition, 
«i même elle n'est pas inspirée par des motifs plus odieux 
encore, des motifs de basse et sordide cupidité. 

(( Nous assistons à la dernière évolution de la doctrine 
de Monroë : elle pouvait être prévue. Jusqu'ici, le gouver- 
nement de rUnion consentait à ne pas s^immiscer dans les 
rapports de l'Europe avec ses colonies américaines, pourvu 
qu'on le laissât décider à son aise des intérêts des États 
américains. Plus confiant en sa force, il devient aussi plus 
exigeant, et bientôt TAmérique aux Américains, ou plutôt 
F Amérique aux États-Unis du Nord, deviendra une vérité 
absolue, sans exception. 

(( Que l'on ne se fasse pas d'illusion, en efifet. Aujour- 
d'hui c'est Cuba qu'ils réclament, demain ce sera le reste 
des Antilles, puis, ce qu'ils ne possèdent pas encore 5ur 
le continent. Chaque jour marquera un pas en avant, et il 
ne manquera pas aux guerres futures de prétextes aussi 
solides que ceux qui ont donné lieu à la guerre actuelle. 

« L'Amérique du Sud aura son tour. Heureuse encore 
la vieille Europe si elle échappe à leur ambition. 

w Nous savons que le bruit des armes empêche la voix 
plus faible de la raison de se faire entendre. Nous n'en 
voulons pas moins, si inutile que soit notre protestation, 
protester hautement contre une guerre entreprise sans 
motifs, sans prétexte même, contre cette violence pure et 
simple infligée à un adversaire qui n'a jamais cessé de se 
tenir dans les limites du juste et de l'honnête, et qui, hier 
encore, se montrait prêt à entrer dans toute voie amiable 
de conciliation du différend. » 

Les protestataires terminaient en exprimant l'espoir 
que rEurope, plus soucieuse de ses intérêts^ mettrait un 
terme définitif aux scandales de cette espèce. 

Nous ne pouvons nous attarder longuement à discuter 
le bien fondé de cette protestation qui part, évidemment, 




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UN PEU DE DROIT DES GENS. 141 

d'un bon naturel ; mais dire que même les prétextes ont 
manqué aux Américains pour entreprendre la guerre, est 
peut-être excessif. Que Ton se reporte au message du pré- 
sident Mac Einley. 

D*autre part, quelle puissance en Europe se sentirait la 
conscience assez pure pour reprocher aux Etats-Unis la 
préméditation d'une annexion ? 

Quel État militaire de Tancien monde n'a point fait 
servir son armée ou sa flotte à des extensions territoriales 
plus ou moins déguisées sous le nom de mission civilisa- 
trice ? 

Tous ont à se reprocher la mainmise sur des contrées 
qui ne leur appartenaient pas, dans Tune quelconque des 
cinq parties du monde, et il est présumable qu'une ob- 
servation de la vieille Europe à la jeune Amérique serait 
accueillie par le conseil assez logique de commencer par 
prêcher d'exemple. 

Et la jeune Amérique n'aurait peut-être pas tout à fait 
tort! 




CHAPITRE VII 

lES FORCES EN PRÉSENTE 



Puffisme américain. — Un article du World. — Les forces latentes. — L'armée 
fédérale. — Réguliers et miliciens. — La marine des États-Unis. — La 
flotte espagnole — Les croiseurs auxiliaires. — La répartition des escadres. 

— Les points vulnérables. — La question du charbon. — Les points de 
relâche. — Possessions espagnoles du Pacifique. — Les théâtres de guerre. 

— Offensive ou défensive. — Hésitations funestes. 



Dans un accès de lyrisme que des gens plus froids, et 
surtout plus sensés, pourraient bien qualifier de ptif/isme^ 
un journal de New- York, le World^ affirmait, au début 
de la guerre, que les Étals-Unis « pourront, très prochai- 
nement, mettre sur pied un million et demi de soldats 
splendidement armés )) . 

La seule concession que la feuille yankee accorde à 
ceurqui trouvent ses calculs un peu exagérés, c'est que 
le commandement laissera peut-être à désirer au début 
de ^ guerre. 

^ Quelque^ considérables que Ton suppose les forces 
latentes des Etats-Unis, — et elles le sont, en efiPet, la 
guerre de la Sécession l'a prouvé — elles sont pourtant 
hors de proportion avec les efforts inouïs que la mobilisa- 
tion en trente jours d*un million et demi de soldats exige^ 
rait d'un pays dont Torganisation militaire ne comporte, 
en temps normal, pour l'armée régulière, que 25,000 à 
30,000 hommes. 

Examinons donc sérieusement, et sans parti pris, ce que 
sont les troupes américaines et quel parti on peut en tirer 
pour la guerre. 

L'armée des États-Unis ne ressemble en rien aux armées 
européennes ; c'est une sorte de garde nationale, une 




i\ 



; 






LES FORCES EN PRÉSENCE. H3 

milice de frontière, sans aucune préparation, au point de 
vue de ce qu'en Europe nous appelons la mobilisation. 

Son effectif est de 12,000 hommes d'infanterie, 6,000 de 
cavalerie, 4,000 d'artillerie et 8,000 employés dans les 
services techniques et les corps auxiliaires, soit, au total, 
30,000 hommes. 

L'infanterie est organisée en bataillons dénommés ré- 
giments et forts de 8 compagnies chacun. Les unités tac- 
^tiques supérieures, brigade,' division, n'existent pas en 
temps de paix. 

La cavalerie forme 10 régiments, composés chacun de 
10 demi-escadrons. 

Cinq régiments à 12 batteries constituent l'artillerie de 
campagne et de forteresse ; le nombre de pièces varie 
suivant les régiments. 

Ce noyau, assez faible, on le voit, constitue le cadre de 
l'armée de campagne. 

Celle-ci, constituée à l'aide de la milice^ doit être, au 
moment du besoin, créée de toutes pièces avec des élé- 
ments peu ou pas exercés, suivant une pratique essayée 
pour la première fois lors de la guerre de la Sécession. 

Chaque Etat de l'Union a le droit de convoquer eu 
milice tous les hommes valides de sa population. Lairès 
grande majorité des miliciens, appelés sous les drapeaux, 
n'aurait pas la plus légère notion du métier militaire. 

En effet, la seule préparation donnée en temps de paix 
consiste en cours publics annexés à ceux des établisse- 
faents d'instruction et fréquentés par des miliciens volon- 
taires. D'après les chiffres officiels, le nombre des volon- 
taires, théoriquement instruits, ne dépasse pas 100,000 
hommes. 

Ceux-ci formeraient le seul noyau pratiquement utili- 
sable pour le renforcement de Tarmée de campagne. 
• L'armée espagnole, au contraire, instruite, organisée à 
l'européenne, avec des cadres solides, trop de cadres 

même parfois, comprend, à Cuba, 133,000 hommes aguer- 

8 









114 CHAPITRE VII. 

ris par la répression de Finsurrection ; aux Philippines , 
une douzaine de mille hommes, et, enfin, en Europe^ 
soit dans la péninsule, soit dans les lies, 340,000 hommes, 
répartis en huit corps d'armée, avec une artillerie de 
campagne d'environ mille pièces de canon. 

Si, passant aux forces navales, nous examinons les unités 
de guerre, prêtes à prendre immédiatement la mer, nous 
trouvons aux États-Unis : 

S cuirassés, 

2 croiseurs cuirassés, 

5 monitors à deux tourelles, 
13 monitors à une tourelle, 

2 garde-côtes, 

8 croiseurs de 1" classe, 

8 croiseurs de 2® classe, 
10 corvettes à hélice, 

1 croiseur-torpilleur, 

1 aviso, 

15 canonnières protégées, 
10 canonnières à hélice, 

1 bélier-torpilleur, 

soit au total, 81 bâtiments d'un déplacement total de 
230,000 tonnes, auxquels il faut ajouter 19 torpilleurs. 
En Espagne nous avons : 

1 cuirassé, 

2 frégates cuirassées, 

5 croiseurs cuirassés, 

8 croiseurs de l""® classe, 
10 croiseurs de 2® classe, 

6 croiseurs de 3® classe, 

59 canonnières à hélice de diverses cla3ses, 
1 canonnière à roues, 
18 chaloupes-canonnières, 

16 contre-torpilleurs, 

soit 126 bâtiments d'un déplacement de 123,000 tonnes. 



-TlpT-^-T«r^ - .. ^ ^_ 



LES FORCES EN PRÉSENCE. 115 

Comme son adversaire, l'Espagne possède 19 torpil- 
leurs. 

Mais il ne faut point perdre de vue que de ces bàti-^ 
ments portés sur la liste de la flotte de chaque pays, il 
faut éliminer les navires sans valeur, c'est-à-dire ceux 
dont l'armement, la vitesse, la protection ne répondent 
plus aux nécessités de la guerre moderne. 

Or, il y a une dizaine d'années, la flotte américaine 
n'existait pour ainsi dire pas, et beaucoup d'unités portées 
encore aujourd'hui sur la liste de la flotte datent d'avant 
cette époque ; on a même conservé en souvenir de la 
guerre de la Sécession de vieux monitors sans aucune 
valeur offensive ni même défensive. 

De son c6té, l'Espagne a, pendant toute la période de 
ses guerres intérieures, négligé sa flotte, et ses difficultés 
coloniales seules l'ont, depuis une dizaine d'années, 
amenée à construire ou à transformer ses navires de 
guerre. 

Aussi, les unités que les belligérants vont pouvoir mettre 
en ligne se réduisent-elles pour les États-Unis à dix cui- 
rassés, en défalquant le Maine source du conflit, vingt-six 
navires non cuirassés et dix-huit torpilleurs, et pour l'Es- 
pagne à six navires cuirassés, vingt-huit bâtiments non 
cuirassés et quatorze torpilleurs. 

Les Etats-Unis ont donc un avantage de six bâtiments ; 
de plus, leur flotte de guerre est supérieure comme ton- 
nage, et aussi comme armement. 

En effet, les cuirassés d'escadre, Indiana, lowa^ Massa- 
chusetts ^ Oregon et Texas ^ qui ont un déplacement total de 
48,700 tonnes, portent 50 canons de plus de 20 centi- 
mètres, 24 de 10 à 20 centimètres et 120 d'un calibre infé- 
rieur à 10 centimètres ; ces cuirassés ont une marche 
supérieure à 17 nœuds; il faut y ajouter les trois garde-côtes 
cuirassés Katahdm^ Monterey et Puritan formant ensemble 
un déplacement de 12,380 tonnes et portant 8 canons de 
gros calibre, 12 de calibre moyen et 22 de petit calibre ; 



T7»»î 



116 CHAPITRE VII. 

leur vitesse moyenne n*est pas aussi considérable que 
celle des cuirassés, bien que le Monterey aiteigne 17 nœuds. 

Les croiseurs cuirassés Brooklyn et New-York ont Une 
vitesse supérieure à 21 nœuds. Leur tonnage atteint 
presque 18,000 tonnes et leur armement consiste en 
14 canons de gros calibre, 22 de calibre moyen et 28 de 
petit calibre. Les croiseurs modernes non cuirassés sont 
au nombre de 16. 

Le Columbia et le Minneapolis sont qualifiés destruc- 
teurs du commerce ; ils ont un rayon d'action considérable 
et une vitesse qui atteint et peut dépasser 22 nœuds 1/2; 

Les croiseurs Baltimore^ Chicago^ Newark, Olympia^ 
Philadelphia et San-FransciscOj sont cbacun de plus de 
4,000 tonnes et d'une vitesse supérieure à 19 nœuds ; 

Les croiseurs plus petits, Atlanta, Boston^ Charleston, 
Cincinnati^ Détroit, Marblehead, Montgomery, Baleigh, 
ont une vitesse variant entre 15 et 20 nœuds. Ces croiseurs 
représentent un déplacement de 66,400 tonnes et portent 
20 canons de gros calibre, 149 de calibre moyen et 211 de 
petit calibre. 

A ces bâtiments, il convient d'ajouter 9 petites canon- 
nières de 900 à 1700 tonnes de déplacement qui portent 
62 canons de calibre moyen et 54 de petit calibre et dont 
la vitesse est de 14 à 17 nœuds. 

La flotte américaine ne compte qu'un croiseur-torpil- 
leur, le Vesuvius qui, aux essais, a filé 21 nœuds 6 et qui 
transformait son artillerie au début de la guerre ; elle est 
également faible en torpilleurs ; cependant sur les 18 mo- 
dernes, 3 filent 30 nœuds, 3 filent 27 nœuds et les autres 
filent de 20 à 25 nœuds. 

C^est dans ses petits bâtiments et principalement dans 
ses contre-torpilleurs que réside surtout la force de la 
flotte espagnole. 

En efiet, le Pelayo (9,900 tonneaux, 4 canons de gros 
calibre, 10 de calibre moyen et 18 de petit caUbre) est le 
seul cuirassé disponible. Encore, comme on Ta vu plus 



m- -«-s— ■?'—•»> 



LES FORCES EN PRÉSENCE. 117 

haut, a-t-il dû quitter précipitamment Toulon où Ton le 
réparait pour se rendre à Carthagène. 

Toutefois, la marine espagnole peut mettre en ligne 
cinq croiseurs cuirassés d'une valeur militaire fort respec- 
table ; ce sont ; V Almirante Oquendo, le Cris tobal- Colomb^ 
YEmperador Carlos F, Vlnfanta-Maria-Teresa et le Viz- 
cayuy qui déplacent ensemble 37,000 tonnes et portent 
10 canons de gros calibre, 60 de calibre moyen et 88 de 
petit calibre. Tous ont une vitesse supérieure à 20 nœuds. 
Cinq croiseurs, sept canonnières et seize contre-torpilleurs 
forment, la flotte non cuirassée. 

Les croiseurs, sauf VAl/onso XIII et le Lepanto d'un 
déplacement de 4,800 tonnes et d'une vitesse de 20 nœuds, 
sont de faible tonnage et d'une vitesse insuffisante. 

Les canonnières déplacent 300 tonnes et marchent à 
15 nœuds au plus ; 

Croiseurs et canonnières ont un déplacement total de 
14,830 tonnes et un armement de 8 canons gros calibre, 
24 calibre moyen et 63 petit calibre. 

Parmi les contre-torpilleurs se trouvent quelques bâti- 
ments remarquables : 

h'Audaz, VOsado^ la Proserpina et le Pluton filent 
30 nœuds ; le Furor et le Terror en filent 28 ; les autres 
varient de 18 nœuds à 22 nœuds 4/2. 

Quant aux 14 torpilleurs espagnols, ils sont d'un modèle 
suranné ; aucun d'eux ne dépasse 20 nœuds. 
Telles sont les flottes modernes des deux pays. 
Mais l'Espagne pourrait trouver dans ses anciens navires 
d'utiles auxiliaires, par exemple les cuirassés Numancia et 
Vittoria^ les croiseurs Alfonso XII, Reina Cristina, Reina 
Mercedes qui, s'ils n'ont pas de vitesse, ont au moins une 
forte artillerie. 

Rien de semblable aux États-Unis, où les vieux moni- 
tors de la Sécession ne représentent plus que des mon- 
ceaux de bois et de ferraille tout à fait impropres même à 
la défense des côtes. 






118 CHAPITRE VII. 

Au moment où la crise prenait toute sa gravité, les deux 
pays firent à Tétranger des achats de navires sur la valeur 
desquels il n'est pas encore possible de porter un juge- 
ment définitif. 

Citons, en ce qui concerne les Etats-Unis, les croiseurs 
brésiliens Amazonas et Almirante Abreu de 3,500 tonnes; 
le yacht May "Flower transformé en contre-torpilleur; le 
^ croiseur Topeka et le torpilleur Somers, achetés en Angle- 

terre. 
k U Amazonas prit dans la flotte américaine le nom de 

* NeW'Orleans et ÏA/miranie Abreu celui à'Albany. 

Quant à TËspagne, elle avait engagé avec Tltalie des 
\i pourparlers pour Tacquisition du croiseur italien Gari- 

baldi^ navire du type Cristobal-Colomb^ acheté au gouver- 
nement l'année précédente. Mais ces pourparlers n'abou- 
tirent pas. 

Les États-Unis n'avaient pas attendu la déclaration de 

guerre pour transformer leurs navires marchands en croi- 

|v seurs auxiliaires. Depuis plus d'une année déjà Tarme- 

^' ment de ces croiseurs avait été constitué dans les ports de 

' l'Atlantique et du Pacifique. Il consistait en canons de 

152 millimètres, de 127 millimètres, de 101 millimètres 
et en mitrailleuses et canons-revolvers. 

La flotte auxiliaire de l'Atlantique comprenait notam- 
ment le New-York^ le Paris^ le Saint-Louis et le Saint- 
Pauly filant tous plus de 20 nœuds et d'un déplacement 
de dix à douze mille tonnes ; neuf autres croiseurs de 
moindre tonnage portaient à treize le nombre des unités 
auxiliaires de l'Atlantique ; 

L'escadre du Pacifique comprenait neuf croiseurs, ce 
qui donne le chiffre global de 22 croiseurs auxiliaires. 

Le Saint-Louis et le Saint-Paul furent dès le début 
des hostilités affectés à Vescadre volante du commodore 
^ Schley. 

De son côté, l'Espagne pouvait disposer des bâtiments 
de vitesse de la Compagnie transatlantique espagnole; 



LES FORCES EN PRESENCE. H9 

ceux-ci étaient au nombre de trente-six, dont un certain 
nombre furent armés. 

La marine de guerre des États-Unis disposait au 
moment de la déclaration de guerre de 18 amiraux, 700 
officiers supérieurs ou subalternes, 12,000 matelots et 
750 mousses. Le personnel subalterne provenait des enga- 
gements volontaires contractés pour une période de trois 
ans. Il u^existe pas aux États-Unis d'institution analogue 
à notre inscription maritime. 

De son côté, la marine espagnole comptait à la même 
époque 22 officiers généraux, 870 officiers supérieurs et 
subalternes, i 4,000 sous-officiers et matelots, 7,000 sol- 
dats d'infanterie de marine et ISOO artilleurs marins. 

Le recrutement de ces contingents, sensiblement supé- 
rieurs à ceux correspondants de la flotte américaine, a lieu 
par la voie de l'inscription maritime, qui peut fournir 
quatre classes de réserve, soit encore 16,000 bommes. 

Vers la fin de mars 1898, le New-York Herald publia 
une carte indiquant la position des forces navales des 
deux pays dans l'Atlantique. Nous en extrayons les rensei- 
gnements suivants qui donnent une intéressante indication 
sur le groupement éventuel des escadres ainsi que les 
projets présumés des deux adversaires. 

Au mouillage de Key-West et sur les côtes de la Floride, 
par conséquent à quelques heures de la côte cubaine, 
nous constatons la présence des cuirassés Indiana et lowa^ 
des croiseurs Cincinnati, Détroit^ Montgomery^ Nashville, 
des canonnières Castine, Newporty Wicksburg et Wil- 
mington^ enfin des torpilleurs Ciishing, Dupont^ Ericson^ 
Foote et Portés. 

A Port-Royal, au sud de Charleston, se trouvent quatre 
garde-côtes : Amphitnte^ Mintonomah^ Puritan^ Terror. 

Devant Hampton-Roads (Fort Monroë) croisent le cui- 
rassé Massachusetts et les croiseurs Brooklyn, Columbia, 
Minneapolis. 

Plus au nord, à Philadelphie, les monitors Canonicus^ 



120 CHAPITRE VII. 

Mahopac^ Manhattan, défendent Tentrée de la baie de 
Delaware. 

A Long-Island, en face de New-York, on a réuni le cui- 
rassé Texas et les monitors Jason et Nahant. 

Plus au nord encore, les monitors Castkill et Lehigk 
défendent les approches de Boston. 

Dans l'océan Pacifique se trouvent le Monterey^ garde- 
côtes cuirassé ; le monitor Monadnock, et le cuirassé Ore- 
gon; ce dernier vient de recevoir l'ordre de rallier Key- 
West ; mais n'oublions pas qu'il lui faut pour cela doubler 
le cap Horn, en contournant toute l'Amérique du Sud ; à 
Honolulu, soit à mi-chemin des Etats-Unis et des Philip- 
pines, le croiseur Baltimore et la canonnière Benmngton 
attendent dés instructions. 

En Extrême-Orient, les croiseurs Olympia et Charleston 
ont reçu Tordre de rallier l'Amérique par le canal de 
Suez ; les forces des mers de Chine comprendront, après 
leur départ, les croiseurs Boston, Concord, Pétrel et Ra- 
leigh. 

Enfin, dans les eaux européennes, nous constatons la 
présence des croiseurs San-Francisco, New-Orleans, To- 
peka; des canonnières Bancroft et Helena, et du torpilleur 
Sofners. Tous ces navires peuvent avoir rallié en quelques 
jours la mer des Antilles. 

Quant à l'Espagne, elle a ses croiseurs cuirassés Almi- 
rante-Oquendo et Vizcaya, et un croiseur protégé, Al^ 
fonso XII, dans les eaux de la Havane et de Porto-Rico ; 
les contre-torpilleurs Ariete, Azor, Furor, Pluton, Rayo et 
Terràr sont en route pour les Antilles ; ils seront rejoints 
à bref délai par les croiseurs cuirassés en armement : 
Alfonso XIII, Cristobal-Colon, Emperador Carlos V, In- 
fanta-Maria-Teresa, 

Les deux adversaires, on le voit, concentrent le gros de 
leurs forces dans la mer des Antilles : les Américains à 
Key-West et sur la côte est des États-Unis, l'Espagne à 
Cuba et à Porto-Rico. C'est, en eflFet, dans Tocéan Atlan- 




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122 CHAPITRE VII. 

A première vue, TEspagne semble être dans, un état 
d^infériorité marquée vis-à-vis de son adversaire, qui 
dispose de toutes les ressources de TAmérique du Nord 
comme combustible, vivres et munitions, tandis qu'elle- 
même est obligée de transporter à grands frais et au 
L milieu de dangers certains les approvisionnements des 

f' forces navales qu'elle entretient dans les eaux de Cuba 

et de Porto-Rico. 
' Mais il ne faut pas oublier que les points vulnérables 

des États-Unis sont leurs côtes et leur commerce mari- 
time. 

L'océan Atlantique sépare les deux pays, .et, pour les 
navires modernes, dont Tunique moyen de propulsion est 
la vapeur, la distance à franchir avant d'arriver au but 
constitue une grosse difficulté. 3,400 milles séparent New- 
York de Cadix; tout navire américain qui tenterait une 
action contre le litttoral espagnol devrait donc avoir dans 
ses soutes des approvisionnements de charbon pour 7,000 
milles, puisque les États-Unis ne possèdent aucune lie 
dans l'océan Atlantique. 

L'Espagne, au contraire, a des possessions insulaires 
sur la route d'Amérique; la plus grande distance qu'elle 
ait à franchir sans se ravitailler est celle qui sépare les 
Canaries de Porto-Rico, soit 2,800 milles. Si donc elle a 
pris soin de garnir de charbon ses points de relâche, elle 
est en meilleure posture que son adversaire pour opérer 
contre les villes du littoral ou les navires de commerce. 
Mais il faut aussi constater, d'autre part, que les posses- 
sions espagnoles du Pacifique sont pour l'Espagne une 
cause de faiblesse. Rien qu'elle ait établi aux Philippines 
une défense appréciable, elle n'est pas en situation de 
leur envoyer des renforts de la métropole, et les Etats- 
Unis pourraient fort bien tenter de ce côté une diversion 
aux opérations de l'Atlantique. 

Comme nous Tavons vu, les ennemis en présence, n'ayant 
point adhéré à la convention de Paris, peuvent armer des 



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L,,i 



124 CHAPITRE vn. 

corsaires et faire la guerre de Corse. Le commerce mari- 
time des États-Unis comptant 4,000 bâtiments jaugeant 
2,000,000 de tonnes, et le commerce espagnol n'étant re- 
présenté que par 4300 navires avec 500,000 tonnes, on voit 
que le gros danger de la course menace surtout les Amé- 
ricains; aussi, comprend-on la satisfaction avec laquelle 
le président Mac Kinley accueillit*la déclaration de l'Es- 
pagne, annonçant qu'elle se conformerait, pour partie au 
moins, à la déclaration de 1856. 

Le plan des États-Unis semble être de limiter le théâtre 
de la guerre, de porter avec rapidité des coups aussi déci- 
sifs que possible sur Cuba, et de s'efforcer d'opérer une 
jonction avec les insurgés, qui, malgré les déclarations 
suspectes de la presse espagnole, ne semblent pas prêts 
â se joindre à leur ennemi héréditaire pour combattre 
leurs libérateurs. 

Conformément à ce plan, l'escadre du Nord Atlantique 
a, comme nous l'avons vu, levé l'ancre et s'est dirigée 
vers Cuba, dont le président Mac Kinley a proclamé le 
blocus. 100,000 miliciens ont été appelés sous les dra- 
peaux. 

80,000 de ces hommes, joints à 23,000 de l'armée per- 
manente, prendront part au opérations â Cuba. 

20,000 iront renforcer les garnisons qui veillent sur le 
littoral et servent les batteries de position semées sur l'im- 
mense étendue des côtes américaines. 

L'Espagne, de son côté, est obligée, jusqu'à un certain 
point, de suivre son adversaire sur le terrain de son choix. 
Elle attendra donc l'attaque à Cuba, à Porto-Rico, aux 
Philippines. Mais elle pourrait, si elle le voulait, déplacer 
le centre des perturbations belliqueuses, en élargir Taire 
et porter, elle aussi, aux États-Unis quelque coup droit 
sur un point particulièrement sensible. Malheureusement, 
elle ne semble pas prendre de décision à ce sujet; elle 
hésite, tâtonne, fait partir ses escadres, les rappelle et 
perd un temps précieux. Finalement, les grosses opéra- 



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^IWÎTf! V^ if^^-^^^ 7-f -«-- 



LES FORCES EN PRÉSENCE. 128 

tions s^engagent, nécessitent le groupement de toutes les 
unités navales sans que rien ait pu être te^té de préjudi- 
ciable aux intérêts américains. 

Telle est la situation des deux belligérants au moment 
où retentit le premier coup de canon. 



CHAPITRE VIII 



PREMIERS COUPS DE CANON 



Premiers coups de canon. — Capture da Buenaventura. — Le blocus de Cuba. 

— La situation aux Philippines. — Le combat du Ctuhing et de la Ligera. — 
Bombardement de Matanzas. — Les enrôlements aux États-Unis. — National 
Guard et Cowardly Seventh. — Les évolutions de Tamiral Sampson. — 
L'amiral Montojo à Manille. — L'arrivée des Américains aux Philippines. 

— Désastre de Cavité. — Les escadres en présence. — Destruction de la 
flotte espagnole. —^ Manifestations en Amérique. — Le Dewey day. — Piété 
du Sénat américain. — En Espagne. 



Les hostilités commencèrent le 23 avril 1898 par la 
capture du navire de commerce espagnol Buenaventura^ 
venant du Texas, par la canonnière américaine Nashville^ 
qui remorqua le bâtiment saisi jusqu'à Key-West, où 
Févénement provoqua un vif enthousiasme. C'est au large 
de ce port, à l'extrémité de la Floride, que la capture eut 
lieu ; le bâtiment, monté par une vingtaine d'hommes, se 
rendit, après avoir essuyé quelques coups de canon. 

Ajoutons que des réclamations furent immédiatement 
adressées au gouvernement américain par les armateurs 
du navire, relativement à la légitimité de la prise, et par 
l'ambassadeur de France chargé des intérêts espagnols à 
New-York ; il parait hors de conteste que le Buenaventura 
ne pouvait avoir encore connaissance de Tétat de guerre 
existant entre les deux pays. 

De leur côté, les Espagnols capturaient un quatre- mâts 
américain, le Shenandoah^ chargé de blé, à destination 
de Liverpool. 

Un autre fait de guerre suivit bientôt. Ce fut la saisie 
du câble qui met en communication la Havane avec Key- 
West. 



PREMIERS COUPS DE CANON. 127 

Le contre-amiral Sampson reçut Tordre de couper ce 
câble dans un délai de deux ou trois jours, dès que le 
gouverneur général aurait informé la métropole de l'éta- 
blissement du blocus devant Cuba. 

Ainsi que nous Tavons dit plus baut, celui-ci était 
effectif. A la date du 25 avril, 12 navires américains 
étaient rangés en ligne de bataille, les torpilleurs en 
avant, en face de la Havane et le fort du Morro, bors de 
la portée des batteries de terre. 

Aucun navire espagnol ne pouvait plus, dès lors, entrer 
dans le port ou en sortir. 

Les instructions remises au contre-amiral Sampson lui 
prescrivaient, pour l'instant, de couper les communica- 
tions entre la Havane et T Espagne, et d'affamer la capitale 
cubaine, mais interdisaient le bombardement jusqu'à nou- 
vel ordre. 

Le navire américain Mangrove était envoyé de Key- 
West sur la côte sud de Cuba, pour draguer le câble 
reliant directement l'Ile à l'Espagne et le couper. 

Disons de suite que l'interruption absolue des commu- 
nications de la colonie avec sa métropole était presque 
impossible, car il aurait fallu, en outre de la suppression 
des câbles atterrissant aux Etats-Unis, couper ceux reliant 
Cuba aux Bermudes, à la Jamaïque et à Pernambuco, 
reliés à ceux de la Compagnie française et protégés par la 
garantie du Congrès télégraphique. 

Aux Philippines, des ferments de rébellion se manifes- 
taient parmi les indigènes ; néanmoins, le gouverneur 
général télégraphiait à Madrid que la situation était ras- 
surante et qu'il était prêt à résister à l'attaque de l'es- 
cadre américaine. La baie de Manille avait, disait-il, été 
t)arrée par des mines sous-marines, depuis l'Ile du Corre- 
gidor jusqu'à la pointe de terre ferme, au sud de cette 
baie. L'Ile elle-même était défendue par 2,000 hommes 
et plusieurs pièces de 6 pouces ; quant au front de terre 
de la capitale des Philippines, il était protégé de 



'^ 



128 CHAPITRE vm. 



Marivale à Malate par de nombreuses batteries et re- 
doutes. 

Ua petit engagement avait eu lieu le 27 avril et un bâ- 
timent américain chargé de charbon avait été capturé 
dans les eaux des Philippines. 

A la nouvelle que îa flotte des États-Unis cinglait vers 
Manille, Tamiral espagnol Montojo allait se placer, avec 
ses navires, à Tentrée de la baie de Subig, pour y attendre 
le choc. 

Enfin, il se confirmait que le chef rebelle Aguinaldo se 
trouvait à bord du vaisseau de l'amiral Dewey et que 
celui-ci avait signifié au chef insurgé que ses bandes 
auraient l'appui des États-Unis, à condition qu'elles se 
conformeraient, durant la guerre, aux usages des nations 
civilisées. 

Le premier engagement entre na^dres de guerre, dans 
les eaux de Cuba, venait de se produire le 27 avril. Le 
contre-torpilleur américain Cushing, se dirigeant vers Car- 
denas, à l'extrémité est de la ligne de blocus, sur la côte 
nord de Cuba, rencontra à Caio-Pedra, près de Matan- 
zas, la canonnière espagnole Ligera, et ouvrit le feu 
contre elle. Onze coups de canon furent échangés et le 
Cushing s'éloigna avec quelques avaries. La Ligera n'avait 
eu que sa cheminée endommagée. 

Le 28 avril, Tamiral Sampson, montant le New-York^ 
croiseur cuirassé, et accompagné du Puritan et du Cincin- 
nati^ navires protégés, vint s'embosser devant Matanzas. 

Celte ville, capitale de la province du même nom, 
compte 40,000 habitants. Elle se trouve sur la côte nord 
de Cuba, à 84 kilomètres à l'ouest de la Havane à laquelle 
elle est reliée par voie ferrée. C'est le second port de 
commerce de Tile, au centre de la grande exploitation 
sucrière. Le port spacieux est encombré par la vase et 
mal protégé au nord-est. Il est défendu par le fort de 
San-Severino. 

Le but de l'amiral américain était de troubler les tra- 




129 
H sis autour de 

I erre, les bat- 
B deot t'entrée 
B ta à l'aide de 
1 e mer. 



ni! Il 




t une distance 
l les batteries 
i calibre ; ces 
tant la relation 
^u de dég&ts, 
:à laquelle les 

{a direction de 



130 CHAPITRE VIII. 

Pendant que les Américains faisaient du c6té de la mer 
cette démonstration platonique, les insurgés de la bande 
de Betancourt attaquaient les troupes espagnoles du 
colonel AlfaUy mais étaient repoussés avec pertes sé- 
rieuses. 

Les troupes régulières avaient eu dans cet engagement 
deux hommes tués et trois blessés, dont un officier. 

L'organisation des troupes expéditionnaires aux États- 
Unis se poucsuivait au milieu d'incidents de toute na- 
ture. 

Le Congrès venait de voter les ressources nécessaires, 
et avait décidé la construction de quatre monitors et de 
seize contre-torpilleurs supplémentaires. 

Les engagements volontaires, dans tous les états de 
rUnion, s'élevaient à 700,000 ; nous avons vu déjà la 
valeur militaire de ces troupes. 

La ville de New-York seule en avait fourni cent mille. 

Mais, particularité qui nous semblera étrange à nous 
qui sommes habitués à la stricte discipline européenne, 
les miliciens se refusaient à partir comme incorporés aux 
troupes régulières et prétendaient conserver leur organi- 
sation distincte. 

Le 7« régiment de volontaires, dits National Guard de 
New- York, composé des fils des plus riches habitants de 
la Cité, par 1063 voix sur 1067, décida de refuser de par- 
ticiper à la guerre. 

Les journaux les dénommèrent immédiatement le Co- 
wardly Seventh^ ou le 7® lâches, et des plumes blanches, 
indice de caponnerie, furent fixées aux murailles du local, 
où se réunissait d'habitude le National Guard. 

Le chef de ce singulier régiment, colonel Appleton, 
chercha en vain à expliquer Tattitude de ses hommes en 
disant que le 7® ne voulait pas disparaître comme organi- 
sation d'État, mais que 1063 soldats de ce régiment étaient 
prêts à servir individuellement. 

Le colonel du 47® régiment, en résidence à Brooklyn, 



. K 



PRBMIERS COUPS DE CANON. 131 

donna sa démission, alléguant que ses affaires nécessi- 
taient sa présence aux États-Unis. 

Un régiment, le 22®, dut également être laissé de côté 
par ladjudant général Milling, qui dut recourir aux res- 
sources des régiments de volontaires de la classe moyenne, 
les 8% 9«, 12«, 43», 44% 47«, 69* et 71« régiments de garde 
nationale volontaire de New- York-ville et de deux esca- 
drons de cavalerie. 

Citons, pour mémoire, Forganisation d'une légion ita- 
lienne de 600 soldats et la mobilisation de Tarmée du 
Salut, Télément féminin demandant à servir comme cuisi- 
nières, servantes, infirmières, etc. Hâtons-nous d'ajouter 
que le gouvernement de M. Mac Kinley refusa ce dernier 
concours. 

Enfin, une Compagnie d^assurances se fondait pour 
payer une indemnité aux familles de ceux qui seraient 
tués. 

Mentionnons également une mesure fort sage prise par 
M. Alger, secrétaire au département de la guerre à 
Washington, interdisant de fournir des informations à 
la presse et de discuter les questions militaires avec les 
reporters. 

L*escadre de Famiral Sampson continuait pendant ce 
temps ses reconnaissances sur la c6te cubaine, envoyant 
àToccasion quelques salves sur les buts qui lui semblaient 
à bonne portée. 

C'est ainsi que le 30 avril, trois croiseurs américains 
tirèrent pendant une heure sur les forts de Cienfuegos, 
port du rivage sud de Cuba, sans faire d'ailleurs grand 
dommage. 

La veille, le port cubain de Gabanas, à trente-cinq milles 
à Touest de la Havane, avait reçu quelques projectiles du 
New-York. Aux Philippines, l'escadre de l'amiral Montojo, 
qui, nous l'avons vu plus haut, s'était portée à la baie de 
Subie pour attendre, disait-on, les vaisseaux du Commo- 
dore Dewey, était rappelée à Manille et se concentrait 



N, 



V l»,'W*»l' 



132 CHAPITRE VIII. 

dans la baie de Cavité pour coopérer à la défense de la 
capitale des Philippines. 

Le lendemain de son départ, Tescadre américaine occu- 
pait la baie de Subie et lançait vers le Sud ses éclaireurs. 

Elle était bientôt signalée au large de Bolinao, point 
d'atterrissement du câble qui relie Luzon à Hong-Kong 
et à l'Europe . Le contact était pris entre les escadres 
ennemies ; la première rencontre sérieuse ne pouvait 
tarder. 

