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Full text of "L'alchimie et les alchimistes: essai historique et critique sur la philosophie hermétique"

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(«.. 



L'ALCniMlE 



LES ALCHIMISTES 




'/» 



. TYP. MM..N lUÇ.^N ET COMP. , RUE D'EnHJRTII , 1. 



L'ALCHIMIE 



ET 



LES ALCHIMISTES 

SUR LA PHILOSOPHIE HERMÉTIQUE 

PAK 

LOUIS FicaviiiR 

Docteur es scienceii, docteur en médecine , a«rrégc de chimie à l'Écolb 
de Pharmacie de Paris 



DEUXIÈME ÉDITION, REVUE EX AUGMENTÉE 



PARIS 

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET C'« 

nUE PIERRE-SARRAZIN, 14 
1856 



hoi^û 






Malgré le profond discrédit dans lequel elle est tombée 
depuis la fin du dernier siècle, Talcliimie n'a pas perdu 
le privilège d'éveiller la curiosité et de séduire l'imagi- 
nation. Le mystère qui Tenveloppe, le côté merveilleux 
que Ton prête à ses doctrines, le renom fantastique qui 
s'attache à la mémoire de ses adeptes, tout cet ensemble 
à demi voilé de réalités el d'illusions, de vérités et de 
chimères, exerce encore sur certains esprits une singulier 
prestige. Aussi, depuis AuréliusAugnrelle, qui composa, 



en 1514, son poënie latin Chrysopoia, jusqu'à Tauleur 
de Fatistj les poètes et les faiseurs de légendes n*ont pas 
manqué d'aller puiser à cette source féconde, et Tima- 
gination a régné sans partage dans ce curieux domaine, 
dont les savaots négligeaient l'exploration. L'alchimie est 
la partie la moins connue de l'histoire des sciences. L'obs- 
curité des écrits hermétiques, l'opinion généralement 
répandue que les recherches relatives à la pierre philo- 
sophale et à la transmutation des métaux ne sont qu'un 
assemblage d'absurdités et de folies, ont détourné de ce 
sujet l'attention des savants. On peut cependant écarter 
sans trop de peine les difficultés que le style obscur des 
alchimistes oppose à l'examen de leurs idées. Quant à 
l'opinion qui condamne tous leurs travaux comme insen-^ 
ses ou ridicules, sur beaucoup de points elle est fausse, 
sur presque tous elle est exagérée. L'alchimie fût^elle, 
d'ailleurs, le plus insigne monument de la folie des hom- 
mes, son étude n'en serait point encore à négliger. Il est 
bon de suivre l'activité de la pensée jusque dans ses 
aberrations les plus étranges. Détourner les yeux des 
égarements de l'humanité, ce n'est point la servir; recher- 
cher, au contraire, en quels abîmes a pu tomber la rai- 
son, c'est ajouter à l'orgueil légitime que ses triomphes 
nous inspirent. Disons cnlin que l'alchimie est la mère 
de la chimie moderne; les travaux des adeptes d'Hermès 



III 
ont fourni la base de Tédifice actuel des sciences chimi- 
ques. Ces doctrines intéressent donc Thistoire des sciences 
autant que celle de la philosophie. 

L'ouvrage, ou plutôt Fessai que je soumets au juge- 
ment du public, a pour but d'attirer l'attention sur cette 
période de la science des temps passés. Voici Tordre que 
j'ai cru pouvoir adopter pour la distribution des ma- 
tières. 

La première partie est consacrée à un exposé som- 
maire des opinions et des doctrines professées par les 
philosophes hermétiques. On y trouvera le tableau des 
travaux exécutés par les alchimistes pour la recherche 
de la pierre philosophale, et le résumé des principales 
découvertes chimiques qui leur sont dues. 

La seconde partie est une sorte d'étude historique où 
Ton essaye de fixer le rôle que l'alchimie a joué dans la 
société du moyen âge> et de la renaissance, époque où 
elle exerça le plus d'empire sur les esprits. 

La troisième partie, intitulée Histoire des principales 
transmutations métalliques^ est un résumé des événe- 
ments étranges qui ont entretenu si longtemps en Eu- 
rope la croyance aux doctrines de la science transmuta- 
toire. On a eu soin de donner de chacun de ces faits, si 
merveilleux en apparence, l'explication qui parait au- 
jourd'hui la plus probable. 



La dernière partie, V Alchimie au dix-neuvième siècle, 
a pour but de montrer que les opinions alchimiques ne 
sont pas de nos jours complètement abandonnées, et de 
mettre en relief les motifs que quelques personnes invo- 
quent encore pour les justifier. 

Je me fais un devoir, en terminant, de signaler les 
sources auxquelles j'ai eu recours pour cette suite d'élu- 
dés. Le savant ouvrage deM. HermannKopp, Geschichte 
der Chemiey publié en 1844, m'a fourni des documents 
précieux pour ce qui se rapporte à l'exposition des tra- 
vaux exécutés par les alchimistes dans la recherche de 
la pierre philosophale. J'ai trouvé dans le livre, déjà 
ancien, de G. de Hoghelande, Historié diquot transmu- 
tationis meiallicx^ quelques récits intéressants de trans- 
mutations. Mais c'est principalement à l'ouvrage spécial 
sur l'alchimie, publié à Halle, en 1832, par Schmieder, 
professeur de philosophie à Cassel ( Geschichte der Al- 
chemie), que j'ai emprunté les renseignements les plus 
utiles pour l'histoire des faits de ce genre. Composé par 
un partisan déclaré des idées alchimiques, le livre du 
professeur de Cassel est riche de documents puisés aux 
meilleures sources bibliographiques, et, en faisant la 
part des prédilections de l'auteur, j'ai pu tirer un parti 
utile des faits dont il a rassemblé les détails. 

Mon but sera atteint si cet ouvrage réussit à attirer 



l'attention du public littéraire et scientifique sur une pé- 
riode aussi curieuse qu'ignorée de Thistoire des sciences. 

Paris, 25 septembre 1854. 



Un mot au lecteur à Toccasion de cette deuxième édi- 
tion. 

Le public et la presse ont fait à cet ouvrage un ac- 
cueil des plus favorables, et Fauteur en a été vivement 
touché. Mais on lui a adressé le reproche d'avoir raconté 
avec trop de complaisance les événements historiques 
qui semblent établir la réalité de la découverte de la 
pierre philosophale. On a dit, à ce propos, qu'il était 
partisan de l'alchimie, et que son livre aurait pour 
résultat d'attirer de nouveaux croyants à cette erreur. 

C'est la faute de l'auteur s'il n'a pas su exprimer exac- 
tement sa pensée dans son ouvrage, il va donc s'attacher 
ici à la rétabh'r. 

Contrairement aux règles de la logique, qui veulent 
que Ton déduise les conclurions après les prémisses: 
contrairement à celles de l'algèbre, qui prescrivent de 



procédnr du connu à l'inconnu, noutî allons poser ici J^ 
conclusion générale qui découle du travail que l'on va 
ire, et énoncer dans toute sa netteté la pensée qui h 
domine. 

La conclusion générale de ce livre, la voici : 

Vétai présent de h chimie empêche de considérer 
comme impossible le fait d£ la transmutation des métaux; 
il résulte des données scientifiques récemment acquises 
et de r esprit actuel de h ekimie que la transformation 
d'un métal en un autre pourrait s'exécuter. 

Mais t' histoire nous montre que jusqu'à ce jour per- 
sonne n'a réalisé le phénomène de \a transmutation mé- 
tidiique. 

Ainsi la Iransmutation d'un métal en or est possi- 
ble, mais on n est pas en droit d* affirmer qu'elle ait ja- 
mais été réalisée. Telle est notre pensée nette et précise 
sur ce sujet tant débattu. 

Nous accueillerions avec satisfaction Tannonco de la 
découverte positive de la transmutation des métaux. 
Mais voici le motif qui nous ferait accepter cette dé- 
couverte avec joie. A rexpérimentateur heureux qui au- 
rait réussi à transformer en or un métal étranger, nous 
adresserions cette prière, d'appliquer tout aussitôt son 
secret ou sa méthode à composer artificiellement du fer, 
ce dernier métal étant pour la société actuelle d'une 



I 



VII 

tout autre importance, d'une tout autre utilité que Tor 
lui-même. Pour les développements de Tagriculture et 
de l'industrie, pour Taccomplissement du travail public, 
en un mot pour le bonheur des sociétés, le roi des mé- 
taux c'est le fer, et non pas Tor. 

Voilà dans quel sens et dans quel esprit Tauteur de ce 
livre est partisan des idées alchimiques. 

Au reste, cette objection de la critique reposait sur 
quelques points trop peu développés du récit de certains 
événements. En les complétant dans l'édition actuelle, 
l'auteur espère s'être mis à Tabri de ce reproche. 



Paris, i" février 1856. 



EXPOSÉ 
DES DOCTRINES ET DES TRAVAUX 

DES ALCHIMISTES 



EXPOSÉ 
DES DOCTRINES ET DES TRAVAUX 

DES ALCHIMISTES 



L'objet de l'alchimie, c est, comme personne ne l'ignore, 
la transmutation des métaux; changer les métaux vils en 
métaux nobles, faire de l'or ou de l'argent par des moyens 
artificiels : tel fut le but de cette singulière science, qui ne 
compte pas moins de quinze siècles de durée. 

Le principe de la transmutation métallique a probable- 
ment trouvé sa source dans l'observation des premiers phé- 
nomènes de la chimie. Dèsque l'expérience eut fait connaître 
quelles modifications, quelles transformations surprenantes 
provoque l'action mutuelle des corps mis en présence, 
l'espoir de faire de l'or dut s'emparer de l'esprit des hommes. 
En voyant les altérations nombreuses que les métaux éprou- 
vent sous l'influence des traitements les plus simples, on crut 
pouvoir produire dans leur nature intime une modification 
plus profonde, former de toutes pièces les mélaux précieux, 
et imiter ainsi les plus rares productions de la nature. Au 
début de la science, un tel problème n'avait rien au fond 
que d'assez légitime; mais, dans une question semblable, Ten- 
trainement des passions humaines suscitait un élément trop 
opposé aux dispositions philosophiques. Ces tentatives, qui 



4 DOCTRIiNKS KT rRAVAlX 

nauruient dû offrir à lu chimie naissante (|u un problème 
secondaire et passager, devinrent le but de tous ses travaux, 
et pendant douze siècles la résumèrent en entier. Ce n*est 
(|ue vers le milieu du seizième siècle, que quelques savants, 
découragés de tant d'efforts inutiles, commencèrent d'élever 
les premières barrières entre l'alchimie, ou Tari prétendu 
des faiseurs d'or, et la chimie considérée comme science in- 
dépendante et affranchie de tout but particulier. 

A quelle époque et chez quelle nation fautril placer la 
naissance de l'alchimie 1 Pour donner de leur science une 
imposante idée, les adeptes ont voulu reporter son origine 
aux premiers Ages du monde. Olœus Borrichius, dans son 
ouvrage laiin sur VOngine et les pivgrès de la chimie^, 
fait remonter cette science aux temps de la création, puis- 
qu'il place son berceau dans les ateliers de Tubalcaïn, le for- 
geron de rÊcriture. Cependant le commun des alchimistes 
se contentait d'attribuer cette découverte à Hermès Tmmé- 
ijiste, c'est-à-dire trois fois grand, qui régna chez les anciens 
Kgyptiens, el({ue ce peuple révérait comme l'inventeurde tous 
les arts utiles, et avait, à ce titre, élevé au rang des dieux. 

On comprend sans peine que les premiers partisans de 
ralchimie aient tenu à honneur d'ennoblir leur science en 
conHmdant ses débuts avec ceux de l'humanité et lui accor- 
dant l'antique Egypte pour patrie. Mais ce qui a lieu de 
surprendre, c'est qu'un écrivain moderne d'un grand mérite 
ait adopté une telle opinion et lui ait fourni le poids de son 
autorité et de ses lumières. Dans son Histoire de la chimie, 
M. le docteur Hoefer s'est efforcé de démontrer que les recher- 
ches relatives à la transmutation des métaux remontent aux 
temps les plus reculés, et (pfelles faisaient partie de cet en- 
semble de connaissances désigné sous le nom d'ari sacré, qui 
fui, dit-on, cultivé depuis les temps historiques au fond des 
temples égyptiens. Nous sommes peu disposé, en principe, à 

' Oêorlu Mproyressa chenitx. 



DES ALCHIMISTES. 5 

accepter cette opinion si répandue, que les anciens Égyptiens 
ont possédé les trésors de toute la science humaine. De ce 
qu'un mystère profond a toujours dérobé aux yeux de l'his- 
toire les travaux auxquels se consacraient, dans leurs silen- 
cieuses retraites, les prêtres de Thèbes et de Memphis, on 
n'est point, il nous semble, autorisé à leur accorder la no- 
tion de tout ce que le génie humain peut enfanter. Le rai- 
sonnement contraire nous semblerait plus logique. Les 
Égyptiens ont fait usage, sans doute, de procédés pratiques, 
de recettes empiriques applicables aux besoins des art^. 
Mais tous ces faits n'étaient point liés en un corps de science. 
Si, depuis le moyen âge, ce préjugé s'est répandu, que les 
Égyptiens possédaient en chimie des connaissances |)rofon- 
des, c'est que les emblèmes singuliers, les caractères bizar- 
res qui couvraient l'extérieur de leurs monuments, demeu- 
rant alors impénétrables pour tous, firent penser au vulgaire 
que ces signes mystérieux étaient destinés à représenter, sur 
les diverses branches de la science humaine, des révélations 
perdues depuis cette époque. L'absence de tous documents 
positifs propres à dévoiler la nature et l'étendue des travaux 
scientifiques de ces peuples permet de leur contester de si 
hautes connaissances. Kn ce qui touche particulièrement 
l'alchimie, comme tous les documents écrits qui la concer- 
nent ne remontent pas au delà du quatrième siècle de Tère 
chrétienne, il est d'une saine critique historique de ne point 
fixer son origine plus haut que cette époque. 

Les ouvrages dont nous parlons appartiennent aux auteurs 
byzantins. Il est donc probable que l'alchimie prit naissance 
chez les savants du Bas-Empire, dans cette heureuse Byzance 
où les lettres et les arts trouvèrent un refuge au quatrième 
siècle contre les agitations qui bouleversaient alors tous les 
grands Étals de l'Europe. 

Les premiers écrits alchimiques émanés des écrivains de 
Byzance appartiennent au septième siècle. L'Egypte était 
alors considérée comme le berceau de toutes les sciences 



« DOCTRINES ET TRAVAUX 

humaines. Pour prôlor plus (Vautorité à leurs ouvrages, 
les auteurs byzantins eurent la pensée de les attribuer 
à la plume môme du dieu Hermès. C'est ainsi que la biblio- 
graphie alchimique s'enricbit d*un nombre considérable de 
traités qui furent faussement rapportés à des personnages 
appartenant à des époques fort antérieures. Ces traités, dont 
le plus grand nombre existe en manuscrit, se trouvent au- 
jourd'hui dans diverses bibliothèques de TEurope, et M. le 
docteur Hoefer en a mis quelques-uns au jour dans son His- 
toire de la chimie. Mais il est facile de se convaincre, d'après 
le style, récriture, le papier de ces manuscrits, que ce ne 
sont là que des œuvres apocryphes dues à la plume des 
moines des huitième, neuvième et dixième siècles. 

C'est donc aux savants de Constantinople qu'il convient de 
rapporter les premières recherches relatives à la transmutais 
tion des métaux. Les savants grecs entretenaient des rela- 
tions continuelles avec Técole d'Alexandrie; aussi Talchimie 
fut-elle cultivée presque simultanément en Grèce et dans 
rÉgypte. Au septième siècle, l'invasion de l'Egypte par les 
Arabes suspendit quelque tempslecours des travauxscientifi- 
ques; mais, une fois le peuple nouveau solidement établi sur 
le sol de la conquête, le flambeau des sciences fut rallumé. 
Les Arabes, continuant les recherches de Técole d'Alexandrie, 
s'adonnèrent avec ardeur à l'étude de l'œuvre hermétique. 
Bientôt Talchimie fut introduite chez toutes les nations où 
les Arabes avaient porté le triomphe de leurs armes. Au hui- 
tième siècle, elle pénétra avec eux en Espagne, qui devint, 
en peu d'années, le plus actif foyer des travaux alchimiques. 
Du neuvième au onzième siècle, tandis que le monde entier 
était plongé dans la barbarie la plus profonde, l'Espagne 
conservait seule le ])récieux dépôt des sciences. Le petit nom- 
bre d'hommes éclairés disséminés en Europe allait cher- 
cher dans les écoles de Cordoue, de Murcie, de Séville, de 
Grenade et de Tolède, la tradition des connaissances libérales, 
et c'est ainsi que ralchimie fut peu à |)eu répandue en Occi- 



DES ALCHIMISTES. 7 

dent. Aussi, quand la domination arabe se trouva anéantie 
en Espagne, l'alchimie avait déjà conquis sur le sol de TOc- 
cident une patrie nouvelle. Amauld de Villeneuve, saint 
Thomas, Raymond Lulle, Roger Bacon, avaient puisé chez 
les Arabes le goût des travaux hermétiques. Les nombreux 
écrits de ces hommes célèbres, l'éclat de leur nom, la renom- 
mée de leur vie, répandirent promptement en Europe une 
science qui offrait à la passion des hommes un aliment fa- 
cile. Au quinzième siècle, Talchimie était cultivée dans toute 
rétendue du inonde chrétien. Le dix-septième siècle vil 
Tapogée de son triomphe; mais, descendue alors des écrits 
et du laboratoire des savants dans l'ignorance et l'imagina- 
tion du vulgaire, elle préparait sa ruine par l'excès de ses 
folies. 

C'est à cette époque que s'opéra la scission favorable qui 
devait donner naissance à la chimie moderne. Au commen- 
cement du dix-septième siècle, quelques savants, effrayés du 
long débordement des erreurs alchimiques, commencèrentà 
arracher la science aux voies déplorables où elle s'égarait de- 
puis si longtemps. La transmutation des métaux avait été 
considérée jusque-là comme le problème le plus élevé, ou 
plutôt comme Tunique but des recherches chimiques ; dès ce 
moment le champ de ses travaux s'agrandit, et, sans aban- 
donner complètement encore les vieilles croyances hermé- 
tiques, on flt delà chimie une science plus vaste, indépen- 
dante de tout problème particulier, et embrassant le cercle 
immense de l'action moléculaire et réciproque des corps. Les 
observations innombrables recueillies par les alchimistes de- 
vinrent les éléments de cette révolution tardive ; plus sage- 
ment interprétées, elles ouvrirent bientôt une voie favorable 
à l'étude de vérités naturelles. Toutefois le triomphe définitif 
fut long à s'accomplir, la nouvelle école des chimistes dut 
conquérir le terrain pied à pied. La lutte fut difficile, et 
cette période de l'histoire des sciences est féconde en péripé- 
ties. L'antique chimère du grand œuvre avait jeté dans les 



g DOCTRINES *T TRAVAUX 

esprits de si vives racines, qu'elle conserva jusqu'à la fin tlu 
siècle dernier d'opiniâtres sectaires et d'inébranlables défen- 
seurs. La victoire ne fut décidément acquise qu'après la ré- 
formation mémorable opérée dans les sciences chimiques 
par le génie de Lavoisier. 

Ce court aperçu historique résume suffisamment Tidée 
générale que nous devions présenter de Talchimie avant 
d'aborder l'exposition de ses doctrines. Entrons mainte- 
nant dans l'analyse de ses principes et de ses théories. 



CHAPITRE PREMIER 

PRINCIPES FONDAMENTAUX DE L^LCHIMIE. — PROPRIÉTÉS ATTRIBUÉES 
• A LA PIERRE PniLOSOPHALB. 



Sur quelle base, sur quel fondement théorique reposait la 
doctrine de la transmutation des métaux? Elle s'appuyait 
sur deux principes que l'on trouve invoqués à chaque instant 
dans les écrits des alchimistes : la théorie de la composition 
des métaux, et celle de leur génération dans le sein du globe. 

Les alchimistes regardaient les métaux comme des corps 
composés; ils admettaient de plusque leur composition était 
uniforme. D'après eux, toutes les substances offrant le ca- 
ractère métallique, étaient constituées par l'union de deux 
éléments communs, le soufre et le mercure ; la différence de 
propriétés que l'on remarque chez les divers métaux ne 
tenait qu'aux proportions variables de mercure et de soufre 
entrant dans leur composition. Ainsi l'or était formé debeau- 
coup de mercure très-pur, uni à une petite quantité de sou- 
fre très-pur aussi ; le cuivre, de proportions à peu prèségales 



DES ALCHIMISTES. '.) 

do ces deux éléments ; Tétciin, de beaucoup de soufre mal 
fixé et d*un peu de mercure impur, etc. 

C'est ce que Geber nous indique dans son Abrégé du par- 
fait magistère : 

« Le soleil {l'or), dit-il , est formé d'un mercure très subtil et 
d'un peu de soufre très-pur, fixe et clair, qui a une rougevu' nette; 
et comme ce soufre n'est pas également coloré et qu'il y en a qui est 
plus teint l'un que l'autre , de là vient aussi que l'or est plus ou 
moins jaune... Quand le soufre est impur, grossier, rouge, livide, 
que sa plus grande partie est fixe et la moindre non fixe, et qu'il se 
mêle avec un mercure grossier et impur de telle sorte qu'il n'y ait 
guère ni plus ni moins de l'un que de l'autre, de ce mélange il se 
forme Vénus {le cuivre)... Si le soufre a peu de fixité et une blan- 
cheur impure, si le mercure est impur, en partie fixe et en partie 
volatil, et s'il n'a qu'une blancheur imparfaite, de ce mélange il se 
fera Jupiter (l'étain) . » 

Ce soufre et ce mercure, éléments des métaux, n'étaient 
point d'ailleurs identiques au soufre et au mercure ordi- 
naires. Le mercurius des alchimistes représente l'élément 
propre des métaux, la cause de leur éclat, de leur ductilité, 
en un mol de ia méîalléité; le svlphur indique l'élément 
combustible. 

Telle est la théorie sur la nature des métaux qui forme la 
base desopinionsalchimiques. On comprend en effet qu'elle a 
pour conséquence directe la possibilité d'opérer des transmu- 
tations. Si les éléments des métaux sont les mêmes, on peut 
espérer, en faisant varier, par des actions convenables, la pro- 
portion de ces éléments, changer ces corps les uns dans les 
autres, transformer le mercure en argent, le plomb en or, etc. 

On ignore quel est l'auteur de cette théorie, remarquable» 
en elle-même comme la première manifestation de la pensée 
scientifique, et qui a été ad mise jusqu'au milieudu seizième 
siècle. L'Arabe Geber, au huitième siècle, la mentionne le 
premier, mais Une s'en attribue pasla découverte; il la rap- 
porte « aux anciens. » 

\. 



10 I>OCTRINES ET TUAVAliX 

La théorie de la génération des métaux est assez claire- 
m(»nt formulée dans la plupart des traités alchimiques. Con- 
formément à un système d*idées qui a joui d*un crédit 
absolu dans la philosophie du moyen âge, les écrivains her- 
métiques comparent la formation des métaux à la génération 
animale, ils ne voient aucune différence entre le développe- 
ment du fœtus dans la matrice des animaux et l'élaboration 
d*un minéral dans le sein du globe. 

« Les alchimistes, dit Boerhaave, remarquent que tous les êtres 
créés doivent leur naissance à d'autres de la même espèce qui exis- 
taient avant eux ; que les plantes naissent d'autres plantes, les ani- 
maux d'autres animaux, et les fossiles d'autres fossiles. Ils prétendent 
que toute la faculté génératrice est cachée dans une semence qui 
forme les matières à sa ressemblance et les rend peu à peu sembla- 
bles à l'original... Cette semence est d'ailleure si fort immuable, 
qu'aucun feu ne peut la détruire; sa vertu prolifique subsiste dans 
le feu, par conséquent elle peut agir avec la plus grande prompti- 
tude et changer une matière mercurielle en un métal de son es- 



Pour former un métal de toutes pièces, il suffisait donc 
de découvrir la semence des métaux. C'est par une consé- 
quence de cette théorie que les alchimistes appellent œuf on 
(mfphilosophiqiie{(wurnphilosophicum) le vase dans lequel 
on plaçait les matières qui devaient servir à l'opération du 
grand œuvre. 

On professait en outre, au sujet de la génération des sub- 
stances métalliques, une idée qu'il importe de signaler. La 
formation des métaux vils, tels que le plomb, le cuivre, Té- 
tain, était considérée comme un pur accident. La nature, 
«'efforçant de donner à ses ouvrages le dernier degré de per- 
fection, tendait constamment à produire de l'or, et la nais- 
sance des autres métaux n'était, selon les alchimistes, que 
le résultat d'un dérangement fortuit survenu dans la forma- 
tion de ce corps. 

a II faut nécessairement avouer, dit Salmon, que l'intention de la 



DES ALCHIMISTES. Il 

nature en produisant les métaux n'est pas de faire du plomb, du fer, 
du cuivre, de Tétain , ni même de l'argent, quoique ce métal soit 
dans le premier degré de perfection, mais de faire de Tor {y enfant 
de ses désirs); car cette sage ourrière veut toujours donner le der- 
nier degré de perfection à ses ouvrages, et, lorsqu'elle y manque et 
qu'il s'y rencontre quelques défauts, c'est malgré elle que cela se 
fait. Ainsi ce n'est pas elle qu'il en faut accuser, mais le manque- 
ment de causes extérieures... C'est pomrquoi nous devons considérer 
la naissance des métaux imparfaits comme celle des avortons et des 
monstres, qui n'arrive que parce que la nature est détournée dans 
ses actions,, et qu'elle trouve une résistance qui lui lie les mains et 
des obstacles qui l'empêchent d'agir aussi régulièrement qu'elle a 
coutume de le Mre. Cette résistance que trouve la nature, c'est la 
crasse que le mercure a contractée par l'impureté de la matrice, 
c'est-à-dire du lieu où il se trouve pour former l'or, et par l'al- 
liance qu'il fait en ce même lieu avec un soufi^e mauvais et combus- 
tible «. » 

Ainsi les alchimistes partaient de ce principe fondamental, 
que les métaux, et en général toutes les substances du 
monde inorganique, étaient doués d'une sorte de vie. Comme 
les êtres animés, ces substances avaient la propriété de se 
développer au sein de la terre, et de passer par une série de 
perfectionnements qui leur permettrait de s'élever de l'étal 
imparfait à l'état parfait. Pour les alchimistes, l'état d'im- 
perfection d'un métal était caractérisé par son altérabilité ; 
.son état de perfection, par la propriété de résister à l'action 
des causes extérieures. Le fer, le plomb, Tétain, le cuivre, 
le mercure, métaux facilement altérables, ou oxydables 
comme nous le disons aujourd'hui, étaient les métaux vils 
ou imparfaits ; l'or et l'argent, inaltérables au feu et qui 
résistent à la plupart des agents chimiques, représentaient 
les métaux nobles ou parfaits. 

Les diverses modifications par lesquelles les métaux de- 
vaient passer pour arriver à l'état d'or ou d'argent étaient 

* Bibliothèque des philosophee chimiques. — Préface. 



12 DOCTRINES ET TRAVAUX 

provoquées, selon les alchimistes, par Faction des astres. 
C'est à la secrète influence exercée sur eux par les grands 
corps célestes qu'était dû le perfectionnement graduel qui 
s'opérait dans leur nature intime. Mais cette action était fort 
lente : elle exigeait des siècles pour s'accomplir. 

Les alchimistes ne sont pas d'accord sur la limite du pro- 
grès qui s'exerce au sein des métaux. Le plus grand nombre 
des auteurs considèrent ce progrès comme devant s'aiTêter 
lorsque le métal est parvenu à Tétat d'or ou d'argent; une 
fois à l'état de métal noble, il doit y persister éternellement. 
Mais quelques écrivains pensent que celte modification est 
continue, dételle sorte que, après avoir atteint le terme de sa 
perfection, le métal repasse graduellement à Tétat imparfait. 
Ainsi le cercle de ces transformations moléculaires se pour- 
suivrait sans interruption à travers les siècles. Émise par Ru- 
dolphe Glauber, cette vue singulière a été adoptée par un 
certain nombre d'alchimistes. C'est par une exagération de 
cette idée que Paracelse professait que, sous l'influence des 
astres et du sol, non-seulement les métaux vils se chan- 
geaient en argent ou en or, mais ils pouvaient aussi se trans- 
former en pierre, et les minéraux se développer par une 
.«îorte de graine à la manière des plantes. 

Aux premiers âges de la science, l'opinion que nous ve- 
nons d'exposer avait dû naturellement s'offrir à l'esprit des 
observateurs. Dans le sein de la terre, on trouve toujours 
un même métal sous plusieurs états différents, quelquefois 
à Pélat natif; il se rencontre en même temps engagé en dif- 
férentes combinaisons, et l'art réussit toujours à extraire le 
métal pur des divers composés naturels dans lesquels il 
existe. L'observation de ce fait put donc amener les pre- 
miers chimistes à croire que les divers états sous lesquels on 
trouve les métaux dans le sein du globe constituaient au- 
tant de degrés de perfection successive destinés à les ache- 
miner vers leur état définitif . Quanta l'influence que l'on 
prêtait aux grands corps célestes pour provoquer et régler 



DES ALCHIMISTES. 13 

ces mutations, celte pensée était la conséquence des 
croyances astrologiques qui ont dominé, au moyen âge et 
dans Tantiquité, Tesprit général des sciences. 

La théorie de la composition des métaux, Topinion rela- 
tive à leur génération, établissaient donc en principe le fait 
de la transmutation ; mais il ne suffit pas de justifier théori- 
quement lephénomème, reste le moyen del'accomplir. Or, d'a- 
près lesalchimistes, il existe une substance capable de réaliser 
celte transformation : c est h pierre, ou povdrephilosophale, 
désignée aussi sous les nonïs de grand magistère^ de grand 
élixir, de quintessence et de teinture. Mise en contact avec 
les métaux fondus, la pierre philosophale les change immé- 
diatement en or. Si elle n*a pas acquis son plus haut degré 
de perfection, si elle n'est pas amenée à son dernier point de 
pureté, elle ne change pas les métaux vils en or, mais seu- 
lement en argent. Elle porte alors le nom de petite pierre 
philosophale, de petit magistère ou de petit élixir. 

Ce n'est qu'au douzième siècle qu'il est clairement ques- 
tion pour la première fois de la pierre philosophale. Avant 
cette époque, la plupart des auteurs grecs et arabes, à l'ex- 
ception de Geber, se cx)ntentent d'établir théoriquement le 
fait de la transmutation, sans indiquer l'existence d'un 
agent spécial qui puisse réaliser le phénomène. 

Exposons rapidement les caractères extérieurs et les pro- 
priétés que les alchimistes attribuent à la pierre philosophale. 
Voici les descriptions que nous donnent de cet agent mer- 
veilleux les adeptes qui assurent l'avoir observé : 

« J'ai vu et manié, dit Van flelmont, la pierre philosophale. Elle 
avait la couleur du safran en poudre, elle était lourde et brillaute 
comme le verre en morceaux. » 

Paracelse la présente comme un corps solide d'une cou- 
leur de rubis foncé, transparent, flexible et cependant cas- 
.sant comme du verre. 

Berigard de Pise, qui put l'observer tout à son aise dans j 



I i DOCTIUNKS ET TRAVAUX 

la transmutation qu'un adepte inconnu lui fit opérer, at- 
tribue à la pierre philosophale la couleur du pavot sauvage 
et l'odeur du sel marin calciné : « Colore non absimilis flore 
papaveris sylvestris, odore vero sal marinum adustum refe- 
rentis. » 

Raymond Lulle la désigne quelquefois sous le nom do 
carbnnculus, que l'on peut entendre par petit charbon ou par 
escarboucle, selon la signification donnée à ce mot par Pline. 

Helvétius lui donne la couleur du soufre. Enfin elle est 
très-souvent décrite comme une poudre rouge. 

Voilà des signalements bien divers. Hais rassurons-nous, 
un passage de Kalid concilie ces contradictions. Kalid, ou 
plutôt l'auteur inconnu qui a écrit sous ce nom, dit, dans 
son Traité des trois paroles : 

« Cette pierre réunit en elle toutes les couleurs. Elle est blanche, 
rouge, jaune, bleu-de-ciel, verte *. » 

Voilà tous nos philosophes mis d'accord. 

Quant à la petite pierre philosophale, c'est-à-dire celle qui 
change les métaux en argent, on en parle toujours comme 
d'une substance d'un blanc éclatant. Aussi est-elle désignée 
sous le nom de teinture blanche. Toutefois il est fort peu 
question de la petite pierre philosophale dans les écrits dos 
adeptes. On n'aimait pas à faire les choses à demi. 

Les alchimistes attribuaient à la pierre philosophale trois 
propriétés essentielles : changer les métaux vils en argent 
ou en or — guérir les maladies — prolonger la vie humaine 
au delà de ses bornes naturelles. 

Les auteurs sont unanimes pour attribuer à la pierre phi- 
losophale la propriété de transformer les métaux vils en ar- 
gent ou en or. Mais quelle quantité faut-il en employer pour 
produire cet effet? Sur ce point, on rencontre les plus sin- 

* <t TiQpis iste habet in seomnes colores. Est enim albus, rubeus, rubi- 
cundissimus, citrinus, citrissimus, celestinus, viridis. » (Liber trium ver- 
borum Kalid regii acvHsnmi.) 



DES ALCHIMISTES. 15 

gulières discordances. Les alchimistes du dix-septième siècle 
étaient assez modérés dans cette évaluation. Kunckel, le plus 
modeste de tous, reconnaît qu'elle ne peut convertir en or 
que deux fois son [mdsdu métal étranger; l'Anglais (ierms- 
preiser, de trente à cinquante fois. Mais au moyen âge on avait 
de bien autres prétentions. Arnauld de Villeneuve et Rupes- 
cissa attribuent au grand magistère la propriété de conver- 
tir en or cent parties d'un métal impur ; Roger Bacon, cent 
mille parties; Isaac le Hollandais, un million. Raymond 
Lulle laisse bien loin toutes ces estimations. La pierre philo- 
sophale jouit, d'après lui, d'une telle puissance, que non- 
seulement elle peut changer le mercure en or, mais encore 
donner à l'or ainsi formé la vertu de jouer lui-même le rôle 
d'une nouvelle pierre philosophale. 

«Prends, dit-il dans ^on Novum TeslawentuWy de cette raédocine 
exquise, gros comme un haricot, projette-la sur mille onces de mer- 
cure, celui-ci sera changé en une poudre rouge. Ajoute une once de 
cette poudre rouge à mille onc^s d'autre mercure, la même transfor- 
mation s'opérera. Répète deux fois cette opération, et chaque once de 
produit changera mille onces de mercure en pierre philosophale. 
Une once de produit de la quatrième opération sera suffisante pour 
changer mille onces de mercure en or qui vaut mieux que le meilleur 
or des mines. » 

D'après cela, la pierre philosophale pouvait agir sur plu- 
sieurs milliers de billions de métal. Aussi, lorsque Raymond 
Lulle s'écrie: Mare tingerem si mei'curins esset, on peut 
trouver la prétention un peu forte, mais on ne peut pas taxer 
le philosophe d'inconséquence. 

C'est la môme idée que, dans son poëme latin Chinfsopma, 
Aurelius Augurelle exprime dans les vers suivants : 

niius exiguâ projectâ parte per undaà 
iScpioris, argentum vivum, si lune foret œquor, 
Omne, vel iminensum. verti mare posset in aurum. 

Il semble bien difficile de dépasser le terme auquel est 



16 DOCTRINES ET TRAVAUX 

arrivii Raymond Liiilo. Ccsi cepeiulaiit ce qu'un autre phi- 
losophe a essayé. D'après Sal mon, la vertu de la pierre plii- 
losophale peut s'exercer sur une quantité de métal infinie. 

« En imbibant, dit-il, la pierre philosophalo avec le mercure des 
pliilosophes, on Icî multiplie , et h chaque multiplication qu'on lui 
donne, on augmente sa vertu et sa qualité tingente de dix fois au- 
tant qu'elle était auparavant. De manière que si un grain de la pou- 
dre d<' projection pouvait, avant qu'elle îïit multipliée, teindre et per- 
fectionner en or dix grains de métal imparfait, après la première 
multiplication, ce grain de })oudre teindra et perfectionnera eu or 
cent grains du même métal. Et, si Ton multiplie la poudre une se- 
conde fois, un grain en teindra mille de métal, et à la troisième fois 
dix mille, à la quatrième cent mille; et ainsi toujours en augmen- 
tant jusqu'à l'infini, ce qui est une chose que l'esprit humain ne 
saurait comprendre * . » 

Avec cette manière d'entendre le phénomène, Salmon 
pouvait défier à son aise l'émulation de ses confrères : il- 
n'avait pas à craindre d'être jamais dépassé. 

La propriété de guérir les maladies et de prolongea" la 
durée de l'existence humaine n'a été accordée à la pierre 
pliilosophale que vers le treizième siècle. Il est probable, 
suivant l'observation judicieuse de Boerhaave, que cette 
croyance s'in troduisi t chez les alchimistes de rOccident, parce 
que l'on prit à la lettre les expressions figurées et métapho- 
riques qu'affectionnent les anciens auteurs. Lorsque Geber 
dit, par exemple: « Apporte-mdi les six lépreux, que je les 
guérisse, » il -veut dire : « Apporte-moi les six métaux vils, 
que je les transforme en or. » Quoi qu'il en soit, cette se- 
conde propriétt' attribuée à la pierre philosophale a ouvert 
une carrière nouvelle que l'imagination des adeptes devait 
dignement parcourir. 

D'après tous les écrivains hermétiques, la pierre philoso- 
phale, prise à rinlérieur, est le plus précieux des médica- 
ments. Dans son Opusetile de laphilosophie naturelle des inê- 

* hibUothèque des philotophes chimiques. 



DES ALCHIMISTES. 17 

taux, Denis Zacliaire décrit ainsi la façon dmer de iœavre 
divine aux corps humains pmir les guérir dt's maladies : 

* Pour user de notre grand roi pour recouvrer la santé, il (m faut 
prendre un grain pesant et le faire dissoudre dans un vaissf*:tu d'ar- 
gent avec de bon vin blanc, lequel se convertira en couleur citrine. 
Puis faites boire au malade un peu après les minuit, et il sei-a guéri 
en un jour si la maladie n'est que d'un mois, et, si la maladie est 
d'un an, il sera guéri en douze jours, et, s'il est malade de foii long- 
temps, il sera guéri dans un mois, en usaiil cliaquc nuit comme def(- 
sus. Et, pour demeurer toujours en bonne santé, il en faudrait |»it.*n- 
dre au commencement de l'automne et sur le commencement du 
printemps en façon d'éleduaire confit. Et par ce moyen Hiomine 
vivra toujours en parfaite santé jusrfu'à la fin des jours que Dieu lui 
aura donnés, comme ont écrit les philosophes. » 

Isaac le Hollandais assure qu'une personne qui prendrait 
chaque semaine un peu de pierre philosophale se maintien- 
drait toujours en santé, et que sa vie se prolongerait « jus- 
qu'à rheure dernière qui lui a été assignée par Dieu, n 
Basile Valentin dit également que celui qui possède la 
pierre des sages ne sera jamais atteint de maladies ni d'in- 
firmités « jusqu'à l'heure suprême qui lui a été fixée par 
le roi du ciel. » 

Si, à l'exemple des précédents, tous les alchimistes s'é- 
taient contentés d'affirmer que la pierre philosophale pro- 
longe la vie humaine jusqu'au terme assigné par Dieu, il est 
certain qu'ils auraient peu compromis leur crédit, et ils 
auraient ain>i laissé aux historiens l'occasion de rendre uno 
fois hommage à leur véracité. Par malheur, ils se sont trop 
souvent départis de cette réserve. Artéphiusse donnait mille 
ans: « Moi-môme, Artéphius, qui écris ceci, depuis milleans, 
« ou peu s'en faut, que je suis au monde, par la grâce du 
t seul Dieu tout-puissant et par l'usage de cette admirahle 
« quintessence*. » On attribuait l'âge de quatre cents ans 
au Vénitien Frédéric Gualdo, frère de la Rose-Croix, et celui 

* Le livre d Artéphius. 



18 DOCTBINES KT TRAVAUX 

clooem(|iiaranti^ans àrprmiloTraulmansdorf.AlaindeLisIe, 
assurent les alchimistes, a vt'cu pins de cent ans, grâce à 
IVinpIoi de la bienlieureuse quintessence. Raymond Ijullé et 
Salomon Trismosin, tous les deux dans un âge avancé, 
s'étaient rajeunis par l'usage de la pierre philosophale. Ce 
dernier se vantail de pouvoir rendre les formes et les grâces 
de la jeunesse à des femmes de soixante-dix et de quatre- 
vingt-dix ans; et, pour lui, prolonger la vie jusqu'au juge- 
ment dernier était « une bagatelle. » Vincent de Beau vais a 
prouvé jusqu'à l'évidence que si Noé eut des enfants à Tâge 
de cinq cents ans, c'est qu'il possédait la pierre philosophale. 
Deux écrivains anglais, E. Dickinson et Th. Mudan, ont con- 
sacré de savants livres à démontrer que c'est grâce au même 
moyen que les patriarches sont arrivés à l'âge le plus avan- 
cé *. Paul Lucas, voyageur français, qui, au commencement 
du dix-huitième siècle, parcourut TOrientaux frais du roi, 
et rapporta surtout de ses voyages les monuments de son 
insigne crédulité , rencontra à Bursa, dans l'Asie Mineure, 
au milieu d'une réunion d'alchimistes, un derviche nommé 
Csbeck qui se faisait remarquer par ses connaissances dans 
toutes les langues. Usbeck paraissait avoir trente ans, mais 
il en confessait plus de cent. Il assurait avoir eu le bonheur 
de rencontrer dans les Indes le célèbre Nicolas Flamel, lequel 
se portait au mieux , bien que parvenu à sa deux centième 
année. Nous n'étendrons pas davantage la liste de ces fables. 
Quelques écrivains spagyriques ont attribué à la pierre 
philosophale une dernière propriété moins importante, que 
nous devons cependant indiquer : c'est celle de former arti- 
ficiellement des pierres précieuses, des diamants, des perles 
et des rubis. 

« Vous avez vu, Siro, émi Raymond Liille au roi d'Angletorro, 
la projection uiorveilleuso que j^^i faite à Londres avec Teau de 
mercure que j'ai jetée sur le cristal dissous ; je foî*mai un diamant 

* II. }\o\^\), Gi^xrhirhte (ter Chemie. 



DES ALCHIMISTES. !i) 

très-fin, vous en fîtes faire de petites colonnes pour un taheniaclo. » 

Dans son opuscule de la Philosophie naturelle, Denis Za- 
chaire décrit la façon A'tiser de la divine œiivre pour faire 
les perles et les rubis. Enfin Jules Sperber assure, dans son 
Isagogue, que la quintessence change les cailloux en perles 
fines, rend le verre ductile et fait revivre les arbres morts *. 

Les opinions qui viennent d'ôtre mentionnées sont du res- 
sort de l'observation ; il nous reste à passer en revue celles 
qui se caractérisent par une tendance mystique ou théosophi- 
que. Quand on embrasse, en effet, Tensemble des travaux 
hermétiques, on reconnaît qu'ils se classent en deux grou- 
pes : les uns, à peu près affranchis de spéculation, n'ont été 
exécutés qu'avec le secours de l'observation et de Texpérience 
des laboratoires; les autres s'accomplirent sous l'inspiration 
d'idées abstraites de nature tbéosophique ou mystique. Cette 
distinction, qui nous permettra d'apporter plus de méthode 
et de simplicité dans l'élucidation du sujet obscur qui nous 
oc<îupe, est suffisamment justifiée par les faits historiques. 
Les considérations mystiques n'ont paru dans l'alchimie que 
vers le douzième siècle. Les Arabes avaient su se main- 
tenir dans l'étude des faits, et dégager leurs travaux de 
toute liaison avec les abstractions métaphysiques et les prin- 
cipes religieux. L'unité, la simplicité des dogmes dans la 
religion musulmane, la faible prédilection de ce peuple 
pour les conceptions purement philosophiques, devaient 
écarter de leur esprit les idées de ce genre. Mais, une fois 
établie chez les peuples chrétiens, l'alchimie prit un ca- 
ractère nouveau. L'inspiration religieuse fut jugée indis- 
pensable au succès du grand œuvre, les idées théosophi- 
ques s'infusèrent peu à peu dans les principes de l'art, 
et, dominant bientôt l'élément pratique, amenèrent la plus 
étrange confusion. Arnauld de Villeneuve, Raymond Lulle, 

* H. Kopp, Genchichie dn Chenue. 



20 DOCTRINES ET TRAVAUX 

Basile Valenlin et Paracelse ont surtout contribué à pousser 
l'alcliimie dans cette voie stérile. 

Autant que la synthèse philosophique peut embrasser dans 
un cercle étroit les vagues considérations des alchimistes 
tliéosophes, on peut établir que leurs opinions théoriques se 
résument dans les idées suivantes : — Influences occultes ac- 
cordées à certains agents matériels, et spécialement à la pierre 
philosophale, sur les facultés de l'homme; — comparaison 
fie l'opération du grand œuvre avec le mystère des rapports 
de l'àme et du corps ; — comparaison ou identification de 
l'œuvre hermétique avec les mystères de la religion chré- 
tienne; — intervention, toutefois dans une très-faible me- 
sure, des considérations empruntées à la magie. 

Jusqu'au treizième siècle, les alchimistes s'étaient bornés 
à accorder à la pierre philosophale les trois propriétés dy- 
namiques signalées plus haut. A partir de cette époque, on 
lui reconnaît une qualité nouvelle s' exerçant dans l'ordre 
moral. La pierre philosophale porte à celui qui la possède le 
don de la sagesse et des vertus; comme elle anoblit les mé- 
taux, ainsi elle purifie l'esprit de l'homme; elle arrache de 
son cœur la racine du péché. 

« Ceux qui sont assez heureux, dit Salmon, pour avoir la posses- 
sion de ce rare trésor, quelque méchants et vicieux qu'ils fussent 
auparavant, sont changés dans leurs mœurs et deviennent gens de 
bien; de sorte que, ne considérant plus rien sur la terre qui mérite 
leur affection, et n'ayant plus rien h souhaiter en ce monde, ils ne 
soupirent plus que pour Dieu et pour la bienheureuse éteniité, et 
ils disent comme le prophète : Seigneur, il ne me reste plus que la 
possession de votre gloire pour être entièrement satisfait * . » 

Ajoutons à ce t('moignage celui du pieux Flamel : 

« La pierre estant parfaite par quelqu'un, dit Nicolas Flamel, le 
change do mauvais en bon lui oste la racine de tout péché, Icî faisant 
libéral, doux, pie, religieux et craignant Dieu; quelque mauvais qu'il 
fnst auparavant, doresnavant il demeure toujours ravy de la grande 

* Bibliothèque des philosophes chimiques. 



DES ALCUIMISTKS. il 

gràc€ et luiséi-icoidé qu'il a obtenue de Dieu et de la piolondite de 
ses œuvres divines et admirables. » 

L'écrivain hermétique que l'on désigne sous le nom du 
Cosmopolite, et dont nous rapporterons les hauts faits dans 
la suite de cet ouvrage, assure que la pierre philosophale 
n'est autre chose qu'un miroir dans lequel on aperçoit les 
trois parties de la sagesse du monde ; celui qui la possède 
devient aussi sage qu'Aristote et Avicenne. 

Th. Northon dit, dans son Crede mihi : 

« La pierre des philosophes poile à chacun secoui-s dans les be- 
soins ; elle dépouille Thomme de la vaine gloire, de respérance et de 
la ci-aiiite ; elle ôte ran[d)ition, la violence et Texcès de^ désirs ; elle 
adoucit les plus dures advei-sités. Dieu placera auprès de ses saints 
les adeptes de notre art. » 

Par une conséquence de ce principe, on a prétendu que 
les anciens sages avaient possédé la pierre philosophale. 
Adam l'avait reçue des mains de Dieu ; les patriarches hé- 
breux et le roi Salomon n'étaient que des adeptes initiés au 
secret de l'art. On a poussé la folie jusqu'à écrire que Dieu 
promet la pierre philosophale à tous les bons chrétiens. On 
invoquait ce verset de l'Apocalypse ; « Au vainqueur je don- 
nerai une pierre blanche! » 

L'assimilation du phénomène de la transmutation métalli- 
que avec la mort et la résurrection des hommes est une idée 
dont les traces se rencontrent chez plusieurs auteurs des pre- 
mières époques de l'alchimie, et qui devint vulgaire au moyen 
âge. C'est là ce qui plaisait tant à Luther et ce qui concilia à 
Talchimie la protection du grand réformateur. Il accorda ses 
éloges à la science hermétique « à cause des magnifiques com- 
paraisons ({u'elle nous offre avec la résurrection des morts 
au jour du jugement dernier. » Dans le nombre très-con- 
sidérable d'ouvrages d'alchimie mystique publies au dix-hui- 
tième siècle, et qui offrent la plus incroyable confusion d'idces 
religieuses et de principes scientifiques, la résurrection est 



±2 DOCTHLNES ET TRAVAIX 

littéralcinent cuusidérée comme une opération alchimique, 
comme une transmutation d'un ordre supérieur. Les livres 
saints offrant un texte inépuisable à ces commentaires in- 
sensés, on justifiait ce rapprochement par toute espèce d'in- 
vocations aux autorités bibliques. L'auteur de la Lettre phi- 
losophiquey écrit de quelques pages composé en 1751, cite» a 
lappui de ses paroles, plus de cent passages de la Bible. 
Quelques-uns, par exemple, prétendaient savoir comment les 
élus conserveront la pierre philosophale jusqu'au jour du 
jugement dernier. Us s'appuyaient sur ce verset de FÉpilre 
de saint Paul aux Corinthiens : « Nous aurons ce trésor dans 
des vases degrés*. » 

La comparaison, ou plutôt i^identification de Tœuvre her- 
métique avec les mystères de la religion chrétienne, se ren- 
contre à chaque pas dans les écrits mystiques du dix-sep- 
tième siècle, dans les ouvrages de l'Anglais Argill, de 
Michaëlis, et surtout dans le livre du cordonnier théosophe 
J.Boehme, dont le fanatisme contribua beaucoup à donner de 
la vogue à ces idées. Il serait superflu de s'étendre sur un su- 
jet semblable ; un passage de Basile Valentin suffira pour ca- 
ractériser l'esprit de ces absurdes rêveries. Dans une AUégO" 
ne de la sainte Trinité et de la pierre phihsopliale, Basile 
Valentin s'exprime ainsi : 

« Cher amateur chrétien de l'art béni, oh I que la sainte Tiinité a 
créé la pieire philosophale d'une manière bnllante et meneilleuse l 
(]ar le père Dieu est un esprit, et il apparaît ce|)endant sous la forme 
d'un houune comme il est dit dans la Genèse ; de même nous de- 
\ons regarder le mercure des philosophes comme un corps esprit. — 
De Dieu le père est né Jésus-^hrisl son fils, qui est à la fois hoimne 
et Dieu et sans jiéché. Il n'a pas eu besoin de mourir, mais il est 
moii volontairement et il est ressuscité pour faire vivre éternelle- 
ment avec lui ses fi'ères et sœui*s sans i>éché. Ainsi Tor est sans ta- 
che, lixe, glorieux et pouvant subir toutes les épreuves, mais il 
meurt à cause de ses frères et sœui-s impai'faits et malades ; et bien- 

' H. Kupp, (ieschichle der Chemii. 



DÈS ALCHIMISTES* îo 

tôt, ressuscitant glorieux, il les délivre et les teint pour la vie éter- 
nelle ; ils les rend parfaits en Tétat d'or pur. » 

Cette tendance si marquée à rattaclier aux mystères de la 
religion les pratiques de Talchimie était la conséquence de la 
préoccupation continuelle qui distinguait les adeptes, d'im- 
plorer le secours divin pour le succès de leur œuvre, de pla- 
cer leurs travaux sous la protection des autorités sacrées, et 
de considérer le succès définitif, objet de tant de vœux et 
de tant d*espérances, comme le produit d'une révélation di- 
vine. Quelques citations vont nous permettre de caractériser 
exactementce côté si digne de remarque de Técole alchimique. 

« Il ne nous reste plus, dit TArabe Geber, qu'à louer et à bénir 
en cet endroit le très-haut et très-glorieux Dieu, créateur de toutes 
les natures, de ce qu'il a daigné nous révéler les médecines que nous 
avons vues et connues par expérience ; car c'est par sa sainte inspi- 
ration c[ue nous nous sommes appliqué à les rechercher, avec bien de 
la peine... Courage donc, fils de la science, cherchez et vous trou- 
verez infailliblement ce don très-excellent de Dieu, qui est réserve 
pour vous seuls. Et vous, enfants de l'iniquité, qui avez mauvaise in- 
tention, fiiyez bien loin de cette science, parce qu'elle est votre en- 
nemie et votre mine, qu'elle vous causera très-assurément ; car la 
providence divine ne permettra jamais que vous jouissiez de ce don 
(le Dieu c[ui est caché pour vous et qui vous est défendu. » 

Mais ces hommages adressés à Tautorité divine sont beau- 
coup plus fréquents chez les auteurs chrétiens que chez les 
Arabes. On ne peut ouvrir un écrit de Basile Valentin, de 
Raymond Lulle, d*Albert le Grand, d'Arnauld de Villeneuve 
et de tous les autres alchimistes du moyen âge, sans rencon- 
trer une de ces pieuses invocations. Arnauld de Villeneuve, 
par exemple, dans son Miroir d'alchimie, remercie Dieu du 
secours qu'il lui a prêté dans ses recherches, il reconnaît 
qu il lui doit tout, et qu'à lui seul doivent revenir la louange 
et la gloife. 

•> Sachez doncj mon cher fils, nous dit-il, que cette scieiice n'obt 
autre chose que la parfaite inspiration de Dieu, n 



2i DOCTHINES ET TRAVAUX 

Jl nous dit encore dans sa Nauvelle lumière : 
« Père et lévéreiul seigneur, quoique je sois iguordiil des sciences 
libérales, |)ai*ce que je ne suis pas assidu k Tétude, ni de profession 
de cléricature, Dieu a jKun-taiit voulu, comme il inspire k qui il lui 
plait, me j-évéler Texcellent secret des philosophes, quoique je ne le 
mëiilasse jwis. » 

Le Véritable Philalèthe dit, dans son Entrée ouverte au 
palais fermé du roi, en s'adressant à l'opérateur : 

« Maintenant remerciez Dieu qui vous a fait tant de grâces, que 
d'amener votre œuvre à ce point de perfection; priez-le dé vous 
conduire et d'empêcher que votre précipitation ne vous fasse perdre 
un travail qui est venu à un état aussi partit. » 

Nicolas Flamel, ou plutôt l'auteur du livre apocryphe des 
Figures hiéroglyphiques de Nicolas Flamel, commence ses 
descriptions par cette magnifique prière : 

« Loué soit étemellemont le seigneur mon Dieu, qui élève Thum- 
ble de la basse pouldrière, et faist esjouyr le cœm* de ceux qui espè- 
rent en luy, qui ouvi'e aux croyans avec grâce les sources de sa bé- 
nignité, et met sous leurs pieds les cercles mondains de toutes les 
félicitez terriennes. En luy soit tousjoure nostre espérance, en sa 
crainte nostre félicité, en sa miséricorde la gloire de la réparation 
de nostre nature, et en la prière nostre seureté inesbranlable. Et 
toy, ô Dieu tout-puissant, comme t;i bénignité a daigné d'ouvrir en 
la terre devant moy (ton indigne serf) tous les trésors des richesses 
du monde, qu'il plaise à ta grande clémence, lors que je ne seray 
plus au nombre des vivans, de m'ouvrir encor les trésors des cieux, 
et me laisser contempler ton divin visage, dont la majesté est un dé- 
lice inesnarrable, et dont le ravissement n'est jamais monté en cœur 
d'homme vivant. Je te le demande par le Seigneur Jésus-Christ ton 
Fils bien-aviné, qui en l'unité du Saint-Esprit est avec toy au siècle 
ties siècles. Ainsi soit-il * I » 

* Le livre des figures hiéroglyfiques de Nicolas Flamel, escrivairif ainsi 
quelles sont en la quatrième arche du cymetière des Innocents, a Paris, 
enlrani par la parle, rue Saint-Denis, devers la main droite, avec Veœpli' 
cation d'icelles par ledit Flamel, traitant de la transmutation métallique. 
Traduit du la! in en français, par P. Arnauld, sieur de la Chevallerie, 
gentilhoniuie poictevin. 1W2. 



DES ALCHIMISTES. ^io 

Il existe, au cabinet (jles estampes de la Bibliothèque impé- 
riale, un dessin de Vrièse représentant le laboratoire d'un al- 
chimiste. C'est une magnifique galerie de château qui a été 
transformée en laboratoire; on voit d'un côté une rangée de 
fourneaux, et de Tautre un autel où fume Tencens; Falchi- 
miste, à genoux, et les yeux levés vers le ciel, adresse à Dieu 
sa prière. 

On connaît, sous le nom de Liber mutus, une collection 
de quinze gravures in-folio qui se trouve à la fin du premier 
volume de la Bibliothèqtie chimique de Manget. Elle est des- 
tinée à faire connaître, au moyen de ces seules figures, et 
sans une seule ligne d'explication écrite, la préparation de la 
pierre philosophale. Les planches 2, 8 et 11, qui représen- 
tent trois opérations à exécuter, nous montrent un alchimiste 
et sa femme dans l'attitude de la prière, agenouillés des deux 
côtés d'un fourneau qui contient Tœuf philosophique. Le 
reste des figures est inintelligible, mais le sens de la dernière 
est facile à saisir. L'homme et la femme sont à genoux, le- 
vant les mains vers le ciel : ils ont réussi dans leur recherche 
et remercient Dieu qui leur a dévoilé ce secret. 

Après toutes ces preuves de leur dévotion, après tant de 
témoignages donnés par les alchimistes de la sincérité et de 
l'orthodoxie de leur foi, on est surpris quand on se rappelle 
le reproche qu'on leur a de tout temps adressé, d'avoir ac- 
cordé une part considérable à l'étude de la magie, et d'avoir 
invoqué son secours pour les diriger dans leurs travaux. 
Il importe donc de rechercher quel est le crédit que mérite 
cette opinion universellement admise. 

Dans les conceptions et dans les travaux alchimiques, la 
magie a joué, selon nous, un rôle infiniment moins sérieux 
qu'on ne l'admet généralement. Les alchimistes byzantins 
croyaient, il est vrai, aux influences astrologiques; comme 
nous l'avons montré plus haut, ils accordaient aux astres une 
certaine action sur les propriétés des corps sublunaires. Tout 
le monde sait, par exemple, que, dés l'origine de l'art her- 



"HJ DOaaiNES ET TRAVAUX 

inéliquc, les métaux, et avec eux un certain nombre de sub- 
stances minérales, furent consacrés aux sept planètes; les 
noms des métaux avaient même été fournis par ceux des pla- 
nètes. A Saturne on consacrait le plomb, la litharge, Tagate 
et autres matières semblables; à Jupiter, l'étain, le corail, la 
sandarat^ue, le soufre; à la planète Mars, le fer, l'aimant et 
les pyrites; au soleil, l'or, l'hyacinthe, le diamant, le saphir 
et le charbon ; à Vénus, le cuivre, les perles, l'améthyste, le 
sucre, Tasphalte, le miel, la myrrhe et le sel ammoniac; à 
Mercure, le vif-argent, l'émeraude, le succin, Toliban, le 
mastic ; enfin à la lune, rangée alors parmi les planètes, on 
consacrait l'argent, le verre et la terre blanche. Partisans dé- 
clarés de l'astrologie, les savants grecs avaient dû nécessaire- 
ment introduire quelques-unes de ces idées dans les dogmes 
alchimiques. Les Égyptiens et les Arabes, qui avaient reçu 
des Hébreux la tradition de la Kabale, se conformèrent à ces 
principes, et accordèrent une certaine part à l'astrologie pour 
la connaissance de l'art hermétique. C'est ainsi que Kalid et 
Geber déclarent que les métaux sont influencés par le cours 
des astres; ce dernier auteur fait observer que Tinterven* 
tion de cette influence constitue une des plus grandes diffi- 
cultés pour régler les opérations chimiques. Mais les écrits 
des auteurs arabes n'appartiennent qu'aux premières époques 
de l'art hermétique ; les travaux de Geber, de Rhasès et des 
écrivains de cette école sont du huitième siècle et marquent 
par conséquent les premiers travaux de l'alchimie. La science 
qui nous occupe n'en était encore qu'à ses débuts, et les tra- 
vaux pratiques pour les recherches de la pierre philosophale 
étaient alors à peine abordés. Les influences astrologiques 
invoquées à cette époque pour la direction des opérations 
chimiques ne purent donc exercer une grande influence sur 
les progrès de cet art naissant. Mais, plus tard, lorsque les re- 
cherches pour raccomplissement du grand œuvre passèrent 
dans l'Occident et y prirent un essor universel, les considé- 
rations astrologiques, et surtout la magie, furent abandon^ 



DES ALCHIMISTES. 27 

nées ou tombèrent dans un discrédit général. Partageant les 
opinions de leur époque, subissant nécessairement l'in- 
fluence des doctrines de leur temps, les alchimistes étaient 
sans doute disposés à accorder une certaine foi aux influen- 
ces surnaturelles, à Faction d'êtres invisibles sur le monde 
matériel. Mais ils croyaient en môme temps qu'il n'était pas 
donné à l'homme de diriger et de maîtriser à son gré cet em- 
pire. Ils professaient sur ce point l'opinion de Geber, qui 
nous apprend, dans le neuvième chapitre de la Somme de 
perfection, que les adeptes, tout en reconnaissant 1 influence 
que les planètes, parvenues à un certain point du ciel, exer- 
cent sur la formation et le perfectionnement des substances 
minérales, déclarent en même temps que Thomme n'a pas 
reçu le pouvoir de suppléer à cette influence. 

Nous n'essayerons pas de dissimuler cependant qu'un cer- 
tain nombre d'écrivains alchimiques qui appartiennent à Vô- 
poque des travaux les plus actifs font intervenir, dans la 
direction de leurs recherches, l'astrologie, et même la magie. 
Ces écrivains recommandent d'avoir recours à diverses in- 
fluences surnaturelles pour parvenir à la découverte de la 
pierre philosophale. Paracelse est celui qui a le plus insisté 
sur ce point. Ses ouvrages sont remplis de folles invocations 
au monde invisible, et c'est pour résumer sa pensée qu'il 
nous dit dans son traité De tincturâ physicorum : « Si tu ne 
comprends pas les usages des cabalistes et des anciens astro- 
logues. Dieu ne t'a pas créé pour la spagyrique , et Nature 
ne t'a pas choisi pour l'œuvre de Vulcain. » Mais le fougueux 
médecin de Schwitz n'a jamais joui chez les alchimistes que 
d'une autorité contestable; écrivain purement théorique, il 
ne travailla pas de ses mains à l'accomplissement du grand 
œuvre. Arnauld de Villeneuve et Basile Valentin sont les 
seuls alchimistes importants qui , avant Paracelse , avaient 
pris au sérieux l'astrologie et la magie. Dans son traité des 
talismans (de sigillis), Arnauld de Villeneuve donne un 
grand nombre de formules contre les démons. Basile Valentiu 



28 DOCTRINES ET TRAVAUX 

s'(''tait joté avec ardeur dans les ténèbres du mysticisme her- 
métique, et, sous ce rapport, il avait préparé la voie à 
Paracelse, à qui revient le triste titre d'honneur d'avoir fait 
dévier Talchimie de sa route, et d'avoir substitué ou tenté 
de substituer la méthode psychologique à la méthode ex- 
périmentale adoptée avant lui. Mais, nous le répétons, les 
efforts de Basile Valentin et de Paracelse ne réussirent qu'im- 
parfaitemenU à imprimer aux recherches des adeptes la direc- 
tion mystique. En résumé, si les alchimistes occidentaux ont 
partagé les croyances de leur époque relativement à Tastro- 
logie et à la magie, l'influence de ces idées ne s'est fait, se- 
lon nous, que très-faiblement sentir dans leurs travaux. 
L'astrologie y joua un certain rôle, mais la magie n'y inter- 
vint jamais d'une manière sérieuse. 

A la pensée que nous venons d'émettre on ne manquera 
pas d'opposer cette opinion unanime , accréditée depuis des 
siècles , qui nous représente l'alchimiste comme un homme 
nécessairement voué à toutes les pratiques des sciences occul- 
tes, et qui, pour atteindre le but de ses désirs effrénés, n'hé- 
site pas à invoquer l'esprit du mal et à lui livrer son âme en 
échange des trésors qu'il ambitionne. Nous ne contesterons 
point que telle fut en certains cas , sur le compte des alchi- 
mistes, la pensée du vulgaire, et le portrait odieux que le 
génie de Goethe a si vigoureusement tracédans le personnage 
du docteur Faust reproduisait un type depuis longtemps 
consacré. Mais cette opinion tenait à deux causes qu'il im- 
porte de ne pas méconnaître. Au moyen âge , on était dis- 
posé à considérer comme émanant de l'esprii diabolique 
toute création formée en dehors des faits ordinaires de la 
vie , et Ton n'hésitait pas à flétrir du dangereux nom de sor- 
ciers tous ceux qui mettaient en évidence quelque résultat 
'fdinaire. n est donc tout simple que ce préjugé ait 
^ ^Topos des alchimistes, que Ton voyait 
raux dont les procédés échappaient au 
u, loin de combattre cette opinion, les 



DES ALCHIMISTES. 29 

alchimistes eux-mêmes s'efforçaient de la répaudro. Ils ai- 
maient à jeter sifr leurs travaux comme un voile de mystère; 
le merveilleux prêtait à leur physionomie un caractère qui 
secondait leurs desseins. Cependant bien des fois les adeptes 
expièrent cruellement cette tentation de leur orgueil. On 
sait que la magie, considérée dans Tacception plus restreinte 
qu'elle reçut au moyen âge, était distinguée en magie hlan- 
die et en magie noire, selon qu*on avait recours à l'interven- 
tion de Dieu ou à celle du diable pour la production de ses 
effets. C'est contre les sectateurs de la magie noire que le 
moyen âge avait établi un système spécial d'inquisition , 
ainsi qu'on peut le lire dans la Dém>onom^nie, ou le Fléau des 
démonsetdes sorciers, dehBoâ'md'kïigeTs, publiée en 1580, 
et où se trouve naïvement tracé le code abominable des 
moyens qui permettent d'arriver à convaincre un accusé du 
crime de magie noire. Un alchimiste cité à la barre de ce 
redoutable tribunal encourait le dernier supplice si les té- 
moins entendus prouvaient que l'accusé « s'était effoiré 
sciemment, par des moyens diaboliques , depaiueîiir à quel- 
que chose. » La jalousie de leurs confrères, la mauvaise foi, 
l'ignorance et quelquefois le ressentiment de leurs dupes, 
n'ont fait que trop souvent encourir aux adeptes l'expiation 
d'un crime imaginaire. Aussi, lorsque Gabriel Naudé publia 
en i669 son Apologie des grands hommes accusés de magie, 
il comprit sur cette liste plusieurs alchimistes célèbres, parce 
qu'il savait bien que la pratique de l'alchimie avait été pour 
beaucoup de ces infortunés une cause de persécutions. 

Les faits que l'histoire nous fournit montrent bien d'ail- 
leurs que le recours aux influences magiques n'a joué qu'un 
bien faible rôle dans les fastes de l'art. Dans les récits extra- 
ordinaires des transmutations métalliques dont le souvenir 
nous a été conservé , on ne voit jamais intervenir d'invo- 
cation aux puissances occultes, et, si l'histoire de l'alchimie 
nous montre qu'il a existé certains individus qui essayaient 
de conjurer les démons ou se vantaient détenir à leur sor- 



50 DOCTRINES ET TRAVAUX 

vice (les diables familiers, révénement ne manqua pas de 
prouver que c'étaient là de faux adeptes ou des alchimistes 
fripons. Bragadino, Léonard Tliurneysser et François Borri 
furent particulièrement dans ce cas. Ce fait ne pourra rester 
Tobjet d'un doute si le lecteur nous permet de rappeler, par 
une courte digression , les circonstances qui amenèrent à 
découvrir les fourberies et les mensonges de ces trois 
aventuriers. 

Bragadino, dont le véritable nom était Mamugna, était 
Grec, originaire deTîle de Chypre. Il se faisait passer pour 
le fils du gouverneur de Venise, le comte Marco Antonio Bra- 
gadino , qui fut pris et tué par les Turcs en i571. Après 
avoir parcouru une partie de TOrient en jouant le rôle 
d*adepte, il se rendit en Italie en 1578 sous le nom de comte 
de Mamugnaro. Ayant réussi à attirer la confiance du mar- 
grave Martinego, il ne tarda pas à acquérir une grande ré- 
putation comme adepte. Il faisait en public des transmuta- 
tions , afin de prouver qu'il devait à la pierre philosophale 
l'origine de ses richesses. Mais ses prétendus procédés pour 
la préparation de cet agent précieux, qu*il vendait fort cher 
à ses admirateurs, étaient pour lui une source plus réelle 
de fortune. C'est ainsi que, se trouvant dans le palais de 
Cantarena, il fit une transmutation du mercure en or 
qui émerveilla rassemblée. Tout son secret consistait à faire 
usage d'un alliage de mercure et d'or, car, les assistants re- 
connurent que le composé qu'il plaça dans le creuset rougi 
perdit, pour se transformer en or, la moitié de son poids. 
La même expérience, ayant été répétée à Venise dans la 
maison du riche Dandolo , émerveilla la noblesse , et le doge 
lui acheta à un très-grand prix sa pierre philosophale , avec 
un écrit que l'on trouve reproduit dans la Bibliothèque chi- 
mique de Mangct. Le chimiste Otto Tackenius, qui , plus 
tard, fut chargé d'examiner cette poudre, reconnut qu'elle 
ne consistait qu'en un amalgame d'or. 

Cet aventurier quitta Venise on 1588, etsemità parcourir 



DES ALCHIMISTES. 51 

l'Allemagne en prenant le nomdecomteBragadlino. Les prin- 
cipales villes de TAllemagne furent témoins de ses exploits. 
Pour produire surl'esprit du public une impression plus vive, 
il assurait avoir le diable en sa puissance. 11 faisait ses opéra- 
tions ayant toujours à ses côtés deux énormes dogues noirs à 
Tair satanique, qui représentaient deux démons enchaînés à 
son pouvoir. Ayant acquis à Vienne beaucoup de réputation 
par ces manœuvres, Bragadinose rendit à Munich avec le pro- 
jet de passer de là à Prague et à Dresde. 11 arriva à Munich en 
i590, et fut aussitôt appelé à la cour pour y donner témoi- 
gnage de sa science. Mais les fraudes qu'il employait ayant 
fini par se découvrir, il fut mis en jugement et condamné à 
la potence pour avoir usurpé un nom qui ne lui appartenait 
pas. Revêtu d'un habit doré, Bragadino fut attaché à la po- 
tence d'or des alchimistes. Après son exécution, les deuxdo- 
guesnoirs, ses compagnons, furent arquebuses sous son gibet. 
L'un des artistes hermétiques qui, à la même époque, 
occupait le plus l'Allemagne, était Léonard Thurneysser, ou 
plutôt Zum Thum, né à Bâle en 1530. Dès l'âge de dix-huit 
ans, Thurneysser avait préludé à ses prouesses hermétiques 
en vendant aux juifs des objets dorés pour de l'or pur. Pour- 
suivi pour ce fait, il se mit à voyager en France et en Angle- 
terre, s'associant aux manœuvres des alchimistes ambulants, 
et apprenant en leur compagnie de subtils procédés pour éton- 
ner et tromper son prochain. Il était passé maître en cet 
art dangereux lorsqu'en 1555 il revint en Allemagne et se 
présenta à l'archiduc Ferdinand, dont il gagna la confiance. 
Il ne se donnait pas auprès du prince comme un adepte con- 
sommé, mais seulem^ent comme un artiste à qui il manquait 
bien peu de chose pour atteindre à ce rang. Afin de le per- 
fectionner dans son art, l'archiduc le fit voyager à ses frais 
dans les trois parties de notre hémisphère. Richement dé- 
frayé de ses dépenses par la munificence de son maître, Thur- 
neysser parcourut successivement la Hongrie, l'Kspagne, le 
Portugal, l'Ecosse, Tltalie, la Grèce, l'Egypte, l'Arabie et la 



:,'l DOiTTRLXES LT TRWAUX 

Syrir |>oiir trouver le si^crel ile la science hermétique. H ne 
le trouva pas, et ne rapporta de ses voyages que quelques 
connaissances en médecine qu'il avait recueillies auprès des 
dfjcteurs égyptiens. 

(Test, en effet, en qualité de médecin que Léonard Tbur- 
neysser, de retour de rOrient, se présenta à la cour de TÉ- 
lecteur de Brandebourg, Jean Georges, qui se trouvait alors 
h Francfort. Ayant guéri la femme de Télecteur d*une mala- 
die, il fut nommé médecin du prince. Plus tard on le mita 
la tête d'un laboratoire que sa noble cliente Éléonore, femme 
du prince électoral, avait fondé à Halle. 

Thurneyssertira merveilleusement parti de sa position. Il 
vendait aux dames de la courdu fard et d'autres cosmétiques 
magistralement préparés. Dans sa pratique médicale, il sub- 
stituait aux remèdes rebutants des galénistes les médicament<i 
de Paracelse, qu'il décorait des noms pompeux d'orpotabk, de 
teinture d'or, de magistère dusoleil. Il s'adonnait à l'astrolo- 
gie, et publiait des calendriers astrologiques qui trouvaient 
un débit étonnant. Comme ses prophéties étaient conçues en 
termes fort ambigus, il tenait en réserve, pour les princes, 
des exemplaires particuliers de ses calendriers qui portaient 
dans les interlignes rexplication des termes obscurs. C'est 
en faisant usage de tous ces moyens que Thurneysser finit 
par acquérir des richesses immenses. Il entretenait dans son 
Inborntoire plus de deux cents personnes, et avait établi, pour 
In publiation de ses ouvrages, une fonderie de caractères ei 
une imprimerie. Une édition qu'il publia des trente-deux dia- 
lectes européens et de soixante-huit langues étrangères, lefit 
regard(îr comme un des premiers savants de son temps. Ses 
différents écrits, entre autres Quintaessentia, publié à Munster 
en 1570, et son Piaon, ouvrage qui traite des propriétés des 
('.'iiix, étaient avidemment recherchés dans toute l'Allemagne; 
il T'iait, en un mot, devenu l'oracle do la cour et du pays. 

Ce qui avait en partie contribué à répandre la renommée 
(le Thurneysser, c'est qu'il assurait avoir on sa puissance un 



DES ALCHIMISTES. 35 

démon d*onlre inférieur. Ce diable docile consistait en une 
petite figure hideuse qu'il montrait au public dans un flacon 
de verre. 

Pins tard, cependant, son étoile vint à pâlir. Gaspard 
Hoffmann, professeur à Francfort, avait publié un traité re- 
marquable, intitulé de Barbarie imminente, dans lequel il 
démasquait l'extravagance du charlatan disciple de Paracelse. 
Ce livre dessilla les yeux de rÉlecteur. En même temps, les 
alchimistes ses confrères, envieux de sa haute fortune, ayant 
réussi à dévoiler ses fraudes aux yeux de ta cour, Thurneys- 
ser fut obligé, en 1585, de quitter précipitamment Berlin 
pour échapper aux poursuites ordonnées contre lui. Il n'eut 
pas le temps d'emporter son démon familier, et, lorsqu'on 
pénétra dans son laboratoire secret, on put mettre la main 
sur le mauvais génie. C'était un scorpion conservé dans de 
l'huile. 

Thurneysser ne survécut pas longtemps à sa disgrfice. 
Après avoir erré quelque temps en Allemagne, en proie à 
une profonde misère, il entra dans un couvent, où il mourut 
l'objet de la commisération publique. 

Joseph-FrançoisBorri, Milanais, avait attaqué avec trop 
de témérité les principes de TÉglise romaine. Condamne au 
bannissement, il quitta l'Italie en 1660, et parcourut, sous 
le nom de Burrhus, diverses villes d'.Allemagne, où il fit 
plusieurs fois des projections. Après avoir visité les pro- 
vinces rhénanes et les Pays-Bas, il se rendit, en d665, à 
Copenhague, et entra comme alchimiste au service du roi de 
Danemark, Frédéric III. Il parvint à un tel point à gagner la 
confiance du roi, qu'il réussit à lui persuader une insigne fo- 
lie. Borri prétendait avoir à son service un démon qui ap- 
paraissait à son évocation et lui dictait les opérations néces- 
saires à accomplir pour opérerles transmutations. Cet esprit, 
qui répondait au nom à'Homunmhis, arrivait au comman- 
dement de son maître, lorsque celui-ci prononçait cer- 
taines syllabes mystérieuses. Pour avoir son alchimiste tout 



r,i DOCTRINES ET TRAVAUX 

îi fait sous la main, le roi décida qiio lo laboratoire de Borri 
serait transporté dans son château.Maisradepte assuraitque 
le pouvoir de son dénion serait anéanti si on tentait de le 
séparer d*un immense fourneau de fer et de briques qu'il 
avait fait bâtir pour servir de demeure à VHomunculus. Il 
espérait, grâce à cette difficulté, échapper à l'obligation de 
loger au palais, où ses opérations auraient sans doute trouvé 
une surveillance plus sévère. Mais une volonté royale ne 
connaît point d'obstacle. Le roi décida que, pour ne point sé- 
parer VHomunculus de sa prison obligée, Timmense fourneau 
de Talchimiste serait transporté, à l'aide de machines et par- 
dessus les remparts, dans l'intérieur de son palais. Tous les 
gens du palais furent contraints de s'atteler à ces machines. 

Cinq ans après, Frédéric III étant mort, on voulut con- 
naître le secret de Borri. Ce dernier prit aussitôt la fuite; 
mais, arrêté]sur les frontières de la Hongrie, il fut emprisonné 
à Vienne. Reconnu par le nonce du pape, il fut réclamé au 
nom de la cour de Rome comme ayant été condamné pour 
crime d'hérésie. Borri fut conduit à Rome par le nonce lui- 
même, et on le tint enfermé dans le château Saint-Ange. Il 
n'était pas astreint néanmoins à une surveillance trop sé- 
vère: on lui accorda un laboratoire afin qu'il travaillât à la 
pierre philosophale en faveur de TÉglise. Mais il ne put par- 
venir à rien de bon : son Homunadv^ l'avait quitté. 11 mou- 
rut en prison en 1695. 

Si nous sommes entré dans les détails qui précèdent, 
c'est que nous voulions montrer que ces invocations aux es- 
prits infernaux, ce recours aux puissances occultes, tant re- 
prochés aux alchimistes, n'ont été en réalité que le fait de 
quelques fripons ou de souffleurs de bas étage. Aucun des 
grands hommes dont les noms brillent dans les fastes alchi- 
miques n*a ajouté foi à de semblables folies. Et le fait d'ail- 
leurs s'explique sans peine. Quelles que soient les erreurs 
dans lesquelles ils ont pu tomber, les alchimistes étaient, 
A tout, des gens positifs, ayant un but parfaitement dé- 



DES ALCUIMISIES. 55 

terminé et sachant fort bien quel résultat ils voulaient at- 
teindre. Pour obtenir ce résultat, le recours aux influences 
surnaturelles était plus qu'illusoire, et, si les adeptes eu- 
rent quelques tentations de ce genre, le bon sens ne tarda 
pas à leur montrer qu'il n'y avait rien de sérieux à attendre 
de tels moyens. Ils durent donc abandonner bientôt une voie 
aussi stérile, laissant aux faiseurs de dupes le soin d'en ex- 
ploiter les hasards et les pwfits. Pour arriver à la découverte 
de Tagent précieux, but de leurs espérances, ils se bornè- 
rent à remploi des moyens naturels, c'est-à-dire aux expé- 
riences exécutées à l'aide des agents que mettait à leur ser- 
vice la chimie de leur temps. La série des moyens pratiques 
mis en usage aux diverses époques de l'alchimie pour la dé- 
couverte de la pierre philosophale doit donc maintenant 
devenir l'objet de notre examen. 



CHAPITRE II 



MOYENS EMPLOYES PAR LES ALCHIMISTES POUR LA PREPAKATIO.^ 
DE LA PIERRE PHILOSOPHALE. 



L'obscurité des écrivains hermétiques, l'incohérence et la 
confusion de leur style, les termes détournés, les noms 
étranges qu'ils affectionnent pour désigner, ou plutôt pour 
déguiser les substances, opposent beaucoup de difficultés à 
l'analyse que nous allons faire des moyens principaux em- 
ployés par les adeptes pour la préparation de la pierre phi- 
losophale. Chez eux, d'ailleurs, cette obscurité était volon- 
taire ; le parti était pris d'être impénétrable, et l'on n'en 
faisait pas mystère; 



36 DOCTRINES KT TftAVAL'X 

* Pamiv idîul! >*ét-ne Artê|rfiiiis aportroplBnl »on lecteur, serais* 
lu avsez >iniple puur croire que nous alloos renseigner ouvertement 
et clairement le plus grand et le plus important des secrets, et 
prendre »)s |iuit>!es à la lettre? Je t*as9ure que celui qui voudra 
expliquer ce que lea> pliilosophes ont éirit selon le sens ordinaire et 
littéral des paroles se trouvera engagé dans les détours d*un laby- 
rinthe d*où il ne se débarrassera jamais, parce qu*il n^aura pas le fil 
d'Ariane pour se conduire et pour en sortir, et, quelque dé|)ense 
qu'il fasse à travailler, ce sera tout autant d'argent perdu*. • 

La plupart des auteurs ont ç[TaDd soin d'avertir que leurs 
descriptions ont été embarrassées à dessein d'énigmes, de 
contradictions et d'équivoques. Aussi les novices qui essayaient 
de pénétrer le secret de la science par la lecture des grands 
maîtres étaient-ils parfaitement édifiés à cet égard : 

41 Quand les philosophes parlent sans détours, dit G. -de Schrœder, 
je nie défie de leurs paroles ; quand ils s'expliquent par énigmes, je 
réfléchis. » 

C'est la même idée que Tadeple Salmon exprime par cette 
riche collection de métaphores : 

« Ce n'est que parmi ces contradictions et ces mensonges ap|)a- 
rciits que noas trouvoiLs la vérité ; ce n'est (fue j)ai*mi ces épines que 
nous cueillerons cette rose mystérieuse. Nous ne saurions entrer 
dans ce riche jardin des Hespérides pour y voir ce bel aibro d'or et 
en cueillir les iniits si précieux, qu'après avoir défait le dragon qui 
veilh; toujoui's et qui en défend l'entroe. Nous ne pouvons enlui aller 
îi la conquête de celle toison d'or que par les agitations et par les 
écueils de celte mer inconnue, en passant entre ces rochei-s qui se 
clnMluent et se combattent, et après avoir surmonté les monstres 
é|M»uvantables qui la gai-dent*. » 

Pour adopter ce langage obscur et inaccessible, les alchi- 
mistes avaient un excellent motif. Us n'avaient rien à dire sur 
Tart (le faire de l'or, tous leurs efforts pour y parvenir étant 
deuieurés inutiles. Il est à croire d'ailleurs que celui qui 

* Le Uore d'Artèphius. 

* Bibliothèque de» phitoëophes chimiquet. 



DES ALCHIMISTES. 37 

aurait possédé ce secret merveilleux, eût jugé bon de le gar- 
der pour lui, et d'après cela se fût dispensé d'écrire une li- 
gne. Mais c'était là le seul motif que les alchimistes n'invo- 
quaient pas pour justifier les mystères de leur langage. Ils 
en avaient mille autres à alléguer. C'était, par exemple, la 
crainte de produire dans la société une perturbation trop 
vive ; il ne fallait pas, comme le dit Salmon, « profaner et 
rendre publique une chose si précieuse, qui, si elle était con- 
nue, causerait un désordre et un bouleversement prodigieux 
dans la société humaine. » 11 y avait aussi un motif religieux 
qu'il est bon de signaler, car il caractérise bien l'esprit des 
idées alchimiques. Tous les adeptes reconnaissent que la 
préparation de la pierre philosophai e est une opuvre qui dé- 
passe la portée de Tintelligence humaine. Dieu seul peut la 
révéler aux hommes, et il ne s'en ouvre qu'à ses élus. Un 
philosophe qui a reçu cette communication d'en haut ne 
doit raccordera son tour qu'aux êtres vertueux, aux esprits 
que la grâce a touchés ; il lui est commandé de la refuser aux 
méchants et au vulgaire. Ainsi, en adoptant leur style énig- 
matique, les adeptes ne faisaient qu'obéir à la volonté divine. 

« Cache ce livre dans ton sein, dit Aniauld de Villeneuve, et ne le 
mets point entre les mains des impies, car il renferme le secret des 
secrets de tous les philosophes. Il ne faut p:is jeter celle perle aux 
{lourceaux, car c"'est un don de Dieu. » 

Les maîtres du treizième siècle allaient jusqu'à memicer 
les indiscrets de la colère de Dieu : • 

« Celui qui révèle ce secret, dit Arnauld de Villeneuve, esl maudit 
«t meurt d^apoplexie. » 

« Je le jure sur mon ànie, s'écrie Raymond Lullc, que, si lu dé- 
voiles ceci, tu sei-as damne. Tout vient de Dieu et doit y retourner ; 
lu coaserveras donc pour lui seul un secret qui n'appiulieiit qu'à lui. 
Si lu faisais connaître pir quelques paroles légères ce qui a exigé de 
si longues années de soins, lu serais damne sans rémission au juge- 
ment dernier pom* cette offense k la majesté divine. » 

« J'ai maintenant assez parlé, dit Basile Valentin dans son Char 



58 DOCTWIfE^ ET TRAVAUX 

de triomphe lie Vaniimoint', j*ai eoseigiic wàiv sirivi d'uiic lua- 
nièiv si claii*e et si pi*tVi<c, qu'en dire un peu |>las, ce seniit vouloir 
>'enfiHnx'r dans Tenfer. • 

Basile Yalentin se répand en plaintes amères sur la trop 
grande clarté qui règne dans ses écrits. Il s'adresse à. lai- 
méme les plus vifs reproches, et, pour son l'epos futur, il 
tremble d*en avoir trop dit. Ikisile Valentin s'exagérait ses 
torts ; la postérité l'absout. Tous les adeptes qui ont travaillé 
sur les indications de ses écrits tiennent |)Our certain qu il 
ligure au nombre des élus. 

La craiute des [Hîines temporelles ou spirituelles n'est point 
la seule qui paraisse avoir dicté la réserve extrême des écri- 
\ains hermétiques. En effet, les auteurs grecs et arabes sont 
tout aussi discrets que les occidentaux. Cette réserve est 
même quelquefois [xiussée à un point extrême. Rhasès com- 
mence ainsi la description d'un procédé très^simple pour 
faire de leau-de-vie: 

« Prends de quelque diose d'inconnu la quantité que tu voudnis : 
llecipe aliquid ignoium, quantum volueris. ■ 

Pseudo-Démocrite donne le procédé suivant pour solidi- 
lier le mercure : 

« Pi-ends du nieifuiv et solidifie^le a\ec de la magnésie, ou avec 
tlu soufre, ou avec de Técuiue d'acgent, ou avec de la chaux, ou avcf 
de Taluu, ou avec ce que lu voudras, * 

Il n'est [las rare de trouver la recette suivante : 
« Prends... » 

II est impossible d'être plus discret. 

L'obscurili' des traités alchimiques et la biiarrerie de leur 
coutenu sont suliisammenl indiquées d'avance par Tétran- 
goté de leurs titres. Pour en donner une idée, il nous suffira 
de citer les noms de quehiucs ouvrages choisis parmi les plus 
célèbres dans les fastes de l'art. Tels sont: l'Apocalypse 
chimique, les Doux^ Clefs de la plUlosi/phie, du Basile Valen- 
tin, — le Miroir des Secrrls, hi MtHdle alchimique, de Ko- 



DES ALmiIMlSTfiS. oO 

gcr BacoD, — la ClavictUe, de Raymond Lulle, — le Désir 
désiré, attribué à Nicolas Flamel, — la Parole délaùsée, du 
Trévisan, — le Rosaire philosophique, la Fltiirdes Fleurs, 
d'Ârnauld de Villeneuve,— \e Livre delà Lumière, deJ. Ro- 
quetaiHade(iîupe.çctssa),— le Vrai Trésordelavie humaine, 
de du Soucy, — leTombeau de Sémiramis ouvert aux sages, 

— la Lumière sortant par soi-même des ténèbres; V Entrée 
majerte au palais fermé durai, de Philalèle, --Y Ancienne 
Guerre des chevaliers y ou le Triomphe hermétique, le Crede 
mihi, de Th. Northon, — la Tourbe des philosoplies, ou .4.s- 
sembléedes disciples de Pythagoras, dcMorien,— le Psautiei- 
d^HermophUe, le Traité du Ciel et de la Terre, de V. Lavi- 
nus, — WLivre des Dou%e Portes, de G. Ripley, — la Toi- 
son d'or, de Trismosin, — YÉclM de tromj)ette, — et plu- 
sieurs autres ouvrages publiés sous le nom dllermés ou sou:> 
les noms de quelques philosophes de Tanliquilé : Teinture 
physique, — Teinture du Soleil, et de la Lune, — Teinture 
des Pierres précieuses, ete. Ajoutons que, sous ce rapport, 
les auteurs modernes ne le cèdent pas à leurs devanciers. 
Voici, par exemple, les titres de quelques ouvrages publiésau 
dix-huitième siècle: Clef pour ouvrir le cœur du père phi- 
losophique, — la Salamandre Inidante elle Chimiste éveillé, 

— le Soleil splendide au firmament chimique de Vhoriwti 
allemand, etc. 

Ce style obscur et énigmatiquese montre surtout chez les 
premiers alchimistes. En parcourant, dans les écrits des By- 
zantins, des Arabes et des auteurs occidentaux antérieurs au 
quinzième siècle^ les explications des procédés relatifs à la 
préparation delà pierre philosophale, on chercherait vaine- 
ment à pénétrer le sens de leurs descriptions. Il est proba- 
ble, disons-le, que ces écrivains ne s'entendaient pas eux- 
mêmes. Tousles lexiquesqui ont été proposés ne sont d'aucun 
secours, car dans la même page un même terme reçoit quel- 
quefois deux ou trois significations différentes. 

Cependant il ne sera pas inutile de faire connaître com* 



42 DOCTRINES ET TRAVAUX 

« Promis une vi(»rjro alleu» ({ui s4)il bien h\ée ««t ptiiiTiéo et qui soit 
oncoinU^ par la vertu de la Bemenoe spirituelle de son premier mai .'. 
sans que pourtant sa virp^inité soit lésée : marie-la sans soupçon 
d'adultère avec Tautre lionnne, elle concevra de nouveau avttt la se- 
mence corporelle du mari, et elle mettra au monde un enbnt ho* 
norable des deux sexes : la pierre pliibsophale. » 

Arnauld de Villeneuve s'exprime ainsi dans un paragraphe 
sur la préparation du grand œuvre : 

« Sache, mon fils, que dans ce chapitre je vais Rapprendre ht pré- 
paration de la pierre philosophale. 

« Gomme le monde a été perdu par la femme, il faut austâ qu'il 
soit rétabli par elle. Par c^tte raison prends la mm*e, place-la avec 
ses huit fils dans son lit ; surveille-la ; qu elle fasse une stricte péni- 
tence, jusqu'à ce qu'elle soit lavée de tous ^e& péchés. Alors elle 
mettra au monde un fils qui péchera. Des signes ont apparu dans 
le soleil et dans la lune : saisis ce fils et chàtie-le, afin que rorgueil 
ne le perde pas. Cela fait, replace-le en son Ht, et lorsque tu lui 
veiTas reprendre ses sens, tu le saisiras de nouveau pour le plonger 
tout nu dans l'eau froide ; puis remets-le encore une fois mit son lit, 
et, lorsqu'il aura repris ses sens, tu le saisiras de nouveau pour le 
donner h cnicifier aux juifs. Le soleil étant ainsi crucifié, on ne verra 
point la lime, le rideau du temple se déchirera, et il y aura un 
jnMnd tremblement de terre. Alors, il est temps d'employer un grand 
feu, et l'on verra s'élever un esprit sur lequel tout le monde s'est 
tmmpé. » 

Cette lumineuse explication est adressée par Arnauld de 
Villeneuve à un de ses élèves. Hais il parait apprécier lui- 
même cet étrange exposé à sa véritable valeur, car il fait ré- 
pondre à son élève : c Maître, je ne comprends pas! » Sur 
quoi le maître promet d'être plus clair une autre fois. 

Le passage suivant de la Tourbe des philosophes n'a rien à 
envier à ceux que nous venons de citer : 

« Je vous commande, fils de doctrine, congelez l'argent vif : 
« De plusieurs choses faites, 2, 3 et 5, 1, 1 avec 5 c'est 4, 5, 2 et i. 
De 4 à 3 il y a 1 ; de 5 h 4il y a 1, donc 1 et 1, Set 4; de 3 h 1, 
il y a 2, de 2à 5, il y al, de5h2, 1,1, 1, 2 et 3. Et 1,2, de 2 
ot 1, 1 de 1 h 2, 1 donc 1 , Je vous ai tout dit. ^ 



UES ALCBKmS^ IT. 

Vi>iLî la naBÎm' 4e foBp4n- Pj^ismii rif Rira nVt (iluv 
simple. Tne partie <ks aiimii$ tnilKi aMiimîqiic< ri^int f^^i îw 
ih^ ce style. 

La préparatkm de la ^en>^ phil«iophale est Mm\eni pn*- 
r^ntêe. dans les ou%7ag» de celte époque, soos la f< iniio <l*al- 
li-gorie oa de parabole. Une de ces allégories fort admiiv^ 
au moyeo âge a beauroop e\dtê la sagacité des atlepU's : on 
la connaissait sons le nom à'All^fimt ir MeHim. bien i|iie 
lo célèbre enchanteur n ait rien en de romninn a\ iy Ios al- 
cliiinistes. Yoicî h traduction de cette pièce, dont le siyli' 
(St assez remaïquable : 



« Tn roi. ,vqpbiil Jélruiie de piiK^anL^ <*iuii^iiîs, m^ invpam ù 
soutenir coÉhn mx la guerre. Au lut^iiieiil de niontei' a chinai, il 
ordoana 3i on de ses soldats de lui donnei' à lioîre de Finiu qull Ch- 
inait beaucoup. Celui-ci. répandant, dit : S<ngneur. qu'elle i*s( <>4le 
(*au que tous medemaodei? (Tesl. dit k* roi. Peau qut« j'aiim^ le phi*^ 
ot dont je suis aiim* entre tous. Lt» soldat alla aussihU et Papin^rta. 
Le roi la reçut et but longtemps, jusqu"^ (*e que ses uK*nilMx*s fîuvut 
enflés et ses veines remplies ; il devint extrêmement pàU- : alors ms 
soldats lui dirent : Seigneur, voici le cheval, vous plait-il de mouler? 
Mais le roi, répondant, dit : Sachez que jtUM* |Niis nninU^r. Pimiiiuoi 
ne pouvez-vous monter? dirent les siddaUi. Sachez, leur dit le iH>i, 
que je me .sens appesanti et que j*ai de grandes doideurs de \^W ; il 
me semble que tous mes membres se détachent de moi. Je vo\is or- 
iloraie en conséquence de me placer tlaiis une chambre claire. iV'A\t~ 
(lorter cette duunbre dans un lieu chaud et s(>c, eutretomi nuit v\ 
jour à une dialeur modérée. Aia<d je suerai ; Tcau que j'ai hue dis^ 
inraitra, et je serai délivré. Les soldats tirent tx" que le n)i avait oi>- 
douné. Au bout du temps requis, ils ouvrû*ejit la |)orti' et tnnivt'^ivul 
le roi demi-mort. Les parents coiuiirent aussitôt vei's les minlecins 
d'Égypteei d'Alexandrie, qu'il faut honorer entre tous, et les ame- 
nèrent avec eux en leur racontant rcvéncment. r4eux-ci, ayanl vu le 
iSoi, déclarèrent qu'il était facile de le délivrer ; les parents din'ut alow 
en s'adressant aux médecins : Qui do vous s'en rliar}(fîra ? Nous, s'il 
vous plaît , dii^nt les médecins d'Alexandrie ; mais les UHnleeins 
d'Égj'pte reprirent : Cela no nous plait point, c'est nous que vv soin 
rejîîinle, car nous fiomwos )os phis niicifMls. Los Me\îv\\v\Y\\\s \ \\\\\\\\ 



44 DOCTRINES ET TRAVAUX 

consenti, les médecins d*Égypte prirent le roi, le coupèrent en petits 
morreaux, et Tayant humecté avec mi i>eu de leur médecine, ils le 
remirent dans sa cliambre dans un lieu sec et chaud, entret(>nu nuit 
et jour, comme auparavant, à ime chaleur modérée ; on le retira 
presque mort et ne couseiTant qu'un souffle de vie. Ce que voyant, 
les parents se mirent k. crier, disant : Hélas ! le roi est moil ! Il n'est 
point moi-t, reprirent les médecins, ne criez pas, car il dort, et son 
sommeil va finir. Ils reprirent le roi, le lavèrent avec une eau douce 
jusqu'à ce que le goût de la médecine eut disparu ; ils le lavèrent 
encore avec la même médecine et le replacèi^nt dans le même lieu 
qu'auparavant ; mais, quand on le retira, les parents se mirent de 
nouveau k crier fortement : Hélas ! le roi est mo^t ! — Nous avons 
' tué le roi, reprirent les médeins, afin qu'il reparsSfise en ce monde, 
après sa résurrection au jour du jugement, mè^ur et plus fort 
qu'auparavant. Ce qu'entendant les parents, ils regaitlèrent les mé- 
decins comme des imposteurs,, et aussitôt ils leur enlevèrent leur 
médecine et les chassèrent hors du royaume. Cela fait, ils se mirent 
h délibérer entre eux, pour savoir ce qu'on devait faire de ce cada- 
vre empoisonné. Il fut convenu de l'ensevelir, de peur que l'odeur de 
sa putréfaction ne devint nuisible ; mais les médecins d'Alexandrie, 
entendant cela, vinrent à eux et dirent : N'ensevelissez pas le roi, 
car, si vous le voulez, nous vous le rendrons plus sain et plus beau 
qu'auparavant. Mais les parents se mirent à sourire en disant : Vou- 
lez-vous vous moquer de nous comme les autres? Sachez que, si vou> 
ne tenez pas vos promesses, vous ne sortirez pas de nos mains. Les 
médecins prirent donc le cadavre du roi, le lavèrent jusqu'à ce que 
toute la médecine qui restait fût enlevée, et le firent sécher. Ils pri- 
rent ensuite une partie de sel ammoniac et deux parties de nitre alexan- 
drin, qu'ils mêlèrent avec la poudre du mort; avec uii peu d'huile 
de lin, ils en firent une pâte et la placèrent dans une chambre faite 
en forme de croix, avec une ouverture à la partie inférieure ; ils \e 
placèrent au-dessous de cette ouverture, dans un autre vase , fait 
aussi en forme de croix, et le laissèrent là une heure. Enfin ils le 
couvrirent de feu et soufflèrent jiu;qu*au point de le faire fondre ; il 
descendit alors par l'ouverture dans la chambre placée au-dessoa<;. 
Enfin le roi, revenant de la mort à la vie, jeta un grand cri : Où sont 
les ennemis? dit -il. Je les tuei^ tous, s'ils ne viennent sans retard 
se soiunettre à moi. Tous accoururent donc vers lui en disant : Sei- 



DES ALCHIMISTES. 4h 

noosvoîâ, BOUS sommes tous prêts k obéir à vos orriros. (Test 
pourquoi, depuis ce moment, les rob et les puissants des autres nations 
rhooorèrent arec crainte oomme aupararant. 

< Et, quand on Toulail Toir de ces menreilles, on plaçait dans un 
Tase une once de mercure bien lavé, et on jetait li sa surface à peu 
près la grosseur d^un grain de millet, des ongles, des cheveux ou du 
sang du roi, et en souflDant légèrement les charbons, on trouvait la 
pierre que je sais bien ; on projetait un peu de cette pierre sur du 
plomb purifié, lequel prmait aussitôt la forme que je sais bien ; on 
plaçait ensuite une partie de cela sur dix parties de cuivre, et le tout 
devenait excellent et d^une seule couleur ; on prenait alors cette troi- 
sième pieire, mi la mêlait comme plus haut avec du sel et de For ; 
on la liquéfiait, et on jetait ces sels dissous sur du petit-lait de diè« 
vre. Ainsi s^aooomjdissait Tœuvre excellente entre toutes. 

c Conserve, firère, ce traité et veille bien sur lui, car la meilleure 
chose est sottise parmi les fous, mais non parmi les sage». Voilà le 
chemin des trois jours royaux par lesquels, avec un peu He travail, 
un grand bénéfice f est réservé*. • 

L'autear de cette allégorie n'est pas connu ; la couleur 
orientale de son style lui a fait attribuer une origine arabe, 
mais rimitation de ce style est trop aisée pour que cet argu- 
ment ait de la valeur. L'expression de pierre philosophole 
que porte le titre de l'allégorie ne se trouvant jamais chez 
les auteurs arabes, cette pièce appartient sans doute u quel- 
que écrivain du moyen âge. 

On peut citer comme un autre exemple d'allégorie chimi- 
que VAUégorie de la fontaine de Bernard le Trevisan. Dans 
son livre de la Philosophie naturelle des métaux, l'auteur 
met ainsi la pratique en paroles paraboliques : 

« Je m'en allais, pensant, par les champs, parce que j'étais Inn 
d'étudier. 
« Une nuit advint que je devais étudier pour le lendemain dispu- 



* Meriini allegoria profundissimum philosophiœ lapidis arcaniim per- 
iectè continens : m Bibliotheca chemicd Mmgeii^ 1. 1\, p. \QV. 



1 



m rocTBiNKs v:t travai x 

h'r: je l.miiv:ii niiP jM-tilr ltiuUiii*U<\ brlh' il i4jiih\ toiil rtmi 
(Tum* iM^lIr |iHTie\ t^t tvlli' |iiriTc* iHail iiu-cli^ssiis û\m \'mi\ rmix 
ili' I lu'urv, il tout II IVTiviron «'lie eliûL boiiiée df^ n*ui';iill(^>, île ppiir 
fjye ios viii'lus iii autres biHe» bruU's, ni vulaLiles, ne s\ Imigïijisj^jil. 
Admic j'rivais grimd iippétiL de doriiiti', je nTn^sts nii-ilivssiis de In- 
ilîti^ fiHitiiine, et jr viji ipreUe êlint eouveHf parnlessus el ijif elle él:(il 
j'i'iinéi'. 

t< Kl il |Ki^sa \Mï l;i un |irètr<^ îiiHien cl dr vît-il A^e; je luidetnati- 
dai |Mninjuiû l'st ;iiiisî leiinéê w^tle iiuitàine» desîiUJv, di^ssouîs et de 
touîi iùttei ; tl il ine tiil graeieux et ]>on ei me commença Umt aÎDsi à 
dire : Seio^neur, il est vi*ai qne t^lte fontaine est de lerrihle vertu, 
|du«i que nulle aulit^ qui suit an nioude. Elle csi seuknienl poyj' 
le ini du ]),ivs, qu elle tonnait lueu ri lui tdk% av j:*niajs t'e ita 
lit' jKisse mv ki qirelle tw le tire a soi: et il est avee elle dedân?: 
it'(41e loiilàine ù wi baij^iier deux eent cjuiitre-vin|;t-deuï juui's ; et 
elle rajeunit tellement le roi, qu'il n'y n homme qui ne le \mkêe 
vaincre.,.. 

ir Adone je lui demandai s'il avait vu le toi, et il me iT)iondit qu*»l 
Favait vu entier; mais que diqans qu'il rst euti*' H t^uo sa giml?: 
Ta enlVnué^ jamais on ne le voit jusqu'à eeiit trente joui^ ; aku-s il 
eommtMite h jiandtrt^ el h resplendir. J.e prtier qui le garde lui 
t'iisudfe siin bain eontinuellenient jHUir lui *rai"der t^a thaleur ttali^Aa 

ti Adtjue je tleiiiantlai de quelle eouleur le rai était ? El il me re- 
|Huidait qu'il était vtHu de drap d*ar un premier ^ et [juis avait un 
|tfuu'froiul de velours noir, la eheniisc blaiîchft commt! neige et la 
cluiir aussi sanguine eouirue saufî. 

s Après, je lui dr^maudai, qunnd le rui venait à ja fontaînô, fC\\ 
aiueuîiit grande comi>:t;fnie ih gi'us t'ii-angers et de menu peuple 
îivee lui. Il nie icpoudit amiablt^mtmt en sfù st>uriant : Ci' n>i n':i- 
mene que lui l't laisse tous ses gens et l'irangers ; n'ajqu ot lie nid 
que lui de eelle lonlaine» sinon la ganle, ijui l'sl un simple bom me... 
Mais, toutefois, quaml le roi y est entré, |Ht luièreinent il se dépomlJe 
de sa rtibe de drap di' (in nr, battu en feuilles liês-slélit't^s, el bi bailli' 
à siui [Heuiier bt>nmu' qui s'appelït^ Satume. Adonc Satnnie la |ut*nd 
et la ganlt^ quaiaute jtuirs ou quarante-deux, au plus» quanti une fuis 
il Ta eue. A|>rts, le j'oi revt^t ^on pourpinl de lin velours noir» et le 
donne au second liomnie, qui est Jupiter, qui le garde vingt joui^ bons. 




DES ALCHIMISTES. M 

Adonc Jupiter, par coimnaiMleinent du roi, le baille h la Lime, quieftt 
la tierce personne, belle et resplendissante, et la ganle vingt jours. 
Et ainsi le roi est en sa pure chemise, blanche comme neige, aux fines 
fleurs du sel fleuri. Alors^ il dévêt cette chemise blanche et fine et la 
baille à Mars, lequel pareillement la garde quarante et quelquefois 
quarante-deux jours. Et après cela Mars, par la volonté de Dieu, la 
baille au Soleil jaune et non pas clair, qui la garde quaraqte joui*s, 
et après yient le soleil très-beau et très-<lair, qui la prend bientôt : 
adonc celui-là la garde... 

« Et je lui dis : N'y vient-il jamais k cette fontaine ni médecins 
ni rien? Non, dit'il, personne n'y vient autre que le gardien qui au- 
dessous fait chaleur continuelle, environnée et vaporeuse. 

« Ce gardien-4à a-t-il beaucoup de peine? Il a plus de peine à la 
fm qu'au commencement, car la fontaine s'enflambe. 

« Et je lui dis : L*ont vu beaucoup de gens ? Tout le monde Ta 
devant les yeux, mais ils n'y connaissent rien. 

« Et lui dis : Que font-ils encore après? S'ils veulent ils puveiit 
purger le roi en la fontame, circulant et contenant le lieu au con- 
tenu de la contenance cont^ue, en lui baillant^ le premier jour son 
pourpoint, le jour après sa chemise, et le jour après sa chair saii- 
pane. 

« Et je lui dis : De quoi c'est ceci? Et il me dit : Dieu fit un et 
ib'x cent et mille et cent mille, et puis dix fois le multiplia. 

« Je lui dis : Je ne l'entends point. Et il me dit : Je ne t'en dirai 
plus, car je suis ennuyé. Et alors je vis qu'il ht ennuyé, et moi 
aussi j'étais eimuyé qui avais appétit de dormir, car le jour précédent 
j'avais étudié. » 

Comme dernier exemple de ces expositions énigmatiqnos 
et symboliques relatives à la préparation du magistère, nous 
citeroBs le Songe vert, attribué au philosophe Bemnnl lo 
Trévisan : 

« J'étais enseveli dans un sommeil très-profond, lorsrpi'il me sem- 
hla voir une statue, haute de quinze pieds envimn, roprésent^^nt \m 
vieillaitl vénérable, beau et parfaitement bien proportionné dans 
Uiutes les parties de son corps. Il avait de grands clieveux d'arjtent 
lous par ondes ; ses yeux étaient de turquoises fines, îiu milieu des- 
quelles étaient enchâssées des escarboucles, dont VMul était si hril- 



AH 



nOCTRINES KT THAVAUX 



bril, qyt* je ne i>ou?ais en soutenii' la lumiiiro. Ses lèvres élaiwit 
(('411% .sen (it^nU tle perles oi îeiiUiles. et tout le reste du corps êlaiî i 
JHjL tl'un ("ubis foil brtlkuil. H touchiiît du [tM gauihe un glohe ler-l 
j^slie, qui parait«ait le supporter. Ayant le lims rtmil élevé et teudu,| 
il SiMiiblail sDUlenir avw le LouL de non doi^t ini j^lidie eélesle au-*] 
dessus de su léle, el de la main paiiehe il leiiait uni' elef, faite d'un^ 
jîTt)s diîUïiant liniL 

« CW lionune, j^'approelianl de moi, me dil : Je Miis le gimle deij 
sages, fie cmm point île nie suivre. Puis, me prenant par les die 
\&ii\^ de la main dont i! lenîfit cette clef, il niVnlcTa et me lit traver-l 
ser les tixiis régions de l'air, celle ilu Peu, et les cieiix de toutes lei 
planètes. Il me [mrtu encore liieii an ilrlà ; puis, ni'avant enveloppé! 
dans mi (ourhillon, it dispanil, «'t je me trimvaî dau;^ une ile Ûol^l 
lante sur une mer de sang. ï^urpris d\Hre dans un pays si ébigné^ 
je lue promenais sur le rivage ; et, considénmt i otte mer avec ur 
irrande atUMilinn, je reconnus que le i^ang dont elle était composa 
était vgf et lonl ciiaud. Je remarqtiai même qu'un vent très-doux, qui] 
Incitait s;ms cesse, enirctenait sa chaleur el ( xtiinîl en celle mer uftH 
lM)uilKinn**n>ent qui cimsait ii tmite Fde un niinivcnient prestjue iiiî- 
pettrptîlde, 

» Ravi d'admiratîon de voir ces ehnses si exlnu>nnnaires, je 
llêchissus sur tant de nieiTeilles, quand j'aperçus plusieurs pei%on^^| 
nés de mcn cote. Je m'imaginai d'aknd qu'ils voulaient peut-elw 
me nialtraitei% et je me glissai sous un tas de jasmins pour me ca- 
cher ; mais, leur odeur ui ayant endormi, ils me trouvèrent et niP 
saisirent. Le [dus grand de la troupe, qui t|)e semhlait commander 
les uutres, me rîeinautia, avec un aîr fiei% r]ui m^avail rendu si té- 
méraire que de venir des Pays-Bas ilans ce trcs-li;mt empire. Je lui 
racontai de quelle manière on m'y avait transporté, Aussilol rtl 
hommes changeant lonl d'un cnu[t de ton, d'air et tle manicrt^s, nie 
dit : Sois le bienvenu, toî qui fnt conduit Ici par notiHî tr&s-haul 
et trés-[>uis5ant Génie. Puis il me salua, et tous les autres ensuite, 
à la ffiçon de* hnv pavs, qui est de se eoncher loul pîat sur le dos, 
iniis .«e mettre sur le ventie et sc^ relever. Je leur rendis le saiul, 
mais selon Li coutume de inoti pays, H me pramit de me préseiUer 
au nagaceslaut% qui est leur empei^ur. Il me pna de Texcuser ^^uAM 
ce qu'il n'avait jmint tle voiture pour me porter 5 la ville, dont nous 
étions élûijjjnés d'une lieue. Il ne m'entretenait, par le cliemin, que 






M 



DES ALCHIMISTES. 40 

(le la puissance et des grandeurs de leur Hagacestaur, qu'il disait 
posséder sept royaumes, ayant choisi celui qui était au milieu des six 
autres pour y faire sa* résidence ordinaire. 

« Comme il remarquait que je faisais difficulté de marcher sur 
(les lis, des roses, des jasmins, des œillets, des tubéreuses, et sur 
une quantité prodigieuse de fleurs les plus belles et les plus cu- 
rieuses, qui croissent même dans les chemins, il me demanda en 
souriant si je craignais de faire mal à ces plantes. Je lui répondis 
que je savais bien qu'il n'était point en elles d'âme sensitive, mais 
que, conune elles étaient très-rares dans mon pays, je répugnais à 
les fouler aux pieds. 

« Ne découvrant, par toute la campagne, que fleurs et fruits, je 
lui demandai où l'on semait leurs blés. Il me répondit qu'ils ne les 
semaient point, mais que, conune il s'en trouvait en quantité dans 
les terres stériles, le Hagacestaur en faisait jeter la plus grande par- 
lie dans nos Pays-Bas pour nous faire plaisir, et que les bêtes man- 
^esùeni ce qui en restait ; que, pour eux, ils faisaient leur pain des 
fleurs les plus belles; qu'ils les pétrissaient avec la rosée, et les 
cuisaient au soleil.* Comme je voyais ])ai'tout une si prodigieuse 
(piantité de 4rès-beaux fruits, j'eus la curibsité de prendre quelques 
poires pour en goûter; mais il voulut m'en empêcher, en me disant 
qu'il n'y avait que les bêtes qui en mangeaient. Je les trouvai ce^ 
pendant d'un goût admirable. Il me présenta des pêches, des me- 
lons et des figues ; et il ne s'est jamais vu dans la Provence, dans 
toute ritalîe, ni dans la Grèce, des fruits d'un si bon goût. Il me 
jura par le Hagacestaur que ces fruits venaient d'eux-mêmes et 
qu'ils n'étaient aucunement cultivés, m'assurant qu'ils ne mangeaient 
rien autre chose avec leur pairi. 

« Je lui demandai comment ils pouvaient conserver ces fleurs et 
ces fruits p^idant l'hiver. Il me répondit qu'ils ne connaissaient point 
d'hiver; que leurs années n'avaient que trois saisons seulement, 
savoir : le. printemps, l'été, et que de ces deux saisons se formait 
la troisième, à savoir, l'automne, qui renfermait dans le corps des 
fruits l'esprit du printemps et l'âme de l'été : que c'était dans cette 
saison que se cueillaient le raisin et la grenade, qui étaient les meil- 
leurs fruits du pays. 

« Il me parut fort étonné lorsque je lui appris que nous mangions 
du boeuf, du mouton, du gibier, du poisson et d'autres animaux. Il 



'M\ 



wamms in tiiavai:x 



UH' il il quf' iKitis di-vïoiis avùîi* rcnhiiidptiii-iii \iu'i\ rpis, [niisqiti'' 
inm^ iiiiiis SIM viiiiis triiliim-iiU si juali^mls. Il tm invnitmmi am iini*- 
Il Kilt tri'iilrruirr des ehoM^s !si lu'îk*» i*l: si ciiri«UM'>it il ji' Jch fM'oi*- 
l^i< iivri* lK';iutx»u|» iratd'filiflïi. M:iis, élani averti d** coniiiili'n'r \ii^ 
p^'d ili' lit villi', liant nous nVtiniis nlms t'loi;:nt'«i (jtu' <U* dinix n^ril 
]ias, ji* jH'us |Mis sitôt ievô l<»s \rux |ioni' liJ voir. ijUf je- m* vis |ilii 
ritn H tjn*^j(' drviurs îivi'ii^li*; cli'ijuoi maii {omlurtriir m* jiiit Ii rirf, 
i*t ses riinti^i^niHis th' uii'^tni-. 

« b' iU''[Hi ili* voir qikî if*s me^jiburfi w» «livi'ilLssîiÎHil île num 
riilriit tue fiikiit jjIuh île cliu^iiîi i]i»e mon niallunir iik'jur, S'ap 
n-VEint tkmv hlvn ([iw Il'iii-s uisiiiii^irs ne nie plaisairut jwis, ivli 
(jiii avilit tmiji>yi"s piin soin tic ii/riitn tenir nie toiisfïjii en me dî- 
s:mt d'avL^ir irn t>eu tle iiutienee, et <[iit' je vei'i:ns el;iîr dans nji iii< 
niejit. Puis il alla rherdicir d'une hcrlm dont il nie ktÀÏ» let^ 
et j*^ vis ;nus>itàt la iMinieie el lVd»l de lelUï î<nj>erl>e ville* do/pt 
Un\U*s leii iiiiii-iiins élîtii^nl faites de rrist^d tres-piir, qw le soleil 
éebirait iontîniiflleinml; r;ir, diin^i cette île, il ni^ fut janiAis 
nuit. On ne vnidiit pmiL ine jh<i iiieitrtî d'entrer daii> anenm' de 
innisoriH^ uniis bien il" y voir œ qui w pawuit à tniveni les mui 
qui riaient tnins|iiirent!<. JVjuiininai la [tn-mière maison ; ollefî soirf 
Niutes Ijaties sur un uienie nicHlèle. Je reiiiEirquai que leiir lope- 
uiiMtt n<* eonsislail ijinn un ét«|:e senli-nif^itt ntnijMïsé lU* [mis !i[i[i 
teiiM'nls, chaque ;i|ipirleiiient a\;inl |dust*'uis diEinibres et raltii 
de |ilaiii-|>ieii. 

« Dan* le jireniii'r ap|iai1einent [laraissîul mw sdle, orn+V d'il 
tenture de damas tout rltamarré de j^aloii iVm\ hnnh* d'une eiénine 
de nieine, ht roidenr du Ibnd de nlte étoile éhiil t'lian|;^i\ini|i dr 
l'itn^ie vi de vert, relianssé il':iii;riil h't;s-fin, 1*' toiil euiivert iPime 
;^'Lize iïlLinc lie ; ensuite étaienl i{iie!qu«'s ealiinets pniis de hijoiu de 
enulcm-s différentes: puis on décoiivniil une eliaudjri' toute inenUléi' 
d'un 1m 'an veloui's jioij\ tlnumin/^ de jilnsieuï'î+ baiwU'^ de. patin très- 
nuir et liVis-luisant, li' tout ndevé d*un travail de jais, dont h noir- 
eeur brillait et éekit^il fort. 

