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(«..
L'ALCniMlE
LES ALCHIMISTES
'/»
. TYP. MM..N lUÇ.^N ET COMP. , RUE D'EnHJRTII , 1.
L'ALCHIMIE
ET
LES ALCHIMISTES
SUR LA PHILOSOPHIE HERMÉTIQUE
PAK
LOUIS FicaviiiR
Docteur es scienceii, docteur en médecine , a«rrégc de chimie à l'Écolb
de Pharmacie de Paris
DEUXIÈME ÉDITION, REVUE EX AUGMENTÉE
PARIS
LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET C'«
nUE PIERRE-SARRAZIN, 14
1856
hoi^û
Malgré le profond discrédit dans lequel elle est tombée
depuis la fin du dernier siècle, Talcliimie n'a pas perdu
le privilège d'éveiller la curiosité et de séduire l'imagi-
nation. Le mystère qui Tenveloppe, le côté merveilleux
que Ton prête à ses doctrines, le renom fantastique qui
s'attache à la mémoire de ses adeptes, tout cet ensemble
à demi voilé de réalités el d'illusions, de vérités et de
chimères, exerce encore sur certains esprits une singulier
prestige. Aussi, depuis AuréliusAugnrelle, qui composa,
en 1514, son poënie latin Chrysopoia, jusqu'à Tauleur
de Fatistj les poètes et les faiseurs de légendes n*ont pas
manqué d'aller puiser à cette source féconde, et Tima-
gination a régné sans partage dans ce curieux domaine,
dont les savaots négligeaient l'exploration. L'alchimie est
la partie la moins connue de l'histoire des sciences. L'obs-
curité des écrits hermétiques, l'opinion généralement
répandue que les recherches relatives à la pierre philo-
sophale et à la transmutation des métaux ne sont qu'un
assemblage d'absurdités et de folies, ont détourné de ce
sujet l'attention des savants. On peut cependant écarter
sans trop de peine les difficultés que le style obscur des
alchimistes oppose à l'examen de leurs idées. Quant à
l'opinion qui condamne tous leurs travaux comme insen-^
ses ou ridicules, sur beaucoup de points elle est fausse,
sur presque tous elle est exagérée. L'alchimie fût^elle,
d'ailleurs, le plus insigne monument de la folie des hom-
mes, son étude n'en serait point encore à négliger. Il est
bon de suivre l'activité de la pensée jusque dans ses
aberrations les plus étranges. Détourner les yeux des
égarements de l'humanité, ce n'est point la servir; recher-
cher, au contraire, en quels abîmes a pu tomber la rai-
son, c'est ajouter à l'orgueil légitime que ses triomphes
nous inspirent. Disons cnlin que l'alchimie est la mère
de la chimie moderne; les travaux des adeptes d'Hermès
III
ont fourni la base de Tédifice actuel des sciences chimi-
ques. Ces doctrines intéressent donc Thistoire des sciences
autant que celle de la philosophie.
L'ouvrage, ou plutôt Fessai que je soumets au juge-
ment du public, a pour but d'attirer l'attention sur cette
période de la science des temps passés. Voici Tordre que
j'ai cru pouvoir adopter pour la distribution des ma-
tières.
La première partie est consacrée à un exposé som-
maire des opinions et des doctrines professées par les
philosophes hermétiques. On y trouvera le tableau des
travaux exécutés par les alchimistes pour la recherche
de la pierre philosophale, et le résumé des principales
découvertes chimiques qui leur sont dues.
La seconde partie est une sorte d'étude historique où
Ton essaye de fixer le rôle que l'alchimie a joué dans la
société du moyen âge> et de la renaissance, époque où
elle exerça le plus d'empire sur les esprits.
La troisième partie, intitulée Histoire des principales
transmutations métalliques^ est un résumé des événe-
ments étranges qui ont entretenu si longtemps en Eu-
rope la croyance aux doctrines de la science transmuta-
toire. On a eu soin de donner de chacun de ces faits, si
merveilleux en apparence, l'explication qui parait au-
jourd'hui la plus probable.
La dernière partie, V Alchimie au dix-neuvième siècle,
a pour but de montrer que les opinions alchimiques ne
sont pas de nos jours complètement abandonnées, et de
mettre en relief les motifs que quelques personnes invo-
quent encore pour les justifier.
Je me fais un devoir, en terminant, de signaler les
sources auxquelles j'ai eu recours pour cette suite d'élu-
dés. Le savant ouvrage deM. HermannKopp, Geschichte
der Chemiey publié en 1844, m'a fourni des documents
précieux pour ce qui se rapporte à l'exposition des tra-
vaux exécutés par les alchimistes dans la recherche de
la pierre philosophale. J'ai trouvé dans le livre, déjà
ancien, de G. de Hoghelande, Historié diquot transmu-
tationis meiallicx^ quelques récits intéressants de trans-
mutations. Mais c'est principalement à l'ouvrage spécial
sur l'alchimie, publié à Halle, en 1832, par Schmieder,
professeur de philosophie à Cassel ( Geschichte der Al-
chemie), que j'ai emprunté les renseignements les plus
utiles pour l'histoire des faits de ce genre. Composé par
un partisan déclaré des idées alchimiques, le livre du
professeur de Cassel est riche de documents puisés aux
meilleures sources bibliographiques, et, en faisant la
part des prédilections de l'auteur, j'ai pu tirer un parti
utile des faits dont il a rassemblé les détails.
Mon but sera atteint si cet ouvrage réussit à attirer
l'attention du public littéraire et scientifique sur une pé-
riode aussi curieuse qu'ignorée de Thistoire des sciences.
Paris, 25 septembre 1854.
Un mot au lecteur à Toccasion de cette deuxième édi-
tion.
Le public et la presse ont fait à cet ouvrage un ac-
cueil des plus favorables, et Fauteur en a été vivement
touché. Mais on lui a adressé le reproche d'avoir raconté
avec trop de complaisance les événements historiques
qui semblent établir la réalité de la découverte de la
pierre philosophale. On a dit, à ce propos, qu'il était
partisan de l'alchimie, et que son livre aurait pour
résultat d'attirer de nouveaux croyants à cette erreur.
C'est la faute de l'auteur s'il n'a pas su exprimer exac-
tement sa pensée dans son ouvrage, il va donc s'attacher
ici à la rétabh'r.
Contrairement aux règles de la logique, qui veulent
que Ton déduise les conclurions après les prémisses:
contrairement à celles de l'algèbre, qui prescrivent de
procédnr du connu à l'inconnu, noutî allons poser ici J^
conclusion générale qui découle du travail que l'on va
ire, et énoncer dans toute sa netteté la pensée qui h
domine.
La conclusion générale de ce livre, la voici :
Vétai présent de h chimie empêche de considérer
comme impossible le fait d£ la transmutation des métaux;
il résulte des données scientifiques récemment acquises
et de r esprit actuel de h ekimie que la transformation
d'un métal en un autre pourrait s'exécuter.
Mais t' histoire nous montre que jusqu'à ce jour per-
sonne n'a réalisé le phénomène de \a transmutation mé-
tidiique.
Ainsi la Iransmutation d'un métal en or est possi-
ble, mais on n est pas en droit d* affirmer qu'elle ait ja-
mais été réalisée. Telle est notre pensée nette et précise
sur ce sujet tant débattu.
Nous accueillerions avec satisfaction Tannonco de la
découverte positive de la transmutation des métaux.
Mais voici le motif qui nous ferait accepter cette dé-
couverte avec joie. A rexpérimentateur heureux qui au-
rait réussi à transformer en or un métal étranger, nous
adresserions cette prière, d'appliquer tout aussitôt son
secret ou sa méthode à composer artificiellement du fer,
ce dernier métal étant pour la société actuelle d'une
I
VII
tout autre importance, d'une tout autre utilité que Tor
lui-même. Pour les développements de Tagriculture et
de l'industrie, pour Taccomplissement du travail public,
en un mot pour le bonheur des sociétés, le roi des mé-
taux c'est le fer, et non pas Tor.
Voilà dans quel sens et dans quel esprit Tauteur de ce
livre est partisan des idées alchimiques.
Au reste, cette objection de la critique reposait sur
quelques points trop peu développés du récit de certains
événements. En les complétant dans l'édition actuelle,
l'auteur espère s'être mis à Tabri de ce reproche.
Paris, i" février 1856.
EXPOSÉ
DES DOCTRINES ET DES TRAVAUX
DES ALCHIMISTES
EXPOSÉ
DES DOCTRINES ET DES TRAVAUX
DES ALCHIMISTES
L'objet de l'alchimie, c est, comme personne ne l'ignore,
la transmutation des métaux; changer les métaux vils en
métaux nobles, faire de l'or ou de l'argent par des moyens
artificiels : tel fut le but de cette singulière science, qui ne
compte pas moins de quinze siècles de durée.
Le principe de la transmutation métallique a probable-
ment trouvé sa source dans l'observation des premiers phé-
nomènes de la chimie. Dèsque l'expérience eut fait connaître
quelles modifications, quelles transformations surprenantes
provoque l'action mutuelle des corps mis en présence,
l'espoir de faire de l'or dut s'emparer de l'esprit des hommes.
En voyant les altérations nombreuses que les métaux éprou-
vent sous l'influence des traitements les plus simples, on crut
pouvoir produire dans leur nature intime une modification
plus profonde, former de toutes pièces les mélaux précieux,
et imiter ainsi les plus rares productions de la nature. Au
début de la science, un tel problème n'avait rien au fond
que d'assez légitime; mais, dans une question semblable, Ten-
trainement des passions humaines suscitait un élément trop
opposé aux dispositions philosophiques. Ces tentatives, qui
4 DOCTRIiNKS KT rRAVAlX
nauruient dû offrir à lu chimie naissante (|u un problème
secondaire et passager, devinrent le but de tous ses travaux,
et pendant douze siècles la résumèrent en entier. Ce n*est
(|ue vers le milieu du seizième siècle, que quelques savants,
découragés de tant d'efforts inutiles, commencèrent d'élever
les premières barrières entre l'alchimie, ou Tari prétendu
des faiseurs d'or, et la chimie considérée comme science in-
dépendante et affranchie de tout but particulier.
A quelle époque et chez quelle nation fautril placer la
naissance de l'alchimie 1 Pour donner de leur science une
imposante idée, les adeptes ont voulu reporter son origine
aux premiers Ages du monde. Olœus Borrichius, dans son
ouvrage laiin sur VOngine et les pivgrès de la chimie^,
fait remonter cette science aux temps de la création, puis-
qu'il place son berceau dans les ateliers de Tubalcaïn, le for-
geron de rÊcriture. Cependant le commun des alchimistes
se contentait d'attribuer cette découverte à Hermès Tmmé-
ijiste, c'est-à-dire trois fois grand, qui régna chez les anciens
Kgyptiens, el({ue ce peuple révérait comme l'inventeurde tous
les arts utiles, et avait, à ce titre, élevé au rang des dieux.
On comprend sans peine que les premiers partisans de
ralchimie aient tenu à honneur d'ennoblir leur science en
conHmdant ses débuts avec ceux de l'humanité et lui accor-
dant l'antique Egypte pour patrie. Mais ce qui a lieu de
surprendre, c'est qu'un écrivain moderne d'un grand mérite
ait adopté une telle opinion et lui ait fourni le poids de son
autorité et de ses lumières. Dans son Histoire de la chimie,
M. le docteur Hoefer s'est efforcé de démontrer que les recher-
ches relatives à la transmutation des métaux remontent aux
temps les plus reculés, et (pfelles faisaient partie de cet en-
semble de connaissances désigné sous le nom d'ari sacré, qui
fui, dit-on, cultivé depuis les temps historiques au fond des
temples égyptiens. Nous sommes peu disposé, en principe, à
' Oêorlu Mproyressa chenitx.
DES ALCHIMISTES. 5
accepter cette opinion si répandue, que les anciens Égyptiens
ont possédé les trésors de toute la science humaine. De ce
qu'un mystère profond a toujours dérobé aux yeux de l'his-
toire les travaux auxquels se consacraient, dans leurs silen-
cieuses retraites, les prêtres de Thèbes et de Memphis, on
n'est point, il nous semble, autorisé à leur accorder la no-
tion de tout ce que le génie humain peut enfanter. Le rai-
sonnement contraire nous semblerait plus logique. Les
Égyptiens ont fait usage, sans doute, de procédés pratiques,
de recettes empiriques applicables aux besoins des art^.
Mais tous ces faits n'étaient point liés en un corps de science.
Si, depuis le moyen âge, ce préjugé s'est répandu, que les
Égyptiens possédaient en chimie des connaissances |)rofon-
des, c'est que les emblèmes singuliers, les caractères bizar-
res qui couvraient l'extérieur de leurs monuments, demeu-
rant alors impénétrables pour tous, firent penser au vulgaire
que ces signes mystérieux étaient destinés à représenter, sur
les diverses branches de la science humaine, des révélations
perdues depuis cette époque. L'absence de tous documents
positifs propres à dévoiler la nature et l'étendue des travaux
scientifiques de ces peuples permet de leur contester de si
hautes connaissances. Kn ce qui touche particulièrement
l'alchimie, comme tous les documents écrits qui la concer-
nent ne remontent pas au delà du quatrième siècle de Tère
chrétienne, il est d'une saine critique historique de ne point
fixer son origine plus haut que cette époque.
Les ouvrages dont nous parlons appartiennent aux auteurs
byzantins. Il est donc probable que l'alchimie prit naissance
chez les savants du Bas-Empire, dans cette heureuse Byzance
où les lettres et les arts trouvèrent un refuge au quatrième
siècle contre les agitations qui bouleversaient alors tous les
grands Étals de l'Europe.
Les premiers écrits alchimiques émanés des écrivains de
Byzance appartiennent au septième siècle. L'Egypte était
alors considérée comme le berceau de toutes les sciences
« DOCTRINES ET TRAVAUX
humaines. Pour prôlor plus (Vautorité à leurs ouvrages,
les auteurs byzantins eurent la pensée de les attribuer
à la plume môme du dieu Hermès. C'est ainsi que la biblio-
graphie alchimique s'enricbit d*un nombre considérable de
traités qui furent faussement rapportés à des personnages
appartenant à des époques fort antérieures. Ces traités, dont
le plus grand nombre existe en manuscrit, se trouvent au-
jourd'hui dans diverses bibliothèques de TEurope, et M. le
docteur Hoefer en a mis quelques-uns au jour dans son His-
toire de la chimie. Mais il est facile de se convaincre, d'après
le style, récriture, le papier de ces manuscrits, que ce ne
sont là que des œuvres apocryphes dues à la plume des
moines des huitième, neuvième et dixième siècles.
C'est donc aux savants de Constantinople qu'il convient de
rapporter les premières recherches relatives à la transmutais
tion des métaux. Les savants grecs entretenaient des rela-
tions continuelles avec Técole d'Alexandrie; aussi Talchimie
fut-elle cultivée presque simultanément en Grèce et dans
rÉgypte. Au septième siècle, l'invasion de l'Egypte par les
Arabes suspendit quelque tempslecours des travauxscientifi-
ques; mais, une fois le peuple nouveau solidement établi sur
le sol de la conquête, le flambeau des sciences fut rallumé.
Les Arabes, continuant les recherches de Técole d'Alexandrie,
s'adonnèrent avec ardeur à l'étude de l'œuvre hermétique.
Bientôt Talchimie fut introduite chez toutes les nations où
les Arabes avaient porté le triomphe de leurs armes. Au hui-
tième siècle, elle pénétra avec eux en Espagne, qui devint,
en peu d'années, le plus actif foyer des travaux alchimiques.
Du neuvième au onzième siècle, tandis que le monde entier
était plongé dans la barbarie la plus profonde, l'Espagne
conservait seule le ])récieux dépôt des sciences. Le petit nom-
bre d'hommes éclairés disséminés en Europe allait cher-
cher dans les écoles de Cordoue, de Murcie, de Séville, de
Grenade et de Tolède, la tradition des connaissances libérales,
et c'est ainsi que ralchimie fut peu à |)eu répandue en Occi-
DES ALCHIMISTES. 7
dent. Aussi, quand la domination arabe se trouva anéantie
en Espagne, l'alchimie avait déjà conquis sur le sol de TOc-
cident une patrie nouvelle. Amauld de Villeneuve, saint
Thomas, Raymond Lulle, Roger Bacon, avaient puisé chez
les Arabes le goût des travaux hermétiques. Les nombreux
écrits de ces hommes célèbres, l'éclat de leur nom, la renom-
mée de leur vie, répandirent promptement en Europe une
science qui offrait à la passion des hommes un aliment fa-
cile. Au quinzième siècle, Talchimie était cultivée dans toute
rétendue du inonde chrétien. Le dix-septième siècle vil
Tapogée de son triomphe; mais, descendue alors des écrits
et du laboratoire des savants dans l'ignorance et l'imagina-
tion du vulgaire, elle préparait sa ruine par l'excès de ses
folies.
C'est à cette époque que s'opéra la scission favorable qui
devait donner naissance à la chimie moderne. Au commen-
cement du dix-septième siècle, quelques savants, effrayés du
long débordement des erreurs alchimiques, commencèrentà
arracher la science aux voies déplorables où elle s'égarait de-
puis si longtemps. La transmutation des métaux avait été
considérée jusque-là comme le problème le plus élevé, ou
plutôt comme Tunique but des recherches chimiques ; dès ce
moment le champ de ses travaux s'agrandit, et, sans aban-
donner complètement encore les vieilles croyances hermé-
tiques, on flt delà chimie une science plus vaste, indépen-
dante de tout problème particulier, et embrassant le cercle
immense de l'action moléculaire et réciproque des corps. Les
observations innombrables recueillies par les alchimistes de-
vinrent les éléments de cette révolution tardive ; plus sage-
ment interprétées, elles ouvrirent bientôt une voie favorable
à l'étude de vérités naturelles. Toutefois le triomphe définitif
fut long à s'accomplir, la nouvelle école des chimistes dut
conquérir le terrain pied à pied. La lutte fut difficile, et
cette période de l'histoire des sciences est féconde en péripé-
ties. L'antique chimère du grand œuvre avait jeté dans les
g DOCTRINES *T TRAVAUX
esprits de si vives racines, qu'elle conserva jusqu'à la fin tlu
siècle dernier d'opiniâtres sectaires et d'inébranlables défen-
seurs. La victoire ne fut décidément acquise qu'après la ré-
formation mémorable opérée dans les sciences chimiques
par le génie de Lavoisier.
Ce court aperçu historique résume suffisamment Tidée
générale que nous devions présenter de Talchimie avant
d'aborder l'exposition de ses doctrines. Entrons mainte-
nant dans l'analyse de ses principes et de ses théories.
CHAPITRE PREMIER
PRINCIPES FONDAMENTAUX DE L^LCHIMIE. — PROPRIÉTÉS ATTRIBUÉES
• A LA PIERRE PniLOSOPHALB.
Sur quelle base, sur quel fondement théorique reposait la
doctrine de la transmutation des métaux? Elle s'appuyait
sur deux principes que l'on trouve invoqués à chaque instant
dans les écrits des alchimistes : la théorie de la composition
des métaux, et celle de leur génération dans le sein du globe.
Les alchimistes regardaient les métaux comme des corps
composés; ils admettaient de plusque leur composition était
uniforme. D'après eux, toutes les substances offrant le ca-
ractère métallique, étaient constituées par l'union de deux
éléments communs, le soufre et le mercure ; la différence de
propriétés que l'on remarque chez les divers métaux ne
tenait qu'aux proportions variables de mercure et de soufre
entrant dans leur composition. Ainsi l'or était formé debeau-
coup de mercure très-pur, uni à une petite quantité de sou-
fre très-pur aussi ; le cuivre, de proportions à peu prèségales
DES ALCHIMISTES. '.)
do ces deux éléments ; Tétciin, de beaucoup de soufre mal
fixé et d*un peu de mercure impur, etc.
C'est ce que Geber nous indique dans son Abrégé du par-
fait magistère :
« Le soleil {l'or), dit-il , est formé d'un mercure très subtil et
d'un peu de soufre très-pur, fixe et clair, qui a une rougevu' nette;
et comme ce soufre n'est pas également coloré et qu'il y en a qui est
plus teint l'un que l'autre , de là vient aussi que l'or est plus ou
moins jaune... Quand le soufre est impur, grossier, rouge, livide,
que sa plus grande partie est fixe et la moindre non fixe, et qu'il se
mêle avec un mercure grossier et impur de telle sorte qu'il n'y ait
guère ni plus ni moins de l'un que de l'autre, de ce mélange il se
forme Vénus {le cuivre)... Si le soufre a peu de fixité et une blan-
cheur impure, si le mercure est impur, en partie fixe et en partie
volatil, et s'il n'a qu'une blancheur imparfaite, de ce mélange il se
fera Jupiter (l'étain) . »
Ce soufre et ce mercure, éléments des métaux, n'étaient
point d'ailleurs identiques au soufre et au mercure ordi-
naires. Le mercurius des alchimistes représente l'élément
propre des métaux, la cause de leur éclat, de leur ductilité,
en un mol de ia méîalléité; le svlphur indique l'élément
combustible.
Telle est la théorie sur la nature des métaux qui forme la
base desopinionsalchimiques. On comprend en effet qu'elle a
pour conséquence directe la possibilité d'opérer des transmu-
tations. Si les éléments des métaux sont les mêmes, on peut
espérer, en faisant varier, par des actions convenables, la pro-
portion de ces éléments, changer ces corps les uns dans les
autres, transformer le mercure en argent, le plomb en or, etc.
On ignore quel est l'auteur de cette théorie, remarquable»
en elle-même comme la première manifestation de la pensée
scientifique, et qui a été ad mise jusqu'au milieudu seizième
siècle. L'Arabe Geber, au huitième siècle, la mentionne le
premier, mais Une s'en attribue pasla découverte; il la rap-
porte « aux anciens. »
\.
10 I>OCTRINES ET TUAVAliX
La théorie de la génération des métaux est assez claire-
m(»nt formulée dans la plupart des traités alchimiques. Con-
formément à un système d*idées qui a joui d*un crédit
absolu dans la philosophie du moyen âge, les écrivains her-
métiques comparent la formation des métaux à la génération
animale, ils ne voient aucune différence entre le développe-
ment du fœtus dans la matrice des animaux et l'élaboration
d*un minéral dans le sein du globe.
« Les alchimistes, dit Boerhaave, remarquent que tous les êtres
créés doivent leur naissance à d'autres de la même espèce qui exis-
taient avant eux ; que les plantes naissent d'autres plantes, les ani-
maux d'autres animaux, et les fossiles d'autres fossiles. Ils prétendent
que toute la faculté génératrice est cachée dans une semence qui
forme les matières à sa ressemblance et les rend peu à peu sembla-
bles à l'original... Cette semence est d'ailleure si fort immuable,
qu'aucun feu ne peut la détruire; sa vertu prolifique subsiste dans
le feu, par conséquent elle peut agir avec la plus grande prompti-
tude et changer une matière mercurielle en un métal de son es-
Pour former un métal de toutes pièces, il suffisait donc
de découvrir la semence des métaux. C'est par une consé-
quence de cette théorie que les alchimistes appellent œuf on
(mfphilosophiqiie{(wurnphilosophicum) le vase dans lequel
on plaçait les matières qui devaient servir à l'opération du
grand œuvre.
On professait en outre, au sujet de la génération des sub-
stances métalliques, une idée qu'il importe de signaler. La
formation des métaux vils, tels que le plomb, le cuivre, Té-
tain, était considérée comme un pur accident. La nature,
«'efforçant de donner à ses ouvrages le dernier degré de per-
fection, tendait constamment à produire de l'or, et la nais-
sance des autres métaux n'était, selon les alchimistes, que
le résultat d'un dérangement fortuit survenu dans la forma-
tion de ce corps.
a II faut nécessairement avouer, dit Salmon, que l'intention de la
DES ALCHIMISTES. Il
nature en produisant les métaux n'est pas de faire du plomb, du fer,
du cuivre, de Tétain , ni même de l'argent, quoique ce métal soit
dans le premier degré de perfection, mais de faire de Tor {y enfant
de ses désirs); car cette sage ourrière veut toujours donner le der-
nier degré de perfection à ses ouvrages, et, lorsqu'elle y manque et
qu'il s'y rencontre quelques défauts, c'est malgré elle que cela se
fait. Ainsi ce n'est pas elle qu'il en faut accuser, mais le manque-
ment de causes extérieures... C'est pomrquoi nous devons considérer
la naissance des métaux imparfaits comme celle des avortons et des
monstres, qui n'arrive que parce que la nature est détournée dans
ses actions,, et qu'elle trouve une résistance qui lui lie les mains et
des obstacles qui l'empêchent d'agir aussi régulièrement qu'elle a
coutume de le Mre. Cette résistance que trouve la nature, c'est la
crasse que le mercure a contractée par l'impureté de la matrice,
c'est-à-dire du lieu où il se trouve pour former l'or, et par l'al-
liance qu'il fait en ce même lieu avec un soufi^e mauvais et combus-
tible «. »
Ainsi les alchimistes partaient de ce principe fondamental,
que les métaux, et en général toutes les substances du
monde inorganique, étaient doués d'une sorte de vie. Comme
les êtres animés, ces substances avaient la propriété de se
développer au sein de la terre, et de passer par une série de
perfectionnements qui leur permettrait de s'élever de l'étal
imparfait à l'état parfait. Pour les alchimistes, l'état d'im-
perfection d'un métal était caractérisé par son altérabilité ;
.son état de perfection, par la propriété de résister à l'action
des causes extérieures. Le fer, le plomb, Tétain, le cuivre,
le mercure, métaux facilement altérables, ou oxydables
comme nous le disons aujourd'hui, étaient les métaux vils
ou imparfaits ; l'or et l'argent, inaltérables au feu et qui
résistent à la plupart des agents chimiques, représentaient
les métaux nobles ou parfaits.
Les diverses modifications par lesquelles les métaux de-
vaient passer pour arriver à l'état d'or ou d'argent étaient
* Bibliothèque des philosophee chimiques. — Préface.
12 DOCTRINES ET TRAVAUX
provoquées, selon les alchimistes, par Faction des astres.
C'est à la secrète influence exercée sur eux par les grands
corps célestes qu'était dû le perfectionnement graduel qui
s'opérait dans leur nature intime. Mais cette action était fort
lente : elle exigeait des siècles pour s'accomplir.
Les alchimistes ne sont pas d'accord sur la limite du pro-
grès qui s'exerce au sein des métaux. Le plus grand nombre
des auteurs considèrent ce progrès comme devant s'aiTêter
lorsque le métal est parvenu à Tétat d'or ou d'argent; une
fois à l'état de métal noble, il doit y persister éternellement.
Mais quelques écrivains pensent que celte modification est
continue, dételle sorte que, après avoir atteint le terme de sa
perfection, le métal repasse graduellement à Tétat imparfait.
Ainsi le cercle de ces transformations moléculaires se pour-
suivrait sans interruption à travers les siècles. Émise par Ru-
dolphe Glauber, cette vue singulière a été adoptée par un
certain nombre d'alchimistes. C'est par une exagération de
cette idée que Paracelse professait que, sous l'influence des
astres et du sol, non-seulement les métaux vils se chan-
geaient en argent ou en or, mais ils pouvaient aussi se trans-
former en pierre, et les minéraux se développer par une
.«îorte de graine à la manière des plantes.
Aux premiers âges de la science, l'opinion que nous ve-
nons d'exposer avait dû naturellement s'offrir à l'esprit des
observateurs. Dans le sein de la terre, on trouve toujours
un même métal sous plusieurs états différents, quelquefois
à Pélat natif; il se rencontre en même temps engagé en dif-
férentes combinaisons, et l'art réussit toujours à extraire le
métal pur des divers composés naturels dans lesquels il
existe. L'observation de ce fait put donc amener les pre-
miers chimistes à croire que les divers états sous lesquels on
trouve les métaux dans le sein du globe constituaient au-
tant de degrés de perfection successive destinés à les ache-
miner vers leur état définitif . Quanta l'influence que l'on
prêtait aux grands corps célestes pour provoquer et régler
DES ALCHIMISTES. 13
ces mutations, celte pensée était la conséquence des
croyances astrologiques qui ont dominé, au moyen âge et
dans Tantiquité, Tesprit général des sciences.
La théorie de la composition des métaux, Topinion rela-
tive à leur génération, établissaient donc en principe le fait
de la transmutation ; mais il ne suffit pas de justifier théori-
quement lephénomème, reste le moyen del'accomplir. Or, d'a-
près lesalchimistes, il existe une substance capable de réaliser
celte transformation : c est h pierre, ou povdrephilosophale,
désignée aussi sous les nonïs de grand magistère^ de grand
élixir, de quintessence et de teinture. Mise en contact avec
les métaux fondus, la pierre philosophale les change immé-
diatement en or. Si elle n*a pas acquis son plus haut degré
de perfection, si elle n'est pas amenée à son dernier point de
pureté, elle ne change pas les métaux vils en or, mais seu-
lement en argent. Elle porte alors le nom de petite pierre
philosophale, de petit magistère ou de petit élixir.
Ce n'est qu'au douzième siècle qu'il est clairement ques-
tion pour la première fois de la pierre philosophale. Avant
cette époque, la plupart des auteurs grecs et arabes, à l'ex-
ception de Geber, se cx)ntentent d'établir théoriquement le
fait de la transmutation, sans indiquer l'existence d'un
agent spécial qui puisse réaliser le phénomène.
Exposons rapidement les caractères extérieurs et les pro-
priétés que les alchimistes attribuent à la pierre philosophale.
Voici les descriptions que nous donnent de cet agent mer-
veilleux les adeptes qui assurent l'avoir observé :
« J'ai vu et manié, dit Van flelmont, la pierre philosophale. Elle
avait la couleur du safran en poudre, elle était lourde et brillaute
comme le verre en morceaux. »
Paracelse la présente comme un corps solide d'une cou-
leur de rubis foncé, transparent, flexible et cependant cas-
.sant comme du verre.
Berigard de Pise, qui put l'observer tout à son aise dans j
I i DOCTIUNKS ET TRAVAUX
la transmutation qu'un adepte inconnu lui fit opérer, at-
tribue à la pierre philosophale la couleur du pavot sauvage
et l'odeur du sel marin calciné : « Colore non absimilis flore
papaveris sylvestris, odore vero sal marinum adustum refe-
rentis. »
Raymond Lulle la désigne quelquefois sous le nom do
carbnnculus, que l'on peut entendre par petit charbon ou par
escarboucle, selon la signification donnée à ce mot par Pline.
Helvétius lui donne la couleur du soufre. Enfin elle est
très-souvent décrite comme une poudre rouge.
Voilà des signalements bien divers. Hais rassurons-nous,
un passage de Kalid concilie ces contradictions. Kalid, ou
plutôt l'auteur inconnu qui a écrit sous ce nom, dit, dans
son Traité des trois paroles :
« Cette pierre réunit en elle toutes les couleurs. Elle est blanche,
rouge, jaune, bleu-de-ciel, verte *. »
Voilà tous nos philosophes mis d'accord.
Quant à la petite pierre philosophale, c'est-à-dire celle qui
change les métaux en argent, on en parle toujours comme
d'une substance d'un blanc éclatant. Aussi est-elle désignée
sous le nom de teinture blanche. Toutefois il est fort peu
question de la petite pierre philosophale dans les écrits dos
adeptes. On n'aimait pas à faire les choses à demi.
Les alchimistes attribuaient à la pierre philosophale trois
propriétés essentielles : changer les métaux vils en argent
ou en or — guérir les maladies — prolonger la vie humaine
au delà de ses bornes naturelles.
Les auteurs sont unanimes pour attribuer à la pierre phi-
losophale la propriété de transformer les métaux vils en ar-
gent ou en or. Mais quelle quantité faut-il en employer pour
produire cet effet? Sur ce point, on rencontre les plus sin-
* <t TiQpis iste habet in seomnes colores. Est enim albus, rubeus, rubi-
cundissimus, citrinus, citrissimus, celestinus, viridis. » (Liber trium ver-
borum Kalid regii acvHsnmi.)
DES ALCHIMISTES. 15
gulières discordances. Les alchimistes du dix-septième siècle
étaient assez modérés dans cette évaluation. Kunckel, le plus
modeste de tous, reconnaît qu'elle ne peut convertir en or
que deux fois son [mdsdu métal étranger; l'Anglais (ierms-
preiser, de trente à cinquante fois. Mais au moyen âge on avait
de bien autres prétentions. Arnauld de Villeneuve et Rupes-
cissa attribuent au grand magistère la propriété de conver-
tir en or cent parties d'un métal impur ; Roger Bacon, cent
mille parties; Isaac le Hollandais, un million. Raymond
Lulle laisse bien loin toutes ces estimations. La pierre philo-
sophale jouit, d'après lui, d'une telle puissance, que non-
seulement elle peut changer le mercure en or, mais encore
donner à l'or ainsi formé la vertu de jouer lui-même le rôle
d'une nouvelle pierre philosophale.
«Prends, dit-il dans ^on Novum TeslawentuWy de cette raédocine
exquise, gros comme un haricot, projette-la sur mille onces de mer-
cure, celui-ci sera changé en une poudre rouge. Ajoute une once de
cette poudre rouge à mille onc^s d'autre mercure, la même transfor-
mation s'opérera. Répète deux fois cette opération, et chaque once de
produit changera mille onces de mercure en pierre philosophale.
Une once de produit de la quatrième opération sera suffisante pour
changer mille onces de mercure en or qui vaut mieux que le meilleur
or des mines. »
D'après cela, la pierre philosophale pouvait agir sur plu-
sieurs milliers de billions de métal. Aussi, lorsque Raymond
Lulle s'écrie: Mare tingerem si mei'curins esset, on peut
trouver la prétention un peu forte, mais on ne peut pas taxer
le philosophe d'inconséquence.
C'est la môme idée que, dans son poëme latin Chinfsopma,
Aurelius Augurelle exprime dans les vers suivants :
niius exiguâ projectâ parte per undaà
iScpioris, argentum vivum, si lune foret œquor,
Omne, vel iminensum. verti mare posset in aurum.
Il semble bien difficile de dépasser le terme auquel est
16 DOCTRINES ET TRAVAUX
arrivii Raymond Liiilo. Ccsi cepeiulaiit ce qu'un autre phi-
losophe a essayé. D'après Sal mon, la vertu de la pierre plii-
losophale peut s'exercer sur une quantité de métal infinie.
« En imbibant, dit-il, la pierre philosophalo avec le mercure des
pliilosophes, on Icî multiplie , et h chaque multiplication qu'on lui
donne, on augmente sa vertu et sa qualité tingente de dix fois au-
tant qu'elle était auparavant. De manière que si un grain de la pou-
dre d<' projection pouvait, avant qu'elle îïit multipliée, teindre et per-
fectionner en or dix grains de métal imparfait, après la première
multiplication, ce grain de })oudre teindra et perfectionnera eu or
cent grains du même métal. Et, si Ton multiplie la poudre une se-
conde fois, un grain en teindra mille de métal, et à la troisième fois
dix mille, à la quatrième cent mille; et ainsi toujours en augmen-
tant jusqu'à l'infini, ce qui est une chose que l'esprit humain ne
saurait comprendre * . »
Avec cette manière d'entendre le phénomène, Salmon
pouvait défier à son aise l'émulation de ses confrères : il-
n'avait pas à craindre d'être jamais dépassé.
La propriété de guérir les maladies et de prolongea" la
durée de l'existence humaine n'a été accordée à la pierre
pliilosophale que vers le treizième siècle. Il est probable,
suivant l'observation judicieuse de Boerhaave, que cette
croyance s'in troduisi t chez les alchimistes de rOccident, parce
que l'on prit à la lettre les expressions figurées et métapho-
riques qu'affectionnent les anciens auteurs. Lorsque Geber
dit, par exemple: « Apporte-mdi les six lépreux, que je les
guérisse, » il -veut dire : « Apporte-moi les six métaux vils,
que je les transforme en or. » Quoi qu'il en soit, cette se-
conde propriétt' attribuée à la pierre philosophale a ouvert
une carrière nouvelle que l'imagination des adeptes devait
dignement parcourir.
D'après tous les écrivains hermétiques, la pierre philoso-
phale, prise à rinlérieur, est le plus précieux des médica-
ments. Dans son Opusetile de laphilosophie naturelle des inê-
* hibUothèque des philotophes chimiques.
DES ALCHIMISTES. 17
taux, Denis Zacliaire décrit ainsi la façon dmer de iœavre
divine aux corps humains pmir les guérir dt's maladies :
* Pour user de notre grand roi pour recouvrer la santé, il (m faut
prendre un grain pesant et le faire dissoudre dans un vaissf*:tu d'ar-
gent avec de bon vin blanc, lequel se convertira en couleur citrine.
Puis faites boire au malade un peu après les minuit, et il sei-a guéri
en un jour si la maladie n'est que d'un mois, et, si la maladie est
d'un an, il sera guéri en douze jours, et, s'il est malade de foii long-
temps, il sera guéri dans un mois, en usaiil cliaquc nuit comme def(-
sus. Et, pour demeurer toujours en bonne santé, il en faudrait |»it.*n-
dre au commencement de l'automne et sur le commencement du
printemps en façon d'éleduaire confit. Et par ce moyen Hiomine
vivra toujours en parfaite santé jusrfu'à la fin des jours que Dieu lui
aura donnés, comme ont écrit les philosophes. »
Isaac le Hollandais assure qu'une personne qui prendrait
chaque semaine un peu de pierre philosophale se maintien-
drait toujours en santé, et que sa vie se prolongerait « jus-
qu'à rheure dernière qui lui a été assignée par Dieu, n
Basile Valentin dit également que celui qui possède la
pierre des sages ne sera jamais atteint de maladies ni d'in-
firmités « jusqu'à l'heure suprême qui lui a été fixée par
le roi du ciel. »
Si, à l'exemple des précédents, tous les alchimistes s'é-
taient contentés d'affirmer que la pierre philosophale pro-
longe la vie humaine jusqu'au terme assigné par Dieu, il est
certain qu'ils auraient peu compromis leur crédit, et ils
auraient ain>i laissé aux historiens l'occasion de rendre uno
fois hommage à leur véracité. Par malheur, ils se sont trop
souvent départis de cette réserve. Artéphiusse donnait mille
ans: « Moi-môme, Artéphius, qui écris ceci, depuis milleans,
« ou peu s'en faut, que je suis au monde, par la grâce du
t seul Dieu tout-puissant et par l'usage de cette admirahle
« quintessence*. » On attribuait l'âge de quatre cents ans
au Vénitien Frédéric Gualdo, frère de la Rose-Croix, et celui
* Le livre d Artéphius.
18 DOCTBINES KT TRAVAUX
clooem(|iiaranti^ans àrprmiloTraulmansdorf.AlaindeLisIe,
assurent les alchimistes, a vt'cu pins de cent ans, grâce à
IVinpIoi de la bienlieureuse quintessence. Raymond Ijullé et
Salomon Trismosin, tous les deux dans un âge avancé,
s'étaient rajeunis par l'usage de la pierre philosophale. Ce
dernier se vantail de pouvoir rendre les formes et les grâces
de la jeunesse à des femmes de soixante-dix et de quatre-
vingt-dix ans; et, pour lui, prolonger la vie jusqu'au juge-
ment dernier était « une bagatelle. » Vincent de Beau vais a
prouvé jusqu'à l'évidence que si Noé eut des enfants à Tâge
de cinq cents ans, c'est qu'il possédait la pierre philosophale.
Deux écrivains anglais, E. Dickinson et Th. Mudan, ont con-
sacré de savants livres à démontrer que c'est grâce au même
moyen que les patriarches sont arrivés à l'âge le plus avan-
cé *. Paul Lucas, voyageur français, qui, au commencement
du dix-huitième siècle, parcourut TOrientaux frais du roi,
et rapporta surtout de ses voyages les monuments de son
insigne crédulité , rencontra à Bursa, dans l'Asie Mineure,
au milieu d'une réunion d'alchimistes, un derviche nommé
Csbeck qui se faisait remarquer par ses connaissances dans
toutes les langues. Usbeck paraissait avoir trente ans, mais
il en confessait plus de cent. Il assurait avoir eu le bonheur
de rencontrer dans les Indes le célèbre Nicolas Flamel, lequel
se portait au mieux , bien que parvenu à sa deux centième
année. Nous n'étendrons pas davantage la liste de ces fables.
Quelques écrivains spagyriques ont attribué à la pierre
philosophale une dernière propriété moins importante, que
nous devons cependant indiquer : c'est celle de former arti-
ficiellement des pierres précieuses, des diamants, des perles
et des rubis.
« Vous avez vu, Siro, émi Raymond Liille au roi d'Angletorro,
la projection uiorveilleuso que j^^i faite à Londres avec Teau de
mercure que j'ai jetée sur le cristal dissous ; je foî*mai un diamant
* II. }\o\^\), Gi^xrhirhte (ter Chemie.
DES ALCHIMISTES. !i)
très-fin, vous en fîtes faire de petites colonnes pour un taheniaclo. »
Dans son opuscule de la Philosophie naturelle, Denis Za-
chaire décrit la façon A'tiser de la divine œiivre pour faire
les perles et les rubis. Enfin Jules Sperber assure, dans son
Isagogue, que la quintessence change les cailloux en perles
fines, rend le verre ductile et fait revivre les arbres morts *.
Les opinions qui viennent d'ôtre mentionnées sont du res-
sort de l'observation ; il nous reste à passer en revue celles
qui se caractérisent par une tendance mystique ou théosophi-
que. Quand on embrasse, en effet, Tensemble des travaux
hermétiques, on reconnaît qu'ils se classent en deux grou-
pes : les uns, à peu près affranchis de spéculation, n'ont été
exécutés qu'avec le secours de l'observation et de Texpérience
des laboratoires; les autres s'accomplirent sous l'inspiration
d'idées abstraites de nature tbéosophique ou mystique. Cette
distinction, qui nous permettra d'apporter plus de méthode
et de simplicité dans l'élucidation du sujet obscur qui nous
oc<îupe, est suffisamment justifiée par les faits historiques.
Les considérations mystiques n'ont paru dans l'alchimie que
vers le douzième siècle. Les Arabes avaient su se main-
tenir dans l'étude des faits, et dégager leurs travaux de
toute liaison avec les abstractions métaphysiques et les prin-
cipes religieux. L'unité, la simplicité des dogmes dans la
religion musulmane, la faible prédilection de ce peuple
pour les conceptions purement philosophiques, devaient
écarter de leur esprit les idées de ce genre. Mais, une fois
établie chez les peuples chrétiens, l'alchimie prit un ca-
ractère nouveau. L'inspiration religieuse fut jugée indis-
pensable au succès du grand œuvre, les idées théosophi-
ques s'infusèrent peu à peu dans les principes de l'art,
et, dominant bientôt l'élément pratique, amenèrent la plus
étrange confusion. Arnauld de Villeneuve, Raymond Lulle,
* H. Kopp, Genchichie dn Chenue.
20 DOCTRINES ET TRAVAUX
Basile Valenlin et Paracelse ont surtout contribué à pousser
l'alcliimie dans cette voie stérile.
Autant que la synthèse philosophique peut embrasser dans
un cercle étroit les vagues considérations des alchimistes
tliéosophes, on peut établir que leurs opinions théoriques se
résument dans les idées suivantes : — Influences occultes ac-
cordées à certains agents matériels, et spécialement à la pierre
philosophale, sur les facultés de l'homme; — comparaison
fie l'opération du grand œuvre avec le mystère des rapports
de l'àme et du corps ; — comparaison ou identification de
l'œuvre hermétique avec les mystères de la religion chré-
tienne; — intervention, toutefois dans une très-faible me-
sure, des considérations empruntées à la magie.
Jusqu'au treizième siècle, les alchimistes s'étaient bornés
à accorder à la pierre philosophale les trois propriétés dy-
namiques signalées plus haut. A partir de cette époque, on
lui reconnaît une qualité nouvelle s' exerçant dans l'ordre
moral. La pierre philosophale porte à celui qui la possède le
don de la sagesse et des vertus; comme elle anoblit les mé-
taux, ainsi elle purifie l'esprit de l'homme; elle arrache de
son cœur la racine du péché.
« Ceux qui sont assez heureux, dit Salmon, pour avoir la posses-
sion de ce rare trésor, quelque méchants et vicieux qu'ils fussent
auparavant, sont changés dans leurs mœurs et deviennent gens de
bien; de sorte que, ne considérant plus rien sur la terre qui mérite
leur affection, et n'ayant plus rien h souhaiter en ce monde, ils ne
soupirent plus que pour Dieu et pour la bienheureuse éteniité, et
ils disent comme le prophète : Seigneur, il ne me reste plus que la
possession de votre gloire pour être entièrement satisfait * . »
Ajoutons à ce t('moignage celui du pieux Flamel :
« La pierre estant parfaite par quelqu'un, dit Nicolas Flamel, le
change do mauvais en bon lui oste la racine de tout péché, Icî faisant
libéral, doux, pie, religieux et craignant Dieu; quelque mauvais qu'il
fnst auparavant, doresnavant il demeure toujours ravy de la grande
* Bibliothèque des philosophes chimiques.
DES ALCUIMISTKS. il
gràc€ et luiséi-icoidé qu'il a obtenue de Dieu et de la piolondite de
ses œuvres divines et admirables. »
L'écrivain hermétique que l'on désigne sous le nom du
Cosmopolite, et dont nous rapporterons les hauts faits dans
la suite de cet ouvrage, assure que la pierre philosophale
n'est autre chose qu'un miroir dans lequel on aperçoit les
trois parties de la sagesse du monde ; celui qui la possède
devient aussi sage qu'Aristote et Avicenne.
Th. Northon dit, dans son Crede mihi :
« La pierre des philosophes poile à chacun secoui-s dans les be-
soins ; elle dépouille Thomme de la vaine gloire, de respérance et de
la ci-aiiite ; elle ôte ran[d)ition, la violence et Texcès de^ désirs ; elle
adoucit les plus dures advei-sités. Dieu placera auprès de ses saints
les adeptes de notre art. »
Par une conséquence de ce principe, on a prétendu que
les anciens sages avaient possédé la pierre philosophale.
Adam l'avait reçue des mains de Dieu ; les patriarches hé-
breux et le roi Salomon n'étaient que des adeptes initiés au
secret de l'art. On a poussé la folie jusqu'à écrire que Dieu
promet la pierre philosophale à tous les bons chrétiens. On
invoquait ce verset de l'Apocalypse ; « Au vainqueur je don-
nerai une pierre blanche! »
L'assimilation du phénomène de la transmutation métalli-
que avec la mort et la résurrection des hommes est une idée
dont les traces se rencontrent chez plusieurs auteurs des pre-
mières époques de l'alchimie, et qui devint vulgaire au moyen
âge. C'est là ce qui plaisait tant à Luther et ce qui concilia à
Talchimie la protection du grand réformateur. Il accorda ses
éloges à la science hermétique « à cause des magnifiques com-
paraisons ({u'elle nous offre avec la résurrection des morts
au jour du jugement dernier. » Dans le nombre très-con-
sidérable d'ouvrages d'alchimie mystique publies au dix-hui-
tième siècle, et qui offrent la plus incroyable confusion d'idces
religieuses et de principes scientifiques, la résurrection est
±2 DOCTHLNES ET TRAVAIX
littéralcinent cuusidérée comme une opération alchimique,
comme une transmutation d'un ordre supérieur. Les livres
saints offrant un texte inépuisable à ces commentaires in-
sensés, on justifiait ce rapprochement par toute espèce d'in-
vocations aux autorités bibliques. L'auteur de la Lettre phi-
losophiquey écrit de quelques pages composé en 1751, cite» a
lappui de ses paroles, plus de cent passages de la Bible.
Quelques-uns, par exemple, prétendaient savoir comment les
élus conserveront la pierre philosophale jusqu'au jour du
jugement dernier. Us s'appuyaient sur ce verset de FÉpilre
de saint Paul aux Corinthiens : « Nous aurons ce trésor dans
des vases degrés*. »
La comparaison, ou plutôt i^identification de Tœuvre her-
métique avec les mystères de la religion chrétienne, se ren-
contre à chaque pas dans les écrits mystiques du dix-sep-
tième siècle, dans les ouvrages de l'Anglais Argill, de
Michaëlis, et surtout dans le livre du cordonnier théosophe
J.Boehme, dont le fanatisme contribua beaucoup à donner de
la vogue à ces idées. Il serait superflu de s'étendre sur un su-
jet semblable ; un passage de Basile Valentin suffira pour ca-
ractériser l'esprit de ces absurdes rêveries. Dans une AUégO"
ne de la sainte Trinité et de la pierre phihsopliale, Basile
Valentin s'exprime ainsi :
« Cher amateur chrétien de l'art béni, oh I que la sainte Tiinité a
créé la pieire philosophale d'une manière bnllante et meneilleuse l
(]ar le père Dieu est un esprit, et il apparaît ce|)endant sous la forme
d'un houune comme il est dit dans la Genèse ; de même nous de-
\ons regarder le mercure des philosophes comme un corps esprit. —
De Dieu le père est né Jésus-^hrisl son fils, qui est à la fois hoimne
et Dieu et sans jiéché. Il n'a pas eu besoin de mourir, mais il est
moii volontairement et il est ressuscité pour faire vivre éternelle-
ment avec lui ses fi'ères et sœui*s sans i>éché. Ainsi Tor est sans ta-
che, lixe, glorieux et pouvant subir toutes les épreuves, mais il
meurt à cause de ses frères et sœui-s impai'faits et malades ; et bien-
' H. Kupp, (ieschichle der Chemii.
DÈS ALCHIMISTES* îo
tôt, ressuscitant glorieux, il les délivre et les teint pour la vie éter-
nelle ; ils les rend parfaits en Tétat d'or pur. »
Cette tendance si marquée à rattaclier aux mystères de la
religion les pratiques de Talchimie était la conséquence de la
préoccupation continuelle qui distinguait les adeptes, d'im-
plorer le secours divin pour le succès de leur œuvre, de pla-
cer leurs travaux sous la protection des autorités sacrées, et
de considérer le succès définitif, objet de tant de vœux et
de tant d*espérances, comme le produit d'une révélation di-
vine. Quelques citations vont nous permettre de caractériser
exactementce côté si digne de remarque de Técole alchimique.
« Il ne nous reste plus, dit TArabe Geber, qu'à louer et à bénir
en cet endroit le très-haut et très-glorieux Dieu, créateur de toutes
les natures, de ce qu'il a daigné nous révéler les médecines que nous
avons vues et connues par expérience ; car c'est par sa sainte inspi-
ration c[ue nous nous sommes appliqué à les rechercher, avec bien de
la peine... Courage donc, fils de la science, cherchez et vous trou-
verez infailliblement ce don très-excellent de Dieu, qui est réserve
pour vous seuls. Et vous, enfants de l'iniquité, qui avez mauvaise in-
tention, fiiyez bien loin de cette science, parce qu'elle est votre en-
nemie et votre mine, qu'elle vous causera très-assurément ; car la
providence divine ne permettra jamais que vous jouissiez de ce don
(le Dieu c[ui est caché pour vous et qui vous est défendu. »
Mais ces hommages adressés à Tautorité divine sont beau-
coup plus fréquents chez les auteurs chrétiens que chez les
Arabes. On ne peut ouvrir un écrit de Basile Valentin, de
Raymond Lulle, d*Albert le Grand, d'Arnauld de Villeneuve
et de tous les autres alchimistes du moyen âge, sans rencon-
trer une de ces pieuses invocations. Arnauld de Villeneuve,
par exemple, dans son Miroir d'alchimie, remercie Dieu du
secours qu'il lui a prêté dans ses recherches, il reconnaît
qu il lui doit tout, et qu'à lui seul doivent revenir la louange
et la gloife.
•> Sachez doncj mon cher fils, nous dit-il, que cette scieiice n'obt
autre chose que la parfaite inspiration de Dieu, n
2i DOCTHINES ET TRAVAUX
Jl nous dit encore dans sa Nauvelle lumière :
« Père et lévéreiul seigneur, quoique je sois iguordiil des sciences
libérales, |)ai*ce que je ne suis pas assidu k Tétude, ni de profession
de cléricature, Dieu a jKun-taiit voulu, comme il inspire k qui il lui
plait, me j-évéler Texcellent secret des philosophes, quoique je ne le
mëiilasse jwis. »
Le Véritable Philalèthe dit, dans son Entrée ouverte au
palais fermé du roi, en s'adressant à l'opérateur :
« Maintenant remerciez Dieu qui vous a fait tant de grâces, que
d'amener votre œuvre à ce point de perfection; priez-le dé vous
conduire et d'empêcher que votre précipitation ne vous fasse perdre
un travail qui est venu à un état aussi partit. »
Nicolas Flamel, ou plutôt l'auteur du livre apocryphe des
Figures hiéroglyphiques de Nicolas Flamel, commence ses
descriptions par cette magnifique prière :
« Loué soit étemellemont le seigneur mon Dieu, qui élève Thum-
ble de la basse pouldrière, et faist esjouyr le cœm* de ceux qui espè-
rent en luy, qui ouvi'e aux croyans avec grâce les sources de sa bé-
nignité, et met sous leurs pieds les cercles mondains de toutes les
félicitez terriennes. En luy soit tousjoure nostre espérance, en sa
crainte nostre félicité, en sa miséricorde la gloire de la réparation
de nostre nature, et en la prière nostre seureté inesbranlable. Et
toy, ô Dieu tout-puissant, comme t;i bénignité a daigné d'ouvrir en
la terre devant moy (ton indigne serf) tous les trésors des richesses
du monde, qu'il plaise à ta grande clémence, lors que je ne seray
plus au nombre des vivans, de m'ouvrir encor les trésors des cieux,
et me laisser contempler ton divin visage, dont la majesté est un dé-
lice inesnarrable, et dont le ravissement n'est jamais monté en cœur
d'homme vivant. Je te le demande par le Seigneur Jésus-Christ ton
Fils bien-aviné, qui en l'unité du Saint-Esprit est avec toy au siècle
ties siècles. Ainsi soit-il * I »
* Le livre des figures hiéroglyfiques de Nicolas Flamel, escrivairif ainsi
quelles sont en la quatrième arche du cymetière des Innocents, a Paris,
enlrani par la parle, rue Saint-Denis, devers la main droite, avec Veœpli'
cation d'icelles par ledit Flamel, traitant de la transmutation métallique.
Traduit du la! in en français, par P. Arnauld, sieur de la Chevallerie,
gentilhoniuie poictevin. 1W2.
DES ALCHIMISTES. ^io
Il existe, au cabinet (jles estampes de la Bibliothèque impé-
riale, un dessin de Vrièse représentant le laboratoire d'un al-
chimiste. C'est une magnifique galerie de château qui a été
transformée en laboratoire; on voit d'un côté une rangée de
fourneaux, et de Tautre un autel où fume Tencens; Falchi-
miste, à genoux, et les yeux levés vers le ciel, adresse à Dieu
sa prière.
On connaît, sous le nom de Liber mutus, une collection
de quinze gravures in-folio qui se trouve à la fin du premier
volume de la Bibliothèqtie chimique de Manget. Elle est des-
tinée à faire connaître, au moyen de ces seules figures, et
sans une seule ligne d'explication écrite, la préparation de la
pierre philosophale. Les planches 2, 8 et 11, qui représen-
tent trois opérations à exécuter, nous montrent un alchimiste
et sa femme dans l'attitude de la prière, agenouillés des deux
côtés d'un fourneau qui contient Tœuf philosophique. Le
reste des figures est inintelligible, mais le sens de la dernière
est facile à saisir. L'homme et la femme sont à genoux, le-
vant les mains vers le ciel : ils ont réussi dans leur recherche
et remercient Dieu qui leur a dévoilé ce secret.
Après toutes ces preuves de leur dévotion, après tant de
témoignages donnés par les alchimistes de la sincérité et de
l'orthodoxie de leur foi, on est surpris quand on se rappelle
le reproche qu'on leur a de tout temps adressé, d'avoir ac-
cordé une part considérable à l'étude de la magie, et d'avoir
invoqué son secours pour les diriger dans leurs travaux.
Il importe donc de rechercher quel est le crédit que mérite
cette opinion universellement admise.
Dans les conceptions et dans les travaux alchimiques, la
magie a joué, selon nous, un rôle infiniment moins sérieux
qu'on ne l'admet généralement. Les alchimistes byzantins
croyaient, il est vrai, aux influences astrologiques; comme
nous l'avons montré plus haut, ils accordaient aux astres une
certaine action sur les propriétés des corps sublunaires. Tout
le monde sait, par exemple, que, dés l'origine de l'art her-
"HJ DOaaiNES ET TRAVAUX
inéliquc, les métaux, et avec eux un certain nombre de sub-
stances minérales, furent consacrés aux sept planètes; les
noms des métaux avaient même été fournis par ceux des pla-
nètes. A Saturne on consacrait le plomb, la litharge, Tagate
et autres matières semblables; à Jupiter, l'étain, le corail, la
sandarat^ue, le soufre; à la planète Mars, le fer, l'aimant et
les pyrites; au soleil, l'or, l'hyacinthe, le diamant, le saphir
et le charbon ; à Vénus, le cuivre, les perles, l'améthyste, le
sucre, Tasphalte, le miel, la myrrhe et le sel ammoniac; à
Mercure, le vif-argent, l'émeraude, le succin, Toliban, le
mastic ; enfin à la lune, rangée alors parmi les planètes, on
consacrait l'argent, le verre et la terre blanche. Partisans dé-
clarés de l'astrologie, les savants grecs avaient dû nécessaire-
ment introduire quelques-unes de ces idées dans les dogmes
alchimiques. Les Égyptiens et les Arabes, qui avaient reçu
des Hébreux la tradition de la Kabale, se conformèrent à ces
principes, et accordèrent une certaine part à l'astrologie pour
la connaissance de l'art hermétique. C'est ainsi que Kalid et
Geber déclarent que les métaux sont influencés par le cours
des astres; ce dernier auteur fait observer que Tinterven*
tion de cette influence constitue une des plus grandes diffi-
cultés pour régler les opérations chimiques. Mais les écrits
des auteurs arabes n'appartiennent qu'aux premières époques
de l'art hermétique ; les travaux de Geber, de Rhasès et des
écrivains de cette école sont du huitième siècle et marquent
par conséquent les premiers travaux de l'alchimie. La science
qui nous occupe n'en était encore qu'à ses débuts, et les tra-
vaux pratiques pour les recherches de la pierre philosophale
étaient alors à peine abordés. Les influences astrologiques
invoquées à cette époque pour la direction des opérations
chimiques ne purent donc exercer une grande influence sur
les progrès de cet art naissant. Mais, plus tard, lorsque les re-
cherches pour raccomplissement du grand œuvre passèrent
dans l'Occident et y prirent un essor universel, les considé-
rations astrologiques, et surtout la magie, furent abandon^
DES ALCHIMISTES. 27
nées ou tombèrent dans un discrédit général. Partageant les
opinions de leur époque, subissant nécessairement l'in-
fluence des doctrines de leur temps, les alchimistes étaient
sans doute disposés à accorder une certaine foi aux influen-
ces surnaturelles, à Faction d'êtres invisibles sur le monde
matériel. Mais ils croyaient en môme temps qu'il n'était pas
donné à l'homme de diriger et de maîtriser à son gré cet em-
pire. Ils professaient sur ce point l'opinion de Geber, qui
nous apprend, dans le neuvième chapitre de la Somme de
perfection, que les adeptes, tout en reconnaissant 1 influence
que les planètes, parvenues à un certain point du ciel, exer-
cent sur la formation et le perfectionnement des substances
minérales, déclarent en même temps que Thomme n'a pas
reçu le pouvoir de suppléer à cette influence.
Nous n'essayerons pas de dissimuler cependant qu'un cer-
tain nombre d'écrivains alchimiques qui appartiennent à Vô-
poque des travaux les plus actifs font intervenir, dans la
direction de leurs recherches, l'astrologie, et même la magie.
Ces écrivains recommandent d'avoir recours à diverses in-
fluences surnaturelles pour parvenir à la découverte de la
pierre philosophale. Paracelse est celui qui a le plus insisté
sur ce point. Ses ouvrages sont remplis de folles invocations
au monde invisible, et c'est pour résumer sa pensée qu'il
nous dit dans son traité De tincturâ physicorum : « Si tu ne
comprends pas les usages des cabalistes et des anciens astro-
logues. Dieu ne t'a pas créé pour la spagyrique , et Nature
ne t'a pas choisi pour l'œuvre de Vulcain. » Mais le fougueux
médecin de Schwitz n'a jamais joui chez les alchimistes que
d'une autorité contestable; écrivain purement théorique, il
ne travailla pas de ses mains à l'accomplissement du grand
œuvre. Arnauld de Villeneuve et Basile Valentin sont les
seuls alchimistes importants qui , avant Paracelse , avaient
pris au sérieux l'astrologie et la magie. Dans son traité des
talismans (de sigillis), Arnauld de Villeneuve donne un
grand nombre de formules contre les démons. Basile Valentiu
28 DOCTRINES ET TRAVAUX
s'(''tait joté avec ardeur dans les ténèbres du mysticisme her-
métique, et, sous ce rapport, il avait préparé la voie à
Paracelse, à qui revient le triste titre d'honneur d'avoir fait
dévier Talchimie de sa route, et d'avoir substitué ou tenté
de substituer la méthode psychologique à la méthode ex-
périmentale adoptée avant lui. Mais, nous le répétons, les
efforts de Basile Valentin et de Paracelse ne réussirent qu'im-
parfaitemenU à imprimer aux recherches des adeptes la direc-
tion mystique. En résumé, si les alchimistes occidentaux ont
partagé les croyances de leur époque relativement à Tastro-
logie et à la magie, l'influence de ces idées ne s'est fait, se-
lon nous, que très-faiblement sentir dans leurs travaux.
L'astrologie y joua un certain rôle, mais la magie n'y inter-
vint jamais d'une manière sérieuse.
A la pensée que nous venons d'émettre on ne manquera
pas d'opposer cette opinion unanime , accréditée depuis des
siècles , qui nous représente l'alchimiste comme un homme
nécessairement voué à toutes les pratiques des sciences occul-
tes, et qui, pour atteindre le but de ses désirs effrénés, n'hé-
site pas à invoquer l'esprit du mal et à lui livrer son âme en
échange des trésors qu'il ambitionne. Nous ne contesterons
point que telle fut en certains cas , sur le compte des alchi-
mistes, la pensée du vulgaire, et le portrait odieux que le
génie de Goethe a si vigoureusement tracédans le personnage
du docteur Faust reproduisait un type depuis longtemps
consacré. Mais cette opinion tenait à deux causes qu'il im-
porte de ne pas méconnaître. Au moyen âge , on était dis-
posé à considérer comme émanant de l'esprii diabolique
toute création formée en dehors des faits ordinaires de la
vie , et Ton n'hésitait pas à flétrir du dangereux nom de sor-
ciers tous ceux qui mettaient en évidence quelque résultat
'fdinaire. n est donc tout simple que ce préjugé ait
^ ^Topos des alchimistes, que Ton voyait
raux dont les procédés échappaient au
u, loin de combattre cette opinion, les
DES ALCHIMISTES. 29
alchimistes eux-mêmes s'efforçaient de la répaudro. Ils ai-
maient à jeter sifr leurs travaux comme un voile de mystère;
le merveilleux prêtait à leur physionomie un caractère qui
secondait leurs desseins. Cependant bien des fois les adeptes
expièrent cruellement cette tentation de leur orgueil. On
sait que la magie, considérée dans Tacception plus restreinte
qu'elle reçut au moyen âge, était distinguée en magie hlan-
die et en magie noire, selon qu*on avait recours à l'interven-
tion de Dieu ou à celle du diable pour la production de ses
effets. C'est contre les sectateurs de la magie noire que le
moyen âge avait établi un système spécial d'inquisition ,
ainsi qu'on peut le lire dans la Dém>onom^nie, ou le Fléau des
démonsetdes sorciers, dehBoâ'md'kïigeTs, publiée en 1580,
et où se trouve naïvement tracé le code abominable des
moyens qui permettent d'arriver à convaincre un accusé du
crime de magie noire. Un alchimiste cité à la barre de ce
redoutable tribunal encourait le dernier supplice si les té-
moins entendus prouvaient que l'accusé « s'était effoiré
sciemment, par des moyens diaboliques , depaiueîiir à quel-
que chose. » La jalousie de leurs confrères, la mauvaise foi,
l'ignorance et quelquefois le ressentiment de leurs dupes,
n'ont fait que trop souvent encourir aux adeptes l'expiation
d'un crime imaginaire. Aussi, lorsque Gabriel Naudé publia
en i669 son Apologie des grands hommes accusés de magie,
il comprit sur cette liste plusieurs alchimistes célèbres, parce
qu'il savait bien que la pratique de l'alchimie avait été pour
beaucoup de ces infortunés une cause de persécutions.
Les faits que l'histoire nous fournit montrent bien d'ail-
leurs que le recours aux influences magiques n'a joué qu'un
bien faible rôle dans les fastes de l'art. Dans les récits extra-
ordinaires des transmutations métalliques dont le souvenir
nous a été conservé , on ne voit jamais intervenir d'invo-
cation aux puissances occultes, et, si l'histoire de l'alchimie
nous montre qu'il a existé certains individus qui essayaient
de conjurer les démons ou se vantaient détenir à leur sor-
50 DOCTRINES ET TRAVAUX
vice (les diables familiers, révénement ne manqua pas de
prouver que c'étaient là de faux adeptes ou des alchimistes
fripons. Bragadino, Léonard Tliurneysser et François Borri
furent particulièrement dans ce cas. Ce fait ne pourra rester
Tobjet d'un doute si le lecteur nous permet de rappeler, par
une courte digression , les circonstances qui amenèrent à
découvrir les fourberies et les mensonges de ces trois
aventuriers.
Bragadino, dont le véritable nom était Mamugna, était
Grec, originaire deTîle de Chypre. Il se faisait passer pour
le fils du gouverneur de Venise, le comte Marco Antonio Bra-
gadino , qui fut pris et tué par les Turcs en i571. Après
avoir parcouru une partie de TOrient en jouant le rôle
d*adepte, il se rendit en Italie en 1578 sous le nom de comte
de Mamugnaro. Ayant réussi à attirer la confiance du mar-
grave Martinego, il ne tarda pas à acquérir une grande ré-
putation comme adepte. Il faisait en public des transmuta-
tions , afin de prouver qu'il devait à la pierre philosophale
l'origine de ses richesses. Mais ses prétendus procédés pour
la préparation de cet agent précieux, qu*il vendait fort cher
à ses admirateurs, étaient pour lui une source plus réelle
de fortune. C'est ainsi que, se trouvant dans le palais de
Cantarena, il fit une transmutation du mercure en or
qui émerveilla rassemblée. Tout son secret consistait à faire
usage d'un alliage de mercure et d'or, car, les assistants re-
connurent que le composé qu'il plaça dans le creuset rougi
perdit, pour se transformer en or, la moitié de son poids.
La même expérience, ayant été répétée à Venise dans la
maison du riche Dandolo , émerveilla la noblesse , et le doge
lui acheta à un très-grand prix sa pierre philosophale , avec
un écrit que l'on trouve reproduit dans la Bibliothèque chi-
mique de Mangct. Le chimiste Otto Tackenius, qui , plus
tard, fut chargé d'examiner cette poudre, reconnut qu'elle
ne consistait qu'en un amalgame d'or.
Cet aventurier quitta Venise on 1588, etsemità parcourir
DES ALCHIMISTES. 51
l'Allemagne en prenant le nomdecomteBragadlino. Les prin-
cipales villes de TAllemagne furent témoins de ses exploits.
Pour produire surl'esprit du public une impression plus vive,
il assurait avoir le diable en sa puissance. 11 faisait ses opéra-
tions ayant toujours à ses côtés deux énormes dogues noirs à
Tair satanique, qui représentaient deux démons enchaînés à
son pouvoir. Ayant acquis à Vienne beaucoup de réputation
par ces manœuvres, Bragadinose rendit à Munich avec le pro-
jet de passer de là à Prague et à Dresde. 11 arriva à Munich en
i590, et fut aussitôt appelé à la cour pour y donner témoi-
gnage de sa science. Mais les fraudes qu'il employait ayant
fini par se découvrir, il fut mis en jugement et condamné à
la potence pour avoir usurpé un nom qui ne lui appartenait
pas. Revêtu d'un habit doré, Bragadino fut attaché à la po-
tence d'or des alchimistes. Après son exécution, les deuxdo-
guesnoirs, ses compagnons, furent arquebuses sous son gibet.
L'un des artistes hermétiques qui, à la même époque,
occupait le plus l'Allemagne, était Léonard Thurneysser, ou
plutôt Zum Thum, né à Bâle en 1530. Dès l'âge de dix-huit
ans, Thurneysser avait préludé à ses prouesses hermétiques
en vendant aux juifs des objets dorés pour de l'or pur. Pour-
suivi pour ce fait, il se mit à voyager en France et en Angle-
terre, s'associant aux manœuvres des alchimistes ambulants,
et apprenant en leur compagnie de subtils procédés pour éton-
ner et tromper son prochain. Il était passé maître en cet
art dangereux lorsqu'en 1555 il revint en Allemagne et se
présenta à l'archiduc Ferdinand, dont il gagna la confiance.
Il ne se donnait pas auprès du prince comme un adepte con-
sommé, mais seulem^ent comme un artiste à qui il manquait
bien peu de chose pour atteindre à ce rang. Afin de le per-
fectionner dans son art, l'archiduc le fit voyager à ses frais
dans les trois parties de notre hémisphère. Richement dé-
frayé de ses dépenses par la munificence de son maître, Thur-
neysser parcourut successivement la Hongrie, l'Kspagne, le
Portugal, l'Ecosse, Tltalie, la Grèce, l'Egypte, l'Arabie et la
:,'l DOiTTRLXES LT TRWAUX
Syrir |>oiir trouver le si^crel ile la science hermétique. H ne
le trouva pas, et ne rapporta de ses voyages que quelques
connaissances en médecine qu'il avait recueillies auprès des
dfjcteurs égyptiens.
(Test, en effet, en qualité de médecin que Léonard Tbur-
neysser, de retour de rOrient, se présenta à la cour de TÉ-
lecteur de Brandebourg, Jean Georges, qui se trouvait alors
h Francfort. Ayant guéri la femme de Télecteur d*une mala-
die, il fut nommé médecin du prince. Plus tard on le mita
la tête d'un laboratoire que sa noble cliente Éléonore, femme
du prince électoral, avait fondé à Halle.
Thurneyssertira merveilleusement parti de sa position. Il
vendait aux dames de la courdu fard et d'autres cosmétiques
magistralement préparés. Dans sa pratique médicale, il sub-
stituait aux remèdes rebutants des galénistes les médicament<i
de Paracelse, qu'il décorait des noms pompeux d'orpotabk, de
teinture d'or, de magistère dusoleil. Il s'adonnait à l'astrolo-
gie, et publiait des calendriers astrologiques qui trouvaient
un débit étonnant. Comme ses prophéties étaient conçues en
termes fort ambigus, il tenait en réserve, pour les princes,
des exemplaires particuliers de ses calendriers qui portaient
dans les interlignes rexplication des termes obscurs. C'est
en faisant usage de tous ces moyens que Thurneysser finit
par acquérir des richesses immenses. Il entretenait dans son
Inborntoire plus de deux cents personnes, et avait établi, pour
In publiation de ses ouvrages, une fonderie de caractères ei
une imprimerie. Une édition qu'il publia des trente-deux dia-
lectes européens et de soixante-huit langues étrangères, lefit
regard(îr comme un des premiers savants de son temps. Ses
différents écrits, entre autres Quintaessentia, publié à Munster
en 1570, et son Piaon, ouvrage qui traite des propriétés des
('.'iiix, étaient avidemment recherchés dans toute l'Allemagne;
il T'iait, en un mot, devenu l'oracle do la cour et du pays.
Ce qui avait en partie contribué à répandre la renommée
(le Thurneysser, c'est qu'il assurait avoir on sa puissance un
DES ALCHIMISTES. 35
démon d*onlre inférieur. Ce diable docile consistait en une
petite figure hideuse qu'il montrait au public dans un flacon
de verre.
Pins tard, cependant, son étoile vint à pâlir. Gaspard
Hoffmann, professeur à Francfort, avait publié un traité re-
marquable, intitulé de Barbarie imminente, dans lequel il
démasquait l'extravagance du charlatan disciple de Paracelse.
Ce livre dessilla les yeux de rÉlecteur. En même temps, les
alchimistes ses confrères, envieux de sa haute fortune, ayant
réussi à dévoiler ses fraudes aux yeux de ta cour, Thurneys-
ser fut obligé, en 1585, de quitter précipitamment Berlin
pour échapper aux poursuites ordonnées contre lui. Il n'eut
pas le temps d'emporter son démon familier, et, lorsqu'on
pénétra dans son laboratoire secret, on put mettre la main
sur le mauvais génie. C'était un scorpion conservé dans de
l'huile.
Thurneysser ne survécut pas longtemps à sa disgrfice.
Après avoir erré quelque temps en Allemagne, en proie à
une profonde misère, il entra dans un couvent, où il mourut
l'objet de la commisération publique.
Joseph-FrançoisBorri, Milanais, avait attaqué avec trop
de témérité les principes de TÉglise romaine. Condamne au
bannissement, il quitta l'Italie en 1660, et parcourut, sous
le nom de Burrhus, diverses villes d'.Allemagne, où il fit
plusieurs fois des projections. Après avoir visité les pro-
vinces rhénanes et les Pays-Bas, il se rendit, en d665, à
Copenhague, et entra comme alchimiste au service du roi de
Danemark, Frédéric III. Il parvint à un tel point à gagner la
confiance du roi, qu'il réussit à lui persuader une insigne fo-
lie. Borri prétendait avoir à son service un démon qui ap-
paraissait à son évocation et lui dictait les opérations néces-
saires à accomplir pour opérerles transmutations. Cet esprit,
qui répondait au nom à'Homunmhis, arrivait au comman-
dement de son maître, lorsque celui-ci prononçait cer-
taines syllabes mystérieuses. Pour avoir son alchimiste tout
r,i DOCTRINES ET TRAVAUX
îi fait sous la main, le roi décida qiio lo laboratoire de Borri
serait transporté dans son château.Maisradepte assuraitque
le pouvoir de son dénion serait anéanti si on tentait de le
séparer d*un immense fourneau de fer et de briques qu'il
avait fait bâtir pour servir de demeure à VHomunculus. Il
espérait, grâce à cette difficulté, échapper à l'obligation de
loger au palais, où ses opérations auraient sans doute trouvé
une surveillance plus sévère. Mais une volonté royale ne
connaît point d'obstacle. Le roi décida que, pour ne point sé-
parer VHomunculus de sa prison obligée, Timmense fourneau
de Talchimiste serait transporté, à l'aide de machines et par-
dessus les remparts, dans l'intérieur de son palais. Tous les
gens du palais furent contraints de s'atteler à ces machines.
Cinq ans après, Frédéric III étant mort, on voulut con-
naître le secret de Borri. Ce dernier prit aussitôt la fuite;
mais, arrêté]sur les frontières de la Hongrie, il fut emprisonné
à Vienne. Reconnu par le nonce du pape, il fut réclamé au
nom de la cour de Rome comme ayant été condamné pour
crime d'hérésie. Borri fut conduit à Rome par le nonce lui-
même, et on le tint enfermé dans le château Saint-Ange. Il
n'était pas astreint néanmoins à une surveillance trop sé-
vère: on lui accorda un laboratoire afin qu'il travaillât à la
pierre philosophale en faveur de TÉglise. Mais il ne put par-
venir à rien de bon : son Homunadv^ l'avait quitté. 11 mou-
rut en prison en 1695.
Si nous sommes entré dans les détails qui précèdent,
c'est que nous voulions montrer que ces invocations aux es-
prits infernaux, ce recours aux puissances occultes, tant re-
prochés aux alchimistes, n'ont été en réalité que le fait de
quelques fripons ou de souffleurs de bas étage. Aucun des
grands hommes dont les noms brillent dans les fastes alchi-
miques n*a ajouté foi à de semblables folies. Et le fait d'ail-
leurs s'explique sans peine. Quelles que soient les erreurs
dans lesquelles ils ont pu tomber, les alchimistes étaient,
A tout, des gens positifs, ayant un but parfaitement dé-
DES ALCUIMISIES. 55
terminé et sachant fort bien quel résultat ils voulaient at-
teindre. Pour obtenir ce résultat, le recours aux influences
surnaturelles était plus qu'illusoire, et, si les adeptes eu-
rent quelques tentations de ce genre, le bon sens ne tarda
pas à leur montrer qu'il n'y avait rien de sérieux à attendre
de tels moyens. Ils durent donc abandonner bientôt une voie
aussi stérile, laissant aux faiseurs de dupes le soin d'en ex-
ploiter les hasards et les pwfits. Pour arriver à la découverte
de Tagent précieux, but de leurs espérances, ils se bornè-
rent à remploi des moyens naturels, c'est-à-dire aux expé-
riences exécutées à l'aide des agents que mettait à leur ser-
vice la chimie de leur temps. La série des moyens pratiques
mis en usage aux diverses époques de l'alchimie pour la dé-
couverte de la pierre philosophale doit donc maintenant
devenir l'objet de notre examen.
CHAPITRE II
MOYENS EMPLOYES PAR LES ALCHIMISTES POUR LA PREPAKATIO.^
DE LA PIERRE PHILOSOPHALE.
L'obscurité des écrivains hermétiques, l'incohérence et la
confusion de leur style, les termes détournés, les noms
étranges qu'ils affectionnent pour désigner, ou plutôt pour
déguiser les substances, opposent beaucoup de difficultés à
l'analyse que nous allons faire des moyens principaux em-
ployés par les adeptes pour la préparation de la pierre phi-
losophale. Chez eux, d'ailleurs, cette obscurité était volon-
taire ; le parti était pris d'être impénétrable, et l'on n'en
faisait pas mystère;
36 DOCTRINES KT TftAVAL'X
* Pamiv idîul! >*ét-ne Artê|rfiiiis aportroplBnl »on lecteur, serais*
lu avsez >iniple puur croire que nous alloos renseigner ouvertement
et clairement le plus grand et le plus important des secrets, et
prendre »)s |iuit>!es à la lettre? Je t*as9ure que celui qui voudra
expliquer ce que lea> pliilosophes ont éirit selon le sens ordinaire et
littéral des paroles se trouvera engagé dans les détours d*un laby-
rinthe d*où il ne se débarrassera jamais, parce qu*il n^aura pas le fil
d'Ariane pour se conduire et pour en sortir, et, quelque dé|)ense
qu'il fasse à travailler, ce sera tout autant d'argent perdu*. •
La plupart des auteurs ont ç[TaDd soin d'avertir que leurs
descriptions ont été embarrassées à dessein d'énigmes, de
contradictions et d'équivoques. Aussi les novices qui essayaient
de pénétrer le secret de la science par la lecture des grands
maîtres étaient-ils parfaitement édifiés à cet égard :
41 Quand les philosophes parlent sans détours, dit G. -de Schrœder,
je nie défie de leurs paroles ; quand ils s'expliquent par énigmes, je
réfléchis. »
C'est la même idée que Tadeple Salmon exprime par cette
riche collection de métaphores :
« Ce n'est que parmi ces contradictions et ces mensonges ap|)a-
rciits que noas trouvoiLs la vérité ; ce n'est (fue j)ai*mi ces épines que
nous cueillerons cette rose mystérieuse. Nous ne saurions entrer
dans ce riche jardin des Hespérides pour y voir ce bel aibro d'or et
en cueillir les iniits si précieux, qu'après avoir défait le dragon qui
veilh; toujoui's et qui en défend l'entroe. Nous ne pouvons enlui aller
îi la conquête de celle toison d'or que par les agitations et par les
écueils de celte mer inconnue, en passant entre ces rochei-s qui se
clnMluent et se combattent, et après avoir surmonté les monstres
é|M»uvantables qui la gai-dent*. »
Pour adopter ce langage obscur et inaccessible, les alchi-
mistes avaient un excellent motif. Us n'avaient rien à dire sur
Tart (le faire de l'or, tous leurs efforts pour y parvenir étant
deuieurés inutiles. Il est à croire d'ailleurs que celui qui
* Le Uore d'Artèphius.
* Bibliothèque de» phitoëophes chimiquet.
DES ALCHIMISTES. 37
aurait possédé ce secret merveilleux, eût jugé bon de le gar-
der pour lui, et d'après cela se fût dispensé d'écrire une li-
gne. Mais c'était là le seul motif que les alchimistes n'invo-
quaient pas pour justifier les mystères de leur langage. Ils
en avaient mille autres à alléguer. C'était, par exemple, la
crainte de produire dans la société une perturbation trop
vive ; il ne fallait pas, comme le dit Salmon, « profaner et
rendre publique une chose si précieuse, qui, si elle était con-
nue, causerait un désordre et un bouleversement prodigieux
dans la société humaine. » 11 y avait aussi un motif religieux
qu'il est bon de signaler, car il caractérise bien l'esprit des
idées alchimiques. Tous les adeptes reconnaissent que la
préparation de la pierre philosophai e est une opuvre qui dé-
passe la portée de Tintelligence humaine. Dieu seul peut la
révéler aux hommes, et il ne s'en ouvre qu'à ses élus. Un
philosophe qui a reçu cette communication d'en haut ne
doit raccordera son tour qu'aux êtres vertueux, aux esprits
que la grâce a touchés ; il lui est commandé de la refuser aux
méchants et au vulgaire. Ainsi, en adoptant leur style énig-
matique, les adeptes ne faisaient qu'obéir à la volonté divine.
« Cache ce livre dans ton sein, dit Aniauld de Villeneuve, et ne le
mets point entre les mains des impies, car il renferme le secret des
secrets de tous les philosophes. Il ne faut p:is jeter celle perle aux
{lourceaux, car c"'est un don de Dieu. »
Les maîtres du treizième siècle allaient jusqu'à memicer
les indiscrets de la colère de Dieu : •
« Celui qui révèle ce secret, dit Arnauld de Villeneuve, esl maudit
«t meurt d^apoplexie. »
« Je le jure sur mon ànie, s'écrie Raymond Lullc, que, si lu dé-
voiles ceci, tu sei-as damne. Tout vient de Dieu et doit y retourner ;
lu coaserveras donc pour lui seul un secret qui n'appiulieiit qu'à lui.
Si lu faisais connaître pir quelques paroles légères ce qui a exigé de
si longues années de soins, lu serais damne sans rémission au juge-
ment dernier pom* cette offense k la majesté divine. »
« J'ai maintenant assez parlé, dit Basile Valentin dans son Char
58 DOCTWIfE^ ET TRAVAUX
de triomphe lie Vaniimoint', j*ai eoseigiic wàiv sirivi d'uiic lua-
nièiv si claii*e et si pi*tVi<c, qu'en dire un peu |>las, ce seniit vouloir
>'enfiHnx'r dans Tenfer. •
Basile Yalentin se répand en plaintes amères sur la trop
grande clarté qui règne dans ses écrits. Il s'adresse à. lai-
méme les plus vifs reproches, et, pour son l'epos futur, il
tremble d*en avoir trop dit. Ikisile Valentin s'exagérait ses
torts ; la postérité l'absout. Tous les adeptes qui ont travaillé
sur les indications de ses écrits tiennent |)Our certain qu il
ligure au nombre des élus.
La craiute des [Hîines temporelles ou spirituelles n'est point
la seule qui paraisse avoir dicté la réserve extrême des écri-
\ains hermétiques. En effet, les auteurs grecs et arabes sont
tout aussi discrets que les occidentaux. Cette réserve est
même quelquefois [xiussée à un point extrême. Rhasès com-
mence ainsi la description d'un procédé très^simple pour
faire de leau-de-vie:
« Prends de quelque diose d'inconnu la quantité que tu voudnis :
llecipe aliquid ignoium, quantum volueris. ■
Pseudo-Démocrite donne le procédé suivant pour solidi-
lier le mercure :
« Pi-ends du nieifuiv et solidifie^le a\ec de la magnésie, ou avec
tlu soufre, ou avec de Técuiue d'acgent, ou avec de la chaux, ou avcf
de Taluu, ou avec ce que lu voudras, *
Il n'est [las rare de trouver la recette suivante :
« Prends... »
II est impossible d'être plus discret.
L'obscurili' des traités alchimiques et la biiarrerie de leur
coutenu sont suliisammenl indiquées d'avance par Tétran-
goté de leurs titres. Pour en donner une idée, il nous suffira
de citer les noms de quehiucs ouvrages choisis parmi les plus
célèbres dans les fastes de l'art. Tels sont: l'Apocalypse
chimique, les Doux^ Clefs de la plUlosi/phie, du Basile Valen-
tin, — le Miroir des Secrrls, hi MtHdle alchimique, de Ko-
DES ALmiIMlSTfiS. oO
gcr BacoD, — la ClavictUe, de Raymond Lulle, — le Désir
désiré, attribué à Nicolas Flamel, — la Parole délaùsée, du
Trévisan, — le Rosaire philosophique, la Fltiirdes Fleurs,
d'Ârnauld de Villeneuve,— \e Livre delà Lumière, deJ. Ro-
quetaiHade(iîupe.çctssa),— le Vrai Trésordelavie humaine,
de du Soucy, — leTombeau de Sémiramis ouvert aux sages,
— la Lumière sortant par soi-même des ténèbres; V Entrée
majerte au palais fermé durai, de Philalèle, --Y Ancienne
Guerre des chevaliers y ou le Triomphe hermétique, le Crede
mihi, de Th. Northon, — la Tourbe des philosoplies, ou .4.s-
sembléedes disciples de Pythagoras, dcMorien,— le Psautiei-
d^HermophUe, le Traité du Ciel et de la Terre, de V. Lavi-
nus, — WLivre des Dou%e Portes, de G. Ripley, — la Toi-
son d'or, de Trismosin, — YÉclM de tromj)ette, — et plu-
sieurs autres ouvrages publiés sous le nom dllermés ou sou:>
les noms de quelques philosophes de Tanliquilé : Teinture
physique, — Teinture du Soleil, et de la Lune, — Teinture
des Pierres précieuses, ete. Ajoutons que, sous ce rapport,
les auteurs modernes ne le cèdent pas à leurs devanciers.
Voici, par exemple, les titres de quelques ouvrages publiésau
dix-huitième siècle: Clef pour ouvrir le cœur du père phi-
losophique, — la Salamandre Inidante elle Chimiste éveillé,
— le Soleil splendide au firmament chimique de Vhoriwti
allemand, etc.
Ce style obscur et énigmatiquese montre surtout chez les
premiers alchimistes. En parcourant, dans les écrits des By-
zantins, des Arabes et des auteurs occidentaux antérieurs au
quinzième siècle^ les explications des procédés relatifs à la
préparation delà pierre philosophale, on chercherait vaine-
ment à pénétrer le sens de leurs descriptions. Il est proba-
ble, disons-le, que ces écrivains ne s'entendaient pas eux-
mêmes. Tousles lexiquesqui ont été proposés ne sont d'aucun
secours, car dans la même page un même terme reçoit quel-
quefois deux ou trois significations différentes.
Cependant il ne sera pas inutile de faire connaître com*
42 DOCTRINES ET TRAVAUX
« Promis une vi(»rjro alleu» ({ui s4)il bien h\ée ««t ptiiiTiéo et qui soit
oncoinU^ par la vertu de la Bemenoe spirituelle de son premier mai .'.
sans que pourtant sa virp^inité soit lésée : marie-la sans soupçon
d'adultère avec Tautre lionnne, elle concevra de nouveau avttt la se-
mence corporelle du mari, et elle mettra au monde un enbnt ho*
norable des deux sexes : la pierre pliibsophale. »
Arnauld de Villeneuve s'exprime ainsi dans un paragraphe
sur la préparation du grand œuvre :
« Sache, mon fils, que dans ce chapitre je vais Rapprendre ht pré-
paration de la pierre philosophale.
« Gomme le monde a été perdu par la femme, il faut austâ qu'il
soit rétabli par elle. Par c^tte raison prends la mm*e, place-la avec
ses huit fils dans son lit ; surveille-la ; qu elle fasse une stricte péni-
tence, jusqu'à ce qu'elle soit lavée de tous ^e& péchés. Alors elle
mettra au monde un fils qui péchera. Des signes ont apparu dans
le soleil et dans la lune : saisis ce fils et chàtie-le, afin que rorgueil
ne le perde pas. Cela fait, replace-le en son Ht, et lorsque tu lui
veiTas reprendre ses sens, tu le saisiras de nouveau pour le plonger
tout nu dans l'eau froide ; puis remets-le encore une fois mit son lit,
et, lorsqu'il aura repris ses sens, tu le saisiras de nouveau pour le
donner h cnicifier aux juifs. Le soleil étant ainsi crucifié, on ne verra
point la lime, le rideau du temple se déchirera, et il y aura un
jnMnd tremblement de terre. Alors, il est temps d'employer un grand
feu, et l'on verra s'élever un esprit sur lequel tout le monde s'est
tmmpé. »
Cette lumineuse explication est adressée par Arnauld de
Villeneuve à un de ses élèves. Hais il parait apprécier lui-
même cet étrange exposé à sa véritable valeur, car il fait ré-
pondre à son élève : c Maître, je ne comprends pas! » Sur
quoi le maître promet d'être plus clair une autre fois.
Le passage suivant de la Tourbe des philosophes n'a rien à
envier à ceux que nous venons de citer :
« Je vous commande, fils de doctrine, congelez l'argent vif :
« De plusieurs choses faites, 2, 3 et 5, 1, 1 avec 5 c'est 4, 5, 2 et i.
De 4 à 3 il y a 1 ; de 5 h 4il y a 1, donc 1 et 1, Set 4; de 3 h 1,
il y a 2, de 2à 5, il y al, de5h2, 1,1, 1, 2 et 3. Et 1,2, de 2
ot 1, 1 de 1 h 2, 1 donc 1 , Je vous ai tout dit. ^
UES ALCBKmS^ IT.
Vi>iLî la naBÎm' 4e foBp4n- Pj^ismii rif Rira nVt (iluv
simple. Tne partie <ks aiimii$ tnilKi aMiimîqiic< ri^int f^^i îw
ih^ ce style.
La préparatkm de la ^en>^ phil«iophale est Mm\eni pn*-
r^ntêe. dans les ou%7ag» de celte époque, soos la f< iniio <l*al-
li-gorie oa de parabole. Une de ces allégories fort admiiv^
au moyeo âge a beauroop e\dtê la sagacité des atlepU's : on
la connaissait sons le nom à'All^fimt ir MeHim. bien i|iie
lo célèbre enchanteur n ait rien en de romninn a\ iy Ios al-
cliiinistes. Yoicî h traduction de cette pièce, dont le siyli'
(St assez remaïquable :
« Tn roi. ,vqpbiil Jélruiie de piiK^anL^ <*iuii^iiîs, m^ invpam ù
soutenir coÉhn mx la guerre. Au lut^iiieiil de niontei' a chinai, il
ordoana 3i on de ses soldats de lui donnei' à lioîre de Finiu qull Ch-
inait beaucoup. Celui-ci. répandant, dit : S<ngneur. qu'elle i*s( <>4le
(*au que tous medemaodei? (Tesl. dit k* roi. Peau qut« j'aiim^ le phi*^
ot dont je suis aiim* entre tous. Lt» soldat alla aussihU et Papin^rta.
Le roi la reçut et but longtemps, jusqu"^ (*e que ses uK*nilMx*s fîuvut
enflés et ses veines remplies ; il devint extrêmement pàU- : alors ms
soldats lui dirent : Seigneur, voici le cheval, vous plait-il de mouler?
Mais le roi, répondant, dit : Sachez que jtUM* |Niis nninU^r. Pimiiiuoi
ne pouvez-vous monter? dirent les siddaUi. Sachez, leur dit le iH>i,
que je me .sens appesanti et que j*ai de grandes doideurs de \^W ; il
me semble que tous mes membres se détachent de moi. Je vo\is or-
iloraie en conséquence de me placer tlaiis une chambre claire. iV'A\t~
(lorter cette duunbre dans un lieu chaud et s(>c, eutretomi nuit v\
jour à une dialeur modérée. Aia<d je suerai ; Tcau que j'ai hue dis^
inraitra, et je serai délivré. Les soldats tirent tx" que le n)i avait oi>-
douné. Au bout du temps requis, ils ouvrû*ejit la |)orti' et tnnivt'^ivul
le roi demi-mort. Les parents coiuiirent aussitôt vei's les minlecins
d'Égypteei d'Alexandrie, qu'il faut honorer entre tous, et les ame-
nèrent avec eux en leur racontant rcvéncment. r4eux-ci, ayanl vu le
iSoi, déclarèrent qu'il était facile de le délivrer ; les parents din'ut alow
en s'adressant aux médecins : Qui do vous s'en rliar}(fîra ? Nous, s'il
vous plaît , dii^nt les médecins d'Alexandrie ; mais les UHnleeins
d'Égj'pte reprirent : Cela no nous plait point, c'est nous que vv soin
rejîîinle, car nous fiomwos )os phis niicifMls. Los Me\îv\\v\Y\\\s \ \\\\\\\\
44 DOCTRINES ET TRAVAUX
consenti, les médecins d*Égypte prirent le roi, le coupèrent en petits
morreaux, et Tayant humecté avec mi i>eu de leur médecine, ils le
remirent dans sa cliambre dans un lieu sec et chaud, entret(>nu nuit
et jour, comme auparavant, à ime chaleur modérée ; on le retira
presque mort et ne couseiTant qu'un souffle de vie. Ce que voyant,
les parents se mirent k. crier, disant : Hélas ! le roi est moil ! Il n'est
point moi-t, reprirent les médecins, ne criez pas, car il dort, et son
sommeil va finir. Ils reprirent le roi, le lavèrent avec une eau douce
jusqu'à ce que le goût de la médecine eut disparu ; ils le lavèrent
encore avec la même médecine et le replacèi^nt dans le même lieu
qu'auparavant ; mais, quand on le retira, les parents se mirent de
nouveau k crier fortement : Hélas ! le roi est mo^t ! — Nous avons
' tué le roi, reprirent les médeins, afin qu'il reparsSfise en ce monde,
après sa résurrection au jour du jugement, mè^ur et plus fort
qu'auparavant. Ce qu'entendant les parents, ils regaitlèrent les mé-
decins comme des imposteurs,, et aussitôt ils leur enlevèrent leur
médecine et les chassèrent hors du royaume. Cela fait, ils se mirent
h délibérer entre eux, pour savoir ce qu'on devait faire de ce cada-
vre empoisonné. Il fut convenu de l'ensevelir, de peur que l'odeur de
sa putréfaction ne devint nuisible ; mais les médecins d'Alexandrie,
entendant cela, vinrent à eux et dirent : N'ensevelissez pas le roi,
car, si vous le voulez, nous vous le rendrons plus sain et plus beau
qu'auparavant. Mais les parents se mirent à sourire en disant : Vou-
lez-vous vous moquer de nous comme les autres? Sachez que, si vou>
ne tenez pas vos promesses, vous ne sortirez pas de nos mains. Les
médecins prirent donc le cadavre du roi, le lavèrent jusqu'à ce que
toute la médecine qui restait fût enlevée, et le firent sécher. Ils pri-
rent ensuite une partie de sel ammoniac et deux parties de nitre alexan-
drin, qu'ils mêlèrent avec la poudre du mort; avec uii peu d'huile
de lin, ils en firent une pâte et la placèrent dans une chambre faite
en forme de croix, avec une ouverture à la partie inférieure ; ils \e
placèrent au-dessous de cette ouverture, dans un autre vase , fait
aussi en forme de croix, et le laissèrent là une heure. Enfin ils le
couvrirent de feu et soufflèrent jiu;qu*au point de le faire fondre ; il
descendit alors par l'ouverture dans la chambre placée au-dessoa<;.
Enfin le roi, revenant de la mort à la vie, jeta un grand cri : Où sont
les ennemis? dit -il. Je les tuei^ tous, s'ils ne viennent sans retard
se soiunettre à moi. Tous accoururent donc vers lui en disant : Sei-
DES ALCHIMISTES. 4h
noosvoîâ, BOUS sommes tous prêts k obéir à vos orriros. (Test
pourquoi, depuis ce moment, les rob et les puissants des autres nations
rhooorèrent arec crainte oomme aupararant.
< Et, quand on Toulail Toir de ces menreilles, on plaçait dans un
Tase une once de mercure bien lavé, et on jetait li sa surface à peu
près la grosseur d^un grain de millet, des ongles, des cheveux ou du
sang du roi, et en souflDant légèrement les charbons, on trouvait la
pierre que je sais bien ; on projetait un peu de cette pierre sur du
plomb purifié, lequel prmait aussitôt la forme que je sais bien ; on
plaçait ensuite une partie de cela sur dix parties de cuivre, et le tout
devenait excellent et d^une seule couleur ; on prenait alors cette troi-
sième pieire, mi la mêlait comme plus haut avec du sel et de For ;
on la liquéfiait, et on jetait ces sels dissous sur du petit-lait de diè«
vre. Ainsi s^aooomjdissait Tœuvre excellente entre toutes.
c Conserve, firère, ce traité et veille bien sur lui, car la meilleure
chose est sottise parmi les fous, mais non parmi les sage». Voilà le
chemin des trois jours royaux par lesquels, avec un peu He travail,
un grand bénéfice f est réservé*. •
L'autear de cette allégorie n'est pas connu ; la couleur
orientale de son style lui a fait attribuer une origine arabe,
mais rimitation de ce style est trop aisée pour que cet argu-
ment ait de la valeur. L'expression de pierre philosophole
que porte le titre de l'allégorie ne se trouvant jamais chez
les auteurs arabes, cette pièce appartient sans doute u quel-
que écrivain du moyen âge.
On peut citer comme un autre exemple d'allégorie chimi-
que VAUégorie de la fontaine de Bernard le Trevisan. Dans
son livre de la Philosophie naturelle des métaux, l'auteur
met ainsi la pratique en paroles paraboliques :
« Je m'en allais, pensant, par les champs, parce que j'étais Inn
d'étudier.
« Une nuit advint que je devais étudier pour le lendemain dispu-
* Meriini allegoria profundissimum philosophiœ lapidis arcaniim per-
iectè continens : m Bibliotheca chemicd Mmgeii^ 1. 1\, p. \QV.
1
m rocTBiNKs v:t travai x
h'r: je l.miiv:ii niiP jM-tilr ltiuUiii*U<\ brlh' il i4jiih\ toiil rtmi
(Tum* iM^lIr |iHTie\ t^t tvlli' |iiriTc* iHail iiu-cli^ssiis û\m \'mi\ rmix
ili' I lu'urv, il tout II IVTiviron «'lie eliûL boiiiée df^ n*ui';iill(^>, île ppiir
fjye ios viii'lus iii autres biHe» bruU's, ni vulaLiles, ne s\ Imigïijisj^jil.
Admic j'rivais grimd iippétiL de doriiiti', je nTn^sts nii-ilivssiis de In-
ilîti^ fiHitiiine, et jr viji ipreUe êlint eouveHf parnlessus el ijif elle él:(il
j'i'iinéi'.
t< Kl il |Ki^sa \Mï l;i un |irètr<^ îiiHien cl dr vît-il A^e; je luidetnati-
dai |Mninjuiû l'st ;iiiisî leiinéê w^tle iiuitàine» desîiUJv, di^ssouîs et de
touîi iùttei ; tl il ine tiil graeieux et ]>on ei me commença Umt aÎDsi à
dire : Seio^neur, il est vi*ai qne t^lte fontaine est de lerrihle vertu,
|du«i que nulle aulit^ qui suit an nioude. Elle csi seuknienl poyj'
le ini du ]),ivs, qu elle tonnait lueu ri lui tdk% av j:*niajs t'e ita
lit' jKisse mv ki qirelle tw le tire a soi: et il est avee elle dedân?:
it'(41e loiilàine ù wi baij^iier deux eent cjuiitre-vin|;t-deuï juui's ; et
elle rajeunit tellement le roi, qu'il n'y n homme qui ne le \mkêe
vaincre.,..
ir Adone je lui demandai s'il avait vu le toi, et il me iT)iondit qu*»l
Favait vu entier; mais que diqans qu'il rst euti*' H t^uo sa giml?:
Ta enlVnué^ jamais on ne le voit jusqu'à eeiit trente joui^ ; aku-s il
eommtMite h jiandtrt^ el h resplendir. J.e prtier qui le garde lui
t'iisudfe siin bain eontinuellenient jHUir lui *rai"der t^a thaleur ttali^Aa
ti Adtjue je tleiiiantlai de quelle eouleur le rai était ? El il me re-
|Huidait qu'il était vtHu de drap d*ar un premier ^ et [juis avait un
|tfuu'froiul de velours noir, la eheniisc blaiîchft commt! neige et la
cluiir aussi sanguine eouirue saufî.
s Après, je lui dr^maudai, qunnd le rui venait à ja fontaînô, fC\\
aiueuîiit grande comi>:t;fnie ih gi'us t'ii-angers et de menu peuple
îivee lui. Il nie icpoudit amiablt^mtmt en sfù st>uriant : Ci' n>i n':i-
mene que lui l't laisse tous ses gens et l'irangers ; n'ajqu ot lie nid
que lui de eelle lonlaine» sinon la ganle, ijui l'sl un simple bom me...
Mais, toutefois, quaml le roi y est entré, |Ht luièreinent il se dépomlJe
de sa rtibe de drap di' (in nr, battu en feuilles liês-slélit't^s, el bi bailli'
à siui [Heuiier bt>nmu' qui s'appelït^ Satume. Adonc Satnnie la |ut*nd
et la ganlt^ quaiaute jtuirs ou quarante-deux, au plus» quanti une fuis
il Ta eue. A|>rts, le j'oi revt^t ^on pourpinl de lin velours noir» et le
donne au second liomnie, qui est Jupiter, qui le garde vingt joui^ bons.
DES ALCHIMISTES. M
Adonc Jupiter, par coimnaiMleinent du roi, le baille h la Lime, quieftt
la tierce personne, belle et resplendissante, et la ganle vingt jours.
Et ainsi le roi est en sa pure chemise, blanche comme neige, aux fines
fleurs du sel fleuri. Alors^ il dévêt cette chemise blanche et fine et la
baille à Mars, lequel pareillement la garde quarante et quelquefois
quarante-deux jours. Et après cela Mars, par la volonté de Dieu, la
baille au Soleil jaune et non pas clair, qui la garde quaraqte joui*s,
et après yient le soleil très-beau et très-<lair, qui la prend bientôt :
adonc celui-là la garde...
« Et je lui dis : N'y vient-il jamais k cette fontaine ni médecins
ni rien? Non, dit'il, personne n'y vient autre que le gardien qui au-
dessous fait chaleur continuelle, environnée et vaporeuse.
« Ce gardien-4à a-t-il beaucoup de peine? Il a plus de peine à la
fm qu'au commencement, car la fontaine s'enflambe.
« Et je lui dis : L*ont vu beaucoup de gens ? Tout le monde Ta
devant les yeux, mais ils n'y connaissent rien.
« Et lui dis : Que font-ils encore après? S'ils veulent ils puveiit
purger le roi en la fontame, circulant et contenant le lieu au con-
tenu de la contenance cont^ue, en lui baillant^ le premier jour son
pourpoint, le jour après sa chemise, et le jour après sa chair saii-
pane.
« Et je lui dis : De quoi c'est ceci? Et il me dit : Dieu fit un et
ib'x cent et mille et cent mille, et puis dix fois le multiplia.
« Je lui dis : Je ne l'entends point. Et il me dit : Je ne t'en dirai
plus, car je suis ennuyé. Et alors je vis qu'il ht ennuyé, et moi
aussi j'étais eimuyé qui avais appétit de dormir, car le jour précédent
j'avais étudié. »
Comme dernier exemple de ces expositions énigmatiqnos
et symboliques relatives à la préparation du magistère, nous
citeroBs le Songe vert, attribué au philosophe Bemnnl lo
Trévisan :
« J'étais enseveli dans un sommeil très-profond, lorsrpi'il me sem-
hla voir une statue, haute de quinze pieds envimn, roprésent^^nt \m
vieillaitl vénérable, beau et parfaitement bien proportionné dans
Uiutes les parties de son corps. Il avait de grands clieveux d'arjtent
lous par ondes ; ses yeux étaient de turquoises fines, îiu milieu des-
quelles étaient enchâssées des escarboucles, dont VMul était si hril-
AH
nOCTRINES KT THAVAUX
bril, qyt* je ne i>ou?ais en soutenii' la lumiiiro. Ses lèvres élaiwit
(('411% .sen (it^nU tle perles oi îeiiUiles. et tout le reste du corps êlaiî i
JHjL tl'un ("ubis foil brtlkuil. H touchiiît du [tM gauihe un glohe ler-l
j^slie, qui parait«ait le supporter. Ayant le lims rtmil élevé et teudu,|
il SiMiiblail sDUlenir avw le LouL de non doi^t ini j^lidie eélesle au-*]
dessus de su léle, el de la main paiiehe il leiiait uni' elef, faite d'un^
jîTt)s diîUïiant liniL
« CW lionune, j^'approelianl de moi, me dil : Je Miis le gimle deij
sages, fie cmm point île nie suivre. Puis, me prenant par les die
\&ii\^ de la main dont i! lenîfit cette clef, il niVnlcTa et me lit traver-l
ser les tixiis régions de l'air, celle ilu Peu, et les cieiix de toutes lei
planètes. Il me [mrtu encore liieii an ilrlà ; puis, ni'avant enveloppé!
dans mi (ourhillon, it dispanil, «'t je me trimvaî dau;^ une ile Ûol^l
lante sur une mer de sang. ï^urpris d\Hre dans un pays si ébigné^
je lue promenais sur le rivage ; et, considénmt i otte mer avec ur
irrande atUMilinn, je reconnus que le i^ang dont elle était composa
était vgf et lonl ciiaud. Je remarqtiai même qu'un vent très-doux, qui]
Incitait s;ms cesse, enirctenait sa chaleur el ( xtiinîl en celle mer uftH
lM)uilKinn**n>ent qui cimsait ii tmite Fde un niinivcnient prestjue iiiî-
pettrptîlde,
» Ravi d'admiratîon de voir ces ehnses si exlnu>nnnaires, je
llêchissus sur tant de nieiTeilles, quand j'aperçus plusieurs pei%on^^|
nés de mcn cote. Je m'imaginai d'aknd qu'ils voulaient peut-elw
me nialtraitei% et je me glissai sous un tas de jasmins pour me ca-
cher ; mais, leur odeur ui ayant endormi, ils me trouvèrent et niP
saisirent. Le [dus grand de la troupe, qui t|)e semhlait commander
les uutres, me rîeinautia, avec un aîr fiei% r]ui m^avail rendu si té-
méraire que de venir des Pays-Bas ilans ce trcs-li;mt empire. Je lui
racontai de quelle manière on m'y avait transporté, Aussilol rtl
hommes changeant lonl d'un cnu[t de ton, d'air et tle manicrt^s, nie
dit : Sois le bienvenu, toî qui fnt conduit Ici par notiHî tr&s-haul
et trés-[>uis5ant Génie. Puis il me salua, et tous les autres ensuite,
à la ffiçon de* hnv pavs, qui est de se eoncher loul pîat sur le dos,
iniis .«e mettre sur le ventie et sc^ relever. Je leur rendis le saiul,
mais selon Li coutume de inoti pays, H me pramit de me préseiUer
au nagaceslaut% qui est leur empei^ur. Il me pna de Texcuser ^^uAM
ce qu'il n'avait jmint tle voiture pour me porter 5 la ville, dont nous
étions élûijjjnés d'une lieue. Il ne m'entretenait, par le cliemin, que
M
DES ALCHIMISTES. 40
(le la puissance et des grandeurs de leur Hagacestaur, qu'il disait
posséder sept royaumes, ayant choisi celui qui était au milieu des six
autres pour y faire sa* résidence ordinaire.
« Comme il remarquait que je faisais difficulté de marcher sur
(les lis, des roses, des jasmins, des œillets, des tubéreuses, et sur
une quantité prodigieuse de fleurs les plus belles et les plus cu-
rieuses, qui croissent même dans les chemins, il me demanda en
souriant si je craignais de faire mal à ces plantes. Je lui répondis
que je savais bien qu'il n'était point en elles d'âme sensitive, mais
que, conune elles étaient très-rares dans mon pays, je répugnais à
les fouler aux pieds.
« Ne découvrant, par toute la campagne, que fleurs et fruits, je
lui demandai où l'on semait leurs blés. Il me répondit qu'ils ne les
semaient point, mais que, conune il s'en trouvait en quantité dans
les terres stériles, le Hagacestaur en faisait jeter la plus grande par-
lie dans nos Pays-Bas pour nous faire plaisir, et que les bêtes man-
^esùeni ce qui en restait ; que, pour eux, ils faisaient leur pain des
fleurs les plus belles; qu'ils les pétrissaient avec la rosée, et les
cuisaient au soleil.* Comme je voyais ])ai'tout une si prodigieuse
(piantité de 4rès-beaux fruits, j'eus la curibsité de prendre quelques
poires pour en goûter; mais il voulut m'en empêcher, en me disant
qu'il n'y avait que les bêtes qui en mangeaient. Je les trouvai ce^
pendant d'un goût admirable. Il me présenta des pêches, des me-
lons et des figues ; et il ne s'est jamais vu dans la Provence, dans
toute ritalîe, ni dans la Grèce, des fruits d'un si bon goût. Il me
jura par le Hagacestaur que ces fruits venaient d'eux-mêmes et
qu'ils n'étaient aucunement cultivés, m'assurant qu'ils ne mangeaient
rien autre chose avec leur pairi.
« Je lui demandai comment ils pouvaient conserver ces fleurs et
ces fruits p^idant l'hiver. Il me répondit qu'ils ne connaissaient point
d'hiver; que leurs années n'avaient que trois saisons seulement,
savoir : le. printemps, l'été, et que de ces deux saisons se formait
la troisième, à savoir, l'automne, qui renfermait dans le corps des
fruits l'esprit du printemps et l'âme de l'été : que c'était dans cette
saison que se cueillaient le raisin et la grenade, qui étaient les meil-
leurs fruits du pays.
« Il me parut fort étonné lorsque je lui appris que nous mangions
du boeuf, du mouton, du gibier, du poisson et d'autres animaux. Il
'M\
wamms in tiiavai:x
UH' il il quf' iKitis di-vïoiis avùîi* rcnhiiidptiii-iii \iu'i\ rpis, [niisqiti''
inm^ iiiiiis SIM viiiiis triiliim-iiU si juali^mls. Il tm invnitmmi am iini*-
Il Kilt tri'iilrruirr des ehoM^s !si lu'îk*» i*l: si ciiri«UM'>it il ji' Jch fM'oi*-
l^i< iivri* lK';iutx»u|» iratd'filiflïi. M:iis, élani averti d** coniiiili'n'r \ii^
p^'d ili' lit villi', liant nous nVtiniis nlms t'loi;:nt'«i (jtu' <U* dinix n^ril
]ias, ji* jH'us |Mis sitôt ievô l<»s \rux |ioni' liJ voir. ijUf je- m* vis |ilii
ritn H tjn*^j(' drviurs îivi'ii^li*; cli'ijuoi maii {omlurtriir m* jiiit Ii rirf,
i*t ses riinti^i^niHis th' uii'^tni-.
« b' iU''[Hi ili* voir qikî if*s me^jiburfi w» «livi'ilLssîiÎHil île num
riilriit tue fiikiit jjIuh île cliu^iiîi i]i»e mon niallunir iik'jur, S'ap
n-VEint tkmv hlvn ([iw Il'iii-s uisiiiii^irs ne nie plaisairut jwis, ivli
(jiii avilit tmiji>yi"s piin soin tic ii/riitn tenir nie toiisfïjii en me dî-
s:mt d'avL^ir irn t>eu tle iiutienee, et <[iit' je vei'i:ns el;iîr dans nji iii<
niejit. Puis il alla rherdicir d'une hcrlm dont il nie ktÀÏ» let^
et j*^ vis ;nus>itàt la iMinieie el lVd»l de lelUï î<nj>erl>e ville* do/pt
Un\U*s leii iiiiii-iiins élîtii^nl faites de rrist^d tres-piir, qw le soleil
éebirait iontîniiflleinml; r;ir, diin^i cette île, il ni^ fut janiAis
nuit. On ne vnidiit pmiL ine jh<i iiieitrtî d'entrer daii> anenm' de
innisoriH^ uniis bien il" y voir œ qui w pawuit à tniveni les mui
qui riaient tnins|iiirent!<. JVjuiininai la [tn-mière maison ; ollefî soirf
Niutes Ijaties sur un uienie nicHlèle. Je reiiiEirquai que leiir lope-
uiiMtt n<* eonsislail ijinn un ét«|:e senli-nif^itt ntnijMïsé lU* [mis !i[i[i
teiiM'nls, chaque ;i|ipirleiiient a\;inl |dust*'uis diEinibres et raltii
de |ilaiii-|>ieii.
« Dan* le jireniii'r ap|iai1einent [laraissîul mw sdle, orn+V d'il
tenture de damas tout rltamarré de j^aloii iVm\ hnnh* d'une eiénine
de nieine, ht roidenr du Ibnd de nlte étoile éhiil t'lian|;^i\ini|i dr
l'itn^ie vi de vert, relianssé il':iii;riil h't;s-fin, 1*' toiil euiivert iPime
;^'Lize iïlLinc lie ; ensuite étaienl i{iie!qu«'s ealiinets pniis de hijoiu de
enulcm-s différentes: puis on décoiivniil une eliaudjri' toute inenUléi'
d'un 1m 'an veloui's jioij\ tlnumin/^ de jilnsieuï'î+ baiwU'^ de. patin très-
nuir et liVis-luisant, li' tout ndevé d*un travail de jais, dont h noir-
eeur brillait et éekit^il fort.