Elle eut lieu le 1" mai à la pointe du jour. Voici d'ail- 
leurs le rapport officiel télégraphié le jour même à Madrid 
par le général Augusti, gouverneur général des Philip- 
pines : 

« Hier soir, à H h. 1/2, des coups de canon des 
batteries à l'entrée du port annoncèrent l'approche de 
l'escadre ennemie qui, à la faveur de l'obscurité de la 
nuit, put forcer la passe. Au lever du jour, l'escadre amé- 
ricaine se déploya en face de Cavité et de l'arsenal, 
ouvrant un feu très nourri sur notre escadre. Celle-ci 
soutint brillamment le combat, protégée par les batteries 
de Cavité et de Manille, et obligea l'ennemi, qui a soufiert 
de grandes avaries, à faire différents changements de 
manœuvres. 

i( A 9 heures, l'escadre américaine se retira dans la 
baie, où elle est mouillée derrière les bâtiments mar- 
chands étrangers. Notre escadre, en raison de la supé- 
riorité excessive de l'ennemi, a assez souffert. Le feu a 
pris à bord de la Reina-Cristina et un autre bâtiment a 
sauté. On les considère comme perdus. Nous avons eu des 
pertes sensibles, parmi lesquelles le commandant Cadarso 
de la Reina-Cristina. L'esprit de la marine, de l'armée et 
des volontaires est très ferme. » 

be son côté, l'amiral Montojo transmettait les rensei- 
gnements suivants : 

i( Hier, au milieu de la nuit, l'escadre américaine a 
réussi à forcer le port. Avant le point du jour s'est pré- 




huit Davîres. 
vaisseau ami- 
ipe était aussi 
ïtat-major sur 
, I et la Castilla 



Hll 



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va vt vi 




rfégâts, &e sent 



n 



134 CHAPITRE vni. 

retirés dans la baie de Baccor, et il a fallu en couler 
quelques-uns pour éviter qu'ils ne tombassent au pou- 
voir de Tennemi. Les pertes subies sont nombreuses^ entre 
autres celles du capitaine de vaisseau Cadarso, de Fau- 
mônier et de neuf autres officiers. » 

Le rapport de Tamiral, on le voit, était loin d*ètre aussi 
optimiste que celui du général Augusti. Il n'y avait pas à 
se le dissimuler, Tescadre des Philippines avait subi un 
grave échec, et les pertes attribuées aux navires améri- 
cains ne suffisaient pas à en atténuer la gravité. 

D'ailleurs, les nouvelles les plus désastreuses ne tar- 
dèrent pas à affluer à Madrid et dans les diverses capitales 
européennes. 

Voici en réalité ce qui s'était passé : 

Lorsque le !«' mai, à 3 heures du matin, la flotte amé- 
ricaine arriva à l'ancrage de Cavité, les forts ouvrirent 
le feu, ainsi que la flotte espagnole embossée dans la 
rade. 

Les navires du commodore Dewey se rapprochèrent de 
la terre, et alors commença une terrible canonnade qui 
dura une demi-heure; puis les Américains suspendirent 
leur tir et s'éloignèrent de plusieurs milles. Mais ils re- 
vinrent bientôt à la charge, et leur grosse artillerie, tirant 
par salves, réduisit au silence les pièces espagnoles. 
Bientôt trois navires étaient en feu. Le tir des forts avait 
cessé. 

Le combat avait duré une heure et demie; les Espa- 
gnols s'étaient comportés bravement en présence de forces 
supérieures. Leurs pertes étaient considérables; celles 
des Américains insignifiantes. 

En résumé, la perte de l'escadre des Philippines était 
complète ; l'amiral Montojo dut en faire l'aveu le 2 mai ; 
et la ville de Manille, bloquée du côté de la mer par la 
flotte des États-Unis, du côté de la terre par les Tagals 
révoltés, ne devait point tarder à capituler. 

Quelles étaient les causes du désastre? 



J 



PREMIERS COUPS DE CANON. 135 

Il y en a deux principales : d'abord la supériorité de la 
flotte américaine sur la flotte espagnole. 

Les navires de l'escadre d'attaque étaient les suivants : 

Ij Olympia, battant pavillon du commodore Dewey, croi- 
seur neuf de 3,870 tonnes, armé de 4 canons de 203™™, 
accouplés en tourelles ; de 10 canous de 127™™, et de 14 
de 57™™, toutes ces pièces à tir rapide. La protection à la 
flottaison était assurée par un cofferdam en cellulose com- 
primée et par un cuirassement de 100 millimètres aux 
barbettes des pièces de 203 et de 127™™. L'épaisseur du 
pont cuirassé variait de 76 à 120 millimètres. 

Le Baltimore est un peu plus faible comme tonnage 
(4,563 tonnes) et sa protection est moins forte ; il est éga- 
lement pourvu d'un cofferdam rempli de cellulose et 
l'épaisseur de son pont cuirassé varie de 5 à 10 centi- 
mètres. Son artillerie comprend 4 canons de 203™™, 6 de 
152™™, 4 de 57™™ et 2 de 47™™. 

Les croiseurs Boston et Raleigh, qui ont un déplace- 
ment sensiblement égal (3,183 et 3,189 tonnes), diffèrent 
l'un de l'autre par l'artillerie et par la protection. 

Le Boston, lancé en 1884, porte 2 canons de 203""*, 6 
de 152™™, 2 de 57™™, et 2 de 47™™; son cuirassement au 
pont est de 38 millimètres; le type qu'il représente n'est 
pas très apprécié dans la marine américaine. 

Le Raleigh, qui date de 1892, a un cuirassement de 100 
millimètres au pont et de 76 aux tourelles. Son artillerie 
comprend 1 canon de 152™™, 10 de 127™™, et 8 de 57"". 

La canonnière Cowcorrf déplace 1700 tonnes; la canon- 
nière Pétrel en déplace 890 seulement. La première est 
armée de 6 canons de i52™™ et de 6 de 57™™; l'autre n'a 
que 4 pièces de 152™™ et 4 de 57™™. Les deux canonnières 
ont un pont cuirassé de 90 millimètres d'épaisseur. 

La vitesse respective de ces six bâtiments est bien diffé- 
rente. Tandis que VOlympia file jusqu'à 21 nœuds, le 
Boston et les canonnières n'ont jamais pu dépasser 14 
nœuds. 



^ 



136 CHAPITRE VIII. 

\j Olympia peut franchir 13,000 milles à 10 nœuds sans 
se ravitailler; à la même vitesse, le Raleigh ne peut en 
franchir que 2,500. 

Remarquons qu'en prévision du manque de combus- 
tible le Commodore Dewey s'était fait accompagner des 
navires-charbonniers Nanshen et Zafiro. 

Quelles forces Tamiral Montojo avait-il pu opposer aux 
puissants navires américains ? 

Trois croiseurs, VIsla-de-Cuba, VIsla-de-Luzon et la 
Reina-Cristina ; les deux premiers de 1046 tonnes, avec 
un armement de 4 canons de 120°*™ et 4 de 37™°*, et un 
pont cuirassé de 62 millimètres; le troisième déplaçant 
3,090 tonnes, armé de 6 pièces de 160™, 2 de 70™™, 7 de 
87 et 42™™, mais n'ayant ni cofferdam ni cuirasse. 

Tous les autres bâtiments, le Don-Antonio-de-Ulloa, le 
Doji'Juan-d'Austriay le Velasco^ le Castilla^ étaient de 
modèles surannés, en fer et en bois, non protégés et armés 
à la hâte de pièces de calibre inférieur. 

Quant aux canonnières fort nombreuses aux Philip- 
pines, telles le Mindanao^ le Quiroz, le Villalobos^ VElcano^ 
le Général' Lezo et le Marques-del-DuerOy elles étaient sans 
doute suffisantes pour guerroyer contre les Tagals ou 
contre les pirates chinois et malais, mais absolument hors 
d'état de se mesurer avec les beaux navires américains. 
La deuxième cause de la défaite des Espagnols était la 
négligence ou Tinexplicable imprévoyance qui avait pré- 
sidé aux préparatifs de la défense côtière. 

Comment expliquer que les batteries bien servies, 
armées de canons puissants, de TUe du Corregidor, à 
l'entrée de la baie de Manille, ne soient intervenues que 
pour annoDcer par des salves inutiles le passage de la 
flotte américaine ? 

Par quel oubli véritablement coupable, sans parler des 
projecteurs électriques absents, les eaux de la vaste baie 
au fond de laquelle s'étale Manille n'avaient-elles pas été 
semées de torpilles et de mines sous-marines ? 



PREMIERS COUPS DE CANON. 137 

Certes, il parait acquis que l'amiral Montojo, son état- 
major et ses équipages ont fait vaillamment leur devoir, 
mais le gouverneur de la place, les bureaux de la marine, 
les états-majors de la défense, n'ont-ils pas à se reprocher 
des défaillances du temps de paix, causes premières du 
désastre de Cavité ? 

Quoi qu'il en soit, les forces navales de l'Espagne dans 
l'océan Pacifique étaient détruites, et l'escadre améri- 
caine maltresse de la baie. 

Après avoir fait du charbon auprès de ses transports 
Nanshen et Zafiro^ elle rasa les ouvrages fortifiés de 
Cavité et vint s'embosser devant Manille même. 

Le Commodore Dewey fit alors demander au gouver- 
neur de Manille, par l'intermédiaire du consul d'Angle- 
terre, la reddition de la ville, des bureaux du câble, des 
armes restées à bord de quelques navires échappés au 
désastre, déclarant qu'en cas de refus, il bombarderait 
Manille dans les 24 heures. 

Le gouverneur espagnol refusa, malgré les efforts du 
consul anglais pour arriver à une entente honorable pour 
les autorités espagnoles. 

Toutefois, le commodore Dewey ne mit pas ses menaces 
à exécution. Il détacha \ers Bolinao, point d'atterrisse- 
ment du câble, un navire à marche rapide qui en prit pos- 
session ; puis, attendant des instructions, il se contenta 
d'établir le blocus de la ville. 

Il lui eût d'ailleurs été difficile, avec ses deux mille 
marins, de tenter un débarquement dans la capitale des 
Philippines qui comptait 25,000 hommes de garnison, 
répartis dans les forts de San-Antonio, Malexon, Malate, 
Luneta, Pastel, Miralla et Santa-Lucia-del-Pilar. 

Il n'avait point encore combiné son offensive avec les 
bandes d'Aguinaldo; il fit ce qui était le plus raisonnable ; 
il attendit. 

La nouvelle de la bataille de Cavité fut accueillie aux 
États-Unis avec un enthousiasme indescriptible : Des 



138 CHAPITRE Tm. 

démonstrations populaires comme savent seuls en ûiire^ 
les jingoes américains eurent lieu dans les principales 
villes de l'Union. La municipalité de New-York ordonna 
que la journée du S mai serait considérée comme jour de 
fête en Thonneur de la victoire de Manille. 

La fête prendrait le nom de « Dewey day » , le jour de 
Dewey, le vainqueur du combat naval de Cavité. Toutes 
les banques et bourses seraient fermées pour permettre 
aux employés de prendre leur part des réjouissances 
populaires. 

Le Sénat américain ouvrit sa séance en faisant réciter 
par le chapelain les actions de grâces suivantes, que nous 
croyons intéressant de citer intégralement. 

« Nous Te rendons grâce du fond du cœur de la bonne 
nouvelle qui nous arrive d'au delà des mers, nous annon- 
çant la victoire dont Tu couronnes la discipline et la 
valeur des officiers et des hommes de notre escadre 
d'Asie. Nous Te bénissons de pouvoir offrir le spectacle 
magnifique et sans exemple d'une nation faisant la guerre 
non par esprit de conquête, ni par soif de Tor, ni par 
ambition, ni pour la satisfaction d'une vengeance, mais 
enrôlant tout son peuple pour soutenir la cause des 
pauvres, des nécessités et des opprimés. » 

En Espagne, la nouvelle du désastre de Cavité fut 
accueillie avec stupeur. 

Quelques jours auparavant, le télégraphe avait annoncé 
à la population madrilène que l'escadre espagnole mar- 
chait à la rencontre de la flotte américaine pour lui barrer 
le chemin de Manille ; il n'en avait pas fallu davantage 
pour enthousiasmer la foule. On ne doutait pas que la 
bravoure de l'amiral Montojo, dont le nom est si populaire, 
et celle des marins espagnols compenserait une inégalité 
de forces dont on ne se rendait pas compte après la pom- 
peuse énumération publiée par le ministère de la marine 
des navires composant l'escadrille des Philippines. 

En apprenant que la flotte d'Asie était complètement 



PREMIERS COUPS DE CANON. 139 

détruite, que le commandaDt Cadarso et 400 officiers et 
matelots avaient trouvé la mort dans cette lutte inégale, 
un voile de deuil se répandit sur la ville. Le premier 
moment de stupeur passé, une vive agitation se manifesta, 
qui dégénéra bientôt en désordres. Ceux-ci allèrent se 
perpétuant et croissant de jour en jour, à tel point que le 
gouvernement dut proclamer l'état de siège. Des soulève- 
ments, facilement réprimés d'ailleurs, se produisirent dans 
diverses villes de la péninsule, à Valence, à Talavera, à 
Gijon. 

Aux Cortès, des discussions pénibles eurent lieu entre 
partisans et adversaires du gouvernement de la reine ; et 
il faut bien l'avouer, Tattitude des amis du général 
Weyler, l'ancien gouverneur de Cuba, laissait facilement 
deviner que le général n'était point étranger aux embarras 
du gouvernement. 

Son chef, M. Sagasta, s'exprimait à ce sujet en termes 
assez vifs et regrettait le « spectacle donné aux ennemis 
du pays, alors que le premier coup de canon aurait dû 
trouver tous les partis, tous les Espagnols unis pour 
l'œuvre patriotique commune ». 

Il adressait un hommage respectueux aux marins morts 
et soutenait la nécessité de se montrer plus énergique 
encore après Téchec subi. 

Il terminait en faisant un appel à l'union de tous les 
partis et en demandant aux Cortès d'adopter tous les cré- 
dits destinés à couvrir les dépenses de la guerre. 

« Je vous le demande, s'écriait-il, au nom des soldats, 
au nom de la patrie. » 

De son côté, le ministre de la guerre déclarait — ce 
qui était peut-être bien hasardé — que jamais l'ennemi 
ne mettrait le pied dans la place de Manille, dont la 
garnison était assez forte pour repousser toute agres- 
sion. 

Le ministre de la marine plaidait les circonstances atté- 
nuantes pour son administration, arguant de Timpossi- 



140 * CHAPITRE VIII. 

bilité technique qu'il y avait d'établir certaines défenses 
sous-marines dans la baie de Manille. 
Enfin la reine régente, se renfermant strictement dans 
k. ^ son rôle constitutionnel, se contentait de télégraphier au 

pape que la défaite de Cavité avait été matérielle et non 
morale, et sollicitait de nouveau sa bénédiction pour les 
armes espagnoles. 




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J 



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CHAPITRE IX 

L'ESCADBE FANTÔME 

L'incident du La Fayette. — Dans les eaux de la Havane. — Une chasse au 
steamer. — Navire capturé. — Protestations de M. Gambon. — Le La 
Fayette est relâché. — Tentative sur Cardenas. — Le Wilmington et 
VHudson. — Bombardement de Cienfuegos. — A l'embouchure de l'Arimao. — 
Devant Gabanas et Bahia-Honda. — L'escadre fantôme. — L'amiral Gervera. 
— Dans la mer des Antilles. — Nouvelles contradictoires. — Le Viscaya à 
Fort- de-France. — Incertitudes américaines. — Les dispositions de l'amiral 
Sampson. — L'escadre espagnole à Santiago de Guba. — Un télégramme de 
la reine régente. — Le goulot de la bouteille. — Dans la souricière. 

La plus grande partie du mois de mai se passa sans 
être marquée par des événements importants. Seuls, pen- 
dant la première quinzaine de ce mois, l'incident du 
La Fayette et les tentatives des Américains sur Cardenas 
et sur Cienfuegos méritent une mention quelque peu dé- 
taillée. 

Le transatlantique français La Fayette, commandé par 
le capitaine Le Chapelain, était parti de Saint-Nazaire le 
21 avril, avait touché le 22 à Santander et le 23 à la 

Corogne. 

Il avait reçu Tordre de se présenter devant la Havane, 
mais si quelque obstacle s'opposait à son entrée dans le 
port, de continuer sa route sur Vera-Cruz. 

Son chargement était composé dé marchandises de 
toute nature, à l'exclusion de contrebande de guerre. 

En quittant la Corogne, il ignorait absolument que Tétat 
de guerre existât entre l'Espagne et les États-Unis. 

En arrivant dans les eaux de Cuba, le La Fayette fut 
aperçu par les navires américains qui bloquaient la 
Havane et fut prévenu par signaux de ne pas essayer 









442 CHAPITRE IX. 

d'entrer dans le port, mais de se diriger vers Key-West 
ou le Me]|:ique. 

Le capitaine protesta, déclarant qull portait la malle, 
puis, changeant de route, il sembla se diriger vers la 
Vera-Cruz ; mais, soudain, forçant la vapeur, il mit le 
cap sur le port de la Havane. 

C'est alors que VAnnapolis lui envoya le coup de canon 
de semonce et se mit en chasse derrière lui ; bientôt les 
navires Wilmingfon^ Newport et Marrill se joignirent à 
VAnnapolis. Le La Fayette dut stopper ; un équipage de 
prise monta à bord, et, escorté du Wilmington , le trans- 
atlantique français fut dirigé sur Key-West. Le tribunal 
des prises fut aussitôt saisi de l'affaire. 

11 fut constaté qu'en effet aucune contrebande de guerre 
ne se trouvait à bord, que le La Fayette n'avait pu avoir 
connaissance de l'ouverture effective des hostilités entre 
les États-Unis et TEspagne, et que, conséquemment, ce 
navire n'était pas de bonne prise. 

D'autre part, notre ambassadeur à Washington, M. Cam- 
bon, avait prévenu, depuis plusieurs jours, le gouverne- 
ment américain de l'arrivée probable, à la Havane, du 
navire français, et sollicité pour lui l'autorisation de dé - 
barquer dans ce port les passagers et la cargaison, sans y 
prendre, d'ailleurs, aucun chargement. 

Des instructions avaient été rédigées en ce sens pour 
l'amiral Sampson, mais ne lui étaient pas encore parve- 
nues au moment de la capture du La Fayette, 

Le Commodore Watson, commandant la marine à Key- 
West, reçut, en conséquence, l'ordre de remettrele navi re 
en liberté. 

Le i \ mai, la flotte de blocus exécuta deux tentatives 
de débarquement, Tune à Cardenas, l'autre à Cienfuegos ; 
toutes deux furent repoussées. 

Le port de Cardenas, dans la baie du même nom, est 
situé sur la côte nord de Cuba, à 104 kilomètres à l'est de 
la Havane, à laquelle il est relié par chemin de fer. 



* 



Ç«ï»P5??^^lp«rTaPfïîw* •: 



l'escadre fantôme. 



143 



La baie est protégée au nord-ouest par la longue pénin- 
sule de Bicacos, et l'entrée au nord-est en est rendue diffi- 
cile par une chaîne de petites cayes (récifs) qui Fobs- 
truent. La rade intérieure est dangereuse et accessible 
seulement aux navires de quatre mètres de tirant d'eau 
au plus. 

Quelques batteries en terre avaient été élevées à la hâte 
pour défendre les approches de la ville. Celle-ci n'est pas 
fortifiée. 

BAIE DE CARDENAS 



^ K é afê^ Jion^ùs KÊëâC^J==^ 




lùbof \ Sïauapa/ 




z ^ogy^ -^ fev^fa^ ^ - 



^ËDÉ 



Cardenas, qui date de 1828, est construite sur un ter- 
rain marécageux. Elle compte 15,000 habitants et fait un 
grand commerce de sucre. Il y existe un dépôt de char- 
bon. 



14 i CHAPITRE IX. 

Le 11 mai au matin, le croiseur américain Winslow^ les 
canonnières Wilmington et Hudson et trois bâtiments de 
faible tonnage parurent devant Cardenas. 

Une petite embarcation se détacha de Tescadre avec des 
troupes d'infanterie de marine. Celles-ci débarquèrent 
près du phare dont elles s'emparèrent, ainsi que du séma- 
phore, faisant prisonnier le personnel qui le desservait. 

Les navires se déployèrent ensuite face à la ville et 
commencèrent une canonnade bien nourrie. 

Le Wilmington et V Hudson ouvrirent le feu, tirant sur 
les bâtiments espagnols qui se trouvaient dans le port. 
Quelques minutes plus tard, le Winslow vint{>rendre part 
à Faction. 

Les pièces espagnoles ripostèrent énergiquement, et 
une grêle de projectiles s'abattit sur les navires améri- 
cains. Bientôt, un obus, traversant la coque du Winslow^ 
vint éclater dans la machinerie, détériorant les chaudières. 
Le navire était désormais désemparé. 

U Hudson se porta à son secours, et, malgré un feu ter- 
rible, lui lança des amarres et le remorqua hors de la 
portée des batteries ennemies. 

Ce navire avait également beaucoup souffert ; les ins- 
tallations du pont étaient rasées, les cheminées démolies. 
Il continua sa route sur Key-West, transportant en Flo- 
ride les blessés qui étaient nombreux. 

Du côté espagnol, les marins des croiseurs auxiliaires 
Ligera et Antonio-Lopez^ qui défendaient la baie de Car- 
denas, avaient vaillamment fait leur devoir. Leurs pertes, 
toutefois, n'étaient pas considérables. 

C'est grâce à leur énergie que la ville dut de ne pas 
tomber au pouvoir des Américains, car elle n'avait pour 
se défendre que 300 volontaires assez mal organisés. 

Le même jour, et presque à la même heure, les troupes 
espagnoles de Cienfuegos repoussaient également une 
tentative de débarquement faite par les Américains. 

Cienfuegos est située au fond de la baie de Jagua, qui 



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446 CHAPITRE IX. 

de munitions, destinées aux insurgés cubains, et s'appro- 
chaient de la côte, cherchant à les débarquer. 

Plusieurs bataillons d'infanterie régulière espagnole et 
de volontaires, déployés sur le rivage, exécutèrent des 
feux de salve sur les embarcations, qui durent se retirer 
rapidement. 

£n même temps, la batterie du phare de Gienfuegos et 
Fartillerie de la côte entrèrent en action. Plusieurs de leurs 
projectiles vinrent tomber en plein milieu des embarca- 
tions. Celles-ci s'éloignèrent et se portèrent à Fembou- 
chure de TArimao pour y tenter le débarquement. Mais 
des troupes, envoyées de Gaunado et la Conception, dé-, 
jouèrent leurs projets, et, par un feu nourri, les forcèrent 
à se retirer. 

Au cours de cette tentative infructueuse sur Cienfuegos, 
800 coups de canon avaient été tirés, sans compter le feu 
des mitrailleuses ; les Espagnols n'avaient perdu qu'une 
vingtaine d'hommes. Les pertes des Américains paraissent 
avoir été beaucoup plus considérables. 

D'autres essais de débarquement furent tentés les jours 
suivants sur les différents points de la côte cubaine ; tels 
celui de Bahia-Honda, port de la province dé Pinar del 
Rio, à l'ouest de la^Havane ; celui de Jicotea, bombardé 
par trois navires ; celui de Cabanas où le Gussie, accom- 
pagné de deux canonnières, parvint à jeter à terre quel- 
ques troupes ; celles-ci durent d'ailleurs se rembarquer 
rapidement devant la contenance énergique des Espagnols. 

Ces divers débarquements étaient combinés avec des 
concentrations de forces insurgées qui furent battues en 
plusieurs rencontres, notamment à San-Miguel, à quelques 
kilomètres de Cardenas. 

L'insuccès de ces diverses tentatives, l'approche pré- 
sumée de l'escadre de lamiral Cervera, et surtout les 
difficultés sans cesse renaissantes de l'organisation du 
corps expéditionnaire américain, destiné à opérer contre 
Cuba et Porto-Rico^ eurent pour effet de beaucoup retarder 




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l'escadre fantôme. 147' 

le départ des troupes américaines concentrées à Tampa 
sous le commandement suprême du général Miles. «^ 

S'il est une force navale qui ait à juste titre mérité le 
nom d'escadre fantôme, c'est à coup sûr celle de l'amiral 
Gervera, commandant des navires espagnols destinés à 
opérer dans les eaux des Antilles. 

Si nous remontons de quelques semaines en arrière, 
nous voyons que le 29 avril, à une heure de l'après-midi, 
Tescadre de Tamiral Cervera appareillait du cap Saint- 
Vincent (pointe méridionale du Portugal) et se dirigeait 
vers le Sud. 

A la nouvelle de son départ, le gouvernement des 
Etats-Unis faisait éteindre les fanaux de Sandy-Hook, à 
rentrée du port de New-York, et déplacer les bateaux- 
phares jalonnant le chenal. 

Des ordres confidentiels étaient en même temps adressés 
à l'escadre volante du commodore Schley, à Hampton- 
Roads. D'après les bruits en cours, cette escadre devait 
rallier les meilleurs marcheurs de l'escadre Sampson 
devant Cuba et se porter ensuite à toute vitesse à la ren- 
contre de l'escadre Cervera pour la détruire avant son 
arrivée aux Antilles. L'amiral Sampson ne laisserait devant 
la Havane que les forces strictement nécessaires pour 
maintenir le blocus. 

Cette hypothèse se confirmait par les dépêches expé- 
diées de Key-West, annonçant que les principaux navires 
de l'escadre étaient arrivés successivement dans ce port 
pour s'y recompléter en charbon et en approvisionne- 
ments de toute nature. 

C'est ainsi que le New-York^ Vlowa, ÏIndiana et le 
Puritan avaient successivement mouillé à Key-West et 
étaient repartis immédiatement pour Cuba. 

Il semblait d'ailleurs, au gouvernement de M. Mac 
Kinley, d'autant plus important de se hâter, que le 5 mai 
un décret de la reine régente d'Espagne avait confié le 
commandement d'une nouvelle escadre dite escadre de 



148 



CHAPITRE IX. 



réserve au contre-amiral don Emanuel de la Camara y 
Havermoore, et que jour et nuit on travaillait à Cadix pour 
que cette escadre pût prendre rapidement la mer. 



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Les télégrammes contradictoires abondaient d'ailleurs. 
C^est ainsi que d'après des informations arrivées de Lis- 
bonne, l'escadre de l'amiral Cervera n'avait point quitté 
les lies du Cap -Vert, mais au contraire remonterait vers 



l'escadre fantôme. 149 

TEurope pour opérer sa jonction avec Tescadre Camara 
et repartir ensuite, en masse, vers les côtes américaines. 
Une autre information, de source américaine celle-là, 
annonçait que la flotte du Cap- Vert (escadre Cervera) était 
aux Canaries où elle attendait l'arrivée de^ l'escadre Ca- 
mara. 

Quoi qu'il en soit, l'amiral Sampson avait donné mission 
à deux croiseurs auxiliaires, le Harwardetle Yale (anciens 
steamers New-York et Paris) de naviguer vers l'est jusqu'à 
la rencontre de la flotte espagnole et, dès qu'ils l'auraient 
découverte, de gagner, à toute vapeur la station télégra- 
phique la plus rapprochée pour se mettre en communica- 
tion avec Washington. 

Les mouvements de l'amiral devaient se subordonner 
aux informations de ses éclaireurs ; aussitôt la flotte espa- 
gnole signalée il rallierait l'escadre du commodore Schley 
et barrerait la route à la flotte espagnole, avant qu'elle 
pût se réapprovisionner en charbon dans un port de Cuba 
ou de Porto-Rico. 

Le 8 mai, un télégramme de Charleston (Caroline du 
Sud) annonçait que la flotte espagnole avait été rencontrée 
par un aviso dans les eaux américaines. Les milices cou- 
raient aux armes. 

Il est vrai que le même jour une dépèche de Washington 
affirmait que la même flotte était en vue de Saint-Thomas 
ou de la Martinique, et, comme au même moment Tamiral 
Sampson avec douze navires se trouvait dans les environs 
de Porto-Rico, on ne doutait pas qu'un engagement dût 
se produire à très bref délai. 

Le même jour, 8 mai, Tamiral Camara prenait à Cadix 
le commandement de l'escadre de réserve, prête à appa- 
reiller pour une destination tenue absolument secrète. 

Le 9 mai, le Standard annonçait que l'amiral Sampson 
croisait sur les côtes d'Haïti. 

Les bruits les plus divers étaient mis en circulation 
sur la présence, dans ces parages, de la flotte espagnole. 




150 CHAPITRE IX. 

4 

Divers navires neutres affirmaient l'avoir rencontrée au 
large de Porto-Rico. 

D'autres déclaraient avoir entendu une violente canon- 
nade, indice d'une rencontre entre les deux adversaires. 

Eafin, on annonçait comme certain qu'aussitôt après la 
défaite des Espagnols sur mer, M. Mac Kinley prescri- 
rait au corps expéditionnaire de 30,000 hommes concentré 
à Tampa et Chickmanga de prendre l'offensive à Cuba. 
Soixante transports avaient déjà été frétés dans ce but et 
le gouvernement était en pourparlers pour en affréter 
encore 250. 

« 

Le 1 1 mai, un bruit étrange se répandait à Madrid et 
provoquait les commentaires les plus variés. On affirmait 
que l'escadre de l'amiral Cervera, bien loin de se trouver 
dans les eaux des Antilles comme on le pensait, voguait 
bien tranquillement vers Cadix. L'attaché naval améri- 
cain à Londres, le lieutenant de vaisseau Cowelt, aurait 
même, affirmait-on, télégraphié â son gouvernement que 
quatre croiseurs et trois torpilleurs de la flotte du Cap- 
Vert auraient mouillé, de nuit, dans le grand port mili- 
taire espagnol. 

Est-il besoin d'observer que ce bruit était absolument 
dépourvu de vraisemblance. 

Au moment où il intriguait les marins des deux mondes, 

l'amiral Cervera, pour son malheur, se préparait à entrer 

. triomphalement dans la souricière de Santiago de Cuba. 

Il n'en est pas moins vrai que les diplomates escomp- 
taient ce bruit comme une réalité et en tiraient cette déduc- 
tion que l'Espagne, convaincue de l'impossibilité de 
défendre Cuba et Porto-Rico contre les navires améri- 
cains, concentrait ses forces et prenait sur les côtes ibé- 
riques une attitude purement défensive. 

Cependant, les croiseurs américains Columbia et San- 
Francisco continuaient leur recherche de la flotte espagnole 
que l'on signalait avec persistance au large de l'Ile du 
Sable, près d'Antigoa (Antilles anglaises). 



l'escadre fantôme. 151 

Ne passons pas non plus sous silence cette opinion 
qu'une partie de Tescadre du Cap-Vert aurait pris le 
chemin des Philippines. 

Celle-là, du moins, ne tenait pas debout ; il eût fallu, 
pour qu'on pût la discuter sérieusement, que des navires 
espagnols eussent passé dans la Méditerranée se rendant 
à Suez ; et aucun navire n'avait été signalé franchissant le 
détroit de Gibraltar. 

Le 13 mai, la nouvelle du retour en Europe de l'escadre 
Cervera était, elle "aussi, démentie. Bien au contraire, le 
journal Heraldo* affirmait tenir de source certaine que la 
flotte du Cap- Vert avait fait l'elàche à Fort-de-France 
(Martinique) le 12 mai et qu'elle ne séjournerait dans ce 
port que le temps nécessaire pour effectuer certaines répa- 
rations urgentes au navire Viscaya, qui avait éprouvé des 
avaries en cours de route. 

Cette fois l'information était en partie vraie ; l'escadre 
fantôme était retrouvée. 

Le département de la marine américain faisait connaître, 
le 14 mai, que l'escadre espagnole était signalée à l'ouest 
de la Martinique/ Il prescrivait au commodore Schley, 
commandant l'escadre volante de Hampton-Roads, de 
cingler vers les Antilles. Celle-ci appareillait le jour 
même. 

Mais l'incertitude sur les projets de l'amiralCervera ne 
laissait pas que d'embarrasser beaucoup les Américains 
sur la destination définitive à donner à cette escadre, car 
les deux tronçons en lesquels était, à ce moment, divisée 
l'escadre Sampson, l'un à Cuba, l'autre à Porto-Rico, 
pouvaient, l'un et l'autre, avoir besoin du concours de . 
l'escadre volante. 

Pourtant, il semble que dans les conseils de l'amirauté, 
on ait, à ce moment, jugé que les onze navires de l'amiral 
Sampson suffisaient à battre la flotte de l'amiral Cervera ; 
on télégraphia en conséquence à l'amiral Sampson 'de 
quitter Porto-Rico et de se lancer à la recherche de 



152 CHAPITRE IX. 

Tamiral espagnol pour le couper des ports de ravitaille- 
ment des Antilles. 

Le IS mai, on retombe dans Tincertitude, relativement 
à la situation de Tescadre Cervera. 

Depuis qu'elle a été signalée dans les eaux de la Marti- 
nique, il n'est pas de points de la mer des Antilles où 
des gens dignes de foi n'aient aperçu, le même jour et à 
la même heure, ses croiseurs. 

D'une part, une dépêche signale trois navires de guerre 
espagnols au large du Brésil, guettant, pour les intercep- 
ter au passage, les navires américains Oregon, Marietta 
et Nictheroy^ qui viennent de quitter Bahia. D'autre part, 
on dit que deux torpilleurs espagnols attendent, dans le 
canal de la Martinique, le croiseur auxiliaire Harward 
(ancien transatlantique New-York)^ qui se trouve à Fort- 
de-France pour réparer des avaries. Dans ce même port, 
et pour le même motif, se trouve le contre-torpilleur espa- 
gnol Terror, 

Voilà donc déjà six bâtiments sur sept, composant Tes- 
cadredu Ca p- Vert, qui secaient disséminés un peu partout, 
alors que, d'autre part, le gouvernement américain aurait 
reçu avis que cette flotte serait dans les pai'ages de Cura- 
çao, la petite An tille hollandaise, à une centaine de milles 
au large des côtes du Venezuela, se dirigeant, à toute 
vapeur, vers les côtes sud de Cuba. 

Elle aurait donc fait à ce moment, si cette dernière ver- 
sion est la vraie, 650 milles sur les 1400 qui séparent la 
Martinique de la Havane, et se trouverait à peu près à 
moitié route de ce port. Si, depuis qu'elle a été signalée, 
elle a conservé sa vitesse de 20 nœuds à l'heure, elle doit 
être dans les eaux de Cuba, et alors la question se pose de 
savoir si l'amiral Sampson ou le commodore Schley arri- 
veront à temps pour renforcer la flottille qui bloque la 
côte cubaine et l'empêcher d'être écrasée. 

Aux États-Unis on est sans nouvelles de l'amiral Samp- 
son depuis qu'il a quitté Porto-Rico, laissant un seul 



l'escadre fantôme. 183 

navire en vue de ce port. On ne sait s'il s'est dirigé vers 
la Martinique ou s'il remonte vers la Havane, dont 800 
milles marins le séparent. 

Quant au commodore Schley, il croise dans les environs 
de Charleston, attendant des ordres. Son escadre com- 
prend le croiseur Brooklyn^ les cuirassés Massachusetts et 
Texas et le yacht protégé Scorpion. 

11 ne recevra sa destination définitive que lorsqu'on 
saura au juste la direction qu'a prise l'escadre Cervera. 
En attendant, les éclaireurs américains surveillent, à cet 
eflfet, les trois passages de la Mona, entre Saint-Domingue 
et Porto-Rico ; du Yucatau, entre Cuba et la terre ferme, 
et de Windward, entre Saint-Domingue et Cuba. 

Le 16 mai, on retrouve des traces certaines de l'es- 
cadre fantôme. Le Vizcaya et le Maria-Teresa sont allés 
faire du charbon et des vivres à Curaçao ; le reste de l'es- 
cadre stoppait- à l'entrée du port. L'amirauté américaine 
en conclut que la destination immédiate de cette flotte est 
le golfe du Venezuela, où du charbon a été apporté 
d'Angleterre avant la proclamation de la neutralité, et que 
cette escadre cherche à entrer dans un port cubain pour y 
attendre l'arrivée de l'escadre de réserve de l'amiral 
Camara. 

Dans cette conjecture, l'amiral Sampson reçoit l'ordre 
de se rapprocher des côtes de Cuba, sans toutefois trop 
s'éloigner de Porto-Rico ; le commodore Schley quitte les 
eaux de Charleston et cingle vers la Havane pour y 
devancer, au besoin, Tamiral Cervera. 

Le département de la marine à Washington était 
absolument dérouté par les mouvements mystérieux de 
l'escadre du Cap-Vert, sur lesquels le secret, jusqu'ici, 
avait été si bien gardé. 

Les dernières nouvelles vraisembables arrivées en 
Amérique permettaient de croire à une tentative énergique 
faite par les Espagnols, pour entrer soit à la Havane, soit à 
Cienfuegos, soit à Santiago de Cuba. 



154 CHAPITRE IX. 

Dans cette hypothèse, Famiral Sampson devait gagner 
le large de Cienfuegos pour surveiller la cAte sud de l'ile ; 
le Commodore Schley rallierait, au contraire, les eaux de 
Key-Wesl pour surveiller la Havane etlecanaldeYucatan. 
Il pourrait du même point se porter, en cas de danger, 
vers les côtes de la Floride, pour faire sa jonction avec 
une autre escadre volante que Ton organisait à Princeton, 
sous le commandement du commodore Howell. 

Mais observons de suite que ces nouvelles dispositions 
laissaient libre la route de Santiago de Cuba, le principal 
dépôt de charbon dans les Antilles. 

Parmi les nombreuses fausses nouvelles mises en circu- 
lation à cette époque (48 mai), signalons seulement celle- 
ci, qui produisit une panique énorme en Amérique : c'est 
qu'une nouvelle escadre espagnole, tombée on ne sait 
d'où, avait paru dans la mer des Antilles. Cette nouvelle 
fut d'ailleurs rapidement démentie. 

Le plan de l'amiral Cervera paraissait être d'éviter, 
pour le moment, une rencontre, et de harceler et d'in- 
quiéter ses adversaires, d'entraver leur commerce, en 
ayant soin, toujours, de les empêcher de garder le contact 
avec lui par leurs éclaireurs. 

Jusqu'ici, nous l'avons vu, il avait parfaitement atteint 
son but. 

Et même, en ce moment où les limiter du futur champ 
de bataille se rétrécissent de plus en plus, on ne sait pas 
exactement, dans le camp opposé, quelle direction a pris 
l'escadre du Cap -Vert. 

Depuis qu'à Curaçao elle a embarqué 700 tonnes de 
charbon et remis ses machines en état, l'escadre fantôme 
a disparu. 