» haiLs \v M'einid ;i|i|Miieinènt n' voyait une dianibre, leniineilimr 
niuiie blamiwi on<lé«% enriehti' et relevw' d'uni' semenee de iierJes 
iirîentales Irts-lines. Ensnile étaient |ilufïenrH eahinels» p«rf^ de 
lueubteii de idiii^ieui^ <onît'Uï'K, roninie de salin Ideu,, de dutnas vin- 
Jet, de moire dtriue et de tafieta-* innirnat» 



leii 

1 

[>î;e- 

'"I 




*Ë 



DES ALCnîMfSTES, 51 

c ttaiLs le troisième appartement était une chambre parée d'une 
étoffe très-éclatante, de pourpire à fond d'or, plus belle et plus 
riche, sans comparaison, que toutes les autres étoHes que je renais 
de voir. 

« Je m'enqiiis où étaient le maître et la maîtresse du logis. On me 
dit qu'ils étaient cachés dans le fond de cette chambre, et qu'ils 
devaient passer dans une autre plus élmgnée, qui n'était séparée de 
celle-ci que par quelques CEd)inets de communication ; que les meu- 
bles de ces cabinets étaient de couleurs toutes différentes, les uns 
étant d'un tapis couleur d'Isabelle, d'autres de moire citrine, et 
d'autres d'un brocart d'or très-pur et très-fin. 

c Je ne pouvais voir le quatrième appartement, parce qu'il doit 
Atre 1101*8 d'ceuvre ; mais on me dit qu'il ne consistait qu'en une 
chambre, dont les meubles n'^ifient qu'un tissu de rayons de soleil 
les plus épurés et concentrés dan» cette étoffe de pourpre où je ve- 
nais de regarder. 

c Après ^voir vu toutes ces curiosités, on m'apprit comment se fai- 
saient les mariages parmi les -habitants de cette île. Le Uagacestaur 
ayant une connaissance tres-parfaite des hommes et du tempérament 
de tous ses sujets, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, il assem- 
ble les parents les plus proches, et met une jeune fille pure et nette 
avec un bon vieillard sain et vigoureux : puis il purge et purifie la 
fille, il lave et nettoyé le vieillai'd, qui pr^ente sa main h la fille, et 
la fille prend la main du vieillard ; puis on les conduit dans un de 
ces logis, dont on scelle la porte avec les mêmes matériaux dont la 
logis a été fait ; et il faut qu'ils rastent ainsi enfermés ensemble neuf 
mois entiers, pendant U quel temps ils font tous ces beaux meubles 
qu'on m'a fait voir. Au bout de ce terme, ils sortent tous deux unis 
en un même corps; et, n'ayant plas qu'une âme, ils ne sont plus 
qu'un, dont la puissance est fort grande sur terre. Le Bagacestaiu^ 
s'en sert alors pour, convertir tous les méchants qui sont dans ses 
sept royaumes. 

« On m'avait promis de me faille entrer dans le palais du Haga- 
cestaur, de m'en faire voir les appartements, et un salon, entre 
autres, où sont quatre statues aussi anciennes que le monde, dont 
celle qui est placée au milieu est le piiisssttit Séganisségède, qui 
m'avait transporté daas cette île. Les trois autres, qui formaient un 
triangle à l'eutour de celui-ci, sont trois femmes, à savoir : Ellugaté, 



r»^ 



iKïCTIimES KT TIIAVAIX 




Lmémuiorc et TripMirecopsen. On m'avait aussi promiït de im^ 
hitv vo'w le temple où est la figure de leur ilivînité, qu'ils appellt^nt 
Eiésel Vmsergtimm ; tim^ hs eoqs s\*taienl mis à cliantor, les jia^ 
leuiTi t'otid Misaient leiïi's Iroupaiix aux tluuiips, ci ie^ hhom^nr^^ at- 
telant k'ui^ chari'ues, (in^iit un si friand bruit, qu'ils nio réveitlèrenti 
et inorï sunge hg ûk^lpa fiitit^rt^ineut. 

« Tout ce fjui' j'avais vu jusqu'ici n'éLul lieu en compai'aMîOïi de 
ee qu'on priiuiellail de nie Jkire voir. Cependant, je n'ai pus de peine 
ii me œnftoier, lo!-*i<jiie je fai*i l'cftestion sur ccl empire céleste, où le 
TiMil-Puissîint parait assis sur son tKine enviroiuié de jtfloit^. et at- 
i(uupaij;ue d'anpes, d'archange?;, de eliriubins, de sénipliins» de 
lmnt*H et de liouiiua lions. C'est la que nous vendons te que l'œil n| 
jamais vu, que nous entendions ee que l'oï*eille n'aura jamaLs en 
l«*ndu, puityjuc c'est dans ce lieu que nous devons jouter une të 
ciiè éternelle, que Dieu lui-inôine a protnise à tous ceux qui tfich 
rout de s'en r^'iiilri' digues, ayanl toui^elé créés pour pai'liei|KT à eett 
Ljloiie. Faisons donc tous nos efforts pour la méritei. Umé f^oitDieu* !i 

Os ei talions siiffisenl pour donner une idée des exposî-l 
lions énigniaiiqufs familiùros «ux anciens *iuteurs, el iléTI 
la forme allégorique dont plusieurs d'entre eux ont revêtu 
leurs descriptions. Noos n Insisterons pas davantage sur cft 
pointj et nous passons sans regret par-dessus les énigmes, les 
allégories et les paraboles qui remplissent les innombrables 
f^crits de ralchimie ancienne. Certaines personnes ne dédai- 
gnent pas les rébus et les logogrifdies; mais au moins faut-il 
que le logogi'iphe caclie un mot. Arrivons aux indications 
plus précises fournies par les écrivains d'une autre époque, 
pour la préparation de la pierre philosopbate. 



C'est au seizième siéede que le langage alcliimique corn- 
mence à se dépouiller de ses voiles» C'est <ionc en nous adres- 
sant aux ouvrages modernes qu'il nous sera permis de trouver 
quelques renseignements sur les différents moyens employés 
par les alchimistes pour la réalisation du grand oeuvre. 

* Bibliothèque des phitoiophis chimiques j lomo JL 





DES ALCHIMISTES. 55 

Le procédé général pour la préparation de la pierre phi- 
losophale est exposé en termes assez intelligibles dans quel- 
ques traités du dix-septième et du dix-huitième siècle, et 
notamment dans la Biblwthèqve des philosophes chimiques, 
de Salmon, dans YEntrée ouverte au palais fermé du roi, 
de Philalète, et dans le Traité d'un philosophe inconnu. 

Pour comprendre les procédés que nous allons résumer, il 
faut se rappeler que les alchimistes assimilaient la génération 
des métaux à révolution des corps organisés, et qu'ils sup- 
posaient que les métaux prennent naissance, comme les ani- 
maux et les plantes, par la réunion de deux semences mâle 
et femelle ^ La science de Talchimiste consistait donc à opé- 
rer artificiellement, au sein de ses appareils, la réunion des 
deux semences nécessaires à la génération de For. Ces ma- 
tières premières étaient ensuite abandonnées pendant un 
temps suffisant, dans un vase que Ton désignait, en raison 
de sa forme et de sa destination, sous le nom A* œuf philosophi- 
que, et quelquefois sous le nom d'athanor ou de maison du 
poulet des sages. Après le temps d'incubation convenable, le 
métal parfait devait se trouver engendré. 

Mais quelles sont les deux substances qui peuvent jouer ce 
rôle utile de semence métallique? Selon la plupart des auteurs, 
ces deux substances sont : l'or ordinaire, qui constitue la se- 
mence mâle, et le mercure des philosophes, que Ton nomme 

* L'auteur delà Tourbe des philosophes compare longuement la généra- 
tion des animaux à la formation des substances minérales : « Il en est ainsi 
de notre œuvre 1 » ajoute t-il. Il compare ensuite la pierre philosophale à 
un œuf: « Sachez que notre matière est un œuf; la coque, c'est le vais- 
seau'; et il y a dedans blanc et rouge ; laissez-le couver à sa mère sept se- 
maines, ou neuf jours, ou trois jours, ou une ou deux fois, ou le sublimez, 
lequel que vous voudrez, deux cent quatre-vingts jours, et il s'y fera un 
|M)uIet ayant la tête rouge, les plumes blanciies et les pieds noirs... » 

Ajoutons que, dans V Entretien du roi Calid et du philosophe Morien, 
l'auteur distingue, comme parties de l'opération, V accouplement, la con- 
ception, la grossesse, Venfantement ou accouchement, \Knourriture. L'ordre 
de celte opération ressemble donc à la formation de l'homme. 




54 DOCTRINES ET TRAVAUX 

niissï ïv pvt'tHirr a^efU, el qui reprâseBia l.i semmer^ fomflle. 
[/.Klrpir Sulîiinti nous fait eonnnîtn*, dans sa Hihliothiiinà 
(h'K pltHmophi's ciimktes, h manière doiU îl fairl [irnciMlpr 
|ifjur mmbin^^r Vnv \n\js,n\re au mercure des f»Lil(tsn[iliP^ r^t 
«ïfjUiuir aîusi h pierre des sîiges. 

(I Viiii i di* fjyi'llr ntanliVis iltt Saliiion, ks |i]iikjisr>|ilu's îi<;5uri< 
i[\w la ilwïst' s*» fait. Le lUHvm^' <li's jdiilasophi^ (f|ij'iïs a|i|jcllnit 
ri'iiu'Hi') rIiiiiL jiHiii t'I :*myljiaini' u\er Tiir («(ni <*st. Ir iurdr) hieàj 
|]iii cl in li'iiillrs ou 1*1) JiiiKitlli', ri mis ditris ïonif j>1iîIom»ji1kiI (( 
«"•^l un [M'til iii;ttr:i'^ Hiil rn ov^ilt', t|ur l'on iloil myIIhi' hofnrélLqm^ 
iiHMJt. <K' |M*ur (jm* rii'ii àe Li lualif'jo t»u s'i"\l«iltM, un [)os<* ctH ii 
ihnis uni' midli* pitine de trndif^, i|uV)n niel dans \v J'uui iicim, 
Irtt-s r*' moi'cnire, jiai h rhaleni' de siin jumlre i!iléiieui% vwhè 
le frii fjur* ^atli^(^ ;tllmne aii ili'lKirs et iprit eiitretienl ciintiniiolli 
ment d,ins un de^ri' et ibiis une |iiojM:ntioïi m'^essaîre^, ee iiKMrnm 
dis-j<", diss<M*i Tor yAm vitilenee et le reduil en ;U<jnit»s. j« 

On oblîenl ainsi au bout de six mois une poudre noire qui 
dans la deseripûon que Solmon nous en donne, porte le noi 
de ti^te (k eoi'hean , ih Satm^ie rm de tmàhm nmmMemieit. 
Si Ton pndonge Taetitm tie la ctiateur, la matière devient 
ïdanche, c'est la teinture hlarwhe qu petite pierre philom 
phale, qui peut eonvertir les métaux en arjïenl et f^ibriqui 
les perles. Knfin, sî Ton augmente le feu, la matière frmi 
ile\ ienl verte et se diange en une poudre rouge. C'est la véi 
lable pierre pliilosopliale. IVojotêe sur uii mêlai vil à rétat 
ib^ fusion, elle le transforme imniédiatemenl en or, 

La seule diffieuliê, dans la [irëparalion «le ta pieriT [diiln- 
sophale, consiste donc u obtenir le mvrcnre des phih.^ophes. 
ilH ai(ent une fois trouvé, lopération est, coniuie ou vient 
de le voir, la ebose la plus simple du monde; ainsi que le 
ilit fort bien Isaac le Hollandais,, c'est % une œuvre de femme 
et un jeu d'enfant; « el la eonduite du i^rand œttvre offre 
alors, au dire de Nicolas Flamel, si peu de diffieulti', 

<>n tmt' foiume filnnl tiisrn 
.N>n î«»mi| du loi II ili'toiirm'f* 



^ïlt 

1 





DES ALCHIMISTES. 55 

Mais la préparation de ce mercure pliilosaphique n'est pas 
une faible entreprise. Toug les alchimistes reconnaissent que 
cette découverte est au-dessus de la portée humaine, et qu'on 
ne peut y atteindre que grSce à la révélation divine ou par 
Tamitié d'un adepte qui lui-4uêm'e Tait reçue de Dieu. 

Cependant les philosophes ont essayé de se passer du se- 
cours divin. Tous leurs travaux ont été inspirés par le désir 
de composer ce mercure philosophique, qu'ils désignent 
d'ailleurs sous les noms les plus divers. C'est le meraire 
animé, le mercure double, le mercure deux fois né, le lion 
verU le serpent, Veau pontique, le fils de la Vierge et le lait 
de la Vierge, Hais, il Tant bien le dire, ils n'ont jamais réussi 
à le découvrir, bien qu'ils l'aient cherché dans tous les corps 
qui sont dans la nature, et môme, comme nous le verrons, 
dans quelques-uns qui n'y sont pas. 

Passons rapidement en revue les nombreuses substances 
dans lesquelles on a cherché le mercure des philosopher, ap- 
pelé aussi le premier agent de la pierre philosophale. 

Le premier agent a été surtout cherché da'ns les métaux. 
Cette idée n'avait rien que de naturel dans la théorie profes- 
sée par les alchimistes sur la composition des substances mé- 
talliques. Si Ton parvenait à retirer des métaux leurs élé- 
ments communs, le soufre et le mercure, dans un état 
de pureté absolue, on pouvait espérer les combiner en- 
suite de manière à faire de l'argent ou de l'or. C'est ce 
que Ripley fait sentir avec assez déraison. Le Cosmopolite 
dit d'ailleurs : - 

« Si tu veux faire un métal, prends un métal ; car nn chien nVst 
jamais engendré que par un chien. » 

L'arsenic est un des premiers métaux que les alchimistes 
aient essayé pour obtenir la pierre philosophale. Voici ce 
qui lui attira longtemps la coniiance des adeptes. On trouve 
dans les anciens ouvrages de l'art une énigme greccjue d'une 
origine inconnue et dont voici la traduction : 



.Mî DOCTRINES KT THAVAUX 

J*ni neuf leUrcfl, je lum ée qiiilre «yllalies, rounnis r«oi ; 
Cliaaiiie i\m lixiis |jr<îriiiLr(îs a Atux lettre? s; 
i,Qs niitr^<4 onl k-» milros tiilties, cl il y a cinq cniMounes; 
î'nr moi tu posséderas h «ingesse. 

On dovimi que le mot ilu logogriphe éiml arseniœn, ar- 
senic. Lt^s vnpmii^ d'amjnîc hlanchissrmt en offol !e cuivn\ 
*n ('t*H[î îilliTalinn fut lungtmiïjis i-onsidim'i^ comme un coni- 
lupueimienl tJi' iiMiiîfnuUfUion on argent, ou comme unt- 
tï'ansmulalion vèi itabU\ On iveonnnt plus tard que le cuivre 
[(lam'lù par rîir?îenic n'est pas de rargeut. Un profa^eur 
ii'léna, tieor«^ns Wedel, presentn dnnr. une interprêtalioa 
différente : le innt de Teni^rmiv ,:tjiu lY/^A^iiTAv, iHain. Mai.* 
on ne put rien lirer de ce nouveau métal, et 1 on ne man- 
qna pas de reeonnaîHe (ensuite que Texpliralinn de Wedel 
supposait, dans le mut ausiieros, une faute d orttiographi*, 
Uuelf|ues autres solutions furent eneoro proposées sans suc- 
ées. Enfin un dernier eoinmentaleur, ennuyé du logogri- 
plie, tranelia le nœud endisiint ijuMl était queslion du Christ 
(XpKjToç). Corame on le voit, l'adepte agissait un peu a la 
manière d'Ali*\'andre, ear son interfTP.lalirm laissait deux 
lettres î^'iiis emploi. Il est vrai ijun Wedel avait déjà fait bon 
marché de l'orthographe, et que, par conséquent» le pre- 
niier eoup était porté. 

In meiTurîo ost (jiiîflquid quiXTiinl sapienlcs, 

Cm adage, attribué h Ikrmès, adonnée li(Hi à d immensi»s 
reeherclies; nn espina hmglemps pouvoir retirer du mer- 
cure vulgaire le mercure de^ phîlosoplies, et lieaueoup d'a- 
deptes |in*'tendirent y avoir rénsv^i. Mais la [ilupart dos in- 
nombrables recettes ree^ni mandées par les alehimistes pour 
tibtenir, à l'aide dn mercure vulgaire, le mercure des jdti- 
Itisoplu^sou le premier agent, n'avaient pmir nsultat que de 
produire du sublimé eorrosîf, lequel, comme chacun sait, 
n'a rieTi de commun avec la pierre phdosophub*. 

C'est ainsi que, dans son Romire philosophique, Arnaud 




DES ÂLCSIMISTES. 57 

de Villeneuve donne la recette suivante pour la préparation 
de la pierre philosophale : 

« Prends trois parties de limaille d'argent pur; triture-les aYec une 
partie de mercure jusqu'à ce qu'il en résulte une matière pâteuse, 
fais digérer avec un mélange de vinaigre et de sel, et sublime le tout. » 

Dans cette opération il se formait seulement du sublimé, 
c est-à-dire notre bichlorure de mercure. 

Trimosin , dans son Aureum VeUtis , donne le procédé 
suivant : 

c On sublime du mercure avec de Talun et du salpêtre, en man- 
geant pendant cette opération des tartines de beurre très-épaisses 
pour détruire l'action nuisible des vapeurs qui se dégagent. Le pro- 
duit de la sublimation est distillé avec de l'esprit-de-vin et cohobé 
jusqu'à complète dessiccation. » 

Le résidu de cette distillation n'était encore que du su- 
blimé corrosif, et il va sans dire que personne n'a jamais 
préparé la pierre par ce procédé. 

L'antimoine a été, comme le mercure , l'objet d'un grand 
nombre de tentatives. Âl. de Suchten assure avoir trouvé 
dans ce métal le premier agent. 

Mais toutes les recherches sur les métaux restèrent sans 
résultat, et l'on reconnut, bien qu'un peu tard , que Roger 
Bacon n avait pas eu tort de proscrire les métaux pour la 
préparation de la pierre philosophale. I/or et l'argent, disait 
ce philosophe avec beaucoup de sens, sont trop flxes pour 
qu'on en fasse rien sortir ; les autres métaux sont trop pau- 
vres; personne ne peut donner ce qu'il n'a pas. 

Peu satisfaits de l'emploi des substances métalliques, les 
alchimistes se rabattirent sur les sels. On ne manquait pas 
de bonnes raisons en faveur de ce choix. Il y avait d'abord 
le 34* verset du xiv« chapitre de Soint Luc: « C'est une 
bonne chose que lesel! » On citait encore le passage suivant 
du Rosaire d'Arnauld de Villeneuve; « Celui qui connaît le 
sel et sa préparation possède le secret caché des anciens sa- 
ges. » Aussi presque tous les sels connus furent-ils essayés. 



:j« Ii(n;TRU<|'::j et TIIAVAIX 

I>e m;I marin hil tort^U^nips regsnJi" comme le ^nuuîer »^mi. 
Le muiiir OdtniKir, *\m ♦^init It* f^reiuier c^llc c>pii)if»nt^'D 1 5rj0. 
rriiu\a lit* iiombroux [mrûiiiins, Kupecissa donna, après lui, 
un fïrtnédiî \tom la pn-parati^Ji! de la pierre avec le «el ina- 
liii. hi grand aiiniûnurde LouîïiXHf, Giibnel de lilioUii^iie. 
tfs>ureav*iir cpnmvé |Mir lui-mènir le^s L^ffab d'uoe [hciv* 
plitltfN>pliale préparée avec le sel niarm* 

\jn i^âlfiôirea jùiii d'une grande répulaiion , (uirce ({u nii 
irouve dans les Irois ré^mes , cenui s'accorde ave-c la Iripk' 
nature que hnaeelse accorde à la ttuiutessenee. C'était aassi 
l'opinion du Coj3yiij[iû1ile. qui appellt? le premier agent un 
mii niier; il esl vr^i r|u'il avail dit [^réciM'mt^iil le contraire, 
oonuiie n\m> Vd'ihmsde le voir , en parlant des métaux; mm 
il est bien entendu ipie nous ne nous arrel4ms pas ici a re- 
lever le» coniradictions des aleliiniistes. 

Le ^ilii<*l est, après le sel marin et le salpêtre, le sel \\w 
l'on fi le [dus tour mente pour en retirer la pierre pliilofio- 
(drale. Basile Valenitn a fwrsemé ses écrits de logngriplic> 
dont plusieurs dési*:jn en l leviirid. Tel e.<l le suivant; ïm- 
tnndtj inlerim'a Utvx , nxtijkandoque, invenies oœidttm 
lupidem, veram nmikiuum. En réunissant le^ preoiièrc> 
lettres de eliaf[ue lunt, ou trouve le mot Vilriolum* Il n'en 
fallait pas dovantaj^e [wjur faire admettre que le premier 
a^'ent réside dans le vitriol. H suffisait, e^uimeon le voit, de 
montni- aux nde[ilcs un c<^»in do la véril»'; li^ur imagînaliao 
faisait le resie. Mais nltt- îôh encore la vérité n'était ps là. 

Non e^>nlenls de s adreîsscr uujl [»roduits d origine raiiMi^ 
raie, les alchimistes oiU aussi longtemps élodié les subsian- 
f'f.'s fo ur n i câ pa r I es véyé ta u x . Les a u teu rs «^Tees recom ma n- 
daient le suc de la cliélidoine, sans doute parce que le^uc 
H la racine de celte plante présentent une couleur jaune qui 
rapfitdle celle de Tor; ISL'udo-lïémocrile jucM-rivail la [rriine- 
ierc el la rliulmrlie du Pont, Uaymomï Lulle indique, pnuc 
1*^^ Iransmulalions en argent, l' suc d<^s piaules lutmrùi vm0 
<'t iuiiuvm }ninui\ ai lai^ou >aus doute ile la couleur aiijeii- 





DË8 ALClIlMfSTBS. 59 

tée (le leurs gouss^es. C'est aussi avec ces plantes «fue l'alchi- 
uiiste provençal Delisle, au >dix-hmtièine siècle, prétendait 
préparer sa poudre de projectien. 

Hortulanus, au seizième siècle, donne le singulier pro- 
cédé que voici pour préparer la pierre par Vcmvre végétale : 

« On fait digérer, pendant douze joui-s, des sucs de luci-cunale, 
de pourpier et de chélîdoine dans du fiimier ; on distille, on obtient 
une liqueui* rouge ; on la remet dans du ftimier ; il en nait des vers 
qui se dévorent entre eux, honnis un, qui demeure seul ; on nourn't 
le survivant avec les trois plantes précédentes, jusqu'à ee qu'il soil 
devenu gros ; on le brûle alors et on le réduit en cendres ; sa poudre 
est mêlée avec lliuile de vitriol. » . 

C'est là la quintessence. 

Au dix-huitième siècle, la pierre philosopliale fut cher- 
chée dans les produits animaux: Tagent qui anoblit les mé- 
taux vils devait se rencontrer dans le corps humain , qui u 
la propriété d'anoblir les aliments, puisqu'il les convertit en 
organes. On faisait remarquer que la force de Torganisation 
produit quelquefois des métaux précieux , ce que témoi- 
gnaient suffisamment les histoires d'enfants aux dents d'or. 

Presque tous les produits du corps humain furent essayés, 
d'après les indications les plus vagues trouvées dans les an- 
ciens auteurs. On examina les os , la chair , le sang, la sa- 
live, les poils, etc. Le mercure des philosophes est désigné 
sous le nom àelaUdela Vierge ; l'expression de menstruum 
est souvent employée dans les écrits alchimiques; on chercha 
donc la pierre philosophale jusque dans le lait ([es vierges 
et le sang des menstrues * . Mais l'attention se dirigeait sur- 
tout vers les produits d'excrétion , parce que ces substances , 
qui séjournent longtemps dans les cavités du corps , de- 
vaient se trouver plus fortement imprégnées des forces vi- 
tales de l'organisme. 

L'urine, à laquelle on attribuait des propriétés bizarres 

' H. kopp, Gcfchichtê tUr Cheinie. 






m DOCTRINES ET THAVAUX 

dovinl , en prtieuli*ir , h sujei d'un grand nombre d'ex- 
(u^rieiices. On e.s|K'nùl beau(Mjup, au milhm du dix-i^plièmo 
siée le , en ex Ira ire un dissolvant de l'or* l/ubsli nation en 
lliausiaste avec laf[uelleles alcliimisles s'adonnaient aux 
eljerches sur ee lifjuide, en vue de l'œuvre transuiutaloire 
nous Qsi si^^nalue [lur un ouvrage qui fut publié en Ali 
intij^^nc sous lo litre de Sol sine veste(Vm' sam déguisemetit]. 

Cet ouvrage, d'un auteur inconnu, renferme !e récit d'un 
fuit qui démontre que ees expériences ëi nient poursuivies 
avec une ardeur qui alleignail quelquefois jusqu'à la fé- 
rocité. L'auteur la lenoit d'un abbt' ds Salni-Florian, à qui 
racleur principal de révénemenl l'avait raconte lui-mômc. 

Un religieux, coupable de meurtre, ayant été condamné à 
mort, le «supérieur du couvent, alchimiste passionné, lui offrit 
ïa griice de la vie à la condition qu'il se prtîlerait à toutes les 
expérience-s auxquelles on jugerait à propos de le. soumettre. 



ViMl souiïrir que mourir » 
C'est la devise des hommes. 






A 



\m moine accepta l'épreuve. On Tenferma dans 
chot, sans lui donner aucun aliment, et le supérieur lui 
ordonna de s'abreuver de son urine. Il obéit à celte dé- 
goûtante injonction. Mais, ï*ientot à bout de ses forces par 
la privation de nourriture , sa tête s'égara, il devint 
incapabïe de continuer celte abominable épreuve. L'émis- 
sion du li(|uide, rouge a force de concentration, était 
devenue si corrosive, qu'elle lui arrachait des cris lanieii- 
tables. Le malheureux (»xpira le cinquième jour. Alor.s 
le prélat, ayant recueilli la dernière liqueur, la soumit 
à ses expériences, et il prétendit y avoir nmslaté » les 
proprit' tés d'un dmolvtmt tmivenid. n 

iJais ce (>rélat u curiau, » eomme rappelle Orscball» 
garda son secret. On continua donc à chercher dans le 
même liquide le dissolvant du roi des îuélaux. 

Ce u*cst pas seulement sur le produit liquide des ev- 




DES ALCHIMISTES. 61 

crëtions du corps humain* que furent dirigées les folles 
recherches que nous signalons. On vit faire , à ce sujet, 
des opérations incroyables et qu'il serait impossible d'indi- 
quer en langage honnête. On ne manquait pas d'ailleurs 
de les justifier par divers passages tirés des meilleures au- 
torités. Ainsi Morien dit dans le dialogue du roi Kalid : 

« Je TOUS confesse, ô roi 1 que Dieu a mis cette chose en tous ; 
en quelque lieu que vous soyez, elle est en vous, et n'en saurait cire 
séparée. » 

Un grand nombre d'auteurs certifient que les pauvres 
possèdent la pierre philosophale aussi bien que les riches; — 
qu'Adam l'emporta avec lui du paradis. Toutes ces assertions 
ne pouvaient s'expliquer que dans Tidée à laquelle nous 
faisons allusion. Haimon dit, dans son Épître sur les 
pieires : 

ff Pour obtenir le premier agent, il faut se rendre à la partie pos- 
térieure du monde, là où Ton entend gronder le tonnerre, souffler le 
vent, tomber la grêle et la pluie ; c'est là qu'on trouvera la diose si 
on la cherche. » 

Maintenant, ajoute M. Kopp, à qui nous empruntons les 
citations précédentes, si Ton entend par monde le micro- 
cosme que Thomme représente, l'interprétation sera facile. 

Une fois lancés dans la voie de ces folies, les alchimistes 
ne devaient plus s'arrêter. Nous renonçons à donner une 
idée complète des aberrations déplorables consignées dans 
leurs écrits ; les délires de l'imagination , les désordres de 
l'ospril échappent à l'analyse; contentons-nous de quelques 
traits. 

On trouve assez souvent dans les auteurs anciens l'ex- 
pression de terra virgo, terra virgmea. Parlant de ce fait , 
quelques adeptes firent le raisonnement suivant : Puisque 
les métaux naissent dans le sein de la terre, la terre est la 
mère des métaux. Ainsi la terre vierge doit renfermer la se- 
mence ou le germe des métaux, c'est-à-dire la pierre philo- 

4 




m DOCTIUNES Wï TILVVAUX 

sof»liiiïu. Mil rheir lia «l(»iic celle terre vierg*!. Lu crcusiuit 
il ans le sol, et [ireiuuU àc: h tùrrc h quelque dislaiirf! de 
sa surface, on dîna il irodver la terriî vierge, or elle n'a 
[laîfsuln Itîconlai't ih la main do lliomme*. Mais jamais 
la lerr« ûVi se iroiua sufllsamnitînt vierge. 

ij. Suilil, riminorlel auteur de la ihéone du pldn|,nsli(|iie 
ri If premier Fonda Uîur de la véritable chimie, n*avaitpassu 
Si! défi'ndre dans sa jeunesse des absurdités alchÎDiiques ; il 
a prétendu que la pierre phîlosopbaie existe dans les vilraux 
rouges des anciennes églia^s. Ces vitraux doivent leur eou- 
leui' à un composé, le imuiyre de Cassius, (jui renferme 
de Ttu' au nombre de ses éléments, et c'est sans doute lu eir- 
cDnstîince qui avait fait naître dans respril de Slahl Topi* 
nion que nous venons de signaler. 

L(-*s ak'bimistes sti soul afjpliquéslon^'tâmpsà obtenir une 
matière qu'ils désignaient sous le nom de spirilua mufuU, 
âme du monde, a biquelle ili^ attribuaient une foule de pro- 
priétés merveilliMises qu'il serait fort liifiicile de préciser. 
Cette matière *^xîstaîl dans l'air: pour l'isoler, on eutrec-ours 
aux moyens les [>lus bizarres. On la cherchait dans tuiiles 
les substances qui restent lon^^emps exposées à raclion de 
Tair; dans Teau de ta pluie, dans la neiii^e récemment to*u- 
bée, dans la ro>ée. En i665, T, Ershant sourail à la sociéïe 
royale de Londres des observations sur laroat'e du moia (k 
mai. îKautres assuraient avoir étudié la malière des étoiles 
(liantes, qui, en traversant ralmospliére, absorbent le spiri- 
tm mundi. Et» lin, rétléehissant que les crapauds, les léiiards 
et les ser|>enls, privés de nourriture, vivent longtemps aux 
dépens de l'air, eldoivenl» par conséquent, condenser dans 
leur subslanee le fiinritm mundi, quehiues alchimistes f^ni 
fait jeûner ces animaux el les ont ensuite distilles pour reli* 
rerràfue du monde -. 



' IL Ki«e[i, Gnachkhîc éir Vfietitic\ 
• II. Kuj)|>, ibid. 



•( 



DBS ALCHIMISTES. 65 

Voilà dans quelles folies les alchimistes sont totnbés. Le 
principe qui servit de point de départ n leurs travaux n'avait 
cependant rien d'irrationnel et portait un caractère scienti- 
fique irrécusable. Poursuivi jusqu'à rextréinité de ses con- 
séquences, il conduisit à des pratiques insensées. On s'effraye 
à de tels souvenirs ; l'esprit de Tbonime est-il ainsi fait, que, 
partant d'un principe accepté par la raison, il puisse aboutir 
à la démence? 

Arrivons aux recherches pratiques qui se rattachent à 
l'alchimie mystique, ou qui en sont la conséquence. On 
peut les réduire, avec M. Ropp, à la recherche de Valcaext, 
de la palingénésie et de Yhorminculus. 

Valcaestesi l'idéal des menstrues, le dissolvant par ex- 
cellence, l'agent qui peut donner à tous les corps la forme 
liquide. Ce n*est qu'au seizième siècle que l'on commence à 
s'occuper du dissolvant universel. Paracelse le mentionne le 
premier, mais il n'en parle que*dans un seul endroit de ses 
ouvrages et de la manière la plus vague. Voici le passage 
original du traité De viribus membr&mm qui a introduit 
dans l'alchimie Tidée du metistrue universel : 

« Il y a encore la liqueur alcaest, qui agit très-efficacement sur le 
foie ; elle le soutient, lé fortifie et le présenrc des maladies qui peu- 
vent Tatteindre... Tous ceux qui s'appliquent h la médecine doivent 
savoir préparer l'alcaest. » 

Gomme tant d'autres idées lancées par le célèbre spagy- 
riste, Talcaest serait promptement tombé dans Toubli, si 
Van Helmont ne s'en fût emparé et ne l'eût enrichi d'attri- 
buts merveilleux, bien propres k séduire l'imagination. Pa- 
racelse avait prononcé le Doiii, Van Helmont.se chargea d'y 
attacher l'idée. C'est lui qui fit de l'alcaest le dissolvant 
universel auquel Paracelse ne songeait guère. Dans les ou- 
vrages de Van Helmont on trouve réunies toutes les absurdités 
qui furent débitées depuis sur ce sujet par les alchimistes. 



04 DOCTRINES ET TlUVAUX 

Van Helmont désigne ralcuest sous les noms les plus divers: 
r'est d'ahûrd nue eau, ensuite nn feu -eau {i{fnis'aqm\ un 
f(Hi il't^ifer {kpmgehmnît}; L*Y»st un sel, elle plus heureux, 
le plus parfait des sels {summum et felicissinmm omnium 
mlhmi); !e secret tJe su pn^pa ration est au-dessus de l 'habi- 
leté humaine; il n'appartient qu'î* Dieu de le révéier a ses 
élus; Van Helmonl Ta pt)ssédé;ce Iréserluifut reraisunjour 
par un inconnu, mais il ne pu l le rrmserver longtemps. 
Voici les propriétés que Van llelnioni afiirme par serment 
avoir reconnues aTalcaest; on pourra juger, d*après cet 
exemple, de rinrroyable assurance avec laquelle de5 sa- 
vants, très-recommandables d ailleurs, émettaient les asser- 
tions les plus hasardées: 

it Notjie nM'Ciiniipie m'a appris, nous tiit-iU 4ac toutes sortes 
i'Oi|)s, amw : ihs pieires crunniunes, é&i pierttis pri'cieiisiîs. de»^ 
r:ailkmit, du ststhle, âvs uiarnissiles, de Targrile, des briqties, du vem\ 
de In l'haiK, di» siiiifie el autres cliosi^jiseirdilables, peuvent êtretban- 
^fiHs eu UJU' sidjsLuiee sobible. le sais uu^iue CiVbiire en le ur princip 
li's chairs, les jw, lus |ilantes» li*s pissiuis vi Ituis autres lorp de cetto 
6S|>èce. Les métaux se dissolvrut jilus tbnicileraent à taose de leur, 
semence.,* Cette liqueur dissout tous b^s corps, excepte clle-ménie 
comme l'eau chaude fond la neige. » 

YanHelmontdi^eril avec tant d'assurance ses expériences' 
imaginaires, que l'on jurerait qu'il parle de vim: 

« Ayant miSr dit-Il, dn cliarhon decbi^ne et de Talene^t en patlielflfl 
é|fatesdaiisîmvaisse:njde venv seellé Iwrniétlqu émeut, je lis digérer*' 
ce mélange pendant trais jours à la cbaleur d'un bain ; au bout de ce 
temps, la solution se trouva faîte... Si Pou fait digérer, ù une cbaleuv 
modérée, de Falcacst avec des fragments de bois de cèdre, dans un 
vaisseau de verre bien scellé, au bout d'une semaine tout se trouve 
eban^é en une liqueur semblable ^i du lait, a ^m 

Il est facile de comprendre le parti que les alchimistes es-^ 
péraienl tirer d*uue substance qui dissout tous les corps. 
Aussi, dans le dix-septième siècle et jusqu'à la moitié du 
dix-huitième!, Talcaeslful-U cheîdvé, avec ardeur. Boerhaave 



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Te, 
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DES A!J:HI>HSTKS. 



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assure que Ton pourriitt fntro iint^ iMlfluitliéquit uvt^e im 
^eub écrits qui ont été publies a re m'ieU llnm mm imiè Uê 
secrelu ad^)torum, Verdenlril • rflppf>rUM/iijt/*ii U*n opi- 
; âaîâe» ^ur la Dature do mÊOÊHrué^mùvftm*}. i m ^r»wl 
^ d'aldiliBtfiei le lont viptéi de l'avoir démn^mi, 
ZTCifET d TMkeaâm fêmmi. s^fé du rriii^re dMlié i«ir 

i a*iteit MMdMtt tfmtym mt 
, M. fi 1 141 feu, Itti dk yitfi iifii h 

Ir 




66 DOCTRINES ET TRAVAUX 

de le coîisorver, pui$([uo, dissolvant toutes les substances, il 
aurait dfi dissoudre aussi la matière du vase qui le conte- 
nait. Personne n*avait encore songe a cela. 

< Si Talcaest, dit Kunckel, dissout tous les corps, il doit dissoudre 
]c vase qui le renferme; s'il dissout la silice, il doit dissoudre 
le verre qui est formé de silice. On a beaucoup discuté sur ce grand 
dissolvant de la nsiturc. Les uns le tirent du latin alkali est, les autres 
de deux mots allemands ail Geist (ospiit universel) ; d'autres le font 
dériver de ailes ist (c'est tout). Pour moi, je ne crois pas au dissol- 
vant universel, et je Tappelle de son vrai nom : ailes Lûgen heist ou 
ailes Lûgen ist ; tout cela est mensonge^. » 

Depuis ce moment il n'a plus été question de Talcaest. 

Les faits relatifs à la palingénésiè et à Vhomunculus ne se 
rattachent pas directement aux travaux du grand œuvre; 
cependant, comme les alchimistes seuls en ont parlé, nous 
devons en dire quelques mots. 

On entendait par palingénésiè Tart de faire renaître les 
plantes de leurs cendres ; Vhomunadus était un petit animal 
ou un homme en miniature fabriqué par les procédés spagy- 
riques. La première opération est impossible ; la seconde at- 
teint les dernières limites de Texlravagance humaine ; il est 
donc tout simple que les alchimistes aient trouvé ces deux 
problèmes de leur goût, que quelques-uns aient essayé de 
lesn^soudre, et qu'un plus grand nombre encore ait pré- 
tendu y avoir réussi. 

I^ croyance à la palingénésiè a dû probablement son ori- 
gine à cette circonstance, que, lorsqu'on dissout dans Teau 
les cendres de quelques plantes, la dissolution, abandonnée 
à elle-même, laisse déposer des cristaux dont quelques-uns 
peuvent affect€lr la forme d'arborescence. Au dix-septième 
siècle, plus d'un imposteur eut l'adresse de faire croire à cette 
folie: en semant dans le sol les cendres d'un végétal, on le 
voyait plus tard renaître et se développer. On comprend que 
tout le secret résidait dans un tour d'escamotage; il ne s'a- 

' laôora^rium chymijum. 



DES AliiniMÏSTES. 67 

gissail que de glisser adroitement quelques graines dans les 
cendres mises en terre. Malgré son absurdité, la palingénésie 
a compté chez les alchimistes un grand nombre de partisans. 
Elle s'est maintenue jusqu'au commencement du dix-hui- 
tième siècle, en dépit des attaques de Boyle, de Van Helmont 
et de Kunckel. En 1716, le médecin Frank de Frankenau 
écrivait encore un ouvrage spécial pour la combattre *. Con- 
vaincus d'imposture, les alchimistes se tirèrent d'affaire en 
disant qu'ils n'avaient pas entendu désigner une plante 
réelle, mais une plante idéale. 

Amatus Lusitanus est un des premiers qui aient parlé de 
Vhomunculus. Il assure avoir vu, dans une fiole, un petit 
homme, long d*un pouce, que Julius Camillus avait fabriqué 
parles procédés alchimiques. Paracelse (De naturâ renim) 
soutient que les pygmées, les faunes, les nymphes et les sa- 
tyres ont été engendrés par la chimie. Il rapporte le procédé 
qui permet de préparer l'homunculus, et de s'ériger ainsi à 
peu de frais en nouveau Prométhée^. Cependant les alchi- 
mistes eux-mêmes ont combattu cette extravagance. La fa- 
brication de l'homunculus est rangée par Kunckel parmi les 
non eniia chimica : « Homo, secj'etd ratione, in vitro, vel 
mpuUâ chimicâ, arte fabricatus, est non ens, » nous dit-il 
dans son Laboratorium chymicum. Ce qui n'empêchait pas 
les imposteurs et les alchimistes ambulants de mettre l'idée 
à profit. Ils assuraient que l'homunculus se forme dans l'u- 
rine des adfant^ ; qu'il est d'abord invisible et se nourrit 
alors de vin et d'eau de roses : un petit cri annonce sa nais- 
sance. On montrait même publiquement la formation de 
1 homuneulus. Le procédé consistait à glisser dans le vase 
quelques osselets d'ivqire , ou les présentait ensuite aux 
spectateursen disantque c'était le squelette de l'homunculus, 
mort faute de soins. 

* H. Kopp, Gêichichti der Chemie, 

' Voyez à la (Sa du Tolmne (Note I") le passage original relatif à YBa* 
fMmcukut eitrait des œtnrres de Paraeetee. 



♦IH DOCTRINES ET TBAVAUX 



CHAPITRE III 

PREUVES INVOQUEES PAIi LES ALCilINlSTE^ A lAvi'tJl 
DE LEURS DOCTRINES. 




I 




Passons l\ l'exposilion des preuves que les a!(^h'miistes in- 
vo((uaient on favonr ûq leurs doelrines. Ces preuves étaient 
déduites de la llinirie, tirées des faits d'expérie^c^3, ou em- 
pruntées à des Idiimigtiages historiques. 

Le priîietpe Ttabli depuis Geber sur la composition des 
Tuétniix, ropiuion généralement admise sur leur mode de 
générdlion, sont le fondement thé'oriquc de ralchimie- Si 
les méUiux sont d'une composition uniforme, on peut, 
comme nous Ta von s dit, espérer, ù Taide d'actions conve- 
nables, les transformer les uns dans les autres. Befiucoup 
d'auteurs comparent ce phénomène a la fermentation orga- 
nique: la pierre pliilogopbale, jouant, seïon eux, le n^ile d'un 
ferment, provoque dans les métaux une modification analo- 
gue à celle que le ferment excile lui-même dans les produits 
organiques. La c-omparaison est belle et Fidée plausible. 
Plusieurs procédés donnés par divers auteurs pour la prépa- 
ration de la pierre pbilosopbale se règlent sur cette sorte 
de fermentation de^ métmu^ et c'ast encore là l'argument 
<|u 'invoquent de préférence les partisans que Talcbimie con- 
serve de nos jours. 

Les faits d* ex péri en ce que les alchimistes présentaient h 
Tappui de leurs opinions étaient fort nombreux, lis étaient 
vrais presque tous, l'interpréta lion seule en était vicieuse. 
Ces faits varièrent d'atlleur.*; aux diverses époques de la 
science. 

Dans Torigine, les modificaiions que stibil la couleur des 
méliurx sous l'influence d'un grand nombre d'actions cbi- 



J 



DES ALCHIMISTES. 69 

iniques, furent considérées comme des indices de transmu- 
tation. Le cuivre exposé à l'action des vapeurs d'arsenic 
prend une couleur blanche; traité par Toxyde de zinc ou la 
cadmie, il revêt une belle teinte jaune d'or. Ces altérations 
de couleur furent longtemps regardées comme une trans- 
mutation partielle. Au treizième siècle, par exemple, saint 
Thomas d'Âquin nous dit, dans son Traité de Vessence des 
minéraux : « Si vous projetez sur du cuivre de l'arsenic 
blanc sublimé, vous verrez le cuivre blanchir; si vous ajou- 
tez alors moitié d'argent pur, vous transformerez tout le 
cuivre en véritable argent. » Par cette opération, le cuivre 
prend, en effet, une couleur d'un blanc éclatant, mais cette 
modification est due à la formation d'un alliage d'arsenic, 
d'argent et de cuivre, et non à une transmutation. 

On reconnut plus tard que le changement de couleur d'un 
métal n'est point l'effet d'une transmutation; mais on dé- 
couvrit en même temps d'autres phénomènes qui, à leur 
tour, mal interprétés, vinrent fournir un appui nouveau aux 
espérances des faiseurs d'or. Parmi ces faits, on doit citer 
surtout les précipitations métalliques Quand on plonge une 
lame de cuivre dans la dissolution d'un sel d'argent, le cui- 
vre se recouvre aussitôt d'une couche d'argent; dans une 
dissolution d'un sel de cuivre, le fer est immédiatement re- 
vêtu d'une couche de cuivre ; les dissolutions de mercure 
blanchissent un grand nombre de métaux et leur donnent 
un aspect argenté, etc. Or les chimistes ont ignoré jusqu'au 
commencement du dix-septième siècle que les sels renfer- 
ment souvent des métaux parmi leurs éléments. On ne 
soupçonnait pas alors qu'à la faveur d'une combinaison les 
substances métalliques peuvent exister en dissolution dans 
un liquide. Les précipitations métalliques étaient donc re- 
gardées comme de véritables transmutations ou comme des 
transmutations partielles que l'art pouvait perfectionner. 
Personne, par exemple, n'a compris, jusqu'aux premières 
années du dix-septième siècle, que le vitriol bleu est un 



< 



70 OOCTIïlNES ET TliAVAU\ 

r^)iH[K)so (le cuîvro, et qu'une tlissaluiion df^ cp. mi nVsi, h 
[>ro[)n*ni<mi parler, ([tie du ciiivro tlissous. Aussi U' di'[Mjt *lft 
^'uivre (|ui* Tou oblii^nt en ploiif^eant une lame de fer dans 
iino semblable' liqueur, esl-il donné couimc une preuve sans 
rt'jilique (h la transmu talion du fer en suivre par Paracelse 
el LibaviuH. 

Une circonstance qui a pu cnntribuer leauc^up à aeertHli* 
[er les erojances aux faits de iransmii talion, et à faire con- 
sidérer comme à l'abri de lous les doutes les opérations au 
moyen desquelles les arlisies hermétiques savaient produire 
de Tor, c'est T imperfection des procédés employées à celte (épo- 
que pour ranalys(Mlcs alliages précieux. Jusqu'au milieu du 
seizième siècle, on s'est borné, dans les hôtels monr^laires, a 
analyser les alliaffes d'or el d'argent par l'ancien procédé du 
ohnent roijal ou par le sulfure d'anlinmine ^ Le cémeni 
royal était un mélange de sel commun, de vitriol (sulfate 
de fer ou de cuivre), de nilre et de briques pilées*. Ce mé- 
lani^^e, jtar une suite de n'aciions que Ton peut analyser s^ins 
peine» donnait naissance à de Tacide cldorliydrique el à du 
chlore qui formait avec rarfçent un cldorure fusihle, tandis 
que l'or demeurait inalléré. Le sulfure d^antimoine, qui fut 
presque exclusivement en usage au moyen âge, comme nmy en 
docimastique, effectuait la séparation de l'or en formant avec 
Targent un composé fusihie et qui résistait à la cbaleur, tan- 
dis que Tor restait à l'étal métallique. L'or devait ensuite être 

* Hechfrrhês nur la méiallurgie du anciens, par L, Savol, ditip, vui, 
tlans le HecueUdifi ancmit minérahgUkt de FratfCBf j»ar Cobcl, 1171*, l. H. 

* Vie ciment royal éLiiît éL-ju cmuiii tlcsi Uornuin». VVmc nous dk, en ef- 
fet, i'U pjidiitii de ri^iXpbitation ilea mbios il'or en l^spajrn*" : « On jukce 
l'or avùi' dciiTt pflrlios <lci sol conirniin^ ti'ois rnrtiea «le my.ti (siilfAlc rlo fi*r 
<iiHÎr cuivro}^ el, de ooiivenii^ doux poulies irnn iiidiresel (sajis tloiité. h 
iiilirr'i et une pnrtie d'une fVn'vre appelée fichiste (terre firjiifileuse) : altïi*!; 
le m/'bniïe sVmpfire de linit ce qui estl l'inniper h V*w, et celni-ri de- 
mi^niv pin' : Tonftttr auntm m m mUa tjfHtmo pontïi're^ trififui nnfxeo, 
ft ri{riivtu fitm dttnhu» •^alii pfirtimtibux ft »na fapifîis qitfm sidiislon ro» 



J 



DES ALCHIMISTES. 71 

suuuiis ù une caicinatioft dans un creuset, atin de le dëbarras- 
siT de rantimoine qui s'était en partie combiné avec lui pen- 
dant la première opération. Pour cela, on dirigeait, à l'aide 
du soufflet, un courant d'air à la surface du métal fondu, 
atin d'en cbasser l'oxyde d'antimoine à mesure qu'il prenait 
naissance. Or ces deux moyens d'analyse étaient fort impar- 
faits, et il dut arriver bien des fois que Vor akhimUpw, c'est- 
à-dire l'or obtenu pendant les opérations des artiate^ierméti- 
ques, fut considéré par les essayeurs publics et les maîtres de 
monnaie comme de l'or pur, bien qu'il fût altéré par la pré- 
sence d'une quantité notable d'argent. Si, en effet, dans un 
alliage d'or et d'argent, la quantité de ce dernier métal n'est 
pas trop élevée, on conçoit que la présence de l'or en excès 
puisse défendre l'argent de l'action chimique des réactifs 
employés pour faire reconnaître sa présence. Nous n'hési- 
tons pas à croire qu'une partie des transmutations de l'ar- 
gent en or qui furent exécutées avant le seizième siècle, et 
que les auteurs de ces expériences présentaient souvent de 
très-bonne foi, peuvent s'expliquer par la formation d'un 
alliage d'or et d'argent, imitant par sa couleur l'aspect de 
1 or, et résistant comme lui à l'action des procédés doci- 
mastiques alors en usage. 

Au Commencement ou au milieu du seizième siècle, on 
substitua l'eau forte (acide azotique) au sulfure d'antimoine 
pour l'analyse des alliages d'or et d'argent. Mais ce procédé, 
bien que de beaucoup supérieur aux deux précédents, a pu 
encore donner prise à certaines erreurs. Tous les chimistes 
savent que Tacide azotique n'attaque pas un alliage d*or et 
d argent, lorsque Tôt y figure dans une proportion un peu 
élevée. Aussi, dans l'analyse des alliages du commerce^ est- 
on obligé, pour éviter toute erreur, d'augmenter artificiel- 
. lemetit la quantité d'argeht existant dans l'alliage : un 
ajoute à l'oV examiné trois fois son poids d'argent; de là 
î lettom d'inqmrtatioH^fovLT cette partie des opérations du 
' <ié|Nirt. Si Toa négligeait cette précaution, l'acide azotique 




72 DGCTBLVES ET TRAVACT 

resterait sans action disâolvault; sur l'argent contenu dans 
ralliage, ou ne produirait qu'une action incompléle. A une 
êpoqutî où ce fait remarquable était encore ignoré, on a pu 
commettre un grand nombre d'erreurs dans l'analyse des 
alliages précieux, et souvent considérer comme de l'or pur 
des lingois d'or alcbimique qui con limaient cependimt une 
quanlilë notable d'argent. 

Une autre catégorie île fîiits a encore a^vi ù entretenir 
longtemps les croyances alcbimiques. Dans un grand nom- 
bre d'opérations sur les métaux vils, on croyait voir se for- 
mer de toutes pièces de Targenl uu de Tor. L erreur prove- 
uiiil de ce que les matières employées renfermaient de petites 
quantités de ces inëtâiix précieux, que Tétai actuel des con- 
naissances chimiques n'avait pas permis de décider. On trouve 
dans la Somme de perfetlkm île Geber un excntple assçi 
curieux de cette erreur : ^| 

n J*aî vu, dit iJfjKir, â*'> iuiur> dv ruivrt' iliiiLs lesquelles de ;)elitc^ 
|pi*iLelles de ir nu'Ui\ fuieol *»ijtnimct*ï^ pi un (tn(r;ijild'>.;;iu qui pai- 
iiHicait lii iiiinr. Celle eau ayiiiit tari, les parcelles de vmrvv ileinei.- 
rêirnt Irtïis suis dans du s;ible sef. Je ri'coïinus» au liout de te nntii^j 
fju'elleN ;n;iient <Hé cuites et digeives jwr lu ihalein dti sideil et cbîut- 
f^ées en jailleltes tlW jiur.,. En iïiiitnnt la iialute, nous (aisyiis h 
Utèmv idtéiuliuiL j» 

IJuand on sut que tous les sables renrermeiit de lrùs*pe- 
tiles quantités d'or, on se rend aisémcnl compte du phéno- 
mène rîqiporté par Geber. Les paillettes de cuivre, longteuqjs 
alianilonnées au contact de l'air et de l'eau,, avaient peu a 
peu disparu en passant a l'état tle carbonate, gnicf a l'oxy- 
gène et à la ci de carbonique cuntcnt s dans l'eau ; plus tard, 
l(*s sables, sans cesse laves par le courant, avaient été entraî- 
nés a leur tuur, et avaient Uni i»ar laisser â découvert, pir 
ecqie ^orte de lévigution naturelle, les [letiles |mrcelles d'or 
qu'ils retenaient. Mais on ignorait au teurps de Geber la i>ré- 
>encp de Tor dans le** tables; l'expliration que le cbimisle 
«rabe nous donne de ce [dïénomcne était donc parAûtemenl 




j 



DES ALCUIMISTKS. 75 

naturelle. Une expérience du célèbre Boyle a été iort long- 
temps citée comme une démonstration sans répli(]ue du fait 
de la transmutation des métaux. En dissolvant de Tor dans 
une eau régale contenant du chlorure d'antimoine, Boyle 
obtint une quantité d'ajrgen tassez notable. Ce métal provenait 
du chlorure d'antimoine, qui retenait une certaine quan- 
tité d'argent. En 1609, Bêcher proposa aux états généraux 
de la Hollande de transformer en or le sable des dunes ^ 
Cette proposition, qui fut examinée par des chimistes habi- 
les, sur l'ordre du gouvernement hollandais, ne fut rejçtce 
que par la considération du mauvais état des finances du 
royaume, qui ne permettait point de consacrer aux o|)éra- 
lions les dépenses nécessaires. Or les divers traitements chi- 
miques auxquels Bêcher proposait de soumettre les sables 
marins n'a>^ient d'autre résultat que de mettre à nu la 
quantité d'or infiniment petite renfermée dans les sables. 
Bêcher prétendait égg^ement, en calcinant les argiles avec 
de rhuile, les changer en fer : c'est l'opération qu'il nomme 
Minein arenaria peiyetua. Le métal que Ton obtenait ainsi 
provenait de l'oxyde de fer que contiennent les argiles, la 
matière organique réduisant 1 oxyde à l'état métallique. En- 
fin, dans un nombre infini de cas, on a cru avoir fabriqué 
artiliciellement du mercure. Valerius, Grove et Teichmeyer 
rapportent un grand nombre d'exemples de cette prétendue 
mercurificatian. Juncker, dans son Conspectm chemix, les 
résume avec beaucoup de clarté. 

Ces erreurs, fondées sur l'imperfection de la chimie ana- 
lytique, se sont maintenues pendant toute la durée du siècle 
dernier; elles ont dû contribuer beaucoup à retarder la dis- 
parition de l'alchimie. En 1709, Homberg assurait que l'ar- 
gent pur fondu avec le sulfure d'antimoine se change en or. 
On ne reconnut que longtemps après que l'or provenait du 
sulfure d'antimoine, qui en retient toujours une certaine 

* Physica subterranea Becfierii. 





71 iH)i:riUM:s ar t(iavai:\ 

fjuantilé. Ein 1786, Gyyli>ii de xMuiv<^aiJ, cun 11 miaui Tasse 
lion d'un wiêdecin de Casse! , annonça que l'argi-nifondiiaver 
rarsenii'' s<* l'hangc en or. 11 fut démontré ensuite (|U(^ l'ar- 
^mk (le Salzbourg» que Ton avait employé, élaîl aurifère *. 
Aiiibi les fail5 présentés aux diverses époques de ralelïi- 
mie» pour jusiiiier le pnncip<> de la transmutation, étaieni 
tous réels; leur expliealioïi seule ét^it erronée. Â une ("'po- 
ilue où aucune Ibéorie ne pouvait rendre un compte exact 
(le la véritaMe natun* des altérations intimes des eorps, rien 
i\"était plus naturel que de prendre pour des uiéiaux certains 
composés i\\n offrent avee eux une n^ssemblanre d'asperl. 
Les ebimisies de notre époque n'ont-ils pas, pendant vinf;l 
six ans, considéré rom me des métaux un oxyde, le proloxvile 
d'urane, et une combinaison azi>tée, l'azoture d(^ litane .' 
Ajoutons que Vidée ile la composiiion des métaux n'avaii 
en^îore rien que de plausible en elle-môme. En présence de 
mille transformations, dc^s moditicatipns incisantes ([ue su- 
bit la matière, cette peusée de la composition des métauv 
(*st la senle qui ait dA se présenter aux premiers observateurs, 
I»'ailleurs,pHr un revirementétran^nHUblen de nature a nous 
inspirer de la réserve dans rappréeiali(m des vues sri(*n- 
lîiique» du passé, la ehimiede nos joui's, après avoir pendani 

' CW 1*111 i^uile d'une eneur du iii<îiiic genre qu'un diimistc de nos 
joïirs, M. Tiltercau, «Inrit iiou:* aurons à padei- ilaiis 1;i suite de cet ou- 
vrage, aflirnio qui', dnns k^ ex piTi entes donl il a raninniiiiqué à diverses 
reprises les l'esuUnls îj rAcEnletnic des scîruces, il produit de l'or juMiticiel- 
kmetil. En dissulvaut dan^ T acide azaOque de I ai}ieiil réputé pur, M. Tif- 
fereau Irouve, ctuiiiue tv^idi de 1 nctiou dissolvante de lacidCj de très- 
niniim<!« quaTiUtê>: d'un t t'iîidu mêtalliffuc ^cdulde duus l'eau régale, L'opu- 
PHteur arfiraie que ce tnéiid est de lor, et que cet or provitivl de la 
IraiismuLiilion d uue partie de l argent dissous. Si ce résidu métallk|uei 
iiisnluble dan^ l'acide azotique, e:st ruelletncuL de 1 or, coninie on raOinne» 
cela firouve seulement que i^argeut employé eoutenail des traces de ce 
métal précieui.. Il est assez curieun de voir des L-lnmiâleA de notre temps 
être victimes de la même erreur que les cliimisle-i des derniers siècles, et 
.s'apj)uyer aur des inenaclitudes de ranalysie cliimiquc pour uiaiDlenir le 
'fiit erroné de la UuuâmutatM.ui des métaux. 



DES ALCUÎMISTES. 75 

cinquante ans considéré comme inattaquable le principe de 
la simplicité des métaux, incline aujourd'hui à l'abandon- 
ner. L'existence, dans les sels ammoniacaux, d'un métal com- 
posé d'hydrogène et d'azote, qui porte le nom d'ammo- 
nium, est aujourd'hui admise d'une manière unanime. On 
a réussi depuis quelques années à produire toute une série 
de composés renfermant un véritable métal, et ce métal est 
constitué par la réunion de trois ou quatre corps différents. 
Le nombre des combinaisons de ce genre s'accroît chaque 
jour et tend de plus en plus à jeter des doutes sur la simpli- 
cité des métaux. Concluons de cet examen que les faits em- 
pruntés à l'expérience offraient des caractères suffisants de 
probabilité pour donner le change à l'esprit des observateurs 
etautoriser ainsi leurs croyances au grand phénomène dont 
ils poursuivaient la réalisation. 

Le dernier et le plus puissant argument que les partisans 
de lalchimie présentaient à l'appui de leurs doctrines était 
fourni par des faits historiques. La théorie et l'expérience 
justifiaient dans l'esprit des savants le dogme de la transmu- 
tation des métaux; mais, si l'alchimie n'eût appelé à son aide 
que l'autorité scientifique dont le témoignage, toujours con- 
testable, n'est accessible qu'à un petit nombre d'esprits, il 
est certain que son règne n'aurait joui que d'une durée 
éphémère. Après quelques siècles d'infructueux efforts, elle 
eût disparu pour faire place à des conceptions plus utiles ù 
l'avancement et au bonheur de l'humanité. Si, au contraire, 
dès le seizième siècle, 1 alchimie pénétra au cœur des socié- 
tés, si elle trouva dans toutes les classes et dans tous les 
rangs des prosélytes innombrables, si elle devint enfin la re- 
ligion scietitifique du vulgaire, c'est que, vers cette époque, 
des événements étranges vinrent étonner au plus haut de- 
gré rimagination des hommes. A la fin du seizième siècle el 
au commencement du siècle suivant, se montrèrent à la fois 
sur divers points de l'Europe un certain nombre d'individus 
se vantant d'avoir découvert le secret tant cherche de la 



r 




7(j llUCrniiMiS KT niA\ MX 

hCUTifo lun"uuUii|ue, el prouvanl [uir ilt^s U\a>, vn nj>(jajt'Tic<^ 
i rrt'Lusîi b le^ , I a rëa I i lé d t* et; lie ii përa lion du ^^Ta» d œ u v r e 
«j uni la sciwicu afctvptail ïa dnnntn* et It'^'itimail fVs|n(ir, ^J 
i>ii trouvera, dans \i\ iTomènw [n\nm de cet uuvrage, h^| 
rëcil des ésunetnetilasin^iiliurs qui oui excite en Europe un|^^ 
si lun^ueémolidn, el eoulribué a eulretenir si ImijiJflemps la " 
eruyauct' aux lliéories et i\ La pratique de la IraiisuiuUUiuu 
des niétouît. Il nous sufiit, puur le moment, de nous en Jiip^i 
porter ;*ux souvenirs de nos lecteurs. Ajoutons seulemenl 
t|ue les témoigua^'es historiques iuvoqnes iiar les alebimisles 
l^uur établir lexistenee de la pierre philusopbale consti^H 
tuaient à leurs yeux la déiiionslralinn plus liclalanl*' de It ■ 
terlitude du f,q;md œuvre. Et pour les partisans que lalebi- 
mie continue de conserver de m^s jours, ce genre de (irenve 
est encore sans réplique. Scbmieder, professeur de philoso- 
phie à Malle, qui a réuni avec le plus grand s^»iu tous les faits 
de transmutation *^ n'bésîte pas a diielarer iju*à moins dere- 
euser dans tous les cas l'aulorité dit témoignage des Imnimeb, 
il faut reconnaître quau dix-septième el au dix-lmitèmc 
s i (H* le. 1 se r r e t d e fa i re d e T o r a ëti ' t v^ » u vè . l ( fa i t r e ma n | o < t 
que les iransniula lions les plus étonnantes ont ê lé exécuteur, 
non par des alchimistes de [irofession, mais par des per- 
sonnes étrangères qui reçurent d'une main inconnue de pe- 
tites quantités de pierre philotîO|»hale. En rapproehani les 
dates, Sclimieder s'efforce de prouver que trois adeptes, qui 
se Iransmirent successivement leur secrel, ont été les seuls 
auteurs des transmutations qui, au dix-septième el au dix- 
huitième siéclej ont étonné rAllema^me. 

Il sei%iil puéril de prendre celle argumentation au sérieux 
(H d'en faire une réfutation en règle. Nous nous bornerons 
H une réflexion qu ont faite d avance tous nos lecteurs. î/im- 
posture et la fraude hircnt tout le secret des bé-ros alchinii- 
fjues : e'e^l en trompant avec art b contiance des spectateurs 




• Vtëchichle thr Àkh'ume. Ualk, 18oïi. 



DBS Ai-CniMlSTES. 77 

qu'ils réussissaient à émerveiller la foule. Us profitaient de 
rignorance ou de la oonfiance de leur auditoire pour glis- 
ser, parmi les ingrédients nécessaires aux opérations chimi- 
ques, des composés aurifères qui, détruits par l'action du 
feu, laissaient apparaître Tor. Nous ne rappellerons pas les 
mille manoeuvres employées par ces artistes émérites pour 
assurer le succès de cette fraude, Ténumération en serait su- 
perflue. On connaît suffisamment aujourd'hui les merveilles 
de l'art prestidigitatoire, et les tours de Robert Houdin nous 
ont dévoilé la nature de bien des mystères qui étonnaient 
nos aïeux. Les nombreux faits de transmutation qui ont tant 
agité les esprits pendant les deux derniers siècles appartien- 
nent, selon nous, à cette catégorie. En admettant, d'ailleurs, 
ces événements cx)mme avérés, il resterait à expliquer com- 
ment la découverte de la pierre philosophale, si elle a été 
faite une fois, a pu tomber dans l'oubli ; comment, depuis 
un siècle, elle ne s'est plus reproduite ; comment enfin In 
perte de ce secret a précisément coïncidé avec le perfection- 
nement de la chimie. 



CHAPITRE IV 

riKCOnVRRTRS CniBlIQUBS DES PHILOSOPHES HRRMKTIQURS 

Il est juste maintenant de considérer à un autre point de 
vue les travaux des alchimistes. Si la science hermétique n'a- 
vait eu d'autre résultat que de faire tourner les esprits dans 
le même cercle d'aberrations et de folies que nous avons dé- 
crit plus haut, elle n'eût point mérité d'attirer sur elle les 
souvenirs de l'histoire et de la philosophie. Mais, malgré les 
longues erreurs dont elle a subi la triste influence, elle s'est 



r 




7H nOirrHlNIiS KT THA\ ALX 

la-ijuiH à nuire r*;e(»nnaîs4>âJice livs 'Irniis inPonlosUiblrs. Il 
i}sl vn eff**t iiJïpossililr «]** uimmui^HliT i[ue raîcliimie a trè>- 
rJirectemeni (•ontribut'ii ta en^'ilion H aux progrès dt^sscieii- 
ros f)lïy$iqiiPsriLrjrlerûc*s. Los alehimiâtes OQt le$; premiers niié|l 
(H\ [inittqn^' In tnéllir>fl^ l'XjM'jimrritale, c't'iil-à-dire TiiUser- 
vatioii et l'in<ïuntion appliquées auxrecher<*he;iscipntilit[ut»s; 
ih plus, 1*11 r^'unii-îsaut un nombre considérable de faits et 
ii^* ibTOUVfi'lrs (hius Tonlrt; des ai'tions niitï<'culaires des 
*'<ir[>s, ils ont ani<^ui' d'une manière nn^e?isaire la rn'fitinii 
de la cliimie. 

Celait, ijue b>s alebimistes ont (*lë les premiers in venieunî 
iIp la mêlbodeexpèriiuontak*, cest-à-dire de lart d'obsiTver 
el d'induire, dans le but de parvenir à la snlnLînn d'un pro- 
blème scienlifujuii, est à l abri de tous les douU^s. Dès le bni- 
lièm<* siècle, l'Arabe Geber metùiit en pralique les règles de 
Tècole expèri ment air dnni Calibr et FraiRois JSaeiin ne de- 
vaif^iU promulguer <iue buit siècles plus tard le eode [«ratique 
et les pn*ceptes ;(ènti*aiîx:. Les ouvrages de Geber, la Sonwje 
ûe ferfection et le Traité àe$ fourneaux, renferment la des- 
eriplion de procèdes et d'opérations en tout conformes aux 
moyens dont nous faisons usage aujourd'bui pour les recber- 
cbes cbimiqufes ; et Roger Cacon, au treizième siècle, ap- 
[diquanl le même ordre d idées a l'élude de la plwsique, 
èlait conduit à des découvertes* étonnantes pour son temps. 
On niî peul donc nier que les alcbimisles aient les premiers 
inauguré l'art de rexpérienco. Ils ont prèpan'* ravênement 
des science» positives en faisant reposer rinterprètalion des 
pliénfiïuènes sur rexamen des faits, et rompant ainsi d'une 
manière ouverte avec les tniditîonsnn'tapliysiqnesqui depuis 
si longtemps enebaînaienilessor des esprits. Mais faut-il con- 
clure de là ciue c'est aux alclumisles que revi«*nt le mérite 
lie la révolution sei(*nlirujue accomplie au dix-septième siè- 
cle, et dont rojânion générale rapport!^ riniliali\e et Tbon- 
neur à Galilée, à ïïacon et à Descartes? Faut -il iltîpouillrr ces 
gramls liominesde la liante reeoiinaissi*ner ilout k* piiso^nié 




DES ALCHIMISTES. 79 

^^iiroiiBe ieufs Doins, et déclïinT, {tar exoinplt*, av(H* un 
êcrivaiii qui s'est tout récemment occupé de C('U(M|ut*stinn *, 
que le poiat de départ de la méthodo expt^riincntah*, et |>ar 
cnDsêqueot U véritahle création des scicnn^s niOil<'rn(*K, »p- 
[lartienneDt à Albert le Grand et à son t^poquc, c*<'st-ii-<lin* au 
petit nombre d'bommesqui se consncraicnl, au troizirtiM* «ili^- 
de, à l'étude des sciences naturelles? Nous uv U*. p(*nHonK 
fi^iint. Les recbercbes des alchimistes, diri^t^'s dans un but 
unique, n'embrassaient qu'un champ des plus étroiu. Unu^ 
tentatives, toujours isolées, restèrent sans rotetitisKeinent, 
sins imitation au dehors, et ne donnèrent naissance n rien 
qui ressemblât, même de loin, à une école philosoplii(|ue. 
Ils firent des expérienct^, mais la méthode expérinieiilale 
ilemeura pour eux un mystère. Il faut donc s<aenir eni^anle 
ici contre les dangers de Texagération. On tombe, selon nous, 
dans nne grande erreur de criti(iue, (|uand on pn''t(!nd n*- 
c'amer l'honneur tout entier d^uno idé<; piiilosopliique pour 
quelques hommes qui n'ont entrevu cette idée qu'à la faviMir 
de quelque accident et sans pressentir en ri(5n ses eonsi*- 
quences ni sa portée. Reconnaissons aux alcliitnisies je mé- 
rite d'avoir les premiers eu recours à l'observa lion dans Té- 
tade des faits physiques, mais n'essayons pas de les présenter 
comme les créateurs de la méthode philosnplii(|ue, dont r.ij)- 
plication devait, plusieurs siècles après eux, inétamoiplioser 
le monde. 

Si les titres des alchimistes à la création de la nu^hode ex- 
périmentale ne peuvent être sérieusouient soutenus, il en asi 
tout autrement quand on considère les services (ju'ils nous 
ont rendus en préparant les éléments qui étaient nécessaires 
i\ la création de la chimie. Ici, rien ne |)enl devenir l'objet 
<run doute. Obligés, par la nature de leurs explorations, de 



> Poiichet, Hûloire den sciencen nalurelUs au niuytii dtje, ou Albert A- 
Gmnd et 9on éftoffuey vomitiéréë comme point fie (iffidii lie frlrole e.r/ien- 
menlale. 1H.V». 







SO rxMTRÎNES ET TRAVAl X 

i^oumeUre â une étuile atu^ntive inut^.<i li^ aciîons nioli'cuhii 
res des porps^mple? ou rnmpniii^i, ifs ont éie naturellomont 
conduite à rassf*mbler un nombre con^iklôrabb' de faits; H 
ces olj5«?rva lions, fniU de quinze cenis ans de travaux, eoti- 
«ïlituentles matériaiisde riîû[k>sant rdifîce dont nous admi- 
rons c-iujounrhui la force et l'l»armf»nie. 

Im eoup d'flpîl rapide jeté sur les travaux des niaîlres les 
plus rèli"*bres de Tari hermélif|ne va nou«; montrer rjnp r\Ni 
bien à eux qu'appartiennent une f^rande partie des dtVou- 
vertes qui onti^eni a constituer ta chimie. 

Geber, Tun des idus anciens écrivains de l\icolp hermé- 
tique, a présenté le premier des descriptions pr»»cises de 
no«i métaux usuels: du mercure, de Targenl, ilu plomb, du 
cuivre et du fer: il a laissé sur le soufre et Tarsenic des ren- 
seignements [pleins d'exactitude. Hans son traité (ff Akhimid, 
on trouve dt^ observations de la plus bautein>pnrtancepour 
lacbimie. Gebery euseij^ic \u pré|>araiion dereau-forie, celh* 
ih Teau régale: il sifmaleraction dissolvante que rpai^forli' 
exerce sur les métaux, ei celle de l'eau réj^ale sur l'or, Tar- 
^'ent et le s^lufre, Dans le mtoe ouvn^^e, on trouve décrils, 
pour la première fois, plusieurs composés clMiuiquesqui, 
depuis des siècles, s<^mt en usage dans les lahoratriires cl h^ 
|diarmacies: la pierre infernale, le sublimé corrttsif, le pn'^- 
cipiié roufïe. le foie de soufre, le lait de soufre, etc. '. 

Pendant le siècle suivant, l'Arabe Rliasés découvrit la 
pré-paraiicm de Teau-de-vie et recommanda plusieurs (^répa- 
ra lions pharmaceutiques dont rexcipiemesiralcoiiL Parmi 

* VfiHT luire usaire des siibsliiuces inHivrïle* d^kninedes par lo iliimie, 
hi mi'diL'jne ^L les arls nvnirnl hf soiUt tlif»ï K*s Anlïos. ifoltletvir l'anlo- 
ritatîoti i\n (çoiivemcmii'iir t^es knlih faisaient itro^s^er, ;i cet elIVt, iitie 
\hie- des inédicamiinls aatorist's il nu U^bloau dos siibslancps i ecoiinnr^ 
Viin'iieiises. Lorsqu'au iiPiivR^mt^ sitdc Saliol-Khïi-Sahel, dirpclciir tk' 
l'ik'Ok de Dschonài$afiOttr, |nibliii son lirahatUn ou IH^pfnxairf magistrat, 
il lie til i|irenrt^iTi^trer n,n'*lii«i|hiin tm^iil r,-* qiin (es liii^isiinli'rifMi.t.s ivuiriil 
nnvti'. 





DES ALCHIMISTES. 81 

li's composes nouveaux dont parle Rhasès, on peut citer 
forpiment, le réalgar, le borax, certaines combinaisons du 
soufre avec le fer et le cuivre, certains sels de mercure for- 
m('S indirectement, plusieurs composés d'arsenic, etc. 

La matière médicale d'Aben-Guefith et le Hawi de Rhasès 
donnent une juste idée des ressources considérables que la 
médecine retirait déjà de la chimie naissante. Rhasès, qui 
dirigeait les études scientifiques à Bagdad et à Ray, avait fait 
tous ses efforts pour diriger ces dernières dans la voie expé- 
rimentale. « L'art secret de la chimie, disait-il, est plutôt 
a possible qu'impossible. Ses mystères ne se révèlent qu'à 
(( force de travail et de ténacité ; mais quel triomphe quand 
« Thomme peut lever un coin du voile dont se couvre la 
« naturel » 

♦ On doit à Albert le Grand la prt'paration de la potasse 
caustique à la chaux telle qu'on la met en pratique dans nos 
laboratoires « . Le même auteur décrit avec exactitude la 
coupellation de l'argent et de l'or, c'est- à-dire la purification 
de ces deux métaux au moyen du plomb. 11 établit, le pre- 
mier, la composition du cinabre en le formant de toutes 
pièces au moyen du soufre et du mercure. Il signale l'ef- 



* Dans son ouvrage sur Albert le Grand, M. Pout bel semble vouloir 
disculper c l'Aristote du moyen âge» du reprocbe d'avoir pratiqué l'alchi- 
mie. La proposition paraît difficile à établir, quand on se souvient qu'il 
existe deux ouvrages d'Albert le Grand traitant de Palchimie {de Alchimiù 
et de philoeopkorum Lapide). La citation suivante, empruntée au premier 
de ces ouvrages, montre sul'tisamment que le grand Albert partageait, sur 
ce point, les croyances de ses contemporains : « J*ai connu, nous dit-il, 
« de riches savants, des abbés, des directeurs, des chanoines, des physi- 
« cicns et des illettrés qui avaient perdu leur argent et leur temps dans les 
« recherches de cet art. Néanmoins cet exemple ne m'a pas découragé. Je 
« travaillai sans relâche, je voyageai de pays en pays, en me demandant : 
« S>i la chose est, comment est-elle? et, si elle n'est pas, comment ne Tosl- 
« elle pas? Enfin, j'ai persévéré jusqu'à ce que je sois arrivé à connaître 
«t que la Iranêmutation de» métaux en argent et en or est possible : donec 
< l'fwmi eue poseibilem transfnutationem in solem et ïunam. » 



m DOCTIIINËS KT TliAVAUX 

Tel il(* U chaliHir sur l'etal i>[iysi(|UP du tioufi^, et cIim'im 
inrn exactiludiî la t>rëparalion de la ceraso el dn minium, 
(' e 1 1 es I U' ! ' u c< ' la 1 1^ d t ' r u t v re *■ l i 1 e l * nve ta te de p I < » m b . Kx po- 
sniil av'<T soin Il*s piupriétés di* l*eau-farle et son iiction sur 
li*s uiélaux, il nous signale, le |ireniiei\ le parti que Wm 
peui eirlirer dans l'o[^ératit)ii du dt'[iailpour eÛV'ctuer la 
séparation de l"or et de l'argent dans les alliages precioux. 

lloger Bacon, la plus vaste intelligence que TAnglelerre 
ait possédée, uludia fa nature plutfJt en physicien iju'eti 
ehiuiiste, et l'on sait qurlïes df'cou vertes extraordinaires il 
e?técuta dans celle parlie de la scie née : la rectïTication de 
Terreur cùnunise sur le ealendrjer Julien, relativemeni à 
rannée solaire, — l'analyse pliysiijue de riictiou deslenlilles 
el celle des verres convexes, — Tinvention des lunettes à 
l'usage des presbytes, — eelledes leulilles achromatiques, — 
la ihëorie, el penHHre la première construction du lëles- 
copo, ele. Des pr iucipes et des lois qu'il îtvait posés ou en- 
trevus devait sortir, comme il le disait lui-même, un en- 
semble de faits inatlendus. (Cependant ses investigations dans 
l'ordre des phénomènes chimiques ne sont pas restées sans 
prolit pour nous. Roger Bacon étudia avec soin les propriéK^ 
du salpêtre, et si, contrairement à Topinion commune, il ne 
ht point la découverte de la poudre à c^non, décrite en ter^-^B 
mes ex pi ici tes par Marcus Grajcus cinquante ans avant lui,^fl 
au moins eontribua-t-il a perfectionner sa préparalion, en 
enseignant à purifier le sal[ïétre au nniyen d(^ la dissolution 
dans l'eau et de la cristidlisation de ce sel. 11 appela aussi 
rattention sur le rtMe chimique de l'air dans la combustion. 

Baymond Lui le, dont le génie s'exeerça dans tontes le-^ 
branches des connaissances humaines, et qui exposa dans 
son livre, Ars maffm, tout un vaste système de philosophie 
résumant les principes encyclopédiques de la ^eience de son 
temps, ne pouvait manquer de laisser aux clûnâstes un utile 
héritage. Il perfectionna ei décrivit avec soin divers compo- 
^(jtti sont très eu usagccnclùuùe-, c esl à lui que nous de- 



j 



DES ALCHIMISTES. 83 

vons la préparatioi^ du carbonate de potasse au moyen du 
tartre et au moyen des cendres du bois, la rectification de 
Tesprit-de-vin, la préparation des huiles essentielles, la cou- 
pellation de l'argent et la préparation du mercure doux. 

Les ouvrages qui portent le nom d'Isaac le Hollandais, si 
estimés de Boyie et de Kunckel, renferment la description 
d'un très-grand nombre de procédés de chimie, qui, bien 
que dirigés d'après des vues alchimiques, sont restés dans 
la science comme la suite des travaux de Geber. Habile 
fabricant d'émaux et de pierres gemmes artificielles, Isaac le 
Hollandais décrivit sans arrière-pensée ses ingénieux procé- 
dés pour la préparation de ces produits artificiels. 

Tout le monde connaît la découverte remarquable que ren- 
ferme, relativement à Tantimoine, Touvrage célèbre de Ba- 
sile Valentin, Cumis tnomphalis antimonii. L'alchimiste 
allemand avait si bien scruté les propriétés de ce métal, à 
peine indiqué avant lui, que Ton trouve consignés dans son 
ouvrage plusieurs faits qui ont été considérés de nos jours 
comme des découvertes nouvelles. Basile Valentin d(^crit, 
dans le même traité, plusieurs préparations chimiques d'une 
grande importance, telles que ïespritde sel, ou notre acide 
chlorhydrique, qu'il obtenait comme on le fait aujourd'hui, 
au moyen du sel marin et de Thuile de vitriol (acide sulfu- 
rique). Il donne le moyen d'obtenir de l'eau-de-vie en dis- 
tillant ^le vin et la bière, et rectifiant le produit de la distil- 
lation sur du tartre calciné (carbonate de potasse). Il ensei- 
gne même à retirer le cuivre de sa pyrite (sulfure), en la 
transformant d'abord en vitriol de cuivre (sulfate de cuivre), 
par l'action de l'air humide, et plongeant ensuite une lame 
de fer dans la dissolution aqueuse de ce produit. Cette 
opération, que Basile Valentin indique le premier, fut sou- 
vent mise à profit plus tard par les alchimistes, qui, ne pou- 
van ^comprendre le fait de la précipitation du cuivre métal- 
lique, s'imaginaient y voir une transmutation du fer en 
cuivre, ou du moins un commencement de transmutation que 




Hv uo(:tium:s i:t ïwwm \ 

l';«rL [MiiiWMl perriM'tioîim*!'. !j* Tmitr nvr ltK< ^Hs iIii niAmp 
liulpnv iHulifHjrftphia) rniilipnl b (li*seri|>unn<li* honiieoupdi^ 
Jails rhimif[iips inliHvssrml^îi propos rl<'> roni|insi'< salins. On 
y lnniV4^ PïiniriMlt'nîtrs lii pn'jfanuinn «n It's pniprii'tis «^x- 
l^losivistlc l'w fulminaiiL En Vi\\r\nnnl (liff<'Tmih*s pnrlits iki 
l'ftrps fie riM*rmi;o et (h*s finimnux, H irailîunt l<^ proiîna m- 
rinriê par clc l>sprit-tle-virK Hasilo Valcnlin oliliniail plu- 
sieurs sols ii nsiftîon nlcalirip. On [^nit rnnsidiH^nr rot al- 
rhimistB Ciinimo ayaot le profîiier obtenu !\Hhor snlfnriqnr, 
produit fpi'il pn^parait en distillant un nic^ï^vn^^t^ d'pspril- 
lie-vîn el«riu(ik!JcvilrîoL EntinTiint. [^armi les pn-pîjnuions 
(4umiqi)f^s nmnnDs diî son temps, \\ on l\si peu sur Insquo!- 
les Basile Valt'niin n'aitnbserve des faits utiles àenre^'istrer. 
Ainsi, avant la heîiais.san(*(% du creuset des alidiiniistês 
liaient déjà sortis rantimnine luétallique, le bisiiiulh, le 
foi** de soufre, l'aicali volatil et les divers composés mercn- 
riels» e'est-a-dire b^srompnses ebimirjues les plus actifs de 
la matière nn'dicale. Les alrbiuiisli^s savaient volatiliser le 
mercure, purifier et concentrer ralconl; ilsoblenaienl Tatide 
sulfurique; ils préparaient IVau ré^rale et diffiTentes sortes 
d'étbers; ils purifiai eut les alralis llx(\s et carbonates; ils 
avaient découvert !e nrioyen de teindre en écarlale mieux que 
nelefonllesnuMÏernes. l/oxygène.dont Priestbry ne démon- 
tra rexisteU('(M[u'à la lin du siècle dernier, avait èlë devinéau 
{juinzième siècle paruu alcbimiste allemand , Eckde Sulzbacb . 
Paracelse, qui a le premier fait connaitre le zinc, s'est at- 
tiré ime réputation innucnseet méritée en introduisant dans 
la tui'deciîie l'usage des composés chimiques fournis par les 
mét^'iux. A la vieil le tbéra peu tique des galénistes, surclmrgt'cde 
pïvparatlons compliquées et souvent inertes, il substitua les 
iiiéHiieanieuls simples fournis par la cbimie et ouvrit le pre- 
mier la voie audacieuse des applications de celte science a la 
physiologie de rhomnie et à la patbolof^ie. 

Van lïelmonl, qu'il est permis île rant;cr ici partni les aU 
cliimisles, non qu*il se soit livrée aux praliqnesdu graTidani- 



^ 



DES ALCn.MtSTES. 85 

vre, mais parce qu'il ne dissimulait pas sa croyance à la 
pcssibilitédes transmutations métalliques, est l'auteurde la 
découverte chimique la plus importante de son siècle, la dé- 
couverte de rexistence des gaz, fait capital sur lequel de- 
vaient s\nevcr plus tard les théories de la chimie positive. 

Rudo|pheGlauber,qui, à l'exemple de Van Helmont, crut 
ù la vérité de i*alchimie sans s adonner à ses pratiques, est un 
«les écrivains que Tancienne chimie doit citer avec le plus 
d'orgueil. Ses ouvrages sont remplis de descriptions remar- 
quables par leurs détails pratiques, fl est peu de points de 
la science sur lesquels l'auteur de la découverte du sel ad- 
mirable, celui qui a le premier posé le précepte de ne point 
rejeter comme inutile, comme caput mortuum, le résidu des 
opérations chimiques, n'ait apporté le tribut de son expé- 
rience et de sa sagacité. 

Le dernier auteur célèbre qui ait professé Talchimie est 
Bêcher, qui, en coordonnant les faits épars dans la science, 
en créant un essai de système ou de théorie pour l'explica- 
tion des phénomènes, prépara la révolution scientifique qu* 
fut, peu de temps après lui, accomplie dans la chimie par 
rillustre Georges Stahl. 

Nous aurions pu étendre beaucoup cette liste des décou- 
vertes chimiques émanées des alchimistes, en rappelant des 
noms moins célèbres que les précédents dans les fastes de 
Fart. Nous aurions pu signaler, par exemple: J.-B. Porta, 
découvrant la maiiière de réduire les oxydes métalliques, 
décrivant la préparation des fleurs voxyde) d'étain et la ma- 
nière de colorer l'argent, obtenant enfin, après Eck deSulz- 
bach, Tarbrede Diane; — ralchimisteBrandt, découvrant le 
phosphore pendant qu'il cherchait la pierre philosophale 
dans un produit du corps humain; — Alexandre Sethon et 
Michel Sendivogius, son élevé, s'attachant, tout en cultivant 
l'alchimie, à l'étude des procédés chimiques applicables à 
l'industrie, perfectionnant la teinture des étoffes et la confec- 
tion des couleurs minérales et végétales ; — enfin Bôtticher, 



< 



Kfi IKJCTUlKJiS O TlïAVAL'X 

i'iifermi* comme ak-liiiiJi^h^ ivbelk Jiuis mu^ forteresse Je ta 
Soxe, et decQuvranl le seertl d<* h prëpralinu de la porce- 
hnit". Mais rriiuiurmliôii qui [^rôeinle sutTil à l*(*bjoi tjuc 
îiouj; avii>iis en vue» 
I C'est donc avec lo secoure des découvertes nombreu^s ef- 

fecl liées par \ps îilehiuiisleî> que lïi eliiuiie moderne a pu st» 
constituer. Sans duuti^ tous ces fails ne se raitacliaienl entre 
eux par aucun lien commun: ils ne composaieni point un 
ensemLlesystemati([ne, eUHî pouvaient en eonsequenee offrir 
les caractères d'une science; mais ils fournissaient les clé- 
ments indispensables à la crt^alion d'un sy^jtème scientifique. 
C'est grfkce au puissant empire qu^exerea sur les espritii 
pendant quinze cx*ntsaus, la grande idée de latransmulalion 
métallique, qu'ont pu s'accomplir les travaux préparaloira-^ 
qu'il fallait rassembler pour asseoir sur une large base le 
monument de la cbimie. Avant d'arriver à se convaincre 
que la pierre pbibsopbale ëlait décidêiuetrl une cbimôre, il 
faibli passer en revue tons les faits accessibles à lobserva- 
lion, et lorsque, après quinze siècles de travaux, ît vint ua 
jour où il fallut reconnaître Terreur dans laquelle ou ratait 
tombé Jl se trouva ce jour-là niènie que la cbimie était faiu^ 
Cbimisles de nos jours, ne portons pas un jugement intp 
sévère sur les pbilosopbes heronHiques, ne nous dépouillons 
pas de Inul respect envers leur antiffue iÉ^^Mlagi' : insensén 
ou sublimes, ils sont nos véritabl(N aïeux» Si l'alebimie n'a 
pas trmivé ce qu'elb' cbl'rci^ail, elle a trouvé ce qu'elle m* 
cliercbait pas. Ivllc a éclumé dans ses bmgs efforts pour la de- 
couverle de la [Hcrre pbilosopbale, mais elle a trouvé la cbi- 
mie,, et cette comjuète est aulrenu^nt pnkneus<' i|ue le vain 
arciin<! tant poursuivi par lo passion di" nus pèn^s. 1*1 cbimie 
a transformé en sources inépuisables de ricbesses des pri'S4*nts 
de lUeu jusque-là sans valeur; elle a allégé le pi'uible poids 
des maux ijui pèsent sur lliunianité, perfeclionne les coudi- 
lions matérielles de notre existence et agrandi les limites de 
noire M'tirîté morale; c\, s\ AV Vi^ îowfevu<^ ^jas la pierre 



jt 



DES AumwriH. r 

))bilosapliale des aneiei» adepiM, M» ei»n*»!iiiii* <iii îhmu •• 
«lire, la pierre philosophak éen mcinn**. 



CHAPITEE V 

AD\-EHS11BES DE l'aLCBDIIC. — WàCAâÊXM MU WtaUi'Ht MOmvtftiflf.i 

\l nous reste a rechercher de ^«eikt mktku»f» \»^ 'Siù^ti»^ 
relatives à la transmotatkMiiies» oiétiffi «^ tt^tkt t^fiMv^ffit v»n. 
à peu de la science, comiDeai elle» <Mtf vitûm ÙRMi}:% (i^* mi 
les progrès de la r^iscm foUifpy^. 

Bien que l'alchioiie ait crHMdwi-, futui^fc, k\ v^^x-n^ji 
nombre de siècles, on drjgoi^ «tMùlbidor «l •>«>iMti-u.«4i'. 
accepté, elle a cependant, à Ums^ M^ -M^.i^ti*^. t^ii^^.nrj' 
sur sa route de sérieox adv^rvurvè ^^i«: j» i .•2.^ ..«tijc^nt^o 
inutile, devait finir par y: (airt wm:!^, A41 v^**'-^^**:^* 
siècle, à une époque où eU« hnlbif 4»* VMti y.ai ^ a*:, vut^i- 
ques esprits plus rigourevx /«ipyr^iî^ifti 4»- in ti^*udUKiU»!'. li' 
ce nombre était un phyMci^s A^ Ftttw*- l^*^i> k^ hM cl- 
LoQibardie, qui composa, eo f ^30. dab^ i<i ^ ai» ck PuU d* 
la province d'Istrie, un outn^** rLijuuiijU' : îtutut/riiu ^r- 
tioM (la perle précûuse ttrtmni d intruàâuctwm m lu rétu^u 
Pierre le Bon se servait, pour atDkqu^rT !;• ciiiiult'. Jtr.^ iiiiu*- 
lie son époque, c'e^t-âMlire det^ kr^uisM^txiB lal'•oJuut*^ [i<a l«i 
philosophie scolastique. Voiict, par eiLt^ple, J*uij df^ m liu 
^ismes que Pierre le Fh}i»ieieji oppoot^ » la jralite de 1 akLi- 
oiie : «( Aucune suhstanee ne peut éu-e tj'auï^foi'mcH:' tu uu<' 
« autre espèce â moins qu'elle ne li^it aupamvaut réduite *^kà 
k ses élémoits; or l'alchiinle ne procède pas aiui^i : dune ell<' 
M. n'est qu*une science imaginaire. » Kt ailleurt^ : « L'or ei 
€ Targent naturel' œ sont pàs Jes mêinet» i^ue Tor <d V \àVM^n^ 





8s nninniM'S r;i tîia\'ai x 

M arUli(H(*ls; (lonr. » W. Mnh w qui ulo un pou ii l,-i vnlriir 
lïps nr;2[ijmenls di^ niaîin* Pi^^rm k Pion, r\\si que, dans le 
rfm[Mln" stiivnnï du uirnio oiivrn;«(\ raulpur, afin de nionirer 
louie î;rMi bnliileLi' dîrus l'emploi de la dtniecli*iiie, s'iiUadu' 
:i prouver, (>îir des arguments în\ (M'si^s. f|ue ralcdiniie est 
ïiiie iicîence [>osilive. 

1.11 poésie est^ayail aussi, à la niêiue époque, d'a[»porter 
son S(^coyis aux atîversaires de l'alelnmie. Le?; <lernières ëdi- 
tinns du liornau tk la Ilose renferuiûnt deux écrits aldu- 
miijueît, en vers, que l'on atlribuo à Jean de Meung, snr- 
nnnune Glopinel, qui vécut ii h mm de PliHiiqie le llel en 
i|ualtté de poëte ilu roi, et termina le Htmian de la llosi\ 
eomnieneé par Guillaume de Lnrris. Dans les deux écrits doui 
nous pai'l<ms, Jean de Meung clierelie a mettre en («vidence 
les erreurs contenues dans les ouvra^çes des aleliimisies de 
s^iu temps. 11 met en scène la Nature, qui s^:^ [daint dV^lre 
trop né|:,diî?ée par les alchimistes, et les engage k s'occuper 
d'elle eomuic le seul moyen d'arri\er a de bons résultais : 

CofiiiDii NaLute'Siï {■om|ilninl 
Et *lit NI douceur c?l mn plaint 
 un^ iol soiiflf'tir &{»pliîstlr[ue 
Qui Ei'tise qae cTarl mËcanique. 

Te! est ïe sommaire de la partie <lu pnéme inlilulrkî : les 
Hemontrancesdela Nature à talvhimifîterrrauL La Nature 
lait entendre a ralclnmîste quelques vérités un peu dures, 
ainsi qu*on peut le voir par le passage suivant : 

Je pnrlt^ ù luy, ml rBnaliqiii^ 
Qui te «lis ni nnmmn (Hi piiiclî^pie 
AleliimÎ5tc et [jon philosaplie : 
Kl Iti nn^ sejavnir no es lof le, 
Nn IhcMMiqnc, uc science 
De Tart. ne de moy coiip;noi séance 
Tu rniiips uihmbk's, grosse liestc, 
Kt hi tislc s clin r lion <|iiï l'*:nlej^ie ; 
Ta f uis «lumn, uilrc, Htnimerj?, 
F^^nds roelaiilx, hrgsks orpimenls; 



DES ALCUIMISTES. 89 

Tu tais grands et petits fourneaux, 
Abusant de divers vaisseaux. 
Mais au faict je te notifie 
Que j'ai lionte de ta folie. 
Qui plus est, grand douleur je souffre 
Pour la puanteur de ton soufre. 
Par ton feu si chault qu'il ard gent, 
Guides-tu fixer vif-argent, 
Cil qu'est volatil et vulgal. 
Et non cil dont je fais métal? 
Povre homme, tu t'abuses bien ! 
Par ce chemin ne feras rien, 
Si tu ne marches d'autres pas. 

L*alcliimiste reconnaît sos torts, et demande humblement 
à la Nature le pardon de ses erreurs. Cette réponse de Tal - 
chimiste est annoncée en ces termes dans le sommaire de la 
seconde partie du poëme : 

Comment l'artiste, honteux et doulx, 
Est devant Nature à genoulx, 
Demandant pardon humblement 
Et la remerciant grandement. 

f/alchimiste repentant attribue ses erreurs aux préceptes 
f.iux contenus dans les livres de ses confrères; il promet en 
même temps de prendre la Nature comme le seul guide dans 
s«s travaux. 

Comment me pourray-je guider 
Si vous ne me voulez aider? 
Puis dictes que vous doiz en suivre, 
Je le veulx bien; mais par quel livre? 
L'un}? dict : Prends cecy, prends cela ; 
l/aiiti'p dict : Non, laisse-le là: 
Louis mots sont divers et obliques. 
Kl sentences paral)oliques. 
En elTet, par eulx je voy bien 
Que jamais ja ne sçauray rien. 

Il serait superflu d'ajouter que dans le siècle où s'élevè- 




m IKXITRINES ET TRAVAUX 

rent cos faibles réflamalions, elles Jurent trouver pu dn 

faveur. 

Ce n*eî?l qu'au j^eizieme siècle qué les adversaires de raJ- 
chimic commenrèrenl à se faire ëcuuler. Ils essayèreol, par 
deux voies différentes, rie s'opptiser y ta diffusinn de ses doe- 
irînes et îmx tristes consécjuenees qu*elles amenaient a leur 
suite. D'une pari, ils s'attachèrent û démontrer, à Faid*' 
d*arguiTients scientifiques, qu'il <itait inipossilïle d 'opérer la 
iransmuiatiun des métaux; d'autre [mjl, ils essayèrent di* 
mettre à nu les fraudes emphayëes par les adeptes pour faire 
iToire à l'existence de la pierre pliilosopliale. 

Tlmuias Éraste, dont le traité Explivatio parut en 1572, 
est l'un des premiers qui se soient attachés à démontrer le 
néant des opinions alchimiques. S'éJevant iwec force contre 
les doctrines de Paraeelse, il combattit par de puissants ar- 
guments la théorie des alchimistes relative à la composition 
des métaux, et s'efforça de prouver ainsi qiu* la transmula- 
lion était une cpuire impossible, 

Uerman€onrin|jfius, dans son ouvra^c»^ intitulé Hermetiat. 
reproduisit les arguments de Thomas Kraste, et fut un peu 
mieux écouté que son modèle. 

Vcrner Rolfink, mais surtout le savant jésuite Kircher, se 
montrèrent, dans divers ouvrages, eimemis déclarés de l*aU 
chimie. 

Ce[jcndant toutes ces voix de la raison et du bon sens ren- 
contraient peu d écho dans Tesprit des contemporains en 
proie à une passion trop violente. Peut-^trc aussi les argu- 
ments invoqués par les adversaires deralcîumie mam|uaiêiit- 
ils di^s qualités suf lisantes pour opérer une conversiuu si dif- 
licile. Afin de donner une idée fidèle de ces discussions, 
nous allons dêtadier de la PhijJiique amttetrame de lîechei- 
une curieuse page, dans la<)uelle ci't écrivain prétend réfuter 
un argument que les adversaires de l'alchimie avaient élevé 
cimtre la ri^aliti* de celle science. Ou verra par cet exemple 
dans quel espiil et sur cptel ion s'i'verr:iîenl ci^s dispute^. 





DES ALCHIMISTES. 91 

On avait opposé à Bêcher, contre la réalité de l^alchimie, 
Targument suivant, qui avait produit, à ce qu'il nous assure, 
une impression considérable sur les esprits : 

« Si Talchimie, avâit-on dit, était un art existant réelle- 
ment, le roi Salomon l'aurait connue, puisqu'il possédait, 
selon les Écritures, la sagesse réunie de la terre et du ciel. 
Cependant Salomon envoya des vaisseaux à Ophyr pour y 
chercher de l'or, ^ il leva des ta^^s sur ses sujets. Or, si Sa- 
lomon avait connu la transmutation des métaux, il n'aurait 
pas eu besoin, pour se procurer de l'or, de recourir aux 
moyens précédents. Ainsi Salomon n'a pas eu connaissance 
de l'alchimie. Donc Talchimie n'existe pas. » 

Voici comment procède l'auteur de la Physique soiUerraine 
pour réfuter ce redoutable argument. Il accorde la majeure, 
c'est-à-dire cette proposition que le roi Salomon possédait 
toute la sagesse de la terre et du ciel,1)ien cependant qu'il lui 
paraisse douteux que la sagesse de ce roi embrassât la spé- 
cialité de toutes les connaissances humaines, attendu, ce 
qu'on peut nier, qu'il n'eut pas connaissance de l'imprime- 
rie, de la poudre à canon ni d'autres inventions qui lui sont 
postérieures. Mais Bêcher rejette formellement la mineure, 
c'est-à-dire que le roi Salomon ne possédât point la pierre 
philosophale. De ce que Salomon a envoyé des vaisseaux à 
Ophyr, et de ce qu'il a imposé des contributions à ses sujets, 
on ne peut nullement conclure, nous. dit-il, que ce roi no 
possédait point la pierre philosophale. L'empereur LéopoIdP^ 
qui a fait de l'or, comme chacun le sait, a-t-il pour cela di- 
minué les charges qui pesaient sur ses sujets? D'ailleurs, 
l'expédition d'Ophyr est-elle un fait bien établi, à une épo- 
que où l'on ne faisait pas encore usage de la boussole? Con- 
nait-on parfaitement le but de cette expédition? En raison 
même des mystères dont elle s'entoure, elle serait plutôt, au 
(lire de Bêcher., une preuve que Salomon possédait le secret 
(le la transmutation. Ne voulant point fabriquer de l'or 
dans ses propres États, Salomon a fait exécuter cette opéra- 



n DOCTRINES ET TU A VAUX 

tiim dans un pnys vmsiti, piur fnin' pnsuin* nppfirieren Ju- 
{l(}p !\jr firlirieiellpmonl firoduit. En pfffU (|U(*ls h'ums le rm 
Salniiioii aui.'iil-il pu nlfrir i^n écliiiuge (h* (?oï or, i\m\ IVm 
(irët(*ntl tiMnr ote ra|»|Hirté «l'Opliyr"? lWrf|iioi ces expi*Hi- 
liiins n'iinl-^lks |Htini eonlinuë mn^ Rôboam, soo sucresseurt 
En réstiinc, fîficherdenHMin^ronvnincii qnt^ Solonion a connu 
le îîPfrfîl de la science liermeliquo, mnis que «a haute sagesse 
Ta empAcliê de le tlivulguer. Ainsi cette iirgumenlatkm. 
drmt nn avait fait tant de bruit mnise l'exislcnre réelle di^ ta 
pierre pliiltisophale, e^t de tout point mal fmidée. hh 

Veilà eommenl, au tlix-septième siècle, on disi-ntail h^ ' " 
piiinïs ce ni reverses de la cliimie. t^'elail inu jours, ceninie ou 
le voit, la vieille forme du sophisme scolastique : Un rat est 
une syllabe, — - nr une syllabe ne mange pas de lard, -— 
donc un rat ne manjL,'e pas de lard. Argument f[ui ne se n'^ 
tonjuait *jue par finvefse : Cn rat mange du lard, — or ue 
rat est une syllabe, — donc une syllabe mange du lard. 

Au eommencement du dix-linitiùme siècle, lesadversains 
de l'aleliimie ïiroc(Mcrent un peu plus sérieusemeui il?m< 
teurs attaques. Les écrits scieutilîques diriges contre ses [vriu- 
cîpes augment^renl en nombre, sans néanmoins produire 
l'neore beaucoup d'impression. C'est que les moyens d'argu- 
rnentaiion ciaient toujours bien indirecii;, et que b?s ouvrages 
destines à les propager portaient de bien singuliers titres. 
M. Kopp signale les traités suivants comme ayant été (►eriis ;'< 
celte époqU(M*onîre b-s partisans de la science bermêtiipic. 
i< J. Ettner, nous dit M. Knpp, attaqua falcbimie dans deux 
ouvrages. Le [vremier parut sous ce litre, le CkimiaU' di'- 
voilt' (rEchitard fhh'h\ dtms lequel mnt relalres Ut mMuin- 
eHê et rimpûslnre des ad(*j)les. — Le Sfuje mêdifhwl 
d' Eekliftrd j'ulHe (ni U^ Chfirhtan dévoile (1710). Un aulro 
«uncuii drs alcbiniistes, J.Scbmid, écrivait tm 1700: L\'l/- 
rfihnisleqni porte mt mauvais jugement mr Moïse, prouvfiul 
ddus une relftlimi appuyée sur lefi Éeritnres que Mmse. [itt- 
rid, Sditmifm, Job et Efie, nunt pas été adeptes de lit pierre 




DES ALCUIMISTES. î^3 

pliilosaphale, ouvrage par lequel Schmid croyait donner le 
coup degràceàralcliimie. En 1702, parut un autre ouvrage 
inliinlé : Fanfares d*Élie f Artiste, ou Purgatoire allemand 
(le V Alchimie, écrit par un enfant de Vidipudi, qui veut 
mettre à nu Vhonneur des gens honorables et la honte de 
ceux qui sont bouffis d^m^gueil *. » Les partisans de ralclii- 
raie ne laissèrent pas ces écrits sans réponse; ils répru|uérenl 
j»ar des ouvrages ornés de titres aussi fantastiques que les 
précédents. C'est ainsi ({u'en 1705 parut : Délivrance des 
philosoplies du purgatoire de la chimie, c'est-à-dire CritlquCy 
au mmi des philosophes, de trois feuilles dHmpreMions vi • 
cieuses récemment piMiées. Et en 1 705, en réponse au même 
traité de Schmid : Démolition et conquêle du Purgatoire al- 
chimique, annoncée par l'ordre du pape chimique, au son 
d'une trompette d'Èlie l* Artiste et de toutes les batteries 
élevées sur iîle des injures. 

Mais le meilleur moyen de s'opposer aux résultats funestes 
amenés par Tabus des pratiques alchimiques, c'était de met- 
tre en évidence les nombreuses fraudes employées par les 
adeptes fripons pour abuser de la crédulité du public. C'est 
une lâche à laquelle les adversaires de Talchimie ne tirent 
point défaut/ Dans son Explicatio, Thomas Éraste avait déjà 
dévoilé les impostures des charlatans alchimistes, et fait con- 
naître les tours d'escamotage à l'aide desquels ils savaient 
mélanger de l'or aux métaux vils mis en expérience. Otto 
Tackenius, dans son Hippocrates chemicus, publié en 1660, 
dévoila aussi les tours d'adresse de ces empiriques. Nicolas 
Lémery, dont le célèbre Cowr< de chimie, publié pour la pre- 
mière fois en 1675, demeura si longtemps le code des chi- 
mistes praticiens, s'attacha à mettre les mêmes faits dans tout 
leur jour. Mais ce qui produisit l'impression la plus profonde 
et la plus utile sous ce rapport, fut un mémoire présenté en 
1722 à l'Académie des sciences de Paris, par Geoffroy l'aîné, 

' Uetcfiichle der Chemie. 



r 





!I4 1ïO€rHI\BS ET ÎKAV ALX 

sous fe litre : Ikë Sfupertkefies totuœiimnl Ut pien-e phi 
wphaie. 

9 II Kii^iiilà souliaiter, Jil (feofTroy.qunnn-t ih* troiii(>er fût imf* 
li^riJifllt ignoii^ *les iMimmi-?^, (ians [miie^ sork^?< fie professions. Miiis, 
IHiiâqne Tavidilê insaliahli' du iiairi 0Tig'Jt;p wn' [xiHie dos liomirif^s w 
iiiullre ret :i[1 en |ij;!li«jut' iruiiv intînilt" de m:iTiiêri's ilill*>reTites, il e>t 
de la pitideiiee de cheirher ii ci»rm:iili'e ers Hïiiesi tie f ni y des poui s*eïi 
j^aiJîitii . Dans l;i cliiuiie, lu pieiTC |>ïiilosoplîaïe ouvre lui très-Vîihle 
eli:iTiip ;i l'ituposliue. L'idée dc:^ nchesses iiuinen5<'s qu'on noiu^î jun- 
iiieU parle njtnen île celte pient% frnpjM' \iventenl rinia^njiEiiiou des 
lMïnïine>. Ouiun*\ d*:tiitemN» on crtiil faeileiiienl re ijiiVm sonlmik', 
le déî^M de jJtîSR'der celltî pieri*e |i«ite bienlôl I espi it ;i en croire la, - 
ItossihilJlé. HN 

ic Dans eeUc disposition où se tmuvent î:i pln|ï;ni des eî*jM îlti aa^ ' 
Mijel de celli' pierre, s'il sunieiit ifih-lim'un qui assure :tvoir hiit 
relie laïueuse itpéraliou rui quelque iuitre préjiî*rHtiim qui y lon- 
ilui^ep ifui fuirl*' diiu km iuiiiosant et avee quelque ap|iaieiire du 
r*iisoii, vi qui uppnie stîs faîsoimeinents de quelqnt^ exjwnenirs» on 
rêeonle fa\ (ira hle ment» on ajoute foi h ses diseouiv, on î^e laisse suj-- 
jireiKlre psu' h*s piTstigt*s ou fiar des expériences tout i\ fait swlui- 
saiiles. que ta duinie iui Itmiuil fibondauniienl; enlin, ce ipii est 
|ilus sui|jrenaiil, i>u s'aveujLde HsseK pm' se ruiner, en avan^-ajit des 
scmiuïes fousidéraîiles à ces sortes d iniposteni'Si r|uip' sous difïm'iih 
pcf'textes, nons di'iuandonl de r;u^^enl, iJont ils distant avoir besoin, 
ifans le tenqts niéiiie qn'ils se ViyiM'iit de |H>siiéiti'r une source de ti-é- 
soî-s iné|uikiljlcs. 

« Quiiiqu'il y ait quelqut-^ imtniVi'nîi*nt à inetti'é au jour les litjni- 
[HH'ies don! se sen eut C(^s inq^is^leiu^» parce que quekjues p'rsoniU'is 
(louir^iieiit rii abu^t^r^ il y <*n a r^pndant bcauroup plus a ne les jkis 
tihv cotuïaitre, puisquVn les détouvianl on t'uq>eibi' un très^grand 
nonibie de gens de s<^ laisser séduire par leui^ liuirs d'adîTessc. ^H 

€ C'esl donr- dans la vuv d'enipèeher \v [tnblie de se laisser ab wB 
sej- par rts prétendus pliilosivplies rlunii^les que je r,ip[«u'lc ici les 
ïirinri[3aiix moyens de IrouqM r qu'ils ont coutume d'employer, et qijL^ 
sojit venus à ma connaissance. ■ |H 

Guaffroy érmmère alors la nombreuse série des «lojens 



DES ALCUIMISTES. 95 

frauduleux employés par les adeptes pour opérer leurs pré- 
tendues transmutations <. 

Dévoiler les fraudes des alchimistes, c'était, sans aucun 
doute, un moyen excellent de prouver à tous Tinanité de 
leur prétendue science. Ce fut là, en effet, le coup le plus 
certain porté à une science qui commençait d'ailleurs à dé- 
courager ses défenseurs par la longue série de déceptions 
qu'elle avait infligées à leurs espérances. Ln événement qui 
produisit beaucoup de sensation en Angleterre contribua 
encore à ouvrir les yeux du public et à démontrer la réalité 
des accusations portées contre les adeptes. En 1785, le chi- 
miste James Price, qui avait dix fois exécuté avec succès des 
transmutations publiques, soumis par les membres delaSo-. 
nété royale de Londres à une surveillance plus sévère, et 
pressé de -manière à ne pouvoir tromper les assistants, s'em- 
poisonna sous les yeux mêmes des personnes convoquées pour 
être témoins de ses prodiges. Ce fait produisit à cette époque 
beaucoup d'impression en Angleterre; nous en rappellerons 
les principaux détails. 

James Price, homme riche et savant, était médecin ù Guil« 
ford. Il s'occupait de chimie, et son nom est resté attaché, 
dans cette science, à quelques travaux intéressants. Mais 
il eut le travers de se jeter dans les folies alchimiques, et 
il $*imagina, en 1781, avoir réussi à composer une pou- 
dre propre à changer en or le mercure et Targent. Mais 
cette poudre avait dé si faibles vertus, le profit qu'on pou- 
vait en retirer était si médiocre, et les expériences si péni- 
bles, qu'il hésita pendant deux ans à rendre publique sa 
prétendue découverte. Il se décida néanmoins à la confier à 
quelques amis. Le père Amlerson, naturaliste zélé et chi- 
miste habile, les frères Russel, conseillers à Guilford, et le 
capitaine Grose, connu par quelques écrits sur Tantiquité, 
furent ses premiers confidents. 

' Voyez à la fin du volume (Noie 11) le texte complot de ce Mémoire 
de Geoffroy. * 



m m)\:n\m$ lt tiia\al;x 

A uiesurt! iiue le bruit de ses opérali^ns se luiiariJail au 
ilrhiirs, Irire s'enliardissait lïavjmlajjto, et il finit par ac- 
(jurrir une contiancc tin lui-nièiiie qui lui avait nKini|ue 
jusque-là. Dti l'yrt de se tromper soi-niônie ii l'art de Iroiiï- 
|M"i les autres, il n y a tju'nn pas. Kn t78!2, rrieenionlj-aità 
(|ui voulait liîs \uïv deux poudres reui^^e et Llanelie avee 
l<*si[uei!es il trausrauailù volume les niétanx vils en argent ou 
en or. Il exeeula |ilusienrslra(isuiuUitionspuMii|ues, et, poui 
répondre (Pune juanièrepèn mploire aux ubjeetions ([u'( Iks 
a vaieut provoquées, il institua une série d'eit[K*rieueesqiii 
fil ri' ni rxéeuUk's 11 Guilford < la us son labura luire, eu présenee 
d un ^raud nombre de personnes distinguées (Je la ville, (les 
expériences, qUi durèrent deux mois, consistèrent surtout a 
a^ir sur le niereure ou sur les amal*,'anies, au moyen de ses 
lieux piiudres. h'i>|M"rateur transmuait à volonté ee métal en 
argent ou en or. ïl faisait souvent usage (rbuile de napble 
[Jour ajouter au mercure, qui devenait mat et r'pais par son 
iiiélangeavcc co liquide. Le borax et le ebar))on de hm> 
jouaient aussi un rôle comme ingrédients dans les opéra- 
lions. Les expériences ne donnaient en général que de pe- 
tites quantités de métaux précieux ; mais, dans la neuviéiitt.^ 
séance, qui eut lieu le 50 mai 1782, et dans laquelle on 
laissa le ehinVisle opérer seid, on obtint, avec soixante onee> 
de mereure, un lin^^ol (rarf^ent pesant deux onces et demie. 
La quanlilé de poudre [ibilosopliale emfdoyée fut de douïi^ 
^^ains. Le liut,Mïtd'ar>j[eut provenant de cette expérience fui 
offert en présent au roi d'Angleterre, George lïl. 

Pourdruiïier toute publicité à eesexpérienees, Jautcs l'riec 
en lit imprimer, a Londres, les proces-verbaux détaillés soai^ 
le titre de UeliUiondi^ queiquefi expériences mv le mermir, 
l'vr ft ruTifenl*. Ces [irocès-verbaux portent la signa lun- 



1 




* An tw ouitl àf Mtnu' exfitrifufntii tm mtccitrtj, aiiver ami tjoUf Httpk oi 
fituiford in nttttj ITH'i, m tftv iafioralont af Jamais l'rke. M- IV V. ï\.'> 



J 



MS Ari:HIMLHTI.<f. r 

des principaux témoiss de& exp«*hHnf!Ks» . 'iiiin* U*^ m^mît ili* 
Hussel, Amlerson et Gn>:«e, on y remarque <!Kiit i>* InH 
Onslow, lord King, lord Palmeratoa. Ih diHv.iiiiT '^irt^-iifin. 
sir Robert Parker, sir lbniiin;r, ^r PoIIh, li* «InitUMii' SHtni:K 
le capitaine Hausten, le» lieafenant.4 iic^im*. ft Hiilianihy Utyt 
sieurs Philippe Clarke, Philippe ^)rti)n. Fiilh.im. Rohin- 
son, Godschall, Gregory et Smith. aoULH 4n\iitiH'hn' -n 
connus. 

Cependant James Priée était membri^ lUt in SïKUfti*. fnmi'* 
des sciefices de Londres. Gjmm»r le» «tov;!!!!!!^ ;ili:himf«frii- 
avaient depuis quelque tempt* perdu leur ^nt^tt-x**.. la n;- 
ciétë voulut savoir le fond de l'affair»^. L* i:himi.rt** fut <i'M»' 
sommé de répéter ses expérieQfî>î> «k^aût an»* :! fjin:L>- 
sion choisie parmi ses membrii>. «h <ronipi/^H 'Jrjs J^ax «îhr- 
mistes Kin^an et Higgin.-*. Jamr^ Fri«:i- r^fiiM «Ir e^r^^iKt 
devant eux ses expériences «Je Griilf-jfiJ. Il d'jùa^ai j.«^«r 
prétexte que sa provision depîerr»? phibryjphal»: t^uii »rfui- 
sée, et qu'il fallait beaucoup de tempe pour tm pr-p^ïnrr 
d'autre. H alléguait encore que, f^i^ant partie d^ U ifj^i*fin 
des Rose-Croix, il ne pouvait divulguer l'un d*;* Nîrrrel* de sa 
cunfrérie. Mais toutes ces défaites étaient ju:.'ée<à kur \*.'n- 
table valeur, et ses amis le pressaient de UjiïUt> métiMv^ 
d'obéir au vœu de la Société royale. L'n de^ meoihre> le> |»lu& 
illustres de cette Société, sir Joseph Bank<. insista surtout 
pour lui faire comprendre jusqu^â quel point sou honneur 
et celui de la compagnie scientifique dont il était membre 
étaient engagés dans cette affaire. 

Ainsi poussé à bout, James Price se dtH^ida ù recommencer 
ses expériences afin de pn'»prer une nouvelle quantit(' de sii 
poudre transmutatoire. Au mois de janvier 178ri, il partit 
pour Guilford, afin de s'y livrer à ses reclierclie!?, annonraut 
son retour pour le mois suivant. 