» haiLs \v M'einid ;i|i|Miieinènt n' voyait une dianibre, leniineilimr
niuiie blamiwi on<lé«% enriehti' et relevw' d'uni' semenee de iierJes
iirîentales Irts-lines. Ensnile étaient |ilufïenrH eahinels» p«rf^ de
lueubteii de idiii^ieui^ <onît'Uï'K, roninie de salin Ideu,, de dutnas vin-
Jet, de moire dtriue et de tafieta-* innirnat»
leii
1
[>î;e-
'"I
*Ë
DES ALCnîMfSTES, 51
c ttaiLs le troisième appartement était une chambre parée d'une
étoffe très-éclatante, de pourpire à fond d'or, plus belle et plus
riche, sans comparaison, que toutes les autres étoHes que je renais
de voir.
« Je m'enqiiis où étaient le maître et la maîtresse du logis. On me
dit qu'ils étaient cachés dans le fond de cette chambre, et qu'ils
devaient passer dans une autre plus élmgnée, qui n'était séparée de
celle-ci que par quelques CEd)inets de communication ; que les meu-
bles de ces cabinets étaient de couleurs toutes différentes, les uns
étant d'un tapis couleur d'Isabelle, d'autres de moire citrine, et
d'autres d'un brocart d'or très-pur et très-fin.
c Je ne pouvais voir le quatrième appartement, parce qu'il doit
Atre 1101*8 d'ceuvre ; mais on me dit qu'il ne consistait qu'en une
chambre, dont les meubles n'^ifient qu'un tissu de rayons de soleil
les plus épurés et concentrés dan» cette étoffe de pourpre où je ve-
nais de regarder.
c Après ^voir vu toutes ces curiosités, on m'apprit comment se fai-
saient les mariages parmi les -habitants de cette île. Le Uagacestaur
ayant une connaissance tres-parfaite des hommes et du tempérament
de tous ses sujets, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, il assem-
ble les parents les plus proches, et met une jeune fille pure et nette
avec un bon vieillard sain et vigoureux : puis il purge et purifie la
fille, il lave et nettoyé le vieillai'd, qui pr^ente sa main h la fille, et
la fille prend la main du vieillard ; puis on les conduit dans un de
ces logis, dont on scelle la porte avec les mêmes matériaux dont la
logis a été fait ; et il faut qu'ils rastent ainsi enfermés ensemble neuf
mois entiers, pendant U quel temps ils font tous ces beaux meubles
qu'on m'a fait voir. Au bout de ce terme, ils sortent tous deux unis
en un même corps; et, n'ayant plas qu'une âme, ils ne sont plus
qu'un, dont la puissance est fort grande sur terre. Le Bagacestaiu^
s'en sert alors pour, convertir tous les méchants qui sont dans ses
sept royaumes.
« On m'avait promis de me faille entrer dans le palais du Haga-
cestaur, de m'en faire voir les appartements, et un salon, entre
autres, où sont quatre statues aussi anciennes que le monde, dont
celle qui est placée au milieu est le piiisssttit Séganisségède, qui
m'avait transporté daas cette île. Les trois autres, qui formaient un
triangle à l'eutour de celui-ci, sont trois femmes, à savoir : Ellugaté,
r»^
iKïCTIimES KT TIIAVAIX
Lmémuiorc et TripMirecopsen. On m'avait aussi promiït de im^
hitv vo'w le temple où est la figure de leur ilivînité, qu'ils appellt^nt
Eiésel Vmsergtimm ; tim^ hs eoqs s\*taienl mis à cliantor, les jia^
leuiTi t'otid Misaient leiïi's Iroupaiix aux tluuiips, ci ie^ hhom^nr^^ at-
telant k'ui^ chari'ues, (in^iit un si friand bruit, qu'ils nio réveitlèrenti
et inorï sunge hg ûk^lpa fiitit^rt^ineut.
« Tout ce fjui' j'avais vu jusqu'ici n'éLul lieu en compai'aMîOïi de
ee qu'on priiuiellail de nie Jkire voir. Cependant, je n'ai pus de peine
ii me œnftoier, lo!-*i<jiie je fai*i l'cftestion sur ccl empire céleste, où le
TiMil-Puissîint parait assis sur son tKine enviroiuié de jtfloit^. et at-
i(uupaij;ue d'anpes, d'archange?;, de eliriubins, de sénipliins» de
lmnt*H et de liouiiua lions. C'est la que nous vendons te que l'œil n|
jamais vu, que nous entendions ee que l'oï*eille n'aura jamaLs en
l«*ndu, puityjuc c'est dans ce lieu que nous devons jouter une të
ciiè éternelle, que Dieu lui-inôine a protnise à tous ceux qui tfich
rout de s'en r^'iiilri' digues, ayanl toui^elé créés pour pai'liei|KT à eett
Ljloiie. Faisons donc tous nos efforts pour la méritei. Umé f^oitDieu* !i
Os ei talions siiffisenl pour donner une idée des exposî-l
lions énigniaiiqufs familiùros «ux anciens *iuteurs, el iléTI
la forme allégorique dont plusieurs d'entre eux ont revêtu
leurs descriptions. Noos n Insisterons pas davantage sur cft
pointj et nous passons sans regret par-dessus les énigmes, les
allégories et les paraboles qui remplissent les innombrables
f^crits de ralchimie ancienne. Certaines personnes ne dédai-
gnent pas les rébus et les logogrifdies; mais au moins faut-il
que le logogi'iphe caclie un mot. Arrivons aux indications
plus précises fournies par les écrivains d'une autre époque,
pour la préparation de la pierre philosopbate.
C'est au seizième siéede que le langage alcliimique corn-
mence à se dépouiller de ses voiles» C'est <ionc en nous adres-
sant aux ouvrages modernes qu'il nous sera permis de trouver
quelques renseignements sur les différents moyens employés
par les alchimistes pour la réalisation du grand oeuvre.
* Bibliothèque des phitoiophis chimiques j lomo JL
DES ALCHIMISTES. 55
Le procédé général pour la préparation de la pierre phi-
losophale est exposé en termes assez intelligibles dans quel-
ques traités du dix-septième et du dix-huitième siècle, et
notamment dans la Biblwthèqve des philosophes chimiques,
de Salmon, dans YEntrée ouverte au palais fermé du roi,
de Philalète, et dans le Traité d'un philosophe inconnu.
Pour comprendre les procédés que nous allons résumer, il
faut se rappeler que les alchimistes assimilaient la génération
des métaux à révolution des corps organisés, et qu'ils sup-
posaient que les métaux prennent naissance, comme les ani-
maux et les plantes, par la réunion de deux semences mâle
et femelle ^ La science de Talchimiste consistait donc à opé-
rer artificiellement, au sein de ses appareils, la réunion des
deux semences nécessaires à la génération de For. Ces ma-
tières premières étaient ensuite abandonnées pendant un
temps suffisant, dans un vase que Ton désignait, en raison
de sa forme et de sa destination, sous le nom A* œuf philosophi-
que, et quelquefois sous le nom d'athanor ou de maison du
poulet des sages. Après le temps d'incubation convenable, le
métal parfait devait se trouver engendré.
Mais quelles sont les deux substances qui peuvent jouer ce
rôle utile de semence métallique? Selon la plupart des auteurs,
ces deux substances sont : l'or ordinaire, qui constitue la se-
mence mâle, et le mercure des philosophes, que Ton nomme
* L'auteur delà Tourbe des philosophes compare longuement la généra-
tion des animaux à la formation des substances minérales : « Il en est ainsi
de notre œuvre 1 » ajoute t-il. Il compare ensuite la pierre philosophale à
un œuf: « Sachez que notre matière est un œuf; la coque, c'est le vais-
seau'; et il y a dedans blanc et rouge ; laissez-le couver à sa mère sept se-
maines, ou neuf jours, ou trois jours, ou une ou deux fois, ou le sublimez,
lequel que vous voudrez, deux cent quatre-vingts jours, et il s'y fera un
|M)uIet ayant la tête rouge, les plumes blanciies et les pieds noirs... »
Ajoutons que, dans V Entretien du roi Calid et du philosophe Morien,
l'auteur distingue, comme parties de l'opération, V accouplement, la con-
ception, la grossesse, Venfantement ou accouchement, \Knourriture. L'ordre
de celte opération ressemble donc à la formation de l'homme.
54 DOCTRINES ET TRAVAUX
niissï ïv pvt'tHirr a^efU, el qui reprâseBia l.i semmer^ fomflle.
[/.Klrpir Sulîiinti nous fait eonnnîtn*, dans sa Hihliothiiinà
(h'K pltHmophi's ciimktes, h manière doiU îl fairl [irnciMlpr
|ifjur mmbin^^r Vnv \n\js,n\re au mercure des f»Lil(tsn[iliP^ r^t
«ïfjUiuir aîusi h pierre des sîiges.
(I Viiii i di* fjyi'llr ntanliVis iltt Saliiion, ks |i]iikjisr>|ilu's îi<;5uri<
i[\w la ilwïst' s*» fait. Le lUHvm^' <li's jdiilasophi^ (f|ij'iïs a|i|jcllnit
ri'iiu'Hi') rIiiiiL jiHiii t'I :*myljiaini' u\er Tiir («(ni <*st. Ir iurdr) hieàj
|]iii cl in li'iiillrs ou 1*1) JiiiKitlli', ri mis ditris ïonif j>1iîIom»ji1kiI ((
«"•^l un [M'til iii;ttr:i'^ Hiil rn ov^ilt', t|ur l'on iloil myIIhi' hofnrélLqm^
iiHMJt. <K' |M*ur (jm* rii'ii àe Li lualif'jo t»u s'i"\l«iltM, un [)os<* ctH ii
ihnis uni' midli* pitine de trndif^, i|uV)n niel dans \v J'uui iicim,
Irtt-s r*' moi'cnire, jiai h rhaleni' de siin jumlre i!iléiieui% vwhè
le frii fjur* ^atli^(^ ;tllmne aii ili'lKirs et iprit eiitretienl ciintiniiolli
ment d,ins un de^ri' et ibiis une |iiojM:ntioïi m'^essaîre^, ee iiKMrnm
dis-j<", diss<M*i Tor yAm vitilenee et le reduil en ;U<jnit»s. j«
On oblîenl ainsi au bout de six mois une poudre noire qui
dans la deseripûon que Solmon nous en donne, porte le noi
de ti^te (k eoi'hean , ih Satm^ie rm de tmàhm nmmMemieit.
Si Ton pndonge Taetitm tie la ctiateur, la matière devient
ïdanche, c'est la teinture hlarwhe qu petite pierre philom
phale, qui peut eonvertir les métaux en arjïenl et f^ibriqui
les perles. Knfin, sî Ton augmente le feu, la matière frmi
ile\ ienl verte et se diange en une poudre rouge. C'est la véi
lable pierre pliilosopliale. IVojotêe sur uii mêlai vil à rétat
ib^ fusion, elle le transforme imniédiatemenl en or,
La seule diffieuliê, dans la [irëparalion «le ta pieriT [diiln-
sophale, consiste donc u obtenir le mvrcnre des phih.^ophes.
ilH ai(ent une fois trouvé, lopération est, coniuie ou vient
de le voir, la ebose la plus simple du monde; ainsi que le
ilit fort bien Isaac le Hollandais,, c'est % une œuvre de femme
et un jeu d'enfant; « el la eonduite du i^rand œttvre offre
alors, au dire de Nicolas Flamel, si peu de diffieulti',
<>n tmt' foiume filnnl tiisrn
.N>n î«»mi| du loi II ili'toiirm'f*
^ïlt
1
DES ALCHIMISTES. 55
Mais la préparation de ce mercure pliilosaphique n'est pas
une faible entreprise. Toug les alchimistes reconnaissent que
cette découverte est au-dessus de la portée humaine, et qu'on
ne peut y atteindre que grSce à la révélation divine ou par
Tamitié d'un adepte qui lui-4uêm'e Tait reçue de Dieu.
Cependant les philosophes ont essayé de se passer du se-
cours divin. Tous leurs travaux ont été inspirés par le désir
de composer ce mercure philosophique, qu'ils désignent
d'ailleurs sous les noms les plus divers. C'est le meraire
animé, le mercure double, le mercure deux fois né, le lion
verU le serpent, Veau pontique, le fils de la Vierge et le lait
de la Vierge, Hais, il Tant bien le dire, ils n'ont jamais réussi
à le découvrir, bien qu'ils l'aient cherché dans tous les corps
qui sont dans la nature, et môme, comme nous le verrons,
dans quelques-uns qui n'y sont pas.
Passons rapidement en revue les nombreuses substances
dans lesquelles on a cherché le mercure des philosopher, ap-
pelé aussi le premier agent de la pierre philosophale.
Le premier agent a été surtout cherché da'ns les métaux.
Cette idée n'avait rien que de naturel dans la théorie profes-
sée par les alchimistes sur la composition des substances mé-
talliques. Si Ton parvenait à retirer des métaux leurs élé-
ments communs, le soufre et le mercure, dans un état
de pureté absolue, on pouvait espérer les combiner en-
suite de manière à faire de l'argent ou de l'or. C'est ce
que Ripley fait sentir avec assez déraison. Le Cosmopolite
dit d'ailleurs : -
« Si tu veux faire un métal, prends un métal ; car nn chien nVst
jamais engendré que par un chien. »
L'arsenic est un des premiers métaux que les alchimistes
aient essayé pour obtenir la pierre philosophale. Voici ce
qui lui attira longtemps la coniiance des adeptes. On trouve
dans les anciens ouvrages de l'art une énigme greccjue d'une
origine inconnue et dont voici la traduction :
.Mî DOCTRINES KT THAVAUX
J*ni neuf leUrcfl, je lum ée qiiilre «yllalies, rounnis r«oi ;
Cliaaiiie i\m lixiis |jr<îriiiLr(îs a Atux lettre? s;
i,Qs niitr^<4 onl k-» milros tiilties, cl il y a cinq cniMounes;
î'nr moi tu posséderas h «ingesse.
On dovimi que le mot ilu logogriphe éiml arseniœn, ar-
senic. Lt^s vnpmii^ d'amjnîc hlanchissrmt en offol !e cuivn\
*n ('t*H[î îilliTalinn fut lungtmiïjis i-onsidim'i^ comme un coni-
lupueimienl tJi' iiMiiîfnuUfUion on argent, ou comme unt-
tï'ansmulalion vèi itabU\ On iveonnnt plus tard que le cuivre
[(lam'lù par rîir?îenic n'est pas de rargeut. Un profa^eur
ii'léna, tieor«^ns Wedel, presentn dnnr. une interprêtalioa
différente : le innt de Teni^rmiv ,:tjiu lY/^A^iiTAv, iHain. Mai.*
on ne put rien lirer de ce nouveau métal, et 1 on ne man-
qna pas de reeonnaîHe (ensuite que Texpliralinn de Wedel
supposait, dans le mut ausiieros, une faute d orttiographi*,
Uuelf|ues autres solutions furent eneoro proposées sans suc-
ées. Enfin un dernier eoinmentaleur, ennuyé du logogri-
plie, tranelia le nœud endisiint ijuMl était queslion du Christ
(XpKjToç). Corame on le voit, l'adepte agissait un peu a la
manière d'Ali*\'andre, ear son interfTP.lalirm laissait deux
lettres î^'iiis emploi. Il est vrai ijun Wedel avait déjà fait bon
marché de l'orthographe, et que, par conséquent» le pre-
niier eoup était porté.
In meiTurîo ost (jiiîflquid quiXTiinl sapienlcs,
Cm adage, attribué h Ikrmès, adonnée li(Hi à d immensi»s
reeherclies; nn espina hmglemps pouvoir retirer du mer-
cure vulgaire le mercure de^ phîlosoplies, et lieaueoup d'a-
deptes |in*'tendirent y avoir rénsv^i. Mais la [ilupart dos in-
nombrables recettes ree^ni mandées par les alehimistes pour
tibtenir, à l'aide dn mercure vulgaire, le mercure des jdti-
Itisoplu^sou le premier agent, n'avaient pmir nsultat que de
produire du sublimé eorrosîf, lequel, comme chacun sait,
n'a rieTi de commun avec la pierre phdosophub*.
C'est ainsi que, dans son Romire philosophique, Arnaud
DES ÂLCSIMISTES. 57
de Villeneuve donne la recette suivante pour la préparation
de la pierre philosophale :
« Prends trois parties de limaille d'argent pur; triture-les aYec une
partie de mercure jusqu'à ce qu'il en résulte une matière pâteuse,
fais digérer avec un mélange de vinaigre et de sel, et sublime le tout. »
Dans cette opération il se formait seulement du sublimé,
c est-à-dire notre bichlorure de mercure.
Trimosin , dans son Aureum VeUtis , donne le procédé
suivant :
c On sublime du mercure avec de Talun et du salpêtre, en man-
geant pendant cette opération des tartines de beurre très-épaisses
pour détruire l'action nuisible des vapeurs qui se dégagent. Le pro-
duit de la sublimation est distillé avec de l'esprit-de-vin et cohobé
jusqu'à complète dessiccation. »
Le résidu de cette distillation n'était encore que du su-
blimé corrosif, et il va sans dire que personne n'a jamais
préparé la pierre par ce procédé.
L'antimoine a été, comme le mercure , l'objet d'un grand
nombre de tentatives. Âl. de Suchten assure avoir trouvé
dans ce métal le premier agent.
Mais toutes les recherches sur les métaux restèrent sans
résultat, et l'on reconnut, bien qu'un peu tard , que Roger
Bacon n avait pas eu tort de proscrire les métaux pour la
préparation de la pierre philosophale. I/or et l'argent, disait
ce philosophe avec beaucoup de sens, sont trop flxes pour
qu'on en fasse rien sortir ; les autres métaux sont trop pau-
vres; personne ne peut donner ce qu'il n'a pas.
Peu satisfaits de l'emploi des substances métalliques, les
alchimistes se rabattirent sur les sels. On ne manquait pas
de bonnes raisons en faveur de ce choix. Il y avait d'abord
le 34* verset du xiv« chapitre de Soint Luc: « C'est une
bonne chose que lesel! » On citait encore le passage suivant
du Rosaire d'Arnauld de Villeneuve; « Celui qui connaît le
sel et sa préparation possède le secret caché des anciens sa-
ges. » Aussi presque tous les sels connus furent-ils essayés.
:j« Ii(n;TRU<|'::j et TIIAVAIX
I>e m;I marin hil tort^U^nips regsnJi" comme le ^nuuîer »^mi.
Le muiiir OdtniKir, *\m ♦^init It* f^reiuier c^llc c>pii)if»nt^'D 1 5rj0.
rriiu\a lit* iiombroux [mrûiiiins, Kupecissa donna, après lui,
un fïrtnédiî \tom la pn-parati^Ji! de la pierre avec le «el ina-
liii. hi grand aiiniûnurde LouîïiXHf, Giibnel de lilioUii^iie.
tfs>ureav*iir cpnmvé |Mir lui-mènir le^s L^ffab d'uoe [hciv*
plitltfN>pliale préparée avec le sel niarm*
\jn i^âlfiôirea jùiii d'une grande répulaiion , (uirce ({u nii
irouve dans les Irois ré^mes , cenui s'accorde ave-c la Iripk'
nature que hnaeelse accorde à la ttuiutessenee. C'était aassi
l'opinion du Coj3yiij[iû1ile. qui appellt? le premier agent un
mii niier; il esl vr^i r|u'il avail dit [^réciM'mt^iil le contraire,
oonuiie n\m> Vd'ihmsde le voir , en parlant des métaux; mm
il est bien entendu ipie nous ne nous arrel4ms pas ici a re-
lever le» coniradictions des aleliiniistes.
Le ^ilii<*l est, après le sel marin et le salpêtre, le sel \\w
l'on fi le [dus tour mente pour en retirer la pierre pliilofio-
(drale. Basile Valenitn a fwrsemé ses écrits de logngriplic>
dont plusieurs dési*:jn en l leviirid. Tel e.<l le suivant; ïm-
tnndtj inlerim'a Utvx , nxtijkandoque, invenies oœidttm
lupidem, veram nmikiuum. En réunissant le^ preoiièrc>
lettres de eliaf[ue lunt, ou trouve le mot Vilriolum* Il n'en
fallait pas dovantaj^e [wjur faire admettre que le premier
a^'ent réside dans le vitriol. H suffisait, e^uimeon le voit, de
montni- aux nde[ilcs un c<^»in do la véril»'; li^ur imagînaliao
faisait le resie. Mais nltt- îôh encore la vérité n'était ps là.
Non e^>nlenls de s adreîsscr uujl [»roduits d origine raiiMi^
raie, les alchimistes oiU aussi longtemps élodié les subsian-
f'f.'s fo ur n i câ pa r I es véyé ta u x . Les a u teu rs «^Tees recom ma n-
daient le suc de la cliélidoine, sans doute parce que le^uc
H la racine de celte plante présentent une couleur jaune qui
rapfitdle celle de Tor; ISL'udo-lïémocrile jucM-rivail la [rriine-
ierc el la rliulmrlie du Pont, Uaymomï Lulle indique, pnuc
1*^^ Iransmulalions en argent, l' suc d<^s piaules lutmrùi vm0
<'t iuiiuvm }ninui\ ai lai^ou >aus doute ile la couleur aiijeii-
DË8 ALClIlMfSTBS. 59
tée (le leurs gouss^es. C'est aussi avec ces plantes «fue l'alchi-
uiiste provençal Delisle, au >dix-hmtièine siècle, prétendait
préparer sa poudre de projectien.
Hortulanus, au seizième siècle, donne le singulier pro-
cédé que voici pour préparer la pierre par Vcmvre végétale :
« On fait digérer, pendant douze joui-s, des sucs de luci-cunale,
de pourpier et de chélîdoine dans du fiimier ; on distille, on obtient
une liqueui* rouge ; on la remet dans du ftimier ; il en nait des vers
qui se dévorent entre eux, honnis un, qui demeure seul ; on nourn't
le survivant avec les trois plantes précédentes, jusqu'à ee qu'il soil
devenu gros ; on le brûle alors et on le réduit en cendres ; sa poudre
est mêlée avec lliuile de vitriol. » .
C'est là la quintessence.
Au dix-huitième siècle, la pierre philosopliale fut cher-
chée dans les produits animaux: Tagent qui anoblit les mé-
taux vils devait se rencontrer dans le corps humain , qui u
la propriété d'anoblir les aliments, puisqu'il les convertit en
organes. On faisait remarquer que la force de Torganisation
produit quelquefois des métaux précieux , ce que témoi-
gnaient suffisamment les histoires d'enfants aux dents d'or.
Presque tous les produits du corps humain furent essayés,
d'après les indications les plus vagues trouvées dans les an-
ciens auteurs. On examina les os , la chair , le sang, la sa-
live, les poils, etc. Le mercure des philosophes est désigné
sous le nom àelaUdela Vierge ; l'expression de menstruum
est souvent employée dans les écrits alchimiques; on chercha
donc la pierre philosophale jusque dans le lait ([es vierges
et le sang des menstrues * . Mais l'attention se dirigeait sur-
tout vers les produits d'excrétion , parce que ces substances ,
qui séjournent longtemps dans les cavités du corps , de-
vaient se trouver plus fortement imprégnées des forces vi-
tales de l'organisme.
L'urine, à laquelle on attribuait des propriétés bizarres
' H. kopp, Gcfchichtê tUr Cheinie.
m DOCTRINES ET THAVAUX
dovinl , en prtieuli*ir , h sujei d'un grand nombre d'ex-
(u^rieiices. On e.s|K'nùl beau(Mjup, au milhm du dix-i^plièmo
siée le , en ex Ira ire un dissolvant de l'or* l/ubsli nation en
lliausiaste avec laf[uelleles alcliimisles s'adonnaient aux
eljerches sur ee lifjuide, en vue de l'œuvre transuiutaloire
nous Qsi si^^nalue [lur un ouvrage qui fut publié en Ali
intij^^nc sous lo litre de Sol sine veste(Vm' sam déguisemetit].
Cet ouvrage, d'un auteur inconnu, renferme !e récit d'un
fuit qui démontre que ees expériences ëi nient poursuivies
avec une ardeur qui alleignail quelquefois jusqu'à la fé-
rocité. L'auteur la lenoit d'un abbt' ds Salni-Florian, à qui
racleur principal de révénemenl l'avait raconte lui-mômc.
Un religieux, coupable de meurtre, ayant été condamné à
mort, le «supérieur du couvent, alchimiste passionné, lui offrit
ïa griice de la vie à la condition qu'il se prtîlerait à toutes les
expérience-s auxquelles on jugerait à propos de le. soumettre.
ViMl souiïrir que mourir »
C'est la devise des hommes.
A
\m moine accepta l'épreuve. On Tenferma dans
chot, sans lui donner aucun aliment, et le supérieur lui
ordonna de s'abreuver de son urine. Il obéit à celte dé-
goûtante injonction. Mais, ï*ientot à bout de ses forces par
la privation de nourriture , sa tête s'égara, il devint
incapabïe de continuer celte abominable épreuve. L'émis-
sion du li(|uide, rouge a force de concentration, était
devenue si corrosive, qu'elle lui arrachait des cris lanieii-
tables. Le malheureux (»xpira le cinquième jour. Alor.s
le prélat, ayant recueilli la dernière liqueur, la soumit
à ses expériences, et il prétendit y avoir nmslaté » les
proprit' tés d'un dmolvtmt tmivenid. n
iJais ce (>rélat u curiau, » eomme rappelle Orscball»
garda son secret. On continua donc à chercher dans le
même liquide le dissolvant du roi des îuélaux.
Ce u*cst pas seulement sur le produit liquide des ev-
DES ALCHIMISTES. 61
crëtions du corps humain* que furent dirigées les folles
recherches que nous signalons. On vit faire , à ce sujet,
des opérations incroyables et qu'il serait impossible d'indi-
quer en langage honnête. On ne manquait pas d'ailleurs
de les justifier par divers passages tirés des meilleures au-
torités. Ainsi Morien dit dans le dialogue du roi Kalid :
« Je TOUS confesse, ô roi 1 que Dieu a mis cette chose en tous ;
en quelque lieu que vous soyez, elle est en vous, et n'en saurait cire
séparée. »
Un grand nombre d'auteurs certifient que les pauvres
possèdent la pierre philosophale aussi bien que les riches; —
qu'Adam l'emporta avec lui du paradis. Toutes ces assertions
ne pouvaient s'expliquer que dans Tidée à laquelle nous
faisons allusion. Haimon dit, dans son Épître sur les
pieires :
ff Pour obtenir le premier agent, il faut se rendre à la partie pos-
térieure du monde, là où Ton entend gronder le tonnerre, souffler le
vent, tomber la grêle et la pluie ; c'est là qu'on trouvera la diose si
on la cherche. »
Maintenant, ajoute M. Kopp, à qui nous empruntons les
citations précédentes, si Ton entend par monde le micro-
cosme que Thomme représente, l'interprétation sera facile.
Une fois lancés dans la voie de ces folies, les alchimistes
ne devaient plus s'arrêter. Nous renonçons à donner une
idée complète des aberrations déplorables consignées dans
leurs écrits ; les délires de l'imagination , les désordres de
l'ospril échappent à l'analyse; contentons-nous de quelques
traits.
On trouve assez souvent dans les auteurs anciens l'ex-
pression de terra virgo, terra virgmea. Parlant de ce fait ,
quelques adeptes firent le raisonnement suivant : Puisque
les métaux naissent dans le sein de la terre, la terre est la
mère des métaux. Ainsi la terre vierge doit renfermer la se-
mence ou le germe des métaux, c'est-à-dire la pierre philo-
4
m DOCTIUNES Wï TILVVAUX
sof»liiiïu. Mil rheir lia «l(»iic celle terre vierg*!. Lu crcusiuit
il ans le sol, et [ireiuuU àc: h tùrrc h quelque dislaiirf! de
sa surface, on dîna il irodver la terriî vierge, or elle n'a
[laîfsuln Itîconlai't ih la main do lliomme*. Mais jamais
la lerr« ûVi se iroiua sufllsamnitînt vierge.
ij. Suilil, riminorlel auteur de la ihéone du pldn|,nsli(|iie
ri If premier Fonda Uîur de la véritable chimie, n*avaitpassu
Si! défi'ndre dans sa jeunesse des absurdités alchÎDiiques ; il
a prétendu que la pierre phîlosopbaie existe dans les vilraux
rouges des anciennes églia^s. Ces vitraux doivent leur eou-
leui' à un composé, le imuiyre de Cassius, (jui renferme
de Ttu' au nombre de ses éléments, et c'est sans doute lu eir-
cDnstîince qui avait fait naître dans respril de Slahl Topi*
nion que nous venons de signaler.
L(-*s ak'bimistes sti soul afjpliquéslon^'tâmpsà obtenir une
matière qu'ils désignaient sous le nom de spirilua mufuU,
âme du monde, a biquelle ili^ attribuaient une foule de pro-
priétés merveilliMises qu'il serait fort liifiicile de préciser.
Cette matière *^xîstaîl dans l'air: pour l'isoler, on eutrec-ours
aux moyens les [>lus bizarres. On la cherchait dans tuiiles
les substances qui restent lon^^emps exposées à raclion de
Tair; dans Teau de ta pluie, dans la neiii^e récemment to*u-
bée, dans la ro>ée. En i665, T, Ershant sourail à la sociéïe
royale de Londres des observations sur laroat'e du moia (k
mai. îKautres assuraient avoir étudié la malière des étoiles
(liantes, qui, en traversant ralmospliére, absorbent le spiri-
tm mundi. Et» lin, rétléehissant que les crapauds, les léiiards
et les ser|>enls, privés de nourriture, vivent longtemps aux
dépens de l'air, eldoivenl» par conséquent, condenser dans
leur subslanee le fiinritm mundi, quehiues alchimistes f^ni
fait jeûner ces animaux el les ont ensuite distilles pour reli*
rerràfue du monde -.
' IL Ki«e[i, Gnachkhîc éir Vfietitic\
• II. Kuj)|>, ibid.
•(
DBS ALCHIMISTES. 65
Voilà dans quelles folies les alchimistes sont totnbés. Le
principe qui servit de point de départ n leurs travaux n'avait
cependant rien d'irrationnel et portait un caractère scienti-
fique irrécusable. Poursuivi jusqu'à rextréinité de ses con-
séquences, il conduisit à des pratiques insensées. On s'effraye
à de tels souvenirs ; l'esprit de Tbonime est-il ainsi fait, que,
partant d'un principe accepté par la raison, il puisse aboutir
à la démence?
Arrivons aux recherches pratiques qui se rattachent à
l'alchimie mystique, ou qui en sont la conséquence. On
peut les réduire, avec M. Ropp, à la recherche de Valcaext,
de la palingénésie et de Yhorminculus.
Valcaestesi l'idéal des menstrues, le dissolvant par ex-
cellence, l'agent qui peut donner à tous les corps la forme
liquide. Ce n*est qu'au seizième siècle que l'on commence à
s'occuper du dissolvant universel. Paracelse le mentionne le
premier, mais il n'en parle que*dans un seul endroit de ses
ouvrages et de la manière la plus vague. Voici le passage
original du traité De viribus membr&mm qui a introduit
dans l'alchimie Tidée du metistrue universel :
« Il y a encore la liqueur alcaest, qui agit très-efficacement sur le
foie ; elle le soutient, lé fortifie et le présenrc des maladies qui peu-
vent Tatteindre... Tous ceux qui s'appliquent h la médecine doivent
savoir préparer l'alcaest. »
Gomme tant d'autres idées lancées par le célèbre spagy-
riste, Talcaest serait promptement tombé dans Toubli, si
Van Helmont ne s'en fût emparé et ne l'eût enrichi d'attri-
buts merveilleux, bien propres k séduire l'imagination. Pa-
racelse avait prononcé le Doiii, Van Helmont.se chargea d'y
attacher l'idée. C'est lui qui fit de l'alcaest le dissolvant
universel auquel Paracelse ne songeait guère. Dans les ou-
vrages de Van Helmont on trouve réunies toutes les absurdités
qui furent débitées depuis sur ce sujet par les alchimistes.
04 DOCTRINES ET TlUVAUX
Van Helmont désigne ralcuest sous les noms les plus divers:
r'est d'ahûrd nue eau, ensuite nn feu -eau {i{fnis'aqm\ un
f(Hi il't^ifer {kpmgehmnît}; L*Y»st un sel, elle plus heureux,
le plus parfait des sels {summum et felicissinmm omnium
mlhmi); !e secret tJe su pn^pa ration est au-dessus de l 'habi-
leté humaine; il n'appartient qu'î* Dieu de le révéier a ses
élus; Van Helmonl Ta pt)ssédé;ce Iréserluifut reraisunjour
par un inconnu, mais il ne pu l le rrmserver longtemps.
Voici les propriétés que Van llelnioni afiirme par serment
avoir reconnues aTalcaest; on pourra juger, d*après cet
exemple, de rinrroyable assurance avec laquelle de5 sa-
vants, très-recommandables d ailleurs, émettaient les asser-
tions les plus hasardées:
it Notjie nM'Ciiniipie m'a appris, nous tiit-iU 4ac toutes sortes
i'Oi|)s, amw : ihs pieires crunniunes, é&i pierttis pri'cieiisiîs. de»^
r:ailkmit, du ststhle, âvs uiarnissiles, de Targrile, des briqties, du vem\
de In l'haiK, di» siiiifie el autres cliosi^jiseirdilables, peuvent êtretban-
^fiHs eu UJU' sidjsLuiee sobible. le sais uu^iue CiVbiire en le ur princip
li's chairs, les jw, lus |ilantes» li*s pissiuis vi Ituis autres lorp de cetto
6S|>èce. Les métaux se dissolvrut jilus tbnicileraent à taose de leur,
semence.,* Cette liqueur dissout tous b^s corps, excepte clle-ménie
comme l'eau chaude fond la neige. »
YanHelmontdi^eril avec tant d'assurance ses expériences'
imaginaires, que l'on jurerait qu'il parle de vim:
« Ayant miSr dit-Il, dn cliarhon decbi^ne et de Talene^t en patlielflfl
é|fatesdaiisîmvaisse:njde venv seellé Iwrniétlqu émeut, je lis digérer*'
ce mélange pendant trais jours à la cbaleur d'un bain ; au bout de ce
temps, la solution se trouva faîte... Si Pou fait digérer, ù une cbaleuv
modérée, de Falcacst avec des fragments de bois de cèdre, dans un
vaisseau de verre bien scellé, au bout d'une semaine tout se trouve
eban^é en une liqueur semblable ^i du lait, a ^m
Il est facile de comprendre le parti que les alchimistes es-^
péraienl tirer d*uue substance qui dissout tous les corps.
Aussi, dans le dix-septième siècle et jusqu'à la moitié du
dix-huitième!, Talcaeslful-U cheîdvé, avec ardeur. Boerhaave
I
de»™
Te,
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DES A!J:HI>HSTKS.
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assure que Ton pourriitt fntro iint^ iMlfluitliéquit uvt^e im
^eub écrits qui ont été publies a re m'ieU llnm mm imiè Uê
secrelu ad^)torum, Verdenlril • rflppf>rUM/iijt/*ii U*n opi-
; âaîâe» ^ur la Dature do mÊOÊHrué^mùvftm*}. i m ^r»wl
^ d'aldiliBtfiei le lont viptéi de l'avoir démn^mi,
ZTCifET d TMkeaâm fêmmi. s^fé du rriii^re dMlié i«ir
i a*iteit MMdMtt tfmtym mt
, M. fi 1 141 feu, Itti dk yitfi iifii h
Ir
66 DOCTRINES ET TRAVAUX
de le coîisorver, pui$([uo, dissolvant toutes les substances, il
aurait dfi dissoudre aussi la matière du vase qui le conte-
nait. Personne n*avait encore songe a cela.
< Si Talcaest, dit Kunckel, dissout tous les corps, il doit dissoudre
]c vase qui le renferme; s'il dissout la silice, il doit dissoudre
le verre qui est formé de silice. On a beaucoup discuté sur ce grand
dissolvant de la nsiturc. Les uns le tirent du latin alkali est, les autres
de deux mots allemands ail Geist (ospiit universel) ; d'autres le font
dériver de ailes ist (c'est tout). Pour moi, je ne crois pas au dissol-
vant universel, et je Tappelle de son vrai nom : ailes Lûgen heist ou
ailes Lûgen ist ; tout cela est mensonge^. »
Depuis ce moment il n'a plus été question de Talcaest.
Les faits relatifs à la palingénésiè et à Vhomunculus ne se
rattachent pas directement aux travaux du grand œuvre;
cependant, comme les alchimistes seuls en ont parlé, nous
devons en dire quelques mots.
On entendait par palingénésiè Tart de faire renaître les
plantes de leurs cendres ; Vhomunadus était un petit animal
ou un homme en miniature fabriqué par les procédés spagy-
riques. La première opération est impossible ; la seconde at-
teint les dernières limites de Texlravagance humaine ; il est
donc tout simple que les alchimistes aient trouvé ces deux
problèmes de leur goût, que quelques-uns aient essayé de
lesn^soudre, et qu'un plus grand nombre encore ait pré-
tendu y avoir réussi.
I^ croyance à la palingénésiè a dû probablement son ori-
gine à cette circonstance, que, lorsqu'on dissout dans Teau
les cendres de quelques plantes, la dissolution, abandonnée
à elle-même, laisse déposer des cristaux dont quelques-uns
peuvent affect€lr la forme d'arborescence. Au dix-septième
siècle, plus d'un imposteur eut l'adresse de faire croire à cette
folie: en semant dans le sol les cendres d'un végétal, on le
voyait plus tard renaître et se développer. On comprend que
tout le secret résidait dans un tour d'escamotage; il ne s'a-
' laôora^rium chymijum.
DES AliiniMÏSTES. 67
gissail que de glisser adroitement quelques graines dans les
cendres mises en terre. Malgré son absurdité, la palingénésie
a compté chez les alchimistes un grand nombre de partisans.
Elle s'est maintenue jusqu'au commencement du dix-hui-
tième siècle, en dépit des attaques de Boyle, de Van Helmont
et de Kunckel. En 1716, le médecin Frank de Frankenau
écrivait encore un ouvrage spécial pour la combattre *. Con-
vaincus d'imposture, les alchimistes se tirèrent d'affaire en
disant qu'ils n'avaient pas entendu désigner une plante
réelle, mais une plante idéale.
Amatus Lusitanus est un des premiers qui aient parlé de
Vhomunculus. Il assure avoir vu, dans une fiole, un petit
homme, long d*un pouce, que Julius Camillus avait fabriqué
parles procédés alchimiques. Paracelse (De naturâ renim)
soutient que les pygmées, les faunes, les nymphes et les sa-
tyres ont été engendrés par la chimie. Il rapporte le procédé
qui permet de préparer l'homunculus, et de s'ériger ainsi à
peu de frais en nouveau Prométhée^. Cependant les alchi-
mistes eux-mêmes ont combattu cette extravagance. La fa-
brication de l'homunculus est rangée par Kunckel parmi les
non eniia chimica : « Homo, secj'etd ratione, in vitro, vel
mpuUâ chimicâ, arte fabricatus, est non ens, » nous dit-il
dans son Laboratorium chymicum. Ce qui n'empêchait pas
les imposteurs et les alchimistes ambulants de mettre l'idée
à profit. Ils assuraient que l'homunculus se forme dans l'u-
rine des adfant^ ; qu'il est d'abord invisible et se nourrit
alors de vin et d'eau de roses : un petit cri annonce sa nais-
sance. On montrait même publiquement la formation de
1 homuneulus. Le procédé consistait à glisser dans le vase
quelques osselets d'ivqire , ou les présentait ensuite aux
spectateursen disantque c'était le squelette de l'homunculus,
mort faute de soins.
* H. Kopp, Gêichichti der Chemie,
' Voyez à la (Sa du Tolmne (Note I") le passage original relatif à YBa*
fMmcukut eitrait des œtnrres de Paraeetee.
♦IH DOCTRINES ET TBAVAUX
CHAPITRE III
PREUVES INVOQUEES PAIi LES ALCilINlSTE^ A lAvi'tJl
DE LEURS DOCTRINES.
I
Passons l\ l'exposilion des preuves que les a!(^h'miistes in-
vo((uaient on favonr ûq leurs doelrines. Ces preuves étaient
déduites de la llinirie, tirées des faits d'expérie^c^3, ou em-
pruntées à des Idiimigtiages historiques.
Le priîietpe Ttabli depuis Geber sur la composition des
Tuétniix, ropiuion généralement admise sur leur mode de
générdlion, sont le fondement thé'oriquc de ralchimie- Si
les méUiux sont d'une composition uniforme, on peut,
comme nous Ta von s dit, espérer, ù Taide d'actions conve-
nables, les transformer les uns dans les autres. Befiucoup
d'auteurs comparent ce phénomène a la fermentation orga-
nique: la pierre pliilogopbale, jouant, seïon eux, le n^ile d'un
ferment, provoque dans les métaux une modification analo-
gue à celle que le ferment excile lui-même dans les produits
organiques. La c-omparaison est belle et Fidée plausible.
Plusieurs procédés donnés par divers auteurs pour la prépa-
ration de la pierre pbilosopbale se règlent sur cette sorte
de fermentation de^ métmu^ et c'ast encore là l'argument
<|u 'invoquent de préférence les partisans que Talcbimie con-
serve de nos jours.
Les faits d* ex péri en ce que les alchimistes présentaient h
Tappui de leurs opinions étaient fort nombreux, lis étaient
vrais presque tous, l'interpréta lion seule en était vicieuse.
Ces faits varièrent d'atlleur.*; aux diverses époques de la
science.
Dans Torigine, les modificaiions que stibil la couleur des
méliurx sous l'influence d'un grand nombre d'actions cbi-
J
DES ALCHIMISTES. 69
iniques, furent considérées comme des indices de transmu-
tation. Le cuivre exposé à l'action des vapeurs d'arsenic
prend une couleur blanche; traité par Toxyde de zinc ou la
cadmie, il revêt une belle teinte jaune d'or. Ces altérations
de couleur furent longtemps regardées comme une trans-
mutation partielle. Au treizième siècle, par exemple, saint
Thomas d'Âquin nous dit, dans son Traité de Vessence des
minéraux : « Si vous projetez sur du cuivre de l'arsenic
blanc sublimé, vous verrez le cuivre blanchir; si vous ajou-
tez alors moitié d'argent pur, vous transformerez tout le
cuivre en véritable argent. » Par cette opération, le cuivre
prend, en effet, une couleur d'un blanc éclatant, mais cette
modification est due à la formation d'un alliage d'arsenic,
d'argent et de cuivre, et non à une transmutation.
On reconnut plus tard que le changement de couleur d'un
métal n'est point l'effet d'une transmutation; mais on dé-
couvrit en même temps d'autres phénomènes qui, à leur
tour, mal interprétés, vinrent fournir un appui nouveau aux
espérances des faiseurs d'or. Parmi ces faits, on doit citer
surtout les précipitations métalliques Quand on plonge une
lame de cuivre dans la dissolution d'un sel d'argent, le cui-
vre se recouvre aussitôt d'une couche d'argent; dans une
dissolution d'un sel de cuivre, le fer est immédiatement re-
vêtu d'une couche de cuivre ; les dissolutions de mercure
blanchissent un grand nombre de métaux et leur donnent
un aspect argenté, etc. Or les chimistes ont ignoré jusqu'au
commencement du dix-septième siècle que les sels renfer-
ment souvent des métaux parmi leurs éléments. On ne
soupçonnait pas alors qu'à la faveur d'une combinaison les
substances métalliques peuvent exister en dissolution dans
un liquide. Les précipitations métalliques étaient donc re-
gardées comme de véritables transmutations ou comme des
transmutations partielles que l'art pouvait perfectionner.
Personne, par exemple, n'a compris, jusqu'aux premières
années du dix-septième siècle, que le vitriol bleu est un
<
70 OOCTIïlNES ET TliAVAU\
r^)iH[K)so (le cuîvro, et qu'une tlissaluiion df^ cp. mi nVsi, h
[>ro[)n*ni<mi parler, ([tie du ciiivro tlissous. Aussi U' di'[Mjt *lft
^'uivre (|ui* Tou oblii^nt en ploiif^eant une lame de fer dans
iino semblable' liqueur, esl-il donné couimc une preuve sans
rt'jilique (h la transmu talion du fer en suivre par Paracelse
el LibaviuH.
Une circonstance qui a pu cnntribuer leauc^up à aeertHli*
[er les erojances aux faits de iransmii talion, et à faire con-
sidérer comme à l'abri de lous les doutes les opérations au
moyen desquelles les arlisies hermétiques savaient produire
de Tor, c'est T imperfection des procédés employées à celte (épo-
que pour ranalys(Mlcs alliages précieux. Jusqu'au milieu du
seizième siècle, on s'est borné, dans les hôtels monr^laires, a
analyser les alliaffes d'or el d'argent par l'ancien procédé du
ohnent roijal ou par le sulfure d'anlinmine ^ Le cémeni
royal était un mélange de sel commun, de vitriol (sulfate
de fer ou de cuivre), de nilre et de briques pilées*. Ce mé-
lani^^e, jtar une suite de n'aciions que Ton peut analyser s^ins
peine» donnait naissance à de Tacide cldorliydrique el à du
chlore qui formait avec rarfçent un cldorure fusihle, tandis
que l'or demeurait inalléré. Le sulfure d^antimoine, qui fut
presque exclusivement en usage au moyen âge, comme nmy en
docimastique, effectuait la séparation de l'or en formant avec
Targent un composé fusihie et qui résistait à la cbaleur, tan-
dis que Tor restait à l'étal métallique. L'or devait ensuite être
* Hechfrrhês nur la méiallurgie du anciens, par L, Savol, ditip, vui,
tlans le HecueUdifi ancmit minérahgUkt de FratfCBf j»ar Cobcl, 1171*, l. H.
* Vie ciment royal éLiiît éL-ju cmuiii tlcsi Uornuin». VVmc nous dk, en ef-
fet, i'U pjidiitii de ri^iXpbitation ilea mbios il'or en l^spajrn*" : « On jukce
l'or avùi' dciiTt pflrlios <lci sol conirniin^ ti'ois rnrtiea «le my.ti (siilfAlc rlo fi*r
<iiHÎr cuivro}^ el, de ooiivenii^ doux poulies irnn iiidiresel (sajis tloiité. h
iiilirr'i et une pnrtie d'une fVn'vre appelée fichiste (terre firjiifileuse) : altïi*!;
le m/'bniïe sVmpfire de linit ce qui estl l'inniper h V*w, et celni-ri de-
mi^niv pin' : Tonftttr auntm m m mUa tjfHtmo pontïi're^ trififui nnfxeo,
ft ri{riivtu fitm dttnhu» •^alii pfirtimtibux ft »na fapifîis qitfm sidiislon ro»
J
DES ALCHIMISTES. 71
suuuiis ù une caicinatioft dans un creuset, atin de le dëbarras-
siT de rantimoine qui s'était en partie combiné avec lui pen-
dant la première opération. Pour cela, on dirigeait, à l'aide
du soufflet, un courant d'air à la surface du métal fondu,
atin d'en cbasser l'oxyde d'antimoine à mesure qu'il prenait
naissance. Or ces deux moyens d'analyse étaient fort impar-
faits, et il dut arriver bien des fois que Vor akhimUpw, c'est-
à-dire l'or obtenu pendant les opérations des artiate^ierméti-
ques, fut considéré par les essayeurs publics et les maîtres de
monnaie comme de l'or pur, bien qu'il fût altéré par la pré-
sence d'une quantité notable d'argent. Si, en effet, dans un
alliage d'or et d'argent, la quantité de ce dernier métal n'est
pas trop élevée, on conçoit que la présence de l'or en excès
puisse défendre l'argent de l'action chimique des réactifs
employés pour faire reconnaître sa présence. Nous n'hési-
tons pas à croire qu'une partie des transmutations de l'ar-
gent en or qui furent exécutées avant le seizième siècle, et
que les auteurs de ces expériences présentaient souvent de
très-bonne foi, peuvent s'expliquer par la formation d'un
alliage d'or et d'argent, imitant par sa couleur l'aspect de
1 or, et résistant comme lui à l'action des procédés doci-
mastiques alors en usage.
Au Commencement ou au milieu du seizième siècle, on
substitua l'eau forte (acide azotique) au sulfure d'antimoine
pour l'analyse des alliages d'or et d'argent. Mais ce procédé,
bien que de beaucoup supérieur aux deux précédents, a pu
encore donner prise à certaines erreurs. Tous les chimistes
savent que Tacide azotique n'attaque pas un alliage d*or et
d argent, lorsque Tôt y figure dans une proportion un peu
élevée. Aussi, dans l'analyse des alliages du commerce^ est-
on obligé, pour éviter toute erreur, d'augmenter artificiel-
. lemetit la quantité d'argeht existant dans l'alliage : un
ajoute à l'oV examiné trois fois son poids d'argent; de là
î lettom d'inqmrtatioH^fovLT cette partie des opérations du
' <ié|Nirt. Si Toa négligeait cette précaution, l'acide azotique
72 DGCTBLVES ET TRAVACT
resterait sans action disâolvault; sur l'argent contenu dans
ralliage, ou ne produirait qu'une action incompléle. A une
êpoqutî où ce fait remarquable était encore ignoré, on a pu
commettre un grand nombre d'erreurs dans l'analyse des
alliages précieux, et souvent considérer comme de l'or pur
des lingois d'or alcbimique qui con limaient cependimt une
quanlilë notable d'argent.
Une autre catégorie île fîiits a encore a^vi ù entretenir
longtemps les croyances alcbimiques. Dans un grand nom-
bre d'opérations sur les métaux vils, on croyait voir se for-
mer de toutes pièces de Targenl uu de Tor. L erreur prove-
uiiil de ce que les matières employées renfermaient de petites
quantités de ces inëtâiix précieux, que Tétai actuel des con-
naissances chimiques n'avait pas permis de décider. On trouve
dans la Somme de perfetlkm île Geber un excntple assçi
curieux de cette erreur : ^|
n J*aî vu, dit iJfjKir, â*'> iuiur> dv ruivrt' iliiiLs lesquelles de ;)elitc^
|pi*iLelles de ir nu'Ui\ fuieol *»ijtnimct*ï^ pi un (tn(r;ijild'>.;;iu qui pai-
iiHicait lii iiiinr. Celle eau ayiiiit tari, les parcelles de vmrvv ileinei.-
rêirnt Irtïis suis dans du s;ible sef. Je ri'coïinus» au liout de te nntii^j
fju'elleN ;n;iient <Hé cuites et digeives jwr lu ihalein dti sideil et cbîut-
f^ées en jailleltes tlW jiur.,. En iïiiitnnt la iialute, nous (aisyiis h
Utèmv idtéiuliuiL j»
IJuand on sut que tous les sables renrermeiit de lrùs*pe-
tiles quantités d'or, on se rend aisémcnl compte du phéno-
mène rîqiporté par Geber. Les paillettes de cuivre, longteuqjs
alianilonnées au contact de l'air et de l'eau,, avaient peu a
peu disparu en passant a l'état tle carbonate, gnicf a l'oxy-
gène et à la ci de carbonique cuntcnt s dans l'eau ; plus tard,
l(*s sables, sans cesse laves par le courant, avaient été entraî-
nés a leur tuur, et avaient Uni i»ar laisser â découvert, pir
ecqie ^orte de lévigution naturelle, les [letiles |mrcelles d'or
qu'ils retenaient. Mais on ignorait au teurps de Geber la i>ré-
>encp de Tor dans le** tables; l'expliration que le cbimisle
«rabe nous donne de ce [dïénomcne était donc parAûtemenl
j
DES ALCUIMISTKS. 75
naturelle. Une expérience du célèbre Boyle a été iort long-
temps citée comme une démonstration sans répli(]ue du fait
de la transmutation des métaux. En dissolvant de Tor dans
une eau régale contenant du chlorure d'antimoine, Boyle
obtint une quantité d'ajrgen tassez notable. Ce métal provenait
du chlorure d'antimoine, qui retenait une certaine quan-
tité d'argent. En 1609, Bêcher proposa aux états généraux
de la Hollande de transformer en or le sable des dunes ^
Cette proposition, qui fut examinée par des chimistes habi-
les, sur l'ordre du gouvernement hollandais, ne fut rejçtce
que par la considération du mauvais état des finances du
royaume, qui ne permettait point de consacrer aux o|)éra-
lions les dépenses nécessaires. Or les divers traitements chi-
miques auxquels Bêcher proposait de soumettre les sables
marins n'a>^ient d'autre résultat que de mettre à nu la
quantité d'or infiniment petite renfermée dans les sables.
Bêcher prétendait égg^ement, en calcinant les argiles avec
de rhuile, les changer en fer : c'est l'opération qu'il nomme
Minein arenaria peiyetua. Le métal que Ton obtenait ainsi
provenait de l'oxyde de fer que contiennent les argiles, la
matière organique réduisant 1 oxyde à l'état métallique. En-
fin, dans un nombre infini de cas, on a cru avoir fabriqué
artiliciellement du mercure. Valerius, Grove et Teichmeyer
rapportent un grand nombre d'exemples de cette prétendue
mercurificatian. Juncker, dans son Conspectm chemix, les
résume avec beaucoup de clarté.
Ces erreurs, fondées sur l'imperfection de la chimie ana-
lytique, se sont maintenues pendant toute la durée du siècle
dernier; elles ont dû contribuer beaucoup à retarder la dis-
parition de l'alchimie. En 1709, Homberg assurait que l'ar-
gent pur fondu avec le sulfure d'antimoine se change en or.
On ne reconnut que longtemps après que l'or provenait du
sulfure d'antimoine, qui en retient toujours une certaine
* Physica subterranea Becfierii.
71 iH)i:riUM:s ar t(iavai:\
fjuantilé. Ein 1786, Gyyli>ii de xMuiv<^aiJ, cun 11 miaui Tasse
lion d'un wiêdecin de Casse! , annonça que l'argi-nifondiiaver
rarsenii'' s<* l'hangc en or. 11 fut démontré ensuite (|U(^ l'ar-
^mk (le Salzbourg» que Ton avait employé, élaîl aurifère *.
Aiiibi les fail5 présentés aux diverses époques de ralelïi-
mie» pour jusiiiier le pnncip<> de la transmutation, étaieni
tous réels; leur expliealioïi seule ét^it erronée. Â une ("'po-
ilue où aucune Ibéorie ne pouvait rendre un compte exact
(le la véritaMe natun* des altérations intimes des eorps, rien
i\"était plus naturel que de prendre pour des uiéiaux certains
composés i\\n offrent avee eux une n^ssemblanre d'asperl.
Les ebimisies de notre époque n'ont-ils pas, pendant vinf;l
six ans, considéré rom me des métaux un oxyde, le proloxvile
d'urane, et une combinaison azi>tée, l'azoture d(^ litane .'
Ajoutons que Vidée ile la composiiion des métaux n'avaii
en^îore rien que de plausible en elle-môme. En présence de
mille transformations, dc^s moditicatipns incisantes ([ue su-
bit la matière, cette peusée de la composition des métauv
(*st la senle qui ait dA se présenter aux premiers observateurs,
I»'ailleurs,pHr un revirementétran^nHUblen de nature a nous
inspirer de la réserve dans rappréeiali(m des vues sri(*n-
lîiique» du passé, la ehimiede nos joui's, après avoir pendani
' CW 1*111 i^uile d'une eneur du iii<îiiic genre qu'un diimistc de nos
joïirs, M. Tiltercau, «Inrit iiou:* aurons à padei- ilaiis 1;i suite de cet ou-
vrage, aflirnio qui', dnns k^ ex piTi entes donl il a raninniiiiqué à diverses
reprises les l'esuUnls îj rAcEnletnic des scîruces, il produit de l'or juMiticiel-
kmetil. En dissulvaut dan^ T acide azaOque de I ai}ieiil réputé pur, M. Tif-
fereau Irouve, ctuiiiue tv^idi de 1 nctiou dissolvante de lacidCj de très-
niniim<!« quaTiUtê>: d'un t t'iîidu mêtalliffuc ^cdulde duus l'eau régale, L'opu-
PHteur arfiraie que ce tnéiid est de lor, et que cet or provitivl de la
IraiismuLiilion d uue partie de l argent dissous. Si ce résidu métallk|uei
iiisnluble dan^ l'acide azotique, e:st ruelletncuL de 1 or, coninie on raOinne»
cela firouve seulement que i^argeut employé eoutenail des traces de ce
métal précieui.. Il est assez curieun de voir des L-lnmiâleA de notre temps
être victimes de la même erreur que les cliimisle-i des derniers siècles, et
.s'apj)uyer aur des inenaclitudes de ranalysie cliimiquc pour uiaiDlenir le
'fiit erroné de la UuuâmutatM.ui des métaux.
DES ALCUÎMISTES. 75
cinquante ans considéré comme inattaquable le principe de
la simplicité des métaux, incline aujourd'hui à l'abandon-
ner. L'existence, dans les sels ammoniacaux, d'un métal com-
posé d'hydrogène et d'azote, qui porte le nom d'ammo-
nium, est aujourd'hui admise d'une manière unanime. On
a réussi depuis quelques années à produire toute une série
de composés renfermant un véritable métal, et ce métal est
constitué par la réunion de trois ou quatre corps différents.
Le nombre des combinaisons de ce genre s'accroît chaque
jour et tend de plus en plus à jeter des doutes sur la simpli-
cité des métaux. Concluons de cet examen que les faits em-
pruntés à l'expérience offraient des caractères suffisants de
probabilité pour donner le change à l'esprit des observateurs
etautoriser ainsi leurs croyances au grand phénomène dont
ils poursuivaient la réalisation.
Le dernier et le plus puissant argument que les partisans
de lalchimie présentaient à l'appui de leurs doctrines était
fourni par des faits historiques. La théorie et l'expérience
justifiaient dans l'esprit des savants le dogme de la transmu-
tation des métaux; mais, si l'alchimie n'eût appelé à son aide
que l'autorité scientifique dont le témoignage, toujours con-
testable, n'est accessible qu'à un petit nombre d'esprits, il
est certain que son règne n'aurait joui que d'une durée
éphémère. Après quelques siècles d'infructueux efforts, elle
eût disparu pour faire place à des conceptions plus utiles ù
l'avancement et au bonheur de l'humanité. Si, au contraire,
dès le seizième siècle, 1 alchimie pénétra au cœur des socié-
tés, si elle trouva dans toutes les classes et dans tous les
rangs des prosélytes innombrables, si elle devint enfin la re-
ligion scietitifique du vulgaire, c'est que, vers cette époque,
des événements étranges vinrent étonner au plus haut de-
gré rimagination des hommes. A la fin du seizième siècle el
au commencement du siècle suivant, se montrèrent à la fois
sur divers points de l'Europe un certain nombre d'individus
se vantant d'avoir découvert le secret tant cherche de la
r
7(j llUCrniiMiS KT niA\ MX
hCUTifo lun"uuUii|ue, el prouvanl [uir ilt^s U\a>, vn nj>(jajt'Tic<^
i rrt'Lusîi b le^ , I a rëa I i lé d t* et; lie ii përa lion du ^^Ta» d œ u v r e
«j uni la sciwicu afctvptail ïa dnnntn* et It'^'itimail fVs|n(ir, ^J
i>ii trouvera, dans \i\ iTomènw [n\nm de cet uuvrage, h^|
rëcil des ésunetnetilasin^iiliurs qui oui excite en Europe un|^^
si lun^ueémolidn, el eoulribué a eulretenir si ImijiJflemps la "
eruyauct' aux lliéories et i\ La pratique de la IraiisuiuUUiuu
des niétouît. Il nous sufiit, puur le moment, de nous en Jiip^i
porter ;*ux souvenirs de nos lecteurs. Ajoutons seulemenl
t|ue les témoigua^'es historiques iuvoqnes iiar les alebimisles
l^uur établir lexistenee de la pierre philusopbale consti^H
tuaient à leurs yeux la déiiionslralinn plus liclalanl*' de It ■
terlitude du f,q;md œuvre. Et pour les partisans que lalebi-
mie continue de conserver de m^s jours, ce genre de (irenve
est encore sans réplique. Scbmieder, professeur de philoso-
phie à Malle, qui a réuni avec le plus grand s^»iu tous les faits
de transmutation *^ n'bésîte pas a diielarer iju*à moins dere-
euser dans tous les cas l'aulorité dit témoignage des Imnimeb,
il faut reconnaître quau dix-septième el au dix-lmitèmc
s i (H* le. 1 se r r e t d e fa i re d e T o r a ëti ' t v^ » u vè . l ( fa i t r e ma n | o < t
que les iransniula lions les plus étonnantes ont ê lé exécuteur,
non par des alchimistes de [irofession, mais par des per-
sonnes étrangères qui reçurent d'une main inconnue de pe-
tites quantités de pierre philotîO|»hale. En rapproehani les
dates, Sclimieder s'efforce de prouver que trois adeptes, qui
se Iransmirent successivement leur secrel, ont été les seuls
auteurs des transmutations qui, au dix-septième el au dix-
huitième siéclej ont étonné rAllema^me.
Il sei%iil puéril de prendre celle argumentation au sérieux
(H d'en faire une réfutation en règle. Nous nous bornerons
H une réflexion qu ont faite d avance tous nos lecteurs. î/im-
posture et la fraude hircnt tout le secret des bé-ros alchinii-
fjues : e'e^l en trompant avec art b contiance des spectateurs
• Vtëchichle thr Àkh'ume. Ualk, 18oïi.
DBS Ai-CniMlSTES. 77
qu'ils réussissaient à émerveiller la foule. Us profitaient de
rignorance ou de la oonfiance de leur auditoire pour glis-
ser, parmi les ingrédients nécessaires aux opérations chimi-
ques, des composés aurifères qui, détruits par l'action du
feu, laissaient apparaître Tor. Nous ne rappellerons pas les
mille manoeuvres employées par ces artistes émérites pour
assurer le succès de cette fraude, Ténumération en serait su-
perflue. On connaît suffisamment aujourd'hui les merveilles
de l'art prestidigitatoire, et les tours de Robert Houdin nous
ont dévoilé la nature de bien des mystères qui étonnaient
nos aïeux. Les nombreux faits de transmutation qui ont tant
agité les esprits pendant les deux derniers siècles appartien-
nent, selon nous, à cette catégorie. En admettant, d'ailleurs,
ces événements cx)mme avérés, il resterait à expliquer com-
ment la découverte de la pierre philosophale, si elle a été
faite une fois, a pu tomber dans l'oubli ; comment, depuis
un siècle, elle ne s'est plus reproduite ; comment enfin In
perte de ce secret a précisément coïncidé avec le perfection-
nement de la chimie.
CHAPITRE IV
riKCOnVRRTRS CniBlIQUBS DES PHILOSOPHES HRRMKTIQURS
Il est juste maintenant de considérer à un autre point de
vue les travaux des alchimistes. Si la science hermétique n'a-
vait eu d'autre résultat que de faire tourner les esprits dans
le même cercle d'aberrations et de folies que nous avons dé-
crit plus haut, elle n'eût point mérité d'attirer sur elle les
souvenirs de l'histoire et de la philosophie. Mais, malgré les
longues erreurs dont elle a subi la triste influence, elle s'est
r
7H nOirrHlNIiS KT THA\ ALX
la-ijuiH à nuire r*;e(»nnaîs4>âJice livs 'Irniis inPonlosUiblrs. Il
i}sl vn eff**t iiJïpossililr «]** uimmui^HliT i[ue raîcliimie a trè>-
rJirectemeni (•ontribut'ii ta en^'ilion H aux progrès dt^sscieii-
ros f)lïy$iqiiPsriLrjrlerûc*s. Los alehimiâtes OQt le$; premiers niié|l
(H\ [inittqn^' In tnéllir>fl^ l'XjM'jimrritale, c't'iil-à-dire TiiUser-
vatioii et l'in<ïuntion appliquées auxrecher<*he;iscipntilit[ut»s;
ih plus, 1*11 r^'unii-îsaut un nombre considérable de faits et
ii^* ibTOUVfi'lrs (hius Tonlrt; des ai'tions niitï<'culaires des
*'<ir[>s, ils ont ani<^ui' d'une manière nn^e?isaire la rn'fitinii
de la cliimie.
Celait, ijue b>s alebimistes ont (*lë les premiers in venieunî
iIp la mêlbodeexpèriiuontak*, cest-à-dire de lart d'obsiTver
el d'induire, dans le but de parvenir à la snlnLînn d'un pro-
blème scienlifujuii, est à l abri de tous les douU^s. Dès le bni-
lièm<* siècle, l'Arabe Geber metùiit en pralique les règles de
Tècole expèri ment air dnni Calibr et FraiRois JSaeiin ne de-
vaif^iU promulguer <iue buit siècles plus tard le eode [«ratique
et les pn*ceptes ;(ènti*aiîx:. Les ouvrages de Geber, la Sonwje
ûe ferfection et le Traité àe$ fourneaux, renferment la des-
eriplion de procèdes et d'opérations en tout conformes aux
moyens dont nous faisons usage aujourd'bui pour les recber-
cbes cbimiqufes ; et Roger Cacon, au treizième siècle, ap-
[diquanl le même ordre d idées a l'élude de la plwsique,
èlait conduit à des découvertes* étonnantes pour son temps.
On niî peul donc nier que les alcbimisles aient les premiers
inauguré l'art de rexpérienco. Ils ont prèpan'* ravênement
des science» positives en faisant reposer rinterprètalion des
pliénfiïuènes sur rexamen des faits, et rompant ainsi d'une
manière ouverte avec les tniditîonsnn'tapliysiqnesqui depuis
si longtemps enebaînaienilessor des esprits. Mais faut-il con-
clure de là ciue c'est aux alclumisles que revi«*nt le mérite
lie la révolution sei(*nlirujue accomplie au dix-septième siè-
cle, et dont rojânion générale rapport!^ riniliali\e et Tbon-
neur à Galilée, à ïïacon et à Descartes? Faut -il iltîpouillrr ces
gramls liominesde la liante reeoiinaissi*ner ilout k* piiso^nié
DES ALCHIMISTES. 79
^^iiroiiBe ieufs Doins, et déclïinT, {tar exoinplt*, av(H* un
êcrivaiii qui s'est tout récemment occupé de C('U(M|ut*stinn *,
que le poiat de départ de la méthodo expt^riincntah*, et |>ar
cnDsêqueot U véritahle création des scicnn^s niOil<'rn(*K, »p-
[lartienneDt à Albert le Grand et à son t^poquc, c*<'st-ii-<lin* au
petit nombre d'bommesqui se consncraicnl, au troizirtiM* «ili^-
de, à l'étude des sciences naturelles? Nous uv U*. p(*nHonK
fi^iint. Les recbercbes des alchimistes, diri^t^'s dans un but
unique, n'embrassaient qu'un champ des plus étroiu. Unu^
tentatives, toujours isolées, restèrent sans rotetitisKeinent,
sins imitation au dehors, et ne donnèrent naissance n rien
qui ressemblât, même de loin, à une école philosoplii(|ue.
Ils firent des expérienct^, mais la méthode expérinieiilale
ilemeura pour eux un mystère. Il faut donc s<aenir eni^anle
ici contre les dangers de Texagération. On tombe, selon nous,
dans nne grande erreur de criti(iue, (|uand on pn''t(!nd n*-
c'amer l'honneur tout entier d^uno idé<; piiilosopliique pour
quelques hommes qui n'ont entrevu cette idée qu'à la faviMir
de quelque accident et sans pressentir en ri(5n ses eonsi*-
quences ni sa portée. Reconnaissons aux alcliitnisies je mé-
rite d'avoir les premiers eu recours à l'observa lion dans Té-
tade des faits physiques, mais n'essayons pas de les présenter
comme les créateurs de la méthode philosnplii(|ue, dont r.ij)-
plication devait, plusieurs siècles après eux, inétamoiplioser
le monde.
Si les titres des alchimistes à la création de la nu^hode ex-
périmentale ne peuvent être sérieusouient soutenus, il en asi
tout autrement quand on considère les services (ju'ils nous
ont rendus en préparant les éléments qui étaient nécessaires
i\ la création de la chimie. Ici, rien ne |)enl devenir l'objet
<run doute. Obligés, par la nature de leurs explorations, de
> Poiichet, Hûloire den sciencen nalurelUs au niuytii dtje, ou Albert A-
Gmnd et 9on éftoffuey vomitiéréë comme point fie (iffidii lie frlrole e.r/ien-
menlale. 1H.V».
SO rxMTRÎNES ET TRAVAl X
i^oumeUre â une étuile atu^ntive inut^.<i li^ aciîons nioli'cuhii
res des porps^mple? ou rnmpniii^i, ifs ont éie naturellomont
conduite à rassf*mbler un nombre con^iklôrabb' de faits; H
ces olj5«?rva lions, fniU de quinze cenis ans de travaux, eoti-
«ïlituentles matériaiisde riîû[k>sant rdifîce dont nous admi-
rons c-iujounrhui la force et l'l»armf»nie.
Im eoup d'flpîl rapide jeté sur les travaux des niaîlres les
plus rèli"*bres de Tari hermélif|ne va nou«; montrer rjnp r\Ni
bien à eux qu'appartiennent une f^rande partie des dtVou-
vertes qui onti^eni a constituer ta chimie.
Geber, Tun des idus anciens écrivains de l\icolp hermé-
tique, a présenté le premier des descriptions pr»»cises de
no«i métaux usuels: du mercure, de Targenl, ilu plomb, du
cuivre et du fer: il a laissé sur le soufre et Tarsenic des ren-
seignements [pleins d'exactitude. Hans son traité (ff Akhimid,
on trouve dt^ observations de la plus bautein>pnrtancepour
lacbimie. Gebery euseij^ic \u pré|>araiion dereau-forie, celh*
ih Teau régale: il sifmaleraction dissolvante que rpai^forli'
exerce sur les métaux, ei celle de l'eau réj^ale sur l'or, Tar-
^'ent et le s^lufre, Dans le mtoe ouvn^^e, on trouve décrils,
pour la première fois, plusieurs composés clMiuiquesqui,
depuis des siècles, s<^mt en usage dans les lahoratriires cl h^
|diarmacies: la pierre infernale, le sublimé corrttsif, le pn'^-
cipiié roufïe. le foie de soufre, le lait de soufre, etc. '.
Pendant le siècle suivant, l'Arabe Rliasés découvrit la
pré-paraiicm de Teau-de-vie et recommanda plusieurs (^répa-
ra lions pharmaceutiques dont rexcipiemesiralcoiiL Parmi
* VfiHT luire usaire des siibsliiuces inHivrïle* d^kninedes par lo iliimie,
hi mi'diL'jne ^L les arls nvnirnl hf soiUt tlif»ï K*s Anlïos. ifoltletvir l'anlo-
ritatîoti i\n (çoiivemcmii'iir t^es knlih faisaient itro^s^er, ;i cet elIVt, iitie
\hie- des inédicamiinls aatorist's il nu U^bloau dos siibslancps i ecoiinnr^
Viin'iieiises. Lorsqu'au iiPiivR^mt^ sitdc Saliol-Khïi-Sahel, dirpclciir tk'
l'ik'Ok de Dschonài$afiOttr, |nibliii son lirahatUn ou IH^pfnxairf magistrat,
il lie til i|irenrt^iTi^trer n,n'*lii«i|hiin tm^iil r,-* qiin (es liii^isiinli'rifMi.t.s ivuiriil
nnvti'.
DES ALCHIMISTES. 81
li's composes nouveaux dont parle Rhasès, on peut citer
forpiment, le réalgar, le borax, certaines combinaisons du
soufre avec le fer et le cuivre, certains sels de mercure for-
m('S indirectement, plusieurs composés d'arsenic, etc.
La matière médicale d'Aben-Guefith et le Hawi de Rhasès
donnent une juste idée des ressources considérables que la
médecine retirait déjà de la chimie naissante. Rhasès, qui
dirigeait les études scientifiques à Bagdad et à Ray, avait fait
tous ses efforts pour diriger ces dernières dans la voie expé-
rimentale. « L'art secret de la chimie, disait-il, est plutôt
a possible qu'impossible. Ses mystères ne se révèlent qu'à
(( force de travail et de ténacité ; mais quel triomphe quand
« Thomme peut lever un coin du voile dont se couvre la
« naturel »
♦ On doit à Albert le Grand la prt'paration de la potasse
caustique à la chaux telle qu'on la met en pratique dans nos
laboratoires « . Le même auteur décrit avec exactitude la
coupellation de l'argent et de l'or, c'est- à-dire la purification
de ces deux métaux au moyen du plomb. 11 établit, le pre-
mier, la composition du cinabre en le formant de toutes
pièces au moyen du soufre et du mercure. Il signale l'ef-
* Dans son ouvrage sur Albert le Grand, M. Pout bel semble vouloir
disculper c l'Aristote du moyen âge» du reprocbe d'avoir pratiqué l'alchi-
mie. La proposition paraît difficile à établir, quand on se souvient qu'il
existe deux ouvrages d'Albert le Grand traitant de Palchimie {de Alchimiù
et de philoeopkorum Lapide). La citation suivante, empruntée au premier
de ces ouvrages, montre sul'tisamment que le grand Albert partageait, sur
ce point, les croyances de ses contemporains : « J*ai connu, nous dit-il,
« de riches savants, des abbés, des directeurs, des chanoines, des physi-
« cicns et des illettrés qui avaient perdu leur argent et leur temps dans les
« recherches de cet art. Néanmoins cet exemple ne m'a pas découragé. Je
« travaillai sans relâche, je voyageai de pays en pays, en me demandant :
« S>i la chose est, comment est-elle? et, si elle n'est pas, comment ne Tosl-
« elle pas? Enfin, j'ai persévéré jusqu'à ce que je sois arrivé à connaître
«t que la Iranêmutation de» métaux en argent et en or est possible : donec
< l'fwmi eue poseibilem transfnutationem in solem et ïunam. »
m DOCTIIINËS KT TliAVAUX
Tel il(* U chaliHir sur l'etal i>[iysi(|UP du tioufi^, et cIim'im
inrn exactiludiî la t>rëparalion de la ceraso el dn minium,
(' e 1 1 es I U' ! ' u c< ' la 1 1^ d t ' r u t v re *■ l i 1 e l * nve ta te de p I < » m b . Kx po-
sniil av'<T soin Il*s piupriétés di* l*eau-farle et son iiction sur
li*s uiélaux, il nous signale, le |ireniiei\ le parti que Wm
peui eirlirer dans l'o[^ératit)ii du dt'[iailpour eÛV'ctuer la
séparation de l"or et de l'argent dans les alliages precioux.
lloger Bacon, la plus vaste intelligence que TAnglelerre
ait possédée, uludia fa nature plutfJt en physicien iju'eti
ehiuiiste, et l'on sait qurlïes df'cou vertes extraordinaires il
e?técuta dans celle parlie de la scie née : la rectïTication de
Terreur cùnunise sur le ealendrjer Julien, relativemeni à
rannée solaire, — l'analyse pliysiijue de riictiou deslenlilles
el celle des verres convexes, — Tinvention des lunettes à
l'usage des presbytes, — eelledes leulilles achromatiques, —
la ihëorie, el penHHre la première construction du lëles-
copo, ele. Des pr iucipes et des lois qu'il îtvait posés ou en-
trevus devait sortir, comme il le disait lui-même, un en-
semble de faits inatlendus. (Cependant ses investigations dans
l'ordre des phénomènes chimiques ne sont pas restées sans
prolit pour nous. Roger Bacon étudia avec soin les propriéK^
du salpêtre, et si, contrairement à Topinion commune, il ne
ht point la découverte de la poudre à c^non, décrite en ter^-^B
mes ex pi ici tes par Marcus Grajcus cinquante ans avant lui,^fl
au moins eontribua-t-il a perfectionner sa préparalion, en
enseignant à purifier le sal[ïétre au nniyen d(^ la dissolution
dans l'eau et de la cristidlisation de ce sel. 11 appela aussi
rattention sur le rtMe chimique de l'air dans la combustion.
Baymond Lui le, dont le génie s'exeerça dans tontes le-^
branches des connaissances humaines, et qui exposa dans
son livre, Ars maffm, tout un vaste système de philosophie
résumant les principes encyclopédiques de la ^eience de son
temps, ne pouvait manquer de laisser aux clûnâstes un utile
héritage. Il perfectionna ei décrivit avec soin divers compo-
^(jtti sont très eu usagccnclùuùe-, c esl à lui que nous de-
j
DES ALCHIMISTES. 83
vons la préparatioi^ du carbonate de potasse au moyen du
tartre et au moyen des cendres du bois, la rectification de
Tesprit-de-vin, la préparation des huiles essentielles, la cou-
pellation de l'argent et la préparation du mercure doux.
Les ouvrages qui portent le nom d'Isaac le Hollandais, si
estimés de Boyie et de Kunckel, renferment la description
d'un très-grand nombre de procédés de chimie, qui, bien
que dirigés d'après des vues alchimiques, sont restés dans
la science comme la suite des travaux de Geber. Habile
fabricant d'émaux et de pierres gemmes artificielles, Isaac le
Hollandais décrivit sans arrière-pensée ses ingénieux procé-
dés pour la préparation de ces produits artificiels.
Tout le monde connaît la découverte remarquable que ren-
ferme, relativement à Tantimoine, Touvrage célèbre de Ba-
sile Valentin, Cumis tnomphalis antimonii. L'alchimiste
allemand avait si bien scruté les propriétés de ce métal, à
peine indiqué avant lui, que Ton trouve consignés dans son
ouvrage plusieurs faits qui ont été considérés de nos jours
comme des découvertes nouvelles. Basile Valentin d(^crit,
dans le même traité, plusieurs préparations chimiques d'une
grande importance, telles que ïespritde sel, ou notre acide
chlorhydrique, qu'il obtenait comme on le fait aujourd'hui,
au moyen du sel marin et de Thuile de vitriol (acide sulfu-
rique). Il donne le moyen d'obtenir de l'eau-de-vie en dis-
tillant ^le vin et la bière, et rectifiant le produit de la distil-
lation sur du tartre calciné (carbonate de potasse). Il ensei-
gne même à retirer le cuivre de sa pyrite (sulfure), en la
transformant d'abord en vitriol de cuivre (sulfate de cuivre),
par l'action de l'air humide, et plongeant ensuite une lame
de fer dans la dissolution aqueuse de ce produit. Cette
opération, que Basile Valentin indique le premier, fut sou-
vent mise à profit plus tard par les alchimistes, qui, ne pou-
van ^comprendre le fait de la précipitation du cuivre métal-
lique, s'imaginaient y voir une transmutation du fer en
cuivre, ou du moins un commencement de transmutation que
Hv uo(:tium:s i:t ïwwm \
l';«rL [MiiiWMl perriM'tioîim*!'. !j* Tmitr nvr ltK< ^Hs iIii niAmp
liulpnv iHulifHjrftphia) rniilipnl b (li*seri|>unn<li* honiieoupdi^
Jails rhimif[iips inliHvssrml^îi propos rl<'> roni|insi'< salins. On
y lnniV4^ PïiniriMlt'nîtrs lii pn'jfanuinn «n It's pniprii'tis «^x-
l^losivistlc l'w fulminaiiL En Vi\\r\nnnl (liff<'Tmih*s pnrlits iki
l'ftrps fie riM*rmi;o et (h*s finimnux, H irailîunt l<^ proiîna m-
rinriê par clc l>sprit-tle-virK Hasilo Valcnlin oliliniail plu-
sieurs sols ii nsiftîon nlcalirip. On [^nit rnnsidiH^nr rot al-
rhimistB Ciinimo ayaot le profîiier obtenu !\Hhor snlfnriqnr,
produit fpi'il pn^parait en distillant un nic^ï^vn^^t^ d'pspril-
lie-vîn el«riu(ik!JcvilrîoL EntinTiint. [^armi les pn-pîjnuions
(4umiqi)f^s nmnnDs diî son temps, \\ on l\si peu sur Insquo!-
les Basile Valt'niin n'aitnbserve des faits utiles àenre^'istrer.
Ainsi, avant la heîiais.san(*(% du creuset des alidiiniistês
liaient déjà sortis rantimnine luétallique, le bisiiiulh, le
foi** de soufre, l'aicali volatil et les divers composés mercn-
riels» e'est-a-dire b^srompnses ebimirjues les plus actifs de
la matière nn'dicale. Les alrbiuiisli^s savaient volatiliser le
mercure, purifier et concentrer ralconl; ilsoblenaienl Tatide
sulfurique; ils préparaient IVau ré^rale et diffiTentes sortes
d'étbers; ils purifiai eut les alralis llx(\s et carbonates; ils
avaient découvert !e nrioyen de teindre en écarlale mieux que
nelefonllesnuMÏernes. l/oxygène.dont Priestbry ne démon-
tra rexisteU('(M[u'à la lin du siècle dernier, avait èlë devinéau
{juinzième siècle paruu alcbimiste allemand , Eckde Sulzbacb .
Paracelse, qui a le premier fait connaitre le zinc, s'est at-
tiré ime réputation innucnseet méritée en introduisant dans
la tui'deciîie l'usage des composés chimiques fournis par les
mét^'iux. A la vieil le tbéra peu tique des galénistes, surclmrgt'cde
pïvparatlons compliquées et souvent inertes, il substitua les
iiiéHiieanieuls simples fournis par la cbimie et ouvrit le pre-
mier la voie audacieuse des applications de celte science a la
physiologie de rhomnie et à la patbolof^ie.
Van lïelmonl, qu'il est permis île rant;cr ici partni les aU
cliimisles, non qu*il se soit livrée aux praliqnesdu graTidani-
^
DES ALCn.MtSTES. 85
vre, mais parce qu'il ne dissimulait pas sa croyance à la
pcssibilitédes transmutations métalliques, est l'auteurde la
découverte chimique la plus importante de son siècle, la dé-
couverte de rexistence des gaz, fait capital sur lequel de-
vaient s\nevcr plus tard les théories de la chimie positive.
Rudo|pheGlauber,qui, à l'exemple de Van Helmont, crut
ù la vérité de i*alchimie sans s adonner à ses pratiques, est un
«les écrivains que Tancienne chimie doit citer avec le plus
d'orgueil. Ses ouvrages sont remplis de descriptions remar-
quables par leurs détails pratiques, fl est peu de points de
la science sur lesquels l'auteur de la découverte du sel ad-
mirable, celui qui a le premier posé le précepte de ne point
rejeter comme inutile, comme caput mortuum, le résidu des
opérations chimiques, n'ait apporté le tribut de son expé-
rience et de sa sagacité.
Le dernier auteur célèbre qui ait professé Talchimie est
Bêcher, qui, en coordonnant les faits épars dans la science,
en créant un essai de système ou de théorie pour l'explica-
tion des phénomènes, prépara la révolution scientifique qu*
fut, peu de temps après lui, accomplie dans la chimie par
rillustre Georges Stahl.
Nous aurions pu étendre beaucoup cette liste des décou-
vertes chimiques émanées des alchimistes, en rappelant des
noms moins célèbres que les précédents dans les fastes de
Fart. Nous aurions pu signaler, par exemple: J.-B. Porta,
découvrant la maiiière de réduire les oxydes métalliques,
décrivant la préparation des fleurs voxyde) d'étain et la ma-
nière de colorer l'argent, obtenant enfin, après Eck deSulz-
bach, Tarbrede Diane; — ralchimisteBrandt, découvrant le
phosphore pendant qu'il cherchait la pierre philosophale
dans un produit du corps humain; — Alexandre Sethon et
Michel Sendivogius, son élevé, s'attachant, tout en cultivant
l'alchimie, à l'étude des procédés chimiques applicables à
l'industrie, perfectionnant la teinture des étoffes et la confec-
tion des couleurs minérales et végétales ; — enfin Bôtticher,
<
Kfi IKJCTUlKJiS O TlïAVAL'X
i'iifermi* comme ak-liiiiJi^h^ ivbelk Jiuis mu^ forteresse Je ta
Soxe, et decQuvranl le seertl d<* h prëpralinu de la porce-
hnit". Mais rriiuiurmliôii qui [^rôeinle sutTil à l*(*bjoi tjuc
îiouj; avii>iis en vue»
I C'est donc avec lo secoure des découvertes nombreu^s ef-
fecl liées par \ps îilehiuiisleî> que lïi eliiuiie moderne a pu st»
constituer. Sans duuti^ tous ces fails ne se raitacliaienl entre
eux par aucun lien commun: ils ne composaieni point un
ensemLlesystemati([ne, eUHî pouvaient en eonsequenee offrir
les caractères d'une science; mais ils fournissaient les clé-
ments indispensables à la crt^alion d'un sy^jtème scientifique.
C'est grfkce au puissant empire qu^exerea sur les espritii
pendant quinze cx*ntsaus, la grande idée de latransmulalion
métallique, qu'ont pu s'accomplir les travaux préparaloira-^
qu'il fallait rassembler pour asseoir sur une large base le
monument de la cbimie. Avant d'arriver à se convaincre
que la pierre pbibsopbale ëlait décidêiuetrl une cbimôre, il
faibli passer en revue tons les faits accessibles à lobserva-
lion, et lorsque, après quinze siècles de travaux, ît vint ua
jour où il fallut reconnaître Terreur dans laquelle ou ratait
tombé Jl se trouva ce jour-là niènie que la cbimie était faiu^
Cbimisles de nos jours, ne portons pas un jugement intp
sévère sur les pbilosopbes heronHiques, ne nous dépouillons
pas de Inul respect envers leur antiffue iÉ^^Mlagi' : insensén
ou sublimes, ils sont nos véritabl(N aïeux» Si l'alebimie n'a
pas trmivé ce qu'elb' cbl'rci^ail, elle a trouvé ce qu'elle m*
cliercbait pas. Ivllc a éclumé dans ses bmgs efforts pour la de-
couverle de la [Hcrre pbilosopbale, mais elle a trouvé la cbi-
mie,, et cette comjuète est aulrenu^nt pnkneus<' i|ue le vain
arciin<! tant poursuivi par lo passion di" nus pèn^s. 1*1 cbimie
a transformé en sources inépuisables de ricbesses des pri'S4*nts
de lUeu jusque-là sans valeur; elle a allégé le pi'uible poids
des maux ijui pèsent sur lliunianité, perfeclionne les coudi-
lions matérielles de notre existence et agrandi les limites de
noire M'tirîté morale; c\, s\ AV Vi^ îowfevu<^ ^jas la pierre
jt
DES AumwriH. r
))bilosapliale des aneiei» adepiM, M» ei»n*»!iiiii* <iii îhmu ••
«lire, la pierre philosophak éen mcinn**.
CHAPITEE V
AD\-EHS11BES DE l'aLCBDIIC. — WàCAâÊXM MU WtaUi'Ht MOmvtftiflf.i
\l nous reste a rechercher de ^«eikt mktku»f» \»^ 'Siù^ti»^
relatives à la transmotatkMiiies» oiétiffi «^ tt^tkt t^fiMv^ffit v»n.
à peu de la science, comiDeai elle» <Mtf vitûm ÙRMi}:% (i^* mi
les progrès de la r^iscm foUifpy^.
Bien que l'alchioiie ait crHMdwi-, futui^fc, k\ v^^x-n^ji
nombre de siècles, on drjgoi^ «tMùlbidor «l •>«>iMti-u.«4i'.
accepté, elle a cependant, à Ums^ M^ -M^.i^ti*^. t^ii^^.nrj'
sur sa route de sérieox adv^rvurvè ^^i«: j» i .•2.^ ..«tijc^nt^o
inutile, devait finir par y: (airt wm:!^, A41 v^**'-^^**:^*
siècle, à une époque où eU« hnlbif 4»* VMti y.ai ^ a*:, vut^i-
ques esprits plus rigourevx /«ipyr^iî^ifti 4»- in ti^*udUKiU»!'. li'
ce nombre était un phyMci^s A^ Ftttw*- l^*^i> k^ hM cl-
LoQibardie, qui composa, eo f ^30. dab^ i<i ^ ai» ck PuU d*
la province d'Istrie, un outn^** rLijuuiijU' : îtutut/riiu ^r-
tioM (la perle précûuse ttrtmni d intruàâuctwm m lu rétu^u
Pierre le Bon se servait, pour atDkqu^rT !;• ciiiiult'. Jtr.^ iiiiu*-
lie son époque, c'e^t-âMlire det^ kr^uisM^txiB lal'•oJuut*^ [i<a l«i
philosophie scolastique. Voiict, par eiLt^ple, J*uij df^ m liu
^ismes que Pierre le Fh}i»ieieji oppoot^ » la jralite de 1 akLi-
oiie : «( Aucune suhstanee ne peut éu-e tj'auï^foi'mcH:' tu uu<'
« autre espèce â moins qu'elle ne li^it aupamvaut réduite *^kà
k ses élémoits; or l'alchiinle ne procède pas aiui^i : dune ell<'
M. n'est qu*une science imaginaire. » Kt ailleurt^ : « L'or ei
€ Targent naturel' œ sont pàs Jes mêinet» i^ue Tor <d V \àVM^n^
8s nninniM'S r;i tîia\'ai x
M arUli(H(*ls; (lonr. » W. Mnh w qui ulo un pou ii l,-i vnlriir
lïps nr;2[ijmenls di^ niaîin* Pi^^rm k Pion, r\\si que, dans le
rfm[Mln" stiivnnï du uirnio oiivrn;«(\ raulpur, afin de nionirer
louie î;rMi bnliileLi' dîrus l'emploi de la dtniecli*iiie, s'iiUadu'
:i prouver, (>îir des arguments în\ (M'si^s. f|ue ralcdiniie est
ïiiie iicîence [>osilive.
1.11 poésie est^ayail aussi, à la niêiue époque, d'a[»porter
son S(^coyis aux atîversaires de l'alelnmie. Le?; <lernières ëdi-
tinns du liornau tk la Ilose renferuiûnt deux écrits aldu-
miijueît, en vers, que l'on atlribuo à Jean de Meung, snr-
nnnune Glopinel, qui vécut ii h mm de PliHiiqie le llel en
i|ualtté de poëte ilu roi, et termina le Htmian de la llosi\
eomnieneé par Guillaume de Lnrris. Dans les deux écrits doui
nous pai'l<ms, Jean de Meung clierelie a mettre en («vidence
les erreurs contenues dans les ouvra^çes des aleliimisies de
s^iu temps. 11 met en scène la Nature, qui s^:^ [daint dV^lre
trop né|:,diî?ée par les alchimistes, et les engage k s'occuper
d'elle eomuic le seul moyen d'arri\er a de bons résultais :
CofiiiDii NaLute'Siï {■om|ilninl
Et *lit NI douceur c?l mn plaint
 un^ iol soiiflf'tir &{»pliîstlr[ue
Qui Ei'tise qae cTarl mËcanique.
Te! est ïe sommaire de la partie <lu pnéme inlilulrkî : les
Hemontrancesdela Nature à talvhimifîterrrauL La Nature
lait entendre a ralclnmîste quelques vérités un peu dures,
ainsi qu*on peut le voir par le passage suivant :
Je pnrlt^ ù luy, ml rBnaliqiii^
Qui te «lis ni nnmmn (Hi piiiclî^pie
AleliimÎ5tc et [jon philosaplie :
Kl Iti nn^ sejavnir no es lof le,
Nn IhcMMiqnc, uc science
De Tart. ne de moy coiip;noi séance
Tu rniiips uihmbk's, grosse liestc,
Kt hi tislc s clin r lion <|iiï l'*:nlej^ie ;
Ta f uis «lumn, uilrc, Htnimerj?,
F^^nds roelaiilx, hrgsks orpimenls;
DES ALCUIMISTES. 89
Tu tais grands et petits fourneaux,
Abusant de divers vaisseaux.
Mais au faict je te notifie
Que j'ai lionte de ta folie.
Qui plus est, grand douleur je souffre
Pour la puanteur de ton soufre.
Par ton feu si chault qu'il ard gent,
Guides-tu fixer vif-argent,
Cil qu'est volatil et vulgal.
Et non cil dont je fais métal?
Povre homme, tu t'abuses bien !
Par ce chemin ne feras rien,
Si tu ne marches d'autres pas.
L*alcliimiste reconnaît sos torts, et demande humblement
à la Nature le pardon de ses erreurs. Cette réponse de Tal -
chimiste est annoncée en ces termes dans le sommaire de la
seconde partie du poëme :
Comment l'artiste, honteux et doulx,
Est devant Nature à genoulx,
Demandant pardon humblement
Et la remerciant grandement.
f/alchimiste repentant attribue ses erreurs aux préceptes
f.iux contenus dans les livres de ses confrères; il promet en
même temps de prendre la Nature comme le seul guide dans
s«s travaux.
Comment me pourray-je guider
Si vous ne me voulez aider?
Puis dictes que vous doiz en suivre,
Je le veulx bien; mais par quel livre?
L'un}? dict : Prends cecy, prends cela ;
l/aiiti'p dict : Non, laisse-le là:
Louis mots sont divers et obliques.
Kl sentences paral)oliques.
En elTet, par eulx je voy bien
Que jamais ja ne sçauray rien.
Il serait superflu d'ajouter que dans le siècle où s'élevè-
m IKXITRINES ET TRAVAUX
rent cos faibles réflamalions, elles Jurent trouver pu dn
faveur.
Ce n*eî?l qu'au j^eizieme siècle qué les adversaires de raJ-
chimic commenrèrenl à se faire ëcuuler. Ils essayèreol, par
deux voies différentes, rie s'opptiser y ta diffusinn de ses doe-
irînes et îmx tristes consécjuenees qu*elles amenaient a leur
suite. D'une pari, ils s'attachèrent û démontrer, à Faid*'
d*arguiTients scientifiques, qu'il <itait inipossilïle d 'opérer la
iransmuiatiun des métaux; d'autre [mjl, ils essayèrent di*
mettre à nu les fraudes emphayëes par les adeptes pour faire
iToire à l'existence de la pierre pliilosopliale.
Tlmuias Éraste, dont le traité Explivatio parut en 1572,
est l'un des premiers qui se soient attachés à démontrer le
néant des opinions alchimiques. S'éJevant iwec force contre
les doctrines de Paraeelse, il combattit par de puissants ar-
guments la théorie des alchimistes relative à la composition
des métaux, et s'efforça de prouver ainsi qiu* la transmula-
lion était une cpuire impossible,
Uerman€onrin|jfius, dans son ouvra^c»^ intitulé Hermetiat.
reproduisit les arguments de Thomas Kraste, et fut un peu
mieux écouté que son modèle.
Vcrner Rolfink, mais surtout le savant jésuite Kircher, se
montrèrent, dans divers ouvrages, eimemis déclarés de l*aU
chimie.
Ce[jcndant toutes ces voix de la raison et du bon sens ren-
contraient peu d écho dans Tesprit des contemporains en
proie à une passion trop violente. Peut-^trc aussi les argu-
ments invoqués par les adversaires deralcîumie mam|uaiêiit-
ils di^s qualités suf lisantes pour opérer une conversiuu si dif-
licile. Afin de donner une idée fidèle de ces discussions,
nous allons dêtadier de la PhijJiique amttetrame de lîechei-
une curieuse page, dans la<)uelle ci't écrivain prétend réfuter
un argument que les adversaires de l'alchimie avaient élevé
cimtre la ri^aliti* de celle science. Ou verra par cet exemple
dans quel espiil et sur cptel ion s'i'verr:iîenl ci^s dispute^.
DES ALCHIMISTES. 91
On avait opposé à Bêcher, contre la réalité de l^alchimie,
Targument suivant, qui avait produit, à ce qu'il nous assure,
une impression considérable sur les esprits :
« Si Talchimie, avâit-on dit, était un art existant réelle-
ment, le roi Salomon l'aurait connue, puisqu'il possédait,
selon les Écritures, la sagesse réunie de la terre et du ciel.
Cependant Salomon envoya des vaisseaux à Ophyr pour y
chercher de l'or, ^ il leva des ta^^s sur ses sujets. Or, si Sa-
lomon avait connu la transmutation des métaux, il n'aurait
pas eu besoin, pour se procurer de l'or, de recourir aux
moyens précédents. Ainsi Salomon n'a pas eu connaissance
de l'alchimie. Donc Talchimie n'existe pas. »
Voici comment procède l'auteur de la Physique soiUerraine
pour réfuter ce redoutable argument. Il accorde la majeure,
c'est-à-dire cette proposition que le roi Salomon possédait
toute la sagesse de la terre et du ciel,1)ien cependant qu'il lui
paraisse douteux que la sagesse de ce roi embrassât la spé-
cialité de toutes les connaissances humaines, attendu, ce
qu'on peut nier, qu'il n'eut pas connaissance de l'imprime-
rie, de la poudre à canon ni d'autres inventions qui lui sont
postérieures. Mais Bêcher rejette formellement la mineure,
c'est-à-dire que le roi Salomon ne possédât point la pierre
philosophale. De ce que Salomon a envoyé des vaisseaux à
Ophyr, et de ce qu'il a imposé des contributions à ses sujets,
on ne peut nullement conclure, nous. dit-il, que ce roi no
possédait point la pierre philosophale. L'empereur LéopoIdP^
qui a fait de l'or, comme chacun le sait, a-t-il pour cela di-
minué les charges qui pesaient sur ses sujets? D'ailleurs,
l'expédition d'Ophyr est-elle un fait bien établi, à une épo-
que où l'on ne faisait pas encore usage de la boussole? Con-
nait-on parfaitement le but de cette expédition? En raison
même des mystères dont elle s'entoure, elle serait plutôt, au
(lire de Bêcher., une preuve que Salomon possédait le secret
(le la transmutation. Ne voulant point fabriquer de l'or
dans ses propres États, Salomon a fait exécuter cette opéra-
n DOCTRINES ET TU A VAUX
tiim dans un pnys vmsiti, piur fnin' pnsuin* nppfirieren Ju-
{l(}p !\jr firlirieiellpmonl firoduit. En pfffU (|U(*ls h'ums le rm
Salniiioii aui.'iil-il pu nlfrir i^n écliiiuge (h* (?oï or, i\m\ IVm
(irët(*ntl tiMnr ote ra|»|Hirté «l'Opliyr"? lWrf|iioi ces expi*Hi-
liiins n'iinl-^lks |Htini eonlinuë mn^ Rôboam, soo sucresseurt
En réstiinc, fîficherdenHMin^ronvnincii qnt^ Solonion a connu
le îîPfrfîl de la science liermeliquo, mnis que «a haute sagesse
Ta empAcliê de le tlivulguer. Ainsi cette iirgumenlatkm.
drmt nn avait fait tant de bruit mnise l'exislcnre réelle di^ ta
pierre pliiltisophale, e^t de tout point mal fmidée. hh
Veilà eommenl, au tlix-septième siècle, on disi-ntail h^ ' "
piiinïs ce ni reverses de la cliimie. t^'elail inu jours, ceninie ou
le voit, la vieille forme du sophisme scolastique : Un rat est
une syllabe, — - nr une syllabe ne mange pas de lard, -—
donc un rat ne manjL,'e pas de lard. Argument f[ui ne se n'^
tonjuait *jue par finvefse : Cn rat mange du lard, — or ue
rat est une syllabe, — donc une syllabe mange du lard.
Au eommencement du dix-linitiùme siècle, lesadversains
de l'aleliimie ïiroc(Mcrent un peu plus sérieusemeui il?m<
teurs attaques. Les écrits scieutilîques diriges contre ses [vriu-
cîpes augment^renl en nombre, sans néanmoins produire
l'neore beaucoup d'impression. C'est que les moyens d'argu-
rnentaiion ciaient toujours bien indirecii;, et que b?s ouvrages
destines à les propager portaient de bien singuliers titres.
M. Kopp signale les traités suivants comme ayant été (►eriis ;'<
celte époqU(M*onîre b-s partisans de la science bermêtiipic.
i< J. Ettner, nous dit M. Knpp, attaqua falcbimie dans deux
ouvrages. Le [vremier parut sous ce litre, le CkimiaU' di'-
voilt' (rEchitard fhh'h\ dtms lequel mnt relalres Ut mMuin-
eHê et rimpûslnre des ad(*j)les. — Le Sfuje mêdifhwl
d' Eekliftrd j'ulHe (ni U^ Chfirhtan dévoile (1710). Un aulro
«uncuii drs alcbiniistes, J.Scbmid, écrivait tm 1700: L\'l/-
rfihnisleqni porte mt mauvais jugement mr Moïse, prouvfiul
ddus une relftlimi appuyée sur lefi Éeritnres que Mmse. [itt-
rid, Sditmifm, Job et Efie, nunt pas été adeptes de lit pierre
DES ALCUIMISTES. î^3
pliilosaphale, ouvrage par lequel Schmid croyait donner le
coup degràceàralcliimie. En 1702, parut un autre ouvrage
inliinlé : Fanfares d*Élie f Artiste, ou Purgatoire allemand
(le V Alchimie, écrit par un enfant de Vidipudi, qui veut
mettre à nu Vhonneur des gens honorables et la honte de
ceux qui sont bouffis d^m^gueil *. » Les partisans de ralclii-
raie ne laissèrent pas ces écrits sans réponse; ils répru|uérenl
j»ar des ouvrages ornés de titres aussi fantastiques que les
précédents. C'est ainsi ({u'en 1705 parut : Délivrance des
philosoplies du purgatoire de la chimie, c'est-à-dire CritlquCy
au mmi des philosophes, de trois feuilles dHmpreMions vi •
cieuses récemment piMiées. Et en 1 705, en réponse au même
traité de Schmid : Démolition et conquêle du Purgatoire al-
chimique, annoncée par l'ordre du pape chimique, au son
d'une trompette d'Èlie l* Artiste et de toutes les batteries
élevées sur iîle des injures.
Mais le meilleur moyen de s'opposer aux résultats funestes
amenés par Tabus des pratiques alchimiques, c'était de met-
tre en évidence les nombreuses fraudes employées par les
adeptes fripons pour abuser de la crédulité du public. C'est
une lâche à laquelle les adversaires de Talchimie ne tirent
point défaut/ Dans son Explicatio, Thomas Éraste avait déjà
dévoilé les impostures des charlatans alchimistes, et fait con-
naître les tours d'escamotage à l'aide desquels ils savaient
mélanger de l'or aux métaux vils mis en expérience. Otto
Tackenius, dans son Hippocrates chemicus, publié en 1660,
dévoila aussi les tours d'adresse de ces empiriques. Nicolas
Lémery, dont le célèbre Cowr< de chimie, publié pour la pre-
mière fois en 1675, demeura si longtemps le code des chi-
mistes praticiens, s'attacha à mettre les mêmes faits dans tout
leur jour. Mais ce qui produisit l'impression la plus profonde
et la plus utile sous ce rapport, fut un mémoire présenté en
1722 à l'Académie des sciences de Paris, par Geoffroy l'aîné,
' Uetcfiichle der Chemie.
r
!I4 1ïO€rHI\BS ET ÎKAV ALX
sous fe litre : Ikë Sfupertkefies totuœiimnl Ut pien-e phi
wphaie.
9 II Kii^iiilà souliaiter, Jil (feofTroy.qunnn-t ih* troiii(>er fût imf*
li^riJifllt ignoii^ *les iMimmi-?^, (ians [miie^ sork^?< fie professions. Miiis,
IHiiâqne Tavidilê insaliahli' du iiairi 0Tig'Jt;p wn' [xiHie dos liomirif^s w
iiiullre ret :i[1 en |ij;!li«jut' iruiiv intînilt" de m:iTiiêri's ilill*>reTites, il e>t
de la pitideiiee de cheirher ii ci»rm:iili'e ers Hïiiesi tie f ni y des poui s*eïi
j^aiJîitii . Dans l;i cliiuiie, lu pieiTC |>ïiilosoplîaïe ouvre lui très-Vîihle
eli:iTiip ;i l'ituposliue. L'idée dc:^ nchesses iiuinen5<'s qu'on noiu^î jun-
iiieU parle njtnen île celte pient% frnpjM' \iventenl rinia^njiEiiiou des
lMïnïine>. Ouiun*\ d*:tiitemN» on crtiil faeileiiienl re ijiiVm sonlmik',
le déî^M de jJtîSR'der celltî pieri*e |i«ite bienlôl I espi it ;i en croire la, -
ItossihilJlé. HN
ic Dans eeUc disposition où se tmuvent î:i pln|ï;ni des eî*jM îlti aa^ '
Mijel de celli' pierre, s'il sunieiit ifih-lim'un qui assure :tvoir hiit
relie laïueuse itpéraliou rui quelque iuitre préjiî*rHtiim qui y lon-
ilui^ep ifui fuirl*' diiu km iuiiiosant et avee quelque ap|iaieiire du
r*iisoii, vi qui uppnie stîs faîsoimeinents de quelqnt^ exjwnenirs» on
rêeonle fa\ (ira hle ment» on ajoute foi h ses diseouiv, on î^e laisse suj--
jireiKlre psu' h*s piTstigt*s ou fiar des expériences tout i\ fait swlui-
saiiles. que ta duinie iui Itmiuil fibondauniienl; enlin, ce ipii est
|ilus sui|jrenaiil, i>u s'aveujLde HsseK pm' se ruiner, en avan^-ajit des
scmiuïes fousidéraîiles à ces sortes d iniposteni'Si r|uip' sous difïm'iih
pcf'textes, nons di'iuandonl de r;u^^enl, iJont ils distant avoir besoin,
ifans le tenqts niéiiie qn'ils se ViyiM'iit de |H>siiéiti'r une source de ti-é-
soî-s iné|uikiljlcs.
« Quiiiqu'il y ait quelqut-^ imtniVi'nîi*nt à inetti'é au jour les litjni-
[HH'ies don! se sen eut C(^s inq^is^leiu^» parce que quekjues p'rsoniU'is
(louir^iieiit rii abu^t^r^ il y <*n a r^pndant bcauroup plus a ne les jkis
tihv cotuïaitre, puisquVn les détouvianl on t'uq>eibi' un très^grand
nonibie de gens de s<^ laisser séduire par leui^ liuirs d'adîTessc. ^H
€ C'esl donr- dans la vuv d'enipèeher \v [tnblie de se laisser ab wB
sej- par rts prétendus pliilosivplies rlunii^les que je r,ip[«u'lc ici les
ïirinri[3aiix moyens de IrouqM r qu'ils ont coutume d'employer, et qijL^
sojit venus à ma connaissance. ■ |H
Guaffroy érmmère alors la nombreuse série des «lojens
DES ALCUIMISTES. 95
frauduleux employés par les adeptes pour opérer leurs pré-
tendues transmutations <.
Dévoiler les fraudes des alchimistes, c'était, sans aucun
doute, un moyen excellent de prouver à tous Tinanité de
leur prétendue science. Ce fut là, en effet, le coup le plus
certain porté à une science qui commençait d'ailleurs à dé-
courager ses défenseurs par la longue série de déceptions
qu'elle avait infligées à leurs espérances. Ln événement qui
produisit beaucoup de sensation en Angleterre contribua
encore à ouvrir les yeux du public et à démontrer la réalité
des accusations portées contre les adeptes. En 1785, le chi-
miste James Price, qui avait dix fois exécuté avec succès des
transmutations publiques, soumis par les membres delaSo-.
nété royale de Londres à une surveillance plus sévère, et
pressé de -manière à ne pouvoir tromper les assistants, s'em-
poisonna sous les yeux mêmes des personnes convoquées pour
être témoins de ses prodiges. Ce fait produisit à cette époque
beaucoup d'impression en Angleterre; nous en rappellerons
les principaux détails.
James Price, homme riche et savant, était médecin ù Guil«
ford. Il s'occupait de chimie, et son nom est resté attaché,
dans cette science, à quelques travaux intéressants. Mais
il eut le travers de se jeter dans les folies alchimiques, et
il $*imagina, en 1781, avoir réussi à composer une pou-
dre propre à changer en or le mercure et Targent. Mais
cette poudre avait dé si faibles vertus, le profit qu'on pou-
vait en retirer était si médiocre, et les expériences si péni-
bles, qu'il hésita pendant deux ans à rendre publique sa
prétendue découverte. Il se décida néanmoins à la confier à
quelques amis. Le père Amlerson, naturaliste zélé et chi-
miste habile, les frères Russel, conseillers à Guilford, et le
capitaine Grose, connu par quelques écrits sur Tantiquité,
furent ses premiers confidents.
' Voyez à la fin du volume (Noie 11) le texte complot de ce Mémoire
de Geoffroy. *
m m)\:n\m$ lt tiia\al;x
A uiesurt! iiue le bruit de ses opérali^ns se luiiariJail au
ilrhiirs, Irire s'enliardissait lïavjmlajjto, et il finit par ac-
(jurrir une contiancc tin lui-nièiiie qui lui avait nKini|ue
jusque-là. Dti l'yrt de se tromper soi-niônie ii l'art de Iroiiï-
|M"i les autres, il n y a tju'nn pas. Kn t78!2, rrieenionlj-aità
(|ui voulait liîs \uïv deux poudres reui^^e et Llanelie avee
l<*si[uei!es il trausrauailù volume les niétanx vils en argent ou
en or. Il exeeula |ilusienrslra(isuiuUitionspuMii|ues, et, poui
répondre (Pune juanièrepèn mploire aux ubjeetions ([u'( Iks
a vaieut provoquées, il institua une série d'eit[K*rieueesqiii
fil ri' ni rxéeuUk's 11 Guilford < la us son labura luire, eu présenee
d un ^raud nombre de personnes distinguées (Je la ville, (les
expériences, qUi durèrent deux mois, consistèrent surtout a
a^ir sur le niereure ou sur les amal*,'anies, au moyen de ses
lieux piiudres. h'i>|M"rateur transmuait à volonté ee métal en
argent ou en or. ïl faisait souvent usage (rbuile de napble
[Jour ajouter au mercure, qui devenait mat et r'pais par son
iiiélangeavcc co liquide. Le borax et le ebar))on de hm>
jouaient aussi un rôle comme ingrédients dans les opéra-
lions. Les expériences ne donnaient en général que de pe-
tites quantités de métaux précieux ; mais, dans la neuviéiitt.^
séance, qui eut lieu le 50 mai 1782, et dans laquelle on
laissa le ehinVisle opérer seid, on obtint, avec soixante onee>
de mereure, un lin^^ol (rarf^ent pesant deux onces et demie.
La quanlilé de poudre [ibilosopliale emfdoyée fut de douïi^
^^ains. Le liut,Mïtd'ar>j[eut provenant de cette expérience fui
offert en présent au roi d'Angleterre, George lïl.
Pourdruiïier toute publicité à eesexpérienees, Jautcs l'riec
en lit imprimer, a Londres, les proces-verbaux détaillés soai^
le titre de UeliUiondi^ queiquefi expériences mv le mermir,
l'vr ft ruTifenl*. Ces [irocès-verbaux portent la signa lun-
1
* An tw ouitl àf Mtnu' exfitrifufntii tm mtccitrtj, aiiver ami tjoUf Httpk oi
fituiford in nttttj ITH'i, m tftv iafioralont af Jamais l'rke. M- IV V. ï\.'>
J
MS Ari:HIMLHTI.<f. r
des principaux témoiss de& exp«*hHnf!Ks» . 'iiiin* U*^ m^mît ili*
Hussel, Amlerson et Gn>:«e, on y remarque <!Kiit i>* InH
Onslow, lord King, lord Palmeratoa. Ih diHv.iiiiT '^irt^-iifin.
sir Robert Parker, sir lbniiin;r, ^r PoIIh, li* «InitUMii' SHtni:K
le capitaine Hausten, le» lieafenant.4 iic^im*. ft Hiilianihy Utyt
sieurs Philippe Clarke, Philippe ^)rti)n. Fiilh.im. Rohin-
son, Godschall, Gregory et Smith. aoULH 4n\iitiH'hn' -n
connus.
Cependant James Priée était membri^ lUt in SïKUfti*. fnmi'*
des sciefices de Londres. Gjmm»r le» «tov;!!!!!!^ ;ili:himf«frii-
avaient depuis quelque tempt* perdu leur ^nt^tt-x**.. la n;-
ciétë voulut savoir le fond de l'affair»^. L* i:himi.rt** fut <i'M»'
sommé de répéter ses expérieQfî>î> «k^aût an»* :! fjin:L>-
sion choisie parmi ses membrii>. «h <ronipi/^H 'Jrjs J^ax «îhr-
mistes Kin^an et Higgin.-*. Jamr^ Fri«:i- r^fiiM «Ir e^r^^iKt
devant eux ses expériences «Je Griilf-jfiJ. Il d'jùa^ai j.«^«r
prétexte que sa provision depîerr»? phibryjphal»: t^uii »rfui-
sée, et qu'il fallait beaucoup de tempe pour tm pr-p^ïnrr
d'autre. H alléguait encore que, f^i^ant partie d^ U ifj^i*fin
des Rose-Croix, il ne pouvait divulguer l'un d*;* Nîrrrel* de sa
cunfrérie. Mais toutes ces défaites étaient ju:.'ée<à kur \*.'n-
table valeur, et ses amis le pressaient de UjiïUt> métiMv^
d'obéir au vœu de la Société royale. L'n de^ meoihre> le> |»lu&
illustres de cette Société, sir Joseph Bank<. insista surtout
pour lui faire comprendre jusqu^â quel point sou honneur
et celui de la compagnie scientifique dont il était membre
étaient engagés dans cette affaire.
Ainsi poussé à bout, James Price se dtH^ida ù recommencer
ses expériences afin de pn'»prer une nouvelle quantit(' de sii
poudre transmutatoire. Au mois de janvier 178ri, il partit
pour Guilford, afin de s'y livrer à ses reclierclie!?, annonraut
son retour pour le mois suivant.