Les Américains ont remarqué que, contre l'ordinaire, le 
phare du Morro, contre la Havane, est allumé chaque 
nuit. L'amiral Cervera voudrait -il forcer le blocus? 
D'autre part, des torpilleurs espagnols sont de nouveau 
signalés à Porto-Rico. 




;t . 



l'escadre fantôme. 485 

Enfin, le 19 mai, toutes les légendes^ tous les racontars 
relatifs aux forces de Tamiral Cèrvera, tombent comme 
par enchantement. 

Une dépèche officielle annonce que Tescadre du Cap- 
Vert est entrée dans le port de Santiago de Cuba, sur la 
côte sud, à l'extrémité de la grande Antille. 

En arrivant à Santiago, Tescadre Cervera aperçut deux 
navires américains qui, en présence de leur infériorité 
évidente, se retirèrent à toute vapeur. C'étaient deux croi- 
seurs détachés de l'escadre Sampson qui avaient reçu 
l'ordre de couper le câble de la Jamaïque et de sommer 
de se rendre les forts de Santiago. L'une et l'autre de 
leurs entreprises avaient d'ailleurs échoué, et, après avoir 
envoyé une centaine d'obus dans le terre-plein des forts, 
ils regagnèrent l'escadre, ayant subi quelques avaries. 
Leur attaque sur le front de mer avait été combinée avec 
une attaque du côté de la terre, exécutée par une bande 
d'insurgés commandés par Calixto Garcia. Celui-ci était 
également obligé de se retirer. 

Le port de Santiago, le troisième de l'Ile de Cuba, est 
la capitale de la province orientale de l'Ile, celle où l'in- 
surrection a le plus de force. Il est situé sur la côte sud, à 
22S lieues de la Havane, au fond d'une rade longue de 
9 kilomètres, d'une largeur variable, bien abritée, et dont 
le chenal étroit et sinueux est d'un accès très difficile 
pour les navires de gros tonnage. 

Ce chenal, à l'endroit le plus étroit, n'a que 160 mètres. 
L'entrée en est défendue par le château du Morro et plu- 
sieurs forts avancés. 

La ville, une des plus anciennes de l'Ile, a une popula- 
tion de 70,000 habitants; elle est bâtie en amphithéâtre à 
l'extrémité nord-est de la baie, qui peut ofirir un abri à 
toute la flotte espagnole. 

Comme nous l'avons vu, Santiago possède un dépôt de 
charbon considérable. Il y existe également une station 
du câble français et du câble anglais, que les Américains 



■"i " 



156 CHAPITRE IX. 

ont vainement tenté de couper pour intercepter les der- 
nières communications de Cuba avec l'Espagne. 

L'annonce de Tarrivée de Tescadre du Cap- Vert à San- 
tiago de Cuba fut accueillie à Madrid avec une vive satis- 
faction. D'après un télégramme de l'amiral Cervera, les 
navires étaient en parfait état; les équipages très alertes, 
La population avait fait aux marins un accueil enthou- 
siaste. Le gouvernement de la reine régente envoya un 
télégramme de félicitations à Tamiral. 

L'impression première, en Amérique, ne fut pas favo- 
rable. On était loin de supposer que l'amiral Cervera et 
son escadre, après avoir franchi le goulot^ se laisserait 
enfermer au fond de la bouteille; on croyait, ce qui était 
logique, qu'après s'être ravitaillé il se hâterait de sortir 
de cette souricière et recommencerait dans l'immensité de 
la mer sa course échevelée. Déjà même des télégrammes 
de Madrid annonçaient que l'amiral avait déjà quitté San- 
tiago, et aux États-Unis on en voulait un peu à l'amiral 
Sampson d'avoir laissé échapper sa proie. 

Il n'en était rien ; l'amiral Cervera allait s'immobiliser 
dans la rade et laisser aux navires américains le temps de 
venir boucher le goulot de la bouteille. 

L'escadre fantôme était désormais bel et bien prison- 
nière. 



CHAPITRE X 



LES AMÉRICAINS A MANILLE 



A Porto-Rico. — En vue de Sân-Jaan. — Quelques heures de bombardement. 

— Le blocus de Manille. — î^a canonnière Callao. — Les Tagals. — Ajourne- 
ment des Cortès, — Un nouveau cabinet. — L'escadre Gamara. — Dans la 
mer des Antilles. — Mort du chef insurgé Emilio Collazo. — Guantanamo 
et Gaimanera. — L'escadre Cervera bloquée. — Des plans fantaisistes. — 
Les anathèmes de l'archevêque de Manille. — Le corps expéditionnaire des 
Philippines. — Dewey contre Augusti. — La tête d'Aguinaldo mise à prix. 

— Combats de Bancoor et de Cavité. — Une dépêche alarmante. — Prise 
de Bancoor et d'Imus. — A l'arsenal de Cadix. — Le gouverneur des îles 
Visayas. — A Mindanao. — L'attaque de Manille. — Sur le fleuve Zapote. 

— Proclamation d'Aguinaldo. — Attaque de Malate. — Le général Jau- 
denez. 



Pour la clarté de notre récit, nous avons dû nous écarter 
un instant de Tordre chronologique des faits que présente 
cette campagne si décousue; il nous a fallu nous lancer 
avec l'amiral Sampson à la recherche de l'escadre fantôme, 
et lorsque, par le plus grand des hasards, un fil conduc- 
teur, fort ténu d'ailleurs, nous permettait de retrouver les 
navires de l'amiral Cervera, nous ne pouvions plus lâcher 
l'extrémité de ce fil sous peine de nous égarer dans les 
méandres des Ilots de la mer des Antilles. Mais à présent 
que l'escadre du Cap-Vert est bien en sûreté au fond de 
cette gigantesque bouteille que forme la baie de Santiago 
de Cuba, et qu'avec les cuirassés américains, qui déjà 
surveillent l'extrémité du goulot, nous sommes à peu près 
certains de retrouver notre escadre, nous pouvons sans 
inconvénient reprendre l'ordre chronologique au moment 
où, le 11 mai, les navires américains ont échoué dans leur 
tentative sur Cardenas et sur Cienfuegos. 

Le lendemain de ces deux échecs, c'est-à-dire le 12 mai, 



158 



CHAPITRE X. 



le gros de Vescadre Sampson, neuf navires, arriva en vue 
de San-Juan, capitale de l'Ile de Porto-Rico, et, au lever 
du soleil» ouvrait le feu sur les forts qui défendent la ville. 
Le cuirassé lowa tira le premier, puis VIndiana et succes- 
sivement les autres navires de l'escadre. Après quelques 
heures de bombardement, les navites américains se reti- 
rèrent. 

SAN-JUAN DE PORTO-RICO 



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Comme des versions très contradictoires ont été publiées 
sur l'attaque de San-Juan, et que Ton a prétendu même 
que la ville, saccagée et à moitié détruite, avait capitulé, 
nous donnons ici la dépêche officielle de Tamiral Sampson, 
qui remet les choses au point et n'est pas en contradiction 
avec la relation espagnole : 

« Une partie de l'escadre sous mes ordres est arrivée ce 






LES AMÉRICAINS A MANILLE. 159 

matin, au point du jour, à San-Juan. Aucun navire armé 
n'a été aperçu dans le port. Dès que le jour a été suffisant, 
j'ai commencé l'attaque par le bombardement des batteries 
défendant la ville. Le bombardement a duré environ trois 
heures. L'es batteries ont souffert beaucoup de notre feu, 
ainsi qu'une partie de la ville les avoisinant. Les batteries 
ont répondu à notre feu, mais sans effet notable. Un 
homme a été tué à bord du New- York et sept ont été 
légèrement blessés dans l'ensemble de Tescadre. Nos 
vaisseaux n'ont pas souffert. » 

Les Espagnols, il est vrai, prétendent que le feu des 
Américains ne causa que de légers dégâts dans une 
caserne; c'est peu vraisemblable si l'on tient compte de la 
précision et de la puissance du tir moderne. 

Mais, quoi qu'il en soit, il est certain que la flotte amé- 
ricaine se retira et que pas un soldat ne fut mis à terre, 
ce qui exclut toute idée de capitulation de la ville. 

Aux Philippines l'amiral Dewey avait réussi à rétablir 
la communication télégraphique interrompue, nous l'avons 
vu, avant la bataille de Cavité. 

Les dépèches que câblait à son gouvernement le com- 
mandant des forces américaines dans le Pacifique établis- 
saient que le blocus de Manille était étroitement gardé. 

Les Espagnols^ comptant sur Tintervention de l'Europe, 
refusaient absolument de rendre la ville. Ils prétendaient 
ne rien avoir à craindre de la famine et avoir, en des 
magasins à l'épreuve des projectiles, suffisamment de 
vivres pour entretenir pendant plusieurs mois 25,000 
réguliers et 10,000 volontaires. 

Quant à l'intérieur de Tile, il était en proie à l'anarchie 
la plus complète ; l'autorité espagnole n'était plus reconnue 
et les chefs indigènes hors d'état d'imposer une discipline 
quelconque aux Tagals révoltés. 

Mais, ajoutait l'amiral, je sais au contraire, de source 
certaine, que les provisions sont rares, et je m'attends à 
prendre Manille d'un moment à l'autre. J'ai pris le 12 mal 



» 7 "^ 



160 CHAPITRE X. 

la canonnière espagnole Callao qui venait des Carolines 
et essayait de forcer le blocus. 

Les insurgés m*ont ffidt demander l'autorisation d atta- 
quer Manille. J'ai réservé ma décision, car je ne sais s'il 
faut compter sur leur parole de ne se livrer à aucun 
excès sur les Européens. D ailleurs, ils sont mal armés, la 
plupart n'ayant qu'un coutelas ou machete. Aucune ten- 
tative n'a encore été faite contre la ville et S, 000 soldats 
réguliers gardent la route entre Cavité et Manille. 

En réponse à ces nouvelles, le gouvernement américain 
faisait connaître à l'amiral Dewey qu'un corps expédition- 
naire destiné aux Philippines se formait à San-Fjoancisco 
sous les ordres du général Otis, et que des renforts seraiejat 
incessamment envoyés à l'escadre du Pacifique. On esti- 
mait dans les conseils du gouvernement qu'il faudrait un 
corps de 30,000 hommes pour réduire les Philippines. 

Pendant que l'Espagne se trouvait aux prises avec les 
plus grandes difficultés extérieures, une crise intérieure 
venait encore compliquer la situation. Le 17 mai, M. Sa- 
gasta ajournait les Cortès jusqu'au moment où la reine 
régente aurait désigné les membres du nouveau ministère. 

La crise ministérielle ne fut pas de longue durée ; lê 
18 mai le cabinet était reconstitué sous la présidence 
même de M. Sagasta. Le général Correa prenait le p<irte* 
feuille de la guerre ; M. Aunou, le portefeuille de la marine 
et M. Romero Giron, le ministère des colonies. 

Le jour même, Famiral Camara, commandant l'escadre 
de réserve, recevait des instructions pour le choix des 
navires destinés à escorter les transports de renforts aux 
Philippines. 

Il se confirmait donc que, pour Tinstant du moins, 
l'amiral Cervera resterait aux Antilles, livré à ses seules 
forces, et que l'effort du moment se porterait vers les 
colonies asiatiques. 

De mauvaises nouvelles arrivaient en effet des mers de* 
Chine. 



' .tES AMÉRICAINS A MANILLE. 161 

On annonçait que l'aviso américain ilfac-Cw//ocA avaîf 
quitté Hong-Kong, se rendant à Manille. 

Il avait à bord M. Wildman, l'ancien consul américain 
aux Philippines, le chef des insurgés Aguinaldo, le colonel 
Pilar, son secrétaire Leyba, et quinze autres chefs rebelles 
dont plusieurs formaient le ministère révolutionnaire* 

Aguinaldo débarquerait à Cavité où il prendrait le com- 
mandement dé 4,000 rebelles pour tenter une attaque 
contre* Manille. 

^11 aurait pris l'engagement de mener la guerre avec 
humanité, et complètement d'accord avec les Américains. 
Il croyait tenir assez bien en main les rebelles pour les 
empêcher de se livrer' à des massacres/ 

Les Américains auraient trouvé l'arsenal de Cavité abso* 
lument dégarni. Le colonel d'artillerie espagnol qui le com- 
' nmndait se serait, disait-on, suicidé. Enfin l'amiral Dewey 
Comptait recevoir dans les premiers jours de juin les ren- 
forts nécessaires pour s'emparer de la ville de Manille. 

En quittant San-Juan de Porto-Rico et tout en cher- 
chant Fescadre Cervera, l'amiral Sampson continuait ses 
reconnaissances sur la c6te de Cuba, cherchant évidem-* 
■lent quelque point mal gardé et plus favorable que ceifx 
reconnus jusqu'ici, à une descente en force. Des navires 
lêgei» parurent ainsi devant Port-Cabairien, sur la côte 
septentrionale de la province de Santa-Clara et à l'entrée 
de la baie de San-Juan*de-los-Remedios. 

Mais les Espagnols veillaient, et quatre de leurs canon- 
nières, le Cortez^ le CantOj Vlntrépida et le Valiente^ sorti- 
rent à toute vitesse de la baie et allèrent canonner les 
navires américains, qui se retirèrent. 

Les bandes d'insurgés de la province de Pinar-del-Rio 
avaient profité de Témoi causé par l'approche des navires 
américains et s^étaient dirigées vers la Havane. Mais le 
colonel Rodrigue^, commandant les troupes régulières de 
Pinar-del-Rio, avait marché contre eux et leur avait 

infligé une défaite cruelle. 200 d'entre eux avec leur chef 

il 



162 CHAPITRE X. 

Emilio' Cdllazo étaient restés sur lé champ de bataillé de 
Guines. 

Nous avons relaté plus haut l'entrée de l'amiral Cervera 
à Santiago de Cuba et nous avons dit que deux navires de ■ 

l'amiral Sampson avaient battu en retraite devant les 
forces imposantes de l'escadre espagnole. Mais en se reti- 
rant, ils poussèrent une reconnaissance jusqu'à la baie 
de Guantanamo, à 17 lieues à Test ^e Santiago. 

Ils.y furent aussi mal reçus que sur les autres points du 
littoral où ils avaient précédemment essayé de débarquer. 

. La rade de Guantanamo est un abri excellent s'enfon- 
ça nt jusqu'à 18 kilomètres dans les terres et formant en 
réalité deux ports : celui de Caimanera, petit village siti^é 
au nord de l'entrée, et celui de Guantanamo, ville de 
17,000 habitants, dont une nombreuse colonie française, 
située au fond de la baie et reliée à Caimanera par un 
chemin de fer. L'accès de cette rade est rendu difficile 
par les sables qui en encombrent les abords. 

- Les deux navires, reçus à coup de canon, reprirent leur 
route et revinrent croiser devant la baie de Santiago, 
guettant la sortie de l'escadre Cervera. 

: Dans la nuit du 19 mai, trois navires américains s'em- 
bossèrcnt à l'entrée de la rade de Nuevitas, qu'ils bombar- 
dèrent. 

' La bàîé de Nuevitas sert de port à Puerto-Principe, 
ville de 60,000 habitants, sur la côte nord de l'Ile, capitale 
de la province de ce nom. On croit que c'est dans cette 
baie que Christophe Colomb atterrit pour la première fois 
dans le Nouveau Monde. 

C'est un vaste havre qui n'a pas moins de 148 kilo- 
mètres carrés de superficie et qui est parfaitement abrité 
par les promontoires de la grande terre et le cayo Sabinal. 
Il est parsemé de récifs. 

A Nuevitas, les Espagnols ont un dépôt de charbon et 
le phare de la rade est protégé par une batterie. 
En quittant cette baie, les Américains remontèrent au 
il 



--^ 



164 CHAPITRE X. 

fusils à tir rapide attaquaient, mais sans succès, la ville 
de Palma-Soriano, à faible distance de Santiago de Cuba, 

Les reconnaissances faites autour de TUe étaient ainsi 
terminées. En plus des renseignements qu'avaient pu 
recueillir les Américains, il y avait un résultat matériel 
acquis dont la valeur était considérable : 

Le 18 mai, les croiseurs Saint-Louis et Wompatuck 
avaient, sous le feu de l'ennemi et au prix d'avaries 
légères, coupé les câbles télégraphiques à Guantanamo 
et à Santiago de Cuba. 

Cependant la situation de l'escadre Cervera, dans ce 
dernier port, commençait à étonner et même à inquiéter 
un peu Topinion. 

On savait que les escadres réunies de l'amiral Sampson 
et du Commodore Schley, après s'être ravitaillées à Key- 
West, avaient mis le cap sur Santiago. Les journaux 
américains déclaraient que silamiral Cervera était surpris 
dans la baie de Santiago, très médiocrement fortifiée, c'en 
serait fait de son escadre, prise conime dans une souricière. 
Le chenal, nous l'avons vu, est si étroit que les navires 
n'en pourraient sortir qu'en colonne, un par un, et seraient 
détruits successivement par la flotte ennemie embossée à 
l'entrée. 

Mais les feuilles espagnoles répondaient que, depuis 
plusieurs jours, le prudent amiral avait quitté la baie et 
croisait dans la mer des Antilles, attendant un moment 
favorable pour tomber à l'improviste sur les navires de 
l'amiral Sampson. 

Malheureusement, d'après une dépèche officielle de 
Washington, un éclaireur américain avait constaté la 
présence, au fond de la baie, des navires espagnols le lundi 
23 mai; et, depuis ce jour, jusqu'au jeudi 25, date 
d'arrivée de toute la flotte américaine, l'entrée du goulot 
avait été étroitement surveillée ; aucun navire n'était sorti 
de Santiago. En fait, l'amiral Cervera était doné bloqué.: 
MaiSy affirmaient lés optimistes^ la situation de l'escadre 



* 



LES AMÉRICAINS A MANILLE. 165 

n'avait rien de défavorable ; elle pourrait, sous la protec- 
tion des batteries de terre, sortir quand et comme elle le 
voudrait du goulet. 

11 était à supposer que si Tamiral était resté à Santiago, 
c'est qu'il avait quelques avaries à réparer. 11 y a, en 
efiPet, dans ce port, un bassin de carénage où il pouvait 
remettre ses navires en état, en attendant l'occasion pro- 
pice de sortir, grâce à sa vitesse, ou gr&ce à Fappui de la 
flotte Camara, qui viendrait le dégager, prenant ainsi 
l'escadre américaine entre deux feux. 

Les deux plans semblèrent aux esprits pondérés aussi 
chanceux l'un que l'autre, et bien des gens ne se firent 
plus guère illusion sur le sort de la. malheureuse escadre 
du Cap- Vert. 

Gomme nous l'avons dit, le chenal qui donne accès au 
port est long, sinueux et très étroit. 

Santiago est tout au fond du havre, au pied de la sierra 
de Cobre. Pour rendre encore plus difficile toute tenta- 
tive des Américains pour forcer cette passe dangereuse, 
l'amiral Cervera y avait fait couler un vieux croiseur, la 
Reiîia-Mercedes . 

En outre, à l'est de l'entrée, se trouve le fort du Morro, 
appuyé en arrière, au nord d'une petite anse, par le fort 
de la Estrella. A l'ouest de Tentrée s'étend la ligne de 
batteries de la Socava. Vers le milieu du chenal et à un 
endroit où celui-ci a moins d'une encablure de largeur, 
est placé sur un récif le fort Smith, seconde ligne de 
défense avec le fort Estrella de la rade intérieure. Ces 
défenses étaient, semble-t-il, en bon état. 

L'amiral Sampson semblait devoir, en conséquence, 
éprouver une certaine résistance dans son attaque. Aussi, 
tout fut-il préparé en vue d'une grande bataille. Des 
ordres furent expédiés à Key-West, prescrivant l'organi- 
sation de vastes ambulances ; tout le personnel médical 
fut mis sur pied et un matériel d'hôpital considérable 
dirigé sur la Floride. 



À 

i 



•^ 



Atifi CHAPITRE X. 

Le synode des Églises presbytériennes lui-même s'en 
mêla en adressant au président Mac Kinley une résolution 
l'invitant à intervenir pour que la grande bataille n'élit 
pas lieu un dimanche. Il nous a été impossible de vérifier 
si le président des Etats-Unis avait transmis à Tamiral 
Sampson le vœu du synode presbytérien. 

Cependant les opérations aux Antilles ne faisaient pas 
perdre de vue aux Américains l'expédition projetée contre 
les Philippines. 

D'ailleurs, le langage agressif tenu par un des plus 
hauts personnages de la colonie aurait suffi pour ranimer 
leur zèle. Voici, en effet, comment, s'adressant à ses 
ouailles, s'exprimait l'archevêque de Manille : 

« Des hérétiques essayent de détruire la vraie reli- 
gipii. S'ils triomphent, nos églises seront converties en 
chapelles protestantes, l'eucharistie et l'image de Marie, 
la très sainte, disparaîtront. 

' a Vos fils tomberont entre les mains d'hommes de mœurs 
étranges, pleins, de vices et d'erreurs, et l'on fera dispa- 
raître de ces lies l'unique religion qui est l'espérance défini- 
tive des hommes ; Dieu conservera ceux qui luttent pour 
nous la conserver en leur assurant la vie éternelle. » 

Sans répondre à cet anathèine, l'amiral Dewey conti- 
.ûuait à bloquer Manille. 

D'autre part, aux États-Unis, l'embarquement des ren- 
forts destinés aux Philippines avait commencé, le 24 mai, 
à bord de VAustria et du City-of-Sydney. On comptait 
que l'expédition franchirait en vingt-cinq jours la dis- 
tance qui sépare San-Francisco de Manille, en s'arrètant 
k Hawaï pour faire du charbon. Mais une nouvelle diffi- 
culté semblait surgir. On disait que les insurgés avaient 
offert leur concours au général Augusti pour combattre 
les Américains. Mais cette information, qui fut démentie 
d'ailleurs, n^était point faite pour arrêter les Américains ; 
ils se contentèrent d'augmenter un peu les prévisions 
d'effectif du corps expéditionnaire. 



LES AMERIÇAlî^S A MANILLE. 



lêï 



Le premier échelon de ce corps s'embarqua à San- 
Firancîsco le 24 mai, à bord de trois transports, spéciale- 
ment affrétés par le gouvernement. Il comprenait 2,500 
hommes de troupes, des approvisionnements pour un ap. 
çt une grande quantité de munitions, destiuéee. à Tamiral 
Dewey. 

Un second échelon devait suivre dans les premiers 
jours du mois de juin. 

Quinze transports et six navires charbonniers devaient 
être nolisés à cet eflPet. 

LUZON (Partie Sud) 




Les derniers renseignements, arrivés de Manille par 
la voie de Hong-Kong, faisaient connaître que le 16 mai la 
garnison espagnole de Tile du Corregidor avait dû l'éva- 
cuer faute de munitions. 



468 CHAPITRE X. 

Aguinaldo avait été bien accueilli par lamiral Dewey, et 
s'occupait activement d'organiser ses bandes. Quelques- 
uns des chefs, se considérant liés par le pacte de Bacta* 
bano, hésitaient encore à se déclarer contre les Espagnols ; 
mais il y avait lieu de croire que l'arrivée des renforts 
américains mettrait un terme à leurs hésitations. 

Les troupes du général Augusti travaillaient activement 
aux fortifications de Manille. Mais les canons disponibles 
étaient de modèle ancien, et les munitions assez rares. 

On signalait parmi les troupes de Tamiral Dewey de 
nombreux cas de dysenterie et de variole. Le comman- 
dant Kridley, du croiseur Olympia^ était mort. 

Le bruit courait, sans être toutefois confirmé, que le 
gouverneur des Philippines aurait mis à prix la tète 
d'Aguinaldo pour 25,000 dollars. 

En Espagne, malgré la belle assurance du gouverne- 
ment et les renseignements optimistes qu'il communi- 
quait sur la situation à Manille, des craintes vagues se 
manifestaient dans le public. Presque tous les journaux 
étaient d'accord pour réclamer l'envoi de troupes de ren- 
fort au général Augusti. Quelques-uns critiquaient l'inac- 
tion de l'escadre de réserve, qui, le 6 juin, n'avait encore 
quitté Cadix que pour quelques vagues manœuvres et 
quelques tirs à la mer. 

Des informations, de source américaine il est vrai, fai- 
saient savoir que de graves événements venaient de se 
produire aux Philippines. 

Les insurgés auraient été vainqueurs dans plusieurs 
combats : à Bancoor, à Las Pinas et au Yieux-Cavite. Us 
se seraient emparés d'Imus, occuperaient plusieurs pro- 
vinces de Luzon et auraient massacré des Européens et 
des prêtres. 

Les bruits mis en circulation par les Espagnols men- 
tionnaient, au contraire, que les défenseurs de Mam'Ue 
étaient pleins d'ardeur et convaincus qu'ils remporte- 
raient sur terre l'avantage qu'ils ne pouvaient disputer 



^ 



LES AMÉRICAINS A MANILLE. 169 

sur mer aux Américains. Bien loin d'avoir remporté des 
succès, les rebelles auraient été battus en plusieurs ren- 
contres ; la discorde régnerait dans leurs bandes ; l'amiral 
Dewey lui-même serait obligé de prendre des précautions 
contre ses alliés et leur aurait interdit de franchir le fleuve 
Malate & 7 milles au sud de Manille, sinon les navires 
américains feraient feu sur eux. Bref, tout allait pour le 
mieux dans la plus belle des colonies. 

Il fallut, hélas! bientôt en rabattre. 

Le 9 juin, le gouvernement espagnol lui-même était 
contraint de publier la dépêche suivante, envoyée par le 
général Augusti, gouverneur général des Philippines : 

(( La situation est très grave. Aguinaido a réussi à sou* 
lever le pays à jour fixe. Les voies télégraphiques et fer- 
rées ayant été coupées, je me trouve sans communication 
avec toutes les provinces. Celle de Cavité s'est soulevée en 
masse. Les villes et les villages sont bombardés et attaqués 
par des bandes armées. Une colonne défend la ligne du 
Zapote pour empêcher l'entrée de l'ennemi dans la province 
de Manille ; mais les insurgés venant aussi par Bulacan, 
Laguna et Morong, la capitale sera investie et attaquée 
par terre et par mer. Je m'efforce de relever l'esprit de la 
population et j'épuiserai tous les moyens de résistance. Le 
moral est bon chez les troupes, mais je me défie des indi- 
gènes et des volontaires, en raison des nombreuses déser- 
tions qui se sont produites dans des combats récents. 

<( Bacoor et Imus sont au pouvoir de l'ennemi. 

c( L'insurrection est puissante, et, si je ne puis compter 
sur l'appui du pays, les forces dont je dispose ne suffiront 
pas à faire face à deux ennemis. » 

Cette dépêche, communiquée aux Chambres par le gou- 
vernement, produisit une pénible sensation. Les impres- 
sions pessimistes dominèrent dès lors dans les cercles 
politiques et militaires, en raison des déductions tirées de 
l'envoi de nouvelles aussi graves, et de leur publication 
par le gouvernement. 



'^^"^^ 



170 CHAPITRE X. 

Celui-ci était universellement pris à partie. On lui 
reprochait son imprévoyance et ses hésitations, qui au- 
raient , disait-on, aggravé la situation des Philippines. 
D'abord, aucune mesure de précaution n'avait été pri^e 
lorsque les Américains révélaient leurs desseins, dès avant 
la guerre, par leurs préparatifs à Hong-Kong; puis, depuis 
le désastre de Cavité, il n'avait été rien fait pour secourir 
cet archipel, où Ton devait envoyer immédiatement Tami- 
ral Cervera ou Tamiral Camara avec des renforts ; car il 
était notoire que la pacification n'était pas assez stable, ni 
les forces de terre suffisantes pour empêcher les indigènes 
de se mettre du côté des anciens chefs rebelles, secondés 
par les Américains. 

De fait, la situation des Espagnols dans Tarchipel était 
extrêmement grave. Toute la colonie était en pleine insur- 
rection, sauf le groupe des Visayas. Le désastre de Cavité, 
en atteignant le prestige de l'Espagne, et la présence des 
Américains avaient provoqué une nouvelle insurrection 
des rebelles à demi pacifiés. 

Le gouverneur général, sous la protection des troupes 
fidèles, s'était retranché dans le Vieux-Manille, mal dé- 
fendu par une antique enceinte à la Yauban et situé sur 
la rive droite du Pasig, le Nouveau-Manille ou ville com- 
merciale s'étendant sur la rive gauche. 

La position du général Augusti, cerné par les rebelles 
accourus en masse à l'appel d'Aguinaldo, que Ton croyait 
à tort discrédité à leurs yeux, sembla, à ce moment, si pré- 
caire à Madrid, que le bruit courut dans la capitale espa- 
gnole que la garnison préférerait se rendre prisonnière de 
guerre aux Américains plutôt que de s'exposer à être mas- 
sacrée par les hordes demi-sauvages des insurgés, malgré 
la proclamation humanitaire d'Aguinaldo. 

Celui-ci venait d'adresser au comité insurrectionnel, 
siégeant à Singapour, la dépêche suivante : 

« Nous occupons toute la province de Cavité et plusieurs 
villes de la province de Batanga. 



LES AMÉRICAINS A MANILLE. j^l 

(( Nous avons pris 10 canons et 900 fusils. Nous avons 
fait prisonniers 1200 Espagnols d'Espagne et 800 Espa- 
gnols natifs des Philippines. Nous en avons tué 300. Nous 
assiégeons l'église de Cavite-Viejo où se trouvent 300 
Espagnols qui vont être obligés de se rendre. » 

A la réception de ces graves nouvelles, un conseil 
extraordinaire des ministres se réunit au Palais : lé 
ministre de la guerre chercha à atténuer un peu les 
impressions causées par les dernières dépèches, en affir- 
mant que la situation du général Augusti n'était pas aussi 
désespérée qu'on le croyait. 

M. Sagasta déclara que- Manille avait assez de vivres 
et de moyens d'existence pour attendre l'arrivée des ren- 
forts. 

A l'issue du conseil, le ministre de la marine, M. Aunou, 
partit pour Cadix, point de concentration, comme on 
sait, de l'escadre de réserve. 

Celle-ci comprenait définitivement quinze navires, parmi 
lesquels les cuirassés Alfonso XIII ^ Carlos-Qiimto^ Pelayo, 
Viioria^ trois contre- torpilleurs, les croiseurs Patria et 
RapidOj récemment achetés à l'Allemagne, et des transat- 
lantiques transformés en croiseurs auxiliaires. 

U Alfonso XIII est un croiseur blindé de 5,000 tonnes, 
20 nœuds, 420 hommes, 24 canons, 5 tubes lance-torpilles. 

Le CarloS'Quinto est un cuirassé à barbettes de 9,000 
tonnes, 20 nœuds, 600 hommes, 26 canons et 6 tubes 
lance- torpilles. 

Le Pelayo est le plus puissant cuirassé de combat 
espagnol. Il déplace 9,900 tonnes, et est muni d'une cui- 
rasse de H à 17 pouces d'épaisseur. Son armement consiste 
en 2 canons de 12 pouces 1/2 tirant en barbette, 2 de 

11 pouces en barbette, un de 6 pouces, deux en chasse, 

12 de 4 pouces 7 sur le pont, 6 de 3 pouces 5, de 
2 pouces 7 et de 6 livres ; 1 2 canons-revolvers et 7 tubes 
lance-torpilles. Son équipage est de 584 hommes. Il n'a 
qu'une vitesse de 12 nœuds. 



'^ 



■M 



172 CHAPITRE X. 

Le Vitoria est un cuirassé de 7,000 tonnes, avec 561 
hommes et 24 canons. 

Bien que la destination de Tescadre de réserve eût été 
tenue absolument secrète et que son chef, Tamiral Camara, 
ne dût ouvrir qu'à une certaine distance en merles ordres 
cachetés que lui avait apportés le ministre de la marine, 
il y avait lieu de croire que cette force très respectable 
allait porter secours au général Augusti à Manille. 

Quoi qu'il en soit, le 17 juin à midi, le ministre de la 
marine envoyait au président du conseil le télégramme 
suivant : 

« L'escadre de réserve et les troupes expéditionnaires 
embarquées sur elle, en sortant des eaux d'Espagne, 
saluent le Gouvernement et la Patrie et affirment leur 
dessein et leur désir de combattre pour elle. » 

Le départ des navires avait été précédé d'une cérémonie 

patriotique au cours de laquelle un drapeau brodé par 

|^% les dames de Cadix, et béni par l'archevêque de cette 

jt" ville, avait été remis au commandant du Carlos-Quinto. 

P. M. Aunou avait prononcé un discours, et le télégramme 

ci-joint avait été envoyé à la reine régente : 
î^- « L'escadre et les troupes expéditionnaires envoient à 

Votre Majesté leur plus ardent et enthousiaste salut, dans 
lequel elles résument leur résolution de combattre à 
-m outrance pour l'honneur de la nation. » 

Quelques heures plus tard, l'escadre Camara disparais- 
sait dans la brume du soir, en route pour sa destination 
mystérieuse, et le ministre de la marine débarquait à 
Carthagène et rentrait à Madrid juste à temps pour 
prendre connaissance des dernières nouvelles arrivées des 
4 Philippines. 

Le général Rios, commandant des lies Yisayas, c&blait 
en effet la dépêche suivante : 

« Quoique j'aie envoyé sept petits vapeurs à Luzon, je 
reste sans nouvelles de Manille, car les forces ennemies 
ont coupé les communications télégraphiques dans le sud 



V* 



LES AMÉRICAINS A MANILLE. , 17â 

de Luzon. D'après lés nouvelles apportées le i^^ juin par 
une canonnière anglaise, la situation à Manille était sans 
changement, 

(( A Capiz et dans les villages avoisinants la situation 
est normale. 

(( Les Maures de Mindanao ont attaqué la ligne militaire 
dêTukuran — Dineo — Marahuit. Repoussés sur deux points, 
ils ont laissé sur le terrain 36 morts. Nous avons eu 
7 morts et 18 blessés. 

(( Dans la nuit du 5 au 6, un croiseur américain ayant ses 
feux éteints, est entré dans le port, Fa reconnu et est 
reparti dans la direction du sud. Depuis nous n'avons 
plus de nouvelles de Tescadre ennemie. 

« Je prends des mesures pour assurer l'existence des 
troupes et des habitants avec les ressources du pays. 

(( J'ignore si le capitaine général communique avec la 
péninsule. Je puis assurer que l'esprit des troupes, dans 
le territoire placé sous mes ordres, est excellent. » 

Mais si la situation était satisfaisante aux Yisayas, elle 
semblait singulièrement compromise dans le reste de 
l'archipel. 

Le bruit courait que l'attaque de Manille par Aguinaldo 
avait commencé. Les insurgés avançaient vers la ville 
commerciale située sur la rive gauche du Pasig. 

L'amiral Dewey, avec son escadre, demeurait simple 
spectateur de la lutte et n'interviendrait que si les insurgés 
commettaient des massacres. 

Ceux-ci niaient d'ailleurs tuer les femmes et les enfants, 
mais informaient le général Augusti qu'il ne lui serait fait 
aucun quartier si la mise à prix de la tête d'Aguinaldo 
n'était pas retirée. 

Unedépêche de Manille, expédiée par le général Augusti, 
disait d'autre part : . 

t( La situation: est toujours très grave à Manille ; l'en- 
nemi entoure la capitale. J'ai dû faire replier mes forces 
pour les concentrer en dedans de la ligne du blockhaus, 



• »-. '1 
fi 



174 CHAPITRE X. 

renforcée à intervalles par des tranchées où nos troupes 
peuvent se battre. 

« Les communications sont toujours interceptées. 

« J^attends le général Monet avec des renforts, mais; je 
n'en ai aucune nouvelle* La population blanche des fau- 
bourgs, craignant d^ètre massacrée par les rebelles et 
préférant courir les risques du bombardement, se replie 
dans l'enceinte fortifiée, apportant un dernier renfort à la 
défense. 

(( On ignore quand le bombardement commencera. » 

Une autre dépèche expédiée de Manille le 8 juin, via 
Hong-Kong, annonçait que les rebelles sous les ordres 
d'Aguinaldo avaient franchi, le 5, le fleuve Zapote, et avec 
des forces supérieures s'aient emparés de Las Pinas et 
de Paranaque après une défense héroïque des détache- 
ments espagnols. 

Ceux-ci décimés avaient dû battre en retraite. 

Les vivres et les munitions commençaient à se faire 
rares à Manille. 

Cependant les Espagnols, comptant sur les secours de 
la métropole, conservaient le meilleur esprit, et conti- 
nuaient à se battre vaillamment. 

Lés églises et les couvents, convertis en hôpitaux, étaient 
remplis de blessés et placés sous la protection de la Croix- 
Rouge. 

Enfin, la capitulation de Manille serait retardée jusqu'à 
l'arrivée de troupes américaines en force suffisante pour 
iniposer aux Tagals révoltés le respect des vaincus et 
l'observation dès règles élémentaires du droit des gens. 

Le 18 juin, le ministre de la guerre espagnol recevait 
une nouvelle dépèche du gouverneur général Augusti 
confirmant son télégramme du 8 juin que nous avons 
mentionné plus haut et ajoutant : 

a Les troupes se battent sur la ligne de blockhaus ^\xi 
arrête Télan de l'ennemi. 
- « Lès forces ennemies sont augmentées par le» désêrr 



LES AMÉRICAINS A MANILLE. 478 

lions des troupes indigènes gai diminuent nos éléments 
de résistance et pourraient m'obliger à me réfugier dans 
la cité murée. 

« Les communications avec la province sont toujours 
interrompues. 

« J'ignore si les détachements pourront résister, en 
raison du manque de ressources. 

« J'espère recevoir des secours de la péninsule avant 
qiie les éléments de défense soient épuisés. » 

Le même jour, l'escadre de réserve de l'amiral Gamara 
était signalée à Gibraltar se dirigeant vers Test. 