Arrive à Guilford, il senferma dans son laboratoire. Ku 
suite, avant de rien entreprendre, il commença par préparer 
une certaine <|uanlitéd*eau de lauiier-cerise, (»oisonlrè»> 



m 



Y\i)a\[\ms Kl IILWALX 



If'nt. Il (icrlvii eii^iiiîic non li'âtuiJieiU, i|ui cuminenrail [niv ci! 
moiii; (T Me crov;mlsur le (ïoînt de partir pour un uiondï!' 
plus sûr, je consigoe ici mes dis|K)sitions dernières... >* (> 
n est qu a près ces préliHiinaîres sinistres qu'il se mitlan travail . 

Six mois se passèreni Stins i[uc l'on entendit parlera Imu- 
drcs du cliimisle Priée. Au bont de ce temps, on apprit 
son retour ; mais, comme on assurait ([u'il revenait sans 
avoir réussi dans sa tentative, tous ses amis les plus t lu?rs 
l 'abandonnèrent au juste mépris que mérilail sa conduite. 
Ce ne fut donc pas sans surprise que la Socièlë royale re- 
çut de James Prîce la prière de se rendre en corps, à un jour 
dè^si^mé du mois d'août 1785, dans son laboratoire. Deux 
eu trois personnes seulement, parmi tous les membres de la 
Société, crurent devoir répondre à l'invitation de leur col- 
lègue, James Price ne put résister à celle dernière mar«pie 
de mépris; il passa dans un petil cabinet attenant à son la- 
boratoire et avala tout le contenu du llaeon d'eau de lau- 
rier-cerise qu'il avait ra|>f>orté de Guilford, Quand on recon- 
nut, il Ta itération de ses traits, les si^mes du poison, on 
s'empressa de lui eherclier des secours; mais il était trop 
tard, et les médecins qui accoururent le trouvèrent mort, 
be docteur Priée laissait, par son testament, une fortune de 
soixante -dix mille thalers, avec une rente de huit niilletha- 
lers qu'il distri buait à ses amis * . ^hI 

A peu près a Pépoque ou cet événement, dont le dénoiî- 
ment fut si tragique, venait de s'accomplir en Angleterre, 
une autre aventure, qui n'eut cependant rien que d'assez 
réjouissant en elle-même, se passait de l'autre côté du Pdiiii, 
et précipitait la décadence dfô opinions alchimitiues, en tour- 
nant contre elle Panne assurée du ridicule. Un professeur 
d*une université d'ALllemagne était publiquement forcé de 
convenir qu'il avait été, par le fait fie ses croyances aux 



' tSênthmtn magaMÎne^ J79J, |i, f^, — Matjmin tciMi/1^7 
tingite^ J7H3. 





DKS ALCHIMISTES. 99 

idées alchimiques, le jouet (l*une mystification grotesque. 
Jean-Salomon Semler, savant théologien, était professeur 
à l'université de Halle. Enfant, il avait bien des fois entendu 
un ami de son père, Falchimiste Taubenschusz, raconter les 
merveilles delà pierre des philosophes, et sa jeune imagina- 
tion en avait été vivement frappée. Lorsque, plus avancé en 
âge, il se livrait à ses études théologiques et aux travaux de 
sa profession, il savait se ménager quelques heures de loisir 
pour des expériences chimiques. Ces expériences n'arrivaient 
jamais à lui démontrer la réalité du grand fait poursuivi 
par la science hermétique, mais il se gardait bien d'en 
tirer aucune conclusion contre la certitude de ses prin- 
cipes. 

Lorsque, ses études terminées, il put disposer d'un peu 
plus de temps, il se mit à compulser les vénérables in-folio 
du moyen âge. Nous ignorons ce que le jeune théologien 
trouva dans la méditation des écrivains hermétiques ; mais, 
^i médiocres que fussent ses découvertes, elles étaient bien 
suffisantes pour un homme qui avait eu la foi avant la 
science, et une foi si robuste, que Ton est contraint de la 
respecter, tout en regrettant qu'elle n'ait pas été récom- 
pensée par quelque miracle. Un incident, qui survint plus 
tard dans sa vie, ne put d'ailleurs qu'ajouter à la fermeté de 
ses croyances. 

Semler était depuis peu professeur de théologie à Halle, 
lorsqu'un juif de cette ville amena vers lui un étranger re- 
venant d'Afrique, qui lui demanda quelque secours. Cet 
('tranger lui montra, avec mystère, un papier portant une 
douzaine de lignes en caractères hébreux, mais dont les mots 
étaient turcs ou arabes. Il comprenait, disait-il parfaite- 
ment cet écrit ; seulement il y avait trois mots dont il ne 
pouvait saisir le sens, ce qui lui occasionnait un tourment 
inexprimable. Il raconta, en effet, qu'il existait à Tripoli, à 
Tunis et à Fez, un grand nombre de juifs qui avaient reçu, 
»'n héritage de leurs ancêtres, le secret de faire de l'or. Ces 





iOO l>llCTRf!VEJ ET iriAVArv 

juifs eonservaient prmeiisi^ment ee secret, el n'en liraient 
paru que pniir leurs besoins les plus urgents, afin de ne pas 
éveiller rattrntion il es barljarfs. Lyi-meme avait servi long- 
temps dwz UQ de Cfs juifs, el il aidait souvent son niaîtro 
dans ses irnvauK de transrauiation. L'orril qu'il présentait à 
Scrnler ron tenait une indU^tion exacte des opérations praïï- 
quées par son maître ; par mallieur, les tmis mois dt>nl il 
vivait fMiJdie la si'miiîraiion lui rendaient le reste inutile, 



Avee trois mots (|vi'mi jull* iirrippril en Arnbie. 
Je g^iu'ris aulri^fms rînfaiite du Coni^a, 
Quîj vrnimeiit, avait bien un âijllrc vniif^Q! 



î.es trois mots du Crispin dr Rr^^^nard r-iaienl snns doute 
les niOines dont cet aventurier se mettait si fort en [Kune. ^_ 

ÏA^ twin et rrédule Semler fit tous ses efforts pour décirilfl| 
iVer ce ^op[Of(riphe. A bout de sa propre se i en ce, il invotpia 
celle des orientalistes les plus renommés de la ville et ér 
runiversité; mats œfut en vain. Aussi, lors(|ue cinq jours 
-iprès le juif vint le revoir, il ne put que T in former de ci- 
rt'suluit né|,^ilif. Noire homme s'en montra tout naturelle- 
ment très-affecté, car il se voyait, disait-il, contraint dlfl| 
retonrneren Afrique pour demandera son ancien uïnîlre !<• 
sens des trois mots. Or, en ce temps -la comme dans le nôlrc, 
im ne faisait pas pour rien le voyage de Tunis. ^Ê 

Scbmieder, qui nous transmet ce peiii épisode fie la car- 
rière alcbiniique du ibt^ologien de Halle, ne met pas en doute 
([ue ce juif ne fût un imposteur. Il remarque, en effet, 
que donOomingo Dadia, savant espagnol, qui, à la fin du 
d(\-buitietue siècle, voyagea dans le nord de l'Afrique, sous 
lo nom d'Ali-Bey, témoigne qu'à cette époque les notions les 
plus vulp[âires de la cbimie s'étalent presque eutièremen! 
peniues cbez les babilants de ce pays, juifs ou autres. Ajou- 
tons qu'en 1850, après la prise d'Alger, les l'raneais furent 
«neore mieux édili^'s quant à l'ignorancj* des Arabes. Il est 



DES ALCHIMISTES. 101 

donc constant que celte histoire d'alchimie ofricaine nVtait 
qu'un honnête prospectus de mendicité présenté par la four- 
berie du juif à la naïveté du théologien. 

Semler tira néanmoins de ce fait une conséquence tout 
opposée : loin d'eu recevoir une atteinte, sa foi robuste dans 
la vérité de la chimie y puisa une force nouvelle dont les 
résultats ne se firent pas attendre. 

En 1786, le baron Léopold de Hirschen venait d'annoncer 
au monde sa découverte d'une médecine qu'il décorait du 
nom de sel de vie, Semler s 'adonna avec passion à Tétude de 
te produit nouveau. Il fit paraître successivement trois mé- 
moires sur ce sujet. Il prétendait connaître le sel de vie 
mieux que celui qui l'avait inventé. Renchérissant sur les 
assertions du baron de Hirschen, il y trouvait non-seule- 
ment une médecine universelle, mais encore un agent de 
transmutations métalliques. Avec ce nouveau produit, ni 
charbon ,^ni creuset, ni mercure, n'étaient nécessaires pour 
faire^de l'or; il suffisait de le dissoudre dans Teau et de l'a- 
bandonner pendant quelques jours à lui-même dans des va- 
ses de verre, entretenus constamment à une température un 
peu élevée. Dansées conditions, Tor finissait par apparaître, 
il se déposait au fond de la liqueur. 

iSemler était professeur de l'université ; ses assertion» ne 
pouvaient donc passer pour une opinion sans conséquence. 
Les faits qu'il annonçait devinrent le texte de discussions sé- 
rieuses. Les objections lui arrivèrent de tous les côtés, et les 
sarcasmes se mirent delà partie. Dans la position qu'il occu- 
pait, il ne pouvait les dédaigner. Aussi, lorsqu'on exigea de 
lui les preuves, par Texpérience, du phénomène qu'il an- 
nonçait, se montra-t-il trèsrempressé de les fournir; il pro- 
céda à cette démonstration avec autant de bonne foi que 
d'assurance. 

Le chimiste Fr. Gren s'était particulièrement fait remar- 
quer en cette discussion; c'est à lui que Semler, en 1787, 
remit un vase de verre contenant un sel de couleur brune. 



) 





m DOr:TRIXKS RT TllAVALX 

le [mani tle vouloir hum le presenier à rAcadmiiit^ (1<^ lin 
liii. Il asîïurait 4[UG ce stA, (lissmis dans i'eau, ne lardi*nû|| 
fias il drposiT di* l'nr; le fa il êtail d'au la ni plus sûr; (|ue 1^ 
môme liquide lui en avait déjà fourni une nolâble ijuan- 
ÛU\ Gren n'eut qu*à examiner le sel pour reconnaître qu1i 
renfemiait, à l'état de sim [de mélan,i;e, quelques feuilles d'or. 
Maiï5, Semler ayant affirmé, de son celé, que ee métal était 
un produit spontanéeienl formé au sein du liquide, il fut 
décidé (\w la diflieuîté serait soumise à l'apprécia lion de 
Klaprotli, professeur à Berlin et l'un des premiers chimistes 
de r Allemagne. ^M 

Klaprotli soumit à l'analyse la liqueur de Semler, être-" ' 
connut qu'elio ctmsistait en un mélange de sel de Glauber et 
de sulfate de magnésie, le tout enveloppé dans un magmf» 
d'urine et d'or en feuilles. Désireux cependant d'éclaircir toul 
â fait la question, Klaproth pria le professeur de Halle de lui 
faire parvenir de nouveaux: échantillons du mème^produitàJ 
Semler s'empressa de satisfaire à ce désir. Il adressa à 4îer^^ 
lin deux vases renfermant. Tun un sel bruneristaliiséoù l'or 
ne s* était pas encore produit, Taulreune liqueur n qui con- 
« tenait la semence de lor, et qui, par le secours de la clia- 
« leur, féconderait le sel. » Ce sel, dissous dans le liquide et 
maintenu cliaud ptmdant quelques jours, devait fournir ( 
for. Mais, au premier exaiiK^n, Klaproth n'eut pus de pein 
à reconnaître que le sel brun étitit mêlé de paillettes d'or 
et que Taddition du liquide envoyé par Semler était par- 
faitement inutile pour en extraire le métal, attendu quon ^ 
le séparait en le lavant simplement avee de Teau, fl| 

l/alehimiste de Halle ne voulut point demeurer sous le 
coup de ce démenti ; il envoya à son illustre eorrespondant de 
nouvelles feuilles d'or produites par le sel de vie. Les feuil- 
les de cet aurnm philosopkimm aèreum étaient il' une grande 
dimension, car elles n'avaient pas iimiiis de quatre à neuf 
pouces carrés. Semler priait le rhîmisto de Bi^rlin de voifll 
toir hieiï [irocéder à Tanalyse de cet ur au milieu d'une^ 



eei 

i 



DES ALCHIMISTES. lOf» 

assemblée publique etavectout l'éclat d'une large publicité. 
On comprend d'ailleurs son imperturbable assurance quand 
on sait que, de toutes les expériences qu'il avait exécu- 
tées avec son sel de vie, aucune n'avait jamais échoué, et que 
l'heureux expérimentateur avait toujours retiré de son mi- 
raculeux produit de l'or au premier titre. Aussi écrivait-il 
à Klaproth : 

« Mes 'expériences sont très-avancées. Deux de mes vases pointent 
de Tor ; je Tenlève tous les cinq ou six joui's, et j'en retire chaque 
fois de douze à quinze grains. Deux ou trois autres verres sont en 
bonne voie ; on y distingue déjà les feuilles de For qui percent par le 
bas. Tout cela me revient, quant à présent, assez cher; car un grain 
(l*or me coûte deux, quelquefois trois, et même quatre thalers ; mais 
cola tient sans doute à ce que je ne connais pas encore très-bien la 
manière d'opérer. » 

Suivant ledésirdu professeur de Halle, Klaproth procéda 
à l'analyse de cet or en présence d'une brillante assemblée. 
De grands personnages, de hauts fonctionnaires de Berlin, 
et môme des ministres du roi, assistaient à cette réunion, 
impatients de connaître le résultat de la singulière discus- 
sion scientifique dont tout Berlin s'occupait. Ce résultat 
fut étourdissant : Klaproth, aux premiers réactifs qu'il fit 
agir sur le précieux métal du théologien, reconnut que ces 
feuilles d'or philosophique étaient tout simplement du imni- 
kc, c'est-à-dire une variété de laiton. 

L'immense risée que cette déclaration provoqua dans 
rassemblée fut bientôt partagée par tout le public de TÂl- 
lemagne. Le bon Semlerfut ainsi contraint d'ouvrir les yeux, 
et, informations prises, la mystification s'expliqua comme 
il suit. 

Semler travaillait à ses expériences dans une maison de 
campagne où il avait pour domestique un homme très-ai'fec- 
lionné à sa personne. C'est à ce dernier qu'appartenait le 
soin d'entretenir la température de Téluve où le sel d'or 



iir qir^B 




Ifti mH:THfNES KT TRAVAUX 

fciiriifiaiL l^*^ (li|,^n^ st^rviienr ,ivîiî1 rf'iiuirqap r.inlour <] 
lo philosophe nppcni^it à ses expériencps et la jnio fjirîl 
rprouvail toutes les dm rpiP l(* snrrès venait les caanmTiftr. 
Voulant donc cootrilmer au honlieur do son maître, eelU" 
lionno âme avait imaginé de frlisser de-s feuilles d'or dans le:* 
vjse^mîsen expi^iieuee. Mais notn^ Immme (Hait quelquefois. 
îiWvA ih^ s'alisenter, ear. en même temps qu'il était le dômes- 
tii|Ui*du iirofesseur, il était soldat du roi de Prusse, et de- 
vait se rendre, de temps en temps, à la revue delilagdebourg. 
Dans ee cas, il passait la consi^me cl le mot d'ordre à sa 
femme, qui le suppléait dans sa fraude innocente. La dame 
finit, néanmoins, par trouver que tout cela revenait un peu 
citer, et, en 1" absence de son ma rit elle se décida à n^rn placer 
Tor par le tumbac, qui c^iûiait moins et produisait à l'œil la 
mi^me apparence. Les feuilles d'or pbilosnpliique analysées 
par Klaproth devant rassemblée de Berlin étaient du fait 
de cette personne ingénue * , hJ 

Scmler, qui s'était trompédebonnefoi, s'exécuta de bonnî^^ 
^Tâee devant le public. 11 nous a laissé, dans une autobio- 
graphie, la confession la plus candide de ses erreurs alebimi- 
f|ues. Les babitants de Berlin ne se montrèrent pas d'ailleurs 
impitoyables envers lui; on compril tout ce qu'avait dr* pi^ 
nible sa position, et on songea plutôt à le plaindre qu'à le 
railler. On eut même la justice, fort rare en pareille circon- 
stance, de se rappeler les services quil avait rendus dans 
des sciences [dus utiles (|ue celles m il venait de faire ec lou^; 
rêve interrompu pai' une si lourde cbule. L'était la un loua- 
ble effet de la bonté native des âmes germaniques. Ln 
Tranee, on le ridicule est un malheur pour lequel on n'nil- 
mct pasde compensation, Hionnétc tbéologien nVùl \>^^— 
eti* sans doute aussi facilenieut absous. ^M 

(iepemiant cette bonuM^ique mystification fit dans Lopi- 
nion publique le tort le plus grave à ralcbimle. Le dénoiV 

» ftnuf fiu Moi», lome XITÎ. Berlin» 1789. 




DES ALCHIMISTES. 105. 

ment de cette longue comédie où un professeur d*une uni- 
versité d'Allemagne avait joué un si pitoyable rule, joint au 
drame qui s*était passé peu d'années auparavant à Londres, 
achevèrent de dissiper les restes de confiance que beaucoup 
de personnes continuaient d'accorder aux artistes du grand 
œuvre; le gros du public, qui constituait leur appui naturel» 
fut, dès ce moment, éclairé sur leurs mensonges. 

Enfin, le dernier fait qui contribua à provoquer l'aban- 
don des opinions alchimiques fut la révolution salutaire opé- 
rée dans le système général de la chimie par le génie de La- 
\ oisier. Tant que la théorie de Stahl s'était maintenue dans 
la science, les opinions alchimiques avaient pu trouver dans 
ses principes une sorte de justification, un prétexte de du- 
rée. En effet, dans la théorie du phlogistique, les métaux 
étaient considérés comme des corps composés ; les principes 
de la science n'empêchaient donc point d admettre qu'à l'aide 
d'actions convenables on pût modifier la composition des. 
métaux, de manière à les transformer les uns dans les au- 
tres. C'est ainsi qu'en 1784 Guyton de Morveau, qui de- 
meurait encore fidèle à la théorie de Stahl, y trouvait les 
motifs suffisants de proclamer la possibilité de changer l'ar- 
gent en or. C'est par suite du même principe que Bergman, 
«lans son Histoire de la Chimie, n'osait point mettre en doute 
la réalité de la science hermétique, et, rappelant la trans- 
mutation opérée en 1667 par Helvétius, et les événements 
du même genre attribués à Van Helmont et à Bérigard de 
Pise, faisant enfin allusion aux projections faites en 1648 
par l'empereur d'Allemagne, Ferdinand III, et en 1658 par 
l'électeur de Mayeuce, ajoutait : «Nous ne pouvons révoquer 
« ces faits en doute, sans refuser tout crédit à l'histoire. » 
Mais, lorsque Lavoisier eut renversé le système d'idées qui 
•ivait présidé jusque-là à l'interprétation des faits chimiques, 
lefondement scientifique sur lequel l'alchimie ^vait pu con- 
tinuer d'asseoir son hypothèse lui manqua tout d'un coup. 
Dans la théorie de Lavoisier, qui devint en peu de temps la 





[m dlm:tiu\es et thavalx 

iljf'orie utiiv6r5elh\ les méldux «iaient cousidérêii coninii* 
tkis corps simples, r/pst-.ù-rlirf^ comme i\e^ élmienls indp- 
cofiiposalïlts; delà, rimpossibiliié proclam*^ par la nouvelle 
science de foire varier à volonté la natun* des méiaux. C'est 
donc à la crêatiofidélinilivo de la chimie qu'il faul attrlbtier 
riionnour considérable d'avoir fait dis|)anïiire les dtsrniers 
vestiges des opinions al(;îimii(]ues. A daliT de ce raomenU 
les savants séritnix rompirent avec toute idée de ee genre, 
(H l'alcbîmie fut décidément rayée du domaine de la sciencp. 

Il ne faudrait pas croire cependant que les pratiques al- 
cliimiqiies aient entièrement ces^é depuis la Qn du dernîfr 
siècle. En dépit des principes de la chimie nouvelle qui coa- 
damnait leurs tentatives, un certain nombre de personnes 
ont crmtinué de s'adonner jusqifii notre époque aux recber- 
cbes pratiques de la transmutation des métaux. Seulement ^ 
ces travaux se sont accomplis dans l'ombre et sont restés k 
peu près Ignorés au dehors. L'institut! (Ui et les progrès 
d'une société alebimique qui a existé en Westphalie au com- 
mencement de notre siècle, et qui n'a pris fin que vers Tan- 
née 1819, apportent à Ta ppui de ce fait quelques renseigne- 
ments curieux. Comme les travaux de la Société htf^métique 
de WcHtphalie montrent irés-bien avec quelle ardeur quel- 
ques savants ont continué à défendre jusqu'à nos jours le^^ 
opinions alcbinûques des derniers siècles, on nous per- 
mettra, pour terminer cet arliele, de rapporter, d'après 
M. Kopp \ la singulière histoire de celle association des dis- 
ciples attardés du dieu Hermès. 

En 1796, un journal aliu\s fort répandu en Allemagne, k 
Keichmnzeiger, annonça qu'une grandi' association hermf- 
lique venait de se conslituer; les amateurs de ralebimip 
étaient invités a se mettre, sans retard, en rapport avec elle 
et à lui communiquer le résultat de leurs travaux. On vou- 
lait appliqu^T aux progrès de la science hermétique le prin- 

* GfHchirhtt^ dfr f hernie. 



DES ALCHIMISTES. 107 

cipe de rassociatioD,doDt on commençait à comprendre les 
avantages dans toutes les branches de l'activité sociale. L'ap- 
pel de la feuille germanique fut promptement entendu. 
Quinze jours après son annonce, arrivèrent de tous tes côtés 
de TAllemagne des lettres d'individus qui appartenaient aux * 
professions les plus diverses. 11 y avait, parmi les signataires 
de ces épîtres, des médecins et des cordonniers, des juriscon- 
sultes et des tailleurs, des conseillers intimes el des serru^ 
riers, des officiers et des maîtres d'école de village, des prin- 
ces et des barbiers. Quel que fût d'ailleurs leur qualité ou le 
rang qu'ils occupaient dans le monde, la teneur de leurs épî- 
tres était la même : chacun s'empressait de déclarer qu'il n'a- 
vait encore rien découvert ; tous priaient avec instance qu'on 
voulût bien leur communiquer, parle retour du courrier, un 
procédé sûr pour préparer la pierre philosophale, avec pro- 
messe, sous serment, de ne point divulguer cet utile secret. 
La Société hermétique acquit promptement de l'impor- 
tance; elle entretint une correspondance active et distribua 
beaucoup de diplômes. Seulement elle n'accordait que le titre 
de membre correspondant, et voici pour quel motif. 

La Société hermétique ne se composait en réalité que de 
deux membres, les docteurs Korlûm et Baehrens. Convain- 
cus tous les deux de la vérité (Je l'alcbiraie, ils pensaient 
néanmoins que la découverte de la pierre philosophale ne 
pouvait se faire que par le concours d'un grand nombre de 
• recherches effectuées en commun. ABn de réunir en un seul 
faisceau les travaux isolés de leurs confrères, ils avaient ima- 
giné de faire croire en Allemagne à l'existence d'une vaste 
association d'alchimistes. Ils eurent Tart d'entretenir long- 
temps cette opinion, et, parmi leurs nombreux affiliés, per- 
sonne ne soupçonna jamais la vérité. 

La Société de Westphalie provoqua dans plusieurs villes de 
TÂllemagne la formation d'académies semblables. Les plus 
importantes sont celles de Kœnigsberg et de Carlsruhe. On 
institua dans celte dernière ville des cours publics d'alchimie^ 




\m DOCTIUiNES ET TIUVÂUX 

L'eiiseigoeinenl de la Soclëtô alchimique de Curlsrîjlie èUiil 
hast! sur les principes d'un livre fort singulier d'un ceriarn 
ErkartsIiauscMi, dont an nous iH'rmeiira de dire un nu>L Cet 
e(vi il, iniitulc le Nuage qui plane uu-desmts du mncitmire, 
iijjprïTcnt au [^lus niiiuvais vCAé tfe l'(Jc(d(NilidiimiquL% c'est- 
à-dire aux d^icliinus tjyi invoquaitinl surtout les qualités ni!- 
eulies ifaos TinterpretaLion des pbénuiuèùes matériels. En 
fait de ridicule et d'extnnyt<iuice, ii dépasse tout ce qu'il 
est possible dima^qner. Ll Uaite de la cmnpimtion chimi- 
que des péchés, Basile Volentin, dans l'un des accès les plus 
bizanes de son mysticisme alcliiuiique ^ avait considère 
dune manière «.auiérale les péchés de riiomme comme !e 
trmlu de la mblirmUion de sea parties célestes *. Eckartsliau- 
sen va plus loin i it détenu iue la composition de eliacun de 
nos péchés* On ne devinerait jamais ijuelle esl la matière qui 
produit en nous les dispositions au uiaL Notre auteur assure 
que c'est Uy gluten. Suivanl lui, cette substance, qui existe, 
comme nn le sait, dans la farine des céréales, se trouve aussi 
dans le san^ de riioiinoe, et c'est elle (jui, eu se nujdiliyiil 
diversement sous Hufluencc des désirs sensuels, provoqui- 
lous ses uumvais penchant^:. H 

«t Diios tuitH" s;uiiï» dil-d, r^st ladiév uîe; JiKilièiv tetiate, éb^li- 
ipir, le gluten, qui a plri^ d'tdlinité jMnir riitiiinidib- quiî pour IVs- 
jji'ît. Cl! gtubu rsl l;i MiJilière du |M!H'hé. lî peut être modifié par It!> 
tlé>irs H'iistiels, tt» st'liin la uiiMliliiiitioii qu'il subit, il iiail dati^ 
rhoiiiiiie des disjiwitions dilïéreult^s pour le jiériié. Dans smi élahter * 
ilibliilimi te [ilus ^niJiKl, vr ^ditteu pniduit en ikhiî^ FiiriTiieil; t)in)< 
hoii vUd d'.'ittraelisjii, Tavariec et réyuisine ; dans son état de iv\^\à- 
bioo, la rajj;L' it la colère; dans sou tHal <lr ruhitioiu la légèreté <{ 

^ ' Puiif iH>u;j, pauvi es liuuiîiius, iiauâ âonunes mIvs èuv lu lerrc â caik^; 
tlij nos péibéti (leiiiiii noua avons bien oKÎrilr}, ju^pià ue rjiiu, puU^dû^ 
jiai le temps, nous soyons rauiuiCs par hi chaleur divine. Alors, sullisAiih 
iiicnl dariliécip nous iniuvon* nous el^ei* jjiii h suUlirnaliuri télcôte, ^ui 
Bi^ljarti tous uoï. [eçest tous nu» |Jceln's et toule* uos inu^oictés. » {Char à 



J 



DES ALCHIMISTES. lO'.i 

la liuui'c; daus h>ii élat dVxceiitricitc, la ^MiirniaïKlisf ri rivio^iir- 
rie, » ete. 

Ce livre bizarre, <|ui feriiie jçloritnisciiienl <laiis noiiv siè- 
cle la liste des productions alchimiques, était pris pour buM* 
«le renseignement dans les cours publics île Carlsrtibe. L al- 
rhimie continua d'être professée dans cette ville jusqu'en 
1811, sous la directicm d'un certain baron de StluMuliaMi, 
adepte fougueux qui se disiiit plus lier de son titre de mem- 
bre correspondant de la Société île Westpbalie que des par- 
chemins de sa noblesse. 

Pour confirmer la croyance générale à rexislenee de la 
;j:rande Société hermétique, Kortum et Baebrens entreprirent 
la publication d'un journal alchimique. Le premier volume 
(le ce recueil a paru en 1802. H contient les dissertations 
«lont voici les titres : Sur la Dissolution philosophique ; — 
Sur la Thêosophie chimico-rniistique; — Description du pro- 
ù'dé univei'sel d'après Toussetaint; — EpUre de Josua Jobs 
uux pèlerins de la vallée de Josaphat; — Système de l'art 
hernuHique. C'est par ces manœuvres singulières que la So- 
ciété de Westpbalie continua de pros[»érer et de s'enrichir 
Je nouveaux membres, toujours correspondants. Ses travaux 
ont été poursuivis jusqu'à Tannée 1819; vers celte» époijue, 
1rs alchimistes, Vdétrompés de leurs espérances, cessèrent 
tout rapport avec elle. 

11 ne serait pas difficile de conduire jusiju'à nos jours la 
série des derniers partisans du grand univre. Dans une suite 
«l'articles insérés dans h Journal des savants, à proi)os d'un 
'•uvrage sans valeur et fort peu digne de tant d'att(nilion *, 
M. Chevreul assure avoir connu plusieurs personnes bien 
Convaincues de la vérité de l'alchimie, parmi lesi|uelles il 
l'ilc « des généraux, des mj'decins, des magislrals el des 
wlésiastiques. » Ajoutons qu'en 1852 parut une broehnie 

' Court (le Philosophie hermétiqite ou «/'.l/c/u/ue en dix-neuf Ic^-ons, [Mw 
L-r.e.ahriuI, I8iV ln-J8 Je i?(l'>;>.i.-os. 



liO DOCTRINES ET TRAVAUX 

intitulée : Heimès dévoilé, dans laquelle l'auteur, M. C..., 
assure avoir enfin réussi, aprOs trente-sept ans de travaux, 
à exécuter une transmutation en or. L'opération eut lieu le 
jeudi saint 1851. 

Restons-en, ami lecteur, sur la douce impression de cet 
événement bienheureux. 



Nous avons résumé, dans cette première partie, les doctri- 
nes de la science hermétique, les considérations et les faits 
que les adeptes présentaient à Tappui de leurs vues. Quand 
on embrasse rcnscmble de ces idées, on ne peut se défendre 
d'un regret amer. L'alchimie a longtemps arrêté la marche 
de Tesprit humain dans la connaissance des vérités naturel- 
les. A ce titre elle a encouru sans iloute une juste réproba- 
tion. Cependant celui qui voudrait instruire son procès avec 
impartialiui aurait à rechercher si la plupart de ses erreurs 
ne furent point la conséquence de la mauvaise philosophie 
qui régnait à cette époque. L'institution définitive de l'alchi- 
mie, le beau temps des pratiques de Tart, correspondent à la 
seconde moitié de la période historique du moyen Age, c'est- 
à-dire au moment où U) platonicisme restauré et l'aristoti^ 
lisme nouveau dominaient exclusivement dans les écoles. Les 
pr()pri(''tés duiamiqnes attribuées à la pierre philosophale, les 
moyens bizarres employés par les adeptes pour la recherche 
de cet agent merveilleux, ne doivent aujourd'hui nous ap- 
paraître i\\w. comme la suite naturelle de la philosophie du 
tenips, de mènie que les spéculations de Talchimie mystique 
sont la consé(|uencc de l'exagération des passions religieuses 
de la même épixiue. (le n'csl pas seulement en effet dans l'al- 
chimie que Ion ronian|iie ces aberrations étranges. Jus(|u*au 
seizième siècle, les uiédecins ont attribué aux astres une ac- 
tion directe sur les orj^aiies du corps humain; le soleil in- 
Hucnçait le eœur, la lune agissait .^ur le cerveau, etc. Qui ne 



DES ALCHIMISTES. 4 H 

connaît la singulière thérapeuti(|uo du moyen âge, fondée 
sur les ressemblances extérieures des médicaments et des 
organes malades, ou sur ce que l'on appelait avec Os>\ald 
CroU et Cardan, \essignatures extérieures des choses ? La phy- 
sique et l'histoire naturelle étaient remplies de chiuières ana- 
logues. Si presque toutes les sciences, au moyen âge, ont 
participé de ces rêveries, il faut évidemment reconnaître 
là rinlluence commune de la philosophie de cette époque. 
Il faut pourtant reconnaître que Talchimie rachète une par- 
tie, tant faible soit-elle, de ses longues erreurs, par deux 
éminents services qu'elle a rendus à la philosophie nalu- 
rdle. Elle a eu sa part incontestable d'utilité, à la fois dans 
son origine et dans son résultat. Elle a manifesté la première 
réveil de la pensée scientifique en Europe. Les alchimistes 
ont les premiers mis en prati((ue le grand art d'arriver à la 
découverte d'une vérité physi(|ue par un système d'observa- 
tions et d'inductions raisonnéCs^. Kniîn leurs travaux ont 
donne naissance à la chimie moderne et à toutes les sciences 
qui s'y rattachent. Il est donc juste de faire remonter jus- 
qu'à eux quelques uns des bienfaits réalisés par les sciences 
dans la société moderne, de leur réserver une certaine 
part de gloire dans ces conquêtes précieuses do l'humanité. 
Telles sont les considérations qui peuvent, selon nous, re- 
lever en partie les travaux alchimiques du mépris, ou, si 
l'on veut, de l'oubli où ils sont tombés de nos jours. Telle 
est aussi notre excuse pour avoir essayé de niveiller ici ces 
vieilles croyances oubliées qui n'appartiennent, en lin de 
compte, qu'au domaine immense de nos erreurs. On a tou- 
jours attaché de l'importance à marquer lô chemin suivi par 
lesidées (|ui portaient les grandes vérités au monde. Parvenu 
*B but désin's on aime à mesurer les écueils de la carrière 
beuréusement franchie. C'est ce charme dont parle Lucrèce : 

Suave mari iiia<;iiu liir))aiilii)iis iC(|uoru veiilis, 
E tcri-à magnum allcrius spcclarc laborciii. 



112 DOCTRINES KT TftAVAUX DES ALCHIMISTES. 

(IVst le secret et involontaire plaisir du spectiileur (|ui, du 
tranquille rivage, contemple les luttt^ du navire en détresse 
contre les flots soulevés. Mais le poë.te n'a pas tout dit. Il est 
un plaisir plus pur et plus vif à la fois : c'est de signaler les 
êcueils aux navigateurs à \enir. 



L'ALCHIMIK 

UâSs U SOCIKTf. Iil' MOYEN AGE ET UK I.A nENAlS'SAMK 



112 DOCTRINES KT TftAVAUX DES ALCHIMISTES. 

CVst le si^rret et iiivolontuire |ilaisir du s{H'cUUeur qui, du 
tranquille rivage, contemple les luttes du navire en détresse 
contre les flots soulevés. Miiis le poiite n'a pas tout dit. Il est 
un plaisir plus pur et plus vif i\ lu fois : c est de signaler les 
êcueils aux navigateurs à \enir. 



L'ALCHIMÏK 

DANS I.A SOCIKTfi M) MOTEN AGE ET UK I.A HENAISSAM-K 



L'ALCHîMrE 

DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCE 



CHAPITRE PREMIER 

IMPORTANCE OB t*AIXIHIMIE PENDANT LES TROIS DERNIERS SIÈCLES. — 
PROTECTEURS ET ADVERSAIRES DE CETTE SCIENCE. — l'aLCHIMIE ET LES 
SOUVERAINS. — LES MONNAIES HERMETIQUES. 

Ce n'est qu'au qualorzième siècle que ralcliimie a com- 
mencé à prendre de l'importance en Europe. Les écrits d'Al- 
bert le Grand et de Raymond Lulle, composés au treizième 
siècle, avaient jeté dans le monde savant les premiers princi- 
pes de cette science; pendant le siècle suivant, les richesses de 
Nicolas Flamel, attribuées par le vulgaire à une origine hermé- 
tique, avaient répandu en France les mômes croyances dans 
Pesprit du peuple. Enfin, au seizième siècle, les nombreux 
disciples de Paracelse popularisèrent par leurs discourset par 
leurs écrits les mêmes idées dans tout TOccident. Un certain 
nombre d'adeptes, qui se vantaient d'avoir réalisé à leur 
profit l'œuvre de la transmutation, et qui le témoignaient à 
tous les yeux par des faits en apparence irrécusables, par- 
couraient alors les grands États de l'Europe, excitant sur leur 
passage une émotion universelle. C'est donc au seizième siè- 
cle qu'il faut se reporter, si Ton veut prendre une idée 
exacte de l'étonnante influence que les idées alchimiques 
ont exercée sur l'esprit des hommes. A cette époque, en ef- 



ini i;au:iiimi!- h.ws la so<:iKTf: nr moyen âge 

iVl, Li passidii (i(»s irnvaiix hernu't'ufuos avait pnétrô dans 
tous los raiij^s. Depuis le paysan jusqu'au soiivorain, tout 
lo niondo ero5\'\il à la vérité (h» ralcliiinio. Lo désir dos ri- 
cliossos, la contaj^'ion de rexoniplc, oxcilaiont partout le 
désir do so consacror à sos pralicpies. Dans le palais commo 
dans la chaumière, chez l'humble artisan comme dans la 
maison du riche bourgeois, on voyait fonctionner des ap- 
])areils où Ton entretenait pendant des années entières 
I incubation de Vœuf philosophique, La grille même des 
monastères n'opposait point d'obstacle h cette invasion ; car, 
selon un écrivain moderne, « il n'existait point de cou- 
<( vent dans lequel on ne trouvât quelque fourneau consacré 
« à l'élaboration de l'or*. « Les mé<lecins, en raison de 
leurs connaissances plus étendues, éprouvaient pour l'alchi- 
mie une prédilection toute particulière, et leurs idées, sous 
00 rapport, sont suffisamment caractérisées par le vœu qu'ex- 
prima au seizième siècle le savant docteur Joachim Tanckt- 
de créer dans toutes les universités une chaire d'alchimie, et 
de faire commeul(T publiquement Goher el Raymond Lulle à 
outé d'Ilippocratr et do Galion. 

Cotte diffusion extraordinaire des procédés de leurscionc»^ 
dé'plaisait beaucoup aux alchimistes de profession, et plu- 
sieurs d'entre eux ont oxhah^ en pros»» et en vers leurs 
plaintes à ce sujet. C'est ainsi que Franz Gassmann dit dans 
son Examen alchcmistinnn : 

« Presque tout le inondo veut ùlre appohi alchimiste, 
Un grossier idiot, le garçon t»t le vieillard, 
Leharhinr, In vieille femme, mi conseiller t'acéiieiiv, 
l.e moine tondu, le prêtre et le soldai. » 

C«M|ui avait contribué à augmenter lo nombre des alchi* 
mistes, c'est que les adeptes s'emparaient du plus léger pré- 
texte pour enrôler sous leur bannière tous les personnages 

* \.e Moyen Age et la Renaissance, tome 11. 



ET DE LA RENAISSANCE. 117 

remarqnablos de lourtomps. Ainsi se tronv('M'ont faussomont 
ranp[és parmi les sectateurs de l'art herm(»tique un grand 
nombre d'hommes éminents qui ne durent ce dangereux 
honneur qu'à la céh'brité de leur nom ou à la sainteté de 
leur vie. Vincent de Beauvais fut à ce seul titre déclaré al- 
chimiste. Le pape Jean XXll, à qui l'on attribua un ouvrage 
d'alchimie, Ars transmiUntoiia, publié en 15r)7, fut con- 
vaincu de la môme manière d'avoir transformé son palais 
d'Avignon en un laboratoire immense consacré à la fabrica- 
tion di^ For. Saint Jean rÉvangéliste fut proclamé possesseur 
de la pierre philosophale, parce qu'il existaitdansrancienne 
liturgie une hymne composée par Adam de Saint-Victor en 
l'honneur de ce saint, où l'on trouvait une métaphore sus- 
ceptible d'une interprétation alchimique. Ce fragment, très- 
court d'ailleurs, est le suivant : 

In- xhniistuni l'erl thcsaiiruin 
Qui de virais fccit aurum, 
(îcnimas «to liipiiiibiis. 

C'est par suite du même principe que le roi Charles VI, 
malgré son aversion pour les faiseurs d'or, fut placé dans 
leur caté'gorie ; on lui attribua l'un des ouvrages herméti- 
ques publiés dans la collection du Cosmopolite, qui a pour 
titre: Œuvi'e royale de Charles VI, roi de France. Nicolas 
Flamel et Jacques Cœur furent rangés parmi les adeptes heu- 
reux, parce que, dans ces siècles de crédulité et d'ignorance, 
on ne savait expliquer que par la possession de la pierre phi- 
losophale de grandes richesses acquises rapidement. 

Lorsque les noms contemporains faisaient défaut, on em- 
pruntait à l'antiquité ses plus célèbres personnages pour 
abriter, sous leur imposante égide, les plus absurdes rêve- 
ries. C'est ainsi que furent invoqués les noms d'Hermès, 
d'Hiram et de Salonion, parmi les rois; de Pylhagore, de Z(h 
roaslre et de Démocrite, parmi les philosophes ; de Calieu 
et d'Ilippocrate, parmi les médecins de ranii(iuii(''. Ou lU 

1. 



IIS i;ALnilïMïE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE 

|)ar.nîlre, au seiziùmo siècle, diverses éditions de livres 
sortis de la plume de quelques moines ignorants, et qui 
se décoraient des noms empruntés de Démocrite, d'Hippo- 
crate et deGalien. Pour expliquer la découverte tardive de 
ces documents, on avait recours à des contes ridicules. C'est 
ainsi que Paracelse assure qu'on lui montra à Braunau cr un 
(( livre long de six palmes, large de trois et épais d'une et 
« demie, contenant les véritables commentaires alchimiques 
(( de Galion etd'Avicenne. » S'il faut en croire le môme au- 
teur, ces manuscrits originaux deGalien et d'Avicenne, écrits 
sur des écorces de poirier et sur des tablettes de cire, avaient 
été recueillis et conservés dans la famille d'un bourgeois de 
Himibourg. C'est en multipliant les mensonges de ce genre 
qu'on avait fini par prôter à la science hermétique le pres- 
tige do la plus haute antiquité, et ajouté ainsi aux autres 
éléments de sa puissance. 

Celtiî puissance, était d'ailleurs immense. Pour mettre 
hors (le doute l'empire universel que l'alchimie exerça sur 
les esprits pendant la période qui nous occupe, il suffit de 
consulter la jurisprudence, ce miroir fidèle des mœurs et 
des pn''jug<»sdes sociétés éteintes. Au moyen hge et pendant 
la Renaissance, la jurisprudence de l'Allemagne avait re- 
connu et consacré la vérité des principes de l'alchimie. Dans 
la pratique judiciaire, on admettait comme incontestable le 
fait de la transmutation des métaux ; la discussion des faits 
secondaires partait de ce principe fondamental. Du qua- 
torzième au seizième siècle, les tribunaux décidèrent bien 
des fois dans le S(îns affirrnatif la question de savoir si l'or 
fabriqué par l'alchimie pouvait être assimilé en valeur à l'or 
ordinaire, quand la pierre de touche ne signalait aucune 
différence entre ces deux métaux. La seule difficulté qui 
ait longtemps embarrassé les jurisconsultes, c'était de savoir 
si l'or alchimique possédait aussi les vertus secrètes de l'or 
naturel. 

""opp rapporte, dans son Hvttoire de In Chimie, qu'en 



ET DE LA RENAISSANCE. H9 

1668 le maître tailleur Christophe Kirchof de Lauban reçut 
de la chancellerie de Breslau un parchemin revêtu d'un cachet 
d'argent qui le légitimait comme alciiiniiste et qui le récom- 
pensait pour avoir « non-seulement révélé le secret de res- 
te prit universel, mais encore pour l'avoir découvert avec 
« Taide de Dieu et surtout par le secours de longs travaux 
(( de laboratoire » liO même écrivain ajoute qu'eu 1680 un 
jurisconsulte autrichien, G. -F. de Rain, prononça un juge- 
ment pour déclarer que tous ceux qui douteraient de Texis- 
tence de la pierre philosophale se rendraient coupables du 
crime de lèse-majesté, attendu que plusieurs empereurs d'Al- 
lemagne avaient été de zélés alchimistes^ Le roi d'Angleterre 
Henri VI, le plus méfiant des souverains, avait mis une telle 
confiance dans l'habileté des alchimistes, qu'il accorda à 
plusieurs d'entre eux l'autorisation de faire de Tor. Tels fu- 
rent Fauceby, Kirkeby et Ragny, qui obtinrent du roi, en 
1440, l'autorisation de fabriquer dans ses États de l'or et 
de Télixir de longue vie. En 1444, Henri VI accorda les 
mêmes privilèges à John Cobler, à Thomas Trafford et à 
Thomas Asheton; en 1446 et en 1449, à Robert Bolton; et, 
on 1452, à John Metsie ; ces derniers avaient le privilège de 
travailler sur tous les métaux, « parce que, était-il dit dans 
« l'acte de concession, ils ont trouvé le moyen de changer 
(( indistinctement tous les métaux en or. » 

L*a]chimie n'en était pas cependant arrivée à ce degré d*au- 
toritc et de crédit sans avoir rencontré quelques obstacles 
sur sa route. Un certain nombre de souveranis avaient es- 
sayé d'opposer une barrière à ses débordements, mais leur 
pouvoir s'était brisé contre l'énergie du courant univorsol. 
Le premier édit rendu contre ralchiniie, celui qui aurait pu 
produire l'action la plus efficace, parce que son empire s'ci- 
londait à toute la chrétientc», émana do la cour pontificale. 
En 1317, le pape Jean XXII fulmina contre l'alchimie la 
bulle : Spondent paritery qui condamnait les alchiniistos à 
des amendes, déclarait infâmes les laïques qui s'adonnaion 



120 L'ALCIIIMIK DANS LA SOCIÉTÉ Dl MOYEN AGE 

îHix rechcrclios «le an arl, t»t privait do tonto dignité les 
occliViastiques convainrus du iniMne cas * . 

I/offpl do celte bulle ne fut pas d(» longue durée. t)ans les 
années qui suivirent sa promulgation, quelques poursuites 
furent dirigées, en Allemagne, contre des ecclésiasti(|ues qui 
s*éliiicnt occupi's d'alchimie ; mais bientôt l'arrêt pontifical 
perdit tout son crédit, et l'alcbimicful de nouveau ouverte- 
ment et impuniMuent professée. 

En 1580, Charles V, roi de France, avait |)roscrit par une 
loi les recherches alchimi(|ues dans toute r<'*tendue de son 
royaume, et interdit, même chez les |)articurK»rs, la possession 
d'instruments et de fourneaux propres aux opérations de la 
chimie. Des officiers furent institué's pour rechercher les con- 
trevenants à cette ordonnance, qui avait é'té rendue en par- 
tie sur le reproche gi'néral adressé, aux alchimistes de cher- 
chera altérer les monnaies. In malheureux chimiste, nommé 
Jean Darillon, que Ton trouva délenteur d'appareils et de 



* Voici la traduction du texte de coUo bulle : 

t Les malhenroiix alchimistes promettent ce qu'ils n'ont pan! Quoiqu'iU 
a se croient sages, ils tombent dansTabinie qu'ils creusent pour )os autr(*s. 
« Ils scrionnent, d'une manière risible, connue les mailrcs de rulcliiniic, 
(V et prouvent leur iuniorance, en citant toujours des ^crivaii.s plus an- 
<( ciens; et, bien qu'ds ne puissent déiouvnr ce que ceux-ci n'ont pas 
« trouvé nou pins, ils rcganlont encore comme possible de le trouver à 
« lavenir. S'ils donnent un métal trompeur pour de l'or et de l'arj^onl 
n véritables ils le l'ont avec une quantité de mois qui ne signitient rien. 
u Leur audace a été trop loin; car, par ce moyen, ils frappent de la fausse 
a monnaie, et trompent ;iiiisi les peuples. Nous ordonnons que tous ci'S 
" bonnnes quittent pour toujours le pays, ainsi (pie ceux qui se font f;^^^ 
'< de l'or et de l'arfrent, ou i|ui sont convenus avec les trompeurs de leur 
« payer cet or, et nous voulons que, pour les punir, on donne aux pauvres 
<y lour or véritable. Ceux qui produisent ainsi de faux or et argent soni 
' sîMi-^ lionneur. Si les moyens de ceux qui ont enfreint à la loi ne leur 
« permettent pas de payer cette amende, celte punition pourra ôlre cb:m- 
« jrée en «nie antre. Si des personnes du clerfré sont comprises parmi les 
« alchimistes, elles ne trouveront jmin! ;jràce et seront privées «le la di- 
*é e«.Tlésiasliqne. >■ 



ET DE LA RENAISSANCE. 121 

fourneaux chimiques, fut jeté en prison et condamné par 
sentence du 3 août 1380 ; toutes les démarches et tout le 
zèle de ses amis suffirent à peine à sauver ses jours. Cepen- 
dant, après Charles V, cette loi tomba en désuétude. 

Henri IV, roi d'Angleterre, animé do la plus profonde 
aversion pour Talchimie, s'était flatté de Tanéanlir. En 1 404, 
il lança un édit contre l'exercice de cet art. (]et acte, d'une 
extrême brièveté, était ainsi conçu : « Nul no saviswa dé'sur- 
« mais, sous peine d'être traité ot puni comme f('»lon, de 
tt multiplier l'or et l'argent ou d'employer la supercherie 
« pour r<'»ussir dans cette tentative. » Mais cette défense ne 
l'ut pas mieux écoutée en Ano^leterre (pie ne le fut, en 141 S, 
(^n Italie, l'édit dirigé contre les alchimistes par le conseil de 
Venise. 

Ce qui contribua surtout à empêcher l'effet des ordonnan- 
ctis rendues parles souverains contre les fauteurs de l'alchi- 
mie, c'est que les successeurs et les héritiers de ces prin- 
ces donnèrent les premiers le signal de contrevenir aux ar- 
rêts de leurs prédécesseurs en s'occupant eux-mêmes avec la 
plus grande ardeur de travaux d'alchimie, et se constituant 
quelquefois les protecteurs déclarés de l'art herméti(|ue; 
c'est que, pendant le seizième siècle, l'Europe était mer- 
veilleusement disposée pour accueillir les faiseurs d'or : en 
Allemagne, tous les coffres royaux étaient vides; l'Angleterre 
et la France, ruinées par leurs longues guerres, se trouvaient, 
sous le rapport financier, dans une situation déplorable. 
Avec les croyances unanimes qui régnaient alors sur la pos- 
sibilité, pour la science, de fabriquer à volonté les métaux 
précieux, on comprend avec quelle faveur les souverains de- 
vaient accueillir les artistes hermétiques qui s'étaient acquis 
une certaine renommée. 

Parmi les souverains qui ont accordé à l'alchimie une 
protection ^ute particulière, il faut citer au premier rang 
l'empereur Rodolphe II, qui monta en 1570 sur le irûue 
d'Allemagne. 



122 L^ALCQIMIE DANS I.A SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE 

QuoicfUft x\(\ h Vionne, Rodolphe avait été élevé en Espa- 
gne à la cour de Philippe II, et c'est là qu'il avait puisé le 
goût des sciences occultes. Devenu empereur, il établit sa 
résidence à Prague. Dans les premières années de son règne, 
il se consacra tout entier aux soins du gouvernement, n'ac- 
cordant que ses instants de loisir à ses études favorites, 
l'astrologie et Talcliimie. Mais, la gestion des affaires étant 
devenue plus difficile, et ses embarras ayant augmenté par 
suite de la guerre qu'il eut à soutenir contre les Turcs, il 
trouva plus simple d'abandonner en entier la direction de 
PKlat, et, confiant à ses ministres le gouvernement de Tem- 
pire, il s'enferma dans le château de Prague pour ne plus 
s'occuper jusqu'à la fin de ses jours que de la pierre philo- 
sophale. 

Rodolphe avait eu pour maîtres, dans l'astronomie, Tycho- 
Brahé et Kepler ; le docteur Dec lui avait ouvert le monde 
secret des esprits, et il avait reçu les premières leçons d'al- 
chimie de ses médecins ordinaires, Thaddœiis de Hayec, et 
plus tard Michel Mayer et Martin Ruhland. Dans l'intérieur 
du château de Prague, tout le personnel était spagyrique. 
Los valets de chambre du prince étaient eux-mêmes allachcs 
à'sos travaux de laboratoire ; on a conservé parmi ces der- 
niers les noms de llans Marquard, surnommé Durbach, de 
Jean Frank et de Martin Rutzke. Un emploi plus noble en- 
core était réservé à l'un des valets de chambre du prince, 
l'Italien Mardochée do Dellc. Poëte de la cour, il était chargé 
de céh'brer en rimes allemandes les exploits de ses confrè- 
res, et de traduire en vers beaucoup d'écrits alchimiques; 
les artistes de la cour enluminaient ses manuscrits. 

Tous les alchimistes, quels que fussent leur nation et leur 
rang, étaient sûrs d'être bien accueillis à la cour de l'em- 
pereur Rodolphe. Après avoir reconnu, par un examen préa- 
lable, qu'ils possédaient la science requise, le médecin Thad- 
dœiis les introduisait auprès du prince, qui ne manquait 
jamais de les récompenser dignement (fuand ils avaient su 



ET DE LA RENAISSANCE. 123 

le rendre témoin d'une expérience intéressante. Souvent 
même l'empereur appelait auprès de lui les artistes que leur 
renommée désignait à son attention. Presque tous répon- 
daient à cet appel. Quelques-uns cependant y restaient 
sourds. Tel fut, par exemple, un artiste frane-comtois à qui 
l'empereur avait dépêché un homme de conGance pour le 
conduire à Prague. Le Franc-Comtois résista à toutes les pro- 
messes de l'envoyé, se bornant à cette réponse pleine de 
sens : « Si je suis adepte, je n'ai pas besoin de l'empereur ; 
tt si je ne le suis pas, l'empereur n'a pas besoin de moi. » 
Dans ce cas Rodolphe II, ne se tenant pas pour battu, en- 
trait en correspondance avec Tartiste récalcitrant. 
^^ Les alchimistes ne se montrèrent pas ingrats envers leur 
protecteur couronné : ils lui décernèrent le nom lï Hermès de 
f Allemagne, et vantèrent partout son mérite. Rodolphe fut 
rangé, par leurs écrivains, au nombre des heureux posses- 
seurs de la pierre philosophale. Ce fait parut d'ailleurs hors 
de doute lorsque, après la mort de l'empereur, en 16i2, on 
trouva dans -spn laboratoire quatre-vingt-quatre quintaux 
d'or et soixante quintaux d'argent, coulés par petites masses 
en forme de briques. A côté de ce trésor se trouvait déposée 
une certaine quantité d'une poudre de couleur grise. Per- 
sonne ne douta que ce produit secret ne constituât les restes 
de la pierre philosophale de l'empereur. Mais Tévéncment 
prouva que celle croyance était mal fondée. Le valet de 
chambre Rutzke, s'étant empressé de voler ce trésor, le trans- 
mit par héritage à sa famille. Or, quand on voulut la sou- 
mettre à rexpérience, la pierre philosophale de l'empereur 
se trouva sans vertu . 

Parmi les artistes hermétiques que Rodolphe II honora le 
plus particulièrement de sa faveur, on peut citer Kelley, 
qui fut élevé par lui au rang de marquis de Bohême et com- 
blé de faveurs ; Sebaldschenser, qui, après avoir travaillé, 
avec rélecteur Auguste de Saxe et avec Chrétien, son suc- 
cesseur, s'attacha, en <591, à la cour de Rodolphe, ^ui l'a- 



1-2i LAT.nilMîK DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN A(ÎE 

ii()l)lil et le iioininn ilircetCMir des ininos de Roachiniistadt, 
où il moiirul en iOOl ; enfin, le Polonais Sendivogius, dont 
nous aurons plus loin à raconter l'histoire. 

Un autre prince allemand (jui, à la môme époque, pro- 
tê«çea beaucoup lalcliimie, fut ri'Iecteur Aufçuste de Saxe. 
Il travaillait de ses propres mains aux opérations alchimi- 
«jues dans un lahoratoin^ qu'il poss(''dait à Dresde, et que le 
l)euple dési^mait sous le nom de Maisou d'or. Ce prince 
s'est vanté, dans (|uel((ues lettres cpii sont venues jusqu'à 
nous, d'avoir possédé la pierre philosophale. Sa femme, 
Anne do Danemark, parla*(eail ses prédilections pour hs 
travaux du j^rand oeuvre, et elle entn^tenait, dans son châ- 
teau de JIanaberf(, un laboratoire, que Kunckel nous vanUî., 
comme le plus beau et le plus vaste qui ait jamais existé, 
dépendant l'i^lectein- de Saxe n'ouvrait; point sa porte, à 
l'exemple de l'empereur Kodolphe, à tous les alchimistes de 
Tunivers. Il tenait à sa solde quelques artistes particulière- 
ment attach(''s à ses travaux Deuther et Schweitzer étaient 
les plus man|uants. Son successeur, l'électeur (llinHien de 
Saxe, s'occupa aussi d'alcliiinie. 

A la lin de la guerre d(» Trente Ans, les (inances de l'Al- 
lemagne se trouvaient dans le plus triste état; aussi les al- 
chimistes furent-ils encore, à cette épo(jue, recherchés par 
l(^s souverains et les princes allemands, ([ui espéraient répa- 
rer avec leur aide les vides du trésor public. I/empereur 
d Allemagne Ferdinand III, qui eut, comme on le verra plus 
loin, le bonheur d'opiM'er lui-même la transniutation du 
mercure en or avec la pierre philosophale qui lui fut remise 
par Richtausen, honora beaucoup les alchimistes. Ainsi agit 
encore l'un de ses successeurs, l'empereur Léopold T', ((ui 
combla de faveurs le moine Augustin YiMizel Zeyler, et le 
nomma marquis de Reinersberg (de la montagne purifiée), 
pour avoir transformé' sous ses yeux de l'i^tain en or. On re- 
connut, il est vrai, rpielque temps après, (|ue cette opéra- 
îion n'avait été qu'une fraude de l'adepte; mais il était trop 



ET DE LA RENAISSANCE. 125 

tard, le marquisat lui (Hait acquis. On pourrait citer encore 
au môme titre le roi de Prusse Frédéric 1"; et son succes- 
î^eur Frédéric II. Bien que, sur la (in de son rf'gne, Frédéric 
le Grand se soit beaucoup moqué dos alchimistes, il leur 
avait porté, dans les premières années, une certaine ten- 
dresse, ainsi que le prouve l'histoire de madame de Pfuel, 
qui, en 1751, vint s'installer avec ses deux filles à Postdam, 
et s'y livra, sous la protection et aux. frais du roi, à des 
recherches sur la préparation artificielle de l'or. 

Ce n'était pas seulement auprès des princes de rAIlcma^ne 
que Talchimie rencontrait ^ un solide appui: on peut citer 
plusieurs autres souverains qui, en Europe, fondaient un 
espoir sérieux sur les travaux alchimiques pour réparer les 
désastres de leurs finances. Tel fut, par exemple, Alphonse X, 
roi deCastille, Alphonse le Savant, mort en 1281, qui s'ap- 
pliqua aux recherches de l'alchimie, et que les adeptes 
comptent parmi leurs écrivains, pour le traité qu'il composa 
sous le titre de Clef de la sagesse. 

La reine d'Angleterre Elisabeth s'adonna à la recherche 
de la pierre philosophale. 

En France, un certain Jean des Galans. sieur dePezerolles, 
se vantait de fabriquer de For. Séduit par cette assurance, 
Charles IX fit compter au sieur de PezeroUes cent vingt mille 
livres, pour être mis en possession de son procède''. L'adepte 
fut placé dans un laboratoire, et il commença ses opérations. 
Mais, au bout de huit jours, il prit la fuite avec l'argent. 
Poursuivi par Tordre de Charles IX, il fut arrêté et pendu. 

Il existe, dans la collection des manuscrits de la Biblio- 
thèque impériale de Paris, la copie du traité que le jeune 
roi et son frère le duc d'Anjou passèrent avec Jean des 
Galans avant de lui faire commencer ses opérations. Cet 
acte stipule des avantages très-considérables en faveur du 
sieur de PezeroUes : s'il réussit dans son œuvre, on lui 
accorde une rente annuelle de cent mille livres tournois 
et une somme de cent mille écus d'or en espèces. En at- 



12G L'ALCHIMIE DANS LA S(n:1ÊTÉ DU MOYEN AGE 

tondant r<*|»o((uo (ju'il îi li\tV comme \o. terme de sos o|>é- 
rations, on doit lui di*livn*r chaque mois la somme de 
djiuziMM'uls l'eus. Charles IX ci son frère, le ducd*Anjou, 
('taicnl fort jeunes alors ; bien qu'investi de Tautiorité royale, 
(îharlesIX n'avait que seize ans. 11 est donc probahie que cet 
acte, as.<îoz irn'gulier d'ailleurs dans sa forme et ses disposi- 
tions, fut l'ouvrage secret du jeune roi et de son frère, qui 
n'avaient voulu prendre ni témoins ni confidents pour n^ 
Kliîr cette im|K)rtant(î affaire *. Mais, si le charlatan abusa de 
rinexpériencfî et de la crédulité du jeune roi, ce dernier le 
lui n;ndit bien, puisqu'il le fit )>endre. 

Guy de Ousembourg, prisonnier à la Bastille, avait reçu, 
en 4016, de Marie de.Mi'dicis, vingt mille écus pour travail- 
ler, |K)ur le comptcî de la reine, à la pierre philosophais 
Mais, au bout de trois mois, il réussit à s'évader do la Bas- 
tille, et, malgré toutes les recherches qui furent ordonnées, 
Marie de Médicis ne put jamais recevoir la moindre nouvelle 
de son alchimiste ni (h; ses vingt mille écus. 

Ces mésaventures n'empi^chèrent point d'autres princes de 
conserver beaucoup de sympathie pour les alchimistes. En 
1640, le roi de Danemark Chrétien IV nomma son alchi- 
miste particulier un c(*rtn in Gaspard Harbach, et, en 1648, 
son successeur Frédéric III avait accordé à l'aventurier Borri 
eette confiance singulière! dont nous avons déjà rapporté les 
résultats 

Pour rechercher avec tant d'ardeur le commerce des ar- 
tistes du grand o'uvnj, les souverains du moyen Age et de la 
Iienaissancc devaient avoir des motifs bien sfirieux ; des faits 
incontestables avaient dû leur prouver Tulilité d'un tel si?- 
cours. ï/histoire nous apprend, en effet, (|ue les rapports des 
alchimistes avec les princes de l'Kuropo ne se bornèrent pas 



* Nous reprrNiuLsons, «lans les nol«s de ce volume (Nolo III), le texle 
«le cet acte d'aiirèn le irinniiscrit f\u\ se Irouve à In nihliolhr'fiue impf'- 
rialo «le Paris. 



ET DE LA RENAISSAÎVCE. 127 

toujours à amener des mésaventures et des déceptions du 
genre de celles que nous avons rapportées plus haut. Les 
nobles à la rose fabriqués par Raymond Lulle, pour le 
compte du roi d'Angleterre Edouard III, les ducats fabri- 
qués en 1722 pour Charles Xll, roi do Suède, par Talchi- 
niiste Paykull, les médailles commémora tives frappées par 
l'empereur Ferdinand UI, etc., nous montrent suffisam- 
ment que l'intervention des alchimistes auprès des sou- 
verains ne fut pas toujours infructueuse. Mais quelle in- 
terprétation faut-il donner de ces faits inexplicables en 
apparence ? C'est ce que le lecteur comprendra si nous rap- 
pelons, pour prendre un exemple assez frappant, ce qu'il 
advint de l'appel fait en 1456 aux alchimistes par le roi 
d'Angleterre Henri VI, pour combler les vides de son 
trésor. 

A la suite des embarras qu'avaient amenés dans ses 
finances les victoires de Charles VII et de ses lieutenants, 
Henri Vi avait songé à invoquer le secours des faiseurs d'or. 
Cemonarque n'accordait pas personnellement un grand crédit 
à l'alchimie; mais le souvenir des services que Raymond 
Lulle avait rendus à l'un de ses ancêtres l'avait décidé à 
tenter ce moyen. En 1456, il publia un édit adressé 
aux prêtres, aux nobles et aux docteurs, pour les engager 
à s'occuper d'alchimie, afin de venir en aide aux besoins du 
royaume. Le roi invoquait particulièrement le secours des 
ecclésiastiques; il espérait, disait-il, qu'ayant la faculté de 
changer le pain et le vin en le corps et le sang de Jésus- 
Christ, il leur serait facile de transformer en or les métaux 
vils *. Or voici les conséquences qu'amena la publication de 
cet édit d'Henri VI. 



* John Petty a cilé cette ordonnance d'Henri VI dans son livre Fodivœ 
regaUs, cap. xxvii, p. 1, et Morhof assure que, de son temps, les pièces 
originales étaient conservées a Londres. ( Epistola ad Langelottum , 
p. 125. ) 



\ 



ItiK |;AIX11I>IIE DWS la SOIIIÊTÉ du moyen A€E 

Les «Tcl('siasrK|uo.<, trouvant, avoc raison, que la majesté 
de la religion était offensée par la comparaison impie que le 
roi avait os»'» établir entre les résultats de l'oeuvre hermétique 
et les mystères du christianisme, refusèrent de n'^pondre à 
srm désir. Cependant les laïques ne manquèrent pas pour 
satisfaire au vœu du roi, qui, j)eu de temps après, reçut de 
toutes les mains les dons «lu'ii avait n'clamés. C'est alors 
qu'il accorda aux diverses compagnies que nous avons citt^s 
plus haut le droit de fabri(|uer de Tor avec les métaux vils. 

On se demande maintenant ijuei emploi reçurent toutes 
ces richesses suspectes. Le silence que l'histoire d'Angleterre 
garde sur cette question pourrait déjà servir de réponse: 
mais nous la formulerons d'une manière plus précise en di- 
sant que l'or fabriqué par les alchimisl(»s anglais servit à 
fabriquer de la fausse monnaie sous l'égide du roi. 

Est-il permis, après les siècles qui nous séparent de cette 
époque, d'établir quelle était la nature de Talliage chimique 
qui servit à la confection de la fausse monnaie dllenri VI ? 
D'après Barchuysen, cet or sophistique consistait en un amal- 
game de cuivre, que Ton obumait d'une manière indirecte 
par le proc(''d('' suivant. Dans un creuset de fer on plaçait du 
niercure et du vitriol de cuivre (sulfate de cuivre) contenant 
un peu d'eau. Le sel de cuivre, se dissolvant dans l'eau, se 
troiivait réduit à l'état métaHi(jne par l'actiim désoxydante 
du fer, et le cuivre, ainsi n'duit, se combinait au niercure 
en formant un amalgame épais. Le produit de cette opi'ra- 
tion était lavé pour en séparer les parties solubles; on le 
soumettait ensuite à la compression pour en faire écouler 
Texcès d(» mercure non combiné. Enfin, Tamalgame était 
fondu, en ayant soin de ne pas atteindre la température, 
d'ailleurs assez élevée, à laquelle il se décompose. Cet amal- 
game, très-malh'able et qui recevait aisément l'action du 
balancier, offrait la couleur jaune et brillante de l'or; 
seulement sa densité différait notablement de celle de ce 
métal- 



ET bE LA KE>AiSSANCt. i^JH 

Telle fut la nouvelle monnaie que lit frapper lleiiii VI. 
On était sans cloute parvenu à obtenir le silence des es- 
sayeurs publics, car aucune plainte ne s'éleva en Angleterre 
contre la fraude royale. Cependant, pour causer moins de 
préjudice à l'Angleterre, on s'efforça de répandre surtout à 
I étranger, les produits de cette honteuse industrie. 

L'Ecosse, qui les reçut la première, reconnut aussitôt la 
fraude, et, en 1449, le parlement de ce pays [)rescrivit 
d'exercer une surveillance continuelle sur les frontières, afin 
d'empêcher toute introduction de la fausse monnaie anglaise. 
En 1450, le môme parlement ordonna de soumettre à une 
vérification attentive tout l'or des monnaies de l'Ecosse, et 
(le doubler à l'avenir le poids ordinaire des pièces, afin 
qu'on ne pût les confondre avec les monnaies d'Angleterre, 
la mcMue prescription fut portée pour les monnaies d'argent. 
Enfin, comme en dépit de tout ces frauduleuses importa- 
tions continuaient, le parlement d'Ecosse fut obligé d'en 
\»»nir à une mesure extrême et d'interdire tout commerce 
avt'C l'Angleterre. 

En France, on procéda autrement : on y fabri(jua des mon- 
naies de mauvais aloi, qui furent passées aux Anglais; ceux-ci 
les acceptèrent sans difficulté, parce qu'elles ne portaient 
yoinl la marque, justement suspecte, de leur pays. Lorsque 
VAnglais fut définitivement expulsé de la Krance, il resta 
dans notre pays une assez grande quantité de cette fausse 
monnaie indigène, et la juste indignation du peuple se porta 
iîonlrc l'argentier du roi, .lac([ues Cœur, accusé d'avoir pré- 
sidé à cette altération du numéraire. C'est en vain (jue, pour 
donner le change à l'opinion, Jacques Cœur s'efforçait de ré- 
pandre le bruit qu'il avait trouvé dans la découverte de la 
j'ierro philosophale l'origine de ses immenses richesses : à 
IWges, sur le frontispice de son hôtel, il avait fait repn'sen- 
^*^r, dans cette intention, les emblèmes de l'alchimie. Mais le 
Peuple, qui avait accepté du pieux Nicolas Elamel cette sym- 
l^oluiue explication j refusa la même confiance au puissant mi- 



loU LWLCUIMIE DANS LA SOCIETE W MOYEN AtiE 
nistre (lu roi do Franco; ol la vindictï^ publique no se trouva 
c|iio nuMliorromonl satisfaite lorsquo, on i*?)^, un arrôl de 
(lliarlos Vil le condamna à un bannissonxMil [)or|Hituel. 

Kn Angioterro, la fabrication do Tor fut oncon* autorisée, 
parcbarto royalo, sous l'un dos succ(îss<inrs d'Honri VI. Mn 
J AiJS, Kdouard IV accorda à Talcbiniisto Hidiard Cartor la p(T- 
mission do s\»ccnpor pondant trois ans do la transmutation 
dos môlaux. 1/adopto travaillait aux frais du roi, et avait ôté 
installé par lui dans lo cliâtimu do Wostock. Kn 1^76, lo 
mômo monar(|ue accorda à une compaj^nic un privilé«;o do 
quatro ann(kîs « pour s'occuper do pbilosopliio naturelle 
« et transformer le nïorcunî on or. » On no p<.'ut pas démon- 
trer copcndant (juo les travaux de ces di>oi's opérateurs 
aient servi à l'altération des monnaies*. 

Sur la liste des souverains (|ui ont mis à prolit la science* 
alcbimi(|ue pour fabri(|uor ot faire acc^'ptor par leurs sujou* 
de Torde mauvais aloi, on peut ajouter lo nom do rim|H*- 
ratrice Barbe, seconde femme do l'emporour Si^ismond, 
connue dans l'histoire do TAIIemagno pour avoir, on 1401, 
aidé son «Ipoux à reconquifrir lo trône do Hongrie. L'imj)!'- 
ratrico lîarbf, fenimi* hanlio ot savante, avait pour l'alclii- 
mie une prédilection toute» particulière; ollo tira parti de 
ses C(innaissanc«'s cliimiqu<'s pour pn*parer ot \ondroàs<'S 
sujets l'alliafio (rarsenic et do cuivro comme do l'argent, ol 
Talliago d'or, do cuivro ot d'arj(ont, comme do l'or pur. 

Cette fraude serait siins doute rr'stéo ij»nor(N» d(; riiistoin*, 
si la conscience et riiounôlot*' diiii adepl»* n'.ivaiont pris soin 
de nous la rt'vcltr. Uu alrliimiste de l:i lioliôme, Jean do 
La:iz, (|ui visitait les prinripaK's villes de l'Kurope prjursc 
porfoclinnnor ilans son art. eut l'occasion rl(*M>uiiiettro à un 
examen sévère IfS np^-rations »!<• rade|»lo iinpj'rialo, et, dans 
un de se> t»uvra;;rs. il u«nis révêle le fait dans b*s tenues 
>uivaiils : 



ET DE LA KENAISSANCE. 151 

« Ayant eiilcnJu dire de tous les côtés que ' l'épouse du grand 
empereur Sigisraond jwssédait de très-hautes connaissances dans les 
sciences naturelles, je lui fis demander de me permettre d'assister à 
ses travaux. L'impér.itrice étiit une femme très-habile et qui savait 
mesurer ses jwroles avec beaucoup de prudence et de iinesse. Un jour 
elle fit en ma présence une trunsmutiition du cuivre en argent. Elle 
prit de Tarsenic, du mercm*e et autre chose qu'elle ne me dit piis 
(quas ipsa scivit benè). Elle en fit une poudre qui blanchit aussitôt 
le cuivre. Elle trompa ainsi beaucoup de monde. 

« De même je vis chez elle qu'elle mêla du cuivre chaud avec une 
ccrtiine i)oudre qui cliangea le cuivre en argent fin. Mais, lorsqu'il 
est fondu, il i*edevient du cuivre. Elle trompa encore beaucoup de 
ses sujets avec cet argent faux. 

c Une autre fois elle prit du safran, du vitiiol de cuivre et une autre 
lM)udre, et, en les mélangeant, elle en fit de l'or et de l'argent. Alor^ 
ie métal offrait l'apparence de l'or pur; mais loi-squ'on le fondait il 
en perdait la couleur. Elle trompa ainsi beaucoup de marchands. 

« Loi*sque j'eus reconnu ses mensonges et sa tromptaie, je lui en 
Us des rei)roches. Elle voulut me faire jeter en prison; mais, grâce à 
Dieu, les choses n'allèrent pas jusque-là. » 

Il serait facile de montrer, par d'autres faits, les véritables 
conséquences dé la protection accordée par les souverains du 
moyen âge et de la Renaissance aux artistes hermétiques. On 
montrerait sans peine, par exemple, cjue les époques où 
Von vil s'accomplir chez les différentes nations les plus 
graves altérations des monnaies coïncident avec le temps où 
l'alchimie brillait de son plus vif éclat. En France, c'est sous 
le règne des rois Philippe de Valois, Jean et Philippe le Bel, 
dénoncés par Popinion publique comme ayant gravement 
altéré les monnaies, que l'on vit lleurir beaucoup d'alchi- 
mistes célèbres, tels que Rupescissa, Orthulain et Odomar. 
En Angleterre, Edouard ill, sur lequel plane la même accu- 
^llon, fntPhôteet Fami de Raymond Lullc; etlontcon- 
•^^un à prouver que les nobles â la rose de ce dernier mo- 
"^r^juc étaient (lu même aloi (|uc les monnaies s()pliisti(|nes 
'le son descendant Henri Yl. 



152 L'ALCllIMIt; ItANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE 



CIIAIMTUE 11 

LA VI b lUIVÉE DKS AlXHIMlSTLi<. 

L'histoire uo possède qu'une vue d'ensemble, en confor- 
luilc plus ou moins réelle avec les faits, relativement à la 
vie des alchimistes au milieu de la société de leur temps. 
Dans son Histoire des Français des divers Étais, Alexis 
Monlcil n'a traité ce sujet que d'une manière superficielle, 
et 1 Ou peut sans doute inférer de là que la science historique 
a jus(iu'ici manqué de renseignements précis sur ce curieux 
sujet. Pour jeter sur cette question une certaine lumière, il 
suffisait cepeiidînil de chercher, dans les écrits des alchi- 
mistes, les détails (|ui se rapportent à leur existence indivi- 
duelle. Plusieurs d'entre eux ont naïvement exposé les par- 
ticularités de leur carrière, et il est permis de reconstruire, 
avec ces éléments, les traits oubliés de leur physionomie. 

Nous prendrons pour guide et pour texte de cet examen 
un [)assago du traité De alchimiâ attribué à Albert le Grand, 
dans le<|uel fauteur énumère les diverses conditions que 
falchimiste doit remplir pour parvenir au grand œuvre. 

(( I" I/alrhiiiiisti*, nous dit AlhcrI lo Gran<l, sera discret et silen- 
cieux; il lie révéleia ;i peiisoiitie le résultat de ses opérations; 

« ^r 11 habitera, loin «les hoiuiues, une maison particulièir d.iii' 
laquelhî il y ait deux ou trois jûcces (?xclusivcnient destinées à >«'* 
opérations : 

« 7f II elioisira le temps et les heures de son travail ; 

« 4" 11 sera patient, assidu et persévérant; 

« ô" 11 exécutera, traprcs les règles de fart, la trituration, la mi- 
])lhnalion, la fixation, la calcinalion, la solution, la distillation cl l^i 
coa«j;ulation ; 

« G" Il ne se :^er\ira qrc de vais^c.ulx do vonc ou de [K>tcric vci- 
uisséc ; 



ET DE LA KEiNAISSAiNCE. 155 

« 7** Il aerd assez riche pour faiii-i la dépense ({u'exigciil ses opé- 
rations; 

• 8' Il é\itei-a, enfin, d'avoir aucun rap|K)il iwov les princes cl Ic^ 
^^igneui*s ' . . . . » 

Nous allons montrer, en invoquant divers faits einprunU's 
à la vie de quelques artistes célèbres, combien étaient justes 
ces règles tracées par Albert le Grand pour les diriger dans 
leur carrière. 



Dans son premier précepte, Albert recommande à rad(^|)te 
le silence et la discrétion sur le résultat de ses travaux. Les 
faits suivants vont faire comprendre si ce conseil (fl<iit mal 
fondé. 

En 1483, un alchimiste, nommé Louis de Aeuî>, natif de la 
fcie, avait expérimenté, à la cour de Marbourg, dc^vant un 
|(rand nombre de témoins, une teinture philosophique , dont 
une partie transformait, à son dire, seize parties de mercure 
en or très-pur. Jean Dornberg, courtisan et ministre du 
liindgTdve Henri III, et qui devait plus tard déposséder à son 
profit le lils de son maître, avait assisté aux opérations. Il 
^^igea que l'adepte lui révélât son secret, et, sur le refus de 
cedemier, il le fit jeter en prison. N'ayant rien pu obtenir 
•lu prisonnier par ses menaces ni ses violences, il le laissa 
njourir de faim. 

En 1570, un moine alchimiste, nommé Albrecht Bever, 
f»l assassiné dans sa maison, parce que les meurtriers espé- 
•^ient trouver chez lui la pierre philosophale, cju'il se van 
lait de posséder. 

L'alchimiste provençal Delisle, qui brilla sous Louis XIV, 
avait acquis sa poudre de projection en assassinant, dans 

' Opéra oinnia, vol XXI. 



irii l^algiiimif: dans la dOt.ibTE du moyen âge 

ks gorges de la Savoie, un philosophe hermétique dont il 
était le serviteur. 

Sébastien Siebenfreund, né à Schkcuditz, prés de I>;ipsick, 
et fils d'un fabricant do draps, était attaché à un sei- 
gneur polonais, et voyageait avec lui en Italie. Ce seigneur 
étant mort pendant le voyage, Sielxînfreund se retira dans 
un couvent de Vérone. Un vieux frère du couvent, qui 
conçut |M)ur lui une vive affection, Tinitia aux procédés 
lierméti(|ues, et, à sf>n lit de mort, lui légua le secret d'une 
certaine poudre propre A la transmutation des métaux. Sie- 
tienfreund revint alors dans son pays, et entra au couvent 
dïJliva, situé près d'Elbing. Après s'être suffisamment exercé 
à préparer cette panacée merveilleuse, Siebenfreund quitta 
le (^)uvent, afin de jouir, avec sa liberté, des fruits de son 
travail. Se trouvant à Hambourg en i570, il reçut l'hospi- 
talité d'un gentilhomme écossais qui était en proie à un 
violent accès de goutte, ce qui jetait tout son entourage dans 
une grande affliction. Sielienfreund lui administra un re- 
mède qui le mit aussitôt sur pied, et cette guérison si prompte 
frappa tout le monde de surprise. 

Dans la mais^m de l'Écossais habitaient deux étudiants 
de Wittenberg nomm('>s Nicolas Globes et Jonas Agrieola, 
plus un troisième, dont le nom n'a pas été dévoilé pr 
l'auteur de ce récita IjCs trois étudiants pensèrent que ce 
merveilleux remède ne ])ouvait être autre chose que la 
|)ierre pliilosopliale que le moine »e vantait de posséder. In- 
terrogé sur ce point, Si(;benfreund eut Timprudence de con- 
v(>nir du fait, et, [K)ur mieux en convaincre son hôte et ses 
trois cx)m|>af<nons, il prit devant eux une cuiller de zinc, la 
frotta de s.i poudre de proj(;ction, qui n'était autre chose 
(|u'un amalgaiiKMror, et, l'ayant clwiiifféi* au-dessus de la 



' (^til aiileiii' Piii lu iioiii(!>lii|iic iiiùiiic de Sicliciiririiinl, (|iii a lacuiil/; ic 
taildansun (Vril iiii|iriiiic à llaiiiboun; <'n 170ô, Quadralum alchymùlf 
cum, cilc par Scliiiiiudcr. 



ET DE LA RENAISSANCE. 155 

flamme d'un fourneau, il la rendit aux témoins de cette ex- 
périence, transformée en or, ou, pour mieux dire, dorée 
par suite de la décomposition de l'amalgame aurifère. C'est 
en vain que le gentilhomme écossais pria son savant ami de 
lui accorder un peu de cette bienheureuse poudre; tout ce 
qu'il put obtenir fut l'objet précieux qui provenait de l'ex- 
périence. 

Pour se dérober au bruit importun que cette aventure oc- 
casionnait à Hambourg, Siebenfreund quitta cette ville et 
retourna en Prusse par un chemin détourné. 11 traversa suc- 
cessivement Lunebourg et Magdebourg, et s'arrêta à Wil- 
tenberg, où il passa quatre mois dans la maison de son ami, 
le professeur Bach. Cependant les trois étudiants et le gen- 
tilhomme écossais avaient secrètement suivi ses traces; ils 
demeurèrent cachés à Wittenberg, pour y attendre une occa- 
sion favorable. Le moment leur parut propice à l'exécution do 
leurs sinistres projets, lorsque le domestique de Siebenfreund , 
obligé de se rendre chez ses parents, à quelque distance de 
Wittenberg, laissa son maître seul dans la maison de son ami. 
S'étant introduits dans sa chambre à la faveur de la nuit, les 
quatre complices l'assassinèrent et cachèrent son corps dans 
un souterrain, où il ne fut découvert que deux années après. 

L'histoire né dit pas si les assassins de l'adepte furent re- 
cherchés et punis. D'après l'auteur du récit, le docteur Léo- 
nard Thurneysser, dont nous avons parlé ailleurs, aurait 
Gguré parmi les meurtriers; mais ce fait est loin d'être établi, 
car Thurneysser ne se trouvait pas en Prusse à l'époque 
que l'on assigne à cet événement, et Théobald do Hoghe- 
lande, dans son Histoire de qiielqiies transmiUations, donne 
des noms différents aux meurtriers de Siebenfreund. 



« Un alchimiste, nous dit Albert le Grand dans son second pr^ 
'tîple, doit habiter, loin des hommes, une maison particuli^ro, dans 



iry» L'ALCHDIIC liANS LA .^ICIÉTÉ DU MOYEN AGE 

hiqik-lltr il ) .'lit ii«'ii\ ..u ti"j« j>it\.> «-ii-lu>îvi*iik'i]t destinées aii\sii- 
liliiii4tion«-. .'U\ >■• ii!J<!i- -'. xiv ilMillation^. » 

Ti» nV>! |»a- iiriiqu»-mfDî j^fiur y imnver le rnimo et la iran- 
qiiillitH ntM'.-^sîiiriF-i û >»> ofH-ralions que raleliimiste devait 
v reu fermer ilnns un<=* b«ibiUition isolée. Un certain danger 
*t' rattacli.iit n''r.?s<îiirem»^nt â l'i-xi-cution des opérations chi- 
îfiiqiit'> îi un»* ♦*fMM]ue mû, pn'»c»'dant >an> règles pnkïises, on 
ni' comprenait point la nature d^s phénomènes dont on pro- 
voipiait Tacmm plissement. Gimnif l'existence des gaz était 
i^ncore ignnn*i*, on ne prenait iKavance aucune précaution 
|iour donn«*r issue aux fluides élastiques lorsqu'ils venaient à 
>e produire au sein des appareils. I>e là une cause permanente 
«l'accidents : des «explosions de cornues, des ruptures de péli- 
cans et de nMortes, îles incendies prf»v<Mju«''S par la subite in- 
tlaïninatiùn desfr.izcomlmstihles, etc. Combien de fois d'ign^- 
I :irits opiTateiirs n'unt-ils pas renfermé dans un ballon de mé- 
tal liermétiijuement clos du mercure ou des amalgames, 
l»our exposer imprudemment le tout à Faction d'un feu vio- 
lent : le ballon et le fourneau, volant en éclats avec un bruit 
i''|iouvaniable, mettaient (in à Texpérience. 

Entre beaiicouixfautres du même j^enre (ju'il serait facile 
«le citer, nous emprunterons ici un fait à l'auteur des Cu- 
nosités de la littrvaUnr, (|ui le raconta» d'après les Mémoires 
de la nouvelle Atnlante, ouvrage publié à la fin du dix-sep- 
tième siècle, et ilfi à la plume, assez connue dans l'histoire 
litl^éraire de la Grande-Bretagne, de mistriss Marie Manlev. 

« Une piincessi', éprise do ralcliiinie, fit la ivncontrc, nous dit 
Taiiteur dos Curiosiics de la littérature, d'un lionnne qui préton- 
dait avoir la puissance do changer le plomb en or, c'est-à-chre, dans 
le langage alchimirpio, do convoilir les métaux imparfaits en mé- 
taux parfaits. Co philosophe^ honuétique ne demandait que les maté- 
iiaux t»t le temps noc(;ssairos pour oxocuter la conversion qu'il avait 
promise. Il fut omnioné k la campagne de sa piotcctrice, où Ton cun- 
Rtruisit pour lui un vastolaltonitoiro, ot, afîn qu'il ne put pas être dérangé 
i ses travaux, les ordres los plus expr^s furent donnés pour que 



ET DE LA RENAISSANCE. 137 

poreonne n\ entrât. Il avait imaginé de faire tourner sa porte sur un 
pivot, (le sorte qu'il recevait à manger sans voîr«iêtre vu, et sans 
que rien put le distraire de ses sublimes contemplations. Pondant 
le séjour de deux ans qu'il fit au château, il ne cons(»ntit à parler à 
qui que ce fût, p:is même h son infatuée protectrice. Lorsqu'elle fut 
introduite pour la premières fois dans son laboratoire, elle vit, avec un 
agréable étonnement, des alambics, des chaudières immenses, de 
longs tuyaux, des forges, des foumeaux et trois ou quatre feux d'en- 
fer allumés aux différents coins de cette esju'ce de volcan. Elle ne 
contempla pas avec moinS de vénération la figure enfumée du ])hysi- 
cien, pâle, déchaîné et affaibli par ses opérations de jour et ses veilles 
continuelles, qui lui révéla, dans un jargon inintelligible, les succès 
qu'il avait obtenus; elle vit ou crut voir dos monceaux de mine d'or 
répandus dans bon laboratoire. Souvent ralchimiste demandait un 
nouvel alambic ou des quantités énormes do charbon. Cette princesse, 
voyant néanmohis qu'elle avait dépensé une grande partie de sa fortune 
à fournir aux demandes du philosophe, commença à régler Tessoi* de 
son imagination sur les conseils de la sagesse. Deux ans déjà s'étaient 
écoulés, de vastes quantités de plomb avaient été fournies, et elle ne 
voyait toujoui's que du plomb. Elle découvrit sa façon de penser au 
physicien; celui-ci lui avoua sincèrement qu'il était surpris de la 
lenteur de ses j)rogrès, mais qu'il allait redoubler d'efforts et hasar- 
der une laboriease optTation, à laquelle jusqu'alors il îivait cm ne 
pas être obligé d'avoir n'cours. Sa protectrice se retira, et les visions 
dorées de l'espérance repiirent tout leur premier empire. 

« Un jour qu'elle était à diner, un cri affreux, suivi d'une explosion 
semblable à celle d'un coup de canon du plus fort calibre, se fit en- 
tendre ; elle se rendit avec ses gens auprès du chimiste ; ils trouvè- 
rent deux larges rotortes brisées, une giande partie du laboratoire en 
flammes, et le physicien grillé depuis les pieds jusqu'à la tète *. » 



Albert le Grand, dans le précepte qui suit, recommande à 
Tailepte la patience et une persévëranco assidiin dans l'exé- 
cution de ses travaux. C'est là, sans aucun doiiit», la recom- 

* Curionlis de In Ul ter ature y. \rad\ic\\oi\ (\o ranjrluis, pnr M. T. Hcr- 
III. l.l". 



f> IXlfimm HA» .-A ^ifc !FTK W MOn> AGE 

ni'ipi.itfii. Kifurif- I- - it-Miii'-i— *•■ 'i'»iii mnntri's |p]»h!> 
I „[..,.. I .-• pr-^iii- iiii|H.>>ii.i. ,|. iNiniprtniitri' aujinir- 
iVuii \i\-"H.' ail- |«"in: it- -«n: im^usv- cetir rjunlité. Mé- 
iiii.iii>iii> ^11 1 »♦- rrrii* iltf> i:nin«i> maîtres et comparaison 
lit" iiiri"r"ni»>:iui'irii»-. |m airs ni vit*- .sins interruption iven- 
il.iiit (If.- ;niiii'i- rmitTi*-; vnya^rt»'. entrepris en diverses cos- 
iri«r^ <lf rKiin)|H' Mil lit- rOrieni. pour recevoir de la bouche 
ilf' ;iriistf> ri'l("?hrt*- l.i PHnuminitMtion de Ifiirs découvertes; 

tr;ivnii\ ii ss;mt>. np«mtion> iiitertninables, exfiêriences 

•'iJTiH'lliMiM'ni pndonfrèes et dont rien ne |)Ouvait interrou)- 
piv Ir iNiinv . s.imii('i'> dr tuus j^onres, qui ne se laissaient 
nniMiM ni pai !«'> piTles i\v fortune ni par la ruine de ia 
^iiiiU l(*l esi il' tjiiiioau de l:i vie d'un adepte engagé dans la 
n'elHMi'lif du ^M'auil OMixTtî. Cette perst»vérance étonnante, 
doni I alrliinii^lc du movi'ii à<;e était le vivant emblème, al- 
laii )nM|u':i dt*p:t>MM' lo> linHte> mêmes du tombeau. 

. 1 ofH'i.iliMii ip.ii»! mort prt*inaluit»i' iMilcvait U sjs ti-avimx, dit 
M lltH'ii"! . l.»i>s.u: xiMixtMi: mil- i'\|»tM'iiMii't' (imiinenrtH* en héritaire à 

iMi lil- . %'\ r \\v\i\: lu^ v.»:t' «if MÙ! ifinj-fi léii-iuM- d;in> sim ti*>la- 
lui-nî It M'i'f: tit * f\in""i:'iK*: i!;.t *i»f\i*t iitiil il :iv;iil limté do :^ 
i..M. l .... .•\i»t-M;Mi.v- «-'..uiniiih l'tai-ii: t'-msiiii>(s dt- jièiv en fils 

.uur.j sW ÎMOiî-' :iî. .i:'îî. i» •> 

ï\wv w On; ; .> ;■!■. ■ • s n..iî> i.T.n- r uno idtv exacte delà 

I s-i V \ - 1 V n ■ -t ' • V ; ■ ■.-. : ■ ■. :.- \ :-. ;•< .ssi . il rxîniord i na ire q ue les 

..Ui 'Mi-i-s <j'^»:'. .•■•..■-.•.'.: .'.U'-s '-'urs îr:-.\;iiî\ que la vie de 

I :utq»i.- U Mis Zo; . -v N.us s.' .v- t'!i nq-j-eK-r les traits 

piiurHM'j\ i.i-A J. •.. X ;v ■,: yr..a> S !ii'.-m^me transmis sur 

o- ^uJ^■l •l.iii'» l.ji \ /♦ fî !..'p.' I jriiH iJe jt.u ()/'et-<n:tV «/«» la phi- 

liHi'^ *^iun'ili- /i* '^ nu'iaiix ii.>u< fi»u minuit en mi^me 

(Hun d«- xi^iijh.T pi u.si ou i"** particularités inténs- 

vie iWs aU'Iiiniistes français au s<Mzième sitVIe. 

^irij appiirt4'nuil à une famille noble de la 

■ ehimf, I. I 



ET DE LA RENAISSANCE. 159 

îuyenne; mais son véritable nom est inconnu; car, à Texem- 
}\e de beaucoup de ses confrères, il s*est abrité, dans ses 
ouvrages, sous le voile d'un pseudonyme. Il était né en 
1510. Après avoir reçu la première instruction dans la mai- 
son paternelle, il fut envoyé à Bordeaux pour y étudier les 
lettres et la philosophie dans le colU^ge des Arts. On avait 
coi^é sa jeunesse à la surveillance d*un précepteur. Mal- 
heureusement ce dernier était un adepte d'Hermès. Au lieu 
de conduire son élève dans les tranquilles sentiers de la lit- 
térature, il ne l'initia guère qu'aux pratiques du grand 
œuvre. Le jeune Zachaire fréquentait beaucoup d'écoliers 
qui, négligeant comme lui les études du collège pour colles 
du laboratoire alchimique, avaient déjà fait ample collec- 
tion de rexeptes pour la transmutation des métaux. Avant de 
quiter Bordeaux, il en avait rempli tout un gros livre, et il 
pouvait à son gré fabriquer de l'or à toute espèce de titres, 
à dix-huit ou à vingt carats, de l'or ducat ou de Tor d'écu, 
propre à soutenir l'épreuve de la fonte ou de la pierre de 
touche. Môme résultat pour l'argent : ou pouvait, avec ces 
bienheureuses formules, obtenir de l'argent à dix ou à onze 
deniers, de Targent de teston, de l'argent blanc de feu ou de 
l'argent à la touche. Ces diverses receptes portaient les noms 
^(Euvre de la reine de Navan^e, Œuvre du Cardinal de 
horraine ou du Cardinal de Toumon. Les jeunes écoliers, 
au collège de Bordeaux, employaient une partie de leur 
I temps à ces utiles occupations. 

Au sortir du collège des Arts, le jeune Zachaire fut envoyé 
L à Toulouse, en compagnie de son précepteur, pour y étudier 
k droit; mais le maître et l'élève n'avaient d'autre désir que 
''y faire promptement Tépreuve des précieuses receptes de 
Bordeaux. Ils se mirent donc dès leur arrivée à placer dans 
'eur chambre plusieurs petits fourneaux propres aux opéra- 
lions chimiques. Des petits fourneaux on en vint aux grands, 
si bien que la chambre en fut bientôt remplie. Sur certains, 
<>n distillait; dans d'autres, on calcinait diverses mî^tières; 



i-i. l'oQ 'A*:!'.!.: ;5 :'i-i« Q: ;i. A ïublimaiiMû prr-srril»? par 
l^s ft-rsiu'"^. A'i L< u: -i' m an. la s- m oit* At^ JtMi\ conts 
»-i-u-. '\\i»i i»^ '-lin- L»iîiLi I. i"r rni'iif- il-* j^e-i [loronts pour sVn- 
tr^-tr-air pea-iaar inii^ aurir-^'S li;i rrt >--a maître, en la ville 
•Irf Touli-usc-, -".tair ii--:;».»' -n fiinir-fr'. L>-l qu'il avait fallu 
noli^-tr^r un»' .ju.inîii.- i-i-n-i-l- ralU* J-^ elurU^n, diverses dro- 
.^iiHS d'un ['ri\ '-Ih^.-. r't ^'i-iir >i>i 'TU? lie vai>>»/auxde verre; 
saastfimipter iit.Mi\ .n.- •< ! =.r tinel tnâs niari's d'argent, que 
l'une de>f«irmiilr'> .i\aitrHn..imnanil'r>c..mme indispensables 
à rexeoutii»n Jr* F œuvre .'et qui finirent par sVvanouir en 
entier à fone de i'»)nibinaisons et de mélanges. 

Il ne fais:iit ,i:u*^re moins chaud dans la chambre du jeune 
lii^encié es dr«»ii que ilans les fonderies de l'arsenal de Ve- 
nise, et le di^^ne précepteur . qui ne sortait pas un moment 
dt' tvtte fournaise, tant il apportait de zèle et d'ardeur à son 
travail, fut pris, quand vint l'été, d'un»* lièvre rontinue. 
p<iur avoir tmp s^iufiL* en buvant chaud. Il mourut glorieu- 
.<ement sur s>in elianip di* bataille, au grand chagrin de son 
élève, (|ui comptciit sur son habileté pour se procurer l'ar- 
gent que sts tuteurs nimmençaient à lui refuser. 

Ainsi livré ù lui-mèuke, lh*nisZ.ichairc ne vit rien de mieux 
<jue de se rendre ilaus son pays, alin d'obtenir le libre usîige 
lie ses bien>. administrés par ses tuteurs tlepuis la mort de 
son père. Moyennant quatre cents écus, il afferma une partie 
di» ses propriétés pour un es|>ace de trois ans, et s'empressa 
de revenir à Toulouse, afin d'appliquer c.'lle somme à Texé- 
cution d'une recepte infaillible qu'un halien lui avait ensei- 
gnée a|irès en avoir vu île ses propres yeux les merveilles. 
Ca' procédé consistait à dissoudre de l'or et de l'argent dans 
de l'eau-forte et à calciner le produit pour en faire une 
poudre île projection. Mais deux onces d'or et un marc d'ar- 
;<ent, traités pendant deux mois suivant les procédés de Tlti- 
licn, ne donnèrent qu'une poudre tout à fait sans vertu. De 
la (|nantit«'' d'or et d'argent qu'il avait employc'v, Zachaire 
n<» put riM'onvrer qu'un demi-marc; aussi nous dit-il, en par- 



ET DE LA RENAISSANCE. 141 

lant de cette opération : « Tout Vaugment que je reçus, ce 
fut à la façon de la livre diminuante. » Ses quatre cents écus 
se trouvèrent ainsi réduits à deux cent trente, et, comme 
l'Italien offrait de se rendre à Milan, où se trouvait l'auteur de 
cette recette, pour obtenir de lui des éclaircissements com* 
plets, Zachaire lui remit vingt écus, et demeura tout Thiver à 
Toulouse pour attendre son retour. « Mais, ajoute-t-il, j'y 
serais encore si je l'eusse voulu attendre, car je ne le vis 
depuis. » 

Une grande épidémie s'étant déclarée à Toulouse, Za- 
chaire se décida à quitter la ville; mais, ne voulant pas 
se séparer de ses amis, rompacçnonsdeses recherches, il les 
suivit dans leur pays, à Cahors. Parmi eux se trouvait un 
bon vieillard, adepte blanchi sous le poids du travail et des 
années, et que l'on ne ccmnaissait à Toulouse que sous le 
nom duPhilosophe. Zachaire lui comnniniciua la collection de 
ses recettes, et demanda ses conseils, heureux de s'en rap- 
porter à rexpérience et au savoir d'un homme qui avait 
manié tant de simples en sa vie. Le philosophe en nota dix 
comme les meilleures, et, six mois après, à la cessation de 
l'épidémie, notre jeune adepte, étant revenu à Toulouse^ 
s'empressa de les soumettre à rexpérience. Ainsi se passa 
l'hiver entier : mais aucune des recettes mises en pratique 
ne fournit de résultat ; de telle sorte qu'à la Saint-Jean ses 
écus se trouvèrent réduits au nombre de cent soixante-dix. 

Cet échec, éprouvé en dépit des conseils du vieux philo- 
sophe, aurait sans doute découragé le jeune alchimiste, si 
une circonstance heureuse n'était, fort à propos, venue lui 
rendre la confiance et l'espoir. Zachaire avait fait à Cahors 
la connaissance d'un jeune abbé qui, possesseur, aux envi- 
rons de Toulouse, d'une riche prébende, consacrait honora- 
blement ses loisirs et ses revenus à la recherche du grand 
œuvre. Cette conformité de goûts avait fait naître entre eux 
une vive sympathie. De retour à Toulouse, l'abbé reçut de 
Tun de ses amis, attaché, à Rome, au cardinal d'Armagnac, 



142 i; ALCHIMIE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYRN AGE 
la communication d'une recette excellente pour l'œuvre her- 
métique. Ce procédé consistait à chauffer pendant un an de 
la poudre d*or calcinée avec de Teau-de-vio distillée un grand 
nombre de fois ; son exécution ne devait entraîner qu'une 
dépense de deux cents écus. Les deux amis résolurent de 
réunir, pour cet important travail, leurs efforts ainsi que 
leur bourse, et, les termes de cette petite association bien 
arrêtés entre eux, ils se mirent aussitôt à Tœuvre. 

Il importait d'abord de se procurer une eau-de-vie très- 
pure. Us achetèrent donc une bonne pièce de vin de Gaillac, 
qu'ils placèrent, pour en retirer Teau-dc-vie, dans un vaste 
alambic. On employa un mois à distiller plusieurs fois cette 
eau-de-vie dans le pélican ; on la rectifia ensuite dans des 
vaisseaux de verre. Ainsi amenée à un haut degré de con- 
centration, Teau-de-vie leur parut propre à la dissolution de 
Tor. Ils prirent quatre marcs de ce liquide, et le placèrent 
dans une cornue de verre contenant un marc d'or, que l'on 
avait préalablement soumis, pendant un mois, à une forte 
calcination. Celte cornue placée dans une seconde plus 
grande, et tout l'appareil étant bien clos, on l'installa sur un 
grand fourneau, et l'on se disposa à entretenir au-dessous le 
feu pendant une année entière. L'abbé acheta, dans ce but, 
pour trente écus de menu charbon. 

En attendant l'expiration de ce long intervalle, les deux 
opérateurs occupaient leurs loisirs à essayer quelques petits 
procédés qui ne donnèrent pas d'ailleurs de meilleur résultat 
que ne devait en fournir la grande opération. 

Au bout d'un an, en effet, les deux amis reconnurent avec 
douleur (jue l'eau-de-vie n'avait pas dissous un atome d'or. 
Le métal était dcmmiré au fond de la cornue dans l'étal 
même où il y avait été placé. On essaya de s'en servir comme 
d'unes poudre de projection, en opérant sur du mercure 
chauffé dans un creuset, comme l'indiquait la recette; mais 
ce fut en vain. 

On comprend le désappointement des deux alchimistes. 



ET DE LA UENAISSANCE. i4o 

Le plus contrarie était Tabbé, qui, se croyant sur du résul- 
tat, Tavait annoncé d'avance aux moines de son couvent, et 
avait écrit à la confrérie, la veille même de ropércition, qu'il 
ne restait plus qu'à fondre la belle fontaine de plomb qui 
ornait la cour du monastère pour en tirer des lingots d'or. 
La belle fontaine fut donc réservée pour une autre occasion : 
elle ne faillit point, du reste, à sa destinée, car, quelques 
années après, on la fit passer au creuset d'un alchimiste am- 
bulant qui était venu montrer son savoir dans l'abbaye. 

Cependant, loin de décourager l'abbé, cet échec ne fit que 
redoubler son ardeur. Pour tenter un grand coup, il proposa 
à Zachaire de se rendre à Paris avec huit cents écus, dont ils 
fourniraient chacun la moitié, et d'y continuer l'œuvre 
commune en profitant des lumières des innombrables artis- 
tes hermétiques qui remplissaient alors la capitale de la 
France. Ayant accepté la proposition de son ami, et trouvé, 
en affermant ses biens, la somme nécessaire, Zachaire se 
disposa à se rendre à Paris, décidé à perdre tout ou à dé- 
couvrir la pierre philosophale. 

En vain ses parents essayèrent-ils de le dissuader de ce 
projet. Pour éviter leurs remontrances, il prétexta que son 
voyage n'avait d'autre but que d'acheter à la cour une 
charge de conseiller. Dès lors sa famille, qui avait toujours 
reconnu en lui l'étoffe d'un légiste, ne s'opposa plus à son 
dessein. Zachaire partit de sa province le lendemain de Noël ; 
il arriva à Paris le jour des Rois de l'année 1559. 

De toutes les villes de l'Europe, Paris était alors la plus 
fréquentée par les alchimistes. Aussi Tadepte de Guyenne 
y demeura-t-il tout un mois inconnu, perdu dans cette foule 
immense d'artistes de tout genre qui s'adonnaient en cuiii- 
mun ou en particulier à la recherche du grand œuvre. Mais, 
au bout de ce temps, il s'était mis en rapport avec un sj 
grand nombre d'ouvriers de toute profession, tels que fon- 
deurs, orfèvres, artisans de divers métaux, fabricants de 
verre et de fourneaux, etc., qu'il avait fait, grâce à leur in- 



lu L'ALCUIMIE UANS LA SUCIbTE \R: MOYExN Aii^ 

teniiédiaire, la coniiais^îiance de plus de cent adeptes. Il 
trouva des enseignements utih^ à être témoin des diverses 
opérations qu'exécutaient ces derniers. « Les uns, nous 
« dit-il, travaillaient aux teintures des métaux par projec- 
d tion, les autres par cimentation, les autres par dissolution, 
*( les autres [lar conjonction de Tessence (comme ils disaient) 
^ de rénieri, les autres par longues décoctions; les autres 
« travaillaient à Textraction du mercure des métaux, les 
« autres à la fixation d^iceux. » 

Au moyen âge, les alchimistes qui habitaient les grandes 
villes avaient l'habitude de se réunir tous les jours sous le 
péristyle des cathédrales, afin de se communiquer récipro- 
quement le résultat et Tétat d'avancement de leurs travaux. 
L'église de Notre-Dame- la-Grande, à Paris, était le rendez- 
vous des gens de cet étal, et chaque jour, même les diman- 
ches et les fêtes, ils se rencontraient sous les voûtes de 
la vieille basilique, « pour parlementer des besognes qui 
« s'étaient passées aux jours précédents. » On avait aussi la 
coutume de s'assembler au logis de l'un d'entre eux. La 
maison de Zachaire fut quehiuefois le lieu de leurs réunions, 
et c'est là que Ton i)ouvait entendre s'exhaler à l'euvi les 
plaintes, les espérances et les regrets de tous ces hommes ar- 
dents desséchés au feu d'une passion commune, courbés 
sous le poids d'un même joug. Cependant ces entretiens ne 
brillaient point par la variété, car les paroles qu'on y enten- 
dait étiiient toujours les mêmes : « Les uns, nous dit Zachaire, 
(* disaient : Si nous avions le moyen de recommencer, nous 
M ferions quehiue chose de bon. Les autres : Si notre vals- 
ai seau eût tenu, nous étions dedans. Les autres : Si nous 
(( eussions eu notre vaisseau de cuivre bien rond et bien 
« fermé, nous aurions fixé le mercure avec la lune : telle- 
« ment ([u'il n'y en avait pas un (|ui fit rien de bon, et qui 
(( ne fût accompagné d'excuse. » 

Il fallait cependant faire un choix parmi ce grand nombre 
d'opérateurs. Zachaire se décida à accorder sa confiance à 



ET DE L\ RENAlSSAiNCE. 1 45 

un Grec arrivé pendant Tété, et qui prétendait savoir chan- 
ger en argent le cinabre mis en forme de clous. 11 réduisait 
en poudre trois marcs d'argent, et, avec un peu d'eau, fai- 
sait de cette poudre une pâte à laquelle il donnait la forme 
de clous; mêlant ensuite ces clous avec du cinabre pulvé- 
risé, il les faisait sécher dans un vase bien couvert. Il fon- 
dait le tout et soumettait à la coupelle le produit de cette 
fusion. 11 restait alors dans la coupelle plus de trois marcs 
d'argent, c'est-à-dire un poids supérieur à celui du métal 
employé. Dans cette opération, il y avait donc, au dire de 
l'artiste, production artificielle d'une certaine quantité d'ar- 
gent. Selon lui, l'argent qui avait été môle au cinabre 
s'était envolé en fumée, et celui qui restait provenait de la 
transmutation du cinabre. Mais voici ce qui se passait dans 
cette opération. Le cinabre (sulfure de mercure) étant vola- 
til, disparaissait au feu du fourneau de coupelle, et, s'il y 
avait dans certains cas une faible augmentation du poids pri- 
mitif de l'argent mis en expérience, ce résultat tenait à la 
présence accidentelle d'une certaine quantité d'argent dans 
le cinabre dont on avait fait usage. C'est ce que Zachaire 
dut reconnaître, mais un peu tard; car, nous dit-il, « si 
« c'était profit. Dieu le sait, et moi aussi, qui dépendis des 
« écus plus de trente. » 

Cette affaire de la transmutation du cinabre lit beaucoup 
de bruit parmi les alchimistes parisiens. « Cela fut tant 
« connu en Paris, nous dit Zachaire, qu'avant le Noël sui- 
« vaut, il n'était fils de bonne mère, s'entremêlant de tra- 
•< vailler en la science, qui ne savait, ou n'avait entendu 
« parler des clous du cinabre ; comme un autre temps après 
«I il fut parlé des pommes de cuivre, pour fixer là dedans le 
^' mercure avec la lune. » 

Zachaire, qui n'avait fréquenté jusque-là que des opéra- 
leurs honnêtes, et, comme lui, travaillant de bonne foi, eut 
bientôt l'occasion d'être initié aux fraudes des faux adeptes. 
tn gentilhomme étranger, venant du Nord, et qui était peut- 



146 LÂLCUIMIË DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE 
être Venceslas Lavin, arriva à cette époque à Paris. U n'était 
expert qu'aux sophistications hermétiques, et vivait de ce 
genre de ressources, vendant aux orfèvres les produits de 
ses opérations suspectes. Zachaire suivit quelque temps la 
fortune de cet aventurier, sans vouloir pourtant s'associer 
à ses manœuvres. Possesseur d'une fortune encore assez belle, 
et ne perdant jamais de vue sa dignité de gentilhomme, Za- 
chaire, loin de chercher à s'enrichir du commerce de cet 
étranger, dépensait largement avec lui son argent en expé- 
riences. Au bout d'un an, son compagnon consentit à lui 
révéler son secret; mais, comme Zachaire s'en était bieu 
douté, ce secret n'était qu'un leurre. 

Cependant il entretenait toujours une correspondance avec 
son cher abbé, le tenant au courant de ses succès et des pro- 
grès de son entreprise. U passa de cette manière trois années 
dans la capitale; au bout de ce temps, les huit cents écuset 
d'autres sommes que lui avait envoyés l'abbé étaient entiè- 
rement dissipés. 

Sur ces entrefaites, Zachaire reçut une lettre de son ami, 
qui l'engageait à revenir sans retard à Toulouse. Il partit 
aussitôt, et, dès son arrivée, il fut mis au fait de la circon- 
stance importante qui avait nécessité son départ. Le roi de 
Navarre, Henri U, grand-père de Henri iV, aimait à s'occu- 
per d'alchimie. Le bruit des merveilles réalisées par le gen- 
tilhomme étranger, compagnon de Zachaire, avait pénétré de 
Paris jusqu'au fond du Béam, et le roi Henri s'était em- 
pressé d'écrire à Tabbé toulousain, le priant d'envoyer Za- 
chaire dans ses États, avec la promesse d'une récompense de 
quatre mille écus en cas de succès. Ce mot de quatre mille 
écus avait tellement chatouillé les oreilles de l'abbé, qu'il 
croyait déjà tenir la somme dans son escarcelle. l\ n'eut 
point de repos que son cher Zachaire ne se fût mis en route 
pour la Navarre. Notre adepte arriva à Pau au mois de 
mai 1542, et fut parfaitement accueilli par le roi. 11 fut ce- 
pendant obligé de demeurer six semaines avant de se mettre 



ET DK LA HENAISSANCK. ii? 

au travail^ parce que les simples qu'il fallait cueillir pour 
le commencement des opérations ne croissaient point au 
|)ays de Navarre. Au bout de ce temps, il se mit à l'œuvre. 
Mais le succès répondit mal aux espérances du roi, (jui, mé- 
content de l'artiste, le renvoya avec un grand merci pour 
récompense. Et comme Zachaire, se plaignant d'un tel pro- 
cédé, réclamait Texéculion des promesses qu'on lui avait 
faites, le roi lui fil cette réponse : « Advisez, messire, s'il n'y 
« a rien en mes terres qui vous puisse convenir, tel que 
f con6scation, prison ou autre chose semblable; je vous les 
« donnerais volontiers. » Zachaire et le roi de Navarre ne 
pouvaient s'entendre : l'un demandait un alchimiste qui le 
mît prom ptement en possession du secret de faire de l'or ; l'au- 
tre cherchait un roi aux frais duquel il pût continuer ses 
expériences tout à son aise. Aussi l'adepte reprit-il inconti- 
nent le chemin de la Gascogne. 

C'est pendant ce retour que Zachaire eut la fortune de 
rencontrer le bienheureux conseiller qui devait le mettre 
sur la route de la vérité qu'il poursuivait depuis si long- 
temps* C'était un moine très-savant, versé dans toutes les 
connaissances de la philosophie naturelle, et qui avait passé 
sa vie entière sur les écrits des anciens maîtres. Zachaire 
l'ayant mis au courant de tous les travaux qu'il avait exécu- 
tés jus(jue-là, le savant religieux le plaignit grandement 
d'avoir dépensé tant d'argent et de fatigues en des recherches 
mal inspirées. 11 lui conseilla de s'en tenir désormais à la 
méditation des anciens philosophes, ajoutant qu'il était fâ- 
cheux qu'un gentilhomme aussi instruit que lui, qui avait 
fait à Bordeaux ses actes de philosophie, et qui avait été reçu 
maître en Cette science, se fût toujours privé des hautes lu- 
mières que nous ont transmises sur cette question les sages 
des temps passés. Ainsi ramené, par les conseils du bon reli- 
gieux, dans une voie certaine, Zachaire s'empressa d'aller 
rejoindre son ami pour régler définitivement avec lui les 
comptes de cette association qui avait si tristement échoué. 



Ii8 L* ALCHIMIE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE 

Tout bien calcuh', il restait une somme de cent quatre- 
vingts écus, (ju'ilspartagrTent loyalement; après quoi l'as- 
sociation fut (Icclarée rompue, à la grande tristesse de Tabbé, 
qui aurait voulu pousser plus loin l'entreprise, et n'approu- 
vait point le changement de système qui s'était opéré dans 
l'esprit de son compagnon. Lui, cependant, décidé à s'en 
tenir d<'>sormais à la méditation et à la comparaison des écrite 
des anciens philosophes, il prit la résolution de revenir à 
Paris pour mettre son projet à exécution. 

Le jour de la Toussaint de Tannée 1546, Zachaire rentni 
dans la capitale, où son premier soin fut d'acheter, moyen- 
nant dix écus, divers traités philosophiques, tels que la 
Tourbe des philoso])lws, la Complainte de Nature, leban Tré- 
visan et les Œtivres de Uaymond Lulle. Ayant loué une pe- 
tite chambre au faubourg Saint-Marceau, il s'y enferma, 
n'ayant auprès de lui qu'un petit garçon pour le senir. 
Puis, sans vouloir fréquenter aucun des adeptes dont four- 
millait encore la capitale, il s'appliqua jour et nuit à méditer 
sur ses auteur^. 11 employa dix-huit mois a ce travail pénible, 
sans réussir néanmoins à s'arrêter délinitivement au choix 
d'aucun procédé. Il crut alors nécessaire de se mettre en rap- 
port, non avec les artistes empiriques qu'il avait fréquentés 
sept ans auparavant dans les réunions tenues sous les voûtes 
do Notre-Dame, mais avec de véritables philosophes qui 
opéraient d'après les recommandations des anciens. Cepen- 
dant leur commerce ne lui fut que d'une faible utilité, en 
raison de la diversité extrême des procédés dont ils faisaient 
usage. Ces o|)érateurs employaient en effet des moyens si 
nombreux et si opposés, que l'esprit courait le risque de s'é- 
garer dans leur diversité infinie. « Si l'un, nous dit Za- 
« chaire, travaillait avec l'or seul, Tautre travaillait avec or 
( et mercure ensenihU» ; Tautro y mêlait du plomb qu'il ap- 
(V ])elait sonnant, parce (|u'il avait passé par la cornue avec 
« de l'argent vif ; Taulrc convertissait aucuns métaux en ar- 
€ gent vif avec diversité desimpies par la sublimation ; Tau- 



ET DE LA RENAISSANCE. 149 

u tre travaillait avec un alrament noir artificiel, qu'il disait 
w être la vraie matière, de laquelle Raymond Lulle usa, pour 
« la composition Je cette grande œuvre. Si l'un travaillait 
« en un alambic, Tautre travaillait en plusieurs autres et 
« divers vaisseaux de verre, et l'autre d'airain, et l'autre de 
• cuivre, l'autre de plomb, l'autre d'argent, et aucun en 
« vaisseaux d'or. Puis l'un faisait sa décoction en feu fait de 
« gros charbons, l'autre de bois, l'autre de raisins, l'autre de 
« chaleur de soleil, et d'autres au bain-marie. » 

Cette variété d'opérations, jointe aux contradictions conti- 
nuelles qu'il découvrait dans les anciens auteurs, avait fini 
par réduire au désespoir le malheureux alchimiste, lorsque 
le Saint-Esprit lui inspira, nous dit-il, la pensée d'étudier 
les œuvres de Raymond Lulle, et en particulier le Testament 
et le Codicille de cet auteur. Il réussit à adapter si parfaite- 
ment ces deux ouvrages avec une épître de Raymond Lulle 
au roi Robert, et avec un manuscrit du même auteur, qu'il 
tenait du bon religieux, son conseiller, qu'il fut dès ce 
moment certain d'avoir mis la main sur le secret tant pour- 
suivi. Tous les livres qu'il consultait étaient en concordance 
parfaite avec son système, et tel était, par exemple, le pro- 
cédé ou résolution que donne, à la fin de son Rosariuniy 
Ârnauld de Villeneuve, qui fut, comme on le sait, le maître 
de Raymond Lulle. Zachaire passa un an entier à méditer 
jour et nuit sur son procédé ; au bout de ce temps, il revint 
à Toulouse pour le soumettre à l'expérience. Il arriva dans 
sa province pendant le carême de ir)49 ; son premier soin 
fut de s'approvisionner de fourneaux et des appareils néces- 
saires, et, le lendemain de Pâques, il commença sa grande 
opération. 