Arrive à Guilford, il senferma dans son laboratoire. Ku
suite, avant de rien entreprendre, il commença par préparer
une certaine <|uanlitéd*eau de lauiier-cerise, (»oisonlrè»>
m
Y\i)a\[\ms Kl IILWALX
If'nt. Il (icrlvii eii^iiiîic non li'âtuiJieiU, i|ui cuminenrail [niv ci!
moiii; (T Me crov;mlsur le (ïoînt de partir pour un uiondï!'
plus sûr, je consigoe ici mes dis|K)sitions dernières... >* (>
n est qu a près ces préliHiinaîres sinistres qu'il se mitlan travail .
Six mois se passèreni Stins i[uc l'on entendit parlera Imu-
drcs du cliimisle Priée. Au bont de ce temps, on apprit
son retour ; mais, comme on assurait ([u'il revenait sans
avoir réussi dans sa tentative, tous ses amis les plus t lu?rs
l 'abandonnèrent au juste mépris que mérilail sa conduite.
Ce ne fut donc pas sans surprise que la Socièlë royale re-
çut de James Prîce la prière de se rendre en corps, à un jour
dè^si^mé du mois d'août 1785, dans son laboratoire. Deux
eu trois personnes seulement, parmi tous les membres de la
Société, crurent devoir répondre à l'invitation de leur col-
lègue, James Price ne put résister à celle dernière mar«pie
de mépris; il passa dans un petil cabinet attenant à son la-
boratoire et avala tout le contenu du llaeon d'eau de lau-
rier-cerise qu'il avait ra|>f>orté de Guilford, Quand on recon-
nut, il Ta itération de ses traits, les si^mes du poison, on
s'empressa de lui eherclier des secours; mais il était trop
tard, et les médecins qui accoururent le trouvèrent mort,
be docteur Priée laissait, par son testament, une fortune de
soixante -dix mille thalers, avec une rente de huit niilletha-
lers qu'il distri buait à ses amis * . ^hI
A peu près a Pépoque ou cet événement, dont le dénoiî-
ment fut si tragique, venait de s'accomplir en Angleterre,
une autre aventure, qui n'eut cependant rien que d'assez
réjouissant en elle-même, se passait de l'autre côté du Pdiiii,
et précipitait la décadence dfô opinions alchimitiues, en tour-
nant contre elle Panne assurée du ridicule. Un professeur
d*une université d'ALllemagne était publiquement forcé de
convenir qu'il avait été, par le fait fie ses croyances aux
' tSênthmtn magaMÎne^ J79J, |i, f^, — Matjmin tciMi/1^7
tingite^ J7H3.
DKS ALCHIMISTES. 99
idées alchimiques, le jouet (l*une mystification grotesque.
Jean-Salomon Semler, savant théologien, était professeur
à l'université de Halle. Enfant, il avait bien des fois entendu
un ami de son père, Falchimiste Taubenschusz, raconter les
merveilles delà pierre des philosophes, et sa jeune imagina-
tion en avait été vivement frappée. Lorsque, plus avancé en
âge, il se livrait à ses études théologiques et aux travaux de
sa profession, il savait se ménager quelques heures de loisir
pour des expériences chimiques. Ces expériences n'arrivaient
jamais à lui démontrer la réalité du grand fait poursuivi
par la science hermétique, mais il se gardait bien d'en
tirer aucune conclusion contre la certitude de ses prin-
cipes.
Lorsque, ses études terminées, il put disposer d'un peu
plus de temps, il se mit à compulser les vénérables in-folio
du moyen âge. Nous ignorons ce que le jeune théologien
trouva dans la méditation des écrivains hermétiques ; mais,
^i médiocres que fussent ses découvertes, elles étaient bien
suffisantes pour un homme qui avait eu la foi avant la
science, et une foi si robuste, que Ton est contraint de la
respecter, tout en regrettant qu'elle n'ait pas été récom-
pensée par quelque miracle. Un incident, qui survint plus
tard dans sa vie, ne put d'ailleurs qu'ajouter à la fermeté de
ses croyances.
Semler était depuis peu professeur de théologie à Halle,
lorsqu'un juif de cette ville amena vers lui un étranger re-
venant d'Afrique, qui lui demanda quelque secours. Cet
('tranger lui montra, avec mystère, un papier portant une
douzaine de lignes en caractères hébreux, mais dont les mots
étaient turcs ou arabes. Il comprenait, disait-il parfaite-
ment cet écrit ; seulement il y avait trois mots dont il ne
pouvait saisir le sens, ce qui lui occasionnait un tourment
inexprimable. Il raconta, en effet, qu'il existait à Tripoli, à
Tunis et à Fez, un grand nombre de juifs qui avaient reçu,
»'n héritage de leurs ancêtres, le secret de faire de l'or. Ces
iOO l>llCTRf!VEJ ET iriAVArv
juifs eonservaient prmeiisi^ment ee secret, el n'en liraient
paru que pniir leurs besoins les plus urgents, afin de ne pas
éveiller rattrntion il es barljarfs. Lyi-meme avait servi long-
temps dwz UQ de Cfs juifs, el il aidait souvent son niaîtro
dans ses irnvauK de transrauiation. L'orril qu'il présentait à
Scrnler ron tenait une indU^tion exacte des opérations praïï-
quées par son maître ; par mallieur, les tmis mois dt>nl il
vivait fMiJdie la si'miiîraiion lui rendaient le reste inutile,
Avee trois mots (|vi'mi jull* iirrippril en Arnbie.
Je g^iu'ris aulri^fms rînfaiite du Coni^a,
Quîj vrnimeiit, avait bien un âijllrc vniif^Q!
î.es trois mots du Crispin dr Rr^^^nard r-iaienl snns doute
les niOines dont cet aventurier se mettait si fort en [Kune. ^_
ÏA^ twin et rrédule Semler fit tous ses efforts pour décirilfl|
iVer ce ^op[Of(riphe. A bout de sa propre se i en ce, il invotpia
celle des orientalistes les plus renommés de la ville et ér
runiversité; mats œfut en vain. Aussi, lors(|ue cinq jours
-iprès le juif vint le revoir, il ne put que T in former de ci-
rt'suluit né|,^ilif. Noire homme s'en montra tout naturelle-
ment très-affecté, car il se voyait, disait-il, contraint dlfl|
retonrneren Afrique pour demandera son ancien uïnîlre !<•
sens des trois mots. Or, en ce temps -la comme dans le nôlrc,
im ne faisait pas pour rien le voyage de Tunis. ^Ê
Scbmieder, qui nous transmet ce peiii épisode fie la car-
rière alcbiniique du ibt^ologien de Halle, ne met pas en doute
([ue ce juif ne fût un imposteur. Il remarque, en effet,
que donOomingo Dadia, savant espagnol, qui, à la fin du
d(\-buitietue siècle, voyagea dans le nord de l'Afrique, sous
lo nom d'Ali-Bey, témoigne qu'à cette époque les notions les
plus vulp[âires de la cbimie s'étalent presque eutièremen!
peniues cbez les babilants de ce pays, juifs ou autres. Ajou-
tons qu'en 1850, après la prise d'Alger, les l'raneais furent
«neore mieux édili^'s quant à l'ignorancj* des Arabes. Il est
DES ALCHIMISTES. 101
donc constant que celte histoire d'alchimie ofricaine nVtait
qu'un honnête prospectus de mendicité présenté par la four-
berie du juif à la naïveté du théologien.
Semler tira néanmoins de ce fait une conséquence tout
opposée : loin d'eu recevoir une atteinte, sa foi robuste dans
la vérité de la chimie y puisa une force nouvelle dont les
résultats ne se firent pas attendre.
En 1786, le baron Léopold de Hirschen venait d'annoncer
au monde sa découverte d'une médecine qu'il décorait du
nom de sel de vie, Semler s 'adonna avec passion à Tétude de
te produit nouveau. Il fit paraître successivement trois mé-
moires sur ce sujet. Il prétendait connaître le sel de vie
mieux que celui qui l'avait inventé. Renchérissant sur les
assertions du baron de Hirschen, il y trouvait non-seule-
ment une médecine universelle, mais encore un agent de
transmutations métalliques. Avec ce nouveau produit, ni
charbon ,^ni creuset, ni mercure, n'étaient nécessaires pour
faire^de l'or; il suffisait de le dissoudre dans Teau et de l'a-
bandonner pendant quelques jours à lui-même dans des va-
ses de verre, entretenus constamment à une température un
peu élevée. Dansées conditions, Tor finissait par apparaître,
il se déposait au fond de la liqueur.
iSemler était professeur de l'université ; ses assertion» ne
pouvaient donc passer pour une opinion sans conséquence.
Les faits qu'il annonçait devinrent le texte de discussions sé-
rieuses. Les objections lui arrivèrent de tous les côtés, et les
sarcasmes se mirent delà partie. Dans la position qu'il occu-
pait, il ne pouvait les dédaigner. Aussi, lorsqu'on exigea de
lui les preuves, par Texpérience, du phénomène qu'il an-
nonçait, se montra-t-il trèsrempressé de les fournir; il pro-
céda à cette démonstration avec autant de bonne foi que
d'assurance.
Le chimiste Fr. Gren s'était particulièrement fait remar-
quer en cette discussion; c'est à lui que Semler, en 1787,
remit un vase de verre contenant un sel de couleur brune.
)
m DOr:TRIXKS RT TllAVALX
le [mani tle vouloir hum le presenier à rAcadmiiit^ (1<^ lin
liii. Il asîïurait 4[UG ce stA, (lissmis dans i'eau, ne lardi*nû||
fias il drposiT di* l'nr; le fa il êtail d'au la ni plus sûr; (|ue 1^
môme liquide lui en avait déjà fourni une nolâble ijuan-
ÛU\ Gren n'eut qu*à examiner le sel pour reconnaître qu1i
renfemiait, à l'état de sim [de mélan,i;e, quelques feuilles d'or.
Maiï5, Semler ayant affirmé, de son celé, que ee métal était
un produit spontanéeienl formé au sein du liquide, il fut
décidé (\w la diflieuîté serait soumise à l'apprécia lion de
Klaprotli, professeur à Berlin et l'un des premiers chimistes
de r Allemagne. ^M
Klaprotli soumit à l'analyse la liqueur de Semler, être-" '
connut qu'elio ctmsistait en un mélange de sel de Glauber et
de sulfate de magnésie, le tout enveloppé dans un magmf»
d'urine et d'or en feuilles. Désireux cependant d'éclaircir toul
â fait la question, Klaproth pria le professeur de Halle de lui
faire parvenir de nouveaux: échantillons du mème^produitàJ
Semler s'empressa de satisfaire à ce désir. Il adressa à 4îer^^
lin deux vases renfermant. Tun un sel bruneristaliiséoù l'or
ne s* était pas encore produit, Taulreune liqueur n qui con-
« tenait la semence de lor, et qui, par le secours de la clia-
« leur, féconderait le sel. » Ce sel, dissous dans le liquide et
maintenu cliaud ptmdant quelques jours, devait fournir (
for. Mais, au premier exaiiK^n, Klaproth n'eut pus de pein
à reconnaître que le sel brun étitit mêlé de paillettes d'or
et que Taddition du liquide envoyé par Semler était par-
faitement inutile pour en extraire le métal, attendu quon ^
le séparait en le lavant simplement avee de Teau, fl|
l/alehimiste de Halle ne voulut point demeurer sous le
coup de ce démenti ; il envoya à son illustre eorrespondant de
nouvelles feuilles d'or produites par le sel de vie. Les feuil-
les de cet aurnm philosopkimm aèreum étaient il' une grande
dimension, car elles n'avaient pas iimiiis de quatre à neuf
pouces carrés. Semler priait le rhîmisto de Bi^rlin de voifll
toir hieiï [irocéder à Tanalyse de cet ur au milieu d'une^
eei
i
DES ALCHIMISTES. lOf»
assemblée publique etavectout l'éclat d'une large publicité.
On comprend d'ailleurs son imperturbable assurance quand
on sait que, de toutes les expériences qu'il avait exécu-
tées avec son sel de vie, aucune n'avait jamais échoué, et que
l'heureux expérimentateur avait toujours retiré de son mi-
raculeux produit de l'or au premier titre. Aussi écrivait-il
à Klaproth :
« Mes 'expériences sont très-avancées. Deux de mes vases pointent
de Tor ; je Tenlève tous les cinq ou six joui's, et j'en retire chaque
fois de douze à quinze grains. Deux ou trois autres verres sont en
bonne voie ; on y distingue déjà les feuilles de For qui percent par le
bas. Tout cela me revient, quant à présent, assez cher; car un grain
(l*or me coûte deux, quelquefois trois, et même quatre thalers ; mais
cola tient sans doute à ce que je ne connais pas encore très-bien la
manière d'opérer. »
Suivant ledésirdu professeur de Halle, Klaproth procéda
à l'analyse de cet or en présence d'une brillante assemblée.
De grands personnages, de hauts fonctionnaires de Berlin,
et môme des ministres du roi, assistaient à cette réunion,
impatients de connaître le résultat de la singulière discus-
sion scientifique dont tout Berlin s'occupait. Ce résultat
fut étourdissant : Klaproth, aux premiers réactifs qu'il fit
agir sur le précieux métal du théologien, reconnut que ces
feuilles d'or philosophique étaient tout simplement du imni-
kc, c'est-à-dire une variété de laiton.
L'immense risée que cette déclaration provoqua dans
rassemblée fut bientôt partagée par tout le public de TÂl-
lemagne. Le bon Semlerfut ainsi contraint d'ouvrir les yeux,
et, informations prises, la mystification s'expliqua comme
il suit.
Semler travaillait à ses expériences dans une maison de
campagne où il avait pour domestique un homme très-ai'fec-
lionné à sa personne. C'est à ce dernier qu'appartenait le
soin d'entretenir la température de Téluve où le sel d'or
iir qir^B
Ifti mH:THfNES KT TRAVAUX
fciiriifiaiL l^*^ (li|,^n^ st^rviienr ,ivîiî1 rf'iiuirqap r.inlour <]
lo philosophe nppcni^it à ses expériencps et la jnio fjirîl
rprouvail toutes les dm rpiP l(* snrrès venait les caanmTiftr.
Voulant donc cootrilmer au honlieur do son maître, eelU"
lionno âme avait imaginé de frlisser de-s feuilles d'or dans le:*
vjse^mîsen expi^iieuee. Mais notn^ Immme (Hait quelquefois.
îiWvA ih^ s'alisenter, ear. en même temps qu'il était le dômes-
tii|Ui*du iirofesseur, il était soldat du roi de Prusse, et de-
vait se rendre, de temps en temps, à la revue delilagdebourg.
Dans ee cas, il passait la consi^me cl le mot d'ordre à sa
femme, qui le suppléait dans sa fraude innocente. La dame
finit, néanmoins, par trouver que tout cela revenait un peu
citer, et, en 1" absence de son ma rit elle se décida à n^rn placer
Tor par le tumbac, qui c^iûiait moins et produisait à l'œil la
mi^me apparence. Les feuilles d'or pbilosnpliique analysées
par Klaproth devant rassemblée de Berlin étaient du fait
de cette personne ingénue * , hJ
Scmler, qui s'était trompédebonnefoi, s'exécuta de bonnî^^
^Tâee devant le public. 11 nous a laissé, dans une autobio-
graphie, la confession la plus candide de ses erreurs alebimi-
f|ues. Les babitants de Berlin ne se montrèrent pas d'ailleurs
impitoyables envers lui; on compril tout ce qu'avait dr* pi^
nible sa position, et on songea plutôt à le plaindre qu'à le
railler. On eut même la justice, fort rare en pareille circon-
stance, de se rappeler les services quil avait rendus dans
des sciences [dus utiles (|ue celles m il venait de faire ec lou^;
rêve interrompu pai' une si lourde cbule. L'était la un loua-
ble effet de la bonté native des âmes germaniques. Ln
Tranee, on le ridicule est un malheur pour lequel on n'nil-
mct pasde compensation, Hionnétc tbéologien nVùl \>^^—
eti* sans doute aussi facilenieut absous. ^M
(iepemiant cette bonuM^ique mystification fit dans Lopi-
nion publique le tort le plus grave à ralcbimle. Le dénoiV
» ftnuf fiu Moi», lome XITÎ. Berlin» 1789.
DES ALCHIMISTES. 105.
ment de cette longue comédie où un professeur d*une uni-
versité d'Allemagne avait joué un si pitoyable rule, joint au
drame qui s*était passé peu d'années auparavant à Londres,
achevèrent de dissiper les restes de confiance que beaucoup
de personnes continuaient d'accorder aux artistes du grand
œuvre; le gros du public, qui constituait leur appui naturel»
fut, dès ce moment, éclairé sur leurs mensonges.
Enfin, le dernier fait qui contribua à provoquer l'aban-
don des opinions alchimiques fut la révolution salutaire opé-
rée dans le système général de la chimie par le génie de La-
\ oisier. Tant que la théorie de Stahl s'était maintenue dans
la science, les opinions alchimiques avaient pu trouver dans
ses principes une sorte de justification, un prétexte de du-
rée. En effet, dans la théorie du phlogistique, les métaux
étaient considérés comme des corps composés ; les principes
de la science n'empêchaient donc point d admettre qu'à l'aide
d'actions convenables on pût modifier la composition des.
métaux, de manière à les transformer les uns dans les au-
tres. C'est ainsi qu'en 1784 Guyton de Morveau, qui de-
meurait encore fidèle à la théorie de Stahl, y trouvait les
motifs suffisants de proclamer la possibilité de changer l'ar-
gent en or. C'est par suite du même principe que Bergman,
«lans son Histoire de la Chimie, n'osait point mettre en doute
la réalité de la science hermétique, et, rappelant la trans-
mutation opérée en 1667 par Helvétius, et les événements
du même genre attribués à Van Helmont et à Bérigard de
Pise, faisant enfin allusion aux projections faites en 1648
par l'empereur d'Allemagne, Ferdinand III, et en 1658 par
l'électeur de Mayeuce, ajoutait : «Nous ne pouvons révoquer
« ces faits en doute, sans refuser tout crédit à l'histoire. »
Mais, lorsque Lavoisier eut renversé le système d'idées qui
•ivait présidé jusque-là à l'interprétation des faits chimiques,
lefondement scientifique sur lequel l'alchimie ^vait pu con-
tinuer d'asseoir son hypothèse lui manqua tout d'un coup.
Dans la théorie de Lavoisier, qui devint en peu de temps la
[m dlm:tiu\es et thavalx
iljf'orie utiiv6r5elh\ les méldux «iaient cousidérêii coninii*
tkis corps simples, r/pst-.ù-rlirf^ comme i\e^ élmienls indp-
cofiiposalïlts; delà, rimpossibiliié proclam*^ par la nouvelle
science de foire varier à volonté la natun* des méiaux. C'est
donc à la crêatiofidélinilivo de la chimie qu'il faul attrlbtier
riionnour considérable d'avoir fait dis|)anïiire les dtsrniers
vestiges des opinions al(;îimii(]ues. A daliT de ce raomenU
les savants séritnix rompirent avec toute idée de ee genre,
(H l'alcbîmie fut décidément rayée du domaine de la sciencp.
Il ne faudrait pas croire cependant que les pratiques al-
cliimiqiies aient entièrement ces^é depuis la Qn du dernîfr
siècle. En dépit des principes de la chimie nouvelle qui coa-
damnait leurs tentatives, un certain nombre de personnes
ont crmtinué de s'adonner jusqifii notre époque aux recber-
cbes pratiques de la transmutation des métaux. Seulement ^
ces travaux se sont accomplis dans l'ombre et sont restés k
peu près Ignorés au dehors. L'institut! (Ui et les progrès
d'une société alebimique qui a existé en Westphalie au com-
mencement de notre siècle, et qui n'a pris fin que vers Tan-
née 1819, apportent à Ta ppui de ce fait quelques renseigne-
ments curieux. Comme les travaux de la Société htf^métique
de WcHtphalie montrent irés-bien avec quelle ardeur quel-
ques savants ont continué à défendre jusqu'à nos jours le^^
opinions alcbinûques des derniers siècles, on nous per-
mettra, pour terminer cet arliele, de rapporter, d'après
M. Kopp \ la singulière histoire de celle association des dis-
ciples attardés du dieu Hermès.
En 1796, un journal aliu\s fort répandu en Allemagne, k
Keichmnzeiger, annonça qu'une grandi' association hermf-
lique venait de se conslituer; les amateurs de ralebimip
étaient invités a se mettre, sans retard, en rapport avec elle
et à lui communiquer le résultat de leurs travaux. On vou-
lait appliqu^T aux progrès de la science hermétique le prin-
* GfHchirhtt^ dfr f hernie.
DES ALCHIMISTES. 107
cipe de rassociatioD,doDt on commençait à comprendre les
avantages dans toutes les branches de l'activité sociale. L'ap-
pel de la feuille germanique fut promptement entendu.
Quinze jours après son annonce, arrivèrent de tous tes côtés
de TAllemagne des lettres d'individus qui appartenaient aux *
professions les plus diverses. 11 y avait, parmi les signataires
de ces épîtres, des médecins et des cordonniers, des juriscon-
sultes et des tailleurs, des conseillers intimes el des serru^
riers, des officiers et des maîtres d'école de village, des prin-
ces et des barbiers. Quel que fût d'ailleurs leur qualité ou le
rang qu'ils occupaient dans le monde, la teneur de leurs épî-
tres était la même : chacun s'empressait de déclarer qu'il n'a-
vait encore rien découvert ; tous priaient avec instance qu'on
voulût bien leur communiquer, parle retour du courrier, un
procédé sûr pour préparer la pierre philosophale, avec pro-
messe, sous serment, de ne point divulguer cet utile secret.
La Société hermétique acquit promptement de l'impor-
tance; elle entretint une correspondance active et distribua
beaucoup de diplômes. Seulement elle n'accordait que le titre
de membre correspondant, et voici pour quel motif.
La Société hermétique ne se composait en réalité que de
deux membres, les docteurs Korlûm et Baehrens. Convain-
cus tous les deux de la vérité (Je l'alcbiraie, ils pensaient
néanmoins que la découverte de la pierre philosophale ne
pouvait se faire que par le concours d'un grand nombre de
• recherches effectuées en commun. ABn de réunir en un seul
faisceau les travaux isolés de leurs confrères, ils avaient ima-
giné de faire croire en Allemagne à l'existence d'une vaste
association d'alchimistes. Ils eurent Tart d'entretenir long-
temps cette opinion, et, parmi leurs nombreux affiliés, per-
sonne ne soupçonna jamais la vérité.
La Société de Westphalie provoqua dans plusieurs villes de
TÂllemagne la formation d'académies semblables. Les plus
importantes sont celles de Kœnigsberg et de Carlsruhe. On
institua dans celte dernière ville des cours publics d'alchimie^
\m DOCTIUiNES ET TIUVÂUX
L'eiiseigoeinenl de la Soclëtô alchimique de Curlsrîjlie èUiil
hast! sur les principes d'un livre fort singulier d'un ceriarn
ErkartsIiauscMi, dont an nous iH'rmeiira de dire un nu>L Cet
e(vi il, iniitulc le Nuage qui plane uu-desmts du mncitmire,
iijjprïTcnt au [^lus niiiuvais vCAé tfe l'(Jc(d(NilidiimiquL% c'est-
à-dire aux d^icliinus tjyi invoquaitinl surtout les qualités ni!-
eulies ifaos TinterpretaLion des pbénuiuèùes matériels. En
fait de ridicule et d'extnnyt<iuice, ii dépasse tout ce qu'il
est possible dima^qner. Ll Uaite de la cmnpimtion chimi-
que des péchés, Basile Volentin, dans l'un des accès les plus
bizanes de son mysticisme alcliiuiique ^ avait considère
dune manière «.auiérale les péchés de riiomme comme !e
trmlu de la mblirmUion de sea parties célestes *. Eckartsliau-
sen va plus loin i it détenu iue la composition de eliacun de
nos péchés* On ne devinerait jamais ijuelle esl la matière qui
produit en nous les dispositions au uiaL Notre auteur assure
que c'est Uy gluten. Suivanl lui, cette substance, qui existe,
comme nn le sait, dans la farine des céréales, se trouve aussi
dans le san^ de riioiinoe, et c'est elle (jui, eu se nujdiliyiil
diversement sous Hufluencc des désirs sensuels, provoqui-
lous ses uumvais penchant^:. H
«t Diios tuitH" s;uiiï» dil-d, r^st ladiév uîe; JiKilièiv tetiate, éb^li-
ipir, le gluten, qui a plri^ d'tdlinité jMnir riitiiinidib- quiî pour IVs-
jji'ît. Cl! gtubu rsl l;i MiJilière du |M!H'hé. lî peut être modifié par It!>
tlé>irs H'iistiels, tt» st'liin la uiiMliliiiitioii qu'il subit, il iiail dati^
rhoiiiiiie des disjiwitions dilïéreult^s pour le jiériié. Dans smi élahter *
ilibliilimi te [ilus ^niJiKl, vr ^ditteu pniduit en ikhiî^ FiiriTiieil; t)in)<
hoii vUd d'.'ittraelisjii, Tavariec et réyuisine ; dans son état de iv\^\à-
bioo, la rajj;L' it la colère; dans sou tHal <lr ruhitioiu la légèreté <{
^ ' Puiif iH>u;j, pauvi es liuuiîiius, iiauâ âonunes mIvs èuv lu lerrc â caik^;
tlij nos péibéti (leiiiiii noua avons bien oKÎrilr}, ju^pià ue rjiiu, puU^dû^
jiai le temps, nous soyons rauiuiCs par hi chaleur divine. Alors, sullisAiih
iiicnl dariliécip nous iniuvon* nous el^ei* jjiii h suUlirnaliuri télcôte, ^ui
Bi^ljarti tous uoï. [eçest tous nu» |Jceln's et toule* uos inu^oictés. » {Char à
J
DES ALCHIMISTES. lO'.i
la liuui'c; daus h>ii élat dVxceiitricitc, la ^MiirniaïKlisf ri rivio^iir-
rie, » ete.
Ce livre bizarre, <|ui feriiie jçloritnisciiienl <laiis noiiv siè-
cle la liste des productions alchimiques, était pris pour buM*
«le renseignement dans les cours publics île Carlsrtibe. L al-
rhimie continua d'être professée dans cette ville jusqu'en
1811, sous la directicm d'un certain baron de StluMuliaMi,
adepte fougueux qui se disiiit plus lier de son titre de mem-
bre correspondant de la Société île Westpbalie que des par-
chemins de sa noblesse.
Pour confirmer la croyance générale à rexislenee de la
;j:rande Société hermétique, Kortum et Baebrens entreprirent
la publication d'un journal alchimique. Le premier volume
(le ce recueil a paru en 1802. H contient les dissertations
«lont voici les titres : Sur la Dissolution philosophique ; —
Sur la Thêosophie chimico-rniistique; — Description du pro-
ù'dé univei'sel d'après Toussetaint; — EpUre de Josua Jobs
uux pèlerins de la vallée de Josaphat; — Système de l'art
hernuHique. C'est par ces manœuvres singulières que la So-
ciété de Westpbalie continua de pros[»érer et de s'enrichir
Je nouveaux membres, toujours correspondants. Ses travaux
ont été poursuivis jusqu'à Tannée 1819; vers celte» époijue,
1rs alchimistes, Vdétrompés de leurs espérances, cessèrent
tout rapport avec elle.
11 ne serait pas difficile de conduire jusiju'à nos jours la
série des derniers partisans du grand univre. Dans une suite
«l'articles insérés dans h Journal des savants, à proi)os d'un
'•uvrage sans valeur et fort peu digne de tant d'att(nilion *,
M. Chevreul assure avoir connu plusieurs personnes bien
Convaincues de la vérité de l'alchimie, parmi lesi|uelles il
l'ilc « des généraux, des mj'decins, des magislrals el des
wlésiastiques. » Ajoutons qu'en 1852 parut une broehnie
' Court (le Philosophie hermétiqite ou «/'.l/c/u/ue en dix-neuf Ic^-ons, [Mw
L-r.e.ahriuI, I8iV ln-J8 Je i?(l'>;>.i.-os.
liO DOCTRINES ET TRAVAUX
intitulée : Heimès dévoilé, dans laquelle l'auteur, M. C...,
assure avoir enfin réussi, aprOs trente-sept ans de travaux,
à exécuter une transmutation en or. L'opération eut lieu le
jeudi saint 1851.
Restons-en, ami lecteur, sur la douce impression de cet
événement bienheureux.
Nous avons résumé, dans cette première partie, les doctri-
nes de la science hermétique, les considérations et les faits
que les adeptes présentaient à Tappui de leurs vues. Quand
on embrasse rcnscmble de ces idées, on ne peut se défendre
d'un regret amer. L'alchimie a longtemps arrêté la marche
de Tesprit humain dans la connaissance des vérités naturel-
les. A ce titre elle a encouru sans iloute une juste réproba-
tion. Cependant celui qui voudrait instruire son procès avec
impartialiui aurait à rechercher si la plupart de ses erreurs
ne furent point la conséquence de la mauvaise philosophie
qui régnait à cette époque. L'institution définitive de l'alchi-
mie, le beau temps des pratiques de Tart, correspondent à la
seconde moitié de la période historique du moyen Age, c'est-
à-dire au moment où U) platonicisme restauré et l'aristoti^
lisme nouveau dominaient exclusivement dans les écoles. Les
pr()pri(''tés duiamiqnes attribuées à la pierre philosophale, les
moyens bizarres employés par les adeptes pour la recherche
de cet agent merveilleux, ne doivent aujourd'hui nous ap-
paraître i\\w. comme la suite naturelle de la philosophie du
tenips, de mènie que les spéculations de Talchimie mystique
sont la consé(|uencc de l'exagération des passions religieuses
de la même épixiue. (le n'csl pas seulement en effet dans l'al-
chimie que Ion ronian|iie ces aberrations étranges. Jus(|u*au
seizième siècle, les uiédecins ont attribué aux astres une ac-
tion directe sur les orj^aiies du corps humain; le soleil in-
Hucnçait le eœur, la lune agissait .^ur le cerveau, etc. Qui ne
DES ALCHIMISTES. 4 H
connaît la singulière thérapeuti(|uo du moyen âge, fondée
sur les ressemblances extérieures des médicaments et des
organes malades, ou sur ce que l'on appelait avec Os>\ald
CroU et Cardan, \essignatures extérieures des choses ? La phy-
sique et l'histoire naturelle étaient remplies de chiuières ana-
logues. Si presque toutes les sciences, au moyen âge, ont
participé de ces rêveries, il faut évidemment reconnaître
là rinlluence commune de la philosophie de cette époque.
Il faut pourtant reconnaître que Talchimie rachète une par-
tie, tant faible soit-elle, de ses longues erreurs, par deux
éminents services qu'elle a rendus à la philosophie nalu-
rdle. Elle a eu sa part incontestable d'utilité, à la fois dans
son origine et dans son résultat. Elle a manifesté la première
réveil de la pensée scientifique en Europe. Les alchimistes
ont les premiers mis en prati((ue le grand art d'arriver à la
découverte d'une vérité physi(|ue par un système d'observa-
tions et d'inductions raisonnéCs^. Kniîn leurs travaux ont
donne naissance à la chimie moderne et à toutes les sciences
qui s'y rattachent. Il est donc juste de faire remonter jus-
qu'à eux quelques uns des bienfaits réalisés par les sciences
dans la société moderne, de leur réserver une certaine
part de gloire dans ces conquêtes précieuses do l'humanité.
Telles sont les considérations qui peuvent, selon nous, re-
lever en partie les travaux alchimiques du mépris, ou, si
l'on veut, de l'oubli où ils sont tombés de nos jours. Telle
est aussi notre excuse pour avoir essayé de niveiller ici ces
vieilles croyances oubliées qui n'appartiennent, en lin de
compte, qu'au domaine immense de nos erreurs. On a tou-
jours attaché de l'importance à marquer lô chemin suivi par
lesidées (|ui portaient les grandes vérités au monde. Parvenu
*B but désin's on aime à mesurer les écueils de la carrière
beuréusement franchie. C'est ce charme dont parle Lucrèce :
Suave mari iiia<;iiu liir))aiilii)iis iC(|uoru veiilis,
E tcri-à magnum allcrius spcclarc laborciii.
112 DOCTRINES KT TftAVAUX DES ALCHIMISTES.
(IVst le secret et involontaire plaisir du spectiileur (|ui, du
tranquille rivage, contemple les luttt^ du navire en détresse
contre les flots soulevés. Mais le poë.te n'a pas tout dit. Il est
un plaisir plus pur et plus vif à la fois : c'est de signaler les
êcueils aux navigateurs à \enir.
L'ALCHIMIK
UâSs U SOCIKTf. Iil' MOYEN AGE ET UK I.A nENAlS'SAMK
112 DOCTRINES KT TftAVAUX DES ALCHIMISTES.
CVst le si^rret et iiivolontuire |ilaisir du s{H'cUUeur qui, du
tranquille rivage, contemple les luttes du navire en détresse
contre les flots soulevés. Miiis le poiite n'a pas tout dit. Il est
un plaisir plus pur et plus vif i\ lu fois : c est de signaler les
êcueils aux navigateurs à \enir.
L'ALCHIMÏK
DANS I.A SOCIKTfi M) MOTEN AGE ET UK I.A HENAISSAM-K
L'ALCHîMrE
DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCE
CHAPITRE PREMIER
IMPORTANCE OB t*AIXIHIMIE PENDANT LES TROIS DERNIERS SIÈCLES. —
PROTECTEURS ET ADVERSAIRES DE CETTE SCIENCE. — l'aLCHIMIE ET LES
SOUVERAINS. — LES MONNAIES HERMETIQUES.
Ce n'est qu'au qualorzième siècle que ralcliimie a com-
mencé à prendre de l'importance en Europe. Les écrits d'Al-
bert le Grand et de Raymond Lulle, composés au treizième
siècle, avaient jeté dans le monde savant les premiers princi-
pes de cette science; pendant le siècle suivant, les richesses de
Nicolas Flamel, attribuées par le vulgaire à une origine hermé-
tique, avaient répandu en France les mômes croyances dans
Pesprit du peuple. Enfin, au seizième siècle, les nombreux
disciples de Paracelse popularisèrent par leurs discourset par
leurs écrits les mêmes idées dans tout TOccident. Un certain
nombre d'adeptes, qui se vantaient d'avoir réalisé à leur
profit l'œuvre de la transmutation, et qui le témoignaient à
tous les yeux par des faits en apparence irrécusables, par-
couraient alors les grands États de l'Europe, excitant sur leur
passage une émotion universelle. C'est donc au seizième siè-
cle qu'il faut se reporter, si Ton veut prendre une idée
exacte de l'étonnante influence que les idées alchimiques
ont exercée sur l'esprit des hommes. A cette époque, en ef-
ini i;au:iiimi!- h.ws la so<:iKTf: nr moyen âge
iVl, Li passidii (i(»s irnvaiix hernu't'ufuos avait pnétrô dans
tous los raiij^s. Depuis le paysan jusqu'au soiivorain, tout
lo niondo ero5\'\il à la vérité (h» ralcliiinio. Lo désir dos ri-
cliossos, la contaj^'ion de rexoniplc, oxcilaiont partout le
désir do so consacror à sos pralicpies. Dans le palais commo
dans la chaumière, chez l'humble artisan comme dans la
maison du riche bourgeois, on voyait fonctionner des ap-
])areils où Ton entretenait pendant des années entières
I incubation de Vœuf philosophique, La grille même des
monastères n'opposait point d'obstacle h cette invasion ; car,
selon un écrivain moderne, « il n'existait point de cou-
<( vent dans lequel on ne trouvât quelque fourneau consacré
« à l'élaboration de l'or*. « Les mé<lecins, en raison de
leurs connaissances plus étendues, éprouvaient pour l'alchi-
mie une prédilection toute particulière, et leurs idées, sous
00 rapport, sont suffisamment caractérisées par le vœu qu'ex-
prima au seizième siècle le savant docteur Joachim Tanckt-
de créer dans toutes les universités une chaire d'alchimie, et
de faire commeul(T publiquement Goher el Raymond Lulle à
outé d'Ilippocratr et do Galion.
Cotte diffusion extraordinaire des procédés de leurscionc»^
dé'plaisait beaucoup aux alchimistes de profession, et plu-
sieurs d'entre eux ont oxhah^ en pros»» et en vers leurs
plaintes à ce sujet. C'est ainsi que Franz Gassmann dit dans
son Examen alchcmistinnn :
« Presque tout le inondo veut ùlre appohi alchimiste,
Un grossier idiot, le garçon t»t le vieillard,
Leharhinr, In vieille femme, mi conseiller t'acéiieiiv,
l.e moine tondu, le prêtre et le soldai. »
C«M|ui avait contribué à augmenter lo nombre des alchi*
mistes, c'est que les adeptes s'emparaient du plus léger pré-
texte pour enrôler sous leur bannière tous les personnages
* \.e Moyen Age et la Renaissance, tome 11.
ET DE LA RENAISSANCE. 117
remarqnablos de lourtomps. Ainsi se tronv('M'ont faussomont
ranp[és parmi les sectateurs de l'art herm(»tique un grand
nombre d'hommes éminents qui ne durent ce dangereux
honneur qu'à la céh'brité de leur nom ou à la sainteté de
leur vie. Vincent de Beauvais fut à ce seul titre déclaré al-
chimiste. Le pape Jean XXll, à qui l'on attribua un ouvrage
d'alchimie, Ars transmiUntoiia, publié en 15r)7, fut con-
vaincu de la môme manière d'avoir transformé son palais
d'Avignon en un laboratoire immense consacré à la fabrica-
tion di^ For. Saint Jean rÉvangéliste fut proclamé possesseur
de la pierre philosophale, parce qu'il existaitdansrancienne
liturgie une hymne composée par Adam de Saint-Victor en
l'honneur de ce saint, où l'on trouvait une métaphore sus-
ceptible d'une interprétation alchimique. Ce fragment, très-
court d'ailleurs, est le suivant :
In- xhniistuni l'erl thcsaiiruin
Qui de virais fccit aurum,
(îcnimas «to liipiiiibiis.
C'est par suite du même principe que le roi Charles VI,
malgré son aversion pour les faiseurs d'or, fut placé dans
leur caté'gorie ; on lui attribua l'un des ouvrages herméti-
ques publiés dans la collection du Cosmopolite, qui a pour
titre: Œuvi'e royale de Charles VI, roi de France. Nicolas
Flamel et Jacques Cœur furent rangés parmi les adeptes heu-
reux, parce que, dans ces siècles de crédulité et d'ignorance,
on ne savait expliquer que par la possession de la pierre phi-
losophale de grandes richesses acquises rapidement.
Lorsque les noms contemporains faisaient défaut, on em-
pruntait à l'antiquité ses plus célèbres personnages pour
abriter, sous leur imposante égide, les plus absurdes rêve-
ries. C'est ainsi que furent invoqués les noms d'Hermès,
d'Hiram et de Salonion, parmi les rois; de Pylhagore, de Z(h
roaslre et de Démocrite, parmi les philosophes ; de Calieu
et d'Ilippocrate, parmi les médecins de ranii(iuii(''. Ou lU
1.
IIS i;ALnilïMïE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE
|)ar.nîlre, au seiziùmo siècle, diverses éditions de livres
sortis de la plume de quelques moines ignorants, et qui
se décoraient des noms empruntés de Démocrite, d'Hippo-
crate et deGalien. Pour expliquer la découverte tardive de
ces documents, on avait recours à des contes ridicules. C'est
ainsi que Paracelse assure qu'on lui montra à Braunau cr un
(( livre long de six palmes, large de trois et épais d'une et
« demie, contenant les véritables commentaires alchimiques
(( de Galion etd'Avicenne. » S'il faut en croire le môme au-
teur, ces manuscrits originaux deGalien et d'Avicenne, écrits
sur des écorces de poirier et sur des tablettes de cire, avaient
été recueillis et conservés dans la famille d'un bourgeois de
Himibourg. C'est en multipliant les mensonges de ce genre
qu'on avait fini par prôter à la science hermétique le pres-
tige do la plus haute antiquité, et ajouté ainsi aux autres
éléments de sa puissance.
Celtiî puissance, était d'ailleurs immense. Pour mettre
hors (le doute l'empire universel que l'alchimie exerça sur
les esprits pendant la période qui nous occupe, il suffit de
consulter la jurisprudence, ce miroir fidèle des mœurs et
des pn''jug<»sdes sociétés éteintes. Au moyen hge et pendant
la Renaissance, la jurisprudence de l'Allemagne avait re-
connu et consacré la vérité des principes de l'alchimie. Dans
la pratique judiciaire, on admettait comme incontestable le
fait de la transmutation des métaux ; la discussion des faits
secondaires partait de ce principe fondamental. Du qua-
torzième au seizième siècle, les tribunaux décidèrent bien
des fois dans le S(îns affirrnatif la question de savoir si l'or
fabriqué par l'alchimie pouvait être assimilé en valeur à l'or
ordinaire, quand la pierre de touche ne signalait aucune
différence entre ces deux métaux. La seule difficulté qui
ait longtemps embarrassé les jurisconsultes, c'était de savoir
si l'or alchimique possédait aussi les vertus secrètes de l'or
naturel.
""opp rapporte, dans son Hvttoire de In Chimie, qu'en
ET DE LA RENAISSANCE. H9
1668 le maître tailleur Christophe Kirchof de Lauban reçut
de la chancellerie de Breslau un parchemin revêtu d'un cachet
d'argent qui le légitimait comme alciiiniiste et qui le récom-
pensait pour avoir « non-seulement révélé le secret de res-
te prit universel, mais encore pour l'avoir découvert avec
« Taide de Dieu et surtout par le secours de longs travaux
(( de laboratoire » liO même écrivain ajoute qu'eu 1680 un
jurisconsulte autrichien, G. -F. de Rain, prononça un juge-
ment pour déclarer que tous ceux qui douteraient de Texis-
tence de la pierre philosophale se rendraient coupables du
crime de lèse-majesté, attendu que plusieurs empereurs d'Al-
lemagne avaient été de zélés alchimistes^ Le roi d'Angleterre
Henri VI, le plus méfiant des souverains, avait mis une telle
confiance dans l'habileté des alchimistes, qu'il accorda à
plusieurs d'entre eux l'autorisation de faire de Tor. Tels fu-
rent Fauceby, Kirkeby et Ragny, qui obtinrent du roi, en
1440, l'autorisation de fabriquer dans ses États de l'or et
de Télixir de longue vie. En 1444, Henri VI accorda les
mêmes privilèges à John Cobler, à Thomas Trafford et à
Thomas Asheton; en 1446 et en 1449, à Robert Bolton; et,
on 1452, à John Metsie ; ces derniers avaient le privilège de
travailler sur tous les métaux, « parce que, était-il dit dans
« l'acte de concession, ils ont trouvé le moyen de changer
(( indistinctement tous les métaux en or. »
L*a]chimie n'en était pas cependant arrivée à ce degré d*au-
toritc et de crédit sans avoir rencontré quelques obstacles
sur sa route. Un certain nombre de souveranis avaient es-
sayé d'opposer une barrière à ses débordements, mais leur
pouvoir s'était brisé contre l'énergie du courant univorsol.
Le premier édit rendu contre ralchiniie, celui qui aurait pu
produire l'action la plus efficace, parce que son empire s'ci-
londait à toute la chrétientc», émana do la cour pontificale.
En 1317, le pape Jean XXII fulmina contre l'alchimie la
bulle : Spondent paritery qui condamnait les alchiniistos à
des amendes, déclarait infâmes les laïques qui s'adonnaion
120 L'ALCIIIMIK DANS LA SOCIÉTÉ Dl MOYEN AGE
îHix rechcrclios «le an arl, t»t privait do tonto dignité les
occliViastiques convainrus du iniMne cas * .
I/offpl do celte bulle ne fut pas d(» longue durée. t)ans les
années qui suivirent sa promulgation, quelques poursuites
furent dirigées, en Allemagne, contre des ecclésiasti(|ues qui
s*éliiicnt occupi's d'alchimie ; mais bientôt l'arrêt pontifical
perdit tout son crédit, et l'alcbimicful de nouveau ouverte-
ment et impuniMuent professée.
En 1580, Charles V, roi de France, avait |)roscrit par une
loi les recherches alchimi(|ues dans toute r<'*tendue de son
royaume, et interdit, même chez les |)articurK»rs, la possession
d'instruments et de fourneaux propres aux opérations de la
chimie. Des officiers furent institué's pour rechercher les con-
trevenants à cette ordonnance, qui avait é'té rendue en par-
tie sur le reproche gi'néral adressé, aux alchimistes de cher-
chera altérer les monnaies. In malheureux chimiste, nommé
Jean Darillon, que Ton trouva délenteur d'appareils et de
* Voici la traduction du texte de coUo bulle :
t Les malhenroiix alchimistes promettent ce qu'ils n'ont pan! Quoiqu'iU
a se croient sages, ils tombent dansTabinie qu'ils creusent pour )os autr(*s.
« Ils scrionnent, d'une manière risible, connue les mailrcs de rulcliiniic,
(V et prouvent leur iuniorance, en citant toujours des ^crivaii.s plus an-
<( ciens; et, bien qu'ds ne puissent déiouvnr ce que ceux-ci n'ont pas
« trouvé nou pins, ils rcganlont encore comme possible de le trouver à
« lavenir. S'ils donnent un métal trompeur pour de l'or et de l'arj^onl
n véritables ils le l'ont avec une quantité de mois qui ne signitient rien.
u Leur audace a été trop loin; car, par ce moyen, ils frappent de la fausse
a monnaie, et trompent ;iiiisi les peuples. Nous ordonnons que tous ci'S
" bonnnes quittent pour toujours le pays, ainsi (pie ceux qui se font f;^^^
'< de l'or et de l'arfrent, ou i|ui sont convenus avec les trompeurs de leur
« payer cet or, et nous voulons que, pour les punir, on donne aux pauvres
<y lour or véritable. Ceux qui produisent ainsi de faux or et argent soni
' sîMi-^ lionneur. Si les moyens de ceux qui ont enfreint à la loi ne leur
« permettent pas de payer cette amende, celte punition pourra ôlre cb:m-
« jrée en «nie antre. Si des personnes du clerfré sont comprises parmi les
« alchimistes, elles ne trouveront jmin! ;jràce et seront privées «le la di-
*é e«.Tlésiasliqne. >■
ET DE LA RENAISSANCE. 121
fourneaux chimiques, fut jeté en prison et condamné par
sentence du 3 août 1380 ; toutes les démarches et tout le
zèle de ses amis suffirent à peine à sauver ses jours. Cepen-
dant, après Charles V, cette loi tomba en désuétude.
Henri IV, roi d'Angleterre, animé do la plus profonde
aversion pour Talchimie, s'était flatté de Tanéanlir. En 1 404,
il lança un édit contre l'exercice de cet art. (]et acte, d'une
extrême brièveté, était ainsi conçu : « Nul no saviswa dé'sur-
« mais, sous peine d'être traité ot puni comme f('»lon, de
tt multiplier l'or et l'argent ou d'employer la supercherie
« pour r<'»ussir dans cette tentative. » Mais cette défense ne
l'ut pas mieux écoutée en Ano^leterre (pie ne le fut, en 141 S,
(^n Italie, l'édit dirigé contre les alchimistes par le conseil de
Venise.
Ce qui contribua surtout à empêcher l'effet des ordonnan-
ctis rendues parles souverains contre les fauteurs de l'alchi-
mie, c'est que les successeurs et les héritiers de ces prin-
ces donnèrent les premiers le signal de contrevenir aux ar-
rêts de leurs prédécesseurs en s'occupant eux-mêmes avec la
plus grande ardeur de travaux d'alchimie, et se constituant
quelquefois les protecteurs déclarés de l'art herméti(|ue;
c'est que, pendant le seizième siècle, l'Europe était mer-
veilleusement disposée pour accueillir les faiseurs d'or : en
Allemagne, tous les coffres royaux étaient vides; l'Angleterre
et la France, ruinées par leurs longues guerres, se trouvaient,
sous le rapport financier, dans une situation déplorable.
Avec les croyances unanimes qui régnaient alors sur la pos-
sibilité, pour la science, de fabriquer à volonté les métaux
précieux, on comprend avec quelle faveur les souverains de-
vaient accueillir les artistes hermétiques qui s'étaient acquis
une certaine renommée.
Parmi les souverains qui ont accordé à l'alchimie une
protection ^ute particulière, il faut citer au premier rang
l'empereur Rodolphe II, qui monta en 1570 sur le irûue
d'Allemagne.
122 L^ALCQIMIE DANS I.A SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE
QuoicfUft x\(\ h Vionne, Rodolphe avait été élevé en Espa-
gne à la cour de Philippe II, et c'est là qu'il avait puisé le
goût des sciences occultes. Devenu empereur, il établit sa
résidence à Prague. Dans les premières années de son règne,
il se consacra tout entier aux soins du gouvernement, n'ac-
cordant que ses instants de loisir à ses études favorites,
l'astrologie et Talcliimie. Mais, la gestion des affaires étant
devenue plus difficile, et ses embarras ayant augmenté par
suite de la guerre qu'il eut à soutenir contre les Turcs, il
trouva plus simple d'abandonner en entier la direction de
PKlat, et, confiant à ses ministres le gouvernement de Tem-
pire, il s'enferma dans le château de Prague pour ne plus
s'occuper jusqu'à la fin de ses jours que de la pierre philo-
sophale.
Rodolphe avait eu pour maîtres, dans l'astronomie, Tycho-
Brahé et Kepler ; le docteur Dec lui avait ouvert le monde
secret des esprits, et il avait reçu les premières leçons d'al-
chimie de ses médecins ordinaires, Thaddœiis de Hayec, et
plus tard Michel Mayer et Martin Ruhland. Dans l'intérieur
du château de Prague, tout le personnel était spagyrique.
Los valets de chambre du prince étaient eux-mêmes allachcs
à'sos travaux de laboratoire ; on a conservé parmi ces der-
niers les noms de llans Marquard, surnommé Durbach, de
Jean Frank et de Martin Rutzke. Un emploi plus noble en-
core était réservé à l'un des valets de chambre du prince,
l'Italien Mardochée do Dellc. Poëte de la cour, il était chargé
de céh'brer en rimes allemandes les exploits de ses confrè-
res, et de traduire en vers beaucoup d'écrits alchimiques;
les artistes de la cour enluminaient ses manuscrits.
Tous les alchimistes, quels que fussent leur nation et leur
rang, étaient sûrs d'être bien accueillis à la cour de l'em-
pereur Rodolphe. Après avoir reconnu, par un examen préa-
lable, qu'ils possédaient la science requise, le médecin Thad-
dœiis les introduisait auprès du prince, qui ne manquait
jamais de les récompenser dignement (fuand ils avaient su
ET DE LA RENAISSANCE. 123
le rendre témoin d'une expérience intéressante. Souvent
même l'empereur appelait auprès de lui les artistes que leur
renommée désignait à son attention. Presque tous répon-
daient à cet appel. Quelques-uns cependant y restaient
sourds. Tel fut, par exemple, un artiste frane-comtois à qui
l'empereur avait dépêché un homme de conGance pour le
conduire à Prague. Le Franc-Comtois résista à toutes les pro-
messes de l'envoyé, se bornant à cette réponse pleine de
sens : « Si je suis adepte, je n'ai pas besoin de l'empereur ;
tt si je ne le suis pas, l'empereur n'a pas besoin de moi. »
Dans ce cas Rodolphe II, ne se tenant pas pour battu, en-
trait en correspondance avec Tartiste récalcitrant.
^^ Les alchimistes ne se montrèrent pas ingrats envers leur
protecteur couronné : ils lui décernèrent le nom lï Hermès de
f Allemagne, et vantèrent partout son mérite. Rodolphe fut
rangé, par leurs écrivains, au nombre des heureux posses-
seurs de la pierre philosophale. Ce fait parut d'ailleurs hors
de doute lorsque, après la mort de l'empereur, en 16i2, on
trouva dans -spn laboratoire quatre-vingt-quatre quintaux
d'or et soixante quintaux d'argent, coulés par petites masses
en forme de briques. A côté de ce trésor se trouvait déposée
une certaine quantité d'une poudre de couleur grise. Per-
sonne ne douta que ce produit secret ne constituât les restes
de la pierre philosophale de l'empereur. Mais Tévéncment
prouva que celle croyance était mal fondée. Le valet de
chambre Rutzke, s'étant empressé de voler ce trésor, le trans-
mit par héritage à sa famille. Or, quand on voulut la sou-
mettre à rexpérience, la pierre philosophale de l'empereur
se trouva sans vertu .
Parmi les artistes hermétiques que Rodolphe II honora le
plus particulièrement de sa faveur, on peut citer Kelley,
qui fut élevé par lui au rang de marquis de Bohême et com-
blé de faveurs ; Sebaldschenser, qui, après avoir travaillé,
avec rélecteur Auguste de Saxe et avec Chrétien, son suc-
cesseur, s'attacha, en <591, à la cour de Rodolphe, ^ui l'a-
1-2i LAT.nilMîK DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN A(ÎE
ii()l)lil et le iioininn ilircetCMir des ininos de Roachiniistadt,
où il moiirul en iOOl ; enfin, le Polonais Sendivogius, dont
nous aurons plus loin à raconter l'histoire.
Un autre prince allemand (jui, à la môme époque, pro-
tê«çea beaucoup lalcliimie, fut ri'Iecteur Aufçuste de Saxe.
Il travaillait de ses propres mains aux opérations alchimi-
«jues dans un lahoratoin^ qu'il poss(''dait à Dresde, et que le
l)euple dési^mait sous le nom de Maisou d'or. Ce prince
s'est vanté, dans (|uel((ues lettres cpii sont venues jusqu'à
nous, d'avoir possédé la pierre philosophale. Sa femme,
Anne do Danemark, parla*(eail ses prédilections pour hs
travaux du j^rand oeuvre, et elle entn^tenait, dans son châ-
teau de JIanaberf(, un laboratoire, que Kunckel nous vanUî.,
comme le plus beau et le plus vaste qui ait jamais existé,
dépendant l'i^lectein- de Saxe n'ouvrait; point sa porte, à
l'exemple de l'empereur Kodolphe, à tous les alchimistes de
Tunivers. Il tenait à sa solde quelques artistes particulière-
ment attach(''s à ses travaux Deuther et Schweitzer étaient
les plus man|uants. Son successeur, l'électeur (llinHien de
Saxe, s'occupa aussi d'alcliiinie.
A la lin de la guerre d(» Trente Ans, les (inances de l'Al-
lemagne se trouvaient dans le plus triste état; aussi les al-
chimistes furent-ils encore, à cette épo(jue, recherchés par
l(^s souverains et les princes allemands, ([ui espéraient répa-
rer avec leur aide les vides du trésor public. I/empereur
d Allemagne Ferdinand III, qui eut, comme on le verra plus
loin, le bonheur d'opiM'er lui-même la transniutation du
mercure en or avec la pierre philosophale qui lui fut remise
par Richtausen, honora beaucoup les alchimistes. Ainsi agit
encore l'un de ses successeurs, l'empereur Léopold T', ((ui
combla de faveurs le moine Augustin YiMizel Zeyler, et le
nomma marquis de Reinersberg (de la montagne purifiée),
pour avoir transformé' sous ses yeux de l'i^tain en or. On re-
connut, il est vrai, rpielque temps après, (|ue cette opéra-
îion n'avait été qu'une fraude de l'adepte; mais il était trop
ET DE LA RENAISSANCE. 125
tard, le marquisat lui (Hait acquis. On pourrait citer encore
au môme titre le roi de Prusse Frédéric 1"; et son succes-
î^eur Frédéric II. Bien que, sur la (in de son rf'gne, Frédéric
le Grand se soit beaucoup moqué dos alchimistes, il leur
avait porté, dans les premières années, une certaine ten-
dresse, ainsi que le prouve l'histoire de madame de Pfuel,
qui, en 1751, vint s'installer avec ses deux filles à Postdam,
et s'y livra, sous la protection et aux. frais du roi, à des
recherches sur la préparation artificielle de l'or.
Ce n'était pas seulement auprès des princes de rAIlcma^ne
que Talchimie rencontrait ^ un solide appui: on peut citer
plusieurs autres souverains qui, en Europe, fondaient un
espoir sérieux sur les travaux alchimiques pour réparer les
désastres de leurs finances. Tel fut, par exemple, Alphonse X,
roi deCastille, Alphonse le Savant, mort en 1281, qui s'ap-
pliqua aux recherches de l'alchimie, et que les adeptes
comptent parmi leurs écrivains, pour le traité qu'il composa
sous le titre de Clef de la sagesse.
La reine d'Angleterre Elisabeth s'adonna à la recherche
de la pierre philosophale.
En France, un certain Jean des Galans. sieur dePezerolles,
se vantait de fabriquer de For. Séduit par cette assurance,
Charles IX fit compter au sieur de PezeroUes cent vingt mille
livres, pour être mis en possession de son procède''. L'adepte
fut placé dans un laboratoire, et il commença ses opérations.
Mais, au bout de huit jours, il prit la fuite avec l'argent.
Poursuivi par Tordre de Charles IX, il fut arrêté et pendu.
Il existe, dans la collection des manuscrits de la Biblio-
thèque impériale de Paris, la copie du traité que le jeune
roi et son frère le duc d'Anjou passèrent avec Jean des
Galans avant de lui faire commencer ses opérations. Cet
acte stipule des avantages très-considérables en faveur du
sieur de PezeroUes : s'il réussit dans son œuvre, on lui
accorde une rente annuelle de cent mille livres tournois
et une somme de cent mille écus d'or en espèces. En at-
12G L'ALCHIMIE DANS LA S(n:1ÊTÉ DU MOYEN AGE
tondant r<*|»o((uo (ju'il îi li\tV comme \o. terme de sos o|>é-
rations, on doit lui di*livn*r chaque mois la somme de
djiuziMM'uls l'eus. Charles IX ci son frère, le ducd*Anjou,
('taicnl fort jeunes alors ; bien qu'investi de Tautiorité royale,
(îharlesIX n'avait que seize ans. 11 est donc probahie que cet
acte, as.<îoz irn'gulier d'ailleurs dans sa forme et ses disposi-
tions, fut l'ouvrage secret du jeune roi et de son frère, qui
n'avaient voulu prendre ni témoins ni confidents pour n^
Kliîr cette im|K)rtant(î affaire *. Mais, si le charlatan abusa de
rinexpériencfî et de la crédulité du jeune roi, ce dernier le
lui n;ndit bien, puisqu'il le fit )>endre.
Guy de Ousembourg, prisonnier à la Bastille, avait reçu,
en 4016, de Marie de.Mi'dicis, vingt mille écus pour travail-
ler, |K)ur le comptcî de la reine, à la pierre philosophais
Mais, au bout de trois mois, il réussit à s'évader do la Bas-
tille, et, malgré toutes les recherches qui furent ordonnées,
Marie de Médicis ne put jamais recevoir la moindre nouvelle
de son alchimiste ni (h; ses vingt mille écus.
Ces mésaventures n'empi^chèrent point d'autres princes de
conserver beaucoup de sympathie pour les alchimistes. En
1640, le roi de Danemark Chrétien IV nomma son alchi-
miste particulier un c(*rtn in Gaspard Harbach, et, en 1648,
son successeur Frédéric III avait accordé à l'aventurier Borri
eette confiance singulière! dont nous avons déjà rapporté les
résultats
Pour rechercher avec tant d'ardeur le commerce des ar-
tistes du grand o'uvnj, les souverains du moyen Age et de la
Iienaissancc devaient avoir des motifs bien sfirieux ; des faits
incontestables avaient dû leur prouver Tulilité d'un tel si?-
cours. ï/histoire nous apprend, en effet, (|ue les rapports des
alchimistes avec les princes de l'Kuropo ne se bornèrent pas
* Nous reprrNiuLsons, «lans les nol«s de ce volume (Nolo III), le texle
«le cet acte d'aiirèn le irinniiscrit f\u\ se Irouve à In nihliolhr'fiue impf'-
rialo «le Paris.
ET DE LA RENAISSAÎVCE. 127
toujours à amener des mésaventures et des déceptions du
genre de celles que nous avons rapportées plus haut. Les
nobles à la rose fabriqués par Raymond Lulle, pour le
compte du roi d'Angleterre Edouard III, les ducats fabri-
qués en 1722 pour Charles Xll, roi do Suède, par Talchi-
niiste Paykull, les médailles commémora tives frappées par
l'empereur Ferdinand UI, etc., nous montrent suffisam-
ment que l'intervention des alchimistes auprès des sou-
verains ne fut pas toujours infructueuse. Mais quelle in-
terprétation faut-il donner de ces faits inexplicables en
apparence ? C'est ce que le lecteur comprendra si nous rap-
pelons, pour prendre un exemple assez frappant, ce qu'il
advint de l'appel fait en 1456 aux alchimistes par le roi
d'Angleterre Henri VI, pour combler les vides de son
trésor.
A la suite des embarras qu'avaient amenés dans ses
finances les victoires de Charles VII et de ses lieutenants,
Henri Vi avait songé à invoquer le secours des faiseurs d'or.
Cemonarque n'accordait pas personnellement un grand crédit
à l'alchimie; mais le souvenir des services que Raymond
Lulle avait rendus à l'un de ses ancêtres l'avait décidé à
tenter ce moyen. En 1456, il publia un édit adressé
aux prêtres, aux nobles et aux docteurs, pour les engager
à s'occuper d'alchimie, afin de venir en aide aux besoins du
royaume. Le roi invoquait particulièrement le secours des
ecclésiastiques; il espérait, disait-il, qu'ayant la faculté de
changer le pain et le vin en le corps et le sang de Jésus-
Christ, il leur serait facile de transformer en or les métaux
vils *. Or voici les conséquences qu'amena la publication de
cet édit d'Henri VI.
* John Petty a cilé cette ordonnance d'Henri VI dans son livre Fodivœ
regaUs, cap. xxvii, p. 1, et Morhof assure que, de son temps, les pièces
originales étaient conservées a Londres. ( Epistola ad Langelottum ,
p. 125. )
\
ItiK |;AIX11I>IIE DWS la SOIIIÊTÉ du moyen A€E
Les «Tcl('siasrK|uo.<, trouvant, avoc raison, que la majesté
de la religion était offensée par la comparaison impie que le
roi avait os»'» établir entre les résultats de l'oeuvre hermétique
et les mystères du christianisme, refusèrent de n'^pondre à
srm désir. Cependant les laïques ne manquèrent pas pour
satisfaire au vœu du roi, qui, j)eu de temps après, reçut de
toutes les mains les dons «lu'ii avait n'clamés. C'est alors
qu'il accorda aux diverses compagnies que nous avons citt^s
plus haut le droit de fabri(|uer de Tor avec les métaux vils.
On se demande maintenant ijuei emploi reçurent toutes
ces richesses suspectes. Le silence que l'histoire d'Angleterre
garde sur cette question pourrait déjà servir de réponse:
mais nous la formulerons d'une manière plus précise en di-
sant que l'or fabriqué par les alchimisl(»s anglais servit à
fabriquer de la fausse monnaie sous l'égide du roi.
Est-il permis, après les siècles qui nous séparent de cette
époque, d'établir quelle était la nature de Talliage chimique
qui servit à la confection de la fausse monnaie dllenri VI ?
D'après Barchuysen, cet or sophistique consistait en un amal-
game de cuivre, que Ton obumait d'une manière indirecte
par le proc(''d('' suivant. Dans un creuset de fer on plaçait du
niercure et du vitriol de cuivre (sulfate de cuivre) contenant
un peu d'eau. Le sel de cuivre, se dissolvant dans l'eau, se
troiivait réduit à l'état métaHi(jne par l'actiim désoxydante
du fer, et le cuivre, ainsi n'duit, se combinait au niercure
en formant un amalgame épais. Le produit de cette opi'ra-
tion était lavé pour en séparer les parties solubles; on le
soumettait ensuite à la compression pour en faire écouler
Texcès d(» mercure non combiné. Enfin, Tamalgame était
fondu, en ayant soin de ne pas atteindre la température,
d'ailleurs assez élevée, à laquelle il se décompose. Cet amal-
game, très-malh'able et qui recevait aisément l'action du
balancier, offrait la couleur jaune et brillante de l'or;
seulement sa densité différait notablement de celle de ce
métal-
ET bE LA KE>AiSSANCt. i^JH
Telle fut la nouvelle monnaie que lit frapper lleiiii VI.
On était sans cloute parvenu à obtenir le silence des es-
sayeurs publics, car aucune plainte ne s'éleva en Angleterre
contre la fraude royale. Cependant, pour causer moins de
préjudice à l'Angleterre, on s'efforça de répandre surtout à
I étranger, les produits de cette honteuse industrie.
L'Ecosse, qui les reçut la première, reconnut aussitôt la
fraude, et, en 1449, le parlement de ce pays [)rescrivit
d'exercer une surveillance continuelle sur les frontières, afin
d'empêcher toute introduction de la fausse monnaie anglaise.
En 1450, le môme parlement ordonna de soumettre à une
vérification attentive tout l'or des monnaies de l'Ecosse, et
(le doubler à l'avenir le poids ordinaire des pièces, afin
qu'on ne pût les confondre avec les monnaies d'Angleterre,
la mcMue prescription fut portée pour les monnaies d'argent.
Enfin, comme en dépit de tout ces frauduleuses importa-
tions continuaient, le parlement d'Ecosse fut obligé d'en
\»»nir à une mesure extrême et d'interdire tout commerce
avt'C l'Angleterre.
En France, on procéda autrement : on y fabri(jua des mon-
naies de mauvais aloi, qui furent passées aux Anglais; ceux-ci
les acceptèrent sans difficulté, parce qu'elles ne portaient
yoinl la marque, justement suspecte, de leur pays. Lorsque
VAnglais fut définitivement expulsé de la Krance, il resta
dans notre pays une assez grande quantité de cette fausse
monnaie indigène, et la juste indignation du peuple se porta
iîonlrc l'argentier du roi, .lac([ues Cœur, accusé d'avoir pré-
sidé à cette altération du numéraire. C'est en vain (jue, pour
donner le change à l'opinion, Jacques Cœur s'efforçait de ré-
pandre le bruit qu'il avait trouvé dans la découverte de la
j'ierro philosophale l'origine de ses immenses richesses : à
IWges, sur le frontispice de son hôtel, il avait fait repn'sen-
^*^r, dans cette intention, les emblèmes de l'alchimie. Mais le
Peuple, qui avait accepté du pieux Nicolas Elamel cette sym-
l^oluiue explication j refusa la même confiance au puissant mi-
loU LWLCUIMIE DANS LA SOCIETE W MOYEN AtiE
nistre (lu roi do Franco; ol la vindictï^ publique no se trouva
c|iio nuMliorromonl satisfaite lorsquo, on i*?)^, un arrôl de
(lliarlos Vil le condamna à un bannissonxMil [)or|Hituel.
Kn Angioterro, la fabrication do Tor fut oncon* autorisée,
parcbarto royalo, sous l'un dos succ(îss<inrs d'Honri VI. Mn
J AiJS, Kdouard IV accorda à Talcbiniisto Hidiard Cartor la p(T-
mission do s\»ccnpor pondant trois ans do la transmutation
dos môlaux. 1/adopto travaillait aux frais du roi, et avait ôté
installé par lui dans lo cliâtimu do Wostock. Kn 1^76, lo
mômo monar(|ue accorda à une compaj^nic un privilé«;o do
quatro ann(kîs « pour s'occuper do pbilosopliio naturelle
« et transformer le nïorcunî on or. » On no p<.'ut pas démon-
trer copcndant (juo les travaux de ces di>oi's opérateurs
aient servi à l'altération des monnaies*.
Sur la liste des souverains (|ui ont mis à prolit la science*
alcbimi(|ue pour fabri(|uor ot faire acc^'ptor par leurs sujou*
de Torde mauvais aloi, on peut ajouter lo nom do rim|H*-
ratrice Barbe, seconde femme do l'emporour Si^ismond,
connue dans l'histoire do TAIIemagno pour avoir, on 1401,
aidé son «Ipoux à reconquifrir lo trône do Hongrie. L'imj)!'-
ratrico lîarbf, fenimi* hanlio ot savante, avait pour l'alclii-
mie une prédilection toute» particulière; ollo tira parti de
ses C(innaissanc«'s cliimiqu<'s pour pn*parer ot \ondroàs<'S
sujets l'alliafio (rarsenic et do cuivro comme do l'argent, ol
Talliago d'or, do cuivro ot d'arj(ont, comme do l'or pur.
Cette fraude serait siins doute rr'stéo ij»nor(N» d(; riiistoin*,
si la conscience et riiounôlot*' diiii adepl»* n'.ivaiont pris soin
de nous la rt'vcltr. Uu alrliimiste de l:i lioliôme, Jean do
La:iz, (|ui visitait les prinripaK's villes de l'Kurope prjursc
porfoclinnnor ilans son art. eut l'occasion rl(*M>uiiiettro à un
examen sévère IfS np^-rations »!<• rade|»lo iinpj'rialo, et, dans
un de se> t»uvra;;rs. il u«nis révêle le fait dans b*s tenues
>uivaiils :
ET DE LA KENAISSANCE. 151
« Ayant eiilcnJu dire de tous les côtés que ' l'épouse du grand
empereur Sigisraond jwssédait de très-hautes connaissances dans les
sciences naturelles, je lui fis demander de me permettre d'assister à
ses travaux. L'impér.itrice étiit une femme très-habile et qui savait
mesurer ses jwroles avec beaucoup de prudence et de iinesse. Un jour
elle fit en ma présence une trunsmutiition du cuivre en argent. Elle
prit de Tarsenic, du mercm*e et autre chose qu'elle ne me dit piis
(quas ipsa scivit benè). Elle en fit une poudre qui blanchit aussitôt
le cuivre. Elle trompa ainsi beaucoup de monde.
« De même je vis chez elle qu'elle mêla du cuivre chaud avec une
ccrtiine i)oudre qui cliangea le cuivre en argent fin. Mais, lorsqu'il
est fondu, il i*edevient du cuivre. Elle trompa encore beaucoup de
ses sujets avec cet argent faux.
c Une autre fois elle prit du safran, du vitiiol de cuivre et une autre
lM)udre, et, en les mélangeant, elle en fit de l'or et de l'argent. Alor^
ie métal offrait l'apparence de l'or pur; mais loi-squ'on le fondait il
en perdait la couleur. Elle trompa ainsi beaucoup de marchands.
« Loi*sque j'eus reconnu ses mensonges et sa tromptaie, je lui en
Us des rei)roches. Elle voulut me faire jeter en prison; mais, grâce à
Dieu, les choses n'allèrent pas jusque-là. »
Il serait facile de montrer, par d'autres faits, les véritables
conséquences dé la protection accordée par les souverains du
moyen âge et de la Renaissance aux artistes hermétiques. On
montrerait sans peine, par exemple, cjue les époques où
Von vil s'accomplir chez les différentes nations les plus
graves altérations des monnaies coïncident avec le temps où
l'alchimie brillait de son plus vif éclat. En France, c'est sous
le règne des rois Philippe de Valois, Jean et Philippe le Bel,
dénoncés par Popinion publique comme ayant gravement
altéré les monnaies, que l'on vit lleurir beaucoup d'alchi-
mistes célèbres, tels que Rupescissa, Orthulain et Odomar.
En Angleterre, Edouard ill, sur lequel plane la même accu-
^llon, fntPhôteet Fami de Raymond Lullc; etlontcon-
•^^un à prouver que les nobles â la rose de ce dernier mo-
"^r^juc étaient (lu même aloi (|uc les monnaies s()pliisti(|nes
'le son descendant Henri Yl.
152 L'ALCllIMIt; ItANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE
CIIAIMTUE 11
LA VI b lUIVÉE DKS AlXHIMlSTLi<.
L'histoire uo possède qu'une vue d'ensemble, en confor-
luilc plus ou moins réelle avec les faits, relativement à la
vie des alchimistes au milieu de la société de leur temps.
Dans son Histoire des Français des divers Étais, Alexis
Monlcil n'a traité ce sujet que d'une manière superficielle,
et 1 Ou peut sans doute inférer de là que la science historique
a jus(iu'ici manqué de renseignements précis sur ce curieux
sujet. Pour jeter sur cette question une certaine lumière, il
suffisait cepeiidînil de chercher, dans les écrits des alchi-
mistes, les détails (|ui se rapportent à leur existence indivi-
duelle. Plusieurs d'entre eux ont naïvement exposé les par-
ticularités de leur carrière, et il est permis de reconstruire,
avec ces éléments, les traits oubliés de leur physionomie.
Nous prendrons pour guide et pour texte de cet examen
un [)assago du traité De alchimiâ attribué à Albert le Grand,
dans le<|uel fauteur énumère les diverses conditions que
falchimiste doit remplir pour parvenir au grand œuvre.
(( I" I/alrhiiiiisti*, nous dit AlhcrI lo Gran<l, sera discret et silen-
cieux; il lie révéleia ;i peiisoiitie le résultat de ses opérations;
« ^r 11 habitera, loin «les hoiuiues, une maison particulièir d.iii'
laquelhî il y ait deux ou trois jûcces (?xclusivcnient destinées à >«'*
opérations :
« 7f II elioisira le temps et les heures de son travail ;
« 4" 11 sera patient, assidu et persévérant;
« ô" 11 exécutera, traprcs les règles de fart, la trituration, la mi-
])lhnalion, la fixation, la calcinalion, la solution, la distillation cl l^i
coa«j;ulation ;
« G" Il ne se :^er\ira qrc de vais^c.ulx do vonc ou de [K>tcric vci-
uisséc ;
ET DE LA KEiNAISSAiNCE. 155
« 7** Il aerd assez riche pour faiii-i la dépense ({u'exigciil ses opé-
rations;
• 8' Il é\itei-a, enfin, d'avoir aucun rap|K)il iwov les princes cl Ic^
^^igneui*s ' . . . . »
Nous allons montrer, en invoquant divers faits einprunU's
à la vie de quelques artistes célèbres, combien étaient justes
ces règles tracées par Albert le Grand pour les diriger dans
leur carrière.
Dans son premier précepte, Albert recommande à rad(^|)te
le silence et la discrétion sur le résultat de ses travaux. Les
faits suivants vont faire comprendre si ce conseil (fl<iit mal
fondé.
En 1483, un alchimiste, nommé Louis de Aeuî>, natif de la
fcie, avait expérimenté, à la cour de Marbourg, dc^vant un
|(rand nombre de témoins, une teinture philosophique , dont
une partie transformait, à son dire, seize parties de mercure
en or très-pur. Jean Dornberg, courtisan et ministre du
liindgTdve Henri III, et qui devait plus tard déposséder à son
profit le lils de son maître, avait assisté aux opérations. Il
^^igea que l'adepte lui révélât son secret, et, sur le refus de
cedemier, il le fit jeter en prison. N'ayant rien pu obtenir
•lu prisonnier par ses menaces ni ses violences, il le laissa
njourir de faim.
En 1570, un moine alchimiste, nommé Albrecht Bever,
f»l assassiné dans sa maison, parce que les meurtriers espé-
•^ient trouver chez lui la pierre philosophale, cju'il se van
lait de posséder.
L'alchimiste provençal Delisle, qui brilla sous Louis XIV,
avait acquis sa poudre de projection en assassinant, dans
' Opéra oinnia, vol XXI.
irii l^algiiimif: dans la dOt.ibTE du moyen âge
ks gorges de la Savoie, un philosophe hermétique dont il
était le serviteur.
Sébastien Siebenfreund, né à Schkcuditz, prés de I>;ipsick,
et fils d'un fabricant do draps, était attaché à un sei-
gneur polonais, et voyageait avec lui en Italie. Ce seigneur
étant mort pendant le voyage, Sielxînfreund se retira dans
un couvent de Vérone. Un vieux frère du couvent, qui
conçut |M)ur lui une vive affection, Tinitia aux procédés
lierméti(|ues, et, à sf>n lit de mort, lui légua le secret d'une
certaine poudre propre A la transmutation des métaux. Sie-
tienfreund revint alors dans son pays, et entra au couvent
dïJliva, situé près d'Elbing. Après s'être suffisamment exercé
à préparer cette panacée merveilleuse, Siebenfreund quitta
le (^)uvent, afin de jouir, avec sa liberté, des fruits de son
travail. Se trouvant à Hambourg en i570, il reçut l'hospi-
talité d'un gentilhomme écossais qui était en proie à un
violent accès de goutte, ce qui jetait tout son entourage dans
une grande affliction. Sielienfreund lui administra un re-
mède qui le mit aussitôt sur pied, et cette guérison si prompte
frappa tout le monde de surprise.
Dans la mais^m de l'Écossais habitaient deux étudiants
de Wittenberg nomm('>s Nicolas Globes et Jonas Agrieola,
plus un troisième, dont le nom n'a pas été dévoilé pr
l'auteur de ce récita IjCs trois étudiants pensèrent que ce
merveilleux remède ne ])ouvait être autre chose que la
|)ierre pliilosopliale que le moine »e vantait de posséder. In-
terrogé sur ce point, Si(;benfreund eut Timprudence de con-
v(>nir du fait, et, [K)ur mieux en convaincre son hôte et ses
trois cx)m|>af<nons, il prit devant eux une cuiller de zinc, la
frotta de s.i poudre de proj(;ction, qui n'était autre chose
(|u'un amalgaiiKMror, et, l'ayant clwiiifféi* au-dessus de la
' (^til aiileiii' Piii lu iioiii(!>lii|iic iiiùiiic de Sicliciiririiinl, (|iii a lacuiil/; ic
taildansun (Vril iiii|iriiiic à llaiiiboun; <'n 170ô, Quadralum alchymùlf
cum, cilc par Scliiiiiudcr.
ET DE LA RENAISSANCE. 155
flamme d'un fourneau, il la rendit aux témoins de cette ex-
périence, transformée en or, ou, pour mieux dire, dorée
par suite de la décomposition de l'amalgame aurifère. C'est
en vain que le gentilhomme écossais pria son savant ami de
lui accorder un peu de cette bienheureuse poudre; tout ce
qu'il put obtenir fut l'objet précieux qui provenait de l'ex-
périence.
Pour se dérober au bruit importun que cette aventure oc-
casionnait à Hambourg, Siebenfreund quitta cette ville et
retourna en Prusse par un chemin détourné. 11 traversa suc-
cessivement Lunebourg et Magdebourg, et s'arrêta à Wil-
tenberg, où il passa quatre mois dans la maison de son ami,
le professeur Bach. Cependant les trois étudiants et le gen-
tilhomme écossais avaient secrètement suivi ses traces; ils
demeurèrent cachés à Wittenberg, pour y attendre une occa-
sion favorable. Le moment leur parut propice à l'exécution do
leurs sinistres projets, lorsque le domestique de Siebenfreund ,
obligé de se rendre chez ses parents, à quelque distance de
Wittenberg, laissa son maître seul dans la maison de son ami.
S'étant introduits dans sa chambre à la faveur de la nuit, les
quatre complices l'assassinèrent et cachèrent son corps dans
un souterrain, où il ne fut découvert que deux années après.
L'histoire né dit pas si les assassins de l'adepte furent re-
cherchés et punis. D'après l'auteur du récit, le docteur Léo-
nard Thurneysser, dont nous avons parlé ailleurs, aurait
Gguré parmi les meurtriers; mais ce fait est loin d'être établi,
car Thurneysser ne se trouvait pas en Prusse à l'époque
que l'on assigne à cet événement, et Théobald do Hoghe-
lande, dans son Histoire de qiielqiies transmiUations, donne
des noms différents aux meurtriers de Siebenfreund.
« Un alchimiste, nous dit Albert le Grand dans son second pr^
'tîple, doit habiter, loin des hommes, une maison particuli^ro, dans
iry» L'ALCHDIIC liANS LA .^ICIÉTÉ DU MOYEN AGE
hiqik-lltr il ) .'lit ii«'ii\ ..u ti"j« j>it\.> «-ii-lu>îvi*iik'i]t destinées aii\sii-
liliiii4tion«-. .'U\ >■• ii!J<!i- -'. xiv ilMillation^. »
Ti» nV>! |»a- iiriiqu»-mfDî j^fiur y imnver le rnimo et la iran-
qiiillitH ntM'.-^sîiiriF-i û >»> ofH-ralions que raleliimiste devait
v reu fermer ilnns un<=* b«ibiUition isolée. Un certain danger
*t' rattacli.iit n''r.?s<îiirem»^nt â l'i-xi-cution des opérations chi-
îfiiqiit'> îi un»* ♦*fMM]ue mû, pn'»c»'dant >an> règles pnkïises, on
ni' comprenait point la nature d^s phénomènes dont on pro-
voipiait Tacmm plissement. Gimnif l'existence des gaz était
i^ncore ignnn*i*, on ne prenait iKavance aucune précaution
|iour donn«*r issue aux fluides élastiques lorsqu'ils venaient à
>e produire au sein des appareils. I>e là une cause permanente
«l'accidents : des «explosions de cornues, des ruptures de péli-
cans et de nMortes, îles incendies prf»v<Mju«''S par la subite in-
tlaïninatiùn desfr.izcomlmstihles, etc. Combien de fois d'ign^-
I :irits opiTateiirs n'unt-ils pas renfermé dans un ballon de mé-
tal liermétiijuement clos du mercure ou des amalgames,
l»our exposer imprudemment le tout à Faction d'un feu vio-
lent : le ballon et le fourneau, volant en éclats avec un bruit
i''|iouvaniable, mettaient (in à Texpérience.
Entre beaiicouixfautres du même j^enre (ju'il serait facile
«le citer, nous emprunterons ici un fait à l'auteur des Cu-
nosités de la littrvaUnr, (|ui le raconta» d'après les Mémoires
de la nouvelle Atnlante, ouvrage publié à la fin du dix-sep-
tième siècle, et ilfi à la plume, assez connue dans l'histoire
litl^éraire de la Grande-Bretagne, de mistriss Marie Manlev.
« Une piincessi', éprise do ralcliiinie, fit la ivncontrc, nous dit
Taiiteur dos Curiosiics de la littérature, d'un lionnne qui préton-
dait avoir la puissance do changer le plomb en or, c'est-à-chre, dans
le langage alchimirpio, do convoilir les métaux imparfaits en mé-
taux parfaits. Co philosophe^ honuétique ne demandait que les maté-
iiaux t»t le temps noc(;ssairos pour oxocuter la conversion qu'il avait
promise. Il fut omnioné k la campagne de sa piotcctrice, où Ton cun-
Rtruisit pour lui un vastolaltonitoiro, ot, afîn qu'il ne put pas être dérangé
i ses travaux, les ordres los plus expr^s furent donnés pour que
ET DE LA RENAISSANCE. 137
poreonne n\ entrât. Il avait imaginé de faire tourner sa porte sur un
pivot, (le sorte qu'il recevait à manger sans voîr«iêtre vu, et sans
que rien put le distraire de ses sublimes contemplations. Pondant
le séjour de deux ans qu'il fit au château, il ne cons(»ntit à parler à
qui que ce fût, p:is même h son infatuée protectrice. Lorsqu'elle fut
introduite pour la premières fois dans son laboratoire, elle vit, avec un
agréable étonnement, des alambics, des chaudières immenses, de
longs tuyaux, des forges, des foumeaux et trois ou quatre feux d'en-
fer allumés aux différents coins de cette esju'ce de volcan. Elle ne
contempla pas avec moinS de vénération la figure enfumée du ])hysi-
cien, pâle, déchaîné et affaibli par ses opérations de jour et ses veilles
continuelles, qui lui révéla, dans un jargon inintelligible, les succès
qu'il avait obtenus; elle vit ou crut voir dos monceaux de mine d'or
répandus dans bon laboratoire. Souvent ralchimiste demandait un
nouvel alambic ou des quantités énormes do charbon. Cette princesse,
voyant néanmohis qu'elle avait dépensé une grande partie de sa fortune
à fournir aux demandes du philosophe, commença à régler Tessoi* de
son imagination sur les conseils de la sagesse. Deux ans déjà s'étaient
écoulés, de vastes quantités de plomb avaient été fournies, et elle ne
voyait toujoui's que du plomb. Elle découvrit sa façon de penser au
physicien; celui-ci lui avoua sincèrement qu'il était surpris de la
lenteur de ses j)rogrès, mais qu'il allait redoubler d'efforts et hasar-
der une laboriease optTation, à laquelle jusqu'alors il îivait cm ne
pas être obligé d'avoir n'cours. Sa protectrice se retira, et les visions
dorées de l'espérance repiirent tout leur premier empire.
« Un jour qu'elle était à diner, un cri affreux, suivi d'une explosion
semblable à celle d'un coup de canon du plus fort calibre, se fit en-
tendre ; elle se rendit avec ses gens auprès du chimiste ; ils trouvè-
rent deux larges rotortes brisées, une giande partie du laboratoire en
flammes, et le physicien grillé depuis les pieds jusqu'à la tète *. »
Albert le Grand, dans le précepte qui suit, recommande à
Tailepte la patience et une persévëranco assidiin dans l'exé-
cution de ses travaux. C'est là, sans aucun doiiit», la recom-
* Curionlis de In Ul ter ature y. \rad\ic\\oi\ (\o ranjrluis, pnr M. T. Hcr-
III. l.l".
f> IXlfimm HA» .-A ^ifc !FTK W MOn> AGE
ni'ipi.itfii. Kifurif- I- - it-Miii'-i— *•■ 'i'»iii mnntri's |p]»h!>
I „[..,.. I .-• pr-^iii- iiii|H.>>ii.i. ,|. iNiniprtniitri' aujinir-
iVuii \i\-"H.' ail- |«"in: it- -«n: im^usv- cetir rjunlité. Mé-
iiii.iii>iii> ^11 1 »♦- rrrii* iltf> i:nin«i> maîtres et comparaison
lit" iiiri"r"ni»>:iui'irii»-. |m airs ni vit*- .sins interruption iven-
il.iiit (If.- ;niiii'i- rmitTi*-; vnya^rt»'. entrepris en diverses cos-
iri«r^ <lf rKiin)|H' Mil lit- rOrieni. pour recevoir de la bouche
ilf' ;iriistf> ri'l("?hrt*- l.i PHnuminitMtion de Ifiirs découvertes;
tr;ivnii\ ii ss;mt>. np«mtion> iiitertninables, exfiêriences
•'iJTiH'lliMiM'ni pndonfrèes et dont rien ne |)Ouvait interrou)-
piv Ir iNiinv . s.imii('i'> dr tuus j^onres, qui ne se laissaient
nniMiM ni pai !«'> piTles i\v fortune ni par la ruine de ia
^iiiiU l(*l esi il' tjiiiioau de l:i vie d'un adepte engagé dans la
n'elHMi'lif du ^M'auil OMixTtî. Cette perst»vérance étonnante,
doni I alrliinii^lc du movi'ii à<;e était le vivant emblème, al-
laii )nM|u':i dt*p:t>MM' lo> linHte> mêmes du tombeau.
. 1 ofH'i.iliMii ip.ii»! mort prt*inaluit»i' iMilcvait U sjs ti-avimx, dit
M lltH'ii"! . l.»i>s.u: xiMixtMi: mil- i'\|»tM'iiMii't' (imiinenrtH* en héritaire à
iMi lil- . %'\ r \\v\i\: lu^ v.»:t' «if MÙ! ifinj-fi léii-iuM- d;in> sim ti*>la-
lui-nî It M'i'f: tit * f\in""i:'iK*: i!;.t *i»f\i*t iitiil il :iv;iil limté do :^
i..M. l .... .•\i»t-M;Mi.v- «-'..uiniiih l'tai-ii: t'-msiiii>(s dt- jièiv en fils
.uur.j sW ÎMOiî-' :iî. .i:'îî. i» •>
ï\wv w On; ; .> ;■!■. ■ • s n..iî> i.T.n- r uno idtv exacte delà
I s-i V \ - 1 V n ■ -t ' • V ; ■ ■.-. : ■ ■. :.- \ :-. ;•< .ssi . il rxîniord i na ire q ue les
..Ui 'Mi-i-s <j'^»:'. .•■•..■-.•.'.: .'.U'-s '-'urs îr:-.\;iiî\ que la vie de
I :utq»i.- U Mis Zo; . -v N.us s.' .v- t'!i nq-j-eK-r les traits
piiurHM'j\ i.i-A J. •.. X ;v ■,: yr..a> S !ii'.-m^me transmis sur
o- ^uJ^■l •l.iii'» l.ji \ /♦ fî !..'p.' I jriiH iJe jt.u ()/'et-<n:tV «/«» la phi-
liHi'^ *^iun'ili- /i* '^ nu'iaiix ii.>u< fi»u minuit en mi^me
(Hun d«- xi^iijh.T pi u.si ou i"** particularités inténs-
vie iWs aU'Iiiniistes français au s<Mzième sitVIe.
^irij appiirt4'nuil à une famille noble de la
■ ehimf, I. I
ET DE LA RENAISSANCE. 159
îuyenne; mais son véritable nom est inconnu; car, à Texem-
}\e de beaucoup de ses confrères, il s*est abrité, dans ses
ouvrages, sous le voile d'un pseudonyme. Il était né en
1510. Après avoir reçu la première instruction dans la mai-
son paternelle, il fut envoyé à Bordeaux pour y étudier les
lettres et la philosophie dans le colU^ge des Arts. On avait
coi^é sa jeunesse à la surveillance d*un précepteur. Mal-
heureusement ce dernier était un adepte d'Hermès. Au lieu
de conduire son élève dans les tranquilles sentiers de la lit-
térature, il ne l'initia guère qu'aux pratiques du grand
œuvre. Le jeune Zachaire fréquentait beaucoup d'écoliers
qui, négligeant comme lui les études du collège pour colles
du laboratoire alchimique, avaient déjà fait ample collec-
tion de rexeptes pour la transmutation des métaux. Avant de
quiter Bordeaux, il en avait rempli tout un gros livre, et il
pouvait à son gré fabriquer de l'or à toute espèce de titres,
à dix-huit ou à vingt carats, de l'or ducat ou de Tor d'écu,
propre à soutenir l'épreuve de la fonte ou de la pierre de
touche. Môme résultat pour l'argent : ou pouvait, avec ces
bienheureuses formules, obtenir de l'argent à dix ou à onze
deniers, de Targent de teston, de l'argent blanc de feu ou de
l'argent à la touche. Ces diverses receptes portaient les noms
^(Euvre de la reine de Navan^e, Œuvre du Cardinal de
horraine ou du Cardinal de Toumon. Les jeunes écoliers,
au collège de Bordeaux, employaient une partie de leur
I temps à ces utiles occupations.
Au sortir du collège des Arts, le jeune Zachaire fut envoyé
L à Toulouse, en compagnie de son précepteur, pour y étudier
k droit; mais le maître et l'élève n'avaient d'autre désir que
''y faire promptement Tépreuve des précieuses receptes de
Bordeaux. Ils se mirent donc dès leur arrivée à placer dans
'eur chambre plusieurs petits fourneaux propres aux opéra-
lions chimiques. Des petits fourneaux on en vint aux grands,
si bien que la chambre en fut bientôt remplie. Sur certains,
<>n distillait; dans d'autres, on calcinait diverses mî^tières;
i-i. l'oQ 'A*:!'.!.: ;5 :'i-i« Q: ;i. A ïublimaiiMû prr-srril»? par
l^s ft-rsiu'"^. A'i L< u: -i' m an. la s- m oit* At^ JtMi\ conts
»-i-u-. '\\i»i i»^ '-lin- L»iîiLi I. i"r rni'iif- il-* j^e-i [loronts pour sVn-
tr^-tr-air pea-iaar inii^ aurir-^'S li;i rrt >--a maître, en la ville
•Irf Touli-usc-, -".tair ii--:;».»' -n fiinir-fr'. L>-l qu'il avait fallu
noli^-tr^r un»' .ju.inîii.- i-i-n-i-l- ralU* J-^ elurU^n, diverses dro-
.^iiHS d'un ['ri\ '-Ih^.-. r't ^'i-iir >i>i 'TU? lie vai>>»/auxde verre;
saastfimipter iit.Mi\ .n.- •< ! =.r tinel tnâs niari's d'argent, que
l'une de>f«irmiilr'> .i\aitrHn..imnanil'r>c..mme indispensables
à rexeoutii»n Jr* F œuvre .'et qui finirent par sVvanouir en
entier à fone de i'»)nibinaisons et de mélanges.
Il ne fais:iit ,i:u*^re moins chaud dans la chambre du jeune
lii^encié es dr«»ii que ilans les fonderies de l'arsenal de Ve-
nise, et le di^^ne précepteur . qui ne sortait pas un moment
dt' tvtte fournaise, tant il apportait de zèle et d'ardeur à son
travail, fut pris, quand vint l'été, d'un»* lièvre rontinue.
p<iur avoir tmp s^iufiL* en buvant chaud. Il mourut glorieu-
.<ement sur s>in elianip di* bataille, au grand chagrin de son
élève, (|ui comptciit sur son habileté pour se procurer l'ar-
gent que sts tuteurs nimmençaient à lui refuser.
Ainsi livré ù lui-mèuke, lh*nisZ.ichairc ne vit rien de mieux
<jue de se rendre ilaus son pays, alin d'obtenir le libre usîige
lie ses bien>. administrés par ses tuteurs tlepuis la mort de
son père. Moyennant quatre cents écus, il afferma une partie
di» ses propriétés pour un es|>ace de trois ans, et s'empressa
de revenir à Toulouse, afin d'appliquer c.'lle somme à Texé-
cution d'une recepte infaillible qu'un halien lui avait ensei-
gnée a|irès en avoir vu île ses propres yeux les merveilles.
Ca' procédé consistait à dissoudre de l'or et de l'argent dans
de l'eau-forte et à calciner le produit pour en faire une
poudre île projection. Mais deux onces d'or et un marc d'ar-
;<ent, traités pendant deux mois suivant les procédés de Tlti-
licn, ne donnèrent qu'une poudre tout à fait sans vertu. De
la (|nantit«'' d'or et d'argent qu'il avait employc'v, Zachaire
n<» put riM'onvrer qu'un demi-marc; aussi nous dit-il, en par-
ET DE LA RENAISSANCE. 141
lant de cette opération : « Tout Vaugment que je reçus, ce
fut à la façon de la livre diminuante. » Ses quatre cents écus
se trouvèrent ainsi réduits à deux cent trente, et, comme
l'Italien offrait de se rendre à Milan, où se trouvait l'auteur de
cette recette, pour obtenir de lui des éclaircissements com*
plets, Zachaire lui remit vingt écus, et demeura tout Thiver à
Toulouse pour attendre son retour. « Mais, ajoute-t-il, j'y
serais encore si je l'eusse voulu attendre, car je ne le vis
depuis. »
Une grande épidémie s'étant déclarée à Toulouse, Za-
chaire se décida à quitter la ville; mais, ne voulant pas
se séparer de ses amis, rompacçnonsdeses recherches, il les
suivit dans leur pays, à Cahors. Parmi eux se trouvait un
bon vieillard, adepte blanchi sous le poids du travail et des
années, et que l'on ne ccmnaissait à Toulouse que sous le
nom duPhilosophe. Zachaire lui comnniniciua la collection de
ses recettes, et demanda ses conseils, heureux de s'en rap-
porter à rexpérience et au savoir d'un homme qui avait
manié tant de simples en sa vie. Le philosophe en nota dix
comme les meilleures, et, six mois après, à la cessation de
l'épidémie, notre jeune adepte, étant revenu à Toulouse^
s'empressa de les soumettre à rexpérience. Ainsi se passa
l'hiver entier : mais aucune des recettes mises en pratique
ne fournit de résultat ; de telle sorte qu'à la Saint-Jean ses
écus se trouvèrent réduits au nombre de cent soixante-dix.
Cet échec, éprouvé en dépit des conseils du vieux philo-
sophe, aurait sans doute découragé le jeune alchimiste, si
une circonstance heureuse n'était, fort à propos, venue lui
rendre la confiance et l'espoir. Zachaire avait fait à Cahors
la connaissance d'un jeune abbé qui, possesseur, aux envi-
rons de Toulouse, d'une riche prébende, consacrait honora-
blement ses loisirs et ses revenus à la recherche du grand
œuvre. Cette conformité de goûts avait fait naître entre eux
une vive sympathie. De retour à Toulouse, l'abbé reçut de
Tun de ses amis, attaché, à Rome, au cardinal d'Armagnac,
142 i; ALCHIMIE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYRN AGE
la communication d'une recette excellente pour l'œuvre her-
métique. Ce procédé consistait à chauffer pendant un an de
la poudre d*or calcinée avec de Teau-de-vio distillée un grand
nombre de fois ; son exécution ne devait entraîner qu'une
dépense de deux cents écus. Les deux amis résolurent de
réunir, pour cet important travail, leurs efforts ainsi que
leur bourse, et, les termes de cette petite association bien
arrêtés entre eux, ils se mirent aussitôt à Tœuvre.
Il importait d'abord de se procurer une eau-de-vie très-
pure. Us achetèrent donc une bonne pièce de vin de Gaillac,
qu'ils placèrent, pour en retirer Teau-dc-vie, dans un vaste
alambic. On employa un mois à distiller plusieurs fois cette
eau-de-vie dans le pélican ; on la rectifia ensuite dans des
vaisseaux de verre. Ainsi amenée à un haut degré de con-
centration, Teau-de-vie leur parut propre à la dissolution de
Tor. Ils prirent quatre marcs de ce liquide, et le placèrent
dans une cornue de verre contenant un marc d'or, que l'on
avait préalablement soumis, pendant un mois, à une forte
calcination. Celte cornue placée dans une seconde plus
grande, et tout l'appareil étant bien clos, on l'installa sur un
grand fourneau, et l'on se disposa à entretenir au-dessous le
feu pendant une année entière. L'abbé acheta, dans ce but,
pour trente écus de menu charbon.
En attendant l'expiration de ce long intervalle, les deux
opérateurs occupaient leurs loisirs à essayer quelques petits
procédés qui ne donnèrent pas d'ailleurs de meilleur résultat
que ne devait en fournir la grande opération.
Au bout d'un an, en effet, les deux amis reconnurent avec
douleur (jue l'eau-de-vie n'avait pas dissous un atome d'or.
Le métal était dcmmiré au fond de la cornue dans l'étal
même où il y avait été placé. On essaya de s'en servir comme
d'unes poudre de projection, en opérant sur du mercure
chauffé dans un creuset, comme l'indiquait la recette; mais
ce fut en vain.
On comprend le désappointement des deux alchimistes.
ET DE LA UENAISSANCE. i4o
Le plus contrarie était Tabbé, qui, se croyant sur du résul-
tat, Tavait annoncé d'avance aux moines de son couvent, et
avait écrit à la confrérie, la veille même de ropércition, qu'il
ne restait plus qu'à fondre la belle fontaine de plomb qui
ornait la cour du monastère pour en tirer des lingots d'or.
La belle fontaine fut donc réservée pour une autre occasion :
elle ne faillit point, du reste, à sa destinée, car, quelques
années après, on la fit passer au creuset d'un alchimiste am-
bulant qui était venu montrer son savoir dans l'abbaye.
Cependant, loin de décourager l'abbé, cet échec ne fit que
redoubler son ardeur. Pour tenter un grand coup, il proposa
à Zachaire de se rendre à Paris avec huit cents écus, dont ils
fourniraient chacun la moitié, et d'y continuer l'œuvre
commune en profitant des lumières des innombrables artis-
tes hermétiques qui remplissaient alors la capitale de la
France. Ayant accepté la proposition de son ami, et trouvé,
en affermant ses biens, la somme nécessaire, Zachaire se
disposa à se rendre à Paris, décidé à perdre tout ou à dé-
couvrir la pierre philosophale.
En vain ses parents essayèrent-ils de le dissuader de ce
projet. Pour éviter leurs remontrances, il prétexta que son
voyage n'avait d'autre but que d'acheter à la cour une
charge de conseiller. Dès lors sa famille, qui avait toujours
reconnu en lui l'étoffe d'un légiste, ne s'opposa plus à son
dessein. Zachaire partit de sa province le lendemain de Noël ;
il arriva à Paris le jour des Rois de l'année 1559.
De toutes les villes de l'Europe, Paris était alors la plus
fréquentée par les alchimistes. Aussi Tadepte de Guyenne
y demeura-t-il tout un mois inconnu, perdu dans cette foule
immense d'artistes de tout genre qui s'adonnaient en cuiii-
mun ou en particulier à la recherche du grand œuvre. Mais,
au bout de ce temps, il s'était mis en rapport avec un sj
grand nombre d'ouvriers de toute profession, tels que fon-
deurs, orfèvres, artisans de divers métaux, fabricants de
verre et de fourneaux, etc., qu'il avait fait, grâce à leur in-
lu L'ALCUIMIE UANS LA SUCIbTE \R: MOYExN Aii^
teniiédiaire, la coniiais^îiance de plus de cent adeptes. Il
trouva des enseignements utih^ à être témoin des diverses
opérations qu'exécutaient ces derniers. « Les uns, nous
« dit-il, travaillaient aux teintures des métaux par projec-
d tion, les autres par cimentation, les autres par dissolution,
*( les autres [lar conjonction de Tessence (comme ils disaient)
^ de rénieri, les autres par longues décoctions; les autres
« travaillaient à Textraction du mercure des métaux, les
« autres à la fixation d^iceux. »
Au moyen âge, les alchimistes qui habitaient les grandes
villes avaient l'habitude de se réunir tous les jours sous le
péristyle des cathédrales, afin de se communiquer récipro-
quement le résultat et Tétat d'avancement de leurs travaux.
L'église de Notre-Dame- la-Grande, à Paris, était le rendez-
vous des gens de cet étal, et chaque jour, même les diman-
ches et les fêtes, ils se rencontraient sous les voûtes de
la vieille basilique, « pour parlementer des besognes qui
« s'étaient passées aux jours précédents. » On avait aussi la
coutume de s'assembler au logis de l'un d'entre eux. La
maison de Zachaire fut quehiuefois le lieu de leurs réunions,
et c'est là que Ton i)ouvait entendre s'exhaler à l'euvi les
plaintes, les espérances et les regrets de tous ces hommes ar-
dents desséchés au feu d'une passion commune, courbés
sous le poids d'un même joug. Cependant ces entretiens ne
brillaient point par la variété, car les paroles qu'on y enten-
dait étiiient toujours les mêmes : « Les uns, nous dit Zachaire,
(* disaient : Si nous avions le moyen de recommencer, nous
M ferions quehiue chose de bon. Les autres : Si notre vals-
ai seau eût tenu, nous étions dedans. Les autres : Si nous
(( eussions eu notre vaisseau de cuivre bien rond et bien
« fermé, nous aurions fixé le mercure avec la lune : telle-
« ment ([u'il n'y en avait pas un (|ui fit rien de bon, et qui
(( ne fût accompagné d'excuse. »
Il fallait cependant faire un choix parmi ce grand nombre
d'opérateurs. Zachaire se décida à accorder sa confiance à
ET DE L\ RENAlSSAiNCE. 1 45
un Grec arrivé pendant Tété, et qui prétendait savoir chan-
ger en argent le cinabre mis en forme de clous. 11 réduisait
en poudre trois marcs d'argent, et, avec un peu d'eau, fai-
sait de cette poudre une pâte à laquelle il donnait la forme
de clous; mêlant ensuite ces clous avec du cinabre pulvé-
risé, il les faisait sécher dans un vase bien couvert. Il fon-
dait le tout et soumettait à la coupelle le produit de cette
fusion. 11 restait alors dans la coupelle plus de trois marcs
d'argent, c'est-à-dire un poids supérieur à celui du métal
employé. Dans cette opération, il y avait donc, au dire de
l'artiste, production artificielle d'une certaine quantité d'ar-
gent. Selon lui, l'argent qui avait été môle au cinabre
s'était envolé en fumée, et celui qui restait provenait de la
transmutation du cinabre. Mais voici ce qui se passait dans
cette opération. Le cinabre (sulfure de mercure) étant vola-
til, disparaissait au feu du fourneau de coupelle, et, s'il y
avait dans certains cas une faible augmentation du poids pri-
mitif de l'argent mis en expérience, ce résultat tenait à la
présence accidentelle d'une certaine quantité d'argent dans
le cinabre dont on avait fait usage. C'est ce que Zachaire
dut reconnaître, mais un peu tard; car, nous dit-il, « si
« c'était profit. Dieu le sait, et moi aussi, qui dépendis des
« écus plus de trente. »
Cette affaire de la transmutation du cinabre lit beaucoup
de bruit parmi les alchimistes parisiens. « Cela fut tant
« connu en Paris, nous dit Zachaire, qu'avant le Noël sui-
« vaut, il n'était fils de bonne mère, s'entremêlant de tra-
•< vailler en la science, qui ne savait, ou n'avait entendu
« parler des clous du cinabre ; comme un autre temps après
«I il fut parlé des pommes de cuivre, pour fixer là dedans le
^' mercure avec la lune. »
Zachaire, qui n'avait fréquenté jusque-là que des opéra-
leurs honnêtes, et, comme lui, travaillant de bonne foi, eut
bientôt l'occasion d'être initié aux fraudes des faux adeptes.
tn gentilhomme étranger, venant du Nord, et qui était peut-
146 LÂLCUIMIË DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE
être Venceslas Lavin, arriva à cette époque à Paris. U n'était
expert qu'aux sophistications hermétiques, et vivait de ce
genre de ressources, vendant aux orfèvres les produits de
ses opérations suspectes. Zachaire suivit quelque temps la
fortune de cet aventurier, sans vouloir pourtant s'associer
à ses manœuvres. Possesseur d'une fortune encore assez belle,
et ne perdant jamais de vue sa dignité de gentilhomme, Za-
chaire, loin de chercher à s'enrichir du commerce de cet
étranger, dépensait largement avec lui son argent en expé-
riences. Au bout d'un an, son compagnon consentit à lui
révéler son secret; mais, comme Zachaire s'en était bieu
douté, ce secret n'était qu'un leurre.
Cependant il entretenait toujours une correspondance avec
son cher abbé, le tenant au courant de ses succès et des pro-
grès de son entreprise. U passa de cette manière trois années
dans la capitale; au bout de ce temps, les huit cents écuset
d'autres sommes que lui avait envoyés l'abbé étaient entiè-
rement dissipés.
Sur ces entrefaites, Zachaire reçut une lettre de son ami,
qui l'engageait à revenir sans retard à Toulouse. Il partit
aussitôt, et, dès son arrivée, il fut mis au fait de la circon-
stance importante qui avait nécessité son départ. Le roi de
Navarre, Henri U, grand-père de Henri iV, aimait à s'occu-
per d'alchimie. Le bruit des merveilles réalisées par le gen-
tilhomme étranger, compagnon de Zachaire, avait pénétré de
Paris jusqu'au fond du Béam, et le roi Henri s'était em-
pressé d'écrire à Tabbé toulousain, le priant d'envoyer Za-
chaire dans ses États, avec la promesse d'une récompense de
quatre mille écus en cas de succès. Ce mot de quatre mille
écus avait tellement chatouillé les oreilles de l'abbé, qu'il
croyait déjà tenir la somme dans son escarcelle. l\ n'eut
point de repos que son cher Zachaire ne se fût mis en route
pour la Navarre. Notre adepte arriva à Pau au mois de
mai 1542, et fut parfaitement accueilli par le roi. 11 fut ce-
pendant obligé de demeurer six semaines avant de se mettre
ET DK LA HENAISSANCK. ii?
au travail^ parce que les simples qu'il fallait cueillir pour
le commencement des opérations ne croissaient point au
|)ays de Navarre. Au bout de ce temps, il se mit à l'œuvre.
Mais le succès répondit mal aux espérances du roi, (jui, mé-
content de l'artiste, le renvoya avec un grand merci pour
récompense. Et comme Zachaire, se plaignant d'un tel pro-
cédé, réclamait Texéculion des promesses qu'on lui avait
faites, le roi lui fil cette réponse : « Advisez, messire, s'il n'y
« a rien en mes terres qui vous puisse convenir, tel que
f con6scation, prison ou autre chose semblable; je vous les
« donnerais volontiers. » Zachaire et le roi de Navarre ne
pouvaient s'entendre : l'un demandait un alchimiste qui le
mît prom ptement en possession du secret de faire de l'or ; l'au-
tre cherchait un roi aux frais duquel il pût continuer ses
expériences tout à son aise. Aussi l'adepte reprit-il inconti-
nent le chemin de la Gascogne.
C'est pendant ce retour que Zachaire eut la fortune de
rencontrer le bienheureux conseiller qui devait le mettre
sur la route de la vérité qu'il poursuivait depuis si long-
temps* C'était un moine très-savant, versé dans toutes les
connaissances de la philosophie naturelle, et qui avait passé
sa vie entière sur les écrits des anciens maîtres. Zachaire
l'ayant mis au courant de tous les travaux qu'il avait exécu-
tés jus(jue-là, le savant religieux le plaignit grandement
d'avoir dépensé tant d'argent et de fatigues en des recherches
mal inspirées. 11 lui conseilla de s'en tenir désormais à la
méditation des anciens philosophes, ajoutant qu'il était fâ-
cheux qu'un gentilhomme aussi instruit que lui, qui avait
fait à Bordeaux ses actes de philosophie, et qui avait été reçu
maître en Cette science, se fût toujours privé des hautes lu-
mières que nous ont transmises sur cette question les sages
des temps passés. Ainsi ramené, par les conseils du bon reli-
gieux, dans une voie certaine, Zachaire s'empressa d'aller
rejoindre son ami pour régler définitivement avec lui les
comptes de cette association qui avait si tristement échoué.
Ii8 L* ALCHIMIE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE
Tout bien calcuh', il restait une somme de cent quatre-
vingts écus, (ju'ilspartagrTent loyalement; après quoi l'as-
sociation fut (Icclarée rompue, à la grande tristesse de Tabbé,
qui aurait voulu pousser plus loin l'entreprise, et n'approu-
vait point le changement de système qui s'était opéré dans
l'esprit de son compagnon. Lui, cependant, décidé à s'en
tenir d<'>sormais à la méditation et à la comparaison des écrite
des anciens philosophes, il prit la résolution de revenir à
Paris pour mettre son projet à exécution.
Le jour de la Toussaint de Tannée 1546, Zachaire rentni
dans la capitale, où son premier soin fut d'acheter, moyen-
nant dix écus, divers traités philosophiques, tels que la
Tourbe des philoso])lws, la Complainte de Nature, leban Tré-
visan et les Œtivres de Uaymond Lulle. Ayant loué une pe-
tite chambre au faubourg Saint-Marceau, il s'y enferma,
n'ayant auprès de lui qu'un petit garçon pour le senir.
Puis, sans vouloir fréquenter aucun des adeptes dont four-
millait encore la capitale, il s'appliqua jour et nuit à méditer
sur ses auteur^. 11 employa dix-huit mois a ce travail pénible,
sans réussir néanmoins à s'arrêter délinitivement au choix
d'aucun procédé. Il crut alors nécessaire de se mettre en rap-
port, non avec les artistes empiriques qu'il avait fréquentés
sept ans auparavant dans les réunions tenues sous les voûtes
do Notre-Dame, mais avec de véritables philosophes qui
opéraient d'après les recommandations des anciens. Cepen-
dant leur commerce ne lui fut que d'une faible utilité, en
raison de la diversité extrême des procédés dont ils faisaient
usage. Ces o|)érateurs employaient en effet des moyens si
nombreux et si opposés, que l'esprit courait le risque de s'é-
garer dans leur diversité infinie. « Si l'un, nous dit Za-
« chaire, travaillait avec l'or seul, Tautre travaillait avec or
( et mercure ensenihU» ; Tautro y mêlait du plomb qu'il ap-
(V ])elait sonnant, parce (|u'il avait passé par la cornue avec
« de l'argent vif ; Taulrc convertissait aucuns métaux en ar-
€ gent vif avec diversité desimpies par la sublimation ; Tau-
ET DE LA RENAISSANCE. 149
u tre travaillait avec un alrament noir artificiel, qu'il disait
w être la vraie matière, de laquelle Raymond Lulle usa, pour
« la composition Je cette grande œuvre. Si l'un travaillait
« en un alambic, Tautre travaillait en plusieurs autres et
« divers vaisseaux de verre, et l'autre d'airain, et l'autre de
• cuivre, l'autre de plomb, l'autre d'argent, et aucun en
« vaisseaux d'or. Puis l'un faisait sa décoction en feu fait de
« gros charbons, l'autre de bois, l'autre de raisins, l'autre de
« chaleur de soleil, et d'autres au bain-marie. »
Cette variété d'opérations, jointe aux contradictions conti-
nuelles qu'il découvrait dans les anciens auteurs, avait fini
par réduire au désespoir le malheureux alchimiste, lorsque
le Saint-Esprit lui inspira, nous dit-il, la pensée d'étudier
les œuvres de Raymond Lulle, et en particulier le Testament
et le Codicille de cet auteur. Il réussit à adapter si parfaite-
ment ces deux ouvrages avec une épître de Raymond Lulle
au roi Robert, et avec un manuscrit du même auteur, qu'il
tenait du bon religieux, son conseiller, qu'il fut dès ce
moment certain d'avoir mis la main sur le secret tant pour-
suivi. Tous les livres qu'il consultait étaient en concordance
parfaite avec son système, et tel était, par exemple, le pro-
cédé ou résolution que donne, à la fin de son Rosariuniy
Ârnauld de Villeneuve, qui fut, comme on le sait, le maître
de Raymond Lulle. Zachaire passa un an entier à méditer
jour et nuit sur son procédé ; au bout de ce temps, il revint
à Toulouse pour le soumettre à l'expérience. Il arriva dans
sa province pendant le carême de ir)49 ; son premier soin
fut de s'approvisionner de fourneaux et des appareils néces-
saires, et, le lendemain de Pâques, il commença sa grande
opération.