On en concluait que le gouvernement allait enfin porter 
du secours à sa colonie asiatique. Ges forces arriveraient- 
elles à temps? On en pouvait douter; car, en plus des 
éléments contre lesquels avait eu jusqu'ici à lutter le 
général Augusti, allaient s'ajouter les renforts américains 
expédiés de San-Francisco à la fin du mois de mai. 

Ceux-ci arrivaient en effet dans les eaux de Manille, 
d'où l'amiral Dewey, commandant le blocus, télégraphiait 
le 12 juin : 

« Les insurgés continuent les hostilités ; ils ont virtuel- 
lement investi Manille et ont fait aux Espagnols 2,500 pri- 
sonniers qu'ils traitent de la façon la plus humaine. Ils 
n'ont pas l'intention de s'emparer immédiatement de la 
ville. 

« Douze navires marchands ayant des réfugiés à bord 
sont ancrés dans la baie avec ma permission, sous la pro- 
tection des vaisseaux de guerre neutres. La santé de 
l'escadre est excellente. 

« Lé commandant en chef de l'escadre allemande est 
arrivé aujourd'hui. 

' '« II y a dans le port un vaisseau de guerre japonais, un 
français, deux anglais, trois allemands, et l'on attend un 
quatrième navire de guerre allemand. » 

D'après d'autres sources, il se confirmait que dans uije 
réunion des chefs insurgés du Vieux-Gàvité, Aguiiialdo 



« r 



-T- » V^~ 



176 CHAPITRE X. 

aaraît proclamé rindépendance des Philippine» et proposé 
rétablissement d'une république sous la protection 3e 
l'Angleterre et des États-Unis. 

On annonçait également, mais sous réserves, qu§ les 
garnisons espagnoles de Santa-Cruz, Lagunaz et Pam- 
panga auraient capitulé* 

Des colonnes d'insurgés du Nord et du Midi opéraient 
leur jonetioD près de la ville de Pasig. 

Les rebelles avaient pris de haute lutte les passages du 
Zapote, étaient descendus de Las Legunas et, étant tom- 
bés dans le flanc des Espagnols, leur auraient enlevé plu-^ 
sieurs canons. 

Les troupes régulières, manquant de munitions, au- 
raient dû battre en retraite, poursuivies par les rebelles, 
qui se seraient emparés des positions de Las Pinas, 
Parangue, Tungalo, Malibaz et Pineda, situées sur la 
côte. 

Sept mille Espagnols seraient rentrés à Manille, suivis 
par les insurgés, qui auraient immédiatement attaqué 
Malate, faubourg sud de la capitale, à un mille et demi 
du centre, et non loin des poudrières et du bureau du 
télégraphe. 

Quelques troupes espagnoles restaient encore à la gare 
de Caloogan; le village lui-même était aux mains des 
insurgés. 

Le 18 juin, l'entrée en Méditerranée de l'amiral Gamara 
et de ses navires était confirmée. Mais on commençait à 
craindre que l'escadre de réserve arrivât trop tard A 
Manille. On annonçait déjà que le général Âugusti, capi- 
taine général des Philippines, avait résigné ses pouvoirs 
entre les maias du général Jaudenez, gouverneur de 
Manille, qui aurait le triste honneur de signer la capitula- 
tion de la place, sans que cet acte entraînât la même 
importance aux yeux des indigènes et des étrangers qu^une 
capitulation signée par le gouverneur général de tous les 
archipels espagnols. 



LES AMÉRICAINS A MANILLE. 177 

■te 

Quittons maintenant les mers de Chine et revenons aux 
Antilles au moment où- des indices sérieux permettent aux 
escadres Sampson et Schley d'espérer prendre à Santiago 
de Cuba la flo4te an Gap-Yert, commandée, on le sait, 
par Tamiral Cerverâ. 



^■s 



12 



'""^ 



CHAPITRE XI 



8AMP80N CONTRE CERVERA 



A Santiago de Cuba, — - Où se trouve la flotte espagnole? — Hésitations des 
Américains. — Hecherches infructueuses. — Une conférence à Washington. 
— La sérénité de M. Sagasta. — L*escadre Cervera est retrouvée. — Le 
corps expéditionnaire Shafter. — Premier bombardement des ouvrages de 
Santiago. — Enthousiasme espagnol. — Le navire Merrimae, — Hobson et 
ses braves compagnons. — Deux versions contradictoires. — Deuxième 
bombardement. — Débarquement du colonel Huntington. — Les forces 
espagnoles autour de Santiago. — Plaintes de Tamiral Sampson. — Départ 
du corps expéditionnaire. — Troisième bombardement de Santiago. 



S'il est un reproche que l'on puisse adresser à l'amiral 
Cervera, ce n'est point, à coup sûr, de n'avoir pas su dé- 
pister son adversaire et l'induire en erreur. 

Dans la première partie de la campagne des Antilles, 
comprise entre la déclaration de guerre et l'arrivée des 
navirets espagnols à Santiago de Cuba, nous avons vu avec 
quel talent le commandant de Tescadre du Gap- Vert avait 
dissimulé aux Américains sa course vagabonde à travers 
l'Atlantique ; et, malgré le désastre qui atteignit, en fin 
' de compte, le malheureux amiral espagnol, on ne peut 
méconnaître Thabileté dont il fit preuve au cours des 
manœuvres et évolutions qu'il fit exécuter à ses navires 
pour passer invisible à travers les maillas du réseau 
d'exploration, tendu par les nombreux vaisseaiuc ainéri^ 
cains sur toute la sur&ce de la mer des Caraïbes. 

La seconde partie de la campagne, dans cett% partie du 
monde, va de l'arrivée des vaisseaux espagnols à Santiago, 
de Cuba à la destruction de la flotte. 

Elle présente avec la période précédente une certaine 
analogie, en ce sens que, malgré leur affirmation primi- 



.». j 






SAMPSON CONTRE CERVERA, 179 

tîve de la présence, de Fescadre Cervera au fond de la 
bouteille, suivant leur pittoresque expression, les Améri- 
cains restèrent de longues semaines dans le doute, et 
leurs télégrammes, que nous résumons, montrent bien, 
que leur conviction, à ce sujet, était loin d'être absolue. 

C'est ainsi que le 27 mai le journal américain Daily 
Mail affirmait que l'escadre espagnole était partie, depuis 
plusieurs jours, de Santiago, où elle n'aurait fait que débar- 
quer des munitions et des approvisionnements pour le 
maréchal Blanco. 

Le New- York Herald recevait de son correspondant de 
Costa Rica (Amérique centrale) un cablogramme décla- 
rant que sept navires de guerre espagnols étaient ' passés 
la veiWe à dix milles au large de Port-Limon. Enfin, une 
intéressante information du Daily Teleyraph avisait, à la 
même date, ses lecteurs que, malgré les plus actives re* 
cherches, les Américains avaient perdu la piste de l'amiral 
Cervera. 

Le 19 mai, dit ce journal, on reçut à Key-West la 
nouvelle que l'escadre espagnole était à Santiago. Le 
Commodore Schley prit aussitôt la mer avec l'escadre 
volante, et le correspondant du Daily Telegraph fut auto- 
risé à suivre l'escadre à bord du navire anglais Premier. 
On arriva devant Cienfuegos, où le commodore soupçon- 
nait que la flotte espçkgnole pouvait se trouver. On aperce- 
vait, en eflfet, les sommets des mâts de trois ou quatre, 
grands navires au-dessus du promontoire qui masque la 
baie. Mais des insurgés cubains vinrent bieQtôt è. bord 
d'une ohaloape prévenir le commodore que les vaisseaux 
espagnoliS n'étaient pas dans 1» rad«; l'escadre, en 
coBséÇuence, leva l'ancre et piqua $xw Santiago.' , 

Elle yiêarriva bientôt, et détacha, à la découverte^ la 
jcanonnière Hawk, qui revint, au bout de quelques heu- 
res, annoncer que l'escâdi^e espagnole avait quitté San- 
tiago 

D'autre part, les sémaphores de la côte atlantique ne 



•u- 



180 CHAPITRE XI. 

cessaient de signaler des croiseurs espagnols. Le Wil- 
mingtoriy lui-même, que montaient pourtant des officiers 
de marine expérimentés, déclarait avoir rencontré trois 
navires de guerre ennemis à dix milles de Tampa. 

C'était le jeu de Tescadre fantôme qui se renouvelait. 

Cette incertitude ne laissait pas que de produire un 
certain énervement, aussi bien dans les milieux gouver- 
nementaux et militaires que dans le peuple américain. 

Aussi, pour éclaircir le mystère, fut-il très sérieusement 
question d'envoyer aux navires devant Santiago les ballons 
de Taéronaute français Mallet, récemment arrivé en Amé- 
rique. Les aérostats seraient fixés par des câbles au pont 
-d'un navire et Ton vérifierait, enfin, si, décidément, 
l'amiral Cervera se cachait dans la baie, ou si, comme on 
penchait à le croire, il avait pu gagner la haute mer avant 
l'arrivée de Tescadre Schley. 

Il avait été question également de débarquer un déta- 
chement qui aurait pour mission de gagner la crête des 
hauteurs commandant la baie ; mais on dut y renoncer. 
Des forces espagnoles sérieuses garnissaient, en effet, la 
côte, et c'est aussi, sans doute, ce qui empêchait les insur- 
gés de Calixto Garcia de communiquer avec Tescadre de 
blocus. 

Celle-ci comprenait, à ce moment, douze navires, sous 
les ordres du commodore Schley. Le commandant en 
chef, amiral Sampson, avec la majeure partie de la 
flotte de FAtlantique, croisait entre Key-West et la 
Havane. 

Cependant, le gouvernement de M. Mac Kinley inclinait 
à croire que l'amiral Cervera n'avait point quitté Santiago, 
et, dans cette hypothèse, une importante conférence avait 
lieu pour discuter la tactique à adopter. M. Mac Kinley 
lui-même la présidait, ayant à ses côtés M. Long, le secré- 
taire de la marine; M. Alger, le secrétaire de la guerre; 
le généralissime de l'armée, M. Miles, et les membres du 
comité de stratégie navale. 



SAMPSON CONTRE CERVERA. 18t 

Deux projets principa.iix étaient discutés dans cette coii'^ 
féréncé : le premier consistait à échouer des navire^ hor» 
de service dans le goulot, de manière à bloquer matén 
riellement l'amiral Cervera ; l'autre était de débarquer à 
quelque distance de Santiago des troupes avec de Tartil-* 
lerie qui irait se mettre e^ batterie sur les hauteurs com* 
mandant la baie et, par son feu, obligerait les navires 
espagnols à sortir de leur abri. Les flottes combinée^. 
Sampson et Schley les happeraient au passage. 

Pour l'exécution de ce second plan, on aurait recours à 
la coopération des troupes de Calixto Garcia, qui avait 
établi son quartier général à 16 lieues de Santiago et dis- 
posait d'une dizaine de mille hommes. 

A Madrid, M. Sagasta affirmait avec sérénité qu'une 
bataille navale dans les eawx de Cuba était improbable. 
La flotte Cervera, ajoutait-il, resterai à Santiago de Cuba 
tant que cela lui sera nécessaire pour faire du charbon et 
remettre ses navires en état, conformément à un plan bien 
défini et approuvé par les autorités maritimes. 

Et le président du conseil se déclarait convaincu que 
les Américains n'oseraient pas attaquer Santiago, où ils 
se trouveraient en présence d'une flotte et de fortifications 
bien difl'érentes de celles qu'ils avaient en face d'eux à 
Manille. « Si les Américains attendent le résultat d'un 
combat naval pour envahir Cuba, avait dit en terminant 
M. Sagasta, il leur faudra une dose de patience considé- 
rable. » 

Tel n'était pas cependant l'avis de M. Mac Kinley, qui 
pressait l'organisation en Floride du corps de débarque- 
ment et n'attendait que l'occasion favorable pour donner 
au général Miles l'ordre de départ. 

Le 30 mai, enfin, le département de la marine à Was- 
hington fut avisé officiellement par le commodore Schley 
de la présence de l'escadre Cervera dans la baie de San^ 
tiago. 

Plusieurs versions circulèrent à ce sujet. L'une disait 



182 CHAPITRE XI. 

que le commodore avait tendu un piège à son adversaire 
en feignant de lever le blocus dans la nuit du 29. L'amiral 
espagnol était tombé dans le panneau. A peine les navires 
américains avaient-ils disparu dans la direction de Cien* 
fuegos que deux croiseurs et deux torpilleurs espagnols 
avaient franchi le goulet ; mais Tescadre américaine, appa- 
raissant subitement, les avait fait rentrer brusquement 
dans la baie. 

On racontait aussi que le capitaine Sigsbee, Tancien 
commandant du Maine, monté sur le croiseur auxiliaire 
Saini'Patily avait pu s'approcher suffisamment de la côte 
pour constater la présence des navires espagnols. 

Enfin, suivant quelques-uns, les insurgés de Garcia 
auraient apporté la nouvelle au commodore Schley, l'avi- 
sant en même temps qu'ils étaient prêts à coopérer à l'at- 
taque de Santiago. 

Quelle.que fût la manière dont les Américains avaient 
appris la nouvelle, elle était à présent certaine. L'es- 
cadre du Cap-Vert était là; il ne fallait point la laisser 
échapper. 

En même temps que le commodore Schley recevait des 
instructions dans ce sens, l'ordre d'embarquer une partie 
du corps expéditionnaire de Floride était adressé au géné- 
ral Miles, commandant en chef, et au général Shafter, 
commandant l 'avant-garde. Celle-ci était forte d'environ 
4,000 hommes. C'étaient les premières troupes qui allaient 
débarquer à Cuba; car les 450 hommes du chef Lacret, 
qui avaient quitté Tampa la semaine précédente pour 
débarquer à Batabano, dans la baie de Broa, constituaient 
la légion cubaine et ne faisaient point partie de l'armée 
régulière. 

Le petit corps expéditionnaire du général Shafter se 
composait de régiments de l'armée permanente et de régi- 
ments de volontaires pris parmi les plus exercés. 
* On pensait que la destination de cette première expédi- 
tion serait Santiago de Cuba. Mais on n'était pas encore 



Il 



n 



183 

E Lchetés qu'en 

1 devait escor- 
I t. 




-^ 



184 CHAPITRE XI. 



conditions climatériques de Cuba où, disait-on, la mau- 
vaise hygiène des centres populeux est seule dangereuse. 
Quant aux pluies, on ne s'en préoccupait pas; non plus 
que de la fièvre jaune. Celle-ci, cependant, avait tait son 
apparition dans les troupes espagnoles. 

Le 31 mai, le commodore Schley, désireux de recon- 
naître remplacement des batteries qui défendaient l'entrée 
de la baie de Santiago, vint s'embosser à bonne portée de 
la côte et ouvrit le feu à deux heures de Taprès-midi. Les 
b&timents qui prirent part au combat étaient au nombre 
de sept, parmi lesquels le Brooklyriy le Marblehead, le 
Massachmetts et Vlowa. 

Le commodore avait arboré son pavillon sur le Massa- 
chusetts. 

Ces navires concentrèrent leur tir sur le fort du Morro 
et les batteries dont les parapets se profilaient sur le 
ciel, en arrière des collines qui bordent la baie. 

Des navires de faible tirant d'eau s'approchèrent du 
rivage et cherchèrent à désorganiser la batterie de mor- 
tiers établie au pied du fort de Morro. 

Bientôt le croiseur Harward rallia l'escadre du commo- 
dore ; mais s'étant aventuré trop près de la côte, ce 
navire fut atteint par un obus qui lui causa de très 
sérieuses avaries. 

D'après le rapport du commodore, le fort du Morro et 
les batteries de la côte furent bouleversés par les projec- 
tiles de gros calibre tirés de la flotte. Les navires amé- 
ricains reçurent quelques obus du cuirassé espagnol 
Cristobal'Colomb qui, sous les ordres directs de l'amiral 
Cervera, s'était avancé jusqu'à l'entrée de la baie et croisait 
ses feux avec ceux du Morro. 

Le commodore ne fit d'ailleurs aucune tentative pour 
forcer le passage. A quatre heures, il cessait son feu et 
reprenait son mouillage de blocus hors de portée des 
projectiles ennemis. 

Les Espagnols transforiaèrent' en victoire cette recon-. 



SAMPSON CONTRE CERVÊRA. 188 

naissance qui fit en réalité plus de bruit que de mal. 
L*amiral Manterola, commandant la marine à la Havane, 
télégraphia à Madrid : « L'escadre américaine, commandée 
par le commodore Schley et composée de grands cuirassés 
et de croiseurs, a attaqué les fortifications de Feutrée de 
la baie de Santiago. Notre croiseur cuirassé Cristobal- 
Colomb^ sur lequel Tamiral Cervera a arboré son pavillon, 
fermant l'entrée du port et appuyé par le feu des forts, 
a repoussé Tattaque en causant des avaries à l'ennemi. » 

Une dépèche, chatouillant plus agréablement encore 
l'amour-propre national, parvint le lendemain en Espagne. 
Elle s'exprimait ainsi : 

« La flotte américaine, composée du lowa^ du Massa- 
chusetts^ du Brooklyn^ du Texas, du New-Orleans? du 
Marblehead, du Minneapolis et de six petits navires, a pris 
position le 31 mai, à l'ouest de l'ouverture du goulet de 
Santiago. 

« Les cinq premiers vaisseaux ont ouvert le feu. Le 
croiseur espagnol Cristobal-Colomb s'était embossé à 
Punta-Agorda et était visible de la pleine mer. Le croiseur 
et les batteries de Punta-Agorda, du fort Morro et de la 
Socapa, ripostèrent au feu de la flotte américaine qui 
lança 70 projectiles sans causerie moindre dommage. 

(( Le bombardement dura quatre-vingt-dix minutes. 

w La flotte américaine se retira avec un vapeur transat- 
lantique avarié. Deux obus ont fait explosion sur Tarrière 
du lowa. Le feu aurait éclaté à bord d'un autre vaisseau 
de guerre. 

« Plusieurs projectiles sont tombés dans le port près 
des vaisseaux de guerre espagnols. 

(( Un grand enthousiasme règne à Santiago. » 

L'enthousiasme régna également à Madrid et dans toute 
l'Espagne, où l'on s'imagina volontiers qu'un seul cui- 
rassé espagnol, le Cristobal-Colomb y avait mis en déroute 
toute l'escadre américaine. 

On était loin de compte, comme nous le verrons bientôt. 



186 CHAPITRE XI. 

Néanmoins, le sénat espagnol chargea le ministre des 
colonies de transmettre ses félicitations à l'amiral Cer- 
vera. 

Un événement plus important vint quelques jours après 
détourner Tattention. 

Le 4 juin, la nouvelle arriva en Europe que le navire 
Merrimac de Tescadre américaine avait été coulé au milieu 
de la baie de Santiago. 

Il a été dit et écrit tant de choses sur cet incident de 
guerre qu'il est difficile déjuger d'ores et déjà dans quel 
camp se trouve le moins d'exagération ; aussi, croyons- 
nous intéressant de donner impartialement la version 
espagnole aussi bien que la version américaine. 

Voici d'abord le rapport officiel espagnol : 

(( Le 3 juin, à trois heures et demie du matin, un grand 
cuirassé ennemi et un croiseur auxiliaire tentèrent de 
forcer le port de Santiago. Mais ils furent surpris par les 
éclaireurs qui gardent l'entrée du port. 

« L'artillerie du fort Morro et le croiseur espagnol 
Reina-Mercedès, une batterie de ce dernier croiseur placée 
au fort Socapa, des contre-torpilleurs et la station de tor- 
pilles ouvrirent alors le feu contre l'ennemi. 

« Le croiseur américain Merrimac fut coulé par nos 
navires et par nos torpilles, et le grand cuirassé américain 
fut repoussé. 

« L'entrée du canal reste libre. 

(( Les prisonniers américains ont été embarqués à bord 
du Reina-Mercedès ; ce sont : un lieutenant de vaisseau et 
sept marins du croiseur américain coulé. 

« On ignore le sort du reste de l'équipage. 

« Nous n'avons eu ni pertes ni avaries. » 

Cette dépêche ajoute que vingt navires étaient en face 
de Santiago. En effet, l'amiral Sampson avec son escadre 
venait de faire sa jonction avec celle du commodore Schley, 

La relation officielle américaine était toute autre ; qu'on, 
en juge V 






SAMPSON CONTRE CERVERA. 187 

Voici ce que télégraphiait Famiral Sampson : 

« J'ai réussi le 3 juin à couler le Merrimac dans le 
chenal de Santiago. L'opération a été efifectuée avec une 
grande bravoure par sept marins commandés par l'ingé- 
nieur-constructeur de la marine flobson. 

« L'amiral Cervera, rendant hommage à la bravoure 
des marins, a envoyé un parlementaire pour me dire que 
tous étaient prisonniers de guerre et que deux étaient 
légèrement blessés. 

(( Je demande la permission d'échanger si possible ces 
prisonniers contre les prisonniers de VAdela (petit navire 
capturé précédemment). 

« Il y a dans le port de Santiago six vaisseaux inca- 
pables d'échapper à la capture et à la destruction. » 

Le Merrimac était un vieux bâtiment hors de service 
que l'on avait chargé de ferraille ; il ne fut nullement tor- 
l^illé, mais coulé par les marins qui le montaient. 

Ceux-ci, leur œuvre accomplie, se jetèrent dans une 
barque et, ne pouvant songer à s'échapper, se livrèrent 
aux Espagnols. 

Néanmoins, il fallait dramatiser l'événement, et surtout 
le présenter comme un gros succès au peuple espagnol ; 
voici de quelle manière on apprit en Espagne la destruc- 
tion du Merrimac : 

« L'escadre yankee, composée de vingt navires sous le 
commandement du commodore Schley, s'est décidée à 
forcer l'entrée du canal conduisant à la baie de San- 
tiago. 

« L'amiral Cervera, prévoyant l'attaque, avait placé près 
du goulet les destroyers Furor et Pluton. Quelques cha- 
loupes armées de canons exerçaient une active surveil- 
lance. 

« Le transatlantique américain Merrimac^ suivi d'un 
cuirassé, essaya de pénétrer dans le canal, mais les deux 
destroyers espagnols s'approchèrent du navire et lui 
tirèrent deux torpilles. Le navire a coulé immédiatement. 




188 CHAPITRE XI. 

L'amiral Cervera, qui dirigeait lui-même les opérations, 
ordonna aussitôt de mettre les chaloupes à la mer. Lui- 
même monta dans une chaloupe et sauva sept personnes. 
On croit que le reste de Téquipage a péri. 

« Les prisonniers ont été Tobjet des plus grands égards. 
Ils sont gardés à bord du croiseur Reina-Mercedès, 

« Le cuirassé qui suivait le Merrimac essaya de conti- 
nuer sa route, mais une canonnade des' navires et des 
forts espagnols l'obligea à battre en retraite. On assure 
qu'il a reçu de graves avaries. » 

Au reçu de cette dépêche, la reine régente ordonna 
d'envoyer un télégramme de félicitations aux défenseurs 
de Santiago. 

Il est vrai que de son côté, et avec plus de raison peut- 
être, le département d'État à Washington et le président 
Mac Kinley adressaient leurs éloges aux marins de l'amiral 
Cervera. Le président recommandait tout particulièrement 
au Congrès le lieutenant Hobson qui avait dirigé la des- 
truction du Merrimac ; Hobson était promu capitaine, et 
des promotions, des médailles et des dons en argent 
étaient la récompense de son vaillant équipage. Celui-ci 
se composait, affirmait-on, de deux Américains, deux 
Irlandais, un Allemand et un Français du nom de Georges 
Charetie. 

L'épave du Merrimac gênait, il est vrai, la circulation ; 
mais d'après l'amiral Sampson lui-même, elle ne l'inter- 
ceptait pas complètement. 

Il eût fallu pour cela couler un autre navire dans la 
passe, mais alors les Américains eux-mêmes se seraient 
interdit la possibilité de pénétrer dans le chenal, opéra- 
tion qu'ils avaient bien l'intention de tenter. 

Le 6 juin, le bombardement de Santiago recommença. 
Il faisait un brouillard intense et une forte pluie tombait. 
Dix navires américains s'approchèrent de la côte et ouvri- 
rent le feu. 

A ce moment, on aperçut le vaisseau espagnol Reina- 



r*7 



SAMPSON CONTRE CERVERA. '489 

Mercedes qui, profitant de la fumée, cherchait à faire 
sauter Tépave du Merrimàc. 

\jOregon dirigea aussitôt son feu sur le navire espa- 
gnol, qui, ayant subi de fortes avariés et perdu plusieurs 
hommes, dut abandonner son entreprise. 

Le Brooklyn et le Texas réduisirent bientôt au silence 
les batteries des forts. Le feu se déclara dans le fort de 
FEstrella, qui cessa de tirer. 

Le New 'York et le New -Orléans avaient pris pour 
objectif le fort Castro, qui fut bouleversé de fond en 
comble. 

Ail heures, le feu cessa de part et d'autre. L'escadre 
américaine avait tiré ISOO projectiles, qui, de l'aveu 
même des Espagnols, firent au Morro et dans les batte- 
ries annexes des ravages considérables et tuèrent ou bles- 
sèrent un grand nombre de soldats et plusieurs officiers. 

Le 7 juin, les Américains dirigèrent une attaque contre 
la baie de Guantanamo et le petit port de Gaimanera, qui 
avaient déjà fait Tobjet d'une tentative quelques semaines 
auparavant. Deux navires de guerre, le Marblehead et 
VOregon^ bombardèrent les ouvrages qui défendent la baie 
et la ville de Caimanera et coupèrent le câble reliant Cuba 
à Haïti, qui atterrit non loin de Guantanamo. Une canon- 
nière espagnole, qui croisait dans la rade extérieure, fut 
obligée de se réfugier dans le port intérieur, et le Mar- 
blehead reçut Tordre de bloquer l'entrée, de la surveiller 
étroitement, tandis que le Panther et le Josemite s'appro- 
chaient de la terre pour y débarquer un détachement de 
fusiliers-marins. 

Celui-ci, fort d'une soixantaine d'hommes, sous les 
ordres du capitaine Gordfell, sauta à terre et gagna du 
terrain en avant, protégé par les feux de l'escadre, qui 
tenait à distance un régiment espagnol et le forçait bientôt 
à battre en retraite. 

Bientôt le Dolphin et le Vixen rallièrent l'escadre, ame- 
nant, eux aussi, des troupes et du matériel. 






190 



CHAPITRE XI. 



Des canots à vapeur furent mis à Teau pour remorquer 
à terre les baleinières chargées de marins. 

Ceux-ci, sous le commandement du colonel Huntington, 
gagnèrent lestement les hauteurs voisines, où, après avoir 
choisi remplacement du camp, ils hissèrent le drapeau 
américain en poussant des hourrahs; puis ils commen- 
cèrent à se retrancher sans s*inquiéter de quelques mil- 
liers de soldats espagnols embusqués à deux kilomètres 
de là, mais tenus en respect par la puissante artillerie de 
VOregon et du Marblehead. Ce n'était, d^ailleurs, que grâce 
à elle que les 800 fusiliers-marins du colonel Huntington 
pouvaient espérer se maintenir à terre. Le général espa- 
gnol Pareja disposait en effet d'une brigade dinfanterie 
d'au moins 4,000 hommes et avait son quartier général à 
Santa-Catalina, à quelques lieues à peine de Guantanamo. 

D'autre part, le général Pando, commandant supérieur 
à Santiago, avait sous ses ordres 9,000 réguliers et 11,S00 
volontaires, et si Ton observe qu'entre Santiago et Caima- 
nera il n'y a guère plus de 60 à 70 kilomètres, on estimera 
qu'il devait tarder au détachement d'extrême avant-garde 
de voir arriver bientôt le gros du corps de débarquement. 

L'amiral Sampson insistait vivement pour que Ton en- 
treprit enfin des opérations décisives contre Santiago. 
Dans une lettre adressée à M. Mac Kinley, il protestait 
contre toutes les lenteurs apportées à la mise en route de 
l'armée de terre. Il se plaignait aussi d'avoir été obligé de 
bombarder San-Juan de Porto-Rico; cette affaire avait 
coûté inutilement plus d'un million en projectiles et en 
charbon. 

Le bombardement de Santiago, disait-il, avait été éga- 
lement prématuré ; les Espagnols avaient eu le temps de 
rétablir leurs batteries et d'y monter les gros canons de 
l'escadre de l'amiral Cervera. 

Enfin, l'amiral américain déclarait que si le corps de 
débarquement ne se mettait pas immédiatement en route, 
il se verrait obligé de donner aux insurgés des pièces de 



Y. 



SAMPSON CONTRE CERVERA. 191 

petit calibre et de tenter avec son infanterie de marine, 
insuffisante, un coup de main contre Santiago. 

Il n*eut pas besoin de recourir à cette extrémité. Un 
télégramme du département de la guerre de Washington 
lui annonçait, en effet, que le général Shafter, à la tête de 
son corps expéditionnaire, fort de 773 officiers et 14,S64 
hommes, venait de quitter Key-West. La petite armée 
était embarquée sur trente-deux transports, escortés par 
seize navires de guerre. 

Sauf deux régiments de volontaires du Massachusetts, 
et des roughs-riders ou chevau-légers de M. Rooseveet, le 
corps .expéditionnaire ne comprenait que des régiments 
réguliers. 

On estimait que le corps du général Shafter pourrait 
effectuer son débarquement vers le milieu du mois de 
juin. 

La situation de l'avant-garde du colonel Huntington 
était d*ailleurs assez critique. Le petit détachement était 
Tobjet d'incessantes attaques de la part des Espagnols et 
aurait été anéanti sans la protection des canons des navires 
américains. L'amiral Sampson avait dû débarquer de nou- 
velles troupes pour renforcer et relever certaines fractions 
épuisées par des escarmouches, qui ne leur laissaient pas 
un instant de repos, ni jour ni nuit. Il avait mis également 
à terre quelques pièces légères, que Ton avait couvertes 
par des épaulements en terre. 

Du côté des Espagnols, le général Pando se multipliait, 
parcourant sans relâche la côte cubaine pour y organiser 
la résistance. 

D'après des renseignements fournis par les chefs insur- 
gés Garcia et Sanguily, les forces espagnoles de Santiago 
avaient été réparties de la manière suivante : 

iO,0()0 hommes, commandés par le général Linarés, 
défendaient la ville ; 

8,000, sous les ordres du général Luque, étaient éche- 
lonnés de Guantanamo à Santiago, avec de l'artillerie 



> -.' 



192 CHAPITRE XI. 

légère et des pièces de montagne. Ce détachement, dont 
le quartier générai était à Miguel, avait pour mission de 
donner la main aux troupes du général Linarés pour em- 
pêcher Toffensive des Américains à Caimanera ou pour 
repousser un débarquement éventuel à Baiquiri ou à 
Aguadores ; 

Enfin, le général Pando, avec la réserve générale, avait 
pris position entre Cobre et Ganta, au nord-ouest de San- 
tiago, le long de la voie ferrée qui dessert les mines de 
cuivre. 

Du côté des insurgés, Calixto Garcia avait quitté son 
quartier général de Bayamo, et, après s'être abondam- 
ment pourvu d'armes, de munitions et d'approvisionne- 
ments aux navires qui avaient amené de Floride Texpédi- 
tion Lacret, il se rapprochait de Santiago. 

Quant à Tescadre Sampson, elle avait complété ses 
soutes sans quitter le blocus, grâce à onze navires mar- 
chands expédiés de Tampa et de Key-West. En attendant 
l'arrivée du général Shafter et de ses troupes, les navires 
de l'amiral ne restaient pas inactifs. 

G'est ainsi que le i4 juin trois d'entre eux avaient ca- 
nonné des batteries en construction devant Santiago. Le 
fort du Morro et celui de Socapa avaient riposté, mais 
isans atteindre les navires. 

Le lendemain, les navires américains Texas^ Marble- 
head et Swanhee détruisent les ouvrages de Gaimanera, 
que les Espagnols avaient cherché à reconstruire. Le bom- 
bardement durait une heure et demie. Enfin, le 16 juin, 
le bombardement de Santiago reprenait pour la troisième 
fois. 

Le feu était dirigé principalement contre les batteries 
qui défendent Tentrée du port. Des ordres avaient été 
donnés afin qu'on évitât d'atteindre le fort Morro, où Ton 
savait enfermés le lieutenant Hobson et Téquipage du 
Mèrrimac. 

Les Espagnols ripostèrent tout d^abord vigoureusement, 



SAMPSON CONTRE CERVERA. 193 

mais leur feu diminua graduellement d'intensité jusqu'au 
moment où leurs canons furent réduits au silence. 

Les batteries ouest avaient été détruites en moins d'un 
quart d'heure ; mais les batteries situées à l'est du Morro, 
qui offraient un but moins visible, opposèrent une plus 
longue résistance. 

Cinq mille obus avaient été lancés par la flotte améri- 
caine, qui était déployée en croissant, à trois mille mètres 
du rivage, les gros navires au centre, le New-Tork à 
l'aile droite, le Massachusetts à Vaile gauche. 

Chaque navire était séparé de son voisin par un inter- 
valle de 600 mètres. 

D'après les rapports américains, la canoanière à dyna- 
mite Vesuvius avait fait merveille. 

Trois obus, iîhargés chacun de 250 livres de coton- 
ppudre, auraient produit dans la baie et sur l'île Cayo- 
Smith des dégâts considérables. 

Un magasin à poudre, canonné par le Texas, faisait 
explosion. 

Enfin, à six heures trente du matin, l'ordre était donné 
de cesser le feu. Il avait duré six heures. Aucun navire 
américain n'aurait été atteint par les projectiles du rivage. 

Les rapports espagnols, au contraire, affirmaient que 
l'escadre ennemie avait subi de grosses avaries, et que 
l'amiral Sampson avait obtenu, par ce bombardement, un 
résultat quasi négatif. 

Néanmoins, les dépêches officielles trahissaient une 
certaine inquiétude. On avait acquis la certitude qu'un 
puissant corps expéditionnaire était en route et ne tarde- 
rait pas à débarquer, en un point encore tenu secret, sur 
la côte méridionale de Cuba; 



13 



CHAPITRE XII 



OPÉRATIONS CONTRE SANTIAGO 



Le corps expéditionnaire à Santiago. — Un conseil de guerre. — Les points 
de débarquement. — A terre. — Le « Yankee dodle ». — Le rapport dn 
général Linarés. — Le chef insurgé Jésus Babi. — L'organisation du camp. 

— Dispositif de l'escadre espagnole. — Composition des troupes d'investisse- 
ment. — Les roughs-riders. — L'avant-garde du général Lawton. — L'en- 
gagement de Jaragua. — L'escadre Gamara à Suez. — Pas de charbon. — 
Le passage du Rio-Guama. — Les généraux Pando et Pareja. — L'escadre 
du Commodore Howell. — Proclamation du président Mac Kinley. — L'exten- 
sion du blocus de Cuba. — l<a revue de Jaragua. — Les conduites d'eau de 
Santiago. — Le commandement des lignes d'investissement. — Les débuts 
de la bataille. — La prise d'El Caney. — Contre le Morro. — Les pertes. 

— Blessure du général Linarés. — Le général Toral. — Un cadeau de fête. 

— Destruction de l'escadre espagnole. 



Le 20 juin 1898, le corps expéditionnaire du général 
Shafter arriva dans les eaux de Santiago de Cuba. La 
flottille mouilla à quinze milles au large, sous la protec- 
tion de l'escadre de l'amiral Sampson, en attendant que 
toutes les dispositions fussent arrêtées, en vue d'un débar- 
quement. 

Un conseil de guerre, auquel assistèrent les officiers 
généraux de terre et de mer de l'armée américaine, ainsi 
que Calixto Garcia, chef des bandes insurgées devant San- 
tiago, fut immédiatement réuni sur le vaisseau-amiral. Il 
y fut arrêté que le débarquement s'opérerait dans deux ou 
trois jours, sur un des points de Guantanamo, d*Asserra- 
deros ou de Baiquiri, choisi d'après le résultat des recon- 
naissances envoyées vers ces points. 

Celles-ci rentrèrent dans la matinée du 21, et le point 
de Baiquiri fut définitivement arrêté. 

Baiquiri est un petit port de la côte sud de Cuba, situé 



- » 



. OPÉRATIONS CONTRE SANTIAGO. 195 

à 17 milles à Test de Santiago. Il existe en ce point un 
quai de débarquement en fer, établi par les compagnies, 
en majeure partie américaines, qui exploitent les minerais 
de fer de cette région. 

L'opération commença le 22 juin, à neuf heures du 
matin. 

Au signal, parti du vaisseau-amiral, la flotte améri- 
caine commença à canonner les collines qui entourent le 
village de Jaragua, à une distance de six milles. En même 
temps, des vapeurs, remorquant une multitude de bateaux 
vides, commençaient à circuler parmi les transports, 
embarquant peu à peu les troupes. 

A neuf heures quarante-cinq, des éclaireurs cubains 
apparurent à Touest de Baiquiri, et aussitôt le New-Or- 
leans, le Machias, le Détroit, le Suwanee et le Wasp 
ouvrirent le feu sur le pays s'étendant au-dessus de la 
côte où le débarquement allait s'effectuer. 

Pendant le premier quart d'heure, quarante-cinq obus 
de gros calibre, et de nombreuses salves de canons à tir 
rapide, furent envoyés dans la brousse, sans que les Espa- 
gnols répondissent par un seul coup de canon. 

A neuf heures cinquante, les premiers bateaux, empor- 
tant des détachements des 1", 8®, 12* et 25^ régiments 
d'infanterie, se dirigeaient vers la côte. 