Cependant sa famille et ses amis ne voyaient pas sans un 
profond chagrin toute cette ardeur apportée à un travail inu- 
tile, et les folles dépenses auxquelles une malheureuse pas- 
sion l'avait entraîné depuis sa jeunesse. Il eut à endurer de 
leur part plus d'un reproche amer : « Que prétendez-vous 



150 L'ALCHIMIE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE 
(( fairo? lui disait un voisin, et n'avez-vous pas dépensé as- 
« s(»z d'argent en de telles folies? Prenez garde qu'a vous 
« voir acheter ainsi tant de menu charbon, on ne vous ac- 
« cuse, comme on Ta fait déjà, d'être auteur de fausses 
u monnaies. » — « N'est-il pas étrange, reprenait un autre, 
k( qu'étant docte comme vous l'êtes, et déjà licencié es droit, 
« vous refusiez encore de faire profession de la robe longue, 
€ afin de parvenir à quelque office honorable en la ville? )> 
Survenaient des parents, à qui l'autorité de la famille per- 
mettait des remontrances plus sévères: « Pourquoi, lui di- 
« sait-on, ne pas mettre un terme à tant d'inutiles dépenses? 
« Ne vaudrait-il pas mieux payer vos créanciers ou acheter 
(• quelque bonne charge? Il ne tient à rien, si vous ne vwis 
K arrêtez, que nous n'envoyions en votre logis des gens de 
« justice pour y briser tout votre attirail d'ustensiles mau- 
(( dits. » — « Hélas ! reprenait un autre, faisant appel à des 
(( sentiments plus doux, si pour vos parents vous ne voulez 
(( rien faire, ayez au moins égard à vous-même. Considérez- 
« vous. A peine âgé de trente ans, vous semblez en avoir 
« cinquante, tant commence à blanchir votre barbe, qui vous 
« représente tout envieilli des longues fatigues que vous avez 
u endurées en la poursuite de vos jeunes folies. » 

Tous ces discours ne faisaient qu'ajouter à l'impatience de 
Zachaire; il les supportait avec d'autant plus de déplaisir, 
qu'il voyait de jour en jour se perfectionner son œuvre et 
s'approcher l'heure décisive qui devait le payer de tant de 
travaux et dVnnuis. Aussi tout demeura impuissant à l'écar- 
ter de son but. La peste, qui éclata à Toulouse pendant l'été, 
et qui fut si terrible, (( que tout marché, tout trafic, en fut 
interrompu, » ne put Tarracher du feu de ses fourneaux. 
Il y demeurait jour et nuit, occupé à attendre « d'une fort 
grande diligence l'apparition des trois couleurs que les phi- 
losophes ont écrit devoir apparaître avant la perfection delà 
divine œuvre. » 

Ces trois couleurs si longtemps attendues se montrèrent 



ET DE LA RENAISSANCE. 151 

enGn aux yeux ravis du philosophe, indiquant la perfection 
définitive de la pierre philosophale. Si bien que, le jour do 
Pâques de Tannée 1550, avec un peu de cette divine pierre, 
il convertit, il nous l'assure du moins, du mercure en très- 
bon or. 

« Si j^en fus aise, ajoute-t-il, Dieu le sait. Si ne m'en vantais-jc pas 
pour cela ; mais je rendis grâce à notre bon Dieu qui m'avait tant fait 
de faveurs et de grâces par son fils notre rédempteur Jésus-Christ, 
et le priai qu'il m'illuminât par son Saint-Esprit, pour en pouvoir 
user à son honneur et louange. » 

Dès le lendemain, Zachaire se mit en route pour aller an- 
noncer son triomphe à son ami et partager avec lui le trésor 
après lequel ils avaient si longtemps soupiré d'un commun 
accord. Il franchit d'un pas joyeux le seuil du monastère, 
et jeta en entrant un coup d'œil de regret sur l'emplace- 
ment vide de cette fontaine de plomb qui aurait si bien servi 
à témoigner sa science aux pieux habitants de la maison. 
Hais une triste nouvelle Tattendait. Le pauvre abbé était 
mort six mois auparavant, sans avoir éprouvé la consolation 
suprême que lui apportait son ami. Zachaire voulait au 
moins aller témoigner sa reconnaissance au bon religieux 
dont les conseils lui avaient été si profitables; mais ce der- 
nier venait aussi de mourir dans un autre couvent où il s'é- 
tait retiré. 

Zachaire se décida alors à passer à l'étranger pour y ter- 
miner en paix une carrière qui avait été semée de tant de 
traverses. Il envoya à Toulouse un de ses cousins pour y 
vendre tous ses biens, et payer ses créanciers avec les sommes 
provenant de cette vente. Son désir fut accompli, mais non 
sans exciter beaucoup de lamentations et de plaintes de la 
part de ses parents, qui avaient, disaient-ils, depuis long- 
temps prévu la ruine de cet obstiné dissipateur. 

Ce dernier acte exécuté, Zachaire quitta la France en 
compagnie de son jeune cousin, et se rendit à Lausanne 



\h2 1;ALCIII3IIE dans la SOCIETE nu MOYEN AGE 

pour y vivre, nous dil-il, « avec fort petit train, » ce qui 
ne plaide pas en faveur de la vérité de son afûrmation rela- 
tive à la découverte de la pierre philosophale. 
s Nous pourrions terminer là Thistoirede l'adepte Zacliaire, 
que nous n'avons racontée avec tant de détails qu'aRn de 
montrer par un frappant exemple à quel degré les chercheurs 
alchimistes poussaient la patience, leur apanage essentiel. 
D'ailleurs, dans la dernière partie de sa vie, notre héros se 
montrerait moins digne de l'intérêt qu'il a pu inspirera nos 
lecteurs. La possession de ce trésor prétendu semblait trou- 
bler ses sens et égarer sa raison. Il devint infidèle h la pro- 
messe qu'il s'était faite de faire tourner à rhonneor eti la 
louange de Dieu le nouveau pouvoir qu'il avait acquis. SV 
bandonnant au courant de tous les plaisirs, il donna un 
libre essor à ses passions, comprimées par Tâpreté du tra- 
vail pendant les années de sa jeunesse. Épris à Lausanne 
d'une belle jeune fille, il quitta avec elle la Suisse pour aller 
mener en Allemagne une vie de dissipation et de folies. Après 
avoir suivi les bords du Rhin, il s'arrêta à Cologne en 1556. 
C'est là que l'attendait un triste sort. Amoureux à la fois de 
la jeune compagne de Zacbaire et des trésors qu'il lui sup- 
posait, le traître cousin l'étrangla pendant qu'il était plongé 
dans un lourd sommeil occasionné par l'ivresse. Chargé des 
dépouilles de sa victime, il s'enfuit avec sa complice. Cet 
événement fit beaucoup de bruit en Allemagne ; mais on ne 
put retrouver les traces do l'assassin. Mardochée de Délie, 
le poëte de la cour de Rodolphe 11, composa plus tard sur ce 
sujet une pièce de vers que nous rapporterions ici, si nous 
ne craignions de donner une idée peu favorable des mérites 
de la poésie hermétique. 



En énumérant les conditions que doit remplir un alchi- 
miste, Albert le Grand nous dit qu'il doit avant tout possé- 



ET DE LA HENAlSSAlXCE. 155 

der de la fortune. L'utilité de cette recommandation du 
maître pourrait déjà ressortir de ce fait, que, de l'aveu môme 
des adeptes, l'or obtenu par la transmutation revenait à un 
prix plus élevé que Tor ordinaire. Mais le sens de ce précepte 
et sa signification véritable paraîtront encore plus clairs 
pour nos lecteurs, si nous rappelons ici la série de travaux 
accomplis par un alchimiste très-connu dans les fastes de 
l'art, Bernard leTrévisan, qui employa soixante ans à s'oc- 
cuper sans interruption de la recherche du grand œuvre. La 
conclusion à laquelle arrive cet adepte, quant aux moyens 
qu'il a reconnus les seuls propres à faire de l'or, nous don- 
nera une explication satisfaisante du précepte d'Albert le 
Grand. 

L'adepte que Ton désigne dans la bibliographie alchimi- 
que sous le nom de Bernard le Trévisan ou du bon Trévisan, 
appartenait à une famille noble de Padoue. Né en celte ville 
en 1406, il était comte deTrévigo, petit comté de la marche 
de Trévise dans les États vénitiens. Dès l'âge de quatorze 
ans, il s'occupait d'alchimie sous la direction et avec les 
conseils de sa famille, et, à dater de ce moment jusqu'à la fin 
de ses jours, cette étude constitua l'unique occupation de sa 
vie. Une chronique allemande dit, à propos du sire do 
Sultzbourg, mort à Nuremberg en 1286 : « Il a beaucoup 
H alchymié et beaucoup dissipé » : le sire de Sultzbourg 
devait être bien dépassé par son émule d'Italie. 

Encore sous Taile paternelle, le jeune comte Bernard étu- 
dia Geber et Rhasès, pour s'initier aux premiers principes 
de l'art. Les travaux qu'il exécuta sous l'inspiration de ces 
auteurs lui occasionnèrent une dépense d'environ trois 
mille ëcus. Ârchelaûs et Rupescissa occupèrent ensuite son 
attention, et quinze années furent employées à ces études 
préliminaires, pendant lesquelles « je dépendis, nous assure- 
« t-il, tant par troùipeurs que par moi pour les connaître, 
tf environ six mille éeus. » 

Gomme il commençait à perdre courage, un bailli de son 



154 L'ALCniMIE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE 

pnys lui enseigna à faire la pierre pliilosophale avec le sel 
marin ; mais c'est en vain qu'il s'appliqua pendant un an 
et demi à ce procédé. Après l'avoir essayé quinze fois, il se 
décida à l'abandonner pour un autre moyen enseigné par 
le bailli. Ce moyen consistait à dissoudre séparément dans 
de l'eau-forle de l'argent et du mercure. Ces dissolutions, 
après avoir été abandonnées pendant un an à elles-mêmes, 
étniont ensuite mélangées et concentrées sur des cendres 
chaudes, de manière à être réduites aux deux tiers de leur 
volume primitif. Le résidu de cette opération, placé dans 
une cucurbile fort étroite, était exposé à l'action des rayons 
solaires; ensuite on l'abandonnait à l'air, afin qu'il s'y pro- 
duisît de petits cristaux. On remplit vingt-deux fioles de 
ce mélange; puis on attendit patiemment la formation 
(les cristaux. Cette attente dura cinq ans : « Nous atten- 
« dîmes cinq ans que ces pierres cristallines se créassent au 
<( fond des fioles. • Mais, au bout de cet intervalle, rien ne 
s'était produit, et le comte Bernard, que toutes ces recher- 
ches avaient conduit à l'âge de quarante-six ans, dut songer 
h essayer un autre procédé. 

Cette nouvelle méthode lui fut révélée par un moine de 
Cîteaux, maître Geofroi le Leuvrier, qui en fil avec lui l'ex- 
périence. Ils achetèrent deux mille œufs de poule, les firent 
durcir dans Tenu bouillante, et enlevèrent les coquilles, qui 
furent calcinées au feu. On sépara le blanc et le jaune de 
ces œufs durcis, et on les fit pourrir séparément dans du 
fumier de cheval. Ensuite on distilla trente fois le produit 
pour en retirer en définitive une eau blanche et une rouge. 
Mais toutes ces opérations, bien que répétées un très-grand 
nombre de fois et variées de plusieurs manières, n'abou- 
tirent à rien, et le Trévisan se décida enfin à abandonner 
un travail qui lui avait coûté huit années de sa vie. 

Le Trévisan besogna ensuite avec un grand théologien, 
protonotaire deBergues, qui prétendait retirer la pierre phi- 
ïosophale de la couperose, c'est-à-dire du sulfate de fer. 



ET DE LA RENAISSANCE. 455 

commençait par calciner pendant trois mois la couperose, 
que Ton plaçait alors dans du vinaigre distille huit fois. Ce 
mélange de couperose et de vinaigre était ensuite introduit 
dans un alambic, et Ton distillait ce produit quinze fois par 
jour. Ces quinze distillations devaient être répétées chaque 
jour pendant un an. 

On n'est pas surpris quand le Trévisan nous apprend qu'à 
la suite de ce nouveau travail des Danaïdes il fut pris d'une 
fièvre quarte qui dura quatorze mois et dont il pensa mourir. 

A peine rétahli, le comte Bernard apprit d'un clerc de son 
pays que le confesseur de l'empereur, maître Henri, savait 
préparer la pierre philosophale. Il s'achemina donc vers l'Al- 
lemagne, et, étant parvenu « par grands moyens et grands 
amis » à se mettre en rapport avec maître Henri, il fut ad- 
mis à la connaissance de son procédé moyennant dix marcs 
d'argent, qu'il apporta comme ingrédient indispensable de 
l'œuvre. Voici en quoi consistait le procédé du confesseur 
impérial. 

On mêlait ensemble du mercure, de l'argent, de l'huile 
d'olive et du soufre. On fondait le tout à un feu modéré, et 
l'on faisait cuire lentement ce mélange au pélican, en re- 
muant sans cesse. Après deux mois, le tout fut séché dans 
une fiole de verre recouverte d'argile, et le produit placé 
pendant trois semaines sur des cendres chaudes. Alors on 
ajouta du plomb au mélange, que l'on fondit dans un creu- 
set, et le produit de cette fusion fut soumis à l'affinage. Selon 
maître Henri, les dix marcs d'argent que l'on avait employés 
devaient, a la suite de ces opérations, augmenter d'un tiers; 
mais le fait ne répondit point à cette attente, car, l'affinage 
terminé, les dix marcs d'argent se trouvèrent réduits à 
quatre. 

Cet échec fut si douloureux pour le Trévisan, que, pen- 
dant deux mois, il abandonna tous ses travaux, et jura d'y 
renoncer à l'avenir. Ses parents s'applaudissaient de cette 
résolution heureuse, mais leur joie fut de courte durée, car 



150 L^AIXUIMIE DA5S LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE 

l'adepte obstiné ne tarda pas à reprendre sa chaîne. Déses- 
pérant néanmoins de trouver le secret qu il ambitionnait 
*\l demeurait li?ré aux seuls conseils des savants de son 
pays, il se décida à aller chercher des leçons auprès des 
docteurs étrangers. Il parcourut successivement l'Espa- 
gno, l'Angleterre, l'txosse, la Ilollande, TAIlemagne et la 
France. Enfin, désirant approfondir sur cette question la 
science de TOrient, il passa plusieurs années en Egypte, en 
Perse et en Palestine. Il séjourna particulièrement dans la 
Grèce méridionale, parce que les autres parties de ce pays 
étaient continuellement inquiétées par Tinvasiondes troupes 
turques. S'attachant surtout à visiu^r les couvents, il tra- 
vaillait à la préparation de Tœuvre avec les moines que 
leur renommée désignait à son attention. H ne dédaignait 
pas pourtant le savoir des laïques. Mais tous ses efforts, 
toutes ses investigations incessantes, n'aboutirent à rien. Il 
avait ainsi atteint Tôge de soixante-deux ans et dissipé ta 
plus grande partie des sommes résultant de la vente de ses 
biens. En 1472, il arriva à Rhodes sans argent, mais con- 
servant toujours, dans toute sa vivacité, sa foi dans l'agent 
merveilloux qu'il poursuivait depuis les premières années 
do sa jounosse. 

A Rhodes habitait un « grand clerc et religieux » que l'on 
reconnaissait dans tout rOrionl comme ayant le bonheur 
d'^^tre en possession de la pienv philosophale. C'est pour se 
mettre en rapport avec lui que Rernard s'était arrêté dans 
cette île. Mais, privé de ressources, il aurait rencontré beau- 
coup de difficultés pour aborder l'éminent adepte, auprès 
duquel on n'était i>as admis les mains vides. I^a générosité 
d'un marchand, ami de sa famille, qui consentit à lui prêter 
huit mille florins, lui facilita Taccès de ce savant homme. 
Jamais d'ailleurs son argent n'avait reçu un meilleur em- 
ploi, car c'est le n^ligieux de Rhodes qui devait fixer les 
douio'^ du Ih^u Trévisan et ouvrir enfin ses yeux à la vérita- 
ble lumière. Apn'*s l'avoir induit, trois anmvs tlurant, en 



ET DE LA RENAISSANCE. 157 

dépenses et travaux inutiles pour l'exécution d'un procédé 
de préparation du magistère, au moyen de For et de l'ar- 
gent mêlés à du mercure, le vieux ])récepteur de ce vieil 
élève lui révéla le grand secret de toute la science herméti- 
que. C'est en effet par ses conseils que le ïrévisan, abandon- 
nant enûn tout travail pratique, trouva dans le Code de la 
vérité (la Tourbe des philosophes) cette maxime qui donne à 
tous la clef des mystères alchimiques ; 

a Nature s'cjouit de Nature, 
Et Nature conlicnl Nature. » 

En style commun, cette maxime veut dire que pour faire 
de l'or il faut de l'or, et que les procédés hermétiques ne 
fournissent jamais de ce métal précieux que la quantité 
qu'on a bien voulu en introduire dans les opérations. 

Ainsi se trouve justifié et expliqué l'avis donné par Albert 
le Grand à Talchimiste, que, pour se livrer à la recherche de 
la pierre philosophale, il faut commencer par posséder de 
grands biens. 

Lorsque, dans Tannée 1483, le comte Bernard, à l'âge de 
soixante-dix-sept ans, se trouva initié de cette manière au 
véritable secret de la science hermétique, il voulut se rendre 
utile aux innombrables adeptes engagés dans la même car- 
rière où il avait si tristement usé sa propre existence, et c'est 
dans ce but qu'il consacra les sept dernières années de sa 
vie à écrire, sur les principes de l'art, ses divers traités dont 
le plus célèbre a pour titre : Le Livre de la philosophie na- 
turelle des métaux^. Les alchimistes, qui ont si souvent in- 
voqué les paroles du bon Trévisan et cherché dans ses écrits 
la confirmation de leurs vues, n'ont pas compris que le but 
de fauteur était seulement de mettre en relief l'inutilité de 

' Le Liwre d$ la philosophie naturelle des métaux, de Mcssirc Bernard, 
comte de la marche Trévisane. — Dans la Bibliothèque des philosophes 
chimiques, tome II. 



m DOCTRINE!^ ET TiU 

devinl , en partieulici , le sujet d'Ulj 
pmeûees. On espt'ruU beaucoii[>, au i' 
siècle , en extraire un dissolvant de I 
lliousiaste avec laquelle les aleliimisten s't 
eberches sur ce lii|ui(lG, en vue del*^ 
nous est signa Ire par un ouvrage «p 
magne sous le titre âeSol sine vesîe(ior ^mM 

Cet ouvrage, d'un auteur inconnu, r -'' 
fail qui démon ire que ces expérieur 
avec une ardeur qui alleignail quelqu*^' 
rocite. L'auteur la lenaii d'un abbé de Sn^ 
l'acteur prineipal de l'événement Tavail i 

Un religieux, coupable de meurtre, ayn. 
mort, le supérieur du couvent, alcbimisU* ; 
b grâce de la vie à la eonditi^in qu'il se pi 
expériences auxquelles on jugerait à profn 

Pliilôt soullrir que mumir. 
C'est b devise dts lioinme*. 



Le moitié accepta l'épreuve. On l'enfermii 
cliot , sans lui donner aucun aliment, el IH 
ordonna de s'abreuver de son urine. Il - 
goûtante inpnetion. Mais, bienlùi à ImiU <h 
la privation de nourriture, sa tête s'û 
ineapable de l'iuitinuer celle abominable r*jil 
si on du liquide, rouge a Torcc de c^hmm 
devenue si corrosîve, qu*elle lui urrachoir 
tables. Le malbeureux expira le «' 
le prélat, ayant recueilli la dernii' 
à ses expériences, et il prctendil y ï»^ 
[iropriétés eCau dUëolvfiui univenrL n 

AJais ce [uélat « curieux , » comme » 
garda son secret- On cuntinua donc à c 
même liquide le dissolvant du roi ! 
3ni sur le [m- 




ET DE LA RENAISSANCE. 150 

€ Si tu as le malheur, dit-il h Tadepte, de t'iutroduire auprès des 
princes et des rois, ils ne cesseront pas de te demander : « Eh bien, 
« maître, comment va Tœuvre? Quand verrons-nous enfin quelque 
4f chose de bon? » Et, dans leiu* impatience d'en attendre la fin, ils 
t'appelleront filou, vaurien, etc., et te causeront toutes soiles do 
désagréments ^ Et, si tu n'arrives pas à bonne fin, tu ressentiras tout 
Teffet d*» leur colère. Si tu réussis, au contraire, ils te gui-deront 
chez eux dans une captivité perpétuelle dans Tintentiou de te faire 
travailler à leur profit. » 

Albert le Grand a parfaitomcnt résumé dans les lignes qui 
précèdent les dangers qui attendaient les aleliimisles à la 
cour des rois. Tous les souverains, en effet, ne se sont pas 
contentés de traiter les faiseurs d*or avec le spirituel mépris 
que montra envers Tun d'eux le pape Léon X, à qui Auré- 
lius Augurelle avait dédié son poëme latin Chrysopoïa. L'a- 
depte poëte reçut pour récompense du souverain pontife une 
bourse vide, attendu, disait le pape, qu'à un homme ayant le 
pouvoir défaire de l'or on ne peut offrir autre chose qu'une 
bourse pour le serrer. Les souverains du moyen âge furent 
loin de s'en tenir à cette critique innocente. Leurs rapports 
avec les artistes hermétiques furent toujours compris entre 
les deux termes suivants : Si l'adepte se présentait à la cour, 
avouant avec sincérité qu'il n'avait pas encore parfaitement 
tiré au clair la préparation de la pierre pliilosophale, on le 
bannissait avec mépris. S'il témoignait, au contraire, par des 
preuves plus ou moins satisfaisantes, que le grand secret 
lui était connu, on le soumettait à un examen sévère, 
qui aboutissait toujours au même résultat : des peines très- 
cruelles et quelquefois la mort, si l'on découvrait les moyens 
frauduleux dont l'artiste avait fait usage ; la torture, un 
emprisonnement perpétuel, s'il refusait de dévoiler son se- 
cret. 

* «Hagistcr, quomodo sucecdit tihi? O'ïinclo vi Icbimiis aliquid boui? » 
Kl non volontés cxpectarc finom oporis, (liront: a. îsiUU e?.\. , UwV^vwcv 
osso, » eîc. 



I(i0 L ALCHIMIE DANS LA S(X:iÉTÉ DU MOYEN AGE 

Un grand nombre d'adeptes ont eu Toecasion de faire h 
triste expérience de cette vérité, et Thistoire a enregistré 
sous ce rapport des témoignages déplorables de la cruauté 
'des souverains. C'est ainsi qu'en 4575 le duc Jules de Brun- 
swick de Luxembourg fit brûler dans une cage de fer une 
femme alchimiste, Marie Ziglerin, convaincue d'avoir trompé 
ce prince en lui promettant la recette de la préparation de 
Tor. Au moyen âge, beaucoup d'artistes ambulants allaient 
de ville en ville et souvent de foire en foire, pour montrer 
leurs tours d'adresse, luttant d'habileté et de tromperies 
avec les bohémiens et les bateleurs, et cherchant à voler à 
de crédules spectateurs l'argent qu'ils ne pouvaient honora- 
blement gagner. Beaucoup d'entre eux, qui osèrent s'aven- 
turer à la cour des princes, y trouvèrent des punitions sou- 
vent terribles. 

Nous avons rapporté plus haut la triste fin de Bragadino, 
pendu à Munich en 1590. George Honauer eut le môme sort 
on 1597, et le duc Frédéric de Wurtemberg ordonna de lais- 
ser debout pendant plusieurs années l'instrument du supplice 
de cet adepte pour servir d'avertissement à ses confrères. 
Guillaume de Krohnemann, vers 1686, avait trompé, en fa- 
briquant de l'or faux, la cour du margrave George-Guil- 
laume de Beireuth. Lorsqu'on reconnut que l'or qu'il avait 
vendu comme pur n'était qu'un alliage, et que l'argent qu'il 
avait obtenu de la prétendue transmutation du mercure n'é- 
tait qu'un amalgame, il fut pendu par l'ordre du margrave, 
et cette ironique inscription fut placée sur son gibet : « Je 
savais autrefois fixer le meîxure, et c'est moi maintenant 
qui suis fixé. » On trouvera plus loin le récit de la carrière 
extraordinaire de l'aventurier Gaëtano, supplicié en 1709 
par l'ordre du roi de Prusse, Frédéric V\ Un rival de cet 
aventurier célèbre fut Hector de Klettenberg, de Francfort, 
qui, obligé de quitter son pays à la suite d'un duel malheu- 
reux, essayait de gagner sa vie par les tours d'adresse her- 
métiques, et avait réussi à faire, à Maj^ence, à Prague et à 



ET DE LA RENAISSANCE. ICI 

firême, un grand nombre de dupes. Après avoir exploité de 
la même manière la confiance du duc de Weymar, il se pré- 
senta en i720 au roi de Pologne, Auguste 11, promettant de 
l'enrichir du secret de la pierre pliilosophale. Sur cette pro- 
messe, le roi de Pologne le nomma gentilhomme de la cham- 
bre; mais, comme il demeurait impuissant à rien produire 
(les merveilleux résultats qu'il avait annonces, le roi, outré 
de fureur, le fit conduire à Kœnigstein, où il fut décapité. 
Les aventures de l'Écossais Alexandre Sethon, qui seront rap- 
portées dans une autre partie de cet ouvrage, nous montre- 
ront un autre exemple des vengeances terribles que les sou- 
verains allemands savaient tirer des adeptes rebelles à leurs 
exigences. Pour en finir avec ce genre de faits, nous rappor- 
terons la mort d'un adepte moins célèbro, David Beuther, 
qui fut, vers la même époque, victime de la vengeance d'un 
autre petit souverain d'Allemagne. 

Dans son Labaratoiniim clnjmiciim, Kunckel, dont l'auto- 
rité est si digne de foi, donne le récit suivant des faits rela- 
tifs à cet alchimiste. 

David Beuther, né en Saxe, avait été élevé sous les yeux 
de l'électeur Auguste de Saxe, qui passa une partie de sa 
vie à s'occuper avec Anne de Danemark, sa femme, delà 
recherche du grand œuvre. Le prince travaillait dans un 
laboratoire magnifique qui faisait partie du château élec- 
toral. Devenu habile en cette science, Beuther fut admis, en 
i575, à Thonneur de travailler avec son prince. 

Un jour qu'il se trouvait seul dans le laboratoire, David 
Beuther découvrit, par hasard, cachée dans un coin, une cer- 
taine quantité d'une poudre grise que son étiquette désignait 
comme la pierre philosophale. Telle n'était point cepen- 
dant la nature de l'objet découvert par l'adepte; c'était 
un amalgame d'or ou un composé aurifère qui pouvait 
jouer le rôle de cet agent précieux, car c'est en se détrui- 
sant par l'action de la chaleur qu'il laissait apparaître 
l'or. Mais, commn la quantité de cette ponrtro (\\ïv\\ ççyev^\\vv 



i62 L'ALCfflMIE DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE 
rable, à quelque titre que ce fût, elle constituait un trésor, 
r/est là ce ipie dut penser Bouther lorsque, après avoir lu sur 
une feuille de parchemin qui enveloppait sa trouvaille la ma- 
nière d'en faire usage, il vit le métal précieux se multiplier 
en ses heureuses mains. 11 communiqua sa découverte à 
deux jeunes compagnons de ses travaux, Vertel et Heidler; 
et ils se mirent bientôt à mener ensemble joyeuse vie, grâce 
au produit de leur facile industrie. Cependant Télecteur de 
Saxe, ayant quitté Dresde, amena avec lui Beuther. Ainsi pri- 
vés des ressources auxquelles les avait habitués la commune 
exploitation du trésor de Beuther, ses deux amis lui écrivirent 
pour réclamer de lui une part dans ses richesses. Hais Beu- 
ther, dont la précieuse provision s'était sans doute épuisée, 
se trouvait hors d'état de répondre à leur demande. Outrés 
de ce refus, et pour se venger de sa conduite, ses ingrats 
compagnons écrivirent au prince pour lui tout dénoncer. 
Pressé de questions et obligé de se rendre à l'évidence, 
Beuther avoua les faits. 

L'électeur déclara qu'il pourrait à la rigueur contraindre 
le coupable à lui dévoiler son secret, mais qu'il consentait à 
lui pardonner, exigeant seulement qu'il lui remit le dixième 
des quantités d'or et d'argent qu'il fabriquerait. Beuther 
avait d'excellentes raisons pour ne pas accepter la condition 
imposée par l'électeur. Sur la déclaration de son refus, il 
fut arrêté. Il entra dans sa prison, maudissant l'alchimie et 
jurant d'y renoncer à jamais. Mais le terme de ses infor- 
tunes n'était pas arrivé. Le prince espéra d'abord obtenir de 
lui quelque chose avec des promesses et de flatteuses paroles; 
il assura l'adepte de toute sa faveur s'il voulait consentir 
à céder à ses prières. Tout fut inutile, et le prince, irrité 
de sa résistance, ordonna de le traiter avec la dernière ri- 
gueur. 

Beuther, qui avait été laissé libre par intervalles, fut 
réintégré dans sa prison, sur l'avis qui fut transmis à l'é- 
' *teur que l'adepte prenait ses dispositions pour gagner 



ET DE LA RENAISSANCE. 163 

l'Angleterre. En même temps, Télecteur demanda à la cour 
de Leipsick un jugement contre la félonie de son élève. En 
1580, la cour prussienne rendit un jugement contre Beu- 
tber, sur le double grief d'avoir manqué à sa parole etd'avoir 
rempli avec négligence ses fondions d'alchimiste auprès de 
l'électeur. Ce jugement portait (jue Beuther devait être con- 
sidéré comme possesseur de la pierre philosophale, et qu'en 
conséquence son secret lui serait arraché par la torture ; 
que, pour s'être montré infidèle à son prince, il serait battu 
de verges, perdrait deux doigts et passerait en prison le 
reste de ses jours, afin de Tem pêcher d'enrichir de son 
secret quelque souverain étranger. 

Cependant l'électeur hésitait à faire exécuter un arrêt si 
sévère. Un reste de tendresse pour le jeune homme qui avait 
grandi sous ses yeux, un vague espoir de conquérir son 
précieux secret, faisaient chanceler sa résolution. C'est un 
samedi soir que le condamné avait reçu signification de l'ar- 
rêt de Leipsick; le lundi matin il recevait du prince une 
lettre ainsi conçue : 

€ Beuther. l rends-moi ce que tu m'as pris, rends-moi ce que Dieu 
et la justice m'ont donné; sans cela je prononcerai lundi sur ton sort, 
et peut-être m'en repentirai-je plus tard. Ne me force point, je t'en 
conjure, à pousser les choses k cette extrémité. » 

En réponse à cet appel du prince, Beuther traça en gros 
caractères, sur les murs de sa prison : (f Chat enfermé rtat- 
« trapepas de souris! » En môme temps il écrivit au prince, 
lui promettant de tout dévoiler si on le rendait libre. Ayant 
favorablement écouté cette proposition, Télecteur fit sortir 
Beuther de prison, et on le réintégra dans le laboratoire 
de Dresde, dans la Maison (Tor, ainsi qu'on l'appelait. On 
lui rendit tous les privilèges, tous les honneurs, dont il 
avait précédemment joui; seulement l'électeur exigea qu'un 
homme de sa maison, chargé de le surveiller, demeurât 
constamment près de lui, assistant à toutes ses opérations et 
ne le perdant jamais de vue. 



IGi l/ALCIIIMIE DANS LA SOGIfiTÉ DU MOYEN AGE 

C'est dans ces conditions nouvelles que Beuther fut con- 
tmint de se remettre à Tœuvre. Le désespoir lui inspirait des 
forces surhumaines pour parvenir à trouver le secret terri- 
ble d'où son existence dépendait. Il essaya un grand nom- 
bre de moyens divers, cherchant chaque fois à persuader 
de son succès imaginaire l'inflexible gardien toujours at- 
taché ù ses pas. Mais celui-ci, difficile à convaincre, ne 
pouvait que transmettre au prince le résultat négatif des 
expériences. 

Un jour, le gardien, s' étant éloigné pour quelques in- 
stants, laissa son prisonnier seul dans le laboratoire. A son 
retour, il trouva le malheureux adepte étendu sans vie sur 
le plancher : David Beuther s'était dérobé par le suicide aux 
tortures de sa situation. 

Après avoir vu tant de leurs malheureux confrères tomber 
victimes de ravarice des souverains, périr par le glaive, 
être soumis aux plus affreux tourments, ou terminer leurs 
jours dans l'ombre d'un cachot, les adeptes avaient compris 
toute l'étendue des périls attachés à Texercice de leur art, 
et beaucoup d'entre eux, éclairés par l'infortune de leurs 
pri'décessours ou par leurs propres adversités, avaient fini 
par perdre toute croyance à l'alchimie. Ils n'hésitaient plus 
alors à redire, pour caractériser cette dangereuse science, 
l(\^ énergiijues paroles de l'abbé de Wiezenberg, Jean Clyte- 
mius, qui écrivait au seizième siècle : Vanitas, fraiis, ddus, 
sophisticatio, cupiditas, falsUaSy mendacium, stultitiat 
pnupertiis, desesperatiOy fiiga, proscriptio et mendicitas^ 
perdisœque sunt chemix. Parvenus au bout de leur carrière, 
ayant perdu biens et repos dans cette inutile et décevante 
poursuite, ils pouvaient tristement répéter l'adage bien 
connu de l'Allemagne au seizième siècle : Propter lapidem 
islam dilapidavi bona mea, 

Gabriel Pénot, alchimiste français, né dans la province de 
Guyenne, avait passé sa vie entière et dissipé une fortune 



ET DE LA UENAlSSAiNCE. IG5 

considérable à défendre les idées de Paracelse et les principes 
de l'hermétisme. 11 avait écrit dix ouvrages sur ces questions, 
et voyagé dans une partie de TËurope comme le champion 
dévoué de ces doctrines. En 1617, réduit à la dernière mi- 
sère, il alla mourir, rongé de vermine, en Suisse, à l'hôpital 
d'Yverdun. Beaucoup de personnes qui, sur le bruit de son 
nom, étaient accourues pour le voir à l'hospice, se pres- 
saient autour de son lit à ses derniers moments, et le con- 
juraient, les mains jointes et la prière aux lèvres, de leur 
laisser en héritage le secret précieux dont il était possesseur. 
Le malheureux aurait bien voulu satisfaire à un tel désir; 
mais il ne pouvait que protester de son ignorance sur ce su- 
jet, et verser des larmes amères sur le triste état où l'avait 
réduit sa passion funeste pour une fausse science qu'il ne 
devait plus que maudire et détester. Son refus exaspéra les; 
témoins impitoyables de cette scène déchirante qui aurait dû 
attendrir leurs cœurs. Les injures et la menace succédèrent 
aux supplications; ennn on l'abandonna avec colère : « Meurs, 
« avaricieux et méchant, qui veux emporter dans la mon 
« un secret inutile à la tombe! » Alors, à demi expirant, 
Gabriel Pénot, se dressant sur son lit, envoya, comme malé. 
diction suprême à ses persécuteurs, le vœu que, pour sa 
vengeance. Dieu leur inspirât un jour la résolution de se faire 
alchimistes. 

Une scène à peu près de ce genre se passa au lit de mort 
du célèbre nécromancien théosophe. Corneille Agrippa, qui, 
à ses derniers moments, déplora avec amertume les folies de 
sa carrière, et condamna solennellement les erreurs et les 
mensonges de ses confrères. Au reste, Agrippa n'avait pas 
attendu ce moment pour condamner Talchimic, et, dans ce 
magnifique pamphlet. Déclamation sur V incertitude, vanité 
et abus des sciences, Tune des œuvres littéraires les plus 
étranges du seizième siècle, il avait tracé une peinture très- 
expressiveCes conditions misérables réservées aux alchimistes 
de son temps. Les traits suivants sont particulièrement di^ne^ 



J66 L*ALCBIII1E DANS LA SOCIÉTÉ DU MOYEN AGE 
d'élrc reproduits pour caractériser les tristes déconvenues 
(|ui attendaieut les adeptes : 

c Les dommageables charbons, dit Corneille Agiippa, le soufre, lu 
lieutc, les poisons, et tout dur travail vous semblent plus doux que le 
miel, tant (pie vous ayei consommé tous vos héritages, meubles et 
pitrimoincs, et iceux réduits en cendre et fumée, pomTii que vous 
vous promettiez avec patience de voir, pour récompense de vos longs 
labeui-s, ces beaux (enfantements d'or, perpétuelle santé et retour à 
jeunesse. Enfin, ayant perdu le temps et Targent que vous y aurez 
mis, vous vous trouvez vieux, chargés d'ans, vêtus de haillons, affa- 
més, toujours sentant le soufre, teints et souillés de zinc et de char- 
bon, et par le fréquent maniement de l'argent vif devenus paralytiques, 
et n'ayant retenu que du nez toujours distillant : au reste, si malheu- 
reux, que vous rendriez vos vies et vos âmes mêmes. En sonune, œs 
souHleurs expérimentent eu eux-mêmes la métamorphose et chang(** 
ment qu'ils enlrepieuuent de faire sur les métaux ; car, de chimiques 
ils devieiment cacochymes, de médecins mendiants, de savonniei^ 
taverniers, la farce du peuple, fous manifestes, et le pusse-temps d'un 
chacun. Et n'ayant pu se contenter en leurs jeunes ans de vivre en 
médiocrité, ains s' étant abandonnés aux fraudes et tromperies des 
alcliimistes toute leur vie, ils sont contraints, étant devenus vieux, de 
bélistrer en griuidc pauvreté ; en sorte que, au lieu de trouver faveur 
et miséricorde en l'état calamiteux et misérable où ils se trouvent, 
ils n'ont que le ris et la mo(iuerie d'un chacun. » 

Ce tableau, pris sur nature, rend inutile tout autre déve- 
loppement dans lequel nous pourrions entrer au sujet de la 
vie des alchimistes; il complète la curieuse physionomie de 
ces hommes dont nous avons essayé de retracer quelques 
traits peu connus. 



HISTOIRE 

DES PRINCIPALES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES 



HISTOIRE 

DES PRINCIPALES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQIKS 



Pour développer avec les déuiils convenables Targunicnt 
historique, thème favori invoqué par les alcbimisles en fa- 
veur de leur science, nous allons rapporter les événeraenl^^ 
les plus remarquables parmi ceux que l'on a désignés sous le 
nom de faits de transmutation métallique. Nous ne pren- 
drons pour guides, dans ces récils, que les écrivains qui 
ont eu le soin d'appuyer leurs narrations sur des docu- 
ments et des renseignements positifs. Tels sont G. de Hog- 
helaode, dans son Historix aliquot transmutationis me- 
toUicx, Lenglel Du Fresnoy, dans son Histoire de la 
fkUosophie hei^métiquej et Scbmieder, dans son curieux 
OQvrage Geschichte der Alchemie. Des faits singuliers que 
nous allons essayer de faire revivre, il ne sortira nulle- 
nient la preuve que la pierre pbilosophale a été trouvi'c. 
Sur cette question, notre opinion est fort arrêtée; et, 
bien que l*état présent de la chimie ne repousse point 
fune manière formelle la possibilité d'un tel résultat, 
nous n'hésitons pas à avancer que le grand secret de la 
^ence hermétique n'a jamais été révélé à aucun élu dans 
Is longue série de siècles où il a été Tobjel de \^w\ ^v^ 



170 UISTOIRE 

recherches ardentes. Nous aurons soin de placer, à côlé de 
chacun des événements que nous aurons à raconter, Texpli- 
cMion qui permet le mieux d'en rendre compte. Dans un 
grand nombre de cas, c'est par l'emploi de fraudes faciles à 
signaler que le fait peut s'expliquer. — Aussi conseillons- 
nous au lecteur, avant d'entreprendre la lecture des pages 
qui vont suivre, de se reporter au célèbre mémoire de Geof- 
froy mr les supercheries concemomt la pierre philosophais 
Ce mémoire se trouve reproduit dans les notes de cet ouvrage 
comme un correctif que l'on pourra toujours trouver sous 
la main, pour le consulter dans un moment de doute ou 
d'hésitation. — Dans d'autres cas, les adeptes agissaient de 
bonne foi, et les résultats merveilleux qu'ils voyaient se pro- 
duire tenaient à des circonstances étrangères qui leur échap- 
paient, mais que l'état actuel des sciences chimiques permet 
aujourd'hui de saisir. 

Ces réserves établies, nous pouvons aborder l'histoire des 
transmutations métalliques. On comprendra, après cette 
lecture, l'émotion profonde que ces événements ont excitée 
en Europe dans les siècles de crédulité et d'ignorance au 
milieu desquels ils ont apparu, et l'influence qu'ils durent 
exercer à cette époque sur l'imagination des hommes : le 
crédit universel, l'empire immense dont l'alchimie a joui si 
longtemps en Europe, n'aura dès lors plus rien qui doive 
étonner. 

Les écrivains qui se sont attachés à nous transmettre les 
divers faits que l'on considère comme devéritables traùsmu- 
taliotis rapportent un certain nombre de ces événements, 
qui se seraient passés pendant les douzième et tteizième 
siècles* Ils attribuent des projections couronnées de succès à 
divers alchimistes de cette époque, tels que Amauld de Ville- 
tieuve , sâiint Thomas d'Aquin, Alain de Lisle et Albert le 
Grand . Nous ne remonterons point à des temps si éloignés, 
parée que les témoignages qui nous restent concernant ces 
faits seraient insufFisants pour la sincérité et l'utilité d'une 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLiniES. 171 

discussion historique. C'est seulement du quatorzième siècle 
que nous ferons partir la revue qui va nous occuper. D'ail- 
leurs, c'est à cette époque qu'appartient l'un des événements 
qui ont marqué le plus dans les fastes de la philosophie 
hermétique. C'est alors qu'apparaît Nicolas Flamel et son 
étrange chronique, qui à donné tant de popularité et de 
retentissement aux idées alchimiques. C'est donc par l'exa- 
men des transmutations attribuées à cet adepte célèbre 
que nous commencerons l'histoire des transmutations mé- 
talliques. 



CHAPITRE PREMIER 

NICOLAS FLAMEL. 

Ce n'est pas seulement dans l'ordre chronologique que 
Nicolas Flamel doit être placé le premier sur la liste des for- 
lunés souffleurs. L'adepte heureux qui laissa une mémoire 
non-seulement vivante, mais presque vénérée pendant plus de 
quatre siècles; celui dont le nom populaire s'est incrusté si 
profondément dans les traditions et les légendes de notre 
pays, mérite, à bien des titres, d'occuper la première place 
dans les récits de la science transmutatoire. Tandis que la 
plupart des adeptes dont nous aurons à rappeler Texistcnce 
ne trouvent dans la pratique de leur art que la déception, la 
ruine ou le désespoir, Nicolas Flamel ne rencontre dans sa 
carrière que bonheur et sérénité. Loin de se ruiner en tra- 
vaillant au grand œuvre, on le voit ajouter subitement des 
trésors à sa fortune. Il ramasse des richesses, considérables 
pour le temps, et que Topinion populaire élèvera bienuU 
à des proportio/7/? fabuleuses'. Il les emp\o\e tw v\ç^\tv>ÀvNXv'> 



175 mSTOIRE 

chari labiés et en fondations pieuses qui lui sunivront. 11 
bûtit des églises et des chapelles sur lesquelles il fait gra- 
ver son image accompagnée de symboliques figures et de croix 
niystcTieuses que les adeptes des temps futurs s'efforceront 
de déchiffrer pour y retrouver l'histoire de sa vie et la des- 
cription cabalistique des procédés qui l'ont amené à la réali- 
sation du magistêi'e. 

Dans un manuscrit de la main de Nicolas Flamel, on 
trouve résumés, par des indications précises, le nombre 
et la succession des opérations qu'il faut accomplir pour 
parvenir au grand œuvre *. Flamel explique dans ce 
manuscrit, à l'adresse des alchimistes, ce qu'à la même 
époque il leur donne à déchiffrer dans les figures hié- 
roglyphiques du charnier des Innocents et du portail de 
Saint-Jacques-la-Boucherie. Qui ne serait frappé d'un tel 
enchaînement de réalili^s si bien liées entre elles, si bien 
confirmées les unes par les autres? De grandes richesses 
rapidement acquises sans que personne en puisse indiquer 
la source, de nombreuses fondations qui en attestent l'im- 
portance, et des monuments divers qui, dans leurs déco- 
rations symboliques, en attribuent l'origine au grand œu- 
vre ; puis un livre, contemporain de ces symboles, qui vient 

* C'est le manuscrit qui existe encore ù la Bibliothèque impériale, et 
que l'on désigne quelquefois sous le nom de Traité des lavure»; il débute 
ainsi: «Cy commence la vraie pratique de la noble science d*alkmie... » 
cl fait connaître le nombre et la succession des lavures à exécuter pour 
la préparation de la pierre philosophale. La critique est forcée d'aban- 
donner la composition de cet ouvnige à Nicolas Flamel, car il est écrit 
de sa main, et Ton ne trouve pas d'autie auteur à qui Ton puisse Tattri- 
liuer. Or ce manuscrit contient dans son titre, écrit de la milme main, et 
eonséquemment authentique au même degré que le reste du texte, une 
sorte de sommaire résumant, par des indications très-nettes, les divers 
^uJets traites dans la plupart des livres que la tradition a mis sous le nom 
<ic Flamel. Ce manuscrit devait siirPirc à lui seul, tous les traités qu'on 
lui attribue iïissenl-ils apocryphes, pour confirmer l'opinion générale, 
q«H a si longtemps régné, du triomphe do Nicolas Flamel dans l'œuvre 
'•iMMiiéliquc. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 473 

leur servir de commentaire, et le tout, depuis Torigine jus- 
qu'à la fin, se rapportant à l'histoire du même personnage. 
Certes, nous reconnaissons et nous entendons réserver les 
droits de la critique, mais nous ne comprenons guère celle 
qui, dans ses préventions systématiques contre toute histoire 
ornée par la légende, n'a pas craint de contester à Nicolas 
Flamel jusqu'au titre d'alchimiste. 11 nous paraît donc im- 
possible de dénier à Técrivain de Saint-Jacques-la-Boucherie 
le titre d'adepte et les travaux qui en sont la conséquence, 
Quant au fait d'avoir trouvé le secret de la science hermé- 
tique, nous exposerons les motifs qui empêchent d'en laisser 
subsister la pensée. Mais, si l'on ne peut admettre que Flamel 
ait possédé la pierre philosophale, au moins faut-il avouer 
qu'aucun autre alchimiste n'a rassemblé un plus grand nom- 
bre de preuves pour faire croire à la réalité de ce fait, et 
pour implanter cette opinion dans les crédules esprits de ses 
contemporains. 

On ne possède aucun renseignement précis sur la date ni 
sur le lieu de la naissance de Flamel. La plupart de ses bio- 
graphes le font naître à Pontoise ; mais nul d'entre eux n'a 
fixé l'époque de sa naissance. Cependant, en rapprochant 
quelques dates plus faciles à réunir, on trouverait sans doute 
que l'époque de sa naissance ne doit pas s'éloigner beau- 
coup de Tannée 1530. Bien que d'une fortune très-médio- 
cre, ses parents purent lui donner une éducation que nous 
appellerions aujourd'hui libérale. Certaines connaissances 
dans les lettres lui étaient, en effet, nécessaires pour venir, 
comme il le fit, s'établir, jeune encore, dans la capitale du 
royaume en qualité d'écrivain public, profession qui embras- 
sait alors beaucoup de travaux d'une nature variée. Plu- 
sieurs témoignages nous montrent que Nicolas Flamel exerça 
celte profession dans toute son étendue et avec un succès qu 
peut le faire considérer comme un clerc distingué parmi les 
artistes du quatorzième siècle. 

10, 



( 



174 HISTOIRE 

Comme aucun document ne peut éclairer les premières 
années de sa vie, Thisloire de Flamel ne commence, pour 
nous, qu'au moment où il apparaît, au charnier des Inno- 
cents, parmi les écrivains publics qui, de temps immémo- 
rial, avaient adossé leurs échoppes contre ces vieilles con- 
structions. Cependant, les gens de sa corporation étant allés 
plus tard s'établir sous les piliers de l'église Saint-Jacques- 
la-Boucherie, Flamel, à leur exemple, y transporta son bu- 
reau. Les affaires du jeune écrivain cx)mmençaient déjà à 
prospérer; car on lui voit, dans ce nouveau quartier, deux 
échoppes : l'une occupée par des copistes à ses gages ou par 
les élèves qu'il formait dans son art, l'autre où il se tenait 
ordinairement lui-même. Cette échoppe, à laquelle le modeste 
et laborieux écrivain demeura toujours fidèle malgré les 
richesses qu'il acquit plus tard, n'offrait de particulier que 
son excessive exiguïté. D'après Sauvai, elle n'avait pas plus 
de deux pieds et demi de long sur deux de large; après la 
mort de Flamel, elle resta longtemps à louer, et la paroisse 
de Saint-Jacques-la-Boucherie ne put qu'avec peine trouver 
un preneur à raison de huit sols parisis par an. C'est dans 
cet étroit espace que l'honnête artiste vil s'écouler sa vie. 

Installé dans son nouvel établissement du quartier Saint- 
Jacques-la-Boucherie, Nicolas-Flamel contracte bientôt une 
union qui vient ajouter beaucoup à cette première aisance à 
loquelle il est déjà parvenu. Il épouse une veuve que Ton 
croit née à Paris, comme on croit Flamel lui-même né à 
Pontoise, l'origine de l'une n'étant pas plus certaine que 
celle de l'autre. Mais, à ce détail près, dame Pernelle est une 
personne de mérite, économe, prudente, sage et expérimen- 
tée, belle, ou du moins agréable encore, autant que peut le 
paraître, aux yeux d'un jeune mari, une femme deux fois 
veuve, ayant quarante ans passés, point d'enfants, et une dot 
dont les biographes oublient de nous donner le chiffre, mais 
qui doit être estimée assez honnête d'après ses effets immé- 
diats sur la situation de la communauté. Il se présenta un 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 475 

terrain vacant à Tun des angles de la vieille rue de Mari- 
vaux; les époux Tachetèrent et y firent bâtir une maison en 
face de leur échappe. Dans cette maison, à l'enseigne de la 
Flsiir de lys, les gens de cour venaient recevoir de l'écrivain 
expert des leçons d'écriture qu'ils payaient fort chèrement. 
Or bâtir, dans la bourgeoisie du quatorzième siècle comme 
dans celle de nos jours, c'est l'indice assuré, l'emblématique 
manifestation d'une fortune en train de se consolider. Il 
existe toutefois un titre qui nous fournit quelques éclaircis- 
sements sur le véritable état de la fortune de Flamel à celte 
époque : c'est l'acte par lequel, trois années après leur union, 
les deux époux se firent un don mutuel de tous leurs biens, 
afin que chacun d'eux « pût avoir honnêtement sa vie selon 
son état. » D'après l'énumération des biens qui composent 
cette dotation mutuelle, on voit que les ressources du mé- 
nage ne dépassaient guère encore la médiocrité. 

Ainsi Nicolas Flamel, établi dans le nouveau quartier des 
écrivains, vient de faire un mariage de raison ; il s'est mon- 
tré en cela homme positif^ et cette qualité ne lui fera jamais 
défaut, bien qu'elle doive paraître originale chez un alchi- 
miste. Il est vrai qu'il n'a encore touché que de fort loin 
aux pratiques de cette science occulte. Si, désireux d'éten- 
dre le cercle de ses. affaires, il a joint à sa profession d'écri- 
vain l'industrie de libraire, s'il entreprend un nombre con- 
sidérable de travaux dans l'art de l'écriture, où il excelle, il 
ne travaille encore qu'au grand jour et sur des matières 
connues. Tandis qu'une laborieuse activité règne dans ses 
échoppes, sa maison se remplit de beaux livres richement 
enluminés et qui trouvent un excellent débit; il s'entoure 
de nombreiix élèves qui rétribuent ses leçons en raison de 
la vogue et du talent de leur maître. En tout cela, Flaniel 
trouve les moyens de s'enrichir, mais fort peu d'occasions 
de se mettre en contact avec la science des philosophes her- 
métiques. Ce qui peut seulement seconder le désir qu'il 
éprouve, à l'exemple de tous les hommes éclairés de son 



170 HISTOIRE 

tPmps, do devenir expert dans les pratiques de l'alchimie, 
ce sont les occasions qui lui sont souvent offertes d'acheter, 
de vendre, de copier, peut-être même de lire, quelques ou- 
vrages hermétiques, alors si nombreux et si recherchés. Il 
faut même admettre que notre artiste avait commencé de 
s'adonner à quelques lectures de ce genre, et que son esprit 
inclinait vers ces idées, pour expliquer la vision qu'on lui 
attribue et qui devint l'origine de ses travaux hermétiques. 

Une nuit donc, raconte la légende à laquelle l'histoire va 
désormais fréquemment céder la parole, Nicolas Flamel dor- 
mait d'un profond somme, quand un ange lui apparut, 
tenant à la main un livre d'une antiquité vénérable et d'une 
magnifique apparence : « Flamel, lui dit l'ange, regarde ce 
« livre, tu n'y comprends rien, ni toi ni bien d'autres, mais 
« tu y verras un jour ce que nul n'y saurait voir. » Et, 
comme Flamel tendait la main pour recevoir le don précieux 
qu'il croyait lui être offert, l'ange et le livre disparurent à 
la fois dans un nuage d'or. 

Cependant la prédiction céleste tardait beaucoup à s'ac- 
complir. L'ange semblait avoir si bien oublié sa promesse, 
que Flamel n'y eût point sans doute songé davantage, sans 
un événement qui vint réveiller ses souvenirs et en môme 
temps ses espérances. Un certain jour de l'année 1357, il 
acheta d'un inconnu un vieux livre, qu'il reconnut, dès 
la première inspection, pour celui de son rêve. Dans un des 
ouvrages que la tradition lui attribue *, il s'explique avec 
détails au sujet de cette trouvaille. Nous citerons quelques 
lignes de son texte, qui renferment une description très- 
précise et de nature à faire ajouter foi à la réalité de l'objet 
décrit, avec quelques détails précieux sur la position de 
notre artiste i\ ceiU' époque do sa vie : 

* Le livre des figures hiérogliphiques de Nicolas Flamel, traduil de latin 
en français par P. Arnauld, sieur de la Chevalerief g'ntilhomme poicte^ 
vin. 



DES TRANSMITATIOXS METALLIQUES. 177 

« Donc moy, Nicolas Fulmel, oscrivain, ainsi qu'api-ts le déceds 
de mes parens, je gagnais ma vie en nostre ai t croscriture, faisant 
des inTentaires, dressant des comptes, et arrestant les dépenses des 
tuteurs et mineurs, il me tomba entre les mains, pour la somme de 
deux florins, un lirre doré fort vieux et beaucoup large; il n*estait 
point en papier ou en parcbemin, comme sont les autres, mais seule- 
ment il était fait de délices et écorces (comme il me semblait) de 
tendres ai*brisseaux. Sa couverture estait de cuivie bien délié, toute 
gravée de lettres ou figures esti'anges, et quant à moy je croy qu'elles 
jXMivaient bien estre des caractères grecs ou d'autres semblable lan- 
gue ancienne. Tant y a que je ne les sçavais pas lire, et que je sçay 
bien qu'elles n'estaient point notes ny lettres latinos ou gauloises, 
car nous y entendons un peu. Quant au dedans, ses feuilles d'escorce 
estaient gravées et d'une tràs-grande industrie, escrites avec une 
pointe de fer, en belles et très-nettes lettres latines colorées. Il con- 
tenait trois fois sept feuillets, car iceux estaient ainsi comptés au baut 
du feoillety le septième desquels estait tousjours sans escriture, au 
lieu de laquelle il y avait peint une verge et des sei-pents sVngloutis- 
sants ; au second septième, une croix où un seq)ent estait crucifié ; 
au dernier septième estaient peints des déserts, au milieu desquels 
coulaient plusieurs belles fontaines, dont sortaient plusieurs serpents 
<[ui couraient par cy et par là. Au premier des feuilets il y avait es- 
crit en letres grosses capitales dorées : Abraham le Juif, prikce, 

P&ESTRE, LÉVITE, ASTROLOGUE ET PHILOSOPHE, A LA GENT DKS JuiFS, PAR 

l'ire DE DiEO DISPERSÉE AUX Gaules. SALUT, D. I. Après cela, il estait 
remply de grandes exécrations ci malédictions (avec ce mot 3ïara- 
iiATHAfquiy estait souvent répété), contre toute pei^onne qui y jctfo- 
raill(?s yeux sur iceluy, s'il n'estait Sacrificateur ou Scribe. » 

Puisque les sacrificateurs et les scribes pouvaient ouvrir 
ce livre, Nicolas Flamel avait le droit d'y jeter les yeux, car, 
s'il n'était point sacrificateur, ce qui eût répugné à l'inno- 
cence et à la bonté de son âme, on ne peut nier qu'il ne fût 
scribe. Ce qui l'arrêtait, ce n'était donc point le terrible 
Varanatha, mais bien l'impénétrable obscurité du texte. 
Tout ce qu'il y comprenait, c'est que l'art de la transmuta- 
tion métallique, que l'auteur révélait aux gens de sa nation, 
''omme moyen de payer ks tributs aux cmporewY^ Tçsmxw^ . 



178 HISTOIRE 

se iroiivait contenu au troisième feuillet. En effet, le premier 
feuillet était rempli tout entier par le titre que nous avons 
cité, et le second ne contenait que des remontrances et des 
consolations aux Israélites malheureux. Mais, dans cette par- 
tie du livre, l'exécution du grand œuvre se trouvait expliquée 
dans un langage ordinaire, avec le dessin des vases à em- 
ployer et rindi(5ation des couleurs qui devaient apparaître. 
Seulement l'ouvrage ne disait rien sur la nature de la ma- 
tière essentielle, c'est-à-dire sur ce que nous avons appelé 
ailleurs le premier agent de la pierre philosophale. La clef 
do ce mystère était contenue dans les quatrième et cinquième 
feuillets, tout remplis de belles figures enluminées, mais 
sans aucun texte écrit. Ces figures représentaient intelligi- 
blement, nous dit Flamel, la conrposition du premier agent; 
mais, ajoute-t-il, il aurait fallu, pour les comprendre, être 
fort avancé dans la cabale des Juifs et avoir bien étudié les 
écrits des philosophes hermétiques. 

Voici quelles étaient, d'après Nicolas Flamel, ces impor- 
tantes figures du livre d'Abraham. 

La première figure du quatrième feuillet représentait un 
jeune homme avec des ailes aux pieds, tenant en main un 
caducée, autour duquel s'entortillaient deux serpents, et dont 
il frappait sur une salade (un casque) qui lui couvrait la tête; 
ce jeune homme ressemblait au Mercure de la mythologie. 
Contre lui s'avançait, courant et volant, les ailes étendues, 
un grand vieillard portant sur sa tète une horloge, et dans 
ses mains une faux, comme la mort ; terrible et furieux, il 
voulait trancher les pieds à Mercure. Une autre figure du 
même feuillet représentait, au commet d'une montagne, une 
belle fleur rudement ébranlée par Taquilon. Elle avait le pied 
bleu, les fleurs blanches et rouges, les feuilles reluisantes 
comme de l'or; à l'entour de cette fleur, les dragons et grif- 
fons aquiloniens faisaient leur nid et demeure. 

Au cinquième feuillet, on voyait un beau jardin, au mi- 
lieu duquel un rosier fleuri s'appuyait contre un chêne 



DBS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 179 

creux ; à leur pied bouillonnait une fontaine d'eau très- 
blanche, qui allait ensuite se précipiter dans des abîmes. 
Avant de disparaître ainsi, ses ondes avaient passé entre les 
mains d'une infinité de peuples, qui fouillaient la terre en 
la cherchant, mais qui, étant aveugles, ne la reconnaissaient 
point, excepté quelques-uns d*entï'e eux qui considéraient 
le poids. Au revers du même feuillet, on trouvait un roi 
qui, armé d'un coutelas, faisait tuer en sa prôsence, par des 
soldats, une multitude de petits enfants, dont les mères pleu- 
raient aux pieds des impitoyables gendarmes. Recueilli par 
d'autres soldats, le sang de ces enfants était placé dans 
un grand vaisseau où venaient se baigner à la fois le soleil 
et la lune. 

On ne peut savoir ce qui était contenu dans le reste du 
livre d'Abraham le Juif. Nicolas Flamel nous donne en ces 
termes les motifs de son silence à cet égard : 

f Je ne représenteray point, nous dit-il, ce qui estait escrit en beau 
et très-intelligible latin en tous les autres feuillets escrits, car Dieu 
me puuirait ; d'autant que je commettrais plus de méchancetés que 
teluy (conune on dit) qui désirait que tous les hommes du monde 
n'eussent qu'une teste, et qu'il la put couper d'un seul coup. » 

Une fois en possession de ce livre précieux, Flamel passa 
les jours et les nuits à l'étudier ; il le cachait à tous les yeux, 
et, bien qu'il n'y pût rien entendre, il n'en était pas moins 
jaloux de sa possession. Seulement, dans sa tendresse in- 
quiètCy sa femme bien-aimée s'alarmait de le voir triste et 
de Tentendre souvent soupirer dans la solitude. Devant la 
(Jouce insistance des pressantes questions de Pernelle, il ne 
put se défendre de lui confier son secret. Elle le garda fidè- 
lement, et, si dans cette occasion elle ne lui fut d'aucun se- 
cours, contrainte de partager son admiration stérile pour ces 
belles figures auxquelles elle ne comprenait rien, elle pro- 
cura du moins à son mari la consolation d'en parler en tôte- 
à-tête avec ravissement, et de chercher ensemble les moyens 
d'en découvrir le sens caché. 



180 UISTOIHE 

Cette situation d'esprit était d'aut^mt plus pénible pour 
Flamel, qu'il croyait lire très-clairement dans les premiers 
feuillets toutes les opérations à mettre en pratique, et ne 
se voyait arrêté que par son ignorance sur la matière pre- 
mière. Ce qu'il savait le moins, ou plutôt ce qu'il ne savait 
pas du tout, c'était son commencement. Le secours de l'ange 
de sa vision sorait ici arrivé fort à propos; mais celle inter- 
vention surnaturelle, si formellement annoncée, manqua 
toujours à notre alchimiste, qui l'eût cependant bien méri- 
tée, car il était homme de bien et homme de foi. 

En l'absence de l'ange, dont les promesses ne semblent lui 
avoir inspiré qu'une confiance médiocre, Nicolas Flamel s'a- 
dressa directement à Dieu. Cette invocation à rautorité di- 
vine pour le succès de son œuvre ne paraîtra point extra- 
ordinaire, si l'on se rappelle qu'à cette époque beaucouji 
de savants docteurs cl de pieux évêques s'occupaient de ro- 
cherches alchimiques sans scrupule de conscience, et que 
Flamel les poursuivait d'ailleurs avec un esprit exempt de 
cupidité. Voici donc la belle prière que Ton prête à Nicolas 
Flamel, et qu'il aurait faito pour obtenir l'intelligence ies 
figures cabalistiques du li\re d'Abraham : 

« Dieu tout-puissant, étoriiol, père delà lumière, de qui vieimt'iil 
tous les biens et tous les dons parfaits, j'implore votre miséricorde 
infinie ; laissez-moi coimaître votre élernelle sagesse; c'est celle qui 
environne votre trône, qui a créé et fait, qui conduit et conserve tout, 
Daignez me fenvoyer du ciel votre sanctuaire, et du trône de votre 
gloire, afin qu'elle soit et qu'elle travaille en moi; car c'est elle qui est 
maîtresse de tous les arts célestes et occultes, qui possède la science 
et l'intelligence de toutes cl/oses. Faites qu'elle m'accompagne dans 
toutes mes œuvres; que, par son esprit, j'aie la véritable intelligence, 
que je procède infailliblement dans l'art noble auquel je me suis con- 
sacré, dans la recherche de la miraculeuse pieire des sages, que vous 
avez cachée au monde, mais que vous avez coutume au moins de 
découvrir à vos élus. Que ce grand œuvre que j'ai à faire ici-bas, j:' 
le commence, je le i)oursuive et fachève heureusement; que, content, 
j'en jouisse à toujoui-s. Je vous le demande par Jésus-Christ, h 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 18 1 

pierre céleste, angulaire, miraculense et fondée de toute éternité, qui 
commande et règne avec yous^. » 

Cette prière ne fut point d'abord exaucée ; cependant Fla- 
mel ne se rebuta pas. Peut-être pensa-t-il que sa demande 
était téméraire, et que, même aux élus qu'il daigne favoriser 
de son secours, Dieu n'accorde des dons extraordinaires 
qu'au prix du travail et du temps. Il se remit donc à tra- 
vailler avec ardeur. 

Le peu de succès que Nicolas Flamel retira de ses premières 
recherches lui fit comprendre que ses seules lumières se- 
raient insuffisantes pour pénétrer le secret de la science her- 
métique, n prit donc la résolution d'invoquer le savoir de 
quelques personnages plus éclairés que lui. Dans le lieu le 
plus apparent de sa maison, il exposa, non point le livre 
même, qu'il voulait toujours dérober à tous les yeux, mais 
une copie, fidèlement exécutée par lui, de ses principales 
figures. Plusieurs grands clercs, qui fréquentaient son logis, 
eurent le loisir de les admirer tout à leur aise, mais personne 
né put réussir à en déchiffrer le sens. Et, comme il est d'u- 
sage de se montrer sceptique et railleur à l'endroit des choses 
qu'on ne comprend pas ou qu'on ignore, lorsque Flamel dé- 
clarait que ces figures enseignaient le secret de la pierre phi- 
losophale, chacun se moquait du bonhomme et de sa pierre 
bénite. 

Il se rencontra cependant parmi les visiteurs un licencié 
en médecine, ayant nom maître Anseaulme, qui prit la chose 
au sérieux. Grand amateur d'alchimie, maître Anseaulme 
avait bien envie de connaître le livre du juif, et il en coûtii 
à Flamel beaucoup de protestations et de mensonges pour lui 
persuader qu'il ne l'avait pas. Raisonnant donc sur la copie 
qu'il avait sous les yeux, le licencié donna l'explication sui- 
vante des figures cabalistiques. 

"* Hydrolicus sophicus, teu aquarium aapientium. Thcat. chim. Maiigeli. 
1. 11, p. 557. 

V\ 




\m UISTOIHE 

D'après maîlre Anseaulme, la première figure représentait 
le Temps qui dévore loul, et les six feuillets écrits signt- 
liîiitint qu il fiilkiit employer Tespace de six ans pour parfaire 
U* [lierre; après quoi il fallait « louroer l'horloge el ne cuire 
plus, » Et| commo Flamel se permettait J*objecter que cette 
expliiîalion était a côté du véritable sujet des figures, les- 
quelles n avaieut éxé peiotes, comme il était dit expressé- 
ment dans le livre, que pour démontrer et enseigner le pre- 
mier agent, maître Anseaulme répondait que celte action de 
six ans était comme un second agent* Il ajoutait quau sur- 
plus, le premier agent était vérilablemenl figuré aussi par 
Teau blanche et pesante (i^ans doute le vif-argent), que l'on 
ne pouvait lixer» auquel on ne pouvait couper les piels 
c*esl-à-dire ôler la volaliFUé que par cette longue décoction 
dans un sang très-pur de jeunes enfants; que, dans ce sang, 
le vif-argent se combinant avec Tor et largent, se converlis- 
sait premièrement avec eux en une herbe semblable à m\k 
qui était peinte, puis après, par corruption, en serpenta, les- 
quels élani parfaitement desséchés et cuits par le feu, se ré- 
duisaient en une poudre couleur d'or qui serait la pierre 

Si Ton demande quel fut le succès dos travaux entrepri> 
sur celle explication triompliante, nous avons le certificfll 
que Flamel s'en est donné à Uii-mème pour immortaliser la 
sagacité du licencié Ânseaulme : 

« Cela fut catists nous dit-il, que dorsint le long espace de vingt 
et un anS| je fis mille Jbrouillcrics, non lootcfois avec le sang, ce ((ui 
est méchant et vilaiii ; car je trouvai dans mon livre que les philoso^ 
phes appclîiient sauy Tesurit minéral qui est dans les métaux, prin- 
cii>aleinent dans le soleil, la lune et Mercure, ;i r«'Lsserablage desquels 
je tend;ds toujours. 

Ainsi Nicolas Flamel employa plus de vingt ans à vérifier 
par ses recherches les comraenlaires hermétiques du licencie. 
Si un lel chercheur ne trouve rien, on n"a^ certes, aucuu 
reproche à lui adresser. Bien (|u' entrepris en vue d'y ne œuvre 
himërique, un tra\ihl exécuté avec une telle constance 




DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 185 

nous semble aussi digne d'intérêt que tout ce que peuvent 
produire la patience et le génie dans les sciences de notre épo- 
que. Comme Talchimiste des temps anciens, le savant de nos 
jours se consacre à la poursuite passionnée d'une idée que 
Ton qualifie de chimère tant qu'elle n'a pas été réalisée ; c'est 
comme un premier agent dont son génie devine l'exis- 
tence sans pouvoir la démontrer, un principe qui règne déjà, 
mais pour lui seul, et dont l'obscure et confuse aperception 
fait, pendant de longs jours et pendant de longues nuits, 
l'occupation et le tourment de sa pensée. 

On ne peut attendre trop longtemps une bonne inspiration, 
pourvu qu'enGn elle arrive. Celle qui se présenta, après vingt 
et un ans de travaux, à l'esprit de notre alchimiste, était aussi 
heureuse que naturelle. Réfléchissant surTorigine de son li- 
vre, Nicolas Flamel s'avisa qu'il devait en demander le sens à 
quelque membre de la nation d'Abraham, o^r, pour expli- 
quer un juif, il est bon de prendre un autre juif. Mais, dans 
toutes ses entreprises, notre pieux personnage ne perdait ja- 
mais de vue le secours qu'il pouvait tirer de la puissance di- 
vine. Il résolut donc de faire un vœu de pèlerinage à Dieu 
et à Monsieur saint Jacques de Galice, afin d'obtenir la faveur 
de découvrir dans les synagogues d'Espagne quelque docte 
juif capable de lui donner la véritable interprétation des fi- 
gures mystérieuses dont il poursuivait en vain la significa- 
tion cachée. 

Voilà donc notre adepte en route peut l'Espagne. Muni du 
consentement de Pernelle, il porte le bourdon et l'habit du 
pèlerin, comme il convient à celui qui voyage pour l'accom- 
plissement d'un vœu. Il n'a pas oublié d'emporter un extrait 
des peintures du fameux livre que, pour rien au monde, il 
ne voudrait ni montrer ni déplacer. C'est en l'année i378 
que Flamel fit ce voyage qui devait être d'un résultat si dé- 
cisif pour sa destinée. 

Son vœu accompli avec toute la dévotion nécessaire, et 
Monsieur saint Jacques dûment désintéressé, notre alchi- 



l»i UISTOIKË 

miste put s'occuper librement del'afraire qui rattiraiten ïtà- 
|idgne. Milis, eu dépit de la protection de saint Jacques, il ne 
trouvait pas sans doute Thomme qu'il cherchait, car son sé- 
jour dans ces contrées se prolongea près d'un an. Comme il 
s acheminait vers le Nord, afin de rentrer en France, il tra- 
versa la ville de I^éon, où il fit la rencontre d'un marchand 
de Boulogne, qui avait pour ami un médecin Juif de nation, 
mais converti au chistianisme. Sur renonciation de ces qua- 
lités, Nicolas Flamel s'empressa de lier connaissance avec le 
médecin juif. Maître Canches, c'est le nom qu'il lui donne, 
était un cabaliste consommé, très-versé dans les sciences su- 
blimes. A peine eut-il jeté les yeux sur l'extrait des figures 
conservé par Flamel, que, ravi d*étonnement et de joie, il 
demanda à Fadepte s'il avait connaissance du livre qui les 
contenait. .Maître Canches s'exprimait en latin : Flamel lui 
réponditdanslamèmelanguequ'il pourrait donner de bonnes 
nouvelles de ce livre à celui qui parviendrait à lui en expli- 
quer les figures. Sur cela, et sans plus de discours, maître 
Candies se mit aussitôt à donner l'explication de tous ces em- 
blèmes de manière ù ne laisser aucun doute à son interlocu- 
teur sur l'exactitude de son interprétation. 

Le cœur de Flamel battait avec violence pendant qu'il 
écoutait le merveilleux crjmmentaire depuis si longtemps at- 
tendu. Mais, si grande que fût sa joie, elle était encore loin 
d'égaler celle du Juif. En effet, si l'alchimiste pouvait se 
croire enfin parvenu*au but suprême de ses longs et doulou- 
reux travaux, à ce premier agent, à cette pierre philosophale 
(|ui renfermait [tant de vertus naturelles et de miraculeuses 
puissances, maître Canches se voyait sur la trace d'un livre 
précieux entre tous les livres, unique, introuvable, œuvre 
perdue de l'un des princes de la cabale, et dont le titre, la 
seule chose (fue Ton en connût depuis un grand nombre de 
>ièc1es, était resté en vénération parmi les plus savants do^ 
teurs de la nation d'Abraham. 

On devine que Flamel n'éprouva pas grande résistance 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 185 

lorsqu'il proposa au médecin israélite de l'accompagner à 
Paris pour compléter son explication sur le texte môme du 
livre. Ils se mirent donc ensemble en route pour la France. 
Hais il était écrit que le pauvre Juif, éprouvant le sort de 
l'antique fondateur de sa religion, ne pourrait entrer dans 
la terre promise. Arrivé à Orléans, à peu de journées de 
Paris, il tomba malade, et, malgré tous les soins que ne cessa 
de lui prodiguer son ami, il expira entre ses bras après sept 
jours de maladie. Flamel lui rendit pieusement les derniers 
devoirs. 

« Au mieux que je peus, dil-il, je le fis entorrer en Téglise 
Saincte-Groix, à Orléans, où il impose encore. Dieu aye son âme. 
Car il moamt bon chrétien. Et certes, si je ne suis ompcsché par la 
iiii»rt, je donnei^y à cette église quelques rentes pour faire dire pour 
sou âme tous les jours quelques messes. » 

De retour à Paris, Flamel fut encore obligé de travailler 
trois ans sur les instructions incomplètes qu*il avait reçues 
du Juif. Au bout de ce temps, il toucha au but si ardemment 
désiré; et, avec Taide de Pernelle, qui prenait part à toutes 
ses opérations, il composa enfin la sublime pierre des sages. 

« Finalement, noiLS dit-il, je trouvay ce que je désirais, ce que je 
reconnus aussitôt par la senteur forte. Ayant cela, j'accomplis aisé- 
ment le magistère ; aussi, sachant la préparation des premiei*s ageus, 
suivant après mon livre U la lettre, je n'eusse pu faillir, encore que 
je l'eusse voulu. 

<c Donc, la première fois que je fis la projection, ce fut sur du Mer- 
cure, dont j'en convertis une demi-livre ou environ, en pur argent, 
meilleur que celuy de la minière, comme j'ay essayé et faict essayer 
par plusieurs fois. Ce fust le 17 janvier, un lundy, environ midy, 
en ma maison, présente Pernelle seule. Tan de la restitution de Fhu- 
main lignage mil trois cent quatre-vingt-deux. Et puis après, en sui- 
vant toujours de mot à mot mon livre, je la fis avec la pierre rouge, 
sur semblable quantité de Mercure, en présence encore de Pernelle, 
seule en la même maison, le vingt-cinquième jour d'avril suivant de 
la même année, sur les cinq heures du soir, que je transmuay vérita- 
blement en quasi autant de pur or, meilleur très-certainement que Wir 



180 HISTOIRE 

commun, plus doux el |ilus ployable. Je peux le dire avec vérité, jeTay 
prfaicU' trois fois avoc Tayde de Pemelle, qui Tentendait aussi bien 
que moy, [)our m'avoir aydé aux opérations, et sans doute, si elle eût 
voulu entreprendre de la parfaire seule, elle en serait venue à bout. » 

Quand on a lu ce procès-verbal, que Flamel dresse lui- 
même de son propre succès, on n'est pas très-avancé dans 
la connaissance du procédé qui lui servit à accomplir la 
pierre philosophale. Pour comprendre, il manque au lecteur 
ce qui manquait à Flamel lui-même avant son voyage en 
Espagne. On pourrait lui dire, comme il disait alors à maître 
Anseaulme : « Mais quel est donc le premier agent? » Nous 
avons lu avec une attention scrupuleuse les neuf chapitres 
où Tauteur reprend une à une les diverses figures hiérogly- 
phiques du tableau qui sert de frontispice à son traité, et 
nous pouvons affirmer que Ton y chercherait en vain Vex- 
plication du secret de la science hermétique. Ce qui n'em- 
pêche pas notre adepte, imitant en cela le reste de ses con- 
frères, de s'applaudir de la sincérité et de la clarté de ses 
révélations touchant le mystère du grand œuvre : 

« Et vraiment, dit-il en s' adressant au lecteur, dont il vient d'em- 
brouiller Tesprit en parlant de siccitéet à'humidité,à'albi(icalionv[ 
de nibificalion, de laict virginal solaire et de mercure citrin 
rouge, iV œuf philosophique et de poulet, — et vraiment je te dis 
ici un secri'l que tu trouveras bien rarement escrit ; aussi je ne suis 
point envieux. Pleust à Dieu que diacun sceut faii-e de For à sa vo- 
lonté, alin que Ton vescut menant ^MÛstre ses gras troupeaux, saiis 
usure et procès, à Timitation des saincts patriarches, usans seule- 
ment, comme les premiers pères, de permutation de chose à chose, 
pour laquelle avoir il faudrait travailler aussi bien que maintenant. > 

Quelle que soit Topinion à laquelle on s'arrête sur cet 
l'événement remarquable de la vie de notre alchimiste, il est 
certain que sa fortune se montre prodigieusement multi- 
pliée à partir de l'époque que l'on fixe comme celle de ses 
projections. D'après des témoignages dignes de foi, Nicolas 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 187 

Flamel était propriétaire, à Paris seulement, de plus de 
trente maisons et domaines. 

Les deux époux, déjà âgés, sans enfants et sans espérance 
d'en avoir, voulurent reconnaître les grâces que Dieu leur 
avait accordées, et résolurent de consacrer leurs richesses à 
des œuvres de bienfaisance et de miséricorde. D'abord, leur 
petite maison de la rue Marivaux devient un lieu d'asile 
ouvert aux veuves et aux orphelins dans la détresse. Les 
deux époux prodiguent des secours aux pauvres, ils fondent 
des hôpitaux, bâtissent ou réparent des cimetières, font re- 
lever le portail de Sainte-Geneviève-des-Ardents, et dotent 
rétablissement des Quinze-Vingts, qui, en mémoire de ce 
fait, venaient chaque année, à l'église Saint-Jacques-la-Bou- 
cherie, prier pour leurs bienfaiteurs, et ont continué jus- 
qu'en 1789 ce pieux pèlerinage. Flamel et Pernelle accordent 
encore des dotations à un grand nombre d'églises, mais par- 
ticulièrement à celle de Saint-Jacques-la-Boucherie. On a 
trouvé dans les archives de cette paroisse, outre le testament 
de Nicolas Flamel, plus de quarante actes qui témoignent 
des dons considérables qu'il avait faits à cette église. 

Nicolas Flamel énumère dans les termes suivants les di- 
vers témoignages de sa pieuse libéralité : 

c En Tan mil quatre centtreize, nous dit-il, sur la fin de Tan, après 
le trespas de ma fideUe compagne, que je regretterai tous les jours de 
ma vie, elle et moy avions déjà fondé et rente quatorze hôpitaux en 
cette ville de Paris, basti tout de neuf trois chapelles, décoré de 
grands dons et de bonnes rentes sept églises, avec plusieurs répara- 
tions en leurs cimetières, outre ce que nous avions faict à Boulogne, 
qui n^est guères moins que ce que nous avons faict ici. » 

A cette liste des fondations de Flamel il faut ajouter ses 
constructions au charnier des Innocents, qui retraçaient par 
leurs décorations symboliques les emblèmes de l'art qui, se- 
lon la tradition, fut l'origine de sa fortune. 

Cédant, en cela, à la faiblesse humaine, Flamel fit 
sculpter son image sur les divers monuments dus à sa libé- 



188 IIISTOIHË 

ralité. Pour rappolor la source de ses richesses, il accompa- 
gnait toujours son portrait d'un ëcusson où se voyait une 
main tenant une écritoire. Loin de rougir de l'origine de 
ses biens, il s'en glorifiait donc comme d'un titre nobiliaire: 
la plume et i'dcritoire étaient ses armes parlantes. 

On voyait encore, au dernier siècle, une de ces statues 
du pieux Flamel, à l'église Sainte-Geneviève-des-Ardents, 
sur le portail qu'il y fit construire. On en trouvait deui à 
Saint-Jacques-la-Boucherie, savoir : une sur la petite porte 
de l'église, rue des Écrivains, et une autre sur le pilier de 
sa maison; une au charnier des Innocents, dont il avait fait 
bâtir une des arcades du côté de la rue de la Lingerie. H y 
en avait encore une à Tancienne église de l'hôpital Saint- 
Gervais, petite chapelle que Flamel avait fait élever rue de 
la Tixeranderie, et deux sur la façade d'une belle maison 
qu'il fit bâtir dans la rue de Montmorency. 

Flamel était presque toujours représenté, sur ces petites 
statues, à genoux et les mains jointes. « On le voyait à 
Sainte-Geneviève-des-Ardents, dit Tabbé Villain, avec une 
robe longue, un manteau long et retroussé sur l'épaule 
droite, le chaperon à demi abattu autour du col, avec la cor- 
nette longue et pendant très-bas : avec cela une ceinture, à 
laquelle était attachée Técritoire, signe de la profession dont 
l'écrivain se faisait honneur. » Jusqu'à Tépoque de la Révo- 
lution, on a vu, à Paris, ces images de Flamel sculptées sur 
les portes des églises, ou peintes sur leurs vitraux. Il était 
toujours armé de son écritoire et revêtu de son costume d'é- 
crivain, toujours agenouillé par humilité, toujours accom- 
pagné de citations pieuses ou de vers de sa façon sur les 
misères et les vanités de ce monde. 

Dans cette galerie, élevée en vue des souvenirs de la pos- 
térité, Flamel n'avait pas oublié l'image de sa chère Pemelle. 
On la voyait représentée avec son mari, sur le fronton de 
l'arcado des charniers. Elle était à genoux aux pieds de saint 
Pierre, tandis que Flamel était à genoux aux piedg de saint 



DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 189 

Paul; au milieu se tenait la Vierge portant l'Enfant Jésus. 
Au-dessous se trouvait une corniche chargée de tableaux de 
sculpture représentant le jugement dernier; le mari et la 
femme y figuraient encore. On les voyait partout réunis tous 
deux sur les vitraux ou sur la façade des édifices, tenant leur 
place dans diverses allégories. Sur Tarcade du charnier des 
Innocents, on lisait des vers au-dessous du chiffre de Ni- 
colas Flamel; ils étaient sans doute de sa composition. Les 
voici tels qu'on put les déchiffrer en 1760 : • 

u Hélas 1 mourir convient 
Sans remède homme et femme 

Nous en souvienne : 

Uélas! mourir convient 

Le corps 

Demain peut-être dampnés 

A faute 

Mourir convient 

Sans remède homme et femme. » 

Toutes ces constructions, que le tem[)s n'a pas encore en- 
tièrement détruites, tous ces bienfaits dont la mémoire vit 
encore, toutes ces libéralités du pieux Flamel, quelque arith- 
métique dont on se serve pour les diminuer et les réduire, 
supposent toujours de très-grandes richesses. Essayons d'en 
rechercher la véritable origine. 

Un jeune savant de l'école des Chartes, M. Auguste Valet, 
qui s'est livré à de curieuses recherches sur le sujet dont nous 
nous occupons, termine son travail par cette réflexion judi- 
cieuse : t Eb général, dit-il, partout où vous voyez une lé- 
gende, quelque erronée, quelque amplifiée qu'elle soit, vous 
tf {louvez être sûr, en allant au fond des choses, que vous y 
« trouverez vokehistoire. » Ajoutons que, s'il en était, autre- 
ment, il faudrait rejeter du domaine des faits positifs ibus les 
événements qui ne sont pas attribués aux princes et aux sei- 
gneurs, aux généraux et aux ministres, c'est-à-dire aux 



190 HÏSTOÎBE 

liominesc|ui, dans leur siècle, exerçaient de grandes charges 
publiques. L*histoire proprement dite n'accorde son attention 
vi ses honneurs quVt cette classe de personnages ; quant à la 
mrMleste existence de ceux qui n'occupèrent aucun rang dans 
l'État, elle ne nous est transmise que par la tradition, par des 
mémoires particuliers, par des notices ou des biographies qui 
sont, ou qui, avec le temps, deviennent des légendes. Parce 
que l'on sedéGe des détails étrangers dont la tradition a chargé 
leur histoire, ou de la fausse chronologie qui Tembrouille, 
va-t-on déclarer que ces hommes n*ont rien fait, et que tout 
est controuvé dans les ouvrages écrits sur leur compte, comme 
dans ceux qu'on leur attribue? Va-t-on prononcer enfin que 
h^ur existence même est problématique? Telle est pourtant 
la conséquence extrême à laquelle on serait conduit par une 
critique où le scepticisme l'emporterait trop sur le discerne- 
ment. C'est dans cette idée, qu'une légende cache toujours 
une histoire, que nous allons soumettre à un rapide examen 
la question si controversée de la source des richesses du céh'*- 
bro écrivain do la rue Marivaux. 

On se trouve, en ce qui concerne la fortune de Flamel, en 
présence de deux opinions qui s'excluent Tune l'autre, 
bien (ju'on les rencontre réunies chez les critiques qui, à 
l'exemple de l'abbé Villain et de Gabriel Naudé, se sont ap- 
pliqués à découvrir Torigine de l'opulence de Flamel. Dans 
la crainte d'accorder trop de foi à la légende, ou bien on 
essaye de d('pouillor Flamel de sa qualiUî de philosophe her- 
métique, ou bien l'on cx)nt(iste ses richesses, c'est-à-dire 
qu'on les amoindrit au point de leur oter le^ proportions et 
le caractère d'une fortune. C'est cette dernière opinion sur 
laquelle l'abbé Villain a le plus insisté dans son Histoirecri- 
tique de Nicolas Flamel. Les petites raisons, les petits chiffres, 
se pressent sous sa plume pour amoindrir l'importance des 
dotations des deux ép;)ux : L'abbé Villain a lu quelque part 
(jue le portail de Téglise Sainte-Geneviève-des-Ardents, à la 
construction duquel Flamel participa, fut fait des aumônes 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. i9i 

de plusieurs *. — A cette époque, la toise de construction des 
murs, en y comprenant tous les matériaux, ne coûtait que 
vingt-quatre sous. — Il résulte du testament de Pernelle 
qu'en 4599 les deux époux n'avaient qu'environ quatre 
mille trois cents et quelques livres de revenu. — A la bonne 
heure ; il faudrait cependant se demander, quant au dernier 
point, si, du quatorzième siècle au dix-huitième, la valeur 
de l'argent ne s'était pas tellement dépréciée, qu'une somme, 
considérable pour un bourgeois du temps de Flamel, fût 
médiocre pour les lecteurs de Tabbé Viliain. Il est toutefois 
un fait qui détruit complètement cette objection du critique, 
c'est la date qu'il cite du testament de Pernelle. En l'an- 
née 1399, en effet, les dotations, les rentes aux hôpitaux et 
églises, se trouvaient faites, les œuvres de miséricorde étaient 
accomplies ; toutes les constructions, tant à Boulogne qu'à 
Paris, s'étaient élevées aux frais du libéral écrivain, sauf le 
portail de Sainte-Geneviève-des-Ardents et une arche que, 
douze ou treize ans plus tard, après la mort de Pernelle, 
il fit ajouter au charnier des Innocents. Si, en i 399, il restait 
peu de fortune aux deux époux, c'est par la raison toute sim- 
ple qu'ils avaient prodigieusement dépensé. Ce trait, que 
l'abbé Yillain oublie de signaler, avait cependant son impor- 
tance dans la question. 

Mais par quel moyen Nicolas Flamel avait-il pu subvenir 
à tant de dépenses? 

C'est ici que la critique a besoin de tirer parti de l'opinion 
contraire sur les richesses de Flamel. On veut bien convenir 
qu'elles ont dû être considérables; mais aussitôt, et pour re- 
jeter leur origine hermétique, on leur cherche une source 
illicite et môme criminelle. Flamel, dit, après d'autres écri- 
vains, M. le docteur Hœfer, dans son Histoire de la chimie, 
Flamel a fait l'usure, il a prêté à la petite semaine; il s'est 
trouvé en rapport avec un grand nombre de juifs, et, pro- 

* Biitoire eniique de Nicolas Flamel. Paris, 1761. 



19S IIISTOIKE 

bablement, il se sera ouriclii en s*attribuaut les dépôts que 
ceux-ci lai confièrent au temps de leur persécution. Or, 
non-seulement ces imputations sont entièrement dénuées de 
preuves, mais encore tout ce que Ton connaît historique- 
ment du caractère et des actes de Flamel concourt à laver 
sa mémoire d'une telle accusation. 

Nous sommes, certes, fort éloigné de penser que le bon- 
homme Flamel ait jamais découvert la pierre philosophale; 
nous le croyons d'autant moins, que nous trouvons chez lui 
toutes les qualités et tous les moyens qui rendent la pierre 
philosophale superflue pour l'acquisition des richesses. Que 
Ton se rappelle l'honnête et solide position (jue Nicolas 
Flamel occupait déjà bien avant l'époque où, selon la lé- 
gende, il fit sa première projection. Ûart de l'écrivain, dans 
lequel il était passé maître, avait Timportance et tenait la 
place de Timprimerie avant que celle-ci fût inventée. Les 
écrivains remplissaient alors Toffice de nos imprimeurs, et, 
pour peu qu'ils eussent le talent de copier les livres et les 
missels nettement et avec correction, ils devenaient bientôt 
plus riches que les auteurs. On a vu qu'en même temps Fla- 
mel était libraire, et libraire juré de l'Université, autre pro- 
fession dans laquelle il prospérait également. Si Ton ne peut 
contester qu'il y ail eu anciennement, et qu'il y ait encore 
aujourd'hui, tant dans la librairie que dans l'imprimerie, 
plusieurs maisons millionnaires, quelle difficulté trouvera- 
t-on à admettre que, réunissant les deux industries, la mai- 
son des époux Flamel se soit élevée à un môme degré de for- 
tune pour le temps où ils ont vécu? Tout en s'occupant, à 
Tcxemple de ses contemporains, de la culture d'un art chi- 
mérique, Nicolas Flamel ne négligeait point pour cela les 
travaux d'un produit plus assuré, et cette petite échoppe de 
Saint-Jacques-ia-Boucherie, qui n'est à louer qu'après sa 
mort, peut même passer [»our une preuve que le prudent 
écrivain public ne renonça jamais à son premier métier. 
Ainsi, à moins qu'il n'y ait parti pris de le traiter en coupa- 



DES TRANSMITATÎONS MÉTALLÎOI'ES. lU." 

lile, on De doit point cherclier à son opulence une autre 
source que cette longue carrière de travaux et d'affaires, 
dans le cours de laquelle un homme habile et actif comme 
lui, aidé du concours d'une femme entendue et vigilante, 
a pu, chaque année, réaliser des bénéfices considérables 
qu'aucune grande charge domestique ne venait entamer. Dans 
cette maison, point d'enfants à élever et à pourvoir; des ha- 
bitudes d'ordre qui rendent le travail de plus en plus fruc- 
tueux en lui piénageant l'impulsion croissante qu'il reçoit 
de ses propres produits soigneusement économisés; ajoutez 
enfin une simplicité de vie qui allait jusqu'à l'austérité, soit 
(|ue ces habitudes fussent conformes aux goûts de Flamol, 
soit qu'il voulût conjurer par là les haines jalouses et dan- 
gereuses auxquelles étaient alors en butte les bourgeois que 
la fortune élevait trop au-dessus de leur caste. 

Un fait que l'histoire nous a conservé prouve tout à la 
fois que, déjà de son vivant, la fortune extraordinaire de 
flamel était une chose notoire, et qu'en même temps Thon- 
néte écrivain ^vait gardé au milieu de ses richesses une mo- 
dfeition phis extraordinaire encore que sa fortune. Frappé 
de tout ce que Ton racontait des richesses, des libéralités de 
Flamel, le roi Charles VI crut devoir envoyer chez lui un 
Diaîtredes requêtes pour s'assurer du fait. Monsieur Cramoisi, 
qui fat chargé de cette mission, trouva le philosophe vivant 
Pauvrement dans sa modeste échoppe, et se servant à son or* 
dinaire de vaisselle de terre, comme le plus humble des ar- 
tisans. Cramoisi rendit compte au roi des résultats de sn vi • 
^teetde son enquête, et l'honnête artiste ne fut point in- 
<iuiété. L'usure, cette imputation odieuse que l'on n'a pas 
craint de faire peser sur la mémoire de Flamel, ne se concilie 
point avec une telle simplicité de m.œurs et d'habitudes. Il 
lautd*ailleurs ou nier complètement l'existence d'un person- 
nage, ou bien l'accepter avec les traits sous lesquels la tradi- 
tion nous le représente. Or comment un homme religieux, 
humain, ehBritable, — rhistoire mémo ne coï\le?.VG îiwtuw^ ^vî. 



194 HISTOIRE 

ces vertus à Nicolas Flamel, — aurait-il voulu s'enrichir par 
un moyen que réprouvent également la religion et la charité? 
On prétend encore que Nicolas Flamel a pu s'enrichir en 
s'appropriant les dépôts ou les créances des juifs proscrits. 
Cette dernière opinion nécessite un court examen. Du vivant 
de Flamel, les juifs furent persécutés trois fois, c'est-à-dire 
chassés du royaume, puis rappelés, moyennant finance. Or, 
en 1 546, date de la première persécution, Flamel n'était qu'un 
garçon de quinze ou seize ans. En 1554, date delà seconde, il 
commençait à peine son petit établissement d'écrivain pu- 
blic, et personne ne parlait encore de sa fortune, a Ce bon- 
homme, dit Lenglet Du Fresnoy, aurait-il été en Espagne 
chercher des juifs, si lui-même les avait volés et dépouillés 
de leurs biens? » On pourrait ajouter que si Flamel alla 
trouver des juifs en Espagne, c'est qu'il était sans doute en 
mesure de leur rendre bon compte du mandat qu'ils lui au- 
raient confié à leur départ de France. Mais tout ce que Ton 
pourrait avancer à cet égard manquerait de preuves, et, en 
particulier, cette opinion que Flamel aurait reçu, comme 
une sorte de banquier, la procuration des juifs proscrits 
pour toucher leurs créances, n'est qu'une conjecture à la- 
quelle on ne peut guère s'arrêter. En effet, bien longtemps 
avant le voyage de Flamel en Espagne, les juifs étaient ren- 
trés en France, où leur bannissement, leur rappel, la con- 
firmation et la prolongation de leurs privilèges, étaient, 
avec l'altération des monnaies, les grands moyens financiers 
de Tépoque : les gouvernements seuls dépouillaient les juifs. 
Du reste, de prolongation en prolongation, on leur avait oc- 
troyé un séjour non interrompu de plus de trente ans dans 
le royaume, lorsque, en 1594, Charles VI les en bannit à 
perpétuité. Cette troisième persécution des juifs eut lieu, à la 
vérité, du vivant de Flamel, mais elle est postérieure à un 
grand nombre de ses fondations. Il faut convenir toutefois 
qu'en cette circonstance il aurait pu faire honnêtement 
quelque gain considérable avec les juifs. L'ordonnance de 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES i95 

1394, différente en ee]a de toutes celles précédemment por- 
tées contre eux, avait un caractère purement religieux et 
politique. En les bannissant, elle ne les dépouillait pas, et, 
ce qui le prouve bien, a c'est que toutes leurs créances du- 
rent leur être payées*. )) Or, pour opérer le recouvrement 
de ces créances, il leur fallut nécessairement un agent ou 
une sorte de banquier. Si l'on veut croire que Flamel, dont 
la probité el la solvabilité bien connues devaient inspirer 
toute confiance aux juifs, reçut d'eux cet important mandat, 
et put s'enrichir beaucoup de toutes les remises qui lui au- 
raient été accordées sur les sommes recouvrées par ses soins, 
on n'a rien à objecter à cette nouvelle conjecture, si ce n'est 
son entière gratuité, car elle n'appartient pas à la tradition 
et elle n'est confirmée par aucune induction historique. 
Mais ce que nous voudrions détruire et effacer dans tous les 
esprits, c'est le soupçon, non pas gratuit, mais absurde, que 
Flamel se soit approprie les créances ou les dépôts des juifs 
bannis. Est-ce que, dans ce cas, de nombreuses plaintes ne 
se seraient pas élevées contre lui? Et le dépositaire infi- 
dèle, s'il avait pu ne pas compter avec sa conscience, n'au- 
rait-il pas eu à compter sévèrement avec la justice du roi? 
Charles VI, qui n'avait prononcé que le bannissement des 
juifs, n'eût point, sans doute, laissé impuni chez un parti- 
culier un acte de spoliation dont il avait voulu s'abstenir 
lui-môme. 

Les dernières années de la vie de Flamel furent consa- 
crées à la composition de divers ouvrages hermétiques, au 
moyen desquels il se flattait de répandre dans le public 
Topinion, qui a d'ailleurs prévalu, du haut degré de ses 
connaissances dans la science hermétique. En 4599, il 
rédige, dit-on, pour la première fois, VExplication des 
figures hiéroglyphiques, livre qu'il complétera en 1413, 
Tannée même de la mort de Pernelle. En 1409, il compose 

* Dtê Juifs en France, par M. Théophile Halley, in-8% 4847. 



1% HISTOIRE . 

en vers son Smnimire philosophique, qui a été réimprimé 
en 1755 dans le troisième volume du Roman de la Rose, 
On if^nore en quelle année ont été composés le Désir désiré 
et le Traité des bavures. Arrêtons-nous un instant sur ce 
dernier ouvrage. Nous avons déjà cité les premières lignes 
de ce manuscrit, qui débute ainsi : « Cy commence la waie 
pratique de la noble science d'athmie; i et qui continue 
par ce sous-titre : Le Désir désiré et le prix que nul ne 
])ent priser, de tous les philosophes Cûmposé, et des livres 
des anciens pris et tirés, etc. C'est ce passage du manuscrit 
des Lavures, écrit tout entier de la main de Flamel, qui a 
paru, comme nous Tavons dit au début de ce chapitre, ren- 
fermer en abrégé les titres ou désignations des autres livres 
composés par lui ou publiés sous son nom à diverses époques. 

Hâtons-nous de le dire, la plupart des ouvrages dont nous 
venons de citer les titres sont apocryphes; seulement on y 
trouve beaucoup de faits vrais concernant Flamel. Pour les 
auteurs de ces livres, c'était là une condition du succès qui 
n'a pas dû être plus négligée qu'elle ne Test dans divers mé- 
moires pseudonymes de notre époque, lesquels, remplis de 
faits irrécusables, ne pèchent souvent que par rauthenticilé. 
C'est ainsi que le Livre des figures hiéroglyphiques est gé- 
néralement regardé comme l'œuvre propre du traducteur 
P. Arnauld, car le latin, d'où il prétend l'avoir traduit, n'a 
été vu nulle part. Cependant, quand on trouve dans ce livre 
une traduction si fidèle et une si laborieuse explication des 
figures que Flamel fit peindre ou sculpter sur la quatrième 
arche du charnier des Innocents, il est impossible de le con- 
sidérer comme absolument faux dans tout le reste, et no- 
tamment dans ce qu'il rapporte des travaux et de la vie in- 
térieure des deux époux. L'ouvrage du P. Arnauld est sans 
doute la paraphrase d'un manuscrit perdu de Nicolas Flamel. 

Nicolas Flamel fut enterré dans l'église Saint-Jacques-la- 
Mouclierie. Il avait, de son vivant, payé les frais de sa sépul- 
ture, dont il avait désigné la place devant le crucifix et In 



DES TRASSMUTATIONS MÉTALLIQUES. \91 

sainte Vierge, et où, douze fois l'année, après les Stervices 
fondés à son intention, tous les prêtres devaient aller, en 
surplis, lui jeter de Teau bénite. Il avait aussi d'avance com- 
posé et figuré Finscription qui devait être placée à l'un des 
piliers au-dessus de sa tombe, et qui, selon sa volonté, fut 
exécutée comme il suit : 

Le Sauveur était figuré tenant la boule du monde entre 
saint Pierre et saint Paul. On lisait au-dessous de cette image : 

€ Feu Nicolas Flamei/, jadis écrivain, a laissié par son testament, à 
roeuvre de cette église, certaines rentes et maisons qu'il a acquestées 
et achetées de son vivant, pour faire certain service divin, et distribu* 
lions d*argent chacun an par aumône, touchant les Quinze-Vingts, 
Hôtel-Dieu, et autres églises et hôpitaux de Paris. Soit prié pour les 
Trépassés. » 

Sur un rouleau étendu on lisait ces paroles : 

Domine Deuêj in tud misericordid speravi 

Au-dessous se voyait l'image d'Un cadavre à demi con- 
sommé, et cette inscription : 

De terre suis venu et en terre retourne ; 

L'âine rends à toi, J. II. V., qui les péchiés pardonne. 

Pemelle, qui avait précédé son mari au tombeau, s'était 
occupée aussi de ses propres obsèques; elle avait môme 
réglé la dépense du luminaire à y consacrer. Mais Pernelle 
ne nous donne pas ici une haute idée de sa magnificence. 
Elle avait fixé le prix du dîner du jour de l'enterrement, 
auquel, selon la coutume, devaient être invités tous les pa- 
rents et voisins, à quatre livres seize sols parisis. La dépense 
totale de la' cérémonie devait se monter à dix-huit livres 
dix deniers parisis, et le bout de l'an ne coûter que huit 
livres dix-sept sols. 

Nicolas Flamel fut donc, comme nous l'avons dit au (\é- 



198 BISTOIRE 

but de ce chapitre, le plus heureux des souffleurs. Son bon- 
heur a môme atteint des limites qui ne pouvaient entrer 
dans ses espérances, car les adeptes, enthousiastes de ses 
«uccès, lui ont accordé le privilège de TimmortaUté. S'il faut 
on croire l'état civil, Flamel mourut en 1418 ; mais beau- 
coup d'écrivains affirment que, plein de vie à cette époque, 
il ne fit que disparaître de Paris pour aller rejoindre Per- 
nelle, laquelle, cinq années auparavant, avait disparu de 
son côté pour se rendre en Asie. Cette opinion se répandit 
jusqu'en Orient, où elle existait encore au dix-septième 
siècle. C'est au moins ce que Paul Lucas rapporte dans la 
relation de son voyage en Asie Mineure: Ce touriste s'ex- 
prime ainsi : 

« A Boiunous-Bachi, ayant eu un entretien avec le dervis des 
Usbecs sur la philosophie hermétique, ce Levantin me dit que les 
vrais philosophes possédaient le secret de prolonger jusqu'à mille 
ans le terme de leur existence et de se préserver de toutes les 
maladies. Enfin, je lui parlai de Tillustre Flamel, et je lui dis que, 
malgré la pierre philosophale, il était mort dans toutes les formes. 
A ce nom, il se mit à rire de ma simpUcité. Comme j'avais presque 
conomencé de le croire sm* le reste, j'étais extrêmement étonné de 
le voir douter de ce que j'avançais. S'étant aperçu de ma surprise, il 
me demanda sur le même ton si j'étais assez bon pour croire que 
Flamel fût mort. « Non, non, me dit-il, vous vous trompez, Flamel 
« est vivant ; ni lui ni sa femme ne savent encore ce que c'est que 
« la mort. Il n'y a pas trois ans que je les ai laissés l'un et l'autre 
« aux Indes, et c'est un de mes plus fidèles amis. » 

Après ce préambule, le dervis fait une longue histoire de 
la manière dont Flamel et Pernelle se sont éclipsés de Paris, 
et de la vie qu'ils mènent tous deux en Orient. 

« Ce récit, ajoute le naïf Lucas, me pamt, et il est en efiet, fort 
singuUer. J'en fus d'autant plus surpris qu'il m'était fait par un Turc 
que je croyais n'avoir jamais mis le pied en France. Au reste, je ne 
le rapporte qu'en historien, et je passe même plusieurs choses encore 
moins croyables, qu'il me raconta cependant d'un ton affîrmatif. Je 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 199 

me contenterai de remarquer que Ton a ordinairement une idée trop 
basse de la science des Turcs, et que celui dont je parle est un homme 
d'un génie supérieur. » 

Ajoutons qu'au mois de mai 1818 il se trouva à Paris un 
plaisant ou un fou qui se donnait pour le véritable Nicolas 
Flamei, Tadepte fortuné qui avait fait la projection quatre 
siècles auparavant. L'alchimiste s'était établi rue de Cléry, 
n" 22 ; il faisait de Vor à volonté et se proposait d'ouvrir un 
cours de science hermétique, pour lequel chacun pouvait 
se faire inscrire moyennant la modique somme de trois cent 
mille francs. Après cette dernière réclame, on n'a plus en- 
tendu parler de Tadepte de la rue Marivaux. 

Beaucoup de personnes s'imaginèrent, après la mort de 
Nicolas Flamei, qu'il devait exister des trésors enfouis dans la 
maison qu'il avait toujours habitée. Toutes ses dépenses ne 
pouvaient avoir épuisé les sommes innombrables que cet 
adepte avait accumulées chez lui, ayant la faculté de pro- 
duire de l'or au gré de ses désirs. Ces personnes si bien avi- 
sées avaient sans doute lu dans Diodore de Sicile que Syman- 
dius/roi d'Egypte, possesseur du môme secret, fil environner 
son tombeau d'un cercle d'or massif, dont la circonférence 
était de trois cent soixante-cinq coudées, et dont chaque cou- 
d^ formait un cube d'or. Le môme Symandius s'était fait 
représenter sur le péristyle de l'un de ses palais, offrant aux 
dieux l'or et l'argent qu'il fabriquait chaque année, et dont 
la somme, en nombres ronds, s'élevait à cent trente et un 
milliards deux cents millions de mines. Un ancien ami de 
Flamei, qui possédait à fond ses auteurs hermétiques, alla 
trouver le prévôt de la ville de Paris, et déclara, comme un 
cas de conscience, que Flamei l'avait fait dépositaire de cer- 
taines sommes, sous condition de les employer à des répara- 
tions dans les maisons qui avaient appartenu au défunt, il 
s'offrait particulièrement à dépenser trois mille livres pour 
restaurer la maison de la rue Marivaux. Comme cette mai- 
son était fort délabrée, les magistrats prirent au mot notre 



•200 uistoirf: 

homme, qui, nu comble de ses vœux, s'empressa de faire 
t^xocuter dfs fouilles; ensuite il se mit à méditer les hiéro- 
glyphes, à fendre les pierres et à scruter le joint des moellons. 
Mais l'histoire rapporte qu'il en fut |iourses peines et pour ses 
frais. Il n'avait pas sans doute connaissance de l'oraison com- 
posée par Flamel en faveur de ceux qui soupirent après les 
biens de la terro. 



CHAPITRE II 



EDOUARD KEUBY. 



Vers la fin du seizième siècle, époque où les gens de loi 
étaient déjà assez mal famés en Angleterre, il y avait à Lan- 
castre, d'autres disent à Londres, un notaire décrié entre 
tous par les industries productives qu'il joignait aux actes 
de son ministère. Talbot était son nom. Né à Worcester, 
en 1555, il s'était appliqué dans sa jeunesse à l'étude de 
l'ancienne langue anglaise, et y était devenu fort habile. Nul 
ne s'entendait mieux que lui à déchiffrer les vieux titres, à 
ressusciter, au profit de ses clients, des droits enterrés dans 
la poussière des greffes. Non-seulement il pouvait lire toutes 
sortes d'écritures anciennes, mais il excellait à les imiter. Ce 
dernier talent l'exposa à des sollicitations dangereuses que, 
pour son malheur, il ne sut pas toujours repousser. Trop bien 
récompensé, son zèle ne connaissait plus de bornes; Talbot 
en vint à falsifier des litres, et môme à en fabriquer dans 
rinlérèt de ses clients. Poursuivi à raison de ces faits, et con- 
vaincu de faux, il fut banni de la ville. Les magistrats, vou- 
lant faire sur lui une leçon à tous ses confrères, avaient 



DE8 TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. , 201 

même onj^fUié.qu'oQ lui coupât les deux oreilles, et cet arrêt 



futexfefifeV. 

Ce fut sans doute dans cette circonstance que Talbot 
changea de nom, afin d'échapper à la notoriété, peu recom- 
mandable, de son aventure. Le fugitif résolut de se retirer 
dans le pays de Galles, dont il entendait parfaitement la 
langue. Il s^arrêta dans un village des montagnes. A Tau- 
berge où il était descendu, on lui montra, comme un objet 
curieux, un vieux manuscrit que les habitants ne pouvaient 
parvenir à déchiffrer. L'ayant examiné, Tex-notaire recon- 
nut au premier coup d'œil qu'il était écrit dans Fancienne 
langue du pays et avait pour objet la transmutation des mé- 
taux. Sans laisser paraître une curiosité qui eût éveillé des 
défiances, il s'enquit de l'origine dé ce livre et apprit qu'on 
l'avait trouvé dans le tombeau d'un évoque catholique in- 
humé autrefois dans une église du voisinage. La découverte 
de ce manuscrit se rapportait à une des dernières et des plus 
tristes périodes de ces guerres religieuses qui marquèrent le 
passage de l'Angleterre du catholicisme au protestantisme. 
Sous la reine Elisabeth, la fureur impie de l'exaltation reli- 
gieuse entraînait quelques fanatiques jusqu'à violer les sé- 
pultures. C'est un excès de ce genre qui avait amené la 
découverte du manuscrit. L'aubergiste de ce village s'imagi- 
nant, comme tout le monde, que Tévêque étant mort extrê- 
mement riche, on pouvait trouver des trésors cachés dans 
son tombeau, avait brisé, avec le secours de ses amis, le 
pieux monument. Mais leur attente sacrilège fut trompée, 
car le tombeau ne contenait rien de précieux. Ou y trouva 
seulement un livre manuscrit accompagné de deux petites 
boules d'ivoire. Furieux de voir leurs espérances déçues, ils 
jetèrent avec violence une de ces boules, qui, en «e brisant, 
laissa échapper une poudre rouge très-lourde contenue dans, 
son intérieur. La plus grande partielle cette poudre fut ainsi 

^ Morbof. Epitiola ad Langelottum dt metaîlorum truntmutationt. 



^20:2 HISTOIRE 

perdue. L'autre boule, également creuse et soud^i^ comme 
la première, contenait une poudre blanche qui fvtdMaignée, 
et, par cette raison, conservée entièrement. Tout ce butin 
parut si peu de chose, qu'on le laissa à Taubergiste moyen- 
nant un coup de vin. Le seul parti que ce dernier en tirait 
se réduisait, comme on l'a vu plus haut, à le montrer aux 
étrangers qui s'arrêtaient dans sa maison. Quant à la boule 
restée intacte, elle était depuis longtemps abandonnée, 
comme un jouet, pour l'amusement de ses enfants. 

L'cx-notairc faisait cas de ces deux objets, car il avait lu 
dans le manuscrit que les deux boules étaient d*une valeur 
importante. 11 offrit négligemment une guinée, qui fut ac- 
ceptée avec empressement par Taubergiste, heureux de cé- 
der pour ce beau grain de mil cette relique inutile. 

Talbot, dans beaucoup d'ouvrages hermétiques, est qua- 
lifié de savant. On a déjà vu en quoi consistait sa science : 
c'était celle d'un bon archiviste et d'un paléographe trop ha- 
bile. Hais il ne possédait pas la première notion de chimie 
ou de philosophie transmutatoire. Tout en lisant à merveille 
son vieux manuscrit, il était donc dépourvu de tout moyen 
d'en tirer parti, et, pour mettre en valeur son acquisition, il 
avait besoin de trouver un associé expert dans les travaux 
hermétiques. Son ancien ami, le docteur Jean Dee, homme 
honorable autant que savant, lui parut propre à tenir ce 
rôle. 11 lui écrivit, et, sur sa réponse favorable, il alla le 
trouver à Londres. On sait positivement qu'il fit ce voyage 
sous le nom de Kelley, et c'est pour la première fois que, 
dans le récit de ses aventures, on le trouve désigné sous ce 
nom d'emprunt. Cette précaution d'un pseudonyme adopté 
pour entrer à Londres semblerait indiquer que cette der- 
nière ville, et non Lancastre, avait été le théâtre de ses 
malheurs avec la justice. 

Le docteur Dee n'eut point de peine à reconnaître la na- 
ture et la valeur de la trouvaille de son ami. C'était, bel et 
JbJen, une riche provision de pierre philosophale, ouj pour 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 203 

parler d'une manière plus conforme aux faits, c'était un 
composé aurifère dans lequel Tor, dissimulé par une'com- 
binaison chimique, permettait de reproduire tous les pro- 
diges attribués à cet arcane fameux. En effet, un premier 
essai, exécuté chez un orfèvre, réussit à merveille. Toutefois 
les deux associés jugèrent imprudent de continuer leurs 
opérations à Londres : Kelley y craignait sans cesse pour 
Talbot. Ils quittèrent donc la ville et s'embarquèrent pour 
l'Allemagne*. 

Nous ne les retrouvons qu'en 1585, à Prague, capitale 
de la Bohême, et on peut le dire aussi de Talchimie, qui, 
pendant une succession de trois empereurs dans ce siècle et 
le suivant, rencontra dans cette ville des encouragements^ 
des honneurs et des persécutions du plus grand éclat. Kelley 
y arrivait tout formé, car, pendant le voyage, il avait été ini- 
tié par son ami aux principes de Tart, et n'avait plus be- 
soin de son maître que pour modérer son ardeur excessive. 
A Prague, toutes les représentations de ce sage mentot fu- 
rent oubliées. Les conseils de la sagesse auraient cependant 
été bien utiles à cet alchimiste de hasard; ils auraient servi 
à tempérer l'impatience indiscrète avec laquelle il multi- 
pliait ses projections. Mais Kelley n'écoutait rien; le succès 
lui avait tourné la tête* Il soufflait pour Tentrelien de ses 
folles dépenses; il soufflait pour tous les besoins de ses fan- 
taisies effrénées; et, non content de souffler pour lui-même, 
il soufflait pour ses amis, pour les courtisans, pour les sei- 
gneurs, et en général pour tous ceux qui pouvaient l'ap- 
procher assez pour lui dire qu'ils l'admiraient. Le train 
extraordinaire de ses dépenses et le bruit de ses opérations 
faisaient Tentretien de la ville entière. On l'invitait dans les 
assemblées pour lui demander des projections, qu'il exécu- 
tait d'ailleurs sans se faire prier, et qu'il réitérait même vo- 
lontiers quand on savait élever à propos quelques doutes sur 

* Morhof Epistola àd Langelottum de melallorum (^atiftinH(Qil\!0T\t« 



i04 UbTOlRË 

$00 art. II lit ainsi par complaisance beaucoup d'or et d'ar- 
;;ent qu*il distribuait aux spectateurs de ses opérations. 11 se 
montrait surtout généreux envers les grands personnages, 
et Ton cite entre autres le maréchal de Rosemberg, qui reçut 
de lui un peu de pierre philosophale. C'était à qui s'empa- 
rerait, pour l'exploiter à son tour, de ce Midas vaniteux et 
sans oreilles. 

De ce qui précède, il résulte que l'élève émancipé du doc- 
leur Dee lit beaucoup d'or à Prague. Ce fait, qui n'a plus rien 
de merveilleux, si Ton admet avec nous que la poudre trou- 
vée dans le tombeau de Tévèque n'était qu'une combinai- 
son aurifère, est attesté par un grand nombre d'historiens 
qui donnent divers détails sur ses projections. La mieux 
cohûrmée, comme la plus singulière, est celle qui fut exé- 
cutée dans la maison du médecin impérial Thadée de Hayek 
(Âgecius). On prétend qu'avec une seule goutte d'une huile 
rouge il changea toute une livre dé mercure en bel or; 
on trouva au fond du creuset un petit rubis, qu'il assura 
provenir de la quantité surabondante de pierre philosophale 
employée à l'opération. Sauf Tin terpréta lion du fait présentée 
par l'adepte, on ne peut guère mettre en doute cette histoire, 
rapportée par des écrivains sérieux*, et corroborée par un 
important témoignage, celui du médecin Nicolas Barnaud, 
qui vivait alors dans la maison de Hayek, et qui a fait lui- 
nitMite de l'or avec l'aide de Kelley*. Un morceau du métal 
provenant de cet essai fut conservé par les héritiers du mé- 
decin Hayek, qui le montraient à qui voulait le voir. 

Sur le bruit de tous ces prodiges, Kelley fut appelé à la 
cour d'Allemagne. 11 fit devant l'empereur Maximilien H une 
projection qui n'était, dit-on, que la répétition de la précé- 
dente, et qui eut de même un très-grand succès. Ravi de ren- 



* liusseudus, de Melallis. -> L'auleur de la Recreatio mentalis, — Ui" 
UiBCUs de Brandau. de la Médecine universelle. 

• Libavii censura sententiarum tcholte Pamten«t«. 