Cependant sa famille et ses amis ne voyaient pas sans un
profond chagrin toute cette ardeur apportée à un travail inu-
tile, et les folles dépenses auxquelles une malheureuse pas-
sion l'avait entraîné depuis sa jeunesse. Il eut à endurer de
leur part plus d'un reproche amer : « Que prétendez-vous
150 L'ALCHIMIE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE
(( fairo? lui disait un voisin, et n'avez-vous pas dépensé as-
« s(»z d'argent en de telles folies? Prenez garde qu'a vous
« voir acheter ainsi tant de menu charbon, on ne vous ac-
« cuse, comme on Ta fait déjà, d'être auteur de fausses
u monnaies. » — « N'est-il pas étrange, reprenait un autre,
k( qu'étant docte comme vous l'êtes, et déjà licencié es droit,
« vous refusiez encore de faire profession de la robe longue,
€ afin de parvenir à quelque office honorable en la ville? )>
Survenaient des parents, à qui l'autorité de la famille per-
mettait des remontrances plus sévères: « Pourquoi, lui di-
« sait-on, ne pas mettre un terme à tant d'inutiles dépenses?
« Ne vaudrait-il pas mieux payer vos créanciers ou acheter
(• quelque bonne charge? Il ne tient à rien, si vous ne vwis
K arrêtez, que nous n'envoyions en votre logis des gens de
« justice pour y briser tout votre attirail d'ustensiles mau-
(( dits. » — « Hélas ! reprenait un autre, faisant appel à des
(( sentiments plus doux, si pour vos parents vous ne voulez
(( rien faire, ayez au moins égard à vous-même. Considérez-
« vous. A peine âgé de trente ans, vous semblez en avoir
« cinquante, tant commence à blanchir votre barbe, qui vous
« représente tout envieilli des longues fatigues que vous avez
u endurées en la poursuite de vos jeunes folies. »
Tous ces discours ne faisaient qu'ajouter à l'impatience de
Zachaire; il les supportait avec d'autant plus de déplaisir,
qu'il voyait de jour en jour se perfectionner son œuvre et
s'approcher l'heure décisive qui devait le payer de tant de
travaux et dVnnuis. Aussi tout demeura impuissant à l'écar-
ter de son but. La peste, qui éclata à Toulouse pendant l'été,
et qui fut si terrible, (( que tout marché, tout trafic, en fut
interrompu, » ne put Tarracher du feu de ses fourneaux.
Il y demeurait jour et nuit, occupé à attendre « d'une fort
grande diligence l'apparition des trois couleurs que les phi-
losophes ont écrit devoir apparaître avant la perfection delà
divine œuvre. »
Ces trois couleurs si longtemps attendues se montrèrent
ET DE LA RENAISSANCE. 151
enGn aux yeux ravis du philosophe, indiquant la perfection
définitive de la pierre philosophale. Si bien que, le jour do
Pâques de Tannée 1550, avec un peu de cette divine pierre,
il convertit, il nous l'assure du moins, du mercure en très-
bon or.
« Si j^en fus aise, ajoute-t-il, Dieu le sait. Si ne m'en vantais-jc pas
pour cela ; mais je rendis grâce à notre bon Dieu qui m'avait tant fait
de faveurs et de grâces par son fils notre rédempteur Jésus-Christ,
et le priai qu'il m'illuminât par son Saint-Esprit, pour en pouvoir
user à son honneur et louange. »
Dès le lendemain, Zachaire se mit en route pour aller an-
noncer son triomphe à son ami et partager avec lui le trésor
après lequel ils avaient si longtemps soupiré d'un commun
accord. Il franchit d'un pas joyeux le seuil du monastère,
et jeta en entrant un coup d'œil de regret sur l'emplace-
ment vide de cette fontaine de plomb qui aurait si bien servi
à témoigner sa science aux pieux habitants de la maison.
Hais une triste nouvelle Tattendait. Le pauvre abbé était
mort six mois auparavant, sans avoir éprouvé la consolation
suprême que lui apportait son ami. Zachaire voulait au
moins aller témoigner sa reconnaissance au bon religieux
dont les conseils lui avaient été si profitables; mais ce der-
nier venait aussi de mourir dans un autre couvent où il s'é-
tait retiré.
Zachaire se décida alors à passer à l'étranger pour y ter-
miner en paix une carrière qui avait été semée de tant de
traverses. Il envoya à Toulouse un de ses cousins pour y
vendre tous ses biens, et payer ses créanciers avec les sommes
provenant de cette vente. Son désir fut accompli, mais non
sans exciter beaucoup de lamentations et de plaintes de la
part de ses parents, qui avaient, disaient-ils, depuis long-
temps prévu la ruine de cet obstiné dissipateur.
Ce dernier acte exécuté, Zachaire quitta la France en
compagnie de son jeune cousin, et se rendit à Lausanne
\h2 1;ALCIII3IIE dans la SOCIETE nu MOYEN AGE
pour y vivre, nous dil-il, « avec fort petit train, » ce qui
ne plaide pas en faveur de la vérité de son afûrmation rela-
tive à la découverte de la pierre philosophale.
s Nous pourrions terminer là Thistoirede l'adepte Zacliaire,
que nous n'avons racontée avec tant de détails qu'aRn de
montrer par un frappant exemple à quel degré les chercheurs
alchimistes poussaient la patience, leur apanage essentiel.
D'ailleurs, dans la dernière partie de sa vie, notre héros se
montrerait moins digne de l'intérêt qu'il a pu inspirera nos
lecteurs. La possession de ce trésor prétendu semblait trou-
bler ses sens et égarer sa raison. Il devint infidèle h la pro-
messe qu'il s'était faite de faire tourner à rhonneor eti la
louange de Dieu le nouveau pouvoir qu'il avait acquis. SV
bandonnant au courant de tous les plaisirs, il donna un
libre essor à ses passions, comprimées par Tâpreté du tra-
vail pendant les années de sa jeunesse. Épris à Lausanne
d'une belle jeune fille, il quitta avec elle la Suisse pour aller
mener en Allemagne une vie de dissipation et de folies. Après
avoir suivi les bords du Rhin, il s'arrêta à Cologne en 1556.
C'est là que l'attendait un triste sort. Amoureux à la fois de
la jeune compagne de Zacbaire et des trésors qu'il lui sup-
posait, le traître cousin l'étrangla pendant qu'il était plongé
dans un lourd sommeil occasionné par l'ivresse. Chargé des
dépouilles de sa victime, il s'enfuit avec sa complice. Cet
événement fit beaucoup de bruit en Allemagne ; mais on ne
put retrouver les traces do l'assassin. Mardochée de Délie,
le poëte de la cour de Rodolphe 11, composa plus tard sur ce
sujet une pièce de vers que nous rapporterions ici, si nous
ne craignions de donner une idée peu favorable des mérites
de la poésie hermétique.
En énumérant les conditions que doit remplir un alchi-
miste, Albert le Grand nous dit qu'il doit avant tout possé-
ET DE LA HENAlSSAlXCE. 155
der de la fortune. L'utilité de cette recommandation du
maître pourrait déjà ressortir de ce fait, que, de l'aveu môme
des adeptes, l'or obtenu par la transmutation revenait à un
prix plus élevé que Tor ordinaire. Mais le sens de ce précepte
et sa signification véritable paraîtront encore plus clairs
pour nos lecteurs, si nous rappelons ici la série de travaux
accomplis par un alchimiste très-connu dans les fastes de
l'art, Bernard leTrévisan, qui employa soixante ans à s'oc-
cuper sans interruption de la recherche du grand œuvre. La
conclusion à laquelle arrive cet adepte, quant aux moyens
qu'il a reconnus les seuls propres à faire de l'or, nous don-
nera une explication satisfaisante du précepte d'Albert le
Grand.
L'adepte que Ton désigne dans la bibliographie alchimi-
que sous le nom de Bernard le Trévisan ou du bon Trévisan,
appartenait à une famille noble de Padoue. Né en celte ville
en 1406, il était comte deTrévigo, petit comté de la marche
de Trévise dans les États vénitiens. Dès l'âge de quatorze
ans, il s'occupait d'alchimie sous la direction et avec les
conseils de sa famille, et, à dater de ce moment jusqu'à la fin
de ses jours, cette étude constitua l'unique occupation de sa
vie. Une chronique allemande dit, à propos du sire do
Sultzbourg, mort à Nuremberg en 1286 : « Il a beaucoup
H alchymié et beaucoup dissipé » : le sire de Sultzbourg
devait être bien dépassé par son émule d'Italie.
Encore sous Taile paternelle, le jeune comte Bernard étu-
dia Geber et Rhasès, pour s'initier aux premiers principes
de l'art. Les travaux qu'il exécuta sous l'inspiration de ces
auteurs lui occasionnèrent une dépense d'environ trois
mille ëcus. Ârchelaûs et Rupescissa occupèrent ensuite son
attention, et quinze années furent employées à ces études
préliminaires, pendant lesquelles « je dépendis, nous assure-
« t-il, tant par troùipeurs que par moi pour les connaître,
tf environ six mille éeus. »
Gomme il commençait à perdre courage, un bailli de son
154 L'ALCniMIE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE
pnys lui enseigna à faire la pierre pliilosophale avec le sel
marin ; mais c'est en vain qu'il s'appliqua pendant un an
et demi à ce procédé. Après l'avoir essayé quinze fois, il se
décida à l'abandonner pour un autre moyen enseigné par
le bailli. Ce moyen consistait à dissoudre séparément dans
de l'eau-forle de l'argent et du mercure. Ces dissolutions,
après avoir été abandonnées pendant un an à elles-mêmes,
étniont ensuite mélangées et concentrées sur des cendres
chaudes, de manière à être réduites aux deux tiers de leur
volume primitif. Le résidu de cette opération, placé dans
une cucurbile fort étroite, était exposé à l'action des rayons
solaires; ensuite on l'abandonnait à l'air, afin qu'il s'y pro-
duisît de petits cristaux. On remplit vingt-deux fioles de
ce mélange; puis on attendit patiemment la formation
(les cristaux. Cette attente dura cinq ans : « Nous atten-
« dîmes cinq ans que ces pierres cristallines se créassent au
<( fond des fioles. • Mais, au bout de cet intervalle, rien ne
s'était produit, et le comte Bernard, que toutes ces recher-
ches avaient conduit à l'âge de quarante-six ans, dut songer
h essayer un autre procédé.
Cette nouvelle méthode lui fut révélée par un moine de
Cîteaux, maître Geofroi le Leuvrier, qui en fil avec lui l'ex-
périence. Ils achetèrent deux mille œufs de poule, les firent
durcir dans Tenu bouillante, et enlevèrent les coquilles, qui
furent calcinées au feu. On sépara le blanc et le jaune de
ces œufs durcis, et on les fit pourrir séparément dans du
fumier de cheval. Ensuite on distilla trente fois le produit
pour en retirer en définitive une eau blanche et une rouge.
Mais toutes ces opérations, bien que répétées un très-grand
nombre de fois et variées de plusieurs manières, n'abou-
tirent à rien, et le Trévisan se décida enfin à abandonner
un travail qui lui avait coûté huit années de sa vie.
Le Trévisan besogna ensuite avec un grand théologien,
protonotaire deBergues, qui prétendait retirer la pierre phi-
ïosophale de la couperose, c'est-à-dire du sulfate de fer.
ET DE LA RENAISSANCE. 455
commençait par calciner pendant trois mois la couperose,
que Ton plaçait alors dans du vinaigre distille huit fois. Ce
mélange de couperose et de vinaigre était ensuite introduit
dans un alambic, et Ton distillait ce produit quinze fois par
jour. Ces quinze distillations devaient être répétées chaque
jour pendant un an.
On n'est pas surpris quand le Trévisan nous apprend qu'à
la suite de ce nouveau travail des Danaïdes il fut pris d'une
fièvre quarte qui dura quatorze mois et dont il pensa mourir.
A peine rétahli, le comte Bernard apprit d'un clerc de son
pays que le confesseur de l'empereur, maître Henri, savait
préparer la pierre philosophale. Il s'achemina donc vers l'Al-
lemagne, et, étant parvenu « par grands moyens et grands
amis » à se mettre en rapport avec maître Henri, il fut ad-
mis à la connaissance de son procédé moyennant dix marcs
d'argent, qu'il apporta comme ingrédient indispensable de
l'œuvre. Voici en quoi consistait le procédé du confesseur
impérial.
On mêlait ensemble du mercure, de l'argent, de l'huile
d'olive et du soufre. On fondait le tout à un feu modéré, et
l'on faisait cuire lentement ce mélange au pélican, en re-
muant sans cesse. Après deux mois, le tout fut séché dans
une fiole de verre recouverte d'argile, et le produit placé
pendant trois semaines sur des cendres chaudes. Alors on
ajouta du plomb au mélange, que l'on fondit dans un creu-
set, et le produit de cette fusion fut soumis à l'affinage. Selon
maître Henri, les dix marcs d'argent que l'on avait employés
devaient, a la suite de ces opérations, augmenter d'un tiers;
mais le fait ne répondit point à cette attente, car, l'affinage
terminé, les dix marcs d'argent se trouvèrent réduits à
quatre.
Cet échec fut si douloureux pour le Trévisan, que, pen-
dant deux mois, il abandonna tous ses travaux, et jura d'y
renoncer à l'avenir. Ses parents s'applaudissaient de cette
résolution heureuse, mais leur joie fut de courte durée, car
150 L^AIXUIMIE DA5S LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE
l'adepte obstiné ne tarda pas à reprendre sa chaîne. Déses-
pérant néanmoins de trouver le secret qu il ambitionnait
*\l demeurait li?ré aux seuls conseils des savants de son
pays, il se décida à aller chercher des leçons auprès des
docteurs étrangers. Il parcourut successivement l'Espa-
gno, l'Angleterre, l'txosse, la Ilollande, TAIlemagne et la
France. Enfin, désirant approfondir sur cette question la
science de TOrient, il passa plusieurs années en Egypte, en
Perse et en Palestine. Il séjourna particulièrement dans la
Grèce méridionale, parce que les autres parties de ce pays
étaient continuellement inquiétées par Tinvasiondes troupes
turques. S'attachant surtout à visiu^r les couvents, il tra-
vaillait à la préparation de Tœuvre avec les moines que
leur renommée désignait à son attention. H ne dédaignait
pas pourtant le savoir des laïques. Mais tous ses efforts,
toutes ses investigations incessantes, n'aboutirent à rien. Il
avait ainsi atteint Tôge de soixante-deux ans et dissipé ta
plus grande partie des sommes résultant de la vente de ses
biens. En 1472, il arriva à Rhodes sans argent, mais con-
servant toujours, dans toute sa vivacité, sa foi dans l'agent
merveilloux qu'il poursuivait depuis les premières années
do sa jounosse.
A Rhodes habitait un « grand clerc et religieux » que l'on
reconnaissait dans tout rOrionl comme ayant le bonheur
d'^^tre en possession de la pienv philosophale. C'est pour se
mettre en rapport avec lui que Rernard s'était arrêté dans
cette île. Mais, privé de ressources, il aurait rencontré beau-
coup de difficultés pour aborder l'éminent adepte, auprès
duquel on n'était i>as admis les mains vides. I^a générosité
d'un marchand, ami de sa famille, qui consentit à lui prêter
huit mille florins, lui facilita Taccès de ce savant homme.
Jamais d'ailleurs son argent n'avait reçu un meilleur em-
ploi, car c'est le n^ligieux de Rhodes qui devait fixer les
douio'^ du Ih^u Trévisan et ouvrir enfin ses yeux à la vérita-
ble lumière. Apn'*s l'avoir induit, trois anmvs tlurant, en
ET DE LA RENAISSANCE. 157
dépenses et travaux inutiles pour l'exécution d'un procédé
de préparation du magistère, au moyen de For et de l'ar-
gent mêlés à du mercure, le vieux ])récepteur de ce vieil
élève lui révéla le grand secret de toute la science herméti-
que. C'est en effet par ses conseils que le ïrévisan, abandon-
nant enûn tout travail pratique, trouva dans le Code de la
vérité (la Tourbe des philosophes) cette maxime qui donne à
tous la clef des mystères alchimiques ;
a Nature s'cjouit de Nature,
Et Nature conlicnl Nature. »
En style commun, cette maxime veut dire que pour faire
de l'or il faut de l'or, et que les procédés hermétiques ne
fournissent jamais de ce métal précieux que la quantité
qu'on a bien voulu en introduire dans les opérations.
Ainsi se trouve justifié et expliqué l'avis donné par Albert
le Grand à Talchimiste, que, pour se livrer à la recherche de
la pierre philosophale, il faut commencer par posséder de
grands biens.
Lorsque, dans Tannée 1483, le comte Bernard, à l'âge de
soixante-dix-sept ans, se trouva initié de cette manière au
véritable secret de la science hermétique, il voulut se rendre
utile aux innombrables adeptes engagés dans la même car-
rière où il avait si tristement usé sa propre existence, et c'est
dans ce but qu'il consacra les sept dernières années de sa
vie à écrire, sur les principes de l'art, ses divers traités dont
le plus célèbre a pour titre : Le Livre de la philosophie na-
turelle des métaux^. Les alchimistes, qui ont si souvent in-
voqué les paroles du bon Trévisan et cherché dans ses écrits
la confirmation de leurs vues, n'ont pas compris que le but
de fauteur était seulement de mettre en relief l'inutilité de
' Le Liwre d$ la philosophie naturelle des métaux, de Mcssirc Bernard,
comte de la marche Trévisane. — Dans la Bibliothèque des philosophes
chimiques, tome II.
m DOCTRINE!^ ET TiU
devinl , en partieulici , le sujet d'Ulj
pmeûees. On espt'ruU beaucoii[>, au i'
siècle , en extraire un dissolvant de I
lliousiaste avec laquelle les aleliimisten s't
eberches sur ce lii|ui(lG, en vue del*^
nous est signa Ire par un ouvrage «p
magne sous le titre âeSol sine vesîe(ior ^mM
Cet ouvrage, d'un auteur inconnu, r -''
fail qui démon ire que ces expérieur
avec une ardeur qui alleignail quelqu*^'
rocite. L'auteur la lenaii d'un abbé de Sn^
l'acteur prineipal de l'événement Tavail i
Un religieux, coupable de meurtre, ayn.
mort, le supérieur du couvent, alcbimisU* ;
b grâce de la vie à la eonditi^in qu'il se pi
expériences auxquelles on jugerait à profn
Pliilôt soullrir que mumir.
C'est b devise dts lioinme*.
Le moitié accepta l'épreuve. On l'enfermii
cliot , sans lui donner aucun aliment, el IH
ordonna de s'abreuver de son urine. Il -
goûtante inpnetion. Mais, bienlùi à ImiU <h
la privation de nourriture, sa tête s'û
ineapable de l'iuitinuer celle abominable r*jil
si on du liquide, rouge a Torcc de c^hmm
devenue si corrosîve, qu*elle lui urrachoir
tables. Le malbeureux expira le «'
le prélat, ayant recueilli la dernii'
à ses expériences, et il prctendil y ï»^
[iropriétés eCau dUëolvfiui univenrL n
AJais ce [uélat « curieux , » comme »
garda son secret- On cuntinua donc à c
même liquide le dissolvant du roi !
3ni sur le [m-
ET DE LA RENAISSANCE. 150
€ Si tu as le malheur, dit-il h Tadepte, de t'iutroduire auprès des
princes et des rois, ils ne cesseront pas de te demander : « Eh bien,
« maître, comment va Tœuvre? Quand verrons-nous enfin quelque
4f chose de bon? » Et, dans leiu* impatience d'en attendre la fin, ils
t'appelleront filou, vaurien, etc., et te causeront toutes soiles do
désagréments ^ Et, si tu n'arrives pas à bonne fin, tu ressentiras tout
Teffet d*» leur colère. Si tu réussis, au contraire, ils te gui-deront
chez eux dans une captivité perpétuelle dans Tintentiou de te faire
travailler à leur profit. »
Albert le Grand a parfaitomcnt résumé dans les lignes qui
précèdent les dangers qui attendaient les aleliimisles à la
cour des rois. Tous les souverains, en effet, ne se sont pas
contentés de traiter les faiseurs d*or avec le spirituel mépris
que montra envers Tun d'eux le pape Léon X, à qui Auré-
lius Augurelle avait dédié son poëme latin Chrysopoïa. L'a-
depte poëte reçut pour récompense du souverain pontife une
bourse vide, attendu, disait le pape, qu'à un homme ayant le
pouvoir défaire de l'or on ne peut offrir autre chose qu'une
bourse pour le serrer. Les souverains du moyen âge furent
loin de s'en tenir à cette critique innocente. Leurs rapports
avec les artistes hermétiques furent toujours compris entre
les deux termes suivants : Si l'adepte se présentait à la cour,
avouant avec sincérité qu'il n'avait pas encore parfaitement
tiré au clair la préparation de la pierre pliilosophale, on le
bannissait avec mépris. S'il témoignait, au contraire, par des
preuves plus ou moins satisfaisantes, que le grand secret
lui était connu, on le soumettait à un examen sévère,
qui aboutissait toujours au même résultat : des peines très-
cruelles et quelquefois la mort, si l'on découvrait les moyens
frauduleux dont l'artiste avait fait usage ; la torture, un
emprisonnement perpétuel, s'il refusait de dévoiler son se-
cret.
* «Hagistcr, quomodo sucecdit tihi? O'ïinclo vi Icbimiis aliquid boui? »
Kl non volontés cxpectarc finom oporis, (liront: a. îsiUU e?.\. , UwV^vwcv
osso, » eîc.
I(i0 L ALCHIMIE DANS LA S(X:iÉTÉ DU MOYEN AGE
Un grand nombre d'adeptes ont eu Toecasion de faire h
triste expérience de cette vérité, et Thistoire a enregistré
sous ce rapport des témoignages déplorables de la cruauté
'des souverains. C'est ainsi qu'en 4575 le duc Jules de Brun-
swick de Luxembourg fit brûler dans une cage de fer une
femme alchimiste, Marie Ziglerin, convaincue d'avoir trompé
ce prince en lui promettant la recette de la préparation de
Tor. Au moyen âge, beaucoup d'artistes ambulants allaient
de ville en ville et souvent de foire en foire, pour montrer
leurs tours d'adresse, luttant d'habileté et de tromperies
avec les bohémiens et les bateleurs, et cherchant à voler à
de crédules spectateurs l'argent qu'ils ne pouvaient honora-
blement gagner. Beaucoup d'entre eux, qui osèrent s'aven-
turer à la cour des princes, y trouvèrent des punitions sou-
vent terribles.
Nous avons rapporté plus haut la triste fin de Bragadino,
pendu à Munich en 1590. George Honauer eut le môme sort
on 1597, et le duc Frédéric de Wurtemberg ordonna de lais-
ser debout pendant plusieurs années l'instrument du supplice
de cet adepte pour servir d'avertissement à ses confrères.
Guillaume de Krohnemann, vers 1686, avait trompé, en fa-
briquant de l'or faux, la cour du margrave George-Guil-
laume de Beireuth. Lorsqu'on reconnut que l'or qu'il avait
vendu comme pur n'était qu'un alliage, et que l'argent qu'il
avait obtenu de la prétendue transmutation du mercure n'é-
tait qu'un amalgame, il fut pendu par l'ordre du margrave,
et cette ironique inscription fut placée sur son gibet : « Je
savais autrefois fixer le meîxure, et c'est moi maintenant
qui suis fixé. » On trouvera plus loin le récit de la carrière
extraordinaire de l'aventurier Gaëtano, supplicié en 1709
par l'ordre du roi de Prusse, Frédéric V\ Un rival de cet
aventurier célèbre fut Hector de Klettenberg, de Francfort,
qui, obligé de quitter son pays à la suite d'un duel malheu-
reux, essayait de gagner sa vie par les tours d'adresse her-
métiques, et avait réussi à faire, à Maj^ence, à Prague et à
ET DE LA RENAISSANCE. ICI
firême, un grand nombre de dupes. Après avoir exploité de
la même manière la confiance du duc de Weymar, il se pré-
senta en i720 au roi de Pologne, Auguste 11, promettant de
l'enrichir du secret de la pierre pliilosophale. Sur cette pro-
messe, le roi de Pologne le nomma gentilhomme de la cham-
bre; mais, comme il demeurait impuissant à rien produire
(les merveilleux résultats qu'il avait annonces, le roi, outré
de fureur, le fit conduire à Kœnigstein, où il fut décapité.
Les aventures de l'Écossais Alexandre Sethon, qui seront rap-
portées dans une autre partie de cet ouvrage, nous montre-
ront un autre exemple des vengeances terribles que les sou-
verains allemands savaient tirer des adeptes rebelles à leurs
exigences. Pour en finir avec ce genre de faits, nous rappor-
terons la mort d'un adepte moins célèbro, David Beuther,
qui fut, vers la même époque, victime de la vengeance d'un
autre petit souverain d'Allemagne.
Dans son Labaratoiniim clnjmiciim, Kunckel, dont l'auto-
rité est si digne de foi, donne le récit suivant des faits rela-
tifs à cet alchimiste.
David Beuther, né en Saxe, avait été élevé sous les yeux
de l'électeur Auguste de Saxe, qui passa une partie de sa
vie à s'occuper avec Anne de Danemark, sa femme, delà
recherche du grand œuvre. Le prince travaillait dans un
laboratoire magnifique qui faisait partie du château élec-
toral. Devenu habile en cette science, Beuther fut admis, en
i575, à Thonneur de travailler avec son prince.
Un jour qu'il se trouvait seul dans le laboratoire, David
Beuther découvrit, par hasard, cachée dans un coin, une cer-
taine quantité d'une poudre grise que son étiquette désignait
comme la pierre philosophale. Telle n'était point cepen-
dant la nature de l'objet découvert par l'adepte; c'était
un amalgame d'or ou un composé aurifère qui pouvait
jouer le rôle de cet agent précieux, car c'est en se détrui-
sant par l'action de la chaleur qu'il laissait apparaître
l'or. Mais, commn la quantité de cette ponrtro (\\ïv\\ ççyev^\\vv
i62 L'ALCfflMIE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE
rable, à quelque titre que ce fût, elle constituait un trésor,
r/est là ce ipie dut penser Bouther lorsque, après avoir lu sur
une feuille de parchemin qui enveloppait sa trouvaille la ma-
nière d'en faire usage, il vit le métal précieux se multiplier
en ses heureuses mains. 11 communiqua sa découverte à
deux jeunes compagnons de ses travaux, Vertel et Heidler;
et ils se mirent bientôt à mener ensemble joyeuse vie, grâce
au produit de leur facile industrie. Cependant Télecteur de
Saxe, ayant quitté Dresde, amena avec lui Beuther. Ainsi pri-
vés des ressources auxquelles les avait habitués la commune
exploitation du trésor de Beuther, ses deux amis lui écrivirent
pour réclamer de lui une part dans ses richesses. Hais Beu-
ther, dont la précieuse provision s'était sans doute épuisée,
se trouvait hors d'état de répondre à leur demande. Outrés
de ce refus, et pour se venger de sa conduite, ses ingrats
compagnons écrivirent au prince pour lui tout dénoncer.
Pressé de questions et obligé de se rendre à l'évidence,
Beuther avoua les faits.
L'électeur déclara qu'il pourrait à la rigueur contraindre
le coupable à lui dévoiler son secret, mais qu'il consentait à
lui pardonner, exigeant seulement qu'il lui remit le dixième
des quantités d'or et d'argent qu'il fabriquerait. Beuther
avait d'excellentes raisons pour ne pas accepter la condition
imposée par l'électeur. Sur la déclaration de son refus, il
fut arrêté. Il entra dans sa prison, maudissant l'alchimie et
jurant d'y renoncer à jamais. Mais le terme de ses infor-
tunes n'était pas arrivé. Le prince espéra d'abord obtenir de
lui quelque chose avec des promesses et de flatteuses paroles;
il assura l'adepte de toute sa faveur s'il voulait consentir
à céder à ses prières. Tout fut inutile, et le prince, irrité
de sa résistance, ordonna de le traiter avec la dernière ri-
gueur.
Beuther, qui avait été laissé libre par intervalles, fut
réintégré dans sa prison, sur l'avis qui fut transmis à l'é-
' *teur que l'adepte prenait ses dispositions pour gagner
ET DE LA RENAISSANCE. 163
l'Angleterre. En même temps, Télecteur demanda à la cour
de Leipsick un jugement contre la félonie de son élève. En
1580, la cour prussienne rendit un jugement contre Beu-
tber, sur le double grief d'avoir manqué à sa parole etd'avoir
rempli avec négligence ses fondions d'alchimiste auprès de
l'électeur. Ce jugement portait (jue Beuther devait être con-
sidéré comme possesseur de la pierre philosophale, et qu'en
conséquence son secret lui serait arraché par la torture ;
que, pour s'être montré infidèle à son prince, il serait battu
de verges, perdrait deux doigts et passerait en prison le
reste de ses jours, afin de Tem pêcher d'enrichir de son
secret quelque souverain étranger.
Cependant l'électeur hésitait à faire exécuter un arrêt si
sévère. Un reste de tendresse pour le jeune homme qui avait
grandi sous ses yeux, un vague espoir de conquérir son
précieux secret, faisaient chanceler sa résolution. C'est un
samedi soir que le condamné avait reçu signification de l'ar-
rêt de Leipsick; le lundi matin il recevait du prince une
lettre ainsi conçue :
€ Beuther. l rends-moi ce que tu m'as pris, rends-moi ce que Dieu
et la justice m'ont donné; sans cela je prononcerai lundi sur ton sort,
et peut-être m'en repentirai-je plus tard. Ne me force point, je t'en
conjure, à pousser les choses k cette extrémité. »
En réponse à cet appel du prince, Beuther traça en gros
caractères, sur les murs de sa prison : (f Chat enfermé rtat-
« trapepas de souris! » En môme temps il écrivit au prince,
lui promettant de tout dévoiler si on le rendait libre. Ayant
favorablement écouté cette proposition, Télecteur fit sortir
Beuther de prison, et on le réintégra dans le laboratoire
de Dresde, dans la Maison (Tor, ainsi qu'on l'appelait. On
lui rendit tous les privilèges, tous les honneurs, dont il
avait précédemment joui; seulement l'électeur exigea qu'un
homme de sa maison, chargé de le surveiller, demeurât
constamment près de lui, assistant à toutes ses opérations et
ne le perdant jamais de vue.
IGi l/ALCIIIMIE DANS LA SOGIfiTÉ DU MOYEN AGE
C'est dans ces conditions nouvelles que Beuther fut con-
tmint de se remettre à Tœuvre. Le désespoir lui inspirait des
forces surhumaines pour parvenir à trouver le secret terri-
ble d'où son existence dépendait. Il essaya un grand nom-
bre de moyens divers, cherchant chaque fois à persuader
de son succès imaginaire l'inflexible gardien toujours at-
taché ù ses pas. Mais celui-ci, difficile à convaincre, ne
pouvait que transmettre au prince le résultat négatif des
expériences.
Un jour, le gardien, s' étant éloigné pour quelques in-
stants, laissa son prisonnier seul dans le laboratoire. A son
retour, il trouva le malheureux adepte étendu sans vie sur
le plancher : David Beuther s'était dérobé par le suicide aux
tortures de sa situation.
Après avoir vu tant de leurs malheureux confrères tomber
victimes de ravarice des souverains, périr par le glaive,
être soumis aux plus affreux tourments, ou terminer leurs
jours dans l'ombre d'un cachot, les adeptes avaient compris
toute l'étendue des périls attachés à Texercice de leur art,
et beaucoup d'entre eux, éclairés par l'infortune de leurs
pri'décessours ou par leurs propres adversités, avaient fini
par perdre toute croyance à l'alchimie. Ils n'hésitaient plus
alors à redire, pour caractériser cette dangereuse science,
l(\^ énergiijues paroles de l'abbé de Wiezenberg, Jean Clyte-
mius, qui écrivait au seizième siècle : Vanitas, fraiis, ddus,
sophisticatio, cupiditas, falsUaSy mendacium, stultitiat
pnupertiis, desesperatiOy fiiga, proscriptio et mendicitas^
perdisœque sunt chemix. Parvenus au bout de leur carrière,
ayant perdu biens et repos dans cette inutile et décevante
poursuite, ils pouvaient tristement répéter l'adage bien
connu de l'Allemagne au seizième siècle : Propter lapidem
islam dilapidavi bona mea,
Gabriel Pénot, alchimiste français, né dans la province de
Guyenne, avait passé sa vie entière et dissipé une fortune
ET DE LA UENAlSSAiNCE. IG5
considérable à défendre les idées de Paracelse et les principes
de l'hermétisme. 11 avait écrit dix ouvrages sur ces questions,
et voyagé dans une partie de TËurope comme le champion
dévoué de ces doctrines. En 1617, réduit à la dernière mi-
sère, il alla mourir, rongé de vermine, en Suisse, à l'hôpital
d'Yverdun. Beaucoup de personnes qui, sur le bruit de son
nom, étaient accourues pour le voir à l'hospice, se pres-
saient autour de son lit à ses derniers moments, et le con-
juraient, les mains jointes et la prière aux lèvres, de leur
laisser en héritage le secret précieux dont il était possesseur.
Le malheureux aurait bien voulu satisfaire à un tel désir;
mais il ne pouvait que protester de son ignorance sur ce su-
jet, et verser des larmes amères sur le triste état où l'avait
réduit sa passion funeste pour une fausse science qu'il ne
devait plus que maudire et détester. Son refus exaspéra les;
témoins impitoyables de cette scène déchirante qui aurait dû
attendrir leurs cœurs. Les injures et la menace succédèrent
aux supplications; ennn on l'abandonna avec colère : « Meurs,
« avaricieux et méchant, qui veux emporter dans la mon
« un secret inutile à la tombe! » Alors, à demi expirant,
Gabriel Pénot, se dressant sur son lit, envoya, comme malé.
diction suprême à ses persécuteurs, le vœu que, pour sa
vengeance. Dieu leur inspirât un jour la résolution de se faire
alchimistes.
Une scène à peu près de ce genre se passa au lit de mort
du célèbre nécromancien théosophe. Corneille Agrippa, qui,
à ses derniers moments, déplora avec amertume les folies de
sa carrière, et condamna solennellement les erreurs et les
mensonges de ses confrères. Au reste, Agrippa n'avait pas
attendu ce moment pour condamner Talchimic, et, dans ce
magnifique pamphlet. Déclamation sur V incertitude, vanité
et abus des sciences, Tune des œuvres littéraires les plus
étranges du seizième siècle, il avait tracé une peinture très-
expressiveCes conditions misérables réservées aux alchimistes
de son temps. Les traits suivants sont particulièrement di^ne^
J66 L*ALCBIII1E DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE
d'élrc reproduits pour caractériser les tristes déconvenues
(|ui attendaieut les adeptes :
c Les dommageables charbons, dit Corneille Agiippa, le soufre, lu
lieutc, les poisons, et tout dur travail vous semblent plus doux que le
miel, tant (pie vous ayei consommé tous vos héritages, meubles et
pitrimoincs, et iceux réduits en cendre et fumée, pomTii que vous
vous promettiez avec patience de voir, pour récompense de vos longs
labeui-s, ces beaux (enfantements d'or, perpétuelle santé et retour à
jeunesse. Enfin, ayant perdu le temps et Targent que vous y aurez
mis, vous vous trouvez vieux, chargés d'ans, vêtus de haillons, affa-
més, toujours sentant le soufre, teints et souillés de zinc et de char-
bon, et par le fréquent maniement de l'argent vif devenus paralytiques,
et n'ayant retenu que du nez toujours distillant : au reste, si malheu-
reux, que vous rendriez vos vies et vos âmes mêmes. En sonune, œs
souHleurs expérimentent eu eux-mêmes la métamorphose et chang(**
ment qu'ils enlrepieuuent de faire sur les métaux ; car, de chimiques
ils devieiment cacochymes, de médecins mendiants, de savonniei^
taverniers, la farce du peuple, fous manifestes, et le pusse-temps d'un
chacun. Et n'ayant pu se contenter en leurs jeunes ans de vivre en
médiocrité, ains s' étant abandonnés aux fraudes et tromperies des
alcliimistes toute leur vie, ils sont contraints, étant devenus vieux, de
bélistrer en griuidc pauvreté ; en sorte que, au lieu de trouver faveur
et miséricorde en l'état calamiteux et misérable où ils se trouvent,
ils n'ont que le ris et la mo(iuerie d'un chacun. »
Ce tableau, pris sur nature, rend inutile tout autre déve-
loppement dans lequel nous pourrions entrer au sujet de la
vie des alchimistes; il complète la curieuse physionomie de
ces hommes dont nous avons essayé de retracer quelques
traits peu connus.
HISTOIRE
DES PRINCIPALES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES
HISTOIRE
DES PRINCIPALES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQIKS
Pour développer avec les déuiils convenables Targunicnt
historique, thème favori invoqué par les alcbimisles en fa-
veur de leur science, nous allons rapporter les événeraenl^^
les plus remarquables parmi ceux que l'on a désignés sous le
nom de faits de transmutation métallique. Nous ne pren-
drons pour guides, dans ces récils, que les écrivains qui
ont eu le soin d'appuyer leurs narrations sur des docu-
ments et des renseignements positifs. Tels sont G. de Hog-
helaode, dans son Historix aliquot transmutationis me-
toUicx, Lenglel Du Fresnoy, dans son Histoire de la
fkUosophie hei^métiquej et Scbmieder, dans son curieux
OQvrage Geschichte der Alchemie. Des faits singuliers que
nous allons essayer de faire revivre, il ne sortira nulle-
nient la preuve que la pierre pbilosophale a été trouvi'c.
Sur cette question, notre opinion est fort arrêtée; et,
bien que l*état présent de la chimie ne repousse point
fune manière formelle la possibilité d'un tel résultat,
nous n'hésitons pas à avancer que le grand secret de la
^ence hermétique n'a jamais été révélé à aucun élu dans
Is longue série de siècles où il a été Tobjel de \^w\ ^v^
170 UISTOIRE
recherches ardentes. Nous aurons soin de placer, à côlé de
chacun des événements que nous aurons à raconter, Texpli-
cMion qui permet le mieux d'en rendre compte. Dans un
grand nombre de cas, c'est par l'emploi de fraudes faciles à
signaler que le fait peut s'expliquer. — Aussi conseillons-
nous au lecteur, avant d'entreprendre la lecture des pages
qui vont suivre, de se reporter au célèbre mémoire de Geof-
froy mr les supercheries concemomt la pierre philosophais
Ce mémoire se trouve reproduit dans les notes de cet ouvrage
comme un correctif que l'on pourra toujours trouver sous
la main, pour le consulter dans un moment de doute ou
d'hésitation. — Dans d'autres cas, les adeptes agissaient de
bonne foi, et les résultats merveilleux qu'ils voyaient se pro-
duire tenaient à des circonstances étrangères qui leur échap-
paient, mais que l'état actuel des sciences chimiques permet
aujourd'hui de saisir.
Ces réserves établies, nous pouvons aborder l'histoire des
transmutations métalliques. On comprendra, après cette
lecture, l'émotion profonde que ces événements ont excitée
en Europe dans les siècles de crédulité et d'ignorance au
milieu desquels ils ont apparu, et l'influence qu'ils durent
exercer à cette époque sur l'imagination des hommes : le
crédit universel, l'empire immense dont l'alchimie a joui si
longtemps en Europe, n'aura dès lors plus rien qui doive
étonner.
Les écrivains qui se sont attachés à nous transmettre les
divers faits que l'on considère comme devéritables traùsmu-
taliotis rapportent un certain nombre de ces événements,
qui se seraient passés pendant les douzième et tteizième
siècles* Ils attribuent des projections couronnées de succès à
divers alchimistes de cette époque, tels que Amauld de Ville-
tieuve , sâiint Thomas d'Aquin, Alain de Lisle et Albert le
Grand . Nous ne remonterons point à des temps si éloignés,
parée que les témoignages qui nous restent concernant ces
faits seraient insufFisants pour la sincérité et l'utilité d'une
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLiniES. 171
discussion historique. C'est seulement du quatorzième siècle
que nous ferons partir la revue qui va nous occuper. D'ail-
leurs, c'est à cette époque qu'appartient l'un des événements
qui ont marqué le plus dans les fastes de la philosophie
hermétique. C'est alors qu'apparaît Nicolas Flamel et son
étrange chronique, qui à donné tant de popularité et de
retentissement aux idées alchimiques. C'est donc par l'exa-
men des transmutations attribuées à cet adepte célèbre
que nous commencerons l'histoire des transmutations mé-
talliques.
CHAPITRE PREMIER
NICOLAS FLAMEL.
Ce n'est pas seulement dans l'ordre chronologique que
Nicolas Flamel doit être placé le premier sur la liste des for-
lunés souffleurs. L'adepte heureux qui laissa une mémoire
non-seulement vivante, mais presque vénérée pendant plus de
quatre siècles; celui dont le nom populaire s'est incrusté si
profondément dans les traditions et les légendes de notre
pays, mérite, à bien des titres, d'occuper la première place
dans les récits de la science transmutatoire. Tandis que la
plupart des adeptes dont nous aurons à rappeler Texistcnce
ne trouvent dans la pratique de leur art que la déception, la
ruine ou le désespoir, Nicolas Flamel ne rencontre dans sa
carrière que bonheur et sérénité. Loin de se ruiner en tra-
vaillant au grand œuvre, on le voit ajouter subitement des
trésors à sa fortune. Il ramasse des richesses, considérables
pour le temps, et que Topinion populaire élèvera bienuU
à des proportio/7/? fabuleuses'. Il les emp\o\e tw v\ç^\tv>ÀvNXv'>
175 mSTOIRE
chari labiés et en fondations pieuses qui lui sunivront. 11
bûtit des églises et des chapelles sur lesquelles il fait gra-
ver son image accompagnée de symboliques figures et de croix
niystcTieuses que les adeptes des temps futurs s'efforceront
de déchiffrer pour y retrouver l'histoire de sa vie et la des-
cription cabalistique des procédés qui l'ont amené à la réali-
sation du magistêi'e.
Dans un manuscrit de la main de Nicolas Flamel, on
trouve résumés, par des indications précises, le nombre
et la succession des opérations qu'il faut accomplir pour
parvenir au grand œuvre *. Flamel explique dans ce
manuscrit, à l'adresse des alchimistes, ce qu'à la même
époque il leur donne à déchiffrer dans les figures hié-
roglyphiques du charnier des Innocents et du portail de
Saint-Jacques-la-Boucherie. Qui ne serait frappé d'un tel
enchaînement de réalili^s si bien liées entre elles, si bien
confirmées les unes par les autres? De grandes richesses
rapidement acquises sans que personne en puisse indiquer
la source, de nombreuses fondations qui en attestent l'im-
portance, et des monuments divers qui, dans leurs déco-
rations symboliques, en attribuent l'origine au grand œu-
vre ; puis un livre, contemporain de ces symboles, qui vient
* C'est le manuscrit qui existe encore ù la Bibliothèque impériale, et
que l'on désigne quelquefois sous le nom de Traité des lavure»; il débute
ainsi: «Cy commence la vraie pratique de la noble science d*alkmie... »
cl fait connaître le nombre et la succession des lavures à exécuter pour
la préparation de la pierre philosophale. La critique est forcée d'aban-
donner la composition de cet ouvnige à Nicolas Flamel, car il est écrit
de sa main, et Ton ne trouve pas d'autie auteur à qui Ton puisse Tattri-
liuer. Or ce manuscrit contient dans son titre, écrit de la milme main, et
eonséquemment authentique au même degré que le reste du texte, une
sorte de sommaire résumant, par des indications très-nettes, les divers
^uJets traites dans la plupart des livres que la tradition a mis sous le nom
<ic Flamel. Ce manuscrit devait siirPirc à lui seul, tous les traités qu'on
lui attribue iïissenl-ils apocryphes, pour confirmer l'opinion générale,
q«H a si longtemps régné, du triomphe do Nicolas Flamel dans l'œuvre
'•iMMiiéliquc.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 473
leur servir de commentaire, et le tout, depuis Torigine jus-
qu'à la fin, se rapportant à l'histoire du même personnage.
Certes, nous reconnaissons et nous entendons réserver les
droits de la critique, mais nous ne comprenons guère celle
qui, dans ses préventions systématiques contre toute histoire
ornée par la légende, n'a pas craint de contester à Nicolas
Flamel jusqu'au titre d'alchimiste. 11 nous paraît donc im-
possible de dénier à Técrivain de Saint-Jacques-la-Boucherie
le titre d'adepte et les travaux qui en sont la conséquence,
Quant au fait d'avoir trouvé le secret de la science hermé-
tique, nous exposerons les motifs qui empêchent d'en laisser
subsister la pensée. Mais, si l'on ne peut admettre que Flamel
ait possédé la pierre philosophale, au moins faut-il avouer
qu'aucun autre alchimiste n'a rassemblé un plus grand nom-
bre de preuves pour faire croire à la réalité de ce fait, et
pour implanter cette opinion dans les crédules esprits de ses
contemporains.
On ne possède aucun renseignement précis sur la date ni
sur le lieu de la naissance de Flamel. La plupart de ses bio-
graphes le font naître à Pontoise ; mais nul d'entre eux n'a
fixé l'époque de sa naissance. Cependant, en rapprochant
quelques dates plus faciles à réunir, on trouverait sans doute
que l'époque de sa naissance ne doit pas s'éloigner beau-
coup de Tannée 1530. Bien que d'une fortune très-médio-
cre, ses parents purent lui donner une éducation que nous
appellerions aujourd'hui libérale. Certaines connaissances
dans les lettres lui étaient, en effet, nécessaires pour venir,
comme il le fit, s'établir, jeune encore, dans la capitale du
royaume en qualité d'écrivain public, profession qui embras-
sait alors beaucoup de travaux d'une nature variée. Plu-
sieurs témoignages nous montrent que Nicolas Flamel exerça
celte profession dans toute son étendue et avec un succès qu
peut le faire considérer comme un clerc distingué parmi les
artistes du quatorzième siècle.
10,
(
174 HISTOIRE
Comme aucun document ne peut éclairer les premières
années de sa vie, Thisloire de Flamel ne commence, pour
nous, qu'au moment où il apparaît, au charnier des Inno-
cents, parmi les écrivains publics qui, de temps immémo-
rial, avaient adossé leurs échoppes contre ces vieilles con-
structions. Cependant, les gens de sa corporation étant allés
plus tard s'établir sous les piliers de l'église Saint-Jacques-
la-Boucherie, Flamel, à leur exemple, y transporta son bu-
reau. Les affaires du jeune écrivain cx)mmençaient déjà à
prospérer; car on lui voit, dans ce nouveau quartier, deux
échoppes : l'une occupée par des copistes à ses gages ou par
les élèves qu'il formait dans son art, l'autre où il se tenait
ordinairement lui-même. Cette échoppe, à laquelle le modeste
et laborieux écrivain demeura toujours fidèle malgré les
richesses qu'il acquit plus tard, n'offrait de particulier que
son excessive exiguïté. D'après Sauvai, elle n'avait pas plus
de deux pieds et demi de long sur deux de large; après la
mort de Flamel, elle resta longtemps à louer, et la paroisse
de Saint-Jacques-la-Boucherie ne put qu'avec peine trouver
un preneur à raison de huit sols parisis par an. C'est dans
cet étroit espace que l'honnête artiste vil s'écouler sa vie.
Installé dans son nouvel établissement du quartier Saint-
Jacques-la-Boucherie, Nicolas-Flamel contracte bientôt une
union qui vient ajouter beaucoup à cette première aisance à
loquelle il est déjà parvenu. Il épouse une veuve que Ton
croit née à Paris, comme on croit Flamel lui-même né à
Pontoise, l'origine de l'une n'étant pas plus certaine que
celle de l'autre. Mais, à ce détail près, dame Pernelle est une
personne de mérite, économe, prudente, sage et expérimen-
tée, belle, ou du moins agréable encore, autant que peut le
paraître, aux yeux d'un jeune mari, une femme deux fois
veuve, ayant quarante ans passés, point d'enfants, et une dot
dont les biographes oublient de nous donner le chiffre, mais
qui doit être estimée assez honnête d'après ses effets immé-
diats sur la situation de la communauté. Il se présenta un
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 475
terrain vacant à Tun des angles de la vieille rue de Mari-
vaux; les époux Tachetèrent et y firent bâtir une maison en
face de leur échappe. Dans cette maison, à l'enseigne de la
Flsiir de lys, les gens de cour venaient recevoir de l'écrivain
expert des leçons d'écriture qu'ils payaient fort chèrement.
Or bâtir, dans la bourgeoisie du quatorzième siècle comme
dans celle de nos jours, c'est l'indice assuré, l'emblématique
manifestation d'une fortune en train de se consolider. Il
existe toutefois un titre qui nous fournit quelques éclaircis-
sements sur le véritable état de la fortune de Flamel à celte
époque : c'est l'acte par lequel, trois années après leur union,
les deux époux se firent un don mutuel de tous leurs biens,
afin que chacun d'eux « pût avoir honnêtement sa vie selon
son état. » D'après l'énumération des biens qui composent
cette dotation mutuelle, on voit que les ressources du mé-
nage ne dépassaient guère encore la médiocrité.
Ainsi Nicolas Flamel, établi dans le nouveau quartier des
écrivains, vient de faire un mariage de raison ; il s'est mon-
tré en cela homme positif^ et cette qualité ne lui fera jamais
défaut, bien qu'elle doive paraître originale chez un alchi-
miste. Il est vrai qu'il n'a encore touché que de fort loin
aux pratiques de cette science occulte. Si, désireux d'éten-
dre le cercle de ses. affaires, il a joint à sa profession d'écri-
vain l'industrie de libraire, s'il entreprend un nombre con-
sidérable de travaux dans l'art de l'écriture, où il excelle, il
ne travaille encore qu'au grand jour et sur des matières
connues. Tandis qu'une laborieuse activité règne dans ses
échoppes, sa maison se remplit de beaux livres richement
enluminés et qui trouvent un excellent débit; il s'entoure
de nombreiix élèves qui rétribuent ses leçons en raison de
la vogue et du talent de leur maître. En tout cela, Flaniel
trouve les moyens de s'enrichir, mais fort peu d'occasions
de se mettre en contact avec la science des philosophes her-
métiques. Ce qui peut seulement seconder le désir qu'il
éprouve, à l'exemple de tous les hommes éclairés de son
170 HISTOIRE
tPmps, do devenir expert dans les pratiques de l'alchimie,
ce sont les occasions qui lui sont souvent offertes d'acheter,
de vendre, de copier, peut-être même de lire, quelques ou-
vrages hermétiques, alors si nombreux et si recherchés. Il
faut même admettre que notre artiste avait commencé de
s'adonner à quelques lectures de ce genre, et que son esprit
inclinait vers ces idées, pour expliquer la vision qu'on lui
attribue et qui devint l'origine de ses travaux hermétiques.
Une nuit donc, raconte la légende à laquelle l'histoire va
désormais fréquemment céder la parole, Nicolas Flamel dor-
mait d'un profond somme, quand un ange lui apparut,
tenant à la main un livre d'une antiquité vénérable et d'une
magnifique apparence : « Flamel, lui dit l'ange, regarde ce
« livre, tu n'y comprends rien, ni toi ni bien d'autres, mais
« tu y verras un jour ce que nul n'y saurait voir. » Et,
comme Flamel tendait la main pour recevoir le don précieux
qu'il croyait lui être offert, l'ange et le livre disparurent à
la fois dans un nuage d'or.
Cependant la prédiction céleste tardait beaucoup à s'ac-
complir. L'ange semblait avoir si bien oublié sa promesse,
que Flamel n'y eût point sans doute songé davantage, sans
un événement qui vint réveiller ses souvenirs et en môme
temps ses espérances. Un certain jour de l'année 1357, il
acheta d'un inconnu un vieux livre, qu'il reconnut, dès
la première inspection, pour celui de son rêve. Dans un des
ouvrages que la tradition lui attribue *, il s'explique avec
détails au sujet de cette trouvaille. Nous citerons quelques
lignes de son texte, qui renferment une description très-
précise et de nature à faire ajouter foi à la réalité de l'objet
décrit, avec quelques détails précieux sur la position de
notre artiste i\ ceiU' époque do sa vie :
* Le livre des figures hiérogliphiques de Nicolas Flamel, traduil de latin
en français par P. Arnauld, sieur de la Chevalerief g'ntilhomme poicte^
vin.
DES TRANSMITATIOXS METALLIQUES. 177
« Donc moy, Nicolas Fulmel, oscrivain, ainsi qu'api-ts le déceds
de mes parens, je gagnais ma vie en nostre ai t croscriture, faisant
des inTentaires, dressant des comptes, et arrestant les dépenses des
tuteurs et mineurs, il me tomba entre les mains, pour la somme de
deux florins, un lirre doré fort vieux et beaucoup large; il n*estait
point en papier ou en parcbemin, comme sont les autres, mais seule-
ment il était fait de délices et écorces (comme il me semblait) de
tendres ai*brisseaux. Sa couverture estait de cuivie bien délié, toute
gravée de lettres ou figures esti'anges, et quant à moy je croy qu'elles
jXMivaient bien estre des caractères grecs ou d'autres semblable lan-
gue ancienne. Tant y a que je ne les sçavais pas lire, et que je sçay
bien qu'elles n'estaient point notes ny lettres latinos ou gauloises,
car nous y entendons un peu. Quant au dedans, ses feuilles d'escorce
estaient gravées et d'une tràs-grande industrie, escrites avec une
pointe de fer, en belles et très-nettes lettres latines colorées. Il con-
tenait trois fois sept feuillets, car iceux estaient ainsi comptés au baut
du feoillety le septième desquels estait tousjours sans escriture, au
lieu de laquelle il y avait peint une verge et des sei-pents sVngloutis-
sants ; au second septième, une croix où un seq)ent estait crucifié ;
au dernier septième estaient peints des déserts, au milieu desquels
coulaient plusieurs belles fontaines, dont sortaient plusieurs serpents
<[ui couraient par cy et par là. Au premier des feuilets il y avait es-
crit en letres grosses capitales dorées : Abraham le Juif, prikce,
P&ESTRE, LÉVITE, ASTROLOGUE ET PHILOSOPHE, A LA GENT DKS JuiFS, PAR
l'ire DE DiEO DISPERSÉE AUX Gaules. SALUT, D. I. Après cela, il estait
remply de grandes exécrations ci malédictions (avec ce mot 3ïara-
iiATHAfquiy estait souvent répété), contre toute pei^onne qui y jctfo-
raill(?s yeux sur iceluy, s'il n'estait Sacrificateur ou Scribe. »
Puisque les sacrificateurs et les scribes pouvaient ouvrir
ce livre, Nicolas Flamel avait le droit d'y jeter les yeux, car,
s'il n'était point sacrificateur, ce qui eût répugné à l'inno-
cence et à la bonté de son âme, on ne peut nier qu'il ne fût
scribe. Ce qui l'arrêtait, ce n'était donc point le terrible
Varanatha, mais bien l'impénétrable obscurité du texte.
Tout ce qu'il y comprenait, c'est que l'art de la transmuta-
tion métallique, que l'auteur révélait aux gens de sa nation,
''omme moyen de payer ks tributs aux cmporewY^ Tçsmxw^ .
178 HISTOIRE
se iroiivait contenu au troisième feuillet. En effet, le premier
feuillet était rempli tout entier par le titre que nous avons
cité, et le second ne contenait que des remontrances et des
consolations aux Israélites malheureux. Mais, dans cette par-
tie du livre, l'exécution du grand œuvre se trouvait expliquée
dans un langage ordinaire, avec le dessin des vases à em-
ployer et rindi(5ation des couleurs qui devaient apparaître.
Seulement l'ouvrage ne disait rien sur la nature de la ma-
tière essentielle, c'est-à-dire sur ce que nous avons appelé
ailleurs le premier agent de la pierre philosophale. La clef
do ce mystère était contenue dans les quatrième et cinquième
feuillets, tout remplis de belles figures enluminées, mais
sans aucun texte écrit. Ces figures représentaient intelligi-
blement, nous dit Flamel, la conrposition du premier agent;
mais, ajoute-t-il, il aurait fallu, pour les comprendre, être
fort avancé dans la cabale des Juifs et avoir bien étudié les
écrits des philosophes hermétiques.
Voici quelles étaient, d'après Nicolas Flamel, ces impor-
tantes figures du livre d'Abraham.
La première figure du quatrième feuillet représentait un
jeune homme avec des ailes aux pieds, tenant en main un
caducée, autour duquel s'entortillaient deux serpents, et dont
il frappait sur une salade (un casque) qui lui couvrait la tête;
ce jeune homme ressemblait au Mercure de la mythologie.
Contre lui s'avançait, courant et volant, les ailes étendues,
un grand vieillard portant sur sa tète une horloge, et dans
ses mains une faux, comme la mort ; terrible et furieux, il
voulait trancher les pieds à Mercure. Une autre figure du
même feuillet représentait, au commet d'une montagne, une
belle fleur rudement ébranlée par Taquilon. Elle avait le pied
bleu, les fleurs blanches et rouges, les feuilles reluisantes
comme de l'or; à l'entour de cette fleur, les dragons et grif-
fons aquiloniens faisaient leur nid et demeure.
Au cinquième feuillet, on voyait un beau jardin, au mi-
lieu duquel un rosier fleuri s'appuyait contre un chêne
DBS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 179
creux ; à leur pied bouillonnait une fontaine d'eau très-
blanche, qui allait ensuite se précipiter dans des abîmes.
Avant de disparaître ainsi, ses ondes avaient passé entre les
mains d'une infinité de peuples, qui fouillaient la terre en
la cherchant, mais qui, étant aveugles, ne la reconnaissaient
point, excepté quelques-uns d*entï'e eux qui considéraient
le poids. Au revers du même feuillet, on trouvait un roi
qui, armé d'un coutelas, faisait tuer en sa prôsence, par des
soldats, une multitude de petits enfants, dont les mères pleu-
raient aux pieds des impitoyables gendarmes. Recueilli par
d'autres soldats, le sang de ces enfants était placé dans
un grand vaisseau où venaient se baigner à la fois le soleil
et la lune.
On ne peut savoir ce qui était contenu dans le reste du
livre d'Abraham le Juif. Nicolas Flamel nous donne en ces
termes les motifs de son silence à cet égard :
f Je ne représenteray point, nous dit-il, ce qui estait escrit en beau
et très-intelligible latin en tous les autres feuillets escrits, car Dieu
me puuirait ; d'autant que je commettrais plus de méchancetés que
teluy (conune on dit) qui désirait que tous les hommes du monde
n'eussent qu'une teste, et qu'il la put couper d'un seul coup. »
Une fois en possession de ce livre précieux, Flamel passa
les jours et les nuits à l'étudier ; il le cachait à tous les yeux,
et, bien qu'il n'y pût rien entendre, il n'en était pas moins
jaloux de sa possession. Seulement, dans sa tendresse in-
quiètCy sa femme bien-aimée s'alarmait de le voir triste et
de Tentendre souvent soupirer dans la solitude. Devant la
(Jouce insistance des pressantes questions de Pernelle, il ne
put se défendre de lui confier son secret. Elle le garda fidè-
lement, et, si dans cette occasion elle ne lui fut d'aucun se-
cours, contrainte de partager son admiration stérile pour ces
belles figures auxquelles elle ne comprenait rien, elle pro-
cura du moins à son mari la consolation d'en parler en tôte-
à-tête avec ravissement, et de chercher ensemble les moyens
d'en découvrir le sens caché.
180 UISTOIHE
Cette situation d'esprit était d'aut^mt plus pénible pour
Flamel, qu'il croyait lire très-clairement dans les premiers
feuillets toutes les opérations à mettre en pratique, et ne
se voyait arrêté que par son ignorance sur la matière pre-
mière. Ce qu'il savait le moins, ou plutôt ce qu'il ne savait
pas du tout, c'était son commencement. Le secours de l'ange
de sa vision sorait ici arrivé fort à propos; mais celle inter-
vention surnaturelle, si formellement annoncée, manqua
toujours à notre alchimiste, qui l'eût cependant bien méri-
tée, car il était homme de bien et homme de foi.
En l'absence de l'ange, dont les promesses ne semblent lui
avoir inspiré qu'une confiance médiocre, Nicolas Flamel s'a-
dressa directement à Dieu. Cette invocation à rautorité di-
vine pour le succès de son œuvre ne paraîtra point extra-
ordinaire, si l'on se rappelle qu'à cette époque beaucouji
de savants docteurs cl de pieux évêques s'occupaient de ro-
cherches alchimiques sans scrupule de conscience, et que
Flamel les poursuivait d'ailleurs avec un esprit exempt de
cupidité. Voici donc la belle prière que Ton prête à Nicolas
Flamel, et qu'il aurait faito pour obtenir l'intelligence ies
figures cabalistiques du li\re d'Abraham :
« Dieu tout-puissant, étoriiol, père delà lumière, de qui vieimt'iil
tous les biens et tous les dons parfaits, j'implore votre miséricorde
infinie ; laissez-moi coimaître votre élernelle sagesse; c'est celle qui
environne votre trône, qui a créé et fait, qui conduit et conserve tout,
Daignez me fenvoyer du ciel votre sanctuaire, et du trône de votre
gloire, afin qu'elle soit et qu'elle travaille en moi; car c'est elle qui est
maîtresse de tous les arts célestes et occultes, qui possède la science
et l'intelligence de toutes cl/oses. Faites qu'elle m'accompagne dans
toutes mes œuvres; que, par son esprit, j'aie la véritable intelligence,
que je procède infailliblement dans l'art noble auquel je me suis con-
sacré, dans la recherche de la miraculeuse pieire des sages, que vous
avez cachée au monde, mais que vous avez coutume au moins de
découvrir à vos élus. Que ce grand œuvre que j'ai à faire ici-bas, j:'
le commence, je le i)oursuive et fachève heureusement; que, content,
j'en jouisse à toujoui-s. Je vous le demande par Jésus-Christ, h
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 18 1
pierre céleste, angulaire, miraculense et fondée de toute éternité, qui
commande et règne avec yous^. »
Cette prière ne fut point d'abord exaucée ; cependant Fla-
mel ne se rebuta pas. Peut-être pensa-t-il que sa demande
était téméraire, et que, même aux élus qu'il daigne favoriser
de son secours, Dieu n'accorde des dons extraordinaires
qu'au prix du travail et du temps. Il se remit donc à tra-
vailler avec ardeur.
Le peu de succès que Nicolas Flamel retira de ses premières
recherches lui fit comprendre que ses seules lumières se-
raient insuffisantes pour pénétrer le secret de la science her-
métique, n prit donc la résolution d'invoquer le savoir de
quelques personnages plus éclairés que lui. Dans le lieu le
plus apparent de sa maison, il exposa, non point le livre
même, qu'il voulait toujours dérober à tous les yeux, mais
une copie, fidèlement exécutée par lui, de ses principales
figures. Plusieurs grands clercs, qui fréquentaient son logis,
eurent le loisir de les admirer tout à leur aise, mais personne
né put réussir à en déchiffrer le sens. Et, comme il est d'u-
sage de se montrer sceptique et railleur à l'endroit des choses
qu'on ne comprend pas ou qu'on ignore, lorsque Flamel dé-
clarait que ces figures enseignaient le secret de la pierre phi-
losophale, chacun se moquait du bonhomme et de sa pierre
bénite.
Il se rencontra cependant parmi les visiteurs un licencié
en médecine, ayant nom maître Anseaulme, qui prit la chose
au sérieux. Grand amateur d'alchimie, maître Anseaulme
avait bien envie de connaître le livre du juif, et il en coûtii
à Flamel beaucoup de protestations et de mensonges pour lui
persuader qu'il ne l'avait pas. Raisonnant donc sur la copie
qu'il avait sous les yeux, le licencié donna l'explication sui-
vante des figures cabalistiques.
"* Hydrolicus sophicus, teu aquarium aapientium. Thcat. chim. Maiigeli.
1. 11, p. 557.
V\
\m UISTOIHE
D'après maîlre Anseaulme, la première figure représentait
le Temps qui dévore loul, et les six feuillets écrits signt-
liîiitint qu il fiilkiit employer Tespace de six ans pour parfaire
U* [lierre; après quoi il fallait « louroer l'horloge el ne cuire
plus, » Et| commo Flamel se permettait J*objecter que cette
expliiîalion était a côté du véritable sujet des figures, les-
quelles n avaieut éxé peiotes, comme il était dit expressé-
ment dans le livre, que pour démontrer et enseigner le pre-
mier agent, maître Anseaulme répondait que celte action de
six ans était comme un second agent* Il ajoutait quau sur-
plus, le premier agent était vérilablemenl figuré aussi par
Teau blanche et pesante (i^ans doute le vif-argent), que l'on
ne pouvait lixer» auquel on ne pouvait couper les piels
c*esl-à-dire ôler la volaliFUé que par cette longue décoction
dans un sang très-pur de jeunes enfants; que, dans ce sang,
le vif-argent se combinant avec Tor et largent, se converlis-
sait premièrement avec eux en une herbe semblable à m\k
qui était peinte, puis après, par corruption, en serpenta, les-
quels élani parfaitement desséchés et cuits par le feu, se ré-
duisaient en une poudre couleur d'or qui serait la pierre
Si Ton demande quel fut le succès dos travaux entrepri>
sur celle explication triompliante, nous avons le certificfll
que Flamel s'en est donné à Uii-mème pour immortaliser la
sagacité du licencié Ânseaulme :
« Cela fut catists nous dit-il, que dorsint le long espace de vingt
et un anS| je fis mille Jbrouillcrics, non lootcfois avec le sang, ce ((ui
est méchant et vilaiii ; car je trouvai dans mon livre que les philoso^
phes appclîiient sauy Tesurit minéral qui est dans les métaux, prin-
cii>aleinent dans le soleil, la lune et Mercure, ;i r«'Lsserablage desquels
je tend;ds toujours.
Ainsi Nicolas Flamel employa plus de vingt ans à vérifier
par ses recherches les comraenlaires hermétiques du licencie.
Si un lel chercheur ne trouve rien, on n"a^ certes, aucuu
reproche à lui adresser. Bien (|u' entrepris en vue d'y ne œuvre
himërique, un tra\ihl exécuté avec une telle constance
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 185
nous semble aussi digne d'intérêt que tout ce que peuvent
produire la patience et le génie dans les sciences de notre épo-
que. Comme Talchimiste des temps anciens, le savant de nos
jours se consacre à la poursuite passionnée d'une idée que
Ton qualifie de chimère tant qu'elle n'a pas été réalisée ; c'est
comme un premier agent dont son génie devine l'exis-
tence sans pouvoir la démontrer, un principe qui règne déjà,
mais pour lui seul, et dont l'obscure et confuse aperception
fait, pendant de longs jours et pendant de longues nuits,
l'occupation et le tourment de sa pensée.
On ne peut attendre trop longtemps une bonne inspiration,
pourvu qu'enGn elle arrive. Celle qui se présenta, après vingt
et un ans de travaux, à l'esprit de notre alchimiste, était aussi
heureuse que naturelle. Réfléchissant surTorigine de son li-
vre, Nicolas Flamel s'avisa qu'il devait en demander le sens à
quelque membre de la nation d'Abraham, o^r, pour expli-
quer un juif, il est bon de prendre un autre juif. Mais, dans
toutes ses entreprises, notre pieux personnage ne perdait ja-
mais de vue le secours qu'il pouvait tirer de la puissance di-
vine. Il résolut donc de faire un vœu de pèlerinage à Dieu
et à Monsieur saint Jacques de Galice, afin d'obtenir la faveur
de découvrir dans les synagogues d'Espagne quelque docte
juif capable de lui donner la véritable interprétation des fi-
gures mystérieuses dont il poursuivait en vain la significa-
tion cachée.
Voilà donc notre adepte en route peut l'Espagne. Muni du
consentement de Pernelle, il porte le bourdon et l'habit du
pèlerin, comme il convient à celui qui voyage pour l'accom-
plissement d'un vœu. Il n'a pas oublié d'emporter un extrait
des peintures du fameux livre que, pour rien au monde, il
ne voudrait ni montrer ni déplacer. C'est en l'année i378
que Flamel fit ce voyage qui devait être d'un résultat si dé-
cisif pour sa destinée.
Son vœu accompli avec toute la dévotion nécessaire, et
Monsieur saint Jacques dûment désintéressé, notre alchi-
l»i UISTOIKË
miste put s'occuper librement del'afraire qui rattiraiten ïtà-
|idgne. Milis, eu dépit de la protection de saint Jacques, il ne
trouvait pas sans doute Thomme qu'il cherchait, car son sé-
jour dans ces contrées se prolongea près d'un an. Comme il
s acheminait vers le Nord, afin de rentrer en France, il tra-
versa la ville de I^éon, où il fit la rencontre d'un marchand
de Boulogne, qui avait pour ami un médecin Juif de nation,
mais converti au chistianisme. Sur renonciation de ces qua-
lités, Nicolas Flamel s'empressa de lier connaissance avec le
médecin juif. Maître Canches, c'est le nom qu'il lui donne,
était un cabaliste consommé, très-versé dans les sciences su-
blimes. A peine eut-il jeté les yeux sur l'extrait des figures
conservé par Flamel, que, ravi d*étonnement et de joie, il
demanda à Fadepte s'il avait connaissance du livre qui les
contenait. .Maître Canches s'exprimait en latin : Flamel lui
réponditdanslamèmelanguequ'il pourrait donner de bonnes
nouvelles de ce livre à celui qui parviendrait à lui en expli-
quer les figures. Sur cela, et sans plus de discours, maître
Candies se mit aussitôt à donner l'explication de tous ces em-
blèmes de manière ù ne laisser aucun doute à son interlocu-
teur sur l'exactitude de son interprétation.
Le cœur de Flamel battait avec violence pendant qu'il
écoutait le merveilleux crjmmentaire depuis si longtemps at-
tendu. Mais, si grande que fût sa joie, elle était encore loin
d'égaler celle du Juif. En effet, si l'alchimiste pouvait se
croire enfin parvenu*au but suprême de ses longs et doulou-
reux travaux, à ce premier agent, à cette pierre philosophale
(|ui renfermait [tant de vertus naturelles et de miraculeuses
puissances, maître Canches se voyait sur la trace d'un livre
précieux entre tous les livres, unique, introuvable, œuvre
perdue de l'un des princes de la cabale, et dont le titre, la
seule chose (fue Ton en connût depuis un grand nombre de
>ièc1es, était resté en vénération parmi les plus savants do^
teurs de la nation d'Abraham.
On devine que Flamel n'éprouva pas grande résistance
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 185
lorsqu'il proposa au médecin israélite de l'accompagner à
Paris pour compléter son explication sur le texte môme du
livre. Ils se mirent donc ensemble en route pour la France.
Hais il était écrit que le pauvre Juif, éprouvant le sort de
l'antique fondateur de sa religion, ne pourrait entrer dans
la terre promise. Arrivé à Orléans, à peu de journées de
Paris, il tomba malade, et, malgré tous les soins que ne cessa
de lui prodiguer son ami, il expira entre ses bras après sept
jours de maladie. Flamel lui rendit pieusement les derniers
devoirs.
« Au mieux que je peus, dil-il, je le fis entorrer en Téglise
Saincte-Groix, à Orléans, où il impose encore. Dieu aye son âme.
Car il moamt bon chrétien. Et certes, si je ne suis ompcsché par la
iiii»rt, je donnei^y à cette église quelques rentes pour faire dire pour
sou âme tous les jours quelques messes. »
De retour à Paris, Flamel fut encore obligé de travailler
trois ans sur les instructions incomplètes qu*il avait reçues
du Juif. Au bout de ce temps, il toucha au but si ardemment
désiré; et, avec Taide de Pernelle, qui prenait part à toutes
ses opérations, il composa enfin la sublime pierre des sages.
« Finalement, noiLS dit-il, je trouvay ce que je désirais, ce que je
reconnus aussitôt par la senteur forte. Ayant cela, j'accomplis aisé-
ment le magistère ; aussi, sachant la préparation des premiei*s ageus,
suivant après mon livre U la lettre, je n'eusse pu faillir, encore que
je l'eusse voulu.
<c Donc, la première fois que je fis la projection, ce fut sur du Mer-
cure, dont j'en convertis une demi-livre ou environ, en pur argent,
meilleur que celuy de la minière, comme j'ay essayé et faict essayer
par plusieurs fois. Ce fust le 17 janvier, un lundy, environ midy,
en ma maison, présente Pernelle seule. Tan de la restitution de Fhu-
main lignage mil trois cent quatre-vingt-deux. Et puis après, en sui-
vant toujours de mot à mot mon livre, je la fis avec la pierre rouge,
sur semblable quantité de Mercure, en présence encore de Pernelle,
seule en la même maison, le vingt-cinquième jour d'avril suivant de
la même année, sur les cinq heures du soir, que je transmuay vérita-
blement en quasi autant de pur or, meilleur très-certainement que Wir
180 HISTOIRE
commun, plus doux el |ilus ployable. Je peux le dire avec vérité, jeTay
prfaicU' trois fois avoc Tayde de Pemelle, qui Tentendait aussi bien
que moy, [)our m'avoir aydé aux opérations, et sans doute, si elle eût
voulu entreprendre de la parfaire seule, elle en serait venue à bout. »
Quand on a lu ce procès-verbal, que Flamel dresse lui-
même de son propre succès, on n'est pas très-avancé dans
la connaissance du procédé qui lui servit à accomplir la
pierre philosophale. Pour comprendre, il manque au lecteur
ce qui manquait à Flamel lui-même avant son voyage en
Espagne. On pourrait lui dire, comme il disait alors à maître
Anseaulme : « Mais quel est donc le premier agent? » Nous
avons lu avec une attention scrupuleuse les neuf chapitres
où Tauteur reprend une à une les diverses figures hiérogly-
phiques du tableau qui sert de frontispice à son traité, et
nous pouvons affirmer que Ton y chercherait en vain Vex-
plication du secret de la science hermétique. Ce qui n'em-
pêche pas notre adepte, imitant en cela le reste de ses con-
frères, de s'applaudir de la sincérité et de la clarté de ses
révélations touchant le mystère du grand œuvre :
« Et vraiment, dit-il en s' adressant au lecteur, dont il vient d'em-
brouiller Tesprit en parlant de siccitéet à'humidité,à'albi(icalionv[
de nibificalion, de laict virginal solaire et de mercure citrin
rouge, iV œuf philosophique et de poulet, — et vraiment je te dis
ici un secri'l que tu trouveras bien rarement escrit ; aussi je ne suis
point envieux. Pleust à Dieu que diacun sceut faii-e de For à sa vo-
lonté, alin que Ton vescut menant ^MÛstre ses gras troupeaux, saiis
usure et procès, à Timitation des saincts patriarches, usans seule-
ment, comme les premiers pères, de permutation de chose à chose,
pour laquelle avoir il faudrait travailler aussi bien que maintenant. >
Quelle que soit Topinion à laquelle on s'arrête sur cet
l'événement remarquable de la vie de notre alchimiste, il est
certain que sa fortune se montre prodigieusement multi-
pliée à partir de l'époque que l'on fixe comme celle de ses
projections. D'après des témoignages dignes de foi, Nicolas
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 187
Flamel était propriétaire, à Paris seulement, de plus de
trente maisons et domaines.
Les deux époux, déjà âgés, sans enfants et sans espérance
d'en avoir, voulurent reconnaître les grâces que Dieu leur
avait accordées, et résolurent de consacrer leurs richesses à
des œuvres de bienfaisance et de miséricorde. D'abord, leur
petite maison de la rue Marivaux devient un lieu d'asile
ouvert aux veuves et aux orphelins dans la détresse. Les
deux époux prodiguent des secours aux pauvres, ils fondent
des hôpitaux, bâtissent ou réparent des cimetières, font re-
lever le portail de Sainte-Geneviève-des-Ardents, et dotent
rétablissement des Quinze-Vingts, qui, en mémoire de ce
fait, venaient chaque année, à l'église Saint-Jacques-la-Bou-
cherie, prier pour leurs bienfaiteurs, et ont continué jus-
qu'en 1789 ce pieux pèlerinage. Flamel et Pernelle accordent
encore des dotations à un grand nombre d'églises, mais par-
ticulièrement à celle de Saint-Jacques-la-Boucherie. On a
trouvé dans les archives de cette paroisse, outre le testament
de Nicolas Flamel, plus de quarante actes qui témoignent
des dons considérables qu'il avait faits à cette église.
Nicolas Flamel énumère dans les termes suivants les di-
vers témoignages de sa pieuse libéralité :
c En Tan mil quatre centtreize, nous dit-il, sur la fin de Tan, après
le trespas de ma fideUe compagne, que je regretterai tous les jours de
ma vie, elle et moy avions déjà fondé et rente quatorze hôpitaux en
cette ville de Paris, basti tout de neuf trois chapelles, décoré de
grands dons et de bonnes rentes sept églises, avec plusieurs répara-
tions en leurs cimetières, outre ce que nous avions faict à Boulogne,
qui n^est guères moins que ce que nous avons faict ici. »
A cette liste des fondations de Flamel il faut ajouter ses
constructions au charnier des Innocents, qui retraçaient par
leurs décorations symboliques les emblèmes de l'art qui, se-
lon la tradition, fut l'origine de sa fortune.
Cédant, en cela, à la faiblesse humaine, Flamel fit
sculpter son image sur les divers monuments dus à sa libé-
188 IIISTOIHË
ralité. Pour rappolor la source de ses richesses, il accompa-
gnait toujours son portrait d'un ëcusson où se voyait une
main tenant une écritoire. Loin de rougir de l'origine de
ses biens, il s'en glorifiait donc comme d'un titre nobiliaire:
la plume et i'dcritoire étaient ses armes parlantes.
On voyait encore, au dernier siècle, une de ces statues
du pieux Flamel, à l'église Sainte-Geneviève-des-Ardents,
sur le portail qu'il y fit construire. On en trouvait deui à
Saint-Jacques-la-Boucherie, savoir : une sur la petite porte
de l'église, rue des Écrivains, et une autre sur le pilier de
sa maison; une au charnier des Innocents, dont il avait fait
bâtir une des arcades du côté de la rue de la Lingerie. H y
en avait encore une à Tancienne église de l'hôpital Saint-
Gervais, petite chapelle que Flamel avait fait élever rue de
la Tixeranderie, et deux sur la façade d'une belle maison
qu'il fit bâtir dans la rue de Montmorency.
Flamel était presque toujours représenté, sur ces petites
statues, à genoux et les mains jointes. « On le voyait à
Sainte-Geneviève-des-Ardents, dit Tabbé Villain, avec une
robe longue, un manteau long et retroussé sur l'épaule
droite, le chaperon à demi abattu autour du col, avec la cor-
nette longue et pendant très-bas : avec cela une ceinture, à
laquelle était attachée Técritoire, signe de la profession dont
l'écrivain se faisait honneur. » Jusqu'à Tépoque de la Révo-
lution, on a vu, à Paris, ces images de Flamel sculptées sur
les portes des églises, ou peintes sur leurs vitraux. Il était
toujours armé de son écritoire et revêtu de son costume d'é-
crivain, toujours agenouillé par humilité, toujours accom-
pagné de citations pieuses ou de vers de sa façon sur les
misères et les vanités de ce monde.
Dans cette galerie, élevée en vue des souvenirs de la pos-
térité, Flamel n'avait pas oublié l'image de sa chère Pemelle.
On la voyait représentée avec son mari, sur le fronton de
l'arcado des charniers. Elle était à genoux aux pieds de saint
Pierre, tandis que Flamel était à genoux aux piedg de saint
DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 189
Paul; au milieu se tenait la Vierge portant l'Enfant Jésus.
Au-dessous se trouvait une corniche chargée de tableaux de
sculpture représentant le jugement dernier; le mari et la
femme y figuraient encore. On les voyait partout réunis tous
deux sur les vitraux ou sur la façade des édifices, tenant leur
place dans diverses allégories. Sur Tarcade du charnier des
Innocents, on lisait des vers au-dessous du chiffre de Ni-
colas Flamel; ils étaient sans doute de sa composition. Les
voici tels qu'on put les déchiffrer en 1760 : •
u Hélas 1 mourir convient
Sans remède homme et femme
Nous en souvienne :
Uélas! mourir convient
Le corps
Demain peut-être dampnés
A faute
Mourir convient
Sans remède homme et femme. »
Toutes ces constructions, que le tem[)s n'a pas encore en-
tièrement détruites, tous ces bienfaits dont la mémoire vit
encore, toutes ces libéralités du pieux Flamel, quelque arith-
métique dont on se serve pour les diminuer et les réduire,
supposent toujours de très-grandes richesses. Essayons d'en
rechercher la véritable origine.
Un jeune savant de l'école des Chartes, M. Auguste Valet,
qui s'est livré à de curieuses recherches sur le sujet dont nous
nous occupons, termine son travail par cette réflexion judi-
cieuse : t Eb général, dit-il, partout où vous voyez une lé-
gende, quelque erronée, quelque amplifiée qu'elle soit, vous
tf {louvez être sûr, en allant au fond des choses, que vous y
« trouverez vokehistoire. » Ajoutons que, s'il en était, autre-
ment, il faudrait rejeter du domaine des faits positifs ibus les
événements qui ne sont pas attribués aux princes et aux sei-
gneurs, aux généraux et aux ministres, c'est-à-dire aux
190 HÏSTOÎBE
liominesc|ui, dans leur siècle, exerçaient de grandes charges
publiques. L*histoire proprement dite n'accorde son attention
vi ses honneurs quVt cette classe de personnages ; quant à la
mrMleste existence de ceux qui n'occupèrent aucun rang dans
l'État, elle ne nous est transmise que par la tradition, par des
mémoires particuliers, par des notices ou des biographies qui
sont, ou qui, avec le temps, deviennent des légendes. Parce
que l'on sedéGe des détails étrangers dont la tradition a chargé
leur histoire, ou de la fausse chronologie qui Tembrouille,
va-t-on déclarer que ces hommes n*ont rien fait, et que tout
est controuvé dans les ouvrages écrits sur leur compte, comme
dans ceux qu'on leur attribue? Va-t-on prononcer enfin que
h^ur existence même est problématique? Telle est pourtant
la conséquence extrême à laquelle on serait conduit par une
critique où le scepticisme l'emporterait trop sur le discerne-
ment. C'est dans cette idée, qu'une légende cache toujours
une histoire, que nous allons soumettre à un rapide examen
la question si controversée de la source des richesses du céh'*-
bro écrivain do la rue Marivaux.
On se trouve, en ce qui concerne la fortune de Flamel, en
présence de deux opinions qui s'excluent Tune l'autre,
bien (ju'on les rencontre réunies chez les critiques qui, à
l'exemple de l'abbé Villain et de Gabriel Naudé, se sont ap-
pliqués à découvrir Torigine de l'opulence de Flamel. Dans
la crainte d'accorder trop de foi à la légende, ou bien on
essaye de d('pouillor Flamel de sa qualiUî de philosophe her-
métique, ou bien l'on cx)nt(iste ses richesses, c'est-à-dire
qu'on les amoindrit au point de leur oter le^ proportions et
le caractère d'une fortune. C'est cette dernière opinion sur
laquelle l'abbé Villain a le plus insisté dans son Histoirecri-
tique de Nicolas Flamel. Les petites raisons, les petits chiffres,
se pressent sous sa plume pour amoindrir l'importance des
dotations des deux ép;)ux : L'abbé Villain a lu quelque part
(jue le portail de Téglise Sainte-Geneviève-des-Ardents, à la
construction duquel Flamel participa, fut fait des aumônes
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. i9i
de plusieurs *. — A cette époque, la toise de construction des
murs, en y comprenant tous les matériaux, ne coûtait que
vingt-quatre sous. — Il résulte du testament de Pernelle
qu'en 4599 les deux époux n'avaient qu'environ quatre
mille trois cents et quelques livres de revenu. — A la bonne
heure ; il faudrait cependant se demander, quant au dernier
point, si, du quatorzième siècle au dix-huitième, la valeur
de l'argent ne s'était pas tellement dépréciée, qu'une somme,
considérable pour un bourgeois du temps de Flamel, fût
médiocre pour les lecteurs de Tabbé Viliain. Il est toutefois
un fait qui détruit complètement cette objection du critique,
c'est la date qu'il cite du testament de Pernelle. En l'an-
née 1399, en effet, les dotations, les rentes aux hôpitaux et
églises, se trouvaient faites, les œuvres de miséricorde étaient
accomplies ; toutes les constructions, tant à Boulogne qu'à
Paris, s'étaient élevées aux frais du libéral écrivain, sauf le
portail de Sainte-Geneviève-des-Ardents et une arche que,
douze ou treize ans plus tard, après la mort de Pernelle,
il fit ajouter au charnier des Innocents. Si, en i 399, il restait
peu de fortune aux deux époux, c'est par la raison toute sim-
ple qu'ils avaient prodigieusement dépensé. Ce trait, que
l'abbé Yillain oublie de signaler, avait cependant son impor-
tance dans la question.
Mais par quel moyen Nicolas Flamel avait-il pu subvenir
à tant de dépenses?
C'est ici que la critique a besoin de tirer parti de l'opinion
contraire sur les richesses de Flamel. On veut bien convenir
qu'elles ont dû être considérables; mais aussitôt, et pour re-
jeter leur origine hermétique, on leur cherche une source
illicite et môme criminelle. Flamel, dit, après d'autres écri-
vains, M. le docteur Hœfer, dans son Histoire de la chimie,
Flamel a fait l'usure, il a prêté à la petite semaine; il s'est
trouvé en rapport avec un grand nombre de juifs, et, pro-
* Biitoire eniique de Nicolas Flamel. Paris, 1761.
19S IIISTOIKE
bablement, il se sera ouriclii en s*attribuaut les dépôts que
ceux-ci lai confièrent au temps de leur persécution. Or,
non-seulement ces imputations sont entièrement dénuées de
preuves, mais encore tout ce que Ton connaît historique-
ment du caractère et des actes de Flamel concourt à laver
sa mémoire d'une telle accusation.
Nous sommes, certes, fort éloigné de penser que le bon-
homme Flamel ait jamais découvert la pierre philosophale;
nous le croyons d'autant moins, que nous trouvons chez lui
toutes les qualités et tous les moyens qui rendent la pierre
philosophale superflue pour l'acquisition des richesses. Que
Ton se rappelle l'honnête et solide position (jue Nicolas
Flamel occupait déjà bien avant l'époque où, selon la lé-
gende, il fit sa première projection. Ûart de l'écrivain, dans
lequel il était passé maître, avait Timportance et tenait la
place de Timprimerie avant que celle-ci fût inventée. Les
écrivains remplissaient alors Toffice de nos imprimeurs, et,
pour peu qu'ils eussent le talent de copier les livres et les
missels nettement et avec correction, ils devenaient bientôt
plus riches que les auteurs. On a vu qu'en même temps Fla-
mel était libraire, et libraire juré de l'Université, autre pro-
fession dans laquelle il prospérait également. Si Ton ne peut
contester qu'il y ail eu anciennement, et qu'il y ait encore
aujourd'hui, tant dans la librairie que dans l'imprimerie,
plusieurs maisons millionnaires, quelle difficulté trouvera-
t-on à admettre que, réunissant les deux industries, la mai-
son des époux Flamel se soit élevée à un môme degré de for-
tune pour le temps où ils ont vécu? Tout en s'occupant, à
Tcxemple de ses contemporains, de la culture d'un art chi-
mérique, Nicolas Flamel ne négligeait point pour cela les
travaux d'un produit plus assuré, et cette petite échoppe de
Saint-Jacques-ia-Boucherie, qui n'est à louer qu'après sa
mort, peut même passer [»our une preuve que le prudent
écrivain public ne renonça jamais à son premier métier.
Ainsi, à moins qu'il n'y ait parti pris de le traiter en coupa-
DES TRANSMITATÎONS MÉTALLÎOI'ES. lU."
lile, on De doit point cherclier à son opulence une autre
source que cette longue carrière de travaux et d'affaires,
dans le cours de laquelle un homme habile et actif comme
lui, aidé du concours d'une femme entendue et vigilante,
a pu, chaque année, réaliser des bénéfices considérables
qu'aucune grande charge domestique ne venait entamer. Dans
cette maison, point d'enfants à élever et à pourvoir; des ha-
bitudes d'ordre qui rendent le travail de plus en plus fruc-
tueux en lui piénageant l'impulsion croissante qu'il reçoit
de ses propres produits soigneusement économisés; ajoutez
enfin une simplicité de vie qui allait jusqu'à l'austérité, soit
(|ue ces habitudes fussent conformes aux goûts de Flamol,
soit qu'il voulût conjurer par là les haines jalouses et dan-
gereuses auxquelles étaient alors en butte les bourgeois que
la fortune élevait trop au-dessus de leur caste.
Un fait que l'histoire nous a conservé prouve tout à la
fois que, déjà de son vivant, la fortune extraordinaire de
flamel était une chose notoire, et qu'en même temps Thon-
néte écrivain ^vait gardé au milieu de ses richesses une mo-
dfeition phis extraordinaire encore que sa fortune. Frappé
de tout ce que Ton racontait des richesses, des libéralités de
Flamel, le roi Charles VI crut devoir envoyer chez lui un
Diaîtredes requêtes pour s'assurer du fait. Monsieur Cramoisi,
qui fat chargé de cette mission, trouva le philosophe vivant
Pauvrement dans sa modeste échoppe, et se servant à son or*
dinaire de vaisselle de terre, comme le plus humble des ar-
tisans. Cramoisi rendit compte au roi des résultats de sn vi •
^teetde son enquête, et l'honnête artiste ne fut point in-
<iuiété. L'usure, cette imputation odieuse que l'on n'a pas
craint de faire peser sur la mémoire de Flamel, ne se concilie
point avec une telle simplicité de m.œurs et d'habitudes. Il
lautd*ailleurs ou nier complètement l'existence d'un person-
nage, ou bien l'accepter avec les traits sous lesquels la tradi-
tion nous le représente. Or comment un homme religieux,
humain, ehBritable, — rhistoire mémo ne coï\le?.VG îiwtuw^ ^vî.
194 HISTOIRE
ces vertus à Nicolas Flamel, — aurait-il voulu s'enrichir par
un moyen que réprouvent également la religion et la charité?
On prétend encore que Nicolas Flamel a pu s'enrichir en
s'appropriant les dépôts ou les créances des juifs proscrits.
Cette dernière opinion nécessite un court examen. Du vivant
de Flamel, les juifs furent persécutés trois fois, c'est-à-dire
chassés du royaume, puis rappelés, moyennant finance. Or,
en 1 546, date de la première persécution, Flamel n'était qu'un
garçon de quinze ou seize ans. En 1554, date delà seconde, il
commençait à peine son petit établissement d'écrivain pu-
blic, et personne ne parlait encore de sa fortune, a Ce bon-
homme, dit Lenglet Du Fresnoy, aurait-il été en Espagne
chercher des juifs, si lui-même les avait volés et dépouillés
de leurs biens? » On pourrait ajouter que si Flamel alla
trouver des juifs en Espagne, c'est qu'il était sans doute en
mesure de leur rendre bon compte du mandat qu'ils lui au-
raient confié à leur départ de France. Mais tout ce que Ton
pourrait avancer à cet égard manquerait de preuves, et, en
particulier, cette opinion que Flamel aurait reçu, comme
une sorte de banquier, la procuration des juifs proscrits
pour toucher leurs créances, n'est qu'une conjecture à la-
quelle on ne peut guère s'arrêter. En effet, bien longtemps
avant le voyage de Flamel en Espagne, les juifs étaient ren-
trés en France, où leur bannissement, leur rappel, la con-
firmation et la prolongation de leurs privilèges, étaient,
avec l'altération des monnaies, les grands moyens financiers
de Tépoque : les gouvernements seuls dépouillaient les juifs.
Du reste, de prolongation en prolongation, on leur avait oc-
troyé un séjour non interrompu de plus de trente ans dans
le royaume, lorsque, en 1594, Charles VI les en bannit à
perpétuité. Cette troisième persécution des juifs eut lieu, à la
vérité, du vivant de Flamel, mais elle est postérieure à un
grand nombre de ses fondations. Il faut convenir toutefois
qu'en cette circonstance il aurait pu faire honnêtement
quelque gain considérable avec les juifs. L'ordonnance de
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES i95
1394, différente en ee]a de toutes celles précédemment por-
tées contre eux, avait un caractère purement religieux et
politique. En les bannissant, elle ne les dépouillait pas, et,
ce qui le prouve bien, a c'est que toutes leurs créances du-
rent leur être payées*. )) Or, pour opérer le recouvrement
de ces créances, il leur fallut nécessairement un agent ou
une sorte de banquier. Si l'on veut croire que Flamel, dont
la probité el la solvabilité bien connues devaient inspirer
toute confiance aux juifs, reçut d'eux cet important mandat,
et put s'enrichir beaucoup de toutes les remises qui lui au-
raient été accordées sur les sommes recouvrées par ses soins,
on n'a rien à objecter à cette nouvelle conjecture, si ce n'est
son entière gratuité, car elle n'appartient pas à la tradition
et elle n'est confirmée par aucune induction historique.
Mais ce que nous voudrions détruire et effacer dans tous les
esprits, c'est le soupçon, non pas gratuit, mais absurde, que
Flamel se soit approprie les créances ou les dépôts des juifs
bannis. Est-ce que, dans ce cas, de nombreuses plaintes ne
se seraient pas élevées contre lui? Et le dépositaire infi-
dèle, s'il avait pu ne pas compter avec sa conscience, n'au-
rait-il pas eu à compter sévèrement avec la justice du roi?
Charles VI, qui n'avait prononcé que le bannissement des
juifs, n'eût point, sans doute, laissé impuni chez un parti-
culier un acte de spoliation dont il avait voulu s'abstenir
lui-môme.
Les dernières années de la vie de Flamel furent consa-
crées à la composition de divers ouvrages hermétiques, au
moyen desquels il se flattait de répandre dans le public
Topinion, qui a d'ailleurs prévalu, du haut degré de ses
connaissances dans la science hermétique. En 4599, il
rédige, dit-on, pour la première fois, VExplication des
figures hiéroglyphiques, livre qu'il complétera en 1413,
Tannée même de la mort de Pernelle. En 1409, il compose
* Dtê Juifs en France, par M. Théophile Halley, in-8% 4847.
1% HISTOIRE .
en vers son Smnimire philosophique, qui a été réimprimé
en 1755 dans le troisième volume du Roman de la Rose,
On if^nore en quelle année ont été composés le Désir désiré
et le Traité des bavures. Arrêtons-nous un instant sur ce
dernier ouvrage. Nous avons déjà cité les premières lignes
de ce manuscrit, qui débute ainsi : « Cy commence la waie
pratique de la noble science d'athmie; i et qui continue
par ce sous-titre : Le Désir désiré et le prix que nul ne
])ent priser, de tous les philosophes Cûmposé, et des livres
des anciens pris et tirés, etc. C'est ce passage du manuscrit
des Lavures, écrit tout entier de la main de Flamel, qui a
paru, comme nous Tavons dit au début de ce chapitre, ren-
fermer en abrégé les titres ou désignations des autres livres
composés par lui ou publiés sous son nom à diverses époques.
Hâtons-nous de le dire, la plupart des ouvrages dont nous
venons de citer les titres sont apocryphes; seulement on y
trouve beaucoup de faits vrais concernant Flamel. Pour les
auteurs de ces livres, c'était là une condition du succès qui
n'a pas dû être plus négligée qu'elle ne Test dans divers mé-
moires pseudonymes de notre époque, lesquels, remplis de
faits irrécusables, ne pèchent souvent que par rauthenticilé.
C'est ainsi que le Livre des figures hiéroglyphiques est gé-
néralement regardé comme l'œuvre propre du traducteur
P. Arnauld, car le latin, d'où il prétend l'avoir traduit, n'a
été vu nulle part. Cependant, quand on trouve dans ce livre
une traduction si fidèle et une si laborieuse explication des
figures que Flamel fit peindre ou sculpter sur la quatrième
arche du charnier des Innocents, il est impossible de le con-
sidérer comme absolument faux dans tout le reste, et no-
tamment dans ce qu'il rapporte des travaux et de la vie in-
térieure des deux époux. L'ouvrage du P. Arnauld est sans
doute la paraphrase d'un manuscrit perdu de Nicolas Flamel.
Nicolas Flamel fut enterré dans l'église Saint-Jacques-la-
Mouclierie. Il avait, de son vivant, payé les frais de sa sépul-
ture, dont il avait désigné la place devant le crucifix et In
DES TRASSMUTATIONS MÉTALLIQUES. \91
sainte Vierge, et où, douze fois l'année, après les Stervices
fondés à son intention, tous les prêtres devaient aller, en
surplis, lui jeter de Teau bénite. Il avait aussi d'avance com-
posé et figuré Finscription qui devait être placée à l'un des
piliers au-dessus de sa tombe, et qui, selon sa volonté, fut
exécutée comme il suit :
Le Sauveur était figuré tenant la boule du monde entre
saint Pierre et saint Paul. On lisait au-dessous de cette image :
€ Feu Nicolas Flamei/, jadis écrivain, a laissié par son testament, à
roeuvre de cette église, certaines rentes et maisons qu'il a acquestées
et achetées de son vivant, pour faire certain service divin, et distribu*
lions d*argent chacun an par aumône, touchant les Quinze-Vingts,
Hôtel-Dieu, et autres églises et hôpitaux de Paris. Soit prié pour les
Trépassés. »
Sur un rouleau étendu on lisait ces paroles :
Domine Deuêj in tud misericordid speravi
Au-dessous se voyait l'image d'Un cadavre à demi con-
sommé, et cette inscription :
De terre suis venu et en terre retourne ;
L'âine rends à toi, J. II. V., qui les péchiés pardonne.
Pemelle, qui avait précédé son mari au tombeau, s'était
occupée aussi de ses propres obsèques; elle avait môme
réglé la dépense du luminaire à y consacrer. Mais Pernelle
ne nous donne pas ici une haute idée de sa magnificence.
Elle avait fixé le prix du dîner du jour de l'enterrement,
auquel, selon la coutume, devaient être invités tous les pa-
rents et voisins, à quatre livres seize sols parisis. La dépense
totale de la' cérémonie devait se monter à dix-huit livres
dix deniers parisis, et le bout de l'an ne coûter que huit
livres dix-sept sols.
Nicolas Flamel fut donc, comme nous l'avons dit au (\é-
198 BISTOIRE
but de ce chapitre, le plus heureux des souffleurs. Son bon-
heur a môme atteint des limites qui ne pouvaient entrer
dans ses espérances, car les adeptes, enthousiastes de ses
«uccès, lui ont accordé le privilège de TimmortaUté. S'il faut
on croire l'état civil, Flamel mourut en 1418 ; mais beau-
coup d'écrivains affirment que, plein de vie à cette époque,
il ne fit que disparaître de Paris pour aller rejoindre Per-
nelle, laquelle, cinq années auparavant, avait disparu de
son côté pour se rendre en Asie. Cette opinion se répandit
jusqu'en Orient, où elle existait encore au dix-septième
siècle. C'est au moins ce que Paul Lucas rapporte dans la
relation de son voyage en Asie Mineure: Ce touriste s'ex-
prime ainsi :
« A Boiunous-Bachi, ayant eu un entretien avec le dervis des
Usbecs sur la philosophie hermétique, ce Levantin me dit que les
vrais philosophes possédaient le secret de prolonger jusqu'à mille
ans le terme de leur existence et de se préserver de toutes les
maladies. Enfin, je lui parlai de Tillustre Flamel, et je lui dis que,
malgré la pierre philosophale, il était mort dans toutes les formes.
A ce nom, il se mit à rire de ma simpUcité. Comme j'avais presque
conomencé de le croire sm* le reste, j'étais extrêmement étonné de
le voir douter de ce que j'avançais. S'étant aperçu de ma surprise, il
me demanda sur le même ton si j'étais assez bon pour croire que
Flamel fût mort. « Non, non, me dit-il, vous vous trompez, Flamel
« est vivant ; ni lui ni sa femme ne savent encore ce que c'est que
« la mort. Il n'y a pas trois ans que je les ai laissés l'un et l'autre
« aux Indes, et c'est un de mes plus fidèles amis. »
Après ce préambule, le dervis fait une longue histoire de
la manière dont Flamel et Pernelle se sont éclipsés de Paris,
et de la vie qu'ils mènent tous deux en Orient.
« Ce récit, ajoute le naïf Lucas, me pamt, et il est en efiet, fort
singuUer. J'en fus d'autant plus surpris qu'il m'était fait par un Turc
que je croyais n'avoir jamais mis le pied en France. Au reste, je ne
le rapporte qu'en historien, et je passe même plusieurs choses encore
moins croyables, qu'il me raconta cependant d'un ton affîrmatif. Je
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 199
me contenterai de remarquer que Ton a ordinairement une idée trop
basse de la science des Turcs, et que celui dont je parle est un homme
d'un génie supérieur. »
Ajoutons qu'au mois de mai 1818 il se trouva à Paris un
plaisant ou un fou qui se donnait pour le véritable Nicolas
Flamei, Tadepte fortuné qui avait fait la projection quatre
siècles auparavant. L'alchimiste s'était établi rue de Cléry,
n" 22 ; il faisait de Vor à volonté et se proposait d'ouvrir un
cours de science hermétique, pour lequel chacun pouvait
se faire inscrire moyennant la modique somme de trois cent
mille francs. Après cette dernière réclame, on n'a plus en-
tendu parler de Tadepte de la rue Marivaux.
Beaucoup de personnes s'imaginèrent, après la mort de
Nicolas Flamei, qu'il devait exister des trésors enfouis dans la
maison qu'il avait toujours habitée. Toutes ses dépenses ne
pouvaient avoir épuisé les sommes innombrables que cet
adepte avait accumulées chez lui, ayant la faculté de pro-
duire de l'or au gré de ses désirs. Ces personnes si bien avi-
sées avaient sans doute lu dans Diodore de Sicile que Syman-
dius/roi d'Egypte, possesseur du môme secret, fil environner
son tombeau d'un cercle d'or massif, dont la circonférence
était de trois cent soixante-cinq coudées, et dont chaque cou-
d^ formait un cube d'or. Le môme Symandius s'était fait
représenter sur le péristyle de l'un de ses palais, offrant aux
dieux l'or et l'argent qu'il fabriquait chaque année, et dont
la somme, en nombres ronds, s'élevait à cent trente et un
milliards deux cents millions de mines. Un ancien ami de
Flamei, qui possédait à fond ses auteurs hermétiques, alla
trouver le prévôt de la ville de Paris, et déclara, comme un
cas de conscience, que Flamei l'avait fait dépositaire de cer-
taines sommes, sous condition de les employer à des répara-
tions dans les maisons qui avaient appartenu au défunt, il
s'offrait particulièrement à dépenser trois mille livres pour
restaurer la maison de la rue Marivaux. Comme cette mai-
son était fort délabrée, les magistrats prirent au mot notre
•200 uistoirf:
homme, qui, nu comble de ses vœux, s'empressa de faire
t^xocuter dfs fouilles; ensuite il se mit à méditer les hiéro-
glyphes, à fendre les pierres et à scruter le joint des moellons.
Mais l'histoire rapporte qu'il en fut |iourses peines et pour ses
frais. Il n'avait pas sans doute connaissance de l'oraison com-
posée par Flamel en faveur de ceux qui soupirent après les
biens de la terro.
CHAPITRE II
EDOUARD KEUBY.
Vers la fin du seizième siècle, époque où les gens de loi
étaient déjà assez mal famés en Angleterre, il y avait à Lan-
castre, d'autres disent à Londres, un notaire décrié entre
tous par les industries productives qu'il joignait aux actes
de son ministère. Talbot était son nom. Né à Worcester,
en 1555, il s'était appliqué dans sa jeunesse à l'étude de
l'ancienne langue anglaise, et y était devenu fort habile. Nul
ne s'entendait mieux que lui à déchiffrer les vieux titres, à
ressusciter, au profit de ses clients, des droits enterrés dans
la poussière des greffes. Non-seulement il pouvait lire toutes
sortes d'écritures anciennes, mais il excellait à les imiter. Ce
dernier talent l'exposa à des sollicitations dangereuses que,
pour son malheur, il ne sut pas toujours repousser. Trop bien
récompensé, son zèle ne connaissait plus de bornes; Talbot
en vint à falsifier des litres, et môme à en fabriquer dans
rinlérèt de ses clients. Poursuivi à raison de ces faits, et con-
vaincu de faux, il fut banni de la ville. Les magistrats, vou-
lant faire sur lui une leçon à tous ses confrères, avaient
DE8 TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. , 201
même onj^fUié.qu'oQ lui coupât les deux oreilles, et cet arrêt
futexfefifeV.
Ce fut sans doute dans cette circonstance que Talbot
changea de nom, afin d'échapper à la notoriété, peu recom-
mandable, de son aventure. Le fugitif résolut de se retirer
dans le pays de Galles, dont il entendait parfaitement la
langue. Il s^arrêta dans un village des montagnes. A Tau-
berge où il était descendu, on lui montra, comme un objet
curieux, un vieux manuscrit que les habitants ne pouvaient
parvenir à déchiffrer. L'ayant examiné, Tex-notaire recon-
nut au premier coup d'œil qu'il était écrit dans Fancienne
langue du pays et avait pour objet la transmutation des mé-
taux. Sans laisser paraître une curiosité qui eût éveillé des
défiances, il s'enquit de l'origine dé ce livre et apprit qu'on
l'avait trouvé dans le tombeau d'un évoque catholique in-
humé autrefois dans une église du voisinage. La découverte
de ce manuscrit se rapportait à une des dernières et des plus
tristes périodes de ces guerres religieuses qui marquèrent le
passage de l'Angleterre du catholicisme au protestantisme.
Sous la reine Elisabeth, la fureur impie de l'exaltation reli-
gieuse entraînait quelques fanatiques jusqu'à violer les sé-
pultures. C'est un excès de ce genre qui avait amené la
découverte du manuscrit. L'aubergiste de ce village s'imagi-
nant, comme tout le monde, que Tévêque étant mort extrê-
mement riche, on pouvait trouver des trésors cachés dans
son tombeau, avait brisé, avec le secours de ses amis, le
pieux monument. Mais leur attente sacrilège fut trompée,
car le tombeau ne contenait rien de précieux. Ou y trouva
seulement un livre manuscrit accompagné de deux petites
boules d'ivoire. Furieux de voir leurs espérances déçues, ils
jetèrent avec violence une de ces boules, qui, en «e brisant,
laissa échapper une poudre rouge très-lourde contenue dans,
son intérieur. La plus grande partielle cette poudre fut ainsi
^ Morbof. Epitiola ad Langelottum dt metaîlorum truntmutationt.
^20:2 HISTOIRE
perdue. L'autre boule, également creuse et soud^i^ comme
la première, contenait une poudre blanche qui fvtdMaignée,
et, par cette raison, conservée entièrement. Tout ce butin
parut si peu de chose, qu'on le laissa à Taubergiste moyen-
nant un coup de vin. Le seul parti que ce dernier en tirait
se réduisait, comme on l'a vu plus haut, à le montrer aux
étrangers qui s'arrêtaient dans sa maison. Quant à la boule
restée intacte, elle était depuis longtemps abandonnée,
comme un jouet, pour l'amusement de ses enfants.
L'cx-notairc faisait cas de ces deux objets, car il avait lu
dans le manuscrit que les deux boules étaient d*une valeur
importante. 11 offrit négligemment une guinée, qui fut ac-
ceptée avec empressement par Taubergiste, heureux de cé-
der pour ce beau grain de mil cette relique inutile.
Talbot, dans beaucoup d'ouvrages hermétiques, est qua-
lifié de savant. On a déjà vu en quoi consistait sa science :
c'était celle d'un bon archiviste et d'un paléographe trop ha-
bile. Hais il ne possédait pas la première notion de chimie
ou de philosophie transmutatoire. Tout en lisant à merveille
son vieux manuscrit, il était donc dépourvu de tout moyen
d'en tirer parti, et, pour mettre en valeur son acquisition, il
avait besoin de trouver un associé expert dans les travaux
hermétiques. Son ancien ami, le docteur Jean Dee, homme
honorable autant que savant, lui parut propre à tenir ce
rôle. 11 lui écrivit, et, sur sa réponse favorable, il alla le
trouver à Londres. On sait positivement qu'il fit ce voyage
sous le nom de Kelley, et c'est pour la première fois que,
dans le récit de ses aventures, on le trouve désigné sous ce
nom d'emprunt. Cette précaution d'un pseudonyme adopté
pour entrer à Londres semblerait indiquer que cette der-
nière ville, et non Lancastre, avait été le théâtre de ses
malheurs avec la justice.
Le docteur Dee n'eut point de peine à reconnaître la na-
ture et la valeur de la trouvaille de son ami. C'était, bel et
JbJen, une riche provision de pierre philosophale, ouj pour
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 203
parler d'une manière plus conforme aux faits, c'était un
composé aurifère dans lequel Tor, dissimulé par une'com-
binaison chimique, permettait de reproduire tous les pro-
diges attribués à cet arcane fameux. En effet, un premier
essai, exécuté chez un orfèvre, réussit à merveille. Toutefois
les deux associés jugèrent imprudent de continuer leurs
opérations à Londres : Kelley y craignait sans cesse pour
Talbot. Ils quittèrent donc la ville et s'embarquèrent pour
l'Allemagne*.
Nous ne les retrouvons qu'en 1585, à Prague, capitale
de la Bohême, et on peut le dire aussi de Talchimie, qui,
pendant une succession de trois empereurs dans ce siècle et
le suivant, rencontra dans cette ville des encouragements^
des honneurs et des persécutions du plus grand éclat. Kelley
y arrivait tout formé, car, pendant le voyage, il avait été ini-
tié par son ami aux principes de Tart, et n'avait plus be-
soin de son maître que pour modérer son ardeur excessive.
A Prague, toutes les représentations de ce sage mentot fu-
rent oubliées. Les conseils de la sagesse auraient cependant
été bien utiles à cet alchimiste de hasard; ils auraient servi
à tempérer l'impatience indiscrète avec laquelle il multi-
pliait ses projections. Mais Kelley n'écoutait rien; le succès
lui avait tourné la tête* Il soufflait pour Tentrelien de ses
folles dépenses; il soufflait pour tous les besoins de ses fan-
taisies effrénées; et, non content de souffler pour lui-même,
il soufflait pour ses amis, pour les courtisans, pour les sei-
gneurs, et en général pour tous ceux qui pouvaient l'ap-
procher assez pour lui dire qu'ils l'admiraient. Le train
extraordinaire de ses dépenses et le bruit de ses opérations
faisaient Tentretien de la ville entière. On l'invitait dans les
assemblées pour lui demander des projections, qu'il exécu-
tait d'ailleurs sans se faire prier, et qu'il réitérait même vo-
lontiers quand on savait élever à propos quelques doutes sur
* Morhof Epistola àd Langelottum de melallorum (^atiftinH(Qil\!0T\t«
i04 UbTOlRË
$00 art. II lit ainsi par complaisance beaucoup d'or et d'ar-
;;ent qu*il distribuait aux spectateurs de ses opérations. 11 se
montrait surtout généreux envers les grands personnages,
et Ton cite entre autres le maréchal de Rosemberg, qui reçut
de lui un peu de pierre philosophale. C'était à qui s'empa-
rerait, pour l'exploiter à son tour, de ce Midas vaniteux et
sans oreilles.
De ce qui précède, il résulte que l'élève émancipé du doc-
leur Dee lit beaucoup d'or à Prague. Ce fait, qui n'a plus rien
de merveilleux, si Ton admet avec nous que la poudre trou-
vée dans le tombeau de Tévèque n'était qu'une combinai-
son aurifère, est attesté par un grand nombre d'historiens
qui donnent divers détails sur ses projections. La mieux
cohûrmée, comme la plus singulière, est celle qui fut exé-
cutée dans la maison du médecin impérial Thadée de Hayek
(Âgecius). On prétend qu'avec une seule goutte d'une huile
rouge il changea toute une livre dé mercure en bel or;
on trouva au fond du creuset un petit rubis, qu'il assura
provenir de la quantité surabondante de pierre philosophale
employée à l'opération. Sauf Tin terpréta lion du fait présentée
par l'adepte, on ne peut guère mettre en doute cette histoire,
rapportée par des écrivains sérieux*, et corroborée par un
important témoignage, celui du médecin Nicolas Barnaud,
qui vivait alors dans la maison de Hayek, et qui a fait lui-
nitMite de l'or avec l'aide de Kelley*. Un morceau du métal
provenant de cet essai fut conservé par les héritiers du mé-
decin Hayek, qui le montraient à qui voulait le voir.
Sur le bruit de tous ces prodiges, Kelley fut appelé à la
cour d'Allemagne. 11 fit devant l'empereur Maximilien H une
projection qui n'était, dit-on, que la répétition de la précé-
dente, et qui eut de même un très-grand succès. Ravi de ren-
* liusseudus, de Melallis. -> L'auleur de la Recreatio mentalis, — Ui"
UiBCUs de Brandau. de la Médecine universelle.
• Libavii censura sententiarum tcholte Pamten«t«.
DES TRAiVSMLTATIONS MÉTALUQLES. 205
coDtrer enfin cette merveilleuse teinture qu'il cherchait lui-
même depuis si longtemps, Tempereur prit la résolution de
s'attacher ce précieux souffleur. Kelley fut comblé de faveurs
et nommé maréchal de Bohême, ce qui ne laissa pas d'exciter
quelque jalousie parmi les seigneurs de la cour. D'un autre
côté, à mesure que l'adepte s'élevait dans les honneurs, la
modération lui devenait plus difficile, et, moins que jamais,
il était disposé à écouter les sages avis du bon docteur Dee.