A dix heures dix, une immense acclamation parvenait 
de terre aux navires et se propageait de bâtiment en bâti- 
ment, annonçant à toute l'escadre que l'armée américaine 
avait commencé à atterrir sur le sol cubain. C'est un 
détachement du 8® d'infanterie qui avait le premier abordé 
dans l'Ile. 

L'opération s'efiectua sans incidents et sans perte 
d'hommes. • 

Dès que les premières troupes eurent débarqué, elles 
se couvrirent par des avant-postes, et établirent leur camp 
sans être inquiétées. 

Un détachement de cavalerie cubaine, qui s'était tenu 



196 CHAPITRE XII. 

à couvert depuis le début de Topera tion, surgit alors et 
vint fraterniser avec les soldats américains. On informa 
les habitants que le moment du danger était passé ; peu 
à peu, des femmes et des enfants de couleur, se sachant 
désormais à Tabri, furent aperçus çà et là. 

Un nouveau détachement fut débarqué à dix heures 
trente. A midi, il y avait trois mille hommes à terre. 
Chaque fois qu'une fraction de troupe débarquait, la 
musique jouait le « Yankee dodle ». 

A la fin de la journée, une grande partie du corps du 
général Shafter campait devant Baiquiri; et le débarque- 
ment des grosses pièces avait commencé. 

Voici comment le général Linarés, commandant la 
place de Santiago, rendait compte, au gouvernement espa- 
gnol, de l'opération exécutée par les Américains : 

« L'attaque générale, par l'escadre américaine, a duré 
de huit heures du matin à trois heures de l'après-midi ; 
elle a été rude et s'est prolongée jusqu'à la nuit tombante, 
dans la baie de Siboney et à Baiquiri. Elle a été repoussée 
sur toute la ligne, excepté à l'extrême gauche de Baiquiri, 
qui dut céder au mouvement tournant et enveloppant 
exécuté sur terre par les forces américaines débarquées 
à neuf kilomètres à l'est de Baiquiri, au delà de nos 
lignes. 

« Nos forces se replièrent en bon ordre sur les monta- 
gnes. Tous les édifices de Siboney et de Baiquiri ont été 
détruits par les obus ennemis. On manque de détails, 
parce que les lignes téléphoniques sont interrompues. » 
Plus laconique et plus pessimiste était le télégramme 
expédié par l'amiral Cervera ; le voici : k L'ennemi a 
débarqué à la Punta-Berraco; comme la question doit être 
résolue à terre, je vais débarquer les équipages de Fes- 
cadre. La situation est très critique. » 

En réalité, l'opération de débarquement parait s'être 
exécutée sans résistance sérieuse des Espagnols. 
L'amiral Sampson écrivait, en eflfet, au gouvernement 



OPÉRATIONS CONTRE SANTIAGO. 191 

de Washington, le 23 juin : « Le débarquement de l'ar- 
mée se poursuit favorablement, avec une résistance très 
faible, pour ne pas dire nulle. Le New-Orleans ,le Detroity 
le Castine, le Wasp^ le SuwaneCj ont criblé de projectiles 
les alentours du point de débarquement. 

a Nous avons fait une démonstration à Gabanas, pour 
attirer l'attention de Tennemi. Le Texas a échangé une 
canonnade avec une batterie de Touest, et a eu un homme 
tué. Dix mines sous-marines ont été enlevées dans le 
chenal de Guantanamo. » 

En résumé, il résultait de ces dépèches, et de divers 
renseignements parvenus en Europe à la même époque^ 
que l'armée du général Schafter avait réussi le débar- 
quement, non pas en forçant les lignes espagnoles qui 
s'étendent de chaque côté de la place de Santiago, 
mais en tournant l'extrémité de leur flanc gauche, h 
l'est. 

C'est ce qui explique que les Américains n'aient ren- 
contré, pour ainsi dire, aucune résistance. 

Les Espagnols, dans l'impossibilité de garnir toute une 
étendue de côtes aussi longue, ont dû concentrer leurs 
forces dans une certaine limite, à l'est et à l'ouest de San- 
tiago, tout le littoral de chaque côté étant menacé par des 
bombardements simultanés de toute l'escadre américaine : 
à Gabanas, à l'ouest, où le chef insurgé Jésus Rabi opérait 
en même temps une attaque par terre, puis à l'est, à 
Aguadores, à Julici et à Jaragua. 

L'escadre de l'amiral Sampson s'étendait sur une ligne 
de 32 kilomètres, pour opérer ces diversions destinées à 
tromper les Espagnols. 

L'amiral en personne dirigeait les opérations à Baiqùiri, 
tandis que le commodore Schley gardait l'entrée du goulet 
de Santiago, au cas d'une tentative de sortie de l'amiral 
Cervera. 

Quatre navires de l'escadre Sampson avaient, d'autre 
part, été détachés pour surveiller la côte méridionale de 



1 



198 CHAPITRE XII. 

Cuba, entre le cap Cruz et l'Ile des Pins, afin de capturer 
les navires qui tenteraient de forcer le blocus. 

Dans le camp américain, on s^organisait en vue de la 
marche prochaine sur Santiago. 

D'après les renseignements fournis par les insurgés à 
Fétat-major américain, cette ville était fortement défendue 
du c6té de la terre. 

Dans la baie, l'amiral Cervera avait disposé son escadre 
en cercle, autour de la petite lie et du fort, à mi-chemin 
de l'entrée du goulet et de la ville. 

Les canons de bâbord du Colon et ceux de tribord du 
Vncaya commandaient le goulet. 

Les navires étaient en bon état, mais les torpilleurs se 
trouvaient momentanément hors d'usage. 

L'escadre avait été approvisionnée de charbon pour 
quinze jours. 

A Porto-Rico, un croiseur américain s'était présenté 
devant le port, le croiseur espagnol Isabelia, une canon- 
nière et le contre-torpilleur Terror^ s'étaient portés à sa 
rencontre, l'avaient canonné et forcé à gagner le large, 
puis étaient rentrés au mouillage de San-Juan. 

Avant d'entamer le récit des opérations contre Santiago, 
jetons un coup d'œil sur la composition du corps expédi- 
tionnaire du général Shafter. La voici, d'après le New- 
York Herald y à la date du 25 juin : 

A l'état-major général : le général Shafler, commandant 
en chef; le major général Wheeler (député de l'Alabama, 
ancien général de cavalerie confédérée), commandant la 
cavalerie ; les brigadiers généraux Kent, Hawkins Sum- 
ner, Bates,Young, Chaffee et Lawton, ce dernier comman- 
dant l'avant-garde ; le major général Breckinridge (in- 
specteur de l'armée régulière) , remplissant les fonctions 
d'officier inspecteur; enfin, le brigadier général Ludlow 
(de l'armée régulière), commandant le génie. 

L'armée comprend 773 officiers et 14,364 hommes, en 
presque totalité réguliers. 



OPÉRATIONS CONTRE SANTIAGO. 499 

L'infanterie se compose de 17 régiments de réguliers et 
d'un régiment de volontaires; au total, S61 officiers et 
10,709 hommes. 

La cavalerie compte 2 escadrons de réguliers non mon- 
tés et 2 escadrons du 1®' régiment de volontaires des 
États-Unis, également à pied, soit 159 officiers et 2,875 
hommes, parmi lesquels les roughs-riders, commandés par 
le colonel Wood et le lieutenant-colonel Roosevelt, et qui 
ont dû se résigner à abandonner leurs montures à cause 
de la difficulté d'embarquer des chevaux à bord des trans- 
ports. 

Us ont été transformés en artilleurs. 

Il n'y a comme cavalerie montée qu'un seul escadron, 
comprenant 9 officiers et 280 hommes. 

L'artillerie se compose de quatre batteries légères et 
de deux batteries de siège, avec 18 officiers et 455 hommes. 

Le génie comprend deux compagnies, avec 9 officiers et 
200 hommes. 

Enfin, un détachement de télégraphistes est composé 
de 2 officiers et 45 hommes. 

En outre, 4,000 insurgés de l'armée de Calixto Garcia 
ont été embarqués sur les transports, à Asserraderos, 
pour être transportés à Altarés, près Baiquiri, où, avec 
les 1200 hommes du chef Castillo, ils vont coopérer, avec 
les Américains, dans la marche sur Santiago. 

Le général Shafter a reçu l'ordre de renvoyer ses trans- 
ports à Tampa, où se concentrent les renforts destinés à 
son armée et à l'expédition prochaine de Porto-Rico. 

Lorsque les Espagnols eurent constaté l'impossibilité 
de s'opposer au débarquement des Américains, ils se 
replièrent sur Santiago, où, appuyés par les canons de 
l'amiral Cervera, et hors de la portée de ceux de l'amiral 
Sampson, ils espéraient tenir tète à l'ennemi. 

Leur aile gauche battit en retraite, en livrant une série 
de petits combats isolés, cherchant à retarder l'avant- 
garde ennemie, que commandait le général Lawton, 



20Q CHAPITRE XII. 

Celle-ci arriva bientôt à Jaragua, à 10 kilomètres de 
Santiago, et hissa le pavillon américain. 

Le vendredi 24 juin, les roughs-riders et les pelotons à 
pied de la cavalerie américaine, soit un millier d'hommes, 
attaquèrent un détachement de 2,000 Espagnols, déployé 
dans la brousse, à 5 milles de Santiago. Ceux-ci durent 
battre en retraite, jusque sous les canons de la ville. 

Les Américains avaient perdu, dans cet engagement, 
43 morts et 50 blessés, dont 6 officiers. 

Sur mer, les cuirassés Texas, Massachusetts et Oregon 
continuaient à bombarder les batteries de la côte. 

Le Marblehead balayait le rivage, aux environs de la 
baie de Guantanamo. 

Les navires légers surveillaient le^ mouvements des 
troupes espagnoles, sur la côte, à une distance de dix 
milles, à Test et à Touest de Santiago. 

Mais, malgré la facilité avec laquelle s'étaient effectués 
le débarquement et la première marche en avant des 
Américains, on s'attendait, à Washington, à une résis- 
tance opiniâtre de la part des défenseurs de Santiago. On 
savait que le général Linarés disposait d'environ 40,000 
soldats, tandis que les forces du général Shafter, jointes 
aux bandes insurgées, ne représentaient pas un effectif 
supérieur à 20,000 hommes. 

On se préoccupait donc beaucoup, dans les sphères 
gouvernementales américaines, de renforcer au plus tôt 
les troupes du général Shafter. 

Une autre question se présentait, au même moment, 
à l'étude du président Mac Kinley et de ses conseillers. 

La fameuse escadre de réserve de l'amiral Camara, 
celle qui, pendant si longtemps, avait dérouté les prévi- 
sions les plus perspicaces, venait d'être signalée au canal 
de Suez, en route, par conséquent, pour l'Asie et les Philip- 
pines. Elle se composait du cuirassé Pelayo^ 9,900 tonnes, 
14 nœuds, 23 canons, d2 canons-revolvers, battant pavillon 
de l'amiral ; du croiseur cuirassé Emperador Carlos F, 



i- I 

»■ 



OPÉRATIONS CONTRE SA'NTIAGO. 201 

9,090 tonnes, 10 nœuds, 28 canons y des croiseurs armés 
(ex-transatlantiques) Patrtota, Buenos-Aires, 5,200 tonnes, 
13 nœuds; Isla-de-Panay, 3,636 tonnes, 13 nœuds; 
Rapido-ei Colon; des contre-torpilleurs Aiidaz, Proser- 
pina et Osado, chacun de 400 tonnes, 30 nœuds, 6 canons, 
2 lance-torpilles ; du transport Covadonga et du charbon- 
nier San-Francisco. 

(]es douze bâtiments comptaient 2,437 hommes d'équi- 
page et 2,147 hommes de troupe. 

Mais, comme à son arrivée en Egypte, cette escadre 
avait besoin de 10,000 tonnes de charbon, et que le gout 
vernement égyptien ne pouvait autoriser le passage du 
canal, dans le cas où elle réclamerait une quantité de 
combustible supérieure à celle qui lui serait nécessaire 
pour regagner le plus prochain port espagnol, soit, en 
l'espèce, Barcelone, on pouvait se demander, avec raison, 
si l'amiral Camara ne serait pas obligé de rebrousser che- 
min, pour toucher aux Baléares, et cingler ensuite vers 
la mer des Antilles. 

Dans ce cas, elle serait rejointe, dans les eaux espa- 
gnoles, par quatre navires qui n'avaient pu appareiller en 
même temps qu'elle. 

Les bien informés d'Amérique affirmaient que M. Mac 
Kinley était décidé à envoyer une flotte sur les côtes 
d'Espagne, afin de terminer plus rapidement les hosti- 
lités ; on ajournerait, s'il était nécessaire, les hostilités 
contre Porto-Rico. 

Et l'on croyait, de Tautre côté de F Atlantique, n'avoir 
pas à se préoccuper de la dernière flotte que l'Epagne 
feignait de vouloir armer, celle-ci composée des vieux 
cuirassés Victoria et Numancia^ des croiseurs LepantOy 
Princesse-des-Asturies, Cardinal-Cisneros, Cataluna^ Al- 
fonso XIII, du monitor Puycerda, du croiseur auxiliaire 
Meteoro, du contre-torpilleur Destructor^ des torpilleurs 
Barcelo et Relamosaj et des transatlantiques armés en 
guerre Léon XIII et Monserrat. 



S02 CHAPITRE XII. 

En effet, quelques-uns de ces bâtiments étaient loin 
d*ètre prêts. La Princesse-des-Asturies demandait encore 
deux mois, le Cardinal -Cisneros un mois, le Lepanto 
quinze jours, pour pouvoir entrer en ligne. 

Et pouvait-on compter que cette force navale serait 
encore prête à temps opportun, pour prendre part aux 
opérations décisives? Tout faisait présager le contraire. 
En attendant, Tescadre Gamara était immobilisée à Port- 
Saïd, par l'impossibilité de se procurer du charbon. 

A la requête du consul américain, le gouvernement 
égyptien avait même prescrit aux autorités du canal de 
Suez d'empêcher l'embarquement des chauffeurs embau- 
chés à Port-Saïd par Tamiral Camara. Celui-ci avait été 
prévenu, par les ministres du khédive, que l'embarque- 
ment des chauffeurs serait une infraction à la loi de neu- 
tralité. 

A Cuba, les Américains avaient dessiné leur mouve- 
ment vers Santiago : sous la protection de l'avant-garde, 
plusieurs batteries de campagne et des canons à tir rapide 
avaient pris position derrière des épaulements construits 
à 1800 mètres des lignes espagnoles et à 8 kilomètres de 
Santiago. 

Dans l'intérieur, les insurgés des provinces orientales 
redoublaient d'activité. Elles voyaient leurs mouvements 
régulièrement facilités par les transports que les Améri- 
cains avaient mis à leur disposition. 

Le général Young, à la tête de l'avant-garde, avait 
dépassé Se villa, et campait sur les bords du Rio-Guama, 
à trois heures à peine de Santiago. Le gros de l'armée 
bivouaquait à Siboney, et le quartier général du général 
Shafter avait quitté Baiquiri, pour s'installer à Jaragua. 

Le 25 juin, deux compagnies américaines avaient 
occupé les positions couvrant le passage du Rio-Guama, 
et trois régiments, commandés par le général Lawton, 
s'étaient installés à Sabanillo. 800 insurgés, de la bande 
Gonzalez, s'étaient joints à la division américaine, qui 



OPÉRATIONS CONTRE SANTIAGO. 203 

avait mis en batterie des pièces de campagne et des 
mitrailleuses Gattling, au sommet d^une colline dominant 
le bassin de Santiago. 

Bien que les lignes américaines fussent à bonne portée 
de canon des lignes espagnoles, pas un coup de canon 
n'avait encore été tiré le 26 juin. Les officiers américains 
comprenaient la difficulté de s'emparer, par un coup de 
main, d'une ville aussi bien fortifiée que Santiago, et 
avaient résolu d'attendre, pour l'attaque, l'arrivée des 
grosses pièces de siège. 

D'autre part, l'état-major américain avait été avisé que 
15,000 espagnols défeudaient les lignes, à deux kilomè- 
de Santiago ; que le général Aldave, avec 4,000 hommes, 
venait de rentrer dans la place, enfin que le général 
Pando avait quitté Manzanillo, avec plusieurs milliers de 
soldats d'élite, pour faire sa jonction avec les troupes du 
général Linarés, commandant de Santiago. 

Et de plus, le général Pareja qui, lors du débarque- 
ment, se trouvait dans le district de Guantanamo, revenait 
à marche forcée sur la capitale, et pouvait tomber inopi- 
nément sur le flanc ou les derrières du corps américain. 

Celui-ci, bien que renforcé par les bandes de Garcia, 
de Castilio, de Gerebro et de Gonzalez, ne pouvait, sans 
témérité, prononcer son oflFensive avant d'avoir reçu les 
renforts que Ton cencentrait à Tampa. 

Quelques mouvements se produisaient, au même mo- 
ment (28 juin), dans l'armée navale américaine. Le com- 
modore Howell, qui protégeait, avec son escadre, les côtes 
de l'Atlantique nord, se rendait devant la Havane, pour 
remplacer Tescadre de blocus de l'amiral Watson. 

Celle-ci, composée du Newark, vaisseau-amiral, des 
cuirassés lowa et Oregon, des croiseurs Yankee, Dixie et 
Yosemùe, et des transports charbonniers Scindia, Afa- 
randa et Alexandra, prenait le nom d'escadre orientale, et 
avait pour mission de menacer les côtes d'Espagne, pour 
forcer l'amiral Camara à rebrousser chemin; car on savait 



^f 



204 CHAPITRE XJI. • 

fort bien à Washington que l'amiral Barrosa, commandant 
Tescadre espagnole en armement, ne pourrait prendre la 
mer avant au moins un mois. 

Pour le moment, l'amiral Sampson et le commodore 
Schley étaient maintenus au blocus de Santiago, et le 
commodore Remey au commandement de la base navale 
de Key-West. 

D autre part, le président Mac Kinley avait lancé une 
proclamation étendant le blocus de Cuba à la c6te méri- 
dionale de nie, depuis le cap Francés jusqu'au cap Gruz, 
ainsi qu'à San-Juan de Porto-Rico, afin d'empêcher le 
ravitaillement des deux lies. 

Les derniers jours de juin furent employés, par les 
Américains, à préparer l'attaque régulière de Santiago, 
que l'on avait reconnu ne pouvoir enlever par un coup de 
main. 

La marche en avant fut, en conséquence, suspendue. 

Le général Shafter passa, à Jaragua, la revue des 
21,000 Américains et Cubains placés sous ses ordres, et 
fit commencer, en ce point, un vaste camp retranché, dans 
lequel se concentrèrent les hôpitaux de campagne et tous 
les services de l'arrière. 

Cependant, les troupes légères, formant l'avant-garde, 
ne restaient pas inactives. Le 27 juin, elles avaient installé 
une forte grand'garde, sur la route de Sabanilla à San-i 
tiago, à moins de trois milles de cette dernière ville. 

Les éclaireurs cubains avaient même poussé un mille 
plus loin, et s'étaient emparé des conduites d'eau appro- 
visionnant la ville. 

Le général Wheeler avait aussitôt envoyé un détache^ 
ment du génie qui avait coupé les conduites sur une lon- 
gueur de plusieurs centaines de mètres, et les avait déri- 
vées vers le camp américain. 

Santiago se trouvait désormais réduite en partie à Teau 
des citernes, et cette eau, d'après les insurgés cubains, 
était de fort mauvaise qualité. 



OPÉRATIONS CONTRE SANTIAGO. 20 



w 



Mais il faut observer que la petite rivière Yarayo des- 
cendant des hauteurs du nord de la ville et plusieurs 
jsources sorties des collines d'El Cobre permettaient encore 
à la garnison et à la population civile de s'alimenter d'eau 
potable. 

Sur la lignée d'investissement, les généraux américains 
s'étaient réparti le commandement de la manière sui- 
vante : Au centre, sur le Rio-Guama, le général Chaflfee ; 
à l'aile gauche, le général Wheeler avec la cavalerie 
montée et démontée ; à l'aile droite, le général Lawton 
avec l'artillerie. Le génie, sous les ordres du général 
Ludlow, était occupé à consolider les routes, transformées 
en fondrières, pour permettre le passage de la grosse 
artillerie et des fourgons de vivres nécessaires pour la 
marche en avant qui semblait imminente. 

Le quartier général du commandant en chef était à 
Siboney. 

Des patrouilles américaines parcouraient tout le pays 
en avant des lignes sans rencontrer de troupes espa- 
gnoles. Celles-ci semblaient s'être terrées derrière leurs 
retranchements et leurs palissades. Leur présence n'était 
signalée que par la construction de tranchées et d'épau- 
lements à Aguadores, la Vigia et Santa-Ursula et la des- 
truction du chemin de fer de Santiago à Aguadores. 

C'est le 1®' juillet que commencèrent les préliminaires 
de l'attaqué contre Santiago. Dans la matinée de ce jour, 
le général Shafter envoyait en effet à M. Alger, secrétaire 
de la guerre à Washington, le télégramme suivant : 

(( L'action est engagée, mais le feu est peu nourri et 
intermittent. Il a été commencé sur la droite, près d*El 
Caney, par la division du général Lawton, qui va s'avan- 
cer vers la partie nord-est de Santiago. » 

Voici, d'après des documents officiels, comment s'en- 
gagea la bataille : 

Elle débuta par une lutte d'artillerie. A sept heures du 
matin, la batterie Capron ouvrit le feu. A sept heures un 



206 CHAPITRE XII. 

quart, la batterie Grims commença à son tour à tirer. Les 
Américains se servaient de poudre ordinaire, de sorte 
que la fumée permit aux Espi(£;nols de régler leur tir. 
Leurs batteries étaient servies par des canonniers de 
Tescadre Cervera. 

Les Espagnols se servaient de poudre sans fumée, ce 
qui rendait le réglage du tir assez difficile pour les Amé- 
ricains. Néanmoins, le feu de ceux-ci était extrêmement 
nourri. 

Lorsqu'il jugea la préparation de Tartillerie suffisante, 
le général Shafter donna le signal de l'attaque. Elle eut 
lieu sur trois [points différents. Les généraux Lawton et 
Wheeler marchèrent sur El Caney, le général K^t prit 
pour objectif Aguadores ; Garcia et ses Cubains tournèrent 
El Caney par le sud>est. Les Espagnols défendaient leurs 
positions avec acharnement ; mais les forces américaines 
et cubaines conquérant le terrain pied à pied, réussirent 
bientôt à s'emparer des ouvrages évacués et à rejeter 
leurs adversaires dans les faubourgs de Santiago. 

Pendant la première partie de la journée, une lutte 
acharnée se déroula autour d'Aguadores, où le général 
Linarés commandait en personne. Les [Espagnols répon- 
daient par un feu furieux aux Américains ; la flotte amé- 
ricaine lançait une pluie de projectiles sur les lignes 
espagnoles. 

L'amiral Sampson envoya le Massachusetts^ le New- 
York^ le Giocesler et le Suwanee attaquer les batteries 
récemment élevées à Test et au sud du Morro. Celles-ci 
furent rapidement ruinées. Les projectiles à la dynamite 
du Vesuvius avaient produit des effets foudroyants. 

A la fin de la journée, les Espagnols avaient reculé sur 
toute la ligne d'investissement. Ils avaient évacué le pla- 
teau de Sevilla et la position d'El Caney. 

Le général Shafter fit aussitôt mettre son artillerie en 
batterie sur les positions conquises, afin de combattre dès 
le lendemain la deuxième ligne de défense des Espagnols. 



OPÉRATIONS CONTRE SANTIAGO. 207 

La division Lawton et une partie des insurgés cubains 
prolongèrent la ligne d'investissement depuis El Caney 
jusqu'à Caimanés. 

2,000 hommes des bandes de Calixto Garcia furent 
embarqués pour Asserraderos à l'ouest de Santiago, afin 
d'opérer contre les renforts espagnols qui accouraient de 
Manzanillo ou pour couper la retraite à la garnison de 
Santiago au cas où le général Linarés tenterait une 
sortie dans cette direction pour faire sa jonction avec 
la colonne de secours que l'on croyait s'avancer vers 
Santiago. 

Les pertes des Américains, accusées par une première 
dépèche du général Shafter, qui parlait de 400 hommes- 
hors de combat, étaient bien au-dessous de la réalité, 
comme le montre un second télégramme du général en 
chef, ainsi conçu : 

« Je crains bien de ne pas avoir donné un chiffre suffi- 
samment élevé comme étant celui des pertes américaines. 
11 faudrait envoyer ici un vaste vaisseau-hôpital parfaite- 
ment équipé. Le chirurgien militaire en chef dit qu'il a 
du travail pour quarante médecins de plus. Le vaisseau- 
hôpital devrait amener une chaloupe et des embarcations 
pour transporter les blessés. » 

Le texte officiel communiqué par le gouvernement de 
Washington ne donne pas le chiffre définitif des pertes 
avouées par le général Shafter, mais les correspondances 
expédiées de Cuba firent connaître que plus de mille 
hommes étaient restés sur le champ de bataille. 

Une cinquantaine de médecins reçurent immédiatement 
l'ordre de partir pour le théâtre de la guerre et le général 
Shafter fut autorisé à requérir tous les transports néces- 
saires pour le service des hôpitaux. 

Les pertes considérables des Américains furent attri- 
buées à l'erreur commise dans le déploiement des 
troupes. En effet, pendant toute la durée du combat d'ar- 
tillerie, des compagnies d'infanterie restèrent massées ea 



208 CHAPITRE XII. 

arrière des batteries, exposées au feu terrible des pièces 
de Tescadre espagnole. 

Le maréchal Blanco, de son côté, avait envoyé au gou- 
vernement espagnol la dépêche suivante : 

« Aujourd'hui, 1" juillet, à inidi, Teûnemi a vigoureu- 
sement attaqué Santiago de Cuba. Il est parvenu à prendre 
les positions avancées de Lomas et de San- Juan, après 
trois heures d^une résistance tenace de Botre part ; nous 
avons pu sauver notre artillerie, quoique plus de la 
moitié de nos forces ait été mise hors de combat. Le 
général Linarés, grièvement blessé au bras gauche, a dû 
laissef le commandement au général Toral. 

(c L'ennemi, en nombre considérable, a attaqué ce matin 
le bourg d'El Caney ; il a été repoussé par le général 
Vara-Rey. Le combat a recommencé dans la soirée, et 
s'est terminé dans le bourg d'El Caney après une résis- 
tance énergique de notre part ; nos pertes ont été sen- 
sibles. Je n'ai pas de nouvelles des colonnes Escario et 
Pareja, avec lesquelles il ne m'a pas été possible de com- 
muniquer, malgré tous les efforts que j'ai faits pour y 
arriver. » 

La journée du 2 juillet fut presque entièrement consa- 
crée au repos dans les deux camps. 

Seuls quelques travaux de fortification jugés indispen- 
sables furent exécutés par les soldats du génie américain. 

Sur mer les navires de Tamiral Sampson ca&onnaient à 
intervalles réguliers les ruines du fort Morro et des bat- 
teries de l'entrée du goulet, pour empêcher les Espagnole 
d'y réinstaller des pièces de canon. 

Le 3 juillet, le général Shafter expédiait à Washingtcm 
le télégramme suivant : 

« Santiago est entièrement investi au nord et à l'est, 
mais le cordon d'investissement est très faible. J'aireconau, 
en m'approchant, que les défenses sont si fortes qu'il me 
sera impossible d'enlever la ville d'assaut avec les forces 
dont je dispose actuellement. 



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OPÉRATIONS CONTRE SANTIAGO. 209 

« Nos pertes, jusqu'à présent, s'élèvent à un millier 
d'hommes ; mais la liste n'en est pas encore dressée. Il y 
a peu de malades, «mais les troupes sont fatiguées par la 
chaleur intense, les efforts faits pendant la bataille de ven- 
dredi et la fusillade presque incessante dirigée contre les 
tranchées. 

« Nous entretenons avec difQxîulté la route carrossable à 
l'arrière, car le terrain est détrempé par les pluies ; mais 
pour le moment, nous pouvons toujours nous en servir. 

« La conduite des troupes américaines a été magnifique. 
Le général insurgé Garcia annonce qu'il est maître de la 
voie ferrée de Santiago à San-Luis ; il a brûlé le pont et 
enlevé quelques rails. Il fait savoir que le général Pando 
est arrivé à Palma et que le consul de France de Santiago 
et 400 Français sont arrivés hier de Santiago au camp des 
insurgés. J'ai invité Garcia à les traiter avec les plus 
grands égards possibles. » 

Le secrétaire de la guerre répondit au général Shafter 
par le télégramme suivant : 

M( Le président me charge de vous dire que vous avez la 
reconnaissance et les remerciements de la nation pour les 
opérations si brillantes et si efficaces de votre noble armée 
dans le combat de vendredi. 

« La bravoure et l'héroïsme de vos officiers et de vos 
hommes donnent à la nation américaine un frisson d'or- 
gueil. 

« Le pays pleure les braves tombés dans la bataille ; 
ils ont ajouté de nouveaux noms au Livre d'or de nos 
gloires. » 

Au moment où ce dernier télégramme parvenait au 
commçindant des troupes américaines à Cuba, l'amiral 
Sampdon datait de Siboney, 3 juillet, la dépêche suivante 
qui provoqua ^ans toute TUifion un enthousiasme indes- 
criptible I 

« La 'flotte que je commande offre à la nation, comme 
cadeau de fête du 4 juillet, la destruction de toute 

14 



( 



ÎIO CHAPITRE XII. 

m 

la flotte de Tamiral Cervera. Aucun vaisseau n'a échappé. 
Elle a tenté de s'échapper à neuf heures et demie du 
matin, et à deux heures de Taprès-ùiidi, le dernier vais- 
seau, le Crislobal-Co/oriy s^étaiit échoué à 60 milles àTouest 
de Santiago, où il a abaissé son drapeau. U Infante-Marte- 
Thérèse^ le Viscaya et VOquendo ont été forcés d'échouer. 
Ils ont été brûlés et ont sauté à moins de 20 milles de 
Santiago. Le Fur or et le Pluton ont été détruits à environ 
4 milles du port. Nos pertes ont été d'un homme tué et de 
deux blessés. 

« Les pertes de Tennemi s'élèvent probablement à plu- 
sieurs centaines d'hommes qui ont péri par le feu, par 
les explosions ou dans la mer. Nous avons fait environ 
1300 prisonniers, y compris l'amiral Cervera. » 

Le même jour, le gouvernement espagnol affirmait que 
l'amiral était parvenu à rompre le blocus, et que son 
escadre victorieuse avait repris la mer. 

Mais il fallut bientôt se rendre à l'évidence, et le 5 juil- 
let, M. Sagasta avouait officiellement que l'escadre de 
l'amiral Cervera avait été battue, son chef fait prisonnier, 
VOquendo incendié et le Maria-Teresa coulé. Mais, disait- 
on dans les sphères gouvernementales, la dépêche de 
Cuba n'est pas encore entièrement déchiffrée. 

Elle l'était le lendemain, et le gouvernement de la reine 
devait enfin avouer à l'Espagne toute l'étendue du dé- 
sastre. 

Voici ce qui s'était passé : 

L'amiral Cervera, placé en face de forces écrasantes, 
n'avait d'autre alternative» s'il restait enfermé dans le 
port, que d'être anéanti ou de se rendre, ^ussi résolut-il 
de tenter le passage du goulet. 

Dès que la flotte espagnole se fut mise en mouvement 
pour sortir du port, les navires américains ouvrirent le 
feu sur elle, et à peine avait-elle pris le large qu'ils se 
mirent à sa po «suite, faisant pleuvoir sur elle une grêle 
de projectiles qui perçaient les coques d'acier, ouvraient 



'.!.' 






OPÉRATIONS CONTRE SANTIAGQ. îH 

de larges voies d^eau et inondaient de sang le pont des 
navires. 

A aucun moment du combat, les Espagnols ne parurent 
vouloir renoncer à la lutte. Ils n'amenèrent pas leur pavil- 
lon même quand leurs navires commencèrent à sombrer, 
et quand d'épais nuages de fumée montrèrent qu'ils étaient 
en feu. 

A ce moment, ils se dirigèrent vers le rivage distant de 
moins d'un mille et échouèrent leurs navires sur les 
écueils. Les équipages quittèrent alors leurs vaisseaux et, 
avec l'aide d'embarcations envoyées par les navires amé- 
ricains, gagnèrent la terre. . ' 

Une fois débarqués, les marins espagnols se confièrent 
à la discrétion de leurs vainqueurs qui mirent à terre un 
détachement, pour protéger les prisonniers contre les 
bandes cubaines embusquées dans la brousse, et prêtes à 
tomber sur les marins désarmés. 

Deux heures après que le premier navire espagnol eut 
franchi le goulet, trois croiseurs et deux contre-torpilleurs 
gisaient -à la côte, à dix ou quinze milles du fort Morro. 
Tous ces navires étaient fracassés. 

A chaque instant, quand Tincendie atteignait les soutes 
à munitions, des explosions formidables se produisaient ; 
puis les navires s'enfoncèrent peu à peu dans le sable ou 
les rochers. 

L'amiral Cervera gagna la terre dans une chaloupe 
envoyée par le Gloucester au secours de l'équipage de 
Vlnfant^'Mmna-Teresa, Dès qu'il eut touché la terre, Tanii- 
ral se rendit ainsi que ses officiers au capitaine Morton et 
fut conduit à bord du Gloucester où les officiers améri- 
cains le félicitèrent de sa bravoure. L'amiral était blessé 
au bras. 

Seul de l'escadre Cervera, le Cristobal-Colon avait réussi 
à prendre de l'avance sur les vaisseaux américains. Mais 
poursuivi à toute vapeur par Vlowa, VOregon et le 
Brooklyn^ criblé de projectiles de gros calibre, il «e lais- 



212 CHAPITRE XII. 

sait porter k la côte et s'échouait. Son équipage était fait 
prisonnier. 

La deuxième escadre de l'Espagne était détruite. Il ne 
lui restait plus que les forces navales placées sous les 
ordres de Tamiral Camara, et que depuis plusieurs jours 
le manque de charbon immobilisait à l'entrée du canal de 
Suez. 

Tandis que ces graves événements se passaient en mer, 
le général pando à la tète de six mille réguliers, trompant 
la surveillance de Tarmée d'investissement, entrait à San- 
tiago, et faisait sa jonction avec les troupes du général 
Linarés. 



CHAPITRE Xm 



LA CAPITULATION DE SANTIAGO 



Proclamation du maréchal Blanco. — Plus d'illusions. — L'échïinge des pri- 
sonniers. — Une suspension d'armes. — Le plan d'attaque. — Premières 
négociations. — Nouveau bombardement. — Arrivée du général Miles. — 
Dénouement imminent. — Les négociateurs. — La capitulation de Santiago. 
— Les exigences du vainqueur. — Dans le camp américain. — Aux États- 
Unis. — La dernière parade. — Situation de prise d'armes. — Le gouver- 
neur de Santiago. — Mesures administratives. — Entre Américains et 
insurgés. — Le chef Castillo. — Une letlre de Calixto Garcia. — Réponse 
du général Shafter. — Dans la baie de Nipe. — Pétition des Cubains. — 
L'ambassadeur de France. — Est-ce la paix ? — A la Maison-Blanche. — 
Continuation des hostilités. — Encore une proclamation du maréchal. 



Le désastre inouï qui frappait la nation espagnole ne 
parut pas, sur le moment, décourager les défenseurs de 
Cuba. Voici, en effet, en quels termes le maréchal Blanco, 
gouverneur général, annonçait à l'armée et à la popula- 
tion deTlle la destruction de Tescadre de Santiago : 

(( La fortune n'accompagne pas toujours le courage. 
L'escadre espagnole, commandée par l'amiral Cervera, 
combattant contre des forces supérieures, a péri glorieu- 
sement au moment où nous la croyions sauvée du péril 
qui la menaçait, dans le port de Santiago. 

« Le coup est très dur, mais ce serait indigne des 
Espagnols de défaillir maintenant, malgré la gravité du 
désastre. 

m Nous devons montrer du courage et non pas de la 
faiblesse, nous pouvons continuer la lutte contre les adver- 
sités et les vaincre. Nos forces sont suffisantes pour 
défendre notre cause ; nous devons nous grandir devant 
le malheur. Unissons-nous, confiants en Dieu, et soypns 



214 CHAPITRE xin. 

courageux pour défendre rhonneur et Tintégrité de la 
patrie. » 

Cette proclamation, datée de la Havane, du 7 juillet, 
n*était pas, malheureusement pour les Espagnols, en rap- 
port avec le côté matériel et pratique de la situation ; et 
les infortunés défenseurs de Santiago allaient bientôt s*ea 
apercevoir. 

On ne semblait d'ailleurs pas se faire grande illusion, 
dans cette ville, sur la durée de la résistance, puisque, 
dès les premiers jours de juillet, Tarchevéque de Santiago 
avait prié le maréchal Blanco de permettre à la garnison 
de capituler, considérant, disait-il, a qu'il est inutile de 
continuer à se défendre, l'honneur de l'Espagne et de ses 
soldats étant sauf »• 

Le maréchal avait, d'ailleurs, répondu par dépêche au 
prélat, qu'il était impossible que Santiago capitulât. Avant 
de mourir^ disait-il, « rappelons-nous tous que nous 
sommes les descendants des immortels défenseurs de 
Gérons et de Saragosse » . 

L'archevêque aurait pu répondre au maréchal que, dans 
son palais de la Havane, à l'abri des projectiles de gros 
calibre de l'armée américaine, le capitaine général ne 
courait aucun risque de trouver une mort glorieuse, alors 
que les défenseurs de Santiago étaient décimés inutile- 
ment par le feu, la famine et la maladie, mais il eut le 
patriotisme de s'abstenir. 