DES TRAiVSMLTATIONS MÉTALUQLES. 205 

coDtrer enfin cette merveilleuse teinture qu'il cherchait lui- 
même depuis si longtemps, Tempereur prit la résolution de 
s'attacher ce précieux souffleur. Kelley fut comblé de faveurs 
et nommé maréchal de Bohême, ce qui ne laissa pas d'exciter 
quelque jalousie parmi les seigneurs de la cour. D'un autre 
côté, à mesure que l'adepte s'élevait dans les honneurs, la 
modération lui devenait plus difficile, et, moins que jamais, 
il était disposé à écouter les sages avis du bon docteur Dee. 
Un jour, dans un moment sans doute où son orgueil ordi- 
naire était encore exalté [)ar Tivresse, il osa se donner, ce 
qu'il n'avait jamais fait jusque-là, pour un véritable adepte, 
et poussa l'imprudence jusqu'à se vanter de savoir préparer 
la poudre qui ser\ait à ses opérations. Dans ce moment 
d'oubli, il venait de fournir à ses ennemis le moyen de le 
perdre. 

Les courtisans, jaloux de sa fortune, n'eurent point de 
peine à faire comprendre à l'empereur tout l'intérêt tju'il 
avait à mettre la main sur ce trésor vivant. L'empereur n'é- 
tait que trop disposé à écouler cet avis. Tant (\ue l'on put 
espérer de l'alchimiste la révélation de son secret, on n'usa 
pas envers lui d'une grande rigueur. On se contenta de le 
faire garder à vue, après lui avoir intimé l'ordre, sous peine 
de prison, de fabriquer pour Sa Majesté Impériale plusieurs 
livres de sa poudre philosophale. Kelley, pour de très- 
bonnes raisons, ayant refusé d'obéir, fut enfermé dans le 
château de Zobeslau. 

Une ressource restait au faux alchimiste, c'était de recou- 
rir aux lumières du docteur Dee. Confiant dans cet espoir, 
il s'engagea à satisfaire au désir du prince si on lui rendait 
la liberté. Les portes de sa prison s'ouvrirent; on le ramena 
il Prague, et il commença à travailler avec son ami. Mais, 
quoique très-savant sur beaucoup de nmlières, l'excellent 
docteur était loin d'être un adepte expérimenté. S'il avait 
pu, à l'aide de ses connaissances chimiques, comprendre, 
'^«r le manuscrit do ïévêque, la manière de î'AVTe w'è^^ç. ^^ 

Vi 



:206 HISTOIRE 

la poudre, il n'avait point trouvé dans ce manuscrit la ma- 
nière de la préparer. Toutes leurs tentatives, les nom- 
breuses opérations qu'ils exécutèrent ensemble dans le labo- 
ratoire de Tempereur, restèrent donc vaines. 

On assure que, dans leur désespoir, les deux amis se 
résolurent alors à appeler à leur aide les esprits infernaux; 
on a même trouvé les prières et les évocations qu'ils adres- 
sèrent à l'esprit du mal. Mais l'abbé Lenglet Du FresDoy 
nous apprend que les démons ne savent pas de semblables 
secrets, ou que, s'ils les savent, ils sont trop rusés pour les 
découvrir, surtout à de tels personnages : les démons restée 
rent sourds à l'appel des deux alchimistes. 

Cependant le temps s'écoulait ; la situation de Kelley était 
déplorable, car il était dans l'impossibilité de tenir la pro- 
messe qu'il avait faite à Tempereur, et, quoique libre en 
apparence, il se voyait trop bien gardé pour espérer de réus- 
sir dans une tentative de fuite. Un jour, égaré par la fureur 
et le désespoir, il tua un certain George Hunkler, qui était 
chargé de le surveiller, et aggrava sa position par ce meurtre 
odieux et inutile. 

Après ce coup, on enchaîna Kelley, qui fut conduit au 
château de Zerner, où on le garda de très-près. Quoique les 
écrivains auxquels nous empruntons les faits de son histom) 
ne nous fournissent aucune date qui permette de fixer la 
durée de cette seconde captivité, elle dut être fort longue. 
Kelley en consacra les premiers mois à écrire un traité latin 
sur la Pierre des sages, qu'il envoya à l'empereur le 14 oc- 
tobre 1596. A ce mémoire était jointe- une lettre où il se 
plaignait beaucoup que le maréchal de Bohême fût, pour la 
seconde fois, détenu dans une prison de Bohême. Mais, si 
éloquent qu'il fût, ce rapprochement ne fit point sur l'esprit 
du monarque l'effet que l'auteur en attendait. Il en advint 
autant de l'assurance qu'il renouvela de dévoiler enfin son 
secret si ou lui rendait la liberté. On ne selaissa pas prendre 
à cette promesse; oUue voulut pas lui fournir ToccasioD de 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES, 207 

donner une suite à cette première comédie qui s'était termi- 
née par un assassinat. 

Heureusement pour le prisonnier, le docteur Dee avait 
trouvé le moyen d'intéresser à son sort la reine d'Angleterre 
Elisabeth. Le bruit de ses projections, parvenu jusqu'à Lon- 
dres, avait déjà éveillé l'attention de la cour et disposé d'a- 
vance les esprits en sa faveur. Elisabeth fit réclamer l'alchi- 
miste comme un de ses sujets. On lui répondit par un refus, 
qui ne pouvait d'ailleurs passer pour un manque d'égards 
envers la reine, ^ar ce n'était point le caprice du prince, 
mais la justice du pays qui retenait Keltey dans les prisons 
de l'empire. 

Certains historiens s'expliquent autrement sur ce dernier 
fait. D'après eux.. Elisabeth, instruite par la renommée des 
prodiges que deux de ses sujets opéraient à l'étranger, les 
aurait rappelés en Angleterre à une époque où Kelley était 
libre aussi bien que son ami. Mais, craignant toujours pour 
sa liberté s'il s'exposait à toucher de nouveau les terres de 
sa patrie, Kelley aurait refusé d'obéir, tandis que le docteur 
Dee serait retourné à Londres, où, malgré son impuissance 
à composer la pierre philosophale, il aurait été, pour prix 
de son obéissance, comblé des bienfaits de la reine ^ On 
peut choisir entre ces deux versions, ou môme, ce qui ne 
paraît pas impossible, essayer de les concilier, il se peut, 
en effet, que les choses se soient d'abord passées confor- 
mément à ce dernier récit, et qu'ensuite le docteur Dee, 
ayant appris à Londres la nouvelle infortune de son compa- 
gnon, ait supplié Elisabeth d'intervenir pour sa délivrance, 
ce qui aurait amené la réclamation de cette princesse et le 
refus de l'empereur. 

Ce qui est certain, c'est qu'en 1589 Jean Dee retourna 
seul en Angleterre, où il vécut et mourut en paix, bien que, 
vers ses dernières années, la petite pension (|u'il tenait des 

* Lenglet Du Fresnoy. * 



20S HISTOIRE 

bontés d'Elisabeth lui eût été retirée par le roi Jacques 1''. 

Quant à son compagnon Kelley, qui était demeuré entre 
les mains de Tempereur, ses amis ne voulurent pas i\nbaD- 
donner, et résolurent de faire une tentative pour le tirer de 
la prison de Zerner. On parvint à placer une corde, au moyen 
de laquelle il devait descendre jusqu'au pied de la tour du 
château; là, quelques gentilshommes Tattendaient, ayant 
tout disposé pour assurer sa fuite. Par malheur la corde se 
rompit ; Kelley tomba et se cassa la jambe. Le cri d'effroi 
qu'il n*avait pu retenir, en se voyant précipité, attira les 
gardiens. On le remit dans sa prison ; il y mourut, des suites 
de sa chute, en 1597. Il n'avait que quarante-deux ans. Le 
poëte, ou plutôt le versificateur Mardochée de Belle, célébra 
la fin tragique de cet aventurier dans des vers qui témoignent 
de rentière croyance de Tempereur-aux capacités herméti- 
ques de Kelley. 

Cette opinion pourtant était fort gratuite, et Tex-notaire 
de Lancastre ne saurait, à aucun titre, figurer parmi les no- 
tabilités de l'alchimie. Il ne fallait rien moins que le con- 
cours d'un singulier hasard pour faire de l'homme dont 
nous venons de parler une espèce de saint de la légende 
philosophique. Kelley n'eut rien de saillant que son orgueil. 
Il sacrifia sa liberté et même sa vie à l'attrait de la réputa- 
tion, et sa vanité seule l'a sauvé de l'oubli auquel le con- 
damnait son ignorance philosophique. 

Le Traité de la pierre des sages, que Kelley envoya de sa 
prison à l'empereur, en 1596. a été imprimé dans le recueil 
d'Elias Ashmole *. L'éditeur pense que ce traité n'est autre 
chose que le manuscrit même de l'évoque anglais, que Kel- 
ley aurait tout simplement traduit en latin. Le môme Ash- 
mole possédait encore le manuscrit d'un journal très-cu- 
rieux, où le docteur Dee et son compagnon avaient écrit, 
jour par jour, le détail de leurs opérations et noté la quan- 

* Theatrum l>rilaTiirvicum chemicuw, Londres, 1652. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLÎftULS. 209 

tité d'or qu'ils avaient fait ensemble dans les villes d'Alle- 
magne. Cet agenda, qui renfermait beaucoup de notes inté- 
ressantes pour leur histoire, a été publié par Méric Casaubon 
longtemps après la mort de Dee, arrivée en 1604. 



CHAPITRE III 

TRANSMUTATIONS ATTRIBUÉES A YAN HELMONT, A HELYÉTIUS ET A BÉRIGARD 
DE PISE. — MARTINI. — RIGHTHAUSEN ET l'eMPEREUR FERDINAND III. — 
LE PASTEUR GROS. — ROBERT BOTLEf — LE GÉNÉRAL PATKULL. 



Le retentissement immense des succès hermétiques de Ni- 
colas Flamel eut pour résultat, avons-nous dit, de donner 
aux idées alchimiques une grande popularité. Un certain 
nombre de faits de transmutation sont cités, dans l'histoire 
do la philosophie hermétique, pendant les deux siècles qui 
suivirent la mort de Flamel, c'est-à-dire pendant les quin- 
zième et seizième siècles. Nous venons de rapporter, par 
l'histoire de Kelley, le plus connu de ces faits. Le reste ne 
nous semble pas appuyé sur des témoignages suffisamment 
authentiques; aussi les passerons-nous sous silence pour ar- 
river au dix-septième et au dix-huitième siècle, c'est-à-dire 
à une époque assez rapprochée de la nôtre pour que les do- 
cuments qui concernent ces faits soient nombreux et d'un 
contrôle aisé. 

Les philosophes hermétiques ont toujours cité avec une 
grande confiance, à l'appui de la vérité du fait général des 
transmutations, le témoignage de^ Van Helmont. Il était dif- 
ficile, en effet, de trouver une autorité plus imçosante ei 



210 HISTOIRE 

plus digne de foi que celle de l'illustre médecin-chimiste 
dont la juste renommée comme savant n'avait d'égale que 
sa réputation d' honnête homme. Les circonstances mômes 
dans lesquelles la transmutation fut opérée avaient de quoi 
étonner tous les esprits, et Ton comprend que Van Helmont 
lui-même ait été conduit à proclamer, d'après ropération 
singulière qu'il lui fut donné d'accomplir, la vérité des 
principes de l'alchimie. Voici d'ailleurs le fait tel que Van 
Helmont le rapporte dans un de ses ouvrages. 

En i 618, dans son laboratoire de Vilvorde près de Bruxel- 
les, Van Helmont reçut, d'une main inconnue, un quart de 
grain de pierre philosophale. Elle venait d'un adepte qui, 
parvenu à la découverte du secret, désirait convaincre de sa 
réalité le savant illustre dont les travaux honoraient son épo- 
que. Van Helmont exécuta lui-même l'expérience, seul dans 
son laboratoire. Avec le quart de grain de poudre qu'il avait 
reçu de l'inconnu, il transforma en or huit onces de mercure. 
On ne peut mettre en doute aujourd'hui que, grâce à une 
adroite supercherie, grâce à quelque intelligence secrète avec 
les gens de la maison, l'adepte inconnu n'eût réussi à faire 
mêler par avance de For dans le mercure ou dans le creuset 
dont Van Helmont fit usage. Mais il faut convenir que cet 
événement, tel qu'il dut être raconté par l'auteur de l'expé- 
rience, était un argument presque sans réplique à invoquer 
en faveur de l'existence de la pierre philosophale. Van Hel- 
mont, le chimiste le plus habile de son temps, était difficile 
à tromper; il était lui-même incapable d'imposture, et il 
n'avait aucun intérêt à mentir, puisqu'il ne tira jamais le 
moindre parti de celte observation. Enfin, l'expérience ayant 
eu lieu hors de la présence de l'alchimiste, il lui était diffi- 
cile de soupçonner la fraude. Van Helmont fut si bien trompé 
à ce sujet, qu'il dovint, à dater de co.jour, partisan avoué 
de l'alchimie. Il donna, en l'honneur de cette aventure, le 
nom de Mercuritis à son fils nouveau-né. Ce Mercurius Van 
Helmont m^ démeivlU ççl^, d'tvlUeurs, son baptême alchi- 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 2H 

mique : il convertit Leibnitz à celte opinion; pendant toute 
sa vie il chercha la pierre philosophale, et mourut sans 
ravoir trouvée, il est vrai, mais en fervent apôtre. 

Un événement presque semblable arriva, en 1666, à Hel- 
vétius, médecin du prince d*Orange. 

Jean-Frédéric Schweitzer, connu sous le nom latin à'Hel- 
vetius, était un des adversaires les plus décidés de Talchi- 
mie; il s'était même rendu célèbre par un écrit contre la 
poudre sympathique du chevalier Digby. Le 27 décem- 
bre 1666, il reçut à la Haye la visite d'un étranger, vêtu, 
dit-il, comme un bourgeois du nord de la Hollande, et qui 
refusait obstinément de faire connaître son nom. Cet étran- 
ger annonça à Helvétius que, sur le bruit de sa dispute avec 
le chevalier Digby, il était accouru pour lui porter les preu- 
ves matérielles de Texistence de la pierre philosophale. Dans 
une longue conversation, l'adepte défendit les principes 
hermétiques, et, pour lever les doutes de son adversaire, il 
lui montra, dans une petite boîte d'ivoire, la pierre philoso- 
phale : c'était une poudre d'une métalline couleur de soufre. 
En vain Helvétius conjura-t-il Tinconnu de lui démontrer 
par le feu les vertus de sa poudre, Talchimiste résista à tou- 
tes les instances, et se retira en promettant de revenir dans 
trois semaines. 

Tout en causant avec cet homme et en examinant la pierre 
philosophale, Helvétius avait eu l'adresse d'en détacher quel- 
ques parcelles, et de les tenir cachées sous son ongle. A peine 
fut-il seul qu'il s'empressa d'en essayer les vertus. Il mit du 
plomb en fusion dans un creuset et fit la projection. Mais 
tout se dissipa en fumée; il ne resta dans le creuset qu'un 
peu de plomb et de terre vitrifiée. 

Jugeant dès lors cet homme comme un imposteur, Hel- 
vétius avait à peu près oublié l'aventure, lorsque, trois se- 
maines après et au jour marqué, l'étranger reparut. Il re- 
fusa encore de faire lui-môme l'opération; mais, cédant aux 
prières du médecin, il lui fit cadeau d'un peu de %^ ^x^w^.. 



:)|i> HISTOIRE 

il pou près la grossour d'nii grain de millet. Et, comme j 
lirlvétius exprimait la crainte qu'une si petite quantité de j 
substance ne pût avoir la moindre propriété, Falchimiste, .' 
trouvant encore le cadeau trop magnifique, en enleva h 
moitié, disant (]ue le reste était suffisant pour transmuer 
une once et demie de plomb. En môme temps, il eut scinde 
fain» connaître avec détails les précautions nécessaires à la 
n'Missite de Ta'uvre, et recommanda surtout, au moment de 
lu projection, d'envelopper la pierre philosophale d*un peu 
de cire, afin de la garantir des fumées du plomb. Helvétius 
crut en ce moment comprendre pourquoi la transmutation 
iju'il avait i^ssayée avait échoué entre ses mains : il n'avait 
pas enveloppé la pierre dans de la cire, et avait néglige par 
consi'quent une précaution indispensable. L'étranger pro- 
mettait d\iilleurs de revenir le lendemain pour assister à 
l'expérience. 

Le lendemain, Helvétius attendit inutilement; la \omk 
s\voula tout entière sans que Ton vit paraître personne. Le 
soir venu, la femme du médecin, ne pouvant plus contenir 
si»n impatience, dtM»ida son niari à trnter seul ropération. 
L'essai fut extknité par Helvétius en pn'sence de sa femme et 
«le son fils. H fondit une once ft lîemie de plomb, projeta 
>ur le métal en fusion la pierre enveloppi^ de cire, couvrit 
le creuset de ^m cou\ercle et le laissa exposé un quart 
«riieure à l'acliiui du feu. Au b«>ut de ce temps, le métal 
avait acquis la belle couleur viTte île Tor en fusion; coulé 
l't refroidi, il devint d'un jaune magnitique. Tous les or- 
Haye esti nièrent trts-liaut le degré de cet or, 
essa\eur général d»^ monnaies de la Hollande, le 
tndta sept fois )\ir l'antimoine, sans qu'il diminuât de poids. 

Tt'lle est la narration quHelvtiius a faite lui-même de 
cette nventuD\ ï.»^s teniu^ v\ \o> détails minutieux de son 
rt'cii exelih-nt d.^ s;ï part ti'Ut suupeon d'imposture. Hais, 
>i l liii ne jM'Ut >iî>{nvter la \« meiit' et la loyauté du savait 
liiriltvin du \^T\tvoe à'Ot^wt^. v>\\ ue i^ut accorder la même ^ 



févrt^s 4^ la 
Poveliijt. ess 



DBS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 213 

confiance au héros inconnu de cette aventure. On ne peut 
tenir en doute que le creuset ou le lingot de plomb dont To- 
érateur fit usage n'eussent reçu antérieurement, et à Tinsu 
f Relvétius, de Tor ou un composé aurifère décomposable 
' le feu. En effet, la première opération qu'Helvétius tenta 
le fragment de pierre philosophale qu'il avait si adroi- 
ml dérobé n'avait point réussi ; la seconde seule fut cou- 
ï de succès. De ce rapprochement, il faut conclure que 
r^^te inconnu n'avait pu prendre dans le premier cas les 
qu'il prit dans le second, c'est-à-dire faire glisser 
fte main étrangère, quelques jours avant l'expérience, 
aine quantité d'or ou d'un composé aurifère dans le 

dans le creuset qui devait servir à l'opération, 
ae Helvétius croyait n'avoir à redouter aucune trom- 
perie Ace genre, il fut entièrement dupe de l'aventure. 
Ce sucA l'émerveilla à un tel point, que c'est à cette oc- 
casion qw écrivit son Vitultis aurxus % dans lequel il ra- 
conte €ekait et défend l'alchimie. Cette transmutation fit 
grand bilt à la Haye. Spinosa, qui n'est pas rangé parmi 
les gens Bédules, dit, dans une de ses lettres, qu'il a pris 
luî-mêmeBes renseignements' les plus détaillés à cet égard, 
el qu'il Aésite pas à se déclarer convaincu comme tout le 
monde - 



I aurseiu quem mundus adorât et orat. In bibliothecd chemicd 

ri,p. 196. 

; termes mêmes de cette lettre de Spinosa, adressée à Jarrig. 

mt parlé à Voss de TniTaire d'Helvétius, il se moqua de moi, 

nt de me voir occupé à de telles bagatelles. Pour en avoir le 

Inet, je me rendis chez le monnayeur Brechtel, qui avait essayé 

[ r^v Celui-ci m'assura que, pendant sa fusion, l'or avait encore aug- 

Ité de poids quand on y avait jeté de l'argent. Il fallait donc que 

or, qui a changé l'argent en de nouvel or, fût d'une nature bien 

dculière. Non-seulement Brechtel, mais encore d'autres personnes 

li avaient assisté à l'essai, m'assurèrent que la chose s'était passée 

,insi. Je me rendis ensuite chez Helvétius lui-même, qui me montra 

. » i'or et le creuset contenant encore un peu d'or attaché à ses parois. Il 



:;I4 HISTOIBE 

Lf^ philosophe italien Bérigard de Kse fut converti h Tal- 
chîmie par un événement analogue aux précédents. Tons 
ces faits s'expliquent aisément aujourd'hui en admettant que 
le mercure ou les autres ingrédients dont on faisait usage, 
ou le creuset que Toi^ employait, recelaient une certaine 
quantité d'or dissimulée avec une habileté merveilleuse. 

« Je rapporterai, dou> dit Béri^ard de PL^e^ ce qui m^est arri?é 
autrefois brsque je doutais fortement qu'il lut possible de convertir 
le mercure en or. Un houmie habile, voulant lever mon doute à cet 
égard, me donna un '^ro» d*une poudre dont la couleur était assez 
send>bble k celle du pavot sauvage, et dont Todeur ra^ipelait celle du 
sel marin calciné. Pour détruire tout soupçon de fraude, j^adietoi 
moi-même le creuset, le charbon et le mercure chex divers mar- 
cliands, afin de n'avoir point à craindre qu il ni eût de For dans au- 
cune de ces matières, ce que font si souvent les charlatans alchimi- 
ques. Sur dix gros de mercure f ajoutai un peu de poudre, feiqMsai 
le tout k un feu assez fort, et en peu de temps la masse se trours 
toute convertie en près de dix gros d'or, qui fut reconnu comme 
très-pur par les essais de divers orfèvres. Si ce fait ne me fïU point 
arrivé sans témoins, hors de la présence d'arbitres étrangers, j'aurais 
pu soupçonner quelque fi-aude ; mais je puis assurer avec confiance 
que la chose s'est passée comme je la raconte ' . » 

Ces sortes de démonstrations pratiques, fournies par les 
maîtres de Tart aux incrédules ou aux ennemis de la science 
iransmutatoire , étaient assez fréquentes au dix-septième 
siècle. Beaucoup d'artistes, voyageant en divers pajs, s'ar- 
rôlaient dans les universités ou dans les grandes villes pour 

c me (lit qu'il nvuil jelé à peine sur le plomb fondu le quart d*un graiu 
« de bié de pierre philosophale. Il ajouta qu'il ferait connaître cette 
il histoire à tout le monde. Il parait que cet adepte avait déjà fait la même 
« expérience à Amsterdam, où l'on pourrait encore le trouver. » Voilà 
u toutes les informations que j'ai pu prendre à ce sujet. » (Vcorburg, 
27 mars 1CC7.) Bened. Spinozse Opéra post huma, p. 553. 

* lloc niai in îoco solo et rejnoto ab arbitris comprobcusem, sutpican 
aliquid subesse fraudis : vam fidenter testari possum rem ita esse. (Ctfcu- 
iua Pisanun, ^7^.] 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 215 

cette espèce de propagande scientifique. Ce qui arriva à 
Helmstadt, en 162i, en est un exemple assez piquant. 

Un certain Martini, professeur de philosophie à Helmstadt, 
était renommé par ses diatribes contre l'alchimie. Un jour, 
dans une de ses leçons publiques, comme il se répandait en 
injures contre les souffleurs, et en arguments contre leurs 
doctrines, un gentilhomme étranger, présent à la séance, 
rinterrompit a^vec politesse, pour lui proposer une dispute 
publique. Après avoir réfuté tous les arguments du profes- 
seur, le gentilhomme demanda qu'on lui procurât aussitôt 
un creuset, un fourneau et du plomb. Séance tenante, il fit 
la transmutation ; il convertit le plomb en or, et l'offrit à 
son adversaire stupéfait, en lui disant : Domine, solve mî 
hune syllogismum. 

Cette démonstration de fait opéra Tentière conversion du 
professeur, qui, dans l'édition suivante de son Traité de 
logique, s'exprime comme un homme dont l'incrédulité en 
matière d'alchimie a été fortement ébranlée*. 
Mais arrivons à une autre catégorie de faits : nous vou- 
' Ions parler des opérations dans lesquelles on a fabriqué, par 
les procédés alchimiques, assez d'or pour en battre monnaie 
ou pour en frapper des médailles commémoratives. Parmi 
les événements de ce genre, le plus singulier et le plus 
connu est celui qui s'est passé, en 1648, à la cour impériale 
d'Allemagne, entre Ferdinand III et Richthausen. 

Un adepte, connu sous le nom évidemment supposé de Ld- 
bujardière, était attaché à la personne [du comte de Schlick, 
seigneur de la Bohême. On le citait comme possesseur de la 
pierre philosophale. En 1648, se sentant près de mourit, il 
écrivit à Tun de ses amis, nommé Richthausen, qui habitait 
Vienne, lui léguant sa pierre philosophale, et iHnvitant à 

« « Je ne dirai rien contre la vérité de cet art, car je ne peux pas re- 
a jeter les lémoignages de tant d'honnêtes gens qui assurent avoir vu de 
«-leurs propres yeux Vanoblissement des métaux et l'avoir opéré eux- 
« mêmes. Mentir serait ici une folie, surtout pour un élève de la Sagcsse.jy 



216 lUSTOIRB 

venir au plus tôt la recevoir de ses mains. Richthausen arriva 
trop tard : l*adepte était mort. Il demanda cependant au 
maître d'hôtel du palais si le défunt n'avait rien laissé, et 
Ton s'empressa de lui montrer une cassette, que l'alchi- 
miste, au lit de mort, avait recommandé de respecter. Richt- 
hausen se saisit de la cassette et l'emporta. Sur ces entre- 
faites, arrive le comte de Schlick, qui, connaissant tout le 
prix de l'héritage de son alchimiste, vient le réclamer, en 
menaçant son maître d'hôtel de le faire pendre. Celui-ci 
court aussitôt chez Richthausen, et, lui mettant sur la poi- 
trine deux pistolets chargés, lui marque qu'il'faut mourir 
ou restituer ce qu'il a dérobé. Richthausen feignit de rendre 
le dépôt ; mais il substitua adroitement une poudre inerte à 
celle de Tadepte. Ensuite, muni do son trésor, il alla se 
présenter à l'empereur, demandant que l'on mit ses talents 
à l'épreuve. Ferdinand III, très-versé dans la philosophie 
hermétique, prit toutes les précautions nécessaires pour 
n'être pas trompé. L'opération se fit en sa présence, hors des 
yeux de Richthausen, et par les soins du comte de Rutz, di- 
recteur des mines. Avec un grain de la poudre de Richthau- 
sen, on transforma, dit-on, deux livres et demie de mercure 
en or fin. 

L'empereur fit frapper avec cet or une médaille, qui exis- 
tait encore à la trésorerie de Vienne en 1797. Elle représen- 
tait le dieu du soleil portant un caducée avec dés ailes au 
pied, pour rappeler la formation de l'or par le mercure. 
Sur l'une des faces, on lisait cette inscription : 

Divina metamorphosis exhihita Praguse^ 16;ant>. a. 1648, in preuntid 
sacr. C»«. majest. Ferdinandi iertii. 

Va sur l'autre face : 

Karis hêec ui hominibus est ars, ità raro in îucem prodU : laudetur Detts 
»M seternum qui parlem su* hifinitœ potenliœ nobis «uù abjectisnmi" 
creaturis vommunicif. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 217 

Avee la poudre qu*U tenait de Richthausen, Ferdinand III 
ftt une Seconde projection à Prague en 1650. La médaille 
qu'il fit frapper à cette occasion porte cette inscription : 

Àurea progenies plumbo prognata parente. 

On la montrait encore au siècle dernier dans la collection 
du château impérial d'Ambras, dans le Tyrol. 

En reconnaissance de ces hauts faits, Tempereur anoblit 
Richthausen. Il lui donna le titre de baron du Chaos. C'est 
sous ce nom bien trouvé qu'il a couru toute TAllemagne en 
faisant des projections. L'opération la plus célèbre du baron 
du Chaos est celle qu'il fit exécuter, en 1658, à Télecleur 
de Mayencc, qui convertit lui-même en or quatre onces de 
mercure. 

Monconis, dans ses Voyages, raconte ainsi la transmuta- 
tion opérée par l'électeur de May en ce : 

« L'électeur fit lui-inènie celte projection avec tous les soins que 
pi^ut prendre une personne entendue dans la philosophie. Ce fut avec 
un petit bouton gros comme une lentille, qui était nièuie entouré de 
gomme adragante pour joindre la poudre; il mit ce bouton dans la 
cire d'une bougie, qui étuit allumée, mit cette cire dans le fond du 
creuset, et par-dessus quatre onces de mercure^ et mit le tout d:in> 
le feu, couvert de charbons noirs, dessus, dessous et aux environs. 
Puis ils aimmencèrent à souffler d'importance, et tirèrent Tor fondu, 
mais qui faisait des rayons fort rouges, qui, pour Toidinaiie, sont 
verts. Chaos lui dit alors que Tor était encore trop haut, qu'il le fal- 
lait rabaisser en y mettant de rarucnl dedans ; lors Son Altesse, (jui 
en avait plusieurs pièces, en [)iit une qu'il y jeta lui-mèuie, et ayant 
vei-sé le tout en parfaite f .sion dans une lingotière, il s'en lit un lin- 
got d'un très-bel or, mais qui se trouva un peu aigre, ce que (]Ii;h)s 
dit procéder de quelque odeur de laiton qui s'était trouve jieut-ètrc 
dans la lingotière, mais qu'on Tenvoyàt fondre à la monnaie; ce qui 
fut fait : et on le rapporta très-beau et très-doux. Et le maître de la 
monnaie dit à Son \ltesse que jamais il n'en avait vu de si beau, (pi'il 




218 IIISTUÎRK 

iHaît à |ibs clr 24cin.it''. tlnii'îl i^ljiit ûUitjïiaril LturiiUL'Ul, ^Vm-^i 
qu'ûMiif tl iHailduvenii |Kiifuitnntjnl tloux jmr une nulle ftisiol 



"^^ 



A w résumé des transniutiilinns observées au dixH 
tiéiJie sièek\ oii peul iijtuiUT un fait rapporii* par Mangel, 
d'après le teaioi^iage de Tun des acteurs mêmes de révéne- 
nienl, M. Gros, ministre du saint Kvangile a Genèvti^. 

Dans l'îtnmvo 1658, un voyageyr arrivant d Italie dc^crn- 
dit à rUulel du Cytjne de (a Croix-Verte. Il se lia Imnik 
avec M. Gros, alf»rs â^é de vin^^l ans et (jui étudiait la ihco- 
lof^ïr. Priidant quinze jours ib visitèrent enseiiible les eu* 
riosités (le la ville et des environs. Au bout de ce temps, 
rétranger eonlia à son compagnon rjue l'argent eommenraîl 
à lui maïKiuer, ce qui ne laissa pas irinquiéter leludiaiil, 
dont la lionrse» un peu légère, redoutait un a [qiel importun 
Mais SOS rrainns ne furent pas de longue dunk. L'Ilalietise 
borna a demander qu'on le eonduisît chez un orfèvre qui 
put nu^tlie à sa disposition son atelier et ses outils. On rem- 
mena eliez un M. Bureau, qui, consentant à satisfaire -àHi 
demande, lui procura de Tétaîn, du mercure, des creusets, 
et se retira pour ne pas gêner ses opérations. Resté seul avec 
M, Gros et un ouvrier de l'atelier, l'Italien prit deux creu- 
sets, plara du mercure dans Tim et de Tétain dans rautrc. 
Lors^iue Tétain fut fvmdn et le mercure légèrement ehnuffé, 
il vrTsa le mercure sur Fêtai n et jeUi dans le mïîlauge um 
[mudre rouge entourée de cire. Une vive effervescence se 
(►roduisit et se calma presque aussitôt. Le creuset étant m* 
tiré ilu feu, on coula le métal et on obtint six petits lin^MU* 
du plus beau jaune. L'orfèvre, étant rentré sur ces entre- 
faites, s'empressa d'examiner les lingots: c'iUait de l'or, «l 
du plus lin, dit-il, qu'il eût jauiais travaillé. La pirrrc de 
touche, Tantiuioine, la coupelle, justiliérent sa nature et 
l'éfévation de son litre. Pour payer rorfévre de sa coniplm- 

* I pr/fîjM, t Jh p. ôliK 
fiihfùMfteca tAcnocu rurioia. trafado ad hctorem 




DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES, 219 

sancC; ritalienlui fit présent du plus petit des lingots ; il se 
rendit ensuite à la monnaie, où son or fut échangé contre 
un poids égal de ducats d'Espagne. Il donna vin^t ducats 
au jeuue Gros, paya son compte à riiôlel et prit congé de 
ses amis, annonçant son retour très-prochain. Il commanda 
même pour le jour de son arrivée un repas magnifique qu'il 
paya d'avance. Il partit, mais ne revint plus. 

Le même ouvrage qui vient d*être cité rapporte un fait 
qui serait arrivé à Uobert Boyle, Tun des plus éminents phy- 
siciens et chimistes du dix-septième siècle, fait qui rappelle 
beaucoup par ses détails celui qui émerveilla si fort Yan- 
MelmoDt. 

Un étranger mal vêtu alla trouver M. Boyle, nous dit l'au- 
teur de la Bibliothèque chimique, et, après avoir causé quel- 
que temps avec lui d'une manière indifférente sur divers 
sujets de chimie, pria le savant de lui donner de l'anti- 
moine et quelques autres substances métalliques que l'on 
trouve communément dans les laboratoires. L'inconnu jeta 
ces substances dans un creuset qu'il plaça sur un fourneau 
allumé. Le métal une fois fondu, Tétranger fit voir aux as- 
sistants une certaine poudre qu'il jeta aussitôt dans le creu- 
set; il sortit presque au même instant en donnant ordre aux 
gens du laboratoire de laisser le creuset sur le fourneau 
jusqu'à ce que le feu fût tombé; il promettait de revenir 
quelques heures après. Mais, l'inconnu ne revenant pas, 
Boyle fit ôter le couvercle du creuset et trouva qu'il conte- 
nait un métal jaune offrant toutes les propriétés de l'or; la 
masse était seulement un peu plus légère que les métaux 
employés *. 

Cette démonstration pratique, qui n'était cerlaincment 
qu'une supercherie adroite pour amener l'illustre Boyle à 
se convertir à l'hermétisme, ne produisit pas sur l'esprit sé- 
vère de ce grand chimiste l'effet qu'en attendait l'expéri- 

' MangHti Biblioiheca cuemica cunosa. Prefalio ad teclorem. 



L^2M 



lllSTnlUK 



(lui av^^ 



IJUUI 

I 

■ Anift ' 



nit'iiliitryr im uihhi» va i[ui t-tuil |H!yt-iHro le ai^ine i\u 
(>p<*n\ ihm le irHViïn biii, cl»rz Viiii ïlt'linonl, Ptir retendu»* 
ik ses ciiimais^a tires cliHniiiues, pur iies trnviiux irinniii- 
brables, pur la rwtilutk' rie stm es[irit» Robert Boyie avaii 
jifis une appréciatîim irup profonde île la nature des plieno- 
iiiênes rhiinitjues pour iicconki" la inoimJre cuiilianLV aux 
idrf's<l«s alelitiiiistes. En divers cndnuls de sest écrits, il com- 
bat leurs principes el s'r'lêve nniatnmenl contre leur lU^| 
rie des éléments, d*a|irrs laquelle tous les reirps de la na- 
ture se Cfttti[nïseniîent d(! terre, d'eau, de ler ou de ru er* 
eure, de soufre el de sel \ Un voit, d'a[»rês iies auvru|||^H 
i\uv rexpt'Henee de otU<Hranj^er n'<''!)r;«nla pas son incrdo^^ 
lilV' première, et '[uM sut résister mieux tpu' Van-llelmom 
à la simurtinn cle ces démonstrations euipiri<jues 

Nous terminerons ce réeil ra[ijde des IransmulatiODS 
plus eélébresdu di\-sepliènie siècle en parbnit d'uu évél 
iiienl do ce genre (|ui, dans les prendêres années du siècle 
suivant, enu^a beauemip d'émotion en Suéde^ uû le s<nivt^ 
nir s'en est encore conservé. 

Eu Pda, Cluules Xll fil eondamner à mort, comme trw- 
tre, U* -^'«'neral I*aykulU (|ui avait été l'ail prisonnier ^ 
combatlant les armées de nui [lays. PaykuH était né en Li- 
\onie, qui a|>parienaii aîorsij la Suéde; il avait »ké pri^ fiar 
les troupes de Cliarles Xll, au moment où il coramaDdail. 
devant Varsovie, une partie des forces du roi Auguste cno- 
tre les Suédois. C'est [»our punir ce jdfénérai du crime d'avuii 
\mv\v les armes contre sa pairie «juc Cliarles \II Jo fit coo- 

diiinner a mort, 

PaykiîlK se voyant perdu, s'enpjLsea, si Ton lui laissait b 
vie, même en lui inlligeanl une prison fierju^tuelle» à fî*ire 
eba*]ue année puur un in illion d'ëcus d'or, s;uis qu'il efl 

* 4 iti vuuiiiMiii Ifieu siv.'ir, «lit RoltcrL Buvlc* cuiiiinLtit uo |>irvii*ii- 
iliMil à tlétxïiitf oser l\»r 1:11 suutru, eu iiicit!uri: cl eu s«l ; ju m'eij^ipcîrsii'- 
.* |i4yer loUfe Ici frai^ de icllu «ipi'niiiiiij. J'avatii; t|utî, jmjui itiuii cuiiipt*' 






DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 2î21 

coûtât rien ni au roi ni à TÉtat. 11 s'offrait même à ensei- 
gner cet art à tous les sujets du roi qui lui seraient désignés. 
11 prétendait tenir Tart de faire de Ter d'un officier polo- 
nais, nommé Lubinski, qui l'avait reçu lui-môme d'un prô- 
tre grec de Gorinthe. 

Cette offre ayant été acceptée, on procéda aux opérations 
avec toutes les précautions commandées en cas pareil. Le roi 
avait chargé le général d'artillerie Hamilton de surveiller 
le travail de Talchimiste. Paykiill mêla les ingrédients en 
présence d'Hamilton, qui les emporta ensuite chez lui, et en 
substitua d'autres qu'il s'était procurés lui-même, afin de 
déjouer les fraudes que l'opérateur pourrait commettre. Le 
lendemain matin on les remit à Paykull, qui les mêla avec 
sa teinture, et ajouta une certaine quantité de plomb. 

C'est avec cette matière ainsi préparée et qu'il fit fondre 
ensuite, que Paykiill fit la transmutation. Il obtint une 
masse d'or, qui servit à frapper cent quarante-sept ducats. 
On frappa aussi à cette occasion une médaille commémora- 
tive du poids de deux ducats, portant cette inscription : 

Hoc aurum arte chimicd conflavit Holmise 1706, 0. A.V. Paykhuîl. 

Les personnes présentes à celte transmutation, qui ne fut 
certainement qu'un adroit escamotage, étaient le général 
Hamilton et l'avocat Fehman, qui avait rempli la fonction 
de procureur général dans le procès de Paykull. Le chi- 
miste Hieme, le général Hamilton et quelques autres per- 
sonnes revêtues d'un caractère officiel y assistèrent égale- 
ment. 

Hieme, chimiste assez estimé de son temps, nous a laissé 
sur les opérations de Paykull un rapport assez curieux à 
consulter, parce qu'il donne certains renseignements sur les 
procédés dont l'expérimentateur fit usage. Ce chimiste ne 
mettait pas d'ailleurs en doute que Paykull n'eût converti 
le plomb en or. D'après le rapport d'Hierne, Paykull se servit, 



\'n 



lïisToiiu: 



^ 



jMJiir cetlo opémiinn, iVum^ loiiuiiro volirlih* {|iii avait êl<^ 
rondiip fixi^ f*u moyr'ii i|p l^inliinnino, »lo sourrc t^t «lu iiilrp 
Ouarifl la tcinluri' avait é\é c!jaiig('e ninsi on une maliiTtî 
soliili», il siiffisnit d'un gros de celte pmirlrc pour r!»îiii,i;or rr^ 
f)r six i^ros \\\i jiloiub. 

(?i'siîi lu f^ri'drloolinn marquée du cliismislô llierne pour 
rnlcliimii* ol h mn amour du morvoillnix qu'il hwi allri- 
biior lis jinriifularitA sini^ulî^'^rcs mnsi;^aM''os ilims II^ rat'- 
|Mirt \\\{\\ eoinposc'è sur los ûpi'nuîons dn l'aylvull. (joiumoril; 
i^n i^ffet, coux qui avaient corn ni un inné i\ co général co pré- 
tendu secret ne l\;ussenl-ils point Vi'\\\i] aussi l\ d'autre^ 
personnes? 

Poyklil! avait, à c(^ quMl parait, donné au p^enêral llaniil- 
ton la cominunicnlioîi dr ses pnwdés. Ces litres eurioux 
ont été conserves dans îa famille de ce {^euéral, qui, de dos 
jours, consentit à les souitiettre au eélèbre efiiniiste Berï'^ 
Nos. Perex.inien de ces documents, FSerzélius a conchi qu1l 
t'Uiit impossible que la transmutation du |domb eut éù'èffw- 
luée par les procédés qui s'y trouvent décrits *, 



' « Paykflll, ïïouA dit Bcrzéliiis, avait donni] au général Ramillon ipo^ 
<t fines tlocunn^riN sur T-irt ilc i'iûrc ilc For, tlocumcnls tpiî sont ciic^ire 
« conscrvL's aitjourd luii par un de ses de&ccniliiiils, le comte riiiei<j?e ïîfl- 
<k ïiiillon. Co dernier n eu h com|diiis:incc tk luc laisser parcourir ces 
« pa|jicrs. Ln description qu ou y liouvc rcAsendile â ce qu'eci ivt'ul orJi- 
ït naireuient les atrtiiniisles, ei il en résullc que l'or n'a pu <?tre fail en 
« présence <rnamiltou el de Fetimmn comme te dit Ilierne; cnr \\hw\ 
« pour cela environ cent r|(iiirunlc joui*». l^'o[H*ration se divise en Irais 
tt porUons, dont ctiaeune esijïe beaucoup de lemps. L'art se rétlaitâub- 
tr tenir du suirureiranliiHoine u lélil tondu p,ir dc« voies déloaniL^es^ cl 
« par des moyens dont plusieurs sont dépourvus de bon sens. Il rt*ln 
« ensuite l'ti^eni secret piopiement dit» rpit ne consiste pas en une itin- 
« lure, mnis en deux poudrée , dont l'une est du cinabre rju'on fait Iwuîl- 
ft lir trois loi» avec de l'espril-de-vin jusqu'à la voiulilîstilion de C4î li- 
d quidc, et Vmivc de Fosyde l'crrique, appelé safran de ui,<rs, dont un 
« indique épdtMocnt la préparation l.iile d'une manière Irès-tlésavanla- 
t f^euse avcL" de la limaille de fer et de l'aciile nilnque, Ce^ poudres sont 
*f mêlées avec le snlture (rantimoiue obtenu en premier lioii. Léeril 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 



CHAPITRE IV 



LE COSMOPOLITE 



(Sethpn. — Sendivogius. ) 

Nous désignons sous ce même nom de Cosmopolite les 
deux personnages qui l'ont successivement porté, et qui, en 
fait, s'étant trouvés étroitement unis pendant quelques an- 
nées de leur carrière hermétique, se sont ensuite continués 
l'un par l'autre avec des circonstances qui ajoutent encore 
à la confusion produite par Thomonymie. En réunissant 
sous le môme titre les deux noms d'Alexandre Sethon et de 
Sendivogius, nous avons déjà prémuni l'esprit de nos lec- 
teurs contre Terreur très-répandue qui consiste à ne faire 
de ces deux alchimistes qu'un seul et môme personnage. 

a porte qu'on met le tout en digestion pendant quarante j%urs dans un 
a vaisseau clos, el qu'ensuite on fait fondre un gros de ce mélange avec 
« une livre d'antimoine cru et une once de nitre purifié. La masse fondue 
« est versée dans une lingotière, au fond de laquelle elle dépose un culot 
<i métallique blanc et rayonné, qu'on brûle dans un creuset ouvert jus- 
« qu'à ce qu'il cegse de fumer; après quoi il reste de l'or. 

« Pour peu qu'on ait des notions en chimie, on voit tout de suite en 
(t quoi consiste ici k supercherie. Le safran de mars ou Toxyde ferrique 
a et le cinabre peuvent , en effet, être mêlés tous deux d'une grande 
a quantité de pourpre d'or sans que le mélange soit aperçu, du moins par 
d un œil non exercé. Lorsqu'on fait fondre du pourpre d'or, qui contient 
a beaucoup d'étain, avec du sulfure d'antimoine, l'or se sépare de Tétain, 
ft absolument comme je l'ai dit ailleurs en traitant de la coupellation de 
« l'or avec l'antimoine, et , après la volatilisation de l'antimoine , l'or 
a reste, mais pesant beaucoup moins que la poudre rouge dont on s'est 
« sorvi. » 

(BEBzéLios, Traité de chimie, tome VIII, \). 1\. 




22* HÏSTOînE 

Noire récii adièrora de les disiin^iipr, Si, en certains poinls, 
ils doheDl figurer ensemble dans la narralioB, nous mar- 
querons avec Bâseï de soin le |Njiiit où ils st> sêjmmit pour 
que Ton trouve deux bisloires bien distinctes sons le nii^îii+^ 
litre* ou, si Ton veut, sous la même raison philosophique; 
qui est et doit rester le Cosmopolite. 



Aleimiidre Sethon. 



Pi^ndnnt IVk» de rannre iC>01, un pîloip bol Lin dais, 
noiïiniê Jacques Hîtu^sen, fut assailli [»nr une lempete tlafli^ 
la mer du N<»rd, ei jeté sur la côtr d'Ecosse, non loin 
irF.rlimhoiir^, à une pelile disuince du village de Sr^mmii 
SfaîoHH. Les imufragi*s furent secourus [>ar un liybiuniit Jp 
In contrêp qui possédait une maison ei qm^lrjiîes ternes sirr 
ce rivage ; il réussit a sriuver plusieurs de ces lUîilbeun'Uï, 
accueillit avec beaucoup d buniûniui le pilote dans sa niai- 
son, el lui procura les moyens de retourner en flnllandj^. 
Ce Irait d'iiumanil/^ île THcossais, la recon naissance (ja'en 
t'prouva lé pilolt\ el sans doute aussi le plaisir qy'ilsavaii'fll 
ressenti dans le |>eu de jours qu'ils avaient passés ensemhk 
leur fireni priuneiire, en se séparant, de s<» revoir cnrorr* 
une fois. 

On ne s^iil rien sur Tâge ni sur les aniécé^jents iè 
i'fuuniue qui vient de se révéler par cette action gém-rpuse. 
Son n<HU même, qu'il quitta de bonur lieure et à ilcs^ein 
puur le surnom sous ler[uel il voyagea en Eiimpej est de- 
venu un sujet de mutniversi' [tour les historiens de la [ilûla- 
<o[diu^ hermétique, l/usa^^e, alors presque universel, dela- 
t lui sor I es no ru s | \ ro [ > r es , a si i r t o u l i^m t r r bu é à a m ci 1 1? r i ! f 
nombreuses variantes sur le nom de Sethon ou de Sklon. 
C'est ainsi qu*on le trouve successivement appelé Selhitim 
Scofus, Siionius, Sidtmim^ Suthonem, Suethonius, et en un 
SiYlithonim. Il n eslçias d'ailleurs d'une i^rande iniporl^oiy 




DBS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 225 

historique de savoir laquelle de ces formes se rapproche le 
plus du nom original. L*épithète de ScotiLS, dont toutes sont 
invariablement accompagnées, indique suffisamment qu'il 
s'agit d'un môme personnage, Écossais de nation ; et comme 
l'Anglais Campden, dans sa Britannia, signale, tout près 
de l'endroit de la cote où le pilote Haussen fit naufrage, une 
habitation qu'il nomme Sethon Home, résidence du comte 
de Winton, on a pu en inférer avec assez de fondement que 
Sethon appartenait à cette noble famille d'Ecosse. 

Quoi qu'il en soit, cet homme, dont la vie antérieure est 
demeurée inconnue, et dont l'histoire commence avec le dix- 
septième siècle, est un alchimiste qui nous apparaît tout 
formé, et, comme on le verra bientôt, passé maître dans son 
art, de quelque manière qu'il Tait appris. Une autre qua- 
lité que l'on peut admirer' en lui, c'est son désintéresse- 
ment. Si, dans tous les lieux où rappellent les besoins de 
sa propagande hermétique, il justifie sa mission par des 
succès qui pourraient, à bon droit, passer pour des mira- 
cles, s'il fait de l'or et de l'argent à toute réquisition, ce 
n'est pas pour ajouter à ses richesses, mais pour en offrir à 
ceux qui doutent, et convaincre ainsi l'incrédulité. Toi est 
d'ailleurs le caractère singulier que nous présentent la plu- 
part des adeptes à cette époque. L'alchimie paraît à leurs 
yeux une science désormais constituée, qu'il ne s'agit plus 
que de recommander, non à la cupidité du vulgaire, mais à 
l'admiration éclairée des hommes d'élite et des savants. Ils 
vont de ville en ville, prêchant cette science comme on prê- 
che une religion, c'est-à-dire que, tout en ne négligeant 
rien pour en démoiitrer la vérité, ils s'abstiennent d'en pro- 
faner les mystères. C'est, en un mot, une sorte d*a[»ostolat 
que ces adeptes «ceompUssent au milieu d'un siècle de cri- 
tique et de lumières, apostolat toujours difficile, souvei^ 
périlleux, et dans lequel Alexandre Sethon devait trouver le 
martyre. 

hè& les premiers mois de l'année 1602, notre i^l\U(\SsOi^<& 




ni\ lilSTDIIU: 

inaugur«* s<»s piTôgrinulions par un voyage t^n llullandeJ 
ullîi visiler son hAlfi H son mn\ Ilaussen, qui habîtoît âl 
t;i tM*iit(* vïlli^ iTEnkhuysen- Le malelot le recul avec jri 
ei l<> ri'liiU phisiiuir^ semaines ilans sa maison. Pen*:lant 
tM^ st^j(HH\ leurs cœurs aehcvtVent de se lier d*une amitié 
rrnlernelle. Anssi rEeossiûs ne voulut-il point r[uitler son 
UàW siins lui CiHilier qu'il ronnaissait ïmi de Irausmuer los 
mètiïux, et, pour W lui prouver» il lit une projeetion en «^'i 
prêsenei'. Le fa niai's 1602, Sethon changea un morceau ik 
[iloutb eu un murceau d'or de mèrue poids, qu'il kuî;sa 
comnic souvenir à sou ami Jacob Ilaussim, 

Frâ|*pe du prodige dont il avait été lémoin, Haussen nv 
[ml sVmptVlier d'eu parler à un de ses amis, médecin k En- 
kliuyseu; il lui lit m «Hue présonld'uu morceau de son or. 
Cet ami ctail >Vudcr!imlen, aïeul de Jean Yendcrlindeii, 
nuteur d'une Bihihîlièqm des dcrivains do médecine, d 
qui, ayant liêrit»'^ de cel or^ le montra au célèbre merîecm 
lieuFi^e iMorliof, ipii a lui-mi'^me composai uo ouvrage bien 
connu", dont nous avons extrait toute cette première parlio 
lie r histoire ilu Cosmo|vo!ile. 

Eu i[uiitîHil la \ille dTnkhuysen, Alexandre Sethon s^ 
rendit sans doute à Amsterdam, puis à Rotterdam, On m- 
saurait, sons cela, rapporter à aucune époque de sa vie les 
projections que, suivant un ouvra^^e d'une date postérieure, 
il fil dans ces deux villes. Nous savons encore, mais dune 
manière tout aussi indirecte, qu'en quittant la Hollande ii 
s\'udiari|ua pour lltalie. Aueuu rensei^mement ne nous fait 
eonnaîtr** |>ouriani quelle partie de Tltalie il traversa, ni 
ce qui lui advint [jendanl sou court séjour dans ces con- 
trées. 

Nous le retrouvons dans la même année, arrivant en Al- 
lemagne par la Suisse, en comj>agnie d'un professeur d*; 
Fribtuirg, Wolfgang Dienlieim, lequel, tout adversaire dé* 



* G, Moiluïï, Ë|u>tt>lu Ad l.ifUuf\oi Hm tïe mtt>tllormtt transmutatt9M, 





DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 227 

claré qu'il était de la philosophie hermétique, fut contraint 
de rendre témoignage du succès d'une projection que Se- 
thon exécuta à Baie devant lui et plusieurs personnages im- 
portants de la ville. 

« En 1602, écrit le docteur Dienheim, lorsqu'au milieu de l'été je 
revenais de Rome en Allemagne, je me trouvai à côté d'un homme 
singulièrement spirituel, petit de taille, mais assez gros, d'un visage 
coloré, d'un tempérament sanguin, portant une harhe brune taillée 
à la mode de France. Il était vêtu d'un habit de satin noir et avait 
|X)ur toute suite un seul domestique, que l'on pouvait distinguer 
entre tous par ses cheyeux rouges et sa barbe de même couleur. Cet 
homme s'appelait Alexander Sethonius. Il était natif de Molia, dans 
une île de l'Océan*. A Zurich, où le prêtre Tghlin lui donna une 
lettre pour le docteur Zwinger, nous louâmes un bateau et nous 
nous rendîmes par eau à Bâle. Quand nous fûmes arrivés dans cette 
ville, mon compagnon me dit : — « Vous vous rappelez que, dans 
« tout le voyage et sur le bateau, vous avez attaqué l'alchimie et les 
« alchimistes. Vous vous souvenez aussi que je vous ai promis de 
« vous répondre, non par des démonstrations, mais bien par une 
« action philosophique. J'attends encore quelqu'un que je veux con- 
• vaincre en même temps que vous, afin qiie les adversaires de l'al- 
« chimie cessent leurs doutes sur cet art. » 

« On fut alors chercher le personnage en question, que je con- 
naissais seulement de vue et qui ne demeurait pas loin de notre 
hôtel. J'appris plus tard que c'était le docteur Jacob Zwinger, dont 
la famille compte tant de naturalistes célèbres. Nous nous rendîmc^s 
tous les trois chez un ouvrier des mines d'or, avec plusieurs plaques 
de plomb que Zwinger avait emportées de sa maison, un creuset que 
nous prîmes chez un orfèvre, et du soufre ordinaire que nous ache- 
tâmes en chemin. Sethon ne toucha à rien. Il fit faire du feu, or- 
donna de mettre le plomb et le soufre dans le creuset, de placei* lo 
couvercle et d'agiter la masse avec des baguettes. Pendant ce temps, 
il causait avec nous. Au bout d'un quart d'heure, il nous dit : — 
« Jetez ce petit papier dans le plomb fondu, mais bien au milieu, cl 
« tachez que rien ne tombe dans le feu !... » Dans ce papier était une 

* On verra, par la suite, que, si Dienheim ne nomme pas l'Ecosse [Sco- 
tia)f c'est probablement par discrétion. 



k 



Si8 fILSTOIIlR 

jiniidre iisseï laynli*, (F une cntilcur q^i ]>nraisïuiii j.uintH^^ilron ; du 
ii*sle, il falhiii urmv th* hons. y^ux jwiiir la iirstin*ïiier. Quoique îiim 
iurréihile^ que saint Tltcim:i<> Itii-uitMiir, mm» fiiiu^ loiit ce qui nous 
iHail «immamlê. Api ^s que la masse eut été chauffée eiivii-on un 
qu;irt (Hiinire encciif, et forHiiiiu'lIpni*'nl ngitée snor îles l^agmlU^ 
c!n fer, ToHV'vn» reçut Tottlre d'êleiiidre If itcii^pI vu irpantlmt <l<^ 
Te^iu dessus ; mais il n'y avsiît [)liis le uioiiidre vertige de |ilinub ; 
nous iTOuviinies de Ton* le plus jmr, et qui. d"'îipn''s l'opinion de Prvr- 
fi'*vre, >iu]»as<;;iil iiiêjne en qu;ililû Ir Iiel w (h- la Hongrie et de l'Am- 
liie. 11 psaît tout autant que le plonib» donl il jiviiil pris la [ilare. 
^om it^ii|;uiu\H stiqjéfaits d etoinienient ; c'était k peine si nous Oîiioiis 
vu ertiire nos yeux. M;us Selhonius, se nuwjuaut de nous : — « Miiio- 
I» tiMUint, dit-d, où en «'tej^vons avec vus pt'daiileîies? vous vkviï h 
* Vi cité du l'ait^ et elli" ist [4us |iuissank' que tout, iitrnie fjiie vos 
« iiophîsmes. » — Alors il fit einq>er \m uiortenu de Tor, el \v ilfuuui 
en souvenir à Zwinger. Ten fr:utluî nussi un moi-ce^ui qui pesait à |»«i 
prî's quîdre ducats, et que je eonseivuî un uu-utoiru de celle juumw% 
«r Quiifit à vuiis, incrêïHiles, vous vous moquerez [)eut-tHre df ^ 
que jWiis» Mais je vis encore, <4 je suis un lêinoiu toujours j>i<H à 
dire ce que j'ai vn. Mais Zwinger vit épiait ju<*n t. il ne se tairi* j>as et 
rendr.i tiunoignage de ce que jaffimie. Sethonius et son dnnîesliqini 
vivent encore, ce derrder en Angleierre et le preuii<*r en Alleniagn*', 
comme on le sîiil. Je pourrais nièmr dire l'endroit jn éris où il àv* 
nu^urc, s'il n'y avait ps trop d'indist-nHitui dans h-s rechei'cbes aui- 
qtu^lles d faudrîiit se livixM* pour savoii ce qui est amvé à ce pixvà 
liomnie, à ce saint» a c-e demi-dieu*. » 

Il faut reconDaître, à la gloire de m>tre apdirp, fine lis 
ronvertisdè sa faei»n ne relaient pas à domi. Ce Jacob Zv\in' 
*,^er, demi le ilocteiir Dieubeiin invoque le t<'moignâge, était 
médecin el professeur a Bâie» En dehors de ces titrer, il 
jouis.sail d'une haute réputation de science, et il laissa un 
nom irés-respecté dans Tlitsloire de la riiédeciue allenrandc. 
Cet irréprochable témoin iiiourot de la [lesle eu UîlO. \lâi>. 
dés rannée 1006, il avail conlirmé jusqu en se^ moiridrt^ 
ilélîiils le vmi de Jean Wolff^ang lïienheinu dans un*^ leltr« 

* J -W l'knUeim, '!f Minfrciït tntdkinô. Argeolnriti. le^Ur 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 229 

latine qu'Emmanuel Konig, professeur à Bâle, fit imprimer 
dans ses Éphémérides *. La même lettre nous apprend qu'a- 
vant de quitter Bâle, Sethon fit un second essai dans la mai- 
son de l'orfèvre André Bletz, où il changea en or plusieurs 
onces de plomb. Quant au morceau d'or qu'il avait donné à 
Zwinger, on lit dans la BibliothêqtLe chimique de Manget, 
que la famille de ce médecin le conserva et le fit voir long- 
temps aux étrangers et aux curieux. 

Tous ces témoignages, fournis par de graves personnages, 
recueillis par des contemporains dont on ne peut suspecter 
ni la véracité ni les lumières, seraient certainement consi- 
dérés comme des preuves suffisantes pour établir la vérité 
d'un fait de Tordre commun et ordinaire. Si l'on ne peut 
s'en contenter pour prouver la certitude d'une action qui 
a un caractère merveilleux, ils sont pourtant de nature à 
susciter quelques embarras à la critique. La sévère raison 
nous dit qu'un artifice habile, un tour d'adresse ingénieu- 
sement dissimulé, rend compte des diverses transmutations 
de notre Écossais; mais ici la raison se trouve en présence 
d'une question de fait qui n'est pas précisément de son 
ressort, et qu'il faut résoudre, non par des théories, mais 
par des témoignages, sous peine de ruiner le fondement de 
toute certitude historique. Les alchimistes du dix-septième 
siècle semblent avoir adopté pour programme de se réserver 
le secret de la préparation de la pierre philosophale, tout eu 
le révélant au dehors par ses effets. La preuve véritablement 
démonstrative, la preuve la plus difficile, était ainsi éludée; 
mais la démonstration empirique était fournie avec un bon- 
heur et une abondance d'actions qui ne laissaient aucune 
ressource aux contradicteurs. La science actuelle permet de 
rectifier le sens de ces faits singuliers. Elle nous dit que ces 
preuves de la transmutation métallique étaient insuffisantes, 
parce qu'elles ne s'adressaient qu'aux yeux; mais ce qu'il 

' EpUtola ad docforem Schobinger. 



iird'lm^^ 



550 IllSTHIIUi 

faut ailminn', ce dunl il faiil >'iionner pncore aujourd' 
i''(>sl (|U<* \të adeptps aient su les fysciniT si loTii^teniiJs! et si 
t'tuïstammenl» à iin^; é[>oi[ije (te critique soupconneusi^ et 
d ' î n crè( I u lilr cla i rvo yunle. 

Cepenrlant Alexîindn* Sothon i^ntre en Allemagne, et il 
entre en im'^me lemps dans la cnrrière des aventures. En sor- 
tant Jr lîàle, il se rendit à Strasbourg suus un notn em- 
l^runtr, et ee fut alnrî^ sans iIoiUb qu'il fU dans cette vilk 
iin[h'riale la [ïrojeetinn dont il parla plus t^rd a Cologne, Oi 
s'acemdc aussi k le {"oiisidérer comme ralcliiiniste inconnu 
qui lui uu^lè a un événement dont les suites furent bien fu- 
mstesii un orfèvre allemand nummé Phîtippe-Jacoh Gi 
t( nliuver. 

Ce Gustenliover était citoyen de Strasbourg, où U oxerç- 
sa profession d'orfèvre* Au milieu de rété de Tannée (605' 
un étranger se préseni.a chez lui sous le nom de Hîr&chhor' 
tji'îi, demandant à trai'ailler tlans sa maison, ce que Gusten- 
linverlui accorda . En partant, rétranger, pour rëcompeni 
son maître Jtii donna une poudre rouge dont il loi enseig 



fu- 

1 



Après le départ de son liote, l'orfèvre eut la vanité 
] ►aller tle son trésor, et la vanité, jdusmaïlieureuse encore, 
ili^ s'en servir devant ]diisii'urs personnes, auprès desqucll^ 
il voulait se faire passer [lour on adepte. Tout, à la véri 
s'était passé entre voisins et amis; mais, comme le dit foi 
bien ScbuiieiJer, qui nous fourni t cet èpis^xie, chaque ami avai 
un voisin, et chaque voisin avait un ami. La nouvelle cou 
de bouche en bouclie cl de maison en maison, el bientôt, dans 
la ville de Strasbourg, chacun de s'écrier : « Gnslenhoveri 
trouvé le secret des alchimistes! Gustenliover fait de l'or! i 

La renommée fu rapidement parvenir à Prague le bruit 
lie révènemenl, et Ton comprend si celui qui Tappona fut 
bien ret u par rempereur fVodolphe II. Déjà, sur la première 
rumeur, le conseil de Strasbourg avait dè|ïutè^ Inds de ses 
membres pour &e\\t\\imt 4m Va\V. Q^vdie même le nom de 






nu, 

fofl 
m" 



â 



DBS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 251 

ces délégués, qui firent travailler Torfévre sous leurs yeux, 
et qui, d'après ses indications, opérèrent eux-mêmes, l'un 
après Tautre, avec un égal succès. L'un de ces trois délégués, 
Glaser, conseiller de Strasbourg, qui vint à Paris en 1647, 
montra un morceau de cet or, fabriqué chez Gustenhover, 
au docteur Jacob Heilman, de qui l'on tient tous ces détails 
et ce qui va suivre*. 

L'empereur Rodolphe ne perdit pas son temps à expédier 
des commissaires à l'adepte; il ordonna qu'on lui amenât 
Torfévre en personne. Admis en présence de VHeimiès alle- 
mand, Gustenhover fut bien forcé de convenir qu'il n'avait 
pas lui-même préparé cette poudre merveilleuse, et qu'il 
ignorait absolument la manière de l'obtenir. Mais cet aveu 
ne fit qu'irriter contre lui Tavide souverain. Le pauvre or- 
fèvre réitéra ses protestations sans être davantage écouté. Il 
sévit condamnera fabriquer de l'or quand toute sa provision 
de poudre était épuisée. Cette poudre, présent de son hôte, 
et qui n'était sans aucun doute qu'un composé aurifère, lui 
aurait fourni les moyens de satisfaire pour quelque temps le 
désir impérial; mais il l'avait dissipée tout entière en vains 
essais, et il se trouvait ainsi réduit à l'impuissance. Pour 
échapper à la colère de Tempereur, le malheureux artiste 
n'avait donc plus qu'à prendre la fuite. Mais, poursuivi et 
ramené, il fut enfermé dans la tour Blanche, où l'empereur 
Rodolphe, toujours convaincu que l'alchimiste s'obstinait à 
lui cacher son secret, le retint prisonnier toute sa vie. 

Cet adepte inconnu, cet Hirschborgen, qui fit à l'orfèvre 
de Strasbourg un présent si funeste, n'était autre, sans doute, 
ainsi que nous l'avons dit, qu'Alexandre Sethon. Depuis son 
entrée en Allemagne, il avait toujours soin de se cacher. 
Arrivé à Francfort-sur-le-Mein, où il exécuta dos projections, 
il chercha d'abord un gîte, non dans la ville même, mais à 
Offenhach, bourg populeux du voisinage. A Francfort, il lo- 

* B^liotheca cfiemica Mangett. 




25^2 lllSTniHE 

gi-ait s(HiH un faux nom, elu/z nji inarcliand nommé Codi, 
fmmme iissi'z instruit, et pour lequel il connut àul-ant rie sym- 
[►alliie qtiy ponr le fHlnto HaussL'n. (loi honîi*He man"!ïan<] 
nie<mle iiinsi lui-nu'^nie, dans une \e\Uv -i TlȎobaM de 
Hoglielijnde, eomraont il fui Imnorë Je la c^jnliance du phi- 
hisnpïte : 

<i A OITenbLith, ilenit'uriiit drjmis i(ut'lqyi^ Iciiips un arlrpu^ qui, 
sous le nom d'un comlt' fcunçais, acheUi L'hez moi beaiuonp de rhin 
sf's, Avimt son dt'pd de Fnuirrort, il vanlut inVnseij^^inT Tari de Iji 
liansniiitali»*!! dis iiiét^mx : il nv mit pas ki jn»iii à l'œuvre H iw 
laissai toiil hliv. Il me tUmim une |ioiiilir truii ^vï^ roii^'t^lliv, qtii 
pesail il funi près trois ^rjiii^. Jt^ l;t ji-'l:u sur driîX ileiiii-onces mef- 
CJirii vivi plucé dans un creusict. Je remplis frisnile k creus<*t(l« 
[mtassn, \\ [ini [ir<>^ jus<pi a la niuitip, et nous rhauRAnies Ifîntenienl. 
Apivs i|Uoi jt' remplis li' ftmiMeau di' rlunlnin jysqu'HU liaiil dtirmJ- 
si"l, PII ^itu II' (iirîl t'iail kud l'nlt+'T dau'i im IVii InV-lVirt, ce (jui dap 
h pi'u prtis unv ik'mi-lic*mi'.<^*a;iijrl \v aenst^ fui Umt i-^^mge, il iirnr- 
diiima iï\ jeter un peu do cire jaune. Api'ès quelques inslanhjp 
pris le ci-euset el le cassai; je Iroiiviii au ftmd uïi petit morceau ifeir 
qui pesait six ances tixiis crains. Il tut fendu en ma pi êsence et soiH 
min à la coupelhitinn, et on en retira vinf:t-lnds carats, quime gniirei 
<riir <4 six dar^^^eiU, tous deux d'une couleur trè.Mj ci II jm te. Avec ïitin 
jiaflie du morceau d'or je nie suis fait faire un bouton do ilicrniM'. 
Il nie semble que le mercure n'est pa^ nécessaire [>ouj' IVutémlian *► » 

Les parlicularités de cette projeetion autnrisent suffisam- 
ment à penser que Setlinn en fui l'auteur, el qkie ce fut là 
Tun des essais (i^ie notre aleliiniiste rnp pelai t plus ton! à 
Cologne. Elle i*st, en effet, conforme à sa niuniùre d'a^^tr 
Partout il donne de sa pondre sans en enseifcner la compusi- 
lion ; partout il opère par la main de son liùte ou de quelque 
personnage qu'il vent convaincre de la realite de son art. 
Enfin, partout il n*eniploie qu'une irès-faible quantité de sa 
précieuse pierre, raleulée pour obtenir un petit morceau d'or, 

* Th. lie lîogbeLinde, préface liu livre intilHlt' Ilistnri:e aUqwt tram- 
mulniionia miial\iae , 



A 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 253 

qu'il abandonne ensuite aux assistants, à titre de récompense 
ou de pièce de conviction; après quoi il sVsquive discrète- 
ment. Heureux s'il avait toujours usé de la même prudence! 

Il en manqua à Cologne pour la première fois. Là, sans 
doute, les souvenirs deZachaire, de Thurneysser et d'Albert 
le Grand avaient exalté son esprit et porté au plus haut de- 
gré de ferveur son zèle apostolique. A peine arrivé dans cette 
ville, il commença par s'enquérir des personnes qui s'occu- 
paient d'alchimie. Son domestique William Hamilton, cette 
bonne tête si remarquée à Baie par le docteur Dienheim, se 
mit en campagne et ne découvrit d'abord qu'un distillateur. 
Cet industriel leur désigna, comme alchimiste amateur, un 
certain Anton Bordemann, chez lequel Sethon alla sur-le- 
champ s'établir. Il y demeura un mois, et dans cet inter- 
valle, Bordemann put lui fournir toutes les indications né- 
cessaires pour se mettre en rapport avec les autres alchimistes 
de la ville. Mais ces amateurs, qui se laissaient chercher par 
un philosophe tel qu'Alexandre Sethon, ne valaient guère la 
peine qu'il se donna pour les trouver. 11 est permis de por- 
ter sur eux ce jugement, d'après le profond discrédit où 
l'art, par leur fait, était tombé à Cologne. Dans cette ville 
savante, la noble science de l'alchimie était devenue un ob- 
jet de risée, non-seulement pour les gens éclairés, mais pour 
les ignorants et les sots, ce servum peciis, toujours empressé 
de mêler sa voix à l'expression du blâme ou de l'éloge pu- 
blic. Sethon avait donc à lutter, dans la ville de Cologne, 
contre de très-fortes préventions; aussi jugea t-il nécessaire 
d'employer un détour pour commencer sa propagande her- 
métique. 

Le 5 août 1633, un étranger entra chez l'apothicaire 
Marshishpr, et demanda du lapis-lazuli. Les pierres qu'on 
lui présenta ne lui ayant pas convenu, on promit de lui en 
montrer de plus belles le lendemain. Plusieurs autres per- 
sonnes se trouvaient en ce moment dans la boutique, entre 
autres un vieil apothicaire nommé Raymond, et un ecclé- 



2U 



fllSTOlRK 




^ïflstiqiii*, tfui inmvrnit, n cl^ prtifMJS, m conversation avti* 
riK-liolnur. L'un dVux iirrlnnilit i]iï(i l'on yvait déjà essaye 
m vain dr rûn* de For î«v(m^ U^ hff)ifi'Jfti4di. ï/a litre ajoub 
<|in* l'un s"m'Cii|Kiit beaucoup d'idrhimio dans la ville de Ou- 
lo^^ne, mais <|u'aii surplus personne n'uvîiit jamais drrou- 
verl le prétendu secret de cette scienre. Clnicun partageai» 
cet, f*v!Sî rèiranger seul soutint i[ue tout n'é lait pas men* 
son^^e dans le.s faiis «^onsijofnés dans les livres hermélii|ue<, 
et qu'il se pourrait bien ([u'il existai eerîains artistes capa- 
bles de lo [ironver. Tuus les assistants ayant éclate de rires 
n4te aftlrnuilion, l'eiran|<er, qui parut vivement blessé, doi^ 
lit briisquinnent de la boutique. 

Cet acheteur inconnu n'était autre que le pliiloso^the Se- 
ibon, cpii rentra furieux eliez son bnle. L*excellent Borde- 
laaun le consola île snn mieux, et le décida à se venger le 
plus lût possible par un succès qui fit taire les moqueurs. 

Le lendemain, Selhon retourne ebez rapolbieaire, il paye 
les nouvelles pierres de lû%uli qu'on lui montre, et demaatle 
du verre d*antimoine. Elevanl des doutes sur la qualité de 
ce produit» il exprime le d<''sir de s'assurer lui-m<3nte, [m 
expérience, (|ne ce verre d^anûuioino résislera à Faction d'un 
feu violent. Pour procéder à cet essai, rapntbieaire fil cou- 
[luire Setbon, par snn fils, dafls Talelier de l'orfèvre Jean 
Lnbiubirf, situé prés de l'église Sainte-Laurence, L'orfèvre 
plaça le verre d'antiiiioino dans tin creuset rou^îi au fou. 
l^^ndaul ce temps, Sel bon lire de sa pocbc un papier eonlc- 
nani une poudre dont il fait deux paris avec la pointe d'un 
couteau ; il ordonne a Torfévre d'en jeter une moitié sur le 
verre d'antimoine fondu. Au bout de quelques instants, on 
nuire le creuset du feu, et Ton trouve au fond un beau glo- 
bule d'or. Le fils de Tapotbicaîrc, deux ouvriers de ratclicr 
et un voisin, furent témoins de cette transmutation, quipa^ 
rut d'autant plus merveilleuse que rëtrangcr n'avait 
même louclïé nu creuseL 

Cepcndîmll'erîéwv ne voulut ^)as se déclarer convainc 




D8S TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 255 

Maître Lohndorf était nn de ces incrédules de parti pris qui 
se trouvent trop bien d'un tel état pour ne pas conspirer un 
peu contre le succès des preuves qu'ils demandent. 11 pro- 
posa de faire avec le reste de la poudre un second essai, où 
le plomb fût employé au lieu du verre d'antimoine ; en 
même temps, le malicieux artiste glissait furtivement dans le 
creuset un morceau de zinc, métal qui rend Tor cassant et 
difficile à travailler. Se croyant bien sûr d'avoir compromis 
d'avance l'opération, notre homme se préparait à jouir de 
la confusion de Tadepte. Mais son attente fut trompée, car, 
cette fois encore, on ne trouva dans le creuset que de l'or 
parfaitement malléable et ductile. 

Dans ce moment, il n'y avait pas dans tout Cologne un 
homme plus fier, plus triomphant queBordemann. Il n'était 
pas, à la vérité, l'artiste vengeur qui couvrait de honte les 
incrédules, mais c'était lui qui Thébergeait. Alchimisle lui- 
môme, et sans doute aussi avancé qu'aucun autre de la ville, 
il avait eu saipart des quolibets et des railleries du vulgaire 
avant l'arrivée du savant étranger. Il avait donc le droit de 
s'enorgueillir de cette hospitalité donnée à l'homme dont les 
victorieuses expériences, en réhabilitant Fart, réhabilitaient 
tous les adeptes. Aussi ce fut sans doute à Tinstigation de 
son hôte que, peu de jours après, Sethon alla s'attaquer à 
un incrédule plus sérieux que tous ceux à qui il avait eu en- 
core affaire en Allemagne. 

Dans la vallée de Katmenbach, habitait un chirurgien 
nommé Meister George, homme savant dont Topinion faisait 
autorité sur beaucoup de matières, et qui, depuis longtemps, 
s'était posé devant le public en adversaire outré de l'alchi- 
mie. Pour n'être ni sottes ni déloyales, comme celles de l'or- 
fèvre Lohndorf, ses préventions contre cette science n'étaient 
guère plus traitables; notre philosophe jugea donc néces- 
saire de prendre un détour pour arriver à ses fins. 

Le li août 1603, Meister George et l'alchimiste Sethon 
eurent ensemble, à Cologne, une entrevue sous l'artificieux 




nn HÏSTOIUR 

pr<Hexled'nin*rnîif«TPnrp hîppopi-îitiqut^. Il n'y fut question, 
en effet, t|iu^<l(* rmnledm» n iriinalruTiie. ï-inire a titres cho- 
ses, Seilion ilemantiîi an chinirffien s1l ronnaissîiit h mn- 
nim» (II* inorliliLT la vinnde sauvage; assar^nt que, pour lui. 
il Si! va il eiîlevLT la viande jnsqifanx r>s sans dêi'îinfïer les 
nerfs. M<'ister Ger*rj^o ténioi^me son désir de voir exécuter 
cette opération, a ISien de pins simple, dit le philosophe, 
n Procurez-moi seul«^îBent du plomb, ilu soufre el un creu- 
s(*t. » Le barbier de Meister i^eorge va quérir ces trois objets. 
Mais il faut encore à TopéTaleur un soufflet et un fonrooflu. 
On n'a pas c<s objets snus la mnin, ei Sel lion propose d'aller 
opr^rer riiez un orfèvre, maître Ilans de Kemp<*n, qui de- 
meure pnV (le là, tlans le faubourg de Marei. Le barbier les 
suit, portant b' creuset et les ingrédtenls, 

Voîlà ilone l'incrédule oiédecin adroitement attiré dans 
le laboratoire de Torfévre llans de Kempen. L'orfèvre n'était 
pas ebez lui, mais son llls y travaillait avec quatre ou- 
vriers et un apprenti. IVnfbmt que le barl>it*r arrive av<îc 
le soufre et le plomb, Fétranger entre en conversation avee 
les ouvriers, et s'offre à leur enseigner le moyen de changer 
fin fer en acier. Pour éi>rouver ce secret, un ouvrier va 
ebereber dans un coin rie vieilles tenailles cass^^es, qu1l plaee» 
sur l'ordre de Sethon, dans un creuset rougi au feu. Lebar* 
bier, arrivé sur c^-s entrefaites, a déjà mis le soufre et k 
fdomb dans un autre creuset. Tons deux Ira vaillent simiil- 
liuiëment : ils soufflent, ils cbauffenl, suivant les prescrip- 
tions de l'étranger . Celui-ci tire abu'.s de sa poclie un \iM 
papier renfermant une poudre rouge qu'il divise en deux 
p,Trties; àu moment qui lui paraît propice, il fait jeter dans 
chaque creuset une moitié de cette poudre, ordonnant en 
m Ame teu^ps d'ajouter du charbon et de cbauffer plus foir 
Au bout de quei(|ues instants» on enlève les couvercles, elle 
barbier de s'écrier : « ^ Le plomb e^t cbangé en or ! » tan- 
dis que Tonvrier dit presque en m Ame temps : a — Il y :\ 
de Tor dans mon CTt^\is\^ll m On s'empresse de retirer le m»^ 





DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 257 

tal des deux creusets : martelé, laminé, chauffé, l'or con- 
serve, toujours son premier aspect. L'apprenti appelle la 
femme de l'orfèvre, experle dans les essais des alliages pré- 
cieux, et qui constate par toutes les épreuves ordinaires la 
pureté de l'or ; elle offre môme de le payer huit thalers. Ce- 
pendant Tévénecnent fait du bruit au dehors, la maison 
commence à se remplir de voisins, et l'adepte, qui croit pru- 
dent de se retirer, s'esquive, emmenant avec lui le chirur- 
gien fort déconcerté. 

— Ainsi ! dit Meister George une fois dans la rue, c'était 
donc là ce que vous vouliez me montrer? 

— Sans doute, dit Tadepte. J'avais appris par mon hôte 
que vous étiez un ennemi déclaré de l'alchimie, et j'ai voulu 
vous convaincre par une preuve sans réplique. C'est ainsi 
que j'ai procédé à Rotterdam, à Amsterdam, à Francfort, à 
Strasbourg et à Baie. 

— Mais, cher gentilhomme, remarqua George, je vous 
trouve bien imprudent d'agir d'une manière si ouverte. Si 
jamais les princes entendent parler de vos opérations, ils 
vous feront rechercher et vous retiendront captif pour s'em- 
parer de votre secret. 

— Je ne l'ignore point, dit Sethon ; mais Cologne, où nous 
sommes, est une ville libre où je n'ai rien à redouter des 
souverains. D'ailleurs, s'il arrivait jamais qu'un prmce se 
saisît de ma personne, je souffrirais mille morts plutôt que 
de lui rien révéler. 

Ici le philosophe demeura un moment silencieux et rê- 
veur, comme s'il entrevoyait par la pensée les barbares trai- 
tements dont un prince d'Allemagne devait le rendre vic- 
time. Mais, chassant aussitôt cette impression pénible, il 
reprit avec chaleur : 

— Que Ton me demande des preuves de mon artî j'en 
donne à qui les désire. Et, si Ton veut que je fabrique des 
masses d'or, j'y consens encore; j'en ferais volontiers pour 
cinquante ou soixante mille ducats. 



^r»R ÎIISTDÏRE 

Dl»[hj«s (t jyyr, k l'Ilirurfîien Mefstor Gœr;nr Un loiiLîi fait 
ronvt'rli ii riilchiiiiie, ai fU profi'î^sioii û\ croin^, m^ilgri' 
l< s roillrrifs di? srs fiinis l«1 les uiiptJUUioos île qLu4(jues es- 
prits nKilvf'illaJils, Aux [)iTiniors, qur le [*kii;j:iiaient iltvsVHre 
laissé surprcnilrc pr un rliarblaii Itabile, il répontlailen 
ces tornios : 

— Co t|ue j'^ii vy, je 1>m Liien vtL Co rpic les ouvriers <Ie 
maître ILins de ïve[is[]eo un fait eux-niùmes r?n prêfienre di' 
teïïiuiiis n'est puinl un rêve. L'or dunt ils ]»euvenl encoru 
ïminiiL'i^ une partie n est pas une eliimèn3. J'en croirai tou- 
junrs mes yeux plulol <|ug vos bavardiip;es. 

Quant a roux qui Taecusaient d'avoir reeu du l'iirgeiit 
puur lêiimigner en faveur de raldiimie, il dedai^^na toujours^ 
de leur ri*[inndre; ï^a réputation (riiommo (riuinneiir leur 
ôlait d'avance tout crédit ^ 

Une conversion si considérable et si complète ne pouvait 
que ramener la faveur pnMique aux artistes hermeliqacsrtt 
fjéneraK Cependant eeu\ do la ville de Cnbi^^ne, en [lartku- 
lier, n'eu dovlnrent |ms pour cela [(lus expurls ni plus grands 
|)hilos<}pbes. Setbon y avait mis bon ordre. A la suite d*uii 
RTond essai dans le^|uel il avait obtenu près tic six oaccs 
d'or, en enqdoyant, au plus, un j^Tain de sa teinture plulo- 
soptude, fîordemauu se permit xU* lui dcruander pourquoi tl 
avait pris du soufre ï*u lieu de mercure peiRkmt eette opi'- 
ration. 

— J'im use ainsi, répondit le plijloso[ibe à son hôte in- 
discret, pour montrer aux jirol'aucs qu<^ tous les mëtain» 
quels qu'ils soient, peuvent ôtre [anoblis. Mais n*oublirz 
fioînt, mon ami, qu'il m'est interdit de r^Hfder fes cIkiïc^ 
i tu |ior tantes du travail *. « 



^ tj'ifiv (h Thpobahî de ihfffn'liiuth ajfou frèv€ : Ihsiorut: nUfjUol /f«wj" 
lonia, lOUi 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 259 

En quittant Cologne, Tiliustrc adepte se rendit à Hani- 
t)ourg, où il fit encore des projections remarquables que 
mentionne un écrivain que nous avons déjà cité *. Il est pro- 
bable que c*est en sortant de cette dernière ville que le Cos- 
mopolite se rendit à Munich. Ici, toutefois, Tardent prédica- 
teur de la noble science laisse apercevoir une interruption 
dans sa croisade contre les préventions de Tincrédulité. 
Pendant tout son séjour à Munich, on ne le voit accomplir 
lucune projection ni expérience hermétique. A quelle raison 
attribuer cette lacune dans son apostolat? 

Bien qu il n'eût fait aucune projection dans la capitale de 
la Bavière, on raconte qu'Alexandre Sethon disparut de Mu- 
nich, comme il avait disparu de Cologne, et comme il dis- 
paraissait de toutes les villes où s'étaient accomplies ses 
merveilles hermétiques. Mais sa fuite précipitée avait cette 
■ois un autre motif. En s'esquivant de Munich, le philosophe 
îmmenait avec lui, ou plutôt enlevait, une jeune et jolie fille 
fun bourgeois de la ville qui s'était attachée à lui pendant 
»n séjour. Les préludes de cet événement nous rendent 
mffisamment compte de l'inaction prolongée du Cosmopolite 
I Munich : un philosophe ne peut pas toujours travailler 
)our son idée. 

Ce qui est certain, c'est qu'à partir de ce moment nous 
rouvons Sethon marié. Quelle est cependant cette femme 
)our laquelle le Cosmopolite a quelque temps oublié l'objet 
le sa mission glorieuse, et qui va désormais appartenir aux 
chroniques de l'alchimie? L'histoire nous dit qu'elle était 
jolie; voilà tout ce que nous savons sur elle. Il est vrai que 
le Bavarois Adam Rockosch la revendiquait comme sa pa- 
rente, mais tout cela est bien peu de chose pour la postérité. 

Cette jeune femme paraissait d'ailleurs absorber en entier 
iotre philosophe. C*est ce que prouve suffisamment lu con- 
luite qu'il tint à Crossen, où se trouvait alors la cour du 

' (ioorgc Morhof, F.pislola de melallorur. Iransmiitalioiic. 



24(1 niSTOlUE 

dur (le Saxe. U;ins l'iiuUiHHie ik vaMh mOme année l6Uo, 
(lèjw reïii|ili(' pur tant irevrnemrnb sioguliers, le iirinrbdê 
Siixe, a\\inl entendu [unler de lliabilelé du Cosmopolite, dé- 
dira en obk'nir une preuve. Mais celui-ci était tellement oc- 
rupé do Sun mariage^ qu'il en (mldiîiit plus que jamais le 
but de sa uiis^ion. Il ne jugeii pas i\ prupits de se dcrangrr 
pour le prince, et se contenta d^envoycr son domestique Ha- 
mil ton [Hmr opérer ebez Son Altesse. 

La projeetum faile en présence de toute la eour eut un 
plein sucées; Tordu souflleur résista à toutes les épreuves** 
Mais, queb|yej5 jours après, soit qu*il fût effrayé pour lai- 
inêuu* d'avoir si bien réusïsi, soit qu'il comprît i|ue ses soi- 
viecs devenaient inutiles à l'adeplc luarié, Hamilton se si^- 
pura de son maître ou de son ami, cur personne n'a su exac- 
lement k» miture d(3S rapports qui ont existe entre eux. Ce 
dii^ne nmipa|^non du Cosnn>priiite retourna en AnglettW 
par la Hollande, et a dater d(* ce nioiuent son nom ne re- 
parait plus dans riiistoire. 

CepentlanlSelln)n s'oubliait dans une [lositiou doucereuse* 
Cbristian II, électeur de Saxe, n'avait guère [dus de vingt 
ans, et plusieurs de ses actions avaient déjà révélé en lui un 
caractère cniel. Comme la ]du|iartdrs princes allemands, il 
était avide de ncbesses. Il avait fait jusque-la profession de 
mépriser les ak-bimlstes, non qu'il fût assez instruit pour 
si^ Ha ire par lui-môme une opinion raisruiuée sur leur 
yeienee, mais |iar la seule raison que soti père les avait t'sli- 
inés. Lo [»reuve ([ui fnt mise sous ses yeux à Crossen» i>ark' 
serviteur du Cosmo(i<dite, avait pourtant changé ses senli 
ments a leur égard. 11 iiltira Setlmu a la eour et affedo 
d'abord de lui être favorable. Une petite quantité de pirirr 
[dûlosopbale dont radepto lui lit cadeau ne suflit pas à sy- 
tisfaire le printe; ce qu'il lui fallait, c'était le secret <k 



* CîulUrnliilk, .['a-i tott.* tift'htmt'fneA. 



b 




DSS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 241 

Topérateur : or Je Cosmopolite refusa opiniâtrement jusqu'à 
la promesse de le livrer. 

Après avoir épuisé en vain les moyens de douceur, et les 
menaces n'ayant pas mieux réussi, le prince Christian en 
vint aux actions. On fit endurer au malheureux adepte tous 
les supplices que peut imaginer la cruauté stimulée par la 
soif de For. On le perçait avec des fers aigus, on le brûlait 
avec du plomb fondu; après quelques instants de relâche, 
il était battu de verges. Le corps disloqué, les membres dé- 
chirés, le philosophe persista dans ses refus. 

Une cruauté plus réfléchie lit trouver, pour cet infortuné, 
un autre genre de martyre. On comprit qu'en revenant à la 
torture on ne réussirait qu'à le tuer, et que l'un perdrait 
ainsi toute chance d'acquérir son secret. Une longue et dure 
captivité parut un moyen plus sûr de vaincre son obstina- 
tion. On enferma le Cosmopolite dans un cachot obscur, 
dont l'entrée fut interdite à tous, et dont la garde fut 
confiée à quarante hommes qui se relevaient alternative- 
ment. 

En ce temps-là, habitait à Dresde un gentilhomme de la 
Moravie, connu sous le nom latin de Michael Sendivogiiis, 
homme savant en plusieurs matières. Comme il se mêlait 
d'hermétique, il s'intéressa vivement au sort du Cosmopolite 
et désira le voir dans sa prison. Cette permission lui ayant 
été accordée, grâce au crédit de ses amis auprès de l'élec- 
teur, il eut plusieurs entrevues avec le prisonnier et lui 
parla de chimie, sujet sur lequel Sethon ne lui ré[)on(lait 
qu'avec une réserve extrême. Un jour, se trouvant seul avec 
lui, il lui proposa de Tarracher à sa captivité. Le malheu- 
reux, languissant dans ses plaies, prolesta de toute sa re- 
connaissance et fit les plus riches promesses à son futur 
libérateur. Un plan d'évasion fut alors concerté entre eux. 
Sendivogius se hàle d'aller à Cracovie réaliser sa fortune; il 
vend une maison qu'il y possédait et revient à Dresde muni 
•I ar^^enl. 11 obtient la permission de s'établir auprès duL^\:'v- 





>oniiR*r, *A, (uir ï^cs larfio?sGs calculëas, ga^e peu à peu 

Le jour [iris pour rexôciition de son projet, il regala 
bien la rom[iagnie de soldats, <ju à la nuit ils êtaieDl tous 
ivres jusqu'au di^rnier* Aiissitui il emporte Setliou, i|ui ne 
pouvait !iiari"lier dosj suites de ses lorlures, et soit de la tour 
avec son fardeau. Ils ne prennent que le temps d'aller cher- 
eljer, à la demeure de raleliimistc, sa provision tie pierre 
pliilosoplialc. Us incuilt^ni ensuite dans un ciiariot de poste, 
où la fetuine de Setbon prend place avec eux, et gagnent k 
frontière en toute !uVtc pour se rendre en Pologne, 

Ils ne sVirrolêreni qu'i* Cracovie. Là, Sendivogius somina 
le pbiloso|iliede tenir sa promesse; mais celui-ci refusa ab- 
solument de rexEHHiter: « Voyez, lui dit-il, dans quel etâl 
M j*ai ete r^'iluit pour n'avoir pas voulu livrer mon secret 
« Ces membres brises» ce corps demi- pourri, vous disent 
a aî«î5cz r|ueMe réserve je dois m'im poser à Fa venir, d 

Knire autres promesses faites dans la prison de Dresdd 
Sethon s*était engage a donner à son libérateur de quoi étr^ 
conhmt toute sa vie avee sa faviille\ Ci\ ijuti Sendivogiuf* 
avait naUirellenienl entendu île la révélation ilu secret her- 
métHjue. Mais Setbon ne |»ouvâil l'entendre ainsi. Il ajouta 
ipi'il n oirail eomuoMtro un grand péelié en découvrant ce 
inyslero, et lui conseilta finalement de (e demander à Dieu. 

Setbon ne jouit pas longiêm[vs de sa délivrance. Il ninurut 
peu de tcin|)s après, disant toutefois *]ue, si son mal eut 
été naturel et interne, sa poudre lauraît guéri, mais que ses 
nerfs coupés et ses membres brisés par la torture ne [Km- 
valent, par aucun moyen, tHre rétablis. En mournnt, il 
donna à son libérateur ce (jui lui restait do m provision de 
pierre pbilosopbale. 



* lj:Uie dû ihsiiOijeis, stxretaire de a prtnçf^sc Matte de Go'irc^i 
^'cnitr de f j/o^iit-, piiljlÏLii dans ïlltstmre de fa phUa^ophic ttêrmrdqui t\c 
Luiigïet du lr>*!AiHty. 




DES TRANSMUTATIONS MÉTALUQUES. 245 

C'est au moi de janvier 1604, ou, selon d'autres, en dé- 
cembre 1603, que mourut cet homme illustre. On se sou- 
vient que le premier essai hermétique que Ton connaisse de 
lui avait eu lieu à Enkhuysen, le 15 mars 1602. C'est donc 
en moins de deux ans que se seraient accomplis tous les faits 
que nous venons de rapporter. 

Telle que les contemporains nous l'ont tracée, l'histoire 
d'Alexandre Sethon offre aujourd'hui à la critique un pro- 
blème bien singulier. Faut-il prononcer, en effet, que celte 
mission philosophique, à laquelle le Cosmopolite consacra 
son existence, n'avait pour but que la propagation du men- 
songe, et pour mobile que la gloire personnelle de cet apôtre 
spontané de l'erreur? C'est à cette opinion que nous sommes 
forcé de nous ranger. Gentilhomme instruit, le Cosmopolite 
avait probablement trouvé dans ses études scientifiques Tan 
d'égarer par de trompeuses apparences des contemporains 
ignorants; sa fortune lui permit de parcourir TEurope pour 
promener en tous lieux ces merveilles, et exciter ainsi l'ad- 
miration et l'enthousiasme de la foule. Le prétendu secret 
dont il était possesseur, il n'en tira point, à l'exemple de 
beaucoup de ses confrères, une source de bénéfices illicites, 
mais seulement un moyen d'appeler sur lui l'attention des 
hommes de son temps, celle du vulgaire comme celle des 
hommes éclairés. Ce rôle étrange qu'il s'était imposé, il sut 
le jouer jusqu'au bout, et ne le démentit pas même devant 
la menace du martyre : là est seulement, pour nous, la par- 
tie extraordinaire de son histoire. Mais, en consultant leurs 
souvenirs historiques, nos lecteurs y trouveront plus d'un 
exemple analogue de personnages qui n'ont pas craint de 
sacrifier leurs richesses, leurs talents et môme leur vie à 
la propagation d'une erreur qui devait leur apporter en 
retour le bruit et l'éclat de la célébrité. 

Sethon a laissé un ouvrage hermétique, le Livre des dou%e 
chapitres, dont nous parlerons au sujet des altérations que 
Sendivogius y apporta, dans l'espérance que la postérité lui 



Ui niSTOlUE 

atlriltuproil ci» traité» O inème «luvraffe, comme pour nidiT 
A h Vfmhmftn, n Hé souvent dj^sif^TiP sous ce Utre : IpCm- 
mopoliU\ surnom dr* Si^tlion ^f;<ileni<*nt usurpé par Sendivo- 
gius. Mais il est temps île pn>spr ii Thisloire de c& dernier 
personne «ïo. 



JïîrliH Feni\în>j»Mis. 



I 




Nous laissons \\ ce philosophi» le nom lalin sous lequel il 
est le plus gêîipnilemenl connu, el que les historiens fn^n- 
çais ont induit à tort pur Sendivoge. Les Âilemaods, qui r;i[i- 
peil eni Sendipog , ne s<^ ni pprocl i e n t pn s da vy n ta ^c de sm 
nom Yerilable, qui était Sensaphax, U naquit Tan 1666, en 
Moravie. Mais une maison qu'il possédait à Cracmie, et qui 
lui venfiit de la succession d'un ^gentilhomme, Jacob S^indî- 
mir, dont il était fik naturel, a causé Terreur de ses contem- 
I forains, qui presque tous, le ï*m{ naître en Pologne, etcillf 
d'un aulpur de ce pays qui Ta compris dans un catalogue de 
la noblesse polonaise. D'ail leurs, Sendivogius lui-môme ne 
ri'clama jamais contre répithête de Ptdonus, qui. de son vi^^ 
\ a n l , é l a i t a j o n lée a son nom. ^| 

S'il restait qu(4que doute sur ci' point, ce ne serait qu^ la 
première et la moindre des diflieulli^s qui se rencontrent 
dans riiistoire de Sendivogîus, Cette histoire, en effet, sem- 
bîe avoir été embrouillée coinme a plaisir par un anommt^ 
allemand, auteur d'une biographie de Sendivogius, qu'il 
prétend avoir composée d'après la relation verbale de Jean 
BcKlouski, maître d'hôtel du philosophe V. ^M 

L'auteur antuiyrae, à qui sa qualité d'avocaide SendivogiiflM 
paraît si importante à prendre devant la postérité, quil nous 
la décline par trois fois, avec toutes les variantes que la langu 

* Vita Sendivogii, Pohfui nohtfts bttrmtia^ ùraviter dfërripin à çu^Woj 
mano, ofm rjnit oratore, pnirono peî caHitidieo, 




DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. i45 

latine, dans laquelle il écrit, peut lui fournir V commence 
son récit en reproduisant l'erreur commune à la plupart de 
ses compatriotes sur Torigine de son client : « C était, nous 
dit-il, un baron polonais dont la maison était h Gravarne, 
sur les frontières de la Pologne et de la Silésie, à quelques 
lieues deBreslau. » Puis, sans avoir dit un mot de sa fortune, 
il ajoute que « son revenu était augmenté par des mines de 
plomb, situéas dans le territoire de Cracovie, capitale de la 
Haute-Pologne. » 

Cette première erreur du biographe allemand montre avec 
quelle conflance il faut accepter Teiplication qu'il nous 
donne de l'origine des connaissances hermétiques de son hé- 
ros. S'il faut l'en croire, ayant été envoyé en Orient par l'em- 
pereur Rodolphe II, avec ce que nous nommerions aujour- 
d'hui une mission scientifique, Sendivogius aurait reçu d'un 
patriarche grec la révélation du mystère de la science her- 
métique, c'est-à-dire la manière de composer la pierre des 



Ce qu'il y a de vrai, c'est que Michel Sendivogius, qui 
avait très-studieusement employé le temps de sa jeunesse, 
avait acquis une juste réputation dans l'art, utile à son pays, 
de l'exploitation des mines. 11 s'était, en même temps, oc- 
cupé avec succès de recherches sur la teinture des étoifes et 
la préparation des couleurs. Quant à ses connaissances her- 
métiques, il est établi historiquement qu'il n'avait rien pro- 
duit de remarquable sous ce rapport avant sa résidence à 
Dresde et sa liaison avec le Cosmopolite, prisonnier de 
Christian IL, Pour ne pas répéter ici les détails de l'aventure 
que nous venons de raconter, nous rappellerons seulement 
les cruelles tortures que le malheureux Sethon se résigne à 
endurer plutôt que de livrer à l'avare Christian le secret de la 
pierre philosophale, sa captivité douloureuse, sa délivrance 
par Sendivogius, qui l'amène en Pologne et reçoit de lui, 

* Oratori, patrono, catmdieo : orateur, défct\8ftur, a\oçx\V. 



Î4i) IIISTOmE 

pijur n*coiii(n'nso. la |>rt'€icuàu ^joudri' tjui avait open» taal 
de merveilltss rȔi l]iff^irem^l pays. 

ï/nnilthiun il: S^^nJivugius n'él,iil point salîsfdVl»* du don 
i[u1l avait n-nu de son ami. Il ♦iviiil alors trenle-huil ans: il 
niniiiît b bonno cliêro, ci se plabait à mntinuer lo irain de 
vïo t^i la grande exlstpnc»^ qu'il av,'iii commoncéi; à Ortr-^dô, 
lnrsf|m>, pour s<* iTtM>iiimîin<kT par ses largesses a u\ jeunes 
nobles du pays, et séduire les gardes de la prison de SellioD, 
il (îéfiensail si lestement le prix de sîi maison de Craeovie. 
IViur siiftiro îÈ des dépenses sans calcul, il faut des riehesses 
sans limites. Sendivogius rêvait donc, en ce genre, une sorte 
d'infini ifue la pierre philosopliale aurait sans doute réalisé: 
mais il ignorait l'art de la eom poser, car Setlion mourfinl 
avait, comme nous lavons dit, refusé de le lui révéler. 

Espérant en sovoir quelque chose par la venve de Tadeplr, 
Sendivogius lV|»ousa ; nuiis il ne devait trouver là (|u'«in' 
autre deeeplioii, Après sou enlèvement, la jeune bourgeoise 
de Munich n'iUail devenue ré|)Ouse du Cosmopolite qui' 
pour assister en i|uelf|ues mois à son emprisonnement ei ïi 
sa mort; elle ne .savait rien et n*avait fait aucune remarque 
propre â éclairer son nouvel époux. Elle ne put (|ue lui 
livrer le manuscrit de Sethon accompagné d'un reste de lo 
poudre philosopha le de Tadepte. De ces deux objets, Sendi 
V n^^ius, comme on va le voir, sut tirer néanmoins un ew 
hmt parti. 

Le manuscrit composé par Sethon avait pour litre : 
Douze TraiU's, ou le Cosmopolite, avec le Dialofiiœ ik Mer- 
nire et de ratchimiste. En étudiant ce traité, Sendivogius 
eut d'abord une asse? mauvaise inspiration. En Tinterpré- 
lanià sa manière, il crut y avoir découvert, non lu manim' 
d« préparer de nouvelle pierre philosoplalo, mais le moyen 
d'augmenter, de multiplier celle qu*il avait reçue de son ami 
>laîs il ne réus:nt qu à ta diminuer eousidiTablement. Il «*Ui 
mieuK fait de remployer directement à fabriquer de For. 

Cette resso\iT?(? \\\\ va\x\\\\ ^\i\\smsvéKst^^{f^e pour subi 



idi' 
fer- \ 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 247 

nir atix exigences de la vie somptueuse qu'il continuait de 
mener. Il voulait à tout prix passer pour adepte, et afin de 
donner de lui celte opinion, il ne ménageait rien, faisant ses 
projections en public, et prodiguant sa teinture comme s'il 
avait possédé le moyen de la renouveler. On remarquait 
toutefois qu'il s'en montrait plus économe quand il n'était 
pas excité par l'intérêt de produire un grand effet public. 
En voyage, il la renfermait dans une boîte d'or, qu'il ne por- 
tait point lui-môme, mais qu'il confiait à son maître d'hutel ; 
ce dernier la tenait cachée sous ses babils, suspendue à son 
cou par une chaîne d'or. Mais la plus grande partie en était 
renfermée dans un compartiment secret du marchepied de 
sa voiture. 

Par ses nombreuses projections, Sendivogius n'avait pas 
tardé à acquérir une grande célébrité. Toutes les cours de - 
l'Alleniagne étaient impatientes de recevoir sa visite. L'em- 
pereur Rodolphe II, V Hermès allemand, avait tous les titres 
à en être honoré le premier : Sendivogius se rendit donc au 
château de Prague. Très-bien reçu par l'empereur, il reconnut 
ce bon accueil en donnant au monarque une petite quantité 
de sa poudre, avec laquelle Rodolphe exécuta lui-même une 
transmutation en or. Pour immortaliser le souvenir du suc- 
cès de cette expérience, l'empereur fit enchâsser dans le mur 
de l'appartement où elle avait été exécutée, une table dé 
marbre portant cette inscription latine de sa composition : 

Facial hoc quispiam alius, 
Quod fecii Sendivogius Polonusl 

En i740, cette inscription se voyait encore à la niême 
place dans le château de Prague. Pour qu'il ne manquât rien 
ù l'éclat de cette grande journée des fastes hermétiques, le 
poète cyclique des souffleurs, Mardochée de Délie, la célébra 
dans des ters tnoins précieux ^ue le marbre, mais tout aussi 
|K)ëtiqt]eë cjtie le latin dé son impëHal irttAVte. ^w^w\>\Si- 




pereur ilunnsi n S»^n<liv«>gi«s le tiire *Je son eotismller, el lui 
(H |>n*si*nl de sa médaille, que le philosophe porta d«^s Ich-s 
gloripiïsf'mmil el oi^iensibleriii^nien Ions lieux. 

O'i e\i\innrv\]\ ((Lii nkonipt'usait si bien un philosophe t^ii 
possession du secret liennéiique, i^tall cependant le mt-me 
qui retenait sons les verrous dv la tour Blanche le pauvre 
orfèvre de Slrasbonr^\ Gusienhover, suspeet seuleioeni Je 
lui eacher le même secret. Cette différence provenail-eIK 
en m me on Tn pré tendu, de co (|ue Sendivogius avait eu la 
pruilenee de protester qu1l ignorait le pnH^éde de la prépa- 
ration (le la pierre philosophaie, assurant qu il ne la lenaîi 
que de rhérita^^e de son aniiï H est probable plnt(ll que c»* 
([iii arri^lait ici rein[»erein\ c'éudl la (inalitt^ de 8endivo«,nus : 
le titre île Polonais, que lonl le ru on tic lui donnait, empê- 
chait ftodolplo* tien user avec c*i gentilloonme comme ava^ 
un sinipït^ broir;,a>ois de sa bonne ville de Strasbourg. ^| 

Continua ul sa tonrnt'e dans les résideiu'es prineo-rcs, Sen- 
divogius quitta la Bohème pour se rendre à la cour de Po- 
b>gne, où Ton manifestait une vive euriosilé de le voir. Mais 
une nn'savenlurc, assex faeheuse pour lui, vint signalerez 
voyage. Connue il traversait la Moravie, un seigneur de b 
eontrëe, instruit de son passag**, s'embusque sur son chemin, 
se saisit de lui ei le retient prisonnier, mettant pour juixii 
sa délivrance la révélation du seeret de hi pierre^ pbilosftphale. 
La fin sinistre d'Alexandre Sethon revint sans doute alors à 
l'esfïHt do notre philosophe, et pour peu qu'il eût voulu ctrfi 
ïaarlyr eouivne son illustre maître, 1 occasion était belle. Il 
prêf(»ra tenter une évasion. Avec une lime qu'il put se pm- 
eurer» il coupa les barreaux de sa fenêtre; il faliriquà une 
corde a ver ses vètemenli?, et se sauva tout nu à travers la cam* 
fiagne. Ijnefois libre, il fit citer le perfide comte devant Tem* 
[lereur. Ce dernier p*»rta dans cette affaire un jugement ilcs^ 
tinéà fairt! eoïu prendre à teus les grauiîs de renipire tpi'un 
homme hinoiri' du litre de son conseiller n'était pas unel:îq^- 
(ure de liouïVè ynse. <\\\VCï^ \me amende eonsidr-rable qui 






DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 249 

imposée au comte, il le condamna à donner à Sendivogius 
une de ses terres; c'était précisément celle de Gravarne, 
dont il est question dans les premières lignes de la biogra- 
phie anonyme, qui la lui attribue en se trompant sur son 
origine. Ce qui est certain, c'est que, depuis Tépoque où 
cette terre lui fut accordée comme dédommagement de sa 
fâcheuse aventure, Sendivogius en fit sa résidence préférée, 
et la donna plus tard en dot à une fille unique qu'il avait 
eue de son mariage. 

' Sendivogius fit plusieurs transmutations à Varsovie, mais 
aucune n'eut l'éclat de celle de Prague. Sa poudre commen- 
çait à s'épuiser, et il était réduit à s'en montrer économe. 
Toutefois sa réputation suivait une progression inverse, car 
elle augmentait tous les jours. Le duc Frédéric de Wurtem- 
berg désira le connaître, et écrivit au roi de Pologne Sigis- 
raond pour le prier de lui envoyer le philosophe. Celui-ci 
se mit en route, marchant- à petites journées, accompagné 
de son maître d'hôtel, Jean Bodowski, qui portait toujours 
cachée sous ses habits la provision de pierre philosophale. 
Quand la caisse de voyage se trouvait à sec, on s'arrêtait 
pour fabriquer de l'or, puis on reprenait sa marche. Us arri- 
vèrent ainsi à Stultgard, où Sendivogius, sous le nom de 
maréchal de Seriskau, passa tout Tété de 1605. Cette date 
étant bien établie, on doit placer dans l'année 1604 presque 
tous les faits qui précèdent. 

Frédéric accueillit l'alchimiste avec une bienveillance 
extraordinaire. Aussi, au lieu d'une projection qui avait 
été demandée, Sendivogius en fit-il deux. Le duc émerveillé 
redoubla pour lui d'égards et de considération : afin de le 
mettre, à sa cour, sur le pied d'un prince du sang, il lui 
accorda, comme une sorte d'apanage, la terre de Ned- 
lingeu. 

L'orgueil du philosophe avait enfin trouvé son entière 
satisfaction. Sendivogius savourait donc avec délices les 
trésors si longtemps enviés de la renommée et de la g;catv- 



lilSTOtftC 

deor; il igoorail qn'h Tombre àë ces apparentera Urîllant^ 
^('uurdijisait une tnim«^ pt?Tfide* 

Fori ciirieox, de lom Uîmjis», de science henniHique. le 
iliic Fn-dôric n'ûvaU p<is attendu S^^ndivogins pour s'adoB* 
lier il ce genre do travaux. Il tenait à sa solde un avï>nUiri«r 
t\c respôcc de c^ux que la maladie dominante du sIMp 
avait mis en crédit à la cour des princes, où ik occu paient 
uoe sorte de position oflicielle. Â côté ou :i la place descm 
fou ou de $ùn pointe en lilie, chaque monarque avait alors 
son alchitnisle entretenu. Celui qui occupait cet office à b 
rour do Sïutlfîard avait commencé par iMre barbier de Vm- 
pereur. Deveuu depuis domestique de Tadepte Baniel Ba|>- 
poll, il avait pris avec lui quelque teinture d'herméliqup, et 
plus laril, complété son iMucation en courant le pays avtîe 
des alchiitiisies ambulanis pour apprendre les tiiurs d'esca- 
•mola|j:e et les ruses des charlatans souffleurs. Il n'avait pas 
craint d'aller se présenier à Tempereur Rodolphe lï, qui l'ad- 
mit à exécuter quelques opéi^ lions, non devant sa personne, 
mais dans le laboratoire de son valet de chambre Je»ii 
Frauk. T/empereur, qui sY-tait un moment diverli de s& 
transmutations suspectes, Tavoil nommiî cmnte de MitUm- 
fek, et Tavail ensuite laissé [îarlir. C'est avec ce tiirc qnll 
s'étaii présenté a la cour de Sluttgard pour y déployer des 
talents qui, on l'absence de toute comparaison, étaient te- 
nus dans une certaine estime. Cet alchimiste était donc, ù 
la cour du duc Frédéric, sur un pied convenable. Biais les 
succès do Scndivoj^ius faisaient sensiblement pâlir l'astre 
de son crédit: Mullimfels résolut de se venger et de s'ap- 
proprier en môme temps riieureux instrument de h for* 
tune de son confrère. 

Mullenfels ne commit poini h maladresse de rlénigrerson 
rivîiL II se montrait, au contraire, aussi enthousiaste f[oe le 
reste de In cour des mérites du nouvel adopte: on le irou- 
vaii loujonrs empressé a exalter ses taleuls. S11 s'exprimait 
sur !e comble i\\\ site, de Nedlini^'en, s il lui parlait h bii- 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 251 

même, ce n'était jamais que pour le louer avec toute l'exa- 
gération d'hyperboles que sa haine pouvait lui fournir. La 
vanité du personnage à qui il s'adressait assurait d'ailleurs 
par avance que nul excès de flatterie ne semblerait suspect. 
Une fois insinué de cette manière dans Tesprit de Sendivo- 
gius, et en possession de toute sa confiance, il put mettre 
à exécution le plan qu'il avait conçu. 

Un jour, il persuade à l'adepte que le duc Frédéric mé- 
dite de s'emparer de sa personne pour lui arracher son se- 
cret. Toute la faveur qui l'environne, tous les honneurs 
qu'on lui prodigue, ne sont qu'autant de chaînes par les- 
quelles on veut le lier, et qui se changeront bientôt en 
chaînes plus pesantes. Un avare tyran menace sa liberté; 
nul moyen ne coûtera au prince pour arracher au mal- 
heureux adepte le trésor qu'il lui envie... Tout ceci res- 
semblait singulièrement aux infortunes du Cosmopolite, 
pour lesquelles Sendivogius ne ressentait aucune ferveur 
imitative. Il eut peur; il crut tout et ne songea qu'à fuir. 
Mullenfels lui indique alors le chemin le plus court pour 
gagner. la frontière. Mais à peine le philosophe s'est-il mis 
en route aux premières heures de la nuit, que son traître 
confrère s*élance à sa poursuite avec douze hommes à cheval 
et armés. On arrête, au nom du prince, le fugitif, on s'em-, 
pafe de sa poudre philosophale, de la médaille de Rodolphe, 
qu'il portait sur lui, et d'autres objets précieux, parmi les- 
quels un cordon de diamants de cent mille rixdales, qui en- 
tourait son chapeau. 

Après cet exploit, Mullenfels redevint le premier alchi- 
miste de la cour de Stuttgard ; il faisait des projections mer- 
veilleuses avec la poudre volée. Quant à Sendivogius, on 
perd sa trace durant un an et demi après cette triste aven- 
ture; il resta sans doute, pendant cet intervalle, détenu dans 
quelque prison du Wurtemberg. 

Dès qu'il fut bruit de cette affaire en Allemagne, l'opinion 
publique n'hésita pas. A tort ou à raison, on admit que le 






252 UISTOIUE 

ilinulr \Viiïi<'mbi*i'g ëUiii eompiiee de ce guel-apeiis, «jul 
;jiiniii inilnriin' un tmltHisi^ IT» tait ri»[>in"(on du roi de V 
Ingue, du ni la iVnnim' du Sendivn^niiH u\\i\ réclamer h p! 
trction; ce fut encore celle de rump*Teur Rodolphe, lorsque 
Si'ndiv(>giu&, libre enfin vint lui demander justice. 

Preoanl en main la rause do l*adei»t(% l'empereur Ho- 
dnl|die envoya un exprès au duc Frédéric pour le sommer de 
lui livrer Miillenfels, Devnnt renvoyé de Tempereur, le due 
tvssfîUHt ou simida nro' gnin de colère de rimputalioti doiil 
il éliiil Tobjet. il lit reiiûî^ de la nïédaillc de Uodûlplie aver 
sa cbaîne d'or, et ducordtm de diamants i^nlèvés au fugitif: 
nanl a la [nmdre, il as.^ura lien avoir jîtiïiais eu euonai.v 
sance. Enlin Mullenfels, eondanin*' ô mort par son ordre, 
lut (leutlu suivant le cérémonial suivi im Ailenni|^ue pour k 
supjfliee des alcliimisles. On les eou\rait, des pieds a la léU*, 
d'un veieriu ntd'or nudeclim[iianl, et on les [îendaitàungibel 
d<tré. Seulement, le duc Frédéric renchéri tenetu'e sur la mise 
en scêue ordinaire; car, celle fois, le patii'Ul fut hissé au pl«s 
liant des trois gibets dressés à cel idfet. Par cette exé*cuiion, 
dirent les bioj^rapbes de notre pliifusophe, il apaisa l'emp».*- 
reur sans prouver sa propre innocence *. Os derniers événe- 
ments eurent lieu en 1607. 

Cette affaire parut donc terminée conformément à la jus* 
tice, et à la satisfaction de tous. Sendivogius seul fut méoi)n- 
lenl, car son inestimable trés<ïr, sa poudri' pbilosopbalc. nr 
lui fut jamais rendue. Sa gloire et son tident s étaient envolr> 
avec elle. Son histoire active ne re|>rend, en effet. ipiVo- 
viron dix-buit ansajjrès. Mais i|n>dle bishiire luatuleDuittel 
(judle déchéance! 

C'est à Varsovie qn*on le retrouvi^ en 1625, conlinuanistf 
opérations ordinaires. Il n*y fait \Ai\6 ^|u*une bien Irisie fi- 
gure. J/bérila^^^e de Selbim sï'lail réduit i\ si jieu de rlai^r 



* fie lit'. Si'nt{iiotjw\ . Hrcn c/p ta tli'hiicm vaUde de Joriti /i^x/vn w«i 




DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 255 

que force était bien de ménager ces minces reliefs. C'est ce 
que faisait Sendivogius, s'y prenant d'ailleurs de différentes 
manières plus ou moins honnêtes. Devenu une sorte de char- 
latan, il vendait sa prétendue pierre philosophaie comme une 
remède universel. Desnoyers, Fauteur de la lettre ou plutôt 
du mémoire qui nous a fourni les renseignements les plus 
précis sur son histoire, nous apprend le fait en ces termes : 

• Enfin, dit Desnoyers, voyant qu'il n'avait plus guère de cette 
poudre, il s'avisa de prendre de Tesprit-de-vin, qu'il rectifia, et mit 
le reste de sa poudre dedans; et il fit le médecin, faisant honte h 
tous les autres par les cures merveilleuses qu'il foisait. C'est dans 
celte même liqueur qu'ayant fait rougir la médaille que j'ai, qui est 
une râdale de Rodolphe, il la transmua ; et cela , il le fit devant 
Sigismond III, lequel encore il guérit d'un ti'cs-fàcheux accident avec 
le même élixir. Ainsi Sendivogius usa toute sa poudre et sa liqueur, 
et pour cela il disait au grand maréchal du royaume, M. Wolski, 
que, s'il avait eu les moyens de travailler, il aurait fait de semblable 
poudre. 

• M. Wolski, qui était un grand souffleur, le crut, et lui donna 
six mille francs pour travailler. Il les dépensa et ne fit rien. Le grand 
maréchal, qui se vil attrapé de six mille francs, dit à Sendivogius 
qu'il était un affronleur, et qu'il pourrait, s'il voulait, le faire pen- 
dre; mais qu'il lui pardonnait, à la charge qu'il chercherait les 
moyens de lui rendre son argent. Mais conune cet homme avait beau- 
coup de renom, étant savant, il fut appelé de M. Mniszok, palatin de 
Sandomir, qui lui donna aussi six mille francs pour travailler ; de ces 
six mille francs, il en donna trois mille au maréchal, et travailla des 
trois autres, mais toujoure inutilement. 