Un jour, dans un moment sans doute où son orgueil ordi-
naire était encore exalté [)ar Tivresse, il osa se donner, ce
qu'il n'avait jamais fait jusque-là, pour un véritable adepte,
et poussa l'imprudence jusqu'à se vanter de savoir préparer
la poudre qui ser\ait à ses opérations. Dans ce moment
d'oubli, il venait de fournir à ses ennemis le moyen de le
perdre.
Les courtisans, jaloux de sa fortune, n'eurent point de
peine à faire comprendre à l'empereur tout l'intérêt tju'il
avait à mettre la main sur ce trésor vivant. L'empereur n'é-
tait que trop disposé à écouler cet avis. Tant (\ue l'on put
espérer de l'alchimiste la révélation de son secret, on n'usa
pas envers lui d'une grande rigueur. On se contenta de le
faire garder à vue, après lui avoir intimé l'ordre, sous peine
de prison, de fabriquer pour Sa Majesté Impériale plusieurs
livres de sa poudre philosophale. Kelley, pour de très-
bonnes raisons, ayant refusé d'obéir, fut enfermé dans le
château de Zobeslau.
Une ressource restait au faux alchimiste, c'était de recou-
rir aux lumières du docteur Dee. Confiant dans cet espoir,
il s'engagea à satisfaire au désir du prince si on lui rendait
la liberté. Les portes de sa prison s'ouvrirent; on le ramena
il Prague, et il commença à travailler avec son ami. Mais,
quoique très-savant sur beaucoup de nmlières, l'excellent
docteur était loin d'être un adepte expérimenté. S'il avait
pu, à l'aide de ses connaissances chimiques, comprendre,
'^«r le manuscrit do ïévêque, la manière de î'AVTe w'è^^ç. ^^
Vi
:206 HISTOIRE
la poudre, il n'avait point trouvé dans ce manuscrit la ma-
nière de la préparer. Toutes leurs tentatives, les nom-
breuses opérations qu'ils exécutèrent ensemble dans le labo-
ratoire de Tempereur, restèrent donc vaines.
On assure que, dans leur désespoir, les deux amis se
résolurent alors à appeler à leur aide les esprits infernaux;
on a même trouvé les prières et les évocations qu'ils adres-
sèrent à l'esprit du mal. Mais l'abbé Lenglet Du FresDoy
nous apprend que les démons ne savent pas de semblables
secrets, ou que, s'ils les savent, ils sont trop rusés pour les
découvrir, surtout à de tels personnages : les démons restée
rent sourds à l'appel des deux alchimistes.
Cependant le temps s'écoulait ; la situation de Kelley était
déplorable, car il était dans l'impossibilité de tenir la pro-
messe qu'il avait faite à Tempereur, et, quoique libre en
apparence, il se voyait trop bien gardé pour espérer de réus-
sir dans une tentative de fuite. Un jour, égaré par la fureur
et le désespoir, il tua un certain George Hunkler, qui était
chargé de le surveiller, et aggrava sa position par ce meurtre
odieux et inutile.
Après ce coup, on enchaîna Kelley, qui fut conduit au
château de Zerner, où on le garda de très-près. Quoique les
écrivains auxquels nous empruntons les faits de son histom)
ne nous fournissent aucune date qui permette de fixer la
durée de cette seconde captivité, elle dut être fort longue.
Kelley en consacra les premiers mois à écrire un traité latin
sur la Pierre des sages, qu'il envoya à l'empereur le 14 oc-
tobre 1596. A ce mémoire était jointe- une lettre où il se
plaignait beaucoup que le maréchal de Bohême fût, pour la
seconde fois, détenu dans une prison de Bohême. Mais, si
éloquent qu'il fût, ce rapprochement ne fit point sur l'esprit
du monarque l'effet que l'auteur en attendait. Il en advint
autant de l'assurance qu'il renouvela de dévoiler enfin son
secret si ou lui rendait la liberté. On ne selaissa pas prendre
à cette promesse; oUue voulut pas lui fournir ToccasioD de
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES, 207
donner une suite à cette première comédie qui s'était termi-
née par un assassinat.
Heureusement pour le prisonnier, le docteur Dee avait
trouvé le moyen d'intéresser à son sort la reine d'Angleterre
Elisabeth. Le bruit de ses projections, parvenu jusqu'à Lon-
dres, avait déjà éveillé l'attention de la cour et disposé d'a-
vance les esprits en sa faveur. Elisabeth fit réclamer l'alchi-
miste comme un de ses sujets. On lui répondit par un refus,
qui ne pouvait d'ailleurs passer pour un manque d'égards
envers la reine, ^ar ce n'était point le caprice du prince,
mais la justice du pays qui retenait Keltey dans les prisons
de l'empire.
Certains historiens s'expliquent autrement sur ce dernier
fait. D'après eux.. Elisabeth, instruite par la renommée des
prodiges que deux de ses sujets opéraient à l'étranger, les
aurait rappelés en Angleterre à une époque où Kelley était
libre aussi bien que son ami. Mais, craignant toujours pour
sa liberté s'il s'exposait à toucher de nouveau les terres de
sa patrie, Kelley aurait refusé d'obéir, tandis que le docteur
Dee serait retourné à Londres, où, malgré son impuissance
à composer la pierre philosophale, il aurait été, pour prix
de son obéissance, comblé des bienfaits de la reine ^ On
peut choisir entre ces deux versions, ou môme, ce qui ne
paraît pas impossible, essayer de les concilier, il se peut,
en effet, que les choses se soient d'abord passées confor-
mément à ce dernier récit, et qu'ensuite le docteur Dee,
ayant appris à Londres la nouvelle infortune de son compa-
gnon, ait supplié Elisabeth d'intervenir pour sa délivrance,
ce qui aurait amené la réclamation de cette princesse et le
refus de l'empereur.
Ce qui est certain, c'est qu'en 1589 Jean Dee retourna
seul en Angleterre, où il vécut et mourut en paix, bien que,
vers ses dernières années, la petite pension (|u'il tenait des
* Lenglet Du Fresnoy. *
20S HISTOIRE
bontés d'Elisabeth lui eût été retirée par le roi Jacques 1''.
Quant à son compagnon Kelley, qui était demeuré entre
les mains de Tempereur, ses amis ne voulurent pas i\nbaD-
donner, et résolurent de faire une tentative pour le tirer de
la prison de Zerner. On parvint à placer une corde, au moyen
de laquelle il devait descendre jusqu'au pied de la tour du
château; là, quelques gentilshommes Tattendaient, ayant
tout disposé pour assurer sa fuite. Par malheur la corde se
rompit ; Kelley tomba et se cassa la jambe. Le cri d'effroi
qu'il n*avait pu retenir, en se voyant précipité, attira les
gardiens. On le remit dans sa prison ; il y mourut, des suites
de sa chute, en 1597. Il n'avait que quarante-deux ans. Le
poëte, ou plutôt le versificateur Mardochée de Belle, célébra
la fin tragique de cet aventurier dans des vers qui témoignent
de rentière croyance de Tempereur-aux capacités herméti-
ques de Kelley.
Cette opinion pourtant était fort gratuite, et Tex-notaire
de Lancastre ne saurait, à aucun titre, figurer parmi les no-
tabilités de l'alchimie. Il ne fallait rien moins que le con-
cours d'un singulier hasard pour faire de l'homme dont
nous venons de parler une espèce de saint de la légende
philosophique. Kelley n'eut rien de saillant que son orgueil.
Il sacrifia sa liberté et même sa vie à l'attrait de la réputa-
tion, et sa vanité seule l'a sauvé de l'oubli auquel le con-
damnait son ignorance philosophique.
Le Traité de la pierre des sages, que Kelley envoya de sa
prison à l'empereur, en 1596. a été imprimé dans le recueil
d'Elias Ashmole *. L'éditeur pense que ce traité n'est autre
chose que le manuscrit même de l'évoque anglais, que Kel-
ley aurait tout simplement traduit en latin. Le môme Ash-
mole possédait encore le manuscrit d'un journal très-cu-
rieux, où le docteur Dee et son compagnon avaient écrit,
jour par jour, le détail de leurs opérations et noté la quan-
* Theatrum l>rilaTiirvicum chemicuw, Londres, 1652.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLÎftULS. 209
tité d'or qu'ils avaient fait ensemble dans les villes d'Alle-
magne. Cet agenda, qui renfermait beaucoup de notes inté-
ressantes pour leur histoire, a été publié par Méric Casaubon
longtemps après la mort de Dee, arrivée en 1604.
CHAPITRE III
TRANSMUTATIONS ATTRIBUÉES A YAN HELMONT, A HELYÉTIUS ET A BÉRIGARD
DE PISE. — MARTINI. — RIGHTHAUSEN ET l'eMPEREUR FERDINAND III. —
LE PASTEUR GROS. — ROBERT BOTLEf — LE GÉNÉRAL PATKULL.
Le retentissement immense des succès hermétiques de Ni-
colas Flamel eut pour résultat, avons-nous dit, de donner
aux idées alchimiques une grande popularité. Un certain
nombre de faits de transmutation sont cités, dans l'histoire
do la philosophie hermétique, pendant les deux siècles qui
suivirent la mort de Flamel, c'est-à-dire pendant les quin-
zième et seizième siècles. Nous venons de rapporter, par
l'histoire de Kelley, le plus connu de ces faits. Le reste ne
nous semble pas appuyé sur des témoignages suffisamment
authentiques; aussi les passerons-nous sous silence pour ar-
river au dix-septième et au dix-huitième siècle, c'est-à-dire
à une époque assez rapprochée de la nôtre pour que les do-
cuments qui concernent ces faits soient nombreux et d'un
contrôle aisé.
Les philosophes hermétiques ont toujours cité avec une
grande confiance, à l'appui de la vérité du fait général des
transmutations, le témoignage de^ Van Helmont. Il était dif-
ficile, en effet, de trouver une autorité plus imçosante ei
210 HISTOIRE
plus digne de foi que celle de l'illustre médecin-chimiste
dont la juste renommée comme savant n'avait d'égale que
sa réputation d' honnête homme. Les circonstances mômes
dans lesquelles la transmutation fut opérée avaient de quoi
étonner tous les esprits, et Ton comprend que Van Helmont
lui-même ait été conduit à proclamer, d'après ropération
singulière qu'il lui fut donné d'accomplir, la vérité des
principes de l'alchimie. Voici d'ailleurs le fait tel que Van
Helmont le rapporte dans un de ses ouvrages.
En i 618, dans son laboratoire de Vilvorde près de Bruxel-
les, Van Helmont reçut, d'une main inconnue, un quart de
grain de pierre philosophale. Elle venait d'un adepte qui,
parvenu à la découverte du secret, désirait convaincre de sa
réalité le savant illustre dont les travaux honoraient son épo-
que. Van Helmont exécuta lui-même l'expérience, seul dans
son laboratoire. Avec le quart de grain de poudre qu'il avait
reçu de l'inconnu, il transforma en or huit onces de mercure.
On ne peut mettre en doute aujourd'hui que, grâce à une
adroite supercherie, grâce à quelque intelligence secrète avec
les gens de la maison, l'adepte inconnu n'eût réussi à faire
mêler par avance de For dans le mercure ou dans le creuset
dont Van Helmont fit usage. Mais il faut convenir que cet
événement, tel qu'il dut être raconté par l'auteur de l'expé-
rience, était un argument presque sans réplique à invoquer
en faveur de l'existence de la pierre philosophale. Van Hel-
mont, le chimiste le plus habile de son temps, était difficile
à tromper; il était lui-même incapable d'imposture, et il
n'avait aucun intérêt à mentir, puisqu'il ne tira jamais le
moindre parti de celte observation. Enfin, l'expérience ayant
eu lieu hors de la présence de l'alchimiste, il lui était diffi-
cile de soupçonner la fraude. Van Helmont fut si bien trompé
à ce sujet, qu'il dovint, à dater de co.jour, partisan avoué
de l'alchimie. Il donna, en l'honneur de cette aventure, le
nom de Mercuritis à son fils nouveau-né. Ce Mercurius Van
Helmont m^ démeivlU ççl^, d'tvlUeurs, son baptême alchi-
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 2H
mique : il convertit Leibnitz à celte opinion; pendant toute
sa vie il chercha la pierre philosophale, et mourut sans
ravoir trouvée, il est vrai, mais en fervent apôtre.
Un événement presque semblable arriva, en 1666, à Hel-
vétius, médecin du prince d*Orange.
Jean-Frédéric Schweitzer, connu sous le nom latin à'Hel-
vetius, était un des adversaires les plus décidés de Talchi-
mie; il s'était même rendu célèbre par un écrit contre la
poudre sympathique du chevalier Digby. Le 27 décem-
bre 1666, il reçut à la Haye la visite d'un étranger, vêtu,
dit-il, comme un bourgeois du nord de la Hollande, et qui
refusait obstinément de faire connaître son nom. Cet étran-
ger annonça à Helvétius que, sur le bruit de sa dispute avec
le chevalier Digby, il était accouru pour lui porter les preu-
ves matérielles de Texistence de la pierre philosophale. Dans
une longue conversation, l'adepte défendit les principes
hermétiques, et, pour lever les doutes de son adversaire, il
lui montra, dans une petite boîte d'ivoire, la pierre philoso-
phale : c'était une poudre d'une métalline couleur de soufre.
En vain Helvétius conjura-t-il Tinconnu de lui démontrer
par le feu les vertus de sa poudre, Talchimiste résista à tou-
tes les instances, et se retira en promettant de revenir dans
trois semaines.
Tout en causant avec cet homme et en examinant la pierre
philosophale, Helvétius avait eu l'adresse d'en détacher quel-
ques parcelles, et de les tenir cachées sous son ongle. A peine
fut-il seul qu'il s'empressa d'en essayer les vertus. Il mit du
plomb en fusion dans un creuset et fit la projection. Mais
tout se dissipa en fumée; il ne resta dans le creuset qu'un
peu de plomb et de terre vitrifiée.
Jugeant dès lors cet homme comme un imposteur, Hel-
vétius avait à peu près oublié l'aventure, lorsque, trois se-
maines après et au jour marqué, l'étranger reparut. Il re-
fusa encore de faire lui-môme l'opération; mais, cédant aux
prières du médecin, il lui fit cadeau d'un peu de %^ ^x^w^..
:)|i> HISTOIRE
il pou près la grossour d'nii grain de millet. Et, comme j
lirlvétius exprimait la crainte qu'une si petite quantité de j
substance ne pût avoir la moindre propriété, Falchimiste, .'
trouvant encore le cadeau trop magnifique, en enleva h
moitié, disant (]ue le reste était suffisant pour transmuer
une once et demie de plomb. En môme temps, il eut scinde
fain» connaître avec détails les précautions nécessaires à la
n'Missite de Ta'uvre, et recommanda surtout, au moment de
lu projection, d'envelopper la pierre philosophale d*un peu
de cire, afin de la garantir des fumées du plomb. Helvétius
crut en ce moment comprendre pourquoi la transmutation
iju'il avait i^ssayée avait échoué entre ses mains : il n'avait
pas enveloppé la pierre dans de la cire, et avait néglige par
consi'quent une précaution indispensable. L'étranger pro-
mettait d\iilleurs de revenir le lendemain pour assister à
l'expérience.
Le lendemain, Helvétius attendit inutilement; la \omk
s\voula tout entière sans que Ton vit paraître personne. Le
soir venu, la femme du médecin, ne pouvant plus contenir
si»n impatience, dtM»ida son niari à trnter seul ropération.
L'essai fut extknité par Helvétius en pn'sence de sa femme et
«le son fils. H fondit une once ft lîemie de plomb, projeta
>ur le métal en fusion la pierre enveloppi^ de cire, couvrit
le creuset de ^m cou\ercle et le laissa exposé un quart
«riieure à l'acliiui du feu. Au b«>ut de ce temps, le métal
avait acquis la belle couleur viTte île Tor en fusion; coulé
l't refroidi, il devint d'un jaune magnitique. Tous les or-
Haye esti nièrent trts-liaut le degré de cet or,
essa\eur général d»^ monnaies de la Hollande, le
tndta sept fois )\ir l'antimoine, sans qu'il diminuât de poids.
Tt'lle est la narration quHelvtiius a faite lui-même de
cette nventuD\ ï.»^s teniu^ v\ \o> détails minutieux de son
rt'cii exelih-nt d.^ s;ï part ti'Ut suupeon d'imposture. Hais,
>i l liii ne jM'Ut >iî>{nvter la \« meiit' et la loyauté du savait
liiriltvin du \^T\tvoe à'Ot^wt^. v>\\ ue i^ut accorder la même ^
févrt^s 4^ la
Poveliijt. ess
DBS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 213
confiance au héros inconnu de cette aventure. On ne peut
tenir en doute que le creuset ou le lingot de plomb dont To-
érateur fit usage n'eussent reçu antérieurement, et à Tinsu
f Relvétius, de Tor ou un composé aurifère décomposable
' le feu. En effet, la première opération qu'Helvétius tenta
le fragment de pierre philosophale qu'il avait si adroi-
ml dérobé n'avait point réussi ; la seconde seule fut cou-
ï de succès. De ce rapprochement, il faut conclure que
r^^te inconnu n'avait pu prendre dans le premier cas les
qu'il prit dans le second, c'est-à-dire faire glisser
fte main étrangère, quelques jours avant l'expérience,
aine quantité d'or ou d'un composé aurifère dans le
dans le creuset qui devait servir à l'opération,
ae Helvétius croyait n'avoir à redouter aucune trom-
perie Ace genre, il fut entièrement dupe de l'aventure.
Ce sucA l'émerveilla à un tel point, que c'est à cette oc-
casion qw écrivit son Vitultis aurxus % dans lequel il ra-
conte €ekait et défend l'alchimie. Cette transmutation fit
grand bilt à la Haye. Spinosa, qui n'est pas rangé parmi
les gens Bédules, dit, dans une de ses lettres, qu'il a pris
luî-mêmeBes renseignements' les plus détaillés à cet égard,
el qu'il Aésite pas à se déclarer convaincu comme tout le
monde -
I aurseiu quem mundus adorât et orat. In bibliothecd chemicd
ri,p. 196.
; termes mêmes de cette lettre de Spinosa, adressée à Jarrig.
mt parlé à Voss de TniTaire d'Helvétius, il se moqua de moi,
nt de me voir occupé à de telles bagatelles. Pour en avoir le
Inet, je me rendis chez le monnayeur Brechtel, qui avait essayé
[ r^v Celui-ci m'assura que, pendant sa fusion, l'or avait encore aug-
Ité de poids quand on y avait jeté de l'argent. Il fallait donc que
or, qui a changé l'argent en de nouvel or, fût d'une nature bien
dculière. Non-seulement Brechtel, mais encore d'autres personnes
li avaient assisté à l'essai, m'assurèrent que la chose s'était passée
,insi. Je me rendis ensuite chez Helvétius lui-même, qui me montra
. » i'or et le creuset contenant encore un peu d'or attaché à ses parois. Il
:;I4 HISTOIBE
Lf^ philosophe italien Bérigard de Kse fut converti h Tal-
chîmie par un événement analogue aux précédents. Tons
ces faits s'expliquent aisément aujourd'hui en admettant que
le mercure ou les autres ingrédients dont on faisait usage,
ou le creuset que Toi^ employait, recelaient une certaine
quantité d'or dissimulée avec une habileté merveilleuse.
« Je rapporterai, dou> dit Béri^ard de PL^e^ ce qui m^est arri?é
autrefois brsque je doutais fortement qu'il lut possible de convertir
le mercure en or. Un houmie habile, voulant lever mon doute à cet
égard, me donna un '^ro» d*une poudre dont la couleur était assez
send>bble k celle du pavot sauvage, et dont Todeur ra^ipelait celle du
sel marin calciné. Pour détruire tout soupçon de fraude, j^adietoi
moi-même le creuset, le charbon et le mercure chex divers mar-
cliands, afin de n'avoir point à craindre qu il ni eût de For dans au-
cune de ces matières, ce que font si souvent les charlatans alchimi-
ques. Sur dix gros de mercure f ajoutai un peu de poudre, feiqMsai
le tout k un feu assez fort, et en peu de temps la masse se trours
toute convertie en près de dix gros d'or, qui fut reconnu comme
très-pur par les essais de divers orfèvres. Si ce fait ne me fïU point
arrivé sans témoins, hors de la présence d'arbitres étrangers, j'aurais
pu soupçonner quelque fi-aude ; mais je puis assurer avec confiance
que la chose s'est passée comme je la raconte ' . »
Ces sortes de démonstrations pratiques, fournies par les
maîtres de Tart aux incrédules ou aux ennemis de la science
iransmutatoire , étaient assez fréquentes au dix-septième
siècle. Beaucoup d'artistes, voyageant en divers pajs, s'ar-
rôlaient dans les universités ou dans les grandes villes pour
c me (lit qu'il nvuil jelé à peine sur le plomb fondu le quart d*un graiu
« de bié de pierre philosophale. Il ajouta qu'il ferait connaître cette
il histoire à tout le monde. Il parait que cet adepte avait déjà fait la même
« expérience à Amsterdam, où l'on pourrait encore le trouver. » Voilà
u toutes les informations que j'ai pu prendre à ce sujet. » (Vcorburg,
27 mars 1CC7.) Bened. Spinozse Opéra post huma, p. 553.
* lloc niai in îoco solo et rejnoto ab arbitris comprobcusem, sutpican
aliquid subesse fraudis : vam fidenter testari possum rem ita esse. (Ctfcu-
iua Pisanun, ^7^.]
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 215
cette espèce de propagande scientifique. Ce qui arriva à
Helmstadt, en 162i, en est un exemple assez piquant.
Un certain Martini, professeur de philosophie à Helmstadt,
était renommé par ses diatribes contre l'alchimie. Un jour,
dans une de ses leçons publiques, comme il se répandait en
injures contre les souffleurs, et en arguments contre leurs
doctrines, un gentilhomme étranger, présent à la séance,
rinterrompit a^vec politesse, pour lui proposer une dispute
publique. Après avoir réfuté tous les arguments du profes-
seur, le gentilhomme demanda qu'on lui procurât aussitôt
un creuset, un fourneau et du plomb. Séance tenante, il fit
la transmutation ; il convertit le plomb en or, et l'offrit à
son adversaire stupéfait, en lui disant : Domine, solve mî
hune syllogismum.
Cette démonstration de fait opéra Tentière conversion du
professeur, qui, dans l'édition suivante de son Traité de
logique, s'exprime comme un homme dont l'incrédulité en
matière d'alchimie a été fortement ébranlée*.
Mais arrivons à une autre catégorie de faits : nous vou-
' Ions parler des opérations dans lesquelles on a fabriqué, par
les procédés alchimiques, assez d'or pour en battre monnaie
ou pour en frapper des médailles commémoratives. Parmi
les événements de ce genre, le plus singulier et le plus
connu est celui qui s'est passé, en 1648, à la cour impériale
d'Allemagne, entre Ferdinand III et Richthausen.
Un adepte, connu sous le nom évidemment supposé de Ld-
bujardière, était attaché à la personne [du comte de Schlick,
seigneur de la Bohême. On le citait comme possesseur de la
pierre philosophale. En 1648, se sentant près de mourit, il
écrivit à Tun de ses amis, nommé Richthausen, qui habitait
Vienne, lui léguant sa pierre philosophale, et iHnvitant à
« « Je ne dirai rien contre la vérité de cet art, car je ne peux pas re-
a jeter les lémoignages de tant d'honnêtes gens qui assurent avoir vu de
«-leurs propres yeux Vanoblissement des métaux et l'avoir opéré eux-
« mêmes. Mentir serait ici une folie, surtout pour un élève de la Sagcsse.jy
216 lUSTOIRB
venir au plus tôt la recevoir de ses mains. Richthausen arriva
trop tard : l*adepte était mort. Il demanda cependant au
maître d'hôtel du palais si le défunt n'avait rien laissé, et
Ton s'empressa de lui montrer une cassette, que l'alchi-
miste, au lit de mort, avait recommandé de respecter. Richt-
hausen se saisit de la cassette et l'emporta. Sur ces entre-
faites, arrive le comte de Schlick, qui, connaissant tout le
prix de l'héritage de son alchimiste, vient le réclamer, en
menaçant son maître d'hôtel de le faire pendre. Celui-ci
court aussitôt chez Richthausen, et, lui mettant sur la poi-
trine deux pistolets chargés, lui marque qu'il'faut mourir
ou restituer ce qu'il a dérobé. Richthausen feignit de rendre
le dépôt ; mais il substitua adroitement une poudre inerte à
celle de Tadepte. Ensuite, muni do son trésor, il alla se
présenter à l'empereur, demandant que l'on mit ses talents
à l'épreuve. Ferdinand III, très-versé dans la philosophie
hermétique, prit toutes les précautions nécessaires pour
n'être pas trompé. L'opération se fit en sa présence, hors des
yeux de Richthausen, et par les soins du comte de Rutz, di-
recteur des mines. Avec un grain de la poudre de Richthau-
sen, on transforma, dit-on, deux livres et demie de mercure
en or fin.
L'empereur fit frapper avec cet or une médaille, qui exis-
tait encore à la trésorerie de Vienne en 1797. Elle représen-
tait le dieu du soleil portant un caducée avec dés ailes au
pied, pour rappeler la formation de l'or par le mercure.
Sur l'une des faces, on lisait cette inscription :
Divina metamorphosis exhihita Praguse^ 16;ant>. a. 1648, in preuntid
sacr. C»«. majest. Ferdinandi iertii.
Va sur l'autre face :
Karis hêec ui hominibus est ars, ità raro in îucem prodU : laudetur Detts
»M seternum qui parlem su* hifinitœ potenliœ nobis «uù abjectisnmi"
creaturis vommunicif.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 217
Avee la poudre qu*U tenait de Richthausen, Ferdinand III
ftt une Seconde projection à Prague en 1650. La médaille
qu'il fit frapper à cette occasion porte cette inscription :
Àurea progenies plumbo prognata parente.
On la montrait encore au siècle dernier dans la collection
du château impérial d'Ambras, dans le Tyrol.
En reconnaissance de ces hauts faits, Tempereur anoblit
Richthausen. Il lui donna le titre de baron du Chaos. C'est
sous ce nom bien trouvé qu'il a couru toute TAllemagne en
faisant des projections. L'opération la plus célèbre du baron
du Chaos est celle qu'il fit exécuter, en 1658, à Télecleur
de Mayencc, qui convertit lui-même en or quatre onces de
mercure.
Monconis, dans ses Voyages, raconte ainsi la transmuta-
tion opérée par l'électeur de May en ce :
« L'électeur fit lui-inènie celte projection avec tous les soins que
pi^ut prendre une personne entendue dans la philosophie. Ce fut avec
un petit bouton gros comme une lentille, qui était nièuie entouré de
gomme adragante pour joindre la poudre; il mit ce bouton dans la
cire d'une bougie, qui étuit allumée, mit cette cire dans le fond du
creuset, et par-dessus quatre onces de mercure^ et mit le tout d:in>
le feu, couvert de charbons noirs, dessus, dessous et aux environs.
Puis ils aimmencèrent à souffler d'importance, et tirèrent Tor fondu,
mais qui faisait des rayons fort rouges, qui, pour Toidinaiie, sont
verts. Chaos lui dit alors que Tor était encore trop haut, qu'il le fal-
lait rabaisser en y mettant de rarucnl dedans ; lors Son Altesse, (jui
en avait plusieurs pièces, en [)iit une qu'il y jeta lui-mèuie, et ayant
vei-sé le tout en parfaite f .sion dans une lingotière, il s'en lit un lin-
got d'un très-bel or, mais qui se trouva un peu aigre, ce que (]Ii;h)s
dit procéder de quelque odeur de laiton qui s'était trouve jieut-ètrc
dans la lingotière, mais qu'on Tenvoyàt fondre à la monnaie; ce qui
fut fait : et on le rapporta très-beau et très-doux. Et le maître de la
monnaie dit à Son \ltesse que jamais il n'en avait vu de si beau, (pi'il
218 IIISTUÎRK
iHaît à |ibs clr 24cin.it''. tlnii'îl i^ljiit ûUitjïiaril LturiiUL'Ul, ^Vm-^i
qu'ûMiif tl iHailduvenii |Kiifuitnntjnl tloux jmr une nulle ftisiol
"^^
A w résumé des transniutiilinns observées au dixH
tiéiJie sièek\ oii peul iijtuiUT un fait rapporii* par Mangel,
d'après le teaioi^iage de Tun des acteurs mêmes de révéne-
nienl, M. Gros, ministre du saint Kvangile a Genèvti^.
Dans l'îtnmvo 1658, un voyageyr arrivant d Italie dc^crn-
dit à rUulel du Cytjne de (a Croix-Verte. Il se lia Imnik
avec M. Gros, alf»rs â^é de vin^^l ans et (jui étudiait la ihco-
lof^ïr. Priidant quinze jours ib visitèrent enseiiible les eu*
riosités (le la ville et des environs. Au bout de ce temps,
rétranger eonlia à son compagnon rjue l'argent eommenraîl
à lui maïKiuer, ce qui ne laissa pas irinquiéter leludiaiil,
dont la lionrse» un peu légère, redoutait un a [qiel importun
Mais SOS rrainns ne furent pas de longue dunk. L'Ilalietise
borna a demander qu'on le eonduisît chez un orfèvre qui
put nu^tlie à sa disposition son atelier et ses outils. On rem-
mena eliez un M. Bureau, qui, consentant à satisfaire -àHi
demande, lui procura de Tétaîn, du mercure, des creusets,
et se retira pour ne pas gêner ses opérations. Resté seul avec
M, Gros et un ouvrier de l'atelier, l'Italien prit deux creu-
sets, plara du mercure dans Tim et de Tétain dans rautrc.
Lors^iue Tétain fut fvmdn et le mercure légèrement ehnuffé,
il vrTsa le mercure sur Fêtai n et jeUi dans le mïîlauge um
[mudre rouge entourée de cire. Une vive effervescence se
(►roduisit et se calma presque aussitôt. Le creuset étant m*
tiré ilu feu, on coula le métal et on obtint six petits lin^MU*
du plus beau jaune. L'orfèvre, étant rentré sur ces entre-
faites, s'empressa d'examiner les lingots: c'iUait de l'or, «l
du plus lin, dit-il, qu'il eût jauiais travaillé. La pirrrc de
touche, Tantiuioine, la coupelle, justiliérent sa nature et
l'éfévation de son litre. Pour payer rorfévre de sa coniplm-
* I pr/fîjM, t Jh p. ôliK
fiihfùMfteca tAcnocu rurioia. trafado ad hctorem
DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES, 219
sancC; ritalienlui fit présent du plus petit des lingots ; il se
rendit ensuite à la monnaie, où son or fut échangé contre
un poids égal de ducats d'Espagne. Il donna vin^t ducats
au jeuue Gros, paya son compte à riiôlel et prit congé de
ses amis, annonçant son retour très-prochain. Il commanda
même pour le jour de son arrivée un repas magnifique qu'il
paya d'avance. Il partit, mais ne revint plus.
Le même ouvrage qui vient d*être cité rapporte un fait
qui serait arrivé à Uobert Boyle, Tun des plus éminents phy-
siciens et chimistes du dix-septième siècle, fait qui rappelle
beaucoup par ses détails celui qui émerveilla si fort Yan-
MelmoDt.
Un étranger mal vêtu alla trouver M. Boyle, nous dit l'au-
teur de la Bibliothèque chimique, et, après avoir causé quel-
que temps avec lui d'une manière indifférente sur divers
sujets de chimie, pria le savant de lui donner de l'anti-
moine et quelques autres substances métalliques que l'on
trouve communément dans les laboratoires. L'inconnu jeta
ces substances dans un creuset qu'il plaça sur un fourneau
allumé. Le métal une fois fondu, Tétranger fit voir aux as-
sistants une certaine poudre qu'il jeta aussitôt dans le creu-
set; il sortit presque au même instant en donnant ordre aux
gens du laboratoire de laisser le creuset sur le fourneau
jusqu'à ce que le feu fût tombé; il promettait de revenir
quelques heures après. Mais, l'inconnu ne revenant pas,
Boyle fit ôter le couvercle du creuset et trouva qu'il conte-
nait un métal jaune offrant toutes les propriétés de l'or; la
masse était seulement un peu plus légère que les métaux
employés *.
Cette démonstration pratique, qui n'était cerlaincment
qu'une supercherie adroite pour amener l'illustre Boyle à
se convertir à l'hermétisme, ne produisit pas sur l'esprit sé-
vère de ce grand chimiste l'effet qu'en attendait l'expéri-
' MangHti Biblioiheca cuemica cunosa. Prefalio ad teclorem.
L^2M
lllSTnlUK
(lui av^^
IJUUI
I
■ Anift '
nit'iiliitryr im uihhi» va i[ui t-tuil |H!yt-iHro le ai^ine i\u
(>p<*n\ ihm le irHViïn biii, cl»rz Viiii ïlt'linonl, Ptir retendu»*
ik ses ciiimais^a tires cliHniiiues, pur iies trnviiux irinniii-
brables, pur la rwtilutk' rie stm es[irit» Robert Boyie avaii
jifis une appréciatîim irup profonde île la nature des plieno-
iiiênes rhiinitjues pour iicconki" la inoimJre cuiilianLV aux
idrf's<l«s alelitiiiistes. En divers cndnuls de sest écrits, il com-
bat leurs principes el s'r'lêve nniatnmenl contre leur lU^|
rie des éléments, d*a|irrs laquelle tous les reirps de la na-
ture se Cfttti[nïseniîent d(! terre, d'eau, de ler ou de ru er*
eure, de soufre el de sel \ Un voit, d'a[»rês iies auvru|||^H
i\uv rexpt'Henee de otU<Hranj^er n'<''!)r;«nla pas son incrdo^^
lilV' première, et '[uM sut résister mieux tpu' Van-llelmom
à la simurtinn cle ces démonstrations euipiri<jues
Nous terminerons ce réeil ra[ijde des IransmulatiODS
plus eélébresdu di\-sepliènie siècle en parbnit d'uu évél
iiienl do ce genre (|ui, dans les prendêres années du siècle
suivant, enu^a beauemip d'émotion en Suéde^ uû le s<nivt^
nir s'en est encore conservé.
Eu Pda, Cluules Xll fil eondamner à mort, comme trw-
tre, U* -^'«'neral I*aykulU (|ui avait été l'ail prisonnier ^
combatlant les armées de nui [lays. PaykuH était né en Li-
\onie, qui a|>parienaii aîorsij la Suéde; il avait »ké pri^ fiar
les troupes de Cliarles Xll, au moment où il coramaDdail.
devant Varsovie, une partie des forces du roi Auguste cno-
tre les Suédois. C'est [»our punir ce jdfénérai du crime d'avuii
\mv\v les armes contre sa pairie «juc Cliarles \II Jo fit coo-
diiinner a mort,
PaykiîlK se voyant perdu, s'enpjLsea, si Ton lui laissait b
vie, même en lui inlligeanl une prison fierju^tuelle» à fî*ire
eba*]ue année puur un in illion d'ëcus d'or, s;uis qu'il efl
* 4 iti vuuiiiMiii Ifieu siv.'ir, «lit RoltcrL Buvlc* cuiiiinLtit uo |>irvii*ii-
iliMil à tlétxïiitf oser l\»r 1:11 suutru, eu iiicit!uri: cl eu s«l ; ju m'eij^ipcîrsii'-
.* |i4yer loUfe Ici frai^ de icllu «ipi'niiiiiij. J'avatii; t|utî, jmjui itiuii cuiiipt*'
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 2î21
coûtât rien ni au roi ni à TÉtat. 11 s'offrait même à ensei-
gner cet art à tous les sujets du roi qui lui seraient désignés.
11 prétendait tenir Tart de faire de Ter d'un officier polo-
nais, nommé Lubinski, qui l'avait reçu lui-môme d'un prô-
tre grec de Gorinthe.
Cette offre ayant été acceptée, on procéda aux opérations
avec toutes les précautions commandées en cas pareil. Le roi
avait chargé le général d'artillerie Hamilton de surveiller
le travail de Talchimiste. Paykiill mêla les ingrédients en
présence d'Hamilton, qui les emporta ensuite chez lui, et en
substitua d'autres qu'il s'était procurés lui-même, afin de
déjouer les fraudes que l'opérateur pourrait commettre. Le
lendemain matin on les remit à Paykull, qui les mêla avec
sa teinture, et ajouta une certaine quantité de plomb.
C'est avec cette matière ainsi préparée et qu'il fit fondre
ensuite, que Paykiill fit la transmutation. Il obtint une
masse d'or, qui servit à frapper cent quarante-sept ducats.
On frappa aussi à cette occasion une médaille commémora-
tive du poids de deux ducats, portant cette inscription :
Hoc aurum arte chimicd conflavit Holmise 1706, 0. A.V. Paykhuîl.
Les personnes présentes à celte transmutation, qui ne fut
certainement qu'un adroit escamotage, étaient le général
Hamilton et l'avocat Fehman, qui avait rempli la fonction
de procureur général dans le procès de Paykull. Le chi-
miste Hieme, le général Hamilton et quelques autres per-
sonnes revêtues d'un caractère officiel y assistèrent égale-
ment.
Hieme, chimiste assez estimé de son temps, nous a laissé
sur les opérations de Paykull un rapport assez curieux à
consulter, parce qu'il donne certains renseignements sur les
procédés dont l'expérimentateur fit usage. Ce chimiste ne
mettait pas d'ailleurs en doute que Paykull n'eût converti
le plomb en or. D'après le rapport d'Hierne, Paykull se servit,
\'n
lïisToiiu:
^
jMJiir cetlo opémiinn, iVum^ loiiuiiro volirlih* {|iii avait êl<^
rondiip fixi^ f*u moyr'ii i|p l^inliinnino, »lo sourrc t^t «lu iiilrp
Ouarifl la tcinluri' avait é\é c!jaiig('e ninsi on une maliiTtî
soliili», il siiffisnit d'un gros de celte pmirlrc pour r!»îiii,i;or rr^
f)r six i^ros \\\i jiloiub.
(?i'siîi lu f^ri'drloolinn marquée du cliismislô llierne pour
rnlcliimii* ol h mn amour du morvoillnix qu'il hwi allri-
biior lis jinriifularitA sini^ulî^'^rcs mnsi;^aM''os ilims II^ rat'-
|Mirt \\\{\\ eoinposc'è sur los ûpi'nuîons dn l'aylvull. (joiumoril;
i^n i^ffet, coux qui avaient corn ni un inné i\ co général co pré-
tendu secret ne l\;ussenl-ils point Vi'\\\i] aussi l\ d'autre^
personnes?
Poyklil! avait, à c(^ quMl parait, donné au p^enêral llaniil-
ton la cominunicnlioîi dr ses pnwdés. Ces litres eurioux
ont été conserves dans îa famille de ce {^euéral, qui, de dos
jours, consentit à les souitiettre au eélèbre efiiniiste Berï'^
Nos. Perex.inien de ces documents, FSerzélius a conchi qu1l
t'Uiit impossible que la transmutation du |domb eut éù'èffw-
luée par les procédés qui s'y trouvent décrits *,
' « Paykflll, ïïouA dit Bcrzéliiis, avait donni] au général Ramillon ipo^
<t fines tlocunn^riN sur T-irt ilc i'iûrc ilc For, tlocumcnls tpiî sont ciic^ire
« conscrvL's aitjourd luii par un de ses de&ccniliiiils, le comte riiiei<j?e ïîfl-
<k ïiiillon. Co dernier n eu h com|diiis:incc tk luc laisser parcourir ces
« pa|jicrs. Ln description qu ou y liouvc rcAsendile â ce qu'eci ivt'ul orJi-
ït naireuient les atrtiiniisles, ei il en résullc que l'or n'a pu <?tre fail en
« présence <rnamiltou el de Fetimmn comme te dit Ilierne; cnr \\hw\
« pour cela environ cent r|(iiirunlc joui*». l^'o[H*ration se divise en Irais
tt porUons, dont ctiaeune esijïe beaucoup de lemps. L'art se rétlaitâub-
tr tenir du suirureiranliiHoine u lélil tondu p,ir dc« voies déloaniL^es^ cl
« par des moyens dont plusieurs sont dépourvus de bon sens. Il rt*ln
« ensuite l'ti^eni secret piopiement dit» rpit ne consiste pas en une itin-
« lure, mnis en deux poudrée , dont l'une est du cinabre rju'on fait Iwuîl-
ft lir trois loi» avec de l'espril-de-vin jusqu'à la voiulilîstilion de C4î li-
d quidc, et Vmivc de Fosyde l'crrique, appelé safran de ui,<rs, dont un
« indique épdtMocnt la préparation l.iile d'une manière Irès-tlésavanla-
t f^euse avcL" de la limaille de fer et de l'aciile nilnque, Ce^ poudres sont
*f mêlées avec le snlture (rantimoiue obtenu en premier lioii. Léeril
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES.
CHAPITRE IV
LE COSMOPOLITE
(Sethpn. — Sendivogius. )
Nous désignons sous ce même nom de Cosmopolite les
deux personnages qui l'ont successivement porté, et qui, en
fait, s'étant trouvés étroitement unis pendant quelques an-
nées de leur carrière hermétique, se sont ensuite continués
l'un par l'autre avec des circonstances qui ajoutent encore
à la confusion produite par Thomonymie. En réunissant
sous le môme titre les deux noms d'Alexandre Sethon et de
Sendivogius, nous avons déjà prémuni l'esprit de nos lec-
teurs contre Terreur très-répandue qui consiste à ne faire
de ces deux alchimistes qu'un seul et môme personnage.
a porte qu'on met le tout en digestion pendant quarante j%urs dans un
a vaisseau clos, el qu'ensuite on fait fondre un gros de ce mélange avec
« une livre d'antimoine cru et une once de nitre purifié. La masse fondue
« est versée dans une lingotière, au fond de laquelle elle dépose un culot
<i métallique blanc et rayonné, qu'on brûle dans un creuset ouvert jus-
« qu'à ce qu'il cegse de fumer; après quoi il reste de l'or.
« Pour peu qu'on ait des notions en chimie, on voit tout de suite en
(t quoi consiste ici k supercherie. Le safran de mars ou Toxyde ferrique
a et le cinabre peuvent , en effet, être mêlés tous deux d'une grande
a quantité de pourpre d'or sans que le mélange soit aperçu, du moins par
d un œil non exercé. Lorsqu'on fait fondre du pourpre d'or, qui contient
a beaucoup d'étain, avec du sulfure d'antimoine, l'or se sépare de Tétain,
ft absolument comme je l'ai dit ailleurs en traitant de la coupellation de
« l'or avec l'antimoine, et , après la volatilisation de l'antimoine , l'or
a reste, mais pesant beaucoup moins que la poudre rouge dont on s'est
« sorvi. »
(BEBzéLios, Traité de chimie, tome VIII, \). 1\.
22* HÏSTOînE
Noire récii adièrora de les disiin^iipr, Si, en certains poinls,
ils doheDl figurer ensemble dans la narralioB, nous mar-
querons avec Bâseï de soin le |Njiiit où ils st> sêjmmit pour
que Ton trouve deux bisloires bien distinctes sons le nii^îii+^
litre* ou, si Ton veut, sous la même raison philosophique;
qui est et doit rester le Cosmopolite.
Aleimiidre Sethon.
Pi^ndnnt IVk» de rannre iC>01, un pîloip bol Lin dais,
noiïiniê Jacques Hîtu^sen, fut assailli [»nr une lempete tlafli^
la mer du N<»rd, ei jeté sur la côtr d'Ecosse, non loin
irF.rlimhoiir^, à une pelile disuince du village de Sr^mmii
SfaîoHH. Les imufragi*s furent secourus [>ar un liybiuniit Jp
In contrêp qui possédait une maison ei qm^lrjiîes ternes sirr
ce rivage ; il réussit a sriuver plusieurs de ces lUîilbeun'Uï,
accueillit avec beaucoup d buniûniui le pilote dans sa niai-
son, el lui procura les moyens de retourner en flnllandj^.
Ce Irait d'iiumanil/^ île THcossais, la recon naissance (ja'en
t'prouva lé pilolt\ el sans doute aussi le plaisir qy'ilsavaii'fll
ressenti dans le |>eu de jours qu'ils avaient passés ensemhk
leur fireni priuneiire, en se séparant, de s<» revoir cnrorr*
une fois.
On ne s^iil rien sur Tâge ni sur les aniécé^jents iè
i'fuuniue qui vient de se révéler par cette action gém-rpuse.
Son n<HU même, qu'il quitta de bonur lieure et à ilcs^ein
puur le surnom sous ler[uel il voyagea en Eiimpej est de-
venu un sujet de mutniversi' [tour les historiens de la [ilûla-
<o[diu^ hermétique, l/usa^^e, alors presque universel, dela-
t lui sor I es no ru s | \ ro [ > r es , a si i r t o u l i^m t r r bu é à a m ci 1 1? r i ! f
nombreuses variantes sur le nom de Sethon ou de Sklon.
C'est ainsi qu*on le trouve successivement appelé Selhitim
Scofus, Siionius, Sidtmim^ Suthonem, Suethonius, et en un
SiYlithonim. Il n eslçias d'ailleurs d'une i^rande iniporl^oiy
DBS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 225
historique de savoir laquelle de ces formes se rapproche le
plus du nom original. L*épithète de ScotiLS, dont toutes sont
invariablement accompagnées, indique suffisamment qu'il
s'agit d'un môme personnage, Écossais de nation ; et comme
l'Anglais Campden, dans sa Britannia, signale, tout près
de l'endroit de la cote où le pilote Haussen fit naufrage, une
habitation qu'il nomme Sethon Home, résidence du comte
de Winton, on a pu en inférer avec assez de fondement que
Sethon appartenait à cette noble famille d'Ecosse.
Quoi qu'il en soit, cet homme, dont la vie antérieure est
demeurée inconnue, et dont l'histoire commence avec le dix-
septième siècle, est un alchimiste qui nous apparaît tout
formé, et, comme on le verra bientôt, passé maître dans son
art, de quelque manière qu'il Tait appris. Une autre qua-
lité que l'on peut admirer' en lui, c'est son désintéresse-
ment. Si, dans tous les lieux où rappellent les besoins de
sa propagande hermétique, il justifie sa mission par des
succès qui pourraient, à bon droit, passer pour des mira-
cles, s'il fait de l'or et de l'argent à toute réquisition, ce
n'est pas pour ajouter à ses richesses, mais pour en offrir à
ceux qui doutent, et convaincre ainsi l'incrédulité. Toi est
d'ailleurs le caractère singulier que nous présentent la plu-
part des adeptes à cette époque. L'alchimie paraît à leurs
yeux une science désormais constituée, qu'il ne s'agit plus
que de recommander, non à la cupidité du vulgaire, mais à
l'admiration éclairée des hommes d'élite et des savants. Ils
vont de ville en ville, prêchant cette science comme on prê-
che une religion, c'est-à-dire que, tout en ne négligeant
rien pour en démoiitrer la vérité, ils s'abstiennent d'en pro-
faner les mystères. C'est, en un mot, une sorte d*a[»ostolat
que ces adeptes «ceompUssent au milieu d'un siècle de cri-
tique et de lumières, apostolat toujours difficile, souvei^
périlleux, et dans lequel Alexandre Sethon devait trouver le
martyre.
hè& les premiers mois de l'année 1602, notre i^l\U(\SsOi^<&
ni\ lilSTDIIU:
inaugur«* s<»s piTôgrinulions par un voyage t^n llullandeJ
ullîi visiler son hAlfi H son mn\ Ilaussen, qui habîtoît âl
t;i tM*iit(* vïlli^ iTEnkhuysen- Le malelot le recul avec jri
ei l<> ri'liiU phisiiuir^ semaines ilans sa maison. Pen*:lant
tM^ st^j(HH\ leurs cœurs aehcvtVent de se lier d*une amitié
rrnlernelle. Anssi rEeossiûs ne voulut-il point r[uitler son
UàW siins lui CiHilier qu'il ronnaissait ïmi de Irausmuer los
mètiïux, et, pour W lui prouver» il lit une projeetion en «^'i
prêsenei'. Le fa niai's 1602, Sethon changea un morceau ik
[iloutb eu un murceau d'or de mèrue poids, qu'il kuî;sa
comnic souvenir à sou ami Jacob Ilaussim,
Frâ|*pe du prodige dont il avait été lémoin, Haussen nv
[ml sVmptVlier d'eu parler à un de ses amis, médecin k En-
kliuyseu; il lui lit m «Hue présonld'uu morceau de son or.
Cet ami ctail >Vudcr!imlen, aïeul de Jean Yendcrlindeii,
nuteur d'une Bihihîlièqm des dcrivains do médecine, d
qui, ayant liêrit»'^ de cel or^ le montra au célèbre merîecm
lieuFi^e iMorliof, ipii a lui-mi'^me composai uo ouvrage bien
connu", dont nous avons extrait toute cette première parlio
lie r histoire ilu Cosmo|vo!ile.
Eu i[uiitîHil la \ille dTnkhuysen, Alexandre Sethon s^
rendit sans doute à Amsterdam, puis à Rotterdam, On m-
saurait, sons cela, rapporter à aucune époque de sa vie les
projections que, suivant un ouvra^^e d'une date postérieure,
il fil dans ces deux villes. Nous savons encore, mais dune
manière tout aussi indirecte, qu'en quittant la Hollande ii
s\'udiari|ua pour lltalie. Aueuu rensei^mement ne nous fait
eonnaîtr** |>ouriani quelle partie de Tltalie il traversa, ni
ce qui lui advint [jendanl sou court séjour dans ces con-
trées.
Nous le retrouvons dans la même année, arrivant en Al-
lemagne par la Suisse, en comj>agnie d'un professeur d*;
Fribtuirg, Wolfgang Dienlieim, lequel, tout adversaire dé*
* G, Moiluïï, Ë|u>tt>lu Ad l.ifUuf\oi Hm tïe mtt>tllormtt transmutatt9M,
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 227
claré qu'il était de la philosophie hermétique, fut contraint
de rendre témoignage du succès d'une projection que Se-
thon exécuta à Baie devant lui et plusieurs personnages im-
portants de la ville.
« En 1602, écrit le docteur Dienheim, lorsqu'au milieu de l'été je
revenais de Rome en Allemagne, je me trouvai à côté d'un homme
singulièrement spirituel, petit de taille, mais assez gros, d'un visage
coloré, d'un tempérament sanguin, portant une harhe brune taillée
à la mode de France. Il était vêtu d'un habit de satin noir et avait
|X)ur toute suite un seul domestique, que l'on pouvait distinguer
entre tous par ses cheyeux rouges et sa barbe de même couleur. Cet
homme s'appelait Alexander Sethonius. Il était natif de Molia, dans
une île de l'Océan*. A Zurich, où le prêtre Tghlin lui donna une
lettre pour le docteur Zwinger, nous louâmes un bateau et nous
nous rendîmes par eau à Bâle. Quand nous fûmes arrivés dans cette
ville, mon compagnon me dit : — « Vous vous rappelez que, dans
« tout le voyage et sur le bateau, vous avez attaqué l'alchimie et les
« alchimistes. Vous vous souvenez aussi que je vous ai promis de
« vous répondre, non par des démonstrations, mais bien par une
« action philosophique. J'attends encore quelqu'un que je veux con-
• vaincre en même temps que vous, afin qiie les adversaires de l'al-
« chimie cessent leurs doutes sur cet art. »
« On fut alors chercher le personnage en question, que je con-
naissais seulement de vue et qui ne demeurait pas loin de notre
hôtel. J'appris plus tard que c'était le docteur Jacob Zwinger, dont
la famille compte tant de naturalistes célèbres. Nous nous rendîmc^s
tous les trois chez un ouvrier des mines d'or, avec plusieurs plaques
de plomb que Zwinger avait emportées de sa maison, un creuset que
nous prîmes chez un orfèvre, et du soufre ordinaire que nous ache-
tâmes en chemin. Sethon ne toucha à rien. Il fit faire du feu, or-
donna de mettre le plomb et le soufre dans le creuset, de placei* lo
couvercle et d'agiter la masse avec des baguettes. Pendant ce temps,
il causait avec nous. Au bout d'un quart d'heure, il nous dit : —
« Jetez ce petit papier dans le plomb fondu, mais bien au milieu, cl
« tachez que rien ne tombe dans le feu !... » Dans ce papier était une
* On verra, par la suite, que, si Dienheim ne nomme pas l'Ecosse [Sco-
tia)f c'est probablement par discrétion.
k
Si8 fILSTOIIlR
jiniidre iisseï laynli*, (F une cntilcur q^i ]>nraisïuiii j.uintH^^ilron ; du
ii*sle, il falhiii urmv th* hons. y^ux jwiiir la iirstin*ïiier. Quoique îiim
iurréihile^ que saint Tltcim:i<> Itii-uitMiir, mm» fiiiu^ loiit ce qui nous
iHail «immamlê. Api ^s que la masse eut été chauffée eiivii-on un
qu;irt (Hiinire encciif, et forHiiiiu'lIpni*'nl ngitée snor îles l^agmlU^
c!n fer, ToHV'vn» reçut Tottlre d'êleiiidre If itcii^pI vu irpantlmt <l<^
Te^iu dessus ; mais il n'y avsiît [)liis le uioiiidre vertige de |ilinub ;
nous iTOuviinies de Ton* le plus jmr, et qui. d"'îipn''s l'opinion de Prvr-
fi'*vre, >iu]»as<;;iil iiiêjne en qu;ililû Ir Iiel w (h- la Hongrie et de l'Am-
liie. 11 psaît tout autant que le plonib» donl il jiviiil pris la [ilare.
^om it^ii|;uiu\H stiqjéfaits d etoinienient ; c'était k peine si nous Oîiioiis
vu ertiire nos yeux. M;us Selhonius, se nuwjuaut de nous : — « Miiio-
I» tiMUint, dit-d, où en «'tej^vons avec vus pt'daiileîies? vous vkviï h
* Vi cité du l'ait^ et elli" ist [4us |iuissank' que tout, iitrnie fjiie vos
« iiophîsmes. » — Alors il fit einq>er \m uiortenu de Tor, el \v ilfuuui
en souvenir à Zwinger. Ten fr:utluî nussi un moi-ce^ui qui pesait à |»«i
prî's quîdre ducats, et que je eonseivuî un uu-utoiru de celle juumw%
«r Quiifit à vuiis, incrêïHiles, vous vous moquerez [)eut-tHre df ^
que jWiis» Mais je vis encore, <4 je suis un lêinoiu toujours j>i<H à
dire ce que j'ai vn. Mais Zwinger vit épiait ju<*n t. il ne se tairi* j>as et
rendr.i tiunoignage de ce que jaffimie. Sethonius et son dnnîesliqini
vivent encore, ce derrder en Angleierre et le preuii<*r en Alleniagn*',
comme on le sîiil. Je pourrais nièmr dire l'endroit jn éris où il àv*
nu^urc, s'il n'y avait ps trop d'indist-nHitui dans h-s rechei'cbes aui-
qtu^lles d faudrîiit se livixM* pour savoii ce qui est amvé à ce pixvà
liomnie, à ce saint» a c-e demi-dieu*. »
Il faut reconDaître, à la gloire de m>tre apdirp, fine lis
ronvertisdè sa faei»n ne relaient pas à domi. Ce Jacob Zv\in'
*,^er, demi le ilocteiir Dieubeiin invoque le t<'moignâge, était
médecin el professeur a Bâie» En dehors de ces titrer, il
jouis.sail d'une haute réputation de science, et il laissa un
nom irés-respecté dans Tlitsloire de la riiédeciue allenrandc.
Cet irréprochable témoin iiiourot de la [lesle eu UîlO. \lâi>.
dés rannée 1006, il avail conlirmé jusqu en se^ moiridrt^
ilélîiils le vmi de Jean Wolff^ang lïienheinu dans un*^ leltr«
* J -W l'knUeim, '!f Minfrciït tntdkinô. Argeolnriti. le^Ur
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 229
latine qu'Emmanuel Konig, professeur à Bâle, fit imprimer
dans ses Éphémérides *. La même lettre nous apprend qu'a-
vant de quitter Bâle, Sethon fit un second essai dans la mai-
son de l'orfèvre André Bletz, où il changea en or plusieurs
onces de plomb. Quant au morceau d'or qu'il avait donné à
Zwinger, on lit dans la BibliothêqtLe chimique de Manget,
que la famille de ce médecin le conserva et le fit voir long-
temps aux étrangers et aux curieux.
Tous ces témoignages, fournis par de graves personnages,
recueillis par des contemporains dont on ne peut suspecter
ni la véracité ni les lumières, seraient certainement consi-
dérés comme des preuves suffisantes pour établir la vérité
d'un fait de Tordre commun et ordinaire. Si l'on ne peut
s'en contenter pour prouver la certitude d'une action qui
a un caractère merveilleux, ils sont pourtant de nature à
susciter quelques embarras à la critique. La sévère raison
nous dit qu'un artifice habile, un tour d'adresse ingénieu-
sement dissimulé, rend compte des diverses transmutations
de notre Écossais; mais ici la raison se trouve en présence
d'une question de fait qui n'est pas précisément de son
ressort, et qu'il faut résoudre, non par des théories, mais
par des témoignages, sous peine de ruiner le fondement de
toute certitude historique. Les alchimistes du dix-septième
siècle semblent avoir adopté pour programme de se réserver
le secret de la préparation de la pierre philosophale, tout eu
le révélant au dehors par ses effets. La preuve véritablement
démonstrative, la preuve la plus difficile, était ainsi éludée;
mais la démonstration empirique était fournie avec un bon-
heur et une abondance d'actions qui ne laissaient aucune
ressource aux contradicteurs. La science actuelle permet de
rectifier le sens de ces faits singuliers. Elle nous dit que ces
preuves de la transmutation métallique étaient insuffisantes,
parce qu'elles ne s'adressaient qu'aux yeux; mais ce qu'il
' EpUtola ad docforem Schobinger.
iird'lm^^
550 IllSTHIIUi
faut ailminn', ce dunl il faiil >'iionner pncore aujourd'
i''(>sl (|U<* \të adeptps aient su les fysciniT si loTii^teniiJs! et si
t'tuïstammenl» à iin^; é[>oi[ije (te critique soupconneusi^ et
d ' î n crè( I u lilr cla i rvo yunle.
Cepenrlant Alexîindn* Sothon i^ntre en Allemagne, et il
entre en im'^me lemps dans la cnrrière des aventures. En sor-
tant Jr lîàle, il se rendit à Strasbourg suus un notn em-
l^runtr, et ee fut alnrî^ sans iIoiUb qu'il fU dans cette vilk
iin[h'riale la [ïrojeetinn dont il parla plus t^rd a Cologne, Oi
s'acemdc aussi k le {"oiisidérer comme ralcliiiniste inconnu
qui lui uu^lè a un événement dont les suites furent bien fu-
mstesii un orfèvre allemand nummé Phîtippe-Jacoh Gi
t( nliuver.
Ce Gustenliover était citoyen de Strasbourg, où U oxerç-
sa profession d'orfèvre* Au milieu de rété de Tannée (605'
un étranger se préseni.a chez lui sous le nom de Hîr&chhor'
tji'îi, demandant à trai'ailler tlans sa maison, ce que Gusten-
linverlui accorda . En partant, rétranger, pour rëcompeni
son maître Jtii donna une poudre rouge dont il loi enseig
fu-
1
Après le départ de son liote, l'orfèvre eut la vanité
] ►aller tle son trésor, et la vanité, jdusmaïlieureuse encore,
ili^ s'en servir devant ]diisii'urs personnes, auprès desqucll^
il voulait se faire passer [lour on adepte. Tout, à la véri
s'était passé entre voisins et amis; mais, comme le dit foi
bien ScbuiieiJer, qui nous fourni t cet èpis^xie, chaque ami avai
un voisin, et chaque voisin avait un ami. La nouvelle cou
de bouche en bouclie cl de maison en maison, el bientôt, dans
la ville de Strasbourg, chacun de s'écrier : « Gnslenhoveri
trouvé le secret des alchimistes! Gustenliover fait de l'or! i
La renommée fu rapidement parvenir à Prague le bruit
lie révènemenl, et Ton comprend si celui qui Tappona fut
bien ret u par rempereur fVodolphe II. Déjà, sur la première
rumeur, le conseil de Strasbourg avait dè|ïutè^ Inds de ses
membres pour &e\\t\\imt 4m Va\V. Q^vdie même le nom de
nu,
fofl
m"
â
DBS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 251
ces délégués, qui firent travailler Torfévre sous leurs yeux,
et qui, d'après ses indications, opérèrent eux-mêmes, l'un
après Tautre, avec un égal succès. L'un de ces trois délégués,
Glaser, conseiller de Strasbourg, qui vint à Paris en 1647,
montra un morceau de cet or, fabriqué chez Gustenhover,
au docteur Jacob Heilman, de qui l'on tient tous ces détails
et ce qui va suivre*.
L'empereur Rodolphe ne perdit pas son temps à expédier
des commissaires à l'adepte; il ordonna qu'on lui amenât
Torfévre en personne. Admis en présence de VHeimiès alle-
mand, Gustenhover fut bien forcé de convenir qu'il n'avait
pas lui-même préparé cette poudre merveilleuse, et qu'il
ignorait absolument la manière de l'obtenir. Mais cet aveu
ne fit qu'irriter contre lui Tavide souverain. Le pauvre or-
fèvre réitéra ses protestations sans être davantage écouté. Il
sévit condamnera fabriquer de l'or quand toute sa provision
de poudre était épuisée. Cette poudre, présent de son hôte,
et qui n'était sans aucun doute qu'un composé aurifère, lui
aurait fourni les moyens de satisfaire pour quelque temps le
désir impérial; mais il l'avait dissipée tout entière en vains
essais, et il se trouvait ainsi réduit à l'impuissance. Pour
échapper à la colère de Tempereur, le malheureux artiste
n'avait donc plus qu'à prendre la fuite. Mais, poursuivi et
ramené, il fut enfermé dans la tour Blanche, où l'empereur
Rodolphe, toujours convaincu que l'alchimiste s'obstinait à
lui cacher son secret, le retint prisonnier toute sa vie.
Cet adepte inconnu, cet Hirschborgen, qui fit à l'orfèvre
de Strasbourg un présent si funeste, n'était autre, sans doute,
ainsi que nous l'avons dit, qu'Alexandre Sethon. Depuis son
entrée en Allemagne, il avait toujours soin de se cacher.
Arrivé à Francfort-sur-le-Mein, où il exécuta dos projections,
il chercha d'abord un gîte, non dans la ville même, mais à
Offenhach, bourg populeux du voisinage. A Francfort, il lo-
* B^liotheca cfiemica Mangett.
25^2 lllSTniHE
gi-ait s(HiH un faux nom, elu/z nji inarcliand nommé Codi,
fmmme iissi'z instruit, et pour lequel il connut àul-ant rie sym-
[►alliie qtiy ponr le fHlnto HaussL'n. (loi honîi*He man"!ïan<]
nie<mle iiinsi lui-nu'^nie, dans une \e\Uv -i TlȎobaM de
Hoglielijnde, eomraont il fui Imnorë Je la c^jnliance du phi-
hisnpïte :
<i A OITenbLith, ilenit'uriiit drjmis i(ut'lqyi^ Iciiips un arlrpu^ qui,
sous le nom d'un comlt' fcunçais, acheUi L'hez moi beaiuonp de rhin
sf's, Avimt son dt'pd de Fnuirrort, il vanlut inVnseij^^inT Tari de Iji
liansniiitali»*!! dis iiiét^mx : il nv mit pas ki jn»iii à l'œuvre H iw
laissai toiil hliv. Il me tUmim une |ioiiilir truii ^vï^ roii^'t^lliv, qtii
pesail il funi près trois ^rjiii^. Jt^ l;t ji-'l:u sur driîX ileiiii-onces mef-
CJirii vivi plucé dans un creusict. Je remplis frisnile k creus<*t(l«
[mtassn, \\ [ini [ir<>^ jus<pi a la niuitip, et nous rhauRAnies Ifîntenienl.
Apivs i|Uoi jt' remplis li' ftmiMeau di' rlunlnin jysqu'HU liaiil dtirmJ-
si"l, PII ^itu II' (iirîl t'iail kud l'nlt+'T dau'i im IVii InV-lVirt, ce (jui dap
h pi'u prtis unv ik'mi-lic*mi'.<^*a;iijrl \v aenst^ fui Umt i-^^mge, il iirnr-
diiima iï\ jeter un peu do cire jaune. Api'ès quelques inslanhjp
pris le ci-euset el le cassai; je Iroiiviii au ftmd uïi petit morceau ifeir
qui pesait six ances tixiis crains. Il tut fendu en ma pi êsence et soiH
min à la coupelhitinn, et on en retira vinf:t-lnds carats, quime gniirei
<riir <4 six dar^^^eiU, tous deux d'une couleur trè.Mj ci II jm te. Avec ïitin
jiaflie du morceau d'or je nie suis fait faire un bouton do ilicrniM'.
Il nie semble que le mercure n'est pa^ nécessaire [>ouj' IVutémlian *► »
Les parlicularités de cette projeetion autnrisent suffisam-
ment à penser que Setlinn en fui l'auteur, el qkie ce fut là
Tun des essais (i^ie notre aleliiniiste rnp pelai t plus ton! à
Cologne. Elle i*st, en effet, conforme à sa niuniùre d'a^^tr
Partout il donne de sa pondre sans en enseifcner la compusi-
lion ; partout il opère par la main de son liùte ou de quelque
personnage qu'il vent convaincre de la realite de son art.
Enfin, partout il n*eniploie qu'une irès-faible quantité de sa
précieuse pierre, raleulée pour obtenir un petit morceau d'or,
* Th. lie lîogbeLinde, préface liu livre intilHlt' Ilistnri:e aUqwt tram-
mulniionia miial\iae ,
A
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 253
qu'il abandonne ensuite aux assistants, à titre de récompense
ou de pièce de conviction; après quoi il sVsquive discrète-
ment. Heureux s'il avait toujours usé de la même prudence!
Il en manqua à Cologne pour la première fois. Là, sans
doute, les souvenirs deZachaire, de Thurneysser et d'Albert
le Grand avaient exalté son esprit et porté au plus haut de-
gré de ferveur son zèle apostolique. A peine arrivé dans cette
ville, il commença par s'enquérir des personnes qui s'occu-
paient d'alchimie. Son domestique William Hamilton, cette
bonne tête si remarquée à Baie par le docteur Dienheim, se
mit en campagne et ne découvrit d'abord qu'un distillateur.
Cet industriel leur désigna, comme alchimiste amateur, un
certain Anton Bordemann, chez lequel Sethon alla sur-le-
champ s'établir. Il y demeura un mois, et dans cet inter-
valle, Bordemann put lui fournir toutes les indications né-
cessaires pour se mettre en rapport avec les autres alchimistes
de la ville. Mais ces amateurs, qui se laissaient chercher par
un philosophe tel qu'Alexandre Sethon, ne valaient guère la
peine qu'il se donna pour les trouver. 11 est permis de por-
ter sur eux ce jugement, d'après le profond discrédit où
l'art, par leur fait, était tombé à Cologne. Dans cette ville
savante, la noble science de l'alchimie était devenue un ob-
jet de risée, non-seulement pour les gens éclairés, mais pour
les ignorants et les sots, ce servum peciis, toujours empressé
de mêler sa voix à l'expression du blâme ou de l'éloge pu-
blic. Sethon avait donc à lutter, dans la ville de Cologne,
contre de très-fortes préventions; aussi jugea t-il nécessaire
d'employer un détour pour commencer sa propagande her-
métique.
Le 5 août 1633, un étranger entra chez l'apothicaire
Marshishpr, et demanda du lapis-lazuli. Les pierres qu'on
lui présenta ne lui ayant pas convenu, on promit de lui en
montrer de plus belles le lendemain. Plusieurs autres per-
sonnes se trouvaient en ce moment dans la boutique, entre
autres un vieil apothicaire nommé Raymond, et un ecclé-
2U
fllSTOlRK
^ïflstiqiii*, tfui inmvrnit, n cl^ prtifMJS, m conversation avti*
riK-liolnur. L'un dVux iirrlnnilit i]iï(i l'on yvait déjà essaye
m vain dr rûn* de For î«v(m^ U^ hff)ifi'Jfti4di. ï/a litre ajoub
<|in* l'un s"m'Cii|Kiit beaucoup d'idrhimio dans la ville de Ou-
lo^^ne, mais <|u'aii surplus personne n'uvîiit jamais drrou-
verl le prétendu secret de cette scienre. Clnicun partageai»
cet, f*v!Sî rèiranger seul soutint i[ue tout n'é lait pas men*
son^^e dans le.s faiis «^onsijofnés dans les livres hermélii|ue<,
et qu'il se pourrait bien ([u'il existai eerîains artistes capa-
bles de lo [ironver. Tuus les assistants ayant éclate de rires
n4te aftlrnuilion, l'eiran|<er, qui parut vivement blessé, doi^
lit briisquinnent de la boutique.
Cet acheteur inconnu n'était autre que le pliiloso^the Se-
ibon, cpii rentra furieux eliez son bnle. L*excellent Borde-
laaun le consola île snn mieux, et le décida à se venger le
plus lût possible par un succès qui fit taire les moqueurs.
Le lendemain, Selhon retourne ebez rapolbieaire, il paye
les nouvelles pierres de lû%uli qu'on lui montre, et demaatle
du verre d*antimoine. Elevanl des doutes sur la qualité de
ce produit» il exprime le d<''sir de s'assurer lui-m<3nte, [m
expérience, (|ne ce verre d^anûuioino résislera à Faction d'un
feu violent. Pour procéder à cet essai, rapntbieaire fil cou-
[luire Setbon, par snn fils, dafls Talelier de l'orfèvre Jean
Lnbiubirf, situé prés de l'église Sainte-Laurence, L'orfèvre
plaça le verre d'antiiiioino dans tin creuset rou^îi au fou.
l^^ndaul ce temps, Sel bon lire de sa pocbc un papier eonlc-
nani une poudre dont il fait deux paris avec la pointe d'un
couteau ; il ordonne a Torfévre d'en jeter une moitié sur le
verre d'antimoine fondu. Au bout de quelques instants, on
nuire le creuset du feu, et Ton trouve au fond un beau glo-
bule d'or. Le fils de Tapotbicaîrc, deux ouvriers de ratclicr
et un voisin, furent témoins de cette transmutation, quipa^
rut d'autant plus merveilleuse que rëtrangcr n'avait
même louclïé nu creuseL
Cepcndîmll'erîéwv ne voulut ^)as se déclarer convainc
D8S TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 255
Maître Lohndorf était nn de ces incrédules de parti pris qui
se trouvent trop bien d'un tel état pour ne pas conspirer un
peu contre le succès des preuves qu'ils demandent. 11 pro-
posa de faire avec le reste de la poudre un second essai, où
le plomb fût employé au lieu du verre d'antimoine ; en
même temps, le malicieux artiste glissait furtivement dans le
creuset un morceau de zinc, métal qui rend Tor cassant et
difficile à travailler. Se croyant bien sûr d'avoir compromis
d'avance l'opération, notre homme se préparait à jouir de
la confusion de Tadepte. Mais son attente fut trompée, car,
cette fois encore, on ne trouva dans le creuset que de l'or
parfaitement malléable et ductile.
Dans ce moment, il n'y avait pas dans tout Cologne un
homme plus fier, plus triomphant queBordemann. Il n'était
pas, à la vérité, l'artiste vengeur qui couvrait de honte les
incrédules, mais c'était lui qui Thébergeait. Alchimisle lui-
môme, et sans doute aussi avancé qu'aucun autre de la ville,
il avait eu saipart des quolibets et des railleries du vulgaire
avant l'arrivée du savant étranger. Il avait donc le droit de
s'enorgueillir de cette hospitalité donnée à l'homme dont les
victorieuses expériences, en réhabilitant Fart, réhabilitaient
tous les adeptes. Aussi ce fut sans doute à Tinstigation de
son hôte que, peu de jours après, Sethon alla s'attaquer à
un incrédule plus sérieux que tous ceux à qui il avait eu en-
core affaire en Allemagne.
Dans la vallée de Katmenbach, habitait un chirurgien
nommé Meister George, homme savant dont Topinion faisait
autorité sur beaucoup de matières, et qui, depuis longtemps,
s'était posé devant le public en adversaire outré de l'alchi-
mie. Pour n'être ni sottes ni déloyales, comme celles de l'or-
fèvre Lohndorf, ses préventions contre cette science n'étaient
guère plus traitables; notre philosophe jugea donc néces-
saire de prendre un détour pour arriver à ses fins.
Le li août 1603, Meister George et l'alchimiste Sethon
eurent ensemble, à Cologne, une entrevue sous l'artificieux
nn HÏSTOIUR
pr<Hexled'nin*rnîif«TPnrp hîppopi-îitiqut^. Il n'y fut question,
en effet, t|iu^<l(* rmnledm» n iriinalruTiie. ï-inire a titres cho-
ses, Seilion ilemantiîi an chinirffien s1l ronnaissîiit h mn-
nim» (II* inorliliLT la vinnde sauvage; assar^nt que, pour lui.
il Si! va il eiîlevLT la viande jnsqifanx r>s sans dêi'îinfïer les
nerfs. M<'ister Ger*rj^o ténioi^me son désir de voir exécuter
cette opération, a ISien de pins simple, dit le philosophe,
n Procurez-moi seul«^îBent du plomb, ilu soufre el un creu-
s(*t. » Le barbier de Meister i^eorge va quérir ces trois objets.
Mais il faut encore à TopéTaleur un soufflet et un fonrooflu.
On n'a pas c<s objets snus la mnin, ei Sel lion propose d'aller
opr^rer riiez un orfèvre, maître Ilans de Kemp<*n, qui de-
meure pnV (le là, tlans le faubourg de Marei. Le barbier les
suit, portant b' creuset et les ingrédtenls,
Voîlà ilone l'incrédule oiédecin adroitement attiré dans
le laboratoire de Torfévre llans de Kempen. L'orfèvre n'était
pas ebez lui, mais son llls y travaillait avec quatre ou-
vriers et un apprenti. IVnfbmt que le barl>it*r arrive av<îc
le soufre et le plomb, Fétranger entre en conversation avee
les ouvriers, et s'offre à leur enseigner le moyen de changer
fin fer en acier. Pour éi>rouver ce secret, un ouvrier va
ebereber dans un coin rie vieilles tenailles cass^^es, qu1l plaee»
sur l'ordre de Sethon, dans un creuset rougi au feu. Lebar*
bier, arrivé sur c^-s entrefaites, a déjà mis le soufre et k
fdomb dans un autre creuset. Tons deux Ira vaillent simiil-
liuiëment : ils soufflent, ils cbauffenl, suivant les prescrip-
tions de l'étranger . Celui-ci tire abu'.s de sa poclie un \iM
papier renfermant une poudre rouge qu'il divise en deux
p,Trties; àu moment qui lui paraît propice, il fait jeter dans
chaque creuset une moitié de cette poudre, ordonnant en
m Ame teu^ps d'ajouter du charbon et de cbauffer plus foir
Au bout de quei(|ues instants» on enlève les couvercles, elle
barbier de s'écrier : « ^ Le plomb e^t cbangé en or ! » tan-
dis que Tonvrier dit presque en m Ame temps : a — Il y :\
de Tor dans mon CTt^\is\^ll m On s'empresse de retirer le m»^
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 257
tal des deux creusets : martelé, laminé, chauffé, l'or con-
serve, toujours son premier aspect. L'apprenti appelle la
femme de l'orfèvre, experle dans les essais des alliages pré-
cieux, et qui constate par toutes les épreuves ordinaires la
pureté de l'or ; elle offre môme de le payer huit thalers. Ce-
pendant Tévénecnent fait du bruit au dehors, la maison
commence à se remplir de voisins, et l'adepte, qui croit pru-
dent de se retirer, s'esquive, emmenant avec lui le chirur-
gien fort déconcerté.
— Ainsi ! dit Meister George une fois dans la rue, c'était
donc là ce que vous vouliez me montrer?
— Sans doute, dit Tadepte. J'avais appris par mon hôte
que vous étiez un ennemi déclaré de l'alchimie, et j'ai voulu
vous convaincre par une preuve sans réplique. C'est ainsi
que j'ai procédé à Rotterdam, à Amsterdam, à Francfort, à
Strasbourg et à Baie.
— Mais, cher gentilhomme, remarqua George, je vous
trouve bien imprudent d'agir d'une manière si ouverte. Si
jamais les princes entendent parler de vos opérations, ils
vous feront rechercher et vous retiendront captif pour s'em-
parer de votre secret.
— Je ne l'ignore point, dit Sethon ; mais Cologne, où nous
sommes, est une ville libre où je n'ai rien à redouter des
souverains. D'ailleurs, s'il arrivait jamais qu'un prmce se
saisît de ma personne, je souffrirais mille morts plutôt que
de lui rien révéler.
Ici le philosophe demeura un moment silencieux et rê-
veur, comme s'il entrevoyait par la pensée les barbares trai-
tements dont un prince d'Allemagne devait le rendre vic-
time. Mais, chassant aussitôt cette impression pénible, il
reprit avec chaleur :
— Que Ton me demande des preuves de mon artî j'en
donne à qui les désire. Et, si Ton veut que je fabrique des
masses d'or, j'y consens encore; j'en ferais volontiers pour
cinquante ou soixante mille ducats.
^r»R ÎIISTDÏRE
Dl»[hj«s (t jyyr, k l'Ilirurfîien Mefstor Gœr;nr Un loiiLîi fait
ronvt'rli ii riilchiiiiie, ai fU profi'î^sioii û\ croin^, m^ilgri'
l< s roillrrifs di? srs fiinis l«1 les uiiptJUUioos île qLu4(jues es-
prits nKilvf'illaJils, Aux [)iTiniors, qur le [*kii;j:iiaient iltvsVHre
laissé surprcnilrc pr un rliarblaii Itabile, il répontlailen
ces tornios :
— Co t|ue j'^ii vy, je 1>m Liien vtL Co rpic les ouvriers <Ie
maître ILins de ïve[is[]eo un fait eux-niùmes r?n prêfienre di'
teïïiuiiis n'est puinl un rêve. L'or dunt ils ]»euvenl encoru
ïminiiL'i^ une partie n est pas une eliimèn3. J'en croirai tou-
junrs mes yeux plulol <|ug vos bavardiip;es.
Quant a roux qui Taecusaient d'avoir reeu du l'iirgeiit
puur lêiimigner en faveur de raldiimie, il dedai^^na toujours^
de leur ri*[inndre; ï^a réputation (riiommo (riuinneiir leur
ôlait d'avance tout crédit ^
Une conversion si considérable et si complète ne pouvait
que ramener la faveur pnMique aux artistes hermeliqacsrtt
fjéneraK Cependant eeu\ do la ville de Cnbi^^ne, en [lartku-
lier, n'eu dovlnrent |ms pour cela [(lus expurls ni plus grands
|)hilos<}pbes. Setbon y avait mis bon ordre. A la suite d*uii
RTond essai dans le^|uel il avait obtenu près tic six oaccs
d'or, en enqdoyant, au plus, un j^Tain de sa teinture plulo-
soptude, fîordemauu se permit xU* lui dcruander pourquoi tl
avait pris du soufre ï*u lieu de mercure peiRkmt eette opi'-
ration.
— J'im use ainsi, répondit le plijloso[ibe à son hôte in-
discret, pour montrer aux jirol'aucs qu<^ tous les mëtain»
quels qu'ils soient, peuvent ôtre [anoblis. Mais n*oublirz
fioînt, mon ami, qu'il m'est interdit de r^Hfder fes cIkiïc^
i tu |ior tantes du travail *. «
^ tj'ifiv (h Thpobahî de ihfffn'liiuth ajfou frèv€ : Ihsiorut: nUfjUol /f«wj"
lonia, lOUi
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 259
En quittant Cologne, Tiliustrc adepte se rendit à Hani-
t)ourg, où il fit encore des projections remarquables que
mentionne un écrivain que nous avons déjà cité *. Il est pro-
bable que c*est en sortant de cette dernière ville que le Cos-
mopolite se rendit à Munich. Ici, toutefois, Tardent prédica-
teur de la noble science laisse apercevoir une interruption
dans sa croisade contre les préventions de Tincrédulité.
Pendant tout son séjour à Munich, on ne le voit accomplir
lucune projection ni expérience hermétique. A quelle raison
attribuer cette lacune dans son apostolat?
Bien qu il n'eût fait aucune projection dans la capitale de
la Bavière, on raconte qu'Alexandre Sethon disparut de Mu-
nich, comme il avait disparu de Cologne, et comme il dis-
paraissait de toutes les villes où s'étaient accomplies ses
merveilles hermétiques. Mais sa fuite précipitée avait cette
■ois un autre motif. En s'esquivant de Munich, le philosophe
îmmenait avec lui, ou plutôt enlevait, une jeune et jolie fille
fun bourgeois de la ville qui s'était attachée à lui pendant
»n séjour. Les préludes de cet événement nous rendent
mffisamment compte de l'inaction prolongée du Cosmopolite
I Munich : un philosophe ne peut pas toujours travailler
)our son idée.
Ce qui est certain, c'est qu'à partir de ce moment nous
rouvons Sethon marié. Quelle est cependant cette femme
)our laquelle le Cosmopolite a quelque temps oublié l'objet
le sa mission glorieuse, et qui va désormais appartenir aux
chroniques de l'alchimie? L'histoire nous dit qu'elle était
jolie; voilà tout ce que nous savons sur elle. Il est vrai que
le Bavarois Adam Rockosch la revendiquait comme sa pa-
rente, mais tout cela est bien peu de chose pour la postérité.
Cette jeune femme paraissait d'ailleurs absorber en entier
iotre philosophe. C*est ce que prouve suffisamment lu con-
luite qu'il tint à Crossen, où se trouvait alors la cour du
' (ioorgc Morhof, F.pislola de melallorur. Iransmiitalioiic.
24(1 niSTOlUE
dur (le Saxe. U;ins l'iiuUiHHie ik vaMh mOme année l6Uo,
(lèjw reïii|ili(' pur tant irevrnemrnb sioguliers, le iirinrbdê
Siixe, a\\inl entendu [unler de lliabilelé du Cosmopolite, dé-
dira en obk'nir une preuve. Mais celui-ci était tellement oc-
rupé do Sun mariage^ qu'il en (mldiîiit plus que jamais le
but de sa uiis^ion. Il ne jugeii pas i\ prupits de se dcrangrr
pour le prince, et se contenta d^envoycr son domestique Ha-
mil ton [Hmr opérer ebez Son Altesse.
La projeetum faile en présence de toute la eour eut un
plein sucées; Tordu souflleur résista à toutes les épreuves**
Mais, queb|yej5 jours après, soit qu*il fût effrayé pour lai-
inêuu* d'avoir si bien réusïsi, soit qu'il comprît i|ue ses soi-
viecs devenaient inutiles à l'adeplc luarié, Hamilton se si^-
pura de son maître ou de son ami, cur personne n'a su exac-
lement k» miture d(3S rapports qui ont existe entre eux. Ce
dii^ne nmipa|^non du Cosnn>priiite retourna en AnglettW
par la Hollande, et a dater d(* ce nioiuent son nom ne re-
parait plus dans riiistoire.
CepentlanlSelln)n s'oubliait dans une [lositiou doucereuse*
Cbristian II, électeur de Saxe, n'avait guère [dus de vingt
ans, et plusieurs de ses actions avaient déjà révélé en lui un
caractère cniel. Comme la ]du|iartdrs princes allemands, il
était avide de ncbesses. Il avait fait jusque-la profession de
mépriser les ak-bimlstes, non qu'il fût assez instruit pour
si^ Ha ire par lui-môme une opinion raisruiuée sur leur
yeienee, mais |iar la seule raison que soti père les avait t'sli-
inés. Lo [»reuve ([ui fnt mise sous ses yeux à Crossen» i>ark'
serviteur du Cosmo(i<dite, avait pourtant changé ses senli
ments a leur égard. 11 iiltira Setlmu a la eour et affedo
d'abord de lui être favorable. Une petite quantité de pirirr
[dûlosopbale dont radepto lui lit cadeau ne suflit pas à sy-
tisfaire le printe; ce qu'il lui fallait, c'était le secret <k
* CîulUrnliilk, .['a-i tott.* tift'htmt'fneA.
b
DSS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 241
Topérateur : or Je Cosmopolite refusa opiniâtrement jusqu'à
la promesse de le livrer.
Après avoir épuisé en vain les moyens de douceur, et les
menaces n'ayant pas mieux réussi, le prince Christian en
vint aux actions. On fit endurer au malheureux adepte tous
les supplices que peut imaginer la cruauté stimulée par la
soif de For. On le perçait avec des fers aigus, on le brûlait
avec du plomb fondu; après quelques instants de relâche,
il était battu de verges. Le corps disloqué, les membres dé-
chirés, le philosophe persista dans ses refus.
Une cruauté plus réfléchie lit trouver, pour cet infortuné,
un autre genre de martyre. On comprit qu'en revenant à la
torture on ne réussirait qu'à le tuer, et que l'un perdrait
ainsi toute chance d'acquérir son secret. Une longue et dure
captivité parut un moyen plus sûr de vaincre son obstina-
tion. On enferma le Cosmopolite dans un cachot obscur,
dont l'entrée fut interdite à tous, et dont la garde fut
confiée à quarante hommes qui se relevaient alternative-
ment.
En ce temps-là, habitait à Dresde un gentilhomme de la
Moravie, connu sous le nom latin de Michael Sendivogiiis,
homme savant en plusieurs matières. Comme il se mêlait
d'hermétique, il s'intéressa vivement au sort du Cosmopolite
et désira le voir dans sa prison. Cette permission lui ayant
été accordée, grâce au crédit de ses amis auprès de l'élec-
teur, il eut plusieurs entrevues avec le prisonnier et lui
parla de chimie, sujet sur lequel Sethon ne lui ré[)on(lait
qu'avec une réserve extrême. Un jour, se trouvant seul avec
lui, il lui proposa de Tarracher à sa captivité. Le malheu-
reux, languissant dans ses plaies, prolesta de toute sa re-
connaissance et fit les plus riches promesses à son futur
libérateur. Un plan d'évasion fut alors concerté entre eux.
Sendivogius se hàle d'aller à Cracovie réaliser sa fortune; il
vend une maison qu'il y possédait et revient à Dresde muni
•I ar^^enl. 11 obtient la permission de s'établir auprès duL^\:'v-
>oniiR*r, *A, (uir ï^cs larfio?sGs calculëas, ga^e peu à peu
Le jour [iris pour rexôciition de son projet, il regala
bien la rom[iagnie de soldats, <ju à la nuit ils êtaieDl tous
ivres jusqu'au di^rnier* Aiissitui il emporte Setliou, i|ui ne
pouvait !iiari"lier dosj suites de ses lorlures, et soit de la tour
avec son fardeau. Ils ne prennent que le temps d'aller cher-
eljer, à la demeure de raleliimistc, sa provision tie pierre
pliilosoplialc. Us incuilt^ni ensuite dans un ciiariot de poste,
où la fetuine de Setbon prend place avec eux, et gagnent k
frontière en toute !uVtc pour se rendre en Pologne,
Ils ne sVirrolêreni qu'i* Cracovie. Là, Sendivogius somina
le pbiloso|iliede tenir sa promesse; mais celui-ci refusa ab-
solument de rexEHHiter: « Voyez, lui dit-il, dans quel etâl
M j*ai ete r^'iluit pour n'avoir pas voulu livrer mon secret
« Ces membres brises» ce corps demi- pourri, vous disent
a aî«î5cz r|ueMe réserve je dois m'im poser à Fa venir, d
Knire autres promesses faites dans la prison de Dresdd
Sethon s*était engage a donner à son libérateur de quoi étr^
conhmt toute sa vie avee sa faviille\ Ci\ ijuti Sendivogiuf*
avait naUirellenienl entendu île la révélation ilu secret her-
métHjue. Mais Setbon ne |»ouvâil l'entendre ainsi. Il ajouta
ipi'il n oirail eomuoMtro un grand péelié en découvrant ce
inyslero, et lui conseilta finalement de (e demander à Dieu.
Setbon ne jouit pas longiêm[vs de sa délivrance. Il ninurut
peu de tcin|)s après, disant toutefois *]ue, si son mal eut
été naturel et interne, sa poudre lauraît guéri, mais que ses
nerfs coupés et ses membres brisés par la torture ne [Km-
valent, par aucun moyen, tHre rétablis. En mournnt, il
donna à son libérateur ce (jui lui restait do m provision de
pierre pbilosopbale.
* lj:Uie dû ihsiiOijeis, stxretaire de a prtnçf^sc Matte de Go'irc^i
^'cnitr de f j/o^iit-, piiljlÏLii dans ïlltstmre de fa phUa^ophic ttêrmrdqui t\c
Luiigïet du lr>*!AiHty.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALUQUES. 245
C'est au moi de janvier 1604, ou, selon d'autres, en dé-
cembre 1603, que mourut cet homme illustre. On se sou-
vient que le premier essai hermétique que Ton connaisse de
lui avait eu lieu à Enkhuysen, le 15 mars 1602. C'est donc
en moins de deux ans que se seraient accomplis tous les faits
que nous venons de rapporter.
Telle que les contemporains nous l'ont tracée, l'histoire
d'Alexandre Sethon offre aujourd'hui à la critique un pro-
blème bien singulier. Faut-il prononcer, en effet, que celte
mission philosophique, à laquelle le Cosmopolite consacra
son existence, n'avait pour but que la propagation du men-
songe, et pour mobile que la gloire personnelle de cet apôtre
spontané de l'erreur? C'est à cette opinion que nous sommes
forcé de nous ranger. Gentilhomme instruit, le Cosmopolite
avait probablement trouvé dans ses études scientifiques Tan
d'égarer par de trompeuses apparences des contemporains
ignorants; sa fortune lui permit de parcourir TEurope pour
promener en tous lieux ces merveilles, et exciter ainsi l'ad-
miration et l'enthousiasme de la foule. Le prétendu secret
dont il était possesseur, il n'en tira point, à l'exemple de
beaucoup de ses confrères, une source de bénéfices illicites,
mais seulement un moyen d'appeler sur lui l'attention des
hommes de son temps, celle du vulgaire comme celle des
hommes éclairés. Ce rôle étrange qu'il s'était imposé, il sut
le jouer jusqu'au bout, et ne le démentit pas même devant
la menace du martyre : là est seulement, pour nous, la par-
tie extraordinaire de son histoire. Mais, en consultant leurs
souvenirs historiques, nos lecteurs y trouveront plus d'un
exemple analogue de personnages qui n'ont pas craint de
sacrifier leurs richesses, leurs talents et môme leur vie à
la propagation d'une erreur qui devait leur apporter en
retour le bruit et l'éclat de la célébrité.
Sethon a laissé un ouvrage hermétique, le Livre des dou%e
chapitres, dont nous parlerons au sujet des altérations que
Sendivogius y apporta, dans l'espérance que la postérité lui
Ui niSTOlUE
atlriltuproil ci» traité» O inème «luvraffe, comme pour nidiT
A h Vfmhmftn, n Hé souvent dj^sif^TiP sous ce Utre : IpCm-
mopoliU\ surnom dr* Si^tlion ^f;<ileni<*nt usurpé par Sendivo-
gius. Mais il est temps île pn>spr ii Thisloire de c& dernier
personne «ïo.
JïîrliH Feni\în>j»Mis.
I
Nous laissons \\ ce philosophi» le nom lalin sous lequel il
est le plus gêîipnilemenl connu, el que les historiens fn^n-
çais ont induit à tort pur Sendivoge. Les Âilemaods, qui r;i[i-
peil eni Sendipog , ne s<^ ni pprocl i e n t pn s da vy n ta ^c de sm
nom Yerilable, qui était Sensaphax, U naquit Tan 1666, en
Moravie. Mais une maison qu'il possédait à Cracmie, et qui
lui venfiit de la succession d'un ^gentilhomme, Jacob S^indî-
mir, dont il était fik naturel, a causé Terreur de ses contem-
I forains, qui presque tous, le ï*m{ naître en Pologne, etcillf
d'un aulpur de ce pays qui Ta compris dans un catalogue de
la noblesse polonaise. D'ail leurs, Sendivogius lui-môme ne
ri'clama jamais contre répithête de Ptdonus, qui. de son vi^^
\ a n l , é l a i t a j o n lée a son nom. ^|
S'il restait qu(4que doute sur ci' point, ce ne serait qu^ la
première et la moindre des diflieulli^s qui se rencontrent
dans riiistoire de Sendivogîus, Cette histoire, en effet, sem-
bîe avoir été embrouillée coinme a plaisir par un anommt^
allemand, auteur d'une biographie de Sendivogius, qu'il
prétend avoir composée d'après la relation verbale de Jean
BcKlouski, maître d'hôtel du philosophe V. ^M
L'auteur antuiyrae, à qui sa qualité d'avocaide SendivogiiflM
paraît si importante à prendre devant la postérité, quil nous
la décline par trois fois, avec toutes les variantes que la langu
* Vita Sendivogii, Pohfui nohtfts bttrmtia^ ùraviter dfërripin à çu^Woj
mano, ofm rjnit oratore, pnirono peî caHitidieo,
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. i45
latine, dans laquelle il écrit, peut lui fournir V commence
son récit en reproduisant l'erreur commune à la plupart de
ses compatriotes sur Torigine de son client : « C était, nous
dit-il, un baron polonais dont la maison était h Gravarne,
sur les frontières de la Pologne et de la Silésie, à quelques
lieues deBreslau. » Puis, sans avoir dit un mot de sa fortune,
il ajoute que « son revenu était augmenté par des mines de
plomb, situéas dans le territoire de Cracovie, capitale de la
Haute-Pologne. »
Cette première erreur du biographe allemand montre avec
quelle conflance il faut accepter Teiplication qu'il nous
donne de l'origine des connaissances hermétiques de son hé-
ros. S'il faut l'en croire, ayant été envoyé en Orient par l'em-
pereur Rodolphe II, avec ce que nous nommerions aujour-
d'hui une mission scientifique, Sendivogius aurait reçu d'un
patriarche grec la révélation du mystère de la science her-
métique, c'est-à-dire la manière de composer la pierre des
Ce qu'il y a de vrai, c'est que Michel Sendivogius, qui
avait très-studieusement employé le temps de sa jeunesse,
avait acquis une juste réputation dans l'art, utile à son pays,
de l'exploitation des mines. 11 s'était, en même temps, oc-
cupé avec succès de recherches sur la teinture des étoifes et
la préparation des couleurs. Quant à ses connaissances her-
métiques, il est établi historiquement qu'il n'avait rien pro-
duit de remarquable sous ce rapport avant sa résidence à
Dresde et sa liaison avec le Cosmopolite, prisonnier de
Christian IL, Pour ne pas répéter ici les détails de l'aventure
que nous venons de raconter, nous rappellerons seulement
les cruelles tortures que le malheureux Sethon se résigne à
endurer plutôt que de livrer à l'avare Christian le secret de la
pierre philosophale, sa captivité douloureuse, sa délivrance
par Sendivogius, qui l'amène en Pologne et reçoit de lui,
* Oratori, patrono, catmdieo : orateur, défct\8ftur, a\oçx\V.
Î4i) IIISTOmE
pijur n*coiii(n'nso. la |>rt'€icuàu ^joudri' tjui avait open» taal
de merveilltss rȔi l]iff^irem^l pays.
ï/nnilthiun il: S^^nJivugius n'él,iil point salîsfdVl»* du don
i[u1l avait n-nu de son ami. Il ♦iviiil alors trenle-huil ans: il
niniiiît b bonno cliêro, ci se plabait à mntinuer lo irain de
vïo t^i la grande exlstpnc»^ qu'il av,'iii commoncéi; à Ortr-^dô,
lnrsf|m>, pour s<* iTtM>iiimîin<kT par ses largesses a u\ jeunes
nobles du pays, et séduire les gardes de la prison de SellioD,
il (îéfiensail si lestement le prix de sîi maison de Craeovie.
IViur siiftiro îÈ des dépenses sans calcul, il faut des riehesses
sans limites. Sendivogius rêvait donc, en ce genre, une sorte
d'infini ifue la pierre philosopliale aurait sans doute réalisé:
mais il ignorait l'art de la eom poser, car Setlion mourfinl
avait, comme nous lavons dit, refusé de le lui révéler.
Espérant en sovoir quelque chose par la venve de Tadeplr,
Sendivogius lV|»ousa ; nuiis il ne devait trouver là (|u'«in'
autre deeeplioii, Après sou enlèvement, la jeune bourgeoise
de Munich n'iUail devenue ré|)Ouse du Cosmopolite qui'
pour assister en i|uelf|ues mois à son emprisonnement ei ïi
sa mort; elle ne .savait rien et n*avait fait aucune remarque
propre â éclairer son nouvel époux. Elle ne put (|ue lui
livrer le manuscrit de Sethon accompagné d'un reste de lo
poudre philosopha le de Tadepte. De ces deux objets, Sendi
V n^^ius, comme on va le voir, sut tirer néanmoins un ew
hmt parti.
Le manuscrit composé par Sethon avait pour litre :
Douze TraiU's, ou le Cosmopolite, avec le Dialofiiœ ik Mer-
nire et de ratchimiste. En étudiant ce traité, Sendivogius
eut d'abord une asse? mauvaise inspiration. En Tinterpré-
lanià sa manière, il crut y avoir découvert, non lu manim'
d« préparer de nouvelle pierre philosoplalo, mais le moyen
d'augmenter, de multiplier celle qu*il avait reçue de son ami
>laîs il ne réus:nt qu à ta diminuer eousidiTablement. Il «*Ui
mieuK fait de remployer directement à fabriquer de For.
Cette resso\iT?(? \\\\ va\x\\\\ ^\i\\smsvéKst^^{f^e pour subi
idi'
fer- \
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 247
nir atix exigences de la vie somptueuse qu'il continuait de
mener. Il voulait à tout prix passer pour adepte, et afin de
donner de lui celte opinion, il ne ménageait rien, faisant ses
projections en public, et prodiguant sa teinture comme s'il
avait possédé le moyen de la renouveler. On remarquait
toutefois qu'il s'en montrait plus économe quand il n'était
pas excité par l'intérêt de produire un grand effet public.
En voyage, il la renfermait dans une boîte d'or, qu'il ne por-
tait point lui-môme, mais qu'il confiait à son maître d'hutel ;
ce dernier la tenait cachée sous ses babils, suspendue à son
cou par une chaîne d'or. Mais la plus grande partie en était
renfermée dans un compartiment secret du marchepied de
sa voiture.
Par ses nombreuses projections, Sendivogius n'avait pas
tardé à acquérir une grande célébrité. Toutes les cours de -
l'Alleniagne étaient impatientes de recevoir sa visite. L'em-
pereur Rodolphe II, V Hermès allemand, avait tous les titres
à en être honoré le premier : Sendivogius se rendit donc au
château de Prague. Très-bien reçu par l'empereur, il reconnut
ce bon accueil en donnant au monarque une petite quantité
de sa poudre, avec laquelle Rodolphe exécuta lui-même une
transmutation en or. Pour immortaliser le souvenir du suc-
cès de cette expérience, l'empereur fit enchâsser dans le mur
de l'appartement où elle avait été exécutée, une table dé
marbre portant cette inscription latine de sa composition :
Facial hoc quispiam alius,
Quod fecii Sendivogius Polonusl
En i740, cette inscription se voyait encore à la niême
place dans le château de Prague. Pour qu'il ne manquât rien
ù l'éclat de cette grande journée des fastes hermétiques, le
poète cyclique des souffleurs, Mardochée de Délie, la célébra
dans des ters tnoins précieux ^ue le marbre, mais tout aussi
|K)ëtiqt]eë cjtie le latin dé son impëHal irttAVte. ^w^w\>\Si-
pereur ilunnsi n S»^n<liv«>gi«s le tiire *Je son eotismller, el lui
(H |>n*si*nl de sa médaille, que le philosophe porta d«^s Ich-s
gloripiïsf'mmil el oi^iensibleriii^nien Ions lieux.
O'i e\i\innrv\]\ ((Lii nkonipt'usait si bien un philosophe t^ii
possession du secret liennéiique, i^tall cependant le mt-me
qui retenait sons les verrous dv la tour Blanche le pauvre
orfèvre de Slrasbonr^\ Gusienhover, suspeet seuleioeni Je
lui eacher le même secret. Cette différence provenail-eIK
en m me on Tn pré tendu, de co (|ue Sendivogius avait eu la
pruilenee de protester qu1l ignorait le pnH^éde de la prépa-
ration (le la pierre philosophaie, assurant qu il ne la lenaîi
que de rhérita^^e de son aniiï H est probable plnt(ll que c»*
([iii arri^lait ici rein[»erein\ c'éudl la (inalitt^ de 8endivo«,nus :
le titre île Polonais, que lonl le ru on tic lui donnait, empê-
chait ftodolplo* tien user avec c*i gentilloonme comme ava^
un sinipït^ broir;,a>ois de sa bonne ville de Strasbourg. ^|
Continua ul sa tonrnt'e dans les résideiu'es prineo-rcs, Sen-
divogius quitta la Bohème pour se rendre à la cour de Po-
b>gne, où Ton manifestait une vive euriosilé de le voir. Mais
une nn'savenlurc, assex faeheuse pour lui, vint signalerez
voyage. Connue il traversait la Moravie, un seigneur de b
eontrëe, instruit de son passag**, s'embusque sur son chemin,
se saisit de lui ei le retient prisonnier, mettant pour juixii
sa délivrance la révélation du seeret de hi pierre^ pbilosftphale.
La fin sinistre d'Alexandre Sethon revint sans doute alors à
l'esfïHt do notre philosophe, et pour peu qu'il eût voulu ctrfi
ïaarlyr eouivne son illustre maître, 1 occasion était belle. Il
prêf(»ra tenter une évasion. Avec une lime qu'il put se pm-
eurer» il coupa les barreaux de sa fenêtre; il faliriquà une
corde a ver ses vètemenli?, et se sauva tout nu à travers la cam*
fiagne. Ijnefois libre, il fit citer le perfide comte devant Tem*
[lereur. Ce dernier p*»rta dans cette affaire un jugement ilcs^
tinéà fairt! eoïu prendre à teus les grauiîs de renipire tpi'un
homme hinoiri' du litre de son conseiller n'était pas unel:îq^-
(ure de liouïVè ynse. <\\\VCï^ \me amende eonsidr-rable qui
DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 249
imposée au comte, il le condamna à donner à Sendivogius
une de ses terres; c'était précisément celle de Gravarne,
dont il est question dans les premières lignes de la biogra-
phie anonyme, qui la lui attribue en se trompant sur son
origine. Ce qui est certain, c'est que, depuis Tépoque où
cette terre lui fut accordée comme dédommagement de sa
fâcheuse aventure, Sendivogius en fit sa résidence préférée,
et la donna plus tard en dot à une fille unique qu'il avait
eue de son mariage.
' Sendivogius fit plusieurs transmutations à Varsovie, mais
aucune n'eut l'éclat de celle de Prague. Sa poudre commen-
çait à s'épuiser, et il était réduit à s'en montrer économe.
Toutefois sa réputation suivait une progression inverse, car
elle augmentait tous les jours. Le duc Frédéric de Wurtem-
berg désira le connaître, et écrivit au roi de Pologne Sigis-
raond pour le prier de lui envoyer le philosophe. Celui-ci
se mit en route, marchant- à petites journées, accompagné
de son maître d'hôtel, Jean Bodowski, qui portait toujours
cachée sous ses habits la provision de pierre philosophale.
Quand la caisse de voyage se trouvait à sec, on s'arrêtait
pour fabriquer de l'or, puis on reprenait sa marche. Us arri-
vèrent ainsi à Stultgard, où Sendivogius, sous le nom de
maréchal de Seriskau, passa tout Tété de 1605. Cette date
étant bien établie, on doit placer dans l'année 1604 presque
tous les faits qui précèdent.
Frédéric accueillit l'alchimiste avec une bienveillance
extraordinaire. Aussi, au lieu d'une projection qui avait
été demandée, Sendivogius en fit-il deux. Le duc émerveillé
redoubla pour lui d'égards et de considération : afin de le
mettre, à sa cour, sur le pied d'un prince du sang, il lui
accorda, comme une sorte d'apanage, la terre de Ned-
lingeu.
L'orgueil du philosophe avait enfin trouvé son entière
satisfaction. Sendivogius savourait donc avec délices les
trésors si longtemps enviés de la renommée et de la g;catv-
lilSTOtftC
deor; il igoorail qn'h Tombre àë ces apparentera Urîllant^
^('uurdijisait une tnim«^ pt?Tfide*
Fori ciirieox, de lom Uîmjis», de science henniHique. le
iliic Fn-dôric n'ûvaU p<is attendu S^^ndivogins pour s'adoB*
lier il ce genre do travaux. Il tenait à sa solde un avï>nUiri«r
t\c respôcc de c^ux que la maladie dominante du sIMp
avait mis en crédit à la cour des princes, où ik occu paient
uoe sorte de position oflicielle. Â côté ou :i la place descm
fou ou de $ùn pointe en lilie, chaque monarque avait alors
son alchitnisle entretenu. Celui qui occupait cet office à b
rour do Sïutlfîard avait commencé par iMre barbier de Vm-
pereur. Deveuu depuis domestique de Tadepte Baniel Ba|>-
poll, il avait pris avec lui quelque teinture d'herméliqup, et
plus laril, complété son iMucation en courant le pays avtîe
des alchiitiisies ambulanis pour apprendre les tiiurs d'esca-
•mola|j:e et les ruses des charlatans souffleurs. Il n'avait pas
craint d'aller se présenier à Tempereur Rodolphe lï, qui l'ad-
mit à exécuter quelques opéi^ lions, non devant sa personne,
mais dans le laboratoire de son valet de chambre Je»ii
Frauk. T/empereur, qui sY-tait un moment diverli de s&
transmutations suspectes, Tavoil nommiî cmnte de MitUm-
fek, et Tavail ensuite laissé [îarlir. C'est avec ce tiirc qnll
s'étaii présenté a la cour de Sluttgard pour y déployer des
talents qui, on l'absence de toute comparaison, étaient te-
nus dans une certaine estime. Cet alchimiste était donc, ù
la cour du duc Frédéric, sur un pied convenable. Biais les
succès do Scndivoj^ius faisaient sensiblement pâlir l'astre
de son crédit: Mullimfels résolut de se venger et de s'ap-
proprier en môme temps riieureux instrument de h for*
tune de son confrère.
Mullenfels ne commit poini h maladresse de rlénigrerson
rivîiL II se montrait, au contraire, aussi enthousiaste f[oe le
reste de In cour des mérites du nouvel adopte: on le irou-
vaii loujonrs empressé a exalter ses taleuls. S11 s'exprimait
sur !e comble i\\\ site, de Nedlini^'en, s il lui parlait h bii-
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 251
même, ce n'était jamais que pour le louer avec toute l'exa-
gération d'hyperboles que sa haine pouvait lui fournir. La
vanité du personnage à qui il s'adressait assurait d'ailleurs
par avance que nul excès de flatterie ne semblerait suspect.
Une fois insinué de cette manière dans Tesprit de Sendivo-
gius, et en possession de toute sa confiance, il put mettre
à exécution le plan qu'il avait conçu.
Un jour, il persuade à l'adepte que le duc Frédéric mé-
dite de s'emparer de sa personne pour lui arracher son se-
cret. Toute la faveur qui l'environne, tous les honneurs
qu'on lui prodigue, ne sont qu'autant de chaînes par les-
quelles on veut le lier, et qui se changeront bientôt en
chaînes plus pesantes. Un avare tyran menace sa liberté;
nul moyen ne coûtera au prince pour arracher au mal-
heureux adepte le trésor qu'il lui envie... Tout ceci res-
semblait singulièrement aux infortunes du Cosmopolite,
pour lesquelles Sendivogius ne ressentait aucune ferveur
imitative. Il eut peur; il crut tout et ne songea qu'à fuir.
Mullenfels lui indique alors le chemin le plus court pour
gagner. la frontière. Mais à peine le philosophe s'est-il mis
en route aux premières heures de la nuit, que son traître
confrère s*élance à sa poursuite avec douze hommes à cheval
et armés. On arrête, au nom du prince, le fugitif, on s'em-,
pafe de sa poudre philosophale, de la médaille de Rodolphe,
qu'il portait sur lui, et d'autres objets précieux, parmi les-
quels un cordon de diamants de cent mille rixdales, qui en-
tourait son chapeau.
Après cet exploit, Mullenfels redevint le premier alchi-
miste de la cour de Stuttgard ; il faisait des projections mer-
veilleuses avec la poudre volée. Quant à Sendivogius, on
perd sa trace durant un an et demi après cette triste aven-
ture; il resta sans doute, pendant cet intervalle, détenu dans
quelque prison du Wurtemberg.
Dès qu'il fut bruit de cette affaire en Allemagne, l'opinion
publique n'hésita pas. A tort ou à raison, on admit que le
252 UISTOIUE
ilinulr \Viiïi<'mbi*i'g ëUiii eompiiee de ce guel-apeiis, «jul
;jiiniii inilnriin' un tmltHisi^ IT» tait ri»[>in"(on du roi de V
Ingue, du ni la iVnnim' du Sendivn^niiH u\\i\ réclamer h p!
trction; ce fut encore celle de rump*Teur Rodolphe, lorsque
Si'ndiv(>giu&, libre enfin vint lui demander justice.
Preoanl en main la rause do l*adei»t(% l'empereur Ho-
dnl|die envoya un exprès au duc Frédéric pour le sommer de
lui livrer Miillenfels, Devnnt renvoyé de Tempereur, le due
tvssfîUHt ou simida nro' gnin de colère de rimputalioti doiil
il éliiil Tobjet. il lit reiiûî^ de la nïédaillc de Uodûlplie aver
sa cbaîne d'or, et ducordtm de diamants i^nlèvés au fugitif:
nanl a la [nmdre, il as.^ura lien avoir jîtiïiais eu euonai.v
sance. Enlin Mullenfels, eondanin*' ô mort par son ordre,
lut (leutlu suivant le cérémonial suivi im Ailenni|^ue pour k
supjfliee des alcliimisles. On les eou\rait, des pieds a la léU*,
d'un veieriu ntd'or nudeclim[iianl, et on les [îendaitàungibel
d<tré. Seulement, le duc Frédéric renchéri tenetu'e sur la mise
en scêue ordinaire; car, celle fois, le patii'Ul fut hissé au pl«s
liant des trois gibets dressés à cel idfet. Par cette exé*cuiion,
dirent les bioj^rapbes de notre pliifusophe, il apaisa l'emp».*-
reur sans prouver sa propre innocence *. Os derniers événe-
ments eurent lieu en 1607.
Cette affaire parut donc terminée conformément à la jus*
tice, et à la satisfaction de tous. Sendivogius seul fut méoi)n-
lenl, car son inestimable trés<ïr, sa poudri' pbilosopbalc. nr
lui fut jamais rendue. Sa gloire et son tident s étaient envolr>
avec elle. Son histoire active ne re|>rend, en effet. ipiVo-
viron dix-buit ansajjrès. Mais i|n>dle bishiire luatuleDuittel
(judle déchéance!
C'est à Varsovie qn*on le retrouvi^ en 1625, conlinuanistf
opérations ordinaires. Il n*y fait \Ai\6 ^|u*une bien Irisie fi-
gure. J/bérila^^^e de Selbim sï'lail réduit i\ si jieu de rlai^r
* fie lit'. Si'nt{iiotjw\ . Hrcn c/p ta tli'hiicm vaUde de Joriti /i^x/vn w«i
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 255
que force était bien de ménager ces minces reliefs. C'est ce
que faisait Sendivogius, s'y prenant d'ailleurs de différentes
manières plus ou moins honnêtes. Devenu une sorte de char-
latan, il vendait sa prétendue pierre philosophaie comme une
remède universel. Desnoyers, Fauteur de la lettre ou plutôt
du mémoire qui nous a fourni les renseignements les plus
précis sur son histoire, nous apprend le fait en ces termes :
• Enfin, dit Desnoyers, voyant qu'il n'avait plus guère de cette
poudre, il s'avisa de prendre de Tesprit-de-vin, qu'il rectifia, et mit
le reste de sa poudre dedans; et il fit le médecin, faisant honte h
tous les autres par les cures merveilleuses qu'il foisait. C'est dans
celte même liqueur qu'ayant fait rougir la médaille que j'ai, qui est
une râdale de Rodolphe, il la transmua ; et cela , il le fit devant
Sigismond III, lequel encore il guérit d'un ti'cs-fàcheux accident avec
le même élixir. Ainsi Sendivogius usa toute sa poudre et sa liqueur,
et pour cela il disait au grand maréchal du royaume, M. Wolski,
que, s'il avait eu les moyens de travailler, il aurait fait de semblable
poudre.
• M. Wolski, qui était un grand souffleur, le crut, et lui donna
six mille francs pour travailler. Il les dépensa et ne fit rien. Le grand
maréchal, qui se vil attrapé de six mille francs, dit à Sendivogius
qu'il était un affronleur, et qu'il pourrait, s'il voulait, le faire pen-
dre; mais qu'il lui pardonnait, à la charge qu'il chercherait les
moyens de lui rendre son argent. Mais conune cet homme avait beau-
coup de renom, étant savant, il fut appelé de M. Mniszok, palatin de
Sandomir, qui lui donna aussi six mille francs pour travailler ; de ces
six mille francs, il en donna trois mille au maréchal, et travailla des
trois autres, mais toujoure inutilement.