Quelques jours après la destruction de la flotte espa- 
gnole, les autorités de Santiago consentirent à l'échange 
du lieutenant Hobson et des matelots du Merrimac, contre 
des prisonniers du même grade de l'escadre Cervera. 

Les braves marins américains furent reçus, dans les 
lignes américaines, par le capitaine Chadwick, du New^ 
York. 

Ils furent l'objet d'une manifestation enthousiaste de la 
part des soldats sur tout le parcours. 

De Jaragua, le lieutenant Hobson se rendit à bord du 



LA CAPITULATION DE àANTlAGO. ' 215 

New-York, sur le pont duquel les officiers et l*équîpage 
étaient rangés. Ceux-ci l'applauHirent, tandis qu'il mon- 
tait à bord. 

Les équipages d'une douzaine de transports, ancrés 
dans la baie, se joignirent à cette démonstration. 

Le lieutenant Hobson déclara qu'il n'avait qu'à se 
louer des bons traitements de l'armée espagnole. 

Sitôt après la destruction de l'escadre Cervera, une 
courte suspension d'armes avait été conclue entre le géné- 
ral Shafter et le général Torral, remplaçant le général 
Linarés, blessé dans une précédente rencontre. Cette 
trêve, pendant laquelle on avait procédé à l'échange des 
prisonniers et on avait donné un peu de repos aux troupes, 
fut prolongée de quelques jours, pour permettre au com- 
mandant de Santiago de communiquer avec la Havane, et 
de recevoir les instructions du maréchal Blanco, soit dans 
le sens de la continuation de la résistance, soit dans celui 
de la capitulation, car vivres et munitions commençaient 
à se faire rares. 

Le nouveau délai devait expirer le 9 juillet, à midi. 

Il fut mis à profit par les deux partis, pour renforcer les 
batteries et les retranchements. 

Les Américains fortifièrent beaucoup leurs positions. Us 
construisirent des ponts pour amener leurs pièces de gros 
calibre. 

Les canons à dynamite furent mis en batterie, sur des 
points commandant la ville. Les batteries d'El Caney enfi- 
laient le Champ-de-Mars et l'hôpital, le chemin de Cristo 
et la ligne ferrée de Sabanilla ; celles des hauteurs de 
San-Juan menaçaient le quartier de SantoTomas, la place 
d'armes d'Alameda et les quais. 

Du côté de la terre, Santiago n'avait ni murailles, ni 
forts, mais des lignes presque continues de retranche* 
ments en terre, avec terre-pleins d'artillerie, d'un profil 
assez sérieux. 

D'après le plan concerté entre l'amiral Sampson et le 



216 CHAPITRE XIII. 

général Sbafter, à la reprise des hostilités, Tescadre amé- 
ricaine devait bombarder les forts de l'entrée du goulet, 
pour en chasser les Espagnols, et les faire occuper par un 
millier d'hommes. 

Des canots, pourvus de grappins, étaient désignés pour 
tepècher les fils conducteurs des mines sous-marines ; 
puis Fescadre entrerait dans le «henal, que n'obstruaient 
pas complètement les épaves du Merrimac et de la Reina- 
MercedèSy récemment coulée par les Espagnols eux- 
mêmes, et viendraient s'embosser à bonne portée de la 
ville, pour soutenir l'assaut donné par les troupes du géné- 
ral Shafter et de Calixto Garcia. 

Tout faisait présager, d'ailleurs, que Ton ne serait pas 
obligé d'en arriver à cette extrémité. 

Le général Torral avait, en efifet, envoyé au général 
Shafter un parlementaire, pour offrir de capituler, à con- 
dition qu'il fût permis aux troupes espagnoles de se retirer 
avec leurs armes et leurs drapeaux. 

Le général Shafter déclara ne pouvoir prendre sur lui 
d'accorder ces conditions, et en référa à Washington. 

En effet, M. Mac Kinley refusa sa sanction, mais auto- 
risa une courte prolongation d'armistice, au cours de 
laquelle le général Torral réunit un conseil de guerre où 
l'on examina la possibilité de battre en retraite, par la 
route de Caimanés. 

Malheureusement, la voie n'était pas libre ; le comman- 
dant des forces américaines l'avait fait occuper par des 
réguliers et un détachement d'insurgés cubains. 

A l'expiration du délai accordé par le général Shafter, 
le bombardement, ou pour être plus exact, une répétition 
du bombardement commença. 

Sur un signal parti de la terre, le Brooklyn, le Texas 
«t Ylndiajta, placés en ligne, à un quart de mille du 
rivage, à Aguadores, exécutèrent, par-dessus les falaises, 
un tir plongeant ; mais, au trente-cinquième projectile, le 
général Shafter signala que les obus n'atteignaient pas 






LA CAPITULATION DE SANTIAGO. 217 

Santiago, qui est à cinq milles en arrière des falaises. Les 
navires eurent alors recours à leurs gros eanons. Le 
général Shafter signala de nouveau que les obus tom- 
baient à mille pieds en avant de la ville, et un peu trop à 
gauche. 

Quand la nuit arriva, l'escadre suspendit son tir. 

D'après un télégramme expédié le soir même à Was- 
hington, elle devait, le lendemain, se rapprocher de la 
côte, et reprendre le bombardement, pendant qpe l'armée 
de terre compléterait Tinvestissement vers le nord-ouest, 
et canonnerait Santiago avec ses pièces de campagne. 

Mais, le jour suivant, de nouveaux pourparlers étaient 
engagés pour la reddition de la ville. 

Le général Shafter avait conféré avec les autres géné- 
raux américains, au sujet des propositions du général 
Torral, qui s'engageait à ne pas détruire les navires res- 
tant dans le port, ni les canons, ni les munitions, ni les 
édifices de Santiago, si on lui permettait de se retirer à 
vingt milles de là, avec ses troupes, sans être inquiété. 

Les généraux américains inclinaient à accepter ces pro- 
positions, parce que, vu la faiblesse du cordon d'investis- 
sement du côté de l'ouest, on pouvait craindre que, jouant 
la suprême carte, le général Torral se précipitât de ce 
côté avec toutes ses troupes, et effectuât une trouée, après 
avoir incendié la ville. 

Sur ces entrefaites, le général Miles, généralissime de 
l'armée fédérale, le général Randolph, avec des troupes 
de renfort, arrivaient au large de Santiago. 

L'effectif des troupes américaines était porté au chiffre 
de 22,000 hommes, et 65 canons ou mortiers se trouvaient 
en batterie devant la ville. 

Malgré l'évidente et triste réalité, le maréchal Blanco 
et l'état-major de la Havane essayaient encore de se faire 
illusion. 

Voici le texte du télégramme expédié le 10 juillet à 
Madrid, par le capitaine général de Cuba : 



•» 1 



218 CHAPITRE xni. 

« La proposition de Fennemi d'exiger la remise de la 
place de Santiago sans conditions ayant été repou'ssée, les 
hostilités ont recommencé cet après-midi à quatre heures. 

« J ai ordonné à la place de se défendre à outrance. 
Le vapeur Pensy /vanta , que j'ai envoyé avec 80,000 ra- 
tions, a tenté de rompre le blocus de Santiago. Il est 
reparti pour Jucaroo après s'être réfugié dans le fleuve 
Canto, poursuivi par Tennemi et ayant abandonné son 
chargement. 

« Cette dernière tentative de ravitaillement de la place 
a donc été infructueuse. 

(c L'ennemi a commencé l'attaque de la place de San- 
tiago par San-Juan et le Morro, à quatre heures quarante- 
cinq, par une vive fusillade et le canon. 

« Nos troupes ont conservé leurs positions. L'ennemi 
a abandonné ses tranchées avancées sur les collines de 
San-Juan. 

« L'escadre a bombardé simultanément la ville. Le feu 
a cessé à sept heures. 

« Nos troupes ont été' admirables. Nos pertes sont peu 
nombreuses. » 

Et cependant, le dénouement approchait. 

Les navires américains avaient recommencé le feu. Des 
observateurs à terre rectifiaient le tir, et les projectiles, 
passant par-dessus les falaises d'Aguadores, tombaient en 
plein centre de la ville. L'artillerie de terre faisait rage 
de son côté, et à faible distance. Santiago brûlait. Les 
Espagnols ne répondaient que faiblement. 

Bientôt le général Shafter pria l'amiral Sampson de 
suspendre le tir de l'escadre ; puis il envoya au général 
Torral, en parlementaire, le général Wheeler pour lui 
annoncer que Santiago était complètement investi, que 
18,000 réfugiés mouraient de faim dans le camp des Amé- 
ricains qui n'avaient pas les moyens de les nourrir. 

En conséquence, le général Torral était sommé au nom 
de l'humanité, pour la troisième et dernière fois, de capi- 



1 



LA CAPITULATION DE SANTIAGO. 219 

tuler sans conditions. Le général espagnol répondit que la 
question était si grave qu'il devait en référer à Madrid ; 
il communiquait en même temps un télégramme du maré- 
chal Blanco qui offrait de nommer une commission mixte 
pour rédiger les termes de la capitulation. 

Le général Miles et le général Shafter trouvant ambigus 
les termes de la proposition, décidèrent d'avoir une entre- 
vue personnelle avec le général Torral. Celle-ci eut lieu 
le 14 juillet, à midi, sur un point situé entre les deux 
armées. 

Le général Torral déclara qu'il venait de recevoir Tau- 
torisation de capituler aux conditions qui seraient arrêtées 
par les commissaires des deux nations, et il désigna pour 
l'Espagne M. Masson, vice-consul anglais, le général 
Tolon et son chef d'état-major ; les généraux Wheeler et 
Lawton et le capitaine Wiley, de l'état-major du général 
Shafter, furent nommés commissaires américains. 

Après de longs pourparlers, les préUminaires de la capi- 
tulation étaient signés le 17 juillet, à une heure du matin. 
Les conditions de la reddition de Santiago étaient les 
suivantes : 

l^ Les 20,000 personnes réfugiées dans les camps amé- 
ricains rentreront dans Santiago ; 

2^ Des patrouilles d'infanterie américaine seront établies 
sur les routes qui aboutissent à la ville ; 

3° Le service médical et les ambulances du corps expé- 
ditionnaire donneront leurs soins aux blessés espagnols ; 
4° Toutes les troupes espagnoles de la province de San- 
tiago, à l'exception des 10,000 hommes commandés par 
le général Luque, à Holguin, devront se concentrer à 
Santiago pour se rendre ; 

8® Les canons et les défenses de Santiago devront être 
remis aux Américains en bonne condition ; 

6^ Les Américains pourront utiliser librement le chemin 
de fer de Jaragua ; 
7® Les troupes espagnoles devront rendre leurs armes ; 



220 CHAPITRE XIII. 

8^ Les troupes espagnoles de Santiago seront trans- 
portées en Espagne en emportant leurs effets personnels ; 

9® Les Espagnols coopéreront avec les Américains à la 
destruction des mines sous-marines placées à rentrée du 
port de Santiago. 

La nouvelle de la capitulation de Santiago fut accueillie 
avec enthousiasme par les soldats américains. 

Bien que plus réservée, la joie des officiers supérieurs 
et de Tétat-major général du corps expéditionnaire n'en 
était pas moins vive, car si le blocus de la ville eût dû se 
prolonger, il eût pu devenir fatal à l'armée américaine. 
La fièvre jaune avait, en effet, fait sou apparition dans le 
camp ; et, malgré de strictes précautions sanitaires, le 
pour cent journalier des indisponibles augmentait dans 
des proportions inquiétantes. 

Un certain nombre d'officiers, le général Ghaffee étaient 
atteints assez gravement ; les statistiques médicales indi* 
quaient qu'un tiers du corps expéditionnaire était inca- 
pable de tout service. 

Aussi, aux Etats-Unis, la nouvelle de la reddition de la 
place mit-elle un terme à Tanxiété causée parles dépèches 
récentes, exposant la situation pénible où se trouvaient 
les Américains par suite des pluies, des tempêtes et des 
fièvres, situation qu'un ennemi mieux organisé aurait pu 
transformer en un véritable désastre. 

Le 17 juillet eut lieu, à Santiago, Timposante mais triste 
cérémonie de la remise de leurs armes, par les soldats 
espagnols. 

Le général Sbafter, les commandants de division et de 
brigade et leur état-major, se présentèrent sur le terrain 
escortés par de la cavalerie ; le général Torral et son état- 
major arrivèrent escortés d'une centaine de soldats 
d'élite. 

Des sonneries de trompettes retentirent ; puis le général 
Torral remit son épée au général Shafter, qui la lui rendit 
aussitôt. 



LA CAPITULATION DE SANTIAGO. 221 

Les troupes américaines, formées en bataille en avant 
de leurs retranchements, assistaient à la cérémonie. 

Le général Shafter et son escorte, accompagnés par le 
général Torral, entrèrent ensuite à cheval dans la ville, 
pour la prise de possession officielle, qui eut lieu au 
Palais. 

A midi précis, le canon tonna, les troupes présentèrent 
les armes, et aux accents de Thymne national américain 
le drapeau étoile fut hissé sur tous les édifices de la ville, 
en remplacement du drapeau espagnol. 

Le général Mac Kibben était nommé gouverneur pro- 
visoire de Santiago ; deux régiments américains avaient 
pour mission de maintenir Tordre. 

Les troupes espagnoles devaient camper en dehors de 
l'enceinte, jusqu'au jour de leur embarquement pour l'Es- 
pagne. 

Le jour de la capitulation, la situation de prise d'armes, . 
remise par le général Torral à l'Jtat-major américain, 
accusait un effectif de 22,780 hommes, c'est-à-dire que 
l'effectif des prisonniers de guerre était supérieur à celui 
de l'armée assiégeante. 

Dans l'après-midi du 18 juillet, une chaloupe à vapeur 
du croiseur américain Marblehead s'avança dans la baie 
de Guantanamo jusqu'à hauteur de Vert Caya-del-Toro, 
petite localité située en face de Caimanera. 

L'officier qui commandait la chaloupe informa officiel- 
lement le commandant espagnol de la reddition du géné- 
ral Torral ainsi que de la capitulation de Santiago. 

L'officier américain fixa un délai à l'expiration duquel 
le pavillon espagnol flottant sur Caimanera devrait être 
abaissé. 

11 prévint également le commandant espagnol que si la 
canonnière Sandovalj qui se trouvait dans la rade, était 
mise hors d'usage d'une façon quelconque ou si les armes 
et munitions ainsi que les édifices publics et les casernes 
de Guantanamo et de Caimanera étaient détruits, les sol- 



222 CHAPITRE XIII. 

dats composant la garnison espagnole ne seraient pas 
traités comme prisonniers de gaerre. 

L'officier espagnol abaissa son pavillon quelques heures 
plus tard et rendit les deux places le lendemain. L'effec- 
tif qui les défendait était de 5,000 honftnes d'après les 
contrôles ; mais la fièvre jaune avait exercé de si cruels 
ravages que 300 hommes à peine étaient en état de faire 
un service actif. 

Le 18 juillet, le président Mac Kinley signa un docu- 
ment d*État relatif à l'organisation du gouvernement pro- 
visoire de Santiago. Ce document devait être publié en 
anglais et en espagnol, de façon à recevoir la plus large 
publicité dans les territoires placés sous le contrôle améri- 
cain. Le général Shafter était investi du commandement 
de tous les territoires occupés. Une proclamation adressée 
aux habitants de ces territoires indiquait l'établissement 
formel d'un nouveau pouvoir politique à Cuba et assurait 
aux habitants des distrits occupés une sécurité absolue 
pour leurs personnes et pour leurs biens en même temps 
qu'une entière liberté pour l'exercice de leurs droits et de 
leurs relations privées. 

Tous les forts et places acluellement en possession des 
forces américaines de terre et de mer étaient ouverts au 
commerce de toutes les nations neutres en ce qui concerne 
tous les objets qui ne sont pas de contrebande, contre 
payement des droits en vigueur au moment de leur impor- 
tation. 

La gendarmerie indigène ainsi que les tribunaux exis- 
iants conservaient dans la mesure du possible les attribu- 
tions qu'ils avaient avant l'occupation. 

La modification la plus importante introduite dans le 
iarif douanier à Santiago étnit une réduction d'un dollar 
à vingt cents par tonne du droit de tonnage pour les 
navires transportant 2,0i)0 tonnes au plus. 

Mais à peine les Américains avaient -ils pris possession 
de Santiago que des dissentiments éclatèrent entre eux et 






LA CAPITULATION DE SANTIAGO. 223 

les insurgés cubains. Peu de temps avant la capitulation^ 
Galixto Garcia avait informé le général Shafter que les 
insurgés avaient choisi le chef Castillo comme gouverneur 
de Santiago. Mais en vertu des instructions de M. Mac 
Kinley, le commandant en chef avait, comme nous 
l'avons vu, donné le gouvernement de la place au général 
américain Mac Kibben, qui avait pris deux officiers de 
Tétat-major de Garcia pour l'assister dans ses fonctions. 

Quand le général Shafter avait annoncé sa décision de 
ne pas permettre à la junte insurgée d'entrer dans la 
ville, des murmures avaient éclaté parmi les hommes de 
Garcia qui espéraient piller Santiago comme ils avaient 
déjà saccagé Baiquiri et Siboney. 

Le chef Castillo s'était rendu au quartier général et 
avait demandé au général Shafter pourquoi il laissait 
l'administration de Santiago entre les mains des autorités 
civiles espagnoles. 

Le général avait répondu : 

« Les Espagnols ne sont pas nos ennemis ; nous luttons 
contre les soldats de l'Espagne, mais nous ne voulons pas 
voler ses citoyens. 

« Aucun Cubain ne sera autorisé à entrer dans la ville. 
Je crois probable qu'après le départ de l'armée améri- 
caine, l'administration de la ville sera transférée entre vos 
mains, mais pas avant. » 

Castillo n'avait pas dissimulé son mécontentement. 
D'autre part, Garcia avait refusé l'invitation du général 
Shafter d'assister à la cérémonie du déploiement du dra- 
peau américain sur Santiago, ne voulant pas, disait-il, se 
trouver côte à côte avec les Espagnols qu'il détestait, 
liepuis lors, les insurgés restaient dans leur camp; mais, 
ne pouvant se ravitailler autrement, ils acceptaient néan- 
moins les vivres américains. 

Le 22 juillet, Calixto Garcia réunit en conseil les offi- 
ciers supérieurs cubains et, après avoir exposé ses griefs, 
adressa au général Gomez sa démission de commandant 



r 



n 



224 CHAPITRE XIII. 



de Tarmée orientale de Cuba ; puis il écrivit au général 
Shafter la lettre suivante : 

u Le gouvernement de Cuba m*a ordonné de coopérer 
avec Tarmée américaine. J^ai fait de mon mieux poor 
répondre aux désirs de mon gouvernement et j'ai été 
jusqu'ici un de vos plus fidèles subordonnés, m'honorant 
de servir sous vos ordres. 

ce Je n'ai pas été honoré d'un seul mot de vous m'infor- 
mant des termes de la capitulation ni de Timportante 
cérémonie de la reddition de Santiago, que je n'ai couBue 
que par la nouvelle rendue publique. 

(( Vous avez laissé au pouvoir les autorités espagnoles 
que je combats comme ennemies. 

« Je désirais vivement coopérer avec votre armée A 
toutes les dispositions relatives à l'occupation de la ville 
et au maintien de Tordre jusqu'à ce que le moment vint 
pour le peuple des États-Unis de remplir l'engagemeitt 
solennel qu'il a pris de proclamer Cuba libre. 

(( Un bruit trop absurde pour être cru attribue la cause 
de vos ordres interdisant à mon armée l'entrée de San- 
tiago à la crainte de massacres comme représailles contre 
les Espagnols. Je proteste contre l'ombre même d'un 
pareille idée. Nous ne sommes pas des sauvages ignorants 
des règles de la guère entre civilisés. Nous sommes une 
pauvre armée en haillons comme vos ancêtres dans leur 
noble guerre d'indépendance ; mais, comme les héros de 
Saratoga, nous respectons trop profondément notre cause 
pour la souiller par la barbarie et la lâcheté. 

(( Je regrette sincèrement de ne pouvoir remplir plus 
longtemps les ordres de mon gouvernement et je me 
retire avec mes forces dans l'intérieur. » 

Le général Shafter répondit à Calixto Garcia en lui 
exprimant la surprise et les regrets que lui causaient sa 
lettre. Il lui rappela qu'il l'avait invité à la cérémonie de 
la reddition de Santiago et que Garcia avait décliné cette 
invitation. 




ouverne 
de la ba 
>baie con 
fleures, c 

leJta, Wi 



226 CHAPITRE XIII. 

Les deux forts, placés de chaque côté de Tentrée du 
port, n'offrirent qu'une faible résistance ; mais le croiseur 
Jorje'Juan et un fort, situé sur une colline, près de la 
ville de Mayari, ripostèrent vigoureusement au feu des 
Américains. 

Le Jùrje-Juatij cerné par quatre navires américains qui 
dirigeaient sur lui un feu violent, fut anéanti, et coula 
dans l'espace de vingt minutes. 

Deux obus américains, ayant éclaté dans le fort de 
Mayari, le drapeau blanc fut hissé sûr ce fort. 

Les embarcations des navires américains constatèrent 
qu'un grand nombre de plaques de la coque du Jorje-Juan 
avaient été enlevées par l'équipage, avant d'abandonner le 
navire. 

Le port était défendu par des torpilles, dont Tune fit 
explosion à cent mètres de la proue du navire américain 
Topeka; une autre éclata à deux cents mètres de la poupe 
du même navire. 

Deux canonnières espagnoles abandonnées furent sai- 
sies, au fond du port de Nipe ; la ville, elle-même, après 
quelques pourparlers, capitula, et le drapeau américain 
remplaça le drapeau espagnol sur les édifices publics. 

La petite place de Jibara, sur la côte nord de Cuba, à 
120 kilomètres de Nipe, était en même temps attaquée 
par de nombreuses bandes d'insurgés. Hors d'état de 
résister, la petite garnison espagnole évacua la ville, qui 
fut occupée par les Cubains. 

Dans l'après-midi du 23 juillet, une réunion impor- 
tante d'insurgés avait eu lieu, au club San-Carlo de San- 
tiago, pour discuter Fattitude qu'il convenait aux Cubains 
d'adopter, en présence de la réponse du général Shafter 
à la lettre de Calixto Garcia, que nous avons citée, et des 
instructions du président Mac Kinley, relatives à l'admi- 
nistration de Santiago. 

Au cours de cette réunion, M. Joachim Castillo, prési- 
deut du club et frère du général cubain Castillo, déclara 



«?4'.'"»v '^^it^'P^^^^T!*'"^' • - — - — TV «- 'v , - -<. ■ « • , - - . » --me ",' ^- !..«-- .--. --,^--= 



rt 



LA CAPITULATION DE SANTIAGO. 227 

que si on gardait le silence ce serait ^ donner une 
approbation tacite aux procédés des Américains, qui 
s'étaient conduits, disait-il, avec un manque absolu de 
bonne foi envers les Cubains, que ceux-ci ne pouvaient 
tolérer. 

La pétition suivante fut, en efifet, rédigée pour être 
transmise à M. Mac Kinley : 

« Les soussignés, Cubains de naissance, propriétaires 
résidant à Santiago de Cuba, représentant, avec nos 
familles, la population non combattante qui, dans ces par- 
ties de nie de Cuba, a souffert, durant de si longues 
années, du fait de la domination espagnole, tenons à 
adresser nos remerciements les plus chaleureux au peuple 
américain, pour nous avoir délivrés du joug insuppor- 
table de rhégémonie espagnole. 

« Nous tenons aussi à exprimer notre confiance absolue 
dans la bonne foi des intentions des Etats-Unis, et dans 
Tassurance qu'ils ont donnée que le territoire de Cuba ne 
sera pas conquis, par les troupes américaines, pour être 
ensuite annexé aux États-Unis. Nous sommes persuadés, 
et nous voudrions que tout le monde soit persuadé, que 
les Cubains sont capables de remplir leurs obligations 
nationales et de se gouverner eux-mêmes. 

« Il est possible que, dans un avenir rapproché, Tile 
de Cuba fasse partie du territoire américain, ce qui ne 
pouft'ait qu'augmenter le bien-être de sa population, mais, 
pour le moment, nous voulons posséder un gouverne- 
ment qui nous soit propre, comme compensation aux 
souffrances graves endurées et à Théroïsme de notre 
armée ; nous voulons l'établissement définitif d'une répu- 
blique cubaine, composée de Cubains, conformément aux 
résolutions du Congrès américain. 

« Nous espérons que l'état actuel des choses à San- 
tiago, où la garde de nos intérêts se trouve encore entre 
les mains des EIspagnoIs, ne durera plus longtemps, et 
que la ville sera prochainement remise aux Cubains. Nous 



228 CHAPITRE XIII. 

espérons que notre armée y entrera bientôt et que, de 
même qu*on a vu les troupes cubaines combattre vaillam- 
ment à côté des troupes américaines» on verra le drapeau 
cubain flotter triomphalement à Santiago, à côté du dra- 
peau américain, n 

Les relations entre Cubains et Américains commen- 
çaient, d'autre part, à être un peu moins tendues. Le 
général Shafter donnait quelques satisfactions aux auto- 
nomistes, en nommant les mieux qualifiés d'entre eux à 
des postes laissés vacants dans les douanes, par le départ 
ou la révocation de fonctionnaires espagnols. 

Le gouvernement américain avait fait, d'ailleurs, con- 
naître sa résolution de continuer à nourrir et à équiper 
les forces cubaines, et de faire tous ses efforts pour éviter 
les malentendus entre les chefs cubains et les comman- 
dants des troupes américaines. 

11 avait, de plus, été décidé que, pour faire montre de 
courtoisie à l'égard de Calixto Garcia, le général Miles, 
commandant des forces destinées à opérer incessamment 
contre Porto-Rico, prierait le chef insurgé de fournir un 
petit détachement qui prendrait part à l'expédition, à côté 
des troupes américaines. 

Celle-ci allait, en effet, avoir lieu, malgré les ouver- 
tures des négociations de paix entre l'Espagne et les États- 
Unis. 

Le 27 juillet, un communiqué officiel était publié à 
Washington, en ces termes : 

« L'ambassadeur de France, au nom du gouvernement 
espagnol, et à la requête du ministre des affaires étran- 
gères d'Espagne, a remis, cet après-midi, au président, à 
la Maison-Blanche, un message du gouvernement espa- 
gnol ayant en vue la fin des hostilités et l'établissement 
des conditions de paix. » 

M. Jules Cambon, ambassadeur de France, accompagné 
du premier secrétaire de Tambassade, M. Thiébaut, s'était 
en effet présenté à l'audience de M. Mac Kinley et lui 



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LA CAPITULATION DE SANTIAGO. 229 

avait remis, ainsi qu'à M. Day, secrétaire d'État, le mes- 
sage du gouvernement de la reine. 

La communication espagnole était conçue en termes 
généraux ; il n'y était fait aucune proposition catégorique 
au sujet de Cuba, des Philippines et autres possessions. 
C'était une simple requête demandant l'ouverture de 
négociations de paix et marquant le désir de l'Espagne 
d'apprendre à quelles conditions les Etats-Unis seraient 
disposés à la conclure. Un armistice n'était même pas 
proposé. 

Le président Mac Kinley réserva sa réponse. 

Il déclara qu'il soumettrait la question au cabinet, et 
qu'il inviterait ensuite M. Cambon à une nouvelle entre- 
vue, pour lui donner la réponse des Etats-Unis. 

Après le départ de M. Cambon, un conseil de cabinet 
eut lieu, auquel assistèrent, outre le président et M. Day, 
les ministres de la guerre et de la marine, MM. Alger et 
Long, ainsi que M. Bliss, secrétaire à l'intérieur, et 
M. Wilson, secrétaire à l'agriculture . 

Il fut décidé que l'on accepterait l'offre de l'Espagne 
d'ouvrir des négociations, mais tout en continuant la 
guerre, jusqu'à ce que cette puissance eût fait des propo- 
sitions un peu plus tangibles. 

La note remise par M. Cambon était, en effet, rédigée de 
la manière suivante : 

« Le gouvernement des États-Unis et celui de l'Espagne 
sont malheureusement engagés dans une guerre née à la 
suite de la demande faite par le gouvernement américain 
à l'Espagne de se retirer de Cuba, demande à laquelle 
cette dernière a refusé de se rendre. 

(( Dans la lutte armée qui en est résultée, l'Espagne 
avoue avoir eu le dessous. Les souffrances que lui a cau- 
sées cette guerre sont grandes, et elle croit que le moment 
est venu, pour elle, où elle peut convenablement deman- 
der aux États-Unis leur coopération dans le but de ter- 
miner la guerre. 



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230 CHAPITRE XIII. 

« C'est pourquoi elle demande qu^on lui fasse con- 
naître, par rintermédiaire de larabassadeur de France, 
les conditions qu'exigeraient d'elle les États-Unis, pour 
conclure la paix. » 

Eq attendant une communication plus explicite de l'Es- 
pagne, les hostilités devaient continuer sur tous les 
points. D'ailleurs, le parti militaire à Cuba ne semblait 
point admettre que la résistance fût arrivée à son terme, si 
l'on en juge par la proclamation suivante du maréchal 
Blanco, lancée à la suite de la capitulation de San- 
tiago : 

u Après une défense héroïque et plusieurs batailles 
sanglantes, le manque de munitions et de vivres ont 
obligé Santiago à capituler dans des conditions hono- 
rables et avec tous les honneurs de la guerre. 

« L'occupation de Santiago par les Américains est sans 
importance stratégique, puisque la ville était depuis long- 
temps bloquée par les vaisseaux américains. Cette occu- 
pation n'aura donc aucune influence sur l'avenir de la 
campagne qui décidera du sort de l'Espagne. 

« L'armée espagnole est intacte, avide de gloire et elle 
désire mesurer ses forces avec les Américains. 

« C'est à cette armée que le roi, le gouvernement, le 
pays tout entier confient la tâche de défendre à tout prix 
l'intégrité du territoire et notre drapeau sans tache. Ils 
sont convaincus que l'armée espagnole sera victorieuse, 
malgré tant de dangers et d'obstacles, et qu'elle montrera 
une fois de plus le caractère indomptable et le génie 
militaire de notre peuple. 

(( Tel est aussi l'espoir de votre généralissime. » 

Il semble qu'en écrivant ces lignes, le maréchal Blanco 
se faisait bien des illusions sur la situation. Il parlait de 
victoires au moment où son gouvernement cherchait à 
négocier et n'attribuait aucune importance à l'occupation 
de Santiago, alors que la prise de cette place allait 
rendre disponibles les navires de l'escadre Sampson et de 



LA CAPITULATION DE SANTIAGO. 



231 



l*escadre Schley et leur permettre soit de courir sus à la 
flotte de l'amiral Camara, soit de faire une tournée de des- 
truction sur les côtes d'Espagne, soit enfin, but immé- 
diatement réalisable, de transporter la guerre à Porto- 
Rico, et d'avoir raison des résistances accumulées depuis 
plusieurs mois dans cette colonie. 



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CHAPITRE XIV 



L'EXPÉDITION DE PORTO-RICO 



L'expédition de Porto-Rico. — Le plan de campagne. — Les forces espagnoles 
dans l'Ile. — Débarquement à Giianica. — Les fortifications de Ponce. — 
Le drapeau américain. — Sur la route de San-Juan. — Un article du Correo, 
— Prise de Ponce. — Proclamation du général Miles. — Le colonel Hnlings 
occupe Juanadiaz. — Au phare de Cabeza. — Engagement de Mayaguez. — 
La suspension des hostilités. 



L'ensemble des forces nécessaires à l'attaque de Porto- 
Rico était évalué à 30,000 hommes. 

Le !•' corps, mobilisé à Chickamanga, avait déjà expédié 
deux de ses brigades qui devaient rallier à Port-Saint- 
Nicolas, sur la côte d'Haïti, les troupes d'avant-garde 
emmenées de Santiago par le général Miles, commandant 
en chef de l'expédition. 

Un deuxième contingent avait quitté les États-Unis avec 
pour destination Fajardo. 

Un troisième devait atterrir sur la côte septentrionale 
de File, aux environs de San-Juan. 

Le département de la guerre avait, en outre, envoyé 
dans les eaux de Porto-Rico une escadrille de remor- 
queurs et de chalands porteurs de grues et de machines 
propres au déchargement des navires ainsi qu'à l'aména- 
gement de quais, de ponts et de bassins. 

Les forces espagnoles réparties dans les huit dis- 
tricts militaires de Porto-Rico préparaient activement la 
défense. Elles comptaient 7,200 hommes de troupes 
régulières et 12,000 volontaires sous les ordres du géné- 
ral Macias. 

Le 26 juillet, les 3,500 hommes d'avant-garde amenés 



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CHAPITRE XIV. 



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par le général Miles commencèrent à débarquer à Gua- 
nica, à 10 milles de Ponce, sur la côte sud de Porto-Rico, 
à quatre journées de marche de San-Juan. 

Il n'y avait à Ponce qu'un bataillon de réguliers et trois 
bataillons de volontaires. Les seules fortifications de cette 
place consistaient en ouvrages récemment bâtis sur les 
hauteurs qui la dominent au nord et à Touest, battant le 
chemin de fer de Ponce à San-Juan. Ces ouvrages avaient 
été armés de 30 canons de montagne. 

Le petit bassin de carénage de Ponce était également 
défendu par quelques batteries déterre. 

Le débarquement de Guanica ne donna lieu qu'à une 
escarmouche dans laquelle un officier et trois soldats 
espagnols furent blessés. 

Le cuirassé américain Massachusetts^ les croiseurs ou 
transports affrétés Columbia^ Dixie^ Gloucester et Yale 
s'étaient embossés assez loin du rivage et tenaient à dis- 
tance un petit détachement espagnol armé de fusils 
Mauser qui battit rapidement en retraite. 

Sous la protection des navires, les troupes américaines 
gagnèrent la côte dans des chaloupes et bientôt le dra- 
peau américain était hissé à un mât planté sur le rivage. 

Le plan du général Miles consistait à pousser rapide- 
ment en avant et à s'emparer du chemin de fer conduisant 
de Guanica à Ponce. 

De là, après avoir fait sa jonction avec les troupes du 
général Brookes, on se dirigerait par une superbe route 
de 130 kilomètres de longueur sur San-Juan de Porto- 
Rico où les Espagnols avaient concentré toute leur résis- 
tance. Les instructions du général Miles étaient d'offrir 
aux garnisons espagnoles de Porto-Rico de capituler dans 
les mêmes conditions que Santiago de Cuba. 

Il n'est pas sans intérêt de rapprocher les ouvertures 
de paix que nous avons signalées plus haut et la décision 
du président Mac Kînley de continuer la guerre, de la 
déclaration suivante publiée par le Correo, journal offi* 



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236 CHAPITRE XIV. 

Encore ces derniers mirent-ils beaucoup de mauvaise 
volonté à se joindre aux troupes régulières pour repousser 
Tenvahisseur. Ce fait et cet autre, que la ville de Ponce 
accueillit les Américains comme des libérateurs, s'explique 
assez par la raison que la région de Ponce était depuis 
bien longtemps le principal foyer autonomiste de File. 

Le général Miles, commandant le corps expéditionnaire, 
télégraphia en ces termes, au gouvernement américain, la 
prise de Ponce : 

« Nous avons pris Ponce où, à cette heure, flotte le dra- 
peau américain. Un grand enthousiasme règne dans la 
population. Dans un engagement à Yauco, quatre améri- 
cains ont été blessés. Les Espagnols ont eu trois tués et 
treize blessés. L'ennemi s'est retiré de Ponce précipitam- 
ment, laissant des munitions derrière lui. La population 
se livre à des réjouissances en Thonneur des Américains.» 

Après le départ de la garnison espagnole, les autorités 
civiles de Ponce se rendirent à Fescadre américaine, com- 
posée du Wasp, du Gloucester et du Dixie^ qui était entrée 
dans le port, menaçant de bombarder la ville. 

Celle-ci, comptant une population de 40,000 habitants, 
était construite en bois, et incapable de soutenir un bom- 
bardement. 

Les notables invitèrent donc les autorités civiles à efiFec- 
tuer la reddition de la ville, ce qui fut fait entre les mains 
d'un petit détachement de marins américains, entre les 
mains duquel le drapeau espagnol fut remis. Le lendemain 
le général Miles apprit avec surprise la capitulation de la 
ville. 

L'administration civile fut laissée en fonctions. Les 
Américains remirent en liberté quelques prisonniers poli- 
tiques qui se trouvaient en prison. 

Dans une proclamation au peuple de Porto-Rico, le gé- 
néral Miles déclara que la guerre avait été entreprise au 
nom de la liberté, de la justice et de Thumanité. 

« Les Américains, disait-il, ne sont pas venus pour faire 



l'expédition de PORTOtRICO. 237 

la guerre aux habitants de Porto-Rico, mais pour chasser 
les ennemis du gouvernement des Etats-Unis, qui sont en 
même temps les vôtres, afin de vous libérer du joug de 
vos oppresseurs, et de vous faire bénéficier des avantages 
de la civih'sation. 

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« Le gouvernement des Etats-Unis ne changera rien 
aux lois existantes, tant que le peuple se conformera aux 
règles de l'administration militaire et se montrera res- 
pectueux de Tordre. » 

Le port de Ponce renfermait une vingtaine de voiliers 
espagnols dont les Américains s^emparèrent. 

Le général Miles prit aussitôt ses dispositions pour exé- 
cuter, sitôt l'arrivée des renforts, la deuxième partie des 
instructions envoyées de Washington, c'est-à-dire la 
marche surSan-Juan. 