• Enfin, n'ayant plus nen, il se fit cliarlalan. Il faisait souder bien 
proprement une pièce d'or avec une d\irgcnt, qu'il faisait ensuite 
marquer à la monnaie, et puis il la blanchissait loule de mercure ; 
et feignant d'avoir encore son élixir, il faisait rougir celle pièce au 
feu, où le mercure s'en allait, et, trempant loule rouge la partie qui 
était d'or, il faisait croire qu'il l'avait transmuée ; par là, il se con- 
servait toujours quelque sorte de crédit auprès des ignorants, aux- 
quels il vendait la pièce plus qu'elle ne lui coûtait ; mais les clair- 
voyants s'apercevaient aisément qu'il n'avait pas le secret qu'il voulait 
£iire croire; • 



!2:)4 HISTOIRE 

lin écrivain iillemand nous fait connaître une des opm- 
tions pralitiuécs par Sendivogius à son déclin. C'est la pré- 
tendue transmutation d'une pièce de monnaie d'argent. 
Sendivogius y figura, avec un pinceau, certaines lignes, ao 
moyen d'une poudre très-fine, qui n'était sans doute qu'un 
composé d'or; il mit ensuite des charbons par-dessus. Les 
lignes iracéc^ par la poudre furent changées en or, c'esl-à- 
diro dorées, u Tout le monde, ajoute l'auteur, n'était pas 
« dupe de cet artifice, mais on laissa faire le charlatan jusqu'à 
« cequ'il mourût*. ^) Enlin le biographe anonyme qui défend 
avec tant de chaleur Sendivogius et veut le faire passer pour 
le vrai Cosmopolite, rapporte des faits du même genre, en- 
con» aggravés par un détail beaucoup plus hardi, et dont les 
autn\s écrivains ne parlent pas : c'est que son héros faisait 
et vendait do Targeiit faux. Hais notre auteur trouve dans 
ce fait la démonstration la plus frappante que Sendivogius a 
réelloniont possédé le secret de la pierre philosophale. S'il 
commettait un crime, nous dit-il, ce n'était que pour dissi- 
muler sa science et prévenir les dangers auxquels elle l'eût 
exposé au milieu du vulgaire. Citons ce curieux passage: 

« Il ft'igiùi ilouo d\Hro fort pauvre selon les occurrences ; et souvent 
il M' iiiottail au lit connue i^outteux ou attaqué d^uiie maladie qu'il ue 
>a\ait jiuérir: et quelque fois U faisait de faux argent, quHlven* 
d'tit au.r juifs de Pologtiei et enfui, par divei^es i-uses, il ôta l'opi- 
niou qu'on avait qu'il eût la pierre des pliilosophes, de soiie qu'il 
pas>ail plutôt iH)ur un livinpeur que pour un pliilosophe chimique, i 

Il 05it à craindre, pour la mémoire de Sendivogius, que 
cette dernière opinion ne soit la vraie. 

Terminons ce récit par quelques lignes sur les ouvrage? 
publiés sous le nom du Cosmopolite. 

Nous avons dcjà dit que le livre des Douze Traités, ou le 
Traite de la Nature, a été composé par Alexandre Setbon et 

* Morl\o\\ Ep\3lola ad Ltu'jtloUum. 



MS TRANSMUTATIONS MÉTALUQUES. 25Ô 

livré par sa veuve à Sendivogius *. Dès Tannée 1604, c est- 
à-dire quelques mois seulement après la mort de TÉcossais, 
Sendivogius fit imprimer ce manuscrit à Cracovie, avec cette 
épigraphe : Divi leschi gemis amo, A quelque temps de là, il 
publia un Traité du soufre, dont on le croit le véritable au- 
teur, avec cette autre épigraphe latine : Angélus doce mihi 
jus. Or, ces deux épigraphes étant l'anagramme de Michael 
Sendivogius, on devait naturellement en inférer que les deux 
traités émanaient du môme auteur. C'est, en effet, l'opinion 
qui s'établit et qui subsista longtemps ; elle consommait et 
consacrait, pour ainsi dire, la confusion que d'autres cir- 
constances avaient déjà fait naître entre ces deux hommes, 
et au milieu de laquelle le nom du véritable adepte avait fini 
par disparaître historiquement sous celui du charlatan. Sen- 
divogius ne s'était pas borné à cette ruse de l'anagramme 
pour absorber à son profit la renommée de son prédécesseur. 
Ayant remarqué des contradictions entre les deux traités, 
notamment sur ce point important, que dans le premier 
l'auteur assure avoir fait la pierre des philosophes, tandis que 
dans le second il déclare seulement l'avoir reçue de Tamitié 
d'un adepte, Sendivogius altéra le texte du Traité de la Na- 
ture, et le fit réimprimer à Prague et à Francfort avec les 
changements de sa façon. Mais l'édition de Cracovie restait, 
et ces réimpressions devinrent de nouveaux témoignages de 
sa perfidie. 

Indépendamment du Traité du soufre, on a attribué à 
Sendivogius plusieurs ouvrages hermétiques, entre autres le 
Traité du sel, troisième principe des choses minérales, et la 
Lampe du sel des philosophes. Mais le premier de ces ou- 
vrages, imprimé en 1651, est de Nuysement ; le second, im- 

* Le Traité de la Nature, qui ne se distingue par aucune qualité par- 
ticulière du reste des ouvrages hermcliques, renferme cependant, sous le 
titre de Dialogue de Mercure, de la Nature et de VAlchimxste, un uiurccau 
fort curieui à lirci La saite de ce dialogue instructif se trouve dans le 
naité du eoufrei 



256 HISTOIRE 

primé en 1658, est d'IIarprechl. Il paraît, du reste, que Sen- 
divogius avait composé un Traité du sel des philosoj^ies, qui 
resta, après sa mort, entre les mains de sa fille, et n'a jamais 
été imprimé. 

Avec ces explications, on peut se rendre compte des ma- 
tières renfermées dans louvrage français, où Ton a réuni 
les Iraités allribués au Cosmopolite ^ Quant aux cinquante- 
cinq lettres publiées en français en 1672, sous le titre de 
Lettres rfu Cosmopolite, et datées de Bruxelles, février et 
mars 1640, elles ne peuvent ôlre ni d'Alexandre Sethon, 
mort en 1604, ni de Sendivogius, (jui, en cette même année 
1646, mourait à Cracovic à Tàge de quatre-vingts ans. 



CHAPITRE V 



LA SOCIETK DES fiOSE CHOIX 



La confrérie alchimique, médicale, théosophique, cabalis- 
li(ine, et nu*mc lliaumalurgique, (|ui s*est cachée sous le 
nom de Socictc des llose-Croix, a fait tant de bruit en 
France et surtout en Allemagne au commencement du dix- 
septième siècle; on a publié à son sujet, depuis 1615 jus- 
qu'en 1650, un si grand nombre d'écrits apologétiques ou 
critiques, (ju'il ne nous est pas permis d'oublier celte secte 
dans l'histoire des principales notabilités de l'alchimie. Mais 

' Los Œuvres dtê Cosmopolite, ou nouvelle lumière cAimtçue, pour sertir 
iC éclaircissement aux trois principes de la nature, eœaelement décrits éa»t 
les trois (ruites suicanCs : l' le Traité du soufre; 2* le Trmié.du mercurt; 
y le TraiUdu crai setde» vV\\o%oigK«.V«\&,\<3ai;iii-18. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 257 

nous devons tout d'abord prévenir les lecteurs qui aiment 
les faits positifs et les renseignements précis, de Timpossi- 
bilité où nous sommes de les satisfaire en entier. A moins, 
en effet, de vouloir affirmer ou nier sans preuve ni raison 
suffisante, nous serons souvent forcé de laisser flotter notre 
récit dans un certain vague, qui est celui du sujet même 
et qui résulte d'ailleurs de la volonté formelle du fondateur 
des Rose- Croix. Un article de leurs statuts porte en termes 
exprès : 

(( Cette société doit être ternie secrète pendant cent vingt 
n ans, » 

Cette clause fut si bien observée, qu'au temps môme où 
ils brillaient de leur plus vif éclat sur l'horizon des théo- 
sophes, les Rose-Croix se qualifiaient di' invisibles, et ils 
Tétaient à ce point, que Descartes, dont ils avaient excité la 
curiosité par Xqmt Manifeste, fit en Allemagne les recherches 
les plus diligentes sans pouvoir trouver une seule personne 
appartenant à leur société. En un mot, le mystère dont ils 
s'enveloppaient, — joint au nuage dont Dieu, disaient-ils, 
avait soin de les couvrir pour les mettre à l'abri de leurs 
ennemis, — avait si bien réussi à les rendre insaisissables, 
que plus d'un historien s'est cru fondé à révoquer leur 
existence en doute. Nous ne pousserons point le scepticisme 
si loin. L'impossibilité de connaître individuellement par 
leurs noms, et de suivre séparément dans leurs actes, les 
membres de cette société introuvable, ne nous semble pas 
un argument décisif contre les témoignages et les indices 
qui certifient son existence. Seulement, en raison des om- 
bres qui l'environnent, nous demanderions volontiers la 
permission d'ajouter l'épithète de fantastique à toutes celles 
que nous lui avons précédemment données. 

Comment s'était formée la confrérie des Rose-Croix? Voici, 
s'il faut en croire une légende extrêmement répandue, 
quelle en fut l'origine. 

Vers la fin du quatorzième siècle, un Allemand uomav(î 



258 HISTOIRE 

Chrétien Rosenkreuc fit un voyage en Orient pour s'in- 
struire dans la science des sages. Né en 4378, de parents 
fort pnuvros quoique nobles, il avait été placé, dès l'ftge de 
cinq ans, dans un monastère, où il avait appris les langues 
grecque et latino. Parvenu à sa seizième année, il était 
tombe entre les mains de quelques magiciens, dans la so- 
c\M desquels il travailla cinq ans. Ce n'est qu'après ces pre- 
mières études et ce commencement d'initiation que le jeune 
gentilhomme» avait pris son essor vers les contrées de 
rOrient. 

Rosenkreuz avait vingt ans à peine quand il arriva en 
Turquie. Il y séjourna quelque temps, et y conçut une partie 
de sa doctrine. De là il passa dans la Palestine, et tomba 
malade à Damas. Ayant entendu parler des sages d'Arabie, 
il alla les consulter à Damcar^. Les philosophes qui habi- 
taient cette ville vivaient d'une façon tout extraordinaire. 
Bien (]u'ils n'eussent jamais vu Rosenkreuz, ils le saluèrent 
par son nom, le reçurent avec de grands témoignages d'ami- 
tié, et lui racontèrent plusieurs choses qui s'étaient passées 
dans son monastère d'Allemagne pendant le séjour de douze 
ans qu'il y avait fait. Ils l'assurèrent, en outre, que depuis 
longtemps il était attendu par eux, comme l'auteur désigné 
d'une réformation générale du monde. Pour le mettre en 
<'»tal do remplir la grande mission à laquelle il était prédes- 
tim'', ils lui communiquèrent une partie de leurs secret^. 
Rosenk-rouz ne quitta ces courtois philosophes que pour al- 
ler on Barbarie converser avec les cabalistes qui se trou- 
vaient on grand nombre dans la ville de Fez. Ayant tiré de 
ces derniers ce qu'il en voulait, il passa en Espagne; mais 
il no tarda pas à on être expulsé pour avoir tenté d'établir, 
dans ce pays do catholicité ombrageuse, les premiers fonde- 

* D'aulres écrivains disent Damas; nous avons conservé le nom de 
Damcar, cité dans le plus ancien écrit sur Rosenkreuz, bien que les géo- 
^'raphcs n'aient indiijut' l'existence d'aucune ville de ce nom dans l'Ara- 
l)ie ni dan8\cs coTxVtécsNoisuAcs. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 259 

ments de son œuvre de rénovation. Enfin il retourna dans 
son pays natal, que l'on ne détermine par aucune indication 
particulière sur la vaste carte de rÀllemagne. 11 en était 
sorti humaniste, il y rentrait illuminé. 

Dès son retour, Rosenkreuz dévoila à un très-petit nombre 
d'amis, d'autres disent à ses trois fils seulement, le secret 
de sa philosophie nouvelle. Ensuite il s'enferma dans une 
grotte, où il vécut solitaire jusqu'à l'âge de cent six ans, 
toujours sain d'esprit et de corps, exempt de maladie et 
d'infirmités. Ce fut en Vannée i484 que Dieu retira son es- 
prit à lui, laissant son corps dans la grotte, qui devint ainsi 
son tombeau. Ce tombeau devait rester ignoré de tous jus* 
qu'à ce que les temps fussent venus. 

Ces temps arrivèrent en 1604, l'année même de la mort 
de l'alchimiste Sethon, coïncidence étrange! En cette année, 
en effet, le hasard fit découvrir la grotte. Un soleil qui 
brillait au fond, recevant sa lumière du soleil du monde, 
n'était destiné qu'à éclairer le tombeau de Rosenkreuz. Sa 
clarté permit néanmoins de reconnaître plusieurs objets 
curieux renfermés dans ce réduit. C'était d'abord une pla- 
(jue de cuivre posée sur un autel, et qui portait gravée cette 
inscription : 

il. C. R. C. Vivant, je me suis réservé pour sépulcre 
cet abrégé de lumière * . 

Ensuite, quatre figures accompagnées chacune d'une épi- 
graphe. La première de ces épigraphes était ainsi conçue : 
Jamais vide; — la seconde. Le joug de U loi; — la troi- 
sième, La liberté de V Evangile; — la quatrième, La gloire 
de Dieu entière. On y voyait aussi des lampes ardentes, des 
clochettes et des miroirs de plusieurs formes, des livres de 

' Â. G. est le symbole sous lequel les initiés ont toujours désigné Ro- 
senkreuz; R. G., l'indication commune aux membres de la société des 



■i»r!; .-it. i-rii .. —M . !.. uicrvnum ti a rxmm .<f.*^i^f 

' ■ ■ •■■ Jiuii .jn?:^riî:îBî:. .. ,ib >i uoHt- if 

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'A- iiu-^ •.•.•: ^ ^vnv- it:oii«- aaf: u. ftu. .vrr mi- 
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• •' , ..I...' ■ r: III II .iji- coiïVi":. : • !*'.:i;iîi un L:r.!.'2 

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■ ■■■■■«•' 'Tiiii.- .■••i>»:iiau-; n. .s-7;ii . Aiîiunari:. '^.(■z\cv 

• 't f .-i..ii"«;iii; i'.î..l"J'_;L 'i i(!L" -;» .!» itE p>VVi: 

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*■ •■-- - ■ ■-• -'.'* r\: 'v-:.. p-l_ itjjif.-. -.. . .Mj«î.'.;, .u nit- 

— ■■ '• '■ ^•-.'.i:i. .'■ 'J- jj.i^>iL":a ' ." .'..:r-irLis^t# lUi nti- 

• * ' c.*-n .• -: i'iLir -=:.■: il ijVj* irrvi-- , i tiru'ju- 

■ '■ ,.. ■ ,/.;.-■.-./, i,;i.. ... ii,rn:- .111 L-::!" .i.«nib m m .ïT;»» in 

' -' ' • '•"■iMii' ■.-•ni II !• un -î ii: I-lLii:».- IIM: -tn.iiu. Itîï"- 

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/i . . ..A <:.v'.* i'>»>H-j".vi.'.i,i. 'jyc N':.i'ir.:*4 IJlUlIwjqufS Cliî^ il i -* ■-'■'. 



r'/ ■■'' 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 261 

composition de cet opuscule à Valentin Andreœ, savant théo- 
logien de Cawle, dans le pays de Wurtemberg. C'est à la pu- 
blication de ce livre qu'il faut attribuer la naissance de la 
société des Rose-Croix. 

En créant cette association philosophique, Valentin Andreœ 
avait pour but de réaliser une prophétie contenue dans les 
ouvrages de Paracelse. Partisan fanatique des doctrines de 
cet homme célèbre, Andreœ s'était mis en tête de justifier 
Tune des paroles du maître. Paracelse, en effet, avait écrit 
dans le chapitre vni de son Livre des métaxix : 

« Dieu permettra qu^on fasse une découverte d'une plus grande im- 
portance, et qui doit rester cachée jusqu'à ravénement d'Élie ar- 
liste. Quod utiliiis Deus patefieri sineU cjuod autem majoris mo- 
menti est, vulgo adhuc latet usque ad Elise Artistae adventum, 
quando is venerit, » 

Au premier traité du même livre on lisait encore : 

• Et c'est la vérité, il n'y a rien de caché qui ne doive être décou- 
vert ; c'est pourquoi il viendra après moi im être merveilleux, qui ne 
yitpas encore, et qui révélera beaucoup de choses. Hoc item verum 
est nihil est absconditum quod non sit retegendum ; ideo, post 
me veniet cujus magnale nundiim vivity qui multa revelabit, • 

* Ces grandes découvertes, dont la révélation était promise, 
pouvaient s'appliquer, vu les préoccupations hermétiques de 
Tépoque, au secret de la transmutation des métaux. C'est 
ainsi du moins que l'entendait le créateur de la société des 
Rose-Croix, Valentin And reae, qui dit dans son Manifeste: 

• Nous promettons plus d'or que le roi d'Espagne n'en tire des 
deux Indes ; car l'Europe est enceinte, et elle accouchera d'un enfant 

Rose-Croix, et justiâer leurs prétentions touchant ranciennetc de leur 
origine. D'ailleurs, une objeclion presque sans réplique contre leur anti- 
quité résulte de la date de l'apparition de leur Manifeste. La FamaGr^, 
lemitatùf ce livre qui leur sert pour ainsi dire d'évangile, s'étant pr(^ 
doite dans le monde en même temps que la confrérie même, on est en 
droit de penser qu'ils appartiennent tous deux à\a même ^^i^^. 



^>2! ffiTGHE 

fuuiMU. i'iu: ('v*'i vUi\.'>cmv^ vuvrm ^.r EiJi9odx ex Mtrâque 

yuru^î. h 

^tJfjjiiu Ah6j>-&- pn: mt lui de décider que cet Eliear- 
HkU tynx *:nhul lobuste dont [laHt- ParaceUe, devait s'en- 
VfU^T". iiou d'uD jDdivjdu. niiU d un ^tre collectif ou d'une 
ï'-vyrûitioji. C Vi un [«^iint que l'on pouvait d'ailleurs lui ac- 
t'orifif h»nh trop de peine. Apre? les travaux successifs d'un 
^i ;^and nombre de savants, tels que Léonard Thume^'sser, 
Adarii de iV^den^^tein, Michel Toxitis, Valentin Antrapasus 
Siloranus, Pierre Séverin, G<inthier d'Andemach, Donzellini, 
André Plllinger, etc., qui tous s'étaient attachés à continuer 
et à développeur isr>lément le système de Paracelse, sans avoir 
pu Hialiser le grand œuvre, le fondateur des Rose-Croix pou- 
vait bien se croire autorisé à trancher la question en faveur 
d'un Élie collectif représenté par sa confrérie. 

Uia Kosc-Croix ne furent donc, selon nous, qu'une réunion 
de Pflrac<}lsistcs enthousiastes constitués en société. Le fon- 
dïileiir do cette association, le rédacteur du Manifeste, Va- 
Iniiiiri Aiulrcîc, prenait le titre de chevalier delà Rose-Croix; 
il portail iiiAine sur son cachet une croix avec quatre roses*. 
Par ses seiUiments el par son caractère, il était loin cepen- 
dant (le répondre à Tith^o que Ton se fait communément des 
novateurs (|ui n'^alisent dans le monde de vastes plans philo- 
sopliiqnes. Il n'avait aucun fanatisme de doctrine. C*était 
avant tout un homme (l'esprit et de philanthropie. Animé 
d'un \if di'sir de perfectionner la croyance religieuse et les 
insi il niions sociales de son lem[x^. il ne cherchait que dans 
la ptM*suasion el In dom^eur ses moyens de propagande ; tout 
eu épousant les idtvs d'un grand homme pour les épurer et 
lesoiendro. il voulait iMn* le pnMuier à se moquer des en- 
thousiastes qui exaoM-îiiont ses principes j^r un xèle inin- 
tolliiîont. IVs Tann^v 1605, il axait rtnligi^ les Noces chimi- 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALUQUES. 265 

qties de Chrétien Rosenkreuz, 11 n'avait composé cet écrit 
que pour s'amuser à critiquer et à ridiculiser les alchimistes 
et les théosophes de cette époque. On a même bien des fois 
avancé qu'il n'avait également composé que dans un esprit 
de satire et de persiflage la Fama fraternitatis, qui devint 
l'origine de la société des Rose-Croix. Mais cette dernière 
opinion ne peut être soutenue en présence des actes accom- 
plis postérieurement par l'auteur de cet écrit. 

En 1620, Yalentin Andreae travailla à constituer une 
grande société religieuse, sous le litre de Frateimité chré- 
tienne. Elle avait pour objet de séparer la théologie chré- 
tienne de toutes les controverses que la scolastique y avait 
introduites, et d'arriver ainsi à un système religieux plus 
simple et mieux épuré. Yalentin Andreae avait cru s'entourer 
de toutes les précautions nécessaires pour distinguer cette 
nouvelle société de la confrérie des Rose-Croix*. Cette con- 
frérie, qu'il avait lancée dans le monde, avait fini par lui dé- 
plaire, et dans l'écrit qu'il rédigea en l'honneur de sa nouvelle 
société religieuse, il tourne même en ridicule la crédulité et 
les mensonges des Rose-Croix, qui, dès cette époque, com- 
mençaient à jouer en Allemagne leur grande comédie. Mais, 
vaines précautions! Le succès et la vogue étaient alors pour 
les enthousiastes, et tout leur profitait. Celte confusion 
qu'Andreae avait redoutée, arriva d'elle-même; h Fraternité 
chrétienne fut absorbée dans la société des Rose-Croix, et 
Andreae se trouva, bien malgré lui, avoir contribué à aug- 
menter le nombre de leurs sectateurs. C'est d'après ce der- 
nier fait que beaucoup d'écrivains ont avancé à tort que la 
société des Rose-Croix ne dut son origine qu'aux plaisan- 
teries rassemblées par Yalentin Andreae dans son écrit des 
Noces chimiques de Chrétien Rosenkreuz*. 

Après cet exposé de l'origine qui nous paraît la plus pro- 



* Andreœ TurrU Babel. 

• n serait important de savoir si l'on peut reçardct coTîvTCife\À%\ft.T>ssfife 



264 HISTOIRE 

bablc do la confrcrio des Rose-Croix, nous ne devons pas 
ometlro de signaler la conjecture de ceux qui pensent que 
cctlo société fut tout simplement une tentative de plusieurs 
gens instruits, désireux de se mettre en rapport, afin de tra- 
vailler, sur un commun programme, à Tavancement des 
sciences et de la philosoph ie, en se communiquant leurs idées. 
Dans cette hypothèse, les Rose-Croix auraient formé comme 
une sorte de franc-maçonnerie libérale. La crainte bien na- 
turelle d*exciter les ombrages des pouvoirs spirituel et tem- 
porel expliquerait, dans ce cas, la nécessité où se trouvait la 
confrérie de s'environner de mystère, de se déclarer invi- 
sible et de n*avoir aucun lieu de réunion connu du public. 
On pouvait, en outre, espérer que les conditions bizarres de 
la nouvelle société appelleraient Tattention et l'intérêt sur 
ses sectateurs, et inspireraient à plus d'un enthousiaste Tam- 
bition de leur appartenir. On sait d'ailleurs* que plusieurs 
personnes ont pris le titre de Rose-Croix sans l'être, tandis 
iiue beaucoup de Rose-Croix se dispensaient de porter ce 
nom*. Enfin, il est constant que les Rose-Croix ne se faisaient 
pas faute d'inscrire d'office sur leur catalogue les person- 
nages (|ui leur semblaient dignes de cet honneur. Beaucoup 
do philosophes ou d'hommes célèbres s'y trouvaient portés 
à leur insu, d'où il résulta que si plus d'un savant illustre 
prêta à la confrérie le soutien de son nom et de sa gloire, 
celle-ci, en revanche, paya, dans Topinion publique, pour 
beaucoup de coquins avec lesquels elle n'avait jamais frater- 
nise. En bonne justice historique, ce n'est donc pas sur son 
personnel qu'il faut la juger, mais sur ses principes, et nous 
allons les faire connaître. 



ce nom de Rosenkreuz. ]l fournirait l'ctymoloftie naturelle du nom que 
SCS sectateurs ont adopté, tandis qu'au contraire on a toujours chercbc à 
l'expliquer mystiquement par un certain rapport entre le mot Roae-Croix 
et le caractère religieux de l'œuvre qu'ils voulaient accomplir. Mais il n'y 
a pas plus de certitude sur ce point que sur tous les autres. 
' Semler, Recueil pour ser-oir à\Hw\o\Tt dw Hose-Croiœ. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 265 

La doctrine et les règles de conduite des frères de la Rose- 
Croix sont contenues dans le Manifeste dont nous avons parlé 
et dans un autre petit livre intitulé la Confession de foi, qui 
est annexé au précédent. 

Bien qu'il n'ait jamais été possible de connaître exacte- 
ment ce que renfermait le grand secret des Rose-Croix, on 
pense qu'il portait sur ces quatre points : la Transmutation 
des métaux ; — VArt de prolonger la vie pendant plusieurs 
siècles; — la Connaissance de ce Jjui se passe dans les lieux 
éloignés; — V Application de la cabale et de la science des 
nombres à la décxmverte des choses les plus cachées. 

Le nombre des frères de la Rose-Croix n'était que de quatre 
au début de la confrérie, Rosenkreuz n'ayant dévoilé son 
secret qu'à trois compagnons, ou, selon d'autres, à ses trois 
fils. Leur nombre s'accrut bientôt jusqu'à huit. Ils étaient 
tous vierges. Ces adeptes fondateurs se réunissaient dans 
une chapelle appelée du Saint-Esprit, et c'est là qu'ils 
distribuaient les enseignements et les avis aux nouveaux 
initiés. 

Une fois entrés dans le sein de la confrérie, les frères se 
juraient une fidélité inviolable, et s'engageaient par serment 
à tenir leur secret impénétrable aux profanes. Us ne se dis- 
tinguaient les uns des autres que par des numéros d'ordre ; 
individuellement ou collectivement, ils devaient se contenter 
de prendre le nom de la confrérie, à l'exemple de leur pre- 
mier fondateur, qui ne s'était jamais fait connaître que sous 
le titre de frère illuminé de la R,-C. Cette manière de s'ab- 
sorber dans la personne de leur maître montre assez dans 
quelle union étroite ils. entendaient vivre avec son. esprit, 
et combien ils étaient résolus à suivre fidèlement la règle 
qu'il leur avait tracée, et dont voici les articles princi- 
paux : 

« Exercer la médecine charitablement et sans recevoir de personne 
aucune récompense; 

• Se vêtir suivant les usages des pa^s où Von ^e\xoivw«i\ 



266 HISTOIRE 

c Se rendre, une fois tous les ans, au lieu de leur assemblée gé- 
nérale, ou fournir par écrit une excuse légitime de son absence ; 

c Clioisir diacun, quand il en sentira le besoin, c^est-à-dire quand il 
scni au moment de mourir, un successeur capable de tenir sa place et 
de le représenter ; 

« Avoir le caractère de la R.-G. pour signe de reconnaissance oitre 
eux et pour symbole de leur congrégation ; 

c Prendre les précautions nécessaires pour que le lieu de leur sé- 
pulture soit inconnu, quand il arrivera à quelqu'un d'eux de mourir 
en pays étranger ; 

• Tenir leur société secrète et cachée pendant cent vingt ans, et 
croire fermement que, si elle venait à faillir, elle pourrait être réin- 
tégi'ée au sépulcre et monument de leur premier fondateur *. » 

Avec la stricte observation de c^ préceptes, dont Tappli- 
cation ne présente, comme on le voit, que peu de difficultés» 
les Rose-Croix se vantent d'obtenir des grâces et des facultés 
telles que Dieu n'en a jamais communiqué de, semblables 
à aucune de ses créatures. Les Rose-Croix affirment, par 
exemple : 

€ Qu'ils sont destinés à accomplir le rétablissement de toutes cho- 
ses in un état meilleur, avant que la fin du monde arrive ; 

c Qu'ils ont au suprême degré la piété et la sagesse, et que, pour 
tout ce qui peut se désirer des grâces de la nature, ils en sont pai- 
sibles possesseurs, et peuvent les dispenser selon qu'ils le jugent à 
pro])Os ; 

a Qu'en quelque lieu qu'ils se trouvent, ils cx)nnaissent mieux les 
cliosos qui se passent dans le reste du monde que si elles leur étaient 
présentes ; 

« Qu'ils ne sont sujets ni à la (ium, ni à la soif, ni à la vieillesse, 
ni aux maladies, ni à aucune incomniodifé de la nature ; 

a Qu'ils connaissent par révélation ceux qui sont dignes d'être ad- 
mis dans leur société; 

c Qu'ils peuvent en tout temps vivre comme s'ils avaient existé dès 

* G. Naudé, Instructions à la France sur la vérité de V histoire detfrèm 
(le la Roie-Croiae. 



DES TRAlfSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 267 

c commencement du monde, ou s'ils devaient rester jusqu'à la fin 
les siècles; 

« Qu'ils ont un livre dans lequel ils peuvent apprendre tout ce qui 
est dans les autres livres faits ou à faire ; 

« Qu'ils peuvent forcer les esprits et les démons les plus puissants 
de se mettre à leur service, et attirer k eux, par la vertu de leur 
chant, les perles et les pierres précieuses ; 

« Que Dieu les a couverts d'un nuage pour les dérober à leurs en- 
nemis, et que personne ne peut les voir, à moins qu'il n'ait les yeux 
plus perçants que ceux de l'aigle ; 

c Que les huit premiers frères de la Rose-Croix avaient le don de 
guérir toutes les maladies, à ce point qu'ils étaient encombrés par la 
multitude des affligés qui leur arrivaient, et que l'un d'eux, fort versé 
dans la cabale, comme le témoigne son livre H, avait guéri delà lèpre 
le comte de Norfolk, en Angleterre; 

• Que Dieu a délibéré de multiph'er le nombre de leur compagnie; 
« Qu'ils ont trouvé un nouvel idiome pour exprimer la nature de 

toutes les choses ; 

f Que par leur moyen le triple diadème du pape sera réduit en 
poudre ; 

« Qu'ils confessent librement, et publient, sans aucune crainte d'en 
être repris, que le pape est l'Antéchrist; 

c Qu'ils condamnent les blasphèmes de l'Orient et de l'Occident, 
c'est-à-dire de Mahomet et du pape, et ne reconnaissent que deux 
sacrements, avec les cérémonies de la première Eglise, renouvelée 
par leur congrégation ; 

« Qu'ils reconnaissent la quatrième monarchie, et l'empereur des 
Romains pour leur chef et celui de tous les chrétiens ; 

• Qu'ils lui fourniront plus d'or et d'argent que le roi d'Espagne 
n'en a tiré des Indes, tant orientales qu'occidentales, d'autant plus 
que leurs trésors sont inépuisables ; 

« Que leur collège, qu'ils nomment Collège du Saint-Espnty ne 
peut soiiffrir aucune atteinte, quand même cent mille personnes l'au- 
raient vu et remarqué ; 

« Qu'ils ont dans leurs bibliothèques plusieurs livres mystérieux, 
dont un, celui qui leur est le plus utile après la Rible, est le même 
que le révérend Père illuminé R.-C. tenait en sa main droite après 
8a mort; 



268 HISTOIRE 

« Enfin, qu'ils sont certains et assurés que la véiitë de leurs maxi- 
mes doit durer jusqu'à la dernière période du monde ^. » 

Voilà des grâces et des facultés bien miraculeuses assuré- 
ment. Par malheur, les faits furent loin d*y répondre. L'his- 
toire subséquente de la société des Rose-Croix fait assez voir 
que toutes les propositions que nous venons d'énumérer 
constituaient le programme des questions que la confrérie se 
proposait de résoudre, et non le catalogue des choses qui se 
trouvaient en son pouvoir. 

On est fort en peine, en effet, quand on recherche les 
merveilles que les Rose-Croix ont réalisées. Dans la méde- 
cine, art qu'ils devaient pratiquer partout où ils se trou- 
vaient, aux termes du premier commandement de leur 
maître, la liste de leurs triomphes est bientôt épuisée. On a 
déjà vu qh'ils se vantaient d'avoir guéri de la lèpre un 
comte anglais. Ils prétendaient aussi avoir rendu la vie à 
un roi d'Espagne mort depuis six heures. A part ces deux 
cures, dont la seconde est sans doute un miracle, mais qui 
a le défaut de n'avoir eu pour témoins et pour garants 
qu'eux-mêmes, toute leur histoire médicale consiste dans 
des allégations vagues et dans quelques faits insignifiants, 
comme celui que Gabriel Naudé nous rapporte en ces 
termes : 

« Un certain pèlerin parut comme un éclair. Tan 1615, en une 
ville d'Allemagne, et assista, en qualité de médecin, au pronostic de 
mort d'une femme qu'il avait aidée et secourue de quelques remèdes; 
il faisait mine d'avoir la connaissance des langues et beaucoup de 
curiosité touchant la connaissance des simples ; il fit quelque relation 
de ce qui s'était passé en ville durant le séjour qu'il avait fait à ce 
logis ; bref, excepté la doctrine dans laquelle il cminait davantage, 
il était en tout semblable à ce Juif errant que nous décrit Gayet en 
son Histoire septénaire, sobre, taciturne, vêtu à la négligence, ne de- 

* G. Naudé, Inttructions à la France sur la vérité de t histoire des frim 
de la /tose-Croix. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 269 

meurant Tolontiers longtemps en un même lieu, et moins encore de- 
sircux d'être fréquenté et reconnu pour tel qu'il se professait, savoir, 
troisième frère de la R.-C, comme il déclara au médecin Molthcrus, 
lequel, pour en savoir peut-être autant que lui, ne put être si bien 
persuadé d'ajouter foi à ses narrations, qu'il ne nous ait présenté cotte 
histoire, et laissé libre k notre jugement de discerner si elle était 
capable d'établir une preuve certaine de cette Compagnie*. » 

Ce récit nous semble beaucoup plus vraisemblable que 
celui d'un roi d'Espagne ressuscité. D'après leurs statuts, les 
frères de la Rose-Croix ne pouvaient se dispenser d'exercer 
la médecine, sauf à voir quelquefois les malades mourir en- 
tre leurs mains, ainsi qu'il arrive aux médecins ordinaires. 
Seulement, ce qui étonne ici, c*est qu'il soitjquestion de re- 
mèdes. Bien que leur maître Paracelse soit parvenu à la 
postérité pour avoir le premier mis en usage des médica- 
ments héroïques inconnus aux galénistes, il se plaisait, dans 
ses écrits, à répéter avec emphase que le vrai médecin tient 
toute sa science de Dieu, et il recommandait, avant tout, en 
médecine, l'emploi des moyens cabalistiques. Les Rose-Croix, 
qui ne développaient que la partie thaumaturgique du sys- 
tème de Paracelse, ne devaient donc invoquer auprès des 
malades que des influences religieuses ou morales. Ils assu- 
raient, en effet, qu'ils guérissaient toutes les maladies par 
l'imagination et la foi ; un véritable Rose-Croix n'avait qu'à 
regarder un malade atteint de l'affection la plus grave, pour 
qu'à rinstanl même il fût guéri *. 11 nous semble donc que 
le frère de la Rose-Croix, dans la consultation à laquelle il 
prit part avec le médecin Moltherus, se mit en contradiction 
avec les principes de son ordre, et c'est probablement pour 
cela que la femme en question mourut. 

Dans la philosophie hermétique, l'histoire des Rose-Croix 
est encore moins riche de faits, s'il est possible. C'est là sur- 

* G. Naudé, Irutructioru à la France, 

* Spreogel, IKitùire de la médecine^ tome III. 



270 fflSTOIRE 

tout que la confrérie nous semble avoir opéré par imagina- 
tion et en imagination. Ils se vantaient ncanfnoins de faire à 
discrëtion de l*argent et de Tor, et Ton ne doutait pas en 
Allemagne de leurs succès en ce genre. Par malheur nul té- 
moin ne vient confirmer leurs assertions, et la même absence 
(le renseignements se fait regretter quant aux lieux où leurs 
projections furent exécutées, et quant à leur manière d'y 
procéder. A défaut d'autres preuves, les richesses de la con- 
frérie auraient pu servir de présomption en faveur de leurs 
capacités hermétiques ; mais ces richesses sont aussi invisi- 
bles que leurs personnes, et Tempereur dont ils parlent ne 
parait pas avoir jamais reçu de leurs mains ces masses d'or 
et d'argent qu'ils avaient promis de lui fournir. On objec- 
tera peut-être qu'ils ont pu conserver leurs biens pour les 
consacrer au service de la compagnie, et, avec ce levier, 
exercer au dehors quelque action importante. Hais on ne 
voit nulle part trace de cette action. Enfin, si les Rose-Croix 
s'étaient réparti entre eux leurs trésors d'origine herméti- 
que, ils auraient vécu avec magnificence. Or, tout au con- 
traire, dans les rares endroits où Ton peut saisir leur pas- 
sage, on les trouve presque toujours pauvres et malaisés. 
C'est donc fort gratuitement que l'on a ajouté foi à la 
science transmutatoire des Rose-Croix; toutes les preuves, 
tous les monuments qui consacrent aujourd'hui leur habi- 
leté dans la science hermétique, se réduisent à quelques 
préfaces ou dédicaces d'écrivains dont la véracité est sus- 
pecte. 

De ce nombre était, par exemple, Michel Potier (Potmus)^ 
homme assez vain qui prétendait posséder les plus merveil- 
leux secrets de la nature, et se plaignait d'être obligé de se 
cacher pour éviter les obsessions des princes, tous désireux 
de l'attacher à leur cour. 11 se vantait de posséder la pierre 
philosophale, et offrait néanmoins d'en communiquer la 
recette moyennant salaire, contradiction aussi étonnante 
que commune cUei \ç^ xAvUoso^^Ues faiseurs d'or. Aussi Mi- 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 271 

chel Potier, en dédiant aux Rose-Croix, avec beaucoup d'é- 
loges de leur science, son livre de la Philosophie pure y nous 
donne-t-il à penser qu'il ne fut inspiré en cela que par le 
désir de faire croire au public qu'il tenait de cette confrérie 
célèbre les secrets qu'il voulait exploiter. 

Michel Hayer célébra également les Rose-Croix dans son 
livre intitulé : la Vraie découverte ou bienfaisante mer- 
veille trouvée en Allemagne et communiquée à tout Vu- 
nivers *. Mais, dans cet ouvrage, l'auteur, se bornant à ré- 
péter les paroles et les promesses de ceux qu'il préconise, 
n'est que le simple écho du Manifeste et de la Confession de 
la confrérie. 

A ces deux autorités on pourra, si on le désire, en ajou- 
ter une troisième du môme poids, celle de Combach, philo- 
sophe péripatéticien, qui, pour exploiter la vogue dont jouis- 
saient les Rose-Croix, leur adressa une préface en tète de sa 
Métaphysiqtie. 

Ainsi les preuves de fait, les témoignages sérieux, man- 
quent complètement pour établir que les Rose-Croix se sont 
adonnés avec succès à Tœuvre de la transmutation métalli- 
que. Pour croire qu'ils ont fait de l'or, on n'a d'autre raison 
qu'un argument de logique, qui se trouve même n'être 
qu'une pétition de principe : c'est que, possédant, d'après 
leur profession de foi, toutes les facultés que Dieu accorde 
aux hommes, et même quelques-unes au delà, ils devaient 
néoessairement posséder le pouvoir d'agir triomphalement 
sur les métaux. 

Jetons un coup d'œil sur les progrès de la société des Rose- 
Croix dans quelques parties de l'Europe. 

C'est en Allemagne qu'elle trouva le plus grand nombre 
de ses adeptes et le public le plus crédule à ses promesses. 
Elle ae fit, en Angleterre, qu'une seule conquête, mais cette 



* Yerum invêntum, seu munera Germania, ab ipsa primitus reperta^ et 
toti orbi eommunicata. 



272 UISTOIUE 

conqiiôto ctait de promier ordre. Robert Fludd, médecin à 
liondres, hoinmo. trcs-savant et surtout très-grand écrivain, 
embrassa avec ardiMir la théosophie de cette secte. Étendant 
ses principes beaucoup plus qu'on ne Favait fait jusque-là, 
il les appliqua à toutes les branches des connaissances bo- 
niainos. lie théosophc anglais restait néanmoins fidèle aux 
principes du christianisme, car il assurait que les Rose- 
Croix tiraient leur nom de la croix m\'stique de Jésus- 
Christ, qui fut teinte de son sang rosé, et avec laquelle on 
parvient à posséder tous les arts imaginables et une sagesse 
infinie. 

Le système de la confrérie des Rose-Croix pénétra en Ita- 
lie; mais il y trouva peu de sectateurs, bien qu'il s'y pré- 
sentât dépouillé en partie des aberrations mystiques dont 
Tesprit allemand l'avait embarrassé. Quant à TEspagne, elle 
avait affaire à une secte d'illuminés tirée de son propre 
fonds, les AlombradoSy qui avaient surgi presque en môme 
temps que les Rose-Croix. On confondit quelque temps ces 

deux sectes, qui cependant, comme on le reconnut plus 
lard , différaient entre elles et par leur origine et par leur but. 

En France, les Rose-Croix apparurent un peu tard, et 
s'éclipsèrent après une courte mystification dont ils furent 
victimes bien plus que le public. 

Il y avait plus de dix ans que cette confrérie étourdissait 
l'Allemagne, lorsque, en 1622, on lut Tafficho suivante sur 
les murs de Paris : 

« Nous, DEPUTES DU COLLÈGE PRINCIPAL DE3 FRÈRES DE LA RoSE-GrOIX, 

faisons sejour visible et invisible en cette ville, par la grace du 
Très-Haut, vers lequel se tourne le cœur des justes. Nous montrons 

ET enseignons SANS LIVRES M MARQUES A PARLER TOUTES SORTES DE UX- 
GUES DES PAYS OU NOUS VOULONS ÊTRE, POUR TIRBR LES HOMMES, NOS SEM- 
BLABLES, D*ERREUR ET DE MORT. 9 

Cette affiche excita une certaine curiosité. On se montra 
quelque \)0\i Aô^wowx de connaître ces ôtres invisibles sur 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 273 

lesquels on discutait si chaudement sur la rive droite du 
Rhin, et qui étaient célébrés dans des milliers de brochures 
rapportées de la foire de Francfort. Il était bien visible ce- 
pendant que le public n'ajoutait aucune foi aux promesses 
de cette singulière annonce. Cet échec dans Topinion éprouvé 
par les Rose-Croix, ce fiasco, comme on dit aujourd'hui, 
valut aux Parisiens une seconde affiche publiée dans la 
même année, ainsi conçue : 

« S'il prend envie a quelqu'un de nous voir, par curiosité seule- 
ment, IL NE COMIIUKIQUERA JAMAIS AVEC NOUS ; MAIS, SI LA VOLONTE LE 
PORTE RÉELLEMENT ET DE FAIT A s'iNSCRlRE SUR LE ItEGISTRE DE NOTRE 
CONFRATERNITÉ, NOUS QUI JUGEONS DES PENSEES, LUI FERONS VOIR LA VÉ- 
RITÉ DE NOS PROMESSES *, TELLEMENT, QUE NOUS NE METTONS POINT LE LIEU 
DE NOTRE DEMEURE, PUISQUE LES PENSÉES, JOINTES A LA VOLONTÉ RÉELLE 
DU LECTEUR, SERONT CAPABLES DE NOUS FAIRE CONNAITRE A LUI ET LUI A 
NOUS. » 

Le public manifesta cette fois la même incrédulité avec 
une dose beaucoup moindre de curiosité. On se dispensa 
d'entreprendre des recherches qui eussent fait trop de plaisir 
à des gens si désireux de rester introuvables. Disons môme 
qu'aux yeux de beaucoup de personnes les deux placards 
parurent plutôt Fœuvre de quelque plaisant, qui avait voulu 
mettre en campagne les oisifs et les bavards, que le prospec- 
tus d'une véritable députation des Rose-Croix. Naturellement 
positif et enclin à la critique, l'esprit français ne se laisse 
pas aussi facilement amorcer à l'appât du mystère que les 
bonnes âmes du pays d'outre-Uhin. Il faut ajouter d'ailleurs 
que partout, et même en Allemagne, les Rose-Croix com- 
mençaient à cette époque à perdre de leur prestige. En Al- 
lemagne, plusieurs avaient été condamnés aux galères; 
(luclques-uns même avaient été pendus pour des méfaits que 
les auteurs ne spécifient pas, mais qui consistaient sans doute 
dans un exercice indiscret de la faculté d'attirer à eux les 
perles et les pierres précieuses. Bref, tout l'honneur cyic U 



294 BiSTOtRB 

(M)nfrërie put obtenir en France, ce fut d'être jouée, Tannée 
suivante, sur le théâtre de Thôtel de Bourgogne, dans une 
pièce ([ul n'eut pas même l'esprit de se faire applaudir. 11 
était impossible de tomber plus complètement de toutes les 
manières. 

Si maltraités par Tindifférence publique, les Rose-Croix 
trouvèrent cependant en France une compensation qui n'é- 
tait pas à dédaigner. Trois jésuites écrivirent sur eux ou con- 
tre eux : le père Gaultier, le père Robert et le père Garasse. 
Les deux premiers soupçonnent a que c'était plutôt une co- 
Ki hue d'anabaptistes qu'une troupe de magiciens. )) Garasse, 
théologien zélé, trouva qu'il fallait ranger les Rose-Croix 
dans la bande dt's libertins, mot qui, dans sa langue et dans 
celle de l'époque, signifie athée, ou peu s'en faut. 

Quoi qu'il en soit des opinions de ces trois pères, c'é- 
taient bien des doctrines religieuses et morales qui devaient 
particulièrement caractériser les Rose-Croix ; tout le reste 
de leur programme, sans en excepter même la transmuta- 
tion des métaux, était fort secondaire. Leurs idées, sous le 
rapport religieux et moral, peuvent se résumer en peu de 
mots. 

Les Rose-Croix annoncent, dans leur Confession de foi, 
que la fin du monde approche, et que bientôt l'univers su- 
bira une réformation générale dont ils se regardent comme 
les agents prédestinés. Mais' pour préluder à cette grande 
restauration, ils doivent commencer par en opérer une du 
même ordre dans la religion et la morale, sans se préoccu- 
per, malgré leur titre, de la croix du Christ, ni de la Bible, 
dont ils font cependant dériver toutes les sciences, précau- 
tion oratoire bonne à prendre à cette époque, même hors 
des pays d'inquisition. La vérité est qu'en religion les Rose- 
Croix étaient des libres penseurs qui se croyaient et devaient 
se croire supéri(3urs à toute révélation, puisqu'ils préten- 
daient communiquer avec Dieu même, soit directement, suit 
ind irectementi car V*ml^rcELèÔA^vt^^^\a.\vièA.\Li:e4 



IHSS TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 275 

Ce (qui arrêta, et ce qui devait naturellement arrêter les 
progrès de cette secte théosophique, ce fut la réformation 
religieuse qui était déjà accomplie au commencement du 
dix-septième siècle. L'institution du protestantisme ayant 
paru suffisante pour Tétat des esprits, force fut aux Rose- 
Croix de renoncer ou de surseoir aux réformes qu'ils avaient 
méditées, à cette médecine universelle qui devait guérir et 
consoler le monde. Ainsi la matière vint à manquer à Tœu- 
vre de la confrérie, et c'est là, nous le croyons, la raison qui 
explique sa disparition subite. Après cette époque, il resta 
sans doute, comme il y aura dans tous les temps, des esprits 
adonnés individuellement aux spéculations théosophîques; 
mais, à dater de ce moment, il n'y eut plus, à proprement 
parler, de secte ou de confrérie des Rose-Croix. Quinze ans 
après la publication de leur manifeste, on ne parlait plus 
d'eux, et l'on était comme honteux d'avoir ajouté foi à leur 
existence. Lorsque, en 1630, Pierre Mormius tenta de les 
ramener sur la scène, les états généraux de Hollande, aux- 
quels il s'adressa, ne daignèrent pas même Técouter. II se 
trouva que l'Europe s'était débarrassée des Rose-Croix par 
l'indifférence et sans autre persécution que le ridicule. Or, 
pendant le môme temps, les Alombrados étaient, en Es- 
pagne, dans tout l'éclat de leur règne, bien que l'inquisition 
n'eût cessé de les traquer et de les brûler en l'honneur de 
la foi. Un tel rapprochement aurait bien dû faire penser, 
dès cette époque, qu'en pareille matière il n'est rien de 
plus sage, de plus humain ni de plus expëditif que la to- 
lérance. 



276 DISTOIRE 

CHAPITRE VI 

pdiulItue 



Ia) personnage dont nous allons nous occuper apparaît 
dans I histoire de ralchimie comme rhéritier et le digne 
successeur du Cosmopolite. Né en 1612, par conséqaeDthuit 
ans après la mort de ce dernier, il se fait son continuaUmr, 
par un zèle ardent de prédication et de propagande alchimi- 
()uc, en même temps que, par d'autres cotés, il semble se 
rattacher à la secte des théosophes et des illuminés du dix- 
septième siècle. 

Hais, si Ton est parfaitement fixé sur ce que veut cet 
adepte, on ne sait d'où il vient ni où il va, et sur ces deui 
points il faut presque s*en tenir aux termes vagues [wr les- 
quels Schmieder nous annonce sa venue : « 11 y eut alors, 
(( nous dit récrivain allemand, une apparition miraculeuseà 
« Touest de l'Europe! » Quant au lieu et à Tépoquecùcet 
adc[»te a fini sa carrière, c'est ce que personne n'a jamais pu 
découvrir; aussi les Allemands ont-ils eu beau jeu à termi- 
ner en légende une histoire qui se prolonge naturellement 
de tout ce que l'imagination veut y ajouter, et qui, après 
plus de deux cents ans, n'est pas encore connue. 

Philalèlhe nous apprend lui-môme qu'en 1645, lorsqu'il 
écrivait le plus important de ses ouvrages*, il était dans la 
ircnle-troisième année de sa vie. Il était donc né en 1612; 
mais dans ((uel pays? On croit généralement quec'est en An- 
gleterre. Son véritable nom est encore un problème assez dif- 

* Introitus aperlut ad occlutum reqit ^latium. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 277 

licile. D'après Wedel, il se nommait Thomcus de Vaughan, 
qui, avec une légère variante, devient Th. Vagan dans Len- 
glet du Fresnoy. Suivant Herthodt, c'est Childe. D'autres 
prétendent qu'en Amérique il se nommait le docteur Zkeil, 
et que c'est le même personnage qui, dans l'année 1656, 
vint en Hollande sous le nom de Camobe. La nécessité de se 
cacher pour éviter les persécutions auxquelles il fut en butte 
amena sans doute notre adepte à prendre successivement ces 
différents noms. Toutefois c'est le premier que le plus grand 
nombre des historiens admet comme le véritable. On se fonde 
sur ce qu'il existait alors dans le pays de Galles une famille 
de ce nom, dont un des membres, John Vaughan, fut lord 
et pair du royaume en !620, et un autre, Robert Vaughan, 
qui étudiait à Oxford en 1612, se distingua comme anti- 
quaire. 

Ce n'est point cependant sous son nom de famille que cet 
adepte est connu dans les fastes de l'art. A l'exemple du Cos- 
mopolite, il avait adopté un pseudonyme sous lequel tous 
ses autres noms se sont effacés dans l'histoire. Il se faisait ap- 
peler Philalêthe, c'est-à-dire ami de la vérité, avec le pré- 
nom à'Irénée, qui signifie \e pacifiqtLe. On croit, d'après la 
tradition plutôt que sur des témoignages certains, que, dans 
sa jeunesse, Philalôthe fit de nombreuses projections en An- 
gleterre, et on apprend de la même manière que, dès le 
commencement de ses essais, il était obligé de se cacher avec 
des précautions infinies. 

C'est un écrivain anglais, Urbiger, qui seul se porte ga- 
rant des prouesses hermétiques accomplies par Philalètlie 
dans sa jeunesse. Urbiger nous assure, le tenant, s'il faut 
l'en croire, du roi lui-même, que Charles II fut informé par 
la Yoix publique qu'un jeune adepte, son sujet, faisait beau- 
coup de bruit dans ses États par le nombre et Téclat de ses 
projections*. Mais lorsque Charles II monta sur le trône, 

* Urbiger, Confutea. 



] 



278 HISTOIRE 

en 165îf[ Philalèthe avait quarante-sept ans; ce n'était donc 
|»as le jeune adepte, tel que Urbiger nous le représente, 
excitant la convoitise des Anglais par le nombre et Téclat de 
SCS projections*. 

Tous les historiens s'accordent à dire que la teinture de 
Philalèthe surpassait en puissance toutes celles qu'on avait 
vues jusqu'alors, ou ([ui pouvaient se trouver entre les mains 
des autres adeptes du dix-septième siècle. Un seul grain 
jeté sur une once de mercure le changeait en or, et si on 
jetait cette once de métal transformé sur une quantité dii 
fois plus grande de mercure, il se produisait une teinture 
qui pouvait encore anoblir dix-neuf mille parties de métal. 
Ce chiffre s'cloignant très-peu du résultat que Van Helmont 
obtint dans In fameuse projection par laquelle il fut converti 
à la philosophie hermétique, on en a inféré que Tadepte in- 

' Urbiger commet une erreur du même genre lorsqu'il nous cite en- 
core Charles II comme ayant parlé d'une mésaventure que Philalèthe ra- 
conte lui-même, mais qu'il dit très-explicitement lui être arrivée hors 
d'Angleterre. Après avoir énuméré tous les dangers auxquels les adeptes 
sont exposés par lu quantité ou la trop belle qualité des métaux procieui 
qu'ils produisent : « ^ous l'avons éprouvé nous^mêmc, ajoute Philalèthe, 
lorsque, dans un pays étranger f nous nous présenlâoies , déguisé eu 
marchand, pour vendre \,''20O marcs d'argent très-fin, car nous n'avions 
t»sé y mettre de 1 alliage, chaque nation ayant son titre particulier, 
qui est connu de tous les orCévrcs. Si nous avions dit que nous l'avions 
fait venir d'ailleurs, ils en auraient demandé la preuve, et par précaution 
ils auraient arrêté le vendeur, sur le soupçon que cet argent aurait été 
fait par art. Ce que je marque ici m'est arrivé à moi-même ; et, quand je 
leur demandai à quoi ils connaissaient que mon argent était de chimie, 
ils me répondirent qu'ils n'étaient point apprentis dans leur profession, 
qu'ils le connaissaient à l'épreuve, et qu'ils distinguaient fort bien l'ar- 
gent qui venait d'Espagne, d'Angleterre et des autres pays, et que 
celui que nous présentions n'était au titre d'Etat connu. Ce discours me 
lit évader furtivement, laissant et mon argent et la valeur sans jamais la 
réclamer. » 

(l.e Véritable Philalèthe ou V Entrée ouverte au palais fermé du roi, en 
latin et en françaisy chap. xui , numéro 11 ; dans \U\&toire de la philoso- 
phie /lermétique, ipwc Lwv^V^V vIvjl Fvesnoy, tome II, p. 93). 



DES TRANSMDTATIONS MÉTALLIQUES. 279 

connu de qui le savant Hollandais avait reçu la petite quan- 
tité de poudre dont il se servit, était Philalèthe lui-même. 
Cette conjecture est fortifiée par une assertion positive de 
Starkey, ami et disciple de Philalèthe. 

La transmutation opérée chez Van Helmont n'est point la 
seule que Ton ait attribuée à Philalèthe. Les événements du 
même genre arrivés vers la même époque à Bérigard de Pise, 
à Gros et à Morgenbesser, ont été mis sur le compte de cet 
adepte, d'après des présomptions plus ou moins fondées. 
Mais si Philalèthe eut quelque entrevue avec Van Helmont, 
Bérigard de Pise, Gros ou Morgenbesser — et avec beaucoup 
d'autres qui, sans être adeptes eux-mêmes, ont fait des trans- 
mutations au moyen d'une poudre qui leur fut remise par 
un inconnu, — ce ne peut être qu'après son retour du long 
voyage qu'il exécuta dans des contrées très-éloignées. Em- 
porté par son zèle ardent de propagande alchimique, Phila- 
lèthe s'était, en effet, rendu en Amérique, où il passa plu- 
sieurs années de sa vie. Suivant Lenglet du Fresnoy, il fit 
très-jeune ce voyage ; son séjour dans l'autre hémisphère 
fut marqué par des faits qui constituent la seule partie un 
peu historique de sa biographie. 

Dans l'Amérique anglaise, Philalèthe se lia avec un de ses 
compatriotes, l'apothicaire Starkey, chimiste dont le nom a 
survécu, grâce à sa découverte du savon de térébenthine. 
Philalèthe travaillait dans son laboratoire, et, opérant en 
grand, il produisait, dil-on, d'énormes quantités d'or et d'ar- 
gent. Il en fit plusieurs fois présent à l'apothicaire et à son 
fils, Georges Starkey. De retour dans la mère patrie, ces der- 
niers n'oublièrent pas le grand artiste, et dans un ouvrage 
imprimé à Londres, ils publièrent tous les détails et les in- 
cidents d'une liaison qui les honorait. Us ne furent peut-être 
discrets que sur la manière dont cette liaison s'était rompue-, 
mais on peut aisément suppléer à leur silence. 

Philalèthe était un homme simple et rangé, de mœurs 
honnêtes et d'habitudes frugales; aussi n'a-X-0T^\^\s\m\À^Ti 



280 HISTOIRE 

compris pourquoi il fabriquait tant d'or, n*en ayant aucun 
besoin pour lui-railme, et craignant toujours de s'attirer des 
persécutions en excitant Tenvie. Il avait reconnu que Star- 
key en usait tout autrement, et se pressait de dépenser en 
débauches tout Tor qu'il lui donnait. Cette conduite inspira 
des alarmes à notre philosophe, qui se hâta de disparaître. 
Quelques auteurs attribuent sa fuite à une légèreté du fils de 
Tapothicaire. Ce jeune homme, trôs-aimé de Tadepte, ayant 
reçu de lui deux onces de teinture blanche, n'aurait pas su 
conserver ce secret. Ces deux versions n'ont rien, d'ailleurs, 
de contradictoire : Philalèthe a pu ôtre amené à se séparer 
des Starkey tout à la fois par les folles dépenses du père et 
par la vanité babillarde du fils. Après s'être séparé ainsi de 
ses compatriotes, notre adepte ne tarda guère à quitter TA- 
mérique*. 

Si ce que Fou raconte de Philalèthe, depuis sa naissance 
jusqu'à son départ du continent, ne repose, comme nous 
l'avons déjà dit, que sur une tradition fort vague, ses aven- 
tures après son retour ne sont guère mieux connues. On ne 
le suit qu'à la trace de sa poudre. Los écrivains qui se sont 
occupés de lui supposent son passage ou sa présence dans 
tous les lieux de rHurope où il s'est fait quelque projection. 
Mais bien souvent ces opérations accuseraient tout au plus 
l'emploi de ses dons ou ceux de quelque autre artiste no- 
made. 

A cette époque, en effet, plusieurs de ces généreux prati- 
ciens voyageaient en Europe, et Van Helmont nous assure, 
par exemple, qu'il reçut de la poudre philosophale de deux 

' Ce séjour de Philalôthc en Amérique est parfaitement établi. Outre 

le témoignage de Starkey, on peut ciler encore à ce propos Michel Faus- 

tius. Ce médecin philosophe, à qui Ton doit une bonne édition du prio* 

"-nal ouvrage de Philalèthe, assure avoir connu plusieurs Anglais qui 

lient trouvés à cette môme époque en correspondance avec l'adepte. 

n, une des gloires de l'Angleterre, le savant Boylc, fut aussi en cob- 

Cè de \eUrca el lutm^ «itv t«\tvUot\s d'amitié atec Philalèthe. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 281 

inconnus qui en possédaient assez, Tun pour faire vingt 
tonnes d*or, l'autre pour en faire deux cent mille livres! 

C'est d'après de tels indices qu'on fait errer Philalèthe en 
France, en Italie, en Suisse, en Allemagne et jusque dans 
les Indes orientales*. C'est encore sur ces preuves fort indi- 
rectesrqne Ton s'appuie pour faire du même adepte le héros 
de l'aventure arrivée en 1666 à Helvétius, dans la ville de la 
Haye, et que nous avons rapportée en son lieu. On se fonde, 
pour lui attribuer cette dernière transmutation, sur une af- 
firmation de Tadepte, qui, ouvrant devant Helvétius la boîte 
qui renfermait sa poudre, assura que cette poudre suffisait 
pour faire vingt tonnes d'or, c'est-à-dire exactement le chif- 
fre déclaré par Tun des inconnus auquel Van Helmont 
avait eu affaire*. Tout ce que Ton peut affirmer, c'est qu'en 
1666 Philalèthe remit un de ses écrits à Jean Lange, qui 
s'en fit le traducteur. 

Il est donc suffisamment établi qu'à cette date de 1666 
Philalèthe avait reparu en Europe. Rien n'empêche plus, dès 
lors, d'admettre qu'il ait fait des projections on Angleterre 
sous le règne de Charles II. Seulement ce qui a lieu d'éton- 
ner, eu égard aux habitudes des princes de ce temps, c'est 
que ridée ne soit point venue à Charles II de mettre en logo 
un artiste tel que Philalèthe. Le Stuart restauré, prince pro- 
digue et si mal en finances, que, pendant tout son règne, il 
fut le pensionnaire de Louis XIV, a droit à nos éloges pour 
s'être abstenu d'exploiter à son profit un philosophe hermé- 
tique, capable de lui faire en un quart d'heure cent fois plus 
d'or qu'il n'en retira de Dunkerque vendu à la France. 

C'est probablement à la prudence extrême qu'il apportait 
dans sa conduite que Philalèthe dut le privilège d'échapper 
à l'attention de son souverain. Ce que cet adepte redoutait 
avant tout, c'était la persécution dont plusieurs de ses con- 



« Morfaof. 

■ Soh, Frederici Helvetii vituîus aureus; Hagro, AOGT. 



983 ffISTOIRE 

frères étaient devenus avant lui les victimes. Différant en 
cela de son prédécesseur Alexandre Sethon, il n'avait aucun 
goût |>our le martyre philosophique, et n'oubliait aucune 
des prt^utions nécessaires pour l'esquiver. Toujours fugi- 
tif, partout se cachant comme un proscrit, il dissimulait, 
sous les apparences de la pauvreté, les immenses richesses 
qu*il créait, chemin faisant, par son art miraculeux. Cette 
préoccupation continuelle de dérober sa vie aux regards 
indiscrets se montre à chaque instant dans ses écrits, el 
Ton comprend assez, en lisant les nombreux passages de 
Vlntroïtns, où il raconte son existence errante, les motifs 
qui Tobligeaient à envelopper ses actions d'un mystère 
continuel. Citons Tun des passages les plus significatifs sous 
ce rapport : 

« Plut à Dieu, s*écrie-t-il, que For et Fargent, ces idoles du genre 
humain, fussent aussi communs que le fumier ! Noos ne serions pis 
obligé de nous cacher, nous regardant comme si nous étions diargé 
de la malédiction de Gain. Il semble que je sois obligé de fuir la pr^ 
sence du Seigneur; dans une crainte continuelle, je suis privé de la 
douce socii'tô de mes anciens amis. Et, comme si j'étais agité par les 
furies, je ne me croLs en sûreté dans aucun lieu, et je me vois sou- 
vent contraint, à rexemplc de Gain, de porter ma voix vers le Sei- 
gneur, en disant avec douleur : 

« Ceux qui me rencontreront me feront mourir. 

« Errant de royaume t^n royaume, sans aucune demeure assurée, 
à peine osé-je prendre soin de ma famille, et quoique je possède 
tout, je suis obligé de me contenter de peu. Quel est donc mon bon- 
heur, si ce n'est une simple idée? Idée, à la vérité, qui donne une 
gî-ande satisfaction à mon esprit. Gcux qui n'ont pas la parfaite con- 
nuissanc^; de cet art se flattent qu'ils feraient beaucoup de choses s'ils 
le savaient. Nous avons autrefois pensé de même; mais nous sommes 
devenu plus circonsiuict par les dangers que nous avons courus. C'est 
ce qui nous a fait embrasser une voie plus secrète. Quiconque est 
échappé du péril de la mort deviendra plus prudent le reste de sa 
vie*. » 

* Le Véritable Pli\laUll>f ou VEnttw oxwowVt «m Yilaii fermé du roi, en 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 285 

Et plus loin : 

c On ne saurait faire seul ce que Ton souhaite, pas même dans les 
ceuTres de miséricorde, sans ^se mettre en danger de la vie. Je Tai 
éprouvé depuis peu dans les pays étrangers, où, m'étant hasardé de 
donner une médecine à des moribonds abandonnés des médecins, ou 
k d'autres malades réduits à de fâcheuses extrémités, par une espèce 
de miracle, ils ont recouvré la santé. A Tinstant ces guérisons ont 
tsài du bruit, et Ton a publié que c'était par Télixir des sages, de ma- 
nière que plusieurs fois je me suis trouvé dans l'embarras, obligé de 
me déguiser, de me faire raser la tête pour prendre la perruque, de 
changer de nom et de m'évader nuitamment ; sans quoi je serais tombé 
entre les mains des méchants, ou des gens malintentionnés que la 
passion de l'or portait à me surprendre, sur le seul soupçon que j'avais 
le secret d'en faire. Je pourrais raconter beaucoup d'autres incidents 
pareils qui me sont arrivés *. » 

Cependant, grâce à ses constantes et sages précautions, 
Philalèthe réussit à éviter toutes ces embûches, et les ouvra- 
ges qu il composa sont presque une preuve qu'il put jouir 
dans sa vieillesse de la tranquillité qu'il avait tant désirée. 

De tous ces ouvrages, le plus précieux à consulter, celui 
que nous avons invoqué déjà, Vlntroïttis, est le seul dans 
lequel Fauteur se soit peint, et qui nous dévoile Thomme en 
même temps que Tadepte. C'est à cette source qu'il faut s'a- 
dresser pour connaître le caractère et les sentiments philo- 
sophiques de Philalèthe. 

Le grand secret possédé et exploité par cet adepte paraît 
avoir été la pierre philosophale, employée tout à la fois 
comme agent de transmutation métallique et comme méde- 
cine universelle. Philalèthe exerçait l'art de guérir au moyen 
de sa poudre philosophale. Il suivait en cela l'exemple de 
beaucoup d'alchimistes, et particulièrement celui des théo- 
sophes de l'école de Paracelse. Ce n'est pas là, d'ailleurs, le 

latin et en français^ chap. xm, numéros 2 et 5, dans VHistoire de la phi- 
loiophie hermétique de Lenglet du Fresnoy, tome II, pages 79-81 . 
« Chap. xm, n' 4. 



284 UISTOIRE 

soûl trait de ressemblance que Ton trouve entre Philalèthe 
et les Rose-Croix. Sans les nommer, il se rencontre si sou- 
vent et môme si littéralement avec eux, qu'on pourrait le 
prendre pour un membre de leur confrérie-. Comme les frères 
de la R.-C, il parle de cet Élie^ artiste dont Paracelse a pré- 
dit Tavénement et les miracles. 

a J'annonce, nous dit-il, toutes ces choses aux hommes comme un 
prédicateur, afin qu'avant de mourir je puisse encore n^être pas inu- 
tile au monde. Soyez, mon livre, soyez le précurseur (TÉlie, pré- 
parez la voie du Seigneur*. » 

« Vous n'avez pas lieu de m'accuser de jalousie, parce que j'écris 
avec courage, d'un style peu commun, en rhonneur de Dieu et pour 
Tutilité du prochain, et pour lui faire mépriser le monde de ses ri- 
chesses : parce que déjà l* artiste Elie est né, et Ton dit des choses 
admirables de la cité de Dieu*. » 

On sait que cet Élie artiste, prédestiné à accomplir, h 
plus li^urcuse comme la plus radicale de toutes les révolo. 
lions, non-seulement dans le monde hermétique, mais dans 
toute la nature morale et matérielle, était, selon la préten- 
tion dos Rose-Croix, un Messie collectif qui avait pris pour 
corps mystique leur confrérie môme. La cité de Dieu était 
Tunivers transformé par Élie, et dont Philalèthe parle en ces 
termes magnifiques : 

« Quelques années encore, et j'espère que l'argent sera aussi mé- 
prisé que les scories, et qu'on verra tond)er en ruines cette bête con- 
traire à l'esprit de Jésus-Glirist. Le peuple en est fou et les nations 
insensées adorent comme une divinité cet inutile et lourd métal. Est- 
ce là ce qui doit senir à notre prochaine rédemption et à nos espé- 
rances futures? Est-C(i par là que nous entrerons dans la nouvelle Jé- 
rusalem, lorsque ses places seront pavées d'or, lorsque des perles e! 
des pierres précieuses formeront ses portes, et que l'arbre de vie 
placé au milieu du paradis rendra par ses feuilles la santé à tout le 
genre humain ? 

* UEntrée ouverte, chap. xni, n" ^5. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 285 

« Je prévois que mes écrits seront aussi estimés que Tor et Tar- 
gcnt le plus pur, et que, grâce à mes ouvrages, ces métaux seront 
aussi méprisés que le fumier. Croyez-moi, jeunes hommes, et vous, 
vieillards, le temps va bientôt paraître. Je ne le dis point par ime 
imagination vainement échauffée, mais je vois en esprit que tous, tant 
que nous sommes, allons nous rassembler des quatre coins du monde ; 
alors nous ne craindrons plus les embûches que Ton a dressées contre 
notre vie, et nous rendrons grâces à Dieu, Notre-Seigneur. Mon cœur 
me fait pressentir des merveilles inconnues. Mon esprit me fait tres- 
saillir par le sentiment du bien, qui va bientôt arriver à tout Israël, 
le peuple de Dieu^. » 

Philalèlhe avait un esprit très-religieux : on a prétendu 
qu'il était catholique, ce qui expliquerait pourquoi il aurait 
choisi la France pour son dernier asile, ainsi que quelques- 
uns l'ont avancé. On a vu, par une des citations rapportées 
plus haut, qu'il rendait en termes généraux hommage à la 
religion du Christ. Dans aucun autre endroit de ses écrits 
il n'est plus explicite, et le christianisme, qu'il professe, 
s'allie môme avec un intérêt très-tendre et très-fréquemment 
manifesté pour les Israélites. Nous avions déjà remarqué la 
même particularité dans Nicolas Flamel, dont Philalèthe se 
rapproche d'ailleurs beaucoup par l'honêteté des mœurs, la 
modestie des goûts, la sobriété du régime, et surtout par ce 
trait frappant, que tous les deux auraient voulu multiplier 
la masse des métaux précieux, afin de les avilir, et, par l'ab- 
sence des richesses représentatives, ramener les hommes à 
l'antique simplicité de la vie des patriarches. 

VlntroUus apertus ad occlusum régis palatium, ou V En- 
trée ouverte au palais fermé du roi, considéré comme ou- 
vrage de philosophie hermétique, n'est pas seulement le 
plus important de tous ceux de l'auteur, c'est encore, dans 
l'opinion des adeptes, le plus savant, le plus systématique 
et le plus complet que cette science ait produit. Tout le pro- 

* V Entrée ouverte^ chap. xiii, n«* 31 ol 32, 



286 HISTOIRE 

cédé de la pratique de Talchimie s'y trouve décrit avec exac- 
titude. Toutefois, avons-nous besoin de le dire? une lacune 
s'y fait sentir, et c'est la môme que l'on regrette dans tons 
les autres livres hermétiques : on y cherche en vain l'indi- 
cation de la recette pour obtenir le premier agent, ce mercure 
des philosophes, qu'il faut d'abord se procurer pour fabriquer 
artificiellement de l'or. Les amateurs prétendent, à, la vérité, 
que ce premier élément se découvre sans peine par la seale 
description que Philalèthe nous en a laissée. Hais comment 
donc alors les adeptes ont-ils si peu découvert ou si mal em- 
\)\oyé ce mercure des philosophes depuis qu'on multiplie pour 
eux les éditions de Vlntroîtus? 

Quelques auteurs ont dit que Philalèthe avait d'abord écrit 
cet ouvrage en français; mais l'opinion la plus commune est 
qu'il le composa en anglais. C'est celui que Lange reçut de 
sa main et traduisit en langue latine. 

Les autres ouvrages de Philalèthe sont : la Métamorphose 
des métaux, publiée en latin par Martin Birrius et imprimée 
dans la Bibliothèque chimique de Hanget. On en fit paraître 
une nouvelle édition à Hambourg, sous le titre de Abyssui 
alchimix exploratus, par Thomas de Waghan. 

Forts chimicx veritatis, et Brevis... cœlesteus, sontdeui 
traités également publiés par Birrius et recueillis dans la 
Bibliothèque chimique de Bfanget. On prétend que les trois 
derniers ouvrages que nous venons de citer sont des produits 
de la jeunesse de Philalèthe, et que, depuis, il voulut, mais 
trop tard, les faire disparaître, à peine livrés à l'impression. 
Enfin, on a de lui un commentaire sur une lettre de Tal- 
chimiste George Ripley à Edouard IV, roi d'Angleterre. 
Cet opuscule n'est qu'une sorte d'appendice à Vlntrmtus. 



DE TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES 287 



CHAPITRE VII 



LASGARIS ET SES ENVOYÉS 



Nous avons vu, dés les premières années du dix-sep- 
tième siècle, des adeptes parcourir l'Europe, non plus, 
comme auparavant, pour y enseigner la composition de la 
pierre philosophale, mais pour démontrer, par des actions 
bien positivement merveilleuses, la réalité d'une science dont 
ils entendaient se réserver le principal secret. De cet œuf 
fhilosophiqm, si longuement couvé dans les laboratoires des 
siècles précédents, \g poulet semblait à la fin éclos. Bien qu'en 
petit nombre, les souffleurs qui avaient réussi à parachever 
le grand œuvre auraient suffi pour enrichir ou pour ruiner 
le monde; mais la plupart ne voulaient que le convertir. 
Ils employaient pour cela les preuves de fait, plus puissantes 
sur les esprits que toute démonstration scientifique. S'ils 
réclamaient la foi, ils ne la demandaient qu'au nom des 
miracles qu'ils savaient accomplir; et pour mieux convain- 
cre les incrédules, ils faisaient, le plus souvent, opérer ces 
miracles par des mains étrangères; puis ils s'éclipsaieut au 
plus vite, après avoir toutefois distribué sur place le produit 
de ces démonstrations pratiques, signalant ainsi leur passage 
par une traînée d'or. 

Ainsi s'étaient comportés Alexandre Sethon, Philalèthe,fet 
plusieurs autres personnages moins célèbres dont nous n'a- 
vons pas retracé les biographies, pour éviter de tomber dans 
des redites. Cet apostolat se continue dans le dix-huitième 
siècle, mais sous les auspices et par les ordres d'un seul 



2^ UiSTOIRB 

lioinme, qui semble l'organiser, l'étendre et le diriger en 
maître souverain. Lui seul possède le grand secret de l'art; 
par ses mains, et non par d'autres, se distribuent les pou- 
dres ou teintures qui changent les métaux vils en métaux 
jprécieux; et ces dons que nul n'obtient de lui qu'à titre de 
missionnaire de la science hermétique, il les mesure, non 
aux désirs de quelque ambition ou de quelque cupidité 
l)rivécs, mais bien aux nécessités calculées et prévues delà 
propa^'ande dont il est tout à la fois le surveillant suprême 
et l'invisible moteur. 

Dans cet étonnant personnage, qui résume en lui Thistoire 
presque entière de Talchimie au dix-huitième siècle, tout 
est problème et mystère : son nom, sa naissance, son éduca- 
tion, sa personne. On ne voit que très-rarement sa figure, 
qui semble changer à ses différentes apparitions. On ignore 
sa demeure et s'il en est d'autres pour lui que les résidences 
passagères où il est moins souvent aperçu que soupçonné. 
Son fige même est impossible à fixer, car on ne connaît ni le 
premier ni le dernier terme de sa vie, qui se soutient ou pa- 
raît se soutenir, un siècle durant, dans un milieu toujours 
également éloigné de la jeunesse et de la vieillesse. 

Cet inconnu fameux se faisait appeler Lascaris. Entre tous 
les noms qu'il prit dans sa vie errante, c'est du moins celui 
qui lui resta. Ce nom avait été illustré par plusieurs Grecs, 
et sans doute il l'avait choisi de préférence, comme propreà 
confirmer roriginc orientale qu'il s'attribuait. Lascaris se 
donnait pour rArchimaiulrite d'un couvent de Tîle de Mity- 
lène, et pour justifier de cette qualité il produisait des let- 
tres du patriarche grec de Constantinople. Mais ce qui déci- 
dait plutôt à lui attribuer celte origine, c'est qu'il parlaitforl 
bien la Jangue grecijue; on a même été porté à trouver en 
lui un descendant de la famille royale des Lascaris. Il préten- 
dait avoir reçu du patriarche de Constantinople la mission 
de recueillir des aumônes pour racheterles chrétiens prison- 
niers en Orient-, mais il ne remplissait pas cette mission d'une 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 289 

manière sérieuse, car il ne quêtait que chez les pauvres, si 
toutefois il quêtait. 

Lorsqu'il apparut pour la première fois en Allemagne, 
vers le commencement du dix-huitième siècle, Lascaris était 
un homme de quarante à cinquante ans, suivant Tapprécia- 
lion du conseiller Dippel, le témoin le plus sérieux et le plus 
souvent cité entre ceux qui Font vu. Dippel est le seul qui 
semble s'attacher particulièrement à suivre Lascaris, et c'est 
cet écrivain qui nous fournit les indications à Taide desquel- 
les on peut le surprendre de loin en loin dans ses fugitives 
apparitions. Schmieder nous parle aussi, mais sans citer au- 
cun nom, de plusieurs autres personnes dignes de foi, qui 
déclaraient avoir vu et reconnu le grand adepte. De leur té- 
moignage, d'accord avec celui de Dippel, il résulte que Las- 
caris était d'une humeur facile et même agréable, qu'il avait 
Taccent d'un homme du Midi et aimait beaucoup à parler, 
penchant d'autant plus facile à satisfaire pour lui, qu'il savait 
plusieurs langues et les parlait toutes aussi naturellement 
que le grec. 

Une nature si communicative ne s'accordait guère avec les 
précautions extrêmes que notre philosophe devait [irendrc 
pour dissimuler sa présence partout où on pouvait le cher- 
cher. Il faut donc supposer qu'il n'avait cette agréable hu- 
meur que dans le cercle d'un petit nombre de personnes 
dont il était sûr, et que d'ailleurs il savait la renfermer dans 
des sujets de conversation étrangers à l'alchimie. Sur ce der- 
nier point, la discrétion lui était iiiipcrieuscment comman- 
dée : il y allait de sa liberté et peut-être de sa vie. Les exem- 
ples de Gustenhover, de Kellcy, d'Alexandre Sethon, de 
Sendivogius et de tant d'autres avaient pour lui une triste 
éloquence, et si le sort de ces adeptes n'eût suffi à éclairer 
Lascaris sur la cupidité et la cruauté des princes, une aven • 
lure tragique, dans laquelle, a-l-on dit, il joua le rôle iin- 
portant, lui aurait enseigné la prudence. 

Un individu, qui se disait gentilhomme, se présente un 



290 HISTOIRE 

jour à Frédéric I", roi de Prusse, et s'annonce comme pos- 
sédant Fart secret de ia transmutation des métaux. Le roi 
ayant désiré le voir à l'œuvre, l'opération fut exécutée sous 
ses yeux, et elle réussit, car ce gentilhomme avait en sa pos- 
session un peu de poudre philosophale. Dans l'espoir de 
s'avancer à la cour, il eut la témérité de prétendre connaître 
la préparation de cette poudre. Quelques jours après, il rece- 
vait Tordre d'en^préparer dans l'intérêt de l'Etat, c'est-à-dire 
du roi. Il y travailla à plusieurs reprises, mais toujours inu- 
tilement. Comme il n'avait pas craint d'offrir sa tête pour 
garant de ses promesses, le roi, qui avait accepté ce gage, la 
• lui ût impitoyablement trancher. On feignit, à la vérité, de 
motiver cette exécution par un crime plus réel; on alla rap- 
peler un duel, déjà ancien, dans lequel cet aventurier avait 
tué son homme. Mais personne ne s'y trompa; tout le monde 
comprit que, sans Tirritation d'un roi trompé dans ses espé- 
rances cupides, la justice n'eût pas' d'elle-même songé à 
réveiller une affaire du genre de celles qu'on oublie le plus 
volontiers. 

La plupart des auteurs ont pensé que, nul autre que Las- 
caris n'étant connu à cette époque en Allemagne pour pos- 
séder le secret des philosophes, c'est lui qui avait fourni à 
cet adepte la teinture philosophale qui fut si imprudemment 
employée devant le roi Frédéric. Quoi qu'il en soit, voici un 
second fait dans lequel la présence et l'action de Lascafis ne 
font aucun doute pour les auteurs allemands. 

Dans Tannée 1701, Lascaris, étant tombé malade en pas- 
sant à Berlin, fit demander un apothicaire pour lui comman- 
der les remèdes dont il avait besoin. Maître Zom, chez qui 
Ton envoya, ne se présenta pas lui-même; il se fit remplacer 
par un élève entré depuis peu dans sa maison. Le soin avec 
loquel ce jeune homme exécuta ses prescriptions plut beau- 
coup à notre philosophe, dont la maladie, vraie ou feinte, 
eut bientôt disparu. Ils s'entretinrent plusieurs fois ensem- 
ble, et de ces cuxtevteus il résulta entre eux une sorte d'ami- 



DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. ^91 

tiéel môme d*intimité. C'est que, pendant leur conversation, 
le jeune homme, sans se douter qu'il parlait à un adepte, 
lui avait confié qu'il s'occupait d'hermétique, qu'il avait lu 
tous les ouvrages de Basile Valenlin, et qu'il travaillait d'a- 
près les écrits de ce maître. Cependant le jeune élève tenait 
ses travaux secrets, car l'alchimie n'était pas alors très en 
honneur dans la ville de Berlin, et l'on ne se gênait guère, 
dans cette impertinente cité, pour traiter de fous les parti- 
sans du grand œuvre. 

Sur le front du jeune apothicaire, Lascaris avait reconnu 
sans doute le sceau de l'apostolat. Au moment de quitter 
Berlin, il le prit à part et lui déclara ce qu'il était, ajoutant 
qu'il voulait lui laisser un témoignage de son amitié. 11 lui 
fit présent de deux onces de sa poudre philosophale, en lui re- 
commandant de n'en pas indiquer l'origine, et surtout de n'en 
faire usage que longtemps après son départ. « Alors seule- 
€ ment, lui dit-il, vous pourrez essayer les vertus de cette 
« poudre, et, sachez-le bien, le résultat sera tel, que personne 
« à Berlin n'osera plus taxer les alchimistes d'insensés. » 

Lascaris parti, le délai expiré, et sans doute même un peu 
abrégé par l'impatience du jeune élève, celui-ci procéda à 
l'essai de sa teinture philosophale. Le résultat en fut mer- 
veilleux et tel que Lascaris l'avait promis. Il fit de l'or, de 
l'or très-pur, qu'il montra avec orgueil, et ce fut à son tour 
de se moquer de ses camarades, qui s'étaient si souvent mo- 
qués de lui el de Basile Yalentin. 11 leur annonça en même 
temps sa résolution de quitter la pharmacie pour aller étudier 
la médecine à Halle; le même jour en effet il prit congé de 
son patron. 

Ce jeune homme devait être l'apôtre le plusactif et le plus 
renommé de tous ceux que Lascaris lança, munis de sa pou- 
dre, à travers l'Allemagne. Il s'appelait Jean-Frédéric Bôtti- 
cher. Mais, comme ses travaux, ses aventures, et par-dessus 
tout une découverte importante dont il a enrichi les arts 
ohimiques, lui assignent un chapitre à pan à^n^ ^W.^ ^\\<^- 



!29^i UISTOIRË 

rio des principaux personnages hermétiques, nous repren- 
drons plus loin son histoire, et nous le suivrons alors dans 
sa carrière avec tout l'intérêt qu*il doit inspirer. 

D'après ses rapports avec Bôtlicher, on voit que Lascaris, 
au début de sa propagande hermétique, recrutait surtout dans 
les laboratoires ses conQdents et émissaires. En même temps 
que Botticher, deux autres élèves sortis des pharmacies voya- 
geaient alors dans les villes de l'ouest de TAllemagne, prê- 
chant la vérité de ralchiraiç. Or, comme à cette époque, le 
conseiller Dippel avait reconnu Lascaris à Darrostadt, on ne 
pouvait guère douter que ces jeunes adeptes n'eussent reçu 
de lui leurs instructions et leurs poudres philosophales. 
Toutefois ces missionnaires ne semblent pas avoir utilement 
servi la cause de la science hermétique; car ils ne savaient 
guère que ce qu'on leur avait montré, et ne pouvaient être 
éloquents que jusqu'à l'épuisement de leur provision. On ne 
cite d'eux aucune merveille qui réponde à la haute opinion 
que Botticher avait déjà donnée des gens de leur état. 

Les garrons apothicaires eurent alors un fort beau moment 
on AlicQiagne, et tandis qu'en France les poëtes comiques 
osaient continuer de les tourner en dérision, ils prenaient 
bien leur revanche de Taulre côté du Rliin. Cette courte pé- 
riode fut, on peut le dire, Tàge d'or de la pharmacie; on 
croyait, en Allemagne, (|ue tout le personnel pharmacopole, 
patrons, aides, apprentis ou garçons, étaient adeptes hermé- 
tiques ou sur le point de le devenir. Cependant les choses 
n'allèrent pas si loin. Il est vrai qu'à cette époque quelques 
élèves en pharmacie reçurent en présent un peu de teinture 
philosophale ; mais, dit assez naïvement Schnrieder en nous 
parlant de ces aides apothicaires qui avaient reçu et non 
inventé la précieuse poudre, « dès qu'ils l'avaient employée, 
. « ils avaient joué leur rôle et restaient tranquilles. » 

On en cite cependant quelques-uns qui se laissèrent moins 
oublier; tel fut Godwin Hermann Braun, d'Osnabruck. En 
i 701 , Tannée même àe \^ ^\e\fiÂà\^ ^^^^cltion de Lascaris, 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 293 

ce Braun, qui avait déjà exercé la profession d'apotlucaire à 
Stuttgard, fut placé dans la grande pJiarmacie de Francfort- 
sur-le-Mein. A Ten croire, un de ses parents lui avait remis, 
à son lit de mort, la teinture transmutatoire qu'il avait en 
sa possession; c'était une huile assez fluide et de couleur 
brune. Pour lui donner un caractère particulier, Braun 
l'avait mélangée avec du baume de copahu, ce qui ne lui 
ôtait rien de sa force. En présence de son patron, le docteur 
Éberhard, et de quelques autres personnes, il exécuta plu- 
sieurs projections, tantôt sur le mercure, tantôt sur le plomb ; 
il fit de l'or chaque fois, en versant sur le métal chaud ou 
fondu une goutte de son huile, qui ne pouvait être autre 
chose, ainsi qu'on le verra plus loin, que du chlorure d'or 
liquide. 

A Munster, Braun fit la môme expérience sous les yeux 
du docteur Horlacher, qui publia le fait. Horlacher assure 
avoir pris ses précautions pour n'être pas trompé. Il avait 
lui-même fourni le creuset, le mercure et le plomb. Braun 
versa quatre gouttes de son huile sur de la cire, et en fît une 
boulette qu'il jeta sur le mercure. 11 couvrit alors le creuset, 
qu'il chauffa fortement : dix minutes après. For avait pris la 
place du mercure. 

Braun n'était pourtant qu'un adepte de hasard. 11 connais- 
sait si peu la préparation de sa teinture, qu'il s'imaginait 
qu'elle provenait du phosphore, parce qu'on s'occupait beau- 
coup alors de cette substance. Après qu'il eut consommé tout 
son liquide, on ne parla plus de lui ; mais du moins il avait 
fait la propagande hermétique en bon lieu et avec un cer- 
tain éclat. 

Moins brillant dans ses actes, et aussi moins fidèle à son 
apostolat, fut cet autre élève en pharmacie queSchmiedernous 
désigne comme le troisième missionnaire de Lascaris. C'était 
un jeune Hessois, nommé Martin, né à Fritziar, où il avait 
étudié la pharmacie. 11 prétendait tenir sa teinture d'un vieux 
médecin, lequel était adepte, et de plus, ïïvaTv d'ww^ \çi\çv\Si^ 



294 mSTOIRE 

jeune et jolie. Quand le bonhomme mourut, événement qui 
ne tarda guère à arriver, il ne laissa point sa teinture en 
héritage à sa femme, dont il avait toujours suspecté la fidé- 
lité ; il la légua au jeune élève. Schmieder, qui nous trans- 
met ce récit, pense que c'était là une pure fable de ce jeune 
homme, qui, en réalité, avait reçu de Lascarissa pierre phi- 
losophale, mais tenait le fait secret, conformément aux pres- 
criptions de son maître. On ne peut qu'applaudir à la dis- 
crétion de ce missionnaire docile. Ce qui est moins louable, 
dans son fait, c'est d'avoir altéré sa poudre par de maladroits 
mélanges, et de Tavoir ainsi tellement affaiblie, que, d après 
le témoignage de Dippel, elle ne changeait en or que soixante 
fois son poids de métal étranger. Hais le point capital où ee 
maître sot méconnut tout à fait et les instructions du grand 
adepte et la dignité même de la science herniétique, c'est 
que, au lieu d'exécuter ses projections devant un publie 
d'élite,, qui leur eût donné tout le retentissement nécessaire, 
il se contenta d'opérer pour ses camarades, afin de se donner 
du relief parmi eux, et pour quelques jeunes filles, dont il 
avait à cœur de se faire admirer. Passons vite à d'autres per- 
sonnages et à d'autres faits, par lesquels se continue l'histoire 
de Lascaris. 

Dans le mois de janvier 1704, le conseiller de Werther- 
bourg, Liebknechi, avait reçu une mission pour Vienne. En 
revenant, il eut pour compagnon de voyage un étranger qui 
parlait très-couramment le français, l'italien, le latin et le 
grec, et qui avait visité la plupart des pays de l'Europe. Ds 
se trouvaient en Bohème, la conversation tomba donc tout 
naturellement sur l'alchimie. Le conseiller^ homme fort en- 
têté dans ses opinions, niait la réalité de cette science, et ne 
voulait croire, disait-il, que lorsqu'il aurait vu de ses pro- 
pres yeux. 

Le 16 février, les deux voyageurs arrivèrent vers le soir 
à la petite ville d'Asch, située sur l'Éger. Le compagnon de 
Liebknec\vl \e eoAiôi\\\À\, ^îoû& Yten dire, chez un forgeron, 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 295 

pour faire une expérience au feu de ]a forge ; mais, vu l'heure 
avancée, l'expérience fut remise au lendemain. L'inconnu 
mil du mercure dans un creuset, puis il y jeta une poudre 
rouge, qu'il mêla rapidement avec le métal. Le mercure 
commença par se solidifier, il devint ensuite fluide, et, quand 
on le versa, c'était de l'or le plus beau qu'on pût voir. 

Un second creuset avait été préparé, l'inconnu y plaça 
également du mercure, afin de répéter l'expérience précé- 
dente, a Cette fois, dit l'opérateur, l'or est moins beau que 
« tout à l'heure. » Il promit de le purifier. Aussitôt il le fit 
fondre dans un nouveau creuset, et jeta dans ce creuset une 
petite quantité d'une certaine poudre ; presque au même in- 
stant l'or perdit sa couleur et devint blanc. Quand on coula 
le métal, on trouva, à la place de l'or dont on avait fait 
usage, neuf onces d'argent de la plus grande pureté. L'or 
que Ton avait obtenu dans la première expérience avait une 
valeur de six ducats. L'étranger offrit en présent l'un et 
l'autre au conseiller Liebknecht, et le quitta pour continuer 
sa route vers la France. 

La personne e\ l'époque s'accordent parfaitement avec les 
renseignements que Dippel donne sur le compte de Lascaris. 
D'un autre côté, cette double transmutation du mercure en 
or, et de l'or en argent, est une des plus remarquables dans 
l'histoire de l'alchimie, et, selon les écrivains hermétiques, 
elle révèle manifestement un grand maître, peut-être le plus 
grand de tous. Il est vrai que Lascaris s'abstenait d'ordinaire 
de faire lui-même les projections, mais il se pourrait qu'en 
cette circonstance il se fût départi de sa réserve habituelle 
pour convaincre un incrédule tel que le conseiller Lieb- 
knecht. On conserve encore, à l'université d'Iéna, les trois 
creusets qui servirent à ces transmutations*. 

Au mois d'octobre de la même année 1 704, Georges Stolle, 
orfèvre à Leipsick, reçut la visite d'un étranger, qui, après 

* Gnlden&Ick, An9edot08 akhimiquet. 



296 HISTOIRE 

quelques instants d^ntretien sur des objets indifférents, lui 
demanda s'il savait faire de Tor. A cette question, Torfévre 
répondit avec simplicité qu'il savait seulement travailler ce 
métal tout fait. Mais, son visiteur insistant pour lui deman- 
der si du moins il croyait à la possibilité du fait : « J*y 
« crois, sans aucun doute, répondit Stolle ; mais, malgré 
« tous mes voyages et mes longues recherches, je n'ai ja- 
« mais eu Toccasion de rencontrer un artiste assez habile 
« pour m'en donner la preuve. » A ces mots, l'inconnu, ti- 
rant de sa poche un lingot métallique d'une couleur jaune 
grisâtre, et qui pesait environ une demi-livre, le présenta à 
Torfévre commode l'or qu'il venait de fabriquer tout récem- 
ment. H assura qu'il possédait chez lui quatorze livres du 
môme métal. L'orfèvre s'empressa d'essayer le lingot à la 
pierre de touche; c'était de l'or à vingtrdeux carats. L'étran- 
ger l'invita alors à le traiter par Tantimoine, afin de le pu- 
rifier. C'est ce que Stolle exécuta; il fondit cet or impur 
avec cinq fois son poids d'antimoine, et, après trois traite- 
monts semblables, il obtint douze onces d'un or très-brillant. 

L'étranger, élant revenu de bonne heure le lendemain, 
ordonna de laminer cet or et de le couper en sept pièces 
rondos. Il eu laissa deux à Stolle, comme souvenir, en y 
ajoutant huit ducats. 

Bien que cet événement n'eût rien présenté de très-mer- 
veilleux, il fit beaucoup de bruit à Leipsick, grâce aux com- 
mentaires dont Torfévre sut rcmbcllir pour se donner de 
l'importance. Les pièces d*or qui lui étaient restées portaient 
cette inscription : 

tu philosophorum. 

Auguste, roi de Pologne, en reçut une en présent, l'autre 
fut dépos(ie dans la collection des médailles de Leipsick. 

Lascaris se trouvait alors en Saxe, dans les environs de 
Leipsick, cl Yow we \o\V y^?» A'îyutre adepte à qui le fait ra- 



DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 297 

conté par Stolle pourrait être plus convenablement attribué. 
Il est beaucoup plus certain qu'un autre personnage, 
Schmolz de Dierbach, qui vivait à la môme époque, reçut de 
Lascaris sa poudre et sa mission. Shmolz a raconté lui-même 
les circonstances dans lesquelles il fut bonoréde la confiance 
du grand adepte. Il était lieutenant-colonel au service de la 
Pologne. Se trouvant un jour, avec d'autres officiers, dans 
un café à Lissa, on vint à parler de l'alchimie et des alchi- 
mistes. Les camarades du jeune officier ne craignirent pas 
de tourner en ridicule et de blâmer son père, qui avait dé- 
pensé tous ses biens dans les travaux de cette vaine science, 
et par là réduit son fils à la nécessité d'embrasser le métier 
•des armes. Dierbach défendit avec vivacité et Talcbimie ot 
son père. Au nombre des assistants se trouvait un étranger 
qui parut écouler cette discussion avec un vif intérêt. Quand 
tout le monde se fut retiré, il s'approcbaf de Tofficier et lui 
exprima toute la peine qu'il avait ressentie du blâme infligé 
à la mémoire de son père et des mauvais compliments que 
le fils avait essuyés pour la défendre. C'est alors qu'il fit pré- 
sent à Dierbach d'une certaine quantité de poudre de pro- 
jection, mettant seulement cette condition à son cadeau, 
que le jeune officier n'en ferait usage que pour se procurer 
trois ducats par semaine pendant l'espace de sept ans. 

On reconnaît ici Lascaris à sa libéralité; mais Schmolz de 
Dierbach broda beaucoup de contes sur cette aventure fort 
simple. Il voulait, par là, donner de la vogue à sa poudre, 
car il s'était empressé de quitter le service et se plaisait à 
étonner ses amis par ses transmutations. 

Le conseiller Dippel, se trouvant à Francfort-sur-lc-Mein, 
put examiner la teinture de Dierbach. La description qu'il 
en a faite nous permet de donner, une fois pour toutes, une 
explication raisonnable, selon nous, du moins, des prodiges 
de Lascaris. Selon Dippel, la poudre de Dierbach était d'une 
couleur rougeàtre; vue au microscope, elle laissait voir unc^ 
multitude de petits grains ou cristawx TO\ji%'?Sy wv ^x^w^^*^* 



398 HISTOIRE 

Pour un sceptique, ou plutôt pour un chimiste, ces cristaux 
rouge-orangé ressemblent singulièrement à du chlorure d'or, 
et si telle était réellement la composition de la teinture de 
Lascaris, elle pouvait prendre, à volonté, la forme liquide 
ou solide, puisque le chlorure d'or est très-sol uble dans l'eau, 
et môme déliquescent à Pair. Dippel ajoute, il est vrai, qu'une 
partie en poids de cette teinture changeait en or six cents 
parties d'argent; mais il détruit lui-même la confiance que 
Ton pourrait accordera ses assertions lorsqu'il ajoute: « Cette 
(( teinture pouvait même produire une augmentation dans le 
« poids des métaux, car soixante grains d'argent, où l'on 
(i mêlait un demi-grain de la poudre de Dierbach, donnaient 
(( cent soixante-douze grains d'or. » Ce dernier fait, qui au- 
rait constitué une impossibilité physique, dépasse les préten- 
tions de tous les alchimistes, qui n'ont jamais affirmé sérieu- 
sement pouvoir augmenter le poids absolu d'un corps sans 
addition d'aucune matière étrangère. 

Un autre fait confirme encore l'opinion que la teinture 
remise à Dierbach par Lascaris n'était autre chose que du 
chlorure d'or, dont on faisait usage tantôt sous forme solide, 
tantôt en dissolution aqueuse concentrée ; Dippel ajoute qu'il 
suffisait de chauffer cette poudre pour obtenir le métal pré- 
cieux; or, comme le savent tous les chimistes, le composé 
dont nous parlons, c'est-à-dire le chlorure d'or, laisse, par 
une simple calcination, de l'or pur. 

Schmolz de Dierbach usa avec une grande générosité du 
présent de Lascaris. Il ne consacrait jamais à ses besoins per- 
sonnels l'or provenant de l'expérience; il le distribuait aux 
témoins de l'opération. Un tel désintéressement était d'au- 
tant plus noble chez lui, que, se trouvant à la tête d'une 
nombreuse maison, avec enfants et domestiques, et ayant 
été investi des fonctions de député» ses besoins augmentaient 
de jour en jour. Quand le terme des sept ans imposé par 
•Lascaris fut expiré, et qu'il se vit à bout de sa poudre, il 
ne craignit pas de àeiù^udiet ^^?>^^ç,wv\^'^4fta personnes de 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 299 

haut rang qui connaissaient son aventure. Tant de vertu le fit 
admirer de ses contemporains; on s*empressa de venir à son 
aide et de lui assurer une honnête existence; mais il va sans 
dire que, dès qu'il eut cessé d'opérer des transmutations, 
on cessa de parler de lui. 

Du reste, à partir de ce moment, si Ton trouve encore 
beaucoup de traces d'un adepte distribuant de la teinture 
philosophale, avec condition de remployer à la plus grande 
gloire de Talchimie, ce qui révèle toujours Lascaris, on ne 
rencontre plus de personnage formé, instruit, et pour ainsi 
dire commissionné pour cette prédication. Schmieder nous 
explique ainsi ce changement. Des jeunes gens, tels que 
Bôtticher, Braun, Martin et Dierbach, avaient pu offrir à 
Lascaris le secours d'un grand zèle; mais la conduite de 
quelques-uns, et surtout leurs supercheries, pouvaient com- 
promettre le grand adepte et faire naître des doutes sur sa 
bonne foi. C'est d'après ce motif qu'à dater de cette époque 
Lascaris, trouvant plus sage de supprimer les apôtres, se 
chargea tout seul de la propagande hermétique. 

En 1715, le baron de Creuz, que l'on cite comme un al- 
chimiste zélé, reçut, à Hambourg, la visite d'un étranger 
dont la conversation dénotait de profondes connaissances 
dans l'hermétique. Le baron, qui, depuis trente ans, cher- 
chait sans avoir rien trouvé, avoua que son plus cher désir 
serait rempli s'il pouvait seulement obtenir de quelque 
adepte un peu de poudre philosophale, afin d'en éprouver la 
force et de convaincre son entourage de la vérité de l'alchi- 
mie. L'étranger ne répondit rien : seulement, quand il fut 
parti, on trouva, près de la place qu'il avait occupée dans 
l'appartement, une petite boîte renfermant une matière pul- 
vérulente, avec un écrit indiquant la manière d'opérer les 
transmutations; la boîte renfermait encore une boucle d'ar- 
gent, dont une partie seulement était d'or, sans doute pour 
prouver que, pour faire la transmutation avec cette poudre, 
il n'était pas nécessaire de mettre les mét^LUX. ^ti îw^\!l. Va 



300 mSTOIRE 

baron, ayant alors convié à Teipérience ses amis et quelques 
personnes d*un rang élevé, opéra sous leurs yeux suivant les 
instructions que l'adepte avait laissées par écrit. L'expérience 
eut un plein succès; la boucle d*or et d'argent fut conservée 
dans sa famille comme témoignage du fait ^. 

Un autre amateur, le landgrave Ernest-Louis de Hesse- 
Darmstadt, sentit son émulation éveillée par la transmuta- 
tion faite chez le baron de Creuz. 11 se livrait à beaucoup 
dressais, mais n'obtenait rien de bon, lorsqu'on 17i& il 
reçut par la poste un petit paquet envoyé par le môme étran- 
ger qui avait rendu visite au baron. Ce paquet renfermait 
les teintures rouge et blanche, avec une instruction sur la 
manière de les employer. Le landgrave se donna le plaisir 
de changer lui-môme du plomb en or et en argent. Avec 
l'or il fit battre, en 4747, quelques centaines de ducats qui 
portaient d'un côté l'effigie et le nom du landgrave, de l'au- 
tre le lion de Hesse et les deux lettres E. L. Avec l'argent 
il fit frapper cent thalers portant aussi d'un côté son nom et 
son effigie, et de l'autre, les deux lettres E.L. entourées d'une 
quadruple couronue; on voyait au milieu le lion de Hesse 
avec son soleil. Les thalers portaient cette inscription latine: 

Sic Deo placuit in tribuîcUionibus. 1717. 

Un inconnu se présenta un soir au château de Tankcs- 
lein, situé dans la forêt d'Odenwald, branche de la forêt 
Noire; ce château était habité par la comtesse Anne-Sophie 
d'Erbach. L'inconnu suppliait la châtelaine de le protéger 
contre les poursuites de l'électeur palatin. On refusa d'abord 
de le recevoir, car on le prenait pour un braconnier et peut- 
être mOme pour un brigand de la forêt. Cependant, sur ses 
instances, la comtesse consentit à lui accorder une chambre 
dans une partie retirée des bâtiments, en recommandant 
toutefois aux gens de la maison d'avoir l'œil sur lui. L'dtran- 

* fiuldenfalck, Anecdotes d\c)im\f\uw . 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 501 

ger passa quelques jours au château. Au moment de partir, 
et pour reconnaître Thospitalité qu'il avait reçue, il offrit à 
la comtesse de changer en or toute sa vaisselle d'argent. 

Cette singulière proposition ne fit que confirmer davan- 
tage la comtesse d'Erbach dans ses soupçons; elle ne voyait' 
dans son hôte qu'un hardi voleur qui méditait de la débar- 
rasser de son argenterie. Cependant, comme il insistait beau- 
coup, elle se décida, à tout hasard, à lui confier un bassin 
d'argent, ordonnant d'ailleurs de redoubler de surveillance. 
Tant de soupçons étaient mal fondés, car l'inconnu ne tarda 
pas à reparaître tenant à la main un lingot d'or qu'il avait 
fait avec le bassin d'argent. Sur la demande de l'alchimiste, 
cet or fut essayé dans la ville voisine, où on le trouva du 
meilleur aloi. La comtesse d'Erbach consentit alors à livrer 
toute sa vaisselle à son hôte, qui s'engageait à la payer en 
cas d'insuccès. Hais l'opération réussit parfaitement; tout 
ce qu'on lui donna en argent, il le rendit en or. Lorsque, 
au moment de partir, ce grand artiste se présenta pour 
prendre C/ongé de la comtesse, cette dernière eut la naïveté 
de lui offrir une bourse contenant deux cents thalers. 11 re- 
fusa avec un sourire, puis il s'en alla comme il était venu et 
sans avoir dit son nom. 

Cette aventure eut une suite qui lui donna bientôt une 
authenticité parfaite. Le mari de la comtesse d'Erbach, le 
comte Frédéric-Charles, avec lequel la famille d'Erbach 
s'éteignit en 1751, vivait alors dans l'armée. Depuis long- 
temps séparé de sa femme, il ne s'en inquiétait guère; mais 
la mémoire lui revint dès qu'il fut informé des nouvelles 
richesses que la comtesse venait d'acquérir. Il réclama la 
moitié de la vaisselle d'or, parce que cette augmentation de 
valeur avait été réalisée pendant le mariage et sous le régime 
de la communauté. La comtesse ayant repoussé cette de- 
mande, il en saisit les tribunaux. Mais les jurisconsultes de 
Leipsick la rejetèrent et abandonnèrent à la comtesse l'en- 
tière propriété de l'objet en litige, attendu, dit l'arr^l d^\^ 



302 HISTOIRE 

cour de Leipsick, que, c la vaisselle d'argent appartenant à 
a la femme, l'or devait aussi lui appartenir *. » 

Schmieder et d*autres auteurs allemands ne mettent pas 
en doute que Lascaris ne fût Thôte anonyme de la châtelaine 
de Tankestein*. 

Mais le lecteur est sans doute désireux de trouver quel- 
ques renseignements plus précis sur les procédés pratiques 
que Lascaris mettait en œuvre pour exécuter ses transmu- 
tations. Nous les trouverons, autant qu'il est permis de Tes- 
pérer, dans les deux faits qui vont suivre: 

Le premier se rapporte à une transmutation racontée par 
Dippel, et qui eut lieu dans les Pays-Bas pendant l'automne 
de 1707. 

Se trouvant à Amsterdam, Dippel fit connaissance avec un 
adepte qui avait en sa possession les teintures rouge et blan- 
che, mais qui avouait modestement ne pas savoir les prépa- 
rer. Il prétendait les tenir d'un grand maître, avec ordre de 
faire des expériences publiques pour que chacun fût édifié 
sur la vérité de Talchimie. Or voici comment Dippel le vit 
procéder. 

* Puionei , Enunciata et corwilia juris Leipsi». 1733. 

* On a pensé également que c'est de Lascaris que parle le docteur 
Joch dans la lettre suivante , qu'il écrivait en latin au savant Wedel : 
a J'ai obtenu enfin ce que j'avais si longtemps souhaité. J'ai trouvé un 
adepte qui me cache son nom, mais qui, à trois reprises différentes, a fait 
très-facilement devant moi l'or le plus pur. 11 ne se sert que de quelques 
petits grains et d'un creuset. Bientôt il reviendra chez moi, et il demeu- 
rera dans ma propre maison, car il aime ma société. Il possède des livres 
très-rares, qu'il tient toujours fort en ordre, qu'il lit et complète. Sa 
bonté m'a permis de me servir de quelques-uns de ces ouvrages. Je vous 
en envoie de lui un écrit composé dans une langue qui m'est inconnue; il 
souhaite d'avoir votre opinion sur le sujet traité dans cet écrit, car il ré- 
vère beaucoup votre nom. Adieu, homme savant, et que vos recherchei 
ne soient pas sans succès. 

« Jean-Georges docteur Joch. 
« Dortmund, 47 juin 1720. » 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 305 

L'opérateur prit une lame de cuivre ronde d*un pied de 
diamètre; il la plaça sur un fourneau, en s'arrangeant pour 
ne chauffer qu'un cercle intérieur d'environ huit pouces, le 
reste du métal étant garanti de Taction du feu; c'est alors 
que, Tadepte plaçant au milieu du disque de cuivre chauffé 
un peu de sa teinture hlanche, ce cercle de huit pouces se 
trouva changé en argent. La même plaque de métal fut en- 
suite placée sur un fourneau plus petit, de telle sorte que le 
cercle chauffé n'avait plus que quatre pouces de diamètre ; 
il déposa au milieu un petit grain de teinture rouge qui 
changea en or ce cercle d'argent. 

Cette expérience ne présenterait rien de bien difficile à 
comprendre si Dippel n'ajoutait en terminant : « L'artiste 
tf ne se bornait pas à montrer Textérieur de la plaque, mais 
« il la coupait en morceaux pour faire voir aux amateurs de 
« l'alchimie que la teinture avait agi également à Tin-. 
< teneur; il leur vendait ces morceaux à un prix très- 
ff modéré. » 

La première partie de cette expérience s'explique sans 
peine, si l'on admet que la teinture philosophale blanche 
ou rouge n'était qu'un composé d'argent ou d'or qui, par 
l'effet de la chaleur, recouvrait le cuivre d'une couche de 
l'un ou l'autre métal. Mais, pour expliquer que les morceaux 
distribués par l'adepte fussent véritablement de l'argent ou 
de For massifs, il faut mettre sur son compte un tour d'es- 
camotage. C'est ce que l'on peut d'ailleurs accorder sans faire 
injure à Lascaris, car ce n'est point lui-même qui exécuta 
celte expérience, mais bien l'un de ses envoyés. Dippel nous 
l'apprend, et son témoignage ne jpeut laisser aucun doute, 
puisqu'il connaissait le grand adepte. 

Si dans le fait qui précède on ne trouve pas une descrip- 
tion suffisamment précise des procédés mis en œuvre par les 
missionnaires de Lascaris, celui qui nous reste à faire con- 
naître donnera à cet égard toute satisfaction à la curiosité. 
Un procès- verbal minutieusement dressé ijat \^?>\éKvçîi»s> ^^'è» 



304 tlISTOIRE 

opérations, ot qui s*cst conservé jusqu'à jios jours, permet 
de comprendre toutes les particularités des expériences qui 
furent exécutées. 

Un des émissaires de Ijascaris arriva à Vienne au mois de 
juillet ni6, et couvoqua une assemblée des personnes les 
plus considérables de la ville, afin de convaincre Tincrédu- 
lité par une épreuve solennelle. La séance eut lieu dans le 
palais du commandant de Vienne. On eut le soin, pour oter 
tout soupçon de fraude, de n'employer ni creusets ni appa- 
reils d'aucun genre. On prit seulement une monnaie de 
cuivre, un pfennig , on la chauffa au rouge; et, après avoir 
projeté à sa surface une petite quantité de la teinture de 
Lascaris, on la plongea dans un certain liquide. On retira la 
pièce transformée en argent, et le métal résista à Tépreuvc 
de la coupelle. La petite quantité de teinture employée était 
restée à la surface de la pièce sans avoir éprouvé d'altération 
apparente : c'était une poudre blanche, assez semblable au 
sel marin. On constata, diaprés le poids des matières em- 
ployées, qu'une partie de teinture avait transmué dix mille 
fois son poids de cuivre. 

Le procès-verbal de ces expériences, dressé par le conseil- 
ler Pantzer de liesse, in memoriam et fidem rei, a été livré 
à rimpressioa d'après une copie authentique. Voici la tra- 
duction du texte original de ce singulier document, que Hurr 
a reproduit dans ses Nouvelles littéraires : 

« Fait h Vienne, le 20 juillet 1710, le septième dimanche après 
la Ti'inilé, dans Tappaitement du conseiller du prince de Schwarti- 
l)Ourg, le seigneur Wolf- Philippe Pantzer, dans la maison apparte- 
nant au général impérial, commandant de la résidence de Tempereur 
et de la forteresse de Vienne, le seigneur comte Gharlc&-Emcst de 
Rappach, en présence du vice-chancelier impérial et bohémien, com- 
mandant de Texpédition allemande, Son Excellence le comte Joseph 
de Wi'irben ci do Freudenthal, en présence du seigneur Ernest, con- 
seillm' secret du roi de Prusse, et du seigneur Wolf, conseiller secret 
du prince de Brandebourg-Culmbach et Anspach, en présence des 
Hrcs conAlo cl Wyï\xv vV ^eVV^YVv\v:\v, •xWv c^ue du conseiller de 



DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 305 

Schwartzbourg, ci-dessus nommé, et de son fils Jean-Christophe- 
Philippe Pantzer. 

« 1" Vers dix heures du matin, les personnes précitées se sont ras- 
semblées au lieu désiré. L'une d'elles apporta la poudre philo- 
sophale dans un papier : elle était en quantité infiniment petite, ot 
a?ait Taspect du sel marin ; on la pesa, et on en trouva un loth (demi- 
once). 

t 2* Les personnes présentes pesèrent deux pfennigs de cuivre, 
dont l'un avait été pris à Vasile des pauvres de Vienne, le poids du 
premier fut trouvé de iOO drachmes 8 j grains, celui du second, fait 
en 1607, en Hongrie, de 68 livres 16 loths *. 

« 5" On fit chaufferie premier, que le conseiller de Schwartzbourg 
retira avec une pince de fer ; le seigneur Wolf, baron de Metternich, 
Tentoura d'un peu de cire et en recouvrit un côté du pfennig in su- 
perficie, 

« 4* Le vice-chanceirer bohémien, qui craignait que le pfennig ne 
fondit, le fit rougir, ensuite il le jeta daîis une certaine eau, et il le 
retira si promptement qu'il se brûla les doigts. 

fl 5* Tous virent que le pfennig, rouge quand il avait été plongé dans 
l'eau, était blanc quand on le retira, avec certaines marques qui prou- 
vaient qu'il avait déjà commencé k fondre. 

fl 6<* On commença la même opération avec le deuxième pfennig» 
et le résultat fut le même que celui déjà obtenu par le seigneur Wolf, 
baron de Metternich. 

fl 7'' Mais on n'en resta pas là ; on fit aussi chauffer d'autres pfen- 
nigs plus petits, on les soumit à la même opération, et, après les 
avoir retirés, on remarqua que la couleur en était changée, mais 
qu'ils n'étaient pas tout à fait blancs. Les deux frères Metternich y 
firent grande attention. 

fl 8* On prit un morceau de cuivre en forme de prisme, on le jeta 
dans la même eau après l'avoir chauffé, et on vit que, dans cer- 
taines parties, il avait changé de couleur, mais moins que les deux 
premiers pfennigs. 

* <r Haben die Antvesenden zvei kupferne Pfennigc gevogen, dcr cine 
von deneo, so in dcm Vinerischeo Armenhause ausgctheilt verdcn, ist 
nach obgedachten Probirgevicht hundert Qucntchcn 8-| Gran, der andere 
abcr, ein Ungrischen Poltura von ltX)7, achtundsechsig Pfund sechsen 
Loth schvergcvesen. » 



306 HISTOIRE 

« 9** On coupa un morceau de ce cuhrre, <m fit la même opératk», 
et il devint tout k fait blanc. 

« 10' On ressaya avec un autre morceau de cuiTre, mais on remar- 
qua qu'il était sorti de Teau sans avoir changé de couleur. 

« 11° On coupa en deux le plus grand des pfennigs de Tartide % 
ot on remarqua qu'il était blanc à Tintérieur conmae k Textérieur ; le 
comte Ernest de Mcttemich en prit une moitié, et le baron Wolf de 
Nettemich l'autre moitié. 

« 12° De cette dernière moitié, on coupa un petit morceau pesant 
2 livres, on le mit dans la coupelle, et on trouva par lé calcul que le 
pfennig entier s'était changé en argent pesant 40 loths. 

« 13* On mit le petit morceau de l'article 9 dans la coupelle, et on 
tnmva 12 loths d'argent. 

« 14° On opéra de même avec un morceau de Tartide 8, et on 
trouva que c'était de l'argent; mais, comme on ne l'avait pas préala- 
blement pesé, on ne put savoir exactement dans quelle proportion il 
s'en était formé. 

«15° Dès qu'il n'y eut plus k douter que le cuivre avait été changé 
en argent, on chercha le poids de l'argent ; on pesa les pfennigs de 
l'article 2 : le premier pesait 125 livres 8 loths, c^est-à-dire 25 lirres 
de plus qu'auparavant; le second pesait 79 livres 16 loths, c'est-i- 
dire 11 livres de plus qu'auparavant, ce qui n'étonna pas moins les 
personnes présentes que la transmutation elle-même. 