• Enfin, n'ayant plus nen, il se fit cliarlalan. Il faisait souder bien
proprement une pièce d'or avec une d\irgcnt, qu'il faisait ensuite
marquer à la monnaie, et puis il la blanchissait loule de mercure ;
et feignant d'avoir encore son élixir, il faisait rougir celle pièce au
feu, où le mercure s'en allait, et, trempant loule rouge la partie qui
était d'or, il faisait croire qu'il l'avait transmuée ; par là, il se con-
servait toujours quelque sorte de crédit auprès des ignorants, aux-
quels il vendait la pièce plus qu'elle ne lui coûtait ; mais les clair-
voyants s'apercevaient aisément qu'il n'avait pas le secret qu'il voulait
£iire croire; •
!2:)4 HISTOIRE
lin écrivain iillemand nous fait connaître une des opm-
tions pralitiuécs par Sendivogius à son déclin. C'est la pré-
tendue transmutation d'une pièce de monnaie d'argent.
Sendivogius y figura, avec un pinceau, certaines lignes, ao
moyen d'une poudre très-fine, qui n'était sans doute qu'un
composé d'or; il mit ensuite des charbons par-dessus. Les
lignes iracéc^ par la poudre furent changées en or, c'esl-à-
diro dorées, u Tout le monde, ajoute l'auteur, n'était pas
« dupe de cet artifice, mais on laissa faire le charlatan jusqu'à
« cequ'il mourût*. ^) Enlin le biographe anonyme qui défend
avec tant de chaleur Sendivogius et veut le faire passer pour
le vrai Cosmopolite, rapporte des faits du même genre, en-
con» aggravés par un détail beaucoup plus hardi, et dont les
autn\s écrivains ne parlent pas : c'est que son héros faisait
et vendait do Targeiit faux. Hais notre auteur trouve dans
ce fait la démonstration la plus frappante que Sendivogius a
réelloniont possédé le secret de la pierre philosophale. S'il
commettait un crime, nous dit-il, ce n'était que pour dissi-
muler sa science et prévenir les dangers auxquels elle l'eût
exposé au milieu du vulgaire. Citons ce curieux passage:
« Il ft'igiùi ilouo d\Hro fort pauvre selon les occurrences ; et souvent
il M' iiiottail au lit connue i^outteux ou attaqué d^uiie maladie qu'il ue
>a\ait jiuérir: et quelque fois U faisait de faux argent, quHlven*
d'tit au.r juifs de Pologtiei et enfui, par divei^es i-uses, il ôta l'opi-
niou qu'on avait qu'il eût la pierre des pliilosophes, de soiie qu'il
pas>ail plutôt iH)ur un livinpeur que pour un pliilosophe chimique, i
Il 05it à craindre, pour la mémoire de Sendivogius, que
cette dernière opinion ne soit la vraie.
Terminons ce récit par quelques lignes sur les ouvrage?
publiés sous le nom du Cosmopolite.
Nous avons dcjà dit que le livre des Douze Traités, ou le
Traite de la Nature, a été composé par Alexandre Setbon et
* Morl\o\\ Ep\3lola ad Ltu'jtloUum.
MS TRANSMUTATIONS MÉTALUQUES. 25Ô
livré par sa veuve à Sendivogius *. Dès Tannée 1604, c est-
à-dire quelques mois seulement après la mort de TÉcossais,
Sendivogius fit imprimer ce manuscrit à Cracovie, avec cette
épigraphe : Divi leschi gemis amo, A quelque temps de là, il
publia un Traité du soufre, dont on le croit le véritable au-
teur, avec cette autre épigraphe latine : Angélus doce mihi
jus. Or, ces deux épigraphes étant l'anagramme de Michael
Sendivogius, on devait naturellement en inférer que les deux
traités émanaient du môme auteur. C'est, en effet, l'opinion
qui s'établit et qui subsista longtemps ; elle consommait et
consacrait, pour ainsi dire, la confusion que d'autres cir-
constances avaient déjà fait naître entre ces deux hommes,
et au milieu de laquelle le nom du véritable adepte avait fini
par disparaître historiquement sous celui du charlatan. Sen-
divogius ne s'était pas borné à cette ruse de l'anagramme
pour absorber à son profit la renommée de son prédécesseur.
Ayant remarqué des contradictions entre les deux traités,
notamment sur ce point important, que dans le premier
l'auteur assure avoir fait la pierre des philosophes, tandis que
dans le second il déclare seulement l'avoir reçue de Tamitié
d'un adepte, Sendivogius altéra le texte du Traité de la Na-
ture, et le fit réimprimer à Prague et à Francfort avec les
changements de sa façon. Mais l'édition de Cracovie restait,
et ces réimpressions devinrent de nouveaux témoignages de
sa perfidie.
Indépendamment du Traité du soufre, on a attribué à
Sendivogius plusieurs ouvrages hermétiques, entre autres le
Traité du sel, troisième principe des choses minérales, et la
Lampe du sel des philosophes. Mais le premier de ces ou-
vrages, imprimé en 1651, est de Nuysement ; le second, im-
* Le Traité de la Nature, qui ne se distingue par aucune qualité par-
ticulière du reste des ouvrages hermcliques, renferme cependant, sous le
titre de Dialogue de Mercure, de la Nature et de VAlchimxste, un uiurccau
fort curieui à lirci La saite de ce dialogue instructif se trouve dans le
naité du eoufrei
256 HISTOIRE
primé en 1658, est d'IIarprechl. Il paraît, du reste, que Sen-
divogius avait composé un Traité du sel des philosoj^ies, qui
resta, après sa mort, entre les mains de sa fille, et n'a jamais
été imprimé.
Avec ces explications, on peut se rendre compte des ma-
tières renfermées dans louvrage français, où Ton a réuni
les Iraités allribués au Cosmopolite ^ Quant aux cinquante-
cinq lettres publiées en français en 1672, sous le titre de
Lettres rfu Cosmopolite, et datées de Bruxelles, février et
mars 1640, elles ne peuvent ôlre ni d'Alexandre Sethon,
mort en 1604, ni de Sendivogius, (jui, en cette même année
1646, mourait à Cracovic à Tàge de quatre-vingts ans.
CHAPITRE V
LA SOCIETK DES fiOSE CHOIX
La confrérie alchimique, médicale, théosophique, cabalis-
li(ine, et nu*mc lliaumalurgique, (|ui s*est cachée sous le
nom de Socictc des llose-Croix, a fait tant de bruit en
France et surtout en Allemagne au commencement du dix-
septième siècle; on a publié à son sujet, depuis 1615 jus-
qu'en 1650, un si grand nombre d'écrits apologétiques ou
critiques, (ju'il ne nous est pas permis d'oublier celte secte
dans l'histoire des principales notabilités de l'alchimie. Mais
' Los Œuvres dtê Cosmopolite, ou nouvelle lumière cAimtçue, pour sertir
iC éclaircissement aux trois principes de la nature, eœaelement décrits éa»t
les trois (ruites suicanCs : l' le Traité du soufre; 2* le Trmié.du mercurt;
y le TraiUdu crai setde» vV\\o%oigK«.V«\&,\<3ai;iii-18.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 257
nous devons tout d'abord prévenir les lecteurs qui aiment
les faits positifs et les renseignements précis, de Timpossi-
bilité où nous sommes de les satisfaire en entier. A moins,
en effet, de vouloir affirmer ou nier sans preuve ni raison
suffisante, nous serons souvent forcé de laisser flotter notre
récit dans un certain vague, qui est celui du sujet même
et qui résulte d'ailleurs de la volonté formelle du fondateur
des Rose- Croix. Un article de leurs statuts porte en termes
exprès :
(( Cette société doit être ternie secrète pendant cent vingt
n ans, »
Cette clause fut si bien observée, qu'au temps môme où
ils brillaient de leur plus vif éclat sur l'horizon des théo-
sophes, les Rose-Croix se qualifiaient di' invisibles, et ils
Tétaient à ce point, que Descartes, dont ils avaient excité la
curiosité par Xqmt Manifeste, fit en Allemagne les recherches
les plus diligentes sans pouvoir trouver une seule personne
appartenant à leur société. En un mot, le mystère dont ils
s'enveloppaient, — joint au nuage dont Dieu, disaient-ils,
avait soin de les couvrir pour les mettre à l'abri de leurs
ennemis, — avait si bien réussi à les rendre insaisissables,
que plus d'un historien s'est cru fondé à révoquer leur
existence en doute. Nous ne pousserons point le scepticisme
si loin. L'impossibilité de connaître individuellement par
leurs noms, et de suivre séparément dans leurs actes, les
membres de cette société introuvable, ne nous semble pas
un argument décisif contre les témoignages et les indices
qui certifient son existence. Seulement, en raison des om-
bres qui l'environnent, nous demanderions volontiers la
permission d'ajouter l'épithète de fantastique à toutes celles
que nous lui avons précédemment données.
Comment s'était formée la confrérie des Rose-Croix? Voici,
s'il faut en croire une légende extrêmement répandue,
quelle en fut l'origine.
Vers la fin du quatorzième siècle, un Allemand uomav(î
258 HISTOIRE
Chrétien Rosenkreuc fit un voyage en Orient pour s'in-
struire dans la science des sages. Né en 4378, de parents
fort pnuvros quoique nobles, il avait été placé, dès l'ftge de
cinq ans, dans un monastère, où il avait appris les langues
grecque et latino. Parvenu à sa seizième année, il était
tombe entre les mains de quelques magiciens, dans la so-
c\M desquels il travailla cinq ans. Ce n'est qu'après ces pre-
mières études et ce commencement d'initiation que le jeune
gentilhomme» avait pris son essor vers les contrées de
rOrient.
Rosenkreuz avait vingt ans à peine quand il arriva en
Turquie. Il y séjourna quelque temps, et y conçut une partie
de sa doctrine. De là il passa dans la Palestine, et tomba
malade à Damas. Ayant entendu parler des sages d'Arabie,
il alla les consulter à Damcar^. Les philosophes qui habi-
taient cette ville vivaient d'une façon tout extraordinaire.
Bien (]u'ils n'eussent jamais vu Rosenkreuz, ils le saluèrent
par son nom, le reçurent avec de grands témoignages d'ami-
tié, et lui racontèrent plusieurs choses qui s'étaient passées
dans son monastère d'Allemagne pendant le séjour de douze
ans qu'il y avait fait. Ils l'assurèrent, en outre, que depuis
longtemps il était attendu par eux, comme l'auteur désigné
d'une réformation générale du monde. Pour le mettre en
<'»tal do remplir la grande mission à laquelle il était prédes-
tim'', ils lui communiquèrent une partie de leurs secret^.
Rosenk-rouz ne quitta ces courtois philosophes que pour al-
ler on Barbarie converser avec les cabalistes qui se trou-
vaient on grand nombre dans la ville de Fez. Ayant tiré de
ces derniers ce qu'il en voulait, il passa en Espagne; mais
il no tarda pas à on être expulsé pour avoir tenté d'établir,
dans ce pays do catholicité ombrageuse, les premiers fonde-
* D'aulres écrivains disent Damas; nous avons conservé le nom de
Damcar, cité dans le plus ancien écrit sur Rosenkreuz, bien que les géo-
^'raphcs n'aient indiijut' l'existence d'aucune ville de ce nom dans l'Ara-
l)ie ni dan8\cs coTxVtécsNoisuAcs.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 259
ments de son œuvre de rénovation. Enfin il retourna dans
son pays natal, que l'on ne détermine par aucune indication
particulière sur la vaste carte de rÀllemagne. 11 en était
sorti humaniste, il y rentrait illuminé.
Dès son retour, Rosenkreuz dévoila à un très-petit nombre
d'amis, d'autres disent à ses trois fils seulement, le secret
de sa philosophie nouvelle. Ensuite il s'enferma dans une
grotte, où il vécut solitaire jusqu'à l'âge de cent six ans,
toujours sain d'esprit et de corps, exempt de maladie et
d'infirmités. Ce fut en Vannée i484 que Dieu retira son es-
prit à lui, laissant son corps dans la grotte, qui devint ainsi
son tombeau. Ce tombeau devait rester ignoré de tous jus*
qu'à ce que les temps fussent venus.
Ces temps arrivèrent en 1604, l'année même de la mort
de l'alchimiste Sethon, coïncidence étrange! En cette année,
en effet, le hasard fit découvrir la grotte. Un soleil qui
brillait au fond, recevant sa lumière du soleil du monde,
n'était destiné qu'à éclairer le tombeau de Rosenkreuz. Sa
clarté permit néanmoins de reconnaître plusieurs objets
curieux renfermés dans ce réduit. C'était d'abord une pla-
(jue de cuivre posée sur un autel, et qui portait gravée cette
inscription :
il. C. R. C. Vivant, je me suis réservé pour sépulcre
cet abrégé de lumière * .
Ensuite, quatre figures accompagnées chacune d'une épi-
graphe. La première de ces épigraphes était ainsi conçue :
Jamais vide; — la seconde. Le joug de U loi; — la troi-
sième, La liberté de V Evangile; — la quatrième, La gloire
de Dieu entière. On y voyait aussi des lampes ardentes, des
clochettes et des miroirs de plusieurs formes, des livres de
' Â. G. est le symbole sous lequel les initiés ont toujours désigné Ro-
senkreuz; R. G., l'indication commune aux membres de la société des
■i»r!; .-it. i-rii .. —M . !.. uicrvnum ti a rxmm .<f.*^i^f
' ■ ■ •■■ Jiuii .jn?:^riî:îBî:. .. ,ib >i uoHt- if
Mi:-., 'i ! ri :•..•■!•. .1 1 : }T}V£iii.i\ . .' ni- T zemni^nalii
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^ •■■ V" ' ■ "M. . • ■ .."^ . Allîî'r t :^- .ajJlT : ffi bA?Bh
'■"i"t' • i'ïïtii* • n». " mfi. "■ TaninruH - -ri>: jss>
'■■ »• '■ "» ivr- ^.. ■ ^*?nuiiMn.pifa i 't Mu^aj^- u art
'A- iiu-^ •.•.•: ^ ^vnv- it:oii«- aaf: u. ftu. .vrr mi-
' "l't '"'•'*! AV. i j^-my-: -^. ■ 'jini.rt'ji; ti i /">
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• •' , ..I...' ■ r: III II .iji- coiïVi":. : • !*'.:i;iîi un L:r.!.'2
. ij.. ^! :':i.i-«i i.. i.jïu ',n leiiir- ri .i .r-.ii. ri «aif ^t-
■ ■■■■■«•' 'Tiiii.- .■••i>»:iiau-; n. .s-7;ii . Aiîiunari:. '^.(■z\cv
• 't f .-i..ii"«;iii; i'.î..l"J'_;L 'i i(!L" -;» .!» itE p>VVi:
■ ' ■ - - ■■»■■■ ■-' )y:'.i i'.'j. ii.'Tui, i.'i ■ .T»-!- j "'jtii;a."*
*■ •■-- - ■ ■-• -'.'* r\: 'v-:.. p-l_ itjjif.-. -.. . .Mj«î.'.;, .u nit-
— ■■ '• '■ ^•-.'.i:i. .'■ 'J- jj.i^>iL":a ' ." .'..:r-irLis^t# lUi nti-
• * ' c.*-n .• -: i'iLir -=:.■: il ijVj* irrvi-- , i tiru'ju-
■ '■ ,.. ■ ,/.;.-■.-./, i,;i.. ... ii,rn:- .111 L-::!" .i.«nib m m .ïT;»» in
' -' ' • '•"■iMii' ■.-•ni II !• un -î ii: I-lLii:».- IIM: -tn.iiu. Itîï"-
'■-I- ' r' I ,'.. '.fwii iMii: ■,. nu ' ..liûni:di£ îi t 7^iii;y. Liiiii
' ' ' " ' i-'y-'- ".jA'-.uv.' u 'irtj-w UH. — --.► ï — ; jn ju *',."
'* ." •■—.».•.*'« l'i.t .i.xi'j'.u-.iui w:".!.» [it liitfrHinimtï nii (t:"iii:£rc
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r'/ ■■''
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 261
composition de cet opuscule à Valentin Andreœ, savant théo-
logien de Cawle, dans le pays de Wurtemberg. C'est à la pu-
blication de ce livre qu'il faut attribuer la naissance de la
société des Rose-Croix.
En créant cette association philosophique, Valentin Andreœ
avait pour but de réaliser une prophétie contenue dans les
ouvrages de Paracelse. Partisan fanatique des doctrines de
cet homme célèbre, Andreœ s'était mis en tête de justifier
Tune des paroles du maître. Paracelse, en effet, avait écrit
dans le chapitre vni de son Livre des métaxix :
« Dieu permettra qu^on fasse une découverte d'une plus grande im-
portance, et qui doit rester cachée jusqu'à ravénement d'Élie ar-
liste. Quod utiliiis Deus patefieri sineU cjuod autem majoris mo-
menti est, vulgo adhuc latet usque ad Elise Artistae adventum,
quando is venerit, »
Au premier traité du même livre on lisait encore :
• Et c'est la vérité, il n'y a rien de caché qui ne doive être décou-
vert ; c'est pourquoi il viendra après moi im être merveilleux, qui ne
yitpas encore, et qui révélera beaucoup de choses. Hoc item verum
est nihil est absconditum quod non sit retegendum ; ideo, post
me veniet cujus magnale nundiim vivity qui multa revelabit, •
* Ces grandes découvertes, dont la révélation était promise,
pouvaient s'appliquer, vu les préoccupations hermétiques de
Tépoque, au secret de la transmutation des métaux. C'est
ainsi du moins que l'entendait le créateur de la société des
Rose-Croix, Valentin And reae, qui dit dans son Manifeste:
• Nous promettons plus d'or que le roi d'Espagne n'en tire des
deux Indes ; car l'Europe est enceinte, et elle accouchera d'un enfant
Rose-Croix, et justiâer leurs prétentions touchant ranciennetc de leur
origine. D'ailleurs, une objeclion presque sans réplique contre leur anti-
quité résulte de la date de l'apparition de leur Manifeste. La FamaGr^,
lemitatùf ce livre qui leur sert pour ainsi dire d'évangile, s'étant pr(^
doite dans le monde en même temps que la confrérie même, on est en
droit de penser qu'ils appartiennent tous deux à\a même ^^i^^.
^>2! ffiTGHE
fuuiMU. i'iu: ('v*'i vUi\.'>cmv^ vuvrm ^.r EiJi9odx ex Mtrâque
yuru^î. h
^tJfjjiiu Ah6j>-&- pn: mt lui de décider que cet Eliear-
HkU tynx *:nhul lobuste dont [laHt- ParaceUe, devait s'en-
VfU^T". iiou d'uD jDdivjdu. niiU d un ^tre collectif ou d'une
ï'-vyrûitioji. C Vi un [«^iint que l'on pouvait d'ailleurs lui ac-
t'orifif h»nh trop de peine. Apre? les travaux successifs d'un
^i ;^and nombre de savants, tels que Léonard Thume^'sser,
Adarii de iV^den^^tein, Michel Toxitis, Valentin Antrapasus
Siloranus, Pierre Séverin, G<inthier d'Andemach, Donzellini,
André Plllinger, etc., qui tous s'étaient attachés à continuer
et à développeur isr>lément le système de Paracelse, sans avoir
pu Hialiser le grand œuvre, le fondateur des Rose-Croix pou-
vait bien se croire autorisé à trancher la question en faveur
d'un Élie collectif représenté par sa confrérie.
Uia Kosc-Croix ne furent donc, selon nous, qu'une réunion
de Pflrac<}lsistcs enthousiastes constitués en société. Le fon-
dïileiir do cette association, le rédacteur du Manifeste, Va-
Iniiiiri Aiulrcîc, prenait le titre de chevalier delà Rose-Croix;
il portail iiiAine sur son cachet une croix avec quatre roses*.
Par ses seiUiments el par son caractère, il était loin cepen-
dant (le répondre à Tith^o que Ton se fait communément des
novateurs (|ui n'^alisent dans le monde de vastes plans philo-
sopliiqnes. Il n'avait aucun fanatisme de doctrine. C*était
avant tout un homme (l'esprit et de philanthropie. Animé
d'un \if di'sir de perfectionner la croyance religieuse et les
insi il niions sociales de son lem[x^. il ne cherchait que dans
la ptM*suasion el In dom^eur ses moyens de propagande ; tout
eu épousant les idtvs d'un grand homme pour les épurer et
lesoiendro. il voulait iMn* le pnMuier à se moquer des en-
thousiastes qui exaoM-îiiont ses principes j^r un xèle inin-
tolliiîont. IVs Tann^v 1605, il axait rtnligi^ les Noces chimi-
DES TRANSMUTATIONS MÉTALUQUES. 265
qties de Chrétien Rosenkreuz, 11 n'avait composé cet écrit
que pour s'amuser à critiquer et à ridiculiser les alchimistes
et les théosophes de cette époque. On a même bien des fois
avancé qu'il n'avait également composé que dans un esprit
de satire et de persiflage la Fama fraternitatis, qui devint
l'origine de la société des Rose-Croix. Mais cette dernière
opinion ne peut être soutenue en présence des actes accom-
plis postérieurement par l'auteur de cet écrit.
En 1620, Yalentin Andreae travailla à constituer une
grande société religieuse, sous le litre de Frateimité chré-
tienne. Elle avait pour objet de séparer la théologie chré-
tienne de toutes les controverses que la scolastique y avait
introduites, et d'arriver ainsi à un système religieux plus
simple et mieux épuré. Yalentin Andreae avait cru s'entourer
de toutes les précautions nécessaires pour distinguer cette
nouvelle société de la confrérie des Rose-Croix*. Cette con-
frérie, qu'il avait lancée dans le monde, avait fini par lui dé-
plaire, et dans l'écrit qu'il rédigea en l'honneur de sa nouvelle
société religieuse, il tourne même en ridicule la crédulité et
les mensonges des Rose-Croix, qui, dès cette époque, com-
mençaient à jouer en Allemagne leur grande comédie. Mais,
vaines précautions! Le succès et la vogue étaient alors pour
les enthousiastes, et tout leur profitait. Celte confusion
qu'Andreae avait redoutée, arriva d'elle-même; h Fraternité
chrétienne fut absorbée dans la société des Rose-Croix, et
Andreae se trouva, bien malgré lui, avoir contribué à aug-
menter le nombre de leurs sectateurs. C'est d'après ce der-
nier fait que beaucoup d'écrivains ont avancé à tort que la
société des Rose-Croix ne dut son origine qu'aux plaisan-
teries rassemblées par Yalentin Andreae dans son écrit des
Noces chimiques de Chrétien Rosenkreuz*.
Après cet exposé de l'origine qui nous paraît la plus pro-
* Andreœ TurrU Babel.
• n serait important de savoir si l'on peut reçardct coTîvTCife\À%\ft.T>ssfife
264 HISTOIRE
bablc do la confrcrio des Rose-Croix, nous ne devons pas
ometlro de signaler la conjecture de ceux qui pensent que
cctlo société fut tout simplement une tentative de plusieurs
gens instruits, désireux de se mettre en rapport, afin de tra-
vailler, sur un commun programme, à Tavancement des
sciences et de la philosoph ie, en se communiquant leurs idées.
Dans cette hypothèse, les Rose-Croix auraient formé comme
une sorte de franc-maçonnerie libérale. La crainte bien na-
turelle d*exciter les ombrages des pouvoirs spirituel et tem-
porel expliquerait, dans ce cas, la nécessité où se trouvait la
confrérie de s'environner de mystère, de se déclarer invi-
sible et de n*avoir aucun lieu de réunion connu du public.
On pouvait, en outre, espérer que les conditions bizarres de
la nouvelle société appelleraient Tattention et l'intérêt sur
ses sectateurs, et inspireraient à plus d'un enthousiaste Tam-
bition de leur appartenir. On sait d'ailleurs* que plusieurs
personnes ont pris le titre de Rose-Croix sans l'être, tandis
iiue beaucoup de Rose-Croix se dispensaient de porter ce
nom*. Enfin, il est constant que les Rose-Croix ne se faisaient
pas faute d'inscrire d'office sur leur catalogue les person-
nages (|ui leur semblaient dignes de cet honneur. Beaucoup
do philosophes ou d'hommes célèbres s'y trouvaient portés
à leur insu, d'où il résulta que si plus d'un savant illustre
prêta à la confrérie le soutien de son nom et de sa gloire,
celle-ci, en revanche, paya, dans Topinion publique, pour
beaucoup de coquins avec lesquels elle n'avait jamais frater-
nise. En bonne justice historique, ce n'est donc pas sur son
personnel qu'il faut la juger, mais sur ses principes, et nous
allons les faire connaître.
ce nom de Rosenkreuz. ]l fournirait l'ctymoloftie naturelle du nom que
SCS sectateurs ont adopté, tandis qu'au contraire on a toujours chercbc à
l'expliquer mystiquement par un certain rapport entre le mot Roae-Croix
et le caractère religieux de l'œuvre qu'ils voulaient accomplir. Mais il n'y
a pas plus de certitude sur ce point que sur tous les autres.
' Semler, Recueil pour ser-oir à\Hw\o\Tt dw Hose-Croiœ.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 265
La doctrine et les règles de conduite des frères de la Rose-
Croix sont contenues dans le Manifeste dont nous avons parlé
et dans un autre petit livre intitulé la Confession de foi, qui
est annexé au précédent.
Bien qu'il n'ait jamais été possible de connaître exacte-
ment ce que renfermait le grand secret des Rose-Croix, on
pense qu'il portait sur ces quatre points : la Transmutation
des métaux ; — VArt de prolonger la vie pendant plusieurs
siècles; — la Connaissance de ce Jjui se passe dans les lieux
éloignés; — V Application de la cabale et de la science des
nombres à la décxmverte des choses les plus cachées.
Le nombre des frères de la Rose-Croix n'était que de quatre
au début de la confrérie, Rosenkreuz n'ayant dévoilé son
secret qu'à trois compagnons, ou, selon d'autres, à ses trois
fils. Leur nombre s'accrut bientôt jusqu'à huit. Ils étaient
tous vierges. Ces adeptes fondateurs se réunissaient dans
une chapelle appelée du Saint-Esprit, et c'est là qu'ils
distribuaient les enseignements et les avis aux nouveaux
initiés.
Une fois entrés dans le sein de la confrérie, les frères se
juraient une fidélité inviolable, et s'engageaient par serment
à tenir leur secret impénétrable aux profanes. Us ne se dis-
tinguaient les uns des autres que par des numéros d'ordre ;
individuellement ou collectivement, ils devaient se contenter
de prendre le nom de la confrérie, à l'exemple de leur pre-
mier fondateur, qui ne s'était jamais fait connaître que sous
le titre de frère illuminé de la R,-C. Cette manière de s'ab-
sorber dans la personne de leur maître montre assez dans
quelle union étroite ils. entendaient vivre avec son. esprit,
et combien ils étaient résolus à suivre fidèlement la règle
qu'il leur avait tracée, et dont voici les articles princi-
paux :
« Exercer la médecine charitablement et sans recevoir de personne
aucune récompense;
• Se vêtir suivant les usages des pa^s où Von ^e\xoivw«i\
266 HISTOIRE
c Se rendre, une fois tous les ans, au lieu de leur assemblée gé-
nérale, ou fournir par écrit une excuse légitime de son absence ;
c Clioisir diacun, quand il en sentira le besoin, c^est-à-dire quand il
scni au moment de mourir, un successeur capable de tenir sa place et
de le représenter ;
« Avoir le caractère de la R.-G. pour signe de reconnaissance oitre
eux et pour symbole de leur congrégation ;
c Prendre les précautions nécessaires pour que le lieu de leur sé-
pulture soit inconnu, quand il arrivera à quelqu'un d'eux de mourir
en pays étranger ;
• Tenir leur société secrète et cachée pendant cent vingt ans, et
croire fermement que, si elle venait à faillir, elle pourrait être réin-
tégi'ée au sépulcre et monument de leur premier fondateur *. »
Avec la stricte observation de c^ préceptes, dont Tappli-
cation ne présente, comme on le voit, que peu de difficultés»
les Rose-Croix se vantent d'obtenir des grâces et des facultés
telles que Dieu n'en a jamais communiqué de, semblables
à aucune de ses créatures. Les Rose-Croix affirment, par
exemple :
€ Qu'ils sont destinés à accomplir le rétablissement de toutes cho-
ses in un état meilleur, avant que la fin du monde arrive ;
c Qu'ils ont au suprême degré la piété et la sagesse, et que, pour
tout ce qui peut se désirer des grâces de la nature, ils en sont pai-
sibles possesseurs, et peuvent les dispenser selon qu'ils le jugent à
pro])Os ;
a Qu'en quelque lieu qu'ils se trouvent, ils cx)nnaissent mieux les
cliosos qui se passent dans le reste du monde que si elles leur étaient
présentes ;
« Qu'ils ne sont sujets ni à la (ium, ni à la soif, ni à la vieillesse,
ni aux maladies, ni à aucune incomniodifé de la nature ;
a Qu'ils connaissent par révélation ceux qui sont dignes d'être ad-
mis dans leur société;
c Qu'ils peuvent en tout temps vivre comme s'ils avaient existé dès
* G. Naudé, Instructions à la France sur la vérité de V histoire detfrèm
(le la Roie-Croiae.
DES TRAlfSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 267
c commencement du monde, ou s'ils devaient rester jusqu'à la fin
les siècles;
« Qu'ils ont un livre dans lequel ils peuvent apprendre tout ce qui
est dans les autres livres faits ou à faire ;
« Qu'ils peuvent forcer les esprits et les démons les plus puissants
de se mettre à leur service, et attirer k eux, par la vertu de leur
chant, les perles et les pierres précieuses ;
« Que Dieu les a couverts d'un nuage pour les dérober à leurs en-
nemis, et que personne ne peut les voir, à moins qu'il n'ait les yeux
plus perçants que ceux de l'aigle ;
c Que les huit premiers frères de la Rose-Croix avaient le don de
guérir toutes les maladies, à ce point qu'ils étaient encombrés par la
multitude des affligés qui leur arrivaient, et que l'un d'eux, fort versé
dans la cabale, comme le témoigne son livre H, avait guéri delà lèpre
le comte de Norfolk, en Angleterre;
• Que Dieu a délibéré de multiph'er le nombre de leur compagnie;
« Qu'ils ont trouvé un nouvel idiome pour exprimer la nature de
toutes les choses ;
f Que par leur moyen le triple diadème du pape sera réduit en
poudre ;
« Qu'ils confessent librement, et publient, sans aucune crainte d'en
être repris, que le pape est l'Antéchrist;
c Qu'ils condamnent les blasphèmes de l'Orient et de l'Occident,
c'est-à-dire de Mahomet et du pape, et ne reconnaissent que deux
sacrements, avec les cérémonies de la première Eglise, renouvelée
par leur congrégation ;
« Qu'ils reconnaissent la quatrième monarchie, et l'empereur des
Romains pour leur chef et celui de tous les chrétiens ;
• Qu'ils lui fourniront plus d'or et d'argent que le roi d'Espagne
n'en a tiré des Indes, tant orientales qu'occidentales, d'autant plus
que leurs trésors sont inépuisables ;
« Que leur collège, qu'ils nomment Collège du Saint-Espnty ne
peut soiiffrir aucune atteinte, quand même cent mille personnes l'au-
raient vu et remarqué ;
« Qu'ils ont dans leurs bibliothèques plusieurs livres mystérieux,
dont un, celui qui leur est le plus utile après la Rible, est le même
que le révérend Père illuminé R.-C. tenait en sa main droite après
8a mort;
268 HISTOIRE
« Enfin, qu'ils sont certains et assurés que la véiitë de leurs maxi-
mes doit durer jusqu'à la dernière période du monde ^. »
Voilà des grâces et des facultés bien miraculeuses assuré-
ment. Par malheur, les faits furent loin d*y répondre. L'his-
toire subséquente de la société des Rose-Croix fait assez voir
que toutes les propositions que nous venons d'énumérer
constituaient le programme des questions que la confrérie se
proposait de résoudre, et non le catalogue des choses qui se
trouvaient en son pouvoir.
On est fort en peine, en effet, quand on recherche les
merveilles que les Rose-Croix ont réalisées. Dans la méde-
cine, art qu'ils devaient pratiquer partout où ils se trou-
vaient, aux termes du premier commandement de leur
maître, la liste de leurs triomphes est bientôt épuisée. On a
déjà vu qh'ils se vantaient d'avoir guéri de la lèpre un
comte anglais. Ils prétendaient aussi avoir rendu la vie à
un roi d'Espagne mort depuis six heures. A part ces deux
cures, dont la seconde est sans doute un miracle, mais qui
a le défaut de n'avoir eu pour témoins et pour garants
qu'eux-mêmes, toute leur histoire médicale consiste dans
des allégations vagues et dans quelques faits insignifiants,
comme celui que Gabriel Naudé nous rapporte en ces
termes :
« Un certain pèlerin parut comme un éclair. Tan 1615, en une
ville d'Allemagne, et assista, en qualité de médecin, au pronostic de
mort d'une femme qu'il avait aidée et secourue de quelques remèdes;
il faisait mine d'avoir la connaissance des langues et beaucoup de
curiosité touchant la connaissance des simples ; il fit quelque relation
de ce qui s'était passé en ville durant le séjour qu'il avait fait à ce
logis ; bref, excepté la doctrine dans laquelle il cminait davantage,
il était en tout semblable à ce Juif errant que nous décrit Gayet en
son Histoire septénaire, sobre, taciturne, vêtu à la négligence, ne de-
* G. Naudé, Inttructions à la France sur la vérité de t histoire des frim
de la /tose-Croix.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 269
meurant Tolontiers longtemps en un même lieu, et moins encore de-
sircux d'être fréquenté et reconnu pour tel qu'il se professait, savoir,
troisième frère de la R.-C, comme il déclara au médecin Molthcrus,
lequel, pour en savoir peut-être autant que lui, ne put être si bien
persuadé d'ajouter foi à ses narrations, qu'il ne nous ait présenté cotte
histoire, et laissé libre k notre jugement de discerner si elle était
capable d'établir une preuve certaine de cette Compagnie*. »
Ce récit nous semble beaucoup plus vraisemblable que
celui d'un roi d'Espagne ressuscité. D'après leurs statuts, les
frères de la Rose-Croix ne pouvaient se dispenser d'exercer
la médecine, sauf à voir quelquefois les malades mourir en-
tre leurs mains, ainsi qu'il arrive aux médecins ordinaires.
Seulement, ce qui étonne ici, c*est qu'il soitjquestion de re-
mèdes. Bien que leur maître Paracelse soit parvenu à la
postérité pour avoir le premier mis en usage des médica-
ments héroïques inconnus aux galénistes, il se plaisait, dans
ses écrits, à répéter avec emphase que le vrai médecin tient
toute sa science de Dieu, et il recommandait, avant tout, en
médecine, l'emploi des moyens cabalistiques. Les Rose-Croix,
qui ne développaient que la partie thaumaturgique du sys-
tème de Paracelse, ne devaient donc invoquer auprès des
malades que des influences religieuses ou morales. Ils assu-
raient, en effet, qu'ils guérissaient toutes les maladies par
l'imagination et la foi ; un véritable Rose-Croix n'avait qu'à
regarder un malade atteint de l'affection la plus grave, pour
qu'à rinstanl même il fût guéri *. 11 nous semble donc que
le frère de la Rose-Croix, dans la consultation à laquelle il
prit part avec le médecin Moltherus, se mit en contradiction
avec les principes de son ordre, et c'est probablement pour
cela que la femme en question mourut.
Dans la philosophie hermétique, l'histoire des Rose-Croix
est encore moins riche de faits, s'il est possible. C'est là sur-
* G. Naudé, Irutructioru à la France,
* Spreogel, IKitùire de la médecine^ tome III.
270 fflSTOIRE
tout que la confrérie nous semble avoir opéré par imagina-
tion et en imagination. Ils se vantaient ncanfnoins de faire à
discrëtion de l*argent et de Tor, et Ton ne doutait pas en
Allemagne de leurs succès en ce genre. Par malheur nul té-
moin ne vient confirmer leurs assertions, et la même absence
(le renseignements se fait regretter quant aux lieux où leurs
projections furent exécutées, et quant à leur manière d'y
procéder. A défaut d'autres preuves, les richesses de la con-
frérie auraient pu servir de présomption en faveur de leurs
capacités hermétiques ; mais ces richesses sont aussi invisi-
bles que leurs personnes, et Tempereur dont ils parlent ne
parait pas avoir jamais reçu de leurs mains ces masses d'or
et d'argent qu'ils avaient promis de lui fournir. On objec-
tera peut-être qu'ils ont pu conserver leurs biens pour les
consacrer au service de la compagnie, et, avec ce levier,
exercer au dehors quelque action importante. Hais on ne
voit nulle part trace de cette action. Enfin, si les Rose-Croix
s'étaient réparti entre eux leurs trésors d'origine herméti-
que, ils auraient vécu avec magnificence. Or, tout au con-
traire, dans les rares endroits où Ton peut saisir leur pas-
sage, on les trouve presque toujours pauvres et malaisés.
C'est donc fort gratuitement que l'on a ajouté foi à la
science transmutatoire des Rose-Croix; toutes les preuves,
tous les monuments qui consacrent aujourd'hui leur habi-
leté dans la science hermétique, se réduisent à quelques
préfaces ou dédicaces d'écrivains dont la véracité est sus-
pecte.
De ce nombre était, par exemple, Michel Potier (Potmus)^
homme assez vain qui prétendait posséder les plus merveil-
leux secrets de la nature, et se plaignait d'être obligé de se
cacher pour éviter les obsessions des princes, tous désireux
de l'attacher à leur cour. 11 se vantait de posséder la pierre
philosophale, et offrait néanmoins d'en communiquer la
recette moyennant salaire, contradiction aussi étonnante
que commune cUei \ç^ xAvUoso^^Ues faiseurs d'or. Aussi Mi-
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 271
chel Potier, en dédiant aux Rose-Croix, avec beaucoup d'é-
loges de leur science, son livre de la Philosophie pure y nous
donne-t-il à penser qu'il ne fut inspiré en cela que par le
désir de faire croire au public qu'il tenait de cette confrérie
célèbre les secrets qu'il voulait exploiter.
Michel Hayer célébra également les Rose-Croix dans son
livre intitulé : la Vraie découverte ou bienfaisante mer-
veille trouvée en Allemagne et communiquée à tout Vu-
nivers *. Mais, dans cet ouvrage, l'auteur, se bornant à ré-
péter les paroles et les promesses de ceux qu'il préconise,
n'est que le simple écho du Manifeste et de la Confession de
la confrérie.
A ces deux autorités on pourra, si on le désire, en ajou-
ter une troisième du môme poids, celle de Combach, philo-
sophe péripatéticien, qui, pour exploiter la vogue dont jouis-
saient les Rose-Croix, leur adressa une préface en tète de sa
Métaphysiqtie.
Ainsi les preuves de fait, les témoignages sérieux, man-
quent complètement pour établir que les Rose-Croix se sont
adonnés avec succès à Tœuvre de la transmutation métalli-
que. Pour croire qu'ils ont fait de l'or, on n'a d'autre raison
qu'un argument de logique, qui se trouve même n'être
qu'une pétition de principe : c'est que, possédant, d'après
leur profession de foi, toutes les facultés que Dieu accorde
aux hommes, et même quelques-unes au delà, ils devaient
néoessairement posséder le pouvoir d'agir triomphalement
sur les métaux.
Jetons un coup d'œil sur les progrès de la société des Rose-
Croix dans quelques parties de l'Europe.
C'est en Allemagne qu'elle trouva le plus grand nombre
de ses adeptes et le public le plus crédule à ses promesses.
Elle ae fit, en Angleterre, qu'une seule conquête, mais cette
* Yerum invêntum, seu munera Germania, ab ipsa primitus reperta^ et
toti orbi eommunicata.
272 UISTOIUE
conqiiôto ctait de promier ordre. Robert Fludd, médecin à
liondres, hoinmo. trcs-savant et surtout très-grand écrivain,
embrassa avec ardiMir la théosophie de cette secte. Étendant
ses principes beaucoup plus qu'on ne Favait fait jusque-là,
il les appliqua à toutes les branches des connaissances bo-
niainos. lie théosophc anglais restait néanmoins fidèle aux
principes du christianisme, car il assurait que les Rose-
Croix tiraient leur nom de la croix m\'stique de Jésus-
Christ, qui fut teinte de son sang rosé, et avec laquelle on
parvient à posséder tous les arts imaginables et une sagesse
infinie.
Le système de la confrérie des Rose-Croix pénétra en Ita-
lie; mais il y trouva peu de sectateurs, bien qu'il s'y pré-
sentât dépouillé en partie des aberrations mystiques dont
Tesprit allemand l'avait embarrassé. Quant à TEspagne, elle
avait affaire à une secte d'illuminés tirée de son propre
fonds, les AlombradoSy qui avaient surgi presque en môme
temps que les Rose-Croix. On confondit quelque temps ces
deux sectes, qui cependant, comme on le reconnut plus
lard , différaient entre elles et par leur origine et par leur but.
En France, les Rose-Croix apparurent un peu tard, et
s'éclipsèrent après une courte mystification dont ils furent
victimes bien plus que le public.
Il y avait plus de dix ans que cette confrérie étourdissait
l'Allemagne, lorsque, en 1622, on lut Tafficho suivante sur
les murs de Paris :
« Nous, DEPUTES DU COLLÈGE PRINCIPAL DE3 FRÈRES DE LA RoSE-GrOIX,
faisons sejour visible et invisible en cette ville, par la grace du
Très-Haut, vers lequel se tourne le cœur des justes. Nous montrons
ET enseignons SANS LIVRES M MARQUES A PARLER TOUTES SORTES DE UX-
GUES DES PAYS OU NOUS VOULONS ÊTRE, POUR TIRBR LES HOMMES, NOS SEM-
BLABLES, D*ERREUR ET DE MORT. 9
Cette affiche excita une certaine curiosité. On se montra
quelque \)0\i Aô^wowx de connaître ces ôtres invisibles sur
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 273
lesquels on discutait si chaudement sur la rive droite du
Rhin, et qui étaient célébrés dans des milliers de brochures
rapportées de la foire de Francfort. Il était bien visible ce-
pendant que le public n'ajoutait aucune foi aux promesses
de cette singulière annonce. Cet échec dans Topinion éprouvé
par les Rose-Croix, ce fiasco, comme on dit aujourd'hui,
valut aux Parisiens une seconde affiche publiée dans la
même année, ainsi conçue :
« S'il prend envie a quelqu'un de nous voir, par curiosité seule-
ment, IL NE COMIIUKIQUERA JAMAIS AVEC NOUS ; MAIS, SI LA VOLONTE LE
PORTE RÉELLEMENT ET DE FAIT A s'iNSCRlRE SUR LE ItEGISTRE DE NOTRE
CONFRATERNITÉ, NOUS QUI JUGEONS DES PENSEES, LUI FERONS VOIR LA VÉ-
RITÉ DE NOS PROMESSES *, TELLEMENT, QUE NOUS NE METTONS POINT LE LIEU
DE NOTRE DEMEURE, PUISQUE LES PENSÉES, JOINTES A LA VOLONTÉ RÉELLE
DU LECTEUR, SERONT CAPABLES DE NOUS FAIRE CONNAITRE A LUI ET LUI A
NOUS. »
Le public manifesta cette fois la même incrédulité avec
une dose beaucoup moindre de curiosité. On se dispensa
d'entreprendre des recherches qui eussent fait trop de plaisir
à des gens si désireux de rester introuvables. Disons môme
qu'aux yeux de beaucoup de personnes les deux placards
parurent plutôt Fœuvre de quelque plaisant, qui avait voulu
mettre en campagne les oisifs et les bavards, que le prospec-
tus d'une véritable députation des Rose-Croix. Naturellement
positif et enclin à la critique, l'esprit français ne se laisse
pas aussi facilement amorcer à l'appât du mystère que les
bonnes âmes du pays d'outre-Uhin. Il faut ajouter d'ailleurs
que partout, et même en Allemagne, les Rose-Croix com-
mençaient à cette époque à perdre de leur prestige. En Al-
lemagne, plusieurs avaient été condamnés aux galères;
(luclques-uns même avaient été pendus pour des méfaits que
les auteurs ne spécifient pas, mais qui consistaient sans doute
dans un exercice indiscret de la faculté d'attirer à eux les
perles et les pierres précieuses. Bref, tout l'honneur cyic U
294 BiSTOtRB
(M)nfrërie put obtenir en France, ce fut d'être jouée, Tannée
suivante, sur le théâtre de Thôtel de Bourgogne, dans une
pièce ([ul n'eut pas même l'esprit de se faire applaudir. 11
était impossible de tomber plus complètement de toutes les
manières.
Si maltraités par Tindifférence publique, les Rose-Croix
trouvèrent cependant en France une compensation qui n'é-
tait pas à dédaigner. Trois jésuites écrivirent sur eux ou con-
tre eux : le père Gaultier, le père Robert et le père Garasse.
Les deux premiers soupçonnent a que c'était plutôt une co-
Ki hue d'anabaptistes qu'une troupe de magiciens. )) Garasse,
théologien zélé, trouva qu'il fallait ranger les Rose-Croix
dans la bande dt's libertins, mot qui, dans sa langue et dans
celle de l'époque, signifie athée, ou peu s'en faut.
Quoi qu'il en soit des opinions de ces trois pères, c'é-
taient bien des doctrines religieuses et morales qui devaient
particulièrement caractériser les Rose-Croix ; tout le reste
de leur programme, sans en excepter même la transmuta-
tion des métaux, était fort secondaire. Leurs idées, sous le
rapport religieux et moral, peuvent se résumer en peu de
mots.
Les Rose-Croix annoncent, dans leur Confession de foi,
que la fin du monde approche, et que bientôt l'univers su-
bira une réformation générale dont ils se regardent comme
les agents prédestinés. Mais' pour préluder à cette grande
restauration, ils doivent commencer par en opérer une du
même ordre dans la religion et la morale, sans se préoccu-
per, malgré leur titre, de la croix du Christ, ni de la Bible,
dont ils font cependant dériver toutes les sciences, précau-
tion oratoire bonne à prendre à cette époque, même hors
des pays d'inquisition. La vérité est qu'en religion les Rose-
Croix étaient des libres penseurs qui se croyaient et devaient
se croire supéri(3urs à toute révélation, puisqu'ils préten-
daient communiquer avec Dieu même, soit directement, suit
ind irectementi car V*ml^rcELèÔA^vt^^^\a.\vièA.\Li:e4
IHSS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 275
Ce (qui arrêta, et ce qui devait naturellement arrêter les
progrès de cette secte théosophique, ce fut la réformation
religieuse qui était déjà accomplie au commencement du
dix-septième siècle. L'institution du protestantisme ayant
paru suffisante pour Tétat des esprits, force fut aux Rose-
Croix de renoncer ou de surseoir aux réformes qu'ils avaient
méditées, à cette médecine universelle qui devait guérir et
consoler le monde. Ainsi la matière vint à manquer à Tœu-
vre de la confrérie, et c'est là, nous le croyons, la raison qui
explique sa disparition subite. Après cette époque, il resta
sans doute, comme il y aura dans tous les temps, des esprits
adonnés individuellement aux spéculations théosophîques;
mais, à dater de ce moment, il n'y eut plus, à proprement
parler, de secte ou de confrérie des Rose-Croix. Quinze ans
après la publication de leur manifeste, on ne parlait plus
d'eux, et l'on était comme honteux d'avoir ajouté foi à leur
existence. Lorsque, en 1630, Pierre Mormius tenta de les
ramener sur la scène, les états généraux de Hollande, aux-
quels il s'adressa, ne daignèrent pas même Técouter. II se
trouva que l'Europe s'était débarrassée des Rose-Croix par
l'indifférence et sans autre persécution que le ridicule. Or,
pendant le môme temps, les Alombrados étaient, en Es-
pagne, dans tout l'éclat de leur règne, bien que l'inquisition
n'eût cessé de les traquer et de les brûler en l'honneur de
la foi. Un tel rapprochement aurait bien dû faire penser,
dès cette époque, qu'en pareille matière il n'est rien de
plus sage, de plus humain ni de plus expëditif que la to-
lérance.
276 DISTOIRE
CHAPITRE VI
pdiulItue
Ia) personnage dont nous allons nous occuper apparaît
dans I histoire de ralchimie comme rhéritier et le digne
successeur du Cosmopolite. Né en 1612, par conséqaeDthuit
ans après la mort de ce dernier, il se fait son continuaUmr,
par un zèle ardent de prédication et de propagande alchimi-
()uc, en même temps que, par d'autres cotés, il semble se
rattacher à la secte des théosophes et des illuminés du dix-
septième siècle.
Hais, si Ton est parfaitement fixé sur ce que veut cet
adepte, on ne sait d'où il vient ni où il va, et sur ces deui
points il faut presque s*en tenir aux termes vagues [wr les-
quels Schmieder nous annonce sa venue : « 11 y eut alors,
(( nous dit récrivain allemand, une apparition miraculeuseà
« Touest de l'Europe! » Quant au lieu et à Tépoquecùcet
adc[»te a fini sa carrière, c'est ce que personne n'a jamais pu
découvrir; aussi les Allemands ont-ils eu beau jeu à termi-
ner en légende une histoire qui se prolonge naturellement
de tout ce que l'imagination veut y ajouter, et qui, après
plus de deux cents ans, n'est pas encore connue.
Philalèlhe nous apprend lui-môme qu'en 1645, lorsqu'il
écrivait le plus important de ses ouvrages*, il était dans la
ircnle-troisième année de sa vie. Il était donc né en 1612;
mais dans ((uel pays? On croit généralement quec'est en An-
gleterre. Son véritable nom est encore un problème assez dif-
* Introitus aperlut ad occlutum reqit ^latium.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 277
licile. D'après Wedel, il se nommait Thomcus de Vaughan,
qui, avec une légère variante, devient Th. Vagan dans Len-
glet du Fresnoy. Suivant Herthodt, c'est Childe. D'autres
prétendent qu'en Amérique il se nommait le docteur Zkeil,
et que c'est le même personnage qui, dans l'année 1656,
vint en Hollande sous le nom de Camobe. La nécessité de se
cacher pour éviter les persécutions auxquelles il fut en butte
amena sans doute notre adepte à prendre successivement ces
différents noms. Toutefois c'est le premier que le plus grand
nombre des historiens admet comme le véritable. On se fonde
sur ce qu'il existait alors dans le pays de Galles une famille
de ce nom, dont un des membres, John Vaughan, fut lord
et pair du royaume en !620, et un autre, Robert Vaughan,
qui étudiait à Oxford en 1612, se distingua comme anti-
quaire.
Ce n'est point cependant sous son nom de famille que cet
adepte est connu dans les fastes de l'art. A l'exemple du Cos-
mopolite, il avait adopté un pseudonyme sous lequel tous
ses autres noms se sont effacés dans l'histoire. Il se faisait ap-
peler Philalêthe, c'est-à-dire ami de la vérité, avec le pré-
nom à'Irénée, qui signifie \e pacifiqtLe. On croit, d'après la
tradition plutôt que sur des témoignages certains, que, dans
sa jeunesse, Philalôthe fit de nombreuses projections en An-
gleterre, et on apprend de la même manière que, dès le
commencement de ses essais, il était obligé de se cacher avec
des précautions infinies.
C'est un écrivain anglais, Urbiger, qui seul se porte ga-
rant des prouesses hermétiques accomplies par Philalètlie
dans sa jeunesse. Urbiger nous assure, le tenant, s'il faut
l'en croire, du roi lui-même, que Charles II fut informé par
la Yoix publique qu'un jeune adepte, son sujet, faisait beau-
coup de bruit dans ses États par le nombre et Téclat de ses
projections*. Mais lorsque Charles II monta sur le trône,
* Urbiger, Confutea.
]
278 HISTOIRE
en 165îf[ Philalèthe avait quarante-sept ans; ce n'était donc
|»as le jeune adepte, tel que Urbiger nous le représente,
excitant la convoitise des Anglais par le nombre et Téclat de
SCS projections*.
Tous les historiens s'accordent à dire que la teinture de
Philalèthe surpassait en puissance toutes celles qu'on avait
vues jusqu'alors, ou ([ui pouvaient se trouver entre les mains
des autres adeptes du dix-septième siècle. Un seul grain
jeté sur une once de mercure le changeait en or, et si on
jetait cette once de métal transformé sur une quantité dii
fois plus grande de mercure, il se produisait une teinture
qui pouvait encore anoblir dix-neuf mille parties de métal.
Ce chiffre s'cloignant très-peu du résultat que Van Helmont
obtint dans In fameuse projection par laquelle il fut converti
à la philosophie hermétique, on en a inféré que Tadepte in-
' Urbiger commet une erreur du même genre lorsqu'il nous cite en-
core Charles II comme ayant parlé d'une mésaventure que Philalèthe ra-
conte lui-même, mais qu'il dit très-explicitement lui être arrivée hors
d'Angleterre. Après avoir énuméré tous les dangers auxquels les adeptes
sont exposés par lu quantité ou la trop belle qualité des métaux procieui
qu'ils produisent : « ^ous l'avons éprouvé nous^mêmc, ajoute Philalèthe,
lorsque, dans un pays étranger f nous nous présenlâoies , déguisé eu
marchand, pour vendre \,''20O marcs d'argent très-fin, car nous n'avions
t»sé y mettre de 1 alliage, chaque nation ayant son titre particulier,
qui est connu de tous les orCévrcs. Si nous avions dit que nous l'avions
fait venir d'ailleurs, ils en auraient demandé la preuve, et par précaution
ils auraient arrêté le vendeur, sur le soupçon que cet argent aurait été
fait par art. Ce que je marque ici m'est arrivé à moi-même ; et, quand je
leur demandai à quoi ils connaissaient que mon argent était de chimie,
ils me répondirent qu'ils n'étaient point apprentis dans leur profession,
qu'ils le connaissaient à l'épreuve, et qu'ils distinguaient fort bien l'ar-
gent qui venait d'Espagne, d'Angleterre et des autres pays, et que
celui que nous présentions n'était au titre d'Etat connu. Ce discours me
lit évader furtivement, laissant et mon argent et la valeur sans jamais la
réclamer. »
(l.e Véritable Philalèthe ou V Entrée ouverte au palais fermé du roi, en
latin et en françaisy chap. xui , numéro 11 ; dans \U\&toire de la philoso-
phie /lermétique, ipwc Lwv^V^V vIvjl Fvesnoy, tome II, p. 93).
DES TRANSMDTATIONS MÉTALLIQUES. 279
connu de qui le savant Hollandais avait reçu la petite quan-
tité de poudre dont il se servit, était Philalèthe lui-même.
Cette conjecture est fortifiée par une assertion positive de
Starkey, ami et disciple de Philalèthe.
La transmutation opérée chez Van Helmont n'est point la
seule que Ton ait attribuée à Philalèthe. Les événements du
même genre arrivés vers la même époque à Bérigard de Pise,
à Gros et à Morgenbesser, ont été mis sur le compte de cet
adepte, d'après des présomptions plus ou moins fondées.
Mais si Philalèthe eut quelque entrevue avec Van Helmont,
Bérigard de Pise, Gros ou Morgenbesser — et avec beaucoup
d'autres qui, sans être adeptes eux-mêmes, ont fait des trans-
mutations au moyen d'une poudre qui leur fut remise par
un inconnu, — ce ne peut être qu'après son retour du long
voyage qu'il exécuta dans des contrées très-éloignées. Em-
porté par son zèle ardent de propagande alchimique, Phila-
lèthe s'était, en effet, rendu en Amérique, où il passa plu-
sieurs années de sa vie. Suivant Lenglet du Fresnoy, il fit
très-jeune ce voyage ; son séjour dans l'autre hémisphère
fut marqué par des faits qui constituent la seule partie un
peu historique de sa biographie.
Dans l'Amérique anglaise, Philalèthe se lia avec un de ses
compatriotes, l'apothicaire Starkey, chimiste dont le nom a
survécu, grâce à sa découverte du savon de térébenthine.
Philalèthe travaillait dans son laboratoire, et, opérant en
grand, il produisait, dil-on, d'énormes quantités d'or et d'ar-
gent. Il en fit plusieurs fois présent à l'apothicaire et à son
fils, Georges Starkey. De retour dans la mère patrie, ces der-
niers n'oublièrent pas le grand artiste, et dans un ouvrage
imprimé à Londres, ils publièrent tous les détails et les in-
cidents d'une liaison qui les honorait. Us ne furent peut-être
discrets que sur la manière dont cette liaison s'était rompue-,
mais on peut aisément suppléer à leur silence.
Philalèthe était un homme simple et rangé, de mœurs
honnêtes et d'habitudes frugales; aussi n'a-X-0T^\^\s\m\À^Ti
280 HISTOIRE
compris pourquoi il fabriquait tant d'or, n*en ayant aucun
besoin pour lui-railme, et craignant toujours de s'attirer des
persécutions en excitant Tenvie. Il avait reconnu que Star-
key en usait tout autrement, et se pressait de dépenser en
débauches tout Tor qu'il lui donnait. Cette conduite inspira
des alarmes à notre philosophe, qui se hâta de disparaître.
Quelques auteurs attribuent sa fuite à une légèreté du fils de
Tapothicaire. Ce jeune homme, trôs-aimé de Tadepte, ayant
reçu de lui deux onces de teinture blanche, n'aurait pas su
conserver ce secret. Ces deux versions n'ont rien, d'ailleurs,
de contradictoire : Philalèthe a pu ôtre amené à se séparer
des Starkey tout à la fois par les folles dépenses du père et
par la vanité babillarde du fils. Après s'être séparé ainsi de
ses compatriotes, notre adepte ne tarda guère à quitter TA-
mérique*.
Si ce que Fou raconte de Philalèthe, depuis sa naissance
jusqu'à son départ du continent, ne repose, comme nous
l'avons déjà dit, que sur une tradition fort vague, ses aven-
tures après son retour ne sont guère mieux connues. On ne
le suit qu'à la trace de sa poudre. Los écrivains qui se sont
occupés de lui supposent son passage ou sa présence dans
tous les lieux de rHurope où il s'est fait quelque projection.
Mais bien souvent ces opérations accuseraient tout au plus
l'emploi de ses dons ou ceux de quelque autre artiste no-
made.
A cette époque, en effet, plusieurs de ces généreux prati-
ciens voyageaient en Europe, et Van Helmont nous assure,
par exemple, qu'il reçut de la poudre philosophale de deux
' Ce séjour de Philalôthc en Amérique est parfaitement établi. Outre
le témoignage de Starkey, on peut ciler encore à ce propos Michel Faus-
tius. Ce médecin philosophe, à qui Ton doit une bonne édition du prio*
"-nal ouvrage de Philalèthe, assure avoir connu plusieurs Anglais qui
lient trouvés à cette môme époque en correspondance avec l'adepte.
n, une des gloires de l'Angleterre, le savant Boylc, fut aussi en cob-
Cè de \eUrca el lutm^ «itv t«\tvUot\s d'amitié atec Philalèthe.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 281
inconnus qui en possédaient assez, Tun pour faire vingt
tonnes d*or, l'autre pour en faire deux cent mille livres!
C'est d'après de tels indices qu'on fait errer Philalèthe en
France, en Italie, en Suisse, en Allemagne et jusque dans
les Indes orientales*. C'est encore sur ces preuves fort indi-
rectesrqne Ton s'appuie pour faire du même adepte le héros
de l'aventure arrivée en 1666 à Helvétius, dans la ville de la
Haye, et que nous avons rapportée en son lieu. On se fonde,
pour lui attribuer cette dernière transmutation, sur une af-
firmation de Tadepte, qui, ouvrant devant Helvétius la boîte
qui renfermait sa poudre, assura que cette poudre suffisait
pour faire vingt tonnes d'or, c'est-à-dire exactement le chif-
fre déclaré par Tun des inconnus auquel Van Helmont
avait eu affaire*. Tout ce que Ton peut affirmer, c'est qu'en
1666 Philalèthe remit un de ses écrits à Jean Lange, qui
s'en fit le traducteur.
Il est donc suffisamment établi qu'à cette date de 1666
Philalèthe avait reparu en Europe. Rien n'empêche plus, dès
lors, d'admettre qu'il ait fait des projections on Angleterre
sous le règne de Charles II. Seulement ce qui a lieu d'éton-
ner, eu égard aux habitudes des princes de ce temps, c'est
que ridée ne soit point venue à Charles II de mettre en logo
un artiste tel que Philalèthe. Le Stuart restauré, prince pro-
digue et si mal en finances, que, pendant tout son règne, il
fut le pensionnaire de Louis XIV, a droit à nos éloges pour
s'être abstenu d'exploiter à son profit un philosophe hermé-
tique, capable de lui faire en un quart d'heure cent fois plus
d'or qu'il n'en retira de Dunkerque vendu à la France.
C'est probablement à la prudence extrême qu'il apportait
dans sa conduite que Philalèthe dut le privilège d'échapper
à l'attention de son souverain. Ce que cet adepte redoutait
avant tout, c'était la persécution dont plusieurs de ses con-
« Morfaof.
■ Soh, Frederici Helvetii vituîus aureus; Hagro, AOGT.
983 ffISTOIRE
frères étaient devenus avant lui les victimes. Différant en
cela de son prédécesseur Alexandre Sethon, il n'avait aucun
goût |>our le martyre philosophique, et n'oubliait aucune
des prt^utions nécessaires pour l'esquiver. Toujours fugi-
tif, partout se cachant comme un proscrit, il dissimulait,
sous les apparences de la pauvreté, les immenses richesses
qu*il créait, chemin faisant, par son art miraculeux. Cette
préoccupation continuelle de dérober sa vie aux regards
indiscrets se montre à chaque instant dans ses écrits, el
Ton comprend assez, en lisant les nombreux passages de
Vlntroïtns, où il raconte son existence errante, les motifs
qui Tobligeaient à envelopper ses actions d'un mystère
continuel. Citons Tun des passages les plus significatifs sous
ce rapport :
« Plut à Dieu, s*écrie-t-il, que For et Fargent, ces idoles du genre
humain, fussent aussi communs que le fumier ! Noos ne serions pis
obligé de nous cacher, nous regardant comme si nous étions diargé
de la malédiction de Gain. Il semble que je sois obligé de fuir la pr^
sence du Seigneur; dans une crainte continuelle, je suis privé de la
douce socii'tô de mes anciens amis. Et, comme si j'étais agité par les
furies, je ne me croLs en sûreté dans aucun lieu, et je me vois sou-
vent contraint, à rexemplc de Gain, de porter ma voix vers le Sei-
gneur, en disant avec douleur :
« Ceux qui me rencontreront me feront mourir.
« Errant de royaume t^n royaume, sans aucune demeure assurée,
à peine osé-je prendre soin de ma famille, et quoique je possède
tout, je suis obligé de me contenter de peu. Quel est donc mon bon-
heur, si ce n'est une simple idée? Idée, à la vérité, qui donne une
gî-ande satisfaction à mon esprit. Gcux qui n'ont pas la parfaite con-
nuissanc^; de cet art se flattent qu'ils feraient beaucoup de choses s'ils
le savaient. Nous avons autrefois pensé de même; mais nous sommes
devenu plus circonsiuict par les dangers que nous avons courus. C'est
ce qui nous a fait embrasser une voie plus secrète. Quiconque est
échappé du péril de la mort deviendra plus prudent le reste de sa
vie*. »
* Le Véritable Pli\laUll>f ou VEnttw oxwowVt «m Yilaii fermé du roi, en
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 285
Et plus loin :
c On ne saurait faire seul ce que Ton souhaite, pas même dans les
ceuTres de miséricorde, sans ^se mettre en danger de la vie. Je Tai
éprouvé depuis peu dans les pays étrangers, où, m'étant hasardé de
donner une médecine à des moribonds abandonnés des médecins, ou
k d'autres malades réduits à de fâcheuses extrémités, par une espèce
de miracle, ils ont recouvré la santé. A Tinstant ces guérisons ont
tsài du bruit, et Ton a publié que c'était par Télixir des sages, de ma-
nière que plusieurs fois je me suis trouvé dans l'embarras, obligé de
me déguiser, de me faire raser la tête pour prendre la perruque, de
changer de nom et de m'évader nuitamment ; sans quoi je serais tombé
entre les mains des méchants, ou des gens malintentionnés que la
passion de l'or portait à me surprendre, sur le seul soupçon que j'avais
le secret d'en faire. Je pourrais raconter beaucoup d'autres incidents
pareils qui me sont arrivés *. »
Cependant, grâce à ses constantes et sages précautions,
Philalèthe réussit à éviter toutes ces embûches, et les ouvra-
ges qu il composa sont presque une preuve qu'il put jouir
dans sa vieillesse de la tranquillité qu'il avait tant désirée.
De tous ces ouvrages, le plus précieux à consulter, celui
que nous avons invoqué déjà, Vlntroïttis, est le seul dans
lequel Fauteur se soit peint, et qui nous dévoile Thomme en
même temps que Tadepte. C'est à cette source qu'il faut s'a-
dresser pour connaître le caractère et les sentiments philo-
sophiques de Philalèthe.
Le grand secret possédé et exploité par cet adepte paraît
avoir été la pierre philosophale, employée tout à la fois
comme agent de transmutation métallique et comme méde-
cine universelle. Philalèthe exerçait l'art de guérir au moyen
de sa poudre philosophale. Il suivait en cela l'exemple de
beaucoup d'alchimistes, et particulièrement celui des théo-
sophes de l'école de Paracelse. Ce n'est pas là, d'ailleurs, le
latin et en français^ chap. xm, numéros 2 et 5, dans VHistoire de la phi-
loiophie hermétique de Lenglet du Fresnoy, tome II, pages 79-81 .
« Chap. xm, n' 4.
284 UISTOIRE
soûl trait de ressemblance que Ton trouve entre Philalèthe
et les Rose-Croix. Sans les nommer, il se rencontre si sou-
vent et môme si littéralement avec eux, qu'on pourrait le
prendre pour un membre de leur confrérie-. Comme les frères
de la R.-C, il parle de cet Élie^ artiste dont Paracelse a pré-
dit Tavénement et les miracles.
a J'annonce, nous dit-il, toutes ces choses aux hommes comme un
prédicateur, afin qu'avant de mourir je puisse encore n^être pas inu-
tile au monde. Soyez, mon livre, soyez le précurseur (TÉlie, pré-
parez la voie du Seigneur*. »
« Vous n'avez pas lieu de m'accuser de jalousie, parce que j'écris
avec courage, d'un style peu commun, en rhonneur de Dieu et pour
Tutilité du prochain, et pour lui faire mépriser le monde de ses ri-
chesses : parce que déjà l* artiste Elie est né, et Ton dit des choses
admirables de la cité de Dieu*. »
On sait que cet Élie artiste, prédestiné à accomplir, h
plus li^urcuse comme la plus radicale de toutes les révolo.
lions, non-seulement dans le monde hermétique, mais dans
toute la nature morale et matérielle, était, selon la préten-
tion dos Rose-Croix, un Messie collectif qui avait pris pour
corps mystique leur confrérie môme. La cité de Dieu était
Tunivers transformé par Élie, et dont Philalèthe parle en ces
termes magnifiques :
« Quelques années encore, et j'espère que l'argent sera aussi mé-
prisé que les scories, et qu'on verra tond)er en ruines cette bête con-
traire à l'esprit de Jésus-Glirist. Le peuple en est fou et les nations
insensées adorent comme une divinité cet inutile et lourd métal. Est-
ce là ce qui doit senir à notre prochaine rédemption et à nos espé-
rances futures? Est-C(i par là que nous entrerons dans la nouvelle Jé-
rusalem, lorsque ses places seront pavées d'or, lorsque des perles e!
des pierres précieuses formeront ses portes, et que l'arbre de vie
placé au milieu du paradis rendra par ses feuilles la santé à tout le
genre humain ?
* UEntrée ouverte, chap. xni, n" ^5.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 285
« Je prévois que mes écrits seront aussi estimés que Tor et Tar-
gcnt le plus pur, et que, grâce à mes ouvrages, ces métaux seront
aussi méprisés que le fumier. Croyez-moi, jeunes hommes, et vous,
vieillards, le temps va bientôt paraître. Je ne le dis point par ime
imagination vainement échauffée, mais je vois en esprit que tous, tant
que nous sommes, allons nous rassembler des quatre coins du monde ;
alors nous ne craindrons plus les embûches que Ton a dressées contre
notre vie, et nous rendrons grâces à Dieu, Notre-Seigneur. Mon cœur
me fait pressentir des merveilles inconnues. Mon esprit me fait tres-
saillir par le sentiment du bien, qui va bientôt arriver à tout Israël,
le peuple de Dieu^. »
Philalèlhe avait un esprit très-religieux : on a prétendu
qu'il était catholique, ce qui expliquerait pourquoi il aurait
choisi la France pour son dernier asile, ainsi que quelques-
uns l'ont avancé. On a vu, par une des citations rapportées
plus haut, qu'il rendait en termes généraux hommage à la
religion du Christ. Dans aucun autre endroit de ses écrits
il n'est plus explicite, et le christianisme, qu'il professe,
s'allie môme avec un intérêt très-tendre et très-fréquemment
manifesté pour les Israélites. Nous avions déjà remarqué la
même particularité dans Nicolas Flamel, dont Philalèthe se
rapproche d'ailleurs beaucoup par l'honêteté des mœurs, la
modestie des goûts, la sobriété du régime, et surtout par ce
trait frappant, que tous les deux auraient voulu multiplier
la masse des métaux précieux, afin de les avilir, et, par l'ab-
sence des richesses représentatives, ramener les hommes à
l'antique simplicité de la vie des patriarches.
VlntroUus apertus ad occlusum régis palatium, ou V En-
trée ouverte au palais fermé du roi, considéré comme ou-
vrage de philosophie hermétique, n'est pas seulement le
plus important de tous ceux de l'auteur, c'est encore, dans
l'opinion des adeptes, le plus savant, le plus systématique
et le plus complet que cette science ait produit. Tout le pro-
* V Entrée ouverte^ chap. xiii, n«* 31 ol 32,
286 HISTOIRE
cédé de la pratique de Talchimie s'y trouve décrit avec exac-
titude. Toutefois, avons-nous besoin de le dire? une lacune
s'y fait sentir, et c'est la môme que l'on regrette dans tons
les autres livres hermétiques : on y cherche en vain l'indi-
cation de la recette pour obtenir le premier agent, ce mercure
des philosophes, qu'il faut d'abord se procurer pour fabriquer
artificiellement de l'or. Les amateurs prétendent, à, la vérité,
que ce premier élément se découvre sans peine par la seale
description que Philalèthe nous en a laissée. Hais comment
donc alors les adeptes ont-ils si peu découvert ou si mal em-
\)\oyé ce mercure des philosophes depuis qu'on multiplie pour
eux les éditions de Vlntroîtus?
Quelques auteurs ont dit que Philalèthe avait d'abord écrit
cet ouvrage en français; mais l'opinion la plus commune est
qu'il le composa en anglais. C'est celui que Lange reçut de
sa main et traduisit en langue latine.
Les autres ouvrages de Philalèthe sont : la Métamorphose
des métaux, publiée en latin par Martin Birrius et imprimée
dans la Bibliothèque chimique de Hanget. On en fit paraître
une nouvelle édition à Hambourg, sous le titre de Abyssui
alchimix exploratus, par Thomas de Waghan.
Forts chimicx veritatis, et Brevis... cœlesteus, sontdeui
traités également publiés par Birrius et recueillis dans la
Bibliothèque chimique de Bfanget. On prétend que les trois
derniers ouvrages que nous venons de citer sont des produits
de la jeunesse de Philalèthe, et que, depuis, il voulut, mais
trop tard, les faire disparaître, à peine livrés à l'impression.
Enfin, on a de lui un commentaire sur une lettre de Tal-
chimiste George Ripley à Edouard IV, roi d'Angleterre.
Cet opuscule n'est qu'une sorte d'appendice à Vlntrmtus.
DE TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES 287
CHAPITRE VII
LASGARIS ET SES ENVOYÉS
Nous avons vu, dés les premières années du dix-sep-
tième siècle, des adeptes parcourir l'Europe, non plus,
comme auparavant, pour y enseigner la composition de la
pierre philosophale, mais pour démontrer, par des actions
bien positivement merveilleuses, la réalité d'une science dont
ils entendaient se réserver le principal secret. De cet œuf
fhilosophiqm, si longuement couvé dans les laboratoires des
siècles précédents, \g poulet semblait à la fin éclos. Bien qu'en
petit nombre, les souffleurs qui avaient réussi à parachever
le grand œuvre auraient suffi pour enrichir ou pour ruiner
le monde; mais la plupart ne voulaient que le convertir.
Ils employaient pour cela les preuves de fait, plus puissantes
sur les esprits que toute démonstration scientifique. S'ils
réclamaient la foi, ils ne la demandaient qu'au nom des
miracles qu'ils savaient accomplir; et pour mieux convain-
cre les incrédules, ils faisaient, le plus souvent, opérer ces
miracles par des mains étrangères; puis ils s'éclipsaieut au
plus vite, après avoir toutefois distribué sur place le produit
de ces démonstrations pratiques, signalant ainsi leur passage
par une traînée d'or.
Ainsi s'étaient comportés Alexandre Sethon, Philalèthe,fet
plusieurs autres personnages moins célèbres dont nous n'a-
vons pas retracé les biographies, pour éviter de tomber dans
des redites. Cet apostolat se continue dans le dix-huitième
siècle, mais sous les auspices et par les ordres d'un seul
2^ UiSTOIRB
lioinme, qui semble l'organiser, l'étendre et le diriger en
maître souverain. Lui seul possède le grand secret de l'art;
par ses mains, et non par d'autres, se distribuent les pou-
dres ou teintures qui changent les métaux vils en métaux
jprécieux; et ces dons que nul n'obtient de lui qu'à titre de
missionnaire de la science hermétique, il les mesure, non
aux désirs de quelque ambition ou de quelque cupidité
l)rivécs, mais bien aux nécessités calculées et prévues delà
propa^'ande dont il est tout à la fois le surveillant suprême
et l'invisible moteur.
Dans cet étonnant personnage, qui résume en lui Thistoire
presque entière de Talchimie au dix-huitième siècle, tout
est problème et mystère : son nom, sa naissance, son éduca-
tion, sa personne. On ne voit que très-rarement sa figure,
qui semble changer à ses différentes apparitions. On ignore
sa demeure et s'il en est d'autres pour lui que les résidences
passagères où il est moins souvent aperçu que soupçonné.
Son fige même est impossible à fixer, car on ne connaît ni le
premier ni le dernier terme de sa vie, qui se soutient ou pa-
raît se soutenir, un siècle durant, dans un milieu toujours
également éloigné de la jeunesse et de la vieillesse.
Cet inconnu fameux se faisait appeler Lascaris. Entre tous
les noms qu'il prit dans sa vie errante, c'est du moins celui
qui lui resta. Ce nom avait été illustré par plusieurs Grecs,
et sans doute il l'avait choisi de préférence, comme propreà
confirmer roriginc orientale qu'il s'attribuait. Lascaris se
donnait pour rArchimaiulrite d'un couvent de Tîle de Mity-
lène, et pour justifier de cette qualité il produisait des let-
tres du patriarche grec de Constantinople. Mais ce qui déci-
dait plutôt à lui attribuer celte origine, c'est qu'il parlaitforl
bien la Jangue grecijue; on a même été porté à trouver en
lui un descendant de la famille royale des Lascaris. Il préten-
dait avoir reçu du patriarche de Constantinople la mission
de recueillir des aumônes pour racheterles chrétiens prison-
niers en Orient-, mais il ne remplissait pas cette mission d'une
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 289
manière sérieuse, car il ne quêtait que chez les pauvres, si
toutefois il quêtait.
Lorsqu'il apparut pour la première fois en Allemagne,
vers le commencement du dix-huitième siècle, Lascaris était
un homme de quarante à cinquante ans, suivant Tapprécia-
lion du conseiller Dippel, le témoin le plus sérieux et le plus
souvent cité entre ceux qui Font vu. Dippel est le seul qui
semble s'attacher particulièrement à suivre Lascaris, et c'est
cet écrivain qui nous fournit les indications à Taide desquel-
les on peut le surprendre de loin en loin dans ses fugitives
apparitions. Schmieder nous parle aussi, mais sans citer au-
cun nom, de plusieurs autres personnes dignes de foi, qui
déclaraient avoir vu et reconnu le grand adepte. De leur té-
moignage, d'accord avec celui de Dippel, il résulte que Las-
caris était d'une humeur facile et même agréable, qu'il avait
Taccent d'un homme du Midi et aimait beaucoup à parler,
penchant d'autant plus facile à satisfaire pour lui, qu'il savait
plusieurs langues et les parlait toutes aussi naturellement
que le grec.
Une nature si communicative ne s'accordait guère avec les
précautions extrêmes que notre philosophe devait [irendrc
pour dissimuler sa présence partout où on pouvait le cher-
cher. Il faut donc supposer qu'il n'avait cette agréable hu-
meur que dans le cercle d'un petit nombre de personnes
dont il était sûr, et que d'ailleurs il savait la renfermer dans
des sujets de conversation étrangers à l'alchimie. Sur ce der-
nier point, la discrétion lui était iiiipcrieuscment comman-
dée : il y allait de sa liberté et peut-être de sa vie. Les exem-
ples de Gustenhover, de Kellcy, d'Alexandre Sethon, de
Sendivogius et de tant d'autres avaient pour lui une triste
éloquence, et si le sort de ces adeptes n'eût suffi à éclairer
Lascaris sur la cupidité et la cruauté des princes, une aven •
lure tragique, dans laquelle, a-l-on dit, il joua le rôle iin-
portant, lui aurait enseigné la prudence.
Un individu, qui se disait gentilhomme, se présente un
290 HISTOIRE
jour à Frédéric I", roi de Prusse, et s'annonce comme pos-
sédant Fart secret de ia transmutation des métaux. Le roi
ayant désiré le voir à l'œuvre, l'opération fut exécutée sous
ses yeux, et elle réussit, car ce gentilhomme avait en sa pos-
session un peu de poudre philosophale. Dans l'espoir de
s'avancer à la cour, il eut la témérité de prétendre connaître
la préparation de cette poudre. Quelques jours après, il rece-
vait Tordre d'en^préparer dans l'intérêt de l'Etat, c'est-à-dire
du roi. Il y travailla à plusieurs reprises, mais toujours inu-
tilement. Comme il n'avait pas craint d'offrir sa tête pour
garant de ses promesses, le roi, qui avait accepté ce gage, la
• lui ût impitoyablement trancher. On feignit, à la vérité, de
motiver cette exécution par un crime plus réel; on alla rap-
peler un duel, déjà ancien, dans lequel cet aventurier avait
tué son homme. Mais personne ne s'y trompa; tout le monde
comprit que, sans Tirritation d'un roi trompé dans ses espé-
rances cupides, la justice n'eût pas' d'elle-même songé à
réveiller une affaire du genre de celles qu'on oublie le plus
volontiers.
La plupart des auteurs ont pensé que, nul autre que Las-
caris n'étant connu à cette époque en Allemagne pour pos-
séder le secret des philosophes, c'est lui qui avait fourni à
cet adepte la teinture philosophale qui fut si imprudemment
employée devant le roi Frédéric. Quoi qu'il en soit, voici un
second fait dans lequel la présence et l'action de Lascafis ne
font aucun doute pour les auteurs allemands.
Dans Tannée 1701, Lascaris, étant tombé malade en pas-
sant à Berlin, fit demander un apothicaire pour lui comman-
der les remèdes dont il avait besoin. Maître Zom, chez qui
Ton envoya, ne se présenta pas lui-même; il se fit remplacer
par un élève entré depuis peu dans sa maison. Le soin avec
loquel ce jeune homme exécuta ses prescriptions plut beau-
coup à notre philosophe, dont la maladie, vraie ou feinte,
eut bientôt disparu. Ils s'entretinrent plusieurs fois ensem-
ble, et de ces cuxtevteus il résulta entre eux une sorte d'ami-
DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. ^91
tiéel môme d*intimité. C'est que, pendant leur conversation,
le jeune homme, sans se douter qu'il parlait à un adepte,
lui avait confié qu'il s'occupait d'hermétique, qu'il avait lu
tous les ouvrages de Basile Valenlin, et qu'il travaillait d'a-
près les écrits de ce maître. Cependant le jeune élève tenait
ses travaux secrets, car l'alchimie n'était pas alors très en
honneur dans la ville de Berlin, et l'on ne se gênait guère,
dans cette impertinente cité, pour traiter de fous les parti-
sans du grand œuvre.
Sur le front du jeune apothicaire, Lascaris avait reconnu
sans doute le sceau de l'apostolat. Au moment de quitter
Berlin, il le prit à part et lui déclara ce qu'il était, ajoutant
qu'il voulait lui laisser un témoignage de son amitié. 11 lui
fit présent de deux onces de sa poudre philosophale, en lui re-
commandant de n'en pas indiquer l'origine, et surtout de n'en
faire usage que longtemps après son départ. « Alors seule-
€ ment, lui dit-il, vous pourrez essayer les vertus de cette
« poudre, et, sachez-le bien, le résultat sera tel, que personne
« à Berlin n'osera plus taxer les alchimistes d'insensés. »
Lascaris parti, le délai expiré, et sans doute même un peu
abrégé par l'impatience du jeune élève, celui-ci procéda à
l'essai de sa teinture philosophale. Le résultat en fut mer-
veilleux et tel que Lascaris l'avait promis. Il fit de l'or, de
l'or très-pur, qu'il montra avec orgueil, et ce fut à son tour
de se moquer de ses camarades, qui s'étaient si souvent mo-
qués de lui el de Basile Yalentin. 11 leur annonça en même
temps sa résolution de quitter la pharmacie pour aller étudier
la médecine à Halle; le même jour en effet il prit congé de
son patron.
Ce jeune homme devait être l'apôtre le plusactif et le plus
renommé de tous ceux que Lascaris lança, munis de sa pou-
dre, à travers l'Allemagne. Il s'appelait Jean-Frédéric Bôtti-
cher. Mais, comme ses travaux, ses aventures, et par-dessus
tout une découverte importante dont il a enrichi les arts
ohimiques, lui assignent un chapitre à pan à^n^ ^W.^ ^\\<^-
!29^i UISTOIRË
rio des principaux personnages hermétiques, nous repren-
drons plus loin son histoire, et nous le suivrons alors dans
sa carrière avec tout l'intérêt qu*il doit inspirer.
D'après ses rapports avec Bôtlicher, on voit que Lascaris,
au début de sa propagande hermétique, recrutait surtout dans
les laboratoires ses conQdents et émissaires. En même temps
que Botticher, deux autres élèves sortis des pharmacies voya-
geaient alors dans les villes de l'ouest de TAllemagne, prê-
chant la vérité de ralchiraiç. Or, comme à cette époque, le
conseiller Dippel avait reconnu Lascaris à Darrostadt, on ne
pouvait guère douter que ces jeunes adeptes n'eussent reçu
de lui leurs instructions et leurs poudres philosophales.
Toutefois ces missionnaires ne semblent pas avoir utilement
servi la cause de la science hermétique; car ils ne savaient
guère que ce qu'on leur avait montré, et ne pouvaient être
éloquents que jusqu'à l'épuisement de leur provision. On ne
cite d'eux aucune merveille qui réponde à la haute opinion
que Botticher avait déjà donnée des gens de leur état.
Les garrons apothicaires eurent alors un fort beau moment
on AlicQiagne, et tandis qu'en France les poëtes comiques
osaient continuer de les tourner en dérision, ils prenaient
bien leur revanche de Taulre côté du Rliin. Cette courte pé-
riode fut, on peut le dire, Tàge d'or de la pharmacie; on
croyait, en Allemagne, (|ue tout le personnel pharmacopole,
patrons, aides, apprentis ou garçons, étaient adeptes hermé-
tiques ou sur le point de le devenir. Cependant les choses
n'allèrent pas si loin. Il est vrai qu'à cette époque quelques
élèves en pharmacie reçurent en présent un peu de teinture
philosophale ; mais, dit assez naïvement Schnrieder en nous
parlant de ces aides apothicaires qui avaient reçu et non
inventé la précieuse poudre, « dès qu'ils l'avaient employée,
. « ils avaient joué leur rôle et restaient tranquilles. »
On en cite cependant quelques-uns qui se laissèrent moins
oublier; tel fut Godwin Hermann Braun, d'Osnabruck. En
i 701 , Tannée même àe \^ ^\e\fiÂà\^ ^^^^cltion de Lascaris,
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 293
ce Braun, qui avait déjà exercé la profession d'apotlucaire à
Stuttgard, fut placé dans la grande pJiarmacie de Francfort-
sur-le-Mein. A Ten croire, un de ses parents lui avait remis,
à son lit de mort, la teinture transmutatoire qu'il avait en
sa possession; c'était une huile assez fluide et de couleur
brune. Pour lui donner un caractère particulier, Braun
l'avait mélangée avec du baume de copahu, ce qui ne lui
ôtait rien de sa force. En présence de son patron, le docteur
Éberhard, et de quelques autres personnes, il exécuta plu-
sieurs projections, tantôt sur le mercure, tantôt sur le plomb ;
il fit de l'or chaque fois, en versant sur le métal chaud ou
fondu une goutte de son huile, qui ne pouvait être autre
chose, ainsi qu'on le verra plus loin, que du chlorure d'or
liquide.
A Munster, Braun fit la môme expérience sous les yeux
du docteur Horlacher, qui publia le fait. Horlacher assure
avoir pris ses précautions pour n'être pas trompé. Il avait
lui-même fourni le creuset, le mercure et le plomb. Braun
versa quatre gouttes de son huile sur de la cire, et en fît une
boulette qu'il jeta sur le mercure. 11 couvrit alors le creuset,
qu'il chauffa fortement : dix minutes après. For avait pris la
place du mercure.
Braun n'était pourtant qu'un adepte de hasard. 11 connais-
sait si peu la préparation de sa teinture, qu'il s'imaginait
qu'elle provenait du phosphore, parce qu'on s'occupait beau-
coup alors de cette substance. Après qu'il eut consommé tout
son liquide, on ne parla plus de lui ; mais du moins il avait
fait la propagande hermétique en bon lieu et avec un cer-
tain éclat.
Moins brillant dans ses actes, et aussi moins fidèle à son
apostolat, fut cet autre élève en pharmacie queSchmiedernous
désigne comme le troisième missionnaire de Lascaris. C'était
un jeune Hessois, nommé Martin, né à Fritziar, où il avait
étudié la pharmacie. 11 prétendait tenir sa teinture d'un vieux
médecin, lequel était adepte, et de plus, ïïvaTv d'ww^ \çi\çv\Si^
294 mSTOIRE
jeune et jolie. Quand le bonhomme mourut, événement qui
ne tarda guère à arriver, il ne laissa point sa teinture en
héritage à sa femme, dont il avait toujours suspecté la fidé-
lité ; il la légua au jeune élève. Schmieder, qui nous trans-
met ce récit, pense que c'était là une pure fable de ce jeune
homme, qui, en réalité, avait reçu de Lascarissa pierre phi-
losophale, mais tenait le fait secret, conformément aux pres-
criptions de son maître. On ne peut qu'applaudir à la dis-
crétion de ce missionnaire docile. Ce qui est moins louable,
dans son fait, c'est d'avoir altéré sa poudre par de maladroits
mélanges, et de Tavoir ainsi tellement affaiblie, que, d après
le témoignage de Dippel, elle ne changeait en or que soixante
fois son poids de métal étranger. Hais le point capital où ee
maître sot méconnut tout à fait et les instructions du grand
adepte et la dignité même de la science herniétique, c'est
que, au lieu d'exécuter ses projections devant un publie
d'élite,, qui leur eût donné tout le retentissement nécessaire,
il se contenta d'opérer pour ses camarades, afin de se donner
du relief parmi eux, et pour quelques jeunes filles, dont il
avait à cœur de se faire admirer. Passons vite à d'autres per-
sonnages et à d'autres faits, par lesquels se continue l'histoire
de Lascaris.
Dans le mois de janvier 1704, le conseiller de Werther-
bourg, Liebknechi, avait reçu une mission pour Vienne. En
revenant, il eut pour compagnon de voyage un étranger qui
parlait très-couramment le français, l'italien, le latin et le
grec, et qui avait visité la plupart des pays de l'Europe. Ds
se trouvaient en Bohème, la conversation tomba donc tout
naturellement sur l'alchimie. Le conseiller^ homme fort en-
têté dans ses opinions, niait la réalité de cette science, et ne
voulait croire, disait-il, que lorsqu'il aurait vu de ses pro-
pres yeux.
Le 16 février, les deux voyageurs arrivèrent vers le soir
à la petite ville d'Asch, située sur l'Éger. Le compagnon de
Liebknec\vl \e eoAiôi\\\À\, ^îoû& Yten dire, chez un forgeron,
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 295
pour faire une expérience au feu de ]a forge ; mais, vu l'heure
avancée, l'expérience fut remise au lendemain. L'inconnu
mil du mercure dans un creuset, puis il y jeta une poudre
rouge, qu'il mêla rapidement avec le métal. Le mercure
commença par se solidifier, il devint ensuite fluide, et, quand
on le versa, c'était de l'or le plus beau qu'on pût voir.
Un second creuset avait été préparé, l'inconnu y plaça
également du mercure, afin de répéter l'expérience précé-
dente, a Cette fois, dit l'opérateur, l'or est moins beau que
« tout à l'heure. » Il promit de le purifier. Aussitôt il le fit
fondre dans un nouveau creuset, et jeta dans ce creuset une
petite quantité d'une certaine poudre ; presque au même in-
stant l'or perdit sa couleur et devint blanc. Quand on coula
le métal, on trouva, à la place de l'or dont on avait fait
usage, neuf onces d'argent de la plus grande pureté. L'or
que Ton avait obtenu dans la première expérience avait une
valeur de six ducats. L'étranger offrit en présent l'un et
l'autre au conseiller Liebknecht, et le quitta pour continuer
sa route vers la France.
La personne e\ l'époque s'accordent parfaitement avec les
renseignements que Dippel donne sur le compte de Lascaris.
D'un autre côté, cette double transmutation du mercure en
or, et de l'or en argent, est une des plus remarquables dans
l'histoire de l'alchimie, et, selon les écrivains hermétiques,
elle révèle manifestement un grand maître, peut-être le plus
grand de tous. Il est vrai que Lascaris s'abstenait d'ordinaire
de faire lui-même les projections, mais il se pourrait qu'en
cette circonstance il se fût départi de sa réserve habituelle
pour convaincre un incrédule tel que le conseiller Lieb-
knecht. On conserve encore, à l'université d'Iéna, les trois
creusets qui servirent à ces transmutations*.
Au mois d'octobre de la même année 1 704, Georges Stolle,
orfèvre à Leipsick, reçut la visite d'un étranger, qui, après
* Gnlden&Ick, An9edot08 akhimiquet.
296 HISTOIRE
quelques instants d^ntretien sur des objets indifférents, lui
demanda s'il savait faire de Tor. A cette question, Torfévre
répondit avec simplicité qu'il savait seulement travailler ce
métal tout fait. Mais, son visiteur insistant pour lui deman-
der si du moins il croyait à la possibilité du fait : « J*y
« crois, sans aucun doute, répondit Stolle ; mais, malgré
« tous mes voyages et mes longues recherches, je n'ai ja-
« mais eu Toccasion de rencontrer un artiste assez habile
« pour m'en donner la preuve. » A ces mots, l'inconnu, ti-
rant de sa poche un lingot métallique d'une couleur jaune
grisâtre, et qui pesait environ une demi-livre, le présenta à
Torfévre commode l'or qu'il venait de fabriquer tout récem-
ment. H assura qu'il possédait chez lui quatorze livres du
môme métal. L'orfèvre s'empressa d'essayer le lingot à la
pierre de touche; c'était de l'or à vingtrdeux carats. L'étran-
ger l'invita alors à le traiter par Tantimoine, afin de le pu-
rifier. C'est ce que Stolle exécuta; il fondit cet or impur
avec cinq fois son poids d'antimoine, et, après trois traite-
monts semblables, il obtint douze onces d'un or très-brillant.
L'étranger, élant revenu de bonne heure le lendemain,
ordonna de laminer cet or et de le couper en sept pièces
rondos. Il eu laissa deux à Stolle, comme souvenir, en y
ajoutant huit ducats.
Bien que cet événement n'eût rien présenté de très-mer-
veilleux, il fit beaucoup de bruit à Leipsick, grâce aux com-
mentaires dont Torfévre sut rcmbcllir pour se donner de
l'importance. Les pièces d*or qui lui étaient restées portaient
cette inscription :
tu philosophorum.
Auguste, roi de Pologne, en reçut une en présent, l'autre
fut dépos(ie dans la collection des médailles de Leipsick.
Lascaris se trouvait alors en Saxe, dans les environs de
Leipsick, cl Yow we \o\V y^?» A'îyutre adepte à qui le fait ra-
DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 297
conté par Stolle pourrait être plus convenablement attribué.
Il est beaucoup plus certain qu'un autre personnage,
Schmolz de Dierbach, qui vivait à la môme époque, reçut de
Lascaris sa poudre et sa mission. Shmolz a raconté lui-même
les circonstances dans lesquelles il fut bonoréde la confiance
du grand adepte. Il était lieutenant-colonel au service de la
Pologne. Se trouvant un jour, avec d'autres officiers, dans
un café à Lissa, on vint à parler de l'alchimie et des alchi-
mistes. Les camarades du jeune officier ne craignirent pas
de tourner en ridicule et de blâmer son père, qui avait dé-
pensé tous ses biens dans les travaux de cette vaine science,
et par là réduit son fils à la nécessité d'embrasser le métier
•des armes. Dierbach défendit avec vivacité et Talcbimie ot
son père. Au nombre des assistants se trouvait un étranger
qui parut écouler cette discussion avec un vif intérêt. Quand
tout le monde se fut retiré, il s'approcbaf de Tofficier et lui
exprima toute la peine qu'il avait ressentie du blâme infligé
à la mémoire de son père et des mauvais compliments que
le fils avait essuyés pour la défendre. C'est alors qu'il fit pré-
sent à Dierbach d'une certaine quantité de poudre de pro-
jection, mettant seulement cette condition à son cadeau,
que le jeune officier n'en ferait usage que pour se procurer
trois ducats par semaine pendant l'espace de sept ans.
On reconnaît ici Lascaris à sa libéralité; mais Schmolz de
Dierbach broda beaucoup de contes sur cette aventure fort
simple. Il voulait, par là, donner de la vogue à sa poudre,
car il s'était empressé de quitter le service et se plaisait à
étonner ses amis par ses transmutations.
Le conseiller Dippel, se trouvant à Francfort-sur-lc-Mein,
put examiner la teinture de Dierbach. La description qu'il
en a faite nous permet de donner, une fois pour toutes, une
explication raisonnable, selon nous, du moins, des prodiges
de Lascaris. Selon Dippel, la poudre de Dierbach était d'une
couleur rougeàtre; vue au microscope, elle laissait voir unc^
multitude de petits grains ou cristawx TO\ji%'?Sy wv ^x^w^^*^*
398 HISTOIRE
Pour un sceptique, ou plutôt pour un chimiste, ces cristaux
rouge-orangé ressemblent singulièrement à du chlorure d'or,
et si telle était réellement la composition de la teinture de
Lascaris, elle pouvait prendre, à volonté, la forme liquide
ou solide, puisque le chlorure d'or est très-sol uble dans l'eau,
et môme déliquescent à Pair. Dippel ajoute, il est vrai, qu'une
partie en poids de cette teinture changeait en or six cents
parties d'argent; mais il détruit lui-même la confiance que
Ton pourrait accordera ses assertions lorsqu'il ajoute: « Cette
(( teinture pouvait même produire une augmentation dans le
« poids des métaux, car soixante grains d'argent, où l'on
(i mêlait un demi-grain de la poudre de Dierbach, donnaient
(( cent soixante-douze grains d'or. » Ce dernier fait, qui au-
rait constitué une impossibilité physique, dépasse les préten-
tions de tous les alchimistes, qui n'ont jamais affirmé sérieu-
sement pouvoir augmenter le poids absolu d'un corps sans
addition d'aucune matière étrangère.
Un autre fait confirme encore l'opinion que la teinture
remise à Dierbach par Lascaris n'était autre chose que du
chlorure d'or, dont on faisait usage tantôt sous forme solide,
tantôt en dissolution aqueuse concentrée ; Dippel ajoute qu'il
suffisait de chauffer cette poudre pour obtenir le métal pré-
cieux; or, comme le savent tous les chimistes, le composé
dont nous parlons, c'est-à-dire le chlorure d'or, laisse, par
une simple calcination, de l'or pur.
Schmolz de Dierbach usa avec une grande générosité du
présent de Lascaris. Il ne consacrait jamais à ses besoins per-
sonnels l'or provenant de l'expérience; il le distribuait aux
témoins de l'opération. Un tel désintéressement était d'au-
tant plus noble chez lui, que, se trouvant à la tête d'une
nombreuse maison, avec enfants et domestiques, et ayant
été investi des fonctions de député» ses besoins augmentaient
de jour en jour. Quand le terme des sept ans imposé par
•Lascaris fut expiré, et qu'il se vit à bout de sa poudre, il
ne craignit pas de àeiù^udiet ^^?>^^ç,wv\^'^4fta personnes de
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 299
haut rang qui connaissaient son aventure. Tant de vertu le fit
admirer de ses contemporains; on s*empressa de venir à son
aide et de lui assurer une honnête existence; mais il va sans
dire que, dès qu'il eut cessé d'opérer des transmutations,
on cessa de parler de lui.
Du reste, à partir de ce moment, si Ton trouve encore
beaucoup de traces d'un adepte distribuant de la teinture
philosophale, avec condition de remployer à la plus grande
gloire de Talchimie, ce qui révèle toujours Lascaris, on ne
rencontre plus de personnage formé, instruit, et pour ainsi
dire commissionné pour cette prédication. Schmieder nous
explique ainsi ce changement. Des jeunes gens, tels que
Bôtticher, Braun, Martin et Dierbach, avaient pu offrir à
Lascaris le secours d'un grand zèle; mais la conduite de
quelques-uns, et surtout leurs supercheries, pouvaient com-
promettre le grand adepte et faire naître des doutes sur sa
bonne foi. C'est d'après ce motif qu'à dater de cette époque
Lascaris, trouvant plus sage de supprimer les apôtres, se
chargea tout seul de la propagande hermétique.
En 1715, le baron de Creuz, que l'on cite comme un al-
chimiste zélé, reçut, à Hambourg, la visite d'un étranger
dont la conversation dénotait de profondes connaissances
dans l'hermétique. Le baron, qui, depuis trente ans, cher-
chait sans avoir rien trouvé, avoua que son plus cher désir
serait rempli s'il pouvait seulement obtenir de quelque
adepte un peu de poudre philosophale, afin d'en éprouver la
force et de convaincre son entourage de la vérité de l'alchi-
mie. L'étranger ne répondit rien : seulement, quand il fut
parti, on trouva, près de la place qu'il avait occupée dans
l'appartement, une petite boîte renfermant une matière pul-
vérulente, avec un écrit indiquant la manière d'opérer les
transmutations; la boîte renfermait encore une boucle d'ar-
gent, dont une partie seulement était d'or, sans doute pour
prouver que, pour faire la transmutation avec cette poudre,
il n'était pas nécessaire de mettre les mét^LUX. ^ti îw^\!l. Va
300 mSTOIRE
baron, ayant alors convié à Teipérience ses amis et quelques
personnes d*un rang élevé, opéra sous leurs yeux suivant les
instructions que l'adepte avait laissées par écrit. L'expérience
eut un plein succès; la boucle d*or et d'argent fut conservée
dans sa famille comme témoignage du fait ^.
Un autre amateur, le landgrave Ernest-Louis de Hesse-
Darmstadt, sentit son émulation éveillée par la transmuta-
tion faite chez le baron de Creuz. 11 se livrait à beaucoup
dressais, mais n'obtenait rien de bon, lorsqu'on 17i& il
reçut par la poste un petit paquet envoyé par le môme étran-
ger qui avait rendu visite au baron. Ce paquet renfermait
les teintures rouge et blanche, avec une instruction sur la
manière de les employer. Le landgrave se donna le plaisir
de changer lui-môme du plomb en or et en argent. Avec
l'or il fit battre, en 4747, quelques centaines de ducats qui
portaient d'un côté l'effigie et le nom du landgrave, de l'au-
tre le lion de Hesse et les deux lettres E. L. Avec l'argent
il fit frapper cent thalers portant aussi d'un côté son nom et
son effigie, et de l'autre, les deux lettres E.L. entourées d'une
quadruple couronue; on voyait au milieu le lion de Hesse
avec son soleil. Les thalers portaient cette inscription latine:
Sic Deo placuit in tribuîcUionibus. 1717.
Un inconnu se présenta un soir au château de Tankcs-
lein, situé dans la forêt d'Odenwald, branche de la forêt
Noire; ce château était habité par la comtesse Anne-Sophie
d'Erbach. L'inconnu suppliait la châtelaine de le protéger
contre les poursuites de l'électeur palatin. On refusa d'abord
de le recevoir, car on le prenait pour un braconnier et peut-
être mOme pour un brigand de la forêt. Cependant, sur ses
instances, la comtesse consentit à lui accorder une chambre
dans une partie retirée des bâtiments, en recommandant
toutefois aux gens de la maison d'avoir l'œil sur lui. L'dtran-
* fiuldenfalck, Anecdotes d\c)im\f\uw .
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 501
ger passa quelques jours au château. Au moment de partir,
et pour reconnaître Thospitalité qu'il avait reçue, il offrit à
la comtesse de changer en or toute sa vaisselle d'argent.
Cette singulière proposition ne fit que confirmer davan-
tage la comtesse d'Erbach dans ses soupçons; elle ne voyait'
dans son hôte qu'un hardi voleur qui méditait de la débar-
rasser de son argenterie. Cependant, comme il insistait beau-
coup, elle se décida, à tout hasard, à lui confier un bassin
d'argent, ordonnant d'ailleurs de redoubler de surveillance.
Tant de soupçons étaient mal fondés, car l'inconnu ne tarda
pas à reparaître tenant à la main un lingot d'or qu'il avait
fait avec le bassin d'argent. Sur la demande de l'alchimiste,
cet or fut essayé dans la ville voisine, où on le trouva du
meilleur aloi. La comtesse d'Erbach consentit alors à livrer
toute sa vaisselle à son hôte, qui s'engageait à la payer en
cas d'insuccès. Hais l'opération réussit parfaitement; tout
ce qu'on lui donna en argent, il le rendit en or. Lorsque,
au moment de partir, ce grand artiste se présenta pour
prendre C/ongé de la comtesse, cette dernière eut la naïveté
de lui offrir une bourse contenant deux cents thalers. 11 re-
fusa avec un sourire, puis il s'en alla comme il était venu et
sans avoir dit son nom.
Cette aventure eut une suite qui lui donna bientôt une
authenticité parfaite. Le mari de la comtesse d'Erbach, le
comte Frédéric-Charles, avec lequel la famille d'Erbach
s'éteignit en 1751, vivait alors dans l'armée. Depuis long-
temps séparé de sa femme, il ne s'en inquiétait guère; mais
la mémoire lui revint dès qu'il fut informé des nouvelles
richesses que la comtesse venait d'acquérir. Il réclama la
moitié de la vaisselle d'or, parce que cette augmentation de
valeur avait été réalisée pendant le mariage et sous le régime
de la communauté. La comtesse ayant repoussé cette de-
mande, il en saisit les tribunaux. Mais les jurisconsultes de
Leipsick la rejetèrent et abandonnèrent à la comtesse l'en-
tière propriété de l'objet en litige, attendu, dit l'arr^l d^\^
302 HISTOIRE
cour de Leipsick, que, c la vaisselle d'argent appartenant à
a la femme, l'or devait aussi lui appartenir *. »
Schmieder et d*autres auteurs allemands ne mettent pas
en doute que Lascaris ne fût Thôte anonyme de la châtelaine
de Tankestein*.
Mais le lecteur est sans doute désireux de trouver quel-
ques renseignements plus précis sur les procédés pratiques
que Lascaris mettait en œuvre pour exécuter ses transmu-
tations. Nous les trouverons, autant qu'il est permis de Tes-
pérer, dans les deux faits qui vont suivre:
Le premier se rapporte à une transmutation racontée par
Dippel, et qui eut lieu dans les Pays-Bas pendant l'automne
de 1707.
Se trouvant à Amsterdam, Dippel fit connaissance avec un
adepte qui avait en sa possession les teintures rouge et blan-
che, mais qui avouait modestement ne pas savoir les prépa-
rer. Il prétendait les tenir d'un grand maître, avec ordre de
faire des expériences publiques pour que chacun fût édifié
sur la vérité de Talchimie. Or voici comment Dippel le vit
procéder.
* Puionei , Enunciata et corwilia juris Leipsi». 1733.
* On a pensé également que c'est de Lascaris que parle le docteur
Joch dans la lettre suivante , qu'il écrivait en latin au savant Wedel :
a J'ai obtenu enfin ce que j'avais si longtemps souhaité. J'ai trouvé un
adepte qui me cache son nom, mais qui, à trois reprises différentes, a fait
très-facilement devant moi l'or le plus pur. 11 ne se sert que de quelques
petits grains et d'un creuset. Bientôt il reviendra chez moi, et il demeu-
rera dans ma propre maison, car il aime ma société. Il possède des livres
très-rares, qu'il tient toujours fort en ordre, qu'il lit et complète. Sa
bonté m'a permis de me servir de quelques-uns de ces ouvrages. Je vous
en envoie de lui un écrit composé dans une langue qui m'est inconnue; il
souhaite d'avoir votre opinion sur le sujet traité dans cet écrit, car il ré-
vère beaucoup votre nom. Adieu, homme savant, et que vos recherchei
ne soient pas sans succès.
« Jean-Georges docteur Joch.
« Dortmund, 47 juin 1720. »
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 305
L'opérateur prit une lame de cuivre ronde d*un pied de
diamètre; il la plaça sur un fourneau, en s'arrangeant pour
ne chauffer qu'un cercle intérieur d'environ huit pouces, le
reste du métal étant garanti de Taction du feu; c'est alors
que, Tadepte plaçant au milieu du disque de cuivre chauffé
un peu de sa teinture hlanche, ce cercle de huit pouces se
trouva changé en argent. La même plaque de métal fut en-
suite placée sur un fourneau plus petit, de telle sorte que le
cercle chauffé n'avait plus que quatre pouces de diamètre ;
il déposa au milieu un petit grain de teinture rouge qui
changea en or ce cercle d'argent.
Cette expérience ne présenterait rien de bien difficile à
comprendre si Dippel n'ajoutait en terminant : « L'artiste
tf ne se bornait pas à montrer Textérieur de la plaque, mais
« il la coupait en morceaux pour faire voir aux amateurs de
« l'alchimie que la teinture avait agi également à Tin-.
< teneur; il leur vendait ces morceaux à un prix très-
ff modéré. »
La première partie de cette expérience s'explique sans
peine, si l'on admet que la teinture philosophale blanche
ou rouge n'était qu'un composé d'argent ou d'or qui, par
l'effet de la chaleur, recouvrait le cuivre d'une couche de
l'un ou l'autre métal. Mais, pour expliquer que les morceaux
distribués par l'adepte fussent véritablement de l'argent ou
de For massifs, il faut mettre sur son compte un tour d'es-
camotage. C'est ce que l'on peut d'ailleurs accorder sans faire
injure à Lascaris, car ce n'est point lui-même qui exécuta
celte expérience, mais bien l'un de ses envoyés. Dippel nous
l'apprend, et son témoignage ne jpeut laisser aucun doute,
puisqu'il connaissait le grand adepte.
Si dans le fait qui précède on ne trouve pas une descrip-
tion suffisamment précise des procédés mis en œuvre par les
missionnaires de Lascaris, celui qui nous reste à faire con-
naître donnera à cet égard toute satisfaction à la curiosité.
Un procès- verbal minutieusement dressé ijat \^?>\éKvçîi»s> ^^'è»
304 tlISTOIRE
opérations, ot qui s*cst conservé jusqu'à jios jours, permet
de comprendre toutes les particularités des expériences qui
furent exécutées.
Un des émissaires de Ijascaris arriva à Vienne au mois de
juillet ni6, et couvoqua une assemblée des personnes les
plus considérables de la ville, afin de convaincre Tincrédu-
lité par une épreuve solennelle. La séance eut lieu dans le
palais du commandant de Vienne. On eut le soin, pour oter
tout soupçon de fraude, de n'employer ni creusets ni appa-
reils d'aucun genre. On prit seulement une monnaie de
cuivre, un pfennig , on la chauffa au rouge; et, après avoir
projeté à sa surface une petite quantité de la teinture de
Lascaris, on la plongea dans un certain liquide. On retira la
pièce transformée en argent, et le métal résista à Tépreuvc
de la coupelle. La petite quantité de teinture employée était
restée à la surface de la pièce sans avoir éprouvé d'altération
apparente : c'était une poudre blanche, assez semblable au
sel marin. On constata, diaprés le poids des matières em-
ployées, qu'une partie de teinture avait transmué dix mille
fois son poids de cuivre.
Le procès-verbal de ces expériences, dressé par le conseil-
ler Pantzer de liesse, in memoriam et fidem rei, a été livré
à rimpressioa d'après une copie authentique. Voici la tra-
duction du texte original de ce singulier document, que Hurr
a reproduit dans ses Nouvelles littéraires :
« Fait h Vienne, le 20 juillet 1710, le septième dimanche après
la Ti'inilé, dans Tappaitement du conseiller du prince de Schwarti-
l)Ourg, le seigneur Wolf- Philippe Pantzer, dans la maison apparte-
nant au général impérial, commandant de la résidence de Tempereur
et de la forteresse de Vienne, le seigneur comte Gharlc&-Emcst de
Rappach, en présence du vice-chancelier impérial et bohémien, com-
mandant de Texpédition allemande, Son Excellence le comte Joseph
de Wi'irben ci do Freudenthal, en présence du seigneur Ernest, con-
seillm' secret du roi de Prusse, et du seigneur Wolf, conseiller secret
du prince de Brandebourg-Culmbach et Anspach, en présence des
Hrcs conAlo cl Wyï\xv vV ^eVV^YVv\v:\v, •xWv c^ue du conseiller de
DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 305
Schwartzbourg, ci-dessus nommé, et de son fils Jean-Christophe-
Philippe Pantzer.
« 1" Vers dix heures du matin, les personnes précitées se sont ras-
semblées au lieu désiré. L'une d'elles apporta la poudre philo-
sophale dans un papier : elle était en quantité infiniment petite, ot
a?ait Taspect du sel marin ; on la pesa, et on en trouva un loth (demi-
once).
t 2* Les personnes présentes pesèrent deux pfennigs de cuivre,
dont l'un avait été pris à Vasile des pauvres de Vienne, le poids du
premier fut trouvé de iOO drachmes 8 j grains, celui du second, fait
en 1607, en Hongrie, de 68 livres 16 loths *.
« 5" On fit chaufferie premier, que le conseiller de Schwartzbourg
retira avec une pince de fer ; le seigneur Wolf, baron de Metternich,
Tentoura d'un peu de cire et en recouvrit un côté du pfennig in su-
perficie,
« 4* Le vice-chanceirer bohémien, qui craignait que le pfennig ne
fondit, le fit rougir, ensuite il le jeta daîis une certaine eau, et il le
retira si promptement qu'il se brûla les doigts.
fl 5* Tous virent que le pfennig, rouge quand il avait été plongé dans
l'eau, était blanc quand on le retira, avec certaines marques qui prou-
vaient qu'il avait déjà commencé k fondre.
fl 6<* On commença la même opération avec le deuxième pfennig»
et le résultat fut le même que celui déjà obtenu par le seigneur Wolf,
baron de Metternich.
fl 7'' Mais on n'en resta pas là ; on fit aussi chauffer d'autres pfen-
nigs plus petits, on les soumit à la même opération, et, après les
avoir retirés, on remarqua que la couleur en était changée, mais
qu'ils n'étaient pas tout à fait blancs. Les deux frères Metternich y
firent grande attention.
fl 8* On prit un morceau de cuivre en forme de prisme, on le jeta
dans la même eau après l'avoir chauffé, et on vit que, dans cer-
taines parties, il avait changé de couleur, mais moins que les deux
premiers pfennigs.
* <r Haben die Antvesenden zvei kupferne Pfennigc gevogen, dcr cine
von deneo, so in dcm Vinerischeo Armenhause ausgctheilt verdcn, ist
nach obgedachten Probirgevicht hundert Qucntchcn 8-| Gran, der andere
abcr, ein Ungrischen Poltura von ltX)7, achtundsechsig Pfund sechsen
Loth schvergcvesen. »
306 HISTOIRE
« 9** On coupa un morceau de ce cuhrre, <m fit la même opératk»,
et il devint tout k fait blanc.
« 10' On ressaya avec un autre morceau de cuiTre, mais on remar-
qua qu'il était sorti de Teau sans avoir changé de couleur.
« 11° On coupa en deux le plus grand des pfennigs de Tartide %
ot on remarqua qu'il était blanc à Tintérieur conmae k Textérieur ; le
comte Ernest de Mcttemich en prit une moitié, et le baron Wolf de
Nettemich l'autre moitié.
« 12° De cette dernière moitié, on coupa un petit morceau pesant
2 livres, on le mit dans la coupelle, et on trouva par lé calcul que le
pfennig entier s'était changé en argent pesant 40 loths.
« 13* On mit le petit morceau de l'article 9 dans la coupelle, et on
tnmva 12 loths d'argent.
« 14° On opéra de même avec un morceau de Tartide 8, et on
trouva que c'était de l'argent; mais, comme on ne l'avait pas préala-
blement pesé, on ne put savoir exactement dans quelle proportion il
s'en était formé.