On ne croyait pas, à l'état-major américain, que l'on dût 
rencontrer une résistance sérieuse de la part des troupes 
espagnoles, sur une route pourtant accidentée, coupée de 
torrents et facile à défendre, notamment à Coamo, à Aibo- 
nito et à Caguas ; on espérait même avoir l'appui des 
JibaroSy nom donné aux paysans de Porto-Rico. 

Déjà à Guanica, trois cents indigènes s'étaient joints 
aux Américains, et, étant donné l'enthousiasme avec lequel 
les habitants de Ponce avaient accueilli les libérateurs, on 
espérait ne pas rencontrer d'hostilité chez les populations 
qu'il fallait traverser pour arriver à San-Juan. 

L'état sanitaire du corps expéditionnaire était excellent ; 
on attendait d'un moment à l'autre l'arrivée des S. 000 hom- 
mes de renfort que le général Brookes amenait de Newport- 
News, et que devaient suivre presque immédiatement les 
troupes de Floride concentrées à Tampa. 

Le 30 juillet, toutes les forces américaines étaient réu- 
nies autour de Ponce, et les opérations commençaient. Le 
colonel Hulings à la tète de dix compagnies occupait Jua- 
nadiaz. 

Le général Brookes débarqué à Arroyo, à l'est de Ponce. 



238 CHAPITRE XIV. 

• 

commençait un mouvement tournant contre les troupes 
espagnoles d*Aibonito, et occupait Guayamo après un 
petit combat. 

Le général Stone poussait une reconnaissance sur Are- 
cibo, et s'emparait d'Adjuntas et d'Utado ; enfin un petit 
détachement prenait possession du phare de Cabeza de 
San-Juan, à la pointe nord-est de l'Ile. 

Le 9 août, le major Wilson s'emparait de la petite ville 
de Guamo, à la suite d'un combat pendant lequel les Espa- 
gnols perdaient \2 tués, 35 blessés et 180 prisonniers. 

La marche sur San-Juan s'efifectuait dans des conditions 
normales ; le général. Brookes suivait la route directe ; le 
général Wilson se dirigeait vers Adjuntas, et le général 
Schwan marchait sur Janco et Mayaguez. 

En approchant de cette localité, le général Schwan se 
heurta à un fort détachement espagnol et le culbuta. Les 
Espagnols battirent rapidement en retraite, laissant un 
grand nombre de morts et de blessés sur le champ de 
bataille. Les Américains n'avaient eu dans cette rencontre 
que 2 tués et 14 blessés. 

A Gabezas de San-Juan, huit cents espagnols essayèrent 
de reprendre le phare qui était gardé par quarante mate- 
lots américains. 

Ils mirent une mitrailleuse en batterie et ouvrirent le 
feu. 

\uAmphitrite, le Leyden et le Cincinnati ripostèrent et 
débarquèrent deux cent cinquante hommes, qui mirent 
en déroute les assaillants, leur tuèrent cinquante hommes, 
et s'emparèrent de la mitrailleuse, de fusils et de muni- 
tions. 

L'avant-garde du général Brookes, de son côté, s'était 
emparé de Coamo, avait poursuivi les Espagnols jusqu'à 
quatre milles d'Aibonito, et n'avait cessé la poursuite que 
parce que l'ennemi avait fait sauter le pont sur la rivière 
Cuyox. 

L'engagement de Coamo et l'occupation de Mayaguez 



L EXPEDITION DE PORTO-RICO. 239 

i 

furent les derniers faits d'armes de la campagne de Porto- ^ 

Rico. 1 

Le \2 août, en effet, à 4 heures 23 de Taprès-midi, le \ 

protocole des préliminaires de paix était signé à la Mai- . 

son-Blanche, et M. Mac Kinley prescrivait la suspension n 

de toutes les opérations militaires. 

Avant de nous occuper des négociations à la suite des- 
quelles la guerre cessait entre les Etats-Unis etTËspagne, 
retournons sur le théâtre des hostilités de TÂsie orientale 
où nous avons laissé aux prises Tescadre Dewey et le 
chef Aguinaldo d'une part, de Tautre le général Augusti, 
capitaine général pour l'Espagne des Philippines. 



CHAPITRE XV 



LA CHUTE DE MANILLE 



La situation à Manille. — Les progrès des Tagals. — Plus de munitions. — 
Télégramme du général Augusti. — Sur la rivière Pasig. — Le général 
Monet à Bulacan. — Révolte des troupes indigènes. — A Mîndanao. — 
Dans la baie de Manille. — Renforts américains. — La canonnière alle- 
mande Irène. — Succès des insurgés. — Défaite de Monet à Macabebe. — - 
Les avances d'Aguinaldo. — L'état de siège aux Philippines. — Le premier 
ministère philippin. — Les insignes du dictateur. — Relations tendues — 
Instructions du général Merritt. — Une sortie générale. — La quatrième 
expédition américaine. — Fuite du général Augusti. — Reddition de 
Manille. — Situation embrouillée. — Rapport de l'amiral Dewey. — Les 
termes de la capitulation. 



Nous avons vu plus haut que, dès le 12 juin, le général 
Augusti considérait la situation de Manille comme très 
grave, et déclarait ne plus attendre son salut que des ren- 
forts expédiés par la métropole. Or, ceux-ci, par une 
suite de circonstances que nous avons racontées, ne de- 
vaient pas dépasser le canal de Suez (1). 

La chute de la domination espagnole aux Philippines 
n'était donc plus qu'une question de semaines ou de jours. 

Au moment où nous reprenons notre récit, Manille, 
bloquée du côté de la mer par la flotte de Tamiral Dewey, 
est investie, sur le front de terre, par les bandes du chef 
insurgé Aguinaldo. Les Tagals se sont déjà emparés des 
abords de la ville, du côté de Malate, et ont refoulé les 



(i) L'escadre Camara, la dernière force navale de l'Espagne, avait été 
immobilisée à Suez par manque de charbon. Après le désastre de San- 
tiago, elle regagna sans bruit les eaux espagnoles et Ton n*eatendit plus 
parler d'elle. 



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LA CHUTE DE MANILLE. 241 

Espagnols dans leurs tranchées. Dans Tintérieur, les 
postes espagnols de Lagunas, Santa-Cruz et Pampanga 
ont été évacués, et les positions côtières de Pîïias, Paran- 
gue, Tungalo, Malibas et Pineda sont tombées entre les 
mains des iiiffurgés. 

Les Espagnols commencent à manquer de munitions. 
^ Le gouvernement de Madrid laisse entendre que le 
général Augusti a remis le commandement à son subor- 
donné, le général Jaudenez. 

En prévision de la capitulation de Manille, des ordres 
ont été expédiés, pour transporter à Ilo-Ilo le siège du 
gouvernement des lies, et les consuls espagnols de Hong- 
Kong, de Sanghaï et de Singapour sont invités à orga- 
niser, par tous les moyens possibles, des communications 
avec les parties de Farchipel restées encore fidèles à l'Es- 
pagne. 

Le 14 juin, le général Augusti télégraphiait encore : 

« La situation continue à être très grave. Les moyens de 
résistance diminuent. 

(( Les désertions de forces indigènes continuent. Si je 
me vois dans le cas de m'enfermer dans les murs de la 
ville, je ne pourrai plus rien communiquer à Votre Excel- 
lence. » 

- Effectivement, les forces espagnoles, qui défendaient 
pied à pied les approches de la vieille ville, allaient être 
réduites à s'enfermer dans l'enceinte murée, autour de 
laquelle le cercle des insurgés allait se resserrant. Toutes 
communications étant ainsi coupées aux défenseurs de 
Manille, la résistance deviendrait forcément limitée à la 
durée des munitions et des vivres. 

Comme il restait encore, sur la rivière Pasig, deux 
petits torpilleurs espagnols, qui pouvaient inquiéter la 
flotte américaine, Famiral Dewey envoya une chaloupe 
à vapeur, commandée par renseigne Caldwell, pour les 

détruire. 
A son approche, les Espagnols coulèrent eux-mêmes, 

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248 CHAPITRE XV. 

à l'entrée de la rivière, la canonnière Cebu^ qui en ferma 
complètement Tentrée. 

Dans la première quinzaine de juin, le général Monet 
se trouvait avec trois mille hommes à Bulacan, à trente 
milles au nord de Manille et se dirigeait vers le sud, 
quand il tomba dans une embuscade tendue par les 
rebelles, dans une jungle très épaisse. 

On se battit avec acharnement ; mais, malgré la défec- 
tion des troupes indigènes, les Espagnols mirent en fuite 
leurs adversaires et, après s*ôtre reposés quelques jours, 
continuèrent leur marche sur Manille. Nous retrouverons 
bientôt cette colonne. 

A Marebon, un bataillon de milice indigène, sur la fidé- 
lité duquel on croyait pouvoir compter, tira sur ses offi- 
ciers, en tua cinq et déserta. 

A Zapote, un autre régiment indigène se révolta au 
moment d'une attaque des insurgés et les laissa pénétrer 
dans les lignes, où ils jetèrent le désordre. 

Ne pouvant plus compter sur leurs troupes auxiliaires, 
les Espagnols étaient fatalement réduits à la défense passive. 

Et pendant ce temps, les renforts arrivaient aux Améri- 
cains. Le Charleston, chargé de troupes, était signalé dans 
les eaux d'Honolulu. L'amiral Dewey avait envoyé à sa 
rencontre le croiseur Baltimore, 

Un nouveau détachement de 4,000 hommes allait partir 
de San-Francisco avant la fin de juin ; il serait embarqué 
sur six: transports affrétés par le gouvernement, et placé 
sous les ordres du général Merritt. 

Le 29 juin, le gouvernement espagnol recevait du géné- 
ral Augusti le télégramme suivant, daté du 23 juin : 

(( La situation est toujours aussi grave. Je continue è. 
me maintenir dans la lutte des blockhaus. Mais le nombre 
de Tennemi augmente à mesure qu'il occupe les provinces 
qui se rendent. 

(( Les pluies torrentielles, qui inondent les tranchées, 
rendent les défenses difficiles. 



• LA CHUTE DE MANILLE. 243 

(( Le nombre des malades va croissant parmi les trou- 
pes, ce qui contribue à rendre la situation très pénible, 
et à provoquer un accroissement de désertions parmi les 
indigènes. 

« On croit que les insurgés comptent trente mille hom- 
mes pourvus de fusils, et cent mille d^armes blanches. 

« Le chef rebelle Aguinaldo m'a sommé de capituler, 
mais j'ai mépi'isé ses propositions sans les écouter, car 
je suis résolu à soutenir la souveraineté et Fhonneur du 
drapeau espagnol jusqu'à la dernière extrémité. 

(( J'ai plus de mille malades et deux cents blessés. 

« L'enceinte fortifiée est envahie par les habitants des 
quartiers ruraux, qui abandonnent leurs demeures, en 
présence des actes de barbarie des rebelles. 

« Les habitants constituent un embarras qui aggravera 
la situation, en cas d'un bombardement qu'on ne craint 
pas sérieusement pour le moment. » 

Au moment où le général Augusti télégraphiait à la 
métropole ces peu réconfortantes nouvelles, les onze pro- 
vinces de nie de Luçon étaient occupées par les insurgés. 

Des émissaires, envoyés vers le nord pour s'assurer du 
désastre de la colonne Monet, à Bulacan, n'avaient pu 
rapporter le moindre renseignement. 

On prétendait que le général Pena avait dii se rendre, 
par suite de la défection des troupes indigènes. 

L'efiFectif des rebelles campés autour de Manille dépas- 
sait 25,000 hommes. 

Dans les provinces méridionales de l'archipel, la situa- 
tion était un peu meilleure. Une dépèche du gouverneur 
des lies Visayas et Mindanao annonçait, en effet, la déroute 
des insurgés. 

Le chef Arce, représentant d'Aguinaldo, avait été tué. 

Le gouverneur espagnol déclarait que la tranquillité 
régnait sur son vaste territoire. Les chefs malais de Min- 
danao^s'étaient présentés devant lui et lui avaient déclaré 
que, sachant la guerre déclarée entre l'Espagne et les 



244 CHAPITRE XV. 

États-Unis, ils combattraient du côté des Espagnols pour 
la défense de la souveraineté de TEspagne. 

Un télégramme, daté de Manille, 26 juin, exposait la 
situation de la manière suivante : 

(( La situation continue à être dangereuse, et elle est 
semblable à celle que je vous annonçais par mon télé- 
gramme du 10 juin. 

« Quinze navires allemands, français, japonais et 
anglais mouillent dans la baie, et par leur moyen on est 
fréquemment en communication avec Hong-Kong pour 
communiquer. 

« Le général Monet, après avoir livré plusieurs com- 
bats, est arrivé avec 1000 hommes à Macabebe, où il s'est 
fortifié. Si Tennemi poussait jusqu'à la capitale, j'ai donné 
Tordre à Monet de forcer le passage pour venir à mon 
aide, quoique je considère cette opération comme diffi- 
cile. » 

La situation était, à ce moment, assez confuse. Les 
Espagnols, bloqués dans Manille, étaient prêts à succom- 
ber, cherchant en quelles mains capituler ; Tamiral améri- 
cain, maître de la baie, attendait des renforts pour agir ; 
une escadre européenne surveillait les événements, prête 
à intervenir pour la sauvegarde de ses nationaux ; enfin, 
les insurgés, divisés entre eux, louvoyaient entre les 
Allemands et les Américains pour sauvegarder l'indé- 
pendance qu'ils semblaient à la veille de conquérir. 

Le 1®' juillet, les troupes américaines récemment arri- 
vées débarquèrent à Cavité et établirent leur camp dans 
risthme. Le drapeau étoHé fut arboré sur les ruines du 
fort de San-Luizi. Le même jour, le général Monet était 
investi et assiégé dans Macabebe par les indigènes. 

Le 5 juillet, le port de San-Francisco envoyait à Manille 
une nouvelle expédition, la quatrième depuis le commen- 
cement des hostilités, composée des vapeurs affrétés Peru^ 
City-of-Puebta^ City-of-Acapulco et State-of-Califomia. 
Le nouveau contingent devait, en arrivant aux Philip- 



LA CHOTE DE MANILLE. 245 

pines, portera 15,000 hommes l'effectif du corps expédi- 
tionnaire du général Merritt. 

Une cinquième et dernière expédition était prévue 
pour les premiers jours d'août. 

Le 6' juillet, la canonnière allemande Irène croisait 
dans la baie de Subig lorsqu'elle rencontra des embarca- 
tions insurgées qui se portaient vers TIsla-Grande dans 
rintention d'attaquer les Espagnols. Elle les força à aban- 
donner leurs projets. 

L'amiral De\vey envoya aussitôt deux navires, le Raleigh 
et le Concorda pour faire une enquête. Le Raleigh^ en 
entrant dans la baie, ouvrit le feu contre les forts qui la 
défendaient. Les Espagnols, au nombre de 500, capitu- 
lèrent. Le navire allemand sortit du chenal par l'extré- 
mité opposée, et, revenu à Manille, son commandant 
déclara que son intervention était due à des raisons d'hu- 
manité. 

Un télégramme de l'amiral Dewey rendit compte de 
l'affaire de Subig en ces termes : 

« Aguinaldo m'a informé que ses troupes ont occupé 
toute la baie de Subig excepté l'Isla-Grande, qu'il a été 
empêché d'occuper par le navire de guerre allemand 
Irène. Le 7 juillet, j'ai envoyé le Raleigh et le Concorda 
qui ont pris l'Ile, capturé 1300 hommes, des armes et des 
munitions, sans résistance. L'Irène a quitté la baie à leur 
arrivée. » 

Le même jour, plusieurs attaques furent dirigées par 
les insurgés centre les Espagnols. Les bandes d'Aguinaldo 
s'emparèrent de quelques canons à Santa-Mesa et creu- 
sèrent des tranchées à San-Juan, Santana, Paco etPasayi. 
L'une d'entre elles s'empara même des retranchements de 
Malate et poussa jusqu'au pied de la muraille du réduit. 
Mais au bout de quelques heures, elle dut se retirer. 

Le général Anderson, commandant provisoire des 
troupes de débarquement américaines, en attendant 
l'arrivée du général Merritt, avait conclu un arrangement 



f46 CHAPITRE XV. 

arec Aguinaldo ; les insurgés deyaient évacuer Cavité 
pour laisser la place aux soldats américains. Le 9 juillet, 
le général Augusti télégraphiait encoi^e : 

« On confirme l'arrivée de renforts américains. Ils se 
sont emparés, en passant, des Mariannes où ils ont laissé 
un gouverneur américain. Les Américains attendent une 
autre expédition pour le 15 juillet. 

« La garnison de Manille et les lignes extérieures sou- 
tiennent chaque jour des combats contre les insurgés, 
qui reçoivent de nombreux renforts. Nous leur infligeons 
de grandes pertes. 

(( Les Américains n'osent point attaquer la place ; ils 
craignent de se rencontrer en face des rebelles et qu'il 
leur soit impossible de résister à l'avalanche. 

(( Les Américains craignent que, si Aguinaldo et ses 
hommes attaquent la place, la population ne prenne 
parti pour eux. 

« Les Tagals sont aussi divisés entre eux ; les uns 
veulent l'indépendance, les autres l'autonomie. Je crois 
devoir me concilier les indigènes par des réformes qui 
sauvent la situation. » 

A la date du 10 juillet, une autre dépêche officielle du 
gouverneur général de Manille annonçait que la colonne 
du général Monet, ne pouvant tenir à Macabebe, un 
détachement était parti sur trois embarcations remor- 
quées par la canonnière Leyte pour aller chercher du 
renfort. 

Les trois embarcations, entraînées par le courant, 
allèrent s'échouer à Bulacan et Esteros ; les soldats qui 
les montaient furent faits prisonniers par le chef insurgé 
Agonoy, lieutenant d' Aguinaldo. 

Ce dernier venait d'envoyer des parlementaires au 

général Augusti pour l'engager à capituler, lui disant que 

50,000 insurgés entouraient Manille, prêts à la prendre 

d'assaut et que l'Espagne ne pouvait envoyer de renforts. 

Il valait donc mieux, estimait-il, que les Espagnols et les 



LA CHUTE DE MANILLE. 247 

insurgés se réconciliassent sous le drapeau de la Répu- 
blique pour persuader ensuite aux Américains de cesser 
les hostilités et de demander aux puissances de recon- 
naître la république des Philippines. 

Le général Augusti éconduisit les envoyés d'Aguinaldo, 
leur déclarant qu'il se défendrait "jusqu'à la fin. Dans 
toute cette période, les Espagnols déployèrent d'ailleurs 
beaucoup d'activité, créant des abatis, des palissades, 
des tranchées et détruisant en avant de la ville les 
cabanes pouvant ^èner le tir. 

De leur côté, les insurgés tenaient sans cesse leurs 
ennemis en haleine. Ils avaient mis en batterie, sur les 
hauteurs de Posoy, deux vieux canons et, à intervalles 
inégaux, tiraient dans la direction de la ville européenne. 
Aguinaldo avait transféré son quartier général de Cavité 
à Bacoor et se tenait en relations fréquentes avec l'amiral 
Dewey, dont les navires exerçaient du côté de la mer 
une surveillance rigoureuse. Une dépèche de Manille du 
14 juillet montrait la situation sous un jour un peu moins 
défavorable : 

« J'espère, disait le capitaine général, soutenir la 
défense en luttant contre Tennemi jusqu'à la dernière 
extrémité. 

« Avec la deuxième expédition américaine arrive un 
monitor, comme batterie flottante, et, avec la troisième, 
un autre monitor et deux croiseurs. 

« A la fin du mois de juin, les indigènes de l'équipage 
d'un vapeur ont tué le capitaine ; puis ils sont allés à 
Cavité s'unir aux rebelles et aux Américains. 

« Le colonel Blanco et les officiers échappés à Maca- 
bebe et à Cavité, ainsi que le général Monet se trouvent ici. 

« Modestement et sans aucune exagération qui serait 
contraire à mon caractère, j'ai exposé avec une loyale 
franchise les vraies phases de cette difficile situation, que 
pour ma patrie et mon roi j'espère sauver à tout prix. » 

Le 15 juillet, la garnison avait repoussé victorieusement 



248 CHAPITRE XV. 

«ne attaque des insurgés et leur avait infligé de grosses 
pertes. 

Le même jour le général Ânderson télégraphiait à Was- 
hington, qu'Aguinaldo venait de proclamer la dictature 
et l'état de siège aux Philippines. 

Le chef tagal avait même constitué un ministère. Il en 
avait pris la présidence et donné le portefeuille de la 
guerre à son neveu Baldimiro Aguinaldo ; celui de Tinté- 
rieur, à Léandro Ibaira ; celui des affaires étrangères, à 
Mariano Trias. 

Le but poursuivi par les insurgés apparaissait nettement; 
c'était rétablissement de la République dans Tarchipel. 

Le 1^' août, le cabinet espagnol laissait publier une 
dépèche préparant le pays à la nouvelle de la capitulation 
imminente de Manille. Ce télégramme constatait que la 
capitale des Philippines était bloquée depuis trois mois, 
que le courage admirable de la garnison décimée ne se 
démentait pas, mais que les vivres commençaient à man- 
quer et que les munitions étaient presque épuisées. 

Une longue résistance, ajoutait-on^ devient impossible, 
resDoir de Tarrivée de secours et de ravitaillements in- 
dispensables étant aujourd'hui perdu, tandis que les forces 
des Américains sont portées à 1 1 ,000 hommes par l'arrivée 
de l'expédition du général Merritt, devant la ville bloquée, 
d'autre part, par 30,000 insurgés. 

Jusqu'à présent les rebelles, qui ont été les seuls à 
prendre l'offensive, ont été tenus en échec par les défen- 
seurs de la place ; mais ceux-ci n'ont plus de vivres que 
pour quinze jours. Il parait certain que les Espagnols ne se 
rendront pas sans combat, mais qu'ils saisiront avec em- 
pressement la première occasion de conclure une capitu- 
lation honorable, dans les mains des Américains. 

Ceux-ci n'étaient point d'ailleurs sans quelques inquié- 
tudes causées par l'attitude des bandes d'Aguinaldo. 

Le général Merritt avait fait savoir à Washington que 
celui-ci se préparait à rompre avec les Etats-Unis. Le 



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LA CHUTE DE MANILLE. 249 

général disait qu'il ferait" de son mieux pour protéger les^ 
citoyens contre les^violences des rebelles. Dans ce but, il 
demanderait, conjointement avec l'amiral Dewey, la red- 
dition de Manille, devançant ainsi les insurgés. Le général 
Augusti avait laissé entendre qu'il capitulerait dès qu'il 
pourrait le faire honorablement, comme la garnison de 
Santiago de Cuba, si toutefois la paix n'était pas conclue 
avant l'attaque décisive des Américains. 

Ceux-ci, sous les ordres des généraux Merritt, Anderson 
et Green, campaient à Cavité, à Paranac et à Tambo, au 
sud de Manille. 

Sur ce dernier point, « le camp Dewey » était établi en 
arrière des positions des insurgés, en face de Malate. Les 
troupes de ce camp, commandées par le général Green, 
tenaient les insurgés en échec, et l'artillerie du capitaine 
Astor était aussi bien braquée contre eux que contre les 
lignes espagnoles. 

Les relations étaient très tendues entre Américains et 
insurgés. Aguinaldo avait défendu aux Tagals de se sou- 
mettre aux réquisitions de bétail nécessaire aux troupes du 
général Merritt. Celui-ci avait passé outre ; des conflits 
avaient failli éclater qui n'avaient été empêchés que par 
l'énergie et le sang-froid des officiers américains. Les com- 
mandants des forces des États-Unis aux Philippines re- 
çurent aussitôt l'ordre de réprimer, avec la plus grande 
énergie, toute tentative de trouble de la part des insurgés. 
Il fut convenu entre le général Merritt et le général 
Augusti que Manille capitulerait lorsque les troupes amé- 
ricaines seraient en nombre pour contenir les insurgés, et 
k éviter les excès, après la reddition. 

'J- Ce ne pouvait plus être qu'un délai de quelques jours, 

\' car la quatrième expédition, organisée à San-Francisco, 
avait fait relâche à Honolulu le 24 juillet, et ne devait 
point tarder à arriver dans les eaux de l'archipel. 

Aguinaldo semblait vouloir motiver des actes de rigueur 
de la part de l'armée américaine. 



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250 CHAPITRE XV. 

Il avait adressé une sorte de défi au général Merritt, 
déclarant qu'il tiendrait Manille contre eux, lorsque lé 
général Augusti aurait capitulé. 

Une autre commiunication, assez puérile, du chef tagal 
provoquait Tbilarité des pratiques Américains. 

Aguinaldo leur envoyait ampliation d'un décret rendu 
par lui, en vertu duquel il s'octroyait, comme président 
du gouvernement des Philippines, les insignes suivants : 
« Un collier d'or auquel sera suspendue une plaque trian- 
gulaire du même métal, portant un soleil et trois étoiles 
gravées, un sifflet en or, et enfin une canne à pommeau 
également en or. » 

Bien qi^e les défenseurs de Manille ne dussent plus se 
faire illusion sur la valeur pratique d'une sortie, ils ne 
voulurent point capituler avant d'avoir tenté une dernière 
fois le sort des armes. 

Le général américain Green ayant avancé les retran- 
chements du camp DeWey du côté de Malate, entre la 
plage et le Camino-Real, les garnisons espagnoles de cet 
arsenal et de San-Pedro profitèrent d'un ouragan dans la 
nuit du 31 juillet, pour faire une sortie générale au nombre 
de 3,000, et surprendre l'aile droite américaine, qui se 
trouvait un peu en l'air. A la laveur d'un bois de bambous 
et de mangliers, les Espagnols s'approchèrent des avant- 
postes américains, qu'ils attaquèrent vigoureusement. 
Ceux-ci allaient plier lorsqu'ils furent renforcés, et une 
batterie d'artillerie qui prit en flanc les assaillants, les 
obligea à battre en retraite, après un combat de trois 
heures. L'infanterie américaine ayant épuisé ses munitions 
ne poursuivit pas les Espagnols. 

Ceux-ci avaient éprouvé des pertes considérables. 

Celles des Américains furent moindres. 

Le 4 août, la quatrième expédition, à bord de cinq 
transports escortés par le cuirassé Monteret/y entra dans 
la baie de Manille. 

L'amiral Dewey et le général Merritt se concertèrent 



> «n ■ ■ — ' — -'^jiiTr~*^'^^='''^^-' '* -' ~ •.'-,' ,...,-... . . — .,,^.. 



LA CHUTE DE MANILLE, 281 

aussitôt pour attaquer la place, au cas où les négociations 
de paix, actuellement engagées, n'auraient point une issue 
favorable. 

Le 13 août, Tamiral Dewey fit au général Augusti som- 
mation d'avoir à se rendre. 

Celui-ci refusa. L'escadre commença aussitôt le bom- 
bardement; mais, à peine les premiers projectiles avaient- 
ils incendié quelques maisons des faubourgs, que le 
drapeau blanc fut arboré sur la ville. Les Espagnols 
avouaient que toute résistance était désormais impos- 
sible. 

Conformément à des instructions, auxquelles nous 
avons fait plus baut allusion, le général Augusti avait 
cédé le commandement à son secon'd, le général Jaudenez, 
gouverneur de Manille, et, sautant dans une chaloupe 
allemande qui l'attendait dans le port, se faisait conduire 
à bord du navire de guerre allemand Kaiserin-Augiista, 
Celui-ci levait l'ancre et se dirigeait sur Hoog-Kong. 

A peine les troupes du général Merritt avaient-elles 
pris possession de la ville, qu'un navire, monté par le 
consul d'Espagne, entrait en rade, apportant la nouvelle 
de la signature des préliminaires de paix. Il était trop tard. 
La capitale avait succombé un jour trop tôt. 
Voici en quels termes l'amiral Dewey télégraphia, le 
13 août, la nouvelle de la reddition de Manille : 

« Une division de l'escadre a bombardé le fort et les 
retranchements de Malate, obligeant Tennemi à se retirer. 
En même temps, l'armée s'avançait sur le côté de la ville 
regardant la mer. La ville s'est rendue à cinq heures de 
l'après-midi. Le lieutenant d'état-major Brumby a alors 
hissé le drapeau américain. 

« L'escadre américaine n'a subi aucune perte. Les 
navires n'ont pas été atteints. 

« Le général Merritt^ et moi avions catégoriquement 
demandé, le 7 août, la reddition de la ville, mais le gou- 
verneur général espagnol avait refusé. » 



Î52 CHAPITRE XV. 

Les Américains faisaient 11,000 prisonniers, dont 7,000 
réguliers, et prenaient 20,000 fusils Mauser, 3,000 re- 
mingtons, 18 canons modernes et quelques munitions. 

Après la reddition, le général Merritt demanda à Was- 
hington si Manille devait être occupé conjointement par 
les Américains et les insurgés. 

Le président Mac Kinley répondit que la ville, la baie 
et le port devaient être occupés par les forces des États- 
Unis, mais qu'il n'y aurait pas d'occupation mixte. 

Le blocus de Manille était levé le même jour. 

Il n'entre point dans notre cadre d'étudier les dissen- 
sions qui éclatèrent entre les Espagnols, les insurgés 
d'Aguinaldo et les Américains, après la signature des 
préliminaires. 

Citons seulement, avant de passer à l'examen des négo- 
ciations qui aboutirent à ces préliminaires, une dépèche 
datée du 8 août et qui ne fut expédiée de Hong-Kong que 
dix jours après ; elle donne une idée de la situation em- 
brouillée au milieu de laquelle se débattaient les autorités 
espagnoles des Philippines, et des difficultés, non encore 
résolues au moment où nous écrivons, qu'allait rencon- 
trer la commission de paix, chargée de régler le sort poli- 
tique de l'archipel : 

« Le général Augusti, considérant sa position comme 
intenable, essaya d'obtenir d'être transporté à Hong- 
Kong sur un navire allemand. 

« Comme il avait, depuis plusieurs semaines, la con- 
viction que le gouvernement espagnol ne lui enverrait 
aucun secours, il déclara qu'il déclinait toute responsa- 
bilité, et qu'il se lavait les mains des conséquences de la 
lutte. » 

Le monitor Monter ey apporta, le S août, au comman- 
dant des forces américaines l'ordre d'attaquer la ville. 

En conséquence, le même jour, à midi, le général 
Merritt et l'amiral Dewey envoyèrent à Manille un ulti- 
matum, par lequel ils sommaient la ville de se rendre, et 



LA CHUTE DE MANILLE. 253 

accordaient quarante-huit heures pour faire sortir les non- 
combattants. 

Le gouverneur de Manille répondit en remerciant les 
Américains pour leurs sentiments d^humanité, mais il 
ajouta qu'il était inutile de faire sortir les non-combat- 
tants, puisque les insurgés entouraient la ville, et qu'il 
n'y avait pas d'endroits où pussent se réfugier les femmes, 
les enfants, les malades et les blessés. 

Le gouverneur convoqua ensuite les consuls, et leur 
demanda d'obtenir des Américains le temps et les moyens 
de transporter ailleurs les non-combattants, parmi les- 
quels 3,000 prêtres. 

Le gouverneur suggérait que les non-combattants fus- 
sent embarqués sur les transports américains, mais il se 
refusait à leur laisser embarquer des vivres. 

Les consuls exhortèrent vivement le gouverneur à se 
rendre. Ils exaltèrent l'héroïsme déployé jusqu'alors par 
les Espagnols, et démontrèrent que le caractère déses- 
péré de la défense nécessitait une capitulation, au nom de 
l'humanité. 

En raison de l'ultimatum américain, le gouverneur 
donna l'ordre de cesser de tirer sur les retranchements 
ennemis, et il suspendit un officier de Malate qui avait 
désobéi à cet ordre. 

« Une députation de commerçants est venue aujour- 
d'hui demander au gouverneur de se rendre, pour éviter 
leur ruine complète. 

« Les membres civils du conseil de guerre sont favora- 
rables à la capitulation, mais les membres militaires 
n'osent pas prendre sur eux d'exprimer le même avis. 

(( Cependant, les officiers espagnols sont pleinement 
convaincus de l'inutilité de la résistance, étant donné que 
les Américains possèdent des canons de siège supérieurs 
à ceux des Espagnols. 

« On croit qu'aussitôt qu'une douzaine d'obus auront 
été tirés en ville, le drapeau blanc sera arboré. 



i54 CHAPITRE XV. 

« Des scëoes déchirantes ont lieu dans les rues que par- 
courent une foule d'Espagnols, d'indigènes, de femmes, 
d'enfants, suppliant qu'on leur fournisse les moyens de 
s'enfuir. » 

Pendant le bombardement, les vaisseaux de guerre 
neutres avaient pris les positions suivantes : les cinq alle- 
mands et les deux français s*étaient retirés à quelques 
milles au nord de la ville ; les quatre anglais et le japo- 
nais, avec deux marchands, avaient rejoint la flotte amé- 
ricaine. 

Voici en quels termes était conçue la capitulation de 
Manille : ^' 

(( Les soussignés, nommés commissaires pour le règle- 
ment des détails de la capitulation de la ville et des ou- 
vrages de défense de Manille et de ses faubourgs, ainsi 
que des forces espagnoles y stationnées, conformément à 
un accord survenu entre le major général Wesley Merritt, 
commandant en chef des forces des États-Unis aux Phi- 
lippines, et don Fernim Jaudenes, faisant fonctions de 
général en chef de l'armée espagnole aux Philippines, 
ont convenu ce qui suit : 

« l^ Les troupes espagnoles, tant européennes qu'indi- 
gènes, capitulent ainsi que la ville et les ouvrages de 
défense, avec tous les honneurs de la guerre. 

(( Elles déposeront leurs armes aux endroits désignés 
par les autorités des Etats-Unis, 

« Elles resteront dans les quartiers qui leur seront 
affectés, sous la garde de leurs officiers, et seront sou- 
mises au contrôle des susdites autorités des États-Unis, 
jusqu'à la conclusion d'un traité de paix entre les deux 
nations belligérantes. 

(( Toutes les personnes non comprises dans la capitula- 
tion restent en liberté. 

« Les officiers resteront dans leurs domiciles respectifs, 
et seront respectés aussi longtemps qu'ils observeront les 
règlements qui les régissent et les lois en vigueur ; 



J 



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LA CHUTE DE MANILLE. ' 255 

(( 2^ Les officiers conserveront leurs armes blanches, 
leurs chevaux et les objets leur appartenant en propre. 

« Les chevaux et les objets appartenant en commun, de 
quel(]ue nature qu'ils soient, seront remis à dés officiers 
d'état-major désignés par les Etats-Unis ; 

(i 3^ Un état des effectifs complets des hommes, ^ar 
corps ou services, et une liste complète du matériel et des 
approvisionnements, seront remis en double expédition 
aux États-Unis, dans un délai de dix jours, à compter du 
présent jour; 

« 4® Toutes les questions relatives au rapatriement des 
officiers et des soldats des forces espagnoles et de leurs 
familles, ainsi qu'aux dépenses que ledit rapatriement 
peut occasionner, seront déférées au gouvernement des 
États-Unis à Washington. 

<( Les familles espagnoles pourront quitter Manille 
quand il leur conviendra. 

(( La remise des armes rendues par les forces espa- 
gnoles aura lieu quand les forces évacueront la ville, ou 
quand Tarmée américaine y entrera ; 

(( 5® Les officiers et soldats compris dans la capitulation 
seront pourvus par les États-Unis, conformément à leur 
rang, des vivres nécessaires, attendu qu'ils seront prison- 
niers de guerre, jusqu'à la conclusion d'un traité de paix 
entre les États-Unis et l'Espagne. 

« Tous les fonds qui se trouvent à la Trésorerie espa- 
gnole et dans toutes les autres caisses publiques seront 
versés aux autorités des États-Unis ; 

(( 6® La ville de Manille, ses habitants, ses églises, ses 
édifices religieux, ses établissements d^éducation et ses 
propriétés privées de toute nature, seront placés sous la 
sauvegarde de la foi et de l'honneur de l'armée améri- 
caine. » 

Suivaient les signatures des sept commissaires, dont 
quatre américains : le général Green, le capitaine de 
vaisseau Lamberton, et les lieutenants-colonels Whittier 




256 



CHAPITRE XV. 



et Growder, et trois espagnols : Tauditeut général de 
Tarmée, Nicolas de la Pena, le colonel du génie Carlos 
Reyes, et le chef de Tétat-major, José-Maria Olquen. 

En vertu des ordres du général Merritt, les forces 
rebelles d'Aguinaldo devaient, dans le délai de trois jours, 
se retirer à trois milles de Manille. 



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T -î-é^S— ,-riT7r-7e, - -- --.-; *•,-- — ,-, 



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CHAPITRE XVI 



LE TRAITÉ DE PARIS 



Les négociations. — Les conditions américaines. — Abolition des traités de 
commerce. — Le sort des Philippines. — Un communiqué officiel. — Un 
échange de notes. — Signature du protocole. — Les commentaires de la 
presse. — Le licenciemiDt des troupes de Cuba. — Rapatriement de Tannée. 

— Une réception triomphale à New- York. — Discours du maire Van.Wiek. 

— Les commissaires américains. — La commission espagnole. — > La paix 
* définitive. — Le traité de Paris. 



Nous avons vu djas un chapitre précédent que M. Cam- 
4 bon, ambassadeuc de France, avait remis, le 27 juillet, 
au président Mac Kinley une note dans laquelle il deman- 
dait, au nom de l'Espagne, aux Etats-Unis « leur coopé- 
ration dahs le but de terminer la guerre » . 
, Le gouvernement américain avait répondu qu'il accep- 
^ tait l'offre de rEspagùje d'ouvrir des négociations, mais 
, que la gueçre coutinuei^î^^ jusqu'à ce que Ton fût tombé 
' d'accord sur les conditiââ^ imposées parles vainqueurs 
■* et acceptées par les vai|flcttstv 

C'est l'historigue de ces négociations que nous allons 
retracer. 