« 16° On ne peut pas calculer au juste combien une partie de tein- 
ture anoblissait de aiivre, parce qu'on n'avait pas pesé le cuivre de 
l'article 7 et de l'article 8. Cependant si elle n'avait changé que les 
deux pfennigs, il en résulterait qu'une partie de teinture aurait 
changé 5,400 parties de cuivre en 6,552 parties d'argent, et, par 
conséquent, on ne se trompe pas de beaucoup en disant qu'une partie 
de teinture avait transmué 10,000 parties de métal*. 

a Actum loco in die ut supra, in memoriam et fidem reisic 
gestse factx quae verse transmutationis. 

a L. S. Joseph, comte de Wiirben et de Freudenthal. 

* Les évaluations numériques contenues dans ce procès-verbal renfef' 
ment des non-sens qui auront frappé le lecteur. On est obligé d'admettre, 
pour les comprendre, que les auteurs de ces expériences n'accordaient 
pas à la livre (Pfund) la valeur qui appartient à la livre commerciale, 
médicale ou moïià\a\te âi kvxVmVi^. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 307 

t L. S. Wolf, baron de Metteraich. 
t L. S. Ernest, comte de Metternich. 
€ L. S. Wolf-Philippe Pantzer. » 

Pour dissiper le merveilleux des expériences qui furent 
exécutées chez le seigneur Wolf-Philippe Pantzer, nous 
croyons qu'il suffit de porter son attention sur cette certaine 
eau dont parle le procès-verbal; elle dut jouer dans la 
transmutation un rôle beaucoup plus sérieux que ne sem- 
blent rindiquer les termes indifférents sous lesquels on la 
désigne. Ce liquide ne pouvait être autre chose qu'une dis- 
solution concentrée d'awtate d'argent, liqueur incolore, 
comme on le sait, et que rien ne distingue de Teau par son 
apparence extérieure. Les objets de cuivre préalablement 
chauffés et trempés dans cette dissolution, en sortaient re- 
couverts d'une couche d'argent métallique. Ce qui prouve la 
vérité de Texplication que nous n'hésitons pas à présenter 
des faits précédents, c'est que les objets de cuivre, en subis- 
sant cette prétendue transmutation, augmentaient notable- 
ment de poids, comme l'article 15 le constate; cette augmen- 
tation de poids ne pouvait provenir que de l'argent précipité 
à la surface du cuivre. On comprend d'ailleurs qu'après avoir 
subi cette prétendue transmutation, le métal résistât à l'action 
de la coupelle; dans cette opération, le cuivre du pfennig 
disparaissait dans la substance de la coupelle, et l'argent, qui 
était resté en couche épaisse à la surface du métal, formait 
le bouton de retour. On peut se demander, il est vrai, com- 
ment les auteurs de cette expérience se méprirent à ce point 
gur la nature du liquide où les pièces étaient plongées, et 
n'eurent point Tidée de le soumettre à l'analyse; avant de 
procéder à aucune opération. Mais c'est probablement parce 
que les nobles personnages devant qui l'expérience fut exé- 
cutée, ces hauts barons et seigneurs, n'avaient pas, en chi- 
mie, d'aussi beaux grades. 



508 niSTOiBE 

Comme appendice à Thistoiro de Lascaris, il nous reste à 
rappeler h^ avenlun^ de irois adeptes en possession de sa 
teinture, qui ont laissé en Allemagne et en France des traces 
que rhistoire et la critique doivent s'attacher à conserver, 
(les trois adeptes sont Botticher et Gaelano pour TÂllemagne, 
cl pour la France le Provençal Delisle. L'importance du rôle 
que ces trois personnages jouent dans Thistoire de ralchi- 
mie au dernier siècle nous oblige d'accorder à chacun d'oui 
un chapitre spécial, comme pour marquer la place qu'ils 
occupent, non à côté, mais à la suite de leur maître. 

BOtlicher. 

Nous avons déjà entrevu cet adepte au commencement de 
la carrière deLascaris, nous l'avons vu recevoir du grand 
adepte l'investiture hermétique; nous le suivrons ici dans les 
phases principales de sa vie. 

Jean-Frédéric Botticher était né le 4 février 1682, à 
Schlaitz, dans le Voigtland, en Saxe^ Il fut en grande partie 
élevé à Magdebourg, auprès de son père, qui remplissait des 
fonctions à la Monnaie. Ce dernier avait les idées mani- 
festoment tournées aux sciences occultes, et prétendait pos- 
séder lo secret de la pierre philosophale. C'est probablement 
à l'éducation qu'il reçut de son père que le jeune Botticher 
dut les prédilections qu'il manifesta de très-bonne heure 
pour les sciences secrètes. Il avait une dose très-prononcée 
de superstition, et mettait une certaine importance à être 
né le dimanche, ce qui lui donnait, d'après un préjugé du 
temps, la faculté de lire dans l'avenir. Ayant eu le malheur 

' On écrit de manières très-différentes le nom de cet adepte. Engel- 
liurdt, son historien, l'appelle Bùttger : Schmiedcr écrit Botticher^ d'autres, 
BotiyeTt Bœttger, Bottger et Bottcher. Nous adoptons rorthographe de 
Sclimicder, dont Tautorité iubliogrnpliique est incontestable. Ajoutons que, 
suivant M. Klem, Botticher serait né en 1685, et non en 1082, comme lo 
dit EngeUiardl . 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALUQUES. SOU 

de perdre son père, et sa mère s'étaiU mariée en secondes 
noces, il dut songer à embrasser une profession. II n*avait 
que dix-neuf ans lorsqu'il entra comme apprenti chez Tapo- 
thicaire Zorn, à Berlin. C'est en 1701, c'est-à-dire Tannée 
même de son entrée en pharmacie, qu'eurent lieu le com- 
mencement de sa liaison avec Lascaris et ces conversations 
intimes dans lesquelles le jeune apprenti confiait au grand 
adepte ses études hermétiques et sa lecture assidue de Basile 
Valenlin. 

A peine eut-il reçu de Lascaris la haute mission dont ce 
grand maître Tavait jugé digne, à peine eut-il fait sa pre- 
mière projection, que le jeune initié jura de ne plus vivre 
que dans la société des alchimistes. On a vu comment il 
s'était empressé, tout aussitôt, de quitter le laboratoire do 
maître Zorn. Ce dernier néanmoins ne tarda pas à lui offrir 
une occasion d'y rentrer, avec î'espoir secret de l'y retenir. . 
Il invita à dîner le jeune Botticher, un jour qu'il recevait à 
sa table deux personnes étrangères, le prêtre Winkler, do 
H agdebourg, et le prêtre Burst, de Malchon. Les convives 
de maître Zorn réunirent toute leur éloquence pour persua- 
der au jeune homme de revenir à sa profession et de renon- 
cer à un art chimérique. « Jamais, lui dit-on, vousnerendnz 
c possible l'impossible. » A ces mots le jeune homme, se le- 
vant : « Impossible! i s'écria-t-il d'un ton furieux; et il se 
dirigea aussitôt vers le laboratoire, disant qu'il allait exécuter 
cette chose impossible. 

Tous les convives l'ayant suivi dans le laboratoire, Bôtli- 
cher prit un creuset, et se disposa à y faire fondre du plomb; 
mais on l'en détourna, dans la crainte que le métal qu'il 
allait employer n'eût subi quelque préparation préalable. Ce 
fut donc de l'argent qu'il y plaça; il en prit un poids d'en- 
viron trois onces, qu'il chauffa fortement dans le creuset. 
Au bout de quelques instants, tirant de sa poche un petit 
flacon d'argent, il y prit un peu de pierre philosophale; 
c'était, nous dit Schmieder, une substance ayant la forme 



SlO HISTOIRE 

d'un vern; couleur niuge de feu. Bôtticher en jeta un petit 
grain sur Targent fondu et chauffa plus fort. E^Gn il coula 
lo métal et le montra aux incrédules, qui furent forces de 
reconnaître que c'était de Tor parfaitement pur. 

Bôtticher vivait en grande intimité avec un certain Sie- 
bert, travailleur y comme les Allemands appellent celui qui 
dirige un laboratoire de pharmacie. Il exécuta sous ses yeax 
une projection aussi remarquable que la précédente. Siebert 
mit dans un creuset huit onces de mercure. Bôtticher y jeta 
gros comme un grain de blé d'une poudre rouge mélangée à 
de la cire. Le mercure se transforma en une poudre brane 
(|ui fut mêlée avec huit onces de plomb tenu préalablemenl 
en fusion. Un quart d'heure après, le tout était changé 
en or. 

Par les transmutations précédentes, et par quelques autres 
qu'il exécuta pour convaincre d'autres amis incrédules, Bôt* 
ticher devint en peu de temps le lion de Berlin. Seulement 
c'était lo faux lion de la fable, car il n'en avait que la peau. 
Cet alchimiste par procuration assurait partout qu'il savait 
préparer la teinture philosophale qu'il employait, et on le 
croyait pour deux motifs : d'abord parce que Lascaris ne se 
montrait pas, ensuite parce que Ton savait que Bôtticher 
avait été élève chez maître Zorn, ce (jui fait assez voir quelle 
grande opinion on avait alors des aides apothicaires. Il faul 
croire cependant qu'un peu de satire se mêlait à cette admi- 
ration, car, selon Schmieder, on se permettait, à Berlin, 
d'appeler notre alchimiste adeptus ineptus. 

Les bruits de la ville étant parvenus jusqu'à la cour, le 
roi Frédéric Guillaume 1" voulut assister à une transmuta- 
tion, et ordonna, en conséquence, de s'assurer de la personne 
de Bôtticher. Déjà l'ordre (Hait lanc(î de s'emparer de lui; 
mais, averti à temps, il sortit de Berlin pendant la nuit et 
s'achemina à pied vers la ville de Wittenberg. Comme il ve- 
nait de traverser l'Elbe, il aperçut, à une certaine distance 
'^**rièrc \m, uw com\\\^Tv^^vi\. ^xv\s&\^\s. ^<i l'on avait envoyé 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 311 

à sa poursuite. Il n'eut que le temps de se jeter dans un bois 
voisin pour lui échapper. 

Bôtticher avait un oncle à Wiltenberg; c'était le professeur 
Georges Gaspard Kirchmaier, que Ton cite parmi les écri- 
vains alchimiques; il se réfugia chez lui. Mais le roi de 
Prusse voulait à toute force posséder ce trésor vivant; il le 
fit donc réclamer à la ville de Wittenberg, comme sujet 
prussien, car on croyait Bôtticher né à Hagdebourg. De son 
ciôté, l'électeur de Saxe, Auguste II, roi de Pologne, le récla- 
mait aussi comme son sujet. C'est au dernier de ces deux 
monarques que Bôtticher se rendit, mais sans doute dans un 
tout autre intérêt que celui de faire trancher entre les deux 
cours la question de son origine.* 

A Dresde, Tadepte fut parfaitement accueilli, et l'électeur 
de Saxe, enchanté des preuves faites eu sa présence, s'empressa 
de le nommer baron. Une fois parvenu aux honneurs, Bôtti- 
cher oublia tout; il ne songea plus à ses études médicales et 
ne fut occupé que de ses plaisirs. D'après le train de vie 
qu'il mena pendant deux ans dans la capitale de la Saxe, 
on serait même tenté de croire qu'il avait perdu la tête. 11 se 
fit bâtir une maison superbe où il donnait de splendides 
repas; ces repas étaient très-fréquentés, parce qu'il ne man- 
quait jamais de mettre une pièce d'or sous la serviette de 
chaque convive. Les dames surtout s'y montraient empres- 
sées. On aimait à jouer avec lui, parce qu'il ne cherchait qu'à 
perdre. En un mot, il était, dans la haute société, le cher 
ami de tout le monde. 

Toutes ces dépenses, toutes ces prodigalités, rehaussaient 
beaucoup, sans doute, l'apostolat que le jeune adepte accom- 
plissait avec tant de conscience et de zèle, mais elles fai- 
saient aussi singulièrement baisser sa provision de poudre 
philosophale. Il s'était fort gratuitement mis en tête qu'il 
pourrait^ grâce aux talents que chacun lui reconnaissait, la 
renouveler sans recourir à Lascaris. Égaré par cette illusion, 
il continuait à en prodiguer les restes sans mesure. Il finit 



312 UISTOIRE 

par Tépuiscr jusqu*au dernier grain, essaya d'en composer 
d'autre et ne put y réussir. 

Sa source d'or une fois tarie, les dépenses avaient cesse 
tout d'un coup chez ralcliimiste. Les courtisans de sa for- 
tune, SCS parasites ordinaires et extraordinaires, commencè- 
rent naturellement par Jui tourner le dos; ensuite, leur res- 
sentiment s'élant accru avec le souvenir des jouissaDces 
qu'ils avaient perdues, ils le dénoncèrent comme un espion. 
Cette calomnie n'ayant pu trouver créance, on en chercha 
d'autres. Ses domestiques, mécontents parce qu'on ne les 
payait pas, se liguèrent avec ses ennemis et répandirent 
le bruit qu'il s'apprêtait à prendre la fuite. Dès ce moment, 
et sur Tordre de Télecteur, sa maison fut entourée de sol- 
dats, et ses appartements occupés par des gardes qui le re- 
tinrent prisonnier dans son hôtel. Botticher comprit alors, 
un peu tard, sansdoute, mais enGn il comprit, que les rois oc 
donnent pas gratis des honneurs et le titre de baron aux gar- 
çons apothicaires. 

Cependant Lascaris, qui voyageait encore en Allemagne, 
n'avait pas perdu de vue son jeune ami. 11 avait appris son 
départ pour Dresde et ce qui lui était arrivé dans la capitale 
de la Saxe. A la mauvaise tournure que l'affaire semblait 
prendre, il regretta d'être la cause indirecte de la situation 
où se trouvait Botticher, et résolut de n'épargner'aucun sa- 
crifice pour l'en tirer. C'est dans ce but qu'il se rendit a 
Berlin en 1705. 

Pendant son séjour dans cette ville, Botticher avait noué 
une liaison étroite avec un jeune médecin nommé Pasch, 
homme d'un caractère décidé. Lascaris s'adressa à lui. Dans 
un long entretien qu'ils eurent ensemble , Lascaris lui lit 
une peinture émouvante de la triste position de leur ami et 
le persuada de se dévouer à sa délivrance. Pasch consentit à 
se rendre à Dresde pour certifier à Auguste 11 l'innocence de 
Botticher, et lui proposer en même temps une rançon de 
huit cent mille ducals. Ceçendant le docteur Pasch expri- 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 515 

mait quelques doutes, ayant de la peine à croire que Las- 
caris pût disposer d'une somme aussi considérable. Alors le 
grand adepte, le prenant par la main, le fit entrer dans un 
appartement retiré, et lui découvrit toute sa provision de 
teinture philosophale. Elle pesait six livres. Il ajouta que, 
grâce à son art, cette masse changerait cent livres d*or en de 
nouvelle pierre philosophale, laquelle pourrait convertir en 
or trois ou quatre mille fois son poids d'un métal vil. Comme 
dernier argument, Lascaris fit devant le docteur Pasch une 
transmutation avec sa teinture, et finit par lui promettre de 
le rendre aussi riche que Botticher s'il parvenait à le dé- 
livrer. 

Comment résister à cet éblouissant étalage de Vargument 
irrésistible? Le docteur se mit en route. Il avait à Dresde 
deux parents, grands seigneurs et très-influents à la cour. 
Espérant obtenir par leur crédit une audience de l'électeur, 
il s'adressa à eux et leur communiqua ses projets. Mais ses 
parents étaient gens expérimentés et très au fait des habi- 
tudes des cours. Ils jugèrent, avec beaucoup de raison, que 
l'offre faite au roi de Pologne d'une somme aussi prodi- 
gieuse ne pourrait qu'assurer mieux la captivité de Bôltichcr, 
attendu que l'on ne mettrait pas en doute que tout Tor en 
question ne dût être fabriqué par le prisonnier. Ils propo- 
sèrent donc de n'adresser au roi aucune ouverture et de tra- 
vailler en silence à préparer Tévasion de l'alchimiste. 

Pasch approuva ce plan ; il s'installa dans une maison voi- 
sine de celle de Botticher, et commença par établir une cor- 
respondance par les fenêtres avec le prisonnier, qui fut ainsi 
mis au courant des préparatifs faits pour sa délivrance. On 
eut bientôt acheté ses domestiques, qui devinrent les inter- 
médiaires d'une correspondance plus facile et plus détaillée. 
Tout alla bien jusqu'au moment où les gens du roi s'aper- 
çurent qu'il se tramait quelque ciiose entre les deux amis. 
L'ordre arriva aussitôt de s'emparer du docteur Pasch, qui 
fut jeté dans la forteresse de Sonnenstein -, BoUvcIx^y Iwv- 



314 HISTOIRE 

même fut enferme dans celle de KœnigsteiH, et eonfié à la 
g<irdc du comte de Tschirnhaus. Toutefois on mit à sa dis- 
position un laboratoire pour lui permettre de continuer ses 

recherches d'alchimie. 

Pasch était depuis deux ans et demi prisonnier de Félee- 
teur de Saxe^ lorsqu'un des soldats qui le gardaient se mon- 
tra disposé à faciliter sa fuite. Tous les deux se laissèrent 
glisser le long d'une corde, qui, malheureusement, n'attei- 
gnait pas jusqu'à terre. Le soldat s'en tira sans accident, 
mais Pasch tomba sur les rochers et se brisa le stemnm. Son 
compagnon le traîna comme il put jusqu'aux frontières de 
Bohême et de là à Berlin, où il arriva dans le plus triste étal 
Comme il n'avait pas vu Lascaris depuis le jour de leur en- 
trevue, Pasch se plaignait avec amertume des souffrances et 
des dangers auxquels il s'était inutilement exposé. Ses 
plaintes étant parvenues jusqu'à la cour, le roi Frédéric le 
fit venir et pai:ut écouter avec intérêt le récit de ses info^ 
tunes. Bien sûr, dès ce moment, que Bôtticher n'était pas 
un véritable adepte, Frédéric ne le regrettait plus et se re- 
prochait peut-être de l'avoir poursuivi avec un acharnement 
qui avait causé son malheur, et par contre-coup celui du 
pauvre Pasch, qui mourut six mois après son arrivée à Ber- 
lin. Les détails qui précèdent ont été transmis par le con- 
seiller Dippel, qui les avait appris de Pasch lui-même pen- 
dant les derniers jours de la vie du pauvre jeune homme. 

Cependant Bôtticher demeurait toujours enfermé dans la 
forteresse de Kœnigstein. Confié à la garde du comte de 
Tschirnhaus, il ne devait recouvrer sa liberté qu'après avoir 
refait la teinture philosophale, ou du moins indiqué ce qu'il 
employait pour la faire, deux conditions presque égales, et 
pour lui également impossibles à remplir. Mais la patietice 
de l'électeur était à bout ; il menaça l'artiste de toute sa 
colère. Dans ces conjonctures, Bôtticher pouvait s'attendre au 
plus sinistre dénoûment, lorsqu'un bonheur imprévu vint le 
tirer de danget; 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALUQUES. 515 

Depuis longtemps on s'occupait en Europe de chercher à 
reproduire la porcelaine, que la Chine et le Japon avaient le 
privilège exclusif de préparer et dont la fabrication était te- 
nue fort secrète dans ces deux pays. Au dix-septième siècle, 
les princes faisaient entreprendre beaucoup de recherches 
pour trouver la manière de fabriquer ces précieuses poteries, 
qui étonnaient parleur éclat, leur dureté et leur transluci- 
dité. L'électeur de Saxe avait confié au comte Ehrenfried 
Walther de Tschimhaus des recherches spéciales dans cette 
direction. Or c'est sous la surveillance particulière du cojnte 
de Tschimhaus que Bôtticher, comme on Ta vu, avait été 
placé, par Tordre de Télecteur, dans la forteresse de Kœnigs- 
tein pour y continuer ses travaux alchimiques. Témoin des 
essais du comte relatifs à la fabrication de poteries analogues 
à la porcelaine de la Chine, notre adepte fut naturellement 
conduit à prendre part à ses travaux. Son talent de chimiste 
et ses connaissances en minéralogie lui donnèrent le moyen 
d^obtenir, dans ce genre de recherches, d'intéressants résul- 
tats. Ler comte de Tschimhaus le décida alors à s'adonner en- 
tièrement à ce problème industriel, plus sérieux et plus im- 
portant que celui dont l'électeur attendait la solution. 
En 1704, Bôtticher découvrit la manière d'obtenir la porce- 
laine rouge, ou plutôt un grès-cérame, espèce de poterie 
qui ne diffère de la porcelaine que par son opacité. Il paraît 
cependant que Bôtticher n'avait d'abord composé cette nou- 
velle poterie que pour en faire des creusets très-réfraclaires 
en vue de ses opérations alchimiques. 

Ce premier succès, ce premier pas dans l'imitation des 
porcelaines de la Chine, satisfit beaucoup l'électeur de Saxe, 
et c'est pour lui faciliter la continuation de ses doubles tra- 
vaux, c'est-à-dire de ses recherches céramiques et de ses ex- 
périences d'alchimie, que, le 22 septembre 1707, ce prince 
fit transporter Bôtticher, de la forteresse de Kœnigstein, à 
Dresde, ou plutôt dans les environs de cette ville, dans une 
maison pourvue d'un laboratoire céramique que l'électeur 



316 UISTOIRE 

avait fait disposer sur le Jungferbastei. C'est là que Botticher 
reprit avec le comte de Tschirnhaus ses essais pour fabriquer 
la porcelaine blanche. On ne s'était néanmoins relâché en 
rien de la surveillance dont le chimiste était Tobjet; il était 
toujours gardé à vue. H obtenait quelquefois la permission 
de se rendre à Dresde; mais alors le comte de Tschirnhaus, 
qui répondait de sa personne, raccompagnait dans sa voiture. 

Nous prions les lecteurs qui seraient tentés de mettre en 
doute la véracité de ces détails, de vouloir bien se rappeler 
qu*au dix-septième siècle les nombreux essais que Ton fit en 
Europe pour la fabrication de la porcelaine furent partout 
environnés du secret le plus rigoureux; — que la première 
manufacture de porcelaine qui fut établie en Saxe, celle du 
château d'Albert, était une véritable forteresse avec herse et 
pont-levis, dont nul étranger ne pouvait franchir le seuil; — 
que les ouvriers reconnus coupables d'indiscrétion étaient 
condamnés, comme criminels d'État, à une détention perpé- 
tuelle dans la forteresse de Kœnigstein, — et que, pour leur 
rappeler leur devoir, on écrivait chaque mois, sur la porte 
dos ateliers, ces mois : Secret jiisqtL*au tombeau^. Ainsi ré- 
lecteur do Saxe avait deux motifs de veiller avec vigilance sur 
la personne de Bôlticher, occupé, sous ses ordres, à la dou- 
ble recherche de la porcelaine et de la pierre philosophale. 

Le comte de Tschirnhaus mourut en 1708; mais cet évé- 
nement n'interrompit point les travaux de Botticher, qui 
réussit, l'année suivante, à fabriquer la véritable porcelaine 
blanche, on se servant du kaolin qu'il avait découvert à Aue, 
près de Schneeberg. C'est au milieu de l'étroite surveillance 
dont il continuait d'être entouré que notre chimiste fut forcé 
d'exécuter les essais si pénibles et si longs qui conduisirent 
à cette découverte importante. Mais sa gaieté naturelle ne 
s'alarmait point do ces obstacles. 11 fallait passer des nuits 
entières autour djes fours de porcelaine, et pendant des 

* Brongniarl, Troitc des arts cwam\qHft\,\..V\% 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES, 317 

essais de cuisson qui duraient trois ou quatre jours non in- 
terrompus, Bôtticher ne quittait pas la place et savait tenir 
lès ouvriers éveillés par ses saillies et sa conversation pi- 
quante. 

La fabrication de la porcelaine valait mieux pour la Saxe 
qu'une fabrique d'or. Fort de l'avantage qu'il venait d'ob- 
tenir, certain d'enrichir, par sa découverte, les États de 
son maître, Bôtticher osa avouer à l'électeur qu'il ne pos- 
sédait point le secret de la pierre philosophale, et qu'il n'a- - 
vait jamais travaillé qu'avec la teinture que Lascaris lui avait 
confiée. L'électeur de Saxe pardonna à Bôtticher. La fabri- 
cation de la porcelaine était pour son pays un trésor plus 
sérieux que celui qu'il avait tant convoité. Une première fa- 
brique de porcelaine rouge avait été établie à Dresde en 
1706, du vivant du comte de Tschirnhaus; une autre de 
porcelaine blanche fut créée en 1710, dans le château d'Al- 
bert à Meissen, lorsque Bôtticher eut découvert l'heureux 
emploi du kaolin d'Aue. Bôtticher rentra dans tous ses 
honneurs et môme dans son titre de baron. 11 reçut en outre 
la distinction bien méritée de directeur de la manufacture de 
porcelaine de Dresde. Mais, redevenu libre et ayant retrouvé 
sa position brillante, il perdit les habitudes du travail qu'il 
avait prises pendant sa captivité; il ne mena plus, dès co 
moment, qu'une vie de plaisirs et de luxe, et mourut en 
1719, à l'âge de trente-sept ans. 

Delîsle. 

On met au nombre des envoyés de Lascaris l'alchimiste 
provençal Delisle, dont les opérations ont fait beaucoup de 
bruit en France dans les dernières années du règne de 
Louis XIV. Mais cette opinion ne peut être acceptée qu'avec 
une rectification d'une nature assez grave, comme on va le 
voir. 

Selon l'auteur de VBistoire de la phîlosopMc, hcrï\\è\ÀC(vvç , 



Ma HISTOIRE 

Lenglet du Fresnoy, qui avait recueilli des renseignements 
authentiques sur ce personnage, son contemporain, Delisle 
n'était autre chose que le domestique d*un philosophe qui 
passait pour posséder la poudre de projection. Il est permis 
d'admettre, avec Schmieder, que cet adepte tenait sa pierre 
philosophale, ou plutôt sa provision de chlorure d'or, de Las- 
caris, car, vers Tannée 1690, époque à laquelle ce philoso- 
phe, arrivant d'Italie, se montra dans le midi de la France, 
Lascaris parcourait la Péninsule. Quoi qu'il en soit, les opâ'a- 
tions de cet adepte ayant excité quelque défiance, il fut obligé 
de quitter la France, sur un ordre émané du ministre Lou- 
vois. 11 partit pour la Suisse, accompagné de Delisle, et c'est 
en traversant les gorges de la Savoie que Delisle aurait assas- 
riné son maître pour lui voler la provision considérable de 
poudre de projection qu'il portait sur lui. Delisle rentra en 
France déguisé en ermite. Trouva-t-il dans les papiers de 
sa victime la description de certains procédés capables de 
simuler les transmutations? S'exerça-t-il lui-même aux 
pratiques de ce dangweux métier? Ou bien enfin, ce qui est 
plus probable, faisait-il simplement usage, pour ses opé- 
rations, de la teinture de Lascaris, qu'il avait trouvée renfer- 
mée dans la cassette de sou maître? On l'ignore. Tout ce que 
l'on sait, c'est que, vers \ 706, il se mit à courir le pays en 
faisant des transmutations, et qu'il excita, dans le Langue- 
doc, leDauphiné et la Provence, une émotion extraordinaire. 
Il s'était seulement arrêté trois années environ dans le vil- 
lage de Cisteron, où il avait rencontré, dans I'uq des caba- 
rets de la route, la femme d'un certain Aluys, dont il devint 
amoureux, et qui le retint près d'elle pendant cet inter- 
valle. Il en eut un fils, qui porta le nom d' Aluys, et qui, 
plus tard, à la faveur d'une petite quantité de teinture phi- 
losophale que sa mère lui avait laissée en héritage, parcou- 
rut, en Italie et en Allemagne, la même carrière où son père 
avait brillé. 
Les opérations àe \^A\s\fe <iQii&\^\»Nfc\\ V nx^^s^s^^tss^&'i le 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 5i9 

plomb en or, selon le procédé commun des alchimistes; il 
avait en outre le talent particulier de changer en or les objets 
de fer ou d'acier, opération chimique fort simple en elle- 
méme, mais qui, exécutée avec adresse et sous les yeux ie 
gens ignorants, produisait Teffet d'une transmutation vé- 
ritable. On recherchait avec curiosité, dans le pays, divers 
objets, mi-partie d'or et d'acier, tels que clous, couteaux, 
anneaux, etc., sortis des mains de Talchimiste de Cisteron; 
ce n'étaient pourtant que des objets préparés à l'avance, 
qui, grâce à un tour d'escamotage, semblaient provenir 
d'une transmutation partielle en argent ou en or. 

Delisle s'était attiré ainsi, dans la Provence, dans le Langue- 
doc et le Dauphiné, une renommée prodigieuse. « On s'em- 
« pressait, nous dit Lenglet du Fresnoy, à être de ses amis, 
« je dirai même de ses esclaves. » L'évêque de Senez et un 
grand nombre de personnages éminents, qui s'étaient consti- 
tués ses défenseurs, lui formaient une espèce de cour au 
château de la Palud. Un vieux gentilhomme, qui avait plu- 
sieurs filles à marier, lui avait offert dans ce château une 
agréable retraite. C'est là que Delisle, véritable héros de la 
Provence, recevait chaque jour les visites des curieux du 
pays, qui s'en retournaient émerveillés de ses talents et 
ravis d'emporter en présent quelque objet singulier, fruit 
et témoignage visible de l'habileté de cet incomparable ar- 
tiste. 

Les lettres suivantes, rapportées par Lenglet du Fresnoy 
dans son Histoire de la philosophie hermétique, donneront, 
mieux que tout récit, une idée exacte des opérations de l'al- 
chimiste provençal : 

Lettre écrite par M. de Cerisy, prieur de Châteauneuf, au diocèse 
de Riez, en Provence, leiS novembre 1706, à M. /e vicaire de 
Saint-Jacques-dU'Haut'Pas, à Paris. 

« Voici qiii vous paraîtra curieux, mon cher cousin, et à vos amis. 
La pierre pb«losophale, que tant de personnes èd^Vt^e^ qiv\. W\isv«^ 



520 HISTOIRE 

toniir [vmr «ne diimt'^ro, osl enfin IrmmV. C'est un nommé M. De 
lislo, fl'unr [«roisse appelée Sylanei, près Bnrjaimnont, et qui fait a 
irsidonco onlinaire au château de la Palud, à un quart de lieue d'id, 
qui a i-e stHrcl. Il convertit le plomb en or et le fer en argentin 
in(>tlant sur le métal iVune huile et d'une poudre qu il compose, el 
faisant rou^nr ce métal sur les charbons. Si bien qu'il ne serait pas 
iuipossil)l(! h un homme de faire un million par jour, pourvu qu'il ait 
su flisai liment d'huile et de poudre ; et autant ces deux drogues pa- 
nassent mystéiiew^es, autant et même plus la transmutation est sim- 
ple et ais4V. Il fait de l'or blanc, dont il a envoyé deux onces à Lyon, 
pour Vi>ir ce que les orfèvres en pensent. Il a vendu depuis quelques 
mois vin<;t livres pesant d'or h un marchand de Digne, nommé 
M. Taxis. L'or et l'argent de coupelle, de l'aveu de tous les orfèvres, 
n'ont jamais approché de la bonté de ceux-ci. U fait des clous partie 
or, partie f(>r et partie argent. Il m'(>n a promis un de cette sorte, 
dans une conférence de près de deux heures que j'eus avec lui le 
mois passé, par ordre de M. l'évAque de Senez, qui a vu toutesxhose? 
de ses ]>ropi*es yeux, et qui m'a fait l'honneur de m'en faire le rcdl; 
mais il n'est pas le seul. M. et madame la baronne de Reinsralds 
m'ont montnî le lingot d'or qu'ils ont vu fairo devant leurs yeux. 
Mon l)oau-fit>re Sauveur, qui perd son temps depuis cinquante ans à 
cette gi-ande étude, m'a apporté depuis peu un clou qu'il a vu cban- 
gei' en or, ot qui doit le pei-suader de son ignorance. Cet excellent 
ouvrier a reçu une lettre de M. l'intendant, que j'ai lue, aussi obli- 
geante qu'il mérite. Il lui offre son crédit auprès des ministres pour 
la sùivté de sa ])ersonne, h laquelle et à la liberté de laquelle on a 
déjà entre])ris deux fois. On croit que cette huile dont il se sert est 
un or ou aigent réduit en cet état. 11 la laisse longtemps au soleil. H 
m'a dit qu'il lui fallait six mois pour ses préparatifs. Je lui dis qu'ap- 
paremment le roi voudrait le voir. 11 me dit qu'il ne })Ouvait pas 
exercer son art partout, et qu'il lui fallait un certain chmat. La ve- 
nté est que cet homme ne paraît pas avoir d'ambition. Il n'a que 
deux chevaux et deux valets. D'ailleurs, il aime beaucoup sa liberté, 
n'a presque point de politesse, et ne sait point s'énoncer en français, 
mais ili)araît avoir un jugement solide. 11 n'était qu'un serrurier qui 
excellait dans son métier, sans l'avoir jamais appris. Quoi qu'il en 
soit, tous les grands seigneurs qui peuvent le voir lui font la cour, 
jusqu'il taiTC vèçuov ^vv>^\ç \\\v\V\\xv> . lU'ureusc la Fnince si «*l 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 32i 

[lommc voulait se découvrir au ror, auquel^. l'intendant a envoyé 
les lingots ! Mais le bonheur serait trop grand pour pouvoir Tespérer, 
car j'appréhende fort que Thommene meure avec son secret. J'ai cru, 
mon cher cousin, qu'une telle nouvelle n'était pas indigne de vous 
être communiquée. Elle fera aussi plaisir à mon frère; envoyez-la - 
loi, je vous prie. Il y a apparence que cette découverte fera un grand 
bruit dans le royaume, à moins que le caractère de l'homme que je 
Tiens de vous dépeindre ne l'empêche ; mais, à coup sur, il sera parlé 
de lui dans les siècles à venir. Il ne faudra plus aller au trésor de 
Florence pour voir des clous partie d'un métal et partie d'un autre, 
fen ai manié et j'en aurais déjà si l'incrédulité ne m'avait fait négli- 
ger cet homme jusqu'à présent. Mais il faut se rendre à la vérité, et 
j'espère voir cette transmutation dès que M. Delisle sera de retour h la 
Palud. Il esi présentement aux ft*ontières de Piémont, dans mi château 
où il trouve du goût. C'est dans le diocèse de Scnez. 
« Je suis, etc. 

« Signé : Gerisy. i» 

Autre lettre dudil sieur de Cerisy au même, 27 janvier 1707. 

« Ma dernière lettre vous parlait d'un fameux alchimiste provençal 
qui fait séjour à un quart de lieue d'ici, au château de la Palud, el 
qu'on nomme M. Delisle. Je ne pouvais vous dire alors que ce qu'on 
m'avait dit ; mais voici quelque chose de plus, mon cher cousin : j'ai 
on clou moitié fer et moitié argent, que j'ai fait moi-même, et ce 
grand et admirable ouvrier m'a voulu encore accorder un plaisir plus 
grand : c'a été de faire moi-même un lingot d'or du plomb que 
j'aTais apporté. Toute la province est attentive sur ce monsieur ; les 
uns doutent, les autres sont incrédules ; mais ceux qui ont vu sont 
contraints de céder à la vérité. J'ai lu le sauf-conduit que la cour lui 
a accordé, avec ordre néanmoins de s'y aller présenter le printemps 
prochain. Il ira volontiers, à ce qu'il m'a dit, et il a demandé ce terme 
pour faire ramasser en ce pays ce qui lui est nécessaire pour faire 
une épreuve devant le roi digne de. Sa Majesté, en changeant dans 
un moment une grande quantité de plomb en or. 11 revint ces jours 
passés de Digne, où il s'est donné un habit de 500 écus. 11 y a tra- 
vaillé publiquement et en secret, el il y a donné pour environ mille 
livresd'or, en dous ou en lingots, a ceux qui l'allaient voir par curiosité. 



393 HISTOTOE 

Je souhaite bien que ce monsieur ne meure pas avec son secret, et 
qu'il le communique au roi. Gomme j*eus Thonneur de dîner avec lui 
jeudi dernier, 20 de ce mois, étant assis â son côté, je lui dis tout bis 
qu'il ne tenait qu'à lui d*humilier les ennemis de la France; il ne dit 
pas que nou, mais il se mit à sourire. Enfin, cet homme est le mi- 
racle de Tart; tantôt il emploie Thuile et la poudre, et tantôt h 
poudre seule, mais en si petite quantité, que quand le lingot qiie je 
ûs en fut frotté, il n'y paraissait point du tout. Je m'en irai au M(nh 
tier au premier jour, pour faire travailler proprement à un coatean 
tout de fer; M. Delisle m'a promis que, le tranchant de la hme de- 
meurant fer, il changerait le reste en argent, et que la même corifr- 
sité se trouverait au manche. Voilà ce qui se passe chez nous. 

« Signé : Gerisv. t 

Lettre de M, de Lions, chantre de Grenoble, du ZO janvier iW. 

a Vous savez, sans doute, monsieur, que M. de Givaudan, qui com- 
mande dans cette province depuis le départ de M. de la Feuillade, se 
porte un peu mieux. C'est un général des meilleurs que le roi ait, et 
ce serait assurément une perte s'il mourait. 

« M. Mcsnard, curé du Moutier, m'écrit qu'il y a un homme îigé 
de trente-cinq ans, nommé M. Delisle, qui convertit le plomb et le 
fer en or et en argent, et que cette transmutation est si véritable et 
si réelle, que les orfèvres trouvent que son or ou son argent, méta- 
morphosé de la sorte, est très-tin et très-pur, et cela avec la même 
facilité qu'on blancliit un denier avec du vif-argent. On a pris cet 
homme pendant cinq ans pour un fou ou un fourbe ; mais on vient 
d'en être désabuse ; car il a enrichi le gentilhomme chez qui il de- 
meurait et faisait ses opérations. Il est à présent chez M. de la Palud, 
qui n*est pas trop bien dans ses affaires, et qui aurait bien besoin 
qu'on lui donnât de quoi marier ses filles déjà fort avancées en âge, 
faute de dot. C'est œ qu'il a promis, proprio motu, avant que dt? 
s'en aller à la cour, où il été mandé par mi ordre qui lui a été com- 
muniqué de la part de M. l'intendant. Il a demandé du temps pour 
amasser la quantité de poudre qu'il faut pour faire en présence du roi 
plusieurs quintaux d'or, dont il veut faire présent à Sa Majesté. La 
principale matit're dont il se sert pour ses opérations sont des simples, 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 325 

dont les principaux sont la luminaria major et minor. Il y en a 
beaucoup de la première sorte dans le jardin de la Palud, où il en 
a semé et planté. Pour la dernière^ il y en a beaucoup dans les mon- 
tagnes de la Paludy qui est un bourg à deux lieues de Moutier. Ce que 
j*ai l'honneur de vous dire ici, monsieur, n'est pas un conte fait à 
plaisir ; M. Mesnard cite pour témoin M. Tévêque de Scnez, qui a yu 
Élire de ces opérations surprenantes. M. deCerisy, que bien vous con- 
naissez, prieur de Châteauneuf, avec de la poudre que ledit sieur De- 
lisle avait donnée, de la grosseur d'une lentille, convertit un petit 
lingot du poids de quelques livres. Il fait l'opération en public. Il 
frotte le fer ou le plomb avec cette poudre et le met sur du charbon 
allumé, et en peu de temps on voit blanchir ou jaunir le métal, qu'on 
trouve ensuite converti en or ou en argent, suivant la dose ou la ma- 
tière du fer ou du plomb qu'on a frotté. C'est un homme sans lettres. 
M. de Saint-Auban lui a voulu apprendre k lire et à écrire, mais il en 
a peu profité. Il est impoli, rêveur, fantasque, et n'agissant que par 
boutades. Il n'osa pas même paraître devant M. l'intendant, qui l'avait 
mandé ; il pria M. de Saint «Auban d'aller répondre pour lui en sa 
place. 

c Je suis, etc. 

« Signé : Lions. » 

Extrait .d'une lettre du 49 janvier 1710, écrite à itf. Ricard, 
gentilhomme provençal, demeurant rue Bourtiboufg. 

« Le chet* Ricard vous envoie un clou moitié argent, moitié fer ; 
celui qui l*a prêté parle de tout pour l'avoir vu. 11 m'a montré un 
morceau d'or pesant environ deux onces, et dit qu'il a mis lui-même 
ce morceau, alors plomb, sur une pelle pleine de charbons ; qu'il a 
soufflé ces charbons, mis sur le plomb une pincée de la poudre du 
charlatan ; que dans le moment le plomb est devenu or. 11 dit qu'il a 
tu pour plus de soixante mille livres de lingots d'or à cet homme, et 
ipi'un beau-père du narrateur, nommé Taxis, jadis marchand à Digne, 
présentement le plus riche bourgeois de cette contrée, et un autre 
Taxis, tous deux riches de plus de deux cent mille livres, ont vendu 
à Lyon pour des sonunes considérables de lingots d'or faits par cet 
homme. Il dit avoir envoyé acheter six gros clous ; l'un des six est 



324 UISTOIRB 

celui que je vous envoie : il fut transmué en argent de la tète jus- 
qu'au milieu, de là en bas il resta fer. Les autres dnq furent tous 
convertis en argent, qu'il a encore en lingot et que j'ai vus. 11 adi- 
Yerses épreuves d'or qu'il a vu faire. 11 dit que cet honune met une 
quantité d\>r dans un creuset, le fond, Vanniliile, ce sont ces tenues; 
il devient semblable à du charbon, et dans cet état on n'en tirerait plus 
d\)r. (](>la fait, il mêle ce charbon avec de la terre grasse; cette com- 
position est détrempée avec une eau qu'il prépare longtemps d'avance, 
tirée d'une infmité d'herbes qui croissent sur nos montagnes; cela 
fait sa poudre. On lui a volé une fois de cette eau de quoi transfor- 
mer pour vingt-cinq mille livres de matière. Cette poudre feil le 
dixième, c'est-à-dire que d'un loiiis d'or anniliilé il en fait dix, et 
assure que, s'il avait le loisir de perfectionner son opération, il fe- 
rait, d'un, cinquante ou soixante. M. l'intendant a un clou de fer 
or et argent. II, y a dans la province pour plus de quatre ou dnif 
mille livres d'or ou d'argent, que cet homme a donne au tiers et au 
quart, de ses épreuves, clous, clefs, etc. 11 a demandé quinze mois 
j)Our préparer de la poudre, et pi*étend, arrivant à la cour, trans- 
nmer de la matièie pour un million. Voilà ce que j'ai i*etenu de mille 
particularités que cet homme m'a racontées. Au retour de M. Tin- 
tendant, qui est à Marseille, je m'infonm^rai de lui de ce qu'il en 
sait, et je lui demanderai son clou; s'il l'a encore, il ne me le refu- 
sera pas, et je vous l'enverrai. Adieu, mon cher oncle, j'aurais grand 
besoin de tenir cet honune en chambre pendant quelques mois. » 

Le bruit des opérations de Dolisle parvint jusqu'à' Ver- I 
sailles, et la cour s'en émut. Comme on vient de le voir 
par les lettres précédentes, Tordre avait été envoyé en 1707 
à riutendant de la province de faire venir Delisle à Paris; 
mais, sous divers prétextes, il avait éludé cet ordre. On vou- 
lut cependant pousser l'affaire jusqu'au bout. L'examen 
d'une telle question revenait de droit au contrôleur géné- 
ral des linanccs. Desmaretz, récemment appelé à ce poste, 
fut donc chargé de rechercher ce qu'il y avait de fondé 
dans les bruits qui couraient sur ralchimiste de Cisteron. 
Comme l'évoque de Senez s'était beaucoup mêlé à tout ce 
qui concernait Del'sle, c'est à lui que Desmaretz s'adressa 



DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 325 

pour obtenir les renseignements demandés par la cour. 
L'évoque de Senez répondit à ses demandes par la lettre, ou 
si l'on veut, le rapport qui va suivre : 



LeUre adressée par Vévêque de Sene% au contrôleur des finances 
Desmaretz, le avril 1709. 

f MoDsieuis après vous avoir marqué il y a plus d'un au ma joie 
particulière au sujet de votre élévation, j'ai rhonnem^ de vous écrire 
aujourd'hui ce que je pense du sieur Delisle, ([ui a travaillé à la trans- 
mutation des métaux dans mon diocèse, et quoique je m'en sois expli- 
qué plusieurs fois depuis deux mois à M. le comte de PontchaHraiii, 
parce qu'il me le demandait, et que j'aie cm n'eu devoir point parler 
à M. de Gliamillard ou à vous, monsieur, tant que je n'ai point éir 
intciTOgé, néanmoins, sur l'assurance qu'on m'a donnée maintenanl 
que vous voulez savoir mon sentiment, je vous le dirai avec sincérité 
|K>ur les intérêts du roi et la gloire de votre ministère. 

« 11 y a deux choses sur le sieur Delisle qui, à mon avis, doivent 
être examinées sans prévention ; l'une est son secret, Tautre est sa pei- 
soune ; si ses opérations sont véritables, si sa conduite a été régu- 
lière. Quant au secret de la transmutation, je Tai jugé longtenijiN 
impossible, et tous mes principes m'ont rendu incrédule plus qu'au- 
cun autre contre le sieur Delisle, pendant près de ti-ois ans; pendant 
ce temps je l'ai négligé; j'ai môme appuyé l'intention d'une pei^sonnc 
qui le poursuivait, parce qu'elle m'était recommandée par une puis- 
sstnce de cette province. Mais cette personne ennemie m'ayant dé- 
claré, dans son courroux contre lui, qu'elle avait poilé plusieui-s Ibis 
aux orfèvres d'Aix, de Nice et d'Avignon, le plomb ou le fer du sieur 
Delisle, changés devant elle en oi", et qu'ils l'avaient trouvé très-bon. 
je ciiis alors devoir me défier un peu de. ma prévention. Ensuite, 
Payant rencontré dans ma visite épiscopale chez un de mes amis, on 
le pria d'opérer devant moi ; il le fit, et lui ayant moi-môine olfeii 
quelques clous de fer, il les changea en aigent dans le^lbyor de la 
cheminée, devant six ou sept témoins dignes de foi. Je pris les clou^ 
transmués et les envoyai par mon aumônier à Imbert, oifévre d'Aix, 
qui, après les avoir fait passer j»ar les épreuves, déchira qu'ils étaient 
de très-bon argent. Je ne m'en suis pourtant pas tenu à cela; M. de 



^ ■■ .1. .-lu 1,7.»- ' :r-ïi.\ ^ii-. -|ii*: j« ferais cIhkc 

_"■ . . JL/— * *"-'.'. :.».': z.rVH-aj'-r dt: et fait, j'appelai 

-. I-..- - • ..-■- -j..»- . - r.c: /- .-i dï •^M.orter de huit utt 

■ ■'. :• !.. .— .• — •-::■..- - . -.•'.^'-..-: :»: bi^ïn viirilWr mit h'* 

.1 ' -' :- ..:. .•.•-.- ■-- - •- .i.:^ -i »... un réchaud Jeiii piêir» 

.1. -' :-.. i- - ».--r.: •,- .- /rm..* li a M.iit'Piio- 

f •••.-. ■• : ". /;..-:..«. - -f-;^?-- de Pari>, qui les 

•- av.:*-r. : ... — ■:• ■. : r. . '.:..-• >i .•r.«»n^; quej'aienuiaiih 

J-. t.*:- !■: <- ■■ -.— .-r... f i. > :t\»: :•.: tiriu»riit ébranlé ; inais je 

•. <r. i-r. :.i- -■-•. - :. ..'.'^ «i -.1 ■p^jration- que je lui ai m 

:'»..--. > f-: .-■ i > --i. .c.^ .. .:»:a"^t. «rt rncurf plus par telle 

T-' r-.— -j=f..- :*- :.-.: - v.s../.' ivî»::". *u.. vioi qu'il ti»ucliàt a rieu. 

V-...- fiTÂ "«a -ro- . :..• rii-tT^. Il i-iî.t: de mon ut-reu, le P. Bc- 

' y.. • -.. ..' :■; Fj:!*. r^i /vi- r.:iiuu qu'îl itvait lallo lui-même 

I •,.:->: ::. . :".,-. • . X- jilr.Mc l.i v.-ul»:. LiilîUy mon neveu, le sieur 
Brrij-j-i.:. •_«:.*. .-. .. i.. •!• ^-J- ti«.«i* -.muinf?. a fait iiu!i>i la luèiiii' 
•■f*:i-î»..-.:.. i.'î.iil . -> iL'-nii-.-ur d' \t.u* lairu le détail. Mion>ieur, et 

•■ '. .-. I.-.- --v n- vu -t !jil, cent autres iiei'ïïOiines de mon diueêsc 
l"' ;.:. t'ivt id!t tii-'!. J»: vuu.* iiv.iuf. mon>ieui', qu'ajirê.s ce grand tê- 
rij-'ijnH,»; ■!•: -j-i talt-iH-. di.' tant d'orrévi-e>, de tant dVnieuves de 
tout';* -ort»> . m»-* !•» ••venlioii" unt été foitées de ^'éranouir, lua 
I 1 '.ri H ..'N- .1 iii'-^ \*-\i\. it mi> l;tntnnio> d*im|H»!iibilili' onl t-lc 
'li-'iji*''. ji.«r Ml»- l'iupi''" iiiiiin>. 

• Il -'.j.il iriHiiiliiriiilde >;« priMume d de ^a conduite, ronlir li- 
qii<-ll'- ••n p'-|i.iriii tioi^ ^nii)»f;nii> : Ir |ircniier, sur ce qu'il est iiièlô 
fliin^ ufM: |ii>Mriiiiii: riiiiiiiitrllr dr Si>l<'r()ii )iour k-s monnaies; leM*- 
«onil, «!'■ rr ijn'il .i i-ii i1«n\ >:iu(-run«luits sins elTet; et le troiMèmr, 
d«; rr, ijiraii|oiinriiMi il lanl».^ d'idlrr î\ lu n»ur pour y o|jéiei'. V«Hi> 
\o\r/, irioMMf'iii. (|ni> jr Ht.' (-:i(|i(> ni n\''\i(e rien. Sur la pioeédure 
i\r. Si>t«ToM, I*' >\r\i\ Di'lish- m'a soutiMUi qu'elle n'avait rien eonli-e 
lui qui piii>M' nvcr i;ii>nii le i\\\n^ hlàuier de la justice, et qu*il n'a- 
v;iit j:unuis l'ait iiiidin néjioc^; contraire au service du roi; qu'à la \ê- 
rilé, ayant élé il n w six ou sept ans à Sisteron jwur cueillir des Iut- 
Im's nécessaires li scn |)(ui<ires, sur les uionta>«ncs voisines, il arail 
lii^è chez, un nommé Telous, (pfil croyait honnête honune ; que, (jud- 
que teuqis ;qnrs sa surlie, Pelons l'ut accusé d'avoir reniaitiué ili"> 
louis d'or, et connue le sieur l)elislea\ail demeuré chez cet lionuiit'. 
on Mnipv**!"!:^ qu'il poun;m1 bien avoir élé conqdice de Pulous: il 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 5^7 

culte simple idée, sans aucune preuve, le fil condumnor [)ur coutu- 
uiace, chose assez ordinaire aux juges, dont les sentences soûl toutes 
rigoureuses contre les absents ; et Ton a su, pondant mon dernier sé- 
jour à Aix, que le nonuué André Aluys n'avait répandu quelques 
isoupçons contre lui que pour éviter de lui payer quarante louis qu'il 
hii avait prêtés. Mais permettez-iuoi, monsieui', d'aller plus loin et 
d*ajouter que, quand il y aurait quelques sou])çons, je crois qu'un 
secret si utile à l'État, tel qu'est le sien, mérite des ménagements 



« Quant aux deux sauf-conduits sans effet, je puis vous réiwndi'e cer- 
tainement, monsieur, que ce n'est pas sa faute, car son année con- 
sôstant proprement dans les quatre mois de l'été, quand on les lui ûte 
par quelque traverse, on l'empêche d'agir et ou Im enlève une amiée 
entière. Ainsi, le premier sauf-conduit devint inutile par l'irruption du 
duc de Savoie en 1707, et le second fut à peine obtenu à la lin de 
juin 1708, que ledit sieur fiit insulté par des gens armés, abusant du 
nom de M. le (M)mte de Grignan, auquel ledit sieur eut beau écrire 
lettres sur lettres ; il ne put jamais en recevoir aucune réponse \h>uv 
sa sûreté. 

« Ce que je viens de vous dire, monsieur, détruit déjà la tioisièuK; 
objectiou et fait voir pourquoi il ne peut aujourd'hui aller à la cour, 
nonobstant ses promesses de deux ans. C'est que les deux et même 
les ti-ois étés lui ont été airachés par des inquiétudes continuelles. 
Voilà d'où vient qu'il n'a point ti'availlé et que ses poudres et ses 
huiles ne sont point encore dans la quantité et dans la perfection lu'i- 
cessaires ; voilà pourquoi il n'a point de poudre parfaite, et n'a jm eu 
donner au sieur du Bourget pour vous en envoyer; et si aujouixl'liui 
il a fait clianger du plomb en oi' avec très-peu de grains de sa ])ou- 
dre» c'était assurément tout son reste, connue il me l'avait dit long- 
temps avant qu'il sût que mon neveu dût venir ici, et quand même il 
aurait gardé ce peu de matière pour opérer devant le roi, jamais il ne 
se serait aventuré avec si peu de fonds, parce que les moindres obsta- 
cles de la part des métaux plus aigus ou [)lus doux (ce qui ne se 
connaît qu^en opérant) le feraient passer trop facilement pom* un im- 
posteur, si, dans le cas d'inutilité de sa première poudre, il n'en avait 
pas assez d'autre pour surmonter tous ces aaideuts. 

« Souffrez donc, monsieur, que pour concliisiou je vous répète 
qu'un tel artisan ne doit pas être poussé à bout, ni forcé de cher- 



Ô:IH UISTOIHK 

(■lier (fautn^s asilo qui lui sont oiïoils, et qu'il a méprisôs par sun 
iii(-lin:itinn cl par mes conseils ; tpron ne risque rien en lui dounanl 
(lu temps, et qu'on peut beaucoup peitlre en le presiiant trop ; que la 
\»'iité (le. Hiii or ne peut plus être douteuse, après les épi*euves de 
tant (roiiévies d'Aix, de. Lyon et de Paris, et que, le peu d'effet des 
siuf-eonduits précédents ne venant iK)int de sa faute, il est important 
d«'. lui en donner un autre, du succès duquel je ine ferai fort, si tous 
voulez bien eu confiei' les bornes et les daases à mon expérience 
pour l<î secret, et à mon zMi? pi)ur Sa Majesté, à laquelle je ?ous sup- 
plie de vouloir conununiquer cette lettre, ])our ui'épargner les justes 
re])roches «pie le roi pourrait me faire un jour, s'il ne saYail pas que 
je vdus ai éciit. Assurez-Us s'il vous plait, que si voas in'envoj'ei un 
lel sauf-conduit, j'obli<;erai le sieur Delisle à déposer chez uioidi; 
]H*écieux jiafres de sa fidélité, qui m'en répondi'ont i)our en pouroir 
i-épondre moi-même au roi. Voilà mes sentiments que je souuKisà 
vos lumières, par le resiK^ct singuliei* avec l(?(juel j'ai l'honneiir 
d'être, etc. 

« Y Jean, évèquc de Scnez. » 

Kii nicmo loîni>s lyie révùquo de Senez avait été charfje 
ilo faire une enquOle sur Delisle, M. de Saint-Maurice, con- 
seiller du roi et pnVident de la mounait» à Lyon, avait avu 
rinvilation de le laire opérer sous ses yeux. Cnnforméinenl 
au désir du ministre, M. de Saint-Maurice lit travailler l'ai- 
eliiniisle en sa présence au château de Saint-Auban. Le rdj»- 
port (|ui suit expose la manière dont Topérateur procéda 
pour exécuter deux transmutations en or, Tune sur du mo^ 
cure, la seconde sur du plomb. Il faut savoir, pour com- 
prendre les opérations (|ui vont être décrites, que Delislo 
préparait sa poudre d(î projection en laissant séjourner plu- 
sieurs mois les ingrédients au sein de la terre. Avant tic 
procéder aux opérations devant le pn-sident de la Monnaie, 
il dut donc commencer [»ar aller |>rendre dans le jardin ilu 
cbàt(NUi sa poudie «le projection, qui s'y trouvait enterm' 
flans le sol, et (\m était censée y subir la préparation eu I.' 
toct'wn consid(''r('e par lui comme nécessaire. 



DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. 329 

liapport de M, de Saint-Maurice , président de la Mofinaie de Lyon. 

« Les épreuves et les expériences qui ont été faites par le prési- 
dait de Saint-Maurice au chAteau de Saint- Auban, dans le mois do 
mai 1710, au sujet delà mutation des métaux en or et en argent, 
sur ]^iiivitation qui lui fut faite par le sieur Dclisle, de se rendre au- 
dit château pour faire lesdites épreuves, sont en la manière suivante : 

< Première expérience. — Le sieur de Saint-Maurice, conduit 
par le sieur Delisle et M. Tabbé de Saint-Auban dnns le jaixlin du 
château, fit, par leur ordre, ôter de la ten'c d'une plate-bande, sous 
laquelle était une planche en rond qui couvrait un grand panier d'o- 
sier enfoncé dans la terre, dans le milieu duquel était saspendu un 
fil de fer, au bout duquel était un morceau de linge contenant quelque 
chose. On fit prendre au sieur de Saint-Maurice ce morceau de linge, 
lequel ayant été apporté dans la salle du château, le si(>ur Delisle lui 
dit de rouvrii* et d'exposer au soleil sur la fenêtre ce qui était de- 
dans sur une feuille de papier; ce qui ayant été, M. de Saint-Maurice 
reconnut que c'était une espèce de mâchefer ou teire noiratre et 
l^rumeleuse, h peu près du poids d'une demi-livre. Cette terre resta 
cxiK)sée au soleil l'espace d'un quart d'heure ; après quoi le sieur de 
Saint-Maurice enferma le tout dans le même papier et monta avec ses 
honuDCs, le sieur Lenoble, son prévôt, et le sieur de Riousse, sub- 
délégués à Canna*!, de M. le Bn^t, intendant de Provence, dans un 
^O^nler où il y avait un fourneau portatif. 

« Le sieur Delisle dit au sieur de Saint-Maurice de mettre cettt^ 
espèce de mAchefer dans une cornue de verre, a laquelle fut joint un 
récipient; cette cornue étant sur le petit fourneau, les chiirbons qui 
furent mLs autour de la cornue furent allumés ])ar les valets de 
M. de Saint-Maurice. Quand la coraue fut écliaulfi'e, le sieur De- 
lisle recommanda à M. de Saint-Maurice de bien observer lorsqu'il 
verrait précipiter daiis le récipient une petite liqueur jaunâtre eu 
forme de mercure, qui fut de la moitié d'un gros pois. Il recommanda 
de prendre garde qu'une manière d'huile visqueuse qui coulait len- 
tement ne tombât dans le récipient ; à quoi le sieur de Saint-Mau- 
rice eut grande attention ; il sépara pi'omptement le récipient d'avec 
la cornue, lorsqu'il s'aperçut que la première, matière était précipi- 
tée au fond àa ce vaisseau. Ensuite, sans laisser refroidir cette ma- 
lien», il la vei*sa prompteinent sur trois onces de mercure onlinaire 



'^T^i HISTOIRE 

-jij"i»n ii.iji mi* «lan* un i^-tit rr»=-uv*t: «iir quoi ayaut jelé doux jk»- 
i»f«« iiO'iU'-' «Hjuil»- du -'l-il. «j-ii tui lut [•rés«ntt''e daa<i une petite 
li'»iit<-ill«- l'if If* *i*'iii Ii»-!i«l>'. il mit le tout sur le feu Tespace d'un 
tui^ert-rr, »•! ifHda '.-n-iiit»* ctM|ui ûtait dan^ le crouset dans une liiigo- 
tli-i-, *\ il *il Piiitif un jM-iit linijnt tV^v «-ii Innç, du poids donriron 
lîoi» i.fii»>, qui »M 1h iiii-iu»- qu'il a |irëM.*nti* à M. Desninreti. Il but 
ir'in:iir|i)rr qu»', lniMiUi* r»? HU'rcure ]iIiilosopluqn«^ est refroidi etdes- 
'«W-li»', puis iiii* ihm- une buuteill^ d».- verre bien bouchée, il se ré- 
• luit en )iriudr»s rjui -«'HpiN^Ui* |¥»udre di* ^irojeilion et qui est noire. 

• Seconde crynience. — Elle fut Taitr avec environ trois onces 
di* li:db-^ de plond» li pi>tolet, qui iHaieul dans la gibmère du ralei 
df M. de Siiint-MHurice, lesquelles ayant été fondues dans un petit 
niMiM't et :iflin<''e> par li' moyen de l'alun et du salpêtre, le sieurDe- 
li<>li* pr(ïsent:i à M. de Sîiint- Maurice un petit papier et lui dit de 
pirndr*' dr la poudre qui y était, environ la moitié d'une prise de 
laliac, laquelle fut j<^ti>o |)ai' le sieur de Saint-Maurice dans le creuset 
nù ét»it le plcuid) fondu; il y versa aussi deux p^outtes de l'huile du 
sulril de sa première bouteille, dont il a été parlé ci-de,<;sus ; ensuite 
il remplit ce cr(ins(>t de s:d|)<^tre et Liissa le tout sur le feu Tespace 
d'nn (juaii d*heim»; aprî's quoi il versa toutes ces nlnti^n^s fondiiff 
l'I hhM^'s ciiw'mble sur la moitié d'une cuirasse de fer, où elles for- 
mr-i'enl la petite plaque d'or avec les autres morceaux qui ontétépiv- 
MMilés à M. Desmaretz par M. de Saint-Maurice. 

« I/e\|)érien(e pour Tarèrent s'est fait«» de la même maniiVe que cette 
di'inière, à la i«'sei*ve que la poudre métallique ou de ))rojection, pour 
l'ar-^enl est blancliàtre. et que celle ]H)ur Tor est jaunàtiv etnoiràtn\ 

« Toutes lesdiles exiH'rienoes attestées ètn? véritables et avoir t-té 
laites au eliàteau de Saint-Auban, par nous, constMller du i*oi en ses 
eoiueils, pn*si«lenl eii la i'»)ur des Monnaies de Lyon et commissaire 
du conseil, nonuué par ai'rét du 5 dtVembre 1709, pour la rechor- 
(lie dt>s fausses fabrications des espV-es, tant en Pitwence, Danphiné. 
ipie nuntédeNice et valli'i's «le Rarcelonnette. A Vei-sailles. le lidi'*- 
cembre 171(1. 

-I Siuné : De Saînt-Mairice. i» 

Avec II» rapport prtvédi^ni. M. de Saint-Mauriiv onvovâ 
III ministre IVsmarei/ T^r piMvenniit d»*s diHix transmuta- 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 351 

lions opérées sous ses yeux par Talchimiste de Sisteron. On 
avait essayé à la Monnaie de Lyon de frapper des médailles 
ou pièces avec cet or philosophique; mais, le métal s'étant 
trouvé très-aigre, on y renonça, et Ton se contenta d'envoyer 
au ministre le lingot fabriqué par Delisle *. A Paris, ce métal 
fut soumis à raffinage, et Ton en frappa trois médailles, 
flont une fut déposée au cabinet du roi : (r Le carré en sub- 
« siste encore au balancier, écrit Lenglet du Fresnoy en 1762, 

et l'inscription porte : Aumm arte factum. Le transport 
tf du cabinet du roi, de Versailles à Paris, ayant mis ce pré- 
« cicux dépôt dans un grand dérangement, je n'ai pu en 
« donner une empreinte; mais j'aurai quelque jour occasion 
« de le faire. » 

Les deux rapports adressés au ministre Desmaretz par 
rt'vôque de Senez et le président de la Monnaie de Lyon 
confirmaient, en les précisant, les merveilles, attribuées à 
Talchimiste du Midi. Louis XIV, à qui ces faits furent com- 
muniqués, fit commander à Delisle de se rendre à Versailles. 
Mais, comme cet imposteur avait lieu de redouter un examen 
trop attentif, il opposa pendant deux ans toutes sortes de 

* Le monnayeur de Lyon à qui cet essai avait été confié montrait moin!« 
de confiance que son supérieur dans la validité de Tor philosophique. 
C'est ce que montre la réflexion qui termine sou petit Rapport à M. de 
Saint-Maurice sur l'essai dont il fut chargé. Cette pièce est ainsi conçue : 

« Rapport du monnayeur de la Monnaie de Lyon. — On a voulu fondre 
( dans la Monnaie Tor remis par Monsieur (de Saint-Maurice], et lo 
a mettre en état d*étre monnayé : il s'est trouvé si aip:re, qu'il n'a pas été 
( possible de le travailler. En cet état, je demande à Monsieur (de Saint- 
k Maurice] s'il trouve à propos que je le t'iisso passer à l'atlinage, c'est- 
f à-dire au départ de l'eau-forte. 

a A l'égard de l'argent, il s'est trouvé à 11 deniers 5 grains et a pro- 
c duit 2 écus, 2 demi-écus, 5 quarts et 3 pièces de 10, que je me donne- 
' l'honneur de présenter à Monsieur (de Sainl-Mnurice). 

K Je prends néanmoins la liherté de lui représenter, fondé sur l'expé- 

1 rience et sans aucime prévention, que ces matières philosophiques mo 
« sont extrêmement suspectes, et, quand il lui plaira, j aurai Thonneui 
' d'en donner des démonstrations InnI mécaniques que physiques, m 



:m histoire 

défaites pour se ilispenser de paraître à la cour. A la fin on 
(HTdit patience, et rëv(M|iie de Senez sollicita InUmême une 
lettre de cachet contre son favori. En 1711, l'alchimiste fut 
enlevé et dirigé sur Paris. Hais, dans le trajet, les archers 
ehargi's de le conduire, sachant à quel homme ils avaient 
affaire, résolurent de le tuer pour s'approprier la pierre phi- 
loKophale (|u'il portait sur lui. On feignit donc de se relâ- 
cher de la surveillance dont il était l'objet, ou lui donna 
lieu de s'enfuir, et l'on tira sur lui au moment où il s'échap- 
pait. On fut assez maladroit pour ne pas le tuer; il eut seu- 
lement la cuisse cassée. En cet état il fut enfermé à la Bas- 
tille. Il y demeura un an, refusant toujours de travailler, el 
déchirant dans des acc(»s de désespoir les bandages de îvs 
blessures. Il finit par s'empoisonner. 

Domcnico Manuel. 

Don Domeuico Manuel, comte Gaëtano, comte de Ruggiero, 
NeapolitanOy maréchal de camp du dm de Bavière, générai 
cmiseiller, colonel d'un régiment à piedy commandant de 
Munich et major généi^al du roi de Prusse^ i»tail, au temps 
qui nous occupe, un dos plus grands seigneurs de l'Europe. 
La pompe de son nom, la variété de ses titres, le faisaient 
considérer comme un homme universel. D'où s'était levé cet 
astre, ou plutôt cette comète à si longue queue, qui, au com- 
mencement du dix-huitième siècle, apparut au firmament île 
la philosophie hermétique? 

Domcnico Manuel (Hait né à Pctrabianca, prés de Naples, 
d'une famille honnête et d'un père maçon. Dans sti jeu- 
nesse, il apprit le mc'tier d'orfévrc, ensuite il voyagea en 
Italie, et ce fut dans ce pays même que, d'après son propr»' 
témoignage, il fut initié, en 1695, au secret de l'art tran>- 
mutatoire. Bien que Domenico n'ait |)oint prononcé le nom 
de l'adepte qui l'instruisit, on croit avec assez de fondement 
c'étivU co même. \|hilosophe italien de (jui le Pnneneal 



DES TRANSMUTATIONS METALLIQUES. r.:..- 

Delîsle avait tiré sa imudrc, c'est- j'i-Jirj'! I^srîiris, (|iii [ku- 
lait si bien l'italien dans son vovaj^o avec le nmseillcr 
Liebknecht, et qui ne s'était pas encore niontn'' en Allema- 
gne à répoquo indiquée par Donienico. Schmieder, (rail- 
leurs, nomme positivement ce dernier, sous le nom dc^ (w?<' 
tano, parmi les jeunes gens qiK^ Lascaris eniplovail à sa 
propagande alchimique. 

Ce qui est certain, c'est que Donienico avait entre les mains 
les deux teintures de Lascaris, la teinture blanche pour Tar- 
genl et la teinture rouge pour les transmutations en or. Seu- 
lement il ne possédait ces deux poudres (| n'en très-petite quan- 
tité. Ne pouvant donc espérer s'enrichir par le pniduit direel 
de ses projections, il voulut atteindre son Lut par la ruse, le 
mensonge et l'escroquerie. Il s'annonçait comme disposé à 
enrichir tout le monde au moyen des masses de poudre phi- 
losophale qu'il promettait «le préparer. Kn attendant, il dt'- 
pensait fort peu de la sienne, tout juste e(^ qu'il en fallait 
pour des expériences auxquelles on n'assistait pas sans payer 
fort cher. Longtemps il trouva d'illustres htmêts qui, [k)ui 
le voir opérer, lui apportaient beaucouj) plus d'or (ju'il 
n'en fabriquait devant eux; il disparaissait ensuite avec la 
recette. 

En quittant l'Italie, le premier pays que Domenico visita 
fut l'Espagne. 11 demeura (juatre mois à Madrid et y fit très- 
bien ses affaires; car, plus t^rd, Tambassadeur espagnol, 
marquis de Varto, lui reprocha publiquement à Vienne 
d'avoir volé quinze mille piastres à son cousin. Cependant 
il avait donné de si belles preuves de son art dans la ca[ntale 
de l'Espagne, que l'envoyé de Bavière, le baron de Daum- 
garten, l'engagea à se rendre à Bruxelles auprès de l'élec- 
teur, qui était alors gouverneur gt'^iéral des Pays-Bas. Il le 
présentait à son maître comme un véritable adepte: rhoiiuno, 
an surplus, ne devait pîis tarder à se reconnuande.r lu»-™»^"»* 
])ar ses leuvres. 

Une fois eutn'*, à Brnx«'lles, chez rélecieur Ha 

V, 



:,.ji HISTOIRE 

Kiuinanuol do Bavioro, Domenico se signala par des trans- 
nmtalioiis on or ot on arf^'ont qui excilJTont Tadmirationdi» 
la oour ot lui valiironl u no confiance illimitée. Mais il ne se 
l»ressa pas d'exploittT ces sentiments; il avait jeté ses vues 
sur rôlecteur, au bénéfice duquel il voulait, disait-il, dé- 
jiloyer le fort et le fin de son art. Il promettait de lui procu- 
rer dos tn'sors immenses et de préparer en grand, pour son 
usage, la teinture rouge. Maximilien avait dans cet aventu- 
rier une confiance av<Migle; il n'éprouvait qu'une crainte, 
c'était de le voir porter ailleurs sa bonne volonté et ses ta- 
lents. Pour se l'attacher plus étroitement, il lui accorda les 
premières places d'honneur à sa cour, avec les titres les plus 
magnifiques et tout l'argent que le fabricant d'or lui deman- 
dait. Il paraît quo, sur ce dernier chapitre, les besoins étaient 
fn'quents et les requêtes souvent répétées; car, on très-peu 
de temps, Domenico soutira à l'électeur une somme de six 
mille florins. 

Fressi^ enfin de remplir ses promesses, il voulut recourir 
à la dernière» ruse de son sac, A trois reprises il essaya de 
fuir, mais il fui toujours rattrapé. Hien convaincu alors 
«jn'il avait ou affaire à un fripon, Maximilien le fit con- 
duire en Bavière et enfermer dans une tour du château de 
(îrimorwald. 

Domenico Manuel fn t retenu dans cette prison pendant deux 
ans, au bout desquels il réussit à s'évader. Il se rendit alors à 
Vienne, où nous le trouvons en \10^, sous le nom de comte 
de Rugijicro, Une projection qu'il fit en présence du prince 
Antoine de Lichienstein et du comte de Ilarrach réussit à 
tel point, que toute la cour en resta saisie d'admiration. 
L'empereur Léopold le prit sur-le-champ à son service, et lui 
donna six mille florins pour préparer la teinture qui avait 
servi à cette expérience. Mais, l'empereur étant mort sur ces 
entrefaites, perscmue ne réclama ni la teinture ni les six 
mille florins : tout fut donc cette fois profit sans danger pour 
l'alchimisle. 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 37^5 

Domenico Manuel venait d'ailleurs de trouver un nouveau 
protecteur, et par conséquent une nouvelle dupe dans la per- 
sonne de Jean-Guillaume, électeur du Palatinat, qui résidait 
alors à Vienne. Cet illustre personnage se laissa traiter comme 
tous les précédents : les mêmes preuves le convainquirent, 
les mêmes promesses l'aveuglèrent; l'impératrice veuve se 
mit elle-même de moitié dans ses illusions. L'alchimiste 
s'était engagé à leur livrer, dans six semaines, soixante- 
douze millions, offrant sa tête pour garant de ses promes- 
ses. Hais le jour même où ce terme expirait, il eut l'esprit 
de se sauver avec la fille d'un seigneur, qu'il fit comtesne 
de Ruggiero. 

En i 705, on le voit paraître à Berlin sous le nom de comte 
Gaëtano. Il demandait au roi de Prusse de le protéger 
contre ses persécuteurs, promettant en retour de lui ensei- 
gner son art et d'enrichir le trésor royal. Frédéric 1", que 
la présence de Lascaris dans ses États avait ramené aux idées 
alchimiques, ne repoussa pas les propositions de GaiHano, 
mais il voulut les soumettre à la décision de son conseil . Au- 
cune opposition ne s'éleva au sein du conseil contre les pro- 
jets du roi. 

Le chancelier Dippel, qui se trouvait alors à Berlin, éprouva 
le désir de faire connaissance plus intime avec le comte Gaë- 
tano. Celui-ci, fort complaisant pour un tel connaisseur, lui 
montra ses deux teintures; il lui restait encore à peu près 
un gros de la blanche et un peu plus de la rouge. Sur la de- 
mande de Gaëtano, Dippel envoya chercher par son domes- 
tique sept livres de mercure. L'alchimiste plaça ce métal dans 
un flacon de verre qu'il chauffa au bain de sable. Quand le 
mercure se trouva portéà rébullition, il jeta sur le métal un 
j^rain de sa teinture blanche, et l'on entendit aussitôt un sif- 
llement aigu. Dès que le bruit eut cessci, Gaëtano, retirant le 
llacon du feu, le laissa tomber à terre, et Dippel reconnut 
avec surprise, parmi ses débris, un gros culot d'argent 
pur. Cette opération, qui n'était qu'un tour d'escamntapje, 



r>5(> HISTOIRE 

lit du conseiller Dippel un des |)artisans les plus dévoués de 

Tadepte. 

Le comte Gaëtano, ou plutôt Domenico Manuel, ne tarda 
pas à recevoir Tordre d'opérer devant le roi. Le prince Fré- 
déric-Guillaume, le comte de AVartenberg, maréchal do 
cour, H le maréchal de camp, comte de Warlensleben, fu- 
rent les témoins des essais. Le jeune prince Frédéric, natu- 
rellement très-soupçonneux, surveillait de près Talchimisto. 
Gaëtano commença par la transmutation du mercure en or. 
On mit du mercure dans un creuset et Ton chauffa ; Topéra- 
teur versa dessus quelques gouttes d'une huile rouge et agita 
le contenu du creuset. Au bout d'une demi-heure, on retira 
le creuset du feu et on le laissa refroidir. Des orfèvres et des 
essayeurs de monnaies, que Ton avait fait venir d'avance, 
examinèrent alors le métal, qui pesait près d'une livre, et 
reconnurent qu'il consistait en or d'assez bon aloi. 

Dans une seconde opération, on changea en argent la 
même quantité do mercure. L'alchimiste opéra ensuite sur 
une lame de cuivro, dont il convertit en or la moitié. Pour 
terminer, il fil présent au roi de quinze grains de teinture 
blanche et de quatre grains do teinture rouge, l'assurant 
(|U(i la première lui fournirait (juatre-vingt-dix livres d'ar- 
j^ent, et la seconde vingt livres d'or. 

Mais, où le comte GaiHano acheva véritablement de fasci- 
ner le roi. ce fut lorsqu'il lui promit de préparer en deux mois 
huit onces do teinture rouge et sept de teinture blanche; 
quantités qui devaient produire on tout une somme de six 
millions do tiialers. A partir de ce moment, il fut vénéré à b 
(rour comme un (envoyé du ciel ; il n'eut point d'autre de- 
nuMire {\\xe le |)alais du prince royal et fut nourri de la cui- 
sine du roi. Frédéric lui donna solennellement sa parole de 
l'honorer entre tous s'il tenait sa promesse *. 

Gaëtano ne négligeait rien pour se donner toutes les ap- 

' jVémoireft du baron (l(»|^VoUnUi . 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 357 

parences d*un adepte en train de procéder à Topéralion su- 
prême de la préparation de la pierre des sages. 11 multipliait 
ses projections, ayant toujours soin d'opérer en présence d(» 
nombreux témoins, afin qu'on parlât beaucoup de lui. Quel- 
ques-unes de ses transmutations étaient fort singulières et 
témoignaient de sa part d'une merveilleuse habileté de main. 
Un jour, il changeait en or%des florins d'argent sans en al- 
térer ni l'inscription ni Teffigie. Un autre jour, à l'imitation 
de Delisle, il transformait à volonté des objets de fer en ar- 
gent ou en or. Mais de toutes ses expériences, à cette époque, 
voici l'une des plus curieuses. 

Il avait fait la connaissance d'un jeune Berlinois, et avait 
reconnu que la discrétion n'était point la vertu dominante 
de son ami. Il le fit un jour entrer dans son laboratoire, afin 
de le rendre témoin d'une opération sur laquelle il lui re- 
commandait le silence, bien certain, d'ailleurs, que ce con- 
fident n'aurait rien de plus pressé que d'aller publier en tous 
lieux ce qu'il aurait vu. Gaëtano lui exhiba d'abord sa pierre 
philosophale; c'était une poudre rouge comme du vermillon, 
nous dit un témoin qui l'avait vue. Sur la main du jeune 
homme il posa alors une feuille de papier recouverte d'un 
peu de sable; à côté de ce sable, il mit deux petits grains à 
peine visibles de sa teinture rouge. Il prit ensuite un florin 
qu'il fit chauffer et qu'il plaça, encore chaud, sur la feuille 
de papier, il ordonna alors au jeune homme de fermer la 
main, de telle sorte que le sable vînt recouvrir le florin. 
Aussitôt, on vit de la fumée s'échapper de la main, l'odeur 
du soufre se fit sentir, et le florin se trouva changé en or. 

Tous ces tours étaient fort jolis, sans doute, mais ils ne 
remplissaient pas l'attente du roi, ni l'importante promesse 
(fue Gaëtano lui avait faite. De son c/)té, ce dernier se mon- 
trait fort mécontent. Il avait espéré des présents considéra- 
bles, et, jusque-là, toute la générosité du roi s'était réduite 
à l'envoi de douze bouteilles de vieux vin de France. Humilié 
d'un pareil cadeau, Ttirtisle se retira une çremièce ^civ"^ \\ W\V- 



r,r.s HISTOIRE 

«li'sheiin, vi iiTn» seconde fois à Slettin. Cependant, de^^ lettres 
de fçraco, un portrait enrichi de diamants et une nomina- 
tion iiii grade de major général l'eurent bientôt ramené. Un 
jour, le roi lui paraissant en humeur de donner, Gaëtano 
crut le moment venu d'exploiter ses illusions, et fit la de- 
mande catégorique d'une somme de cinquante mille thalers 
pour continuer ses travaux. Un autre jour, se décidant à 
céder son secret pour une somme ronde, il demanda mille 
ducats pour un voyage en Italie. 

Tant d'inconséquence éveilla les soupçons. Dans le même 
temps, le roi recevait de l'électeur palatin le conseil de se 
méfier de son homme, et une lettre, envoyée de Vienne, lui 
donnait le môme avis. Gaëtano fut pressé plus vivement de 
tenir sa promesse. Il tenta alors de s'échapper une troisième 
fois pour gagner Hambourg; mais on le rattrapa, et il fui 
enfermé dans la forteresse de Custrin. 

Usant de Texcuse traditionnelle des artistes hermétiques 
places sous les verrous, Gaëtano se plaignit de ne pouvoir 
travailler en prison. Pour lui ôter tout prétexte, on le ramena 
A Berlin. Mais, bien (ju'il (Mit promis de s'occuper immédia- 
tement (le [^réparer sa teinture, il ne fit qu'exécuter quel- 
(fues-unes de ses projections ordinaires, afin de gagner du 
t(Mnps. Tout son but ('»tait d(» trouver une occasion de s'enfuir. 
Ct^îte occasion se présenta en effet, et Gaëtano, s'échappant 
de Berlin, alla chercher un refuge à Francfort-su r-le-Mein. 
Mais le roi de Prusse ayant demandé son extradition, lefu- 
i^itif fut livré et ramené dans la forteresse de Custrin. Sommé 
une dernière fois de remplir ses engagements, il paya encore 
par de belles promesses ou par des essais insignifiants, qui 
ne laissèrent plus douter qu'il n'eût pris le roi pour sa dupe. 
Hnfin, ayant usé toute sa provision de poudre, il devint 
uK^me incapable de recommencer ses transmutations ordi- 
naires : son crime de lèse-majest('^ fut ainsi prouvé jusqu'à 
révidenco. Aussi GaiUano tHait-il déjà perdu lorsqu'on lui fil 
procès pour \«l Iowxvô, Vv^vî.^w;v\i couçable du crinie de lèse- 



DES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 5oî» 

majesté, Io29 août 1709, il fut pendu à Berlin. Selon un 
usage allemand, il fut conduit au supplice couvert d'un ha- 
bit de clinquant d*or, et Von avait dore^ le gibet où son corps 
fut attaché. 

La sentence des juges de Berlin a été taxée de sévérité et 
même de barbarie. Le roi lui-même, qui en avait permis 
Texécution, Tapprécia sans doute ainsi lorsque le temps lui 
eut permis de réfléchir sur cette triste affaire, car il défendit 
à toute la cour de prononcer jamais devant lui le nom do 
Gaëtano. 



Avec rhistoire de cet aventurier se terminent les récits des 
principales transmutations métalliques dont nous voulions 
présenter les particularités intéressantes ou peu connues. Il 
serait superflu, nous le croyons, de développer longuement 
les conclusions à tirer de ces faits. ,Dans les événements sin- 
guliers dont nous avons raconté les détails, il y avait sans 
doute des motifs suffisants pour établir la vérité de l'alchi- 
mie h une époque où Tignorance des phénomènes chimi- 
ques livrait forcément les témoins de ces expériences à 
toutes sortes de surprises et d'erreurs. Mais les connais- 
ssunces scientifiques de notre époque permettent d*éclaircir 
le sens de ces faits. Nous nous sommes efforcé de montrer 
en quoi ont consisté les ruses ou les fraudes que les adep- 
tes accomplissaient pour faire croire à leur science. Si, 
dans quelques-uns des événements que nous avons eu oc- 
casion de rapporter, la critique demeure un instant hési- 
tante, c'est qu'elle manque de renseignements exacts sur 
le détail des opérations qui furent accomplies. Ces parti- 
cularités secondaires n'enlèvent rien pourtant à la conclu- 
sion générale qu'il nous reste à formuler. Le mensonge et 
la ruse ayant pour mobile le désir de s'élever à la fortune 
et aux honneurs, cette jouissance singulière que l'homme, 



540 HISTOIRE DES TRANSMITTATIONS MÉTALLIQUES. 

en dehors inAme de tout intérêt, éprouve à tromper ses sem- 
blables, et qu'il faut bien reconnaître quand l'histoire mo- 
rale de l'humanité nous en offre de si nombreux et de si 
(^tonnants exemples, enfin quelques erreurs involontaires 
commises de bonne foi, et provenant de l'imperfection delà 
science de cette époque, c'est ainsi qu'il convient d'expli- 
(|uer les prétendus faits de transmutation métallique dont on 
vient de lire les récils. 



l 



L'ALCHIMIE 

AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE 



L'ALCHIMIE 

AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE 



vieilles croyances à la pierre philosophale et à la 
ûutation des métaux sont loin d'avoir disparu, comme 

croit, aux lueurs des premières vérités de la chimie 
:ne. En dépit des raisonnements et des faits contraires 
lulés par la science de notre époque, malgré les tristes 
ombrables déceptions apportées depuis dix siècles aux 
mces des faiseurs d'or, les opinions alchimiques sont 
B professées de nos jours. Dans plusieurs contrées de 
»pe, quelques débris ignorés de la tourbe des philoso- 
hermétiques continuent à poursuivre dans l'ombre la 
îtion du grand œuvre, et parmi les modernes adeptes, 
îst plus d'un qui n'hésite, pas h trouver dans les prin- 
mémes de la chimie actuelle, la confirmation de ses 
ines. C'est principalement dans la rêveuse Allemagne 
'est conservée cette race opiniâtre. On a déjà vu qu'une 
association d'alchimistes, fondée en 1790, a existé en 
>halie jusqu'à l'année de 1819, sous le nom de Société 
étique. En 1837, un alchimiste de la Thuringe présenta 
lociété indmtrielle de Weimar une prétendue teinture 
e à la transmutation des métaux. On a pu lire à la même 
le, dans les journaux français, l'annonce d'un cours 



Tru l*al(:himir 

public do iiliilosophio hermétique, par le professeur B..., de 
Municli. Enfin, aujourd'luii mt^me, on cite dans le Hanovre 
l't ilan-^ la Bavir»re dos familles entières qui se livrent en com- 
mun à la n*clierclif du j^rand œuvre. 

Mais r Allemagne n'est pas le seul pays de l'Europe où Tal- 
cliimie eontiniii' d'rtrc cultivée. Dans plusieurs villes de 
ritalie et dans la plupart des grandes villes de la France, on 
trouve encore dt's alchimistes. De loin en loin, nous voyons 
|iaraître dans la bibliographie française, quelques écrits où 
h*s prétendus mystères de l'art sont exposés dans un langage 
d'une obscurité impénétrable etavtHi le cortège des symboles 
traditionnels. Ces livres, dérobés habituellement à la con- 
naissance du public, ne se voient guère qu'entre las mains 
dt»s initiés. Li»s curieux et les amateurs des souvenirs du vieux 
temps y retrouvent avoc délices un arrière-parfum des rê- 
veries du m(»yen âge. 

Entre les villes de la France, on a coutume de citer Paris 
comme particulièrement riche en alchimistes. Cette obser- 
vîitioii n'a rien d'exagéré : on ï)eut dire qu'il existe à Paris 
d<s alchimistes tlii'oriciens et des adeptes empiriques. Les 
premiers se horniMil i\ reconnaître pour vraie la donnée 
scientiri(|U(» de ralchiinie, les autres s'adonnent aux recher- 
chés expérimenlah^s (jui se rattiichent à la transmutation d«s 
métaux. Un savant assez connu, M. B..., aujourd'hui pro- 
fesseur de l'une de nos facultés des sciences de province, a 
pris, dans S(m Traité de chimie, publié à Paris en 1844, 
la défense des o|)inions herm(''tii|ues, et il y dit qu'il • a 
quelque espoir de voir niussir l'opt'ration du grand œuvre. » 
Ouant aux chercheurs empiriques, ils ne sont pas rares dan> 
h's bas-fonds de la science, et l'on ne vit pas longtemjïs dans 
h' numde chimique sans se trouver plus d'une fois en ra|>- 
port avec eux. Pour mon compte, je me suis tnuivé assez 
souvent en contact avec des alchimistes de tout paragc, »*l 
jMMit-ètre irouv^ra-t-on queUpie intérêt au récit des souve- 
nirs (|ui nVew s^mVvesVv^^. 



AU DIX-NEUVIEME SIECLE. ^Aî\ 

Je fréquentais, en 184-..., le laboratoire de M. L... C'était 
le rendez-vous et comme le cénacle des alchimistes de Paris. 
Quand les élèves avaient abandonné les salles après le travail 
delà journée, on voyait, aux premières ombres du soir, en- 
trer un à un les modernes adeptes. Rien de plus sin<(ulier 
que l'aspect, les habitudes et jusqu'au costume de ces 
hommes étranges. Je les rencontrais quelquefois, dans le 
jour, aux bibliothèques publiques, courbés sur de vastes in- 
folio; le soir, dans les lieux écartés, près des ponts solitaires, 
les yeux fixés, dans une vague contemplation, sur la voûte 
resplendissante d'un ciel étoile. Ils se ressemblaient pres(|ue 
tous. Vieux ou llétris avant l'âge, un méchant habit noir, ou 
une longue houppelande d'une nuance indélinissable, cou- 
vrait leurs membres amaigris. Une barbe inculte cachait à 
ilemi leurs traits, creusés de rides profondes, où se lisaient 
les traces des longs travaux, des veilles, des inquiétudes dé- 
vorantes. Dans leur parole lente, mesurée, solennelle, il y 
avait quelque chose de l'accent que nous prêtons au langage, 
des illuminés des derniers siècles. Leur contenance, abattue 
«t (ière tout ensemble, révélait les angoisses d'espérances 
ardentes mille fois perdues et mille fois ressaisies avec 
désespoir. 

Parmi les adeptes qui se réunissaient dans le laboratoire 
de M. L..., j'avais remarqué un homme jeune encore et dont 
les dehors m'avaient frappé. Uien, dans ses habitudes ni 
dans son langage, ne rappelait ses mystérieux compagnons. 
Loin de combattre avec eux, ou de rejeter avec mépris les 
principes de la chimie moderne, il les invoquait sans cesse, 
car il avait trouvé le germe de ses convictions alchiiui(|ues 
dans l'étude môme des vérités de cette science. Dans les 
discussions fréquentes qu'il soutenait avec nous sur la cer- 
titude des dogmes hermétiques, il ne prenait ses arguments 
que dans les découvertes des savants de nos jours. Aucun 
fait scientifique ne lui était étranger, car il avait suivi lon;i- 
temps les leçons des plus célèbres de nos maîtres; niais< la 



.-.ir. LAiCHlMIt 

^:n.'ri'.r. iriie siiii».' nourrilure des espriu*, s'était tournée 
«-h»'z lui »'n MU \^}\i*m amer t|ui altérait les sources des pri- 
initi\*.*'i liuiiun-. Ces <«)rtes de conférences avaient pour moi 
un (ittiMit ti'Ut particulier, et j'avoue à ma honte que sou- 
\eHt jr* les {»rolon;:Hiû> avec intention, séduit par la singula- 
rit»' d»^ rt'< discours, où le< inspirations de Tilluminé et les 
rdixjunerneuts du savant s»- confondaient de la plus étran^T 
nuinière. 

C'est viTs cette époijue «jue j'eus à soutenir avec mon 
adepte une discussion étendue sur les principes de la science 
hermétique. Il me lit à cette occasion une exposition géné- 
rale des doctrines de l'alchimie, et passa eu revue toutes 
li*s [»reuves historiques que l'on invoque pour les justi- 
lier. Cet entrelien est encore tout entier présent à ma mé- 
moire, et je le rapporterai ici, car il pourra faire connaître 
bien des faits né^'ligés ou même à peine soupçonnés aujour- 
d'hui. 

4«' me pmmenais vers la fin de la journée au Luxembour^;, 
dans lallt-'e île TObservaloire, quand je vis par hasard mou 
philuMjphe arrêté près de la grille du jardin. Dès qu'il m'eut 
aperru, il \int à moi. 

— Eh biciJ, docteur, dil-il en m'abordant, avez-vous bien 
iiièilité sur le sujet de notre dernière conférence, et puis-jc 
enlin espérer offrir Ihommage d'une conversion nouvelle à 
l'ombre tlu grand Hermès? 

— Mon cher [diilosopbe, lui répondis-je, depuis cet cn- 
irjîtien, je n'ai en d'autre pensée que de déplorer (|u'uu 
homme de voire talent et de voire âge puisse consumer ses 
forces à la poursuis* d'une semblable chimère. 

11 s'arrêta pensif, nHléchit pendant quelques instants, puis 
tout à coup il saisit inon bras, m'entraîna rapidement sans 
rien dire, et me lit descendre dans les allées de la pépinière: 
nous nous dirigeâmes vers un banc des bas côtés de la pro- 
menade. 

— Kcoulo'i, vY\e A\V-\\, ^^Y^\i\"à\^\!^^\fôssv^^ \e forme le prujrl 



AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 547 

de développer devant vous toute la série des preuves sur les- 
quelles reposent les croyances alchimiques, et de vous dé- 
montrer que nos doctrines, loin d'être ruinées par les décou- 
vertes de la science du jour, y puisent au contraire leurs 
plus sérieux arguments. Je vous ai choisi pour le contidenl 
officieux de cette profession de foi, car vous m'écoutez hahi- 
tuellement sans laisser paraître ces sentiments de défiance 
ou de pitié que vos camarades n'essayent pas même de dissi- 
muler avec nous. Laissez-moi donc, ajouta-t-il en s'animant, 
laissez-moi vous prouver que l'alchimie n'est pas le rêve de 
quelques cerveaux dérangés, mais qu'elle trouve dans l'es- 
sence des choses des fondements inébranlables, et que le 
jour n'est pas éloigné où la réalisation de son œuvre sublime 
amènera en même temps avec elle la découverte des secrets 
les plus élevés de la nature. /> 

Il était debout, il parlait avec feu. Je compris qu'il étail 
impossible d'éviter la dissertation; je m'assis résigné et il 
commença. 

« Permettez-moi d'abord, me dit-il, de bien marquer le 
sujet précis des travaux des alchimistes modernes, et de fixer 
la limite de leurs recherches. Les efforts des adeptes de tous 
les temps ont eu pour but la découverte du secret agent 
connu sous le nom de pieîre phibsophale. Or, selon les au- 
teurs anciens, la pierre phibsophale devait jouir de trois 
propriétés distinctes. Dans son premier état de pureté, elle 
réalisait la transmutation des métaux, changeait les métaux 
nls en métaux nobles, le plomb en argent, le mercure en or, 
et d'une manière générale transformait les unes en les au- 
tres toutes les substances chimiques. Â un degré supérieur 
de perfection, elle pouvait guérir les maladies qui affligent 
riiumanité, et prolonger la vie bien au delà de ses bornes 
naturelles; elle portait alors le nom de panacée universelle. 
Enfin, à son degré le plus élevé d'exaltation, et prenant 
alors le nom à'âme du monde, spiritus mundi, la pierre 



51S L^ALCIHMIE | 

|)liilusophale triinsportait les hommes dans le commerce in- 
liiiM^ <li?s èln's s|)iriliiels ; elle brisiûl les barrières qui défen- 
(liMii rentrée dos intmdos supérioiirs, et nous révélait, dans 
imo cimtein|)lation sublime, les mystères do Texistence im- 
matérielle. Telles sont les trois |)ro[)riétés que les premiers 
herméliiiues ont attribuées à la piorru philosophale. 

(( IjCS alehimistes d\iujourd'hui rejettent lu plus grande 
partie de ces idées. Ils accordent à la pierre philosophale h 
vertu de transmuer les métaux, mais ils ne vont pas plu^ 
loin. Il est facile de comprendre d'ailleurs comment les an- 
ciens spagyri(|ues ont été conduits à prêter ainsi à Kagenl 
des transmutations, des ({ualités occultes, puisées en quelque 
sorte aux sources immatérielles. Cette pensée porte rem- 
preinte et n'est (jue le reflet des croyances philosopiriqut^ 
de répoipie qui la vil naître. Ce n'est qu'au treizième siècle 
que Ton a commencé d'attribuer à la pierre des sages la puis- 
sance de guérir des maladies et de spiritualiser les êtres phy- 
siques. Or vous savez quelles doctrines régnaient aloi-s dans 
les écoles. L'antiquité philosophique renaissait. On combi- 
luiil a\ec la logique d'Âristote les principes de Técole con- 
templative. ComuK^ aux beaux temps de Pythagore, lesmjs- 
lères des nombres appliqués aux phénomènes phy.^^iquw 
formaient, au nu'pris du témoignage des sens, le seul fomlo- 
nienl des sciences. L'univers se peuplait d'êtres métaphysi- 
(|ues, (*tabliss;nit des liaisons secrètes et de uiystérieu:?e5 
sympathies avec les (dqets du monde visible. Il est donc tnul 
simple qu'à cette épt^que les alchimistes aient enrichi df 
quelijues propriétés surnaturelles l'agent merveilleux, objet 
d(î leurs travaux. Mais pour nous, éclairés des lumières de 
la pliiloscqdiie moderne, nous condamnons ces aberrations 
mystiques (1(\^ anciens Ages. Nous répudions la chimèrfde 
la panacir luiiirrscUi'y à |)lus forte raison celle do Vàmeik 
mnmii\ dont la notion est d'ailleurs fort obscure dans le[H!- 
lil nombre de pliilos(q»lies qui l'ont conçue et dévelop|M»c. 

u Tout le dogme alchimique h* réduit donc aujourd'hui 



AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 340 

à admettre qu'il existe une substance portant en elle la se- 
crète vertu de transformer les unes dans les autres toutes les 
espèces chimiques, ou, pour raisonner sur un objet plus ac- 
cessible à l'expérience, d'opérer la transmutation des métaux. 
L'objet de ralchimie, c'est la découverte de cet agent, que 
bien des adeptes ont possédé, mais qui maintenant est perdu 
pour nous. Voilà la question dans toute sa simplicité. Je 
tenais à bien limiter, en commençant, le terrain de noire 
discussion, aûn d'empêcher qu'elle ne s'égare dès le début 
sur des chimères abandonnées. Maintenant, en me renfer- 
mant dans le cercle des découvertes de la chimie moderne, 
je vais vous prouver que la transmutation des métaux est un 
phénomène parfaitement réalisable, et que plusieurs faits de 
la science actuelle en justifient la donnée. » 

En cet endroit, Tadepte s'assit à mes côtés, puis il reprit 
eu ces termes : 

« Avez-vous jamais réfléchi à une inconséquence bien sin- 
gulière, dans laquelle sont tombés les savants de nos jours? 
Ils reconnaissent que quatre substances simples, l'oxygène, 
l'hydrogène, le carbone et l'azote, entrent seules dans la 
composition des corps d'origine organique; mais ils ajoutent 
que plus de soixante éléments sont nécessaires pour former 
les combinaisons minérales. Ainsi quatre corps simples suf- 
Graient pour constituer l'atmosphère qui nous environne, 
Teau qui couvre les trois quarts de notre globe, toute la 
création animée qui s'agite à sa surface; et plus de soixiinle 
corps devraient se réunir pour composer la masse solide de 
notre planète! En vérité, c'est mettre bien gratuitement sur 
le compte de la nature une inconséquence grossière. Ne se* 
rail-il pas plus simple de penser à priori ({ua ces quatre élé- 
ments, qui suffisent aux actions moléculaires des produil> 
organiques, suffisent également aux besoins des combinai- 
>ons minérales, et qu'à eux seuls ils constituent le fonds de> 



:,:,o L'ALCUIAIIE 

n>sM»iii'C4's iiiatériollos mises en jeu ilans noire universl Nous 
arriverons ainsi a ce fameux nombre quatre, au TetituAh 
lie l\tliagore, ou Tetratj ranime, qui jouait un si grand rtle 
dans les mystères de la Clialdée et de Tancienne Egypte. 
Nous serions eonduits à retrouver sous d'autres noms te 
.f|uatre «iliMuents des anciens aleliimistes, les quatre éléments 
des chimistes du dix-septième siècle. Mais, sans aller aussi 
loin, tenons-nous-en à constater ici celte contradiction cho- 
quante ()ui dé[)a^^ de nos jours, la philosophie naturelle. 
Voilà une [>reniière difficulté, elle est grave, elle est au 
inoius d(; nature à faire sus[)endre votre jugement. 

«( J'arrive à (juelques considérations plus précises, parce 
iju'elles peuvent se passer de toute induction étrangère, el 
qu'elles sont uniciucment empruntées aux découvertes de 
la cliimic moderne. 

« Jusqu'à ces derniers temps on avait pensé que, pourdé- 
linir un ('(^rps el le séparer de tous les autres, il suffit d'indi- 
(|uer sa conqtosilion et ses propriétés; on admettait que deux 
substances présentant la même composition chimique sont, 
par cela même, identiques. Mais si les premiers chimiste? 
avaient jiosi; ce fait comme une vérité fondamentale, de leur 
('/)lé les alchimistes n'avaient i)as cessé de le combattre. La 
ihéorie alchimique sur la composition des métaux, professée 
de[)uis le huitième siècle, posait en principe que les produits 
naturels peuvent offrir les plus grandes différences dans leui> 
earactères extérieurs, bien qu'au fond leur composition soit 
la inèine. Cette théorie étabiissaiten effet que tous les métaux 
sont identiques dans leur eonq)osition, (ju'ils sont tous for- 
més de deux éiéinenls communs, le soufre et le mercure,rt 
que la différeneo de leurs propriétés ne tient qu'aux pro- 
portions variables de mercure et de soufre qui les cousti- 
tuent. 1/or, par exemple, était formé, selon les alchimistes, 
de beaucoup de mercure très-pur et d'une petite quantité de 
soufre; l'étain, de beaucoup de soufre mal fixé uni à une 
pelile qu'vVUÛV'i AviwwiVcvMie imçur. En ce qu'elle a dégénérai. 



AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 351 

cette théorie posait doncen principe que plusieurs substances, 
tout en se confondant par leur composition, pouvant cepen- 
dant différer entre elles extérieurement et par tout l'ensem- 
ble de leurs réactions. A côté d'elle s'élevait la théorie des 
chimistes, défendant la proposition contraire. Vous savez 
comment s'est terminé le débat. Les progrès de la science ont 
apporté à notre époque un éclatant triomphe aux opinions 
alchimiques. Le perfectionnement de l'analyse dos chimistes 
a permis de reconnaître que les produits minéraux ou orga- 
niques peuvent priisenter une identité complète dans leur 
composition, tout en affectant au dehors les propriétés les 
plus opposées. Ainsi l'acide fulminique, qui fait partie des 
fulminates et dos poudres fulminantes, contient rigoureuse- 
ment les mômes quantités de carbone, d'oxygène et d'azote, 
(jue l'acide cyanique, et il renferme ces éléments unis sui- 
vant le même mode de condensation. Cependant les ful- 
minates soumis à la plus faible élévation de température 
détonent avec violence, tandis que les cyanates résistent à la 
chaleur rouge. L'urée, qui fait partie de plusieurs liquides 
de l'économie animale, présente la même composition chi- 
mique que le cyanate d'ammoniaque hydraté, et rien n'est 
plus dissemblable que les caractères de ces deux produits. 
L'acide cyanhydrique, poison redoutable, ne diffère en rien, 
par sa composition, du formiate d'ammoniaque, sel des plus 
inoffensifs. La chimie fournit une foule d'exemples pareils. 
C'est cette propriété nouvelle de la matière que l'on a déco- 
rée du nom élégant d'isomérie. 

a Mais cette isomérie, que les alchimistes accordent aujour- 
d'hui aux corps composés, peut-elle atteindre les corps sim- 
ples? Les substances réputées élémentaires, les métaux, par 
exemple, peuvent- ils présenter des cas d'isomérie? Vous 
voyez tout do suite à quel point avancé nous amène cette 
(|uestion en apparence si simple. Résolue affirmativement, 
elle lèverait toutes les difficultés théoriques que Ton oppose 
à la transmutation des métaux. Car, s'il était démontré que 



r,5!2 i;alcuimie 

l(>s métaux sont isomères, que sous le voile des caractères 
extérieurs les plus dissemblables ils cachent des élément 
identiques dans leur nature, le dogme alchimique serait 
justifié, et la transformation moléculaire qui doit s'opérer 
dans la transmutation d'un métal n'aurait plus rien qui pût 
nous surprendre. Le fait mérite donc d'être examiné de près. 

« Pour établir risoméric de deux composés, on les analyse 
chimi(iuement, et l'on constate ainsi l'identité, en nombre 
H en nature, de leurs parties constituantes. Mais pour le cas 
particulier des mt'^taux, ce moyen nous manque, puisque 
ces corps sont considérés comme simples, précisément parce 
qu'ils résistent à tous nos procédés d'analyse. Cependant une 
autre voie nous reste. On peut comparer les propriétés gé- 
nérales des corps isomériques aux propriétés des métaux, el 
rechercher si les métaux ne reproduiraient point quelques- 
uns des caractères qui appartiennent aux substances isomé- 
riques. Cette comparaison a été faite par le chef éminent de 
In chimie française, par M. Dumas, et voici le résultat auquel 
elle a ccmduit. 

u On a remarqu(î que dans toutes les substances présen- 
tant un cas d'isomérie, on trouve habituellement des équi- 
valents éfçaux, ou bien des (équivalents multiples ou sous- 
mulliplcs les uns des autres *. Or ce caractère se retrouw 
chez plusieurs métaux. L'or et Tosmium ont un équivalent 
presque identique. II est rigoureusement le même pour \o 
platine et l'iridium; et Berzélius a trouvé, ajoute M. Dumas, 
que les quantités pondérables de ces deux métaux sontabso- 
luinenl les mêmes dans leurs composés correspondants pris 
à poids égaux. L'équivalent du cobalt diffère à peine de cehii 
du nickel, et le demi-(''quivalent de l'étain est très-sensiblt'- 
uienl égal à l'équivalent entier des deux métaux précédents: 

' On désigno. on chimie, sous le nom d'équivalent ou de nombre fro^ 
portionneïiVun corps simple ou composé, la quantité on poids de ce corps 
qui doit s iiï\\v vv \\\\ v\v\Vtv\^o\\\ ^vAVxuo.r une combinaison. 



AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 55r, 

le zinc, l'yttriuni et le tellure offrent, sous les mômes rap- 
ports, des différences si faibles, qu'il est permis de les attri- 
buer à une légère erreur dans l'expérience *. M. Dumas, qui 
a récemment traité de nouveau cette curieuse question de- 
vant VAssociatimi britannique, a montré de plus que lors- 
que trois corps simples sont liés entre eux par de grandes 
analogies de propriétés, tels, par exemple, que le chlore, le 
brome et Tiode, le baryum, le strontium et le calcium, l'é- 
quivalent chimique du corps intermédiaire est toujours re- 
présenté par la moyenne arithmétique entre les équivalents 
des deux autres. 

(( Ces rapprochements remarquables ont produit, en An- 
gleterre, une grande impression sur l'esprit des chimistes. Ils 
constituent, en effet, une démonstration suffisante de Tiso- 
mérie des corps simples. Ils prouvent que les métaux, quoi- 
que dissemblables par leurs qualités extérieures, ne pro- 
viennent que d'une seule et môme matière différemment 
arrangée ou condensée. Or, s'il est vrai que les métaux soient 
is(»mères, la première conséquence à tirer de ce fait, c'est 
qu'il est possible de les changer les uns dans les autres, 
c'est-à-dire de réaliser les transmutations métalliques. 

a La considération des équivalents amène à une antn^ 
présomption en faveur de la transmutation des métaux. In 
chimiste anglais, le docteur Prout, a fait le premier ceth' 
observation, que les équivalents chimiques de presque tous 
les corps simples sont des multiples exacts du poids de l'é- 
quivalent de l'un d'entre eux. Si l'on prend comme unité 
l'équivalent de l'hydrogène, le plus faible de tous, on recon- 
naît que les équivalents de tous les autres corps simples ren- 
ferment celui-ci un nombre exact de fois. Ainsi l'équivalent 
chimique de l'hydrogène étant considéré comme l'unité, ce- 
lui du carbone est représenté par six, celui de l'azote par 
quatorze, celui de l'oxygène par seize, celui du zinc par 



treuUMlpnx, l'U*. Mais si les masses moléculaires qui entrent 
♦*n action dans les combinaisons ehimiques offrent entre elles 
il«»s rapports aussi simples, si Téquivalent du carbone est 
«'xactement six fois plus pesant que celui de l'hydrogène, 
rr^quivalent do l'azote quatorze fois supérieur, etc., n'est-ce 
point là une preuve (jue tous les corps de la nature sont 
formés d'un môme principe, et qu'une seule matière diver- 
sement condenstV produit tous les composés que nous con- 
naissons? Si cette conclusion était admise, elle justifierait le 
prinri[)ede l'isomiTie des métaux et donnerait à la transmu- 
tation un appui théorique incontestable. 

(( Le phénomène de la transmutation des métaux n'a 
donc rien (|ui soit en opposition avec les faits et les théories 
qui ont c^nrs dans la science à noire époque. Passons main- 
tenant à l'i^xamen du moyen pratique qui permet d'exécuter 
rop('*ration. C'est ici que naissent en foule les objections de 
nos adversaires; mais il suffira, pour les détruire, de recti- 
Her rojHnion très-inexacte que Ton se fait universellement 
de la nature et du ixMe chimique de la pierre philosophale. 

(( Les personnes ('traugères à notre art supposent en effet 
que nous accordons à cet agent précieux un mode d'action 
tout i\ fait occulte et en opposition avec les phénomènes ha- 
bituels. Nous n'admettons rien de semblable. La pierre phi- 
loso|)liale ne jjossède, suivant nous, aucune propriété sur- 
naturelle, et son mode d'action n'a rien qui ne trouve une 
:malogie complète dans les faits ordinaires de la chimie. 
Portez un instant votre attention sur les phénomènes qu»- 
Ton réunit sous le nom commun de fermentations. La fer- 
mentation, en géniTal, est une opération chimique opérée 
nu sein des produits organiques, par une substance d'une 
nature inconnue nommée fefrment. Ces fermentations, si 
liien ('tudiées aujourd'hui dans leurs principaux effets, per- 
mettent de comprendre sans ptûne les transmutations métal- 
liques. En effet, la transformation qui s'opère dans les ma- 
* ^ï'es or^ai\V\\\^'?» ^v^\^^ VXw^xsftw^^? ^>\ ^^wtwveul^ est à nos yeux 



AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. :>;):. 

la parfaite image dt'S cliangenieiits qui peuvent se produire 
dans les métaux, qu«nnd la pierre philosopliale est mise en 
contact avec eux. La pierre philosophale, cVst le ferment 
des métaux; la transmutation métallique, c'est la fermen- 
tation transportée du domaine des corps organiques dans le 
monde minéral, et accommodée aux conditions propres à ces 
matières. Dans les métaux fondus et portés à la chaleur rouge, 
il peut se produire une transformation moléculaire entière- 
ment analogue à celle que subissent les produits organiques 
fermentescibles. De môme que le sucre, sous l'influence du 
ferment, se change en acide lactique sans varier de compo- 
sition, de même qu'il se transforme en alcool et en acide 
carbonique, lesquels reproduisent intégralement sa compo- 
sition : ainsi les métaux, tous identiques dans leur nature, 
|)euvent passer de Fun à l'autre sous Tinfluence de la pierre 
philasophale, leur ferment spécial. Si vous rapprochez les 
phénomènes généraux de la fermentation du fait de la trans- 
mutation métallique, vous serez étonné des analogies que 
présentent entre eux ces deux ordres d'action chimique. 
Sans doute, il est difficile de se rendre compte de ce qui 
peut se passer dans Tintimité des métaux sous l'influence 
de la pierre philosophale; mais l'explication théorique de la 
fermentation rencontre auprès des chimistes les mêmes dif- 
ficultés. Personne n'ignore que la fermentation se dérobe à 
toute théorie scientifique, dans les réactions ordinaires; en 
effet, un corps se combine à un autre, un élément déplace 
un autre élément et s y substitue en vertu d'une attraction 
supérieure, et dans tous ces cas les lois de l'affinité rendent 
facilement compte du fait. Mais dans les fermentations rien 
de pareil ne s'observe. Le ferment ne prend lui-même aucune 
part aux altérations chimiques qu'il provoque, et Ton ne 
peut trouver, ni dans les lois de l'affinité, ni dans les forces 
de rélectricité, de la lumière ou de la chaleur, aucune sourct» 
légitime d'explication de ses effiUs. On s'étonne de voir les 
alchimistes accorder à la pierre philosoçUale U ^^<\^v'vv\v 



r»;>r» l/ALCIIIMIE 

(l'agir sur les m(.'tauxà des doses infiniment faibles, et assu- 
rt»r, par exemple, qu'un grain de pierre philosophale peut 
convertir en or huit onces de mercure; mais la fermentation 
nous présente une particularité toute semblable. Le ferment 
agit sur les matières organiques à dose infinitésimale, sui- 
vant le terme adopté; la diastase, par exemple, transforme 
on sucre deux mille fois son poids d'amidon. Et quand on a 
vu de ses yeux quelle faible quantité de ferment est néces- 
saire pour provoquer dans certains cas l'altération d'une 
masse énorme de matière organique, on trouve un peu moins 
extravagante l'exclamation de Raymond Lulle : Mare tinge- 
rem si mercuj'itis esset. 

(( Il n'y a donc rien de mystérieux dans le rôle chimique 
de la pierre philosophale, et la transformation qu'elle peut 
provoquer dans les métaux s'explique sans difficulté, quand 
on la compare à des faits du même ordre, dont nous sommes 
tous les jours les témoins ^ 



< A titre de coniirmation de ce qui précède, nous rapportons ait fin do 
volume (Note IV] une sorte de manifeste hermétique, publié en 1853 par 
un chimiste de Nantes, M. Théodore Tiiïereau, qui n*a pas craint de sou- 
mettre en 1854, à l'Académie des sciences de Paris, ses opinions scien- 
tifiques sur la transmutation des métaux et les moyens qui, selon lui, per- 
mettent de la réaliser. A la suite de ce premier travail, nous rapportons, 
dans la même note, deux autres mémoires où le même auteur doonela 
description des expériences au moyen desquelles il prétend avoir produit 
un commencement de transmutation de l'argent en or. 

Il est presque inutile de faire remarquer, à propos de ce travail, que les 
depuis métalliques, insolubles dans Tacidc azotique, obtenus par l'aubwr 
dans les expériences qu'il assure avoir été exécutées en Amérique, te- 
naient à )a présence naturelle, dans l'argent employé, de quelque métal 
inattaquable par l'acide azotique, tel que Tor, le platine, Tiridluni, etc. 
Vai ciTet, M. Tilfereau ayant essayé de répéter cette expérience à Paris, 
<lans un des laboratoires de la Monnaie, devant M. Levol, essayeur et 
chimiste expérimenté, a échoué complètement, et n'a pu présenter aucune 
trace de cet or artificiel qu'il assure avoir réussi à produire en Amérique. 

Mal^^récel vusuceès avéré, nous avons cru devoir reproduire, dans les 
notes do. col tmwîv^vi, \os^ w\wàx^% ^t"^. "Xî^^^saw dont on a beaucoJip 



AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 357 

« Ainsi, dans les vérités reconnues par la chimie moderne 
le dogme alchimique trouve une confirmation satisfaisante. 
Les hommes qui pendant dix siècles ont appliqué Teffort de 
leur génie à cette œuvre admirable n'étaient donc ni des im- 
posteurs ni des fous. Geber, Avicenne, Rhasès, Arnauld de 
Villeneuve, saint Thomas, Raymond Lulle, Albert le Grand, 
Basile Valentin, Paracelse, Van-Helmont, Glauber, Kunckel, 
Bêcher, qui ont propagé ces doctrines, et la plupart des 
grands philosophes du moyen âge qui les confessaient à 
Venvi, ne furent point les aveugles jouets de la môme folie; 
ils ne formèrent pas une ligue de mensonges pour tromper 
Tunivers et bercer les hommes d'une chimérique espérance. 
Tous, ils poursuivaient avec passion un principe aussi clair, 
aussi irrécusable pour eux, que peut Tôtre la vérité la plus 
simple aux yeux d'un savant de nos jours. Quant aux erreurs 
qui leur sont reprochées avec tant d'amertume, elles furent 
la conséquence de la philosophie de leur temps. Il me serait 
bien facile, en effet, de vous montrer, en considérant quel- 
ques-uns des principes généraux de l'alchimie, que ses longs 
écarts ne furent que la suite inévitable des doctrines philo- 
sophiques du moyen âge. 

« Les alchimistes accordaient, par exemple, une certaine 
importance à la considération des influences surnaturelles 
pour l'interprétation des phénomènes physiques. Selon eux, 
les planètes sympathisaient avec les métaux; les objets exté- 
rieurs trouvaient dans nos organes de mystérieuses corres- 
pondances; les êtres matériels nourrissaient des affections 
morales; un esprit invisible réglait à la fois les rapports 
physiques, intellectuels et moraux de toutes les substances 
créées. Mais au moyen âge, où est le philosophe tiui ait au- 
trement raisonné? Remontez, pour un instant, les sentiers 
du passé philosophique, vous verrez ces vagues et mystiques 

parlé un moment. C'est un document qu'il n'est poinltindifl'éroni de «on- 
suller pour l'histoire scientifique de notre l'^poquc. 



ri5H L'ALCUIMIE 

r!)nc»'piic»]is imprimant leur omprointo sur toutes les branches 
iU's connaissances humaines. La médecine, les sciences na- 
!urelhsi»t physiques, s'enveloppaient à Tenvi de voiles déro- 
JM's à rohscurilé de ces doctrines. Comment les médecins an 
(|uin7.irme siècle expli(iuaient-ils les propriétés des médica- 
inenls et, pour prendre un exemple, les vertus médicinales 
du plomb? En considérant que le plomb purifie Tor, et qiie, 
puisipril corrige et f<uérit les impuretés de Tor, il e^^t propre 
i\ chasser les impuretés du corps humain. L'argent était 
regardi' comme le spécifique des maladies du cerveau, parce 
i|U(' l'argent élait consacré à la lune, et que le cerveau en- 
rrelenait, disait-on, des sympathies avec cet astre. Ceslà 
peine si, au commencement du dix-septième siècle, la phvsi- 
(|ue elle-même s'est dégagée de ces entraves. N'est-il pas vrai 
qu'encore à cette époque les physiciens agitaient avec Boer- 
haavi^ des questions comme celle-ci : « Les images des objets 
« naturels réfl(»chis au foyer des miroirs concaves ont-elk^ 
« une âme? » Comment donc l'alchimie aurait-elle pu se 
mettre à l'abri des rôveries qui assiégeaient alors toutes les 
sciences? 