«15° Dès qu'il n'y eut plus k douter que le cuivre avait été changé
en argent, on chercha le poids de l'argent ; on pesa les pfennigs de
l'article 2 : le premier pesait 125 livres 8 loths, c^est-à-dire 25 lirres
de plus qu'auparavant; le second pesait 79 livres 16 loths, c'est-i-
dire 11 livres de plus qu'auparavant, ce qui n'étonna pas moins les
personnes présentes que la transmutation elle-même.
« 16° On ne peut pas calculer au juste combien une partie de tein-
ture anoblissait de aiivre, parce qu'on n'avait pas pesé le cuivre de
l'article 7 et de l'article 8. Cependant si elle n'avait changé que les
deux pfennigs, il en résulterait qu'une partie de teinture aurait
changé 5,400 parties de cuivre en 6,552 parties d'argent, et, par
conséquent, on ne se trompe pas de beaucoup en disant qu'une partie
de teinture avait transmué 10,000 parties de métal*.
a Actum loco in die ut supra, in memoriam et fidem reisic
gestse factx quae verse transmutationis.
a L. S. Joseph, comte de Wiirben et de Freudenthal.
* Les évaluations numériques contenues dans ce procès-verbal renfef'
ment des non-sens qui auront frappé le lecteur. On est obligé d'admettre,
pour les comprendre, que les auteurs de ces expériences n'accordaient
pas à la livre (Pfund) la valeur qui appartient à la livre commerciale,
médicale ou moïià\a\te âi kvxVmVi^.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 307
t L. S. Wolf, baron de Metteraich.
t L. S. Ernest, comte de Metternich.
€ L. S. Wolf-Philippe Pantzer. »
Pour dissiper le merveilleux des expériences qui furent
exécutées chez le seigneur Wolf-Philippe Pantzer, nous
croyons qu'il suffit de porter son attention sur cette certaine
eau dont parle le procès-verbal; elle dut jouer dans la
transmutation un rôle beaucoup plus sérieux que ne sem-
blent rindiquer les termes indifférents sous lesquels on la
désigne. Ce liquide ne pouvait être autre chose qu'une dis-
solution concentrée d'awtate d'argent, liqueur incolore,
comme on le sait, et que rien ne distingue de Teau par son
apparence extérieure. Les objets de cuivre préalablement
chauffés et trempés dans cette dissolution, en sortaient re-
couverts d'une couche d'argent métallique. Ce qui prouve la
vérité de Texplication que nous n'hésitons pas à présenter
des faits précédents, c'est que les objets de cuivre, en subis-
sant cette prétendue transmutation, augmentaient notable-
ment de poids, comme l'article 15 le constate; cette augmen-
tation de poids ne pouvait provenir que de l'argent précipité
à la surface du cuivre. On comprend d'ailleurs qu'après avoir
subi cette prétendue transmutation, le métal résistât à l'action
de la coupelle; dans cette opération, le cuivre du pfennig
disparaissait dans la substance de la coupelle, et l'argent, qui
était resté en couche épaisse à la surface du métal, formait
le bouton de retour. On peut se demander, il est vrai, com-
ment les auteurs de cette expérience se méprirent à ce point
gur la nature du liquide où les pièces étaient plongées, et
n'eurent point Tidée de le soumettre à l'analyse; avant de
procéder à aucune opération. Mais c'est probablement parce
que les nobles personnages devant qui l'expérience fut exé-
cutée, ces hauts barons et seigneurs, n'avaient pas, en chi-
mie, d'aussi beaux grades.
508 niSTOiBE
Comme appendice à Thistoiro de Lascaris, il nous reste à
rappeler h^ avenlun^ de irois adeptes en possession de sa
teinture, qui ont laissé en Allemagne et en France des traces
que rhistoire et la critique doivent s'attacher à conserver,
(les trois adeptes sont Botticher et Gaelano pour TÂllemagne,
cl pour la France le Provençal Delisle. L'importance du rôle
que ces trois personnages jouent dans Thistoire de ralchi-
mie au dernier siècle nous oblige d'accorder à chacun d'oui
un chapitre spécial, comme pour marquer la place qu'ils
occupent, non à côté, mais à la suite de leur maître.
BOtlicher.
Nous avons déjà entrevu cet adepte au commencement de
la carrière deLascaris, nous l'avons vu recevoir du grand
adepte l'investiture hermétique; nous le suivrons ici dans les
phases principales de sa vie.
Jean-Frédéric Botticher était né le 4 février 1682, à
Schlaitz, dans le Voigtland, en Saxe^ Il fut en grande partie
élevé à Magdebourg, auprès de son père, qui remplissait des
fonctions à la Monnaie. Ce dernier avait les idées mani-
festoment tournées aux sciences occultes, et prétendait pos-
séder lo secret de la pierre philosophale. C'est probablement
à l'éducation qu'il reçut de son père que le jeune Botticher
dut les prédilections qu'il manifesta de très-bonne heure
pour les sciences secrètes. Il avait une dose très-prononcée
de superstition, et mettait une certaine importance à être
né le dimanche, ce qui lui donnait, d'après un préjugé du
temps, la faculté de lire dans l'avenir. Ayant eu le malheur
' On écrit de manières très-différentes le nom de cet adepte. Engel-
liurdt, son historien, l'appelle Bùttger : Schmiedcr écrit Botticher^ d'autres,
BotiyeTt Bœttger, Bottger et Bottcher. Nous adoptons rorthographe de
Sclimicder, dont Tautorité iubliogrnpliique est incontestable. Ajoutons que,
suivant M. Klem, Botticher serait né en 1685, et non en 1082, comme lo
dit EngeUiardl .
DES TRANSMUTATIONS MÉTALUQUES. SOU
de perdre son père, et sa mère s'étaiU mariée en secondes
noces, il dut songer à embrasser une profession. II n*avait
que dix-neuf ans lorsqu'il entra comme apprenti chez Tapo-
thicaire Zorn, à Berlin. C'est en 1701, c'est-à-dire Tannée
même de son entrée en pharmacie, qu'eurent lieu le com-
mencement de sa liaison avec Lascaris et ces conversations
intimes dans lesquelles le jeune apprenti confiait au grand
adepte ses études hermétiques et sa lecture assidue de Basile
Valenlin.
A peine eut-il reçu de Lascaris la haute mission dont ce
grand maître Tavait jugé digne, à peine eut-il fait sa pre-
mière projection, que le jeune initié jura de ne plus vivre
que dans la société des alchimistes. On a vu comment il
s'était empressé, tout aussitôt, de quitter le laboratoire do
maître Zorn. Ce dernier néanmoins ne tarda pas à lui offrir
une occasion d'y rentrer, avec î'espoir secret de l'y retenir. .
Il invita à dîner le jeune Botticher, un jour qu'il recevait à
sa table deux personnes étrangères, le prêtre Winkler, do
H agdebourg, et le prêtre Burst, de Malchon. Les convives
de maître Zorn réunirent toute leur éloquence pour persua-
der au jeune homme de revenir à sa profession et de renon-
cer à un art chimérique. « Jamais, lui dit-on, vousnerendnz
c possible l'impossible. » A ces mots le jeune homme, se le-
vant : « Impossible! i s'écria-t-il d'un ton furieux; et il se
dirigea aussitôt vers le laboratoire, disant qu'il allait exécuter
cette chose impossible.
Tous les convives l'ayant suivi dans le laboratoire, Bôtli-
cher prit un creuset, et se disposa à y faire fondre du plomb;
mais on l'en détourna, dans la crainte que le métal qu'il
allait employer n'eût subi quelque préparation préalable. Ce
fut donc de l'argent qu'il y plaça; il en prit un poids d'en-
viron trois onces, qu'il chauffa fortement dans le creuset.
Au bout de quelques instants, tirant de sa poche un petit
flacon d'argent, il y prit un peu de pierre philosophale;
c'était, nous dit Schmieder, une substance ayant la forme
SlO HISTOIRE
d'un vern; couleur niuge de feu. Bôtticher en jeta un petit
grain sur Targent fondu et chauffa plus fort. E^Gn il coula
lo métal et le montra aux incrédules, qui furent forces de
reconnaître que c'était de Tor parfaitement pur.
Bôtticher vivait en grande intimité avec un certain Sie-
bert, travailleur y comme les Allemands appellent celui qui
dirige un laboratoire de pharmacie. Il exécuta sous ses yeax
une projection aussi remarquable que la précédente. Siebert
mit dans un creuset huit onces de mercure. Bôtticher y jeta
gros comme un grain de blé d'une poudre rouge mélangée à
de la cire. Le mercure se transforma en une poudre brane
(|ui fut mêlée avec huit onces de plomb tenu préalablemenl
en fusion. Un quart d'heure après, le tout était changé
en or.
Par les transmutations précédentes, et par quelques autres
qu'il exécuta pour convaincre d'autres amis incrédules, Bôt*
ticher devint en peu de temps le lion de Berlin. Seulement
c'était lo faux lion de la fable, car il n'en avait que la peau.
Cet alchimiste par procuration assurait partout qu'il savait
préparer la teinture philosophale qu'il employait, et on le
croyait pour deux motifs : d'abord parce que Lascaris ne se
montrait pas, ensuite parce que Ton savait que Bôtticher
avait été élève chez maître Zorn, ce (jui fait assez voir quelle
grande opinion on avait alors des aides apothicaires. Il faul
croire cependant qu'un peu de satire se mêlait à cette admi-
ration, car, selon Schmieder, on se permettait, à Berlin,
d'appeler notre alchimiste adeptus ineptus.
Les bruits de la ville étant parvenus jusqu'à la cour, le
roi Frédéric Guillaume 1" voulut assister à une transmuta-
tion, et ordonna, en conséquence, de s'assurer de la personne
de Bôtticher. Déjà l'ordre (Hait lanc(î de s'emparer de lui;
mais, averti à temps, il sortit de Berlin pendant la nuit et
s'achemina à pied vers la ville de Wittenberg. Comme il ve-
nait de traverser l'Elbe, il aperçut, à une certaine distance
'^**rièrc \m, uw com\\\^Tv^^vi\. ^xv\s&\^\s. ^<i l'on avait envoyé
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 311
à sa poursuite. Il n'eut que le temps de se jeter dans un bois
voisin pour lui échapper.
Bôtticher avait un oncle à Wiltenberg; c'était le professeur
Georges Gaspard Kirchmaier, que Ton cite parmi les écri-
vains alchimiques; il se réfugia chez lui. Mais le roi de
Prusse voulait à toute force posséder ce trésor vivant; il le
fit donc réclamer à la ville de Wittenberg, comme sujet
prussien, car on croyait Bôtticher né à Hagdebourg. De son
ciôté, l'électeur de Saxe, Auguste II, roi de Pologne, le récla-
mait aussi comme son sujet. C'est au dernier de ces deux
monarques que Bôtticher se rendit, mais sans doute dans un
tout autre intérêt que celui de faire trancher entre les deux
cours la question de son origine.*
A Dresde, Tadepte fut parfaitement accueilli, et l'électeur
de Saxe, enchanté des preuves faites eu sa présence, s'empressa
de le nommer baron. Une fois parvenu aux honneurs, Bôtti-
cher oublia tout; il ne songea plus à ses études médicales et
ne fut occupé que de ses plaisirs. D'après le train de vie
qu'il mena pendant deux ans dans la capitale de la Saxe,
on serait même tenté de croire qu'il avait perdu la tête. 11 se
fit bâtir une maison superbe où il donnait de splendides
repas; ces repas étaient très-fréquentés, parce qu'il ne man-
quait jamais de mettre une pièce d'or sous la serviette de
chaque convive. Les dames surtout s'y montraient empres-
sées. On aimait à jouer avec lui, parce qu'il ne cherchait qu'à
perdre. En un mot, il était, dans la haute société, le cher
ami de tout le monde.
Toutes ces dépenses, toutes ces prodigalités, rehaussaient
beaucoup, sans doute, l'apostolat que le jeune adepte accom-
plissait avec tant de conscience et de zèle, mais elles fai-
saient aussi singulièrement baisser sa provision de poudre
philosophale. Il s'était fort gratuitement mis en tête qu'il
pourrait^ grâce aux talents que chacun lui reconnaissait, la
renouveler sans recourir à Lascaris. Égaré par cette illusion,
il continuait à en prodiguer les restes sans mesure. Il finit
312 UISTOIRE
par Tépuiscr jusqu*au dernier grain, essaya d'en composer
d'autre et ne put y réussir.
Sa source d'or une fois tarie, les dépenses avaient cesse
tout d'un coup chez ralcliimiste. Les courtisans de sa for-
tune, SCS parasites ordinaires et extraordinaires, commencè-
rent naturellement par Jui tourner le dos; ensuite, leur res-
sentiment s'élant accru avec le souvenir des jouissaDces
qu'ils avaient perdues, ils le dénoncèrent comme un espion.
Cette calomnie n'ayant pu trouver créance, on en chercha
d'autres. Ses domestiques, mécontents parce qu'on ne les
payait pas, se liguèrent avec ses ennemis et répandirent
le bruit qu'il s'apprêtait à prendre la fuite. Dès ce moment,
et sur Tordre de Télecteur, sa maison fut entourée de sol-
dats, et ses appartements occupés par des gardes qui le re-
tinrent prisonnier dans son hôtel. Botticher comprit alors,
un peu tard, sansdoute, mais enGn il comprit, que les rois oc
donnent pas gratis des honneurs et le titre de baron aux gar-
çons apothicaires.
Cependant Lascaris, qui voyageait encore en Allemagne,
n'avait pas perdu de vue son jeune ami. 11 avait appris son
départ pour Dresde et ce qui lui était arrivé dans la capitale
de la Saxe. A la mauvaise tournure que l'affaire semblait
prendre, il regretta d'être la cause indirecte de la situation
où se trouvait Botticher, et résolut de n'épargner'aucun sa-
crifice pour l'en tirer. C'est dans ce but qu'il se rendit a
Berlin en 1705.
Pendant son séjour dans cette ville, Botticher avait noué
une liaison étroite avec un jeune médecin nommé Pasch,
homme d'un caractère décidé. Lascaris s'adressa à lui. Dans
un long entretien qu'ils eurent ensemble , Lascaris lui lit
une peinture émouvante de la triste position de leur ami et
le persuada de se dévouer à sa délivrance. Pasch consentit à
se rendre à Dresde pour certifier à Auguste 11 l'innocence de
Botticher, et lui proposer en même temps une rançon de
huit cent mille ducals. Ceçendant le docteur Pasch expri-
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 515
mait quelques doutes, ayant de la peine à croire que Las-
caris pût disposer d'une somme aussi considérable. Alors le
grand adepte, le prenant par la main, le fit entrer dans un
appartement retiré, et lui découvrit toute sa provision de
teinture philosophale. Elle pesait six livres. Il ajouta que,
grâce à son art, cette masse changerait cent livres d*or en de
nouvelle pierre philosophale, laquelle pourrait convertir en
or trois ou quatre mille fois son poids d'un métal vil. Comme
dernier argument, Lascaris fit devant le docteur Pasch une
transmutation avec sa teinture, et finit par lui promettre de
le rendre aussi riche que Botticher s'il parvenait à le dé-
livrer.
Comment résister à cet éblouissant étalage de Vargument
irrésistible? Le docteur se mit en route. Il avait à Dresde
deux parents, grands seigneurs et très-influents à la cour.
Espérant obtenir par leur crédit une audience de l'électeur,
il s'adressa à eux et leur communiqua ses projets. Mais ses
parents étaient gens expérimentés et très au fait des habi-
tudes des cours. Ils jugèrent, avec beaucoup de raison, que
l'offre faite au roi de Pologne d'une somme aussi prodi-
gieuse ne pourrait qu'assurer mieux la captivité de Bôltichcr,
attendu que l'on ne mettrait pas en doute que tout Tor en
question ne dût être fabriqué par le prisonnier. Ils propo-
sèrent donc de n'adresser au roi aucune ouverture et de tra-
vailler en silence à préparer Tévasion de l'alchimiste.
Pasch approuva ce plan ; il s'installa dans une maison voi-
sine de celle de Botticher, et commença par établir une cor-
respondance par les fenêtres avec le prisonnier, qui fut ainsi
mis au courant des préparatifs faits pour sa délivrance. On
eut bientôt acheté ses domestiques, qui devinrent les inter-
médiaires d'une correspondance plus facile et plus détaillée.
Tout alla bien jusqu'au moment où les gens du roi s'aper-
çurent qu'il se tramait quelque ciiose entre les deux amis.
L'ordre arriva aussitôt de s'emparer du docteur Pasch, qui
fut jeté dans la forteresse de Sonnenstein -, BoUvcIx^y Iwv-
314 HISTOIRE
même fut enferme dans celle de KœnigsteiH, et eonfié à la
g<irdc du comte de Tschirnhaus. Toutefois on mit à sa dis-
position un laboratoire pour lui permettre de continuer ses
recherches d'alchimie.
Pasch était depuis deux ans et demi prisonnier de Félee-
teur de Saxe^ lorsqu'un des soldats qui le gardaient se mon-
tra disposé à faciliter sa fuite. Tous les deux se laissèrent
glisser le long d'une corde, qui, malheureusement, n'attei-
gnait pas jusqu'à terre. Le soldat s'en tira sans accident,
mais Pasch tomba sur les rochers et se brisa le stemnm. Son
compagnon le traîna comme il put jusqu'aux frontières de
Bohême et de là à Berlin, où il arriva dans le plus triste étal
Comme il n'avait pas vu Lascaris depuis le jour de leur en-
trevue, Pasch se plaignait avec amertume des souffrances et
des dangers auxquels il s'était inutilement exposé. Ses
plaintes étant parvenues jusqu'à la cour, le roi Frédéric le
fit venir et pai:ut écouter avec intérêt le récit de ses info^
tunes. Bien sûr, dès ce moment, que Bôtticher n'était pas
un véritable adepte, Frédéric ne le regrettait plus et se re-
prochait peut-être de l'avoir poursuivi avec un acharnement
qui avait causé son malheur, et par contre-coup celui du
pauvre Pasch, qui mourut six mois après son arrivée à Ber-
lin. Les détails qui précèdent ont été transmis par le con-
seiller Dippel, qui les avait appris de Pasch lui-même pen-
dant les derniers jours de la vie du pauvre jeune homme.
Cependant Bôtticher demeurait toujours enfermé dans la
forteresse de Kœnigstein. Confié à la garde du comte de
Tschirnhaus, il ne devait recouvrer sa liberté qu'après avoir
refait la teinture philosophale, ou du moins indiqué ce qu'il
employait pour la faire, deux conditions presque égales, et
pour lui également impossibles à remplir. Mais la patietice
de l'électeur était à bout ; il menaça l'artiste de toute sa
colère. Dans ces conjonctures, Bôtticher pouvait s'attendre au
plus sinistre dénoûment, lorsqu'un bonheur imprévu vint le
tirer de danget;
DES TRANSMUTATIONS MÉTALUQUES. 515
Depuis longtemps on s'occupait en Europe de chercher à
reproduire la porcelaine, que la Chine et le Japon avaient le
privilège exclusif de préparer et dont la fabrication était te-
nue fort secrète dans ces deux pays. Au dix-septième siècle,
les princes faisaient entreprendre beaucoup de recherches
pour trouver la manière de fabriquer ces précieuses poteries,
qui étonnaient parleur éclat, leur dureté et leur transluci-
dité. L'électeur de Saxe avait confié au comte Ehrenfried
Walther de Tschimhaus des recherches spéciales dans cette
direction. Or c'est sous la surveillance particulière du cojnte
de Tschimhaus que Bôtticher, comme on Ta vu, avait été
placé, par Tordre de Télecteur, dans la forteresse de Kœnigs-
tein pour y continuer ses travaux alchimiques. Témoin des
essais du comte relatifs à la fabrication de poteries analogues
à la porcelaine de la Chine, notre adepte fut naturellement
conduit à prendre part à ses travaux. Son talent de chimiste
et ses connaissances en minéralogie lui donnèrent le moyen
d^obtenir, dans ce genre de recherches, d'intéressants résul-
tats. Ler comte de Tschimhaus le décida alors à s'adonner en-
tièrement à ce problème industriel, plus sérieux et plus im-
portant que celui dont l'électeur attendait la solution.
En 1704, Bôtticher découvrit la manière d'obtenir la porce-
laine rouge, ou plutôt un grès-cérame, espèce de poterie
qui ne diffère de la porcelaine que par son opacité. Il paraît
cependant que Bôtticher n'avait d'abord composé cette nou-
velle poterie que pour en faire des creusets très-réfraclaires
en vue de ses opérations alchimiques.
Ce premier succès, ce premier pas dans l'imitation des
porcelaines de la Chine, satisfit beaucoup l'électeur de Saxe,
et c'est pour lui faciliter la continuation de ses doubles tra-
vaux, c'est-à-dire de ses recherches céramiques et de ses ex-
périences d'alchimie, que, le 22 septembre 1707, ce prince
fit transporter Bôtticher, de la forteresse de Kœnigstein, à
Dresde, ou plutôt dans les environs de cette ville, dans une
maison pourvue d'un laboratoire céramique que l'électeur
316 UISTOIRE
avait fait disposer sur le Jungferbastei. C'est là que Botticher
reprit avec le comte de Tschirnhaus ses essais pour fabriquer
la porcelaine blanche. On ne s'était néanmoins relâché en
rien de la surveillance dont le chimiste était Tobjet; il était
toujours gardé à vue. H obtenait quelquefois la permission
de se rendre à Dresde; mais alors le comte de Tschirnhaus,
qui répondait de sa personne, raccompagnait dans sa voiture.
Nous prions les lecteurs qui seraient tentés de mettre en
doute la véracité de ces détails, de vouloir bien se rappeler
qu*au dix-septième siècle les nombreux essais que Ton fit en
Europe pour la fabrication de la porcelaine furent partout
environnés du secret le plus rigoureux; — que la première
manufacture de porcelaine qui fut établie en Saxe, celle du
château d'Albert, était une véritable forteresse avec herse et
pont-levis, dont nul étranger ne pouvait franchir le seuil; —
que les ouvriers reconnus coupables d'indiscrétion étaient
condamnés, comme criminels d'État, à une détention perpé-
tuelle dans la forteresse de Kœnigstein, — et que, pour leur
rappeler leur devoir, on écrivait chaque mois, sur la porte
dos ateliers, ces mois : Secret jiisqtL*au tombeau^. Ainsi ré-
lecteur do Saxe avait deux motifs de veiller avec vigilance sur
la personne de Bôlticher, occupé, sous ses ordres, à la dou-
ble recherche de la porcelaine et de la pierre philosophale.
Le comte de Tschirnhaus mourut en 1708; mais cet évé-
nement n'interrompit point les travaux de Botticher, qui
réussit, l'année suivante, à fabriquer la véritable porcelaine
blanche, on se servant du kaolin qu'il avait découvert à Aue,
près de Schneeberg. C'est au milieu de l'étroite surveillance
dont il continuait d'être entouré que notre chimiste fut forcé
d'exécuter les essais si pénibles et si longs qui conduisirent
à cette découverte importante. Mais sa gaieté naturelle ne
s'alarmait point do ces obstacles. 11 fallait passer des nuits
entières autour djes fours de porcelaine, et pendant des
* Brongniarl, Troitc des arts cwam\qHft\,\..V\%
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES, 317
essais de cuisson qui duraient trois ou quatre jours non in-
terrompus, Bôtticher ne quittait pas la place et savait tenir
lès ouvriers éveillés par ses saillies et sa conversation pi-
quante.
La fabrication de la porcelaine valait mieux pour la Saxe
qu'une fabrique d'or. Fort de l'avantage qu'il venait d'ob-
tenir, certain d'enrichir, par sa découverte, les États de
son maître, Bôtticher osa avouer à l'électeur qu'il ne pos-
sédait point le secret de la pierre philosophale, et qu'il n'a- -
vait jamais travaillé qu'avec la teinture que Lascaris lui avait
confiée. L'électeur de Saxe pardonna à Bôtticher. La fabri-
cation de la porcelaine était pour son pays un trésor plus
sérieux que celui qu'il avait tant convoité. Une première fa-
brique de porcelaine rouge avait été établie à Dresde en
1706, du vivant du comte de Tschirnhaus; une autre de
porcelaine blanche fut créée en 1710, dans le château d'Al-
bert à Meissen, lorsque Bôtticher eut découvert l'heureux
emploi du kaolin d'Aue. Bôtticher rentra dans tous ses
honneurs et môme dans son titre de baron. 11 reçut en outre
la distinction bien méritée de directeur de la manufacture de
porcelaine de Dresde. Mais, redevenu libre et ayant retrouvé
sa position brillante, il perdit les habitudes du travail qu'il
avait prises pendant sa captivité; il ne mena plus, dès co
moment, qu'une vie de plaisirs et de luxe, et mourut en
1719, à l'âge de trente-sept ans.
Delîsle.
On met au nombre des envoyés de Lascaris l'alchimiste
provençal Delisle, dont les opérations ont fait beaucoup de
bruit en France dans les dernières années du règne de
Louis XIV. Mais cette opinion ne peut être acceptée qu'avec
une rectification d'une nature assez grave, comme on va le
voir.
Selon l'auteur de VBistoire de la phîlosopMc, hcrï\\è\ÀC(vvç ,
Ma HISTOIRE
Lenglet du Fresnoy, qui avait recueilli des renseignements
authentiques sur ce personnage, son contemporain, Delisle
n'était autre chose que le domestique d*un philosophe qui
passait pour posséder la poudre de projection. Il est permis
d'admettre, avec Schmieder, que cet adepte tenait sa pierre
philosophale, ou plutôt sa provision de chlorure d'or, de Las-
caris, car, vers Tannée 1690, époque à laquelle ce philoso-
phe, arrivant d'Italie, se montra dans le midi de la France,
Lascaris parcourait la Péninsule. Quoi qu'il en soit, les opâ'a-
tions de cet adepte ayant excité quelque défiance, il fut obligé
de quitter la France, sur un ordre émané du ministre Lou-
vois. 11 partit pour la Suisse, accompagné de Delisle, et c'est
en traversant les gorges de la Savoie que Delisle aurait assas-
riné son maître pour lui voler la provision considérable de
poudre de projection qu'il portait sur lui. Delisle rentra en
France déguisé en ermite. Trouva-t-il dans les papiers de
sa victime la description de certains procédés capables de
simuler les transmutations? S'exerça-t-il lui-même aux
pratiques de ce dangweux métier? Ou bien enfin, ce qui est
plus probable, faisait-il simplement usage, pour ses opé-
rations, de la teinture de Lascaris, qu'il avait trouvée renfer-
mée dans la cassette de sou maître? On l'ignore. Tout ce que
l'on sait, c'est que, vers \ 706, il se mit à courir le pays en
faisant des transmutations, et qu'il excita, dans le Langue-
doc, leDauphiné et la Provence, une émotion extraordinaire.
Il s'était seulement arrêté trois années environ dans le vil-
lage de Cisteron, où il avait rencontré, dans I'uq des caba-
rets de la route, la femme d'un certain Aluys, dont il devint
amoureux, et qui le retint près d'elle pendant cet inter-
valle. Il en eut un fils, qui porta le nom d' Aluys, et qui,
plus tard, à la faveur d'une petite quantité de teinture phi-
losophale que sa mère lui avait laissée en héritage, parcou-
rut, en Italie et en Allemagne, la même carrière où son père
avait brillé.
Les opérations àe \^A\s\fe <iQii&\^\»Nfc\\ V nx^^s^s^^tss^&'i le
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 5i9
plomb en or, selon le procédé commun des alchimistes; il
avait en outre le talent particulier de changer en or les objets
de fer ou d'acier, opération chimique fort simple en elle-
méme, mais qui, exécutée avec adresse et sous les yeux ie
gens ignorants, produisait Teffet d'une transmutation vé-
ritable. On recherchait avec curiosité, dans le pays, divers
objets, mi-partie d'or et d'acier, tels que clous, couteaux,
anneaux, etc., sortis des mains de Talchimiste de Cisteron;
ce n'étaient pourtant que des objets préparés à l'avance,
qui, grâce à un tour d'escamotage, semblaient provenir
d'une transmutation partielle en argent ou en or.
Delisle s'était attiré ainsi, dans la Provence, dans le Langue-
doc et le Dauphiné, une renommée prodigieuse. « On s'em-
« pressait, nous dit Lenglet du Fresnoy, à être de ses amis,
« je dirai même de ses esclaves. » L'évêque de Senez et un
grand nombre de personnages éminents, qui s'étaient consti-
tués ses défenseurs, lui formaient une espèce de cour au
château de la Palud. Un vieux gentilhomme, qui avait plu-
sieurs filles à marier, lui avait offert dans ce château une
agréable retraite. C'est là que Delisle, véritable héros de la
Provence, recevait chaque jour les visites des curieux du
pays, qui s'en retournaient émerveillés de ses talents et
ravis d'emporter en présent quelque objet singulier, fruit
et témoignage visible de l'habileté de cet incomparable ar-
tiste.
Les lettres suivantes, rapportées par Lenglet du Fresnoy
dans son Histoire de la philosophie hermétique, donneront,
mieux que tout récit, une idée exacte des opérations de l'al-
chimiste provençal :
Lettre écrite par M. de Cerisy, prieur de Châteauneuf, au diocèse
de Riez, en Provence, leiS novembre 1706, à M. /e vicaire de
Saint-Jacques-dU'Haut'Pas, à Paris.
« Voici qiii vous paraîtra curieux, mon cher cousin, et à vos amis.
La pierre pb«losophale, que tant de personnes èd^Vt^e^ qiv\. W\isv«^
520 HISTOIRE
toniir [vmr «ne diimt'^ro, osl enfin IrmmV. C'est un nommé M. De
lislo, fl'unr [«roisse appelée Sylanei, près Bnrjaimnont, et qui fait a
irsidonco onlinaire au château de la Palud, à un quart de lieue d'id,
qui a i-e stHrcl. Il convertit le plomb en or et le fer en argentin
in(>tlant sur le métal iVune huile et d'une poudre qu il compose, el
faisant rou^nr ce métal sur les charbons. Si bien qu'il ne serait pas
iuipossil)l(! h un homme de faire un million par jour, pourvu qu'il ait
su flisai liment d'huile et de poudre ; et autant ces deux drogues pa-
nassent mystéiiew^es, autant et même plus la transmutation est sim-
ple et ais4V. Il fait de l'or blanc, dont il a envoyé deux onces à Lyon,
pour Vi>ir ce que les orfèvres en pensent. Il a vendu depuis quelques
mois vin<;t livres pesant d'or h un marchand de Digne, nommé
M. Taxis. L'or et l'argent de coupelle, de l'aveu de tous les orfèvres,
n'ont jamais approché de la bonté de ceux-ci. U fait des clous partie
or, partie f(>r et partie argent. Il m'(>n a promis un de cette sorte,
dans une conférence de près de deux heures que j'eus avec lui le
mois passé, par ordre de M. l'évAque de Senez, qui a vu toutesxhose?
de ses ]>ropi*es yeux, et qui m'a fait l'honneur de m'en faire le rcdl;
mais il n'est pas le seul. M. et madame la baronne de Reinsralds
m'ont montnî le lingot d'or qu'ils ont vu fairo devant leurs yeux.
Mon l)oau-fit>re Sauveur, qui perd son temps depuis cinquante ans à
cette gi-ande étude, m'a apporté depuis peu un clou qu'il a vu cban-
gei' en or, ot qui doit le pei-suader de son ignorance. Cet excellent
ouvrier a reçu une lettre de M. l'intendant, que j'ai lue, aussi obli-
geante qu'il mérite. Il lui offre son crédit auprès des ministres pour
la sùivté de sa ])ersonne, h laquelle et à la liberté de laquelle on a
déjà entre])ris deux fois. On croit que cette huile dont il se sert est
un or ou aigent réduit en cet état. 11 la laisse longtemps au soleil. H
m'a dit qu'il lui fallait six mois pour ses préparatifs. Je lui dis qu'ap-
paremment le roi voudrait le voir. 11 me dit qu'il ne })Ouvait pas
exercer son art partout, et qu'il lui fallait un certain chmat. La ve-
nté est que cet homme ne paraît pas avoir d'ambition. Il n'a que
deux chevaux et deux valets. D'ailleurs, il aime beaucoup sa liberté,
n'a presque point de politesse, et ne sait point s'énoncer en français,
mais ili)araît avoir un jugement solide. 11 n'était qu'un serrurier qui
excellait dans son métier, sans l'avoir jamais appris. Quoi qu'il en
soit, tous les grands seigneurs qui peuvent le voir lui font la cour,
jusqu'il taiTC vèçuov ^vv>^\ç \\\v\V\\xv> . lU'ureusc la Fnince si «*l
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 32i
[lommc voulait se découvrir au ror, auquel^. l'intendant a envoyé
les lingots ! Mais le bonheur serait trop grand pour pouvoir Tespérer,
car j'appréhende fort que Thommene meure avec son secret. J'ai cru,
mon cher cousin, qu'une telle nouvelle n'était pas indigne de vous
être communiquée. Elle fera aussi plaisir à mon frère; envoyez-la -
loi, je vous prie. Il y a apparence que cette découverte fera un grand
bruit dans le royaume, à moins que le caractère de l'homme que je
Tiens de vous dépeindre ne l'empêche ; mais, à coup sur, il sera parlé
de lui dans les siècles à venir. Il ne faudra plus aller au trésor de
Florence pour voir des clous partie d'un métal et partie d'un autre,
fen ai manié et j'en aurais déjà si l'incrédulité ne m'avait fait négli-
ger cet homme jusqu'à présent. Mais il faut se rendre à la vérité, et
j'espère voir cette transmutation dès que M. Delisle sera de retour h la
Palud. Il esi présentement aux ft*ontières de Piémont, dans mi château
où il trouve du goût. C'est dans le diocèse de Scnez.
« Je suis, etc.
« Signé : Gerisy. i»
Autre lettre dudil sieur de Cerisy au même, 27 janvier 1707.
« Ma dernière lettre vous parlait d'un fameux alchimiste provençal
qui fait séjour à un quart de lieue d'ici, au château de la Palud, el
qu'on nomme M. Delisle. Je ne pouvais vous dire alors que ce qu'on
m'avait dit ; mais voici quelque chose de plus, mon cher cousin : j'ai
on clou moitié fer et moitié argent, que j'ai fait moi-même, et ce
grand et admirable ouvrier m'a voulu encore accorder un plaisir plus
grand : c'a été de faire moi-même un lingot d'or du plomb que
j'aTais apporté. Toute la province est attentive sur ce monsieur ; les
uns doutent, les autres sont incrédules ; mais ceux qui ont vu sont
contraints de céder à la vérité. J'ai lu le sauf-conduit que la cour lui
a accordé, avec ordre néanmoins de s'y aller présenter le printemps
prochain. Il ira volontiers, à ce qu'il m'a dit, et il a demandé ce terme
pour faire ramasser en ce pays ce qui lui est nécessaire pour faire
une épreuve devant le roi digne de. Sa Majesté, en changeant dans
un moment une grande quantité de plomb en or. 11 revint ces jours
passés de Digne, où il s'est donné un habit de 500 écus. 11 y a tra-
vaillé publiquement et en secret, el il y a donné pour environ mille
livresd'or, en dous ou en lingots, a ceux qui l'allaient voir par curiosité.
393 HISTOTOE
Je souhaite bien que ce monsieur ne meure pas avec son secret, et
qu'il le communique au roi. Gomme j*eus Thonneur de dîner avec lui
jeudi dernier, 20 de ce mois, étant assis â son côté, je lui dis tout bis
qu'il ne tenait qu'à lui d*humilier les ennemis de la France; il ne dit
pas que nou, mais il se mit à sourire. Enfin, cet homme est le mi-
racle de Tart; tantôt il emploie Thuile et la poudre, et tantôt h
poudre seule, mais en si petite quantité, que quand le lingot qiie je
ûs en fut frotté, il n'y paraissait point du tout. Je m'en irai au M(nh
tier au premier jour, pour faire travailler proprement à un coatean
tout de fer; M. Delisle m'a promis que, le tranchant de la hme de-
meurant fer, il changerait le reste en argent, et que la même corifr-
sité se trouverait au manche. Voilà ce qui se passe chez nous.
« Signé : Gerisv. t
Lettre de M, de Lions, chantre de Grenoble, du ZO janvier iW.
a Vous savez, sans doute, monsieur, que M. de Givaudan, qui com-
mande dans cette province depuis le départ de M. de la Feuillade, se
porte un peu mieux. C'est un général des meilleurs que le roi ait, et
ce serait assurément une perte s'il mourait.
« M. Mcsnard, curé du Moutier, m'écrit qu'il y a un homme îigé
de trente-cinq ans, nommé M. Delisle, qui convertit le plomb et le
fer en or et en argent, et que cette transmutation est si véritable et
si réelle, que les orfèvres trouvent que son or ou son argent, méta-
morphosé de la sorte, est très-tin et très-pur, et cela avec la même
facilité qu'on blancliit un denier avec du vif-argent. On a pris cet
homme pendant cinq ans pour un fou ou un fourbe ; mais on vient
d'en être désabuse ; car il a enrichi le gentilhomme chez qui il de-
meurait et faisait ses opérations. Il est à présent chez M. de la Palud,
qui n*est pas trop bien dans ses affaires, et qui aurait bien besoin
qu'on lui donnât de quoi marier ses filles déjà fort avancées en âge,
faute de dot. C'est œ qu'il a promis, proprio motu, avant que dt?
s'en aller à la cour, où il été mandé par mi ordre qui lui a été com-
muniqué de la part de M. l'intendant. Il a demandé du temps pour
amasser la quantité de poudre qu'il faut pour faire en présence du roi
plusieurs quintaux d'or, dont il veut faire présent à Sa Majesté. La
principale matit're dont il se sert pour ses opérations sont des simples,
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 325
dont les principaux sont la luminaria major et minor. Il y en a
beaucoup de la première sorte dans le jardin de la Palud, où il en
a semé et planté. Pour la dernière^ il y en a beaucoup dans les mon-
tagnes de la Paludy qui est un bourg à deux lieues de Moutier. Ce que
j*ai l'honneur de vous dire ici, monsieur, n'est pas un conte fait à
plaisir ; M. Mesnard cite pour témoin M. Tévêque de Scnez, qui a yu
Élire de ces opérations surprenantes. M. deCerisy, que bien vous con-
naissez, prieur de Châteauneuf, avec de la poudre que ledit sieur De-
lisle avait donnée, de la grosseur d'une lentille, convertit un petit
lingot du poids de quelques livres. Il fait l'opération en public. Il
frotte le fer ou le plomb avec cette poudre et le met sur du charbon
allumé, et en peu de temps on voit blanchir ou jaunir le métal, qu'on
trouve ensuite converti en or ou en argent, suivant la dose ou la ma-
tière du fer ou du plomb qu'on a frotté. C'est un homme sans lettres.
M. de Saint-Auban lui a voulu apprendre k lire et à écrire, mais il en
a peu profité. Il est impoli, rêveur, fantasque, et n'agissant que par
boutades. Il n'osa pas même paraître devant M. l'intendant, qui l'avait
mandé ; il pria M. de Saint «Auban d'aller répondre pour lui en sa
place.
c Je suis, etc.
« Signé : Lions. »
Extrait .d'une lettre du 49 janvier 1710, écrite à itf. Ricard,
gentilhomme provençal, demeurant rue Bourtiboufg.
« Le chet* Ricard vous envoie un clou moitié argent, moitié fer ;
celui qui l*a prêté parle de tout pour l'avoir vu. 11 m'a montré un
morceau d'or pesant environ deux onces, et dit qu'il a mis lui-même
ce morceau, alors plomb, sur une pelle pleine de charbons ; qu'il a
soufflé ces charbons, mis sur le plomb une pincée de la poudre du
charlatan ; que dans le moment le plomb est devenu or. 11 dit qu'il a
tu pour plus de soixante mille livres de lingots d'or à cet homme, et
ipi'un beau-père du narrateur, nommé Taxis, jadis marchand à Digne,
présentement le plus riche bourgeois de cette contrée, et un autre
Taxis, tous deux riches de plus de deux cent mille livres, ont vendu
à Lyon pour des sonunes considérables de lingots d'or faits par cet
homme. Il dit avoir envoyé acheter six gros clous ; l'un des six est
324 UISTOIRB
celui que je vous envoie : il fut transmué en argent de la tète jus-
qu'au milieu, de là en bas il resta fer. Les autres dnq furent tous
convertis en argent, qu'il a encore en lingot et que j'ai vus. 11 adi-
Yerses épreuves d'or qu'il a vu faire. 11 dit que cet honune met une
quantité d\>r dans un creuset, le fond, Vanniliile, ce sont ces tenues;
il devient semblable à du charbon, et dans cet état on n'en tirerait plus
d\)r. (](>la fait, il mêle ce charbon avec de la terre grasse; cette com-
position est détrempée avec une eau qu'il prépare longtemps d'avance,
tirée d'une infmité d'herbes qui croissent sur nos montagnes; cela
fait sa poudre. On lui a volé une fois de cette eau de quoi transfor-
mer pour vingt-cinq mille livres de matière. Cette poudre feil le
dixième, c'est-à-dire que d'un loiiis d'or anniliilé il en fait dix, et
assure que, s'il avait le loisir de perfectionner son opération, il fe-
rait, d'un, cinquante ou soixante. M. l'intendant a un clou de fer
or et argent. II, y a dans la province pour plus de quatre ou dnif
mille livres d'or ou d'argent, que cet homme a donne au tiers et au
quart, de ses épreuves, clous, clefs, etc. 11 a demandé quinze mois
j)Our préparer de la poudre, et pi*étend, arrivant à la cour, trans-
nmer de la matièie pour un million. Voilà ce que j'ai i*etenu de mille
particularités que cet homme m'a racontées. Au retour de M. Tin-
tendant, qui est à Marseille, je m'infonm^rai de lui de ce qu'il en
sait, et je lui demanderai son clou; s'il l'a encore, il ne me le refu-
sera pas, et je vous l'enverrai. Adieu, mon cher oncle, j'aurais grand
besoin de tenir cet honune en chambre pendant quelques mois. »
Le bruit des opérations de Dolisle parvint jusqu'à' Ver- I
sailles, et la cour s'en émut. Comme on vient de le voir
par les lettres précédentes, Tordre avait été envoyé en 1707
à riutendant de la province de faire venir Delisle à Paris;
mais, sous divers prétextes, il avait éludé cet ordre. On vou-
lut cependant pousser l'affaire jusqu'au bout. L'examen
d'une telle question revenait de droit au contrôleur géné-
ral des linanccs. Desmaretz, récemment appelé à ce poste,
fut donc chargé de rechercher ce qu'il y avait de fondé
dans les bruits qui couraient sur ralchimiste de Cisteron.
Comme l'évoque de Senez s'était beaucoup mêlé à tout ce
qui concernait Del'sle, c'est à lui que Desmaretz s'adressa
DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 325
pour obtenir les renseignements demandés par la cour.
L'évoque de Senez répondit à ses demandes par la lettre, ou
si l'on veut, le rapport qui va suivre :
LeUre adressée par Vévêque de Sene% au contrôleur des finances
Desmaretz, le avril 1709.
f MoDsieuis après vous avoir marqué il y a plus d'un au ma joie
particulière au sujet de votre élévation, j'ai rhonnem^ de vous écrire
aujourd'hui ce que je pense du sieur Delisle, ([ui a travaillé à la trans-
mutation des métaux dans mon diocèse, et quoique je m'en sois expli-
qué plusieurs fois depuis deux mois à M. le comte de PontchaHraiii,
parce qu'il me le demandait, et que j'aie cm n'eu devoir point parler
à M. de Gliamillard ou à vous, monsieur, tant que je n'ai point éir
intciTOgé, néanmoins, sur l'assurance qu'on m'a donnée maintenanl
que vous voulez savoir mon sentiment, je vous le dirai avec sincérité
|K>ur les intérêts du roi et la gloire de votre ministère.
« 11 y a deux choses sur le sieur Delisle qui, à mon avis, doivent
être examinées sans prévention ; l'une est son secret, Tautre est sa pei-
soune ; si ses opérations sont véritables, si sa conduite a été régu-
lière. Quant au secret de la transmutation, je Tai jugé longtenijiN
impossible, et tous mes principes m'ont rendu incrédule plus qu'au-
cun autre contre le sieur Delisle, pendant près de ti-ois ans; pendant
ce temps je l'ai négligé; j'ai môme appuyé l'intention d'une pei^sonnc
qui le poursuivait, parce qu'elle m'était recommandée par une puis-
sstnce de cette province. Mais cette personne ennemie m'ayant dé-
claré, dans son courroux contre lui, qu'elle avait poilé plusieui-s Ibis
aux orfèvres d'Aix, de Nice et d'Avignon, le plomb ou le fer du sieur
Delisle, changés devant elle en oi", et qu'ils l'avaient trouvé très-bon.
je ciiis alors devoir me défier un peu de. ma prévention. Ensuite,
Payant rencontré dans ma visite épiscopale chez un de mes amis, on
le pria d'opérer devant moi ; il le fit, et lui ayant moi-môine olfeii
quelques clous de fer, il les changea en aigent dans le^lbyor de la
cheminée, devant six ou sept témoins dignes de foi. Je pris les clou^
transmués et les envoyai par mon aumônier à Imbert, oifévre d'Aix,
qui, après les avoir fait passer j»ar les épreuves, déchira qu'ils étaient
de très-bon argent. Je ne m'en suis pourtant pas tenu à cela; M. de
^ ■■ .1. .-lu 1,7.»- ' :r-ïi.\ ^ii-. -|ii*: j« ferais cIhkc
_"■ . . JL/— * *"-'.'. :.».': z.rVH-aj'-r dt: et fait, j'appelai
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J-. t.*:- !■: <- ■■ -.— .-r... f i. > :t\»: :•.: tiriu»riit ébranlé ; inais je
•. <r. i-r. :.i- -■-•. - :. ..'.'^ «i -.1 ■p^jration- que je lui ai m
:'»..--. > f-: .-■ i > --i. .c.^ .. .:»:a"^t. «rt rncurf plus par telle
T-' r-.— -j=f..- :*- :.-.: - v.s../.' ivî»::". *u.. vioi qu'il ti»ucliàt a rieu.
V-...- fiTÂ "«a -ro- . :..• rii-tT^. Il i-iî.t: de mon ut-reu, le P. Bc-
' y.. • -.. ..' :■; Fj:!*. r^i /vi- r.:iiuu qu'îl itvait lallo lui-même
I •,.:->: ::. . :".,-. • . X- jilr.Mc l.i v.-ul»:. LiilîUy mon neveu, le sieur
Brrij-j-i.:. •_«:.*. .-. .. i.. •!• ^-J- ti«.«i* -.muinf?. a fait iiu!i>i la luèiiii'
•■f*:i-î»..-.:.. i.'î.iil . -> iL'-nii-.-ur d' \t.u* lairu le détail. Mion>ieur, et
•■ '. .-. I.-.- --v n- vu -t !jil, cent autres iiei'ïïOiines de mon diueêsc
l"' ;.:. t'ivt id!t tii-'!. J»: vuu.* iiv.iuf. mon>ieui', qu'ajirê.s ce grand tê-
rij-'ijnH,»; ■!•: -j-i talt-iH-. di.' tant d'orrévi-e>, de tant dVnieuves de
tout';* -ort»> . m»-* !•» ••venlioii" unt été foitées de ^'éranouir, lua
I 1 '.ri H ..'N- .1 iii'-^ \*-\i\. it mi> l;tntnnio> d*im|H»!iibilili' onl t-lc
'li-'iji*''. ji.«r Ml»- l'iupi''" iiiiiin>.
• Il -'.j.il iriHiiiliiriiilde >;« priMume d de ^a conduite, ronlir li-
qii<-ll'- ••n p'-|i.iriii tioi^ ^nii)»f;nii> : Ir |ircniier, sur ce qu'il est iiièlô
fliin^ ufM: |ii>Mriiiiii: riiiiiiiitrllr dr Si>l<'r()ii )iour k-s monnaies; leM*-
«onil, «!'■ rr ijn'il .i i-ii i1«n\ >:iu(-run«luits sins elTet; et le troiMèmr,
d«; rr, ijiraii|oiinriiMi il lanl».^ d'idlrr î\ lu n»ur pour y o|jéiei'. V«Hi>
\o\r/, irioMMf'iii. (|ni> jr Ht.' (-:i(|i(> ni n\''\i(e rien. Sur la pioeédure
i\r. Si>t«ToM, I*' >\r\i\ Di'lish- m'a soutiMUi qu'elle n'avait rien eonli-e
lui qui piii>M' nvcr i;ii>nii le i\\\n^ hlàuier de la justice, et qu*il n'a-
v;iit j:unuis l'ait iiiidin néjioc^; contraire au service du roi; qu'à la \ê-
rilé, ayant élé il n w six ou sept ans à Sisteron jwur cueillir des Iut-
Im's nécessaires li scn |)(ui<ires, sur les uionta>«ncs voisines, il arail
lii^è chez, un nommé Telous, (pfil croyait honnête honune ; que, (jud-
que teuqis ;qnrs sa surlie, Pelons l'ut accusé d'avoir reniaitiué ili">
louis d'or, et connue le sieur l)elislea\ail demeuré chez cet lionuiit'.
on Mnipv**!"!:^ qu'il poun;m1 bien avoir élé conqdice de Pulous: il
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 5^7
culte simple idée, sans aucune preuve, le fil condumnor [)ur coutu-
uiace, chose assez ordinaire aux juges, dont les sentences soûl toutes
rigoureuses contre les absents ; et Ton a su, pondant mon dernier sé-
jour à Aix, que le nonuué André Aluys n'avait répandu quelques
isoupçons contre lui que pour éviter de lui payer quarante louis qu'il
hii avait prêtés. Mais permettez-iuoi, monsieui', d'aller plus loin et
d*ajouter que, quand il y aurait quelques sou])çons, je crois qu'un
secret si utile à l'État, tel qu'est le sien, mérite des ménagements
« Quant aux deux sauf-conduits sans effet, je puis vous réiwndi'e cer-
tainement, monsieur, que ce n'est pas sa faute, car son année con-
sôstant proprement dans les quatre mois de l'été, quand on les lui ûte
par quelque traverse, on l'empêche d'agir et ou Im enlève une amiée
entière. Ainsi, le premier sauf-conduit devint inutile par l'irruption du
duc de Savoie en 1707, et le second fut à peine obtenu à la lin de
juin 1708, que ledit sieur fiit insulté par des gens armés, abusant du
nom de M. le (M)mte de Grignan, auquel ledit sieur eut beau écrire
lettres sur lettres ; il ne put jamais en recevoir aucune réponse \h>uv
sa sûreté.
« Ce que je viens de vous dire, monsieur, détruit déjà la tioisièuK;
objectiou et fait voir pourquoi il ne peut aujourd'hui aller à la cour,
nonobstant ses promesses de deux ans. C'est que les deux et même
les ti-ois étés lui ont été airachés par des inquiétudes continuelles.
Voilà d'où vient qu'il n'a point ti'availlé et que ses poudres et ses
huiles ne sont point encore dans la quantité et dans la perfection lu'i-
cessaires ; voilà pourquoi il n'a point de poudre parfaite, et n'a jm eu
donner au sieur du Bourget pour vous en envoyer; et si aujouixl'liui
il a fait clianger du plomb en oi' avec très-peu de grains de sa ])ou-
dre» c'était assurément tout son reste, connue il me l'avait dit long-
temps avant qu'il sût que mon neveu dût venir ici, et quand même il
aurait gardé ce peu de matière pour opérer devant le roi, jamais il ne
se serait aventuré avec si peu de fonds, parce que les moindres obsta-
cles de la part des métaux plus aigus ou [)lus doux (ce qui ne se
connaît qu^en opérant) le feraient passer trop facilement pom* un im-
posteur, si, dans le cas d'inutilité de sa première poudre, il n'en avait
pas assez d'autre pour surmonter tous ces aaideuts.
« Souffrez donc, monsieur, que pour concliisiou je vous répète
qu'un tel artisan ne doit pas être poussé à bout, ni forcé de cher-
Ô:IH UISTOIHK
(■lier (fautn^s asilo qui lui sont oiïoils, et qu'il a méprisôs par sun
iii(-lin:itinn cl par mes conseils ; tpron ne risque rien en lui dounanl
(lu temps, et qu'on peut beaucoup peitlre en le presiiant trop ; que la
\»'iité (le. Hiii or ne peut plus être douteuse, après les épi*euves de
tant (roiiévies d'Aix, de. Lyon et de Paris, et que, le peu d'effet des
siuf-eonduits précédents ne venant iK)int de sa faute, il est important
d«'. lui en donner un autre, du succès duquel je ine ferai fort, si tous
voulez bien eu confiei' les bornes et les daases à mon expérience
pour l<î secret, et à mon zMi? pi)ur Sa Majesté, à laquelle je ?ous sup-
plie de vouloir conununiquer cette lettre, ])our ui'épargner les justes
re])roches «pie le roi pourrait me faire un jour, s'il ne saYail pas que
je vdus ai éciit. Assurez-Us s'il vous plait, que si voas in'envoj'ei un
lel sauf-conduit, j'obli<;erai le sieur Delisle à déposer chez uioidi;
]H*écieux jiafres de sa fidélité, qui m'en répondi'ont i)our en pouroir
i-épondre moi-même au roi. Voilà mes sentiments que je souuKisà
vos lumières, par le resiK^ct singuliei* avec l(?(juel j'ai l'honneiir
d'être, etc.
« Y Jean, évèquc de Scnez. »
Kii nicmo loîni>s lyie révùquo de Senez avait été charfje
ilo faire une enquOle sur Delisle, M. de Saint-Maurice, con-
seiller du roi et pnVident de la mounait» à Lyon, avait avu
rinvilation de le laire opérer sous ses yeux. Cnnforméinenl
au désir du ministre, M. de Saint-Maurice lit travailler l'ai-
eliiniisle en sa présence au château de Saint-Auban. Le rdj»-
port (|ui suit expose la manière dont Topérateur procéda
pour exécuter deux transmutations en or, Tune sur du mo^
cure, la seconde sur du plomb. Il faut savoir, pour com-
prendre les opérations (|ui vont être décrites, que Delislo
préparait sa poudre d(î projection en laissant séjourner plu-
sieurs mois les ingrédients au sein de la terre. Avant tic
procéder aux opérations devant le pn-sident de la Monnaie,
il dut donc commencer [»ar aller |>rendre dans le jardin ilu
cbàt(NUi sa poudie «le projection, qui s'y trouvait enterm'
flans le sol, et (\m était censée y subir la préparation eu I.'
toct'wn consid(''r('e par lui comme nécessaire.
DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 329
liapport de M, de Saint-Maurice , président de la Mofinaie de Lyon.
« Les épreuves et les expériences qui ont été faites par le prési-
dait de Saint-Maurice au chAteau de Saint- Auban, dans le mois do
mai 1710, au sujet delà mutation des métaux en or et en argent,
sur ]^iiivitation qui lui fut faite par le sieur Dclisle, de se rendre au-
dit château pour faire lesdites épreuves, sont en la manière suivante :
< Première expérience. — Le sieur de Saint-Maurice, conduit
par le sieur Delisle et M. Tabbé de Saint-Auban dnns le jaixlin du
château, fit, par leur ordre, ôter de la ten'c d'une plate-bande, sous
laquelle était une planche en rond qui couvrait un grand panier d'o-
sier enfoncé dans la terre, dans le milieu duquel était saspendu un
fil de fer, au bout duquel était un morceau de linge contenant quelque
chose. On fit prendre au sieur de Saint-Maurice ce morceau de linge,
lequel ayant été apporté dans la salle du château, le si(>ur Delisle lui
dit de rouvrii* et d'exposer au soleil sur la fenêtre ce qui était de-
dans sur une feuille de papier; ce qui ayant été, M. de Saint-Maurice
reconnut que c'était une espèce de mâchefer ou teire noiratre et
l^rumeleuse, h peu près du poids d'une demi-livre. Cette terre resta
cxiK)sée au soleil l'espace d'un quart d'heure ; après quoi le sieur de
Saint-Maurice enferma le tout dans le même papier et monta avec ses
honuDCs, le sieur Lenoble, son prévôt, et le sieur de Riousse, sub-
délégués à Canna*!, de M. le Bn^t, intendant de Provence, dans un
^O^nler où il y avait un fourneau portatif.
« Le sieur Delisle dit au sieur de Saint-Maurice de mettre cettt^
espèce de mAchefer dans une cornue de verre, a laquelle fut joint un
récipient; cette cornue étant sur le petit fourneau, les chiirbons qui
furent mLs autour de la cornue furent allumés ])ar les valets de
M. de Saint-Maurice. Quand la coraue fut écliaulfi'e, le sieur De-
lisle recommanda à M. de Saint-Maurice de bien observer lorsqu'il
verrait précipiter daiis le récipient une petite liqueur jaunâtre eu
forme de mercure, qui fut de la moitié d'un gros pois. Il recommanda
de prendre garde qu'une manière d'huile visqueuse qui coulait len-
tement ne tombât dans le récipient ; à quoi le sieur de Saint-Mau-
rice eut grande attention ; il sépara pi'omptement le récipient d'avec
la cornue, lorsqu'il s'aperçut que la première, matière était précipi-
tée au fond àa ce vaisseau. Ensuite, sans laisser refroidir cette ma-
lien», il la vei*sa prompteinent sur trois onces de mercure onlinaire
'^T^i HISTOIRE
-jij"i»n ii.iji mi* «lan* un i^-tit rr»=-uv*t: «iir quoi ayaut jelé doux jk»-
i»f«« iiO'iU'-' «Hjuil»- du -'l-il. «j-ii tui lut [•rés«ntt''e daa<i une petite
li'»iit<-ill«- l'if If* *i*'iii Ii»-!i«l>'. il mit le tout sur le feu Tespace d'un
tui^ert-rr, »•! ifHda '.-n-iiit»* ctM|ui ûtait dan^ le crouset dans une liiigo-
tli-i-, *\ il *il Piiitif un jM-iit linijnt tV^v «-ii Innç, du poids donriron
lîoi» i.fii»>, qui »M 1h iiii-iu»- qu'il a |irëM.*nti* à M. Desninreti. Il but
ir'in:iir|i)rr qu»', lniMiUi* r»? HU'rcure ]iIiilosopluqn«^ est refroidi etdes-
'«W-li»', puis iiii* ihm- une buuteill^ d».- verre bien bouchée, il se ré-
• luit en )iriudr»s rjui -«'HpiN^Ui* |¥»udre di* ^irojeilion et qui est noire.
• Seconde crynience. — Elle fut Taitr avec environ trois onces
di* li:db-^ de plond» li pi>tolet, qui iHaieul dans la gibmère du ralei
df M. de Siiint-MHurice, lesquelles ayant été fondues dans un petit
niMiM't et :iflin<''e> par li' moyen de l'alun et du salpêtre, le sieurDe-
li<>li* pr(ïsent:i à M. de Sîiint- Maurice un petit papier et lui dit de
pirndr*' dr la poudre qui y était, environ la moitié d'une prise de
laliac, laquelle fut j<^ti>o |)ai' le sieur de Saint-Maurice dans le creuset
nù ét»it le plcuid) fondu; il y versa aussi deux p^outtes de l'huile du
sulril de sa première bouteille, dont il a été parlé ci-de,<;sus ; ensuite
il remplit ce cr(ins(>t de s:d|)<^tre et Liissa le tout sur le feu Tespace
d'nn (juaii d*heim»; aprî's quoi il versa toutes ces nlnti^n^s fondiiff
l'I hhM^'s ciiw'mble sur la moitié d'une cuirasse de fer, où elles for-
mr-i'enl la petite plaque d'or avec les autres morceaux qui ontétépiv-
MMilés à M. Desmaretz par M. de Saint-Maurice.
« I/e\|)érien(e pour Tarèrent s'est fait«» de la même maniiVe que cette
di'inière, à la i«'sei*ve que la poudre métallique ou de ))rojection, pour
l'ar-^enl est blancliàtre. et que celle ]H)ur Tor est jaunàtiv etnoiràtn\
« Toutes lesdiles exiH'rienoes attestées ètn? véritables et avoir t-té
laites au eliàteau de Saint-Auban, par nous, constMller du i*oi en ses
eoiueils, pn*si«lenl eii la i'»)ur des Monnaies de Lyon et commissaire
du conseil, nonuué par ai'rét du 5 dtVembre 1709, pour la rechor-
(lie dt>s fausses fabrications des espV-es, tant en Pitwence, Danphiné.
ipie nuntédeNice et valli'i's «le Rarcelonnette. A Vei-sailles. le lidi'*-
cembre 171(1.
-I Siuné : De Saînt-Mairice. i»
Avec II» rapport prtvédi^ni. M. de Saint-Mauriiv onvovâ
III ministre IVsmarei/ T^r piMvenniit d»*s diHix transmuta-
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 351
lions opérées sous ses yeux par Talchimiste de Sisteron. On
avait essayé à la Monnaie de Lyon de frapper des médailles
ou pièces avec cet or philosophique; mais, le métal s'étant
trouvé très-aigre, on y renonça, et Ton se contenta d'envoyer
au ministre le lingot fabriqué par Delisle *. A Paris, ce métal
fut soumis à raffinage, et Ton en frappa trois médailles,
flont une fut déposée au cabinet du roi : (r Le carré en sub-
« siste encore au balancier, écrit Lenglet du Fresnoy en 1762,
et l'inscription porte : Aumm arte factum. Le transport
tf du cabinet du roi, de Versailles à Paris, ayant mis ce pré-
« cicux dépôt dans un grand dérangement, je n'ai pu en
« donner une empreinte; mais j'aurai quelque jour occasion
« de le faire. »
Les deux rapports adressés au ministre Desmaretz par
rt'vôque de Senez et le président de la Monnaie de Lyon
confirmaient, en les précisant, les merveilles, attribuées à
Talchimiste du Midi. Louis XIV, à qui ces faits furent com-
muniqués, fit commander à Delisle de se rendre à Versailles.
Mais, comme cet imposteur avait lieu de redouter un examen
trop attentif, il opposa pendant deux ans toutes sortes de
* Le monnayeur de Lyon à qui cet essai avait été confié montrait moin!«
de confiance que son supérieur dans la validité de Tor philosophique.
C'est ce que montre la réflexion qui termine sou petit Rapport à M. de
Saint-Maurice sur l'essai dont il fut chargé. Cette pièce est ainsi conçue :
« Rapport du monnayeur de la Monnaie de Lyon. — On a voulu fondre
( dans la Monnaie Tor remis par Monsieur (de Saint-Maurice], et lo
a mettre en état d*étre monnayé : il s'est trouvé si aip:re, qu'il n'a pas été
( possible de le travailler. En cet état, je demande à Monsieur (de Saint-
k Maurice] s'il trouve à propos que je le t'iisso passer à l'atlinage, c'est-
f à-dire au départ de l'eau-forte.
a A l'égard de l'argent, il s'est trouvé à 11 deniers 5 grains et a pro-
c duit 2 écus, 2 demi-écus, 5 quarts et 3 pièces de 10, que je me donne-
' l'honneur de présenter à Monsieur (de Sainl-Mnurice).
K Je prends néanmoins la liherté de lui représenter, fondé sur l'expé-
1 rience et sans aucime prévention, que ces matières philosophiques mo
« sont extrêmement suspectes, et, quand il lui plaira, j aurai Thonneui
' d'en donner des démonstrations InnI mécaniques que physiques, m
:m histoire
défaites pour se ilispenser de paraître à la cour. A la fin on
(HTdit patience, et rëv(M|iie de Senez sollicita InUmême une
lettre de cachet contre son favori. En 1711, l'alchimiste fut
enlevé et dirigé sur Paris. Hais, dans le trajet, les archers
ehargi's de le conduire, sachant à quel homme ils avaient
affaire, résolurent de le tuer pour s'approprier la pierre phi-
loKophale (|u'il portait sur lui. On feignit donc de se relâ-
cher de la surveillance dont il était l'objet, ou lui donna
lieu de s'enfuir, et l'on tira sur lui au moment où il s'échap-
pait. On fut assez maladroit pour ne pas le tuer; il eut seu-
lement la cuisse cassée. En cet état il fut enfermé à la Bas-
tille. Il y demeura un an, refusant toujours de travailler, el
déchirant dans des acc(»s de désespoir les bandages de îvs
blessures. Il finit par s'empoisonner.
Domcnico Manuel.
Don Domeuico Manuel, comte Gaëtano, comte de Ruggiero,
NeapolitanOy maréchal de camp du dm de Bavière, générai
cmiseiller, colonel d'un régiment à piedy commandant de
Munich et major généi^al du roi de Prusse^ i»tail, au temps
qui nous occupe, un dos plus grands seigneurs de l'Europe.
La pompe de son nom, la variété de ses titres, le faisaient
considérer comme un homme universel. D'où s'était levé cet
astre, ou plutôt cette comète à si longue queue, qui, au com-
mencement du dix-huitième siècle, apparut au firmament île
la philosophie hermétique?
Domcnico Manuel (Hait né à Pctrabianca, prés de Naples,
d'une famille honnête et d'un père maçon. Dans sti jeu-
nesse, il apprit le mc'tier d'orfévrc, ensuite il voyagea en
Italie, et ce fut dans ce pays même que, d'après son propr»'
témoignage, il fut initié, en 1695, au secret de l'art tran>-
mutatoire. Bien que Domenico n'ait |)oint prononcé le nom
de l'adepte qui l'instruisit, on croit avec assez de fondement
c'étivU co même. \|hilosophe italien de (jui le Pnneneal
DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. r.:..-
Delîsle avait tiré sa imudrc, c'est- j'i-Jirj'! I^srîiris, (|iii [ku-
lait si bien l'italien dans son vovaj^o avec le nmseillcr
Liebknecht, et qui ne s'était pas encore niontn'' en Allema-
gne à répoquo indiquée par Donienico. Schmieder, (rail-
leurs, nomme positivement ce dernier, sous le nom dc^ (w?<'
tano, parmi les jeunes gens qiK^ Lascaris eniplovail à sa
propagande alchimique.
Ce qui est certain, c'est que Donienico avait entre les mains
les deux teintures de Lascaris, la teinture blanche pour Tar-
genl et la teinture rouge pour les transmutations en or. Seu-
lement il ne possédait ces deux poudres (| n'en très-petite quan-
tité. Ne pouvant donc espérer s'enrichir par le pniduit direel
de ses projections, il voulut atteindre son Lut par la ruse, le
mensonge et l'escroquerie. Il s'annonçait comme disposé à
enrichir tout le monde au moyen des masses de poudre phi-
losophale qu'il promettait «le préparer. Kn attendant, il dt'-
pensait fort peu de la sienne, tout juste e(^ qu'il en fallait
pour des expériences auxquelles on n'assistait pas sans payer
fort cher. Longtemps il trouva d'illustres htmêts qui, [k)ui
le voir opérer, lui apportaient beaucouj) plus d'or (ju'il
n'en fabriquait devant eux; il disparaissait ensuite avec la
recette.
En quittant l'Italie, le premier pays que Domenico visita
fut l'Espagne. 11 demeura (juatre mois à Madrid et y fit très-
bien ses affaires; car, plus t^rd, Tambassadeur espagnol,
marquis de Varto, lui reprocha publiquement à Vienne
d'avoir volé quinze mille piastres à son cousin. Cependant
il avait donné de si belles preuves de son art dans la ca[ntale
de l'Espagne, que l'envoyé de Bavière, le baron de Daum-
garten, l'engagea à se rendre à Bruxelles auprès de l'élec-
teur, qui était alors gouverneur gt'^iéral des Pays-Bas. Il le
présentait à son maître comme un véritable adepte: rhoiiuno,
an surplus, ne devait pîis tarder à se reconnuande.r lu»-™»^"»*
])ar ses leuvres.
Une fois eutn'*, à Brnx«'lles, chez rélecieur Ha
V,
:,.ji HISTOIRE
Kiuinanuol do Bavioro, Domenico se signala par des trans-
nmtalioiis on or ot on arf^'ont qui excilJTont Tadmirationdi»
la oour ot lui valiironl u no confiance illimitée. Mais il ne se
l»ressa pas d'exploittT ces sentiments; il avait jeté ses vues
sur rôlecteur, au bénéfice duquel il voulait, disait-il, dé-
jiloyer le fort et le fin de son art. Il promettait de lui procu-
rer dos tn'sors immenses et de préparer en grand, pour son
usage, la teinture rouge. Maximilien avait dans cet aventu-
rier une confiance av<Migle; il n'éprouvait qu'une crainte,
c'était de le voir porter ailleurs sa bonne volonté et ses ta-
lents. Pour se l'attacher plus étroitement, il lui accorda les
premières places d'honneur à sa cour, avec les titres les plus
magnifiques et tout l'argent que le fabricant d'or lui deman-
dait. Il paraît quo, sur ce dernier chapitre, les besoins étaient
fn'quents et les requêtes souvent répétées; car, on très-peu
de temps, Domenico soutira à l'électeur une somme de six
mille florins.
Fressi^ enfin de remplir ses promesses, il voulut recourir
à la dernière» ruse de son sac, A trois reprises il essaya de
fuir, mais il fui toujours rattrapé. Hien convaincu alors
«jn'il avait ou affaire à un fripon, Maximilien le fit con-
duire en Bavière et enfermer dans une tour du château de
(îrimorwald.
Domenico Manuel fn t retenu dans cette prison pendant deux
ans, au bout desquels il réussit à s'évader. Il se rendit alors à
Vienne, où nous le trouvons en \10^, sous le nom de comte
de Rugijicro, Une projection qu'il fit en présence du prince
Antoine de Lichienstein et du comte de Ilarrach réussit à
tel point, que toute la cour en resta saisie d'admiration.
L'empereur Léopold le prit sur-le-champ à son service, et lui
donna six mille florins pour préparer la teinture qui avait
servi à cette expérience. Mais, l'empereur étant mort sur ces
entrefaites, perscmue ne réclama ni la teinture ni les six
mille florins : tout fut donc cette fois profit sans danger pour
l'alchimisle.
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 37^5
Domenico Manuel venait d'ailleurs de trouver un nouveau
protecteur, et par conséquent une nouvelle dupe dans la per-
sonne de Jean-Guillaume, électeur du Palatinat, qui résidait
alors à Vienne. Cet illustre personnage se laissa traiter comme
tous les précédents : les mêmes preuves le convainquirent,
les mêmes promesses l'aveuglèrent; l'impératrice veuve se
mit elle-même de moitié dans ses illusions. L'alchimiste
s'était engagé à leur livrer, dans six semaines, soixante-
douze millions, offrant sa tête pour garant de ses promes-
ses. Hais le jour même où ce terme expirait, il eut l'esprit
de se sauver avec la fille d'un seigneur, qu'il fit comtesne
de Ruggiero.
En i 705, on le voit paraître à Berlin sous le nom de comte
Gaëtano. Il demandait au roi de Prusse de le protéger
contre ses persécuteurs, promettant en retour de lui ensei-
gner son art et d'enrichir le trésor royal. Frédéric 1", que
la présence de Lascaris dans ses États avait ramené aux idées
alchimiques, ne repoussa pas les propositions de GaiHano,
mais il voulut les soumettre à la décision de son conseil . Au-
cune opposition ne s'éleva au sein du conseil contre les pro-
jets du roi.
Le chancelier Dippel, qui se trouvait alors à Berlin, éprouva
le désir de faire connaissance plus intime avec le comte Gaë-
tano. Celui-ci, fort complaisant pour un tel connaisseur, lui
montra ses deux teintures; il lui restait encore à peu près
un gros de la blanche et un peu plus de la rouge. Sur la de-
mande de Gaëtano, Dippel envoya chercher par son domes-
tique sept livres de mercure. L'alchimiste plaça ce métal dans
un flacon de verre qu'il chauffa au bain de sable. Quand le
mercure se trouva portéà rébullition, il jeta sur le métal un
j^rain de sa teinture blanche, et l'on entendit aussitôt un sif-
llement aigu. Dès que le bruit eut cessci, Gaëtano, retirant le
llacon du feu, le laissa tomber à terre, et Dippel reconnut
avec surprise, parmi ses débris, un gros culot d'argent
pur. Cette opération, qui n'était qu'un tour d'escamntapje,
r>5(> HISTOIRE
lit du conseiller Dippel un des |)artisans les plus dévoués de
Tadepte.
Le comte Gaëtano, ou plutôt Domenico Manuel, ne tarda
pas à recevoir Tordre d'opérer devant le roi. Le prince Fré-
déric-Guillaume, le comte de AVartenberg, maréchal do
cour, H le maréchal de camp, comte de Warlensleben, fu-
rent les témoins des essais. Le jeune prince Frédéric, natu-
rellement très-soupçonneux, surveillait de près Talchimisto.
Gaëtano commença par la transmutation du mercure en or.
On mit du mercure dans un creuset et Ton chauffa ; Topéra-
teur versa dessus quelques gouttes d'une huile rouge et agita
le contenu du creuset. Au bout d'une demi-heure, on retira
le creuset du feu et on le laissa refroidir. Des orfèvres et des
essayeurs de monnaies, que Ton avait fait venir d'avance,
examinèrent alors le métal, qui pesait près d'une livre, et
reconnurent qu'il consistait en or d'assez bon aloi.
Dans une seconde opération, on changea en argent la
même quantité do mercure. L'alchimiste opéra ensuite sur
une lame de cuivro, dont il convertit en or la moitié. Pour
terminer, il fil présent au roi de quinze grains de teinture
blanche et de quatre grains do teinture rouge, l'assurant
(|U(i la première lui fournirait (juatre-vingt-dix livres d'ar-
j^ent, et la seconde vingt livres d'or.
Mais, où le comte GaiHano acheva véritablement de fasci-
ner le roi. ce fut lorsqu'il lui promit de préparer en deux mois
huit onces do teinture rouge et sept de teinture blanche;
quantités qui devaient produire on tout une somme de six
millions do tiialers. A partir de ce moment, il fut vénéré à b
(rour comme un (envoyé du ciel ; il n'eut point d'autre de-
nuMire {\\xe le |)alais du prince royal et fut nourri de la cui-
sine du roi. Frédéric lui donna solennellement sa parole de
l'honorer entre tous s'il tenait sa promesse *.
Gaëtano ne négligeait rien pour se donner toutes les ap-
' jVémoireft du baron (l(»|^VoUnUi .
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 357
parences d*un adepte en train de procéder à Topéralion su-
prême de la préparation de la pierre des sages. 11 multipliait
ses projections, ayant toujours soin d'opérer en présence d(»
nombreux témoins, afin qu'on parlât beaucoup de lui. Quel-
ques-unes de ses transmutations étaient fort singulières et
témoignaient de sa part d'une merveilleuse habileté de main.
Un jour, il changeait en or%des florins d'argent sans en al-
térer ni l'inscription ni Teffigie. Un autre jour, à l'imitation
de Delisle, il transformait à volonté des objets de fer en ar-
gent ou en or. Mais de toutes ses expériences, à cette époque,
voici l'une des plus curieuses.
Il avait fait la connaissance d'un jeune Berlinois, et avait
reconnu que la discrétion n'était point la vertu dominante
de son ami. Il le fit un jour entrer dans son laboratoire, afin
de le rendre témoin d'une opération sur laquelle il lui re-
commandait le silence, bien certain, d'ailleurs, que ce con-
fident n'aurait rien de plus pressé que d'aller publier en tous
lieux ce qu'il aurait vu. Gaëtano lui exhiba d'abord sa pierre
philosophale; c'était une poudre rouge comme du vermillon,
nous dit un témoin qui l'avait vue. Sur la main du jeune
homme il posa alors une feuille de papier recouverte d'un
peu de sable; à côté de ce sable, il mit deux petits grains à
peine visibles de sa teinture rouge. Il prit ensuite un florin
qu'il fit chauffer et qu'il plaça, encore chaud, sur la feuille
de papier, il ordonna alors au jeune homme de fermer la
main, de telle sorte que le sable vînt recouvrir le florin.
Aussitôt, on vit de la fumée s'échapper de la main, l'odeur
du soufre se fit sentir, et le florin se trouva changé en or.
Tous ces tours étaient fort jolis, sans doute, mais ils ne
remplissaient pas l'attente du roi, ni l'importante promesse
(fue Gaëtano lui avait faite. De son c/)té, ce dernier se mon-
trait fort mécontent. Il avait espéré des présents considéra-
bles, et, jusque-là, toute la générosité du roi s'était réduite
à l'envoi de douze bouteilles de vieux vin de France. Humilié
d'un pareil cadeau, Ttirtisle se retira une çremièce ^civ"^ \\ W\V-
r,r.s HISTOIRE
«li'sheiin, vi iiTn» seconde fois à Slettin. Cependant, de^^ lettres
de fçraco, un portrait enrichi de diamants et une nomina-
tion iiii grade de major général l'eurent bientôt ramené. Un
jour, le roi lui paraissant en humeur de donner, Gaëtano
crut le moment venu d'exploiter ses illusions, et fit la de-
mande catégorique d'une somme de cinquante mille thalers
pour continuer ses travaux. Un autre jour, se décidant à
céder son secret pour une somme ronde, il demanda mille
ducats pour un voyage en Italie.
Tant d'inconséquence éveilla les soupçons. Dans le même
temps, le roi recevait de l'électeur palatin le conseil de se
méfier de son homme, et une lettre, envoyée de Vienne, lui
donnait le môme avis. Gaëtano fut pressé plus vivement de
tenir sa promesse. Il tenta alors de s'échapper une troisième
fois pour gagner Hambourg; mais on le rattrapa, et il fui
enfermé dans la forteresse de Custrin.
Usant de Texcuse traditionnelle des artistes hermétiques
places sous les verrous, Gaëtano se plaignit de ne pouvoir
travailler en prison. Pour lui ôter tout prétexte, on le ramena
A Berlin. Mais, bien (ju'il (Mit promis de s'occuper immédia-
tement (le [^réparer sa teinture, il ne fit qu'exécuter quel-
(fues-unes de ses projections ordinaires, afin de gagner du
t(Mnps. Tout son but ('»tait d(» trouver une occasion de s'enfuir.
Ct^îte occasion se présenta en effet, et Gaëtano, s'échappant
de Berlin, alla chercher un refuge à Francfort-su r-le-Mein.
Mais le roi de Prusse ayant demandé son extradition, lefu-
i^itif fut livré et ramené dans la forteresse de Custrin. Sommé
une dernière fois de remplir ses engagements, il paya encore
par de belles promesses ou par des essais insignifiants, qui
ne laissèrent plus douter qu'il n'eût pris le roi pour sa dupe.
Hnfin, ayant usé toute sa provision de poudre, il devint
uK^me incapable de recommencer ses transmutations ordi-
naires : son crime de lèse-majest('^ fut ainsi prouvé jusqu'à
révidenco. Aussi GaiUano tHait-il déjà perdu lorsqu'on lui fil
procès pour \«l Iowxvô, Vv^vî.^w;v\i couçable du crinie de lèse-
DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 5oî»
majesté, Io29 août 1709, il fut pendu à Berlin. Selon un
usage allemand, il fut conduit au supplice couvert d'un ha-
bit de clinquant d*or, et Von avait dore^ le gibet où son corps
fut attaché.
La sentence des juges de Berlin a été taxée de sévérité et
même de barbarie. Le roi lui-même, qui en avait permis
Texécution, Tapprécia sans doute ainsi lorsque le temps lui
eut permis de réfléchir sur cette triste affaire, car il défendit
à toute la cour de prononcer jamais devant lui le nom do
Gaëtano.
Avec rhistoire de cet aventurier se terminent les récits des
principales transmutations métalliques dont nous voulions
présenter les particularités intéressantes ou peu connues. Il
serait superflu, nous le croyons, de développer longuement
les conclusions à tirer de ces faits. ,Dans les événements sin-
guliers dont nous avons raconté les détails, il y avait sans
doute des motifs suffisants pour établir la vérité de l'alchi-
mie h une époque où Tignorance des phénomènes chimi-
ques livrait forcément les témoins de ces expériences à
toutes sortes de surprises et d'erreurs. Mais les connais-
ssunces scientifiques de notre époque permettent d*éclaircir
le sens de ces faits. Nous nous sommes efforcé de montrer
en quoi ont consisté les ruses ou les fraudes que les adep-
tes accomplissaient pour faire croire à leur science. Si,
dans quelques-uns des événements que nous avons eu oc-
casion de rapporter, la critique demeure un instant hési-
tante, c'est qu'elle manque de renseignements exacts sur
le détail des opérations qui furent accomplies. Ces parti-
cularités secondaires n'enlèvent rien pourtant à la conclu-
sion générale qu'il nous reste à formuler. Le mensonge et
la ruse ayant pour mobile le désir de s'élever à la fortune
et aux honneurs, cette jouissance singulière que l'homme,
540 HISTOIRE DES TRANSMITTATIONS MÉTALLIQUES.
en dehors inAme de tout intérêt, éprouve à tromper ses sem-
blables, et qu'il faut bien reconnaître quand l'histoire mo-
rale de l'humanité nous en offre de si nombreux et de si
(^tonnants exemples, enfin quelques erreurs involontaires
commises de bonne foi, et provenant de l'imperfection delà
science de cette époque, c'est ainsi qu'il convient d'expli-
(|uer les prétendus faits de transmutation métallique dont on
vient de lire les récils.
l
L'ALCHIMIE
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE
L'ALCHIMIE
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE
vieilles croyances à la pierre philosophale et à la
ûutation des métaux sont loin d'avoir disparu, comme
croit, aux lueurs des premières vérités de la chimie
:ne. En dépit des raisonnements et des faits contraires
lulés par la science de notre époque, malgré les tristes
ombrables déceptions apportées depuis dix siècles aux
mces des faiseurs d'or, les opinions alchimiques sont
B professées de nos jours. Dans plusieurs contrées de
»pe, quelques débris ignorés de la tourbe des philoso-
hermétiques continuent à poursuivre dans l'ombre la
îtion du grand œuvre, et parmi les modernes adeptes,
îst plus d'un qui n'hésite, pas h trouver dans les prin-
mémes de la chimie actuelle, la confirmation de ses
ines. C'est principalement dans la rêveuse Allemagne
'est conservée cette race opiniâtre. On a déjà vu qu'une
association d'alchimistes, fondée en 1790, a existé en
>halie jusqu'à l'année de 1819, sous le nom de Société
étique. En 1837, un alchimiste de la Thuringe présenta
lociété indmtrielle de Weimar une prétendue teinture
e à la transmutation des métaux. On a pu lire à la même
le, dans les journaux français, l'annonce d'un cours
Tru l*al(:himir
public do iiliilosophio hermétique, par le professeur B..., de
Municli. Enfin, aujourd'luii mt^me, on cite dans le Hanovre
l't ilan-^ la Bavir»re dos familles entières qui se livrent en com-
mun à la n*clierclif du j^rand œuvre.
Mais r Allemagne n'est pas le seul pays de l'Europe où Tal-
cliimie eontiniii' d'rtrc cultivée. Dans plusieurs villes de
ritalie et dans la plupart des grandes villes de la France, on
trouve encore dt's alchimistes. De loin en loin, nous voyons
|iaraître dans la bibliographie française, quelques écrits où
h*s prétendus mystères de l'art sont exposés dans un langage
d'une obscurité impénétrable etavtHi le cortège des symboles
traditionnels. Ces livres, dérobés habituellement à la con-
naissance du public, ne se voient guère qu'entre las mains
dt»s initiés. Li»s curieux et les amateurs des souvenirs du vieux
temps y retrouvent avoc délices un arrière-parfum des rê-
veries du m(»yen âge.
Entre les villes de la France, on a coutume de citer Paris
comme particulièrement riche en alchimistes. Cette obser-
vîitioii n'a rien d'exagéré : on ï)eut dire qu'il existe à Paris
d<s alchimistes tlii'oriciens et des adeptes empiriques. Les
premiers se horniMil i\ reconnaître pour vraie la donnée
scientiri(|U(» de ralchiinie, les autres s'adonnent aux recher-
chés expérimenlah^s (jui se rattiichent à la transmutation d«s
métaux. Un savant assez connu, M. B..., aujourd'hui pro-
fesseur de l'une de nos facultés des sciences de province, a
pris, dans S(m Traité de chimie, publié à Paris en 1844,
la défense des o|)inions herm(''tii|ues, et il y dit qu'il • a
quelque espoir de voir niussir l'opt'ration du grand œuvre. »
Ouant aux chercheurs empiriques, ils ne sont pas rares dan>
h's bas-fonds de la science, et l'on ne vit pas longtemjïs dans
h' numde chimique sans se trouver plus d'une fois en ra|>-
port avec eux. Pour mon compte, je me suis tnuivé assez
souvent en contact avec des alchimistes de tout paragc, »*l
jMMit-ètre irouv^ra-t-on queUpie intérêt au récit des souve-
nirs (|ui nVew s^mVvesVv^^.
AU DIX-NEUVIEME SIECLE. ^Aî\
Je fréquentais, en 184-..., le laboratoire de M. L... C'était
le rendez-vous et comme le cénacle des alchimistes de Paris.
Quand les élèves avaient abandonné les salles après le travail
delà journée, on voyait, aux premières ombres du soir, en-
trer un à un les modernes adeptes. Rien de plus sin<(ulier
que l'aspect, les habitudes et jusqu'au costume de ces
hommes étranges. Je les rencontrais quelquefois, dans le
jour, aux bibliothèques publiques, courbés sur de vastes in-
folio; le soir, dans les lieux écartés, près des ponts solitaires,
les yeux fixés, dans une vague contemplation, sur la voûte
resplendissante d'un ciel étoile. Ils se ressemblaient pres(|ue
tous. Vieux ou llétris avant l'âge, un méchant habit noir, ou
une longue houppelande d'une nuance indélinissable, cou-
vrait leurs membres amaigris. Une barbe inculte cachait à
ilemi leurs traits, creusés de rides profondes, où se lisaient
les traces des longs travaux, des veilles, des inquiétudes dé-
vorantes. Dans leur parole lente, mesurée, solennelle, il y
avait quelque chose de l'accent que nous prêtons au langage,
des illuminés des derniers siècles. Leur contenance, abattue
«t (ière tout ensemble, révélait les angoisses d'espérances
ardentes mille fois perdues et mille fois ressaisies avec
désespoir.
Parmi les adeptes qui se réunissaient dans le laboratoire
de M. L..., j'avais remarqué un homme jeune encore et dont
les dehors m'avaient frappé. Uien, dans ses habitudes ni
dans son langage, ne rappelait ses mystérieux compagnons.
Loin de combattre avec eux, ou de rejeter avec mépris les
principes de la chimie moderne, il les invoquait sans cesse,
car il avait trouvé le germe de ses convictions alchiiui(|ues
dans l'étude môme des vérités de cette science. Dans les
discussions fréquentes qu'il soutenait avec nous sur la cer-
titude des dogmes hermétiques, il ne prenait ses arguments
que dans les découvertes des savants de nos jours. Aucun
fait scientifique ne lui était étranger, car il avait suivi lon;i-
temps les leçons des plus célèbres de nos maîtres; niais< la
.-.ir. LAiCHlMIt
^:n.'ri'.r. iriie siiii».' nourrilure des espriu*, s'était tournée
«-h»'z lui »'n MU \^}\i*m amer t|ui altérait les sources des pri-
initi\*.*'i liuiiun-. Ces <«)rtes de conférences avaient pour moi
un (ittiMit ti'Ut particulier, et j'avoue à ma honte que sou-
\eHt jr* les {»rolon;:Hiû> avec intention, séduit par la singula-
rit»' d»^ rt'< discours, où le< inspirations de Tilluminé et les
rdixjunerneuts du savant s»- confondaient de la plus étran^T
nuinière.
C'est viTs cette époijue «jue j'eus à soutenir avec mon
adepte une discussion étendue sur les principes de la science
hermétique. Il me lit à cette occasion une exposition géné-
rale des doctrines de l'alchimie, et passa eu revue toutes
li*s [»reuves historiques que l'on invoque pour les justi-
lier. Cet entrelien est encore tout entier présent à ma mé-
moire, et je le rapporterai ici, car il pourra faire connaître
bien des faits né^'ligés ou même à peine soupçonnés aujour-
d'hui.
4«' me pmmenais vers la fin de la journée au Luxembour^;,
dans lallt-'e île TObservaloire, quand je vis par hasard mou
philuMjphe arrêté près de la grille du jardin. Dès qu'il m'eut
aperru, il \int à moi.
— Eh biciJ, docteur, dil-il en m'abordant, avez-vous bien
iiièilité sur le sujet de notre dernière conférence, et puis-jc
enlin espérer offrir Ihommage d'une conversion nouvelle à
l'ombre tlu grand Hermès?
— Mon cher [diilosopbe, lui répondis-je, depuis cet cn-
irjîtien, je n'ai en d'autre pensée que de déplorer (|u'uu
homme de voire talent et de voire âge puisse consumer ses
forces à la poursuis* d'une semblable chimère.
11 s'arrêta pensif, nHléchit pendant quelques instants, puis
tout à coup il saisit inon bras, m'entraîna rapidement sans
rien dire, et me lit descendre dans les allées de la pépinière:
nous nous dirigeâmes vers un banc des bas côtés de la pro-
menade.
— Kcoulo'i, vY\e A\V-\\, ^^Y^\i\"à\^\!^^\fôssv^^ \e forme le prujrl
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 547
de développer devant vous toute la série des preuves sur les-
quelles reposent les croyances alchimiques, et de vous dé-
montrer que nos doctrines, loin d'être ruinées par les décou-
vertes de la science du jour, y puisent au contraire leurs
plus sérieux arguments. Je vous ai choisi pour le contidenl
officieux de cette profession de foi, car vous m'écoutez hahi-
tuellement sans laisser paraître ces sentiments de défiance
ou de pitié que vos camarades n'essayent pas même de dissi-
muler avec nous. Laissez-moi donc, ajouta-t-il en s'animant,
laissez-moi vous prouver que l'alchimie n'est pas le rêve de
quelques cerveaux dérangés, mais qu'elle trouve dans l'es-
sence des choses des fondements inébranlables, et que le
jour n'est pas éloigné où la réalisation de son œuvre sublime
amènera en même temps avec elle la découverte des secrets
les plus élevés de la nature. />
Il était debout, il parlait avec feu. Je compris qu'il étail
impossible d'éviter la dissertation; je m'assis résigné et il
commença.
« Permettez-moi d'abord, me dit-il, de bien marquer le
sujet précis des travaux des alchimistes modernes, et de fixer
la limite de leurs recherches. Les efforts des adeptes de tous
les temps ont eu pour but la découverte du secret agent
connu sous le nom de pieîre phibsophale. Or, selon les au-
teurs anciens, la pierre phibsophale devait jouir de trois
propriétés distinctes. Dans son premier état de pureté, elle
réalisait la transmutation des métaux, changeait les métaux
nls en métaux nobles, le plomb en argent, le mercure en or,
et d'une manière générale transformait les unes en les au-
tres toutes les substances chimiques. Â un degré supérieur
de perfection, elle pouvait guérir les maladies qui affligent
riiumanité, et prolonger la vie bien au delà de ses bornes
naturelles; elle portait alors le nom de panacée universelle.
Enfin, à son degré le plus élevé d'exaltation, et prenant
alors le nom à'âme du monde, spiritus mundi, la pierre
51S L^ALCIHMIE |
|)liilusophale triinsportait les hommes dans le commerce in-
liiiM^ <li?s èln's s|)iriliiels ; elle brisiûl les barrières qui défen-
(liMii rentrée dos intmdos supérioiirs, et nous révélait, dans
imo cimtein|)lation sublime, les mystères do Texistence im-
matérielle. Telles sont les trois |)ro[)riétés que les premiers
herméliiiues ont attribuées à la piorru philosophale.
(( IjCS alehimistes d\iujourd'hui rejettent lu plus grande
partie de ces idées. Ils accordent à la pierre philosophale h
vertu de transmuer les métaux, mais ils ne vont pas plu^
loin. Il est facile de comprendre d'ailleurs comment les an-
ciens spagyri(|ues ont été conduits à prêter ainsi à Kagenl
des transmutations, des ({ualités occultes, puisées en quelque
sorte aux sources immatérielles. Cette pensée porte rem-
preinte et n'est (jue le reflet des croyances philosopiriqut^
de répoipie qui la vil naître. Ce n'est qu'au treizième siècle
que Ton a commencé d'attribuer à la pierre des sages la puis-
sance de guérir des maladies et de spiritualiser les êtres phy-
siques. Or vous savez quelles doctrines régnaient aloi-s dans
les écoles. L'antiquité philosophique renaissait. On combi-
luiil a\ec la logique d'Âristote les principes de Técole con-
templative. ComuK^ aux beaux temps de Pythagore, lesmjs-
lères des nombres appliqués aux phénomènes phy.^^iquw
formaient, au nu'pris du témoignage des sens, le seul fomlo-
nienl des sciences. L'univers se peuplait d'êtres métaphysi-
(|ues, (*tabliss;nit des liaisons secrètes et de uiystérieu:?e5
sympathies avec les (dqets du monde visible. Il est donc tnul
simple qu'à cette épt^que les alchimistes aient enrichi df
quelijues propriétés surnaturelles l'agent merveilleux, objet
d(î leurs travaux. Mais pour nous, éclairés des lumières de
la pliiloscqdiie moderne, nous condamnons ces aberrations
mystiques (1(\^ anciens Ages. Nous répudions la chimèrfde
la panacir luiiirrscUi'y à |)lus forte raison celle do Vàmeik
mnmii\ dont la notion est d'ailleurs fort obscure dans le[H!-
lil nombre de pliilos(q»lies qui l'ont conçue et dévelop|M»c.
u Tout le dogme alchimique h* réduit donc aujourd'hui
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 340
à admettre qu'il existe une substance portant en elle la se-
crète vertu de transformer les unes dans les autres toutes les
espèces chimiques, ou, pour raisonner sur un objet plus ac-
cessible à l'expérience, d'opérer la transmutation des métaux.
L'objet de ralchimie, c'est la découverte de cet agent, que
bien des adeptes ont possédé, mais qui maintenant est perdu
pour nous. Voilà la question dans toute sa simplicité. Je
tenais à bien limiter, en commençant, le terrain de noire
discussion, aûn d'empêcher qu'elle ne s'égare dès le début
sur des chimères abandonnées. Maintenant, en me renfer-
mant dans le cercle des découvertes de la chimie moderne,
je vais vous prouver que la transmutation des métaux est un
phénomène parfaitement réalisable, et que plusieurs faits de
la science actuelle en justifient la donnée. »
En cet endroit, Tadepte s'assit à mes côtés, puis il reprit
eu ces termes :
« Avez-vous jamais réfléchi à une inconséquence bien sin-
gulière, dans laquelle sont tombés les savants de nos jours?
Ils reconnaissent que quatre substances simples, l'oxygène,
l'hydrogène, le carbone et l'azote, entrent seules dans la
composition des corps d'origine organique; mais ils ajoutent
que plus de soixante éléments sont nécessaires pour former
les combinaisons minérales. Ainsi quatre corps simples suf-
Graient pour constituer l'atmosphère qui nous environne,
Teau qui couvre les trois quarts de notre globe, toute la
création animée qui s'agite à sa surface; et plus de soixiinle
corps devraient se réunir pour composer la masse solide de
notre planète! En vérité, c'est mettre bien gratuitement sur
le compte de la nature une inconséquence grossière. Ne se*
rail-il pas plus simple de penser à priori ({ua ces quatre élé-
ments, qui suffisent aux actions moléculaires des produil>
organiques, suffisent également aux besoins des combinai-
>ons minérales, et qu'à eux seuls ils constituent le fonds de>
:,:,o L'ALCUIAIIE
n>sM»iii'C4's iiiatériollos mises en jeu ilans noire universl Nous
arriverons ainsi a ce fameux nombre quatre, au TetituAh
lie l\tliagore, ou Tetratj ranime, qui jouait un si grand rtle
dans les mystères de la Clialdée et de Tancienne Egypte.
Nous serions eonduits à retrouver sous d'autres noms te
.f|uatre «iliMuents des anciens aleliimistes, les quatre éléments
des chimistes du dix-septième siècle. Mais, sans aller aussi
loin, tenons-nous-en à constater ici celte contradiction cho-
quante ()ui dé[)a^^ de nos jours, la philosophie naturelle.
Voilà une [>reniière difficulté, elle est grave, elle est au
inoius d(; nature à faire sus[)endre votre jugement.
«( J'arrive à (juelques considérations plus précises, parce
iju'elles peuvent se passer de toute induction étrangère, el
qu'elles sont uniciucment empruntées aux découvertes de
la cliimic moderne.
« Jusqu'à ces derniers temps on avait pensé que, pourdé-
linir un ('(^rps el le séparer de tous les autres, il suffit d'indi-
(|uer sa conqtosilion et ses propriétés; on admettait que deux
substances présentant la même composition chimique sont,
par cela même, identiques. Mais si les premiers chimiste?
avaient jiosi; ce fait comme une vérité fondamentale, de leur
('/)lé les alchimistes n'avaient i)as cessé de le combattre. La
ihéorie alchimique sur la composition des métaux, professée
de[)uis le huitième siècle, posait en principe que les produits
naturels peuvent offrir les plus grandes différences dans leui>
earactères extérieurs, bien qu'au fond leur composition soit
la inèine. Cette théorie étabiissaiten effet que tous les métaux
sont identiques dans leur eonq)osition, (ju'ils sont tous for-
més de deux éiéinenls communs, le soufre et le mercure,rt
que la différeneo de leurs propriétés ne tient qu'aux pro-
portions variables de mercure et de soufre qui les cousti-
tuent. 1/or, par exemple, était formé, selon les alchimistes,
de beaucoup de mercure très-pur et d'une petite quantité de
soufre; l'étain, de beaucoup de soufre mal fixé uni à une
pelile qu'vVUÛV'i AviwwiVcvMie imçur. En ce qu'elle a dégénérai.
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 351
cette théorie posait doncen principe que plusieurs substances,
tout en se confondant par leur composition, pouvant cepen-
dant différer entre elles extérieurement et par tout l'ensem-
ble de leurs réactions. A côté d'elle s'élevait la théorie des
chimistes, défendant la proposition contraire. Vous savez
comment s'est terminé le débat. Les progrès de la science ont
apporté à notre époque un éclatant triomphe aux opinions
alchimiques. Le perfectionnement de l'analyse dos chimistes
a permis de reconnaître que les produits minéraux ou orga-
niques peuvent priisenter une identité complète dans leur
composition, tout en affectant au dehors les propriétés les
plus opposées. Ainsi l'acide fulminique, qui fait partie des
fulminates et dos poudres fulminantes, contient rigoureuse-
ment les mômes quantités de carbone, d'oxygène et d'azote,
(jue l'acide cyanique, et il renferme ces éléments unis sui-
vant le même mode de condensation. Cependant les ful-
minates soumis à la plus faible élévation de température
détonent avec violence, tandis que les cyanates résistent à la
chaleur rouge. L'urée, qui fait partie de plusieurs liquides
de l'économie animale, présente la même composition chi-
mique que le cyanate d'ammoniaque hydraté, et rien n'est
plus dissemblable que les caractères de ces deux produits.
L'acide cyanhydrique, poison redoutable, ne diffère en rien,
par sa composition, du formiate d'ammoniaque, sel des plus
inoffensifs. La chimie fournit une foule d'exemples pareils.
C'est cette propriété nouvelle de la matière que l'on a déco-
rée du nom élégant d'isomérie.
a Mais cette isomérie, que les alchimistes accordent aujour-
d'hui aux corps composés, peut-elle atteindre les corps sim-
ples? Les substances réputées élémentaires, les métaux, par
exemple, peuvent- ils présenter des cas d'isomérie? Vous
voyez tout do suite à quel point avancé nous amène cette
(|uestion en apparence si simple. Résolue affirmativement,
elle lèverait toutes les difficultés théoriques que Ton oppose
à la transmutation des métaux. Car, s'il était démontré que
r,5!2 i;alcuimie
l(>s métaux sont isomères, que sous le voile des caractères
extérieurs les plus dissemblables ils cachent des élément
identiques dans leur nature, le dogme alchimique serait
justifié, et la transformation moléculaire qui doit s'opérer
dans la transmutation d'un métal n'aurait plus rien qui pût
nous surprendre. Le fait mérite donc d'être examiné de près.
« Pour établir risoméric de deux composés, on les analyse
chimi(iuement, et l'on constate ainsi l'identité, en nombre
H en nature, de leurs parties constituantes. Mais pour le cas
particulier des mt'^taux, ce moyen nous manque, puisque
ces corps sont considérés comme simples, précisément parce
qu'ils résistent à tous nos procédés d'analyse. Cependant une
autre voie nous reste. On peut comparer les propriétés gé-
nérales des corps isomériques aux propriétés des métaux, el
rechercher si les métaux ne reproduiraient point quelques-
uns des caractères qui appartiennent aux substances isomé-
riques. Cette comparaison a été faite par le chef éminent de
In chimie française, par M. Dumas, et voici le résultat auquel
elle a ccmduit.
u On a remarqu(î que dans toutes les substances présen-
tant un cas d'isomérie, on trouve habituellement des équi-
valents éfçaux, ou bien des (équivalents multiples ou sous-
mulliplcs les uns des autres *. Or ce caractère se retrouw
chez plusieurs métaux. L'or et Tosmium ont un équivalent
presque identique. II est rigoureusement le même pour \o
platine et l'iridium; et Berzélius a trouvé, ajoute M. Dumas,
que les quantités pondérables de ces deux métaux sontabso-
luinenl les mêmes dans leurs composés correspondants pris
à poids égaux. L'équivalent du cobalt diffère à peine de cehii
du nickel, et le demi-(''quivalent de l'étain est très-sensiblt'-
uienl égal à l'équivalent entier des deux métaux précédents:
' On désigno. on chimie, sous le nom d'équivalent ou de nombre fro^
portionneïiVun corps simple ou composé, la quantité on poids de ce corps
qui doit s iiï\\v vv \\\\ v\v\Vtv\^o\\\ ^vAVxuo.r une combinaison.
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 55r,
le zinc, l'yttriuni et le tellure offrent, sous les mômes rap-
ports, des différences si faibles, qu'il est permis de les attri-
buer à une légère erreur dans l'expérience *. M. Dumas, qui
a récemment traité de nouveau cette curieuse question de-
vant VAssociatimi britannique, a montré de plus que lors-
que trois corps simples sont liés entre eux par de grandes
analogies de propriétés, tels, par exemple, que le chlore, le
brome et Tiode, le baryum, le strontium et le calcium, l'é-
quivalent chimique du corps intermédiaire est toujours re-
présenté par la moyenne arithmétique entre les équivalents
des deux autres.
(( Ces rapprochements remarquables ont produit, en An-
gleterre, une grande impression sur l'esprit des chimistes. Ils
constituent, en effet, une démonstration suffisante de Tiso-
mérie des corps simples. Ils prouvent que les métaux, quoi-
que dissemblables par leurs qualités extérieures, ne pro-
viennent que d'une seule et môme matière différemment
arrangée ou condensée. Or, s'il est vrai que les métaux soient
is(»mères, la première conséquence à tirer de ce fait, c'est
qu'il est possible de les changer les uns dans les autres,
c'est-à-dire de réaliser les transmutations métalliques.
a La considération des équivalents amène à une antn^
présomption en faveur de la transmutation des métaux. In
chimiste anglais, le docteur Prout, a fait le premier ceth'
observation, que les équivalents chimiques de presque tous
les corps simples sont des multiples exacts du poids de l'é-
quivalent de l'un d'entre eux. Si l'on prend comme unité
l'équivalent de l'hydrogène, le plus faible de tous, on recon-
naît que les équivalents de tous les autres corps simples ren-
ferment celui-ci un nombre exact de fois. Ainsi l'équivalent
chimique de l'hydrogène étant considéré comme l'unité, ce-
lui du carbone est représenté par six, celui de l'azote par
quatorze, celui de l'oxygène par seize, celui du zinc par
treuUMlpnx, l'U*. Mais si les masses moléculaires qui entrent
♦*n action dans les combinaisons ehimiques offrent entre elles
il«»s rapports aussi simples, si Téquivalent du carbone est
«'xactement six fois plus pesant que celui de l'hydrogène,
rr^quivalent do l'azote quatorze fois supérieur, etc., n'est-ce
point là une preuve (jue tous les corps de la nature sont
formés d'un môme principe, et qu'une seule matière diver-
sement condenstV produit tous les composés que nous con-
naissons? Si cette conclusion était admise, elle justifierait le
prinri[)ede l'isomiTie des métaux et donnerait à la transmu-
tation un appui théorique incontestable.
(( Le phénomène de la transmutation des métaux n'a
donc rien (|ui soit en opposition avec les faits et les théories
qui ont c^nrs dans la science à noire époque. Passons main-
tenant à l'i^xamen du moyen pratique qui permet d'exécuter
rop('*ration. C'est ici que naissent en foule les objections de
nos adversaires; mais il suffira, pour les détruire, de recti-
Her rojHnion très-inexacte que Ton se fait universellement
de la nature et du ixMe chimique de la pierre philosophale.
(( Les personnes ('traugères à notre art supposent en effet
que nous accordons à cet agent précieux un mode d'action
tout i\ fait occulte et en opposition avec les phénomènes ha-
bituels. Nous n'admettons rien de semblable. La pierre phi-
loso|)liale ne jjossède, suivant nous, aucune propriété sur-
naturelle, et son mode d'action n'a rien qui ne trouve une
:malogie complète dans les faits ordinaires de la chimie.
Portez un instant votre attention sur les phénomènes qu»-
Ton réunit sous le nom commun de fermentations. La fer-
mentation, en géniTal, est une opération chimique opérée
nu sein des produits organiques, par une substance d'une
nature inconnue nommée fefrment. Ces fermentations, si
liien ('tudiées aujourd'hui dans leurs principaux effets, per-
mettent de comprendre sans ptûne les transmutations métal-
liques. En effet, la transformation qui s'opère dans les ma-
* ^ï'es or^ai\V\\\^'?» ^v^\^^ VXw^xsftw^^? ^>\ ^^wtwveul^ est à nos yeux
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. :>;):.
la parfaite image dt'S cliangenieiits qui peuvent se produire
dans les métaux, qu«nnd la pierre philosopliale est mise en
contact avec eux. La pierre philosophale, cVst le ferment
des métaux; la transmutation métallique, c'est la fermen-
tation transportée du domaine des corps organiques dans le
monde minéral, et accommodée aux conditions propres à ces
matières. Dans les métaux fondus et portés à la chaleur rouge,
il peut se produire une transformation moléculaire entière-
ment analogue à celle que subissent les produits organiques
fermentescibles. De môme que le sucre, sous l'influence du
ferment, se change en acide lactique sans varier de compo-
sition, de même qu'il se transforme en alcool et en acide
carbonique, lesquels reproduisent intégralement sa compo-
sition : ainsi les métaux, tous identiques dans leur nature,
|)euvent passer de Fun à l'autre sous Tinfluence de la pierre
philasophale, leur ferment spécial. Si vous rapprochez les
phénomènes généraux de la fermentation du fait de la trans-
mutation métallique, vous serez étonné des analogies que
présentent entre eux ces deux ordres d'action chimique.
Sans doute, il est difficile de se rendre compte de ce qui
peut se passer dans Tintimité des métaux sous l'influence
de la pierre philosophale; mais l'explication théorique de la
fermentation rencontre auprès des chimistes les mêmes dif-
ficultés. Personne n'ignore que la fermentation se dérobe à
toute théorie scientifique, dans les réactions ordinaires; en
effet, un corps se combine à un autre, un élément déplace
un autre élément et s y substitue en vertu d'une attraction
supérieure, et dans tous ces cas les lois de l'affinité rendent
facilement compte du fait. Mais dans les fermentations rien
de pareil ne s'observe. Le ferment ne prend lui-même aucune
part aux altérations chimiques qu'il provoque, et Ton ne
peut trouver, ni dans les lois de l'affinité, ni dans les forces
de rélectricité, de la lumière ou de la chaleur, aucune sourct»
légitime d'explication de ses effiUs. On s'étonne de voir les
alchimistes accorder à la pierre philosoçUale U ^^<\^v'vv\v
r»;>r» l/ALCIIIMIE
(l'agir sur les m(.'tauxà des doses infiniment faibles, et assu-
rt»r, par exemple, qu'un grain de pierre philosophale peut
convertir en or huit onces de mercure; mais la fermentation
nous présente une particularité toute semblable. Le ferment
agit sur les matières organiques à dose infinitésimale, sui-
vant le terme adopté; la diastase, par exemple, transforme
on sucre deux mille fois son poids d'amidon. Et quand on a
vu de ses yeux quelle faible quantité de ferment est néces-
saire pour provoquer dans certains cas l'altération d'une
masse énorme de matière organique, on trouve un peu moins
extravagante l'exclamation de Raymond Lulle : Mare tinge-
rem si mercuj'itis esset.
(( Il n'y a donc rien de mystérieux dans le rôle chimique
de la pierre philosophale, et la transformation qu'elle peut
provoquer dans les métaux s'explique sans difficulté, quand
on la compare à des faits du même ordre, dont nous sommes
tous les jours les témoins ^
< A titre de coniirmation de ce qui précède, nous rapportons ait fin do
volume (Note IV] une sorte de manifeste hermétique, publié en 1853 par
un chimiste de Nantes, M. Théodore Tiiïereau, qui n*a pas craint de sou-
mettre en 1854, à l'Académie des sciences de Paris, ses opinions scien-
tifiques sur la transmutation des métaux et les moyens qui, selon lui, per-
mettent de la réaliser. A la suite de ce premier travail, nous rapportons,
dans la même note, deux autres mémoires où le même auteur doonela
description des expériences au moyen desquelles il prétend avoir produit
un commencement de transmutation de l'argent en or.
Il est presque inutile de faire remarquer, à propos de ce travail, que les
depuis métalliques, insolubles dans Tacidc azotique, obtenus par l'aubwr
dans les expériences qu'il assure avoir été exécutées en Amérique, te-
naient à )a présence naturelle, dans l'argent employé, de quelque métal
inattaquable par l'acide azotique, tel que Tor, le platine, Tiridluni, etc.
Vai ciTet, M. Tilfereau ayant essayé de répéter cette expérience à Paris,
<lans un des laboratoires de la Monnaie, devant M. Levol, essayeur et
chimiste expérimenté, a échoué complètement, et n'a pu présenter aucune
trace de cet or artificiel qu'il assure avoir réussi à produire en Amérique.
Mal^^récel vusuceès avéré, nous avons cru devoir reproduire, dans les
notes do. col tmwîv^vi, \os^ w\wàx^% ^t"^. "Xî^^^saw dont on a beaucoJip
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 357
« Ainsi, dans les vérités reconnues par la chimie moderne
le dogme alchimique trouve une confirmation satisfaisante.
Les hommes qui pendant dix siècles ont appliqué Teffort de
leur génie à cette œuvre admirable n'étaient donc ni des im-
posteurs ni des fous. Geber, Avicenne, Rhasès, Arnauld de
Villeneuve, saint Thomas, Raymond Lulle, Albert le Grand,
Basile Valentin, Paracelse, Van-Helmont, Glauber, Kunckel,
Bêcher, qui ont propagé ces doctrines, et la plupart des
grands philosophes du moyen âge qui les confessaient à
Venvi, ne furent point les aveugles jouets de la môme folie;
ils ne formèrent pas une ligue de mensonges pour tromper
Tunivers et bercer les hommes d'une chimérique espérance.
Tous, ils poursuivaient avec passion un principe aussi clair,
aussi irrécusable pour eux, que peut Tôtre la vérité la plus
simple aux yeux d'un savant de nos jours. Quant aux erreurs
qui leur sont reprochées avec tant d'amertume, elles furent
la conséquence de la philosophie de leur temps. Il me serait
bien facile, en effet, de vous montrer, en considérant quel-
ques-uns des principes généraux de l'alchimie, que ses longs
écarts ne furent que la suite inévitable des doctrines philo-
sophiques du moyen âge.
« Les alchimistes accordaient, par exemple, une certaine
importance à la considération des influences surnaturelles
pour l'interprétation des phénomènes physiques. Selon eux,
les planètes sympathisaient avec les métaux; les objets exté-
rieurs trouvaient dans nos organes de mystérieuses corres-
pondances; les êtres matériels nourrissaient des affections
morales; un esprit invisible réglait à la fois les rapports
physiques, intellectuels et moraux de toutes les substances
créées. Mais au moyen âge, où est le philosophe tiui ait au-
trement raisonné? Remontez, pour un instant, les sentiers
du passé philosophique, vous verrez ces vagues et mystiques
parlé un moment. C'est un document qu'il n'est poinltindifl'éroni de «on-
suller pour l'histoire scientifique de notre l'^poquc.
ri5H L'ALCUIMIE
r!)nc»'piic»]is imprimant leur omprointo sur toutes les branches
iU's connaissances humaines. La médecine, les sciences na-
!urelhsi»t physiques, s'enveloppaient à Tenvi de voiles déro-
JM's à rohscurilé de ces doctrines. Comment les médecins an
(|uin7.irme siècle expli(iuaient-ils les propriétés des médica-
inenls et, pour prendre un exemple, les vertus médicinales
du plomb? En considérant que le plomb purifie Tor, et qiie,
puisipril corrige et f<uérit les impuretés de Tor, il e^^t propre
i\ chasser les impuretés du corps humain. L'argent était
regardi' comme le spécifique des maladies du cerveau, parce
i|U(' l'argent élait consacré à la lune, et que le cerveau en-
rrelenait, disait-on, des sympathies avec cet astre. Ceslà
peine si, au commencement du dix-septième siècle, la phvsi-
(|ue elle-même s'est dégagée de ces entraves. N'est-il pas vrai
qu'encore à cette époque les physiciens agitaient avec Boer-
haavi^ des questions comme celle-ci : « Les images des objets
« naturels réfl(»chis au foyer des miroirs concaves ont-elk^
« une âme? » Comment donc l'alchimie aurait-elle pu se
mettre à l'abri des rôveries qui assiégeaient alors toutes les
sciences?