Dans une conférence tenue le 30 juillet, M. Mac Kinley 
et son cabinet arrêtèrent les bases suivantes des copdi- 
' tions de paix qui devaient être proposées à l'Espagne par 
l'intermédiaire de M. Cambon, qui ne devait jouer en 
iout# cette affaire que le rôle d'un agent de transmission : 
Cession aux États-Unis de Porto-Rico ; 
Reconnaissance de l'indépendance de Cuba ; 
Cession d'une des lies Ladrones ; 

17 



258 CHAPITRE XVI. 

Cession d'au moins une station de charbon aux Philip- 
pines ; 

Renonciation complète de la part de FEspagne à toute 
souveraineté dans les eaux des Indes occidentales et de 
la mer des Caraïbes ; 

Les États-Unis n'assumeront pas les dettes de Cuba ni 
de Porto- Rico ; 

Seront abolis les traités de commerce entre Cuba, 
Porto-Rico et les autres parties du royaume espagnol que 
les États-Unis ne reconnaîtront pas. 

Le cabinet arrêta également qu'il n'y aurait pas d'ar- 
mistice et qu'il ne serait pas question d'une indemnité en 
argent. 

Quant au sort des Philippines, il serait réglé par une 
commission spéciale ; Funanîmité des membres du cabi- 
net se déclarait à ce arment hostile à l'annexion de 
l'archipel. Le gouvernement américain penchait à récla- 
mer seulement, comme station de charbon le port de 
Subig, au nord de Manille et, de plus, l'entrée dans les 
lies des marchandises américaines aux mêmes conditions 
douanières que les marchandises espagnoles. 

Mais il était nettement spécifié dans la note que les 
conditions relatives à Tabandon de la souveraineté espa- 
gnole sur les Indes occidentales et sur le choix par les 
États-Unis d'une des lies Ladrones étaient en dehors de 
toute discussion. Il n'était point non plus fait mention de 
ce que le gouvernement américain avait l'intention de 
faire de Cuba émancipé du joug espagnol. 

Lorsque le gouvernement américain eut été avisé que 
le cabinet de Madrid était en possession de la note remise 
à M. Cambon, il fit publier le communiqué officiel suivant : 

« Afin d'écarter tout malentendu au sujet des négocia- 
tions de paix, le gouvernement croit devoir dire que les 
conditions de paix présentées par les États-Unis dans la 
note remise à M. Cambon le âl juillet sont rédigées 
comme suit : 



' 9 



,^_, ,__^. 



LE TRAITÉ DE PARIS. 259 

(( Les Etats-Unis ne demandent aucune indemnité pécu- 
niaire ; mais ils exigent Tabandon de la souveraineté 
espagnole sur Cuba et l'évacuation immédiate de cette 
lie ; la cession aux Etats-Unis et l'évacuation immédiate 
de Porto-Rico et des autres lies placées sous la souverai- 
neté de TEspagne dans les Indes occidentales ; la cession 
semblable d'une des lies Ladrones. 

« Les Etats-Unis occuperont et garderont la ville, la 
baie et le port de Manille jusqu'à la conclusion du traité 
de paix qui déterminera le sort des Philippines, leur 
administration et leur gouvernement. » 

Après un échange de notes entre les gouvernements 
espagnol, français et américain, le négociateur français, 
M. Gambon, fut enfin autorisé par le cabinet de Madrid à 
signer, le 12 août, le protocole mettant fin aux hostilités. 
Cetles-ci avaient duré 113 jou«s. 

Voici la teneur des six clauses principales de ce proto- 
cole : 

1® L'Espagne renonce à la souveraineté sur Cuba ; . 

2® Porto-Rico et les autres lies espagnoles des Indes 
occidentales, ainsi que des îles de l'archipel des Ladrones 
au choix des Etats-Unis, seront cédés aux États-Unis ; 

3® Les États-Unis occuperont la ville, la baie et le port 
de Manille et y resteront pendant les négociations pour, la 
conclusion du traité qui déterminera les conditions de 
contrôle et de gouvernement des Philippines ; 

it^ Cuba, Porto-Rico et les autres lies des Indes occiden- 
tales seront évacués immédiatement. Des commissaires, 
qui devront être nommés dans un délai de dix jours, 
s'assembleront à la Havane et à San-Juan de Porto-Rico 
dans un délai de trente jours après la date de la signature 
du protocole pour arranger les détails de l'évacuation ; 

So Les États-Unis et l'Espagne ne nommeront pas plus 
de cinq commissaires chacun, pour conclure le traité de 
paix. Ces commissaires se réuniront à Paris, au plus tard 
le 1«' octobre. 



260 CHAPITRE XVI. 

6^ Dès la signature du protocole, les hostilités seront 
suspendues, et des ordres dans ce sens seront envoyés 
aussitôt que possible aux commandants des forces mili- 
taires et navales. 

Des dispositions additionnelles réglaient Texécution des 
conventions ci-dessus, ainsi que la question de l'enlève* 
ment des mines sous-marines et la reddition des places 
fortes de Cuba et de Porto-Rico. 

Si la nouvelle de la signature des préliminaires de paix 
provoqua, dans le monde entier, une satisfaction générale, 
elle fut accuillie par la presse espagnole avec une tristesse 
marquée. 

Quelques citations des journaux madrilènes feront res- 
sortir Tétat d'esprit de la capitale au moment de la cessa- 
tion des hostilités : 

El Pats, journal républicain, publie le texte du proto- 
cole encadré de noir. Il déclare que J 'Espagne, sans ses 
colonies, serait réduite à l'état de puissance de troisième 
ordre. 

h'Imparcial déclare que la signature de la paix n'ap- 
portera même pas à l'Espagne le repos après trois ans et 
demi de guerre. 

La Nacion exprime sa tristesse ; avec amertume, elle 
écrit : (c Si du moins l'Espagne n'avait été vaincue 
qu'après une lutte acharnée et héroïque, elle saurait se 
résigner. Mais il n'en est rien, et aujourd'hui la paix n'est 
pour nous qu'une phase dans notre malheur. » 

Le Libéral dit que l'article du protocole concernant les 
Philippines n'indique rien de bon pour l'Espagne, et fait 
craindre que cette question ne soit pas résolue dans un 
sens favorable pour elle. 

Le Globo, journal ministériel, exprime l'opinion que 
la paix entre l'Espagne et les États-Unis compliquera la 
question en Occident ; il ajoute que du jour où M. Cambon 
a signé la paix, au nom de l'Espagne, commence le pre- 
mier chapitre d'une nouvelle histoire de l'Europe. 



LE TRAITÉ DE PARIS. 261 

Le Tiempo, journal conservateur, dît que la paix est un 
fait accompli. L^amertume de la défaite n'empêche pas la 
satisfaction de voir la fin de la guerxe. 

La Epoca estime que la paix actuelle est la plus triste 

qui ait été imposée à TEspagne depuis le traité d'Utrecht. 

En résumé, la presse, sans distinction d'opinions, cons^ 

tatait que le protocole proclamait la destruction complète 

de l'empire colonial de l'Espagne. 

L'état de siège proclamé en Espagne ne permettait pas 
d'en dire plus, et le gouvernement ne se pressait point 
de convoquer les Cortès. 

Cependant une circulaire du ministre de la guerre éta* 
blissait les règles pour le licenciement des forces revenant 
de Cuba. Celles-ci devaient déposer leurs armes et leur 
matériel aux ports d'arrivée : la Corogne, Santander et 
Vigo. 

Les soldats et les sous-officiers rentreraient dans leurs 
foyers aux frais de l'État. Les officiers seraient placés pro- 
visoirement dans la réserve, jusqu'à ce que les Cortès 
eussent autorisé l'augmentation des cadres de l'armée 
régulière. 

On estimait que 120,000 hommes et 6,000 officiers 
devraient être ramenés des Antilles. 

Les commissions d'évacuation de Cuba et de Porto- 
Rico devaient être présidées par le maréchal Blanco et 
le général Macias, assistés d'officiers de terre et de mer et 
de membres de l'auditorat. 

Bien que le gouverneur général eût donné sa démission, 
le gouvernement lui avait prescrit de rester à son poste 
jusqu'à nouvel ordre. 

La situation à Santiago était déplorable. L'évacuation 
des deux armées se poursuivait dans des conditions sani- 
taires fort mauvaises. 1800 hommes des régiments espa- 
gnols Asia et Talavera s'étaient embarqués dans un état 
pitoyable. Les médecins croyaient qu'il n'en arriverait pas 
les deux tiers en Europe. 



'262 CHAPITRE XVI. 

* 

Du côté des Américains, le transport Mobile venant de 
Santiago avec 1600 hommes en avait perdu 10 en route ; 
3 étaient mourants, et 500 gravement malades. 

Entre temps, Tescadre victorieuse de l'amiral Sampson 
entrait dans le port de New- York, et y était l'objet d'une 
réception triomphale. 

Le 20 août, à huit heures du matin, le New- York^ le 
Brooklyn^ le Massachusetts^ Vlowa^ VIndiana et ÏOregon^ 
passaient à Sc^ndy-Hook et venaient mouiller à Tompkins- 
ville où le Texas les attendait. 

.Là, M. Yan Wick, maire de New- York, montait à bord 
du navire-amiral pour souhaiter la bienvenue à la flotte, 
en l'absence du président Mac Kinley retenu à Washing- 
ton, mais qui avait adressé un télégramme à l'amiral 
Sampson, annonçant sa prochaine visite au vainqueur de 
Santiago. 

Le maire Van Wick, après avoir déclaré que les mots 
lui faisaient défaut pour mettre l'expression des sentiments 
d'orgueil patriotique et de gratitude dont sont pleins les 
cœurs américains à la hauteur des exploits de l'escadre, 
déclara qu'il n'y avait pas dans le monde entier une 
marine qui détint un plus splendide record que celle des 
Etats-Unis. 

« Jamais, dit-il, tant que l'histoire continuera à instruire 
les hommes et que la mémoire des grands faits améri- 
cains restera gravée chez des hommes libres et fera trem- 
bler la tyrannie, la bataille qui vit la flotte espagnole 
anéantie sur la côte de Santiago ne tombera dans l'oubli. 

« En présence de cette victoire, de l'habileté, de la 
vaillance et de la magnanimité des vainqueurs et de la 
grande portée que ce fait aura pour l'avenir du monde 
civilisé, ce combat n'a pas de parallèle dans l'histoire. » 

L'amiral Sampson remercia le maire de New-York 
pour l'accueil qui lui était fait ainsi qu'à ses officiers par 
la grande ville. 

« Nous n'avons fait, ajouta-t-il, que notre devoir; 



^MT' TT 



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* " • » . 



.•»». 



A * 



LE TRAITE DE PARIS. 



26S 



c'est pourquoi nous vous sommes profondément recon- 
naissants de nous avoir exprimé, en des termes si brillants, 
les remerciements et les félicitations du peuple de cette 
ville pour le peu que nous avons accompli. » 

L'escadre entra ensuite dans THudson, qu^ella^monta 
jusqu'au tombeau du général Grant, devant leqfilel elle 
tira des salves d'honneur auxquelles répondirent les bat- 
teries de la c6te, tandis que les cloches sonnaient à toute 
volée et que d'innombrables musiques jouaient les hy ornes 
nationaux. Cinq mille embarcations pavoisées escortaient 
l'escadre. Plus d'un million de spectateurs bordaient les 
quais et les rives de THudson en poussant des cris fréné- 
tiques. Un enthousiasme indescriptible régnait dans New- 
York et Brooklyn, décorés à profusion de drapeaux et 
de bannières. 

Pendant ce temps, les gouvernements espagnol et 
américain s'occupaient de la désignation des commissaires 
qui devaient se réunir à Paris le l®' octobre pour la con- 
clusion de la paix définitive. 

La commission américaine fut constituée la première* 
Elle comprenait MM. Day, ex-secrétaire d'État ; Davis, 
président de la commission des affaires étrangères du 
Sénat ; Frye, sénateur du Maine ; Edward White, juge 
assesseur de la Cour suprême, et Whitelaw Reid, ancien 
ministre des États-Unis k Paris. M. John Moore, adjoint 
au secrétaire du département d'État, et M. Mac Arthur, 
ancien secrétaire de la légation américaine à Madrid, 
étaient nommés respectivement secrétaire et secrétaire 
adjoint de la commission. 

Le gouvernement de Madrid désignait, quelques jours 
après, comme président de la commission espagnole 
M. Montero Rios, ancien ministre et président de la Cour 
de cassation d'Espagne. Les autres membres de la com- 
mission étaient MM. Abarzurzia, Garnica, Yillarutia et le 
général Cerrero. 

La commission se réunit le 1^^ octobre au ministère des 



264 CHAPITRE XVI. 

affaires étrangères et commença ses opérations. Elles 
furent longues et laborieuses. La méthode adoptée ne 
permettait d'ailleurs point de travailler rapidement. Les 
commissaires de chaque puissance, en effet, formulaient 
par écrit leurs propositions. Celles-ci étaient traduites et 
remises aux commissaires de lautre nation qui faisaient 
connaître, par écrit également, leur réponse et leurs 
contre-propositions. Lorsque le cas semblait épineux, il en 
était référé par câble ou télégraphe aux cabinets de 
Washington et de Madrid. On comprend que les négocia- 
tions engagées de cette manière se soient prolongées jus- 
qu'au 12 décembre. G^est, en effet, ce jour-là seulement, 
À 9 heures du soir, que les plénipotentaires américains et 
espagnols ont apposé leurs signatures sur le traité met- 
tant fin au conflit hispano-américain. 

Ce traité, qui prendra le nom de traité de Paris, est un 
des plus draconiens que l'histoire ait eu à enregistrer. En 
voici les dispositions essentielles : 

« L'Espagne abandonne tout droit et titre de souverai- 
neté sur Cuba. Comme TUe devra, après son évacuation 
par l'Espagne, être occupée par les États-Unis, ceux-ci, 
tant que durera leur occupation, assumeront et rempliront 
foutes les obligations que réclame la protection de la vie et 
de la propriété qui, au point de vue des lois internatio- 
nales, peuvent leur incomber du fait de cette occupation. 

« L'Espagne cède aux États-Unis l'Ile de Porto-Rico et 
les autres lies des Antilles actuellement placées sous la 
domination espagnole, ainsi que l'Ile de Guam, dans les 
lies Mariannes. 

« L'Espagne cède aux États-Unis l'archipel connu sous 
le nom des lies Philippines. 

<( Les Etats-Unis admettront, pendant une période de 
dix années, à dater du jour où seront échangées les ratifi- 
cations du présent traité, les navires et marchandises 
espagnols dans les ports des Philippines, aux mêmes con- 
ditions que leurs navires et leurs marchandises propres. 



LE TRAITÉ DE PARIS. S65 

(( Les États-Unis, après la signature do présent traité, 
renverront en Espagne, anx frais de ce pays, les soldats 
espagnols faits prisonniers de gaerre à Manille par les 
forces militaires américaines. On rendra à ces prisonniers 
leurs armes. Après la signature do présent teaité, l'Es* 
pagne remettra en liberté tous les prisonniers de goerre 
et toutes les personnes arrêtées oo emprisonnées poor 
crimes politiques se rattachant aux insurrections de Coba 
et des Philippines et à la guerre avec les États-Unis. De 
leur côté, les États-Unis remettront en liberté toutes les 
personnes faites prisonnières de goerre par les forces 
américaines. 

« Ils s'efforceront également d'obtenir la mise en liberté 
de tous les prisonniers espagnols actuellement entre les 
mains des insurgés à Cuba et aux Philippines. 

a Le gouvernement des États-Unis rapatriera i ses 
propres frais en Espagne, et le goovemement de l'Es- 
pagne rapatriera à ses propres frais aux États-Unis, Cuba, 
Porto-Rico ou les Philippines, selon qu'ils y auront leur 
foyer respectif, les prisonniers mis en liberté à la suite de 
ce traité. 

« Les États-Unis et l'Espagne abandonnent mutuelle- 
ment toute demande d'indemnité nationale ou indivi- 
duelle, de quelque nature qu'elle puisse être, qui pro- 
viendrait de l'un ou de l'autre gouvernement, ou serait 
introduite par les citoyens ou sujets de l'un contre l'autre 
gouvernement et se serait produite depuis le commence- 
ment de la dernière insurrection de Cuba et avant 
l'échange des ratifications du présent traité, en y com- 
prenant toutes les demandes d'indemnité pour frais de 
guerre. 

ce Les Etats-Unis feront une estimation des revendica- 
tions portées par leurs nationaux contre l'Espagne et les 
indemniseront. 

« Les sujets espagnols, natifs de la péninsule, qui rési- 
dent sur le territoire dont l'Espagne cède et abandonne la 



_. ^ 




266 CHAPITRE XVI. 

souveraineté, peuvent continuer à demeurer dans ce ter* 
ritoire ou le quitter. Ils conserveront, dans Fun et l'autre 
cas, tous les droits de propriété, y compris le droit de 
vendre telles propriétés ou les revenus d'icelles, ou 
d'en disposer à leur gré. Ils auront également le droit 
de continuer leur industrie, commerce et profession, 
sous Tapplication des lois qui régissent les autres étran- 
gers. 

c( Dans le cas où ils resteraient sur le territoire, ils 
pourront demeurer Espagnols, en en faisant la déclara- 
tion devant une cour de justice avant l'expiration d'un 
an, à partir du jour où les traités ratifiés auront été 
échangés. A défaut d'une telle déclaration, ils seront con- 
sidérés comme ayant renoncé à leur nationalité pour 
adopter la nationalité du territoire où ils résideront. 

« C'est le Congrès qui fixera les droits civils et la situa- 
tion politique des indigènes des territoires cédés aux 
États-Unis. Les habitants des territoires dont l'Espagne 
abandonne et cède la souveraineté conserveront le libre 
exercice de leur religion. 

(( Les Espagnols résidant dans les territoires que l'Es- 
pagne abandonne et cède par ce traité seront soumis, en 
matières civile et criminelle, à la juridiction des tribu- 
naux du pays dans lequel ils habitent, et devront obéis- 
sance aux lois ordinaires de ce pays. Ils auront le droit 
de paraître et d'agir devant les tribunaux dans les mêmes 
conditions que les citoyens du pays auquel ces tribunaux 
appartiennent. Les droits de propriété que les Espagnols 
ont acquis par des documents et des patentes dans l'Ile de 
Cuba, à Porto-Rico et aux Philippines, et dans tous autres 
territoires cédés au moment de l'échange des ratifications 
du présent traité seront respectés. 

« Les ouvrages espagnols scientifiques, littéraires et 
artistiques continueront, pourvu qu'ils ne soient pas d'un 
caractère subversif, à entrer sans payer de droits dans 
ces territoires pendant une période de dix ans, qui sera 



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LE TRAITÉ DE PARIS. 267 

calculée à partir de la date à laquelle les ratifications de 
ce traité auront été échangées. 

« L'Espagne aura le droit d'établir des consuls dans 
les ports et les villes des territoires dont elle a abandonné 
ou cédé la souveraineté par le présent traité. 

« Le gouvernement de chacun des deux pays accordera 
aux navires marchands de Tautre, pendant un délai de 
dix ans, le même traitement pour tout ce qui regarde les 
frais de port, en y comprenant les droits d^entrée, de 
congé et de tonnage, comme il les accorde à ses propres 
navires marchands qui ne font pas de cabotage. Les 
droits peuvent être établis en tout temps, à condition que 
Tun des deux gouvernements en informe l'autre six se- 
maines à Tavance. 

« Il est entendu que toute obligation contractée dans ce 
traité par les États-Unis, en ce qui concerne Cuba, est 
limitée à la période d'occupation de TUe ; mais une fois 
qu'ils cesseront de l'occuper, ils engageront le gouverne- 
ment qui sera établi dans l'Ile à contracter la même obli- 
gation. 

« Dans les trois mois qui suivront l'échange des ratifi- 
cations du présent traité, les États-Unis payeront à 
l'Espagne la somme de vingt millions de dollars, ou cent 
millions de francs. » 

Il est inutile de chercher à se le dissimuler, le traité de 
Paris consacre la déchéance maritime et coloniale de 
l'Espagne. Puissent les peuples latins en méditer les 
clauses et éviter les erreurs qui ont conduit à l'abîme la 
malheureuse nation castillane. 

Les commentaires de la presse américaine pourront 
donner de précieuses indications aux pasteurs des peuples 
de la vieille Europe. Citons, en l'adoucissant, un article 
paru dans le New- York Journal. Voici comment la feuille 
américaine présentait à ses lecteurs le bilan de la guerre 
avec l'Espagne : 



268 CHAPITRE XVI. 

« 1® Ce que TEspagne perd : 

Cuba 1,500,000,000 

Philippines 2,250,000,000 

Porto-Rico 750,000,000 

Dépenses de la guerre 625,000,000 

Pertes du commerce 100,000,000 

Trente navires perdus 150,000,000 

Total 5,375,000,000 

* 
« 2<> Ce que perdent les Etats-Unis : 

Le Uaiwi 12,500,000 

Dépenses de la guerre 1,000,000,000 

Indemnité à TEspagne 100,000,000 

Total 1,112,000,000 

« Pertes en hommes pour les Etats-Unis. — Environ 
253 tués et 1324 blessés. Ces chiffres ne comprennent pas 
les 266 marins morts sur le Maine. 

liPertes en hommes pour T Espagne. — Envîron2,500 tués 
et 3,00a blessés. 

i( La catastrophe du Maine a donc coûté à l'Espagne, 
vingt et un navires de guerre, la défaite de deux armées, 
la perte de Cuba, de Porto-Rico, des Philippines et de 
quelques autres petites lies. 

« Il y a un an, TEspagne avait sous sa domination, en 
dehors de son propre territoire, dix millions d'individus. 
Actuellement il lui en reste moins de 200,000. » 

Avant de clore cette étude, savourons, sans le commen- 
ter, l'avertissement donné par le journal new-yorkais à 
des états européens qu'il ne nomme pas : 

(( Que les autres puissances qui ont des empires colo- 
niaux, et désirent les conserver, prennent bonne note de 
l'issue d'une guerre juste. » 

A qui donc peut s'adresser cette semonce dépourvue 
d'artifice ? 

L'avenir nous l'apprendra. En attendant, veillons ! 



%- 



TABLE DES MATIÈRES 



CHAPITRE PREMIER. 

UIIB PAOB D'HISTOIRE. 

Pag68. 

"Aperçu historique et géographique. — DécouTerte de Cuba et con- 
quête de rile. — Orographie et hydrographie. — Productions. 

— Population et races. — Disparition des peuplades anciennes. 

— La traite de» nègres. — La révolte de 1812. — Le Casino 
espagnol et le gouvernement de File. — L'étoile solitaire. — Les 
flibustiers de Lopez. — Le président Buchanan. — La guerre de 
dix ans. — Les doléances cubaines. — La commission coloniale. 

— Le gouYernement métropolitain refuse les réformes. — Com- 
mencement de rinsurrection. — Prise de Bayamo. — Manuel 
Cespedes, le Père de la Patrie. — Les généraux Lersundi et 
Dulce. — Anarchie et massacres. — Don Salvador Cesneros. — 
Le pacificateur Martinez Campos. — Le Convenio de Zanjon. — 

Fin de la guerre de dix ans i 

CHAPITRE II. 

L'mSURBECnON CUBAINE. 

La révolution de 1895. — Les causes de la révolte. — Griefs des 
Cubains. — Réponse des Espagnols. — Les préparatifs. — 
L'avocat José Marti. — Comités de propagande et comités d'ac- 
tion. — Les chefs de Tinsurrection. — Inertie du gouverneur 
Calleja. — Il est remplacé par Martinez Campos. — Premiers 
engagements. — Combat du Contramaestre. — Mort de Marti. 

— Combats de Peralejos et de Mulato. — Le marquis de Santa- 
Lucîa. — Manifeste révolutionnaire. — Incendie de Baracoa. — 
La République proclamée h Jimaguayu. — Constitution cubaine. 

— Le premier Président de la République. — M. Bartolomé Masso. 

— Les représentants cubains à Tétranger. — Le trésor de guerre. 



^- » <r "< "^ y 



270 TABLE DEâ MATIERES. 

Pages. 

— L'armée révolutionnaire. — Les Maceo. — Miï« Agramonte. 

— Rappel de Martinez Gampos. — Le général Weyler. — Les 
Reconcentrados. — Terribles représailles. — La mort de Maceo. 

— Les trochas. — L^asMssinat de Canovas. — Les décrets d'au- 
tonomie. — Le maréchal Blanco. -r- L'exécution du colonel Ruiz. 

— Trop tard 20 

' CHAPITRE III. 

L'SSPAQIIB Elf EXTRÊBfB-OBISIVT. 

Aux «Iles Philippines. -^ La découverte de Magellan. — Un archipel 
asiatique. — Don Miguel de Legaspi. — Les cinquante peuplades. 

— Volcans philippins. — Le Bonibon*. — Sages précautions. — 
A Mindanao. — Flore et faune asiatiques. — Le régime politi- 
que de Tarchipel. — Le cabeza de barangay. — Les bandHs 
tulisanes. — Augustins et récollets, franciscains et dominicains. 

— Le casuel des chapitres. — L'Université de Saint-Thomas. — 
Les loges maçonniques. — A San Juan del Monte. — Les frères 
dormants. — Aguinaldo. — Les foyers de conspiration. — La 
révolte de 1896. — Les aveux de M. Canovas. — La situation à 
Manille. — Don Ramon Blanco y Erenas, marquis de Pena- 
Plata. — Le tercer entorchado. — Disgrâce imméritée. — Le 
général Polaviega. — Victoires d*fmus et de Cavité. — Don Fer* 
nando Primo de Rivera. — Une médaille commémorative 37 

CHAPITRE IV. 

AU PATS DES DOLLARS. 

Le rôle des États-Unis. — Un njessage de M. Cleveland. — Conflit 
^ inévitable. — La junte insurrectionnelle cubaine. — Les navires 
flibustiers. — Proposition d'intervention. — Protestation du 
gouvêrneqjeni espagnol. — L'orgueil castillan. — M. Mac Kinley 
à la Maison-Blanche. — Réorganisation municipale de Cuba. — 
L'indécision de M. Sagasta. — La junte de New- York. — Le 
consul général Lee. — Situation tendue. — L'incident Dupuy 
de Lôme. — L'explosion du Maine, — M. Polo de Barnabe à 
Washington. ^— Jingoïstes et presse jaune. — Télégramme du 
capitaine Sigsbee. — Eflroyable catastrophe. — Accident ou 
crime. — Préparatifs de guerre. — La commission d'enquête. 

— Rupture imminente. — Conclusions inconciliables. — Un 
message présidentiel. — Encore les reconcentrados. — Propo- 
sitions espagnoles. — Mobilisation des flottes. — Intervention du 
pape. — Démarche des six puissances. — Un armistice à Cuba. 

— Les instructions de^ ambassadeurs 54 



TABLE DES MATIERES. . 271 



CHAPITRE V. 

LA RUPTURE. 

Le message de M. MaeKinley.* — Historique delà question cubaine. 

— Paix ou guerre. — Impuissance de TEspagne. — Un rapport 
de M. Lee; — Propositions belliqueuses. — Une lettre de Maximo 
Gomez. — Entente impossible. — Préparatifs espagnols. — Une 
souscription nationale. — Au Sénat américain. — Les ordres du 
jour. >- Résolution conjointe. •»- A la Chambre des représentants. 

— L'ultimatum de M. Mac Kinley. — M. Polo de Barnabe demanda 
ses passeports. — Départ du général Woodford pour la France. 

— L'ouverture des Cortès. -^ Un discours de la reine régente. 

— Déclaration de guerre officielle. — Capture de navires mar- 
chands. — Le blocus de Cuba. — L'amiral Sampson quitte Key- 
West. — Devant la Havane. — L'escadre du Pacifique. -^ Cuba 

en état de siège. — Mobilisation espagnole 77 



CHAPITRE VI. 

UN PEU DE DROIT DES GWS. 

La convention de Paris et la guerre de course. -^ Les droits des 
corsaires. — Les croiseurs auxiliaires. — La contrebande de 
guerre. — L'avis des jurisconsultes. — Jurisprudence française. 

— Déclaration de neutralité. — Les intentions de M. Mac Kinley. 

— La société de secours aux blessés militaires. — Les Tolontaires 
aux États-Unis. — Appareillage de l'encadre de Hampton-Road. 

— Le plan de campagne américain. — Les idées du général 
Miles. — La question des câbles sous-marins. — Difficultés finan- 
cières en Espagne. — Une circulaire aux puissances. — Une 
évolution de la doctrine de Monroë. — Protestation platonique. . 98 

I 

CHAPITRE VII. 

LES FORCES EN PRÉSENCE. 

Puffîsme américain. — Un article du World. — Les forces latentes. 

— L'armée fédérale. — Réguliers et miliciens. — La marine des 
États-Unis. — La flotte espagnole. — Les croiseurs auxiliaires. 

— La répartition des escadres. — Les points -vulnérables. — La 
question du charbon. — Les points dç relâche. — Possessions 
espiagnol'es du Pacifique. — Les théâtres de guerre. — Oflènsite 

ou défensive. — Hésitations funestes 112 






^Ta 



272 



■;^' 






TABLE DES MATIERES. 



CHAPITRE VIII. 



PRXBCIERS 



COPPS DE CANON. 



Pages. 



». ■ 



& 



7", 

i. 



«# 



Premiers coups de canon. — Capturedu Biienavièntura, — Le blo- 
cus de Cuba. — La situation aux Philippines. . — Le combat du 
Cushing et de la Ligera. — Bombardement de Matanzas. — Les 
enrôlements aux États-Unis. — National Guard et Gowardly 
Seyenth. — Les éTolutions de Tamiral Sampson. — L'amiral 
Montojo à Manille. — L'arriyée des Américains aux Philippines. 
Désastre de Cavité. — Les escadres en présence^ — Destruction 
de la flotte espagnole. — Manifestations en Amérique. — Le 
Dewey day. — Piété du Sénat américain. — En Espagne l26 

CHAPITRE IX. 

L'ESCADRE FANTOME. 

L*îM|ident du La Fayette. — Dans les eaux de la Hayane. — Une 
chasse au steamer. — Navire capturé. — Protestations de 
M. Cambon. — Le £<a Fayette est relâché. — Tentative sur Car- 
denas. — Le Wilminyton et VHudson. — Bombardement de 
Cienfuegos. — A Tembouchure de TArimao. — Devant Cabanas 
et Bahia- Honda. — L'escadre fantôme. — L'amiral Cervera. — 
Dans la mer des Antilles. — Nouvelles contradictoires. — Le 
Viscaya à Fort de France. — Incertitudes américaines. — Les 
dispositions de l'amiral Sampson. — L'escadre espagnole à San- 
tiago de Cuba. — Un télégramme de la reine régente. — Le 
goulot de la bouteille. — Dans la souricière 14^ 

CHAPITRE X. 

LES AMÉRICAINS A MANILLE. 

A Porto-Rico. »— En vue de San-Juan. — Quelques heures de 
bombardement. — Le blocus de Manille. — La canonnière Cal- 
lao, — Les Tagals. — Ajournement des Cortès. — Un nouveau 
cabinet. — L'escadre Camara. — Dans la mer des Antilles. — 
Mort du chef insurgé Emilie Gollazo. — Guantanamo et Caima- 
nera. — L'escadre Gervera bloquée. — Des plans fantaisistes. — 
Les anathèmes de l'archevêque de Manille. — Le corps expédi- 
tionnaire des Philippines. — Dewey contre Augusti. — La tête 
d'Aguinaldo mise à prix. — Combats, de Bancoor et de Cavité. 
— Une dépêche alarmante. — Prise de Bancoor et d'Imus. — 
A l'arsenal de Cadix. — Le gouverneur des îles Visayas. — A 



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■"Ta- -•*^ .- 






^ TABLE DES MATIÈRES 273 

*. 
Mindanao. — L'attaque de Manille. — Sur le fleuve Zapote, — •• *^®*' 
Proclamation d'Aguinaldo. — Attaque de Malate. — Le général 
Jaudenez v . . ; 157 

. CHAPITRE XL 

Jr . 

SABCPSOn CONTRE OERVEBA. 

A Santiago de Cuba. — Où se trouve la flotte espagnole? — Hésita- 
tions des Américains. — Recherches infructueuses. — Une confé- 
rence à Washingto». — La sérénité de M. Sagasta« — L'escadre 
Cenrera est retrouvée. — Le corps expéâitîonnnaire Shafter, — 
Premier bombardement des ouvrages de Santiago. •— Enthou* 
siaeme espagnol, — Le navire Merrimac, — Hobson et ses braves 
compagnons. -* Deux versions contradictoires. — Deuxième 
bombardement. — Débarquement du colonel Huntington. — Les * 
fbrces espagnoles autour de Santiago. — Plaintes de l'amiral 
Sampson. — Départ dm corps expéditionnaire. — Troisième hora- •> 
bardement de Santiago 178 

CHAPITRE XII. 

OPÉRATIONS CONTRE SANTIAGO. 

Le corps expéditionnaire à Santiago. — tJn conseil de guerre. — 
Les points de débarquement. — A terre. — Le « Yankee dodle ». 

— Le rapport du général Linarés. —Le chef insurgé Jésus Rabi. 

— L'organisation du camp. — Dispositif de l'escadre espagnole. 
^ — Gompcfiition des trcMjpes d'investissement. — Les roughs- 

riders. — L'avant- garde du général Lawton. — L'engagement 
de Jaragua. — L'escadre Catnara à Suez. — Pas de charbon. — 
Le passage du Rio-Guama. — Les généraux Pando et Pareja. 

— L'escadre du commodore Howell. — Proclamation du prési- 
dent Mac Kinley. — L'extension du blocus de Cuba. — La revue 
de Jaragua. — Les conduites d'eau de Santiago. — Lé comman- 
dement des lignes d'investissement. — Les débuts de la bataille. 

— La prise d'El Caney. -:— Contre le Morro. — Les pertes. — 
Blessure du général Linarés. — Le général Toral. — Un cadeau 
de fôte. — Dest^uction de l'escadre espagnole 194 

CÇAPITRE XIII. 

LA CAPITULATION DE SANTIAGO, 

Proclamation du maréchal Blanco. — Plus d'illusions. •-* L^échange 
des prisonniers. — Une suspension d'armes. — Le plan d'attaque, ^| 

18 



»• 



1 






274 ' TABLE DES MATIÈRES, " 

' — Premières négociations. — Nouyeau bombardement. —Arrivée 
du gèlerai Milea* ~r Dénouement imminent. — ^es négociateurs. 
-^.La capitulation de Santiago. -— Les exigence^ du Vainqueur. 

— Dans le camp américain. — Aux Ëtats-Unif. — Lj^ernière 
parade* — Situation de prise d'armes.* — Le gbuYorneur de 
Santiago. — Mesures administratives. — ^ Entce llméricâîhi* et 
insurgés. — Le chef Gastillo. —Une lettre de GaMito Garcia. — 
Réponse du général Shafter. — Dans la baiede.Nipe. — Pétition 
des Cubains. — L'ambassadeur de France. — Est-ce la^aii"? — 
A la Maison-Blanche. — Gontinuation des hostilités^ -p encore 

Une proclamation du maréchal '213 

CHAPITRE XIV. 

L'EXPÉDITION DE PORTO -BICO. 

L'expédition de Porto-Rico. — Le plan de campagne. «^ Les forces 
es^gnlMes dans l'Ile. — Débarquement à Guaqîpa. — Les fortifi- 
tations de Ponce, — Le drapeau américain. — Sur la route de 
San-Juan. — Un article du Correo, — Prise de Ponce. — Procla- 
mation du général Miles. — Le colonel Hullngs occupe Juana- 
diaz. — Au phare de Gabeza. — Engagement de Mayaguez. — 
La suspension des hostilités S!32 

CHAPITRE XV. 

LA CHUTE DE BiAIVIIXE. 

La situation aux Philippines. — Les progrès des Tagals. *— 'Plus de 
munitions. — Télégramme du général AuguSfti. — Sur la rivière 
Pasig. -r- Le général Monet à Bulacan. — Révolte des troupes 
indigènes. — A Mindanao. — Dans la b«îe de Manille. — Ren- 
forts américains, r— » be canonnière allemande Irène. — Succès 
des insurgés. -— Défaite de Monet à Macabebe. -^ Les avances 
d'Aguinaldo. — L'état de siège aux Philippines. — Le premier 
ministère philippin. '— - Les insignes du dictateur. — Relations 
tendues. -^ Instructions du général Merritt. — Une sortie géné- 
rale. «^ La quatrième expédition américaine. — Fuite du gêné- 
jral AugustL — Reddition de Manille. — Situation embrouillée. 

— Rapport de Tamiral Dewey. — Les termes de la capitulation. 240 

CHAPITRE XVI. 

LE TRAITÉ DE PARIS. 

Les négociations., -r- Les conditions américaines. — Abolition des 



,^, - ..... .. ^-_._^. , — .... — , . .-» .- — »• 



* ^ TA^LE DES MATIÈRES. . 275 

■* 

Pages, 

traités de commerce. — Le sort des Philippines. — Un commu- 
niqué officiel. ^Ui^ échange de notes. — Signature du proto- 
cole. — Les 4Bomnientalres de la presse. — Le licenciement des 
troupes de Guèa.sp. Rapatriement de Tannée. — Une réception 
triomph||^ |t I!|^w-York. — Discours du maire Van Wick. — Les 
commisss^pes américains. — La commission espagnole. — La 
paix définitive. =- Le traité de Paris 257 



Parîs. — Imprimerie R. Chapelôt et C«, 2, rue Cliristine. 



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