« Un des fondements principaux des théories alchimiques 
consistait dans ce principe, ([ue les minéraux ensevelis dans 
li> sein do la terre naissent et se développent comme les êtres 
organis(\s. Mais tous les naturalistes, au moyen âge, ont 
accorde» aux fossiles la propriété de s'accroître. « Le soleil 
(^ngendre les minéraux dans le sein du globe )) est un axiome 
de Tifcole. Ltvs conséquences tirées de cette loi doivent sem- 
bler assez légitimes. Les alchimistes, considérant que l'or est 
le plus parfait des métaux, étaient convaincus que la nature, 
en produisant les substances minérales, tend toujours à 
produire de Tor, Venfant de ses désirs. Quand les circon- 
stances favorables à la formation de ce métal venaient à 
manquer, il se produisait des avortons, c'est-à-dire les mi'- 
laux vils. Mais les philosophes ajoutaient qu'il est possible île 
surprendre les secrets proccMiés de la nature, de découvrir b 



AU DlX-NEUVIÈMIi: SIECLE. 55î> 

matrice raehde (jui nourrit, conserve, élabore la semence 
des inétaux, et (fu'il est permis, par une clialeur et des ali- 
ments convenables, de faire en un clin d'œil ce qui s'exécute 
dans le sein du globe avec le secours du temps et du feu 
souterrain. Ce n'étaient là assurément que des spéculations; 
mais, en les condamnant, on ne frappe que les conceptions 
philosopbiques du moyenage. Elles respirent là tout entières, 
car leur caractère essentiel a précisément consisté dans cette 
perpétuelle tendance à mêler les faits de l'ordre moral à ceux 
de l'ordre physique, à prêter des affections aux corps brut^, 
comme à souiller de quelque qualité matérielle la pure es- 
sence des êtres abstraits. 

« Mon ami, suspendons le blâme, arrêtons sur nos lèvres 
les paroles de condamnation ou de mépris. Ces hommes tant 
décriés ont rendu des services que la postérité ne saurait 
méconnaître. Leurs travaux ont fourni les premières et les 
plus solides bases au monument glorieux des sciences que 
le dix-septième siècle vit s'élever et grandir. Leurs recher- 
ches innombrables, leur patience infatigable, l'heureuse l(»i 
qu'ils s'étaient imposée de publier les faits qui ne pouvaient 
servir à l'avancement particulier de leurs vues, ont seules 
amené ce grand résultat. 

« Je ne veux pas entreprendre de justilier tous les actes, 
toutes les pensées des alchimistes; cependant il est im[)ossi- 
ble de ne pas rendre hommage, dans quelques cas, à la jus- 
tesse de leurs méthodes scientiliques. Ils ajoutaient, vous le 
savez, une extrême importance à appeler au secours de leurs 
travaux Tintervention du temps. Leurs opérations se prolon- 
geaient des années entières, et quelquefois une expérience 
inachevée était léguée par un adepte en héritage à son fils. 
Cette considération du temps, élément si négligé de nos jours, 
était de la part des alchimistes le signe évident d'une obser- 
vation exacte et profonde. H est bien reconnu que la nature 
réalise, avec le secours du temps, d'innombrables combinai- 
sons que nous sommes impuissants à reproduire dans nos 



300 L'ALCUIMIE 

laboratoires, et de nos jours, il a été permis d'imiter quel- 
ques-uns de ces produits en faisant intervenir, avec la len- 
teur des actions, le concours artificiel de réiectricité. Un 
alchimiste conduisit un jour Cadet-Gassicourt dans son la- 
boratoire, et lui montra une petite pierre poreuse et légère, 
offrant la couleur de Tor. Il avait obtenu ce curieux produit 
en abandonnant, pendant des années entières, Tcau de la 
pluie à Tévaporation spontanée, et recueillant la pellicule 
irisée qui se forme alors à sa surface. Quelle était la natun; 
(le cette substance? Était-ce, comme le pensait Tadepte, un 
(commencement de végétation de Tor par le spiritus mvndi 
(|ui se concentre dans Teau exposée longtemps à l'action at- 
mosphérique? Je rignore; mais ce que je sais fort bien, c'est 
()ue nos chimistes d*aujourd*hui, avec leur manière expédi- 
tive de conduire les recherches, n'auraient jamais trouvé ce 
corps. Dans la célèbre expérience do Lavoisier, suivie ava* 
tant de perséviîrancc, et qui, en fixant la composition deTair, 
donna carrière ù la plus brillante série de découvertes dont 
les sciences aient gardé la mémoire, il y avait, croyez-le bien, 
comme un dernier souvenir des vieilles habitudes et de;' 
traditions alchimiijues. 

« S(jus l'empire de la philosophie de notre époque, nuu^ 
condauinons les tendances mystiques de Tancienne alchimie 
et SCS continuel les préoccupations métaphysiques. Je n'ose- 
rais m'éhiver ouvertement contre cet appel aux lumières de 
la raison; cependant j'aperçois encore dans nos sciences bien 
des faits qui ne s'interprètent que par un recours à des con- 
sidératioiis de ce genre. Il est reconnu, en physique, que la 
force d'un aimant s'accroît d'une manière sensible quand on 
augmente graduellement sa charge. Quand un barreau ai- 
manté supporte un certain poids de fer, on peut tous les 
jours augmenter ce poids d'une petite quantité, jusqu'à 
une certaine limite, au delà de laquelle toute la masse se 
détache et tombe. L'aimant éprouve alors, comme lediseni 
les physiciens, une faiblesse singulière, il ne peut supiwrter 



AU DIX-NKUVIÊME SIÈCLE. 361 

les poids qu'il supportait d'abord, et, pour lui rendre sa 
force primitive, il faut le charger chaque jour de nouveaux 
poids ajoutés graduellement et par petites quantités. N'est- 
ce pas là comme le signe d'une obscure affection morale dans 
Tiinedes forces du monde physique? 

« Placez un métal oxydable, le cuivre par exemple, en 
présence de l'eau et de l'air, très-purs tous deux, le métal 
ne s'oxydera nullement; mais ajoutez une trace d'un acide 
quelconque, ou bien faites intervenir l'acide carbonique de 
Tair, et l'oxydation marchera avec rapidité. C'est cette caté- 
gorie très-nombreuse de phénomènes qui porte en chimie le 
nom inactions par Vaffinité de 'prédisposition. On explique 
ce fait en disant que l'acide provoque Toxydatiou du métal, 
parce qu'il a de l affinité pour V oxyde qui tend à se foi'mer. 
Voilà donc un fait matériel presque métaphysique dans sa 
production, et que l'on ne peut expliquer que par une théo- 
rie métaphysique. 

<( U serait facile de multiplier des citations de ce genre, 
mais je neveux pas m'égarer au milieu de la subtilité de ces 
vues. J'ai voulu seulement vous montrer, par ces exemples, 
combien une condamnation absolue des doctrines de nos 
prédécesseurs serait injuste et peu philosophique, et quelle 
rt^erve il est sage de s'imposer dans ce jugement. 

« On présenta un jour à Socrate un ouvrage d'Heraclite 
d'un style très-profond, mais très-obscur. H le lut avec soin, 
et comme on lui demandait son avis sur cet écrit : « Je le 
H trouve admirable, dit-il, dans les endroits où je l'entends; 
«r je crois qu'il en est ainsi pour les parties que je n'ai pu 
« pénétrer, mais il me faudrait plus d'habileté que je n'en 
« ai pour prononcer sur ces dernières. » Imitez, mon ami, 
imitez la réserve de Socrate. » 

Ayant ainsi parlé, le philosophe par le feu s'arrêta, fatigué 
de sa longue harangue. Je profitai de son silence pour n^- 
pondre brièvement à son apologie de la science hermétique. 



50^2 L'ALCUIMIE 

(( .le vous ai écoulé, lui dis-je, avec recueillement, bien 
c\iw j(î n'aie entendu aucune considération que vous ne 
in'a\ez déjà présentée bien des fois, aucun argument auquel 
je n*aio amplement répondu en d'autres occasions. Cepen- 
dant, puisque vous avez voulu instituer ici une sorte de dw- 
pute, j'essayerai de vous répondre. 

« En premier lieu, vous pensez surprendre nos chimistes 
dans une flagrante contradiction, parce qu'ils admellenl 
que (juatre corps simples suffisent pour former tous les pro- 
duits organiques, tandis que les combinaisons minérales en 
exigent plus de soixante. Mais la contradiction n'est qu'ap- 
parente. Examinez la série de nos soixante corps simples, 
vous reconnaîtrez que fort peu d'entre eux prennent un rûle 
«actif dans les grandes actions physiques de notre globe. La 
liste des substances reconnues élémentaires est longue assu- 
rément, mais le nombre de celles que la nature met en jeu 
est en réalité fort restreint. Aux éléments qui appartiennent 
d'une manière plus spéciale aux êtres organisés ajoutez seu- 
lement lo chlore, le soufre, le phosphore, le silicium, l'aln- 
minium, h calcium et le fer, vous aurez la série à peu prt'S 
(complète des corps qui forment le domaine des réactions 
minérales. Tout porte à penser que l'ordre habituel des 
grands phénomènes du monde ne serait en aucune façon 
troublé, si les faibles (juantités de platine, d'arsenic ou de 
zinc, par exemple, que l'on trouve disséminées dans le globe, 
ne s'y rencontraient pas. Le petit nombre d'éléments qui en- 
trent dans la constitution des composés organiques n'a rien 
d'ailleurs qui doive nous surprendre. A Texception du car- 
bone, CCS (|uatre corps sont gazeux; l'équilibre de leur com- 
binaison doit être en conséquence très-facilement détruit, 
et ils peuvent ainsi suffire à provoquer les mutations, les 
transformations continuelles qui sont la condition delà vie. 
Les combinaisons minérales résistent avec plus d'énergie aux 
influences extérieures, leur stabilité chimique est plus grande, 
ce qui nôevisi&vle V^ vio\\ç,ours d'un plus grand nombre d'ëlé- 



AU DIX-NEUVIEME SIÈCLE. 503 

ments; mais en définilive cette différence est assez faible et 
ne peut à aucun titre être invoquée comme argument. 

« Vous prétendez rapprocher des faits chimi(|ues habituels 
le mode d'action de la pierre philosophale, en nous mon- 
trant dans la fermentation un phénomène qui offre quelque 
analogie avec la transmutation des métaux. On peut, il est 
vrai, dépouiller ainsi la pierre philosophale des propriétés 
surnaturelles qu'on lui prête généralement. Mais tout l'avan- 
tage s'arrête là. 11 n'est permis de voir dans ce rapproche- 
ment qu'une belle comparaison, (|ui d'ailleurs est fort 
ancienne, puisqu'elle remonte à Hortulanus. Car, pour dé- 
montrer que l'agent des transmutations participe, en quel- 
que chose, des propriétés des ferments; pour faire admettre 
que dans les métaux fondus et portés à la chaleur rouge il 
peut s'accomplir une modification moléculaire comparable 
à une fermentation , il faudrait commencer par établir 
l'identité de composition des métaux. Or la théorie alchi- 
mique sur l'isomérie des métaux est encore au moins con- 
testable. 

« Les arguments cpie vous invoquez en faveur delà trans- 
mutation métallique ne reposent donc sur aucun fondement 
bien sérieux. Mais je vais plus loin, j'admets un instantavec 
vous que toutes ces considérations ont une valeur certaine: 
j'admets, en particulier, que ces rapprochements remarqua- 
bles faits par M. Dumas entre les équivalents des corps sim- 
ples d'une môme famille, et cet autre rapport si singulier 
trouvé par le docteur Prout entre l'équivalent de l'hydrogène 
et les équivalents de tous les autres corps simples, peuvent 
autoriser la conséquence que vous ne craignez pas d'en tirer 
sur l'isomérie des métaux, je dis que, tout cela accordé, la 
question serait encore bien loin d'être tranchée en votre fa- 
veur. En acceptant, en effet, toutes ces données comme vala- 
bles, nous serions conduits à la conclusion que voici : « Dans 
« l'état présent de nos connaissances, on ne peut prouver 
c d'une manière absolument rigoureuse ({ue la transmuta- 



a04 L'ALCIllMIt: 

« lion (les métaux soil impossible : quelques eirconstdnces 
« s'op|M)sent à ce que ropinion alchimique soit rejelée, 
c comme une absurdité en opposition avec les faits. » Voilà, 
dans son expression la plus étendue, le seul bénéfice de 
raisonnement auquel vous puissiez prétendre. Mais, de ce 
(|u*un fait est reconnu ne pas être impossible, il ne résulte 
nullement que ce fait existe. Nous ne saurions prouver que 
le plomb ne se changera jamais en or, mais il ne suit point 
de là (jue Ton puisse effectuer la mutation réciproque de ces 
métaux. J'insiste sur cette dernière réflexion, parce qu elle 
me paraît devoir trancher à elle seule le nœud de votre ar- 
gumentation tout entière. » 

« — Ce que vous m'accordez, répliqua alors Talchimiste, 
sufiitù la cause que je défends, car si vous reconnaissez que 
nos théories n'ont rien en définitive qui offense trop le sen- 
timent des chimistes, il suffira, pour que la victoire nous 
soit acquise, de faire voir que des transmutations métalliques 
ont été exécutées, et que plusieurs personnes ont découyert 
et possédé la pierre philosophale. Un seul cas de cette espèce 
suffirait à la rigueur pour cette démonstration. Or les écrits 
hennéliques sont remplis de ces faits; les narrations qu'on 
y trouve sont entourées d'ailleurs d'un tel cortège d'impo- 
sants témoignages, qu'un auteur moderne, Schmieder, nhé- 
site pas à déclarer que les preuves historiques suffisent à elles . 
seules pour établir la réalité de notre science et l'existence 
(le la pierre philosophale. Vous partagerez, je l'espère, cette 
conviction, si vous voulez bien maintenant écouter le récit de 
ces faits. » 

Vous savez, ami lecteur, (jue, dans Thistoire de l'alchi- 
mie, les transmutations métalliques forment un chapitre fort 
étendu. Aussi, envoyant mon interlocuteur se disposer à 
entreprendre la longue histoire des exploits des faiseurs d'or, 
je fus effrayé des proportions qu'allait recevoir notre entre- 
tien. J'essa^vxv ^\vi \ed\yme\:. 



AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. o65 

— Il est un peu tard, objectai-je timidement. 

— Non, dit mon obstiné discoureur, le soleil se couclie h 
peine; je vois encore ses derniers rayons dorer les tours de 
Saint-Sulpice. Écoutez donc ma démonstration; je ne vous 
laisserai que converti. 

Ici l'adepte entama le récit des transmutations métalli- 
ques. Parcourant successivement les faits de ce genre dont 
les deux derniers siècles furent les témoins, il me rap- 
pela les événements singuliers rapportés par Yan Helmont, 
Helvétius, Bérigard de Pise et le pasteur Gros. Vinrent en- 
suite les transmutations opérées en 1648 par Tempereur 
Ferdinand m avec la poudre de Piichthausen. Les aventures 
d'Alexandre Sethon et celles de Michel Sendivogius, son hé- 
ritier et son élève, furent longuement racontées. Passant de 
là au dix-huitième siècle, mon alchimiste cita d'abord la 
transmutation attribuée au Suédois Paykull. Il aborda en- 
suite la vie mystérieuse de Lascaris. Les merveilles que l'on 
attribue aux émissaires de cet adepte ne furent point ou- 
bliées; Botticher, Delisle, furent ici cités avec honneur. En 
un mot, mon interlocuteur n'oublia rien dans cette revue 
sommaire des hauts faits de la science transmutatoire. 

« Voilà donc, reprit l'adepte terminant enfin sa longue 
exposition historique, une série d'événements qui démon- 
trent qu'à différentes époques plusieurs personnes ont 
possédé le secret de la transmutation. Mais il existe une 
autre catégorie de preuves qui n'est pas à négliger ici, et 
que je vous présenterai en terminant. Je veux parler des 
richesses considérables que l'on a toujours vues entre les 
mains des personnes qui ont possédé la pierre philosophalo. 
L'histoire nous fournit soua ce rapport des faits contre 
lesquels il serait difficile d'élever des objections raison- 
nables. 

a Tous les écrivains hermétiques assurent que Raymond . 
Lulle, prisonnier d'Edouard llï à la Tour de Londres, y fa- 
briqua pour six millions d'or qui servirent à frapper les no- 



560 LALGHIMIE 

blés à la Rose. En France, Nicolas Fiamel trouve en 1382 le 
secret de la projection, et cet homme, jusque-là pauvre co- 
piste, se montre tout à coup à la tête d'immenses richesses, il 
fonde à Paris quatorze hôpitaux, bâtit trois chapelles, relève 
sept églises, qu'il dote magniGquement. A Pontoisc, lieu desa 
naissance, il fait tout autant de fondations pieuses. En 1742 
on distribuait encore aux pauvres de Paris les aumônes qu'il 
avait instituées par son testament. On s'est beaucoup occupé 
de trouver l'origine des richesses de Fiamel; mais les écri- 
vains qui ont élevé ces doutes, tels que Gabriel Naudé et 
Tabbé Yillain, n'ont entrepris leurs recherches que deux ou 
trois siècles après sa mort. Or il est bon de savoir que du vi- 
vant de Nicolas Fiamel, l'origine de sa fortune ayant para 
suspecte, le roi Charles VI fit dresser à ce sujet une enquête 
par un maître des requêtes, le sieur Cramoisi. Nul ne peut 
dire ce qui en résulta; mais dès ce moment Fiamel ne fut 
plus inquiété. 

« L'alchimiste anglais George Ripley fit présent de cent 
mille livres d'or aux chevaliers de Rhodes, lorsque l'île fut 
attaquée par les Turcs en 1460. 

« Gustave- Adolphe, roi de Suède, en traversant la Pomé- 
ranie, reçut, à Lubeck, d'un prétendu marchand, cent livres 
d'or qui furent converties en ducats portant les signes de 
leur origine hermétique. A la mort de cet inconnu, on trouva 
chez lui une fortune de plus d'un million sept cent mille 

(ÎCUS. 

« On ne peut regarder que comme des productions al- 
chimi([ues les dix-sept millions de rixdales que laissa l'élec- 
teur Auguste de Saxe, en 1580, car ce prince est connu 
|)our avoir fait plusieurs fois la projection de ses propres 
mains. 

« Les quatre-vingt-quatre quintaux d'or et les soixante 
quintaux d'argent que l'on a trouvés, en 1612, dans le trésor 
'le l'empereur d'Allemagne, Rodolphe 11, avaient aussi la 
même 0Y\çî,\x\e. Vî^\\\\\ Ws ^^clnces do l'Empire, Rodolphe 11 a 



AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE. 367 

été le partisan le plus déclaré de la science hermétique. Vers 
la fin de son règne, la plupart de ses actes furent inspirés 
psrr ses prédilections pour l'alchimie. Tout son entourage 
était spagyrique. Ses laquais mêmes n'étaient que des alchi- 
mistes, compagnons de ses travaux. La maison de son mé- 
decin, Thaddœus de Hayec, était ouverte à tous les artistes 
ambulants, qui, avant d'être admis en sa présence, venaient, 
par des épreuves convenables, se faire reconnaître et ac- 
créditer comme adeptes ; et le poëte de la cour, l'Italien 
Mardochée de Délie, n'avait d'autre occupation que de cé- 
lébrer les exploits des artistes qui fréquentaient la cour de 
Prague. 

« J'ajouterai enfin, pour clore dignement cette liste, que 
les richesses que le pape Jean XXII a laissées à sa mort en 1 534 
ne peuvent être que le résultat de ses pratiques alchimiques. 
Le comté d'Avignon, où résidait le saint-siége, n'avait avant 
cette époque qu'un revenu assez modique, et les papes pré- 
cédents n'avaient pas brillé par leur opulence. Dans le trésor 
de Jean XXÏI on trouva vingt-cinq millions de florins. La 
source de cette fortune s'explique aisément quand on sait 
que ce pape est compté parmi les écrivains alchimiques, et 
que, dans la préface de son Ars transmutatoria^ on indique 
qu'il a fait travailler à Avignon à la pierre philosophale, et 
qu'il a fabriqué deux cents lingots d'or pesant chacun un 
quintal *. En vain vous m'objecteriez que le pape Jean XXII 
ost lui-même l'auteur de la bulle : Spondent pariter qiuis 
non exibent, fulminée par le saint-siége contre les alchi- 
mistes. Cet argument n'aurait guère plus de valeur que celui 
qui consiste à dire que les préceptes que le pape a donnés 
dans son Ars transmutatoria, pour fabriquer de l'or, sont 
dépourvus de bon sens. C'était là autant de moyens que le 
page imaginait pour détourner de sa tête pontificale le soup- 

* Ars transmutatoria, ouvrage apocryphe traduit en français en 1557, 
et que les alchimistes ne craignirent pas d'attribuer au pape, pour se ven- 
•rer «les mesures sévères que Jean XXII avait diri{r(;es contre eux . 



308 LALCfllMIE 

çon «l'hermétisme. C'était la ruse du larron qui crie : An 

voleur! 

« Je m'arrête. Il m* eût été facile d'étendre davantage la 
série de ces preuves historiques; mais j*ai voulu m'en tenir 
aux faits le plus généralement connus, à ceux qui se justifient 
par des documents authentiques. » 

Tel fut le discours de mon alchimiste, et Ton comprendra 
qu'après une exhibition historique de cette force, on ne pou- 
vait sans déshonneur rester muet. J'essayai donc une courte 
réplique. 

« Vous venez, répondis-je, de rappeler la plupart des évé- 
nements que Ton a coutume d'invoquer en faveur de la 
réalité de l'alchimie. Je ne ferai nulle difficulté d'avouer 
qu'il y ait là plus d'une circonstance de nature à embarras- 
ser un moment. Mais je ne dirai certes rien de bien mer- 
veilleux en afQrmant que tous ces faits manquent absolu- 
ment des moyens de contrôle que la critique philosophique 
est en droit d'exiger en pareille matière. Si l'autorité du té- 
moignage humain est acceptable sans réserve pour les faits 
communs qui ne demandent, pour être constatés, qu'un es- 
prit libre et des sens fidèles, il en est tout autrement quand 
il s'agit d'établir la certitude d'un fait physique ou d'un ré- 
sultat scientifique. Un semblable sujet réclame des vérilira- 
tions d'une autre nature et qui, dans l'espèce, font absolu- 
ment défaut. En admettant d'ailleurs tous ces événements 
comme avérés, il resterait à comprendre comment une dé- 
couverte semblable, si elle a été faite une fois, a pu jamaisêire 
perdue. 

Laissez-moi ajouter cependant que la véritable réponse à 
vos arguments liistoriques, la raison victorieuse, n'est pas 
là; elle se trouve très-clairement contenue dans deux ou 
trois ouvrages, que les adversaires de l'alchimie n'ont cessé 
d'op\m^ev 1\ ?>?-?« \>\ç\«\vï!5,. Vs^wîSi \*ET\(ilicatio, de Th. Éraste. 



AU DIX-NEUVIÈME SIECLE. 500 

(Jans le M^indtis subteiranens, du père Kircher, et dans la 
dissertation de l'académicien Geoffroy, sur les supercheries 
concernant la pierre philosophaley présentée en 1722 à 
TAcadémie des sciences de Paris, on trouve la clef de tous 
ces prétendus mystères. Ces écrits nous donnent une expli- 
cation très-rassurante des événements étranges qui, jusqu'au 
milieu du siècle dernier, ont entretenu les croyances aux 
opérations hermétiques. On y voit par quelle incroyable série 
de fraudes, de supercheries, de tours d'adresse de tout genre, 
les souffleurs ont su tromper pendant dix siècles la crédulité 
de leurs contemporains. 

« Il faut prendre garde, dit Geoffroy, à tout ce qui passe 
« entre les mains de ces sortes de gens. » En effet, les alchi- 
mistes opérateurs ont poussé jusqu'à ses dernières limites l'art 
de tromper les hommes. Le mercure qui se transformait en 
or sous les yeux d'une assemblée ébahie était déjà charg('^ 
d'une certaine quantité du métal précieux; au lieu de mer- 
cure pur, on employait un amalgame d'or qui diffère très-peu 
par son pspect physique du mercure ordinaire. Le métal vo- 
latil placé dans le creuset disparaissait par l'action de la cha- 
leur, et laissait apparaître l'or. Le plomb qui se changeait 
en argent ou en or n'était souvent autre chose qu'un lingot 
d'argent ou d'or enveloppé de plomb. Les creusets dans les- 
quels les opérations s'exécutaient étaient presque toujours 
préparés d'avance. Dans un double fond, on plaçait de l'or 
ou une composition aurifère décomposable par la chaleur; 
ce double fond était adroitement dissimulé par une pâte faite 
de gomme et de terre de creuset. La chaleur détruisait la 
matière organique, et le métal précieux venait ainsi se mêler 
aux matières mises en expérience. Quelquefois on introdui- 
sait de l'or ou de l'argent dans les creusets, en agitant les 
métaux fondus avec une baguette de bois creuse qui renfer- 
mait, dans sa cavité intérieure, de la poudre d'or ou d'ar- 
gent; le bois, en brûlant, déposait la poudre d'or dans le 
creuset. D'autres fois, on remplissait de poudre d'or ou d'ar- 



370 L ALCHIMIE 

gent une petite cavité creusée dans du charbon et cachée 
par de la cire noire. Ce charbon servait à recouvrir le creu- 
set, et la cire, venant à fondre, laissait tomber la poudre 
d'or; ou bien on imbibait de dissolutions d*or et d argent 
du charbon pulvérisé que Ton jetait dans le creuset comme 
un ingrédient nécessaire. Il y avait d'ailleurs mille manières 
de mêler les métaux précieux à l'état d'oxydes ou de chatix, 
suivant le terme de l'époque, et n'offrant dès lors aucun 
aspect métallique, avec les différentes substances employées 
dans l'opération. S'il s'agissait enfin de changer en or une 
médaille d'argent ou de plomb, on la blanchissait au mer- 
cure, on la présentait dès lors comme de l'argent ou du 
plomb; quand on l'exposait à l'action de la chaleur, le 
mercure, en s'évaporant, laissait apparaître l'or. Il est bien 
entendu que, dans ces dernières opérations, un peu d'esca- 
motage venait à propos, et qu'il n'était pas mal de sub- 
stituer une médaille ainsi préparée à une autre médaille de 
plomb ou d'argent que l'assemblée avait examinée tout à 
son aise. 

« Ce sont là, assurément, des tours fort grossiers et en 
apparence faciles à démasquer. Mais ce qui fait comprendre 
la longue impunité de ces manœuvres, c'est la profonde 
ignorance dans laquelle on a vécu jusqu'au dix-septième 
siècle sur l'interprétation des phénomènes chimiques. La mé- 
tallurgie était assez imparfaite à cette époque, pour que Ton 
fût inhabile à reconnaître dans un métal vil des traces d'un 
métal précieux, et il y a dans l'histoire de la chimie plus 
d'un exemple curieux de semblables erreurs. Ce n*est qu'au 
commencement du dix-septième siècle que tous les chimistes 
ont bien connu le fait de la dissolution des métaux dans les 
acides. Ainsi, avant l'année 1600, fort peu de personnes ont 
soupçonné que le cuivre existât dans le vitriol bleu, et sou- 
vent les alchimistes ont présenté comme une transmutation 
du fer en cuivre la précipitation du sulfate de cuivre par 
une lame de fer. Ç^T^ç.dç>^ ^\\i^^Nv\% ^^^^\. <îfts transmu- 



AU DIX-JNEUVIÈME SIÈCLE. 571 

tations en toute -confiance. Aussi les teintures philosophales 
des alchimistes n'étaient-elles souvent que des dissolutions 
d'or ou d'argent dans des liqueurs acides; et Ton présentait 
les dorures superficielles ainsi produites comme un achemi- 
nement à une transformation plus complète. 

« 11 serait donc facile, en rapprochant de la plupart de 
vos narrations les faits rapportés par Thomas Êraste, le Père 
Kircher et Geoffroy, de montrer par quels artifices précis fu- 
rent exécutées, dans ces divers cas, les transmutations dont 
vous avez rapporté les détails. Cependant ce moyen avance- 
rait peut-être assez mal la question, entre nous, car tout 
pourrait se réduire à une affirmation d'une part, et à une 
négation de l'autre. Il est une voie plus courte. Elle consiste 
à rappeler les événements si nombreux dans lesquels la 
fraude a été dévoilée par l'aveu des adeptes eux-mêmes. Bien 
souvent, en effet, les charlatans alchimistes, après avoir 
mené à bien quelque tour de leur métier, se hâtaient de se 
mettre en sûreté, et, une fois certains de l'impunité, procla- 
maient hautement leur fourberie en riant à leur aise de la 
crédulité de leurs victimes. 

« Un certain Daniel, de Transylvanie, mystifia de cette 
manière le grand-duc de Toscane, Cosme I". Ce charlatan, 
qui joignait à son titre d'alchimiste la qualité de médecin, 
vendait aux apothicaires de Florence une poudre appelée 
usufur, qui était connue comme remède universel. 11 fabri- 
quait lui-même ce médicament, dans lequel il faisait entrer 
une certaine quantité d'or. Seulement, pour ne pas se rui- 
ner dans la spéculation qu'il méditait, il avait soin, parmi 
les médicajnents qu'il faisait prendre chez les apothicaires 
par ses malades, de prescrire toujours Yusufur, et comme il 
préparait ensuite lui-même les médicaments à l'aide des 
drogues qu'on lui apportait, il avait soin de garder pour lui 
le précieux usufur, ce qui était une manière ingénieuse de 
rentrer peu à peu dans ses avances. Quand sa réputation fut 
bien établie à Florence, il alla trouver le grand-duc, et s'of- 



37j l/ALrHIMIK 

frit il lui ensiM^a^'T ï'art de faire de For. C'est avec le fameux 
umfur qu'il opinait. Le grand-duc envoya lui-même prendre 
ce m»f<licament chez les apothicaires de la ville, et Topera- 
tion réussit comme on le devine. Cosmc T' paya cette belle 
inventiiin vin^t mille ducats. Mais bientôt le médecin fut pris 
d'un vif dt'sir de voyager; il demanda la permission d'aller 
parcourir la France, lue fois à Tabri, il écrivit sans plus de 
façon au grand-duc pour l'informer du mauvais tour qu'il 
lui avait joué. 

« I/aventurier Delisle, dont vous avez parlé, se semude 
procédés moins compliqués. Il tranformait en or de petites 
masses de plomb ou des médailles d'argent, en faisant usage 
du procédé bien connu du blanehiment par le mercure. Mais 
ropt»ration qui lui servait surtout à émerveiller la Provence 
consistait à cbanger en or des clous de fer. Pour jouer ce jeu, 
il fabriquait un clou d'or et le recouvrait d'une légère cou- 
che lie fer, de manière à le faire passer pour un clou ordi- 
naire. En plongeant ensuite Vobjet, ainsi préparé, dans sa 
prétendue teinture, qui n'était autre chose qu'une liqueur 
acide, il dissolvait la couche superficielle de fer, et l'or appa- 
raissait. La triste fin de cet aventurier ne montra que trop 
d'ailleurs qu'il avait pris pour dupe la province et la cour. 

€ La fin tragique de Delisle n'est pas la seule qui aitdi^ 
voilé les coupables manœuvres des souffleurs. 

« Sous Louis Xlll, un nommé Dubois faisait grand bruit 
ù Paris par ses transmutations. CVtait un aventurier qui, 
après avoir longtemps voyagé comme médecin dans le Lo- 
vant, se fit capucin et se rendit en Allemagne, où il jeta le 
froc pour embrasser la religion réformée. De retour en 
France, il se maria sous le nom de sieur de la Meilleiie. H 
assurait que la pierre philosophale dont il faisait usage pro- 
venait do Nicolas Flamel ; il prétendait l'avoir trouvée dans 
l'héritage de son oncle, arrière-petit-fils du médecin Perrier, 
neveu lui-même de Pernelle, femme de Nicolas Flamel. Du- 

s se vaw\a\l, vk \^\wçs, de connaître la manière de prép«a- 



AU DIX-NEUVIEME SIÈCLE. 575 

rer cette poudre. Ces faits arrivèrent à l'oreille de Riche- 
lieu, qui fit arrêter ralchimiste, et lui intima Tordre de 
répéter ses expériences devant le roi. En présence de 
Louis Xni et du cardinal, Dubois changea en or une balle de 
mousquet que l'on alla prendre dans la giberne d'une sen- 
tinelle. Le roi s'empressa d'anoblir cet habile homme ; il fit 
plus, il le nomma président des trésoreries. Mais Richelieu 
se montra plus exigeant; il commanda à Dubois de lui com- 
muniquer son secret. Sur son refus, le nouveau président 
fut jeté en prison, et l'on instruisit son procès. Comme il re- 
fusait encore de s'expliquer, ou lui donna la question. Ainsi 
pressé, le malheureux dicta quelques procédés qui, immé- 
diatement essayés, furent reconnus faux. N'obtenant rien de 
plus, le cardinal furieux le renvoya au tribunal, qui le con- 
damna comme magicien et le fit pendre. 

(( On a beaucoup parlé en Angleterre, à la fin du siècle 
dernier, des circonstances qui amenèrent le suicide de Price. 
James Price était un chimiste distingué, mais il eut le mal- 
heur dé s'occuper d'alchimie, et se vanta bientôt de possé- 
der la pierre philosophale. A Londres, il fit sept ou huit fois 
des transmutations publiques. 11 fit imprimer les procès-ver- 
baux de ses expériences,, et le roi d'Angleterre fut curieux 
de posséder les lingots d'argent que Talchimiste avait fabri- 
qués. Mais la Société royale de Londres, dont Price faisait 
partie , s'émut de cette affaire. Le chimiste fut sommé 
de répéter ses expériences devant une commission prise 
dans la Société royale. 11 refusa longtemps de comparaître, . 
alléguant que sa provision de pierre philosophale était épui- 
sée, et qu'il fallait beaucoup de temps pour en préparer 
d'autre. Cependant il finit par se mettre à l'œuvre, et man- 
qua l'opération. Renié de ses amis, poussé à bout de toutes 
manières, il s'empoisonna. 

« Assez longtemps avant ce dernier événement, Talchi- 
miste Honauer n'avait pas été plus heureux. Il avait réussi 
â tromperie duc de Wurtemberg par un procédé fort simple, 



574 L'ALCHIMIE 

comme vous allez le voir. Le duc faisait lui-môme Topération 
avec les matières indiquées par Honaiier; quand le creuset 
était chargé et l'expérience disposée, pour éviter tout soupçon 
de fraude, il faisait sortir tout le monde du laboratoire et en 
emportait la clef. Mais Talchimiste avait eu la précaution in- 
génieuse de faire cacher un petit garçon dans une caisse. 
Quand le laboratoire était désert, Tenfant allait tout bonne- 
ment mettre de Vor dans le creuset, puis il regagnait sa ca- 
chette. Le prince était d'autant plus impatient de voir réussir 
ces expériences, qu'il avait déjà dépensé plus de soixante 
mille livres avec son alchimiste. Par malheur, un curieux 
éventa la ruse. Comme vous le savez, les princes allemands 
n'entendaient pas raillerie sur ce chapitre. Le philosophe par 
le feu fut pendu au gibet doré. » 

Pendant cette dernière partie de notre conversation, mon 
interlocuteur était distrait et agité; il laissait paraître des 
signes visibles d*impatience. Enfin, il se leva : 

« Écoutez , me dit-il , vous avez lu peut-être quelques 
écrits alchimiques, mais seulement, je le crois, en curieux 
empressé de recueillir quelques faits qui vous semblent pi- 
quants. Ce n'est pas ainsi que Ton arrive à la vérité; ou ne 
la trouve qu'avecla volonté sérieuse de la chercher. » 

En disant ces mots il tira de sa poche, avec toutes les mar- 
ques de respect imaginables, un vieux livre qu'il me pré- 
senta : 

(( Tenez, dit-il, je vous confie cet écrit; il renferme les 
vérités de noire art, exposées avec la plus grande simplicité. 
Lisez-le avec soin, et surtout, ajouta-t-il, en posant le doigt 
sur la première page du livre, méditez bien la sentence qui 
orne le frontispice. 

Ayant dit, mon philosophe se retira à pas lents. Pendant 
qu'il s'éloignait, je me hâtai d'examiner le précieux ouvrage 
quilTi\'a\a\\Tfcm\?>.C^Uit l'un de ces innombrables écrits 



AU DIX-NKUVIÈME SIÈCLE. 575 

que nous ont laissés les alchimistes, et il n^ëtait ni plus clair 
ni plus raisonnable que les autres. Mes yeux se portèrent sur 
la fameuse sentence qu'il avait recommandée à mon atten- 
tion. C'était la maxime du Libei' miUiis : 



Lege, lege, lege et relege, labora, OR A, et invcnies. 



NOTES 



NOTES 



NOTE F« 



HOMUNCULI GENERATIO ABTIFIGIALIS 



Sed nec generationîs homunculorum ullo modo oblivisœndum est. 
Est enim hujus rei aliqua yeritas, quanquamdiù in magnâocciiltatione 
et secreto hoc habitum sit, et non parva dubitatio, et qucstio intcr 
aliquos es antiquis philosophis ftierit, an naturae et arti possibile est 
hominem gigni extra corpus muliebre et matricem natiu*alem. Ad 
hoc respondeoy quod id arti spagyricae et naturae ullo modo repugnet, 
imo bene possibile sit. Ut autem id fiât, hoc modo procedendum est : 
Sperma viri per se in cucurbita sigillata putréfiât summa putrefac- 
tipne ventrls equini per quadraginta dies, aut tandiu donec iucipiat 
vi?ere et raoveri ac agitari, quod facile videri potest. Post hoc tem- 
pus aliquo modo homine simile erit, ac tamen pellucidum et sine 
corpore. Si jam posthac quotidie arcano sanguinis humani caute et 
pnidenter nutriatur et pascatur, et per quadraginta septimanas in 
peqietuo et sequabili calore ventris equini conservetur, fit inde verus 
et YÎvus infans, habens omnia membra infantis, qui ex muliere natus 
est, sed longe minor. Hune nos Homunculum vocamus, et is postea eo 
modo diligentia et studio educandus est, donec adolescat et sapere et 
intelligere incipiat. Hoc jam est unum ex maximis secretis quae Dens 
mortali et peccatis obnoxio homini patefecit. Est enim miraculiun et 
magnale Dei, et arcanum super omnia arcana, et merito in secretis 
serran débet usque ad extrema tempera, quando nihil orit recondili, 



7)80 iNOTKS. 

scd oinnia inanifestabuntiir, etc. Et quanquam hoc hactenus, homi- 
nibus notuin non fuerit, fuit tamen Sylvcstribus et Nymphis et Gigan- 
tibus antc nmlta tempora cognitum, quia inde ctiam orti sunt. 
Quoniam ex talibus homunculis cum ad œtatem virilein perveDiunt, 
fiunt gigantesy pyginsei et ulii homincs magne miraculosi» qui instru- 
menta sunt magnarum rerum, qui magnas victorias contra suos hostes 
ol)tinent et omnia sécréta et abscondita noverunt : quoniam arte ac- 
quirunt suam vilum : arte acquirunt corpus, carnem, ossa et sangui- 
nem ; arte nascuntur, quare etiam ars ipsis incorporatur et connasd- 
tur, et à nulle opus est ipsis discere, sed alii coguntur ab ipsis discere, 
quoniam ub arte orlî sunt et existunt» ut rosa aut flos in horto, et to- 
cnntur Sylvestrium et Nymphaiiun liberi, ob id quod ut et Tirtùtc 
sua non hominibus sed spiritibus similes sint. 

(Paracelse, de Naturâ rerinn, vol. Il, livre I*""", page 86 de 
l'édition de Genève.) 



Sed ut ad homunculos revertamur, practicamquje nostram quam 
brevissime tradamus : sciendum est in communi, fundamentum, ar 
scientiam omnem in tribus homimculis et imaginibus sitam esse, in 
quibus et per quas opéra tiones universaî perficiuntur. Non enim nisi 
tribus niodis homunculi omnes confiunt. Unus et primus, cum omni- 
bus membris quie homo alias habet. Alter cum eodem quidem cor- 
|)ore, sed cum tribus capitibus et tribus vuUibus. Tertius cum quatuor 
capitibus et quatuor vultibus, quatuor mundi angulos respicientibus. 
Sed o\ triplici materia homunculi omnes conficiuntur, ut ex terra, 
cera et métallo y non item ex re alia. 

Homunculorum processus ita se habet. Si per illos hominem 
quemdam à morbo liberare velis et sanare, opus est ut imaginein ejit^ 
illinas et inungas, etc. Aut aliud quid faciendum fias. Si amoi-em, 
favorem et giatiam conciliare vis, homunculos geininos faciès, quo- 
rum alter altri manum porrigat, amplexetur, osculetur, et similia 
alia faciat amoris oflicia. Si absentum ex locis dissitis doraum pertra- 
here velis, ut quotidio tôt milliaria conliciat : totidem et jam millia- 
ria conficiet imago ejus in rota, procedens ex eo loco, ex quo liomo 
ipse iter facere débet. Sic si tutus ab hostium arniis esse cupias, 
imagiucm tuaui ex ferro vel chalybe parabis, et vehit incudem intlii- 
rahis. Si liostcui ligaturus es, liga ejus imagineui. IIîtt tibi ctiam 



NOTES. 581 

excnipla sufficiant, ex qniljiis plura ipsc depriuiere potcris. (Juaiitùm 
aiiteiii ad houiuuculos, et imagines, quas Saga; et incantatores fa- 
ciunt, ut pcrniissu Dei pecudes, regiones et hoiuines perdant, de illis 
propter ingentia consecutura mala liic dicenduui niliil est. 

(Liber de Imaginibus, ch. xii, p. 502). — Voyez aussi le 
Traité de Homunciilis et MonstriSy vol. IF, p. 474.) 



NOTE 11^ 

DES SOrERCHliUlES CONCERNANT LA IMEURE nilLOSOriIALE, 
PAR GEOFFROY, LAINE. 

Il serait a souliaiter que Tart de tiomper fut parfaitement igiioié 
des hommes, dans toutes sortes de professions. Mais, puisque l'avidité 
insatiable du gain engage une partie des hommes à mettre cet art en 
pratique d'une infinité de manières différentes, il est de la prudence 
de chercber à connaître ces sortes de fraudes, pour s'en garantir. 

Dans la chimie, la pierre philosophale ouvre un très-vaste cliauip 
à riniposturc. L'idée des richesses inmienses qu on nous promet, par 
le moyen de cette pierre, frappe vivement Fimagination des honunes. 
Gonufne d'ailleure on croit facilement ce qu'on souhaite, le désir de 
posséder cette pierre porte bientôt l'esprit ù en croire la possibilité. 

Dans cette disposition où se trouvent la plupart des esprits au sujet 
de cette pieiTe, s'il survient quelqu'un qui assure avoir fait cette fa- 
meuse opération, ou quelque autre préparation qui y conduise ; qui 
parle d'un ton imposant et avec quelque apparence de raison, et qui 
appuie ses raisonnements de quelques expériences, on l'écoute favo- 
rablement, on ajoute foi à ses discours, on se laisse surprendre pai' 
ses prestiges, ou par des expériences tout à fait séduisantes, que la 
chimie lui fournit abondamment; enfin ce qui est de plus surpre- 
• nant, on s'aveugle assez pour se ruiner, en avançant des sonmies 
considérables à ces sortes d'imposteurs, qui, sous différents prétextes, 
nous demandent de l'argent, dont ils disent avoir besoin, dans le 



382 NOTES. 

iiim\is même (ju'ils se vantent de iiosséder une source de trésors iné- 
puisable. 

(Juoi(|n*il y ait quelque inconvénient à mettre au jour les trompe- 
ries dont se scnent ces imposteurs, parce que quelques personnes 
|K)urraieut en abuser, il y en a cependant beaucoup plus à ne les pas 
faire connaiti'e, puisqu'en les découvrant on empêche un très-grand 
nombre de gens de se laisser séduire par leui^ tours d'adresse. 

C'est donc dans la vue d*empêcher le public de se laisser abuser 
par ces prétendus philosophes chimistes que je rapporte ici les prin- 
cipaux moyens de tromper qu'ils ont coutume d'employer, et qui sont 
venus il ma connaissance. 

Comme leur piincipale intention est pour Tordinaire de faire trou- 
ver de l'or ou de Forgent en la place des matières minérales, qu'ik 
prétendent transmuer, ils se servent souvent de creusets ou de cou- 
(H'iles doublées, ou dont ils ont garni le fond de chaux d*or ou d^ar- 
(jent^j ils recouvrent ce fond avec une pâte £dte de poudre de creu- 
set incorporée avec de Teau gommée, ou un peu de cire : ce qu'ik 
accommodent de manière que cela parait le véritable fond du creuset 
ou de la coupelle. 

D'autres fois ils font un trou dans im charbon, où ils coulent de la 
poudre d'or ou d'argent, qu'ils referment avec de la cire : ou bien 
ils imbibent des chnrbons avec des dissolutions de ces métaux, et il> 
les font mettre en poudre i)oui- projeter sur les matières qu'ils doi- 
vent transmuer. 

Ils s(; servent de baguettes, ou. de petits morceaux de bois creusés 
il leur extrémité, dont le trou est rempli de limaille d'or ou d'argent, 
et (jui est rebouché avec de la sciure fine du même bois. Ils remuent 
les matières fondues avec la baguette, qui, en se binilant, dépose dans 
le creuset le métal fin qu'elle contenait. 

Ils mêlent d'une infinité de manières différentes l'or et Fargent 
dans les matières sui' lesquelles ils travaillent : car une petite quan* 
tité d'or ou d'aigent ne paraît point dans une grande quantité de 
nuHaux, de régule, d'antimoine, de plomb, de cuivre, ou de quelque 
autre métal. 

On niclc très-aisément l'or et l'argent en chaux dans les chaux de 
plomb, d'antimoine et de mercure. 

* Oxyde* 



NOTES. 585 

On peut enfeiTuer dans du plomb des grenailles ou des lingots d'or 
et d'argent. On blanchit Tor avec le vif-argent et on le fait passer 
pour de l'étain, ou pour de Targent. On donne ensuite pour ti*ansmu- 
tation For et Targent qu'on retire de ces matières. 

Il faut prendre garde à tout ce qui passe par les mains de ces sortes 
de gens. Car souvent les eaux-fortes, ou les eaux régales qu'ils em- 
ploient, sont déjà chargées de dissolutions d'or et d'argent. Les papiei's 
dont ils enveloppent leurs matières sont quelquefois pénétrés de 
chaux de ces métaux. Les cartes dont ils se servent peuvent cacher de 
ces chaux métalliques dans leur épaisseur. On a vu le verre même 
sortant des verreries chargé de quelque portion d'or, qu'ils y avaient 
glissée adroitement, pendant qu'il était encore en fonte dans le four- 
neau. 

Quelques-uns en ont imposé ave<; des clous moitié fer et moitié 
or, ou moitié argent. Ils font accroire qu'ils ont fait une véritable 
transmutation de la moitié de ces clous, en les trempant à demi dans 
une prétendue teinture. Rien n'est d'abord plus séduisant ; ce n'est 
poui-tant qu'un tour d'adresse. Ces clous, qui paraissent tout de 
fer, étaient néanmoins de deux pièces, une de fer, et une d'or ou 
d'argent, soudées au bout l'mie de l'autre Irès-proprement et recou- 
vertes d'une couleur de fer, qui disparaît en la trempant dans leur 
liqueur. Tel était le clou moitié or et moitié fer qu'on a vu autrefois 
dans le cabinet de M. le giand-duc de Toscane. Tels sont ceux que je 
présente aujouixl'hui à la compagnie, moitié argent et moitié fer. Tel 
était le couteau qu'un moine présenta autrefois à la reine Elisabeth 
en Angleterre, dans les premières années de son règne, dont l'extré- 
mité de la lame était d'or ; aussi bien que ceux qu'un fameux char- 
latan répandit il y a quelques années en Provence, dont la lame était 
moitié argent et moitié fer. 11 est vrai qu'on ajoute que celui-ci faisait 
cette opération sur des couteaux qu'on lui donnait, qu'il rendait au 
bout de quelque temps, avec l'extrémité de la lame convertie en ar- 
gent. Mais il y a heu de penser que ce changement ne se faisait qu'en 
coupant le bout de la lame, et y soudant proprement un bout d'ar- 
gent tout semblable. 

On a vu pareillement des pièces de monnaie, ou des médailles, 
moitié or et moitié argent. Ces pièces, disait-on, avaient été premiè- 
rement, entièrement d'argent ; mais eu les trempant à demi dans 
une teinture philosophale» ou dans l'élixir des philosophes, cette moi- 



584 NOTES. 

lie qui avait ôUi Ireiiipée s'était ti-ansmuée en ov, sans que la forme 
cxti'rieure de la médaille, ni les caractères, ciisscut été altérés con- 
sidérablement. 

Je dis que cette médaille n'a jamais été toute d'argent, du moins 
cette partie qui est or, que ce sont deux i)oi*tions de médailles. Inné 
iVov et l'autre d'argent, soudées très-proprement, de manière que les 
ligures et les caractères se i*appoi*tent fort exactement, ce qui n'est 
|)as bit'u difficile. Voilà de quelle manière cela se fait, ou plut<H, 
voici de quelle manière je jouerais ce jeu, si je voulais en imposer. 

Il faut avoir plusieurs médailles d'argent semblables, un peu gros- 
sièi*einent frappées, et même un peu usées : ou en modellcra quc4- 
ijues-unes en sable, qu'on jettera en or; il n'est pas même nécessaire 
qu'elles soient modelées dans un sable trop fin. 

Pour lors on coupera proprement une poiiion d'mic des médailles 
d'argent et une pareille portion d'une des médailles d'or. Apres les 
avoir appropriées avec la lime, on soudera exactement la piutie d'or 
avec la partie d'argent, prenant soin de les bien ajuster, en soilc que 
les caractères et les iigures se rapportent autant qu'il sera possible, 
et s'il y a quelque petit défaut, on le réparera avec le burin. 

La |K)rtion de la médaille qui se trouve en or, ayant été jetée eii 
sable, parait un peu grenue et plus grossière que la portion de la 
médaille qui est on argent, et qui a été frappée ; mais on donne ce 
défaut coiiimc un olfet, ou comme une preuve de la ti-ansmulalion, 
parce qu'une certaine «piantité d'argent, occupant un plus grand vo- 
luiiu; (|u'uiie pareille quantité d'or, le volume de l'argent se retire un 
peu en se cUaugeaut eu or, et laisse des pores ou des esi^aœs, qui 
loruieiit le grenu. Outie cela, on a soin de tenir la partie qui est en 
or un peu plus mince que l'argent, pour garder la vraisemblaiiœ, et 
ne mettre qu'autant d'or à peu près qu'il y avait d'argent. 

Outre celle première médaille, on en préparera une seconde de 
cette façon : 

On prend une médaille d'argent, dont on éuuncit une moitié, en la 
limant dessus et dessous sans toucher K l'autre, de sorte que la moi- 
tié de la médaille soit conservée entière, et qu'il ne reste de l'autre 
moitié qu'une lame mince, de l'épaisseur environ d'une carte à jouer. 
On a une petite médaille en or qu'on coupe eu deux, et dont on prend 
la portion dont on a besoin, on la scie en deux dans son épaisseur, el 
l'on ajuste ces deux lames d'or de manière qu'elles recouvrent la 



NOTKS. 385 

partie éiiiincie de la médaille d'argent, eu obsei-vant que les iigure-s 
et les caractères se rapportent : par ce moyen on a une médaille en- 
tière moitié argent et moitié or, dont la portion d'or est fourrée d'ar- 
gent. 

On présente cette médaille comme un exemple d'un argent qui 
n^est pas totalement transmué en or, pour n'avoir pas trempé assez 
longtemps dans Tclixir. 

On prépare enfin une troisième médaille d'argent, dont on dore 
superficiellement la moitié dessus et dessous, avec Tamalgame de 
mercure et d*or, et l'on fait passer cette médaille pour un argent qui 
n'a trempé que très-peu de temps dans l'elixir. 

Lorsqu'on veut jouer ce jeu, on blancliit l'or de ces trois médailles 
avec un peu de mercure, eu sorte qu'elles paraissent entièrement 
d'argent. Pour tromper encore mieux, celui qui se mêle de ce mé- 
tier, et qui doit savoir bien escamoter, présente trois autres médail- 
les d*argent, toutes semblables, sans aucune préparation, et les laisse 
ciLaminër k la compagnie qu'il veut tromper. En les reprenant, il leur 
substitue, sans qu'on s'en aperçoive, les médailles préparées ; il les 
dispose dans des verres, dans lesquels il verse suffisante quantité de 
sou précieux élixir, à la hauteur qu'il lui convient ; il en retire ensuite 
ses médailles, dans des temps marqués. H les jette dans le feu, il les 
y laisse assez de temps pour faire exhaler le mercure qui blandiissait 
For. Enfin il retire du feu ces médailles, qui paraissent moitié ar- 
gent et moitié or, avec cette différence, qu'en coupant une petite por- 
tion de chacune dans la partie qui parait or. Tune n'est dorée qu'à 
la surface, l'autre est d'or à l'extérieur et d'argent dans le cœur, et 
la troisième est d*or dans toute sa substance. 

La chimie fournit encore à ces prétendus philosophes chimistes des 
moyens plus subtils pour tromper. 

Telle est une circonstance particulière que l'on raconte de l'or 
d'une de ces prétendues médailles transmuées, qui est que cet or ne 
pesait guère plus qu'un égal volume d'argent, et que le grain de cet 
or était fort gros, peu serré ou rempli de beaucoup de pores. Si cela 
est vrai dans toutes ces circonstances, comme on l'assure, c'est en- 
core upe^ûbuvelle imposture qu'il n'est pas impossible d'imiter. On 
jHîut introduire dans l'or une matière beaucoup plus légère que ce 
nictail, qui n'en altérera point la couleur, et qui n'abandoimei-a l'or 
ni dans le départ ni dans la coupelle. Cette matière, beaucoup moins 



38fi NOTES. 

compacte» ivndra son grain moins serré et, sous un même volume, 

sa {)esanteui* beaucoup moindre, selon la quantité qu'ion y en aura 

introduite. 

Passons h d'aulixïs expériences imposantes . Le mercure chargé d'un 
|NMi de zinc et {Kissé sur le cui?rc rouge lui laisse une belle couleur 
(For. (Juolques préparations d'ai'senic blanchissent le cuivre et lui 
donnent la couleur de l'argent . Les prétendus philosophes produisent 
CCS pi-éjiai-ations comme des acheminements à des teintures qu'ils 
pi-ouiettent de perfectionner. 

On fait bouillir le mercure avec le vert-de-gris, et il paraît que le 
nicivure se fixe en paiiie, ce qui n'est en effet qu^mi amalgame du 
nieiture avec le cuivre qui était contenu dans le verdet ; ils doraieut 
cette opération comme une véritable fixation du mercure. 

Tout le monde sait maintenant la manière de changer les clous (k> 
cinabre en argent. Cet artifice est décrit dans plusieurs livres de cbi- 
mic, c'est pourquoi je ne le réjn^te point ici. 

On donne encore le procédé suivant comme une transmutation de 
cuivi-e en argent. On a une boîte ronde comme une boite à savon- 
nette, composée do deux calottes de cuivre rouge qui rejoignent et 
ferment très- juste. On remplit le bas de la boîte dMne poudre pré- 
pai'ée pour cela. Après avoir fermé la boîte et luté les jointures, on 
la place dans un fourneau avec un feu modéré, suffisant pour rougir 
le fond (lo la boîte, mais non pas assez fort pour la fondre. On la 
laisse quelque temps dans cet état, après quoi on laisse éteindre le 
feu et Ton ouvie la boîte, on trouve la partie supérieure de la boîte 
convertie en argent. La poudre dont on se sert est la chaux d'ai'gent 
précipitée ])ar lo sel marin, ou autrement la luneconiée, qu'on étend 
avec quelque intermède convenable. 

Dans cette opération, la lune cornée, qui est un mélange de l'ar- 
gent et do l'acide du sel marin, s'élève facilement au feu, et elle se 
sublime au haut de la boite de cuivre. Mais, comme l'acide de sel 
marin s'unit avec les métaux et les pénètre très -intimement; et 
conmie il a d'ailleurs plus de rapport avec le cuivre qu'avec Tai-gent 
ù mesure qu'il pénètre le cuivre, au travers des pores duquel il s'en- 
haie, il en ronge quelques parcelles qu'il emporte avec lui en Tair, û 
dépose en leur place les particules d'argent qu'il avait enlevées, et il 
compose ainsi un nouveau dessus de boîte, partie argent et jwrtie 
cuivre* 



NOTES. 387 

Quelques chimistes ont avance qu'il était plus facile de faire de 
l'or que de le décomposer, c'est ce qui a engagé quelques-uns de nos 
prétendus philosophes de donner certaines opérations pour de vraies 
destructions de Tor. 

Ds nous proposent . des dissolvants digérés avec For qu'ils di- 
sent désanimé, ou dépouillé de son soufre ou de sa teinture, parce 
qu'en le fondant il est blanc ou d'un jaune pâle et fort aigre. Tel est, 
par exemple, l'esprit de nitre bézoardique. Mais cette prétendue dé - 
composition de l'or n'est qu'une illusion. Ce dissolvant est quelquefois 
chargé d'une assez grande quantité de parties régulières d'antimoine 
qu'il a eidevées avec luidans la distillation. Lorsqu'on l'a fait digérer 
sur l'or, il dissout bien à la vérité quelque portion d'or parce que 
c'est ime eau régale qui n'est pas assez chargée d'antimoine pour ne 
plus mordre sur l'or. De là vient la couleur jaune que ce dissolvant 
prend dans cette digestion. 11 dépose aussi dans les pores de l'or qui 
restent sans être dissous quelques petites portions de régule qu'il te- 
nait en dissolution, ce qui rend cet or pâle^ ou même blanc, quand 
on vient k le refondre, selon la quantité des parties antûnoniales qui 
s'yseroût mêlées. Mais cet or que cet esprit tient eu dissolution n'est 
nullement décomposé, comme il est aisé de s'en assurer par la pré- 
cipitation. 

11 n'y a pas longtemps qu'on proposa à M. l'abbé Bignon une au- 
tre prétendue destruction de l'or, ou une manière de réduire ce mé- 
tail en une simple terre, qu'on ne peut plus refondre en or. Pour 
cela on faisait fondre l'or dans un creuset, avec environ trente fois 
autant d'une poudre préparée. Le tout étant bien fondu, on tirait la 
matière du feu, qu'on laissait refroidir en une masse saline. On la lais- 
sait résoudre en hqueur à l'humidité de la cave, et l'on passait en- 
suite cette liqueur par le papier gris, sur lequel il restait une poudre 
noire environ du poids de l'or qui avait été employé. Cette poudre, 
mise à toute épreuve, ne doniiait plus aucun indice d'or, d'où l'on 
concluait que l'or était décomposé et réduit en sa terre première. 

Nous fumes chargés, M. de Réaumur, M. le Méry et moi, d'exa- 
miner cette opération, et nous jugeâmes que ce n'était pas assez 
d'observer cette terre fixe, qu'il fallait encore faire attention h la li- 
queur passée par le filtre, où il y avait toute apparence qu'on trou- 
verait l'or, supposé que la poudre dont on s'était servi pour intor- 
inède n'en eut pas enlevé ime partie pendant la fonte. 



588 NOTES. 

Mais, ayant bientôt après examiné la poudre dont on se servait pour 
cette opération, nous trouvâmes que c'était un composé de crème de 
tartre» de soufre et d'un peu de salpêtre. 

Nous ne doutâmes plus pour loi^s que Tor ne fût passé daas la li- 
queur, car ces matières détonnées et fondues ensemble forment une 
espèce d'hepar Svlphuris dans lequel For et les autres métaux sont 
facilement dissous, de manière que lorsqu'on laisse résoudre à Tair 
bumide cet hepar sulphuris cbargé d'or, il se résout en liqueur rou- 
geàtre avec laquelle l'or reste entièrement uni, et il passe avec ce 
même or au travers du papier gris. La ten'e fixe qui reste sur le fil- 
tre est la cendre que laisse la crème de tartre après sa calcination, et 
qu'on nous voulait donner pour un or désanimé ou décomposé. 

C'est avec ces artifices ou de semblables que tant de geiLs ont été 
tmmpés. 

Il y a même toute apparence que ces fameuses histoires de la trans- 
mutation des métaux en or ou en argent, par le moyen de la poudre 
de projection ou des élixirs philosophiques, n'étaient rien autre chose 
que l'effet de quelques supercheries semblables. D'autant plus que ces 
prétendus philosophes n'en laissent jamais voir qu'une ou deux épreu- 
ves, "[après lesquelles ils disparaissent ; ou bien les procédés pour faire 
jour poudre ou leur teinture, après avoir réussi dans quelques occa- 
sions, ont cessé d'avoir leur effet, soit parce que les vaisseaux qu on 
avait garnis d'or secrètement ont été tous employés, ou parce que 
les matières qui avaient été chargées d'or ont été consommées. 

Ce ((ui peut imposer le plus dans les histoires que l'on raconte de 
ces prétendus philosophes, est le désintéressement qu'ils marquent 
dans quelques occasions où ils abandonnent le profit de ces transmu- 
tations et l'honneur même qu'ils pourraient en retirer. Mais ce faux 
(Ic'siiitéressemcTit est une des plus grandes supercheries, car il sert à 
l'épandre et h entretenir l'opinion de la possibilité de la pierre philo- 
sopliale, qui leur donne moyen par la suite d'exercer d'autant mieux 
leurs supercheries et de se dédommager amplement de leurs avances. 
(Mémoires de r Académie des sciences de Paris 
15 avril 172-2). 



NOTES. 5S9 



NOTE m* 



TRAICTE FAICT PAR LE ROI CHARLES IX AVEC JEAN DKS GALAN?, S[i<UR DE 
PEZEROLES, QUI PROMETTAIT AUDIT SEIGNEUR ROI DE TRANSMUER TOUS 
MÉTAUX IMPARFAICTS EN FIN OK ET ARGENT, L*AN 1507, 5 NOVEMBRE 



Charles, par la grâce de Dieu roy de France, ayant esté adueny 
par Jean des Gallans, sieur de Pezeroles, qu'il auoit un secret en main 
pour transmuer tous les métaux imparfaits en iin or et argent, lequel 
secret il auroit présentement déclaré à Sa Majesté et à Monseigneur 
le duc d'Anjou, et ce faisant a promis et promet ledict de Pezeroles, 
que dedans six mois après la datte de ces présentes, que la matière 
par lui à nous déclarée aura esté mise en la décoction et dans les 
usages à ce requis, et en tel nombre qu'il plaira à Sa Majesté, qu'il 
monstrera la première preuve de ladicte matière en mercure mortifié 
ou uiuiiié, et dans quatre mois après qu'il montrera aussi une se- 
conde prenne de ladicte matière, qui fera transmutation de métal ini- 
parfaict en or et argent, et que en continuant ladicte matière en sa 
décoction, s'ensuiura la perfection d'icelle pour faire projection d'i- 
celle sur tous métaux imparfaicts pour les réduire en fin or et argent 
selon le degré de sa décoction au blanc ou au rouge dedans le terme 
de deux ans ou environ après la datte de cesdictes présentes. Et 
Noos, en considération de sa bonne volonté et grand seruice qu'il 
nous faict, le voullant rendre récompensé en ce que pouuons quant à 
présent, luy auons promis et promettons en foy et parolle de roy de 
lui bailler, céder et transporter à luy ses hoirs et ayant cause par 
héritage et à perpétuité, la somme de cent mil livres tournois an- 
nuelle en notre royaume. Et ce, en une ou plusieurs terres, en titre 
de Marquisats, Comtez, Baronnies, ou autres seigneuries. Et outre la 
somme de cent mil escus d'or soleil, en deniers pui^ et claii's, assa- 
uoir cinquante mil liures tournois de rente, et cînqunnto mil escus 
d'or soleil dedans le terme de six mois procliainemont uenant, loi's- 
que se fera la première prenne de ladicte matière en mercure. Et 
quatre mois après que se fera la seconde preuue du métal im^jarfaic 



590 NOTES. 

vn or et argent, nous luy compterons ladicte somme de cent mil li- 
ures tournois de rente, et de cent mille escus soleil, selon notre pro- 
messe dessus dicte. Et cependant et attendant ledict temps de six mois, 
luy auons promis de faire deliurer par chascun mois la somme de 
douze cent escus soleil pour son entretenement. Et dès à présent lui 
baillerons et délivrerons la somme de six mil escus soleil, en disduc^ 
tion de ladicte somme de cent mil escus soleil. Promettant audict 
sieur de Pezeroles de luy passer dans le premier et second terme 
des preuues dessus dictes, Gontracts et Lettres bonnes et ualables de 
ce que dessus en forme autentique, et les faire osmologuer et vérifier, 
tant en notre Conseil qae es Cours de parlement et ailleurs où besoin 
sera. Et pour la uériiication et asseurance desdictes preuues de la 
matière k nous enseignée, ledict sieur de Pezeroles s'en remeci et 
raporte à ce que nous en attesterons par notre foy et conscience. Pour 
la confumation des quelles choses nous luy avons signé la présente 
et faict signer k notre dict frère le duc d'Anjou, le cinquième jour de 
nouembre mil cinq cent soixanto-sept. Ainsi signé Chables et Herbi. 
(Manuscnts de la Bibliothèque impériale de Paris, — 
Collection du Puy, Volumes 85-86, date du 5 novem- 
bre 1567, folio 172.) 

Le même acte est reproduit dans la Collection de Mesmes de la 
même bibliothèque, volume II, page 114;, et dans la Collection Pon- 
thieu, à la date du 5 novembre 1567. Dans cette dernière collection, 
il est accompagné do Vobservation suivante due au collecteur des 
manuscrits : 

« A Tobjet de cet acte, à sa forme, à ses conditions, on voit aisé- 
ment que c'est Touvi-age secret de deux jeunes princes de 1 6 et 1 7 ans, 
bien ubusés par un charlatan. » 



NOTES. 391 



NOTE IV 

LES MÉTAUX NE SONT PAS DES CORPS SIMPLES, MAIS BIEN DES CORPS COM- 
POSés. — LA PRODUCTION ARTIFICIELLE DES MÉTAUX PRÉCIEUX EST 
POSSIBLE, EST UN FAIT AVÉRÉ ; 

PAK C. THÉODORE TIFFEREAU 
Ancien élèY« et préparateur de cbimie à l'école préparatoire de Nantes *. 

PREMIER MÉMOIRE 

« A toutes les merveilleuses créations industrielles qm signaleront 
le dix-neuvième siècle k la postérité, je viens, humble et obscur ou- 
vrier, apporter ma pierre pour Fédifice commun. La vapeur, réleciri- 
cité, ont déjà changé la face du monde (et qui peut dire où s'arrêtera 
leur puissance ?]f; mais il est d'autres mobiles delà richesse publique, 
et j'en viens signaler un dont la découverte changera bien des condi- 
tions de travail et effrayera par sa portée les esprits les plus hardis. Il 
ne faut pas moins, pour me décider à confier au public la découverte 
que j'ai faite, que la conscience de son importance et l'honneur qui re- 
jaillira sur mon pays d'avoir été le berceau d'une pareille invention. 

c rai découvert le moyen de produire de Vor artificiel^ j'ai 
fait de Vor. 

«c A cette annonce, j^entends déjà les clameurs des incrédules et 
les sarcasmes des savants ; mais aux uns et aux autres je répondrai : 
Écoutez et voyez. 

a Élève et préparateur de chimie à l'École professionnelle supé- 
rieure de Nantes en 1840, je m'adonnai surtout à l'étude des métaux, 
et, convaincu que cette partie des sciences chimiques offrait un champ 
immense à moissonner pour un honune d'observation, je résolus d'en- 
treprendre un voyage d'exploration au Mexique, cette terre classique 
des métaux. En décembre 1842, je partis, et, cachant mes travaux 
secrets sous l'abri d'un art encore nouveau, le daguerréotype, je pus 
parcourir en tous sens ces immenses contrées, ces placers, cette pro- 

* Paris, 4855. In-8'. 



392 NOTES. 

viiico de Sonora, cos Califomics, qui, depuis, ont tant fixé les regards 
du monde. C'est en étudiant les gisements des métaux, leurs gan- 
gues, leurs divers états physiques,' c*est en interrogeant les mineurs 
et comparant leurs impressions, que j'acquis la certitude que les mé- 
t;iux subissaient dans leur formation certaines lois, certains âges in- 
comms, mais dont les résultats frappent Tesprit de quiconque les étu- 
die avec soin. Une fois placé à ce point de vue, mes recherches 
devinrent plus aixlentes, plus fructueuses ; peu à peu la lumière se 
fit, et je compris Tordre dans lequel je devais commencer mes tra- 
vaux. Après cinq ans de recherches et de labeurs, je réussis enfin à 
produire quelques grammes d'or parfaitement pur. 

• Il m'est impossible de peindre Timmense joie que je ressentis en 
touchant ce but si désiré. Dès lors je n'eus qu'une pensée fixe : ren- 
trer en France et faire profiter mon pays de ma découverte. Quitter 
le Mexique était fort difficile alors, car les Américains venaient de s'em- 
{lai-er de Vera-Cruz, de Mexico et de Tampico, et il ne me fallut pas 
moins de six mois pour venir de Guadalajara à Tampico, où je me 
suis embarqué pom* la France en mai 1848. 

ff A mon arrivée, je constatai de nouveau les propriétés de l'or que 
j'avaLs artificiellement obtenu : cristallisation, aspect, densité, malléa- 
bilité parfaite, ductiUté, insolubilité absolue dans les addes simples, 
solubilité dans Teau régale et les sulfures alcahns, rien n'y manque. 
La quantité que je i)ossède aujourd'hui ne jieut me laisser aucun doute 
sur le fait de la découverte et sur le peu de frais au moyen desquels 
j'ai pu la préparer. 

« Maintenant, pour faire disparaître le merveilleux dont cette dé- 
couverte ne manquera pas d'être entourée aux yeux de bien des gens, 
il faut que je dise quelles sont les vues qui m'ont guidé dans mon 
travail, et comment ma réussite a été l'œuvre de déductions logiques 
déjà acquises à la science. 

Les métaux ne sont pas des corps simplesy mais bien des corps 
composés, 

« Los alchimistes et les j)hilosophes hermétiques du moyen âge n'a- 
vaient aucune théorie fixe dans leurs recherches sur la nature des 
métaux; guidés par une j)ensée mystique et voyant dans tous Ks 
corps de la nature un mélange de matière et d'émanation divine, ils 



NOTES. 595 

pensaient pouvoir arracher à la nature le secret de ce mélange, et, 
dégageant la matière brute de son essence, la ramener h un type 
unique, pour les métaux, du moins. De là Tidée de ce qu'ils appe- 
laient le grand œuvre, la pierre philosopbale, la transmutation des 
jmctaux. 

« Divisés en plusieurs sectes, les illuminés se flattaient vamement 
de découvrir une panacée propre à prolonger la vie des hommes au 
delà du terme ordinaire, tandis que d'autres, les plus positifs, se bor- 
naient à chercher la transformation des métaux vils ou imparfaits 
en métaux précieux et parfaits, c'est-à-dire en argent, en or. 

« Les travaux de ces hommes sont restés stériles, sauf les quelques 
remèdes héroïques dont ils ont doté l'art de guérir, remèdes puisés 
dans les préparations antimoniales et mercurielles principalement ; au 
conunencement de ce siècle, il était de bon goiit de jeter le sarcasme 
à pleines mains sur ces fous d'une autre époque, et c'est à peine si, 
aujourd'hui, quelques savants rendent justice h l'idée, b la pensée mère 
qui a guidé les alchimistes. 

« Il s'en faut pourtant de beaycoup que les faits scientifiques actuels 
démentent les assertions, les observations de ces philosophes, et, au 
contraire, il est certain, positivement certain, à mes yeux du moins, 
que la transformation des métaux est possible, est un fait accompli, 
avéré, qui ne peut laisser de doute dans un esprit non prévenu. 

« Posons d*abord un principe fécond admis aujourd'hui par tous les 
chimistes : Les propriétés des corps sont le résultat de leur consti- 
tution moléculaire. 

« La nature nous présente un grand nombre de corps polymorphes 
qui, suivant qu'ils cristallisent dans un système ou dans un autre, 
acquièrent des propriétés très-différentes, sans que, cependant, leur 
composition soit altérée ou changée en aucune façon. Ainsi, le car- 
lionate de chaux rhomboédrique ou spath calcaire, et le carbonate de 
chaux prismatique ou arragonite, ont exactement la même compo- 
sition, et cependant possèdent des propriétés très-différentes. La 
science est parvenue à produire ces deux sels à volonté sous ces deux 
formes. L'un d'eux possède la double réfraction, l'autre ne la possède 
pas; l'un est plus dense que l'autre, l'un enfin cristallise à la tem- 
pérature ordinaire, l'autre seulement h la température de plus de 
cent degrés. 

a Tout le monde sait que le soufre possède des propriétés diflorentes 



-01 ?fOTLs. 

^iiiv.iiil la u-iii{)«'!r:ttiir<* .i laipjrlli* on Fa 'ïxpos«^ et la fiirmf^ criatalline 
(|ir«iii lui .1 l'ait |nvnllr'^ Cne t'imle d*oxyiJHS métalliques, leb qiie 

• i-itains (iiy<ii'N liir t')T ••! iji* f-hriiRiK, «-«î subfititiiant ù d'autres ba««s 
•lans lf*s M'j.s, liMir ilimncnt ilt^s propriiitéa ilivers*;s 301 l* des fi>fiitf*> 
U|iii|iirs. Li^» iiKvilr^ iU'. ziiif. il»r mrrnire, pliisiairs combinaî*oa<' Je 
i-»f> iiirtaiix i-liaiiLrrnt <!«; pr')|irii'trs sous l'empire d'un rhan^enientilt- 

• iinNtiUitiun iiiuliiriilairfî prrMhit par b i:h:il<2or ou des forces êlectti- 
<|iirs. Lt; platine spun<£ieux, l'aruile nhaufTée au blani.*, détemiinent, 
IKii' leur siiii[ilf'. inuniîrsiun dan» un mélanue dVjiygène et d'IiTdiD- 
u'ênf, la ('ombinaÎMin de ces deux 2az, dont le résultat est de l'eau. 

j D:inH la inLiire nrjaniqur, m; voyons-aciiis pas des plb!iiijuièiie< 
analiiu'UtM >v pnNluire riia({ue jour? L*amiiion ne se transfoniie-t'il 
pas ifii siHrri' par atm seul conta<.'t avec l'acide sulfurique, sans que, 
ri*[N-nilunt, reliiifci soit altéré? N'est-rc pas à la présence d^une ma- 
ti«>i'«' aziiti'f ipj't'^t (In le phénomène de la fermentation qui fiiit subir 
aux matières or;;ani({ues de si curieuses transformatiuns? EnliD, le 
iAami;.'ène, n: r.iiliral conipo^i', nV>4-il pas le produit de raction 
ifune hav 'di:alin«t >ui- une matière .azotée? Je pcuirais citer mille 
.Mitres (mIt^ a ra[ipui du principe énoncé, si je ne crai^aLs de paraitn* 
fou loir l'aire étila^fc dt> science. Je répéterai donc simplement qull 
lis a rieu que «le ti-î*s^jiiste d^ins cette pensée, que, la constitution 
il'iui nirpN étant cliafi^'ée, re rorp»» acrpiiort des propriétés uouvilIe>. 
tiiiit fil r«inHT\ant ^a uatnir intiuii.s s:i mniposition si Ton veut. 

•f Kn I oti>é(|iirni e, il snflira de dn-ciuvrir le corps rjui, par sa torce 
f-atalvli(|n(>, \u\i\ :i^ii- sui' Ir corps qu'on veut tnuist'ornier, puis de 
uii'tln^ ce dernirr eu certaines cnuditions de contact avec lui, \wm 
(ipérrr cettr trarisfoiiuatidti. Voilà le pi'inci]K: qui iiVst nié pr aucun 
rliiuiiste aujouiiriuii, celui que j'ai mis en application, et auquel je 
dois mou succrs. 

H Dans uii onln* d'idées aualo«!urs, répétei'ai-jc ici tout ce qui u ûlt' 
dit el écrit par les uiiNJeriKS sur la prohabilité de la coni|)osition des 
uirtaux? Si Ton part ili* la théorie de Stahl, qui considérait lesniétaui 
couuue formes iriui radical et d'un principe ap|)elé phlo«;istii|uo. 
pour arriver à Lavoisicr, qui, par sa théorie de la condmstiou. a si 
lou<'tcui|»s l'ail faire liuissc roule aux (disciiTatoui-s ; si eufùi ou coibi- 
t\viv qui' Ions les coips de la nature, végétaux et animaux, eu uoiih 
hre iucalcniahle, sont formés pourtant de trois ou quativ élément. 
uial;;rt'* leni" iumien«»c di\er>itê, et si Ton réfltHiiit «pu» ce n'est jV 



f^OTES. • 595 

mais qu'avec un petit nombre de substances simples que la nature 
produit tous les composés, n'est-il pas naturel de penser que les qua- 
rante et quelques métaux, considérés aujourd'hui comme des corps 
simples, ne sont que des mélanges, des combinaisons, peut-être, d'un 
radical imique avec un autre corps inconnu mal étudié, sans doute, 
dont l'action nous échappe, mais qui seul modifie les propriétés de ce 
radical, et nous montre quarante métaux là où il n'y en a qu'un? Com- 
ment admettre que la nature ait créé cette quantité de métaux di- 
vers pour former le règne inorganique, quand, avec quatre éléments 
au plus, elle a créé une si prodigieuse quantité de végétaux et d'ani- 
maux? Et si un homme vient à démontrer ce corps inconnu qui a 
échappé à tant de recherches, et à le faire agir sur un métal donné, 
qu'y a-t-il de surprenant à ce que cet homme change la nature de ce 
métal en lui donnant, avec une constitution moléculaire différente, 
les pi*opriétés de tel autre métal dans lequel existe naturellement cette 
constitution? 

« En voilà assez sur ce sujet pour tout homme quelque peu versé 
dans l'étude des sciences physiques, et pour le bon sens de tous. 
J'arrive maintenant à préciser la position. J'ai pu produire de l'or et 
opérer la transformation complète d'une quantité donnée d'un mé- 
tal en or pur. J'ai dit déjà que cette quantité était de quelques gram- 
mes, et jusqu'à présent je ne suis pas encore parvenu à opérer sur 
une masse assez considérable pour pouvoir dire que j*ai réussi en - 
gi^and. Pour y parvenir, il me faut d'autres ressources, je les demande 
à ceux qui voudront se mettre en rapport avec moi. Je ne veux pas, 
à moins d'y être contraint, avoir le soi*t de tant d'inventeurs, dédai- 
gnés dans leur patrie ^ porter à l'étranger le fruit de ma découverte, 
et en faire profiter nos rivaux en industrie. Je fais appel à mes com- 
patriotes, et j'attends de la publicité l'aide dont j'ai besoin pour par- 
faire mon œuvre. 

« En terminant, je crois inutile et imprudent peut-être de faire des 
réflexions sur l'immense portée de la production de Tor artificiel i 
La France possède le plus fort numéraire de rËuroi>e, environ trois 
milliards de francs ; la dépréciation prochaine de l'or par l'abondance 
de ce métal provenant de la Californie et de l'Australie sont deux faits 
assez faciles à rapprocher pour que les conséquences en découlent 
d'elles-mêmes ; 

a Je me tais donc et j'attends. » 



5yi. • NOTES. 

UKLXIKME MKMOIUE 
Lu à rAïaiii'riiie «le» «ciciicef d«ru b scatice 'lu 17 tM:Utïtrt iK^. 

Alin (il! faii'c ilihiiaraitn; U^ AouUm qui |M;uT<fiil re^U^ dasH b» «h 
|iriU au huj<*t de la ilinouvcile que j'ai (âiUî de Tor utH&âtA, y. \m 
l'Mlrtfr (laiiH qudqufîs iliHaiU (Ji; mes ex|iénciic<.*«, et |>niUTerqiMf,4MM 
les circoiihtaru'eh où j'ai o)>ér<% je n'ai |iu prefulie de» îUufÎMi»' p«f 
ili.*M réalitc«. 

Messieurs, le iiiélal que j ai ilioiM pour baute dtt mv% e%^tityMxit 
thi r^i'^eiil^ niélaJ {larfailement di>4ifi(i dm autre» jor ne» pm^ntUÂi 
eliiiiiique.s^ qui hont tout k (ait caractéri^tiquef , couinie oo ^aât, d 
qui, par couK^|ueut, ne |iennetteut |isiii de le cotifoodre aT«c ; 
autre; parcelle raition tttèiue, ile«t (âdle de robtenir < 
pur; de Mjrti* qu'agi^Mint «ur tu* auiUtl je [tomMu me rtmàtt for- 
(ailenient coirqile de» diaiigernenU (lailieU ou etitien i 
opérer len agimt» chimiques que j*employai«. 

iHiUK meK preniiern essais, je pus me couTaincre qu'une ttvHW- 
iiime quantité d*argeut [la^wait â Tétat d*or, mai» en «i fMeiîle ((|iufllilr, 
que j<; doutai d*alK>rd de la rém^iUi du fait, quoique œpmiaiÉl f 
(ii-<; l»ieij roin:iiiHij que Tar^'enl que j emploi aij^ ne OMthftmi ptb 
iiioiniire qij;intiti; <i'or. 

Si je n'avais que ot résultat à montrer, on |M>uriaît d^iuUf M^t 
que ï'Ai'fii'tii eiiq>lo\i' nét^il pas < liinm|uement pur; t^ua d':»iii^i 
Vnr^t'iii renferme tiiujour^ de l'or, et qu*il n*% a dtjtn: liejj «i'- 
tonn.'i;jt ii re qu»,- j'^'U aie trouvé. J'admettrais encore que i'^i^-duL 
|»oii\;iil contenir di*^ trares d'or; maïs ce que y*. lUt \mh '^tiuaiUti. «. Vn 
qu'il puisse \ .'ivoir illuhion <le ma part, loiv|ue, flaui^ plui^i^rur^ «^ 
Ireî» e\périenei'>i iH[,\{:iV'< que j'ai ^aite•^, j'ai tu tonl l' argent tsi- 
j>l<*»é dûiîi'^t'i <l'a-;><'<t «.t de propriété»; le métal qui, avant W-i^*.- 
. rien<e, étnl l'U cotier ^dulde dan^ ViumU: 'dTuAu^wt , <.-»t «i«'£»t 
< onqiléti.'nunt in-^^^liilde dans m l'-actif; ï\ e&t d«r%enu, au tjMAt-^y. 
^oluMe en enli'T t^àtt^. l'eau ré;iale <'l les Kulfure^ aicaiîii^: eii u/ï jjl..»:. 
il a aequi* IouU.'jî K> piopiiéU'rh <:himi«|uei» et plitM^jue^ d^r IVf- JV- 
^jent (/y;// t';///i?r -'<*^1 rlian;ié «n or. 

Jajouleiai qu*- j'ai ojj'i/ t-ur d'à -se/ ^raud^rb quaiitît/i^^, owiiVii 



NOTES. 397 

je l'ai dit dans mon précédent mémoire, pour qu'il no puisse me res- 
ter aucun doute sur le fait accompli; j'ai suivi avec attention toutes 
les phases de ces expériences, qui ont été fort longues, et si je ne puis 
pas toujours les répéter avec le même suc^îès, le fait capital de la 
transformation de l'argent en or n'en existe pas moins. 

J'ai l'honneur de mettre sous les yeux de l'Académie une faible 
partie de ce premier or tel que je l'ai obtenu; il est facile de se con- 
vaincre que ce produit a son cachet particulier qui le distingue de l'or 
de mine, de celui des placers et de celui des sables aurifères; lors- 
qu'il est fondu, il est impossible de le distinguer de l'or naturel, par- 
faitement identique avec lui. 

J'ai l'honneur de mettre sous les yeux de l'Académie un petit lin- 
got de cet or fondu. 

Pour parer k tout événement et conjurer toute éventualité relative 
à la découverte que j'ai faite, outre le paquet cacheté que j'ai déposé 
a l'Académie, j'ai remis en mains tierces des échantillons de mon or 
artificiel et la description détaillée des procédés que j'ai employés 
liour l'obtenir. 

Dans le cours des opérations dont je viens de parler, et que j'ai va- 
riées sous toutes les formes, j'ai remarqué des analogies frappantes 
dans le phénomène de la transformation des métaux divers sur les- 
quels j'ai opéré; et, sans entrer ici dans des détails inutiles, je crois 
pouvoir conclure dé mes expériences que la transformation du cuivre 
en argent m'est démontrée et sera bientôt un fait acquis h la science; 
que d'autres métaux, le fer, par exemple, peuvent être transformés 
en cuivre, en argent, en or. 
' Maintenant il me faut obtenir en grand de l'or artificiel : c'est ce 
procédé que je cherche, pour lequel les moyens me font défaut. 

Cet aveu d'impuissance n'étonnera pas l'Académie : il est conforme 
à tous les précédents des inventeurs qui m'ont devancé; aucun d'eux, 
que je sache, n'a perfectionné son invention avec ses propres moyens, 
et trop souvent ils en ont perdu le fruit, épuisés qu'ils étaient par les 
dépenses qu'ils avaient faites, ou découragés par l'incrédulité et l'in- 
souciance publiques. 

Quant aux conséquences de la transformation de l'argent en or, de 
la production de l'or ailificiel, je laisse à la sagesse de l'Académie à 
prévoir tout ce qu'elles pourront apporter de perturbations et d'av;ui- 
lages dans les relations commerciales des peuples, dans notre système 

25 



398 NOTES. 

financier, dans les valeurs respectives des produits du sol et de Tin- 
dustrie. 

En publiant ici le fait de ma découverte, j'ai moins pour but d'en 
tirer honneur ou profit que d'enrichir la science et d'en faire profi- 
ter mon pays. 

instrument de la Providence, qui a guidé mes essais, j'obéis à rim* 
pulsion qui me pousse, et viens demander conseil et appui au pre- 
mier corps savant du monde. . . . 

TROISIÈME MÉMOIRE 
Présenté i 1* Académie le 8 mai 1854. 



Pour le voyageur éclairé qui parcourt les provinces mexicaines en 
observant avec une attention intelligente l'état minéralogique de œ 
pays, ses terrains d'alluyion, ses placers et ses gisements de métaui 
précieux, il ressort de cet examen un fait propre à jeter un grand 
jour sur la production naturelle de ces métaux. Ce fait, c'est la pré- 
sence, je pourrais dire l'extrême abondance des nitrates de potasse 
et de soude qui s'effleurissent de toutes parts k la surface du sol, ei 
qiii s'accumulent en cristaux réguliers dans le lit des torrents descen- 
dant des montagnes; on en exploite même des masses naturellement 
assez pures pour qu'elles puissent être employées à la fabrication de 
la poudre de mine. 

On y rencontre également des iodures, des bromures et des chlo- 
rures en quantités notables; les pyrites, autre agent non moins im» 
portant, se trouvent en contact perpétuel avec les azotates alcalins; 
cet agent apporte sa part d'influence certaine sur la production de^ 
métaux. 

Ces deux classes de corps composés, agissant sous la double in- 
fluence de la lumière et de la chaleur, donnent lieu à des phcnouiènes 
électriques d'où résultent la décomposition des terrains métallifères 
et les combinaisons nouvelles d'où provieiment les métaux. 

Cette manière de voir, cette théorie de la fermentation des mé- 
taux, peut être soutenue ou combattue; je dirai seulement qu elle a 
pour moi un degré de probabilité qui est devenu le guide et le jwinl 
de départ de mes recherches. 



NOTES. 5'Jîf 

L^opînîon de la transmutation, de la perfectibilité des métaux, est 
si généralement admise par les mineurs du Mexique, qu'il ne faut pas 
s** étonner de leur entendre dire, en parlant des morceaux de minerai 
qu'ils admettent ou rejettent pour Tcxploitation : « Ceci est bon et 
mur; ceci est mauvais et n'est pas encore passé à Vétai d'or, » 

A mon point de vue, les réactions sous Tinfluence desquelles a lieu 
la transformation des métaux constituent un phénomène complexe 
où le principal rôle appartient aux composés oxygénés de Tazote. L'ac- 
tion de la chaleur, de b lumière, de Télectrijcité, favorise ou déve- 
loppe, dans de certaines limites , les combinaisons de ces composés 
avec le radical inconnu qui constitue les métaux. Tout me porte à 
croire que ce radical est Thydrogène, que nous ne connaissons qu'à 
rétat gazeux et dont les autres états physiques échappent à nos re- 
cherches. L'azote semble agir dans ces combinaisons comme agirait 
un ferment dans les transformations des matières organiques sous 
rinfiuence de ce même agent. La fixation de Toxygène, sa combinai- 
son plus ou moins durable avec le radical, sous Faction d'un com* 
posé azoté, voilà pour moi la clef de la transformation des métaux. 

Que ces idées théoriques soient vraies ou fausses, exactes ou erro- 
nées, c'est ce que je n'entreprendrai pas de discuter ici; je crois de- 
voir me borner à dire que, sans qu'il m'ait été possible d'acquérir la 
certitude mathématique de leur réalité, leur influence a présidé à mes 
expériences; leur probabilité à mes yeux est née des effets notés pen- 
dant plusieurs années d'observations. Si j'en fais mention, c'est p)ur 
mieux faire comprendre la marche que j'ai suivie, et jeter peut-être 
quelque clarté sur la route où marcheront ceux qui suivront après 
moi le même ordre de recherches. 

Quoi qu'il en soit, je tracerai l'exposé succinct du résultat de mes 
observations ; leur filiation permettra de saisir par quels enchaîne^ 
ments de faits et d'idées j'ai été amené k concevoir la théorie que je 
viens de résumer. 

l*' Un premier fait, que chacun peut reproduire à volonté^ a été 
mon point de départ. Si l'on réduit en limaille de l'argent pur et que 
l'on fasse agir sur lui de l'acide azotique également pur, certaines 
parcelles de cette limaille resteront insolubles dans l'acide ; elles ne 
disparaîtront qu'après que la dissolution aura été, pendant plusieurs 
jours, abandonnée au repos. 

2* Si l'on projette de la limaille d'argent pur dans des tubes, de 



400 NOTES. 

▼erre de 4 à 5 cinq inillinièlres de diamètre, sur 12 à 15 ccntiraè- 
tres de hauteur, remplis au tiers de leur capacité diacide azotique à 
50 degrés, ajtrès que cet acide aura été, pendant un certain temps, 
exposé à l'action des rayons solaires, on verra qu'une certaine por- 
tion des parcelles d'argent restera complètement insoluble damJV 
eide, malgré Télévation de température produite par la réaction. 

3" Si Ton opère sur un alliage de neuf dixièmes d'argent et un 
dixième de cuivre, la réaction sera plus vive et rinsolubilité de cer- 
taines parties de Talliage sera la même que dans Topération précédente. 
V Le pliénomène se reproduira encore si Ton opère sur le ménie 
alliage, hors du contact des rayons solaires. 

5' Dans toutes ces expéiiences, indépendamment de rinsolubilité 
(1rs parcelles d'argent pur ou d'alliage, on poumi constater b pré- 
sence d'un léger déjiôt hnin insoluble. 

0" En variant ces exiH'riences \y,\v Temploi de l'iii-ide azotique à ^ 
. vers degrés de dilution, après Ta voir toutefois exposé à l'artioD de; 
rayons solaires |)endant un temps plus ou moins prolongé, j'ai pu re- 
cueillir des parcelles de métal parfaitement insolubles dans Tacide 
azotique pur et iMiuillant, solubles au amtraire dans la solution de 
rhlore. 

V Des expériences eouipiuatives m'ont permis de l'econnaitre : 
1" Que l'or, introduit en petite quantité dans Falliage, facilite b 
|ii-oduction artifiei<îlle de ce înétal. 

"2" Que l'argent pur est heaucoup plus diflicile à faire passer i« 
rétat d'or (|ue lorscpril est allié à d'aiitics métaux. 

5" Que, cduuucje Tai énoncé dans mon premier mémoire, laloi-o. 

( .italytiquo est pour quelque chose dans la transmutation des niélaui. 

4° Que le chlore, le hrome, l'iode et le soufre, en pi-ésence à*-^ 

couqwsés oxygénés de Tazote, favorisent la production des mélaui 

[>récieux. 

.V Que Tair ozonisé parait activer cette production. 
(»" Que la température de T,) degrés et au-dessus est favorable i 
riicconq)lissenient de ce phénomène. 

7* Que les résultats heureux dépendent on grande p-.irtie de la du- 
rée des opérations. 

Sur c<'s premiers faits ohservés, qui ne s'étaient pas o/Teit> av'f le 
même de^ré de certitude, non plus qu'avec des carai tères parfailc- 
ment identiques, je hasai de nouvelles recherches ayant pour pnn- 



NOTES. 401 

cipe rinfluence de la lumière solaire, si intense et si favorable sous 
le beau climat du Mexique. Mon premier succès fut obtenu à Guada- 
lajara. Voici dans quelles circonstances : 

Après avoir exposé, pendant deux jours, à Faction des rayons so- 
laires de Tacidc azotique pur, j'y projetai de la limaille d'argent pur 
allié à du cuivre pur dans la proportion de Talliage de la monnaie. 
Une vive réaction se manifesta accompagnée d'un dégagement très- 
abondant de gaz nitreux ; puis la liqueur, abandonnée au repos, me 
laissa voir un dépôt abondant de limaille intacte agglomérée en 
masse. 

Le dégagement du gaz nitreux continuant sans interiuption, j'a- 
bandonnai le liquide à lui-même pendant douze jours, et je remar- 
quai que le dépôt agrégé augmentait sensiblement de volume. J'a- 
joutai alors un peu d'eau h la dissolution sans qu'il se produisît aucun 
précipité, et j'abandonnai encore la liqueur au repos pendant cinq 
jours. Durant ce temps, de nouvelles vapeurs ne cessèrent de se dé- 
gager. 

Ces cinq jours écoulés, je portai la liqueur jusqu'à l'ébullition, je 
l'y maintins jusqu'à cessation du dégagement dos vapeurs nitreuses ; 
après quoi je fis évaporer à siccité. 

La matière obtenue par la dessiccation était sèche, terne, d'un vert 
noirâtre ; elle n'offrait aucune apparence de cristallisation ; aucune 
partie saline ne s'était déposée. 

Traitant alors cette matière par l'acide azotique pur et bouillant 
pendant dix heures, je vis la matière devenir d'un vert clair sans ces- 
ser d'être agrégée en petites masses ; j'y ajoutai une nouvelle quan- 
tité d*acide pur et concentré ; je fis bouillir de nouveau ; c'est alors 
que je vis enfin la matière désagrégée prendre le brillant de l'or na- 
turel. 

Je recueillis ce produit et j'en sacrifiai une grande partie pour le 
soumettre à une suite d'essais comparatifs avec de l'or naturel pur ; 
il ne me fut pas possible de constater la plus légère différence entre 
l'or naturel et l'or artificiel que je venais d'obtenir. 

Ma seconde expérience, du même genre que la précédente, eut 
lieu à Colima; les phénomènes se produisirent comme àGuadalajara, 
.sous rinfluence de la lumière solaire, qui ne cessa d'agir pendant 
tout le traitement de l'alliage par Tacide azotique : seulement, je 
nnluisis h huit joui*s la durée du premier traitement, et l'acide que 



40'i NOTES. 

j*einp1oyai fut ansas étendu d*cau pour que faction solaire seule m* 
\M produire le déplacement des vapeurs nitreuses. Or, comme cellef^ 
ri ne cessèrent point de nv dégager, j*attnbuai ce fait h un couranl 
électrique dû à Tespè»*. de fermentation dont l'azote me parait être 
l<^ principe. Le gaz nitreux continua à se dégager constamment, tant 
que la liqueur ne fut pas portée k TébuUition. Je terminai cette opé- 
ration comme la précédente ; néanmoins, dans cette seconde expé- 
rience, j'employai, vers la fin de l'opération, plus d'acide concentré, 
pour amener la désagrégation de la matière et l'amener à prendre la 
couleur brillante de l'or . 

Je fis une troisième expérience à mon retour à Guadalajara, elle 
réussit complètement comme les deux précédentes, sans présenter 
aucun pliénomène extraordinaire digne d'être noté ; la quantité d'al- 
liage que j'avais mise en expérience se tninsfonna tout entière en or 
puff ainsi que je l'ai dit dans mon second mémoire. 

Voilà, messieurs, dans toute sa sincérité, le fait obtenu, le résul- 
tat constant que j'ai pu reproduire plusieurs fois au Mexique. 

Ce fait, je ne réussis pas à le reproduire en France, et en agis* 
snnt sur des quantités plus considérables. J'apprécie mal, sans doute, 
les causes qui agissent dans les réactions en vertu desquelles des mé' 
taux , solublcs dans l'acide azotique , deviennent insolubles en M' 
constituant (îii un état mohu idaire. particulier, d'où résultent (1;^ 
propriétés entièieiiuînt diftéieiites de ciîlles que ces mômes métaux 
possédaient avant d'avoir subi ces réactions. 

Ces cliangeinents, auxquels l'action de la lumière solaire parait 
contribuer si puissan)ni(;nt, doivent-ils être attribués à un état élec- 
trique ou magnétique spécial, ou bien au rôle de l'azote sous cette 
influence? 

Enfin y a-t-il production d'un oxyde particulier de l'argent et du 
cuivre, tel que ceux que nous présente le fer? C'est ce que, jusqu'à 
prés(int, je n'ai pu vérifier. 



NOTES. 403 



CINQUIÈME MÉMOIRE 
Présenté à TAcadémie le 16 octobre 1854. 



EXPÉRIXKCES FAITES A LA MONNAIE IMPÊRULE DE PARIS» EN PR<SENCB 
DE M. LEVOL, E8SATEDB. 

Première séance. — Deux alliages d'argent exempts d'or ont été 
fournis par M. Levol, Tun à 900 millièmes, l'autre à 850 millièmes; 
une partie de chaque aUiage a été réduite en limaille, puis passée à 
Taimant; deux décigrammes de chaque limaille ont été projetés dans 
Tacide nitrique à 40 degr^, versé préalablement dans les tubes. Ger. 
taines parties de limaille ne se sont dissoutes qu'après une ébuUition 
prolongée; puis on a constaté dans chaque tube la présence d'un Êdble 
dépôt noir insoluble, dans lequel il était impossible de distinguer le 
produit; le dépôt a été attribué à du charbon, du fer, et à d'autres 
impuretés. Selon moi, ce dépôt devait contenir de Tor. Cette expé- 
rience n'a pas été poussée plus loin. Le reste de chaque alliage a été 
traité séparément par le même acide; celui dans lequel il entrait un 
peu de fer qui ne s'est pas allié a formé un dépôt qui a empêché de 
recomiaître si réellement il y a eu production d'or ; l'autre alliage a 
donné un faible dépôt d^'or. Selon l'expression de M. Level, ce sont 
des millionièmes de milligramme. M. Levol prétend que cet or pro- 
vient de l'argent qui n'était pas pur; moi je pense qu'il a été produit 
dans la réaction. 

Deuxième séance, — Trois échantillons d'argent, dont un fourni par 
M. Levol et deux fournis par moi, ont servi à ces expériences ; j'aiTt'*- 
duit en limaille quatre à cinq décigrammes de chaque alliage, qui a 
été partagé en deux parties à peu près égales. Une partie seulement de 
diacune des limailles a été passée à l'aimant, puis elles ont été intixKlui- 
tes dans des tubes séparés et étiquetés ; j'ai versé par-dessus la limaille 
de l'acide nitrique pur à 40 degrés ; l'acide a été porté à l'ébullition, 



404 ROTBS. 

afin d^ackhrer la réaction et d^abréger la durée de Topénition. Gamme 
dans la première séance» la formaftion d^tm d^pôt noir dans tous les 
tubes a été constatée. Afin de rendre sensible la présence des atomes 
dV artificiel produit dans ces réactions, j'ai décanté la partie limpide; 
Facide se troufant trop concentré, la décantation a été diffidle à 
cause de la formation des cristaux de nitrate d'argent ; die a été dé- 
fectueuse surtout pour les tubes étroits ; puis, f ai versé de l'adde 
sulfurique pur dans les tubes sur le dépôt noir qui s'est disse» en- 
tièrement. Les tubes doraient être placés dans un bain de sable et 
portés k une température de 300 et quelques d^;rés; k défont de 
bain de sable, les tubes (mt été mis dans un creuset rempli de laUe 
et placé près de Touterture du fourneau k coupelles; les tubes soot 
restés Ik jusqu'au lendcanain à dix beures; le feu n^ayant pas été 
entretenui la température n'a fait que décroître. Les tubes fîntés 
n'ont donné aucune trace d'or. Je reconnus du premj^ coup d^œil 
que la température n'avait pas été asseï élevée, que, paroonséqueqt, 
For ne pouvait pas être d^iosé, pfuisqu'il était maintenu en dissolu- 
tion par> l'acide nitrique eiistant dans la Vquojur. Je pris les dem 
grands tubes contenant la même limaille d'argent ; l'acide fut portée 
l'ébullition ; il s'est dégagé immédiatement des vapeurs nitreuses. 
Après une ébtiUition prolongée pendant près de deux heures, il s'est 
déposé de For dans Fun des tubes, Fautre n'en.a pas fourni de tra- 
ces ; Fébullition, dans ce dernier tube, n'avait pas été aussi régulière 
que diins Fautre. 11 y a eu des soubresauts et des projections d'acide 
hors du tube ; il peut se faire que For précipité ait été entraîné avec 
Facide qui s'est échappé au dehors. 

Ainsi que je Fai fait observer dans mes mémoires, les résultats de 
mes expériences ne sont pas toujours identiques, tout en opérant avec 
les mêmes matières et sous Finfiuence de circonstances identiques. 

Avant de quitter la Monnaie, j'avais commencé une troisième eï- 
péricnce sur le dépôt qui s'est formé daus la liqueur contenant les 
décantations des six tubes. Ce dépôt a été traité comme dans les au- 
tres tubes par Facide suH'urique porté immédiatement à l'ébullition 
et maintenu en ébullition pendant plusieurs heures. Le lendemain, à 
mon arrivée à la Monnaie, on me dit que le tube était cassé ; Facide 
coulait effectivement sur les parois extérieurs du tube ; mais, après 
lin examen attentif, je reconnus que le tube n'était réellement pas 
cassé, et que Vacià^ ive ^\\s«^. ^\w«vv\î <çie des soubresauts qui 



NOTES. 405 

rayaient projeté en dehors. Je constatai dans le tube de faibles ato- 
mes d'or a peine visibles à la vue simple ; mais rien ne prouve que, 
cette fois encore, la majeure partie de J-or n'ait pas été projetée hors 
du tube. 

M. Levol me dit alors : 

« Vous voyez qu'il n'y a réellement pas d'or produit en quantité ap- 
préciable. » 

— Je reconnais, lui dis-je, que l'or déposé n'est pw en aussi grande 
quantité qu'il devait l'être, ce que j'attribue à la manière dont les 
tubes ont été chauffés. » 

Je demandai aloi^ à M. Levol de chauffer au bain de sable les 
quatre tubes qui restaient, afin d'opérer dans les mêmes circonstan- 
ces que celles où j'opère k Grenelle. M. Levol me répondit : 

« Nous en avons assez, nous savons à quoi nous en tenir; quand 
vous aurez des procédés plus sûrs, et que vous produirez des quantités 
d'or appréciables, venez me trouver. » 

Mais, si j'en étais là, je n'aurais plus besoin d'encoiu^agement. Ce 
que je sollicite, ce sont précisément les moyens de pouvoir continuer 
mes expériences et perfectionner ma découverte. 



SIXIÈME MÉMOIRE 
Présenté h TÂcadémie le 25 décembre 1854. 

L'expérience suivante doit servir de base à la réalité de la décou- 
verte de la production artificielle de l'or. Faites dissoudre dans l'acide 
nitrique pur une pièce nouvelle de cinq francs. Quoique cette pièce 
soit sensée ne pas contenir d'or, elle en contient toujours des traces ; 
vous en trouverez plus qu'elle n'en contenait réellement. C'est que l'or 
produit dans cette réaction s'ajoute à l'or existant précédemment dans 
la pièce; dans cette opération, l'or se dépose en petits lïocons bruns 
rougeâtres qui nagent dans la liqueur ; étendez c«lle-ci d'eau distillée, 
puis filtrez cette même dissolution plusieurs fois de suite, afin d'en 
tirer tout l'or ; précipitez-en l'argent par du cuivre pur, réduit de son 
chlorure par l'hydrogène ou par le sel marin ])iirifié; dans ce cas, 
lavez le chlorure à l'eau pure, puis à l'eau de chlore; réduisez ensuite 



406 NOTES. 

le chlorure |)Ar It craie et le charbon, ou bien encore par le gaz hy- 
drogène ; ibiidei cet argent et oonrertissez-le en grenaille, en le di«- 
solnnt dans Tacide nitrique pur; yoos turex un dépdt dV, quel que 
mit le moyen que tous ayex employé. Filtrez de nouveau cette di^ 
solution après l*a?oir étendue d'eau distillée, vous en séparerez For 
produit ; continuel cette opération conune il a été dit plus haut, tous 
aurei encore de l'or; répétei-la même plusieurs fois de suite, tous 
aurex toujours de l'or, en quantités d'autant plus appréciables que 
vous opérerez sur de plus grandes quantités de matière. 
* On m'objeden que l'or est fourni par le cuivre ou le sel marin, 
uu h craie et le charbon, ou l'eau dans laquelle on grenaille Targeot. 
Mais alors, qu'on veuille bien m'indiquer un moyen d'obtenir de 
l'argent chimiquement pur. Si vous ne pouvez pas obtenir ce mëtai 
exempt de toute trace d'or, avouez donc, si vous ne voulez pas affir- 
mer franchement, qu'il est possible qu'il se produise de l'or dans ces 
i-éactions ; mais ne niez pas la possibilité du Eut, ce serait faire tort à 
vos connaissances. Il est vrai que dans les expériences ci-dessus on ob- 
tient des quantités d'or mmimes, qui ne sont pas toujours en proportion 
avec la quantité d'argent employé ; j'espère, avant peu, en fournir Tex- 
plication. 



FIN DES Mires. 



TABLE DES MATIÈRES 



EXPOSÉ DES DOCTRINES ET DES TRAVAUX DES ALCHIMISTES. 

Chapitre I. Principes fondamentaux de l'alchimie. — Propriétés 
attribuées à la pierre phitosophale 

Chapitre II. Moyens employés par les alchimistes pour la prépa- 
ration de la pierre philosopbale 35 

Chapitre III. Preuves invoquées par les alchimistes à l'appui de 
leurs doctrines , 

Chapitre IY. Découvertes chimiques des philosophes hermétiques. 77 

Chapitre V. Adversaires de l'alchimie. — Décadence des opinions 

hermétiques 87 

l'alchimie dans la société du moyen AGE ET DE LA RENAISSANCE 

Chapitre I. Importance de l'alchimie pendant les trois derniers 
siècles. — ^Protecleurs et adversaires de cette science. 
— L'alchimie et les souverains. — Les monnaies 
hermétiques 115 

Chapitre II. La vie privée des alchimistes 132 

HISTOIRE DE8 PRINCIPALES TRANSMUTATIONS MÉTALLIQUES. 

Chapitre I. Nicolas Fiamel 171 

Chapitre II. Edouard Kelley 200 



Am TABLE DES MATIÈRES. 

Chapitre III. Transmutations attribuées à Van Helmont,&Helvétius 
et à Bérigard de Pise. — Martini. — Ricbtbausen et 
l'empereur Ferdinand III. — Le pasteur Gros. — 

Robert Boyle. — Le général Paykûll 200 

Chapitre IV. Alexandre Setbon. • 224 

Michel Sendivogius 244 

Chapitre V. La Société des Rose-Croix 256 

Chapitre VL Philalètbe 270 

Chapitre VIL Lascaris et ses envoyés 287 

Bôtticber 508 

Delisle 517 

Domenico Manuel 552 

L'Alchimie ad dix-neuvième siècle 545 



NOTES. 

Note I. Homunculi generatîo artificialis 580 

Note II. Des supercheries concernant la pierre pbilosopbale, par 

Geoffroy, l'jdné 581 

Note III. Traicté faict par le roy Charles IX avec Jean des Galans, 
sieur de Pezeroles , qui promettoit audit seigneur roy 
fie transmuer tous métaux imparfaîcts en fin or et ar- 
gent, l'an 1567 58*1 

Note IV. Mémoires de M. Th. Tiffereau. de Nantes, sur la trans- 

mulalioii de l'argent 501 



FI.N DE LA TABl.K DKS MATIKIîES 



TABLE ALPHABÉTIQUE 
DES PERSONNAGES ET DES NOMS D'AUTEURS 



CITES DANS CET OUVRAGE 



Aben Guefilh» 81. 

Adam de Budenstein, 262. 

Alain de Lisle, 170. 

Albert le Grand, 81, 132, 135, 137, 152, 170. 233 

Albrecbt Beyer, 133. 

Alphonse X, 125. 

Aluys (André), 318, 327. 

Amatus Lusitanus, 67. 

André» (Valentin), 261. 

Anne de Danemark, 124, 161. 

Anne-Sophie d'Erbacb, 300. 

Anlrapasus (Valenlin), 262. 

Archelaûs, 153. 

Arnauld de ViUeneuve, 7, 15, 19, 2Ô, 27, 37, 42, 56, 170. 

Artcphius, 17. 

Ashelon (Thomas), il 9. 

Aurélius Aujiurelle, 15, 159. 



410 TABLE ALPHABETIQUE 



B 



Bacon (Roger), 7, 45, 39, 57, 82. 

Baehrens, 107, 109. 

Barbe (rimpératricc]. 130. 

Barcbuysen, 128. 

Barnaod (Nicolas) , 204, 260. 

BasUe Valenlin, 17, 20, 22, 27, 38, 58, 85, 108, 291. 

Bêcher, 73, 85,91,357. 

Bergman, 105. 

Bérigard de Pise, 13, 214, 279. 

Bernard le Tréviaan, 39, 45, 47, 153. 

Beuther (David), 124, 161-164. 

Birrius (Martin), 286. 

Boehme (J.), 22. 

Boerhaave, 10, 16, 64, 358. 

Bolton (Robert), 119. 

Borri (Joseph-François), 33, 126. 

BôtUcher, 85, 291. 308-317. 

Boyie, 67, 73, 83, 280. 

Bragadino (Marco-Antonio), 30 100 

Brandt, 85. 

Braun, 295. 



Camillus (Julius), 67. 

Carter (Richard), 130. 

CharlesII, 277, 281. 

Charles V, 120. 

Charles VI, 117, 193. 

Charles IX, 125. 

Chrétien IV, 126. 

Christian II, 240. 

Christophe Kirchot'de Lauban, 119. 



DES PERSONNAGES ET DES NOMS D'AUTEURS. 411 

Glytemius (Jean), 164. 
Combach. 271. 
Corneille Agrippa, 165. 
Creuz (le baron de). 2Î>9. 



Daniel de Transylvanie, 571 . 
Dée (Jean), 202, 209. 
Delisle, 317-332, 372. 
Dierbach (Schmolz de), 297. 
Dippel. 289, 297, 305, 514. 555 
Domenico Manuel, 332-559. 
Donzeliini,262. 
Dornberg (Jean), 13â. 
Dubois, 372. 



t:ck-de Sulzbach, 84. 
Edouard III, 131. 
Edouard IV, 130. 
Ellinger (André), 262. 
Élisabelh, i25, 207. 
Éraste (Thomas), 90. 
Ershant (Th.), (i2. 
Eltner (J.), 9i'. 



Fauceby, 1J9. 
Faustius (Michel), 280. 
Ferdinand III (empereur), 215. 



41 i TABli: ALt»UABÉTKHIK 

Flamel (Nicolas), 171«.^), 360. 

Fludd (Robert), 272. 

Franck (Jean), 122. 

Frani Gatsmann, 110. 

Frédéric l'M25, 290, 335. 

Frédéric II, 195. 

Frédéric 111, roi de Danemark, 33. 

Fré«iéric de Wurtemberg, 100. 240. 

Frédéric-Guillaume 1*', 310. 



G 



Gabriel de Châtaigne, 58. 

Gaspard llolTmann, 33. 

Geber, 9, 13, 16, «3, 26, 72, 78^ NO. 

Geoffroy (l'atné\ 93, 170. 

Germsprciier, 15. 

Glaubor (Rudolphe), 12, 05, 85. 

Gonthier d*Andornach, 262. 

Gros (ministre du saint Évangil(») 218. 279. 

Gualdo (Frédéric), 17. 

Guillaume de Krohnemann, 100. 

Gustave-Adolphe, 306. 

Guslenhover (l'hilippe-Jacoh), 230, 24H . 

(jiiy de Cruscniboiirg, 120. 

Guylon de Murvc.iii, 74, 105. 



Il 

Marbach (Gaspard), 120. 
Ilarprcchl, 250. 
Hector de Kletlenber^s UiO. 
IlelvétiiiH (Jftan .Krédr^ric), 211, 281. 
Henri 11, roi de Navarrr», iM). 
Henri IV d'AngleU!rr«, 121 . 
Henri VI, d An^lelerrr*, llîl, 127 



DES PERSONNAGES ET DES NOMS D'AUTEURS. 413 

Ilerman Conringius, 90. 
llermès-Trismégiste, 4, 6, 40, 56. 
Homberfç, 73. 
Ilonafier. 160, 374. 
llorlulanus, 41, 59, 131, 365. 



I 
ïsîiac le Hollandais, 15, 17, 83. 



Jacques Cœur, 12V>. 

Jean XXII {le pape), 117,119. 

Jean de Laaz, 150. 

Jean deMcung, 88. 

Jean des Galans, 125. 

John Cobler, 119. 

John Melsle, 119. 



Kalid, 14, 26. 

K(illey (Kdouard), 200-208. 

Kircher, 41, 90. 

Kirchniaiir (Georfres-Gaspard), 311. 

Kirkeby, 11». 

Klaprolh, 102-104. 

Kortiim, 107-109. 

Kuiiokel, 15, (M, 67, 161. 



Lascaris, 287-308. 



414 TABLE ALPHABÉTIQUE 

Léon X, 150. 
Léopoiai'%01,124. 
Libafiiis, 70. 
Liebknecht, 294. 
Louis de Neus, 135. 
Lucas (Paul), 18, 196. 



M 

MarcuaGrecus, 82. 

Mardochée de DeUe, 122, 152,206, 247. 

fiiarquard, 122. 

Marlin [de Fritzlar), 293. 

Marlini, 215. 

Maximilien II (empereur), 204 

Mayer(lfichel), 122, 271. 

lAéric Gasaubon, 209. 

Michaëlis, 22. 

Moltherus, 269. 

Morgenbesser, 279. 

Mormius (Pierre), 275. 

Mullenfels, 250. 





Olœus Borrichius, 4. 

Olto Tackenius, 50, 65, 95. 



Paracelse, 12, 27, 65, 65, 67, 84, 118, 201. 
Pasch, 312. 
Paykûll, 1-27,220. 



DES PERSONNAGES ET DES NOMS D'AUTKURS. 415 

Pernelle, 174, 188. 

Pl'uel (madame), 125. 

Philalèthe, 276-286. 

Pierre le Bon de Lombardie, 87. 

Porta (J.-B.), 85. 

Potier (Michel), 270. 

Price (James), 95-98. 

Pseudo-Dcmocrite. 58. 



Ragny, 119. 

Rain (G.-F. de), 119. 

Raymond Lulle, 14, 18, 37, 58, 82, 151 . 

Rhasés, 26, 38, 80. 

RichUiausen, 215-218. 

Ripley (G.), 41, 55, 366. 

Rodolphe II, 122-124, 230. 

Roquetaillade (J.) ou Rupcscissa, 15,58, 131. 

Rose-Croix (les), 256-275 

Rosenkreuz (Chrétien), 258. 

Rulzke (Martin), 122. 



Salmon, 10, 16, 20, 36, 54. 
Schmid (J.), 92. 
Schmieder, 76. 
Schweitzer, 124. 
Sebaldschenser, 123. 
Seniler (Jean-Salomon). 99-104,260 
Sendivogius (Michel), 241-.244, 256. 
Sélhon (Alexandre), 224-244. 254. 
Sévcrin (Pierre), 262. 
Siebent'reund (Sébastien), 134. 



410 TABLE AlPilABÉTfOOE 

Sperber (Jules), 49. 
SlabI [Geor|?fî0.02, la"». 
Starkey, 279. 



Tancke (Joachim), 11G. 

Thaddœfis de llayec (Agediis), 122, 2(»i. 

Thomas d'Aquin (saint), 7, 69. 170, rkr>7. 

Tburneysser (Léonard). 31-33, 135. 

TilTereau (Théodore), 74, STifi, SOI . 

Toxitis (Michel), 262. 

Trafffbrd (Thomas), 119. 



ribiircr,277. 



Van Melmonl. 1,1, (m. T.T. S'», 209 
VVnzel Zeyler, 12 i. 
VerdenfeU, ôô. 
Vinrent de Rcaiivais. 117. 



w 

Waiijçhaii fTlionias de), on IMiilairlhe, 27«'.-iîS«i 
Wcrner Holiink, 6."». 



William llamilton, '250. 



DES PERSONNAGES ET DES NOMS D'AUTEURS. 417 



Zachaire (Denis), 138-15*2. 
Ziglerin (Marie), 160. 
Zwelfer, 65. 
Zwinger (Jacob), 227. 



FI.N bL LA lABLb ALrilABb.lK>UK. 



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