« Un des fondements principaux des théories alchimiques
consistait dans ce principe, ([ue les minéraux ensevelis dans
li> sein do la terre naissent et se développent comme les êtres
organis(\s. Mais tous les naturalistes, au moyen âge, ont
accorde» aux fossiles la propriété de s'accroître. « Le soleil
(^ngendre les minéraux dans le sein du globe )) est un axiome
de Tifcole. Ltvs conséquences tirées de cette loi doivent sem-
bler assez légitimes. Les alchimistes, considérant que l'or est
le plus parfait des métaux, étaient convaincus que la nature,
en produisant les substances minérales, tend toujours à
produire de Tor, Venfant de ses désirs. Quand les circon-
stances favorables à la formation de ce métal venaient à
manquer, il se produisait des avortons, c'est-à-dire les mi'-
laux vils. Mais les philosophes ajoutaient qu'il est possible île
surprendre les secrets proccMiés de la nature, de découvrir b
AU DlX-NEUVIÈMIi: SIECLE. 55î>
matrice raehde (jui nourrit, conserve, élabore la semence
des inétaux, et (fu'il est permis, par une clialeur et des ali-
ments convenables, de faire en un clin d'œil ce qui s'exécute
dans le sein du globe avec le secours du temps et du feu
souterrain. Ce n'étaient là assurément que des spéculations;
mais, en les condamnant, on ne frappe que les conceptions
philosopbiques du moyenage. Elles respirent là tout entières,
car leur caractère essentiel a précisément consisté dans cette
perpétuelle tendance à mêler les faits de l'ordre moral à ceux
de l'ordre physique, à prêter des affections aux corps brut^,
comme à souiller de quelque qualité matérielle la pure es-
sence des êtres abstraits.
« Mon ami, suspendons le blâme, arrêtons sur nos lèvres
les paroles de condamnation ou de mépris. Ces hommes tant
décriés ont rendu des services que la postérité ne saurait
méconnaître. Leurs travaux ont fourni les premières et les
plus solides bases au monument glorieux des sciences que
le dix-septième siècle vit s'élever et grandir. Leurs recher-
ches innombrables, leur patience infatigable, l'heureuse l(»i
qu'ils s'étaient imposée de publier les faits qui ne pouvaient
servir à l'avancement particulier de leurs vues, ont seules
amené ce grand résultat.
« Je ne veux pas entreprendre de justilier tous les actes,
toutes les pensées des alchimistes; cependant il est im[)ossi-
ble de ne pas rendre hommage, dans quelques cas, à la jus-
tesse de leurs méthodes scientiliques. Ils ajoutaient, vous le
savez, une extrême importance à appeler au secours de leurs
travaux Tintervention du temps. Leurs opérations se prolon-
geaient des années entières, et quelquefois une expérience
inachevée était léguée par un adepte en héritage à son fils.
Cette considération du temps, élément si négligé de nos jours,
était de la part des alchimistes le signe évident d'une obser-
vation exacte et profonde. H est bien reconnu que la nature
réalise, avec le secours du temps, d'innombrables combinai-
sons que nous sommes impuissants à reproduire dans nos
300 L'ALCUIMIE
laboratoires, et de nos jours, il a été permis d'imiter quel-
ques-uns de ces produits en faisant intervenir, avec la len-
teur des actions, le concours artificiel de réiectricité. Un
alchimiste conduisit un jour Cadet-Gassicourt dans son la-
boratoire, et lui montra une petite pierre poreuse et légère,
offrant la couleur de Tor. Il avait obtenu ce curieux produit
en abandonnant, pendant des années entières, Tcau de la
pluie à Tévaporation spontanée, et recueillant la pellicule
irisée qui se forme alors à sa surface. Quelle était la natun;
(le cette substance? Était-ce, comme le pensait Tadepte, un
(commencement de végétation de Tor par le spiritus mvndi
(|ui se concentre dans Teau exposée longtemps à l'action at-
mosphérique? Je rignore; mais ce que je sais fort bien, c'est
()ue nos chimistes d*aujourd*hui, avec leur manière expédi-
tive de conduire les recherches, n'auraient jamais trouvé ce
corps. Dans la célèbre expérience do Lavoisier, suivie ava*
tant de perséviîrancc, et qui, en fixant la composition deTair,
donna carrière ù la plus brillante série de découvertes dont
les sciences aient gardé la mémoire, il y avait, croyez-le bien,
comme un dernier souvenir des vieilles habitudes et de;'
traditions alchimiijues.
« S(jus l'empire de la philosophie de notre époque, nuu^
condauinons les tendances mystiques de Tancienne alchimie
et SCS continuel les préoccupations métaphysiques. Je n'ose-
rais m'éhiver ouvertement contre cet appel aux lumières de
la raison; cependant j'aperçois encore dans nos sciences bien
des faits qui ne s'interprètent que par un recours à des con-
sidératioiis de ce genre. Il est reconnu, en physique, que la
force d'un aimant s'accroît d'une manière sensible quand on
augmente graduellement sa charge. Quand un barreau ai-
manté supporte un certain poids de fer, on peut tous les
jours augmenter ce poids d'une petite quantité, jusqu'à
une certaine limite, au delà de laquelle toute la masse se
détache et tombe. L'aimant éprouve alors, comme lediseni
les physiciens, une faiblesse singulière, il ne peut supiwrter
AU DIX-NKUVIÊME SIÈCLE. 361
les poids qu'il supportait d'abord, et, pour lui rendre sa
force primitive, il faut le charger chaque jour de nouveaux
poids ajoutés graduellement et par petites quantités. N'est-
ce pas là comme le signe d'une obscure affection morale dans
Tiinedes forces du monde physique?
« Placez un métal oxydable, le cuivre par exemple, en
présence de l'eau et de l'air, très-purs tous deux, le métal
ne s'oxydera nullement; mais ajoutez une trace d'un acide
quelconque, ou bien faites intervenir l'acide carbonique de
Tair, et l'oxydation marchera avec rapidité. C'est cette caté-
gorie très-nombreuse de phénomènes qui porte en chimie le
nom inactions par Vaffinité de 'prédisposition. On explique
ce fait en disant que l'acide provoque Toxydatiou du métal,
parce qu'il a de l affinité pour V oxyde qui tend à se foi'mer.
Voilà donc un fait matériel presque métaphysique dans sa
production, et que l'on ne peut expliquer que par une théo-
rie métaphysique.
<( U serait facile de multiplier des citations de ce genre,
mais je neveux pas m'égarer au milieu de la subtilité de ces
vues. J'ai voulu seulement vous montrer, par ces exemples,
combien une condamnation absolue des doctrines de nos
prédécesseurs serait injuste et peu philosophique, et quelle
rt^erve il est sage de s'imposer dans ce jugement.
« On présenta un jour à Socrate un ouvrage d'Heraclite
d'un style très-profond, mais très-obscur. H le lut avec soin,
et comme on lui demandait son avis sur cet écrit : « Je le
H trouve admirable, dit-il, dans les endroits où je l'entends;
«r je crois qu'il en est ainsi pour les parties que je n'ai pu
« pénétrer, mais il me faudrait plus d'habileté que je n'en
« ai pour prononcer sur ces dernières. » Imitez, mon ami,
imitez la réserve de Socrate. »
Ayant ainsi parlé, le philosophe par le feu s'arrêta, fatigué
de sa longue harangue. Je profitai de son silence pour n^-
pondre brièvement à son apologie de la science hermétique.
50^2 L'ALCUIMIE
(( .le vous ai écoulé, lui dis-je, avec recueillement, bien
c\iw j(î n'aie entendu aucune considération que vous ne
in'a\ez déjà présentée bien des fois, aucun argument auquel
je n*aio amplement répondu en d'autres occasions. Cepen-
dant, puisque vous avez voulu instituer ici une sorte de dw-
pute, j'essayerai de vous répondre.
« En premier lieu, vous pensez surprendre nos chimistes
dans une flagrante contradiction, parce qu'ils admellenl
que (juatre corps simples suffisent pour former tous les pro-
duits organiques, tandis que les combinaisons minérales en
exigent plus de soixante. Mais la contradiction n'est qu'ap-
parente. Examinez la série de nos soixante corps simples,
vous reconnaîtrez que fort peu d'entre eux prennent un rûle
«actif dans les grandes actions physiques de notre globe. La
liste des substances reconnues élémentaires est longue assu-
rément, mais le nombre de celles que la nature met en jeu
est en réalité fort restreint. Aux éléments qui appartiennent
d'une manière plus spéciale aux êtres organisés ajoutez seu-
lement lo chlore, le soufre, le phosphore, le silicium, l'aln-
minium, h calcium et le fer, vous aurez la série à peu prt'S
(complète des corps qui forment le domaine des réactions
minérales. Tout porte à penser que l'ordre habituel des
grands phénomènes du monde ne serait en aucune façon
troublé, si les faibles (juantités de platine, d'arsenic ou de
zinc, par exemple, que l'on trouve disséminées dans le globe,
ne s'y rencontraient pas. Le petit nombre d'éléments qui en-
trent dans la constitution des composés organiques n'a rien
d'ailleurs qui doive nous surprendre. A Texception du car-
bone, CCS (|uatre corps sont gazeux; l'équilibre de leur com-
binaison doit être en conséquence très-facilement détruit,
et ils peuvent ainsi suffire à provoquer les mutations, les
transformations continuelles qui sont la condition delà vie.
Les combinaisons minérales résistent avec plus d'énergie aux
influences extérieures, leur stabilité chimique est plus grande,
ce qui nôevisi&vle V^ vio\\ç,ours d'un plus grand nombre d'ëlé-
AU DIX-NEUVIEME SIÈCLE. 503
ments; mais en définilive cette différence est assez faible et
ne peut à aucun titre être invoquée comme argument.
« Vous prétendez rapprocher des faits chimi(|ues habituels
le mode d'action de la pierre philosophale, en nous mon-
trant dans la fermentation un phénomène qui offre quelque
analogie avec la transmutation des métaux. On peut, il est
vrai, dépouiller ainsi la pierre philosophale des propriétés
surnaturelles qu'on lui prête généralement. Mais tout l'avan-
tage s'arrête là. 11 n'est permis de voir dans ce rapproche-
ment qu'une belle comparaison, (|ui d'ailleurs est fort
ancienne, puisqu'elle remonte à Hortulanus. Car, pour dé-
montrer que l'agent des transmutations participe, en quel-
que chose, des propriétés des ferments; pour faire admettre
que dans les métaux fondus et portés à la chaleur rouge il
peut s'accomplir une modification moléculaire comparable
à une fermentation , il faudrait commencer par établir
l'identité de composition des métaux. Or la théorie alchi-
mique sur l'isomérie des métaux est encore au moins con-
testable.
« Les arguments cpie vous invoquez en faveur delà trans-
mutation métallique ne reposent donc sur aucun fondement
bien sérieux. Mais je vais plus loin, j'admets un instantavec
vous que toutes ces considérations ont une valeur certaine:
j'admets, en particulier, que ces rapprochements remarqua-
bles faits par M. Dumas entre les équivalents des corps sim-
ples d'une môme famille, et cet autre rapport si singulier
trouvé par le docteur Prout entre l'équivalent de l'hydrogène
et les équivalents de tous les autres corps simples, peuvent
autoriser la conséquence que vous ne craignez pas d'en tirer
sur l'isomérie des métaux, je dis que, tout cela accordé, la
question serait encore bien loin d'être tranchée en votre fa-
veur. En acceptant, en effet, toutes ces données comme vala-
bles, nous serions conduits à la conclusion que voici : « Dans
« l'état présent de nos connaissances, on ne peut prouver
c d'une manière absolument rigoureuse ({ue la transmuta-
a04 L'ALCIllMIt:
« lion (les métaux soil impossible : quelques eirconstdnces
« s'op|M)sent à ce que ropinion alchimique soit rejelée,
c comme une absurdité en opposition avec les faits. » Voilà,
dans son expression la plus étendue, le seul bénéfice de
raisonnement auquel vous puissiez prétendre. Mais, de ce
(|u*un fait est reconnu ne pas être impossible, il ne résulte
nullement que ce fait existe. Nous ne saurions prouver que
le plomb ne se changera jamais en or, mais il ne suit point
de là (jue Ton puisse effectuer la mutation réciproque de ces
métaux. J'insiste sur cette dernière réflexion, parce qu elle
me paraît devoir trancher à elle seule le nœud de votre ar-
gumentation tout entière. »
« — Ce que vous m'accordez, répliqua alors Talchimiste,
sufiitù la cause que je défends, car si vous reconnaissez que
nos théories n'ont rien en définitive qui offense trop le sen-
timent des chimistes, il suffira, pour que la victoire nous
soit acquise, de faire voir que des transmutations métalliques
ont été exécutées, et que plusieurs personnes ont découyert
et possédé la pierre philosophale. Un seul cas de cette espèce
suffirait à la rigueur pour cette démonstration. Or les écrits
hennéliques sont remplis de ces faits; les narrations qu'on
y trouve sont entourées d'ailleurs d'un tel cortège d'impo-
sants témoignages, qu'un auteur moderne, Schmieder, nhé-
site pas à déclarer que les preuves historiques suffisent à elles .
seules pour établir la réalité de notre science et l'existence
(le la pierre philosophale. Vous partagerez, je l'espère, cette
conviction, si vous voulez bien maintenant écouter le récit de
ces faits. »
Vous savez, ami lecteur, (jue, dans Thistoire de l'alchi-
mie, les transmutations métalliques forment un chapitre fort
étendu. Aussi, envoyant mon interlocuteur se disposer à
entreprendre la longue histoire des exploits des faiseurs d'or,
je fus effrayé des proportions qu'allait recevoir notre entre-
tien. J'essa^vxv ^\vi \ed\yme\:.
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. o65
— Il est un peu tard, objectai-je timidement.
— Non, dit mon obstiné discoureur, le soleil se couclie h
peine; je vois encore ses derniers rayons dorer les tours de
Saint-Sulpice. Écoutez donc ma démonstration; je ne vous
laisserai que converti.
Ici l'adepte entama le récit des transmutations métalli-
ques. Parcourant successivement les faits de ce genre dont
les deux derniers siècles furent les témoins, il me rap-
pela les événements singuliers rapportés par Yan Helmont,
Helvétius, Bérigard de Pise et le pasteur Gros. Vinrent en-
suite les transmutations opérées en 1648 par Tempereur
Ferdinand m avec la poudre de Piichthausen. Les aventures
d'Alexandre Sethon et celles de Michel Sendivogius, son hé-
ritier et son élève, furent longuement racontées. Passant de
là au dix-huitième siècle, mon alchimiste cita d'abord la
transmutation attribuée au Suédois Paykull. Il aborda en-
suite la vie mystérieuse de Lascaris. Les merveilles que l'on
attribue aux émissaires de cet adepte ne furent point ou-
bliées; Botticher, Delisle, furent ici cités avec honneur. En
un mot, mon interlocuteur n'oublia rien dans cette revue
sommaire des hauts faits de la science transmutatoire.
« Voilà donc, reprit l'adepte terminant enfin sa longue
exposition historique, une série d'événements qui démon-
trent qu'à différentes époques plusieurs personnes ont
possédé le secret de la transmutation. Mais il existe une
autre catégorie de preuves qui n'est pas à négliger ici, et
que je vous présenterai en terminant. Je veux parler des
richesses considérables que l'on a toujours vues entre les
mains des personnes qui ont possédé la pierre philosophalo.
L'histoire nous fournit soua ce rapport des faits contre
lesquels il serait difficile d'élever des objections raison-
nables.
a Tous les écrivains hermétiques assurent que Raymond .
Lulle, prisonnier d'Edouard llï à la Tour de Londres, y fa-
briqua pour six millions d'or qui servirent à frapper les no-
560 LALGHIMIE
blés à la Rose. En France, Nicolas Fiamel trouve en 1382 le
secret de la projection, et cet homme, jusque-là pauvre co-
piste, se montre tout à coup à la tête d'immenses richesses, il
fonde à Paris quatorze hôpitaux, bâtit trois chapelles, relève
sept églises, qu'il dote magniGquement. A Pontoisc, lieu desa
naissance, il fait tout autant de fondations pieuses. En 1742
on distribuait encore aux pauvres de Paris les aumônes qu'il
avait instituées par son testament. On s'est beaucoup occupé
de trouver l'origine des richesses de Fiamel; mais les écri-
vains qui ont élevé ces doutes, tels que Gabriel Naudé et
Tabbé Yillain, n'ont entrepris leurs recherches que deux ou
trois siècles après sa mort. Or il est bon de savoir que du vi-
vant de Nicolas Fiamel, l'origine de sa fortune ayant para
suspecte, le roi Charles VI fit dresser à ce sujet une enquête
par un maître des requêtes, le sieur Cramoisi. Nul ne peut
dire ce qui en résulta; mais dès ce moment Fiamel ne fut
plus inquiété.
« L'alchimiste anglais George Ripley fit présent de cent
mille livres d'or aux chevaliers de Rhodes, lorsque l'île fut
attaquée par les Turcs en 1460.
« Gustave- Adolphe, roi de Suède, en traversant la Pomé-
ranie, reçut, à Lubeck, d'un prétendu marchand, cent livres
d'or qui furent converties en ducats portant les signes de
leur origine hermétique. A la mort de cet inconnu, on trouva
chez lui une fortune de plus d'un million sept cent mille
(ÎCUS.
« On ne peut regarder que comme des productions al-
chimi([ues les dix-sept millions de rixdales que laissa l'élec-
teur Auguste de Saxe, en 1580, car ce prince est connu
|)our avoir fait plusieurs fois la projection de ses propres
mains.
« Les quatre-vingt-quatre quintaux d'or et les soixante
quintaux d'argent que l'on a trouvés, en 1612, dans le trésor
'le l'empereur d'Allemagne, Rodolphe 11, avaient aussi la
même 0Y\çî,\x\e. Vî^\\\\\ Ws ^^clnces do l'Empire, Rodolphe 11 a
AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 367
été le partisan le plus déclaré de la science hermétique. Vers
la fin de son règne, la plupart de ses actes furent inspirés
psrr ses prédilections pour l'alchimie. Tout son entourage
était spagyrique. Ses laquais mêmes n'étaient que des alchi-
mistes, compagnons de ses travaux. La maison de son mé-
decin, Thaddœus de Hayec, était ouverte à tous les artistes
ambulants, qui, avant d'être admis en sa présence, venaient,
par des épreuves convenables, se faire reconnaître et ac-
créditer comme adeptes ; et le poëte de la cour, l'Italien
Mardochée de Délie, n'avait d'autre occupation que de cé-
lébrer les exploits des artistes qui fréquentaient la cour de
Prague.
« J'ajouterai enfin, pour clore dignement cette liste, que
les richesses que le pape Jean XXII a laissées à sa mort en 1 534
ne peuvent être que le résultat de ses pratiques alchimiques.
Le comté d'Avignon, où résidait le saint-siége, n'avait avant
cette époque qu'un revenu assez modique, et les papes pré-
cédents n'avaient pas brillé par leur opulence. Dans le trésor
de Jean XXÏI on trouva vingt-cinq millions de florins. La
source de cette fortune s'explique aisément quand on sait
que ce pape est compté parmi les écrivains alchimiques, et
que, dans la préface de son Ars transmutatoria^ on indique
qu'il a fait travailler à Avignon à la pierre philosophale, et
qu'il a fabriqué deux cents lingots d'or pesant chacun un
quintal *. En vain vous m'objecteriez que le pape Jean XXII
ost lui-même l'auteur de la bulle : Spondent pariter qiuis
non exibent, fulminée par le saint-siége contre les alchi-
mistes. Cet argument n'aurait guère plus de valeur que celui
qui consiste à dire que les préceptes que le pape a donnés
dans son Ars transmutatoria, pour fabriquer de l'or, sont
dépourvus de bon sens. C'était là autant de moyens que le
page imaginait pour détourner de sa tête pontificale le soup-
* Ars transmutatoria, ouvrage apocryphe traduit en français en 1557,
et que les alchimistes ne craignirent pas d'attribuer au pape, pour se ven-
•rer «les mesures sévères que Jean XXII avait diri{r(;es contre eux .
308 LALCfllMIE
çon «l'hermétisme. C'était la ruse du larron qui crie : An
voleur!
« Je m'arrête. Il m* eût été facile d'étendre davantage la
série de ces preuves historiques; mais j*ai voulu m'en tenir
aux faits le plus généralement connus, à ceux qui se justifient
par des documents authentiques. »
Tel fut le discours de mon alchimiste, et Ton comprendra
qu'après une exhibition historique de cette force, on ne pou-
vait sans déshonneur rester muet. J'essayai donc une courte
réplique.
« Vous venez, répondis-je, de rappeler la plupart des évé-
nements que Ton a coutume d'invoquer en faveur de la
réalité de l'alchimie. Je ne ferai nulle difficulté d'avouer
qu'il y ait là plus d'une circonstance de nature à embarras-
ser un moment. Mais je ne dirai certes rien de bien mer-
veilleux en afQrmant que tous ces faits manquent absolu-
ment des moyens de contrôle que la critique philosophique
est en droit d'exiger en pareille matière. Si l'autorité du té-
moignage humain est acceptable sans réserve pour les faits
communs qui ne demandent, pour être constatés, qu'un es-
prit libre et des sens fidèles, il en est tout autrement quand
il s'agit d'établir la certitude d'un fait physique ou d'un ré-
sultat scientifique. Un semblable sujet réclame des vérilira-
tions d'une autre nature et qui, dans l'espèce, font absolu-
ment défaut. En admettant d'ailleurs tous ces événements
comme avérés, il resterait à comprendre comment une dé-
couverte semblable, si elle a été faite une fois, a pu jamaisêire
perdue.
Laissez-moi ajouter cependant que la véritable réponse à
vos arguments liistoriques, la raison victorieuse, n'est pas
là; elle se trouve très-clairement contenue dans deux ou
trois ouvrages, que les adversaires de l'alchimie n'ont cessé
d'op\m^ev 1\ ?>?-?« \>\ç\«\vï!5,. Vs^wîSi \*ET\(ilicatio, de Th. Éraste.
AU DIX-NEUVIÈME SIECLE. 500
(Jans le M^indtis subteiranens, du père Kircher, et dans la
dissertation de l'académicien Geoffroy, sur les supercheries
concernant la pierre philosophaley présentée en 1722 à
TAcadémie des sciences de Paris, on trouve la clef de tous
ces prétendus mystères. Ces écrits nous donnent une expli-
cation très-rassurante des événements étranges qui, jusqu'au
milieu du siècle dernier, ont entretenu les croyances aux
opérations hermétiques. On y voit par quelle incroyable série
de fraudes, de supercheries, de tours d'adresse de tout genre,
les souffleurs ont su tromper pendant dix siècles la crédulité
de leurs contemporains.
« Il faut prendre garde, dit Geoffroy, à tout ce qui passe
« entre les mains de ces sortes de gens. » En effet, les alchi-
mistes opérateurs ont poussé jusqu'à ses dernières limites l'art
de tromper les hommes. Le mercure qui se transformait en
or sous les yeux d'une assemblée ébahie était déjà charg('^
d'une certaine quantité du métal précieux; au lieu de mer-
cure pur, on employait un amalgame d'or qui diffère très-peu
par son pspect physique du mercure ordinaire. Le métal vo-
latil placé dans le creuset disparaissait par l'action de la cha-
leur, et laissait apparaître l'or. Le plomb qui se changeait
en argent ou en or n'était souvent autre chose qu'un lingot
d'argent ou d'or enveloppé de plomb. Les creusets dans les-
quels les opérations s'exécutaient étaient presque toujours
préparés d'avance. Dans un double fond, on plaçait de l'or
ou une composition aurifère décomposable par la chaleur;
ce double fond était adroitement dissimulé par une pâte faite
de gomme et de terre de creuset. La chaleur détruisait la
matière organique, et le métal précieux venait ainsi se mêler
aux matières mises en expérience. Quelquefois on introdui-
sait de l'or ou de l'argent dans les creusets, en agitant les
métaux fondus avec une baguette de bois creuse qui renfer-
mait, dans sa cavité intérieure, de la poudre d'or ou d'ar-
gent; le bois, en brûlant, déposait la poudre d'or dans le
creuset. D'autres fois, on remplissait de poudre d'or ou d'ar-
370 L ALCHIMIE
gent une petite cavité creusée dans du charbon et cachée
par de la cire noire. Ce charbon servait à recouvrir le creu-
set, et la cire, venant à fondre, laissait tomber la poudre
d'or; ou bien on imbibait de dissolutions d*or et d argent
du charbon pulvérisé que Ton jetait dans le creuset comme
un ingrédient nécessaire. Il y avait d'ailleurs mille manières
de mêler les métaux précieux à l'état d'oxydes ou de chatix,
suivant le terme de l'époque, et n'offrant dès lors aucun
aspect métallique, avec les différentes substances employées
dans l'opération. S'il s'agissait enfin de changer en or une
médaille d'argent ou de plomb, on la blanchissait au mer-
cure, on la présentait dès lors comme de l'argent ou du
plomb; quand on l'exposait à l'action de la chaleur, le
mercure, en s'évaporant, laissait apparaître l'or. Il est bien
entendu que, dans ces dernières opérations, un peu d'esca-
motage venait à propos, et qu'il n'était pas mal de sub-
stituer une médaille ainsi préparée à une autre médaille de
plomb ou d'argent que l'assemblée avait examinée tout à
son aise.
« Ce sont là, assurément, des tours fort grossiers et en
apparence faciles à démasquer. Mais ce qui fait comprendre
la longue impunité de ces manœuvres, c'est la profonde
ignorance dans laquelle on a vécu jusqu'au dix-septième
siècle sur l'interprétation des phénomènes chimiques. La mé-
tallurgie était assez imparfaite à cette époque, pour que Ton
fût inhabile à reconnaître dans un métal vil des traces d'un
métal précieux, et il y a dans l'histoire de la chimie plus
d'un exemple curieux de semblables erreurs. Ce n*est qu'au
commencement du dix-septième siècle que tous les chimistes
ont bien connu le fait de la dissolution des métaux dans les
acides. Ainsi, avant l'année 1600, fort peu de personnes ont
soupçonné que le cuivre existât dans le vitriol bleu, et sou-
vent les alchimistes ont présenté comme une transmutation
du fer en cuivre la précipitation du sulfate de cuivre par
une lame de fer. Ç^T^ç.dç>^ ^\\i^^Nv\% ^^^^\. <îfts transmu-
AU DIX-JNEUVIÈME SIÈCLE. 571
tations en toute -confiance. Aussi les teintures philosophales
des alchimistes n'étaient-elles souvent que des dissolutions
d'or ou d'argent dans des liqueurs acides; et Ton présentait
les dorures superficielles ainsi produites comme un achemi-
nement à une transformation plus complète.
« 11 serait donc facile, en rapprochant de la plupart de
vos narrations les faits rapportés par Thomas Êraste, le Père
Kircher et Geoffroy, de montrer par quels artifices précis fu-
rent exécutées, dans ces divers cas, les transmutations dont
vous avez rapporté les détails. Cependant ce moyen avance-
rait peut-être assez mal la question, entre nous, car tout
pourrait se réduire à une affirmation d'une part, et à une
négation de l'autre. Il est une voie plus courte. Elle consiste
à rappeler les événements si nombreux dans lesquels la
fraude a été dévoilée par l'aveu des adeptes eux-mêmes. Bien
souvent, en effet, les charlatans alchimistes, après avoir
mené à bien quelque tour de leur métier, se hâtaient de se
mettre en sûreté, et, une fois certains de l'impunité, procla-
maient hautement leur fourberie en riant à leur aise de la
crédulité de leurs victimes.
« Un certain Daniel, de Transylvanie, mystifia de cette
manière le grand-duc de Toscane, Cosme I". Ce charlatan,
qui joignait à son titre d'alchimiste la qualité de médecin,
vendait aux apothicaires de Florence une poudre appelée
usufur, qui était connue comme remède universel. 11 fabri-
quait lui-même ce médicament, dans lequel il faisait entrer
une certaine quantité d'or. Seulement, pour ne pas se rui-
ner dans la spéculation qu'il méditait, il avait soin, parmi
les médicajnents qu'il faisait prendre chez les apothicaires
par ses malades, de prescrire toujours Yusufur, et comme il
préparait ensuite lui-même les médicaments à l'aide des
drogues qu'on lui apportait, il avait soin de garder pour lui
le précieux usufur, ce qui était une manière ingénieuse de
rentrer peu à peu dans ses avances. Quand sa réputation fut
bien établie à Florence, il alla trouver le grand-duc, et s'of-
37j l/ALrHIMIK
frit il lui ensiM^a^'T ï'art de faire de For. C'est avec le fameux
umfur qu'il opinait. Le grand-duc envoya lui-même prendre
ce m»f<licament chez les apothicaires de la ville, et Topera-
tion réussit comme on le devine. Cosmc T' paya cette belle
inventiiin vin^t mille ducats. Mais bientôt le médecin fut pris
d'un vif dt'sir de voyager; il demanda la permission d'aller
parcourir la France, lue fois à Tabri, il écrivit sans plus de
façon au grand-duc pour l'informer du mauvais tour qu'il
lui avait joué.
« I/aventurier Delisle, dont vous avez parlé, se semude
procédés moins compliqués. Il tranformait en or de petites
masses de plomb ou des médailles d'argent, en faisant usage
du procédé bien connu du blanehiment par le mercure. Mais
ropt»ration qui lui servait surtout à émerveiller la Provence
consistait à cbanger en or des clous de fer. Pour jouer ce jeu,
il fabriquait un clou d'or et le recouvrait d'une légère cou-
che lie fer, de manière à le faire passer pour un clou ordi-
naire. En plongeant ensuite Vobjet, ainsi préparé, dans sa
prétendue teinture, qui n'était autre chose qu'une liqueur
acide, il dissolvait la couche superficielle de fer, et l'or appa-
raissait. La triste fin de cet aventurier ne montra que trop
d'ailleurs qu'il avait pris pour dupe la province et la cour.
€ La fin tragique de Delisle n'est pas la seule qui aitdi^
voilé les coupables manœuvres des souffleurs.
« Sous Louis Xlll, un nommé Dubois faisait grand bruit
ù Paris par ses transmutations. CVtait un aventurier qui,
après avoir longtemps voyagé comme médecin dans le Lo-
vant, se fit capucin et se rendit en Allemagne, où il jeta le
froc pour embrasser la religion réformée. De retour en
France, il se maria sous le nom de sieur de la Meilleiie. H
assurait que la pierre philosophale dont il faisait usage pro-
venait do Nicolas Flamel ; il prétendait l'avoir trouvée dans
l'héritage de son oncle, arrière-petit-fils du médecin Perrier,
neveu lui-même de Pernelle, femme de Nicolas Flamel. Du-
s se vaw\a\l, vk \^\wçs, de connaître la manière de prép«a-
AU DIX-NEUVIEME SIÈCLE. 575
rer cette poudre. Ces faits arrivèrent à l'oreille de Riche-
lieu, qui fit arrêter ralchimiste, et lui intima Tordre de
répéter ses expériences devant le roi. En présence de
Louis Xni et du cardinal, Dubois changea en or une balle de
mousquet que l'on alla prendre dans la giberne d'une sen-
tinelle. Le roi s'empressa d'anoblir cet habile homme ; il fit
plus, il le nomma président des trésoreries. Mais Richelieu
se montra plus exigeant; il commanda à Dubois de lui com-
muniquer son secret. Sur son refus, le nouveau président
fut jeté en prison, et l'on instruisit son procès. Comme il re-
fusait encore de s'expliquer, ou lui donna la question. Ainsi
pressé, le malheureux dicta quelques procédés qui, immé-
diatement essayés, furent reconnus faux. N'obtenant rien de
plus, le cardinal furieux le renvoya au tribunal, qui le con-
damna comme magicien et le fit pendre.
(( On a beaucoup parlé en Angleterre, à la fin du siècle
dernier, des circonstances qui amenèrent le suicide de Price.
James Price était un chimiste distingué, mais il eut le mal-
heur dé s'occuper d'alchimie, et se vanta bientôt de possé-
der la pierre philosophale. A Londres, il fit sept ou huit fois
des transmutations publiques. 11 fit imprimer les procès-ver-
baux de ses expériences,, et le roi d'Angleterre fut curieux
de posséder les lingots d'argent que Talchimiste avait fabri-
qués. Mais la Société royale de Londres, dont Price faisait
partie , s'émut de cette affaire. Le chimiste fut sommé
de répéter ses expériences devant une commission prise
dans la Société royale. 11 refusa longtemps de comparaître, .
alléguant que sa provision de pierre philosophale était épui-
sée, et qu'il fallait beaucoup de temps pour en préparer
d'autre. Cependant il finit par se mettre à l'œuvre, et man-
qua l'opération. Renié de ses amis, poussé à bout de toutes
manières, il s'empoisonna.
« Assez longtemps avant ce dernier événement, Talchi-
miste Honauer n'avait pas été plus heureux. Il avait réussi
â tromperie duc de Wurtemberg par un procédé fort simple,
574 L'ALCHIMIE
comme vous allez le voir. Le duc faisait lui-môme Topération
avec les matières indiquées par Honaiier; quand le creuset
était chargé et l'expérience disposée, pour éviter tout soupçon
de fraude, il faisait sortir tout le monde du laboratoire et en
emportait la clef. Mais Talchimiste avait eu la précaution in-
génieuse de faire cacher un petit garçon dans une caisse.
Quand le laboratoire était désert, Tenfant allait tout bonne-
ment mettre de Vor dans le creuset, puis il regagnait sa ca-
chette. Le prince était d'autant plus impatient de voir réussir
ces expériences, qu'il avait déjà dépensé plus de soixante
mille livres avec son alchimiste. Par malheur, un curieux
éventa la ruse. Comme vous le savez, les princes allemands
n'entendaient pas raillerie sur ce chapitre. Le philosophe par
le feu fut pendu au gibet doré. »
Pendant cette dernière partie de notre conversation, mon
interlocuteur était distrait et agité; il laissait paraître des
signes visibles d*impatience. Enfin, il se leva :
« Écoutez , me dit-il , vous avez lu peut-être quelques
écrits alchimiques, mais seulement, je le crois, en curieux
empressé de recueillir quelques faits qui vous semblent pi-
quants. Ce n'est pas ainsi que Ton arrive à la vérité; ou ne
la trouve qu'avecla volonté sérieuse de la chercher. »
En disant ces mots il tira de sa poche, avec toutes les mar-
ques de respect imaginables, un vieux livre qu'il me pré-
senta :
(( Tenez, dit-il, je vous confie cet écrit; il renferme les
vérités de noire art, exposées avec la plus grande simplicité.
Lisez-le avec soin, et surtout, ajouta-t-il, en posant le doigt
sur la première page du livre, méditez bien la sentence qui
orne le frontispice.
Ayant dit, mon philosophe se retira à pas lents. Pendant
qu'il s'éloignait, je me hâtai d'examiner le précieux ouvrage
quilTi\'a\a\\Tfcm\?>.C^Uit l'un de ces innombrables écrits
AU DIX-NKUVIÈME SIÈCLE. 575
que nous ont laissés les alchimistes, et il n^ëtait ni plus clair
ni plus raisonnable que les autres. Mes yeux se portèrent sur
la fameuse sentence qu'il avait recommandée à mon atten-
tion. C'était la maxime du Libei' miUiis :
Lege, lege, lege et relege, labora, OR A, et invcnies.
NOTES
NOTES
NOTE F«
HOMUNCULI GENERATIO ABTIFIGIALIS
Sed nec generationîs homunculorum ullo modo oblivisœndum est.
Est enim hujus rei aliqua yeritas, quanquamdiù in magnâocciiltatione
et secreto hoc habitum sit, et non parva dubitatio, et qucstio intcr
aliquos es antiquis philosophis ftierit, an naturae et arti possibile est
hominem gigni extra corpus muliebre et matricem natiu*alem. Ad
hoc respondeoy quod id arti spagyricae et naturae ullo modo repugnet,
imo bene possibile sit. Ut autem id fiât, hoc modo procedendum est :
Sperma viri per se in cucurbita sigillata putréfiât summa putrefac-
tipne ventrls equini per quadraginta dies, aut tandiu donec iucipiat
vi?ere et raoveri ac agitari, quod facile videri potest. Post hoc tem-
pus aliquo modo homine simile erit, ac tamen pellucidum et sine
corpore. Si jam posthac quotidie arcano sanguinis humani caute et
pnidenter nutriatur et pascatur, et per quadraginta septimanas in
peqietuo et sequabili calore ventris equini conservetur, fit inde verus
et YÎvus infans, habens omnia membra infantis, qui ex muliere natus
est, sed longe minor. Hune nos Homunculum vocamus, et is postea eo
modo diligentia et studio educandus est, donec adolescat et sapere et
intelligere incipiat. Hoc jam est unum ex maximis secretis quae Dens
mortali et peccatis obnoxio homini patefecit. Est enim miraculiun et
magnale Dei, et arcanum super omnia arcana, et merito in secretis
serran débet usque ad extrema tempera, quando nihil orit recondili,
7)80 iNOTKS.
scd oinnia inanifestabuntiir, etc. Et quanquam hoc hactenus, homi-
nibus notuin non fuerit, fuit tamen Sylvcstribus et Nymphis et Gigan-
tibus antc nmlta tempora cognitum, quia inde ctiam orti sunt.
Quoniam ex talibus homunculis cum ad œtatem virilein perveDiunt,
fiunt gigantesy pyginsei et ulii homincs magne miraculosi» qui instru-
menta sunt magnarum rerum, qui magnas victorias contra suos hostes
ol)tinent et omnia sécréta et abscondita noverunt : quoniam arte ac-
quirunt suam vilum : arte acquirunt corpus, carnem, ossa et sangui-
nem ; arte nascuntur, quare etiam ars ipsis incorporatur et connasd-
tur, et à nulle opus est ipsis discere, sed alii coguntur ab ipsis discere,
quoniam ub arte orlî sunt et existunt» ut rosa aut flos in horto, et to-
cnntur Sylvestrium et Nymphaiiun liberi, ob id quod ut et Tirtùtc
sua non hominibus sed spiritibus similes sint.
(Paracelse, de Naturâ rerinn, vol. Il, livre I*""", page 86 de
l'édition de Genève.)
Sed ut ad homunculos revertamur, practicamquje nostram quam
brevissime tradamus : sciendum est in communi, fundamentum, ar
scientiam omnem in tribus homimculis et imaginibus sitam esse, in
quibus et per quas opéra tiones universaî perficiuntur. Non enim nisi
tribus niodis homunculi omnes confiunt. Unus et primus, cum omni-
bus membris quie homo alias habet. Alter cum eodem quidem cor-
|)ore, sed cum tribus capitibus et tribus vuUibus. Tertius cum quatuor
capitibus et quatuor vultibus, quatuor mundi angulos respicientibus.
Sed o\ triplici materia homunculi omnes conficiuntur, ut ex terra,
cera et métallo y non item ex re alia.
Homunculorum processus ita se habet. Si per illos hominem
quemdam à morbo liberare velis et sanare, opus est ut imaginein ejit^
illinas et inungas, etc. Aut aliud quid faciendum fias. Si amoi-em,
favorem et giatiam conciliare vis, homunculos geininos faciès, quo-
rum alter altri manum porrigat, amplexetur, osculetur, et similia
alia faciat amoris oflicia. Si absentum ex locis dissitis doraum pertra-
here velis, ut quotidio tôt milliaria conliciat : totidem et jam millia-
ria conficiet imago ejus in rota, procedens ex eo loco, ex quo liomo
ipse iter facere débet. Sic si tutus ab hostium arniis esse cupias,
imagiucm tuaui ex ferro vel chalybe parabis, et vehit incudem intlii-
rahis. Si liostcui ligaturus es, liga ejus imagineui. IIîtt tibi ctiam
NOTES. 581
excnipla sufficiant, ex qniljiis plura ipsc depriuiere potcris. (Juaiitùm
aiiteiii ad houiuuculos, et imagines, quas Saga; et incantatores fa-
ciunt, ut pcrniissu Dei pecudes, regiones et hoiuines perdant, de illis
propter ingentia consecutura mala liic dicenduui niliil est.
(Liber de Imaginibus, ch. xii, p. 502). — Voyez aussi le
Traité de Homunciilis et MonstriSy vol. IF, p. 474.)
NOTE 11^
DES SOrERCHliUlES CONCERNANT LA IMEURE nilLOSOriIALE,
PAR GEOFFROY, LAINE.
Il serait a souliaiter que Tart de tiomper fut parfaitement igiioié
des hommes, dans toutes sortes de professions. Mais, puisque l'avidité
insatiable du gain engage une partie des hommes à mettre cet art en
pratique d'une infinité de manières différentes, il est de la prudence
de chercber à connaître ces sortes de fraudes, pour s'en garantir.
Dans la chimie, la pierre philosophale ouvre un très-vaste cliauip
à riniposturc. L'idée des richesses inmienses qu on nous promet, par
le moyen de cette pierre, frappe vivement Fimagination des honunes.
Gonufne d'ailleure on croit facilement ce qu'on souhaite, le désir de
posséder cette pierre porte bientôt l'esprit ù en croire la possibilité.
Dans cette disposition où se trouvent la plupart des esprits au sujet
de cette pieiTe, s'il survient quelqu'un qui assure avoir fait cette fa-
meuse opération, ou quelque autre préparation qui y conduise ; qui
parle d'un ton imposant et avec quelque apparence de raison, et qui
appuie ses raisonnements de quelques expériences, on l'écoute favo-
rablement, on ajoute foi à ses discours, on se laisse surprendre pai'
ses prestiges, ou par des expériences tout à fait séduisantes, que la
chimie lui fournit abondamment; enfin ce qui est de plus surpre-
• nant, on s'aveugle assez pour se ruiner, en avançant des sonmies
considérables à ces sortes d'imposteurs, qui, sous différents prétextes,
nous demandent de l'argent, dont ils disent avoir besoin, dans le
382 NOTES.
iiim\is même (ju'ils se vantent de iiosséder une source de trésors iné-
puisable.
(Juoi(|n*il y ait quelque inconvénient à mettre au jour les trompe-
ries dont se scnent ces imposteurs, parce que quelques personnes
|K)urraieut en abuser, il y en a cependant beaucoup plus à ne les pas
faire connaiti'e, puisqu'en les découvrant on empêche un très-grand
nombre de gens de se laisser séduire par leui^ tours d'adresse.
C'est donc dans la vue d*empêcher le public de se laisser abuser
par ces prétendus philosophes chimistes que je rapporte ici les prin-
cipaux moyens de tromper qu'ils ont coutume d'employer, et qui sont
venus il ma connaissance.
Comme leur piincipale intention est pour Tordinaire de faire trou-
ver de l'or ou de Forgent en la place des matières minérales, qu'ik
prétendent transmuer, ils se servent souvent de creusets ou de cou-
(H'iles doublées, ou dont ils ont garni le fond de chaux d*or ou d^ar-
(jent^j ils recouvrent ce fond avec une pâte £dte de poudre de creu-
set incorporée avec de Teau gommée, ou un peu de cire : ce qu'ik
accommodent de manière que cela parait le véritable fond du creuset
ou de la coupelle.
D'autres fois ils font un trou dans im charbon, où ils coulent de la
poudre d'or ou d'argent, qu'ils referment avec de la cire : ou bien
ils imbibent des chnrbons avec des dissolutions de ces métaux, et il>
les font mettre en poudre i)oui- projeter sur les matières qu'ils doi-
vent transmuer.
Ils s(; servent de baguettes, ou. de petits morceaux de bois creusés
il leur extrémité, dont le trou est rempli de limaille d'or ou d'argent,
et (jui est rebouché avec de la sciure fine du même bois. Ils remuent
les matières fondues avec la baguette, qui, en se binilant, dépose dans
le creuset le métal fin qu'elle contenait.
Ils mêlent d'une infinité de manières différentes l'or et Fargent
dans les matières sui' lesquelles ils travaillent : car une petite quan*
tité d'or ou d'aigent ne paraît point dans une grande quantité de
nuHaux, de régule, d'antimoine, de plomb, de cuivre, ou de quelque
autre métal.
On niclc très-aisément l'or et l'argent en chaux dans les chaux de
plomb, d'antimoine et de mercure.
* Oxyde*
NOTES. 585
On peut enfeiTuer dans du plomb des grenailles ou des lingots d'or
et d'argent. On blanchit Tor avec le vif-argent et on le fait passer
pour de l'étain, ou pour de Targent. On donne ensuite pour ti*ansmu-
tation For et Targent qu'on retire de ces matières.
Il faut prendre garde à tout ce qui passe par les mains de ces sortes
de gens. Car souvent les eaux-fortes, ou les eaux régales qu'ils em-
ploient, sont déjà chargées de dissolutions d'or et d'argent. Les papiei's
dont ils enveloppent leurs matières sont quelquefois pénétrés de
chaux de ces métaux. Les cartes dont ils se servent peuvent cacher de
ces chaux métalliques dans leur épaisseur. On a vu le verre même
sortant des verreries chargé de quelque portion d'or, qu'ils y avaient
glissée adroitement, pendant qu'il était encore en fonte dans le four-
neau.
Quelques-uns en ont imposé ave<; des clous moitié fer et moitié
or, ou moitié argent. Ils font accroire qu'ils ont fait une véritable
transmutation de la moitié de ces clous, en les trempant à demi dans
une prétendue teinture. Rien n'est d'abord plus séduisant ; ce n'est
poui-tant qu'un tour d'adresse. Ces clous, qui paraissent tout de
fer, étaient néanmoins de deux pièces, une de fer, et une d'or ou
d'argent, soudées au bout l'mie de l'autre Irès-proprement et recou-
vertes d'une couleur de fer, qui disparaît en la trempant dans leur
liqueur. Tel était le clou moitié or et moitié fer qu'on a vu autrefois
dans le cabinet de M. le giand-duc de Toscane. Tels sont ceux que je
présente aujouixl'hui à la compagnie, moitié argent et moitié fer. Tel
était le couteau qu'un moine présenta autrefois à la reine Elisabeth
en Angleterre, dans les premières années de son règne, dont l'extré-
mité de la lame était d'or ; aussi bien que ceux qu'un fameux char-
latan répandit il y a quelques années en Provence, dont la lame était
moitié argent et moitié fer. 11 est vrai qu'on ajoute que celui-ci faisait
cette opération sur des couteaux qu'on lui donnait, qu'il rendait au
bout de quelque temps, avec l'extrémité de la lame convertie en ar-
gent. Mais il y a heu de penser que ce changement ne se faisait qu'en
coupant le bout de la lame, et y soudant proprement un bout d'ar-
gent tout semblable.
On a vu pareillement des pièces de monnaie, ou des médailles,
moitié or et moitié argent. Ces pièces, disait-on, avaient été premiè-
rement, entièrement d'argent ; mais eu les trempant à demi dans
une teinture philosophale» ou dans l'élixir des philosophes, cette moi-
584 NOTES.
lie qui avait ôUi Ireiiipée s'était ti-ansmuée en ov, sans que la forme
cxti'rieure de la médaille, ni les caractères, ciisscut été altérés con-
sidérablement.
Je dis que cette médaille n'a jamais été toute d'argent, du moins
cette partie qui est or, que ce sont deux i)oi*tions de médailles. Inné
iVov et l'autre d'argent, soudées très-proprement, de manière que les
ligures et les caractères se i*appoi*tent fort exactement, ce qui n'est
|)as bit'u difficile. Voilà de quelle manière cela se fait, ou plut<H,
voici de quelle manière je jouerais ce jeu, si je voulais en imposer.
Il faut avoir plusieurs médailles d'argent semblables, un peu gros-
sièi*einent frappées, et même un peu usées : ou en modellcra quc4-
ijues-unes en sable, qu'on jettera en or; il n'est pas même nécessaire
qu'elles soient modelées dans un sable trop fin.
Pour lors on coupera proprement une poiiion d'mic des médailles
d'argent et une pareille portion d'une des médailles d'or. Apres les
avoir appropriées avec la lime, on soudera exactement la piutie d'or
avec la partie d'argent, prenant soin de les bien ajuster, en soilc que
les caractères et les iigures se rapportent autant qu'il sera possible,
et s'il y a quelque petit défaut, on le réparera avec le burin.
La |K)rtion de la médaille qui se trouve en or, ayant été jetée eii
sable, parait un peu grenue et plus grossière que la portion de la
médaille qui est on argent, et qui a été frappée ; mais on donne ce
défaut coiiimc un olfet, ou comme une preuve de la ti-ansmulalion,
parce qu'une certaine «piantité d'argent, occupant un plus grand vo-
luiiu; (|u'uiie pareille quantité d'or, le volume de l'argent se retire un
peu en se cUaugeaut eu or, et laisse des pores ou des esi^aœs, qui
loruieiit le grenu. Outie cela, on a soin de tenir la partie qui est en
or un peu plus mince que l'argent, pour garder la vraisemblaiiœ, et
ne mettre qu'autant d'or à peu près qu'il y avait d'argent.
Outre celle première médaille, on en préparera une seconde de
cette façon :
On prend une médaille d'argent, dont on éuuncit une moitié, en la
limant dessus et dessous sans toucher K l'autre, de sorte que la moi-
tié de la médaille soit conservée entière, et qu'il ne reste de l'autre
moitié qu'une lame mince, de l'épaisseur environ d'une carte à jouer.
On a une petite médaille en or qu'on coupe eu deux, et dont on prend
la portion dont on a besoin, on la scie en deux dans son épaisseur, el
l'on ajuste ces deux lames d'or de manière qu'elles recouvrent la
NOTKS. 385
partie éiiiincie de la médaille d'argent, eu obsei-vant que les iigure-s
et les caractères se rapportent : par ce moyen on a une médaille en-
tière moitié argent et moitié or, dont la portion d'or est fourrée d'ar-
gent.
On présente cette médaille comme un exemple d'un argent qui
n^est pas totalement transmué en or, pour n'avoir pas trempé assez
longtemps dans Tclixir.
On prépare enfin une troisième médaille d'argent, dont on dore
superficiellement la moitié dessus et dessous, avec Tamalgame de
mercure et d*or, et l'on fait passer cette médaille pour un argent qui
n'a trempé que très-peu de temps dans l'elixir.
Lorsqu'on veut jouer ce jeu, on blancliit l'or de ces trois médailles
avec un peu de mercure, eu sorte qu'elles paraissent entièrement
d'argent. Pour tromper encore mieux, celui qui se mêle de ce mé-
tier, et qui doit savoir bien escamoter, présente trois autres médail-
les d*argent, toutes semblables, sans aucune préparation, et les laisse
ciLaminër k la compagnie qu'il veut tromper. En les reprenant, il leur
substitue, sans qu'on s'en aperçoive, les médailles préparées ; il les
dispose dans des verres, dans lesquels il verse suffisante quantité de
sou précieux élixir, à la hauteur qu'il lui convient ; il en retire ensuite
ses médailles, dans des temps marqués. H les jette dans le feu, il les
y laisse assez de temps pour faire exhaler le mercure qui blandiissait
For. Enfin il retire du feu ces médailles, qui paraissent moitié ar-
gent et moitié or, avec cette différence, qu'en coupant une petite por-
tion de chacune dans la partie qui parait or. Tune n'est dorée qu'à
la surface, l'autre est d'or à l'extérieur et d'argent dans le cœur, et
la troisième est d*or dans toute sa substance.
La chimie fournit encore à ces prétendus philosophes chimistes des
moyens plus subtils pour tromper.
Telle est une circonstance particulière que l'on raconte de l'or
d'une de ces prétendues médailles transmuées, qui est que cet or ne
pesait guère plus qu'un égal volume d'argent, et que le grain de cet
or était fort gros, peu serré ou rempli de beaucoup de pores. Si cela
est vrai dans toutes ces circonstances, comme on l'assure, c'est en-
core upe^ûbuvelle imposture qu'il n'est pas impossible d'imiter. On
jHîut introduire dans l'or une matière beaucoup plus légère que ce
nictail, qui n'en altérera point la couleur, et qui n'abandoimei-a l'or
ni dans le départ ni dans la coupelle. Cette matière, beaucoup moins
38fi NOTES.
compacte» ivndra son grain moins serré et, sous un même volume,
sa {)esanteui* beaucoup moindre, selon la quantité qu'ion y en aura
introduite.
Passons h d'aulixïs expériences imposantes . Le mercure chargé d'un
|NMi de zinc et {Kissé sur le cui?rc rouge lui laisse une belle couleur
(For. (Juolques préparations d'ai'senic blanchissent le cuivre et lui
donnent la couleur de l'argent . Les prétendus philosophes produisent
CCS pi-éjiai-ations comme des acheminements à des teintures qu'ils
pi-ouiettent de perfectionner.
On fait bouillir le mercure avec le vert-de-gris, et il paraît que le
nicivure se fixe en paiiie, ce qui n'est en effet qu^mi amalgame du
nieiture avec le cuivre qui était contenu dans le verdet ; ils doraieut
cette opération comme une véritable fixation du mercure.
Tout le monde sait maintenant la manière de changer les clous (k>
cinabre en argent. Cet artifice est décrit dans plusieurs livres de cbi-
mic, c'est pourquoi je ne le réjn^te point ici.
On donne encore le procédé suivant comme une transmutation de
cuivi-e en argent. On a une boîte ronde comme une boite à savon-
nette, composée do deux calottes de cuivre rouge qui rejoignent et
ferment très- juste. On remplit le bas de la boîte dMne poudre pré-
pai'ée pour cela. Après avoir fermé la boîte et luté les jointures, on
la place dans un fourneau avec un feu modéré, suffisant pour rougir
le fond (lo la boîte, mais non pas assez fort pour la fondre. On la
laisse quelque temps dans cet état, après quoi on laisse éteindre le
feu et Ton ouvie la boîte, on trouve la partie supérieure de la boîte
convertie en argent. La poudre dont on se sert est la chaux d'ai'gent
précipitée ])ar lo sel marin, ou autrement la luneconiée, qu'on étend
avec quelque intermède convenable.
Dans cette opération, la lune cornée, qui est un mélange de l'ar-
gent et do l'acide du sel marin, s'élève facilement au feu, et elle se
sublime au haut de la boite de cuivre. Mais, comme l'acide de sel
marin s'unit avec les métaux et les pénètre très -intimement; et
conmie il a d'ailleurs plus de rapport avec le cuivre qu'avec Tai-gent
ù mesure qu'il pénètre le cuivre, au travers des pores duquel il s'en-
haie, il en ronge quelques parcelles qu'il emporte avec lui en Tair, û
dépose en leur place les particules d'argent qu'il avait enlevées, et il
compose ainsi un nouveau dessus de boîte, partie argent et jwrtie
cuivre*
NOTES. 387
Quelques chimistes ont avance qu'il était plus facile de faire de
l'or que de le décomposer, c'est ce qui a engagé quelques-uns de nos
prétendus philosophes de donner certaines opérations pour de vraies
destructions de Tor.
Ds nous proposent . des dissolvants digérés avec For qu'ils di-
sent désanimé, ou dépouillé de son soufre ou de sa teinture, parce
qu'en le fondant il est blanc ou d'un jaune pâle et fort aigre. Tel est,
par exemple, l'esprit de nitre bézoardique. Mais cette prétendue dé -
composition de l'or n'est qu'une illusion. Ce dissolvant est quelquefois
chargé d'une assez grande quantité de parties régulières d'antimoine
qu'il a eidevées avec luidans la distillation. Lorsqu'on l'a fait digérer
sur l'or, il dissout bien à la vérité quelque portion d'or parce que
c'est ime eau régale qui n'est pas assez chargée d'antimoine pour ne
plus mordre sur l'or. De là vient la couleur jaune que ce dissolvant
prend dans cette digestion. 11 dépose aussi dans les pores de l'or qui
restent sans être dissous quelques petites portions de régule qu'il te-
nait en dissolution, ce qui rend cet or pâle^ ou même blanc, quand
on vient k le refondre, selon la quantité des parties antûnoniales qui
s'yseroût mêlées. Mais cet or que cet esprit tient eu dissolution n'est
nullement décomposé, comme il est aisé de s'en assurer par la pré-
cipitation.
11 n'y a pas longtemps qu'on proposa à M. l'abbé Bignon une au-
tre prétendue destruction de l'or, ou une manière de réduire ce mé-
tail en une simple terre, qu'on ne peut plus refondre en or. Pour
cela on faisait fondre l'or dans un creuset, avec environ trente fois
autant d'une poudre préparée. Le tout étant bien fondu, on tirait la
matière du feu, qu'on laissait refroidir en une masse saline. On la lais-
sait résoudre en hqueur à l'humidité de la cave, et l'on passait en-
suite cette liqueur par le papier gris, sur lequel il restait une poudre
noire environ du poids de l'or qui avait été employé. Cette poudre,
mise à toute épreuve, ne doniiait plus aucun indice d'or, d'où l'on
concluait que l'or était décomposé et réduit en sa terre première.
Nous fumes chargés, M. de Réaumur, M. le Méry et moi, d'exa-
miner cette opération, et nous jugeâmes que ce n'était pas assez
d'observer cette terre fixe, qu'il fallait encore faire attention h la li-
queur passée par le filtre, où il y avait toute apparence qu'on trou-
verait l'or, supposé que la poudre dont on s'était servi pour intor-
inède n'en eut pas enlevé ime partie pendant la fonte.
588 NOTES.
Mais, ayant bientôt après examiné la poudre dont on se servait pour
cette opération, nous trouvâmes que c'était un composé de crème de
tartre» de soufre et d'un peu de salpêtre.
Nous ne doutâmes plus pour loi^s que Tor ne fût passé daas la li-
queur, car ces matières détonnées et fondues ensemble forment une
espèce d'hepar Svlphuris dans lequel For et les autres métaux sont
facilement dissous, de manière que lorsqu'on laisse résoudre à Tair
bumide cet hepar sulphuris cbargé d'or, il se résout en liqueur rou-
geàtre avec laquelle l'or reste entièrement uni, et il passe avec ce
même or au travers du papier gris. La ten'e fixe qui reste sur le fil-
tre est la cendre que laisse la crème de tartre après sa calcination, et
qu'on nous voulait donner pour un or désanimé ou décomposé.
C'est avec ces artifices ou de semblables que tant de geiLs ont été
tmmpés.
Il y a même toute apparence que ces fameuses histoires de la trans-
mutation des métaux en or ou en argent, par le moyen de la poudre
de projection ou des élixirs philosophiques, n'étaient rien autre chose
que l'effet de quelques supercheries semblables. D'autant plus que ces
prétendus philosophes n'en laissent jamais voir qu'une ou deux épreu-
ves, "[après lesquelles ils disparaissent ; ou bien les procédés pour faire
jour poudre ou leur teinture, après avoir réussi dans quelques occa-
sions, ont cessé d'avoir leur effet, soit parce que les vaisseaux qu on
avait garnis d'or secrètement ont été tous employés, ou parce que
les matières qui avaient été chargées d'or ont été consommées.
Ce ((ui peut imposer le plus dans les histoires que l'on raconte de
ces prétendus philosophes, est le désintéressement qu'ils marquent
dans quelques occasions où ils abandonnent le profit de ces transmu-
tations et l'honneur même qu'ils pourraient en retirer. Mais ce faux
(Ic'siiitéressemcTit est une des plus grandes supercheries, car il sert à
l'épandre et h entretenir l'opinion de la possibilité de la pierre philo-
sopliale, qui leur donne moyen par la suite d'exercer d'autant mieux
leurs supercheries et de se dédommager amplement de leurs avances.
(Mémoires de r Académie des sciences de Paris
15 avril 172-2).
NOTES. 5S9
NOTE m*
TRAICTE FAICT PAR LE ROI CHARLES IX AVEC JEAN DKS GALAN?, S[i<UR DE
PEZEROLES, QUI PROMETTAIT AUDIT SEIGNEUR ROI DE TRANSMUER TOUS
MÉTAUX IMPARFAICTS EN FIN OK ET ARGENT, L*AN 1507, 5 NOVEMBRE
Charles, par la grâce de Dieu roy de France, ayant esté adueny
par Jean des Gallans, sieur de Pezeroles, qu'il auoit un secret en main
pour transmuer tous les métaux imparfaits en iin or et argent, lequel
secret il auroit présentement déclaré à Sa Majesté et à Monseigneur
le duc d'Anjou, et ce faisant a promis et promet ledict de Pezeroles,
que dedans six mois après la datte de ces présentes, que la matière
par lui à nous déclarée aura esté mise en la décoction et dans les
usages à ce requis, et en tel nombre qu'il plaira à Sa Majesté, qu'il
monstrera la première preuve de ladicte matière en mercure mortifié
ou uiuiiié, et dans quatre mois après qu'il montrera aussi une se-
conde prenne de ladicte matière, qui fera transmutation de métal ini-
parfaict en or et argent, et que en continuant ladicte matière en sa
décoction, s'ensuiura la perfection d'icelle pour faire projection d'i-
celle sur tous métaux imparfaicts pour les réduire en fin or et argent
selon le degré de sa décoction au blanc ou au rouge dedans le terme
de deux ans ou environ après la datte de cesdictes présentes. Et
Noos, en considération de sa bonne volonté et grand seruice qu'il
nous faict, le voullant rendre récompensé en ce que pouuons quant à
présent, luy auons promis et promettons en foy et parolle de roy de
lui bailler, céder et transporter à luy ses hoirs et ayant cause par
héritage et à perpétuité, la somme de cent mil livres tournois an-
nuelle en notre royaume. Et ce, en une ou plusieurs terres, en titre
de Marquisats, Comtez, Baronnies, ou autres seigneuries. Et outre la
somme de cent mil escus d'or soleil, en deniers pui^ et claii's, assa-
uoir cinquante mil liures tournois de rente, et cînqunnto mil escus
d'or soleil dedans le terme de six mois procliainemont uenant, loi's-
que se fera la première prenne de ladicte matière en mercure. Et
quatre mois après que se fera la seconde preuue du métal im^jarfaic
590 NOTES.
vn or et argent, nous luy compterons ladicte somme de cent mil li-
ures tournois de rente, et de cent mille escus soleil, selon notre pro-
messe dessus dicte. Et cependant et attendant ledict temps de six mois,
luy auons promis de faire deliurer par chascun mois la somme de
douze cent escus soleil pour son entretenement. Et dès à présent lui
baillerons et délivrerons la somme de six mil escus soleil, en disduc^
tion de ladicte somme de cent mil escus soleil. Promettant audict
sieur de Pezeroles de luy passer dans le premier et second terme
des preuues dessus dictes, Gontracts et Lettres bonnes et ualables de
ce que dessus en forme autentique, et les faire osmologuer et vérifier,
tant en notre Conseil qae es Cours de parlement et ailleurs où besoin
sera. Et pour la uériiication et asseurance desdictes preuues de la
matière k nous enseignée, ledict sieur de Pezeroles s'en remeci et
raporte à ce que nous en attesterons par notre foy et conscience. Pour
la confumation des quelles choses nous luy avons signé la présente
et faict signer k notre dict frère le duc d'Anjou, le cinquième jour de
nouembre mil cinq cent soixanto-sept. Ainsi signé Chables et Herbi.
(Manuscnts de la Bibliothèque impériale de Paris, —
Collection du Puy, Volumes 85-86, date du 5 novem-
bre 1567, folio 172.)
Le même acte est reproduit dans la Collection de Mesmes de la
même bibliothèque, volume II, page 114;, et dans la Collection Pon-
thieu, à la date du 5 novembre 1567. Dans cette dernière collection,
il est accompagné do Vobservation suivante due au collecteur des
manuscrits :
« A Tobjet de cet acte, à sa forme, à ses conditions, on voit aisé-
ment que c'est Touvi-age secret de deux jeunes princes de 1 6 et 1 7 ans,
bien ubusés par un charlatan. »
NOTES. 391
NOTE IV
LES MÉTAUX NE SONT PAS DES CORPS SIMPLES, MAIS BIEN DES CORPS COM-
POSés. — LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MÉTAUX PRÉCIEUX EST
POSSIBLE, EST UN FAIT AVÉRÉ ;
PAK C. THÉODORE TIFFEREAU
Ancien élèY« et préparateur de cbimie à l'école préparatoire de Nantes *.
PREMIER MÉMOIRE
« A toutes les merveilleuses créations industrielles qm signaleront
le dix-neuvième siècle k la postérité, je viens, humble et obscur ou-
vrier, apporter ma pierre pour Fédifice commun. La vapeur, réleciri-
cité, ont déjà changé la face du monde (et qui peut dire où s'arrêtera
leur puissance ?]f; mais il est d'autres mobiles delà richesse publique,
et j'en viens signaler un dont la découverte changera bien des condi-
tions de travail et effrayera par sa portée les esprits les plus hardis. Il
ne faut pas moins, pour me décider à confier au public la découverte
que j'ai faite, que la conscience de son importance et l'honneur qui re-
jaillira sur mon pays d'avoir été le berceau d'une pareille invention.
c rai découvert le moyen de produire de Vor artificiel^ j'ai
fait de Vor.
«c A cette annonce, j^entends déjà les clameurs des incrédules et
les sarcasmes des savants ; mais aux uns et aux autres je répondrai :
Écoutez et voyez.
a Élève et préparateur de chimie à l'École professionnelle supé-
rieure de Nantes en 1840, je m'adonnai surtout à l'étude des métaux,
et, convaincu que cette partie des sciences chimiques offrait un champ
immense à moissonner pour un honune d'observation, je résolus d'en-
treprendre un voyage d'exploration au Mexique, cette terre classique
des métaux. En décembre 1842, je partis, et, cachant mes travaux
secrets sous l'abri d'un art encore nouveau, le daguerréotype, je pus
parcourir en tous sens ces immenses contrées, ces placers, cette pro-
* Paris, 4855. In-8'.
392 NOTES.
viiico de Sonora, cos Califomics, qui, depuis, ont tant fixé les regards
du monde. C'est en étudiant les gisements des métaux, leurs gan-
gues, leurs divers états physiques,' c*est en interrogeant les mineurs
et comparant leurs impressions, que j'acquis la certitude que les mé-
t;iux subissaient dans leur formation certaines lois, certains âges in-
comms, mais dont les résultats frappent Tesprit de quiconque les étu-
die avec soin. Une fois placé à ce point de vue, mes recherches
devinrent plus aixlentes, plus fructueuses ; peu à peu la lumière se
fit, et je compris Tordre dans lequel je devais commencer mes tra-
vaux. Après cinq ans de recherches et de labeurs, je réussis enfin à
produire quelques grammes d'or parfaitement pur.
• Il m'est impossible de peindre Timmense joie que je ressentis en
touchant ce but si désiré. Dès lors je n'eus qu'une pensée fixe : ren-
trer en France et faire profiter mon pays de ma découverte. Quitter
le Mexique était fort difficile alors, car les Américains venaient de s'em-
{lai-er de Vera-Cruz, de Mexico et de Tampico, et il ne me fallut pas
moins de six mois pour venir de Guadalajara à Tampico, où je me
suis embarqué pom* la France en mai 1848.
ff A mon arrivée, je constatai de nouveau les propriétés de l'or que
j'avaLs artificiellement obtenu : cristallisation, aspect, densité, malléa-
bilité parfaite, ductiUté, insolubilité absolue dans les addes simples,
solubilité dans Teau régale et les sulfures alcahns, rien n'y manque.
La quantité que je i)ossède aujourd'hui ne jieut me laisser aucun doute
sur le fait de la découverte et sur le peu de frais au moyen desquels
j'ai pu la préparer.
« Maintenant, pour faire disparaître le merveilleux dont cette dé-
couverte ne manquera pas d'être entourée aux yeux de bien des gens,
il faut que je dise quelles sont les vues qui m'ont guidé dans mon
travail, et comment ma réussite a été l'œuvre de déductions logiques
déjà acquises à la science.
Les métaux ne sont pas des corps simplesy mais bien des corps
composés,
« Los alchimistes et les j)hilosophes hermétiques du moyen âge n'a-
vaient aucune théorie fixe dans leurs recherches sur la nature des
métaux; guidés par une j)ensée mystique et voyant dans tous Ks
corps de la nature un mélange de matière et d'émanation divine, ils
NOTES. 595
pensaient pouvoir arracher à la nature le secret de ce mélange, et,
dégageant la matière brute de son essence, la ramener h un type
unique, pour les métaux, du moins. De là Tidée de ce qu'ils appe-
laient le grand œuvre, la pierre philosopbale, la transmutation des
jmctaux.
« Divisés en plusieurs sectes, les illuminés se flattaient vamement
de découvrir une panacée propre à prolonger la vie des hommes au
delà du terme ordinaire, tandis que d'autres, les plus positifs, se bor-
naient à chercher la transformation des métaux vils ou imparfaits
en métaux précieux et parfaits, c'est-à-dire en argent, en or.
« Les travaux de ces hommes sont restés stériles, sauf les quelques
remèdes héroïques dont ils ont doté l'art de guérir, remèdes puisés
dans les préparations antimoniales et mercurielles principalement ; au
conunencement de ce siècle, il était de bon goiit de jeter le sarcasme
à pleines mains sur ces fous d'une autre époque, et c'est à peine si,
aujourd'hui, quelques savants rendent justice h l'idée, b la pensée mère
qui a guidé les alchimistes.
« Il s'en faut pourtant de beaycoup que les faits scientifiques actuels
démentent les assertions, les observations de ces philosophes, et, au
contraire, il est certain, positivement certain, à mes yeux du moins,
que la transformation des métaux est possible, est un fait accompli,
avéré, qui ne peut laisser de doute dans un esprit non prévenu.
« Posons d*abord un principe fécond admis aujourd'hui par tous les
chimistes : Les propriétés des corps sont le résultat de leur consti-
tution moléculaire.
« La nature nous présente un grand nombre de corps polymorphes
qui, suivant qu'ils cristallisent dans un système ou dans un autre,
acquièrent des propriétés très-différentes, sans que, cependant, leur
composition soit altérée ou changée en aucune façon. Ainsi, le car-
lionate de chaux rhomboédrique ou spath calcaire, et le carbonate de
chaux prismatique ou arragonite, ont exactement la même compo-
sition, et cependant possèdent des propriétés très-différentes. La
science est parvenue à produire ces deux sels à volonté sous ces deux
formes. L'un d'eux possède la double réfraction, l'autre ne la possède
pas; l'un est plus dense que l'autre, l'un enfin cristallise à la tem-
pérature ordinaire, l'autre seulement h la température de plus de
cent degrés.
a Tout le monde sait que le soufre possède des propriétés diflorentes
-01 ?fOTLs.
^iiiv.iiil la u-iii{)«'!r:ttiir<* .i laipjrlli* on Fa 'ïxpos«^ et la fiirmf^ criatalline
(|ir«iii lui .1 l'ait |nvnllr'^ Cne t'imle d*oxyiJHS métalliques, leb qiie
• i-itains (iiy<ii'N liir t')T ••! iji* f-hriiRiK, «-«î subfititiiant ù d'autres ba««s
•lans lf*s M'j.s, liMir ilimncnt ilt^s propriiitéa ilivers*;s 301 l* des fi>fiitf*>
U|iii|iirs. Li^» iiKvilr^ iU'. ziiif. il»r mrrnire, pliisiairs combinaî*oa<' Je
i-»f> iiirtaiix i-liaiiLrrnt <!«; pr')|irii'trs sous l'empire d'un rhan^enientilt-
• iinNtiUitiun iiiuliiriilairfî prrMhit par b i:h:il<2or ou des forces êlectti-
<|iirs. Lt; platine spun<£ieux, l'aruile nhaufTée au blani.*, détemiinent,
IKii' leur siiii[ilf'. inuniîrsiun dan» un mélanue dVjiygène et d'IiTdiD-
u'ênf, la ('ombinaÎMin de ces deux 2az, dont le résultat est de l'eau.
j D:inH la inLiire nrjaniqur, m; voyons-aciiis pas des plb!iiijuièiie<
analiiu'UtM >v pnNluire riia({ue jour? L*amiiion ne se transfoniie-t'il
pas ifii siHrri' par atm seul conta<.'t avec l'acide sulfurique, sans que,
ri*[N-nilunt, reliiifci soit altéré? N'est-rc pas à la présence d^une ma-
ti«>i'«' aziiti'f ipj't'^t (In le phénomène de la fermentation qui fiiit subir
aux matières or;;ani({ues de si curieuses transformatiuns? EnliD, le
iAami;.'ène, n: r.iiliral conipo^i', nV>4-il pas le produit de raction
ifune hav 'di:alin«t >ui- une matière .azotée? Je pcuirais citer mille
.Mitres (mIt^ a ra[ipui du principe énoncé, si je ne crai^aLs de paraitn*
fou loir l'aire étila^fc dt> science. Je répéterai donc simplement qull
lis a rieu que «le ti-î*s^jiiste d^ins cette pensée, que, la constitution
il'iui nirpN étant cliafi^'ée, re rorp»» acrpiiort des propriétés uouvilIe>.
tiiiit fil r«inHT\ant ^a uatnir intiuii.s s:i mniposition si Ton veut.
•f Kn I oti>é(|iirni e, il snflira de dn-ciuvrir le corps rjui, par sa torce
f-atalvli(|n(>, \u\i\ :i^ii- sui' Ir corps qu'on veut tnuist'ornier, puis de
uii'tln^ ce dernirr eu certaines cnuditions de contact avec lui, \wm
(ipérrr cettr trarisfoiiuatidti. Voilà le pi'inci]K: qui iiVst nié pr aucun
rliiuiiste aujouiiriuii, celui que j'ai mis en application, et auquel je
dois mou succrs.
H Dans uii onln* d'idées aualo«!urs, répétei'ai-jc ici tout ce qui u ûlt'
dit el écrit par les uiiNJeriKS sur la prohabilité de la coni|)osition des
uirtaux? Si Ton part ili* la théorie de Stahl, qui considérait lesniétaui
couuue formes iriui radical et d'un principe ap|)elé phlo«;istii|uo.
pour arriver à Lavoisicr, qui, par sa théorie de la condmstiou. a si
lou<'tcui|»s l'ail faire liuissc roule aux (disciiTatoui-s ; si eufùi ou coibi-
t\viv qui' Ions les coips de la nature, végétaux et animaux, eu uoiih
hre iucalcniahle, sont formés pourtant de trois ou quativ élément.
uial;;rt'* leni" iumien«»c di\er>itê, et si Ton réfltHiiit «pu» ce n'est jV
f^OTES. • 595
mais qu'avec un petit nombre de substances simples que la nature
produit tous les composés, n'est-il pas naturel de penser que les qua-
rante et quelques métaux, considérés aujourd'hui comme des corps
simples, ne sont que des mélanges, des combinaisons, peut-être, d'un
radical imique avec un autre corps inconnu mal étudié, sans doute,
dont l'action nous échappe, mais qui seul modifie les propriétés de ce
radical, et nous montre quarante métaux là où il n'y en a qu'un? Com-
ment admettre que la nature ait créé cette quantité de métaux di-
vers pour former le règne inorganique, quand, avec quatre éléments
au plus, elle a créé une si prodigieuse quantité de végétaux et d'ani-
maux? Et si un homme vient à démontrer ce corps inconnu qui a
échappé à tant de recherches, et à le faire agir sur un métal donné,
qu'y a-t-il de surprenant à ce que cet homme change la nature de ce
métal en lui donnant, avec une constitution moléculaire différente,
les pi*opriétés de tel autre métal dans lequel existe naturellement cette
constitution?
« En voilà assez sur ce sujet pour tout homme quelque peu versé
dans l'étude des sciences physiques, et pour le bon sens de tous.
J'arrive maintenant à préciser la position. J'ai pu produire de l'or et
opérer la transformation complète d'une quantité donnée d'un mé-
tal en or pur. J'ai dit déjà que cette quantité était de quelques gram-
mes, et jusqu'à présent je ne suis pas encore parvenu à opérer sur
une masse assez considérable pour pouvoir dire que j*ai réussi en -
gi^and. Pour y parvenir, il me faut d'autres ressources, je les demande
à ceux qui voudront se mettre en rapport avec moi. Je ne veux pas,
à moins d'y être contraint, avoir le soi*t de tant d'inventeurs, dédai-
gnés dans leur patrie ^ porter à l'étranger le fruit de ma découverte,
et en faire profiter nos rivaux en industrie. Je fais appel à mes com-
patriotes, et j'attends de la publicité l'aide dont j'ai besoin pour par-
faire mon œuvre.
« En terminant, je crois inutile et imprudent peut-être de faire des
réflexions sur l'immense portée de la production de Tor artificiel i
La France possède le plus fort numéraire de rËuroi>e, environ trois
milliards de francs ; la dépréciation prochaine de l'or par l'abondance
de ce métal provenant de la Californie et de l'Australie sont deux faits
assez faciles à rapprocher pour que les conséquences en découlent
d'elles-mêmes ;
a Je me tais donc et j'attends. »
5yi. • NOTES.
UKLXIKME MKMOIUE
Lu à rAïaiii'riiie «le» «ciciicef d«ru b scatice 'lu 17 tM:Utïtrt iK^.
Alin (il! faii'c ilihiiaraitn; U^ AouUm qui |M;uT<fiil re^U^ dasH b» «h
|iriU au huj<*t de la ilinouvcile que j'ai (âiUî de Tor utH&âtA, y. \m
l'Mlrtfr (laiiH qudqufîs iliHaiU (Ji; mes ex|iénciic<.*«, et |>niUTerqiMf,4MM
les circoiihtaru'eh où j'ai o)>ér<% je n'ai |iu prefulie de» îUufÎMi»' p«f
ili.*M réalitc«.
Messieurs, le iiiélal que j ai ilioiM pour baute dtt mv% e%^tityMxit
thi r^i'^eiil^ niélaJ {larfailement di>4ifi(i dm autre» jor ne» pm^ntUÂi
eliiiiiique.s^ qui hont tout k (ait caractéri^tiquef , couinie oo ^aât, d
qui, par couK^|ueut, ne |iennetteut |isiii de le cotifoodre aT«c ;
autre; parcelle raition tttèiue, ile«t (âdle de robtenir <
pur; de Mjrti* qu'agi^Mint «ur tu* auiUtl je [tomMu me rtmàtt for-
(ailenient coirqile de» diaiigernenU (lailieU ou etitien i
opérer len agimt» chimiques que j*employai«.
iHiUK meK preniiern essais, je pus me couTaincre qu'une ttvHW-
iiime quantité d*argeut [la^wait â Tétat d*or, mai» en «i fMeiîle ((|iufllilr,
que j<; doutai d*alK>rd de la rém^iUi du fait, quoique œpmiaiÉl f
(ii-<; l»ieij roin:iiiHij que Tar^'enl que j emploi aij^ ne OMthftmi ptb
iiioiniire qij;intiti; <i'or.
Si je n'avais que ot résultat à montrer, on |M>uriaît d^iuUf M^t
que ï'Ai'fii'tii eiiq>lo\i' nét^il pas < liinm|uement pur; t^ua d':»iii^i
Vnr^t'iii renferme tiiujour^ de l'or, et qu*il n*% a dtjtn: liejj «i'-
tonn.'i;jt ii re qu»,- j'^'U aie trouvé. J'admettrais encore que i'^i^-duL
|»oii\;iil contenir di*^ trares d'or; maïs ce que y*. lUt \mh '^tiuaiUti. «. Vn
qu'il puisse \ .'ivoir illuhion <le ma part, loiv|ue, flaui^ plui^i^rur^ «^
Ireî» e\périenei'>i iH[,\{:iV'< que j'ai ^aite•^, j'ai tu tonl l' argent tsi-
j>l<*»é dûiîi'^t'i <l'a-;><'<t «.t de propriété»; le métal qui, avant W-i^*.-
. rien<e, étnl l'U cotier ^dulde dan^ ViumU: 'dTuAu^wt , <.-»t «i«'£»t
< onqiléti.'nunt in-^^^liilde dans m l'-actif; ï\ e&t d«r%enu, au tjMAt-^y.
^oluMe en enli'T t^àtt^. l'eau ré;iale <'l les Kulfure^ aicaiîii^: eii u/ï jjl..»:.
il a aequi* IouU.'jî K> piopiiéU'rh <:himi«|uei» et plitM^jue^ d^r IVf- JV-
^jent (/y;// t';///i?r -'<*^1 rlian;ié «n or.
Jajouleiai qu*- j'ai ojj'i/ t-ur d'à -se/ ^raud^rb quaiitît/i^^, owiiVii
NOTES. 397
je l'ai dit dans mon précédent mémoire, pour qu'il no puisse me res-
ter aucun doute sur le fait accompli; j'ai suivi avec attention toutes
les phases de ces expériences, qui ont été fort longues, et si je ne puis
pas toujours les répéter avec le même suc^îès, le fait capital de la
transformation de l'argent en or n'en existe pas moins.
J'ai l'honneur de mettre sous les yeux de l'Académie une faible
partie de ce premier or tel que je l'ai obtenu; il est facile de se con-
vaincre que ce produit a son cachet particulier qui le distingue de l'or
de mine, de celui des placers et de celui des sables aurifères; lors-
qu'il est fondu, il est impossible de le distinguer de l'or naturel, par-
faitement identique avec lui.
J'ai l'honneur de mettre sous les yeux de l'Académie un petit lin-
got de cet or fondu.
Pour parer k tout événement et conjurer toute éventualité relative
à la découverte que j'ai faite, outre le paquet cacheté que j'ai déposé
a l'Académie, j'ai remis en mains tierces des échantillons de mon or
artificiel et la description détaillée des procédés que j'ai employés
liour l'obtenir.
Dans le cours des opérations dont je viens de parler, et que j'ai va-
riées sous toutes les formes, j'ai remarqué des analogies frappantes
dans le phénomène de la transformation des métaux divers sur les-
quels j'ai opéré; et, sans entrer ici dans des détails inutiles, je crois
pouvoir conclure dé mes expériences que la transformation du cuivre
en argent m'est démontrée et sera bientôt un fait acquis h la science;
que d'autres métaux, le fer, par exemple, peuvent être transformés
en cuivre, en argent, en or.
' Maintenant il me faut obtenir en grand de l'or artificiel : c'est ce
procédé que je cherche, pour lequel les moyens me font défaut.
Cet aveu d'impuissance n'étonnera pas l'Académie : il est conforme
à tous les précédents des inventeurs qui m'ont devancé; aucun d'eux,
que je sache, n'a perfectionné son invention avec ses propres moyens,
et trop souvent ils en ont perdu le fruit, épuisés qu'ils étaient par les
dépenses qu'ils avaient faites, ou découragés par l'incrédulité et l'in-
souciance publiques.
Quant aux conséquences de la transformation de l'argent en or, de
la production de l'or ailificiel, je laisse à la sagesse de l'Académie à
prévoir tout ce qu'elles pourront apporter de perturbations et d'av;ui-
lages dans les relations commerciales des peuples, dans notre système
25
398 NOTES.
financier, dans les valeurs respectives des produits du sol et de Tin-
dustrie.
En publiant ici le fait de ma découverte, j'ai moins pour but d'en
tirer honneur ou profit que d'enrichir la science et d'en faire profi-
ter mon pays.
instrument de la Providence, qui a guidé mes essais, j'obéis à rim*
pulsion qui me pousse, et viens demander conseil et appui au pre-
mier corps savant du monde. . . .
TROISIÈME MÉMOIRE
Présenté i 1* Académie le 8 mai 1854.
Pour le voyageur éclairé qui parcourt les provinces mexicaines en
observant avec une attention intelligente l'état minéralogique de œ
pays, ses terrains d'alluyion, ses placers et ses gisements de métaui
précieux, il ressort de cet examen un fait propre à jeter un grand
jour sur la production naturelle de ces métaux. Ce fait, c'est la pré-
sence, je pourrais dire l'extrême abondance des nitrates de potasse
et de soude qui s'effleurissent de toutes parts k la surface du sol, ei
qiii s'accumulent en cristaux réguliers dans le lit des torrents descen-
dant des montagnes; on en exploite même des masses naturellement
assez pures pour qu'elles puissent être employées à la fabrication de
la poudre de mine.
On y rencontre également des iodures, des bromures et des chlo-
rures en quantités notables; les pyrites, autre agent non moins im»
portant, se trouvent en contact perpétuel avec les azotates alcalins;
cet agent apporte sa part d'influence certaine sur la production de^
métaux.
Ces deux classes de corps composés, agissant sous la double in-
fluence de la lumière et de la chaleur, donnent lieu à des phcnouiènes
électriques d'où résultent la décomposition des terrains métallifères
et les combinaisons nouvelles d'où provieiment les métaux.
Cette manière de voir, cette théorie de la fermentation des mé-
taux, peut être soutenue ou combattue; je dirai seulement qu elle a
pour moi un degré de probabilité qui est devenu le guide et le jwinl
de départ de mes recherches.
NOTES. 5'Jîf
L^opînîon de la transmutation, de la perfectibilité des métaux, est
si généralement admise par les mineurs du Mexique, qu'il ne faut pas
s** étonner de leur entendre dire, en parlant des morceaux de minerai
qu'ils admettent ou rejettent pour Tcxploitation : « Ceci est bon et
mur; ceci est mauvais et n'est pas encore passé à Vétai d'or, »
A mon point de vue, les réactions sous Tinfluence desquelles a lieu
la transformation des métaux constituent un phénomène complexe
où le principal rôle appartient aux composés oxygénés de Tazote. L'ac-
tion de la chaleur, de b lumière, de Télectrijcité, favorise ou déve-
loppe, dans de certaines limites , les combinaisons de ces composés
avec le radical inconnu qui constitue les métaux. Tout me porte à
croire que ce radical est Thydrogène, que nous ne connaissons qu'à
rétat gazeux et dont les autres états physiques échappent à nos re-
cherches. L'azote semble agir dans ces combinaisons comme agirait
un ferment dans les transformations des matières organiques sous
rinfiuence de ce même agent. La fixation de Toxygène, sa combinai-
son plus ou moins durable avec le radical, sous Faction d'un com*
posé azoté, voilà pour moi la clef de la transformation des métaux.
Que ces idées théoriques soient vraies ou fausses, exactes ou erro-
nées, c'est ce que je n'entreprendrai pas de discuter ici; je crois de-
voir me borner à dire que, sans qu'il m'ait été possible d'acquérir la
certitude mathématique de leur réalité, leur influence a présidé à mes
expériences; leur probabilité à mes yeux est née des effets notés pen-
dant plusieurs années d'observations. Si j'en fais mention, c'est p)ur
mieux faire comprendre la marche que j'ai suivie, et jeter peut-être
quelque clarté sur la route où marcheront ceux qui suivront après
moi le même ordre de recherches.
Quoi qu'il en soit, je tracerai l'exposé succinct du résultat de mes
observations ; leur filiation permettra de saisir par quels enchaîne^
ments de faits et d'idées j'ai été amené k concevoir la théorie que je
viens de résumer.
l*' Un premier fait, que chacun peut reproduire à volonté^ a été
mon point de départ. Si l'on réduit en limaille de l'argent pur et que
l'on fasse agir sur lui de l'acide azotique également pur, certaines
parcelles de cette limaille resteront insolubles dans l'acide ; elles ne
disparaîtront qu'après que la dissolution aura été, pendant plusieurs
jours, abandonnée au repos.
2* Si l'on projette de la limaille d'argent pur dans des tubes, de
400 NOTES.
▼erre de 4 à 5 cinq inillinièlres de diamètre, sur 12 à 15 ccntiraè-
tres de hauteur, remplis au tiers de leur capacité diacide azotique à
50 degrés, ajtrès que cet acide aura été, pendant un certain temps,
exposé à l'action des rayons solaires, on verra qu'une certaine por-
tion des parcelles d'argent restera complètement insoluble damJV
eide, malgré Télévation de température produite par la réaction.
3" Si Ton opère sur un alliage de neuf dixièmes d'argent et un
dixième de cuivre, la réaction sera plus vive et rinsolubilité de cer-
taines parties de Talliage sera la même que dans Topération précédente.
V Le pliénomène se reproduira encore si Ton opère sur le ménie
alliage, hors du contact des rayons solaires.
5' Dans toutes ces expéiiences, indépendamment de rinsolubilité
(1rs parcelles d'argent pur ou d'alliage, on poumi constater b pré-
sence d'un léger déjiôt hnin insoluble.
0" En variant ces exiH'riences \y,\v Temploi de l'iii-ide azotique à ^
. vers degrés de dilution, après Ta voir toutefois exposé à l'artioD de;
rayons solaires |)endant un temps plus ou moins prolongé, j'ai pu re-
cueillir des parcelles de métal parfaitement insolubles dans Tacide
azotique pur et iMiuillant, solubles au amtraire dans la solution de
rhlore.
V Des expériences eouipiuatives m'ont permis de l'econnaitre :
1" Que l'or, introduit en petite quantité dans Falliage, facilite b
|ii-oduction artifiei<îlle de ce înétal.
"2" Que l'argent pur est heaucoup plus diflicile à faire passer i«
rétat d'or (|ue lorscpril est allié à d'aiitics métaux.
5" Que, cduuucje Tai énoncé dans mon premier mémoire, laloi-o.
( .italytiquo est pour quelque chose dans la transmutation des niélaui.
4° Que le chlore, le hrome, l'iode et le soufre, en pi-ésence à*-^
couqwsés oxygénés de Tazote, favorisent la production des mélaui
[>récieux.
.V Que Tair ozonisé parait activer cette production.
(»" Que la température de T,) degrés et au-dessus est favorable i
riicconq)lissenient de ce phénomène.
7* Que les résultats heureux dépendent on grande p-.irtie de la du-
rée des opérations.
Sur c<'s premiers faits ohservés, qui ne s'étaient pas o/Teit> av'f le
même de^ré de certitude, non plus qu'avec des carai tères parfailc-
ment identiques, je hasai de nouvelles recherches ayant pour pnn-
NOTES. 401
cipe rinfluence de la lumière solaire, si intense et si favorable sous
le beau climat du Mexique. Mon premier succès fut obtenu à Guada-
lajara. Voici dans quelles circonstances :
Après avoir exposé, pendant deux jours, à Faction des rayons so-
laires de Tacidc azotique pur, j'y projetai de la limaille d'argent pur
allié à du cuivre pur dans la proportion de Talliage de la monnaie.
Une vive réaction se manifesta accompagnée d'un dégagement très-
abondant de gaz nitreux ; puis la liqueur, abandonnée au repos, me
laissa voir un dépôt abondant de limaille intacte agglomérée en
masse.
Le dégagement du gaz nitreux continuant sans interiuption, j'a-
bandonnai le liquide à lui-même pendant douze jours, et je remar-
quai que le dépôt agrégé augmentait sensiblement de volume. J'a-
joutai alors un peu d'eau h la dissolution sans qu'il se produisît aucun
précipité, et j'abandonnai encore la liqueur au repos pendant cinq
jours. Durant ce temps, de nouvelles vapeurs ne cessèrent de se dé-
gager.
Ces cinq jours écoulés, je portai la liqueur jusqu'à l'ébullition, je
l'y maintins jusqu'à cessation du dégagement dos vapeurs nitreuses ;
après quoi je fis évaporer à siccité.
La matière obtenue par la dessiccation était sèche, terne, d'un vert
noirâtre ; elle n'offrait aucune apparence de cristallisation ; aucune
partie saline ne s'était déposée.
Traitant alors cette matière par l'acide azotique pur et bouillant
pendant dix heures, je vis la matière devenir d'un vert clair sans ces-
ser d'être agrégée en petites masses ; j'y ajoutai une nouvelle quan-
tité d*acide pur et concentré ; je fis bouillir de nouveau ; c'est alors
que je vis enfin la matière désagrégée prendre le brillant de l'or na-
turel.
Je recueillis ce produit et j'en sacrifiai une grande partie pour le
soumettre à une suite d'essais comparatifs avec de l'or naturel pur ;
il ne me fut pas possible de constater la plus légère différence entre
l'or naturel et l'or artificiel que je venais d'obtenir.
Ma seconde expérience, du même genre que la précédente, eut
lieu à Colima; les phénomènes se produisirent comme àGuadalajara,
.sous rinfluence de la lumière solaire, qui ne cessa d'agir pendant
tout le traitement de l'alliage par Tacide azotique : seulement, je
nnluisis h huit joui*s la durée du premier traitement, et l'acide que
40'i NOTES.
j*einp1oyai fut ansas étendu d*cau pour que faction solaire seule m*
\M produire le déplacement des vapeurs nitreuses. Or, comme cellef^
ri ne cessèrent point de nv dégager, j*attnbuai ce fait h un couranl
électrique dû à Tespè»*. de fermentation dont l'azote me parait être
l<^ principe. Le gaz nitreux continua à se dégager constamment, tant
que la liqueur ne fut pas portée k TébuUition. Je terminai cette opé-
ration comme la précédente ; néanmoins, dans cette seconde expé-
rience, j'employai, vers la fin de l'opération, plus d'acide concentré,
pour amener la désagrégation de la matière et l'amener à prendre la
couleur brillante de l'or .
Je fis une troisième expérience à mon retour à Guadalajara, elle
réussit complètement comme les deux précédentes, sans présenter
aucun pliénomène extraordinaire digne d'être noté ; la quantité d'al-
liage que j'avais mise en expérience se tninsfonna tout entière en or
puff ainsi que je l'ai dit dans mon second mémoire.
Voilà, messieurs, dans toute sa sincérité, le fait obtenu, le résul-
tat constant que j'ai pu reproduire plusieurs fois au Mexique.
Ce fait, je ne réussis pas à le reproduire en France, et en agis*
snnt sur des quantités plus considérables. J'apprécie mal, sans doute,
les causes qui agissent dans les réactions en vertu desquelles des mé'
taux , solublcs dans l'acide azotique , deviennent insolubles en M'
constituant (îii un état mohu idaire. particulier, d'où résultent (1;^
propriétés entièieiiuînt diftéieiites de ciîlles que ces mômes métaux
possédaient avant d'avoir subi ces réactions.
Ces cliangeinents, auxquels l'action de la lumière solaire parait
contribuer si puissan)ni(;nt, doivent-ils être attribués à un état élec-
trique ou magnétique spécial, ou bien au rôle de l'azote sous cette
influence?
Enfin y a-t-il production d'un oxyde particulier de l'argent et du
cuivre, tel que ceux que nous présente le fer? C'est ce que, jusqu'à
prés(int, je n'ai pu vérifier.
NOTES. 403
CINQUIÈME MÉMOIRE
Présenté à TAcadémie le 16 octobre 1854.
EXPÉRIXKCES FAITES A LA MONNAIE IMPÊRULE DE PARIS» EN PR<SENCB
DE M. LEVOL, E8SATEDB.
Première séance. — Deux alliages d'argent exempts d'or ont été
fournis par M. Levol, Tun à 900 millièmes, l'autre à 850 millièmes;
une partie de chaque aUiage a été réduite en limaille, puis passée à
Taimant; deux décigrammes de chaque limaille ont été projetés dans
Tacide nitrique à 40 degr^, versé préalablement dans les tubes. Ger.
taines parties de limaille ne se sont dissoutes qu'après une ébuUition
prolongée; puis on a constaté dans chaque tube la présence d'un Êdble
dépôt noir insoluble, dans lequel il était impossible de distinguer le
produit; le dépôt a été attribué à du charbon, du fer, et à d'autres
impuretés. Selon moi, ce dépôt devait contenir de Tor. Cette expé-
rience n'a pas été poussée plus loin. Le reste de chaque alliage a été
traité séparément par le même acide; celui dans lequel il entrait un
peu de fer qui ne s'est pas allié a formé un dépôt qui a empêché de
recomiaître si réellement il y a eu production d'or ; l'autre alliage a
donné un faible dépôt d^'or. Selon l'expression de M. Level, ce sont
des millionièmes de milligramme. M. Levol prétend que cet or pro-
vient de l'argent qui n'était pas pur; moi je pense qu'il a été produit
dans la réaction.
Deuxième séance, — Trois échantillons d'argent, dont un fourni par
M. Levol et deux fournis par moi, ont servi à ces expériences ; j'aiTt'*-
duit en limaille quatre à cinq décigrammes de chaque alliage, qui a
été partagé en deux parties à peu près égales. Une partie seulement de
diacune des limailles a été passée à l'aimant, puis elles ont été intixKlui-
tes dans des tubes séparés et étiquetés ; j'ai versé par-dessus la limaille
de l'acide nitrique pur à 40 degrés ; l'acide a été porté à l'ébullition,
404 ROTBS.
afin d^ackhrer la réaction et d^abréger la durée de Topénition. Gamme
dans la première séance» la formaftion d^tm d^pôt noir dans tous les
tubes a été constatée. Afin de rendre sensible la présence des atomes
dV artificiel produit dans ces réactions, j'ai décanté la partie limpide;
Facide se troufant trop concentré, la décantation a été diffidle à
cause de la formation des cristaux de nitrate d'argent ; die a été dé-
fectueuse surtout pour les tubes étroits ; puis, f ai versé de l'adde
sulfurique pur dans les tubes sur le dépôt noir qui s'est disse» en-
tièrement. Les tubes doraient être placés dans un bain de sable et
portés k une température de 300 et quelques d^;rés; k défont de
bain de sable, les tubes (mt été mis dans un creuset rempli de laUe
et placé près de Touterture du fourneau k coupelles; les tubes soot
restés Ik jusqu'au lendcanain à dix beures; le feu n^ayant pas été
entretenui la température n'a fait que décroître. Les tubes fîntés
n'ont donné aucune trace d'or. Je reconnus du premj^ coup d^œil
que la température n'avait pas été asseï élevée, que, paroonséqueqt,
For ne pouvait pas être d^iosé, pfuisqu'il était maintenu en dissolu-
tion par> l'acide nitrique eiistant dans la Vquojur. Je pris les dem
grands tubes contenant la même limaille d'argent ; l'acide fut portée
l'ébullition ; il s'est dégagé immédiatement des vapeurs nitreuses.
Après une ébtiUition prolongée pendant près de deux heures, il s'est
déposé de For dans Fun des tubes, Fautre n'en.a pas fourni de tra-
ces ; Fébullition, dans ce dernier tube, n'avait pas été aussi régulière
que diins Fautre. 11 y a eu des soubresauts et des projections d'acide
hors du tube ; il peut se faire que For précipité ait été entraîné avec
Facide qui s'est échappé au dehors.
Ainsi que je Fai fait observer dans mes mémoires, les résultats de
mes expériences ne sont pas toujours identiques, tout en opérant avec
les mêmes matières et sous Finfiuence de circonstances identiques.
Avant de quitter la Monnaie, j'avais commencé une troisième eï-
péricnce sur le dépôt qui s'est formé daus la liqueur contenant les
décantations des six tubes. Ce dépôt a été traité comme dans les au-
tres tubes par Facide suH'urique porté immédiatement à l'ébullition
et maintenu en ébullition pendant plusieurs heures. Le lendemain, à
mon arrivée à la Monnaie, on me dit que le tube était cassé ; Facide
coulait effectivement sur les parois extérieurs du tube ; mais, après
lin examen attentif, je reconnus que le tube n'était réellement pas
cassé, et que Vacià^ ive ^\\s«^. ^\w«vv\î <çie des soubresauts qui
NOTES. 405
rayaient projeté en dehors. Je constatai dans le tube de faibles ato-
mes d'or a peine visibles à la vue simple ; mais rien ne prouve que,
cette fois encore, la majeure partie de J-or n'ait pas été projetée hors
du tube.
M. Levol me dit alors :
« Vous voyez qu'il n'y a réellement pas d'or produit en quantité ap-
préciable. »
— Je reconnais, lui dis-je, que l'or déposé n'est pw en aussi grande
quantité qu'il devait l'être, ce que j'attribue à la manière dont les
tubes ont été chauffés. »
Je demandai aloi^ à M. Levol de chauffer au bain de sable les
quatre tubes qui restaient, afin d'opérer dans les mêmes circonstan-
ces que celles où j'opère k Grenelle. M. Levol me répondit :
« Nous en avons assez, nous savons à quoi nous en tenir; quand
vous aurez des procédés plus sûrs, et que vous produirez des quantités
d'or appréciables, venez me trouver. »
Mais, si j'en étais là, je n'aurais plus besoin d'encoiu^agement. Ce
que je sollicite, ce sont précisément les moyens de pouvoir continuer
mes expériences et perfectionner ma découverte.
SIXIÈME MÉMOIRE
Présenté h TÂcadémie le 25 décembre 1854.
L'expérience suivante doit servir de base à la réalité de la décou-
verte de la production artificielle de l'or. Faites dissoudre dans l'acide
nitrique pur une pièce nouvelle de cinq francs. Quoique cette pièce
soit sensée ne pas contenir d'or, elle en contient toujours des traces ;
vous en trouverez plus qu'elle n'en contenait réellement. C'est que l'or
produit dans cette réaction s'ajoute à l'or existant précédemment dans
la pièce; dans cette opération, l'or se dépose en petits lïocons bruns
rougeâtres qui nagent dans la liqueur ; étendez c«lle-ci d'eau distillée,
puis filtrez cette même dissolution plusieurs fois de suite, afin d'en
tirer tout l'or ; précipitez-en l'argent par du cuivre pur, réduit de son
chlorure par l'hydrogène ou par le sel marin ])iirifié; dans ce cas,
lavez le chlorure à l'eau pure, puis à l'eau de chlore; réduisez ensuite
406 NOTES.
le chlorure |)Ar It craie et le charbon, ou bien encore par le gaz hy-
drogène ; ibiidei cet argent et oonrertissez-le en grenaille, en le di«-
solnnt dans Tacide nitrique pur; yoos turex un dépdt dV, quel que
mit le moyen que tous ayex employé. Filtrez de nouveau cette di^
solution après l*a?oir étendue d'eau distillée, vous en séparerez For
produit ; continuel cette opération conune il a été dit plus haut, tous
aurei encore de l'or; répétei-la même plusieurs fois de suite, tous
aurex toujours de l'or, en quantités d'autant plus appréciables que
vous opérerez sur de plus grandes quantités de matière.
* On m'objeden que l'or est fourni par le cuivre ou le sel marin,
uu h craie et le charbon, ou l'eau dans laquelle on grenaille Targeot.
Mais alors, qu'on veuille bien m'indiquer un moyen d'obtenir de
l'argent chimiquement pur. Si vous ne pouvez pas obtenir ce mëtai
exempt de toute trace d'or, avouez donc, si vous ne voulez pas affir-
mer franchement, qu'il est possible qu'il se produise de l'or dans ces
i-éactions ; mais ne niez pas la possibilité du Eut, ce serait faire tort à
vos connaissances. Il est vrai que dans les expériences ci-dessus on ob-
tient des quantités d'or mmimes, qui ne sont pas toujours en proportion
avec la quantité d'argent employé ; j'espère, avant peu, en fournir Tex-
plication.
FIN DES Mires.
TABLE DES MATIÈRES
EXPOSÉ DES DOCTRINES ET DES TRAVAUX DES ALCHIMISTES.
Chapitre I. Principes fondamentaux de l'alchimie. — Propriétés
attribuées à la pierre phitosophale
Chapitre II. Moyens employés par les alchimistes pour la prépa-
ration de la pierre philosopbale 35
Chapitre III. Preuves invoquées par les alchimistes à l'appui de
leurs doctrines ,
Chapitre IY. Découvertes chimiques des philosophes hermétiques. 77
Chapitre V. Adversaires de l'alchimie. — Décadence des opinions
hermétiques 87
l'alchimie dans la société du moyen AGE ET DE LA RENAISSANCE
Chapitre I. Importance de l'alchimie pendant les trois derniers
siècles. — ^Protecleurs et adversaires de cette science.
— L'alchimie et les souverains. — Les monnaies
hermétiques 115
Chapitre II. La vie privée des alchimistes 132
HISTOIRE DE8 PRINCIPALES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES.
Chapitre I. Nicolas Fiamel 171
Chapitre II. Edouard Kelley 200
Am TABLE DES MATIÈRES.
Chapitre III. Transmutations attribuées à Van Helmont,&Helvétius
et à Bérigard de Pise. — Martini. — Ricbtbausen et
l'empereur Ferdinand III. — Le pasteur Gros. —
Robert Boyle. — Le général Paykûll 200
Chapitre IV. Alexandre Setbon. • 224
Michel Sendivogius 244
Chapitre V. La Société des Rose-Croix 256
Chapitre VL Philalètbe 270
Chapitre VIL Lascaris et ses envoyés 287
Bôtticber 508
Delisle 517
Domenico Manuel 552
L'Alchimie ad dix-neuvième siècle 545
NOTES.
Note I. Homunculi generatîo artificialis 580
Note II. Des supercheries concernant la pierre pbilosopbale, par
Geoffroy, l'jdné 581
Note III. Traicté faict par le roy Charles IX avec Jean des Galans,
sieur de Pezeroles , qui promettoit audit seigneur roy
fie transmuer tous métaux imparfaîcts en fin or et ar-
gent, l'an 1567 58*1
Note IV. Mémoires de M. Th. Tiffereau. de Nantes, sur la trans-
mulalioii de l'argent 501
FI.N DE LA TABl.K DKS MATIKIîES
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES PERSONNAGES ET DES NOMS D'AUTEURS
CITES DANS CET OUVRAGE
Aben Guefilh» 81.
Adam de Budenstein, 262.
Alain de Lisle, 170.
Albert le Grand, 81, 132, 135, 137, 152, 170. 233
Albrecbt Beyer, 133.
Alphonse X, 125.
Aluys (André), 318, 327.
Amatus Lusitanus, 67.
André» (Valentin), 261.
Anne de Danemark, 124, 161.
Anne-Sophie d'Erbacb, 300.
Anlrapasus (Valenlin), 262.
Archelaûs, 153.
Arnauld de ViUeneuve, 7, 15, 19, 2Ô, 27, 37, 42, 56, 170.
Artcphius, 17.
Ashelon (Thomas), il 9.
Aurélius Aujiurelle, 15, 159.
410 TABLE ALPHABETIQUE
B
Bacon (Roger), 7, 45, 39, 57, 82.
Baehrens, 107, 109.
Barbe (rimpératricc]. 130.
Barcbuysen, 128.
Barnaod (Nicolas) , 204, 260.
BasUe Valenlin, 17, 20, 22, 27, 38, 58, 85, 108, 291.
Bêcher, 73, 85,91,357.
Bergman, 105.
Bérigard de Pise, 13, 214, 279.
Bernard le Tréviaan, 39, 45, 47, 153.
Beuther (David), 124, 161-164.
Birrius (Martin), 286.
Boehme (J.), 22.
Boerhaave, 10, 16, 64, 358.
Bolton (Robert), 119.
Borri (Joseph-François), 33, 126.
BôtUcher, 85, 291. 308-317.
Boyie, 67, 73, 83, 280.
Bragadino (Marco-Antonio), 30 100
Brandt, 85.
Braun, 295.
Camillus (Julius), 67.
Carter (Richard), 130.
CharlesII, 277, 281.
Charles V, 120.
Charles VI, 117, 193.
Charles IX, 125.
Chrétien IV, 126.
Christian II, 240.
Christophe Kirchot'de Lauban, 119.
DES PERSONNAGES ET DES NOMS D'AUTEURS. 411
Glytemius (Jean), 164.
Combach. 271.
Corneille Agrippa, 165.
Creuz (le baron de). 2Î>9.
Daniel de Transylvanie, 571 .
Dée (Jean), 202, 209.
Delisle, 317-332, 372.
Dierbach (Schmolz de), 297.
Dippel. 289, 297, 305, 514. 555
Domenico Manuel, 332-559.
Donzeliini,262.
Dornberg (Jean), 13â.
Dubois, 372.
t:ck-de Sulzbach, 84.
Edouard III, 131.
Edouard IV, 130.
Ellinger (André), 262.
Élisabelh, i25, 207.
Éraste (Thomas), 90.
Ershant (Th.), (i2.
Eltner (J.), 9i'.
Fauceby, 1J9.
Faustius (Michel), 280.
Ferdinand III (empereur), 215.
41 i TABli: ALt»UABÉTKHIK
Flamel (Nicolas), 171«.^), 360.
Fludd (Robert), 272.
Franck (Jean), 122.
Frani Gatsmann, 110.
Frédéric l'M25, 290, 335.
Frédéric II, 195.
Frédéric 111, roi de Danemark, 33.
Fré«iéric de Wurtemberg, 100. 240.
Frédéric-Guillaume 1*', 310.
G
Gabriel de Châtaigne, 58.
Gaspard llolTmann, 33.
Geber, 9, 13, 16, «3, 26, 72, 78^ NO.
Geoffroy (l'atné\ 93, 170.
Germsprciier, 15.
Glaubor (Rudolphe), 12, 05, 85.
Gonthier d*Andornach, 262.
Gros (ministre du saint Évangil(») 218. 279.
Gualdo (Frédéric), 17.
Guillaume de Krohnemann, 100.
Gustave-Adolphe, 306.
Guslenhover (l'hilippe-Jacoh), 230, 24H .
(jiiy de Cruscniboiirg, 120.
Guylon de Murvc.iii, 74, 105.
Il
Marbach (Gaspard), 120.
Ilarprcchl, 250.
Hector de Kletlenber^s UiO.
IlelvétiiiH (Jftan .Krédr^ric), 211, 281.
Henri 11, roi de Navarrr», iM).
Henri IV d'AngleU!rr«, 121 .
Henri VI, d An^lelerrr*, llîl, 127
DES PERSONNAGES ET DES NOMS D'AUTEURS. 413
Ilerman Conringius, 90.
llermès-Trismégiste, 4, 6, 40, 56.
Homberfç, 73.
Ilonafier. 160, 374.
llorlulanus, 41, 59, 131, 365.
I
ïsîiac le Hollandais, 15, 17, 83.
Jacques Cœur, 12V>.
Jean XXII {le pape), 117,119.
Jean de Laaz, 150.
Jean deMcung, 88.
Jean des Galans, 125.
John Cobler, 119.
John Melsle, 119.
Kalid, 14, 26.
K(illey (Kdouard), 200-208.
Kircher, 41, 90.
Kirchniaiir (Georfres-Gaspard), 311.
Kirkeby, 11».
Klaprolh, 102-104.
Kortiim, 107-109.
Kuiiokel, 15, (M, 67, 161.
Lascaris, 287-308.
414 TABLE ALPHABÉTIQUE
Léon X, 150.
Léopoiai'%01,124.
Libafiiis, 70.
Liebknecht, 294.
Louis de Neus, 135.
Lucas (Paul), 18, 196.
M
MarcuaGrecus, 82.
Mardochée de DeUe, 122, 152,206, 247.
fiiarquard, 122.
Marlin [de Fritzlar), 293.
Marlini, 215.
Maximilien II (empereur), 204
Mayer(lfichel), 122, 271.
lAéric Gasaubon, 209.
Michaëlis, 22.
Moltherus, 269.
Morgenbesser, 279.
Mormius (Pierre), 275.
Mullenfels, 250.
Olœus Borrichius, 4.
Olto Tackenius, 50, 65, 95.
Paracelse, 12, 27, 65, 65, 67, 84, 118, 201.
Pasch, 312.
Paykûll, 1-27,220.
DES PERSONNAGES ET DES NOMS D'AUTKURS. 415
Pernelle, 174, 188.
Pl'uel (madame), 125.
Philalèthe, 276-286.
Pierre le Bon de Lombardie, 87.
Porta (J.-B.), 85.
Potier (Michel), 270.
Price (James), 95-98.
Pseudo-Dcmocrite. 58.
Ragny, 119.
Rain (G.-F. de), 119.
Raymond Lulle, 14, 18, 37, 58, 82, 151 .
Rhasés, 26, 38, 80.
RichUiausen, 215-218.
Ripley (G.), 41, 55, 366.
Rodolphe II, 122-124, 230.
Roquetaillade (J.) ou Rupcscissa, 15,58, 131.
Rose-Croix (les), 256-275
Rosenkreuz (Chrétien), 258.
Rulzke (Martin), 122.
Salmon, 10, 16, 20, 36, 54.
Schmid (J.), 92.
Schmieder, 76.
Schweitzer, 124.
Sebaldschenser, 123.
Seniler (Jean-Salomon). 99-104,260
Sendivogius (Michel), 241-.244, 256.
Sélhon (Alexandre), 224-244. 254.
Sévcrin (Pierre), 262.
Siebent'reund (Sébastien), 134.
410 TABLE AlPilABÉTfOOE
Sperber (Jules), 49.
SlabI [Geor|?fî0.02, la"».
Starkey, 279.
Tancke (Joachim), 11G.
Thaddœfis de llayec (Agediis), 122, 2(»i.
Thomas d'Aquin (saint), 7, 69. 170, rkr>7.
Tburneysser (Léonard). 31-33, 135.
TilTereau (Théodore), 74, STifi, SOI .
Toxitis (Michel), 262.
Trafffbrd (Thomas), 119.
ribiircr,277.
Van Melmonl. 1,1, (m. T.T. S'», 209
VVnzel Zeyler, 12 i.
VerdenfeU, ôô.
Vinrent de Rcaiivais. 117.
w
Waiijçhaii fTlionias de), on IMiilairlhe, 27«'.-iîS«i
Wcrner Holiink, 6."».
William llamilton, '250.
DES PERSONNAGES ET DES NOMS D'AUTEURS. 417
Zachaire (Denis), 138-15*2.
Ziglerin (Marie), 160.
Zwelfer, 65.
Zwinger (Jacob), 227.
FI.N bL LA lABLb ALrilABb.lK>UK.
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